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CINÉMA

ARTS DAVID BORDWELL


KRIST1N THOMPSON

L’ART DU FILM
UNE INTRODUCTION
L’ART DU FILM
UNE INTRODUCTION
CINÉMA
ARTS Une. collection dirigée par Philippe Dubois
Jacques AUMONT, De l'esthétique au présent
Jacques AUMONT (sous la direction de), La mise en scène
Frank BEAU, Philippe DUBOIS, Gérard LEBLANC (sous la direction de], Cinéma et dernières
technologies
David BQRDWELL. Kristin THOMPSON, L'art du film Une introduction
Nicole BRENEZ, De ta figure en général et du corps en particulier. L'invention figurative au cinéma
Jean-Louis LEUTRAT, Echos d'Ivan Le Terrible. L'éclair de l'art, les foudres du pauvatr
Anne-Fronçai se LESUISSE, Du film noir au noir. Traces figurâtes dans le cinéma classique
hollywoodien
François NINEY, L'épreuve du réel à l'écran. Essai sur le principe de réalité documentaire, 2* édition
Roger OOIN, De la fiction
DAVID BORDWELL
KRISTIN THOMPSON

L’ART DU FILM
UNE INTRODUCTION
Traduit de l'américain par Cyril Beghin

de boeck
OUVRAGE ÛSC4NA1 :

Film Art An Introduction by David Bordwell, Kristin Thompson


Copyright © 1997, 1 993, 1 990, 1986, 1979 by The McGraw Hill Companies, Inc.
Ail rights reserved

ItlUSTRAItON DE COUVERTURE :

Un Américain à Paris (Vicenle Minnelli, 1951)


Photogrammes de la Cinémathèque de la danse (Paris)

De Boeck & Larder s.a„ 2000 1™ édition


Éditions Cto Boeck UnrversiMi 3* tirage 2006
Rua des Minimes 39, B-1000 Bruxelles
Pour la traduction et l'odoptation française

Tous droits réservés pour tous pays


H «si interdit, kxjf accord préalable et écrit de l'éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou
totalement le présent ouvrage, de le Stocker dons une banque de données Ou do le communiquer au public, sous
quelque forme et de quelque manière que ce soit

Imprimé en Belgique

Bibliothèque Nationale, Paris jarrrier 2000


Bibliothèque Royale Afcert t", Ekuxeles 2000/0074/35 ISBN 2-7445 0072-0
ISBN 13 978-2-7445 0072 5
David Bordwell est titulaire de la chaire Jacques Ledoux d’Études Cinémato­
graphiques à l'université de Madison (Wisconsin). Il est l'auteur de Narra­
tion in the fiction film (1985). Ozu and thepoetics ofcinéma ( 1988), Making
meaning : inference and rhetoric in the interprétation of cinéma (1989), The
cinéma ofEisenstein (1993) et On the historyoffilm style (1997). Il publiera
en 2000 un ouvrage sur le cinéma de Hong-Kong. Ses domaines de recher­
ches sont la stylistique et la narratologie du film ainsi que l’histoire du
cinéma américain et du cinéma asiatique.
Kristin Thompson est professeur au département «Communication arts» de
l’université de Madison (Wisconsin). Elle est notamment l'auteur de
Eisensteins Ivan the Terrible : a neoformalist analysis (1981), Exporting
entertainment (1985), Breaking the glass arntor : neoformalist film analysis
(1988), et Storytelling in the new Hollywood ; understanding classical narra­
tive technique (1999). Ses domaines de recherches sont l'esthétique du film
et l'histoire du style du cinéma muet.

David Bordwell et Kristin Thompson ont aussi écrit ensemble Film


history : an introduction (1994) et, avec Janet Staiger, Theclassical hollywood
cinéma : film style and mode of production to I960 (1985).
L'An du film est un ouvrage qui se destine d’abord au public large de tous ceux
— étudiants, enseignants, cinéphiles — qui veulent s'initier à l'ensemble des problè­
mes du cinéma conçu comme forme expressive. Il se présente comme un panorama,
le plus complet et systématique possible, des nombreuses théorisations élaborées en
ce domaine tant dans la tradition anglo-saxonne que dans les autres cultures de pen­
sée sur le cinéma, en particulier la pensée française. Articulant synthèses théoriques et
analyses précises de films, tout en proposant son propre point de vue. le livre présente
aussi une remarquable et abondante illustration, composée presque exclusivement de
photogrammes (images directement reproduites à partir du film). Ces illustrations,
qui peuvent parfois reconstituer toute une séquence, plan par plan, apportent une
dimension éminemment concrète aux analyses et concepts évoqués dans le texte. Elles
participent pour beaucoup à la grande • efficacité « de ce livre.
En fin de volume, le lecteur trouvera plusieurs outils pratiques : un glossaire des
termes techniques et notionnels, avec une brève définition synthétique; une liste
sélective de sites Internet, remise à jour et organisée par secteurs; un triple index Ides
noms, des titres ei des notions] permettant de voyager transversalement dans le livre.
Pour ce qui concerne la bibliographie, assez conséquente, nous en avons fourni
une considérablement renouvelée, orientée d’abord vers les travaux publiés en langue
française, avec des références accessibles, et ne conservant des sources américaines
que celles qui nous paraissent incontournables et sans équivalents. Cette bibliogra­
phie actualisée et augmentée est regroupée à la fin du livre mais organisée à partir du
découpage en chapitres et en grands thèmes fourni par David Bordwell et Kristin
Thompson. Elle permettra au lecteur qui veut en savoir plus de prolonger sa lecture
en trouvant rapidement les travaux plus spécialisés sur tel ou tel point.
C'esi la cinquième et dernière édition (revue et augmentée) de Film An : an intro­
duction, qui a été traduite ici. La première datait de 1979. Les importantes remises à
jour faites par les auteurs au fil des éditions américaines (et même de l’édition inter­
nationale] ont elles-mêmes été complétées et révisées par nos soins pour cette version
française. En ce qui concerne les litres de films, nous avons opté pour la règle
suivante : tous les films sont donnés dans leur litre français (du moins lorsque le film
a été distribué en France). Toutefois, lors de la première occurrence du titre dans
l'ouvrage, nous avons en outre fait mention du titre dans sa langue originale, accom­
pagné du nom du réalisateur et de la date du film.
Nous sommes particulièrement heureux de livrer au public le premier livre traduit
en français de David Bordwell et Kristin Thompson. C'était déjà, dans sa version amé­
ricaine. le best seller dans sa catégorie. Nous lui souhaitons un succès comparable.

Cyril Beghin et Philippe Dubois


À nos parents,
Marjorie et Jay Bordwcll
et à Jean et Roger Thompson
AV41HT-

Ce livre se définit comme une introduction à l'esthétique du


film. Il suppose que le lecteur n'a pas d'autre connaissance du
cinéma que celle d’un simple spectateur. Même si l'ouvrage peut,
par certains aspects, se révéler utile à des personnes ayant déjà
des connaissances approfondies en ce domaine, notre objectif est
avant tout de donner un simple aperçu des aspects fondamen­
taux du cinéma comme forme d’art.

Décrire le cinéma comme art, c’est nécessairement en ignorer


certains aspects, l^s films d'entreprise, les films didactiques,
l'histoire sociale du cinéma ou son impact comme spectacle de
masse — chacune de ces importantes dimensions du moyen
d'expression cinématographique nécessiterait un livre entier
pour être correctement traitée. Ce livre, lui, cherche à préciser
ce qui, en scs caractéristiques essentielles, constitue le cinéma
comme art. Il s'adresse donc à ceux qui s'intéressent à la façon
dont ce moyen d'expression peut nous procurer des expériences
analogues à celles offertes par la peinture, la sculpture, la musi­
que, la littérature, le théâtre, l'architecture ou la danse.

En écrivant ce livre, nous avons imaginé des lecteurs de trois


sortes. Premièrement, le lecteur faisant partie du grand public,
intéressé par le sujet et qui veut en savoir un peu plus sur les
films et leur fonctionnement. Deuxièmement, l’étudiant suivant
un enseignement de cinéma, cours généraux d'introduction ou
cours sur la critique ou l'esthétique; pour ce lecteur, notre
ouvrage peut servir de manuel. Troisièmement, l’étudiant en
cinéma d'un niveau plus élevé, qui pourra trouver ici un utile
compte-rendu des principaux problèmes et des grandes notions
ainsi qu’un ensemble de suggestions pour des travaux plus
spécialisés.
Si l'on considère son organisation, L'art du film propose une façon origi­
nale d’aborder son sujet. Il aurait été possible de passer en revue, tant bien
que mal, toutes les approches contemporaines de l'esthétique du film, mais
nous avons estimé que le résultat serait trop éclectique. Au lieu de cela, nous
avons essayé de trouver un moyen de conduire le lecteur par étapes logiques à
travers différents aspects de l'esthétique du film. L’importance donnée au tout
du film est ici capitale. Les spectateurs font l'expérience d œuvres entières et
non de fragments. Si le film comme objet singulier est le centre irréductible de
notre enquête, nous avons besoin d’une approche qui nous aide à le compren­
dre. Celle que nous avons choisie met l’accent sur le film comme artefact
— réalisé de certaines manières, ayant un certain caractère de totalité et une
certaine unité, situé dans l’histoire. Nous pouvons schématiser cette approche
par une série de questions.

Comment crée-t-on un film ! Pour comprendre le cinéma comme un art,


nous devons d’abord comprendre de quelle façon le travail humain crée
l’artefact. Cela nous conduit à un examen de la production cinématographique.
Quelles sortes de films résultent du processus de production ? Nous devrons aussi
examiner différents types et différents genres de films (première partie).

Comment fonctionne l'ensemble d'un film ? Ce livre est fondé sur l'hypo­
thèse que, comme toutes les oeuvres d'art, un film peut être compris comme
une construction formelle. Cela nous amène à considérer ce qu’est une forme
et la façon dont elle nous affecte, les principes fondamentaux de la forme fil­
mique ainsi que des formes narratives et non-narratives au cinéma (deuxième
partie). Ces questions nécessitent aussi que nous considérions les techniques
caractéristiques du cinéma, puisqu’elles fonctionnent depuis l’intérieur de la
forme du film dans sa totalité. Nous analysons donc les possibilités artistiques
offertes par les quatre principales techniques cinématographiques : la mise en
scène, la prise de vues, le montage, le son (troisième partie).

Comment faire une analyse critique d’un film ? Armés d'une conception de
la forme filmique et d’un savoir sur la technique cinématographique, nous
pouvons continuer par l’analyse de films précis, abordés comme des œuvres
d’art. Nous donnons plusieurs exemples d’analyses (quatrième partie).

Comment l'art du film change-t-il n travers l'histoire ? Une histoire appro­


fondie du cinéma nécessiterait plusieurs volumes, mais nous pouvons évo­
quer ici la façon dont les aspects formels du cinéma n’existent pas hors de
contextes historiques définis. Une brève description des mouvements et des
périodes les plus remarquables de l’histoire du cinéma montre comment la
compréhension de la forme nous permet de situer historiquement les films
(cinquième partie).

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Cette manière d'aborder un film dans son intégralité découle de plusieurs
années passées à donner des cours d’initiation au cinéma. En tant que profes­
seurs nous voulions que les étudiants voient et entendent mieux les films étu­
diés mais il était évident qu’on ne leur apprendrait pas à analyser un film par
eux-mémes en se contentant de leur fournir notre point de vue. Nous avons
décidé que les étudiants devraient, dans l’idéal, maîtriser un ensemble
ordonné de principes qui les aideraient à observer plus précisément les films.
Nous devînmes convaincus que le meilleur moyen pour comprendre le
cinéma est d'avoir recours à des principes généraux relatifs à la forme filmi­
que, permettant d'analyser des films précis. Le succès que nous avons rencon­
tré avec cette méthode nous amena à décider que ce livre devait se concentrer
sur des savoirs fondamentaux permettant d’acquérir cette compétence. En
apprenant les notions de base relatives à la forme et aux techniques du
cinéma, le lecteur peut affiner sa perception de n'importe quel film.

L'accent mis dans ce livre sur les savoirs de base a une autre conséquence.
Vous remarquerez que nous nous référons à un grand nombre de films. Nous
espérons que très peu de lecteurs auront vu tous les films que nous mention­
nons et il est certain qu’aucun professeur donnant un cours de cinéma ne
pourra les montrer tous. Mais parce que le livre met l’accent sur l'acquisition
de savoirs conceptuels, le lecteur n'a pas besoin de voir tous ces films pour sai­
sir les principes généraux que nous évoquons. D’autres films auraient pu ser­
vir les mêmes propos. Les possibilités offertes par les mouvements de caméra,
par exemple, peuvent aussi bien être illustrées par Lu ronde que par La grande
illusion-, pour donner un exemple de cinéma classique hollywoodien, La pour­
suite infernale sera aussi efficace que La mort aux trousses. Même si ce livre
peut fournir le programme d'un cours de cinéma, le professeur peut illustrer
les idées qui y sont développées avec des films différents. (Un exercice utile
pour la classe consisterait alors à comparer l'exemple donné dans le texte et le
film montré en cours, de façon à en préciser plus clairement encore certains
aspects.) Cet ouvrage ne repose pas sur des titres de films, mais sur des con­
cepts.

L’art du film a certaines caractéristiques inhabituelles. Un livre sur le


cinéma doit être richement illustré, et la plupart le sont. Mais beaucoup,
cependant, utilisent de soi-disant photographies de plateaux — des photogra­
phies prises durant le tournage mais généralement pas de la position où se
trouvait la caméra. Il en résulte une image qui ne correspond ù aucune image
du film tel que nous le connaissons. Nous avons employé peu de photogra­
phies de plateaux: pratiquement toutes les illustrations de ce livre sont des
agrandissements de photogrammes — des agrandissements de photographies
extraites du film lui-méme. La plupart de ces illustrations viennent de copies

11
ÛÏÛHI-PÈ0PÜ1

35mm. (Pour des détails supplémentaires sur les agrandissements de photo­


grammes, voir les -Notes et Points d'interrogation» du chapitre 1.)
Une autre caractéristique inhabituelle est la partie intitulée «Notes et
Points d’interrogation □ qui conclut la quasi-totalité des chapitres. Nous avons
essayé d’y soulever des problèmes, provoquer des débats et suggérer de plus
amples lectures ou directions de recherches. Ce sont aussi des compléments
de chapitre constituant un ensemble de références pour l’étudiant voulant
élargir ses premiers acquis comme pour le lecteur non-spécialistc.
Nous espérons que ce livre aidera ses lecteurs à regarder une plus grande
variété de films avec une attention plus aiguisée et à se poser des questions
précises sur l'art du cinéma.
Nous voulons remercier les personnes qui. au cours des vingt dernières
années, nous ont aidé à enrichir ce livre : David Allen, Tino Balio, John Bel-
ton, Ralph Berets. Eileen Bowscr. Edward Branigan, Martin Bresnick, Michael
Budd, Peter Bukalski, Elaine Burrows du British Film Institute, Richard B.
Byrnc, Jérôme Carolfi, Corbin Carnell, Jcrry Carlson, Kent Carroll. Paolo
Cherchi Usai de la George Eastman House, Jeffrey Chown, Gabrielle Clacs et
l'équipe de la Cinémathèque royale de Belgique, Bruce Conner, Mary Corliss
du Film Slills Department du MoMA. Susan Dalton de l’American Film Insli-
tute, Robert E. Davis, Dorothy Dcsmond, Kathleen Domenig, Maxine Flcc-
kner-Duccy du Wisconsin Centcr for Film and Theater Research, Don
Fredericksen, Jon Gartenberg, Ernie Gehr, Kathe Geist, Douglas Gomery,
Claudia Gorbnian, Ron Gottesman, Eric Gunneson, Howard Harper, Denise
Hartsough. Kevin Hcffernan, Linda Henzl. Richard Hincha, lan Christopher
Horak du Munich Film Archive, Lea Jabobs, Kathryn Kalinak, Charles Keil,
Laura Kipnis, Barbara Klinger, Don Larsson, Thomas M. Leitch, Gary Lon­
don, José Lxjpez de New Yorker Films, Patrick Loughney de la Library of Con-
gress Motion Picture Division. Marc McClelland de Films Inc., Roger L.
Mayer de la MGM Inc., Norman McLaren, Jackie Morris de la National Film
Archive, KazutoOhira de Toho Films, Badia Rahman, Paul Rayton, Léo Salz-
man, Rob Silberman. Charles Silver du Film Study Centcr du MoMA, Joseph
Evans Slatc, Harry W. Smith, Jcff Smith, Michael Snow, John C. Stubbs, Dan
Talbot de New Yorker Films, Edyth von Slyck et Chuck Wolfe.
Pour la préparation de celte édition, nous sommes reconnaissants à plu­
sieurs des personnes que nous venons de citer, mais aussi à Ben Brewster, Noël
Carroll. Bruce Jenkins et Mike Maggiorc du Walkcr Art Centcr, ainsi que
Vance Kepley. Nous voudrions remercier les personnes qui ont accepté de
donner leur avis sur notre projet de révision: Paul Arthur, de la Montclair
State Univcrsily; Matthew Bernstein, de l'université d'Emory; Robin Blaetz,
de l’université d'Emory; George Butte, du Colorado College; Mary Carbinc,

12
ami

de l'université de Chicago; John T. Casey, du St. Lco’s college; Christine


Calanzaritc, de l'Illinois State University; Elizabeth Ellsworth, de l'université
du Wisconsin à Madison; Jane Gaines, de l’université de Duke; Tim Hirsch,
de l'université du Wisconsin à Eau Claire; Mary Hurd, de l’East Tennessee
State University; Arthur Knight, du College of William and Mary; William B.
Larsen, de l'université du Tennessee à Knoxville; Julie Levinson, du Babson
College; William Luhr, du St. Peters College: Barry Mauer, de l’université de
Floride; Joan McGettigan, de la Penn State University; Joan Mellon, de l'uni­
versité de Temple; Gloria Monly, de l'université de Yale; Alan Nadel, du Rens-
sclaer Polytechnic Institute; Ben Nyce, de l’université de San Diego; Ruth
Prigozy, de l’université d'Hofstra; Matthew D. Ramsey, de l'Ohio State
University; Shawn Rosenheim, du Williams College; Rob Sabal, de l’univer­
sité d’Arizona; James Shepard, du Williams College; Richard Wesley Thicde.
du Défiance College; John C. Tibbets, de l’université du Kansas; Dee Tudor,
du Oakton Community College; GeoflTrcy Waite, de l'université de Corncll;
Margaret Ward, du Wellesley College; Emmett J. Winn, de l’université
d’Auburn; Esther Yau, de l’Occidental College; et Shari Zeck, de l'Illinois
State University.
Comme toujours, nous remercions nos éditeurs américains : â McGraw­
Hill, Curt Berkowitz, Nancy Blaine et Cynthia Ward, et chez nos éditeurs pré­
cédents, Peter Label la et Roth Wilkofsky.

David Bcrdwell
Kristin Thompson

13
La production
du film

Nous savons tous que les films sont comme les bâtiments, les
livres et les symphonies —des artefacts, fabriqués par l'homme
pour des raisons humaines. Il est courant que des émissions de
télévision ou des chaînes spécialisées du câble nous dévoilent les Facteurs techniques
détails techniques d'une réalisation en diffusant des extraits d'un
Facteun sociaux
Makingqf... et des entretiens réalisés en coulisse avec acteurs et
Implicatiûcs des déférents modes
techniciens. Mais assis dans l’obscurité d’une salle, fascinés par
de produetnn cinématographique
un film, il nous sera sans doute difficile de garder à l'esprit que ce
Après la production : la distribution
que nous voyons n'est pas un objet naturel, comme une fleur ou
el f exploita lion
un météore. Le cinéma est si captivant que nous avons tendance
Notes et Points d'cnterrogalion
â oublier que les films sont fabriqués. Comprendre l’art du
,mî Dt 1VPH DI UJJH

cinéma, c’est d’abord prendre conscience qu'un film est produit à la fois par
des machines et par du travail humain.

Facteurs techniques
Regarder un film n'est pas regarder un tableau, une représentation théâtrale
ou une projection de diapositives. Un film nous donne à voir des images prises
dans une illusion de mouvement. Qu’est-ce qui crée cette impression
d'« images mouvantes» ?
Pour que le cinéma existe, une série d'images doivent être présentées en
une succession rapide. Un mécanisme montre chaque image un très court
laps de temps et insère entre elles un bref intervalle de noir. Si des images légè­
rement différentes du même objet sont présentées dans ces conditions, cer­
tains processus physiologiques et psychologiques procureront à leur
spectateur l'illusion de voir une image en mouvement.
Quels sont ces processus ? Depuis le dix-neuvième siècle, la principale
réponse était liée au phénomène de «persistance des impressions
lumineuses-, par lequel une image demeure sur la rétine une fraction de
seconde après que sa source a disparu. Mais cela ne suffît pas à expliquer
pourquoi nous voyons du mouvement plutôt qu'une succession d’images
fixes. Ij recherche scientifique a montré, au vingtième siècle, que le problème
est plus complexe; nous ne savons pas encore de façon certaine comment
l’illusion du mouvement est générée par le cinéma, mais il semble qu’au
moins deux aspects caractéristiques de l'appareil visuel humain y participent.
Il y a d'abord ce que l'on appelle la fréquence critique de scintillement : dans
les conditions d’une projection cinématographique, si un rayon lumineux est
interrompu plus de 50 fois par seconde, le spectateur ne perçoit plus des pul­
sations ou des éclats mais a l'illusion d'une continuité lumineuse. Un film est
généralement tourné et projeté à une cadence de 24 images par seconde.
L'obturateur du projecteur masque le faisceau lumineux lorsqu’un nouveau
photogramme se met en place cl lorsqu’il esl immobilisé dans le couloir de
projection; chaque photogramme est ainsi projeté deux fois sur l'écran, ce qui
accroît le nombre de flashes lumineux jusqu'au seuil critique où les scintille­
ments se «fondent» en une continuité lumineuse. Les premiers films muets
étaient filmés à des vitesses inférieures (souvent 16 ou 20 images par seconde)
et, avant que des ingénieurs conçoivent des obturateurs pouvant interrompre
le faisceau lumineux plus d’une fois par photogramme, l'image projetée était
affectée d'un fort clignotement. D'où l'un des premiers termes argotiques
anglais pour désigner les films, «flickers» (ce qui clignote, tremblote), qui sur­
vit encore aujourd'hui lorsque l'on appelle un film «n flick».

18
(Wim la pfiflpudiûii o fun _ _

Un second facteur de production de l’illusion cinématographique est


l'effet de mouvement apparent, ou effet phi. L'homme a tendance à voir du
mouvement là où, en fait, il n'y en a pas. En 1912, le psychologue Max (Wer-
theimer) découvrait, dans le cadre de la Cestalt-Theorie, que lorsque deux
points lumineux contigus clignotent selon certains intervalles de temps, les
spectateurs ne perçoivent pas deux clignotements mais un seul point en mou­
vement (on peut éprouver la même sensation avec la plupart des panneaux
publicitaires lumineux). Les chercheurs firent alors l'hypothèse que l’illusion
du mouvement était créée par l’activation, chez le spectateur, d'un processus
inconscient. Des expériences récentes laissent penser que l’effet de mouve­
ment apparent dépendrait en fait d'-analyseurs de mouvement - situés dans
notre appareil visuel. Tout déplacement, réel ou seulement projeté sur un
écran, constituerait un stimulus interprété comme mouvement par certaines
cellules de l'œil ou du cerveau.

La • fusion » du scintillement résultant du dépassement de la fréquence cri­


tique et l’effet de mouvement apparent sont des phénomènes exceptionnels,
rarement provoqués par des événements naturels. Il a fallu que les hommes
inventent certaines machines pour créer les conditions de la perception ciné­
matographique.

Tout d'abord, les images doivent être présentées en série. Elles peuvent
être, comme dans le Mutoscope (fig. 1.1), placées sur une rangée de cartes et
feuilletées devant le spectateur pour créer l'illusion du mouvement. Le plus
souvent, les images sont inscrites sur une bande faite d'un matériau flexible :
dans des jouets optiques comme le Zootrope, elles étaient sur du papier
(fig. 1.2) et c'est une bande de celluloïd qui sert de support aux images du
cinéma tel que nous le connaissons. Ces images sont des photogrammes. Si
elles doivent être sur de la pellicule, il faut généralement trois machines pour
tes créer et les présenter. Ces trois machines partagent un même principe : un
mécanisme contrôle la façon dont la lumière parvient jusqu’au film, fait avan­
cer la bande photogramme par photogramme et expose ceux-ci à la lumière
pendant l'intervalle de temps approprié. Ces trois machines sont :

I. La caméra (fig. 1.3). Dans une chambre noire, un mécanisme d'entraine­


ment décharge le film d'une bobine débitrice (a) vers une bobine récep­
trice (d) en le faisant passer devant une lentille (b) et une fenêtre de prise
de vues (c). La lentille focalise la lumière renvoyée par la scène sur chaque
photogramme du film. Le mécanisme fait avancer la pellicule de façon
intermittente, avec une pause brève lorsque le photogramme se trouve
devant la fenêtre. Un obturateur (f) laisse pénétrer la lumière à travers la
lentille uniquement lorsque le photogramme est immobile, prêt à être

19
—। - i.v.ru h .mumioiH, uUiimULL—<■—

Figure 1.4

Figure 1.5

exposé. I-a vitesse de prise de vues standard pour le film sonore est de 24
images par seconde (25 pour certaines productions européennes).

2. La tireuse (figs. 1.4,1.5). Il existe différents types de tireuses, mais toutes se


composent d'une chambre noire où un film, négatif ou positif, est conduit
d’une bobine débitrice (a) vers une bobine réceptrice (c), en passant
devant une fenêtre, ou fente de tirage (b). Simultanément, une bobine de
film vierge (a1, c’) défile devant la fente de tirage (b ou b’), en continuité ou
par intermittence. Au moyen d’une lentille (d), la lumière contrôlée par la
fenêtre impressionne l’image (e) sur le film vierge (e‘). Les deux films
peuvent passer simultanément devant la fenêtre: la figure 1.4 montre un

20
uwjim i - unmxuu >ji wf

schéma d'une telle tireuse, appelée tireuse par contact. Elles sont employées
pour faire des copies de travail et des copies d'exploitation, ainsi que pour
réaliser les effets spéciaux associant dans une seule image des éléments fil­
més séparément.
La lumière qui traverse le film original peut aussi être dirigée sur le film
vierge par l'intermédiaire de lentilles, de miroirs ou de prismes (comme en
(f) dans la ligure 1.5). Ce type de tireuse, connu sous le nom de tireuse
optique, est employé pour re-photographier des photogrammes. tirer des
copies de formats différents et réaliser certains effets spéciaux tel que
l’arrêt sur image.

Figure 1.6

3. Le projecteur (fig. 1.6). Un mécanisme d’entrainement décharge le film


exposé et développé d'une bobine débitrice (a) vers une bobine réceptrice
(d) en le faisant passer devant une lentille (b) et une fenêtre (c). La lumière
traverse les images (e) et est amplifiée par la lentille pour être projetée sur
un écran. Comme précédemment, un mécanisme fait avancer le film par
intermittence devant la fenêtre tandis qu'un obturateur (f) laisse sortir la
lumière seulement lorsque le photogramme est à l'arrêt. Pour produire
l’effet de mouvement apparent, le film doit présenté un minimum de 12
images par seconde; il faut aussi que l’obturateur masque et découvre cha­
que photogramme au moins deux fois, afin de réduire, à l'écran, l'effet de
scintillement. La vitesse de projection standard pour le film sonore est de
24 images par seconde, avec deux obturations par image.

La caméra, la tireuse et le projecteur sont des variantes de la même


machine. La caméra comme le projecteur régulent le passage intermittent de
la pellicule devant une source lumineuse. Leur différence réside en ce que la

21
- ___ Miiiri - imi h Ufiiiiuiioi!. inu h iilu__

caméra reçoit la lumière venant de l’extérieur de la machine pour la focaliser


sur le film, tandis que dans le projecteur, le phénomène est inversé : la
machine produit la lumière qui rayonne à travers le film vers une surface exté­
rieure. La tireuse combine ces deux dispositifs : comme un projecteur, elle
contrôle le passage de la lumière à travers un film exposé (l’original, positif ou
négatif) et comme une caméra, elle focalise la lumière pour former une image
(sur le film vierge).
Un cinéaste peut créer des images non photographiques sur la pellicule en
dessinant, coupant ou perforant, en gravant ou en peignant. Pour la majorité,
ils s'en remettent toutefois à la caméra, à la tireuse et aux autres techniques
photographiques pour fabriquer les images en mouvement. Comme le film
photographique, la pellicule de cinéma est constituée d’un support transpa­
rent. qui sert de base à une émulsion (des couches de gélatine retenant des élé­
ments photosensibles). L'émulsion d’un film noir et blanc contient des grains
de bromure d’argent: la lumière réfléchie par une scène, en les atteignant,
déclenche une réaction chimique par laquelle les cristaux s’agglutinent en
points minuscules. Des milliards de ces points apparaissent sur chaque photo­
gramme d'un film exposé; ensemble, ils composent une image latente corres­
pondant à l'intensité lumineuse de la scène filmée. Un traitement chimique
révèle l’image latente, la rend visible sous la forme d’une configuration de
grains noirs sur un fond blanc. Cette image est soit un négatif, à partir duquel
on pourra tirer des positifs, soit déjà un positif (c’est alors une image inver­
sible).
L’émulsion d’un film en couleur est faite de trois épaisseurs supplémen­
taires de gélatine contenant chacune un colorant chimique sensible à une
couleur primaire : le rouge, le vert ou le bleu. Pendant l’exposition et le déve­
loppement, les cristaux de bromure d'argent créent une image en réagissant
avec les colorants et avec d'autres substances chimiques retenues dans les cou­
ches de gélatine. À partir d'un négatif couleur, le développement fournil une
image dont les valeurs sont complémentaires des couleurs d'origine, là où le
procédé d’inversion couleur produit une image dont les couleurs sont confor­
mes à la scène d’origine. Dans la plupart des productions professionnelles,
l'utilisation d’un négatif permei un meilleur contrôle de la qualité du tirage et
le tirage d’un plus grand nombre de copies. Le procédé d’inversion est essen­
tiellement réservé aux travaux amateurs.
Pour que la pellicule puisse traverser facilement la caméra, la tireuse et le
projecteur, elle est perforée sur un bord ou sur les deux. Ainsi, dans chaque
machine, des griffes peuvent s'engager dans les perforations cl faire avancer la
pellicule à une vitesse et à un rythme réguliers. Un espace est aussi réservé
pour une piste son, optique ou magnétique. Toutes les caractéristiques phy­
siques de la pellicule ont été normalisées dans le monde entier. La largeur de

22
; - ta pjiDHfiiür h ;iim

Figure 1.7 Figure 1.9

la bande film est appelée le format et est mesurée en millimètres. De nom­


breux formats ont été expérimentés, mais les standards internationaux restent
IcSuper 8mm, le 16mm. le 35mm et le 70mm.
Le Super 8mm (fig. 1.7) fut durant plusieurs décennies un format popu­
laire chez les amateurs et les réalisateurs expérimentaux, mais il a été large­
ment éclipsé, ces dernières années, par la vidéo légère. La figure 1.8 montre un
morceau de pellicule 16mm, format employé à la fois par les amateurs et les
professionnels. Le format professionnel standard est le 35mm; la plupart des
salles de cinéma projettent des copies de ce format. Les figures 1.9 et 1.10
montrent des photogrammes extraits, respectivement, de Sur les quais (On the
wa terfront. Elia Kazan, 1954) et de Jurassic Park (Steven Spielberg, 1994).
Autre format professionnel, le 70mm est, depuis les années 50, utilisé pour
des projets à caractère spectaculaire — on peut voir en 1.11 des photogram-
mes extraits de la poursuite d’Octobre rouge (The hunt for Red October, John
McTiernan, 1991 ). Figure 1.10

La qualité d’une image est généralement proportionnelle à la largeur du


film, une image plus grande offrant plus de détails et une meilleure définition.
Toutes proportions gardées, on peut dire que le 35mm fournit une image
dont la qualité est nettement supérieure au 16mm et que le 70mm est plus
performant que ces deux formats. La surface d'image la plus importante utili-

23
U&LL1-imuMiiiiuiini,

Figure 1.12

24
(Il11 PIIH -Al.mMUlC1 Pi L11B

sée lors de projections publiques est celle offerte par le système Imax. C’est un
format 70mm exploité horizontalement, permettant à chaque image détre
dix fois plus grande qu'en 35mm, et trois fois plus qu’en 70mm (fig. 1.12),
Elle peut ainsi être projetée sur un très grand écran sans perte de qualité.
Il arrive cependant que la copie visionnée ne soit pas du même format que
l'original. Beaucoup de films étudiés dans les cours de cinéma, tournés en
35mm, sont montrés en 16mm; pendant les années 50 et 60, quelques films
furent réalisés et projetés en 70mm, mais même les cinémathèques les mon­
trent aujourd’hui rarement dans ce format. La qualité de l’image se dégrade
souvent lors du passage d'un format à un autre. Ainsi, une copie 35mm du
Mécano de la Générale [The General, Buster Keaton. 1924) sera sans doute
photographiquement supérieure à une copie 16mm, tandis qu’un film tourné
en Super 8 aura un aspect lieu et granuleux s’il est tiré et projeté en 35mm.
Les réalisateurs indépendants qui travaillent en 16 mm doivent prendre en
compte le problème du gonflage de leur négatif, pour réduire la perte de qua­
lité photographique lors du passage aux copies d’exploitation en 35mm.
Les transferts entre formats ne sont pas toujours facteurs d’altérations.
Actuellement, des films distribués en 70mm sont tournés avec des négatifs
35mm : un meilleur rendement de la pellicule fait qu'il n'y a pas de perte
significative lorsque l'image est gonflée en 70mm. De meme, un format
connu sous le nom de Super ]6mm fournit une image de meilleure qualité
une fois gonflé en 35mm.
L’image est souvent accompagnée d'un enregistrement sonore, une piste
son magnétique ou optique. Dans le premier cas, une ou plusieurs bandes
magnétiques bordent la pellicule; pendant la projection, cette piste est *luc»
par une tète de lecture semblable à celle d’un magnétophone. Les images
70mm de la figure 1.11 sont équipées dune piste son magnétique stéréopho
nique (sur les deux bords de la pellicule).
Sur une piste optique l’information sonore est codée sous la forme de
tâches transparentes ou opaques, sur une bande parallèle aux photogrammes.
Pendant l’enregistrement, les impulsions électriques provenant d’un micro,
traduites en pulsations lumineuses, sont inscrites photographiquement sur la
pellicule. Lors de la projection, les variations d’intensité lumineuse de la piste
optique sont retraduites en impulsions électriques, puis en ondes sonores.
Dans les premières décennies du cinéma sonore, l’enregistrement optique
était réalisé au moment du tournage; le son est maintenant enregistré sur des
bandes magnétiques puis transféré optiquement sur la pellicule à un autre
moment de la production.
La plupart des copies projetées dans les salles de cinéma et dans les univer­
sités sont maintenant équipées de pistes optiques. Celles-ci codent le son sous

25
tHIU I IW1JJ UHIUJIIOII. iuuuwu

la forme d'une élongation variable, un ruban noir sinueux qui se déroule sur
fond blanc (ou l’inverse), inscrit dans la partie réservée au son sur la pellicule.
Les photogrammes 16mm de la figure 1.8 sont accompagnés, à droite, d'une
piste son optique à élongation variable; sur le film 35mm de la figure 1.9, la
piste est à gauche.
Une bande son peut être monophonique ou stéréophonique. I^e film
35 mm de la figure 1.9 a une piste optique monophonique, tandis que celle de
la figure J. 10 est stéréophonique, comme l'indiquent les deux lignes blanches
tortueuses qui longent le bord gauche de la pellicule. Certains sons stéréopho­
niques ou utilisant plusieurs canaux sont numérisés. Pour reproduire le son
numérique dans la salle de cinéma, le projecteur recherche cl lit des informa­
tions situées le long des perforations ou entre les zones réservées à l'image et
la piste optique. Les photogrammes extraits de Jurassic Park (fig. 1.10) présen­
tent un des plus récents systèmes, où les informations inscrites sur la pellicule
servent à contrôler un disque compact numérique contenant les éléments de
la bande son.

Ce sont donc des machines qui créent le film à partir d'un matériau brut
— une bande chimiquement photosensible de celluloïd perforé, d'un format
standardisé, où sont inscrites des images et des informations sonores. Mais
aussi importante que soit la technologie, elle n’est qu'une partie de cette his­
toire.

Facteurs sociaux
Les machines ne font pas les films toutes seules. La production d’un film, c'est
ce qui transforme un matériau brut en un produit fini par l'intervention d’un
ensemble de machines et du travail humain. Mais ce dernier peut connaître
différentes organisations, conditionnées par des facteurs économiques et
sociaux.

La plupart des films traversent trois grandes phases de production.

1. La préparation. L’idée du film est développée et consignée sous une cer­


taine forme. À ce stade, le ou les réalisateurs commencent à rassembler des
fonds pour assurer In réalisation, la publicité et la distribution du film.

2. Le tournage. Des sons et des images sont inscrits sur la pellicule. Plus préci­
sément, le réalisateur crée des plans. Un plan est une série de photogram­
mes produits par la caméra en une seule opération ininterrompue. Ix
réalisateur enregistre ou crée aussi des sons pour accompagner les plans.

26
QHIIU I ; U HIHIllll H [IL«

3. Le montage. À cette étape, qui peut interférer avec celle du tournage, les
sons et les images sont assemblés sous leur forme définitive.

Tous les films ne passent pas par chacune de ces étapes. Un film amateur
pourra nécessiter très peu de préparation et aucun montage final. Pour un
montage d’archives, il n’y aura pas besoin de tourner de nouvelles séquences
mais il faudra effectuer un travail d'assemblage à partir d’extraits préexistants
en provenance d’archives. Néanmoins, la plupart des films traversent ces pha­
ses de production.

L’organisation du travail au sein de chaque étape varie de façon impor­


tante. Une seule personne peut tout faire: planifier, financer, faire l’acteur,
actionner la caméra, enregistrer le son et assembler le tout. Mais le plus sou­
vent des fonctions différentes sont confiées à des personnes différentes, faisant
de chaque poste le lieu d’une spécialisation plus ou moins importante. C'est le
phénomène de division du travail, un processus qui intervient dans presque
toutes les entreprises d’un groupe social. Des travaux différents sont confiés à
des personnes différentes et un même travail est fractionné en postes intermé
diaires, confiés à des spécialistes. Dans le cadre du cinéma, le principe de divi­
sion du travail est à l'origine de différents modes de production (différentes
organisations sociales de cette production) et de différents rôles pour les indi­
vidus au sein de chacun de ces modes. Les stades de préparation, tournage et
montage, demeurent, mais dans des contextes sociaux différents.

Modes de production : l'organisation des studios

11 est plus simple de commencer par observer le système de division du travail


le plus précis et le plus spécialisé, celui des studios. Cela nous permettra d’évo­
quer l’étonnante diversité des activités nécessaires à la réalisation d'un film,
pour mieux appréhender ensuite la façon dont clics peuvent se dérouler dans
le cadre d'autres modes de production.

Un studio est une entreprise commerciale de production industrielle des


films. On en trouve des exemples célèbres parmi ceux qui fleurirent à Hol­
lywood entre les années 20 et les années 60 — Paramount, Warner, Columbia
et d’autres. Dans le système classique du studio, l’entreprise possédait son
propre matériel de réalisation ainsi que d’importantes surfaces bâties et elle
retenait la plus grande partie de ses employés par des contrats de longue
durée. (Fig. 1.13. un cliché publicitaire datant de la Seconde Guerre
mondiale : le patron des studios MGM, Louis B. Mayer, au premier rang et au
centre, exhibe son écurie de stars sous contrat. ) La direction centrale élaborait
des projets puis déléguait son autorité à des personnes chargées de superviser

27
iÂULLL imi H UlLimiOll!. mil D( 11LII

Figure 1.13

l’ensemble du travail, qui composaient une distribution et une équipe tech­


nique à partir de la réserve d'employés du studio.
Ce système a souvent été comparé à celui des chaînes de montage indus­
trielles, où un administrateur supervise un certain nombre d'ouvriers qui
répètent un travail précis, suivant un rythme régulier et un ordre immuable.
L'analogie suggère que les studios hollywoodiens des années 30 fabriquaient
du film comme la General Motors des voitures. Mais cette analogie n'est pas
exacte : chaque film est différent de celui qui la précédé, il n'est jamais la
réplique d’un prototype. Pour désigner la rationalisation de la production
dans les studios, l'expression fabrication en série limitée serait sans doute plus
adéquate : des techniciens expérimentés collaborent pour créer un objet uni­
que, tout en continuant d'adhérer à un schéma original élaboré par la direc­
tion.
Le système centralisé de production est toujours en vigueur dans certaines
parties du monde (comme la Chine et Hongkong) et pour certains types de
film (particulièrement les films d'animation). Quant aux actuelles compa­
gnies américaines, elles conçoivent moins les films quelles ne les achètent :
chaque film est élaboré à la façon d'un « paquet * ou d’un ensemble forfaitaire

28
— i - ii Htninim h nm

comprenant réalisateur, acteurs, personnel administratif et techniciens ras­


semblés spécialement pour un projet. Même si un studio détient sous contrat
un réalisateur prisé, une star ou un producteur, tout film commencera par
l'invention d'un regroupement particulier de travailleurs indépendants. Une
compagnie de production peut posséder les installations nécessaires à une
réalisation, comme certains des derniers studios, mais le plus souvent, le pro­
ducteur louera ou achètera le matériel; de la même façon, il confiera des tra­
vaux particuliers en sous-traitance à d’autres entreprises, par exemple la
réalisation des effets spéciaux.
Malgré le développement de ce système, les grandes étapes du processus de
production et la répartition des rôles restent semblables à ce qu elles étaient à
I 'âge d'or d'une production plus centralisée.

La phase de préproduction
Dans les studios, la phase de préparation est connue sous le nom de prépro­
duction. K ce stade, deux rôles clefs émergent : celui du producteur et celui du
scénariste.
Le rôle du producteur est d'abord celui d'un financier et d'un organisateur.
Il peut être un « indépendant » qui découvre des projets et essaye de convain­
cre compagnies de production et distributeurs de les financer. Il peut tra­
vailler dans le cadre d’un studio, trouvant des idées pour des films, ou être
engagé par un studio qui lui demande de regrouper et coordonner un ensem­
ble particulier de contrats.
Le travail du producteur est de développer un projet par l'écriture d’un
scénario, d'obtenir un financement et de s’occuper du personnel du film. Pen­
dant le tournage et le montage, il esi le lien entre le scénariste, ou le réalisa­
teur. et l’entreprise qui finance le projet. Une fois la réalisation du film
achevée, il devra en coordonner la distribution, la promotion et les différents
aspects commerciaux, et assurer le bon remboursement des fonds qui le sou­
tenaient.
Hors du système hollywoodien un seul producteur peut prendre en charge
tous ces éléments, mais dans l'industrie cinématographique américaine
actuelle son travail est davantage fractionné. Le producteur exécutif est ordi­
nairement celui qui, loin du quotidien de la réalisation, s’occupe du finance­
ment ou obtient les droits sur une oeuvre littéraire. Lui est subordonné un
producteur délégué, véritable organisateur du film, qui supervise l’ensemble
des phases de production. Le producteur délégué est assisté d’un producteur
associé, qui assure les relations avec les laboratoires ou avec le personnel tech­
nique.

29
HHll । I PL JL fi U LIJJI1UL JUUJi

La principale fonction du scénariste est de s’occuper du script, ou scénario.


Il arrive qu’il crée lui-même la demande en envoyant un scénario à son agent,
qui le soumet à un producteur indépendant ou à une compagnie pour un
éventuel financement. Un scénariste confirmé peut se permettre de rencon­
trer directement un producteur et tenter de le convaincre en proposant dif­
férentes idées de scénarios, te producteur ou le réalisateur peut avoir l'idée
d’un film et engager un scénariste pour la développer, ce qui arrive souvent
lorsqu'un producteur —toujours en quête d’idées— a acquis les droits
d’un roman ou d’une pièce de théâtre et en désire Y adaptation cinématogra­
phique.
Le scénario passe par différents états : un traitement, sorte de synopsis de
l'intrigue; une ou plusieurs continuités dialogué#; puis une version finale, le
découpage. Il est courant qu'un réalisateur veuille retravailler un scénario, ce
qui peut demander d’importantes réécritures. Dans le scénario original de
IVitncss (Peter Wcir, 1985), par exemple, la protagoniste était Rachel, la veuve
Amish dont l'inspecteur de police John Book tombe amoureux. \je cœur du
récit était constitué par cette histoire d’amour et par les sentiments confus de
Rachel envers Book. Mais le réalisateur voulait accentuer le choc entre paci­
fisme et violence : William Kclley et Earl Wallace modifièrent donc leur scéna­
rio pour donner plus d'importance aux aspects policiers et concentrer
l'intrigue sur Book, qui par son enquête va faire pénétrer la violence de la ville
au sein de la tranquille communauté Amish.
Un film achevé ressemble rarement à son découpage. Celui-ci est conti­
nuellement modifié, par exemple lors du tournage. Pendant le tournage de
Une étoile est née (A star is born, George Cukor, 1954) la scène dans laquelle
Judy Garland chante The titan that got away fut refilmée plusieurs fois, à diffé­
rents moments de la production et avec des dialogues différents fournis par le
scénariste, Moss Hart. Des scènes déjà filmées peuvent aussi être réduites,
réorganisées ou entièrement abandonnées au moment du montage. La
figure 1.14 est un cliché publicitaire pour Les enchaînés (Notorious, Alfred Hit­
chcock, 1946) montrant une scène qui fut éliminée de la version finale du film
(version où l'actrice assise près de Cary Grant a d'ailleurs totalement dispa­
rue).
Si le producteur ou le réalisateur trouve le travail d’un scénariste peu satis­
faisant, il peut en engager d'autres pour reprendre et corriger le script. Cela
mène bien sûr à de fréquents conflits sur les mérites de tel ou tel scénariste à
apparaître au générique d'un film. Dans l'industrie cinématographique amé­
ricaine, ces litiges sont réglés par la Screen Writcfs Guild.
Le scénario est presque terminé et le producteur exécutif s'est déjà occupé
du financement du film. Il a recherché le réalisateur et peut-être les stars qui

30
I - Lfl HOJIigjJlill HL.fll

constitueront, à eux tous, un investissement prometteur. Le producteur doit


alors préparer un budget détaillant les dépenses de création (paiement des
droits littéraires, du scénariste, du réalisateur et de la distribution) et les
dépenses techniques (dépenses affectées au paiement de l'équipe, aux phases de
tournage et de montage, aux assurances et à la promotion). La somme des
deux est appelée le coût de production (coût total de production du négatif
de la copie 0, ou master). En 1994, le coût moyen d'un négatif était, à Hol­
lywood, de 35 millions de dollars, auxquels venaient s'ajouter 15 millions de
frais publicitaire et de tirage.

Le producteur, ou le producteur délégué, doit aussi préparer en fonction


du budget un plan de travail pour le tournage et pour le montage. Lorsqu’un
film est tourné dans un ordre qui n'est pas celui de la continuité du scénario,
tous les plans nécessitant un certain décor ou un certain ensemble de person­
nes peuvent être réalisés au cours d'une même période. Si une star ne peut pas
rejoindre immédiatement un tournage ou si elle doit parfois s'absenter, le
producteur doit alors prévoir de tourner les «raccords* qui la concerne. On
attend donc du producteur et de son équipe que, avec toutes ces éventualités à
l’esprit, ils fournissent un plan de travail opérationnel, de plusieurs semaines

31
i - IW1 Pt LISfilIflMS. imi H mm

ou de plusieurs mois, jonglant avec la distribution, l’équipe technique, les


décors, cl même les saisons ou la géographie.

La phase de réalisation
Dans le jargon hollywoodien, la phase de tournage est souvent appelée
«production*, même si « production » est aussi le terme servant à désigner
l'ensemble du processus de fabrication du film. En français, une même confu­
sion s'attache au mot « réalisation ».
Bien que le réalisateur ait souvent un rôle à jouer dans la préproduction, sa
principale responsabilité est de contrôler les phases de tournage et de mon­
tage. Le réalisateur fait d’un scénario un film en coordonnant les différents
moyens de l’expression cinématographique : dans la plupart des productions,
il est considéré comme la seule personne entièrement responsable des aspects
visuels et sonores du film achevé.
À cause de la spécialisation de la division du travail dans les grandes pro­
ductions, de nombreuses tâches liées au tournage doivent être déléguées à des
techniciens travaillant en collaboration avec le réalisateur.

1. Durant la phase de préparation, le réalisateur a déjà engagé le travail avec


Figure 1.15 l’équipe chargée des décors, dirigée par un chef décorateur. Ce dernier doit
imaginer les décors du film, son équipe produisant les dessins et les plans
qui en déterminent l’architecture ou les couleurs. Sous la direction du chef
décorateur, un directeur artistique supervise la construction et la peinture
des décors, l'ensemblier, qui a généralement une expérience de la décora­
tion d’intérieur, le modifie suivant les nécessités du tournage, dirige une
équipe chargée des accessoires et un assistant décorateur qui met en place
les éléments du décor pendant le tournage. Le costumier a la charge de la
conception et de la confection de tous les costumes du film. Un régisseur
d’extérieurs pourra être chargé de trouver les lieux où installer les décors,
en fonction desquels le directeur artistique devra réfléchir.
On peut confier la réalisation d’un storyboard à un illustrateur qui
travaillera en collaboration avec le chef décorateur. Le storyboard
(«scénarimage») est une série de dessins représentant, à la manière d'une
bande dessinée, les plans de chaque scène. Il rassemble, entre autres, des
indications sur les costumes, les éclairages ou l’emplacement de la caméra.
La figure 1.15 présente un extrait du storyboard des Oiseaux (The birds,
Alfred Hitchcock. 1963). la plupart des réalisateurs n’en préparent pas
pour toutes les scènes, mais les scènes d’action, les plans qui nécessitent
des effets spéciaux ou un travail complexe de la caméra sont souvent repré­
sentés en détail. Le storyboard donne à l'équipe de tournage et à celle des

32
twiiyj^jjjimaioii ju 1.1 un

effets spéciaux une première idée de ce à quoi les plans devront ressembler.
Avant de tourner Le parrain III, Francis Ford Coppola avait fait enregistrer
son storyboard sur une cassette vidéo où les dialogues étaient lus par des
figurants. Créés sur ordinateur pour certains films, ils permettent de
• prévisualiser» des cascades ou des effets spéciaux.

2. Au cours du tournage, le réalisateur se repose sur ce que l’on appelle


l’équipe de réalisation, qui comprend :
a. Le script, connu sous l'ère classique des studios comme la script girt
(aujourd'hui, un cinquième des scripts de Hollywood sont des hommes).
Il est responsable de tous les détails de continuité d'un plan à un autre : il Figure 1.16
note les détails liés à l'allure générale d’un comédien (dans la dernière
scène, l’œillet était-il à la boutonnière droite ou à celle de gauche ?), aux
accessoires, à l'éclairage, aux mouvements, à la position de la caméra, ainsi
que la durée de chaque scène.
b. Le premier assistant réalisateur, qui organise avec le réalisateur le
déroulement des journées de tournage et prépare chaque plan avec son
approbation.
C. Le deuxième assistant réalisateur, qui est le lien entre le premier assis­
tant, I équipé de prise de vues et les électriciens.
d. Le troisième assistant réalisateur, qui fait le messager pour le réalisateur
et l’ensemble du personnel.
e. Le répétiteur, qui donne leurs dialogues aux acteurs et dit le texte des
personnages hors-champ pour donner la réplique à ceux qui sont filmés.
/. Le réalisateur de seconde équipe, qui filme les cascades, les extérieurs,
les scènes d’action et tout ce qui s’éloigne des principaux lieux de tour­
nage.

3. Le travail le plus visible, pour le public, est celui des comédiens formant
l'ensemble de la distribution. Cette dernière comprend généralement des
stars, des acteurs célèbres, populaires, auxquels on réserve les rôles princi­
paux. La figure 1.16 montre Greta Garbo, star des années 30, dans un essai,
une procédure employée pour décider de la distribution et tester l’éclai­
rage, les costumes, le maquillage et la position de la caméra par rapport à
l'acteur. La distribution est aussi constituée de rôles secondaires, ou acteurs
de second plan, et de figurants, ces personnes anonymes qui traversent une
rue, se rassemblent pour une scène de foule ou garnissent les décors de
vastes bureaux. Une part importante du travail du réalisateur est de faire
prendre forme à l’interprétation des acteurs. La plupart des réalisateurs
passeront beaucoup de temps à expliquer comment une réplique ou un
geste doivent être joués, rappelant à l'acteur la place de la scène dans la

33
MRIH 1 - JW.U pj HfliimiiiL ifHi

Figure 1.17

totalité du film pour l’aider à créer une interprétation cohérente. Le pre­


mier assistant réalisateur travaille d'ordinaire avec les figurants et se
charge, par exemple, de l'organisation des scènes de foule.
Pour certains films, des parties plus spécialisées de la distribution récla­
ment une direction particulière. Les cascadeurs seront sous l'autorité d'un
responsable des cascades; des danseurs professionnels travailleront avec un
chorégraphe. Si des animaux se joignent à la distribution, ils seront dirigés
par un dresseur. (Le générique de Mad Max, au-delà du Dôme du Tonnerre,
portail ainsi la mention mémorable d’un «dresseur de cochon».)

4. Autre équipe spécialisée, l'équipe de prise de vues, dont le responsable est le


chef opérateur, ou directeur de la photographie. Le chef opérateur est un
spécialiste des procédés photographiques, de l'éclairage et de l'utilisation
de la caméra. Avec le réalisateur, il met au point la façon dont chaque scène
sera éclairée et filmée. Fig.1.17 : sur le plateau de Citizen Kanc. Orson Wcl-
les dirige depuis sa chaise roulante à droite; le chef opérateur, Gregg
Toland, s'accroupit sous la caméra à gauche, tandis que l'actrice, Dorolhy
Comingore, reste à genoux. (La script est à l’arrière plan à gauche.)

34
(mim i • lfl HDtuiiûï pu nu,,

Le chef opérateur dirige :


a. ^opérateur de prise de vues, qui s’occupe du fonctionnement de la
caméra et peut aussi avoir un assistant pour la transporter, faire et conser­
ver le point, pousser un chariot, etc.
b. Le chef machiniste, qui supervise le travail des machinistes. Ces der­
niers assurent le transport et le rangement du matériel, des accessoires, des
éléments du décor et des éclairages.
C. Le chef électricien, qui supervise la mise en place et la manipulation
des éclairages. À Hollywood, l'assistant du chef électricien est appelé le
«best boy».

5. Travaillant en même temps que l'équipe de prise de vues, l'équipe de prise


de sons est dirigée par un ingénieur du son dont la principale responsabilité
est d'enregistrer les dialogues lors du tournage. Il se sert essentiellement
d'un magnétophone portable, de plusieurs types de micros et d'une table
de mixage grâce â laquelle il peut mélanger et équilibrer les différentes
informations provenant des micros. Il doit aussi enregistrer, au moment
où aucun acteur ne parle, des sons d'ambiance qui sont ensuite insérés
dans la bande son pour combler les pauses d'un dialogue.
L'équipe de l’ingénieur du son comprend :
a. Le perchiste, qui manipule la perche (ou «girafe-) et dissimule les
micros-cravates sur les acteurs.
b. Le * troisième homme», qui met en place les autres micros, les câbles,
et doit surveiller le son d'ambiance.
Sur certaines productions, un concepteur son intervient pendant la phase
de préparation, qui à la manière du chef décorateur conçoit un «style
sonore- propre à l’ensemble du film.
Figure J. 18

35
c mjiu - isw U miHiiicjîjmu* uu

6. Une équipe des effets spéciaux est chargée de la préparation et de la réalisa­


tion des trucages, maquettes, transparences, images de synthèse et autres
plans à caractère technique. La figure 1.18 montre une maquette utilisée
pour le tournage des Comédiens (The Comedians, Peter Glenville, 1967).
Les effets nécessaires au film ont été définis par le réalisateur et le chef
décorateur pendant la phase d’organisation, et l'équipe des effets spéciaux
consulte ensuite régulièrement le réalisateur et le chef opérateur.

7. Une équipe composite constituée des maquilleurs, des costumiers, des coif­
feurs et des chauffeurs (qui s’occupent du transport des acteurs et de
l’équipe technique).

8. Durant le tournage, le producteur est représenté par une équipe couram­


ment appelée l’équipe de production. Elle comprend un directeur de produc­
tion, ou producteur associé, qui organise l'ordinaire d’une production, les
repas et le logement par exemple; un administrateur de production qui sur­
veille les dépenses et un secrétaire de production qui coordonne les commu­
nications téléphoniques entre les équipes et avec le producteur; enfin, des
assistants de production, qui font les coursiers. Il est courant que les nou­
veaux venus de l'industrie cinématographique débutent par ce poste.

Cet effort collectif, impliquant parfois le travail de centaines de personnes,


abouti à des milliers de mètres de pellicule exposée et d'enregistrement
sonore. Tout plan, prévu par le scénario ou le storyboard. ou improvisé par le
réalisateur, existe généralement en plusieurs versions, appelées prises. S’il faut
par exemple faire un plan d'un acteur disant une réplique, le réalisateur
pourra en tourner plusieurs prises en demandant à l’acteur de modifier cha­
que fois son expression ou sa position. Toutes les prises ne sont pas tirées; une
seule d'entre elles devient en principe le plan intégré dans la version finale du
film.
l^s plans sont souvent filmés «hors continuité », dans un ordre qui facilite
Figure 1.19 le tournage. Si une maison doit figurer au début et à la fin d'un film, il est plus
commode et plus économique de réaliser en une seule fois tous les plans qui
ont celte maison pour décor. Celte contrainte peut parfois être bénéfique :
pour son film Dîner, Barry l^vinson filma toutes les scènes de repas en der­
nier, espérant que les acteurs auraient alors fait connaissance et pourraient
ainsi donner une interprétation plus naturelle qu'au début du tournage.
Lawrence Bender, le producteur du très discuté Réservoir Do$s de Quentin
Tarant ino, avait prévu que les scènes les plus conventionnelles seraient filmées
d’abord, afin que les premières projections rassurent les financiers.
Parce qu'un tournage se déroule généralement hors continuité, il faut que
le réalisateur et son équipe aient un moyen de repérer les prises. Au moment

36
CMJP1IA4 I - LA Mm^IlON OU lI.IB

de la prise de vues, l'un des assistants du chef opérateur tient une clac/nette, ou
ciap, devant la caméra. Sur le clap sont notés le titre du film, la scène, le plan
et la prise. Son bras articulé produit un claquement qui permet ensuite au
monteur de synchroniser le son et l'image. (Voir la fig. 1.19.extraite de La chi­
noise. de Jean-Luc Godard. Le X blanc indique que c'est le photogramme pré­
cis avec lequel le claquement sonore devra être synchronisé.) De cette façon
chaque prise est identifiée et peut être retrouvée ultérieurement. Une autre
méthode de synchronisation, plus perfectionnée, consiste en un llashage
automatique du phoiogramme coordonné avec l’envoi d'un signal sur la Figure 1.20
bande son, au début de la prise.
La plupart des réalisateurs et des techniciens respectent une même organi­
sation du tournage. Supposons qu’il faille filmer une scène. Pendant que les
équipes techniques positionnent les éclairages et testent le matériel d'enregis­
trement du son, le réalisateur fait répéter les acteurs et donne ses instructions
au chef opérateur, Puis il supervise le tournage d’un plan général, qui couvre
l’ensemble de l’action et des dialogues dune scène. Celui-ci peut donner lieu
à plusieurs prises. Certaines parties de la scène sont ensuite rejouées et filmées
de plus près ou suivant des angles différents : ce sont les plans de sécurité
— chacun d'eux nécessite plusieurs prises. Tourner un grand nombre de
plans de sécurité en utilisant simultanément deux caméras ou plus est main­
tenant une pratique courante. Le travail du script permet d'assurer la conti­
nuité logique des détails dans les plans de sécurité.
Lorsqu’il faut des effets spéciaux, ils sonl soigneusement prévus au tour­
nage. 11 est courant que des acteurs soient filmés devant des fonds bleus, afin
que leurs silhouettes puissent être insérées dans d’autres images. (C’est le pro­
cédé de cache, qui sert à la réalisation d'images composites.) i«e réalisateur peut
filmer une action en sachant que d'autres éléments seront ajoutés à l'image :
pour le dimax de Jurassic Park, les acteurs furent filmés dans le décor de la
rotonde du centre touristique, mais les velociraptores et autres tyrannosaurcs
furent conçus plus tard par ordinateurs (fig. 120).

Postproduction
Dans l'industrie cinématographique, la phase de montage est appelée la post­
production. Cependant, cette phase ne débute pas simplement lorsque le tour­
nage est terminé : des membres de l’équipe de postproduction sont déjà au
travail, en coulisses, pendant toute la durée du tournage.
Le réalisateur ou le producteur aura probablement engagé un monteur (ou
chef monteur) avant le début du tournage, à qui est confiée la responsabilité
du classement et de l’assemblage des différentes prises réalisées.

37
mm 1 - IVPIS D4 UaUMIIOHL

Éléments du vocabulaire de réalisation

Accessoiriste: Technicien supervisant l'utilisaiion de l'ensem­ Étalonnent : Technicien de laboratoire qui, après examen du
ble des accessoires cl éléments de mobilier placés dans le négatif, règle plan par plan les lumières de tirage pour
décor. obtenir une certaine homogénéité des couleurs de la copie
A.CE, : Après le nom du monteur, dans les films américains; standard destinée i être projetée dans les salles,
abréviation pour -American Cinéma Edi tors*. une asso­ «Grcenery man* : Parfois l'équivalent de «fleuriste»; membre
ciation de monteurs professionnels. de l'équipe de réalisation chargé du choix et de l'entretien
A.S.C. : Après le nom du directeur de la photographie, dans les de l'ensemble des végétaux (arbres, herbes, fleurs,etc.) fai­
films américains; abréviation pour - American Socieiy of sant partie du décor.
Cinematographers», une association de directeur de la Maquette : (1) Représentation miniature d'un projet de décor.
photographie professionnels. L’équivalent britannique est (2) Effets spéciaux : décor, véhicule ou personnage cons­
B.S.C. truits à une échelle réduite, destinés par des procédés de
Bruiteur : Spécialiste des effets sonores, ou «bruitages», qui prise de vues cl de montage à se substituer à leurs équiva­
crée par exemple les bruits produits par les déplacements lents -en vraie grandeur».
des personnages en marchant ou en déplaçant des objets Peintre en décors : Membre de l'équipe chargée des décors, qui
sur des surfaces de qualités différentes (sur du sable, de la doit s'occuper de la peinture des surfaces susceptibles
terre, du verre, etc.). Le terme anglais pour désigner le d'être dans le champ de la caméra.
bruiteur, - foley artist», vient du nom de l'un des pionniers Photographe de plateau: Technicien prenant des photogra­
du métier, Jack Foley. phies des scènes tournées, pendant la prise ou sa prépara­
Chargement : Opération consistant i approvisionner, ou tion, ainsi que des photographies des -coulisses- du
-charger-, le magasin débiteur de la caméra. Le membre tournage, par exemple des autres techniciens. Ces images
de l'équipe de prise de vues chargé de cette opération (en peuvent être utilisées pour vérifier des paramètres concer­
anglais, le -loader-1 doit aussi procéder au déchargement nant les éclairages, les décors ou les couleurs; elles servent
du magasin récepteur, répertorier les prises et envoyer la pour la plupart a la promotion du film.
pellicule au laboratoire. Reprise vidéo («Video assist») : Utilisation d'une caméra vidéo
Clapman : Technicien qui manie la claquelte, ou dap, avant accrochée à la caméra film permettant de vérifier les quali­
chaque prise tés de l'éclairage, du cadrage ou de l'interprétation. Le réa­
Directeur de casting : Personne qui recherche et auditionne les lisateur et le directeur de la photographie peuvent ainsi
acteurs destinés à constituer la distribution du film faire des essais pour un plan ou une scène en l'enregistrant
sur bande vidéo avant de filmer sur pellicule.
«Düllygnp : Machiniste chargé des déplacements du chariot
supportant la caméra, entre les prises (d’un plateau à un Steadicam: Système stabilisateur permettant de réaliser cer­
autre, par exemple), ou pendant la prise s'il y a un mouve­ tains mouvements de caméra portée: il est constitué d'un
ment de caméra. harnais équilibré par un système gyroscopiquc, attaché à
un opérateur spécialisé.
Effets optiques : Ensemble des modifications de l’image pou­
vant être réalisées en laboratoire: les fondus, fondus
enchaînés, volets, aussi bien que les effets de cache ou
d'autres effets spéciaux photographiques.

38
Parce qu’il y a presque toujours plusieurs prises pour chaque plan, parce
que le film est tourné hors continuité et que le tournage par plan général /
plans de sécurités produit beaucoup de pellicule, le travail du monteur est
souvent énorme. Un long métrage en 35mm de 90 minutes,constitué d’envi­
ron 2 400 mètres de pellicule, peut avoir été extrait de 150 000 mètres de film
exposé. C'est pourquoi la postproduction est devenue un processus très long
pour les films hollywoodiens importants; plusieurs monteurs et leurs assis­
tants peuvent être appelés à y participer.
En règle générale, le monteur reçoit aussi rapidement que possible, du
laboratoire, le métrage développé. Ce sont les rushes, plus rarement appelés
les épreuves. Laissant à son assistant monteur le soin de synchroniser l’image et
le son et de classer les prises par scènes, le monteur examinera les rushes avec
le réalisateur ou, si le lieu du tournage est trop éloigné, il lui téléphonera pour
le tenir informé de la qualité des prises. Refaire des plans étant coûteux et dif­
ficile, une vérification régulière des rushes est importante pour repérer à
temps les problèmes liés au point, à l'exposition, au cadrage ou à d’autres
aspects visuels.
Le métrage s’accumule et le monteur assemble les plans pour constituer un
premier bout à bout, une succession lâche de séquences, sans bruitages ni
musique. Certains films sont célèbres pour leurs bout à bout gargantuesques :
celui de La porte du Paradis (Heaven's gâte, Michael Cimino, 1980) durait plus
de six heures, celui de Apocalypse Now (Francis Ford (ktppola, 1979), sept
heure et demie — mais n'importe quel bout à bout est toujours plus long que
le film fini. À partir de là, le monteur conçoit avec le réalisateur un montage
final. Les éléments non utilisés forment l'ensemble des prises refusées.
Jusqu'au milieu des années 80, les monteurs fabriquaient une copie de tra­
vail en coupant et collant la pellicule tirée à partir du négatif original. Pour
faire leurs différents essais, ils étaient obligés de travailler physiquement les
plans. Maintenant de nombreux films sont montés électroniquement : les
rushes sont transférés sur cassette vidéo, puis sur des disques lasers ou des dis­
ques durs, et le monteur enregistre directement dans un ordinateur les don­
nées concernant chaque prise. De tels systèmes électroniques de montage,
connus sous le nom de systèmes de montage virtuel, facilitent l’accès aux plans
disponibles et leur sélection : le monteur peut appeler à l’écran n’importe quel
plan, le joindre à n’importe quel autre, le morceler ou l’abandonner. Certains
systèmes permettent de la même façon d'essayer les effets spéciaux ou la
musique. Même si les techniques virtuelles ont ainsi réduit la durée du mon­
tage, le monteur demande encore que soit tirée une copie de travail des scènes
principales, pour pouvoir en contrôler la couleur, les détails et le rythme.
Pendant que le monteur, le réalisateur et leurs équipes donnent forme au
montage final, il arrive qu’une seconde équipe soit en train de filmer des élé-

39
mill I ■ U ftULUfilIBML IWI H fllffll

ments complémentaires pour certaines séquences. Une autre équipe prépare


les titres et intertitres qui apparaissent au début ou au cours du film; des tra­
vaux supplémentaires en laboratoire ou des ajouts d’effets spéciaux peuvent
aussi être nécessaires : des ordinateurs effaceront les fils auxquels sont suspen­
dus des acteurs censés «voler- ou augmenteront la taille d’une foule en
dédoublant une partie de l’image. Les images de synthèse peuvent pallier des
problèmes intervenus pendant le tournage : après l'interruption du tournage
de Thecrowà cause du décès de son acteur principal, Brandon Lee. des numé­
riseurs copièrent l’image de ce dernier dans certaines scènes pour l’insérer
dans des séquences filmées après sa mort.

Lorsque les plans sont organisés en une forme proche de la version finale
du film, le monteur son se charge de la confection de la bande son. Avec le
monteur, le réalisateur et le compositeur, il choisit les moments du film où
interviendront la musique et les bruitages : c’est le travail dit de repérage. Le
monteur son peut être assisté d’une équipe composée de spécialistes de l'enre­
gistrement ou du montage des dialogues, de la musique et des effets sonores.

Une des principales fonctions du monteur son est de diriger le ré-enregis­


trement des dialogues après le tournage, procédé connu aux États-Unis sous
le nom de substitution automatique des dialogues (ADR : aulomafed dialogue
replacement}. Un dialogue enregistré sur le plateau peut n’étre utilisé que
comme son témoin. Les acteurs sont alors amenés dans l’auditorium pour
réenregistrer leur texte (c’est le doublage). S’il y a dans l'enregistrement origi­
nal un problème technique ou une réplique inaudible, le doublage sert à les
remplacer. Les dialogues non synchronisés, comme par exemple la rumeur
d’une foule, font partie des mêmes ajouts ultérieurs. U monteur son pourra
de plus substituer à des phrases potentiellement choquantes d'autres répli­
ques, créant une version expurgée de la bande son exploitée lors des diffu­
sions télévisées et des projections dans les avions.

Le monteur son s’occupe aussi de l'ajout des bruitages. La plupart des sons
entendus par les spectateurs d’un film réalisé en studio n’ont pas été enregis­
trés au moment du tournage. Le monteur les emprunte à une sonothèque,
emploie des éléments enregistrés «en direct - en extérieur ou en crée certains
spécialement pour le film : concevoir des bruits de pas, d'accident de voitures,
de portes que l'on ferme, de coups de feu ou d’un poing frappant sourdement
un corps (généralement produit en fendant une pastèque avec une machette),
fait partie de son travail quotidien. Dans Terminator2 (lames Camcron,
1991) par exemple, le son du cyborg T-1000 passant à travers les barreaux
d’une cellule est celui d’un repas pour chien glissant lentement hors de sa
boite.

40
(UHILU I - U tMM<UU tu f (Al.

Comme le montage de l’image, celui du son a considérablement évolué


avec les techniques informatiques. Le monteur peut conserver les sons enre­
gistrés dans une banque de données, les classant et les transformant comme il
le désire. Les qualités d'un son peuvent être modifiées numériquement, en
coupant les basses ou les hautes fréquences, en changeant la hauteur, la réver­
bération, l’égalisation ou la vitesse. Les grondements et les vibrations des
séquences sous-marines de la poursuite d'Octobre Rouge furent obtenus par
ralentissement et traitement numérique de bruits banals : le plongeon d’un
nageur dans une piscine,les gargouillis d’un tuyau d’arrosage et le ronflement
d’un conditionneur d’air de Disneyland. Un technicien de ce film appelle le
montage numérique «sculpturesonore».
L’intervention du compositeur de la musique du film dans la phase de
montage débute avec le repérage de la bande son. En revoyant le film dans un
bon état d'avancement, le compositeur décide, avec le réalisateur et le mon­
teur son, des moments où la musique sera introduite. Il dresse alors des plans
de mixage, qui indiquent exactement où elle commencera et combien de
temps elle devra durer, avant de passer à l'écriture de la partition dont il
n’assure généralement pas en personne l'orchestration. Pendant le travail du
compositeur, le bout à bout est synchronisé avec un «doublage temporaire»,
un accompagnement musical fait d’éléments préexistants qui donne une idée
de ce qui sera peut-être composé. À l’aide d'un dick track, qui synchronise le
rythme de la musique à la version finale du film, elle est enregistrée et fait
alors partie des matériaux du monteur son.
Tous ces sons sont enregistrés sur différentes bandes magnétiques. La voix
de chaque personnage, chaque passage musical, chaque bruit peut occuper
une piste distincte. Pour le mixage final, le réalisateur, le monteur et le mon­
teur son rassemblent des douzaines de pistes comme celles-ci en une seule
bande mère, sur un film 35mm magnétique. Le spécialiste du son qui réalise
cette opération est le mixeur réenregistreur. C'est la piste des dialogues qui est
souvent la première à être montée; c'est par rapport à elle que l’on équilibre
les bruitages, et la musique est ajoutée à cet ensemble pour constituer le
mixage définitif. l>e contenu de la piste doit encore subir quelques réglages,
comme le filtrage ou l'égalisation, puis lorsque le mixage est terminé la bande
mère est transférée sur un film négatif noir et blanc, opération qui change le
son magnétique en son optique.
Le négatif original, qui a servi au tirage des rushes et des éléments permet­
tant de confectionner la copie de travail, est normalement trop précieux pour
servir de source au tirage des copies de série. Le laboratoire tire donc du néga­
tif original un interpositif, qui fournit à son tour un internégatif. Ce dernier est
monté comme la copie de travail et devient la source des copies à venir. La
bande son lui est ensuite synchronisée.

41
iu । -- iei>4L pi niÆLUSui ojji. jv p 11 jluhil

Les copies positives complètes, avec l'image et le son, sont appelées les
copies zéro. Le producteur, le réalisateur et le chef opérateur vérifient à partir
d’une copie zéro les qualités de l’exposition, des dominantes colorées et
d’autres variables. S’ils ne sont pas satisfaits, iis demandent qu’une nouvelle
copie zéro, rééquilibrée, soit tirée. Dès que l'une d'entre elles a été acceptée,
des copies d exploitation sont réalisées pour la distribution, qui sont finale­
ment projetées dans les salles de cinéma.

À Hollywood, actuellement, le travail de réalisation ne s’arrête pas avec la


dernière version du film destinée aux salles. En collaboration avec le produc­
teur et le réalisateur, les équipes de postprodudion en préparent les versions
pour les avions et les chaînes de télévision. Il arrive que des variantes particu­
lières soient réalisées pour des pays différents : la version européenne de Sailor
et Lula (Wild ai heurt, David Lynch, 1992) contient des plans qui avaient été
jugés trop violents pour un public américain, et II était une fois en Amérique
(Once upon a tinte in America, Sergio Leone, 1984) fut totalement remonté
pour sa sortie aux États-Unis, scs producteurs américains trouvant l’intrigue
originale trop compliquée. Pendant ce temps le personnel d’un laboratoire,
généralement en collaboration avec le réalisateur et le chef opérateur, assure le
transfert du film sur une bande mère magnétique («master»), qui sera à la
base des copies sur cassettes vidéo et disques laser. Le transfert vidéo entraîne
souvent de nouveaux jugements sur la qualité des couleurs et sur l’équilibrage
du son.

Le mode de production des studios se caractérise par un minutage précis


du travail, qui s'accompagne d’une volonté de contrôler tous les aspects de la
fabrication du film par l'intermédiaire de documents écrits. Il y aura d’abord
les différentes versions du scénario: pendant le tournage, on rédigera des
feuilles d’enregistrement concernant le métrage réalisé, l'enregistrement du
son, les effets spéciaux et le travail en laboratoire; pendant la phase de mon­
tage, il y aura des rapports sur l’ensemble des plans inventoriés et diverses
feuilles de préparation pour la musique, le mixage, le doublage et les diffé­
rents titres et génériques. Lorsque l’organisation et le mode d'exécution sont
ainsi consignées, les techniciens doivent pouvoir contrôler ou au moins
s’adapter à des événements imprévus.

Mais cela n’est jamais totalement vrai. À regarder de près n’importe quelle
production importante réalisée en studio, on découvrira des compromis, des
accidents et des confusions qui en gênent le bon déroulement. Le mauvais
temps peut bouleverser le calendrier d’un tournage. Des désaccords sur le scé­
nario peuvent aboutir au licenciement du réalisateur. Des changements de
dernière minute réclamés par le réalisateur ou par le producteur peuvent obli­
ger à refilmer certaines scènes. La réalisation en studio est une lutte constante

42
entre le désir de planifier totalement un film et l'inévitable «bruit», le désor­
dre créé par la grande complexité d’une division du travail si précise.

11 y a eu beaucoup de films de fiction ayant pour sujet le mode de produc­


tion des studios — Chantons sous la pluie (Singinin rherain, Stanley Donen et
Gcne Kelly, 1952) par exemple. Certaines de leurs intrigues ont pour cadre des
moments particuliers du processus de production. Huit et demi (Otto e mezza,
Federico Fellini, 1963) s’intéresse à la phase de préparation, ou préproduc-
tîon, d'un film qui est finalement abandonné avant que le tournage ait
débuté. La nuit américaine (François Truffaut, 1973) a lieu pendant la phase
de tournage d'un film qui s’interrompt suite à la mort d’un acteur. L’action de
Blowout (Brian de Palma, 1981) se déroule pendant le montage son d’un film
d'horreur à petit budget.

La production indépendante

Les films réalisés suivant le mode de production des studios ne sont pas tous
des projets à gros budgets financés par les grandes compagnies (les majors).
De nombreux films dits «indépendants» sont réalisés de façon comparable,
mais à plus petite échelle.

Par exemple, la production de films à très pciils budgets appelés


• exploitation films» (connus sous ce nom aux États-Unis parce qu'ils
«exploitent» un matériau sensationnel), s’adapte à un marché particulier,
celui de la location privée de cassettes vidéo. Le budget d’un exploitation film
indépendant, film d’horreur ou teenage sex comeeiy, peut descendre jus­
qu’environ 100 000 dollars. L’organisation de la production y semble con­
forme aux pratiques des studios, mais les contraintes financières font qu’un
certain nombre de tâches sont en fait confiées à des amateurs, des étudiants,
des amis ou des parents. Et dans de telles circonstances, il n'est pas rare que
les gens redoublent de travail : le réalisateur pourra aussi bien produire le
film qu'en écrire le scénario, et le monteur image s’occuper aussi du montage
son.

Un exemple extrême de ces pratiques serait celui de Robert Rodriguez, qui


réalisa El mariachi comme un exploitation film pour le marché des cassettes
vidéo en langue espagnole. Ce réalisateur de 21 ans était aussi producteur,
scénariste, chef opérateur, cadreur, photographe de plateau, preneur de son et
mixeur. Un ami de Rodriguez. Carlos Gallado. avait le rôle principal, était
coproducteur et co-scénariste; il fit aussi le directeur de production et le
machiniste. La mère de Gallado préparait les repas des acteurs et de l'équipe
technique. El mariachi ne coûta finalement qu'environ 7 000 dollars.

43
Pflfill.l I - IVHÎ H ftUUÎfillOtlL IVHÎ MJILU

Le label «production indépendante» s’applique aussi à des projets à petit


budget qui cherchent à dépasser le marché des exploitation films. Meme s’ils
ont souvent une assise régionale, ces films peuvent trouver le succès auprès
d'un large public, comme ce fut le cas pour Hollywood shuffle (Robert Town-
send, 1987), Stacker (Richard Linklater, 199!) ou Clerks (Kevin Smith. 1994).
Dans ces petites entreprises plus ambitieuses, une équipe réduite accomplit
toutes les fonctions définies par le modèle du studio. Et la réduction des
dépenses stimule souvent l'imagination des réalisateurs : pour Street stories,
Figure 1.2) Charles Lane économisa de l'argent sur la synchronisation du son en se don­
nant la possibilité de n'introduire aucun dialogue dans le film. Pour fiist ano-
ther girl on the IRT, Leslie Harris filma en extérieur et en lumière ambiante
pour que le tournage se déroule rapidement (fig. 1.21); celui-ci fut terminé en
seulement dix-sept jours.

On dit de certains réalisateurs à la mode qu’ils sont des «indépendants»


parce qu’ils travaillent avec des budgets nettement inférieurs à la norme
industrielle. Platooti (Oliver Stonc. 1984) et School daze (Spikc Lee. 1988)
coûtèrent chacun 6 millions de dollars. Si Pulp fiction (Quentin Tarantinc,
1994) affichait quelques stars, leur empressement à accepter des salaires
réduits permit de ne pas dépasser un budget de 8 millions de dollars. Nous
analyserons, au chapitre 10, une de ces productions. Do the right thing (Spikc
Lee, 1989).

Dans ce type de production indépendante, il est courant que le réalisateur


soit à l’origine du projet et travaille avec un producteur pour le mener à bien.
Comme on pouvait s’y attendre, ces indépendants soutenus par l’industrie
ont un mode d’organisation très proche de celui des authentiques studios.
Mais parce qu’ils ont besoin de financements moins importants, ils peuvent
réclamer une plus grande souplesse et un plus grand contrôle sur le processus
de production. Woody Allen, par exemple, est autorisé par contrat à réécrire
et rcfilmcr des parties d’un film après le montage du premier bout à bout.
Pendant le tournage de School daze, Spike Lee réussit à créer une véritable ten­
sion entre les acteurs qui interprétaient des factions rivales d'étudiants afro-
américains. Il imposa à chaque groupe de la distribution de vivre dans des
quartiers différents, de manger des repas différents et de se coiffer différem­
ment. Un des acteurs fit cette réflexion : «C’est un sujet très sensible, la classe
sociale et la couleur. Et je crois que la plupart des gens sur le tournage pensait
avoir dépassé cela. Ils ont été obligés d’étudier le problème, et beaucoup ont
réalisé qu’ils n’en étaient pas si éloignés qu'ils le pensaient». C'est son statut
d’indépendant qui permit à Lee de contrôler les détails de la production d’une
manière qu'il jugeait profitable tant pour le film que pour son équipe.

44
CUflPITfit | - LS PôOPÜilJQJI Ml IJLID

Modes de production : individuel et collectif


Notre rapide description du mode de production des studios montre com­
bien le morcellement des fonctions peut être précis. Mais un tel souci du
détail dans la division du travail n'est pas nécessaire à toutes les réalisations
cinématographiques. On distingue en général deux modes alternatifs de pro­
duction, qui abordent différemment les phases de préparation, de tournage et
de montage.
Dans la production individuelle, le réalisateur s’apparente à un artisan. Il
peut louer ou acheter le matériel qui lui est nécessaire. Le financement peut
être obtenu film par film et les coûts de production s'évaluent sur une petite Figure 1.22
échelle. Le format préféré y est le 16 mm. La division du travail est très
sommaire : le réalisateur contrôle tous les aspects de la production, depuis
l'obtention du financement jusqu'au montage final, et se charge le plus sou­
vent de leur exécution. Même si des acteurs ou des techniciens peuvent
apporter leurs propres contributions, les principales décisions à caractère
créatif reviennent au réalisateur.
La production documentaire offre beaucoup d’exemples de ce mode indi­
viduel. L’anthropologue-cinéaste Jean Rouch a réalisé, seul ou avec une petite
équipe, de nombreux films où il a voulu rendre compte de la vie de popula­
tions marginales, souvent membres de minorités vivant dans une culture
étrangère. Rouch a écrit, réalisé et cadré Les ntaitres fous ( 1955), le premier de
ses films a avoir été vu par un large public. Il y observait les cérémonies d'une
secte du Ghana dont les membres menaient une double vie : la plupart du
temps, ils travaillaient comme manoeuvres pour des salaires de misère, mais
pendant leurs rituels ils s’adonnaient à une transe frénétique et endossaient
les personnalités de leurs dirigeants coloniaux. D’autres documentaristes tra­
vaillent à une échelle parfois un peu plus importante que celle de Rouch. Fre­
derick Wiseman, dont nous analysons le film High school au chapitre 11,
produit, organise et distribue ses films. Pendant un tournage il s'occupe
en général de l'enregistrement du son, tandis qu’un chef opérateur est à la
caméra.
Le documentaire politique militant nous fournit un autre exemple de pro­
duction individuelle. Barbara Koppei consacra quatre ans à la réalisation de
Horion County, U.S.A. (1977), un document sur la lutte des mineurs du
Kentucky pour leur représentation syndicale. Après avoir réussi à obtenir le
soutien financier de quelques fondations, elle a passé treize mois avec une
petite équipe au côté des mineurs, pendant leur grève. La présence d’une
équipe importante n’était pas envisageable, non seulement à cause du budget
prévu par Koppei mais aussi de la nécessité de se fondre aussi naturellement
que possible dans la communauté. Koppei enregistrait le son et travaillait en

45
Pflftlll I - HHÎ H fi t fl LIS fl 11Q H 5. IW! H ( I LOI I

collaboration avec le cadreur Hart Pcrry, et occasionnellement avec un éclai-


ragiste, Comme les mineurs, ils furent menacés par les briseurs de grève. Cer­
tains de ces incidents furent filmés, comme ce moment où le conducteur
d'une camionnette tire sur l’équipe avec un fusil (fig. 1.22).
Le mode individuel de production est aussi illustré par le travail de nom­
breux réalisateurs expérimentaux. Maya Deren, une des plus importantes réa­
lisatrices expérimentales américaines, fit plusieurs films dans les années *40
(Meshes of the afternoon, Choreography for caméra, Rimai in transfigured finie,
fig. 1.23) qu elle écrivit, dirigea, interpréta et monta. Dans certains cas le tour­
Figure 1.23 nage fut dirigé par son mari, Alexander Hammid.
Un exemple comparable est donné par l'œuvre de Stan Brakhage, dont les
films sont parmi les plus personnels qui aient jamais été réalisés. Certains,
comme Window water baby moving (1959) et Sccnes from under diildhood
(1967-1970) sont des éludes lyriques sur sa vie familiale; d’autres, comme
Dog star inan (1960-1964) des approches mythiques de la nature; d’autres
encore, comme 23rd psalm brandi et The act of seeing with one’s own eyes
( 1971 ) des études quasi documentaires sur la guerre ou sur la mort. Soutenu
par des bourses et par scs propres économies, Brakhage prépare, tourne et
monte ses films presque sans aide. Au moment où il travaillait dans un labora­
toire, il put aussi développer et tirer ses films lui-même. L’œuvre de Brakhage,
maintenant riche de plus de 150 films, prouve que dans un mode individuel
de production, le réalisateur peut devenir un artisan, un homme de métier
solitaire exécutant toutes les tâches fondamentales de la production d'un film.
Dans des chapitres ultérieurs, nous examinerons les films d’autres réalisateurs
expérimentaux -artisans» tels que Bruce Conner, Michael Snow cl Ernie
Gehr.
Dans la production collective, plusieurs techniciens participent à égalité au
projet. Comme le réalisateur solitaire, le groupe peut posséder ou acquérir
son matériel. La production est de petite taille, l’argent peut provenir de fon­
dations ou des ressources personnelles des participants. Même s’il y a une
division précise du travail, le groupe partage des objectifs communs et prend
collectivement ses décisions. Les rôles s'échangent : celui qui esi preneur de
son un jour est chef opérateur le lendemain. Ainsi le mode collectif de pro­
duction tend à substituer à l’autorité dont sont habituellement investis le pro­
ducteur et le réalisateur une responsabilité plus largement répartie.
Les mouvements politiques de gauche de la fin des années 60 encouragè­
rent évidemment la production collective. En France, plusieurs groupes de ce
genre furent constitués, dont le plus remarquable fut SLON (auquel était lié
Chris Masher). SLON était un collectif qui cherchait à réaliser des films sur les
luttes politiques à travers le monde. Principalement financés par des chaînes

46
___ OllJltL-ALlWBIUMfXLLUL

de télévision, les réalisateurs de SLON collaborèrent fréquemment avec des


ouvriers d'usines pour tourner des documents sur les grèves et les activités
syndicales.

Aux États-Unis, le collectif le plus célèbre et qui connut la plus grande lon­
gévité fut le groupe Ncwsreel, fondé en 1967 pour rendre compte du mouve­
ment de protestation des étudiants. Newsreel voulait non seulement créer des
conditions de production collective, avec un comité central de coordination
redevable à l'ensemble de scs membres, mais aussi un réseau de distribution
commun permettant aux activistes locaux de l’ensemble du pays d’avoir accès
aux films du groupe. A la fin des années 60 et au début des années 70, le col­
lectif produisit des dizaines de films, dont iïnallygot the news et The woman's
film. Des groupes liés à Ncwsreel apparurent dans de nombreuse villes, ceux
de San Francisco (maintenant connu sous le nom de California Newsreel) et
de New York (connu sous le nom de Third world Newsreel) étant toujours en
activité dans les années 90. Après le milieu des années 70, le groupe prit quel­
ques distances avec un mode de production purement collectif tout en con­
servant certains de ses grands principes, comme l'égalité des salaires pour
tous les participants d’un film. Controlling interests, The business of anterica...
(financé en grande partie par la télévision publique américaine) et Chmnical
of hope: Nicaragua, sont quelques récentes productions importantes de
Newsreel. Certains membres, Robert Kramer, Barbara Koppel ou Christine
Choy, ont quitté le groupe pour réaliser leurs propres films.

• Production indépendante» est donc un terme général qui désigne aussi


bien les films à petit budget réalisés suivant le mode des studios que les
productions individuelles ou collectives. Les points faibles de la production
indépendante sont principalement le financement, la distribution et l’exploi­
tation. Les studios et les grandes sociétés de distribution ont à leur disposition
des capitaux importants qui leur permettent généralement d'assurer la distri­
bution et l'exploitation des films qu'ils ont décidé de soutenir; le réalisateur
ou le groupe indépendant a souvent des difficultés pour accéder tant à
l'argent qu’au public.

Mais pour beaucoup de réalisateurs, les avantages de l'indépendance en


compensent les inconvénients. La production indépendante peut traiter des
sujets ignorés par les grandes productions des studios : ces derniers se seraient
sans doute peu engagés pour Matewan (John Sayles, 1987) et pas du tout pour
Stranger than paradise (Jim Jarmush, 1984) ou }ust another giri on the 1RT, de
Harris. Parce qu’un film indépendant n'a pas besoin d'un public important
pour être rentabilisé, il peut être plus personnel, plus inattendu et parfois plus
polémique. Le réalisateur n’a pas besoin d’ajuster son scénario au « patron -
hollywoodien. Il peut même ne pas avoir de scénario. C’est ce qui permet

47
puiiLi i__- mu » fiiauuiiONi. mu di inœ^

souvent à la réalisation indépendante d’explorer de nouvelles possibilités de


l’expression cinématographique.

Implications des différents modes


de production cinématographique
Parce que la singularité du cinéma repose largement sur les conditions écono­
miques et sociales de la fabrication des films, les modes et les étapes de la pro­
duction ont des implications très importantes pour l'étude du cinéma comme
art. Il faut tout d’abord considérer que. dans un ensemble social, la produc­
tion cinématographique est liée aux autres modes de production. C’est à
cause des exigences techniques de la réalisation que le cinéma est né dans les
sociétés les plus hautement industrialisées — les États-Unis, l’Allemagne, la
France et l'Angleterre. Dans ces pays, faire des films devint rapidement un
commerce, tant pour les réalisateurs que pour les entreprises. Le système des
studios fit son apparition lorsque ces mêmes pays eurent accompli la division
du travail dans les autres domaines de l'industrie. Pour les industries amé­
ricaines et européennes, par exemple, la séparation entre la planification de
la production et l'exécution fut accomplie vers 1900, et la même séparation
gagnait l’industrie cinématographique dans la décennie suivante.

D’autres modes de production deviennent possibles dès que la pellicule et


le matériel sont plus largement disponibles: avec l'accès au 16mm et à la
vidéo légère, n’importe qui peut s'engager dans une production, individuelle
ou collective. Néanmoins, cet accès reste déterminé par l'existence de groupes
sociaux ayant les moyens d'acheter et de faire fonctionner ce matériel. De
meme que la MGM n'aurait pas pu se développer au Moyen Âge, la produc­
tion indépendante ne peut pas surgir à l'état sauvage dans les sociétés préin­
dustrielles contemporaines. L’histoire de la production cinématographique
montre que celle-ci a calqué ses pratiques sur le modèle de l'économie de pro­
duction dans les autres industries, et c’est l’ensemble du contexte économique
d'une société qui détermine le mode de production qui peut s'y développer.

Enfin, le mode de production influe sur la façon dont nous considérons le


réalisateur dans son rapport au statut d'artiste. C'est tout le problème de la
paternité artistique : qui, demande-t-on souvent, est l'«autcur • du film ?

Pour certains modes de productions, on répond facilement à la question.


Dans la production individuelle, l'auteur ne peut être que le réalisateur soli­
taire — Stan Brakhage. Louis Lumière, vous-même. La production collective
invente un auteur collectif; l'auteur, c'est tout le groupe (Third world Ncwsreel

48
WLUJH 1 - Lfl HOOdLOB H Hlffl

ou SLON). Il ne devient difficile de répondre à h question de l'auteur que


lorsqu'elle concerne les studios.
Dans les exemples précédents, l'auteur, individuel ou collectif, est défini
par sa capacité de contrôle et de prise de décision. Mais le système de produc­
tion des studios attribue des fonctions à tellement d’individus qu'il est sou­
vent difficile desavoir qui décide quoi. Le producteur est-il l'auteur ? Dans les
premières années du système hollywoodien, le producteur pouvait n'étre que
très peu concerné, ou pas du tout, par le déroulement d’un tournage. Le
scénariste ? À Hollywood encore, un scénario pouvait èire complètement
transformé au moment du tournage. Est-on alors dans une situation de pro­
duction collective, avec un auteur identifié au groupe ? Non, dans la mesure
ou la division du travail appliquée dans les studios prive les employés d'objec­
tifs communs et de prises de décisions partagées. De plus, si l’on considère
non seulement les critères du contrôle et de la prise de décision mais aussi le
• style individuel», il faut bien admettre que certains techniciens travaillant
dans les studios laissent leur marque, singulière, reconnaissable, sur les films
auxquels ils participent. Des chefs opérateurs comme Ha! Mohr ou Gregg
Toland, des décorateurs comme Hermann Warm. des costumières comme
Edith Head ou des chorégraphes comme Michael Kidd — leurs contributions
dominent certains films. Alors, quelle place y a-t-il, dans les films produits par
les studios, pour l’idée d'un auteur ?
Depuis quelques années, 1a solution la plus courante consiste à considérer
le réalisateur comme 1'-auteur» de la plupart des films de studios. Si le scéna­
riste prépare un script, celui-ci ne détermine pas l’état final du film, les phases
ultérieures de la production pouvant le transformer jusqu'à ce qu'il soit
méconnaissable. (De fait, les scénaristes sont célèbres pour leur façon de se
plaindre de la mutilation de leurs scripts par les réalisateurs). En général, le
rôle du réalisateur s’apparente à une orchestration de toutes les étapes de la
production influant directement sur les aspects visuels et sonores du film.
Que le réalisateur organisée! coordonne le travail du tournage et du mon­
tage ne signifie pas qu’il soit un spécialiste de toutes les techniques ou qu'il
ordonne directement de faire ceci ou cela. Dans le mode de production des
studios, le réalisateur peut déléguer des responsabilités à des personnes com­
pétentes auxquelles il fait confiance; d'où la tendance des réalisateurs à tra­
vailler plus volontiers avec certains acteurs, chefs opérateurs, compositeurs ou
autres. On dit qu’Alfrcd Hitchcock, durant un tournage, s'asseyait sur le pla­
teau et ne regardait jamais par le viseur de la caméra. C’est qu’il avait, aupara­
vant, dessiné chaque plan et minutieusement expliqué à son chef opérateur ce
qu'il voulait. Même pendant la phase de montage, le réalisateur peut exercer
une sorte de contrôle à distance. U plupart des studios n’autorisent pas le
réalisateur à superviser le montage d’un film. Mais John Ford, par exemple,

49
mm i - iuhv HjniKMion. ims

déjouait cela tout simplement, en réalisant chaque fois que c’était possible
une seule prise par plan, avec très peu de chevauchement de l'action d’un plan
à un autre. En ayant déjà monté le film «dans sa tète», Ford laissait au mon­
teur un minimum de possibilités ci n'avait pas besoin de mettre les pieds en
salle de montage. Enfin, l'importance du rôle des réalisateurs est confirmée
par la tendance récente qu’ils ont à travailler comme des indépendants, sur
des projets de leur choix.
Pour toutes ces raisons, nous considérerons en général dans le reste de ce
livre que le réalisateur est le technicien responsable du film. Il y a des excep­
tions, mais c’est le plus souvent par le contrôle qu'il exerce sur les phases de
tournage et de montage que se cristallisent la forme et le style d’un film. Ces
deux dernières notions, centrales pour l'art du film, le seront aussi dans la
suite de notre propos.
La production cinématographique requiert une certaine division du tra­
vail. mais la façon dont cette division est appliquée et dont le pouvoir est par­
tagé entre différents postes diffère d'un projet à l’autre. Le processus de
production reflète ainsi différentes conceptions du cinéma et le film achevé
porte inévitablement la marque du mode de production à travers lequel il a
été conçu.

Après la production : la distribution et l'exploitation


Notre principal sujet a été la production du film, mais l’institution sociale du
cinéma dépend aussi de la distribution et de l'exploitation. Les longs métrages
sont distribués par des sociétés créées à cet effet, et la majorité des projections
ont lieu dans des salles organisées en réseaux. Lorsqu'une même entreprise
possède des moyens de production, une société de distribution et des salies
pour l'exploitation, on dit qu elle présente une intégration verticale. L'intégra­
tion verticale est une pratique commerciale répandue dans la plupart des pays
producteurs de films. Dans les années 20, par exemple, la Paramount, qui était
déjà constituée d'un secteur production et d’un secteur distribution, passa à
l'achat et à la construction de centaines de salles, assurant ainsi un marché à
ses propres produits. En 1948, les tribunaux des Etats-Unis déclarèrent que
l’intégration verticale générait une situation de monopoles mais les grandes
compagnies de production sont tout de même restées, dans ce pays, les plus
importants distributeurs. Plus récemment des réseaux de salles comme Cinc-
plex Odéon se sont engagés dans la distribution.
La production a toujours eu une influence sur l’exploitation et la distri­
bution. À l'àge d’or d’Hollywood, les studios produisaient une variété de
courts-métrages (dessins animés, films burlesques, films d'actualités) qui

50
-LHPIIM 1 - LIS PàflPJICIIOH DU (ILffl

accompagnaient le long métrage pour former un ensemble ayant un potentiel


d’exploitation particulier. Actuellement, le complément de programme d’une
séance se résume surtout à la publicité, aux bandes-annonces, aux rappels
d’interdiction de fumer et aux prières de ne pas laisser de détritus dans la salle
ou de ne pas parler pendant le film.
la qualité d’une projection peut avoir de grandes conséquences sur notre
expérience de spectateur. Beaucoup de spectateurs savent qu'il vaut mieux
voir un film ayant une piste son stéréophonique dans une salle équipée d’un
système de diffusion stéréophonique —c’est pourquoi les salles indiquent
■ en stéréo» sur leurs annonces publicitaires. Dans toute l’histoire du cinéma,
l’exploitant a toujours contrôlé la manière dont les spectateurs voient les
films. Aux premiers temps du cinéma, quand les films ne duraient que quel­ Figure 1.24
ques minutes, l’exploitant pouvait composer lui-même le programme et faire
des commentaires pendant les projections. Avec l’arrivée de métrages plus
longs entre les années 10 et les années 20, des exploitants trouvèrent le moyen
de rajouter une ou deux séances par jour, en demandant au projectionniste de
supprimer des parties d’un film ou d’actionner la manivelle du projecteur un
peu plus rapidement qu’à la vitesse standard.
L’arrivée du son découragea de telles pratiques, mais nous ne devons pas
en déduire qu’aujourd’hui il nous est toujours donné de voir un film dans les
conditions prévues par scs créateurs. 11 faut d’abord considérer que les films
ont été tournés, depuis les années 50. dans différents formats, dits formats
â'iniage. Certains formats se présentent comme des rectangles très larges,
d’autres sont un peu plus allongés, et quelques-uns uns se rapprochent des
proportions d’un écran de télévision. I-es projecteurs des salles sont équipés
d une série de fenêtres de projection, dont les ouvertures rectangulaires
permettent de projeter le film dans des proportions différentes. Dans la
figure 1.24, extraite d’une copie 35min de Beetlejuice (Tim Burton, 1988) on
peut voir que le haut du décor est inachevé. Lorsque la copie est projetée, le
cache de fenêtre dissimule cette partie de l’image. L’écran est aussi encadré, en
général, par des rideaux ou des masques noirs qui peuvent être ajustés au for­
mat de l’image. Il arrive cependant que des projectionnistes ne prennent pas
la peine de déplacer le cache d’écran ou de mettre la fenêtre adéquate. Si vous
voyez un film où, disons, le haut de la tète des acteurs est coupé, le problème
vient sans doute plus de la projection que du travail effectué à l’origine par le
chef opérateur.
Une des raisons pour lesquelles on assiste à de telles erreurs est que les sal­
les ont tenté, ces dernières années, de réduire leurs dépenses en redéfinissant
les tâches du projectionniste. Dans un complexe de salles - multiplexe», un
seul individu peut être responsable du contrôle d’une demi-douzaine de pro­
jections simultanées, depuis plusieurs cabines ou une cabine centrale. Cela
fonctionne aussi longtemps qu’il n’y a aucune défaillance, mais si le film

51
____ Main i - ims h minaniw. iwi tmii*

devient flou, il n'y aura peut-être personne en cabine pour le remarquer et y


remédier avant plusieurs minutes. Cependant, on s’efforce aussi dans un
nombre croissant de salles d’améliorer la qualité du passage à l’écran, et de
nombreux projectionnistes sont très soucieux de présenter des séances sans
incidents. Il est toujours bon de relever quelles sont les salles qui offrent les
meilleures conditions de projection et d’y aller chaque fois que possible.

Il existe, grossièrement, trois types de salles pour la diffusion des nouveaux


films. type le plus commun regroupe les grands cinémas commerciaux, où
sont présentés les longs métrages populaires. Les films ayant un public plus
restreint seront plutôt programmés dans des salles «art et essai-, qui intéres­
sent les amateurs de films étrangers, de longs métrages documentaires, de fes­
tivals de films d'animaiinn ou de productions indépendantes. Comme les
salles commerciales, les salles art et essai doivent faire des bénéfices et tentent
pour cela de fidéliser les publics des grandes villes ou des villes universitaires.
Les petits films indépendants et les films expérimentaux, enfin, ne seront pro­
grammés que dans des contextes très particuliers. Les musées, y compris les
musées du cinéma, présentent souvent des séries de films (des rétrospectives),
comme peuvent le faire des associations de cinéastes ou de cinéphiles, ou
encore des institutions comme les cinémathèques. Cela ne peut avoir lieu, en
pratique, sans un soutien extérieur —subvention publique, bourse d’une
fondation, financement d’une société — qui complète la vente des entrées.

Trois types de distributeurs, comparables à ceux définis pour les salles, leur
fournissent les films. Les grandes sociétés nationales de distribution approvi­
sionnent les cinémas commerciaux. Les distributeurs moins importants peu­
vent s’occuper des productions indépendantes ou des films importés, pour le
marché des salles art et essai. Les films expérimentaux ont leur propre réseau
alternatif —aux États-Unis, la Fihn-Maker's Cooperative de New York, ou
Canyon Cinéma à San Francisco; à Paris, Light Cône.

Il n’y a rien de définitif dans ces distinctions entre plusieurs types d’exploi­
tants et de distributeurs. Quelques cinémas d’art et essai montrent des films
expérimentaux ou des courts métrages en première partie de programme. Des
réalisateurs indépendants peuvent essayer de se lancer sur les réseaux de dis­
tribution et d’exploitation des studios, comme l’ont fait Robert Rodriguez
avec El mariachi et Michael Moore avec Roger and me ( 1989). Aux États-Unis,
il y a eu ces dernières années une tendance à faire passer des films étrangers,
connaissant un certain succès dans les salles art et essai, vers les grandes salles
commerciales pour une seconde carrière; c’est ce qui est arrivé, par exemple, à
un film mexicain, Like waterfor rhocolate. Le dernier empereur (Bernardo Ber-
tolucci, 1987) aurait habituellement été projeté dans les cinémas d'art et essai,
mais ses costumes et ses décors spectaculaires lui permirent d’accéder à une

52
- ( J fl P1 LU I - LJ l|(ïm P U Lil I

large distribution dans les cinémas commerciaux —consécutivement, sa


réussite aux Oscars en fit un énorme succès populaire.
Les cinémas commerciaux, les salles art et essai et les lieux projetant des
films expérimentaux sont tous des exemples d’exploitations publiques.
L’exploitation privée est représentée par les diffusions domestiques, les diffu­
sions dans les écoles, les hôpitaux, les institutions militaires, les bibliothèques,
les universités ou dans d’autres contextes similaires.

Cinéma et vidéo
La vidéo est le plus considérable moyen de diffusion privée, que ce soit sous
forme de transmission hertzienne, de transmission par câble ou par satellite,
ou à travers des formats domestiques comme les cassettes ou les disques laser.
Depuis 1988, l'industrie cinématographique américaine a fait deux fois plus
de bénéfices avec le marché de la vidéo qu'avec celui de l'exploitation publi­
que. L’usage très répandu de ce nouveau format de diffusion nous amène à
préciser ce qui le différencie de façon importante du cinéma.
Certaines de ces différences dépendent de facteurs techniques. Les images
vidéo sont générées par le bombardement de points phosphorescents photo­
sensibles, qui recouvrent la surface intérieure d'un tube cathodique. Un
canon à électrons, situé à l’arrière du tube, en balaye la surface horizontale­
ment, activant un à un, rapidement, chacun des points. Aux États-Unis, le
standard pour la diffusion télévisée est fixé à 525 lignes de balayage, chaque
ligne étant composée d'environ 600 points ou pixels (réduction de
l'anglais picture éléments). En Europe, le standard est de 625 lignes.
La pellicule de cinéma peut enregistrer une quantité beaucoup plus
importante d'informations visuelles que l’image vidéo standard. Les chiffres
varient, mais on estime qu'une image couleur en 16mm offre l’équivalent
d'au moins 500 lignes vidéo, et un film 35 mm une résolution en couleur
équivalente à plus de 2 000 lignes. Aux États-Unis, le standard vidéo est de
350 000 pixels par image, mais un film négatif couleur en 35mm en contient
l'équivalent de 7 millions. Cela ne devrait pas nous surprendre : alors que l'on
peut voir les minuscules pixels clignotant sur un moniteur vidéo, un grain de
bromure d'argent sur un film 35mm peut porter un point-image pas plus
gros que quatre atomes!
Un autre écart qualitatif entre le cinéma et la vidéo concerne les rapports de
luminance, ou contraste: le rapport entre les plages les plus claires et les plus
sombres de l'image. Là où une caméra vidéo ne peut reproduire, au mieux,
qu'un rapport de 20 pour 1, un film en couleur 35mm supportera des rapports
supérieurs à 100 pour 1. Il en résulte que l'image 35mm met à disposition un

53
mm j -mhlm.^iKiiiiH.mK

plus grand répertoire de tonalités. Lors du transfert d’un film en vidéo, il est
courant que les techniciens modifient les contrastes les plus faibles en éclaircis­
sant l'image, perdant ainsi toute la richesse des zones sombres. - Les copies
vidéo de The deadzone ou de La mouche que vous verrez portent mon nom»,
faisait observer le réalisateur David Croncnberg, • et ce sont bien les films que
j’ai faits, mais je déleste l'allure qu’ils prennent en vidéo. Trop lumineux.»
Beaucoup d'autres défauts peuvent apparaître lors du transfert d’un film.
La couleur, en vidéo, a tendance à s’étaler, le rendu des rouges vifs ou des
oranges étant plus particulièrement délicat. 11 y a aussi le problème de la
rémanence (en anglais, le cornet tailing, la queue de comète), phénomène par
lequel les objets en mouvement sont suivis de traînées lumineuses sur fond
noir. Des vêtements avec des motifs très fins où des rayures horizontales très
serrées provoquent une vibration moirée de l'image.
Ji y a encore d’autres différences importantes entre le cinéma et la télévi­
sion, dont l’une des plus manifestes est la taille. Une image 35mm est conçue
pour être projetée sur un écran de plusieurs mètres carrés. Une image vidéo
parait floue et granuleuse dès qu'elle est projetée sur une petite surface. Leurs
capacités de conservation distinguent aussi les deux supports : si la pellicule
est connue pour être fragile et périssable, elle est toutefois plus résistante
qu’une bande vidéo. Les estimations courantes donnent une espérance de vie
de 10 à 15 ans pour les images enregistrées sur un support vidéo de un pouce,
et deux fois moins de temps pour celles enregistrées sur des cassettes de un
demi pouce (VHS).
.Mais il y a plus que des différences lechniques enlrc les deux supports. Il
arrive que l'accompagnement musical de la version vidéo d'un film ne soit pas
le même que celui de la version destinée aux salles, généralement parce que les
producteurs ne pouvaient pas en obtenir les droits. Les films sont souvent
mutilés par les chaînes de télévision, qui refont un montage ou modifient une
bande son pour éliminer quelques répliques qui pourraient choquer. Les réa­
lisateurs tournent parfois des éléments uniquement destinés aux versions télé­
visées. Ainsi, la version du Silence des agneaux (The silence of the lambs,
Jonathan Demme, 1991 ) diffusée sur le réseau américain contenait des plans
qui étaient des variantes de ceux vus en salles. La - colorisation » met en oeuvre
l’analyse numérique pour ajouter de la couleur à des films noir et blanc. Les
techniciens de la télévision peuvent aussi employer un procédé de «com­
pression » de la durée d'un film, qui en accélère la vitesse de diffusion au-delà
de 24 images par seconde pour pouvoir y insérer plus de publicités. Et certai­
nes versions télévisées ou en cassettes vidéo présentent une image anamor-
phosée, où les visages et les corps sont déformés, comprimés, afin que
l’intégralité des informations normalement destinées à un écran large tien­
nent dans l'écran de télévision.

54
(flfiPHLI I - Lfl PfiDPUdI OH DU (I

Figure 1.25

La modification la plus courante est celle introduite par le procédé


appelé pan and scan (panoramique et balayage). Un film réalisé dans un for­
mat large, par exemple en cinémascope, est recadré pour être adapté au for­
mat de l’écran de télévision. Un contrôleur décide des portions de l’image qui
seront conservées et de celles qui seront éliminées. Lorsqu’une action impor­
tante occupe les deux bords opposés du cadre, un mécanisme de balayage,
contrôlé par ordinateur, panoramique d’un point à l’autre de l’image. De
nombreux films réalisés après 1955 ayant été conçus en formats larges, l’utili­
sation du pan and scan s’est généralisée; on peut le constater lors des diffu­
sions à la télévision ou sur le câble, aussi bien qu’avec les cassettes vidéo.
Le pan and scan est peu respectueux du film d’origine. Le cinéphile qui
voit La rivière sans retour ( The river of no return, Otto Preminger, 1954) dans
une copie prévue pour une projection sur grand écran, voit une image qui
Figure 1.36
ressemble à celle de la figure 1.25. Le spectateur de la version vidéo voit ce qui
est présenté en 1.26. 11 arrive que le résultat soit assez comique, comme
lorsqu'on laisse pointer un nez au bord du cadre de l’image télévisée — voir la
figure 1.27, extraite d'une copie antenne 16mm(on dit aussi «copie télé» de
La ronde de l'aube (Tarnished angels. Douglas Sirk, 1958). Pour éviter des
compositions aussi peu élégantes, le pan and scan sera parfois employé pour
faire plusieurs plans avec un seul. Dans tous les cas, jusqu'à 50% de l'image
d’origine peut disparaître à cause du cadre de l'image vidéo.
Tout cela ne signifie pas qu'il ne faut pas regarder des films de cinéma en
vidéo. Les copies vidéos sont d’une manipulation aisée, sont largement acccs-
sibleset comparativement peu coûteuses. Elles ont suscité l'intérét des specta­
teurs pour un plus grand nombre de films que ne peuvent généralement en Figure 1.27
programmer les salles locales. Si un film n'est plus en exploitation ou s’il est
trop coûteux d'en louer une copie, il est souvent préférable de le voir en vidéo
que de ne pas le voir du tout.
Certains formats vidéos sont meilleurs que d’autres. Une cassette VHS offre
une résolution de seulement 200 lignes et respecte rarement les proportions

55
uiiii i - inu h kULisfiiioai. ims u (liai

originales de l’image. Les disques laser proposent une qualité d'image nette­
ment supérieure (400 lignes ou plus). Les versions sur disques laser se rappro­
chent aussi des compositions sur écrans larges par le jeu de bandes noires en
bas et en haut de l'écran (c’est le letterbaxingj. Elles sont, de plus, équipées
d'une piste son numérique stéréophonique, avec canaux d'ambiance
(ou surrouttd),qui est bien meilleure que celle des cassettes vidéo ou des films
16mm. Bien sur, ce format n’est pas sans défauts : les bandes noires ne resti­
tuent pas toujours l'intégralité de l'image originale et un seul format de dis­
que (le CAV) permet au spectateur de s’arrêter sur un photogramnie pour
l’examiner. Néanmoins, le disque laser est actuellement la meilleure approxi­
mation, en vidéo, des qualités d'origine d'un film.
Une copie vidéo peut faciliter l’analyse d'un film, mais nous pensons que
la meilleure façon de l’utiliser est encore d'en faire le simple complément
d'une copie sur pellicule. Idéalement, la première vision d'un film devrait
avoir lieu dans des conditions de projection publique, et l'analyse détaillée,
être menée avec une copie sur pellicule. Si une telle copie n’est pas disponible,
le spécialiste ou l’étudiant peut utiliser un disque laser vidéo. Une cassette
vidéo ne donne qu’une faible idée des qualités visuelles d'un film, mais reste
valable pour l'étude des dialogues, de h musique, de l'interprétation ou de la
construction du scénario.
L’image télévisée s'améliorant, principalement à travers le développement
de la vidéo haute définition ou des supports numériques (DVD-Rom), elle
pourra peut-être bientôt rivaliser avec le 16 mm (voir tes Notes et Points d’in­
terrogation). Comme toutes les techniques de communication, la vidéo a des
avantages et des inconvénients qu'il nous faut savoir reconnaître lorsque nous
étudions le cinéma.

Notes et Points d'interrogation


L'illusion du mouvement au cinéma
Beaucoup de gens sont étonnés d’apprendre que pendant la plus grande par­
tie du temps de projection d'un film, l'écran est totalement noir. A une vitesse
de 24 images par seconde, un film présente un nouveau photogramme toutes
les 42 millisecondes. (Une milliseconde est un millième de seconde). L'obiu
rateur masquant le faisceau lumineux du projecteur deux fois — une fois
lorsque la pellicule est en mouvement, une fois lorsqu’elle est à l'arrêt —cha­
que photogramnie est en fait montré deux fois dans cet intervalle de 42 milli­
secondes. Chacune de ces deux apparitions dure 8,5 millisecondes, avec 5,4
millisecondes de noir entre elles. Pendant un film de 100 minutes, le public est

56
i - tu un-------

assis dans une obscurité totale au moins 40 minutes! Bien sûr, nous ne perce­
vons pas ces brefs intervalles de noir à cause de l'effet de mouvement apparent
et de la fréquence critique de scintillement, phénomènes inhérents à notre
appareil de vision.

Les fondements techniques du cinéma


André Bazin suggère que les hommes rêvaient du cinéma bien avant son
apparition : • L'idée que les hommes s’en sont faites existait toute armée dans
leur cerveau, comme au ciel platonicien» (Qu est-ce que le cinéma ? Paris, Êd,
du Cerf. 1975, p. 19). Mais quels que soient ses lointains antécédents, le
cinéma n’est devenu techniquement réalisable qu'au dix-neuvième siècle.
L’invention du cinéma a été la conséquence de nombreuses découvertes
dans différents domaines scientifiques et industriels : la fabrication des objec­
tifs et des lentilles, le contrôle de la lumière (particulièrement au moyen des
lampes à arc), la chimie (pour la production du cellulose), la métallurgie ou la
mécanique de précision, entre autres. La mécanique cinématographique est
directement apparentée à celle d’autres machines de l’époque. Les ingénieurs
du dix-neuvième siècle inventèrent, par exemple, des machines capables de
dérouler, faire avancer, perforer, faire à nouveau avancer et enrouler, par
intermittence mais à une vitesse constante, un matériau se présentant en
bande. Le mécanisme d'entraînement des caméras et des projecteurs est l'un
des derniers avatars d'une technique qui était déjà à l’origine de la machine à
coudre, du ruban du télégraphe cl de la mitrailleuse. L'appartenance du
cinéma au dix-neuvième siècle est plus évidente de nos jours : il suffit de com­
parer la mécanique et la chimie qui sont au fondement des techniques ciné­
matographiques avec des systèmes de production d’image comme la
télévision, l’holographie ou la -réalité virtuelle», qui reposent respectivement
sur l’électronique, les lasers ou les images de synthèse.

Photographies de plateau contre agrandissements de photogrammes


Les photographies nous permettent de garder un vivant souvenir des films,
tout autant que notre expérience de spectateur. Ces photographies sont en
général de deux sortes. Elles peuvent être des reproductions d’un photo­
gramme du film, tel qu’il apparaît sur la pellicule, et ce seront alors des agran­
dissements de photogramme. Mais la plupart sont des photographies de plateau
— prises pendant le tournage du film. Elles sont aussi bien employées pour la
promotion dans la presse que pour l'illustration des livres sur le cinéma.
Les photographies de plateau sont souvent plus nettes que les agrandis­
sements, et donc plus utiles pour l'observation détaillée des décors ou des

57
mm i - mis >i « ; a nintr mu n mr.

costumes. Malheureusement, ce ne sont pas les mêmes images. Le photogra­


phe peut modifier la position des acteurs ou les éclairer différemment, et
prendre ses clichés suivant des angles et des distances qui ne correspondent
pas à ceux du film, dont les agrandissements de photogramme offrent par
conséquent de plus fidèles extraits.
Les figures 1.28 et 1.29, par exemple, ont toutes les deux été utilisées pour
illustrer des analyses de La règle du jeu, de Jean Renoir. La figure 1.28 est une
photographie de plateau où les acteurs posent. Elle trahit déjà, pour cela, la
réalité du film achevé. La figure 1.29 montre le plan tel qu’il apparaît dans le
Figure 1.28 film : l'agrandissement du photogramme permet de constater que le réalisa­
teur se sert de l'embrasure de la porte pour mettre en place une action en fond
de champ. On voit ici comment d’importantes caractéristiques du style visuel
d'un réalisateur peuvent être absentes d’une photographie de plateau.
Toutes les photographies de ce livre sont, en principe, des agrandissements
de photogrammes.

L'auteur
À quel titre un réalisateur peut-il être identifié comme I'-auteur- d’un film
produit en studio ? 11 y a trois réponses possibles.

L'auteur comme technicien de production. C’est tout le propos de ce chapitre.


Figure 1.29
Certains spécialistes du cinéma pensent que le réalisateur d’un film de studio
ne peut pas en être l'auteur s'il n’a pas cherché à remplir personnellement
toutes les principales fonctions liées à sa production. (Un exemple : Charles
Chaplin, qui était producteur, scénariste, réalisateur, compositeur et acteur
principal de scs derniers films.) D’autres spécialistes soutiennent que si le réa­
lisateur ne peut pas exécuter toutes ces tâches, il doit au moins pouvoir exer­
cer un contrôle décisif à chaque étape de la production (comme pouvaient le
faire Jacques Tati ou Federico Fellini). Selon d’autres spécialistes, la fonction
de réalisateur est celle qui permet de cerner au mieux l'ensemble des phases
de tournage et de montage. Non parce que le réalisateur peut tout faire ou
décider de tout, mais parce que son rôle est défini comme essentiellement
synthétique : combiner en un tout les contributions de l’ensemble des mem­
bres d'une production. C’est la position que nous avons adoptée dans ce livre.

L'auteur comme personnalité. En France, au début des années 50, de jeunes


critiques réunis autour des Cahiers du cinéma commencèrent à déceler les tra­
ces d'un «style personnel» dans certains films hollywoodiens. Attribuant cette
personnalité au réalisateur, ils définirent une touche «Howard Hawks» (goût
pour l'action, professionnalisme tranquille des personnages) ou une touche

58
.. CWJ î U K 11 n »

«Alfred Hitchcock» (du suspense, mais aussi un troublant et tout catholique


sens de la culpabilité). Cela devint la politique des auteurs. L'idée fut reprise
par le critique américain Andrew Sarris dans une série d'articles devenus célè­
bres. «Le bon réalisateur marque un film de sa personnalité» (The american
cinéma, p. 31). L'auteurisme devint aussi un mode d'évaluation, permettant
aux critiques des Cahiers du cinéma et à Sarris d'opposer des listes d'auteurs et
de non-auteurs. (Sarris: l’«cngagemcnt personnel» de Fred Zinncman dans
la réalisation est seulement superficiel: Docteur Jivago, de David Lcan, est une
œuvre «impeccablement impersonnelle.»)
La politique des auteurs nous a fait faire un grand pas vers une appré­
hension du cinéma comme art, mais qu'est-ce qui, selon cette théorie, con­
stitue la «personnalité»? La forme et le style du film? Des thèmes, des
histoires, des acteurs, des genres de prédilection ? La critique auteurisie anglo-
saxonne a plutôt parlé d’une «vision personnelle» et de «problématiques»
récurrentes.

L'auteur comme ensemble de films. En réaction à la notion de «person­


nalité», il a été proposé de transformer l'« auteur» en une simple construction
critique. La critique regrouperait pour cela les films sous la signature d’un réa­
lisateur. d'un producteur ou d’un scénariste. Ainsi, Citizen Kanc appartien­
drait à l’ensemble «Orson Wellcs» et à l'ensemble «Herman Mankiewicz» et à
l’ensemble «Grcgg Toland», etc. 11 s’agirait ensuite d'analyser la structure des
relations à l’intérieur d'un groupe donné, ce qui signifie par exemple que Citi­
zen Kane serait mis en relation avec d’autres films réalisés par Wellcs. ou avec
d’autres films écrits par Mankiewicz, ou avec d'autres films photographiés par
Gregg Toland. L’«auteur» n'est plus une personne mais, pour les besoins de
l'analyse, un système de relations entre plusieurs films portant la même signa­
ture. Cette approche est évidemment valable pour les productions indépen­
dantes comme pour les films des studios.
De nombreux débats curent lieu dans les années 60 et 70 autour de la
question de l'auteur, comme celui qui opposa les tenants du «réalisateur
auteur», menés par Andrew Sarris — avec son livre The american cinéma, et
quelques autres — et ceux du - scénariste auteur», menés par Richard Corliss
— avec The hollywood screenwritcrs et Talking picturcs. Il est intéressant de
constater que le débat Sarris-Corliss fait l'économie d'une distinction entre
les différentes conceptions possibles de l'auteur — technicien de production,
personnalité ou invention critique —, si bien que les deux hommes ne parlent
pas toujours de la même chose. Après cette première vague d’intérét pour la
notion d’auteur au cinéma, beaucoup de critiques ont pris du recul pour met­
tre au point et comparer des hypothèses semblables à celles que nous avons
proposées ici.

59
mm j - LÿHLIiUULHiiuujmuXIJmk _ —-------

Cinéma et vidéo

À propos de l’utilisation de la vidéo comme assistance à la réalisation de


certains plans durant un tournage, le réalisateur polonais Andrzej Wajda fai­
sait la remarque suivante: • Pour un réalisateur qui a grandi et a été formé
avec le cinéma, la technique vidéo ne présente aucune difficulté. La lumière
est toujours suffisante, les mouvements de caméra sont incroyablement légers
et faciles— trop faciles — et en plus, si nous n'aimez pas ce que vous venez de
faire, vous pouvez tout simplement l’effacer et repartir de zéro, ce qui signifie
que les possibilités sont infinies. Ça veut dire que vous travaillez sans tension,
sans cette impression familière d’ètre sur le fil du rasoir, de prendre constam­
ment des risques. Le problème, bien sûr, est que cette tension, ce sens du ris­
que, est précisément ce qui caractérise le tournage d'un bon film» (Andrzej
Wajda, Double visions : my life in fibns, New York, Holt, 1989, pp. 43-4-4).

I^s frontières entre cinéma et vidéo s’estompent, et ce de plusieurs façons.


De nombreux réalisateurs connus font leur entrée à la télévision (suivant
l’exemple d’Alfred Hitchcock, dont les séries télévisées furent diffusées aux
États-Unis de 1955 à 1962). Francis Ford Coppola transforma et combina les
deux premiers Parrains pour créer un nouvel ensemble destiné tout spéciale­
ment aux réseaux de télévisions. Amazing stories. de Stcvcn Spielberg, ou Twin
Peaks,de David Lynch, marquèrent l'avènement d’une nouvelle génération de
séries télévisées, directement influencées par le grand écran ou donnant lieu,
plus tard, à des films de cinéma. Depuis, Oliver Stonc, Woody Allen ou Paul
Schradcr ont tournés pour le petit écran. Spike I.cc, John Saylcs, Martin Scor-
sese et d’autres réalisateurs dirigent des publicités ou des clips vidéo. Un
«look vidéo», influencé par les publicités télévisées et les clips de MTV, s'est
imposé dans certains films récents comme Reaiity biles ou Thccrow.

Le débat sur les différences techniques entre cinéma et télévision tourne en


général autour du problème de la vidéo haute définition. En 1981, la chaîne
japonaise NHK présenta un système vidéo composé de 1125 lignes, ce qui
représentait un gain remarquable en netteté et en rendu des détails. Plusieurs
systèmes différents de télévision haute définition (HDTV) furent alors déve­
loppés. Les transmissions par câble, satellite ou ondes hertziennes adoptèrent
l'un ou l’autre des systèmes HDTV. À la fin de l'année 1988, la • United States
Fédéral Communications Commission» proclama que tout système haute
définition utilisé pour la diffusion devait être compatible avec le standard
de 525 lignes. Cela semble avoir accru la compétition entre les différents systè­
mes incompatibles, avec pour résultat l’adoption probable, aux États-Unis,
d'une solution de compromis, avec un système de qualité moindre exploitant
1050 lignes.

60
WUUJâJ-U-1» UltlOIII H HL*

On attend l’apparition d’une forme numérique du HDTV, dans les années


90, peut-être conçue pour des écrans plats à cristaux liquides plutôt que pour
le très orthodoxe tube cathodique. Même si le HDTV apporte une améliora­
tion certaine de l'image vidéo, n'importe quel système actuellement à l'étude
restera insuffisant devant les qualités d'un film 35 mm couleur. De plus, la
majorité des systèmes HDTV proposent un format d'image dont le rapport
est de 1/1,77, ce qui continuera de poser des problèmes pour la reproduction
de la composition de nombreux films. El les techniques cinématographiques
continuent d’évoluer : les plans réalisés aujourd’hui en 16mm sont compara­
bles à ceux réalisés en 35mm il y a dix ans.

61
Typologie des films
2

Qui fréquente les vidéoclubs sait que l’on y classe les films
suivant différentes rubriques — acteur principal, période («films
muets»), pays d’origine («films étrangers»), grand genre
Types fondamentaux
(«drame», «comédie»). Pour comprendre comment «fonction­
Les genres
nent» les films.il nous faut aborder les façons, très significatives,
dont le public, les réalisateurs ou les spécialistes les regroupent. Notes et Points d'interrogation
J11II4 1 .dmi H fiULHflUDNl. IMI H HIBÎ

Types fondamentaux
Certains types filmiques fondamentaux se déclinent selon des oppositions
claires. On distingue généralement le documentaire de la fiction, une action
réelle dite «en vues directes» d’une animation, le cinéma «commercial» du
cinéma expérimental ou d'avant-garde. Mais ces catégories ne sont pas
étanches; elles sont souvent sujettes à mélanges et combinaisons.

Documentaire contre fiction


Avant de voir un film, nous savons le plus souvent s’il s’agit d’un documen­
taire ou d’une fiction.

Le documentaire. Un film documentaire est supposé offrir des informations


factuelles sur le monde extérieur au film. Prhnary, par exemple, demande à
être reçu comme le compte rendu factuel des campagnes électorales de John
Kennedy et Hubert Humphrey pour leur participation, au nom du parti
démocrate, aux présidentielles de 1960 (fig. 2.1). On oppose habituellement
films documentaires et films de fiction (sur lesquels nous revenons plus
loin).
Qu'est-cc qui légitime notre croyance dans le caractère documentaire d'un
film ? En premier lieu, le simple fait qu’il nous est généralement désigné
comme tel. Il nous faut alors admettre que les personnes, les lieux et les évé­
Figure 2.1
nements représentés ont réellement existé* et que les informations qui les
concernent sont exactes et authentiques.
Pour respecter ce projet de présentation factuelle, un documentaire pourra
mettre en oeuvre divers procédés. Le réalisateur peut enregistrer les événe­
ments tels qu'ils arrivent, ainsi que le firent les cadreurs de Primary pendant la
campagne des démocrates. Mais ce n’est pas le seul moyen de transmettre des
informations : le réalisateur pourra fournir des diagrammes, des cartes ou
d'autres représentations visuelles. Il pourra aussi mettre en scène certains évé­
nements pour qu'ils puissent être enregistrés par la caméra.
Il faut s’attarder sur ce dernier point, car il est des spectateurs qui soup­
çonnent facilement un documentaire de n'ètre pas recevable s’il manipule les
faits. 11 est vrai que, très souvent, un documcntariste se contente d’enregistrer
une situation, sans écriture ni mise en scène préalable. Pour un entretien avec
un témoin, par exemple, il décide généralement de l’emplacement de la
caméra ou de ce qui doit figurer à l'image et contrôle le montage final; mais il
n'indique pas au témoin ce qu'il doit dire ou comment il doit se comporter, et
il lui arrive de ne pas avoir le choix du décor ou de l'éclairage.

64
(wiim 2 - îmiocii mj inas

Néanmoins, spectateurs et réalisateurs considèrent qu’une mise en scène


servant l'objectif général de présentation d’information est justifiée. Suppo­
sons que vous soyez en train de filmer les lâches quotidiennes d’un fermier;
vous lui demanderez peut-être de marcher vers un champ pour pouvoir
cadrer l’ensemble de la ferme. De meme, le cameraman qui est le personnage
central du documentaire de Dziga Vertov, L'homme à la caméra (1928) joue
manifestement pour Vertov (fig. 2.2).

La mise en scène renforce parfois la valeur documentaire d’un film. 1 Iinn-


phrey lennîngs réalisa Fires were staned (1943) au cours du bombardement
allemand de Londres, pendant la Seconde Guerre mondiale. Parce qu'il était Figure 2.2
impossible de filmer durant les raids aériens, Jcnnings trouva un ensemble de
batiments partiellement détruits parles bombes et y mis le feu; il put alors fil­
mer une patrouille de pompiers au travail (fig. 2.3). Bien qu'il y ait eu mise en
scène, les * authentiques» pompiers jugèrent que c’était une description vrai­
semblable des risques qu’ils avaient pris sous les bombardements. Pareille­
ment, après la libération du camp de concentration d'Auschwitz par les
troupes des Alliés à la fin de la Seconde Guerre mondiale, un journaliste
cameraman rassembla un groupe d’enfants et leur fit retrousser les manches,
pour montrer les matricules tatoués sur leurs bras. Cette mise en scène ren­
forçait incontestablement la crédibilité cl ta précision du film.

Mettre en scène pour la caméra n’est donc pas nécessairement faire d’un
film une fiction. Il nous faut croire à l’exactitude des informations fournies Figure 2.3
par un documentaire, sans autres considérations pour les détails de sa réalisa­
tion. Meme si le réalisateur demande au fermier d’attendre un instant pen­
dant que l’opérateur cadre le plan, le film évoque la promenade matinale dans
son champ comme une partie des tâches quotidiennes, et c’est cette évocation
qui nous est proposée comme véridique.

Par rapport aux autres catégories filmiques, les documentaires se présente­


raient comme des comptes rendus exacts. Néanmoins, leur fiabilité ou leur
authenticité a souvent été remise en question dans l'histoire du cinéma. Roger
and Me, de Michael Moore, a été le sujet d'une polémique récente. Le film
présente, dans une suite de séquences tour à tour émouvantes et absurdes, la
réaction des habitants de Flint, dans le Michigan, à une série de licenciements
qui ont touché les usines General Motors dans les années 80. Une grande par­
tie du film est consacrée aux tentatives ridicules de l'administration locale
pour raviver l’économie de la ville. Ronald Reagan vient en visite, un télévan-
géliste tient en haleine une foule, les responsables locaux lancent une coûteuse
politique de construction, dont l’un des projets est AutoWorld, un «parc à
thème» couvert censé attirer les touristes vers Flint.

65
PflRILÏ I - IYW » RULBHIOlliJI/p RLJJL1I

Personne ne nie que ces événements aient eu lieu. La polémique éclata


lorsque des critiques déclarèrent que Roger and nie laissait croire au public
que les faits s’étaient déroulés dans l’ordre où ils étaient montrés. Ronald Rea­
gan était venu à Flîni en 1980, le télévangéliste en 1982; AutoWorld avait
ouvert ses portes en 1985. Ces différents événements ne pouvaient pas avoir
été des réactions à la fermeture progressive de l’usine, montré auparavant
dans le film, puisque cette fermeture n'avait débutée qu’en 1986. Moore fut
accusé par les critiques d’avoir faussé la chronologie réelle pour ridiculiser
l'administration locale.
Figure2.4 La réponse de Moore est examinée dans les «Notes et Points
d'interrogation », à la fin de ce chapitre. Ce qui nous importe ici, c’est que les
critiques reprochèrent au film de présenter des informations irrecevables.
Même si cette accusation était vraie, Roger and me ne serait pas pour autant
un film de fiction : un documentaire inexact est toujours un documentaire.
Tout comme il y a des reportages d'actualité erronés et lacunaires, il y a des
documentaires erronés et lacunaires.
Un documentaire peut prendre position, exposer une opinion, défendre
une solution. On le verra au chapitre 5, les films documentaires emploient
souvent des formes rhétoriques pour convaincre leurs spectateurs. Une simple
prise de position ne fait pas d'un film une fiction : pour nous convaincre, le
réalisateur rassemble des preuves, dont il met en valeur l'exactitude et le
caractère factuel. Un documentaire peut être fortement partisan, il ne prétend
pas moins offrir des informations sérieuses sur le sujet qui l’occupe. Roger and
nie propose une critique des politiques sociales, mais une critique qui se pré­
sente comme fondée sur des faits.

Types de documentaires. Les spectateurs reconnaissent facilement les diffé­


rents types de documentaire; le film de montage, par exemple, composé à par­
tir d'images d'archives. The atomic café (Jayne Leader, 1982) rassemble des
extraits de films d’actualité et de films didactiques pour montrer comment la
culture américaine des années 50 réagissait à la prolifération des armes
nucléaires (fig, 2.4). Ix? documentaire d'entretien recueille des témoignages sur
des faits ou des mouvements sociaux. Word û oui (1977) est principalement
constitué d’entretiens avec des lesbiennes cl des gays décrivant leurs vies.
Les documentaires apparentés au cinéma direct enregistrent les événe­
ments «comme ils se présentent», avec une intervention minimale du réalisa­
teur. Le cinéma direct s’est développé entre les années 50 et les années 60, au
moment où la caméra et le matériel son portables devinrent suffisamment
performants pour permettre à des films comme Primary de suivre le cours
d’un événement. C’est pourquoi ces films sont aussi rassemblés sous le nom
de cinéma vérité. On en trouve un exemple récent avec Hoop dreams (Steve

66
! ■ l’JIlLKU

James, l**94), qui suit le parcours, au lycée et à l'université, de deux jeunes


basketteurs voulant devenir professionnels. Dans le chapitre 11, nous analy­
sons un documentaire du cinéma direct, High school (Frederick Wiscman,
1968).
Très souvent, un documentaire appartiendra à plusieurs de ces catégories,
mêlant images d'archives, entretiens et plans tournés sur le vif, comme Roger
and me, Harlan County, USA ou In the year of the pig. Ce type de documen­
taire-synthétique» est aussi très courant dans le journalisme télévisuel.

La fiction. Par opposition avec le documentaire, nous admettons qu'un film


de fiction donne à voir des êtres, des lieux ou des événements imaginaires. Il
va de soi que Don Vito Corlcone et sa famille, tels qu'ils sont décrits dans Le
parrain (The godfather, Francis Ford Coppola, 1972) n’ont jamais existé, et
que leurs activités n'ont jamais eu lieu. La mère de Bambi n’a pas été abattue
par les chasseurs parce que Bambi, sa maman et leurs amis de la foret sont
imaginaires.
Qu’un film soit une fiction ne signifie pas qu’il n'a aucun rapport avec la
réalité. Tout ce que montre un film de fiction ou tout ce qu'il implique n'est
pas nécessairement imaginaire. Le parrain fait allusion à la Seconde Guerre
mondiale et à la construction de Las Vegas, deux faits historiques; il se déroule
à New York et en Sicile, deux décors réels. Néanmoins, les personnages et
leurs actions restent du domaine de la fiction, l'histoire et la géographie four­
nissant un contexte à l’invention.
Les films de fictions sont liés à la réalité d'une autre façon : ils constituent
souvent des commentaires sur le monde réel. Président d’un jour (Dave, Ivan
Reiiman, 1993), un film sur un président américain imaginaire et son admi­
nistration corrompue, critique des attitudes politiques contemporaines. En
1943, certains spectateurs de Jour de colère (Vredens dag, Cari Dreyer, 1943)
un film sur la chasse aux sorcières et les procès pour sorcellerie dans le Dane­
mark du dix-septième siècle, prirent le film pour une attaque implicite contre
les nazis, qui occupaient alors le pays. Par le développement d'un thème, d’un
sujet ou par la création d’un personnage, une fiction peut, directement ou de
façon détournée, exposer des idées sur le monde extérieur au film.
Notre réaction à un film de fiction est parfois déterminée par ce que nous
croyons savoir de sa réalisation. Généralement, la fiction met en scène les élé­
ments composant son intrigue: ils sont pensés, organisés, répétés, filmés et
refilmés. Le mode de production des studios convient parfaitement à la créa­
tion de fictions dans la mesure où les histoires y sont écrites et les actions,
mises en scène jusqu'à ce que ce que les décideurs soient satisfaits de ce qui est
sur la pellicule. De même, nous savons que dans un film de fiction, les agents
du récit sont joués ou représentés par un intermédiaire et non photographiés

67
pflfiiill,- ivpi! px UfliBâiiûns. jmi Pc juiffl!

directement (comme c’est le cas dans le documentaire) : la caméra ne filme


pas Vite Corleone mais Marion Brando représentant le Don (fig. 2.5).
Ces suppositions concernant la réalisation d’un film entrent particulière­
ment en jeu lorsqu'il s’agit de films historiques ou de biographies. Apollo 13
(Ron Howard, 1995) ou La liste de Schindler (Schindler’s /isf.Stevcn Spielberg,
1993) se basent sur des faits réels; Malcom X (Spike l>ee, 1992), Heurt like a
wheel( Jonathan Kaplan, 1993) cl d'autres biographies à grand spectacle retra­
cent les parcours de personnes qui ont existé. Est-ce que ce sont des docu­
mentaires ou des fictions ? En pratique, de tels films ne font qu’ajouter des
personnages, des actions ou des dialogues de pure convention à une histoire
authentique. S’ils ne trahissent pas ainsi leur caractère documentaire, ils res­
tent des fictions en regard des suppositions que l’on fait sur la façon dont ils
ont été réalisés : les actions représentées y sont entièrement mises en scène et
les agents historiques, interprétés par des acteurs. Comme les pièces de théâ­
tre ou les romans basés sur des faits réels, les films historiques et biogra­
phiques transmettent des idées sur l'histoire par le biais de représentations
fictionnclfcs.
Cependant, connaître la manière dont les images et les sons ont été pro­
duits ne permet pas toujours de différencier clairement la fiction du docu­
mentaire. Ce dernier peut contenir des plans monirant des événements
arrangés à l’avance ou totalement mis en scène, tandis qu’une fiction peut
comprendre des éléments qui ne sont pas mis en scène. Dans certaines fic­
tions, des plans d’actualités servent à renforcer une intrigue : il y a dans hiva-
ders from Mars (William Cameron Menzies, 1953) d'authentique plans de
l’armée cl de la Navy s’apprêtant à combattre, mais à cause du contexte fie-
tionncl, l'armée américaine semble se préparer à repousser des martiens. Des
réalisateurs ont fait des fictions presque entièrement à partir d'archives. Tri­
bulation 99 . aiien anomalies under America (Craig Baldwin, 1992) se sert en
grande partie de films d'actualités pour décrire un complot mené par des
extraterrestres qui vivent sous terre et contrôlent ta politique internationale.
Comme précédemment, c’est la fonction générale de la fiction — présenter
des actions et des événements imaginaires— qui détermine la façon dont
nous appréhendons ces passages documentaires.

Mélanges et hybridations Des réalisateurs ont évidemment cherché à


brouiller les limites entre le documentaire et la fiction. No lies, de Miichell
Block, en est un exemple tristement célèbre. Le film se présente comme un
entretien avec une femme violée, l^s spectateurs sont généralement émus par
le récit de celte femme et la dureté des questions du réalisateur, qui reste hors-
champ; un carton nous révèle pourtant, à la fin. que le film était entièrement
écrit et que la femme était une actrice. Une partie du projet de Block était

68
(mini 2 - imihir^ nias

apparemment de montrer comment les caractéristiques visuelles et sonores


d’un documentaire du cinéma direct pouvaient conduire les spectateurs à une
croyance aveugle en ce qui leur était présenté.
Fiction et documentaire peuvent être confondus d'autres façons. Dans }FK
(Oliver Stone, i992), le réalisateur inséra des images d'archives à l’intérieur de
scènes où des acteurs jouaient des figures historiques comme Lee Harvey
Oswald. Il filma et mit en scène d’une manière pseudo documentaire l'assassi­
nat de Kennedy. Ces plans furent ensuite montes avec d'authentiques plans Figure 2.6
d’archives, créant une constante incertitude sur la nature de ce que nous
voyons. Un exemple encore plus radical est Forrest Gunip (Robert Zemeckis,
1994) où les effets spéciaux permettent au héros de rencontrer John F. Ken­
nedy, Lyndon Johnson et Richard Nixon (fig. 2.6).
Le dossier Adams ( The thin blue line, Errol Morris, 1988), un documentaire
d'investigation sur un meurtre, mêle entretiens et images d’archives avec des
séquences jouées par des acteurs. Ces séquences ne ressemblent pas aux
reconstitutions effrayantes de certains shows télévisés mais sont tournées avec
beaucoup de délicatesse, des éclairages expressifs et des couleurs profondes
(planche I). Plusieurs d’entre elles mettent en scène les versions contradictoi­
res des témoins sur le déroulement du crime. Le film ne cherche plus seule­
ment à identifier l'assassin mais soulève des questions sur la confusion entre
fait et fiction.

Le film d'animation
Pour la plupart des films de fiction et des documentaires, les gens et les objets
sont photographiés en taille réelle, dans un espace a trois dimensions. Nous
avons vu au chapitre précédent que la cadence standard de tournage pour ces
prises en vues directes est de 24 images par seconde.
Les films d’animation se distinguent des films en vues directes par le travail
inhabituel effectué en phase de tournage. Les animateurs ne filment pas en
continu et en temps réel le déroulement d’une action mais créent une suite
d'images en filmant photogramme par photogramme. Entre chaque exposi­
tion de photogramme, l’animateur modifie ce qui doit être photographié. On
ne filme pas Daffy Duck, on en filme, sous forme de photogrammes isolés,
une série de représentations légèrement différentes, préparées et réalisées avec
soin. Lorsqu'elles sont projetées, les images ainsi obtenues créent l'illusion du
mouvement comme un film tourné en vues directes. Tout ce qui est manipu-
lablc par le réalisateur peut être animé au moyen de dessins bidimensionnels,
d’objets tridimensionnels ou d'informations électroniques gérées par ordina­
teur.

69
PUJ.Ll 1 .-J.yw H-Kfl.UkflL10JkJVWXU.UJl_.

Il y a plusieurs types d’animation. Le plus courant est le destin animé. C'est


presque depuis les débuts du cinéma que des animateurs réalisent et photo­
graphient de longues séries de dessins. Les dessins se faisaient à l’origine sur
du papier, mais recopier plusieurs fois toute une image, décors inclus, était
une perle de temps considérable. Dans les années 10, des animateurs de stu­
dio se mirent à utiliser des feuilles rectangulaires de celluloïd transparent,
appelées par raccourci des «cellulos» ou «cels». Les personnages et les objets
pouvaient être dessinés sur différents cellulos (fig. 2.7) qui étaient ensuite
superposés, en sandwich, sur un fond peint, opaque, représentant le décor.
Cet ensemble était photographié et d'autre cellulos, montrant les personnages
ou les objets dans des positions légèrement différentes, pouvaient alors être
placés sur le même fond, pour créer l'illusion du mouvement. La figure 2.7
montre une superposition de deux cellulos extraits du dessin animé Le Coyote
(Raad Runner). Le coyote est sur un cellulo, les petits nuages de poussière, sur
un autre. L'utilisation du cellulo a permis aux animateurs de gagner du temps
et de répartir le travail entre différentes chaines chargées chacune, entre
autres, du dessin, de la couleur ou de la photographie.
Ce système, augmenté de quelques techniques nouvelles destinées à facili­
ter le travail, est toujours en vigueur aujourd'hui. Des dessins animés à gros
budgets réalisés par les studios présentent des animations dites «complètes»,
avec beaucoup de mouvements et un dessin précis (planches 38 et 39,
figs. 7.130-7.132). Des productions plus modestes recourent à une animation
dite «partielle» ou «simplifiée», où seules des portions limitées de l’image
sont animées. L'animation simplifiée est surtout utilisée par la télévision,
même si certains longs-métrages japonais destinés aux salles, comme Silenl
Môbius (fig. 2.8), s’en sont servis pour créer des images plates, ressemblant à
Figure 2.8 des affiches.

70
(W1.I.H 2 - JJ.P.O lOÇJ ( PUJIII

Des animateurs indépendants ont continué de dessiner sur papier. Robert


Brcer, par exemple, réalise des films d'animation malicieux, quasi abstraits,
sur des petites fiches blanches cartonnées ordinaires.
Les cellulos et les dessins sont photographiés, niais un animateur peut tout
aussi bien travailler sans caméra. Il peut dessiner directement sur la pellicule,
la gratter ou y coller des objets plats. Stan Brakhage, pour réaliser Mothlight
( 1963), a scotché des ailes de papillons sur de la pellicule. L’inventif Norman
McLaren réalisa Blinkety blank (1955) en gravant les images sur la pellicule,
photogramme par photogramme, avec des couteaux, des aiguilles et des lames
de rasoir (fig. 2.9). Figure 2.9

Une autre façon d'animer des images en deux dimensions est d'utiliser des
découpages. Les réalisateurs emploient parfois des marionnettes très plates,
articulées: Lotte Reinigcr s’était fait une spécialité d'un éclairage qui silhouet­
tait ses découpages, dans des contes délicats et complexes comme Les aventu­
res du Prince Ahmed (fig. 2.10), le premier long métrage d’animation (1926),
Ces découpages peuvent aussi être animés photogramme par photogramme
pour créer des sortes de collages en mouvement; l'exubérant Frank film, de
Frank Mouris, réalisé suivant cette technique, est un tourbillon d'images
venant de la culture populaire (planche 2).
Des objets en trois dimensions peuvent aussi être déplacés et modifiés,
photogramme par photogramme, pour créer un mouvement apparent. L'ani­
mation d’objets se divise en trois catégories voisines : la pâte à modeler, les
marionnettes et la pixilaiion. U pâte à modeler, moins salissante et fabriquée Figure 2.10
dans un grand nombre de couleurs, est plus souvent utilisée que l'argile (qui
donne son nom au terme anglais : clay animation, ou daymation). Des sculp­
teurs modèlent objets et personnages dans ce matériau flexible, que les ani­
mateurs vont ensuite manipuler pour les déformer légèrement entre chaque
exposition de la pellicule. Les films de pâte à modeler existent depuis le début
du siècle, mais ils sont devenus extrêmement populaires a partir des années
70. Créature comforts (Nick Park, 1993) (fig. 2.11) parodie les documentaires
d'entretiens en inventant de curieuses discussions avec les occupants d'un
zoo.
Le film de marionnettes, plus rarement appelé film de poupées, offre beau­
coup de ressemblances avec la pâte à modeler. Comme son nom l'indique, il
suppose l'utilisation de formes qui peuvent être mises en mouvement par
l’intermédiaire de fils ou d'articulations diverses. Le maître historique de ce Figure 2.11
type d'animation fut Ladislav Starcvich. 11 déconcerta le public russe dès les
années 10 par le réalisme de ses marionnettes représentant des insectes qui
interprétaient des scènes comiques ou dramatiques, puis, plus tard, avec
Fétiche mascotte (1934), où ses marionnettes exécutent des mouvements

71
mm i.u.m.s k mumioiH, imi hjiliib

complexes cl disposent d’une grande richesse d'expressions faciales


(fig. 2.12). La marionnette la plus célèbre de l’histoire du cinéma a sans doute
été la «star* du film King Kong (Merian Cooper et Ernest Schocdsack, 1933) :
une petite poupée articulée représentant un gorille. En regardant bien King
Kong, vous pourrez voir la fourrure du gorille onduler : ce sont les traces lais­
sées par les doigts de l'animateur entre chaque prise.au moment du change­
ment de position de la marionnette. Ces dernières années, le plus célèbre long
métrage de ce type a été L'étrange Noël de monsieur Jack ( The nightmare before
Christmas, Henry Sclick, 1993).
Pixilation est le terme général pour l'animation image par image d'objets
et de personnes réels. En 1908, par exemple. Arthur Melbourne-Cooper
Figure 2.12 anima des jouets dans un décor miniature, pour créer une accumulation de
mouvements dans la profondeur de l'image (Dreams of Toyland} (fig. 2.13).
En général, les acteurs bougent librement et sont filmés «en temps réel», mais
un animateur peut vouloir les «pixilcr» : l’acteur se fige dans une certaine
position pendant l’exposition d'un photogramme, bouge légèrement et se fige
à nouveau pour l'exposition d’un nouveau photogramme, et ainsi de suite.
Cela donne un mouvement saccadé, forcé, très différent d'une interprétation
normale. Norman McLaren a utilisé cette méthode pour raconter une dispute
dans Les voisins (Neighbors, 1952) cl pour montrer un homme essayant de
maîtriser un meuble dans A chairy taie ( 1952). Dans The secret adventures of
Tom Thumb (Dave Borthwick, 1993) une petite figurine animée en pâte à
modeler, représentant Tom. côtoie de sinistres géants joués par des acteurs
réels. (Les humains sont aussi animés par pixilation dans les scènes dont Tom
est absent.)
Figure 2.13
Les images de synthèse ont commencé à révolutionner l’animation. L'ordi­
nateur peut apporter une solution aux aspects répétitifs du travail, par la prise
en charge de la réalisation des nombreuses images légèrement modifiées qui
vont donner l’impression du mouvement. En ce qui concerne la création, des
logiciels peuvent être conçus qui permettent aux réalisateurs de représenter
des choses impossibles à filmer dans le monde réel.
Les premières animations par ordinateur nécessitaient un important tra­
vail manuel sans pour autant produire des représentations tridimensionnelles
satisfaisantes. James Whitney utilisa un ordinateur analogique pour générer
les motifs abstraits précis et complexes de son Lapis (1963-1966), mais la créa­
tion des innombrables points lumineux composant chaque photogramme
nécessitait alors la perforation manuelle des cartes destinées à l’ordinateur
(planche 3).
C’est seulement dans les années 80 que les techniques informatiques
progressèrent suffisamment pour être employées à grande échelle dans la

72
______________ -jimLLumiuiiuLUiu

réalisation de long-métrages. Il fallait posséder des ordinateurs dotés de


mémoires importantes pour manipuler les images photogramme par photo-
gramme. La société de Georges Lucas, Industrial Light & Magic, mit au point
des séries d'ordinateurs puissants destinés au travail de l’animation. Les ima­
ges créées sur ordinateurs sont transférées sur la pellicule en filmant directe­
ment un moniteur haute résolution ou en utilisant un laser pour imprimer les
pixels sur chaque photogramme.
En 1989, le thriller de James Cameron, 4bysse ( The Abyss), familiarisa le
public avec la présence d’images de synthèse dans un long métrage en inven­
tant une créature miroitante, uniquement formée d'eau. Depuis, l’animation
par ordinateur a permis à Forrcsl Gump de rencontrer d'anciens présidents
(fig. 2.6) et a créé les dinosaures de lurassic Park (fig. 1.20). D’abord principa­
lement utilisée dans des courts métrages qui accompagnaient des longs
métrages, elle fournit maintenant les effets spéciaux de ces derniers.
L'animation peut être associée à d'autres types cinématographiques — on
en trouve, par exemple, dans des documentaires. Un film didactique pourra
montrer le fonctionnement interne d'un moteur de voiture, ou un film mili­
taire, se servir de cartes stratégiques animées pour détailler des mouvements
de troupes. De meme, les réalisateurs expérimentaux peuvent employer ces
techniques pour créer des images abstraites ou étranges, comme on l’a vu avec
le Lapis de Whitney (planche 3). L’animation par cellules est parfois combinée
à des vues directes, comme dans Qui a peur de Roger Rabbit ? (Who franted
Roger RabbitRobert Zemeckis. 1987) (planche 20).

Films expérimentaux et films d'avant-garde


Un autre type fondamental de films est délibérément non-conformiste. En
opposition avec le cinéma «dominant» ou «commercial», des réalisateurs
s'engagent dans la création de films qui remettent en question les idées com­
munes sur ce qu’un film peut montrer et la façon dont il peut le montrer. Ils
travaillent hors du système des studios et bien souvent ils travaillent seuls.
Leurs films sont difficiles à classer, mais on les qualifie généralement d'expéri­
mentaux ou d’avant-garde.
Il y a beaucoup de raisons pour réaliser un film expérimental. Le réalisa­
teur peut vouloir exprimer des expériences personnelles ou des points de vues
d’une façon qui semblerait excentrique dans un contexte commercial. Dans
Mass for the Dakota Sioux (1964), Bruce Baillic évoque le désespoir consécutif
à la perte, aux États-Unis, d’une vision optimiste de l’histoire. Damned if you
don t,de Sue Friedrich, l’histoire d'une nonne qui découvre sa sexualité, réflé­
chit sur l’engagement religieux et le moyen de s’en libérer. Le réalisateur peut

73
Pflaiii i - ion pi ftCi.usaiiDHi. îiki

aussi chercher à transmettre un état d'esprit ou une qualité physique. Chorea*


graphy for caméra (Maya Dcren, 1945) invente, à partir du cadrage et du mon­
tage des mouvements d’un danseur, de subtils passages entre différents lieux
et différentes temporalités (figs. 2.14,2.15).
Le réalisateur peut aussi vouloir explorer les possibilités de l'expression
cinématographique. Stan Brakhage. dans Dog star man (1965), crée des allé­
gories cosmiques; Ken labobs, dans Little stabs at hapiness (1959-63), fait des
plaisanteries très personnelles. Fist fight (Robert Brcer. 1964) se compose de
plans qui ne font pas plus d’un ou deux photogrammes (planche 4); à
Figure 2.1*4
l'inverse, lous les plans de Fat (Andy Warhol. 1964) durent le temps d’une
bobine. Un film expérimental peut être improvisé, ou conçu suivant des sché­
mas mathématiques. Pour son film Eiga-zuke, le japonais américain Sean
Morijiro Sunada O’Gara appliqua du vinaigre sur un film négatif puis
imprima manuellement ces marbrures abstraites sur un film positif.
Le réalisateur expérimental peut ne pas raconter d'histoire mais inventer
des rêveries poétiques —Geography of the body (Willard Mass, 1943)
(fig. 2.16) — ou des collages visuels — Ballet mécanique (Fernand Léger et
Dudley Murphy, 1924), sur lequel nous revenons plus loin. Il peut aussi créer
une histoire, une fiction, mais ce sera souvent au prix d'un important travail
Figure 2.15 du spectateur. Film about a wûtnan whû, de Yvonne Rainer, présente son his­
toire en partie à travers des diapositives regardées par un groupe d’hommes et
de femmes. En même temps, sur la bande son, on entend des voix anonymes
qui dialoguent, mais sans pouvoir les attribuer clairement â des personnages
particuliers. Rainer nous oblige ainsi à considérer pour elles-mêmes les choses
vues et entendues dans le film, hors de toute identification à un personnage.
Les combinaisons d’images, de sons et d’intertitres (fig. 2.17) laissent le spec­
tateur libre d’imaginer plusieurs histoires possibles.
N'importe quel type de plan peut servir à un film d’avant-garde. Des ima­
ges qu’un documentante emploierait comme des fragments de réalité pour­
Figure 2.16 ront servir à des projets très differents. Marjorie Keller a utilisé des films de
famille pour réaliser Daughrers of chaos, une évocation de ses souvenirs
d’enfance, tandis que Bruce Conner a employé des extraits de documentaires
touristiques cl de films d’actualité pour donner une image générale de la des­
truction de la civilisation dans A movie (1958). Dans le cadre expérimental,
ces films de recyclage sont souvent appelés des fou nd factage.
Les réalisateurs expérimentaux ont aussi eu recours à la mise en scène
pour exprimer des sentiments particuliers ou des idées. Mother's day, de James
Broughton (1948), présente des images fixes d’adultes jouant comme des
enfants (fig. 2.19). Par la surimpression de différentes scènes se déroulant
Figure 2.17 dans une cuisine, extraites d'un même film de fiction, Ivan Galcta crée dans

74
JULlPliH 2 - imiMll Pli LLLI1

Two tintes in one space des suites de disparitions et de superpositions fantoma­


tiques. L'animation d'avant-garde existe aussi, avec par exemple Fuji (Robert
Breer, 1974) ou Science friction (Stan van der Beck, 1959) (fig. 2.20).
La liberté du film expérimenta! est illustrée de façon éclatante par Scorpio
Rising (Kenneth Anger, 1962-1964). Anger prend pour sujet la culture des
motards des années 60, qu’il montre en train de travailler sur leurs engins, de
s’habiller, de faire la fête ou la course. A côté de ces plans pris dans la rue ou
au cours de soirées, il y a de nombreux moments mis en scène — principa­
lement ceux concernant Scorpio, un personnage à la James Dean. Anger
Figure 2.18
introduit aussi dans son montage des photographies, des cases de bandes des­
sinées, des extraits de vieux films ou des posters nazis. Chaque séquence est,
de plus, accompagnée d’une chanson rock qui ajoute aux images une tonalité
ironique ou menaçante. Par exemple, au moment ou un jeune garçon fait
amoureusement ronfler sa moto, une représentation de la mort surgit au-des­
sus de lui (fig. 2.21), tandis que sur la bande son on peut entendre «Afy boy-
friend’s back... and hes Corningafteryou» («Mon petit ami est de retour. .. et il
te poursuit»). Ces séquences lient la pratique de la moto à un désir de mort,
une idée que l'on retrouve, entre autres, dans les dessins animés. Scorpio
w
Rising crée ainsi des associations rapides mais puissantes suggérant la dimen­
sion d’érotisme homosexuel de cette culture, comparant les rites des motards Figure 2.19
à ceux des fascistes ou des chrétiens et faisant l'hypothèse que tes gens modè­
lent souvent leur comportement sur les images fournies par les médias.
Impossible à définir en une seule formule, le cinéma d’avant-garde se
reconnaît à ses tentatives de libre expression ou d'expérimentation à l'écart du
cinéma commercial. Mais on peut faire tomber les limites. Des techniques
associées à l'avant-garde ont été utilisées dans les vidéos musicales; Conner,
Anger, Derek Jarman et d’autres réalisateurs expérimentaux ont été parmi les
premiers à travailler à ce type de film, l^s longs métrages commerciaux tirent
continuellement idées et procédés du film d’avant-garde. Dans l’histoire du
cinéma, les types fondamentaux se sont toujours ainsi mutuellement infor­ Figure 2.20
més.

Les genres
Les réalisateurs et les spectateurs classent aussi les films par genres. Un genre
est plus facile à reconnaître qu'à définir. Le western, le film noir, la comédie
musicale, le film d’action, le film d'horreur, la comédie ou le film sentimental
sont tous des genres; le cinéma populaire, dans la plupart des pays, est celui
des films de genre. L’Allemagne à ses Heirnatfilms, où l’on raconte la vie dans
les petites villes de province. En Inde, le cinéma hindi produit des films - de Figure 2.21

75
miu.J- imn* fiûui£iian..iy-P€î pj ;ilib$

dévotion», qui ont pour sujet les vies des saints et des grandes figures religieu­
ses, et des films «mythologiques», adaptés de légendes et de classiques de la
littérature. Les réalisateurs mexicains inventèrent la cabaretem. un type de
mélodrame ayant pour personnages principaux des prostituées.
Les réalisations les plus populaires étant des fictions, ce sont les genres fic-
tionnels qui viennent d’ahord à l'esprit. Mais il y a aussi des genres documen­
taires, k film de propagande ou le film didactique par exemple. De même
pour le film expérimental, où le found-footage est un genre très répandu. Et
dans beaucoup de cas les catégories génériques recoupent les types
fondamentaux : le film d’animation intitulé La Relie ci la Bâte est aussi une
comédie musicale et le de&sin animé japonais Akira, un film de science-fic­
tion.

Définir un genre. Les spectateurs comme les réalisateurs connaissent très bien
les genres qui font partie de leur culture. Le problème devient plus intéressant
lorsqu’il s'agit simplement de définir ce qu’est un genre. Qu’cst-cc qui fait
d’un ensemble de film un genre ?
plupart des spécialistes s’accordent pour dire qu’aucun genre ne peut
être défini de façon concise et définitive. Certains existent par leurs sujets ou
leurs thèmes : un film de gangsters est consacré au crime organisé dans les
grandes villes: un film de science-fiction montre des inventions technologi­
ques dépassant la science contemporaine: un western a souvent pour sujet la
vie sur une frontière, et pas nécessairement celle de l'Ouest, comme le suggè­
rent Le grand Sam (North to Alaska. Henri Hathaway, 1960) ou Sur la piste des
Mohawks (Drumsalong theMohawk. John Ford, 1939).
Mais un sujet ou un thème ne suffisent pas à définir tous les genres. On
reconnaît les comédies musicales à leur façon de présenter une situation : par
des chansons, des danses ou les deux à la fois. Le film policier est en partie
défini par un schéma narratif : une enquête va permettre de résoudre un mys­
tère. Certains genres se caractérisent par les émotions qu’ils entendent
provoquer : l’amusement dans fa comédie, la tension dans le thriller. 11 n’y a
en apparence aucun critère absolument logique pour circonscrire la variété
des facteurs déterminant les genres que nous connaissons.
À l'intérieur d’un genre, les choses sont aussi peu précises : mieux vaut y
penser comme à une catégorie approximative, intuitivement partagée par
spectateurs et réalisateurs, constituée de cas incontestables et d'exemples
moins clairs. Chantons sous la pluie est un grand exemple de comédie
musicale, mais True stories {David Byrne, 1986), avec sa façon ironique de
présenter les numéros musicaux, est déjà un cas limite. L’appréciation qu'a le
public des canons d’un genre est, de plus, très variable. Un film aussi sanglant
que Le silence des agneaux illustre sans doute assez bien ce qu’est un thriller
(wnu 2 - irnuÀii KLiiiiai

pour les spectateurs actuels; on peut imaginer que le public des années 5Û
aurait choisi un Hitchcock, par exemple le très civil La mort aux trousses
{North by Northwest. 1959).
Malgré l’instabilité des catégories génériques, identifier des groupes de
films cohérents au sein d'un genre — des sous-getircs — ne nous pose généra­
lement aucun problème. Il y a, par exemple, le backstage musical, la «comédie
musicale de coulisse», qui met en scène des professionnels préparant un spec­
tacle — Comme dans Lame (Alan Parker, 1980) ou 42^ rue I42nd Street,
Lloyd Bacon, 1933). Ce sous-genre est différent du folk musical, où des per­
sonnages ordinaires chantent et dansent à leur façon tout au long du récit,
comme dans Le chant du Missouri (Meet me in St Louis, Vinccntc Minnelli,
1944) ou //air (Milos Forman, 1979). Parmi les sous-genres de la comédie, on
trouve la comédie sentimentale, le film burlesque ou la parodie.
Le mélange des genres est courant dans les films populaires. 11 y a des wes­
terns musicaux (les films de Roy Rogers, avec leurs cowboys chanteurs), des
mélodrames musicaux — Yentl (Barbara Streisand, 1983) ou Une étoile est
née — et des films d'horreur musicaux, par exemple The Rocky horror picture
s/iow(Jim Shasman, 1975) Alien (Ridley Scott, 1979) est une combinaison de
film d'horreur, de film de science-fiction et de thriller; Aliens (lames Came-
ron, 1986) mêle horreur, science-ficiion et film de guerre. Blade Runner
(Ridley Scott, 1982) mixe science-fiction et enquête policière, cl Billy the Kid
Vs. Dracula (William Beaudine, 1966) associe le western et le film d'horreur,
deux genres plutôt incompatibles. Quant à la comédie, elle semble pouvoir se
combiner avec n'importe quoi.
Que les genres puissent se mélanger n'implique pas, cependant, qu’il n’y
ait aucune différence entre eux. Plutôt qu’une définition abstraite, la
meilleure façon d’identifier un genre est de savoir comment les publics et les
réalisateurs, à différents moments et dans différents lieux, ont spontanément
différencié des catégories de films.

Analyser un genre. l>es genres sont fondés sur un accord tacite entre publics
et réalisateurs. Ce qui donnent aux films d’un certain type une identité com­
mune sont des conventions de genre, partagées, qui reviennent de film en film.
Certains éléments d’une intrigue peuvent être conventionnels. Nous atten­
dons une enquête dans un film policier, une raison de se venger dans un wes­
tern, l’occasion d’une chanson ou d'une danse dans une comédie musicale. Le
film de gangsters montre en général l'ascension et la chute d’un caïd, son
combat contre la police ou contre des bandes rivales. Nous attendons d’un
film biographique qu'il décrive toute la vie de son personnage principal.
L'indicateur louche, le copain rigolo, le chef impatient qui désespère de

77
’UIILL- UHi H IIUIIIIIOII. IOU H fllIS

trouver une équipe pour continuer l’enquête sont tous des personnages de
convention du thriller policier.
D'autres conventions de genre, plus thématiques, mettent en jeu des signi­
fications générales constamment répétées. Les films d’arts martiaux de Hong-
Kong font l’apologie de la loyauté et de l’obéissance à un maître personnel. Un
thème typique des films de gangsters est le prix à payer pour la réussite crimi­
nelle, l'ascension du gangster vers le pouvoir étant décrite comme un endur­
cissement égotistc et brutal. La screwball comedy met en œuvre une
opposition thématique entre un milieu social guindé, rigide, et le désir de
liberté ou d'insouciance des personnages.
I-igure 2.22 D’autres, encore, se reconnaissent à des techniques particulières. Un éclai­
rage faible, l'obscurité sont courants dans le film d’horreur et le thriller,
comme on le voit en 2.22 — Vaudou (I walked with a zombie, Jacques Tour­
neur, 1943). Le film d’action repose souvent sur un montage rapide et une
dilatation de la durée des scènes de violence. Dans le mélodrame, un retour­
nement émouvant peut être souligné par la brusque intervention d’une musi­
que pathétique.
Moyen d’expression visuel, le cinéma invente aussi ses genres à travers des
iconographies conventionnelles. L’iconographie d'un genre consiste en des
images symboliques récurrentes, qui ont la même signification d’un film à
l'autre.
Les accessoires et les décors fournissent souvent l'iconographie d'un genre.
Un cheval au galop dans un John Ford des années 20 suffira sans doute à iden­
tifier un western, tandis qu'un plan sur une longue épée recourbée sortant
d’un kimono nous emmènera dans le monde des samouraïs. Le film de guerre
se déroule dans des paysages marqués par les combats, le backstage musical,
dans des salles de spectacles et des boîtes de nuit, les films de voyages intersi­
déraux, dans des vaisseaux spatiaux et sur des planètes lointaines. Même les
stars peuvent devenir des éléments iconographiques : ainsi Judy Garland pour
la comédie musicale, John Wayne pour le western, Arnold Schwarzenegger
pour le film d’action, Bill Murray pour la comédie.
Par sa connaissance des conventions, le spectateur entre plus facilement
dans le film. Les conventions sont comme des repères qui permettent au film
de genre de communiquer des informations rapidement et avec une certaine
économie de moyens. En voyant le shérif affaibli, nous savons déjà qu’il
n'affrontera pas les bandits armés et nous pouvons alors nous concentrer sur
le héros, un cowboy qui prend de plus en plus de risques pour aider les habi­
tants de la ville à se défendre.
À l'inverse, un film peut modifier ou rejeter les conventions associées à son
genre. Bngsy Maione (Alan Parker, 1976) est un film de gangsters musical où

78
2 - imUKU KMllfflJ

des enfants jouent tous les rôles habituellement confiés à des adultes. 200} :
{‘Odyssée de l'espace {2001 : a space Odissey, Stanley Kubrick, 1968) viole plu
sieurs conventions de la science-fiction, en débutant par une très longue
séquence située dans des temps préhistoriques, en synchronisant musique
classique et évolutions de vaisseaux spatiaux et en s’achevant par l'énigmati­
que symbole d’un fœtus dérivant dans l’espace.
Us spectateurs attendent d'un film de genre qu’il leur soit familier mais en
demandent aussi de nouvelles variations. Le réalisateur peut concevoir un
film légèrement ou radicalement différent, il restera fondé sur une tradition.
Le jeu réciproque de la convention et de l'innovation, du familier et du nou­
veau, est la principale caractéristique d'un film de genre.

Histoire et fonction sociale des genres. La plupart des genres cinématogra­


phiques sont nés en empruntant à d’autres moyens d'expression : le mélo­
drame trouve ses origines dans les pièces de théâtre ou dans des romans
comme La case de fonde Tonv, les différents types de comédies peuvent être
rattachés à la farce théâtrale ou aux romans comiques.
Après son invention, le genre semble se développer sans répondre à aucun
modèle fixe. On pourrait s’attendre à ce que les premiers films d'un genre
soient les plus «purs», les mélanges n'intervenant que plus tard. Mais ces
mélanges peuvent avoir lieu très rapidement. Whoopee! (Thornton Preeland,
1930), une comédie musicale du début du parlant, est aussi un western.
L'amour en l’an 2000 (Just imagine, David Butler, 1930), un des premiers films
de science-fiction sonore, contient une chanson comique. Des historiens ont
aussi voulu prouver qu'un genre passe toujours d’une période de maturité à
une période où il se parodie, commence à se moquer de ses propres conven­
tions. Mais un film qui fait partie des premiers westerns, Thegreat Kde A train
robbery (1926), est déjà comme une énorme parodie du genre, et les premiers
films burlesques prenaient souvent pour sujet le monde du cinéma, pour de
francs exercices d'autodérision — voir par exemple l'absurde Chariot débute
(His newjob, Charles Chaplin, 1915). Mirages (Showpeopie, King Vidor, 1928)
en fait même son sujet entier.
Des sous-genres se manifestent tout au long de l’histoire d'un genre. Des
réalisateurs innovent, en traitant les conventions d'une façon particulière ou
en en forgeant de nouvelles qui sont reprises par d’autres réalisateurs. Dans le
même temps, des cycles apparaissent.
Un cycle est un ensemble de films de genre qui connaît une grande popu­
larité et a une influence importante sur une période précise. Des cycles se
constituent lorsqu'un film à succès donne lieu à une série d'imitations. Le par­
rain provoqua un bref retour du film de gangsters. Dans les années 70 il y eut
un cycle de «films catastrophe» — Tremblement de terre (Earthquake, Mark

79
, irnuuMwawull i y h ! » &uu

Robson, 1974); L'aventure du Poséidon (The Poséidon adventure, 1972). Plus


récemment, il y a eu des cycles de comédies menant en scène des adolescents
toxicomanes —Wayne’s world (Penelope Sphecris, 1992) ou Bill and Ted
excellent adventure (Stephen Hcrek, 1989)—, des camaraderies policières
— L'arme fatale (Léthal weapon, Richard Donner. 1987) et ses avatars —, des
films adaptés de bandes dessinées —Batman (Tim Burlon, 1989); fudge
Dredd (Danny Cannon, 1995) —des thrillers romantiques visant un public
féminin — Dead again (Kenneth Rranagh. 1991), JF partagerait appartement
(Single white femaie, Barbet Schroeder, 1991) —et des drames décrivant le
passage à l’àgc adulte dans des quartiers afro-américains — Boyz N the hood
(John Singlcton. 1991); Menace H society (Albert et Allen Hugues. 1993).
Les genres connaissent aussi des hausses et des chutes de popularité. La
comédie musicale hollywoodienne, qui eut â une époque les succès les plus
réguliers, est maintenant boudée par les films dits «en vues directes- mais
semble refleurir dans des films d'animation, comme U roi lion ou Pocahontas.
Peu d'observateurs auraient prédit un retour de la science-fiction dans les
années 70, mais La guerre des étoiles (Star wars, George Lucas, 1977) fut à
l'origine d'un cycle durable. Un genre ne s’éteint probablement jamais : il
peut passer de mode momentanément, pour mieux revenir sous des habits
neufs.
La popularité variable des genres nous rappelle qu’ils sont étroitement liés
à des facteurs culturels. Pourquoi les spectateurs aiment-ils assister, encore et
encore, au spectacle des mêmes conventions? De nombreux spécialistes du
cinéma pensent que les genres sont des drames réglés comme des rites (au
sens anthropologique du terme), comparables aux célébrations des jours
fériés — des cérémonies qui nous satisfont parce qu elles perpétuent des
valeurs culturelles avec un minimum de variations. Tout comme l'on peut
considérer que ces cérémonies permettent A leurs participants d'oublier les
aspects les plus désagréables de leur vie, les intrigues et les personnages fami­
liers des genres peuvent servir à distraire le public des vrais problèmes de la
société.
Certains spécialistes diraient que les genres vont plus loin cl exploitent
vraiment des comportements et des valeurs sociales ambivalentes. Le film de
gangsters, par exemple, donne au spectateur la possibilité de jouir de la liberté
provocante du truand et d’être satisfait au moment de son châtiment. Les
conventions feraient donc réagir le spectateur en touchant à de profondes
incertitudes sociales tout en réorientant les émotions ainsi provoquées vers
des comportements autorisés.
Le contrat passé entre le réalisateur et le public, promesse de faire du nou­
veau avec du familier, fait que les genres peuvent réagir rapidement aux gran-

80
(WIIJUL- LH0U4II W IIX«<

des préoccupations sociales. Pendant la dépression économique des années


30, les numéros des comédies musicales de la Warner se trouvèrent ainsi
émaillés de commentaires à caractère social; dans Chercheuses d'or (Gold Dig-
gers of 1933, Mervin Leroy) un chanteur demande au public de l'époque de se
souvenir de « tny forgotten man», l’ancien combattant au chômage. Récem­
ment, les producteurs hollywoodiens ont essayé d'adapter les comédies senti­
mentales et les drames aux nouveaux goûts de la «Génération X». Au
chapitre 11 nous verrons comment une autre comédie musicale. Le chant du
Missouri, reflète les inquiétudes des américains restés à l’arrière pendant la
Seconde Guerre mondiale.

Il est courant de dire qu’à différents moments de l’histoire, les récits, les
thèmes, les valeurs ou l’imagerie d'un genre sont en accord avec les préoccu­
pations du public. Izs films de science-fiction des années 50, par exemple, où
des bombes atomiques génèrent des monstres comme Godzilla, révéleraient
la crainte d’une catastrophe technologique. C'est faire l’hypothèse que les
conventions de genres, répétées de film en film, sont les symptômes des dou­
tes et des angoisses profondes des spectateurs. Beaucoup de spécialistes du
cinéma montreraient que cette approche permet d’expliquer en partie les
changements de popularité des genres.

Les innovations d'un genre peuvent être le reflet d'évolutions sociales.


Riplcy, l’héroïne de Aiiens, est une guerrière courageuse, agressive, qui a aussi
un côté maternel, ce qui représentait au moment de la sortie du film une cer­
taine nouveauté pour la science-fiction. De nombreux commentateurs virent
en Ripley une somme de comportements inspirés par les mouvements fémi­
nistes des années 70. Ceux-ci affirmaient qu'il était possible pour une femme
d’être active et compétente sans rien perdre des qualités généralement asso­
ciées à la féminité, comme la douceur et la compassion. Avec la banalisation
de ces idées dans les médias et l'opinion publique, des films comme Aiiens
pouvaient attribuer des rôles traditionnellement «masculins» à des femmes.

Des critiques répondraient qu'une telle lecture d'un film de genre est sim­
plificatrice et se trouve souvent nuancée par une analyse précise, qui en révèle
toutes les complexités. En n'observant plus seulement Riplcy, l'héroïne de
Aiiens, mais l'ensemble des personnages, nous découvrons qu'ils illustrent
tous différents aspects du «masculin - et du «féminin» et que les survivants de
l’aventure semblent concilier le meilleur de chaque sexe. De plus.ee qui appa­
raît parfois comme une réflexion sociale n’est que le résultat des efforts faits
par l’industrie cinématographique pour tirer partie des préoccupations du
moment. Un film de genre ne reflète pas, alors, les espoirs et les peurs du
public, mais les suppositions du réalisateur sur ce qui peut le faire vendre.

81
.mni ’ - imi h iulihiioiil imi pi iiifm

Que nous étudiions l’histoire d'un genre, ses fondions culturelles ou sa


façon de refléter I état de la société, les conventions restent notre meilleur
point de départ. Nous allons observer brièvement deux genres importants du
cinéma de fiction américain pour illustrer ces propositions.

Le western
Le western est apparu très tôt dans l’histoire du cinéma, il était un genre à part
entière dès les années 10. Il s’inspire d'une réalité historique : il y a bien eu,
dans l'Ouest américain, des cowboys, des hors-la-loi, des colons et des tribus
Figure 2.23 d’indiens. Les films s’inspirent aussi, pour leur représentation de la «fron­
tière», de chansons, de récits populaires et des spectacles «Wild West». Les
premiers acteurs de western incarnaient parfois cette alliance de mythe et de
réalité : la star cowboy Totn Mix avait été Texas Ranger, acteur de «Wild West»
et champion de rodéo.
Le thème central du genre est rapidement devenu le conflit entre l’ordre
civilisé et l'absence de loi à la frontière. De l’Est et de la ville arrivent des
colons qui veulent fonder leurs familles, des professeurs qui veulent
développer l’apprentissage de la lecture, des banquiers et des représentants du
gouvernement. Dans les vastes espaces naturels vivent ceux qui sont hors de la
«civilisation» — pas seulement les Indiens, mais aussi les hors-la-loi, les trap­
peurs, les marchands et les grands propriétaires de bétail avides d'argent.
L'iconographie vient renforcer cette dualité fondamentale. Les chariots
bâchés ei le chemin de fer sont opposés au cheval et au canoè; l’école et
l’église contrastent avec le campement isolé sur une colline. Comme dans la
plupart des genres, le costume est aussi un élément important de l'iconogra­
phie. Ixs vêtements amidonnés des colons et leurs habits du dimanche
s’opposent aux costumes tribaux des indiens, aux jeans et au Stetsons des
cowboys.
Le héros typique du western se tient entre ces deux pôles thématiques.
Chez lui dans la nature sauvage mais naturellement enclin à la justice et à la
bonté, le cowboy est souvent suspendu entre sauvagerie et civilisation.
William S. Hart, une des stars les plus populaires du western des origines, ins­
titua cette figure du - bon méchant » en héros normal du genre. Dans Le justi­
cier (Helïs Hinges, William S. Hart, 1916), une religieuse essaie de le changer,
et l'hésitation entre les deux modes de vie est symbolisée en un plan : Hart lit
la Bible, une bouteille de whisky à portée de main (fig. 2.23).
L'indécision du héros a souvent beaucoup d'importance dans les grands
récits du western. Il peut commencer par être du côté des hors-la-loi ou sim­
plement se tenir à distance des querelles. Dans tous les cas, la vie offerte par

82
■UliUiaU,,.- iwoLOiiujldiai

les nouveaux habitants de la frontière finira par l’attirer, malgré ses réticences.
Le héros peut alors décider de se joindre aux forces de l’ordre pour les aider à
combattre les tueurs, les bandits ou tout ce qui est présenté dans le film
comme une menace pour la stabilité et le progrès.
En se développant, le genre s’est conformé à l’idéologie sociale implicite­
ment contenue dans ses conventions. La progression de la population blanche
vers l’ouest était considérée comme une mission historique, là où les cultures
des indigènes colonisés étaient dites sauvages et primitives. Les westerns sont
remplis de clichés racistes sur les Indiens et les Hispano-américains. Dans cer­
tains films, les réalisateurs firent toutefois des personnages indiens des figures
Figure 2.24
tragiques, ennoblies par leur proximité avec la nature mais devant faire face à
la disparition de leur culture. Le premier exemple intéressant en est sans
doute Le dernier des Mohicans (The last of the Mohicans, Clarence Brown,
1920).
Le genre n’était pas totalement optimiste sur la possibilité de domestiquer
cette sauvagerie. L’éventuel engagement du héros pour des valeurs « civilisées-
était souvent mêlé de nostalgie pour sa liberté perdue. Dans Slraighl shooting
(John Ford, 1917),Chcycnne Harry (joué par Harry Carey) est engage par un
abominable propriétaire terrien pour expulser un fermier, mais il tombe
amoureux de la fille de celui-ci et jure de s'amender. Rejoignant les fermiers,
Harry les aide à vaincre le propriétaire. tMais il n'est pas encore prêt à s'instal­
ler avec Molly. Un plan nous le montre dans l’encadrement d’une porte de la
ferme, pris entre les attraits de la civilisation et l’appel des grands espaces
(fig. 2.24).
On avait ainsi constitué un ensemble de valeurs au sein duquel furent
fixées les règles d’un grand nombre de scènes conventionnelles — l’attaque
des forts ou des chariots par les Indiens, la cour timide faite à une femme par
le héros maladroit, la découverte par ce dernier de la cabane incendiée d'un
colon, le vol d’une banque ou d’une diligence par le hors-la-loi, le duel final
dans les rues poussiéreuses de la ville, l^s scénaristes et les réalisateurs pou­
vaient différencier leurs films par un traitement renouvelé de ces éléments.
Dans les flamboyants westerns italiens de Scrgio Leone, chaque convention
est longuement et minutieusement détaillée ou amplifiée jusqu a atteindre des
proportions gigantesques — il faut voir, par exemple, la fusillade finale de Le
bon, la brute et le truand (Il buono, il brutto, il cattivo, 1966), filmée comme
une corrida (planche 5).
Il y eut aussi des innovations narratives et thématiques. Après les westerns
«libéraux» des années 50 comme La flèche brisée (Broken arrow, Delmer
Daves, 1950), les cultures amérindiennes commencèrent à être traitées plus
respectueusement. Dans Little Big Man (Arthur Penn, 1970) et Soldat bleu

83
FUJI l I - imi M HUHHSI10ll!,jmi H fl Lias

(Soldier bine, Ralph Nelson, 1970), les valeurs thématiques conventionnelles


sont inversées : c’est le mode de vie des Indiens qui est civilisé et la société
blanche qui est voleuse. Certains films insistèrent sur le côté «barbare* d’un
héros qui perd dangereusement le contrôle de lui-même — Winchester 73,
(Anthony Mann, 1950) —ou révèle sa névrose— Le gaucher (The left-handed
gun, Arthur Pcnn. 1958). Les héros de La horde sauvage ( The wild Lunch. Sam
Peckinpah, 1969) auraient été considérés comme de purs bandits dans les pre­
miers westerns.
La nouvelle complexité du héros est manifeste dans La Prisonnière du
Figure 2.25 désert (The searchers, lohn Ford, 1956). Après une attaque des Comanches
contre la ferme de son frère, Ethan Edwards part à la recherche de sa nièce
Debbie. 11 est d’abord motivé par le devoir familial, mais aussi par l'amour
secret qu’il éprouvait pour la femme de son frère, violée ei tuée par les
Indiens. Le compagnon de Ethan, un jeune homme qui a du sang Cherokee,
comprend que son projet n’est pas de délivrer Debbie mais de la tuer parce
qu’elle est devenue une femme Comanche. Le violent racisme de Ethan et sa
soif de vengeance culminent dans une attaque contre le village indien. À la fin
du film, Ethan semble revenir à la civilisation mais s’arrête un instant au seuil
de la maison (fig. 2.25) avant de retourner dans le désert.
Ce plan rappelle, sur un mode sinistre, Straight Shooting (fig. 2.24); Ford a
même demandé à John Wayne de reprendre la façon caractéristique dont
Harry Carey se tenait l'avant-bras (fig. 2.26). Mais il semble que le cowboy à la
Figure 2.26
dérive, incapable de maîtriser son chagrin et sa haine, soit maintenant obligé
de vivre hors de la civilisation. Plus sauvage que citoyen, il semble condamné,
comme il le dit des âmes des Comanches morts, «à errer pour toujours entre
les vents» (fig. 2.25). Ce traitement amer d’un thème éternel illustre bien
comment les conventions d'un genre peuvent changer radicalement à travers
l’histoire.

Le film d'horreur
Si le western se définit clairement par un sujet, un thème ou une icono­
graphie, le film d’horreur se reconnaît surtout aux émotions qu'il entend pro­
voquer chez les spectateurs : choc, dégoût, répulsion —il faut horrifier le
public, l'effrayer. Cette nécessité informe les autres conventions du genre.
Qu'cst-ce qui est susceptible de nous effrayer ? Typiquement, un monstre.
Dans le film d'horreur, le monstre est une redoutable erreur de la nature, une
violation des règles du possible. Il peut être anormalement grand, comme
King Kong, ignorer les limites entre la vie et la mort, comme les vampires et

84
(OP.I.lfil 2 - lyPO.LDHl mjHll

les zombies, ou participer d’une biologie inconnue, comme la créature des


différents Aiïen. L'effet émotionnel visé par le genre, la peur, est donc d’abord
créé par un personnage conventionnel : le monstre.
Cette convention en génère d’autres. Notre appréhension du monstre peut
être déterminée par les réactions des autres personnages, évidemment
effrayés. Dans La féline (Cal people. Jacques Tourneur, 1942) une femme mys­
térieuse semble pouvoir se transformer en panthère; notre dégoût et notre
peur sont renforcés par les réactions de son mari et de la collègue de celui-ci
(fig. 2.27). Nous savons au contraire que E.T. (Steven Spielberg, 1982) n'est
pas un film d’horreur parce que l’extraterrestre, malgré son anormalité, n'est
pas effrayant et ne provoque pas la peur de l’enfant. Figure 2.27

Le récit horrifique débutera généralement par le surgissement brutal du


monstre dans la vie quotidienne. Découvrant qu’il est en liberté, les autres
personnages vont alors chercher à te détruire. Ce schéma peut donner lieu à
différents développements — le monstre lance une série d'attaques, les auto­
rités ne veulent pas croire à son existence, toutes les tentatives des personna­
ges pour le tuer échouent. Dans L'exorciste (The exorcist, William Friedkin,
1973), les personnages ne découvrent que progressivement le fait que Regan
est possédée et même après l'avoir compris, ils doivent encore lutter pour
extirper le démon de la jeune fille.
Les thèmes caractéristiques du genre découlent aussi des réactions qu’il
provoque. Si le monstre nous effraie parce qu'il fait violence à ce que nous
savons des lois de la nature, le genre est bien fait pour évoquer les limites de la
connaissance humaine. Il est sans doute significatif que les autorités incrédu­
les qu’il faut convaincre de l’existence du monstre sont souvent des scienti­
fiques.

Histoire Comme le western, le film d'horreur est apparu à l'époque du muet.


