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L’ART DU FILM
UNE INTRODUCTION
L’ART DU FILM
UNE INTRODUCTION
CINÉMA
ARTS Une. collection dirigée par Philippe Dubois
Jacques AUMONT, De l'esthétique au présent
Jacques AUMONT (sous la direction de), La mise en scène
Frank BEAU, Philippe DUBOIS, Gérard LEBLANC (sous la direction de], Cinéma et dernières
technologies
David BQRDWELL. Kristin THOMPSON, L'art du film Une introduction
Nicole BRENEZ, De ta figure en général et du corps en particulier. L'invention figurative au cinéma
Jean-Louis LEUTRAT, Echos d'Ivan Le Terrible. L'éclair de l'art, les foudres du pauvatr
Anne-Fronçai se LESUISSE, Du film noir au noir. Traces figurâtes dans le cinéma classique
hollywoodien
François NINEY, L'épreuve du réel à l'écran. Essai sur le principe de réalité documentaire, 2* édition
Roger OOIN, De la fiction
DAVID BORDWELL
KRISTIN THOMPSON
L’ART DU FILM
UNE INTRODUCTION
Traduit de l'américain par Cyril Beghin
de boeck
OUVRAGE ÛSC4NA1 :
ItlUSTRAItON DE COUVERTURE :
Imprimé en Belgique
Comment fonctionne l'ensemble d'un film ? Ce livre est fondé sur l'hypo
thèse que, comme toutes les oeuvres d'art, un film peut être compris comme
une construction formelle. Cela nous amène à considérer ce qu’est une forme
et la façon dont elle nous affecte, les principes fondamentaux de la forme fil
mique ainsi que des formes narratives et non-narratives au cinéma (deuxième
partie). Ces questions nécessitent aussi que nous considérions les techniques
caractéristiques du cinéma, puisqu’elles fonctionnent depuis l’intérieur de la
forme du film dans sa totalité. Nous analysons donc les possibilités artistiques
offertes par les quatre principales techniques cinématographiques : la mise en
scène, la prise de vues, le montage, le son (troisième partie).
Comment faire une analyse critique d’un film ? Armés d'une conception de
la forme filmique et d’un savoir sur la technique cinématographique, nous
pouvons continuer par l’analyse de films précis, abordés comme des œuvres
d’art. Nous donnons plusieurs exemples d’analyses (quatrième partie).
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Cette manière d'aborder un film dans son intégralité découle de plusieurs
années passées à donner des cours d’initiation au cinéma. En tant que profes
seurs nous voulions que les étudiants voient et entendent mieux les films étu
diés mais il était évident qu’on ne leur apprendrait pas à analyser un film par
eux-mémes en se contentant de leur fournir notre point de vue. Nous avons
décidé que les étudiants devraient, dans l’idéal, maîtriser un ensemble
ordonné de principes qui les aideraient à observer plus précisément les films.
Nous devînmes convaincus que le meilleur moyen pour comprendre le
cinéma est d'avoir recours à des principes généraux relatifs à la forme filmi
que, permettant d'analyser des films précis. Le succès que nous avons rencon
tré avec cette méthode nous amena à décider que ce livre devait se concentrer
sur des savoirs fondamentaux permettant d’acquérir cette compétence. En
apprenant les notions de base relatives à la forme et aux techniques du
cinéma, le lecteur peut affiner sa perception de n'importe quel film.
L'accent mis dans ce livre sur les savoirs de base a une autre conséquence.