Quelques-unes unes des œuvres les plus importantes du genre sont alleman­
des — notamment Le cabinet du docteur Caligari (Das Kabinett des Dr Cali-
gari, Robert Wienc, 1920) et Nosferatu (Friedrich W. Murnau, 1922),
première adaptation du roman Dracula. Les interprétations heurtées et les
décors distordus de l’expressionnisme allemand créent une atmosphère
inquiétante et surnaturelle. Dans Nosferatu, le maquillage et le jeu de Max
Schrcck le font ressembler à un rat ou à une chauve-souris (fig. 2.28). Figure 2.28
Un maquillage ou d'autres effets spéciaux peu élaborés suffisent parfois à
provoquer une émotion forte, raison pour laquelle le genre a longtemps été
privilégié par les réalisateurs de films à petit budget. Dans les années 30. un
studio hollywoodien de second ordre, Universal, lança un cycle de film d’hor­
reurs. Dracula (Tod Browning, 1931). Frankenstein (James Whale, 1931 ) et La

85
miiLi , imi HjniHUiHL I9ÈÜ2LÜ1’1

Figure 2.29

momie (The munimy, Karl Freund, 1932) (fig. 2.29) connurent un énorme
succès et aidèrent le studio à devenir une major. Dix ans plus tard, à la RKO,
l'unité de production de séries B dirigée par Val Lewton réalisa un cycle de
films sombres, d’inspirations littéraires, à partir de budgets minuscules. Les
réalisateurs de Lewton opéraient par suggestions, laissant le monstre hors-
champ, noyant les décors dans le noir. Dans La féline par exemple, on n’assiste
jamais à la transformation de l'héroïne en panthère et l’on entraper<oit seule­
ment l'animal dans certaines scènes. Le film atteint scs effets avec des ombres,
des sons hors-champ cl les réactions des personnages (fig. 2.27),
Des décennies plus tard, d'autres réalisateurs à petits budgets furent attirés
par le genre. Le film d'horreur devint la base économique des productions
indépendantes des années 60, avec pour cible principale, les adolescents. La
nuit des morts vivants (Night of the living deads, George Romero, 1968), avec
un budget de seulement 114 000 $ (moins de 700 000 francs), eut un énorme
succès sur les campus qui contribua à revitaliser le genre. Aujourd’hui, celui-
ci est très répandu dans les petits films économiques amateurs en vidéo.
Dans les années 70, le genre accéda à une nouvelle respectabilité, essentiel­
lement à cause du prestige de films comme Rosemary’s baby (Roman Polanski,
1968) ou L'exorciste. Ces œuvres innovaient en montrant avec une franchise
sans précédent des scènes violentes et répugnantes : au moment où Regan, la
possédée, vomit sur le visage du prêtre qui se penchait au-dessus d’elle, une
nouvelle imagerie du film d'horreur était née.
Les films à gros budget entrèrent dans une période de popularité qui n'est
toujours pas terminée. Les grands réalisateurs hollywoodiens furent nom­
breux à travailler pour le genre, et plusieurs films d’horreur — des Denis de ta
mer (Jrtws, Stcvcn Spielberg, 1975) et Carrie (Brian De Palnia, 1976) à furassic
Park et Entretien avec un vampire (Interview wilh the vampire, Neil Jordan,

86
(WIJAL1 - IVPDLOai DU fILIJ

1994) — sont devenus de gros succès. L’iconographie du genre a gagné toute


la culture contemporaine, apparaissant sur les boites de surgelés comme dans
les parcs à thème. Les classiques de l’horreur ont donné lieu à des remakes
— La féline (Cat people, Paul Schrader, 1982); Dracula (Brani Stoker's Dracula,
Francis Ford Coppola, 1992) — et les conventions ont été parodiées — Fran
kenstein junior ( Young Frankenstein, Mel Rrooks, 1974); Beetlejuice.
Si la popularité du western a chuté au cours des années 70, le film d'hor­
reur continue, lui, d’attirer le public depuis 20 ans. Cette longévité intrigue les
spécialistes, qui lui cherchent des explications d’ordre culturel. Beaucoup de
critiques pensent qu’un sous-genre comme le -famiiy horror», le film d’hor­
reur - domestique-, par exemple L'exorciste ou Poltergeist (Tobe Hooper,
1982) reflète les préoccupations sociales des américains sur la crise de la
famille. D’autres pensent que la façon dont le genre interroge la normalité et
nos catégories traditionnelles est en phase avec l’époque, celle de l’aprês
Vietnam : le spectateur n’est plus certain de son savoir sur le monde et de la
place à y tenir. Mais quelles qu’en soient les raisons, les réalisateurs travaillant
au film d’horreur ont perpétué cette dynamique de convention et d'innova­
tion qui est la base de tous les genres cinématographiques.
Pour étudier le cinéma, il nous faut souvent expliciter des choses que nous
croyons acquises et naturelles, des présupposés si fondamentaux que nous ne
les remarquons même plus. Ainsi des genres, comme des principaux types de
film — la fiction et le documentaire, l'animation et le tournage en vues direc­
tes, le commercial et l'expérimental sont des catégories que nous acceptons
sans discuter. Toujours présentes à l’esprit lorsque nous regardons un film,
elles nous préparent à ce que nous allons voir et entendre. Elles guident nos
réactions. Elles nous conduisent à donner certaines significations au film. Par­
tagées par les réalisateurs et les spectateurs, elles déterminent l'art cinéma­
tographique tel que nous le connaissons comme un autre ensemble de
présupposés que nous allons étudier en seconde partie : ceux qui concernent
la forme du film.

Notes et Points d'interrogation

À propos de Roger and me


Au moment de sa sortie en 1989, Roger and me fut salué aux États-Unis
comme l'un des meilleurs films de l'année, attirant un large public dans son
pays et ailleurs. Il semblait même être en course pour un - Acadcmy Awards»
avant qu'une série d’articles ne signalent la divergence entre la chronologie
réelle des événements et celle présentée par le film. Les principales révélations

87
HWtf » uiiuiiinuim » fllll

apparurent dans un entretien de Harlan Jacobson avec le réalisateur Michael


Moore (« Michael and me», Film Comment n°25, 6, novembre-décembre
1989, pp. 16-30). Cette conversation, souvent passionnée, développe différen­
tes conceptions de la vérité documentaire.
l orsque Jacobson le provoqua sur l’ordre des événements, Moore recon­
nut que «la chronologie fait quelques sauts. C'est pourquoi je n’ai pas indiqué
de dates dans le film» (p. 23). Il prétendit avoir voulu faire le portrait des
années 80. et dit que la chronologie du film n était pas supposée être exacte.
Le film était plus divertissant une fois l’ordre des événements bouleversé et
pouvait alors montrer un résumé de la décennie dans une durée de projection
raisonnable.
Cette polémique est examinée par Carley Cohan et Gary Crowdus dans
«Reficelions on Roger and me, Michael Moore and his critics», Cinéaste n° 17,
4, 1990, pp. 25-30. Cari Planlinga considère Roger and me comme un exemple
de documentaire «expressif», une tendance représentée aussi par l’ccuvre de
Errol Morris («The mirror framed : a case for expression in documentary»,
Wide Angle n° 13,2, avril 1991, pp. 40-53).

Genres et société
L’idée selon laquelle la fonction sociale des genres s'apparenterait à celle
d’autres «rituels» comme les célébrations des jours fériés procède, dans une
certaine mesure, des théories anthropologiques de Claude Lévi-Strauss. On
en trouvera des illustrations dans le livre de Thomas Schitz ou dans celui de
Rick Altman sur la comédie musicale.
Selon une autre conception, ce sont certains groupes craints et repoussés
par une grande partie de la société — en particulier les femmes et les minori­
tés raciales— qui représenteraient la préoccupation centrale des films de
genre, les récits et l'iconographie de genre dresseraient un portrait menaçant
de ces groupes qui s’opposeraient à la vie «normale»,et l'action du film con­
sisterait à les maîtriser pour les conserver en minorité. Pour une critique de
cette théorie, on pourra se reporter au livre de Noël Carroll sur le film d'hor­
reur.

88
di uxiimi pflNii
LA FORME
DU FILM

Signification de la forme filmique


Le narratif comme sytème formel
Les systèmes non-narratifs
Nous avons brièvement évoqué dans le chapitre 1 différentes façons dont
des personnes peuvent, à l’aide de machines, réaliser des films. Il s'agissait
dans le chapitre 2 d'examiner des productions caractéristiques de cette acti­
vité— grands types de films ou genres cinématographiques.

Nous pouvons à présent être un peu plus abstrait et poser d'autres ques­
tions. Quels sont les principes de composition d’un film ? Comment les dif­
férentes parties entrent-elles en relation pour former un tout ? Répondre à
ces questions nous aidera à comprendre pourquoi nous réagissons à un film
et ce qui fait du cinéma un moyen d'expression artistique.

Ces questions d’esthétique vont être abordées dans les trois chapitres qui
suivent. Nous supposons qu’un film n'est pas une collection aléatoire d'élé­
ments. Si c’était le cas, les spectateurs ne w soucieraient pas d’en manquer le
début ou la fin, ni d’en voir les séquences dans le désordre. Mais ils y font
attention. Lorsque vous dites d'un livre qu'il est «difficile à abandonner» ou
d’un morceau de musique, qu'il vous «absorbe», cela implique qu’ils aient
une structure, qu'une logique interne régisse les relations entre les parties et
engage votre attention. Ce système de relations entre les parties, nous
l’appellerons la forme. Le chapitre 3 examine la notion de forme filmique
afin de comprendre son importance pour une appréhension du cinéma
comme art.

Une caractéristique formelle qui entraîne généralement notre intérêt, lors


de la vision d'un film, est son «histoire». Les chapitres 4 et 5 examinent les
différents types de forme que l’on peut rencontrer dans les films — formes
narratives et non-narratives. Nous verrons que tous les films ne racontent
pas des histoires. Mais qu’un film raconte ou non une histoire, il est toujours
possible d'en étudier la forme, d'analyser la façon dont ses parties entrent en
relation pour créer l’expérience globale du spectateur.
Signification
3
de la forme filmique

La notion de forme filmique


Si vous écoutez attentivement une chanson enregistrée sur une
cassette et que cette cassette s'arrête brusquement, vous serez
probablement agacé. Si vous entamez la lecture d’un roman qui
vous captive mais que vous égarez, vous éprouverez sans doute le
même sentiment.
Nous réagissons de cette façon parce que notre expérience des
œuvres d’art est structurée, déterminée par des schémas et une
dynamique. L'esprit humain est avide de formes. C’est pourquoi
la forme a une importance centrale dans n’importe quelle œuvre
d’art, quel que soit son support. L'étude de la nature des formes
artistiques est le domaine de l'esthéticien, et c'est un problème La notion de forme filmique
trop vaste pour que nous nous y attardions plus ici. (Voir la pre­ Principes de la forme filmique
mière partie des «Notes et Points d’interrogation - et la biblio­ Résumé
graphie.) Mais certaines notions d’esihétique sont néanmoins
Notes et Points d'interrogation
indispensables à l’analyse des films.
2 - læ mm du ma

La forme comme système


On comprend mieux ce qu'est la forme artistique si on la rapporte à l'expé­
rience d'un sujet percevant, l’être humain qui va regarder la pièce de théâtre,
lire le roman, écouter le morceau de musique ou voir le film. La perception, à
chaque moment de la vie, est une activité. En marchant dans la rue, vous par­
courez des yeux ce qui vous entoure, à la recherche d'éléments saillants — le
visage d'un ami. un repère familier, les signes d’une pluie à venir. L'esprit n’est
jamais au repos, constamment, il cherche ordre et signification, essaye de
trouver autour de lui ce qui rompt les schémas coutumiers.
Les œuvres d’art reposent sur cette qualité dynamique et totalisante de
l'esprit humain. Elles proposent des événements construits, organisés, à partir
desquels nous pouvons exercer et développer notre capacité d’attention,
d'anticipation, de déduction et de synthèse. Chaque roman laisse une part à
l'imagination; toute chanson nous fait attendre un certain développement de
sa mélodie; chaque film nous invite à en articuler les séquences pour compo­
ser un tout. Mais comment fonctionne ce processus î Comment un objet
inerte — le poème sur une feuille de papier ou la sculpture dans un parc —
peut-il nous conduire à une telle activité ?
Certaines réponses sont manifestement inadéquates. L’activité ne peut pas
être dans l'œuvre d’art elle-même : un poème, ce ne sont que des mots sur
une page; une chanson, des vibrations acoustiques; un film, de simples motifs
d’ombre et de lumière sur un écran. Les objets n’agissent pas. Il est évident
que l’objet artistique et l’individu qui en fait l’expérience dépendent l’un de
l'autre.
La meilleure réponse serait que l’œuvre d’art nous fournit les indications
nécessaires à la réalisation de certaines activités dont, sans la présence de
l'œuvre, nous ne pourrions ni entamer ni poursuivre le processus. Si l'on
n'entre pas dans le jeu et que l'on n’est pas attentif à ses indications, l'œuvre
d'art reste un simple artefact. Dans une peinture, la couleur et les lignes nous
invitent à imaginer l’espace décrit, apprécier le rapport entre couleur et tex­
ture, dirigent notre regard. Les mots d'un poème nous conduiront peut-être à
imaginer une scène, à remarquer une rupture de rythme ou attendre une
rime. La forme d’une sculpture, son volume, son matériau nous incitent à en
faire le tour, pour observer comment elle occupe l'espace par sa masse. Toute
œuvre présente généralement des indications pouvant provoquer une activité
particulière du sujet percevant.
Nous pouvons aller plus loin dans notre description. Os indications ne
doivent rien au hasard; elles sont organisées en systèmes. Considérons qu’un
système est un ensemble d'éléments interdépendants et interactifs. Le corps
humain en est un : si un composant, le cœur, cesse de fonctionner, tous les

92
.OUU UJÜJU4K111oa ÈMJ mij mBim

autres sont en danger. Il y a à l'intérieur du corps des systèmes autonomes


plus petits, comme le système nerveux ou l'appareil optique. Une panne
minuscule peut immobiliser une voiture: il n’est peut-être pas nécessaire de
réparer les autres parties, mais l’intégralité du système repose sur le bon fonc­
tionnement de chacune d’entre elles. Des ensembles de relations plus abstraits
constituent aussi des systèmes : les lois qui régissent un pays ou l'équilibre
biologique d'un lac, par exemple.
Comme chacun de ces exemples, un film n'est pas une simple accumula­
tion aléatoire — comme toute œuvre d'art, un film a une forme. La forme fil­
mique, dans sa plus large acception, est ce par quoi nous désignons le système
global des relations perceptibles entre les -éléments» d’un film. Nous décri­
vons rapidement ces derniers dans la troisième partie (sur le style) et dans les
chapitres qui suivent. Parce que comprendre un film, c'est en reconnaître les
éléments et y réagir de différentes façons, nous devrons aussi nous interroger
sur la façon dont la forme et le style participent de l’expérience du spectateur.
Celte description reste encore très abstraite; quelques exemples tirés d’un
film connu vont nous servir à l’illustrer. Dans Le magicien d'Oz (The wizard of
02, Victor Fleming, 1939), le spectateur peut relever beaucoup d'éléments. Il
y a d'abord un ensemble d’éléments narratifs, qui comprennent l’histoire du
film. Dorothy rêve qu'une tornade l'emporte jusqu'à Oz, où elle fait la ren­
contre de certains personnages. Le récit se termine au moment où Dorothy
sort de son rêve et se retrouve chez elle, au Kansas. Nous pouvons aussi noter
la présence d’éléments stylistiques : la façon dont la caméra se déplace, la com­
position des couleurs dans le cadre ou l’utilisation de la musique. Les élé­
ments stylistiques découlent des diverses techniques cinématographiques, que
nous examinons plus loin.
Le magicien d’Oz n'est pas une simple accumulation de matériaux mais un
système. Son spectateur, actif, crée des relations à l’intérieur de chaque
ensemble. Nous associons et comparons les éléments narratifs, par exemple
en considérant la tornade comme la cause du départ de Dorothy pour Oz et
les personnages d’Oz comme des doubles de ceux du Kansas. Des éléments
stylistiques peuvent aussi être rapprochés: nous remarquons le retour de la
chanson IVe're off to see the wizard, qui intervient chaque fois que Dorothy se
fait un nouvel ami. Nous attribuons une certaine cohérence au hlm après
avoir distingué deux sous-systèmes — narratif et stylistique — fonctionnant à
l’intérieur d'un système plus global, celui de l'œuvre dans son intégralité.
.Mais nous cherchons aussi à relier ces deux sous-systèmes. Dans Le magi­
cien d’Oz, le sous-système narratif peut effectivement être associé au
stylistique : les couleurs caractérisent des lieux importants, le Kansas (en noir
et blanc) ou la Route de Brique Jaune (du pays d’Oz); les mouvements de

93
PlLUÂ 1 ■

caméra attirent notre attention sur des éléments de l'intrigue et la musique


sert à décrire certains personnages ou certaines actions. C'est le schéma global
des relations entre ces éléments qui fait la forme du Magicien d'Oz.

«La forme contre le contenu»


Les gens pensent souvent que la notion de forme s'oppose à quelque chose
appelé «contenu». Dans cette hypothèse, un poème, un morceau de musique
ou un film sont comparables à un récipient : une forme extérieure qui con­
tient ce qui pourrait aussi bien être mis dans une tasse que dans un seau. La
forme est alors moins importante que tout ce qu clic est présumée contenir.
Nous n’acceptons pas cette hypothèse. Si la forme est le système global
qu'un spectateur attribue à un film, il n'y a ni intérieur, ni extérieur. Chaque
composant participe de la structure d'ensemble perçue. Ainsi, nous traiterons en
élément formel ce que d'autres considèrent comme du contenu. Le sujet ou
les idées abstraites, de notre point de vue. font partie du système total de
Pauvre d'art : ils nous amènent à préciser certaines attentes ou à tirer certai­
nes inférences. Le spectateur crée entre ces éléments des relations dynami­
ques, qui les rendent quelque peu différents de ce qu'ils seraient hors de
l’œuvre.
Considérons par exemple un sujet historique, la guerre de Sécession aux
États-Unis. On peut faire de l'authentique guerre de Sécession un sujet d’étu­
des, en discuter les causes et les conséquences. Mais dans un film comme
Naissance d'une Nation (Birth of a Nation, D.W. Griffith, 1915) elle n’est pas
un «contenu • neutre, elle entre en relation avec d’autres éléments : l'histoire
de deux familles, des opinions politiques sur la Reconstruction, le style spec­
taculaire des scènes de bataille. La description de la guerre de Sécession se
trouve ainsi associée, dans le film, à d’autres éléments. Dans un autre film, fait
par un autre réalisateur, le même sujet aura une fonction différente au sein
d'un système formel différent. Dans Autant en emporte le vent (Gone with the
wind, Vicier Fleming, 1939) la guerre de Sécession sert de toile de fond aux
aventures romantiques de l'héroïne; dans Le bon, la brute et le truand, la
guerre permet à trois individus cyniques de trouver de l’or. On voit donc
comment le sujet est modifié par le contexte formel du film et par la percep­
tion que l’on en a.

Attentes formelles
Nous pouvons maintenant mieux comprendre la façon dont la forme filmi­
que guide l'activité du spectateur. Une chanson interrompue ou une histoire
incomplète nous frustrent parce que nous avons un désir de forme. Nous

94
UWiinmmJULuliaULUWiL

réalisons que le système interne de l’œuvre est inachevé. Quelque chose man­
que pour faire de la forme un tout satisfaisant; nous avons été pris par les
relations entre les éléments constituant une œuvre et nous voulons compren­
dre comment ces indications nous invitent à en développer et à en compléter
les schémas.
Un des effets de la forme sur notre expérience est de nous donner l’impres­
sion que «tout est là». Pourquoi sommes-nous satisfaits du retour d’un per­
sonnage qui n'avait fait qu’une courte apparition au début du film ou de
l'équilibre entre deux formes dans le cadre ? De telles relations laissent suppo­
ser que le film est organisé selon ses propres lois ou ses propres régies — son
propre système.
De plus, une œuvre d’art provoque par sa forme un type particulier de
participation. Dans la vie quotidienne, notre perception est soumise à des
objectifs pratiques, ce qui n’est pas le cas dans un film. Celui-ci nous donne
l'occasion de voir les choses différemment. Si quelqu'un tombe devant nous,
dans la rue, nous nous dépécherons sans doute pour l’aider à se relever; dans
un film, lorsque Bustcr Keaton ou Charlie Chaplin tombent, nous rions. Nous
verrons au chapitre 7 comment un acte de tournage aussi fondamental que le
cadrage d'un plan peut créer une nouvelle façon de voir. Nous observons un
ensemble d'événements qui n'est plus simplement «là-bas», dans le
monde que nous connaissons, mais qui est devenu l'une des parties prédéter­
minées d’un tout autonome. La forme d’un film peut même renouveler notre
perception des choses, nous faire sortir de nos habitudes en proposant
d’autres façons d’entendre. de voir, de sentir et de penser.
Pour comprendre comment des caractéristiques formelles peuvent entraî­
ner la participation des spectateurs, essayez l'expérience suivante (suggérée
par Barbara Herrnstein Smith). Supposez que A est la première lettre d’une
série. Qu'est-ce qui lui succède ?
AB

■ A» était une indication, à partir de laquelle vous avez fait une hypothèse
formelle, celle d'une succession alphabétique des lettres. Votre attente a été
confirmée. Qu'est-ce qui suit AB? La plupart des gens répondraient «C».
Mais le développement d'une forme ne correspond pas toujours à notre pre­
mière attente.
ABA

La forme nous prend par surprise, elle nous rend perplexes. Lorsque le
développement d'une forme nous pose un problème, nous reformulons nos
attentes et essayons à nouveau. Qu’est-cc qui suit ABA ?
ABAC

95
mm 2 - l£ mu h ïilui

Il y avait deux possibilités principales : ABAB ou ABAC. (Remarquez que


vos attentes limitent les possibilités autant quelles les sélectionnent.) Si vous
attendiez ABAC, votre hypothèse a été confirmée et vous pouvez assurément
prédire quelle sera la prochaine lettre. Si vous attendiez ABAB, vous pouvez
encore faire une hypothèse correcte sur la prochaine lettre.
A B AC A

Ce jeu, aussi simple soit-il, illustre le pouvoir de la forme sur notre atten­
tion. Le spectateur ou l'auditeur ne se satisfait pas du seul défilé des compo­
sants d'une œuvre, mais y participe activement, créant et corrigeant ses
Figure 3.1 attentes formelles avec le développement de son expérience perceptive.
Considérons maintenant une histoire, racontée par un film. Au début du
Magicien d'O2, Dorothy serre son chien, loto, contre elle, et se met à courir
sur une route (fig. 3.1). Immédiatement, nous formons plusieurs attentes; elle
va peut-être rencontrer un autre personnage ou arriver là où elle veut aller.
Une action aussi simple demande déjà au public de participer activement à
son déroulement : il doit formuler certaines hypothèses sur «ce qui va se
passer» et rectifier scs attentes en conséquence. Peut-être allons-nous suppo­
ser que le vœu de Dorothy, retourner au Kansas, sera exaucé; et en effet, par
ses décors, le film a une grande forme ABA, Kansas-Oz-Kansas, qui nous le
confirme.
L’attente informe toute notre expérience de l’art. En lisant un roman à
énigmes, nous espérons que celles-ci seront résolues, généralement à la fin. En
écoutant un morceau de musique, nous attendons la répétition d’un thème
ou d'un motif. (La musique est souvent composée suivant les structures AB,
ABA ou ABACA que nous avons évoquées). En regardant une peinture, nous
cherchons d’abord ce que nous supposons être les parties les plus importan­
tes, puis nous examinons les autres. Toute notre participation à une œuvre
d’art se fait principalement en termes d’attentes.
Cela ne signifie pas qu'une attente doit être immédiatement satisfaite
— celte satisfaction peut être retardée. Dans notre exercice alphabétique, à la
place de ABA, nous aurions pu présenter ceci :
AB...

Les points de suspension reportent la révélation de la lettre suivante, que


vous ne découvrirez qu’après avoir attendu. Ce que nous appelons habituelle
ment le suspente, c’est ce délai entre le moment où une attente est provoquée
et sa satisfaction. Comme le terme l’indique, le suspense laisse quelque chose
«en suspens» —pas seulement ce qui suit dans une structure, mais aussi
notre désir d'achèvement.

96
(HUHt i ■ ilOUKUUI » H mil IllllIH

Notre attente peut aussi être déçue, lorsque nous attendons ABC et obte­
nons AHA. En général, la surprise est la conséquence d’une attente qui se
révèle incorrecte. Nous ne pensons pas qu’un gangster du Chicago des années
30 aura un hors-bord dans son garage; s'il en a un, nous devrons sans doute
réviser nos préjugés sur cette histoire. (On suggère ici qu'un des ressorts de la
comédie est l'attente trompée.)
Il nous faut évoquer un autre aspect structurel de notre attente. Une oeuvre
d'art fournira parfois des indications permettant de risquer des hypothèses
sur ce qui s’est passé avant. Lorsque Dorothy court sur la route au début du
Magicien d’Oz, on ne se demande pas seulement où elle va, mais aussi où elle
était et ce quelle fuit. De la même façon, une peinture ou une photographie
peuvent décrire une scène amenant le spectateur à s’interroger sur des événe­
ments antérieurs. Cette capacité du spectateur à faire des hypothèses sur ce
qui s'est passé, nous l'appellerons la curiosité. Comme on le montre au
chapitre 4, la curiosité est un facteur important dans la forme narrative,
Nous avons déjà évoqué quelques unes des façons dont une oeuvre d'art
peut nous entraîner dans une participation active. La forme artistique peut
nous fournir des indications provoquant certaines attentes, satisfaites plus ou
moins rapidement. Elle peut, à l'inverse, chercher à décevoir nos attentes.
Nous associons souvent l’art à la plénitude et à la sérénité, mais un grand
nombre d’œuvres sont des lieux de confrontations, de tensions, de chocs. Les
déséquilibres et les contradictions d’une forme peuvent nous frapper, nous
être désagréables; beaucoup de personnes sont déroutées par la musique ato­
nale, la peinture abstraite ou surréaliste, les formes expérimentales d’écriture.
Loin d’etre apaisant ou harmonieux, un film expérimenta! peut de la même
façon nous ébranler : les spectateurs de Eat, de Scorpio Rising et d'autres films
d’avant-garde en sortent souvent choqués ou perplexes, et nous aurons à étu­
dier des effets similaires provoqués par le montage de Octobre (Sergueî M.
Eiscnstcin, 1927) (chapitre 8) ou le style de /I bout de souffle (Jean-Luc
Godard, 1960) (chapitre 11 ).
Même s’ils nous dérangent, ces films continuent de susciter et de modeler
des attentes formelles. À partir de notre expérience courante de spectateur de
cinéma, par exemple, nous nous attendons à ce que certaines voix correspon­
dent à certains personnages clairement reconnaissables — mais ce n’est pas le
cas dans le film de Rainer, Film about a woman who... Nous pouvons être
décontenancés par un tel démenti de nos attentes, mais nous avons aussi envie
de chercher d'autres hypothèses plus appropriées au film.
Réussir à anticiper une œuvre déroutante rend notre participation plus
intense, le malaise diminuant au fur et à mesure que nous nous familiarisons
avec la singularité de son système formel. Zorns Lcrnrna (Hollis Frampton,

97
wüUi .J.1 US0I » ni.

J 970) entraîne lentement son spectateur à associer une série d’images et des
lettres de l’alphabet — spectateur qui finit par être totalement absorbé par la
vision de ces séries composant une sorte de puzzle cinématographique.
Comme cherchent aussi à le montrer Film abouta woman w/w... et Zorns
Leinma. une œuvre qui nous dérange révèle les limites de nos attentes formel­
les. Ces films sont précieux parce qu’ils nous amènent à réfléchir sur ce que
nous croyons savoir de la forme cinématographique.
Les possibilités de composition d'un film sont illimitées — il y aura tou­
jours des films pour nous obliger à revoir radicalement nos attentes, et noire
plaisir sera plus grand si nous en acceptons les expériences formelles inhabi­
tuelles et stimulantes.

Conventions et expérience
Nous avons aussi vu. avec le petit jeu du ABAC, que l’un des moteurs de notre
attente était l'expérience acquise : c’est notre connaissance de l'alphabet qui
rendait l'hypothèse ABA peu probable. La forme esthétique n'est pas pure,
isolée du reste de mon expérience. L’idée que notre perception de la forme
dépend d'une expérience acquise a d’importantes conséquences, pour l’artiste
comme pour le spectateur.
Parce que les œuvres d’an sont des artefacts humains et parce que l’artiste
fait partie d’une histoire et d’une société, il ne peut éviter de mettre son œuvre
en rapport avec d’autres et avec certains aspects du monde en ge'néral. Une
tradition, un style dominant, une forme populaire peuvent être pareillement
présents dans des œuvres différentes. Ces caractéristiques communes sont ce
que Ion appelle des conventions. Les genres, comme on l'a déjà vu au
chapitre 2, reposent essentiellement sur des conventions : que les gens chan­
tent et dansent est une convention de la comédie musicale (voir par exemple
Le magicien d'Oz). Que les problèmes auxquels sont confrontés les personna­
ges soient résolus à la fin du récit est une convention de la forme narrative à
laquelle le film adhère en laissant Dorothy retourner au Kansas. Des ensem­
bles de conventions constituent les normes de ce qui doit être fait ou de ce qui
est attendu dans le cadre d’une tradition particulière. Selon qu’il respecte ou
transgresse ces normes, l'artiste crée un lien entre son œuvre et d’autres
oeuvres.
Pour le spectateur, la perception de la forme artistique naîtra des indica­
tions internes à l'œuvre et de son expérience acquise. Si notre capacité à
reconnaître des indications formelles peut être innée, nous venons aussi
devant l’œuvre avec des habitudes et des attentes particulières, déterminées
par d'autres expériences —de la vie quotidienne ou d'autres œuvres. Vous

98
avez été capable de suivre le petit jeu du ABAC parce que vous avez appris
l'alphabet. Vous pouvez l'avoir appris dans un cadre éducatif « normal* (dans
une classe, avec vos parents) ou avec une oeuvre d'art (des enfants apprennent
maintenant l alphahci avec des dessins animés, à la télévision). Nous sommes
capables de reconnaître le schéma du «voyage» dans le magicien d’Oz parce
que nous avons déjà voyagé, que nous avons vu d’autres films structurés de la
même façon — La chevauchée fantastique (Stagecoach, John Ford, 1939) ou La
mort aux trousses — ei que ce schéma informe aussi d’autres œuvres, L’Odys­
sée ou Alice au Pays des merveilles. Notre capacité à repérer des indications, à
les constituer en système et à en tirer certaines attentes est guidée par notre
expérience de la vie réelle et notre connaissance des conventions formelles.
Pour prendre conscience de la forme d’un film, les spectateurs doivent
donc être prêts à en appréhender les indications formelles à travers leur con
naissance de la vie et des autres oeuvres d’art. Mais que se passe-1-il si ces deux
principes sont conflictuels ’ Normalement, les gens ne se mettent pas soudain
à chanter et à danser, comme dans Le magicien d’Oz. Les conventions servent
souvent à fixer les limites entre l’art et la vie, elles nous disent implicitement :
«Dans des oeuvres de ce type, les lois de la réalité quotidienne sont inopéran­
tes. ici, les règles du jeu font que quelque chose d'« invraisemblable» peut
arriver. » Tout art stylisé — l’opéra, le ballet, la pantomime ou la comédie, par
exemple— nécessite que le public veuille bien suspendre pour un temps les
lois de l'expérience ordinaire et accepter certaines conventions. Il n’est plus
question, alors, de dire que ces conventions son! invraisemblables, de deman
der pourquoi Tristan s’adresse en chantant à Iseult ou pourquoi Buster Kea-
lon ne sourit jamais. L'expérience la plus utile à la perception des formes n’est
pas, le plus souvent, celle du quotidien, mais les rencontres préalables avec des
œuvres ayant des conventions semblables.
Les œuvres, enfin, créent de nouvelles conventions. Un travail très nova­
teur peut d’abord paraître étrange, par son refus de se conformer aux normes
attendues. C’est le cas de la peinture cubiste, de la musique dodécaphoniste
ou du Nouveau Roman français des années 50. Mais avec une plus grande
attention, nous découvrons dans l’œuvre des règles singulières, un système
formel inhabituel que nous finissons par reconnaitre et auquel nous appre­
nons à réagir. À leur tour, ces nouveaux systèmes peuvent donner lieu à des
conventions, et donc à de nouvelles attentes.

Forme et émotion
Les émotions jouent incontestablement un grand rôle dans notre appréhen­
sion des formes. Pour comprendre ce rôle, il nous faut distinguer les émotions

99
jiajiU • u mi

représentées dans l'ceuvre cl les réactions émotives du spectateur. Si un acteur


compose sur son visage l'expression de l'agonie, la douleur est représentée
dans le film. Si le spectateur qui voit cette expression de douleur se met à rire
(comme cela pourrait arriver en regardant une comédie), cet amusement est
une émotion ressentie par le spectateur. Ces deux types d’émotions ont des
conséquences formelles.

Les émotions représentées agissent comme parties du système global du


film. U grimace de douleur évoquée plus haut est peut-être la réaction du
personnage à de mauvaises nouvelles. L'expression de ruse d’un autre person­
nage nous prévient de sa méchanceté, qui sera bientôt découverte. Une scène
joyeuse et entraînante contraste avec la tristesse d’une autre, une séquence
tragique est tempérée par une musique enjouée. On peut considérer que tou­
tes les émotions présentes dans un film sont systématiquement mises en rap­
port à travers sa forme.

Les réactions du spectateur sont aussi liées à la forme. Nous venons de voir
comment les indices offerts par l'oeuvre à notre perception sont en interaction
avec notre expérience acquise, surtout notre expérience des conventions artis­
tiques La forme d'une oeuvre fait souvent appel à des réactions prévisibles
provoquées par certaines images (si elles évoquent, par exemple, la sexualité,
la race, la classe sociale). Mais une forme peut aussi créer de nouvelles réac­
tions. De même que les conventions formelles nous amènent à suspendre la
compréhension normale de ce qui nous entoure, la forme peut nous amener à
passer outre nos réactions habituelles. Des gens que nous mépriserions dans
la vie font des personnages fascinants; nous pouvons être séduits par le traite­
ment d'un sujet qui habituellement nous dégoûte. Une des causes de ces réac­
tions est le caractère systématique de notre participation à un film. Dans Le
magicien d'Oz. nous pourrons trouver Oz beaucoup plus attrayant que le
Kansas, mais le film nous amène à partager le désir qu'a Dorothy de retourner
chez elle et nous serons satisfaits lorsqu’elle aura effectivement réussi à le
faire.

Ce sont d’alwjrd les aspects dynamiques d'une forme qui nous émeuvent.
L’attente, par exemple, rend nos émotions plus vives : faire une hypothèse sur
■ ce qui va se passer*, c’est s’investir émotionnellement dans la situation.
Retarder la satisfaction d’une attente — créer du suspense — peut produire
de l’angoisse ou de la compassion. (Le policier va-i-il trouver le criminel ? Le
garçon aura-t-il la fille ? La mélodie reviendra-t-elle ?) Combler une attente
peut produire un sentiment de satisfaction ou de soulagement. (Le policier a
résolu l’énigme, le garçon est avec la fille, la mélodie revient, une fois encore.)
Tromper une attente ou une curiosité sur des aspects passés du récit peut pro­
duire de la perplexité ou un intérêt plus vif. (Ce n’est donc pas lui, le policier ?

100
UULLîy slmhhwqh h u Huyj.iiiiiim

Ce n'esi pas une histoire d'amour ? Une deuxième mélodie aurait remplacé la
première ?)
Toutes ces réactions sont seulement possibles : il n'existe pas de recette per­
mettant de composer un film ou un roman qui produise la «bonne» réponse
émotionnelle. C’est un problème de contexte — un problème lié au système
particulier qu’est la forme globale de toute oeuvre d'art. seule certitude est
que l'émotion ressentie par le spectateur naît de la totalité des relations for­
melles qu'il perçoit dans l'œuvre. C'est pourquoi nous devrions essayer d'en
remarquer le plus grand nombre possible; plus notre perception est riche,
plus nos réactions deviennent intenses et complexes.
Considérées dans leur contexte, les relations entre les émotions représen­
tées dans le film et celles ressenties par le spectateur peuvent être très comple­
xes. Prenons un exemple. Beaucoup de gens pensent qu’il ne peut rien arriver
de plus triste que la mort d'un enfant. Dans la plupart des films, un tel événe­
ment sera représenté de façon à éveiller une affliction identique à celle que
l'on ressentirait dans des circonstances réelles. Mais la forme artistique a le
pouvoir d’altérer la teneur émotionnelle d'une telle situation. Dans Le crime
de M. Lange ( Jean Renoir, 1936) le cynique Batala, un éditeur parisien, viole et
abandonne une jeune blanchisseuse, Estelle. Après la fuite de Batala, Estelle
est intégrée dans la communauté constituée par les habitants de la cour
d'immeuble ou se trouve la maison d’édition et renoue avec son ancien fiancé.
Mais elle porte un enfant de Batala. La scène où Valcntinc, sa patronne,
annonce que l’enfant est mort à la naissance, est émotionnellement l’une des
plus complexes du cinéma. Gravité et tristesse sont les premières réactions
représentées; les personnages sont visiblement affligés. Soudain, un cousin de
Batala dit : «Hélas! C’était tout de même un parent.» Dans le contexte du
film, le mot peut être pris comme une plaisanterie et les autres personnages
commencent à sourire ou à s’esclaffer. Ce retournement émotif nous prend
par surprise: nous savons que les personnages ne sont pas cruels et il nous
faut donc revenir sur notre réaction pour ressentir, comme eux, du soulage­
ment. La survie d'Estelle est bien plus importante que la mort de l'enfant de
Batala. Le développement formel du film a fait d’une réaction a priori scanda­
leuse la bonne réaction. La scène est audacieuse et permet d’illustrer dramati­
quement la façon dont les émotions représentées à l'écran dépendent, comme
nos réactions, du contexte créé par la forme.

Forme et sens
Comme l'émotion, le sens a une part importante dans notre expérience des
œuvres d’art. Observateur actif, le spectateur cherche continuellement à éten­
dre la portée d'une œuvre, à comprendre ce qu elle énonce ou suggère. Il peut

101
lui attribuer des types de significations très variables. Examinons par exemple
quatre propositions relatives au Magicien d'Oz
1. Pendant la Grande Dépression, un cyclone emmène une jeune fille loin de sa
ferme familiale du Kansas, au pays mythique d'Oz Après une série d'aventu­
res, elle retourne chez elle.
C’est un résumé très concret, qui donne l'essentiel de la structure du film.
Le sens dépend ici de la capacité du spectateur à identifier certaines
informations: une période de l’histoire américaine appelée la Grande
Dépression, un endroit connu sous le nom de Kansas, les caractéristiques
climatiques de cette région. S’il ne sait rien de tout cela, il lui manquera
certains éléments signifiants du film. Ces significations tangibles peuvent
être qualifiées de référentielles, le film faisant référence à des choses ou à
des lieux déjà dotés en eux-mêmes d'une signification.
Le sujet d’un film — dans Le magicien d'Oz, la vie dans une ferme du Kan
sas pendant les années 30 — est souvent établi à travers le sens référentiel.
Celui-ci fait partie de la forme, comme nous l’avons précédemment mon­
tré pour la Guerre de Sécession dans Naissance d'une nation. Imaginez que
Dorothy ne vive pas dans un Kansas rural, plat et oublié, mais à Beverly
Hills. En arrivant à Oz (peut-être transportée jusque là par une crue subite
dévalant les collines), la foule et l’opulence ne lui paraîtront guère diffé­
rentes de ce qu'elle connaît déjà. La référence «Kansas» joue donc un râle
précis dans le contraste produit par la forme du film entre ses deux princi­
paux décors.

2. Une jeune fille rêve de quitter sa maison pour échapper à ses problèmes. Cesi
seulement après être partie qu elle réalise combien elle aime sa famille et ses
amis.
Cette proposition est encore très concrète. Si quelqu’un vous demandait
l'essentiel du film — sa morale, ce qu’il semble vouloir communiquer —
c'est ainsi que vous répondriez. Vous évoqueriez peut-être l’ultime répli­
que de Dorothy, «Il n'y a pas de meilleur endroit que la maison ■, comme
un résumé de ce qu elle a appris. Ce type de signification clairement expo­
sée par le film, appclons-le sens explicite.
Comme le sens référentiel, le sens explicite fait partie du tout formel de
l'oeuvre, il se définit par rapport à un contexte. Nous avons par exemple
tendance à interpréter la phrase « 11 n'y a pas de meilleur endroit que la
maison» comme la formulation du sens général du film. Mais pourquoi
pensons-nous que cette réplique est lourde de sens ? Dans une conversa­
tion ordinaire, ce serait un cliché. Mais dans le film, la phrase est dite au
cours d’un gros plan, vient à la fin (moment formellement privilégié) et
rappelle tous les désirs et toutes les épreuves de Dorothy, le développement

102
imiiiiJ u^LiLtaiiDii » n mu nimm

entier du récit et son objectif. C'est la forme du film qui donne à ce bref
sermon une portée étrange.
Cet exemple nous montre qu’il faut observer la façon dont le sens explicite
est corrélé aux autres éléments du système. Si la signification du Magicien
d’Oz est convenablement et entièrement résumée par *11 n'y a pas de
meilleur endroit que la maison», il n'est plus nécessaire de voir le film : le
résumé suffit. Mais comme les émotions, les significations sont des entités
formelles : elles entrent en rapport avec d'autres éléments pour constituer
la totalité du système. 11 est rarement possible d’isoler un moment particu­
lier et de déclarer qu’il détient le sens d’un film. La phrase de Dorothy,
aussi représentative soit-elle de l'une des significations du Magicien d’Oz,
doit être replacée dans le contexte du film, celui, attrayant, du monde ima­
ginaire d’Oz. Si c’était effectivement à «Il n’y a pas de meilleur endroit que
la maison» que le film voulait en venir, pourquoi y a-t-il tant de choses
réjouissantes à Oz ? Les sens explicites naissent de la totalité d'un film et
entretiennent des liens formels dynamiques les uns avec les autres.
Pour essayer de voir les moments signifiants d'un film comme les parties
d’un tout plus vaste, il est intéressant de les opposer. On peut ainsi con­
fronter la dernière réplique de Dorothy à la scène d'arrivée dans la cité
d’Émcraude, où les personnages se toilettent, et réaliser que le film ne
• traite» pas de l’un ou de l'autre sujet mais de la relation entre les deux
— les dangers et les délices d’un monde imaginaire opposés au confort et à
la stabilité de la maison familiale. Le système global du film se révèle alors
plus important que les sens explicites que l'on peut y trouver. Il ne faut pas
se demander «Quel est le sens du film ?», mais «Comment toutes les signi­
fications du film entrent-elles formellement en relation ?».
3. Une adolescente qui va bientôt devoir affronter le monde des adultes aspire d
un retour vers le monde simple de l'enfance, mais accepte finalement les exi­
gences de la maturité.
Cette formulation est beaucoup plus abstraite que les deux précédentes. La
proposition va au-delà de ce qui est explicitement développé par le film : le
«sujet» du Magicien d'Oz serait, en quelque sorte, le passage de l'enfance à
l'âge adulte. Selon cette hypothèse, le film suggère ou implique que les ado­
lescents puissent avoir la nostalgie d’un monde enfantin sans complication
apparente. Le mécontentement de Dorothy face à sa tante et à son oncle,
son désir de fuir vers un endroit *over the rainbow», au-delà de l’arc-en-
ciel, deviennent exemplaires d’une conception générale de l’adolescence.
Cette signification suggérée, appelons-la le sens implicite. Lorsqu’un obser­
vateur attribue un sens implicite à une oeuvre, on dit qu’il Vinterprète.
Les interprétations sont variables : un spectateur dira du Magicien d’Oz
qu'il traite vraiment de l'adolescence; un autre, du courage et de

103
____ « MMU î - iâ du 1111_

l’obstination; un autre enfin dira qu'il s’agit d'une satire du monde des
adultes. L'un des intérêts des œuvres d'art est quelles semblent appeler
plusieurs interprétations simultanées. Elles nous fournissent les indica­
tions nécessaires à la réalisation d’une certaine activité — ici» construire
des sens implicites —, et leurs formes influent sur notre appréhension des
sens implicites.
Il y a des spectateurs qui abordent les films avec l’espoir d’en tirer quelques
leçons précieuses sur la vie; leur admiration va aux œuvres qui semblent
communiquer un message profond ou utile. Mais aussi importante que
soit la signification, on commet ainsi la faute de dissocier le film en un
contenu (la signification) et une forme (qui ne serait que le véhicule du
contenu). La qualité d’abstraction du sens implicite peut conduire à énon­
cer des notions générales (que Ion appelle souvent des rhènies) : un film
peut avoir pour thème le courage ou la puissance d'un amour sincère. De
telles descriptions ne sont pas sans valeur, mais restent très vague; elles
correspondent à des centaines de films. Réduire Le magicien d'Oz à des
problèmes de puberté ne rend pas justice aux qualités spécifiques du film
comme expérience. La recherche des significations implicites ne doit pas
passer outre les spécificités et les caractéristiques matérielles d’un film.
Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas faire d’interprétations mais que ces
interprétations doivent être précisées en observant la manière dont les
significations thématiques sont déterminées par la totalité du système fil­
mique. Dans un film, les sens explicites et implicites dépendent des rela­
tions entre le récit et le style. Dans Le magicien d’t)2, l’élément visuel
appelé «la Rome de Brique Jaune» n'a pas de sens en soi. Mais si l'on exa­
mine la fonction qu'il remplit par rapport au récit, à la musique ou à
l’ensemble des couleurs, on peut alors démontrer que la Route de Brique
|aune à un râle signifiant. Le fort désir qu'a Dorothy de revenir chez elle
fait de cette Route sa représentation. Nous espérons que Dorothy réussira
à aller jusqu'au bout comme nous espérons quelle retournera au Kansas;
la Route participe ainsi du thème des attraits de la maison familiale.
L’interprétation n’a pas besoin d'épuiser les possibilités d'un motif, elle
n’est pas une fin en soi mais un moment de notre compréhension générale
de la forme. On peut dire beaucoup de choses sur la Route de Brique
jaune, hors de sa relation signifiante au thème du film. Nous pouvons étu­
dier la façon dont la Route devient le décor des danses et des chansons au
cours du voyage. Nous pouvons en comprendre l’importance narrative
lorsqu'un temps d’indécision, à un carrefour, retarde suffisamment Doro­
thy pour qu elle puisse rencontrer l’Épouvantail. Nous pouvons dégager la
gamme colorée du film, qui met en contraste le jaune de la route, le rouge
des pantoufles et, entre autres, le vert de la cite d'Émcraude. L’interprétation

104
____ JW1TH } - IIAWKIUU H Ifl mai fILfflISfli

devient alors une sorte d'analyse formelle attachée aux significations


implicites du film, qui sont constamment confrontées, pour vérification, à
ses aspects matériels.

4. Dans une société où l'argent décide de ce qu’est un homme, la maison et la


famille peuvent paraître les dentiers refuges des valeurs humaines. Cette
croyance est particulièrement forte en temps de crise économique, comme ce
fut le cas aux États-Unis dans les années 30.
Comme la troisième proposition, celle-ci a un caractère abstrait et général.
Elle place le film dans un courant de pensée qui passe pour être caractéris­
tique de la société américaine des années 30. C'csi une déclaration qui
serait applicable à beaucoup d'autres films ainsi qu'à des romans, des piè­
ces de théâtre, des poèmes, des peintures, des publicités, des programmes
radiophoniques, des discours politiques et à toute une série de produc­
tions culturelles de l'époque.
Mais le plus important à remarquer, dans cette proposition, est qu elle fait
de l’un des sens explicites du Magicien d’Oz («Il n’y a pas de meilleur
endroit que la maison») la manifestation d'un ensemble de valeurs parta­
gées par toute une société. Nous pouvons traiter du sens implicite de la
meme façon : en disant que le film évoque l’adolescence comme une tran­
sition cruciale, un moment important de la vie, on peut aussi rappeler
qu’il s'agit de l'une des préoccupations récurrentes de la société améri­
caine. En d'autres termes, il est possible d'appréhender les sens explicites
ou implicites comme ce qui porte les traces d’un ensemble particulier de
valeurs sociales. On peut qualifier ce type de signification de symptomati­
que et l’ensemble de valeurs ainsi dévoilées peut être considéré comme une
idéologie sociale.
La possibilité de relever un sens symptomatique nous rappelle que la signi­
fication, qu elle soit référentielle, explicite ou implicite, est essentiellement
un phénomène social. De nombreux films peuvent être ramenés à des
significations idéologiques, à des systèmes de pensée culturellement défi­
nis. Les croyances religieuses, les opinions politiques, les conceptions de la
race, du sexe ou de la classe sociale — tout cela constitue notre cadre de
référence idéologique. Même si nous pouvons vivre avec la conviction que
nos opinions sont les seules valables, nous avons besoin de comparer notre
idéologie à celle d'autres groupes, d'autres cultures ou périodes histori­
ques, pour comprendre comment elles sont déterminées historiquement
cl socialement : en d’autres lieux et d'autres temps, «Kansas», «maison»
ou - adolescence» n'ont pas les mêmes significations que dans l'Amérique
du 20e siècle.
Le caractère général et abstrait du sens symptomatique peut nous éloigner
de la forme concrète du film. De même que dans l’étude du sens implicite,

105
PUIK î - m [DABI DI I IL|

il faut s’efforcer ici de fonder les sens symptomatiques sur les aspects spé­
cifiques d’une oeuvre. Un film met en acte des significations idéologiques
à travers un système formel unique et particulier. Nous verrons au
chapitre 11 comment les systèmes narratifs et stylistiques du Chant du
Missouri et de Raging Bull (Martin Scorsese, 1980) peuvent être analysés
pour leurs implications idéologiques.

Les films «ont * du sens parce que nous leur attribuons des significations,
le sens n’est pas une résultante qu'il suffirait d’extraire. Nous cherchons à
découvrir la signification d’une œuvre d’art à différents niveaux, référentiel,
explicite, implicite et symptomatique. Plus notre approche est abstraite et
ramène l'oeuvre à des données générales, plus nous risquons de relâcher noire
attention sur le système formel du film. Il nous faut, en tant qu'analystes,
savoir équilibrer notre intérêt pour ce système concret et notre fort désir de
lui assigner un sens plus large.

Évaluation
Lorsque l'on parle d’une oeuvre d'art c’est souvent pour l'évaluer, souligner
ses qualités et ses défauts. Dans la rubrique cinéma d'un magazine ou lors
d'une conversation entre amis, on conseille d'aller voir les meilleurs films du
moment — mais il arrive bien souvent que l'œuvre appréciée par un autre
semble médiocre et l’on se plaindra alors que les jugements ne se fassent que
sur la base des goûts personnels.
Comment juger un film avec un minimum d'objectivité ? Nous pouvons
commencer par prendre conscience de la différence entre goût personnel et
jugement critique : dire «j'ai aimé ce film» ou «je l’ai détesté» n’est pas la
même chose que dire «c’est un bon film» ou «c’est mal fait». On ne prend pas
plaisir qu'aux grandes œuvres, la plupart des gens aimeront voir un film dont
ils savent qu'il n’est pas particulièrement bon. C'est parfaitement normal, tant
que ces personnes ne cherchent pas à nous convaincre que ces films font réel­
lement partie des chefs-d'œuvre du cinéma (auquel cas nous n’écoulerons
sans doute plus jamais leur avis).
Les préférences personnelles ne sauraient constituer la base d'un juge­
ment, Le critique qui désire s'approcher d'une évaluation objective emploiera
des critères spécifiques, des normes permettant de porter des jugements sur
des œuvres de qualités différentes.
Il existe toute sorte de critères. Certaines personnes jugent les films selon
les critères du «réalisme», les appréciant s’ils sont conformes à leur concep­
tion de la réalité. Les amateurs d'histoire militaire jugent la fidélité et la préci­
sion de l'artillerie représentée pendant les scènes de batailles cl s’intéressent

106
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peu au récit, au montage, à l'interprétation, au son ou au style visuel du film.


D’autres critiquent les films en fonction de leur vraisemblance, écartant une
scène parce que « personne ne peut croire que X peut rencontrer Y justement
au bon moment!». Nous avons déjà vu que les œuvres d'art opèrent à partir
de leurs propres conventions et de règles internes qui sont souvent étrangères
aux lois de notre appréhension normale du réel.
Certains spectateurs usent de critères moraux, jugeant des aspects du film
hors de leur contexte formel. Une critique négative peut être déterminée par
la représentation de la nudité ou par le caractère blasphématoire d'une scène,
aspects que d'autres spectateurs trouveront remarquables. Les critères
moraux peuvent aussi servir à la critique du sens global d'un film, en regard,
cette fois, de son système formel. Le jugement portera sur une vision générale
du monde, ta volonté d'opposer des points de vue différents, ou une force
émotionnelle.
Ces derniers critères ou ceux liés au réalisme correspondent à des propos
qui ne sont pas les nôtres. Ce livre proposera des critères permettant d'évaluer
le tout artistique d'un film et de prendre en compte ses particularités formel­
les. La cohérence est l'un de ces critères. Celte qualité, souvent identifiée à celle
d’unité, est généralement considérée comme une caractéristique positive des
œuvres d'art. De même pour l’intensité, qui se dira d'une œuvre vive, saisis­
sante ou émouvante.
La complexité est un autre critère : un film complexe engage notre percep­
tion à plusieurs niveaux, invente une multiplicité de relations entre des élé­
ments formels distincts et est souvent à l’origine de formes intéressantes.
On peut aussi parler de l’originalité. Sans valeur par elle-même — ça n'est
pas parce que quelque chose est différent qu'il est de bonne qualité— elle
peut être un critère esthétique intéressant si l'œuvre renouvelle des conven­
tions ou ouvre un champ de possibilités formelles.
Tous ces critères sont variables (un film peut être plus complexe qu’un
autre qui le sera plus qu'un troisième) et ne disent pas le tout d’une œuvre.
Un film peut être complexe mais manquer de cohérence et d'intensité. Qua­
tre-vingt dix minutes d’écran noir feront sans doute un film original, mais
peu complexe. Un •slasher rnovic» sera composé de quelques scènes intenses
mais restera banal, désorganisé et simpliste dans son ensemble. L'analyste doit
souvent confronter les critères qu’il applique.
Le jugement critique a plusieurs fonctions — permettre de réhabiliter des
œuvres oubliées ou de réviser certains classiques, par exemple. Mais à l'instar
du rapport entre la forme et la signification, le jugement critique n’est receva­
ble que soutenu par une étude détaillée de l’œuvre. Les affirmations du type
«C'est un chef-d’œuvrex sont rarement éclairantes. Le jugement critique n’est

107
- LijiuujLuu

utile que s’il révèle des relations et des qualités qui nous avaient échappées :
comme l’interprétation, il doit nous ramener à l'étude et à la compréhension
du système formel.
Nous avons, dans ce livre, réduit la part du jugement critique. La plupart
des séquences et des films que nous analysons sont, en regard des critères
énoncés, plus ou moins bons, mais notre but n'est pas de constituer des listes
de chefs-d’œuvre : pour qui veut porter des jugements critiques, ce livre four­
nit une base, les moyens d’examiner en détail le système formel d’un film.

Principes de la forme filmique


Parce que la forme est un système, un ensemble unitaire d'éléments interdé­
pendants, les relations entre les parties doivent répondre à certains principes.
Dans d'autres domaines que celui des arts, ces principes seront des ensembles
de règles ou de lois; pour les sciences, les lois physiques ou les formules
mathématiques, qui permettent de définir des champs d'applications prati­
ques — des ingénieurs, pour concevoir un avion, doivent par exemple respec­
ter les principes fondamentaux de l’aérodynamique.
Cependant, en art, il n’y a pas de règles absolues suivies par tous les artis­
tes. Les œuvres d'art sont des produits culturels; leurs principes sont liés à des
conventions, parfois très différentes comme on a pu le voir avec le western et
le film d'horreur. Ce ne sont pas des lois mais des normes, des ensembles de
conventions que l'artiste respecte ou ne respecte pas.
Mais au sein de ces conventions socialement déterminées, chaque œuvre
tend à élaborer ses propres principes formels. La forme varie considérable­
ment d’un film à un autre. On peut toutefois distinguer cinq grands principes
que le spectateur perçoit dans le système formel d’un film : la fonction, la res­
semblance et la répétition, la différence et la variation, le développement, la
cohérence.

Fonction
Si la forme filmique est constituée par les relations entre différents systèmes
d'éléments, on peut supposer que chacun de ces éléments possède une ou plu­
sieurs fond ions.
Tout ce qui compose un film doit être interrogé dans sa fonction. Dans Le
magicien d'Oz, chaque élément remplit un rôle : Miss Gulch par exemple, la
femme qui veut retirer Toto à Dorothy, réapparaît à Oz en sorcière. Dans la
première partie du film. Miss Gulch effraie Dorothy pour la faire partir de la

108
<USPiJJll 1 - .ÜCIUIOIJH H 11 IUU flLllllll

maison. À Oz, la sorcière veut l'empècher d'y revenir en l'éloignant de la Cité


d’Émeraude et en essayant de s’emparer des pantoufles rubis.
Un élément apparemment mineur comme le chien Toto possède plusieurs
fonctions. La dispute au sujet du chien provoque la fuite de Dorothy, qui ne
peut revenir suffisamment tôt pour s’abriter du cyclone. Plus tard, c'est parce
que Toto poursuit un chat quelle saute de la montgolfière qui pouvait la
ramener chez elle. Le contraste entre le pelage gris du chien et les couleurs
éclatantes d'Oz rappelle le noir et blanc de I épisode situé au Kansas. Les fonc­
tions sont toujours multiples et concernent aussi bien les éléments narratifs
que stylistiques.
C’est en interrogeant la relation entre plusieurs éléments que l'on décou­
vre leurs fonctions respectives. C’est Toto qui est le moteur de la fuite de
Dorothy, fuite qui était une nécessité du récit. Dorothy, par ailleurs, doit être
totalement différenciée de la sorcière — on les oppose donc par le costume,
l'âge, la voix. Le passage du noir et blanc à la couleur, enfin, a pour fonction
de signaler l'arrivée dans un Oz merveilleux et bariolé.
fonction ne dépend pas toujours des intentions du réalisateur. En nous
interrogeant sur la fonction nous ne cherchons pas, comme cela arrive dans
certaines discussions interminables, à savoir si le réalisateur était ou non
conscient de ce qu'il faisait en introduisant tel élément; on ne cherche pas à
établir un historique de la genèse du film. Si l’on veut parler des intentions, on
dira que Dorothy chante Over the rainbow parce que la MGM voulait une
chanson à succès par judy Garland. Mais d'un point de vue fonctionnel, on
dira que cette chanson remplit certains rôles narratifs et stylistiques, entre
autres montrer le désir de Dorothy de quitter la maison et préfigurer, par la
référence à l'arc-en-ciel, son voyage aérien vers les séquences en couleur con­
sacrées à Oz. La question de la fonction ne sera donc pas : «Comment est-ce
que cet élément est arrivé là?» mais plutôt «Qu’est-cc que ça fait là ?» et
■ Comment cela nous amène-t-il à réagir ?».
Pour déterminer la fonction d’un élément, il est souvent utile de savoir ce
qui le motive. ce qui justifie sa présence dans le film. Lorsque Miss Gulch
apparaît en sorcière à Oz, sa nouvelle apparence est justifiée par le fait que
dans les premières scènes du film, elle était une menace pour Dorothy. Lors­
que Toto saule de la montgolfière à la poursuite d'un chat, nous justifions
cette action par ce que nous savons du comportement des chiens mis en pré­
sence de chats.
Le terme «motivation» n'est parfois utilisé que pour désigner les raisons
qu'ont les personnages d'agir, comme lorsqu'on dit d'un meurtrier qu’il avait
certains motifs. Le terme s'appliquera ici à tout élément filmique dont le spec­
tateur peut justifier la présence. Un costume, par exemple, doit être motivé. Si

109
mm 2 la mini pu mi

nous voyons un homme vêtu comme un clochard au milieu d’un bal mon­
dain, nous nous demanderons pourquoi il est habillé ainsi. Il est peut-être la
victime de farceurs qui lui ont fait croire qu’il s’agissait d’une soirée déguisée,
ou bien il s'agit d'un millionnaire excentrique qui veut choquer ses amis. 11 y a
une (elle scène dans Mon homme Godfrey (My man Godfrey, Gregory La Cava,
1936) : ce qui motive la présence d’un clochard au bal est une chasse au trésor
— en ramener un faisait partie du jeu.
La motivation est si courante dans les filins que les spectateurs ont ten­
dance à ne plus y prêter attention. Un éclairage ténu et vacillant sur un per­
sonnage sera peut-être motivé par la présence d’une bougie (même si nous
savons que la lumière, au moment de la réalisation, est fournie par des lampes
situées hors-champ, la bougie est donnée comme source et en motive donc les
qualités); un personnage qui traverse une pièce motive un déplacement de la
caméra permettant de suivre l’action et le garder dans le cadre. Pour l'étude
des formes narratives (chapitre 4) et non-narratives (chapitre 5), nous revien­
drons plus précisément sur la façon dont la motivation détermine la fonction.

Ressemblance et répétition
Nous avons vu, avec le jeu de i’ABACA, que nous pouvons deviner le dévelop­
pement d'une série grâce à la régularité d'une structure répétitive. Comme la
rythmique en musique ou la métrique en poésie, la répétition des A dans la
structure provoque une attente formelle et la satisfait. La ressemblance et la
répétition sont, suivant les mêmes mécanismes, d'importants principes de la
forme filmique.
La répétition est fondamentale pour notre compréhension des films: il
faut par exemple être capable de reconnaître les personnages et les décors à
Figure 3.2 chacune de leurs réapparitions. Mais dans un film, tout est sujet à répétition :
les dialogues, la musique, les positions de caméra, les comportements des per­
sonnages et l'intrigue elle-même.
Un terme permet de désigner l'objet d’une répétition formelle : le motif.
Un objet, une couleur, un lieu, un personnage, un son ou un trait de caractère
peuvent être des motifs, comme un éclairage ou une position de la caméra,
s’ils sont répétés à travers le film. Dans un film aussi simple que Le magicien
d'Oî, tous ces types de motifs sont employés, montrant la prégnance de la res­
semblance et de la répétition comme principes formels.
Il y a des ressemblances générales comme de parfaites duplications. Pour
bien comprendre Le magicien d’Oz, il nous faut saisir les ressemblances entre
l'F.pouvantail, l'Hommede fer blanc et le Lion peureux, et les trois journaliers
Figure 3.3 du Kansas, ou entre le diseur de bonne aventure itinérant (fig. 3.2) et le vieux

110
(Ufipiiai } - s ic b il k s 11 o ii u il iimiim

Figure 3.4 Figure 3.5

charlatan qui se fait passer pour le magicien {fig. 3.3). On devra réaliser que la
bicyclette de Miss Gukh (fig. 3.4) devient le balai de la sorcière (fig. 3.5). Ces
comparaisons n'indiquent pas des reprises à l’identique mais des parallèles,
développés tout au long du film. Dorothy dit dans une scène quelle a le senti­
ment d'avoir déjà rencontré l’Épouvantail et ses deux compagnons. Lorsque le
Lion peureux avoue sa timidité, la disposition des personnages reprend, en
l'inversant comme dans un miroir, celle d’une scène antérieure où les deux
autres se moquent de Zeke parce qu’il a peur des cochons (figs. 3.6,3.7).
Les motifs peuvent être à l'origine de parallélismes. Le spectateur attend,
après chaque rencontre d’un nouveau personnage à Oz, la chanson de
Dorothy : We'rc off ta see the wizard. Une partie de notre plaisir de spectateur Figure 3.6
provient de la reconnaissance des parallélismes, qui ont dans un film un pou­
voir équivalent à celui de la rime poétique.

Différence et variation
La répétition ne peut pas être le seul principe formel d’un film. AAAAAA est
une suite plutôt ennuyeuse — il y a toujours un changement ou une variation
minime dans une forme, qui nous fait dire que la différence en est un autre
principe fondamental.
On peut facilement comprendre la nécessité de la diversité, du contraste
ou du changement dans les films. Il faut différencier les personnages, les Figure 3.7
décors, les temps et les actions. Dans l’image elle-même, il nous faut distin­
guer des différences de tonalités, de matières, de directions ou de vitesses des
mouvements.
C’est pourquoi la répétition d’un motif (d'une scène, d’une action, d’un
accessoire ou d'une invention formelle) est rarement une reprise à l'identique.
Dans notre exemple favori, Le magicien d’Oz, les trois journaliers du Kansas

111
POII£ 2,- tfl IOHl DU (lll

ne son! pas vraiment identiques à leurs «doubles». l’Épouvantail et ses com­


pagnons. Un parallélisme sc comtale aufant à partir de légères différences que
de ressemblances massives. La volonté de Dorothy de retourner chez elle est
un motif stable et récurrent mais qui prend différentes formes suivant les obs­
tacles quelle rencontre. L'intervention de Tolo dans le déroulement d’une
scène est un motif, une action répétée qui connaît différents résultats : au
Kansas, il gène Miss Gulch et entraîne le départ de Dorothy tandis qu’à Oz il
empêche cette dernière de pouvoir retourner au Kansas.
Les différences peuvent être exacerbées et devenir de franches oppositions.
Les oppositions formelles qui nous sont les plus familières concernent des
Figure 3.8 personnages : Le magicien d'Oz tire une grande partie de sa dynamique narra­
tive des conflits entre Dorothy et Tante Em, «Miss Gulch, la sorcière ou le
magicien. Mais elles peuvent aussi concerner les décors ou l’interprétation. 11
y a dans le film des oppositions de couleurs,entre le noir et blanc du Kansas et
Oz multicolore ou entre les vêtements rouges, blancs et bleus de Dorothy et
ceux, noirs, de la sorcière; de même pour les décors, avec le couple Oz-Kansas
mais aussi avec des oppositions de lieux à l’intérieur de Oz, par exemple entre
la Cité d'Émeraude (fig. 3.8) et le Château de la sorcière (fig. 3.9). On pourrait
encore évoquer des motifs vocaux ou musicaux.
Il y a des systèmes de différenciation plus complexes. Les trois amis de
Dorothy — l’Épouvantail, l'Hommc de fer Blanc et le Lion peureux — se dis­
tinguent autant par leurs silhouettes que par une comparaison à trois termes
de ce qui leur manque (respectivement : un cerveau, un cœur et du courage).
Figure 3.9 Des variations minimales peuvent permettre de décrire un ensemble de per­
sonnages suivant un système de gradations, comme dans Lu règle du jeu (Jean
Renoir, 1939). Informant directement l’image dans le très abstrait Print Géné­
ration, de J. ). Murphy, ces variations sont des changements de détails dans la
reprise continuelle d'un même plan.
Répétition et variation ne vont pas l’une sans l’autre; leur comparaison
fonde le travail analytique, permettant de discerner des motifs, reconnaître
des parallélismes ou des variations importantes.

Développement
Pour rester attentif au travail de la ressemblance et de la différence dans un
film, il faut en chercher les principes de progression, ce qui fait passer d’une
partie à une autre. Des répétitions et des variations structurées constituent ce
que l’on appellera un développement. La suite ABACA est fondée sur une
répétition (récurrence du motif A), une variation (introductions successives
d’un B et d’un C) et sur une progression s’énonçant comme une règle : des A

112
aiPinu-^ u-^LJi-Cfliioii pi in mu mmiut__

alternent avec des lettres apparaissant dans l’ordre alphabétique. C'est le prin­
cipe du développement de cette série.
On peut donner comme modèle de développement formel le passage d’un
clément X à un élément Z en passant par Y. Il y en a de plusieurs sortes dans
Le magicien d’Oz; en premier lieu, le voyage, qui va ici du Kansas à Oz pour
revenir au Kansas. Comme le dit la bonne fée Glinda : «Il vaut mieux com­
mencer par Je commencement»; un plan nous montre Dorolhy posant le
pied sur le début de la Route de Brique Jaune, une simple ligne qui s’agrandit
sous scs yeux (fig. 3.10). Le magicien d’Oz est aussi une quête, s'ouvrant sur
une séparation, décrivant les différentes tentatives de l’héroïne pour revenir
chez elle et s'achevant par son retour. 11 est aussi structuré comme une énigme, Figure 3.10
débutant avec une question (qui est le magicien d’Oz ?), passant par diverses
hypothèses et se concluant par une réponse (le magicien est un charlatan). La
plupart des longs métrages sont ainsi composés de plusieurs schémas de déve­
loppement narratif.
Pour analyser le développement d’un film il est souvent utile d'en produire
une segmentation, une rapide description écrite le divisant en parties princi­
pales et sous-parties désignées par des numéros ou des lettres. Ces sous-par-
1 ies peuvent être des scènes comme des divisions à l’intérieur d'une scène (par
exemple, scènes 6A et 6B, etc.). La segmentation peut prendre la forme d'un
diagramme, qui permet d'avoir une compréhension d'ensemble directe et de
mieux relever les différences et les répétitions (se reporter aux chapitres -1 et
5). Figure 3.11
Une autre façon de mesurer le développement formel d'un film est d'en
comparer le début et la fin. Dans Le magicien d’Oz, une telle comparaison faite
au niveau narratif nous montre que le récit se boucle : la recherche du départ,
celle d'un lieu idéal «au-delà de l'arc-en-ciel», est devenue la recherche d'un
moyen de revenir à la maison. Les scènes finales reprennent en les dévelop­
pant les éléments narratifs du début. Ce sont les deux seuls moments du film
en noir et blanc, répétition qui souligne le contraste narratif entre Oz et le
Kansas.
À la fin du film, une scène où le diseur de bonne aventure, le professeur
Marvel, rend visite à Dorothy (fig. 3.11 ), inverse la situation d'une scène anté­
rieure, où c’était Dorothy en fuite qui venait le voir. Il l’avait alors convaincue
de retourner chez clic; plus tard, dans le rôle du charlatan de Oz, il lui donne
l’espoir de pouvoir le faire; et lorsque enfin elle le reconnaît, ainsi que les trois
journaliers, comme la base du personnage de son rêve, elle se rappelle aussi de
son fort désir de retour.
Nous pouvons à présent mieux comprendre de quelle façon la forme
filmique provoque attentes et réactions émotives. Les jeux constants de la

113
KUUJ - u mu >i jujjl

ressemblance ei de la différence, de la répétition et de la variation nous con­


duisent à une appréhension active et évolutive de l’œuvre. Ce mode d'appré­
hension répond à la première qualité d’un développement formel, celle d’être
un processus qui ne s’accommode pas entièrement des descriptions statiques.

Cohérence
Le système filmique, c’est l’ensemble des relations entre tous les éléments d'un
film, quel que soit notre avis sur l'inadéquation apparente de l'un de ces élé­
ments au système. Cet élément peut-être incohérent, problématique, énigma­
tique — il peut introduire un défaut dans un film qui. sans lui, serait
parfaitement unitaire — mais il fait partie du film, et y produit donc un effet,
Lorsque toutes les relations que nous percevons dans un film sont intelligi­
bles et tissées avec économie, on dit de ce film qu’il est cohérent. On dira aussi
d'un tel film qu'il est « achevé » ou «maîtrisé» parce qu’il ne laisse rien au
hasard dans son système formel : il n'y a aucun élément en trop, chacun d'eux
a un ensemble de fonctions spécifique, les ressemblances et les différences
sont déterminables et la forme obéit à un développement logique.
Il y a différents degrés de cohérence —rares sont les films si maîtrisés
qu’ils ne laissent rien en suspens, quelques questions sans réponses ou incohé­
rences flagrantes. Dans une scène du Magicien d'Oz. la sorcière fait référence à
une attaque d’insectes qu elle aurait dirigée contre Dorothy cl ses amis, mais
comme nous n’avons jamais vu cet épisode, la référence reste mystérieuse,
Une séquence montrant une attaque d'abeilles avait effectivement été tour­
née, pour être finalement abandonnée au montage, ôtant ainsi toute motiva­
tion aux paroles de la sorcière. De façon encore plus frappante, nous ne
savons pas ce qu’est devenue Miss Gulch à la fin du film, plus personne ne fai­
sant allusion à elle. Le spectateur ne fera peut-être pas attention à ce manque
parce que le double de Miss Gulch, la sorcière, a été tué à Oz et que l'on ne
s’attendait donc plus à la revoir.
Plus un film cherche l'unité, plus on en remarque le manque d'unité. Si
l’on estime que la cohérence est un critère de jugement, le film est un échec
— mais ce serait ignorer que ce critère est lui-même le produit de certaines
conventions formelles.
Nous voyons un film où plusieurs personnages meurent mystérieusement,
sans que l’on sache jamais comment ni pourquoi. L’insistance de ce manque
d’explication nous signale qu’il ne s'agit pas d’une «erreur», et l'impression
que les manques sont volontaires sera renforcée si d’autres éléments se révè­
lent tout aussi imprécis. L’aspect lacunaire d'un film peut en être une qualité
formelle positive, qui n'est pas synonyme d'incohérence. Elle peut être

114
(wjuu 2 - nuuKanni h la maifiuiiH

systématique, nous forçant à l'appréhender comme une caractéristique for­


melle fondamentale, là aussi à des degrés variables.

Résumé
Nous avons essayé, dans cette approche esthétique du problème de la forme,
d'être concret. La forme est le système spécifique de relations structurées que
nous percevons dans une oeuvre d'art. Une telle notion nous aide à compren­
dre comment ce que l'on appelle souvent le - contenu» — le sujet du film, les
thèmes abstraits qu'il évoque — a aussi une fonction formelle particulière.
Notre expérience des œuvres est concrète. En relevant les indications
d'une oeuvre, nous sommes amenés à faire certaines suppositions, à produire
certaines attentes qui sont stimulées, dirigées, retardées, trompées, satisfaites
ou perturbées. Nous éprouvons de la curiosité, de l’incertitude, de la surprise.
Nous comparons des aspects de l’œuvre avec ce que nous savons de la vie et de
l'art, avec des conventions. Par sa structure concrète, elle exprime et produit
des émotions et permet d'élaborer plusieurs niveaux de signification. Lorsque
nous appliquons des critères généraux pour porter un jugement critique sur
elle, ces critères nous aident avant tout à mieux discerner, à mieux pénétrer
ses particularités. Le reste du livre est consacré à l ’élude de toutes ces proprié­
tés esthétiques de la forme au cinéma.
On peut regrouper les principes de la forme cinématographique en un
ensemble de questions qu’il faut poser à tout film.

1. À propos de n’importe quel élément du film : quelles sont ses fonctions


par rapport à l’ensemble de la forme? Cet élément est-il motivé, et
comment ?

2. Y a-t-il répétition d’éléments ou de structures dans le film ? Si oui, de


quelle façon et à quels moments ? Les motifs et les parallélismes nous amè­
nent-ils à faire des comparaisons ?

3. Comment les éléments sont-ils différenciés ou, pour certains, mis en


opposition ?

4. Quels types de progression ou de développement sont à l'oeuvre dans la


forme du film ? Une comparaison entre le début et la fin du film en révèle-
t-elle la forme globale ?

5. Quel est le degré de cohérence de la forme du film ? Est-ce quelle possède


des aspects lacunaires localisés, subordonnés à la cohérence générale, ou
ces aspects dominent-ils l’ensemble ?

115
H>11/ 2 - Lfl fjumc PU lljjl

Nous avons étudie, dans ce chapitre, quelques formes majeures de partici­


pation du spectateur au film considéré comme oeuvre d'art, ainsi que des
principes généraux de la forme filmique. Nous pouvons maintenant employer
cette connaissance pour définir plus précisément certains types de forme ciné­
matographique.

Notes et Points d'interrogation

La notion de forme filmique


Selon la psychologie gestahiste, l'esprit humain possède des capacités innées à
l’appréhension des formes. Cette théorie a fait des tenants de la Gesralt
(R. Arnhcim, H. Münstcrbcrg) les défenseurs de l’idée selon laquelle la forme
filmique «fait travailler» le spectateur. La psychologie cognitive se fonde sur
l'idée que l'on cherche à donner du sens à notre environnement et confron­
tant des hypothèses et en tirant des inférences: elle offre aussi de nombreuses
ouvertures intéressantes pour rendre compte de l’activité spectatorielle (cf. les
articles de Dudley Andrew et de David Rordwcll mentionnés dans la biblio­
graphie de ce chapitre.) On trouvera un utile résumé des approches gestahis-
tes et cognitivistes, ainsi que de celles procédant de la psychanalyse, dans le
chapitre 2 du livre de Jacques Aumont, l'image.

Ressemblance et différence
Aucune élude systématique n’a été réalisée sur la façon dont les films mettent
en œuvre les répétitions et les variations, mais la plupart des critiques recon­
naissent implicitement l’importance de ces processus. Un bon exercice consis­
terait à lire un essai critique concernant un film que vous avez vu et à se
demander comment l'auteur attire l'attention sur les différences et les ressem­
blances qui s’y entrelacent.
Certains théoriciens ont signalé de façon explicite le jeu de la ressemblance
et de la différence. Après l’analyse d'une séquence du Grand sommeil, Ray­
mond Bellour (dans «L’évidence et le code») conclut que c’est un certain
schéma de ressemblances et de différences entre les plans qui fait que nous
pouvons comprendre le récit.
Certains films peuvent intriguer par leur façon d’exacerber les différences
au sein de leurs systèmes formels. On peut évoquer deux théoriciens ayant
porté une attention considérable aux fonctions des tensions et des conflits
dans la forme filmique : S.M. Eisenstein, comme Noël Burch dans sa Praxis du
cinéma utilise la notion de «dialectique» formelle. Un autre exercice intéres­
sant consisterait à préciser les différences entre ces deux théoriciens?

116
Le narratif
4
comme système formel

Principes de la construction narrative

Nous sommes entourés d’histoires. Enfants, nous apprenons des


contes de fées, des mythes; plus tard nous lisons des nouvelles,
des romans, de l'histoire, des biographies. La religion, la philoso­
phie ou les sciences mettent en récit leurs doctrines pour pou­
voir les transmettre : dans h tradition judéo-chrétienne, la Bible
et la Torah sont d’immenses recueils d'histoires, et les découver
tes scientifiques sont souvent présentées comme des fables où la Principes de h construction narrative

réussite succède à de longues séries d'expériences. Les pièces de Narration le Ilot de hrtformatkin
théâtre racontent des histoires, comme les films, les spectacles narrative

télévisés, tes bandes dessinées, les peintures, la danse et bien Le cinéma hollywoodien clasnque
d'autres phénomènes culturels. Nos conversations sont émaillées La forme narrative dans Citizen fane
d'histoires — souvenirs ou plaisanteries. De même pour les arti­ Résumé
cles de journaux. El lorsque nous réclamons une explication,
Notes et Point! d’inlerrogabon
c'est en disant : «Raconte!». Nous n'y échappons pas, serait-ce
2 - L fl lO.filflJlil f IL ü __

dans le sommeil; les rives, nous les comprenons comme de courts récits, et
c’est généralement sous celte forme qu'ils restent en mémoire et sont racon­
tés. Le narratif est sans doute, pour l’homme, un moyen fondamental de don­
ner sens au monde.
La prégnance de la forme narrative dans notre quotidien justifie que
nous en observions attentivement la mise en oeuvre dans les films. «Aller au
cinéma» signifie presque toujours aller voir un film narratif — un film qui
raconte une histoire.
Si les formes narratives sont courantes dans les fictions, elles sont aussi
présentes dans d'autres types filmiques — dans le documentaire par exemple :
Printary raconte les campagnes électorales de Hubert Humphrey et
John E Kennedy dans le Wisconsin des années 60. Les films d’animation
racontent des histoires, que ce soient les longs métrages de Disney ou les
courts métrages de la Warner. De même pour les films expérimentaux, avec
des sujets et des moyens plus inhabituels; voir Film about à woman who... ou
Scorpio rising.
Familier des histoires, le spectateur aborde un film de fiction avec des
attentes précises. Nous pouvons savoir ce qu'un film va raconter pour avoir lu
le livre dont il est adapté ou vu le film dont il est la suite. Mais nos attentes
correspondent le plus souvent à la nature même de la forme narrative : on
suppose qu'il y aura des personnages et des situations qui les mettront en rap­
port, une série de péripéties plus ou moins enchaînées, des questions ou des
conflits finalement résolus ou développés. Celui qui regarde un film narratif
est ainsi prêt à lui donner du sens.
En regardant un film, le spectateur relève des indications, revient sur cer­
taines informations, anticipe ce qui va suivre et participe de façon générale à
la création de la forme filmique. La curiosité, le suspense, la surprise sont les
manifestations de ses attentes, déçues ou satisfaites par la fin du film —qui
peut aussi l'obliger à reconsidérer des informations antérieures. Nous verrons
ainsi à différents moments de notre étude comment la forme narrative
entraîne le spectateur dans une activité dynamique.

Récit et histoire
Nous pouvons considérer qu'un récit est une chaîne d’événements liés par des
relations causales, se déroulant dans le temps et dans l’espace — en confondant
pour l'instant le récit avec ce que l’on désigne par le terme « histoire». Généra­
lement, un récit, couvre sur une situation, modifiée par une série d’événe­
ments se succédant suivant un schéma causal et débouchant sur une nouvelle
situation qui mène à la fin du récit.

118
4 - U HflRÜfllU (OU IV51CDI {.OiSLLL

Dans cette définition, la causalité et le temps sont les deux éléments cen­
traux. Une suite aléatoire de faits est difficilement recevable comme une his­
toire. * Un homme s’agite, va et vient, incapable de dormir. Un miroir se brise.
Un téléphone sonne» : cette juxtaposition d'actions, sans relations causales ou
temporelles apparentes, ne se présente pas comme une narration.
Mais on peut en compléter la description : «Un homme se dispute avec
son patron. Dans la nuit, il s'agite, va et vient, incapable de dormir. Le lende­
main matin, il est encore en colère et brise le miroir de la salle de bain. Le télé­
phone se met alors à sonner : son patron l’appelle pour lui faire des excuses».
Nous avons maintenant un récil. Les épisodes sont liés spatialement :
l’homme est d'abord dans un bureau, puis chez lui; le miroir est dans la salle
de bain: le téléphone est ailleurs dans la maison. Nous comprenons que ces
trois événements font partie d’une série de causes et d’effets : la dispute avec le
patron a provoqué l’insomnie et la colère qui est à l'origine de la destruction
du miroir. Un coup de téléphone du patron résout le conflit; la narration est
terminée. De même pour les aspects temporels: la nuit d'insomnie vient
avant la destruction du miroir, qui arrive avant le coup de téléphone. Toute
l'action se déroule en une journée, une nuit et une matinée. Le récit se déve­
loppe à partir d’une situation initiale —un conflit entre un patron et son
employé —, passe par quelques épisodes qui en sont les conséquences et
s’achève avec la résolution du conflit. Ce simple exemple résume ainsi
toute l’importance de la causalité, du temps et de l’espace dans la forme
narrative.
Celle-ci connaît d'autres principes formels, l e parallélisme, par exemple,
tel qu'on l'a défini au chapitre 3, est ce qui développe une ressemblance entre
différents éléments. Pour l'illustrer nous avions vu le lien, dans Le magicien
d’Oz, entre les trois journaliers du Kansas et les trois compagnons de Dorothy.
Un récit peut nous amener à mettre en parallèle des personnages, des décors,
des situations, des moments de la journée... Quelque chose d'autre (O nêcètn
jinérn, Vers Chytilova, 1963) présente alternativement des épisodes de la vie
d'une femme au foyer et de la carrière d’une gymnaste. Les deux femmes ne se
rencontrent jamais et mènent des vies totalement différentes : il n’y a aucun
lien causa) entre leurs deux histoires. Mais nous comparons les situations et le
comportement de chacune — nous faisons des parallèles. Primary est de la
même façon une comparaison entre les méthodes électorales de l’expérimenté
Hubert Humphrey et du jeune Kennedy.
Un autre documentaire, Hoop dreams, fait un usage encore plus radical du
parallélisme. Deux lycéens venant des ghettos noirs de Chicago rêvent de
devenir des basketteurs professionnels. Le film suit la carrière de chacun
d’eux, nous invitant à constater les similitudes et les différences entre leurs

119
. Hlîic ? 7 n rû«ni pü nia -

personnalités, les obstacles qu'ils rencontrent et leurs choix. Les parallèles se


généralisent : entre leurs lycées, leurs entraîneurs, leurs parents et des garçons
plus âgés qui revivent à travers eux leurs anciens rêves de gloire. Le film
devient alors beaucoup plus riche et complexe qu’il ne l’aurait été avec un seul
protagoniste.
Hoop dreams, connue Quelque chose d'autre et Primary, est un film narra­
tif. La double série de situations qui le compose est organisée en termes de
temps, d’espace et de causalité, le film suggérant même l’existence dune force
causale déterminante : les deux garçons ont mis tous leurs espoirs dans la pra­
tique professionnelle du sport parce qu'ils ont grandi dans des quartiers pau­
vres, où celle-ci est un signe manifeste de succès.
Le spectateur ne se contente pas, pour donner sens à un récit, d’en relier
les éléments suivant les trois paramètres que nous avons énoncés. Il recrée,
par inférences, des événements qui ne sont pas présentés explicitement et
repère les éléments étrangers au monde de l’histoire. Pour pouvoir préciser
ces deux activités spectatorielles et poursuivre l'étude de la forme narrative, il
nous faut à présent faire la différence entre une histoire et un récit (qui est
aussi la différence entre -histoire- et -discours»).
Nous faisons souvent des suppositions et des inférences sur les événements
d’un film narratif. Au début de La mort aux trousses, par exemple, nous recon­
naissons Manhattan à l'heure de pointe grâce à une série d’indices patents :
gratte-ciel, embouteillages, piétons pressés. Puis nous voyons Roger Thornhill
sortir d'un ascenseur avec sa secrétaire, Maggic, et traverser un hall à grand
pas tout en lui dictant des notes de service. Immédiatement, certaines conclu­
sions s'imposent : Thornhill est un cadre supérieur, qui mène une vie très
active. Nous supposons qu'avant leur apparition, ei sans doute avant leur
entrée dans l'ascenseur, dans leur bureau, il était déjà en train de dicter des
notes à Maggic — le film s’ouvre sur une action en cours. Causalité et
séquence temporelle sont donc recomposés sans qu'aucune de ces informa­
tions n’ait fait l'objet d'une présentation directe. Ces inférences, probable­
ment réalisées de façon inconsciente au moment de la vision du film, n'en
sont pas moins fortes.
L’histoire est la somme de tous les faits présentés explicitement dans le film
ou déduits par le spectateur. Dans notre exemple, l’histoire se compose d’au
moins deux situations explicites et deux implicites (entre parenthèses) :

(Roger Thornhill a encore eu une journée très chargée au bureau.)


C'est l'heure de pointe à Manhattan.
(Tout en dictant des notes à .Maggic, sa secrétaire. Roger quitte le bureau et ils
prennent ensemble l'ascenseur.)
Continuant de dicter. Roger ton de l'ascenseur avec Maggie et trawrse le hall
à grands pas.

120
- LMHillK UJ-iiunut wm

Le pseudo monde où se déroule l’histoire est souvent appelé la dtégèse (en


grec : «histoire rapportée»). Dans l’ouverture de La mort aux troussest la cir­
culation, la rue, les gratte-ciel et les gens que nous voyons, ainsi que la circula­
tion, la rue. les gratte-ciel cl les gens que nous supposons être hors-champ
seront qualifiés de diégétiques, parce que nous leur conférons une existence à
l'intérieur du monde décrit.
Le terme «récri» sert à désigner les éléments de l’histoire directement pré­
sentés par le film au moyen d’images et de sons. Ici, le récit n’est constitué que
de deux situations : l'heure de pointe et la sortie de l'ascenseur.
l .e récit peut contenir des éléments qui ne participent pas de la diégèse. Au
début de La mort aux trousses, le plan qui permet d'évoquer l’heure de pointe
à Manhattan est accompagné des titres du générique et d’une musique. Aucun
de ces éléments n’est diégétique, ce sont les interventions d'une instance exté­
rieure au film (les personnages ne peuvent pas lire le générique, ni entendre la
musique). Dans les chapitres 8 et 9. nous analyserons les fonctions extradiégé-
ttques du montage et du son.
Il n’y a pas que le générique qui soit extradiégétique. Dans Tous en scène
( The bamiwagon. Vinccnte Minnelli, 1953), nous assistons à la première d'une
comédie musicale terriblement prétentieuse. Les spectateurs impatients font
la queue pour entrer dans la salle; sont alors insérés deux dessins en noir et
blanc représentant des paysages désolés, suivis par un troisième représentant
un oeuf. Avec ccs trois dessins, nous entendons un choeur de lamentations.
Images et sons sont clairement extradiégétiques, intervenant dans l'histoire
pour nous indiquer que le spectacle est catastrophique, ses concepteurs
n’ayant «pas pondu grand-chose», et en tirer des effets comiques extérieurs
au pseudo monde décrit.
L'histoire et le récit se confondent donc sur certains faits, mais l'histoire
évoque des situations diégéliques qui ne nous sont pas montrées, tandis que le
récit présente des images et des sons extradiégétiques qui influent sur notre
compréhension de l'histoire. On pourrait résumer leurs relations par le
schéma suivant :

Histoire

Événements Événements Éléments


déduits représentés extradiégétiques

Récit

Il y a deux façons d’aborder ces différences entre récit et histoire. Pour


celui qui raconte l’histoire, le -conteur» —confondu avec le réalisateur —
celle-ci est la somme des événements composant l’univers diégétique. Celui

121
1 - IIUUIUIUI

qui raconte peut présenter ces événements directement, et donc les intégrer
au récit, comme en cacher ou en ignorer d’autres — dans La mort aux trousses
nous voyons la mère de Roger Thornhill, mais nous n’entendons jamais parler
de son père. Ajouter des éléments extradiégéliques à l'histoire est un moyen,
pour le réalisateur, d’en faire un récit, comme nous venons de le voir avec
Tous en scène.
Du point de vue du sujet percevant, les choses sont quelque peu diffé­
rentes. Tout ce qui se présente à lui, c'est le récit — l'organisation narrative
concrète du film tel qu’il lui est donné à voir. Il crée l'histoire à partir des
informations fournies par le récit, tout en distinguant dans celui-ci ce qui est
extradiégétique.
Il semble alors qu'il y a toujours deux possibilités pour dresser le synopsis
d'un film narratif : résumer l’histoire, en respectant l’ordre chronologique des
événements déduits du récit, ou décrire le récit, suivant l’ordre que celui-ci
propose. On voit déjà que la distinction entre récit et histoire, si elle constitue
avec notre définition initiale un ensemble d'outils permettant d’analyser le
fonctionnement de la forme narrative, oblige aussi à reconsidérer pour cha­
cun les trois paramètres de la forme narrative : causalité, temporalité, spatia­
lité.

Causalité
Qu’est-ce qui a fonction d'agent causal dans une forme narrative ? Générale­
ment, les personnages, qui déclenchent les situations et y réagissent; des per­
sonnes, donc, ou des entités ressemblant à des personnes — Bugs Bunny, E.T.
l'extraterresire ou la théière chantante de La Belle et la Bête — mais que nous
appellerons toujours personnages pour éviter les confusions terminologiques.
Michael Moore est un personnage de Roger and me, Roger Thornhill, un per­
sonnage de La mort aux trousses, même si le premier est une personne réelle et
le second, une fiction. Dans tout film narratif, documentaire ou fiction, les
personnages créent les causes et manifestent les effets. A l’intérieur du sys­
tème formel du film, ils provoquent les événements et réagissent à leurs chan­
gements.
Un personnage à plusieurs qualités. 11 est généralement doté d'un corps
(mais certains ne sont que des voix fantomatiques, comme lorsque Obi-Wan
Kcnobi revient d’entre les morts, dans L'Empire contre-attaque (Lite empire
strikes bock. Jrwin Kerschner, 1980) pour presser Yoda, le maître Jedi, de don­
ner à Luke Skywalker son initiation). Il a aussi des traits de caractères, une
personnalité, dont la complexité varie selon les films. L’inoubliable Sherlock
Holmes est une collection de détails psychologiques ou comportementaux

122
ÏWIIU* u nofififliti coim mim

relatifs à ses habitudes (il est mélomane et cocaïnomane) ou à sa nature pro­


fonde (sa remarquable intelligence, son mépris pour la bêtise, son profession­
nalisme hautain, sa galanterie occasionnelle).
Un trait de caractère remplit souvent une fonction précise. Dans la
deuxième scène de L'homme qui en savait trop (The man who knew lo much,
Alfred Hitchcock, 1934), on voit que l’héroïne, Jill, sait très bien tirer au fusil.
Ce détail ne prend toute son importance que dans la dernière scène, où elle est
capable d'abattre l'un des malfaiteurs à la place d’un policier. Cette adresse au
tir n’est pas l’une des caractéristiques d’une personne qui s’appellerait Jill,
c’est un élément de la construction du personnage du même nom, dont la
fonction narrative est définie. Des comportements, des compétences, des pré­
férences, des pulsions, les détails d’un vêtement ou d'une silhouette, toutes ces
caractéristiques construisent un personnage.
Mais il y a d'autres types d'agent causal. Dans un film catastrophe, ce sont
les tremblements de terre ou les raz-de-marée qui mettent en branle une
chaîne d’événements, à la façon du requin des Dents de la mer qui terrorise
une cité balnéaire. (Un film peut personnifier ces agents naturels en leur attri­
buant des caractéristiques humaines, la malveillance par exemple. Dans Les
dents de la mer, le requin est rusé et rancunier). Une fois la situation ainsi mise
en place, son développement repose souvent sur des situations et des senti­
ments humains. Un homme qui a survécu au raz-de-marée ne sait pas s’il doit
sauver son pire ennemi; dans Les dents de la mer, les habitants de la ville ont
tous une façon différente d’aborder le problème du requin, multipliant ainsi
les directions du récit.
Le spectateur cherche en généra! à relier les faits en terme de cause et de
conséquence, de motivation. Nous avons déjà évoqué cette notion au
chapitre 3, illustrée par une scène de Mon homme Godfrey où la présence d'un
clochard dans un bal mondain est justifiée par une chasse au trésor. La moti­
vation prend souvent la forme d'une simple information préalable : dans
l’une des dernières scènes de La Chevauchée fantastique, une attaque indienne
est repoussée à la dernière minute par une cavalerie. Si ces soldats sortaient de
nulle part, nous jugerions la solution trop facile; mais au début du film, nous
les avons vus découvrir que Geronimo est sur le sentier de la guerre. La cava­
lerie intervient à plusieurs reprises; pendant l’un des arrêts de la diligence, les
passagers apprennent qu’il y a déjà eu un incident entre elle et les Indiens. Le
sauvetage final est justifié par ces informations successives.
La plupart des aspects de la causalité que nous venons d’évoquer partici­
pent de la présentation directe des causes et des effets par le récit. Dans
L'homme qui en savait trop on nous montre l'adresse de Jill au tir, qui lui per­
met plus tard de sauver sa fille; c'est parce que l’on assiste à l'attaque du

123
mm 2 - ;oik lu uiffl

requin au début des Dents de mer que le reste du film peut-être consacré
aux réactions des habitants de la ville. Mais le récit peut aussi nous conduire à
reconstituer, par inférences, l’enchaînement des causes et des effets, et par
conséquent la totalité de l'histoire. Le film policier offre le meilleur exemple
de la façon dont fonctionne celle élaboration dynamique de l'histoire.

Un meurtre a été commis : nous connaissons un effet, mais pas les causes
— l'identité de l'assassin, son motif et peut-être la façon dont le meurtre s'est
déroulé. L’inlrigue policière en appelle à notre curiosité, à notre désir de con­
naître les faits antérieurs à l’ouverture du récit. Dévoiler les causes manquan­
tes, c'est le travail du policier — à la fin, il nommera l'assassin, expliquera son
motif et sa méthode. Dans ce genre, donc, c'est au moment le plus important
du récit, de son dimax, que sont révélées les situations initiales de l'histoire.

a. Conception du crime
b. Préparation du crime
Histoire Réalisation du crime
Le crime est découvert
Récil Le policier enquête
Le policier dévoile a, b et c

C'est dans les récits policiers que cette structure est la plus courante, mais
tout récit cinématographique peut ainsi dissimuler des causes pour faire naî­
tre notre curiosité. Dans les films d’horreur ou de science-fiction, par exem­
ple, on nous dissimule souvent la nature des forces provoquant certains
événements. Nous verrons plus loin de quelle façon le récit de Citizen Kane
retarde l’explication des dernières paroles de son personnage principal.

À l'inverse, c’est la présentation des effets qui peut être retardée ou absen­
tée pour éveiller notre imagination. Dans Les dents de la mer, le requin brise la
cage de protection dans laquelle Hooper, le jeune scientifique, était descendu
pour le combattre. On ne nous montre pas l’issue de la scène — ce sera sans
doute la mort, même si on voit le personnage qui essaye de se cacher dans les
fonds marins Mais plus tard, après que le shérif Brody a réussi à tuer l’animal,
Hooper refait surface, contre toute attente.

Celte figure est plus troublante lorsqu'elle vient en conclusion d'un récit,
comme dans la célèbre séquence finale des 400 coups (François Truffaul,
1959). Un jeune garçon, Antoine Doinel. s'est échappé d'une maison de
redressement et court sur une plage. Après un brusque zoom sur son visage,
l’image se fige (fig. 4.1) — c’est la fin du film, qui nous laisse libre d'imaginer
ce qui va se passer.

124
(wim 4 - u nmfliu uni ijjjmxWUl

Figure 4.1

Temporalité
Causes eî conséquences s'inscrivent dans une temporalité. La distinction
entre récit et histoire va nous permettre d’expliquer comment le temps agit
sur notre compréhension d'une intrigue.
Nous reconstruisons la chronologie de l'histoire à partir des données d’un
récit qui ne la respecte pas toujours. Dans Citizen Kane, par exemple, le spec­
tateur assiste à la mort d'un homme avant de voir les épisodes consacrés à son
enfance et doit donc rétablir lui-même l'ordre biographique. Le récit peut
présenter une chronologie trouée, que le spectateur est appelé à compléter, ou
répétitive, par exemple lorsqu’un personnage se souvient continuellement
d'une scène traumatique. Cela nous conduit à préciser trois paramètres de la
construction narrative : l’ordre, la durée et la fréquence.

L'ordre. Nous sommes habitués aux films qui ne respectent pas l’ordre chro­
nologique d’une histoire, avec par exemple le fîashback, ou «retour en
arrière». Une femme pense à son enfance : au plan qui la montre songeuse
succède un plan où elle apparaît petite fille — nous comprenons que ce plan
esc, dans la chronologie de l'histoire, antérieur au premier. Si nous schémati­
sons la structure d'une histoire sous la forme ABCD, le récit correspondant
avec flashback s'écrit BACD, et celui avec flashforward (présentant une action
postérieure à l'action en cours), ABDC. Nous pouvons à nouveau évoquer
l'exemple du film policier, qui joue sur la causalité en retardant la révélation
d’événements capitaux mais bouleverse aussi l'ordre chronologique, le récit
ne présentant les événements entourant le crime qu’au moment du climax.
La structure temporelle du récit peut être une alternance d'actions passées
et présentes. Dans la première moitié de Distant voices. still Lives (Terence
Davies, 1988) le mariage d’une jeune femme, qui a lieu dans le présent de la
narration, est émaillé de flashbacks montrant l'époque où sa famille vivait

125
mm z ; j iiuii m un

sous l’autorité d'un père grossier et déséquilibré. Les flashbacks ne respectent


pas non plus l'ordre chronologique, les scènes d’enfance se mêlant aux scènes
d'adolescence.
Une réorganisation très simple des scènes peut suffire à créer une grande
complexité narrative. Au début du récit de Pulp Fiction, un couple décide de
dévaliser le bar où iis sont en train de prendre leur petit déjeuner. Cette scène
se déroule en fait plus lard dans l'histoire, ce que le spectateur n'apprend que
dans la dernière partie du film, au moment où le couple, passé à l’action,
interrompt un dialogue entre les deux personnages principaux qui prennent
leur petit déjeuner au mime endroit. Tarantino crée donc un effet de surprise
en se contentant de placer une partie d'une scène de la fin de l'histoire au
début du récit. Plus tard dans le même film, un tueur à gages est assassiné
mais réapparaît, vivant, dans des scènes ultérieures, où il essaye avec son par­
tenaire de se débarrasser d'un cadavre. Là encore, le réalisateur a simplement
déplacé un ensemble de scènes se déroulant vers le milieu de l'histoire (avant
que l'homme soit tué) à la fin du récit. Ces scènes viennent maintenant con­
clure le film, ce qui leur procure une importance quelles n’auraient pas eue en
restant dans l’ordre chronologique.

La durée. Le récit de La mort aux trousses raconte quatre jours et quatre nuits
effrénés dans la vie de Roger Thornhill. Mais l'histoire se déploie sur une plus
longue période, des informations sur le passé des personnages — les diffé­
rents mariages de Thornhill — ou des événements — les machinations de la
C.I.A., les activités clandestines de Van Damm — étant révélées au cours du
récit.
En général, un récit se concentre sur certains moments de l'histoire — que
ce soient des périodes courtes cl rapprochées, comme dans La mort aux trous­
ses, ou une série d'épisodes importants ponctuant toute la vie d’un homme
comme dans Citizen Kane— dont la somme produit la durée globale du récit.
Il faut aussi considérer le temps de projection du film. Un film peut durer
vingt minutes, deux heures ou huit heures comme Hitler, un film d'Allemagne
(Hitler, ein film aus Deutschland, Hans Jürgcn Sybcrberg, 1977). Il y a donc
trois types de durée — durée de l’histoire, du récit et de projection — dont les
rapports sont complexes (voir «Notes et Points d’interrogation»). Nous nous
contenterons pour l'instant de souligner que la durée de projection est indé­
pendante des deux autres — dans La mort aux trousses, l’histoire s'étend sur
plusieurs années, le récit, sur quatre jours, et la projection dure environ 136
minutes.
durée du récit est le résultat d'une sélection opérée dans la durée de
l’histoire, et il en va de même pour la durée de projection par rapport à celle
du récit. Des quatre jours de la vie de Thornhill, nous ne voyons que quelques

126
fragments. Mais il y a des contre-exemples, comme Douze hommes en colère
(Twelve angry men.Sidncy Lu met, 1957) l'histoire de la délibération d’un jury
sur une affaire de meurtre, où les 95 minutes du film correspondent presque
au pseudo temps réel de l’action.
La durée de projection peut aussi être la manifestation d'une manipulation
du temps de l’histoire par le récit. Elle peut, par exemple, excéder la durée
normale de l'action (on dit quelle la dilate}. La levée du pont dans Octobre, de
Sergueï Eisenstein, en est un exemple célèbre; sa durée, démultipliée au
moyen du montage, confère à l'action une formidable intensité. Le temps
peut aussi être comprimé, une longue scène, devenir une succession rapide de
plans. Ces aspects techniques de la création de la durée de projection seront
détaillés dans les chapitres 7 et 8.

La fréquence. Un événement de l’histoire est généralement présenté une seule


fois dans le récit, mais un bouleversement chronologique, flashback ou flash-
forward, ou une démultiplication des points de vue sur une meme situation
(l’utilisation de plusieurs narrateurs) peuvent motiver des répétitions plus ou
moins divergentes. La reprise d’une scène peut être l’occasion de fournir au
spectateur un plus grand nombre d'informations permettant de comprendre
l’événement dans un contexte différent. C’est ce qui se passe avec la double
scène du vol au début et à la fin de Pulp fiction ou avec les différentes versions
de la vie de Charles Forstcr Kane dans le film de Wclles.
Les aspects temporels du récit appellent une participation active du spec­
tateur à la construction du film. C’est à partir des indications fournies par le
récit — ordre chronologique, durée de certaines actions, nombre d’occur­
rences — qu'il doit faire des inférences et former des attentes.
11 nous faut souvent justifier les manipulations temporelles par le tout-
puissant principe de causalité. La motivation d'un flashback, par exemple,
sera un incident provoquant un souvenir; une ellipse de plusieurs années
indiquera que celte période est sans importance dans la chaîne causale; une
répétition permettra d’exposer clairement des circonstances capitales du récit.

Spatialité
L'espace est en général un élément important dans la narration filmique, con­
trairement à d'autres modes d'expression narratifs où l’accent peut être mis
sur la causalité et la temporalité, sans précision de lieu. Ijes événements ont
souvent des contextes spatiaux précis, le Kansas ou Oz, le Michigan dans
Roger and Me, Manhattan dans La mort aux trousses. Avant de revenir à des
observations sur les décors au chapitre 6, consacré à la mise en scène, nous

127
u*in 2 - ii niii m im

pouvons faire quelques remarques sur la façon dont récit et histoire manipu­
lent les données spatiales.
L’espace de l'histoire et celui du récit sont normalement confondus mais le
récit évoque parfois des lieux non-vus qui participent de l’histoire. C’est le cas
du bureau de Roger Thornhill ou des écoles dont Kanc est renvoyé. Dans une
scène à'Exodus (Otto Preminger. 1960) Dov landau, interrogé par les mem­
bres d’une organisation terroriste dont il veut faire partie, raconte avec diffi­
culté son passage dans un camp de concentration nazi. Le film ne nous
montre pas le camp par un tlashback : la puissance émotionnelle de la scène
dépend de notre capacité à en renforcer, par l’imagination, la description
sommaire.
Nous pouvons introduire ici une notion analogue à celle de durée de pro­
jection, Le champ est cet espace délimité par le cadre, qui implique un hors-
champ et constitue un troisième espace à coté de ceux déterminés par l’histoire
et par le récit. De même que la durée de projection est le résultat de choix opé­
rés dans la durée du récit, le champ est un fragment de l’espace du récit. Nous
y reviendrons au chapitre 7, à propos du cadrage cinématographique.

Ouvertures, clôtures et développements


Dans le chapitre 3, nous évoquions à propos du développement formel l'uti­
lité de comparer le début et la fin d’un film. 11 en va de même pour la forme
narrative, où causalité, temporalité et spatialité entraînent généralement le
passage d'une situation initiale à une situation finale.
Un film ne «démarre» pas, il commence. L’ouverture fournit les bases de ce
qui va suivre et nous introduit dans la narration. Souvent, le récit cherche à
éveiller la curiosité en nous précipitant dans une action qui a déjà débuté.
(C’est une ouverture in médias res, en latin : - au milieu des choses»), 1^ spec­
tateur imagine les causes de ce qui lui est présenté, ce qui s’est passé avant le
début de récit étant souvent décrit ou suggéré pour qu’il puisse commencer à
reconstituer toute l’histoire. Cette partie du récit qui présente les situations et
les personnages importants en ouverture est Vexposition : s y forment une
série de possibilités causales (qu’est-ce qui est la cause de cette situation ?
Quel effet aura-t-elle ?) qui provoquent les attentes du spectateur.
Aucun film ne peut explorer toutes les hypothèses qui se présentent a
l’esprit du spectateur au début d’un film; c’est avec l’avancée du récit que les
enchaînements de causes et de conséquences précisent les schémas de déve­
loppement. Il n’y a pas de liste exhaustive des differents schémas narratifs
possibles, mais quelques-uns uns reviennent avec une fréquence suffisante
pour mériter d’être mentionnés.

128
l{ iflSMiiLiiiiai (Iintii mui.

La plupart des schémas de développement narratif sont déterminés par la


façon dont des enchaînements de causes et d’effets produisent un change­
ment dans la situation d'un personnage. Dans le modèle le plus commun, il
s'agit d'un changement de savoir. Très souvent, le personnage apprend quelque
chose au cours de l’action, l’information la plus cruciale intervenant à un
tournant du récit.
Beaucoup de récits se construisent autour de la poursuite d’un objectif par
un ou plusieurs personnages —l’accomplissement d'un désir, le contrôle
d’une situation. Tous les récits de quêtes ou de recherches en sont des
variantes. Dans Les aventuriers de F,Arche perdue (Raidcrs of the lost Ark, Steven
Spielberg, 1981) les protagonistes veulent retrouver l’Arche d’Alliancc; dans
Le million (René Clair, 1931), un billet de loterie égaré; dans La mort aux
trousses. George Kaplan. Une autre variante de ce modèle est V enquête, carac­
téristique du film policier, où la recherche des personnages principaux ne vise
pas un objet mais des informations, des causes mystérieuses. Dans un film
plus psychologique comme Huit et demi (Otto e mezza, Federico Fellini,
1963), où le personnage, un réalisateur célèbre, cherche à découvrir l’origine
de ses problèmes de création, quête et enquête sont intériorisées.
Le temps et l’espace peuvent aussi fournir des schémas narratifs. Une
situation de référence dans le présent peut être à l'origine d’une série de flash-
backs, comme dans Citizen Kane. Chaque partie de Hoop Dreams est consa­
crée à une année de la vie des deux protagonistes, dont on suit tout le
parcours scolaire. Le récit peut aussi programmer la durée d’une action en lui
imposant une échéance ou créer une structure répétitive en décrivant des évé­
nements cycliques. Dans Retour vers te futur (Back to the future. Robert
Zemeckis, 1985) le héros doit synchroniser sa machine à voyager dans le
temps avec le surgissement d’un éclair pour pouvoir retourner dans le
présent; dans Zdig (Woody Allen, 1983) le héros-caméléon, qui ne peut
s’empêcher d'imiter les gens qui l’entourent, perd continuellement son iden­
tité.
De même, une situation spatiale peut servir de base à un schéma narratif,
par exemple lorsque l’action se déroule dans un décor unique : un train dans
Le grand attentat (The tait target. Anthony Mann, 1951] une maison dans
Long day's journey into night (Sidncy Lumct, 1962).
Ces schémas se combinent : dans tout film construit autour d'un voyage,
comme Le magicien d'Oz ou La mort aux trousses, il y a une programmation
du temps interne du récit et la détermination d’un itinéraire. Le comique des
Vacances de M. Hulot (Jacques Tati, 1953) est fondé sur de fortes structura­
tions spatiales et temporelles. L’action se déroule pendant une semaine des
vacances d’été, dans une station balnéaire et son voisinage marqués par le

129
____ MIJIl 2 - L1 JjmJJLLLLi

retour quotidien des mêmes activités — exercices physiques le matin, déjeu­


ner, sorties l’après-midi, divertissement en soirée. L’irruption de M. Hulot
dans cette routine et les différentes façons dont il en perturbe le rythme lui
aliène l’ensemble des vacanciers : l’humour du récit tient moins à un système
causal qu’à ce que la situation engage alors de jeux spatio-temporels.

À chaque modèle de développement narratif correspondent des attentes


particulières, qui se précisent avec l’avancée du récit. Lorsque nous avons
compris le désir de Dorothy de rentrer chez elle, chacune de ses actions
devient un progrès ou un recul en regard de cet objectif. Son voyage à Oz n'a
donc rien d'une ballade touristique : toutes les étapes (la Cité d’Émeraude, le
Château de la Sorcière puis à nouveau la Cité d’Émeraude) sont gouvernées
par ce même désir de retour.
Un schéma de développement organise généralement, dans sa partie cen­
trale, le report d'une issue ou d’un résultat attendus. Lorsque Dorothy réussit
enfin à rejoindre le magicien, celui-ci dresse un nouvel obstacle en lui récla­
mant le balai de la sorcière. De la meme façon dans La mon aux trousses, le
voyage qui structure le récit retarde constamment Thornhill dans sa décou­
verte de l’inexistence de Kaplan et devient l’un des facteurs du suspense.
L’avancée d'un récit peut réserver des surprises ou tromper des attentes
— Dorothy découvre que le magicien est un charlatan, Thornhill voit Leo­
nard tirer sur Van Damm, son patron, à bout portant. Les schémas de déve­
loppement poussent le spectateur à anticiper le déroulement du récit pour
mieux le faire attendre, le tromper ou le satisfaire.

Un film ne s’arrête pas, il s'achève. Le récit résorbe scs chaînes causales en


portant leur développement à un point de plus haute intensité, un climax. Le
climax est le moment de réduction maximale des possibles dramatiques: dans
celui de La mort aux trousses, Roger et Eve sont suspendus en haut du Mont
Rushmore et n’ont plus que deux possibilités : tomber ou être sauvés.

Dans cette réduction, la chaîne causale trouve à sa résoudre ou à délivrer


scs effets. Le climax de Primary a pour cadre la nuit des élections; Kennedy cl
Humphrey attendent le verdict des électeurs et finissent par apprendre le nom
du vainqueur. Dans Les dents de la mer, une série de combats avec le requin
débouchent sur un climax marqué par le naufrage du bateau, la mort du capi­
taine Quint, la mort apparente de Hoopcr et la victoire finale de Broody. La
fin s’apparente dans ces deux exemples à un dénouement, c'est-à-dire à une
résolution définitive ou à une «clôture» de la chaîne causale.

Par ailleurs, le climax est pour le spectateur le moment le plus émouvant


du film, celui où la tension est la plus grande parce que la réduction des possi­
bilités narratives y rend ses anticipations ou ses attentes plus aiguës. Dans

130
auum. • jj imuii un nu. mit m La a n il

beaucoup de films, le moment du climax est celui où la résolution formelle


coïncide avec la satisfaction émotionnelle du spectateur.
Cependant, il existe des récits sans dimax, sans résolution définitive de la
chaîne causale. On a déjà évoqué le dernier plan des 400 coups. Dans L’éclipse
(L'edisse, Michclangclo Antonioni, 1962) deux amants promettent de se
revoir pour une ultime réconciliation mais ne se rencontrent jamais : le film
s'achève sur une description du lieu de leur rendez-vous, où iis ne sont pas.
Dans ces films, la fin est dite - ouverte». Le récit nous laisse dans l'incerti­
tude quant aux conséquences des événements précédents — les réactions du
spectateur deviennent elles-mêmes moins assurées. La forme peut l'encoura­
ger à imaginer ce qui pourrait se passer ensuite ou à réfléchir aux autres
façons dont le film a peut-être répondu à ses attentes.

Narration : le flot de l'information narrative


Un récit présente ou laisse supposer des informations. I.'ouverlure de La mort
aux trousses montre Manhattan à l'heure de pointe et Roger Thornhill comme
un cadre supérieur; il suggère également que Thornhill était déjà en train de
dicter des notes à sa secrétaire avant son apparition. Les réalisateurs ont com­
pris depuis longtemps qu'ils peuvent susciter l'intérêt du spectateur et le
manipuler en prenant garde à la façon dont ils divulguent les informations
narratives. Au début du film, nous ne savons presque rien de l'histoire; à la
fin, presque tout. Que s'est-il passé entre temps ?
Retarder la révélation d'une information pour éveiller la curiosité ou créer
la surprise, fournir une information qui entraîne de nouvelles attentes ou
accroît le suspense, ce sont des procédés de narration — la façon dont le récit
dispense des informations pour arriver à des effets spécifiques. La narration
est ce qui nous guide à chaque instant dans la construction de l’histoire. Elle
est définie par de nombreux facteurs (voir * Notes et Points d'interrogation»)
dont les plus importants sont ce que nous appellerons l’étendue et la profon­
deur du champ informatif.

Étendue du champ informatif


Le récit de Naissance d’une nation commence par évoquer l’arrivée des
esclaves aux États-Unis et les débats sur la nécessité de les libérer; puis l'on
suit deux familles, les Stoneman, du Nord, et les Cameron, du Sud, ainsi
que certains faits d’histoire politique, dont les tentatives de Lincoln pour évi­
ter la guerre civile. Dés le début nous avons donc à notre disposition une
grande quantité d’informations d'origines et de types différents : historiques,

131
miiji 2 - ta mn

géographiques, psychologiques. Le champ informatif reste très étendu pen­


dant toute la durée du film. Lorsque Ben (lameron à l'idée de créer ic Ku Klux
Klan, nous en avons connaissance en même temps, bien avant les autres per­
sonnages. Au moment du climax nous savons que des membres du Klan. à
cheval, viennent secourir des gens assiégés dans une cabane, mais ces derniers
ne le savent pas. Dans Naissance d'une nation, la narration est illimitée,
omnisciente : nous en savons, voyons ei entendons plus que n’importe quel
personnage.
Au début du Grand sommeil (The big sleep. Howard Hawks, 1946) le détec­
tive Philip Marlowe est chez le général Stcrnwood, qui veut louer ses services.
Nous en apprenons autant que lui sur l'affaire qu’il devra traiter. Marlowe est
ensuite présent dans chaque scène du film; sauf exceptions, nous n’entendons
ou ne voyons rien dont il n'ait connaissance. La narration est restreinte à ce
que sait Marlowe.
Chaque procédé a son intérêt. La narration omnisciente est essentielle à
Naissance d'une nation qui, à travers des scènes particulièrement racistes,
cherche à dépeindre l'ensemble d'une période de l’histoire des États-Unis en
entremêlant une pluralité de destins individuels à celui du pays. Si Griffith
avait restreint la narration à la façon de Hawks pour Le grand sommeil, les
informations nécessaires à la construction de l’histoire nous auraient été com­
muniquées par le biais d’un seul personnage, Ben Cameron par exemple.
Nous n'aurions donc pas vu le prologue, la plupart des scènes de batailles, cel­
les se déroulant dans le bureau de Lincoln cl l'assassinat de celui-ci, puisque
Ben n’y assiste pas. Le récit se serait concentré sur une expérience individuelle
de la Guerre civile et de la Reconstruction.
De même, la narration restreinte du Grand sommeil a des fonctions préci­
ses. Parce que notre savoir est identique à celui de Marlowe, le film ménage
plus facilement ses effets de surprise ou de suspense. Cette restriction permet
de dissimuler facilement certains éléments de la chaîne causale tout en respec­
tant une motivation réaliste, la progression de l’enquête. C’est pour cette rai­
son un procédé important dans les films à énigmes : en faisant alterner
l’enquête de Marlowe et les machinations criminelles de Eddie Mars, par
exemple, la narration aurait éventé tout le mystère. Dans nos deux exemples,
l’illimilation comme la restriction du champ informatif sont destinées à avoir
des effets précis sur le spectateur.
Ces catégories, loin d’être pures, seraient comme les deux extrêmes d'une
échelle continue. 11 y a de nombreuses possibilités entre la restriction mise en
œuvre dans Le grand sommeil et l’omniscience de Naissance d'une nation. Les
premières scènes de Lxi mort aux trousses, par exemple, sont essentiellement
limitées à ce que voit et sait Roger ThornhiJ], Mais après sa fuite du siège des

132
(W1IU 4 - U uujiii (1W

Nations unies, nous sommes transportés à Washington, où des membres de la


C.LA. commentant la situation nous apprennent que l’homme qu'il recher­
che, George Kaplan, n’existe pas. À partir de ce moment nous en savons plus
que Thornhill et plus que les agents de la C.I.A., puisque nous connaissons
aussi le pourquoi du quiproquo motivant le récit. Néanmoins, des informa­
tions qui auraient pu être divulguées à l'occasion de cette scène —entre
autres, l'identité de l'agent double qui a infiltré le groupe de Van Damm —
restent toujours dans l’ombre. On voit donc ici comment un film peut
osciller, dans la présentation des informations narratives, entre la restriction
et son contraire. (Pour des précisions supplémentaires sur la narration dans
La mort aux trousses, cf. chapitre 11).
Il y a toujours une restriction â la narration, quelque chose que l'on nous
tait — ne scrait-ce que la façon dont le film va se terminer. La narration
omnisciente typique ressemblerait à celle mise en oeuvre dans Naissance d'une
nation, où c’est le passage constant d’un personnage à un autre qui fait évo­
luer l’information. De même, une narration strictement restreinte est rare:
généralement, il y a toujours des scènes auxquelles aucun des personnages
n'assiste.
La façon dont le récit délivre les données de l’histoire, l'étendue du champ
informatif, crée une hiérarchie des savoirs qui peut évoluer avec le film. À
n’importe quel moment, nous pouvons nous demander si le spectateur en sait
plus, moins ou autant que les personnages. Voilà à quoi ressemblerait celte
hiérarchie pour les trois films que nous avons évoqués (plus on est haut sur
l'échelle, plus le champ informatif est étendu) :

Naissance d’une natton Le GRAND SOMMFJt La mort aux trousses

(narration omnisciente) (narration restreinte) (narration mixte et changeante)


le spectateur le spectateur - Martowc laCI.A.
mus les personnages le spectateur
Thornhill

«Qui sait quoi à quel moment»? C’est une bonne façon d’interroger le
champ informatif dans un récit, en n’oubliant pas d’inclure le spectateur dans
les «qui», celui-ci pouvant non seulement en savoir plus que n'importe quel
personnage mais aussi être le seul à connaître certaines informations, comme
nous le verrons en analysant la fin de Citizen Kane.
La narration est manipulatrice : en réduisant le champ informatif du spec­
tateur, elle peut provoquer sa curiosité ou sa surprise. (C’est le procédé classi­
que du film d'horreur: un lieu sombre où notre perception est identique à
celle d'un personnage isolé et, soudain, une main jaillit par l'entrebâillement

133
MtTU I . 1.1 uni » iif

d’une porte...). À l'inverse, comme l'expliquait Alfred Hitchcock à François


Truffaut, le suspense peut être créé par un certain degré d'omniscience :
Nous sommes en train de parler, il y a peut-être une bombe sous cette
table, et notre conversation est très ordinaire, il ne se passe rien de spécial
et tout d’un coup : boum, explosion. Le public est surpris mais, avant qu'il
ne l’ail été, on lui a montré une scène absolument ordinaire, dénuée
d'intérêt. Maintenant, examinons le suspense. La bombe est sous la table
et le public le sait, probablement parce qu’il a vu l'anarchiste la déposer. Le
public sait que la bombe explosera à une heure et il sait qu'il est une heure
moins le quart — il y a une horloge dans le décor; la même conversation
anodine devient tout à coup très intéressante parce que le public participe
à la scène. Il a envie de dire aux personnages qui sont à l'écran : • Vous ne
devriez pas raconter des choses si banales, il y a une bombe sous la table et
elle va bientôt exploser. »
Dans le premier cas, on a offert au public quinze secondes de surprise au
moment de l’explosion. Dans le second cas, nous lui offrons quinze minutes
de suspense. La conclusion de cela est qu'il faut informer le public chaque fois
qu’on le peut (...). (Hitchcock-Truffaut, 1983, Gallimard, 1993, p. 59)
Hitchcock a été fidèle à scs convictions. Dans Psychose (Psyché, Alfred Hit­
chcock, I960) Lila Crâne explore la maison des Bâtes comme dans l'hypothé­
tique film d'horreur décrit plus haut. U y a des moments de surprise,
ponctuels, lorsqu’elle découvre des choses curieuses sur Norman et sa mère.
Mais c'est le suspense qui domine la séquence, parce que nous savons, à
l'inverse de Lila, que Mme Bâtes est quelque part dans la maison, cachée dans
le cellier ou derrière elle. (En fait, de même que dans La mon aux trousses,
notre savoir nest pas complet mais nous croyons qu'il l’est au moment de
l'exploration de la maison). Comme dans la petite histoire racontée par Hit­
chcock, c’est la supériorité de notre champ informatif qui est à l’origine du
suspense, parce qu'il permet de prévoir des événements que le personnage ne
soupçonne pas.

Profondeur du champ informatif


Dans un film, la narration manipule des degrés de savoir et la • profondeur*
de ces savoirs. La - profondeur» en question est celle de la psychologie des
personnages et de la façon dont le film nous y plonge. De même qu’il y a toute
une gradation entre la narration restreinte et l’omniscience, il y a un ensemble
de nuances entre l’objectivité et la subjectivité.
Un récit peut limiter noire savoir a ce que dit et fait un personnage, à son
comportement extérieur. On pourra alors le qualifier d'objectif, avec toutes les

134
(u>iih 4 - u mowjofflaumiœi mm ___ —_

précautions qui s’imposent. À l’inverse, le récit filmique peut nous faire parta­
ger ce que le personnage voit et entend avec, par exemple, des plans corres­
pondant à son point de vue optique (ce sont les plans subjectif*) ou des sons
correspondant à sa perception sonore (ce que les ingénieurs du son appellent
une perspective sonore). Ces procédés participent de ce que nous nommerons
la subjectivité perceptive. Par ailleurs, le récit peut atteindre une pseudo sub­
jectivité plus profonde en dévoilant les pensées des personnages, par l’utilisa­
tion d’une voix ou d'images -intérieures» représentant sa mémoire, son
imaginaire, ses rêves ou ses hallucinations, procédés participant de ce que l’on
appellera une subjectivité mentale.
Restriction du champ informatif et subjectivité ne sont pas nécessairement
liés. La narration du Grand sommeil est restreinte mais il est rare que nous
voyions ou entendions les événements par les yeux ou les oreilles de Marlowe,
et nous ne savons jamais ce qu’il pense; la narration y est proche de l'objecti­
vité, L’omniscience de Naissance d’une nation est par contre caractérisée par
une intense subjectivité qu'illustrent des flashbacks, des plans subjectifs et la
vision finale d'un monde en paix tout droit sortie de l'imaginaire du person­
nage principal. Hitchcock, quant à lui, prend plaisir à nous en faire savoir plus
que ses personnages tout en restreignant parfois notre perception à la leur. On
voit donc que les deux variables définissant le champ informatif sont indé­
pendantes.
C’est pourquoi la notion de «point de vue» est ambiguë, se référant aussi
bien à l'étendue du champ informatif (dans l’expression: -point de vue
omniscient») qu’à sa profondeur (dans l'expression ; - point de vue subjectif»).
Nous ne l'utiliserons ici que dans le cadre de la subjectivité perceptive.
Les fonctions et les effets de cette profondeur sont multiples. Plonger dans
l’esprit d'un personnage peut renforcer l'identification du spectateur et donner
des indices certains sur ce qu’il fera ou dira. Les séquences de souvenir dans
Hiroshima mon amour (Alain Resnais, 1959) et les séquences de Huit et demi
illustrant l'imaginaire de son personnage principal nous informent sur la psy­
chologie des protagonistes et justifient leurs choix futurs. Un flashback subjec­
tif peut mettre en rapport deux personnages, comme dans L’intendant Sansho
(Sanshodayu, Kenji Mizoguchi, 1954) où une mère et son fils ont le même sou­
venir. Le comportement mystérieux d'un personnage peut être expliqué rétros­
pectivement par un commentaire intérieur ou un flashback subjectif.
L’objectivité peut, à l'inverse, être un moyen de retenir des informations.
Marlowe n’est pas traité subjectivement, dans Le grand sommeil : le genre
impose que le raisonnement du détective reste ignoré du spectateur jusqu'à la
dernière partie du récit afin que l’énigme garde toute son intensité. À
tout moment du film, nous pouvons demander : «Qu'cst-ce que je sais des

135
min .2 - lo mat du (ita

perceptions, des émotions et des pensées des personnages?». La réponse à


cette question permet de préciser immédiatement la façon dont la narration
présente ou retarde des informations ainsi que les fonctions ou les effets qui
sont ainsi visés.
Dans de nombreux films, les moments subjectifs sont insérés dans des
ensembles objectifs. Roger Thornhill grimpe à une fenêtre de la maison de
Van Damm et regarde à l’intérieur (narration objective); on raccorde sur un
plan subjectif (subjectivité perceptive): retour sur le plan le montrant à la
fenêtre (objectif). (Voir figs. 4.2-4.4.) De même, une séquence onirique sera
souvent prise entre deux plans montrant le rêveur dans son lit.
Figure 4.2

Les flashbacks illustrent de manière fascinante les puissances de la narra­


tion objective. Ils sont généralement justifiés comme des contenus de cons­
cience, lorsque les événements montrés correspondent aux souvenirs d’un
personnage; pourtant, à !’• intérieur» du flashback, les événements sont sou­
vent décrits de façon totalement objective. Ils peuvent aussi, dans certains cas.
participer d’une omniscience narrative invraisemblable —par exemple
lorsqu'un personnage se souvient d’événements auxquels il n’a pas assisté.
La narration -objective» serait dans la plupart des films comme un point
d’ancrage permettant des allers-retours vers des moments subjectifs ponc­
tuels. Certains films refusent cette convention formelle et entrelacent jusqu’à
la confusion l’objectif et le subjectif : Huit cr demi, Belle de jour (Luis Buftuel,
Figure 4.3 1967) et Cet obscur objet du désir (id., 1977) ou L'armée dernière à Marienbad
(Alain Resnais. 1961) par exemple. Dans ces films comme dans beaucoup
d'autres, la manipulation du champ informatif ne concerne pas seulement ce
qui est raconté mais a des effets concrets sur ce que le spectateur pense et res­
sent à la vision du film.

Le narrateur
narration est donc ce processus par lequel le récit présente, de façon plus
ou moins restreinte et plus ou moins subjective, des informations narratives
au spectateur. Elle peut aussi mettre en oeuvre un narrateur, un agent particu­
lier de la narration passant pour celui qui nous raconte l’histoire. Le narrateur
Figure 4.4 peut appartenir au monde du film, en être un personnage : la littérature nous
a habitués à cette convention qui permet à Huck Finn ou Jane Eyre de rappor­
ter toute l'action d’un roman. le détective de Adieu ma jolie (Murder my
tweet, Parewell rnytovely, Edward Dmytrick, 1944) raconte son histoire à tra­
vers une séries de flashbacks adressés aux policiers qui mènent l’enquête.
Dans Roger and me, Michael Moore manifeste clairement son rôle de narra­
teur en introduisant le film par des souvenirs de son enfance passée à Flint

136
muu mm

puis en apparaissant dans le cadre pendant les entretiens avec les ouvriers et
les confrontations avec les employés de la sécurité de General Motors.
Parfois, le narrateur n'est pas un personnage. C’est un procédé courant
dans le documentaire : nous ne connaîtrons jamais l’identité des narrateurs
de The river (Pare Lorentz, 1937), Primary ou Hoop Dreams, dont on ne fait
qu'entendre les voix off omniprésentes. Dans Jules et Jim un commentaire sec,
neutre, laisse l'impression d'une narration objective, tandis que d’autres films
peuvent viser par le même procédé un effet de réalisme — c'est par exemple la
fonction du ton d'urgence dans la voix off de La Cité sans voiles (The naked
city, jules Dassin, 1948).
La distinction entre les deux types de narrateurs peut être mise à mal si
leur localisation ou leur identification est incertaine. Film about a woman
who... laisse supposer que l’un des personnages est aussi le narrateur, mais
sans que l'on puisse préciser lequel — il est alors également possible que la
voix appartienne à un commentateur étranger à l’action.
A une catégorie de narrateur ne correspond pas nécessairement un type de
narration. Un narrateur appartenant à la diegèse peut posséder un champ
informatif illimité, raconter des événements auxquels il n’a pas assisté. Il peut
être extrêmement subjectif, dévoilant des détails de sa vie intime, ou totale­
ment objectif, attaché aux seules apparences. Un narrateur extérieur à la dié-
gèse n'est pas toujours omniscient et peut limiter ses commentaires à ce que
sait un seul personnage, nous faire partager ses pensées intimes —comme
dans Jules et Jim — ou, au contraire, ne présenter que des situations générales
— comme la voix off impersonnelle de Ultime razzia (The killing, Stanley
Kubrick. 1956). Dans tous les cas, c'est ce que dit ou lait le narrateur qui guide
le spectateur dans les divers processus de relevé des indications, d’élaboration
des attentes et de reconstitution de l'histoire.

Résumé
Un commentaire de Mari Max H (George Miller, 1982) va nous permettre de
synthétiser nos différentes observations sur les puissances de la narration. Le
récit s’ouvre avec une voix off, celle d’un narrateur masculin âgé qui se sou­
vient de «Max, le guerrier». Après une exposition ou il évoque les multiples
guerres mondiales qui ont détruit les structures sociales et laissé toute liberté
à des bandes de pillards, il s’arrête de parler. Son identité reste inconnue.
La suite du récit est consacrée à la rencontre entre Max et une population
pacifique vivant dans le désert. Ils veulent fuir vers la côte à l'aide de l'essence
qu'ils ont réussi à fabriquer mais sont assiégés par une horde de voleurs. Max
finit par accepter de travailler pour les «colons» en échange d’un peu

137
*ûUÀk2 - LOJffll DU LIJJ(

d’essence. Plus tard, blessé à la suite d’un accrochage avec des membres du
gang, ayant perdu son chien et sa voiture, Max se jure d'aider la population du
désert à sortir de leur campement. La lutte contre les gangs qui les encordent
aitcint son dimax lorsqu’un camion-citerne, conduit par Max, tente de forcer
les barrages.

Max est au centre de la chaîne causale et, après le prologue du narrateur


anonyme, le champ informatif est restreint à ce qu’il sait. À la manière de Phi­
lip Marlowc dans Le grand sommeil, il est présent dans chaque scène et pres­
que tout ce que nous apprenons passe par lui. La profondeur du champ
informatif est signalée par des plans subjectifs, au moment où Max conduit sa
voiture ou regarde un combat avec un télescope; lorsque, après son accident
de voiture, il se met à délirer, scs «images mentales» sont représentées con­
ventionnellement par des surimpressions et des ralentis visuels ou sonores.
Tous ces procédés narratifs sont destinés à faciliter notre identification au per­
sonnage de Max.

Ij restriction du champ informatif est toutefois variable, principalement


lors des séquences de poursuite et de combat où la narration omnisciente fait
naître le suspense en montrant différents aspects de l'action. Le climax est
marqué par la déroute des gangs cl la fuite de la population du désert vers le
Sud. Max semble avoir atteint scs objectifs, mais lorsque le camion-citerne se
renverse nous réalisons en même temps que lui qu’il contient du sable et non
de l’essence — c'était un leurre destiné à forcer son aide. La restriction narra
tîve a permis de créer un fort effet de surprise.

A la fin du film la voix du narrateur revient pour nous dire que c'était lui,
l'enfant sauvage auquel Max s'était attaché. Les gens du désert sont partis,
Max est seul au milieu de la route. Le dernier plan du film — la silhouette du
héros disparaissant en travelling arrière — exprime à la fois une subjectivité
perceptive (le point de vue de l'enfant qui s'éloigne de Max) et un contenu de
conscience (le souvenir de cet homme s'estompant dans l’esprit du narra­
teur).

Le récit de Mad Max // prend donc forme à travers une utilisation cohé­
rente de la causalité, du temps, de l'espace, mais aussi de la narration. La par­
tie centrale du film canalise nos attentes par une identification au personnage
de Max alternant avec des moments de narration moins restreinte. Cette par­
tie centrale est «encadrée» par les interventions du mystérieux narrateur, qui
met l’ensemble du récit au passé. Après son intervention au début du film,
nous attendons qu'il revienne pour nous dévoiler son identité. C'est donc à la
fois l'organisation causale et la structure narrative qui donnent à l'œuvre sa
cohérence et lui permettent de s'achever sur un effet de clôture.

138
imiiiu-- u muni (ifflRimuiiu mia - -

Le cinéma hollywoodien classique


les possibilités narratives sont infinies. Mais au cours de son histoire, le
cinéma de fiction a plutôt été dominé par un seul mode narratif, que nous
désignerons, dans ce livre, sous le nom de «classicisme hollywoodien»
—- «classique* parce que son histoire fut tris longue, stable et influente,
«hollywoodien* parce qu’il trouva sa forme definitive dans les studios améri­
cains. Le même mode informe des films réalisés dans d’autres pays ou des
genres non-fictionnels : Mad Max H par exemple, est une œuvre australienne
construite suivant des règles hollywoodiennes; Primary est un documentaire
qui repose sur des conventions inspirées des récits fictionnels hollywoodiens.
Cette conception du récit est basée sur l’hypothèse que les principaux vec­
teurs de l'action sont des agents causais assimilés à des personnages individuels.
Les causes d’origines naturelles (raz-de-marée, tremblements de terre) ou
sociales (institutions, guerres, crises économiques) ne sont que les moteurs ou
les catalyseurs de l’action, le récit finissant toujours par se concentrer sur des
causes psychologiques individuelles —des traits de caractère, des choix, des
résolutions.
Le désir d’un personnage a souvent pour fonction de faire avancer le récit,
le personnage veut quelque chose : le désir fixe un objectif auquel le dévelop­
pement narratif se soumet. Dans Le magicien d’Oz, Dorothy est guidée par
plusieurs volontés — sauver Toto de Miss Gulch, quitter Oz pour rentrer chez
elle — qui créent des objectifs intermédiaires — atteindre la Cité d’Éme-
raude, tuer la sorcière.
Si ce désir était le seul facteur en présence, rien ne pourrait empêcher le
personnage de l’accomplir sans délai. Mais il y a dans toute narration classi­
que une force antagoniste qui génère un conflit : le protagoniste se heurte à un
personnage dont les caractéristiques cl les objectifs sont contraires aux siens.
11 ne peut atteindre scs propres objectifs qu’en modifiant la situation. Dorothy
veut retourner au Kansas, mais la sorcière veut obtenir les pantoufles rubis; il
faut donc que Doroihy élimine la sorcière avant de pouvoir utiliser les pan­
toufles qui lui permettent de rentrer chez elle. Nous verrons plus loin com­
ment les deux personnages principaux de His girl Friday sont en opposition
jusqu’à la résolution finale du film (cf. chapitre 11).
Les caractéristiques psychologiques d’un personnage, scs désirs, peuvent
déclencher un enchaînement de causes et d’effets et entraîner les bouleverse­
ments de la situation initiale. Mais les films narratifs ne possèdent pas tous de
tels protagonistes. Dans les films soviétiques des années 20, ceux de Scrgueï
Eisenstein par exemple — Le cuirassé Potemkine, Octobre. La grève— il n’y a
pas de héros individualisé. Plus récemment, L'amour fou (Jacques Rivctte,

139
»wn 2 ■ u uum ni nu

1967-68) ou Nashville (Robert Altman, 1975) ont tenté de se passer d’un per­
sonnage principal. Chez Eisenstcin ou Ozu, ce ne sont plus des personnages
qui sont à l'origine des événements mais des forces qui les dépassent (sociales
chez le premier, naturelles chez le second); dans L’avventura (Michelangclo
Antonioni, 1960) un récit se constitue malgré la passivité des protagonistes.
Dans la narration hollywoodienne classique, la plupart des événements
narratifs découlent des actions justifiées par la psychologie. Le temps est sou­
mis à la nécessité de ne montrer que les situations ayant une fonction impor­
tante dans la chaîne causale — la durée des événements est donc raccourcie :
on élimine les heures passées par Dorothy et ses compagnons sur la Route
pour ne montrer que les moments où ils rencontrent un nouveau personnage.
La chronologie est manipulée afin de rendre les enchaînements de situations
plus frappants : si un personnage a un comportement mystérieux, un flash-
back nous en révélera la raison. Certains procédés permettent de lier directe­
ment la temporalité du récil à sa chaîne causale : le rendez-vous (des
personnages doivent se rencontrer à un moment précis), l’échéance ou le
compte à rebours (la durée du récit est alors subordonnée à l'enchaînement
des actions). Les motivations, dans le cinéma narratif classique, tendent à être
aussi claires et complètes que possibles, jusque dans un genre aussi extrava­
gant que la comédie musicale où les séquences chantées et dansées sont justi­
fiées par les émotions des personnages ou leurs activités professionnelles
(dans le backstage musical).
La narration hollywoodienne classique emploie des procédés très divers
mais conserve une forte tendance à « l'objectivité» : l’histoire se déroule dans
une réalité «objective» par rapport à laquelle se définissent différents niveaux
de subjectivité perceptive ou mentale. Elle est généralement omnisciente;
même attachée à un seul personnage, elle peut évoquer des choses qu’il ne
voit, n’entend ou ne sait pas (voir La mort aux trousses ou Mad Max j/). Cet
équilibrage n’est ignoré que dans les genres à énigmes comme le film policier,
dont l’efficacité dépend d’une stricte réduction du champ informatif (voir Le
grand sommeil).
La plupart des films narratifs classiques présentent une forte clôture narra­
tive qui marque la volonté de ne laisser aucune question sans réponse et de
boucler la chaîne causale sur un ultime effet. Nous connaissons généralement
le destin de chaque personnage, les solutions de toutes les énigmes et l’issue
de chaque conflit.
Il nous faut insister sur le fait que ces caractéristiques déterminent un cer­
tain modèle narratif, non la forme narrative en général. Rien n empêche un
réalisateur de montrer des temps morts, sans importance pour la suite du
récit, entre deux situations plus significatives. (François Truffaut, lean-Luc

140
<M>lllt 4 . U HUIIII CO a JHJJU1UL mut-____ _____ __

Godard, Cari Dreyer ou Andy Warhol l’ont fait fréquemment, chacun à leur
façon.) Le récit peut jouer avec la chronologie pour compliquer les enchaîne­
ments narratifs. Non-réconciliés (Nicht Versung. Es hilft nur Gewalt ivo Gewalt
herrscht, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, 1965) va et vient entre trois
périodes historiques très différentes sans jamais le signaler clairement. L'intri­
gue de Une affaire de canir (Ljubavni slucaj, ili tragedÿa sluzbenice, Dusan
Makavcjev, 1967) est parsemée de flash fa rwa rds dont on ne comprend que
progressivement la relation causale avec l’action en cours.
Les rencontres fortuites dans les films de François Truffaut, les monolo­
gues et les entretiens à caractère politique dans ceux de Godard, le «montage
intellectuel» d'Eisenstein ou les plans dits «de transition» dans l'œuvre d’Ozu
sont des éléments narrativement immotivés. Une narration peut être totale­
ment subjective, comme celle du Cabinet du docteur Caligari, ou rester sus­
pendue de façon ambiguë entre le subjectif et l'objectif, comme dans L'année
dernière à Marienbad. Enfin, les films qui n'appartiennent pas à la tradition
classique peuvent s’achever sur une fin ouverte, non-clôturée.
Nous verrons au chapitre 8 comment l'espace est assers1 i au système cau­
sal, dans le modèle hollywoodien, à travers ce que nous appellerons le
«montage par continuité»; il nous suffit pour l’instant de noter que le modèle
hollywoodien a inventé, pour raconter des histoires, ses propres matériaux et
procédés de narration.

La forme narrative dans Citizen Kane


La forme inhabituelle et la variété stylistique de Citizen Kane en font une
œuvre intéressante pour une introduction à l’analyse filmique. Ce film va être
étudié dans les pages suivantes pour illustrer par un cas particulier le fonc­
tionnement de la forme narrative; l'enquête qui est à son principe nous con­
duit à analyser la fonction de la causalité et des objectifs des personnages dans
le récit; la façon dont le film manipule notre champ informatif éclaire la dis­
tinction entre récit et histoire; le manque de motivation de certains éléments
et une comparaison entre le début et la fin du film nous montreront comment
une œuvre pouvait s'écarter des schémas narratifs hollywoodiens classiques.
Nous verrons enfin comment la narration façonne notre expérience de spec­
tateur par un contrôle constant du flux d’information.

Attentes narratives
Nous avons vu au chapitre 3 que notre expérience de spectateur est largement
déterminée par les attentes élaborées au cours d'un film, auxquelles celui-ci

141
POfill.lJ - Lfi mu LU fjLU

répond de diverses manières. Souvent, la seule chose que l’on sait de Citizen
Kane avant de le voir est qu’il s'agit d’un grand classique du cinéma — maigre
connaissance qui n’enlraine pas d'attente particulière. 1^ public de 1941 était
en général plus averti, considérant le film comme une biographie déguisée du
magnat de la presse William Randolph Hearst et recherchant d'abord des réfé­
rences et des révélations sur la vie de ce dernier. La campagne de promotion
du film (voir fig. 4.5), sans plus préciser le rapprochement, laissait compren­
dre qu’il s'agissait de la description monumentale de la vie d’un seul homme.
Quelques minutes après le début du film, on commence à pouvoir déter­
miner les genres dont il participe: la séquence - News on the Mardi» laisse
Figure 4.5 penser qu'il s’agit d'une biographie ficlionncllc, hypothèse que vient confir­
mer l'enquête de Thompson sur la vie de Kane. Le déroulement du film, qui
couvre toute la vie d’un individu et en dramatise certains épisodes, s'appa­
rente bien à celui d’une biographie. Le genre avait à l'époque été illustré par
des oeuvres comme Anthony adverse (Mcrvyn Leroy, 1936) ou Thomas Gard-
ner(The power and theglory, William K. Howard, 1933), l’influence de ce der­
nier sur Citizen Kane étant souvent signalée à cause de son emploi complexe
des flashbacks.
On repère rapidement les conventions du genre «film de journaliste». Les
collègues de Thompson ressemblent aux reporters blagueurs de Un danger
publie (Picture snatcher, Lloyd Bacon, 1933), Five star final (Mervyn Leroy,
1931) ou His girl Friday, nous nous attendons à ce que. comme dans ces films
où l’obstination du journaliste est toujours récompensée, Thompson pour­
suive son enquête et fasse la découverte triomphale de la vérité. Il y a aussi
quelques conventions de la comédie musicale dans les scènes consacrées à
Susan : les répétitions frénétiques, les préparations en coulisses et, surtout, le
court montage décrivant sa carrière de chanteuse d'opéra, parodie de ceux qui
évoquent des chansons à succès dans des films comme Le chant du printemps
(Maytime. Robert 7_ Leonard, 1937). Par ailleurs, le film emprunte au genre
policier, que ce soit par son argument principal — Thompson doit résoudre
une énigme (que signifie «Roscbud» ?) — ou par la façon dont le journaliste
mène ses entretiens — comme des interrogatoires.
Mais le film fait un usage équivoque des genres, dont il exploite les conven­
tions tout en contrariant les attentes qu elles font naître. À la différence de la
plupart des films biographiques, Kane s'intéresse plus à la psychologie de son
personnage principal qu’à ses aventures ou à scs actions publiques. Il se diffé­
rencie du genre «journalistique» en ne faisant pas aboutir l'enquête du repor­
ter, et du film à énigme en laissant des questions sans réponses.
On pourrait faire le même constat sur son rapport au classicisme hol­
lywoodien. Réalisé en 1941 par un studio américain, le film en respecte certai-

142
IU0NI414 . U ÜUIIII III«( juuu ynu

nés normes: les désirs des personnages font avancer le récit, les traits de
caractère et les objectifs de chacun d eux définissent la causalité, il n’y a pas de
conflit sans conséquence, le traitement du temps est justifié par les impératifs
de l'intrigue cl la narration est «objective», tour à tour restreinte et omnis­
ciente. Mais ces désirs, caractères et objectifs ne sont pas toujours clairement
exposés, l'issue de certains conflits est incertaine et l’omniscience narrative
atteint une rare intensité à la fin du film. Cette fin, par ailleurs, ne clôture pas
le récit comme on pourrait l'attendre d’un classique d'Hollywood. Notre ana­
lyse va montrer de quelle façon Citizen Kane fait appel aux conventions narra­
tives hollywoodiennes tout en ne respectant pas certaines des attentes que
nous avons habituellement en regardant un film hollywoodien.

Récit et histoire dans Citizen Kane


11 est souvent utile, pour analyser un film, de commencer par le découper en
séquences. Les séquences sont généralement délimitées par des signes visibles
(fondus, fondus enchaînés, coupes, écran noir etc.) et forment des unités
ayant un sens. Dans un film narratif, ce sont les parties du récit.
La plupart des séquences sont appelées • scènes*. Ce terme est utilisé dans
son sens théâtral, désignant une phase distincte de l’action s'accomplissant
dans une relative unité de temps et d’espace. Dans notre segmentation de
Citizen Kane les chiffres arabes indiquent les grandes parties, parfois consti­
tuées d'une seule scène; d’autres sont constituées de plusieurs scènes identi­
fiées par des lettres minuscules. (Dans toutes les segmentations de ce livre,
«D» et «F» désignent respectivement le générique de début et le générique de
fin.) Beaucoup de ces segments auraient pu faire l'objet d’une division plus
précise, mais celle-ci suffit à notre propos.
Cette segmentation nous permet de repérer les grandes articulations du
récit, l’organisation générale des scènes, des systèmes causal et temporel.

La causalité dans Citizen Kane


Deux ensembles distincts de personnages sont à l’origine de l'action : d’un
coté, des journalistes cherchant des informations sur Kane; de l’autre, Kane et
ceux qui l'ont connu, qui fournissent le sujet de l’enquête des journalistes.
Le premier lien entre les deux groupes est la mort de Kane. après laquelle
des journalistes réalisent un film d’actualité retraçant sa carrière. Mais le film
est déjà terminé au moment où les journalistes sont introduits dans le récit :
leur patron, Rawlston, n’est pas satisfait du reportage dirigé par Thompson et
veut une enquête ayant un « point de vue» fort. Rechercher la signification de

143
mn.l 2 - LJ JUL1MJJJJJX

Segmentation de Citizen Kane


D. Générique de début
I. Xanadu : Kane meurt
2. La ville de projection
a «News on the Mire h»
b. Les journalùles parient de «Rosebud*
î. La boite de nuit H Rancho : Thompson essaye de questionner Susan
•I La bibliothèque de Thakher :
a Thompson entreel lit le manuscrit «le Thatcher
b. la mère de Kane confie l'enfant 1 Thatcher
Premier c. Kane grandit cl «hèle \'lnqutrtr
flashbaek d. Kane lance l'atiaque de rinquinr contre raflairiimc
C La Grande Dépression : Kane >md i Thatcher son réseau de picssc
f. Thompson quitte h bibliothèque
Le bureau de Bernstein :
A Thompson rend virile i Bernstein
Kane reprend l'inqirirrr
Montage : Je développement et te succès de l'frtqwrrr
Deuxième
4. Une Jète : l'équipe du Chronitie rejoint celle de ITnquirer
flashboek Leland et Bernstein l'interrogent sur le voyage de Kane i létrjngjei
C Retour de Kane avec u fiancée. Entily

K Fin du témoignage de Bernstein


6 La maison de rct raitc:
Thompson parle rwc Leiand
Troisième
h Montage : les petits déjeuners, détérioration du mai Lige de Kant
flashboek 1— c
Leiand poursuit son témoignage
----- d. Kane rencontre Souri; d va dans sa chambre
Le discours de Kane. point d’orgue de sa campagne électorale
L Kane confronte Gettyx. Ëmily «1 Susan
Tnriiièmf
B Kane perd les élections: Leiand demande a il te muté
flash bock
h. Kane épouse Susan
(suite) Première de Susan i l’opéra
I- Kane achève le compte rendu de la première i la place sic Ixbnd, saoul.
------ k Fin du témoignage de 1x1 and
T. La belle de nuit 1EJ Rancho ;
Thompson parle avec Susan
h Les répétitions de Susan pour lopérâ
Première de Susan i l'opéra
d. Kane veut que Susan chante
Montage : b carrière de Suwn
Quatrième t. Susan lente «le se suicider, Kane l'autorise 1 arrêter l'opéra
fkuhbatk e- Xanadu : Susan s'ennuie
h Montage : Susan fait des puzzles
L Xanadu : Kane propose départir en pique-nique
j- Le pique nique : Kant gifle Susan
h Xanadu : Suwn quitte Kane
1. Fin du témoignage de Susan
R Xanadu :
Thompson parle acre Raymond
Cinquième
C h Kane dévatle U chambre de Suxxn et ramasse un presse papier en murmurant • Rosebud*
flash baek Fîn du témoignage de Raymond; Thompson parle avec les aunes fournalhles; ilt s'en sont
A Un suivrai des objet rayant appartenu! 1 Kane révèle ce que pourrait être - Rosebud •; extérieur : b grille <1 Le
chileau; fin

E Générique de fin

144
(IUJUIJ - UJllillU UIHUIIWHIMI

«Rosebud» donne à Thompson un objectif précis, qui le conduit à fouiller le


passé de Kane. Son enquête constitue une des lignes directrices du récit.
La vie de Kane est une autre de ces lignes. Elle débute de nombreuses
années avant l’action en cours et met aussi en scène un ensemble de person­
nages. Un des pensionnaires de la mère de Kane, sans argent, la paye avec le
titre de propriété d'une mine d’argent; la richesse fournit par cette mine
entraîne Mme Kane à désigner Thatcher comme tuteur du jeune Charles.
Celui-ci, sous la tutelle de Thatcher — mais sans que l'on nous précise
comment — devient un jeune homme gâté et indocile.
L’originalité de Citizen Kane vient de ce que l’objet de son enquête quasi
policière y est un ensemble de caractéristiques psychologiques : Thompson
veut savoir pourquoi Kane à murmurer le mot «Rosebud» sur son lit de
mort. U personnalité très complexe de Kane influence le comportement
des autres personnages, sans que l'on puisse toutefois en déceler tous les
aspects.
Kane aussi a un objectif; il semble être à la recherche de quelque chose
ayant un rapport avec • Rosebud». À différents moments du récit, des person
nages font l’hypothèse que Kane a perdu ou n’a jamais réussi à avoir
« Rosebud» ; là encore, il faut remarquer la rareté d'une telle imprécision dans
la narration classique.
Le système causal du récit est alimenté par les personnages qui ont connu
Kane. Ils rendent l’enquête de Thompson possible, fournissant un ensemble
d’informations qui couvrent toute la vie du personnage et nous permettent
d’en reconstituer l'histoire. Thatcher a connu Kane enfant; Bernstein, l’admi­
nistrateur, savait tout de ses transactions commerciales; son meilleur ami,
Leland, connaissait sa vie privée (en particulier son premier mariage); sa
seconde femme, Susan, était avec lui lorsqu'il avait cinquante ans et le domes­
tique, Raymond, s'est occupé de ses affaires à la fin de sa vie. Chacun de ces
personnages à un rôle décisif dans la vie de Kane et dans l'cnquétc de Thomp­
son. Emily, la première femme de Kane, ne témoigne pas parce que son
histoire aurait redoublé celle de Leland sans apporter d’information complé­
mentaire — elle est donc tout simplement éliminée du récit, par un accident
de voiture.

Le temps
Le récit et l’histoire de Citizen Kane sont très différents en termes d’ordre, de
durée et de fréquence. Une grande partie de la puissance du film tient à sa
complexité narrative.

145
Mm z - u iMiuum

Pour reconstituer l’ordre chronologique de l’histoire, en comprendre les


durées el les fréquences, le spectateur doit d’abord se repérer dans le savanl
écheveau du récit. Dans le premier llashback par exemple, le journal de That­
cher rapporte comment Kane, alors âgé d’une cinquantaine d’années, perdit
le contrôle de ses journaux pendant la Grande dépression (4e). Mais dans le
second flashback, c’est l’arrivée du jeune Kane à rJnquirer et ses fiançailles
avec Emily que décrit Bernstein (5b, 5f). Nous remettons ces événements dans
un ordre chronologique correct, correspondant à l’histoire, et faisons de
même dans la suite de récit.
L’événement de l'histoire le plus ancien dont nous ayons connaissance est
l’acquisition du titre de propriété par Mme Kane. L'information est fournie
dans la seconde séquence, celle des «News on the March». Mais le premier
événement du récit est la mort de Kane. Supposons que la vie de ce dernier
soit divisée en cinq phases
L’enfance
Le jeune éditeur
La vie de jeune marié
La cinquantaine
La vieillesse

Les premières parties du récit en couvrent un grand nombre, tandis que les
dernières se concentrent sur des périodes plus précises. La séquence des
-News on the March» (2a) nous donne un aperçu de toutes les périodes et le
journal de Thatcher (4) évoque l'enfance, la vie de jeune éditeur et l'homme
de cinquante ans. Puis les flashbacks deviennent essentiellement chrono­
logiques : le récit de Bernstein (5) concerne la vie d'éditeur et les fiançailles
avec Emily; celui de Leland, le premier mariage et le Kane de cinquante ans,
que Susan (7) évoque à son tour, avant de parler de la vieillesse de Kane que
Raymond (8) illustre, en passant, d’une anecdote.
La résorption progressive du désordre narratif, la «linéarisation» du récit,
permet une meilleure compréhension de l'histoire. Si tous les flashbacks
avaient couvert l’ensemble de la vie de Kane, comme c’est le cas dans le film
d’actualité ou dans les souvenirs de Thatcher, l'histoire aurait été beaucoup
plus difficile à reconstituer. En l'état, le récit nous montre d’abord les consé­
quences d'événements que nous ne connaissons pas et dans les dernières par­
ties, confirme ou modifie nos attentes.
Le bouleversement de l’ordre chronologique est destiné à provoquer des
attentes précises. Commencer par la mort de Kane et le film d’actualité don­
nant un résumé de sa vie, c'est créer une double énigme — que signifie
• Roscbud » ? Pourquoi cet homme si puissant est-il devenu si solitaire à la fin
de sa vie?

146
«mnu < - irumiij <jiii iviuiunmi

Le film crée aussi un certain suspense. Nous avons déjà quelques connais­
sances sur la vie de Kane au moment où le récit fait ses premiers retours dans
le passé : nous avons compris qu’aucun de ses mariages n’a duré, que tous ses
amis se sont éloignés, mais sans savoir à partir de quand et comment. Ces
questions deviennent centrales dans notre appréhension du récit; la fonction
d'un grand nombre de scènes est alors de retarder des issues que nous savons
inévitables. Il est certain, par exemple, que Susan quittera Kane et nous nous
attendons à ce quelle le fasse chaque fois qu'il la brime. C'est le cas dans plu­
sieurs scènes (7b - 7j), même s’il semble désirer un apaisement de leurs rela­
tions après la tentative de suicide. Le récit aurait pu la montrer quittant
Xanadu (7k) bien avant, mais les fluctuations de leurs rapports auraient été
moins violentes et il n’y aurait eu aucun suspense.
Il serait sans doute plus difficile de remettre en ordre les événements du
récit s'il n'y avait pas les * News on lhe March ». I>e grand nombre d’informa­
tions que fournil cette séquence atténue rapidement l'abord déconcertant de
la première scène du film, qui montre la mort d'un personnage dont on ne
sait, à ce moment, rien. Le film d'actualité est comme une miniature de
l’ensemble du récit, dont il reprend les grandes lignes structurelles :

A. Vues de Xanadu
B. L’enterrement : gros titres de journaux annonçant la mort de Kane
C. Développement de son empire financier
D. La mine d'argent, la pension de Mme Kane
E. Le témoignage de Thatcher devant une commission du Congrès
E La carrière politique
G. La vie privée; les mariages, les divorces
H. L’opéra. Xanadu
I. La campagne électorale
J. La Grande dépression
K. 1935 : vieillesse de Kane
L, Isolement à Xanadu
M. Annonce de sa mort

En comparant ce plan avec la segmentation du récit, on relève des parallè­


les frappants. Les «News on the Marc h» débutent par une évocation de Kane
comme «Maître de Xanadu»; une courte partie {A) présente des vues de la
maison, des jardins et de l’intérieur. C’est une variation sur l’ouverture du
film ( 1 ) composée de plans qui, partant de la grille, offrent des vues de plus en
plus rapprochées de la maison. Cette séquence d’ouverture s’achève sur la
mort de Kane; dans le film d’actualité, c’est son enterrement qui succède aux
vues de Xanadu (B). Les gros titre de journaux annonçant le décès ont une

147
_______ tfltm 2 - ljjb.ki.1 pu nia

place équivalente, dans la structure du récit, au film d'actualité lui-même


(2a) Le carton qui vient juste après ces titres («Pour 44 millions de lecteurs
américains, le nom de Kane était plus sensationnel que les autres gros titres de
ses propres journaux... ») trouve un écho dans la séquence suivante, celle de la
salie de projection (2b), où les journalistes décident que Thompson doit con­
tinuer son enquête sur la vie «sensationnelle» de Kane.

L'ordre dans lequel le film d’actualité présente la vie de Kane préfigure


celui des flashbacks. Les «News on the Mardi» passent de la mon du person­
nage à un résumé de l’édification de son empire de presse (C), en évoquant la
pension et la mine d’argent (on voit une vieille photographie de Charles avec
sa mère, et il est fait une première référence à la luge). De même, le premier
flashback (4) rapporte de quelle façon Thatcher obtint de Mme Kane la tutelle
de son fils et décrit les débuts de Kane à la tétc de l’friquirer. Le film d'actualité
évoque ses ambitions politiques (F), ses mariages (G), la construction de
l'opéra (H), la campagne électorale (I). Thatcher parle de son désaccord poli­
tique avec Kane; Leland, du premier mariage.de la rencontre avec Susan. de la
campagne électorale et de la première de Salammbô. Ce ne sont que quelques-
uns des parallèles que l’on peut déceler entre le film d’actualité et l’ensemble
de Citizen Kane.

Le film d’actualité est comme un *plan- de l'enquête à venir, qui anticipe


certains des événements rapportés dans les flashbacks et fournit la trame
chronologique à partir de laquelle le spectateur peut reconstituer toute l'his­
toire.

Le récit de Citizen Kane ne manipule pas seulement la chronologie, il nous


indique aussi comment reconstituer la durée et les fréquences de l’histoire. Le
spectateur peut déduire du récit que la durée totale de l’histoire est la somme
des 75 ans de la vie de Kane et de la semaine d’enquête consécutive à sa mort.
Cette dernière constitue la durée du récit, le pseudo temps très court dans
lequel est retracée, à travers les souvenirs des protagonistes, toute l’histoire de
Kane. Il y a aussi une durée de projection — environ 120 minutes.

Le film fait un grand usage de l'ellipse. Le récit franchit des années de l’his­
toire en un raccord ou en quelques plans, et la durée de projection ne rend
compte que de quelques instants dans la semaine d'enquête de Thompson. Ix?
temps est aussi compressé dans des séquences dites «de montage» telles que
celles évoquant la campagne de Vlnquirer contre l’affairisme (4d), le succès du
journal (5c), la carrière de Susan à l'opéra (7e) et son ennui à Xanadu,
lorsqu'elle fait des puzzles (7h). De longs passages de l'histoire y sont conden­
sés sous forme de brefs résumés, différents des scènes narratives ordinaires. Le
chapitre^ reviendra en détail sur ces séquences de montage, mais l'on peut

148
(muni i . ■< HH|T ( («au mWIUJAItfl

déjà voir que l'un des intérêts de ces segments est de donner au spectateur une
compréhension plus claire de la durée de certains événements.

Citizen Kane illustre aussi la façon dont des événements qui n’arrivent
qu'une fois dans l'histoire peuvent apparaître plusieurs fois dans le récit. Les
débuts de Susan Alexander à l'opéra sont évoqués successivement par Leland
et par Susan. Avec Leland (6i) nous sommes devant la scène, témoins de
l'ennui des spectateurs. Dans la version de Susan (7c) nous voyons les coulis­
ses cl la scène le soir de la représentation, et devenons témoins de son humi­
liation. Cette répétition n'entraîne aucune confusion; nous comprenons qu’il
s’agit du même événement, par ailleurs déjà présenté dans les «News on the
March- (en G et H).

Dans l'ensemble, la quête de Thompson est dramatisée par des flashbacks


qui incitent le spectateur à s’interroger sur les raisons de l’échec de Kane et la
signification de • Roscbud (Somme dans un film policier, le spectateur doit
repérer les causes manquantes et remettre les événements dans un ordre
cohérent, Par la manipulation des données temporelles —ordre, durée,
fréquence — le récit facilite et complique à la fois ce travail, pour provoquer
tour à tour la curiosité ou le suspense.

Motivation

Des critiques ont prétendu que la recherche de « Roscbud » était un point fai
ble de Citizen Kane. la révélation finale montrant qu'il ne s'agissait que d'une
astuce sans intérêt. Le reproche est valable si l’on dit que l’objet du film est
effectivement d’identifier -Roscbud». Mais ce mot a en fait une toute autre
fonction : il motive l'enquête de Thompson et concentre l'attention du spec­
tateur sur celle-ci. Citizen Kane devient un film policier où l'on enquête sur
un personnage et non sur un crime, comme le voudrait le genre, et les indices
concernant «Roscbud- justifient la progression du récit. (Même s'il a aussi
d’autres fonctions : la petite luge sert par exemple de transition entre la pen­
sion de Mme Kane ei le triste Noël où Thatcher en offre une nouvelle à Char­
les.)

Le récit de Citizen Kane tourne autour d'une enquête sur des caractéristi­
ques psychologiques, caractéristiques qui fournissent la motivation d’une
grande partie des événements. (À ce titre, le film respecte les principes du
classicisme hollywoodien.) C’est parce que Kane veut prouver que Susan est
une chanteuse et pas simplement sa maîtresse qu’il prend le contrôle de sa
carrière. C'est parce que la mère de Kane, excessivement protectrice, veut éloi­
gner son fils de ce quelle considère être un environnement néfaste quelle le

149
mijt 2 - u mai tu fut

confie à Thatcher. De nombreuses situations sont ainsi motivées par le carac­


tère ou le désir des personnages.

À la fin du film, Thompson abandonne sa recherche du sens de


• Rosebud* en disant : «Je ne crois pas qu'un seul moi suffira jamais à expli­
quer la vie d'un homme*. Cette affirmation ne justifie que partiellement le
renoncement du journaliste; si le spectateur peut en accepter l’idée générale, il
a aussi besoin qu'on lui fournisse un autre type de motivation. Dans la scène
suivant la projection du film d’actualité (2b), Rawlston fait l’hypothèse que
Kane • nous a tout dit de lui sur son lit de mort », à quoi un journaliste répond
immédiatement: «Et peut-être pas». La possibilité que «Rosebud» ne soit
qu’un leurre est donc ouverte dès le début. Plus lard, leland ignore ostensi­
blement l’hypothèse «Rosebud», préférant parler d'autres choses. Ces brèves
évocations permettent de justifier le pessimisme de Thompson dans la
séquence finale.

On ne comprend pas tout de suite la fonction de la scène où le journaliste


rend visite à Susan Alexander pour la première fois (3) — à la différence des
séquences suivantes, elle ne contient aucun flashback et Thompson ne fait
qu'y apprendre du serveur que Susan ne sait rien sur • Rosebud », information
qui aurait pu être fournie pendant la seconde visite. La fonction de la scène
serait moins d'informer que de troubler le spectateur, susciter son intérêt et
épaissir le mystère qui entoure Kane. Le témoignage que Susan fera plus tard
dans le film couvre la dernière période de la vie de son mari; or, comme nous
l'avons vu, les llashbacks se succèdent en respectant à peu près un ordre chro­
nologique. Si Susan avait raconté son histoire la première, le spectateur
n’aurait pas eu tous les éléments nécessaires à sa compréhension. Il reste
néanmoins vraisemblable que Thompson commence par interroger l’ex-
femme de Kane, sans doute la dernière personne vivante à avoir été aussi pro­
che de lui. Saoule, elle refuse de lui répondre, justifiant le fait que son flash-
back n’intervienne que plus tard, après les témoignages de Leland et
Bernstein. L’une des fonctions de celte première scène est donc de justifier le
renvoi du flashback de Susan à un autre moment du récil.

Les diverses motivations contribuent à une sorte de cohérence naturelle du


récit sur laquelle le spectateur ne s’interroge pas. Mme Kane veut que son fils
soit riche et réussisse; elle demande donc à Thatcher, un grand banquier,
d’êire son tuteur. Mais que Thatcher soit un riche homme d’affaire a d’autres
conséquences: cela justifie son apparition dans le film d’actualité —il est
assez connu pour qu'on lui ait demandé de témoigner dans une commission
du Congrès — et le fait que son journal intime soit conservé dans une biblio­
thèque. Et avec ce journal, Thompson peut trouver une source directe d’infor­
mations sur l'enfance de Kane.

150
uimu 4 - n imi sium rnmi.

Malgré son usage des motivai ions psychologiques, Citizen Kane s'écarte
par certains aspects des pratiques courantes de la narration hollywoodienne.
Certaines motivations restent ambiguës, surtout celles qui concernent le per­
sonnage de Kane : si tous les personnages qui parlent à Thompson s'en font
une idée précise, leurs opinions ne s'accordent pas toujours. La nostalgie de
Bernstein n'est pas partagée par Leland, qui reste cynique sur ses relations
avec Kane. Certains agissements de ce dernier ne sont pas éclaircis ; envoie-t-il
une prime de licenciement de 25 000 S à Leland au nom de leur ancienne
amitié ou pour se prouver qu'il peut être plus généreux que lui ? Pourquoi
continue-t-il de remplir Xanadu avec des œuvres d'art qu’il ne déballe même
plus ?

Parallèles narratifs
Le récit de Citizen Kane ne se fonde pas entièrement sur des mises en parallèle,
mais on peut tout de même en relever plusieurs. Nous avons déjà évoqué les
importants parallèles formels entre les « News on the March » et l’ensemble du
film. Nous avons aussi remarqué un parallèle entre les deux grandes lignes
dramatiques . la vie de Kane et l'enquête de Thompson. «Roscbud- symbolise
tout ce que Kane a voulu obtenir pendant sa vie d'adulte. Nous le voyons
échouer en amour comme en amitié et finir par se retrouver seul à Xanadu.
Son incapacité à trouver le bonheur est doublée par celle de Thompson à
trouver le sens du mot «Roscbudx, parallèle qui n'implique pas une ressem­
blance psychologique entre les deux personnages mais permet aux deux lignes
dramatiques de se développer simultanément dans des directions semblables.

Un autre parallèle met en rapport la campagne électorale de Kane et ses


efforts pour faire de Susan une star de l'opéra. Dans les deux cas, il cherche à
manipuler l'opinion publique pour améliorer sa réputation: pour que Susan
ait du succès, il oblige ses journalistes à faire des critiques élogieuscs de sa
prestation; lorsqu'il perd aux élections, Vlnquirer titre que le vote était truqué.
Chaque fois, Kane ne réalise pas que son influence ne suffit pas à dissimuler
les vraies raisons de scs échecs : son histoire d’amour avec Susan, qui ruine sa
campagne électorale, ou le manque de talent de cette femme, qu’il refuse
d'admettre. Le parallèle met en évidence le fait que Kane, tout au long de sa
vie, répète les mêmes erreurs.

Schémas de développement narratif


Entre le début et la fin de Citizen Kane, le spectateur est invité à suivre deux
intrigues : la vie de Kane, l'enquête de Thompson. Chacune des visites faites

151
HMU 1 - U MMt H fin

par Thompson dans le cadre de son enquête conduit à un tlashback qui élargi
noire connaissance de Kane.

L’ordre des visites structure la série des flashbacks suivant une nette pro­
gression. Thompson passe des gens qui ont connu Kane jeune à ceux qui l'ont
connu plus âgé. Chaque flashback contient des types d'informations
différents : Thatcher évoque les opinions politiques de Kane, Bernstein, les
transactions commerciales de Hnquirer. Ces deux témoignages fournissent
une toile de fond aux succès du jeune éditeur et au récit de Leland sur sa vie
privée, où nous avons les premières indications sur les faiblesses et les échecs
de Kane. Susan reprend la description de son déclin en rendant compte de la
façon dont il a manipulé sa vie. Dans le dernier témoignage, celui de Ray­
mond, Kane est devenu un vieil homme pitoyable.

Ainsi, même si l’ordre, la durée et la fréquence des événements de l'histoire


sont très différents de ceux du récil. Citizen Kane présente la vie de son per­
sonnage à travers un schéma de développement très solide. Les parties du
récit au présent — les scènes avec Thompson — suivent aussi leur propre
schéma, celui d'une recherche. A la fin du film, cette recherche a échoué
(comme Kane échoue dans sa recherche du bonheur et de la réussite person­
nelle).

Cette fin est relativement déceptive, plus ouverte qu’il n était de rigueur
dans le Hollywood des années 40. On peut dire que Thompson résout pour
lui-même l’énigme et inscrit le film dans un modèle classique de progression
lorsqu'il affirme qu’un seul mot n'aurait pas expliqué la vie de Kane : le récit
débouche bien sur un savoir, mais à caractère général. Or c’est plus générale­
ment un objectif personnel que cherchent à atteindre les personnages de la
narration hollywoodienne.

L’histoire de Kane est encore plus ouverte. Non seulement Kane ne semble
pas avoir atteint son but, mais le film ne précise jamais ce qu’est ce but. Le
modèle narratif classique du conflit est évacué au profit d’une lente chute du
protagoniste dans la solitude, au cours de laquelle nous sommes invités à ima­
giner ce qui pourrait le rendre heureux. L’absence de clotûre de cette partie du
récit faisait deCrtûeri Knne,à l'époque, un film peu ordinaire.

L'énigme • Rosebud » est dans une certaine mesure résolue à la fin du lîlin :
nous, les spectateurs, découvrons ce qu’était «Rosebud». Le film s’achève,
après cette découverte, par une variation sur son ouverture. Au mouvement
qui nous menait à travers les grilles vers la propriété se substitue une série de
plans qui nous éloignent de la maison, nous font repasser à l'extérieur de la
propriété, devant le panneau « No f respassing • («Défense d'entrer») et le large
K inscrit dans les grilles.

152
miiiH-iimiiiiniititim-Hiwi

Mais la réponse à la question de Thompson, que nous serions les seuls à


connaître, ne dissipe pas toutes les incertitudes. Le dernier mot de Kane est-il
la clé de tout le personnage ou Thompson a-t-il raison — rien ne peut résu­
mer la vie d'un homme ? On peut affirmer que les problèmes de Kane ont leur
origine dans l’enfance, avec la perte de la luge et de la vie familiale, mais le
film laisse aussi entendre que c’est une solution trop facile — le genre de solu­
tion sur laquelle se précipiterait le superficiel Rawlston.
Les critiques s'interrogent depuis des années pour savoir si «Rosebud*
donne effectivement la clé de tout le récit, débat qui témoigne par lui-méme
des ambiguités à l’œuvre dans Citizen Kane. Le film nourrit des opinions
divergentes, sans solution définitive : on ne parvient pas à le clore. (Il est utile
de mettre en regard de Citizen Kane la cohésion narrative de His Giri Friday
ou de La mort aux trousses, ou encore de le comparer à un autre film présen­
tant une fin partiellement ouverte, Do the right thing).

La narration dans Citizen Kane


Kane ne nous est présenté directement, au présent, qu’au moment de sa mort.
C’est un point capital pour l’étude de la narration : toutes ses apparitions
ultérieures —dans le film d'actualité, dans les souvenirs— sont indirectes.
Ce traitement inhabituel d'un personnage principal fait du film une sorte de
portrait, l'étude d’un homme depuis différents points de vue.
On distingue cinq narrateurs, chacune des personnes que Thompson
interroge — Thatcher (sous une forme écrite), Bernstein, Leland, Susan et
Raymond, le domestique — qui justifient la plus ou moins grande restriction
des descriptions de Kane. Dans le témoignage de Thatcher (4b-4e), nous ne
voyons que des scènes où il est lui-méme présent. Même la campagne de Kane
contre l’affairisme est décrite telle que Thatcher en a connaissance, c’est-à-
dire par sa lecture de Vlnquircr. Dans le flashback de Bernstein (5b - 5f), le
récit s'en tient à peu près à ce qu'il sait : lors de la fête de Vlnquirtr, notre per­
ception de la scène est limitée à la conversation entre Leland et Bernstein, tan­
dis que Kane danse à l'arrière-plan. De même, le voyage de Kane en Europe
est réduit à la lecture d'un télégramme que Bernstein vient remettre à Leland.
Le flashback de leland (6b, 6d - 6j) est celui qui s’écarte le plus nettement
du savoir du personnage. Nous assistons aux petits déjeuners de Kane et
F.mily, à la rencontre de Kane et de Susan et, dans l’appartement de celte der­
nière, à la confrontai ion avec Gettys. En 6j, Leland est présent mais quasi
inconscient. (II justifie lui-mème la connaissance qu’il aurait de la rencontre
entre Kane et Susan en affirmant que Kane lui a racontée, mais les scènes pré­
sentent trop de détails pour que cela soit vraisemblable.) Les informations

153
!UII£ 2 - Lfl fOéffll Ml JILII

fournies dans le flashback de Susan (7b - 7k) correspondent plus au savoir du


personnage. (Dans la première moitié de 7f. toutefois, elle est inconsciente.)
Raymond a pu être témoin de ce qu’il rapporte dans le dernier flashback
(8b) : on le voit, debout dans le hall, au moment où Kane ravage la chambre
de Susan.
La démultiplication des narrateurs remplit différentes fonctions. Elle
s’offre d’abord comme un élément «réaliste» de la description de l'enquête :
un journaliste doit recouper des informations pour arriver à la vérité. Le por­
trait de Kane gagne en complexité avec la succession et la diversité des témoi­
gnages, qui finissent par transformer le film en l’un des immenses puzzles de
Susan. Le spectateur reconstruit le film pièce par pièce et la gradation des
révélations augmente sa curiosité — qu’cst-ce qui. dans le passé de Kane, est
associé au mot «Rosebud ?■ — et le suspense — comment va-t-il perdre scs
amis, ses épouses?
Cette stratégie narrative a des conséquences formelles importantes. Si
Thompson multiplie les témoignages pour accumuler des données, le récit
multiplie les narrateurs autant pour nous fournir des informations sur l’his­
toire que pour nous en dissimuler. Les manques qui émaillent le portrait de
Kane sont justifiés par l’impossibilité de trouver un témoignage exhaustif hors
celui, exclu, du personnage lui-même. Le spcctatcu r accepte l’aspect fragmen­
taire du récit ou sa manière de retarder la révélation d'informations clés
comme une conséquence normale de la diversification des sources d'informa­
tions.
La restriction du champ informatif à l’intérieur de chacun des tlashbacks
n’implique pas qu’ils sont traités sur un mode subjectif. Une voix ofï inter­
vient au moment de certains enchâssements, mais elle ne représente jamais les
pensées du narrateur. C'est seulement dans le flashback de Susan que l’on
peut relever quelques effets subjectifs : en 7c un plan qui nous montre Leland
depuis la scène correspond au point de vue optique de Susan (subjectivité
perceptive); l'aspect fantasmagorique du montage résumant sa carrière (7e)
pourrait être interprété comme une expression de sa fatigue et de son humi­
liation (subjectivité mentale).
L'adhésion générale du film à une objectivité narrative proche des canons
hollywoodiens est, elle aussi, fonctionnelle : il faut que le spectateur puisse
croire à «l'authenticité» de ce qu'il voit et de ce qu'il entend pour rester atten­
tif à la progression de l’enquête et à la dégradation des relations personnelles
de Kane.
Avec les cinq narrateurs, les «News on the March» sont une autre source
de savoir. Nous avons déjà souligné la fonction introductive et structurante de
ce film à l'intérieur du film : les «News» sont une esquisse générale que

154
Xiinni 4 - h mutin

viennent détailler par la suite des témoignages individuels. C’est aussi le


moment de plus grande objectivité du film, où rien ne transparaît de la vie
intérieure du personnage principal — ce que Rawlston exprime en disant : « Il
ne suffit pas de dire ce qu’un homme a fait, il faut dire qui il était». La mission
de Thompson sera de donner de la profondeur à cette première version de la
vie de Kane.

Ces sources ponctuelles — les narrateurs, le film d'actualité — sont reliées


par le fantomatique Thompson, délégué du spectateur dans la fiction, rassem­
blant et assemblant pour lui les pièces du puzzle.

Sa maigre caractérisation (on distingue à peine son visage, on ne sait rien Figure 4.6
de son passé ou de ce qu'il est hors de sa fonction de journaliste) prévient
toute possibilité d'en faire le personnage principal du film. Le sujet de Citizen
Kane n’est pas Thompson mais sa recherche : il n’est que le vecteur neutre des
données de l'histoire, même si sa conclusion mélancolique, à la fin du film,
laisse penser qu’il a été changé intérieurement par son enquête.

Thompson n'est pas un bon délégué du spectateur dans la fiction. Il fait


partie, avec le film d’actualité et les cinq narrateurs, d'un champ informatif
plus large. Certains épisodes du film témoignent de l'utilisation d'une narra­
tion omnisciente; son ouverture, par exemple, où l’on pénètre dans une mys­
térieuse propriété (dont on apprendra plus tard qu’il s’agit de Xanadu, le
domaine de Kane), puis dans une chambre sombre. Une main tenant un
presse-papiers apparaît avec, en surimpression, de la neige (fig. 4.6). Cette
image est troublante : est-ce une sorte de commentaire lyrique ? Est-ce une
image subjective, une vision réelle ou mentale du mourant ? Dans un cas
comme dans l’autre, la narration révèle sa capacité à contrôler une grande
quantité d'informations narratives. Le sentiment d'omniscience du spectateur
est renforcé lorsqu’une infirmière fait irruption dans la pièce, laissant penser
qu'aucun autre personnage ne sait ce qu’il sait.

A d'autres moments, cette narration omnisciente appelle l’attention sur


elle-même, par exemple dans le flashback de Leland évoquant les débuts de
Susan à l'opéra (6i),où nous voyons des machinistes réagir à son interpréta­
tion. (Ces «apartés» omniscientes sont en généra! associées à des mouve­
ments de caméra particuliers, comme on le verra au chapitre 10). Mais
l’omniscience de la narration est encore plus remarquable à la fin du film.
Thompson et les autres journalistes s’en vont sans avoir découvert la significa­
tion de «Rosebud», mais nous restons derrière eux, dans la vaste réserve de
Xanadu, et apprenons grâce à la narration que • Rosebud» était le nom de la
luge du jeune Kane. Nous pouvons alors faire le lien entre l’image du presse-
papiers cl cette dernière révélation.

155
miu 1 - Ll WM LU JUIF

La narration de Citizen Kane est véritablement omnisciente. Elle détient


dès le début une information capitale, nous aiguillonne par quelques indices
(la neige, la petite maison dans le presse-papiers transparent) et finit par déli­
vrer une partie de la réponse à la question posée au début. Le retour final
devant la grille et le panneau No trespassing» nous rappellent le point
d’entrée dans le film. Ce dernier lire donc sa cohérence non seulement d'une
utilisation réfléchie de la causalité et de la temporalité mais aussi d'une narra­
tion structurée qui sait éveiller l’intérét du spectateur, créer du suspense et
ménager une ultime surprise.

Résumé
Le plan que nous avons adopté pour cette étude du récit de Citizen Kane n’est
pas un modèle d’analyse, notre propos étant aussi d’illustrer les notions de
causalité, de récit, d'histoire, de motivation, de parallélisme ou de champ
informatif. Une fois qu’il s’est familiarisé avec ces outils, le critique ou l’ana­
lyste peut les utiliser de façon plus souple et adapter son discours aux particu­
larités d’un film.
l^s questions suivantes peuvent nous aider à comprendre les structures
formelles de tout film narratif :

I. Quels événements de l’histoire sont présentés directement par le récit et


quels sont ceux que l'on doit retrouver par inférences ? Le récit contient-il
des éléments extradiégétiques ?

2. Quel est le premier événement de l'histoire dont nous ayons connais­


sance ? Quelle est la nature de ses relations causales avec les événements
ultérieurs ?

3. Quelles sont les relations temporelles entre les événements de l'histoire?


Comment l’ordre, la durée et la fréquence sont-ils manipulés par le récit ?

4. Est-ce que la fin du film révèle un schéma de développement bien défini


du récit, qui met cette fin en rapport avec le début ? Le récit résout-il tous
les aspects de la narration, en laisse-t-il certains ouverts ?

5. La narration est-elle restreinte à ce que savent quelques personnages ou


couvre-t-elle sans restriction tout le champ informatif possible? Est-elle
subjective ? Donne-1-elle lieu à des évocations ou à des représentations des
pensées ou des états mentaux des personnages ?

6. Le film suit-il les conventions du classicisme hollywoodien ? S’il s’en


écarte, quels principes formels met-il en œuvre ?

156
u in m 4 udmuiR.au j J un «L mm

Si aller au cinéma c’est, le plus souvenu aller voir un film narratif, il existe
beaucoup d'autres possibilités pour structurer la forme totale d'un film. Nous
étudions les types fondamentaux de la forme non-narrative dans le chapitre
suivant.

157
Les systèmes
5
non-narratifs

Les formes du non-narratif


C’est Le magicien d'Oz qui nous a servi de principal exemple
pour l’examen des caractéristiques générales de la forme filmi­
que, au chapitre 3. Les principes que nous y avons observés
— fonction et motivation, ressemblance et répétition, différence
et variation, cohérence— s'appliquent à tous les films. Le
cinéma narratif tenant une grande place dans l’expérience nor­
male de tout spectateur, nous lui avons consacré le chapitre 4, en Les formes du non-nanatif
l'illustrant par une analyse du récit de Citizen Kane.
les systèmes formels catégoriels
Mais il existe d'autres types de formes filmiques, aussi impor­ Les systèmes formels rhétoriques
tants que la forme narrative. Des films didactiques, politiques ou Les systèmes formels abstraits
expérimentaux peuvent être dénués de récit —ce sont des for­
Les systèmes formels associants
mes du non-narratif. Nous allons en distinguer et en détailler
Résumé
quatre grandes manifestations : le catégoriel, le rhétorique, l’obs-
trait et l’associatif Notes et Points d'interrogation
U IHH tu (Hi

Comment les différencier ? Avant de revenir plus précisément sur chacun


de ces types, nous allons essayer de les caractériser rapidement en imaginant
que nous les utilisons pour traiter un même sujet —disons, un film sur une
épicerie — en excluant d’emblée la forme narrative.

Le catégoriel divise un sujet en plusieurs parties ou catégories. Dans notre


film imaginaire, il s'agirait de parcourir tout le magasin pour en filmer les dif­
férents rayons, montrer ce qu’il contient — le rayon boucherie, le rayon des
produits frais, les caisses.

Nous pouvons vouloir convaincre le public de quelque chose concernant


cette épicerie: pour cela, nous mettrons en œuvre une forme rhétorique, qui
expose une situation, défend une opinion en présentant de façon systémati­
que une argumentation. Pour soutenir l’idée qu'une petite épicerie de quar
lier offre de meilleurs services qu’une chaîne de magasins, il faudra filmer
l’épicier en train de conseiller ses clients, l’interroger sur les services qu’il
entend leur offrir, essayer de montrer leur satisfaction et prouver la meilleure
qualité des produits. film sera organisé de façon à donner au public des rai­
sons de penser que celte épicerie est l'endroit où il faut aller faire ses achats.

Nous pouvons aussi décider de mettre en œuvre des formes abstraites, qui
concentrent l’attention du public sur les seules qualités visuelles et sonores
des choses décrites — la forme, la couleur, le rythme sonore. Cette banale épi­
cerie peut être l’occasion d’un film passionnant fait par exemple de boites de
conserves déformées par des positions inhabituelles de la caméra, de zones de
couleurs vives mise en évidence par des gros plans et dune bande son incon­
grue influant sur la façon dont le spectateur réagit aux images.

Mais il s'agira peut-être d’exprimer un sentiment, une réaction ou une


inclination personnelle. Dans la forme ussociuthv, des images ayant peu de
rapports entre elles sont juxtaposées pour évoquer une émotion ou une idée
abstraite. Si nous nous sentons oppressés dans l’épicerie, nous pourrons la fil­
mer de telle façon quelle paraisse sinistre et faire alterner ces plans avec des
éléments métaphoriques destinés à guider les réactions du spectateur. L'image
d’une longue file de caddies attendant devant une caisse pourra, par exemple,
être comparée à une image de la circulation automobile à une heure de
pointe. Avec de telles associations entre le magasin et d’autres phénomènes, le
film créera un «ton», une vision particulière.

Nous ne voulons pas dire ici qu'un réalisateur choisit un sujet puis cherche
le type d'agencement formel qui lui est le plus approprié —en général, la
forme procède à la fois des intentions du réalisateur et du contexte de produc­
tion. On comprend par contre qu'à partir d'un même objet, l’épicerie, nous
obtenons quatre films très différents.

160
<»innt t - ut miuti iii-muui!

Comme la forme narrative, le non-narratif peut caractériser tous les prin­


cipaux types filmiques définis au chapitre 2. Notre film sur l'épicerie est
tourné en décor naturel, mais nous aurions pu faire un film d’animation
répondant aux mêmes structures formelles. L’animateur indépendant Bill
Plympton a réalisé des films s'apparentant au mode catégoriel. How 10 Kbs
(1989) et 25 ways to quil smoking (1989). Le cinéma expérimental peut meure
en oeuvre n'importe laquelle de ces formes; nous verrons que Rallet mécani­
que est un grand exemple de film abstrait et que A Movie, de Bruce Conner,
illustre le mode associatif. Un film défendant une colonisation martienne de
la lune serait, quant à lui, une fiction rhétorique. The Faits (Peter Grccnaway,
1980) est catégoriel, parce qu’il examine dans l’ordre alphabétique les effets
d'une catastrophe inconnue sur une série de personnages fictifs tous nommés
Fait. Les documentaires excentriques de Les Blank participent aussi bien du
narratif (Burden of dreams, 1982, sur le tournage d'un film), du catégoriel
(Gap-toothed wonten) que de l'associatif (Garlic is as good as ten mothers,
1980).
Les différences entre les formes non-narratives sont importantes : chacune
fait appel à des conventions différentes et provoque différents types d’attentes
chez le spectateur. Si nous savons que nous sommes en train de regarder un
film rhétorique qui essaie de nous convaincre, par exemple, de soutenir une
certaine politique gouvernementale, nous serons peut-être sceptiques, atten­
tifs à ses arguments et prêts à le rejeter entièrement. Spectateur d’un film abs­
trait, notre attitude sera plus contemplative —nous regarderons passer les
couleurs et les formes. Ces classements, s’ils sont rarement conscients, n'en
sont pas moins efficaces; c’est notre savoir de spectateur, nos «compétences
visuelles», qui nous permettent de distinguer ces différents types formels.
L’examen détaillé des quatre formes sera chaque fois illustré par un film
différent, dont nous produirons une segmentation selon les principes décrits
au chapitre 3. Nos analyses meurent ensuite l’accent sur la façon dont, dans
chaque type d'organisation non-narrative, tes différentes parties ainsi inven­
toriées sont en relation les unes avec les autres.

Les systèmes formels catégoriels


Principes de la forme catégorielle
Les catégories sont des ensembles constitués par des individus ou des sociétés
pour organiser leur savoir. Les catégories scientifiques, par exemple, sont
organisées de façon à pouvoir rendre compte de l’intégralité des données
existant sur un sujet —c'est le cas du système de classification des espèces

161
uim 2 - io mai ou mi

animales et végétales, élaboré par des scientifiques afin de répertorier tout le


vivant en termes de genres et d’espèces.

La plupart des catégories que nous employons dans notre vie quotidienne
sont moins strictes, moins élaborées et moins complètes. Nous avons ten­
dance à classer les choses qui nous entourent en les abordant soit d’un point
de vue pratique, soit d’un point de vue idéologique. Lorsque nous voyons un
animal, nous ne le ramenons pas immédiatement à un genre et à une espèce
mais utilisons des catégories plus triviales : cet animal sera soit «domestique »,
soit «sauvage», -de la ferme» ou «du zoo». Ces ensembles ne sont ni exclusifs
ni exhaustifs (un animal pourra appartenir à plusieurs de ces catégories) mais
sont généralement suffisants. Les catégories idéologiques ne sont pas plus
rigoureuses: dire par exemple qu’une société est «primitive» ou qu’elle est
«avancée» est un jugement qui, porté sans connaissance de la complexité des
problèmes, ne résiste pas au moindre examen.

Un réalisateur ayant une visée informative organisera son film en respec­


tant certaines catégories et sous-catégories. Un documentaire sur les papillons
aura recours aux classifications scientifiques pour montrer une espèce, puis
une autre, en donnant chaque fois des informations sur leurs modes de vie;
un film touristique sur la Suisse passera en revue toutes les attractions et tra­
ditions locales. Les catégories mises en oeuvre sont souvent peu précises; elles
participent du bon sens et sont facilement reconnaissables par n’importe quel
spectateur.

Wtld Wheels (Harrod Blank, 1992) est un exemple percutant d'utilisation


des formes catégorielles. Le sujet en est les voitures décorées. Blank distingue
plusieurs sous-catégories : il y a les camionnettes, les limousines, les bus et les
taxis décorés. 11 y a des voitures peintes, des voitures couvertes de morceaux
de marbre, de miroirs, de perles, de boutons, de sculptures ou d’herbe. Il y a
les voitures en fer forgé, celles qui utilisent des motifs animaliers et celles qui
s'allument comme des enseignes lumineuses. Blank passe aussi en revue les
différents types de personnes qui décorent leur voiture. Certaines veulent atti­
rer l'attention, d'autres, exprimer leur personnalité; certaines veulent réussir
à entrer en contact avec des extraterrestres, convertir les gens au christianisme
ou oublier des problèmes personnels. I.e film est organisé comme un pano­
rama du *car art* —pas une illustration systématique, mais une accumu­
lation d’exemples regroupés suivant des critères peu élaborés, accessible à tout
spectateur.

Dans la forme catégorielle, le film est divisé en parties correspondant cha­


cune à une catégorie ou à une sous-catégorie : la fabrication des horloges ou
le ski alpin pour notre film stéréotypé sur la Suisse, les véhicules avec des

162
(Il a » IIAL C LCL^gl nJULILJU U

messages pro-chrétiens ou les voitures décorées par des femmes pour le


moins conventionnel Wild Wheels.
Ces films débutent souvent par une identification générale du sujet — une
carte de la Suisse pourra par exemple servir d'introduction à notre film tou­
ristique. Wild Whcels s’ouvre sur une parade dans une petite ville ordinaire
avant de s'attarder sur un défilé de voitures décorées. Le film s'achève, de
façon caractéristique, sur un retour au thème général, une séquence où toutes
les voitures que nous avons vues en détail sont identifiées par leur nom et leur
propriétaire — à la fois rappel de la parade initiale et affirmation de la diver­
sité du «car art» comme catégorie.
Iz développement du sujet obéit généralement à des structures simples:
du plus petit au plus grand, du local au national, du privé au public. Le film
sur les papillons pourra par exemple commencer par montrer les espèces les
plus petites avant de passer aux plus grandes ou aller des espèces ternes à cel­
les qui sont colorées.
Cette simplicité peut ennuyer le spectateur qui, rapidement, n’attend plus
rien de la répétition des exemples si elle n’est pas le support d’un système de
variations qui l’oblige à réviser ses attentes,
Le réalisateur peut par exemple chercher à jouer sur l'imprécision des caté­
gories, la façon dont elles se recouvrent. La «Coltmobile» de Wild Whrels, une
voiture ornée de dizaines de statuettes représentant des chevaux, est montrée
au début de la partie consacrée aux motifs animaliers. Après que le propriétaire
de la voiture a expliqué que sa réalisation l’a aidé à sortir de l'alcoolisme, le film
enchaîne sur un veuf dont le véhicule, couvert de bijoux, est un hommage au
souvenir de sa femme, puis sur l'histoire d'un homme qui compense une
enfance malheureuse en couvrant sa voilure de jouets. Les chevauchements
d’une catégorie à une autre permettent à Blank de passer d’un segment relati­
vement amusant a un segment faisant appel à la compassion du spectateur.
Un mélange entre le catégoriel et l'abstrait, le rhétorique, l’associatif ou le
narratif permet aussi au réalisateur de maintenir notre intérêt et de faire
varier les segments. Dans notre court métrage sur les papillons, on peut ima­
giner que les couleurs et les formes des insectes donnent lieu à des moments
d'abstraction visuelle et qu'une séquence dénonce, avec une argumentation
serrée, la mauvaise politique environnementale menaçant une certaine
espèce.
Le narratif n'est pas exclu du catégoriel. Il y a, après la parade du prologue
de Wild Wheels, un épisode où Blank reçoit comme un trophée un ticket de
parking — il comprend qu'il a été choisi à cause de la décoration de sa Volk­
swagen. I) traverse ensuite les États-Unis avec un objectif : «J’espère que je vais
trouver quelqu'un avec qui me mettre en rapport». Après une courte série de

163
Pflfilll 2 - L| mil H IILl

plans sur des panneaux routiers signalant différents états, le récit du voyage
est brutalement interrompu et ie reste du film suit une forme catégorielle où
Blank présente systématiquement les décorateurs et leurs véhicules, hors de
tout schéma causal. On pourrait aussi soutenir que le film plaide pour la
liberté d'expression la plus extravagante, mais ce problème rhétorique reste
implicite et ne détermine pas la structure formelle.
Nous allons voir avec l'exemple suivant, la seconde partie d'un film à
caractère documentaire, Les Dieux du stade (Olympia. Fest der Sehdnheit. Leni
Riefenstahl, 1936), comment la simplicité de la forme catégorielle peut être
dépassée.

Les Dieux du stade


A la télévision, les retransmissions des Jeux olympiques sont réalisées en
direct, caméras et commentateurs sélectionnant quelques événements précis
parmi tous ceux qui se déroulent simultanément. Ces programmes durent
plusieurs jours; leur organisation, assez lâche, emprunte la forme des leux eux-
mêmes. celle d'une suite d'événements pris entre une cérémonie d’ouverture
et une cérémonie de clôture. À l’intérieur de cette structure très sommaire, on
repère des procédés récurrents : les comptes-rendus précédant une épreuve,
les reprises et les ralentis qui lui succèdent, l’entretien avec le vainqueur, etc.
11 en va tout autrement dans Les dieux du stade, un film de deux fois deux
heures sur les Jeux de Berlin de 1936, réalisé par Leni Riefenstahl à partir du
matériau fourni par plus de 40 caméras. Les épreuves n’étant pas montrées en
direct, son film peut avoir une structure formelle plus élaborée et plus variée
que les réalisations télévisuelles; il contient des schémas de développement
qui lient les differentes épreuves entre elles et construisent un tout unifié.
Nous n'en analyserons que la seconde partie, formellement autonome et
plus riche que la première où les épreuves s’enchaînent presque sans progres­
sion.
Pour cette présentation des Jeux olympiques de 1936, Riefenstahl avait
plusieurs solutions. Elle aurait pu, par exemple, décrire chronologiquement la
succession des épreuves, comme le fait de nos jours la télévision. Mais clic a
choisi d’en restructurer le déroulement suivant un schéma ABA.
La réalisation des Dieux du stade faisait partie, comme l'organisation des
leux, des derniers efforts du régime nazi pour présenter au monde un visage
amical. Pour rassurer le comité olympique international et éviter les réactions
hostiles ou le boycott des pays participants, Hitler suspendit, le temps des
leux, les campagnes antisémites en Allemagne. Pour illustrer cette bonne
volonté apparente, le film met l’accent sur la camaraderie entre les athlètes des
différents pays. La structure de l’œuvre alimente ce sens explicite.

164
(UMIM t - Ul iflUlii 111-m.UllH

Le dëbut du film est consacré aux épreuves elles-mêmes plus qu'à la com­
pétition entre les athlètes et entre les pays. On n apprend que progressivement
qui sont les participants et c'est seulement vers le milieu du film qu'un sus­
pense se construit autour de l'identité du futur vainqueur. Dans la séquence
finale, celle des plongeons, un retour aux principes formels du début élimine
à nouveau toute différenciation entre les athlètes : le spectateur ne considère
plus que la beauté stupéfiante de l’épreuve.
Des parallélismes viennent renforcer cette grande forme ABA. Le film com­
mence par montrer les athlètes et les spectateurs de façon impersonnelle, sans
aucune individualisation des apparences ou des réactions de chacun. Avec
l’avancée de la compétition, les athlètes commencent à être individualisés— il
y a même, une seule fois, un plan subjectif. Puis dans la séquence des plon­
geons, cette personnalisation reflue à nouveau au profit de la vision d’une série
de corps abstraits passant à travers les airs comme des oiseaux. De la même
façon, on ne nous montre pas, au début, les efforts des athlètes — c'est seule­
ment au fur et à mesure de leur individualisation que l’on peut en voir plus de
la tension et de la lutte. La séquence des plongeons nous ramène à l'apparente
absence d'effort montrée par les sportifs dans les premiers segments.
On passe aussi d'une forme totalement non-narrative à l'introduction de
micro-récits : certains des segments centraux font des athlètes les personnages
d’un suspense sportif ayant la victoire pour objet. Mais cette structure narra­
tive disparaii elle aussi à la fin du film.
En dépit de la simplicité de son sujet. Les Dieux du stade, deuxième partie,
est donc un film très structuré dont les catégories sont exposées de différentes
manières. Ses segments sont nettement délimités par des fondus au noir ou
des morceaux de musique joués par une fanfare.
D. Générique sur fond de drapeaux olympiques
1. La Nature et les athlètes olympiques : exercices matinaux, natation
2. Gymnastique
3. Régate
4. Pentathlon
5. Gymnastique suédoise féminine
6. Décathlon
7. Jeux d'équipes : hockey sur gazon, polo, football
8. Course cycliste
9. Cross
10. Aviron
11. Plongeon et natation
12. Epilogue dans le stade

165
MÔU4 1 ■ Lft fOSIBl H H.13

Les épreuves individuelles constituent un premier ensemble de catégories


qui entre en relation avec un second ensemble, celui des nationalités. On a
déjà dit que la prise en compte de l’appartenance nationale des participants,
peu importante au début et à la fin du film, est très présente dans les séquen­
ces centrales et contribue à la variété d’une œuvre qui aurait pu être, sans cela,
très répétitive.
Le générique affiche, par le titre et les drapeaux ponant l’emblème olym­
pique (fig. 5.1 ), la catégorie principale du film. Cet effet d’annonce est néan­
moins déçu par le début du premier segment, où nous ne voyons pas des
sportifs dans un stade mais une série de plans presque fixes, poétiques, sur des
feuillages et un étang, accompagnés d'une lente musique wagnérienne. Bien­
tôt, nous distinguons dans l’air brumeux du matin des silhouettes alignées en
train de courir — l’ai tente produite par le plan du générique se trouve satis­
faite, mais tardivement. Ricfenstahl associe les athlètes olympiques à la nature
et atténue les différences nationales en donnant pour lieu de leur première
apparition collective ce paysage forestier. Le premier segment, dans les bois et
les bains et, plus lard, au club olympique, est consacré à la préparation des
épreuves : le réalisateur a choisi de commencer par un prologue évoquant le
point commun de tous les sportifs, leur motif de camaraderie, quelle que soit
leur discipline et hors de la compétition — l’exercice physique.
On commence à avoir des indications sur la nationalité des athlètes. Des
maillots portant la mention «Italia» (fig. 5.2) ou d’autres indices similaires
introduisent cette nouvelle catégorie, tandis que la mise en rapport avec la
nature continue à travers la juxtaposition de plans montrant l'entrainement
cl de plans montrant des animaux. La fin de la scène rassemble tous les motifs
du segment. Un changement de point, dans une image où on voit d’abord des
fleurs au premier plan (fig. 5.3) révèle au fond la présence d’un athlète

Figure 5.1 Figure 5.2 Figure 5.3

166
(11MI1LI -JJ» Ifi^m^ilîL

(fig. 5.4). Dans le plan suivant, qui est aussi le dernier du segment, un aligne­
ment de drapeaux récapitule l'ensemble des nationalités participantes
(fig. 5.5).

Le second segment, consacré à la gymnastique, commence par emprunter


un motif à celui qui l'a précédé : une branche d'arbre vient côtoyer au premier
plan la masse des tribunes bondées du stade (fig. 5.6). Une parade d'athlètes
portant des drapeaux reprend le thème des nationalités, mais dès que
l’épreuve débute, on ne sait plus rien de l'identité des participants : l’accent est
mis sur la virtuosité technique plutôt que sur la compétition, ce qui développe
aussi un motif du premier segment. Les épreuves de gymnastique sont celles
qui ressemblent le plus aux exercices physiques présentés précédemment; les
hommes semblent plus coopérer que se battre pour la victoire, Leurs réac­
tions, comme celles des spectateurs dans les tribunes, sont atténuées : nous ne
voyons la foule que de très loin, en fond de l’action (fig. 5.7). Dans le plan sui­
vant, un gymnaste exécute ses mouvements avec aisance, sur fond de ciel
(fig. 5.8), et le dernier plan du segment en montre un autre qui, au ralenti,
s’élance au-dessus d’une barre et glisse lentement hors cadre par la droite.

167
PHLU 2 - Lfl lOfiffll DU fllffl

accompagné d’un fondu au noir. Comme dans d’autres plans de cette partie
montrant la meme action, on ne le voit pas arriver au sol. Ce motif — des
corps qui, sans effort, s'élancent et restent suspendus dans les airs— infor­
mera aussi la séquence des plongeons.

Ccl accent mis sur les épreuves elles-mêmes continue dans le troisième
segment, la régate. Des plans brefs sur les équipes et les bateaux ne nous per­
mettent pas de les différencier clairement, mais le film commence à mettre
l'accent sur la compétition par l'intermédiaire de la voix d’un commentateur
donnant les noms de quelques vainqueurs, alors que les bateaux sont encore
Figure 5.10 sur l’eau. Nous ne voyons toujours pas la fin des courses, les réactions du
vainqueur, rien qui pourrait contribuer à individualiser les sportifs.

Le film change de tactique dans le quatrième segment, le pentathlon. La


voix du commentateur donne maintenant plus d'informations sur les pays
participant à l’épreuve: «Les officiers suédois l’ont remporté depuis 1912».
l^s concurrents sont identifiés par leurs noms — l'Allemand Handrick,
l'Américain Leonhard — à chacune de leurs apparitions, tout au long de la
course. Les épreuves sont montrées dans l'ordre chronologique (certaines
étant éludées et résumées par le commentateur), et nous pouvons donc les
suivre comme un récit dont les sportifs seraient les personnages et la victoire,
l'objectif à atteindre, générateur de suspense. Le film s’intéresse aux réactions
des vainqueurs et à celles des spectateurs : nous voyons la remise des
Figure 5.11 médailles, d'or à l'Allemand, d'argent à l'Américain: des jeunes garçons en
uniforme qui applaudissent (fig. 5.10) puis les vainqueurs avec les officiels,
pendant la cérémonie (fig. 5.11 ).

Les Dieux du stade développe une idéologie qui semble très éloignée du
racisme de scs financiers, le régime nazi. Les nazis voulaient que ce film, des­
tiné à être projeté dans le monde entier, soit le spectacle d’une coopération
internationale. (Différentes versions des Dieux du stade furent distribuées,
avec des bandes son allemande, française ou anglaise, très semblables selon les
historiens. Riefenstahl n’essaya pas de cacher le fait que beaucoup de
médailles furent remportées par des athlètes noirs lors de ces Jeux berlinois;
malgré la désapprobation d’Hitler, Jessc Owens occupe une place importante
dans la première partie du film.) Cependant, quelques segments sont envahis
par une imagerie militaire : le raccord entre les jeunes garçons en uniforme et
les officiers allemands est particulièrement frappant (figs. 5.10, 5.11 ). Dans le
pentathlon cl dans le cross du segment 9, certains concurrents ou officiels
sont des militaires — on aperçoit parfois un svastika porté en brassard. Si la
présence de l’idéologie nazie est atténuée, on peut tout de même la considérer
comme un sens implicite du film.

168
(W.IIU ! - 14! HlUJULUl IlUl'Ill

Après le caractère dramatique du pentathlon, Riefenstahl crée une sorte


d’interlude avec une brève série de plans sur des milliers de femmes exécu­
tant, à l’unisson, des mouvements de gymnastique suédoise sur un terrain à
l’extérieur du stade. La scène débute par des plans rapprochés sur quelques
femmes puis,s'éloignant progressivement, finit par révéler la masse des parti­
cipantes depuis un point de vue en hauteur, au-dessus du terrain. Les mouve­
ments des gymnastes ressemblent à de la danse et génèrent des motifs
abstraits impressionnants. L'ensemble du segment est par ailleurs une varia­
tion sur les exercices physiques de l'introduction. Pendant quelques instants,
l'accent est à nouveau mis sur la coopération entre les différents pays, avant le
retour à la compétition. Figure 5.12
Le sixième segment, consacré au décathlon, est le plus marqué par la forme
narrative. Un commentateur se tient debout devant un micro I fig. 5.12) et une
voix (doublée en anglais dans les copies américaines) présente les concurrents.
Beaucoup d'athlètes sont nommés mais nous portons immédiatement notre
attention sur Glen Morris, «un américain inconnu jusqu’ici». Le «jusqu’ici»
nous laisse entendre qu'il pourrait remporter l’épreuve; le reste du segment
suif sa performance — il est favorisé par la caméra, et nous sommes suspendus
à la tension et aux efforts présents dans chacun de ses gestes. Le commentateur
accentue encore ces effets; sur un plan de Morris se concentrant pour le lancer
du poids (fig. 5.13), il dit qu'il lui faut «rattraper Clark», le meilleur athlète du
moment. On nous montre Morris et les réactions de ses concurrents à chacune
des épreuves. L'ensemble de ce traitement s'oppose à celui du second segment :
ici, les athlètes sont les protagonistes d'une courte narration. À la fin, le motif
Figure 5.13
du drapeau réapparaît avec une surimpression du visage de Morris, couronné
de laurier, sur le Stars and siripes américain.
le septième segment revient à une forme catégorielle simplifiée pour la
présentation des trois épreuves en équipe. Quelques variations sont toutefois
introduites pour que noire attention ne se relâche pas. Sur des vues générales
du terrain de hockey, un commentateur annonce le nom du pays vainqueur,
information que l'on ne nous donne pas pour l’épreuve du polo, seulement
accompagnée de musique. Le football est présenté chronologiquement, à tra­
vers les moments les plus importants des matchs.
Le huitième segment, la course cycliste, est plus court que ceux montrant
le pentathlon et le décathlon mais on y trouve aussi une tentative de dramati­
sation des événements. On ne voit d'abord que des plans généraux de la
course puis, l’arrivée se rapprochant, le commentateur annonce que la lutte
est encore rude entre plusieurs équipes de nationalités différentes. Cela provo­ Figure 5.14
que le suspense et le film accroît notre participation au final de la course en
nous donnant une idée de l’expérience subjective des cyclistes. Nous voyons
d’abord un coureur français (fig. 5.14), un arbre qui traverse rapidement le

169
JHIll 1 - LD ( OU ai PU (HS

Figure 5.15 Figure 5.16 Figure 5.17

cadre, comme il doii le voir lui-même (fig. 5.15), puis un arbre et une route
en surimpression sur un plan rapproché d’un autre coureur (fig. 5.16). A
l'inverse des images distantes des premiers segments, nous sommes mainte­
nant avec les athlètes, voyant les choses telles qu’ils les voient. Les drapeaux
réapparaissent au moment de la remise des médailles dans le stade (fig. 5.17).
On ne retrouve pas cette forte subjectivité dans le segment suivant. Le
cross du segment 9 est traité à la manière du pentathlon : les coureurs sont
nommés mais peu individualisés, et l'imagerie militaire est a nouveau pré­
sente. Les courses d'aviron du segment 10 mettent l'accent de la même façon
sur la nationalité des équipes et sur les vainqueurs. Il y a des plans rapprochés
sur les membres des équipes (fig. 5.18) ou sur les spectateurs, mais il ne s'en
détache aucun personnage comparable au Glen Morris du segment 6.
Ce retour à un traitement plus - objectif» prépare le climax de la séquence
finale. Nous voyons des femmes plonger et, brièvement, les réactions des
vainqueurs. Le père de l’une d'entre elles la prend dans ses bras; elle signe des
autographes. Dans la partie consacrée à la natation on a, après les plans
d’ensemble sur l’épreuve, quelques images des réactions des nageurs —par
exemple, le moment où un concurrent japonais apprend qu’il a gagné
(fig. 5.19). Mais l'aspect compétitif disparait presque complètement à la fin

Figure 5.18 Figure 5.19 Figure 5.20

170
(MJJJ 1 JLÜ m-HOmilH

du segment. Aux quelques visages de concurrents ou de spectateurs que nous


présentait encore sa première partie succèdent une série de plongeon, des
corps sautant dans l’eau ou simplement vers l’eau. Comme pour les gymnas­
tes, il n’y a aucun commentaire, aucune information sur 1 identité ou la natio­
nalité des concurrents —seulement la beauté et l'énergie du sport en lui-
même. Nous voyons de moins en moins la foule; dans les derniers plans, les
plongeurs sont des formes évoluant sur fond de ciel (fig. 5.21 ). Ainsi, la struc­
ture du film se boucle: la grâce, l’aisance, l’anonymat des athlètes comme
l'absence de compétitivité ou de progression narrative rappellent les premiers
segments. Tout ce qui compte ici, c’est la maîtrise du corps cl l'impression
d’un envol. Figure 5.21
Dans le douzième segment, un épilogue rapide reprend le thème général
— les leux olympiques— et les principaux motifs du film. Des nuages cou­
vrent le ciel qui apparaissait derrière les derniers plongeurs et un mouvement
descendant de la caméra montre le stade ainsi que des projecteurs pointés vers
le ciel. La flamme olympique, une cloche, un alignement de drapeaux
(fig. 5.22) symbolisent ensemble les Jeux, dont le lien initial avec la nature est
rappelé par le ciel nuageux, en fond de plan, l e film se termine après que la
caméra est allée cadrer, très haut, le point lumineux où les projecteurs conver­
gent — moment triomphal qui marque un climax des leux et signe la propa­
gande sous-tendant l'oeuvre, démonstration de la puissance nazie déguisée en
spectacle de l'amitié entre les peuples.
Par sa duplicité, Les Dieux du stade illustre bien les quatre types de signifi­ Figure 5.22
cations évoquées au chapitre 3. Au niveau référentiel, c’est un compte-rendu
des leux qui fournit dans quelques segments d'authentiques informations sur
l'identité des participants ou des vainqueurs. L’absence répétée de ces mêmes
informations et la beauté de quelques séquences nous conduit aussi à élaborer
un sens explicite : dans ces Jeux, des athlètes venus de différents pays luttent
pacifiquement et amicalement pour pratiquer leur art et perpétuer une
grande tradition internationale.
D’autres niveaux de signification reflètent la présence souterraine de
l'idéologie nazie. (Le film fut financé par le régime hitlérien mais, pour éviter
tout problème avec le comité olympique, il fut présenté par Riefenstahl
comme une production indépendante.) Une certaine exaltation de la puis­
sance du régime, manifeste pour un spectateur actuel, fait partie du sens
implicite du film. Les nombreuses apparitions de Hitler qui entaillent la pre­
mière partie sont remplacées ici par la présence de quelques officiers et de
brassards nazis — il est ainsi impossible au spectateur d’ignorer quel pouvoir
se tient derrière ces Jeux.
Un sens symptomatique, enfin, se dégage du traitement des épreuves.
L’idéologie nazie est perceptible dans la façon dont le film glorifie la

171
juiutr - muMHtm

discipline, les activités de masse (particulièrement dans les segments 2 et 5),


un lien mystique entre les hommes et la nature et la noblesse des corps. Nous
verrons au chapitre 10 que le style du film nourrit tous ces niveaux de signifi­
cation. Un film ayant une forme catégorielle peut donc, comme n’importe
quel autre, véhiculer une idéologie.

Les systèmes formels rhétoriques


Principes de la forme rhétorique
Dans la forme rhétorique, le réalisateur présente une argumentation destinée à
convaincre le spectateur de quelque chose, le forcer à avoir une opinion sur le
sujet dont il traite et, peut-être, à agir suivant cette opinion. Cette forme
dépasse le catégoriel en ce qu elle essaie de persuader le spectateur de quelque
chose ayant des conséquences pratiques.
La forme rhétorique est courante dans tous les moyens d’expression. Dans
la vie quotidienne, elle est présente non seulement dans les discours mais dans
n'importe quelle conversation. Les gens essayent souvent de se convaincre,
que ce soient des vendeurs dans leur travail ou des amis au cours d’un repas.
La télévision nous bombarde avec l'une des formes rhétoriques filmiques les
plus efficaces — la publicité, qui veut persuader ses spectateurs d’acheter tels
produits ou de voter pour tek candidats.
On peut définir la forme rhétorique par quatre caractéristiques fondamen­
tales. Premièrement, elle s’adresse directement au spectateur pour le conduire
à un changement d'opinion, d’émotion ou d’action (parce que nous pouvons
déjà penser quelque chose sans croire que cette opinion mérite d’être suivie
par des actes).
Deuxièmement, le sujet du film ne sera généralement pas une vérité à
caractère scientifique mais une opinion, à l'égard de laquelle un certain nom­
bre de réactions sont envisageables. le réalisateur essaiera de démontrer que
la sienne est la plus juste en utilisant différents types d’arguments et de
preuves; cette justesse ne pouvant faire l’objet d'une démonstration absolue, il
revient au spectateur de décider quelle sera sa propre position. 11 y a donc tou­
jours, dans la forme rhétorique, l'expression d’une idéologie —c'est sans
doute la forme où sens explicite et idéologie sont les plus présents.
11 s’ensuit une troisième caractéristique : lorsque la conclusion à laquelle le
film doit arriver ne peut pas faire l'objet d’une démonstration irréfutable, le
réalisateur fait souvent appel aux émotions du spectateur. Et, quatrièmement,
le film essaiera souvent de faire croire au spectateur que le choix qu’il va faire

172
changera sa vie quotidienne, que cette décision concerne un shampoing, une
élection ou le départ d’un jeune homme pour la guerre.
I-es films peuvent employer toutes sortes d’arguments qui ne nous sont
généralement pas présentés comme tels mais à la façon de simples observa­
tions ou de conclusions indiscutables qu’aucune autre opinion ne vient con­
tredire. On peut distinguer trois grands types d'arguments : ceux qui
concernent la source des informations, ceux qui concernent le sujet et ceux
qui concernent le spectateur.

La source des informations. Le film est présenté comme une source fiable
d’information. Ceux qui l’ont réalisé comme ceux qui, par exemple, en disent
le commentaire, essayent de donner l’impression qu'ils sont intelligents, bien
informés, sincères, honnêtes, etc. Ce qui apparaît comme des caractéristiques
objectives implique en fait l’argument suivant : ce film a été réalisé par des gens
dignes de confiance, laissez-vous persuader par ce qu’il expose. Le choix d'une
voix pour une narration, par exemple, est important : une voix est souvent plus
convaincante si elle est grave et distincte que si elle est fluette et hésitante.

Le sujet. Un film fait parfois appel à des opinions répandues, dans une cul­
ture et à une époque donnée. On dit par exemple qu'aux États-Unis, actuelle­
ment, beaucoup de gens pensent que les hommes politiques sont cyniques et
corrompus. Ce jugement ne désigne pas nécessairement une personnalité pré­
cise, mais le candidat à une fonction gouvernementale pourra jouer sur cette
opinion en promettant à scs électeurs potentiels d’assainir la vie politique.
Une autre méthode consiste, pour le film, à trouver des personnes ou des
faits qui soutiennent directement ou indirectement sa position. Une publicité
où l’on voit quelqu’un choisir tel produit parce qu i! est censé être le meilleur
ne nous montre pas tous ceux — peut-être la majorité— qui en choisissent
un autre.
Une argumentation peut, enfin, suivre des schémas familiers, naturelle­
ment acceptés. Les étudiants en rhétorique appelle de telles formes des enthy-
mètnes, des arguments qui reposent sur une opinion commune et font
généralement l’économie de prémisses importantes.
Nous pourrions par exemple réaliser un film pour vous convaincre qu'un
problème a été correctement résolu : nous montrerions que ce problème a
existé, que des mesures ont été prises pour y mettre fin. Aller d'un problème à
une solution est une inférence si courante que le film emporterait sans doute
facilement votre conviction : nous aurions prouvé que ce qui a été fait était la
seule chose à faire. Mais en analysant plus attentivement le film, vous pourriez
découvrir qu’il se fondait sur une prémisse cachée du type : «En supposant
que ce soit la meilleure solution, telle décision a été prise». D'autres solutions

173
auraient peut-être été plus efficaces, mais elles étaient d'emblée considérées
comme inadéquates et le film ne les a pas examinées. On en déduit que la
solution présentée n'avait pas le caractère de nécessité dicté par le schème pro­
blème-solution. Nous analysons plus loin le fonctionnement d’une telle struc­
ture dans The River.

Le spectateurUnc argumentation peut, enfin, faire appel aux émotions du


spectateur. Nous connaissons tous ces images où un homme politique pose
avec le drapeau, sa famille et son animal domestique pour gagner quelques
électeurs potentiels. Le recours au patriotisme, à une sentimentalité romanti­
que ou à d’autres types d’émotions est un procédé courant de la forme rhéto­
rique, comme l'emprunt de conventions à d’autres genres filmiques. Les
spectateurs les plus impressionnables peuvent être convaincus par de tels
arguments, les autres réalisant souvent qu’ils ne font que cacher la faiblesse
générale du raisonnement.
Il y a différentes façons d’organiser une argumentation, qui tiennent
essentiellement à l’ordre dans lequel sont exposés le problème ou la question
à résoudre et la solution défendue par le film. La solution peut être présentée
avant le problème, mais cette forme néglige la possibilité inverse d’impliquer
le spectateur dans une réflexion ou une anticipation de la solution — effet à la
fois didactique et de suspense. La forme générale de l'argumentation se doit
évidemment d’être adaptée à son sujet.
On décrit souvent la forme rhétorique comme ce qui enchaîne la présenta­
tion d’une situation, un exposé des principaux problèmes, la démonstration
de l’efficacité d’une solution donnée et une conclusion synthétisant l’ensem­
ble. Nous allons détailler la mise en oeuvre de celte forme en quatre parties
dans The river, un documentaire réalisé en 1937 par Pare Lorentz.

The river
The river est une commande de la Farm security administration du gouver­
nement américain. En 1937, le pays commençait à sortir de la Grande
dépression; le gouvernement fédéral, dirigé par Franklin Delano Roosevelt,
mettait tout en œuvre pour créer des programmes de travaux publics destinés
à faire diminuer le nombre de chômeurs et réguler divers problèmes sociaux.
On considère maintenant que c'est la politique de Roosevelt qui permit aux
États-Unis de sortir de la crise économique, mais elle rencontrait à l'époque
une forte opposition. The river salue l’avènement de la Tennessee Valley
Authority (TVA) comme la solution aux problèmes d’inondation, de déclin
de l'agriculture et d’électrification. L’objectif politique du film est très
précis et avait alors un caractère polémique : il s'agissait de faire la promotion
du programme de Roosevelt et plus précisément, celle de la TVA.

174
tuymi t - lu Lvntnu m-moiiu

The river se divise en onze segments :


D. Générique
1. Prologue : un texte expose le sujet du film WRITTén sud DIRÉCTÉÏb
2. Description des rivières qui se jettent dans le Mississippi puis dans le
golfe du Mexique
3. Évocation des premières utilisations du fleuve à des fins agricoles PARE LDREUTZ
4. Conséquences de la guerre de Sécession dans le Sud
5. Le Nord : l'exploitation des forêts, la sidérurgie, la construction des
zones urbaines
6. Une inondation, conséquence d’une mauvaise utilisation de la terre Figure 5.23
7. L'accumulation de ces différents problèmes a des effets massifs sur la
population : la pauvreté, l’inculture
8. Une carte et une description du projet de la TVA
9. Les barrages de la TVA, les bénéfices qu’ils rapportent
F. Carton final

11 semble tout d'abord que le film se contente de nous donner des informa­
tions sur le Mississippi sans manifester aucune argumentation. C’est par un
usage minutieux de la répétition et de la variation ainsi que par sa progression
générale que le film finit par apparaître comme un ensemble cohérent dont
toutes les parties ont une fonction rhétorique.
Le générique s’inscrit par-dessus une vieille gravure représentant des
bateaux à vapeur sur le Mississippi, puis par-dessus une carte des États-Unis Figure 5.24
ou l'emprise du fleuve et de ses affluents a été exagérée (fig. 5.23) : on nous
assure déjà que le compte rendu sera précis et documenté, tant historique­
ment que géographiquement. La même carte réapparaît sous les cartons du
prologue, dans le très court premier segment, où l’on nous annonce que le
film est «l'histoire d’un fleuve». Ce serait donc un film narratif, rapportant de
façon objective une «histoire», affirmation qui dissimule d’emblée son vérita­
ble propos comme sa nature formelle.
Le deuxième segment prolonge l'introduction avec des images de ciels, de
montagnes et de rivières, et une voix off masculine qui décrit la façon dont
des eaux venant d'Élats éloignés,comme l'Idaho ou la Pennsylvanie, parvien­
nent jusqu’au Mississippi. Cette voix profonde, sévère, joue sur la gamme
conventionnelle des tons assurés et autoritaires. (Le narrateur, précisément
choisi pour ces qualités, était un baryton du Metropolitan opéra, Thomas
Chalmers.) Les rivières se rejoignent, grossissent (fig. 5.24) et la voix com­
mence à psalmodier: «Après le Yellowstone, le Milk, le White et Cheycnne...
le Cannonball. le Mussclshell, le James et le Sioux.» Des noms de rivière sont
ainsi déclamés en rythme, suivant une technique inspirée de l'œuvre de Walt

175
*11111 1 . Li nui >1 LUI,

Whitman cl d’autres poètes américains. À plusieurs reprises, la voix vient


aussi se mêler à une musique écrite par Virgil Thomson à partir de chansons
américaines traditionnelles. Le film adopte donc délibérément un «ton* pro­
fondément américain, qui n’est pas seulement destiné à éveiller le patriotisme
du spectateur mais à exprimer de façon implicite le fait que tout le pays doit
s’unir face a des problèmes a priori essentiellement régionaux.
Les superbes images de montagnes et de rivières du segment 2 ont servi à
décrire une situation idyllique. Le développement général du film aura pour
objectif une restauration de celte beauté initiale. Les techniques mises en
œuvre dans cette scène seront aussi sujet à variations et répétitions dans les
autres segments.
Avec le troisième segment débute la partie consacrée à la présence du Mis­
sissippi dans l'histoire américaine. Il s'ouvre, comme le segment 2, par une
vue de nuages, qui ne raccorde pas sur des montagnes mais sur une équipe
de muletiers. À nouveau, la voix du narrateur entame une litanie: -De la
Nouvelle-Orléans à Bâton Rouge... de Bâton Rouge à Natchez. . de Natchez à
Vicksburg.» Cette liste fait partie d’une brève histoire des digues bâties le long
du Mississipi, avant la guerre civile, pour contenir les inondations. Son aspect
factuel, renforcé par quelques dates, garantit le savoir du narrateur. Plus loin,
la puissance exportatrice du pays est illustrée par des images montrant des
balles de colon chargées sur des bateaux à vapeur.
Jusqu’ici le film à respecter le propos annoncé dans l’introduction : racon­
ter l'histoire du lleuve. Il commence à évoquer dans le quatrième segment les
problèmes que la TVA pourra éventuellement résoudre en montrant quelques-
unes des conséquences de la guerre civile : maisons détruites, propriétaires
spoliés, une terre épuisée par la culture du coton, une population obligée de
s’exiler vers l’ouest. La position morale du film devient manifeste et s’exprime
sur un mode pathétique. Des images de la misère sont accompagnées d’une
triste musique inspirée d’une chanson folklorique, Go teil aunt Rhody, qui
parle du sinistre agricole comme de «La mort de la vieille oie grise-. La com­
passion du narrateur décrivant «la désolation tragique des terres du Sud»
nous met en confiance. Pour parler de la population de l'époque, il dit
-nous» : «Nous exploitions la terre pour en tirer du coton jusqu ace quelle ne
donne plus rien.» Les intentions du film deviennent évidentes : le «nous» en
question est rhétorique. Ça n’est pas nous, vous et moi et le narrateur, qui
avons fait pousser ce coton, mais nous, tous les Américains spectateurs du film
en 1937, devons nous sentir responsables et chercher une solution.
Les segments suivants reprennent les techniques des quatre premiers. Dans
le cinquième segment, une litanie de noms d’arbres — «épicéas noirs, pins de
Norvège...» — évoque le développement des exploitations forestières après la

176
guerre de Sécession. Nous voyons des pins se découper sur fond d’épais nua­
ges, comme au début des segments 2 et 3 (fig. 5.25), ce qui suggère un paral­
lèle entre les richesses agricoles et industrielles. Une séquence très enlevée sur
le travail en forêt, accompagnée d'une musique inspirée par un autre classi­
que du folklore, Hot time in the olti town tonight, reprend, avec la partie consa­
crée à l'exploitation du charbon et à la sidérurgie, le thème du dynamisme
américain, Le segment se termine sur une évocation de la croissance urbaine :
• Nous avons construit cent, mille villes» —suit l’énumération de quelques
noms.
Jusqu’ici, le film a associé la puissance economique américaine à la richesse
de la vallée du Mississipi et n’a fait qu’effleurer les problèmes consécutifs à la
croissance. Le sixième segment amorce un retournement en s’opposant sur Figure 5.25
plusieurs points aux parties précédentes. Avec les mêmes noms d’arbres
— «épicéas noirs, pins de Norvège.» — on ne voit plus des pins et des nua­
ges. mais des souches perdues dans le brouillard (fig. 5.26). Des phrases sont
complétées; «Nous avons construit cent, mille villes... mais à quel prix.»
Nous voyons la glace fondre au sommet désolé des collines, en éroder les
coteaux, venir gonfler les rivières et provoquer des inondations. La liste des
rivières du segment 2 revient, mais avec une musique funeste qui en chasse
tout aspect idyllique. Un parallèle est constitué entre l'érosion du sol et l'épui­
sement des terres du Sud.
Le film nous a progressivement éloignés des beautés naturelles pour
décrire le problème qui est au cœur de son argumentation. On nous montre
maintenant de réelles scènes d’inondation : la construction de digues de for­
tunes faites de sacs de sable, des destructions, des sauvetages, des camps où les
Figure 5.26
rescapés attendent sous des tentes. Des sirènes, le terrible grondement de
l’eau, tout concourre à l’expression du désastre et le spectateur peut difficile­
ment résister à l'émotion devant le spectacle de l’impuissance des populations
à contrôler les débordements du fleuve.
Jusqu’ici, nous comprenons tout ce qui concerne les inondations et l'éro­
sion. Le film retarde l'exposition des solutions et se contente toujours de pré­
senter les effets de ces catastrophes sur la vie des Américains. Le septième
segment décrit l'aide fournie par le gouvernement en 1937 aux personnes
sinistrées, tout en précisant qu’elle ne résout pas le fond du problème. The
river emploie ici un enthymème flagrant : «El la pauvre terre fait les pauvres
gens — les pauvres gens font la pauvre terre.» La signification de cette phrase,
d’abord évidente, s'obscurcit si l’on s'y attarde. (Est-ce que les riches proprié­
taires du Sud dont nous avons vu les maisons en ruines dans le segment 4
n'ont pas été responsables de l'appauvrissement du sol ?) Une telle affirma­
tion est plus employée pour sa dimension poétique ou émouvante que pour
sa rigueur logique. Des scènes montrant des familles de fermiers habitant

177
?nilî 2 - 16 H fini PU flLffl

dans des locations (fig. 5.27) jouent elles aussi directement sur les réactions
émotives du spectateur. À la différence de ce qui était présenté dans le seg­
ment 4, dont sont repris ici quelques motifs, ces personnes ne peuvent même
plus s’exiler vers l’ouest, où il n’y a plus de terres disponibles.
Le problème a été présenté, examiné, et le public a été préparé émotion­
nellement a accepté une solution dont l’efficacité sera démontrée dans le hui­
tième segment, la carte du début réapparaît, avec un commentaire du
narrateur : «I! n’y a rien de mieux, dans la nature, que la perfection d’un
fleuve, mais le Mississippi est déréglé.» C'est un nouvel exemple d’enthy-
mème — une inférence dont on accepte l’apparente exactitude logique. Le
Mississippi est peut-être «déréglé» par rapport à certains usages, mais l’est-il
pour la faune et la flore constituant son système écologique ? Il est sous-
entendu que la «perfection» d’un fleuve se mesure à la façon dont il répond à
nos besoins et à nos projets. Le narrateur poursuit en donnant la formulation
la plus concise de la position défendue par le film : « Le vieux fleuve peut être
contrôlé. Nous avons eu le pouvoir de détruire la Vallée. Nous avons le pou­
voir de la réparer. »
Nous comprenons à présent pourquoi les précédents segments, plus parti­
culièrement le troisième et le cinquième, ont insisté sur la construction par la
population américaine d’une grande force agricole et industrielle. Ce que
nous avons d’abord reçu comme de simples faits historiques se révèle être un
point crucial de l’argumentation du film : si les Américains ont eu le pouvoir
d’édifier et de détruire, ils l’auront à nouveau. C’est encore un enthymème :
on n’évoque pas la possibilité que ce qui a été détruit soit impossible à recons­
truire ou que la population ait perdu de sa force et de sa volonté.
«En 1933, nous avons commencé...». Iz narrateur enchaîne sur la discus­
sion de la TVA au Congrès, mais en présentant celle-ci comme l’unique solu­
tion, prête à être mise en oeuvre. Il ne reste rien de la controverse dont elle
était l’objet. On a ici le cas d’une solution qui, parce quelle s’est révélée opé­
rante, devient la seule possible. Rétrospectivement, il n’est pourtant pas cer­
tain que la construction massive de barrages par la TVA ait été la meilleure
réponse aux crues du fleuve. Un projet moins radical, combinant le reboise­
ment et une politique de préservation de l’agriculture, aurait causé moins de
problèmes (il n’aurait pas été nécessaire, par exemple, de déplacer les popula­
tions menacées par les inondations dues aux barrages). Une gestion locale des
problèmes aurait peut-être été plus efficace qu’une gestion fédérale. The river
n’aborde même pas ces alternatives et joue entièrement sur le caractère auto­
matique de l’inférence qui nous fiait accepter la première solution proposée.
Le neuvième segment débute par une liste de barrages, en construction ou
déjà terminés, qui rappelle les différentes énumérations —de rivières,

178
CHH1H i - Ui itlUBtl III

d’arbres ou de villes — entendues précédemment. La sérénité des plans sur les


lacs artificiels reprend le ton du deuxième segment et fait le lien entre le début
et la fin du film (fig. 5.28). Les personnes déplacées et sans emplois du sixième
segment semblent être heureuses et travaillent à la construction de villes pla­
nifiées et financées par le gouvernement. L'électricité produite par les barrages
relie les communautés rurales aux «mille villes» dont il était question plus
haut et amène à la campagne «les avantages de la vie urbaine». De nombreux
motifs dispersés sont à présent entrelacés pour prouver les bienfaits de la
TVA. la beauté de la nature et la productivité de la population, qui caractéri­
saient au début du film la vie autour du fleuve, reviennent, mais amplifiés par
la planification moderne du gouvernement.
Dans le bref épilogue une succession très rapide de plans sur des barrages Figure 5.28
et des eaux en cascade, accompagnée d'un crescendo musical, montrent une
dernière fois la cause du changement •—les barrages de la TVA. Sous les car­
tons du générique, retour de la carte; une liste donne les noms des différents
organismes gouvernementaux qui ont financé le film ou facilité sa réalisation,
comme une nouvelle garantie de l’autorité de l’ensemble.
The river a atteint ses objectifs. Un studio, la Paramounl, accepta de distri­
buer le film, ce qui était une occasion très rare à cette époque pour un moyen
métrage documentaire réalisé de façon indépendante. Les critiques et le
public accueillirent le film avec enthousiasme; un compte rendu de Gilbert
Scdes témoigne de la puissance de sa forme rhétorique. Après avoir évoqué la
première partie, il écrit : «Et voilà que, sans vous en rendre compte, vous arri­
vez dans la vallée du Tennessee — et si c'est de la propagande, profitez-en. car
clic est de main de maître. C’est comme si les images de M. Lorcntz s’ordon­
naient d’elles-mémes pour inventer leurs propres arguments, et non pas
comme si un argument préalable dictait l’ordre des images. »
Le président Roosevelt lui-même apprécia The river. Il facilita la création
d’un organisme gouvernementale indépendant, le U.S. film service, le service
cinématographique des États-Unis, pour que d’autres documentaires sembla­
bles soient réalisés. Mais les programmes de Roosevelt n'étaient pas toujours
appréciés et certains pensaient que le gouvernement ne devait pas s'engager
dans la production de films adhérant si clairement à l'idéologie de l'adminis­
tration en place. Vers 1940, le Congrès supprima les crédits accordés à l’U.S.
film service et la production fut à nouveau dispersée entre plusieurs services
gouvernementaux. On voit ici comment la forme rhétorique peut mener à
l’action comme à la polémique.

179
miK 2 -JJUWLOJLn m

Les systèmes formels abstraits


Principes de la forme abstraite
Dans les formes catégorielle et rhétorique, les aspects visuels de l'image sont
un moyen d’informer, de persuader. Or un film peut aussi être construit à par­
tir des seules caractéristiques visuelles des images, à partir de comparaisons ou
d’oppositions entre des couleurs, des formes, des rythmes ou des dimensions.
Le spectateur confronté à des formes abstraites n’y cherche pas une chaîne
causale ou une argumentation, les marques d'un récit ou d’une organisation
rhétorique; les motifs abstraits n'appartiennent pas toujours à des catégories
substantielles : une balle et un ballon ne seront pas juxtaposés parce que ce
sont des jouets, mais parce qu’ils sont tous les deux ronds ou de couleur
orange. Voir le rapport entre ces deux objets, ce sera donc reconnaître la res­
semblance entre quelques-unes unes de leurs qualités abstraites.
Dans n'importe quel film, il y a de la couleur, des formes, des rapports de
tailles, il y a du rythme et d'autres qualités sonores. Nous avons évoqué ces
séquences des Dieux du uade où l'attention du spectateur est concentrée sur
les qualités abstraites de l’action, par exemple au cours de la scène des plon­
geons. Dans The river, c’est à cause de leur beauté visuelle que nous établis­
sons un parallèle entre les plans sur le fleuve et ceux sur les lacs artificiels, c’est
le rythme de la musique qui nous engage dans une participation émotionnelle
plus grande à l’argumentation. Chaque fois, l’abstraction visuelle ou sonore
est au service d’une autre forme, catégorielle ou rhétorique, et ne constitue
pas une fin en soi ; dans la forme abstraite, par contre, l’intégralité du système
filmique est déterminée par les qualités de l'image et du son.
Les films abstraits se présentent souvent comme des variations sur un ou
plusieurs thèmes. En musique, une mélodie ou un autre type de motif est sui­
vie, après sa première introduction dans le morceau, d’une série de versions
différentes. Les changements de ton ou de rythme sont parfois si importants
que le motif de départ devient difficile à reconnaître. De même, dans une
forme filmique abstraite, une introduction pourra exposer de façon relative­
ment simple le type de rapports dont le film fera son matériau de base.
D’autres segments présenteront des types de supports similaires, mais avec
quelques changements. Ces changements peuvent être minimes, les ressem­
blances, plus remarquables que les différences, mais c’est généralement un
grand bouleversement de son matériau initial que le film abstrait organise.
On pourra ainsi trouver d’importants contrastes au sein d'un même film, et
de brusques différences peuvent nous permettre de sentir ou de comprendre à
quel moment débute un nouveau segment. Si l’organisation formelle a été

180
tiiMtit t - tts umiu m intmiH

réfléchie, les ressemblances et les différences seront sous-tendues par un prin­


cipe que l'analyse pourra dégager.

Ce principe est parfois très précis. Pour la réalisation de Prini génération,


JJ. Murphy a filmé aléatoirement une série de photogrammes en couleur qu'il
a ensuite rephotographiés plusieurs fois avec une tireuse par contact jusqu’à
ce que les images, perdant de leur qualité photographique à chaque duplica­
tion, deviennent méconnaissables. Le métrage constitué par l’ensemble des
photogrammes est répété vingt-cinq fois dans le film, en commençant par les
images les plus abstraites et en finissant par les plus identifiables; puis le pro­
cessus est inversé, les images retournant à l’abstraction. Sur la bande son, la
progression est inverse : le son. réenregistré vingt-cinq fois,est d’abord parfai­
tement audible. Avec l'amélioration progressive de l'image, il se dégrade;
l'image s’altère, et il redevient compréhensible. La fascination exercée par
Priai génération tient à la façon dont le film nous pousse à découvrir son prin­
cipe formel ainsi qu'au spectacle de ces tâches colorées qui, lentement,
deviennent des silhouettes ou des paysages avant de se transformer à nouveau
en formes abstraites.

D'autres films abstraits ont pour principe organisateur une idée plus géné­
rale. Pour réaliser Mothliglu, Stan Brakhage colla des ailes de papillons de nuit
sur un film transparent et en tira un négatif. Aucun principe mathématique
n'est ici à l'œuvre : c’est la variation aléatoire des positions des ailes qui crée,
de photogramme à phologramme. de vifs clignotements, des changements de
formes. Certains animateurs, comme Oskar Fishinger ou Norman McLaren,
font évoluer des formes suivant les rythmes d’un morceau de musique. Ce qui
importe, dans la réalisation et la vision d’une œuvre abstraite, ça n’est pas de
rassembler des éléments, des motifs isolés, mais de découvrir leur fonction
par rapport au tout du film.

Lorsque nous qualifions une forme filmique d’abstraite, nous ne voulons


pas dire que le film ne contient aucun objet reconnaissable. Si un grand nom­
bre de films abstraits sont effectivement composés de formes et de couleurs,
créés par dessin, modelage ou découpage de papiers colorés qui ne font pas
immédiatement référence à des motifs identifiables, une autre approche con­
siste à utiliser des objets quotidiens et à les isoler de leur contexte pour en
révéler les qualités visuelles ou sonores. lx$ objets de la nature et les produc­
tions humaines possèdent, au même titre, des qualités abstraites; le chant des
oiseaux ou la formation des nuages sont des phénomènes naturels qui nous
attirent pour les mêmes raisons que les œuvres d’art — leur beauté ou leur
caractère surprenant. Un objet artificiel, créé à des fins triviales, peut nous
plaire par sa silhouette ou sa matière : les chaises sont faites pour s'asseoir,
mais on apprécie aussi qu elles soient belles.

181
miîit î - ii manu un

On peut reconnaître des images d’objets familiers — un oiseau, un visage


ou une cuillère, par exemple— mais dans le même temps leurs relations,
créées par leur juxtaposition, demeurent abstraites — une forme, une cou­
leur, un rythme. Dans un film abstrait, les objets ne sont plus constitués de
signes visuels qu'il nous faut interpréter dans un but pratique, comme nous le
faisons au quotidien; leurs qualités visuelles sont offertes à noire attention
hors de toute finalité et deviennent intéressantes pour elles-mêmes.
On sait par exemple ce qu’est un pont de chemin de fer tournant passant
au-dessus d’une rivière : il permet de faire pivoter une partie de la voie ferrée
autour d'un axe central pour faciliter le passage des bateaux. Le sculpteur
Figure 5.29
Richard Serra a placé une caméra au milieu d’un pont tournant et réalisé des
prises de vues pendant son fonctionnement; à l'écran,c'esi le paysage qui sem­
ble tourner majestueusement autour de la structure monumentale et immobile
du pont. Cette lente évolution de l'arrière plan laisse au spectateur le temps de
détailler la géométrie symétrique de l’ouvrage (fig. 5.29). Sans le titre, Raiiroad
lurnbridge ( Pont de chemin de fer tournant»), nous n'aurions peut-être pas
reconnu dans cette imagerie abstraite un morceau très concret d’ingénierie.
À cause de ce désintérêt pour l’aspect pratique des choses les films abstraits
seraient, selon certains critiques, futiles et superficiels. D’autres diront que
c’est - de l’art pour l'art». Mais en ne jouant que sur des formes et des cou­
leurs, ces films nous apprennent aussi à mieux les voir dans notre environne­
ment quotidien. C’est notre perception en général qui devient plus aiguë, pas
seulement celle du film. Lorsque nous parlons d'abstraction, il nous faut donc
éviter d’utiliser cette expression — «l’art pour l’art» — car les films qui en
participe nous informe sur le monde tout autant que les autres genres ciné­
matographiques.

Ballet mécanique
Ballet mécanique est l’un des plus anciens films abstraits et aussi l'un des plus
importants, un film d’avant-garde toujours enthousiasmant et un exemple clas­
sique de détournement d’objets quotidiens au service de l'abstraction formelle.
Le film fut réalisé par deux personnes entre 1923 et 1924 : Dudley Murphy,
un jeune journaliste américain qui voulait devenir producteur, et Fernand
Léger, le célèbre peintre français. Léger avait développé en peinture sa propre
vision du cubisme, où apparaissait souvent des fragments stylisés de machi­
nes. Cet intérêt pour les machines, facilement transposable au cinéma, inspira
les principes formels de Ballet Mécanique.
Le titre du film résume le paradoxe exploité par les deux réalisateurs pour
inventer le thème et les variations de l’œuvre. L'idée de ballet est associée à la
fluidité et à une performance humaine, celle des danseurs; un ballet classique

182
( w 11 yj - m mmn loinamiui

serait l’opposé du mouvement d'une machine. Pourtant, le film crée une sorte
de danse mécanique, en utilisant peu de véritables machines mais des chapeaux,
des visages, des bouteilles ou des ustensiles de cuisine. C’est la juxtaposition de
ces objets avec des machines, la concordance de leurs rythmes visuels et tempo­
rels qui font que nous les percevons comme les fragments d'un mécanisme.
On ne peut pas établir une segmentation de Ballet mécanique à partir
d'une argumentation ou d'un développement narratif. 11 nous faut plutôt
relever les grands changements qualitatifs qui marquent les quelques articula­
tions du film. On trouve ainsi neuf segments :
D. Générique. Le titre du film est présenté par une poupée plate, stylisée
Figure 5.30
et animée, figurant Chariot (dont le nom apparaît au générique).
1. Présentation des éléments rythmiques composant le film
2. Des éléments identiques sont sus à travers des prismes
3. Des mouvements rythmiques
4. Comparaison entre des gens et des machines
5. Mouvements rythmiques de mots et d'images
6. Multiplication des mouvements, essentiellement d'objets circulaires
7. Rapides danses d’objets
8. Retour sur Chariot et les éléments du début

Ballet mécanique fait un usage complexe du système des thèmes et


variations: introduisant de nombreux motifs isolés en une succession rapide Figure 5.31
puis les faisant revenir par intermittence, suivant des combinaisons différen­
tes. Les premiers segments fournissent le matériau à partir duquel se construit
un schéma de développement précis : chaque nouveau segment reprend un
certain nombre des qualités abstraites présentées dans la première partie pour
les développer et les combiner. Le dernier segment est également destiné a
rappelé le générique du début.
Le film montre en très peu de temps un grand nombre d’éléments
différents; pour en percevoir les répétitions et les variations, le spectateur doit
activement chercher les relations entre les motifs.
Nous avons souligné plus haut l'importance de la partie introductive d'un
film abstrait, qui donne généralement de fortes indications sur ses développe­
ments ultérieurs. Dans l'abstraction du Chariot animé qui ouvre Ballet méca­
nique, manifestement humain mais fait de formes géométriques aux
mouvements saccadés, la figure humaine est déjà un objet (fig. 5.30).
Le premier segment nous prend par surprise en débutant avec une femme
qui fait de la balançoire (fig. 5.31). Aiguillés par le titre du film, nous remar­
quons peut-être la régularité de son balancement, ses gestes de poupée
lorsqu’elle lève puis baisse la tète et les yeux plusieurs fois, un sourire figé aux

183
mu ci u uni pu nia

lèvres. Certaines qualités abstraites sont déjà évidentes. Soudain, une rapide
succession d'images nous permet juste de deviner, entre autres, un chapeau,
des bouteilles, un triangle blanc. Une bouche féminine apparait. souriant, ne
souriant plus, souriant à nouveau. Le chapeau revient, puis la bouche sou­
riante, des objets en rotation, une boule brillante en métal qui fait des cercles
prés de la caméra. La femme sur la balançoire réapparaît, à l’envers, la caméra
suivant ses mouvements (fig. 5.32). Ces derniers trouvent un écho à la fin du
segment avec la boule de métal qui, à présent, avance et recule directement vers
la caméra. Cette comparaison nous confirme que la femme n’est pas un per­
sonnage mais un objet, comme la bouteille ou la boule. Il en va de même pour
la bouche, dont le sourire exprime moins une émotion qu’un changement
régulier de forme. Toutes les qualités visuelles présentes dans cette introduc­
tion — les formes des objets (un chapeau circulaire,des bouteilles verticales),
la direction des mouvements (de la balançoire et de la boule brillante), les tex­
tures (la brillance de la boule et des bouteilles), les rythmes des mouvements et
les substitutions d'objets — reviendront dans le reste du film.
Nous ayant donné cette série d’indications, le film peut entamer son cycle
de variations. Le deuxième segment s'inscrit dans la suite directe du premier
en montrant à nouveau la boule de métal, mais cette fois à travers un prisme.
Viennent d’autres plans sur des objets ménagers qui, brillants et tous vus à
travers un prisme, sont comparables à la boule. On reconnaît par exemple un
couvercle (fig. 5.33), dont la circularité reprend celle de la boule et du cha­
peau. Un objet ordinaire est ici détourné de sa fonction quotidienne et entre
dans un réseau de qualités formelles.
Une alternance très rapide entre un triangle et un cercle blanc fait irrup­
tion au milieu de cette série, motif que l’on retrouvera par intermittence, avec
quelques variations. Ces formes géométriques, si elles contrastent avec le
caractère concret des ustensiles de cuisine, permettent aussi de faire des
comparaisons : le couvercle est circulaire, les facettes du prisme, triangulaires.

184
m-JUnuii

Dans le reste du deuxième segment nous voyons d'autres images prises à tra­
vers le prisme, quelques rapides séries de triangles et de cercles, des yeux fémi­
nins qui s’ouvrent et se ferment et sont partiellement masqués par des formes
noires (fig. 5.34), la bouche-qui-sourit/ne-sourit-pas du premier segment.
Le deuxième segment nous a confirmé que le film allait se concentrer sur
des comparaisons de formes, de rythmes ou de textures; nous avons aussi vu
apparaître un motif structurel, des insertions brusques de plans rapides. Dans
le premier segment, il s'agissait de l'alternance d'un triangle et de différents
objets; dans le deuxième, d'un cercle et d'un triangle. Le rythme généré par
les changements de plans est aussi important que le rythme des mouvements
à l'intérieur des plans.
Ces schémas établis, le film commence à introduire des variations plus
complexes et plus inattendues. Au début du troisième segment, un aligne­
ment de disques ressemblant à des assiettes alterne avec des formes en rota­
tion qui évoquent la roue d’un champ de foire. On peut supposer que formes
et mouvements circulaires seront au principe de ce nouveau segment; mais
soudain, la caméra glisse rapidement sur un tortueux toboggan de fête
foraine. Nous voyons des pieds de personnes en train de marcher, des voitures
passant au-dessus de la caméra et des plans rapides sur un défilé de chars de
carnaval. Différents rythmes se succèdent, plus importants que les formes
elles-mêmes, la plupart des éléments sont nouveaux et filmés en extérieur.
Après le défilé, on nous montre un plan relativement long sur un objet
brillant et tournant qui, sans être vu à travers un prisme, rappelle les instru­
ments de cuisine du deuxième segment. On finit par l'alternance rapide de
cercles et de triangles.
Le quatrième segment offre une comparaison explicite entre les êtres
humains et les machines. Nous voyons un toboggan de foire identique à celui
du segment précédent, mais selon un autre point de vue: il est, cette fois,
filmé à la verticale. toboggan barre l'écran horizontalement; une silhouette

4L

figure S.35 Figure 5.36

18S
» 2 - la mmi pu ma.

glisse dessus rapidement à quatre reprises, de droite à gauche (fig. 5.35). On


peut croire qu'il s’agit d’une suite au travail du segment 3 sur le rythme, mais
une machine vient inscrire une forte verticalité dans le cadre (fig. 5.36), avec
un piston qui monte et descend en cadence. Nous remarquons à nouveau des
ressemblances — une forme allongée est parcourue de façon répétitive par un
objet — et des différences —les compositions mettent en valeur des direc­
tions opposées, les quatre apparitions de la silhouette sur le toboggan corres­
pondent à quatre plans différents tandis que les mouvements du piston se
font dans un meme plan. La comparaison continue avec le même type
d'objets (toboggan, éléments mécaniques) et se termine par une machine vue
Figure 5.37 à travers un prisme.
IjC cercle et le triangle réapparaissent, mais ce dernier est parfois inversé et
chacune des formes reste un peu plus longtemps à l’écran. On voit ù nouveau
des objets brillants en rotation et des éléments mécaniques, puis l’œil féminin
partiellement masqué (fig. 5.34). Les mouvements de cet œil sont à présent
comparés avec ceux des machines.
Le segment s’achève sur l’un des moments les plus connus et les plus auda­
cieux de Ballet mécanique. Une vue sur une bielle (fig. 5.37) est suivie de sept
répétitions d'un meme plan où une blanchisseuse monte un escalier et fait
quelques gestes (fig. 5.38). Ce plan revient onze fois après un retour sur la
bouche souriante et cinq fois après une vue sur un énorme piston. L’insistance
de la répétition confère aux mouvements de cette femme une précision
Figure 5.38
mécanique; la possibilité toute cinématographique de faire revenir mécani­
quement une même image permet ici de ne plus la voir comme personnage
mais de se concentrer sur le rythme de ses mouvements. D'autres motifs
réapparaissent : le prisme du segment 2, les objets brillants en rotation du seg­
ment 3, les yeux et la bouche des segments 1 et 2, absents du segment 3.
La comparaison entre objets mécaniques et corps humain a culminée dans
le segment 4. Ix cinquième segment contraste avec ce dernier en se concen­
trant essentiellement sur des intertitres. À la différence des autres, il débute
par un écran noir qui s'éclaircit progressivement : c'est un carton noir où est
inscrit un zéro blanc, d’abord vu à travers un prisme. On raccorde sur une vue
sans prisme où le motif rapetisse.
Un intertitre nous indique soudain que -ON A VOLÉ UN COLLIER DE
PERLES DE 5 MILLIONS». Ce qui serait sans doute une information impor­
tante dans un film narratif est ici utilisé comme un motif visuel permettant
des variations rythmiques. Des zéros apparaissent et disparaissent, seuls ou
par trois, grossissant ou diminuant; des fragments de l'intertitre («ON A
VOLÉ») viennent aussi participer à cette «danse» graphique. On ne sait pas si
le zéro est un «O», la première lettre de la phrase, une partie du nombre

186
5 000 000 ou une représentation des perles du collier. Au-delà du calembour
visuel, le zéro rappelle les nombreux motifs circulaires qui entaillent le film.
Le zéro laisse place à un collier de cheval pour un nouveau
calembour mêlant ressemblance visuelle et lexicale avec le collier de perle. Le
collier s'agite en l’air en une sorte de danse qui entre en alternance avec le
mouvement des zéros et des fragments de l’intertitre, parfois inversés pour
accentuer leur fonction graphique. Ce segment contient, comme les autres,
des motifs déjà vus dans le reste du film : l’œil féminin apparaît brièvement
avant le collier de cheval et un plan très rapide sur une machine est inséré au
cours des jeux sur les intertitres.
Le film commence ensuite à revenir à des variations plus proches des élé­
ments des premiers segments. Le sixième segment se compose essentiellement
de formes circulaires en mouvement. Il débute avec la tête d’une femme aux
yeux clos, qui tourne (fig. 5.39), et raccorde sur une figure en bois se balan­
çant d'avant en arrière vers l'objectif (fig. 5.40), pour une nouvelle comparai­
son entre un corps humain et un objet. On voit grossir une forme circulaire
abstraite: une femme apparaît à travers un prisme —elle passe un carton
troué devant son visage, ses expressions changent constamment, de façon
mécanique. Nous voyons à nouveau alterner des cercles et des triangles, de
quatre tailles différentes, suivis d'une rapide succession de plans sur des ali­
gnements d’ustensiles de cuisine (fig. 5.41) entrecoupés de plans noirs très
brefs. Ce noir est une variation sur celui qui constituait le fond des intertitres
du cinquième segment; les instruments de cuisine réintroduisent un motif
qui apparaissait dans tous les segments sauf le cinquième. Le motif des aligne­
ments d'objets était apparu dans le troisième segmentées mouvements de va-
et-vient que l'on observe dans la plupart de ces plans font écho au balance­
ment de la femme et à la boule de métal du premier segment.
Au début du septième segment des formes hélicoïdales dans une vitrine
sont comme le gel des mouvements rotatoires qui ont constitué l’essentiel des

Figure 5.39 Figure 5.40 Figure 5.41

187
PHîii ; lû MOI ; un

11
II
Figure S.42

II
1
A Figure 5.44

A
A
U
Figure 5.45

___ _____________________ ______________ _ Figure 5.43

188
jmnu t - lu miuii m-miann

jeux rythmiques du film (fig. 5.42). Le motif circulaire revient dans une série
de «danses» qui sont autant de variations sur les principales composantes du
film. Par une succession de plans courts, les jambes d’un mannequin sem­
blent danser (fig. 5.43), puis commencent à tournoyer à l’intérieur des plans.
La boule de métal réapparaît, mais avec une autre qui tourne dans le sens
opposé. Deux formes très différentes —un chapeau et une chaussure —
alternent rapidement (fig. 5.44) pour créer un conflit formel comparable à
celui du triangle et du cercle. Suit un visage de femme aux expressions chan­
geantes, vu à travers un prisme, et un profil semblable à celui montré en 5.39.
Deux vues successives légèrement différentes sur un visage nous donnent
l'impression que la tête est agitée d'un hochement mécanique. Enfin, une
série de plans brefs sur des bouteilles les fait changer de position suivant un
rythme semblable, une fois encore, à celui d'une danse.
Les motifs utilisés dans le septième segment proviennent principalement
des segments 1 et 2 (les boules brillantes, le chapeau, les bouteilles) et 6 (le
visage à travers le prisme, le cercle qui s'agrandit). Au moment où le «ballet
mécanique» devient le plus explicite, le film rassemble des éléments de sa pre­
mière partie et du segment précédent, où la récapitulation des éléments du
début avait déjà commencé. Le segment 7 ne reprend pas de motifs venant de
la partie centrale du film — de 3 à 5 — pour nous donner l’impression que le
film continue de se développer tout en se bouclant.
La fin du film confirme cette circularité de l’ensemble en faisant revenir le
Chariot animé du générique. les mouvements de la figurine sont de moins en
moins «humains» et à la fin la plupart de scs membres sont tombés, ne lais­
sant plus à l'écran que la tête tournant seule, comme le profil au début du
sixième segment (fig. 5.39). Dans le dernier plan, la femme à la balançoire
réapparaît, debout dans le même jardin: elle sent une fleur, regarde autour
d'elle (fig. 5.46). Ces gestes ordinaires, parce qu'ils arrivent après des mouve­
ments mécaniques et des combinaisons rythmiques qui ont conditionné
notre perception, ont perdu tout leur naturel : le sourire, les mouvements de
la tête sont devenus aussi artificiels que les autres motifs du film, l^ger et Figure 5.46
Murphy concluent leur œuvre abstraite en mettant en évidence la façon dont
ils ont altéré notre perception normale des objets et des corps.

Les systèmes formels associatifs


Principes de la forme associative
Dans la forme associative, des qualités expressives et des idées abstraites sont
suggérées par des rapprochements d’images. Ce que les images représentent
n’appartient pas nécessairement à la même catégorie (au sens où nous l’avons

189
mm Î ■ U 4I114 tu

défini pour la forme catégorielle}; les images ne s'additionnent pas pour


constituer une argumentation, comme dans les systèmes rhétoriques, et ne se
comparent pas pour leurs seules qualités visuelles, comme dans les systèmes
abstraits. Mais le simple fait que ces sons et ces images sont juxtaposés nous
incite à chercher ce qui les relie — une association.

Koyaanisqatsi (Godfrey Reggio, 1983) est un exemple particulièrement


clair de forme associative. Le film est fait de plans représentant des choses très
différentes —des avions et des collines, des rames de métros ei des nuages,
des fusées et des piétons. À un moment du film, on voit une grande quantité
de saucisses de Francfort sortant d'une machine et remplies à la chaîne, qui
raccordent sur des vues accélérées de banlieusards empruntant des escaliers
mécaniques. Cette juxtaposition n’a aucune logique narrative et les qualités
visuelles des plans ne sont pas mises en valeur comme elles l’auraient été dans
Ballet mécanique. Ces plans évoquent l'idée d'un quotidien routinier, uni­
forme. qui transforme les gens en unités standardisées, i.e réalisateur a ainsi
créé une association entre des éléments dissemblables.

Ce procédé est, dans une certaine mesure, comparable à la technique de la


métaphore et à d’autres figures poétiques. Lorsque le poète Robert Burns écrit
-Mon amour est comme une rose rouge», nous n'en déduisons pas que son
amour est bardé d’épines, rouge vif ou attaqué par les pucerons. Nous cher­
chons plutôt les liens conceptuels possibles : la beauté de la femme qu'il aime
est sans doute la raison de cette comparaison.

Dans la forme filmique associative, les relations métaphoriques et les ima­


ges que la poésie transmet au moyen du langage sont présentées de façon plus
directe. Un réalisateur peut filmer la femme qu'il aime dans un jardin et sug­
gérer, par des associations visuelles, qu elle est comme les fleurs qui l'entou­
rent. (Ce qui pourrait être le sens implicite du dernier plan de Ballet
mécanique, pris hors contexte.)

L’imagerie employée dans une forme associative peut aller du convention­


nel au plus original et tes liens conceptuels, être manifestes ou totalement
mystérieux. Une juxtaposition insolite peut avoir une signification concep­
tuelle ou affective évidente. De nombreuses odes religieuses, patriotiques ou
romantiques recourent aux images dans un but expressif. Dans America the
beautiful, les «vastes ciels», la majesté des montagnes pourpres» et la
• prairie fertile» s’associent pour suggérer la ferveur patriotique exprimée
dans le refrain, «Que Dieu t’accorde la grôce».

Dans d’autres genres poétiques les effets peuvent être plus fugitifs, la for­
mulation des qualités associatives des images y étant moins explicite. Le haïku
japonais est généralement composé par juxtaposition de deux images dans

190
une forme brève comprenant trois lignes; il doit créer une émotion immé­
diate chez le lecteur. Voici un haiku du poète Bashô :
La onzième lune -
Dm cigogne» indifférentes
Se tiennent alignées

Ici, la signification des images utilisées est moins claire et la raison de leur
mise en rapport reste quelque peu mystérieuse. Cependant, si nous sommes
disposes à faire travailler notre imagination, comme est censé le faire le lec­
teur de haïku, cela devrait avoir pour effet de produire un certaine tonalité
affective ou une humeur qui ne sont présentes dans aucune des deux images
prises isolément mais résultent de leur juxtaposition.
Jusqu'ici, nous avons observé le travail de la forme associative à une échelle
relativement «locale» : la juxtaposition d’images successives. La forme asso­
ciative génère aussi des structures de taille plus importantes, qui peuvent
organiser la totalité d’un film. Mais parce que les systèmes associatifs ne sont
limités ni par le choix d’un sujet ni par un mode d’organisation, il est impos­
sible de définir une partition conventionnelle, où chaque film associatif tom­
berait. Dans le catégoriel, la clarté du propos dépend de la précision des
regroupements ou des classifications; dans le rhétorique, il faut pouvoir sui­
vre les étapes de l'argumentation; dans un film abstrait, percevoir les qualités
visuelles et sonores qui font le matériau du système des thèmes et variations.
La forme associative peut être beaucoup plus vague. De nombreux films
élaboreront leur propre structure formelle en se souciant peu des conven­
tions: certains nous montreront une série d’images amusantes tandis que
d’autres nous en offriront d’effrayantes. Cependant, nous pouvons faire un
premier pas vers la compréhension de la forme associative en remarquant
quelle répond en général à deux grands principes.
Le premier de ces principes est le regroupement des images en ensembles
de tailles supérieures à la simple association de plan à plan, qui constituent
des parties distinctes et cohérentes du film pouvant être mises en rapport les
unes avec les autres. Ce principe est aussi observable dans les films abstraits,
comme nous l’avons vu avec Ballet mécanique. Le second principe, que I on
retrouve dans tous types de formes, est celui d’une répétition de motifs per­
mettant de renforcer certaines associations. Ces deux principes sont a l’oeuvre
dans Koyaanisqatsi.
Le film se divise en sept longues parties encadrées par un prologue et un
épilogue. Chaque partie correspond à un type d’association; dans le
deuxième segment, par exemple, des vues sur des falaises déchiquetées, des
canyons, des nuages et des rivières soulignent la beauté et la majesté d’une
nature intacte. Ce segment contraste nettement avec celui qui suit, où l’on

191
MHU 2 - Lg HW4M flll

voit des canalisations, des lignes à haute tension, des usines et des barrages
envahissant les paysages — série qui culmine avec des images d'explosions.
autres segments décrivent le gigantisme et la frénésie de la vie moderne
dans les villes. Chaque fois, les images sont regroupées en fonction d’une idée
ayant une forte charge émotive : la grandeur de la nature, la destruction de la
terre etc. Les associations sont soulignées par la musique de Philip Glass, qui
donne à chaque segment une identité mélodique et rythmique.
La répétition de motifs est un principe fondamental de tout type de forme
mais elle est particulièrement importante dans la forme associative. Celle-ci
n'est pas aussi clairement structurée que le narratif, le catégoriel ou le rhétori­
que et dépend beaucoup de notre capacité à repérer des éléments récurrents.
Le spectateur doit, comme pour la forme abstraite, se souvenir de motifs et
retrouver à partir de ces motifs la cohérence du film.
Le prologue de Koyaamsqatsi présente trois motifs qui reviendront tout au
long du film. Nous voyons d'abord des représentations simplifiées de sil­
houettes humaines, sur une roche, probablement ducs à une société primi­
tive. La caméra recule et l'image se décompose, part en flammes et en fumée
au moment où une explosion d'origine inconnue fait pleuvoir des morceaux
de métal. Par la suite, les rochers, les pierres et d’autres minéraux seront les
emblèmes d’une nature intacte. Dans la séquence suivante, le feu est la pre­
mière force de destruction de la nature; plus loin, la minéralité des collines et
des vallées laisse place à des gratte-ciel, des canyons de verre et d’acier. Des
figures humaines réapparaissent aussi tout au long du film, souvent filmées
avec un très fort ralenti qui les immobilise presque et les fait ressembler aux
figures peintes du prologue.
L'explosion initiale est répétée à la fin du film. On découvre quelle était
provoquée par le décollage d’une énorme fusée, dont la caméra suit le par­
cours aérien jusqu’à ce que l'engin explose et retombe lentement en tour­
noyant, ultime image de la vanité de la technologie et des destructions qu clic
provoque. Le film s’achève avec les peintures du début, nous invitant peut-
être à réfléchir sur le devenir de l’humanité. On voit donc de quelles façons les
récurrences de motifs contribuent ici à la cohérence de la forme associative.
Kûyaamsqatsi illustre bien les spécificités de la forme associative. Le film
présente une progression mais ne raconte pas une histoire à la manière du
cinéma narratif : il ne présente aucun personnage, aucun lien causal, aucune
organisation temporelle. Le film a un sujet, peut-être plusieurs, mais ne déve­
loppe pas une argumentation pour nous convaincre de quelque chose le
concernant. Il n'examine pas un ensemble catégoriel clairement défini : la
grandeur de la nature ou le caractère destructeur de la technologie sont des
idées très vagues et ouvertes. Koyaanisqatsi n’est pas un pur exercice visuel :

192
(I1N1U t ■ Ul 1M11IU WIUlHIll

les images y sont parfois reliées par leurs qualités abstraites, mais ces qualités
sont associées à des idées ou à des émotions qui les dépassent.
Comme on le voit à travers celte brève analyse, la forme associative invite
fortement à l’interprétation, à l'assignation d'un sens général. La plupart des
spectateurs de Koyaanisqatsi conviendraient sans doute de ce que le film criti­
que la destruction de la nature, la mécanisation et la frénésie qui caractérisent
le mode de vie contemporain, et conseille de revenir à la sagesse des anciens, à
un mode de vie associé à des civilisations moins «avancées». Ce serait son
sens explicite, suggéré par les seules associations d'images (sans aucun recours
à une voix off, par exemple).
Les liens associatifs de plan à plan, les grandes parties, les répétitions de
motifs et les indices poussant à une interprétation sont autant de caractéristi­
ques de la forme associative indiquant quelle demande un important travail
de la part du spectateur. C'est pour ante raison que ce système formel est sur­
tout employé dans le cadre du cinéma expérimental. Lorsque l'on regarde ces
films, il faut être prêt à fréquemment modifier ses attentes et à imaginer les
liens possibles entre les images.
Néanmoins le spectateur n'est jamais complètement perdu lorsqu'il réflé­
chit à un film associatif; comme on l'a déjà dit, l'originalité des juxtapositions
visuelles ou sonores n’implique pas celle des idées ou des émotions. Le propos
de Koyaanisqatti n'est pas particulièrement nouveau ou subtil : comme dans
beaucoup de films associatifs, il s’agit ici de raviver une émotion ou une idée
familière au moyen d’une imagerie et de juxtapositions renouvelées.
Certains films sont plus complexes et plus allusifs que celui-ci. Le réalisa­
teur peut se contenter d’inventer des combinaisons insolites, surprenantes, et
laisser au spectateur le soin d'éclaircir ces relations. Dans Seorpio rijiug par
exemple, les bandes de motards sont explicitement associées à des groupes
religieux traditionnels et, par leur violence, au nazisme, mais le film suggère
aussi, de façon plus élusive, que les emblèmes et les rituels de ces bandes rap­
pellent par certains aspects la culture homosexuelle. Comme les autres formes
filmiques, la forme associative combine sens explicites et sens implicites.

4 movie
A movie (Bruce Conncr, 1958) montre comment une forme associative peut à
la fois nous confronter à des rapprochements énigmatiques, allusifs, et géné­
rer un film cohérent ayant un impact intense sur son spectateur.
Conncr réalisa A movie. son premier film, en 1958. Comme Léger, il était
peintre et plasticien et on l'avait jusqu'alors essentiellement remarqué pour
scs «montages» —des collages faits avec des objets trouvés de natures

193
2ÜLLJ 2 - IA fOAmi H IILŒ

diverses. Son approche du cinéma est comparable. Il utilise généralement des


extraits de vieux films d’actualités, de films hollywoodiens ou de pornos softs.
Il peut ainsi trouver des plans, provenant de sources très différentes, qui n'ont
apparemment rien en commun. Lorsque nous les voyons ensemble, nous
nous efforçons pourtant de leur trouver une relation. A partir d’une série de
juxtapositions, notre activité de spectateur crée une émotion ou une idée
générale.
L’accompagnement musical de A movie facilite ce travail du spectateur.
Comme les images, les musiques choisies par Conncr existent déjà; il s’agit ici
de trois extraits du poème symphonique de Respighi, Les pins de Rome. La
tonalité de chaque segment correspond à celle de l'un des trois extraits.
On peut diviser A movie en quatre grandes parties. Comme dans Koyaanis-
qatsi, chaque segment, constitué d’images mises en rapport, se distingue des
autres par l’expression d'une idée commune et par un accompagnement
musical particulier.

1. Une partie introductive comprenant le titre du film, le nom du réalisateur


et les amorces

2. Une musique rapide, enlevée, sur des images d'animaux et de véhicules se


déplaçant sur terre

3. Une partie plus mystérieuse, plus pesante, où des objets sont en équilibre
précaire dans les airs ou dans l’eau

4. Des images effrayantes de désastre, de guerre, alternant avec des scènes


plus énigmatiques et poétiques

A Movie nous mène, en 12 minutes, à travers toute une gamme d’idées et


de qualités ayant une forte charge émotive. 11 développe aussi un fil directeur :
les segments 2, 3 et 4 contiennent de nombreux plans représentant des acci­
dents ou des actions violentes qui, d'abord amusantes ou insignifiantes, pren­
nent de la gravité par leur accumulation. Dans le quatrième segment, des
scènes de guerre et de catastrophes naturelles créent une vision d'apocalypse:
puis le ton du film s’adoucit dans les scènes finales sous-marines.

Segment 1. Ce segment fait beaucoup plus que nous donner le titre du film et
le nom du réalisateur, raison pour laquelle nous ne l’avons pas répertorié
comme un générique. L’ouverture rapide des Pins de Rome débute et nous
voyons défiler un morceau de bande amorce noire vierge — la musique esi
venue avant les images, façon d’en souligner l’importance dans le film. Les
mots «Bruce Conner» apparaissent et restent à l'écran plusieurs secondes,
avec une insistance qui nous indique déjà que le film jouera sur nos attentes.

194
(iumih t ■

Après le nom nous voyons de l’amorce noire puis de l'amorce blanche, un


court flicker faisant alterner deux phoiogrammes représentant la lettre • A » et
de l’amorce blanche vierge, puis le mot «movie». Le mot «by» est entrecoupé
par un plus grand nombre de phoiogrammes blancs que le «A» précédent et
est suivi par le retour des mots «Bruce Conner». On raccorde sur de l’amorce
noire, qui porte cette fois des marques apparaissant généralement au tout
début d’une bobine mais rarement montrées au public : traces de collures,
croix et signes de toutes sortes. Puis, soudain, la mention «End of part four*
(«Fin de la quatrième partie») clignote à l'écran.
On peut penser qu’il s'agit d'un jeu sur les qualités graphiques des titres et
des amorces, réalisé dans le même esprit que la « danse» des intertitres et des
zéros dans Haltei mécanique. Mais Conner emploie des signes conventionnels :
générique et amorces interviennent habituellement au début d'un film ou
d’une bobine, tandis que l’indication «Fin de la quatrième partie» implique
que nous avons déjà vu une grande partie du film. Nous sommes donc préve­
nus que A movie ne sera pas un film conventionnel — pas l’un de ceux où les
parties se succèdent suivant un ordre logique. 11 nous faut nous attendre à des
juxtapositions étranges.
Le flickcr et les marques d’amorces soulignent les qualités physiques de la
pellicule. Le titre, A nwvie («Un film»), confirme cette référence directe au
médium en nous indiquant qu’il faut regarder cet assemblage de plans
comme, littéralement, des morceaux de film. Par ailleurs, le segment suggère
un sens implicite : cette ouverture parodie les génériques de la plupart des
films.
Ce premier segment se poursuit avec une amorce chiffrée allant décrois­
sant à partir de - 12», chaque nouveau chiffre apparaissant dans un flash toute
les secondes — il s'agit encore d'une indication normalement réservée au
projectionniste (c’est ce que l'on appelle ['amorce opérateur). On attend le
début du film à l'issue du décompte, mais la première image en mouvement
apparaît par surprise juste après le «4». 11 s'agit d'un plan où l'on voit une
femme dénudée enlevant ses bas. L'image est usée, parcourue de lignes et de
rayures, et l’on peut supposer que Conner l’a extraite d’un vieux film porno­
graphique. Nos attentes se concentrent immédiatement sur le type de maté­
riau que le film va mettre en œuvre : sans doute d'autres •fourni footage»
comme celui-ci (fourni footage signifie littéralement : métrage trouvé, comme
on dit «objet trouvé»). Après ce plan, le compte à rebours reprend jusqu'à
«I» et l’apparition des mots «The End». Autre jeu: il s'agit de la fin de
l’amorce, non du film. Mais c'est encore faux, car d’autres morceaux d'amor­
ces apparaissent, le mot «movie» revient ainsi que d’autres indications réser­
vées à l’opérateur et un chiffre «1» qui clignote en rythme avec la musique
avant de se fondre dans du noir.

195
mm 2 - u uni h mi

Segment 2. Malgré la continuité de la musique au moment de la transition, le


segment 2 commence par présenter des images d’un type très différent. Une
série de douze plans montre des Indiens, d'abord à cheval en haut d’une col­
line puis en train de poursuivre des chariots où Ion peut reconnaître l’un des
cow-boys. Hopalong Cassidy. Suit un extrait d’un film plus ancien, suffisam­
ment long cette fois pour qu'une situation se mette en place : un affrontement
entre des Indiens et des colons. Mais Conncr ne nous montre cette scène que
pour rappeler le type de convention auquel son film n'adhère pas. Un plan sur
des chevaux au galop tirant une carriole (fig. 5.47) raccorde sur d’autres che­
vaux qui tirent une pompe a incendie dans une rue (fig. 5.48). Le raccord sui­
Figure 5.47 vant, sur des images de cavalerie, confirme l'association entre des véhicules
tirés par des chevaux.
Vient ensuite un plan tremblé sur un éléphant en train de chargé, qui nous
oblige à reconsidérer la logique associative qui vient d'être formulée : il s’agit
peut-être d’une série d'animaux se déplaçant rapidement ? Deux plans sur des
pattes de chevaux galopant semblent le confirmer, mais le plan suivant nous
montre des roues de locomotives tournant à toute allure. Il nous faut encore
généraliser les termes de l’association : des mouvements rapides d'animaux
ou de véhicules terrestres. (La précision «terrestres» peut paraître superflue
pour le moment, mais on en comprendra futilité avec l’analyse des autres seg­
ments où l'air et l'eau ont une grande importance.) La série de plans suivante
reprend ces motifs en leur adjoignant un tank.
Figure 5.48 Celte vitesse généralisée (plans courts, figures se déplaçant rapidement,
cadence soutenue de la musique) se poursuit dans la dernière partie du seg­
ment avec des vues d'une course automobile. Nous sommes donc tout
d'abord conforté dans notre compréhension des associations, jusqu’à l’inter­
vention de trois accidents consécutifs; le segment s’achève sur la longue et
spectaculaire chute d’une vieille voiture du haut d'une falaise. Incontrôlés et
même effrayants, les mouvements représentés dans ces derniers plans ont
perdu le caractère enivrant et joyeux du début. Pendant les accidents, la musi­
que a atteint une sorte de climax frénétique et s'est brusquement interrompue
avec l’apparition d'un «The end» clignotant. Cette indication, qui parodie la
fin d’un film conventionnel, suggère que les accidents sont les conséquences
de tous les mouvements précipités du segment.
On réalise alors qu’une tonalité menaçante sous-tendait déjà le début du
segment, avec l'attaque des Indiens, la cavalerie, l'éléphant ou le tank
— sentiment qui sera intensifié dans les segments 3 et 4.

Segment 3. De l'amorce noire succède au «The end» que l'on vient d’évo­
quer et la musique du troisième segment démarre après une pause. (Comme
au début du film, elle commence sur le noir). Cette fois la musique est lente,

196
uhiih s - in miiui uuwwnii

Figure 5.49 Figure 5.50 Figure 5.51

monotone et plutôt sinistre. L’indication «A movie» et de l’amorce noire


reviennent avant une série de plans très différents de ceux du deuxième seg­
ment. Deux femmes polynésiennes portent sur leurs têtes des objets qui res­
semblent à des totems, le plan est interrompu par de l'amorce et un titre, qui
enchaîne sur de courts plans d'un dirigeable en vol (fig. 5.49) et d’un couple
d’acrobates se tenant en équilibre sur une petite plate-forme et une corde, au-
dessus d'une rue (fig. 5.50). C’est l'idée d'équilibre qui relie les deux images,
mais aussi celle d’altitude ei de danger. Cette partie se termine par un petit
avion qui, comme en perte de stabilité, tombe droit à travers des nuages. La
présence de la musique, lente et sinistre, fait perdre à ces flottements et à ces
chutes leur caractère poétique au profit d'un vague sentiment de menace. Le Figure 5.52
segment s’achève avec les titres déjà vus: «A», «movie», «by», cl -Bruce
Conner», suivis par de l'amorce noire.
La suite du segment débute par une incongruité apparente entre la musi­
que et l'image. On nous montre différentes vues d’un sous-marin, un officier
qui, par un périscope (fig. 5.51) semble regarder une femme en bikini
(fig. 5.52). Ce plan rappelle l’extrait pornographique du premier segment et
crée, par le raccord, un paradoxe : nous savons que le plan représentant l'offi­
cier et celui représentant la femme en bikini viennent de films différents, et
pourtant nous interprétons le raccord comme l'indication comique qu'il la
• regarde».
Le même principe sous-tend les plans suivants : l'officier ordonne le lance­
ment d'une torpille, et celle-ci semble sc précipiter vers la femme. Une explo­
sion atomique figure l'orgasme de ce calembour sexuel. Les associations sont
à la fois amusantes et dérangeantes — il y a quelque chose d’explicitement
agressif dans ces images, notamment dans leur rapport à la sexualité. Elles
passent de l'humour à la catastrophe; plusieurs vues de champignons atomi­
ques viennent entrecouper le gag, accompagnées d’une musique tranquille,
lente, aérienne, qui s'accorde plutôt aux explosions.

197
..WJJJL1-- (U4U! hll _

Cette musique nous emporte vers une série de plans montrant des vagues
ou des mouvements ressemblant à celui de vagues, qui semblent tous être
causés par l’explosion : un bateau perdu dans le brouillard ou dans la fumée,
des surfeurs et des rameurs malmenés par d'énormes vagues, des skieurs nau­
tiques et des conducteurs de hors-bord tombant au cours de cascades. Pen­
dant ce temps, 1j musique aérienne laisse place à une mélodie lente à la
cadence marquée, jouée par des instruments à cordes, d’un caractère plus
sombre. Les accidents, d’abord banals (les chutes de skieurs), deviennent
sinistres: un conducteur de hors-bord est éjecté de son véhicule au moment
où il heurte de plein fouet un amas rocheux.

Brusquement, nous voyons des gens montés sur d’étranges bicyclettes


(fig. 5.53). Le passage du hors-bord aux bicyclettes nous éloigne pendant un
court instant de la série des accidents pour une suite de plans montrant des
personnes agissant délibérément de façon grotesque. D’autres plans montrent
des motards roulant à travers de l’eau cl de la boue, un avion qui essaye
d'atterrir sur un lac et se retourne sur lui-même.

Le segment s'est développé de façon régulière, faisant succéder à la tension


initiale la juxtaposition de moments comiques (la femme et le sous-marin) et
catastrophiques (la bombe), d’accidents banals et de scènes grotesques. La
séquence se termine de façon étrange. Le dernier accident raccorde avec de
l’amorce noire. On voit ensuite un gros plan de Théodore Roosevelt, appa­
remment en colère, parlant avec une telle vigueur qu’il découvre parfois scs
dents (fig. 5.54). Suit I écroulement d'un pont suspendu (fig. 5.55): la musi­
que augmente au moment où l'ouvrage s'effondre, puis diminue en intensité.
L'ensemble est difficile à interpréter, mais l’association entre des catastrophes
d’origine humaine et l’image de l'un des présidents américains les plus belli­
queux semble établir un rapport entre l'effondrement du pont et une
«agressivité* à caractère politique.

198
Segment 4. Le film ponctue nettement chacune de ses parties par de l'amorce
noire et un accompagnement musical — ici, le troisième extrait des Pins de
Rome. La sonorité inquiétante d’un gong et la lenteur des instruments à cor­
des créent encore une atmosphère angoissante, Les segments 2 et 3 se sont
développés autour d’images d'accidents et de catastrophes; celui-ci débute par
des vues sur des avions militaires abattus en plein ciel et brûlant à terre, sui­
vies par une série d’explosions sur fond de ciel noir.
Le passage suivant juxtapose des plans de catastrophes avec des plans qui
paraissent inexplicables dans ce contexte. Toutes les images d’avions semblent
être associées au désastre et à la guerre: pourtant, nous voyons maintenant
deux avions passant à coté d'une pyramide égyptienne (fig. 5.56). Comme
pour la plupart des juxtapositions précédentes, il nous faut brusquement
modifier nos hypothèses sur les types de relations qui unissent les plans : il ne
s'agit plus ici d'avions militaires, mais civils. Ils raccordent avec deux plans
montrant un volcan en éruption, pour une relation essentiellement visuelle
entre ta forme du volcan et celle de la pyramide. L'éruption signale un retour
aux représentations de catastrophes, brièvement interrompu par une cérémo­
nie religieuse (un couronnement) mais reprenant avec force à travers des ima­
ges de l’incendie du dirigeable Hindcnburg, de tanks, d’accidents automobiles
et de chutes de corps.
Les plans suivants nous montrent des silhouettes sautant d’un avion, en
parachute 11 ne se passe rien d'effrayant, personne n'est blessé lors de ces
sauts, mais dans le contexte créé par les accidents précédents et à cause du
caractère sinistre de la musique, nous nous attendons à ce que chaque plan
amène son lot de catastrophes. Ces actions innocentes deviennent elles aussi
lourdes de menaces, associées à une forme de violence militaire et politique.
Il en va de même pour les images d'un ballon en train de brûler (rappel du
Hindenburg), qui raccordent avec des palmiers, des troupeaux de bêtes et
d'autres clichés évoquant un Middle East ou une Afrique idylliques 1 fig. 5.57).

Figure 5.57

199
MfiU.l 2 - LU moi PU fllfl

Figure S.58 Figure 5.60

Ce répit précède immédiatement l'un des moments les plus sinistres et les
plus surprenants du film, trois plans montrant un pont suspendu qui se tord,
se déforme comme s'il était secoué par une main géante (fig. 5.58), suivis par
de terribles images d’un naufrage (fig. 5.59), d’un peloton d’exécution, de
corps pendus à un gibet, de cadavres de soldats et d'un champignon atomi­
que. Le cadavre d'un éléphant et des vues sur des chasseurs introduisent une
courte série montrant les souffrances d’une population africaine. La musique,
dominée maintenant par les cuivres, a pris une tonalité triomphale.
Le ton du film change à nouveau après ce climax. Dans une suite de plans
sous-marins relativement longs, on suit un plongeur qui explore une épave
couverte de bernacles (fig. 5.6G), qui fait écho au naufrage vu auparavant
(fig. 5.59). La musique atteint une sorte de climat triomphal au moment où le
plongeur pénètre à l’intérieur de l'épave. Le film se termine sur une note lon­
guement tenue par un instrument à corde, de l’amorce noire cl un ultime
plan dirigé vers le haut, vers la surface. Ironiquement, aucun «The end* ne
vient conclure le film.
Nous avons été conduit à travers un ensemble disparate de plans par des
associations d’images et de sons. Le rapprochement entre les éruptions volca­
niques ou les tremblements de terre et une violence â caractère sexuel ou mili­
taire ne sert aucune argumentation. Les éléments juxtaposés ne constituent
pas. pour la plupart, des ensembles logiques et ne construisent pas un récit.
Des qualités abstraites informent parfois les rapports entre les plans (voir
chapitre 10), mais de façon localisée.
Pour produire ses associations, â movie recourt à des principes formels
familiers : la répétition, la variation — par exemple, la répétition des images
de chevaux dans le premier segment ou les variations sur les avions dans les
segments 3 et 4. Ces répétitions créent des motifs qui permettent de donner
au film sa cohérence.

200
Le retour de ces motifs obéit à un schéma particulier. Nous avons vu que
les titres et les amorces de l'introduction reviennent dans tous les segments et
que la femme du premier segment est comparable à celle qui raccorde avec
l'officier du segment 3. Aucun des motifs du deuxième segment n’apparait
dans le troisième, ce qui contribue à créer un fort contraste entre les deux. Le
quatrième segment reprend et varie des motifs du 2 et du 3. Comme dans
beaucoup de films, la fin développe et reprend les parties antérieures : le cada­
vre de l’éléphant, les tanks et les voitures de course trouvent leur origine dans
le deuxième segment, tandis que les indigènes, l'incendie de l’Hindenburg, les
avions, les bateaux et l'effondrement du pont prolongent des motifs prove­
nant du troisième segment. Les juxtapositions qui paraissent évidentes jouent
sur la répétition tandis que celles qui sont plus obscures ou surprenantes
interviennent pour produire des contrastes. Conner a ainsi réussi à créer une
œuvre cohérente à partir d’une masse de plans incohérents.

11 y a aussi une très forte cohérence du schéma de développement du film.


L’amusement, l’euphorie qui dominent le premier segment se prolongent
dans le deuxième jusqu’aux accidents de voiture. Dans le segment 2, tous les
plans ont, par leur sujet, une double valeur affective : le comique y côtoie la
violence. Ils annoncent les catastrophes du segment 3, qui sont encore mêlées
d’une certaine dose d'humour. Dans le segment 4, le ton est devenu
univoque : les images les plus banales comme les plus étranges y sont domi­
nées par un même sentiment intense de tension et de menace, l'attente d’un
désastre.

À la différence du moins complexe Koyaanisqatû, A movie n'offre aucun


sens explicite. Scs associations en constantes modifications nous invitent à
réfléchir à un ensemble de significations implicites. Le film peut être interprété
comme une présentation des conséquences destructrices d'un déchaînement
des pulsions agressives. Les horreurs du monde moderne — la guerre, la bombe
à hydrogène — sont associées à des passe-temps ordinaires, au sport, à des cas­
cades. Nous sommes appelés à réfléchir à l'éventualité que ces deux ordres de
l'action humaine découlent d’une même pulsion, une pulsion de mort. Celle-ci
est à son tour mise en relation avec certains comportements sexuels (la porno­
graphie) et avec une répression d’origine politique (récurrence des images
montrant des populations de pays en voie de développement).

Selon une autre interprétation, le film illustre la façon dont le cinéma


aiguise nos émotions par le spectacle de la sexualité, de la violence et de l'exo­
tisme. A movie est alors, comme l'indique son titre, un film » presque comme
les autres —la différence étant que ses effrayantes catastrophes sont bien
réelles.

201
. U lûm PJ1 (HP

Qu’en est-il de la fin î L’épilogue montrant le plongeur offre aussi un


grand nombre de significations implicites possibles. Formellement, il renoue
avec une caractéristique du début du film en présentant une longue action
continue (comme le segment avec Hopalong Cassidy). On peut y voir une
sorte d'espoir, peut-être une fuite face aux horreurs précédentes; ou bien une
image de la mort du genre humain : après avoir saccagé la planète, l’homme
retourne à l’océan primitif. Comme le reste du film, la fin de movie est
ambigué, disant peu mais suggérant beaucoup. On peut seulement affirmer
quelle défait la tension accumulée par toutes les images de destruction et
démontre la puissance de la forme associative : sa capacité à diriger nos émo­
tions et à susciter notre réflexion par le simple rapprochement de sons et
d’images.

Résumé

Comme on l’a vu dans les exemples précédents, un même film peut combiner
plusieurs systèmes formels. Dans Les Dieux du stade, la forme catégorielle est
émaillée de courts moments narratifs; certaines parties de The river utilisent
les principes de la forme associative et il y a dans A movie des relations visuel­
les abstraites.

Toutefois, il y a généralement un type formel dominant qui organise la


totalité du film. Pour l'identifier, il est souvent utile de comparer le début et la
fin de l’œuvre, moments où les indications sont les plus nombreuses et les
plus explicites. Il peut aussi être utile de se poser des questions comme celles-
ci :

1. Quel type de réaction semble vouloir provoquer le film ? Est-il purement


informatif? Essaie-t-il de produire une argumentation convaincante, de
concentrer l'attention sur des qualités visuelles ou d'évoquer une émotion,
une idée ?

2, Si la forme est catégorielle, quel est le sujet général et comment est-il


présenté ? Quelles sont les différentes catégories proposées, et comment
passe-t-on de la première à la dernière ?

3, Si la forme est rhétorique, quelle est l'argumentation ? Quelles preuves


sont données, et sont-elles convaincantes? Comment le film affirme-l-il
son autorité et sa fiabilité ? Comment le film conduit-il le spectateur à ne
considérer qu'une seule solution ou une seule conclusion ?

202
Cil a PU A4 I KLLWLLfflJLm JLflUÂI l fJ

4. Si la forme est abstraite, quels sont les principaux motifs visuels et à


quel type de variation sont-ils soumis? Comment se structurent leurs
répétitions ?
5. Si la forme est associative, les différentes parties sont-elles ponctuées en
fonction des émotions ou des idées évoquées ? Comment ces émotions et
ces idées changent-elles au cours du film ? Quels types d'images le film uti-
lise-t-il pour faire réagir le spectateur ’
Nous avons essayé, dans cette partie du livre, de détailler le fonctionne­
ment des formes narratives et non-narratives, dont la connaissance est indis­
pensable pour aborder les problèmes liés à la technique cinématographique.
C'est la corrélation de ces techniques et des structures narratives ou non-nar
ratives qui crée la forme filmique; les outils analytiques présentés dans cette
partie, associés à la connaissance des techniques cinématographiques présen­
tées dans la partie suivante, nous permettront de comprendre le fonctionne­
ment de cette forme. À la fin de la troisième partie, nous reviendrons sur les
films évoqués dans les deux derniers chapitres pour analyser la façon dont ils
mettent en œuvre les moyens d’expression cinématographique.

203
minime mm

Le plan : la mise en scène


Le plan : la prise de vues
D'un plan à l'autre : le montage
Le son
Le style comme système formel
Nous cherchons toujours à comprendre les principes de construction d’un film. Le chapitre 3 a
montré que la notion de forme filmique permettait d'aborder ce problème. Les chapitres -1 et 5
se sont attachés à deux manifestations importantes de cette forme : le narratif et le non-narratif.
Mais regarder un film, ça n’est pas seulement se confronter à une structure narrative ou non-
narrative. C’est d’un film que nous faisons l’expérience — pas d’une peinture ou d’un roman.
Pour analyser une peinture, il faut posséder un savoir sur la couleur, sur les formes et sur la
composition; pour analyser un roman, il faut posséder un savoir sur le langage. Pour compren­
dre une forme artistique, il faut avoir une connaissance des techniques et des matériaux qu’elle
met en oeuvre. La troisième partie de ce livre va explorer le domaine des techniques cinémato­
graphiques. Nous les rassemblerons en quatre ensembles distincts: deux techniques liées au
plan, la mise en scène et la prise de vues; celle qui concerne les relations de plan à plan, le
montage; et celle qui détermine les relations du son et des images.
Il s’agira, dans chaque chapitre, de considérer les différentes possibilités offertes par chacune
de ces techniques et d’apprendre à les reconnaître dans un film. Nous essaierons surtout de pré­
ciser leurs fonctions formelles: comprendre comment elles déterminent notre appréhension
d'une oeuvre (quelles attentes font-elles naître ? Comment focalisent-elles notre attention sur un
élément particulier?) et comment elles sont à l'origine de scs motifs; comment elles peuvent
évoluer au sein d’un même film; comment elles éclaircissent ou accentuent scs significations et
déterminent nos réactions.
Nous verrons aussi dans cette troisième partie que tout film possède son propre système for­
mel, déterminé par une utilisation cohérente, structurée et signifiante des techniques que nous
appellerons le style. Quelques analyses de films nous montrerons que tout réalisateur crée un
système stylistique particulier, dont les rapports avec les principes évoqués dans les chapitres
précédents peuvent être schématisés ainsi :
Forme filmique

corrélé au
Système formel B» Système stylistique

Narratif Non-narratif Utilisation structurée et


Catégoriel signifiante des techniques
Rhétorique Miw en scène
Abstrait l’riie de vues
Associatif Montage
Son

La façon dont un film met en œuvre les techniques cinématographiques —son style— ne
peut pas être étudiée indépendamment de son utilisation des formes narratives ou non-narrati­
ves. Nous découvrirons que le système stylistique et ce que nous avons appelé le système formel
sont liés. Dans un film narratif, le style peut permettre de faire progresser la chaîne causale,
Créer des parallèles, manipuler les relations entre le récit et l'histoire ou alimenter le flot des
informations narratives. Mais il peut aussi se distinguer des formes narratives ou non-narrati­
ves et être considéré pour lui-même : certaines utilisations des techniques cinématographiques
attirent l’attention sur des figures de Style. Quoi qu’il en soit, nous reviendrons constamment,
dans les chapitres qui suivent, aux relations entre les systèmes formels narratifs ou non-narratifs
et le système stylistique.
la mise en scene

La mise en scène est la plus familière des techniques cinéma­


tographiques. On ne se souvient pas toujours des raccords ou des
mouvements de caméra, des fondus enchaînés ou des hors-
champ sonores, mais on se souvient des costumes de Autant en Qu'est-ce que la mise en scène ?
emporte le vent ou de la lumière triste et glacée qui baigne le Le réalisme
Xanadu de Charles Forster Kane. Nous avons un vif souvenir des Pouvoir de la mise en scène
rues sombres et pluvieuses du Grand Sommeil ou de la conforta­
Aspects de la mise en scène
ble maison familiale du Chant du Missouri, de Harpo Marx esca­
La mise en scène dans l'espace et dans
ladant le wagon rempli de cacahuètes d'Edgar Kennedy dans
le temps
Soupe au canard (Duck Soup, Léo McCarcy, 1933) ou de Kathe­
Fonctions narratives de ta mise en
rine Hepburn provoquant Cary Grant en brisant ses clubs de
scène : tes bd de l'hospàabté
golf dans Indiscrétions (77ie Philadelphia S tory, Georges Cukor,
Résumé
1940). La plupart des souvenirs précis que nous laisse le cinéma
proviennent d’effets de mise en scène. Notes et Points d'interrogation
Pflftjll ) - LL1IVLI

Qu'est-ce que la mise en scène ?


-Mettre en scène» est d’abord une pratique théâtrale. Les spécialistes du
cinéma ont étendu l’application de cette expression au contrôle, par le réalisa­
teur d’un film, de ce qui apparait dans le cadre. L'origine théâtrale de la mise
en scène est encore présente dans un certain nombre de ses caractéristiques
techniques : les décors, l'éclairage, les costumes et le jeu des acteurs — à cette
différence que c’est toujours pour une caméra que se fait la mise en scène de
cinéma.
Comme nous l'avons déjà remarqué au cours du chapitre 2, la mise en
scène caractérise essentiellement les films de fiction — nous emprunterons
par conséquent la majorité de nos exemples aux films de ce type. Elle apparait
parfois dans certains documentaires (voir Le dossier Adams, planche I). Les
films d’animation ou les films abstraits permettent d'exercer sur la mise en
scène un très grand contrôle, sans équivalent dans les tournages en temps réel
avec des acteurs — on peut le constater dans les dessins animés ou les films de
marionnettes, mais aussi avec les images de synthèse.
La mise en scène est généralement planifiée, mais un réalisateur peut être
ouvert à des événements imprévus : un acteur peut, au cours d'une scène,
rajouter une réplique, ou un changement inattendu de la lumière peut accroî­
tre la puissance d’un effet. Alors qu’il était en train de filmer une cavalerie tra­
versant Monument Valley pour La charge héroïque (She wore a yellow ribbon,
1949). John Ford profita de la lumière créée par un orage qui approchait pour
donner à l’action un arrière-plan dramatique. Cet orage reste un élément
constitutif de la mise en scène, même si Ford ne l’a ni prévu ni contrôlé : ce
fut un événement providentiel qu’il décida d’insérer dans l’histoire. Ican
Renoir, Robert ?\ Il ni an et d'autres réalisateurs ont, de la même façon, laissé
leurs acteurs improviser pour que la mise en scène ait un caractère plus spon­
tané et imprévisible.

Le réalisme
Avant d'analyser en détail ce qu'est la mise en scène, il nous faut dissiper un
préjugé. Le spectateur qui ne se souvient que de tel ou tel moment d’une mise
en scène est souvent le même qui l’évalue à partir de normes réalistes : le réa­
lisme d'une voiture, par exemple, sera son adéquation à l’époque décrite par
le film où elle apparait; l’irréalisme d'un geste, le fait que «les personnes réel­
les ne bougent pas de cette manière».
Faire du réalisme un critère d’évaluation pose plusieurs problèmes. La
notion de réalisme varie suivant les cultures, les époques et même d'un

208
HWUILLJWL.il mi 1> “Kl

individu à un autre. L'interprétation de Marion Brando dans Sur les quais (On
the waterfront, Elia Kazan, 1954), acclamée au moment de la sortie du film
pour son «réalisme», parait maintenant très stylisée. La critique américaine
des années 10 appréciait les westerns de William S. Hart pour leur réalisme,
mais la critiques française des années 20, également enthousiaste, trouvait ces
mêmes films aussi artificiels que des épopées médiévales. Le réalisme est, de
plus, devenu l'un des plus importants problèmes de la philosophie de l'art
(voir «Notes et Points d’interrogation»). Se concentrer sur le réalisme d’un
film ne permet pas de rendre compte de la diversité et de l'inventivité d'une
mise en scène.
Figure 6.1
Observons par exemple ce photogramme extrait du Cabinet du docteur
Caligari (fig. 6.1). La ligne brisée des toitures, l’inclinaison des cheminées ne
correspondent sans doute pas à notre conception ordinaire de la réalité d’une
ville. Critiquer ce film pour son manque de réalisme serait toutefois peu per­
tinent, la stylisation du décor étant ici employée pour représenter l’imaginaire
d'un fou, suivant des conventions empruntées à la peinture et au théâtre
expressionnistes.
Ce sont les fonctions de la mise en scène qu'il faut étudier, non l'adéqua­
tion de tel ou tel de scs éléments à notre conception du réalisme. Un réalisa­
teur peut avoir recours à n'importe quel système de mise en scène, et la tâche de
l'analyste est d’en observer le fonctionnement dans le tout du film — qu’csl-
ce qui motive cette mise en scène, comment varie-t-elle et se développe-1 - elle,
comment entre-t-elle en relation avec les formes narratives et non-narratives.

Pouvoir de la mise en scène


Réduire le cinéma à une certaine idée du réalisme appauvrirait la mise en
scène. Celle-ci a le pouvoir de transcender les conceptions ordinaires de la
réalité, comme nous l’a montré l’un des premiers maîtres de la technique
cinématographique, Georges Méliès. La mise en scène permettait à Méliès de
créer sur la pellicule un monde totalement imaginaire.
Caricaturiste et magicien, Méliès a été fasciné, en 1895, par la présentation
des premiers films des frères Lumière. (Pour des informations supplémentai­
res sur les frères Lumière, se reporter aux chapitres 7 et 12). Après avoir fabri­
qué sa propre caméra à partir d’un projecteur d’origine anglaise, il commença
à filmer librement des scènes de rues, des moments de la vie quotidienne. On
dit qu'un jour où il filmait place de l’Opéra, son appareil se bloqua alors qu'un
bus passait devant l'objectif; le temps de faire la réparation, le bus avait été
remplacé par un corbillard. Ixirs de la projection, Méliès découvrit cet effet
inattendu : un bus semblait se transformer instantanément en un fourgon

209
Figure 6.2 Figure 6.3

mortuaire. L'anecdote est peut-être apocryphe, mais elle résume bien ce pou­
voir magique de la mise en scène que venait de découvrir Méliès. Il allait
ensuite consacrer une grande partie de sa vie à l'invention d’une forme d'illu­
sionnisme cinématographique.
Mais il ne pouvait plus compter sur le hasard; il allait devoir préparer et
mettre en scène des situations, des actions pour la caméra. S'appuyant sur son
expérience théâtrale, Méliès édifia l'un des premiers studios de cinéma — un
petit hangar rempli par toute une machinerie de théâtre : fauteuils, trappes,
toiles de fond coulissantes. Il dessinait les plans avant le tournage, ainsi que les
décors et les costumes : les figures 6.2 et 6.3 montrent la ressemblance entre
ses dessins, très détaillés, et les plans réalisés. Méliès jouait dans ses films, par­
fois plusieurs rôles différents en meme temps. Four réussir à créer les effets
magiques qu’il désirait, les visions fantaisistes qu'il imaginait, il lui fallait con­
trôler tous les aspects de la mise en scène.
C’est seulement dans un studio que Méliès pouvait réaliser Ln sirène, un
film où un monde sous-marin est créé avec une actrice en costume, un aqua­
rium placé devant la caméra, quelques toiles peintes et des «chariots pour
monstres » (voir fig. 6.4). Dans La lune a un mitre, où il joue un astronome, il
est entouré d'un ensemble impressionnant d’accessoires en trompe l'ccil, des­
sinés et découpés, qui semblent sortis d'un dessin animé (voir le télescope, le
globe et le tableau noir de la figure 6.5).
La maison de production de Méliès, la Star film, fut à l'origine de centaines
de courts métrages «féeriques» et de «films à trucages» où il fallait contrôler
tous les éléments apparaissant dans le cadre : Méliès, premier grand maître de
la mise en scène, en démontrait toute la richesse technique. Ce magicien nous
a laissé un monde merveilleux, irréel, totalement soumis aux caprices de
l’imagination.

210
muni t - il mi - H mu n ±im

Figure 6.4 Figure 6.5

Aspects de la mise en scène


Qu'est-ce qu’un réalisateur peut choisir et contrôler à travers la mise en
scène ? Nous pouvons distinguer quatre grands domaines techniques et indi­
quer pour chacun quelques utilisations possibles.

Le décor

Dés les débuts du cinéma, les critiques et le public ont compris que les décors
y jouaient un rôle plus actif que dans la plupart des mises en scène théâtrales.
Ainsi, André Bazin écrivait :
Il n'est de théâtre que de l'homme, mais le drame cinématographique peut
se passer d’acteurs. Une porte qui bal, une feuille dans le vent, les vagues
qui lèchent une plage peuvent accéder à la puissance dramatique. Quel­
ques-uns des chefs d’œuvre du cinéma n'utilisent l’homme qu’accessoi-
rement : comme un comparse, ou en contrepoint de la nature qui consti­ Figure 6.6

tue le véritable personnage central.


Un décor de cinéma n’est pas toujours le simple cadre d'une présence ou
d'une action humaine, il peut venir au premier plan, participer activement au
déroulement d'un récit. (Voir les planches 33,42, 62 et 63 pour des exemples
de décors sans personnages.)

Le réalisateur a plusieurs possibilités pour le choix d'un décor. Il peut,


selon une pratique qui remonte aux débuts du cinéma, mettre en scène dans
un lieu préexistant : Louis Lumière tourna L'arroseur arrosé (fig. 6.6) dans un
jardin et Victor Sjôslrôm, Les proscrits (Berg-Ejvind och hans hustru, 1917)
dans la splendide campagne suédoise (fig. 6.7); à la fin de la Seconde Guerre
mondiale, Roberto Rossellini tourna Allemagne, année zéro (1948) dans Berlin

211
mm i luijiu

en ruines (fig. 6.8). De nos jours, les réalisateurs vont souvent tourner «en
extérieurs* (on dit aussi «en décors naturels»).
Il peut aussi choisir de construire le décor. Beaucoup de réalisateurs, sui­
vant la leçon de Méfiés, ont compris que le travail en studio permet d'exercer
un plus grand contrôle sur le tournage. En France, en Allemagne et surtout
aux États-Unis, la possibilité d’inscrire sur la pellicule des mondes totalement
artificiels conduisit au développement de différentes conceptions du décor
construit. Certains réalisateurs ont mis l’accent sur la vraisemblance
historique; Erich von Strohcim, par exemple, était fier de la précision de ses
décors, fruit de recherches méticuleuses —voir en 6.9 le photogramme
Figure 6.8
extrait des Rapaces (Greed, 1924). Les hommes du président (AU lhe présidents
men, ?\lan, J. Pakuia, 1976) participe de la même approche : il s'agissait de
créer une copie parfaite des bureaux du Washington Post sur un plateau de
tournage en reproduisant chaque détail de la salle de rédaction (fig. 6.10); on
alla jusqu'à éparpiller autour du plateau des vieux papiers provenant des véri­
tables bureaux. Le réalisme d’un décor reste toutefois une affaire de
conventions : ce dont le réalisme nous frappe aujourd’hui pourra paraître
extrêmement artificiel à un public futur.
Dans d’autres films, la vraisemblance historique a moins d’importance.
D.W. Griffith a fait des recherches sur les différentes périodes historiques pré­
sentées dans Intolérance, mais sa Babylone — tout à la fois assyrienne, égyp­
Figure 6.9 tienne et américaine— reste le résultat d’une vision personnelle (fig. 6.11).
Pour Ivan le terrible, Sergueï Eisenstein stylisa librement le décor du palais du
tsar pour l’harmoniscr avec les lumières, les costumes et les mouvements des

Figure 6.10

Figure 6.11

212
cwiîfti c - h ?un . lb mu u lclh

Figure 6.12 Figure 6.14

personnages : ces derniers se plient pour passer des portes qui ressemblent à
des trous de souris et restent figés devant des fresques murales allégoriques.
Le décor peut submerger les acteurs,comme dans ce plan extrait des Nuits
de Chicago (Underworld, Josef von Sternberg, 1927) (fig. 6.12), ou être réduit
à néant, comme dans Le gai savoir (Jean -Luc Godard, 1968) ou La Passion de
Jeanne d'Arc (Car! T. Dreyer, 1927) (figs. 6.13, 6.14). Il peut être dénué de
toute architecture réaliste, comme en témoignent l'expressionnisme du Cabi­
net du docteur Caligari.
[.'allure générale d'un décor peut avoir une influence impartante sur notre
compréhension d'une action. Dans Les vampires, serial policier muet de Louis
Feuillade, un coursier est assassiné alors qu’il se rendait dans une banque. Une
employée de la banque, Irma Vep, fait partie du gang qui a exécuté le crime;
au moment où elle dit à son supérieur que le coursier a disparu, un impos­
teur, déguisé avec une barbe et un chapeau melon, arrive derrière eux
(fig. 6.15). L’homme et la femme nous tournent le dos lorsqu’il s'approche
Figure 6.15
(fig. 6.16). A un moment de l’histoire du cinéma où l'insertion de plans rap­
prochés était rare, Feuillade attire l'attention du spectateur sur le nouveau
venu en le plaçant au centre de l'image. Le décor du bureau permet de mar­
quer son importance en l'inscrivant nettement dans l'encadrement de la
porte.
Nous avons pris tous nos exemples dans des films en noir et blanc, mais la
couleur est aussi un élément essentiel du décor. Dans L'argent (Robert
Bresson, 1983), différents lieux — la maison, l’école, la prison — sont mis en
parallèle par la récurrence d’arrière-plans verdâtres, d'accessoires et de costu­
mes d'un bleu froid (planches 6-8). La gamme colorée de Playlime (Jacques
Tati, 1968) change nettement au cours du film : dans sa première partie, les
costumes et les décors sont essentiellement gris, bruns et noirs —des cou­
leurs froides, métalliques. Plus loin, à partir de la scène du restaurant, le décor Figure 6.16

213
affiche des couleurs plus joyeuses, des rouges, des roses et des verts. Ce chan­
gement s’accorde au développement du récit, où la vitalité et la spontanéité
des personnages transforment un paysage urbain déshumanisé.
Il n'est pas toujours nécessaire de construire un décor grandeur nature :
pour économiser de l’argent ou réaliser certains truquages, il est possible de
faire construire des décors miniatures, des maquettes, qui autorisent les
mêmes effets que les plateaux normaux. (Voir fig. 1.18 pour un exemple de
maquette.) Des parties du décor peuvent être peintes en trompe l'œil pour
venir se mêler ensuite à des objets réels. Ces procédés mettant en œuvre des
techniques photographiques, nous y revenons dans le chapitre suivant.
Les accessoires — un autre terme qui vient directement du théâtre — sont
des éléments du décor. Lorsqu'un objet faisant partie d’un décor est destiné à
avoir un râle actif dans l'action en cours, on peut le désigner sous le nom
d'«accessoire». Les exemples foisonnent : le presse-papiers transparent qui se
brise au début de Citizen Kane, le ballon de la petite fille de M le maudit (M.
Fritz Lang, 1931 ), le cactus de L'homme qui tua Liberty Valante ( The ma» who
shot Liberty Valante, John Ford, 1962), le cercueil de Cesare dans Le cabinet du
docteur Caligari. Dans les films de Luis Buftucl, les accessoires sont souvent
détournés de leur fonction ordinaire, suivant un procédé proche du
surréalisme; dans Los olvidados ( 1950), un aveugle guérit une femme avec une
colombe (fig. 6.17).
Au cours d'un récit, un accessoire peut devenir un motif. Le rideau de
douche de Psychose est d’abord un fragment anodin du décor, mais lorsque
l’assassin pénètre dans la salle de bain ce rideau nous empêche de le (ou de la)
voir. Plus tard, après le meurtre, Norman Bâtes se sert du même rideau pour
envelopper le corps de la victime. Dans Le crime de M. Lange, une affiche fai­
sant de la publicité pour Javert, un roman de gare à épisodes, est posée sur la
façade intérieure de la maison d’édition de Batala (fig. 6.18). Après que celui-

Figure 6.17 Figure 6.18

214
ijUHin; j - u y, im tj

ci a quitté l’entreprise, Lange et ses associés détruisent l’affiche pour libérer la


fenêtre et la pièce se trouvant derrière, qui était depuis longtemps privée de
lumière naturelle (figs. 6.19,6.20).
Lorsqu'un réalisateur utilise la couleur pour créer des parallèles entre des
éléments du décor, un motif coloré peut être associé à plusieurs accessoires.
Au début du Vent (Finyc, Souleymanc Cissé, 1982), une femme porte une
calebasse orange tandis que le vent bruit dans les feuillages (planche 9). Plus
loin, dans une séquence imaginaire, un jeune garçon apporte de l’eau aux
deux personnages principaux, dans un récipient brun orangé; le grand-père,
vengeur, se prépare à poursuivre celui qui persécute son petit-fils en
Figure 6.19
s’habillant en orange et en faisant de la magie devant un feu (planche 10); à la
fin du film, le jeune garçon donne sa calebasse à un personnage hors-champ
— peut-être à l’un des membres du couple vu plus tôt (planche 11 ). La récur­
rence de la couleur orange crée un regroupement de motifs naturels autour
du drame principal. Nous étudierons plus précisément, dans une autre partie
de ce chapitre, la façon dont des éléments du décor peuvent concourir à
l’invention de motifs ayant une fonction narrative.

Les costumes et le maquillage


Comme le décor, les costumes peuvent avoir plusieurs fonctions. Erich von
Stroheim, par exemple, était autant passionné par l’exactitude des costumes Figure 6.20

que par celle des décors : on dit qu’il faisait porter à ses acteurs des sous-vète-
ments que l’on ne voyait jamais à l’écran mais qui correspondaient à leur rôle
et les mettaient en condition pour jouer. Dans Musketeers oj Pig Alley (D.W.
Griffith, 1912), Lillian Gish apparaît dans une robe délavée, élimée, qui mon­
tre à elle seule toute la pauvreté dans laquelle vit son personnage.
Les costumes peuvent aussi être stylisés, attirer l’attention pour leurs seules
qualités visuelles. Dans Le cabinet du docteur Caligari, Cesare, le somnambule,
porte un collant d'un noir profond et la femme qu’il enlève, une chemise de
nuit blanche. Les costumes de fvnn le terrible sont soigneusement accordés les
uns aux autres en termes de couleurs, de matières et même de mouvements;
dans un plan montrant Ivan et son adversaire, le drapé de leurs robes a un
caractère plastique très dynamique (fig. 6.21 ). La réalisatrice de Freak Orlando
(Ulrike Ottinger, 1983), elle-même costumière, déploie à travers les vêtements
de scs personnages tout le spectre des couleurs primaires (planche 12).
Comme le décor, les costumes peuvent devenir des accessoires ayant une
fonction narrative. Guido, le personnage principal de Huit et demi, se cache con­
tinuellement derrière ses lunettes de soleil. Imaginer Dracula, c’est penser à la
l igure 6.21
façon dont sa cape l’enveloppe, dont elle se déploie et se referme définitivement

215
i'K’.i j u mu

autour de ses victimes. Au cinéma, toute partie du costume peut servir


d’accessoire: une paire de lorgnons (£e Cuirassé Potemkine), des chaussures
(L’inconnu du Nord express |Strangerj on a train, Alfred Hitchcock, 1951], Le
magicien d’Oz). une croix (Ivan le terrible), une chemise (Le million). Lorsque
Hildy Johnson passe, dans His girl Friday. de son rôle d’apprentie femme au
foyer à celui de journaliste, elle échange son chapeau à larges bords contre un
chapeau aux bords relevés correspondant à son nouveau style (figs.6.22, 6.23).
Dans La prise du pouvoir par Louis XIV (La presa di potere di Luigi XIV, Roherto
Rossellini, 1967) le roi, pour que sa cour lui reste obligée, fait faire des vêtements
coûteux et extravagants (planche 13).
Figure 6.22
Les accessoires faisant partie d’un costume sont abondamment utilisés
dans le cadre des genres : on connaît le six-coups des westerns, le pistolet
automatique des films policiers, le chapeau claque et la canne des comédies
musicales. Quelques grands comédiens ont transformé leurs costumes en une
sorte de collection d'accessoires qui sont autant d’«emblêmes» de leurs
personnages : on connaît la canne cl le chapeau melon de Chariot, le cigare et
le chapeau claque de W.C. Ficlds, les chapeaux melon et les costumes trop
étroits de Laurel et Hardy, les vastes poches de Harpo Marx.
Comme nous l’avons déjà remarqué avec L’argent et Playtime, costumes et
décors sont souvent coordonnés. Un réalisateur veut généralement mettre en
valeur les figures humaines; le décor fournira donc un arrière-plan plus ou
Figure 6.23 moins neutre, sur lequel se détacheront les personnages costumés. La couleur
est ici particulièrement importante. Les costumes de Fratk Orlando (planche
12J tranchent nettement sur le fond gris d'un lac artificiel. Dans la bagarre
finale de La nuit de San Lorenzo ( Vittorio et l’aolo Taviani. 1981), les costumes
noirs et bleus des paysans et des fascistes sont mis en valeur par la luminosité
des champs de blé (planche 14). Un réalisateur peut à l’inverse chercher à con­
fondre les valeurs colorées des décors et des costumes. Un plan de Casanova
(Federico Fellini, 1976) organise, entre le vermillon des costumes et la couleur
passée des murs, une gradation de rouges rehaussée par un unique détail
blanc (planche 15). Cette «hémorragie» de la couleur des costumes dans celle
du décor est portée à sa limite dans la scène de la prison de THX 1138 (Geor­
ges Lucas, 1971 ) où les vêtements comme les lieux sont dépouillés à l'extrême
pour ne plus laisser que du blanc sur du blanc (planche 16).
Love (Wonten in love, Ken Russel, 1969) fournit un bon exemple de coordi­
nation des costumes et des décors avec la progression narrative cl thématique
d'un hlm. Les premières scènes décrivent la vie superficielle des personnages,
issus de la classe moyenne, à l'aide de couleurs primaires saturées et leurs
complémentaires (planche 17). Au milieu du film, les personnages découvrent
l'amour alors qu’ils sont à la campagne : les couleurs pastel dominent (plan­
che 18). La dernière partie se déroule près du mont Cervin. Les passions se

216
LS «uu i» iusj

sont calmées et le film a pris des teintes encore plus pâles, allant jusqu'au noir
cl blanc pur (planche 19).
Toutes ces remarques sur les costumes s'appliquent aussi à un domaine de
la mise en scène qui leur est étroitement lié, le maquillage. Celui-ci était
nécessaire, à l’origine, pour améliorer la qualité de la représentation du visage
sur des pellicules alors peu sensibles. Il est toujours employé pour renforcer
certains traits des acteurs, mais ses fonctions se sont diversifiées au cours de
l'histoire du cinéma. La Passion de Jeanne d'Arc était célèbre pour son refus
total du maquillage (fig. 6.14]; le film est un drame religieux intense qui
repose entièrement sur des gros plans cl de légers changements d’expressions.
A l'inverse, Nikolaï Tcherkassov ne ressemblant pas vraiment à l’idée que se
faisait Eiscnstcin du tsar Ivan IV, il porta une perruque, une barbe, un nez et
des sourcils postiches pour jouer dans Ivan le terrible. Transformer l’appa­
rence des acteurs pour qu'ils ressemblent à des personnages historiques est
l’une des fonctions ordinaires du maquillage.
Un maquillage peut aspirer au plus grand réalisme. Lorsque Laurence
Olivier se colora la peau et les cheveux en noir pour jouer dans Othello (Stuart
Burgc, 1965), il cherchait à être un Maure crédible. Le maquillage porté par
les actrices est souvent conçu pour ressembler, à l'écran, à celui porté couram­
ment par les femmes de l’époque, et celui des acteurs doit faire croire qu’il
n'en porte pas du tout. Mais le maquillage ne sert pas seulement le réalisme
— lorsqu’il donne aux acteurs une apparence étrange, il devient une conven­
tion du film d’horreur. Dans /x* cabinet du docteur Caligari (fig. 6.24), les visa­
ges des acteurs sont peints de façon â créer des zones uniformes d’ombre ou
de lumière, traitement qui s’accorde dans ce film aux autres aspects de la mise
en scène.
l.e succès des films d'horreur et de science-fiction à conduit ces dernières
années au développement de l'art du maquillage. Le caoutchouc et différents
composés plastiques permettent de créer bosses, protubérances, organes et
peaux artificiels dans des films comme La mouche (The fly, David Figure 6.24
Croncnberg, 1986 : fig. 6.25) ou Edward ata mains d’argent (Edward Scisso-
rhands, Tim Burton, I99Û). Iz maquillage devient alors aussi important que
le costume ou le décor pour créer la personnalité d’un protagoniste ou moti­
ver des péripéties.

L'éclairage
L’effet produit par une image tient beaucoup à la façon dont la lumière y est
traitée. Au cinéma, l’éclairage n'est pas simplement ce qui permet de voir
la scène en cours. distribution des zones claires et des zones sombres dans
le cadre contribue à la composition de chaque plan et attire donc notre Figure 6.25

217
mnju - u nm

attention vers certains objets ou certaines actions. Une zone vivement éclairée
peut nous faire remarquer un geste important, une ombre, dissimuler un
détail ou une présence. La lumière permet aussi de faire disparaître clairement
des textures : la courbe d'un visage, le fil épais d’un morceau de bois, le dessin
délicat d’une toile d’araignée, la luisance du verre, le scintillement des facettes
d’un bijou.
L'éclairage donne forme aux objets en créant des zones lumineuses et des
zones sombres. U visage de l'homme, en 6.26 —extrait de Forfaiture (The
Cheat. Cecil B. De Mille, 1915) — comme les doigts que l’on peut voir en 6.27
— Picpockct (Robert Brcsson, 1959) — émettent de la lumière. La luminosité
Figure 6.26
d’une surface donne des indications importantes sur sa texture; si elle est
lisse, comme le verre ou le chrome, elle a tendance à produire des miroite*
ments et des scintillements: plus rugueuse, elle produit une lumière plus dif­
fuse.
11 y a deux principaux types d’ombres : l’ombre propre et l’ombre portée.
L'ombrc propre apparaît lorsque la lumière n’édairc que partiellement un
objet, à cause de sa forme ou d’aspects particuliers de sa surface. Si un person­
nage fait face à une bougie dans le noir, de larges parties du visage et du corps
restent sombres : c’est l'ombre propre. Mais celte bougie produit aussi une
ombre sur le mur se trouvant derrière le personnage : c’est l’ombre portée,
produite par un obstacle entre la lumière et la surface où elle se projette. Dans
la figure 6.26 par exemple, le corps de l'acteur reçoit l’ombre portée de barres
Figure 6.27
verticales placées entre lui et la source lumineuse; dans la figure 6.27, les peti­
tes tâches sombres sur la main sont des ombres propres, dues aux courbes et
aux rides de la main elle-même.
L’ombre et la lumière facilitent l'appréhension spatiale d'une scène. En
6.26, quelques ombres suggèrent toute une cellule. Les memes indications
peuvent être reproduites dans un film d'animation : dans la planche 20,
extraite de Qui a peur de Roger Rabbit ?, les personnages dessinés, comme
l'acteur, possèdent ombres propres et ombres portées.
L’éclairage donne aussi forme à la composition générale d’une image. Un
plan célèbre de Quand la vi/te dort (Asphalt jungle, John Huston, 1950) ras­
semble les membres d’un gang autour du cercle de lumière fourni par une
lampe à suspension (fig. 6.28). Celle-ci éclaire frontalcmeni le personnage
principal qui se trouve au fond, créant ainsi une hiérarchisation de la scène.
Figure 6.28
La lumière a une grande influence sur notre perception des formes et des
textures ; une sphère éclairée frontalcment devient, à l’écran, un disque; avec
une lumière latérale, cette sphère devient un demi-disque. Dans le court
métrage Lenton (Hollis Frampton, 1969), une source lumineuse déplacée
autour d’un citron crée des combinaisons spectaculaires de jaune et de noir.

218
Figure 6.29 Figure 6.30

Ce film semble avoir été réalisé pour illustrer une remarque de Joscf von
Sternberg, l'un des maîtres de l’éclairage : «Tout objet peut être embellit et
dramatise par une utilisation appropriée de la lumière-.
Nous allons isoler ici les quatre principales caractéristiques d’un éclairage :
sa qualité, sa direction, sa source et sa couleur.
Ce que nous appelons la qualité d'un éclairage désigne l’intensité lumi­
neuse. Une lumière «dure» produit des ombres nettement dessinées —c'est
celle du soleil à midi —, une lumière «douce», un effet diffus —c’est celle
d'un ciel couvert. Ces catégories doivent bien sùr être nuancées selon les cas.
Une lumière dure crée des ombres profondes, égalise les textures et souli­
gne les contours. Dans la figure 6.29, extraite de Aparajito (Statyajit Ray, 1956),
la mère d’Apu et le globe qu elle tient sont mis en valeur par une lumière très
contrastée. En 630, extraite du même film, une lumière plus douce brouille les
contours, diffuse la lumière et produit une gradation de gris.
La direction de la lumière dans un plan désigne la trajectoire suivie par la
lumière depuis sa ou ses sources jusqu'à l’objet qui la reçoit. «Toute lumière»,
a écrit von Sternberg, «connaît un point de plus grande intensité et un point
vers lequel elle a tendance à venir se perdre totalement... Le voyage des rayons
depuis ce cœur jusqu'aux avant-postes de l’obscurité constitue l’aventure et le
drame de la lumière.» Par commodité, nous allons distinguer des lumières
frontales, latérales, des lumières venant par derrière, par-dessous cl par-des­
sus le sujet.
Une lumière frontale a tendance à éliminer les ombres. On voit planche 21
un photogramme de La chinoise où un tel éclairage produit comme un apla­
tissement de l'image.
Dans La soif du mal (Touch of evil, Orson Wclles, 1958), l'éclairage latéral
(ou •cross light») souligne les traits des acteurs : figure 6.31, le nez, les pom­
mettes et les lèvres produisent de fortes ombres propres et il y a une large
ombre portée sur le mur de gauche. Figure 6.31

219
muu li nuu

Figure 6.32 Figure 6.33

Le décrochage, parfois appelé contre-jour, est une lumière qui vient de der­
rière le sujet filmé, par au-dessus, par le côté, par en dessous ou en pointant
directement vers l'objectif de la caméra. Si elle n'est pas complétée par une
autre source lumineuse, clic produit des effets de silhouettes (voir fig. 6.32,
extraite de Citizen Kane}. Combinée avec un éclairage frontal, elle permet de
souligner discrètement les contours d’une figure. Dans le photogramme pré­
senté en 6.33, extrait des Ailes ( Wîngs, William A. Wellman. 1929), le corps des
acteurs se détache de l'arrière-plan grâce à une fine délinéation lumineuse.

Dans la figure 6.34 (extraite du Brasier ardent, Ivan Mosioukine. 1923),


une lumière venant par en-dessous suggère la présence d'un feu hors-champ.
Ce type d’éclairage est souvent utilisé dans les films d’horreur pour sa capacité
à déformer les traits d'un personnage, mais il peut aussi servir d'indication
réaliste, comme dans cet exemple.

La lumière zénithale, provenant d’une source placée au-dessus du sujet, est


illustrée par la figure 6.35 (Shanghai Express, Josef von Sternberg. 1932). Ici,
Figure 6.34
un spot se trouve presque à la verticale au-dessus du visage de Marlène
Dietrich. Von Sternberg a souvent utilisé un tel éclairage qui permet de mode­
ler le visage des acteurs. (La lumière du plan extrait de Quand la ville dort
(fig. 6.28) est elle aussi zénithale, mais ne cherche pas un effet -glamour».)

L'éclairage peut aussi être caractérisé par sa source. Un réalisateur de docu­


mentaire est parfois obligé de tourner en lumière ambiante, celle qui corres­
pond au lieu et au moment du tournage. Dans la plupart des films de fiction,
on installe des sources artificielles supplémentaires pour contrôler au mieux
les qualités photographiques de l’image. Les lampes que l'on voit à l’écran, sur
des tables, dans une rue, ne sont pas les principales sources d’éclairage d'une
scène. Ces sources visibles sont généralement placées dans le décor de façon à
indiquer une origine vraisemblable de la lumière, elles justifient les choix du
Figure 6.35 réalisateur et du chef opérateur. La fenêtre du fond et la lampe au premier

220
IWIIU C LJ PLfiH . 19 mm JH !HH

Figure 6.36

plan à droite, dans la figure 6,36 extraite de Miracle en Alabarna (The miracle
worker, Arthur Pcnn. 1962) sont censées être les seules sources lumineuses de
la scène, mais l’on peut voir les nombreux projecteurs qui furent en fait utili­
sés se refléter sous forme de minuscules points blancs sur le verre de la lampe.
Les réalisateurs et les chefs opérateurs parlent de l'hypothèse qu’il faut au
moins deux sources de lumière: une lumière principale (key lighl) et une
lumière d'appoint (fill light). La lumière principale, qu'on appelle couram­
ment l'arra<jucou Vcffet, fournit leclairage dominant et produit les ombres les
plus fortes. La lumière d’appoint, généralement appelée lumière d'ambiance,
vient compléter la précédente en adoucissant ou éliminant certaines ombres
(ce pourquoi on l’appelle aussi «lumière de compensation » ou parfois • lumière
de bouchage»), La combinaison de ces deux sources, associées à d’autres, per­
met de maîtriser précisément l'aspect de la lumière.
La lumière principale peut être dirigée vers le sujet sous n'importe quel
angle, comme nos différents exemples de directions d’éclairages l’ont déjà
montré. Planche 28 (un photogramme de Ivan le terrible) l'attaque vient de
sous le personnage et un éclairage d'appoint plus doux et plus vague vient Figure 6.37

effleurer le décor derrière lui.


Dans le photogramme de La roue (Abel Gance, 1923) présenté en 6.37, un
franc contre-jour est équilibré par une lumière d’attaque venant de la gauche
de l’écran, qui ombre légèrement la moitié gauche du visage de l'actrice. Cette
partie du visage n’est pas totalement noire (comme c’est le cas en 6.31 ) grâce à
un éclairage d’appoint placé à droite.
On voit en 6.38 un plan du Pré de Béjine (Sergueï Eisenstein, 1935) où le
réalisateur a multiplié les sources et les directions de lumière. La lumière prin­
cipale vient de la gauche; elle produit un fort contraste sur le visage de la
vieille femme au premier plan et un effet plus doux sur celui de l’homme
grâce à un appoint venant de la droite. Cette lumière éclaire aussi le nez et le
Figure 6.38
front de la femme.

221
Pflfilll. J - L( JI8U

Le cinéma classique hollywoodien est à l'origine d’une sorte de tradition


qui consiste à employer au moins trois sources de lumière par plan : lumière
principale, lumière d’appoint et décrochage. On voit en 6.39 la configuration
la plus élémentaire de ces trois sources pour un sujet unique. Le décrochage
vient de derrière, au-dessus du personnage; la lumière principale vient légère­
ment de biais, face à lui. et l’appoint, plus éloigné du personnage et moins
intense, est placé près de la caméra. Si un autre acteur vient s’ajouter au dis­
positif, la lumière principale de l’un est modifiée pour devenir le décrochage
de l'autre, et un appoint est installé des deux côtés de la caméra.
Bette Davis joue le personnage le plus important de L'insoumise (Jezebel,
William Wyler, 1938) et l'on voit en 6.40 de quelle façon l'éclairage trois
points focalise l’attention sur elle. Un décrochage venant par le haut, à droite,
éclaire ses cheveux et dessine la courbe supérieure de son bras gauche. La
Figure 6.39 lumière principale est à gauche, illuminant fortement son bras droit;
l'appoint vient par le côté droit de la caméra. Cet ensemble crée des ombres
très douces qui n’aplatissent pas le visage de Davis mais le modèle, lui don­
nent du volume. (Remarquez la très légère ombre de son nez.) décrochage
et la lumière principale servent aussi à éclairer, plus discrètement, la femme
qui se trouve au second plan à droite. D’autres éclairages d’appoint (que l'on
pourra désigner sous le terme générique de - lumière d'ambiance-) tombent
sur le décor et sur les quelques personnes se trouvant au fond à gauche.
L’éclairage trois points est apparu pendant l’àgc d'or des studios hollywoo­
diens et il est toujours largement employé. La planche 23 présente une image
de La rose pourpre du Caire (The purple rose of Cairo. Woody Allen, 1985) où
les deux personnages som modelés par une forte lumière principale venant de
Figure 6.40 la gauche, un appoint venant de la droite de la caméra et un léger décrochage
permettant de marquer le contour des vêtements. Le bureau derrière eux est
éclairé plus sobrement, comme il est d’usage pour une lumière d’ambiance.
Ce système d'éclairage nécessite que les projecteurs soient repositionnés à
chaque changement de cadrage. Malgré le coût que cela représente, il est cou­
rant, dans le cinéma hollywoodien, qu’à chaque position de la caméra corres­
ponde un éclairage particulier. Ces variations de sources et de directions de
l'éclairage ne sont pas réalistes, mais elles permettent aux réalisateurs de créer
des compositions nettes pour chaque plan.
L'éclairage trois points était particulièrement adapté à l’éclairage dit *high
key*, qui caractérise le classicisme hollywoodien et d’autres traditions ciné­
matographiques. Le high key est un système d’éclairage où les lumières prin­
cipales et d'appoints servent à amoindrir les contrastes entre les zones les
plus brillantes et les zones les plus sombres. La lumière y est généralement
douce, les ombres, relativement transparentes. Les photogrammes extraits de

222
CW1LU L- LOiail U BJJJ IB L£LB4

Figure 6.41 Figure 6.42

L'insoumise (fig. 6.40) et La rose pourpre du Caire (planche 23) donnent des
exemples d'éclairage high kcy. Les réalisateurs et les chefs opérateurs hol­
lywoodiens l'ont souvent utilisé pour les films d'aventure et les drames.
Le high kcy ne sert pas seulement à représenter une situation où la lumière
est très vive —l’éblouissement d'une salle de bal ou d'un après-midi
ensoleillé —, c'est une conception générale de l'éclairage qui s’adapte à la
représentation de différentes situations lumineuses ou de différents moments
de la journée. Observons, par exemple, deux photogrammes de Retour vers le
futur : dans le premier (fig. 6.41 ), le high key correspond à une lumière diurne
et au clinquant d’un bar; dans le second (fig. 6.42), extrait d’une scène noc­
turne, il se reconnaît à la douceur générale d'un éclairage peu contrasté et à
l'aspect nuancé des ombres.
Le low key, à l’inverse, produit des contrastes importants et des ombres
profondes. La lumière y est souvent dure, les appoints y sont réduits ou élimi­
nés pour créer un effet général de chiaroscuro, de clair-obscur, où l'image peut
contenir à la fois des zones extrêmement sombres et des zones extrêmement
lumineuses. La figure 6.43 est extraite de Kanal (Andrzej Wajda, 1957). La Figure 6.43

lumière d'appoint et la lumière principale y sont moins intenses que dans le


système du high kcy; les ombres qui envahissent le tiers gauche de l'écran res­
tent dures et opaques. La figure 6.44 présente un plan low key de La soif du
mai où la lumière principale, très dure, vient du côté droit. Welles a éliminé
les appoints et les décrochages pour créer des ombres profondes et plonger les
personnages dans un abîme de noir.
Nos exemples indiquent bien que le low kcy caractérise surtout des scènes
à l'atmosphère lourde, mystérieuse; c'était un procédé courant du film d'hor­
reur dans les années 30 et du bien nommé film noir dans les années 40 et 50. Il
a été remis à la mode dans les années 80 par des films comme Blade Runner
(Ridley Scott, 1982) ou Rusty lames (Rumb/e fish, Francis Ford Coppola,
1983). Dans Le Sud (El Sur, Victor Ericc, 1983), le low key produit des effets Figure 6.44

223
saisissants de clair-obscur qui décrivent le monde des adultes ici qu’un enfant
l'imagine, plein de mystères et de dangers.
L’éclairage doit être pensé en fonction des déplacements des acteurs. Il y a
certains avantages à conserver une lumière égale en chaque point du décor,
même si le résultat est peu réaliste. À la fin des Nuits de Cabiria (Federico
Fellini, 1957), l'héroïne s'avance vers nous en diagonale, accompagnée par
une troupe de jeunes musiciens. La lumière sur son visage ne change pas et
l’on peut ainsi relever d'infimes changements d’expression (figs. 6.45,6.46). À
l'inverse, un personnage peut s'avancer à travers une combinaison d'ombres
et de lumières. Le combat à l'épée de Rashomon est dramatisé par le contraste
Figure 6.45
entre la férocité des personnages et l'aspect champêtre de l'éclairage mou­
cheté qui envahit le sous-bois ( fig. 6.47).
Comme toute autre technique l'éclairage peut, au cours du film, devenir
un motif. La rose, pourpre du Caire raconte l’histoire d’une femme prise entre
un mari brutal, abusif, et scs rêveries autour d’un héros de cinéma (qui sort
de l'écran pour venir à sa rencontre). Les scènes où elle est avec ce personnage
sont traitées dans un high key modéré qui met en oeuvre le système à trois
points (planche 23). Les scènes avec son mari, chez elle, ont cette lumière
dure, contrastée, caractéristique du low key (planche 24).
Nous avons tendance à croire qu'il n’y aurait que deux couleurs de lumière
pour l’éclairage de cinéma — le blanc de la lumière solaire, la légère teinte
jaune des lampes à incandescence. Les réalisateurs veulent généralement tra­
Figure 6.46
vailler avec la lumière la plus blanche possible: en plaçant des filtres devant la
source de lumière, ils ont tout contrôle sur son apparence finale. La teinte de
la lumière peut être justifiée par un élément appartenant à la scène filmée; les
chefs opérateurs utilisent souvent des filtres pour recréer les nuances orangées
d’un éclairage à la bougie, comme c’est le cas dans Lt chambre verre (François
Truffaut, 1978) (planche 26). Dans Ecrit sur du vent (Writtcn on the wind,
Douglas Sirk, 1957), l’éclairage bleu violacé est donné comme la couleur de la

Figure 6.47

224
lhhjh t - u uu inuru uni

nuit (planche 27). La lumière colorée peut aussi être irréaliste : dans la
seconde partie de Ivan le terrible, une lumière bleue non-diégétique est sou­
dainement projetée sur un acteur pour exprimer sa terreur ei ses doutes
(planches 28 et 29). Un tel changement des fonctions stylistiques — la cou­
leur a ici un rôle ordinairement réservé au jeu de l’acteur — est d'autant plus
efficace qu'il est inattendu.
Nous prêtons généralement peu d’attention à la lumière qui nous entoure
et pour la même raison, la lumière d’une image de cinéma est facilement per­
çue comme «naturelle». Ixs caractéristiques visuelles d’une image sont pour­
tant essentiellement déterminées par la qualité de la lumière, sa direction, sa
source et sa couleur. Le réalisateur peut manipuler et combiner ces différents Figure 6.48
facteurs pour façonner de diverses manières l'expérience du spectateur.
• L'aventure et le drame de la lumière» est sans doute l'élément le plus impor­
tant d’une mise en scène.

Expressions et mouvements des figures


Le réalisateur a aussi le contrôle d’un certain nombre de figures. Le mot
«figure» couvre un vaste champ sémantique : il peut désigner un être humain
ou un animal (Lassie, l'âne Balthazar ou Donald Duck), un robot (R2D2 et
C3PO dans La guerre des étoiles), un objet (voir les chorégraphies de bou­
teilles, de chapeaux de paille et d’instruments de cuisines dans Ballet mécani­
Figure 6.49
que), une simple forme (les triangles et les cercles de Ballet mécanique). A
travers la mise en scène, ces figures expriment des sentiments et des pensées
ou produisent des effets cinétiques.
Le photogramme présenté en 6.48 est extrait des Sept samouraïs (Sichinin
no samurai, Akira Kurosawa, 1954). Le samouraï vient de se battre victorieu­
sement contre les bandits; seule la pluie semble être en mouvement dans le
cadre, mais la posture des deux hommes, fourbus, voûtés, s'appuyant sur
leurs lances, exprime encore la tension consécutive au combat. À l’inverse, la
violence du mouvement et de l’expression de James Cagney dans une scène de
L'ettfer est à lui (White heat, Raoul Walsh, 1949) où, en prison, il apprend la
mort de sa mère,exprime une sorte de fureur psychotique (fig. 6.49).
Au cinéma, le mouvement et l’expressivité ne sont pas les propriétés du
seul corps humain. Comme nous l’avons dit au chapitre 2, les techniques de
l'animation peuvent mettre en mouvement des objets, dessinés ou en trois
dimensions. C’est par la technique de l’image par image que les monstres et
les robots des films de science-fiction sont dotés de gestes et d’expressions : au
tournage, les positions successives d’une figurine sont enregistrées — chaque
position correspondant à un ou deux photogrammes— pour restituer à la

225
HIIIIJ - MU —

projection un mouvement relativement continu. I.e massacre commis par le


robot tueur ED-209 au début de Robocop (Paul Verhoeven. 1987) fut filmé
image par image avec une miniature haute de 30 centimètres (fig. 6.50) (un
modèle en taille réelle, non articulé, était utilisé pour les plans d'ensemble).
La même technique sert aussi des esthétiques plus abstraites — voir par exem­
ple la séquence d’animation de pâte à modeler dans Dimensions de dialogue
(Moznosti dialogu, Jan Svankmajer, 1982) (fig. 6.51 ).
Un réalisateur peut mettre en scène une action sans objets ou personnages
Figure 6.50 en trois dimensions. L'animation par cellulo, par exemple, nous donne à voir
des dessins d’Ailadin ou de Dafty Duck. il peut aussi mêler une action filmée
en temps réelle, avec des acteurs, à des éléments animés. James Cameron a
ainsi créé, grâce aux images de synthèses, les terrifiantes métamorphoses du
cyborg de Terminator 2. (Se reporter aux «Notes et Points d’interrogation»
pour des compléments sur les rapports de l’image de synthèse à la mise en
scène).

Le jeu et le réel. Expressions et mouvements sont plus souvent considérées


comme le fait d'acteurs jouant des rôles que celui de formes abstraites ou de
figures animées. Une interprétation est conçue pour être filmée; elle est cons­
tituée d’éléments visuels (apparence, gestes, expressions faciales) et sonores
Figure 6.51 (voix, bruits). Elle peut être uniquement visuelle —ce fut le cas pendant
toute la période du film muet — ou uniquement sonore : dans Chaînes conju­
gales (A leiter fo three wives. Joseph Mankiewicz, 1949) le personnage joué par
Cclesle Holm, Addic Ross, commente en voix off les images mais n’apparait
jamais.
L'interprétation est souvent jugée suivant des critères réalistes. Des idées
générales sur les comportements humains ordinaires sont sans doute néces­
saires à une bonne compréhension des problèmes de l'interprétation, mais
elles ne sauraient servir à évaluer le travail d’un acteur.
11 y a eu diverses conceptions du réalisme de l'interprétation au cours de
l’histoire du cinéma. Le jeu de Dustin Hoffman et de lom Cruisc dans Rain
Man (Barry Levinson, 1988) ou celui de Susan Sarandon et Geena Davis dans
Thelma et Louise (Ridley Scott, 1991 ) nous semble correspondre, aujourd’hui,
aux comportements ordinaires de nos contemporains. Dans les années 50 le
style de l’Actors Studio, celui de Marion Brando dans Sur les quais ou Un
tramway nommé désir (A streetcar named desire, Eiia Kazan, 1952), était lui
aussi considéré comme très réaliste. On peut continuer d'apprécier le travail
de Brando, mais il parait maintenant tout à la fois réfléchi, appuyé et assez
peu réaliste. On pourrait dire la même chose des acteurs, amateurs et profes­
sionnels, du néoréalisme de l'après guerre : dans ces films qui furent acclamés,
à l’époque, comme des peintures quasi documentaires de la vie italienne, on

226
( « 1 MJ »U-Lt Mil .il IVHI.IHK

voit aujourd'hui la ressemblance de certaines interprétations avec le jeu éla­


boré des acteurs hollywoodiens. (L’une des principales actrices du néoréa­
lisme. Anna Magnani. alla travailler à Hollywood, où elle gagna un Oscar,) Et
nous devenons déjà sensibles au travail formel de quelques grandes perfor­
mances naturalistes des années 70. par exemple celle de Robert de Niro dans
Taxi driver (Martin Scorccse, 1976). On ne peut pas savoir comment Rain
man ou Thelma et Louise seront reçus dans quelques décennies.
Ça n'est pas seulement à cause de ces changements que la notion de réa­
lisme doit être employée avec précautions dans l'analyse ou la critique du tra­
vail d'un acteur. Un film n'aspire pas nécessairement au réalisme, et il existe
autant de style de jeu qu’il en existe de mise en scène. Il faut toujours essayer
de comprendre vers quel type d'interprétation tend un film. Si une interpréta­
tion non-réaliste permet de mieux remplir les fonctions attribuées au jeu dans
le système formel d'un film, c’est vers elle que l’acteur orientera son travail.
Dans Le magicien d'Oz, l'irréalisme récurrent de l'interprétation est au service
de la représentation d'un monde imaginaire : personne ne sait comment se
comporte une «vraie» sorcière. Le réalisme n'est que l’une des possibilités de
l'interprétation. L'outrance du jeu procure aux publics des grosses productions
— celles qui viennent de Hollywood, d’Inde, de Hong Kong— une grande
part de leur plaisir. Le spectateur ordinaire n’attend aucun réalisme du jeu de
Jim Carrey ou de celui des stars des arts martiaux, Bruce Lee ou Jackie Chan.
En regardant un film de fiction, nous savons plus ou moins que l’interpré­
tation, telle que nous la voyons à l’écran, est le fruit du métier et des décisions
prises par l'acteur. En disant d'un acteur qu’il «fait dans la démesure» par
exemple (ou qu'il est, disent les Anglo-saxons, « bigger thon life»), nous recon­
naissons implicitement le «métier», l'art de cet acteur et son caractère inten­
tionnel. 11 est généralement nécessaire, pour analyser un film, de dépasser les
préjugés sur le réalisme de l'interprétation et d’en examiner précisément les
fonctions.

Le jeu . fonctions et motivation. Hollywood fui agité par une importante


polémique, en 1985, lorsque Steve Martin n'obtint pas d’Oscar pour son
interprétation dans Ali of me (Cari Reiner, 1984). Dans ce film, Martin joue
un homme doni le corps est soudainement possédé, dans sa moitié droite, par
l’àmc d'une femme qui vient de mourir. Pour représenter ce corps divisé,
l'acteur change brusquement de voix, invente des pantomimes acrobatiques.
11 n'y a bien sur aucun «réalisme» possible pour ce rôle; l’interprétation de
Martin est non seulement virtuose, mais en total accord avec le contexte de
cette comédie fantastique.
Un jeu plus retenu et plus «réaliste» n’aurait pas convenu au contexte
du genre, du récit et de la mise en scène de Ali of me. Pour déterminer les

227
fonctions d'une interprétation, i! faut donc définir les autres facteurs formels
— la chaîne causale ou les conventions du genre auquel appartient le film. Et
pour évaluer cette interprétation, il nous faut d'abord observer, sans aucune
considération sur son réalisme, si clic est en accord avec les fonctions du per­
sonnage interprété.
On peut aborder les styles d’interprétation selon deux grands principes;
un jeu sera plus ou moins individualisé et plus ou moins stylisé. Ces deux cri­
tères servent souvent, de façon implicite, à juger du «réalisme» d’une inter­
prétation, en se demandant si elle contribue à créer un personnage autonome
et si elle n’est pas trop exagérée ou. au contraire, contenue.
On considère généralement qu'une bonne interprétation est celle qui pro­
duit une forte individualisation du rôle, mais dans de nombreuses cinémato­
graphies c’est la création de types, anonymes et universels, qui prévaut. Le
récit hollywoodien classique est basé sur une collection de stéréotypes idéolo­
giquement codifiés : le flic irlandais affecté à une surveillance, le domestique
noir, le préteur sur gages juif, la serveuse ou la »girl» toujours amusante. Les
acteurs étaient sélectionnés et dirigés pour se conformer à ces stéréotypes,
dont les plus talentueux parvenaient parfois à renouveler les conventions.
Plusieurs réalisateurs soviétiques des années 20 employèrent un procédé
identique, le typage, suivant lequel les acteurs devaient représenter les diffé­
rents archétypes d'une classe sociale ou d'un mouvement historique. Au
début de La grève, le capitaliste en haut-de-forme ressemble à une caricature
de dessin animé (fig.6.52) qui sera, au cours du film, opposée aux ouvriers
courageux et résolus (fig. 6.53).
L’interprétation peut donc être plus ou moins «typée», mais aussi plus ou
moins stylisée. Une longue tradition du jeu cinématographique vise la res­
semblance à ce que l'on estime être un comportement réaliste, souvent à par­
tir des caractéristiques psychologiques du personnage. Woody Allen et Diane
Keaton jouent l'introspection, dans Annie Hall (Woody Allen, 1977), par des

Figure 6.52 Figure 6.53

228
(iiMiti tu nsi i.i. ii.li d mit

Figure 6.54 Figure 6.55 Figure 6.56

gestes vagues et de légers changements d’expressions qui conviennent parfai­


tement à un film où les personnages essaient de connaître et d’exprimer leurs
sentiments (fig. 6.54). Des émotions plus intenses et plus explicites dominent
Winchester 73, dans lequel James Stewart joue un homme conduit par un
désir de vengeance. Sa douceur apparente explose parfois en brusques colères
qui révèlent sa névrose (fig. 6.55).
Les déterminations psychologiques ont moins d’importance dans un film
comme Haute pègre (Trouble in paradise, Ernst Lubitsch, 1932), une comédie
de mœurs sophistiquée où des personnages stéréotypés sont placés dans des
situations comiques. En 6.56, deux rivales font semblant d'étre amies; le
Figure 6,57
comique nait de l’exagération des sourires et des gestes.
Dans Ivan le terrible, tout est exacerbé — la musique, les costumes, les
décors — pour créer un portrait démesuré du personnage principal. l>es ges­
tes larges et heurtés de Nikolai Tcherkassov s’accordent parfaitement aux
autres éléments formels du film et contribuent à son unité (fig. 6.57).
Un film peut combiner différents degrés de stylisation : dans Amadeus
(Milos Forman, 1984). les gloussements grotesques de Tom Hulce s’opposent
à l'interprétation mesurée de Murray Abraham pour accentuer le contraste
entre le gai et insupportable génie du jeune Mozart et la musique policée,
ennuyeuse, du vieux Salie ri.
La stylisation qui est au principe des grands rôles du Cabinet du docteur
Caligari, d’h-nn le terrible ou d’Amudeus procède par extraversion et exagéra­
tion. Mais la stylisation peut aussi résulter d’une grande économie des effets.
Les films de Robert üresson sont, à ce litre, remarquables : les acteurs, souvent
non professionnels, y atteignent un étal de quasi inexpressivité déconcertant
par un travail très précis sur les gestes des personnages.
Jean-Marie Straub et Danièle Huillct vont encore plus loin dans cette
direction. Dans Non réconciliés ou Chronique d’Anna Magdalena Bach ( 1967),

229
mm i - jj mu

des acteurs non professionnels disent leurs textes de façon impassible ou n’ont
parfois pas de texte du tout. Le spectateur est incité à les considérer non plus
comme des êtres doués d’une psychologie mais comme les récitants d'un texte
écrit à l'avance. Nous devenons ainsi très conscients du caractère convention­
nel de nos attentes relatives au jeu des acteurs, et ces attentes s’en trouvent
peut-être élargies.

Le jeu dans le contexte des autres techniques. En observant la fonction de


l’interprétation dans un film, nous pouvons aussi interroger sa relation aux
autres techniques cinématographiques. Certains films, par exemple, en accen­
Figure 6.58 tuent le caractère purement visuel. Conrad Veidt, au cours de son interpréta­
tion dansée de Cesare, le somnambule du Cabinet du docteur Caliguri. se
confond presque avec les graphismes du décor. Son corps est comme les
arbres : même inclinaison, même désarticulations figurant les branches et les
feuilles (fig. 6.58). Le caractère graphique de cette scène est, on le verra plus
loin en esquissant une histoire des styles, caractéristique de l'expressionnisme
allemand.
Dans bout de souffle, Jean-Luc Godard juxtapose le visage de Jean Scberg
et une toile de Renoir (fig. 6.59). Elle est impassible, restant dans le cadre et
tournant simplement la tète. Son interprétation est, dans tout le film, plate et
inexpressive; c’est son visage et son allure générale qui travaillent au rôle,
celui d'une américaine assez mystérieuse qui reste inaccessible à son petit ami
Figure 6.59 parisien.
Une interprétation est transformée par le montage. Les acteurs de cinéma
sont parfois dénigrés parce que, à la différence des acteurs de théâtre, ils ne
seraient pas soumis à la nécessité d'une continuité de l’interprétation : là où
l'acteur de théâtre fait une présentation unique et parfois très longue de son
personnage, le travail de l'acteur de cinéma est morcelé, tant au tournage
qu'au montage. Cela esi souvent un avantage pour le réalisateur. S'il existe
plusieurs prises pour un même plan, le monteur a le choix du meilleur geste
et de la meilleure expression et, de plan à plan, recrée une interprétation com­
posite théoriquement meilleure que n'importe quelle interprétation continue.
L'ajout de sons ou la combinaison avec d’autres plans parfont encore cette
création de l’intcrprélalion. Le réalisateur peut demander à un acteur de sim­
plement écarquiller les yeux et regarder fixement hors-champ; si le plan sui­
vant montre une main tenant un pistolet, le spectateur pensera sans doute
que l'acteur exprimait de la frayeur. Nous revenons sur la construction d’une
interprétation par le montage au chapitre 8.
Les techniques de prises de vues créent aussi des situations de jeu particu­
lières. La comparaison avec le théâtre fait souvent dire que l'acieur de cinéma,
parce qu’il peut être proche de la caméra, adopte un jeu plus modéré, alors

230
-LOPlItl C - U PLAN . 18 Bl.il U

que c'est plutôt un constant mélange de retenue et d’emphase qu’il doit prati­
quer.
On ne sera jamais aussi près d’un acteur de théâtre qu'on peut l’être d'un
acteur de cinéma. Mais un film n’est pas seulement composé de gros plans; en
fait, la caméra peut être à n’importe quelle distance d'une figure. Filmé de très
loin, l’acteur devient un point sur l'écran — plus minuscule qu’il ne nous
apparaîtra jamais depuis le plus lointain balcon d'un théâtre. De très près, la
caméra en révèle les mouvements les plus infimes.
L’acteur doit donc savoir adapter son jeu en fonction de sa distance à la
caméra : loin d'elle, ses mouvements devront être plus amples, son jeu, passer
Figure 6.60
par un plus grand nombre de déplacements; proche, la moindre contraction
d'un muscle du visage devient sensible. Il y a, entre ces deux extrêmes, toute
une gamme de variations possibles.
Fondamentalement, une scène peut se concentrer soit sur les expressions
faciales d’un acteur soit sur les mouvements de son corps. La première possi­
bilité passe en général par l'emploi du gros plan, même si un gros plan peut
aussi avoir pour sujet une autre partie du corps que le visage. Les gestes de
l’acteur deviennent le centre de l'interprétation lorsqu’il est éloigné de la
caméra ou lorsque son visage est occulté.
Ce que nous voyons de l'interprétation d'un acteur de cinéma est donc
déterminé à la fois par la mise en scène de l'action et par la distance de la
caméra. Dans La stratégie de l'araignée (La strategia del ragno, Bernardo Figure 6.61

Bertolucci, 1970), de nombreux plans montrent les deux personnages princi­


paux depuis un point de vue éloigné, de telle manière que toute leur interpré­
tation tient en une démarche associée à des détails comme le port très raide
du parapluie de l'héroïne (fig. 6.60). Dans les scènes dialoguées, nous voyons
leurs visages (fig. 6.61 ).
En revenant sur quelques-uns uns des exemples précédents, nous obser­
vons en 6.6 que les acteurs sont placés de chaque côté du jardin, loin de la
caméra. Elle est si loin des acteurs, figure 6.1 !, que chacun devient une partie
anonyme du mouvement général de la foule. En 6.20, 632,6.48,6.57 et 6.58,
l’interprétation passe d’abord par des attitudes corporelles, à l'inverse des
figures 6.14,6.22, 6.33, 6.35, 6.37, 6.38, 6.49, 6.53, 6.55 et 6.56 où les visages
sont suffisamment proches pour que le moindre changement d’expression
soit visible. Une interprétation se donne généralement comme la combinai­
son d'une expression du visage et de gestes corporels, comme on le voit claire­
ment en 6.61 ; on peut aussi se reporter aux figures 6.13,6.31,6.49,6.53.6.54,
6.55 et 6.56. En 6.27, des gestes minuscules deviennent décisifs.
Ces facteurs techniques sont particulièrement importants lorsque l'inter­
prétation n’est pas le fait d'acteurs ou d'êtres humains. Des animaux peuvent

231
donner une bonne in ter prêtai ion grâce au cadrage cl au montage. La peur
apparente de lonesy, le chat de Aliens, vient d'une accentuation de son feule­
ment et de son mouvement de recul au moyen de la lumière, du cadre, du
montage et du mixage sonore (fig. 6.62). Ce type de manipulation est encore
plus présente dans les films d'animation. Dans Fétiche mascotte, les visages et
les gestes d’un démon et d'un voleur en conversation ont des changements
subtils entièrement créés, image par image, à partirdc poupées (fig. 2.12).
Figure 6.62
Comme les autres éléments composant un film, l'interprétation offre un
champ infini de possibilités et ne peut être évaluée selon des critères généraux
ignorant le contexte concret de la forme du film.

La mise en scène dans l'espace et dans le temps


Les décors, les costumes, l’éclairage, l'expression et le mouvement des figures
sont les différentes composantes d'une mise en scène, qui apparaissent rare­
ment seules et, le plus souvent, se combinent pour créer un système formel
spécifique. Les principes fondamentaux de la forme définis au chapitre 3
— cohérence, ressemblance, différence et développement — vont nous aider
à analyser ces corrélations, pour comprendre comment la mise en scène dirige
notre attention, conduit notre regard, à un moment donné, vers une certaine
partie de l’écran.
Notre appareil de vision est habitué à percevoir des changements spatiaux
et temporels. Nos yeux et notre cerveau sont plus aptes à remarquer des diffé­
rences qu'à se concentrer sur des stimuli prolongés et uniformes. De fait, la
mise en scène provoquera notre attention d'abord par les changements de
certaines qualités de l’image : lumière, forme ou mouvement.
Le regard a toujours un but : la façon dont nous regardons est déterminée
par ce que nous nous attendons à voir. Les attentes et les suppositions qui
informent notre regard sont basées sur nos expériences antérieures, notre
connaissance des oeuvres d'art et du réel. En regardant une image de cinéma,
nous faisons des hypothèses à partir d’un grand nombre de facteurs.
Un de ces facteurs est l'organisation globale de la forme filmique. Dans un
film narratif, les personnages et leurs actions offrent à notre regard des
signaux très forts. Si un plan présente une foule, nous chercherons à y recon­
naître un personnage vu dans les scènes précédentes. De la même façon, le
son peut attirer notre attention vers des 7ones précises de l'image (voir le
chapitre 9) ou un intertitre, nous indiquer ce qu’il faut regarder dans le plan
suivant. Nous allons consacrer notre élude aux facteurs spatiaux et temporels
qui, dans la mise en scène, de façon isolée ou structurée, déterminent notre
appréhension de l’image.

232
cwnu c - u nia il œ.iu la su ni

L'espace
Il existe plusieurs sortes d’espaces cinématographiques. L’image projetée sur
un écran est plate et présente une composition délimitée par un cadre,
comme une photographie ou un tableau. La disposition des figures réglée par
la mise en scène fait la composition de l'espace de l’écran. Cette composition
en deux dimensions consiste en l'organisation de formes, de textures, de
lumières et d’ombres. Dans la plupart des films, cette composition représente
par ailleurs un espace à trois dimensions où se déroule l’action. L’image proje­
tée sur l’écran étant plate, la mise en scène doit fournir au spectateur des indi­
cations qui lui permettent d’imaginer les trois dimensions de la scène. Par la Figure 6.63
mise en scène, le réalisateur guide donc notre regard sur l'écran, détermine
notre perception de l’espace représenté et met l’accent sur certaines de ses
parties.

Nous sommes habitués, au cinéma, à différents types de changements


visuels : mouvements, différences de couleurs, équilibrage des éléments compo­
sant l'image, variations de tailles. Notre sensibilité à ces changements permet
au réalisateur de diriger notre attention a travers les deux dimensions du
cadre.
Nous remarquons plus rapidement ce qui bouge que ce qui est statique.
Nous sommes sensibles au plus léger mouvement apparaissant à l’écran. Dans
la première image de Watchiug for the Quecn de David Rimmcr. totalement Figure 6.64

fixe, nous prêtons attention aux mouvements des rayures et de la poussière


sur la pellicule que nous ignorons habituellement (fig. 6.63).
Il y a de nombreux éléments qui pourraient attirer notre attention dans
l’image présentée en 6.64 —extraite de Récit d’un propriétaire (Nagaya
shinshiroku, Yasujiro Ozu, 1947) — mais c’est une feuille de journal agitée par
le vent qui, dans ce cadre par ailleurs totalement immobile, attire soudain
notre oeil. Lorsque plusieurs cléments en mouvement apparaissent, comme,
par exemple, dans une scène de bal, notre attention vagabonde, s'attache à des
signaux différents ou aux éléments narratifs les plus saillants. Le Lincoln qui
apparaît en fond de plan, dans la figure6.65, extraite de Vers sa destinée
(Young Mr.Lincoln, John Ford, 1939), est presque immobile par rapport aux
danseurs du premier plan. Mais, personnage principal, il au centre d’un cadre Figure 6.65
où les autres ne font que passer rapidement : le spectateur peut détailler ses
gestes et ses expressions, aussi réduits soient-ils à côté de ceux des danseurs.
Comme le peintre, le réalisateur peut employer des effets de contrastes de
couleurs pour guider notre perception — en plaçant par exemple des couleurs
vives sur un fond plus pâle. On observe des effets de ce type dans Les alouettes
sur le fil (Skrivànci na niti, Jiri Menzel, 1969), où les vêtements clairs des

233
PAÛII4 î - H UJJJL

personnages ressortent sur les gris terreux el les noirs de l'entrepôt d’un fer­
railleur (planche 30).
Lors-que les intensités lumineuses sont équivalentes, les couleurs chaudes,
celles appartenant à la gamme des rouges, oranges et jaunes, attirent plus
l'attention que les couleurs froides, les violets et les verts. Le décor et les costu­
mes des personnages de Yai (Yilmaz Güney, 1982) ont des teintes chaudes,
mais la veste rose du personnage agenouillé en fait le premier objet du regard
(planche 31).
Le réalisateur concevra parfois la couleur de son film en fonction de ce que
les peintres appellent une - palette limitée» : un nombre réduit de couleurs
qui n'entrent pas en contraste, par exemple une combinaison de blanc, de
bruns, de gris et de noir. Z (Jan Lcnica, 1964) est un film d’animation qui met
en œuvre une palette colorée extrêmement limitée, n’égayant son noir et
blanc tramé que par la brève apparition de fleurs aux couleurs pastel (planche
32).
Une palette limitée permet au spectateur d’avoir une perception plus fine
de l’intensité, voire de la saturation des coloris. Le plan extrait du Casanova de
Fellini, évoqué plus haut (planche 15). utilise différentes nuances de rouges.
Meurtre dans un Jardin anglais (The Draug/ttsman contract, Peter Greenaway.
1982) développe une palette de couleurs froides (planche 33).
La monochromie est une réduction extrême de la gamme colorée employée
dans une image : le réalisateur choisit de ne travailler qu'avec une seule cou­
leur, en faisant varier sa pureté et sa luminosité. Nous avons déjà vu un exem­
ple de monochromie avec le blanc-sur-blanc de THX 1138 (planche 16); on
observe très souvent dans les films d'action des années 7Û et 80 un voile
argenté ou bleu-gris qui domine les séquences de combats — voir la planche
34, extraite de -4 better tomorrow III (Yinghung bunsik 111, Tsui Mark, 1989).
lin monochromie, la moindre petite tâche d’une couleur contrastant avec
celle qui domine le reste de l'image attirera immédiatement l’attention du
spectateur. Par rapport aux tons métalliques dominant Alicns, même un jaune
terne — celui d'un engin de chargement monté sur des échasses — suffit à
désigner un accessoire important pour la suite du récit (planche 35).
Le spectateur est aussi sensible aux changements de tonalités dans les films
en noir et blanc, où les couleurs des décors, des costumes, des lumières et des
Figure 6.66 figures deviennent des nuances de blancs, de gris et de noirs. En général, nous
remarquons plus rapidement les formes claires que les formes sombres. En
6.66, plan extrait de La mère (Mat', Vsevolod Poudovkine, 1926) le regard se
concentre spontanément sur le visage de l'homme plutôt que sur le noir qui
l'entoure (de même dans les figures6.31 à 6.38). Si differentes plages lumi­
neuses rivalisent dans la composition, comme en 6.54 et 6.59, nous aurons

234
i - K pus .JJ nu (Lipi

Figure 6.67 Figure 6.68 Figure 6.69

tendance à aller de l’une à l’autre. Des formes sombres peuvent devenir


saillantes si elles s’inscrivent sur un fond lumineux et sont nettement dessi­
nées. En 6.58, facteur et les arbres attirent immédiatement notre regard parce
qu'ils se détachent violemment sur le fond clair.

On appelle équilibre d'une composition la distribution plus ou moins


égale des masses et des éléments visuels importants sur la surface de l’image.
Les réalisateurs considèrent souvent qu'un spectateur se concentre plus sur la
moitié supérieure du cadre (sans doute parce que c’est là que se trouvent,
dans la majorité des plans, les visages des personnages). Cette moitié néces­
site. de fait, moins de «remplissage» que la partie inférieure.

Le cadre est un rectangle dont il faut aussi équilibrer tes moitiés gauche cl
droite. La symétrie est le procédé de composition le plus radical pour y
parvenir: elle informe par exemple la mise en scène du banquet de mariage de
Ivan le terrible (fig. 6.67) ou. sur un mode plus grandiose, la scène de bataille
de La vie sur un fil (Bian zou bianchang, Chen Kaigc, 1991 ) (planche 36).

Ces symétries presque parfaites sont moins courantes qu'un vague équili­
brage. généralement réalisé en plaçant une figure au centre de la composition
et en réduisant l'importance des éléments périphériques —c’est ce que l'on
voit par exemple en 6.68, image extraite de La règle du jeu, ou en 6.14, 6.35.
6.37 et 6.40. Il est aussi possible d’équilibrer deux ou plusieurs figures pour
faire circuler le regard entre elles, comme dans cet autre plan de La règle du jeu
(6.69) et en 6.38, 6.56 ou 6.59. L’équilibre peut être très marqué, comme en
6.56, ou plus inégal, comme en 6.48, où ion voit d’abord les deux silhouettes
au centre avant de remarquer les villageois accroupis à l’extrême gauche du
cadre. Ces exemples montrent que nous recherchons des éléments ou des
actions signifiantes dans les zones déterminées par l'équilibre de la composi­
tion.

235
n«ll( ) - “ 11,11

Notre perception de l’image projetée peut aussi être déterminée par un


déséquilibre dans la composition. Un plan du Voleur de bicyclette (Ladri di
bicidettc, Vittorio de Sica, 1948) met l’accent sur le nouvel emploi du père en
concentrant la plus grande partie de la composition dans la moitié droite du
cadre (fig. 6.70). On trouve un exemple plus audacieux dans Le cri (Il grido.
Michelangelo Antonioni, 1957: fig.6.71) où, plutôt que d'équilibrer la com­
position avec les corps de l'homme et de la femme, le réalisateur choisit de
placer l’homme au centre du cadre et de charger la moitié droite de la compo­
sition avec un tronc d’arbre. Nous verrons au chapitre 8 comment le montage
peut équilibrer deux plans aux compositions déséquilibrées.
Figure 6.70
Nos efforts de perception pour repérer les différences visuelles affectent
aussi notre compréhension des tailles des figures. Dans un plan fixe, nous
remarquons d’abord les formes les plus grandes : en 6.11, les colonnes et les
gigantesques statues babyloniennes sont plus importantes, pour la composi­
tion, que les acteurs ou les ombres des marches; en 6.31, nous regardons
d'abord le visage de l'acteur et le papier qu'il tient, pas les petites étiquettes
blanches sur les rangées de tiroirs, qui sont pourtant aussi lumineuses et pla­
cées dans la même portion de l’écran. Mais la prégnance de la taille d'une
figure dans une composition peut être contrariée par un mouvement, une
couleur ou un équilibrage qui attire rapidement notre attention vers une
petite partie de l'image. Si l’une des étiquettes blanches tombait, nous le
remarquerions aussitôt.
Ces principes de composition ne font pas seulement que guider notre
regard sur la surface de l’écran. Presque toutes les mises en scène veulent aussi
suggérer un espace à trois dimensions, abstrait ou figuratif, réel ou fictif.
Différents facteurs visuels contribuent à créer l'impression que l’image
présente un espace à trois dimensions ou se déroule l'action; ils constituent ce
que l'on appelle généralement des indices de profondeur. Notre compréhen­
sion de ces indices se développe à partir de notre connaissance réelle de
l'espace et des corps ainsi que de certaines conventions de la représentation
théâtrale ou picturale. Au cinéma, ils sont entièrement produits par la
lumière, le décor, les costumes et le «jeu» des figures.compris au sens large de
leur interprétation, s'il s’agit de figures humaines, comme de leurs simples
mouvements ou façon de se trouver dans l’espace de la scène, s'il s’agit
Figure 6.72 d’objets.
L'espace représenté parait à la fois volumineux et composé de différents
plans. Lorsque nous parlons du volume d’un objet, nous désignons son occu­
pation concrète d’un espace à trois dimensions. Le volume est suggéré, dans
un film, par des formes, des ombres et des mouvements. Nous ne percevons
pas les visages des figures 6.59 et 6.72 (cette dernière, extraite de La Passion de

236
1WI1U C - lUlfiH Lfi 11114 (B KHI

Jeanne d’Arc) comme ceux de poupées plates découpées dans du papier : la


forme des têtes, des épaules, évoquent des corps pleins, les ombres donnent
vie à des courbes qui modèlent les traits des acteurs. Nous supposons que
l'actrice de la figure 6.59 peut tourner la tète, ci que nous verrons alors un
profil.

Certaines compositions des films abstraits n'évoquent aucun volume,


notamment parce qu elles peuvent mettre en œuvre des formes qui ne s’appa­
rentent à aucun objet connu du spectateur. Ainsi les formes présentées par la
figure 6.73, un photogramme de Begone DullCart (Norman McLaren, 1949),
ne produisent aucun effet de profondeur : elles n'ont pas d’ombres, ne res­ Figure 6.73
semblent à rien de connu et n'ont pas de mouvements qui, en montrant de
nouvelles vues de ces formes, en suggéreraient le volume.

La profondeur de l’espace représenté est aussi stratifiée en différents plana


où prennent place les personnages et les objets. On distingue, du plus proche
au plus lointain, le premier plan (ou, de façon moins précise, l'avant-plan), le
second pian et l'arrière-plan.

Seul un écran parfaitement vide est composé d'un seul plan. Toute forme,
fut-elle abstraite, qui apparaît sur cette surface la transforme en arrière-plan.
Nous percevons les quatre formes en S de la figure 6.73 comme inscrites par­
dessus le fond plus clair, alors qu'elles sont strictement sur la même surface.
L'espace est ici composé de deux plans, comme dans la peinture abstraite, et
c’est le recouvrement de l’un de ces plans par l'autre qui constitue une indica­
tion de profondeur. (les formes en S semblent occulter une partie du «fond»
et être ainsi plus proches de nous. )

Le recouvrement, ou chevauchement, peut permettre de définir un grand


nombre de plans dans la profondeur. U planche 21 présente une image
extraite de La chinoise où l'on distingue trois plans : les pages découpées dans
des magazines de mode forment un arrière-plan partiellement caché par le
visage de la femme, lui-même dissimulé dans le bas par sa main. Dans le sys­
tème de l'éclairage trois points, la technique dite du décrochage renforce les
effets de recouvrement des plans par une accentuation des contours des per­
sonnages ou des objets (revoir les figures 6.33,6.38 et 6.40).

Le même effet peut être obtenu au moyen de la couleur. Les couleurs froi­
des ou pâles ont tendance â reculer, les couleurs chaudes à avancer — les pre­
mières sont souvent employées pour les arrière-plans, les décors, et les
secondes pour les costumes ou tout ce qui doit venir au premier plan. On en
donne encore un exemple avec les couleurs chaudes de la robe de l'héroïne de
Sambizanga (Sarah Maldoror, 1972), qui se détachent sur un fond pâle (plan­
che 37) mais il faut aussi revoir les planches?, 12,13 et 35.

237
WII[ 2 - UJJ1LL

Les films d'animations utilisent en général des couleurs plus vives, plus
saturées que les autres types de films, et peuvent par conséquent produire des
effets de profondeurs plus forts. La grenouille de One froggy evtning (Chuck
lones, 1955), avec sa peau d'un vert brillant et son parapluie jaune, jure sur le
rouge sombre du rideau ci le beige de la scène. Dans l'image extraite de Bambi
(Walt Disney, 1942) présentée planche 39, la stratification spaiiale est créée
par un contraste entre des teintes pastel et d’autres plus sombres : on trouve
un jaune lumineux au premier plan, puis le noir et blanc pur de la moufette,
des tons pastel derrière elle et un vert sombre pour l'arrière-plan.
Des contrastes de couleurs très atténués peuvent suffire à créer un effet de
profondeur. Dans L'argent (planches 6-8), Robert Brcsson utilise une gamme
réduite de couleurs froides et un éclairage relativement uniforme, mais la
composition met toujours en valeur plusieurs plans par de légers chevauche­
ments de masses sombres, brunes et bleutées. Ce sont de légères différences
dans les nuances de rouge qui étagent les plans de l'image extraite de Casa­
nova (planche 15), et l'impression de profondeur est produite, dans celle que
nous empruntons à Meurtre dans un jardin anglais (planche 33), par la succes­
sion des verticales noires et la gradation des verts en bandes horizontales de
valeurs égales. La stratification de la scène est ici clairement manifestée.
La planche 22 (La Chinoise} évoque un autre facteur dans la production de
l'effet de profondeur : le mouvement — ici, celui de la fumée au premier plan.
Le mouvement, au cinéma, fournît l'une des plus importantes indications de
la profondeur : il suggère à la fois les volume*; et la succession des plans. Il faut
aussi remarquer, planche 22, un autre facteur important, i'ombre portée du
personnage.
La perspective aérienne est une autre façon d'indiquer une profondeur, par
atténuation progressive des plans les plus lointains. Notre appareil de vision
interprète généralement les contours et les matières les plus nets, les couleurs
les plus pures comme appartenant au premier plan. Dans des vues de paysa­
ges, l'aspect flou et grisé des plans lointains peut être dû à de véritables effets
atmosphériques, comme dans Le ntttr (Duvar, Yilmaz Güney, 1983) (planche
40). Même lorsque cet effet est minime, notre vision assigne les contrastes
forts au premier plan (voir planche 37). La manipulation conjointe de l'éclai­
rage et du point sert souvent à estomper les arrière-plans. Dans La charge de la
brigade légère (Charge of the Light Bngade, Michael Curtiz, 1936) un effet de
perspective aérienne est créé artificiellement par la combinaison d’une
lumière diffuse au fond et d'un manque de netteté général de l'image
(fig. 6.74).
Le photogramme présenté en 6.75, extrait de Chronique d’Anna Mag-
Figure 6.74 dalena Bach, montre un effet de profondeur produit par plusieurs facteurs :

238
(upnu c - u Hfiti . u nin u îUm

chevauchement, ombres portées et diminution progressive de la faille des


figures. Plus une figure est petite, plus nous la croyons lointaine et plus
l'espace nous parait profond.

On a avec cette même photographie un exemple spectaculaire de perspec­


tive linéaire. Nous revenons sur les relations perspectives au chapitre suivant,
parce qu’elles résultent autant des caractéristiques de l'objectif de la caméra
que de la mise en scène. Remarquons seulement pour le moment qu’une forte
impression de profondeur est produite par la convergence, à l'infini, de lignes
supposées être parallèles. Li figure 6.75 illustre une perspective linéaire
décentrée (le point de convergence n’est pas te centre géométrique du cadre) ;
Figure 6.75
la planche 33 donne un exemple de perspective linéaire centrée.

Dans la plupart des exemples que nous avons déjà donnés, la mise en scène
ne sert pas seulement à focaliser notre attention sur des éléments du premier
plan mais plutôt à créer une relation dynamique entre le premier plan et le
fond. Planches 21 et 22, Godard maintient l’attention sur l'ensemble de la
composition en utilisant des arrière-plans saillants: planche 21, nous
balayons rapidement du regard toutes les images qui sc trouvent derrière
l'actrice et planche 22. nous sommes conscients de la présence du mur rouge
vif derrière le personnage même en essayant de nous concentrer sur son visage.
Dans ces deux derniers exemples, la profondeur de l’espace est réduite : le
Figure 6.76
plan le plus proche et le plan le plus lointain ne sont que très légèrement sépa­
rés. La tendance inverse consiste à les séparer par une distance importante,
comme dans l'image extraite de Chronique d’Anna Magdalena Bach ou plu­
sieurs scènes de Cendres et diamant (Popiôi diament, Andrzej Wajda, 1958), où
l’effet est marqué par une forte disproportion entre les figures du premier
plan et celles de l'arrière-plan (fig. 6.76).

La «profondeur» ou le «peu de profondeur» de l'espace créé par une mise


en scène sont relatifs. La plupart des compositions présentent une profondeur
moyenne, qui se situe entre les extrêmes que nous venons d’évoquer. Une
composition pourra par exemple présenter un espace relativement profond
Figure 6.77
que d’autres indications spatiales viendront aplatir. Dans Boy meets girl (Lcos
Carax, 1984) le personnage au premier plan participe à la fois de l’espace peu
profond défini par le mur du métro et de la profondeur créée par le trompe
l’œil derrière lui (fig. 6.77).

À ce point de notre étude, vous pouvez vouloir revenir à des plans montrés
plus haut dans le chapitre. Vous remarquerez que ces images emploient les
indications de profondeur —chevauchement, mouvement, ombre portée,
perspective aérienne, diminution de la taille et perspective linéaire— pour
créer des relations précises entre le premier plan et l'arrière-plan.