Vous remarquerez que nous nous référons à un grand nombre de films. Nous
espérons que très peu de lecteurs auront vu tous les films que nous mention
nons et il est certain qu’aucun professeur donnant un cours de cinéma ne
pourra les montrer tous. Mais parce que le livre met l’accent sur l'acquisition
de savoirs conceptuels, le lecteur n'a pas besoin de voir tous ces films pour sai
sir les principes généraux que nous évoquons. D’autres films auraient pu ser
vir les mêmes propos. Les possibilités offertes par les mouvements de caméra,
par exemple, peuvent aussi bien être illustrées par Lu ronde que par La grande
illusion-, pour donner un exemple de cinéma classique hollywoodien, La pour
suite infernale sera aussi efficace que La mort aux trousses. Même si ce livre
peut fournir le programme d'un cours de cinéma, le professeur peut illustrer
les idées qui y sont développées avec des films différents. (Un exercice utile
pour la classe consisterait alors à comparer l'exemple donné dans le texte et le
film montré en cours, de façon à en préciser plus clairement encore certains
aspects.) Cet ouvrage ne repose pas sur des titres de films, mais sur des con
cepts.
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ÛÏÛHI-PÈ0PÜ1
12
ami
David Bcrdwell
Kristin Thompson
13
La production
du film
Nous savons tous que les films sont comme les bâtiments, les
livres et les symphonies —des artefacts, fabriqués par l'homme
pour des raisons humaines. Il est courant que des émissions de
télévision ou des chaînes spécialisées du câble nous dévoilent les Facteurs techniques
détails techniques d'une réalisation en diffusant des extraits d'un
Facteun sociaux
Makingqf... et des entretiens réalisés en coulisse avec acteurs et
Implicatiûcs des déférents modes
techniciens. Mais assis dans l’obscurité d’une salle, fascinés par
de produetnn cinématographique
un film, il nous sera sans doute difficile de garder à l'esprit que ce
Après la production : la distribution
que nous voyons n'est pas un objet naturel, comme une fleur ou
el f exploita lion
un météore. Le cinéma est si captivant que nous avons tendance
Notes et Points d'cnterrogalion
â oublier que les films sont fabriqués. Comprendre l’art du
,mî Dt 1VPH DI UJJH
cinéma, c’est d’abord prendre conscience qu'un film est produit à la fois par
des machines et par du travail humain.
Facteurs techniques
Regarder un film n'est pas regarder un tableau, une représentation théâtrale
ou une projection de diapositives. Un film nous donne à voir des images prises
dans une illusion de mouvement. Qu’est-ce qui crée cette impression
d'« images mouvantes» ?
Pour que le cinéma existe, une série d'images doivent être présentées en
une succession rapide. Un mécanisme montre chaque image un très court
laps de temps et insère entre elles un bref intervalle de noir. Si des images légè
rement différentes du même objet sont présentées dans ces conditions, cer
tains processus physiologiques et psychologiques procureront à leur
spectateur l'illusion de voir une image en mouvement.
Quels sont ces processus ? Depuis le dix-neuvième siècle, la principale
réponse était liée au phénomène de «persistance des impressions
lumineuses-, par lequel une image demeure sur la rétine une fraction de
seconde après que sa source a disparu. Mais cela ne suffît pas à expliquer
pourquoi nous voyons du mouvement plutôt qu'une succession d’images
fixes. Ij recherche scientifique a montré, au vingtième siècle, que le problème
est plus complexe; nous ne savons pas encore de façon certaine comment
l’illusion du mouvement est générée par le cinéma, mais il semble qu’au
moins deux aspects caractéristiques de l'appareil visuel humain y participent.
Il y a d'abord ce que l'on appelle la fréquence critique de scintillement : dans
les conditions d’une projection cinématographique, si un rayon lumineux est
interrompu plus de 50 fois par seconde, le spectateur ne perçoit plus des pul
sations ou des éclats mais a l'illusion d'une continuité lumineuse. Un film est
généralement tourné et projeté à une cadence de 24 images par seconde.
L'obturateur du projecteur masque le faisceau lumineux lorsqu’un nouveau
photogramme se met en place cl lorsqu’il esl immobilisé dans le couloir de
projection; chaque photogramme est ainsi projeté deux fois sur l'écran, ce qui
accroît le nombre de flashes lumineux jusqu'au seuil critique où les scintille
ments se «fondent» en une continuité lumineuse. Les premiers films muets
étaient filmés à des vitesses inférieures (souvent 16 ou 20 images par seconde)
et, avant que des ingénieurs conçoivent des obturateurs pouvant interrompre
le faisceau lumineux plus d’une fois par photogramme, l'image projetée était
affectée d'un fort clignotement. D'où l'un des premiers termes argotiques
anglais pour désigner les films, «flickers» (ce qui clignote, tremblote), qui sur
vit encore aujourd'hui lorsque l'on appelle un film «n flick».