239
muo - u uju

Le fait que nous soyons sensibles aux différences visuelles permet aux réa­
lisateurs de diriger notre appréhension d'une mise en scène. Toutes les indica­
tions créant l’espace de l'histoire interagissent, travaillent ensemble à
l’accentuation de certains éléments du récit, à la focalisation de notre atten­
tion et à l'organisation de relations dynamiques entre différentes parties de
l’image. Cette interaction est particulièrement claire dans deux plans de Jour
de colère.
Dans le premier plan (fig. 6.78), Anne, l'héroïne, se tient debout devant
une cloison ajourée. Elle ne parle pas, mais son statut de personnage principal
en fait déjà le centre de notre attention. Le décor, l'éclairage, le costume et
Figure 6.78
l’expression de son visage confirment nos attentes. Le décor produit un motif
de lignes horizontales et verticales que viennent interrompre les courbes déli­
cates de son visage et de ses épaules. La lumière divise le cadre en une zone
claire, à droite, et une zone sombre à gauche, dont Anne est le point de
rencontre; son visage est modelé par la lumière principale, relativement dure,
venant de la droite, ainsi que par une faible lumière zénithale tombant sur ses
cheveux et une légère lumière d’appoint. Son costume répète cette distinction
franche entre zone claire et zone sombre —le col blanc qui ponctue la
robe noire, le liseré blanc de la coiffe — pour, une fois de plus, souligner le
visage.
L’image produit un faible effet de profondeur. On distingue un arrière-
plan et un premier plan très proches. L’arrière-plan, dominé par la géométrie
rigide de la grille, fait du visage attristé du personnage l’élément le plus
expressif du cadre, attirant immédiatement notre attention. Cette même grille
divise le cadre horizontalement en deux parties égales; celle du bas est mar­
quée par la verticale sombre de la robe, celle du haut par la présence du visage,
légèrement décentré à gauche mais tourné vers la droite de façon à compenser
le vide. (Imaginez, le déséquilibre de la composition si elle regardait vers la
caméra et que la même portion d'espace était laissée vide à droite.) L’équilibre
recherché par la composition contribue donc à mettre en valeur l’expression
du personnage. On voit que, sans aucun mouvement, Dreyer a établit un sys­
tème de relations entre les lignes et les formes, l'ombre et la lumière, le pre­
mier plan et l’arrière-plan.
Dans le second plan (fig. 6.79), notre attention est soumise à un mouve­
ment de va-et-vient. C'est à nouveau le récit qui nous guide dans notre appré­
hension de l’image, les personnages et la charrette étant des éléments narratifs
essentiels. Ix son nous aide, puisque Martin est à ce moment là en train
d’expliquer à Anne a quoi sert la charrette. Mais la mise en scène joue aussi un
rrtle. La différence de taille des figures cl les ombres portées permettent d’éta­
blir que le couple se trouve au premier plan et la charrette, à l’arrière-plan.
Figure 6.79
L'espace est, par rapport au plan précédent, relativement profond (avec un

240
■twimt- U HH ,-imiuiKm

premier plan éloigné de la caméra). Ixs figures sont nettement dessinées,


sombres sur fond clair. À la différence de h plupart des plans du film, les sil­
houettes se trouvent dans la moitié inférieure du cadre, ce qui donne une
importance inhabituelle à cette partie de l’image et oblige à l'équilibrer sui­
vant un axe vertical, avec le passage de la charrette. Notre regard se porte suc­
cessivement sur ces deux éléments.
Des procédés identiques sont parfois mis en œuvre dans des films en cou­
leurs. Un plan de Fin d'automne (Akibiyori, Yasujiro Ozu, 1960) (planche 41)
attire i'auention du spectateur sur une femme, au centre du cadre et au pre­
mier plan. Les indices de profondeur sont nombreux. Le chevauchement per
met de situer les deux personnages dans deux avant-plans différents qui
précèdent une série de plans plus distants. Un effet de perspective aérienne est
produit par le flou des quelques feuilles que l’on aperçoit à gauche. Un mou­
vement de tête de la mariée souligne l'espace qu elle occupe. Les objets dimi­
nuent de taille avec la profondeur. Le costume lumineux de la mariée,
constitué de tissus rouges, argentés et dorés, fait ressortir la figure sur le
fond pâle et froid; de plus, ces couleurs font revenir un motif qui était présent
dans le tout premier plan du film (planche 42 : le rouge et l’argent des che­
minées).
Dans tous les cas évoqués, la composition de l’image et les indices de pro­
fondeur concentrent l'attention du spectateur sur des éléments narratifs. Ça
n’est pas toujours le cas: dans Lancelot du Lac (Robert Bresson, 1974), une
palette limitée à des teintes sombres et métalliques permet de valoriser des
couleurs plus chaudes; lors d’une scène où des chevaliers en conversation sont
réunis au centre du cadre, sur deux avant-plans différents (planche 43), une
couverture violette pendant au flanc d’un cheval qui passe attire notre regard,
nous distrayant de l'action en cours. Cette utilisation de la couleur devient
l'un des motifs stylistiques du film.

Le temps
Le plan et la perception que nous en avons sont temporels. Comme on le
verra plus loin lors de l’étude des techniques du montage (chapitre 8), le réali­
sateur décide du temps pendant lequel un plan reste à l’écran. Dans les limites
définies par cette durée, il contrôle aussi le déroulement temporel du plan,
son rythme. La question du rythme au cinéma est très complexe et pas encore
totalement explorée; on peut dire, en général, quelle met en jeu une mesure
(que l’on désignera aussi sous le nom de pulsation ou de battement), un
tempo et des accents (des variations de l’intensité des pulsations).

241
mm b u ntii

Ces notions nous sont plus familières lorsqu’il s’agit de danse filmée : nous
sommes conscients du fait que les mouvements corporels de Fred Astaire ou
Ann Miller obéissent à des schémas rythmiques très précisément définis, et il
devrait en être de même pour n'importe quel mouvement dans une mise en
scène. Un mouvement peut avoir à 1 écran une pulsation particulière — celle
du clignotement d'une enseigne lumineuse ou du roulis d’un bateau. Il peut
aussi avoir un certain tempo — celui de l’accélération des voitures dans une
poursuite — ou créer des moments d'accentuation, qui focalisent l'attention
sur un instant précis.
Ces facteurs se combinent dans la perception du rythme du plan. Dans la
figure 6.80, extraite de Jeanne Diehnan, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles
(Chantal Akerman, 1975), le personnage prépare un repas. Ce film féministe
insiste sur le quotidien routinier d’une femme au foyer, en Belgique; dans de
nombreux plans les mouvements sont lents et de faible ampleur, mais parce
Figure 6.80
que rien d'autre ne vient en perturber le rythme, ils créent à eux seuls
des moments d'accentuation. Le rythme de l’ensemble du film concentre
l'attention sur des variations infimes et progressives des habitudes du person­
nage.
La figure 6.81 présente un plan beaucoup plus dynamique, extrait de
42hne rue, où l’on trouve de fortes oppositions de mouvements. L’anneau cen­
tral et l'anneau extérieur formés par les danseurs tournent dans un sens con­
traire à celui de l’anneau du milieu et les danseurs impriment un mouvement
de va-et-vient à des bandes brillantes de tissus, pour créer une composition
quasi abstraite qui se développe sur un tempo rapide, avec une mesure et des
accents très marqués — autant d’éléments qui correspondent au contexte de
la séquence, celui d’un numéro musical.

Figure 6.81 Les danseurs de rue sont parfaitement synchrones. A l’inverse, la


figure 6.82 présente un plan de Piaytime où tous les mouvements ont des
vitesses différentes, leurs propres caractéristiques visuelles, leurs propres espa­
ces et trajectoires. Cette démultiplication des mouvements correspond à la
tendance du cinéma de Tati à composer dans le cadre des séries de gags qui
attirent tous en même temps notre attention.
Nous balayons du regard le cadre d’une image cinématographique, à la
recherche d’informations. Ce parcours visuel prend du temps; il est rare
qu'un plan puisse être embrassé d’un seul coup d’œil. Nous avons en général
une première impression d'ensemble qui crée certaines attentes formelles,
confirmées ou modifiées par la circulation du regard dans le cadre.
La façon dont notre œil balaye la surface d’une image est fortement
influencée par la présence de mouvements. Dans une composition fixe, par
Figure 6.82 exemple celle du premier plan de Jour de colère évoqué plus haut (fig.6.78),

242
< U F ! U I C - Ll FLfi H Lfl ffl IU l« i (l« l

notre attention peut rester concentrée sur un seul élément (ici, le visage du
personnage). À l’inverse, une composition en mouvement rend plus sensible
le déroulement du temps, en faisant circuler notre regard entre les différentes
parties de l'image suivant les vitesses, les directions et les rythmes des élé­
ments qui la composent. Dans l’autre plan extrait de four de colère (fig. 6.79),
Anne et Martin nous tournent le dos (ce qui réduit la visibilité de leurs
expressions et de leurs gestes) et se tiennent debout, immobiles. Le seul mou­
vement dans le cadre est celui de la charrette, qui attire immédiatement noire
attention. Mais lorsque Martin se met à parler et se retourne, nous revenons
au couple, puis à nouveau à la charrette en une sorte de va-et-vient dynami­
que de notre attention, ici, la mise en scène contrôle à la fois et que nous
regardons et quand nous regardons.

Ce processus de «balayage» de l'image ne consiste pas seulement à parcou­


rir sa surface d'un côté à l’autre; il y a aussi une façon de «regarder en
profondeur». Dans une composition profonde, le premier plan est souvent en
attente des conséquences ou de la suite d’une action qui a lieu en fond de
plan. «Composer en profondeur n'est pas seulement une question de richesse
visuelle», remarquait le réalisateur anglais Alexander Mackendrick. « Cela à
de l'importance pour le récit et pour le rythme d'une scène. À l'intérieur du
même cadre, le réalisateur peut organiser l'action de telle façon que l'on voit
se préparer ce qui va se passer à l’arrière-plan de ce qui est en train de se
passer.»

Dans une scène de La terre tremble (La terra tréma, Luchino Visconti,
1950), la composition en profondeur nous prépare à une activité au premier
plan à gauche, celle des femmes qui viennent, une à une, regarder une image
accrochée hors-champ (figs. 6.83, 6.84). Au moment le plus dramatique de
L'élégie d'Osaka (Naniwa erejii. Kenji Mizoguchi, 1936). l’héroïne, à l’inverse,
recule vers le fond du plan et l'obscurité. Ce mouvement et son passage à

Figure 6.83 Figure 6.84

243
PUI.U J, U1UXL

Figure 6.85 Figure 6.86 Figure 6.87

travers des zones d’ombres accroissent notre curiosité sur son état émotionnel
(figs. 6.85,6.86).
Un changement dans la frontalité des figures est une autre façon de diriger
la perception du spectateur dans le temps. Nous nous attendons généralement
à ce qu'un personnage de face fournisse plus d’informations qu'un person­
nage de dos. Ix spectateur ne s’attarde pas sur les figures qui sont retournées
et est attiré par celles qui se présentent frontalcment. Nous avons déjà com­
menté ce phénomène avec la seconde image extraite de four de colère
(fig. 6.79) et celles venant des Vampires (figs. 6.15,6.16). Dans La terre tremble
(fig. 6.87), le fait que les personnages des premier et second plan nous tour­
nent le dos favorise la perception de la profondeur, où se trouve le personnage
dont on voit le mieux le visage. Dans notre exemple tiré de L'élégie d'Osaka
(figs.6.85, 6.86), les deux personnages sont retournés: c’est par sa position
centrale et son déplacement que la femme attire notre regard.
L'usage de la frontalité permet au réalisateur de focaliser momentanément
l’attention sur les éléments de son choix. Durant une conversation entre trois
Figure 6.88 personnages des Ensorcelés (The bad and the beautiful, Vincentc Minnclli,
1952), nous nous concentrons d’abord sur l'exécutif du studio, à droite, qui
est le seul à être de face (fig. 6.88). Mais lorsque le producteur se retourne, sa
position centrale et frontale en fait le personnage le plus important (fig. 6.89).
Le même procédé est utilisé dans une scène de L'avwnlura, de façon plus
étonnante, au moment où les personnages sont l'un et l'autre, alternative­
ment, de dos et de face (figs.6.90, 6.91). Ces problèmes de fronlalités mon­
trent, au même titre que l’organisation des mouvements dans un volume
éclairé ou le remplissage des zones vides, ce que la mise en scène de cinéma
doit au théâtre.
Comme ensemble de techniques, la mise en scène contribue à la composi­
tion du plan cinématographique dans l'espace et dans le temps. Le jeu réci­
Figure 6.89 proque des décors, de l'éclairage, des costumes et de l'interprétation produit

244
(nniiH c -3-Oijn u mu u

des schèmes de mouvements, de couleurs et de profondeurs, de lignes et de


formes, de lumières et d’ombres qui précisent et construisent l'espace où se
déroule l’histoire ei mettent l’accent sur les informations narratives impor­
tantes, L'usage que fait le réalisateur de 1a mise en scène ne dirige pas seule­
ment notre perception d’instant en instant mais participe aussi à la création
de la forme globale du film.

Figure 6.90
Fonctions narratives de la mise en scène :
Les lois de /'hospitalité
Nous n'avons fait jusqu'ici qu’évoquer de façon générale les possibilités offer­
tes par la mise en scène. Dans un film abstrait la mise en scène peut servir à
créer des compositions purement visuelles; des films catégoriel, rhétorique ou
associatif s’en serviront pour diriger l'attention du spectateur, sa compréhen­
sion de ce qu'il voit ou les inférences qu'il en tire. Le reste du chapitre est con­
sacré à l'usage de la mise en scène dans les films narratifs.
Pour comprendre les informations relatives à l'histoire qui nous sont pré­
sentées dans un film narratif, nous devons comparer des lieux, identifier des
personnages, remarquer des gestes et des actions — autant d’éléments définis
en partie par la mise en scène. Un grand nombre des motifs qui reviennent au
cours d’un récit sont des éléments visuels de la mise en scène; ils peuvent
fournir le matériau des principes formels qui sont à la base de l'organisation
générale du film : sa cohérence, ses schémas de ressemblance, de différence et
de développement.
La mise en scène contribue au déroulement du récit puisque tout ce que
l'on voit à l’écran constitue le récit; mais des éléments de mise en scène peu­
vent aussi donner des informations sur l'histoire. Si un policier découvre un
cadavre, nous pouvons imaginer le meurtre. Si une femme raconte à une amie
un important épisode de son passé et lui montre une photographie de ses
parents, cette image fournit des informations sur des événements qui ne sont
pas directement mis en scène. De même, la plus ou moins grande restriction
de la narration peut passer par la mise en scène : tous les éléments du Cabinet
du docteur Caligari, par exemple, participe de la vision subjective d'un fou
(figs. 6.1 et 6.58). Caligari reste un cas extrême, mais il est par contre courant
que le savoir du spectateur soit réduit, dans une situation donnée et pour
quelques plans, à celui d’un personnage, notamment par la subjectivité per­
ceptive (nous voyons ce qu'écrit le personnage, ce qu'il voit par la fenêtre).
La mise en scène alimente nos attentes relatives aux événements narratifs.
Si nous voyons un personnage cacher une boite remplie de bijoux, nous nous

245
hiiii r- ii mu

demanderons si personne d’autre ne va la découvrir. Ce type d'attente dépend


souvent de conventions de genres: en voyant, dans un film burlesque, une
pâtisserie remplie de tartes à la crème, nous savons qu’il y aura bientôt une
bataille; un piano rangé dans un coin, dans une comédie musicale avec Judy
Garland et Mickey Rooney, finira par accompagner une chanson. Mais il n'y a
aucune règle absolue et un film narratif pourra souvent nous surprendre en
déjouant, par sa mise en scène, toutes les conventions.
La mise en scène ne produit pas seulement des effets ponctuels, elle est en
constante relations avec la totalité de la forme narrative du film. Les lois de
l’hospitalité, comme la plupart des films de Buster Keaton, illustre la façon
dont la mise en scène contribue à une économie de la progression narrative et
crée des ensembles structurés de motifs. Le film étant une comédie, la mise en
scène produit aussi des gags. Les lois de l'hospitalité montre donc que la mise
en scène, au même titre que les autres techniques et éléments constituant un
film, â toujours plusieurs fonctions.
Considérons par exemple la relation entre les décors du film et son récit.
Les décors permettent tout d'abord de diviser Les lois de l'hospitalité en diffé­
rentes scènes et de les comparer entre elles. Le film débute par un prologue
montrant comment la querelle entre les McKay et les Canfield a eu pour con­
séquence la mort du jeune Canfield et celle du mari McKay. Nous voyons les
McKay vivre dans une cabane; l'avenir du plus jeune enfant de la famille,
Willic, est incertain. Sa mère s'est enfuie avec lui de leur maison du Sud pour
aller vers le Nord (action qui nous essentiellement racontée par un intertitre).
Le récit élude plusieurs années pour entamer l’action principale avec
Willic. devenu adulte et vivant maintenant à New York. En contraste avec le
prologue, de nombreux gags concernent la vie dans la métropole américaine
au début du dix-neuvième siècle. Nous nous demandons comment un lien va
être établi entre ce décor et les scènes se déroulant dans le Sud et bientôt,
WiHie apprend qu’il a hérité de la maison de ses parents, qui se trouve dans
cette partie du pays. Suit une série de courtes scènes amusantes, où il prend
un vieux train pour retourner à sa maison natale. Keaton a utilisé, pour la réa­
lisation de ces scènes, des décors réels dont il a tiré des effets comiques surpre­
nant en modifiant de différentes manières le tracé de la voie ferrée.
Dans le reste du film, Willie évolue à l’intérieur et à l’extérieur de la ville.
Le jour de son arrivée, il se balade et se trouve pris dans une série de situations
comiques. La nuit, il dort dans la maison des Canfield et le lendemain, une
course poursuite s’engage, qui passe par la campagne et revient à la même
maison pour la résolution de la querelle. L’action repose donc de façon
importante sur des changements de décors qui décrivent les deux grands
voyages de Willie entre le Nord et le Sud, enfant et adulte, ainsi que ses

246
IMHIlIt t ■ Il liai . LU 11» tuait

détours pour échapper à scs ennemis. La narration est peu restreinte une fois
que Willic arrive dans le Sud, se concentrant sur lui ou les membres de la
famille Canfield. Nous en savons plus sur eux que Willie — nous les voyons
souvent en train de s'approcher des endroits où il se cache, par exemple.
Chaque décor remplit une fonction narrative particulière. La «propriété"
des McKay, que Willie imagine comme une grande maison, se révèle être une
cabane en ruine. Elle s’oppose à la maison des Canfield, vaste demeure de
planteurs ressemblant à un palais. En terme de fonction narrative, la maison
des Canfield prend une importance décisive lorsque le père interdit à scs
enfants de tuer Willie parce que ■ Notre code de l’honneur nous interdit de le
tuer tant qu'il est notre hôte.» (Dès que Willie entend cela, il décide de ne plus
quitter la maison.) I.a maison de ses ennemis devient donc, ironiquement, le
seul lieu sûr de toute la ville, et de nombreuses scènes sont consacrées aux
efforts des fils Canfield pour l’attirer dehors. À la fin du film, un autre décor
prend une grande importance : les prés, les montagnes, les bords d'une
rivière, les torrents et les chutes, tout ce qui compose le paysage à travers
lequel les Canfield poursuivent Willic. Cette poursuite et l'ensemble de la que­
relle prennent fin dans la maison, où il est accueilli en tant que mari de la fille
Canfield. Le développement du récit est clair, de la fusillade initiale dans la
maison des McKay, qui détruit le foyer de Willie, à la scène finale où il devient
membre d'une nouvelle famille, dans la maison des Canfield. Tous les décors
sont ainsi justifiés par la chaîne causale, par les parallèles, les oppositions et le
développement général du récit.
La même motivation narrative caractérise l’emploi des costumes. Willie est
habillé comme un jeune citadin un peu dandy, tandis que la noblesse sudiste
de l'aîné des Canfield est signifiée par son costume blanc de planteur. Les
accessoires prennent beaucoup d’importance : la valise et le parapluie de
Willie le campent dans son rôle de visiteur de passage, les pistolets omnipré­
sents des Canfield nous rappellent qu'ils ne veulent pas oublier le différend
familial. Un changement de costume — un déguisement féminin — permet à
Willic de fuir la maison des planteurs. La fin de la querelle est marquée par
l’abandon collectif des armes.
La lumière, dans Les lois de l'hospitalité, joue un rôle à la fois local et global.
Le film fait alterner systématiquement des scènes nocturnes, sombres, et des
scènes diurnes, lumineuses : la fusillade du prologue a lieu la nuit; le voyage
de Willie vers le Sud et sa balade dans la ville, le jour; la nuit, il va dîner chez
les Canfield où il reste dormir; le lendemain, il est pourchassé par toute la
famille; le film s’achève de nuit avec te mariage de Willie. Le film est éclairé
dans sa majeure partie suivant la méthode des trois points, sauf le prologue,
dominé par une dure lumière latérale. Lorsque l'aîné des McKay éteint la
lampe avec son chapeau, on passe d'un éclairage trois points aux effets

247
mm ] - li uw

Figure 6.92 Figure 6.93 Figure 6.94

relativement doux (fig. 6.92) à la violence d'une lumière principale venant de


côté, correspondant à la présence, hors-champ, d'une cheminée (fig. 6.93).
Plus tard, l’obscurité où se joue le meurtre est ponctuée de flashes lumineux
créés par les coups de pistolets et le feu de cheminée. Cet éclairage sporadique
nous dissimule une partie de l’action et contribue donc au suspense; les coups
de feux sont perçus comme des éclats de lumière, ei nous n’en connaissons les
effets — la mort des adversaires — qu’au flash suivant.

Le comportement des personnages est réglé par une forte économie


narrative : chaque mouvement, chaque expression a pour fonction d'alimen­
ter et de faire progresser la chaîne causale. La façon dont Canfield savoure son
Figure 6.95
sirop en le buvant à petites gorgées manifeste scs mœurs sudistes, comme sa
haute idée de l’hospitalité qui lui interdit de tuer un invité à l'intérieur de sa
maison. Tous les gestes de Wiliie expriment son manque d'assurance ou son
ingéniosité.

Le positionnement des personnages et des décors dans la profondeur


obéit, lui aussi, à une forte concision, par laquelle deux actions simultanées
sont souvent présentées dans la même image. Le cheminot conduit sa loco­
motive, et ses wagons le dépassent sur une voie parallèle (fig. 6.94) : dans le
même cadre, nous voyons à la fois la cause (l'insouciance du cheminot, pres­
que tourné vers le spectateur) et l'effet (les wagons décrochés qui accélèrent).
A un autre moment les fils Canfield, au premier plan, préparent l’assassinat de
Figure 6.96 Wiliie mais celui-ci, au fond, surprend leur conversation (fig. 6.95). Üans un
autre plan, Wiliie marche tranquillement au fond de Limage alors que l'un des
fils est embusqué au premier plan (fig. 6.96). Cette exploitation de la profon­
deur permet de resserrer, sur un mode narratif omniscient, la construction du
récit. En 6.95, nous apprenons en même temps que Wiliie le projet des Can-
fidd et nous nous attendons à ce qu'il fuit leur maison. En 6.96, nous savons
qu'il est danger mais il ne le sait pas. différence qui produit le suspense.

248
(WI1H C - LC HH . Lfl,JlUiaj(M _______ ,

Tous ces procédés d’économie narrative contribuent beaucoup à l'unité du


film, mais d'autres éléments de la mise en scène fonctionnent comme motifs
singuliers. 11 y a, tout d'abord, la dispute répétée entre un homme et une
femme anonymes : en allant pour la première fois voir sa «propriété», Willie
passe à côté d’un couple en train de se battre, l’homme étranglant la femme. 11
intervient, mais se fait rosser par la femme qui estime qu’il n’avait pas à se
mêler de leurs affaires. Au retour il passe à nouveau devant le couple, toujours
en train de se battre, et les évite soigneusement —ce qui n’cmpéche pas la
femme de lui lancer un coup de pied. Cette simple répétition concourt à la
cohérence narrative du film mais a aussi une fonction thématique, sorte de
plaisanterie sur les contradictions de la notion d’hospitalité. Figure 6.97

Il y a d’autres motifs récurrents. Le premier chapeau de Willie est trop haut


pour être porté dans un compartiment. (Il l’échangera, une fois écrasé,contre
l'habituel chapeau plat de Keaton.) Son deuxième chapeau sert à amuser les
Canfield, lorsqu’il demande à leur chien de lui rapporter. L’eau tst aussi un
motif important du film; sous forme de pluie, elle nous dissimule les meur­
tres du prologue et sauve Willie en l’empêchani de quitter la maison après
dîner («Sortir par une nuit pareille, ce serait la mort de n’importe qui ! »] ; elle
apparaît sous la forme d'une rivière dans la poursuite finale, et sous la forme
d'une chute — un barrage a explosé, l'eau tombe du haut d'une falaise — peu
après l'arrivée de Willie dans le Sud (fig. 6.97). Cette chute protège Willie en le
cachant (fig. 6.98, 6.99) et, plus tard, le mettra en danger, ainsi que la fille
Canfield (fig. 6.105). Figure 6.98

Deux motifs précis, appartenant aux décors, renforcent puissamment


l'unité du récit. Une broderie accrochée à un mur de la maison des Canfield,
sur laquelle est écrit: «Aime ton prochain», relie le début et la fin du film.
Dans le prologue, cette broderie incite l'aîné de la famille à essayer de mettre
un terme à la querelle et à la fin, alors qu’il enrage à la pensée que Willie
épouse sa fille, il se résout en la lisant à oublier les années de luttes. Ce dernier
changement d’attitude est rendu vraisemblable par la première apparition du
motif.

Des râteliers d’armes reviennent dans plusieurs scènes du film. Dans le


prologue, chacun des protagonistes va prendre son pistolet au-dessus de la
cheminée. Plus tard, lorsque Willie arrive en ville, les Canfield se précipitent
pour charger leurs armes. Dans l’une des séquences finales, ils reviennent chez Figure 6.99

eux sans avoir trouvé Willie et l'un des fils remarque que le râtelier a été vidé :
c’est Willie qui a pris tous les pistolets et, par précaution, les a gardés sur lui.
comme il le montrera dans le dernier plan au moment où les Canfield accep­
tent le mariage. On a donc ici la répétition, la variation et le développement
de quelques motifs créés par la mise en scène.

249
PûftlIL 2 - U ÎIULl

Les qualités des Lois de l’hospitalité ne tiennent pas seulement à la conci­


sion des liens entre le système narratif et les procédés de mise en scène. C'est
aussi une comédie, et des plus drôles : la mise en scène est au service de gags,
la plupart des éléments participant de l'économie narrative produisent des
effets comiques.
L’amusement vient des décors —la propriété délabrée des McKay, le
Broadway de 1830, le tunnel exactement découpé à la forme du train
(fig. 6.100) — comme des costumes — Willic, déguise en femme, est trahi par
un trou à l’arrière de sa jupe et plus tard, il habille un cheval avec les memes
vêtements pour distraire les Canfield. Le comique naît surtout du comporte­
Figure 6.100
ment des personnages. Un coup de pied du cheminot va trop haut et fait bas­
culer le chapeau du chef de train (fig. 6.101 ). (C’est le père de Kcaton, Joe, qui
jouait le rôle du chef de train. Ce gag était l’une des célèbres cascades qu’il
exécutait dans ses spectacles.) L’aîné des Canfield aiguise rageusement son
couteau à viande à quelques centimètres de la tète de Willie. Celui-ci, dans
une autre scène, coule à pic au fond d’une rivière et reste là un moment à
regarder à droite et à gauche, la main en visière pour se protéger du soleil,
avant de réaliser où il est. Plus tard, il descend à toute allure la rivière, jaillis­
sant de l’eau comme un poisson et glissant sur les rochers.
L'utilisation de la profondeur esi, avec la gestuelle des comédiens, l'aspect
le plus brillamment comique du film. La plupart des plans que nous avons
déjà évoqués ont un caractère comique, comme celui où le cheminot ignore
Figure 6.101 totalement la séparation des wagons et de la locomotive (fig. 6.94) et celui où
un fils Canfield aux intentions meurtrières attend Willic au premier plan
(fig. 6.96).
Le gag qui suit fa démolition du barrage utilise la profondeur de façon plus
surprenante. Pendant que les fils Canfield recherchent Willie dans toute la
ville, celui-ci est train de pécher, assis sur une saillie rocheuse. L'eau qui jaillit
tout à coup du barrage et tombe du haut de la falaise l'enveloppe complète­
ment (fig. 6.98). À cet instant précis, les Canfield envahissent le premier plan
en arrivant de chaque côté du cadre (fig. 6.99) sans voir Willie, caché derrière
le rideau aquatique qui forme un fond neutre pour leurs deux silhouettes.
Leur irruption soudaine est parfaitement inattendue, rien ne nous ayant indi­
qué qu’ils étaient si proches des lieux. La surprise est ici un facteur essentiel
du comique.
Les gags, s'ils sont essentiellement perçus de façon ponctuelle, sont aussi
rigoureusement structurés que les autres motifs du film. Le voyage fournil
une structure narrative qui permet de développer une série de gags suivant
le principe formel du thème et des variations. Durant le voyage vers le Sud,
plusieurs gags ont pour origine une même idée : des gens croisent le train;

250
(HJIIH C - 14 Hflï . U 911.4 4» UIHI

Figure 6.102 Figure 6.103 Figure 6.10-1

certains le regardent passer, un clochard monte sur les bielles, un vieil homme
jette des pierres sur la locomotive. Dans une courte série de gags, c’est la voie
cllc-mèmc qui fournit le • thème-, les variations se déclinant sous la forme
d’une portion de voie cabossée, d’une autre bloquée par un âne, d’une autre
pleine de courbes et de virages et, enfin, de l’absence totale de voie.
La série la plus complexe met en œuvre le motif du «poisson au bout de la
ligne», Peu après son arrivée, Willie va pécher et remonte un minuscule pois­
son avant qu’un autre, énorme, le tire dans l’eau (fig. 6.102). Plus tard, après
quelques mésaventures, il se retrouve lié par une corde à l’un des fils Canfield.
Cette «corde ombilicale» est l’occasion de nombreux gag; Canfield va notam­
Figure 6.105
ment être projeté dans l’eau comme Willie précédemment.
Le plan le plus drôle du film est peut-être celui où, au moment de la chute
du fils Canfield (fig. 6.103), Willie comprend qu’il va lui aussi être précipité en
bas (fig. 6.104). Après s’être libéré de son ennemi, Willie conserve la corde
attachée à la taille. Dans le climax, elle lui permet de rester suspendu à un
tronc au-dessus des chutes comme un poisson au bout d’une ligne
(fig. 6.105). Ici encore, on constate qu’un élément rempli plusieurs fonctions,
le dispositif du « poisson au bout de la ligne » fait avancer le récit, devient un
motif unifiant le film et prend place dans une série structurée de gags mettant
en jeu Willie au bout de sa corde. Les lois de l’hospitalité devient ainsi un
exemple remarquable d'intégration de la mise en scène à la forme narrative.

Résumé
Il faut aborder une mise en scène de façon systématique pour pouvoir
l’étudier : observer les décors, les costumes, l'éclairage et le jeu des acteurs, en
essayant pour commencer de suivre l’évolution d’un seul de ces éléments sur
l’intégralité du film.

251
■M1ILL1 - U <î|U

11 s'agi» ensuite de considérer l'organisation des différents éléments de la


mise en scène. Comment fonctionnent-ils ? Comment créent-ils des motifs
qui se développent à travers le film ? Puis remarquer comment la mise en
scène, organisée dans l'espace et dans le temps, attire et dirige l'attention du
spectateur, crée des effets de surprise ou de suspense.
Il faut enfin essayer de mettre en relation le système de la mise en scène et
la forme générale du film, en oubliant tout préjugé sur le réalisme au profit
d’une ouverture aux multiples possibilités de la mise en scène. C’est à cette
condition que l’on pourra en déterminer les différentes fonctions.

Notes et Points d'interrogation

Sur le réalisme et la mise en scène


De nombreux théoriciens ont vu dans le cinéma le moyen d'expression réa­
liste par excellence. Pour Siegfried Kracauer, André Bazin ou V.F. Perlons, la
puissance du cinéma vient de sa capacité à présenter une réalité reconnaissa­
ble. Ils ont souvent jugé de l'authenticité des costumes et des décors, du
- naturalisme» de l'interprétation et de la lumière. «La première fonction du
décor», a écrit V.F. Pcrkins, «c’est de fournir à l'action un environnement
vraisemblable» (Film as film. Baltimore. Penguin. 1972, p. 94). André Bazin
louait le néoréalisme italien des années 40 pour «sa fidélité au quotidien dans
le scénario, la vérité des rôles confiés aux acteurs».
Bien qu'une mise en scène soit toujours le résultat d'une série de choix, la
théorie réaliste met en avant des réalisateurs dont la mise en scène a
Vapparence de la réalité. Selon Kracauer, même certains numéros de comédies
musicales peuvent paraître improvisés (voir le chapitre 4 de Theoryoffilm) et
Bazin voit dans un conte cinématographique comme Le ballon rouge
(A. Lamorisse, 1953) un film réaliste parce que * l'imaginaire ( y a ] sur l'écran
la densité spatiale du réel » (Qu est-ce que le cinéma ?, p. 56).
Pour ces théoriciens, un réalisateur a la tâche de représenter une réalité his­
torique. sociale ou esthétique à travers une mise en scène. La «contro-verse»
réaliste ne sera pas discutée dans le cadre de ce livre: pour quelques arguments
qui s'y opposent, voir Noèl Burch, Une praxis du cinéma et Sergueï Eisenstein,
«Un point de jonction imprévu-.dans Le film: saforme/son sens, pp. 23-32.

Images de synthèse et mise en scène


Ces dernières années, le contrôle des réalisateurs sur la mise en scène a été
étendu par les technologies informatiques. L'animation numérique met en

252
(UMHC U nu UJllLU'«.>■

oeuvre un programme créant lui-même des images. Les techniques liées à


l'image de synthèse permettent de mêler une action réelle et des éléments
— dessins, photographies ou images vidéo — créés ou modifiés par ordina­
teurs après leur numérisation. On peut ainsi extraire n’importe quelle partie
d’une image pour en modifier les couleurs, la faire tourner ou la faire se
déplacer. L’animation ainsi obtenue passe sur un moniteur électronique à
haute résolution, filmé en 35mm.
Une autre technique est celle du digital composing employée dans Termina-
tor 2 pour la création du cyborg T-1000. Une grille géométrique peinte sur le
Corps de l'acteur en mouvement a permis, une fois numérisée (transformée
en informations binaires manipulables par un ordinateur) d’en modifier les
mouvements et les postures image par image. Depuis Ternunator 2, la sophis­
tication des logiciels a rendu possible la création d’«acteurs» à partir de
modèles numérisés et animés. L'exemple le plus connu est celui du troupeau
de dinosaures (des gallimimus) dans Jurassic Park. Sur ces deux films, on
pourra se reporter aux articles de |ody Duncan mentionnés dans la bibliogra­
phie de ce chapitre.
Ce mélange entre actions réelles et images numériques devrait être à l'ori­
gine de nouvelles possibilités filmiques. Le désir de Méliès — étonner et fasci­
ner le public par la magie de la mise en scène — continue de porter ses fruits.

La profondeur
Les historiens de l'art ont longuement étudié les effets de profondeur dans les
images à deux dimensions. On répertorie en général cinq grands procédés
techniques de représentations de la profondeur, que nous avons tous évoqués
dans ce chapitre : la perspective linéaire, le travail des ombres, la séparation
des plans se succédant dans la profondeur, la perspective dite «atmosphé­
rique » ei l’effet perspectif obtenu par des contrastes de couleurs.
Le travail sur la planéilé et la profondeur, sur les qualités spatiales de
l’image de cinéma remonte aux premiers films, mais son approche critique
date seulement des années 40, lorsqu'André Bazin remarqua que certains réa­
lisateurs créaient, par leur mise en scène, une profondeur inhabituelle dans le
plan. Il constata ce travail chez F.W. Murnau (dans Nosferatu et L’aurore),
Orson Welles (dans Citizen Kane et La splendeur des Amberson), William
Wyler (dans La vipère et Les plus belles années de notre vie} et Iran Renoir
(dans presque tous ses films des années 30). Aujourd'hui, nous ajouterions
Kenji Mizoguchi (pour L'élégie d'Osaka, Les sœurs de Gion et d’autres œuvres)
et Serguei Eisenstein (pour La ligne généraleJvan le terrible et l’un de ses films
inachevés, Le pré de Béjine). Bazin a fait avancer de façon importante notre

253
compréhension de la mise en scène en faisant de la profondeur et de la pla-
néité des catégories analytiques (voir «L'évolution du langage cinéma­
tographique», dans Qu'est-ce que le cinéma?). Sergueï Eisenstein. que l’on
oppose souvent à Bazin, s'est aussi intéressé aux problèmes de profondeurs
dans scs cours des années 30 transcris par Vladimir Nijny dans Leçons de mise
en scène. Eiscnstein demanda à ses élèves de mettre en scène un meurtre en un
seul plan et sans mouvement de caméra, ce qui provoqua une utilisation sur­
prenante de la profondeur et de mouvements énergiques dirigés vers le spec­
tateur. On trouvera un commentaire de ces cours dans le livre de David
Bordwell, The cinéma of Eiscnstein.

La couleur
Les réalisateurs ont longtemps considéré que la couleur était un aspect impor­
tant de la mise en scène, capable de fournir de nombreux motifs à développer
au cours d'un film. Rouben Mamoulian, qui pensait que chaque couleur pro­
voquait une émotion particulière, voulait qu'un réalisateur utilise «toute la
gamme chromatique dans un même film ». Dreyer partageait cette opinion : il
insistait sur la nécessité, pour le réalisateur, d'organiser les combinaisons de
couleurs en une sorte de circulation fluide «qui produise un effet de mouve­
ment constant des personnages et des objets et fasse que les couleurs opèrent
de continuels glissements rythmiques et créent sans cesse de nouveaux et sur­
prenants effets, quand elles se heurtent à d’autres couleurs ou se fondent en
elles.» («Film en couleur et film colorié», p. 90.)
Pour Stan Brakhagc, le cinéma doit briser notre perception habituelle des
couleurs. Dans «ce que l'on voit les yeux fermés» (• elosed-eye visions») il y a
des tonalités autres, totalement subjectives : «À la lumière de toutes ces expé­
riences, j’affirme être capable de transformer les formes lumineuses qui se
trouvent dans une pièce plongée dans la pénombre en des images de lumières,
d’arcs-en-ciel, et ce, sans l’utilisation d'un quelconque attirail créé par la
science» (Métaphores et vision, p. 32). Sergueï Eiscnstein est le réalisateur qui
a produit la réflexion la plus complète sur la couleur. On pourra par exemple
lire son texte «De la couleur du cinéma», dont les références sont données
dans la bibliographie de ce chapitre.

Composition de l'image et regard du spectateur


Le plan cinématographique est, en un certain sens, identique à la toile du
peintre : il doit être «rempli», et le spectateur conduit à y remarquer des élé­
ments particuliers. Les principes de composition de l'image filmique doivent
beaucoup à ceux développés dans les autres arts visuels. Pour une introduction

254
CWHH j - K Ml H ai'i U l«H

aux problèmes de la composition on se reportera aux ouvrages de Rudolf


Arnheim mentionnés dans la bibliographie de ce chapitre.
Selon André Bazin, les plans où la mise en scène exploite la profondeur
offrent une plus grande liberté au regard du spectateur que ceux qui sont
a aplatis» par une certaine utilisation de la lumière ou des décors (idée qu’il
expose principalement dans son livre sur Orson Welles). Noël Burch, dans
Une praxis du cinéma, fait une proposition inverse: «Tous les éléments com­
posant une image filmique donnée sont d'importance égale». Les recherches
en psychologie de la perception semblent cependant montrer que le regard,
lorsqu’il parcoure une image, est sensible à des indications particulières : au
cinéma, les indications visuelles statiques qui montrent «où et quand il faut
regarder» sont renforcées ou amoindries par les mouvements des figures ou
par ceux de la caméra, par la bande son, le montage et l'organisation générale
de la forme filmique.

255
Le plan :
la prise de vues

Le réalisateur met en scène un événement filmé. Une descrip­


tion complète du cinéma comme moyen d'expression ne peut
toutefois pas s’arrêter à ce qui est placé devant la caméra. Un
«plan » n’existe que lorsque des formes transparentes et opaques
sont inscrites sur la pellicule. Le réalisateur contrôle aussi ce que
nous appellerons les qualités cinématographiques du plan — il L'image photographique
ne décide pas seulement de ce qui doit être filmé, mais aussi de la Le cadrage
façon dont cela doit être filmé. Ces qualités peuvent être rame­
La durée de l'image : le plan long
nées à trois grands paramètres, que nous allons évoquer dans ce
Résumé
chapitre: (1) la photographie; (2) le cadrage; (3) la durée du
Notes et Points d'interrogation
plan.
puiii } - n nvu

L'image photographique
La prise de vues ou, selon un terme désuet, la cinématographie (littéralement,
«écriture du mouvement») dépend pour une grande part de la photographie
(«écriture de la lumière»). Un réalisateur peut se passer de caméra et travailler
directement sur la pellicule, mais dessiner, peindre ou gratter le celluloïd, le
trouer ou y cultiver des moisissures, c’est toujours y créer des formes transpa­
rentes et opaques. Le plus souvent, le réalisateur se sert d’une caméra pour
contrôler l'inscription photochimique de la lumière renvoyée par un objet sur
le film sensible. Il peut ainsi choisir les tonalités qu'aura l'image, jouer avec la
vitesse des mouvements et modifier la perspective.

Les tonalités
Une image peut paraître grise ou au contraire, durement contrastée; être en
couleur; laisser apparaître nettement les textures ou les noyer dans une sorte
de voile lumineux. Ces qualités sont déterminées par le type de pellicule
employé, son exposition et son développement.
Les différents types de pellicules sont définis par les qualités chimiques de
leurs émulsions. Le choix d'une pellicule à plusieurs conséquences formelles
— tout d’abord, sur le contraste de l’image (le rapport entre les zones les plus
claires et les zones les plus sombres) : une image fortement contrastée pré­
sente des lumières blanches très vives, des noirs profonds et, entre les deux,
une gamme réduite de gris. Une image faiblement contrastée présente, à
l'inverse, une riche gamme de gris mais aucun noir ou aucun blanc purs.
Comme nous l'avons déjà souligné dans le chapitre6, notre appareil de
vision est très sensible aux différences de couleurs, de textures ou de formes.
Les contrastes permettent au réalisateur de guider le regard du spectateur vers
les zones importantes du cadre. H y a différentes manières de contrôler le
niveau des contrastes dans une image. En général les émulsions dites « lentes»,
peu sensibles à la lumière réfléchie, produisent de forts contrastes, a l'inverse
des plus sensibles. L’ensemble des éclairages utilisés pendant le tournage ainsi
que le mode de développement employé (puissance, température et durée des
bains de traitement) affectent aussi le niveau des contrastes.
En jouant sur la qualité d'une pellicule, des éclairage et sur le processus de
développement, les réalisateurs peuvent obtenir des images ayant des aspects
très différents. Les équilibres de gris, de noirs et de blancs qui caractérisent la
plupart des films noir et blanc — par exemple Le crime de M. Lange,
(fig. 7.1 ) — s'opposent à des utilisations plus violentes, comme le blanchisse­
ment, l'aspect délavé de la séquence onirique du début des Fraises sauvages

258
mmii l- m ..u >uh h 'in

Figure 7.1 Figure 7.2

(Smulfronsfîiliet, Ingmar Bergman, 1957), obtenu par la conjonction d’une


certaine pellicule, d’une surexposition et d'un traitement en laboratoire
(fig-7.2).
La carabiniers (Jean-Luc Godard, 1963) (fig. 7.3), montre bien ce que l’on
peut obtenir par manipulation de la pellicule après le tournage. Le plan res­
semble à une image de film d’actualité, effet obtenu par augmentation du
contraste résultant du choix de la pellicule et d'un travail en laboratoire.
Godard a expliqué que «le tirage du positif a été effectué simplement sur une
pellicule Kodak spéciale, dite -haut contraste». (...) Plusieurs plans, trop gris
par nature, ont encore été contretypes une. deux et même trois fois, toujours
à leur gamma |terme de sensitométric désignant le contraste] le plus élevé». Il
crée ainsi des plans qui ont la qualité d'un reportage de guerre mal tiré ou
filmé avec un mauvais éclairage; le haut contraste s'accorde parfaitement au
projet de Godard pour ce film, celui d’évoquer la «saleté» de la guerre.

259
Mim i. u niu

Il existe différents types de pellicule couleur produisant des contrastes de


couleurs différents. Le Technicolor est célèbre pour ses teintes très vives et
contrastées, que l'on peut observer, par exemple, dans Le chant du Missouri
(planches 44 et 45). La richesse du Technicolor est obtenue grâce à une
caméra spécialement conçue pour cette pellicule cl à un procédé de tirage
sophistiqué. Les réalisateurs soviétiques ont longtemps utilisé leur propre
type de pellicule, à faible contraste et dominante bleu-vert — caractéristiques
dont Andreï Tarkovski a su tirer parti dans le sombre Stalker (1980), dont la
monochromie évoque une atmosphère sous-marine (planche 46). Dans Rtiin-
bowdance (Len Lye, 1936), certaines caractéristiques du Gasparcolor, une pel­
licule anglaise, permettent de créer des silhouettes aux couleurs pures,
saturées,qui se divisent et se recombinent entre elles (planche 47).

Les tonalités d’une pellicule couleur peuvent aussi être modifiées par un
travail effectué en laboratoire. Le technicien chargé de l’éta la nuage corrige les
dominantes colorées d’une copie. Un rouge peut devenir, au tirage, vif ou
pâte, cramoisi ou rose ou de n’importe quelle nuance entre ces deux extrêmes.
Généralement, l’étalonneur choisi avec le réalisateur une couleur de référence
pour son travail d’équilibrage, qui peut cependant varier en fonction de la
destination de la copie. Actuellement la plupart des copies 35 mm destinées à
une projection en salle sont assombries au tirage pour créer des ombres pro­
fondes et des couleurs plus foncées, mais celles qui servent au transfert vidéo
sont tirées sur une pellicule spéciale, à faible contraste, pour en compenser
l'accentuation lors du passage à la télévision. L’image est souvent plus lumi­
neuse et a des couleurs plus brillantes que dans la version vue en salle.

On peut aussi ajouter de la couleur à des images tournées en noir et blanc.


Les procédés les plus largement utilisés pour y parvenir ont longtemps été le
teintage et le virage. Pour le teintage, on plonge le film développé dans un bain
de colorant : les zones opaques de la pellicule restent noires ou grises et les
zones transparentes se colorent (planche 48). Pour le virage, le phénomène est
inversé : le colorant agit au cours du développement du positif et ce sont les
zones opaques qui sont colorées, tandis que les plus lumineuses restent blan­
ches ou acquièrent une faible teinte (planche 49).

Ces procédés étaient courants â l'époque du cinéma muet. Les scènes


nocturnes étaient souvent colorées en bleu — comme dans la planche 49,
extraite de Ccnere (Febo Mari, 1916) — les feux, en rouge et les intérieurs, en
orange. Dans la planche 48, extraite de La colère des dieux (1914), une teinte
rose est censée évoquer une éruption volcanique. Certains réalisateurs con­
temporains ont ravivé ces procédés. Viva la muerte! (Arrabal, 1971 ) est teinté
dans un vif jaune orangé (planche 50) et Les petites marguerites (Sedmikrâsky,
Vêra Chytilova, 1966) recourt à un virage rouge (planche 51).

260
- (UPI1H 1 - LJ. MflU Ifl PfilLl H U££

Un procédé plus rare et dont l’exécution est plus difficile est celui du colo­
riage à h main, où les images en nnir et blanc sont peintes une à une. Le dra­
peau du bateau du Cuirassé Potemkine était, dans les copies de l’époque, peint
en rouge sur fond de ciel bleu. Innocence sans protection (Nevinost bez zastite,
Dusan Makavejev, 1968) offre un exemple contemporain de coloriage manuel
(planche 52).
11 y a beaucoup d'autres façons de manipuler les tonalités de l'image après
le tournage. Dans Reflections on black (1955), Stan Ürakhage a gratté localc-
menl l'émulsion pour créer des effets visuels qui soulignent, tout au long du
film, le motif de l’ceil (fig. 7.4). Figure 7.4
C'est cependant le contrôle de l’exposition qui a la plus grande influence
sur la tonalité de l'image. Effectué le plus souvent au moment de la prise de
vues par le réglage de la quantité de lumière traversant l'objectif, il peut être
corrigé au développement ou au tirage, une exposition «correcte» pouvant
ainsi devenir sur- ou sous-exposée. (La surexposition produit, par l'entrée
d’une trop grande quantité de lumière, une image trop lumineuse. Ix? phéno­
mène est strictement inverse pour la sous-exposition.)
Dans les films noir américains des années 40, certaines parties de l’image
étaient sous-exposées par la technique du low key. Dans Ordet (Cari Dreyer,
1955), la surexposition de la lumière des fenêtres se trouvant derrière le prêtre
participe de l’atmosphère de mysticisme religieux du film (fig. 7.5). Dans
Vidas secas (Nelson Pcreira dos Santos, 1963), le réalisateur surexpose la fenê­
tre de la cellule pour intensifier le contraste entre l’enfermement du person­
nage et le monde extérieur (fig. 7.6).
Le choix de l’exposition est particulièrement important pour le travail de
la couleur. Dans certains plans de Kasba (19901, Kumar Shahani a voulu
accentuer des teintes situées dans l’ombre et a donc procédé à des surexposi­
tions qui «brûlent», blanchissent à l'image les parties de la scène qui se trou­
vaient au soleil. Planche 53, on remarque les couleurs éclatantes des articles de
l'épicerie et la surexposition, au fond. Dans d'autres plans, le réalisateur a
choisi, à l’inverse, de sous-exposer des porches ombragés pour valoriser la
partie centrale de l'image, qui montre une scène extérieure (planche 54).
L'exposition peut aussi être contrôlée au moyen de filtres — des feuilles de
gélatine ou des lames de verre placées devant l'objectif de la caméra ou de la
tireuse pour absorber certaines des fréquences lumineuses atteignant la pelli­
cule. Les filtres modifient de façon très importante les tonalités : ils peuvent
par exemple permettre de bloquer une partie de la lumière pour qu’un plan
tourné le jour paraisse avoir été tourné à la lumière de la lune — c’est ce que
l’on appelle une «nuit américaine» (les Américains disent *day-for-night*).
Depuis les années 20 les chefs opérateurs d’Hollywood travaillent la lumière Figure 7.6

261
des gros plan avec des fillres et des diffuseurs pour nimber les visages d’un
effet «glamour» (plus particulièrement les visages des actrices).
On peut, enfin, modifier l’exposition par fiashage: la pellicule est exposée
à la lumière, avant le tournage ou avant le développement. Ce procédé permet
de modifier le contraste de l'image, en rendant les ombres plus grises et moins
opaques. Pour Tuckcr (Tuckcr, the man and his dream, 1988), Francis Ford
Coppola fit flasher chaque bobine différemment pour que le rendu des cou­
leurs évolue au cours du film.

La vitesse
Des exercices de gymnastique étirés par un ralenti ; un fait banal qui, accéléré,
devient comique; un arrêt sur image figeant un joueur de tennis au moment
du service — nous sommes habitués à ces effets du contrôle de la vitesse de
l’image. Si un réalisateur peut, par la mise en scène, imprimer un certain
rythme à une action, ce rythme peut aussi être contrôlé par un moyen pure­
ment cinématographique : la possibilité de faire varier la vitesse du mouve­
ment représenté.
La vitesse des mouvements que nous voyons à l'écran résulte du rapport
entre la cadence de prise de vues et la cadence de projection. Toutes deux
s’expriment en images par seconde. À l’époque du muet, les films étaient
tournés à des cadences différentes, généralement entre 16 et 20 images par
seconde, avec une sensible accélération vers le milieu des années 20. Au
moment de l'apparition du cinéma sonore, il devint nécessaire de standardi­
ser les vitesses d'enregistrement du son et de l'image pour faciliter la synchro­
nisation. La cadence de prise de vue et celle de projection furent fixées, pour le
cinéma sonore, à 24 images par seconde.
Pour obtenir une représentation fidèle du mouvement, il faut que ces deux
cadences soient identiques. L'aspect saccadé et accéléré des films muets tels
qu’ils nous sont souvent donnés à voir actuellement n'est pas une caractéristi­
que d'origine mais le résultat d'une vitesse de projection inadéquate (24 ima­
ges par seconde au lieu de 16 ou 20) : projetés à la bonne cadence, ces films
offrent des représentations normales des mouvements. C’est pourquoi il vaut
mieux regarder les films muets avec un projecteur pouvant fonctionner à 16
ou 18 images par seconde ou, mieux encore, avec un projecteur à vitesse
variable, qui permet d’ajuster précisément la cadence de défilement.
Le réalisateur n’a généralement aucune influence sur le processus de pro­
jection mais il peut par contre contrôler la vitesse de défilement au moment
de la prise de vues : les caméras 35 mm autorisent actuellement des cadences
variant entre 8 et 64 images par secondes.

262
(W1IHJ - LC PLU8 Lfl Pllil PI VU(j

A cadence de projection constante, moins il y a d’images impressionnées


par seconde, plus le mouvement représenté à l’écran est accéléré, ^accéléré est
un procédé classique de la comédie mais l’une de ses plus célèbres occurrences
se trouve dans un film n'appartenani pas au genre, Nosferatu. où une accélé­
ration des déplacements du vampire montre ses pouvoirs surnaturels. Dans
Koyaanisqaisi. le meme procédé souligne l'agitation de la vie urbaine
(fig. 7.7).

À l'inverse, plus le nombre d'images impressionnées par seconde est


important, plus le mouvement semble lent. Cet effet de ralenti permet, dans
L'homme d la caméra, de montrer dans le détail certaines épreuves sportives
Figure 7,7
— fonction toujours importante aujourd'hui. Le procédé peut aussi servir â
des fins expressives : dans Aimez-moi ce soir (Love me tonight, Rouben
Mamoulian, 1931), un ralenti confère un caractère comique aux déplace­
ments de chasseurs à cheval qui ont décidé de rentrer silencieusement chez
eux pour ne pas réveiller un cerf endormi. Le ralenti sert en général à évoquer
une action onirique, un monde fabuleux, exprimer une qualité poétique ou
une énorme puissance, comme dans les films d’arts martiaux. Il devient de
plus en plus un procédé d'emphase, qui permet d’insister sur un moment
dramatique ou spectaculaire; la scène de violence au ralenti est devenue un
cliché du cinéma contemporain.

Pour obtenir des effets plus expressifs, il est possible de modifier la vitesse
d'un mouvement au cours d'un plan. Dans une scène de Piège de cristal (Die
hard, John McTiernan, 1988), une explosion dans une cage d'ascenseur pro­
voque la montée d'une boule de feu vers la caméra. Au tournage, le feu qui
arrivait du bas de la cage fut d'abord filmé à 100 images par seconde, ce qui
ralentissait la représentation du mouvement, puis à des cadences de plus en
plus faibles au fur et à mesure de la montée pour produire un effet d'accéléra­
tion. Francis Ford Coppola voulait que le vampire de Dracula (Bratn Stoker's
Dracula, 1992) paraisse glisser vers ses proies avec une rapidité anormale. Son
chef opérateur, Michael Ballhaus, contrôla par ordinateur les vitesses d’obtu­
ration et de défilement pour permettre un ralentissement sans heurt de la
cadence de prise de vues de 24 à 8 images par seconde puis une accélération
inverse pour revenir à une cadence normale.

Certaines formes extrêmes de l’accéléré et du ralenti altèrent encore plus


radicalement la représentation. On peut voir le soleil se coucher en une
seconde, une fleur pousser, bourgeonner et fleurir en une minute, effets qui
nécessitent une très fort ralentissement de la cadence de prise de vues : une
image par minute, par heure ou par jour. Une très forte accélération — des
centaines ou des milliers d’images par seconde — permet par exemple de voir
dans le détail une balle tirée par un pistolet venir briser un morceau de verre.

263
Mini i ■ ou

On peut ralentir la vitesse de prise de vues sur la plupart des caméras; les for­
tes accélérations ne peuvent être réalisées que sur des appareils spéciaux.

La vitesse du mouvement représenté peut encore être modifiée après le


tournage par divers procédés de laboratoire. Le plus courant met en œuvre la
tireuse optique (fig. 1.5), machine qui impressionne une pellicule à partir
d'une autre soit en respectant la continuité intégrale des photogrammes, soit
en en sautant quelques-uns (accélération du mouvement représenté, en sup­
posant une vitesse de projection constante), en les doublant à intervalles con­
trôlés (ralentissement du mouvement représenté par la méthode dite du
*stretch printing»,ou remise à cadence), en les répétant pour créer un arrêt sur
image de la durée voulue ou en les faisant passer à l'envers pour créer un effet
dit de • marche arrière». Le stretch printing est essentiellement employé pour
remettre les films muets à la cadence du sonore. Les effets d'arrêt sur image,
de ralenti et de marche arrière sont courants dans les programmes télévisés
Consacrés au sport ou dans les documentaires. Les possibilités de la tireuse
optique ont été exploitées de façon étonnante par de nombreux réalisateurs
expérimentaux; dans Totn Tant the piper's son (Ken lacobs, 1969), par exem­
ple. l'étude d’un film muet passe par l'agrandissement de certaines parties de
ses images.

La perspective

Vous êtes debout au milieu d’une voie ferrée et regardez vers l’horizon, où ses
lignes semblent se rencontrer. La taille des arbres et des bâtiments qui la bor­
dent diminue selon une règle simple : a taille réelle constante, les objets les
plus proches paraissent plus grands et les plus éloignés, plus petits. Les rayons
lumineux réfléchis par cette scène sont accueillis par votre système optique
qui fournit un ensemble d’informations concernant la taille, l'éloignement et
les relations spatiales de ses différentes parties. Ces relations spatiales obéis­
sent aux lois de la perspective.

L’objectif photographique d'une caméra fait approximativement le même


travail que l’œil humain : il focalise la lumière réfléchie par une scène sur la
surface plane de la pellicule pour former une image qui en représente les dif­
férents paramètres spatiaux. Mais A la différence de l'œil, l’objectif d'une
caméra peut être changé, pour créer des effets perspectifs différents. Un
objectif dit «grand angle amplifiera l’effet de profondeur et donnera
l'impression que les arbres et les bâtiments sont bombés; un téléobjectif
réduira la profondeur apparente, les arbres semblant alors plus proches les
uns des autres et de même taille.

264
—________ (WIIH 1 - LCPHI . Li PfilH H Ï.U.H _

Figure 7.9 Figure 7.10

L'objectif : la distance focale. 11 est capital, pour le réalisateur, de pouvoir


contrôler la représentation de la perspective. La principale variable permet­
tant d'exercer ce contrôle est la distance focale (plus simplement appelée
«focale»), qui est, en termes techniques, la distance séparant le centre de
l’objectif du point de convergence des rayons lumineux sur la pellicule
(appelé «foyer»).
La distance focale permet de contrôler l'agrandissement, l’effet de profon­
deur et les tailles relatives des objets représentés. On distingue généralement
trois types d'objectifs, suivant leurs effets sur la représentation de la perspec­
tive :

1. L’objectif à courte focale et le grand angulaire, on grand angle. Pour une pel-
licule de formai standard 35mm, un objectif dont la focale est inférieure à
35mm est appelé «courte focale» et parfois «grand angle- (le terme
«grand angle» s'appliquant plutôt à des focales inférieures à 18mm). Ces
objectifs ont tendance à faire bomber vers l'extérieur du cadre les lignes
qui le bordent. On peut remarquer ce type de déformation dans ces deux
images extraites de Ne vous retournez pas (Don t look now, Nicholas Roeg,
1973) (figs. 7.8,7.9). La caméra pivole pour suivre le personnage; un lam­
padaire qui se trouve au second plan parait d’abord incliné vers la droite,
puis vers la gauche. Lorsqu'une courte focale est utilisée pour des plans
moyens ou des gros plans, les distorsions peuvent devenir importantes
— voir en 7.10, un plan de Quand passent les cigognes (Letjat Zuravli,
Mikhaïl Kalatozov, 1957).
Figure 7.11
Une courte focale exagère la profondeur. En 7.11, l’objectif fait paraître les
personnages de La vipère plus éloignés les uns des autres qu’ils ne peuvent
l’être réellement. La représentation de la distance entre le premier plan et
le fond étant ainsi faussée, les personnages qui se déplacent vers la caméra
ou s'en éloignent semblent aller plus rapidement.

265
mm î ■ lc nui

Figure 7.12
2. L'objectif à focale moyenne, ou focale normale. La distance locale est ici
comprise entre 35 et 50mm. Avec cet objectif «normal-, les distorsions
sont réduites : les verticales et les horizontales sont droites et perpendicu­
laires, les lignes parallèles s’éloignent à l’infini, la distance séparant le pre­
mier-plan de l'arrière-plan ne paraîtra ni étirée (comme avec le grand
angle] ni comprimée (comme avec le téléobjectif). L'image présentée en
7J2, extraite de His girl Friciay, a été prise avec un objectif à focale nor­
male. On peut utilement la comparer avec la fig. 7.11.

3. L'objectif A longue focale et le téléobjectif. Ijes objectifs à courte focale défor­


ment l’espace latéralement; ceux à longue focale aplatissent les distances
entre les objets situés sur l’axe de la prise de vues. La profondeur et les
volumes sont comprimés, les plans semblent écrasés les uns sur les autres,
comme lorsque l’on regarde dans un télescope ou dans des jumelles. Dans
un plan de La vie sur un fil (fig. 7.13), les personnages rassemblés sont ainsi
écrase'ssur le même plan et le paysage derrière eux (des rapides) ressemble
à une toile de fond à deux dimensions.

Figure 7.14 Les longues focales sont comprises entre 75 et 250mm (on parle de très
longue focale ou de téléobjectif à partir de 135mm). Parce qu elles permet­
tent de se «rapprocher» d'une action, elles sont couramment utilisées
pour filmer des épreuves sportives. (Nous connaissons tous ces plans de
malches de football télévisés où des joueurs, le gardien de but et l’arbitre,
très éloignés sur le terrain, semblent à l’image très proches les uns des
autres.) Les capacités de la longue focale sont spectaculairement illustrées
dans Koyaanùiatsi, où un avion filmé de très loin semble atterrir au milieu
d'une autoroute embouteillée (fig. 7.14).

Akira Kurosawa utilise beaucoup ce type d’objectif, pour toutes les tailles
de plans. Dans la figure 7.15, extraite des Sept samouraïs, les personnages
semblent être très proches et presque de la même taille, alors que les deux
Figure 7.15 qui font face sont loin derrière le troisième.

266
Figure 7.16 Figure 7.17

1-a longue focale altère aussi la représentation du mouvement. Parce quelle


a tendance à aplatir la profondeur, les personnages qui évoluent sur l’axe
de la caméra mettent beaucoup de temps à couvrir ce qui parait être une
faible distance et semblent «faire du sur-place>. Cet effet, très courant
dans le cinéma des années 60 et 70 — voir par exemple Le lauréat (The
graduate, Mike Nichols, 1967) —. est créé par une focale très longue. Dans
Père et fils (Foo fi diing. Allen Fong, 1981). deux personnages sont ainsi fil­
més, marchant vers la caméra; entre les deux photogrammes du même
plan présentés en 7.16 et 7.17, ils ont fait exactement seize pas, mais leur
taille à l’écran s'est peu modifiée.
Le choix de la focale a une influence sur l’expérience du spectateur. Les
distorsions d'objets ou de personnages peuvent avoir des qualités expressives;
l'homme de la figure 7.18, par exemple —extrait de L'express bleu (Goluboj
ekspress, Ilya Trauherg, 1929)— nous parait menaçant, voire agressif. Le
choix de la focale peut aussi permettre de fondre un personnage ou un objet
dans le décor (fig. 7.17) ou au contraire de le faire jaillir au premier plan
(fig. 7.18). L’aplatissement de l’image peut créer des effets proches de la pein­
ture abstraite (fig. 7.19, extraite de La dernière femme. Marco Ferreri, 1976).

Figure 7.18 Figure 7.19

267
mm ] - il nvu

Figure 7.20 Figure 7.21

Dans Barbtrausse (Akahige, 1965) Kurosawa crée un effet de surprise grâce


à une longue focale qui, dans un premier plan pris de derrière l’un des deux
personnages (un homme menacé par une folle — fig, 7.20), nous fait d’abord
croire qu’ils sont relativement proches, avant qu'un second plan perpendicu­
laire à l'axe de prise de vues du premier nous révèle qu’ils sont séparés par plu­
sieurs mètres (et que l'homme n'est donc pas encore en danger — fig. 7.21).
Un type d'objectif offre au réalisateur la possibilité de manipuler la dis­
tance focale et de transformer les effets perspectifs au cours d’un même plan :
le zoom ou objectif à focale variable. Conçus à l’origine pour la photographie
aérienne, les zooms ont progressivement servi au tournage des films d’actua­
lité. Le changement de focale ne se faisait pas, alors, au cours du plan, mais
entre les plans : l'opérateur la modifiait comme il le désirait puis commençait
à filmer. C’est à la fin des années 50, avec l'apparition des caméras portables,
que le zoom fut utilisé au cours de la prise de vues.
La variation de focale se substitue parfois aux mouvements de caméras. À
l'écran, le zoom produit un agrandissement ou une réduction des objets fil­
més tout en excluant ou incluant dans le cadre l'espace qui les entoure. Au
début de Conversation secrète (The conversation, Francis Ford Coppola, 1974)
un long zoom avant nous laisse dans l’incerlitude de ce qui est visé {figs. 7.22,

Figure 7.22
Figure 7.23

268
7 - L4 PLI B LU PALSJi Dl *U£L

Figure 7.24 Figure 7.2$

7.23). À la fin de Barravento (Glauber Roc ha, 1962) un zoom arrière nous
montre le personnage, qui vient de quitter son village, hésitant devant un
futur menaçant (figs. 7.24.7.25).
Le zoom produit un mouvement du cadre mais n'est pas le résultat d’un
mouvement de caméra : l’appareil reste fixe, seule la distance focale est modi­
fiée à l'intérieur de l'objectif. Malgré cette apparente simplicité technique, ce
procédé peut transformer de façon intéressante les dimensions des figures et
les effets de profondeur, comme on le verra en étudiant Waveleilgth (Michael
Show, 1966-67).
L’incidence de la focale sur la représentation de la perspective est le sujet
même d'un film expérimental de Ernic Gchr, Serene Vdodty (1970). Le décor
est un couloir vide. Gehr a utilisé son objectif à focale variable entre les prises,
et non pendant; il a expliqué qu'il avait
divisé la distance focale par deux et, en partant du milieu, enregistré les
images résultant des changements de focale... caméra n'était pas du
tout déplacée, le zoom n’était pas utilisé au cours de l'enregistrement.
Chaque photogramme fui impressionné individuellement, comme une
Figure 7.26
photographie. Quatre photogrammes par focale différente. Pour donner
un exemple : j’ai pris les quatre premiers photogrammes à 50mm. [.es qua­
tre photogrammes suivant à 55mm. Pendant un certain temps, approxi­
mativement 20 mètres de pellicule, je suis allé ainsi en avant et en arrière :
quatre photogrammes à 50mm, quatre à 55, quatre à 50, quatre à 55, etc.
pendant approximativement 20 mètres. Puis je suis passé à 45-60 [mm], et
j'ai recommencé pour 20 mètres. Puis à 40-65, et ainsi de suite.
Il en résulte un film où la perspective semble être soumise à une pulsation
qui affecte d'abord légèrement les dimensions et les rapports de tailles entre
les parties de l’image puis, progressivement, crée une tension beaucoup plus
importante entre les images prises au téléobjectif et celles prises au grand
angle (figs. 7.26,7.27). Figure 7.27

269
muu._- li mil

L'objectif : la profondeur de champ et le point. La focale n’affecte pas seule­


ment la forme et l'échelle des objets filmés, mais aussi la profondeur de
champ. La profondeur de champ est la portion d’espace située devant l'objectif
à l’intérieur de laquelle la mise au point des objets photographiés est possible
(c'est-à-dire, à l'intérieur de laquelle ils apparaissent nets). Un objectif dont la
profondeur de champ va de 3 mètres à l'infini permettra de représenter nette­
ment tout objet situé à plus de 3 mètres de la caméra; en dessous de cette
limite, la netteté diminue. Dans des conditions équivalentes, une courte focale
offre une profondeur de champ plus importante qu'une longue focale.

La profondeur de champ ne doit pas être confondue avec la profondeur de


Figure 7.28
l’espace représenté, évoquée au chapitre 6, qui désigne la façon dont la mise
en scène organise l'action sur un ou plusieurs plans successifs sans rien préci­
ser sur leur netteté à l'image. Dans La lots de l'hospitalité, ces plans sont géné­
ralement tous nets, mais il y a bien d'autres solutions possibles. La figure 7.28,
tirée du Crime de M. Lange, montre une action mise en scène sur trois plans
successifs : Valentine au premier plan. Batala au second plan en train de sortir,
le concierge passant au fond. Le premier plan est flou, le second l’est aussi
légèrement et le fond est parfaitement net. La profondeur est un paramètre de
la mise en scène, qui dépend de la composition de l'image; la profondeur de
champ est un paramètre photographique qui affecte la mise au point des dif­
férents plans.

Figure 7.29
Si la profondeur de champ règle les relations perspectives en déterminant
quels plans seront nets à l’image, quels sont les choix dont dispose le
réalisateur ? 11 peut opter pour une netteté sélective — choisir de faire le point
sur un seul plan et laisser les autres dans un flou plus ou moins important.
C’est ce que fait Renoir dans noire exemple extrait du Crime de M. Lange.

Avant 1940 il était courant, à Hollywood, de filmer les gros plan en faisant
le point sur les visages mais en laissant le premier plan cl le fond flous — voir
en 7.29, Harpo Marx brûlant une bougie par les deux bouts dans Plumes de
cheval (Horse feathers. Norman McLeod, 1932). Le contraste entre la netteté
du second plan et le flou du premier plan permettait d’attirer immédiatement
l'attention du spectateur. On observe les mêmes choix stylistiques dans le
cinéma contemporain, surtout lorsque des objectifs à longue focale sont utili­
sés. En 7.30 (Le Parrain), seul k visage de Michael, filmé avec une longue
Figure 7.30
focale, est net; sa main tenant le revolver, ainsi que ce que l’on aperçoit du
fond, est flou. Restent nets le personnage principal où les objets importants,
comme en 7.31 (extrait de Sans toit ni loi, Agnès Varda, 1985); cette technique
peut aussi servir à créer des effets de compositions plus abstraits (voir la
figure 7.32, extraite de Roy meetsgirl).

270
ki M1H h nu

Figure 7.31 Figure 7.32

Au cours des années -40, les réalisateurs hollywoodiens commencèrent à


utiliser, en partie sous l’influence de Citizen Kane, des pellicules plus sensibles,
des focales plus courtes el des éclairages plus intenses, pour obtenir une plus
grande profondeur de champ. scène de la signature du contrat, dans Citi-
zen Kane, était un modèle du genre : du premier plan, proche de la caméra (la
tête de Bernstein) au mur du fond, toute l'image est parfaitement nette.

La grande profondeur de champ devint un effet stylistique majeur du


cinéma des années 40 et 50. On en voit une utilisation typique en 7.34, image
extraite des Bas-fonds new-yorkais (Underworld USA, Samuel Fuller, 1961).
L'effet fut imité dans certains dessins animés (planche 38) et exploré à nou­
veau dans les années 70 par des cinéastes comme Steven Spielberg — dans Les Figure 7.33

dents de la nier ou Rencontres du troisième type— et Brian de Palma


— fig. 7.35, une image de Blow Oui (1981).

Effets spéciaux. Les relations perspectives peuvent aussi être créées au moyen
de certains effets spéciaux. Le truquage du décor peut consister en l'utilisation

Figure 7.34

Figure 7.35

271
2 - LI HVLi

Figure 7.36 Figure 737

de maquettes et de miniatures (chapitre l)ou de-gloss s/tors» (parfois appelés


«procédé Dawn». du nom de son inventeur), où des parties du décor sont
peintes sur un panneau de verre à travers lequel est filmée l’action
— technique essentiellement employée à l'époque du cinéma muet.
Deux actions filmées séparément peuvent être combinées sur les mêmes
photogrammes pour créer l'illusion de leur contiguïté : dans ces plans dits «à
expositions multiples», deux images (ou plus) sont combinées par double
exposition au moment de la prise de vues ou au moment du tirage, Méliès
connaissait bien ce procédé, qui lui permit notamment, dans L'homme à la
tête en caoutchouc ( 1901 ) de présenter sa propre tète coupée, posée sur la table
d'une parodie de laboratoire -Star film» et progressivement gonflée comme
un ballon grâce à un soufflet. On voit en 7.36 et 7.37 que ce truquage mettait
en oeuvre une double exposition de la pellicule et un petit chariot sur lequel
Méliès pouvait s’avancer jusqu’à la caméra. Aujourd’hui, on confond souvent
les expositions multiples avec la surimpression, qui est, comme à l'époque de
Méliès, surtout employée pour représenter des fantômes ou les pensées d’un
personnage.
Les autres techniques permettant de juxtaposer des images filmées séparé­
ment, plus complexes, produisent ce que l'on appelle de façon générique des
images composites et forment une large part des procédés d’effets spéciaux. On
y distingue les procédés mettant en œuvre une projection et ceux mettant en
œuvre des caches.
Dans le truquage par projection, l'image du décor est projetée sur un écran
devant lequel sont placés les acteurs. Ce procédé a commencé à être utilisé à la
fin des années 2G par les réalisateurs hollywoodiens qui voulaient éviter

272
i - u mt - »uw

d’avoir à emmener les acteurs et l’équipe technique en extérieurs. Il consistait


alors à projeter un film présentant des images du décor depuis l'arrière d’un
écran translucide devant lequel jouaient les acteurs. L’ensemble était filmé
frontalement —voir l'un de ces effets en 7.38, extrait de Iwo fina ( The sands of
Iwojina, Allan Dwan, 1949).
Ce procédé dit de transparence est encore très utilisé aujourd’hui mais ne
crée pas des effets de profondeur convaincants. Le premier plan et le fond
paraissent très nettement séparés, à cause de l’absence d’ombre portée et
d'une égalisation lumineuse des plans. (Voir la planche 57, une image de Ver-

Figure 7.38
La projection frontale, surtout utilisée à partir de la fin des années 60, con­
siste à projeter l’image du décor sur une glace sans tain, placée de telle façon
quelle renvoie l’image sur un écran à très forte réflectance. Les acteurs, placés
devant cet écran, sont filmés par la caméra à travers le miroir (fig. 7.39). On
peut voir de nombreux exemple de projection frontale dans la première partie
de 2001, l'Odyssée de l'espace, intitulée «L’aube de l’humanité». (À un
moment, un éclat dans l’œil d’un tigre à dent de sabre révèle la lumière du
projecteur.) La netteté de l'image projetée permet d'adoucir la juxtaposition
du premier plan et du fond. Hans-Jürgen Syberberga exploré les possibilités
offertes par la projection frontale dans son Parsifal (1982), adapté de l'opéra
de Wagner: elle lui permet de faire apparaître derrière les personnages des
paysages colossaux et fantasmagoriques (planche 58).

Figure 7.39

273
miu

Figure 7.40 Figure 7.41

Un cache est ce qui permet de filmer un décor en laissant une partie de


l’image non impressionnée. Au tirage, celte portion d'image esl associée à une
autre montrant les acteurs ou l'action principale. Certains caches permettent
d’associer une action «réelle- et un décor peint totalement imaginaire. Les
figures 7.40 et 7.41 montrent une partie du décor, naturelle, avec cache en
partie haute, et le plan finalement obtenu apràsajout d'un élément peint dans
Hcr jungle love (Georges Archaimbaud, 1938). Ce type de cache fixe a rem­
placé le procédé du glass shot et est devenu un truquage courant dans le
cinéma commercial; le technicien chargé de peindre les caches a pris une
grande importance dans le processus de réalisation. On voit en 7.42 une
image de Blade Runncr, où le ciel à l'arrière-plan est un cache peint.
Avec ce cache, toutefois, les acteurs ne peuvent pas se déplacer à l'intérieur
de la partie peinte de l'image. Ce problème est résolu par la technique du
cache mobile, ou « travelling marie». Les acteurs sont filmés sur un fond vide,
généralement bleu, cl leurs silhouettes ainsi réservées insérées, au tirage,
comme les pièces d’un puzzle, dans des réserves négatives mobiles faites
en laboratoire sur les images du décor. C’est grâce au cache mobile que

274
1 - LI P LA B . LA M1H H V Ull

Figure 7.43

Superman ou des vaisseaux spatiaux peuvent voler. La figure 7.43 est un pho
togramme extrait de 2001, l'Odyssée de l'espace-, le vaisseau spatial que l'on
voit à travers le hublot est une maquette qui a été insérée par cache mobile
dans l'image montrant l’astronaute aux commandes. Le mime procédé fait
apparaître en 6.50 le robot devant des acteurs en mouvement et, planche 20,
les personnages dessinés de Qui a peur de Roger Rabbit ? au milieu de person­
nages «réels».

On peut souvent détecter, à la projection, l’usage d'un cache mobile, les


effets spéciaux les plus soignés et les plus coûteux ne parvenant pas toujours à
une jonction parfaite des éléments composant l’image. Un contour noir, la
«ligne de cache», peut apparaître par intermittence autour des parties en
mouvement; ces lignes sont particulièrement visibles au cours de la bataille
contre les soldats de l'Empire dans L'Empire contre-attaque.

Le cache mobile semble être un truquage incontournable pour les films


fantastiques ou de science-fiction, mais il est utilisé dans tous les genres du
cinéma commercial. Il peut servir à créer un décor réaliste ou des images plus
abstraites : dans Rusfy James, un film en noir et blanc, Francis Ford Coppola a
utilisé cette technique pour faire apparaître des poissons colorés dans un
aquarium (planche 59).

Il est courant de combiner dans une même image différents effets spé­
ciaux. Dans notre exemple tiré de Blade Ratifier (fig. 7.42). un vaste décor, où
se déplacent les acteurs, est associé à une projection frontale des pyramides
extérieures, à des caches peints pour le ciel et les détails des colonnes au pre­
mier plan, et à un soleil animé. Pour un seul plan d'un film de science-fiction,
on peut ajouter aux mouvements de maquettes animées image par image et
insérées dans un décor par cache mobile, des explosions en surimpression et
des effets de caches peints; pour certains plans de l'accident de train du Fugitif

275
puni i il nvi

(Andrew Davis, 1993), une transparence et une projection frontale furent uti­
lisées simultanément.
Le glass shot. les truquages par expositions multiples, projections ou caches
participent tous de deux domaines techniques distincts: ils nécessitent une
organisation des éléments à filmer devant la caméra, ce qui en fait des techni­
ques de mise en scène, mais sont aussi, tant au tournage qu'à la post-produc­
tion, des techniques photographiques. Nous les avons placés dans ce chapitre
parce qu'à la différence des effets qui ne font qu'employer des maquettes ou
des figurines, ces illusions font toujours intervenir un truquage photographi­
que (on les désigne d'ailleurs sous le terme générique de truquages optiques).
Figure 7.-H Avec l’arrivée des images de synthèse, la confusion entre ce qui est du
domaine de la mise en scène et de celui de la photographie est presque totale,
L'animation numérique permet à un réalisateur de filmer une scène avec des
acteurs, puis de lui ajouter un arrière-plan, des ombres ou des mouvements
sans passer par les caches, les expositions multiples et les tirages optiques.
Dans Specd (Jan de Boni. 1994), un bus franchit d’un bond une voie d’auto­
route. La cascade fut exécutée sur une rampe spéciale et l'autoroute,
• dessinée» plus lard par traitement numérique de l'image —l’équivalent
électronique d'un cache peint. Ces effets sont aussi convaincants que les tru­
quages optiques et sont plus faciles à manipuler.
Comme les autres techniques cinématographiques, les procédés photogra­
phiques ne constituent pas une fin en eux-mémes mais doivent être mis en
Figure 7.45 relation avec l’ensemble du film. Il ne faut pas juger des qualités photographi­
ques de l'image, de la vitesse ou de la perspective selon des critères réalistes,
mais fonctionnels. La plupart des réalisateurs hollywoodiens, par exemple,
font en sorte qu'une transparence reste vraisemblable et donc imperceptible.
Mais dans Chronique d'Anna Magdalena Bach, de Jean-Marie Straub et
Danièle Huillet, une transparence incohérente fausse les relations spatiales
entre le premier plan et le fond (fig. 7.44). Bach est debout, jouant du clave­
cin. filmé avec un axe de prise de vues horizontal, alors que le bâtiment der­
rière lui est vue en contre-plongée. Ixs autres plans tournés en extérieur
montrant une perspective correcte, ce jeu sur l’artificialité de la transparence
attire notre attention sur le style visuel du film tout entier.
De même, la figure 7.45 nous présente un plan des Petites marguerites qui
semble totalement irréaliste, avec son personnage masculin dont on peut esti­
mer la taille à une soixantaine de centimètres. Chytilova s’est servi du décor,
de la position des acteurs et d'une grande profondeur de champ pour créer
cette image comique qui résume la façon dont ces deux femmes traitent les
hommes — les choix photographiques sont ici en cohérence avec le reste du
système formel du film. Mais le fait que cet homme paraisse être couché sur le
haut du paravent contre lequel les deux femmes sont adossées est aussi le
résultat d'un autre facteur technique ; le cndrngedu plan.

276
(W11UJ - U PLfll Lfl PfilU U Hll

Le cadrage
Il peut sembler étrange d’étudier quelque chose d’aussi insaisissable que les
limites d'une image, que l’on pourrait considérer comme une caractéristique
négative, un simple pourtour, un bord. Mais le cadre cinématographique ne
produit pas une limite neutre : il donne une vision particulière de ce qu'il
contient, définit l’image en la délimitant.
Pour donner des preuves des puissances du cadrage, il suffit de se retour­
ner vers le premier grand réalisateur de l’histoire du cinéma, Louis Lumière.
Inventeur et homme d’affaire, Louis Lumière et son frère. Auguste, conçurent
l’une des premières caméras (fig. 7.46), l'appareil de prise de vues le plus pra­
tique de son époque, qui pouvait aussi servir de projecteur. La caméra inven­
tée par l’Américain W.K.L. Dickson faisait presque la taille d'un bureau
(fig. 7.47); celle des frères Lumière, petite et portable, pesait moins de six
kilos. Elle pouvait être emmenée en extérieur et installée rapidement. Les pre­
miers films de Louis Lumière présentent des situations simples : des ouvriers
sortant de l’usine de son père, des joueurs de cartes, un repas familial.
Lumière y montre déjà une capacité à transformer, par le cadrage, la réalité
quotidienne en événement cinématographique.
Observons l'un de ses plus célèbres films, L’arrivée d’un train en gare de La
Ciotat (1895). S’il avait suivi une démarche théâtrale. Lumière aurait cadré le
plan perpendiculairement au quai, laissant le train entré par l’un des côtés de
l’image. Mais il a préféré un angle oblique, créant une composition dynami­
que dans laquelle le train arrive en diagonal (fig. 7.48). Avec un axe de prise de
vues perpendiculaire au quai, nous n’aurions vu qu'une rangée de dos mon­
tant dans le train; l'angle choisi permet au contraire de détailler les silhouettes
des passagers et de créer différents plans en profondeur. Ce film très simple,
composé d'un seul plan durant moins d'une minute, illustre parfaitement les
conséquences du choix d’une position pour la caméra.

Figure 7.46 Figure 7.47 Figure 7.4»

277
U-IIILL

Dans un autre film Lumière, Le repas île bébé (1895) (fig. 7.49), la position
de la caméra met l'accent sur certains aspects de l’action : là où un plan de
longue durée aurait pris le temps de situer la famille dans le contexte du jar­
din, Lumière préfère cadrer les personnages en plan moyen, ce qui réduit la
présence du décor mais donne toute leur importance aux gestes et aux mimi­
ques des membres de la famille. Le contrôle exercé par le cadre sur l'échelle de
l'action représentée détermine aussi notre compréhension de la scène.
Le cadrage peut avoir une grande influence sur l'image par le biais : ( 1 ) de
la forme et des proportions du cadre: (2) de la création d'un champ et d'un
hors-champ; (3) de la taille du plan, de l'angle de prise de vues; et (4) des
Figure 7.49
mouvements du cadre.

Formes et dimensions du cadre


Un cadre n’a pas nécessairement la forme rectangulaire à laquelle nous som­
mes habitués. En peinture comme en photographie, les images sont délimi­
tées par des cadres de dimensions et de formes variables : des rectangles
étroits, des ovales, des panneaux verticaux, parfois même des triangles ou
divers parallélogrammes. Au cinéma, le choix est beaucoup moins étendu.

Le rapport entre la hauteur et la largeur du cadre détermine ce que l'on


appelle le format de l'image. Scs dimensions ont été établies très tôt dans l'his-
toire du cinéma par Edison. Dickson, Lumière et d'autres inventeurs : il devait
être rectangulaire, et ses proportions, d'environ trois sur deux, pour donner
un format standard de 1 x 1.33. Certains réalisateurs de la période du muet
trouvèrent ce standard trop contraignant. Abel Gancc tourna et projeta des
séquences de Napoléon (1927) dans un format d’image qu’il désignait sous le
nom de «triple-écran» : un effet d'écran large produit par la réunion de trois
écrans, qui servait à montrer une seule grande image ou trois images différen­
tes (fig. 7.50). Sergucï Eisenslcin avait de son côté défendu l’idée d’un cadre
carré, qui aurait permis de composer l'image dans plusieurs directions (hori­
Figure 7.50 zontale. verticale, diagonale).

278
- u h_k . ii_>hioj ymu _ -----

À la fin des années 20, l'arrivée du cinéma sonore modifia les proportions
du cadre. Ajouter la bande son sur la pellicule nécessitait une correction de la
hauteur ou de la largeur des photogrammes. Certains films furent d’abord
tirés dans un format plus proche du carré (1 x 1,17) (voir la fig. 7.51, extraite
de L’ennemi public, William A. Wellman, 1931), avant que VAcademy of
Motion PicturesAris and Sciences d'Hollywood n'établisse le I x 1,33 comme
format standard (en américain, le Acadenty ratio). Sur la plupart descopies.ee
format est plus proche d'un rapport de 1,37, mais le 1,33 reste la référence uti­
lisée. Il fut employé dans le monde entier jusqu'au milieu des années 50 (voir
la fig. 7.52, extraite de La règle du jeu), et l’est toujours dans certains pays.
L'écran de télévision standard est aussi du même format.
A partir du milieu des années 50, divers formats larges sont apparus, adap
tés au tournage en 35mm. Le formai le plus courant aux États-Unis est actuel­
lement le 1,85, appelé pano américain (voir la figure 7.55, extraite de Aliens).
Le 1,66, dit pano français, est plus couramment utilisé en Europe (fig. 7.53:
Lancelot du Lac, de Robert Brcsson) même si Stcven Spielberg a réalisé ET.,
l'extraterrestre dans ce format. Moins courant, le 1,75, dit patio italien, est
aussi essentiellement européen (fig. 7.54 : Le dernier tango d Pans, Bcrnardo
Bertolucci, 1972). Le 235 est Je standard du format CinémaScope, procédé
anamorphique qui s'est répandu au cours des années 50. 11 est généralement
projeté dans un rapport de 1 x 2,40 (fig. 7.57 : The valiant ones [Zhong lieh tu,
King Hu, 1974]). Le 2.2 est un format courant pour les projections en 70mm
(fig. 7.56 : Gosfhbusters), même si les projectionnistes lui préfèrent souvent un
rapport de 1 x 2.

Formats d'image en 35mm (exemples)

279
LUI II 1. U HHI

Formol J x 1,66 formai I x 1,75

Figure 7.53 Figure 7.54

format 1 x 1,85

Figure 7.55

format ! *2,2

Figure 7.56

280
U<N1H 1 - U LUI II HIU H mi _

format I x 2,33
(33 mm anamorphose)

Figure 7.57

La façon la plus simple de créer un format large est de masquer certaines


parties de l’image avec une fenêtre spéciale, à la réalisation, au tirage ou à la
projection. Le format du photogramme du Samouraï (|ean-Pierre Melville,
1967) présenté en 7.58 a été produit au moment du tournage ou du tirage. Ce
procédé est généralement désigne sous le nom de « hard matte».

De nombreux films contemporains sont filmés «plein-cadre» (entre 1,33


et 1,17) ei leur format corrigé par cache au moment de la projection. Cette
technique laisse parfois apparaitre le matériel de prise de son ou d’éclairage
dans l'image plein-cadre. Le micro que l'on voit en haut de la figure 7.59
(Raging Bull, Martin Scorsese, 1980) sera masqué à la projection par une

F igurc 7.58 Figure 7.59

281
FilIII i - H

Figure 7.60 Figure 7.61

fenêtre qui donnera à l'image un format de 1 x 1.85 (indiqué par les deux
lignes colorées).
On peut aussi créer un formai large par anamorphose. Un objectif spécial
produit, au tournage ou au tirage, une compression horizontale de l’image; le
phénomène est inversé à la projection grâce à un objectif semblable. On voit
en 7.60 un photogramme de Mode in USA (Jean-Luc Godard, 1967) tel qu'il
apparaît sur la pellicule 35mm, et en 7.61, à l’écran, dans un format 2,35, cx-
CinémaScope (on oublie maintenant ce nom de marque pour désigner tous
les formats très larges, utilisant en général le procédé d'anamorphose, sous le
nom de «scope»). Le film de Godard fui tourné en Techniscope, un procédé
très utilisé en Europe; le plus utilisé aux États-Unis csi le Panavision.
I^es formats larges, qu’ils soient obtenus au moyen d’une fenêtre ou d'une
anamorphose, produisent des effets visuels importants. L'écran devient une
bande accentuant les horizontales. Le format, d’abord associé aux genres
spectaculaires où il était essentiel de pouvoir embrasser en une seule image de
vastes décors — westerns, films d’aventures, comédies musicales, films
historiques— fut rapidement utilisé pour des sujets plus intimistes. La
figure 7.62, extraite du Barberousse de Kurosawa, montre comment on peut

Figure 7,62 Figure 7.63

282
uuniALJ -jriua. lu pilu h mil

organiser un premier plan et des arrière-plans à partir d'un décor étroit, dans
un cadre très large produit par anamorphose (ici, le procédé Tohoscope, équi­
valent japonais du CinémaScope).

Dans certaines compositions en formats larges, le réalisateur cherche à


attirer l’attention du spectateur sur une seule partie de l'écran. Une solution
courante consiste à légèrement décentrer l’information principale (fig. 7.63 !
L'armée des ambres, Jean-Pierre Melville, 1969) ou à la décentrer totalement
(fig. 7.64 : Piège de Cristal). À l’inverse, le réalisateur peut choisir de multiplier
les informations : dans de nombreuses scènes de The golden eighties (Chantal
Akerman, 1986), le cadre est rempli de toute une agitation qui fait rebondir le
regard entre le personnage qui parle, celui qui nous fait face, celui qui répond
(fig. 7.65). On trouve le même effet, moins frénétique, dans la séquence nau­
Figure 7.65
tique de L'awentnra (fig. 7.66).

Certains procédés d'écran large ont cherché à <entourer» le spectateur en


activant la vision périphérique. Le Cinérama, commercialisé en 1952, se pré­
sente sous la forme d’un écran rectangulaire dont les bords sont légèrement
recourbés, ce qui accentue une impression de plongée dans l’image. Le pro­
cédé employait à l’origine trois images projetées simultanément, côte a côte,
avant de recourir à l’anamorphose.

Plus récemment, le procédé Omnimax, lié au format Imax (fig. 1.12) a été
utilisé dans des musées et d’autres lieux spécialisés. Le public est assis dans Figure 7.66
une salle spécialement conçue pour ce type de projection, dans des sièges
inclinés, face à un écran hémisphérique qui couvre l'intégralité du champ de
vision et produit de forts effets de profondeur. Les films réalisés pour ce type
de projection sont tournés avec des objectifs qui anamorphoseni l’image
horizontalement et verticalement.

283
phih a * u 1.1m

Figure 7.68 Figure 7.69

Des expériences de cinéma à 360° ont été réalisées dans diverses exposi­
tions universelles et dans les parcs Disney. L’image y forme un cercle complet
autour du public
Comme nous l’avons fait remarquer au chapitre 1. les formats larges sont
rarement respectés à la télévision. Dans de nombreuses versions vidéo,
l’image est incomplète, coupée par le procédé pan and scan afin de remplir
totalement le formai 1,33 de l'écran. Un même plan de Tempête à Washington
(Advise and consent, Otto Preminger, 1962) (fig. 7.67) est divisé en deux plans
dans la version vidéo (figs. 7.68, 7.69). Une autre solution, encore plus radi­
cale, consiste à laisser l’image partiellement anamorphoséc au moment du
transfert vidéo, ce qui produit des silhouettes allongées,amaigries.
Pour éviter ces problèmes, les films tournés en formats larges sont généra­
lement conçus en fonction d'un éventuel passage au format de la télévision.
Les rectangles correspondant aux différents cadres possibles sont inscrits dans
les viseurs des caméras et beaucoup de chefs opérateurs essayent de composer
l’image à la fois pour la projection en salle et pour la vidéo. l.a solution la plus
simple est de laisser «vides» certaines parties de l’image originale, pour
quelles puissent être éliminées au moment du transfert. (On peut ainsi

284
niuuij - ilmjli . ii mj.( îi •-

comparer les figures 7.70 et 7.71. extraites respectivement d'une copie 35mm
et d'une copie VHS )

Même film, différents formats

11 est courant, aujourd'hui, qu'un film 35mm soit tourné dans un certain
format d’image et montré dans un autre. Speed, par exemple, fut tourné en Figure 7.70
35 mm avec un procédé d’anamorphose. Certaines copies furent projetées
au format correspondant (2,35) et des copies 70mm furent tirées à partir
du négatif 35 mm et projetées au format 2,2.
La situation la plus courante est qu’une image filmée -plein-cadre» soit
réduite, en salle, au formai J ,85 au moyen d'une fenêtre de projection. Les
réalisateurs conservent les copies au formai standard (1,33) pour que le
transfert vidéo soit réalisé à partir d’une image plus carrée. Les copies sur
vidéodisques simulent les formats larges par l’introduction de bandes noi­
res en haut et en bas de l'écran.
Nous présentons en 7.72,7.73 et 7.74 différentes versions d’un même plan
de Retour vers le futur. La première image est celle, plein-cadre, de la copie
35mm, modifiée à la projection pour passer au format 1,85. La copie VHS Figure 7.71
(fig. 7.73) conserve une grande partie de cette image plein-cadre, tandis
que la version sur vidéodisque (fig. 7.74) donne à voir une image au for­
mat 1,85 proche de celle montrée en salle.
Le transfert vidéo devient un problème pour les films tournés en formats
larges, 1,85 ou 2,35. On peut utiliser des bandes noires, qui ne respectent
souvent qu'une partie du format original, ou le pan and scan, qui frag­
mente l'image originale.

Figure 7.72 Figure 7.73 Figure 7.74

285
NUHIl J - Il H1U

Figure 7.75 Figure 7.76 Figure 7.77

Par ailleurs, le format d’image peut être différent selon les formats de film.
Une image anamorphosée sur copie 35mm (format d'image: 2,35) est
coupée en haut et en bas lors du transfert en 16mm (les figs. 7.62 et 7.67
sont extraites de copies J6mm anamorphosées).
Au fil de ces variations de proportions, on se demande parfois quelle est la
version originale d'un film. Peu de réalisateurs ont été aussi clair que
Hans-Jürgen Syberberg, dont le Parsiftil (planche 58) débute par l'aver-
tisse-ment suivant : «Ce film a été tourné au format standard (fenêtre de
prise de vues : 1 x 1,33) et ne doit pas être montré sur écran large. •
I.a primauté du rectangle n'a pas empêché des réalisateurs d'essayer
Figure 7.78 d'autres formes de cadre, en utilisant des caches placés devant l’objectif pour
empêcher la lumière d'impressionner certaines parties de l'image. Cette tech­
nique était courante à l’époque du muet. Un cache circulaire mobile, qui
s'ouvre ou se ferme pour laisser apparaître ou faire disparaître une scène, est
un iris. Dans La Roue, Abel Gancc a employé diverses sortes de caches circu­
laires et ovales (fig. 7.75). On voit en 7.76 une image extraite d'intolérance
dont une grande partie est occultée pour ne plus laisser qu'une fine bande
verticale qui vient souligner la chute d’un soldat du haut d'un rempart. Quel­
ques réalisateurs du cinéma parlant ont réutilisé les iris et les caches : dans La
splendeur des Amberson (fig. 7.77), Orson Welles conclut une scène par une
fermeture à l’iris, ce qui ajoute une note nostalgique à la séquence.
Il faut enfin mentionner le procédé d'images multiples, aussi appelés multi*
images ou split screen, qui permet de faire apparaître dans le même cadre plu­
sieurs images ayant chacune leurs propres formes et dimensions. On s'est
servi de cet effet dès les débuts du cinéma pour présenter des scènes de con­
versation téléphonique; la figure 7.78 en fournit un exemple, tiré de Suspense
(Philips Smalley. 1913). Le procédé a été utilisé pour le même type de scène
dans Bye bye Birdie (Georges Sidney, 1963) et d’autres comédies sur écran

286
(Miniai 1 - U Pli B Lfi Nllll H ni!

large des années 60. Le splît screcn permet au spectateur de voir plusieurs
actions se dérouler en même temps et cet effet d’omniscience est un bon fac­
teur de suspense, comme l'a montré Brian de Palma dans plusieurs films,
notamment Sœurs de sang (Sisters, 1973). Dans L'uliimatum des trois merce­
naires (Twilight lasl gleanùng, Robert Aldrich, 1977) le moment précédant le
lancement des missiles est intensifié par une division du cadre en plusieurs
images qui nous fournissent un grand nombre d'informations simultanées :
certaines nous montrent les hommes désespérés qui ont réquisitionné le silo
Figure 7.79
de lancement des missiles, d’autres, une attaque lancée contre le silo par
Washington (fig. 7.79).
Le choix du formai est l’un des facteurs permettant au réalisateur de
façonner l’expérience du spectateur. La forme et les dimensions du cadre gui­
dent l'attention de ce dernier, pour la concentrer sur un élément précis au
moyen de la composition ou de caches, ou pour la perdre dans une démulti­
plication d’effets visuels et sonores. Les mêmes possibilités existent avec le
multi-images, procédé qui nécessite une coordination minutieuse de ses
divers éléments pour réussir à effectivement focaliser l’attention ou la faire
circuler d’une image à une autre.

Le champ et le hors-champ
Quelle que soit sa forme, le cadre limite l’image, la borne : d’un monde dont
nous acceptons qu’il est continu, il nous donne à voir un fragment choisi.
Même dans les premiers films de l’histoire du cinéma, largement influencés
par le théâtre, les personnages qui entrent dans l'image viennent de quelque
part et, lorsqu'ils en sortent, vont ailleurs —dans l'espace hors-champ. Un
film abstrait nous donne la même impression, que les formes qui surgissent
viennent de quelque part. Si la caméra se déplace, abandonne un personnage
ou un objet, nous supposons qu’ils sont toujours là, hors du cadre. Figure 7.80

Noël Burch a mis en évidence l’existence de six zones du hors-champ i


l’espace qui se trouve au-delà des quatre bords du cadre, l’espace se trouvant
derrière le décor et celui se trouvant derrière la caméra. Plusieurs éléments
peuvent servir à suggérer une présence dans l'un de ces différents hors-
champ : une direciion de regard ou de gestes, un son (voir chapitre9) une
avancée dans le cadre de quelque chose qui reste en grande partie hors-
champ. On pourrait trouver des exemples de ces effets dans n’importe quel
film, mais certains d’entre eux en font un usage plus surprenant.
Dans une scène de L'insoumise, l’héroïne, Julie, salue quelques amis en
plan moyen (fig. 7.80) lorsqu'une main énorme tenant un verre fait irruption
au premier plan, presque au centre de l'image (fig. 7.81). Julie regarde hors-
champ vers son propriétaire et s'avance; la caméra recule légèrement pour la Figure 7.81

287
min j - n mu ——

Figure 7.82 Figure 7.83 Figure 7.84

cadrer avec l'homme qui vient de porter un toast en son honneur (figs. 7.82,
7.83). L'intrusion de la main nous a violemment signalé la présence de cet
homme. Le regard de lulie. le mouvement de la caméra et la bande son sont
venus conforter notre nouvelle compréhension de l’espace total de la scène. Le
cadre a ici permis d'exclure un élément capital pour mieux organiser son
apparition.
Les irruptions dans le cadre sont plus systématiques, et développées
comme un thème, dans Muskeuen of PigAlley, de D.W. Griffith. Dans la scène
où un gangster essaye de glisser une drogue dans la boisson de l’héroïne, nous
ne savons pas que Snapper Kid est entré dans la pièce avant qu'un peu de
Figure 7.85
fumée de sa cigarette viennent flotter dans le cadre (fig. 7.84). À la fin du film,
le meme personnage reçoit de l'argent d'une main mystérieuse s'introduisant
dans l’image par l'un de ses bords (fig. 7.85). Chaque fois, Griffith a produit
un effet de surprise en nous rendant soudain conscients d'une présence hors-
champ.
Le cinquième hors-champ, celui qui se trouve derrière le décor, est cou­
ramment utilisé : des personnages sortent par une porte et sont dissimulés par
un mur ou une cage d’escalier. L’utilisation du sixième hors-champ —celui
qui se trouve à côté et derrière la caméra — est plus rare. La régie du jeu en
offre un exemple célèbre, dans un plan où les personnages font irruption dans
le cadre depuis le hors-champ : André et Robert sont pris dans une bagarre;
dans la mêlée. André est précipité en arrière par-dessus un canapé (fig. 7.86).
Figure 7.86
Des journaux sont projetés sur lui, arrivant dans le champ par le haut du
cadre, depuis un endroit situé • derrière le spectateur» (fig. 7.87).

Le cadrage : angle vertical, angle horizontal, hauteur et tailles de plan


Le cadre implique non seulement l’existence d'un espace se trouvant à l'exté­
rieur de ses limites mais aussi une position particulière depuis laquelle les

288
(wim ? - u pian . u hui pi iuu

Figure 7.87 Figure 7.88 Figure 7.89

déments composant l’image sont vus. Le plus souvent cette position est celle
de la caméra, mais il existe des exceptions : dans un film d'animation, les posi­
tions que semblent indiquer les images n’ont pas forcément été occupées par
la caméra pendant le tournage. Les plans d'un film d’animation peuvent
paraître cadrés en plongée ou en contre-plongée, en plan d’ensemble ou en
gros plan, ils sont toujours le résultat d’un effet de perspective dessiné, photo­
graphié depuis la même position. Nous continuerons toutefois à parler
d'angle et de hauteur de prise de vues, en sachant que ces termes désignent
plus ce que nous voyons à l’écran qu’une réalité de tournage.

Angle vertical. Le cadre implique l'existence d'un angle de cadrage qui déter­ Figure 7.90
mine notre position imaginaire par rapport à la scène montrée. Ces angles sont
en quantité infinie, la caméra pouvant virtuellement occuper n'importe quel
point de l'espace. On distingue trois principaux types d’angles verticaux:
l'angle normal, la plongée et la contre-plongée. L’angle normal, où l'axe de
prise de vue est horizontal, est le plus courant. On en voit un exemple, tiré de
Chronique d’Anna Magdalena Bach, en 7.88. Une plongée nous met • au-
dessus» de ce qui est filmé, regardant vers le bas, comme en 7.89 (bwi le terri­
ble). En contre-plongée, nous regardons par-dessous (fig. 7.90 : Ivan le terrible).

Angle horizontal. 11 faut aussi observer si les horizontales du cadre sont


parallèles à l’horizon, parallélisme qui a des conséquences sur l’impression de
«Stabilité» que donnent le cadre et les éléments filmés. Supposons que nous
soyons en train de filmer des poteaux électriques. Si l'angle horizontal est nor­
mal. les horizontales du cadre seront parallèles à l’horizon et perpendiculaires
aux poteaux. Si l’horizon et les poteaux forment des diagonales dans le cadre,
on dira que le cadre est incliné.
Le cadre incliné est rarement utilisé, meme si quelques films en ont abusés,
comme Mr. Arkadin (Confidential report. Orson Welles, 1955) ou Le troisième
homme (The third mon, Carol Reed. 1949) (fig. 7.91). Dans The end de Figure 7.91

289
puiiu. -..n

Figure 7.92 Figure 7.93

Christopher McLaine, un cadre incliné fait d’une rue escarpée un plan hori­
zontal et penche les maisons qui se trouvent à l'arrière-plan (fig. 7.92).

Hauteur. 11 est parfois important de signaler que le cadrage nous donne


l’impression d'être à une certaine hauteur par rapport à ce qui est donné à
voir. Cette hauteur détermine l’angle vertical : pour cadrer en plongée, il faut
être plus haut que ce qui est filmé.
Mais la hauteur n'est pas seulement l’un des paramètres de l'angle vertical.
Yasujiro Ozu, par exemple, place souvent sa caméra près du sol pour pouvoir
filmer les personnages assis par terre, sur les tatamis, ou certains objets (plan­
ches 41, 62 et 63). L’angle vertical est normal, nous voyons le sol. Filmer
depuis une faible hauteur tout en conservant un angle vertical normal est
l'une des grandes caractéristiques du style visuel de Ozu, sur lequel nous reve­
nons dans le chapitre 11.

Tailles de plan. Le cadrage nous place aussi à une certaine distance de ce qui
est filmé : nous pouvons avoir l'impression d’être très loin ou très près de ce
qui est mis en scène dans le plan. Celte distance apparente détermine l’échelle
des plans, la hiérarchie de leurs différentes tailles. Dans ce qui suit, nous pren­
drons pour mesure de référence le corps humain, même si n'importe quel
autre élément filmé peut avoir la même fonction. Les exemples sont tous tirés
du Troisième homme.
Dans un plan général, la figure humaine est à peine visible (fig. 7.93). C’est
Figure 7.95
le cadre des paysages ou des vues aériennes.
Dans un plan d'ensemble, les figures ont plus d'importance, même si
l'arrière-plan reste dominant. Le plan moyen montre les personnages en pied
dans le décor (fig. 7.94) et le plan américain large les cadre au-dessous des
genoux (fig. 7.95), ce qui permet d'équilibrer les figures et le fond. Les plans
cadrés à la même distance représentant des figures non-humaines sont appe­
lés des plans de demi-ensemble. Le plan américain cadre à mi-cuisse.

290
(W1JAI 1 ■ U PLflU . LU Pfilil PI VUU

Figure 7.96 Figure 7.97 Figure 7.98

En plan rapproché taille, les personnages sont cadrés au-dessus de la taille


(on peut l'appeler «plan taille») (fig. 7.96). Les gestes et les expressions y
deviennent visibles. Le pian rapproché poitrine cadre à partir de la poitrine
(«plan poitrine») (fig. 7.97) et le gros plan est traditionnellement celui qui ne
montre que la tête, les mains, les pieds ou de petits objets. 11 met en évidence
une expression du visage, le détail d’un geste, un objet déterminant (fig. 7.98).
Le très gros plan isole une partie du visage (les yeux, la bouche), rend les
détails gigantesques (fig. 7.99).
11 est plus important de considérer les tailles relatives de ce qui compose le
cadre qu’une quelconque «distance de prise de vues». De la même distance,
Figure 7.99
on peut filmer un personnage en plan d’ensemble ou un gros plan de King
Kong. L’image présentée en 7.100 (La Passion de feanne d’Arc) n'est pas un
gros plan, meme si l'on n’y voit que la tête du personnage : c’est un plan
d’ensemble, où la tête n’occupe qu'une partie réduite du cadre. (Si la caméra
faisait un mouvement vers le bas, on pourrait voir le corps entier.)
Il y a des confusions fréquentes sur les termes servant à décrire le cadre.
Aucune mesure absolue de l’angle ou de la distance de prise de vues ne per­
mettent de distinguer un plan d'ensemble d’un - plan grand ensemble», une
légère contre-plongée d’un angle normal. Par ailleurs, les réalisateurs ne sont
pas attachés à une terminologie précise : il leur importe peu qu’un plan rentre
dans les catégories traditionnelles. Ces notions restent néanmoins pratiques
lorsqu'il s’agit d’étudier un film. Sans se demander si tel plan de John Wayne
cadré légèrement au-dessus de la taille est encore un plan taille ou déjà un
plan poitrine, nous prouvons utiliser ces termes pour analyser la fonction de ce
cadrage dans le contexte du film et communiquer nos déductions.

fonctions du cadrage. Nous sommes parfois tentés d'attacher une significa­


tion définitive à certains types d’angles, de tailles de plan ou à d’autres carac­
téristiques visuelles du cadre. On peut penser qu'une contre-plongée «veut

291
M1IH 1^11-11111

dire» automatiquement qu’un personnage csl tout-puissant, et qu’à l’inverse


une plongée l'écrase et signifie son échec. Le langage fournit à ce type
d'approche des métaphores séduisantes : un plan incliné, par exemple, sem­
blera dire que «le monde vacille».

L'analyse de l'art du film serait sans doute facilitée par une telle normalisa­
tion du sens. Mais les films, pris individuellement, y perdraient beaucoup de
leurs richesses et de leurs singularités. Les angles et les tailles de plans peuvent
avoir les significations que nous avons évoquées dans quelques films, pas dans
la majorité d'entre eux. Ces formules ne prennent pas en compte le fait que les
significations et les effets sont toujours produits par la totalité d’une œuvre,
des opérations qui la fondent comme système: les fonctions du cadrage,
comme celles de la mise en scène ou des qualités photographiques du plan,
sont déterminées par l'ensemble du film, Observons trois exemples.

Les contre-plongées sur Kane dans le film d’Orson Wclles expriment à plu­
sieurs reprises la puissance menaçante du personnage, mais l’une des plus for­
tes contre-plongées intervient au moment d’une défaite humiliante : l'échec
de sa campagne électorale. L'angle permet ici d’isoler Kane et son ami dans un
décor déserté, celui de son quartier général (fig. 7.101). Le cadrage influe sur
la façon dont apparaissent les personnages, mais aussi sur l’apparence de
l’arrièrc-plan.

Si les interprétations toutes faites du sens d’une plongée étaient correctes,


le plan présenté en 7.102 (La mort aux transies) exprimerait l'impuissance de
Van Damme et Léonard. En fait Van Damme vient de décider de tuer sa maî­
tresse en la poussant d’un avion et il est en train de dire : • Tout sera beaucoup
plus facile à haute altitude». L'angle et là distance du cadrage annoncent habi­
Figure 7.101 lement la façon dont le meurtre devra se dérouler.

Figure 7.102

292
(WJLftl 1 - U HU . Lfi II VJ1U

Figure 7.103

De même, il n’est pas question de «monde qui vacille- dans cette image
extraite à'Octobre (fig. 7.103). L'inclinaison du plan accentue l’impression
d'effort que donnent les hommes poussant le canon.
Les tailles de plan, la hauteur et les angles de cadrage ont souvent des fonc­
tions narratives précises. Une taille de plan appropriée peut permettre de Figure 7.104
situer dans l'espace un décor ou des personnages, comme on le voit dans le
chapitre suivant avec l'analyse du montage de la première séquence du Faucon
maltais (The maltese falcott, |ohn Huston, 1941). Un détail narratif capital
peut ainsi se trouver isolé : les larmes d'Henriette dans Partie de campagne
(Jean Renoir, 1936) (fig. 7.104), les cheveux coupés de Jeanne dans La Passion
de Jeanne d'Arc (fig. 7.105).
Le cadrage nous donne aussi des indications sur le caractère «subjectif»
d'un plan. Nous avons vu au chapitre 4 que les informations constituant le
récit peuvent correspondre à différents degrés de «profondeur» psycholo­
gique : il est possible de rendre compte de ce qu'un personnage voit ou
entend, ce que nous avons appelé un effet de subjectivité perceptive Lors­
qu’un cadrage semble correspondre à la vision d'un personnage, il s'agit d'un
Figure 7.105
plan subjectif. En 7.106 (Fury, Fritz Lang, 1936), le héros est vu de l’extérieur

293
liiiiLi - u n m

Figure 7.108 Figure 7.109

à travers les barreaux de sa cellule, en légère contre-plongée, l^e plan suivant


(fig. 7.107) est une plongée qui nous montre la rue, à travers les barreaux,
c'est-à-dire ce qu'il est censé voir depuis sa position telle qu’elle a été établie
par le plan précédent.
La taille d'un plan et l'angle de prise de vues peuvent nous situer de façon
moins précise dans une certaine zone de l’espace imaginaire de la scène. Ainsi,
en 7.108 (Sergent York, John Ford, 1941), le plan montrant le pasteur ne cor­
respond pas à un point de vue particulier niais général, celui de l'assemblée
des fidèles. (Il aurait été possible de voir le pasteur en plongée, depuis un
point situé derrière lui, avec les fidèles devant.) Un plan incliné peut servir à
Figure 7.110 signaler certaines scènes ou certaines séquences dont le traitement narratif
diffère du reste du film. I>e plan incliné de la figure 7.109, extraite d'une
séquence de montage des Fantastiques années 20 ( The roaring twenties, Raoul
Walsh, 1939) montre une action quotidienne et non une scène particulière.
Un certain type de cadrage peut être associé, par répétition, à un person­
nage ou à une situation, et donc devenir un motif. Dans Le faucon maltais,
l'obésité de Casper Gutman est souvent accentuée par des contre-plongées
(fig. 7.110). La Passion de Jeanne d'Are est dominé par le retour obsédant de
très gros plans du personnage principal (fig. 6.14).
À t’inverse, certains cadrages peuvent être uniques. Le calme menaçant
généré par le plan montrant les mouettes au-dessus de Bodega Bay dans Les
oiseaux est dù au soudain changement de taille et d’angle : on passe d’un plan
épaule dont l’axe est horizontal à une large vue aérienne de la ville (plan géné­
ra! en plnngée) (voir les figures 8.38 et 8.39). Dans un film essentiellement
composé de plans d’ensemble ci de plans moyens, un très gros plan pourra
avoir une force considérable. De même, la rareté des plans subjectifs dans les
premières scènes du Aiien de Ridley Scott donne tout son impact au moment
où Kane s'approche des oeufs de la créature : nous les voyons telles qu’il les
voit, et c’est droit vers nous que le monstre jaillit. La soudaine restriction du

294
1 - LI llll LA HIH H mi

champ informatif au savoir d'un seul personnage permet de produire un choc


violent mais aussi de souligner le tournant décisif du récit.
À l’intérieur d’une même séquence, les différents paramètres du cadrage
peuvent évoluer de façon importante. Dans la séquence finale de La cinquième
colonne (Saboteur, Alfred Hitchcock, 1942) le héros relient le saboteur par la
manche de son manteau, en haut de la statue de la Liberté. La couture de la
manche commence à se défaire et Hitchcock fait alterner des plans généraux
de la statue, en plongée et contre-plongée, inclinés selon différents angles,
avec de très gros plans sur les points de couture qui éclatent un à un. Ix sus­
pense est principalement créé, dans celte scène, par le contraste entre des
tailles de plans qui sont au service du même effet : une vue d’ensemble qui
montre que le personnage est en grand danger, une vue en très gros plan qui
montre que sa vie ne tient plus qu'à un fil.
Le cadrage n’a pas que des fonctions narratives : il peut constituer en lui-
méme un élément significatif. Un gros plan peut mettre en évidence des
matières, des détails. Dans Pickpocket, nous sommes ainsi capables de voir les
gestes les plus ténus, les plus furtifs d’un voleur (fig. 7.111) en une série de
gros plans similaires qui composent comme un magnifique ballet de mains.
Des plans généraux nous permettent de fouiller du regard de vastes espaces.
Une grande partie du plaisir procuré par 2001 ou Les sept samouraïs vient du
pouvoir de ces plans large à donner une impression d’immensité.
Notre œil prend aussi plaisir aux jeux formels produits par des angles
inhabituels, comme lorsqu’une ballerine d’Enirncre (René Clair, 1924), filmée
par en-dessous, est transformée en une fleur qui se dilate et se contracte
(fig. 7.112). Dans La Passion de Jeanne d'Arc. les cadres renversés ne sont pas
motivés par le point de vue d'un personnage : ce sont des sortes d’études sur Figure 7.112

Figure 7.111

29S
PSfiLIJ 2 - U I1VU

Figure 7.113 Figure 7.114

le cadrage lui-même. «En représentant un objet sous un angle inhabituel et


surprenant «, écrit Rudolf Arnheim, * l'artiste force le spectateur à une atten­
tion plus vive, qui va au-delà de la simple perception et de l’acceptation de ce
qui se présente. L'objet ainsi photographié y trouve parfois un gain de réalité,
il donne une impression plus vivante, plus saisissante.»

1-e cadrage peut servir à des effets comiques, comme l'ont montré Charlie
Chaplin, Buster Keaton ou Jacques Tati. Nous avons vu que Keaton utilise la
profondeur du champ dans sa mise en scène des Lois âc l’hospitalité. Les
angles de prise de vues et les tailles de plans assurent de la même façon le suc­
cès de certains gags. Si le gag du train présenté en 6.94 avait, par exemple, été
filmé latéralement et en plan général, il aurait été impossible de voir aussi clai­
rement la séparation des deux parties du train sur des voies parallèles et la
posture insouciante du cheminot. I.a création d'un hors-champ est capitale
dans le gag présenté par les figures 6.103 et 6.104. Le comique est ici produit
par un jeu temporel : la traction qu’exerce Willie sur la corde semble tout
d'abord n'avoir aucun effet, puis l'on voit le fils Canfield attaché à l’autre bout
tomber à travers le cadre et disparaître. Willic réagit et est lui-même entraîné
hors cadre, dans le gouffre. Le gag naît ici d'une subtile association entre la
mise en scène et le cadrage.

Dans Playtitne, la mise en scène et les positions de la caméra concourent


aussi à créer des effets visuels amusants. M. Hulot sursaute en voyant que des
cornes semblent avoir poussées sur la télé d’un portier (ce sont en fait les poi­
gnées d’une porte transparente; voir fig. 7.114). Ce gag visuel est produit par
un choix minutieux de l’angle et de la taille du plan. Toutes ces fonctions non-
narratives du cadrage sont impossibles à catégoriser; nous pouvons seulement
dire que les angles, hauteurs et tailles de plan ont toujours la capacité d'aigui­
ser notre perception des qualités purement visuelles de l’image.

296
(U fl Pliai l - L( Plfi B U UIU H ÏUl!

Figure 7.11S Figure 7.116

Mobilité du cadre
Les caractéristiques que nous avons relevées jusqu’ici définissent aussi la pein­
ture, la photographie ou la bande dessinée. Toute image cadrée est analysable
en terme de format, de relation entre un champ ei un hors-champ, d’angle, de
hauteur et de tailles relatives des figures. Mais il y a une puissance du cadrage
qui est spécifiquement cinématographique (et vidéographique) : au cinéma,
le cadre peut bouger, évoluer par rapport à ce qui est cadré.
Il y a «mobilité du cadre* lorsque dans les limites de l'image, le cadrage
des objets change, lorsque la hauteur, l'angle de prise de vues ou la taille du
plan se modifient au sein d'un même plan. Le cadre nous assignant à une
position imaginaire par rapport à ce qui est filmé, sa mobilité entraîne la
nôtre : nous nous approchons ou nous éloignons des objets, en faisons le tour,
les dépassons.

Différente mouvements de cadre. Il est courant de parler de «mouvement de


caméra- pour désigner un mouvement de cadre. L'expression est justifiée
dans la majorité des cas, où la mobilité du cadre dépend effectivement de la
possibilité concrète de faire bouger l'appareil au cours de la prise. En général,
la caméra reste fixée à un support conçu pour faciliter un certain nombre de
mouvements produisant chacun un effet particulier à l'écran.
Le panora nuque horizontal est une rotation delacaméraautourd'unaxe
vertical. L’appareil ne se déplace pas. À l’écran, le cadre donne l'impression de
balayer horizontalement l'espace: c’est un - mouvement de la tète- vers la
droite ou vers la gauche. En 7.115 et 7.116 (Ordet), la caméra panoramique
(on peut aussi dire «panotc-) vers la droite pour conserver les personnages
dans le cadre au moment où ils traversent la pièce.
Le panoramique vertical, ou basculement, est une rotation de la caméra,
toujours fixe, autour d’un axe horizontal : la - tète- de l’appareil pivote vers le

297
uniH ) - iî nm

Figure 7.117 Figure 7.] 18

bas ou vers le haut. Ce mouvement produit l'impression d'un déroulement de


l’espace, de bas en haut ou de haut en bas. La mariée était en noir (François
Truffaut, 1967) débute par un panoramique vertical décrivant de haut en bas
la façade d’une église (figs.7.117,7.118).
Dans le travelling, la caméra se déplace dans toutes les directions —en
avant, en arrière, en diagonal, circulaircmcnt, latéralement — sans quitter le
sol. Les figures 7.119 et 7.120 montrent deux images d'un meme travelling
latéral extrait des Rapaces, de Erich von Stroheim. Le rapport entre la taille
des personnages et le cadre reste constant pendant qu’ils longent le trottoir, et
la façade de la maison qu'ils aimeraient acheter est toujours visible derrière
eux.
Une grue permet parfois de déplacer la caméra au-dessus du sol. La scène
du deuil â'ivan le terrible débute par une plongée sur le cercueil (fig. 7.121),
puis la caméra descend pour montrer Ivan agenouillé (fig. 7.122). La grue ne
bouge pas seulement selon un axe vertical, comme un ascenseur, mais aussi
d'avant en arrière et latéralement. A la fin de Morgan! (Morgan, a suitable case

298
UjPIJK l U HH ■ Il rais

Figure 7.121 Figure 7.122

for treatment, Karel Reisz, 1966), la caméra fan un mouvement ascendant


oblique vers l'arrière pour révéler que le jardin apparemment inoffensif du
héros manifeste scs sympathies communistes (figs. 7.123, 7.124). Les plans
réalisés par hélicoptère ou par avion peuvent être considérés comme des
variations sur les plans à la grue.

Les panoramiques, travellings et mouvements de grues sont les effets les


plus courants, mais n'importe quel mouvement est a priori possible. On peut
en confondre quelques-uns : le panoramique horizontal ressemble parfois au
travelling latéral, le panoramique vertical à un mouvement de grue. Mais le Figure 7,123
spectateur un peu expérimenté fait facilement la différence : dans les mouve­
ments panoramiques, la caméra ne se déplace pas mais pivote. En 7.115 on
voit que le personnage principal est, au début du plan, de profil et relative­
ment proche de la caméra; un travelling latéral suivant son mouvement
l'aurait gardé de profil dans le cadre, mais en 7.116 il sest éloigné de l’appareil
et se montre de dos, ce qui signale un mouvement panoramique. En travelling
latéral ou dans un mouvement de grue vertical, la caméra bouge horizontale­
ment ou verticalement, se déplace avec un personnage, s'élance au-dessus
d’un paysage. On verra plus loin que différents mouvements de caméra peu­
vent aussi être combinés.
Figure 7.124
Les mouvements de caméra fascinent les réalisateurs et les spectateurs
depuis les débuts du cinéma. Ils ont souvent pour effet de démultiplier les
informations spatiales sur une image : les positions relatives des objets
deviennent plus sensibles que dans une image fixe et de nouveaux objets peu­
vent apparaître. Les travellings et les mouvements de grue fournissent des
vues constamment changeantes. Un mouvement circulaire autour d'un objet
en accentue la volumétrie, lui confère une plus grande matérialité. Les

299
tum i li m

panoramiques supposent une continuité de l'espace, dans ses dimensions


horizontales ou verticales.

Il est difficile de ne pas percevoir un mouvement de caméra comme notre


propre mouvement de spectateur. Les objets paraissent moins s’agrandir ou
rapetisser que nous n'avons l'impression de nous en approcher ou de nous en
éloigner. Ibut en gardant à l’esprit notre situation réelle de spectateur immo­
bilisé dans une salle, nous sommes généralement sensibles à la puissance sub­
jective d'un mouvement de caméra et les réalisateurs jouent beaucoup sur cet
effet en lui donnant des motivations narratives — en le transformant en plan
subjectif représentant la vision d'un personnage en train de se déplacer, par
Figure 7.125 exemple. Au-delà de cette motivation narrative, l'impression générale
demeure, dans tous les cas, que la mobilité du cadre substitue à notre regard
et à notre attention le vagabondage de l'œil de la caméra.

Dans les productions commerciales, un grand nombre de mouvements


sont réalisés en fixant la caméra à une dolly (un chariot sur lequel est fixée une
petite grue) qui peut être déplacée sur des rails ou sur tout autre support spé­
cialement conçu. Un autre système très utilisé est la Steadicam. un harnais
équipé d'un dispositif anti-vibratoire, supportant la caméra et attaché à l'opé­
rateur, qui permet à ce dernier de marcher et de cadrer avec des mouvements
réduits tout en contrôlant l'image sur un moniteur vidéo. Un autre opérateur
s’occupe du point à distance, par radioguidage.

Figure 7.126 Le dispositif anti-vibratoire de la Steadicam autorise des mouvements très


fluides : on peut se déplacer avec un acteur montant un escalier, traversant
différentes pièces ou conduisant une bicyclette. Dans Raging Btdl, la Steadi­
cam permet de suivre le personnage principal à travers la foule hors des ves­
tiaires. le long d'un couloir (fig. 7.125) puis en haut d’une volée de marches
(fig. 7.126), jusqu'au ring. Certains réalisateurs utilisent maintenant la Steadi­
cam pour pouvoir, au montage, insérer des plans en mouvement dans des
plans fixes trop longs.

Certains effets spéciaux nécessitent la programmation et l'exécution préci­


ses des mouvements de caméra au moyen d'ordinateurs. Grâce à des automa­
tes de prise de vues, un même déplacement peut être répété pour filmer les
différents éléments d'un plan composite. Un travelling avant vers un vaisseau
spatial pourra être recommencé à l’identique pour filmer le fond sur lequel la
maquette sera insérée par cache mobile; un mouvement de caméra réalisé en
extérieur pourra être assujetti à ceux déjà réalisés en studio. Lorsque les créa­
teurs de Danger immédiat (Clear and présent danger, Philip Noyce, 1994) ne
réussirent pas à obtenir d'autorisation pour filmer Horrison Ford en voiture
dans l’enceinte de la Maison Hlanchc, ils enregistrèrent par ordinateur un

300
(HMI1L l - LI PLJJHJfl MHl U »UJ

mouvement panoramique parcourant, sans l'acteur, l’espace qui sépare la


grille de l’entrée principale du bâtiment. En Californie, Harrison Ford fut
filmé dans une voiture, et le programme reproduisit le panoramique original.
Les deux plans furent ensuite combinés numériquement.
Le réalisateur peut préférer une image aux mouvements heurtés, hésitants,
qu’il obtient par la technique dite de la caméra portée. L’opérateur ne fixe pas
l’appareil sur un trépied ou sur une dolly,c’est son corps qui fait office de sup­
port, sans l'assistance d'un système anti-vibratoire. On voit en 7.127 Don
Pennebaker portant sa caméra à bout de bras pendant le tournage de Keep on
rockittg. Cette technique s'est répandue vers la fin des années 50, avec le déve­ Figure 7.128
loppement du cinéma direct. Parmi les premiers plans en caméra portée, l'un
des plus célèbres est un travelling de Primary pour lequel l’opérateur suivit
John F. Kennedy à travers une foule dense en tenant la caméra au-dessus de sa
tête (fig. 2.1).

La caméra portée est aussi utilisée dans les films de fiction, souvent au ser­
vice d'effets subjectifs — voir la figure 7.128, une image de Police spéciale (The
nak&ikiss, Samuel Fullcr, 1964). Elle accentue parfois une impression de bru­
talité, le sentiment que l'action a été filmée « sur le vif». La première charge à la
machette (La primera cargo al machetc, Manuel Octavio Gomez, 1969) se
déroule en 1868, bien avant l’invention du cinéma, mais présente néanmoins Figure 7.129
son histoire de rébellion paysanne sous la forme d’un documentaire, composé
d'entretiens et de fausses archives auxquelles le filmage en caméra portée con­
fère un caractère d’immédiateté et d'urgence (fig. 7.129).

La mobilité du cadre n'est pas seulement produite par des mouvements de


caméra. Dans un dessin animé, l’appareil est assigné à une seule position mais

301
Figure 7.130 Figure 7.131 Figure 7.132

des effets identiques à ceux des mouvements de caméra peuvent être créés
image par image (figs. 7.130-7.132, un panoramique de Theoldgrey hare). Un
effet de cadre mobile peut être produit en photographiant à differentes dis­
tances successives une mémo partie d'une image fixe, procédé fréquent en
tirage optique. Un iris qui s’ouvre sur une large vue ou se ferme pour isoler un
détail, un zoom avant ou arrière, tous ces effets participent de la mobilité du
cadre.
Il est difficile d’illustrer ici la différence entre les mouvements optiques
Figure 7.133 réalisés en laboratoire ou les zooms, et ceux réalisés par déplacement de
l’appareil au cours de la prise de vues. Personne ne confondra une ouverture à
l’iris ou un travelling circulaire avec un zoom; mais comment distinguer un
zoom avant d’un travelling avant, un mouvement de grue arrière d’un reca­
drage réalise sur tireuse optique ? Dans les dessins animés, les truquages ou les
zooms, le mouvement du cadre est en fait obtenu par réduction ou agrandis­
sement d’une partie de l’image. Les mouvements d'appareil produisent eux
aussi ces changements de dimension des objets représentés, mais ces derniers
paraissent en plus passer les uns derrière les autres à différentes vitesses, nous
révélant différents aspects de leur volumétrie et amplifiant les effets de pro­
fondeur.
Figure 7.134
Considérons quelques exemples. Dans La guerre est finie (Alain Rcsnais,
1966), un travelling avant permet de faire sentir toute la masse et la solidité
d’un mur (figs. 7.133, 7.134). L'écriteau n'a pas seulement changé de dimen­
sions, sa forme même a changé avec l'évolution du point de vue. De même en
7.135-7.137, dans un travelling avant oblique extrait du Dernier tango à Paris
de Bertolucci.
Les mouvements optiques n’altèrent pas la forme ou les positions relatives
de ce qui est filmé. Les troupes en marche de Barry Lindon (Stanley Kubrick,
1975) diminuent de taille, dans plusieurs plans, par l’effet d’un zoom arrière

302
(WIIH 1 - U Plflü II PAIU H fUIi

Figure 7.135 Figure 7.136 Figure 7J37

(figs.7.138, 7.139). Notre point de vue sur les soldats et sur te paysage ne
change pas mais notre appréhension spatiale de la scène évolue avec l'agran­
dissement relatif du cadre : à cause de la vue au téléobjectif, les personnages
paraissent plus proches des arbres du fond au début du plan qu'à la fin, où le
zoom révèle aussi l'existence d’un groupe de spectateurs au premier plan.
Les réalisateurs associent souvent entre eux ces mouvements de cadre que
nous avons pour l'instant commenter isolément : un travelling et un panora­
mique, un mouvement de grue et un zoom peuvent être réalisés simultané­
ment. Chaque cas est généralement analysable comme une combinaison des Figure 7.138
différents mouvements fondamentaux que nous venons d’évoquer.

Fonctions des mouvements de cadre. Notre relevé des différents mouvements


de cadre possibles serait de peu d’utilité sans quelques considérations sur
leurs fonctions à l’intérieur d’un film. Quels sont les effets de ces mouvements
sur notre appréhension de l’espace filmique ? Du temps filmique ? Comment
constituent-ils en eux-mêmes des formes? Il faut, pour répondre à ces ques­
tions, observer leur interaction avec la forme du film.

I. L'espace. Les mouvements de cadre participent de façon importante à la


Figure 7.139
création du champ et du hors-champ. Un travelling avant ou un zoom
avant mettent l’espace du champ hors-champ; d'autres mouvements,
d’appareil ou optiques, révèlent de nouvelles portions de l'espace filmique.
Il est courant qu’un mouvement arrière parte d'un détail pour amener
quelque chose d'inattendu dans le champ; c'est le cas dans te dernier
exemple tiré de L'insoumise (figs. 7.80-7.83) : après l’intrusion dans le
cadre de la main tenant le verre, la caméra recule légèrement pour laisser
apparaître l’homme au premier plan. La mobilité du cadre a aussi des con­
séquences sur les tailles de plan, les angles et les hauteurs : un travelling
avant changera un plan d'ensemble en gros plan; un mouvement de grue
vertical, une contre-plongée en plongée.
Quelques observations fondamentales permettent en général de clarifier
les relations entre les mouvements de cadre et l'espace filmique. Leur lien

303
paftm â - u nuu __

avec les mouvements des personnages ou des objets, par exemple. Le reefl-
drage est l'une des fonctions les plus courantes des mouvements de cadre :
un personnage se déplace, la caméra panote horizontalement ou verticale­
ment pour compenser l’effet de ce déplacement sur la composition de
l’image. Ainsi dans Hisgirl Friday. lorsque Hildy va s’asseoir sur le bureau,
un panoramique gauche-droite la suit; lorsque Walter pivote sur son siège,
le plan est légèrement recadré vers la gauche (figs. 7.140-7.142). Motivés
par les déplacements des personnages, les recadrages sont souvent imper­
ceptibles et pourtant très nombreux.
Un mouvement de cadre peut aussi permettre de suivre des personnages
ou des objets : un panoramique conserve une voiture au centre du cadre,
un travelling avant suit un personnage d’une pièce à une autre, un mouve­
ment de grue accompagne l’envolée d'un ballon. La mobilité du cadre a ici
pour fonction principale de maintenir notre attention sur te sujet du plan,
au mouvement duquel elle est subordonnée.
Ces plans d’accompagnement peuvent devenir très complexes. Dans de
nombreuses scènes de Chronique d'un amour (Cronaea di un amore,
Michclangelo Antonioni, 1950) la caméra suit un personnage qui en croise
un autre, accompagne ce second personnage jusqu’à un troisième quelle
suit à son tour, et ainsi de suite. La séquence de la soirée offre un superbe
exemple de caméra qui passe rapidement, sans interruption, d'un person­
nage à un autre.
Le mouvement du cadre n'est pas nécessairement subordonné à celui des
personnages. Un mouvement non motivé par un déplacement à l'intérieur
de l'image peut simplement servir à révéler une information narrative
importante. Dans les cas les plus banals. la caméra vient pointer un indice
ignoré, un signe qui commente l'action principale, une ombre que per­
sonne n’a vue, une main qui s'agrippe. Le mouvement d'appareil peut
décrire un décor dans lequel les personnages vont pénétrer, comme au

304
-.lUUU U wh Pt ÏJLU.

Figure 7.143 Figure 7.144 Figure 7.145

début de Laura (Otto Preminger, 1944), où la caméra glisse à travers le


salon de Waldo Lydccker pour établir la richesse et le raffinement de ce
dernier avant de venir s’arrêter sur le policier, ,MacPhcrson. Dans Le crime
de M. Lange, un panoramique sur la chambre du personnage permet de le
caractériser en laissant voir des pistolets, des chapeaux de cow-boys, une
carte des États-Unis où l’Arizona est entouré (figs. 7.143-7.147). Lange est
ainsi montré comme un doux rêveur, vivant au milieu de fétiches du Wes­
tern auxquels il fait appel pour écrire ses histoires de cow-boys.

Qu elle dépende ou non des mouvements des personnages, la mobilité du


cadre peut affecter profondément notre perception du champ et du hors- Figure 7.146
champ. À chaque type de mouvement de cadre correspond une concep­
tion particulière de l'espace. Dans L'année dernière à Maricnbad, de longs
travellings traversant des couloirs, des pièces, transforment une luxueuse
résidence hôtelière en une sorte de labyrinthe. Alfred Hitchcock a réalisé
quelques-uns des plus célèbres mouvements de caméra de l'histoire du
cinéma : un mouvement de grue combiné à un travelling part d’un plan
d’ensemble en plongée montrant une salle de danse pour se terminer sur
un très gros plan du clin d’œil que fait l'un des musiciens, dans Jeune et
innocent (Young and innocent, 1937); un travelling arrière et un zoom
avant réalisés simultanément déforment une perspective dans Vertigo. (Cet
effet est, par exemple, réutilisé dans Les dents de la mer, au moment où le
shérif Brody comprend, sur la plage, que le requin a attaqué un enfant. La Figure 7.147
combinaison d'un travelling et d'un zoom fonctionnant dans des direc­
tions opposées devient un cliché du cinéma hollywoodien contemporain.)
Dans des films comme Rouges et blancs (Csillagosok, katonàk, 1967), Agnus
Dei (£gi bàrâny, 1971) ou Psaume rouge (Még kér a nép. 1972), Miklôs
Jancsd s’est fait une spécialité de mouvements de caméra très longs qui
parcourent des groupes en train de traverser une plaine, où sont mises en

305
mjll a LL 1ULLL

Figure 7.148

œuvre toutes les ressource du travelling, du panoramique, de la grue et du


zoom.
Pour réaliser La région centrale (197O-7J) Michael Snow construisit la
machine que l'on voit en 7.148. Les bras articulés tenant la caméra, com­
mandés à distance, pouvaient exécuter toute une série de mouvements
rotatifs —complexes mouvements hélicoïdaux ou vastes cercles. La
machine fut installée dans un paysage canadien désolé pour en filmer des
vues mobiles exceptionnelles: les variations sur les capacités techniques du
dispositif fondent le système formel abstrait de l’œuvre.
Tous ces exemples concernent les effets de la mobilité du cadre sur notre
appréhension de l'espace filmique. Nous pouvons observer pour tout
mouvement de cadre son action sur la définition du champ et du hors-
champ, sa relation aux mouvements des figures, le mouvement d'appareil
ou la trajectoire qu'il suppose, et surtout, le lien de tous ces effets aux for­
mes narratives ou non-narratives.
2. Le tenipt. Un mouvement de cadre se déroule aussi dans le temps. Les réa­
lisateurs savent qu’il peut être déterminant dans la perception de la durée
et du rythme d’un plan ou d’une scène. On comprend toute l'importance
de ce travail temporel en comparant l'œuvre de Yasujiro Ozu à celle de
Kenji Mizoguchi; on observe que le premier favorise des mouvements
courts et unidirectionnels (par exemple dans Début d'été ou Le goût du riz
au thé vert) là où le second préfère des travellings lents, étirés, souvent
combinés à des panoramiques. Cette différence de durée des mouvements
de caméra constitue l'une des grandes différences stylistiques entre les
deux réalisateurs.
Un mouvement de caméra s’inscrivant dans le temps, il peut créer une
série d'attentes et y répondre. Avec le panoramique sur la chambre de
M. Lange, décrit plus haut (figs. 7.143-7.147), Renoir pousse le spectateur
à se demander pourquoi la caméra se sépare ainsi du personnage principal
et y répond en montrant les signes de la fascination de Lange pour l’Ûuest

306
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américain. Nous examinons plus loin un autre cas de manipulation des


attentes du spectateur par un mouvement de caméra, celui du plan d’ou­
verture de La soif du mai d'Orson VVclles.
La vitesse d'un mouvement de cadre est elle aussi importante : un zoom
peut, au même titre qu'un déplacement d’appareil, être plus ou moins lent.
Il y eut dans les années 60 une mode du zoom avant ou arrière extrême­
ment rapide, qui débuta avec deux films de Richard Lester, hard day's
night (196-1) et Help! (1965). À l’inverse, dans Intolérance de D.W. Griffith,
c'est la lenteur du monumental mouvement de grue descendant à travers
l’immense décor de la fête de Belshazzar qui donne au plan toute sa
majesté et son suspense (le décor est montré en 6.11).
Un mouvement de caméra crée ses propres effets : un brusque panorami­
que se séparant de la scène en cours alerte le spectateur, qui se demande ce
qui vient de se passer: un travelling arrière peut soudain révéler une infor­
mation inattendue ; un mouvement vers un détail dont la lenteur retarde la
parfaite compréhension participe du suspense d’une scène. I j vitesse d’un
mouvement de cadre peut être justifiée par des effets narratifs : un rapide
travelling avant vers un objet peut permettre d’en souligner l’importance
dans l'intrigue.
Cette vitesse peut aussi avoir une fonction rythmique. Dans Pastorale d'été
de Will Hindle, un zoom avant combiné avec un léger basculement du
cadre vers le haut et vers le bas produit une sorte de pulsation douce et
ample de l’image au rythme de la musique de Honegger. Dans le numéro
«Broadway rythm* de Chantons sous la pluie, un mouvement de grue
arrière très rapide modifie à plusieurs reprises le cadre sur Genc Kelly et
vient souligner les paroles de la chanson. La vitesse d’un mouvement de
cadre peut aussi avoir des qualités expressives : un mouvement peut être
fluide, saccadé, hésitant... autre façon de contrôler notre perception de la
dimension temporelle du plan.

3. Schèmes de mouvement de cadre. La mobilité du cadre peut produire, dans


un film, ses propres motifs. Psychose, par exemple, débute et se termine
avec un mouvement vers l’avant : au début du film, la caméra panote vers
la droite sur une large vue d’une ville et un zoom avant vient isoler un
bâtiment. Une série de mouvements identiques nous font pénétrer, par-
dessous un store, dans une chambre d’hôtel minable. Ce mouvement de
pénétration est répété à travers le film sous différentes formes, souvent
motivé comme point de vue subjectif des personnages qui vont toujours
plus loin dans la maison de Norman Bâtes. L’avant-dernier plan du film
montre Norman assis devant un mur entièrement blanc, tandis que l'on
entend son monologue intérieur. La caméra s’avance vers lui, jusqu’à ne

307
2 - u (uu

plus cadrer que son visage. Ce plan est le climax de l’ensemble des mouve­
ments vers l'avant qui ont débutés avec le zoom vers l’hôtel : le film nous a
fait littéralement entrer dans l’esprit de Norman. Dans Citizen Kane, la
récurrence des mouvements vers l'avant métaphorise également la lente
découverte du secret d une personnalité.
Dans Lola Montés (Max Ophuls, 1955), les travellings à 360° qui caractéri­
sent les scènes se déroulant dans l’arène du cirque s’opposent aux cons­
tants mouvements de grue verticaux des scènes montrant son passé. Le va-
et-vient d'un panoramique horizontal fonde toute la structure formelle de
** de Michael Snow, généralement appelé Rack and Forth (1968-69); le
changement de ce mouvement en un panoramique vertical, à la fin du
film, crée un effet surprenant. Dans tous ces films, les mouvements de
cadre sont un matériau sujet à répétitions et variations.

Dans ces exemples, les répétitions et variations des motifs constitués par
les mouvements de caméra sont corrélés à une forme narrative ou non-narra­
tive. Nous allons rapidement évoquer deux films qui illustrent de façons
opposées ces corrélations dans un cadre narratif; dans la premier, la mobilité
du cadre est au service du récit tandis que dans le second, la forme narrative
est subordonnée à un mouvement qui la dépasse.
La grande illusion (Jean Renoir, 1937) est un film de guerre où l'on ne voit
presque jamais la guerre: les clichés du genre —attaques héroïques ou
bataillons condamnés — sont absents, la Première Guerre mondiale est tenue
obstinément hors-champ. Renoir préfère s’intéresser à la vie dans un camp de
prisonniers allemands, pour évoquer l’influence de la guerre sur les relations
entre des hommes de nationalités et de classes sociales différentes. Maréchal
et Boïeldieu sont deux prisonniers français; Rauffenstein est allemand. Mais
Boïeldieu, d'origine aristocratique, a plus de points communs avec Rauffens­
tein qu'avec Maréchal, un mécanicien. Le récit décrit la mort du couple aris­
tocratique Boïeldieu-Rauffenstein et la survie difficile de Maréchal et son
compagnon, Rosenthal : comment ils se cachent dans la ferme d'Eisa et y
trouvent un moment de paix, comment ils arrivent jusqu'à la frontière fran­
çaise, pour probablement retrouver la guerre.
Les mouvements de caméra ont dans le film plusieurs fonctions, toutes en
relation directe avec le récit. Il y a tout d'abord les mouvements d'accompa­
gnement des personnages : la caméra suit les évadés, Maréchal et Rosenthal,
durant leur marche; elle recule lorsque les prisonniers sont attirés à la fenêtre
par le bruit des troupes allemandes allant au pas.
Mais ce sont les mouvements non soumis aux déplacements d’un person­
nage qui font l’intérêt du film. Ils interviennent pour commenter l'action,
créer du suspense ou donner au spectateur une information inconnue des

308
imim i - Lum = lô h ms

Figure 7.149 Figure 7.150 Figure 7.151

personnages. Dans une scène, par exemple, l'un des prisonniers qui creusent
le tunnel destiné à l’évasion tire sur la corde signalant qu'il veut être tiré hors
du trou : la caméra cadre la boite de conserve qui, attachée à la corde, tombe
(fig. 7.149), puis panote vers la gauche pour montrer que les autres personna­
ges n’ont rien remarqué (figs. 7.150,7.151 ). Le mouvement de caméra contri­
bue ainsi à créer une narration à caractère omniscient.
La caméra est parfois un agent très actif, dont Renoir utilise les mouve­
ments répétés pour créer des sortes de thèmes ayant une fonction narrative.
Un de ces thèmes est celui du mouvement liant les personnages à un détail de
leur environnement. Une séquence débute par un gros plan sur un détail dont
la caméra établit en reculant le cadre général, spatial et narratif. Ainsi la con­
versation entre Boieldieu et Maréchal, pendant laquelle ils planifient leur éva­
sion, débute par un gros plan sur un écureuil dans une cage (fig. 7.152) avant
qu’un travelling arrière montre les deux hommes de chaque côté de la cage
(fig. 7.153), pour créer un parallèle narratif évident.
La scène de la cérémonie de Noèl chez Eisa est plus complexe; elle s'ouvre
sur un gros plan de la crèche et le mouvement arrière de la caméra révèle, en

309
Miim- u mu.

Figure 7.154 Figure 7.155

plusieurs temps, le jeu entre les diverses réactions des personnages. Ces mou­
vements ne sont pas simplement décoratifs : commencer par un détail scéni­
que avant d’en montrer le contexte est une façon très tenue de souligner les
relations entre les différents éléments de la mise en scène. Il en va de même
pour les plus rares travellings avant du film, qui viennent isoler un détail à la
fin d'une scène, comme au moment où, après la mort de Boïeldieu, la caméra
s'avance vers la fenêtre pour cadrer en gros plan le géranium dont Rauffens-
tein vient de couper l’unique fleur (figs. 7.154,7.155).

Les personnages sont parfois liés à leur environnement par des mouve­
ments de caméras plus complexes, qui mettent en évidence d’importants
parallèles narratifs. Dans la première scène du film, alors que Maréchal quitte
le mess des officiers (fig. 7.156), Renoir combine un panoramique et un tra­
velling latéral vers la gauche pour montrer des photographies de pin-up (sur
la droite de l'image, en 7.157) et une affiche (fig. 7.158). Une scène plus loin,
un même mouvement vers h droite abandonne un groupe d’officiers alle­
mands pour parcourir, dans leur mess, une même série de décorations

Figure 7.156 Figure 7.157 Figure 7.158

310
SM.WIU - il HH , i« mu » LUI ————

Figure 7.159 Figure 7.160 Figure 7.161

(figs. 7.159, 7.161). Le mouvement de caméra signale ici la ressemblance fon­


damentale entre les deux belligérants, estompant les différences de nationali­
tés pour accentuer la communauté des désirs. Répétés suivant un système de
thème et variations, les mouvements de caméras établissent le parallèle nar­
ratif.
Deux travellings permettent, dans deux autres scènes du film, de comparer
la conception aristocratique de la guerre à celle des classes inférieures. Rauf-
fenstein vient d’être nommé commandant du camp de prisonniers; un long
travelling débutant sur un Christ en croix (image ironique, puisque la cha­
pelle a été réquisitionnée pour devenir un bivouac) se glisse le long de crava­
ches, d’éperons, d'armes et de gants jusqu’à un domestique préparant les
gants de Rauffenstein puis à Rauffenslein lui-mème, ainsi présenté dans ses
nouvelles fonctions (figs. 7.162-7.169). Toute la mystique militaire aristocra­
tique, celle de la grâce venant sur le champ de bataille, est ici exposée, en
silence, au moyen d’un seul mouvement de caméra.
Plus tard, un autre plan vient critiquer celui-ci : il débute à nouveau sur un
objet — une photographie du mari d'Eisa, ornée d'un voile noir marquant le

Figure 7.162 Figure 7.163 Figure 7. IM

311
Figure 7.165 Figure 7.166 Figure 7.167

Figure 7.163 Figure 7.169 Figure 7.170

Figure 7.171 Figure 7.172

deuil (fig. 7.170)— cl un travelling arrière révèle d’autres photographies des


membres de la famille, dont Eisa explique hors-champ où ils ont été tués. Puis
un travelling vers la gauche (fig. 7.171) vient cadrer la table de la cuisine, où la
petite Lotte est assise, seule (fig. 7.172) au moment où sa mère dit que
• maintenant, la table est trop grande ». La répétition d’un mouvement de
caméra crée donc un parallèle qui permet de comparer la guerre telle qu elle
est vécue par Eisa et par Rauffcnstein. Les deux mouvements fonctionnent en

312
(WlliXJ - 14 Ml Lfi LfilH

Figure 7.173 Figure 7.174 Figure 7.175

Figure 7.176 Figure 7.] 77 Figure 7.178

relation avec la mise en scène, le parallèle étant renforcé par l’utilisation sub­
tile des objets comme motifs — les crucifix des figures 7.162 et 7.172, les pho­
tographies des figures 7.163 et 7.170, les tables à la fin des deux plans.
Une autre fonction des mouvements de caméra est de lier les personnages
entre eux. Dans le camp de prisonniers, la caméra se déplace continuellement
pour relier un homme à son camarade, créant spatialement leur commu­
nauté. Les prisonniers fouillent dans une malle contenant des vêtements fémi­
nins et l’un d'entre eux décide de se déguiser: lorsqu’il réapparaît tous les
autres se figent et Renoir montre silencieusement, en travelling, leurs visages,
sur lesquels peut se lire le désir refoulé.
Un mouvement de liaison plus savant intervient dans la scène du specta­
cle, lorsque les hommes apprennent que les Français ont repris une ville
investie par les Allemands : la caméra parcourt le groupe au moment où, arrê­
tant la représentation, les prisonniers entonnent la Marseillaise. Le plan est
une sorte d'hymne à l'unité spatiale, partant des musiciens (fig. 7.173] pour
aller trouver, en travelling latéral vers la droite, les chanteurs (figs. 7.174,
7.175) et deux gardiens allemands inquiets (fig. 7.176). Un panoramique
droite-gauche vient ensuite montrer une rangée de prisonniers debout,

313
ihuu-h.mu

chantants (fig. 7.177); un travelling arrière nous fait repasser devant les musi­
ciens (fig. 7.178) et un nouveau panoramique droite-gauche cadre, de face,
l’ensemble de l'assistance (fig. 7.179). Ce mouvement très complexe fait circu­
ler la caméra parmi les prisonniers au moment où ils s'unissent pour défier
ceux qui les ont capturés.

Dans la ferme d’Eisa aussi, les mouvements de caméra relient les


personnages : on peut se rappeler par exemple du plan qui débute sur Eisa et
Rosenthal, en intérieur, pour rejoindre Maréchal, à l'extérieur, en passant par
la fenêtre. Tous ces mouvements de liaison culminent à la fin du film, lorsque
Figure 7.179 Renoir panoramique vers la gauche pour relier les Allemands restés d'un côté
de la frontière (fig. 7.180) aux évadés français, qui ont réussi à passer de
l’autre côté (figs. 7.181, 7.182). Même à celte échelle, la caméra de Renoir
refuse de séparer les nationalités.

Une remarque d'André Bazin nous semble ici pertinente : «Jean Renoir a
trouvé une façon de révéler la signification cachée des gens et des choses sans
détruire l'unité qui leur est naturelle». Soulignant certains détails et créant
des comparaisons, la mobilité du cadre devient aussi importante, dans ce film,
que la mise en scène. La caméra produit spatialement des rapports qui enri­
chissent le récit : Renoir a inventé des formes de mouvements de cadre qui
participent pleinement du système narratif.

Dans Wavelength (Michael Snow, 1966-67), la relation entre la mobilité du


cadre et le récit est exactement inverse. Au lieu de venir alimenter la forme
narrative, la mobilité du cadre la domine et cherche à nous en détourner. Le
film débute par un plan d'ensemble sur l'intérieur d'un grand appartement.
Nous faisons face à un mur garni de fenêtres (fig. 7.183) et, au bout de quel­
ques minutes, un brusque zoom avant change la taille du plan. Ce cadre est
conservé quelques temps, puis un nouveau zoom avant produit un nouveau

Figure 7.180 Figure 7.181 Figure 7.182

314
(Wllkl 1 - U PUB U PfillI H UIJ

cadre (fig. 7.184). Le film dure ainsi cinquante minutes; à la fin, une photo­
graphie montrant des vagues, accrochée au mur, emplit l’écran.
Wavelengih est donc construit autour d’un seul type de mouvement de
cadre, le zoom avant. Le film ne se développe pas selon une structure
narrative : il s’affirme comme une étude minimale des effets du zoom sur la
représentation de l’espace de cet appartement. Les coups de zoom créent de
brusques transformations de la perspective, produisent de nouvelles relations
spatiales : ils excluent progressivement du cadre la majeure partie de la pièce,
agrandissent et aplatissent ce qui nous reste à voir. l_a bande son vient renfor­
cer cette progression formelle par l’émission d'un simple bourdonnement qui
devient de plus en plus aigu avec l’agrandissement de l'image. Figure 7.183

Au sein de celte structure, on trouve deux sous-systèmes en opposition. Le


premier est constitué par une série de couleurs, produites par des filtres, qui
forment dans l'image des zones abstraites. Ces couleurs viennent souvent
contrarier les effets perspectifs.
Le second évoque un récit schématique. Des personnages entrent dans
l’appartement à intervalles irréguliers; ils parlent, écoutent la radio, passent
des coups de téléphone. Il y a même une mort mystérieuse —on voit un
cadavre sur le sol, en 7.185. Mais ces événements restent inexpliqués et ne
mènent à aucun type de dénouement (meme si, à la fin du film, nous enten­
dons un son qui ressemble à celui d'une sirène de police). Aucun d'entre eux
ne détourne le cadre de son inexorable avancée : les coups de zooms conti­
nuent, excluant progressivement du cadre ce qui parait èire des informations Figure 7.184

narratives importantes. tas fragments de récit restent donc secondaires,


dépendants de la temporalité déterminée par les avancées du zoom.
Wavelength éveille chez le spectateur une série de questionnements inhabi­
tuels. Ce qui y tient lieu de récit provoque la curiosité (que font ces gens?
Qu’est-ce qui a provoqué la mort de l’homme couché sur le sol, s'il es! bien
mort ?) et la surprise (le meurtre). Mais A ce suspense narratif, le film substi­
tue un suspense formel où la question principale devient : qu’est-ce que le
zoom va cadrer f Les couleurs et les fragments de récit travaillent, comme les
mouvements spasmodiques du zoom, à retarder ou contrarier la progression
du cadre. Lorsque l’objectif final du mouvement est atteint, toutes les attentes
formelles du spectateur sont satisfaites : le titre du film apparaît comme un
jeu de mot pluriel, qui se réfère autant à la montée continue de la hauteur du
Figure 7.185
son («wavelength» signifiant «longueur d’onde») qu’a la distance qu'il a fallu
parcourir pour arriver à la photo —une «longueur» (length) au bout de
laquelle se trouvent les vagues (waves).
La grande illusion et Wavelength illustrent les différentes façons dont la
mobilité du cadre peut déterminer notre appréhension de l’espace et du

31S
Mfilil J - U H VU

temps filmiques. Cette mobilité peut être motivée par des éléments formels de
plus grande importance, comme dans le film de Renoir, ou devenir le prin­
cipal objet formel se subordonnant tous les autres systèmes, comme dans le
film de Snow. En portant ainsi attention à la façon dont les réalisateurs
emploient la mobilité du cadre dans des contextes particuliers, nous acqué­
rons une plus grande compréhension du fonctionnement général d’un film.

La durée de l'image : le plan long


Figure 7.186
Nous avons surtout évoqué, jusqu'à maintenant, les qualités spatiales de
l’image : les modifications apportées par les techniques photographiques, le
travail du cadrage. Mais le cinéma est aussi un art du temps. Nous avons déjà
vu comment la mise en scène ou les mouvements de cadre qui opèrent dans
des dimensions spatiales opèrent également dans des dimensions temporelles.
Il nous faut à présent réfléchir à l’influence de la durée sur notre appréhen­
sion d’un plan.
Il est courant de penser qu’un plan restitue une durée - réelle». Un coureur
qui mei trois secondes pour franchir une haie mettra aussi trois secondes à
l’écran. Un théoricien du cinéma, André Bazin.cn a fait l'un des principes de
son esthétique: le cinéma enregistre du -temps réel» (voir les «Notes et
Points d’interrogation» pour un commentaire sur la théorie bazinienne).
Mais la relation entre la durée du plan et la durée de l’événement filmé n'est
Figure 7.187
pas si simple.
Tout d’abord, la durée de ce qui est représenté peut être manipulée par
réglage du mécanisme d'entrainement de la pellicule, dans la caméra ou la
tireuse (voir plus haut dans ce chapitre). Ralenti ou accéléré, le saut du cou­
reur pourra durer vingt secondes ou seulement deux. Ensuite, dans les films
narratifs, la - durée réelle» de ce qui est présenté par le récit et la durée effec­
tive de ce qui est montré à l'écran peuvent être très différentes (voir au
chapitre 4, la distinction entre durée du récit et durée de projection).
Observons un plan de Un fih unique (Hitori musuko. Yasujiro Ozu, 1936). Il
est minuit passé, nous venons de voir une famille éveillée, en train de discuter.
Le plan montre un recoin sombre de l'appartement, vide de personnage
(fig. 7.186). Bientôt la lumière commence à changer ; le soleil se lève; à la fin du
plan, c'est le matin (fig. 7.187). Ce plan de transition a duré environ une
minute, pour représenter un événement d'au moins cinq heures. Il n'est donc
pas question de -temps réel» : la manipulation de la durée du récit conduit ici à
une compression du temps de l’histoire. Dans le chapitre suivant, nous étudie­
rons ce travail de dilatation et de compression temporelle du point de vue du
montage, mais il est important de comprendre que ce travail est aussi possible

316
. U Hil U Klll » <1U

au sein d'un seul et même plan cl qu'il n’y a aucune nécessité de correspon­
dance absolue entre la durée du plan et celle des événements représentés.

Le plan long
Tout plan a une durée mesurable. Les réalisateurs en ont favorisé, au cours de
l'histoîre du cinéma, différentes sortes. Les premiers films (1895-1905) étaient
souvent constitués d'un seul plan relativement long. Avec l'émergence entre
1905 et 1916 de ce que l'on appellera plus loin le «montage par continuité»,
les plans devinrent plus courts. À la fin des années dix et au début des années
vingt, la durée moyenne du plan était de cinq secondes, qui montèrent à dix Figure 7.188
secondes après l'arrivée du parlant.
Mais il y a toujours eu des réalisateurs pour préférer des plans de durées
supérieures à la moyenne, Vers le milieu des années 30 il y eut dans différents
pays une tendance à faire des plans plus longs, tendance qui se développa au
cours des vingt années suivantes. Les causes de ce changement sont complexes
et partiellement incomprises, mais il est évident que ces plans de longueurs
inhabituelles — ces plans longs — sont une ressource formelle majeure pour
les réalisateurs.
Dans les films de Jean Renoir, de Kenji Mizoguchi, d'Orson Welles, de Cari
Dreyer ou de Miklâs Jancsô, un plan peut durer plusieurs minutes et il est
donc impossible d'analyser leurs films sans quelques connaissances des effets
formels et stylistiques de cette durée. Un plan de My Hustler (Andy Warhol,
1965) suit le jeu de séduction entre deux homosexuels se préparant dans leur
salle de bain (fig. 7.188). Il dure à peu près trente minutes et constitue à lui
seul la seconde moitié du film.
On peut généralement regarder un plan long comme une alternative â une
suite de plans plus courts. Lorsqu'une scène entière est composée d'un seul
plan, on parle de «plan séquence».
Le plus souvent, les réalisateurs emploient le plan long de façon ponc­
tuelle. en alternance avec des moments reposant sur le montage, ce qui leur
permet d’associer certains aspects des formes narratives ou non-narratives à
différents choix stylistiques. Ainsi la première partie de L'heure des brasiers (La
hora de los homos. Fernando Solanas, Octavio Gctiho, 1966-68) décrit
l’influence des idéologies européennes et nord-américaines sur les pays en
voie de développement au moyen d'un montage entre images documentaires
et plans mis en scène, et se termine par un lent zoom avant sur une photogra­
phie du cadavre de Che Guevara, symbole de la résistance des guérillas contre
l’impérialisme. Solanas fait durer ce plan trois minutes, pour forcer le specta­
teur à réfléchir au prix payer par les résistants.

317
mni j - u uvu

Figure 7.189 Figure 7.) 90 Figure 7.191

Figure 7.192 Figure 7.193 Figure 7.194

Le mélange entre plans longs et plans plus courts permet aussi de créer des
parallèles el des oppositions entre différentes scènes. André Bazin avait
remarqué que Citizen Kaneoscillait entre les plans longs des scènes dialoguécs
et le montage rapide de quelques séquences, dont celle des «News on the
mardi». Hitchcock, Mizoguchi ou Dreyer faisaient eux aussi varier la durée
des plans suivant la fonction d’une scène dans le film.
Un réalisateur peut aussi décider de n'utiliser que des plans longs. La Corde
(Rope, Alfred Hitchcock, 1948) n'est composé que de huit plans, qui ont tous
la longueur d'une bobine. Sirocco d'hiver (Sirokkâ, 1969), Agnus Dei, Psaume
rouge et d'autres films de Miklôs lancsd ne contiennent que des plans
séquence. Dans ces exemples, chaque plan devient une sous-partie du film et
les raccords peuvent acquérir une très grande force. Après un plan de six ou
sept minutes un raccord elliptique peut, par exemple, totalement désorienté le
spectateur, comme on le voit dans les films de Jancsé.
Si le plan long remplace souvent le montage, il n'est pas étonnant qu’il
soit souvent associé à une mobilité du cadre: panoramiques, travellings,
mouvements de grue et zooms permettent de varier les points de vue tout en

318
(Hi >lli( 1 - U PU fi Lfi pum Pi mi

respectant la continuité du plan, pour créer des effets comparables, dans une
certaine mesure, aux changements de vues produits par le montage.
Les mouvements de cadre brisent le plan long en sous-unités signifiantes.
Dans Les sœurs de Gion (Gion no shimai, Kcnji Mizoguchi, 1936) un plan long
débute sur Omocha et le vieil homme, assis presque face à face (fig. 7.189).
Puis, $e préparant à le séduire afin qu’il devienne son «protecteur», elle se lève
pour aller de l’autre côté de la pièce, suivie en travelling arrière par la caméra
(figs. 7.190, 7.191 ) et. dans un second temps, cherche à provoquer sa compas­
sion. 11 vient la consoler (figs.7.192, 7.193): la caméra se rapproche au
moment où il succombe à ses avances (fig. 7.194). On voit qu’ici, sans mon­
tage, les mouvements de la caméra et des personnages ont marqué des étapes
importantes de l’action.
Les plans longs sont généralement filmés en plan moyen ou en plan
d'ensemble, comme dans l'exemple précédent. Le spectateur a ainsi le temps
de parcourir du regard un champ plus étendu et d’y découvrir lui-même les Figure 7.195
éléments intéressants. Stcven Spielberg, dont on ne peut pas dire qu'il soit un
cinéaste du plan long, a reconnu l’importance de cet effet :
l’aimerais que les réalisateurs fassent confiance au public, qu’ils le croient
capable de devenir, avec scs yeux, le monteur des films, un peu comme
devant une pièce de théâtre, où le public choisit qui il veut regarder dans
une scène... Il y a tellement de montage, tellement de gros plans qui sont
tournés actuellement, qui sont, je crois, comme une influence directe de la
télévision.
Nous avons toutefois vu, dans le chapitre précédent, comment le réalisa­
teur peut guider le regard du spectateur dans le cadre au moyen de la mise en
scène, autre façon de dire que le plan long est souvent un moyen de souligner
les differentes composantes de la mise en scène — l’interprétation, la lumière
Figure 7.196
ou les décors par exemple.
Le plan extrait des Sœurs de Gion illustre aussi une autre caractéristique
importante du plan long. Il possède une forte logique interne : il a un début,
un milieu, une fin. Comme sous-partie du film, le plan long peut avoir sa pro­
pre structure, sa propre progression, ses propres principes formels. Il déve­
loppe son propre suspense; nous commençons â nous demander comment le
plan va continuer et quand il va finir.
L’exemple classique du plan long constituant une unité formelle indépen­
dante est celui de la séquence d’ouverture de La soif du niai. Il débute par un
gros plan sur une main qui remonte le mécanisme d’horlogerie d’une bombe
(fig. 7.195), immédiatement suivi par un travelling latéral gauche-droite sui­
vant d’abord l’ombre, puis la silhouette d’un inconnu qui place la bombe
dans le coffre d’une voiture (figs. 7.196, 7.197), Figure 7.197

319
________________________ M1IIL1 - U IIILI__________________ —

Figure 7.198 Figure 7.199 Figure 7.200

Figure 7.20) Figure 7.202 Figure 7.203

La caméra prend de la hauteur pour cadrer en plongée la fuite de cet


homme et l'arrivée de deux autres personnages, qui s'installent dans la voiture
(fig. 7.198). Lorsque cette dernière tourne au coin de la rue, la caméra décrit
un vaste cercle pour la retrouver dans une autre rue et la précéder en travel­
ling arrière (fig. 7.199).
La voiture passe à côté de Vargas et de sa femme, Susan, et la caméra com­
mence à suivre le couple en un travelling arrière oblique, alors qu'ils traver­
sent la foule des passants (fig. 7.200).
La caméra recule jusqu’à ce que la voiture, Susan et Vargas se croisent à
nouveau, cette fois au poste frontière. S'ensuit une brève scène avec le garde-
frontière (figs. 7.201,7.202).
Après un travelling latéral droite-gauche suivant la voiture, la caméra
retrouve Susan et Vargas (fig. 7.203) et s’avance vers eux. Le plan sc termine
au moment où le couple va s'embrasser (fig. 7.204) mais est interrompu par le
son d une explosion, hors-champ. Ils se retournent pour regarder ce qui s’est
passé (fig. 7.205). Le plan suivant est un rapide zoom avant sur la voiture en
flammes (fig. 7.206).

320
Figure 1 le douter Adam Figure 2 franci Mm

Figure 4 fat P/ght

Figure 3 lapti Figure 6 L'Argent

Figure 5 Le bon, ta brute et Le truand Figure 7 L'Argent


Figure 8 L'Argent Figure 9 lever»

Figure 10 le ver»
Figure 11 Le vent

Figure 12 Fredi Orlando

Figure 13 le prise du pouvoir par Louis XfV

Figure i 4 La nuit de ion lorenzo Figure 15 Casanova

II
Figure 17 love

Figure l8Uft-e
Figure 19 lewr

Figure 20 Qui o peur de Roger Rabbü ? Figure 2 f La Chmorse

Figure 22 La Chinoise Figure 23 La me pourpre du Caire

III
Figure 25 le sud

Figure 2-1 La rose pourpre du Caire

Figure 27 /frit dur du vent


Figure 26 La chambre verte

Figure 29 Ivan le terrible


Figure 28 tvon le terrible

Figure 30 tes oloue(f« sur Le fü Figure 31 Xol

IV
Figure 33 Meurtre dani un /orrfin angiaii

Figure 32 A

Figure 34 4 Brttfr Tomorrv* ui

Figure 36 Life on a String - Oten Koige Figure 37 Sorrtbiianga

Figure 38 One froggy Eventng Figure 39 Bambt

V
Figure 40 Hw Mfoff

Figure 41 Rn d'automne

Figure 42 Fin d'automne


Figure 43 Lancelot du lac

Figure 44 Le chant du Mnsouri


Figure 45 le chant du Mitsoun

Figure 46 Stator Figure 47 Rainbow Dance

VI
Figure 48 £û colère des dieux

Figure 49 Cenere

Figure 54) Vmj ta Muette!

Figure 51 Les petites marguerites

Figure 52 Innocence sons protection

Figure 53 Kasba

Figure 54 Kasba
Figure 55 Le dernier longe à Paris

VII
Figure 56 le dernier tango à Ponj
Figure 57 Juews froides

Figure 58Pûfütal
Figure 59 Rusty (ornes

Figure 60 Paris, teas Figure 61 Paris, Texas

Figure 62 Bonjour Figure 63 Bon/our

VIII
■(JIJU1JALU-U.HU-.- ILnUULHU. _

Figure 7.20-1 Figure 7.205 Figure 7.206

Ce plan d’ouverture expose clairement les principales caractéristiques du


plan long. 11 offre une alternative à un montage de plans courts et accentue
l’effet du raccord final (encore décuplé, ici, par le bruit de l'explosion). Le
plan à sa propre structure interne et sa propre progression : nous nous atten­
dons, pendant toute sa durée, à l'explosion de la bombe montrée au début. Il
établit la géographie de la scène (la frontière entre le Mexique et les États-
Unis). Le mouvement de caméra, qui suit alternativement la voiture et le cou­
ple, tresse deux fils narratifs séparés qui se croisent au poste frontière: Vargas
et Susan se trouvent ainsi mêlés à l'intrigue dont participe la voiture piégée.
Notre attente est satisfaite lorsque la fin du plan coïncide avec l'explosion de la
bombe, hors-champ : le plan a déterminé notre réaction en nous menant à
travers une construction dramatique pleine d'incertitudes, d’effets de sus­
pense. On voit donc que le plan long a la capacité de présenter, dans un seul
bloc de temps, une série complexe et structurée d'événements concourant au
même point final. Cette capacité fait de la durée du plan une qualité de
l’image aussi importante que ses différents paramètres photographiques ou
son cadrage.

Résumé
Le plan est donc une unité formelle très complexe. La mise en scène fournit à
l’image des matériaux —décors, costumes, éclairage, jeu des acteurs— qui
dépendent du contexte formel de l'œuvre considérée dans sa totalité. Suivant ce
même contexte, le réalisateur contrôle aussi les différentes qualités proprement
cinématographiques du plan — sa photographie, son cadrage, sa durée à l'écran.
Il est facile de se sensibiliser à ces différentes qualités comme à celles de la
mise en scène en suivant la progression, à travers un film, de l'une d’entre
elles, ou en essayant de repérer le début et la fin d'un plan, de comprendre la

321
Nilll J - Il îI!LL£

relation d'un plan long au reste du film. 11 faut observer les mouvements de
caméra, tout particuliérement ceux qui accompagnent l’action (parce que ce
sont ceux que l'on remarque habituellement le moins). C'est seulement en
étant conscient de ces qualités cinématographiques qu’il devient possible de
comprendre leurs éventuelles fonctions au sein du système filmique.
I^S chapitres 6 et 7 étaient consacrés au plan; le chapitres a pour sujet la
mise en rapport des plans entre eux, le montage.

Notes et points d'interrogation

La couleur contre le noir et blanc


Actuellement, la plupart des films sont tournés avec des pellicules couleur et
les spectateurs s’attendent généralement à ce qu’un film soit en couleur. A dif­
férents moments de l'histoire du cinéma, cependant, la couleur et le noir et
blanc étaient utilisés pour leurs différences de signification. Dans le cinéma
américain des années JO et 40, la couleur était réservée aux contes comme Le
magicien d'Oz. aux films historiques ou exotiques comme Becky Sharp (Rou-
ben Mamoulian, 1935) et Arènes sanglantes (Blood and sand, Rouben
Mamoulian, 1941), ou à quelques comédies musicales luxueuses comme Le
chant du Missouri. noir et blanc était alors considéré comme plus - réa­
liste». Mais maintenant que la majorité des films sont en couleur, les réalisa­
teurs emploient le noir et blanc pour évoquer une période historique (par
exemple dans deux films radicalement opposés, Chronique d‘Anna Magdalena
Bach, de Straub et Huillet. et Ed Wood. de Tim Bu non). La couleur devien­
drait synonyme de réalisme, formule qui, comme les autres, n’a aucune valeur
absolue : la fonction de la couleur ou du noir et blanc reste déterminée par le
contexte particulier constituée par le film lui-mème.

Les effets spéciaux


Une des raisons pour lesquelles les grands studios se présentent eux-mêmes
comme des - usines à rêves» est que les effets spéciaux nécessitent des tech­
niques et des dépenses qu’ils sont les seuls à pouvoir fournir. La réalisation
des effets spéciaux —transparences, caches, surimpressions ou autres —
demande du temps, de la patience, des répétitions : un contrôle total de la
mise en scène. Il n’est donc pas surprenant que Méliès, le premier réalisateur à
avoir pleinement tiré parti des possibilités offertes par le tournage en studio,
ait excellé dans ce type de travail. Il n’est pas plus surprenant que la UFA. la

322
iwj > >li - n plu.- iji mu » vmi

gigantesque société de production allemande des années 20. se soit mise à


investir massivement dans les nouveaux procédés d’effets spéciaux lorsqu’elle
devint le studio le mieux équipé d’Europe. À Hollywood, la croissance des
studios à partir du milieu des années 10 s'accompagna du développement des
départements spécialisés dans les truquages. Des ingénieurs, des peintres, des
photographes, des décorateurs inventaient ensemble des effets visuels inédits
— Thistoirc des effets spéciaux s'est principalement faite dans ces «usines à
rêves».

Mais la motivation de ces sociétés n’était pas une curiosité désintéressée :


les dépenses faites pour une transparence ou un effet de cache étaient d’abord
des investissements. Ces truquages représentaient souvent des économies à
long terme. Au lieu de construire un énorme décor, on pouvait filmer les
acteurs à travers un panneau de verre sur lequel le décor était peint; au lieu
d’emmener les acteurs et l'équipe technique au pied des pyramides, on pou­
vait utiliser une transparence. De plus, les effets spéciaux rendaient possibles
certains genres jusqu’alors irréalisables : le film historique à grand spectacle,
avec ses foules et ses vastes panorama de Rome. Babylone ou Jérusalem; les
films fantastiques et leur panoplie de fantômes, de chevaux volants, d’hom­
mes invisibles ou qui rétrécissent; les films de science-fiction pour lesquels
les effets spéciaux sont quasiment indispensables. Pour les grands studios,
l’«usinc» était au principe de la «rêve».

Le format de l'image
Dans Le Méprit (Jean-Luc Godard, 1963). Fritz Lang, jouant son propre rôle,
dit sur un ton de regret que «le CinémaScopc n’est bon qu'à filmer les enterre­
ments et les serpents». Le Mépris est évidemment un film destiné à une pro­
jection sur écran large, utilisant un procédé d'anamorphose (le Franscope).

Le format de l’image a été un problème débattu dès les débuts du cinéma.


Le format Edison-Lumière ( 1,33) ne fut généralisé qu’en 1911, et même après
cette date d’autres formats furent encore essayés. De nombreux chefs opéra­
teurs pensaient que 1,33 était une proportion parfaite {peut-être sans savoir
qu’il reprenait le nombre d'or de l’académisme pictural). L’invention des for­
mats larges au début des années 50 provoqua des cris et des pleurs. La plupart
des opérateurs les détestaient : les objectifs ne permettaient plus d'obtenir une
image totalement nette, l’éclairage devenait plus complexe et, comme l'a dit
Lee Garnies : «Nous regardions par le viseur de la caméra et étions toujours
surpris par ce qui s’y trouvait*. Mais certains réalisateurs —Nicholas Ray,
Akira Kurosawa, Samuel Fuller, François Truffaut. Jean-Luc Godard — ont
créés en formats larges des compositions surprenantes et inventives.

323
l.UJIW

Au cours des années 80, deux variâmes du format traditionnel furent con­
çues pour répondre à la demande de formats larges. Une de ces innovations fut
le Super-35mm, qui permet d’augmenter la place occupée par l’image sur une
pellicule 35mm standard. Essayé dans des films comme Abysse ou Black min
(Ridley Scott, 1989), ce format annonce la possibilité, pour les réalisateurs, de
tirer des copies en 2,35 (avec anamorphose) ou en 1,85 (avec caches). Le Super-
16mm a été plus largement adopté à cause de sa capacité à être gonflé en
35mm; il fournit 40 %de surface d’image en plus et un cadre plus large qui avec
des caches donne un format de 1,85, favorisé pour les projections en 35mm.
Utilisé pour la première fois dans Balltul of Gregorio Cortez.dc Robert Young et
Reviens, Jimmy Dean, revient (Corne baek ta the five and dime. Jimmy Dean.
Jimmy Dean, Robert Altman. 1982), le Super-16 mm a permis la réalisation de
films indépendants comme Workinggirls de Lizzie Bordcn ou Nota Duling n’en
fait qu’à sa tête (She’s gotta hâve il Spike Lee, 1986) et a été souvent utilisé au
cours des années 90, par exemple dans Leaving Las Vegas (Mike Figgis, ■ ).

Le plan subjectif
La position et les mouvements de la caméra nous incitent parfois à voir une
scène - par les yeux, d'un personnage. Certains réalisateurs (Howard Hawks,
John Ford, Kenji Mizoguchi, Jacques Tati) se servent rarement du plan
subjectif; d’autres l’utilisent de façon constante (Alfred Hitchcock, Alain
Rcsnais). Police spéciale, de Samuel Fuller, débute par une série de plans sub­
jectifs marquants (voir la figure 7.128) :
On ouvre avec une coupe franche |un «eut»]. Dans cette scène, les acteurs
se servaient de la caméra. Ils portaient la caméra; elle était collée sur eux.
Pour le premier plan, la caméra était attachée à la poitrine du proxénète. Je
dis à [Constance] Towers: «Frappe la caméraI». Elle frappe la caméra,
l’objectif. Puis j'inverse le dispositif. Je mets la caméra sur elle, et elle
frappe l’autre de toute scs forces jusqu’à ce qu'il sorte. Je pense que ça a été
efficace. [Rapporté dans Eric Sherman et Martin Rubin, The directors
event, New York, Signet, 1969, p. 189. ]
Les réalisateurs ont commencé très tôt à explorer les possibilités de la
• caméra subjective ». On trouve des plans subjectifs dans un film de 1901,
Grandma’s reading dass. Les trous de serrure, les jumelles ou d'autres types
d'ouvertures et de fentes étaient souvent utilisés pour justifier un point de vue
optique inhabituel. Abel Gance employa beaucoup de plans subjectifs dans
pâteuse, en 1919, et de nombreux réalisateurs des années 20 s'intéressèrent à
l’expression filmique de la subjectivité : Jean Epstein avec Cœur fidèle (1923)
ou La belle tiivernaise (1923), E.A. Dupont avec Variety ( 1925), F.W. Murnau
avec Le dernier des hommes (1924) et sa fameuse séquence d’ivresse, et Abel

324
I11HUIJ. - U_H1I ULttülH H U

Gancc avec Napoléon (1927). Certains pensent que le plan subjectif, et plus
particulièrement les mouvements de caméra subjectifs, trouvèrent une
extrémité logique incontrôlée dans La dame du lac (Lady in the lake, Robert
Montgomery, 1946). Pendant la quasi-totalité du film, la caméra est à la place
du personnage principal, Philip Marlowe, que nous voyons seulement
lorsqu'il se regarde dans un miroir. «Du suspense! De l'insolite!» clamaient
les publicités pour le film. «VOUS acceptez une invitation dans l'appartement
d'une blonde! Un homme suspecté de meurtre VOUS frappe à la mâchoire!»
L’histoire technique du plan subjectif a poussé les théoriciens du cinéma à
se demander dans quelle mesure il provoque une identification du public au
personnage. Nous prenons-nous pour Philip Marlowc en regardant La dame
du lac ? Ce problème reste l'un des points difficiles de la théorie du cinéma:
on en trouvera quelques commentaires dans les ouvrages cités dans la biblio­
graphie de ce chapitre.

Zoom et mouvement de caméra


Un critique a résumé en une formule la conception hollywoodienne classique
du mouvement de caméra : «Le réalisateur ou le chef opérateur intelligents ne
déplacent la caméra que lorsque le mouvement est justifié par ce qui est
filmé.» À titre de comparaison, voici ce qu'écrivait, sur le même sujet, Dziga
Vcrtov: - Je suis le ciné-œil, je suis un œil mécanique... À partir de mainte­
nant et pour toujours, je me libère de l’immobilité humaine, je suis en perpé­
tuel mouvement».
La Steadicam («steady cam», littéralement: caméra stable), un harnais
équipé d’un système gyroscopique permettant de compenser tout phénomène
vibratoire, s'est affirmé comme un moyen d’économiser de l'argent lors de la
réalisation de travellings complexes. Le chef opérateur Allen Daviau a utilisé
ce système dans l’épisode de The twilight zone réalisé par George Miller, pour
recréer les impressions données par les oscillations d'un avion pris dans une
tempête. «J’ai demandé à Garret [Brown] : «Est-ce que tu peux régler tes
gyroscopes pour que ça devienne une caméra instable (an unsteadycam)
Et j'ai dit à John Toll, qui portait la caméra: «Prends ce satané machin et
secoue-le!»» (Moviemakers ai work, cd. David Chell, Redmond, Washington,
Microsoft Press, 1987, p. 28)
Dans les années 60, zoomer est devenu une pratique courante, que de
nombreux critiques et théoriciens ont comparée (en général, défavorable­
ment) â celle des mouvements de caméra. Hitchcock inventa, dans Sueurs
froides (Veriigo, 1958), la combinaison d’un zoom avant et d'un travelling
arrière. Commentant son utilisation de la même technique dans Le samouraï.

325
mm i - u niu

Jean-Pierre Melville faisait remarquer que «plutôt que d’avoir simplement


recours à la technique, maintenant classique, consistant à compenser l’effet
d’un travelling arrière par un zoom avant, j’ai utilisé le meme mouvement,
mais avec des arrêts». L’effet ainsi obtenu a quelques ressemblances avec
l’aplatissement saccadé de la profondeur dans Wavelmgth.

Plan long et «temps réel»


l a caméra enregistre-t-elle du «temps réel» ? Et si cela est vrai, quelles en sont
les conséquences sur la valeur artistique d’une oeuvre filmique ?
C’est à André Bazin que revient l’initiative théorique d’avoir considéré le
cinéma comme un art reposant sur le «temps réel». Il affirmait que le cinéma
est, comme la photographie, une technique d’enregistrement. La caméra ins­
crit, photochimiquement, la lumière renvoyée par un objet sur la pellicule;
elle enregistre des phénomènes spatiaux, mais aussi du temps. « Le cinéma
apparaît comme l'achèvement dans le temps de l'objectivité photographique
(...) Pour la première fois, l'image des choses est aussi celle de leur durée et
comme la momie du changement» [Qu’est-ce que le cinéma?, p. 14.] Bazin
voyait alors le montage comme une interruption insupportable de la conti­
nuité naturelle de la durée, et défendait donc des réalisateurs comme Jean
Renoir, Orson Welles, Wylliam Wylcr ou Robcrto Rossellini, chez lesquels
l’utilisation du plan long était selon lui un moyen de respecter le déroulement
temporel concret d’une situation.
Il faut reconnaître à Bazin le fait d'avoir attiré l'attention sur les qualités du
plan long, à une époque où les autres théoriciens du cinéma en faisait une
technique «théâtrale* et «anti-cinématographique». Cependant, le problème
du «temps réel» au cinéma est sans doute plus complexe que ce qu’il pensait.
Ses idées ont finalement ouvert la voie â des analyses concernant le style des
réalisateurs plutôt qu’à des analyses concernant la façon la plus «réaliste» de
filmer une scène. On ne se demande plus, en analysant un film de Renoir, si
ses plans longs sont plus «fidèles» à la réalité que les plans courts d’Eisenstein,
mais on s'interroge sur les différentes fonctions formelles de ces plans dans les
films de chacun. Il faut signaler, par ailleurs, qu’Eiscnstein avait proposé bien
avant Bazin de filmer tout une scène de Crime et châtiment en un seul plan
long. Voir le chapitre intitulé «La composition dans le plan» dans scs Leçons
de mise en scène.
La remarque de Stcven Spielberg citée plus haut dans ce chapitre est représen­
tative d'une opinion très répandue selon laquelle le plan long, comme les mises
en scène utilisant une grande profondeur de champ, laisse au spectateur une plus
grande liberté que le montage. Bazin est aussi â l’origine de cette idée, qu’il a
notamment développée dans ses textes sur Orson Welles et Wylliam Wylcr.

326
D'un plan à l'autre :
8
le montage

Depuis les années 20, moment où les théoriciens du cinéma


commencèrent à prendre la mesure des puissances du montage,
celui-ci est devenu la technique cinématographique la plus large­
ment commentée et débattue. Cela n'a pas toujours été une
bonne chose, certains ayant cru trouvé dans le montage la clé
d'un cinéma de qualité (voire de tout le cinéma). Mais de nom­
breux films, surtout ceux réalisés avant 1904, ne sont composés
Ce qu'est le montage
que d'un seul plan et ne font intervenir aucune effet de montage.
Dimensions du montage
Dans certains films expérimentaux, la durée de chaque plan cor­
Le montage par continuité
respond à celle d’une bobine; ces œuvres où le montage a une
Alternatives au montage par
place réduite ne sont pas moins «cinématographiques» que
continuité
d'autres — c'est le cas de La région centrale, de Michael Snow.ou
Résumé
de certains films d’Andy Warhol : Eat (1963), Sleep ( 1963),
Empire (1964). Notes et Points d'interrogation
- a - k uni

Mais l’on comprend l'énorme fascination qu'a pu exercer sur les esthéti­
ciens du cinéma une technique si puissante. La chevauchée du Ku Klux Klan
dans Naissance d’une nation, les escaliers d’Odessa dans Le cuirassé Poumkine,
la «destruction des dieux» dans Octobre, la douche de Psychose, l’accident de
train dans La roue, les plongeons des Dieux du stade, les «News on the march»
de Citizen Kane, le tournoi de Lancelot du Lac : toutes ces séquences célébrés
tirent l’essentiel de leur force du montage.
Mais le plus important, toutefois, est sans doute le rôle du montage dans le
système stylistique d’un film considéré dans son intégralité. Un film hol­
lywoodien contient généralement entre 800 et 1200 plans; un film dont
l’action est plus «rapide» peut être composé de plus de 2000 plans. Ces seuls
chiffres font comprendre que le montage façonne fortement l'expérience du
spectateur, meme à son insu. Le montage contribue beaucoup à l’organisation
d’un film et à ses effets sur les spectateurs.

Ce qu'est le montage
On peut considérer le montage comme la coordination d'un plan avec celui
qui suit. Comme nous l'avons déjà vu un plan est, en phase de production, un
photogramme ou plusieurs photogrammes, exposés en série sur un segment
continu de pellicule. Le monteur élimine le métrage dont il n’a pas besoin en
ne gardant généralement que la meilleure prise. 11 coupe au début et à la fin
des plans les phologrammes superflus, par exemple ceux montrant le clap. Il
assemble ensuite les plans de son choix en joignant la fin de l’un d’entre eux
au début d’un autre.
Ces points de jonctions peuvent être de différentes sortes. Un fondu au
noir (ou fermeture en fondu) est un obscurcissement progressif de l'écran à la
fin d’un plan et une ouverture en fondu, l'apparition progressive de l'image à
partir d’un écran noir. Un fondu enchaîné superpose brièvement la fin d’un

Figure 8.1 Figure 8.2 Figure 8.3

328
(u_wm 8 - ft un plh fi i oui. H fflûauu

plan A et le début d’un plan B. (Voir les figures 8.1 à 8.3,extraites du début du
Faucon maltais.] Un volet substitue un plan B â un plan A au moyen d’une
ligne en mouvement délimitant les deux images (fig. 8.4 : Les sept samouraïs]
qui sont donc momentanément ensemble à l’écran mais sans être mêlées
comme dans le fondu enchaîné. Les fondus et les volets sont des effets opti­
ques, le plus souvent réalisés en laboratoire.
La façon la plus courante de joindre deux plans est le raccord. Il est créé en
reliant deux plans au moyen d’une colle ou d'un ruban adhésif. Certains réali­
sateurs * raccordent» pendant le tournage en prévoyant que le film sortira de
la caméra prêt pour la projection. Dans ce cas, la jonction physique d’un plan
Figure 8.4
à l’autre est créé pendant l'acte de tournage. Ce «montage caméra» reste une
technique exceptionnelle, réservée aux films expérimentaux et aux films
amateurs; la règle est de monter après le tournage. Les monteurs travaillent
maintenant beaucoup avec des images transférées sur cassettes ou disques
vidéo, ce qui permet de travailler les raccords sans toucher à la pellicule, la
version finale du film étant par contre toujours préparée pour le tirage en
coupant et collant le négatif.
En tant que spectateurs, nous percevons un pian comme un fragment inin­
terrompu de temps, d’espace ou de configurations visuelles. Les fondus et les
volets sont perçus comme ce qui met fin graduellement à un plan et le remplace
par un autre et les raccords, comme des substitutions instantanées de plans.
Observons un exemple, quatre plans extraits de la scène de la première
attaque sur Bodcga Bay dans Les oiseaux d’Alfred Hitchcock (figs. 8.5-8.8) :

I. Plan taille, angle normal. Mélanie, Mitch et le capitaine parlent à côté de la


fenêtre du restaurant. Mélanie est à l’extrême droite du cadre et on voit le
barman à l’arrière-plan (fig. 8.5).

2. Plan poitrine. Mélanie, à côté du capitaine dont on voit l'épaule en amorce,


Figure 8.5
regarde hors-champ vers la fenêtre qui se trouve à droite et lève les yeux

Figure 8.6 Figure 8.7 Figure 8.8

329
mm i - u uvu

comme si elle suivait quelque chose. Un panoramique gauche-droite


l'accompagne au moment où elle se retourne vers la fenêtre pour mieux
voir dehors (fig. 8.6).

3. Plan générai. Point de vue de Mélanie. Une station service de l’autre côté
de la rue, une cabine téléphonique au premier plan. Des oiseaux attaquent
en piqué le pompiste, traversent l’écran de droite à gauche (fig. 8.7).

4. Plan épaule. Mélanie de profil; le capitaine entre par la gauche du cadre, sa


silhouette occulte celle du barman; Mitch entre à son tour par la gauche au
premier plan. Tous les trois, de profil, regardent par la fenêtre (fig. 8.8).

Chacun de ces quatre plans présente un fragment différent d'espace, de


temps et d’éléments visuels. Le premier plan montre trois personnes en train
de parler. Un changement instantané — un raccord — nous fait passer à un
plan poitrine de Mélanie. (Hitchcock aurait aussi bien pu lier ces deux plans
par un changement de plan plus lent, fondu ou volet, ou traiter la scène en un
seul plan continu, comme nous allons le voir.) A la faveur du raccord, l'espace
a été modifié (Mélanie est isolée dans le cadre et elle y prend une place plus
importante), une continuité temporelle a été affirmée et les qualités visuelles
du plan ont changé (l'organisation des formes et des couleurs n'est pas la
même). Un nouveau raccord nous montre ce qu elle voit. Le plan sur la sta­
tion service (fig. 8.7) présente un espace très différent, un moment qui, tem-
porclleinent, succède au précédent, et une configuration visuelle différente.
Un autre raccord nous fait revenir à Mélanie (fig. 8.8) et à nouveau, nous pas­
sons instantanément à un autre espace, à la tranche de temps suivante et une
configuration visuelle différente. Les quatre plans sont donc reliés par trois
raccords.
Il aurait été possible de réaliser cette scène sans montage. Imaginons un
travelling avant combiné à un panoramique gauche-droite qui part des trois
personnages de la fig. 8.5 pour venir cadrer Mélanie seule au moment où elle
se retourne vers la fenêtre, suivi d'un nouveau panoramique gauche-droite
montrant, à travers la fenêtre, l'attaque de la mouette, et d'un retour du pano­
ramique permettant de découvrir les réactions de la jeune femme. Nous
n’aurions alors qu’un seul plan, où les changements décrits plus haut seraient
le résultat des nouvelles positions prises par la caméra dans la continuité de la
prise. Imaginons maintenant une composition en profondeur présentant
Mitch au premier plan, Mélanie et la fenêtre au second plan et l'attaque de la
mouette au fond. Là encore, la scène pourrait se dérouler en un seul plan où
nous n'aurions pas de brusques changements temporels, spatiaux ou visuels.
Les mouvements des personnages ne produiraient pas le même type de dis­
continuités que celles qui affectent, par le montage, ce que l’on voit à l’écran.

330
<wiih i - n> Ml » uiw it imust

Dans cette séquence, Hitchcock aurait donc pu présenter l'action en un seul


plan, au moyen d'un mouvement de caméra ou d’une composition en pro­
fondeur. Mais il préfère utiliser plus qu’un plan, c’est-à-dire en passer par le
montage.
Certains spectateurs croient que, pendant un tournage, plusieurs caméras
fonctionnent simultanément et que le travail du monteur consiste essentielle­
ment à choisir pour chaque moment d’une scène le meilleur plan. S’il est vrai
que cette technique est utilisée pour le tournage de nombreux programmes
télévisés, elle reste rare au cinéma. Un réalisateur pourra employer plusieurs
caméras pour filmer une interprétation selon des angles et des tailles de plans
différents; ce fut par exemple le cas pour les scènes avec Marion Brando dans
Apocalypse now. Des réalisateurs contemporains comme James Cameron ulili*
sent une première caméra pour filmer un plan générai de l’action et une autre
pour des prises plus rapprochées. Le tournage à plusieurs caméras sert le plus
souvent à assurer le bon enregistrement d'actions spectaculaires ou uniques
— explosions, cascades complexes.
La plupart des séquences tournées dans l'histoire du cinéma l'ont été avec
une seule caméra. Notre scène des Oiseaux, par exemple, est composée de
plans tournés à des moments et dans des endroits différents — un en exté­
rieur (le plan 3), les autres en studio (et peut-être pas le même jour), Le tra­
vail du monteur est donc compliqué par la quantité et la diversité du métrage
à assembler. Pour pallier celte difficulté, beaucoup de réalisateurs planifient la
phase de montage pendant la préparation et le tournage du film : les plans
sont filmés avec une certaine idée préalable de leur organisation, consignée
dans des scénarios ou des storyboards. Les documentaristes aussi filment et
cadrent en pensant à la façon dont les plans raccorderoni. Nous verrons plus
loin comment les réalisateurs font en sorte que la mise en scène et le cadrage
soient au service d’un montage que l’on dira «par continuité*, sans heurt,
idéalement imperceptible.

Dimensions du montage
Le montage offre au réalisateur quatre domaines fondamentaux de choix et de
conirôle :

1. Des relations visuelles entre un plan A et un plan B

2. Des relations rythmiques entre un plan A et un plan B

3. Des relations spatiales entre un plan A et un plan B

4. Des relations temporelles entre un plan A et un plan B

331
mm

On trouve des relations visuelles et rythmiques dans le montage de n’im­


porte quel film. Les relations spatiales et temporelles peuvent ne pas concer­
ner les films qui mettent en œuvre des formes abstraites, mais on les trouve
systématiquement dans le montage des films composés d'images non abstrai­
tes (c’est-à-dire dans la grande majorité de la production). Voyons quelles
sont les possibilités de choix et de contrôle dans chacun de ces domaines.

Des relations visuelles


On pourrait considérer les quatre plans des Oiseaux évoqués plus haut
comme de pures configurations visuelles, les regarder comme des agence­
ments d’ombres et de lumières, de lignes et de formes, de volumes et de pro­
fondeurs, de mouvements et d’arrêts indépendants des relations de ces plans
avec l'espace et le temps de l'histoire. Hitchcock n'a pas joué, par exemple, sur
la luminosité générale des plans, alors qu'il aurait pu passer du second plan,
uniformément éclairé (fig. 8.6, Mélanie se retourne vers la fenêtre), à une
image de la station service plongée dans l'obscurité. De même, il a générale
mont cherché à conserver la partie la plus importante de la composition au
centre du cadre. Il suffit pour s'en apercevoir de comparer la position de
Mélanie dans l’image en 8.6 et celle de la station service en 8.7, positions qui
auraient pu être très différentes.
Hitchcock a aussi joué sur des oppositions de couleurs : les cheveux et les
vêtements de Mélanie en font une silhouette essentiellement verte et jaune,
tandis que le plan de la station service est dominé par des gris bleu ternes rele­
vés par les touches rouges des pompes; il aurait aussi bien pu passer de Mêla-
nie à un ensemble composé de couleurs semblables. Enfin, le mouvement de
Mélanie vers la fenêtre est différent, en termes de vitesse, de direction et de
cadrage, de celui de la mouette ou du pompiste dans le plan suivant, alors
qu'ils auraient pu faire écho.
Figure 8.9
Monter deux plans ensemble permet donc, par le jeu des ressemblances et
des répétitions, l'action réciproque de leurs qualités visuelles. Les quatre
principaux aspects de la mise en scène (lumières, décors, costumes, jeu) et les
qualités purement cinématographiques des plans (photographie, cadrage,
mobilité de la caméra) fournissent tous des éléments visuels potentiels. Ainsi,
tout plan offre les possibilités d’un montage purement visuel et tout raccord
crée une relation visuelle entre deux plans.
Nous percevons, dans une certaine mesure, toute image cinématographi­
que comme une configuration d'éléments visuels. Même dans un film qui ne
se présente pas comme une œuvre abstraite, un montage exploitant les quali­
Figure 8.10 tés visuelles des plans peut être intéressant pour le réalisateur et le spectateur.

332
(W 0 - P III HAd II L IU1H . Ll

Ce type de montage peut produire des effets de continuité ou d'opposition


brutale. Le réalisateur peut relier des plans sur la base de certaines ressem­
blances visuelles, pour créer ce que nous pouvons appeler un raccord visuel.
Les formes, les couleurs, la composition ou les mouvements d’un plan A peu­
vent être repris dans un plan B. On en trouve un exemple minimal dans True
stories, dont les deux premiers plans sont reliés visuellement par une compo­
sition donnant la même place à l’horizon d'une prairie du Texas (fig. 8.9) et à
celui d’un ancien océan (fig. 8.10). Un effet similaire est créé au cours de la
chanson Beauriful girl dans Chantons sous la pluie par des fondus enchaînés
qui font se superposer des silhouettes de femmes vêtues â la mode, cadrées et
posant de la même façon.
Des raccords visuels plus dynamiques apparaissent dans Les sept samouraïs
d'Akira Kurosawa. Après leur première arrivée dans le village, les samouraïs
entendent que l’on sonne l’alerte et se mettent à courir pour en découvrir
l'orîginc. Kurosawa monte alors une série de six plans montrant chacun un
samouraï en train de courir, associés visuellement par la composition, l'éclai­
rage, le décor, le mouvement du cadre (un panoramique) et celui des person­
nages (figs. 8.1 1-8.16).

Figure8.11 Figure 8.12 Figure 8. U

Figure 8.14 Figure 8.15 Figure 8.16

333
HilU ) - U mil

Figure 8.17 Figure 8.18 Figure 8.19

Figure 8.20 Figure 8.21 Figure 8.22

Les réalisateurs attirent souvent l’attemion sur des corrélations visuelles à


des moments de transition. Dans Affens, un fondu enchaîné confond le visage
de Ripley endormie avec la courbe du globe terrestre (figs. 8.17-8.19). Dans Le
monde d'Apu (Apur sansar, Satyajit Ray, 1959), un fondu enchaîné transforme
un écran de cinéma (fig. 8.20) en la vitre arrière d’un taxi (fig. 8.21) dans
lequel Apu et sa mère, que l’on découvre à la faveur d'un travelling arrière,
rentrent chez eux (fig. 8.22).
Des effets aussi précis sont relativement rares. Les continuités visuelles
Figure 8.23
sont généralement approximatives dans le cinéma narratif : un réalisateur
cherchera d'abord à conserver, au changement de plan, un centre d’attention
constant, une égalité des intensités lumineuses et une certaine harmonie des
couleurs. Dans une scène du Vent, de Souleymanc Cissé, le grand-père fait
face à un fonctionnaire corrompu, couché dans un hamac. I>ïs plans qui alter­
nent (figs. 8.23, 8.24) conservent le visage de chacun des deux hommes dans
une même position, légèrement décentrée dans la partie supérieure gauche de
l'écran.
La continuité visuelle n’est pas une nécessité du montage. Les composi­
tions pour écran large de scènes où des personnages se font face peuvent, par
Figure 8.24
exemple, créer de légères discontinuités. (Nous revenons plus loin sur cette

334
_ (BIPIIH B P Ul PLflH fl I flUIfil U DmmMI

figure de montage, le «champ-contrechamp».) Une scène de Paris. Texas


(Wini Wenders, 1984), filmée au format 1,75, montre deux frères face à face,
sur fond de désert américain (figs. 8.25, 8.26). Chacun des personnages est
décentré pour que le vide qui en résulte dans la composition évoque la pré­
sence de l’autre, hors-champ. Nous avons ici une plus grande discontinuité
visuelle que dans l’exemple précédent (Le vent), même si le raccord permet
aussi un équilibrage réciproque des compositions, chacune des silhouettes
venant remplir alternativement le vide du plan précédent. De plus, les deux
visages sont cadrés juste au-dessus de l'axe central horizontal.ee qui facilite la Figure 8.25
circulation du regard du spectateur lors du changement de composition.
Interrogés après la projection, la plupart des spectateurs ne se souviendront
sans doute pas de ce déséquilibre des compositions.

Les discontinuités visuelles peuvent être plus manifestes. Orson Wetles


cherche souvent à créer des chocs entre les plans; on peut par exemple évo­
quer le passage, dans Citizen Kane, du plan d’ensemble sur la chambre obs­
cure de Kane au litre lumineux du générique des «News on the march». Dans
La soif du mal, un fondu enchaîné relie un plan montrant Menzics, dans la
partie droite du cadre, qui regarde à travers une fenêtre (fig. 8.27) et un plan
montrant Susan Vargas, dans la partie gauche du cadre, qui regarde à travers Figure 8.26
une autre fenêtre (fig. 8.28). La discordance des compositions est accentuée
par une opposition des directions des reflets. Nuit et Brouillard (Alain Resnais,
1955) fut à l’origine d'une sorte de mode par son utilisation d'un conflit
visuel très marqué, mais justifié, entre des plans en couleur d'un camp de
concentration abandonné et des archives en noir et blanc filmées entre 1942 et
1945. Cela n’empêche pas certaines ressemblances formelles frappantes, par
exemple celle entre les éléments verticaux d'une clôture, filmée en travelling,
et une contre-plongée sur des jambes de soldats nazis marchant au pas.

Figure 8.27 Figure 8.28

335
t>oûrii i . ii nm

Un réalisateur peut, par le montage, créer un conflit visuel entre des cou­
leurs. Le personnage principal de Paris. Texas découvre que sa femme travaille
dans un peep-show. Wenders suit la conversation du couple en faisant raccor­
der alternativement, de chaque côté d'une glace sans tain, l’espace réservé au
client et celui de la strip-teaseuse (planches 60, 61). Chacun des personnages
est toujours visible dans les plans, mais le montage accentue leur séparation
par de fortes discordances des couleurs : le décor où se tient la femme, bleuté,
délavé lorsqu’il est vu depuis le côté de son mari, jure avec la noirceur et les
reflets des feuilles d’aluminium que l'on voit dans le plan suivant.

Dans la suite de la séquence des Oiseaux examinée plus haut, Hitchcock


tire pleinement parti d'une série de conflits visuels. De l’essence jaillissant
d'une pompe a coulé jusqu'à un parking situé de l'autre côté de la rue: Méla­
nie, avec d'autres personnes qui sont à la fenêtre du restaurant, voit un
homme y mettre accidentellement le feu. Sa voiture s’enflamme, l’homme est
lui-même pris dans l’incendie. Nous voyons ensuite Mélanie qui assiste,
impuissante, à la rapide remontée des flammes le long de la ligne d’essence,
jusqu'à la station. Le montage est alors celui détaillé par les figures 8.29 à
8.39:

30. (p.e.) Plongée. Point de vue de Mélanie sur la voiture en flammes et l'extension de l'incendie. 73 photogrammes

31. (p. épaule) Angle normal. Mébnie, immobile, regarde vers le hors-champ gauche, bouche ouverte. 20 photogrammes

32. (p. m.) Plongée. Point de vue de Mélanie. Panoramique sur les flammes passant de la partie basse 18 photogrammes
droite du cadre à la partie gauche haute.

33. (p. épaule) Comme 31. Mélanie, immobile, regardant fixement vers le bas et au centre. 16 photogrammes

34. (P- m.) Plongée. Point de vue de Mélanie. Panoramique sur les flammes passant de la partie basse 14 photogrammes
droite du cadre à là partie gauche haute.

35. (p. épaule! Comme 31. Mélanie. immobile, regardant terrorisée wrs le hors-champ droit. 12 photogrammes

36. <pc) Point de vue de Mélanie. La station service. Les flammes pénétrent rapidement dans le cadre 10 photogrammes
par b droite. Mitch. le shérif et le pompiste en sorte par la gauche en courant.

37. (p. épaule) Comme 31. Mélanie. immobile, regarde fixement vers l'extrême droite du hors-champ. 8 photogrammes

38. (p.«.) Comme 36. Point de vue de Mébnie. Les voilures présentes à la station service explosent. 34 photogrammes

39. (p. épaule) Comme 31. Mélanie se couvre le visage des deux mains. 33 photogrammes.

40. (P-10 Vue aérienne en plongée de la ville: b traînée de feu au centre du cadre. Des mouettes
entrent dans l'image.

336
— JWIUl I - P Jl PHD fl L.fiUIfll L H DDmilU

Figure 8.32 Mon JJ Figure 133 Mon J4 Figure 8.34 Mon 33

Figure 8.35 Pian 36 Figure 8.36 Pian 37 Figure 8.37 Pian 38

Figure 8.38 Mon 39 Figure 8.39 Mon 40

337
>uji.LUALU11£

En termes visuels, Hitchcock a exploité deux possibilités de mise en con­


traste, Tout d'abord, le fait que malgré des compositions plaçant systémati­
quement l'action principale au centre du cadre Ile visage de Mélanie, la
traînée de feu), les mouvements partent dans plusieurs directions. Dans le
plan 31, Mélanie regarde vers le bas et à gauche, mais dans le plan 32, le feu va
vers le haut, à gauche. Plan 33, elle regarde vers le bas et au centre, alors que
dans le plan suivant les flammes continuent de monter vers la gauche.
Le plus important — et ce qui fait que cette séquence est impossible à res­
tituer ici — est une opposition constante entre mouvement et immobilité. Les
plans sur les flammes présentent un mouvement du sujet de feu suivant la
ligne d'essence) et de la caméra (panoramique d'accompagnement), alors que
ceux sur Mélanie, sans aucun mouvement apparent, pourraient être des ima­
ges arrêtées. Aucun plan ne la montre bougeant la tète, la caméra ne s'éloigne
ou ne se rapproche pas d'elle —au lieu de cela, Hitchcock ne présente que
différentes étapes d'un mouvement qu’il nous appartient de recomposer dans
sa continuité, Les puissances visuelles du montage sont donc illustrées ici par
un double conflit, des mouvements entre eux et des mouvements avec
l'immobilité.

Des relations rythmiques


Chaque plan est un morceau de pellicule ayant une certaine longueur, mesu­
rable en nombre de photogrammes ou en mètres. Cette longueur physique
correspond elle-même à une durée de projection mesurable : pour le film
sonore, 24 photogrammes sont projetés en une seconde. Un plan peut n’êtrc
constitué que d’un seul photogramme ou de plusieurs milliers — il dure alors
plusieurs minutes à la projection. Pendant le montage, le réalisateur décide de
la longueur physique et donc de la durée des plans; lorsqu'il détermine ces
longueurs les unes en fonction des autres, il contrôle les puissances rythmi­
ques du montage.
Comme nous l'avons déjà vu au chapitre 6, le rythme cinématographique
implique différents facteurs —principalement un phénomène d’accentua­
tion, une mesure et un tempo. Il ne dépend pas seulement du montage mais
d'un ensemble technique comprenant la mise en scène, les positions et mou­
vements de caméra, les rythmes sonores et le contexte général d'une scène.
Néanmoins, l’organisation des longueurs de plans contribue de façon impor­
tante à notre appréhension du rythme d’un film.
La durée des plans sera parfois manipulée pour accentuer un moment
précis. Dans une séquence de Mail Max //, un personnage très violent donne
un coup de tète à un autre; au moment du contact, Georges Miller insère

338
quelques photogrammes totalement blancs, créant à la projection un brusque
flash lumineux évoquant la brutalité de l'impact. À l’inverse, la durée d’un
plan peut servir à affaiblir l’effet d’une action; pendant le montage des Aven-
turiers de l'Arche perdue, Steven Spielberg découvrit qu’il fallait ajouter quel­
ques secondes à la scène où Indiana Jones tue le gigantesque homme au sabre
pour que la réaction du public puisse retomber avant la reprise de l’action.

Cependant, les puissances rythmiques du montage se manifestent surtout


lorsque des plans de différentes longueurs s’organisent en une structure per­
ceptible. On peut créer une pulsation constante, métrique, en donnant
approximativement à tous les plans une meme longueur, ou une cadence
variable, qui se ralentit si l'on allonge constamment les plans et s’accélère si
on les raccourcit.

Observons la façon dont Hitchcock mène le rythme de la première attaque


d’une mouette dans Les oiseaux. I^e plan I, plan taille sur les trois personnages
en train de parler (fig. 8.5) comprend presque un millier de photogrammes,
soit une durée d'environ 41 secondes. Le plan 2 (fig. 8.6). qui montre Mélanie
regardant par la fenêtre, est plus court — 309 photogrammes (presque 13
secondes). Le plan 3 (fig. 8.7) l'est encore plus — 55 photogrammes (environ
2.3 secondes) — et le 4, qui montre Mélanie rejointe par le capitaine puis par
Mitch, ne comprend que 35 photogrammes (soit une seconde et demie).
L’accélération du rythme est manifeste et a lieu juste avant le début de l’un des
grands moments de tension du film.

Dans la suite de la scène, les pians sont relativement courts et leurs lon­
gueurs sont subordonnées au rythme des dialogues et des mouvements dans
l’image. Les longueurs des plans 5 à 29 (qui ne sont pas illustrés ici) ne répon­
dent donc à aucun modèle défini. Mais une fois que les composantes dramati­
ques essentielles ont été établies, Hitchcock revient à une accélération du
montage.

Pour présenter la réaction horrifiée de Mélanie assistant au trajet des flam­


mes du parking à la station service, le rythme de la séquence s'accélère, entre
les plans 30 et 40 (figs. 8.29-8.39), jusqu’à un point culminant. Comme on l’a
décrit plus haut, la longueur de chaque plan diminue de deux phoiogrammes
à chaque raccord, après celui montrant la voiture qui s’enflamme (plan 30,
fig. 8.29). On passe ainsi de 20 images (4/5 de secondes) à 8 images (1/3 de
secondes). Deux plans de longueurs presque égales (n°* 38 et 39 — un peu
moins d’une seconde et demie chacun) ponctuent la séquence. Le plan 40
(fig. 8.39), qui compte plus de 600 photogrammes, agit à la fois comme une
pause et un moment d’attente inquiète où l'on s’attend à une nouvelle
attaque. Les variations rythmiques de cette scène servent donc tour à tour à

339
>HTH > - U mu

exprimer la sauvagerie de l'attaque et à créer du suspens en nous faisant atten­


dre le prochain assaut.
Compter les phofogrammes à même la copie d'un film, comme nous
avons pu le faire pour cette scène, est un luxe auquel le spectateur normal n'a
pas accès. Mais il peut ressentir les accélérations et les ralentissements du
rythme d’une séquence par les seuls changements de durée des plans. Par le
contrôle du rythme du montage, le réalisateur contrôle le temps nécessaire à
la saisie et à la compréhension de ce qui est vu. Une succession rapide de
plans, par exemple, laisse peu de temps à la réflexion. Dans la séquence des
Oiseaux, le montage réalisé par Hitchcock entraîne le spectateur dans une
perception toujours plus rapide et changeante des plans : l’accroissement en
intensité de la scène résulte essentiellement d'une saisie rapide de la progres­
sion de l’incendie et d’une bonne compréhension des changements de posi­
tions de Mélanie.
Hitchcock n’est évidemment pas le seul réalisateur à avoir utilisé les pos­
sibilités rythmiques du montage; D.W. Griffith (particulièrement dans Intofé*
rance) ou Abel Gance l'ont fait avant lui. Dans les années 20, le cinéma
hollywoodien, l’école soviétique du montage comme les réalisateurs
« impressionnistes» français ont explosé les possibilités offertes par des séries
de plans courts. Quand le cinéma sonore devint la norme, il y eut une survi­
vance de ce type de montage au rythme très marqué dans des drames tels que
â i’Ouest, rien de nouveau (Ali quiet on the western front, Lewis Milestonc.
1930), des comédies musicales ou des fables tels que À nous la liberté et Le
million, de René Clair, Aimez-moi ce soir, 42^ rue ou Prologues \Foollight
parade, 1933) — ces deux derniers étant des films de Lloyd Bacon dont Busby
Berkeley assurait la chorégraphie. L'utilisation rythmique des fondus enchaî­
nés est devenue, dans le cinéma hollywoodien classique, un clément impor­
tant des séquences dites «de montage», que nous évoquerons rapidement
plus loin. Le rythme est toujours un aspect fondamental du travail de mon­
tage, notamment lorsque, avec le montage rapide, il permet de faire monter
l'intensité d'une scène d'action, d’une publicité télévisée ou d'un clip.

Des relations spatiales


Le montage ne sert pas seulement au contrôle des qualités visuelles et rythmi­
ques d'un ensemble de plans, mais également à construire l’espace filmique.
L'euphorie consécutive à la découverte de cette nouvelle puissance du mon­
tage est sensible dans les écrits de certains réalisateurs, par exemple ceux de
Dziga Vertov : « Je suis le Ciné-œil. Je suis un bâtisseur. Je t'ai mis (...) dans la
chambre la plus extraordinaire, qui n’existait pas avant cet instant, et qui a été
aussi créée par moi. Cette chambre a douze murs, filmés par moi dans divers

340
(11IIÎAX I . » Il »lll I 1HH II ■llîiCI

endroits du monde. En rassemblant des plans de murs et de détails, j’ai réussi


à les disposer dans un ordre que tu aimes.»
Une telle exaltation est compréhensible : ce qu'autorise le montage, c’est la
transformation visuelle de l'omniscience narrative en une forme d’omnipré­
sence, le libre déplacement d'un endroit à un autre. Le montage permet au
réalisateur de mettre en relation spatiale deux points, quels qu'ils soient, par le
jeu des ressemblances, des différences et des développements.
Le réalisateur peut, par exemple, débuter une scène par un plan présentant
un espace dans son intégralité, un plan de situation. auquel succèdent des vues
partielles de cet espace. C'est ce que fait Hitchcock en 1 et 2 (figs. 8.5,8.6) : le
plan poitrine sur Mélanie succède à un plan taille de l'ensemble du groupe
dont elle fait partie. Ce type de décomposition analytique est une figure de
montage courante, particulièrement dans le montage par continuité classique.
Il est aussi possible de construire un espace cohérent à partir d'éléments
épars, comme le fait Hitchcock dans la suite de notre séquence des Oiseaux:
de la figure 8.5 à la figure 8.8 et dans les plans 30 à 39 (figs. 8.29-8.38), on ne
voit aucun plan d'ensemble réunissant dans la même image Mélanie et la sta­
tion service. Il n'était pas nécessaire, au tournage, que la fenêtre du restaurant
soit en face de la station; l’une et l'autre auraient pu être filmées dans des villes
ou des pays différents. (Hitchcock a probablement filmé «hors continuité» :
les plans dans le restaurant en studio et ceux montrant la station service, en
extérieur.) Nous sommes obligés de - voir» Mélanie comme étant du côté de
la rue opposé à celui de la station service. C’est d'abord par le montage que se
crée la cohérence spatiale de cette scène, meme si un cri d’oiseau hors-champ
et la mise en scène (la fenêtre, les regards de Mélanie vers l'extérieur) y contri­
buent aussi.
Ce type de manipulation spatiale par le montage est très courant. Dans les
documentaires réalisés à partir d’images d'archives, par exemple, un plan peut
montrer un canon faisant feu. et un autre, un obus atteignant sa cible: le
spectateur en conclura que cet obus a été tiré par le canon vu précédemment
(même si ces plans montrent en fait des batailles totalement différentes). De
même, si un plan montrant un orateur est suivi par un plan montrant une
foule en train d'applaudir, on supposera une coexistence spatiale des deux
événements.
Les possibilités offertes par de telles manipulations ont été étudiées par le
réalisateur soviétique Lev Koulechov, qui durant les années 20 réalisa
des «expériences» filmiques où il s'agissait de construire des relations spatiales
sans l’aide de plans d'ensemble. Dans les plus célèbres de ces expériences, un
plan neutre montrant le visage d’un acteur raccordait avec un autre plan mon­
trant (les témoignages varient) une assiette de soupe, la nature, le cadavre

341
pe&ïii i - ii rniu

d'une femme ou un bébé. On dit que le public croyait immédiatcmenl, non


seulement que l'expression de l’acteur avait changé, mais aussi qu'il se trouvait
dans le même espace que les autres éléments montrés. Une expérience simi­
laire consista à donner l’impression, par le montage, que des acteurs filmés
chacun dans des rues différentes de Moscou se regardaient, se rejoignaient
pour se promener ensemble — avant de lever les yeux sur la Maison Blanche, à
Washington. Koulechov n'était pas le premier a utiliser ce type de montage,
mais les spécialistes du cinéma nomment .effet Koulechov» toute série de
Figure 8.40
plans qui, en l'absence d’un plan d'ensemble, conduit le spectateur à inférer
d'une totalité spatiale à partir de fragments de cet espace.
L’effet Koulechov peut être à l’origine de fortes illusions cinématographi­
ques. Dans Ln légende tic Fong Sai-Ytik (Fong shi yu, Cote y Yucn, 1993), un
combat entre le personnage principal et une spécialiste des arts martiaux
débute sur une estrade mais se poursuit dans le public ou plutôt «sur» le
public, les deux adversaires se tenant en équilibre sur les têtes et les épaules
des spectateurs. Le montage rapide de Yucn utilise ici l'effet Koulechov : un
plan montrant le haut du corps de la femme (fig. 8.40) est suivi par un plan
Figure 8.41
montrant ses jambes et ses pieds appuyés sur les spectateurs mécontents
(fig. 8.4I ). ( Au tournage, l'actrice était suspendue en l'air grâce à un dispositif
tenu hors-champ.) Dans celte séquence, qui contient un grand nombre de
plans, Yucn ne fournil que quelques cadrages montrant l'ensemble de la
scène, le face-à-face de Fong Sai-Yuk et de la femme.
Certains films attirent volontairement l’attention du spectateur sur l'arti­
fice de l'effet Koulechov. Les cadavres ne portent pas de costard (Dead men
dont wear plaid, Cari Reiner, 1982) mêle des images tournées pour le film et
des images extraites de films hollywoodiens des années 40. L'effet Koulechov
permet ici de créer des scènes cohérentes où Steve Martin parle avec des per­
sonnages figurant à l'origine dans un autre contexte. Dans A movie, Bruce
Conncr crée un effet comique en faisant raccorder le capitaine d’un sous-
marin regardant par un périscope et une femme regardant la caméra, comme
s’ils pouvaient se voir (figs. 5.51, 5.52).
Dans l'effet Koulechov, le montage donne au spectateur des indications le
poussant à conclure à l’existence d’un lieu unique. Le montage peut aussi
permettre d'accentuer la dispersion spatiale d’une action. Dans Intolérance,
D.W. Griffith nous fait passer de l'antique Babylone à Gethsémani, de la
France de 1572 à l'Amérique de 1916. Ce procédé appelé «mofirn^e parallèle»
est, avec le montage dit •alterné», une façon courante de construire plusieurs
espaces filmiques simultanément.
Plus radicalement, un montage peut présenter des relations spatiales
ambiguës, incertaines. Dans La Passion de Jeanne d'Arc par exemple, nous

342
savons seulement que Jeanne ci les prêtres sont dans la même pièce; la neutra­
lité des fonds blancs et la fréquence des gros plans interdisent toute compré­
hension spatiale de la totalité de la scène — il est difficile d évaluer à quelle
distance se trouvent les personnages ou de déterminer précisément leurs posi­
tions relatives. Nous évoquons plus loin des discontinuités spatiales encore
plus importantes produites dans Octobre et L'année dernière à Marienbad.

Des relations temporelles


Comme les autres techniques cinématographiques, le montage peut contrôler
le temps de l'action décrite par le film. Dans le cinéma narratif en particulier,
il contribue généralement à la manipulation du temps de l’histoire par le récit.
Nous avons relevé au chapitre 4 trois grands paramètres permettant au spec­
tateur de reconstruire la temporalité de l'histoire à partir de celle du récit :
l’ordre, la durée et la fréquence. La séquence des Oiseaux que nous reprenons
depuis le début de ce chapitre (figs. 8.5-8.81 va nous permettre de montrer
commcnl le montage vient renforcer chacun de ces paramètres.
Il y a d’abord l’ordre de présentation des événements. Les hommes par­
lent, puis Mélanie se retourne, puis elle voit la mouette descendre en piqué et
réagit. Cet ordre de l’histoire est repris par celui des plans en quatre temps (1 -
2-3-4), alors qu’il aurait été possible de mélanger les plans, les monter dans un
ordre différent de celui de l'histoire : inverser les plans 2 et 3, par exemple, ou
l’ensemble (4-3-2-1). Le montage permet au réalisateur de contrôler une suc­
cession temporelle.
Comme nous l’avons vu au chapitre 4, ce type de manipulation conduit à
des changements dans les relations entre histoire et récit. Les flashbacks, qui
présentent un ou plusieurs plans brisant In continuité chronologique d'une
histoire, en sont une manifestation familière. Dans Hiroshima mon amour,
Resnais raccorde une image de la main de l'amant japonais du personnage
principal avec une image de la main de son amant allemand, mort plusieurs
années auparavant (cette transgression de la logique temporelle étant justifiée
comme une sorte de logique mémoriclle). Dans le cinéma contemporain, de
brefs flashbacks évoquant des événements clés de l’histoire peuvent interrom­
pre brutalement une action en cours; on peut observer ce procédé dans Le
fugitif, où le meurtre de la femme du docteur Kimball, qui est à l'origine de
toute l’intrigue, revient de façon obsédante au cours du film. Le dossier
Adams, un documentaire de Errol Morris, mêle des entretiens avec suspects et
témoins avec des reconstitutions qui sont autant de flashbacks sur le crime au
centre de l'enquête.
Le flashforward est une figure plus rare de manipulation de la chronologie.
Le montage permet ici de passer du présent au futur, puis de retourner au

343
—______________ mini.r

présent. On en trouve un petit exemple dans Le parrain : Don Vito Corieone


parle avec ses fils Tom et Sonny de leur prochaine rencontre avec Sollozzo, le
gangster qui leur demande de financer son trafic de stupéfiants. Des plans des
Corieone en conversation alternent avec des plans montrant Sollozzo se ren­
dant à cette rencontre : le montage permet ici de présenter le personnage et
d'arriver plus rapidement à l’annonce par le Don, lors de ce même rendez-
vous, de son refus d’impliquer la famille dans le trafic.
Les flashforwards peuvent servir à stimuler l'attention du spectateur en lui
présentant des aperçus sur les éventuelles suites de l'action — on trouve cet
effet à la fin de On achève bien les chevaux ( 77iey shoot horses, don t they ?, Sid-
ney Pollack, 1969) où de brefs plans viennent interrompre les scènes se dérou­
lant «au présent». Ce procédé crée une narration dont le champ informatif
est particulièrement étendu.
Il nous faut donc toujours supposer que l’ordre de montage des plans est le
résultat d'un choix du réalisateur, non d’une nécessité découlant par exemple
de la chronologie de l'histoire. Le montage offre aussi la possibilité de modi­
fier la durée des événements de l'histoire présentés par le récit.
Dans la scène des Oiseaux, la pseudo durée réelle de l’événement est res­
pectée. Lorsque Mélanie se tourne vers la fenêtre, la durée réelle de son mou­
vement n'est pas altérée par le montage alors que l’on pourrait imaginer un
raccord qui du plan 1 (les hommes en train de parler) nous ferait passer à un
plan où, déjà tournée vers la fenêtre, elle regarderait à l'extérieur. Le temps
nécessaire à la réalisation de son mouvement aurait ainsi été éliminé par le
raccord; nous aurions eu une ellipse temporelle.
L’ellipse est une figure de montage qui permet de réduire le temps de
représentation d’une action. On peut distinguer trois grandes façons de créer
une ellipse.
Un réalisateur veut montrer un homme montant une volée de marches,
sans respecter la durée réelle de l’action. Il peut utiliser un effet de
«ponctuation* conventionnel — un fondu ou un volet, signes visuels qui dans
le cinéma classique, indiquent qu'une partie de la durée de l’action n’est pas
représentée : on verrait ainsi l'homme commencer à monter et un fondu
enchaîné le montrerait ensuite arrivant en haut des marches.
Le réalisateur peut aussi montrer cet homme en bas des marches, le laisser
monter jusqu'à ce qu’il sorte du cadre, conserver quelques instants ce cadre
vide puis raccorder sur une vue du haut des marches où l'homme entre après
quelques instants. Les cadres vides, avant et après raccord, couvrent le temps
éliminé.
Il peut enfin créer une ellipse au moyen d'un plan découpé : un plan mon­
trant une autre action, se déroulant dans un autre lieu, dont la durée n'excède

344
(jHfiPiiRt o - un Pian s ljbibî u miflu

pas celle de l'ellipse. L'homme commence à monier l’escalier, le raccord nous


montre une femme dans un appartement, puis nous revenons à l’homme qui
a progressé dans son ascension.
Dans les oiseaux, Hitchcock aurait aussi pu dilater la durée de l’action :
rallonger le plan 1 pour qu’il comprenne le début du mouvement de Mélanie,
puis répéter ce même début dans le plan suivant. L’action aurait ainsi été pro­
longée, étirée au-delà de la durée quelle est censée avoir dans Phistoire. Les
réalisateurs russes des années 20, et plus particulièrement Sergueï Eisenstein,
employaient souvent ce procédé de chevauchement pour créer des effets de
dilatation temporelle. Dans La grève, le moment où des ouvriers renversent
Figure 8.42
un contremaître avec une énorme roue suspendue à une grue est allongé par
deux plans supplémentaires (figs. 8.42-8.44). Dans Octobre, plusieurs plans
montrant des ponts en train de se lever se chevauchent bien marquer l'impor­
tance de la scène. Dans Ivan le terrible, des amis déversent sur Ivan qui vient
d’être couronné un torrent de pièces d’or dont on a l'impression qu’il ne
cessera jamais.
Revenons une nouvelle fois aux relations temporelles dans notre séquence
hitchcockiennc. Dans l’histoire, Mélanie ne tourne la tête qu’une seule fois et la
mouette ne descend en piqué qu'une seule fois. I>es événements sont montrés
autant de fois qu'ils arrivent dans l'histoire, là où Hitchcock aurait pu en répé­
ter certains. Le geste de Mélanie aurait pu être repris plusieurs fois; nous
n'aurions plus eu un effet de chevauchement, mais une répétition.
Figure 8.43
Si cette hypothèse peut paraître curieuse, c’est que nous sommes terrible­
ment habitués à ce qu'un plan ne présente une action qu'une seule fois. H est
rare que la répétition soit employée comme une puissante propriété du mon­
tage. Dans Report (Bruce donner, 1963-67), on voit un plan d'actualité repré­
sentant John et Jacqueline Kennedy en voiture, dans une rue de Dallas. Le plan
est systématiquement répété, dans son intégralité ou en partie, et crée une
grande tension en paraissant se rapprocher, par un système d'augmentation
progressive de sa durée — une sorte d’incrément — du moment inévitable de
l’assassinat. Spikc Lee raccorde parfois, dans Do the right thing, deux prises de
la même action: nous voyons par exemple deux fois la même poubelle venir
briser la vitrine de la pizzeria, au début de l'émeute. Ij fréquence est ce troi­
sième paramètre, à côté de l’ordre et de la durée, offrant au réalisateur la possi­
bilité de contrôler par le montage les données temporelles d’un film. Figure 8.44

Le montage permet donc de déterminer certaines des qualités visuelles,


rythmiques, spatiales et temporelles d'un ensemble de plans. Notre bref
compte rendu pourrait laisser entendre que les réalisateurs ont ainsi à leur
disposition un champ de recherches formelles quasi illimité. Cependant, la
plupart des films que nous voyons n'exploitent qu’un ensemble très réduit de

345
- UJItU

procédés de montage — si réduit en fait, que l’on peut parler d’un style de
montage dominant l'ensemble de l’histoire du cinéma occidental. Ce style est
généralement défini par sa recherche de continuité, ce pour quoi nous l'appel­
lerons «montage par continuité». Son étude est incontournable, mais ne doit
pas faire oublier qui! existe d’autres façons de monter un film, que nous con­
sidérerons plus loin.

Le montage par continuité


Le montage poserait une sorte de dilemme au réalisateur. D'une part, on peut
penser que le passage d'un plan à un autre est une rupture physique entraî­
nant une autre rupture, celle de l'attention du spectateur; un changement de
point de vue. par exemple, peut déconcerter le spectateur, qui se demandera
soit où, soit quand se situe l’action d'un plan B par rapport à celle d’un plan
A, Mais le montage est aussi une technique essentielle de construction,
d'organisation générale d’un film. Comment, donc, l'uiiiiser en maîtrisant sa
force disjonctive ?
Des réalisateurs se sont trouvés confrontés à ce problème (qui n’était pas
formulé dans les mêmes termes) dès la première décennie du siècle. La solu­
tion finalement adoptée consistait à planifier la mise en scène et la prise de
vues en fonction d’un montage obéissant à un certain système, dont l’objet
était de raconter une histoire de façon claire et cohérente, qui concentre
l'attention du spectateur sur l'enchaînement des actions des personnages. Le
montage, associé à des dispositifs précis de prise de vues et de mise en scène,
servait ainsi à assurer les effets de continuité narrative d'une œuvre. Le style
qui en résulta est si efficace que, aujourd’hui encore, toute personne travaillant
dans le domaine du cinéma narratif ne peut l’ignorer. Comment fonctionne
ce système stylistique ?
Le premier objectif du système de la continuité est de faire du passage de
plan à plan une sorte de flux régulier. Toutes les possibilités du montage que
nous avons déjà évoquées sont soumises à cette fin. Les qualités visuelles,
d’abord, doivent être constantes d’un plan à un autre : les figures sont équili­
brées, réparties symétriquement dans le cadre; les intensités lumineuses ne
doivent pas varier; l'action occupe le centre de l'écran.
Le rythme du montage dépend généralement de la taille des plans: les
plans d’ensemble sont laissés à l’écran plus longtemps que les plans moyens,
et les plans moyens, plus longtemps que les gros plans, parce que l'on suppose
que le spectateur a besoin de plus de temps pour appréhender les plans conte­
nant un plus grand nombre de détails. Même si l'on peut relever une accélé­
ration du montage dans des scènes d'action comme celle de l'incendie des
Oiseaux, les plans les plus courts tendront toujours à être les plus rapprochés.

346
HH j L UÎ1U414UJIU

Ce style cherchant à présenter une action narrative, c’est principalement


par un traitement de l’espace et du temps que le montage produit une conti­
nuité narrative.

Continuité spatiale : la règle des 180e


Dans le système de la continuité, l'espace où se déroule une scène est construit
autour de ce que l'on appelle • l’axe de jeu• ou «la ligne des 180"*. L’action
— un personnage en train de marcher, deux personnes en train de se parler,
une voiture filant sur une route— est censée avoir lieu le long d’une ligne
tangible et prédéterminable. L’axe de jeu défini un demi-cercle, la zone des
180°, où la caméra peut être placée pour filmer l'action. Le réalisateur orga­
nise, tourne et monte les plans en respectant les règles relatives à celte ligne.
La prise de vues et la mise en scène de chaque plan seront conçues de façon à
établir et reproduire cet espace.
Une vue générale du système en rendra la compréhension plus claire
(fig. 8.45). Un garçon et une fille sont en train de se parler. L'axe de jeu est la Figure 8.45

347
- - LL1IH1

ligne imaginaire qui les relie. Dans le système de la continuité, le réalisateur


organisera mise en scène et positions de la caméra de façon à établir et main­
tenir cette ligne : la caméra peut être placée n'importe où pourvu que ce soit
du même côté de la ligne (d'où les -180°-), Une suite de plans typique
présenterait : (I) un plan taille du garçon et de la fille; (2) un plan pris par­
dessus l'épaule de la fille, laissant une plus grande place dans le cadre au
garçon; (3) un plan pris par-dessus l’épaule du garçon, favorisant la fille. Un
raccord sur un plan pris depuis la position X ou n'importe quelle autre
position comprise dans la zone colorée serait considéré comme une violation
de la règle parce qu'il ferait passer de l'autre côté de l’axe de jeu (il le
• couperait» ou le «croiserait-, selon les vocabulaires). Certains manuels de
réalisation disent sans nuance que ce type de raccord est -faux». Pour com­
prendre pourquoi, il nous faut examiner de plus près ce qu’implique cette
règle des 180°.
Elle assure, d'un plan à l'autre, la représentation d'un espace commun. Tant
qu'un raccord ne vient pas couper l'axe de jeu, les portions d'espace représen­
tées dans chaque plan s’accordent. Supposons, dans notre exemple, qu'il y ait
un mur couvert d'images et d'étagères derrière les deux personnages. Entre les
plans I et 2, le fait que nous voyions le même côté du visage du garçon n'est
pas le seul facteur commun : une partie du mur réapparaît aussi, avec les
accessoires, vus depuis une position différente. Mais entre les plans 2 et X, le
côté change et le fond devient totalement différent (ce sera un autre mur ou
une porte). Un défenseur des effets de continuité classiques dira que ce rac­
cord désoriente le spectateur : le garçon aurait-il changé d’endroit ? La règle
des 180° permet donc de conserver une zone commune d'un plan à l'autre, ce
qui stabilise l’espace filmique et facilite l’orientation du spectateur dans la
scène,
Elle garantit des orientations constantes. Dans les trois plans correspondant
aux positions de caméra 1, 2 et 3, les personnages restent dans les mêmes
positions relatives : la fille est toujours dans la partie gauche du cadre et le gar­
çon dans la partie droite, même lorsque le point de vue change. Ces positions
sont confirmées par les directions des regards : la fille regarde toujours à
droite et le garçon, à gauche. Dans notre exemple, c’est donc à la fois l’immo­
bilité des personnages et les directions de leurs regards qui déterminent
l'orientation de l'espace à l’écran. Le plan X brise ce système en plaçant la fille
dans la partie droite et en la faisant regarder à gauche.
Ce problème de l'orientation de l'espace représenté par rapport à celui de
l'écran est plus clair lorsque l'on considère des personnages en mouvement.
Supposons que la fille aille de gauche à droite; la ligne qu elle parcoure consti­
tue l'axe de jeu. Tant que les plans ne sont pas pris de l’autre côté de cet axe,
le personnage semblera, d’un plan à l’autre, aller toujours dans la même

348
(mmu । - ni nu t i hih . h huiu

direction, de gauche à droite. Mais si la caméra coupe l'axe, l'arrière-plan sera


différent et la fille semblera se déplacer de droite à gauche — le raccord
pourra alors désorienter le spectateur.
Considérons une situation identique à celle présentée en 8.45, une scène
de genre : deux cow-boys s’avancent l’un vers l'autre pour un duel au pistolet,
dans une rue déserte (fig. 8.46). La ligne des 180" passe par les cow-boys A et
B; A marche de gauche à droite, B, de droite à gauche. Us sont réunis dans le
plan 1. Une vue rapprochée (2) montre B, s'approchant toujours, de droite à
gauche, et un troisième plan montre A faisant de même, de gauche à droite.
Si ce troisième plan était pris depuis la position X, de l'autre côté de l'axe,
A semblerait marcher de droite à gauche. Le spectateur serait en droit de pen­
ser que, ayant pris peur en voyant B s’avancer tel qu’il nous était montré par le
plan 2, il a fait demi-tour — la signification de la scène en serait totalement
inversée. N’importe quel plan pris depuis la zone indiquée en couleur sur
notre schéma créerait le même type de confusion. Figure 8.46

349
PfiSHI J - Li H5LI

Un effet encore plus perturbant consisterait à passer de l’autre côté de la


ligne au moment de la présentation de l'action. Si le premier plan montrait A
marchant de gauche à droite el le second plan, pris de l'autre côté de la ligne,
B faisant de même, il serait difficile d’en conclure qu'ils s'avancent l'un vers
l'aulrc : ils paraîtraient sans doute marcher dans la même direction, à diffé­
rents endroits de la rue, l'un suivant l'autre. Leur soudain face-à-face surpren­
drait alors beaucoup le spectateur.
Nous évoquerons plus loin certaines façons de «traverser la ligne»; il nous
faut comprendre pour l’instant que le respect de la règle des 180° garantit la
Figure 8.47
constance des directions de regard et des mouvements à l’écran. De nom­
breux films participant d'une esthétique de la continuité transgressent cette
règle sans désorienter le spectateur. Dans la situation correspondant à la
figure 8.45, raccorder le plan 1 au plan 3 puis celui-ci au plan X serait consi­
déré comme un effet disjonctif très fort, le plan X ne fournissant aucune
information narrative nouvelle tout en créant une forte discontinuité dans la
composition. Mais un montage enchaînant le plan 1 au plan 2 et celui-ci au
plan X ferait toujours comprendre que le garçon se trouve en face de la fille.
Un raccord de La chevauchée fantastique «saute» ainsi par-dessus la ligne des
18Û° sans créer de désorientation. On voit en plan d'ensemble le début du saut
du personnage principal, qui veut passer du siège du conducteur sur le dos
des chevaux; comme la diligence, il se déplace vers la droite. Au raccord sur
une vue rapprochée, la diligence el le personnage se déplacent vers la gauche
Figure 8.48 (fig. 8.48); mais l'action étant simple, nous n'avons aucune difficulté à saisir
les relations spatiales entre les plans.
lui principale qualité du système des 180° est de produire des descriptions
spatiales claires : le spectateur sait toujours où sont les personnages, les uns
par rapport aux autres et par rapport au décor. Plus important encore, il sait
où il se situe lui-même par rapport à l’action. Cet espace limpide, déployé
dans toute sa cohérence, est conçu pour que le spectateur ne soit pas distrait
du seul centre d'attention possible : l'enchaînement narratif des causes et des
conséquences.

Nous avons vu au chapitre 4 que la narration hollywoodienne classique


soumet le temps ou la motivation, entre autre, à la chaîne causale du récit;
nous avons aussi évoqué la façon dont la mise en scène et la prise de sues peu­
vent présenter un matériau narratif. De même le montage par continuité
subordonne la représentation de l'espace, à partir de la règle des 180°, à la
causalité et à l’action dramatique en général. L'ouverture du Faucon maltais,
de John Huston, va nous permettre d’en donner une illustration concrète.
La scène débute dans le bureau du détective Sam Spade. Cet espace est
établi, dans les deux premiers plans, de diverses façons. On voit d'abord la

350
(wirn o - mi Pifii fl muiu u imim

Figure 8.49 Pian la Figure 8.50 Pian Ib Figure 8.51 Pian 2

fenêtre du bureau (plan la, fig. 8.49) puis la caméra bascule vers le bas pour
faire entrer Spade dans le cadre, en train de rouler une cigarette (plan 1b,
fig. 8.50). Le plan 2 (fig. 8.51) apparaît au moment où te détective dit «Oui,
mon ange ?»; i! est important pour plusieurs raisons. C’est un plan de situa­
tion. qui présente l'ensemble de l’espace du bureau : la porte, une zone inter­
médiaire, le bureau, la position occupée par Spade: et il établit un axe entre
Spade et sa secrétaire, Effie (nous sommes dans un cas semblable à celui sché­
matisé en 8.45), axe que la caméra va, dans une première phase, ne pas traverser.
Ainsi décrit pour nous dans les deux premiers plans, l’espace est ensuite
analysé, décomposé. Les plans 3 {fig. 8.52) et 4 (fig. 8.53) montrent Spade et
Figure 8.52 Pian J
Effie en train de parler. Le respect de la règle des 180° (chacun des plans est
pris depuis le même côté du bureau) fait que nous pouvons connaître les
positions respectives des personnages. En raccordant deux plans de tailles
identiques (des plans poitrine), Huston exploite deux autres procédés caracté­
ristiques du système des 180°.
Iz premier est la figure dite du champ-contrechamp. Une fois la ligne des
180° établie, il est possible d'en montrer alternativement les deux extrémités
— ce qui est fait ici entre Effie et Spade. Un champ-contrechamp n'est pas
obtenu par une stricte inversion, sur l’axe de la caméra, de la direction de la
prise de vues : c'est un plan montrant, généralement de trois-quarts face, ce
qui, sur l’axe de jeu, se trouve en face de ce qu'a montré un premier plan. En
8.45, les plans 2 et 3 raccordés constituent un champ-contrechamp, comme Figure 8.53 Pion 4
les figures 8.52 et 8.53 ici. Les couples 8.23 et 8.24, 8.25 et 8.26. offrent
d’autres exemples de champ-contrechamp.
Le second procédé utilisé par Huston est celui du raccord regard. Un plan A
présente un personnage regardant quelque chose hors-champ et un plan B
nous montre ce qu’il regarde, sans que le personnage et l’objet soient réunis
dans aucun plan. Dans l’ouverture du Faucon maltais, le raccord entre Effie
(plan 3. fig. 8.52) et Spade à son bureau (plan 4, fig. 8.53) est un raccord

351
u.mu ■ U uni

regard, comme les plans des Oiseaux où Mélanie voit l'attaque de la mouette
et la progression de l’incendie ou les exemples de champ-contrechamp rappe­
lés plus haut.
Un champ-contrechamp n'est pas nécessairement constitué de raccords
regard: la figure reste la même lorsque des personnages situés sur un même
axe de jeu mais ne se regardant pas — die se cache les yeux, il lui tourne le
dos — sont montrés alternativement.
Le raccord regard est une idée simple mais très puissante, la direction d'un
regard créant de forts effets de continuité spatiale : pour pouvoir être regardé,
un objet doit se trouver près de celui qui regarde. 11 participe des effets de
construction spatiale découverts par Koulechov; l'acteur, même inexpressif,
parait regarder ce que présente le raccord ci le public suppose qu'il réagit en
conséquence.
Dans le cadre du système des 180°, le raccord regard, comme la constance
des directions à l'écran, permet de consolider les données spatiales d'une
scène. Le regard de Effie vers le hors-champ droit, au plan 3, confirme la posi­
tion de Spade. et si celui-ci ne regarde pas vers elle au plan 4, la prise de vues
s’opère depuis un point situé du même côté de l’axe de jeu (le cadrage est
presque le même que celui du plan lb),cequi nous informe que Effie est dans
le hors-champ gauche. La décomposition spatiale de la scène, respectant la
règle des 180°, est complètement logique; le champ-contrechamp et le rac­
cord regard nous permettent de comprendre les positions relatives des per­
sonnages, même lorsqu’ils ne sont pas à l'écran.
La cohérence spatiale est réaffirmée dans le plan 5, qui présente un cadrage
semblable à celui du plan 2. On y voit à nouveau le bureau (plan 5a, fig. 8.54),
au moment où entre un autre personnage, Brigid O'Shaughnessy. Spade se
lève pour la saluer, la caméra panote vers le haut pour le garder dans le cadre
Figure 8,54 Pian Sa (plan 5b, fig. 8.55). Le plan 5 est un nouveau plan de situation, qui reprend
l’ensemble de l’espace décomposé en 2 et 3. L’enchaînement plan de situation /
décomposition / nouveau plan de situation est, pour la description d'un espace,
l'un des grands schèmes de montage du style linéaire classique que nous
étudions.
Arrêtons-nous un instant pour examiner la façon dont cet enchaînement
contribue à l'avancée du récit, Le plan 1 a suggéré les lieux et, surtout, donné
toute son importance au personnage principal en le reliant à l’inscription
peinte sur la fenêtre. Un son hors-champ et le «Oui, mon ange ?» de Spade
motivent le raccord avec le plan 2, plan de situation qui permet de situer
rétrospectivement ce qui est représenté par le plan 1 dans l'espace de la
scène tout en introduisant l’origine du son précédent — un nouveau person­
Figure 8.55 Pian Sb nage, Effie. Le raccord a lieu au moment précis où elle entre dans la pièce :

352
(UMIU h Ht LUU A L'IUlftl

l'introduction de ce nouvel élément narratif accapare [attention du specta­


teur qui, de fait, remarque moins le passage entre les deux plans. L’espace pro­
che de la porte n’a été montré que lorsque la chaine causale l’exigeait.
Les plans 3 et 4 présentent l’échange entre Spade et Effic; le champ-contre­ 3 «AM
champ et le raccord regard nous confirment les positions des personnages. Le
raccord peut, là encore, passer inaperçu sous le soudain afflux des informa­
tions — ce que dit Effic, les réactions de Spade. Une vue générale du bureau
fp
revient, au plan 5, au moment où un nouveau personnage entre en scène. Les
éléments narratifs —dialogue, entrée des personnages— sont donc mis en
valeur par les différents dispositifs liés à la règle des 180° Le montage subor­
donne l'espace à l’action. Figure 8.56 Pion 6a

On peut repérer les mêmes procédés, à une variante près, dans les plans
suivants. Au plan 5, Brigid O’Shaughnessy entre dans le bureau de Spade;
dans le plan 6, contrechamp, elle s'avance vers lui (plan 6a, fig. 8.56) et s’assoit
juste devant son bureau (plan 6b. fig. 8.57). L’axe de jeu qui était jusqu'ici la
ligne allant de Spade à la porte est devenu celle qui le relie à sa cliente, assise
en face de lui. Une fois établie, cette nouvelle ligne ne sera pas outrepassée.
La variante annoncée est une troisième figure de montage, le raccord dans
le mouvement. Un personnage commence un mouvement dans un plan I ; soit
le raccord intervient à la fin du mouvement et laisse donc celui-ci se dérouler
entièrement dans le même plan, soit il intervient en cours de mouvement, qui
se continue alors dans un plan 2. Ce dernier cas constitue un raccord dans le
Figure 8.57 Pian 6b
mouvement.
Ûn mesure la difficulté technique de ce type de raccord en ayant à l’esprit
que la plupart des films sont tournés avec une seule caméra. Le plan où le
mouvement débute peut être filmé plusieurs heures, voire plusieurs jours
avant ou après celui où il est censé s’achever; leur montage est donc plus com­
plexe que s’il s’agissait de travailler à partir de deux prises de vues simultanées
d’une même action. Pour que tous les détails puissent s'enchaîner correcte­
ment au montage, il faut, dans les étapes précédentes, avoir conservé des
notes sur les positions de la caméra ou les objectifs utilisés, sur la mise en
scène, sur les raccords prévus.
Il y a un raccord dans le mouvement entre la fin du plan 5 (fig. 8.55) et le
début du plan 6 (fig. 8.56) de notre scène du Faucon maltais, sur les quelques
pas que fait Brigid entre la porte et le bureau de Spade. La règle des 180° per­
met de conserver des directions constantes —elle va de gauche à droite dans
les deux plans — et contribue donc à masquer le raccord. Le raccord dans le
mouvement est bien sûr un puissant outil de continuité narrative; le désir du
spectateur de suivre l’action est si fort que la collure passe souvent inaperçue.
L’identité du mouvement d'un plan à l’autre retient plus l’attention du specta­
teur que les différences résultant du raccord.

353
mm 2 - il une

A l'exception du raccord dans le mouvement, les tactiques de montage res­


tent les mêmes dans la suite de la scène. Un nouvel axe de jeu a été établi lors­
que Brigid s'est assise (plan 6b, fig. 8.57), ce qui permet à Huston de
décomposer ensuite l'espace en vues rapprochées (pians 7 à 13, figs. 8.58-
8.64) constituant un ensemble de champs-contrechamps: la caméra cadre
obliquement une des extrémités de l’axe, puis l'autre. (On peut remarquer la
présence des personnages de trois-quarts dos au premier plan en 8.58, 8.59 et
8.61.) Le dialogue est ainsi présenté simplement et sans ambiguïté spatiale.
Des raccords regard interviennent à partir du plan 11 : Brigid lance un
coup d’œil hors-champ, vers la droite, c'est-à-dire vers Spade (plan 11,
fig. 8.62), puis vers la gauche lorsqu'elle entend la porte s'ouvrir (plan 13,
fig. 8.64). Archer, qui vient d'entrer, regarde vers elle, hors-champ et à droite
(plan 14. fig. 8.65); Spade et Brigid lui répondent (plan 15, fig. 8.66). La règle
des 180" nous permet ici de toujours savoir qui regarde qui.
Quelle est la fonction du montage analytique dans cette partie de la scène ?
Huston aurait pu filmer la scène en une seule prise, en conservant le plan 6
Figure 8.58 Pian 7 (fig.8.57). mais il a préféré décomposer la conversation en sept plans. C'est

Figure 8.59 Pian 8 Figure 8.60 Pion 9 Figure 8.61 Mon 1Q

354
uiiuu « - » m un â mai ii unw

Figure 8.65 Mon 14 Figure 8.66 Plan JJ

d’abord une façon de contrôler noire attention : nous regardons Brigid ou


Spade au moment où le réalisateur le désire, ce qui, dans un plan plus long et
moins proche de l’action, aurait nécessité des effets sonores ou de compo­
sition.
De plus, le champ-contrechamp vient souligner ce que raconte Brigid et
les réactions de Spade. Lorsqu’elle commence à entrer dans les détails de son
histoire, on passe des plans où l'un et l’autre sont alternativement en amorce
(figs. 8.58, 8.59) à des cadrages qui les isolent, elle (figs. 8.60, 8.62) ou lui
(fig. 8.63). Les plans poitrine sur la cliente du détective, qui met une réticence
tout artificielle à dire ce qui l'amène, éveillent notre curiosité : il est possible
qu elle mente. Spade semble lui-méme sceptique, comme le montre le plan 12
(fig. 8.63). Le montage analytique, associé au cadrage et à l’interprétation,
focalise donc notre attention sur l'histoire de Brigid pour nous laisser obser­
ver son comportement et essayer de savoir ce qu'en pense Spade.
Archer entre dans la pièce et la décomposition spatiale cesse un instant;
nous revenons à un plan de situation. Le nouveau venu est intégré à l’action
en cours au moyen d'un panoramique gauche-droite (plans 16a et 16b,
figs. 8.67, 8.68). 11 avance sur une ligne correspondant au premier axe de jeu,

Figure 8.67 tort J6o Figure 8.68 ton 16b Figure 8.69 ton 17

355
mm j - u

entre lâ porte et Spade, et le cadrage est identique à celui employé pour


l’enirée de Brigid. (On peut comparer les plans 16b et 6a, figs. 8.68 et 8.56.)
Grâce à de telles répétitions, le spectateur ne se concentre que sur les nouvelles
informations narratives et pas sur la façon dont elles sont présentées.
Archer fait maintenant partie de la scène; il s’assoit sur le bureau de Spade,
ce qui le place à la même extrémité de l'axe de jeu que son associé (plan 17,
fig. 8.69). La suite du montage analyse ce nouvel ensemble de relations sans
jamais passer la ligne des 180°.
Le spectateur n’est pas censé remarquer tous ces éléments. La description
spatiale de la scène est destinée à mettre en valeur la chaîne causale — les
Figure 8.70
actions des personnages, leurs entrées, le dialogue, leurs réactions. L’écono­
mie de cette description, organisée par le montage, contribue à la continuité
narrative.
l.a plupart des films narratifs font toujours appel aux principes découlant
de la règle des 180° comme â l'ensemble des procédés participant du système
de la continuité. Dans Parenthood (Ron Howard, 1989), par exemple, une
conversation est présentée en champ-contrechamp et raccords regards
(figs. 8.70, 8.71 ). Ce sont les femmes au premier plan qui définissent l'axe de
jeu.
Ce système peut être affiné de différentes manières. Si des personnages
sont disposes en cercle autour d’une table, l'axe de jeu pourra évoluer en fonc­
tion de l’importance momentanée de chacun. Dans les figures 8.72 et 8.73,
Figure 8.71
extraites de L'impossible monsieur Bébé (Bringing up Baby, Howard Hawks,
1938), l’action se déroule essentiellement entre les deux hommes; on passe
donc logiquement, lors du champ-contrechamp, d'un côté à l’autre de la
femme qui est au premier plan en 8.72. Lorsque l’un des deux hommes quitte
la table, l’organisation de la scène change pour devenir une sorte de demi-cercle

Figure 8.72 Figure 8.73

356
mpiiu a - a ib Hun a l sim. u iiiiki

Figure 8.74 Figure 8.75

induisant un nouvel axe de jeu. Le ch amp-contrechamp se fait à présent le


long du grand côté de la table (figs. 8.74,8,75).
Les extraits du Faucon maltais et de L’impossible monsieur nous mon­
trent que la ligne des 180° peut être modifiée au cours d'une scène en fonction
des déplacements des personnages. Dans certains cas, le réalisateur crée un
nouvel axe de jeu qui permet à la caméra de prendre une position qui aurait
été *de l'autre côté de la ligne» dans une phase antérieure de la scène.
On en trouve une occurrence élémentaire dans Les yeux sans visage (Geor­
ges Franju, 1959). Une jeune femme, qui porte un masque pour cacher son
visage défiguré, parle avec l'intendante employée par son père. L’intendante
apparaît en plan moyen, avec la jeune femme en amorce devant elle; l'axe de
jeu va du premier plan à droite au second plan à gauche (fig. 8.76). Si Franju
avait voulu nous montrer la réaction de la fille, les règles de continuité
l’auraient obligé à prendre un plan où clic aurait regardé vers la gauche la
gouvernante, dont on aurait vu l’épaule droite en amorce. Au lieu de cela, la
gouvernante s’enfonce vers la droite dans la profondeur et la caméra panote
pour la garder dans le cadre (fig. 8.77). Maintenant à droite du cadre et à
l'arrière-plan, elle se retourne pour regarder, vers la gauche, la jeune femme
(fig. 8.78), ce qui crée un axe allant du premier plan gauche à l'arrière-plan Figure 8.76

357
mill J II IIHl

Figure 8.83 Figure 8.84 Figure 8.85

droit. Suit un contrechamp monirani la fille, de trois-quarts face, regardant


vers la droite (fig. 8.79). Si Franju avait raccorde le premier plan considéré
(fig. 8.76) avec celui-ci, il aurai: coupé l'axe de jeu (cas comparable à celui du
plan X en 8.45). C'est le déplacement de la gouvernante vers la droite du
cadre, la création d'un nouvel axe de jeu, qui autorise cct angle et cette direc­
tion de regard.
L'efficacité d’un axe de jeu et des directions de regard qu'il induit est si
grande quelle permet parfois au réalisateur d’éliminer tout plan de situation,
et donc de se reposer entièrement sur l'effet Koulechov. Dans Nola Darling
tien fait qu’à sa tête (She’s gaffa hâve il, Spikc Lee, 1986) l’héroïne invite ses
trois amis à dîner le jour de Thanksgiving. La scène ne contient aucun plan
montrant les quatre personnages dans le même cadre mais des plans de demi-
ensemble englobant les trois hommes (fig. 8.80, par exemple), des champs-
contrechamps entre eux, avec amorces (fig. 8.81) et des plans épaule amenés
par des raccords regard. Nola a son propre plan épaule (fig. 8.82).
Iæ montage maintient la cohérence spatiale de la scène par le jeu des direc­
tions de regard et des postures. Chacun des hommes, par exemple, regarde
dans une direction différente lorsqu'il s’adresse à Nola (figs. 8.83, 8.84), figure
de montage qui accentue le principal enjeu dramatique en les mettant à

358
(HflFUJIl a - MH PLflB fl L flUIH LI ffl fl BU U

égaillé devant elle. Ils sont regroupés à une extrémité de la table sans jamais
être cadrés avec elle, ensemble ou individuellement. De plus. Lee fait de Nola
le personnage central de la scène en organisant les angles de prise de vues à
partir de son appréhension globale de l’action {comme en 8.80). Les plans
plus larges comme le plan épaule qui lui est consacré contribuent A intensifier
la progression dramatique de la scène : les hommes s'exposent et elle juge
tranquillement le comportement de chacun.

Un autre intérêt du système des 180e est le faux raccord. Il arrive qu’un réa­
lisateur n’obtienne pas une continuité parfaite entre deux plans parce qu’il a
composé chacun A des fins différentes. Les deux plans doivent-ils s'accorder
Figure 8.86
parfaitement ? C’est encore une question de motivation narrative. La règle des
180° mettant l’accent sur les enchaînements causais, le réalisateur peut dans
une certaine mesure «fausser» des éléments de mise en scène d’un plan à
l'autre, bouleverser légèrement les positions des personnages ou des objets.

Considérons deux plans extraits de L’insoumise de Wylliam Wyler. Aucun


des personnages ne bouge durant les plans, mais Wyler a, de façon flagrante,
triché sur la position de Julie : dans le premier plan, le haut de sa tète est au
niveau du menton de l'homme (fig. 8.86) et dans le second, elle semble avoir
grandi de plusieurs centimètres (fig. 8.87). La plupart des spectateurs ne
remarquent pas cette incohérence parce que le dialogue est, A ce moment,
d'une suprême importance; les ressemblances entre les deux plans et le chan­
gement d'angle — on passe d’un angle normal à une légère plongée — com­ Figure 8.87
pensent les différences de positions. Il y a aussi un faux raccord dans la scène
du Faucon maltais évoquée plus haut, entre les plans 6b et 7. En 6b (fig. 8.57),
Spade se penche en avant, s'éloignant du dossier de son siège. En 7. pourtant,
celui-ci est juste derrière son bras gauche (fig. 8.58). U encore, le flot narratif
prime sur le faux raccord et, en quelque sorte, l’annule.

Dans plusieurs des exemples que nous avons convoqués jusqu’ici, le mon­
tage par continuité s'est révélé adapté à la description des relations entre des
personnages. Mais la même technique peut être utilisée lorsqu’un personnage
est seul. Fenêtre sur cour (Rcar window, Alfred Hitchcock, 195-1 ) comprend de
nombreuses scènes où Jeff, le photographe solitaire, observe les événements se
déroulant dans un appariement se trouvant de l’autre côté de la cour. Hitch­
cock se sert d’une figure courante : il raccorde un plan de Jeff regardant quel­
que chose hors-champ et un plan montrant ce qu'il voit. (Il n'y a en général
aucun plan de situation; c’est donc l'effet Koulechov qui fonctionne ici.)
Champ-contrechamp et raccord regard sont des figures essentielles du film, à
l’origine de la plupart de ses effets. Plus précisément, Hitchcock met en œuvre
ce que l’on appellera des raccords regard subjectifs.

359
mm - » lui*

Le plan 1 (fig. 8.88) montre Jeff regardant par sa fenêtre et le pian 2


(fig. 8.89), subjectif, ce qu’il voit. Nous avons déjà traité du plan subjectif en
termes de cadrage au chapitre 7, et avons évoqué plus haut, avec Les oiseaux,
un exemple de raccord regard subjectif. Nous sommes maintenant capables
de voir comment il s'accorde au système des 180°. Le second plan, représen­
tant la vision de Jeff, est pris depuis une position située sur l’axe de jeu, à
l’extrémité occupée par le personnage (fig. 8.90).

Le caractère subjectif de ces plans va en s’intensifiant au cours du film. De


plus en plus curieux des détails de la vie de ses voisins, Jeff commence à utili­
Figure 8.88 ser des jumelles et un téléobjectif. Les plans, pris avec des objectifs de diffé­
rentes longueurs focales, permettent de montrer la façon dont chaque nouvel
outil agrandit ce qu’il peut voir (figs. 8.91-8.94). Même si ]eff est seul pendant
la plus grande partie du film, le montage de Hitchcock se conforme aux règles
de continuité spatiale et exploite leur capacité à organiser des points de vue,
pour éveiller la curiosité du spectateur et créer du suspense.

Un réalisateur peut «couper» ou traverser l’axe de jeu en respectant les


règles. Une scène se déroulant dans l’embrasure d’une porte, dans un escalier
ou un autre décor symétrique peut parfois être l’occasion de « passer la ligne ».
Une autre façon consiste à raccorder sur un personnage situé hors-champ;
Figure 8.89
lorsqu'il rejoint l'action principale, éventuellement suivi par un mouvement
de caméra, un axe de jeu différent est établi.
Figure 8.90

360
(«fl PIÎRl 0 - t) UH Hflfl J LflUIèl . Il ffl fl fl IA C £

Figure 8.91 Figure 8.92 Figure 8.93

Il est aussi possible de couper l'axe en utilisant comme transition un plan


pris depuis une position située sur la ligne elle-même. Ce procédé, rare dans
les séquences dialoguées, apparait parfois dans les poursuites ou les scènes en
extérieurs; l’action se dirige droit vers la caméra (plan frontal] ou s'en éloigne
(plan arrière]. 1-3 poursuite finale de Mad Max H en offre plusieurs exemples.
Lorsque les pirates de la rouie tentent de prendre à l'abordage un camion
citerne en fuite, Georges Miller emploie de nombreux plans frontaux et
arrière du camion et de son chauffeur, Max. L'attaque est lancée au moment
où poursuivants et poursuivi traversent l'écran à toute allure vers la gauche.
Miller insère alors quelques plans montrant le camion venant vers la caméra
ou s’en éloignant, puis d'autres où l’action se dirige vers la droite. Figure 8.94

Lorsqu’un réalisateur brise ainsi la ligne des 180°. il prend souvent des pré­
cautions supplémentaires pour rendre les relations spatiales compréhensibles.
Dans la plupart des cas, le réalisateur qui recherche des effets de continuité
préférera ne pas raccorder avec un plan pris depuis l’autre côté de la ligne.
L’exemple extrait des Yeux sans visage a montré comment l’évolution des
acteurs dans le cadre peut créer de nouveaux axes de jeu sans désorienter le
spectateur. La caméra elle-même peut se déplacer et traverser la ligne: les
règles du montage par continuité n'étant éventuellement transgressées que
lors d’un changement de plan, un mouvement de caméra délimitant un nou­
vel axe ne brise pas la continuité d’une scène.
Le montage par continuité illustre la façon dont le montage peut doter ta
narration d’un vaste champ informatif. Un raccord peut nous faire passer
d’un point à n’importe quel autre situé du même côté de l’axe de jeu. Le mon­
tage peut créer des effets d’omniscience narrative, où le film cherche à présen­
ter au spectateur un savoir total sur les événements. L’invention technique la
plus remarquable, en ce domaine, est le montage alterné, dont D.W. Griffith
fut le premier grand expérimentateur dans scs scènes de sauvetages de der­
nière minute. Dans The battle at Elderbush Gulch, la cavalerie vient au secours

361
puni} - u nm

Figure 8.95

de quelques colons assiégés par des Indiens. Griffith raccorde un plan de la


cavalerie (fig. 8.95) et une vue de l'intérieur de la cabane où se sont retranchés
les hommes (fig. 8.96), puis revient à la cavalerie (fig. 8.97) et à la cabane
(fig. 8.98). Après onze autres plans montrant la cavalerie, différentes parties
de la cabane et les Indiens à l'extérieur, un douzième plan montre les soldats
arrivant à cheval du fond du plan, derrière l'abri.
Le montage alterné nous offre un champ informatif illimité, en termes de
cause, de temps ou d'espace, en faisant se succéder des plans montrant des
actions différentes se déroulant dans des lieux différents. Il crée ainsi une
sorte de discontinuité spatiale mais lie les actions entre elles par des effets de
Figure 8.98 causalité et de simultanéité temporelle.
Dans M le maudit par exemple, nous voyons la police à la recherche de
celui qui a assassiné l'enfant, les hors-la-loi qui, pendant ce temps, rôdent
dans les rues pour la même raison, et parfois le meurtrier. Le montage alterné
tresse ensemble les différentes lignes dramatiques pour souligner leur simul­
tanéité et les enchaînements causais de la poursuite. 11 nous fournit une con­
naissance de l’action supérieure à celle de n’importe que! autre personnage :
nous savons que les gangsters recherchent le meurtrier alors que celui-ci et la
police l'ignorent. I>r montage alterné produit aussi du suspense, en ne satisfai­
sant ou en n'éclaircissant que progressivement les attentes et les suppositions
du spectateur. Il peut permettre de créer des parallèles, ce que fait Lang, ici, en
suggérant une analogie entre la police et les voleurs. Quelles que soient ses
autres fonctions, le montage alterné reste d’abord un moyen de présenter des
actions se déroulant dans différents lieux à peu près au même moment.
Tous les procédés de continuité spatiale que nous venons de décrire mon­
trent comment la technique cinématographique entraîne le spectateur dans
une appréhension active du film. Nous supposons une cohérence et une adé­
quation des décors, des positions et des mouvements des personnages. Notre
connaissance préalable des conventions filmiques nous permet de former de

362
tntilM i - ni HH i mut IL»»»»

fortes attentes sur la succession des plans. Nous tirons aussi des inférences à
partir d'indications internes : lorsque Brigid et Spade regardent vers le hors-
champ gauche, nous en déduisons que quelqu’un vient d'entrer et attendons
de voir un plan montrant ce personnage. Ce qui rend le système de la conti­
nuité «invisible» est sa capacité à mettre en œuvre une série de techniques si
bien acquises par le spectateur qu elles lui paraissent automatiques. Cela en
fait un outil puissant pour le réalisateur qui désire conforter les attentes
habituelles des spectateurs; il devient une cible importante pour celui qui, à
l’inverse, veut utiliser la technique cinématographique pour remettre en ques­
tion ou transformer nos activités perceptives normales.

Continuité temporelle : ordre, fréquence, durée

Dans le système classique de la continuité, le temps, comme l'espace, est orga­


nisé en fonction du développement du récit. Nous savons que la présentation
de l'histoire par le récit implique généralement des manipulations temporel­
les. Le montage par continuité cherche à renforcer et à alimenter ces manipu­
lations.

Pour être plus précis, il nous faut rappeler la distinction faite au chapitre 4
entre ordre, fréquence et durée. Le montage par continuité respecte en géné­
ral l’ordre des événements de l'histoire, qui se succèdent logiquement (Spade
roule une cigarette, puis Efiîc entre, puis il lui répond, etc.). Le flashback,
signalé par un raccord ou par un fondu enchaîné, est la façon la plus habi­
tuelle de transgresser cet ordre. 1^ montage classique ne présente ordinaire­
ment qu’une seule fois ce qui est arrivé une fois dans l’histoire : dans ce
contexte classique, Huston ferait une grosse erreur en répétant, par exemple,
le plan où l'on voit Brigid s’asseoir (fig. 8.57). Les flashbacks sont là encore la
façon la plus courante de justifier la répétition d’une scène déjà vue. La mani­
pulation temporelle passe donc ici, en terme d’ordre et de fréquence, par le
respect d'une chronologie et l'unicité des occurrences. Il existe quelques
exceptions, comme nous l'avons vu avec Le parrain ou Do the right thing.

Qu’en est-il de la durée? Dans le système classique de la continuité, la


durée de l'histoire est rarement dilatée : la durée de projection est rarement
plus longue que celle de l’histoire. La durée est soit entière et continue (celle
du récit égale celle de l’histoire), soit raccourcie par des ellipses (l'histoire est
plus longue que le récit). Examinons d’abord le cas le plus commun, celui de
la continuité intégrale. Une scène durant cinq minutes dans l'histoire occupe
ici cinq minutes de projection,

363
Mtiin - IJjUU

Dans la première seine du Faucon maltais, celte continuité se signale de


trois façons. On constate d'abord qu'il n’y a aucun manque dans la progres­
sion narrative de la scène : chaque mouvement, chaque réplique est présentée.
Il y a aussi la bande son ; le son provenant du inonde de l'histoire (ce que nous
appellerons plus loin le son «diégétique») est un indicateur courant de conti­
nuité temporelle, tout particulièrement lorsque, comme dans cette scène, le
son «déborde* d'un plan à l’autre. Enfin, il y a le raccord dans le mouvement
entre les plans 5 et 6. Cette figure est si puissante quelle crée à la fois une con­
tinuité spatiale et une continuité temporelle, pour une raison évidente : si une
action se poursuit au-delà d'un raccord, l'espace et le temps sont supposés
être en continuité d’un plan à l’autre. L'absence d'ellipse, les effets de chevau­
chements du son diégétique el les raccords dans le mouvement sont trois
indicateurs essentiels de la continuité de la durée de la scène.
Quelquefois, une autre possibilité est explorée : l'ellipse temporelle. Celle-ci
peut concerner des secondes, des minutes, des heures, des jours, des années
ou des siècles. Certaines ellipses concernent des moments sans importance
pour le développement du récit. Un film narratif classique ne montre généra­
lement pas le temps qu’il faut à un personnage pour s'habiller, se laver et
prendre son petit déjeuner. Des plans du personnage allant sous sa douche,
mettant ses chaussures ou faisant frire un œuf seront montés de façon à en
éliminer les temps morts indésirables, le récit présentant en quelques secon­
des un processus prenant une heure dans l'histoire. Comme nous l'avons déjà
évoqué plus haut, des ponctuations optiques, des cadres vides ou des plans de
coupe sont fréquemment utilisés pour combler de courtes ellipses tempo­
relles.
Mais d’autres ellipses sont importantes pour le récit. Pour que le specta­
teur comprenne que du temps a passe, le style linéaire a constitué tout un
répertoire de procédés. Fondus enchaînés, fondus au noir ou volets sont sou­
vent utilisés pour signaler une ellipse entre deux plans correspondant à la fin
et au début de deux scènes consécutives (selon la «règle» hollywoodienne, un
fondu enchaîné indique un laps de temps plus court qu’un fondu au noir).
Certains réalisateurs contemporains utilisent un raccord pour ce type de
transition. Dans 2001 par exemple, Kubrick raccorde directement un os tour­
noyant dans les airs à une station spatiale en orbite autour de la terre. Le rac­
cord élimine des centaines d’années d'histoire et est, visuellement, l’un des
plus audacieux du cinéma narratif.
Dans d'autres cas. il est nécessaire de montrer une longue période ou un
processus se déroulant sur une échelle de temps importante — une ville qui
s'éveille au petit matin, une guerre, un enfant qui grandit, l’ascension d'une
star de la chanson. Le procédé elliptique classique est ici celui dit de la
«séquence de montage». De brefs aperçus sur ce qui est en cours, des titres à

364
___ (W1IU Q - Ml Plll 0 LflUIU . Il IHIflU

caractère informatif (une date, un nom de lieu), des images stéréotypées (un
monument pour une ville), des extraits d'actualité, des gros titres de journaux
et d’autres éléments du même ordre peuvent être rassemblés, avec fondus
enchaînés et musique, en un ensemble rapide résumant une longue suite
d’actions en quelques instants.

Nous sommes tous habitues à certains clichés des séquences de montage


— un calendrier effeuillé, les presses d’un journal tirant en masse un numéro
spécial, des horloges marquant les heures— mais entre les mains de mon­
teurs habiles, elles deviennent en elles-mêmes des petits moments de virtuo­
sité. On peut le voir avec les séquences de montage de Slavko Vorkapich
évoquant la vie américaine dans M. Smith au Sénat (Mr Smith goes to
Washington, Frank Capra, 1939), la description de deux décennies par Jack
Killifer dans Les fantastiques années vingt ou celle, violente, de l'ascension
d’un gangster par Edward Curtis dans Scarface (Howard Hawks, 1931). Le
procédé est toujours employé dans les films hollywoodiens, meme s’il a ten­
dance à être plus limité, stylisiiquement, que dans les années 30 et 40. Les
dents de la nier par exemple, se contente d’aligner sans invention de raccord
une série de plans montrant des vacanciers arrivant à la plage pour indiquer
un changement temporel et le début de la saison touristique. Une musique
accompagne toujours ce type de séquence, comme dans cette scène de Tootsie
(Sidncy Pollack, 1982) où une chanson et des couvertures de magazines per­
mettent de retracer le succès du personnage principal qui devient la star d’un
feuilleton télévisé. Dans Le silence des agneaux, une sequence juxtapose des
plans brefs montrant Claricc Starling s’entraînant au EB.I. et faisant des
recherches sur le passé de Hannibal Lectcr.

En bref, le système de la continuité détermine un style, que l’on pourra


qualifier de «linéaire», qui exploite la dimension temporelle du montage
d'abord à des fins narratives. Par sa connaissance préalable des conventions
formelles de ce style, le spectateur s’attend A ce que le montage respecte tant la
chronologie de l’histoire, avec d’éventuelles modifications apportées par des
flashbacks, que la fréquence des événements qui la constituent. II suppose de
plus que les actions n’ayant aucun rapport causal avec l’histoire seront négli­
gées ou, tout au moins, écourtées par des ellipses judicieuses. C’est la façon
dont le système hollywoodien classique de la continuité concevait la narra­
tion. Comme les aspects purement visuels de l'image, le rythme ou l’espace, le
temps est organisé pour permettre le déploiement de la chaîne causale,
éveiller la curiosité du spectateur, produire des effets de suspense ou de sur
prise. Mais il existe de nombreuses alternatives à cette esthétique de la conti­
nuité, qu’il nous faut examiner.

365
POIll } - KJJVJl

Alternatives au montage par continuité


Possibilités visuelles et rythmiques
Aussi puissant et influent soit-il, le style linéaire reste un style parmi d’autres.
Beaucoup de réalisateurs ont exploré d'autres possibilités de montage.
Les films qui mettent en œuvre des formes abstraites ou associatives ont
souvent donné une grande importance aux dimensions visuelles et rythmi­
ques du montage. Au lieu de relier un plan 1 et un plan 2 suivant les fonctions
spatiale et temporelle qu’ils remplissent dans la présentation du récit, on peut
les relier selon leurs qualités visuelles ou rythmiques, indépendamment du
temps et de l'espace représentés. C'est ce que fait Stan Brakhage dans des films
comme Anticipation of the night, Scènes front under childhood ou Western fiis-
tory, où les continuités et discontinuités de lumières, de matières et de formes
motivent le montage. Fasciné par la surface même de la pellicule, à la recher­
che de combinaisons visuelles abstraites, Brakhage a gratté l'image, l’a peinte,
y a collé des ailes de papillons de nuit. De même, dans certaines parties de
Cosmic ray, A tnovie ou Report, des extraits de films d’actualité, des vieilles
bandes-annonces, des amorces et des images noires raccordent suivant des
motifs visuels liés au mouvement, à la direction ou à la vitesse.
De nombreux films non-narratifs ont totalement subordonné le temps et
l’espace présentés dans chaque plan aux relations rythmiques entre les plans.
Les films où chaque plan n’est constitué que d'un seul photogramme en sont
des exemples extrêmes; c’est le cas de Fist fight, de Robert Breer (planche -I)
ou de Schwechater (Peter Kubelka, 1958).
La prééminence du montage visuel et rythmique dans les films non-narra­
tifs n’est pas un phénomène aussi récent que semble l'indiquer nos exemples.
Elle a débuté en 1913 avec l’attention portée par certains peintres aux possibi­
lités purement visuelles du cinéma. Un grand nombre d’œuvres issues de
l'avant-garde européenne des années 20 combinent un intérêt pour l’abstrac­
tion visuelle avec un désir d’explorer les dimensions rythmiques du montage.
La plus célèbre d’entre clics est sans doute le Balier mécanique de Fernand
Léger et Dudley Murphy (voir le chapitre 5), Sur laquelle nous reviendrons
plus en détail au chapitre 10.
Les possibilités visuelles et rythmiques du montage nont pas été totale­
ment négligées par le cinéma narratif. Si la continuité visuelle générale qui est
au principe du style linéaire est habituellement subordonnée à un souci de
description des données spatio-temporelles du récit, il arrive aussi que cer­
tains réalisateurs soumettent le narratif au visuel. Les films pour lesquels
Busby Berkeley inventa des chorégraphies sophistiquées en sont probablement
(UflPI1R.I J - Mil HH» i L'opu IA HOdieU

les exemples les plus célèbres. Dans 42*"* rue, Chercheuses d'or. Prologues,
Palace hôtel (Golddtggers of 1935] et Dames (Ray Enright, 1934), le récit s'en­
raye périodiquement et le film présente des numéros de danses complexes qui
sont chorégraphiés, filmés et montés avec une attention particulière portée
aux configurations visuelles formées par les danseurs et le fond (fig. 6.81,
extraite de 42^f rue).
Le montage visuel pratiqué par Yasujiro Ozu entretient des relations plus
élaborées avec le récit. Un raccord y est souvent dicté par une continuité
visuelle beaucoup plus précise que dans le style linéaire classique. Dans Fin
d’automne. Ozu raccorde directement un plan montrant un homme en train Figure 8.99

de boire du saké (fig. 8.99) avec un autre plan montrant la meme action, réa­
lisée par un autre personnage qui se trouve exactement dans la même posi­
tion. porte le même costume, fait les mêmes gestes (fig. 8.100). Plus tard, un
autre raccord nous fait passer d’un homme à un autre (figs. 8.101,8.102) dans
des plans aux compositions très semblables. Une bouteille de bière (différente
dans chaque plan) occupe précisément la même position, sur la gauche du
cadre, et est tournée dans la meme direction par rapport à l’axe de prise de
vue, comme le montre l’orientation de l’étiquette. Dans Bonjour (Ohayo.
1959), Ozu fait une utilisation identique de la couleur; un raccord entre des
vêtements séchant sur un fil et l'intérieur d’une habitation fait réapparaître
une tache rouge, en haut à gauche de chaque cadre, qui est successivement un Figure 8.100
maillot et une lampe (planches 62,63).
La continuité visuelle est, bien sur, toute relative; sur le spectre allant de
l'approximation hollywoodienne à la précision de Ozu, il y a ces deux plans
extraits de Ivan le terrible, première partie (figs. 8.103, 8.104). L’éclairage (la
partie gauche du cadre est obscure, la partie droite, lumineuse) et les formes
triangulaires à droite du cadre du plan 1 sont repris dans le plan 2, la coiffe et
le corps d’Anastasia faisant écho au dessin des chaises précédentes. Si de tels
raccords visuels étaient au principe de toute la forme du film, le récit tendrait
à s'éclipser et l’œuvre deviendrait plus abstraite.
Figure 8.101

Figure 8.103 Figure 8.104 Figure 8.102

367
PUJIIll i - Il Î1U(

Certains films narratifs ont, pendant une courte période, soumis les fac­
teurs spatiaux et temporels du montage à des facteurs rythmiques. Dans les
années 20, l'école de l'«impressionnisme» français et l’avant-garde soviétique
ont souvent fait primer le rythme du montage sur les problèmes narratifs.
Dans des films comme La roue d’Abel Gance, Coeur fidèle ( 1923) et La glace à
trois faces 11927) de Jean Epsiein ou Kean (Alexandre Volkov, 1924) avec Ivan
Mosjoukine, le montage accéléré restitue le tempo d’un train lancé à toute
allure, d'un manège tourbillonnant, d’une voiture faisant la course ou d’une
danse ivre. Dans une séquence poétique de La chute de la maison b'sher (Jean
Epstein, 1929) durant laquelle Roderick Usher joue de la guitare et chante, la
longueur des plans est organisée sur le modèle d’une chanson,avec couplet et
refrain. Le rayon de la mort (Luc smerti. Lev Koulechov, 1925) et, comme nous
le verrons, Octobre d’Eiscnstcin, font parfois dominer les aspects rythmiques
sur la spatialité et la temporalité du récit. On peut trouver de forts moments
de montage rythmique dans des oeuvres plus récentes : les comédies musicales
de Busby Berkeley, Aimez-tnoi ce soir de Roubcn Mamoulian, Le million de
René Clairet plusieurs films de Ozu ou Hitchcock. Il a connu un renouveau
dans le «nouvel Hollywood» (cf.chapitre 12) avec des films comme Assaut
(Assatdt on precinct 13, John Carpenter, 1976), Terminator (The terminator,
lames Cameron, 1984), True romance (Tony Scott, 1993) et d’autres, influen­
cés par le montage tout en battements et pulsations des vidéos musicales
— Flashdance (Adrian Lync, 1983), The Crow (Alex Proyas, 1994).

Discontinuités spatiales et temporelles


Le style que nous avons appelé « linéaire» est fortement lié au cinéma narratif;
scs alternatives seraient entièrement du côté du non-narratif. Comment
raconter une histoire sans adhérer aux règles de continuité ? Y a-t-il des alter­
natives narratives au système linéaire ? Nous allons examiner quelques cas de
réalisateurs ayant créé un style de montage particulier à travers des effets de
Figure 8.106
discontinuités spatiales et temporelles.
Une possibilité est d’employer les effets de continuité spatiale de façon
ambiguë. Dans Mon oncle d’Amérique, les histoires des trois personnages
principaux sont constamment entrecoupées de plans extraits de films français
des années 40 montrant la star préférée de chacun d’eux. Dans une scène,
René est appelé par un collègue de bureau qu’il ne supporte pas. Resnais rac­
corde le plan montrant cet homme (fig. 8.105) avec un plan provenant d’un
autre film où Jean Gabin se retourne comme en contrechamp (fig. 8.106);
c'est seulement après cette image que Resnais donne à voir un plan où René se
retourne vers son interlocuteur (fig. 8.107). Le film ne présente pas précisé­
Figure 8.107 ment le plan sur Gabin comme un élément imaginaire : on ne sait pas si René

368
.COPJ.UK fl - P U H PLfi h fi L flUIfil . U MOIIIjm

s'imagine en train d'affronter son collègue à la façon de son acteur favori ou si


la comparaison est un effet de narration n’ayant rien à voir avec Pétai d'esprit
du personnage. Le raccord fournit fous les indices du champ-contrechamp
mais s'en sert pour créer une discontinuité, une discordance momentanée
provoquant une ambiguité narrative.
Un réalisateur peut, plus radicalement, transgresser ou ignorer la règle des
180a. Les choix de montage de Jacques Tati ou Yasujiro Ozu sont basés sur ce
que l'on peut appeler un espace à 360°. Au lieu de penser le déroulement
d’une action sur une ligne, de travailler avec un axe de jeu définissant un
demi-cercle où doit être placée la caméra, ces réalisateurs conçoivent l’action
Figure 8.108
comme un point au centre d’un cercle, sur la circonférence duquel se fait la
prise de vues. Dans Les vacances de M. Huiol, Playtime et Trafic. Tati filme sys­
tématiquement de presque tous les côtés; une fois montés, ks plans présen­
tent de multiples perspectives sur un même événement. Ozu construit
également des espaces circulaires produisant ce qui serait considéré, dans le
style linéaire, comme de graves erreurs de montage. Ses films sont souvent
dénués d'arrière-plans ou de directions cohérents; les regards ne raccordent
pas et tout ce dont on peut être sûr, c'est de la transgression de la ligne des
180°. L’une des plus grands péchés, dans le style linéaire classique, est de rac­
corder dans le mouvement tout en passant de l’autre côté de la ligne, ce que
fait Ozu sans difficulté dans Début d'été (figs. 8.108, 8.109). (Se reporter à la
quatrième partie pour un commentaire sur l'espace et le temps dans Voyage d Figure 8.109
Tokyo.)
Ces effets de discontinuités spatiales générés par le montage offrent aussi
des éclairages inattendus sur l’expérience du spectateur. Le défenseur de la
continuité classique prétendra que le respect des règles de continuité spatiale
est essentiel à une présentation claire du récit. Mais qui a vu un film de Ozu
ou de Tati peut témoigner de ce qu’aucune confusion narrative ne nail de leur
«violation» des règles. Si l’espace n’y est pas aussi fluide que dans le style hol­
lywoodien, la chaîne causale reste compréhensible. On en conclut inévitable­
ment que le système de la continuité est seulement une façon parmi d’autres
de présenter un récit. Ce système a été historiquement dominant, mais il n'a
aucune supériorité esthétique sur les autres.
Il y deux autres procédés remarquables de discontinuité. Dans .A bout de
souffle. Jean-Luc Godard transgresse les conventions de continuités spatiales,
temporelles et visuelles par une utilisation systématique du jump eut. Ce
terme est souvent utilisé de manière peu rigoureuse; il désigne d’abord l’effet
suivant : lorsque deux plans ayant le même objet sont raccordés sans une dif­
férence suffisante de distance et d’angle de prise de vues entre eux, il y a une
«saute» (juntp) visible à l’écran. L'esthétique classique évite ce type de saute
par une abondante utilisation du champ-contrechamp et de la «règle des

369
PWI.l - l( nui

Figure 8.110 Figure 8.1 11

30°», selon laquelle l'angle de deux prises de vues correspondant à des plans
successifs doit varier d'au moins 30°. l^es jump cuts de Godard dans  bout de
souffle ne sont pas sans conséquences. Entre les deux plans montrant Patricia
dans la voiture, l'arrière-plan a changé et du temps s'est écoulé (figs. 8.110,
8.111). Loin de rechercher un effet de fluidité, de tels raccords désorientent le
spectateur.
Une seconde atteinte fréquente à la continuité est celle produite par des
inserts extradiégétiques. Le réalisateur passe de la scène en cours à un plan
métaphorique ou symbolique n'appartenant pas au temps et à l’espace du
récit. Cela donne souvent lieu à des clichés : dans Fury par exemple, Fritz Lang
associe un groupe de ménagères en plein bavardage (fig. 8.112) et des poules
en train de glousser (fig. 8.113). On trouve des exemples plus élaborés dans
les films de Godard ou Eisenstein. Dans Ln grève, d’Eisenstein, le massacre des
ouvriers est entrecoupé par des plans montrant l’abattage d’un taureau. Dans
La chinoise, de Godard, un personnage raconte que les anciens Egyptiens
croyaient que «leur langage était le langage des dieux». Au moment où il dit
cela (fig. 8.114), Godard insère deux gros plans sur des sculptures recouvertes

Figure 8.112 Figure 8.113

370
. (Mil MIH B - O1 PLflM i LJUlfil . Il mO«l<Ç(

Figure 8.114 Figure 8.115 Figures.] 16

d’or provenant du tombeau de Toutankhamon (figs. 8.115, 8.116). Parce


qu’ils ne viennent pas du monde de l'histoire, ces inserts constituent un
commentaire direct, souvent ironique, de l’action en cours, et poussent le
spectateur à chercher des significations implicites. (Est-ce que ces images con­
firment ou infirment les propos du personnage ?)
Le jump eut et l'inscrt extradiégétique peuvent être utilisés dans des con­
textes narratifs (comme on l'a vu avec Fury), mais ils ont tendance à briser la
continuité narrative. Un jump eut produit des interruptions par la création
brutale de «manques» dans la continuité et un insert suspend l'action en
cours. Il n'est pas surprenant que ces deux procédés aient été essentiellement
utilisés par le réalisateur contemporain ayant le plus remis en question la nar­
ration classique, Jean-Luc Godard. Nous revenons sur la nature de cette
remise en question à travers une analyse de A boni de souffle, dans la qua­
trième partie.
Il existe d'autres alternatives à la continuité classique, particulièrement
dans la dimension temporelle. Si l’approche classique de l’ordre et de la fré­
quence des événements de l’histoire peut sembler le meilleur choix, il n’est
que le plus familier. Le montage ne doit pas nécessairement respecter la chro­
nologie de l'histoire. Dans La guerre est finie, des scènes montées suivant les
conventions de continuité sont interrompues par des images pouvant être des
flashbacks, des épisodes imaginaires ou des événements futurs. Le montage
peut aussi jouer, à des fins narratives, sur des fréquences variables— le même
événement, être montré plusieurs fois. Dans La guerre est finie, le même enter­
rement fait l’objet de différentes hypothèses descriptives (le personnage prin­
cipal est présent ou il ne l’est pas).
C'est encore Godard qui offre un exemple frappant de la capacité du mon­
tage à manipuler à la fois l’ordre et la fréquence. Dans Pierrot le fou, au
moment où Marianne et Ferdinand fuient leur appartement, poursuivis par

371
_ IHILLL-JUJIU.

des tueurs, Godard bouleverse l’ordre des plans. Ferdinand saute dans la voi­
ture lorsque Marianne démarre (fig. 8.117), puis on voit à nouveau le couple
dans l'appartement (fig. 8.118), la voilure roulant dans une rue (fig. 8.119),
Marianne et Ferdinand sur le toit d'un immeuble (fig. 8.120). Les plans sui­
vants continuent de brouiller l'ordre de l'action. Godard joue aussi sur la fré­
quence en répétant un mouvement — Ferdinand qui saute dans la voiture —
mais en le montrant chaque fois de manière différente. De telles manipula­
tions gênent nos réflexes d'anticipations narratives et obligent à se concentrer
sur la seule reconstitution, morceau par morceau, de l’action.
Le montage peut aussi prendre des libertés avec la durée de l’histoire. La
dilatation de la durée d’une action est, à côté des effets classiques de conti­
nuité temporelle et d'ellipses, une troisième possibilité par laquelle un
moment est étiré, la durée de projection, rendue plus longue que celle de
l’histoire. Truffant utilise un effet de ce type dans Jules et Jim pour souligner
les moments décisifs du récit (Catherine soulevant son voile ou sautant d'un
pont). Dans La femme infidèle (Claude Chabrol, 1969), lorsque le mari, hors
de lui, frappe l’amant de sa femme avec une statuette, les différents plans
montrant la chute de la victime se chevauchent pour démultiplier la durée du
mouvement.
Les réalisateurs ont trouvé des façons inventives de retravailler les princi­
pes de continuité les plus fondamentaux. Nous avons vu, par exemple, qu’un

Figure 8.117 Figure 8.118

Figure 8.119 Figure 8.120

372
XOP1IK S - DUB PLflfl i L HIfil . L$ rngniUÉ

Figure 8.121 Figure 8.122

raccord dans le mouvement suggère une continuité temporelle d'un plan à


l'autre. Dans L'année dernière à Marienbad. Alain Resnais utilise cette figure
pour créer une continuité «impossible». Des clients de l'hôtel se ticnncni
debout, par petits groupes, dans le hall; une femme blonde, cadrée en plan
taille, commence à se détourner de la caméra (fig. 8.121). Au milieu du mou­
vement on raccorde sur la mime, continuant à se détourner, mais dans un
autre décor (fig. 8.122). La fluidité du raccord dans le mouvement et l’identité
de la position de la femme dans les deux plans laissent supposer une conti­
nuité de son geste, impression contrariée par le changement de décor. Nous
avons vu, au chapitre 2, comment dans Choreography for eaniera de Maya
Deren, un raccord dans le mouvement comparable à celui de Marienbad
décrit le bond d'un danseur commençant dans un lieu et s’achevant dans un
autre (figs. 2.14,2.15).
Nos différents exemples montrent que certaines discontinuités temporelles
relatives à l'ordre, à la fréquence ou à la durée peuvent devenir parfaitement
compréhensibles dans un contexte narratif. Par ailleurs, les ruptures tempo­
relles créées par le jump eut, l’insert extradiégétique ou l'incohérence d'un
raccord dans le mouvement peuvent produire des relations ambiguës entre les
plans et exclure les approches traditionnelles de la notion d’*histoire».
Nous allons examiner un seul film illustrant le pouvoir des discontinuités
spatiale et temporelle générées par le montage : Octobre, de Scrgueï Eiseiistcin.

Le montage par discontinuité : Octobre


Pour un grand nombre de réalisateurs soviétiques des années 20, le montage
était le principal moyen pour organiser l’intégralité de la forme d’un film. 11
ne servait pas simplement la progression narrative, comme dans le système
linéaire. Les premiers films d’Eisenstcin — La grève, Le cuirassé Potemkine, La
ligne générale— constituent autant de tentatives pour construire un film sur

373
— HU1U J - Lt IIHU

la base de certains procédés de montage. Plutôt que soumettre scs figures et


scs structures de montage aux grandes lignes d'une histoire, Eisenstcin a
conçu ses films comme des constructions par le montage.
Eiscnstein s’opposait délibérément aux effets de continuité dans le mon­
tage, cherchant et exploitant, au contraire, ce qu’Hollywood aurait appelé des
discontinuités. 11 mettait en scène, tournait et montait scs films de façon à
obtenir le plus grand choc d'un plan à un autre, d'une séquence à une autre;
selon lui, c'était seulement en étant forcé de synthétiser ces conflits que le
spectateur s’impliquerait dans une appréhension active du film.
Pour cela, Eiscnstein «écrivait» ses films par juxtaposition de plans. Défai­
tes de toute dramaturgie conventionnelle, ses oeuvres sillonnent librement
l'espace et le temps pour élaborer des structures complexes constituées d'ima­
ges destinées à stimuler les sens, les émotions et les pensées du spectateur. Il
rêvait de filmer Le capital de Marx, d'écrire un essai au moyen du montage
cinématographique. Inutile de préciser que la complexité du montage
d’Eiscnstein ne peut pas être entièrement restituée ici; une seule séquence
Figure 8.123 d’un de scs films pourrait être le sujet d’un chapitre entier. Nous allons tout
de même essayer de commenter rapidement son emploi des discontinuités,
créées par le montage, dans une séquence d’Octobre.
La séquence est la troisième du film (et ne comprend pas moins de 125
plans!). L’action en est simple. Le gouvernement bourgeois provisoire a pris le
pouvoir en Russie après la révolution de Février, mais au lieu de se retirer de la
Première Guerre mondiale, il continue de soutenir les Alliés. Le peuple se
retrouve dans une situation identique à celle qu'il subissait sous le tsar. Dans
le cinéma classique hollywoodien, cette histoire aurait été présentée à travers
une séquence de montage où des gros titres de journaux auraient précédé une
scène montrant l’un des personnages principaux se plaignant que le gouver­
nement provisoire n’a rien changé. Mais le personnage principal d'Ociobre
Figure 8.124
n'est pas un individu, c'est tout le peuple russe, et le film se sert rarement de
scènes dialoguées pour présenter les données de l’histoire. Octobre cherche à
dépasser la simple présentation du drame en confrontant le public à un
ensemble d'images déconcertant et disjonctif qui le poussent à une interpréta­
tion active des événements.
La séquence débute par des plans montrant des soldats russes, sur le front,
qui déposent leurs armes et fraternisent librement avec leurs «ennemis» alle­
mands — ils parlent, boivent, rient ensemble (fig. 8.123). On revient ensuite
au gouvernement provisoire, où un laquais lend un document à un invisible
dirigeant (fig. 8.124); ce document engage le gouvernement à aider les Alliés.
Un soudain bombardement interrompt la fraternisation des soldats
Figure 8.125 (fig. 8.125). Ils retournent en courant dans les tranchées et s'y blottissent alors

374
(U.U.IIRI fi - Ht PLfiJI II L illlfil . Il imiùd

Figure 8.126 Figure 8.127 Figure 8.128

que poussières et fragments d’obus s’abattent sur eux. Eisenstcin raccorde sur
une série de plans montrant un canon descendant d'une chaîne de montage.
Pendant quelques instants, il fait alterner ces images avec celles des soldats sur
le champ de bataille (figs. 8.126, 8.127). Dans la dernière partie de la
séquence, les plans sur le canon alternent avec des femmes et des enfants affa­
més faisant la queue, dans la neige, pour obtenir du pain (fig. 8.128). La
séquence se termine sur deux intertitres: «Tout comme avant...» i «Faim et
guerre*.
Visuellement, on relève quelques continuités et un grand nombre de fortes
discontinuités. Lorsque les soldats fraternisent, de nombreux plans se
ressemblent; un plan d’explosion raccorde visuellement avec le mouvement
des hommes qui s’empressent de rejoindre les tranchées. Les discontinuités
visuelles sont plus remarquables. Un soldat allemand riant, tourné vers la
droite, raccorde avec une statue représentant un aigle menaçant, tourné vers
la gauche, qui se trouve au quartier général du gouvernement (figs. 8.129,
8.130). Un audacieux jump eut nous fait passer du laquais incliné au même se
tenant droit (figs. 8.131,8.132). Un plan fixe sur des fusils fichés dans la neige Figure 8.129

Figure 8.130 Figure 8.131 Figure 8-132

375
miU 2 - Li JI.YU

Figure 8.133 Figure 8,134

raccorde avec un plan d'ensemble montrant l’explosion d'un obus


(figs. 8.133, 8.134). Au moment où les soldais courent vers les tranchées,
Eisenstein oppose souvent les directions de mouvements d'un plan à l'autre.
Le montage met aussi en opposition des plans montrant les hommes tapis
dans les fossés, regardant vers le haut, cl les plans sur le canon descendant len­
tement (figs. 8.126, 8.127). Dans la dernière phase de la séquence, Eisenstein
juxtapose les plans brumeux, quasi statiques, consacrés aux femmes et aux
enfants, avec ceux, nets et dynamiques, des ouvriers manœuvrant le canon.
De telles discontinuités visuelles reviennent à travers tout le film, particulière­
ment dans les scènes «d'action», cl provoquent chez le spectateur des conflits
d’ordre perceptif. Regarder un film d'Eisenstein, c'est se soumettre à un mon­
tage visuel rythmé et percutant.
Eisenstein fait aussi un usage vigoureux des discontinuités temporelles. Le
tout de la séquence s’oppose aux canons hollywoodiens par son refus de pré­
senter une chronologie claire des événements. Est-ce que le montage alterné
entre le champ de bataille et le gouvernement, l'usine et la rue, indique une
simultanéité des actions? (Mais les femmes et les enfants sont vus de nuit,
alors qu'il semble faire jour dans l'usine.) Il est impossible de savoir si les évé­
nements qui se déroulent sur le champ de bataille ont lieu avant, après ou
pendant l’attente des femmes. Eisenstein a renoncé à la linéarité chronologi­
que pour pouvoir présenter les plans comme des unités à caractère affectif et
conceptuel.
La durée est également variable. la fraternisation des soldats se déroule
dans une relative continuité, mais le comportement des membres du gouver­
nement provisoire est l'objet d'ellipses systématiques: cela permet à Eisens­
tein d'identifier le gouvernement à la cause invisible des bombardements
venant rompre la paix. Le réalisateur emploie aussi l'un de ses procédés favo­
ris. la dilatation temporelle, sous la forme d'un chevauchement de plans
montrant un soldat en train de boire à la bouteille. (Plus loin, dans le même

376
(miiH i - p y njb a l ont ; u nuim

film, une dilatation temporelle produit la fameuse séquence de la levée du


pont.) Les femmes et les enfants qui font la queue s’écroulent les uns après les
autres : on les voit d’abord debout puis, à la suite d’une ellipse, étendus par
terre. La fréquence elle-même est travaillée de façon discontinue : on ne sait
pas si l’on voit plusieurs canons descendre de la chaîne de montage ou un seul
à plusieurs reprises. Eisenstein ne cherche pas à respecter un enchaînement
temporel mais, toujours, à créer une juxtaposition particulière d’éléments. Les
manipulations de l’ordre, de la durée et de la fréquence par le montage sou­
mettent la chronologie de l'histoire à certaines relations logiques, créées par la
juxtaposition de lignes dramatiques différentes.
La séquence comprend les plus purs effets de continuité spatiale comme
des discontinuités extrêmes. La règle des 180e est parfois respectée (particuliè­
rement dans les plans sur les femmes et les enfants), mais Eisenstein ne com­
mence jamais une partie avec un plan de situation. Les éléments constituant
l’ensemble d’un décor sont rarement réunis dans un seul plan.
La continuité spatiale classique est brisée par un montage entremêlant dif­
férents lieux. En perturbant ainsi la représentation de l'espace, le film nous
invite à établir entre tes plans des rapports d’ordre affectif et conceptuel. C’est
le montage parallèle, par exemple, qui fait du gouvernement provisoire la
cause du bombardement —signification renforcée par le jump eut sur le
laquais qui succède aux premières explosions.
Lors du raccord entre les soldais lapis dans les tranchées et le canon en
train de descendre, les hommes sont visuellement écrasés par la machine de
guerre gouvernementale. L'effet est renforcé par un faux raccord regard, les
soldats semblant observer, vers le haut, la descente de l’arme qui se trouve en
fait dans un lieu différent (figs. 8.126,8.127). Les soldats opprimés sont asso­
ciés au prolétariat par le raccord suivant, où l’on voit les ouvriers descendant
le canon (fig. 8.135). Lorsque celui-ci atteint enfin le sol, Eisenstein en fait
alterner des images avec d’autres montrant les familles affamées des soldats et
des ouvriers, écrasées elles aussi par la machine gouvernementale. Les roues
du canon touchent terre, lentement, et l'on raccorde sur les pieds des femmes
dans la neige; le poids de l'engin est associé par des intertitres («Une livre».
• Une demie livre») à la famine qui frappe régulièrement femmes et enfants.
Tous les espaces présentés appartiennent à l'histoire, mais les effets de discon­
tinuités que nous avons décrits font du récit un commentaire politique per­
manent sur les événements qui la constituent.
Le montage «spatial» d’Eisenstcin construit donc, comme ses montages
• temporels» et «visuels», des correspondances, des analogies et des opposi­
tions qui sont autant d'interprétations des événements de l'histoire. L'inter­
prétation n’est pas simplement fournie au spectateur; les discontinuités Figure 8.135

377
tUIlli-UJtill

générées par le montage l’obligent à réfléchir aux significations implicites de


chaque raccord. Cette séquence, comme d’autres dans Octobre, démontre
qu’il existe de puissantes alternatives aux règles classiques de continuité.

Résumé
Lorsque deux plans sont joints, quels qu’ils soient, nous pouvons poser plu­
sieurs questions :
1. Y a-t-il continuité ou discontinuité visuelle entre les plans ?

2. Quelles sont leurs relations rythmiques ?


3. Les plans présentent-ils une continuité spatiale? Si ce n'esl pas le cas,
qu’esl-ce qui crée la discontinuité ? (Un montage parallèle ou alterné ? Des
indications ambiguës ?) S'il y a continuité spatiale, comment est utilisée la
règle des 180° ?

4. Les plans présentent-ils une continuité temporelle ? Si c'est le cas, qu’est-cc


qui produit cette continuité? (Des raccords dans le mouvement, par
exemple?) Dans le cas contraire, qu'est-ce qui produit la discontinuité?
(Des ellipses ? Des chevauchements ?)

Plus généralement, nous pouvons poser la même question qu'à toute autre
technique cinématographique : quelle est la fonction de cette technique par
rapport aux (ormes narrative ou non-narrative ? Est-ce que le film emploie le
montage pour décrire systématiquement l'espace, le temps et la chaîne causale
constituant te récit, sur le mode de la continuité classique ? Ou utilise-t-il
d'autres figures de montage entretenant des rapports différents avec le récit ?
Si le film n’est pas narratif, comment le montage provoque-t-il nos attentes
formelles?
Quelques indications pratiques pour apprendre à observer un montage. Si
vous avez du mal à repérer les raccords, essayez de regarder un film ou une
émission de télévision en tapant avec un crayon à chaque changement de
plan. Une fois que vous réussissez à reconnaître les points de coupe, regardez
n’importe quel film en ne vous attachant qu'à un seul aspect de son montage
— par exemple, la façon dont l'espace est décrit, dont les caractéristiques
visuelles ou temporelles des plans sont mises en rapport. Sensibilisez-vous au
rythme d’un montage en en relevant les différentes vitesses; frapper la
cadence des raccords peut être utile. Regarder des films américains des années
30 et 40 peut vous initier à la continuité classique; essayez d'en anticiper les
plans. (Vous serez surpris d’avoir souvent raison.) Lorsque vous regardez un
film en vidéo, éteignez le son : les figures de montage deviennent ainsi plus

378
(Wiih b - j» un wu â • lin: 41 aiiniL

facilement repérables. Lorsqu'il y a atteinte à la continuité, demandez-vous si


c’est accidentel ou raisonné. Lorsque vous voyez un film qui ne répond pas
aux principes de la continuité classique, cherchez ses figures de montage
exceptionnelles. Si c'est possible, asseyez-vous derrière une table de montage
ou une visionneuse, ou bien utilisez les fonctions de ralenti, d’arrêt cl de
retour de votre magnétoscope pour analyser une séquence comme on l’a fait
dans ce chapitre. (Presque n'importe quel film conviendra.) De cette façon,
vous pourrez considérablement accroître votre capacité d'attention et de
compréhension des puissances du momage.

Notes et Points d'interrogation


Ce qu'est le montage
Le montage a souvent été considéré comme une alternative à la mise en scène
et au travail de la caméra. Plutôt que de couper sur un gros plan d’un person­
nage. celui-ci peut se rapprocher de la caméra ou la caméra se rapprocher en
travelling jusqu'à obtenir le cadrage désiré. Selon les premières théories du
cinéma, le montage était par nature plus ‘cinématographique* que les autres
techniques liées à la mise en scène,à caractère plus «théâtral»; lire à ce propos
les textes de Arnheiin, Panofsky et Balazs mentionnés dans la bibliographie de
ce chapitre. La suprématie esthétique du montage fut contestée par le théori­
cien de cinéma André Bazin, qui soutenait quant à lui que le montage brisait
et faussait la continuité spatio-temporelle de la réalité. Bazin déclarait que la
réalité concrète est mieux respectée par les techniques liées à la mise en scène
et au filmage. Ce débat à été reconsidéré par d’autres théoriciens, notamment
Christian Metz.

Les propos de réalisateurs sur le montage sont toujours intéressants.


Roberto Rossellini et Jean Renoir en minimisent l'importance dans un entre­
tien célèbre avec André Bazin Alfred Hitchcock ne jure que par le montage
dans un entretien également célèbre avec François Truffaut (cf. bibliogra­
phie). Pour Jean-Luc Godard, le montage • redonnera au pris sur le vif cette
grâce éphémère que négligent le snob et l’amateur, ou métamorphosera le
hasard en destin» («Montage, mon beau souci», in Godard par Godard,
p. 78). Un monteur s’est rappelé que John Ford tournait si peu de métrage
qu'il pouvait se permettre de ne pas intervenir durant le montage : «À peu
près toute la pellicule que le monteur recevait devait rentrer dans le film.
Après le tournage |Ford] partait souvent sur son bateau et ne revenait pas
avant que le film soit monté.» (Peter Bogdanovitch, John Ford, Paris, Edilig,
1988.)

379
»uui muu

Les films documentaires reposent peut-être plus que les films de fiction sur
le montage. Certaines conventions s'y sont développées : il est courant, par
exemple, de faire alterner des entretiens avec des experts comme une façon de
présenter des points de vue opposés. Pour Le dossier Adams, Errol Morris
demanda à son monteur, Paul Barnes. d'éviter de raccorder des plans mon­
trant les deux principaux suspects. «Il ne voulait pas de cette juxtaposition du
documentaire standard entre bon et méchant... Il détestait que je fasse alter­
ner des personnes racontant la même histoire, ou des personnes se contredi­
sant ou répondant à ce que quelqu'un venait de dire» (cité dans le recueil de
Gabriclla Oldham dont nous donnons les références dans la bibliographie).
Morris voulait apparemment donner à la version de chacun des interlocuteurs
une certaine intégrité, laisser chacune des versions apparaître comme un
compte-rendu possible des événements.

Le montage par continuité


Pour une approche historique, se reporter au chapitre 12 et à sa bibliographie.
Le montage par continuité dissimule les sélections qu’il accomplit dans le
matériau filmique; ce principe est bien résumé par cette remarque de Thom
Noble, monteur de Fahrenheit 451 (François Truffaut, 1966) et Witness: «Ce
qui arrive, en général, c'est qu’il y a peut-être sept moments «brillants» dans
une scène. Mais ils sont tous sur des prises différentes. Mon travail, c’est
d’essayer de rassembler ces sept moments, mais que ce soit sans couture, pour
que personne ne sache qu'il y a un raccord là-dedans.» (cité in David Chell,
ed., Moviemakers at work, Redmond. Washington, Microsoft Press, 1987,
pp. 81-82.)
Des milliers de films peuvent être étudiés pour leur usage du montage par
continuité. Il y a quelques classiques : L’impossible monsieur Rébé, Haute Pègre
(Trouble in paradise, Ernst l.ubiisch, 1932), Le Magicien d’Oz, Chantons sous
la pluie, Le roman de Mildred Pierre (Mildred Pierre, Michael Curtiz, 1945), Les
fantastiques années 20, L'enfer est à lut ( White heat, Raoul Walsh, 1949), Win­
chester 73, Indiscrétions, Le mécano de la Générale, M. Smith rm Sénat. Obser­
vez, dans tous ces films, les éventuelles infractions aux règles de continuité. La
deuxième scène de M. Smith au Sénat est, de ce point de vue, particulièrement
instructive; quelles sont les fonctions de scs fréquentes ruptures de
continuité ? Les règles de continuités sont-elles respectées dans des films qui
ne furent pas réalisés aux Etats-Unis comme Les enfants du paradis (Marcel
Carné, 1945), L’ange bleu ( Joscf von Scrnberg, 1930), M le maudit ou Persona
( Ingmar Bergman, 1965) ?
Les réalisateurs hollywoodiens contemporains ont, en général, une prati­
que scrupuleuse du montage par continuité, dont ils ont pour la plupart

380
(■niIHJ .I lMlIMLlIJU U >1111(1

appris les principes à l’école. Mais Paul Schradcr, réalisateur de American


Gigolo et Mishima, pense par exemple que sa génération n'aime pas répéter
des champs-contrechamps sans varier l'angle ou le distance de prise de vues :
• Les spectateurs, aujourd'hui, réclament un flot incessant de nouvelles infor­
mations visuelles. Cette vieille technique du plan principal et des plans com­
plémentaires qui vont et viennent, vont et viennent, c’est, à la base, une idée
de mise en seine... Ce qui sépare les réalisateurs de ma génération des précé­
dents est que nous essayons de faire de chaque raccord un nouveau raccord,
pour que ça évolue constamment. . Chaque plan est une création nouvelle»
(Gâvin Smith, «A man of excess», Sight and Sound n° 5, janvier 1995, p. 28).
Le discours de Schrader est-il fondé ? Les positions de caméra, dans les scènes
dialoguécs de ses propres films où est utilisée la figure du champ-contre­
champ, changent-elles si radicalement ?

381
Le son
9
La plupart des films créent la forte impression que les personnes et les
choses qui y sont représentées produisent tout naturellement les sons
qui leur correspondent. Mais comme nous l'avons vu au chapitre 1. h
bande son est réalisée indépendamment de la bande image et peut être
l’objet de manipulations spécifiques. Cela fait des techniques sonores
un ensemble aussi souple et varié que les autres techniques cinémato­
graphiques.

Cependant, les techniques sonores sont peut-être les plus difficile à


étudier. Nous ignorons habituellement une grande partie des sons de
notre environnement: c'est d'abord par la vue que nous sommes infor­
més de ce qui nous entoure, les bruits et les voix ne constituant souvent
qu'une sorte de fond de notre perception visuelle. Nous parlons de
• regarder- ou de «voir» un film, nous nous désignons comme des
«spectateurs» de cinéma —autant d’expressions suggérant que la
bande son a un rôle secondaire. Nous avons une forte tendance à consi­
dérer le son comme un simple accompagnement de ce qui constituerait
le fondement réel du cinéma, les images en mouvement.
Pouvoirs du son
11 est impossible d’arrêter le film pour immobiliser un instant Principes fondamentaux du son
sonore comme on peut le faire avec l’image pour étudier la mise en filmique
scène ou la prise de vues, de même qu’il est difficile de reconstituer la Dimensions du son filmique
composition d'une bande son comme on étudie le montage d'une série
Fonctions du son : Un condamné à
de plans. Au cinéma, les sons et la façon dont ils sont agencés ont un mon s'est échappé
caractère insaisissable. Ce caractère participe de leur puissance : le son
Résumé
peut avoir des effets très forts tout en passant presque inaperçu. Pour
Notes et Points d'interrogations
étudier le son, il nous faut apprendre à écouter les films.
L y ÜJILJ

Beaucoup de spectateurs deviennent plus sensibles au traitement du son


dans les films. L’industrie cinématographique a massivement investi dans
l’amélioration des techniques d’enregistrement, de mixage et de lecture, don
nam notamment naissance au procédé de réduction de bruit de fond Dolby et
à la possibilité d'utiliser, à la projection, quatre ou six pistes sonores. Le succès
de La guerre des étoiles, film équipé de canaux stéréophoniques et d'un canal
«d'ambiance», ou «surround», monta que les spectateurs appréciaient ces
développements techniques. Depuis le début des années 90, le mixage et la lec­
ture numériques sont devenus les attractions normales des films à gros budget.
La lecture du son au moment de la projection reste le maillon faible de la
chaîne sonore, mais de nombreux exploitants renouvellent leurs matériels et
sont plus attentifs à la conception acoustique des salles. Le programme de cer­
tification de salles THX, lancé par Georges Lucas, encourage l’utilisation des
meilleurs systèmes de reproduction sonore. Les spectateurs, habitués au son
numérique des disques compacts, ont aussi adopté les vidéocassettes stéréo­
phoniques et les vidéodisques avec canal d'ambiance. Jamais, depuis les
années 20 cl les premiers «parlants», les cinéphiles n’avaient été aussi infor­
més et attentifs au son, ce qui entraînent les réalisateurs à concevoir des ban­
des son toujours plus riches et intéressantes.

Pouvoirs du son
Remarqué ou pas, le son est, pour plusieurs raisons, un puissant matériau fil­
mique. Premièrement, il engage une activité perceptive spécifique. Que notre
attention visuelle se double d'une attention sonore, le cinéma «muet» le pre­
nait en compte bien avant l'introduction du son enregistré (1926). Les films
étaient alors accompagnés par un orchestre, un orgue ou un piano. Au pire, la
musique comblait le silence et donnait au spectateur une expérience percep­
tive plus riche. Mais le plus important est que le Iravail d'écoute rendait possi­
ble ce que Scrgueï Eisenstein a appelé une «synchronisation des sens» —la
concordance de l'image et du son sous un seul rythme ou une seule qualité
expressive.
Deuxièmement, le son a la capacité d'iniluencer notre perception et notre
interprétation des images, comme le démontre Chris Marker dans une
séquence de Lettre de Sibérie. Marker nous montre trois fois la meme série
d'images— un plan sur un bus croisant une voiture; trois plans montrant des
ouvriers en train de paver une rue. Mais elles sont chaque fois accompagnées
d’une bande son totalement différente, dont on peut comparer les trois ver­
sions dans le tableau 9.1. Ces différences sont accentuées par l’identité des
images; l’interprétation de ces dernières varie en fonction de la bande son.

384
finiîH j . U jfll
Tableau 9. I Lettre de Sibérie

Images Premier commentaire Second commentaire TROISIEME COMMENTAIRE

Lakuuk, capitale de b répu­ Lakuuk. a la sinistre réputa­ A lakutsk. où les maisons


blique socialise soviétique de tion, est une ville sombre où modernes gagnent petit à
bkutic. est une ville moderne tandis que la population petit sur les vieux quaniera
où les onnfoetables autobus s'entasse péniblement dans sombres, un autobus moins
mis 1 b disposition de b des autobus rouges sang, les bondé que ceux de Paris aux
population croisent sans puissants du régime affi­ heures d'affluence croise
cesse les puissantes Zym, chent insolemment le luxe de une Zym. excellente voiture
triomphes de l'automobile leurs Zym, d'ailleurs coûteu­ que sa rareté fait réserver au
soviétique. Dans b.. ses el inconfortables. service public.

Figure 9.1
joyeuse émulation du tra­ Dans la posture des esclaves, As-ec courage et ténacité, et
vail socialiste, la heureux les malheureux ouvriers dans des conditions très
ouvriers soviétiques, parmi soviétiques, parmi lesquels dures, les ouvriers soviéti­
lesquels nous soyons passer nous voyons passer un ques, parmi lesquels nous
un pittoresque représen­ inquiétant Asiate,... voyons passer un lakute. .
tant...

Figure 9.2
des contrées boréales, ... s'appliquent à un travail affligé de strabisme,
s'appliquent... bien symbolique :... s'appliquent à...

Figure 9.3
... 1 faire de ia lakutie un ... le nivellement par le bas. embellir leur ville, qui en
pays où il fait bon vivre. a besoin.

Ou bien : Ou simplement :

Figure 9.-I

385
—.__ umix-amu
La séquence de Lettre de Sibérie illustre aussi une troisième qualité impor­
tante du son. Celui-ci peut diriger notre attention de façon relativement pré­
cise à l’intérieur de l’image. Lorsque le commentateur décrit -les autobus
rouge sang-, nous regardons le bus plutôt que la voiture. Lorsque Fred Astaire
et Ginger Rogers exécutent un pas compliqué, il est probable que nous regar­
derons leurs corps plutôt que les spectateurs silencieux qui les entourent. Le
son nous guide ainsi à travers les images, «pointe» ce qu'il faut regarder.

Cette possibilité révèle toute sa richesse si l’on considère que des indica­
tions sonores peuvent anticiper les manifestations visuelles d’un élément et
donc nous y préparer. Imaginons un gros plan sur un homme, en intérieur,
accompagné du grincement d'une porte en train de s'ouvrir. Si le plan suivant
montre une porte ouverte, l'attention du spectateur se concentrera sans doute
sur elle, identifiée comme origine du son hors-champ qui a précédé. Mais si le
plan suivant montre une porte fermée, le spectateur reconsidérera probable­
ment son interprétation. (Ce son n’était peut-être pas celui d’une porte.) La
bande son peut ainsi élucider des événements présentés par l’image, les con­
tredire ou les rendre ambigus. Dans tous les cas, elle entre en relation active
avec la bande image.

Cet exemple de la porte qui s’ouvre évoque une quatrième qualité du son :
il fournil des indications conduisant à certaines attentes. Si nous entendons
un grincement de porte, nous en déduisons que quelqu'un est entré dans la
pièce et anticipons son apparition dans le plan suivant. Mais si l’oeuvre fait
appel aux conventions du film d'horreur, la caméra pourra rester sur le per­
sonnage qui vient d’entendre le bruit, regardant d’un air effrayé vers le hors-
champ où se tient un monstre dont nous attendrons alors l'apparition avec
inquiétude. Ce sont souvent les films d'horreur et les films policier qui ont
recours à des sons provenant de sources invisibles pour forcer l’attention du
spectateur, mais tout type de film peut tirer parti de ce procédé. Pendant la
réunion municipale des Dents de In mer, les personnages entendent un crisse­
ment cl se retournent pour regarder, hors-champ, ce qui l'a provoqué; un rac­
cord montre la main de Quint raclant un tableau noir — façon saisissante
d’introduire ce nouveau personnage. Nous évoquons plus loin plusieurs
exemples où une utilisation inventive du son permet de tromper ou de réo­
rienter les attentes du spectateur.

Par ailleurs, comme l’a signalé V.F. Perkins, le son s'accompagne d'une
sensibilité renouvelée au silence. «C'est seulement lorsque la couleur est dis­
ponible que l’on peut considérer l'utilisation du noir et blanc photographique
comme le résultat d'une décision artistique réfléchie. C’esi seulement dans un
film sonore que le réalisateur peut utiliser le silence à des fins dramatiques.»
Dans un contexte sonore, le silence acquiert une nouvelle fonction expressive.

386
(JUIIIHH II Itl

Une dernière qualité : le son est un domaine d'invention aussi riche que le
montage. Le montage permet d’associer deux plans montrant des espaces dif­
férents pour produire entre eux une relation signifiante. De même, le mixage
permet à un réalisateur de former un tout à partir de n’importe quels phéno­
mènes sonores. Avec l'avènement du cinéma sonore, l'infinité des événements
acoustiques se joignait à celle des possibilités visuelles.

Principes fondamentaux du son filmique


Propriétés acoustiques
Détailler l'intégralité des processus acoustiques nous conduirait à une trop
longue digression. (Se reporter aux «Notes et Points d'interrogation» pour
des conseils de lecture.) 11 nous faut toutefois préciser quelques-unes des
grandes qualités du son tel que nous le percevons, qualités familières que nous
pouvons déduire de notre expérience quotidienne.

L'intensité. Le son que nous entendons résulte de vibrations de l'air.


L’impression de plus ou moins grande intensité du son, ce que l’on appelle
parfois le «volume», dépend de l’amplitude de ces vibrations. Le volume est
l'objet de manipulations constantes dans les films sonores. Il est courant
qu’un plan d’ensemble sur une rue encombrée soit accompagné par de
forts bruits de circulations qui s’affaiblissent lorsque deux personnages se
mettent à parler. Un dialogue entre un personnage à la voix douce et un autre
plus tonitruant se caractérise autant par la différence d’intensité que par ce
qui est dit.
L’intensité est aussi rapportée à la distance perçue; plus le son est fort, plus
nous pensons que sa source est proche. Ce type de supposition est à l'œuvre
dans notre exemple précédent : le dialogue entre les deux personnages, plus
fort, est perçu comme étant situé dans un - premier plan» acoustique, tandis
que les bruits de circulation passent à l'arrière-plan. Un film peut aussi faire
sursauter son spectateur par de brusques changements d'intensité sonore (le
rapport entre le son le plus élevé et le son le plus bas est généralement appelé
la dynamique).

La hauteur. La fréquence des vibrations détermine la hauteur d’un son. la


sensation d’«aigu» ou de «grave» qu’il procure. Certains instruments tels que
le diapason peuvent produire des sons purs, mais la plupart des bruits qui
nous entourent, dans la vie comme dans les films, sont des sons complexes,
constitués de différentes fréquences. Néanmoins, la hauteur joue un rôle
important pour la distinction des composants d’une bande son. Elle nous

387
permet de différencier la musique et les dialogues des autres bruits, ou
certains objets entre eux. Des sons graves, par exemple des coups sourds,
peuvent évoquer des objets creux: des sons plus aigus (ceux produits par
des cloches, par exemple) évoquent des surfaces lisses ou dures et des objets
compacts.
La hauteur peut aussi répondre à des fonctions plus précises. Lorsqu’un
jeune garçon essaye de parler avec une profonde voix d’homme mais échoue,
dans Quelle émit verte ma vallée (Howgreen was my valley, John Ford, 1941),
c’est un jeu sur des différences de hauteur sonore. L’élocution particulière de
Marlène Dietrich repose sur une intonation montante qui fait résonner une
affirmation comme une question. Dans la scène du couronnement de Ivan le
terrible, un homme à la voix de basse très profonde entame un chant de
louanges pour le tsar. La hauteur de sa voix monte spectaculairement à la fin
de chaque vers et Eisenstein renforce cet effet au montage en faisant coïncider
les changements vocaux avec un gros plan du chanteur. Lorsque Bernard
Herrmann obtînt l’effet strident, perçant comme un cri d’oiseau de la musi­
que de Psychose, de nombreux musiciens ne parvinrent pas tout de suite à
reconnaître ce qui le produisait : des violons dont on tirait des sons incroya­
blement aigus.

Le timbre. Les harmoniques qui composent un son lui donnent une certaine
couleur, une certaine qualité —ce que les musiciens appellent le timbre. Le
timbre est un paramètre acoustique moins important que l’amplitude ou la
fréquence, mais il est indispensable pour décrire la texture, le «grain» d’un
son , la sensation qu’il procure. Lorsque nous disons d’une voix qu elle est
• nasale» ou d’une musique qu elle est «douce» ou «mélodieuse», nous nous
référons à leurs timbres. Dans la vie quotidienne, la reconnaissance des sons
familiers se fait souvent grâce aux différences de timbres.
Les réalisateurs manipulent continuellement le timbre des sons. Il facilite
l'articulation des différentes parties d’une bande son en permettant de
distinguer, par exemple, des instruments de musique les uns des autres. Le jeu
sur le timbre est plus manifeste dans certaines occasions —on peut ainsi
penser à l’utilisation stéréotypée de saxophones doucereux au cours des scè­
nes de séduction. De façon plus subtile, la séquence d’ouverture de Aimez-tnoi
ce soir de Rouben Mamoulian montre des gens qui, dans la rue, au petit
matin, font passer un rythme musical d’un objet à un autre — un balai, une
tapette. L'aspect comique de ce numéro vient en partie des différences de
timbre entre ces objets. Pour réaliser la bande son de Wmess, les monteurs
utilisèrent des bandes enregistrées plus de 20 ans auparavant, de façon à ce
que leur timbre désuet exprime la retraite loin de la ville de la communauté
Amish.

388
UVJJUI - U IV

L’intensité, la hauteur et le timbre sont des paramétres fondamentaux qui


entrent en corrélation pour définir la sonorité générale d’un film. Au niveau le
plus élémentaire, ces trois facteurs acoustiques nous permettent de différen­
cier les sons — par exemple, les voix des personnages. À un niveau plus com­
plexe, l’interaciion de ces trois paramétres enrichit considérablement notre
expérience de spectateur. John Wayne et James Stewart, par exemple, parlent
lentement tous les deux, mais la voix de Wayne a tendance à être plus pro­
fonde et plus rauque que celle de Stewart, traînante et plaintive. Cette diffé­
rence est pleinement exploitée dans L’homme qui tua Liberty Valance, où les
personnages qu’ils incarnent sont nettement opposés. Dans Le magicien d’Oz,
l’écart entre l'image publique du magicien et le vieux charlatan qui l’installe
est marqué par la différence entre la voix grave et tonitruante du mannequin
et celle, plus aiguë, plus douce et chevrotante du vieil homme.
Citizen Kane offre une large gamme de manipulations sonores. Des cham­
bres d'échos modifient les timbres et les intensités. L'incapacité de la femme
de Kane à chanter juste constitue un motif à part entière. Les changements
spatiaux cl temporels du récit sont atténués par des continuités sonores ou les
variations de certains effets acoustiques fondamentaux. Un plan montrant
Kane en train d’applaudir raccorde en fondu enchaîné sur un plan montrant
une foule en train d'applaudir (changement de timbre et d’intensité). Leland
commence une phrase dans la rue et c'est Kane qui la termine, à la faveur d'un
raccord, dans une salle où sa voix est amplifiée par des haut-parleurs (change
ment d’intensité, de timbre et de hauteur).
Les récentes techniques de réduction du bruit de fond ou de lecture multi-
piste ainsi que celles liées au son numérique ont étendu les possibilités de
manipulation de la fréquence et du volume et permis d'obtenir des timbres
plus précis.

Sélection, modification, combinaison


Ix son, au cinéma, se manifeste sous trois formes principales : la parole, la
musique et le bruit. Un son participe parfois de plusieurs de ces catégories : un
cri est-il du domaine de la parole ou du bruit ? La musique électronique peut-
elle être considérée comme du bruit ? Les réalisateurs ont largement exploité
ces ambiguïtés. Dans Psychose, la voix humaine que nous nous attendons à
entendre au moment où une femme se met à crier est remplacée par les -cris»
des violons. Néanmoins, ces distinctions restent valables dans la plus grande
majorité des cas. Après avoir évoqué certaines des grandes propriétés acousti­
ques dans la partie précédente, il nous faut observer la façon dont paroles,
musiques et bruits sont choisis et associés pour remplir des fonctions filmi­
ques précises.

389
permet de différencier la musique et les dialogues des autres bruits, ou
certains objets entre eux. Des sons graves, par exemple des coups sourds,
peuvent évoquer des objets creux: des sons plus aigus (ceux produits par
des cloches, par exemple) évoquent des surfaces lisses ou dures et des objets
compacts.
La hauteur peut aussi répondre à des fonctions plus précises. Lorsqu’un
jeune garçon essaye de parler avec une profonde voix d’homme mais échoue,
dans Quelle émit verte ma vallée (Howgreen was my valley, John Ford, 1941),
c’est un jeu sur des différences de hauteur sonore. L’élocution particulière de
Marlène Dietrich repose sur une intonation montante qui fait résonner une
affirmation comme une question. Dans la scène du couronnement de Ivan le
terrible, un homme à la voix de basse très profonde entame un chant de
louanges pour le tsar. La hauteur de sa voix monte spectaculairement à la fin
de chaque vers et Eisenstein renforce cet effet au montage en faisant coïncider
les changements vocaux avec un gros plan du chanteur. Lorsque Bernard
Herrmann obtînt l’effet strident, perçant comme un cri d’oiseau de la musi­
que de Psychose, de nombreux musiciens ne parvinrent pas tout de suite à
reconnaître ce qui le produisait : des violons dont on tirait des sons incroya­
blement aigus.

Le timbre. Les harmoniques qui composent un son lui donnent une certaine
couleur, une certaine qualité —ce que les musiciens appellent le timbre. Le
timbre est un paramètre acoustique moins important que l’amplitude ou la
fréquence, mais il est indispensable pour décrire la texture, le «grain» d’un
son , la sensation qu’il procure. Lorsque nous disons d’une voix qu elle est
• nasale» ou d’une musique qu elle est «douce» ou «mélodieuse», nous nous
référons à leurs timbres. Dans la vie quotidienne, la reconnaissance des sons
familiers se fait souvent grâce aux différences de timbres.
Les réalisateurs manipulent continuellement le timbre des sons. Il facilite
l'articulation des différentes parties d’une bande son en permettant de
distinguer, par exemple, des instruments de musique les uns des autres. Le jeu
sur le timbre est plus manifeste dans certaines occasions —on peut ainsi
penser à l’utilisation stéréotypée de saxophones doucereux au cours des scè­
nes de séduction. De façon plus subtile, la séquence d’ouverture de Aimez-tnoi
ce soir de Rouben Mamoulian montre des gens qui, dans la rue, au petit
matin, font passer un rythme musical d’un objet à un autre — un balai, une
tapette. L'aspect comique de ce numéro vient en partie des différences de
timbre entre ces objets. Pour réaliser la bande son de Wmess, les monteurs
utilisèrent des bandes enregistrées plus de 20 ans auparavant, de façon à ce
que leur timbre désuet exprime la retraite loin de la ville de la communauté
Amish.

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UVJJUI - U IV

L’intensité, la hauteur et le timbre sont des paramétres fondamentaux qui


entrent en corrélation pour définir la sonorité générale d’un film. Au niveau le
plus élémentaire, ces trois facteurs acoustiques nous permettent de différen­
cier les sons — par exemple, les voix des personnages. À un niveau plus com­
plexe, l’interaciion de ces trois paramétres enrichit considérablement notre
expérience de spectateur. John Wayne et James Stewart, par exemple, parlent
lentement tous les deux, mais la voix de Wayne a tendance à être plus pro­
fonde et plus rauque que celle de Stewart, traînante et plaintive. Cette diffé­
rence est pleinement exploitée dans L’homme qui tua Liberty Valance, où les
personnages qu’ils incarnent sont nettement opposés. Dans Le magicien d'Oz.
l’écart entre l'image publique du magicien et le vieux charlatan qui l’installe
est marqué par la différence entre la voix grave et tonitruante du mannequin
et celle, plus aiguë, plus douce et chevrotante du vieil homme.
Citizen Kane offre une large gamme de manipulations sonores. Des cham­
bres d'échos modifient les timbres et les intensités. L'incapacité de la femme
de Kane à chanter juste constitue un motif à part entière. Les changements
spatiaux cl temporels du récit sont atténués par des continuités sonores ou les
variations de certains effets acoustiques fondamentaux. Un plan montrant
Kane en train d’applaudir raccorde en fondu enchaîné sur un plan montrant
une foule en train d'applaudir (changement de timbre et d’intensité). I.cland
commence une phrase dans la rue et c'est Kane qui la termine, à la faveur d'un
raccord, dans une salle où sa voix est amplifiée par des haut-parleurs (change
ment d’intensité, de timbre et de hauteur).
Les récentes techniques de réduction du bruit de fond ou de lecture multi-
piste ainsi que celles liées au son numérique ont étendu les possibilités de
manipulation de la fréquence et du volume et permis d'obtenir des timbres
plus précis.

Sélection, modification, combinaison


Ix son, au cinéma, se manifeste sous trois formes principales : la parole, la
musique et le bruit. Un son participe parfois de plusieurs de ces catégories : un
cri est-il du domaine de la parole ou du bruit ? La musique électronique peut-
elle être considérée comme du bruit ? Les réalisateurs ont largement exploité
ces ambiguïtés. Dans Psychose, la voix humaine que nous nous attendons à
entendre au moment où une femme se met à crier est remplacée par les -cris»
des violons. Néanmoins, ces distinctions restent valables dans la plus grande
majorité des cas. Après avoir évoqué certaines des grandes propriétés acousti­
ques dans la partie précédente, il nous faut observer la façon dont paroles,
musiques et bruits sont choisis et associés pour remplir des fonctions filmi­
ques précises.

389
HAIUI - u mu

Les analogies entre la création de la bande son et le montage de la bande


image sont nombreuses. De même qu'il faut choisir la meilleure image dans
un ensemble de plans, il faut sélectionner le fragment sonore le plus perti­
nent. De même que des images venant de sources diverses peuvent être assem­
blées, un son qui n’a pas été enregistré pendant le tournage peut être ajouté au
reste de la bande son. De même qu’un plan peut être rephotographié sur une
tireuse optique, teinté ou inséré dans une image que l'on dira alors
-composite», les qualités acoustiques d'un son peuvent être modifiées. De
même que le réalisateur peut décider de joindre deux images ou de les super­
poser en une surimpression, il peut joindre deux sons bout à bout ou placer
l’un «par-dessus» l'autre (un commentaire «par-dessus» une musique, par
exemple). Nous sommes généralement peu attentifs aux manipulations sono­
res, alors que la bande son nécessite autant de décisions et de maîtrise que la
bande image.

Une planification minutieuse du son est indispensable à la réalisation des


films d'animation, les dessins et les marionnettes ne produisant aucun son
par eux-mêmes. La musique, les dialogues et les bruits sont généralement
enregistrés avant les images, pour les dessins animés réalisés en studio, de
fa^on à ce que les figures puissent leur être synchronisées photogramme par
photogramme. Cari Stalling fut pendant de nombreuses années le créateur
des bandes sons au rythme échevelé des aventures de Bugs Bunny et Dafify
Duck, où se mêlaient des mélodies familières, des bruits insolites et les voix
caractéristiques des personnages.

Il est aussi courant que pour des films expérimentaux, particulièrement


ceux mettant en oeuvre des formes abstraites, tes images soient réalisées à par­
tir d'une bande son préexistante. Certains réalisateurs, soutenant que le film
abstrait est une sorte de ■ musique visuelle», ont essayé de créer une synthèse
des deux moyens d’expression.

Comme les autres techniques cinématographiques, les techniques sonores


guident l’attention du spectateur. Cela signifie en général que la bande est son
est simplifiée, «nettoyée» pour que ses éléments les plus importants soient
mis en valeur. Le dialogue, principal vecteur de l'information narrative, est
enregistré et reproduit avec un maximum de netteté. Les répliques importan­
tes doivent être plus audibles que la musique ou les sons d’ambiance. Ixs
bruits ont dans la majorité des cas un rôle moins déterminant; ils fournissent
une impression globale de réalisme et sont rarement remarqués pour eux-
mêmes, mais s’ils venaient à manquer, ils laisseraient place à un silence déran­
geant. La musique esi subordonnée au dialogue, elle intervient durant les
moments où les personnages ne parlent pas ou ceux dénués d’autres effets
sonores.

390
_______________ _ HIHttjJ - II ! DI

Le dialogue n'a pas toujours cette importance. Les bruits sont des éléments
essentiels des scènes d'action et la musique peut dominer des scènes dansées,
des séquences de transition ou des moments émotionnellement forts, sans
dialogue. Certains réalisateurs ont bouleversé la hiérarchie conventionnelle
des sons. Dans deux films de Charlie Chaplin, Les lumières de la ville (City
Lights. 1931) et Les temps modernes (Modem limes, 1936), les dialogues sont
éliminés au profit des bruits et de la musique. Les films de Jacques Tati ou
ceux de Jean-Marie Straub conservent des dialogues mais accentuent le rôle
des bruits. Plus loin dans ce chapitre, nous évoquerons la façon dont la musi­
que et les sons de Un condamné à mort s'est échappé (Robert Bresson, 1956)
viennent enrichir un dialogue rare par l'évocation d'un espace hors-champ et
la création d’associations thématiques.

Pour réaliser une bande son, le réalisateur doit donc choisir des matériaux
qui rempliront une fonction précise. Cela entraîne généralement une simplifi­
cation du monde sonore du film par rapport à celui de la réalité. Nous ne per­
cevons normalement que les stimuii qui nous sont les plus utiles à un
moment donné; en lisant, vous vous concentrez sur cette page et (à des degrés
divers) ignorez certains des stimuii qui atteignent vos oreilles. Mais si vous
fermez les yeux et écoutez attentivement, vous entendrez des sons que vous
n'aviez pas remarqués jusqu’ici — des voix lointaines, le bruit du vent, des
pas. une radio. Tout amateur pratiquant l'enregistrement sait que si l'on place
un microphone dans un environnement «silencieux», ces sons habituelle­
ment ignorés deviennent gênants. Le micro est peu sélectif : comme l’objectif
de la caméra, il ne «filtre» pas automatiquement ce qui pourrait déranger la
perception. Les auditoriums, les caissons insonores (les « blimps») qui servent
à absorber les bruits du moteur de la caméra, les micros directionnels ou les
dispositifs de protection des micros (les «bonnettes»), le travail de montage et
de mixage des sons, les sonothèques, tous ces outils permettent au réalisateur
de choisir ce qui convient exactement à une bande son. Sauf à vouloir utiliser
le son ambiant d’une scène, un simple enregistrement en cours de tournage
fournit en généra! un matériau insuffisamment sélectif.

Par le choix de sons précis, le réalisateur dirige notre appréhension de


l’image et de l'action. Dans une scène des Vacances de M. Hulot, des vacanciers
se détendent dans un hôtel résidentiel (fig. 9.5). Au premier plan, des clients
jouent calmement aux cartes tandis que, au fond du champ, M. Hulot joue
frénétiquement au ping-pong. Au début de la scène, Hulot fait plus de bruits
que les résidents échangeant quelques murmures : le son nous indique que
c'est lui qu'il faut regarder. Plus loin dans la même scène, la balle de ping-
pong ne fait plus aucun bruit et notre attention se déplace sur les joueurs du
premier plan. La présence ou l’absence de ce bruit module nos attentes. Si Figure 9.5

391
uuu-x-uimi

vous commencez à remarquer l'influence de ce type de procédé sur noire per­


ception, vous remarquerez aussi que les réalisateurs utilisent souveni le son de
façon irréaliste pour pouvoir attirer notre attention sur les éléments narratifs
ou visuels principaux.

Cette scène souligne aussi l'importance fonctionnelle de la transformation


des qualités acoustiques d'un son. Grâce à une manipulation de l’intensité et
du timbre, le ping-pong gagne en vivacité et en clarté. De même, la voix d’un
personnage sera souvent aussi forte en plan d’ensemble qu'en gros plan, en
dépit de tout réalisme.
Des sons totalement nouveaux peuvent être composés à partir d’autres
sons. Ceux émis par la jeune fille possédée de L'exorciste ont été obtenus en
mélangeant des cris humains, des gémissements d'animaux et. en fond, des
mots anglais. Les ingénieurs du son de Jurassic Park créèrent le rugissement
du tyrannosaure en associant le feulement d'un tigre, le barrissement d'un
bébé éléphant pour les fréquences moyennes et le grognement d'un alligator
pour les tonalités les plus graves.

Dans les films contemporains, le son est systématiquement retravaillé à des


fins précises. Un son «sec-, enregistré dans un espace à faible réverbération,
pourra être modifié électroniquement : une voix au téléphone, par exemple,
est souvent assourdie et rendue plus métallique à l'aide de filtres (c’est ce qu'on
appelle, à Hollywood, le •futzing»). Dans American Graffiti, la musique qui
court sur la quasi-totalité de la bande son provenait de deux enregistrements
différents : un enregistrement «sec» pour les moments où la musique domine
la scène et doit être de haute qualité sonore, et une version plus feutrée pour
les bruits venant à l'arrière-plan. Cette dernière fut obtenue en enregistrant un
magnétophone diffusant les musiques du film dans une arrière-cour.

Il faut donc, pour diriger l’attention du spectateur, sélectionner et retra­


vailler certains sons. Il faut aussi les associer, les combiner. La bande son est
moins un ensemble d’unités sonores dispersées qu’un flot continu d'informa­
tions auditives. Chaque événement sonore fait partie d’un schème particulier,
qui nait aussi bien de l'enchaînement que de la «superposition» momentanée
de plusieurs sons.

Nous pouvons facilement comprendre de quelle manière la bande son


offre un «flot d’informations auditives» en observant une scène montée sui­
vant les principes classiques de continuité. Pour le montage en champ-contre­
champ d’un dialogue, les réalisateurs ont souvent recours à des chevauche­
ments sonores qui facilitent le passage entre les plans. Une conversation
extraite de A la poursuite d'Oaobre rouge, de lohn Mcïicrnan, est ainsi
composée :

392
1 ; LjJM

Figure 9.6

Figure 9.7

Figure 9.X

1. (plan poitrine) L'officier en amorce, le capitaine Ramius de trois-quarts


face (fig. 9.6).
L'officier : «Le navire du capitaine Toupalev.»
Ramius : «Vous connaissez Toupalev ?■
L’officier : «Je sais qu'il a des origines...»

2. (plan poitrine) Contrechamp sur l’officier, Ramius en amorce (fig. 9.7).


L’officier (suite): «... aristocratiques et qu'il a été votre élève. On dit
qu’il vous garderait... »

3. (plan épaule) Contrechamp sur Ramius (fig. 9.8).


L'officier (suite) : «... une place spéciale dans son cœur. »
Ramius : «Il n'y a de la place, dans le cœur de Toupalev, que pour Tou­
palev lui-même.»

La seconde réplique de l'officier fournit ici une continuité sonore qui


distrait le spectateur des changements de plans, l^e raccord sur Ramius, en
précédant la fin de la phrase, concentre notre attention sur lui. Un monteur

393
_muu.umu

d'Hollywood expliquait ainsi que «dès qu’un mot est dit, qu’une question est
posée (...) j’essaye de trouver une réaction, pour voir (...) comment ils
essayent de formuler une réponse par une expression faciale ou par le
dialogue.» Le principe du chevauchement est aussi valable pour les bruits.
Dans cette scène de la poursuite d’Octobre rouge, le tintement d’une cuillère
dans une tasse de thé, le bruit produit par des papiers feuilletés rapidement se
poursuivent au-delà de certains raccords en un flot ininterrompu d'informa­
tions sonores.
Ce flot n'est pas seulement constitué d'un enchaînement de répliques ou
de sons. Nous avons déjà vu qu’au stade de la réalisation, la combinaison des
sons se faisait ordinairement après le tournage, durant la phase dite de
mixage. l>e mixeur contrôle précisément l’intensité, la durée et la tonalité de
chaque son. Dans les réalisations contemporaines, plus de douze pistes diffé­
rentes peuvent être mélées à n’importe quel moment. I^e mixage peut être
relativement dense — comme dans une scène se déroulant dans un aéroport
qui combinerait la rumeur produite par différentes voix, des bruits de pas et
de chariots à bagages, la musique d'ambiance du hall et le bruit des moteurs
d’avions. Le mixage peut, à l'inverse, être «clairsemé*, ne présenté que quel­
ques sons occasionnels sur un fond de silence total. La plupart des bandes son
se trouvent entre ces deux extrêmes. Dans notre scène de À la poursuite
d’Octobre rouge, le vrombissement lointain des moteurs et de légers bruisse­
ments d’étoffes forment l’arrière-plan assourdi du dialogue.
Le réalisateur peut créer un mixage où chaque son se mêle aux autres avec
fluidité. C’est couramment le cas lorsque de la musique et des bruits sont
associés à des paroles. Dans le cinéma hollywoodien classique des années 30,
la musique pouvait devenir l’élément dominant au moment où il n’y avait pas
de dialogue, puis baisser en intensité lorsque les personnages commençaient à
parler. Les sons peuvent, à l’inverse, s'opposer brutalement. Les films hol­
lywoodiens contemporains tirent souvent parti de la dynamique importante
du procédé Dolby pour enrichir les scènes de poursuites par de brusques con­
trastes entre le ronflement grave d'un moteur et le cri strident d'une sirène ou
des crissements de pneus.
Les différentes façons dont des sons peuvent se combiner pour créer un
flot continu d’informations sont bien illustrées par la séquence finale des Sept
samouraïs. Sous une pluie battante, des pillards attaquent un village défendu
par ses habitants et les samouraïs. Le bruit de la pluie et du vent couvre toute
la scène, en arrière-plan sonore. Avant l'assaut, la conversation entre les hom­
mes en train d'attendre, des bruits de pas et celui des épées qu’on tire de leurs
fourreaux sont ponctués par de longues pauses où l'on entend plus que le bat­
tement de la pluie. Soudain, on distingue un bruit lointain, hors-champ : des
sabots de chevaux. Notre attention se déplace vers les attaquants et Kurosawa

394
(1UHUI1 U tU

raccorde sur un plan d'ensemble montrant leur arrivée; le son produit par
leurs chevaux devient brusquement plus fort. (La scène met en œuvre des
effets conventionnels de «perspective sonore • : plus la caméra parait être pro­
che de la source, plus le son gagne en intensité.) Au moment où les bandits
font irruption dans le village, un autre élément sonore intervient — leur cri
de bataille perçant, dont l’intensité s’accroît avec leur approche.
La bataille commence. L’impact du montage très rythmé et de la mise en
scène, toute de boue et d’orage, est renforcé par des bruits brefs, explosifs, qui
interviennent sur le fond incessant de pluie et de clapotements — les hurle­
ments des blessés, le son d'une barrière volant en éclat sous le poids d’un bri­
gand, celui produit par la corde d'un arc, les hennissements des chevaux, le
gargouillement d’un brigand transpercé par une lance, les cris des femmes au
moment où le chef de la bande pénètre dans leur cachette. Certains sons mar­
quent de façon abrupte des étapes de la bataille. Ces fréquents effets de sur­
prise accroissent la tension d'un spectateur qui se trouve ballotté rapidement
d’une action à une autre.
La scène atteint son dimax après l’assaut principal. Les bruits des chevaux,
hors-champ, sont interrompus par un nouveau son —la détonation sèche
d’un coup de fusil touchant l’un des samouraïs— immédiatement souligné
par une longue pause durant laquelle on n'entend plus que la pluie. Le
samouraï jette rageusement son épée dans la direction du coup avant de tom­
ber, mort, dans in boue. Un autre se précipite vers le tireur, le chef des pillards,
et une autre détonation retentit; il tombe en arrière, blessé. Une nouvelle
pause laisse entendre la pluie. Le samouraï blessé parvient à tuer le chef des
pillards et le reste des samouraïs se rassemble avant que, à la fin de la scène, les
pleurs du plus jeune d’entre eux, le bruit de la pluie et les hennissements loin­
tains des chevaux partis seuls, sans cavaliers, ne s éteignent lentement.
Le mixage relativement dense de cette bande son joue sur l’introduction
progressive de bruits qui attirent notre attention sur des éléments narratifs
nouveaux (les sabots, les cris de bataille) et sont ensuite modulés au sein d’un
ensemble continu et harmonieux. Ce flot sonore est ponctué par des sons
brusques d'intensités et de hauteurs inhabituelles, correspondant à des
actions importantes pour l’avancée du récit (le tir d’une flèche, les cris des
femmes, les coups de feu). La combinaison de sons divers vient surtout
rehausser une narration objective, illimitée, qui préfère nous montrer ce qui
se passe dans différentes parties du village plutôt que nous restreindre à
l'expérience d'un seul protagoniste.
Choisir et associer des sons permet aussi de créer des schèmes traversant
l’ensemble d'un film. On s’en aperçoit facilement en s'attachant à l'usage de la
musique. Un réalisateur peut choisir des morceaux préexistants, comme

395
UAiu i - u inu

Bruce Conner utilisant des extraits des Pins de Rome de Respighi pour accom­
pagner les images de /I movie. La musique peut aussi être composée pour le
film; le réalisateur et le compositeur font alors un ensemble de choix com­
muns.

Le rythme, la mélodie, l'harmonie et l'orchestration de la musique peu­


vent avoir un fort impact émotionnel sur le spectateur. Une mélodie ou une
phrase musicale peuvent être associées à un personnage, à un décor, à une
idée ou une situation particulière. Il y a par exemple deux thèmes musicaux
principaux dans Local hero (Bill Forsyth, 1983), un film sur un jeune cadre
dépressif qui quitte le Texas pour s'occuper de la fermeture d'une petite entre­
prise dans un village écossais. Un air de rockabilly domine les scènes se dérou­
lant en ville, dans le sud-ouest américain, et une mélodie traditionnelle plus
lente, plus poignante, est associée au village côtier. Dans les scènes finales le
jeune homme, de retour à Houston, se souvient avec émotion de l’Ecosse et
les deux thèmes musicaux sont alors joués simultanément. À l’inverse, un
même thème peut changer de qualités suivant les situations auxquelles il est
associé. Le héros malchanceux de Arizona junior (Raising Arizona. Joël et
Ethan Coen, 1987) fait un rêve terrifiant où un motard meurtrier le poursuit
— la musique correspond alors à l'atmosphère macabre de la scène. Mais à la
fin du film, le personnage rêve qu’il élève une multitude d'enfants et la même
mélodie revient, orchestrée différemment et jouée suivant un tempo plus
ample, pour exprimer cette fois la tranquillité et le bien-être.

En modifiant l’ordre et les qualités des motifs musicaux, le réalisateur


peut, de façon subtile, établir des comparaisons entre des scènes, indiquer des
changements ou des développements, suggérer certaines significations. La
musique écrite par Georges Delerue pour Jules et Jim offre un exemple perti­
nent de ce travail. Elle reflète le Paris des années 10 et 20, période pendant
laquelle se déroule l’action du film; beaucoup de mélodies rappellent les
œuvres de Claude Debussy ou Erik Satie, deux des plus importants composi­
teurs français de l'époque. La quasi-totalité de la musique du film est consti­
tuée de mélodies à trois temps, essentiellement des valses, et tous les prin­
cipaux thèmes sont en la majeur. Ces choix de rythmes et d'accords concou­
rent à l'homogénéité du film.

Les thèmes musicaux sont associés à des aspects précis du récit. Catherine
exprime sa quête incessante de bonheur et de liberté en chantant le Tourbillon
de la vie. où i! est dit, à peu près, que la vie est un permanent changement de
partenaire amoureux. Les décors sont aussi évoqués en termes musicaux. On
entend une même mélodie chaque fois que les personnages sont dans un café.
Les années passent et l'air, qui était joué par un piano mécanique, l’est main­
tenant dans une version jazz, par un pianiste noir.

396
(IUim « - LLIB

Avec le temps, les relations entre les personnages deviennent plus tendues
et plus compliquées; la musique reflète cette évolution à travers le développe­
ment des principaux motifs. Une mélodie romantique est entendue une pre­
mière fois lors d’une promenade des trois personnages à la campagne et au
bord de la mer. Cet air de l’idylle revient plusieurs fois lorsque les personnages
se réunissent, mais avec les années son tempo se ralentit, l'orchestration se fait
plus sombre et passe du mode majeur au mode mineur. Un autre motif qui
réapparait sous differentes formes est le thème de «l'amour dangereux» asso­
cié à Jim et Catherine. Cette valse solennelle, intervient une première fois
lorsque Jim rend visite à Catherine chez elle et la regarde vider un flacon de
vitriol dans un évier. (L'acide, dit-elle, est «pour les yeux qui mentent.») Par
la suite, ce thème aux accords fragiles, qui s’apparente aux Gyninopédies de
Satie, sert à souligner les différentes étapes de leur vertigineuse histoire
d'amour, accompagnant les scènes de passion comme celles où leur désen­
chantement et leur désespoir grandissent.

Le thème qui est le plus sujet à variations est une phrase musicale mysté­
rieuse, jouée une première fois à la flûte au moment où Jules et Jim font la
découverte d'une surprenante statue antique. Plus tard, ils rencontrent Cathe­
rine et réalisent qu elle a le même visage que la statue; une répétition du motif
musical vient confirmer cette comparaison. À travers tout le film, ce bref
motif est associé aux aspects énigmatiques de Catherine. Il est développé de
façon étrange dans les dernières scènes. La ligne de basse jouée au clavecin ou
sur un instrument à cordes, qui accompagnait discrètement l'air joué par un
bois, vient maintenant au premier plan et produit un rythme âpre, implaca­
ble. Cette valse menaçante souligne la fuite de Catherine avec Albert et
accompagne sa vengeance finale contre Jim, lorsqu’elle se précipite en voiture,
avec lui à bord, au fond d'une rivière.

Une fois les motifs musicaux sélectionnés, ils peuvent être combinés pour
évoquer certaines associations. Durant la première conversation intime entre
Jim et Catherine apres la guerre, la version «menaçante» de la valse décrite
plus haut est suivie du thème de l'amour, comme si ce dernier pouvait occul­
ter la face sombre de la jeune femme. Le thème de l'amour accompagne de
longs travellings montrant Jim et Catherine flânant en forêt. Mais à la fin de la
scène, alors qu'il lui dit au revoir, la version originale pour bois du thème de
Catherine revient pour rappeler son mystère et le risque qu'il coure en tom­
bant amoureux d’elle. De même, lorsque Jim et Catherine, allongés côte à
côte, font face à la fin de leur histoire d’amour et que la voix off du narrateur
dit : «C'était comme s'ils étaient déjà morts», on entend le thème de «l'amour
dangereux». Cette séquence associe leur romance à la mort et annonce leur
destin.

397
MMU 2 - U illll

On trouve une association comparable dans la dernière scène. Catherine et


lim sont morts, noyés; Jules assiste à leur incinération. Des plans des cercueils
raccordent en fondus enchaînés sur des plans de détails de l'incinération et le
motif «énigmatique» enchaîne sur sa variante sinistre, la valse «menaçante».
Iules quitte le cimetière et le narrateur explique que Catherine voulait que ses
cendres soient dispersées aux vents; les instruments à cordes introduisent
alors une version pleine d’ampleur du Tourbillon de la vie. I^a musique du
film se conclut donc sur un rappel des trois aspects de Catherine qui ont
attiré ses amants : elle était tout à la fois mystérieuse, dangereuse et ouverte à
de nouvelles expériences. On voit ici comment la musique peut créer, déve­
lopper et associer des motifs participant de l’intégralité du système formel
d’un film.

Dimensions du son filmique


Nous avons vu en quoi consistent les sons et comment le réalisateur peut tirer
avantage des différents types de sons disponibles. La façon dont ils entrent en
rapport avec les autres éléments composant un film leur confère beaucoup
d'autres qualités. Premièrement, un son occupe une certaine durée et a donc
un rythme. Deuxièmement, il peut se rapporter à sa source visible avec une
plus ou moins grande fidélité. Troisièmement, il transmet une certaine idée de
l'espace où il a lieu. Et quatrièmement, il se rapporte à des événements visuels
ayant une temporalité, et acquièrent donc lui-même une dimension tempo­
relle. Ces catégories montrent que le son offre au réalisateur un grand nombre
de possibilités créatives.

Le rythme
Le rythme est l’une des caractéristiques sonores les plus complexe. Nous en
avons déjà brièvement évoqué le rapport à la mise en scène dans le chapitre 6
et au montage dans le chapitre 8. Comme nous l'avons dit, le rythme peut être
analysé, de façon minimale, en termes de mesure, de tempo, cl d'accent. Toutes
ces caractéristiques sont plus évidentes dans une musique, où la mesure, le
tempo et l’accentuation sont des éléments fondamentaux de composition.
Dans nos exemples précédents tirés de Jules et }im, les motifs musicaux peu­
vent être caractérisés comme étant à trois temps, avec l’accent mis sur la pre­
mière mesure, et un tempo variable — parfois lent, parfois rapide.
La parole aussi a un rythme. Les gens peuvent être identifiés par leurs
«empreintes vocales», qui ne révèlent pas seulement des fréquences et des
amplitudes caractéristiques mais aussi des façons particulières de rythmer ce

398
’ -11 *>■

qui en est dit ou d'accentuer les syllabes. Dans les films de fiction, le rythme
de la diction dépend d’abord de l'acteur, même si l'ingénieur du son peut
aussi le travailler au moment du doublage.
Les bruits ont leurs propres qualités rythmiques. Le pas lourd d’un cheval
de ferme ne produit pas le même son que le galop d’une troupe de cavaliers
lancés à pleine vitesse. Le son d’un gong s’éteint lentement, tandis que celui
d'un éternuement est brièvement accentué. Dans un film de gangster, le crépi­
tement rapide et régulier des mitraillettes diffère des détonations sporadiques
des pistolets.
Toute considération sur l'utilisation rythmique du son est compliquée par
le fait que les images ont leur rythme propre, répondant aux mêmes principes
de mesure, de vitesse et d'accentuation. Le montage, enfin, crée encore un
autre rythme : une succession de plans courts produit un tempo rapide, que
des plans plus longs ralentissent.
Dans la plupart des cas le rythme du montage, des mouvements internes
de l’image et du son concourent aux mêmes effets. La tendance la plus cou­
rante consiste sans doute à coordonner les rythmes sonores cl visuels. Mais
des variations sont toujours possibles. Dans les séquences dansées d’une
comédie musicale, les personnages se déplacent en suivant un rythme déter­
miné par une musique, ce que font par exemple Fred Astaire et Ginger Rogers
dans le numéro « Waltz in swing tinte» de Sur les ailes de la danse (Swing time,
Georges Stevens, 1936). Aucun montage court ne vient travailler le rythme de
cette scène, filmer en un seul plan d'ensemble.
Les films d'animation de Walt Disney des années 30 offrent un autre cas
typique de coordination précise entre les mouvements présentés à l'écran et le
son. Les déplacements de Mickey Mouse et des autres personnages de Disney
sont souvent parfaitement synchronisés avec la musique, meme lorsqu'ils ne
dansent pas. (Comme nous l’avons vu, cette précision était possible parce que
la bande son était réalisée avant les dessins.) Ce type de synchronisation entre
la musique et des mouvements quelconques est connu sous le nom de
* mickey ntousing».
Le réalisateur peut aussi choisir de différencier les rythmes du son, du
montage et de l’image. Un procédé courant consiste à monter les scènes dialo-
guées en allant -contre» le rythme propre du discours. Dans l’extrait de A la
poursuite d'Octobre rouge utilisé plus haut, les points de coupe ne coïncident
pas avec les moments d'accentuation ou avec le rythme générai du discours de
l'officier, ceci afin de «fluidifier» les raccords et mettre en valeur la réponse et
les expressions du capitaine Ramius. Lorsqu'un réalisateur veut mettre en
valeur un personnage en train de parler et ce qu'il dit, il fait généralement
intervenir les points de coupe au moment des pauses ou des articulations

399
M1BI J - U IUB

internes d’une réplique. Mc Tiernan emploie ce type de montage rythmique


dans d'autres scènes du film.
Il y a des façons plus remarquables d'opposer les rythmes sonores et
visuels. Si la principale source sonore, par exemple, est hors-champ ou off, les
attitudes et les mouvements des personnages peuvent servir à créer un
«contre-rythme - expressif. Vers la fin de La charge héroïque, un capitaine de
cavalerie qui vient de prendre sa retraite, Nathan Brittles, regarde ses troupes
sortir du fort. 11 regrette d'avoir quitter ses fonctions et éprouve le désir de
rejoindre la patrouille. Le son de cette scène est composé de deux éléments : la
joyeuse chanson du générique, entonnée par les cavaliers, et le cliquetis rapide
des sabots de leurs montures. Pourtant, peu de plans sont consacrés aux che­
vaux et aux chanteurs avançant au rythme de la bande son : la scène concen­
tre notre attention sur Brittles, debout, presque immobile, près de son cheval.
Le contraste entre la vivacité du rythme de la musique et le statisme du capi­
taine solitaire a une fonction expressive, il met l’accent sur la tristesse du per­
sonnage, qui doit rester en arrière pour la première fois après des années
d’action.
Le rythme d’une musique d’accompagnement peut parfois paraître inap­
proprié. Dans Quatre nuits d‘un rêveur (1971), Robert Bresson présente à plu­
sieurs reprises des plans sur une grande boite de nuit flottante navigant sur la
Seine. Le mouvement du bateau, lent et fluide, contraste avec un calypso
enlevé qui domine la bande son — association étrange de rapidité sonore et
de lenteur visuelle qui crée une sorte de langueur énigmatique. (On apprend
seulement quelques scènes plus tard que cette musique est jouée par un
orchestre se trouvant à bord.)
Jacques Tati crée un effet similaire dans une scène de Playlime se déroulant
à l'extérieur d'un hôtel parisien, oü des touristes montent à bord d'un bus
pour aller dans une boite de nuit. Leur lente montée en file indienne est sou­
dainement accompagnée par un tonitruant morceau de jazz, qui nous sur­
prend d’abord par sa totale inadéquation aux images. Cette musique est en
fait celle de la scène suivante, où des charpentiers qui transportent maladroi­
tement une large vitre semblent danser au rythme du jazz. En faisant débuter
la musique sur la fin de la scène précédente, au rythme visuel plus lent, Tati
crée un effet comique et une transition vers le nouveau décor.
Dans La jetée (Chris Marker, 1962) le contraste entre image et son domine
la totalité du film, La jetée est presque intégralement composé de plans fixes;
à l’exception d’un geste infime et singulier, les images sont dépourvues de
mouvement. Le film met pourtant en œuvre une narration en voix off. de
la musique et des bruits aux rythmes généralement rapides et constamment
accentués. Malgré l'absence de mouvement, le film ne parait pas

400
(muu j - u <g>

“anticinématographique», à cause, en partie, d'une interaction dynamique de


scs différents rythmes audio-visuels.

Ces exemples évoquent certaines manières de combiner les rythmes entre


eux. Mais la plupart des films jouent aussi sur des variations de rythme dans
le temps. De tels changements peuvent servir à modifier les attentes du spec­
tateur. Au cours de la célèbre bataille sur la glace de Alexandre Nevski, Scrgucï
Eisensteïn fait évoluer le tempo de la bande son —d'abord lent, i! devient
rapide puis revient à son état initial. Les douze premiers plans de la scène
montrent l’armée russe attendant l’attaque des chevaliers allemands. Les
plans sont de longueurs moyennes et contiennent peu de mouvements; la
musique est, de la même façon, lente, constituée d'accords brefs et distincts.
Lorsque l'armée allemande arrive en vue, à l'horizon, les mouvements visuels
et le tempo musical s'accélèrent rapidement et la bataille commence. À la fin
de la bataille Eisensteïn crée un nouveau contraste rythmique entre un mor­
ceau de musique long, lent et plaintif, des travellings majestueux et les mou­
vements ténus des personnages.

La fidélité

La fidélité dont nous voulons parler ici n'est pas celle qualifiant la qualité d'un
enregistrement. Le terme se réfère pour nous à la conformité d'un son à sa
source telle qu’elle nous est donnée à imaginer ou à voir. Si un film nous
montre un chien qui aboie et que nous entendons un aboiement, le son est
conforme à sa source visible : il reste fidèle à la source. Mais si la même image
est accompagnée d'un miaulement de chat, il y a une disjonction entre
l'image et le son, un manque de fidélité.

De notre point de vue, la fidélité n’a aucun rapport avec l’origine techni­
que du son considéré. Comme nous l’avons vu, un réalisateur peut manipuler
le son indépendamment de l’image. Associer l’image d'un chien à un miaule­
ment n'est pas plus difficile que l’associer à un aboiement. Si le spectateur
estime que le son qu'il entend provient bien de sa source diégétique, il y a
conformité, quelle qu'ait été la source réelle du son au moment de la réali­
sation.

La fidélité est donc un pur problème d'attente spectatorielle. Même si


notre chien émet un aboiement à l’écran, celui-ci a très bien pu être enregistré
avec un autre chien ou synthétisé électroniquement. Nous ne savons pas quel
est le bruit - réel* d’un pistolet laser, mais nous en acceptons la manifestation
inventée dans Le retour du }cdi. (Ce bruit fut créé en martelant les câbles
d’arrimage d’une grande antenne radio.)

401
LWJLL J LL II11I

Lorsque nous réalisons qu’un son n'est pas en conformité avec sa source,
cette prise de conscience scri généralement des effets comiques. Dans Les
vacances de M. Huiot, un grand nombre d’effets proviennent de l’ouverture et
de la fermeture de la porte d’une salle de restaurant. Plutôt que d'en restituer
le son réel, Tati associe un son nasillard, comme une corde de violoncelle pin­
cée, à chacun de ses battements. Ce bruit est amusant en lui-même mats sert
surtout à marquer les figures rythmiques créées par les passages des clients ci
des serveurs. Dans Les vacances de M. Hidoi comme dans tous les autres films
de Tati, de nombreux gags sont basés sur une infidélité, une sorte d’excentri­
cité des bruits qui fait de l'oeuvre entière un excellent objet pour l’étude du
son.

Un autre maître de ce type d’effet est René Clair. Dans plusieurs scènes du
Mi/lion, des bruits ne sont pas conformes à leurs sources. Lorsque l’ami du
personnage principal lance une assiette, on n'entend pas un bruit de vaisselle
cassée mais un claquement de cymbales. Plus lard, au cours d’une scène de
poursuite, le bruit d’une collision entre deux personnages est rendu par un
battement de tambour très grave. On trouve souvent de tels jeux sur la fidélité
du son dans les dessins animés.

Mais comme pour la plongée ou la contre-plongée, aucune règle ne nous


permet d'interpréter absolument toutes ces manipulations sous le signe du
comique. Certains sons non conformes ont des fonctions «sérieuses». Dans
Les trente-neuf marches (The thirty-nine steps, Alfred Hitchcock, 1935), une
femme découvre un cadavre dans un appartement dont elle est propriétaire.
Elle crie: un gros plan sur son visage est accompagné du sifflement d’une
locomotive, puis on raccorde sur un plan montrant un train. Ce sifflement
n’est sans doute pas le son qui convient, en termes de réalisme, pour un per­
sonnage en train de crier, mais il crée une transition spectaculaire.

Dans certains cas, la fidélité du son est manipulée par des changements
d’intensité. Un son peut paraître invraisemblablement fort ou faible par rap­
port à d’autres. Dans La possédée de Curtis Bcrnhardt. les intensités se trou­
vent ainsi modifiées hors de toute conformité aux sources. Le personnage
principal du film est une femme qui devient progressivement folle. Dans une
scène où elle est seule, perdue, dans sa chambre, par une nuit pluvieuse, notre
champ informatif se trouve limité au sien et des effets sonores permettent à la
narration d’accéder à une certaine profondeur subjective. Nous commençons
à entendre ce quelle entend; le tic-tac d'une horloge et le martèlement des
gouttes de pluie augmentent peu à peu d'intensité. Cette évolution vers une
infidélité du son sert à décrire un état psychologique, une évolution cor­
respondante du personnage d’une perception exacerbée vers une pure hallu­
cination.

402
( 14HÎ1I I . [[ (D*

L'espace
Le son a une dimension spatiale parce qu’il vient d’une source. Ce que nous
savons ou pensons de celte source a une influence importante sur notre com­
préhension du son.
Pour analyser la forme narrative (chapitre 4), nous avions qualifié de dié-
géfique les événements ayant lieu dans le monde de l'histoire, Les sons diégèti-
ques sont ceux dont la source se trouve dans le monde de l’histoire : ce sont les
mots prononcés par les personnages, les bruits produits par des accessoires et
la musique provenant d’instruments existant dans l'espace diégétique.
Ix son diégétique est souvent difficile à remarquer en tant que tel parce
qu’il semble émaner naturellement du monde décrit par le film. Mais comme
nous l'avons vu avec le ping-pong des Vacances de M. Hulot, le réalisateur peut
manipuler des sons diégétiqucs de façon totalement irréaliste.
H y a aussi des sons extradiégétiques, donnés comme venant d'une source
extérieure au monde de l'histoire. Les musiques ajoutées à une scène, desti­
nées à en souligner certains effets, sont les manifestations les plus courantes
de ce type de son. Lorsque Roger Thornhill escalade le Mont Rushmore dans
La mort aux trousses, on ne s’attend pas à ce que la musique angoissante qui
accompagne les images soit jouée par un orchestre perché sur un versant du
massif. Les spectateurs comprennent que la «musique du film» est une con­
vention et que sa source n'est pas à chercher dans le monde de l'histoire. De
même en ce qui concerne, dans certains films, le narrateur omniscient dont la
voix désincarnée fournit des informations sur le récit sans appartenir à aucun
des personnages représentés. On en trouve un exemple dans La splendeur des
Ambcrson, où c'est Orson Wellcs, son réalisateur, qui assure la narration
extradiégétique.
Il existe aussi des bruits extradiégétiques. Dans Le million, divers person­
nages sont à la poursuite d’un vieux manteau qui contient, dans l’une de ses
poches, un ticket de loterie. Leurs courses convergent dans les coulisses de
l'Opéra, où ils se filent et s'évitent les uns les autres, font circuler le manteau
en le lançant à leurs complices. Au lieu d'utiliser les sons provenant de l’espace
réel de la poursuite, Clair introduit ceux d’un match de football. Les manœu­
vres des personnages ressemblent effectivement à celles des joueurs d'un
match où le manteau ferait office de ballon — le son vient donc souligner une
analogie comique produite par la mise en scène. On entend les applaudisse­
ments d'une foule, le sifflet d'un arbitre, sans jamais attribuer ces sons aux
personnages présents. (Nous ne sommes pas dans un cas de manipulation de
la fidélité, comme dans l'exemple précédemment extrait du Million.) Les
bruits extradiégétiques produisent un effet comique en créant une sorte de
calembour audio visuel.

403
m iiu j u mu

Tous les sons d’un film peuvent être extradiégétiques. A movie, de Bruce
Conner, Scorpio Rising, de Kenneth Anger ou War requiem, de Derek Jarman
(1989), ne contiennent que des musiques extradiégétiques. De même pour un
grand nombre de documentaires faits à partir d'images d’archives, où une
voix off omnisciente et une musique orchestrale guident nos réactions aux
images.
Comme pour la fidélité, la distinction diégétique/exlradiégétique ne
dépend pas de la source réelle du son au moment de la réalisation mais plutôt
de notre sensibilité aux conventions filmiques. Nous savons que certains sons
sont donnés comme provenant du monde de l'histoire et d'autres comme
provenant d’un autre espace, qui lui est extérieur. Ces conventions sont si
courantes que nous n’avons généralement pas à réfléchir au type de son que
nous entendons à un moment particulier. Nous verrons toutefois à plusieurs
reprises, dans ce chapitre, que la narration brouille parfois volontairement les
frontières entre les différentes catégories spatiales. Ce jeu avec les conventions
peut servir, entre autres, à désorienter ou à surprendre le public, à créer des
effets humoristiques ou des ambiguités.
Examinons rapidement quelques-unes des possibilités offertes par le son
diégétique. Nous savons que l’espace où se déroule l’action n'est pas limité à
ce que nous en voyons à l’écran à un moment donné. Si nous avons déjà con­
naissance de la présence de plusieurs personnages dans une pièce, nous pou­
vons voir un plan ne montrant que certains d’entre eux sans supposer que les
autres ne sont plus là — nous savons qu’ils sont hors-champ et s’ils se mettent
à parler, nous comprendrons toujours que le son ainsi produit provient d’une
partie de l'espace diégétique. Le son diégétique peut donc venir du champ
comme du hors-champ.
Un plan montre un personnage en train de parler, nous entendons le son
de sa voix. Un autre plan montre une porte qui se ferme et nous entendons un
claquement. Un personnage joue du violon, nous en entendons les notes.
Dans chaque cas. la source du son appartient à l’histoire — est diégétique —
et est visible à l’image — est dans le champ. Mais le plan pourrait montrer un
personnage écoutant la voix sans que l'on voit celui qui parle; un autre plan,
montrer un personnage courant le long d'un couloir puis nous faire entendre
le claquement d'une porte invisible; au lieu du violoniste et de son instru­
ment, nous pourrions seulement voir leur auditoire attentif. Dans tous ces
exemples, les sons appartiennent au monde de l'histoire — ils sont encore
diégétiques — mais ils sont maintenant hors-champ.
Cette distinction pourrait paraître triviale au premier abord si nous
n’avons pris connaissance, au chapitre?, des puissances du hors-champ. Un
son hors-champ peut évoquer un espace s'étendant au-delà de ce qui est

404
umiu < - u mu

visible d'une action en cours. Dans American graffiti, un film qui joue massi­
vement sur la différence entre musiques diégétiques et musiques extradiégéti-
ques, il semble parfois que toutes les autoradios qui forment le hors-champ
sonore sont réglés sur la même fréquence.

Un son hors-champ peut aussi déterminer les attentes du spectateur sur le


hors-champ spatial. Dans His girl Friday, Hildy va dans la salle de rédaction
pour écrire la version finale de son article. Elle bavarde avec d'autres journa­
listes lorsqu'un bruit sec et fort intervient, venant d’une source invisible. Elle
jette un coup d'œil vers le hors-champ gauche et un nouvel espace est brus­
quement offert à notre attention. Elle va jusqu’à la fenêtre et voit un gibet que
l'on prépare pour une exécution. Le son hors-champ est donc ici à l'origine de
la découverte d’une nouvelle espace dramatique.

Un son hors-champ peut réduire une restriction narrative. Dans La che­


vauchée fantastique. une diligence tente désespérément d’échapper à une
bande d’indiens. I.es munitions sont presque épuisées et tout semble perdu
avant qu'une section de la cavalerie n'arrive soudainement. Mais Ford ne pré­
Figure 9.9
sente pas la situation de façon aussi abrupte. Il montre d’abord un gros plan
sur l'un des passagers, Hatfield, qui vient de réaliser qu'il ne lui reste plus
qu'une balle (fig. 9.9). Il jette un coup d'œil vers le hors-champ droit et lève
son revolver (fig. 9.10). La caméra panoie vers la droite pour cadrer une
femme, Lucy, en train de prier. Pendant ce temps, on entend une musique
extradiégétique, jouée par un orchestre comprenant notamment un clairon.
Le revolver pénètre dans le cadre par la gauche sans que Lucy le voit ; Hatfield
se prépare à la tuer pour quelle ne soit pas capturée par les Indiens (fig. 9.11).
Mais un coup de feu intervient, hors-champ, avant qu'il ne tire; la main et
l'arme de Hatfield se retirent du cadre (fig. 9.12). Le clairon prend plus
d'importance. L'expression de Lucy change alors qu’elle demande: «Vous
entendez ? Vous entendez ? C’est un clairon. Ils sonnent l attaque.» (fig. 9.13). Figure 9.1G

Figure 9.11 figure 9.12 Figure 9. B

405
U1ILL1 - JXJLUL

C'est seulement à ce moment que Ford raccorde sur la cavalerie elle-même se


dirigeant au galop vers la diligence.
Le son hors-champ esc donc employé ici à des fins narratives. Il permet de
différer les plans montrant l’arrivée de la cavalerie pour concentrer notre
attention, successivement, sur le désespoir des passagers et sur leur espoir qui
renaît au moment où ils entendent les bruits lointains de leurs sauveteurs. Le
clairon ne se distingue que progressivement de la musique extradiégétique;
c’est la réplique de Lucy qui nous indique la nature diégétique de ce son
annonçant leur sauvetage. La narration perd, à partir de ce moment, une
grande partie de son caractère restrictif.
Le son diégétique recèle encore d’autres possibilités. Un réalisateur choisit
parfois de faire entendre ce que pense un personnage : la voix est perceptible
mais les lèvres ne bougent pas, et l’on suppose que les autres personnages ne
peuvent pas entendre ces pensées. La narration devient subjective par l'utilisa­
tion du son et nous donne des informations sur le contenu de conscience du
personnage, selon un effet comparable aux -images mentales». Un person­
nage peut aussi se rappeler certaines paroles, quelques mesures d’un morceau
de musique ou tout autre type d’événement sonore. Le procédé est alors com­
parable au tlashback visuel.
L'utilisation du son pour entrer dans l'esprit d'un personnage est si cou­
rante qu’il nous faut distinguer des sons diégeiiques interne et externe. Ce der­
nier est celui que nous considérons comme ayant une source physique dans la
scène. Le son diégétique interne est celui qui vient de «l’intérieur- de l'esprit
d'un personnage; il est subjectif. (Les sons extradiégétiques et diégétiques
internes sont souvent appelés sons off.) Dans la version de Hamlet tournée par
Laurence Olivier, par exemple, les célèbres soliloques sont présentés comme
des monologues intérieurs. Hamlet est la source des pensées qui nous sont
données a entendre; les mots sont seulement dans son esprit, pas dans son
environnement objectif.
On trouve une utilisation plus complexe du son diégétique interne dans
Les ailes du désir (Der Himmel über Berlin, Wim Wenders, 1987). Une multi­
tude de personnes sont en train de lire dans une bibliothèque publique. La
caméra passe en travelling parmi eux et nous entendons leurs pensées sous la
forme d’un murmure vibrant composé de nombreuses voix parlant dans des
langues différentes (fig. 9.14). Cette séquence est aussi une exception intéres­
sante à la règle voulant qu'un personnage ne puisse pas entendre les sons dié­
gétiques internes, l’argument du film étant que Berlin est parcouru par des
anges invisibles à l’écoule des pensées humaines. On voit bien, ici, comment
les conventions d'un genre (le merveilleux, le conte) et le contexte narratif
Figure 9.14 propre au film peuvent modifier un procédé classique.

406
Pour résumer : le son peut être diégétique (appartenant au monde de l'his­
toire) ou exlradiégétique (lui être extérieur —son off). Diégétique, il peut
venir du champ (son in) ou du hors-champ être interne («subjectif» — son
off) ou externe («objectif»).

L’une des caractéristiques du son diégétique est la possibilité de suggérer


une perspective sonore. On appelle ainsi toute impression liée à une spatialisa­
tion du son (distance, direction, situation), analogue à celle créée par les indi­
cations visuelles de profondeur ou de volume. «J’aime à penser», dit
l'ingénieur du son Walter Murch, «que je n’enregistre pas seulement un son,
mais l’espace entre moi ei le son : le sujet qui est à l’origine du son n’est jamais
que ce qui fait résonner l’espace autour de lui.»

La perspective sonore peut être suggérée par des manipulations de l'inten­


sité. Un son fort à tendance à paraître plus proche qu'un son plus faible,
comme l'ont illustré précédemment les bruits de sabots des Sept samouraïs
ou le clairon de La chevauchée fantastique. Des manipulations du timbre per­
mettent d’obtenir des effets similaires. L'association de sons directs et de
sons réfléchis crée un timbre propre à la représentation d’une certaine dis­
tance. Ces effets sont plus évidents lorsqu’il s’agit d'échos. Dans La splendeur
des Amberson, les conversations qui ont lieu dans l’escalier baroque de la
maison familiale sont caractérisées par une résonance particulière, un écho
donnant l’impression que les personnages se trouvent dans un immense
espace vide.

L'enregistrement et la lecture multipiste ont considérablement accru les


possibilités de suggestion de la perspective sonore. Dans la plupart des salles
équipées de systèmes multipistes, il y a trois haut-parleurs derrière l'écran. Le
haut-parleur central diffuse la plupart des dialogues in, ainsi que les princi­
paux bruits et la musique. Les haut-parleurs droit et gauche sont stéréophoni­
ques, ils diffusent les dialogues importants mais aussi les bruits, la musique et
les répliques secondaires. Ces canaux peuvent suggérer un espace sonore in ou
légèrement hors champ. Les canaux d'ambiance servent essentiellement aux
effets sonores secondaires et sont répartis entre plusieurs haut-parleurs situés
sur les côtés et au fond de la salle.

L'utilisation de plusieurs pistes pour la stéréophonie et pour les sons dits


«d’ambiance» permettent de donner une sensation de distance et de localisa­
tion des sons plus forte. Dans des farces comme Y a-t-il un flic pour sauver la
reine? (The naked gun, David Zucker, 1988) ou Hoi shots (Jim Abrahams,
1991 ), le son stéréophonique sert i évoquer des collisions ou des chutes hors-
champ. Sans les effets de localisation autorisés par les canaux stéréophoni­
ques, nous chercherions à l'écran les sources de ces sons.

407
>1>ÎH ) . U U}l(

La même technique permet aussi de préciser h direction d'un son qui se


déplace. Dans Lawrence d'Arabie (David Lean, 1962), des avions qui s’appro­
chent pour bombarder un camp sont d’abord évoquer par un grondement
entendu à droite de l’image. Lawrence et un officier regardent vers le hors-
champ droit; la source du son est identifiée par leur dialogue. Au moment de
l’attaque, le son glisse d’un côté à l’autre de l’écran pour suggérer le passage
des avions.
Un environnement sonore tridimensionnel très convaincant peut ainsi
être créé au moyen des canaux d’ambiance et des canaux stéréophoniques. Les
sons peuvent venir de haut-parleurs différents suivant les mouvements de
caméra. Dans toute la série de La guerre des étoiles, la démultiplication des
canaux permet de donner l’impression que les véhicules spatiaux passent de
part et d’autre de l'écran, au-dessus et derrière le spectateur.
Comme toutes les autres techniques, la localisation sonore ne sert pas
nécessairement des fins réalistes. La bande son de Apocalypse Nowcst compo­
sée de six pistes, trois destinées à l'arriére de la salle et trois pour le devant.
Dans la première séquence du film, le personnage principal, Ben Willard, est
étendu sur son lit. Son visage fiévreux apparaît en surimpression sur des ima­
ges d'hélicoptères américains lâchant du napalm sur la forêt vietnamienne. Le
son oscille entre l’interne et l'externe, Willard transformant les pales d'un
ventilateur accroché au plafond en celles des hélicoptères qu'il halluciné. Ces
sons subjectifs viennent à la fois du devant et de l’arrière de la salle.
Soudain, un travelling vers la fenêtre de la chambre laisse penser que
Willard s'est levé et qu’il s’agit d'un plan subjectif. Avec le déplacement de la
caméra, tous les sons passent dans les trois haut-parleurs frontaux. On voit la
main de Willard ouvrir les stores vénitiens pour découvrir avec lui une rue de
Saigon; le son se concentre maintenant sur le haut-parleur frontal du milieu
et disparait des deux autres. Notre attention a été restreinte: plus nous quit­
tons l'esprit de Willard plus le son nous canalise vers le monde extérieur, pour
finir sur une monophonie très peu réaliste. Les différences acoustiques suggè­
rent que les souvenirs que le personnage garde des destructions de la jungle
sont plus riches, plus complexes que le Saigon blafard aperçu par la fenêtre.
Dans la plupart des films, le caractère diégétique ou extradiégétique des
sons est sans ambiguïté. Mais certaines œuvres cherchent, à l’inverse, à
brouiller les frontières entre ces deux catégories, comme nous avons pu le voir
avec l’intervention de la cavalerie à la fin de La chevauchée fantastique. Parce
que nous sommes habitués à pouvoir identifier facilement la source d’un son,
un film peut jouer sur nos attentes et essayer, par exemple, de les tromper.
Au début de Le shérif est en prison (Blazing Saddles, Mel Brooks, 1974)
nous croyons entendre une musique extradiégétique accompagnant la

408
mmu J U IJU

chevauchée d’un cow-boy à travers la prairie — jusqu’à ce qu'il passe à côté de


Count Basie et son orchestre. Ce gag se fonde sur un renversement de nos
attentes relatives aux conventions de la musique extradiégétique. On en
trouve un exemple plus élaboré dans la version de 1986, de La petite boutique
des horreurs, devenue une comédie musicale où un trio de chanteuses traverse
tranquillement de nombreuses scènes, fournissant un commentaire musical
sur l’action en cours sans qu'aucun des personnages ne le remarque. {Pour
compliquer les choses, les trois chanteuses apparaissent aussi dans des rôles
diégétiques secondaires: elles agissent alors comme les autres personnages.)
On peut aussi évoquer un moment plus complexe de La splendeur des
Amberson. où Welles crée une corrélation inhabituelle entre les sons diégéti-
ques et extradiégétiques. Un prologue relate rapidement les origines de la
famille Amberson et la naissance du fils. George. Nous voyons un groupe de
citadines jasant à propos du mariage d'isabel Amberson; l'une d’entre elles
prédit qu elle aura «les enfants les plus horriblement gâtés que la ville verra
jamais. • Les dialogues de cette scène sont diégéliques. Après la dernière répli­
que, le narrateur extradiégétique résume son évocation de l’histoire de la
famille. Sur un plan de la rue vide, il dit : «11 s'avéra que la prophétesse ne se
trompait que sur un simple détail: Wilbur et Isabel n’eurent pas des enfants.
Ils en eurent seulement un. » On entend alors, toujours sur le plan montrant
la rue, la voix de la même femme: «Seulement un! Mais prouvez-moi qu’il
n’est pas plus gâté que toute une portée! ». A la fin de cette phrase, une calèche
remonte la rue et l'on voit George pour la première fois. Dans cet échange, la
femme semble répondre au narrateur, même s'il nous faut bien supposer
qu elle ne peut pas l'entendre. Welles se joue ici des conventions sonores pour
mettre en valeur l'introduction du personnage principal et l'hostilité des
habitants de la ville à son égard.
Ce passage de La splendeur des Amberson juxtapose des sons diégétiques et
extradiégétiques de façon ambigué. Dans d’autres films, un seul son peut pro­
duire le même effet par une appartenance simultanée aux deux catégories.
Dans la séquence de Apocalypse Now décrite plus haut, les vrombissements
des pales du ventilateur et des hélicoptères sont diégétiques, mais Coppola
leur associe une chanson de Jim Morrison, The end, que l'on peut considérer
comme un élément subjectif, faisant partie du délire de Willard, ou extradié­
gétique, faisant commentaire sur l’action en cours à la manière d’une musi­
que de film habituelle.
Des incertitudes plus troublantes sur la nature diégétique du son surgis­
sent souvent dans les films de Jean-Luc Godard. II intervient parfois, off,
comme narrateur, mais dans certains films tels que Deux ou trois choses que je
sais d’elle il semble aussi se trouver dans l'espace de l’histoire, murmurant des
questions ou des commentaires dont la perspective sonore réduite donne

409
Mftllt î - UUIU

l'impression qu’ils ont été dits tout prêt de h caméra. Godard ne se manifeste
pas comme un personnage faisant partie de l’action, bien que les personnages
à l’écran se comportent parfois comme s’ils l’entendaient. Ces incertitudes sur
la nature spatiale de la source sonore lui permettent d'attirer l’attention sur les
aspects conventionnels de l’utilisation courante du son.
La distinction entre sons diégétiques et sons extradiégétiques est indispen­
sable à la compréhension de certains films, comme nous le verrons avec quel­
ques cas examinés à la fin de ce chapitre.

Le temps
Le son permet aussi au réalisateur de représenter le temps de différentes
manières, suivant qu’il est identique ou différent de celui représenté par
l'image.
La relation audio-visuelle 1a plus simple est la synchronisation. Le son syn­
chrone est celui dont on peut attester la coordination à l'image lors de la
projection : il est entendu au moment où l'on voit sa source le produire. Un
dialogue est généralement synchronisé de façon à ce que les lèvres des acteurs
bougent en accord avec les mots que nous entendons.
Lorsque le son se désynchronise au cours d’une séance (à cause d'une
erreur à la projection ou lors du travail des laboratoires), le résultat est assez
gênant. Mais certains réalisateurs ont obtenu des effets astucieux en désyn­
chronisant volontairement le son. Un effet de ce genre intervient dans une
scène de Chantons sous la pluie. Au tout début du cinéma parlant, à Hol­
lywood, deux acteurs du muet réalisent leur premier film, The dueling cavalier.
Leur compagnie de production organise une projection-test (une «preview»)
en salle, pour un public normal. Dans les premiers temps du -parlant», le son
était souvent enregistré sur un disque qui était lu lors de la projection, techni­
que qui rendait les risques de désynchronisation plus grands qu'aujourd'hui.
C’est ce qui arrive pendant la preview de The dueling cavalier : la bande image
se ralentit un instant, mais l’enregistrement sonore conserve la même vitesse
et à partir de ce moment, tous les sons arrivent avec quelques secondes
d'avance sur la représentation visuelle de leur source. On entend le début
d'une réplique, puis l'acteur commence à bouger les lèvres. On entend la voix
d'une femme alors que, à l'écran, c’est un homme qui parle, et vice-vcrsa. Le
comique de cette désastreuse preview repose sur notre prise de conscience du
caractère illusoire et mécanique de la synchronisation.
Il y a dans What’s up, Tiger Lily? (Woody Allen, 1966). un jeu beaucoup
plus long sur la synchronisation et les attentes spcctatorielles quelle provo­
que. Allen a double un film d’espionnage asiatique avec des dialogues anglais

410
(UHIH ! - U IL#

qui ne sont pas la traduction des répliques originales mais un autre texte
créant une nouvelle histoire par des juxtapositions comiques avec les images.
L’humour réside en grande partie dans le décalage constant entre les mots que
Ion entend et les mouvements des lèvres des acteurs; Allen a ainsi transformé
le problème habituel des doublages de films étrangers en principe de sa comé­
die.
La synchronisation est relative à la durée ou au temps de projection.
Comme nous l'avons vu au chapitre 4, les films narratifs présentent aussi un
temps du récit et un temps de l'histoire. Le temps de l’histoire est celui consti­
tué par l’ordre, la durée et la fréquence de tous les événements participant au
récit, qu'ils soient montrés ou non. Le temps du récit est constitué par les qua­
lités temporelles (ordre, durée, fréquence) des événements représentés. Le
récit nous montre certains événements de l’histoire et fait seulement référence
aux autres : il couvre généralement une durée moins importante que l’his­
toire.
Il y a essentiellement deux façons de manipuler ces temporalités au moyen
du son. Si, en considérant les événements de l’histoire, le son a lieu en même
temps que l’image, on dira qu'il est simultané. C'est le cas le plus fréquent; des
personnages parlent et nous les voyons à l’écran : les mots que nous enten­
dons interviennent au même moment dans le récit et dans l’histoire.
Mais le son que nous entendons peut venir plus tôt ou plus tard dans l'his­
toire que les événements représentés à l'image. Celte manipulation de l'ordre
crée un son non-simultané. Le flashback sonore en est la manifestation la plus
fréquente : on peut voir un personnage et entendre la voix d'un autre, corres­
pondant à une scène antérieure. Le son non-simultané permet de fournir des
informations sur des événements de l’histoire sans les montrer. Il peut,
comme le son simultané, avoir une source interne ou une source externe
— «objective-, dans le monde du film, ou -subjective», dans l'esprit d'un
personnage.
Comme le suggèrent ces catégories, les relations temporelles filmiques sont
complexes. Pour faciliter leur reconnaissance, le Tableau 9.2, page suivante,
résume les relations spatiales et temporelles possibles entre image et son.

Le son diégétique. Le premier et le troisième cas étant rares, nous commen­


tons d’abord le deuxième.

1. Son simultané. C'est la relation temporelle la plus courante dans les films
de fiction. Les bruits, les musiques ou les paroles venant de l’espace de
l'histoire arrivent pour la plupart, invariablement, en même temps que
l’image. Comme tout autre type de son diégétique, le son simultané peut
être externe (objectif) ou interne (subjectif).

411
Hlllj i -■ U <I!U

Tableau 9.2 Temporalité du son au cinéma

Origine spatiale du son

Tempo rallie Son dieg clique Son extradiégétique


(dam tespace de l'histoire) (bonde l'espace de l'histoire)

1. Son non-simultané : le son correspond i Flashback sonore; fla.ihforv.-jrd visuel; ponl Son dont l’antériorité aux images est mani­
un événement de l'histoire intérieur à sonore feste (par exemple, un discours de lohn
celui présenté par l'image Kennedy sur des images de l'Amérique con­
temporaine)

2. Son simultané : l'événement auquel le Externe : dialogues, bruits, musique Son dont la simultanéité avec les images est
son correspond est présenté simultané­ Interne: pensées d'un personnage manifeste (par exemple, un narrateur décri­
ment â l'image vant des événements au présent )

3. Son non-simultané : le son correspond 1 Flash fa ru a rd sonore; flashback visuel avec Son dont la postériorité aux images est
un événement de 1 histoire postérieur i le sonde l'action en cours se prolongeant; manifeste (par exemple, k narrateur se sou­
celui présenté par l'image un personnage raconte des événements venant des événements de La tplendeur des
passés; pont sonore Ambenon)

2. Son correspondant à un événement de l'histoire antérieur à celui présenté par


l’image. On en trouve un exemple particulièrement clair à la fin de Acci­
dent (Joseph Losey, 1967). On entend le bruit d'un accident de voiture sur
l'image d'une grille fermant l’accès à une allée. Ce son est celui d'un acci­
dent qui a eu lieu au début du film. S’il existait des indices prouvant le
caractère interne de ce son — s'il s’agissait du souvenir d’un person
nage — il ne viendrait pas strictement du passé, l'activité mémoriellc
ayant lieu au présent. Mais aucun personnage ne se remémore la scène cl
nous avons donc ici un pur cas de «flashback sonore» constituant une
sorte de commentaire final ironique, produit par une narration omnis­
ciente. De même, dans Le journal (The Paper, Ron Howard, 1993), nous
voyons deux adolescents fouillant des cadavres sanglants dans une voiture
tandis que la bande son fournit, avec le bruit de quelques coups de feu, un
flashback sur les meurtres.

Le son d'une scène peut se prolonger brièvement sur la scène suivante;


c'esl ce que l’on appelle un pont sonore. Les ponts sonores permettent de
créer des transitions fluides en produisant des attentes rapidement confir­
mées. À la fin d’une scène du Silence des agneaux, l’héroïne est au télé­
phone, décrivant un lieu nommé «Votre entrepôt...». Sa description se
poursuit sur la bande son («... juste à la sortie du centre de Baltimore»)
tandis que la bande image présente déjà l'enseigne de «Votre entrepôt»,
introduisant la scène suivante.

412
(tiflPHH q - LI UI

Les ponts sonores peuvent également rendre nos attentes plus incertaines.
Dans The river's edge (Tint Hunter, 1987), un lycéen confesse à deux
autres, devant leur école, qu’il a tué sa petite amie. Alors que ses camarades
commencent à se moquer, i! dit : - Ils ne me croient pas.» On raccorde sur
le cadavre de la jeune fille, étendu dans l'herbe, près d’une rivière, tandis
que l’on entend l'un de ses deux amis lui répondre que c’est une histoire de
fou à laquelle personne ne voudra croire. Pendant un instant, nous ne
sommes pas sûrs de la nature de ce plan : il peut d’agir du début d’une
nouvelle scène ou d’un simple plan de coupe entre deux images montrant
les lycéens. Mais le plan s’attarde et après une pause on entend, avec un
son d'ambiance différent : «Si tu nous as fait faire.. . On raccorde alors
sur un plan montrant les trois jeunes garçons traversant un bois pour
accéder à la rivière, avec le même personnage continuant de parler: «...
tout ce chemin pour rien...». La remarque précédente, concernant le
caractère incroyable de cette histoire, est antérieure au plan montrant le
cadavre et est utilisée comme un pont sonore aux effets troublants.

3. Son correspondant à un événement de l’histoire postérieur à celui présenté


par l'image. Dans ce cas de non-simultanéité, nous sommes censés consi­
dérer que les images décrivent une action passée et le son une action pré­
sente ou future. Les exemples prototypiques se trouvent dans les films de
procès, lorsque Ion entend la déposition d’un témoin au présent tandis
qu’un flashback montre les événements rapportés. Le même effet peut être
produit par les souvenirs d'un narrateur : dans Qu elle était verte ma vallée,
on aperçoit rapidement le personnage principal en adulte au début du
film, puis sa voix va accompagner le reste du récit où on ne le verra plus
qu’enfant. Cette voix manifeste la grande nostalgie du personnage pour
l'époque qu'il raconte et nous rappelle continuellement la terrible
déchéance qu'il va devoir supporter.

Depuis la fin des années 60, faire commencer le son d'une scène sur les
images de la précédente est devenu un procédé courant qui participe des ponts
sonores évoqués plus haut. Dans L'ami américain (Der amerikanische Freund,
Wim Wenders. 1977), un plan nocturne montrant un petit garçon assis à
l’arrière d’une voiture est accompagné par un claquement sec. On raccorde
sur l’intérieur d’une gare, où les fiches métalliques d'un tableau tournent
pour afficher les horaires et les destinations des trains. Le son qui est inter­
venu sur le plan montrant le petit garçon provenait de l'espace de la scène
suivante; il était donc non-simultané.
Si le matériau du pont sonore n'est pas immédiatement identifiable, il peut
surprendre ou désorienter le public, comme dans la transition de L'anti
américain que l’on vient de décrire. Une introduction sonore plus facile à

413
nmj ■ il n»u

reconnaître crée une anticipation plus sûre de ce qui va suivre. Huit et demi se
déroule dans une ville célèbre pour sa station thermale et scs sources d’eau
minérale; plusieurs scènes montrent un orchestre d'extérieur jouant pour
divertir les touristes et les clients. Vers la moitié du film, une scène se termine
par la fermeture d’une fenêtre donnant sur un bain de vapeur. On entend sur
la fin de ce plan une version pour orchestre de la chanson Blue moon, puis on
raccorde sur une vue d’un orchestre en train de jouer cet air dans le quartier
commerçant de la ville. Avant que cette nouvelle scène établisse avec exacti­
tude le lieu de l'action, on pouvait s’attendre logiquement à ce que le pont
musical nous ramène à la vie publique de la station.
Rien ne s’oppose, en principe, au flashforward sonore : le réalisateur peut
utiliser, par exemple, le son de la scène 5 pour accompagner les images de la
scène 2. En pratique, ce procédé est rarement utilise. Dans Bande à part ( Jean-
Luc Godard, 1964), le rugissement d'un tigre est utilisé comme son hors-
champ. et non pas off, plusieurs scènes avant que l'on voit l'animal. On trouve
un cas plus ambigu dans Le mépris. Un couple se dispute; à la fin de la scène,
la femme s'éloigne à la nage tandis que l'homme s’assoit tranquillement sur
un rocher. On entend la voix de la femme, enregistré avec un micro très pro­
che de sa bouche, lisant une lettre où elle lui dit être repartie pour Rome en
voiture, avec un autre homme. Le mari n’ayant pas encore reçu cette lettre que
la femme n’a peut-être pas encore écrite, elle vient, comme sa lecture, d’un
moment postérieur de l’histoire. Le flashforward fonde ici des attentes très
fortes, confirmées par une scène ultérieure où l’on voit la femme et le rival du
mari s’arrêter dans une station essence, au bord de la route. Aucune scène ne
nous montrera le mari recevant la lettre.

ion extradiégétique. La plupart des sons extradiégétiques n'ont pas de rela­


tion temporelle cohérente avec l'histoire. Lorsqu'une musique - d'ambiance»
accompagne une scène, il serait peu pertinent de se demander si elle est
simultanée aux images, puisqu’elle n'a aucune réalité dans le monde de
l'action. Mais il peut arriver qu'un réalisateur utilise un type de son extradié-
gétique ayant une relation temporelle précise avec l’histoire. La narration de
Welles pour La splendeur des Amberson, par exemple, rapporte les éléments du
récit comme s’ils appartenaient à une époque révolue de l'histoire des États-
Unis.

Résumé
En regardant un film, nous ne faisons pas rentrer mentalement chaque son
dans l'une des catégories spatiales et temporelles que nous venons d’évoquer.
Mais ces catégories facilitent l'analyse : ce sont des outils qui permettent de

414
CUMILIQ - ltl|«

remarquer certains aspects importants des films — particulièrement des films


jouant sur nos attentes relatives aux sons. Devenir attentif à la richesse des
possibilités sonores nous permet de ne plus prendre une bande son pour un
élément -naturel» de la forme filmique et d'en relever les aspects exception­
nels.
On trouve une manipulation sonore inhabituelle dès le début de Provi­
dence (Alain Resnais, 1977). Nous voyons, au début du film, une mystérieuse
maison et des hommes pourchassant un vieillard blessé. Brusquement, nous
sommes dans la salle d'audience d’un tribunal, où un homme est interrogé.
Ces changements de situations abrupts nous laissent peu de temps pour for­
mer des attentes. Il semble qu'un procureur interroge un jeune homme accusé
d’avoir tué par compassion, durant la chasse à l’homme, le vieillard vu précé­
demment. Le jeune homme justifie son acte en disant que le vieillard n'était
pas seulement à l'agonie : il se transformait en un animal. (Nous avons vu son
visage couvert de poils et scs mains ressemblant à des pattes; les liens entre les
scènes deviennent maintenant plus clairs.) Le procureur s’arrête, stupéfait:
- Insinueriez-vous une sorte d'authentique métamorphose?» 11 s’arrête à
nouveau, et une voix masculine murmure: *Un loup-garou.» Le procureur
demande alors : -Un loup-garou, peut-être ?»
Les mots murmurés nous troublent car nous ne pouvons, sur le moment,
rien en faire. Sont-ils prononcés par un personnage que nous ne voyons pas et
qui se trouverait hors-champ ? Sont-ils extradiégétique, ne venant pas du
monde décrit ? Ça n'est que beaucoup plus tard que l’on découvre qui a parlé
ainsi, et pourquoi. Toute la séquence d’ouverture de Providence fournit un
excellent exemple des effets ambigus et perturbants que le son peut créer lors­
que le réalisateur s'écarte de ses usages conventionnels.
Dans cette séquence de Providence, nous sommes immédiatement cons­
cients de l'ambiguïté sonore ; celle-ci repousse la satisfaction de nos attentes à
plus tard, nous rendant curieux de la façon dont pourra être découverte
l'identité de celui qui a murmuré. Le son peut aussi être utilisé pour nous faire
prendre conscience, rétrospectivement, d'une mauvaise interprétation anté­
rieure. C’est ce qui arrive dans Conversation secrète (The conversation, Francis
Ford Coppola, 1974), un film que l'on pourrait considérer comme cas exem­
plaire de manipulation du son et de l’image.
L’intrigue se concentre sur Harry Caul, un ingénieur du son spécialisé dans
la surveillance. Harry est engagé par le mystérieux employé d'une société
pour enregistrer la conversation d'un jeune couple, dans un parc bruyant. Il
débarrasse l'enregistrement des bruits parasites qui le rendaient quasi incom­
préhensible mais au moment de livrer la copie à son client, il soupçonne quel­
que chose de louche et refuse de lui laisser.

415
Harry réécoute, refihre, remixc de façon obsessionnelle tous ses enregistre­
ments de la conversation. Des flashbacks visuels sur le couple — dont on ne
sait pas s'ils représentent des souvenirs de Harry — accompagnent ce travail.
Il parvient finalement à une bonne version de la bande, où l'on entend
l’homme dire : -Il nous tuerait s’il pouvait.»
La situation générale est assez mystérieuse. Harry ne sait rien du jeune
couple (la femme est-elle l'épouse ou la fille du client?), mais il soupçonne
que l’employé représente un danger pour eux. Son studio est fouillé, l'enregis­
trement, volé; il découvre plus tard que son client l’a en sa possession. Harry a
plus que jamais le sentiment d’être mêlé à une affaire de meurtre. Après une
suite d’événements très ambigus, notamment une scène durant laquelle il doit
assurer la surveillance sonore d’une chambre d’hôtel où a lieu un meurtre,
Harry apprend que la situation est différente de ce qu'il pensait.
Sans éventer le mystère, il est possible de dire que nous sommes abusés,
dans ce film, par une narration proposant, dans un premier temps, de consi­
dérer comme objectifs des sons que nous sommes enclins à traiter, à la fin du
film, comme subjectifs ou équivoques. La surprise réservée par le récit,
comme ses mystères persistants, reposent en fait sur des passages non signalés
entre son interne et son externe.
Les deux films qui viennent d’être évoqués indiquent une deuxième façon
de justifier les catégorisations de ce chapitre. Nos catégories semblent corres­
pondre à des suppositions et inférences implicites faites par le spectateur
durant la projection. Les films et notre façon d’y réagir laissent penser que
nous apprenons rapidement à faire la différence entre son interne et son
externe, diégétique et extradiégétique. simultané et non-simultané. Nous
sommes surpris ou amusés lorsque ces catégories sont transgressées; per­
plexes ou égarés lorsqu’une source sonore passe d’une catégorie à une autre.
Si ces catégories ne correspondaient pas à nos hypothèses de spectateurs, des
films comme Providence ou Conversation secrète n’auraient pas le pouvoir
d’ébranler nos attentes, de créer du suspense, de la surprise ou de l’incerti­
tude. Notre taxinomie s’offre donc à la fois comme un outil pour l'analyse fil­
mique et comme une description sommaire mais systématique des intuitions
ordinaires des spectateurs.

Fonctions du son : Un condamné à mort s'est échappé


Un condamné à mort s'est échappé (Robert Bresson, 1956) illustre la façon
dont une variété de techniques sonores peuvent être mises en oeuvre dans
un film. L’histoire se déroule en France, en 1943. Fontaine, un résistant arrêté
par les Allemands, a été mis en prison et condamné à mort. En attendant

416
UiU

l'exécution de 1a sentence, il prépare son évasion en disjoignant les planches


qui forment la porte de sa cellule et en se fabriquant des cordes. Alors qu’il est
prêt à agir, un garçon nommé Jost est placé dans sa cellule. Fontaine décide
que Jost n'est pas un mouchard et qu’il peut lui faire confiance; il lui révèle
son projet et ils peuvent s'évader ensemble.

Le son a de nombreuses fonctions importantes tout au long du film.


Comme dans le reste de son œuvre. Rresson travaille le son avec insistance,
persuadé à juste litre que celui-ci est autant «cinématographique» que les
images. À certains moments de Un condamné à mort s'ett échappé, il laisse
même son art du son prendre le dessus sur l'image; ce film nous oblige à écou­
ter, Bresson fait partie de cette poignée de réalisateurs qui créent une interac­
tion complète entre son et image.

Un facteur clé dans la direction de notre perception de l’action est le


commentaire dit en voix off par Fontaine lui-même. Cette voix est non-
simultanée : elle vient d'un temps postérieur à celui qui est représenté par les
images. Mais elle peut être interne ou externe, puisque nous ne savons pas s’il
se souvient de ces événements ou s’il les raconte à quelqu'un.

La narration de Fontaine a plusieurs fonctions. Le commentaire permet


tout d'abord de rendre l'action en cours plus claire. Certaines indications
temporelles laissent imaginer le temps que Fontaine a passé en prison. Nous le
voyons travailler à son évasion et sa voix, off, nous dit ; «Un mois de travail
patient et ma porte fut ouverte. - A d'autres moments il donne des indications
temporelles plus précises. Son commentaire est particulièrement important
durant la scène finale de l’évasion, où des heures sont représentées en 15
minutes et où la narration est limitée à ce que sait Fontaine. Sa voix nous rap­
porte calmement la progression patiente et prudente qu’il accomplit, en com­
pagnie de Jost, vers la liberté.

Le commentaire nous transmet d'autres informations capitales, La narra­


tion se contente parfois d'énoncer des faits: que l'épingle obtenue par Fon­
taine provient de la partie de la prison occupée par les femmes ou que les
locaux du personnel sont disséminés dans tout le bâtiment. Plus frappants
sont les moments où il rapporte ce à quoi il pensait. Après avoir été roué de
coups et mis dans sa première cellule, il essuie le sang qui recouvre son visage
et s'écroule. On l'entend, off: «l'aurais préféré une exécution immédiate.»
Souvent, l’acteur n’offre pas l'expression visuelle de ce type de réflexion.

Il arrive que le son vienne corriger une impression donnée par l’image.
Renvoyé dans sa cellule après avoir été informé de sa condamnation à mort,
Fontaine se jette sur son lit. On pourrait croire qu’il pleure s’il ne disait, off :
«Je dus rire d'un rire nerveux qui me soulagea. - Ainsi, le commentaire ajoute

417
1U1HI UU1U

un degré de profondeur à 1a narration par des aperçus sur les états psycholo­
giques du personnage.
Le commentaire, qui énonce souvent des faits dont l'image nous informe
déjà, peut sembler inutile. Dans la scène où Fontaine essuie le sang sur son
visage, sa voix nous dit : «Je m'essuyais de mon mieux.» Il décrit constam­
ment ses actions juste avant, juste après ou au moment de leur accomplisse­
ment à l'image. Mais cette utilisation du son n’est pas redondante. Une
fonction majeure du commentaire au passé comme de ces remarques appa­
remment superflues est de souligner le fait que les événements liés à la prison
ont déjà eu lieu. Le commentaire, plutôt que de simplement présenter les évé­
nements au présent, en affirme donc le caractère passé.
Certaines phrases soulignent le fait que le commentaire est un souvenir.
Alors que nous voyons Fontaine allongé dans sa cellule après avoir été battu,
sa voix off dit : «Je crois que j'ai perdu un instant courage et que j’ai pleuré»,
comme s’il doutait de l'exactitude de ses souvenirs. 11 rencontre un autre pri­
sonnier et raconte que «A titre exceptionnel et meme unique, le gardien chef
autorisait Terry à voir sa fille certains jours. Je ne le sus que beaucoup plus
tard. » Nous sommes conscients, par le jeu des temps verbaux, que 1a rencon­
tre à laquelle nous assistons se déroule dans le passé.
Par cette différence temporelle entre l’image et le commentaire, le récit
nous indique que Fontaine réussira finalement à s'évader et ne sera pas exé­
cuté. (Le titre nous le signale aussi.) On connaît ainsi l'ultime conséquence de
la chaîne causale — il en résulte un suspense entièrement concentré sur la
cause : on ne se demande pas si Fontaine va s'échapper, maïs comment il va
s’échapper. Le film concentre d'abord nos attentes sur une description minu­
tieuse du travail accompli par Fontaine pour s’échapper de la prison. Le com­
mentaire cl les bruils attirent notre attention sur des gestes minuscules et des
objets banals qui deviennent essentiels pour l'évasion.
Ce travail ne peut pas se faire en solitaire, le récit y insiste : Fontaine et les
autres prisonniers ne réussissent à survivre, psychologiquement et physique­
ment, que grâce à leurs efforts pour s’entraider. Fontaine reçoit l’aide et le
soutien moral de ses compagnons de prison; son voisin, Blanchet, lui donne
une couverture pour la confection des cordes; un autre prisonnier qui tente
aussi de s'évader, Orsini, fournit des informations capitales sur la façon
d’escalader les murs. Fontaine doit lui-même faire confiance à son nouveau
compagnon de cellule, Jost, en l'emmenant avec lui en dépit de certains soup­
çons laissant croire qu’il pourrait être un mouchard à la solde des Allemands.
L'interaction entre les sons et les images nest pas la caractéristique du seul
commentaire. Les bruits ont aussi la capacité de focaliser notre attention sur
un détail, notamment par une particularisation des timbres. Dans la longue

418
. ii (H

partie centrale du film, où Fontaine essaye de pratiquer une ouverture dans sa


porte et de fabriquer les outils de son évasion, cette concentration sur les
détails devient importante. Un gros plan sur ses mains montre comment il
aiguise le manche d'une cuillère pour en faire un ciseau: un fort raclement
intensifie notre perception de ce détail. Nous entendons distinctement le frot­
tement de la cuillère contre les planches de la porte, le bruit que fait un tissu
déchiré à laide d'un rasoir, pour fabriquer des cordes, et même le léger frotte­
ment de la paille contre le sol lorsque Fontaine balaie les éclats de bois. Nous
devenons aussi très conscients du fait que ces bruits pourraient attirer l'atten­
tion des gardes sur les activités de Fontaine.
Cette concentration sur les détails suit la forme générale de la narration du
film. La restriction de la narration atteint un degré inhabituel dans Un con­
damné à mort s*«f échappé : nous n'apprenons rien que Fontaine ne sache
déjà. Lorsqu'il explore sa cellule du regard pour la première fois, il en nomme
les principaux éléments — un seau hygiénique, une étagère, une fenêtre — et
c’est seulement après chaque nom qu'un mouvement de caméra nous les
montre. À un autre moment, il entend un bruit étrange à l'extérieur de sa cel­
lule. Il va vers la porte el l'on raccorde sur un plan subjectif montrant ce qu'il
voit par le judas : un gardien est en train de tourner la manivelle d'une
lucarne, dans le couloir. C'est la première fois que Fontaine remarque cette
lucarne qui deviendra, à la fin, la voie de son évasion.
Nous en savons parfois moins que Fontaine. Lorsqu’il tente de s'échapper
de la voiture, dans la première scène, la caméra ne le suit pas pour montrer sa
récupération par les soldats allemands mais reste braquée sur son siège vide.
Le son participe à la restriction de notre champ informatif : il permet de limi­
ter ce qui nous est donné à voir. Plus tard, en prison, Blanchet tombe au cours
de la marche quotidienne pendant laquelle ils vident leurs seaux. On entend
d’abord seulement le bruit de sa chute, la caméra restant en plan taille sur
Fontaine pour montrer sa surprise; puis l'on raccorde sur Blanchet au
moment où Fontaine l’aide à se relever. L’image restreint noire savoir mais le
son anticipe et guide nos attentes.
Le son fait parfois plus que contrôler l'image, il peut la remplacer partielle­
ment. Plusieurs scènes sont si sombres que le son joue un grand rôle dans la
transmission des informations concernant l’action en cours. Lorsque Fon­
taine s'endort en prison pour la première fois, la scène s'achève par un fondu
au noir. L'écran est toujours noir et nous entendons la voix off du person­
nage : «Je dormais si profondément qu'au petit jour, mes geôliers durent me
réveiller.» Suivent les bruits du verrou et des gonds. Par la porte ouverte, un
peu de lumière pénètre dans la cellule qui nous laisse entrevoir la main d'un
gardien secouant Fontaine, tandis qu'une voix lui ordonne de se lever. Le film
contient de nombreux fondus au noir où le son de la scène suivante débute

419
liim j - u imj

avant l'apparition des images, procédé qui permet à Bresson de donner à la


bande son une importance rare.

Cette prépondérance du son culmine dans la scène finale d’évasion.


Durant les 15 ou 20 dernières minutes du film, l’action se déroule en exté­
rieur, la nuit. Aucun plan de situation ne vient nous donner une vision
d'ensemble des toits et des murs que Fontaine et Jost doivent escalader. Nous
apercevons des gestes, quelques décors, mais c’est souvent le son qui nous
indique ce qui se passe, [.'attention du spectateur s’en trouve intensifier : com­
prendre l'action en cours à partir de ce que l'on parvient à voir ou à entendre
demande beaucoup d’efforts. Les tintements des cloches d’une église scandent
la progression des évadés; un train qui passe couvre leurs bruits; chaque son
étrange évoque une éventuelle menace.

Un plan remarquable montre Fontaine adossé à un mur, dans l'obscurité,


écoutant les pas d'une sentinelle qui va et vient, hors-champ. Fontaine sait
qu'il doit tuer cet homme s’il veut que l'évasion réussisse. On entend sa voix
off qui indique où se trouve la sentinelle et précise que, à ce moment, son
cœur bat très fort. Il y a peu de mouvements. On entrevoit seulement la sil­
houette de Fontaine et un minuscule reflet de lumière dans l'un de ses yeux.
Dans toute cette scène, le son concentre notre attention sur la moindre réac­
tion, le moindre geste des personnages.

Nous avons déjà dit comment un réalisateur ne se contente pas de choisir


ce que l'on entend, mais en contrôle aussi les qualités acoustiques. Bresson est
parvenu à une considérable diversité des objets sonores dans ce film. Chaque
accessoire possède une tonalité particulière: les intensités vont du très fort au
quasi inaudible. Les premiers plans de la scène d'ouverture, où Fontaine est
conduit en prison dans une voiture, sont uniquement accompagnés par le
ronflement sourd du moteur. Un tramway bloque la rue et Fontaine profite
du vacarme pour tenter de s'enfuir. Au moment où il sort de la voiture, Bres­
son élimine les bruits du tramway et nous n'entendons plus, hors-champ, que
sa course et des coups de feu. Durant l'évasion finale, des sons hors-champs
(trains, cloches, bicyclette, etc.) alternent avec des périodes de silence. Le
mixage travaille ainsi à isoler certains sons pour qu’ils attirent notre attention.

Une forte intensité sonore est parfois accompagnée d'un effet d’écho pro­
duisant un timbre particulier. Les voix des gardiens allemands sont plus rau­
ques et plus réverbérées que les voix des prisonniers français. Les bruits des
menottes et des poignées de portes sont amplifiés par un meme effet d'écho
— manipulations qui expriment la perception subjective de Fontaine. Nos
réactions à l'emprisonnement du personnage sont donc exacerbées par des
manipulations des timbres sonores.

420
(WILH, urn

Tous ces procédés permettent de focaliser notre attention sur des détails de
la vie de fontaine en prison. D'autres procédés travaillent à la cohérence du
film et alimentent ses développements narratifs et thématiques. Ce sont des
motifs sonores, qui interviennent à des moments déterminants du film.
Un premier ensemble de motifs insistent sur l'espace extérieur à la cellule.
Nous voyons un tramway dans la scène d’ouverture — on entend la cloche et
le moteur d'un tramway, hors-champ, chaque fois que Fontaine parle à
quelqu'un par la fenêtre de sa cellule. Nous sommes ainsi toujours conscients
de son objectif : rejoindre la rue, de l'autre côté des murs de la prison. Dans la
seconde moitié du film, des bruits de trains deviennent importants. Lorsque
Fontaine a une première occasion de sortir de sa cellule et s'avance dans le
couloir sans que personne ne le remarque, nous entendons le sifflement d'une
locomotive qui reviendra chaque fois qu’il quittera sa cellule clandestinement ;
ce son couvrira, à la fin, les bruits de l’évasion.
Les prisonniers dépendent les uns des autres et certains motifs sonores
nous rendent plus attentifs aux relations de Fontaine avec ses compagnons. La
toilette quotidienne, pour laquelle les hommes sont rassemblés et doivent uti­
liser un évier commun, se trouve ainsi associée aux bruits des écoulements
d’eau. Le robinet est montré une première fois, puis Bressan ne présente plus
que des plans rapprochés des prisonniers, avec le bruit de l’eau hors-champ.
La désobéissance aux règles de la prison est associée à une autre série de
motifs. Fontaine tape sur un mur avec ses menottes pour avertir ses voisins. Il
tousse pour couvrir le raclement du manche de sa cuillère, et la toux devient
une sorte de code parmi les prisonniers. Fontaine brave les ordres des gar­
diens en continuant de parler avec les autres hommes. 11 y a d'autres motifs
sonores dans le film (des cloches, des coups de feu, des sifflements, des voix
d’enfants), qui partagent des fonctions déjà mentionnées : rendre plus intense
l'évasion du personnage, attirer noire attention sur des détails et déterminer
ce que l’on remarque.
Le seul son extradiégétique du film, des extraits d’une messe de Mozart,
constitue encore un autre motif. Cette musique est clairement justifiée par les
constantes références du film à la foi religieuse; Fontaine dit à un prisonnier
qu’il prie mais ne s'attend pas à ce que Dieu l’aide s’il n'oeuvre pas à sa propre
liberté. La structure des interventions de la musique est par contre moins
claire.
Nous sommes relativement incapables, au début du film, de former quel­
que attente logique concernant la musique, dont les retours sont en général
surprenant. On l'entend lors du générique, puis elle disparaît pendant un cer­
tain temps- Elle accompagne l'action une première fois lors de la première
marche de Fontaine et des autres prisonniers, durant laquelle ils vident leurs

421
m iu i - u jliu

seaux. Fontaine explique, ofï, en quoi consiste cette tâche quotidienne :


«Vider les seaux et les laver, puis retourner en cellule pour le reste de la
journée.:» Cette juxtaposition d'une musique d'église et du nettoyage des
seaux dans une prison est plutôt incongrue. Le contraste ainsi produit n’est
pas ironique. Ces moments sont importants pour Fontaine non seulement
parce qu’ils lui permettent de bouger, mais aussi parce qu’ils lui fournissent
les principales occasions de prendre contact avec les autres prisonniers.
La musique, qui revient encore sept fois dans le film, souligne le dévelop­
pement du récit. Fontaine rencontre les autres hommes, les persuade de
l'aider et prévoit finalement de s'échapper avec eux. La musique réapparaît
chaque fois qu’il contacte un prisonnier (Blanchet, Orsini) qui influera sur
son projet. Elle est absente des scènes de nettoyage des seaux venant plus tard
dans le film, où Fontaine n'a plus de contact avec Orsini, qui a décidé de ne
pas continuer. I.a musique revient lorsque Orsini tente de s'évader par scs
propres moyens, échoue mais peut donner à Fontaine certaines informations
capitales. Elle revient encore lorsque Blanchet, qui a d’abord affirmé son
opposition au plan de Fontaine, contribue à la confection des cordes en don­
nant sa couverture.
La musique est finalement associée au garçon, Jost. Elle intervient au
moment où Fontaine comprend qu’il va devoir le tuer ou l'emmener avec lui
puis, dans une dernière occurrence, à la fin du film, lorsqu’ils laissent la pri­
son derrière eux et disparaissent dans la nuit. La musique extradiégét ique a
donc suivi le développement de la confiance de Fontaine dans les autres hom­
mes, sans lesquels il ne pouvait s’échapper.
Le motif musical constitue la seule manifestation majeure d'un élément
narratif non-restreint — les principaux moments où l'on excède brièvement
la limitation de la narration à ce que sait Fontaine. Il a un rôle essentiel, qui
est d’indiquer la possibilité d’un sens implicite global au-delà du commen­
taire explicite du personnage. Si l’on suit le schéma constitué par les récurren­
ces de la musique, on doit interpréter le motif comme une évocation de
l’importance de la confiance et de l’entraide parmi les prisonniers. Ça n'est
donc pas une simple «musique d'ambiance accompagnant l'action ; son ina­
déquation apparente avec les actions triviales décrites à l’image doit au con­
traire nous pousser à en chercher une signification implicite, du type de celle
que l'on vient de mentionner.
Observons une courte scène du film pour comprendre la façon dont le
silence et le passage entre les sons internes et externes, simultanés et non-
simultanés, déterminent nos attentes. Les onze plans illustrés par les
figures 9.15 à 9.25 dans le Tableau 9.3 composent la scène où Jost est placé
dans la cellule de Fontaine.

422
(wuaix-
Tableau 9.3 Le son et le silence dans Un condamné à mort s'est échappé
pT7 Vois Bruits acteurs 1
Mouvements de caméra

(1)27gec
F. (off) : Fl pourtant un Verrou hors-champ
peu plus tard, encore
une fois...

Bruits de pas,
hors-champ F. se tourne

Figure 9.15
... je crus 1 l'anéantis­ Bruits de pas, F. tourne la tête vers la
sement de mes efforts. hors-champ gauche

Regarde vers la gauche,


hors-champ en conti­
nuant de tourner la tête

Se tourne vers La gau­


che et s’avance
légèrement; la caméra
Figure 9. Ifr panote pour le suivre

Bruit d’un verrou que


l’on ferme, hors-champ
Bruit de pas s'éloinant,
hors champ Il semble appuyer, hors-
I off) : Vêiu moitié en cadre, sa main droite
soldat français, moitié contre la porte refer­
en soldat allemand, il mée.
était d'une saleté
repoussante.

Figure 9.17
Bruits de verrous et de
portes avec effet
d’écho, hors-champ
(off) : Il paraissait seize
ans à peine.

Bruits de pas

Figure 9.18

423
P û fi 11 ; fi 7 K

Tableau 9.3 Le son et le silence dans Un condamné à mort s'est échappé (suite)
Pian Vûii Bruit, Jeu des acteurs/
Momrmrflli de caméra

F. (in) : Tu es
Allemand ?

Figure 9.19
<2) 10sec
Français ’ Quel est ton
nom ’

Jost lève la tète, regarde


hors champ. vers la
droite

Jost : Jost. François Jost

F. (off) : Était-ce un
mouton qu'on
m'envoyait ?

Figure 9.21
(3) 10sec

F. (off) Pensait on
qu'ébranler parle ver­ F. baisse les yeux

f/il
dict de tout à l'heure, je
parlerai ’

l igure 9.22

424
(.WIUl 5 - .LlJjJ

Tableau 9.3 Le son et le silence dans Un condamné à mort s'est échappé (suite)
Plan Bruits fcu do icteun I
Mouvements de cimCri

Bruit de pas de F. sur k F. s'avance vers la gau­


sol dehcdlule che, la caméra panotc
pour le suivre

F. (in) : Donne moi la F. tend son bras droit


main, Josi vers k bon-ch amp

Figure 9.24
(3) 10s«
Bruit produit par |<M1 Jost se lève, ils se ser­
se levant rent b main

F. regarde vers la droite

F. (in) : J'ai pas beau­


coup de place. Des chaussures contre Ils regardent autour
le sol d eux

Figure 9.25
Diwilve

La scène est dominée par le silence et le va-et-vient de la voix de Fontaine


entre l’interne et l'externe. Nous n’avons jamais vu Jost auparavant et ne
savons pas ce qui se passe au moment où la scène commence. Le commentaire
interne de Fontaine nous dit qu'une nouvelle menace est apparue. Des pas
hors-champ et le regard du personnage indiquent que quelqu’un est entré
dans la pièce, mais la caméra s’attarde sur Fontaine. Bresson retarde le raccord
Sur le nouveau personnage pendant une durée surprenante (ce premier plan

425
*niu i - u mu

est aussi long que les trois autres réunis) et crée ainsi plusieurs effets. La nar­
ration s’en trouve tout d'abord considérablement restreinte, puisque nous ne
savons pas à quoi réagit Fontaine. Le commentaire, qui nous donne en quel­
que sorte accès à la conscience du personnage, fait seulement allusion à la
menace : le «il» pourrait aussi bien désigner un gardien ou un autre prison­
nier. C’est l’un des nombreux petits moments de suspense produit par la nar­
ration.
Le retardement de l'apparition de Jost permet aussi d’insister sur l'impor
tance de son allure extérieure. Nos attentes se concentrent sur les réactions de
Fontaine (essentiellement communiquées par le commentaire diégétique
non-simultané) et non sur le nouveau personnage. Lorsque l'on peut enfin
voir Jost, nous savons qu'il inquiète Fontaine, troublé par son uniforme à
moitié allemand et doutant de son identité, ainsi que le soulignent les quel­
ques mots prononcés au début de la scène. Plutôt que d’afficher un air décidé,
il cherche à avoir quelques informations. Ix commentaire revient pour rendre
compte de son dilemme : Jost est peut-être un mouchard, placé là par l'admi­
nistration de la prison. Cependant, les paroles qu’il adresse au garçon contras­
tent avec ce doute intérieur; il lui serre la main et lui parle de façon amicale.
L'interaction entre le dialogue simultané et la narration non-simultanée per­
met donc au réalisateur de présenter des aspects psychologiques opposés de
l'action.
l^s bruits marquent les actions importantes et les étapes de la progression
narrative. On entend les pas de Fontaine lorsqu'il s’avance vers Jost après être
resté sur sa réserve el les bruits produits par Jost au moment où il se lève
accompagnent leur premier geste de confiance, la poignée de main. Le racle­
ment de leurs chaussures contre le sol vient, à la fin de la scène, marquer le
moment où ils se détendent et commencent à parler de leur situation.
Cette scène est très brève, mais les différentes combinaisons sonores que
l’on trouve dans ces quelques plans laissent imaginer la complexité générale
de la bande son du film. Il faut considérer la bande son par rapport au reste
du film, dans son interaction avec les autres techniques et avec la forme narra­
tive. Par le choix des matériaux sonores el le contrôle de leurs qualités acous­
tiques ainsi que par le contrôle des relations qu'ils entretiennent, entre eux et
avec les images, Bresson a fait du son un facteur technique important qui
façonnent notre expérience de spectateur.

Résumé
Comme pour les autres techniques, c’est autant la vision d'un grand nombre
de films que l'observation précise de quelques-uns qui aiguisera votre sensibi-

426
(umu ujj<

lite aux mécanismes du son filmique. Vous pouvez vous familiariser avec les
oui ils analytiques proposés plus haut en posant des questions de ce type :

1. Quels sons rencontre-t-on dans le film —musiques, paroles, bruits?


Comment sont utilisés les intensités, les hauteurs et les timbres des sons?
Le mixage est-il dense ? Modulé ou fait de changements abrupts ?

2. Le son a-t-il une relation rythmique avec l’image ? Si oui, comment ?

3. Le son est-il conforme ou non-conforme à sa source visible ?

4. D’où vient le son ? Du monde de l’histoire ou d'un autre espace ? Du


champ ou du hors-champ ?

5. Quand intervient le son ? En simultanéité avec l'action en cours ? Avant ?


Après ?

6. Comment les différents types de sons sont-ils organisés, dans une


séquence ou dans l’intégralité du film ? Quels schèmes composent-ils et de
quelles façons renforcent-ils des aspects du système formel global du
film (narratif ou non-narratif) ?

7. Pour chacune des questions 1 à 6. quels sont les raisons et les effets des
manipulations sonores ?

Comme toujours, il ne suffit pas de nommer et de classer. Ces catégories et


ces termes sont plus utiles lorsque nous passons à l’étape suivant et étudions
la façon dont les différents types de sons ainsi identifiés fonctionnent au sein
d’un film.

Notes et Points d'interrogation

Le pouvoir du son
• Le moment le plus passionnant-, déclarait Akira Kurosawa, «c'est celui où
j’ajoute le son... À ce moment, je tremble.»
De tous les réalisateurs, c'est Sergueï Eisenstein qui a été le plus prolifique
et le plus étonnant dans scs écrits sur les techniques du son. Se reporter en
particulier à son étude sur la polyphonie audio visuelle dans La non-indiffé­
rente nature. On trouvera aussi quelques remarques sybillines dans les Notes
sur le cinématographe de Robert Bresson. Par exemple: •L’œil sollicité seul
rend l’oreille impatiente, l'oreille sollicitée seule rend l'œil impatient. Utiliser
ces impatiences» (p. 63).

427
muuuiuii

Film muet / Film sonore


On a longtemps cru que le cinéma était d’abord un moyen d’expression
visuel, où le son était au mieux un complément et, au pire, une distraction.
Vers la fin des années 20, de nombreux esthéticiens du cinéma protestèrent
contre l'arrivée du - parlant», pressentant que le son synchronisé allait altérer
la pureté de l’art du muet. René Clair déclarait ainsi que. dans le mauvais film
sonore, «l'image est précisément réduite à un rôle d’illustration d'un enregis­
trement phonographique, et l’unique objectif de tout ce spectacle est de res­
sembler le plus fidèlement possible à la pièce de théâtre dont il est la repro­
duction «cinématographique». Dans trois ou quatre décors ont lieu d’inter­
minables dialogues qui sont tout simplement ennuyeux si vous ne comprenez
pas l’anglais et insupportables si vous le comprenez.» (Se reporter à son livre.
Cinéma d'hier, cinéma d'aujourd'hui.} Rudolf Arnheim, qui perçut le potentiel
artistique du cinéma comme son incapacité à reproduire fidèlement la réalité,
affirmait, dans Le cinéma est un art, que «l'introduction du film sonore mit
fin à un grand nombre de formes utilisées par les artistes de cinéma, au profit
de la demande peu artistique pour un «naturalisme» toujours plus grand.».
Ces jugements peuvent facilement paraître anachroniques si l'on ne se
rappelle pas que la seule nouveauté de nombreux films, au début du cinéma
sonore, résidait dans leurs dialogues; Clair et Arnheim saluent tous les deux
l'arrivée des bruitages et de la musique mais mettent en garde contre les excès
de paroles. I^a réaction, inévitable, vint d'André Bazin, qui prétendait que le
cinéma sonore permettait d’accéder à un plus grand réalisme. Se reporter à
ses essais - L'évolution du langage cinématographique», «Pour un cinéma
impur* et «Théâtre et cinéma».
Toutefois, Bazin lui-même semblait penser que. au cinéma, le son vient
après l'image. Une opinion identique est avancée par Sigfried Kracaucr dans
son ouvrage Theoryoffilm : « Les films sonores sont en accord avec l’esprit de
leur moyen d’expression seulement si les images y sont premières» (p. 103).
Aujourd’hui, de nombreux réalisateurs et cinéphiles approuveraient cette
remarque de Francis Ford Coppola disant que le son, c'est «la moitié du
film... au moins». L'attention croissante et détaillée portée à la bande son fut
l’un des progrès majeurs des études cinématographiques entre les années 70 et
80. On peut juger des résultats dans les ouvrages mentionnés dans la biblio­
graphie de ce chapitre.

Doublage et sous-titres
Qui commence à étudier le cinéma pourra exprimer sa surprise (ou son
ennui) devant le fait que les films étrangers sont généralement présentés en

428
UPIUI I - U w

version sous-titrée. Pourquoi, demandent certains spectateurs, ne pas mon­


trer des versions «doublées* des films, c’est-à-dire des versions où les dialo­
gues ont été réenregistrés dans la langue du public ? Dans beaucoup de pays,
le doublage est une pratique courante. (En France, en Allemagne et en Italie,
la majorité des films importés sont doublés.) Pourquoi la plupart des gens qui
étudient le cinéma préftrent-ils les sous-titres ?
II y a plusieurs raisons. Les voix doublées ont généralement un son terne,
«de studio*. Éliminer les voix originales des acteurs, c'est aussi supprimer
une part importante de leur interprétation. (Les partisans anglo-saxons du
doublage devraient aller voir des versions doublées de films réalisé à l’origine
dans leur langue pour constater de quelle façon le jeu d’une Katherine
Hepburn, d’un Orson Welles ou d'un John Wayne peut être altéré par une
voix qui ne correspond pas à un corps.) Avec le doublage, tous les problèmes
habituels de la traduction sont multipliés par la nécessité de synchroniser tels
mots avec tels mouvements des lèvres. Quant au sous-titrage, il offre aux
spectateurs la possibilité d'entendre la bande son originale et donc d’éviter
cette destruction d’une partie du film que représente l'élimination, par le
doublage, des voix d'origine.

429
Le style
10
comme système formel

La notion de style
Au début de la seconde partie, nous avons vu de quelle façon les
différentes parties d'un film entrent en relation au sein d'un
ensemble dynamique que nous avons appelé sa forme. Nous La notion de style
avons déjà étudié l'un des aspects majeurs de la forme filmique : L'analyse stylistique
son organisation en un système catégoriel, rhétorique, abstrait,
Le style dans Citizen Kane
associatif ou narratif Après avoir évoqué chacune des catégories
Le style dans Les Dieu* du stade
techniques du cinéma dans les chapitres précédents, nous pou­
vons poursuivre en observant comment l'interaction de ces tech­ Le slyte dans The river

niques produit un autre système formel, le style d’un film. Ces Le style dans Ballet mécanique
deux systèmes —le style et la forme narrative ou non-narra­ Le style dans A movie
tive— sont eux-mémes en corrélation au sein de la totalité du Notes et Ponts d'interrogation
film.
* utl111 11

On peut rappeler ici le schéma inséré au début de la troisième partie :


Forme filmique

«rrde j u
Système formel Système stylistique
\
Narratif Non-nanaiif Utilisation structurée et
Catégoriel signifiante des techniques :
Rhétorique Mise en scène
Abstrait Prise de vues
Associatif Montage
Son

Aucun film n'emploie à lui seul l'ensemble des possibilités techniques que
nous avons examinées. Ce sont en premier lieu les circonstances historiques
qui limitent les choix ouverts aux réalisateurs. Avant 1928 par exemple, la plu­
part des réalisateurs n’avaient pas la possibilité d’utiliser des dialogues syn­
chronisés. Aujourd'hui, où l’éventail des choix techniques semble plus large, il
y a toujours des limites. On ne peut plus employer le film orthochromatique
de l’époque du muet, maintenant obsolète, alors qu'il était par certains
aspects supérieur aux pellicules actuelles. On n’a pas encore inventé de sys­
tème capable de produire des images cinématographiques en relief ne nécessi­
tant pas le port, par le spectateur, de lunettes spéciales.

Il y a une seconde raison pour laquelle seulement quelques-unes des possi­


bilités techniques du cinéma peuvent être mises en œuvre dans un film. Dans
une situation de production concrète, le réalisateur doit choisir les techniques
qu'il va employer. Il prend ainsi, le plus souvent, quelques décisions auxquel­
les il se lient pendant le reste du processus de réalisation. L’éclairage trois
points, le montage par continuité ou le son diégétique pourront caractériser
l'ensemble d’un film : un œuvre tend en générai à un usage cohérent des tech­
niques, même si certaines parties peuvent venir contredire cette cohérence. Le
Style d'un film résulte de la combinaison de contraintes historiques et de
choix réfléchis.

Le spectateur a lui aussi un rapport au style. Bien que nous en soyons rare­
ment conscients, nous avons tendance à avoir certaines attentes relatives au
style d'un film. Si nous voyons deux personnages en plan d'ensemble, nous
nous attendons à un raccord sur une vue rapprochée. Si un acteur marche
vers la droite et semble être sur le point de sortir du cadre, nous nous atten­
dons à ce que la caméra panofe ou effectue un travelling latéral vers la droite
pour le conserver dans le champ. Si un personnage parle, nous nous atten­
dons à entendre un son diégétique conforme à la source présentée.

432
I! -ILIHU CmiU flîUL

(Somme les aulnes types d’attentes, les attentes stylistiques découlent à la


fois de notre expérience générale du monde (les gens parlent, ils ne
gazouillent pas) et de notre expérience du cinéma et d’autres moyens
d’expression. Le style particulier d’un film peut confirmer nos attentes, les
modifier, les tromper ou les remettre en question.

Dans beaucoup de films, l'utilisation des techniques se conforme à nos


attentes. I^s conventions du cinéma classique hollywoodien et des genres
fournissent par exemple une base solide pour renforcer nos présupposés.
D’autres films demandent parfois une légère rectification de nos attentes.
Dans Les lois de l'hospitalité, de Keaton, nous nous attendons à un jeu sur les
positions des personnages et des objets dans la profondeur du champ, tandis
que La grande illusion permet de former des attentes précises sur la probabilité
de certains mouvements de caméra. Dans d'autres films des choix techniques
inhabituels nous forcent à élaborer des attentes stylistiques auxquelles nous
ne sommes pas habitués. Les discontinuités du montage dans Octobre
d’Eisenstein ou l'emploi de sons hors-champ très précis et minimaux dans Un
condamné à mort s’est échappé de Bresson sont comme des manipulations sty­
listiques, qu’il faut remarquer comme telles. Pour le dire autrement : un réali­
sateur ne dirige pas seulement une distribution et une équipe technique. Un
réalisateur nous dirige, dirige notre attention, façonne nos réactions; ses
choix techniques changent ce que nous percevons et la façon dont nous
réagissons.

On peut parler du Style d'un film mais aussi du style d'un réalisateur. On se
réfère alors principalement aux techniques particulières employées par une
même personne et aux façons caractéristiques dont elles entrent en rapport
au sein de son oeuvre. En examinant Un condamné à mon s'est échappé, nous
avons caractérisé Bresson comme un réalisateur donnant une grande impor­
tance au son dans ses films et avons analysé plusieurs types de relations entre
ce matériau et l'image. Cet usage du son est l'un des aspects du style singulier
de Bresson. De même, nous avons observé, dans Les lois de l’hospitalité, com­
ment une mise en scène A caractère comique est organisée autour d'une utili­
sation cohérente des plans d'ensemble; cela participe aussi du style de Keaton
dans d’autres films. Bresson et Keaton ont des styles différents auxquels nous
pouvons nous familiariser en analysant leur utilisation des techniques dans
l'ensemble de leurs systèmes filmiques.

On peut parler, enfin, d'un style propre à des groupes — l’utilisation cohé­
rente de techniques à travers l’œuvre de plusieurs réalisateurs. On peut parler
d'un style expressionniste allemand ou d’un Style de montage soviétique.
Nous examinerons, dans la cinquième partie, les styles de quelques groupes
importants apparus au cours de l’histoire du cinéma.

433
uAüxi -jj imi

Le style, c'est donc ce système formel qui, dans un film, coordonne les
techniques cinématographiques. Sa création repose le plus souvent sur des
choix particuliers et définitifs, restreints par le contexte historique du projet.
Le terme de - style» peut aussi servir à désigner une utilisation des techniques
propre A un réalisateur ou à un groupe de réalisateurs. Si le style n'est pas tou­
jours consciemment remarqué par le spectateur, il n’en contribue pas moins
aux effets et à la signification globale d’un film.

L'analyse stylistique
Nous sommes sensibles, en tant que spectateurs, aux effets du style d'un film,
mais nous le remarquons rarement. Si nous voulons comprendre comment
ces effets sont produits, il faut regarder et écouter plus soigneusement qu'à
l’habitude. Les quatre chapitres précédents ayant montrés de quelle façon on
peut se rendre attentif à certaines caractéristiques stylistiques, on peut main­
tenant proposer quatre étapes générales pour une analyse de style.

1. Déterminer la nature de l'organisation structurelle du fdm et de son système


formel (narratif ou non-narratif).
Il s’agit dans un premier temps de comprendre de quelle façon le film est
composé comme un tout. Si c’est un film narratif, il fera appel à l'ensemble
des principes étudiés dans les chapitres 3 et 4 : il aura un récit nous four­
nissant les indications nécessaires à la reconstitution d'une histoire: il
jouera avec la causalité, le temps et l’espace; il se développera, entre son
ouverture et sa clôture, suivant un schéma particulier; il emploiera peut-
être des parallélismes; sa narration oscillera entre restriction et omnis­
cience.
Si le film n’est pas narratif, l'analyste doit chercher à comprendre quel
autre type d'organisation formelle il met en œuvre (se reporter aux
chapitres 3 et 5). Le film est-il unifié par un ensemble de catégories, une
argumentation, une suite d'associations ? Ou se siructurc-t-i! autour d'un
ensemble abstrait de caractéristiques techniques? Établir une segmenta­
tion du film permet souvent de mieux appréhender le caractère narratif ou
non-narratif de sa forme. Saisir la logique qui sous-tend la totalité du film
fournil un contexte à son usage des techniques cinématographiques.

2. Identifier les p rocédés tech niques renia rq uables.


Ici, l'analyste fera appel à notre brève description des possibilités techni­
ques propres au cinéma (chapitres 6 à 9). Il vous faut être capable d’obser­
ver précisément les couleurs, l'éclairage, le cadrage, le montage et le son,
autant d'éléments que la plupart des spectateurs ne remarquent pas

434
(inuit il. .t mu xin (iiinrxiuti

consciemment. Une fois que vous saurez les remarquer, tous pourrez les
identifier comme techniques — repérer et nommer, par exemple, une
musique exiradiégétiquc ou une contre-plongée.
Mais repérer ci nommer n'est que le début d’une analyse stylistique. L’ana­
lyste doit développer une sensibilité aux prodédés techniques les plus
remarquables. Ce caractère est en partie déterminé par l’importance ou la
fréquence de leur utilisation. Le zoom avant saccadé de Wavdength ou le
montage rapide et discontinu de Octobre nécessitent des études minu­
tieuses, parce qu'ils jouent un rôle central dans la création de l'effet global
de ces films.
L'importance donnée à un élément dépend aussi du propos de l’analyste.
Si vous voulez montrer que le style d’un film est caractéristique d’une cer­
taine conception de la réalisation, vous vous concentrerez sur la confor­
mité des procédés techniques aux attentes stylistiques. Le montage du
Faucon maltais fait un usage discret de la règle des 180°, ne cherche pas des
effets remarquables, mais ce respect des règles de continuité classique est
justement un aspect caractéristique du style du film. C’était le propos de
notre commentaire du chapitre 8. Si toutefois vous voulez insister sur les
qualités inhabituelles d’un style, vous pouvez vous concentrer sur des pro­
cédés techniques plus inattendus. L'usage que Brcsson fait du son dans Un
condamné û mort s'est échappé est inhabituel, implique des choix que peu
de réalisateurs feraient. C'est sur l’originalité de ces procédés sonores que
nous avons choisi d’insister dans le chapitre 9. Les costumes du film cons­
tituent des traits stylistiques moins saillants que le son parce qu'ils s'accor­
dent plus aux pratiques conventionnelles. Lorsque l’analyste décide du
caractère remarquable d’une technique, il le fait donc sous la double
influence de ce que le film accentue et du propos qu'il entend avoir.

3. Décrire les modes d'organisation de ces procédés techniques remarquables.


Une fois que vous avez identifié les procédés techniques remarquables,
vous pouvez vous attachez à la façon dont ils constituent des ensembles
structurés. Les procédés techniques font l'objet de répétitions et de varia­
tions, de développements et de parallèles, tout au long d'un film ou dans
une seule de ses parties. Nous en avons donné quelques exemples dans les
chapitres 6 à 9.
Il y a deux façons de repérer des schèmes stylistiques. Vous pouvez réflé­
chir à vos réactions : si une scène commence par un travelling avant, est-ce
que vous vous attendez à ce qu elle se termine par un travelling arrière ? Si
vous voyez un personnage qui regarde vers la gauche, est-ce que vous sup­
posez que quelqu’un ou quelque chose se trouve hors-champ et apparaîtra
dans le prochain plan ? Si vous ressentez une nervosité grandissante en

435
Win i .UulHJJu

regardant une scène d action, est-ce que cela est rapportable à la rapidité
du tempo musical ou à l’accélération du montage ?
Vous pouvez aussi chercher, dans le même but, à découvrir les façons dont
le style vient renforcer des schémas narratifs ou non-narratifs. Dans
n'importe quel film, la «ponctuation» entre les parties nécessite l’utilisa­
tion d’éléments stylistiques particuliers (des fondus, des raccords, des fon­
dus enchaînés, des changements de couleurs, des ponts sonores). Dans un
film narratif, les scènes sont généralement structurées suivant un modèle
dramatique —rencontre, conflit, résultat— que le style reflète souvent,
avec, par exemple, un montage de plus en plus marqué et des plans de plus
en plus rapprochés. Dans Le silence des agneaux, le dialogue entre Clarke
Starling et Hannibal Lecter débute par un conventionnel champ-
contrechamp; les personnages, en plan américain, regardent soit légère­
ment à droite, soit légèrement à gauche de la caméra (figs. 10.1, 10.2).
Comme leur conversation devient plus intense et intime, la taille des plans
change : la caméra est plus proche des personnages et l’on sait qu elle est
sur l'axe de jeu au moment où chacun regarde droit dans l'objectif
(figs. 10.3, 10.4).
Comme nous l'avons vu dans La grande illusion, le style peut créer des
associations entre des situations — par exemple lorsque des mouvements
de caméra expriment la solidarité des prisonniers. Il peut aussi renforcer
des parallèles, comme le font les travellings comparant les trophées de
guerre de Rauffenstein et Eisa. Nous verrons plus tard comment le style
peut aussi venir renforcer l'organisation des films non-narratifs.
Quelquefois, la structuration stylistique ne respecte pas la structure narra­
tive ou non-narrative d’un film. Le style peut attirer notre attention pour
lui-même. La plupart des procédés stylistiques ayant plusieurs fonctions,
une technique peut intéresser l'analyste pour différentes raisons. Les plan­
ches 62 cl 63 présentent un raccord entre un étendoir et un salon qui fonc­
Figure 10.1 tionne comme une transition entre deux scènes. Mais l’intérêt de ce

Figure 10.2 Figure 10.3 Figure 10.4

436
imiut 11 - LI mu -«•»!

raccord est ailleurs : nous ne nous attendions pas à ce qu’un film narratif
traite les objets comme des aplats de couleur se faisant écho d’un plan à un
autre; de tels jeux visuels participent des conventions du film abstrait.
Dans cet extrait de Bonjour, un choix stylistique devient manifeste parce
qu’il va au-delà de sa fonction narrative. Même ici, cependant, les schèmes
stylistiques.ou «figures de style», continuent de provoquer les attentes du
Spectateur et de le faire participer à un processus dynamique. Qui a remar­
qué la corrélation visuelle entre les objets rouges de Bonjour sera probable­
ment ravi et amusé par le caractère non-conventionnel du raccord. Et si
certaines figures se singularisent, il nous faut toujours avoir une idée de
l'organisation narrative ou non-narrative du film pour montrer quand et
comment cela se produit.

4. Proposer des fonctions pour les procédés techniques remarquables et les


ensembles structurés qu’ils constituent.
Ici l’analyste cherche à découvrir le rôle que joue le style dans la forme glo­
bale du film. Est-ce que les mouvements de caméra servent à retarder la
révélation d’informations narratives et donc à créer un effet de suspense,
comme dans l’ouverture de Lasoifdu mal ? Est-ce que l’utilisation du mon­
tage par discontinuité produit une omniscience narrative, comme dans la
séquence de Octobre que nous avons analysée ? Est-ce que la composition
du plan concentre notre attention sur un détail particulier (comme en 6.78,
le plan montrant le visage de Anne dans lourde colère) ? Est-ce que l’utilisa­
tion des bruits ou de la musique crée des effets de surprise ?
La façon la plus directe de relever une fonction est de constater les effets du
film. Le style peut accentuer des aspects émotionnels d’une œuvre. Le
montage rapide, dans Les oiseaux, évoque le choc et l’horreur tandis que
Mozart, dans Un condamné d mon s’est échappé, ennoblit la routine collec­
tive du nettoyage des seaux hygiéniques.
Le style détermine aussi le sens. Dans La grande illusion, par exemple,
l’opposition entre Rauffenstein et Eisa est soulignée par le retour d’un
même mouvement de caméra. Il faut cependant éviter de «lire-des élé­
ments isolés hors de leur contexte. Comme on l’a dit au chapitre?, une
plongée ncsignifie pas automatiquement «infériorité» et une contre-plon­
gée. «puissance». II n’y a pas de dictionnaire qui indiquerait la significa­
tion de tous les procédés stylistiques; l’analyste doit observer minu­
tieusement l’ensemble du film, la structuration de scs procédés techniques
et les effets particuliers de sa forme. Le sens n’est qu’un type d’effet parmi
d’autres, et il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que tout trait stylistique
possède une signification thématique. Une partie du travail du réalisateur
consistant à diriger notre attention, le style peut avoir une simple fonction

437
j - u nm

perceptive — celle de nous faire remarquer des choses, de faire valoir un


élément par rapport à un autre, de nous égarer ou nous éclairer, intensifier
ou complexifier notre appréhension de l’action.
Une façon d’aiguiser notre sensibilité aux fonctions de techniques particu­
lières est de leur imaginer une alternative et de réfléchir aux différences qui
en résulterait : supposer que le réalisateur ait fait un choix technique diffé­
rent ci chercher à savoir si cela aurait changé les effets du moment consi­
déré. Les gags des Lois de l'hospitalité sont créés par la juxtaposition
comique de plusieurs éléments dans un même plan. Supposez que Keaton
ail, à l'inverse, isolé chaque élémeni dans des plans réunis ensuite au mon­
tage. Le sens resterait le même, mais l’effet visuel serait différent : la pré­
sentation simultanée, provoquant le va-et-vient de notre regard, ferait
place à une façon plus «programmée» de construire les gags et de les
mener à terme. Ou supposez que Huston ail traité la scène d’ouverture du
Faucon maltais sous la forme d'un plan séquence avec mouvements de
caméra. Comment aurait-il fait, dans ce cas, pour attirer notre attention
sur les réactions de Brigid O'Shaugnessy et de Spade, et quelle aurait été
l'influence de ce changement sur nos attentes? En se concentrant sur les
effeis et en imaginant des alternatives aux choix lechniques présentés par
un film, l’analyste peut acquérir une vive sensibilité aux fonctions spécifi­
ques du style.

Le reste de ce chapitre fournit une série d’exemples d'analyse de style. Nos


objets sont ceux analysés dans les chapitres 4 et 5 : Citizen Kane (forme narra­
tive), Les Dieux du stade, seconde partie (forme catégorielle), The river (forme
rhétorique), Ballet mécanique (forme abstraite) et Z movie. (forme associa­
tive). Nous avons suivi, pour produire ces analyses, les quaire étapes décrites
plus haut. L'organisation structurelle de ces films ayant déjà été étudiée dans
les chapitres 4 et 5, nous nous concentrerons ici, pour chaque cas, sur l'identi­
fication des techniques remarquables, le repérage des figures de style et la pro­
position de quelques fonctions.

Le style dans Citizen Kane


En analysant le récit de Citizen Kane, nous avons découvert que le film est
organisé comme une recherche : un personnage ressemblant à un détective, le
journaliste Thompson, tente de découvrir la signification de l'ultime parole
de Kane, «Rosebud». Mais avant même que Thompson apparaisse comme
personnage, nous, les spectateurs, sommes inciter à nous poser des questions
sur Kane et à en chercher les réponses.

438
(tiflpiui 10 - lj uni (ûfflBi mau

Le tout début du film installe une énigme. Après qu’une ouverture en


fondu a fait apparaître un écriteau indiquant «No trespassing» («Entrée
interdite»), la caméra passe, en une série de mouvements de grues, au-dessus
d’un ensemble de grilles, confondues visuellement par de lents fondus enchaî­
nés qui lient les plans les uns aux autres. Suit une série de plans montrant une
énorme propriété, avec au fond, continuellement, la silhouette d’une impo­
sante demeure (fig. 10.5). (Cette séquence repose en grande partie sur des
effets spéciaux: la maison est peinte, associée par caches à des maquettes tridi­
mensionnelles représentant les premiers plans.) La lumière lugubre, le décor
désert et la musique, sinistre, confèrent à l'ouverture du film ce caractère
inquiétant d'incertitude que l'on associe aux histoires à énigmes. Les fondus Figure 10.5
enchaînés qui unissent tes plans font que la caméra semble se rapprocher de la
maison sans qu’il y ait aucun mouvement vers l'avant. D'une image à l'autre,
le premier plan change mais la seule fenêtre allumée conserve presque la
même position à l’écran. La conjonction visuelle de la fenêtre avec elle-même
d’un plan à l’autre concentre notre attention sur elle; nous supposons (à juste
titre) que ce qui se trouve dans cette pièce aura un râle important pour le
début de l'histoire.
Cette figure de la pénétration dans l'espace d'une scène revient à d’autres
moments du film. La caméra s’avance, encore et encore, vers ce qui pourrait
révéler le secret de la personnalité de Kane. Dans une scène où Thompson va
interroger Susan Alexander, la caméra n'est pas d’abord sur le journaliste mais
sur une affiche montrant Susan,collée sur un mur extérieur (fig. 10.6). En un
spectaculaire mouvement de grue, la caméra s’élève le long du mur, au-dessus
du toit (fig. 10.7), traverse l’enseigne lumineuse «El Rancho» (fig. 10.8) et va
jusqu'à une lucarne (fig. 10.9). Un fondu enchaîné et un éclair nous font alors
passer à l’intérieur, pour un autre mouvement de grue descendant vers la
table de Susan. (Certains de ces mouvements de caméra furent en fait réalisés Figure 10.6

Figure 10.7 Figure 10.8 Figure 10.9

439
P fi II 114 } - 14 JIÏL4

en laboratoire grâce à des effets spéciaux: se reporter aux «Notes et Points


d'interrogation».)
Il y a des ressemblances frappantes entre la scène d’ouverture et l’entrée
dans El Rancho. Chacune débute par une pancarte («No trespatsing» et l’affi­
che publicitaire) et nous amène à l’intérieur d’un bâtiment pour découvrir un
nouveau personnage. La première scène mel en oeuvre une suite de plans là
où la seconde repose essentiellement sur un mouvement de caméra, mais ces
techniques différentes travaillent à la création d’une même figure cohérente
qui devient une part du style du film. Plus tard, lors de la seconde visite de
Figure 10.10 Thompson à Susan. le mouvement de grue se répète, et le deuxième flashback
du témoignage de Jcd Lcland débute par un autre mouvement d’entrée dans
une scène : la caméra, d'abord braquée sur des pavés mouillés, panote vers le
haut et s'avance en travelling vers Susan sortant d'un drugstore. C’est seule­
ment à ce moment que la caméra panote vers la droite pour montrer Kane,
debout au bord du trottoir, éclaboussé par une voiture qui vient de passer.
Cette figure de la pénétration progressive dans l’espace de l'histoire est non
seulement en accord avec le principal schéma narratif, la recherche, mais se
sert de la technique cinématographique pour éveiller la curiosité et créer du
suspense.
Comme nous l'avons déjà vu, les fins des films contiennent souvent des
variations sur leurs débuts. À la fin de Citizen Kane, Thompson abandonne sa
Figure 10.11 recherche de Roscbud. Mais après que les journalistes aient quitté l’énorme
réserve de Xanadu. la caméra commence à survoler l’immense étalage des
biens de Kane. Elle passe, en un mouvement de grue, au-dessus des caisses et
des piles d'objets (fig. 10.10), puis descend pour venir mettre au centre du
cadre le traîneau du jeune Kane (fig. 10.11). On raccorde sur une chaudière,
dans laquelle est jeté le traîneau; la caméra s'avance à nouveau, jusqu'à ce que
l'on puisse lire sur le jouet le mot «Ro.sehud» (fig. 10.12). La fin du film
reconduit donc la figure instaurée au début; on pénètre l’espace de Thistoirc
comme on sonde le mystère du personnage central.
Toutefois, après nous avoir montré le traîneau, le film inverse la figure.
Une série de plans liés par des fondus enchaînés nous ramènent à l’extérieur
de Xanadu et la caméra repasse devant l’écriteau «No trespassing- sans que
l’on sache si la découverte précédente a vraiment résolu le mystère entourant
Figure 10.12 la personnalité de Kane.
Notre étude de l'organisation de Citizen Kant" au chapitre 4 avait aussi
révélé la complexité narrative de la recherche de Thompson. À un premier
niveau, notre savoir de spectateur est limité à ce que savent les anciennes rela­
tions de Kane. Cette restriction est renforcée dans les flashbacks par un style
qui évite le recours au montage alterné ou à d'autres techniques qui iraient

440
—_ÜUIIU Il - U !IW l»l«4 SOlimw.M!.

Figure 10.13 Figure 10.H Figure 10.15

dans le sens d'une extension du champ informatif. La plupart des scènes


constituant les flashbacks sont filmées en plans longs, statiques, qui limitent
notre perception à celle de certains personnages. Lorsque Kane, jeune
homme, tient tète à Thatcher au moment de la «croisade» de Vhtquirer. Wel-
les aurait pu raccorder sur le journaliste qui lui envoie un télégramme depuis
Cuba ou insérer une séquence de montage montrant une journée de la vie du
journal. Au lieu de cela, parce qu'il s'agit du récit de Thatcher, il préfère mon­
trer le face-à-face de ce dernier avec Kane en un seul plan long couronné d'un
gros plan où Kane donne son arrogante réponse.
Le récit nous demande d’accepter le caractère objectif du témoignage,
Figure 10.16
limité, de chacun des narrateurs. Wclles renforce ce caractère en évitant d'uti­
liser des plans suggérant une subjectivité optique ou mentale. (On peut oppo­
ser ces choix à ceux de Hitchcock dans Les oiseaux ou Fenêtre sur cour,
chapitre 8.)
Wclles emploie une grande profondeur de champ qui ouvre l'action sur un
espace perspectif extérieur. Le plan où la mère de Kane signe le document par
lequel elle confie son fils à Thatcher en est un bon exemple. Plusieurs plans
introduisent le personnage de l’enfant, après lesquels on raccorde sur ce qui
semble d’abord être un simple plan d'ensemble le montrant en train de jouer
(fig. 10.13). Mais un travelling arrière fait apparaître une fenêtre et la mère de
Kane, à gauche, qui l’appelle (fig. 10.H). Le mouvement se poursuit, précé­
dant les adultes qui s’avancent vers une pièce voisine (fig. 10.15). Mme Kane
et Thatcher s’assoient à une table au premier plan pour signer les papiers tan­
dis que le père reste en retrait, debout sur la gauche, et que l’on voit l’enfant
jouer au fond du plan (fig. 10.16).
Wclles élimine ici tout raccord. Le plan devient une unité complexe auto­
nome. comme l’ouverture de La soif du mai commentée dans le chapitre 7. La
plupart des réalisateurs hollywoodiens auraient traité cette scène avec un
champ-contrechamp; Wclles réussit à maintenir devant nous, simultanément.

441
MUH •

tous les déments impliqués par l'action en cours. Le garçon, sujet de la con­
versation, reste cadré par la fenêtre tout au long de la scène; le fait qu’il joue
nous conduit à penser qu’il ignore tout de ce que sa mère est en train de faire.
On comprend les tensions entre le père et la mère parce quelle l’exclut de
la discussion mais aussi par un effet de chevauchement sonore. Ses objections
à la signature des documents se mêlent au dialogue du premier plan et aux
cris lointains de l'enfant (un ironique - The Union Forever!*, «L’Union pour
toujours!»). Le cadrage accentue aussi, dans la plus grande partie de la scène,
la présence de la mère. C’est sa seule apparition dans le film. Sa sévérité
comme l'émotion que, très tendue, elle réussit à contrôler, contribuent à justi­
fier la série d’évènements qui vont découler de son acte. Nous avons eu une
introduction très succincte a cette scène, mais l’association du son, du
cadrage, de la profondeur de champ, du mouvement de caméra et de la mise
en scène en communique toute la complexité avec une globale objectivité.
Tout réalisateur dirige notre attention, mais Welles le fait de manière inha­
bituelle. Kane illustre bien la façon dont un réalisateur choisit entre plusieurs
possibilités. Welles renonce au montage et guide notre attention par une mise
en scène s'étirant dans la profondeur du champ (impliquant les mouvements
et les positions des personnages, la lumière) et par le son. Nous pouvons voir
les expressions des acteurs, qui jouent face à la caméra (fig. 10.16); le cadrage
met en valeur certains personnages en les plaçant au premier plan ou au cen­
tre (fig. 10.17); notre attention va d’un personnage à un autre, au gré de leurs
répliques. Si Welles s'écarte des conventions hollywoodiennes classiques, qui
Figure 10.17
voudraient que de telles scènes soient «montées», il utilise toujours les techni­
ques cinématographiques pour nous pousser à faire des suppositions cl des
inférences correctes.
Les témoignages objectifs mais limités des différents narrateurs sont
enchâssés dans des contextes plus larges. L’enquête de Thompson fait le lien
entre eux; nous en apprenons donc à peu près autant que lui. Il ne doit pas,
cependant, prendre la place de Kane et devenir le personnage principal du
film. Welles fait alors un choix stylistique capital; l’emploi d’un éclairage low-
key sélectif et de certaines figures de mise en scène ou de cadrage rendent
Thompson quasiment non identifiable. 11 nous tourne le dos, est repoussé
dans un coin du cadre ou reste, le plus souvent, dans l'obscurité. Le traite­
ment stylistique en fait un enquêteur neutre, moins un personnage qu'un
simple vecteur d'informations.
Nous avons aussi vu que l'enquête de Thompson s'inscrit dans le cadre
d'une narration omnisciente qui la dépasse. Notre analyse des plans d’ouver­
ture sur le domaine de Xanadu se révèle ici pertinente : les effets de style y
sont employés pour communiquer un savoir que ne possède absolument

442
iiihih U - nMmuummtun

aucun personnage. Mais lorsque nous pénétrons dans la chambre où Kane est
en train de mourir, le style suggère à l'inverse la capacité de la narration à son­
der l'esprit des personnages, avec les plans couverts de neige (fig. 10.18) qui
évoquent une vision subjective. Plus loin dans le film, les mouvements de
caméra nous rappellent quelquefois l’existence d’une narration au champ
informatif plus étendu. Dans la première version de l'échec de Susan à l'opéra
(celle de Leland, segment 6), la caméra quitte la scène (fig. 10.19) en un mou­
vement de grue vertical qui nous emmène à travers le cintre jusqu’à deux per­
sonnages au sujet desquels ni Leland, ni Susan ne peuvent rien savoir — des
machinistes qui critiquent durement son interprétation (fig. 10.21). La
séquence finale, qui résout au moins partiellement l’énigme «Rosebud», met
aussi en œuvre un vaste mouvement de caméra pour nous offrir un point de
vue omniscient. La caméra survole les objets qui ont appartenus à Kane,
s'avançant dans l’espace mais reculant dans le temps jusqu'à se focaliser sur
son plus lointain souvenir, le traîneau. Un effet technique remarquable se
conforme ici encore au modèle illustré par les exemples précédents, en nous
offrant un savoir qu’aucun autre personnage ne possède.
En étudiant le développement de la forme narrative du film, nous avions
vu comment Kane. d’abord jeune homme idéaliste, perd ses amis el devient
solitaire. Le film construit une opposition entre les premières années où il est
éditeur et son retrait de la vie publique après l'échec de la carrière de Susan à
l'opéra. Cette opposition est plus directement apparente dans la mise en scène
et particulièrement dans les décors des bureaux de Vinquirer et de Xanadu.
Ix?s bureaux de Vinquirer fonctionnent bien mais sont désordonnés, lorsque
Kane prend la direction du journal, il y crée un cadre temporaire en amenant
scs meubles et en vivant dans son bureau. Les contre-plongées ont tendance à
accentuer la présence des piliers étroits et des bas plafonds blancs soumis à un
éclairage vif et uniforme. La collection de caisses remplies d'antiquités appar­
tenant à Kane finit par encombrer son petit bureau. Xanadu, à l’inverse, est un Figure 10.18

Figure 10.19 Figure 10.20 Figure 10.21

443
i ; . u hvu

lieu énorme, peu meublé. Les plafonds sont trop hauts, dans la plupart des
plans, pour pouvoir être vus, et les rares meubles sont largement espacés. La
lumière vient souvent frapper les personnages par derrière ou sur le côté
(comme dans le plan où Kane descend un énorme escalier, en 6.32), créant
quelques tâches de lumière vive au milieu de l'obscurité générale. Les collec­
tions d’antiquités cl de souvenirs, plus importantes, sont maintenant conser­
vées dans de profondes réserves aux allures de cavernes.

L’opposition entre les locaux de l’/nquireret Xanadu est aussi créée par les
techniques sonores associées à chaque décor. Plusieurs scènes se déroulant
dans les bureaux du journal (l’arrivée de Kane, son retour d’Europe) possè­
dent un mixage dense OÙ les voix $e superposent pour produire une rumeur
générale. L'exiguïté de l’espace est exprimée par un relatif manque de réso­
nance. À Xanadu, les conversations sonnent très différemment : Kane cl
Susan se disent leurs répliques lentement, avec des temps d’arrêt, et leurs voix
sont augmentées d’un effet d’écho qui s’associe aux décors et à la lumière
pour communiquer l’impression d’un espace immense cl vide.

La transition entre la vie de Kane à l'inquirer et son isolement final dans


Xanadu est suggérée par un changement de mise en scène dans la partie se
déroulant au journal, (kimme nous venons de le voir, pendant que Kane est
en Europe, les sculptures qu'il envoie commencent à remplir son bureau, ce
qui laisse comprendre les ambitions grandissantes du personnage et le déclin
de son intérêt personnel pour le journal. Cette évolution culmine dans la der­
nière scène à V/nqttirer : la confrontation de Kane et Leland. Les bureaux sont
utilisés comme quartier général de la campagne électorale. Avec les tables
repoussées sur les côtés et l’absence d’employés, la pièce parait plus grande et
plus vide que dans les scènes précédentes. Welles renforce cette impression en
plaçant la caméra près du sol et en filmant en contre-plongée (voir fig. 7.101),
Figure 10.22 figure qui sera reprise pour les vastes espaces sombres des bureaux de l'/nqui-
rer à Chicago : l’utilisation d'un objectif à courte focale et d’une transparence
permet d’exagérer la profondeur de la scène, les personnages semblant très
loin les uns des autres (fig. 10.22) comme dans une conversation ultérieure à
Xanadu (fig. 10.17).

Il faut comparer ces scènes â celle qui conclue presque le film, où les jour­
nalistes envahissent la réserve-musée de Kane à Xanadu (fig. 10.23). Malgré
l’écho qui restitue le caractère caverneux du décor, les journalistes le remplis­
sent brièvement de ces mêmes effets de voix se chevauchant en un ensemble
dense que l'on a pu entendre à Vlnquirer et dans la scène suivant les «Newson
the March». En rassemblant dans un même lieu les journalistes et ce qui fut
l’ultime décor de la vie de Kane, le film produit une nouvelle opposition sou­
Figure 10.23 lignant les changements du personnage principal.

444
Figure 10.24 Figure 10.25 Figure 10.26

Les mises en parallèles constituent une caractéristique majeure du style de


Citizen Kane\ la plupart des techniques remarquables travaillent à la produc­
tion de parallèles semblables à ceux que nous venons de décrire. La grande
profondeur de champ, alliée A une mise en scène exploitant la profondeur du
champ, permet de rassembler de nombreux personnages dans un même cadre
et est à l’origine de ressemblances ci d'oppositions importantes. Tard dans le
compte-rendu de Thatcher (segment 4), une scène évoque les pertes financiè­
res de Kane durant la Grande Dépression ; il est obligé de céder le journal à la
banque de son tuteur. La scène s’ouvre sur un gros plan de l'administrateur de
Kane, Bernstein, lisant le contrat (fig. 10.24). Il abaisse le document pour lais­
ser apparaître Thatcher, vieilli, assis en face de lui. Nous entendons la voix de
Kane, hors-champ; Bernstein bouge légèrement la tête, la caméra le recadre.
Maintenant nous voyons Kane qui marche de long en large, loin d'eux, dans
un bureau ou une salle de réunion immense (voir fig. 7.33). l.a scène se com­
pose d'un seul plan où la situation dramatique est créée par la disposition des
personnages et la profondeur de champ. Le moment où Bernstein baisse le
contrat rappelle une scène antérieure où Kane adulte apparaît pour la pre­
mière fois derrière un journal que Thatcher tenait levé devant lui (figs. 10.25,
10.26). Dans cette scène, Thatcher était embarrassée! Kane pouvait se rebeller
contre lui. À présent, Thatcher a repris le contrôle et Kane va cl vient nerveu­
sement, toujours prêt à le provoquer mais défait de ses pouvoirs sur ï'Inquircr.
C'esi parce qu elles débutent de la même façon que Ion compare et oppose
ces deux scènes.

Des figures de montage peuvent aussi indiquer des ressemblances entre des
scènes, comme lorsque Welles compare deux moments où Kane semble
recueillir un soutien public. Dans la première scène, Kane est candidai au
poste de gouverneur et fait un discours devant une foule immense. La scène
est principalement organisée autour d'une figure de montage consistant A
montrer un ou deux plans de Kane en train de parler puis un ou deux gros

445
MAI1I_J __ - _

Figure 10.27 Figure 10.28 Figure 10.29

pians sur des petits groupes de personnages faisant panie du public (Emily et
leur fils, Leland, Bernstein, Gcttys), puis un autre plan sur Kane. Le montage
met en place les personnages importants pour leur opinion sur Kane. Boss
Gettys est le dernier a être montré dans cette scène ci nous nous attendons à
ce qu’il se venge des accusations lancées contre lui.
Après sa défaite, Kane cherche à faire de Susan une vedette de l'opéra, jus­
tifiant ainsi publiquement l'intérêt qu’il lui porte. Dans la scène montrant les
débuts de Susan, mise en parallèle avec le discours électoral, l'organisation des
plans esi comparable à celle que l’on vient de décrire. Le personnage qui est
sur scène, Susan, sert de pivot au montage. Un ou deux plans sur elle sont sui­
vis par quelques plans sur les différents auditeurs (Kane, Bernstein, Leland, le
professeur de chant), puis l’on revient sur elle (figs. 10.27, 10.28). Des parallè­
les narratifs d’ordre général et des procédés stylistiques particuliers articulent
deux étapes de la recherche du pouvoir par Kane : d’abord par lui-même, puis
à travers Susan.

Comme nous l'avons vu au chapitre 9, la musique peut aussi renforcer des


parallèles. Ix fait que Susan chante, par exemple, est un élément causal central
pour le récit. L'aria virtuose de l’opéra Salammbô s’oppose nettement à l'autre
grande musique diégétique, la petite chanson sur • Charlie Kane». Malgré les
différences entre ces morceaux, il y a un parallèle entre eux : ils ont rapport
aux ambitions de Kane. Charité Kane semble être une chansonnette sans con­
séquence, mais ses paroles montrent clairement que Kane s’en fait une con­
ception • politique», et elle fournira effectivement, plus tard, la musique de sa
campagne électorale. Les choristes qui entonnent la chanson sont affublées de
bottes et de chapeaux de dresseurs de chevaux qu elles placent sur les têtes des
hommes au premier plan (fig. 10.29). Ainsi, la volonté de Kane d'une guerre
contre l'Espagne se manifeste jusque dans ce qui semble être une simple fête
pour son départ en Europe. Une fois scs ambitions politiques anéanties il
tente de les remplacer par la carrière publique de sa femme, mais celle-ci se

446
. ____ uflniHjD ■ li mu (üfflnt mui( mœu

révèle incapable de chanter du grand opéra. Les chansons créent ainsi des
parallèles entre différents faits de la carrière de Kane.
Nous avons déjà évoqué l'importance narrative de la séquence constituées
par le film d'actualité, qui fournit comme un «plan» du récit à venir. Cette
importance fait que Welles a distingué le style de cette séquence de celui du
reste du film par l'emploi de techniques spécifiques. Il faut, par ailleurs, que le
public puisse croire à l’authenticité de ces actualités pour justifier la recherche
de Thompson. Cette séquence réaliste permet aussi de montrer le pouvoir et
la richesse de Kane, qui seront à la base des actions ultérieures.
Welles utilise plusieurs techniques différentes pour imiter les aspects
visuels et sonores des films d'actualité de l’époque. Certaines sont relative­
ment simples. La musique, par exemple, est celle des véritables - News on the
March»; et les intertitres, passés de mode dans les films narratifs ordinaires,
étaient toujours une convention des films d’aciualité. Welles emploie aussi
quelques techniques plus subtiles pour arriver à cet aspect «documentaire-.
Certains plans du film étant supposés avoir été tournés durant la période du
muet, il se sert de différents types de pellicules pour faire comprendre que les
plans assemblés sont d’origines diverses. Certains plans ont été tirés de façon
à reproduire l'aspect saccadé des films muets projetés à la vitesse du sonore;
Welles a aussi gratté et voilé la pellicule pour qu elle paraisse vieillie, usée. Ces
effets, associés au maquillage, créent une impression documentaire remar­
quable dans les plans où Kane est avec Théodore Roosevelt. Adolf Hitler
(fig. 10.30) ou d’autres figures historiques. Dans des plans ultérieurs mon­
trant Kane promené en fauteuil roulant dans sa propriété, la caméra portée,
les lattes de bois et les barrières au premier plan (fig. 10.3!) ou les plongées
imitent les effets d’un filmage clandestin. Toutes ces conventions «documen­
taires» sont accentuées par la présence d'un narrateur, off, dont la voix toni­
truante imite celle des grands commentateurs de l'époque.
Figure 10.30
L’une des plus importantes caractéristiques formelles de Citizen Kane est la
manière dont son récit manipule la temporalité de l'histoire. Ceci est justifié,
comme nous l’avons déjà vu, par l'enquête de Thompson et l'ordre dans
lequel il interroge les narrateurs. Diverses techniques concourent à cette
manipulation de l'ordre et de la durée. Le passage du récit au présent, par un
narrateur, à l’événement passé qu’il raconte, est souvent renforcé par un rac­
cord «choc». On peut définir un raccord «choc» comme la succession discor­
dante de deux plans, produite en général par une augmentation soudaine de
l’intensité sonore et une forte discontinuité visuelle. Citizen Kane en offre plu­
sieurs exemples : le brusque début du film d'actualité juste après le plan sur le
lit de mort de Kane; le passage de la conversation tranquille, dans la salle où
vient d’être projeté le film, à l’éclairage et à l’orage à l’extérieur de El Rancho;
un cacatoès qui surgit en criant devant la caméra, au début du témoignage de Figure 10.31

447
J - Ll HHl

Raymond (fig. 10.32). Ces transitions sont surprenantes et ponctuent nette­


ment les différentes parties du récit.
Les transitions qui se font par ellipse ou par compression temporelle sont
moins abruptes. Rappelez-vous, par exemple, du moment où le film s’attarde
sur le traîneau de Kane progressivement recouvert par la neige. Un autre cas,
plus long, est celui du montage des petits-déjeuners (segment 6) qui retrace
en une succession d’ellipses la détérioration du premier mariage de Kane. U
séquence débute par un travelling avant puis un champ-contrechamp mon­
trant les jeunes mariés attablés pour un souper tardif; elle se poursuit à tra­
vers une série de courts épisodes constitués d échanges de paroles, en champ-
Figure 10.32 contrechamp, reliés par des panoramiques filés. (Un filé, ou panoramique filé,
est un panoramique très rapide créant un mouvement latéral brouillant
l'image. Il est généralement utilisé comme transition entre des scènes.) L’hos­
tilité entre Kane et Emily devient plus vive à chaque épisode. Le segment se
termine par un travelling arrière montrant la distance inattendue qui les
sépare maintenant, d’un côté à l'autre de la table.
La musique concourre aussi au développement de la séquence. Le souper
du début est accompagné d’une valse au rythme marqué. À chaque transition,
la musique change. Une variation comique sur la valse succède à sa première
présentation, suivie par une variation plus «tendue*; des cors et des trompet­
tes viennent ensuite rétablir le thème de Kane. Le silence de plomb qui s’est
installé entre Kane et Emily, dans la dernière partie de la scène, est accompa­
gné par une variation lente et sinistre sur le thème initial. La dissolution du
mariage est donc soulignée par ce système de thème et variations. On pourra
trouver un cas de compression temporelle et de travail du son semblable dans
le montage consacré à la carrière de Susan (segment 7).
Cette brève étude stylistique n’a relevé que quelques-unes des grandes
figures de Citizen Kane. Vous pourrez en trouver d'autres : le motif musical
associé au pouvoir de Kane; le >K> qui apparaît sur les costumes de Kane et
dans les décors de Xanadu; la façon dont le décor de la chambre de Susan à
Xanadu manifeste l'attitude de Kane à son égard ; les changements dans le jeu
des acteurs au fur et à mesure du vieillissement des personnages; et les divers
jeux photographiques, comme les photos qui s’animent ou les nombreuses
surimpressions durant les séquences de montage. Ces figures stylistiques ali­
mentent et intensifient continuellement le développement du récit, en même
temps qu elles façonnent l'expérience du public.

448
(MIFIHt || ■ |I tint (ll»r

Le style dans Les Dieux du stade


Même si c’est le régime nazi qui finança et commanda le filmage, par Leni
Riefenstahl, des leux olympiques de 1936. la réalisatrice dut aussi se confor­
mer au règlement du comité olympique international. Le nombre de techni­
ques quelle était autorisée à employer se trouva ainsi limité. Il n’était pas
envisageable, par exemple, que des caméras viennent distraire les athlètes
pendant la compétition: Riefenstahl surmonta cette restriction en inventant
divers procédés permettant à I équipé de prise de vues de travailler de loin et
avec des angles inhabituels. Les solutions apportées à ces problèmes techni­
ques finirent par enrichir le style du film.

L’énorme stade et les autres infrastructures construites à l'occasion des


Jeux, dans et autour de Berlin, reflétaient les efforts du régime nazi pour
impressionner le reste du monde. On peut dire, en un sens, que ce décor fut
projeté en pensant à la caméra. Mais Riefenstahl et ses collaborateurs avaient
peu de contrôle sur la préparation des évènements; la mise en scène ne fut
pas, en grande partie, de leur ressort. Néanmoins, Riefenstahl connaissait à
l’avance le moment et le lieu où se déroulait chaque événement et pouvait
programmer en détails le tournage. Et après le tournage, sa maîtrise du mon­
tage et l’addition d'une bjndc son contribuèrent puissamment à l’effet final
du film.
La réalisatrice n'avait donc presque aucun contrôle sur l'action mais l’on
peut tout de même parler, à certains moments, de mise en scène. Les événe­
ments du segment I — un jogging matinal, un sauna, de la nage et des exerci­
ces physiques — sont arrangés pour la caméra. Les coureurs passent en
formation serrée devant l’objectif et les athlètes, à l'extérieur du club, rient et
posent. Le segment 5, qui montre un immense rassemblement de femmes
pratiquant des mouvements synchronisés de gymnastique suédoise, devant le
stade, aurait difficilement pu être filmé sans un minimum de préparation. Les
derniers moments du film furent certainement mis en scène. Le stade, avec
son anneau de projecteurs, ressemble à une maquette, et l’alignement de dra­
peaux flottant au vent a plus été conçu pour la caméra que pour le public des
jeux (fig. 5.22). La volonté de déterminer nos réactions aux évènements est
toutefois plus manifeste dans l’utilisation d'autres techniques.
Il ne fallait pas que les nombreuses caméras filmant les jeux gênent la con­
centration des athlètes. Certaines furent donc placer dans des fosses creusées à
l'écart des pistes et du terrain. Les téléobjectifs permettaient de filmer de
loin les épreuves; la distance focale devient ainsi un aspect important du style
du film. On voit souvent, par exemple, les corps des athlètes sc déplacer
devant un fond aplati constitué de visages légèrement flous (fig. 5.7). L'effet

449
est particulièrement apparent lorsque les caméras sont équipées d'objectifs à
très longue focale permettant de saisir un détail. Dans le pian poitrine sur
Glen Morris, la foule, loin derrière lui, n'est plus qu'un ensemble de taches
noires et blanches (fig. 5.13). De tels plans contrastent avec ceux où l'on voit
les athlètes sur fond de ciel, pris dans des contre-plongées qui éliminent toute
présence de la foule à l'image (figs. 5.9 et 5.21). Comme nous l’avons vu au
chapitre 5. l'évolution vers ce type de plans fait partie de l'un des schémas de
développement du film; ils interviennent vers la fin des épreuves de gymnasti­
que (segment 2) et des plongeons (segment 11).
D'autres techniques de cadrage contribuent à la progression stylistique du
film. Des voiliers qui envahissent très lentement le cadre (fig. 10.33) produi­
sent une composition étonnante et soulignent une fois de plus le motif du
ciel. Certains cadrages mettent en valeur la juxtaposition d’un premier plan et
des arrière-plans, comme ce moment où une branche placée devant le stade
lointain prolonge le motif de la nature (fig. 5.6) ou lorsque les cyclistes fran­
çais, vainqueurs de leur épreuve, regardent la levée des drapeaux (fig. 10.34).
Dans les segments où les athlètes sont plus individualisés, certaines tech­
niques intensifient l'objectif général; c'est par exemple le moment où une
surimpression crée un effet subjectif de vitesse lorsqu’un cycliste accélère vers
la ligne d’arrivée (fig. 5.16).
Riefenslahl, qui disposait d'une énorme quantité de film impressionné,
dut faire face un gigantesque travail de montage. Le film ne sortit qu'en 1938,
deux ans après la fin des Jeux, à cause de l’ampleur du travail de postproduc-
lion. Mais les nombreuses heures de film impressionné offraient aussi de
riches possibilités de juxtapositions dynamiques tant visuelles que rythmi­
ques. Cette seconde partie des Dieux du itade contient un large éventail de
techniques de montage. Certains moments jouent sur des ressemblances
visuelles, comme lorsque s’enchaînent une suite de panoramiques montrant
les différents coureurs du pentathlon quittant la ligne de départ. Dans d'autres

Figure 10.33 Figure 10.34 Figure 10.35

450
UfiPIIH 10 - LL.(QWJ.mm mmu

Figure 10.36 Figure 10.37 Figure 10.38

segments, ce sont les discontinuités visuelles qui deviennent importantes. Les


diagonales formées par des barres parallèles dans un plan (fig. 10.35) s’oppo­
sent, en terme de direction, à celles du plan suivant (fig. 10.36). Nous avons
vu comment ces compositions en contre-plongée, qui laissent les corps se
découper sur fond de ciel, sont analogues à celles des séquences consacrées à
la gymnastique ou au plongeon et renforcent le schéma de développement du
film. Les discontinuités visuelles servent aussi à établir des comparaisons
entre les deux segments que l'on vient de citer. De nombreux plans sur les
plongeurs sont composés suivant des directions opposées, procédé qui cul­
mine dans le spectaculaire final où, un par un, onze plongeurs se jettent dans
le vide et où presque chaque raccord fait passer le plongeoir d'un côté à l’autre Figure 10.39
du cadre (figs. 10.37,10.38). Associée à un rythme de montage soutcnu.ee jeu
visuel crée une fin euphorique pour ce sous-segment.
Les rythmes de montage sont eux aussi très divers. Ûn trouve quelques
plans longs dans un ensemble plutôt dominé par la rapidité. Ricfenstahl
s'attarde, par exemple, sur les différentes positions d’un gymnaste aux
anneaux (figs. 10.39, 10.40). Les mouvements lents et contrôlés de l'athlète,
associés aux effets du téléobjectif qui le place sur fond de foule lointaine, pro­
duit une sorte de tension à l’intérieur du plan. De même, certains plans con­
sacrés au cross s'attardent sur les tentatives amusantes de certains cavaliers
pour persuader leurs chevaux récalcitrants de sauter, où sur les perdants
pataugeant dans l'eau après une chute.
Figure 10.40
Riefenstahl a tendance à réserver le montage rapide pour les moments plus
dynamiques. Les courses d'aviron sont composées de quelques alternances au
rythme court entre des plans montrant les outriggers fendant les eaux et des
plans sur la foule qui les applaudit. Dans la séquence plus spectaculaire des
plongeons, la cadence du montage se construit progressivement. Une série
rapide de plans fait oublier la réalité spatiale et temporelle de l'événement :
nous ne voyons bientôt plus qu’une succession de corps semblant flotter dans

451
HILLLL U LULLL

l’espace. Riefenstahl insère des plans où le mouvement a été inversé — les ath­
lètes montent vers le plongeoir— cl d'autres où l'inversion du mouvement sc
double d'un renversement du cadre (fig. 10.41 ). Les plongeurs, défiant les lois
de la gravité, sc mettent à évoluer dans toutes les directions, ce qui renforce
l’impression que leur mouvement est celui d'un envol.

La bande son des Dieux du stade est simple mais puissante. Une musique
romantique à caractère wagnérien, composée par Herbert Windt, accompa­
gne de nombreuses épreuves et prend foute son importance au début et à la
fin du film, lorsque le commcniateur ne nous donne aucune information.
Figure 10.41 Cette musique nous incite à réagir de certaines façons : elle est lente et majes­
tueuse pour la scène d’ouverture, dans les bois; des rythmes plus légers
accompagnent les exerciccsdu segment 2; elle se fait grandiose, grisante, pour
la séquence des plongeons. Pour apporter un peu de variété, certaines scènes
sont dénuées de musique et entièrement dominées par la voix du narrateur
(comme dans le hockey sur gazon du segment 7). Cette voix nous conduit
aussi à certaines réactions; elle a un râle essentiel dans les segments narratifs
centraux, où les personnages sont plus individualisés. Au cours du pentathlon
et du décathlon, le narrateur provoque un suspense en nous indiquant quels
athlètes il faut regarder. Sa voix hésitante laisse croire qu’il attend, lui aussi,
l’issue de l’épreuve (même si la bande son fut ajoutée bien après cette der­
nière). Certains bruits sont parfois supposés venir de l’espace où se déroulent
les évènements —des acclamations du public, du vent, etc.— mais le film
emploie essentiellement la musique et le discours du narrateur pour guider
notre attention.

Nous avons vu dans le chapitre 5 comment cette seconde partie des Dieux
du stade produit des significations tant référentielles qu’explicites relatives aux
Jeux olympiques eux-mêmes, tandis que scs significations implicites et symp­
tomatiques procèdent de l’idéologie de ses concepteurs nazis. Le style du film
joue un grand rôle dans l’indication des significations symptomatiques. Les
décors grandioses comme les figures de cadrage et de montage faisant des
athlètes des surhommes, participent de cette mythologie nazie fondée sur la
suprématie de certaines races. Ix cadrage met en valeur la discipline excessive
des épreuves; la musique wagnérienne sc conforme aux normes de la culture
officielle. Ces idées sont, fort heureusement, moins présentes parmi nous
aujourd'hui et un public contemporain ne réagira sans doute pas aux Dieux
du stade de la même façon que le public allemand des années 30. Mais en
séparant clairement les différentes catégories composant le film et en mar­
quant ses différents schémas de développement, le style réussit à doter la
forme catégorielle d'un intérêt et d’une charge émotive considérables.

452
— ... _ (WILLCJII - L.( HJ U LOBID.I Hj.UBI lûfi|£l

Le style dans The river


Comme nous l’avons vu dans le chapitres, le développement formel de Vie
river repose sur une argumentation très simple. La vallée du Mississipi, nous
dit-on, était dans le passé un lieu superbe que la force de toute une population
rendit fertile. Mais celte force et cette productivité abîmèrent la terre. Mainte­
nant, avec des programmes comme celui de la Tennessee Valley Authority, la
même force peut être utilisée pour remédier à ces dégâts tout en accroissant la
productivité de la vallée.
Les systèmes stylistiques du film participent à l'élaboration de cette argu­
mentation. Des motifs liés à la prise de vues, au son ou au montage instaurent
les parallèles que nous avons déjà relevés entre les différents segments et peu­
vent laisser croire, à la fin du film, que la TVA a permis de redonner à l'envi­
ronnement de la vallée la perfection originelle vue dans la première séquence.
Mais le film établit aussi d'importants contrastes entre les segments montrant
la beauté et les richesses du pays et ceux montrant les problèmes produits par Figure 10.42
une exploitation inconséquente des ressources naturelles. Des différences
dans la mise en œuvre des techniques cinématographiques renforcent ces
contrastes et contribuent à la puissance de persuasion du film.
The river contient énormément d'informations: un résumé de plusieurs
décennies de l’histoire des États-Unis, des explications sur les causes de l’éro­
sion et des crues, une description de la situation socio-économique en 1937 et
un aperçu des activités de la TVA. Nous sommes cependant capables de rete­
nir correctement tous ces faits et d'en saisir les relations, grâce à la forme
claire du film et à ses répétitions stylistiques. Certains segments, par exemple,
débutent par un travail conjoint de la prise de vues et du montage organisant
la présentation de paysages sur fond de ciel nuageux. Les plans qui suivent
immédiatement le prologue introduisent ce motif avec des montagnes se Figure 10.43
découpant contre le ciel. Au début du troisième segment, des plans en contre-
plongée nous montrent des équipes de muletiers sur un fond de ciel plus
nuageux; dans le quatrième segment, nous voyons pour la première fois la
forêt de pins et le ciel (fig. 5.25). Cela instaure une attente selon laquelle ce
type de plan serait associé à la beauté et à la force de la vallée du Mississipi,
association utilisée plus tard par les réalisateurs pour établir des parallèles.
Au cours de l’inondation (segment 6) et de la description des problèmes
qui en résultent, ces cadrages sont moins présents. Mais ils reviennent après
l’introduction de la TVA. Nous voyons des hommes allant au travail, cadrés
en contre-plongée, sur fond de ciel (fig. 10.42) comme, bientôt, les collines au
début d'un autre plan (fig. 10.43) où un panoramique vertical vers le bas fait
apparaître une ville modèle (fig. 10.44). Le film satisfait ainsi nos attentes en Figure 10.44

453
„ mini • H IIÎH

faisant revenir ce motif visuel au moment où il est question du renouveau


généré par la TVA. Cette reprise lie aussi le début et la fin du film : nous avons
retrouvé un territoire idyllique, progression qui vient logiquement clore une
argumentation fondée sur la conviction que seule la TVA peut résoudre les
problèmes de la vallée.
A l'inverse, d'autres scènes éliminent le motif du ciel ou le soumettent à de
grandes variations. Ainsi le quatrième segment, consacré à la guerre de Séces­
sion, s’ouvre sur un carton citant l'acte de reddition de Robert E. Lee. avec des
flammes en surimpression —début fort différent de celui des autres seg­
ments, qui démarque celui-ci comme introduisant les problèmes dont le film
entend traité. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 5. le segment consacré
à l'érosion et à la crue s’oppose aussi aux scènes précédentes et à leurs arbres
inscrits sur fond de nuages (fig. 5.25) en montrant des souches d’arbres per­
dues dans le brouillard (fig. 5.26).
The river produit d’autres parallèles au moyen des rythmes du montage el
de la bande son. La célèbre musique composée par Virgil Thompson joue un
rôle plus actif que la plupart des musiques de documentaires cl son mixage
minutieux avec les voix met en valeur les images qu’elle accompagne. Après le
prologue, une fanfare introduit les plans de montagnes et de nuages puis la
voix impérieuse du narrateur fait son entrée, tous ces éléments s’associant
pour évoquer la majesté et la splendeur de la nature dans la vallée du Missis-
sipi. Des scènes ultérieures emploient des rythmes plus rapides, comme ce
moment où l'on entend une version énergique de Hot lime in the old town
tonight par-dessus des plans montrant des rondins de bois tombant, du haut
de chutes d'eau, dans le fleuve. La musique est ici très importante pour nous
indiquer comment réagir. Ces plans pourraient connoter une destruction des
beautés naturelles mais l’accompagnement musical laisse entendre que cette
industrie participe à l’édification de la puissance américaine.
[,e réalisateur oppose nettement cet ensemble à la scène suivante (segment
6) où nous sommes amenés à considérer les aspects néfastes des activités liées
à l’exploitation du bois. Une longue série de plans crée un rythme lent, inexo­
rable, qui s’amplifie jusqu'aux mouvements tumultueux et destructeurs des
eaux de la crue. Le segment débute par des plans relativement longs et stati­
ques sur des souches dans le brouillard (fig. 5.26). L’accompagnement musi­
cal scande des accords dissonants et inquiétants, le narrateur parle de façon
plus lente et plus posée. Les plans ne raccordent plus par coupes franches mais
fondus enchaînés, ce qui contribue encore à ralentir le rythme visuel. Le seg­
ment commence à produire une certaine tension. Un plan montre une souche
couverte de glace et, plutôt que de simplement voir une autre souche comme
c’est le cas depuis le début de la séquence, on raccorde dans l'axe sur un plan
Figure 10.45 mettant en évidence la fonte de la glace (fig. 10.45). Un soudain accord

454
.(BflNïH io - li twu coimjmm toiiiii

dissonant, joué par une trompette, nous annonce l’imminence de la catastro­


phe. Dans une série de plans rapprochés montrant le sol, nous voyons des
filets d’eau se rejoindre, former des ruisseaux (fig. 10.46) puis des torrents qui
érodent le sol sans protection. Le son est maintenant très rythmé; des batte­
ments sourds, ressemblant à ceux que pourraient produire des tam-tams,
ponctuent les plans. Le narrateur commence à donner des dates, une par
plan : - Mille neuf cent sept» (fig. lû.47); «Mille neuf cent treize» (fig. 10.48);
• Mille neuf cent seize» (fig. 10.49) et ainsi de suite, jusqu'à 1937. A partir du
plan correspondant à « 1916* (fig. 10.49). nous voyons une petite cascade se
former, et en quelques plans les cours d'eau deviennent des rivières qui
débordent de leurs lits.

la séquence s'imensific; des plans brefs sur des éclairs sont insérés parmi
ceux montrant le déchaînement des eaux et la musique, dramatique, est bien­
tôt étouffée sous les bruits de fortes sirènes et de sifflets. Les procédés stylisti­
ques sc sont combinés pour arriver à un moment d’intensité maximale, un
dimax qui nous convainc de la menace représentée par la crue. Sans cette Figure 10.46
appréhension tant factuelle qu'émotionnelle de la situation, l’argumentation
générale du film nous toucherait sans doute moins. Les voix, les musiques, le
montage et les mouvements internes aux plans sont constamment utilisés,
dans The river, pour élaborer un rythme servant ses fins rhétoriques.

Un tel constat nous incite à faire quelques comparaisons entre différents


segments du film. Déplus, The river fait un usage localisé des techniques pour
renforcer l’impact de chaque scène. Parce qu'il n’y pas, ici, de récit où l'on sui­
vrait une action et des personnages, le système du montage par continuité ou
un effacement des effets de style ne sont pas nécessaires. Une discontinuité
visuelle peut, par exemple, produire une transition frappante. Lorentz rac­
corde un plan montrant un outil plein de boue, tiré par un mulet de droite à
gauche (fig. 10.501 et un autre, cadré de façon similaire, où une charrue sc Figure 10.47

Figure 10.48 Figure 10.49 Figure 10.50

455
1UIU.1 -IL LUI!

déplace de gauche à droite (fig. 10.51). Ce raccord nous mène de la première


partie du troisième segment, sur la construction de la digue, à une nouvelle
partie consacrée à la culture du coton. Les différences entre ces plans indi­
quent qu’il y a transition, mais on peut aussi s'attendre, à cause de leurs res­
semblances, à quelques correspondances entre leurs sujets.
Iz cadrage peut produire des effets tout aussi frappants. Il y a parfois des
cadres inclinés dans le film, par exemple dans la séquence de montage où des
ouvriers chargent des balles de coton sur un bateau à vapeur (fig. 10.52). Un
déséquilibre dans la composition fait que les balles semblent être poussées
presque sans effort. Associée à une musique alerte, jouée par un banjo, cette
Figure 10.51
série de plans nous amènent à considérer la scène comme une description
positive de la productivité du Sud dans les années précédant la crise agricole.
Il est intéressant de constater que les procédés mis en œuvre ici nous détour­
nent d’une question importante, en regard de l'histoire des États-Unis, qui est
de savoir si ces ouvriers noirs sont des esclaves. Le film ignore ce problème
dans son argumentation, préférant utiliser un «nous» général qui désigne une
population uniment responsable de la dégradation du Mississipi.
Comme nous l'avons vu dans le chapitre 5, la forme rhétorique joue beau­
coup sur nos états émotionnels. Si un film peut nous faire ressentir fortement
son sujet, nous serons plus facilement enclins à en accepter l’argumentation.
L’impact émotionnel de The riva est décuplé par son usage des techniques.
Figure 10.52 Aujourd’hui encore, alors que les problèmes soulevés ne sont plus d’actualité,
le style du film continue de nous ébranler.

Le style dans Ballet mécanique


En analysant une première fois Ballet mécanique dans le chapitre 5. nous
avons nécessairement observé quelques-uns de ses aspects —ses courtes
explosions de plans, ses balancements de caméras, ses discontinuités visuelles.
Le style est décisif pour l’organisation abstraite d’une forme; nous qualifions
souvent de «stylisation» l'insistance sur les qualités abstraites d’objets ordi­
naires. Maintenant que nous avons évoqué l’ensemble des techniques cinéma­
tographiques. nous pouvons aborder plus précisément les fonctions du style
dans Ballet mécanique.
Le film produit, dans l’ensemble, une inversion de nos attentes sur la
nature du mouvement : il s’agit de faire danser les objets et de donner une
allure mécanique aux mouvements humains. Nous avons déjà vu de quelle
façon la forme du film est conçue pour faire ressortir ces qualités visuelles.

456
(Wllil 18 - U HVLl (Û.11.LWI1RI lOfijnil

Nous pouvons à présent observer la corrélation fonctionnelle des techniques


mises en œuvre et de ce contexte.

la plupart des objets utilisés font partie de la vie quotidienne mais la mise
en scène les extrait de ce contexte familier et renouvelle notre façon de les voir.
Une grande quantité de plans, par exemple, présentent des visages ou des
objets sur fonds noirs ou blancs (figs. 5.37 et 5.44). Dans quelques cas, les
fonds eux-mêmes sont composés de motifs noirs et blancs, comme dans le
plan montrant la boule qui se balance, presque à la fin du deuxieme segment
(fig. 10.53). Les objets animés d'un mouvement de balancier ou de rotation,
particulièrement les mouvements de machine du quatrième segment, tra­
vaillent directement l'idée de -ballet mécanique». Même le maquillage, que
l’on associe habituellement aux films avec personnages, souligne des corres­
pondances abstraites: dans le plan sur le profil de la femme (fig. 5.39), un
maquillage épais associé au manque d’expression du personnage et à un mou­
vement de rotation très raide manifeste sa ressemblance avec un mannequin.
De même, les mouvements exécutés par des figures humaines miment ceux
des machines.

Les propriétés cinématographiques du plan accentuent ces qualités et


ajoutent de nouveaux éléments abstraits à l'imagerie du film. Tout cadrage
produit une composition, bien sûr, mais le réalisateur peut s’en servir pour
souligner plus ou moins fortement les qualités abstraites des formes. Dans Figure 10-53
Ballet mécanique, la taille des plans fait souvent de la forme des objets un élé­
ment majeur du cadre. Le film contient une large proportion de plans rappro­
chés, de gros plans et de très gros plans. Associés à des fonds blancs, ces
cadrages isolent les formes et attirent notre attention sur elles : le canotier
rond (fig. 5.44), le collier de cheval qui ressemble à un zéro (fig. 10.54), la
courbe du profil (fig. 5.39). Ces plans rapprochés rendent aussi plus sensibles
les textures — par exemple le brillant des casseroles et des bouteilles.

D’autres aspects du cadrage ont des fonctions similaires. Des caches modi­
fient la forme de l’écran pour en souligner une partie, comme dans les plans
répétés d’un œil féminin (fig. 5.34). La femme à la balançoire du segment 1
est présentée dans un cadre renversé (fig. 5.32) comme les alignements de
Figure 10.54
plats qui se balancent du segment 6 (fig. 5.41). Un effet spécial peut informer
tout un segment — par exemple les vues prismatiques du deuxième segment,
qui reviennent plus tard comme motif. Les mouvements de cadre, enfin, ont
essentiellement une fonction rythmique. Les panoramiques courts et régu­
liers du plan renversé sur la femme à la balançoire lancent ce processus et
reviennent sous forme d’une rapide et répétitive succession de brefs panora­
miques sur les attractions d'un champ de foire, dans le troisième segment.

457
min î - ii mil

Figure 1Û.55 Figure 10.58

Le montage joue dans Ballet mécanique un râle très important pour la


création des relations abstraites. Le film montre bien comment des réalisa­
teurs travaillant entièrement hors des règles de continuité peuvent inventer
des figures de montage dynamiques et cohérentes. L'un des moments les plus
frappants et les plus amusants du film repose sur un raccord visuel précis.
Dans le deuxième segment, nous voyons un très gros plan sur des yeux fémi­
nins grands ouverts (fig. 10-55). Elles ferment les yeux; scs cils et scs sourcils
lourdement maquillés deviennent des traits noirs incurvés sur fond blanc. On
raccorde sur une composition identique, mais renversée. (La figure 10.56 pré­
sente le dernier photogramme du premier plan et le premier phologramme
du second.) Les positions respectives des cils et des sourcils ont été exacte­
ment inversées. Lorsque les yeux sc rouvrent brusquement (fig. 10.57) nous
sommes momentanément surpris par ce changement de position; la corréla­
tion visuelle entre les deux plans est si précise que le raccord passe presque
inaperçu. Cet effet de surprise est accru par la rapidité du montage, qui ne
nous laisse pas le temps d’observer précisément les plans. Ballet mécanique est
continuellement traversé par de telles pointes d’humour, qui le rendent aussi
plaisant à regarder aujourd’hui que lors de sa première projection, il y a
Figure 10.56 soixante-dix ans.
Les raccords visuels sont toutefois rares dans le film. En général, les formes
à comparer n'apparaissent pas dans des plans successifs. Ainsi, dans le cin­
quième segment, où dansent mois, chiffres et images, le large zéro (fig. 10.58)
et le collier de cheval (fig. 10.54), qui reviennent dans de nombreux plans, ont
une grande ressemblance visuelle. Ils ne sont pourtant jamais juxtaposés. Par
ailleurs, un grand nombre de raccords opposent des éléments par de fortes
discontinuités visuelles. L’alternance récurrente cerde/trianglc en est un
exemple. Si les formes sont effectivement toutes deux blanches et s’inscrivent
sur fonds noirs, leurs différences géométriques sont ce que l'on remarque en
premier lieu dans ces passages. Une opposition si nette nous indique qu’il faut
en chercher d’autres.
Figure 10.57

458
<anium llibu (mi svmu miti

Les oppositions visuelles peuvent être accentuées par un montage accéléré.


Dans l'alternance chapeaukhaussure du septième segment (fig. 5.44), les dif­
férences entre les formes nous frappent immédiatement. Mais la longue série
de plans courts se poursuit et nous remarquons des variations. Au bout du
premier tiers, les objets changent d’orientations : la chaussure pointe un ins­
tant vers la gauche de l’écran et le chapeau se retourne. Puis ils reviennent à
leurs positions de départ et le rythme du montage s’accélère. Les plans finis­
sent par être si courts que nous avons l'impression de voir un seul objet blanc
animé d’une pulsation qui serait celle de sa transformation, rapide et répéti­
tive, en cercle puis en losange. Les réalisateurs soulignent ici le fonctionne­
ment de l'effet de mouvement apparent, par lequel nous voyons du mou­
vement à partir d’une succession d'images fixes légèrement différentes. C'est
le processus par lequel le cinéma est possible. (Se reporter au chapitre 1 ).
Même lorsqu'il n’y a pas de ressemblances ou d'oppositions visuelles pré­
cises, le montage de Ballet mécanique suggère d’autres types de comparaisons.
En juxtaposant un plan d’un œil féminin et un plan d'une machine ou en
ponctuant la répétition d'un plan montrant une blanchisseuse qui monte un
escalier par une vue sur le va-et-vient d'une bielle, le film crée une ressem­
blance à caractère métaphorique entre les mouvements humains et mécani­
ques. Ces comparaisons répétées contribuent à l'organisation formelle géné­
rale du film.
Le rythme des mouvements des personnages et du cadre comme le rythme
du montage ont pour fonction de faire bouger les objets à l'écran. Il est diffi­
cile de ne pas voir une danse dans les plans courts sur les jambes du manne­
quin du segment 7 (fig. 5.43), même si la plupart des plans pris isolément
sont fixes. Ce passage est très différent du plan sur la femme à la balançoire
que l'on voit au début. Pourtant, sans autres mots que ceux du titre pour diri­
ger nos attentes, au moyen des seules techniques cinématographiques, Ballet
mécanique nous conduit à voir une ressemblance entre deux moments si
opposés. Des objets pris au hasard semblent ainsi s’accorder et un même
rythme mécanique anime les choses et les hommes.

Le style dans A movie


Nous avons déjà vu que la forme globale de A movie est associative. Dans ce
contexte, le style remplit trois types de fonctions. Tout au long du film, les
techniques stylistiques concourent à la division de la forme en parties et à h
création de relations entre ces parties. Localement, certains procédés techni­
ques accentuent les liens entre des objets différents et nous incitent, à partir
de la comparaison qui en résulte, à former certaines attentes. Troisièmement,

459
ie style nous offre des indications sur la façon de réagir aux images, tant intel­
lectuellement qu'affcctivcment.

Conner n’a eu aucun contrôle sur la mise en scène et sur la photographie


des films dont il a extrait les plans qui composent A movie; de même pour la
musique formant la bande son. Il a utilisé ces éléments tels quels, en les sélec­
tionnant et en les disposant de façon à ce que les techniques de mise en scène,
de prise de vues, de son et de montage remplissent ensemble les trois fonc­
tions précitées.

La caractéristique la plus manifeste de la mise en scène de A movie est


peut-être sa grande variété. En tirant la matière de son film d’un si grand
nombre de genres cinématographiques différents, Conner nous amène à cher­
cher des associations de plus en plus générales pour expliquer ce qui lie les
objets que nous voyons. Les cow-boys et les Indiens au galop extraits d’un
film de fiction, les explosions atomiques extraites d’un documentaire et les
plans sur des femmes dénudées extraits de films pornographiques ne s’addi­
tionnent pas pour former une histoire ou une argumentation; il nous faut
trouver des associations à caractère universel —la violence ou la catastrophe,
par exemple — pour donner un sens à ce flot d’images hétérogènes.

Notre capacité à suivre les comparaisons qui sont faites d'un plan à l’autre
est aussi problématisée par le fait que Conner a juxtaposé des éléments sem­
blables trouvés dans des films différents, plaçant côte à côte un accident de
stock-car et un accident de voilure de course ou la chute d'un skieur nautique
et celle d’un surfeur. Par ailleurs. A movie se sert de la mise en scène des diffé­
rents plans qui le composent pour orienter nos réactions émotionnelles. Les
accidents d’avions ou les plans montrant des pompiers suscitent l’angoisse ou
l'horreur, tandis que les parties du film moins violemment sinistres contien­
nent quelques images d’une grande beauté, comme le premier plan sur l’Hin-
denburg flottant au-dessus d’une ville (fig. 5.49). Des éléments de la mise en
scène contribuent à la forme globale du film, des motifs visuels étant répétés
et modifiés. Comme nous l'avons vu dans le chapitres, les motifs des
deuxième et troisième segments sont repris dans la quatrième partie et dans la
dernière.

Les caractéristiques photographiques des plans, les cadrages ou les mouve­


ments de caméra sont exploités de la même façon. 11 y a, d’une part, une
grande diversité techniques des plans d’origine : on trouve des vues aériennes
prises en temps de guerre, des plans extraits de documentaires où des voitures
de course et des hors-bord sont suivis en panoramique, et des plans plus stati­
ques, mis en scène, comme ceux venant des films pornographiques. Cette
variété, on l’a déjà dit, souligne les contrastes entre les éléments et nous incite

460
utniJU io - k uni (Dim sjjiiajjojoiu

Figure 10.61

à établir des comparaisons d'ordre général. Mais A movie transforme aussi en


motifs des qualités semblables découvertes dans des films différents. Il n’y a
par exemple que des vues aériennes dans la série des accidents d'avions au
début du quatrième segment, ce qui les relient aux vues aériennes de l’Hin-
denburg du début du troisième segment. Les qualités de la photographie ou
du cadrage peuvent aussi venir accentuer une réaction émotionnelle. La série
de panoramiques sur des accidents de voitures, dans le deuxième segment,
crée une répétition de catastrophes au rythme relativement régulier
— modèle qui sera bientôt repris et intensifié dans d'autres parties du film.
De môme, le long panoramique vertical qui suit la chute d'une vieille voiture
Figure 10.62
du haut d’une falaise à la fin de ce segment (figs. 10.59, 10.60) en souligne la
durée et fournit un climax émotionnel à la série des accidents.

Conner manipule parfois l’image au moyen d'effets spèciaux réalisés en


laboratoire. Quelques plans du quatrième segment débutent ou se terminent
par des caches noirs qui se déplacent pour révéler ou dissimuler les éléments
de mise en scène. 1 >a brève série de plans sur le pont suspendu qui se déforme,
par exemple, commence avec un cache glissant latéralement (fig. 10.61). Des
moments comme celui-ci attirent l'attention sur le travail effectué par Conner
sur le matériau d'origine du film et ont peut-être une fonction comparable
aux intertitres«Movie» ou «Bruce Connerd qui se répètent dans d’autres par­
ties.
Figure 10.63
Il y a une courte série de plans, plus tôt dans le quatrième segment, liés par
des fondus enchaînés et des zooms avant réalisés au tirage, qui agrandissent
les photogrammes. On passe ainsi, en fondu enchaîné, des avions survolant
les pyramides (fig. 5.56) au début du premier plan sur le volcan. On peut voir
les bords du photogramnie correspondant à cette image en 10.62, Conner
l’ayant d’abord réduite au tirage et agrandie ensuite, photogramme par pho­
togramme, pour mimer l’efiet d’un zoom avant (fig. 10.63). Après une coupe

461
HiJUJ - H.1IJUL

franche sur une vue plus proche du volcan (encore avec un zoom avant), on
passe en fondu enchaîné à une scène de couronnement (fig. 10.64), qui fait
elle aussi l'objet d'un agrandissement optique (fig. 10.65). Suit un autre fondu
enchaîné sur l'incendie de l’Hindenburg puis un dernier, associé à un zoom
avant, sur un alignement de tanks en mouvement. Ce bref segment contraste
avec le reste du film, où la manipulation des plans d’origine se limite généra­
lement au travail du montage et du son. Ces fondus enchaînés et ces zooms
rapides semblent avoir en partie pour effet de nous précipiter vers les catas­
trophes ou les autres scènes montrées par chacun des plans. Maison peut sur­
tout constater que, de façon frappante, chaque scène semble surgir de la
figure 10.64 précédente — le volcan «sort» de la pyramide, le prêtre se mêle un instant à la
fumée du volcan avant de s'agrandir, etc. Cette série crée un lien très fort
entre les éléments disparates qui la composent, accroissant notre sensibilité au
rythme et au caractère inexorable de ce flot d'images funestes.
Le son est indispensable aux différents effets de movie. Dans le
chapitre 5, nous avons vu que les séparations entre les segments 2, 3 et 4 cor­
respondent à des pauses entre les mouvements des Pins de Rome de Respighi.
Les importantes différences de tonalité entre ces mouvements nous donnent
aussi de fortes indications sur la façon dont nous sommes censés réagir aux
images. Les plans qui ouvrent le troisième segment — les femmes portant des
totems, l’Hindenburg, les acrobates — acquièrent leur caractère inquiétant,
légèrement sinistre, par la seule présence de l’accompagnement musical. La
Figure 10.65
musique, de plus, intensifie nos réactions émotionnelles. Les catastrophes en
série du quatrième segment, effrayantes par elles-mêmes, s'enchaînent sous
l'effet d'une musique solennelle, au rythme impérieux, en un même course
mortelle et apocalyptique.
Le son est entièrement extradiégétique et l’on n'entend aucune voix, aucun
bruit qui seraient censés provenir des scènes représentées. Cependant, le
montage de Conncr est attentif aux correspondances rythmiques entre les
mouvements de l’image, les raccords et la musique. La montée frénétique du
passage rapide des Pins de Rome, à la fin du deuxième segment, accompagne
par exemple la série d'accidents de voiture. Des phrases stridentes, dissonan­
tes, commencent à ponctuer régulièrement la musique, que le réalisateur syn­
chronise avec les accidents afin d’accentuer leur impact visuel. Plus tard, dans
le quatrième segment, le plan sur le joueur de flûte (fig. 5.57) coïncide avec un
passage pour flûte et hautbois, de telle façon que nous avons, un court instant,
l'impression que le son est devenu diégétique. Cette impression accroît le
caractère idyllique de ces plans exotiques, juste avant le retour des plans mon­
trant diverses catastrophes. Même si Conner a choisit un morceau de musique
préexistant, il l'a précisément ajusté à scs images et l’a fait concourir à la tona­
lité et à la forme du film.

462
_______ t , (WllH 10 - Il HïLl (DIDŒl IVH1II IDfimiL

Le montage, seule technique dont Conner avait la maîtrise complète, est à


l’origine de nombreux effets spectaculaires. Les associations et comparaisons
fondamentales sont évidemment produites en assemblant des séries de plans
venant de sources différentes. Mais le réalisateur ne s'arrête pas à ces juxtapo­
sitions d'évènements. 11 exploite aussi les relations visuelles, spatiales et tem­
porelles entre les plans.

Certains raccords utilisent les principes de continuité pour lier spatiale­


ment des plans qui ne peuvent absolument pas représenter un même espace,
créant ainsi une continuité « impossible» qui est pour beaucoup dans le carac­
tère humoristique du film. Nous comprenons à présent que le gag de l'officier
qui, depuis son sous-marin, « regarde- une femme en bikini (figs. 5.51,5.52)
procède d’un faux raccord regard. De même, les divers déplacements rapides
de chevaux, d’éléphants ou de tanks dans la première partie du deuxième seg­
ment sont liés par une même orientation par rapport au cadre. La plupart des
mouvements se font de gauche à droite ou directement vers la caméra, deux
directions qui raccordent correctement dans le système du montage par con­
tinuité. On peut ainsi imaginer que ces animaux et ces véhicules filent tous
ensemble à travers un vaste espace indéterminé. Cependant, l’impossibilité
manifeste de cet ensemble en rend l'idée amusante. Plus loin, dans le troi­
sième segment, Conner reprend ce procédé en enchaînant divers plans sur des
skieurs nautiques et des hors-bord, certains allant dans la même direction à
l'écran, d’autres dans des directions opposées, mais entrant tous en comparai­
son à travers les ressemblances générales des plans.

Comme Ballet mécanique, À movie utilise des raccords visuels pour pro­
duire des comparaisons. Au cours de la même série de déplacements rapides
montés ensemble dans le deuxième segment, on voit d’abord une diligence
passant au-dessus de la caméra (fig. 10.66) puis un plan, visuellement sembla­
ble, montrant un tank filmé avec une caméra placée près du sol (fig. 10.67). Figure 10.66
Associés au tempo rapide du montage, de tels moments contribuent à la fré­
nésie et à l’euphorie générées par ce segment. En trouvant ce genre de ressem­
blances dans des plans d’origines différentes, Conner en souligne aussi des
correspondances à caractère associatif. Ces liens stylistiques nous conduisent
à la découverte de liens émotionnels et conceptuels.

L'organisation formelle globale de A mûrie, qui passe d’un ton humoristi­


que vers un ton plus effrayant et une ultime catastrophe, repose en grande
partie sur un usage répété de certaines techniques. Le montage juxtapose des
éléments dont la mise en scène et la prise de vues soulignent les ressemblances
et les oppositions, tandis que la musique développe et unifie la tonalité affec­
tive de l’ensemble. 11 en résulte un film court qui a la capacité de tirer une
Figure 10.67
grande gamme de réactions différentes du spectateur. On s'aperçoit que dans

463
muiLi. u ntu

ce film, comme dans tout type de forme non-narrative, le style joue un rôle
capital pour la totalité formelle de l'œuvre et l'expérience du spectateur.
Ceci conclut notre examen de la forme et des techniques cinématographi­
ques. Comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises, aucun ensemble de
règles ne vous permettra de comprendre automatiquement un film. Tout film
crée une forme unique à partir d’une interaction entre structure et style, et la
fonction de chaque élément singulier (chaque partie de la forme ou chaque
procédé stylistique] dépend de sa place au sein de ce système. Analyser la
nature de ce système formel et les fonctions de procédé singuliers, tel est
l'objectif du critique. La quatrième partie de ce livre est constituée d’une série
d'analyses montrant de quelle façon un critique peut appréhender le fonc­
tionnement de filins appartenant à des genres très différents.

464
omrà mm
ANALYSES
CRITIQUES

La critique de film : exemples d'analyses


La critique n’est pas une activité réservée à ceux qui écrivent des articles ou des
livres. Toute personne qui en voyant un film cherche à le comprendre se trouve
engagée dans une démarche critique. Vous pouvez vous demander, par exemple,
pourquoi une certaine scène à été introduite dans un film; s’interroger sur la
fonction de cette scène dans le contexte global de l’œuvre est un premier pas
vers une étude critique. Les gens qui parlent entre eux d’un film qu’ils ont vu
font, dans une certaine mesure, de la critique.

Nous avons détaillé jusqu’ici des notions et des définitions qui permettent à
l'amateur de cinéma de pratiquer une analyse systématique. Le critique aborde
une œuvre en sachant que l’importance probable de certaines structures for­
melles, telles que les répétitions et les variations, nécessitera leur observation. I]
sera aussi attentif aux principes formels narratifs ou non-narratifs, comme aux
usages remarquables qui pourraient être faits de différentes techniques; il fon­
dera scs affirmations sur des éléments précis extraits du film.

Nous avons considéré, dans les chapitres précédents, l’ensemble des techni­
ques cinématographiques; nous avons aussi exposé les principes fondamentaux
qui déterminent le caractère narratif ou non-narratif d’une forme. Nos exem­
ples et nos analyses ont montré que la fonction des éléments composant un film
est toujours relative à un système. Mais, au-delà de ces connaissances, la seule
façon d'acquérir une compétence analytique est de regarder des films, d’écrire
sur eux dans une visée critique et de lire des analyses faites par d'autres criti­
ques. C’est pourquoi nous voulons conclure notre évocation des films comme
systèmes formels par une série d’exemples, de brefs essais sur quelques œuvres.

Généralement, l’analyste qui observe minutieusement un film ne le fait pas


sans une intention préalable. Vous pouvez vouloir comprendre des aspects
déconcertants d'une œuvre, mettre à jour les mécanismes qui vous l'ont rendu
agréable ou convaincre quelqu'un qu'il faut aller la voir. Nos exemples d’analy­
ses ont deux objectifs principaux. Nous voulons tout d’abord illustrer, à travers
des films très divers, le lien constant entre style et forme. Nous cherchons
ensuite à fournir de courts modèles d’analyses critiques, pour montrer com­
ment un texte peut venir éclairer certains aspects du fonctionnement d’un film.

Parce que l’analyste est limité par son propos, il y a peu de chance qu'il
remarque « tout -, qu’il rende compte de chaque facette d’une œuvre. Les analy­
ses suivantes n’échappent pas à la règle : aucune d’elle n’épuise le film dont elle
traite. Vous pourrez étudier n’importe lequel des films évoqués et découvrir
plus de points intéressants que ce qu’il nous était possible de présenter ici : des
livres entiers peuvent être consacrés à un seul film — et certains l’ont été — sans
épuiser toutes les possibilités d’en enrichir noire expérience.
La critique de film :
exemples d'analyses

Chacune des quatre grandes parties de ce chapitre met l’accent


sur différents aspects de quelques films. On examinera d’abord
trois films narratifs classiques : His girl Friday, La mort aux trous­
ses et Do the right thing. Les films de construction classique étant
très familiers à la plupart des spectateurs, il est important d’en
étudier de près le fonctionnement.
Nous passons ensuite à deux films représentant des alternati­
ves aux règles classiques. <4 bout de souffle repose sur le caractère
équivoque de la motivation d’un personnage cl sur des moments
d’action décousue, servis par des procédés techniques sans liens
précis, comme improvisés. À l’inverse, Voyage à Tokyo ( Yasujiro
Ozu> 1953) s’écarte des normes stylistiques classiques de façon
ponctuelle pour produire un style d’une extrême rigueur.
Les films documentaires peuvent être construits de diverses Le cinéma narratif classique
manières; on en considère deux exemples dans la troisième par­ Alternatives narratives au cinéma
tie. Même si High school se présente comme la description neutre classique
d’une situation réelle, il illustre bien la façon dont les choix for­ forme el style du documentaire
mels et stylistiques du réalisateur peuvent avoir des effets impor­
forme, style et idéologie
tants sur le spectateur et produire un ensemble particulier de
Appendice : Écrite une analyse
significations explicites et implicites. À l’inverse, L'homme à la
critique
caméra ne feint pas l’objectivité et affiche toutes les puissances de
Notes et Points d'eilerrogabon
manipulation propres au cinéma.
_ WL1I1 - UlLILIJliaUW

On passe enfin à une série d'analyse mettant l’accent sur des éléments
d’idéologie sociale. Notre premier exemple. Le chant du Missouri, est un film
qui accepte une idéologie dominante et renforce la croyance du spectateur en
cette idéologie. À l’inverse, Raging bull (Martin Scorcese, 1980) montre de
quelle façon les implications idéologiques d'un film peuvent présenter des
ambiguïtés.
On aurait pu souligner d'autres aspects de chacun de ces films. Le chant du
Missouri, par exemple, est aussi un film narratif classique, que l'on pourrait
aborder en tant que tel; L’homme à la caméra pourrait être considéré comme
une alternative au montage par continuité: et chacune des œuvres présente
une position idéologique qui pourrait être l'objet d’une analyse. Nos choix ne
font que suggérer certains angles d'approche: votre propre activité critique
vous permettra d’en découvrir beaucoup plus.
Cette activité est le sujet de l'appendice ajouté au chapitre, où nous propo­
sons certaines façons de préparer, d’organiser et d'écrire une analyse critique.
Nous nous basons sur les quelques exemples d’analyses qui auront précédé
pour illustrer différentes stratégies que vous pourrez appliquer à vos propres
textes.

Le cinéma narratif classique


His girl fridoy
1940. Columbü. Réalise par Howard Hawks. Scénario de Charles Lederer. a
partir de la pièce The front page, de Ben Hccht et Charles MacArthur.
Photographie : Joseph Walktr. Montage : Gene Harlkk. Musique : Morris W.
Stoloff. Avec : Cary Grant, Rosalind Rtissd. Ralph Bellamy. Gene Lockharl,
Porter Hall.

La principale impression laissée par Hisgirl Fridayest celle de vitesse : on dit


souvent qu’il s’agit de la comédie la plus rapide qui ait jamais été réalisée dans
le cinéma sonore. Employons-nous, par conséquent, â la ralentir analyti­
quement. En fractionnant le film en plusieurs parties pour en observer les
rapports logiques, temporels et spatiaux, nous pouvons montrer comment la
forme narrative classique et certains procédés techniques sont employées
pour produire cette expérience intense et énergique.
His girl Friday est bâti à partir de l'unité ordinaire du cinéma narratif
classique : la scène. Délimitée, de façon caractéristique, par des procédés de
montage comme le volet ou les différents types de fondus, chaque scène pré­
sente un fragment distinct d’espace, de temps et d'action. On peut ainsi repé­
rer 13 scènes dans le film, qui prennent place dans les décors suivants : (1) les

468
ciimn n - i« (Uiihi k tn« i>rUu>

bureaux du Morning Post\ (2) le restaurant; (3) la salle de presse du tribunal;


(4) le bureau de Walter; (5) la cellule de Earl William; (6) la salle de presse;
(7) une prison de quartier; (8) la salle de presse; (9) le bureau du shérif; (10)
la rue devant la prison; (11) la salle de presse; (12) le bureau du shérif; (13) la
salle de presse. Toutes ces scènes sont ponctuées par des fondus enchaînés;
seule la transition entre les scènes 8 et 9 est un simple raccord.
Ûn trouve à l’intérieur de ces scènes des unités dramatiques de taille infé­
rieure. On peut remarquer par exemple que la scène 1. qui occupe presque 14
minutes de projection, introduit tous les personnages principaux et lance
deux intrigues ou que la scène 13 rassemble la quasi-totalité des personnages
et dure environ 33 minutes!
Il est donc possible de continuer à fragmenter le film, en s’attachant dans
les plus longues scènes, aux changements de personnages. On peut ainsi dis­
tinguer, dans la première scène : (a) la présentation des bureaux du journal;
(b) la première conversation entre Hildy et Bruce; (c) Walter parlant du passé
avec Hildy; (d) la conversation entre Waller et Duffy sur l’affaire Earl
Williams; (e) Hildy annonçant à Walter qu clic sc remarie: et (f) la présenta­
tion de Walter à Bruce. Pour bien saisir la construction des autres scènes lon­
gues. vous pouvez les diviser de la même façon en plusieurs segments
correspondant aux entrées et sorties des personnages. L’aspect quelque peu
théâtral du film vient sans doute de celte construction privilégiant le rythme
des apparitions plutôt que, par exemple, de fréquents changements de décor.)
La complexification des mises en rapport de personnages est pour beaucoup
dans l’aspect tonitruant et survolté du film.
Les scènes ont bien sûr pour fonction de faire progresser l'action. Comme
nous l’avons vu au chapitre 4, un récit est souvent construit, dans le cinéma
classique hollywoodien, autour de personnages aux caractéristiques psycholo­
giques définies, qui veulent atteindre des objectifs particuliers. Le rapport
conflictuel entre des personnalités et des objectifs opposés fait avancer l’his­
toire suivant une succession régulière et mécanique de causes et d’effets. Ris
girl Fridaycst constitué de deux chaînes causales de ce type :

I. L’histaire d'amour. Hildy Johnson veut arrêter le journalisme et s’installer


avec Bruce Baldwin. C’esi son objectif initial. Mais le rédacteur en chef du
journal où elle travaille, qui est aussi son ex-mari, a un objectif tout diffé­
rent : il veut la garder comme journaliste et la retrouver comme épouse.
Une fois ces deux objectifs définis, les personnages entrent en conflit en
plusieurs étapes. Walter trompe Hildy en promettant de l’argent pour elle
et Bruce en échange d’un ultime texte. Mais il organise aussi le cambrio­
lage de Bruce. Apprenant cela, Hildy déchire son article. Walter continue
cependant de retarder l'arrivée de son rival et finit par reconquérir Hildy

469
luiLty hihw jmmu

grâce à son intérêt renouvelé pour le journalisme. Elle change d'avîs à pro­
pos de son mariage avec Bruce et reste avec Walter.

2. Crime et politique. Earl Williams doit être pendu pour avoir abattu un
agent de police. Les actuels dirigeants politiques de la ville comptent sur
celte exécution pour assurer leur réélection : c'est l’objectif partagé par le
maire et le shérif. Mais l'un des objectifs de Walter est de persuader le gou­
verneur de surseoir à l'exécution de Williams et de réussir ainsi à faire per­
dre son siège au parti du maire lors des élections. À cause de la stupidité du
shérif, William s'évade; il trouve refuge auprès de Hildy et Walter. Pendant
ce temps, la grâce est accordée par le gouverneur; le maire soudoie
l’homme qui apportait le document pour qu'il reparle. Williams est
découvert, mais le messager revient à temps pour le sauver de la mort et
faire en sorte que Walter et Hildy échappent à la prison. On suppose que le
parti du maire sera battu aux élections.

L’intrigue criminelle et politique est conçue pour dépendre, à plusieurs


reprises, d’événements constituant l'intrigue amoureuse. Walter se sert de
l’affaire Williams pour attirer â nouveau Hildy vers lui, Hildy cherche des
informations sur l'histoire de Williams au heu de retourner auprès de Bruce,
la mère de celui-ci révéle à la police que Walter dissimule Williams, eic. Plus
précisément, l'interaction des deux intrigues modifie les objectifs de plusieurs
personnages. Dans le cas de Walter, persuader Hildy d’écrire l’article sert son
double objectif : mettre à mal certains hommes politiques et séduire à nou­
veau Hildy. les objectifs de Hildy sont plus profondément modifiés. Après la
destruction de l'article, sa décision de couvrir l’évasion de Earl Williams mar­
que son acceptation et sa participation aux objectifs de Walter, comme, plus
tard, sa volonté de cacher Williams et son indifférence aux supplications de
Bruce. L’interaction des deux intrigues permet donc de voir les objectifs de
Walter se réaliser, mais modifie radicalement ceux d'Hildy.
Ceci constitue un cadre général à l'intérieur duquel se développe une chaîne
causale très complexe, qui mériterait une analyse plus détaillée que ce que nous
pouvons faire ici. Mais il suffit, par exemple, de considérer les diverses façons
dont les manœuvres dilatoires de Walter (impliquant quelques complices:
Dufty, Louie et Angie) s'organisent elles-mêmes comme de courtes chaînes cau­
sales. La manière dont Bruce est régulièrement écarté de l'intrigue amoureuse
est elle aussi intéressante : il devient de plus en plus passif au fil de scs allers et
venus entre différentes prisons. Earl Williams subit une épreuve parallèle : il est
manipulé par Hildy, le shérif, le psychologue et Walter. On pourrait aussi consi­
dérer la fonction des personnages secondaires, comme Molly Malloy (l'amour
platonique de Walter), la mère de Bruce, les autres journalistes et, plus particu­
lièrement, Pettibone, le délicieux émissaire du gouverneur.

470
h - ii (iijjjn uuii■

Il est peut-être plus impartant de noter la façon dont les scènes sont
littéralement - enchaînée» les unes aux autres. Un événement constituant la
fin d'une scène est la cause d’un événement qui ouvre la suivante. À la fin de
la première scène, par exemple, Walter invite Bruce et Hildy à déjeuner; la
scène 2 débute avec les trois personnages arrivant au restaurant. Cela illustre
bien la «linéarité» du récit classique : la quasi-totalité des scènes s’achèvent
sur une «cause sans suite», dont l’effet est montré au début de la scène
suivante. Dans His girl Frîday, cette structure linéaire soutient l'avancée
rapide du récit par une brève mise en place, à la fin de chaque scène, de ce qui
va suivre.
La logique causale du film illustre encore un autre principe de structura­
tion du récit classique : la clôture. Tout événement à une cause (même l’arri­
vée de Pettibone n’est pas un heureux hasard, car nous savons que l’on fait
pression sur le gouverneur pour qu'il prenne une décision) et, surtout, les
deux intrigues sont clairement résolues à la fin : Williams est sauvé et les poli­
ticiens sont couverts de honte. Bruce, retourné chez lui avec sa mère, quitte
Walter et Hildy qui se préparent pour une seconde lune de miel pas moins
mouvementée que la première.
Voilà pour la causalité. Qu’en est-il du temps dans ce récit ? Dans le
cinéma classique hollywoodien, le temps est généralement asservi aux rela­
tions causales; l’un des procédés courants pour y arriver est d’imposer à
l’action une limite temporelle : une échéance. Objectif temporel et objectif
causal se trouvent ainsi associés; le temps se charge d’une portée causale.
L’échéance est. bien sûr, l’une des conventions du «film de journaliste», qui
programme le temps du récit et l’enrichit d’un effet de suspense. Mais dans
His giri Friday, chacune des deux intrigues a son propre point limite. Celui
auquel le maire et le shérif font face est évident : Earl Williams doit être pendu
avant les élections — qui ont lieu le mardi suivant — et avant que le gouver­
neur ne puisse le gracier. Walter Burns se trouve confronté au meme délai,
mais d’un point de vue inverse ; il veut que Williams soit gracié. Ce à quoi on
ne s’attend peut-être pas, c’est que l’intrigue amoureuse soit, elle aussi, sou­
mise à une échéance.
Bruce et Hildy doivent prendre un train allant vers la villed’Albany,et vers
le mariage, à seize heures le jour même. Les machinations de Walter obligent
le couple à constamment reporter leur départ. S’ajoute à cela le fait que lors­
que Bruce vient s’expliquer avec Walter et Hildy.il sort sur cet ultimatum : «Je
prends le train de neuf heures!» (Hildy manquera aussi ce train.) La structure
temporelle du film est donc liée à la séquence causale : si Earl Williams devait
être pendu le mois suivant, si les élections se déroulaient dans deux ans ou
si Bruce et Hildy avaient programmé leur mariage pour une date ultérieure,
il n’y aurait pas cette impression d’urgence dramatique. Les nombreuses

471
échéances qui se chevauchent et dont tous les personnages sont victimes
provoquent un entrelacement serré de toutes les intrigues et alimentent la
cadence effrénée du film.
Un autre aspect de la structuration temporelle vient encore renforcer cette
cadence. Bien que le récit présente les événements dans un ordre chronologi­
que, il prend des libertés frappantes avec la durée. L’action se déroulant en à
peu près neuf heures (de 12h3O à 211130 environ), nous nous attendons à ce
que du temps soit éliminé entre les scènes; ce qui se produit. Mais plus inhabi­
tuelle est l’accélération du temps d l'intérieur des scènes.
Au début de la première scène, par exemple, l’horloge qui se trouve dans
un bureau du Post affiche I2h57. Il est important de noter qu’il n’y a eu
aucune ellipse dans cette scène; la durée de l’histoire a simplement été com­
primée. Si vous chronométrez la scène 13, vous constaterez une accélération
encore plus importante: des personnages qui partent pour un long voyage
reviennent moins de dix minutes plus tard! Là aussi, le montage est continu :
c’est le temps de l’histoire qui «va plus vile» que celui de la projection. Cette
compression temporelle s’associe au flot délirant du dialogue et à quelques
moments d’accélération du montage (par exemple, lorsque les journalistes se
mettent à crier juste avant la capture de Williams) pour créer le rythme enlevé
du film.
L’espace, comme le temps, est ici subordonné à la causalité narrative. La
caméra de Hawks se déplace discrètement pour maintenir une disposition
symétrique des personnages dans le cadre. (Observez n’importe quelle scène
sans le son pour constater le travail constant de ce subtil «équilibrage-. On en
donne un exemple avec les figures 7.140 - 7.142.) L'axe de prise de vues est
généralement horizontal, à l'exception d’une occasionnelle plongée sur la
cour de la prison ou sur les barreaux de la cellule de Williams. On peut se
Figure 11.1 demander en passant pourquoi la prison reçoit ce traitement visuel particu­
lier, en terme d’angle de prise de vues et d’éclairage.
Le fait que l'action soit limitée à un très petit nombre de décors peut sem­
bler un handicap, mais les dispositions des personnages sont remarquable­
ment variées et fonctionnelles. Le moment où Walter persuade Hildy d'écrire
un article est intéressant de ce point de vue, les deux personnages faisant le
tour complet du bureau et Walter prenant quelques poses comiques
(figs. 11.1, 11.2; remarquez le recadragc). L’effet de continuité spatiale assuré
par le montage permet d'anticiper chaque action par un raccord judicieux sur
une vue rapprochée ou un raccord dans le mouvement fluide, qui fait que
nous regardons les gestes et ne remarquons pas les raccords. Dans la scène
d’ouverture, par exemple, le moment où Hildy jette son sac à main sur Walter
Figure 11.2
est l’occasion d'un raccord dans l'axe sur une vue plus large de la scène

472
( U fl PI III II - LA (fl 11 12U4 H 11IH . Il11 PLI! P 'fl « fl LVU i

(figs. 11.3,11.4). Le changement de position du bras de Walter, très apparent


sur nos images, passe inaperçu dans la rapidité de l’action. Pratiquement tou­
tes les scènes, particulièrement celle du restaurant et l’épisode final,offrent de
nombreux exemples très fins de montage classique par continuité. Dans
l'ensemble, l’espace est utilisé pour décrire le plus clairement possible le flot
des enchaînements de causes et d’effets.

Il nous faut attirer l’attention sur un point participant à la fois du son et de


la mise en scène. 11 est vraisemblable que les journalistes, en 1939, se servaient
du téléphone, mais dans Hif girl Friday cet instrument fait partie intégrante
du récit. Walter a besoin du téléphone pour mener son double jeu : au restau­ Figure 11.3
rant, il prétend devoir s’absenter à cause d’un appel; il fait des promesses à
Hildy et les brise par téléphone, donne ses instructions à Duffy et à ses autres
complices par le même moyen. La salle de presse est équipée d'une myriade de
téléphones qui permettent aux journalistes de contacter leurs rédacteurs en
chef. Et, bien sûr, Bruce n'arréte pas d’appeler Hildy depuis les différents pos­
tes de police dans lesquels il se retrouve. Les téléphones constituent donc un
réseau de communication permettant au récit de passer, en un système de
relais, d’un point à un autre.

Mais Hawks orchestre aussi les aspects visuels et sonores de cette utilisa­
tion massive du téléphone. On en trouve de nombreuses variantes : une per­
sonne peut parler au téléphone ou plusieurs personnes, parler successivement
dans différents téléphones: plusieurs personnes peuvent aussi parler en même Figure 11.4
temps dans différents appareils et une conversation téléphonique peut se
trouver juxtaposée à une autre conversation se déroulant dans la même pièce.
Dans la scène 11, il y a un effet de polyphonie au moment où tous les repor­
ters appellent leurs rédacteurs en chef et où chaque conversation se mêle à la
précédente. Plus tard, dans la scène 13, tandis que Hildy, frénétique, appelle
des hôpitaux, Walter cric dans un autre téléphone (fig. 11.5). Et lorsque Bruce
revient chercher Hildy, éclate un tohu-bohu dans lequel on peut distinguer
trois lignes sonores: Bruce suppliant Hildy de l’écouter; Hildy qui fait un
bruit obsédant en tapant son article; Walter hurlant au téléphone pour que
Duffy finisse la première page («Non, non, laisse l’histoire du coq — ça a un
intérêt humain!»). Il serait justifié de consacrer aux téléphones de Hisgirl Fri­
day. comme à beaucoup d’autres éléments du film, une étude détaillée préci­ Figure 11.5
sant les façons complexes et variées dont ils sont intégrés au récit et dont ils
contribuent au tempo rapide de l’oeuvre.

473
Pfijim 4 - mimi UIIIJIUI

La mort aux trousses


North by norlhwtiiA959. MGM. Réalisé par Alfred Hitchcock. Scénario de
Ernest Lehman. Photographie : Robe» Burks. Montage: George Tomasini.
Musique: Bernard Hermann. Avec Cary Grant. Eva Marie Saint, lames
Mason, Lco G. Carroll. Jesse Royce Landis.

Hitchcock a longuement insisté sur le fait qu’il faisait des thrillers, des films à
suspense, pas des filins policiers OU à énigmes. S'il reste des éléments partici­
pant de ces genres dans des films comme La enchaînés, Le grand alibi (Stage
fright, 1950) ou Psychose, La mort aux trousses s’offre par contre comme une
pure illustration de cette conviction de son réalisateur : les énigmes ne sont
qu'un prétexte pour éveiller la curiosité du public. La très forte cohérence de
la chaîne causale, dans ce film, permet <1 Hitchcock de créer un récil captivant
obéissant aux règles classiques. Ce récit est présenté à travers une narration
qui accentue constamment les effets de suspense et de surprise.

Comme la plupart des films d'espionnage, La mort aux troussa possède un


récit complexe, qui met en jeu deux grandes intrigues. Dans l'une d’elles, une
bande d'espions prend un publicitaire. Roger Thornhill, pour un agent secret
américain. George Kaplan. Ils tentent de le tuer, mais cela n’empéche pas
Thornhill de devenir le principal suspect d'un assassinat qu’ils ont en fait
commis. Il doit alors fuir la police tout en essayant de retrouver le véritable
George Kaplan. Malheureusement, celui-ci n'existe pas; il n'est qu'un leurre
inventé par les services de renseignements américain (la United States Intelli­
gence Agency, ou U SIA). La recherche de Kaplan par Thornhill mène à la
seconde intrigue: sa rencontre et son histoire d'amour avec Ève Kendall, la
maîtresse de Philip Van Damm, le chef des espions. L'intrigue d’espionnage et
l'intrigue amoureuse se recoupent un peu plus tard, lorsque Thornhill
apprend que Ève est un agent double, travaillant en secret pour la USIA. Il
doit alors la sauver de Van Damm, qui a découvert son identité et a décidé de
la tuer. Pendant ce temps, Thornhill a aussi découvert que les espions font
sortir du pays des secrets d'Etat à l’intérieur de statuettes.

Même à partir d'un compte rendu aussi dépouillé, il est évident que ce
récit présente au spectateur des schémas narratifs conventionnels. On y
trouve une recherche: Thornhill essaye de retrouver Kaplan; un voyage:
Thornhill et ses poursuivants vont de New York à Chicago, puis à Rapid City,
dans le sud du Dakota, plus quelques détours: et enfin une histoire d'amour,
entre Ève et Thornhill, autour de laquelle s'organisent les deux derniers tiers
du récit. Chacune de ces formes évolue sensiblement au cours du film. Durant
sa recherche, Thornhill doit souvent prendre l’identité de celui qu’il veut
retrouver. Ij forme du voyage est diversifiée à travers les différents véhicules

474
(JUUJIil I I - Il (1111oül H XIII 4IWLH D IHUHH

empruntés par Thornhill —des taxis, un train, un camion, une voiture de


police, un bus, une ambulance et un avion.

L'intrigue amoureuse évolue constamment, et de façon plus subtile, à tra­


vers la compréhension toujours changeante qu’à Thornhill de la situation.
Croyant que Ève veut l'aider, il tombe amoureux d’elle. Puis, réalisant qu elle
l’a envoyé à un rendez-vous mortel à «Prairie Stop», il devient distant et
soupçonneux. Lorsqu'il la découvre avec Van Damm à la vente aux enchères,
sa colère et son amertume le poussent à t’humilier et à faire douter Van
Damm de sa loyauté. C’est seulement après que le chef de l’USlA, le
«Professeur», lui a révélé qu clic est en fait un agent à leur service, que Thorn­
hill comprend qu’il s'est mépris et l’a mise en danger. Chaque étape de sa prise
de conscience modifie sa relation à cette femme.

Ce récit complexe est rendu cohérent et compréhensible au moyen d'autres


stratégies narratives classiques. Il répond à une chronologie très stricte, cons­
tituée de quatre jours et quatre nuits (suivis d'un bref épilogue nocturne légè­
rement postérieur). La première journée et la moitié de la seconde se
déroulent à New York; la seconde nuit, dans le train vers Chicago; le troisième
jour, à Chicago et Prairie Stop; et lé quatrième, au mont Rushmore. Ce calen­
drier est habilement annoncé très tôt dans le film par Van Damm, qui a fait
enlever Thornhill en croyant qu'il est Kaplan : - Dans deux jours vous devez
être à l’hôtel Ambassador East de Chicago, puis au Shcraton Johnson de
Rapid City, dans le sud du Dakota.» L'annonce de cet itinéraire prépare le
spectateur aux changements qui interviendront dans le reste du récit. Par
ailleurs, le film trouve aussi une unité à travers la personnification de Lhorn-
hill. II est présenté au départ comme un astucieux menteur, lorsqu'il monte
dans un taxi sous le nez d’un autre piéton. Plus tard, il devra mentir dans dif­
férentes circonstances pour éviter d’être pris. Roger est aussi décrit comme un
grand buveur; sa résistance à l'alcool lui permettra de survivre lorsque Van
Damm le mettra, ivre, au volant d'une voiture.

Un très grand nombre de motifs contribuent par leur répétition à la cohé­


rence du film. C’est toujours lorsqu’il est en hauteur que Thornhill est en
danger : sa voiture se retrouve en équilibre sur le bord d’une'falaise, il doit
sortir furtivement d’un hôpital en passant par la fenêtre, escalader la maison
moderne de Van Damm, située en haut d'une falaise et, avec Ève, finit par se
retrouver suspendu aux visages sculptés du mont Rushmore. Ses constants
changements de véhicule constituent aussi un motif que Hitchcock fait varier.
Un exemple plus fin est fourni par le motif de la suspicion grandissante de
Thornhill à l’égard de Ève. Dans le train, lorsqu'ils s'embrassent, il lui prend
tendrement la tête entre les mains (fig. 11.6). Mais dans la chambre d'hôtel de
Ève, alors quelle essaye de l'embrasser après qu’il a échappé de peu à la mort. Figure 11.6

475
mm v julub ojutu!

les mains de Thornhill restent figées, comme s’il répugnait à la toucher


(fig. 11.7).

Toutefois, l'unité du récit ne peut suffire â expliquer le fort impact émo­


tionnel du film. Dans le chapitre 4, nous avons utilisé La mort aux (rousses
comme un exemple de «hiérarchisation des savoirs». Nous avons évoqué le
fait que, au cours du film, nous pouvons soit en savoir autant que Roger
Thornhill, soit beaucoup plus que lui. À d’autres moments notre champ
informatif est plus important que celui de Roger, mais moins que celui
d'autres personnages. Nous sommes à présent capables de comprendre de
Figure 11.7 quelle manière ces changements constants contribuent, dans tout le film, à la
création du suspense et des effets de surprise.

Les nombreux plans subjectifs employés par Hitchcock (présentant le


point de vue optique d'un personnage) sont la façon la plus directe de contrô­
ler notre savoir sur le récit. Ce procédé implique un certain degré de
subjectivité : nous voyons ce que voit un protagoniste de l'histoire, plus ou
moins comme il le voit. Le plus important, ici, est que ces plans subjectifs
limitent notre savoir à celui d’un personnage à un moment donné. Hitchcock
dote presque chaque personnage d'un plan de ce type; le tout premier est pris
du point de vue des espions observant Thornhill lorsque celui-ci semble
répondre à l'appel du nom de Kaplan (figs. 11.8,11.9). Plus tard, nous voyons
par les yeux de five.de Van Damm, de son acolyte Léonard, et même d’un gui­
chetier.

Néanmoins, la majorité des plans subjectifs se rapportent à Thornhill.


C’est à travers son regard que nous voyons son arrivée dans la maison des
Townsend, la lettre qu’il découvre dans la bibliothèque, sa course ivre, en voi­
lure, vers la falaise, et l'avion qui «pulvérise des cultures là où il n'y a pas de
culture». Dans certains cas extrêmes —l'avancée d'un camion ou du poing

Figure ! 1.8 Figure 11.9

476
iWliU I lé iuujiw pi mi iiîim PiLfiuuu

d'un policier droit vers la caméra — le plan subjectif nous fait directement
partager l’expérience du personnage (figs. 11.10, 11. ) ) ).
Les plans subjectifs associés à Thornhill fonctionnent dans le cadre d'une
narration souvent restreinte non seulement à ce qu’il ivit, mais à ce qu'il sait.
L'attaque de l’avion à Prairie Stop, par exemple, est entièrement décrite dans
les limites du savoir de Roger. Hitchcock aurait pu insérer, dans la scène le
montrant en train d’attendre au bord de la roule, un plan sur les pilotes de
l’avion se préparant à l'attaquer. De même, quand Roger cherche la chambre
de Kaplan et reçoit un appel des deux hommes de main de Van Damm, Hitch­
cock aurait pu, par un montage alterné, nous les montrer au téléphone dans le Figure 11.10
hall de l'hôtel. Au lieu de cela, nous apprenons où ils sc trouvent en même
temps que Thornhill, Lorsque ce dernier se dépêche de sortir de la chambre
avec sa mère, le montage alterné n'est pas plus utilisé pour nous montrer les
deux hommes à leur poursuite, ce qui rend plus surprenant le moment où ils
se retrouvent tous ensemble dans l'ascenseur. Dans des scènes comme celles-
ci, limiter le savoir du spectateur à celui de Thornhill permet d’aiguiser les
effets de surprise.
Les mêmes effets sont parfois produits lorsque le film nous restreint au
savoir du personnage puis nous donne une information qu’il ne possède pas.
Dans le chapitre 4, nous avons dit qu'une surprise de ce type intervenait au
moment où l’on passe de la fuite de Thornhill hors du bâtiment des Nations
unies, après le meurtre, à la scène se déroulant dans un bureau de l’USIA, où Figure 11.11
une équipe d'agents discute de toute l’affaire. Nous apprenons alors qu’il n'y a
pas de George Kaplan — ce que Roger ne découvrira que plusieurs scènes
plus tard.
Un autre écart par rapport au savoir du personnage principal produit un
effet comparable durant la séquence du voyage en train entre New York et
Chicago. Depuis plusieurs scènes, Eve Kendall aide Thornhill à échapper à la
police. Ils se retrouvent enfin seuls et relativement en sécurité dans le compar­
timent de Eve. À ce moment, la narration passe à un autre champ informatif.
Un message est remis dans un autre compartiment; des mains déplient une
note : «Qu’est-ce que je fais de lui demain matin ?» La caméra recule pour
nous montrer Léonard et Van Damm en train de lire ce message : nous savons
à présent que Eve n'est pas qu'une inconnue secourable mais quelqu’un qui
travaille pour le réseau d’espions. Roger apprendra cela beaucoup plus lard.
Dans de tels cas. le passage à un champ informatif plus étendu permet a la
narration de nous placer un cran plus haut que Thornhill dans la hiérarchie
des savoirs.
Ces moments provoquent la surprise, mais nous avons déjà signalé que
Hitchcock prétendait en général qu’il préférait déclencher du suspense. Le

477
- HIUIHJ QUIUll

suspense naît du fait que le spectateur a plus d’informations que le person­


nage sur un élément du récit. Dans les scènes que nous venons de mention­
ner, une fois passé l’effet de surprise, la narration peut jouer sur l’étendue de
notre savoir pour distiller le suspense sur plusieurs séquences. Lorsque l’on
sait qu'il n’y a pas de George Kaplan, chacune des tentatives de Thornhill pour
le retrouver déclenche le suspense : on se demande s’il va ou non découvrir la
vérité. Après avoir appris que Ève travaille pour Van Damm, nous nous
demandons si Roger va tomber dans le piège lorsqu’elle lui envoie un message
de la part de ■ Kaplan».
Dans ces exemples, le suspense se développe tout au long d’une série de
scènes; mais Hitchcock emploie aussi la narration omnisciente pour déclen­
cher le suspense à l’intérieur d’une seule scène. Son traitement du meurtre
aux Nations unies se distingue nettement de celui de la scène où l’on voit
Roger et sa mère dans la chambre de Kaplan. Dans cette dernière, Hitchcock
n’a pas voulu utiliser un montage alterné pour montrer les poursuivants, alors
que dans la première il fait alterner des plans montrant Roger, qui cherche
Townsend, et d’autres montrant Valerian, l’une des brutes qui sont à ses
trousses. Juste avant le meurtre, un travelling latéral gauche-droite précise la
position de Valerian, à l’entrée de la salle (ce que Roger ignore totalement).
Montage alterné et mouvement de caméra concourent donc ici à élargir notre
savoir sur la scène et à en rendre l’issue incertaine.
La séquence qui se déroule dans la gare de Chicago est traitée de façon
comparable. Le montage alterné nous fait passer des toilettes pour hommes,
où Roger se rase, à Ève parlant au téléphone dans une cabine. C’est encore un
travelling latéral qui nous révèle quelle est en train de parler avec Léonard,
qui lui donne ses instructions depuis une cabine voisine. Nous sommes sûrs, à
partir de ce moment, que le message quelle donnera à Roger le mettra en
danger — le suspense s’en trouve évidemment accru. ( Il faut toutefois remar­
quer que l’on ne sait rien de la conversation elle-même. Comme cela arrive
souvent, Hitchcock dissimule certaines informations pour ménager des sur­
prises ultérieures.)
Le savoir de Thornhill grandit avec la progression de l’intrigue. Le troi­
sième jour, il découvre que Ève est la maîtresse de Van Damm. qu’elle est un
agent double et que Kaplan n’existe pas. Il accepte d’aider le Professeur à
mener à bien un plan destiné à laver Ève de tous soupçons aux yeux de Van
Damm. Après la réussite du plan (un faux meurtre au restaurant du mont
Rushmore), Roger croit que Ève va quitter Van Damm. Mais il a été, une fois
de plus, abusé (comme le spectateur). Le Professeur veut absolument quelle
parle avec Van Damm en Europe, à bord de son avion privé, le soir même.
Roger s’y oppose, mais il est assommé et retenu prisonnier dans un hôpital.
Son évasion conduit à l’importante séquence finale du film.

478
(W11H Ij^- 10 (IITIQUC 54 4ILO 41415114 P HBOW-M

Figure 11.12 Figure 11.13 Figure 11.14

Le récit y résout toutes les intrigues et la narration continue à élargir et à


réduire alternativement notre savoir pour produire suspense et effets de sur­
prise. Cette séquence, qui constitue une sorte de sommet du film, compte
presque (rois cent plans et dure plusieurs minutes: on peut, pour en faciliter
l’appréhension, la diviser en trois sous-segments.
Dans le premier sous-segment, Roger arrive près de maison de Van Damm
et observe ce qui se passe à l’intérieur. Il grimpe jusqu’à une fenêtre et
apprend, en écoutant une conversation entre Van Damm et Léonard, que la
statuette qu’ils ont achetée aux enchères contient des microfilms; il voit aussi
Léonard apprenant à son patron que Ë.veest un agent américain. Toute cette
scène, que Roger regarde avec inquiétude, est essentiellement traitée en plans
subjectifs ( figs. 11.12, 11.13) (voir aussi les figs. 4.2 - 4.4). Deux fois, alors que
Léonard et Van Damm se font face, on nous donne le point de vue optique de
chacun des hommes (figs. 11.14. 11.15) en des plans qui restent toutefois
comme pris sous le regard de Roger. Pour la première fois dans le film, ce der­
nier sait plus de chose sur la situation que tous les autres personnages : il sait
comment les microfilms vont passer clandestinement la frontière et apprend
que Ève est en danger de mort.

Figure 11.15 Figure ! 1.16 Figure 11.17

479
1AAL1L 4-UULLJHH UH UJLU1

On peut considérer que la seconde partie de la séquence débute lorsque


Roger pénètre dans la chambre de Ève. Elle est redescendue et s’est assise sur
un canapé. Hitchcock accentue à nouveau la restriction narrative au savoir de
Thornhill par l'utilisation de plans subjectifs — ce sont maintenant des plon­
gées. qui correspondent à sa position par rapport à la scène, en mezzanine
(figs. 11.16, 11.17). Pour tenter de prévenir Ève, il se sert d'une pochette
d’allumettes où est imprimé son monogramme, «ROT». (Un motif qui est
apparu pour la première fois dans le train, sous forme de gag.) Il la lance vers
elle; le suspense augmente au moment où Léonard voit la pochette et, sans
plus y faire attention, la met dans un cendrier qui se trouve sur la table basse.
Figure 11.18 Le traitement du moment où Ève remarque la pochette diffère, quant aux
plans subjectifs, du premier sous-segment, où Hitchcock voulait nous mon­
trer le face-à-face entre Van Damm et Léonard (figs. 11.14, 11.15). Ici, on ne
nous montre pas les yeux de Ève; c'est par ceux de Roger que nous la voyons,
de dos, se raidir; nous en déduisons qu elle est en train de regarder la pochette
d’allumettes (fig. 11.18). À nouveau, donc, c’est le champ informatif de Roger
qui est le plus étendu et son point de vue optique -englobe» les autres person­
nages. Ève trouve un prétexte pour retourner dans sa chambre et Roger la pré­
vient de ne pas monter dans l'avion.
Les espions s’acheminent vers le terrain d’aviation qui se trouve près de la
maison et Roger commence à les suivre. La narration change à nouveau pour
montrer la gardienne de la propriété remarquant le reflet de la silhouette de
Roger sur l’écran d’un poste de télévision. Comme plus tôt dans le film, nous
en savons plus que Roger, ce qui crée du suspense au moment où elle sort de
la pièce... et revient avec un revolver pointé sur lui.
Le troisième sous-segment se déroule en extérieur. Ève s’apprête à monter
dans l'avion lorsqu’un coup de feu qui distrait les espions lui permet de
s'emparer de la statuette et courir vers la voiture volée par Thornhill. Nous
sommes limités, dans cette partie de la séquence, au savoir de Ève
— restriction accentuée par des plans subjectifs. Cette façon d’interrompre
une plage de suspense par un effet de surprise — ici, la fuite de Roger venant
interrompre la marche inquiète vers l'avion — dominera le reste de la
séquence.
La dernière partie de la séquence décrit la poursuite à travers les visages du
mont Rushmore. Un montage alterné informe parfois de la progression des
espions, mais dans l'ensemble la narration nous limite à ce que savent Ève et
Thornhill. Comme dans le reste du film, certains moments sont accentués par
des plans subjectifs, par exemple lorsque Ève voit Roger et Valerian roulés vers
ce qui semble être un à-pic. Dans le climax, Roger retient Ève d'une main au-
dessus du précipice tandis que Léonard écrase du pied son autre main. C'est
une situation de suspense classique, pour ne pas dire conventionnelle. Mais la

480
WHiI 11 - p IJIIIIM u (LU immiumi

narration va, une fois de plus, nous révéler brusquement les limites de notre
savoir. Une détonation retentit, hors-champ, et Léonard s’écroule. Le Profes­
seur est arrivé et a capturé Van Damm; un de ses hommes a abattu Leonard.
C'est donc encore une restriction du champ informatif qui a permis à la nar­
ration de surprendre le public.
Ce même effet se trouve magnifié à la toute fin du film. Roger, dans une
succession de plans subjectifs, tire Ève jusqu’à lui. Ce geste entre en continuité
visuelle et sonore avec un mouvement équivalent par lequel il la fait monter
sur sa couchette, dans un train. La narration ne donne pas les détails du sau­
vetage pour briser net le suspense généré par la situation de Ève. Une telle
transition, totalement réfléchie, n'est pas déplacée dans un film qui a pris le
temps de produire par ailleurs quelques traits de dérision. (Au cours du géné­
rique, on voit Hitchcock en personne, manquant un bus dont les portes se
referment devant lui. lorsque Roger, sur le point d'ètre projeté dans son
aventure, pénètre à grands pas dans l’hôtel Plaza, il y a une musique
d'ambiance dont le titre est : H's a ntost unusual day, «C’est une journée des
plus inhabituelles».) Cette pirouette finale montre une fois encore que la
manipulation, plan par plan, du savoir du spectateur produit un constant jeu
de va-et-vient entre le probable et l'inattendu, le suspense et la surprise.

Do the right thing


1989. Forty acres and a mule filmworks (distribué par Universal). Écrit et réa­
lisé par Spike Lee. Photographie : Ernest Diclcenon. Montage : Barry Aleian
der Brown. Musique : Bill et al. Avec ; Danny Aicllo, Ossie Davis. Ruby
Dee, Giancarlo E^xisito. Spike Lee. Bill Nunn, lohn Torturro. Rosie Pervz.

A première vue. Do the right thing, avec ses multiples scènes courtes
décousues, sa caméra vagabonde, infatigable, et son grand nombre de person­
nages sans objectif, ne semble pas être un film narratif classique. Comme
nous le verrons, le film s’écarte en effet par certains aspects des règles clas­
siques. Mais il a aussi cette clarté excessive de l’action et cette sorte de forte
tendance au récit que l'on associe au classicisme cinématographique. Il
s'apparente de plus à un genre ordinaire du cinéma américain — le film trai­
tant de problèmes sociaux. Une analyse plus précise révèle enfin que l.ee a fait
appel à de nombreux procédés classiques pour donner une unité sous-jacente
à un film qui parait d’abord peu structuré.
Do the right thing se déroule dans le quartier Bedford-St uyvesant de Broo­
klyn, à majorité afro-américaine, durant une vague de chaleur. Des tensions à
caractère sexuel et racial surgissent lorsque Mookie, un livreur de pizza irres­
ponsable. essaye de s’entendre avec sa petite amie portoricaine. Tina, et son

481
patron italo-américain, Sal. Un vieil ivrogne, Da Mayor, cherche à s'attirer les
bonnes grâces de sa voisine, la virulente Mother Sistcr. Une dispute entre Sal
et doux clients, Buggin’Out et Radio Raheem, s'envenime et provoque une
rixe au cours de laquelle Radio Raheem est tué par la police. La pizzeria est
incendiée pendant l'émeute qui s'ensuit.
Dû the right thing contient beaucoup plus de séquences isolées que, par
exemple, His girl Friday et ses 13 scènes nettement délimitées. Même en réu­
nissant ensemble quelques-unes des scènes les plus brèves, il reste encore 42
segments. Dresser une segmentation détaillée du film pourrait être utile dans
le cadre d'une autre analyse; nous voudrions, ici, nous concentrer Sur la façon
dont Lee entrelace toutes ces scènes en un tout.
Un important facteur d'unité, dans ce film, est le décor. Tout le récit se
déroule autour d'un pâté de maisons de Bcdford Stuyvesant. La «Sal s fanions
pizzeria - et le supermarché coréen qui se trouve en face forment, a l'une des
extrémités du pâté de maisons, un repère spatial fort où la plus grande partie
de l'action prend place. Les autres scènes se déroulent à l'intérieur ou devant
l’immeuble de couleur brune qui borde le reste de la rue. Les rencontres entre
les habitants du quartier fournissent les matériaux de la chaîne causale.
Pour s’accorder à celte limitation du décor, le cadre temporel de l'action
est lui aussi limité — une journée, d’un matin au matin suivant. Organiser un
film autour d’une courte période de la vie d'un groupe de personnages est une
pratique rare mais pas totalement ignorée dans le cinéma américain, comme
en témoignent Scène de la rue (Street scene. King Vidor, 1931 ), Rue sans issue
(Dead end. Wylliam Wyler, 1937), American Graffiti ou Nashville (Robert
Altman, 1975), L’animateur de radio, Mister Sehor Love Daddy, constitue un
motif récurrent liant ensemble les événements du film. Il apparaît en gros
plan au tout début de la première scène pour donner d’importantes informa­
tions, par l’intermédiaire de son émission de radio, sur le lieu de l’action et
sur le temps — une vague de chaleur s’abat sur la région, qui va exacerber les
tensions entre les personnages et concourir à l’explosion de violence finale.
Pendant que l'animateur parle, la caméra sort lentement du studio en travel­
ling et, par un mouvement de grue vertical, nous montre la rue encore vide au
petit matin. À plusieurs reprises au cours du film, Mister Sehor Love Daddy
fait des commentaires sur l'action en cours, comme lorsqu'il conseille à un
groupe de personnages lançant des injures racistes de -rester calme». La
musique qu'il diffuse passe sur des postes de radios situés dans différents lieux
de l’action et crée des ponts sonores entre des scènes sans liens directs. lj fin
du film fait écho au début : la caméra suit Mookie en travelling, dans la rue,
tandis que l'on entend la voix de l'animateur débitant une série d'informa­
tions comparables à celles du malin précédent et dédiant la dernière chanson
à feu Radio Raheem.

482
<1111111 n ■ in (11119111 u mi. luxujj » iiunu

Comme ic donnent à penser le décor et le thème de 1a radio locale, c'est


plus l’ensemble d'une communauté qui est au centre de Do the right thing que
quelques personnages. Il y a d'un côté les valeurs anciennes, qu'il vaut mieux
préserver, incarnées par les plus âgés : la force morale de Mother Sisier, les
bonnes manières et le courage de Da Mayor, le bon sens des trois hommes qui
bavardent, ML, Sweet Dick Willie et Coconut Sid. De l'autre côté, les plus jeu­
nes ont besoin de créer un nouvel esprit communautaire en dépassant les
conflits sexuels et raciaux. Les femmes sont décrites comme tentant de res­
ponsabiliser les hommes en colère : Tina fait pression sur Mookie pour qu’il
soit plus attentif à elle; Jade sermonne son frère (Mookie) et le très nerveux
Buggin’Out, disant à ce dernier qu’il devrait canaliser son énergie pour faire
-quelque chose de positif dans la communauté». Le fait que la plupart des
personnages s’interpellent par leurs surnoms vient encore souligner le thème
communautaire.
L’un des principaux conflits surgit lorsque Sa] refuse d’ajouter des images
de héros afro-américains à son « Mur des célébrités », où ne sont affichées que
des photographies d’Italo-américains. Sal aurait pu devenir une sorte de vété­
ran dans le quartier, où il tient sa pizzeria depuis 25 ans. Il semble aimer les
enfants qui viennent manger ses pizzas, mais considère aussi le restaurant
comme son domaine exclusif et insiste sur le fait qu'il yesi le patron. Il révèle
ainsi son manque d’intégration réelle dans la communauté et finit par provo­
quer la violence de quelques têtes brûlées du voisinage.
Pour constituer cette communauté, Do the right thing met en scène un
nombre de personnages inhabituel, selon les normes du cinéma classique.
Une fois de plus, cependant, une observation plus fine nous montre que seu­
lement huit d'entre eux participent à l'action principale; Mookie, Tina, Sal,
Pino (le fils de Sal). Mother Sister, Da Mayor. Buggin’Out et Radio Raheem.
Les autres, aussi curieux ou amusants soient-Üs, ont un caractère plus péri­
phérique et se contentent essentiellement de réagir à ce que les conflits et les
objectifs des autres personnages provoquent. (Certains manuels américains
d'écriture de scénario conseillent, pour qu'un film reste parfaitement compré­
hensible, de ne pas dépasser sept ou huit personnages; l^e ne s’écarte donc
pas de la norme autant qu'il pourrait sembler.) L’action principale sc divise,
comme dans les films hollywoodiens traditionnels, en deux intrigues
corrélées: l’une concerne les relations de la communauté avec Sal et ses fils,
l’autre, la vie privée de Mookie. Mookie devient le personnage central, qui fait
le lien entre ces deux lignes dramatiques.
Nous avons laissé entendre que Do the right thing s'écarte, par certains
aspects, des conventions narratives classiques. Habituellement, les personna­
ges principaux d'un film formulent des objectifs clairs, à long terme, qui les
font entrer en conflit les uns avec les autres; ici, les objectifs de la plupart des

483
huit personnages sont épisodiques, vagues et introduits de façon relativement
tardive dans le récit.
Buggin'Out, par exemple, exige que Sal affiche sur son mur des images
représentant des héros de ta cause noire. Lorsque Sal refuse cl le jette dehors, il
crie aux clients de boycotter la pizzeria. Un peu plus tard, tous les voisins qu’il
essaie de convaincre de participer au boycott refusent et son projet semble
compromis. Plus loin dans le film, Radio Rahccm et le débile Smiley acceptent
de s’allier à lui; c'est leur passage à la pizzeria, destiné à effrayer Sal, qui va
précipiter l’action vers son climax. L’objectif de Buggin’Out est atteint, briève­
ment et de façon ironique, lorsque Smiley met une photographie de Malcom
X et Martin Luther King sur le mur de la pizzeria en feu — alors que Bug-
gin’Out est, à partir de ce moment, destiné à la prison.
Le but de Mookie est implicitement évoqué dès sa première apparition. Il
compte de l’argent et insiste constamment sur le fait qu'il veut simplement
travailler et être payé. Il rappelle plusieurs fois qu’il doit être payé dans la soi­
rée — seule échéance du film, qui permet d’en souligner la condensation
chronologique. Mais ses raisons restent peu claires. Est-ce qu’il veut l'argent
pour pouvoir déménager de chez sa sœur, comme elle le réclame ? Ou est-ce
qu’il prévoit aussi d’aider Tina à prendre soin de leur enfant ?
De la meme façon on ne comprend pas très bien pourquoi, face à la mon­
tée des tensions. Sal ne ferme pas sa pizzeria. Da Mayor exprime clairement
l’un des seuls objectifs précis du film lorsqu'il dit à Mother Sistcr qu'un jour,
elle sera gentille avec lui. 11 agit avec tant de courtoisie et de courage qu elle
finit par se rendre à son amitié. Pino, le fils de Sal, au racisme virulent, a un
but — réussir à faire comprendre à son père qu’ils pourraient vendre la pizze­
ria cl quitter le quartier noir. Son désir sera peut-être finalement satisfait, bien
que le récit ne précise pas où Sal va reconstruire un restaurant.
Dans les films classiques traditionnels, où les désirs des différents person­
nages sont souvent destinés à s’opposer, des objectifs clairement définis
génèrent un ou plusieurs conflits. Lee renverse habilement ce schéma en mini­
misant les objectifs individuels mais en créant une communauté qui, dès le
début du film, est traversée de multiples conflits. Des disputes portant sur des
problèmes raciaux ou sexuels éclatent fréquemment, et les insultes volent. Ces
conflits sont à mettre en rapport avec le fait que Do the right thing est un film
traitant de problèmes sociaux, qui acquiert une grande partie de son unité à
travers un message didactique. Tout ce qui arrive est lié à une question
centrale : que peut-on faire pour apaiser une communauté déchirée par tant
de tensions ?
E^s objectifs et les actes des personnages sont autant de propositions
de réactions face à cette situation. Certains d'entre eux désirent seulement

484
ihimnm h fin amu».«««!”■<
l’éviter ou y échapper — Pino en quittant le quartier, Da Mayor en surmon­
tant l'animosîté de Mother Sister. Mookie essaie de ne pas s’impliquer, ni du
côté de Sal, ni du côté de ses amis noirs; seule la mort de Radio Raheem le
pousse à se joindre à l'attaque de la pizzeria et même, en fait, à la provoquer.
D’autres personnages essaient de résoudre leurs problèmes. L’objectif de
Tina est, à ce titre, central : elle voudrait que Mookie agisse de façon plus res­
ponsable, passe plus de temps avec elle et leur enfant; on nous laisse entendre
à la fin qu elle a peut-être, dans une certaine mesure, réussi. Mookie obtient sa
paye; il dit qu’il va chercher un autre travail et part voir son fils. Le dernier
plan, qui nous le montre en train de descendre la rue redevenue calme, peut
laisser penser qu’il le fera effectivement plus souvent par le futur.
Toutefois, la question centrale du film n’est pas de savoir si tel personnage
atteindra ou non scs objectifs mais si les conflits qui se propagent pourront
être résolus pacifiquement ou par la violence. Comme le dit l'animateur de
radio, le matin suivant l'émeute : «Allons-nous vivre ensemble — ensemble,
allons-nous vivre ?»
La fin de Do the right thing laisse un certain nombre de questions en sus­
pens. Est-ce que Sal va reconstruire une pizzeria ? Est-ce que Mookie va vrai­
ment voir son fils? Mais le plus important est que si le conflit, après un
embrasement brutal, s’est éteint, il est toujours présent dans la communauté,
prêt à refaire surface. Le problème de sa résolution définitive demeure, et le
film ne peut donc pas proposer un parfait dénouement. Une telle fin est
caractéristique des films traitant de problèmes sociaux : le conflit immédiat
peut être résolu mais pas la crise qui en est l’origine.
C’est aussi la raison pour laquelle la fin du film à un caractère volontaire­
ment ambigu. Tout comme on ne sait pas, à la fin de Citizen Kane,si la révéla­
tion du sens de «Rosebud» explique la personnalité de Kane, on est libre de
méditer, à la fin de Do the right thing («Fait la chose juste», «Fait ce qu'il faut
faire») sur ce qu'est «la chose juste». Le film se poursuit, après la fin de l’his­
toire, par deux citations extradiégétiques. de Martin Luther King et Malcom
X. Celle de King prône une démarche non-violente pour la lutte pour les
droits civils, tandis que Malcom X admet la violence lorsqu'elle est une auto­
défense.
Le film ne veut pas indiquer lequel des deux leaders a raison — même si
l'action et l'insertion de la phrase -By any means necessary», «Par tous les
moyens nécessaires», à la fin du générique, semblent faire pencher le film du
côté de Malcom X. La juxtaposition des deux citations, associée à la fin
ouverte du récit, semble aussi destinée à stimuler le débat. L'ensemble sous-
entend peut-être que chacune des positions est valable selon les circonstances.
L'inlrigue concernant la pizzeria de Sal s'achève dans la violence: pendant ce

485
PfifilH 4 - £BfilVJ.il (HIIIHU

temps, Da Mayor réussit à gagner l’amitié de Mothcr Sister par la gentillesse et


la patience.
Le style de Dû the right thing, comme sa structure narrative, perpétue des
procédés techniques traditionnels du cinéma classique. Ije film débute par un
générique au cours duquel Rosie Pcrez danse de façon énergique et agressive
sur un morceau de rap intitulé Fight the power. Le montage est à ce moment
au service de fortes discontinuités : elle porte parfois une robe rouge, parfois
une tenue de boxeur ou une chemise et un pantalon ; elle est dans la rue, puis
soudainement, dans une allée. Cette courte séquence, qui ne fait pas partie du
récit, s'apparente beaucoup par son côté un peu tape-à-l'œil à un clip vidéo
ou à une publicité télévisée.
Rien n'aura un caractère aussi discontinu ou aussi «extrême» que ce géné­
rique dans la suite du film, où Lee met en oeuvre une sorte de version relâchée
du système classique. Un monteur chevronné, Dcdc Allen, a pu parler d'un
Figure 11.19 «montage MTV» à propos de certains films hollywoodiens contemporains.
Lee a lui-méme réalisé des clips vidéo et des publicités à côté de ses longs-
métrages et fait appel ici à un large éventai! technique, traitant certaines scè­
nes en plans longs virtuoses, d'autres en champ-contrechamp, d'autre avec de
vastes mouvements de caméra. Deux fois, il se permet même de raccorder
deux prises de la même action, de façon à ce que le récit redouble la présenta­
tion d’un important événement de l'histoire : le moment où Mookie
embrasse Tina pour la première fois et celui où une poubelle vient fracasser la
vitrine de Sal. Cette variété stylistique exprime, entre autres, la vigueur et la
diversité de la communauté elle-même.
En dépit des nombreux et rapides changements de décors, Lee emploie des
procédés de continuité pour donner une idée claire de l’espace. Comme nous
lavons vu dans le chapitre 8, il aime utiliser des champs-contrechamps qui
respectent les axes de jeu (voir figs. 8.80-8.85, extraits de Nota Darling h en fait
Figure 11.20
qu'à sa tête). Do the right thing contient aussi de nombreuses conversations en

Figure 11.21 Figure 11.22 Figure 11.23

486
uim h - il (sium pi ma ;

champ-contrechamp ou les directions de regard sont cohérentes — lorsque


Jade parle avec Buggin’Out dans la rue, par exemple (figs. 11.19, 11.20). Mais
pour d’autres conversations, Lee n’a pas du tout recours au montage. Le long
dialogue au cours duquel Pino demande à Sal de vendre la pizzeria est traité
en un seul plan qui débute par un travelling avant sur les deux personnages
(figs. 11.21, 11.22) et se termine au moment où Pino chasse Smiley qui s’était
collé à la fenêtre (fig. 11.23).
Les procédés techniques servent souvent à mettre l'accent sur le tout formé
par la communauté. L’une des raisons pour lesquelles le film contient autant
de segments est qu’il y a très souvent des raccords d’une action à une autre.
L’omniscience de la narration est particulièrement marquée; on passe facile­
ment d'un groupe de personnages à un autre, en s’attardant rarement sur des
individus. Des mouvements de caméra complexes suivent les personnages
dans la rue, laissant voir au passage d’autres activités qui se poursuivent à
l'arrière-plan. D’autres mouvements de caméra nous font glisser d'une intri­
gue à l'autre. l>e matin suivant l’émeute, par exemple. Da Mayer se réveille
dans l'appartement de Mother Sistcr (fig. 11.24). Us parlent et vont jusqu’à la
pièce qui donne sur la rue; la caméra les précède en travelling arrière et, au
moment où ils arrivent à la fenêtre, passe à l'extérieur (fig. 11.25) pour venir,
en un mouvement de grue descendant, faire un gros plan de Mookie se ren­
dant à la pizzeria (fig. 11,26).
La bande son, dense, contribue aussi à la caractérisation de la commu­
nauté. Mookie passe devant une rangée de maisons et le son provenant de
postes de radio réglés sur des stations différentes croit et décroît, laissant ima­
giner la présence des habitants, hors-champ. La musique diffusée par l'anima­
teur joue un rôle important dans l’unification des multiples scènes courtes, la
même chanson pouvant passer en fond sonore de dialogues différents. Les
groupes ethniques sont caractérisés par le type de musique qu'ils écoutent.

Figure 1 1.24 Figure 11.25 Figure 11.26

487
pfiftill 4 - fiflûLVJU i IJALI'

Le style vient aussi souligner les problèmes sous-jacents de la commu­


nauté. L’air effrayant de Radio Rahcem est accentué dans certaines scènes par
le fait que, filmé avec un grand angle, il s’adresse directement à la caméra
— comme au moment où il demande une part de pizza à Sal, qui vient de lui
ordonner d’éteindre sa radio (fig. 11.27). L'égoccn trisme de Mookie el son
désintérêt pour le quartier sont évoqués par un motif visuel : des vues en
plongée le montrant en train de passer, sans y faire attention, sur un joyeux
dessin à la craie représentant une maison, réalisé à même le bitume par une
petite fille (fig. 11.28). Le son contribue aux tensions raciales, par exemple
dans la scène où Radio Raheem gène plusieurs personnes en écoutant son
morceau de rap préféré à plein volume.
Figure 11.27 Ainsi Do the right thing, en dépit de sa façon de perpétuer les conventions
hollywoodiennes, reste un bon exemple d'approche contemporaine du
cinéma classique. Son style reflète cette plus grande liberté technique qui est
devenue une convention du cinéma d’après les années 60 — une période où
l’influence de la télévision et de l’art cinématographique européen incitèrent
les réalisateurs à introduire une plus grande diversité dans le système hol­
lywoodien. Même les écarts du récit par rapport aux formes traditionnelles se
trouvent justifiés par le fait que Lee adopte le propos habituel du film à carac­
tère social — nous faire réfléchir et alimenter le débat.

Alternatives narratives au cinéma classique


Figure I 1.28
d bout de souffle
i960. Les films Georges de fieautegard, Impéria films et Société nouvelle de
cinéma. Réalisé par |ean-Luc Godard. Sur une histoire de François Truffaut;
dialogues : lean-Luc Godard. Photographie : Raoul Coutard. Montage : Cécile
Decugis. Musique : Martial SolaL Avec Ican-Paul Belmondo, Jean Seberg,
Daniel Boulanger, Henri-Jacques Hiiei. Van Doudc. lean-Pkrrt Melville.

Par certains aspects, bout de souffle imite un genre hollywoodien des années
40, le film noir, où l’on trouve des détectives entêtés et intrépides côtoyant des
gangsters ou des hommes ordinaires attirés par le crime. Souvent une femme
séduisante, «fatale»,y persuade le personnage principal d'accomplir une mis­
sion dangereuse pour des raisons personnelles qu elle dissimule — cf. Le fau­
con maltais, Assurance sur la mort (Double indemnity, Billy Wildcr, 1944). Le
récit de À bout de souffle l'apparente à une sous-catégorie classique du film
noir — le film de «hors-la-loi», mettant en scène de jeunes criminels en fuite
— cf. Les amants de la nuit (They live by night, Nicholas Ray, 1949), Le démon
des armes (G«n Crazy, 1950, Joseph H. Lewis).

488
_ jaoiiujj u (imm h iilb . hiimi p iiiuui. —

L’histoire, réduite à sa plus simple expression, pourrait servir de base à un


scénario hollywoodien. Un voleur de voiture, Michel, tue un policier et
s'enfuit à Paris pour pouvoir trouver l'argent qui lui permettra ensuite de
gagner l'Italie. Il tente de convaincre Patricia, une étudiante en art américaine
et écrivain en herbe avec qui il a une courte liaison, de partir avec lui. Après
s'être défilée pendant deux jours, elle accepte. Au moment où Michel est sur le
point de recevoir l'argent dont il a besoin, Patricia appelle la police, qui le tue.
La façon dont Godard présente cette histoire ne pourrait, par contre,
jamais etre confondue avec une production parfaitement réglée de studio. Le
comportement de Michel est, d'une part, décrit comme déterminé par les
films que zi bout de souffle imite. Il se caresse les lèvres avec le pouce comme
son idole, Humphrey Bogart. Mais il est un piètre voleur, dont la vie pari en
morceaux et à qui il ne reste plus que ce fantasme d’être un héros hollywoo­
dien à la fois dur et romantique.
La position équivoque du film à l'égard du cinéma hollywoodien se
retrouve dans sa forme et dans son style. Comme nous l'avons vu, les règles
du style et de la narration classiques assurent la clarté et la cohérence d'un
film. A l’inverse, bout de souffle parait mal conçu, comme improvisé, pres­
que amateur. Le film rend les motivations des personnages ambiguës et
s’attarde sur des dialogues accessoires. Son montage est une suite frénétique
d’ellipses. Et au contraire des films noirs, réalisés en studio, où le travail de la
lumière permettait de plonger les personnages dans une atmosphère inquié­
tante, /I bout de souffle est constitué de plans tournés en extérieur et en
lumière ambiante.
Ces différentes stratégies rendent l’histoire de Michel bizarre, incertaine,
peu séduisante au premier abord, dénuée de tout effet -glamour». Elles
demandent aussi au public d’apprécier la façon très brute dont le film retra­
vaille scs modèles hollywoodiens. Un carton, au début du générique, dédie le
film à la Monogram Pictures, un studio qui faisait partie de la Poverty row,
ensemble de studios qui produisaient à la chaîne des films de série B de très
mauvaise qualité. Ce carton semble annoncer un film qui sera redevable à
Hollywood sans être totalement lié à ses normes.
Comme de nombreux protagonistes des films hollywoodiens classiques.
Michel a deux principaux objectifs. Pour pouvoir quitter la France, il doit
retrouver son ami Antonio, le seul qui puisse lui donner de l’argent contre un
chèque. Il espère aussi persuader Patricia de partir avec lui: il devient évident,
avec l'avancée du récit, qu’en dépit de son air désinvolte l'amour qu'il éprouve
pour elle l'emporte sur son désir de fuite.
Dans un film classique, ces objectifs seraient continuellement au principe
de l’action. Mais dans bout de souffle, le récil avance par à-coups. Des scènes

489
U1IU 4 - filiLVin (1LLLUU

coudes —dont certaines oni peu de rapport avec les objectifs que l'on vient
de définir — alternent avec de longues plages de dialogues qui semblent, elles
aussi, hors de propos. La plupart des 22 segments qui composent le film ne
durent pas plus de quatre minutes. Une scène de 43 secondes montre simple­
ment Michel, à l’arrêt devant un cinéma, regardant une photographie de
Bogart.
Les scènes contenant une action importante sont parfois rapides et confu­
ses. Le meurtre de l'agent de police, événement qui déclenche une grande par­
tie de ce qui va suivre, est traité sur un mode très elliptique. Nous voyons
d’abord, en plan d’ensemble, l'agent qui s'approche de la voiture de Michel,
garée dans une contre-allée; puis, en plan de demi-ensemble, Michel qui
pénètre dans la voiture pour prendre son pistolet. Suit un gros plan sur son
visage, au moment où le policier dit : «Bouge pas ou je te brûle» (fig. 11.29).
Deux gros plan très brefs panotent sur le bras de Michel puis sur son arme
(figs. 11.30, 11.31), et l’on entend une détonation. On entraperçoit le policier
tombant dans un bas-càté broussailleux (fig. 11.32), puis l’on voit Michcl.cn
plan général, qui s'éloigne en courant à travers un champ. Une grande partie
de l’action a été éludée, si bien que l'on peu à peine comprendre ce qui se
passe et que l'on doit juger par soi-même du caractère volontaire ou acciden­
tel du coup de feu tiré par Michel.
À l’inverse de cette description éclair d’un moment clé de l'action, une très
longue conversation, au milieu du film, conduit à une sorte d'immobilisation
du récit. Durant presque 25 minutes. Michel et Patricia discutent dans la
chambre de celte dernière. À certains moments, Michel tente de remplir ses
différents objectifs : il essaie, en vain, de téléphoner à Antonio ou de persua­
der Patricia de venir à Rome. Mais la plus grande partie de la conversation est
insignifiante, triviale — il critique la façon dont elle met son rouge à lèvres,
elle lui demande s'il préfère les disques ou la radio. Ils jouent à se regarder
Figure 11.29 dans les yeux pour savoir qui fléchira le premier ou parlent de l’a tlichc quelle

Figure 11.30 Figure 11.31 Figure 11.32

490
ÜIW1KJJ - Il UUIUUM tlU niym LAllWll

vient d’acheter. Leur dialogue est si décousu que certains critiques ont sup­
posé qu’il était improvisé (Godard affirme qu’il était entièrement écrit).
Patricia insinue, à un moment de la séquence, quelle ne partira pas avec
lui parce quelle ne sait pas si elle l’aime. Michel: «Quand est-ce que tu
sauras ?• Patricia : «Bientôt.. Michel : «Qu’est-ce que ça veut dire, bientôt ’
Dans un mois, dans un an ?■ Patricia : -Bientôt, ça veut dire bientôt.» S'ils
font l’amour à la fin de cette longue scène (qui occupe presque un tiers des 89
minutes du film), nous ne savons toujours pas vraiment s’il a réussi à la
séduire et il n’a, par ailleurs, pas progressé dans son projet de fuite. Dans de
telles scènes, Michel ressemble plus à une sorte de délinquant vagabond, per­
dant facilement la tête, qu'au héros pourchassé et désespéré d’un film noir.
C’est seulement au cours de la scène se déroulant à l’extérieur des locaux
du Herald Tribune qu’un autre événement décisif intervient. Un passant (joué
par Godard) reconnaît Michel, dont il a vu la photographie dans un journal,
et prévient le police, déclenchant une chaîne d'événements qui vont mener à
la mort du personnage. Cependant, immédiatement après, le film fait un
nouveau détour; dans la scène suivante, Patricia participe à une conférence de
presse où est interviewé un romancier célèbre, personnage sans lien avec
l’action principale. La majorité des questions posées par les journalistes se
rapportent aux différences entre les hommes et les femmes. Les réponses
du romancier sont plus ludiques que véritablement sérieuses, à la fin, Patricia
lui demande quelle est sa plus grande ambition, et il répond de façon
énigmatique: «Devenir immortel, et puis mourir». Le regard perplexe
jeté par Patricia à la caméra préfigure l'incertitude qui s’attachera à la fin du
film.
Après avoir été interrogée par le commissaire Vital dans les bureaux du
Herald Tribune, Patricia comprend, avec Michel, que la police a retrouvé la
trace de ce dernier. bout de souffle commence alors à se développer de façon
plus conventionnelle. Dans la scène suivante, Patricia dit à Michel quelle
l’aime «énormément»; ils volent une voiture. Elle s'engage à fuir avec lui et
Michel semble donc atteindre scs objectifs romantiques. Lorsque Antonio
accepte de lui amener l’argent le lendemain matin, Michel progresse vers la
réalisation de son second objectif. Nous pouvons alors prévoir quelques
dénouements possibles: le couple réussira à s’enfuir ou bien l'un des deux,
voire les deux, seront tués lors de la tentative de fuite. Mais le matin suivant,
Patricia trompe toutes nos attentes en livrant Michel à Vital. Michel a encore,
à ce moment, une dernière chance : Antonio arrive juste avant la police, avec
l'argent et une voiture — mais il ne peut se résoudre à partir sans Patricia.
fin est particulièrement énigmatique. Michel est à terre, perdant son
sang, et Patricia, debout, le regarde. 11 refait, lentement, les mêmes grimaces

491
HÉTU 4 - MIIVHI (6IÎI0UH

qu’il lui avait faites durant leur longue conversation. Il murmure «C’est vrai­
ment dégueulasse» et meurt. Patricia demande au commissaire Vital ce qu’il a
dit et celui-ci déforme les derniers mots de .Michel : • Il a dit : «Vous êtes vrai­
ment une dégueulassc»». On nous laisse libre de décider ce que ce
• dégueulasse» désigne .■ la trahison de Patricia, le fait qu’il ait échoué in extre­
mis à s'enfuir, ou tout simplement sa mort. Dans le dernier plan, Patricia fixe
la caméra, demande ce que -dégueulasse» veut dire, sc caresse les lèvres avec
ce même geste, inspiré par Bogart, qui a été celui de Michel pendant tout le
film (fig. 11.33) et nous tourne brusquement le dos au moment où intervient
un fondu au noir.
Figure 11.33
D’une certaine façon, le récit de bout de souffle s'achève sur un effet de
clôture: Michel n’a pas réussi à atteindre ses objectifs. Mais beaucoup de
questions restent en suspens. Même si Michel et Patricia parlent constam­
ment deux-mêmes, nous apprenons très peu de choses sur leurs raisons
d’agir. Le film débute avec Michel disant : - L'un dans l’autre, je ne suis qu’un
pauvre type»: ses actes ne feront, en un sens, que confirmer ce jugement.
Cependant, on ne nous fournit jamais d’informations secondaires qui expli­
queraient ses différentes décisions. Pourquoi est-il devenu un voleur de
voiture? Il a facilement abandonné sa précédente complice, plus tôt dans le
film, alors pourquoi veut-il risquer sa vie pour rester avec Patricia, une femme
qu'il ne connaît presque pas ? Parce que mourir pour l'amour d’une femme
qui n’en vaut pas la peine est ce qu’est supposé faire quelqu’un qui veut deve­
nir l'équivalent d'un héros hollywoodien ?

Les traits de caractère et les objectifs de Patricia sont encore plus vagues et
ambigus. Lorsque Michel la voit pour la première fois, en train de vendre des
journaux sur les Champs-Élysées, elle n’est pas vraiment communicative:
pourtant, à la fin de la scène, elle revient en courant pour l'embrasser. Elle dit
continuellement quelle veut devenir journaliste au Tribune et écrire un
roman, mais parait abandonner toutes ses ambitions lorsqu’elle sc croit
amoureuse de Michel. Elle lui dit aussi être enceinte de lui, alors quelle n’a
pas encore reçu les résultats de son examen médical — et qu elle n’évoque
jamais cela comme une raison pour rester à Paris. Elle prétend souvent avoir
peur, mais après qu’ils ont volé une voiture elle dit que • il est trop tard main­
tenant pour avoir peur». Cette réplique laisse comprendre quelle est venu à
bout de ses indécisions cl a décidé d’unir définitivement son destin à celui de
Michel. Lorsqu’elle le trahit, elle ne pense pas qu’il sera lué mais veut simple­
ment le forcer à la quitter. Néanmoins, la façon dont elle explique pourquoi
elle a livré des informations sur Michel n’élucide pas son soudain revirement
sentimental. De même que Michel n’est pas fait pour être un dur, Patricia est
trop naïve et indécise pour jouer le rôle de la classique femme fatale.

492
___ JWIÏH H - Lfl U.IIIQUI U IILD1 UllHU MIWU1-..

Dans le film noir modèle, tous les personnages ont des rapports intenses et
sont fortement impliqués dans l'histoire. Ici, Michel et Patricia semblent avoir
peu de sentiments forts pour ce qu’ils font. Lorsque la femme trahit, dans k
film noir, le héros devient amer et désabusé; mais Michel ne semble pas blâ­
mer Patricia pour ce qu elle a fait. Tout se passe comme si ces personnages
indécis, désorientés, sans confiance, étaient incapable de jouer la passion
désespérée des rôles hérités de la tradition hollywoodienne.
Le récit elliptique, voire obscur, de bout de souffle, est mis en image à
l’aide de procédés techniques qui sont eux aussi peu conventionnels. Comme
nous l’avons vu, les films hollywoodiens mettent en œuvre un système d’éclai­
rage dit -trois points», constitué d’une lumière principale ou d’attaque, d’une
lumière d’appoint et d’un décrochage, soigneusement contrôlés en studio
(chapitre 6). bout de souffle a été entièrement tourné en décors réels, même
les intérieurs. Godard et son directeur de la photographie, Raoul Coutard,
avaient décidé de n'ajouter aucune source de lumière artificielle dans les
décors. De fait, les visages des personnages se retrouvent parfois dans l’ombre,
comme ce moment où Patricia s’assoit devant une fenêtre et allume une ciga­
rette (fig. 11.34).
Tourné en décors réels, et particulièrement dans de petits appartements,
aurait dû rendre difficile la multiplication des positions et des mouvements de
caméra. Mais sachant profiter des nouveaux matériels portables, Coutard
filma en caméra portée et fut capable d’exécuter plusieurs travellings très
longs suivant les personnages, comme ce plan de trois minutes où Michel ren­
contre Patricia pour la première fois alors qu elle parcourt les Champs-Élysécs
pour vendre le Herald Tribune (fig. 11.35). On raconte que Coutard était assis
dans un fauteuil roulant pour filmer ce plan, ainsi que quelques autres conte­
nant des mouvements complexes en intérieurs. Lorsque Michel se rend dans
une agence de voyage pour essayer de toucher son chèque, 1e cadre glisse et
tourne avec aisance au moment où il passe entre les bureaux et dans un cou­
loir (fig. 11.36). De tels plans rappellent les tournages en studio de nombreux

493
miu - nmm umsw

Figure J 1.37 Figure 11.38 Figure 11.39

films noirs, par exemple les scènes finales de Ultime razzia, à la différence que
la position basse de la caméra ou un passant qui se retourne pour regarder les
acteurs (l’homme à droite du cadre en 11.35) attirent l’attention sur la techni­
que, d’une façon qui s’écarte résolument des pratiques hollywoodiennes.
Le montage de Godard est encore plus surprenant que sa mise en scène. Il
suit parfois les normes et, à d'autres moments, s’en détache, rompt avec elles.
Le banal champ-contrechamp est au principe de plusieurs scènes, comme
lorsque Michel s'arrête devant une photographie de Bogart qui semble le
regarder (figs. 11.37, 11.38). De même, lorsqu’il remarque l'homme qui exa­
mine sa photo dans le journal, Godard organise dans les règles les raccords
Figure 11.-10 regards. C’est un moment décisif du récit, où le respect de la règle des 180"
permet de mettre en évidence le fait que l'homme a repéré Michel et va peut-
être le dire à la police.
Cependant, ce qui donne au film son caractère «heurté», syncopé, encore
sensible pour un spectateur d’aujourd’hui, ce sont ses différentes transgres­
sions du montage par continuité. S'il y a un type de raccord que le monteur
hollywoodien désapprouve, c’est le jump eut, la saute, où deux plans se succé­
dant produisent une ellipse temporelle sans que la caméra ait notablement
changé de position (chapitre 8). Le jump eut est présent tout au long de À
bout de souffle. Dans l’une des premières scènes, où Michel rend visite à une
ancienne petite amie, leurs positions respectives changent brusquement à
l’occasion de plusieurs raccords. (La figure 11.39 montre le dernier photo-
gramme de l'un des plans et la figure 11.40, le premier photogramme du plan
qui suit.) Nous avons déjà évoqué un autre exemple de jump eut dans le
chapitre 8, une série de plans sur Patricia durant une conversation en voiture
(figs. 8.110,8.111, dernier et premier phoiogrammes de deux plans contigus).
Même quand la position de la caméra change, Godard fait disparaître un
peu de temps entre les plans ou bouleverse la disposition des personnages.

494
XHÛWU JJ - Ifl (11111111 H £JLfl) . IHDimi

Lors de nombreux raccords, l’action semble se précipiter en avant de façon


saccadée, comme l’aiguille d'un électrophonc saulanl les sillons d’un disque.
Ce montage nerveux et versatile contribue au rythme du film. 11 nous faut
parfois être très attentif pour suivre l’action — dans la scène du meurtre de
l’agent de police par exemple. Cette rapidité est renforcée par le fait que,
comme nous l'avons dit plus haut, la plupart des scènes durent moins de qua­
tre minutes. Le montage elliptique fait aussi ressortir certaines scènes par
contraste : les plans séquence où la caméra est en mouvement et les 25 minu­
tes de conversation décousue qui se déroulent dans l'appartement de Patricia.

Godard ne sc contente pas d’éviter les raccords dans le mouvement, il met Figure H.41
aussi en évidence les moments où il ne respecte pas la règle des 180°. Patricia
marche en lisant un journal; elle se déplace vers la droite dans un plan
(fig. 11.41) et vers la gauche dans le suivant (fig. 11.42), transgressions fla­
grantes des conventions de représentation du mouvement. Dans la première
scène du film, alors que la complice de Michel lui indique une voiture à voler,
les directions de regard sont imprécises et nous ne comprenons pas très bien
quelles sont les positions respectives des deux personnages.

La bande son vient souvent appuyer ces discontinuités du montage. Lors­


que le dialogue ou d'autres sons diégétiques restent continus à l'occasion d'un
jump eut, nous ne pouvons pas ignorer le paradoxe : il y ellipse temporelle sur
la bande image mais pas sur la bande son. Le tournage en décors réels a aussi
provoqué l’intrusion des bruits ambiants dans le dialogue de certaines scènes. Figure 11.42
La sirène d'un véhicule passant à côté de l’appartement de Patricia recouvre
presque le dialogue entre elle et Michel, au cours de la longue scène centrale.
Plus tard, la conférence de presse avec Parvulesco a lieu, on ne sait pas pour­
quoi, sur un aéroport, où les bruits forts et stridents des avions tout proches
noient ce qui se dit. Dans ces scènes, les intensités des différents sons n'ont pas
été équilibrées comme dans les bandes soigneusement inixécs des films hol­
lywoodiens.

La façon dont Godard rompt avec les principes de fluidité sonore et


visuelle éloigne À bout de souffle des films noirs classiques et de leurs sédui­
santes descriptions du monde du crime. Ces «maladresses» stylistiques se
conjuguent parfaitement à la brutalité du filmage pseudo documentaire dans
un Paris mouvementé. D’autres procédés techniques non traditionnels,
comme le motif des regards mystérieux que les personnages jettent à la
caméra, participent aussi des effets de discontinuité. De plus, les ruptures
sonores et visuelles manifestent le travail de la narration pour un spectateur
qui prend ainsi conscience des divers choix stylistiques opérés. En rendant les
interventions du réalisateur plus apparentes, le film sc présente comme une
révision volontairement peu policée de la tradition.

495
(jiihw

Godard ne cherchait pas à critiquer les films d’Hollywood; il adopta les


conventions d'un genre associé à l’Amérique des années 40 pour leur donner
un décor parisien rajeuni et un traitement moderne, auto-réflexif. 11 créa par
la même occasion un nouveau type de héros et d'héroïne. Des amants en
fuite, sans but. qui seraient sans cela tout à fait ordinaires, sont devenus les
personnages centraux de quelques films ultérieurs comme Bannie and Clyde
(Arthur Penn, 1967), La balade sauvage (Badlands, Tcrence Malick, 1974) ou
True romance. De façon générale, le film de Godard est devenu un modèle
pour les réalisateurs qui désiraient créer des hommages libres et exubérants à
la tradition hollywoodienne ou en retravailler des éléments caractéristiques.
Cette attitude sera au centre du mouvement stylistique à l’avènement duquel
(â bout de souffle) a contribué, la nouvelle vague. (Se reporter au chapitre 12.)

Voyage à Tokyo
Tokyo mûnogatari.!953. Shochiku ! Ofuna. Japon. Réalisé par Yasojiro Ozu.
Scénario de Ozu el Kogo Noda. Photographie : Yiiharu Attula. Avec Otishu
Ryu, Chieko Higjshiyama. So Yantamura, Haruko Sugimura, Selsuko Hais.

Nous avons vu comment la conception hollywoodienne classique de la


réalisation cinématographique tendait à créer un système stylistique («la
continuité») destiné à instaurer et à maintenir une parfaite lisibilité du temps
et de l’espace narratifs. Le système de la continuité est un ensemble particulier
de préceptes que le réalisateur est censé suivre; mais certains d'entre eux ne le
font pas, soit en manifestant les règles par leur transgression, comme Godard
dans le film libre et plein d’énergie que nous venons d'étudier, soit en déve­
loppant un ensemble de règles alternatives — au moins aussi strictes que cel­
les d'Hollywood— qui leur permettent de réaliser des films se distinguant
nettement des classiques.
Yasojiro Ozu est l'un de ces réalisateurs. La façon dont il aborde la création
d’un récit diffère de celle qui est à l'œuvre dans des films comme (HisgirIFrb
day) ou La chevauchée fantastique. Au lieu de faire des événements dramati­
ques le principe organisateur central. Ozu a tendance à mettre le récit de côté
pour donner une plus grande importance aux structures spatiales et tempo­
relles, qui vont devenir intéressantes pour elles-mêmes. Voyage à Tokyo, le pre­
mier de ses films à avoir fait une impression considérable dans les pays
occidentaux, offre une introduction lumineuse à quelques-unes de ses straté­
gies de réalisation les plus caractéristiques.
Voyage à Tokyo présente le simple récit d’un couple âgé qui, venant de pro­
vince pour rendre visite à leurs enfants habitant Tokyo, sont traités en indési­
rables. Si cette histoire est calme et contemplative, le style d’Ozu ne se

496
U12HUJJ - ifi cihjliij h ma. incpLii p niiviii

conforme pas à quelque système de création qui serait caractéristique d’une


spiritualité japonaise. Les réalisateurs et critiques japonais trouvaient sa
manière aussi déroutante que le public occidental. En créant un mode alter­
natif systématique de mise en forme des relations spatiales et temporelles,
Ozu entendait engager plus profondément l’attention du spectateur. Tandis
que, à Hollywood, le style est asservi au récit, Ozu les met à égalité. Nous
observons le développement simultané d'une action, de relations spatiales et
de relations temporelles qui sont toutes pareillement intéressantes et specta­
culaires. Un récit aussi simple que celui de Voyage à Tokyo devient ainsi neuf et
captivant.
l a narration de Voyagea Tokyo est, en regard des normes classiques, plutôt
tortueuse. Nous ne sommes parfois informés de certains événements impor­
tants qu’après qu’ils ont eu lieu. La dernière partie du film, par exemple, met
en scène une série d'événements entourant la soudaine maladie et la mort de
la grand-mère. Bien que les deux grands-parents soient les personnages cen­
traux, nous ne voyons pas la grand-mère tomber malade; nous n'en enten­
dons parler qu'au moment où son fils et sa fille reçoivent un télégramme. De
meme, la grand-mère meurt entre deux scènes; dans une scène, ses enfants
sont rassemblés à son chevet et dans la suivante, ils sont en deuil.
Ces ellipses ne marquent pas un film au rythme rapide comme (His giri
Friday), qui doit balayer rapidement un large terrain narratif. On s'attarde
souvent sur des détails dans Voyage à Tokyo : sur la mélancolie du grand-père
et de ses amis qui évoquent, dans un bar, leurs déceptions à l’égard de leurs
enfants, ou sur ta promenade de la grand-mère, un dimanche, avec son petit-
fils. Il en résulte un bouleversement de l'équilibre normal du récit : l’impor­
tance des moments clés est réduite au moyen d'ellipses et les événements que
l'on nous montre sont simples et sobres.
Dans le même temps, on s'écarte de la représentation d’un espace qui ne
signifierait que par rapport au récit. Les scènes ne commencent ni ne finissent
par des plans sur les éléments narratifs les plus importants. À la place des pro­
cédés de transition habituels — les différents types de fondus, par exemple —
Ozu utilise généralement une série de plans de transition raccordés par des
coupes franches. Ces plans montrent souvent des espaces qui ne sont pas
directement reliés à l’action en cours, des espaces qui se trouvent à côté du lieu
de l’action. Le film débute par cinq plans de la ville portuaire de Onomichi
— la baie, des écoliers, un train qui passe— avant qu’un sixième plan ne
nous montre les grands-parents préparant leurs valises pour le voyage à
Tokyo. Même si un couple de motifs importants constitue comme une pre­
mière présentation des personnages dans les cinq premiers plans, aucun élé­
ment causal à caractère narratif ne vient lancer l’action avant le sixième plan.
(Comparez avec les scènes d’ouverture de His girl Friday et de La mort aux

497
JJÀUU - hwm (iinuiii

Figure 11.43 Figure 11.45

trousses.) Et ces plans de transition n'apparaissent pas qu’au début. Plusieurs


séquences se déroulant à Tokyo débutent par des images de cheminées
d'usine, alors qu'aucune action ne se déroule dans un décor de ce type au
cours du film.
Ces plans de transitions ne sont donc que rarement, ou de façon mini­
male, des plans de situations. Parfois, ils ne contribuent absolument pas à la
description claire de l'espace d’une scène mais tendent au contraire à le rendre
confus. La scène où la belle-fille, Noriko, reçoit à son travail un coup de télé­
phone l'informant de la maladie de la grand-mère, se termine par un plan
taille la montrant assise derrière son bureau, pensive: le seul son diégétique
Figure 11.46
est le fort crépitement de machines à écrire (fig. 11.43). Une transition musi­
cale extradiégétique démarre sur ce plan; on raccorde sur un bâtiment en
construction, vu en contre plongée (fig. 11.44). Des bruits de rivetage rem­
placent celui des machines à écrire, tandis que la musique se poursuit. Le plan
suivantes! une autre contre-plongée sur le même chantier (fig. 11.45).
Un raccord nous fait passer à la clinique appartenant au fils le plus âgé, le
docteur Hirayama. La saur, Shige, est présente. La musique se tait et la nou­
velle scène commence (fig. 11.46). Dans cet extrait, les deux plans sur le chan­
tier n’ont aucune utilité par rapport au déroulement de l'action. Le film ne
nous donne aucune indication sur le lieu où est en train d’être construit ce
bâtiment; il nous faut supposer que c'est à l'extérieur du bureau de Noriko,
bien que l'on n’entende aucun des sons du chantier dans les plans d'intérieur.
Il nous faut chercher, comme chaque fois, les fonctions possibles de ces
procédés stylistiques. Il est difficile d’assigner à ces plans de transition un sens
explicite ou implicite. On pourrait par exemple faire l'hypothèse qu’ils sym­
bolisent le «nouveau Tokyo», étranger à des personnages venant d’un village
qui a gardé le souvenir de l’ancien Japon. Mais les plans de transition ne pré­
sentent pas toujours des extérieurs; certains montrent l'intérieur des maisons

498
Wiiu i l - lu (hiiox frHiL» Miium owu

des personnages, Nous faisons l’hypothèse d’une fonction plus systématique,


à caractère narratif, en rapport avec le flot des informations narratives.
La narration d’Ozu fait alterner des scènes présentant des moments de
l'histoire et de courtes séries de plans, insérées entre ces scènes à la façon de
coins dans une pièce de bois, qui nous y amènent ou, à l'inverse, nous en éloi­
gnent. Plus le film avance, plus nous formons d'attentes par rapport à ces
plans. Ozu accentue cette structuration stylistique en nous faisant attendre le
moment et le contenu visuel d’une transition. Il peut faire durer ces attentes
et même provoquer quelques surprises.
Dans l’une des premières scènes du film, par exemple, Mme Hirayama, la
femme du docteur, se dispute avec son fils. Minoru, pour savoir où ils vont
mettre son bureau afin de faire de la place pour les grands-parents. L'arrivée
de ces derniers met fin à la discussion et lance une scène qui se termine par
une conversation dans une pièce se trouvant à l’étage. La musique de transi­
tion intervient à nouveau â la fin de cette scène. Le plan suivant cadre un cou­
loir désert, au rez-de-chaussée, où l’on voit le bureau d'écolier de Minoru.
Puis un plan d'ensemble en extérieur nous montre des enfants courant sur
une sorte de crête proche de la maison; ces enfants ne sont pas des personna­
ges faisant partie du récit. Enfin, un raccord nous fait revenir à l’intérieur où
Minoru travaille, installé au bureau de son père, dans la partie de leur habita­
tion consacrée à la clinique. Le montage crée ici une façon très indirecte
d’aller d'une scène à une autre, passant d’abord par un espace où nous nous
attendons à trouver un personnage (Minoru à son propre bureau), qui n'y est
pas, puis s’éloignant résolument de l’action principale pour un plan en exté­
rieur. C’est seulement après cela, dans un troisième plan, qu'un personnage
réapparaît et que l'action peut continuer. Ces moments de transition ont un
certain aspect ludique : ils nous demandent de former des attentes non seule­
ment sur le déroulement de l'action, mais aussi sur le montage et la mise en
scène.
Les figures de montage d'Ozu sont aussi systématiques que celles d'Hol­
lywood, mais elles tendent à s’opposer nettement aux règles de continuité.
Ozu ne respecte pas, par exemple, la règle des 180°, l'*axe de jeu» —et ses
transgressions ne sont pas ponctuelles, comme celle que l’on a pu relever chez
Ford dans La chevauchée fantastique (chapitre 8). 11 raccorde souvent à 180°,
de l'autre côté de la ligne, pour cadrer un espace dans une direction stricte­
ment opposée à celle du plan précédent. Toutes les règles d'orientation spa­
tiale sont ainsi ignorées : un personnage ou un objet sc trouvant à droite dans
un plan se retrouvera à gauche dans le suivant, et vice-versa. Au début d'une
scène sc déroulant dans le salon de beauté de Shige, un premier plan la mon­
tre depuis un point de vue opposé à la porte d’entrée (fig. 11.47). Un raccord
à 180° montre ensuite, en plan de demi-ensemble, une femme attendant sous Figure 11.47

499
mm 4 - fihfliyiii union

Figure i 1.48 Figure 11.49 Figure 1150

un séchoir; 1a caméra fait alors face à la partie arrière du salon (fig. 11.48). Un
nouveau raccord à 180° présente un plan d’ensemble de la pièce, orienté
comme le premier vers la porte de devant ; les grands-parents arrivent dans le
salon (fig. 11.49). Ce court ensemble ne constitue pas un cas isolé de trans­
gression des règles de continuité, mais la manière propre à Ozu de cadrer et de
monter.
Ozu est un maître du raccord dans le mouvement, mais il les exécute sou­
vent de fa<;on inhabituelle. Au moment où la grand-mère et Noriko s'avan­
cent vers la porte de l’appartement de cette dernière, on raccorde, à 180°.
d'une vue frontale sur les deux personnages (fig. 11.50) à une vue arrière
Figure 11.51
(fig. 11.51). Le raccord dans le mouvement est très précis, mais les hauteurs
de caméra et les tailles de plans créent des cadrages si semblables que le rac­
cord donne l'impression que les personnages se heurtent à eux-mêmes. Leurs
positions respectives se trouvent aussi brutalement inversées, ce qui est géné­
ralement considéré comme une erreur dans le système de la continuité. Un
réalisateur classique aurait probablement évité un raccord aussi inhabituel;
Ozu l'emploie ici et dans d'autres films comme un élément de son style per­
sonnel.
Comme le montrent ces exemples, Ozu ne réduit pas les positions possi­
bles de sa caméra ou ses figures de montage à ce qu’autorise, dans le système
des 180°, l'espace demi-circulaire se trouvant d'un côté de l’axe de jeu. il rac­
corde des plans qui peuvent être pris depuis n'importe quel point du cercle
imaginaire entourant l’action, en privilégiant les changements d’axe a 90° ou
à 180°. Cela signifie que les arrière-plans changent radicalement d’un plan à
l’autre, comme on peut le voir dans les deux exemples précédents. Dans un
film hollywoodien, la caméra traverse rarement l'axe de jeu pour venir mon­
trer le «quatrième mur». Parce que le cadre de l'action change très souvent
dans Voyage à Tokyo, il acquiert un rôle important : le spectateur doit être très
attentif au décor pour comprendre clairement ce qui se passe.

500
_gvjyi 11 • Lijmuüt pi mm. iimuLEiOJU

Figure 11.52 Figure 11.53 Figure 11.54

Figure 11.55 Figure 11.56 Figure 11.57

Le travail sur des plans de transition qui différent ou contrarient les hypo­
thèses du spectateur et celui sur l'espace circulaire, qui lui demande de porter
une forte attention aux décors, peuvent être associés. La scène nù les grands-
parents se rendent dans une station thermale d’Atami débute par un plan
d’ensemble sur un couloir (fig. 11.52). Une musique de type occidental vient
du hors-champ; plusieurs personnes passent dans le couloir. Le plan suivant
(fig. 11.53) est un plan d’ensemble sur un autre couloir, à l’étage, où l’on voit
une hôtesse portant un plateau; deux paires de pantoufles posées près d'un
seuil sont tout juste visibles, en bas à gauche du cadre. Puis vient un plan de
demi-ensemble sur un couloir se trouvant près d’une cour (fig. 11.54), tra­
versé par un plus grand nombre de personnages qui ont l’air affairé. Suit un
plan moyen sur un groupe jouant au mah-jong (fig. 11.55), accompagné par
les bruits forts des discussions et des mouvements de pièces. Ozu fait alors un
raccord à 180° pour montrer un autre groupe de joueurs (fig. 11.56). Le pre­
mier groupe est maintenant à l’arrière-plan, vu depuis le côté opposé. On
revient ensuite sur le plan du couloir situé près d’une cour (fig. 11.S7). Dans
tous ces plans nous n’avons pas encore vu les grands-parents, seuls personna­
ges importants présents dans cette station thermale. Mais un plan moyen sur

501
mm 4 - mims uiiimi

les deux paires de pantoufles évoquées plus haut (fig. 11.58) laisse penser
qu'elles se trouvent devant la chambre des grands-parents. L’agitation de la
fête qui se déroule hors-champ se reflète dans la porte vitrée d’un placard, et
l'on entend toujours la musique et les discussions. Un plan moyen sur le cou­
ple Hirayama allongé, essayant de dormir malgré le bruit, établit enfin la
situation narrative; une conversation s’engage (fig. 11.59). Le film explore
donc, en sept plans, l’espace de la scène, pour nous laisser découvrir progres­
sivement la Situation. Les pantoufles passent presque inaperçues dans le
second plan (fig. 11.53). Elles signalent la présence des grands-parents, mais
la révélation de l’endroit où ils se trouvent est différée.
Ozu parvient ainsi à détourner notre attention des fonctions strictement
causales de l’espace diégétique pour lui donner une importance propre. 11 fait
la meme chose avec l’espace plat de l’écran. Les figures 8.99 à 8.102 et les plan­
ches 62 et 63 donnent des exemples de raccords visuels tirés de ses films. Ce
procédé stylistique caractérise Ozu, qui utilise rarement les corrélations
visuelles à des fins narratives. Dans Voyage à Tokyo, un dialogue conduit à un
traitement en champ-contrechamp mais, une fois encore, avec des raccords à
180° coupant l'axe de jeu. Les deux hommes sont cadrés de façon à ce que
chacun regarde vers le hors-champ droit. (À Hollywood, les tenants du sys­
tème de la continuité diraient que cela implique que les deux hommes regar­
dent vers un même élément situé hors-champ.) La similitude de leurs
positions dans le cadre produit une corrélation visuelle très forte entre les
deux plans (figs. 11.60. 11.61). On peut dire, a ce titre, que le style d’Ozu doit
quelque chose à la forme abstraite (chapitre 5 et chapitre 10). C’est comme s'il
cherchait à réaliser un film narratif où les ressemblances visuelles seraient
aussi manifestes que dans un film abstrait du type de Ballei mécanique.
La façon dont l'espace et le temps sont utilisés dans Voyage à Tokyo n'est
pas délibérément obscure, pas plus qu elle n'a une fonction symbolique dans
Figure 11.58 le récit. Elle propose plutôt une relation entre l’espace, le temps et la logique

Figure 11.59 Figure 11.60 Figure 11.61

502
UUUHJJ - 11 (linAlOJJJJl minfiHIllWl

narrative différente de celle qui existe dans le cinéma classique. Spatialité et


temporalité ne sont plus de simples instruments transparents servant à la
création d une narration claire et linéaire. Ozu les met en avant et en fait des
éléments ayant leur propre importance esthétique. Une grande partie du
charme de ce film tient à son traitement à la fois rigoureux et ludique des per­
sonnages, des décors et du mouvement. Ozu n’élimine pas le récit mais
l’ouvre à d'autres possibilités. Voyage d Tokyo, comme tous scs films, laisse des
procédés stylistiques autres se développer de façon indépendamment du récit.
Il en résulte, pour le spectateur, une nouvelle façon de regarder, qui l'invite à
participer à un drame spatial et temporel.

Forme et style du documentaire


High school
1968. Produit et réalisé par Frederick Wtseman. Photographie: Richard
Leitemun. Montage: Frederick Wiseman, avec Carter Howard. Assistant
opérateur : David Eames.

Avant les années 50, la plupart des réalisateurs de documentaires tour­


naient sans enregistrer de sons et ajoutaient, en phase de montage, un com­
mentaire off et une musique postsynchronisée à leurs images. The river, de
Lorentz, ou la seconde partie des Dieux du stade, de Riefenstahl, analysés aux
chapitres 5 et 10, sont des exemples d’une telle pratique. «Mais après la
Seconde Guerre mondiale, les bandes magnétiques rendirent possible l'enre-
gislrement du son hors des studios. Durant la même période, les demandes
des professionnels de l'armée el de la télévision poussèrent les industriels à
inventer des caméras 16mm légères et très performantes. Ces bouleverse­
ments techniques favorisèrent l'émergence d’une nouvelle conception de la
réalisation documentaire: le cinéma direct. Dans les années 50 et 60, un
grand nombre de réalisateurs commencèrent à utiliser des caméras portables
et le matériel d’enregistrement synchrone du son pour prendre sur le vif diffé­
rents types de situations: une campagne électorale (Printary, 1960), une
affaire judiciaire (The chair, Richard Leacock, Don Pennebaker, 1963), la vie
d'un chanteur folk (Don t look back. Don Pennebaker, 1967), les tribulations
d'un vendeur de bibles (Salesman, Albert el David Maysles, 1969). Certains
réalisateurs prétendirent que le cinéma direct était plus objectif que le docu­
mentaire traditionnel. L’ancienne manière s'était largement appuyée sur la
mise en scène et le montage, la musique et le commentaire pour conduire le
spectateur à certaines conclusions. Le film participant du cinéma direct rédui­
sait le commentaire off et plaçait le réalisateur sur la scène, au cœur de la

503
—- jailli 4 - iijiihi uinmi

situation. Ses défenseurs soutenaient que le réalisateur pouvait ainsi enregis­


trer les faits de façon neutre et laisser le public tirer ses propres conclusions à
partir de ce qu’il voyait et entendait.
High schook de Frederick Wiseman, est un bon exemple de cinéma direct.
Wiseman reçu l'autorisation de tourner dans un lycée de Philadelphie; il fai­
sait l’ingénieur du son pendant que son operateur de prise de vues filmait
dans les couloirs, les salles de classe, la cafétéria ou l’amphithéâtre de l’établis­
sement. Il en résulta un film sans voix off et presque sans musique exiradiégé-
lique. Wiseman n’eut pas recours à ces entretiens en face-à-face des actualités
ou des documentaires télévisés. High sdiool peut ainsi sembler s’approcher de
l’idéal du cinéma direct — une simple présentation d’une tranche de vie.
Mais si l’on analyse la forme et le style du film, nous découvrons qu’il cherche
toujours à produire certains effets sur le spectateur et suggère un certain type
d'interprétation. High sdiûûl, loin d’étre une sorte de transmission neutre de
la réalité, montre comment la forme et le style façonnent, même dans le
cinéma direct, les événements que nous voyons.
On peut dire qu’un film du cinéma direct enregistre la réalité, mais comme
tout autre film, il nécessite aussi de la part du réalisateur des choix et des
agencements. Le réalisateur choisit non seulement le sujet du film mais aussi
les événements ou les situations qui vont être filmés; par ailleurs il décide,
sous l’impulsion du moment, lors du tournage, de i’instant où il faut com­
mencer à filmer, de ce qu’il faut cadrer et des sons qu’il faut enregistrer. Une
sélection est ensuite opérée en phase de montage; les 80 minutes de High
school, par exemple, sont tirées de plus de 40 heures de rushes.
Le réalisateur organise ce matériau, le présente d’une certaine façon, qui
aura des conséquences sur notre appréhension des images. Meme s’il a
renoncé à tout contrôle sur ce qui se passe devant la caméra, il l’a toujours sur
la structure du film et décide donc de la succession des segments. Il peut sélec­
tionner un angle de prise de vues où plusieurs éléments se trouvent juxtaposés
dans le cadre. (Observez par exemple la figure 11.62, qui montre le surveillant
principal du lycée devant un drapeau américain; sous un autre angle, tel que
celui présenté en 11.67, le drapeau n’est pas visible.) Le réalisateur organise
aussi les plans par le montage, en créant des relations particulières entre les
Figure 11.62 sons et entre les images. En sélectionnant et en organisant ainsi ses matériaux,
le réalisateur de documentaire se sert autant des procédés formels et stylisti­
ques propres au cinéma qu’un réalisateur recourant à la mise en scène.
High sdtool est constitué de 37 segments différents qui montrent chacun
un épisode de la vie du lycée. Certains segments, comme celui consacré à
la répétition de la chorale, sont très courts; d’autres montrent de longs
dialogues. Formellement, le film présente une combinaison intéressante de

504
mniU U -JJ (Sium h (JIB . (UIOPLM hiiliul-----------

différents types structurels. Dans l’ensemble, la forme est catégorielle: la caté­


gorie principale est «la vie du lycée», et les sous-catégories sont constituées
par les activités caractéristiques d’un etablissement américain : cours, rela­
tions élève/professeur, sport, réunion des élèves avant un match pour encou­
rager leur équipe, etc.

Les actions relatives à chacune de ces activités sont décrites suivant des
principes narratifs. De nombreux segments sont de petites scènes dominées
par un conflit : le surveillant principal insiste pour donner une retenue injus­
tifiée à un garçon, un administrateur se dispute avec des parents mécontents,
et ainsi de suite. Néanmoins, la forme générale du film n'est pas narrative;
lui font défaut des personnages qui réapparaîtraient de façon régulière, des
enchaînements à caractère causal (une action n’est pas au principe de ce qui
lui succède) et la possibilité de reconstituer une chronologie (nous ne con­
naissons ni l'ordre ni la durée «réels» des événements montres). Wiseman a
compris que notre savoir et nos expériences antérieures nous aideraient â
combler les manques du film. Lorsqu’un segment débute avec le surveillant
principal disant : «Comment ça, tu ne peux pas sentir la gym ?!», nous faisons
appel à nos souvenirs du lycée pour créer autour de cette scène un contexte
typique. Enfin, comme nous le verrons, le film s’apparente dans une certaine
mesure à la forme associative par la façon dont il ordonne et relie ses différen­
tes parties. High schooi combine donc, comme de nombreux documentaires,
divers principes d’organisation formelle : il présente les aspects typiques de la
vie d’un lycée à travers de petits épisodes narratifs, liés de façon associative.

Cette combinaison du catégoriel, du narratif et de l’associatif devient plus


claire si nous observons comment Wiseman a sélectionné et ordonné ses
matériaux. Le film n’est pas une sorte de vue en coupe exhaustive de la vie du
lycée. Il en omet, au contraire, de nombreux aspects : nous ne voyons rien de
la vie des étudiants ou du personnel hors de l'établissement et, de façon frap­
pante, nous n'assistons à aucune conversation entre étudiants, que ce soit à
l’intérieur ou à l’extérieur d'une classe. Wiseman s’est concentré sur un seul
aspect de la vie du lycée : la façon dont les autorités de l’établissement exercent
leur pouvoir, comment elles obtiennent l’obéissance des élèves et des parents.

Les exercices constituent, dans le film, la stratégie la plus ordinaire. Les


cours consistent en interventions magistrales des professeurs, lectures à voix
haute ou activités disciplinées — gymnastique, cuisine, musique, exercices de
diction. La sélection opérée par le réalisateur est particulièrement évidente
dans un segment, où un professeur d’anglais se sert d’une chanson populaire
pour parler de poésie. Wiseman la montre en train de lire le texte à voix haute
puis de passer un enregistrement de la chanson, mais ne montre pas la discus­
sion qui a suivi avec les élèves. À d'autres moments, c'est par la flatterie que

505
les autorités cherchent à obtenir l’obéissance. Un administrateur dit à une
jeune fille quelle pourrait être une meneuse; le surveillant principal invite un
garçon à prendre $3 punition comme un homme. Si un conflit éclate, on voit
un professeur ou un administrateur prendre une mesure sévère pour appli­
quer strictement la discipline ou affirmer son autorité. Dans ce film, les res­
ponsables ne manquent jamais d’arguments. L'intérêt dramatique de chaque
scène dépend de notre capacité à reconnaître ce phénomène comme la répéti­
tion d’un meme scénario, celui de la victoire de l'autorité. Nous finissons par
attendre que le surveillant principal fasse taire un garçon hargneux ou qu’un
administrateur oblige les étudiantes à porter des vêtements plus stricts pour le
bal de fin d'année.

Les choix opérés par Wiseman donnent aussi à la catégorie neutre et


générale de la «vie du lycée* de sourdes qualités expressives que nous nous
attendons habituellement à trouver dans la forme associative. Une scène peut
décrire un défilé de tambours majors et une autre, un cours d’histoire ! ce qui
importe est que nous remarquions le caractère disciplinaire des deux situations.

La façon dont les différentes parties du film sont agencées témoigne aussi
du mélange des types formels. Le premier segment du film ébauche des effets
d'attente narrative. On voit, en ouverture, des rues, des autoroutes et, ponc­
tuellement, le lycée, filmés depuis un car ou un bus. Cela laisse penser que la
journée commence avec quelqu’un (professeur ? étudiant ?) se rendant à l’éta­
blissement. La séquence suivante, qui se déroule apparemment durant un
cours, tend à nous confirmer qu'il s’agit du début d’une journée. Mais le film
avance et aucun indice ne nous permet de repérer les différentes phases de
cette hypothétique journée. Nous voyons plus lard un autre cours ainsi que
plusieurs réunions, une simulation de vol dans l’espace et d'autres activités
qui ne peuvent vraisemblablement pas avoir toutes eu lieu en un seul jour.
Arrivés à la dernière séquence, qui montre une réunion de professeurs, nous
sommes incapables de nous situer chronologiquement — cette réunion pour­
rait avoir lieu à la fin de la journée comme à la fin du semestre. Ce que nous
montre le film, ce sont simplement différents aspects de la vie d’un lycée
réduits à des relations de pouvoir, des face-à-facc du type de ceux que nous
avons évoqués.

En général, High school expose ses catégories puis les relie de façon associa­
tive, en regroupant plusieurs séquences autour de thèmes. Quelques scènes
sont par exemple consacrées à la manière dont l'école aborde la sexualité et
les différences sociales entre les sexes. La séquence 15 montre un cours
«dhygiène» pour garçons, consacré à la famille: elle est suivie d’une séquence
montrant un groupe de jeunes filles auxquelles on fait un cours sur la sexua­
lité. Séquence 17. un administrateur et un professeur expliquent pourquoi

506
(U HIH I 1 - Lfl (fillIQU PI ri LU . UIIBPLU P HUSLVUI

tous les élèves de sexe féminin doivent porter des robes de soirée pour le bal
des étudiants. Séquence 18, des jeunes filles s’exerçant aux barres parallèles
sont hélées par leur professeur de gymnastique : «Allez! Nous sommes des
femmes.» Plus loin, trois autres cours d’éducation sexuelle sont regroupés
pour insister sur l'idée que l’école génère des modèles comportementaux défi­
nissant masculinité et féminité.

Vers la fin du film, une série de séquences associe l’éducation fournie au


lycée et l’armée. On peut voir ici à quel point l’ordre des séquences peut
façonner notre participation au film. Un soldat en permission, qui s’apprête à
partir, parle avec un entraîneur d’un ami blessé qui ne pourra plus jamais
jouer au football. La séquence suivante, qui nous montre simplement un
groupe de garçons faisant rebondir un énorme ballon, nous incite à les imagi­
ner en futurs soldats, dont certains seront peut-être tués ou mutilés. Suivent
une scène où un ensemble de tambours jouant dans l'amphithéâtre appelle à
nouveau des comparaisons militaires, et la dernière scène du film, où un pro­
viseur lit aux professeurs rassemblés la lettre d’un ancien élève sur le point de Figure 11.63
partir au Vietnam. La façon dont les scènes sont ordonnées nous pousse ainsi
à en relever des qualités émotionnelles et conceptuelles communes — une
convention de base de la forme associative. Un film ayant recours à cette
structure n'avance pas une argumentation particulière sur le sujet dont il
traite (la forme n'est pas rhétorique) mais il peut suggérer une sorte
d'« attitude» ou d’état d’esprit, comme A movie de Bruce Conner.

Les liens associatifs sont renforcés par d'autres moyens dom. en premier
lieu, la réapparition de motifs. Wiseman utilise des plans sur le couloir princi­
pal de l’établissement pour ponctuer les scènes. D’autres détaillent l'anatomie
des élèves — particulièrement des hanches et des jambes — pour souligner
l'idée de corps dociles qui attendent, se mettent en rang ou sont disposés à
accomplir tous les travaux qu'on leur attribue. L'autorité est par contre asso­ Figure 11.6-1
ciée aux mains : tout en parlant à des parents d'élèves, un administrateur serre
le poing et le cadre insiste sur ce geste par un gros plan (fig. 11.63); dans la
séquence suivante, la main du surveillant principal fait l’objet d'un cadrage
similaire (fig. 11.64).

Il est plus frappant de constater que certaines transitions entre les scènes
reposent sur des associations. Ce sont parfois de simples répétitions, comme
ce moment où un professeur demande : «Est-ce qu’il y a des questions?» et
que l'on raccorde sur un autre demandant : «Des questions ?». D’autres tran­
sitions sont plus figurées; un professeur achève sa lecture de Casey at the bat
sur la phrase : «Ce sacré Casey avait fait sortir la balle». Raccord sur une jeune
fille donnant un coup de batte dans une balle pendant un cours d’éducation
physique. Un professeur d’espagnol lève les bras pour diriger la classe lors

507
mm 4 - mmu ÎKIJ.I0U1

d'un exercice de prononciation (fig. 11.65); raccord sur un ensemble de per­


cussionnistes dirigé par un professeur (fig. 11.66). Toutes ces mises en rapport
évoquent la nature disciplinaire de l'enseignement. Bien que le film ne four­
nisse pas d’indications sur l’ordre temporel des séquences, il trouve son unité
à travers des récurrences de motifs et de transitions révélant des répétitions et
des ressemblances inattendues.
Les choix stylistiques du réalisateur viennent en général renforcer les
caractéristiques structurelles que nous venons d’évoquer. La segmentation de
la vie du lycée en différentes catégories passe par des effets de montage et des
effets sonores. Chaque séquence débute par un raccord abrupt sur une situa­
Figure 11.66 tion en cours et les premières images sont souvent des gros plans qui retardent
encore l’exposition générale de cette situation. Les aspects associatifs de la
forme du film dépendent aussi de procédés techniques produisant le type de
transitions surprenantes dont nous avons déjà parlées.
À l'intérieur des segments. la prise de vues, le montage et le son viennent
alimenter la dynamique narrative des scènes. Même si Wiseman filme des
situations qui ne sont pas mises en scène, il respecte les principes du style nar­
ratif classique; le zoom permet par exemple au cadreur de situer quelqu’un
dans un espace puis d’isoler des détails (figs. 1 L67,11.68). Il est plus frappant
de constater un recours massif au montage par continuité, se manifestant à
travers l’utilisation d’axes de jeu et de champ-contrechamps. En 11.69, l’étu­
diante blonde en bas à gauche du cadre est vue par derrière: le plan suivant,
fig. 11.70, est un contrechamp sur elle respectant la ligne des 180° qui la relie
au professeur. (Comparez ce raccord avec celui extrait du Faucon maltais pré­
senté en 8.61-8.63.) Mais lorsqu’il filme dans un lieu étroit, le réalisateur du
cinéma direct ne peut pas toujours obtenir un plan de situation. C'est pour­
quoi les directions de regard ou la cohérence des orientations sont dans High
schooldes éléments indispensables à la compréhension des continuités spatia­
Figure 11.67 les. Lorsque le professeur d'anglais lit Casey at the bat, par exemple. Wiseman

hgurc 11 M Figure 11.70

508
jwiîH h - u uuirn h Hlm. mœpiu niiuw

fait constamment alterner le plan où i! apparaît avec des élèves regardant vers
la gauche, alors qu'aucun plan ne les montre ensemble dans le même espace.
Le recours au montage par continuité fait plus que donner aux scènes une
cohérence que nous pouvions apprécier à travers notre connaissance des con­
ventions hollywoodiennes. Les raccords permettent aussi à Wiscman d’éluder
certaines actions et de dissimuler la saute temporelle qui en résulte grâce au
son hors-champ. En conservant la voix du professeur sur un plan de coupe
montrant un élève attentif, il peut éliminer, lors du raccord suivant sur le pro­
fesseur, des phrases entières de ce qu'il a dit. Dans la scène où le professeur
d’anglais étudie la chanson de Simon et Garfunkel. les plans de coupe et le
hors-champ sonore permettent à Wiseman d’éliminer les commentaires des
élèves sur le poème. Plans de coupe et hors-champs sonores produisent des
ellipses «invisibles» qui sont régulièrement employées dans les actualités télé­
visées — un raccord sur un journaliste hochant la tête permet souvent de
camoufler une coupe faite dans ce que dit la personne interviewée. C'est une
application documentaire du principe de chevauchement du dialogue que
nous avons évoqué au chapitre 9.
L’absence de plans de situation et le recours aux directions de regard peut
même produire cette sorte de • géographie imaginaire » étudiée par Koulechov
(chapitre 8). Nous suivons un professeur qui parcoure les couloirs en deman­
dant aux élèves leur carte. 11 tourne (fig. 11.71). On raccorde sur un plan
d'ensemble montrant une jeune fille qui s’éloigne dans un couloir (fig. 11.72).
Après que l'homme a ordonné à quelques étudiants de quitter le couloir, il
s’avance vers une porte et regarde à l’intérieur (fig. 11.73). Une musique hors-
champ devient progressivement plus forte; on raccorde sur un éleclrophûne
et des jeunes filles s’entraînant, en cours d’éducation physique. Le cadrage
insiste sur les jambes et les torses (fig. 11.74). Figure 11,71

Figure 11.72 Figure 11.73 Figure 11.74

509
- - PUIIL4 - IlILtfLH UHJMi-.- _____

Os raccords peuvent passer inaperçus; c’est l'analyse qui révèle que la


séquence repose sur quelques artifices. Une observation minutieuse du plan
montrant la jeune fille qui s’éloigne (fig. 11.72) permet de remarquer quelle
ne se trouve pas dans le couloir où le professeur fait sa ronde. Le phénomène
est le même pour le cours d'éducation physique, où il n’y a pas un plan de
situation qui, montrant à la fois le professeur et les élèves, nous permettrait
d’être sûr que le raccord donne à voir ce qu’il observe par la lucarne. En fait, si
nous gardons à l’esprit les conditions de tournage typiques du cinéma direct,
nous comprenons que la musique a dû être ajoutée a posteriori. (Si la musi­
que venait vraiment de la salle de sports, il y aurait eu une î???îî?? sur la bande
son correspondant au moment où l’opérateur a éteint la caméra pour entrer
dans la salle et filmer les élèves.) C’est donc à la fois le son et le montage qui
produisent l’effet Koulechov en nous incitant à relier deux choses qui ne sont
pas réellement contiguës. Il semble que la fonction de cet effet soit d’établir le
caractère lubrique du professeur, qui lorgne les filles dans le couloir ou dans le
cours d’éducation physique.

Après avoir analysé la façon dont High school détermine nos réactions, par
sa forme globale et des techniques cinématographiques particulières, il peut
paraître étrange de dire que le film est quelque peu ambigu. On constate
pourtant que la réception du film est variable : lorsqu’il fut montré pour la
première fois au conseil d’établissement du lycée, de nombreux responsables
en firent l'éloge, alors que d'autres commentateurs américains curent ten­
dance à considérer le film comme une critique de ce lycée et de l’enseigne­
ment supérieur en général. Est-ce que l'existence de ce débat indique que le
cinéma direct a ici atteint son objectif de simple capture du réel, de neutralité,
laissant à chaque spectateur sa propre interprétation des images ?

Nous pensons que cette diversité des réactions illustre la façon dont un
spectateur peut privilégier un type de signification sur un autre. Il semble que
les responsables de l’établissement se sont focalisés sur les sens référentiels et
explicites, traitant le film comme un document ne concernant que leur école
(une sorte de film de famille institutionnel) et comme une démonstration des
succès de leur enseignement. Ils ont peut-être donné trop de poids à un senti­
ment sous-jacent qui devient très explicite à la fin du film, lorsque la direc­
trice lit une lettre envoyée par l’étudiant qui est sur le point de partir au
Vietnam. Des critiques ont toutefois fourni une interprétation du film qui
venait souligner un sens implicite contraire au sens explicite : ce qui est mon­
tré, selon eux, c’est le caractère oppressif et bureaucratique de l’établissement.
Ces critiques pourraient se servir de notre analyse pour prouver que la forme
et le style du film, ainsi que ses stratégies de sélection et d’agencement,
décrivent une institution qui serait plus concernée par l'apprentissage de

510
jjmim h - Li umm u mu (uœpin $ nnuii

l’obéissance, de la soumission, que par celui d'une pensée critique, d’une


autonomie d’action et de la conscience de sa propre valeur.
Cette interprétation pourrait aussi s’appuyer sur la façon dont les chan­
sons de rock'n’roll font commentaire sur le caractère froid et austère de la vie
quotidienne dans le lycée, ou sur la scène finale, celle de la lecture de la lettre.
Dans cette scène, la progression du film entre discipline liée à renseignement
et discipline militaire est couronnée par un lien direct entre le lycée et l’armée.
La lettre du jeune garçon demande à tous de ne pas s’inquiéter: on revient sur
le motif des élèves comme corps dociles : • Je n'en vaux pas la peine. le ne suis
qu’un corps qui fait un travail.» La scène répète aussi le motif de la main de
Figure 11.75
l’autorité, lorsque le point est modifié durant la lecture (figs. 11.75, 11.76). Si
l’on adopte ce point de vue interprétatif, la dernière phrase prononcée dans le
film — • Lorsque l'on reçoit une lettre comme celle-ci, cela signifie que notre
établissement connaît une grande réussite. Je pense que vous serez d'accord
avec moi.» — devient ironique. L’ironie est souvent définie comme un conflit
de ce type entre l’explicite et l'implicite.
On pourrait même dire que le sens symptomatique du film renforce cette
interprétation. Décrire l’école comme un lieu où l'on apprend à se soumettre
est caractéristique de l’époque où le film a été réalisé. En 1968, de nombreux
réalisateurs interrogeaient tant certaines politiques du gouvernement, comme
l'engagement américain au Vietnam, que des valeurs plus générales de la
société occidentale. Figure 11.76
On peut considérer High schoo! comme un film ambigu dans la mesure où
ses sens référentiels et explicites vont à l'encontre de ses sens implicites et
symptomatiques. Néanmoins, le fait que le film puisse être à l'origine d'un
débat aussi précis sur l’ensemble de ses significations possibles laisse penser
que le cinéma direct n’est pas qu’un enregistrement neutre du monde tel qu’il
se présente face à la caméra et face au micro. Comme les autres types de
documentaires, le cinéma direct est une intervention cinématographique
active dans le monde et une autre manière, pour le réalisateur, d'aborder les
choix inévitables liés à la forme, au style et aux effets qu'il veut que son film
véhicule.

L'homme à la caméra
Chevûlek kinoapparatom. Réalisé en 1928, sertie en 1929. VUFKU, Union des
Républiques socialistes soviétiques. Réalisé par DrigJ Vertov. Photogtaphie
Mikhaïl Kaufman. Montage t Elizavela Svilova.

D’une certaine façon, L'homme d la caméra peut sembler proche de High


schooi. Film muet, il évite de fait l’emploi de toute musique pour guider nos

511
mm 4 - ofliviu uiiiiw

attentes (ou plutôt de toute musique contrôlée par le réalisateur, puisque dans
les salles de l’époque un piano ou un orchestre pouvaient accompagner la
projection). De plus, le film n’a pas recours à des intertitres qui fourniraient
un commentaire sur l’action, à l'inverse de la plupart des documentaires
muets. Cependant, L'homme d la caméra n'essaye pas, comme High school, de
donner l’impression que la réalité dont il rend compte n’est pas modifiée par
son traitement cinématographique : Dziga Vertov affirme au contraire la puis­
sance de manipulation du montage et du filmage, qui fondent une multitude
de petites scènes tirées de la réalité quotidienne en une sorte de documentaire
expérimental unique.
Le nom de Vertov est habituellement associé au montage : dans le
chapitre 8, nous avons cité un extrait de l'un de ses textes, où il identifie le
réalisateur à un œil rassemblant des plans venant de lieux différents et les
associant de façon créative pour le spectateur. Dans ses écrits théoriques, il
compare aussi l’oeil à l'objectif de la caméra sous le concept de «Ciné-œil*
(«Kino-Glaz»).
Dans L'homme d la caméra, cette idée —l’analogie entre l’œil du réalisa­
teur et l’objectif de la caméra — est au principe des aspects associatifs de la
forme du film. Ce dernier devient un éloge du pouvoir qu’a le réalisateur de
contrôler notre perception de la réalité au moyen du montage et des effets
spéciaux. La première image est un gros plan sur une caméra. Par un effet de
double exposition, nous voyons le cameraman du titre (interprété par l’opé­
rateur et directeur de la photographie habituel de Vertov, Mikhaïl Kaufman)
qui arrive soudain, en plan général, sur le dessus de cette caméra géante
(fig. 11.77). 11 installe son propre appareil sur un trépied, filme quelques ins­
tants, puis redescend. Ce jeu avec la taille du plan au sein d’une seule image
met immédiatement l’accent sur le pouvoir qu'a le cinéma de modifier la réa­
lité d’une façon qui peut paraître magique.

Figure 11.77 Figure 11.78 Figure 11.79

512
(WIIU 11 - Lfl (finioui H ÏIIB UlfflPLlî D milLG

Des effets spéciaux de ce type réapparaissent comme motif tout au long du


film. Ils ne sont pas censés être invisibles, comme dans un film de science-fic­
tion. Ils manifestent au contraire le fait que la caméra peut altérer la réalité la
plus quotidienne. La figure 11.78 en présente un exemple caractéristique:
Vertova filmé une scène de rue banale mais l’a modifiée en exposant séparé­
ment les moitiés droite et gauche de l’image, avec des inclinaisons inverses du
cadre. Plus loin, il anime par pixilation des objets réels; une écrevisse se met
ainsi à danser sur une assiette (fig. 11.79). Dans une autre scène, Vcrtov cher­
che à donner une expression visuelle au son d'une radio en associant par
surimpression, sur un même fond noir, des votes sur une danseuse et sur des
mains jouant au piano (fig. Il .80). Ce motif des effets spéciaux virtuoses cul­ Figure 11 «0
mine avec le célèbre plan final (fig. 11.81), où un œil, dirigé droit sur nous,
apparaît en surimpression sur l’objectif d’une caméra.
À plusieurs reprises, la caméra est aussi personnifiée, associée par le mon­
tage à des actions humaines. Un court segment montre le mouvement de
l’objectif lors d’une mise au point puis un plan flou sur des fleurs, qui devient
net. Suit une juxtaposition comique qui fait très rapidement alterner deux
éléments : les battements de paupières d’une femme se séchant le visage avec
une serviette et des stores vénitiens qui s'ouvrent et se ferment. Un dernier
plan montre le diaphragme de la caméra faisant de même. Un œil humain est
comme des stores vénitiens, l'objectif est comme un œil —ils peuvent
s'ouvrir et se fermer pour laisser ou non pénétrer la lumière. Plus lard, la pixi-
lation permet à la caméra de se déplacer toute seule : elle sort de sa valise, Figure 11.81
grimpe sur le trépied, expose le fonctionnement de ses différentes parties
(fig. 11.82) puis quitte le champ sur scs trois jambes. On est loin, avec ces
moments amusants et ludiques, du ton objectif de High school.
L'homme d la caméra appartient à un genre documentaire qui prit de
l'importance au cours des années 20 : la «symphonie urbaine». U y a bien sûr
de nombreuses façons de faire un film sur une ville. On peut avoir recours à la
forme catégorielle pour exposer systématiquement des aspects de sa géogra­
phie ou évoquer ses lieux touristiques, comme dans les films du même nom;
la forme rhétorique peut servir à organiser des arguments concernant certains
aspects urbanistiques ou de politique gouvernementale qui ont besoin d'être
modifiés. Un récit peut mettre l'accent sur une ville servant de toile de fond
aux actions d'un grand nombre de personnages, comme dans Rome, ville
ouverte, de Robeno Rossellini, ou dans l’intrigue criminelle semi-documen­
taire de Jules Dassin, La cité sont voiles. Mais les premières symphonies urbai­
nes instaurèrent une convention, celle de filmer sur le vif (ou parfois, avec
mise en scène) des scènes de la vie quotidienne d'une ville et de les relier,
généralement sans commentaire, par des associations suggérant des émotions
Figure 11.82
ou des idées. La forme associative est manifeste dans les plus anciens

513
HillM --iiiuiw Wiww_____________________

représentants du genre : Rien que les heures (Alberto Cavalcanti, 1926) ou


Berlin, symphonie d'une grande ville (Walter Ruttmann, 1927). Des films plus
récents comme Koyaanisqatsi (1983) et Powaqqaisi (1988), de Godfrey
Reggio, mettent en œuvre des procédés semblables, rejetant le commentaire
off au profil d’un accompagnement musical qui, associé aux juxtapositions
visuelles, produit des sentiments particuliers et évoque certaines idées.
Au début de L'homme à la caméra, nous voyons un opérateur de prise de
vues en train de filmer; passant ensuite derrière les rideaux d’une salle de
cinéma déserte, il s’avance vers l’écran. Nous voyons l'ouverture de la salle,
que des spectateurs viennent remplir; l’orchestre se prépare à jouer et le film
commence. Le film que nous regardons avec le public semble être, au premier
abord, une symphonie urbaine du type de celle de Walter Ruttmann, qui pré­
sente une journée ordinaire de la vie d’une grande ville. Nous voyons une
femme endormie, des mannequins dans un magasin fermé, des rues désertes.
Bientôt, quelques silhouettes apparaissent et la ville se réveille. L'homme à la
caméra sc développe en fait, pour sa plus grande partie, suivant un principe
très simple qui nous fait passer du réveil aux heures de travail puis aux
moments de loisirs. Mais au début de la partie présentant le réveil de la ville
nous revoyons le cameraman, sortant avec son matériel comme s’il commen­
çait sa journée de travail. C’est le premier paradoxe d’une longue série : l’opé­
rateur apparait dans son propre film, ce que Vertov souligne en raccordant
immédiatement après sur la femme endormie, que nous avons vu au tout
début du film dans le film.
Tout au long de L'homme à la caméra, nous verrons, dans le désordre, les
mêmes actions et les mêmes plans filmés, montés et vues par le public présent
à l’image. Vers la fin du film, celui-ci regarde sur l’écran l’opérateur en train
de filmer depuis une moto en marche. Dans cette dernière partie, un grand
nombre de motifs provenant des moments précédents de la journée revien­
nent, souvent en accéléré; l’ordre élémentaire de la symphonie urbaine ordi­
naire est bouleversé, brisé. Vertov crée une chronologie impossible, mettant
une fois de plus l’accent sur l’extraordinaire pouvoir de manipulation du
cinéma. Le film se refuse aussi à ne montrer qu’une seule ville et mélange
pour cela des plans filmés à Moscou, Kiev et Riga, comme si son héros, l’opé­
rateur, pouvait aller et venir sans difficulté entre tous ces lieux durant cette
seule «journée» de tournage. Le point de vue de Vertov sur la relation du
cinéma au paysage urbain est clairement exprime dans une image où une
grande profondeur de champ permet à la caméra d’apparaître au premier
plan, surplombant les immeubles lointains et exécutant une série de panora­
miques affolés pour en saisir plusieurs vues sur la pellicule (fig. 11.83). Si
L’homme à la caméra est donc bien une symphonie urbaine, on peut aussi dire
Figure 11.83 qu’il dépasse le genre.

514
(IU11UU JJ - JA («IIJW JUjm umi.» i.n.in

Hormis cet éloge exubérant des puissances du cinéma, le film de Vcrtov


contient de nombreuses significations explicites et implicites, dont certaines
peuvent être ignorées par les spectateurs qui ne lisent pas le russe. Explicite­
ment, le film veut célébrer et critiquer differents aspects de la société soviéti­
que, dix ans après la révolution. Travail humain et machines sont souvent
juxtaposés. L'U.R.S.S., dirigée par Staline, entamait alors une grande campa­
gne d'industrialisation; les usines mécanisées sont décrites comme des lieux
fascinants pleins de mouvements énergiques, et la caméra s'attarde sur des
mécanismes luisants et nerveux (fig. 11.84). L'opérateur escalade une énorme
cheminée d'usine ou se suspend au-dessus d’un barrage pour pouvoir saisir
toute cette activité. Les ouvriers ne sont pas montrés comme opprimés mais Figure 11.84

participant avec enthousiasme à la croissance du pays-—c’est par exemple le


moment où une jeune femme rit et discute tout en confectionnant, à la
chaîne, des paquets de cigarettes.
Vertov montre aussi les maux de la société contemporaine, par exemple les
inégalités sociales persistantes. Des vues d’un magasin de produits de beauté
suggèrent que certaines valeurs bourgeoises ont survécues à la révolution et la
séquence consacrée aux loisirs, vers la fin du film, oppose des ouvriers faisant
du sport en extérieur et des femmes potelées pratiquant des exercices d'amai­
grissement. Vertov prend aussi le temps de critiquer l'alcoolisme, un pro­
blème social majeur en U.R.S.S. L'un des premiers plans du film dans le film
montre un clochard dormant dehors, qui succède à une énorme bouteille fai­
sant la publicité d'un café. devanture d'un bar, que l'on reverra plusieurs
fois, est couverte de publicités pour de la vodka et du vin. L’opérateur y entre
et lorsqu’il en ressort, nous voyons une courte série de plans montrant des
clubs d’ouvriers installés dans d’anciennes églises. L'opposition entre ces deux
lieux où les travailleurs peuvent venir passer leur temps libre -—le bar et le
club — est soulignée par un montage alterné associatif : une femme qui tire à
la carabine sur des cibles, dans un club, semble abattre des bouteilles de bière
qui disparaissent (par la technique de l'image par image) d'une caisse se trou­
vant dans le bar. Durant les années 20, l'État mit en place une politique stricte
visant à remplacer, dans la vie des citoyens soviétiques, les cafés et l'église par
le cinéma et les clubs d’ouvriers. (La plus grosse source de revenus de l'État
provenant de son monopole sur le commerce de la vodka, cette politique avait
aussi pour objectif de faire du cinéma une importante source de revenus alter­
native.) L'homme à la caméra semble donc subtilement promouvoir cette poli­
tique, par la mise en œuvre de procédés techniques amusants qui rendent
attrayants tant le cinéma que les clubs.
L'homme à la caméra peut être considéré, implicitement, comme une
défense des idées de Vertov sur le cinéma. Vertov s’opposait à la forme narra­
tive et à l'utilisation d'acteurs professionnels, préférant que les films aient

515
mm 4 - uujub uiiiiw

recours aux techniques de prise de vues et de montage pour produire leurs


effets sur le public. Toutefois, il n'était pas totalement contre un certain con­
trôle de la mise en scène, comme en témoignent clairement plusieurs
moments — en particulier le réveil et la toilette de la jeune femme. Tout au
long de L'homme à la caméra, des juxtapositions à caractère associatif compa­
rent le travail de réalisation cinématographique avec d’autres types de tra­
vaux. L’opérateur se lève et va travailler à la même heure que les autres
ouvriers. Comme eux, il se sert d’une machine; la manivelle de la caméra est
comparée à diverses occasions avec celle d'une caisse enregistreuse ou avec les
pièces mobiles de machines industrielles. Ces dernières ressemblent aussi aux
parties mobiles du projecteur.
Vertov montre plus loin quel travail est à l'origine du film dans le film que
nous regardons en même temps que le public représenté. Nous voyons une
monteuse (Elizavcta Svilova, femme de Vertov et véritable monteuse de
L'homme à la caméra) dont les gestes —gratter une partie de la pellicule et
l'enduire de colle avec une brosse pour faire une collure — alternent avec ceux
d'une manucure utilisant une lime et une brosse à ongle. À différents
moments, nous voyons les memes plans dans différents contextes : sur l’écran
face à nous ou sur l’écran regardé par les spectateurs du film dans le film, arrê­
tés, en train d'étre filmés, coupés ou collés par la monteuse, accélérés, etc. On
ne peut plus alors seulement les voir comme les moments d’une réalité enregis­
trée par la pellicule; ce sont aussi les composantes d’un tout, assemblées grâce
aux efforts des techniciens, les travailleurs du film. Il y a, enfin, l'opérateur, qui
prend parfois des risques pour réussir à tourner un plan : il escalade une
énorme cheminée d’usine, s'accroupit au travers d'une voie de chemin de fer
pour filmer un train qui s’avance vers lui ou, pour filmer une course, conduit
une moto d'une main tout en tournant la manivelle de la caméra de l'autre.
La réalisation cinématographique est donc présentée comme un travail, un
métier, non comme une forme d'art destinée à une élite. À en croire les réac­
tions ravies du public montré par Vertov, ce dernier espérait que les specta­
teurs soviétiques trouveraient son éloge de la réalisation tout à la fois
intéressant et divertissant.
Ce sens implicite est en rapport avec un sens symptomatique. À la fin des
années 20, les autorités soviétiques voulaient des films qui, facilement com­
préhensibles, permettent à la propagande de toucher une population souvent
illettrée et dispersée sur un vaste territoire. Elles étaient de plus en plus criti­
ques à l'égard de réalisateurs comme Eisensteïn ou Vertov, dont les films exal­
taient les idées de la révolution mais étaient aussi extrêmement complexes.
Nous avons évoqué au chapitre 8 le style dense et discontinu du montage
eisensteinicn. Alors que Vertov était en désaccord avec Eisensteïn sur de nom­
breux points, en particulier la façon dont il employait la forme narrative, tous

516
cumu II - il wiuluk ni» lufipw numu

les deux appartiennent à un même mouvement stylistique parfois appelé


«I ecole soviétique», sur l’histoire duquel nous revenons dans le chapitre 12,
Vertov et Eisenstein mettaient en œuvre des montages très complexes, grâce
auxquels ils espéraient pouvoir prédéterminer les réactions des spectateurs. La
chronologie paradoxale et le montage rapide de L'homme à la caméra (le film
contient plus de 1700 plans, plus du double des productions hollywoodiennes
de l’époque) en font une oeuvre difficile, particulièrement pour un public qui
n'était pas habitué aux conventions cinématographiques. Un plus grand nom­
bre de spectateurs soviétiques auraient peut-être appris, avec le temps, à
apprécier des œuvres comme Octobre ou L'homme à la caméra, et à connaître
le plaisir manifeste du public montré dans ce dernier. Mais au cours des
années suivantes, les autorités critiquèrent de plus en plus le réalisateur et ses
pairs, réduisant leur capacité à expérimenter autour de concepts comme celui
de «ciné-œil». Vertov, en particulier, fut gêné dans la réalisation de ses projets
ultérieurs, mais L’homme à la caméra fut finalement reconnu, en Union sovié­
tique et ailleurs, comme une tentative classique d’application de la forme
associative au documentaire.

Forme, style et idéologie


Le chant du Missouri
M«t me in Saint Louis. 1944. MGM. Réalité par Vincente Minnelli. Scénario :
Irving Rrcchcr et Fret! F. FinHeboffe, d'après le livre de Sally Bcnson,
Photographie : Georges Fobey. Montage Albert Aksl. Musique: Hugh
Martin et Ralph Blanc. Avec Judy Garland, Margaret O'Bricn. Mary Astor.
Lucille Bremet, Leon Ames.Tom Drake.

Au début de la seconde moitié du Chant du Missouri, Alonzo Smith annonce à


sa famille rassemblée qu’il a été muté à un nouveau poste, à New York. «Je
dois penser au futur — notre futur à tous. Je dois m'inquiéter de la façon dont
l’argent rentre», dit-il au groupe consterné. Ces idées sur la famille et le futur,
centrales pour la forme et le style du film, constituent aussi un cadre idéolo­
gique à l’intérieur duquel le film trouve tout son sens et son impact.
Tous les films que nous avons analysés jusqu’ici pourraient être étudiés
pour leurs positions idéologiques. Tout film associe des éléments formels et
stylistiques de façon à produire un point de vue idéologique, tacite ou directe­
ment exprimé. Nous avons choisi de mettre l’accent sur l’idéologie du Chant
du Missouri parce que ce film ne cherche manifestement pas à changer les opi­
nions de son public mais plutôt à renforcer certains aspects d'une idéologie
sociale dominante. Comme la plupart des films hollywoodiens, il cherche à

S17
mut < - ilium ojjuü

perpétuer ce que I on donne comme des valeurs américaines typiques : l'unité


familiale, la vie domestique.
Le chant du Missouri se déroule durant les préparatifs de la grande foire de
Louisiane à St Louis, foire qui constituera le point culminant de l'action. La
forme du film est exposée de façon directe par des cartons annonçant chacune
des quatre sections du récit, qui correspondent à quatre saisons, dont la pre­
mière est «Été 1903». Le film peut ainsi évoquer simultanément le passage du
temps (assimilé à une progression vers la foire du printemps 1904, qui appor­
tera à Saint-Louis les fruits du progrès) et le cycle immuable des saisons.
Les Smith sont une famille nombreuse mais très unie vivant dans une
imposante maison victorienne. Le fait que le film soit structuré suivant le
rythme des saisons permet de nous montrer les Smith aux moments tradi­
tionnels d'unité familiale, les fêtes; nous les voyons fêter Halloween et Noël. À
la fin, la foire devient comme une nouvelle fête célébrant la décision des
Smith de rester à Saint-Louis.
L’ouverture du film introduit rapidement l'idée que Saint-Louis est une
ville entre tradition et modernité. Le carton fantaisie qui annonce l’été est
orné comme une boite de bonbons, avec ses fleurs blanches et rouges entou­
rant une vieille photographie en noir et blanc de la maison des Smith. La
caméra y pénètre, les couleurs apparaissent et l’ensemble prend vie. Les lents
et doux accords qui accompagnaient l'image du carton laissent place à un air
énergique qui s'accorde plus aux mouvements à l’écran : des chariots et des
voitures à cheval passent sur la route, bientôt doublés par une automobile (un
des premiers modèles de l’époque, d'un rouge vif qui attire notre attention).
Le motif de l’invention et du progrès est déjà mis en évidence: il se dévelop­
pera rapidement dans le cadre des préparatifs pour la foire,
Lan Smith, le fils, arrive à la maison à bicyclette et un fondu enchainé nous
transporte à l'intérieur pour une présentation des différents membres de la
famille. Nous les rencontrons un par un, se préparant à leurs activités quoti­
diennes dans la maison. La caméra suit la seconde des cadettes, Agnès, qui va
à l'étage en chantant Mectme in Suint Louis. Elle croise Grandpa, qui reprend
la chanson et est brièvement suivi par la caméra. Des raccords dans le mouve­
ment très précis, aux moments où les personnages se passent la chanson, pro­
duisent à l’image un flot de mouvements qui fait de la maison un lieu plein
d'animation et de musique. Grandpa entend des voix, hors-champ, qui fre­
donnent le meme air; il s’avance vers une fenêtre et un plan en plongée, pris
par-dessus son épaule, montre la seconde des aînées, Esther, sortant d’un
buggy. Son arrivée boucle la séquence en nous ramenant devant la maison.
La maison demeure le principal symbole de l'unité familiale dans la plus
grande partie du film. A l’exception de l’expédition des plus jeunes qui vont

518
!OLOHU 11 - LU ffilTIOIll H J LL B L ÜWU!iMlUimi

assister, en tramway, à l’édification des bâtiments de la foire, du bal de Noël et


de la séquence finale, aussi à la foire, toute l'aciion se déroule à l'intérieur ou à
côté de la maison des Smith. Le travail de M. Smith pourrait être le prétexte à
des scènes new-yorkaises, mais nous ne le voyons jamais au bureau. Dans la
séquence d'ouverture, les membres de la famille rentrent un par un à la mai­
son jusqu’à ce qu'ils soient tous réunis autour d’une table, pour le dîner. Cha­
que section du film débute par un carton identique à celui que nous avons
décrit et un mouvement en avant vers la maison, dans l’idéologie du film,
la maison semble être un lieu autosuffisant; les autres institutions sociales
deviennent secondaires, voire menaçantes.
Cette vision d’une famille unie dans un cadre domestique idéal place les
femmes au centre du récit. La narration ne limite pas notre savoir à celui d’un
seul personnage mais tend à se concentrer sur celui des membres féminins de
la famille Smith : Mme Smith, Rose, Tootic la cadette et, plus particulière­
ment, Esther. I^s femmes sont de plus décrites comme les agents de la stabilité
familiale. L’action revient continuellement à la cuisine où la mère et la bonne,
Katie, travaillent calmement au milieu des diverses petites crises. Les hommes
représentent par contre une menace pour l'unité de la famille. M. Smith veut
emmener cette dernière à New York, au risque de détruire ses attaches avec le
passé. Lon part pour l’« Est », au collège de Princeton. Seul Crandpa, représen­
tant l'ancienne génération, soutient les femmes dans leur volonté de rester à
Saint-Louis. En général, tout départ de la maison devient, en termes de causa­
lité narrative, une menace — on voit ici comment les principes de développe­
ment d'un récit peuvent être à l'origine d'un postulat idéologique.
Il y a quelques petits désaccords au sein de la famille mais dans l’ensemble,
ses différents membres coopèrent. Les deux aînées, Rose et Esther, s'entrai­
dent dans leurs flirts. Esther est amoureuse du garçon d’à côté, John Truitt;
un mariage avec lui ne menace pas l’unité familiale. Parce qu’ils sont voisins,
elle peut à plusieurs reprises regarder la maison de John sans avoir à quitter la
sienne. Elle va d’abord sur le porche, avec Rose, pour essayer d'attirer son
attention; puis elle s'assoit à sa fenêtre pour chanter The boy ncxt door, «Le
garçon d’à-côté». Enfin, bien plus tard, juste après leurs fiançailles, elle
s’assoit dans l'obscurité d’une chambre, à l’étage, et regarde John abaissant le
store de sa propre fenêtre. Que les filles puissent vouloir voyager ou continuer
leurs études au-delà du lycée n’est jamais évoqué. En se focalisant sur le cercle
des petits incidents de la maisonnée et du voisinage, le film prévient toute
considération sur d’autres modes de vie — à l'exception du départ, redouté,
pour New York.
Un grand nombre de procédés stylistiques contribuent à la création de
l’image d'une famille heureuse. Le Technicolor est pour beaucoup dans
l'aspect «luxueux» de la mise en scène, mettant somptueusement en valeur

519
Htm 4 - miiiiniiiimi

les costumes, les décors ou la couleur des cheveux des personnages (planches
44 et 45) , Ceux-ci portent des vêtements de couleurs vives : Esther, souvent en
bleu, porte du rouge pendant le bal de Noël et sa soeur Rose, du vert. Cela ren­
force l'association entre l'unité familiale et les périodes de fête et permet par
ailleurs de repérer plus facilement les deux sœurs dans la masse tourbillon­
nante des danseurs vêtus de tons pastel. La planche 45 présente un plan extrait
de la scène du tramway où Esther attire le regard parce qu clic est le seul per­
sonnage en noir au milieu des vêtements de couleurs vives.
Le chant du Missouri est une comédie musicale, et la musique joue un
grand rôle dans la vie de la famille. Les chansons interviennent aux moments
romantiques ou lors des réunions familiales. Rose cl Esther chantent Mcet me
in Saint Louis dans le salon avant le dîner; lorsque le père, revenant du travail,
les interrompt —«Pour l'amour du ciel, arrêtez ces hurlements!»— il est
immédiatement identifié comme s’opposant tant au chant qu’à la foire. Les
autres chansons d’Esther montrent que son histoire d’amour avec John Truitt
est solide et raisonnable. Une femme n’a pas besoin de quitter la maison pour
trouver un mari : elle peut le trouver dans son quartier ( The boy nexf door) ou
en prenant le tramway (The trolley song). D’autres chansons accompagnent les
deux fêtes. Esther chante enfin pour Tootie, après le bal, Hâve yourself a merry
Utile Chrisimas, essavanl de rassurer la cadette en lui disant que tout se passera
bien à New York si la famille peut rester unie.
Mais il y a aussi dans la chanson d’Esther le pressentiment que cette unité
est menacée : « Un jour prochain nous serons tous ensemble, si les Parques le
permettent / En attendant, nous devrons peiner un peu.» Nous savons déjà
qu’Esther a atteint son objectif romantique par ses fiançailles avec John Truitt.
Si les Smith s'en vont effectivement à New York, elle devra choisir entre lui et
sa famille. Le récit se retrouve, à partir de là, dans une impasse: quoi quelle
décide, le mode de vie de toujours sera détruit. Il faut une résolution à ce
problème; à la fin de la chanson, les pleurs hystériques de Tootie conduisent
M. Smilh à revenir sur sa décision.
La destruction des bonshommes de neige par la cadette, succédant à la
chanson d’Esther, est une représentation frappante de la menace que consti­
tue le départ à New York pour la cohésion familiale. Au début de la section
hivernale du film, les enfants font des bonshommes (et un chien] de neige
dans la cour. Ils créent ainsi, en modelant des figures de différentes tailles et de
différents sexes, un parallèle avec leur propre famille. Au départ ces bonshom­
mes de neige faisaient partie de la scène comique où Esther et Katie persua­
dent I.on et Rose d'aller ensemble au bal de Noël. Mais lorsque Tootie devient
hystérique face à la perspective du départ pour New York, elle descend et sort
en chemise de nuit pour les détruire. La scène est presque choquante, Tootie
semblant tuer les doubles de sa propre famille. Ce moment doit être fort.

520
uouilij is (jiuui » m» mnmi mniiui

excessif, pour justifier le revirement du père. Il réalise que son désir de partir à
New York met en danger les liens internes de la famille et décide par consé­
quent de rester à Saint-Louis.
Deux autres éléments de mise en scène sont à l'origine de motifs souli­
gnant le confort de la vie familiale. Les Smith vivent entourés de nourriture.
Dans la première scène les femmes préparent du ketchup, chichement servi au
cours du diner. Mais après la scène où le petit ami de Rose, avec qui elle parle
au téléphone, ne la demande finalement pas en mariage, les tensions retom­
bent et la bonne sert de larges tranches de corned-beef.
Dans la scène qui se déroule pendant Hallowccn, le lien entre l'abondance
de la nourriture et l’unité familiale devient encore plus explicite. Il y a tout
d’abord le moment où les enfants se réunissent pour manger des gâteaux et de
la glace. Le père arrive et annonce le départ pour New York : tout le monde
s’en va sans avoir touché à la nourriture. C’est seulement lorsqu’ils entendent
la mère et le père chanter et jouer du piano qu’ils reviennent progressivement
pour manger. Les paroles de la chanson — « Le temps peut s'écouler, nous res­
terons ensemble»— accompagnent leurs actions. L'utilisation de la nourri­
ture comme motif associe la vie domestique à l'abondance et à l’assurance,
pour chaque individu, d'avoir une place dans le groupe. À la foire, dans la
dernière séquence, ils décident d’aller tous ensemble au restaurant : le motif
de la nourriture revient au moment où se réaffirme la possibilité de vivre en
famille à Saint-Louis.
Un second motif associé à l’unité familiale concerne la lumière. La maison
est la plupart du temps éclatante de lumière, comme enflammée. Au moment
où la famille s'assoit pour diner, le soleil bas de fin de soirée envoie d'intenses
rayons jaunes à travers les rideaux blancs. Plus tard, lors de l’une des scènes les
plus charmantes du film, Esther demande à John de l’accompagner au rez-de-
chaussée pour l'aider à éteindre les bougies. Celte scène est essentiellement
constituée d'un seul plan long, à la grue, qui suit les deux personnages d'une
pièce à l’autre. À chaque arrêt, le lustre vivement éclairé est cadré dans la par­
tie haute de l’image (planche 44). Les pièces s’obscurcissent, le couple rejoint
le vestibule et la caméra descend au niveau de leurs visages. Le plan se déve­
loppe suivant un remarquable changement de ton : il débute par le prétexte
que trouve Esther pour garder John auprès d'elle, tellement forcé qu’il en
devient comique (-J’ai peur des souris»), et s'emplit progressivement d'une
atmosphère profondément romantique.
La séquence qui se déroule durant Halloween est entièrement nocturne et
fait de la lumière un motif central. La caméra commence par s’avancer vers les
fenêtres baignées de jaune de la maison; une musique légèrement inquiétante
en fait un flot rassurant au milieu de l’obscurité. Tootie et Agnès sortent pour

521
‘ - ««UULLUIUJULU___

rejoindre les auires enfants et s'amuser; leurs silhouettes se détachent contre


les flammes du feu allumé par le groupe. Le feu semble tout d'abord être un
élément menaçant, en contradiction avec les associations précédentes entre la
lumière, la sécurité et l'unité domestique, mais cette scène s’accorde en fait
avec les utilisations antérieures de la lumière. Tootic est exclue du groupe
parce quelle est «trop petite». Après avoir prouvé sa valeur, elle est autorisée à
aider à alimenter le feu comme les autres. 11 faut remarquer, en particulier, le
long travelling arrière qui précède Tootic lorsqu'elle s'éloigne pour aller jouer
toute seule: le feu reste en fond de plan, comme un havre quelle laisserait
derrière elle. La première séquence de la section consacrée à Halloween
devient en fait une sorte de miniature opérant hors du reste de la structure
narrative. Tootie perd son statut de membre du groupe lorsqu'elle s'éloigne
du feu, puis l’affirme triomphalement lorsqu'elle revient.
De la même façon, la lumière joue un rôle important dans la résolution du
problème menaçant l'unité familiale. Tard, la veille de Noël, Esther trouve
Tootie réveillée. Elles regardent par la fenêtre les bonshommes de neige qui se
dressent en bas, dans la cour. Un rais de lumière jaune tombe sur la neige,
évoquant la chaleur et la sécurité de cette maison qu’il est question de quitter.
Toutefois, les pleurs hystériques de Tootie conduisent le père à revenir sur sa
décision. Il s’assoit, pensif, conservant entre les doigts une allumette enflam­
mée avec laquelle il s’apprêtait à allumer un cigare et qui finit par le brûler.
Associée à une version lente du thème Meet me in Saint Louis, cette flamme
permet de souligner sa distraction et son changement d'avis.
Il appelle les autres membres de la famille pour qu’ils descendent et com­
mence à allumer routes les lumières. Le hall d'entrée, sombre et lugubre,
encombré de caisses, devient à nouveau le cadre d’une intense activité au
moment où la famille se rassemble. Les verres des lampes produisent des
ombres rouges et vertes qui donnent à la maison des couleurs de Noël et
l'annonce de la décision mène directement à l’ouverture des cadeaux, comme
pour souligner le fait que rester à Saint-Louis éloignera la famille des pro­
blèmes financiers.
Lorsque la nuit tombe dans la dernière séquence, les nombreuses lumières
de Saint-Louis s’allument et se reflètent de façon éblouissante dans les lacs et
les canaux. Le film se termine sur la famille contemplant ce spectacle avec une
sorte de crainte respectueuse. Une fois de plus, la lumière est synonyme de
sécurité et de plaisir pour les personnages. Dans cette scène, elle regroupe
aussi les autres motifs du film. Le père voulait, à l’origine, partir à New York
pour assurer l’avenir de scs proches. En décidant de rester à Saint-Louis, il
leur dit : - New York n'a pas le monopole des opportunités. Saint Louis sera
bientôt en tête, et cela nous permettra de garder la tête haute. C’est une ville
formidable.» La foire confirme ces affirmations. Saint Louis permet à la

522
h - h (JIIIWH IIU, min» rmum

Famille de conserver son unité, son confort et sa sécurité, tout en profilant de


tous les avantages du progrès. Le film s’achève sur ce dialogue :

La mère : 11 n’y a jamais rien eu de ici au monde.


Rose : On n'a pas besoin de venir ici en irain « de descendre dans un hôtel.
C’est dans noire propre ville.
Tooiie : Grand-père, ils ne la démoliront Mutais, n'est-ce pas ?
Le grand-père : Eh bien, ils n’ont pas intérêt.
Esiher : le n'arrive pas à y croire. Juste là où nous viwns. luste là, à Saint-
Louis.

Ces répliques ne créent pas l'idéologie du film, qui a été continuellement


présente dans le récit et les procédés stylistiques. Elles ne font qu'expliciter ce
qui était resté jusque là implicite.
La foire résout le problème de l’avenir et de l'unité de la famille, qui peut
grâce à elle aller dans un restaurant français sans s'éloigner de la maison. La
fin rétablit aussi le père dans sa position de chef de famille : il est le seul à se
rappeler comment arriver au restaurant et se prépare à y conduire le groupe.
Pour comprendre l’idéologie d’un film il faut généralement analyser la
façon dont le style et la forme y produisent du sens. Comme on l'a proposé au
chapitre3, le sens peut être de quatre types: référentiel, explicite, implicite,
symptomatique. Notre analyse du Chant du Missouri a montré comment ils
viennent tous renforcer une idéologie sociale liée aux valeurs de la tradition, de
la vie domestique et de l'unité familiale. Les aspects référentiels du film présup­
posent que le public peut saisir la différence entre Saint-Louis et New York et
qu’il sait, entre autres, ce que sont les expositions internationales, les habitudes
des familles américaines ou les jours fériés américains. Pour toutes ces raisons,
le film s'adresse plus particulièrement à un public américain. Le sens explicite
du film est formulé au cours du dialogue final que nous venons de citer, où la
petite ville est évoquée comme un mixte parfait de progrès et de tradition.
Nous avons aussi décrit la façon dont la construction formelle et les motifs
stylistiques créent l’un des sens implicites majeurs du film : la famille et la
maison sont un «havre de paix dans un monde sans pitié», le principal repère
dans la vie d'un individu. Qu’en est-il, alors, du sens symptomatique ?
D'un point de vue général, le film exprime une tendance des idéologies
sociales à «naturaliser» les comportements culturels et sociaux. On a dit au
chapitre 3 qu’il peut paraître impossible à certains groupes sociaux de remet­
tre en question les systèmes de valeurs ou de croyances sur lesquels ils repo­
sent. L’une des façons dont ces groupes perpétuent leurs systèmes est de poser
comme principe qu’il y a certaines choses que l'homme ne peut ni choisir ni
contrôler, qui sont tout simplement • naturelles». Historiquement, cette façon
de penser a souvent servi à justifier l'oppression et l’injustice, par exemple la

523
HIIJl 4 - UILY5U (HBULU

croyance en une infériorité intrinsèque des femmes, des groupes minoritaires


ou des pauvres, Le chant du Missouri participe de cette tendance, non seule­
ment par sa description des personnages féminins (Esfhcr et Rose sont sim­
plement supposés vouloir un mari) mais aussi par le fait que c’est une famille
blanche bourgeoise qui a été choisie comme emblème du mode de vie amé­
ricain. L’organisation formelle générale du film présente une naturalisation
plus subtile : le cycle des saisons est en accord avec la vie familiale et le récit
s’achève au printemps, période du renouveau.
On peut aussi se concentrer sur des sens symptomatiques historiquement
plus précis, le film est sorti en 1944, vers la fin de la Seconde Guerre mon­
diale. Son public devait être composé, en grande partie, de femmes et
d’enfants dont les maris ou les pères étaient absents depuis longtemps, partis
sur d'autres continents. Les familles étaient souvent forcées de se séparer et
ceux qui restaient à l’arrière devaient faire de grands sacrifices pour l'effort de
guerre. Dans une période où l’on exigeait d’un grand nombre de femmes
qu elles travaillent dans les sites, les usines cl les administrations de l'armée
(ce qui plaisait à beaucoup), sort un film qui limite leur domaine de compé­
tence et d’expérience à la maison et à la famille, regrettant une époque plus
simple où l’unité familiale passait avant tout.
Le chant du Missouri peut ainsi être regardé comme le symptôme d’une
nostalgie pour l’Amérique d’avant-guerre et d’avant la grande dépression.
Dans le public de 1944, les parents des jeunes gens partis au combat se sou­
venaient de ces années 1903-1904 comme celles de leur enfance. On peut
considérer que tous les procédés formels du film —construction narrative,
segmentation suivant le cycle des saisons, chansons, couleurs et motifs —
étaient destinés à rassurer les spectateurs : si les femmes et tous ceux restés à
l'arrière, chez eux, pouvaient être suffisamment forts pour maintenir leurs
familles unies face aux périls de la séparation, l'harmonie finirait par renaître.
En mettant en avant cette idéologie à un moment où un si grand nombre de
personnes avaient été obligées de quitter leur foyer, Le chant du Missouri per­
pétuait les conceptions dominantes de la vie familiale américaine et proposait
même un modèle d’unité familiale pour l'après-guerre.

524
(wiih h - uu.ijiijiiioi • HiüiiLu Hiiiimi

Raging bull
1980. United ArtisU. Réalisé pjr «Martin Scoriesc. Scénario : Paul Schrader el
Mardi k Martin, à partir du livre Raging Bull de Jakr La Moi ta. Joseph Carter et
Peter Savage. Photographie : Michael Chapman. .Montage: ïhelma Schoon-
maker. Avec Robert de Nino.Cathy Moriarty, Joe Pesei, Frank Vincent, Nicho-
las Colasanto, Therew Saldana.

Dans noire analyse du Chant du Miisourt. nous avons défendu l'idée que le
film perpétue une idéologie typiquement américaine. Mais un film hollywoo­
dien peut aussi avoir une position plus ambiguë face à des questions d'ordre
idéologique. C'est ce que fait le Raging bull de Martin Scorsese en prenant la
violence pour thème central.
La violence est très répandue dans le cinéma américain, elle est souvent au
principe du spectacle. Dans les dernières décennies, une violence extrême
s'est installée au cœur de plusieurs genres tels que la science-fiction ou le film
d’horreur, qui la traitent avec une stylisation la rendant peu dérangeante. Une
série de morts sanglantes, mises en valeur par des effets spéciaux élaborés,
peuvent ainsi constituer l'action principale d'un film. Raging bull recourt à
une tactique différente en faisant appel à certaines conventions du réalisme
cinématographique pour donner à la violence un caractère viscéral et déran­
geant. Si ce film est en un sens moins brutal que beaucoup d’autres œuvres de
son époque — on n’y trouve, par exemple, aucune mort — il contient plu­
sieurs scènes difficiles à supporter. Ce sont non seulement les matchs de boxe,
très brutaux, mais aussi les âpres disputes de la vie quotidienne qui mettent la
violence au premier plan.
Le film de Scorsese est lointainement inspiré de la véritable carrière du
boxeur Jake La Motta, qui devint champion du monde poids moyen en 1949.
Raging Bull fait des scènes de boxe (basées sur des combats réels) des
moments emblématiques de la violence qui envahit la vie de |ake. Celui-ci
semble être incapable de communiquer sans provoquer une dispute, proférer
des menaces ou lancer des injures. Scs deux mariages, et particulièrement
celui avec sa seconde femme, Vickie, sont remplis de scènes de ménages, de
violences domestiques. Même si son frère Joey semble être la personne dont il
est le plus proche, il finit par le rejeter au cours d'une crise de jalousie et se
l'aliène pour toujours. Si les actes de Jakc font souffrir les autres, ils sont aussi
destructeurs pour lui-même, éloignant tous ceux qu’il aime et l’amenant à
une pathétique carrière de comique obèse puis d'acteur récitant des poèmes et
des dialogues de pièces el de films célèbres.
Comment pouvons-nous appréhender l’idéologie d’un film qui a pour
héros une telle brute ? On peut être tenté d’avancer deux interprétations exclu­
sives : ou bien le film exalte la rage meurtrière de Jake ou bien il condamne le

525
personnage et en fait un cas pathologique. Cependant, en se contentant de
l’une de ses deux interprétations, on ne réussira pas à aborder cet équilibre
déconcertant de compassion et de révulsion que le film exprime envers Jake.
Nous faisons l’hypothèse que Raging bull emploie diverses stratégies, narrati­
ves et stylistiques, pour faire du personnage de Jake un cas d'étude sur le rôle
de la violence dans la société américaine. Scorsese crée ainsi un contexte com­
plexe à l’intérieur duquel les actes du personnage doivent être jugés.
On peut se faire une meilleure idée de ce contexte en étudiant la structure
formelle du récit. S’il fallait segmenter le film en respectant chacune des scè­
nes, on finirait par obtenir une longue liste. Même s'il y a quelques séquences
de durée importante, la plupart sont courtes; on en totalise 46, générique de
début et citation finale inclus. On peut regrouper certaines des scènes les plus
courtes et obtenir une segmentation en Imparties :

1. Générique de début, qui s'inscrit sur un long plan de Jake s’échauf­


fant, seul, sur un ring.
2. Les coulisses d’une boite de nuit, en 1964. |ake s’entraîne à dire un
poème qu'il va réciter sur scène.
3. Début du flashback
4. 1941. Scènes d'exposition montrant Jake qui perd un match, se dis­
pute avec sa femme, observe Vickie et a son premier rendez-vous avec
elle.
5. 1943. Deux matchs contre Sugar Ray Robinson, séparés par une scène
d’amour entre Jake et Vickie.
6. Séquence de montage faisant alterner une série de combats ayant lieu
entre 1944 et 1947 et des films amateurs montrant la vie privée de
Jake.
7. Longue série de scènes se déroulant en 1947, dont trois qui ont pour
décor le Copacabana, une boîte de nuit, où s'affirme la jalousie de
Jake et sa haine de la mafia, pour laquelle il finit par accepter de per­
dre délibérément un match.
8. 1949. Une dispute avec Vickie, suivie de la victoire de Jake comme
poids moyen aux championnats du monde.
9. 1950. Jake frappe Vickie et son frère, Joey, dans une crise de jalousie
injustifiée. H défend son titre et se bat à nouveau contre Robinson.
10. 1956, Jake arrête la boxe et achète une boite de nuit où il fait des
numéros comiques. Vickie le quitte et il est arrêté pour atteinte à la
morale,
11. 1958. Jake fait son numéro comique dans une petite boite de strip-
tease. Il n'arrive pas à convaincre Joey de se réconcilier avec lui.
Fin du flashback.

526
(UUim H - Lfi (llllliyjl ULffl UIBPLU rflNflivut

12. 1964. Jake s’apprête à aller sur scène pour dire ses textes.
13. Une citation de la Bible et la dédicace du film en blanc sur fond noir.

Le début et la fin du film déterminent de façon décisive notre attitude face


à la carrière de Jake. La première image le montre en train de s’échauffer sur le
ring avant un match non précisé (fig. 11.85). Plusieurs procédés filmiques
contribuent à notre première impression sur le personnage. Il sautille sur
place, au ralenti. Ce rythme lent est doublé d'une musique classique languis­
sante qui donne à voir son échauffement comme une danse. Le mise en scène
en profondeur place les cordes du ring au tout premier plan et fait du ring lui-
méme un lieu énorme soulignant la solitude de Jake. Ce plan long se poursuit Figure 11.85
pendant que s’inscrivent les différentes mentions du générique, affirmant la
boxe comme un sport superbe et solitaire. L’image reste abstraite et lointaine :
c’est la seule scène, dans le récit, dont le lieu et la date ne soit pas précisée par
un titre en surimpression.
Une coupe franche sur le segment 2 montre jake, soudain gros et âgé, qui
s'entraine encore. 11 répète quelques phrases de son onc man show, au cours
duquel il récite des extraits d'oeuvres célèbres et des poèmes qu’il a écrits sur
lui-même : «Alors donnez-moi une scène / Pour que ce taureau se déchaîne /
Et si je peux encore boxer / Il me vaut mieux déclamer —C’est du spec­
tacle!». Cet épisode a lieu relativement tard dans l'histoire, après les longues
luttes de sa carrière de boxeur. Ix: récit n'y revient qu'au segment 11. où |ake
continue de répéter son texte. Le directeur de la boite l’appelle sur scène, il fait
quelques gestes d'échauffement de boxeur pour se mettre en confiance, tout en
répétant rapidement dans un murmure : «Je suis le patron, je suis le patron.»
C’est en faisant de la plus grande partie de l’histoire un flashback, que
Scorsese crée un premier lien entre violence et spectacle. Le geste de Jake éten­
dant les bras en disant «C’est du spectacle! », dans le segment 2, ressemble à sa
façon triomphante de lever ses mains gantées chaque fois qu’il gagne un com­
bat au cours du long flashback central. De même, Ragiug bull ignore les pre­
mières années de la vie de Jake pour se concentrer sur deux périodes : sa
carrière de boxeur puis sa reconversion dans le comique et la lecture de textes
littéraires. Les deux périodes le montrent en train d’essayer de contrôler sa vie
et celle des gens qui l’entourent. «Je suis le patron», la dernière phrase pro­
noncée dans le film, résume toute l'attitude du personnage.
La structure narrative que nous avons esquissée plus haut obéit aussi â un
schéma de développement du type «grandeur et décadence». Après le seg­
ment 7, l’apogée de Jake, sa vie s’écroule et sa violence apparait de plus en plus
brutale et autodestructrice. Certains motifs viennent de plus mettre en
lumière le rôle de la violence dans sa vie et dans celle de ses proches. Au cours
d'un temps d’arrêt de son tout premier combat professionnel (segment 3),

527
- mm 4 - mimi uiiiiun

une bagarre éclate dans les tribunes, indiquant dis le début que la violence est
présente au-delà du ring. Les relations familiales s’expriment par l'agressivité,
comme dans les disputes entre Joey et Jake ou lorsque Joey veut apprendre la
discipline à son fils en le menaçant d‘un coup de couteau. Plus dérangeant
encore, la violence est continuellement dirigée contre les femmes. Jake et Joey
insultent et effrayent leurs femmes et la façon dont Jake bat ses deux épouses
forme un cruel contrepoint à scs combats sur le ring. Au cours de la première
scène au Copacabana, les femmes apparaissent comme les cibles privilégiées
des injures, jake accuse Vickie de flirter avec d'autres hommes, il insulte un
boxeur et un membre de la mafia en les traitant de <femmelettes», et meme le
comédien qui est sur scène sc moque des femmes présentes dans le public.
Scène après scène, l'agencement des incidents et des motifs suggère que
l'agressivité et la souffrance envahissent le mode de vie américain.
Scorsesc privilégie certains procédés techniques pour représenter la vio­
lence des matches. Dans l’ensemble, le style du film réussit à rendre la vio­
lence dérangeante en faisant appel à des conventions réalistes. Un grand
nombre de combats sont filmés avec une Steadicam, qui permet de réaliser
des travellings inquiétants ou des gros plans venant souligner les rictus de
douleur des adversaires. Des contre-jours, justifiés par les projecteurs entou­
rant le ring, illuminent les gouttelettes de sueur ou de sang qui jaillissent des
corps des boxeurs au moment des coups (fig. 11.86). Un montage rapide, sou­
vent elliptique, et les bruits cinglants des coups intensifient l'expression de
leur force physique. Un maquillage spécial crée des effets grotesques d'éclate­
ment de veines sur le visage des boxeurs. Scorsese traite différemment les scè­
nes de violence qui ont lieu hors du ring, favorisant les plans longs et des
Figure 11.86
effets sonores moins saisissants.
Il crée un contexte social et historique réaliste en employant d’autres con­
ventions. L’une d’entre elles est une série de titres en surimpression indiquant
la date, le lieu et les noms des combattants de chaque match — astuce narra­
tive qui donne au récit un ton quasi documentaire.
Mais le facteur de réalisme le plus important est l’interprétation. À l’excep­
tion de Robert de Niro, la distribution est essentiellement composée d’acteurs
inconnus ou non professionnels, qui ne donnent pas au film l’aspect sédui­
sant qu’auraient apporté des stars. De Niro était essentiellement connu pour
scs interprétations réalistes audacieuses dans Mcan streets (1973) et Taxi dri­
ver (1976), du même Martin Scorsese, ou dans Voyage au bout de l'enfer
(Michael Cimino, 1978). Dans Ragittg bull, les acteurs parlent avec un fort
accent du Bronx. répètent ou marmonnent souvent leurs répliques et
n'essaient pas de créer des personnages sympathiques. Dans la campagne de
promotion du film, on avait aussi beaucoup parlé du fait que de Niro avait
pris 30 kilos pour jouer Jake vieilli. Le film souligne la transformation de

528
(O1H11 I I - Lfl ( 11 IlflU l PI f I LS (HDIPLU P m LV H S

l’acteur par une coupe franche entre deux plans taille de Jakc correspondant à
la transition entre les segments 2 et 3, 196-1 et 1941 (figs. 11.87,11.88). Un tel
réalisme dans l'interprétation, et dans d'autres effets techniques, fait qu’il est
difficile d’ignorer la violence de ce film comme on pourrait le faire face à un
film d’horreur ou un film policier conventionnels.
C'est donc à travers sa structure narrative et son usage des conventions sty­
listiques du réalisme que le film offre une vision critique de la violence dans le
mode de vie américain, tant sur le ring qu'au foyer. Cependant, le film ne
nous permet pas de condamner Jake comme un simple «taureau enragé»; la
violence y est aussi présentée sous un jour fascinant et ambigu : la brutalité de
Jake est, de façon dérangeante, attirante.
Figure 11.87
La principale manifestation de cette attitude est le fait que la narration se
concentre beaucoup plus sur les auteurs de la violence que sur ses victimes.
Les trois personnages féminins importants — la première femme de Jakc, la
femme de Jocy, Lcnore, et Vickie— agissent peu; elles se font injurier et
protestent, sans effet. Nous n’apprenons jamais pourquoi elles sont attirées,
au départ, par ces hommes violents quelles épousent ou pourquoi
elles restent avec eux si longtemps. Vickie semble d’abord admirer Jakc à
cause de sa célébrité et de sa voiture clinquante, mais sa volonté de rester
marier avec lui demeure ensuite sans explication. De même, sa brusque déci­
sion de le quitter après onze ans de vie commune n’aura aucune motivation
précise.
Ces victimes de la violence de lake servent en premier lieu à le faire réagir.
Il roue de coups un boxeur plutôt séduisant qui, pense-t-il, attire Vickie. ou Figure 11.88
réagit brutalement lorsqu'il croit, de façon irrationnelle, quelle a eu une
liaison avec Jocy. Il faut remarquer qu’après cette crise, où Jake rosse son frère,
ce dernier devient un personnage aussi secondaire que Vickie. Nous le
revoyons brièvement lors de la terrible défaite de Jake rejouant son titre puis
dans une courte scène où il résiste à la proposition de réconciliation de son
frère. Le film n'offre donc aucun contrepoids positif aux excès de Jake.
Une autre manifestation de la fascination de la narration pour la violence
du boxeur est la façon dont nous sommes incités à nous identifier à lui. Plu­
sieurs scènes présentent les événements de son point de vue et emploient le
ralenti pour indiquer que nous ne voyons pas seulement ce qu’il voit, mais
aussi comment il y réagit. Ce procédé technique devient particulièrement
important lorsque Jakc voit Vickie avec d’autres hommes et devient jaloux.
De même, dans le dernier combat contre Robinson, nous avons le point de
vue subjectif de Jake sur son adversaire. Ce plan contient aussi une combinai­
son de travelling avant et de zoom arrière qui produit une sorte d’étirement
de l’espace du ring en profondeur, tandis qu'un affaiblissement des lumières

529
- - MAJll 4 - fllftUilIl ifillimi

frontales rend la silhouette de Robinson encore plus menaçante (fig. 11.89).


D'autres écarts par rapport au réalisme, comme le rythme étourdissant des
coups lors de la grande victoire de lake aux championnats, indiquent aussi
que nous sommes entrés dans sa conscience.
Scorsesc justifie, en partie, la fascination de son film pour la violence en
accentuant les aspects autodestruetcurs du personnage principal. S’il fait
souffrir les autres, il s’humilie au moins autant. Il regrette aussi très vite ses
actes, comme le montrent plusieurs scènes parallèles. Dans le segment 3, Jake
a une dispute brutale avec sa première femme; il menace de la tuer, mais dit
immédiatement : - Allez, chérie, soyons — soyons amis. La trêve, d'accord ?»
Plus tard, après avoir battu Vickie pour ses infidélités imaginaires, il lui
demande pardon et la persuade de rester avec lui. Ces réconciliations domes­
tiques trouvent un écho lors du combat de 1949 où après avoir triomphé du
champion en titre, Cerdon, il s'avance vers lui et, magnanime, le prend dans
ses bras.
La compassion que l'on peut éprouver pour Jake est renforcée par d’autres
moyens. Le film suggère qu’il est profondément masochiste, se servant de son
agressivité pour entraîner les autres à le faire souffrir à son tour. Cette idée est
soulignée dans la scène d'amour du segment 4 où. comme un enfant, il
demande à Vickie de caresser et d'embrasser les blessures qu’il a reçues lors du
combat contre Sugar Ray Robinson. Un gros plan sur le couple (fig. 11.90) lie
à ce moment violence et sexualité. Il demande à Vickie d'embrasser ses ecchy­
moses, mais coupe court ensuite a l 'assouvissement de son désir sexuel en ver­
Figure 11.90 sant de l’eau glacée dans son short. La scène raccorde directement sur un
combat ou il est battu par Sugar Ray Robinson.
Cette défaite trouve un parallèle dans le segment 8, une autre scène de
boxe, où Jake se contente de rester debout et d'interpeller Robinson pour qu'il
le frappe jusqu'au sang. Le motif du masochisme atteint son climax au
segment 9, lorsque Jake est enfermé à la prison centrale. Un plan long et
dérangeant le montre se frappant la tète et cognant des poings contre le mur
de la prison tout en protestant qu’il n'est pas un anima] et en se traitant
d’idiot.
À un niveau plus implicite, le film laisse penser que l'agressivité de Jake
manifeste une homosexualité refoulée. Son étreinte avec l'adversaire battu,
Cerdon, tout comme son fort désir d'être frappé par Robinson lors du dernier
match, suggèrent une telle interprétation. Segment 6, Jake s’assoit à une table
de la boite de nuit et plaisante sur le charme physique de son prochain adver­
saire, l'offrant d'un ton sarcastique à un membre de la mafia qu'il soupçonne
d'être amoureux de Vickie. Segment 8, une scène débute par un ralenti à
l'érotisme suggestif montrant les mains d’un soigneur qui lui masse le torse.

530
1HUIJL1I - U SJIII1IU U mu Uiirni OUU.JULS

On nous laisse soupçonner dans l’ensemble du film que la fascination de Jake


pour la boxe comme son refus de prendre en charge sa vie de couple pro­
viennent d’un désir homosexuel ignoré et insatisfait. Une telle possibilité va
à l’encontre de l’idéologie hollywoodienne courante, pour laquelle les histoi­
res d’amour à la base de la plupart des récits sont nécessairement hétéro­
sexuelles.
La prise de position idéologique de Raging bull n'a pas le caractère direct
de celle du Chant du Missouri. Le film ne présente pas une image idéalisée de
la société américaine mais une critique de l'un de ses aspects les plus pré­
gnants, son inclination pour une violence irréfléchie, tout en montrant aussi
une fascination considérable pour sa principale incarnation, Jake.
L'ambiguïté du film s’accentue à la fin. Le segment 12 est une citation de la
Bible : «Alors, pour la seconde fois, |les Pharisiens] interpellèrent l’homme
qui avait été aveugle et dirent : “Dis la vérité devant Dieu. Nous savons que cet
homme est un pécheur” "S’il est ou non un pêcheur, je l’ignore" répondit
l’homme. “Voilà tout ce que je sais: j'étais aveugle et maintenant je peux
voir.”»
Au fur et à mesure que cette citation apparaît, ligne après ligne, nous la
rapportons au personnage principal. Est-ce que les expériences de Jakc l’ont
conduit à une sorte de révélation ? Plusieurs indices nous suggèrent que non.
Il est un piètre acteur mais continue à dire sur scène ses textes littéraires,
essayant de reconquérir son public («Je suis le patron»). En outre, le texte sur
lequel il s’entraîne à la fin est un célèbre passage de Sur les quais : • leouldhave
been a contender*. Dans ce film, un boxeur manqué reproche à son frère
d’étre à l’origine de l’échec sa carrière. Est-ce que Jake rejette la responsabilité
de son déclin sur Joey ou quelqu’un d'autre ? Ou est-il possible qu'il soit
devenu suffisamment conscient de ses défauts pour ironiquement convoquer
le souvenir d’un film où le héros finit aussi par comprendre ses erreurs ?
Après la citation biblique s’inscrit la dédicace du film par Scorsese : «En
souvenir de Haig R. Manoogian, professeur, 23 mai 1916-26 mai 1980, avec
amour et détermination, Marty.» La citation précédente peut maintenant
s’appliquer à Scorsese lui-méme, qui vient aussi des quartiers italiens difficiles
de New York. Sans des gens comme ce professeur, il aurait peut-être fini par
ressembler à son personnage, Jakc. Et c'est peut-être ce professeur qui en
l'aidant à «voir», lui a permis de présenter Jake avec ce mélange de détache­
ment et de compassion.
Ancien étudiant de cinéma, Scorsese connaissait bien des films provenant
d’autres cinématographies que celle de son pays, bout de souffle ou Voyage à
Tokyo par exemple. Il n’est donc pas surprenant que son œuvre se prête à dif­
férentes interprétations. La fin de Raging bull place le film dans une tradition

531
MiTir 4 . iiiiiaj cumin

hollywoodienne (celle de Citizen Kane) qui à une clôture totale du récit pré­
féré un certain degré d’ambiguïté, un refus des réponses catégoriques et
exclusives du type «ou bien... ou bien». Cette ambiguïté peut donner un
caractère équivoque à l'idéologie véhiculée par le film en générant des sens
implicites très différents, voire contradictoires.

Appendice : Écrire une analyse critique


Les analyses de ce chapitre illustrent toutes un certain type de texte caractéris­
tique de la critique de film. Il peut être utile de conclure cette partie par une
évocation des grands choix et des grandes stratégies qui s’offrent au lecteur
voulant écrire une analyse de film, dans le cadre d’un cours ou. pour une
publication par exemple. Cet appendice ne prétend pas remplacer un bon
manuel de composition. Nous voulons simplement pointer quelques-uns des
problèmes qui se présentent lors de la rédaction d’une analyse filmique.

Préparation
Comme tout type de texte, une analyse filmique nécessite que le travail soit fait
avant de s’asseoir pour écrire. 11 faut d'abord se demander à quel type de texte
s'apparentera le résultat final. Généralement, il s’agira d’un essai de type argu­
mentatif, où vous chercherez à présenter votre avis sur un film et à soutenir cet
avis par une argumentation. Notre analyse de High schooi, par exemple,
affirme que Wiseman ne présente pas de façon neutre le quotidien du lycée
mais que la forme et le style du film déterminent nos réactions. De même,
le texte sur Ragtng bull essaye de montrer que ce film critique la violence
comme spectacle de masse tout en présentant une fascination pour son attrait
viscéral.
Choisir quel film analyser n'est sans doute pas un grand problème. Quel­
que chose en lui vous attire ou vous avez entendu dire qu'il valait la peine
d’être étudié de près. Il est par contre plus difficile de réfléchir précisément à
ce que l'on veut en dire. Qu’cst-cc qui vous intrigue ou vous dérange le plus
dans ce film ? Qu'est-ce qui en fait une œuvre digne d’attention ? Est-ce qu’il
illustre certaines caractéristiques de la réalisation cinématographique de
façon particulièrement claire? Est-ce qu’il a un effet inhabituel sur ses
spectateurs ’ Est-ce que ses sens implicites ou symptomatiques semblent avoir
une importance particulière?
En répondant à ce type de question, vous trouverez la thèse de votre
analyse. La thèse est la proposition centrale défendue par votre argumenta­
tion. Dans notre analyse de His girl f-'riday, la thèse est que le film emploie les

532
procédés narratifs classiques pour créer une impression de vitesse. Pour
L'homme à la caméra, la thèse est que ce film rend son spectateur conscient de
la façon dont le cinéma manipule le monde que nous voyons à l’écran.
Généralement, votre thèse sera une affirmation concernant les fonctions,
les effets ou les significations du film (ou un mélange des trois). Nous avons
par exemple défendu l’idée que la diversité des personnages de Do the right
thing permet à Spike Lee d’entrelacer plusieurs intrigues et d’élargir le thème
des problèmes relatifs à la survie d'une communauté. Dans notre étude de La
mort aux trousses, nous nous sommes plutôt concentrés sur la façon dont le
film parvient à produire ses effets de suspense et de surprise, l.’analysc du
Chant du Missouri souligne la façon dont les sens implicites et symptomati­
ques sont exprimés en technique.
Le chimiste qui analyse un composé le divise en ses éléments constitutifs.
Le chef d’orchestre qui analyse une partition la décompose mentalement pour
voir de quelle façon les mélodies el les motifs y sont agencés. Toute analyse
implique une fragmentation de son objet en ses parties constitutives. Votre
thèse sera une affirmation d'ordre général sur les fonctions, les effets et les
significations du film, dont l'analyse montrera comment ils naissent de l'inte­
raction des parties composant les systèmes formel et stylistique. Par exemple,
notre affirmation selon laquelle Raging bull met en rapport violence et specta­
cle se base en partie sur la preuve fournie par la succession, au début du film,
du plan de générique sur le ring et de Jake répétant son one man show et
s'exclamant : «C'est du spectacle!»
Dans la majorité des cas, votre argumentation sera meilleure si un impor­
tant travail préparatoire précède la rédaction du texte. Vous pouvez pour cela
faire une segmentation du film, comme nous l’avons montré tout au long de
la seconde partie. Il vous semblera parfois nécessaire de présenter au lecteur
une segmentation scène par scène, comme nous l'avons fait pour Hisgirl Fri­
day. 11 faut adapter la précision de votre découpage à votre propos : il peut être
plus grossier, constitué de sections de tailles supérieures, ou à l'inverse plus
fin; c'est ce que nous avons fait en divisant en trois sous-segments la pour­
suite finale de La mort aux trousses. Quelle que soit la façon dont votre seg­
mentation réapparaît finalement dans l’analyse écrite, elle doit toujours être
détaillée dans la phase préparatoire. Elle vous permettra ainsi d'avoir une per­
ception plus claire de la forme globale du film et de repérer les schémas de
répétition, de variation et de développement contribuant à son unité.
Pour étudier un film narratif, il est généralement utile de commencer
par identifier les différents enchaînements causais, les objectifs des person­
nages, les principes de progression du récit, son degré de clôture et d'autres
caractéristiques fondamentales de la forme narrative. Pour étudier un film

533
>n'n 4 - iiiuw fiiimu

non-narratif, vous devrez être particulièrement attentif aux formes catégo­


rielle, rhétorique, abstraite ou associative. Vous avez sans doute remarqué que
presque toutes nos analyses rendent compte de l’organisation formelle sous-
jacente des films, ce qui fournit une base solide à une analyse plus détaillée.
Une autre partie de la prise de note préparatoire consiste à décrire précisé­
ment les différents procédés techniques mis en œuvre. On ne peut, ici, que
rappeler les suggestions faîtes au chapitre 10 à propos de l’analyse stylistique.
Une fois que vous avez déterminé l'organisation structurelle globale du film,
vous pouvez identifier les procédés techniques remarquables, en décrire les
agencements à travers le film et formuler des hypothèses quant à leurs fonc­
tions. Le critique devrait être capable d'identifier des techniques hors de leurs
contextes: est-ce qu’il s’agit d'un cas d’éclairage trois-points? Est-ce qu’il
s’agit d'un raccord fait dans les règles de la continuité ? Mais il est tout aussi
important que l'analyste soit sensible au contexte — quelle est, ici, la fonction
de ce procédé technique ? — et à la structure — est-ce que ce procédé tech­
nique est repris ou développé au cours du film ?
Souvent, les débutants ne savent pas bien quelles sont les techniques qu'il
est plus pertinent de relever par rapport à leur thèse et peuvent par exemple se
perdre dans des tentatives de description exhaustive, signalant les moindres
costumes, raccords ou mouvements de caméra. 11 parait plus fructueux d’y
penser à l’avance et de ne considérer que les procédés techniques qui serviront
l’argumentation. L'emploi des plans subjectifs et du montage alterné dans La
mort aux trousses, par exemple, illustre bien notre affirmation générale selon
laquelle Hitchcock arrive à produire du suspense et des effets de surprise en
modifiant l’étendue du champ informatif du spectateur (qui en sait moins
puis plus que les personnages). Les styles de jeu, s’ils peuvent servir une autre
thèse, ne sont pas pertinents ici — alors que dans notre analyse de Raging
bull, ils viennent compléter la description des conventions réalistes mise en
oeuvre par le film. De même, s’il peut être intéressant d'étudier le montage du
Chant du Missouri dans le cadre d'une autre argumentation, il a peu d’impor­
tance pour la nôtre cl ne s'y trouve donc pratiquement pas mentionné.
Une fois que vous avez une thèse, une connaissance de la forme globale du
film et un ensemble de notes sur les procédés techniques les plus pertinents
par rapport à votre thèse, vous êtes prêt à faire le plan de votre analyse cri­
tique.

534
[wnu h . ia unim h nia , mtpui d atiiiMM
l
Plan et rédaction
La plupart des textes argumentatifs ont la structure suivante :
Introduction : Informations préalables
Formulation de la thèse
Corps du texte : Raisons de croire à cette thèse
Preuves et exemples soutenant la thèse
Conclusion : Re formulât ion de la thèse et commentaire sur ses
implications

Vous remarquerez que toutes les analyses précédentes respectent cette


structure fondamentale. Une première partie cherche à amener le lecteur à
l’argumentation qui sera exposée par la suite, et la thèse est avancée à la fin de
cette introduction. Lorsque celle-ci est brève, comme dans l’analyse de Hisgirl
Friday, la thèse est formulée dès la fin du premier paragraphe. Lorsqu'il faut
plus d’informations préalables sur le film, l’introduction est plus longue et la
thèse vient un peu plus tard. Dans le texte sur High school, elle apparaît à la fin
du quatrième paragraphe.
En faisant ces remarques, nous présupposons un principe que vous con­
naissez déjà et qu’aucun écrivain ne peut se permettre d’oublier : le paragra­
phe est l’unité de composition fondamentale d’un texte. Chaque partie du
schéma argumentatif dont nous venons de donner les grandes lignes sera
constituée d’un ou de plusieurs paragraphes. L’introduction fait au minimum
un paragraphe, le corps du texte en comprend plusieurs, et la conclusion, un
ou deux.
Généralement, les paragraphes d’introduction d’une analyse contiennent
peu d’éléments concrets empruntés à I oeuvre. Ils sont, par contre, l’occasion
d’établir les bases de votre thèse. Cela nécessite souvent de mettre votre pro­
blème en rapport avec quelques informations préalables. Pour Voyagea Tokyo.
par exemple, nous replaçons le film dans une certaine tradition cinématogra­
phique, opposée à celle du «montage par continuité», avant d’énoncer noire
thèse. Les paragraphes d’introduction sont souvent constitués de générali­
sations de ce type. Mais si vous êtes audacieux, vous voudrez peut-être com­
mencer avec un exemple concret — une scène ou un détail curieux du film —
avant de passer rapidement à la formulation de la thèse; c’est ce que nous fai­
sons dans notre texte sur Le chant du MtSiouri.
Écrire une analyse de film pose un problème précis de structuration du
texte. Est-ce que l’argumentation doit suivre le déroulement chronologique du
film, de façon à ce que chaque paragraphe traite d’une scène ou d’une grande
partie ? Cela peut fonctionner dans certains cas. Toutefois, vous donnerez plus
de force à votre argumentation en suivant une structure plus conceptuelle.

535
CilLLMU

Il est utile de réfléchir à la partie centrale de votre texte comme à une série
de raisons de croire à la thèse développée, soutenues par des preuves et des
exemples. Notre analyse d\A bout de souffle défend l'idée que le film de
Godard rend hommage au film noir et, dans le même temps, opère une révi­
sion brutale de ses conventions. Le premier paragraphe décrit les traditions
hollywoodiennes en question et le second montre que l’intrigue d'A bout de
souffle l’apparente à celte sous-catégorie du film noir mettant en scène des
couples de hors-la-loi en fuite. Les trois paragraphes suivants font remarquer
que le film de Godard s’attache aussi à retravailler les conventions des studios.
Michel semble imiter les durs hollywoodiens, tandis que la forme et le style du
film ont une apparence d'improvisation. Ce serait une façon de laisser le
public s'amuser à une version réfléchie et renouvelée du film policier améri­
cain.
Notre argumentation impliquant un long travail de comparaison et
d’opposition, la partie centrale du texte explore les ressemblances et les diffé­
rences entre le film et les conventions hollywoodiennes. Les onze paragraphes
suivants cherchent à établir que, en ce qui concerne la forme narrative du
film :
1. Michel ressemble, par certains aspects, à un héros hollywoodien.
2. Toutefois, faction est beaucoup plus capricieuse, soumise à digres­
sion, que dans un film hollywoodien.
3. La mort du policier offre un excellent exemple de traitement ellipti­
que et abrupt d’une scène.
4, 5. À l’inverse, la conversation dans la chambre entre Patricia et Michel
est un cas de situation narrative relativement figée, où l’on ne pro­
gresse pas vers l'accomplissement des objectifs de Michel.
6. Plus loin, le récit redémarre, mais pour s’arrêter à nouveau.
7,8. En s’approchant de sa résolution, le récit reprend de la vitesse, mais le
final reste mystérieux et ouvert.
9, 10. Michel et Patricia restent avant tout des personnages déconcertants et
obscurs.
II. La caractérisation du couple est donc nettement différente de celle
des couples romantiques de la plupart des récits de films noirs.

Chacune de ces affirmations constitue une raison d'accepter la thèse géné­


rale de l'analyse.
Ces raisons peuvent être de différentes sortes. Dans plusieurs de nos analy­
ses, nous avons fait la différence entre les raisons fondées sur la forme narra­
tive globale du film et celles fondées sur des choix stylistiques. La partie du
texte sur bout de souffle que nous venons d’évoquer fournit des preuves

536
4WiliJU । uniUM-j nii-jnjnn miiivih

destinées à soutenir notre affirmation selon laquelle le film retravaille des


conventions narratives hollywoodiennes. Les paragraphes qui suivent étu­
dient l’usage tout aussi réfléchi que fait Godard de certaines stratégies stylisti­
ques. Pour Le chant du Missouri, nous nous sommes consacrés à un passage
en revue des divers motifs créant des effets thématiques particuliers. Ici. une
fois de plus, une bonne préparation peut vous permettre de gagner du temps.
Lorsque vous commencez à pouvoir formuler votre thèse, il est utile de faire
une liste des raisons qui, organisées de façon adéquate, pourront constituer le
cœur de votre argumentation.

Si vous organisez votre texte de façon conceptuelle plutôt que comme un


résumé de l'action, vous pourrez aussi juger utile, à un certain moment,
d’informer votre lecteur sur le déroulement de l'action. Un rapide synopsis,
inséré juste après l’introduction, pourra jouer ce rôle. (Voir, par exemple, le
texte sur La mort aux trowsses.) A l’inverse, vous pouvez vouloir dissimuler
certains éléments fondamentaux du récit au moment où vous en étudiez la
segmentation, les personnages ou la progression causale. Ce qu'il faut retenir,
c'est que rien ne vous oblige à respecter l'ordre du film et que vous pouvez
soumettre celui-ci à l'ordre de votre argumentation.

H est courant que chacune des raisons soutenant la thèse devienne la


phrase introductive d'un paragraphe, arguments et exemples détaillés étant
développés dans les phrases suivantes. Dans notre texte sur A bout de souffle,
chaque point important est suivi d’exemples précis montrant la façon dom
l’action, le dialogue ou les procédés techniques se réfèrent à la tradition hol­
lywoodienne tout en s’écartant de ses conventions. C'est au moment d’orga­
niser de tels exemples que les notes prises sur des scènes ou des procédés
techniques remarquables se révèlent utiles. Vous pouvez ainsi choisir, pour
illustrer vos arguments, les phénomènes les plus forts et les plus frappants de
la mise en scène, de la prise de vues, du montage ou du son.

il existe plusieurs autres tactiques pour rendre la partie centrale de l’ana­


lyse convaincante. Un paragraphe établissant une comparaison ou une oppo­
sition entre le film dont vous traitez ei un autre peut permettre d'en pointer
certains aspects particuliers, centraux pour l'argumentation. (Voir, par exem­
ple, notre mise en opposition de L'homme d la caméra et de High school.) Vous
pouvez aussi introduire une brève analyse en profondeur d’une seule scène ou
d’une seule séquence qui vous permettra de bien faire comprendre un point
crucial de votre démonstration. Nous le faisons à propos de plusieurs fins de
film, parce qu'un segment conclusif est le lieu où sc révèlent le plus clairement
les principes généraux de progression. Comme le montrent un grand nombre
de nos textes, l’observation minutieuse d’une fin de film peut être une façon
forte de terminer la partie centrale de l'analyse.

537
iujjiu muiun

En général, le coeur du texte doit développer des arguments toujours plus


forts ou plus subtils en faveur de la thèse principale. Pour notre étude de High
school nous avons indiqué que le réalisateur a fait certains choix formels et
stylistiques pour déterminer nos réactions. C’est seulement après que nous
nous demandons si le film peut toujours être considéré comme ambigu. Cela
nous amène à considérer les différentes manières dont les choix du réalisateur
peuvent être interprétés, problème relativement complexe qui n'aurait proba­
blement pas intéressé le lecteur s’il avait été introduit plus tôt dans le texte.
C'est seulement après avoir évoqué les phénomènes les plus évidents que
l'analyste peut s'engager dans une interprétation nuancée.
La conclusion est l'occasion de «formuler la thèse (habilement, sans répé­
ter mot pour mot la précédente formulation) et de rappeler au lecteur les
principaux arguments. La conclusion peut aussi être l'occasion de s'essayer à
un peu d'éloquence, d'introduire une citation significative, d’évoquer un con­
texte historique ou un motif précis tiré du film lui-méme. Au moment de la
prise de note préparatoire, il est sage de chercher un élément qui puisse cons­
tituer une conclusion intéressante. De même qu’il n'y a pas de «recette» pour
comprendre les films ou les interpréter, il n'y a pas de formule permettant
d’écrire une critique limpide et incisive. Mais il y a, à la base de tout bon texte,
certains principes et certaines règles générales. C’est seulement en écrivant et
en récrivant que ces principes et ces règles deviennent comme une seconde
nature pour l’écrivain. En analysant des films, nous parvenons à une
meilleure compréhension de notre plaisir de spectateur et sommes capables
de partager celte compréhension avec d'autres personnes. Le texte lui-même
peut alors procurer du plaisir, à celui qui l'écrit comme à ses lecteurs.

538
(inom mm
HISTOIRE
r DU CINÉM,

U forme du Mm et l'hmowe de» Htm


La forme du film
12
et l'histoire des films

«Tout n’cst pas tout le temps possible-. Cet aphorisme de l'histo­


rien de l'art Heinrich Wolfflin pourrait servir d’exergue au cha­
pitre final de ce livre. Nous avons évoque, jusqu'ici, différentes
possibilités formelles et stylistiques de l'art du film, illustrées par
Le cinéma primitif (1893-1903)
des exemples empruntés à toute l’histoire du cinéma. Mais les
Le développement du cinéma
formes et les techniques cinématographiques n'existent pas dans hollywoodien classique (1908-1927)
un domaine intemporel pareillement accessible à tous les réalisa­
L'expressionnisme allemand
teurs, Dans des circonstances historiques particulières, certaines (1919-1926)
possibilités existent, d’autres pas. Griffith n'aurait pas pu faire
L'impressionnisme et le surréalisme
des films comme Godard, et Godard ne pourrait pas faire des français (1918-1930)
films comme Griffith. Ce chapitre demande : qu'est-i) advenu à L'école soviétique (1924-1930)
l'art du film dans certains contextes historiques précis ?
Le cinéma hollywoodien classique
dans les premières années du partant
Ces contextes seront définis, en premier lieu, par période et
Le néoréalisme italien (1942-1951)
par pays. Même s'il y a d'autres outils tout aussi bons pour
décrire des changements, considérer une période et un pays reste La nouvelle vague française
(•19S9-1964)
une façon efficace d'organiser des problèmes historiques.
Le nouvel Hollywood et le cinéma
D'autre part nous chercherons aussi à décrire, dans certains cas,
indépendant
ce que l'on appelle généralement des mouvements cinématogra­
Bibliographie
phiques. Un mouvement cinématographique, ce sont :
inm t ■ uiiiLifii du (iity

1. Des films produits pendant une période et/ou dans un pays particuliers,
partageant des caractéristiques stylistiques et formelles significatives;

2. Des réalisateurs qui œuvrent au sein d'une même structure de production


et partagent certaines conceptions de la réalisation cinématographique.

Il y a d'autres façons de définir un contexte historique (la biographie ou le


genre, par exemple), mais le mouvement, comme catégorie, correspond plus
précisément à ce sur quoi notre livre à mis l’accent. Les notions de systèmes
stylistique et formel nous permettent de comparer des films participant d'un
même mouvement et de les opposer à des films participant d’autres mouve­
ments.

Il faut préciser, enfin, que nos choix sont d’autant plus limités que nous
nous intéressons surtout à Hollywood et à certaines de ses alternatives. Nous
décrivons le développement du cinéma narratif commercial tout en l’oppo­
sant à d'autres approches du style et de la forme.

Parce qu’un mouvement cinématographique n’est pas seulement constitué


par des films mais aussi par le travail de certains réalisateurs, il nous faut faire
plus que relever des qualités stylistiques et formelles. Pour chaque période et
chaque pays, nous devons aussi faire une description rapide de certains fac­
teurs clés influant sur le cinéma. Ces facteurs sont notamment : l’état de
l’industrie cinématographique, les théories artistiques défendues par les réali­
sateurs, des procédés techniques propres à l’époque et le contexte socio-
économique. Ils facilitent nécessairement l’explication de la genèse, du
développement et du déclin d’un mouvement particulier. Même très brefs, ces
éléments fourniront aussi le contexte de certains films déjà étudiés; la partie
suivante, consacrée au cinéma des premiers temps, permet par exemple de
resituer Lumière et Méliès dans leur temps.

Il est à peine utile de préciser que ce qui suit est très incomplet. L’écriture
d'une histoire du cinéma rigoureuse en est à ses débuts et il nous faut souvent
faire fond sur des sources secondaires qui finiront par être dépassées. Ce cha­
pitre ne fait que refléter l’état actuel des connaissances; il y a sans doute
encore des films, des réalisateurs et des mouvements qui attendent d’être
découverts. Par ailleurs, il y a plusieurs oublis malheureux : des réalisateurs
importants qui ne sont pas liés à un mouvement (Tati, Bresson ou Kurosawa,
par exemple) sont absents de notre compte-rendu, comme certains mouve­
ments cinématographiques : le cinéma populiste français des années 30, le
cinéma novo brésilien du début des années 60. Ce qui suit cherche seulement
à montrer de quelle façon certaines possibilités du style et de la forme filmi­
que ont été explorées au cours de quelques périodes historiques connues.

542
_____ (nmifi- lu fQiai h mi n lihioih niftj.

Le cinéma primitif (1893-1903)


Pour produire l'illusion du mouvement, des images fixes doivent apparaître
en une succession rapide. Les fabriquer et les montrer à la bonne vitesse
nécessitent certaines techniques, et d'abord un moyen d'enregistrer une lon­
gue suite d’images sur un support quelconque. Il serait possible, en principe,
de simplement dessiner une série d'images sur une bande de papier ou sur un
disque. Mais la photographie fournissait le moyen le plus économique et le
plus efficace de générer les milliers d'images nécessaires à une projection de
durée acceptable. C’est donc l’invention de la photographie, en 1826, qui
lança une série de découvertes rendant le cinéma possible.

Les premières photographies exigeaient des durées d'expositions très


importantes (des heures pour les premiers essais, puis quelques minutes): il
était donc impossible, à ce moment, de créer des films au moyen de la photo­
graphie (ceux-ci exigeant au moins douze prises par seconde). Des exposi­
tions plus courtes, d’environ 1/25 de seconde, devinrent possible vers 1870,
mais uniquement sur plaques de verre. Celles-ci, difficiles à faire passer à tra­
vers une caméra ou un projecteur, étaient inutilisables dans le cadre des tech­
niques de l’image en mouvement. En 1878, Edward Muybridge, un
photographe américain, réalisa une série de photographies montrant un che­
val au galop en utilisant plusieurs appareils équipés de plaques de verre. Mais
ce qui l'intéressait en premier lieu, c'était d’obtenir des images fixes de diffé­
rentes phases du mouvement et non de le recréer en projetant les images les
unes après les autres.

En 1882, un autre scientifique intéressé par l'analyse du mouvement ani­


mal, le Français Étienne-Jules Marey, inventa une caméra qui enregistrait
douze images séparées sur des plaques sensibles situées à la périphérie d'un
disque rotatif. Cet appareil représentait un progrès important vers la caméra
cinématographique. En 1888, il fabriqua la première caméra utilisant une
bande souple de pellicule, cette fois sur du papier. Le but était, là encore, de
fractionner un mouvement en une série d'images fixes; les mouvements pho­
tographiés ne duraient pas plus d’une seconde.

En 1889, Kodak introduisit un support souple pour la pellicule, le celluloïd


(dont un des dérivés est toujours utilisé actuellement). Une fois que ce sup­
port fut amélioré et que les mécanismes des caméras furent conçus pour pou­
voir tirer la pellicule derrière l'objectif cl l'exposer à la lumière, la création de
longues séries de photogrammes devint possible.

l^s projecteurs existaient depuis de nombreuses années et étaient utilisés


pour montrer des diapositives ou d’autres jeux d’ombres. Ces «lanternes

543
JULIUU - HJU01U H une nu

magiques», transformées par l'ajout d’obturateurs, de manivelles et d’autres


mécanismes, devinrent les premiers projecteurs cinématographiques.

Il fallait encore inventer un dernier mécanisme pour pouvoir projeter des


films. Le défilement de la pellicule s’interrompant brièvement au moment où
la lumière traverse chaque photogramme, un dispositif devait permettre un
mouvement intermittent de la pellicule. L’entrainement par croix de Malte,
employé par Marcydans sa caméra de 1888, devint un mécanisme standard
des caméras et des projecteurs des débuts du cinéma.

Un support souple et transparent, un temps d’exposition très court, un


mécanisme pour entraîner la pellicule à travers la caméra, un autre pour la
stopper de façon intermittente et un obturateur pour occulter la lumière :
tous ces éléments furent rassemblés au début des années 1890. Après plusieurs
années, des ingénieurs travaillant isolément dans divers pays avaient déve­
loppé plusieurs procédés d’enregistrement et de projection différents. Les
deux entreprises les plus importantes dans ce domaine étaient celle d’Edison
aux États-Unis et de Lumière en France.

Vers 1893, l'assistant de Thomas E. Edison, W. K. 1. Dickson, inventa une


caméra qui permettait de réaliserdes petits films en 35mm. Voulant tirer parti
Figure 12.1 de la nouveauté que représentait ces films. Edison espérait pouvoir les associer
à son phonographe pour des projections sonores. Dickson créa sous sa direc­
tion une visionneuse, le Kinétoscope (fig. 12.1 ). qui permettait de montrer les
films à des spectateurs individuels.

Edison pensait que les films n’étaient qu'une mode passagère et ne chercha
donc pas à développer un système de projection sur écran. Ce soin fut laissé
aux frères Lumière, Louis et Auguste, lis inventèrent sans aucune aide leur
propre caméra, qui permettait d’exposer une courte bobine de pellicule
35mm cl servait aussi de projecteur (fig. 12.2). Le 28 décembre 1895, au
Grand Café, à Paris, les frères Lumière organisèrent l'une des premières pro­
jections publiques, sur écran, d’images cinématographiques.

Plusieurs autres projections publiques avaient déjà eu lieu, dont une le


1" novembre de la même année, organisée par l’ingénieur allemand Max
Skladanowsky. Mais il fallait, pour faire fonctionner l’encombrante machine
de Skladanowsky, deux bandes de pellicules grand formai défilant simultané­
ment, raison pour laquelle son influence sur les développements techniques
du cinéma fut moindre. Même si les Lumière n'ont pas inventé le cinéma, ils
ont largement déterminé la forme particulière que ce nouveau moyen
d'expression devait prendre. Edison lui-même abandonna rapidement le
Kinétoscope et constitua sa propre société de production pour réaliser des
ligure 12-2 films destinés à la projection.

544
CIULPI LU U LU [069 4 LU flll (I L JIHIDIfil PU 11LŒI

Figure 12.3

Les premiers films étaient extrêmement simples en termes de forme et de


style. Ils étaient généralement constitués d'un seul plan cadrant, le plus sou­
vent en plan d'ensemble, une action unique. Dans le premier studio de
cinéma, la Black Maria d'Edison (fig. 12,3), des acteurs de vaudeville, des
sportifs connus et des célébrités firent diverses performances devant la
caméra. Une partie du toit, articulée, pouvait s’ouvrir pour laisser pénétrer la
lumière du soleil et le bâtiment tout entier pouvait tourner sur un rail circu­
laire (visible en 12.3) pour en suivre la course. Les frères Lumière, de leur
côté, plaçaient leurs caméras en extérieur, dans des parcs, des jardins, sur des
plages ou dans d'autres lieux publics pour filmer des faits quotidiens ou des
événements d’actualité, comme dans leur Arrivée d’un train en gare de La do­
tât (voir fig. 7.48).
Si jusque 1903 environ, la plupart des films montraient des lieux exotiques
ou des événements importants, la forme narrative avait aussi investi le cinéma
depuis ses débuts. Edison mettait en scène des gags; dans l'un de scs films,
dont le numéro d’exploitation date de 1893, un homme ivre se bat briève­
ment avec un policier. Les frères Lumière connurent un succès populaire avec
L'arroseur arrosé (1895), autre scène comique ou un enfant joue un tour à un
jardinier en le faisant s’asperger d’eau avec son propre tuyau d'arrosage (voir
fig. 6.6).
Passé le premier succès de cette nouveauté, les réalisateurs durent trouver
des propriétés formelles plus complexes ou plus intéressantes pour conserver
l'attention du public. Les frères Lumière envoyèrent des opérateurs de prise de
vues dans le monde entier pour qu’ils organisent des projections et filment
des événements importants ou des lieux exotiques. Mais après avoir réalisé un
très grand nombre de films dans les premières années suivant leur invention,
leur production diminua et ils arrêtèrent complètement la réalisation en 1905.

545
PflRUL L - UKIÛIHl DD (18(M

En 1896. Georges Méliès acheta un projecteur à l'opticien anglais Robert


William Paul, dont il s’inspira pour fabriquer sa propre caméra. Les premiers
films de Méliès ressemblaient aux vues Lumière consacrées à des activités
quotidiennes. Mais comme nous l’avons vu, il était aussi magicien et décou­
vrit les possibilités offertes par des effets spéciaux élémentaires. En 1897, il
construisit son propre studio qui, à la différence de la Black Maria d'Edison,
était vitré comme une serre, ce qui permettait d'utiliser la lumière du soleil
venant de n'importe quelle direction sans avoir à faire bouger le bâtiment
(fig. 12.4).
Méliès commença aussi à réaliser des décors savants pour créer les mondes
Figure 12-4 imaginaires qui servaient de cadre à ses transformations magiques. Nous
avons déjà vu comment il devint le premier grand maître de la mise en scène
(voir les figs. 6.2 - 6.5). Du simple enregistrement d’un magicien faisant un
tour ou deux dans un décor traditionnel de salle de spectacle, Méliès évolua
vers des récits plus longs constitués d'une série de «tableaux». Chacun de ces
tableaux était composé d’un plan, sauf au moment des transformations,
créées par des raccords censés être imperceptibles. Il fit aussi des adaptations
de vieilles histoires, par exemple Cendrillon ( 1899), ou écrivit scs propres his­
toires. Tout cela rendait les films de Méliès extrêmement populaires et large­
ment imités.
Au cours de cette période, les films circulaient facilement entre les pays. I-a
société française de fabrication de phonographes Palhéfrères se convertit au
cinéma à partir de 1901, installant des antennes de production et de distribu­
tion dans de nombreux pays. Elle devint bientôt la plus grande entreprise au
monde dans le secteur du cinéma, position quelle conserva jusqu'en 1914, au
moment où le début de la Première Guerre mondiale l’obligea à réduire sa
production. En Grande-Bretagne, plusieurs entrepreneurs réussirent à inven­
ter ou à se procurer leur propre matériel de réalisation et firent des films exo­
tiques, narratifs ou comiques de 1895 aux premières années du vingtième
siècle. Les membres de «l'école de Brighton» (essentiellement G. Albert Smith
et James Williamson) et d’autres comme Cecil Hepworth, tournaient en exté­
rieurs ou dans des studios à ciel ouvert (comme en 12.5, image extraite d’un
film réalisé par Smith en 1898, Santa Claus). Leurs films novateurs circulaient
un peu partout et influencèrent d’autres réalisateurs. Dans d’autres pays, des
pionniers inventèrent ou achetèrent du matériel et se mirent rapidement à
réaliser leurs propres filins faits de scènes de la vie quotidienne ou de fabuleu­
ses métamorphoses.
À partir de 1904, la forme narrative prit la première place dans la pro­
duction des sociétés commerciales et industrielles tandis que le succès mon­
dial du cinéma ne faisait que s’accroître. Les films français, italiens et
Figure 12.5 américains dominaient les marchés mondiaux. Plus lard, la Première Guerre

5445
(JIPIIH 12 Li rilfll îll HLI0 li t UHIOifii PU JUM

devait limiter la libre circulation des films entre les pays et Hollywood se révé­
ler la principale force industrielle dans la production cinématographique
mondiale. Ces facteurs contribuèrent à lemergence de différences précises
dans les caractéristiques formelles des cinémas nationaux.

Le développement du cinéma hollywoodien classique


(1908-1927)
Parce qu’il voulait exploiter le potentiel lucratif de l’invention de sa société,
Edison essaya de briser la carrière des réalisateurs concurrents en les poursui­
vant pour utilisation d'un matériel dont il avait déposé les brevets. Une autre
société américaine, la Mutoscope & Biograph, réussit à survivre en inventant
des caméras différentes de celles d'Edison. D’autres entreprises poursuivirent
leurs activités pendant qu'Edison leur faisait un procès. En 1908, il accepta un
compromis avec la Biograph pour pouvoir contrôler ces entreprises en
formant la Motion piaure patents company (MPPC; «Société des brevets
cinématographiques»), un groupe de dix entreprises basées, à l’origine, à
Chicago, à New York et dans le New Jersey. Edison et la Biograph étaient les
seuls possesseurs de pellicule et détenteurs des brevets. Ils donnaient l'autori­
sation aux autres membres du groupe de réaliser, distribuer et montrer des
films.
la MPPC ne parvint jamais à éliminer la concurrence. De nombreuses
sociétés indépendantes furent créées pendant cette période. Le plus important
directeur de la Biograph, D.W. Griffith, qui occupait son poste depuis 1908,
fonda sa propre société en 1913, comme d'autres réalisateurs. Le gouverne­
ment des États-Unis intenta un procès à la MPPC en 1912; en 1915, elle fut
dénoncée comme monopole.
Vers 1910, les sociétés de production commencèrent à s’installer définitive­
ment en Californie. Hollywood et d’autres petites villes de la périphérie de
Los Angeles finirent par devenir le lieu d'une intense activité liée au cinéma.
Selon certains historiens, les sociétés indépendantes fuirent vers l’ouest pour
échapper au harcèlement de la MPPC, mais des sociétés faisant partie de cette
dernière firent aussi le voyage. Parmi les avantages qu'offrait Hollywood, il y
avait le climat, qui permettait de filmer toute l’année, et la grande diversité des
sites — montagnes, océan, désert, ville — disponibles pour les tournages en
extérieurs.
La demande de films était si importante qu’aucun studio ne pouvait y
répondre seul. C'est l’une des raisons pour lesquelles Edison finit par accepter
l’existence d'un groupement d'autres sociétés, môme s'il essaya de les contrôler

547
»mt k- ilisi.0ui n-üitia _

autant que possible à travers des procédures de réglementation. Avant 1920.


l'industrie américaine du cinéma avait adopté la structure qu elle conserverait
pendant des années, constituée de quelques grands studios possédant des
artistes sous contrat et d’un ensemble périphérique de petits producteurs
indépendants. À Hollywood, les studios développèrent un système à caractère
industriel où chaque production était placée sous le contrôle d’un producteur
qui n’avait généralement aucun rôle direct dans l'élaboration technique du
film. Même un réalisateur indépendant comme Buster Keaton, qui possédait
son propre studio, avait un directeur commercial et distribuait ses films par
l’intermédiaire de sociétés plus importantes, d’abord la Métro puis United
Artists.

Progressivement, au cours des années 10 et des années 20, les plus petits
studios fusionnèrent pour former les grandes entreprises qui existent encore
aujourd'hui, l’amous Players s'associa à Je&se L. Lasky puis créa une branche
distribution, Paramount. Même s’ils étaient concurrents, ces studios, compre­
nant qu'aucune entreprise ne pouvait satisfaire à elle seule toute la demande,
avaient tendance à coopérer.

Avec ce système, le cinéma américain se tourna définitivement vers la


forme narrative. L’un des réalisateurs d’Edison, Edwin S. Porter, fit quelques-
uns des premiers films employant les principes de continuité et de progres­
sion narratives (opposés aux séries de tableaux où aux scènes de théâtre filmés
qui caractérisaient les films narratifs préclassiques). Un film de Porter. Thelifc
of an ameriam fireman (1903). montrait des pompiers se précipitant au
secours d’une femme et d'un enfant prisonniers d'une maison en feu. Bien
qu'utilisant plusieurs éléments narratifs classiques importants (l’un des pom­
piers a le pressentiment de l’incendie, une série de plans montre la voiture à
cheval filant vers la maison), le film n’avait pas encore découvert la logique
des relations temporelles dans le montage : nous voyons deux fois le sauvetage
de la mère et de son enfant, de l’intérieur et de l'extérieur de la maison. Porter
n’avait pas réalisé qu’il pouvait faire alterner ces deux lieux au cours de
l'action ou faire des raccords dans le mouvement pour communiquer les
informations narratives au public.

En 1903, Porter réalisa l’attaque du Grand Rapide (The gréat train rob-
bery), qui est par certains aspects un prototype du cinéma classique améri­
cain. L’action s’y développe de façon claire et linéaire, tant du point de vue du
temps et de l'espace que de la simple logique causale. Nous suivons chaque
étape de l'attaque (fig. 12.6), la poursuite et la défaite finale des voleurs. En
1905, Porter réalisa un film dont le récit était basé sur un parallèle simple, The
klcptomaniac. opposant le destin d’une femme riche et celui d’une autre, affa­
Figure 12.6 mée, toutes deux prises en flagrant délit de vol.

54B
(UMmiî - U mit H tin mimiiM-m fini

Les réalisateurs anglais travaillaient dans la même direction. De nombreux


historiens du cinéma pensent même que Porter trouva certaines de ses techni­
ques de montage dans des films comme Fire! (James Williamson, 1901) ou
Mary /ânes Mishap (G.A. Smith, 1903). Le film anglais le plus célèbre de
l'époque était Rescucd by Rover (Lewin Fitzhamon, 1905). produit par l’une
des plus importantes sociétés du pays, Ceci] Hcpworth. Il y était question
d'un enlèvement d’enfant, traité avec une linéarité proche de celle de The
great train robbery. Après l'enlèvement, nous voyons chacune des étapes du
voyage que fait Rover pour retrouver l’enfant, son retour pour aller chercher
le père de ce dernier et la façon dont ils refont le chemin pour aller jusqu’au
repaire des kidnappeurs. Tous les plans décrivant leur trajet maintiennent des
directions de mouvement cohérentes, qui rendent la géographie de l’action
totalement compréhensible.

En 1908, D.W. Griffith entama sa carrière de réalisateur. Durant les cinq


années suivantes, il allait réaliser des centaines de films de une ou deux bobi­
nes ( 15 ou 30 minutes environ). Ces films créaient en peu de temps des récits
relativement complexes. Si Griffith n'a sans doute pas été à l'origine de tous
les procédés techniques dont on le crédite, il a donné à beaucoup d’entre eux
de fortes motivations narratives. Un petit nombre de réalisateurs, par exem­
ple, avaient déjà mis en oeuvre des sauvetages de dernière minute, avec un
montage alterné entre les sauveteurs et les personnages en danger, mais Grif­
fith est connu pour avoir développé et popularisé celte technique (figs. 8.95-
8.98 et chapitre 8). Dans la période où il réalisa Naissance d'une nation (1915)
et Intolérance ( 1916), Griffith créait de longues séquences en raccordant plu­
sieurs décors différents. Au début des années 10. il dirigea aussi ses acteurs de
façon inhabituelle, se concentrant sur de subtils changements d’expressions
faciales. Pour saisir ces nuances, il installait sa caméra plus près des acteurs
que beaucoup de scs contemporains cl les cadrait en plan moyen ou en plan
taille. Les films de Griffith eurent une grande influence. Le montage rapide et
dynamique des scènes décrivant la poursuite finale de Intolérance devait, de
plus, avoir un impact considérable sur le style du montage soviétique des
années 20.

On assiste au perfectionnement de la motivation narrative du montage


dans les oeuvres d’un grand nombre de réalisateurs de l'époque. L’un d'eux,
Thomas H. Ince, producteur et réalisateur, fut à l'origine d'un grand nombre
de films entre 1910 et la fin de la Première Guerre mondiale. Il conçu un
«système par équipe», permettant à un seul producteur de superviser la réali­
sation de plusieurs films à la fois. Il réclamait des récits concis, sans digres­
sions ni fins ouvertes. Civilization ( 1915) et The italian (1915) sont de bons
exemples du type de film que Ince réalisait ou supervisait. Il surveilla aussi la

549
I UHID1JLI H (HL

réalisation des westerns populaires de William S. Hart, qui dirigea un grand


nombre de ses propres films.
Un autre réalisateur prolifique de cette période (et qui le resta des années
après) fut Cecil B. De Mille. À l’époque où il ne s’était pas encore consacré à la
création de films historiques à grand spectacle, De Mille réalisa une série de
longs métrages dramatiques et comiques. Forfaiture (1915) reflète les change­
ments importants survenus dans les studios entre 191-1 et 1917. Les bâtiments
aux toits vitrés commençaient à laisser place à des studios où la lumière artifi­
cielle se substituait à l'ancien mixte entre lumière du jour et éclairage électri­
que. Forfaiture mettait en œuvre des clairs-obscurs spectaculaires, où une ou
deux sources vives de lumière n'étaient pas équilibrées par un éclairage
d’appoint. Selon la légende, De Mille justifia cet effet devant les spectateurs
énervés en parlant d’éclairage «à la Rembrandt» : celui-ci devint un élément
du répertoire classique des techniques d’éclairage sous le nom de «north
light» (littéralement: «lumière du nord>). Forfaiture fit aussi une grande
impression sur les réalisateurs français dits • impressionnistes», qui utilisèrent
parfois de violents effets lumineux comparables.
Comme beaucoup d'autres films américains des années 10, Forfaiture met
en œuvre un récit linéaire. La première scène (fig. 12.7) introduit un effet
lumineux très dur et présente rapidement l'homme d’affaire japonais comme
un collectionneur sans scrupule; nous le voyons en train d’inscrire sa marque
sur une statuette. Cette première action justifie une scène ultérieure où le
même homme veut mettre sa marque sur l'héroïne, tombée en son pouvoir en
lui empruntant de l'argent (fig. 12.8). Forfaiture était une preuve de la com­
plexité formelle croissante du cinéma hollywoodien.
Entre 1906 et 1917, on assista au développement des principes fondamen­
taux de continuité. Les raccords regards se multiplièrent à partir de 1910; le
raccord dans le mouvement se développa simultanément et était d'un usage
Figure 12.7 courant vers 1916 —on en trouve par exemple dans des films de Douglas

Figure 1241 Figure 12.9 Figure 12.10

550
__ jwijh 12 - is mai pu nu u liihiiiu pu ui£L_ _ ______ ,

Figure 1111 Figure 12.12 Figure 1112

Fairbanks comme The americano ( 1916) ou Wildand Woolly (John Emerson,


1917), Le champ-conirechamp était rarement utilisé entre 1911 et 1915, mais
se répandit vers 1916-1917; on en trouve des occurrences dans des films
comme Forfaiture, The narrow trait (un western de William S. Hart réalisé en
1917) ou Le roman de la vallée heureuse M romance of happy valley, D.W.
Griffith, 1919). Durant cette période, la plupart des films respectaient la règle
des 180° en utilisant ces diverses techniques.
Vers les années 20, le système de la continuité était devenu un style stan
dard dont les réalisateurs des studios hollywoodiens se servaient presque
automatiquement pour créer des relations spatiales et temporelles cohérentes Figure 12.14
dans un cadre narratif. Un raccord dans le mouvement pouvait amener une
vue rapprochée sur une scène, comme dans Les trois mousquetaires, avec
Douglas Fairbanks (The three musketeers, Fred Niblo, 1921 ) (figs. 12.9, 12.10),
Une conversation à trois autour d'une labié n’était plus traitée en un seul plan
frontal. Notez la clarté des relations spatiales dans ces cinq plans extraits du
Calvaire des divorcés (Arent parents people ?, Malcom St Clair. 1925)
(figs. 12.11 - 12.15). La fille vient s’asseoir à la table en plan d'ensemble (il
s’agit donc d’un plan de situation — fig. 12.11), puis regarde tour à tour, en
champ-contrechamp, son père et sa mère qui sont chacun assis à une extré­
mité de la table. Dans cette période, les directions étaient généralement res­
pectées, comme on peut le voir dans cette exemple. Lorsqu’un raccord
maladroit résultait de l’association de deux plans, les réalisateurs pouvaient Figure 12.15
toujours le «dissimuler* en insérant un carton mentionnant un dialogue.
Les lois de /‘hospitalité, de Bustcr Keaton, que nous avons étudié au
chapitre 6, fournit un autre exemple de récit classique. La maîtrise de Keaton
sur la forme et le style classique est évidente lorsqu’on observe les récurrences
des divers éléments narratifs, soigneusement motivées, et la simplicité du
schéma causal, depuis la mort du père de Willie McKay au cours de la
fusillade jusqu’à la résolution finale de la querelle.

551
.mm L--Jumm.il.ni£i.t

Dans les dernières années du cinéma muet, correspondant à la fin des


années 20, te cinéma classique hollywoodien était devenu un mouvement
sophistiqué alors que la -production* hollywoodienne était remarquable
meni standardisée. Tous les grands studios, les Majors, mettaient en oeuvre le
même système de production, avec une même division du travail. La produc­
tion indépendante était moins importante; certaines entreprises indépendan­
tes réalisaient des films à petit budget, souvent des westerns, pour des petites
salles ou des cinémas de province. Même les plus grandes stars ou les plus
puissants producteurs d'Hollywood avaient du mal à rester indépendants.
Keaton renonça à son studio en 1928 pour un contrat à la MGM, où sa
carrière déclina, en partie à cause de l’incompatibilité entre ses vieilles métho­
des de travail et la rigueur des structures de production des grands studios.
Griffith, Mary Pickford, Douglas Fairbanks cl Charles Chaplin s'en sortirent
mieux. Fondant par eux-mêmes en 1919 une société de distribution, United
Artists, ils purent continuer à produire des films de façon indépendante, au
sein de petites compagnies protégées par leur société — même si celle de Grif­
fith fit rapidement faillite et que les carrières de Fairbanks et de Pickford con­
nurent un déclin rapide peu après l'arrivée du cinéma sonore.

Il existait d'autres types de films dans cette période — réalisés, pour la plu­
part, dans d'autres pays. Après avoir évoqué ces autres mouvements, nous
reviendrons brièvement sur le cinéma hollywoodien classique tel qu'il se pré­
sentait dans les premières années du cinéma sonore.

L'expressionnisme allemand (1919-1926)


Au début de la Première Guerre mondiale, la production de l'industrie ciné­
matographique allemande était relativement faible, même si quelques films
impressionnants étaient réalisés dans le pays. Les 2000 salles de cinéma alle­
mandes montraient essentiellement des films français, américains, italiens et
danois. Les États-Unis et la France bannirent immédiatement les films alle­
mands de leurs écrans, mais l'Allemagne n’était pas dans une position suffi­
samment forte pour faire la meme chose avec les films américains et français
— les salles n'auraient alors plus eu grand-chose à montrer.

Pour combattre l’importation et réaliser ses propres films de propagande,


le gouvernement allemand commença à soutenir l’industrie cinématogra­
phique. En 1916, les films étrangers furent interdits, à l'exception de ceux pro­
venant du Danemark, pays neutre dont l’industrie cinématographique avait
des liens étroits avec celle de l'Allemagne. La production s’accrut rapidement ;
on passa d'une douzaine de petites sociétés, en 1911, à 131 en 1918. Mais la

552
uulmjh 12 - ls mu >u [in n l miioifioii nui

politique gouvernementale encourageait ces sociétés à se rassembler en car­


tels.

La guerre était très impopulaire en Allemagne et les mouvements de


révolte se multiplièrent après le succès de la révolution russe de 1917. Des grè­
ves générales et des pétitions contre la guerre furent organisées au cours de
l'hiver 1916-1917. Pour faciliter la réalisation de films bellicistes, le gouverne­
ment, la Deutsche Bank et de grands groupes industriels associèrent plusieurs
petites entreprises de production pour créer à la fin de 1917 une grande
société, la U FA (acronyme pour Universumfibn Ahiengcsellschaft). Soutenue
par des intérêts essentiellement conservateurs, la CFA était un progrès vers un
contrôle du marché allemand mais aussi du marché international de l'après-
guerre.
Avec cet énorme soutien financier, la UFA pouvait rassembler de brillants
techniciens et construire les studios les mieux équipés d'Europe. Ces studios
attirèrent, plus tard, des réalisateurs étrangers, dont le jeune Alfred Hitchcock
Au cours des années 20, l’Allemagne fil de nombreux films en coproduction
avec des sociétés étrangères, contribuant ainsi à la grande influence du style
allemand.
Avec la fin de la guerre en 1918, le besoin d’une propagande militaire-
directe disparut. On continuait de réaliser des drames et des comédies clas­
siques, mais la production allemande se concentra sur trois genres. 11 y avait
les feuilletons d'aventure, populaires dans le monde entier, mettant en scène
des réseaux d’espions, des détectives astucieux ou des décors exotiques. Il y
eut aussi un bref cycle de films portant sur la sexualité, qui traitaient de façon
«éducative» de sujets comme l'homosexualité ou la prostitution. La UFA
commença, enfin, à imiter les films historiques à grand spectacle, très popu­
laires, que l’Italie produisait avant la guerre.
La UFA connut un succès financier avec ce dernier type de film. Malgré les
embargos et les préjugés qui portaient sur les films allemands, tant aux États-
Unis qu’en Grande-Bretagne ou en France, la UFA réussit à s’introduire sur le
marché international. En septembre 1919, Madame Dubarry, de Ernst
Lubitsch, un film à grand spectacle ayant pour cadre la révolution française
(fig. 12.16) inaugura le splendide cinéma UFA Palast de Berlin. Ce film permit
à l'Allemagne de revenir sur le marché mondial du cinéma. Distribué aux
États-Unis sous le litre Paision. ce film était extrêmement populaire et reçut
des critiques enthousiastes dans beaucoup d’autres pays sauf en France, où la
première fut considérablement retardée à cause d’accusations de propagande
ami-française. Mais son succès fut suffisant sur les autres marchés pour que
les films historiques réalisés ensuite par Lubitsch soient rapidement exportés.
Figure 12.16
En 1923, il devint le premier réalisateur allemand engagé par Hollywood.

553
Quelques petites sociétés réussirent, pendant une courte période, à rester
indépendantes. Parmi elles, la Decla d’Erich Pommer (qui devint plus tard la
Decla-Rioscop). En 1919, l’enlreprise s'engagea dans la production d’un scé­
nario peu conventionnel écrit par deux inconnus, Cari Mayer cl Hans
Janowitz. Ces jeunes écrivains voulaient que le filin soit réalisé d'une façon
stylisée, elle aussi inhabituelle. Les trais décorateurs désignés pour travailler
sur le film — Hermann Warm, Walter Reimann et Walter Rohrig— proposè­
rent qu'il soit conçu dans un style expressionniste. L'expressionnisme avait
d’abord été un mouvement d’avant-garde important en peinture (à partir de
1910 environ) avant d’étre rapidement adopté au théâtre, en littérature el en
architecture. Us administrateurs des sociétés de production acceptaient à
présent de l'essayer au cinéma, pensant probablement que se serait un bon
argument de vente sur le marché international.
Ce sentiment fut confirmé lorsque le film. Le cabinet du docteur Caligari,
réalisé avec très peu d’argent, créa l'événement à Berlin puis aux Etats-Unis,
en France et dans d’autres pays. Ce succès fit que d'autres films adoptant un
style expressionniste suivirent; il en résulta un mouvement stylistique ciné­
matographique qui dura quelques années.
Le succès de Caligari et d'autres films expressionnistes retint la plupart des
réalisateurs d'avant-garde allemands dans un cadre industriel. Quelques réali­
sateurs expérimentaux firent des films abstraits, comme Diagonai-symphonie
( Viking Eggeling,1923) ou les films Dada influencés par le mouvement artisti­
que international du même nom, par exemple Fantômes du matin (Hans
Richtcr. 1928). De grandes entreprises comme la UFA (qui avait absorbé la
Decla-Bioscop en 1921) et des sociétés plus petites investirent dans le cinéma
expressionniste, dont les films pouvaient concurrencer ceux réalisés aux
États-Unis. Vers le milieu des années 20. les films allemands les plus impor­
tants étaient considérés par beaucoup comme étant parmi les meilleurs du
monde.
La première oeuvre du mouvement, Caligari, en est aussi l'un des exemples
les plus représentatifs. L'un de ses décorateurs, Warm, déclarait que - l'image
de cinéma doit devenir graphisme.. Caligari, avec sa stylisation extrême, res­
semblait bien â une peinture ou à une gravure expressionniste en mouve­
ment. À côté de l'impressionnisme français, dont le style est principalement
fondé sur la prise de vues et le montage, l’expressionnisme allemand repose
essentiellement sur la mise en scène. Les formes y sont altérées ou exagérées
de façon irréaliste à des fins expressives. Les acteurs sont souvent lourdement
maquillés et ont des mouvements saccadés ou lents et sinueux. Le plus impor­
tant est que la corrélation visuelle de tous les éléments de la mise en scène crée
une composition globale. Les personnages ne sont pas simplement présents
dans le décor mais constituent des éléments visuels sc confondant avec lui,

554
(opiiêi 12 - is mu du fin ii i MHjoific ou mai

Nous en avons déjà vu un exemple en 6.58, montrant un plan extrait de la


scène où le personnage nommé Cesare s'évanouit dans une forêt stylisée et où
son corps et scs bras tendus font échos aux formes des troncs et des branches
des arbres.
Dans Caligari, la stylisation expressionniste sert à traduire le point de vue
d'un fou. Nous voyons le monde comme le voit le personnage principal :
déformé, altéré. Cette fonction narrative des décors devient explicite au
moment où le personnage, poursuivant Caligari, pénètre dans un asile. Il
s'arrête pour regarder autour de lui, debout au centre d’un ensemble de lignes
noires et blanches convergentes qui se déploient sur le sol et sur les murs
Figure 12.17
(fig. 12.17). Le monde du film est littéralement une projection de la vision du
personnage principal.
Plus lard, l'expressionnisme devenant un style accepté, les réalisateurs n'en
justifiaient plus tes effets par la narration en utilisant comme dans Caligari le
point de vue d'un fou. L’expressionnisme avait souvent pour fonction de créer
des situations stylisées dans des contes, des histoires horrifiques — Waxworks
(1924), Nosferatu (1922)— ou des épopées historiques — par exemple, Les
NiMungen (Fritz Lang, 1923-1924). Les films expressionnistes devaient beau­
coup à leurs décorateurs. Dans les studios allemands, un décorateur recevait
un salaire relativement élevé et son nom était souvent mis en valeur sur les
affiches.
Un concours de circonstances conduisit à la disparition de ce mouvement.
L'inflation rampante que subissait l'Allemagne au début des années 20 favori­
sait la réalisation de films expressionnistes, en partie parce que cela rendait
l’exportation des films plus facile (ceux-ci devenant moins cher à l'étranger).
L’inflation, par contre, décourageait l'importation, la chute de la valeur
d’échange du mark rendant les achats étrangers plus coûteux. Mais en 1924,1e
plan Dawes favorisa une stabilisation de l’économie allemande et les films
étrangers, introduits plus fréquemment dans le pays, représentèrent une
concurrence que l’on n’avait pas connu, en Allemagne, depuis presque 10 ans.
Les budgets des films expressionnistes, pendant ce temps, devenaient de plus
en plus importants. Les dernières grandes oeuvres du mouvement, Faust
(FAV. Murnau, 1926) et Métropole (Fritz Lang, 1927), étaient des films à
grand spectacle très onéreux qui conduisirent la UFA dans des difficultés
financières encore plus grandes et son directeur, Erich Pommer, à démission­
ner et tenter brièvement sa chance aux États-Unis. D’autres personnalités
furent aussi séduites par Hollywood. Murnau partit après avoir terminé Faust,
son dernier film allemand. D'importants acteurs (Conrad Veidt et Emil
Jannings, par exemple) ou directeurs de la photographie (comme Karl
Freund) allèrent à Hollywood. Lang resta, mais après que Métropolts fut criti­
qué pour son extravagance au moment de sa sortie en 1927, il fonda sa propre

55S
tU!U < mini» Htntu

société de production et changea de style pour ses films allemands ultérieurs.


Peu après l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933, il quitta lui aussi le pays.

Pour tenter de freiner la concurrence toujours plus rude des films hol­
lywoodiens après 1924, les Allemands commencèrent aussi à imiter les pro­
ductions américaines. Il en résulta des films qui. s’ils étaient parfois
impressionnants, édulcoraient les qualités uniques du style expressionniste.
Vers 1927, l'expressionnisme, comme mouvement, avait disparu. Mais
comme Georges Sadoul l’a fait remarquer, une tendance expressionniste per­
sista dans un grand nombre de films allemands de la fin des années 20
jusqu'au début des années 30 avec certaines œuvres de Fritz Lang comme Al Je
maudit (1930) et Le testament du docteur Mabuse (1932). Beaucoup de réalisa­
teurs allemands ayant émigré aux États-Unis, les films hollywoodiens déve­
loppèrent aussi cette «tendance» expressionniste. Les films d'horreur, par
exemple Le fils de Frankenstein (Son of Frankenstein. Rowland V. Lee, 1939),
ou les films noirs, avaient un caractère fortement expressionniste par leurs
décors et leurs éclairages. Même si le mouvement allemand ne dura que sept
ans, l’expressionnisme n’a jamais totalement disparu en tant que tendance
stylistique.

L'impressionnisme et le surréalisme français


(1918-1930)
À l’époque du muet, certains mouvements cinématographiques français
présentèrent des alternatives majeures à la forme narrative hollywoodienne
classique. Certaines d'entre elles — le cinéma abstrait, le cinéma dada —
n'étaient pas précisément françaises, participant plutôt d’une avant-garde
internationale alors en pleine expansion. Mais deux des alternatives à la
manière américaine restaient ancrées dans un même pays. La première,
l’impressionnisme, était un style d'avant-garde opérant essentiellement dans
un cadre industriel. U plupart des réalisateurs «impressionnistes» commen­
cèrent par travailler pour des grandes sociétés de production françaises et cer­
taines de leurs œuvres, bien que d’avant-garde, furent des succès financiers.
Vers le milieu des années 20. ils fondèrent pour la plupart leurs propres socié­
tés indépendantes mais se maintinrent dans le cadre industriel cl commercial
dominant en louant le matériel des studios et en confiant la distribution de
leurs films à des entreprises établies. Le second mouvement, le surréalisme, sc
tenait essentiellement en dehors de l’industrie: associés au mouvement sur­
réaliste dans les autres domaines artistiques, ses réalisateurs comptaient sur
leurs propres moyens financiers et sur le mécénat privé pour mener à bien

556
iiimiiü.iiitiiiiiiiii n i niyuu m nn<

leurs films. La France des années 20 offrait donc un cas étonnant de coexis­
tence de mouvements cinématographiques différents.

L'impressionnisme
La Première Guerre mondiale porta un coup rude à l’industrie française du
cinéma. Le personnel des sociétés de production fut appelé sous les drapeaux,
beaucoup de studios furent affectés à des usages militaires et une grande par­
tie des exportations furent suspendues. Les deux plus importantes sociétés,
Pathéfrères et Léon Gaumont, contrôlaient aussi les réseaux de salles et
avaient donc besoin de remplir les écrans vidés par le début de la guerre : en
1915, les films américains commencèrent à pénétrer massivement en France.
Représenté par les films de Pcarl Whitc, Douglas Fairbanks, Chaplin ou Ince,
Forfaiture de Cecil B. De Mille et les westerns de William S. Hart (que les
Français surnommaient affectueusement «Rio lim»), le cinéma hollywoodien
dominait le marché à la fin de 1917. Après la guerre, le cinéma français ne
réussit pas à se redresser : dans les années 20, le public voyait huit fois plus de
films américains que de films nationaux. L'industrie cinématographique
essaya de reconquérir ce marché de différentes manières, le plus souvent en
imitant les méthodes de production et les genres hollywoodiens. Du point de
vue artistique, toutefois, la démarche la plus importante fut le soutien apporté
par les entreprises aux plus jeunes réalisateurs du moment : Abel Gance, Louis
Delluc, Germaine Dulac, Marcel L'Herbier et Jean F.pstein.
Ces réalisateurs étaient différents de leurs prédécesseurs. L’ancienne géné­
ration avait considéré la réalisation cinématographique comme une profes­
sion à caractère commercial. Plus théoricienne ei ambitieuse, la nouvelle
génération écrivait des essais déclarant que le cinéma était un art comparable
à la poésie, à la peinture et à la musique. Le cinéma, disaient ces réalisateurs,
devait être complètement lui-même et ne pas emprunter au théâtre ou à la lit­
térature. Impressionnés par le brio et l’énergie du cinéma américain, les jeu­
nes théoriciens comparaient Chaplin à Nijinski et les films de «Rio Jim» à La
chanson de Roland. Le cinéma devait être avant tout, comme la musique, une
occasion pour l’artiste d'exprimer des sentiments, des impressions. Gance,
Delluc, Dulac, L’Herbier, Epstein et d’autres membres plus éloignés de ce
mouvement cherchèrent à mettre cette esthétique en pratique dans leur
oeuvre de cinéma.
Entre 1918 et 1928, dans une série de films extraordinaires, ces réalisateurs
inventèrent des alternatives aux principes formels dominants inventés par
Hollywood. Étant donné le caractère central de l’émotion dans leur esthé­
tique, il n'est pas étonnant que des récits psychologiques intimistes aient été
si présents dans leurs œuvres. Les relations entre un petit nombre de

557
I11I11 £ - UlllflIH PU (ium

personnages, généralement un triangle amoureux —comme dans L'inonda­


tion (Louis Delluc, 1924), Cœur Fidèle (Jean Epstein, 1923), La belle nivernaise
(id., 1924) ou La dixième symphonie (Abel Gance, 1918) — servaient de base à
l’exploration d'émotions fugaces et de sensations changeantes.
Comme dans le cinéma hollywoodien, les déterminations psychologiques
étaient décisives, mais l’école gagna le nom d’« impressionniste» par son inté­
rêt pour une narration présentant une grande profondeur psychologique,
révélant les états de conscience d’un personnage. Il ne s’agissait pas de s’inté­
resser à des comportements physiques, à l’expression «extérieure» de la psy­
chologie du personnage, mais à une sorte de drame intérieur. La façon dont
les films impressionnistes manipulaient le temps de l’histoire et les effets de
subjectivité était sans précédent dans le cinéma international. Pour représen­
ter des souvenirs, il est courant d’utiliser un flashback; la plus grande partie
d’un film est parfois constituée d’un flashback ou d’une série d’entre eux.
L’insistance avec laquelle ces films veulent refléter les états mentaux, les rêves
ou les rêveries de leurs personnages est encore plus étonnante. Dans La sou­
riante madame Beudet (Germaine Dulac, 1923) c’est la vie imaginaire du per­
sonnage principal, cherchant à échapper, en esprit, à un mariage ennuyeux,
qui constitue la quasi-totalité du film. Malgré sa durée épique (plus de cinq
heures), La roue (Abel Gance, 1922) se concentre essentiellement sur les rela­
tions érotiques entre quatre personnages; le réalisateur cherche à décrire le
développement de leurs sentiments avec beaucoup de détails. L’accent mis par
l’impressionnisme sur les émotions individuelles fait que tous ces récits se
concentrent de façon intense sur la psychologie.
Le mouvement . impressionniste» dut aussi son nom à son style. Les réa­
lisateurs essayèrent de représenter des états mentaux par de nouvelles uti­
lisations des techniques de prise de vues ou de montage. Dans les films
impressionnistes, les iris, les caches et les surimpressions sont comme les tra­
ces des pensées et des sentiments des personnages. Dans Cœur fidèle, l’héroïne
regarde dehors par une fenêtre et l’on voit apparaître, en surimpression, un
amas répugnant d’objets rejetés par la mer sur un quai, qui traduit son déses­
poir à l’idée de devoir travailler comme serveuse dans une auberge du port
(fig. 12.18). Dans La roue, une image de Norma qui apparait en surimpres­
sion sur la fumée sortant d’une locomotive représente la rêverie de son con­
ducteur, amoureux de la jeune femme.
Pour rendre plus intenses les effets de subjectivité, la photographie et le
montage impressionnistes présentent les expériences perceptives des per­
sonnages, leurs «impressions» optiques. Les films employaient beaucoup le
raccord regard subjectif : un personnage regarde quelque chose dans un plan,
Figure 12.18
puis l’on passe à un plan montrant ce dont il s’agit, suivant un angle et une

558
_ JW HH 12.- w tOfiffll CU [lia W .UlUU

distance correspondant au point de vue du personnage. Lorsqu’un


personnage d’un film impressionniste est ivre ou pris d’étourdissements, le
réalisateur rend compte de ses sensations par des images déformées, filtrées
ou par des mouvements de caméra vertigineux. La figure 12,19, extraite de
Eldorado (Marcel L’Herbier. 1920) montre un homme en train de boire dans
un cabaret; son ébriété est traduite au moyen d'un miroir déformant qui étire
son corps sur les côtés.

Les impressionnistes s’essayèrent aussi à des montages aux rythmes mar­


qués pour évoquer l'évolution des sensations d'un personnage. Dans les scè­
nes de violence ou de troubles affectifs, le rythme s’accélère — les plans Figure 12.19
deviennent de plus en plus courts jusqu’à un dimax où ils ne durent plus,
parfois, que le temps de quelques photogrammes. Dans La roue, un accident
de train est l’occasio d’une accélération progressive du montage, les plans pas
sant d’une longueur de treize à deux photogrammes; les dernières pensées
d’un personnage qui va tomber du haut d’une falaise sont présentées en un
ensemble indistinct de plans durant chacun un photogramme (première
occurrence connue d'un montage aussi rapide). Dans Cœur fidèle, les amou­
reux, à la foire, sont montés sur un manège et Epstein présente leur vertige en
une série de plans de quatre puis deux photogrammes. Dans plusieurs films
impressionnistes, une danse sert à justifier l’accélération marquée du mon­
tage. De façon plus générale, leur comparaison entre cinéma et musique
encouragèrent les impressionnistes à explorer le montage rythmique. Ces
plans subjectifs et ces figures de montage avaient pour fonction de renforcer le
traitement narratif des états psychologiques.

La forme impressionniste créa certains besoins techniques. Gance, le plus


audacieux des innovateurs, profita de son grandiose Napoléon pour tester de
nouveaux objectifs (un téléobjectif de 275mm par exemple) et un procédé de
triple écran (appelé • Polyvision») permettant aussi de travailler des formats
larges (on peut en voir un exemple en 7.50). L'innovation technique impres­
sionniste qui eut la plus grande influence fut le développement de nouvelles
façons de faire bouger le cadre. Si l'image représentait le regard d’un person­
nage, la caméra devait pouvoir se déplacer avec la facilité d'une personne. Les
impressionnistes attachèrent leurs caméras à des voitures, à des manèges, à
des locomotives. Pour Napoléon, le fabricant de caméra Debrie perfectionna
une caméra portable qui permettait à l'opérateur de se déplacer sur des patins
à roulettes. Gance mit son appareil sur des roues, des câbles, des pendules, des
luges. Dans L'argent (Marcel L'Herbier, 1929), la caméra glissait à travers
d’énormes pièces et plongeait même droit sur une foule à travers le dôme de
la bourse du commerce de Paris pour tenter de traduire la frénésie des négo­
ciants.

559
Hlîll t - «11181*1 n

Ces innovations formelles, stylistiques et techniques avaient donné aux


réalisateurs français l'espoir que leurs films pourraient accéder à la popularité
des productions hollywoodiennes. Durant les années 2Û, les impressionnistes
travaillaient de façon quasi indépendante; ils avaient formé leurs propres
petites sociétés de production et louaient le matériel à Pathé ou Gaumont en
échange des droits de distribution de leurs films. Certains films impression­
nistes connurent un certain succès populaire auprès du public français. Mais
en 1929 ils ne plaisaient toujours pas à la majorité des publics étrangers, leurs
expérimentations restant en accord avec les goûts d'une élite. De plus, meme
si les coûts de production augmentaient, les réalisateurs (particulièrement
Gance et L'Herbier) devenaient de plus en plus dépensiers : les sociétés qu'ils
avaient fondées firent faillite ou furent absorbées par les grandes entreprises.
Deux des plus gigantesques productions de la décennie. Napoléon et L'argent.
n'eurent aucun succès et furent remontés par les producteurs; ils furent parmi
les derniers films impressionnistes distribués. Avec l'arrivée du cinéma
sonore, l’industrie française se serra la ceinture et ne voulut plus risquer de
l'argent sur de telles expériences.
On peut dire que l'impressionnisme comme mouvement cinématogra­
phique a cessé d’exister vers 1929. Mais la forme impressionniste — le récit
psychologique, la caméra subjective, le montage— eut des influences plus
tardives. On peut en voir des exemples dans les oeuvres d'Alfred Hitchcock ou
Maya Deren.dans les séquences de montage des films hollywoodiens ou cer­
tains genres ou styles américains (le film d’horreur, le film noir).

Le surréalisme
Tandis que les réalisateurs impressionnistes travaillaient dans un cadre indus­
triel et commercial, les réalisateurs surréalistes vivaient de mécénats privés et
projetaient leurs oeuvres au cours de petites réunions d'artistes. Un tel isole­
ment n’est pas vraiment surprenant : le cinéma surréaliste était un mouve­
ment plus radical, produisant des films qui déconcertaient ou choquaient la
majorité des spectateurs.

Le cinéma surréaliste était directement lié au surréalisme en littérature et


en peinture. Selon son porte-parole, André Breton, «Le surréalisme» était
«basé sur la croyance en la réalité supérieure de certaines formes d'associa­
tion, jusqu’ici négligées, en la toute-puissance des rêves et le jeu libre de la
pensée». Influencé par la psychologie freudienne, l'art surréaliste cherchait à
rendre compte des courants cachés de l’inconscient, «en l’absence de tout
contrôle exercé par la raison cl au-delà de toute esthétique et préoccupation
morale. »

560
(OP11H 12 - LO fOSflll PU fILffl il L'OIHQIU.HXJU1111

L’écriture cl h peinture •automatiques», la recherche dune imagerie


étrange et évocatrice, l’abandon délibéré d'une forme ou d'un style rationnel­
lement explicables devinrent les caractéristiques du surréalisme tel qu’il se
développa entre 1924 et 1929. Dés le début, les surréalistes furent attirés par le
cinéma; ils admiraient particulièrement ks films où les personnages étaient
animés de désirs violents, les films fantastiques ou participant du merveilleux
(les comédies burlesques, Nûïferatu, les feuilletons mettant en scène de mysté­
rieux supcrcrimincls). Des peintres comme Man Ray ou Salvador Dali et des
écrivains comme Antonin Artaud finirent par s’essayer, en amateur, au
cinéma, tandis que le jeune espagnol Luis Bunuel, attiré par le surréalisme,
devenait son plus célèbre réalisateur. Figure 12.20
Le cinéma surréaliste est clairement antinarratif, s'attaquant à la causalité
elle-même. Là où la rationalité doit être combattue, il faut que les liaisons
causales soient anéanties. Au début de La coquille et le dergyman (écrit par
Antonin Artaud, filmé par l’impressionniste Germaine Dulac en 1928) le per­
sonnage principal vide des fioles qu’il brise ensuite systématiquement
(fig. 12.20). Dans Un chien andalou (Luis Bunuel, Salvador Dali, 1928), le per­
sonnage principal traîne deux pianos, où gisent des cadavres d’ânes, à travers
un salon. Dans L’âge d'or (Luis Buhuel, 1930) une femme se mci à sucer de
façon obsessionnelle les orteils d'une statue.
Dans beaucoup de films surréalistes, le spectateur est invité à chercher une
logique narrative qui se révèle tout simplement absente. La causalité y est aussi
insaisissable que dans un rêve; les événements sont plutôt juxtaposés en fonc­
tion de leurs effets dérangeants. Le personnage principal tue un enfant d'un Figure 12.21
coup de feu, sans raison (L’âge d'or); une femme ferme les yeux pour laisser
apparaitre les yeux peints sur scs paupières (Entak Bakia, Man Ray, 1927) et
— le plus célèbre — un homme aiguise un rasoir et coupe l’œil d’une femme
qui ne proteste pas (Un chien andalou; fig. 12.21). Dans un film impression­
niste de tels événements auraient été justifiés par un rêve ou une hallucination,
mais ici les personnages sont totalement dépourvus de psychologie. Le désir
sexuel et l’extase, la violence, le blasphème et un humour bizarre fournissent
des événements auxquels le cinéma surréaliste à recours sans sc soucier des
principes narratifs conventionnels. Les réalisateurs espéraient que la forme
libre de leurs films réveillerait les pulsions profondes des spectateurs. Buftuel
disait du Chien andalou que c’était un «appel passionné au meurtre-.
Le style du cinéma surréaliste est éclectique. La mise en scène y est souvent
influencée par la peinture du même mouvement. l>es fourmis du Chien anda­
lou viennent de toiles de Dali, les colonnes et ks jardins publics de coquille
et le dergyman., du peintre italien Giorgio de Chirico. Le montage surréaliste
est un amalgame de procédés venant de l'impressionnisme (beaucoup de fon­
dus enchaînés et de surimpressions) et du cinéma dominant de l’époque. Le

561
(IllU

coup de rasoir dans l'œil au début d’Un chien andalou est un effet choquant
qui repose sur des principes de continuité (en fait, sur l’effet Koulechov). Par
ailleurs, des effets de discontinuités dans le montage sont souvent utilisés
pour briser toute cohérence spatio-temporelle. Dans le même film, l’héroïne
met l’homme hors de la pièce où elle se trouve et ferme la porte, mais
lorsqu’elle se retourne il est, inexplicablement, derrière elle. Dans l’ensemble,
le style du cinéma surréaliste se caractérisait par son refus de privilégier des
procédés particuliers, qui auraient mis ordre et raison là où devait seulement
exister un «jeu libre de la pensée».

La chance du cinéma surréaliste tourna avec les changements qui ébranlè­


rent l’ensemble du mouvement. Vers la fin de 1929, quand Breton rejoignit le
parti communiste, les surréalistes se perdirent en querelles internes sur la
valeur du communisme comme équivalent politique du surréalisme. Bunuel
quitta la France pour un bref séjour à Hollywood puis retourna en Espagne.
Le principal mécène du mouvement, le vicomte de Noaillcs, soutint financiè­
rement la réalisation de Zéro de conduite (Jean Vigo, 1933), un film aux ambi­
tions surréaliste, avant de cesser d’aider l’avant-garde. Le surréalisme français
ne pouvait donc plus survivre, comme mouvement unifié, après 1930. Mais
des surréalistes continuèrent à travailler individuellement, comme Buftucl, le
plus célèbre d’entre eux, qui tourna pendant encore presque cinquante ans.
Ses derniers films, Belle de jour (1967) ou Le charme discret de la bourgeoisie
(1972), perpétuent la tradition surréaliste.

L'école soviétique (1924-1930)


Le succès de la révolution russe d’octobre 1917 n’empêchait pas le nouveau
gouvernement soviétique de devoir faire face à une tâche difficile, celle de
contrôler tous les secteurs de la vie quotidienne du pays. Comme ce fut le cas
avec les autres industries, il fallut des années pour que la production et la dis­
tribution de films parviennent à des résultats substantiels qui puissent servir
les objectifs du nouveau régime.

Mémo si l'industrie cinématographique russe de l’avant-révolution n'avait


pas une place importante dans le cinéma mondial, quelques sociétés privées
de production opéraient à Moscou et Saint-Pétersbourg. La plupart des
importations ayant été éliminées durant la guerre, ces sociétés s’en sortaient
en réalisant des films pour le marché intérieur. Les films russes les plus carac­
téristiques du milieu des années 10 furent de lents mélodrames centrés sur des
performances d’acteurs jouant des personnages pris dans des situations émo­
tionnellement fortes. Ces films, à la gloire du talent d’un Ivan Mosjoukine ou

S62
xyjjlfil 12 - Lfl mil DU ELI U L H1118jAl^LUlll

d'au 1res acteurs populaires, étaient essentiellement destinés au public russe


— on les voyait rarement à l'étranger.
Ces sociétés résistèrent à la nationalisation de toutes les propriétés privées,
qui fut l'une des premières conséquences de la révolution, en refusant tout
simplement de fournir des films aux salles contrôlées par l'État. En juillet
1918, la sous-section cinéma de la commission d'État pour l’éducation
imposa un strict recensement de l’étal des stocks de pellicule vierge. Les pro­
ducteurs commencèrent alors à mettre leurs stocks de côté; les entreprises les
plus importantes fuirent à l'étranger avec tout le matériel qu elles pouvaient
emporter. Certaines sociétés réalisèrent des films commandés par le gouver­
nement tout en espérant que les Rouges perdraient la guerre civile et que les
choses redeviendraient comme avant la révolution.
En dépit du manque de matériel et des conditions de vie difficiles, de jeu­
nes réalisateurs firent quelques essais hésitants qui allaient déboucher sur le
développement d’un mouvement cinématographique national. Dziga Vertov
commença par travailler sur des images documentaires filmées pendant la
guerre; à vingt ans, il fut chargé de l’ensemble des actualités cinématographi­
ques. Lev Koulechov, qui enseignait dans la toute nouvelle École d'État de l’art
cinématographique, réalisa une série d'expériences consistant à monter des
images provcnanl de différentes sources pour créer un tout procurant une
impression de continuité. En ce sens, Koulechov était peut-être le plus conser­
vateur de ces jeunes réalisateurs soviétiques: il essayait de systématiser des
principes de montage comparables aux procédés du cinéma hollywoodien
classique. Avant même d'être capables de réaliser des films, Koulechov et ses
élèves travaillaient dans la première école de cinéma du monde et écrivaient
des essais théoriques sur cette nouvelle forme artistique. Ces connaissances
théoriques allaient servir de base à leur style de montage.
En 1920, Sergueï Eiscnstein travaillait dans un train qui amenait les films
de propagande jusqu'aux troupes qui se battaient sur le front de la guerre
civile. 11 retourna la même année à Moscou pour mettre en scène des pièces
dans un théâtre ouvrier. En mai 1920, Vscvolod Poudovkinc fit ses débuts
d'acteur dans une pièce présentée par l'École d'État de Koulechov. Il avait eu
le désir de faire du cinéma après avoir vu Intolérance, de Griffith, qui ne fut
largement distribué en Russie qu’en 1919, Les films américains, et plus parti­
culièrement ceux de Griffith, Douglas Fairbanks et Mary Pickford, qui conti­
nuaient à circuler pour remplir les vides laissés par la faible production de
films du nouveau système, exercèrent une énorme influence sur les réalisa­
teurs du futur mouvement soviétique.
Aucun des réalisateurs importants de cette nouvelle école n’était un survi­
vant du cinéma pré-révolutionnaire. Ils venaient tous d'autres domaines

563
Mi Lit [ - Hinoifil PU (JHIBfl

(Eisenstein, par exemple, avait été ingénieur: Poudovkine, chimiste) et décou­


vrirent le cinéma pendant l'effervescence révolutionnaire. Les réalisateurs de
1ère tsariste toujours en activité dans l’URSS des années 20 avaient tendance à
rester fidèle aux traditions. Un réalisateur populaire à l'époque du tsar, Jacob
Protazanov, partit quelques temps à l’étranger, après la révolution, mais revint
pour continuer à réaliser des films dont le style et la forme ne devaient pres­
que rien à la théorie et à la pratique des nouveaux réalisateurs.
le retour de Protazanov coïncida avec un relâchement complet du con­
trôle de l'Etat sur les sociétés privées. En 1921. le pays affrontait d’énormes
problèmes, dont une famine généralisée. Pour faciliter la production et la dis­
tribution de biens, Lénine institua la Nouvelle politique économique (NEP),
qui autorisa durant plusieurs années une gestion privée des affaires commer­
ciales. Pour le cinéma, la NEP correspondit à une soudaine réapparition de
pellicule vierge et de matériel appartenant aux producteurs qui n'avaient pas
émigré. La production soviétique commença lentement à augmenter, au fur et
à mesure que les sociétés privées réalisaient plus de films. Le gouvernement
essaya, avec peu de succès, de contrôler l'industrie cinématographique en
créant en 1922 une société centrale de distribution, le Goskino.
«De tous les arts, le cinéma est pour nous le plus important», affirma
lénine en 1922. Celui-ci voyant dans le cinéma un puissant outil d’éducation,
les premiers films favorisés par le gouvernement furent des documentaires et
des actualités comme la série des Kino-Pravda de Vertov, qui débuta en mai
1922. Des films de fiction étaient aussi réalisés depuis 1917, mais ça n’est
qu'en 1923 qu’un long-métrage géorgien, Les diablotins rouges (Ivan
Peresliani), devint le premier film soviétique à concurrencer les films étran­
gers qui dominaient les écrans nationaux. (Et ça n'est qu'à partir de 1927 que
les bénéfices tirés par l’industrie soviétique de ses propres productions dépas­
sèrent ceux des films importés.)
L'école soviétique de montage connut des débuts hésitants en 1924,
moment où la classe de Koulechov, à l’Ecole d'Etat de l'art cinématographi­
que, présenta Les extraordinaires aventures de Mr. West au pays des bolche­
viques. Ce film charmant, comme l’œuvre suivante de Koulechov, Le rayon de
la mort (1925), montra que les réalisateurs soviétiques pouvaient appliquer
leurs principes théoriques concernant le montage tout en réalisant des satires
amusantes ou des aventures passionnantes, des films aussi divertissants que
les productions hollywoodiennes.
Le premier long métrage d'Eisenstein, La grève, sortit au début de 1925 et
lança le mouvement en tant que tel. Son deuxième film, Le cuirassé Poletnkine,
dont la première eut lieu à la fin de la même année, connut un large succès
et attira l'attention des autres pays sur ce nouveau mouvement. Dans les

564
(WIIÊi 12 - Ll 10 ADI PJ1 {ILS II L IIHlDIAi DU {liai

quelques années qui suivirent, Eiscnstein, Poudovkine, Vertov et l’Ukrainien


Alexandre Dovjenko réalisèrent une série de films qui sont maintenant des
classiques de l'école soviétique et de son style de montage.

Le montage était à la base des écrits théoriques et de la pratique cinémato­


graphique de ces réalisateurs. Ils affirmaient tous qu’un film n'existe pas par
ses seuls plans, considérés individuellement, mais par leur combinaison en un
tout à travers le processus du montage. II faut se rappeler ici que depuis le
cinéma primitif, aucun style cinématographique national n'avait jamais
reposé sur le plan long. Les grandes œuvres qui inspirèrent les réalisateurs
soviétiques, comme Intolérance et certains essais de l’impressionnisme fran­
çais, étaient essentiellement fondés sur des effets de montage.

Les jeunes théoriciens n’étaient pas tous d’accord : Poudovkine pensait que
les plans étaient comme des briques, qu'il fallait associées pour bâtir une
séquence; Eiscnstein protestait en disant que l'on obtiendrait un effet maxi­
mum si les plans ne s’enchaînaient pas parfaitement, s'ils créaient une saute,
un choc pour le spectateur. II préférait aussi juxtaposer les plans de façon à
faire naître une idée, comme nous l’avons déjà vu au chapitres à propos
d'Oaobre et du «montage intellectuel-. Vertov était en désaccord avec ces
deux théories et leur préférait son idée du «ciné-œil» pour aborder l'enregis­
trement et la mise en forme de la réalité documentaire.

Tempête sur l’Asie (Vsevolod Poudovkine, 1929) fait un usage du montage


intellectuel semblable à celui d'Octobre. Des plans montrant Je couple que l'on
pare de leurs différents accessoires sont entrecoupés de plans montrant la pré­
paration d'une cérémonie au temple. Un gros plan sur un collier que l’on
attache au cou de la femme (fig. 12.22) raccorde sur un plan rapproché où un
bijou précieux est posé sur la tète d'un prêtre (fig. 12.23). Puis l'on voit un
plan où un diadème est placé sur la tête de la femme (fig. 12.24), suivi d’une
image au cadrage quasi identique où une énorme coiffure est posée sur la tête

Figure 12.22 Figure 12.23 Figure 1 2.24

565
PflfiUI C - UJLIQIfil PU (JiUlDfl

d'un prêtre (fig. 12.25). Le montage parallèle créé ici par Poudovkine souligne
la vanité de ces deux rituels.
La façon dont les réalisateurs de l'école soviétique abordaient la forme nar­
rative les distinguait des cinémas des autres pays. Les films narratifs soviétiques
tendaient à minimiser le caractère causal de la psychologie des personnages au
profit des forces sociales. Les personnages étaient intéressants par la façon dont
ces causes sociales influaient sur leurs vies. Les films participant du mouve­
ment n’avaient pas toujours qu'un seul protagoniste : des groupes sociaux pou­
vaient constituer un héros collectif, comme dans tous les films d'F.isenstein
réalisés avant La ligne générale (1929). À cause de cette dévalorisation des per­
Figure 12.25
sonnalités individuelles les réalisateurs soviétiques évitaient souvent d'em­
ployer des acteurs connus, préférant distribuer les rôles à des personnes qui
n'étaient pas acteurs et qu’ils allaient chercher hors du monde du cinéma. Cette
pratique était connue sous le nom de typaget parce que les réalisateurs choisis­
saient souvent des individus dont l'apparence semblait immédiatement expri­
mer le type de personnage qu'ils ou elles devaient jouer. À l’exception du héros,
tous les Mongols de Tempête sur l'Asie sont des acteurs amateurs.
Vers la fin des années 20, chacun des plus grands réalisateurs de ce mouve­
ment avait réalisé environ quatre films importants. La chute du mouvement
ne fut pas d'abord causée, comme en Allemagne et en France, par des facteurs
économiques et industriels mais par les pressions politiques d'un gouverne­
ment qui, en exerçant un fort contrôle sur les films, découragea leur emploi
particulier du montage. Vertov, Eisenstein et Dovjenko étaient critiqués pour
leurs approches excessivement formelles et «ésotériques» du cinéma. En
1929, Eisenstein partit à Hollywood pour y étudier les nouvelles techniques
sonores; lorsqu'il revint en 1932, le paysage cinématographique soviétique
avait changé : quelques réalisateurs avaient transposé leurs expériences de
montage dans le cadre du cinéma sonore mais les autorités, sur les instruc­
tions de Staline, poussaient les réalisateurs à créer des films simples, faci­
lement compréhensibles par tout type de public. Les expérimentations
stylistiques ou les sujets non réalistes étaient souvent critiqués ou censurés.
Cette tendance culmina en 1934, lorsque le gouvernement institua une
nouvelle politique artistique nommée «réalisme socialiste». Cette politique
imposait que toutes les oeuvres d'arl décrivent les progrès de la révolution et
soient fondées sur les principes du «réalisme». Les grands réalisateurs soviéti­
ques continuaient à faire des films, parfois des chefs-d’œuvre, mais les expé­
riences des années 20 devaient être abandonnées ou corrigées. Eisenstein
réussit à poursuivre son travail sur le montage mais dut régulièremen subir les
foudres des autorités jusqu’à sa mort en 1948. Comme mouvement, on peut
dire que l’école soviétique s’est éteinte vers 1933, avec la sortie d'Enthousiasme
(Dziga Vertov, 1931) et du Déserteur (Vsevolod Poudovkine, 1933).

S 66
(wiiH.13 - uuow h rijjg uniHûiu mixill

Le cinéma hollywoodien classique


dans les premières années du parlant
L'introduction des techniques d'enregistrement et de reproduction du son
résulta des efforts de certaines sociétés hollywoodiennes qui voulaient étendre
leur domination sur le marché. Au milieu des années 20, la Warner faisait de
gros investissements pour développer son matériel et multiplier ses filiales.
L'un de ces investissements concerna un système mettant en oeuvre des enre­
gistrements sonores synchronisés aux images. On voit en 12.26 un vieux pro­
jecteur avec son matériel de lecture d'une piste sonore.
En sortant Don Juan (Alan Crosland. 1926), avec son accompagnement
musical assuré par un orchestre et les bruitages enregistrés sur un disque, en
même temps qu’une série de courts métrages montrant des spectacles de
music-hall accompagnés de chansons et de dialogues, la Warner commença à
populariser l'idée d'un cinéma sonore. En 1927, Le chanteur de jazz (The jazz
singer, Alan Crosland) (partiellement «parlant-, certaines scènes étant seule­
ment accompagnées de musique) connut un énorme succès et les investisse­
ments de la Warner commencèrent à porter leurs fruits.
Le succès de Don Juan, du C/inn/eur de jazz et des courts métrages convain­
quit les autres studios que le son était un instrument de profit pour le cinéma.
A la différence de la période des débuts du cinéma et de la Motion pielure
patents company, il n’y avait pas de compétition acharnée au sein de l’indus­
trie. Les entreprises comprenaient que, quel que soit le système de reproduc­ Figure 12.26

tion du son finalement adopté par les studios, il devrait être compatible avec la
mécanique des projecteurs des salles. C’est un système où la bande son se
trouve sur la pellicule, à côté de l'image, et non sur un disque, qui devint h
norme et continue de l’ètrc (se reporter au chapitre I). Vers 1930, la majorité
des salles américaines étaient équipées pour projeter des films sonores.
Pendant quelques années, les techniques d'enregistrement du son mirent
un frein aux progrès du style hollywoodien. La caméra devait être placée à
l’intérieur d'un caisson insonore de façon à ce que le bruit du moteur ne soit
pas capté par les micros. La figure 12.27 est une photographie de plateau,
posée, montrant les éléments indispensables au tournage d'une scène dialo-
guée dans un film MGiM de 1928. L'opérateur de prise de vues ne peut enten­
dre qu’à travers ses écouteurs et la caméra peut à peine bouger, sinon pour de Figure 12.27
légers panoramiques de recadrage. L'encombrant micro qui se trouve sur la
table à droite est, lui aussi, fixe. Les acteurs devaient demeurer dans un espace
limité si ce qu'ils disaient était enregistré. Toutes ces restrictions entraînèrent
une brève période durant laquelle les films, statiques, ressemblaient à des piè­
ces de théâtre.

567
mm £ - uinoi&i du aumu

Cependant, dès les débuts du cinéma sonore, des solutions furent trouvées
à ces différents problèmes. Plusieurs caméras, toutes enfermées dans des cais­
sons insonores, enregistraient parfois une même scène simultanément depuis
des angles différents. Les images obtenues pouvaient ensuite être montées
ensemble selon les règles normales de continuité, avec un son parfaitement
synchronisé. U caisson pouvait être équipé de roues, de façon à exécuter des
mouvements de caméra, ou une scène pouvait être filmée sans le son, qui était
rajouté plus tard. Des films du début du parlant, par exemple Applause (Rou-
ben Mamoulian. 1929), démontrent que la caméra a rapidement reconquis
une grande souplesse dans les déplacements. Plus tard, des caissons plus
Figure 12.28
petits, enveloppant seulement le corps de l’appareil, remplacèrent les encom-
brants dispositifs d'origine. Ces blimps (fig. 12.28) permirent aux chefs opéra­
teurs de placer la caméra sur des supports mobiles. De même les micros
accrochés à des perches et tenus au-dessus des acteurs permettaient de suivre
une action en mouvement sans perte de qualité à l'enregistrement.
Une fois que la mobilité de la caméra cl des sujets filmés fut rendue au
cinéma sonore, les réalisateurs continuèrent à employer un grand nombre des
caractéristiques stylistiques développées à Hollywood à l'époque du muet. Le
son diégétique représentait un puissant complément au système du montage
par continuité. Un chevauchement du dialogue permettait par exemple de
créer une continuité temporelle fluide cl de suggérer les espaces se trouvant
hors-cadre.
Chaque studio développa ses propres caractéristiques, tout en restant dans
le cadre général du système de la continuité et de la forme narrative classique.
La MGM, par exemple, devint le studio du prestige, avec un très grand nom­
bre de stars et de techniciens sous contrats de longue durée, dépensant des
sommes considérables en décors, costumes et effets spéciaux — comme dans
Vûrtges d'Orient (Thegood earih, Sidney Franklin, 1937), où l'on assiste à une
attaque de sauterelles, ou Smi Francisco (W.S. Van Dyke, 1936), qui reconsti­
tue de façon spectaculaire le grand tremblement de terre qui toucha la ville au
début du siècle. Warner, malgré son succès avec le son, restait un studio
relativement petit, spécialisé dans les genres les moins coûteux, l^s séries de
films de gangsters —Le petit César (Utile Cacsar, Mervin Leroy, 1931),
L'ennemi public —et de comédies musicales— 42'"“ rue, Chercheuses d’or.
Dames — étaient les productions qui rencontraient le plus grand succès. Uni­
versal se situait encore plus bas sur l’échelle du prestige; le studio comptait
plus sur des réalisations inventives que sur des stars établies ou des décors
coûteux pour créer l'atmosphère de films d’horreur comme Frankensiein
(James Whale, 1931) ou The olddark house ( 1932) (fig. 12.29).
L’un des genres les plus importants du cinéma américain, la comédie
Figure 12.29
musicale, ne devint possible qu'avec l'introduction du son. En fait, la pre-

568
(IIU11H IJ U mil PU lia H L1ISJJJJH WJ.U»'

mière intention des frères Warner, lorsqu’ils commencèrent à investir dans le


son, était de faire circuler des spectacles de variété sur pellicule. La plupart des
comédies musicales étaient constituées de numéros séparés inscrits dans un
récit linéaire, même si quelques «revues» se contentaient de rassembler des
numéros sans liens narratifs.

L’une des majors, la RKO, réalisa une série de comédies musicales avec
Fred Astaire et Ginger Rogers dont certaines, comme Sur les ailes de la danse
(Swing rime, George Stevens, 1936) sont de bons exemples de récits construits
de façon classique. Comme Les lois de l'hospitalité. Sur les ailes de la danse con­
tient un ensemble de motifs importants du point de vue de la causalité, qui
reviennent tour au long du film pour créer un récit à la structure très tendue.
Fred vient d’une famille de joueurs; sa virtuosité lui permet de gagner contre
un chef d'orchestre qui lui laisse, en guise de paiement, une boîte de nuit.
Avec celle-ci, Fred gagne aussi Ginger, qui travaille pour le chef d’orchestre.
Joueur, le héros a un porte-bonheur, une pièce de vingt-cinq cents dont la
perte provoque la première rencontre avec Ginger. Le personnage de Ginger
Rogers s’appelle Penny.ce qui l’associe directement au motif de la pièce porte-
bonheur. Dans ce film, les numéros musicaux sont justifiés par le récit. Au
départ, Ginger travaille dans une école de danse; Fred est un danseur profes­
sionnel, mais il dit être débutant pour pouvoir mieux la connaître. Lorsque
Ginger décide d'épouser le chef d'orchestre, Fred la convainc d’exécuter une
dernière danse romantique avec lui. Cela donne une justification à la scène
finale, où Ginger choisit Fred plutôt que le chef d'orchestre. Du point de vue
du style, les numéros musicaux contiennent des plans beaucoup plus longs et
sont donc montés de façon plus lente que les autres scènes.

Au cours des années 30, les pellicules en couleur commencèrent à être lar­
gement utilisées. S’il y avait des séquences en Technicolor dans quelques films
des années 20, le procédé, employant seulement deux couleurs pour créer
toute les autres teintes, restait rudimentaire : l’image était dominée par des
bleus verts et des tons rosés. Le procédé était de plus trop onéreux pour que
son utilisation soit généralisée. Au début des années 30 cependant, le Techni­
color avait été amélioré : employant trois couleurs primaires, il pouvait à pré­
sent reproduire une gamme très étendue de teintes. Même s’il était encore
cher, il prouva rapidement son attrait auprès du public. Après Becky Sharp
(Rouben Mamoulian, 1935), premier long métrage à utiliser le nouveau Tech­
nicolor, et La fille du trois maudit (The irait of the lonesome pine, Henry
Hathaway, 1936) les studios utilisèrent de plus en plus le procédé. 11 fut
employé jusqu'au début des années 70. (Pour divers exemples d’images en
Technicolor, extraites de films réalisés entre les années 40 et les années 60, voir
les planches 17 à 19,27,38, 39. 44. 45 et 57.)

S69
min ï - mnuu

Le Technicolor nécessitait une grande quantité de lumière sur le plateau,


lumière qui devait favoriser certaines nuances. On adopta des éclairages plus
puissants, spécialement conçus pour la réalisation des films en couleur, que
certains directeurs de la photographie commencèrent à utiliser pour les tour­
nages en noir et blanc. Ces éclairages, associés à des pellicules plus sensibles,
permettaient d’obtenir une grande profondeur de champ avec plus de lumière
et une ouverture du diaphragme plus petite. Beaucoup de directeurs de la
photographie restèrent fidèles au style des années 20 et 30, où la profondeur
de champ était généralement faible, mais d’autres commencèrent à s’intéres­
ser aux nouvelles possibilités offertes par ce matériel. Vers la fin des années 30,
on assistait à la naissance d'un style dominé par une grande profondeur de
champ.
Anthony Adverse (Mervyn Leroy, 1936), Les aventures de Sherlock Holmes
( The adventures of Sherlock Holmes. Alfred L. Werker, 1939) et Une petite ville
sans histoire (Our Town. Sam Wood, William Cameron Menzies, 194Û) fai­
saient aussi un grand usage de la profondeur de champ. Mais c'est Citizen
Kane qui, en 1941, fit remarquer au public comme aux réalisateurs les effets
de la profondeur de champ. Dans les compositions de Welles, les personnages
situés au premier plan étaient très proches de la caméra et ceux de l'arrière-
plan. loin en profondeur. Dans certains cas, l’effet de profondeur était obtenu
par un jeu de cache et de transparence. Citizen Kane contribua surtout à faire
de ce qui n'était qu'une tendance une caractéristique majeure du style hol­
lywoodien classique de la décennie suivante. De nombreux films employant
cette technique firent bientôt leur apparition. Le chef opérateur de Citizen
Kane. Gregg Toland, travailla pour quelques-uns, dont La vipère (The Utile
foxes, William Wyler, 1941) (fig. 12.30).
La lumière nécessaire à l’obtention d’une grande profondeur de champ
avait aussi tendance à donner aux objets une silhouette très nettement dessi­
née. Les effets de flous ou de gazes furent massivement éliminés et le cinéma
Figure 12.30
des années 40 devint visuellement très différent de celui des années 30. Mais
l’insistance sur la fonction narrative de toutes ces techniques restait forte. Le
récil hollywoodien classique se modifia année après année sans connaître de
changement radical.

570
UUH1JU JJ - II. fOilL H flll U IJJBIOJH KJ fllii ____ .

Le néoréalisme italien (1942-1951)


Le terme de -néoréalisme■ n'a pas d'origine précise; il est apparu pour la pre­
mière fois dans des textes de critiques italiens au début des années 40. Selon
certains, il désignait le désir qu'avait une génération de jeunes réalisateurs de
s’affranchir des conventions du cinéma italien ordinaire. Sous Mussolini,
l’industrie cinématographique avait produit des films à grand spectacle
colossaux, à caractère historique, et des mélodrames mondains sentimentaux
(ce que l’on surnommait le cinéma des -téléphones blancs»), que de
nombreux critiques trouvaient à la fois artificiels et décadents. Il fallait un
• nouveau réalisme». Des critiques le trouvèrent dans le cinéma français des
années 30, particulièrement dans les œuvres de Jean Renoir. D'autres se
tournèrent vers le cinéma national pour vanter des films comme Ossessione
(Luchino Visconti, 1942).
1j plupart des historiens du cinéma pensent maintenant que le cinéma
néoréaliste ne fut pas une rupture totale avec le cinéma italien de l'ère musso-
linicnnc. Des pseudo documentaires comme Le navire blanc (La nave bianca,
Robeno Rossellini, 1941), même s’ils avaient un caractère de propagande,
avaient ouvert la voie à un traitement plus direct des événements contempo­
rains. D’autres courants, comme les films comiques en dialecte régional ou les
mélodrames urbains, poussèrent les réalisateurs à se tourner vers le réalisme.
Encouragés tant par l'exemple des films étrangers que par les traditions loca­
les, plusieurs réalisateurs commencèrent à travailler, après la guerre, avec
l'objectif de révéler l'état de la société italienne contemporaine. C’est ce cou­
rant qui fut connu sous le nom de néoréalisme.
Des facteurs économiques, politiques et culturels permirent au néoréa­
lisme de survivre. Tous ses plus grands représentants — Roberto Rossellini.
Vittorio de Sica, Luchino Visconti, entre autres— étaient des réalisateurs
expérimentés lorsqu’ils rejoignirent le mouvement. Ils se connaissaient entre
eux. partageaient souvent les mêmes scénaristes ou les mêmes techniciens et
avaient déjà attirés l’attention du public dans des revues comme Cinéma et
Bianco e nero. Avant 1948, le mouvement néoréaliste avait suffisamment de
soutiens au gouvernement pour ne pas trop craindre la censure. Il y avait
même une correspondance entre le néoréalisme et un mouvement littéraire
italien de la même période qui prenait modèle sur le verismo du siècle précé­
dent. Il résulta de tout cela un ensemble impressionnant de films qui connu­
rent une reconnaissance mondiale : La terre tremble (La terra tréma, Luchino
Visconti, 1947), Rome ville ouverte (Roma, città aperta, Roberto Rossellini,
1945), Paisà (id, 1946), Allemagne, année zéro (Germania anno zéro, id, 1947),
Scittscià (Vittorio De Sica, 1946), Le voleur de bicyclette (Ladri di biciclette, id,
1948), et les œuvres de Lattuada, Blasetti, De Sanlis.

571
__ JJJUI, __

Le néoréalisme inventa une façon particulière d’aborder le problème du


style. En 1945, la guerre avait détruit la plus grande partie de Cinccittà; les
décors de studio se trouvaient en quantité insuffisante et le matériel son était
rare. lj mise en scène néoréaliste devait donc se faire en décors réels et
l'image des films pris l’aspect brut de celle des documentaires. Rossellini, par
exemple, a dit avoir acheté des bouts de pellicules vierges à des photographes
pour pouvoir réaliser Route ville ouverte-, une grande partie du film a donc été
tournée sur des pellicules de qualités différentes.
Tourner dans les rues ou dans des bâtiments privés fit des cadreurs italiens
des adeptes d’un style photographique échappant souvent au système hol­
lywoodien de l'éclairage trois points (fig. 6.39). Même s’il y avait souvent dans
les films néoréalistes des performances, célèbres, d'acteurs de cinéma, il y
avait aussi des acteurs amateurs, engagés pour le «réalisme» de leur apparence
ou de leur comportement. La «star» adulte du Voleur de bicyclette esi un
ouvrier d’usine choisit par De Sica : • La façon dont il bougeait, la façon dont
il s'asseyait, ses gestes, avec ces mains de travailleur et non d’acteur... tout en
lui était parfait». Le cinéma italien avait une longue tradition du doublage; la
possibilité de postsynchroniser les dialogues permettait aux réalisateurs de
travailler en extérieur avec des équipes réduites et de déplacer librement la
caméra. Avec cette relative liberté d’improvisation dans le jeu et dans l’utilisa­
tion des décors vint une certaine souplesse du cadrage, bien illustrée par la
scène de la mort de Pina dans Rome ville ouverte, la séquence finale d'Allema­
gne, année zéro ou les splendides paysages en fond d’image dans La terre trem­
ble (fig. 12.31). Les travellings dans le marché à ciel ouvert du Voleur de
bicyclette illustrent bien les nouvelles possibilités que découvrait le réalisateur
néoréaliste en revenant au tournage en extérieur.
Mais c’est peut-être par sa conception de la forme narrative que le cinéma
néoréaliste a été le plus influent. Réagissant contre les récits compliqués des
Figure 12.31
drames des «téléphones blancs», les néoréalistes privilégiaient une sorte de
relâchement des liens narratifs. Les récits des premières grandes œuvres du
mouvement, Ossessione, Rome ville ouverte ou Scfuscîd, étaient structurés de
façon relativement conventionnelle (malgré leurs fins tristes). Mais les films
néoréalistes les plus novateurs formellement laissaient apparaître des détails
immotivés, comme la célèbre scène du Voleur de bicyclette où le héros, s’abri­
tant d’une forte pluie, se retrouve au milieu d’un groupe de prêtres
(fig. 12.32). Les causes des actions des personnages ont généralement un
caractère économique ou politique concret (la pauvreté, le chômage, l’exploi­
tation) mais les effets en sont souvent fragmentaires et de faible portée. Paisà,
par exemple, est constitué d’épisodes : six anecdotes sur la vie en Italie pen­
dant l’invasion des Alliés où l'issue d'un événement, la conséquence d'une
Figure 12.32
action sont souvent éludées.

572
(WJIH 12 - Mfifflï 511 IILOI II IUH10IH 541 IllfflJ

L’ambiguïté des films néoréalistes est aussi le fait d'une narration qui
refuse de donner un savoir omniscient sur les événements, comme s’il s'agis­
sait de reconnaître que la réalité dans sa totalité est tout simplement incon­
naissable. C'est particulièrement évident dans les fins de films. À la fin du
Voleur de bicyclette, l’ouvrier et son fils errent toujours dans la rue, sans avoir
retrouvé la bicyclette volée, sans certitude sur l'avenir. Même s'il se termine
sur l'échec du soulèvement des pécheurs contre les marchands, La terre trem­
ble n'élimine pas la possibilité d'un autre mouvement. Ces fins ouvertes, con­
séquences de la tendance du néoréalisme à construire ses récits autour de
• tranche de vie», s'opposaient à la clôture narrative du cinéma hollywoodien.

Des forces économiques et culturelles avaient soutenu le mouvement


néoréaliste; elles furent à l’origine de sa chute. Lorsque l'Italie commença à
prospérer après la guerre, le gouvernement regarda d’un mauvais oeil ces films
qui critiquaient tellement la société contemporaine. Après 1949, la censure el
des pressions exercées par l’État commencèrent à freiner le mouvement. Lors­
que de grandes sociétés de production réapparurent, le néoréalisme perdit la
liberté qu'il avait pu trouver dans les petites compagnies. De plus, les réalisa­
teurs néoréalistes, devenus célèbres, commençaient à poursuivre des projets
plus personnels : Rossellini explorait l’humanisme chrétien et l'histoire
occidentale; De Sica réalisait des romances sentimentales; Visconti étudiait les
milieux bourgeois. La majorité des historiens datent la fin du néoréalisme au
moment des attaques publiques contre Umberto D (Vittorio De Sica, 1951).
Néanmoins, des éléments néoréalistes sont manifestes dans les premières
oeuvres de Federico Fellini — Les Vitelloni (I Vitelloni. 1954) — ou de Michc-
langelo Antonioni — Chronique d’un amour (Cronaca di un amore, 1951) —
deux réalisateurs qui avaient travaillés sur des films néoréalistes. Le mouve­
ment exerça une très forte influence sur des réalisateurs comme Ermanno
01 mi el Satyajit Ray, et sur des groupes comme la nouvelle vague française.

La nouvelle vague française (1959-1964)


Entre la fin des années 50 et le début des années 60 on assista, dans le monde
entier, à l’émergence d’une nouvelle génération de réalisateurs. Dans tous les
pays apparurent des cinéastes nés avant la Seconde Guerre mondiale mais
parvenus à l'âge adulte dans la période de reconstruction et de prospérité. Le
Japon, le Canada, la Grande-Bretagne, l'Italie, l’Espagne, le Brésil et les États-
Unis eurent tous leur «nouvelle vague» ou leur groupe «jeune cinéma»; cer­
tains venaient des écoles de cinéma, beaucoup étaient en relation avec des
magazines, la plupart étaient en révolte contre leurs aînés dans l'industrie. Le
plus influent de ces groupes apparut en France.

573
ÜUU

Vers le milieu des années 50 un groupe de jeunes gens qui écrivaient pour
la revue de cinéma parisienne Les cahiers du cinéma prit l'habitude d'attaquer
les réalisateurs français les plus respectés de l’époque. «Je considère qu’une
adaptation est de valeur», écrivait François Truffaut, «seulement lorsqu’elle
est écrite par un homme de cinéma. Aurenche et Bost |les principaux scéna­
ristes du moment] sont essentiellement des hommes de lettre et je leur repro­
che ici de mépriser le cinéma en le sous-estimant.» S'adressant à 21 grands
réalisateurs, Jean-Luc Godard affirmait : «Vos mouvements de caméra sont
laids parce que vos sujets sont mauvais, vos acteurs jouent mal parce que vos
dialogues sont sans intérêt; en un mot, vous ne savez pas comment faire du
cinéma parce que vous ne savez même plus ce que c'est. » Truffaut et Godard,
Claude Chabrol, Éric Rohmer et Jacques Rivctte défendaient par ailleurs des
réalisateurs considérés comme quelque peu dépassés (Jean Renoir, Max
Ophuls) ou excentriques (Robert Bresson, Jacques Tati).
Plus important encore, ces jeunes gens ne voyaient aucune contradiction à
rejeter l'establishment du cinéma français tout en aimant le cinéma hollywoo­
dien le plus commercial. I^s jeunes rebelles des Cahiers prétendaient que les
oeuvres de certains réalisateurs —certains auteurs— prouvaient que le
cinéma américain pouvait avoir une valeur artistique. Un auteur n’était géné­
ralement pas celui qui écrivait directement le scénario mais, transcendant les
contraintes du système hollywoodien, il parvenait à imprimer sa personnalité
sur un genre et une production. Howard Hawks, Otto Preminger, Samuel
Fuller, Vinccntc Minclli, Nicholas Ray, Alfred Hitchcock —ceux-là étaient
plus que des hommes de métier. L’œuvre de chacun d'entre eux constituait un
monde cohérent. Truffaut citait Giraudoux : -11 n’y a pas d'oeuvre, il n'y a que
des auteurs». Godard fit remarquer, plus tard : «Nous avons gagné le jour où
a été reconnu le fait qu’en principe, un film d'Hitchcock, par exemple, est
aussi important qu’un livre d’Aragon. Les auteurs de cinéma, grâce à
nous, ont finalement fait leur entrée dans l'histoire de l’art.» Un grand nom­
bre des réalisateurs hollywoodiens dont ces critiques cl cinéastes faisaient les
éloges ont effectivement acquis une réputation qui s'est perpétuée jusqu’à
aujourd’hui.
Écrire des critiques, cependant, ne satisfaisait pas ces jeunes gens. Ils
avaient une grande envie de faire des films. F.mpruntant de l'argent à des amis
et filmant en extérieurs, chacun commença à tourner des courts métrages.
Vers 1959 ils étaient devenus une force avec laquelle il fallait compter. Cette
année là, Rivette tourna Paris nous appartient. Godard réalisa .A bout de souf­
fle, Chabrol, son second long métrage. Les cousins, et en avril Les 400 coups de
François Truffaut remporta le prix de la mise en scène au festival de Cannes.
La nouveauté et la vigueur de ces jeunes réalisateurs conduisit les journa­
listes à les rassembler sous le nom de nouvelle vague. Leur production était

574
(nflMim 12 - lu font du tusHUL

stupéfiante : les cinq principaux réalisateurs firent 32 films entre 1959 et 1966;
Godard et Chabrol, 1] chacun! Une telle quantité de films ne pouvait, évi­
demment, que générer une grande diversité, mais il y a toutefois suffisam­
ment de ressemblances entre eux pour que l’on identifie une façon propre à la
nouvelle vague d'aborder les problèmes formels et stylistiques.
La qualité la plus manifeste et la plus révolutionnaire des films de la nou­
velle vague était leur aspect improvisé, qui devait choquer les partisans du
cinéma policé de la «qualité française». Les membres de la nouvelle vague
avaient admiré les néoréalistes (particulièrement Rossellini) et pour aller con­
tre le cinéma des studios, ils choisirent de mettre en scène leurs films dans des
décors réels, à l'imérieur et autour de Paris. Tourner en extérieurs devint la Figure 12-33
norme. Les éclairages parfaits des studios furent remplacés par la lumière
ambiante et quelques sources complémentaires. Peu de films français d'après-
guerre auraient osé montrer les appartements et les couloirs obscurs et cras­
seux de Paris nous appartient (fig. 12.33).
La prise de vues évolua aussi. La caméra de la nouvelle vague bougeait
beaucoup, n’hésitant pas à faire des panoramiques et des travellings pour sui­
vre des personnages ou décrire des relations à l’intérieur d’un même espace.
De plus, le tournage en extérieur nécessitait un matériel portable, maniahlc.
La société Éclair venait justement de concevoir une caméra permettant de
tourner avec une faible luminosité et pouvant éirc portée à la main. (Le fait
que l'Éclair ait d’abord été employée pour la réalisation de documentaires
s'accordait parfaitement au «réalisme» de la mise en scène des films de la
nouvelle vague.) Les réalisateurs furent littéralement grisés par la nouvelle
liberté qu'offrait la caméra légère. Dans Les 400 coups, la caméra explore un
petit appartement et monte dans une centrifugeuse de foire. Dans bout de
souffle, le chef opérateur porte la caméra, assis dans un fauteuil roulant pour
pouvoir suivre la trajectoire complexe du héros dans le bureau d'une agence
de voyage (fig. 11.36).
L'une des caractéristiques les plus évidentes des films de la nouvelle vague
est leur humour; les jeunes réalisateurs s’amusaient délibérément avec leur
moyen d’expression. Dans Bande à part, les trois personnages principaux déci­
dent de rester silencieux pendant une minute et Godard coupe alors conscien­
cieusement tous les sons. Dans Tirez sur le pianiste, un personnage jure qu'il ne
ment pas ; «Que ma mère tombe morte si je ne dis pas la vérité». Raccord sur
une vieille dame s’écroulant. Mais la plupart du temps, l’humour repose sur
des références sibyllines faites à d’autres films, hollywoodiens ou européens.
On trouve des hommages à des auteurs admirés : les personnages de Godard
sont autant d’allusions à lohnny Guitar (Nicholas Ray, 1954), Comme un tor­
rent (Some came rumiing, Vincentc Minnclli, 1959) ou à l'Arizona Jim du
Crime de AL Lange de Renoir. Dans Les carabiniers, Godard parodie Lumière et

575
MAJH V-

dans Vivre sa vie il cite La passion de Jeanne d'Arc. Hitchcock est fréquemment
cité dans les films de Chabrol et Les Mis tons de Truffa ut (1958) recrée un plan
d'un court métrage Lumière: comparez la figure 12.34 avec le photogramme
extrait de L’arroseur arrosé présenté en 6.6. Ces références et citations étaient
parfois des jeux concernant les films du mouvement eux-mêmes: Jean-Claude
Brialy et Jeanne Moreau, deux acteurs de la nouvelle vague, traversent un plan
des 400 coups; un personnage de Godard parle d’« Arizona Jules- (mélange
entre Le crime de M. Lange et Jules et Jim). L.cs réalisateurs de la nouvelle vague
pensaient que des gags de ce genre permettaient d'enlever un peu de leur
solennité tant au tournage qu’à la vision des films.
Figure 12.54
Ces films poussèrent aussi plus loin les expériences néoréalistes sur la
construction narrative. Les rapports de causalité devenaient en général très
lâches. Y a-1-il réellement un complot politique dans Paris nous appartient?
Pourquoi Nana est-elle tuée d'un coup de feu à la fin de Vivre sa vie ? l a pre­
mière séquence de Tirez sur le pianiste consiste essentiellement en une conver­
sation entre le frère du héros et un homme qu'il a rencontré par hasard dans
la rue; ce dernier lui parle longuement de ses problèmes conjugaux, alors qu'il
n’a a priori aucun rapport avec le récit.
Les films sont souvent dénués de personnages ayant un objectif. Les per­
sonnages principaux peuvent errer sans but, s'engager dans une action sur un
coup de tète, passer leur temps à parler et à boire dans un café ou à aller au
cinéma. Les récits de la nouvelle vague présentent souvent des changements
de ton surprenants qui ébranlent nos attentes. Lorsque deux gangsters enlè­
vent le héros et sa petite amie dans Tirez sur le pianiste, le groupe ainsi consti­
tué entame une discussion comique sur le sexe. Des effets de discontinuités
créés par le montage bouleversent de façon encore plus importante la conti­
nuité narrative: cette tendance à atteint scs limites avec les jump cuts de
Godard (chapitre 8).
Ix plus important est peut-être le fait que les films de la nouvelle vague se
terminent généralement de façon ambiguë. Nous l'avons déjà vu à propos d’A
bout de souffle. Antoine arrive près de la mer dans le dernier plan des 400
coups, mais au moment où il s'avance. Truffaut fait un zoom avant et stoppe
l'image, terminant le film sur une question : que va faire le personnage, où va-
t-il aller ? (Fig.4.1 ) Dans Les bonnes femmes (Claude Chabrol, 1960) ou Ophé-
lia (id„ 1963), dans Paris nous appartient et presque toutes les œuvres de
Godard et de Truffaut de cette période, l’imprécision de la chaine causale con­
duit à des fins délibérément ouvertes et incertaines.
Curieusement, malgré ce que les films exigeaient des spectateurs et le
déchaînement critique de leurs réalisateurs contre l'industrie cinématographi­
que française, celle-ci n’était pas hostile à la nouvelle vague. La décennie 1947-

576
Ûfi 11 H nLL-£I4 i|HLLU-^< fnffil

1957 avait été bonne pour la production : l’Êtat soutenait le secteur à travers
un système de quotas, ks banques avaient massivement investi et les copro­
ductions internationales représentaient une part florissante du marché. Mais
en 1957, la fréquentation des salles chuta de façon considérable, principale­
ment à cause de la généralisation de la télévision. Vers 1959, l'industrie étaii en
crise. Le financement indépendant de films à faible budget semblait offrir une
bonne solution. Les réalisateurs de la nouvelle vague tournaient beaucoup
plus rapidement et pour moins d’argent que les principaux réalisateurs du
moment ; parce qu’ils s'entraidaient, ils réduisaient les risques financiers pour
les sociétés établies. C’est pourquoi l’industrie française soutint la nouvelle
vague pour la distribution et l’exploitation, parfois pour la production.
Il est en fait possible de défendre l’idée que, vers 1964, même si chaque
réalisateur de la nouvelle vague avait sa propre société de production, le
groupe avait été absorbé par l'industrie cinématographique nationale.
Godard réalisa Le mépris ( 1963) pour un grand producteur de films commer­
ciaux, Carlo Ponti; Truffaut réalisa Fahrenheit 4SI (1966) en Grande-Bretagne
pour Universal; Chabrol commença à tourner des parodies de thrillers à la
James Bond.
Dater exactement la fin du mouvement est difficile, mais la plupart des
historiens choisissent l'année 1964, moment où la forme et le style du cinéma
de la nouvelle vague s'étaient déjà diffusés et avait été imités — par le réalisa­
teur anglais Tony Richardson dans son film Tom Jones ( 1963), par exemple.
Les bouleversements politiques que connut la France après 1968 ont certaine­
ment contribué à modifier les relations entre chacun des réalisateurs. Cha­
brol, Truffaut et Rohmer s'implantèrent dans l’industrie, tandis que Godard
installait un studio expérimental de cinéma et de vidéo, en Suisse, et que
Rivette commençait à inventer des récits d'une complexité et d'une longueur
surprenantes (comme Ont one (1971 -1974), qui durait à l'origine 12 heures!).
Vers le milieu des années 80, Truffaut mourut, les films de Chabrol étaient
rarement vus hors de France et ceux de Rivette avaient pris un caractère ésoté­
rique. Rohmer retint l'attention des pays étrangers avec ses contes ironiques
sur l’amour et l'égarement dans les milieux bourgeois français — Pauline d la
plage ( 1982), Les nuits de la pleine lune (1984). Godard conserva sa notoriété
avec des films comme Passion ( 1981) et sa version controversée de l’Ancien et
du Nouveau testament. Je vous salue Marie (1983). En 1990 il sortit un film
élégant et énigmatique, ironiquement intitulé Nouvelle vague, qui a peu de
rapport avec le courant du même nom. Rétrospectivement, la nouvelle vague
a non seulement offert plusieurs films précieux et originaux mais a aussi
démontré que le renouveau de l'industrie cinématographique pouvait venir
de jeunes gens talentueux et agressifs, largement inspirés par un pur amour
du cinéma.

577
PWIl S - UHIOIU PU (I N( O

Le nouvel Hollywood et le cinéma indépendant


Au milieu des années 6Û, l’industrie hollywoodienne paraissait en très bonne
santé, des «blockbusters» comme La mélodie du bonheur (The sound of rnusic,
Robert Wise, 1965) ou Docteur Jivago (Doctor Zhivago, David Lean, 1965)
rapportaient d’énormes bénéfices. Mais bientôt, des problèmes apparurent.
Les films coûteux des studios connaissaient de piteux échecs. Les chaînes de
télévision arrêtèrent d’en demander les droits de diffusion, qui leurs coûtaient
très cher. La fréquentation des salles chuta aux alentours d'un milliard de tic­
kets vendus par an (un chiffre qui, malgré l'arrivée du magnétoscope, ne s’est
pas beaucoup modifié depuis). Vers 1969, les compagnies hollywoodiennes
perdaient plus de 200 millions de dollars chaque année.
Les producteurs réagirent; une de leur stratégie consista à produire des
films inspirés de la contre-culture, destinés à un public jeune, dont les plus
populaires et les plus influents furent un film à petit budget, Easy Rider (Den­
nis Hopper, 1969) et M*A‘S*H (Robert Altman, 1970). Toutefois d'autres
«films pour jeunes» (des •youthpix»), ayant pour sujet des campus en révolte
ou des modes de vie marginaux, ne firent pas recette au box-office. Ce qui
permit à l'industrie de remonter la pente fut une série d’énormes succès réali­
sés par de jeunes cinéastes : Le parrain, L'exorciste, Les dents de la mer, Rencon­
tres du troisième type. Hailoween (John Carpenter, 1978), American Graffiti, La
guerre des étoiles et L'empire contre-attaque. Les films de Brian De Pal ma
— Obsession (1976)— ou Martin Scorsese —Taxi Driver (1976), Raging
Bull — furent quant à eux des succès critiques.
Les réalisateurs de ces films et quelques autres devinrent connus, aux
États-Unis, sous le nom de *movie brais», les « jeunes loups » du cinéma. Ils ne
sortaient pas des studios mais d'écoles de cinéma; à l'université de New York,
à l'université de Californie du Sud, à celle de Los Angeles, ils n’avaient pas seu­
lement appris à connaître les mécaniques de la production mais aussi l’esthé­
tique et l’histoire des films. À la différence des réalisateurs hollywoodiens plus
âgés, ils avaient souvent un savoir encyclopédique sur les grandes œuvres et
les cinéastes. Et ceux qui n’étaienl pas passés par des écoles de cinéma étaient
des admirateurs de la tradition hollywoodienne classique.
Comme ce fut le cas avec la nouvelle vague, ces réalisateurs fous de cinéma
firent quelques films personnels, extrêmement réfléchis. Ils travaillaient à par­
tir des genres consacrés en essayant de leur donner une nuance autobiogra­
phique. Ainsi American Graffiti n’était pas seulement une comédie musicale
pour adolescent mais aussi la réflexion de Lucas sur une enfance passée en
Californie dans les années 60. Coppola distilla dans les deux premiers Parrain
une mélancolie et une énergie nées de l'évocation des liens intenses soudant

578
umm u , u ruii u mn o nuiiiuiuc

une famille italo-américainc. Paul Schrader mit ses propres obsessions con­
cernant la violence et la sexualité dans ses scénarios — Taxi Driva, Ragitig
Bull — et dans ses films — Hard Cote (1979).

Le cinéma ayant occupé une place importante dans la vie de ces jeunes réa­
lisateurs, beaucoup de films du nouvel Hollywood s’inspiraient du vieil Hol­
lywood. Les oeuvres de De Palma empruntaient énormément à Hitchcock;
Puisions, par exemple, est manifestement un travail sur Psychose. On s’fail la
valise ( What s up Doc ?. Peter Bogdanovich. 1972) était une réactualisation des
• screwball comédies», avec des références précises à L’impossible monsieur Bébé
de Hawks. Assaut. de Carpentcr, était en partie inspiré de Rio Bravo (Howard
Hawks, 1959); un certain - John T.Chance» est mentionné comme monteur
au générique : c'est en fait le nom du personnage joué par John Wayne dans le
western de Hawks.

De nombreux réalisateurs admiraient aussi la tradition cinématographi­


que européenne — Scorscse était par exemple attiré par la splendeur visuelle
des films de Visconti ou de Michael Powell. Certains réalisateurs rêvaient d'un
cinéma «artistique» à la manière européenne. La tentative la plus connue
dans ce sens est sans doute Convasation secrète, une histoire policière repre­
nant des éléments de Blow-up (Michelangelo Antonioni, 1966) et qui joue de
façon ambiguë sur la frontière entre réalité et hallucination (cf. chapitre 9).
Robert Ahman et Woody Allen, sur des modes différents, ont montré une
créativité nourrie par le cinéma européen: Trois femmes (Three women,
Robert Altman, 1977) et Intérieurs (Interiors. Woody Allen, 1978), par exem­
ple, devaient beaucoup à l'oeuvre d'ingmar Bergman.

Altman et Allen étaient d'une génération un peu plus âgée, mais ce sont les
• movie h rats» qui connaissaient le succès le plus constant. Lucas et Spielberg
devinrent de puissants producteurs, travaillant ensemble sur la série des
Indiana Jones et incarnant la nouvelle génération hollywoodienne. Coppola
ne parvint pas â financer son propre studio mais resta un réalisateur impor­
tant. La réputation de Scorsese n’a pas cessé de grandir : vers la fin des années
80, il était le réalisateur américain vivant le plus acclamé par la critique.

Au cours des années 80, des talents neufs ont gagné la reconnaissance du
public et de l’industrie et ont crée un - nouveau nouvel Hollywood». Beau­
coup des plus gros succès de la décennie venaient de Lucas et Spielberg, mais
d'autres réalisateurs à succès étaient un peu plus jeunes : James Cameron
— Terminator (1984); Terminator 2 (1991)—, Tim Burton —Beetlejuice
(1988); Btirnum (1989) — et Robert Zcmeckis — Retour vas le futur (1985);
Qui a peur de Roger Rabbu ? (1988). Deux films aux succès stupéfiants sym­
bolisèrent en 1993 et 1994 les vagues successives de la renaissance

579
Br4_llUU 4 - iiiunii m jiitn

hollywoodienne : Jurassic Park, de Steven Spielberg, et Forrest Guntp, de


Robert Zcmeckis.
Le retour du cinéma commercial était aussi le fait de réalisateurs extérieurs
à Hollywood. Un grand nombre d'entre eux venaient de pays étrangers — de
Grande-Bretagne (Tony et Ridley Scott), d’Australie (Peter Weir, Fred
Schcpisi), d’Allemagne (Wolfgang Peterson), des Pays-Bas (Paul Verhoeven)
ou de Finlande (Rennie Harlin). Au cours des années 80, des réalisatrices con­
nurent aussi des succès commerciaux : Amy Heckerling — Fast tintes at Ridge-
mont high, 1982: Look who's talking ( 1990) —. Man ha Coolidge — Valley Girl
(1983); Rantbling rose (1991)— et Pénélope Sphceris —Wayne’s world
(1992).
Plusieurs réalisateurs venant du cinéma indépendant réussirent à passer
dans le domaine commercial, faisant des films aux budgets moyens avec des
stars très connus. David Lynch passa d‘Eraserhead. un film programmé, à
l'origine, à la séance de minuit d'une salle new-yorkaise, au film culte Blue
Veivet (1986), tandis que le Canadien David Cronenberg, spécialiste des films
d’horreur à petit budget comme Frissons (Shivers, 1975) devenait plus connu
avec Dead Zone (1983) ou La mouche (The fly, 1986). Le «nouveau nouvel
Hollywood» absorba aussi des réalisateurs faisant partie des minorités raciales
et venant du cinéma indépendant : Wayne Wang fut l'Américain d'origine
asiatique qui connut la plus grande réussite avec Chan is missing (1982) ou
Smoke ( 1995). Spikc Lee — Nota Darling n'en fait quasa tête (1986) ; Malcont
X (1992) — ouvrit la voie à des réalisateurs afro-américains comme Reginald
Hudiin — House party (1990) —, John Singleton — Boyz N lhe hood (1991)
— et Mario van Peebles — New]ack city ( 1991 ).
D’autres réalisateurs restèrent indépendants et plus ou moins marginaux
par rapport au système des studios. Dans Stranger thon paradise (1984) et
Down by law (1986), Jim larmusch présentait des récits étranges, décalés, peu­
plés de «loscrs» à la dérive. Allison Anders mit en scène des jeunes femmes
rebelles habitant dans des petites villes — Gas,food, lodging (1992) — ou des
centres urbains —Mi vida loca (1994). Just another girl on the IRT (l^slie
Harris, 1994) se concentrait, de façon similaire, sur les problèmes de femmes
de couleur vivant en ville.
Du point de vue stylistique, aucun mouvement cohérent n’émergea au
cours des années 70 el 80. Les jeunes réalisateurs les plus commerciaux perpé­
tuèrent la tradition du cinéma hollywoodien classique. Le montage par conti­
nuité restait la norme, comme la manière de signaler clairement les
changements temporels et les nouveaux développements du récit. Certains
réalisateurs agrémentèrent les stratégies narratives traditionnelles d'effets
visuels nouveaux ou renouvelés. Dans les films qu'il réalisa après Les dents de

580
12 - iDfiat 011 u L MKTÛlâi H1 HL5H

la mer Spielberg employa des profondeurs de champ qui, techniquement, rap­


pelaient Citizen Kane. Lucas mis au point des techniques de prises de vue
assistées par ordinateur pour filmer les maquettes de La guerre des étoiles et sa
société, Industrial Light and Magic, est devenue la première dans le domaine
des effets spéciaux. Aidé par 1LM, Zemeckis fit une utilisation habile des ima­
ges de synthèse dans Forresl Gutnp (fig. 2.6). Spielberg et Lucas ont aussi été à
l’origine du passage au son numérique et aux différentes techniques de repro­
duction de haute qualité en salle.
Plusieurs de ces nouveaux venus d’Hollywood ont enrichi les conventions
du cinéma commercial, tant celles relatives aux genres qu’au récit ou au style.
Nous en avons déjà évoqué un exemple avec Do the right thing (chapitre 1J ).
Un autre exemple intéressant est The joy luck club (Wayne Wang, 1993). Le
film se déroule dans le milieu sino-américain et se concentre sur quatre
mères, émigrantes, et leurs quatre filles, nées américaines. Pour présenter la
vie de ces femmes, le film adopte des principes narratifs rappelant Citizen
Kane. Durant une fête, les trois mères encore vivantes se souviennent de leur
existence avant l'arrivée aux États-Unis. L’histoire de chacune d'entre elles fait
alors l'objet de longs flashbacks, à l’intérieur desquels sont enchâssés d'autres
flashbacks évoquant l'expérience de leurs filles aux États-Unis. 11 en résulte un
riche ensemble de parallèles dramatiques et thématiques. Parfois, la juxtapo­
sition mère/fille crée de forts contrastes; a d'autres moments, leurs aventures
se confondent pour mettre l'accent sur les points communs entre les généra­
tions (fig. 12.35). Les commentaires off des femmes guident le spectateur à
travers les changements de narration tout en permettant à Wang et à ses scé­
naristes de traiter les conventions du flashback d'une façon qui les rend plus
émouvants.
Les films de Scorsese sont, du point de vue du style, beaucoup plus Figure 12.35

- flamboyants-. Dans Taxi driver, Raging bull ou Le temps de l'innocence (The


âge of innocence. 1993) les mouvements de caméra et le ralenti servent à
intensifier l'impact émotionnel des scènes. De Palma est un artiste au style
encore plus extravagant: ses films se complaisent en plans séquences très
longs, prises de vues verticales et effets de split screen. Coppola s'est essayé au
noir et blanc et à l’accéléré dans Rusty James, à des conversations téléphoni­
ques se déroulant entre deux personnages situés au premier plan et à l’arrière-
plan d'une même image dans Tucker et à des effets spéciaux réalisés selon des
techniques désuètes pour donner une certaine atmosphère d’époque à son
Dracula.
Une attitude encore plus expérimentale gagne le travail d'autres réalisa­
teurs indépendants. Les frères Coen (Joël et Ethan), font de chacun de leurs
films le prétexte à l’exploration d’une ressource expressive du cinéma. Dans
Arizona junior des travellings avant et arrière très rapides sont associés à des

581
gros plans en courte focale pour créer des déformations dignes de la bande
dessinée (fig. 12.36). On trouve des effets similaires dans le road movie gay de
Gregg Araki, The iiving end (1992). Dans des films comme Trust me (1991 ),
Hal Hartley tempère un scénario mélodramatique par un rythme lent, des
gros plans de visages songeurs et des compositions dynamiques mettant en
tension premier plan et arrière-plan (fig, 12.37).
Les réalisateurs indépendants ont aussi fait des expériences de construc­
tion narrative. Barton Fink (Joël et Ethan Cocn, 1991), d’abord portrait satiri­
que de l’Hollywood des années 30, devient imperceptiblement une sorte de
cauchemar halluciné. Réservoir dogs (Quentin Tarantino. 1993) et Pulp fiction
(id-, 1994) jonglent avec le temps de l’histoire et celui du récit d'une façon qui
Figure 12.36
rappelle la complexité des flashbacks des films des années 40. À la différence
de The joy luck dub cependant, les soudains passages d’un moment à un autre
de l'histoire ne sont pas justifiés comme des souvenirs des personnages : le
public est obligé de découvrir par lui-même la raison de ces changements
temporels. Dans Daughters of the dust (1991), Julie Dash laisse scs acteurs par­
ler le riche dialecte Gullah et développe une structure temporelle complexe
qui cherche à fondre présent et futur. Dans une scène, un personnage entre­
voit un enfant qui n'est pas encore né.
Le vieil Hollywood fit donc son retour dans les studios des années 70 et 80,
Figure 12.37 à travers de jeunes réalisateurs talentueux qui adaptèrent les conventions clas­
siques aux goûts contemporains. Dans le même temps émergea une sorte de
tradition, très dynamique, du cinéma indépendant, qui trouva son public
parmi les cinéphiles, les jeunes, les minorités raciales et culturelles désirant
vivre une expérience vraiment différente de celle que leur proposait le cinéma
commercial.

582
Angle de cadrage Position du cadre par rapport au sujet Cache d'écran Pour la projection en salle, masque noir Cadrant
représenté : au-dessus du sujet, dirigé vers le bas (plongée); à l'image sur l'écran. Le cache, mobile, est ajusté au format de
l'horizontal. 1 la même hauteur que le sujet (angle normal): l’image projetée.
dirigé vers le haut (contre-plongée). Aussi appelé «angle de Cadence Au tournage, nombre de photogrammes exposés par
prise de vues». seconde: à la projection, nombre de phoiogrammes projetés

Angle de prise de vues Voir Angle de cadrage par seconde. Si les deux cadences sont égales, h vitesse du mou­

Animation Tout procédé par lequel on crée un mouvement artifi­ vement représenté paraîtra normale; une différence entre clics
créera un ralentissement ou une accélération du mouvement.
ciel, en photographiant un à un des dessins (soir aussi Cellulo),
des objets ou des images de synthèses. L’illusion du mouvement La cadence standard du cinéma sonore est de 24 images par

est produite par de légers changements de position des figures, seconde au tournage et à La projection.

enregistrés photogramme par photogramme. Cadrage Utilisation des bords du photogramme pour sélection­

Auteur L’auleur véritable ou supposé d'un film, généralement ner ci composer ce qui sera visible à l’écran.

identifié au réalisateur. Le terme est parfois utilisé dans un sens Cadre incliné Image où les horizontales du cadre ne sont pas
critique, pour distinguer les -bons, réalisateurs (les nur«<n) parallèles a l'horizon; le bord droit ou gauche est plus bas que

des mauvais. l'autre et les objets filmés paraissent donc inclinés.

Automate de prise de vues Technique permettant, grâce â un Caméra portée Utilisation du corps du cadreur comme support

ordinateur, d'organiser et de répéter des mouvements de pour la caméra; le cadreur porte l’appareil â la main ou emploie

caméra précis pour filmer des maquettes ou réaliser des effets un harnais.

spéciaux. Cellulo En animation, feuilles de celluloïd sur lesquelles sont des­

Axe de jeu Dans le système du montage par continuité, la ligne sinés les différentes phases de la décomposition d'un mouve­

imaginaire qui, passant par les principaux acteurs, définit les ment.
relations spatiales de tous les éléments de la scène, qui se trou­ Champ-contrechamp Deux plans, ou plus, montés de façon à
vent alors constamment à gauche ou â droite les uns par rap­ faire alterner des personnages, généralement au cours d’un dia­
port aux autres. La caméra est censée ne pas passer de l'autre logue. Dans le système du montage par continuité, les person­
côté de cet axe lors d'un raccord, ce qui aurait pour consé­ nages qui regardent sers la gauche dans un premier plan
quence d'inverser les relations spatiales. On l'appelle aussi la regardent vers h droite dans celui qui suit. Le contrechamp

«ligne des 180*» (voir aussi Règle des 180°). comprend souvent en amorce le personnage montré de (ace
dans le plan précédent.
Basculement Voir Panoramique vertical.
Cache Écran opaque placé dans la caméra ou La tireuse, qui mas­ Chevauchement Indication de la profondeur dans une image par

que une partie du photogramme et modifie h (orme de la le fai! que les objets les plus proches dissimulent en partie les

partie impressionnée de l'image. La zone masquée est généra­ plus lointains. On utilise aussi le terme «recouvrement ».

lement noire â l'écran mais elle peut aussi être blanche ou Chevauchement de l'action Lors d'un raccord, reprise dans un
colorée. plan d'une partie ou de la totalité d’une action montrée dans le
plan précèdent, qui en augmente donc la durée à l'écran cl dans Doublage Remplacement d'une partie ou de la totalité des voix
le récit. sur une bande son pour corriger des erreurs techniques ou

Chevauchement sonore Dans le montage d'une scène, raccord réenregistrer des dialogues. Voir aussi Postsynchronisation.
intervenant avant qu'une réplique ou un bruit venant d'un plan Durée Dans un film narratif, l'un des aspects des manipulations

A soit terminé, les sons se poursuivant sur un plan B qui n'en temporelles concernant le rapport entre le laps de temps consa­

montre plus la source. cré à une action dans le récit et sa durée supposée dans l’hatoire.
Clôture Façon dont la fin d'un film narratif révèle les conséquen Voir aussi Fréquence, Ordre.
ces de tous les événements présentes et résout (ou clôt) toutes Durée de projection Temps que dure la projection d'un film, à la

les intrigues. bonne vitesse.

Eclairage trois points Organisation courante de l’éclairage d'une


Cohérence Façon dont les différentes parties d’un film sont systé­
scène utilisant trois sources différentes : une placée derrière le
matiquement mises en rapport ei fournissent les motivations
<k tous les éléments qui le composent. sujet filmé (décrochage), une plus vive que les deux autres
(lumière principale) et une plus faible qui vient équilibrer ks
Composite (Image composite) Truquage où les différentes parties
effets de la lumière principak (lumière d'appoint).
d’une image (généralement, les acteurs et le décor) sont filmées
séparément et associées en laboratoire, notamment grlce aux Effet Voir Lumière principale.
procédés de cache-coït t recache. Effets Spéciaux ferme général pour désigner différentes manipu­
lations photographiques permettant de créer des relations spa­
Contraste En photographie, la différence entre la zone la plus
tiales fictives au sein d'un même plan, par exemple la
claire et la zone la plus sombre de l'image.
surimpression. le plan composite et la transparence.
Décrochage Lumière projetée sur les sujets filmés depuis le côté
Ellipse Dans un film narratif, raccourcissement de la durée du
opposé à la caméra, les entourant généralement d'un fin détou­
récit obtenu par élimination de moments de l'histoire. Voir aussi
rage lumineux.
Montage elliptique. Durée de projection.
Diégesc Dans un film narratif, le pseudo monde de l'histoire
Espace fout hlm présente au moins un espace à deux dimensions,
racontée par le film. La diégèse comprend ks événements qui
celui de l'image considérée comme simple composition plane.
sont supposés avoir eu lieu ainsi que les actions et les espaces
Les films où sont décrits des objets, des personnages ou des
qui ne sont pas montrés à l'écran. Voir aussi San diégétique. lieux, représentent un espace à irais dimensions. À tout
Insert cxiradtégértque, Son extradiegétique. moment, un espace tridimensionnel peut être représenté direc­
Diminution de la taille Indication de la profondeur : les objets les tement, c’est le champ, ou suggéré, c’est le hors-champ. Dans un
plus lointains sont plus petits que les objets proches. film narratif, on peut aussi distinguer l'espace de l'histoire,

Direction Les relations droite-gauche dans une scène. Ces rela­ constitué par l’ensemble des lieux, montrés ou non, où se

tions sont établies dans un plan de situation-, les positions des déroule l’action, et l'espace du récit, constitué par l'ensemble

figures dans le cadre, leurs mouvements, les directions de des lieux représentés par l'image ou le son.

regard sont censés rester cohérents d’un plan à l’autre, dans le Exploitation L'une des trois branches de l'industrie cinématogra­

système du montage par continuité. Voir aussi Axe de jeu. Rac­ phique: projection des films achevés à un public. Voir aussi Dis­
cord regard. Règle des ISO0. tribution, Projection.
Distance focale Distance du centre de l'objectif au point où les Exposition Réglage du mécanisme de la caméra permettant de
rayons lumineux convergent (foyer) pour former une image contrôler la quantité de lumière qui vient frapper chaque pho­
nette. La dislance focale détermine les relations perspectives de togramme au moment où il passe devant la fenêtre de prise de

l'espace représenté à l’écran. Voir aussi Focale normale, Grand vues.


angle, Téléobjectif. Faux raccord Dans le système du montage par continuité, un rac­

Distribution L'une des trois branches de l'industrie cinémato­ cord qui présente une continuité temporelle mais bouleverse les

graphique: location des films achevés aux salles où ils seront positions des personnages ou des objets.

projetés. Voir aussi Exploitation. Production. Filé Voir Panoramique filé.


Dolly Support pour la caméra, équipé de roues, utilisé pour les Film noir Terme dont se servaient des critiques français pour

travellings. désigner un certain type de films américains, participant géné-

584
uUIWl

ralcmcni du genre policier ou du thriller, caractérisés par leurs Forme narrative Type d’organisation filmique où les parties sont

éclairages en lowkeyet une atmosphère sombre. en rapport les unes avec les autres à travers une série d'événe­

Filtre Morceau de verre ou de gélatine placé devant la caméra ou ments ayant des relations causales et se déroulant dans un cer­

devant l'objectif de La tireuse pour modifier la qualité ou la tain espace, en un certain temps.

quantité de lumière frappant la pellicule au moment où elle Forme rhétorique Type d'organisation filmique où les parties
passe devant la fenêtre. produisent et appuient une argumentation.

Flashback Modification de lordre de l’histoire par laquelle le Fréquence Dans un film narratif, l'un des aspects des manipula­
récit revient sur un événement antérieur à l'action en cours. tions temporelles concernant le nombre de fois où un événe­

Fkshforward Modification de l’ordre de l'histoire par laquelle le ment de l'histoire est montré dans le récit. Voir aussi Durée,
récit présente des événements futurs puis revient au présent de Ordre.
l’action. FronUlité En mise en scène, position des figures qui font face au

Focale normale Objectif qui montre les objets sans déformation spectateur.
importante de la perspective. F.n format 35mm. les focales nor­ Genres Les différents types de films que le public et les réalisa­
males sont de 35 à 50mm. teurs reconnaissent par leurs conventions narratives : la comé­

Fonction Le rôle ou l’effet de tout élément faisant partie de la die musicale, le film de gangster, le western sont parmi les

forme du film. genres les plus courants.

Fondu 1. Ouverture en fondu un écran noir est progressivement Grand angle Objectif à courte focale qui altère la représentation

remplacé par un plan. 2. Fermeture en fondu : un plan s'assom­ de la perspective par déformation des lignes droites se trouvant
brit progressivement jusqu’à ce que l’écran soit noir (on parle près des bords du cadre et par exagération de la distance appa­

souvent de fondu an Mtr). Les fermetures en fondu peuvent rente entre le premier plan et l’arrière-plan. En format 35mm,
parfois donner lieu au remplacement progressif du plan par un un objectif dont la distance focale esi inférieure à 3Gmm. Voir
blanc pur ou par une autre couleur. aussi Focale normale. Téléobjectif
Fondu enchaîné Transition entre deux plans au cours de laquelle Gros plan Cadrage où la taille de l’objet montré est relativement
une première image disparaît progressivement tandis qu’une importante; le plus souvent, il s'agit d'un visage ou d'un objet
seconde image apparaît; les deux sont un instant mêlées en une de taille comparable qui remplit tout l’écran.

surimpression. Hard light Éclairage «dur*, qui crée des ombres aux contours très

Format l argeur de 1a pellicule, mesurée en millimètre. nets. Opposé à Soft light.


Format de l'image Le rapport entre la hauteur et la largeur du Hauteur caméra Distance entre la caméra et le sol sur l'axe verti­
cadre. Le formai standard fut longtemps de l x 133. cal passant par l'appareil. À ne pas confondre avec l'angle de
Format standard Proportions standards du cadre, instaurées par cadrage.
la « Academy of motion picturc arts and sciences*. Dans le for­ High key Eclairage créant des contrastes faibles entre les zones
mat originel, le cadre était 1,33 fois plus Large que haut (format claires et les zones sombres de l'image, l^s ombres sont relati­

1,33), rapport qui passa, plus tard, à 1 x 1.85. vement transparentes, «débouchées - par la lumière d'appoint.
Forme Le système général des rapports entre les parties d'un film. Histoire Dans un film narratif, tous les événements que nous

Forme abstraite Type d’organisation filmique où les parties sont voyons cl entendons plus tous ceux que nous en déduisons ou

en rapport les unes avec les autres par répétition et variation de que nous supposons avoir eu lieu, rétablis dans leur ordre chro­
qualités visuelles comme la forme, la couleur, le rythme et la nologique, leur durée réelle, leur fréquence et leurs relations

direction des mouvements. Spatiales présumées. Opposé au récit. qui est La présentation

Forme associative Type d’organisation filmique où les parties directe, par k film, de certains événements de l'histoire

sont juxtaposées pour suggérer des ressemblances, des opposi­ Hors-champ Les six zones qui ne sont pas visibles à l'écran mais
tions, des idées, des émotions ou des qualités expressives. font partie de l’espace de La scène: ce qui se trouve au-delà de

Forme catégorielle Type d’organisation filmique où les parties chacun des quatre côtés du cadre, derrière le décor et derrière la

sont consacrées à des sous-ensembles distincts d’un même sujet caméra. Voir aussi Espace.
principal. Un film sur les Etats-Unis sera par exemple composé Idéologie Système de valeurs, de croyances ou d'idées relative-
de cinquante parties, une par état. ment cohérent, partagé par un groupe social « considéré

58S
G10 JUIH

comme allam de soi parce que naturel ou fondamentalement l-umière zénithale Eclairage venant du dessus sur un personnage
vrai. ou un objet, pour en souligner les parties supérieures ou k

Inserl extradiégétique Plan ou série de plans insérés dans une détacher plus nettement du fond.

séquence, montrant des objets ou des personnages ne faisant Mise en scène Tout ce qui concerne les éléments sc trouvant
pas partie du pseudo espace de l'histoire. devant la caméra pour être filmés : le décor et les accessoires, b

Interprétation Activité du spectateur qui analyse les «ns implici­ lumière, les costumes ci les maquillages, le jeu des acteurs.

tes et symptomatiques suggérés par le film. Voir aussi Sens. Mixage Mélange de deux pistes sons, ou plus, en une seule.
Iris Cache circulaire mobile qui peut « refermer pour marquer la
Monochromie Caractère d'une image dominée par une gamme
fin d'une scène (fermeture4l'iris)ou souligner un détail, ou qui réduite de nuances d'une meme couleur.
peut s'ouvrir pour marquer le début d’une scène (ouverture à
Montage 1. Au coun de la réalisation du film, sélection et assem­
l'iris) ou révéler une plus grande ponion d'espace autour d'un
blage des prises de vues. 2. Dans le film achevé, ensemble des
détail.
techniques réglant les reblions entre les plans.
Jump eut Raccord elliptique qui semble être une simple interrup­
Montage alterné Procédé de montage qui consiste à faire alterner
tion dans un même plan. Soit les figures changent instantané­
des plans montrant deux actions ou plus, généralement simul­
ment de place et le fond reste le même, soit c'est le fond qui
tanées. se déroulant dans des lieux différents.
change tandis que les figures ne bougent pas. Voit aussi ERipse.
Montage elliptique Élimination d'une partie d'une action lors du
Lentille Pièce formée d'un matériau transparent (généralement
du s'erré) dont une ou deux faces sont courbes de façon 1 ras­ passage entre deux plans, produisant une ellipse dans le temps
du récit et de l'histoire.
sembler et faire converger les rasons lumineux. La plupart des
objectifs équipant les caméras et les projecteurs sont composés Montage intellectuel Juxtaposition d'une série d'images destinée
d'une série de lentilles placées dans un tube métallique. à produire une idée abstraite absente des images considérées

Linéarité Dans un récit, enchaînement parfaitement motivé de séparément.

causes et de conséquences sans digressions importâmes, retar- Montage par continuité Système de montage permettant d'assu­
demenis ou actions n’ayant aucun rapport avec le reste de h rer, dans un contexte narratif, le déroulement clair et continu
narration. de l’action. Le montage par continuité repose sur une stricte

Low key Eclairage créant de forts contrastes entre les zones claires corrélation des directions des mouvements, des positions dans

et les zones sombres de l’image: les ombres sont profondes, b l'espace et des relations temporelles entre les plans. Pour des

lumière d'appoint étant peu utilisée. techniques spécifiques, voir Axe de jeu, Champ-contrechamp,
Lumière d’ambiance Voir Lumière d'appoint. Direction. Montage alterné, Plon de situation. Raccord dans l'axe.
Raccord dans le mouvement, Raccord regard.
Lumière d’attaque Voir Lumière principale.
Lumière d'appoint Eclairage produit par une source moins vive Montage par discontinuité Tout système alternatif d'assemblage
de plans utilisant des procédés s’opposant aux principes du
que la lumière principale, utilisé pour adoucir les ombres trop
montage par continuité. Ces procédés peuvent être : le boule-
noires. On parle aussi de lumière d'ambiante ou de lumière de
verrement des relations spatiales et temporelles, la transgres­
bouchage.
sion de la règle des 180° ou l’importance donnée aux rapports
Lumière frontale Éclairage dirigé sur la scène depuis un point
visuels entre les plans. Voir aussi Chevauchement, Insert extra­
situé près de la caméra.
diégétique. Jump cul. Montage elliptique. Montage intellectuel.
Lumière latérale Éclairage venant de côté sur un personnage ou
Raccord visuel.
un Objet, généralement pour créer une impression de volume,
Motif Élément répété de façon significative.
faire ressortir les reliefs d’une surface ou éclaircir des zones lais­

sées dans l'ombre par un autre éclairage. On parle dans certains Motivation lustification de la présence des éléments composant le

cas de « I um ière rasante ». film. Elle peut faire appel à h connaissance qu'ont les Specta­
teurs du monde réel, à des conventions de genre, à la causalité
Lumière principale Dans le système de l’éclairage trois points,
narrative ou à des figures de style propre au film.
l'éclairage le plus intense. On parle aussi de lumière d’attaque
ou, plus souvent, d'effet. Voir Décrochage. Lumière d'appoint. Mouvement assisté par ordinateur Voir Automate de prise de
Éclairage trois points. vues.

586
miHiu

Mouvement de cadre Effet, à l'écran, d'un déplacement de la Perspective aérienne Indication de b profondeur, dans une

caméra, d'un zoom ou de certains effets spéciaux; changement image, par un rendu net des objets situés au premier plan et
de cadrage dans un même plan en fonction de la scène filmée. plus flou de ceux situés dans le lointain.

Voir aussi Mouvement de grue, Panoramique, Travelling. Perspective sonore Spatialisation du son. produite par l'intensité,

Mouvrmtnl de caméra Voir Mouvement de cadre. le timbre, la hauteur des sons et, avec un système de reproduc­
tion stéréophonique, les informations dites »binauralcs«.
Mouvement de grue Déplacement de la caméra au-dessus du sol
dans toutes les directions. Photogramme Une image sur b pellicule. Lorsqu'une série de
photogrammes sont projetés sur un écran en une succession
Narration Processus par lequel le rien transmet ou dissimule les
rapide, ils procurent au spectateur l'illusion du mouvement.
événements constituant l'histoire. La narration petit être plus
Photographie Terme général pour désigner toutes les modifica­
ou moins restreinte à ce que sait un seul personnage et plus ou
moins «profonde», si elle présente les perceptions et les pensées tions de la pellicule opérées par la caméra en phase de tournage

du personnage. ou en laboratoire en phase de développement.

Pixilation Technique d'animation image par image où des objets


Netteté Convergence plus ou moins précise des rayons lumineux
en trois dimensions, souvent des personnes, se déplacent par à-
qui, venant d’une meme partie d'un objet, traversent l’objectif
pour venir frapper le photogramme en un même point créant à coups.

l’image des contours précis et des textures distinctes. Plan I. Au tournage, série de photogrammes impressionnés au
cours d’un fonctionnement ininterrompu de la caméra. Aussi
Objectif anamorphooeur Un objectif qui permet de réaliser des
films pour écrans larges à partir d'un format d image standard. appelé prise. 2. Dans le film achevé, une image ininterrompue
caractérisée par une unité du cadrage, mobile ou statique.
L’objectif de h caméra couvre un champ très large, comprimé
sur le photogramme; à la projection, un objectif identique pro­ Plan américain Cadrage coupant les personnages à mi-cuisse.

duit l'opération inverse pour restituer une image non-compri­ Plan d'accompagnement Plan dont te cadrage change pour gar­
mée sur l'écran. der une figure en mouvement a l'écran.

Ordre Dans un film narratif, l'un des aspects des manipulations Plan de demi-ensemble Cadrage de la partie du décor où se tien­

temporelles concernant la façon dont la chronologie des événe­ nent les personnages.

ments de l'histoire est réorganisée dans le récit. Plan d'ensemble Cadrage où les objets représentés sont relative­

Panoramique filé Mouvement de caméra latéral extrêmement ment petits: plan cadrant l'ensemble du décor.

rapide, qui produit un bref brouillage de l'image en un ensem­ Plan de situation Pbn général ou plan d'ensemble montrant les
ble de lignes horizontales. Un raccord imperceptible peut par­ relations spatiales entre les personnages, les objets cl le décor
fois joindre deux panoramique filé pour créer une transition d'une scène. Le plan de situation vient sous-ent au début cl à la
inattendue entre deux scènes. fin d'une série de plans rapprochés sur l'action,

Panoramique horizontal Mouvement de caméra où le corps de Plan long Plan qui se poursuit pendant une durée inhabituelle

l'appareil tourne vers la droite ou vers la gauche sur son axe ver­ avant le passage au plan suivant.

tical. A l'écran, il produit un mouvement de cadre qui balaie Plan moyen Cadrage où tes personnages occupent toute la hau­
l'espace horizontalement. teur de l'écran.

Panoramique vertical Mouvement de caméra où le corps de Plan poitrine Voir Plan rapproche
l'appareil pivote vers te haut ou vers le bas autour de son axe Plan rapproché Si l'on considère la figure humaine comme élé­
horizontal. À l'écran, il produit un mouvement de cadre qui ment de référence, on parlera de plan rapproché taille, ou plan
balaie l’espace verticalement. Aussi appelé •basculement». taille pour les images cadrant les personnages au niveau de la

Pellicule Bande transparente recouverte sur une face d'une émul­ taille, et de plan rapproché poitrine, ou plan poitrine pour les

sion photosensible, sur laquelle une série d'images sont impres­ images cadrant tes personnages au niveau de la poitrine.

sionnées. Plan séquence Scène traitée en un seul plan, généralement un

Perche Longue tige grùce A laquelle on peut suspendre un micro plan long.

au-dessus de la scène filmée et qui esi utilisée pour pouvoir en Plan subjectif Plan filmé avec la caméra située approximative­
changer les positions en fonction de l’évolution de l'action. ment à remplacement des yeux d'un personnage et montrant

587
iiû mm

donc ce que ce dernier est censé voir; raccorde généralement cution d'un mouvement, de façon à ce que celui-ci paraisse ne
avec un plan du personnage en train de regarder. pas avoir été interrompu.

Plan taille Voir Plan rapproche. Raccord regard Raccord respectant un axe de /eu et obéissant à 1a

Point (changer le point) Faire passer la netteté d’une zone à une régie tics ISO*, où un plan montre un personnage regardant
hors-champ dans une certaine direction et le pbn suivant, un
autre de l'image au cours du plan.
espace contigu comprenant ce que le personnage regarde. S’il
Pont sonore 1. Au début dune scène, bref débordement du son
regarde vers la gauche, il doit se retrouver, dans le pbn suivant,
de la scène précédente. 2. A la fin d’une scène, le son de b sui­
hors-champ et A droite.
vante débute avant qu’elle ne soit terminée.
Raccord visuel Raccord produisant une forte ressemblance entre
Postsynchronisation Ajout de sons après le tournage et le mon
des éléments composant les deux plans successifs (par exemple
tage des images. Le doublage des voix, l’introduction d'une
des ressemblances entre les couleurs, les formes).
musique diégétique ou de bruits font partie des procédés de
R ce ad rage Bref panoramique horizontal ou vertical qui permet
postsynchronisation. Opposé à Sort dimt.
de conserver les personnages ou les objets à l’écran ou de les
Prise Au tournage, le plan produit lors d’un fonctionnement
maintenir au centre de b composition lorsqu’ils se déplacent.
ininterrompu de b caméra. Les plans composant la version
Récit Dans un film narratif, tous les événements directement pré­
finale d'un film ont souvent été choisis parmi plusieurs prises
sentés au spectateur, avec leurs relations causales, leur ordre
différentes de la même action.
chronologique, leur durée, leur fréquence et leurs situations
Production L une des trois branches de l'industrie cinématogra
spatules. Opposé i histoire,qui est b reconstitution imaginaire,
phtque: le processus de création du film. Voir aussi Distribu­ par le spectateur, de tous les événements qui sont supposés
tion. Exploitation. avoir eu lieu. Voir aussi Durée, Durée de projection, Ellipse, Fré­
Profondeur fin mise en scène, utilisation plus ou moins impur quence. Ordre.
tante, par b disposition des personnages ei des objets, de b Règle des 180° Dans le système du montage par continuité, b
profondeur de l’espace où se déroule b scène filmée. Tout
caméra doit rester d’un même côté de l’axe de jeu pour que 1a
l'espace, ou seulement une certaine partie, peut apparaître net à
représentation des relations spatiales entre les objets reste cohé­
l'écran.
rente d'un pbn J l'attire. Vaxe de jeu est aussi appelé ligne des
Profondeur de champ I. Distance du plan le plus proche de b ! 8(f. Voir aussi Montage par continuité. Directions.
caméra au plus éloigné entre lesquels tout apparaît net à Roloscopc Machine qui projette les images d’un film une par une
l’image. Pour une profondeur de champ comprise entre 1,5 sur une table à dessin, pour qu'un animateur puisse tracer les
mètre et 5 mètres, par exemple, tout objet situé à moins de 1,5 contours des figures apparaissant sur chacune des images. Il
mètre ou à plus de 5 mènes apparaît flou. 2. Grande profon­ s'agil, par ce procédé, d’obtenir des mouvements plus réalistes
deur de champ : égale netteté des plans très proches de la dans les dessins animés.
caméra et des plans éloignés, obtenue par une certaine utilisa­
Rythme La cadence et b régularité perçues d'une série de sons, de
tion de l'objectif et des éclairages.
plans ou de mouvements à l’intérieur des plans. Les paramètres
Projection frontale Procédé complexe où les images censées du rythme sont b mesure, l’acceni et le tempo.
représentées le décor au fond d'un plan sont projetées frontale
Scène Segment d’un film narratif caractérise par son unité tem­
ment sur un écran; les personnages et les objets situés au pre­
porelle et Spatiale ou qui emploie le montage alterné pour
mier plan sont devant l’écran, filmés suivant le même axe.
montrer deux actions simultanées ou plus.
Inverse de Transparence.
Segmentation Division du film en plusieurs parties pour l'ana
Raccord En phase de montage, assemblage de deux morceaux de
lyse.
pellicules par une collure. 2. Dans le film, changement instan­
Sens 1. Sens référentiel : allusion a un savoir préabble commun,
tané de cadrage. Voir aussi lump eut.
extérieur au film, que le spectateur est supposé reconnaître et
Raccord dans l'axe Passage instantané d’une taille de plan à une
comprendre. 2. Sens explicite-, signification présentée directe­
autre conservant le meme axe de prise de vue sur le même sujet. ment, généralement dite, souvent à la fin ou au début d’un film.
Raccord dans le mouvement Raccord entre deux vues différentes 3. Sens implicite : signification qui reste tacite, que le spectateur
d’une même action, intervenant au même moment dans l'exé­ doil découvrir par l'analyse ou b réflexion. 4. Sens symptoma­

588
tique-. signification déduite du contexte historico-sociate du Son simultané Son diégétique présenté comme arrivant en même
film. temps dans l'histoire que l'image qu'd accompagne.

Séquence terme couramment utilisé pour désigner un segment Son synchrone Son qui est en état de simultanéité temporelle
relativement important du film, où se déroule une action com­ avec les mouvements se déroulant à l'image, comme lorsqu’une
plète. Dans un film narratif, est souvent l'équivalent d'une réplique correspond aux mouvements des lèvres.

scène. Sloryboard Outil servant i l'organisation delà production;séries


Séquence de montage Segment d'un film résumant un thème ou de croquis représentant, à la manière d'une bande dessinée,
compressant un certain laps de temps en une série de brèves chaque plan ou différentes phases d'un même plan, accompa­

images symboliques et de clichés. Ixs fondus, fondus enchaînés gnées de descriptions écrites.

cl surimpressions sont souvent utilisés pour lier les images d'une Style Emploi répété cl remarquable de certaines techniques ciné­
séquence de montage. matographiques. propre à un seul film ou à un ensemble de
Soft Jight Eclairage où les zones trop brillantes ou trop sombres films (l'œuvre d'un cinéaste ou d’un mouvement, par exem­
sont éliminées au profit d'une gamme continue de nuances. ple).

Son diégétique Voix, morceau de musique ou bruit donné Surimpression Expositions multiples de la même portion de pel­
comme wnant d'une source présente dans le monde du film. licule, ayant pour résultat le mélange de plusieurs images en
Voir aussi Son extradiégéitque une seule.

Son diégétique externe Son donné comme venant d’une source Taille de plan Echelle relative du cadre, par rapport au person­
réelle, située dans l'espace de ['histoire, et dont nous supposons nage ou aux objets représentés. On parle aussi d'« échelle des
que les personnages participant à la scène en cours l’entendent plans» pour désigner toute la gamme des tailles de plan. Voir
aussi. Voir aussi Son diégétique interne. aussi Gros plan, Plan américain, Plan général, Plan d'ensemble.
Son diégétique interne Son donné comme venant de la cons Plan moyen, Plan rapproché. Très gros plan.
cience d’un personnage faisant partie du pseudo espace de l'his­ Technique Tout aspect du médium cinématographique pouvant
toire. Nous pouvons l'entendre, ainsi que le personnage qui en faire l'objet d’un choix et d'une manipulation lors de la réalisa­
est l'origine, mais nous supposons que les autres personnages tion d'un film.
ne le peuvent pas. Fait partie des sons off. Voir aussi Son dtégé/i-
Téléobjectif Objectif à longue focale qui altère la perspective par
que externe. un agrandissement des plans les plus lointains, qui paraissent
Son direct Musique, bruit ou parole, tout son enregistré en même alors plus proches du premier plan. En formai 3Smm. un
temps que sa source est filmée. Opposé à Postsynchronisation. objectif ayant une distance focale de plus de 75mm. Voir aussi
Son extradiégélique Son, par exemple une musique d'amhiance Focale normale. Grand angle.
ou un commentaire, présenté comme venant d'une source Transparence Technique permettant de combiner sur une meme
extérieure au pseudo espace de l'histoire. Voir aussi son off. image une action située au premier plan a une action se dérou­
Son hors-champ Son simultané venant d’une source supposée se lant en fond de plan filmée antérieurement. Le premier plan est
trouver dans l'espace de la scène mais dans une zone qui n'est filmé en studio devant un écran sur lequel est projetée, par der­
pas visible à l'écran. rière. l’image représentant l’action de l’arrière-plan. Opposé à

Son in Son simultané externe dont la source est visible à l'écran. Projection frontale.
Son non-simultané Son diégétique correspondant à un événe­ Travelling Mouvement de caméra ayant pour effet, à l'écran, une

ment antérieur ou postérieur à ce qui est montré à l'image. avancée, un recul ou un déplacement latéral dans l'espace de la

Son non-synchrone Son qui n'est pas en état de simultanéité scène. Voir aussi Mouvement de grue. Panoramique horizontal.
temporelle avec les mouvements se déroulant a l'image, comme Panoramique vertical.
lorsque une réplique n'est pas synchronisée avec les mouve­ Très gros plan Cadrage où la taille de ce qui est montré est très

ments des lèvres du personnage. importante: le plus souvent, un petit objet ou une partie d'un

Son off Tout son qui n est pas présenté comme pouvant être corps emplissent tout l'écran.

directement entendu dans l'espace de i’histoirc. Les sons dis­ Typage Technique de jeu propre au cinéma soviétique des années

tiques internes et non-simultanés ou les sons exiradiégétiques 20 par laquelle un acteur est doté de traits physiques censés

sont des sons off. caractérisés une classe ou un groupe social.

589
Variation Dans h forme filmique, retour d’un élément accompa­ Zoom Objectif à focale variable. Un allongement de la distance

gné de changements remarquables. focale au cours d'un plan produit un agrandissement d'une

Volet Transition entre deux plans où une ligne traversant l'écran partie de l'image « un écrasement des différents pians compo­

marque h limite entre une première image qui disparaît au fur sant la profondeur: un raccourcissement de la distance focale

et à mesure qu'une seconde la remplace. produit un effet contraire.

590
L’édition américaine de Film Art comporte une bibliographie chapitre par chapitre, intégrée dans les rubriques
«Notes et Points d’interrogation». Les références mentionnées y étant exclusivement américaines, nous avons, avec
laccord des auteurs, complété et transformé ces indications en donnant ici des références en français, ne conservant
les renvois aux ouvrages et articles américains que quand nous estimions ceux-ci essentiels et incontournables. Le
choix des références françaises n’a aucune prétention à être complet. Il s'agit seulement de montrer que certains
points ont fait l’objet de longs débats et de travaux souvent nombreux et diversifiés, et donc d’ouvrir pour le lecteur
des pistes dans des directions diverses, lui permettant de prolonger sa réflexion en trouvant des ouvrages spécialisés
ou des articles sur chacun des thèmes traités.
Ce travail de mise à jour et d'adaptation de la bibliographie a été effectué par Cyril Béghin et Philippe Dubois.
Nous remercions pour leur aide François Albéra, lacques Aumont et Dick Tomasovic.

Dictionnaires et autres ouvrages de références :


Horvilleur (Gilles) (dir.). Dictionnaire d« personnages du cinéma. Tulatd (Jean), Drcrionnoire du cinéma (voLl : «Les réalisateurs»,
Paris. Bordas, 1988. Très utile pour les regroupements de films 1982: vol. Il: «Acteurs-Producteurs-Scénaristes Techniciens,
à partir de personnages de fiction. 1984. Paris. Robert Laffont, coll. «Bouquins», 1989): Diction­
naire des films, Paris, Robert Laffont, coll. «Bouquins», 1990.
Lourcelles {lacques). Dictionnaire du cinéma. Les films, Paris,
Robert Laffont, coll. -Bouquins», 1992. La référence en fran­
Virmaux (Alain et Odette) (sous la direction de). Dictionnaire du
çais pour la qualité des notices (pour tout ce qui est cinéma
cinéma mondial. Mouvements, écoles, courants, tendances et gen­
classique en particulier).
res, Paris. Éd. du Rocher, 1994. Intéressant pour scs entrées

Lyon (Christopher) (dir.) The MacMillan Dictionnary offilms and autres que les noms ou titres. Mais exercice difficile de synthè­

filmmakers. (4 volumes : vol. I: «Films»; vol. 2: «Dircctors/ ses (parfois discutables).


filmakers»; vol. 3 : «Actors and adresses-; vol. 4 : «Writersand
production artists-J, Londres. MacMillan. 1984. Walker (John) (dir.), Halliwlls fiimgoer's companion, Londres.
Harper Collins. édition en 1965 (avec une préface d’A. Hit­
Passek (|ean Loup) (dir.), Dictionnaire du cinéma. Paris, Larousse, chcock). constamment remis i jour depuis — actuellement
1986 (nombreuses rééditions).
dans sa douzième édition de 1998. L’outil absolument indis­

Rapp (Bernard) et Lamy (Jean Claude) (dir.). Dictionnaire des pensable. le plus complet dans sa catégorie. Il faut de bons yeux

films, Paris, Larousse. 1*“ éd. 1990 (nombreuses rééditions). pour lire.
liai।m - - ------

Outil de recherche bibliographique :


The International Index ta Film Periodicals. Ixmdrcs puis Bruxel­ cinéma, sur un auteur, un film, un événement, dans la plupart

les. publication de la F1AF (Fédération Internationale des des pays du monde, le classement est à peu près clair. Il y a bien

Archives du Film) depuis 1972 jusqu'à nos jours {un volume sûr du retard sur l’actualité (les volumes sortent bien après
pour chaque année). Il s'agit de l'oulil le plus indispensable coup). Un CD-Rom existe, plus commode pour la recherche :
puisqu’il répertorie, en principe, - tous» les textes (articles en Film Index International, Chadwyck-Hcalcy/BFl.
revue, magazine, journal, etc.), parus chaque année sur le

Chapitre 1 : La production du film

1.1 L'illusion de mouvement au cinéma Bazin André, Qu est-ce que le cinéma l (4 volumes : vol. I. Ontolo­

Anderson (Joseph et Barbara), - Motion Perception in Motion


gie et langage, vol. Il : Le cinéma et les autres arts, vol. 111 :
Cinéma et sociologie, vol. IV: Une esthétique de la réalité.- le
Piciures-, in The Cinematic Apparatus (sous h dit de T de
néoréalisme italien], Paris, Éd. du Cerf, coll. • 7e"*Art-, 1958,
Lau relis & Si. Heath), Londres. Mac Millan, 1980.
1959.1961.1962.
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ComoUi (Jean-Louis), -Technique et idéologie», série d'articles
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dans les Cahiers du Cinéma, n° 229, 230, 231,233,234,235,241
Bailblé (Claude), «Programmation du regard», in Cahiers du - sur les années 1971 et 1972.
Cinéma, n* 281 et 282, 1977.
Godard (Jean-Luc). Beauviala (Jean-Pierre). -Genèse d'une
Frisby (John P.), De l'oeil A la vision, 1980. Paris, Nathan. 1982.
caméra. 1er et 2ème épisode-, in Cahiers du Cinéma. n° 348/
Kuntzcl (Thierry), «Le Défilement-, in Noguez (Dominique) 349. juin-juillet 1983 et n° 350, août 1983.
(dir.J. Cinéma : théories, tritures. n° spécial de la Revue d'esthéti­
Pinel (Vincent). Vombukurc technique du cinéma, Paris, Nathan-
que. Paris, Klincksieck, 1971.
Universilé, 1996.
Mitry (Ican), Esthétique et psychologie du cinéma, (2 volumes),
Chcrchi-Usai (Paolo), Introduction to the Study of Silent Cinéma
Paris, éd. Universitaires, 1965.
(Burning Passions). Ijondres, BFI Publishing. 1999: -Une
Münsterberg (Hugo), The Film . A Psychologtcal Study (l‘"éd. image-modèle-, in Hors-cadre, n‘6, Paris, Presses Universitai­
1916). rééd. New York, Dover, 1970. res de Vincen nés. printemps 1988.

Plusieurs contributions dans les volumes de l'encyclopédie dirigée Perriault ( Jacques), Mémoires de l'ombre et du son : une archéolo­
par Carterette (E.G) et Friedman (H.). HandbooL of Perception. gie de l'audiovisuel. Paris, Flammarion. 1981.
surtout les vol. 1,5 et 10. New Yotk, Academie Press. 1975-1978.
Mannoni (Laurent), Le grand art de la lumière et de l'ombre.
Plusieurs articles parus dans les années 40 dans la Revue Interna­ Archéologie du cinéma. Paris, Nathan-Université, 1994.
tionale de Filmologie (notamment ceux de R.C. Oldfield - La per­
Sait (Barry). Film style and technology : History and analysis. Lon­
ception visuelle des images de cinéma - et d’André Michotte «Le
dres. Starwotd, 1992.
caractère de “réalité" des projections cinématographiques-, tous
deux dans le n* 3-4 d'octobre 1948). Fielding (Raymond) (sous la direction de), A technolqgicaihistory
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1.2 Les fondements techniques du cinéma rnia Press. 1967.

Aliman (Rick), «Technologie et représentation : l'espace sonore-,


1.3 La production : l'économie et les métiers du cinéma
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dirigé par Aumont (Jacques), Gaudreauh (André). Marie Allen (Robert C.) et Gomery (Douglas), Fairel'histoinedu cinéma.
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Pceters (Benoît). Faton (Jacques), De Pierponl (Philippe), Wolkn (Peter), - Feu et glace-, in Photographies. n*4 (dossier:
Storyboard : le cinéma dessiné. Yellow now, 1992.
Photographie et cinéma), Paris, 1984.

Plusieurs des ouvrages publiés par la FEM1S sur les différents


1.5 L'auteur
métiers du cinéma: La direction de production (par Marc
Bazin (André). «Comment peut on être Hitchcocko-Hawksien ?»,
Goklstaub); L'assistant réalisateur (par Valérie Othnin-Girard);
in Cahiers du Cinéma, n*44,1955.
La Script-Giri (par Sylvetle Baudrot et Isabel Salvini); Pratique du
montage (par Albert Jurgensen); etc. De nombreux autres Bicltc (Jean-Claude), Poétique des auteurs, Paris, Cahiers du
manuels, plus techniques encore, ont été publiés par les éditions Cinéma. 1988; -Poétique des anonymes*, in Cahiers du
Dujarric ou les éditions Dixit, sur la production de films, les tech­ Cinéma n* 386, juillet-août 1986,
niques de prises de vues et d'éclairage, k travail de montage, les
Chabrol (Claude). Rohmer (Éric), Hitchcock, 1957, Paris, Ramsay,
opérations de laboratoires, le mixage, la distribution et l'exploita­
1986.
tion. le droit d'auteur, les contrats, etc. Il n'est pas possible ici
d’énumérer tous les titres des manuels disponibles pour chacun Collectif. La politique des auteurs, Paris, Cahiers du Cinéma. Éd.
del'Êtoile, 1984.
des postes de travail de la chaîne de produaion du film.

Un domaine particulièrement riche de références est celui des Corliss (Richard), The Hollywood screenwriters. New York, Avon,

ouvrages consacrés à l'écriture du scénario. On mentionnera, à 1972; Talkmg piciurcs, New York, Penguin, 1974.

tilrc indicatif, les deux titres suivants : Lagny (Michèle), Ropars (Marie Claire), Sorlin (Pierre) (dir.).

■ L'état d'auteur*, n* thématique de la revue Hors cadre. n® 8.


Chion (.Michel), Ecrire un scénario. Paris, INA-Cahiers du
Paris, Presses Universitaires de Vinccnncs, 1990.
Cinéma. 1985.

Sarris (Andrew), The american cinéma, New York, Du (ton, 1968.


Carrière (Jean-Claude), Boniizer (Pascal), Exercice du scénario.
FEM1S, 1989. Se reporter aussi 4 la bibliographie du chapitre 1 L

593
ftJJLLLUWML

1.6 Cinéma et vidéo Bellour (Raymond) et Duguet (Anne-Marie) (dir.). Vidéo, revue
Communications, n" 48. Paris, Seuil. 1988.
Beau (Frank), Dubois (Philippe). Leblanc (Gérard) (dir.), Cinéma Dubois (Philippe). Mélon (Marc-Emmanuel) el Dubois
et dernières technologies, INA-De Boeck Université.colI. • Arts et
(Colette), -Cinéma et vidéo : interpénétrations», in Communi­
Cinéma», 1998.
cations n‘ 48. Paris. Seuil. 1988.
Bellour (Raymond), L'Entre-images. Photo, cinéma, vidéo, Paris, Klonaris (Maria) et Thomadaki (Katerina). Technologie et
La Différence, 1990 (rééd. P.O.L. 1998); L'Entre-images 2. Mots, imaginaire : art cinéma, art vidéo, art ordinateur, Paris, Éd. Dis­

images, Paris, P.O.L.. 1999. voir. 1990.

Chapitre 2 : Typologie du film


2.1 Types fondamentaux Le cinéma expérimental
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Le documentaire
tographique du Musée national d'Art Moderne, éd. du Centre
Barnouw (Eric). Documerttary: <i history of the non fiction film. Georges-Pompidou. 1997.
New York. Oxford University Press, 1974.
Rrakhage (Stan). Métaphores et vision. 1963, Ed. du Centre Geor­
Collectif. » Le génie documentaire -, Admiranda n* 10, 1995. ges-Pompidou, 1998 pour la traduction française.

Collectif, «Images du réel. La non-fiction en France (1890-


Prenez ( Nicole). De la Figure en général et du Corps en particulier.
1930) », n“ de la revue 1895. revue de l'AFRHC, 1995.
L'invention figurative au cinéma, Bruxelles, éd. De Boeck-Uni­

Gauthier (Guy), Le documentaire, un autre cinéma. Paris. Nathan- versité. coll. «Arts et Cinéma», 1998;

Univcrsité. 1995. Brenez (Nicole), McKane (Miles). Poétique de la couleur, Paris,


Auditorium du Louvre-Institut de l'image, 1995.
Guynn (William IL), A Cinéma on non fiction, Londres-Toronto,
Associated University Press, 1990.
Ixmaitre (Maurice). Le cinéma super-expérimental. Paris. Centre
de créativité. 1980.
l-eblanc (Gérard), Scénarios du réel (2 volumes), Paris, L'Harmai-
un, 1997. MacDonald (Scoll), Avant-garde films: motion studies, Cam­
bridge University Press, 1993.
Marsolais (Gilles). L'aventure du cinéma direct, Paris, Scghcrs,
1974. Mitry (Jean). Le cinéma expérimentai Histoire et perspectives.
Paris, Seghers, 1974.
Niney (François), L’épreuve du réel à l'écran. Essai sut le principe
de réalité documentaire, i paraître. Noguez (Dominique). Eloge du cinéma expérimental, Éd. du

Odin (Roger) (dir.). Le film de famille. Usage privé, usage public. Musée national d'art moderne. 1979; Une renaissance du
Méridiens/KJincksieck, Paris. 1995: L'Age d'or du documentaire. cinéma, le cinéma « underground » américain, Paris, Klincsieck,
1985.
Europe : années cinquante, 2 volumes, Paris, L’Harmattan, 1998;
Le cinéma en amateur, revue Communications. n® 68. Paris, Sitney (Paul Adam), The avant-garde film : a reader of theory and
Seuil, 1999. criticism, New York University Press. 1978.

Renov (Michael) (dir.). Theorùing documentât)'. New York, Rout­ Tous les livres édités par les éditions Paris Expérimental (écrits de

ledge, 1993. cinéastes, etc.)

11 existe des revues spécialisées consacrées au seul cinéma docu


Le film d'animation
mentaire, comme par exemple: Images documentaires (Paris) et
Documentaires (Paris). Il y a aussi les catalogues des festivals
Bendazzi (Gianalberto). Cartoons, Paris, Éditions Liane Levi.
1991.
annuels sur le documentaire, comme, notamment, Cméma du
Réel (Paris: Centre Georges Pompidou). Vues sur les Doc (Mar­ loubert-Lautencin, Hervé, La lettre volante, quatre essais sur le
seille) Filmer à tous prix (Bruxelles), etc. cinéma d'animation. Presses de la Sorbonne nouv-ellc, 1997.

594
Martin, Leonard, Of rniceand magic : d history of american anima- Leutrat (Jean-Louis), Vit de* fantAmei.Le fantastique au cinéma.
ted cartoon, New York. New American library. 1980. Paris, Éd. de l'Eloile/Cahiersdu Cinéma.coll."Essais". 1995.

Noakc, Animation. Dit dessin animé d la vidéo : toutes les techni­ Rovin (Jeff). The encyciopedia of monstre*. New York, Facts on file,
que! du film d'animation, Éd. Glénat, 1989. 1989.
Pour des références sur le film de fiction, on se reportera i la

bibliographie du chapitre 4. La comédie


Cavrtl (Stanley), A la recherche du bonheur. Hollywood et la comé­
2.2 La question des genres die du remariage, Paris, Éditions de l'Etoile/Cahiersdu Cinéma,
Allman (Rick), Film/Genrt. Londres. BFI Publishing, 1999. 1993.

Collectif, «Sur la notion de genre au cinéma», Iris n“20, automne


Rolot (Christian), Ram irez (Francis) (dit), Le genre comique.
1995. Centre d’étude du XX*™ siècle, 1997.

Genette (Gérard) (dir.), Théorie* des genres, Paris, Seuil, coll.


Simon (Iran-Paul), Le filmique et le comique. Essai sur le film
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Chapitre 5 : Les systèmes formels non-narratifs

5.1 L’autre du narratif 5.2 Systèmes formels


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Les forme catégorielle
dans la bibliographie du chapitre 2. on pourra aussi consulter :
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Se reporter aussi, pour l’ensemble de ce chapitre, aux références
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Aumont (Jacques) (sous la direction de), L'invention de la figure


6.3 Images électroniques et mise en scène humaine. Le cinéma : l'humain et l'inhumain. Paris. Cinémathè­
Outre les ouvrages mentionnés dans la bibliographie du cha­ que françaisc/Yellow Now. 1995.
pitre 1 (1.6 «Cinéma et vidéo»),on pourra aussi se reporter à : Aumont (Jacques), Du visage au cinéma, Paris, Ed. de l'Etoik/

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Nous nous contentons ici de donner, sans autre précision, les adresses de quelques sites français et anglais en acti­
vité au moment où nous écrivons, traitant directement de cinéma et pouvant présenter un intérêt pour l'étudiant ou
la personne cherchant des informations fiables. Certaines sont purement indicatives, donnant accès à des pages
sélectionnées parmi de très nombreux sites équivalents (par exemple celles concernant, en dernière partie, les
réalisateurs); d'autres (base de données, institutions) peuvent constituer des points de départ sérieux pour une
recherche filmographique, bibliographique ou iconographique. 11 va de soi que, compte tenu du caractère tem­
poraire d’un grand nombre de sites et des liens offerts sur chacun d'entre eux, cette liste n'est ni exhaustive, ni défi­
nitive.

Bases de données ~ Fédération internationale des archives du film

h iip-Jfwww. ctnenta.ucla.edti/fiaf
- Catalogue de h Bifi (références de films, d'ouvrages, et des
- Service du film de recherche scientifique
archives de h Bibliothèque du Film)
http/Swww (fri, fr/
http://www.bifi.fr
- Deutsches filmmuseum Frankfurt am main : eingangsseite
- Base de données sur le cinéma (films, réalisateurs, acteurs, pro­

ducteurs. CK.) htlp://www stadt-frankfun.de/filmmuscum


http://www. imdb.com - Film archives on line

- Allmovie guide http://www2. ipcrfiolf. bplpftta. it/fapl


http://www.allmovtc.com - Association française de recherche sur l'histoire du cinéma
- Index général des liens sur le cinéma (afrhe)

http://wwyv.fiim.com h ttp://www. dfj. cnrs fr/A FRH C


- Delà film and télévision archive

Cinémathèques, bibliothèques, institutions hyp://wwwcincma. ucia.edu/


- The film festivals server
- Cinémathèque française

hftp://www.cinrmathcquc.tm.fr/ h ttp://www. film festivals, corn


- Vidéothèque de Parts - Centre National de la Cinématographie (CNC)

http://www, Vfip.fr/ ltllp://www.cr>c.fr/


- American Film Institutc - Institut National de l’Audiovisuel (INA)

hrtp://www. afionline.ore h tip://www. ma. fr/


mu HIOHI

Écoles, Universités - Paramount Piciures


hltp://www, paramounl.com/
- Institut National de l'image et du Son
- 20thCentury Fox
h t f P.7Zwww. mis, ac. ni/
- Act formation
h itp://www. fox. c<? mj
- Warner Bros Studios
hit p://www. pr r^i wu nadoo fr/aa, for malien
- Berkeley film siudies
h ttp://www, warnerbros corn/
- Hollywood on line

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614
Les agrandissements de phutogrammes et les photographies de plateaux proviennent de sources très diverses.
Dans la liste qui suit, les chiffres en gras donnent la référence des figures. Nous avons utilisé les abréviations
suivantes : WCFTR (Wisconsin Center for Film and Theater Research) et MOMA (Muséum of Modern Art). Toutes
les illustrations non mentionnées ici appartiennent à la collection des auteurs.

1.9 copyright 1954, Columbia; 1.10, 1.20 copyright Universal 1974, Paramount; 7.26-7.27 Ernic Gehr; 7.29 copyright
and Amblin; 1.11 copyright 1989, Paramount; 1.14, I .16 1932. Paramount; 7.30 copyright 1972, Paramount: 7.33
WCFTR; 1.17MOMA; 1.24copyright l988.Geffcn. copyright 194], RKO; 7.35copyright 1981, Filmways; 7.42
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1943. RKO; 2.25 copyright 1956, Warner Bros. ; 2.27 copy­ ght 1988, Twentieth Century Fox; 7.67-7.69, copyright
right 1942, RKO; 2.29 copyright 1932, Universal. 1962, Columbia; 7.70, 7.71 copyright 1986. Twentieth
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3.1-3.1! copyright 1939, MGM.
7.83 copyright 1938. Warner Bros.;?. 101 copyright 1941,
4.2-4.4 copyright 1959, MGM ; 4.6copyright 1941, RKO. RKO; 7.102,copyright 1959, MGM; 7.110copyright 1949.
5.43 MOMA; 5.47-5.60 Bruce Conncr. Warner Bros.: 7.125-7.126copyright 1980, Warner Bros.;
7.127 Penncbaker, Inc.; 7.130-7.132 WCFTR; 7.148
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MOMA; 7.183-7.185 Michael Show; 7.195-7.206 copyri­
Uni versai; 6.32 copyright 1931, RKO; 6.35 copyright 1932,
ght 1958, Universal.
Paramount: 6.36 copyright 1962, United ArtisU; 6.40
copyright 1938. Warner Bros.; 6.41-6.42 copyright 1985. 8.1-8.3 copyright 1940, Warner Bros.; 8.5-8.8,8.29-8.39 copy­
Universal; 6.54 copyright 1977, United Artists; 6.55 copy­ right 1963, Universal: 8.11-8.16Toho; 8.17-8.19 copyright
right 1950, Universal; 6.62 copyright 1986, Twentieth Cen­ 1986, Twentieth Century Fox; 8.27-8.28 copyright 1958,
tury Fox; 6.65 copyright 1939. Twentieth Century-Fox; Universal; 8.49-8.69 copyright 1940, Warner Bros.; 8.70,
6.73 Norman McLaren; 6.74 copyright 1936. Warner 8.71 copyright 1989, Universal: 8.72-8.75 copyright 1938,
Bros.; 6.81 copyright 1932, Warner Bros.; 6.88-6.89 copy­ Warner Bros.; 8.80-8.85 copyright 1986, Island Pictunes;
right 1952, MGM. 8.86-8.87 copyright 1938, Warner Bros.: 8.88-8.89, 8.91 -
7.5, 7.115-7.116 Palladium Films; 6. Il copyright 1941, 8.94 copyright 1954, Patron, inc.; 8.99-8.102 New Vorkcr
Samuel Gokhvyn. 7.20-7.21 Toho; 7.22-7.23 copyright Films; 8.114-8. 116 Penncbaker Films.
(1LDIH ULOLOUHJQyn.

9.1 -9.4 New Yorker Films: 9.6-9.8copyright 1990. Rjramouni ; 11.76 Zipporah Films; 11.85-11.90 Copyright 1980. United
9.9-9.13 copyright 1939, United Anists; 9.15-9.25 New Artists.
Yorker Films. 12.1 George Eastman House; 12.26 MOMA; 12.27-12.28
10.1-104 copyright 1990, Orion; 10.5-10.32 copyright 1941, WCFTR; 12.29 copyright 1932, Universal; 12.30 copyright
RKO; 10.59-10.67 Bruce Conner. 1941, Samuel Goldwyn; 12.36copyright 1987. Cirde.

11.6-11.18 copyright 1959. MGM; 11.19-11.28 copyright


1989. Universal; 11.43-11.61 New Yorker Films: 11.62

616
A Broughion 74 Curtû 238. 380
Brown 83
Abraham 229
Akerman 242,283
Browning 85 D
Burtuel 136.214,561.562
Aldrich 287 Dali 561
Burch 116,252.255. 287
Allen 44. 60, 129,222.228.410. 486. 579 Dash 582
Bunon5l.80.217, 322. 579
Altman 140, 208. 482.578. 579 Dassin 137.513
Byrne 76
Anders 580 Davcs 83
Angef 75,404
Antonioni 131, MO, 236. 304,573, 579
c Davics 125
Davis 222, 226
Araki 582 Cagncv225 De Mille 218. 550, 557
Arnheim 296. 379. 428 Gamcron 73, 77, 226, 331.368. 579 De Palma 43. 86. 271.287. 578. 579. 581
Arrabal 260 Gapra 365 De Santis 571
Carax239 De Sica 236, 571,572.573
Artaud 561
Carpcnter 368. 578, 579 Delerue 396
Astaire 386, 399. 569
Carrey 227
Dtlluc 557. 558
Cavalcanli 514
B Chabrol 372, 574. 575. 576. 577
Demme 54
Deren 46. 74. 373, 560
Bacon 340 Chan 227
Baillie 73 Dickaon 277. 278. 544
Chaplin 79. 296. 391.552.557
Diclrich 220
Baldwin 68 Choy47
Bazin 57.252.253.255.314. 316. 318. 326. Disney 238.399
Chytilova 260
Dmyirick 136
379, 428 Cimino 528
Dovjenko 565. 566
Bergman 259, 579 Cissè215. 334
Berkeley 340. 366, 368 Dreyer67. 141,213.254,317, 318
Clair 129.295. 340, 368. 402, 428
Bemhardl 402 Dulac 557, 558, 561
Coen 396,581,582
Bcrtolucci52.231.279.302 D^n 273
Canner 46. 74. 75, 161. 193, 342. 345, 396,
Blank 16). 162. 163 404
Blasetii 571 Coolidre 580 E
Block68 Coppcla 33.60.67,87,223.262. 263, 268. Edison 278, 544 . 545.547. 548
Bogdanovkh 579 275.428. 578.581 Eggeling 554
Brakhage 46. 48. 71, 74. 181.254,261.366 Coutard 493 Eiscnstein 97, 116, 127, 139. MO. 141,212,
Brando 68. 209,226. 331 Croncnberg 54.217, 580 217. 221. 252-254. 278. 326. 345. 368.
Breer71,74. 75,366 Crosland 567 370, 373-377. 384. 388. 401. 516. 517.
Brcsson 213.218. 229. 238. 241. 279, 391. Cruise 226 563 566
400. 416. 417, 427, 433. 574 Cukor 207 Epstein 324, 368, 557, 558, 559
Brooks 87. 408 Curtis 365 Ericc 223
im> H. 1W

F 338-341. 368. 402, 441, 474-181. 553, Léger 74. t82, 189
560. 574, 576. 579 Leone 42,83
Fairbanks 551.552, 557. 563
Hoffman 226 Leroy 142. 568. 570
Fellini 43, 58. 129, 216. 224.234. 573
Holm 226 Lester 307
Ferreri 267
Hopper 578 Levinson 36.226
Feuilhdc 213
Howard 68, 356.412 Lewton 86
Fields 216
Hu279 Linklalcr 44
Fishinger 181
Hudlin 580 Lorentz 137, 174,503
Fitzhamon 549
Huillei 141.229.276.322 Loscv 412
Flcming93. 94
Hukc 229 Lubilsch 229, 380. 553
Fong 267
Huntcr413 Lucas 73, 216. 384. 579. 581
Ford 49. 50. 76, 83. 84. 99. 208, 214. 233.
Huston 218.293. 350, 363 Lumet 127, 129
324. 388, 405
Lumière 48, 209. 211, 277, 278, 544 . 545.
Forman 77. 229 I 546, 576
Forsyth 396
Incc 549.557 Lye 260
Frampton 97,218
Lynch 42. 60. 580
Franju 3S7
Lyne 368
Freund 86. 555 1
Friedkin 85 Jacobs 74, 264
Friedrich 73 jannings 555 M
Fuller 271. 301,323,324. 574 Mackendrick 243
Jancsd 317, 318
janowiii 554 Makavejcv 261
Maldoror 237
G jarman 75. 404
Malick 496
Galeta 74 Jarmush 47. 580
Mamoulian 254, 263. 322. 368. 388. 568.
Gance 221. 278. 286. 324. 340. 368. 557. Jcnnings65
569
558. 559. 560 Joncs 238
Mankiewicz 226
Garland 30. 78, 246
K Mann 84. 129
Gehr46. 269
Mari 260
Gctino 317 Kaige 235
Marker 384, 400
Gish2l5 Kalatozov 265
Martin 227
Glass 192 Kaufman 512
Marx 216. 270
Godard 37, 97. 141, 213, 230, 239, 259. Kazan 209,226
Mayer 27. 554
282. 323. 369-371. 409. 414 , 488-496. Keaton 228. 246. 249. 296. 433. 548. 551, Mayslcs 503
574-577 552 McCarcy207
Gomcz 301 Kcllcr 74
McLaine 290
Grant 30 Kidd 49
McLaren 71.72.181.237
Greenawav 161, 234 Killifer 365
McTieman 263, 392. 400
Griffith 94, 212. 215. 288. 307, 340, 342. Koppei 45.47
Melbourne-Coopcr 72
361.547. 549. 551.552.563 Koulcchov 341,342. 368. 509, 563. 564
Méliès 209,210.272.546
Güncy234. 238 K ramer 47 Melville 281.283,326
Kubelka 366
Menzcl 233
H Kubrick 79.137.302. 364
Menzics 68, 570
Hark234 Kurosawa 225,268, 282, 323,333, 394 Milestone 340
Ha ri in 580 Miller 137,325,361
Harris 44. 47. 580 L Minnclli 77. 121. 244. 517-524.574,575
Hari 82. 209.550,551,557 L'Herbier 557. 559, 560 Mix82
Hartlev582 La Casa 110 Mizoguchi 135. 243. 253. 306, 317-319,
Hathaway 76, 569 Lane 44 324
Hawks 58. 132, 324. 356, 365. 468. 469. Lang 214. 293. 323. 362,555.556 Mohr 49
470.471.472.473.574,579 Lattuada 571 Montgomery 325
Head49 Leacock 503 Moore 52,65.88
Hcckcrling 580 Lean 59. 408. 578 Morris 69, 343
Hepworth 546. 549 Lee (Brandon) 40 Mosjoukine 220, 368. 562
Herrmann 388 Lee (Bruce) 227 Mouris 71
Hitchcock30, 49, 59,60,77, 134, 135.216. Lee (Spikc) 44. 60. 68, 345. 358. 481, 482. Mure h 407
295. 305, 318. 324, 325, 329, 332, 336. 483,484,485,486,487, 488, 580 Murnau 85, 324. 555

618
UHI »I< IKI

Murphy 74,112.181,182, 189 Riefensrahl 164. 171,449, 503 Tarkovski 260


Mutray 78 Rimmer233 Tati 58, 129. 213. 242. 296, 324 . 369. 391.
Rivcitc 139.574.577 400. 402, 574
N Rocha 269 Taviani 216
Niblo 551 Rodriguez 43. 52 Tcherkassov 229
Nichols 267 Roeg 265 Toland 34,49. 59.570
Noyée 300 Rogers 386. 399. 569 Tourneur 78,85
Rohmcr 574,577 Townsend 44
O Romero 86 Trauberg267
Rooney 246 Truffaut 43. 124. 134. 140. 224. 298. 323,
Olivier 217, 406
Rossellini 211. 216. 326. 513, 571,573, 575 372,574,576,577
OLmi 573
Rouch 45
Ophuls308, 574
Oltinger 215
Russe! 2)6
V
Ruitmann 514
Chu 140. 141.233.241,306,316,367-369, van der Beek 75
496-503 Varda 270
S
Vcidt 230, 555
P Sadoul 556
Verhocvcn 226, 580
Sarandon 226
Paku!a212 Vertov 65.340. 511-517, 563 566
Sayies47, 60
Parle 71 Vider 79, 482
Sche pisi 580
Parker 77.78 Vigo 562
Schrader 60, 87. 579
Pcckinpah 84 Visconii 243. 571.573,579
Schwarzenegger 78
Peebles 580 Volkov 368
Scorscse 60. 106, 227. 281. 525-531. 578.
Pcnn 83, 84,221.496 Vorkapich 365
Pennebaker 301, 503 579,58)
Scott (Ridley) 77, 223,226, 324
Pereira dos Santos 261
Scotl (Tony) 368
W
Perestiani 564
Sebcrg 230 Wajda 60.223. 239
Perkins 386
Serra 182 Waish 225, 294.380
Pcrry 46
Shahani261 Wang 580.581
Pcterson 580
Pkkford 552. 563 Sidney 286 Warhol 74, 141.317. 327
Plympton 161 Singleton 80. 580 Warm 49,554
Polanski 86 Sîrk 55. 224 Wayne 78,84.389, 579
Pollaek 344,365 Sjosirom 211 Wcir 30. 580
Pommer 554, 555 Skladanowsky 544 Well« 34. 59.219, 253. 286. 289. 292. 317.
Porter 548, 549 Smith 546, 549 326. 335,403.414.441
Poudovkine 234,563-566 Snow 46. 269. 306, 308. 314. 327 Wcllman 220.279
Powcll 579 Sol a nas 317 Wenders 335,336. 406. 413
Preminger 55. 128. 284,305,574 Sphceris 80. 580 Wcrker 570
Prouzanov 564 Spielberg 60.68. 85. 86. 129.271.339,579.
Whak 85. 568
Proyas 368 580. 581
While 557
Stalling 390
Whilney72, 73
R Starevich 71
Wicne 85
Sternberg 213,220
Rainer 74 Wildcr 188
Stevens 399. 569
Ray 219. 323, 334. 488. 561, 573-575 Williamson 546. 549
Stewart 229. 389
Reed 289 Wtsc 578
Stonc44.60.69
Reggio 190.514 Wiseman 45.67.503-511
Straub 141.229,276, 322.391
Reiner 227, 342 Wyler 222, 253, 326. 359.482,570
Streisand 77
Reiniger 71
Stroheim 212, 215. 298
Reisz 299
Svankmajcr 226
Renoir 58. 101. 112, 208, 253, 293, 306,
Syberbcrg 126, 273. 286 Yuen 342
308.314.317,326,571,574,575
Rcsnais 135, 136. 302, 324,335.415
Richardson 577 T Z

Richter 554 Taraniino 36. 44, 126, 582 Zcmcckis69, 73. 129. 579-581

619
A caméra 19, 21. 22. 57. 316. 503. 512. 513. contraste 53,54, 258,259.262
543. 544. 559. 567 contre-plongée 289, 291, 295, 444
abstrait {Voir: Forme abstraite) 159, 160.
caméra portée 301.493, 575 convention 98-100. 115, 228. 246. 4(M.
161.182.206.432
catégoriel (Voir. Forme catégorielle) 159- 406, 409. 433, 471. 474. 488. 496, 571.
accéléré 262.263. 264.316
161. 163.206.432 581
accessoire 214,215, 216
causalité 118. 119. 120, 122-124. 130. 138. costume 36. 208. 215, 216, 232, 240, 247,
ambiguité 153. 373. 386. 404 . 408. 4 1 5.
139, 141, 143. 145, 156. 228. 248, 315. 251,520
485.492.511,529. 531,573
350. 362. 369. 469-471. 519. 549. 550, couleur 22.54.181.213-216.2)9,224.233,
anamorphose (Voir: Format large) 282. 551.561,576 234 . 23 7 . 2 3 8 , 254 . 260-2 62 . 3 1 5. 322.
283
champ 128. 287. 297. 303. 305. 306. 404 332, 336. 518,520. 569
angle 296
champ informatif 156 critère 106, 107. 115
angle de cadrage 288-296, 444
champ contrechamp 335. 351-358. 369, critère d'évaluation 208
animation 64 , 69-73. 118. 218 , 226, 238,
436.441.448.486.494,502, 508.551
276,301,390.399
chevauchement de l'action 345
associatif 159, 160. 161,206, 432 D
chevauchement sonore 392, 394, 442, 509,
attente 94-98, 115, 118, 130, 131. 141.146. début 113. 128. 141.440. 527
568
232, 245. 306. 307. 315. 321, 362. 363. décor 208, 211-215, 232. 240, 246, 247,
cinéma direct 66. 301, 503, 504, 508, 510,
372. 386, 401, 405, 409. 413, 419. 421. 251, 276. 439. 443, 444, 449, 482. 500.
511
432.433,456.499 546. 547. 554.555, 572
cinéma expérimental 52, 64 , 73-75. 118,
auteur 58.59,574 développement 101. 1)2-115, 128-130,
269, 390. 554. 556. 560
axe 349,351.361 cinéma indépendant 43. 44. 47, 52, 179, 152. 163. 164. 175. 232, 249. 315. 448.
axe de jeu 347-361,369,378.436.499. 500. 452,474.519. 527
578, 580
502.508 classicisme hoüwoodien 139-142, 222, développement narratif 151

350, 374, 394. 433. 442, 468. 496. 547- diégèse 121
c 552,563,570 différence 111, 112.232

cache 37. 274, 275. 286, 287, 300. 322,558 clip 340 directeur de la photographie 34. 493
cadrage 257. 277, 278. 288-296. 450. 453. clôture 471, 492.573 distance focale 265-269, 449
457. 493, 507 cohérence 114, 115.232 distribution 33. 50, 52
cadre incliné 289, 456, 513 collectif 4 5-4 7 division du travail 27.45,46, 49
. J1HI MUIIIIIS

documentaire 45. 64-69. 118. 137. 139. fondu 329, 344 intensité sonore 387. 389, 420
162. 179. 208. 220. 301. 341. 404. 503. fondu au noir 328. 364. 468 interprétation 103. 104. 384. 504. 511
512.513.517. 563-565, 575 fondu d’ouverture 328. 468 iris 286. 302.558
doublage 40. 411,428,429, 572 fondu enchaîné 328, 340. 364, 462, 468.
durée 561
— dans le moniale 339 . 340 . 343, 344, format du film 23. 25. 286. 287
Ku 208, 225-232, 240. 248. 251, 528. 549.
363.364.372.377 format de l'image 51. 278, 279. 285. 286.
554
297, 323
— dans le récit 125. 126. 145. 148. 149. jump cul 369, 370, 371. 373,375.494. 495.
formai de film 286 576
152,411.447,472
formai large 55.279, 281-284. 559
— du plan 316-321 forme abstraite 180. 181, 203. 237. 245.
269, 366. 390, 456-459. 502. 556
L
low key 223
E forme associative 189-193, 202, 203. 366.
459-463,505-507.512-514 lumière d'appoint 221,222,240
éclairage < Voir aussi : Lumière d’appoint ; lumière principale 221,222, 240
forme catégorielle 161-164. 166. 168, 169,
Lumière principale) 208. 217-225, 232,
170, 172.202, 449-452,505.506
240. 247. 248. 251. 258. 259, 367. 439.
521,522,550. 570. 575 forme narrative (Voir «iumi : Durée; M
Histoire: Narration; Objectif des maquette 36.272.275.300
éclairage trois points 222.247
personnages; Récil) 93. 117, 118. 165. maquillage 217. 457. 554
effet Koulechov 342. 358. 359, 509, 510,
168, 169, 293. 308. 378. 426. 438. 468, mise en scène (Voir aussi: Accessoires;
562
505, 515. 546, 548. 566, 570. 572,576 Costumes; Comportement des figures;
effets spéciaux 36, 40. 271, 272, 275, 300,
322, 323. 439. 461, 512, 513. 525. 546. forme non narrative (Voir aussi : Forme Décor el mise en scène ; Éclairage ;
abstraite; Forme associative ; Forme Fronlalilé ; Jeu ; Profondeur du champ ;
581
catégorielle ; Forme rhétorique) 159. Rvihmc)65.206-25$. 276.310.313.319.
ellipse ( Voir Montage elliptique) 364.378
378 321. 332. 346. 432, 449, 457, 460, 519.
émotion 99. 100. 101. 115, 131. 437, 456,
forme rhétorique 66, 172, 174, 202. 453- 5 20.521, 546 , 554 . 5 7 5
460
456 mobilité du cadre 301, 302
équilibre de la composition du cadre 235,
fréquence 127, 372 mode de production 27-29. 552
236, 240
— dans le montage 343, 345, 363. 377 mode de production des studios 42,47, 49,
espace 119, 120
espace dans l’image de cinéma 233 — dans le récit 125, 145. 148. 152,411 67,578
espace et narration 118, 122, 127. 138 fréquence critique de scintillement 18 momage (Voir aussi : Chevauchement de
étendue du champ informatif 131-135, fronlalilé 244 l'action ; Durée et montage ; Fréquence ;
143. 153-155, 248, 295, 309. 344, 4Û6, Jump eut: Montage par continuité;
419. 442, 443. 476-481.487. 519 c Montage par discontinuité : Montage
elliptique ; Ordre ; Raccord ; Relations
évaluation 106 genre 75-88. 142, 216. 228. 246. 406. 525.
exploitation 50-53 spatiales; Relations temporelles; Rela­
560. 568,578, 581
exposition 258, 261,272, 543 tions visuelles; Rythme) 206. 230, 317,
grand angle 264.265.269
exlradiégétique 327-381. 399. 432. 445. 449. 453. 463.
494. 499, 508. 510, 512, 516. 558, 559.
élément — 121. 122
H 563. 564.565, 566
insen—370.371.485
hauteur sonore 387-389 montage alterné 342, 36). 362. 378. 440.
son — 498 high key 222-224 549
histoire 118-128, 131. 141. 146, 156, 206. montage elliptique 344.345, 364.472. 494,
245.343. 344.363.411 495,497. 528
hors continuité 36. 39, 341 montage intellectuel 565
faux raccord 359.463
fiction 64-69 hors-champ ( Voir aussi : Son hors-champ) montage parallèle 342, 375. 378, 514, 566
128. 287. 288. 296. 297. 303. 305. 306,
fidélité 401,402 montage par continuité (Voir aussi: Axe
filtre 261,262 405 de jeu; Plan de situation; Raccord
fin 113, 118. 128, 141,440.527, 576 regard; Raccord dans le mouvement ;
flashback 125-129. 135. 136. 140. 144. 146, I Directions: Champ contrechamp) 33,
153, 154 . 343. 363. 371. 406. 411. 412, idéologie 105.171,468, 517. 520,522. 524, 33), 34). 346, 378, 463. 472. 486. 496,
440.441,526. 527.558 526, 530 $08.509,550.563. 568. 580
flashforward 125. 127. 141.343. 3 4 4,4 14 illusion du mouvement 56 montage par discontinuité 366-378. 433.
focale normale 266 image de synthèse 36,72, 252. 276 435, 437. 458. 486. 494. 499, 516. 562.
fonction 94. 108-110. 114, 115, 291, 292, indice de profondeur 236 56$. 576
533 individuel 45. 46 motif 110. !ll. 112, 115. 180. 224. 245.

622
irni MJ UB1JH

2M9, 251, 252. 294. 397. 421, 422, 453, personnage 122, 123. 137. 138. 143. 483. entre les plans 377
475. 488, 495. 508. 511. 513. 521.569 566 montage 331.340, 368, 378
motivation 109, 110. 114. 123, 140. 141. perspective 265. 269
son 403
149, 150, 151. 156, 549.551,572 perspective el photographie 264
relation spatiale entre les plans 377
mouvement 554, 580 perspective linéaire 239
relation temporelle entre les plans 331.
mouvement apparcni 19.459 perspective sonore 135.395. 407
343, 344.345. 376,378.463. 548
mouvement de cadre 297-321 plan de situation 341. 351. 352. 355, 359.
relation visuelle entre les plans 331, 332.
mouvement de caméra (Voir aussi : Mou­ 377, 497, 509
333, 334. 335. 336. 338. 346. 366. 367.
vement de grue : Panoramique : plan long 316.317,318,319.320,321.322.
375,463
Recadragc ; Travelling) 313, 325, 559, 326, 441
répétition 110. 175.249. 308,345
567.568.575 plan séquence 317. 318
ressemblance 110. 232
mouvement de grue 298, 299, 302. 305, plan subjectif 135. 136, 293, 294, 300. 307,
rhétorique ( Voir : Forme rhétorique) 159.
440,443,482.487 324, 360. 408. 476. 477. 479. 481. 529.
160, 161.176,206.432
multi-images 286 559
rythme 398, 462
mullipiste (Voir aussi : Son stéréophoni­ plongée (Voir aussi: Angle de cadrage) mise en scène 241
que) 384,394.407 289. 292. 295
musique 41. 365. 384. 389. 390. 391. 395, montage 331, 338-340. 346, 451. 450,
pont sonore 412. 413,482
396. 397. 400. 402. 409. 421, 422, 428, postproduction 37 454,459.472.528,559
4 39, 446, 448, 452, 454 . 455, 462. 487. préproduel ion 29. 32 prise de v-ues 306
498.501,520 prise 36 son 399,400,401,462
prise de vues 206, 257, 432. 449, 453. 460,
N 508,512,513.559
S
narrateur 127. 136,137. 153-156, 175,176. producteur 29. 36. 37. 42,43. 59. 548. 563.
scénariste 30,49, 59
178, 400, 403, 409, 412, 413, 417. 503 564
profondeur script 33
narratif (Voir : Forme narrative) 206, 432
segmentation 113, 143, 144, 175, 183, 194.
narration 131-138. 141, 153,155, 156.404, indice de — 236-241
434,469, 482, 504,526,533
405,406,417.481, 496. 499, 529 mise en scène 239, 243. 248. 250. 253.
netteté 270 sens
270,442.445 — explicite 102,103. 104. 171,452,510.
non-narratif (Voir: Forme non narrative)
profondeur de champ 270. 271. 276, 441. 511.515.523
206, 432
445,514,570
nouvel Hollywood 368 — implicite 103. 104,171.371,422,452.
profondeur du champ informatif 131. 134.
510,511,515.516.523
135. 136. 138.293.442.479,558
O projecteur 18. 21,22. 56.57, 543. 544 — référentiel 102, 171. 452, 510, 511.
objectif des personnages 129. 139. 141. projection frontale 273, 275,276 523
143. 145, 469. 470. 483, 484. 485, 489, propriétés acoustiques 387. 388, 389 — symptomatique 105, 106. 171, 452.
492, 576
ombre portée 218.238,239,240 511.516, 523. 524
R séquence de montage 148 . 294 . 340, 364.
ombre propre 218
ordre 126 raccord ( Voir aussi : Montage) 329. 330 365.374.448, 456,560
raccord dans le mouvement 353. 354, 364, signification 115
— dans le montage 343, 363, 376. 377
369. 373. 378.472.495. 500. 518. 550
— dans le récit 125. 145. 152.411.447 son ( Voir aussi: Hauteur sonore : Intensité
raccord regard 351,352,353. 354.356, 358. sonore ; Mdtipiste ; Propriétés
orientation, direction de mouvement de 463,487.494.550, 558 acoustiques ; Son diégétique : Son
regard 348, 463, 495, 499, 508 raccord visuel 333, 367, 375.437,458,463, exiradiégélique; Son hors-champ; Son
ouverture 518 502 simultané; Son stéréophonique; Son
ralenti 262,263. 264.316. 529 synchrone; Temporalité de son; Tim­
P réalisateur 32. 58. 59. 433, 542, 571, 574. bré) 25. 35, 40, 41, 51. 206. 232. 364.
panoramique 299, 304, 306. 314, 440, 457. 578 383-429, 432, 444, 449, 462. 473. 487.
575 réalisme 106. 208. 209, 212. 225. 226, 227. 495, 508.510. 567
panoramique filé 448 252, 275,276,392,428.571 son diégétique 364, 403, 404. 406, 409.410,
panoramique horiïontal 297, 310. 313 recadrage 304 111,412.495, 498
panoramique vertical 297, 298 récit 118-124. 126-129, 132. 133. 137. 139. son exiradiégélique 403, 404. 405. 409.
parallèle 111. 112. 115. 119. 151. 156. 309, 141, 143. 146-149. 153. 156. 206. 245, 410.412.414,421
313.362,436,445.454, 548 246 . 315 . 343 . 344 , 363. 4M. 469. 472. son hors-champ 404, 405, 406. 420, 421.
pellicule 22, 56, 258, 259, 260, 543. 544, 476. 569, 581 509
569, 570 relations spatiales 341.463 son simultané 411.412

623
IHU »I< IOIIOO

son stéréophonique ( Voir auai : Muliipis- 457. 549 travelling 298. 299, 302, 305. 309-313. 440,
tc) 26.51 téléobjectif 264, 266.269. 559 441,482, 487,493. 529,572,575
son synchrone 410 temporalité du son 410, 411
Sleadicam 300. 325, 528 temps 119, 120. 145 V
storyboard 32 temps et narration 118. 122, 125, 138. 241. variation 111. 112, 175. 249.308
style 43), 432,434,435, 436. 437,438 447 vidéo 53-55. 60. 284, 285. 297. 329. 486
subjectivité 134-136, 406, 411. 441. 476. thème et variation 180. 182, 183, 250,251, volet 329,344, 364, 468
558 311 vues directes 64
surimpression 272,275, 322. 558. 561 timbre 388. 389,420
tireuse 20-22. 302,316 Z
T tonalité 258-261 zoom 124. 268. 302. 305. 315, 317. 325.
taille de plans 290.291, 293. 294. 296. 346. transparence 36. 272,273. 276,322,323 435.461, 462. 508. 529

624
2001, l'Odyssée de l'espace 79. 275. 295. Allemagne, année zéro 211, 571, 572 Attaque du Grand Rapide (L1) 548
364 Alouettes sur le fil (Les) 233 Aurore (L'J 253
23rd psalm branch 46 Amadeus 229 Autant en emporte le vent 94, 207
25 ways to quit smoking 161 Amants de la nuit (Les) 488 Aventure du Poséidon (L') 80
400 coups (Les) 124. 131.574-576 American graffiti 392. 405. 482, 578 Aventures de Sherlock Holmes (Les) 570
42ème me 77. 242. 340. 367. 568 Aniericano (The) 551 Aventures du Prince Ahmed (Les) 71
Ami américain (L’1 413 Aventuriers de l'Arche perdue (Les) 129,
A Amour en l'an 2000 (L’J 79 339
Amour fou (L ) 139 Awenlura (L'J 140.244.283
À bout de souffle 97. 230, 369. 371, 489-
Année dernière à Marienbad (L ) 136. 141.
496. 536. 537,574-576
A la poursuite d’Octobre rouge 23, 41.392.
305. 343.373 B
Annie Hall 228
394, 399 Back and Forth 308
Anthony Adverse 142. 570
À l’Ouest, rien de nouveau 340 Balade sauvage (La) 496
Anticipation of lhe nighl 366
A nous la liberté 340 Ballet mécanique 74, 161. 182. 183. 186.
Aparajito2l9
Abysse 73. 324 225. 366.456-459
Apocalypse now 39, 331,408, 409
Accident 412 Bambi 238
Apollo 13 68
Aci of seeing with one’s own eyes (The) 46 Bande à part 414. 575
Applause 568
Adieu ma jolie 136 Arènes sanglantes 322 Barberousse 268, 282
Age d’or (L ) 561 Barravento 269
Argent (L ) 213, 216.238. 559. 560
Agnus Dei 305, 318 Arizona junior 396. 581 Barry Lindon 302
Ailes 220 Arme fatale (L‘) 80 Barton Fink 582
Ailes du désir (Les) 406 Armée des ombres (L’) 283 Bas-fonds new-yorkais (Les) 271
Aimez-moice soir 263. 340. 368. 388 Arrivée d'un train en gare de La Ciotat (L’) Batman 80, 579
Akira 76 277.545 Baille ai tlderbush Gukh (The) 361
Alexandre Nevski 401 Arroseur arrosé {L’) 211. 545. 576 Beckv Sharp 322,569
Alien 77,85. 294 Assaut 368,579 Bectlejuicc 51, 87. 579
Alicns 77, 81,232, 234. 279.285. 334 Assurance sur la mon 488 Bcgone Dull Care 237
Ail of me 227 Atomic café (The) 66 Belle de jour 136. 562
imJLHLLUHl

Belle et h Béic (U) 76. 122 Chinoise (La) 37.219,237. 238. 370 Dieux du stade (Les) 164-171. 180. 328.
Belle Nivemaisc (La) 324. 558 Chorcography for caméra 46, 74, 373 449-452. 503
Berlin, symphonie d'une grande ville 514 Chronica! ofhopc 47 Dimensions de dialogue 226
Better tomorrow 111 (A) 234 Chronique d’Anna Magdalena Bach 229, Diner 36
Bill and Tcd excellent adventure 80 238-239.276. 289. 322 Distant voices. still lives 125
Billy theKidVs. Dracula 77 Chronique d’un amour 304, 573 Dixième symphonie (La) 558
Black rain 324 Chute de la maison Usher (La) 368 Do the right thing 44. 153, 345. 363. 48) -
Blade Runncr 77.223. 274, 275 Cinquième colonne (La) 295 488, 533, 581
Blinkety blank 7) Cité sans voiles (La) 137,513 Docteur Jivago (Le) 59, 578
Blow oui 43,271 Citizen Kane 34. 59. 124-126. 129. 133, Dogstar man 46, 74
Blow-up 579 141-156, 214, 220. 253, 271. 308. 318. Don Juan 567
Blue Velvet 580 328. 335, 389. 438-441, 443. 445-448. Don’t look back 503
Bon, La brute et le truand (Le) 83, 94 570, 581 Dossier Adams (Le) 69. 208. 343
Bonjour 367,437 Civilization 549 Douze hommes en colère 127
Bonnes femmes (Les) 576 Clcrks 44 Down by law 580
Bon nie and Clyde 496 Coeur fidèle 324, 368. 558. 559 Dracula 85.87. 263.58)
Boy meeugirl 239. 270 Colère des dieux (La) 260
Boyz N the hood 80. 580 Comédiens (Les) (Symphonie diagonale, E
Brasier ardent 220 tilre original, ou Diagonal svmpbony) E.T.85
Bugsy Malone 78 36 Easy Rider 578
Border ofdreams 161 Comme un loneni 575 Eat 74.97.327
Business of America (The) 47 Controlling interests 47 Eclipse (L') 131
Bye bye Birdie 286 Conversation secrète 268. 415. 416 Ecrit sur du vent 224
Coquille et le dergyman (La) 561 Ed Wood 322
C Corde (La) 318 Edward aux mains d’argent 217
Cabinet du docteur Caligari (Le) 85. 141. Cosmic ray 366 Eiga-zuke 74
Cousins (Les) 574 El mariachi 43. 52
209. 213-215, 217. 229. 230, 245. 554.
555 Créature comforu 71 Eldorado 559
Cri (Le) 236 Élégie d’Osaka ( L') 243. 244.253
Cadavres ne portent pas de costard (Les)
Crime de M. Lange (Le) 101,214,258,270. Emak Bakia561
342
Calvaire des divorcés 551 305, 575, 576 Empire 327
Carabiniers (Les) 259,575 Crow {The) 40.60. 368 Empire contre-attaque (L‘) 122,275. 578
Cuirassé Polemkine (Le) 139, 216. 261. Enchaînes (Les) 30, 474
Carrie 86
328,373, 564 End (The)289
Casanova 216,234. 238
Cendres et diamant 239 Enfer est à lui (L’) 225, 380
Cendrillon 546 D Ennemi public (L*) 279, 568
Cenere 260 Dame du lac (La) 325 Ensorcelés 244
Cet obscur objet du désir 136 Dames 367, 368 Enthousiasme $66
Chaînes conjugales 226 Damned if you don’t 73 Entr acle 295
Chair (The) 503 Danger immédiat 300 Entretien avec un vampire 86
Chairy laie (A) 72 Daughters of chaos 74 Eraserhead 580
Chambre verte (La) 224 Daughters of the dust 582 Etrange Noël de monsieur Jack (L') 72

Chan is missing 580 Dead again 80 Exodus 128


Chant du Missouri (Le) 77, 81, 106, 207, Dead zone (The) 54, 580 Exorciste (U) 85-87,392,578
260. 322.517-524.533.534.537 Début d'été 306. 369 Express bleu ( L') 267
Chant du printemps (Le) 142 Démon des armes (Le) 488
Chanteur de jazz (Le) 567 Denis de la mer (Les) 123, 124. 130, 271, F
Chantons sous h pluie 43. 76. 307. 333, 305, 365. 386. 578, 580 Fahrenheit 451 380,577
380.410 Dernier des hommes (Le) 324 Falls (The) 161
Charge de la brigade légère (La) 238 Dernier des Mohicans (Le) 83 Famé 77
Charge héroïque (La) 208, 400 Dernier empereur (Le) 52 Fantastiques années vingt (Les) 294, 365,
Chariot débute 79 Dernier tango à Paris (Le) 279, 302 380
Charme discret de la bourgeoisie (Le) 562 Dernière femme (La) 267 Fantômes du malin 554
Chercheuses d'or 81. 367. 568 Déserteur (Le) 566 Fast limes al Ridgcmont hig 580
Chevauchée fantastique (La) 99. 123, 350. Deux ou trois choses que je sais d’elle 409 Faucon maltais 293, 294, 329, 350, 351,
405 Diablotins rouges (Les) 564 353. 357. 359, 364, 435. 438. 488

626
ion ki iiiui

Faust 555 Hard day's night (A) 307 JF partagerait appartement 80


Féline (La) 85-87 Harlan County. U.S.A. 45.67 JFK69
Femme infidèle (La) 372 Haute pègre 229, 380 Johnny Guitar 575
Fenêtre sur cour 359 Heart like a wheel 68 Jour de colère 67. 240.242.244
Fétiche mascotlc 71, 232 Help ! 307 Journal (Le) 412
Fille du bois maudit (La) 569 lier jungle love 274 Joyluck club (The) 58!. 582
Film aboui a woman who... 74, 137 Heure des brasiers ( L') 317 Judge Dredd 80
Fils de Frankenstcin ( Le) 556 High schocl 45,67, 503-51 J. 532, 535,537. Jules el Jim 137.372, 396.576
Fin d'automne 241. 367 538 Jurassic Park 23, 26. 37, 73, 86, 253, 392,
Finally got the news 47 Hiroshima mon amour 135,343 580
Fire ! 549 His girl Friday 139, 142,153,216,266,304. Just another girl on the 1RT 44, 47, 580
Fires were slarted 65 405.468-473, 532,535 justicier (Le) 82
Fist fight?4.366 Hitler, un film d'Allemagne 126
Fivc star final 142 Hollywood shuffle 44 K
F Lis h dan ce 368 Homme à la caméra (L‘) 65, 263, 511-517,
Kanal 223
Flèche brisée (La) 83 537
Kasba 261
Forfaiture 218. 550.551.557 Homme à la tète en caoutchouc (L’) 272
Kean 368
Forrcst Gump 69, 580, 581 Homme qui en savait trop (L‘) 123
K«pon rocking 301
Fraises sauvages (Les) 258 Homme qui tua Liberty Valante (L‘) 214,
King Kong 72
Frank film 71 389
Kino-Pravda 564
Frankenstcin 85. 568 Hommes du président (Les) 212
Klcptomaniac (The) 548
Frankenstcin junior 87 Hoon dreams 66, 119,120. 129. 137
Koyaanisqatsi 190-193,263.266, 514
Freak Orlando 215, 216 Horde sauvage (La) 84
Frissons 580 Hot shots 407
Fugiiif (Le) 275, 343 House party 580
L
Fuji 75 How to Kiss 161 Lanccloi du Lac 241,279,328
Fury293,37l Huit et demi 43, 129, 135, 136.215,414 Lapis 72. 73
Laura 305
G I Lauréat (Le) 267

Il était une fois en Amérique 42 l^wrence d'Arabie 408


Gai savoir (Le) 213
Gap-lootbèd women 161 légende de Fong Sai-Yuk (La) 342
Impossible monsieur Bébé (L‘) 356, 357,
Gariic i$ as good as ten mothers 161 380, 579 leiriin 218

Gas. food, lodging580 In the yearoflhe pig 67 lettre de Sibérie 384,385,386

Gaucher (Le) 84 Inconnu du Nord-Express (L‘) 216 Life (The) ofan American fireman 548

Geography of lhe body 74 Indiana Joncs 579 Ligne générale (La) 253, 373. 566
Glace à trois faces (U) 368 Like water for chocolaté 52
Indiscrétions 207, 380
Golden eightics (The) 283 Innocence sans protection 261 Liste de Schindler (La) 68
Gosthbuslcrs 279 Inondation (L'J 558 Lilllc Big Man 83
Goût du riz au thé ven (Le) 306 Insoumise (L') 222.223,287. 303, 359 Liitle stab* al hapiness 74
Grand alibi (Le) 474 Intendant Sansho(L') 135 Livingcnd (The) 582
Grand attentat (le) 129 Intérieurs 579 lx>cal hero 396
Grand Sam (Le) 76 Intolérance 212, 286, 340. 342, 549, 563, Lois de l'hospitalité 246-251,270,296,433,
Grand sommeil (Le) 132, 135. 140. 207 565 438,551.569
Grande illusion (La) 308-310, 313, 315, Invaders from Mars 68 Lola Montés 308
433,436 lialian (The) 549 Longday's journey into night 129
Grcat K & A train robbery (The) 79, 549 Ivan le Terrible 212, 215-217, 221. 225, Look who’s talking 580
Grève (La) 139, 228, 345, 370, 373, 564 229. 235. 253.289. 298. 367. 388 Love 216
Guerre des étoiles (La) 80, 225, 384 . 408, Iwo Jina 273 Lumières de la ville (Les) 391
578.581 Lune à un mètre (La) 210
Guerre csi finic ( La) 302, 371
1
J'accuse 324 M
H Je vous salue Marie 577 M le maudit 214, 362, 556
Hair77 Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, M. Smith au Sénat 365. 380
Hallowçen 578 1080 Bruxelles 242 Mad Max 11 137 140. 338,361
Hamlet 406 Idée (La) 400 Mad Max, au-del3 du D6mc du Tonnerre
Hard Core 579 Jeune el Innocent 305 34

627
I’»' »J> "J»1’

Madame Dubarry 553 5&0 Police spéciale 301,324


Made in USA 282 Non réconciliés 141,229 Poltergeisi 87
Magicien d’Oz (Le) 93, 96 100. 102. 103 Nosferaiu 85.253, 263. 555.561 Porte du Paradis (La) 39
1Û5. 108, 110-11< 119. 129. 139. 216, Nouvelle vague 577 Possédée (La) 4Û2
227. 322. 380. 389 Nuit américaine (La) 43 Powaqqatsi 514
Maîtres fous (Les) 45 Nuit de San Lorcnzo (La) 216 Pré de Béjine (Le) 22), 253
Makom X 68. 580 Nuit des morts vivants (La) 86 Première charge à la machette (La) 301
Mariée était en noir (I j) 298 Nuit et brouillard 335 Président d'un jour 67
Mary Janc's Mishap 549 Nuits de Cabiria(Les) 224 Primary 64, 118 120, 130, 137, 139. 301,
MAS» 578 Nuits de Chicago (Les) 213 503
Mass for the Dakota Sioux 73 Nuits de la pleine lune (Les) 577 Print génération 112,181
Malewan 47 Prise du pouvoir par Ixjuis XIV (La) 216
Mean slreets 528 O Prisonnière du désert (La) 84
Mécano de la Générale (le) 25. 380 Prologues 34Û, 367
Obsession 578
Mélodie du bonheur (La) 578 Octobre 97, 127, 139. 328. 343. 345. 368. Proscrits (Les) 211
Menace 11 society 80 Providence 415
373.374, 377. 378,433,565
Mépris (Le) 323,414.577 Oiseaux (Les) 32. 294. 329, 331. 332. 336, Psaume rouge 305. 318
Mère (La) 234 339-341,343.344. 346.352 Psychose 134, 214. 307, 328. 388. 389, 474.
Meshes of the afternoon 46 Old dark house (The) 568 579
Métropole 555 Olvidados (Los) 214 Pulp Fiction 44, 126.127,582
Meurtre dans un jardin anglais 234, 238 Pulsions 579
On achève bien les chevaux 344
Mi vida loca 580 On sïait la valise 579
Million (Le) 129. 340. 368. 402. 403 One froggv evening 238 Q
Miracle en Alabama 221 Ophélia 576 Quelle était verte ma vallée 388. 413
Mirages 79 Ordet 261,297 Quand la ville don 218,220
Momie (La) 85 Ossessione 57] Quand passent ks cigognes 265
Mon homme Godfrcy 110, 123 Othello 217 Quelque chose d'autre 120
Mon oncle d'Amérique 368 Out one 577 Qui a peur de Roger Rahbit ? 73, 218, 275.
Monde d'Apu (Le) 334 579
Morgan ! 298 P
Mort aux trousses (La) 77, 99, 120-122,
Paisi 572 R
126. 127, 129-133. 140. 153, 292. 403.
Palace hôtel 367 Raging bull 106. 281. 300. 525-534 . 578.
474 481.533, 534.537
Parenlhood 356 579,581
Moihcr’s day 74
Paris nous appartient 574.576 Railroad tumhridge 182
Mothlight "1.181
Paris, Texas 335.336 Rain Man 226
Mouche (U) 54. 2)7, 580
Parrain (Le) 67. 79, 270 . 344 . 363 . 578 Rainbow dance 260
Movie (A) 74,161, 193-195.201.202.342,
Parrain II! (Le) 33 Rambling rose 580
366. 396.404, 459-463
Par si fai 273, 286 Rapaces 212, 298
Mr. Arkadin 289
Partie de campagne 293 Rashomon 224
Mr. West au pays des bolcheviques 564
Passion 577 Rayon de la mon (Le) 368. 564
Mur (Le) 238
Passion de leanne d’Arc (La) 213.217,236, Rcaliiy hiteséO
Muskeieers of Pig Alley 215,288
291,293-295, 342.576 Récil d’un propriétaire 233
MyHusller317
Pastorale d’été 307 Rcflections on black 261
Pauline à la plage 577 Région centrale (La) 306.327
N Père et fils 267 Règle du jeu (La) 58. 112.235. 288
Naissance d’une nation 94, 102, 131-133. Petit César (Le) 568 Rencontres du troisième type 271, 578
135.328. 549 Pciilc boutique des horreurs (La) 409 Repas de bébé (Le) 278
Napoléon 278. 325, 559, 560 Petites marguerites (Les) 260. 276 Report 345, 366
Narrow Irai! (The) 551 Pickpocket 218. 295 Rcscued by Rover 549
Nashville 140.482 Piège de cristal 263,283 Réservoir dogs 36, 582
Navire blanc (Le) 571 Pierrot le fou 371 Retour du Jcdi I Ix) 401
Ne vous retournez pas 265 Platoon 44 Retour vers le futur 129, 223, 285, 579
New Jack city 580 PLaylime 213.216,242,296. 369. 400 Rien que les heures 514
Nibelungcn 555 Plumes de cheval 270 Rio Bravo 579
No lies 68 Plus belles années de notre vie (Les) 253 Ritua] in transfigured time 46
Nola Dariing n'en fait qu'i sa tête 358.486, Pocahontas 80 River (The) 137, 174-179. 453 456. 503

628
mw

River $ edge (The) 413 403, 407,409,414 Une affaire de cœur 141
Rivière sans retour (La) 55 Stalkei 260 Une étoile est née 30, 77
Robocop 226 Straight shooting83 Une petite ville sans histoire 570
Rocky horror picturc show (The) 77 Stranger than paradise 47, 580
Roger and me 52, 65-67, 87, 88, 122. 127, Stratégie de l'araignée 231 V
136 Street stories 44
Vacances de M. Hulot (Les) 129, 369. 391.
Roi lion (Le) 80 Sud (Le) 223
402
Roman de la vallée heureuse (Le) 551 Sueurs froides 325
Valiant ones (The) 279
Rome ville ouverte 513. 571, 572 Sur la piste des .Mohawks 76
Valley Giri 580
Ronde delaube 55 Sur les ailes de la danse 399, 569
Vampires (Les) 213
Rose pourpre du Caire (La) 222-224 Sur les quais 23.209. 226
Varicty 324
Rosemarv s baby 86 Suspense 286
Vaudou 78
Roue (La) 221, 286, 328. 368. 558. 559 Symphonie diagonale 554
Vent (Le) 215. 334
Rouges et blancs 305
Vers sa destinée 233
Rue sans issue 482 T
Vertigo 273, 305
Rusty lames 223, 275, 581 Taxi driver 227, 528, 578,579, 581
Vidas «cas 261
Tempête à Washington 284
Vie sur un fil (La) 235
S Tempête sur l'Asie 565, 566
Vipère (La) 253,265,570
Sailor et Lula 42 Temps de l'innocence (Le) 581
Visages d'Orient 568
Salcsman 503 Temps modernes (Les) 391
Viteüoni (Les) 573
Sambizanga 237 Terminator 2 40. 226, 253, 579
Vivala muene ! 260
Samouraï (Le) 281,325 Terminator 368, 579
Vivre sa vie 576
San Francisco 568 Terre tremble (La) 243. 244, 571-573
Voisins (Les) 72
Sans toit ni loi 270 Testament du docteur Mabuse (Le) 556
Voleur de bicyclette (Le) 236. 571-573
Santa Chus 546 Thelma et Louise 226
Voyage à Tokyo 369. 496-503. 535
Scarface 365 Thomas Gardner 142
Voyage au bout de l'enfer 528
Scène de la rue 482 THX 1138 216. 234
Scenes front under childhood 46, 366 Tirez sur le pianiste 575, 576
School daze 44 Tom Joncs 577 W
Schwechater 366 Tom Tom the piper's son 264 War requiem 404
Science friction 75 Tootstc 365 Watching for the Queen 233
Sciuscià 571 Tous en scène 121,122 Wavelcngth 269, 314.315
Scorpio rising 75, 97. 193, 404 Trafic 369 Waxworks 555
Secret adventuresofTont Thumb (The) 72 Tremblement de terre 79 Waynè's world 80, 580
Sept samouraïs (Les) 225, 266, 295. 333, Trente-neuf marches (Les) 402 Western history 366
394 Tribulation alicn anomalies unddr Ameri­ Whal’s up, Tiger Lily ? 410
Screnc Vdocity 269 ca 68. 99 Whoopct ! 79
Shanghai Express 220 Trois femmes 579 Wild and Woolly 55 j
Shérif est en prison (Le) 408 Trois mousquetaires (Les) 551 Wild Whccls 162, 163
Silence des agneaux (Le) 54, 76, 365. 412. Troisième homme (Le) 289. 290 Winchester 73 84.229. 380
True romance 368. 496
436 Window watet babv moving 46
Silent Mflbius 70 True stories 76,333
Witncss 30. 380. 388
Sirène (La) 210 Trust me 582
Woman's film (The) 47
Sirocco d'hiver 318 Tucker 262,581
Word isout 66
Slackcr 44 Two tintes in one space 75

Slcep 327 Y
Smoke 580 U
Y a-t-il un flic pour sauver la reine ’ 407
Soeurs de Gion (las) 253. 3)9 Ultimatum des trois mercenaires (L‘) 287
Yentl 77
Soeurs de sang287 Ultime razzia 137, 494
Yeux sans visage (Les) 357,361
Soif du mal (La) 219, 223, 319-321. 336. Umberto D573
Yol 234
441 Un chien andalou 561. 562
Soldat bleu 83 Un condamné à mort s'est échappé 391,
Soupe au canard 207 4)6-435
Z
Souriante madame Beudct (La) 558 Un danger public 142 Zelig 129
Specd 276,285 Un fils unique 316 Zéro de conduite 562
Splendeur des Amberson (La) 253, 286. Un tramway nommé désir 226 Zorns Lemma 97

629
Notice des auteurs . .5

Note liminaire 7

AVANT-PROPOS 9

Partie 1
TYPES DE RÉALISATIONS, TYPES DE FILMS
CHAPITRE 1

La PRODUCTION DU film ... 17

Facteurs techniques.............................................................................. .18

Facteurs sociaux............................................................. ............. .. ... 26


Modes de production. I'organisation des studios .............. ............ 27
La phase de préproduction . 29
La phase de réalisation ........ ................................. ..........32
Postproduction................................................. .................... ...... 37
La production indépendante . 43

Modes de production : individuel et collectif................................... .45


Implications des différents
MODES DE PRODUCTION CINÉMATOGRAPHIQUE............ . 48

APRES LA PRODUCTION : LA DISTRIBUTION ET L’EXPLOrTAnON................................. $0


Cinéma et vidéo........................................ .53
Notes et Points d'interrogation................................................ 56
L'illusion du mouvement au cinéma............................................. 56

Les fondements techniques du cinéma ...................... ,57


Photographies de plateau contre agrandissements de photogrammes ...... ................. 57
L'auteur............................................................................. 58
Cinéma et vidéo ................................. ... .... 60
iâ.au hj «W1AÂL

Chapitre 2
Typologie des films .................. .63

Types FONDAMENTAUX................................. . 64
Documentaire contre fiction , .64
Le film d'animation ....... .... .69
Films expérimentaux et films d'avant-garde.......................... ........ 73

LES GENRES... ...................................................................................................... 75

Le western... ..................................................... .......... ... 82


Le film d'horreur................................................... ... .84

notes et points d'interrogation.............................................................. .87


Àpropos de Roger and me..................................... 87
Genres et société .................... .88

Partie 2
LA FORME DU FILM

Chapitre 3
Signification de la forme filmique . 91

La NOTION DE FORME FILMIQUE..................................................... 91

La forme comme système........... .92


• La forme contre le contenu» ............ ..................... .94
Attentes formelles . ...... .94
Gjmwirwnj et expérience ...... .98
Forme ci émotion............................................................................................ 99
Forme et sens.......................................................................... 101
Emlud tion.......................................... . . 106

Principes de la forme filmique.............. ... 108


Fonction ............. . . . ..108
Ressemblance et répétition ................................... ...110
Différence et variation . 111
Développement .................................... 112
Cohérence ... .114

RÉSUMÉ....................... .......... ................................................... 115

Notes et Points d'interrogation . .............. .. .. 116

La notion de forme filmique ... .......... .... 1 16


Ressemblance et différence . ... . ............... 11 6

Chapitre 4
Le narratif comme système formel 117

632
rwi H! .1IU1K

Principes de la construction narrative.............................. 117


Récit et historre.............. ..................................................... 118
Causa/»? ....... ..... .......... . ... 122

Temporalité ..... .... , ........................................... 125


Spatialité.................................................................................................................. 127
Ouhttures. clàtutes et dâvrloppements ......... 128

Narration : le flot de l'information narrative.................................. 131

Étendue du champ informatif............................................ ...... 1 31


Profondeur du champ informatif......... ................................. 134
Le narrateur...... ................. 136

Rétamé.................................................................. .............................. 137

LF CINÉMA HOLLYWOODIEN CLASSIQUE..................................... 139

La forme narrative dans Citizen Kane .. ... .... ..141

Atrenia narratives ........................... ..... 141


Récit et histoire dans Citizen Kane.................. ......... 143
La causalité dans Citizen Kant ........... .............. ..... 143
Le temps................................... ... .................... . 145
Afarmiftdfi. .. ........................................................... . .. .. 149

Parallèles narratifs ............ ................................... .151


Schémas de développement narratif....................................................................... 151
La narration dans Citizen Kant ............................ . 153

RÉSUMÉ. 156

CHAPITRE 5
Les SYSTEMES NON-NARRATIFS .. ............................ ..159

Les FORMES DU NON-NARRATIF............................................................................................ . 159

Les systèmes formels catégoriels........................................................... .. .. 161


Principes de la forme catégorielle............................................................................. 161
Les Dieux du stade ..................................... .. .. ... 164

Les systèmes formels rhétoriques. .172

Principes de la forme rhétorique ............... .............. . . 172


The river......................................................................................................................................... 174

Les SYSTEM fs formels abstraits.................................. ... 180

Principes de la forme abstraite................................. ... ... 180


Ballei métallique.............. .. .............................................. 182

Les systèmes formels associatifs........... .. . 189

Principes de la forme associative. . ............ . ... ... ... 189


A movie . .............. .. ...................................................... 193

Résumé ... ........................................................................................ 202

633
IftftU UJl ihiiuu

Partie 3
LE STYLE
Chapitre 6
Le PLAN : LA MISE EN SCÈNE 207
Qu'est-ce que la mise en scène ?....................... . 208
Le REALISME............................................................................. .208
Pouvoir de la mise en scène............................................ . 209
ASPECTS DE LA MISE EN SCÈNE..................................................................... .... 21 1
Ledécor ... .............................................................................................................211
L/i costumes et le maquillage ... ... ... , 21S
L'édairage ................... .....217
Expressions et mouvement* des figures............................................ 225
La mise en scène dans l’espace et dans le temps........................................ 232
L'espace.......................... 233
Le temps . . ............ ... ................................. .241
Fonctions narratives de ia mise en scène : Les lois de l'hospitalité ... 245
Résumé. ... ................ . ......................................................................... 251
Notes et Points d'interrogation.......................................................................... 252
Sur k réalisme et la mite en scène.............................................................................. 252
Images de synthèse et mise en kÿw . . .............................. ........... 252
La profondeur..................................................................................... ......... . 253
La couleur................ ......................................... .. , 254
Composition de l'image et regard du spectateur ... .... .254

Chapitre 7
Le PLAN : LA PRISE DE VUES ........ 257
L’image photographique............ 258
Ls tonalités .... 258
La vitaie................... . 262
La perspective ............ , 264
LE CADRAGE................................................................................................................... 277
Formes et dimensions du cadre . ............ ... . 278
Le champ et le hors-champ .... .......... ................. . 287
Le cadrage : angle vertical, angle horizontal, hauteur et tailles de plan ... .288
Mobihié du cadre.............................. 297
IA DURÉE DE l’image : LE PIAN LONG................................. ... ,316
Le pian long ................................................ 317
Résume.. ......... ....................... ... .... 321

634
IWl tu M1UHI

NOTES ET POINTS D’INTERROGATION....................................................................................... 322


La couleur contre le noir et hianc............................................................................. 322
Les effets spéciaux.................................................................................................... 322
Le formai de l'image . . ................. ... 323
Le plan subjectif....................................................................................................... 324
Zoom et mouvement de caméra . . ......................................................................... 325
Pian long et-temps réel- ..... 326

Chapitre 8
D‘UN PLAN À L’AUTRE : LE MONTAGE 327

Ce qu’est le montage.................................. 328

DIMENSIONS DU MONTAGE............................ . . 331

Dct relations visueila ...... ............ .......... . . 332


Des relations rythmiques.......................................................................... . . ............ 338
Des relations spatiales ................................................. .......................... 340
Des relations temporelles.............. ....................... ..... 343

LE MONTAGE PAR CONTINUITÉ.................................................................................................. 346

Continuité spatiale .la régie des 18& ......................................................................... 347


Continuité temporelle : ordre, fréquence, durée . . ... 363

ALTERNATIVES AU MONTAGE PAR CONTINUITÉ.............. 366

Possibilités nsueilcs et rythmiques ■ 366


Discontinuités spatules et temporelles.................... . . . 368
Le montage pat discontinuité : Octobre ... 373

Résumé....................................................................................... 378

NOTES ET POINTS D'INTERROGATION............................... .379

Ce qu'est le montage . . . 379


Le montage par continuité .............. ... . . 380

Chapitre 9
LE SON 383

POUVOIRS DU SON.................................................................................... 384

Principes fondamentaux du son filmique . ............ ... 387

Propriétés acoustiques ...... .387


Sélection, modification, combinaison.................... 389

Dimensions du son filmique................. .398

Le rythme ................................................. 398


La fidélité . 401
L'espace...................................... .. ........................................................ ... 403
Le temps ... ................................................................. ... 410
Résumé.................................................................................................. 414

635
IIIU Ul UIUU!

FONCTIONS DU SON : ÜN CONDAMNÉ A MORT S'EST ÉCHAPPÉ ... 416

Résumé........................................................................................ .............................. 426


Notes et Points d'interrogation ...... .. ..................................... 427
Zz pouvoirdu ton..... . ................. 427
Film muet / Film tonore ............. ............ 428
Doublage « wuj-iifm .............................................................. 428

Chapitre 10
Le style comme système formel 431

La NOTION DE STYLE............................ 431


L’analyse stylistique........... .... 434
Le style dans Citizen Kane .. .............. 438
Le sn le dans Les Dieux du stade.......... 449

Le style dans The river........................ ..453


Le sole dans Ballet mécanique................ 456
LE STYLE DANS A MOVIE................................................................. .459

Partie 4
ANALYSES CRITIQUES
Chapitre 11
LA CRITIQUE DE FILM :EXEMPLES D’ANALYSES 467
Le cinéma narratif classique....................... 468
Hti girl Friday.............................. 468
La mari aux trouves....................... 474
Do the right thing ... ... 481
Alternatives narratives au cinéma classique. ..... . 488
A bout tie toufilf . ......... .. 488
4 Tokjv ............ . . ....... 496

Forme et style du documentaire ............................................... 503


High school................................... . .................503
L'homme à la eaméra ...................................................................... 511

FORME, STYLE ET IDÉOLOGIE.............................. .517

Leehant du Missouri ................. . ............................................................. 517


Ragingbutl................................................................................................................525
Appendice : Écrire une analyse critique....................................... 532
Préparation .......... ............ .......... ................... 532
Plan et rédaction ....... ............ ... . 535

636
IUH DG 1Ï1ÛIKRG

Partie 5
HISTOIREDU CINÉMA

CHAPITRE 12

La forme du film et l’histoire DES FILMS ........................ 541


LE CINEMA PRIMITIF (1893-1903)............................................................................. 543
Le développement du cinéma hollywoodien CLASSIQUE ( 1908-1927). . 547
L’expressionnisme allemand (1919-1926).......................................................... 552
L'impressionnisme et le surréalisme français
(1918-1930).................................................................................................................. 556
L'tmprnsionnisme.................................................................................................................. 557
Le surrfaliime .............................................. 560
L’école SOVIETIQUE (1924-1930)............................ 562
Le CINÉMA HOLLYWOODIEN CLASSIQUE
DANS LES PREMIERES ANNÉES DU PARLANT............................................................................... 567

LE NÉORÉALISME ITALIEN ( 1942-1951).................................................................... 571


La NOUVELLE VAGUE FRANÇAISE ( 1959-1964)................................................................... 573
Le nouvel Hollywood et le cinéma indépendant ...................................... 578

Glossaire..................................... 583

Bibliographie 591

Sites Internet.............................................................................................................. 613

Crédits photogra piques . 615

Index des noms............................................ 617

Index des notions....................................................................................................... 625

Index des titres. .625

637
CINEMA
&

tt L’ART DU FILM
UNE INTRODUCTION
âritabla introduction aux problématiques fondamentales de l'esthétique du film, l'intérêt de l'ouvrage
lient notamment à son caractère systématique en 1 2 chapitres, tous les aspects y sont abordés, dans
une pensée d'une parfaite lisibilité.

Le propos se développe en s'appuyant constamment sur des analyses présises de séquences el articule ses
conceptions personnelles avec des synthèses sur les théories existantes, exposées dans leurs dimensions
les plus récentes
Cet ouvrage dresse ainsi un état des lieux assez complet, concernant à la fois la production et les aspects
techniques, les genres et autres catégories de classement des films, les problèmes de forme, la narration, la
plasticité, la misa en scène, la prise de vue, le montage, le son, le style, le modèle classique, ses alternatives,
l'anclyse critique et, pour finir, l'histoire du cinéma

De plus, ce panorama exemplaire est enrichi d'une formidable iconographie du près da 900 photagram-
raos, directement tirés du film lui-mëme, et accompagnant les analyses, inscrivant immédiatement, en vis-à-vis
du texte, la réalité visuelle des films. Irremplaçable expérience d'image, qui convoque précisément le souvenir
d'un film, el qui surtout incarne les concepts, les fixe visuellement dans la mémoire, faisant de L’Art du film
un livre à voir autant qu'à lire.
Enfin, a cela s'ajoutent encore quelques outils pratiques un glossaire des principaux termes et concepts
utilisés, un tripla index (noms, titres, notions], une liste à jour des principaux sites Internet consacrés au
cinéma et une bibliographie importante, orientée vers les travaux disponibles en français.

L'Art du film est donc un livre de référence, incontournable pour tous ceux, étudiants de cinéma en premier
lieu, mais aussi enseignants et cinéphiles, qui veulent découvrir le cinéma comme une forme d'expression
à part entière. C'est le premier livre traduit en français de David Bordwell et Kristin Thompson, par ailleurs
auteurs - et autorités - reconnus de nombreux travaux de recherches dans le champ des études cinémato­
graphiques.

DAVID BORDWELL
Il est titulaire de la chaire «Jacques Ladoux» en Études cinématographiques à l'Universitê du
Wisconsin à Aladison

KRISTIN THOMPSON
Elle est professeur «Honorary Fellow» au département des arts de la communication de l'Universitê
du Wisconsm à Madrson

ISBN 2-7445-0072-0

ISSN 1374-0998

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