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(Wim la pfiflpudiûii o fun _ _
Tout d'abord, les images doivent être présentées en série. Elles peuvent
être, comme dans le Mutoscope (fig. 1.1), placées sur une rangée de cartes et
feuilletées devant le spectateur pour créer l'illusion du mouvement. Le plus
souvent, les images sont inscrites sur une bande faite d'un matériau flexible :
dans des jouets optiques comme le Zootrope, elles étaient sur du papier
(fig. 1.2) et c'est une bande de celluloïd qui sert de support aux images du
cinéma tel que nous le connaissons. Ces images sont des photogrammes. Si
elles doivent être sur de la pellicule, il faut généralement trois machines pour
tes créer et les présenter. Ces trois machines partagent un même principe : un
mécanisme contrôle la façon dont la lumière parvient jusqu’au film, fait avan
cer la bande photogramme par photogramme et expose ceux-ci à la lumière
pendant l'intervalle de temps approprié. Ces trois machines sont :
19
—। - i.v.ru h .mumioiH, uUiimULL—<■—
Figure 1.4
Figure 1.5
exposé. I-a vitesse de prise de vues standard pour le film sonore est de 24
images par seconde (25 pour certaines productions européennes).
20
uwjim i - unmxuu >ji wf
schéma d'une telle tireuse, appelée tireuse par contact. Elles sont employées
pour faire des copies de travail et des copies d'exploitation, ainsi que pour
réaliser les effets spéciaux associant dans une seule image des éléments fil
més séparément.
La lumière qui traverse le film original peut aussi être dirigée sur le film
vierge par l'intermédiaire de lentilles, de miroirs ou de prismes (comme en
(f) dans la ligure 1.5). Ce type de tireuse, connu sous le nom de tireuse
optique, est employé pour re-photographier des photogrammes. tirer des
copies de formats différents et réaliser certains effets spéciaux tel que
l’arrêt sur image.
Figure 1.6
21
- ___ Miiiri - imi h Ufiiiiuiioi!. inu h iilu__
22
; - ta pjiDHfiiür h ;iim
23
U&LL1-imuMiiiiuiini,
Figure 1.12
24
(Il11 PIIH -Al.mMUlC1 Pi L11B
sée lors de projections publiques est celle offerte par le système Imax. C’est un
format 70mm exploité horizontalement, permettant à chaque image détre
dix fois plus grande qu'en 35mm, et trois fois plus qu’en 70mm (fig. 1.12),
Elle peut ainsi être projetée sur un très grand écran sans perte de qualité.
Il arrive cependant que la copie visionnée ne soit pas du même format que
l'original. Beaucoup de films étudiés dans les cours de cinéma, tournés en
35mm, sont montrés en 16mm; pendant les années 50 et 60, quelques films
furent réalisés et projetés en 70mm, mais même les cinémathèques les mon
trent aujourd’hui rarement dans ce format. La qualité de l’image se dégrade
souvent lors du passage d'un format à un autre. Ainsi, une copie 35mm du
Mécano de la Générale [The General, Buster Keaton. 1924) sera sans doute
photographiquement supérieure à une copie 16mm, tandis qu’un film tourné
en Super 8 aura un aspect lieu et granuleux s’il est tiré et projeté en 35mm.
Les réalisateurs indépendants qui travaillent en 16 mm doivent prendre en
compte le problème du gonflage de leur négatif, pour réduire la perte de qua
lité photographique lors du passage aux copies d’exploitation en 35mm.
Les transferts entre formats ne sont pas toujours facteurs d’altérations.
Actuellement, des films distribués en 70mm sont tournés avec des négatifs
35mm : un meilleur rendement de la pellicule fait qu'il n'y a pas de perte
significative lorsque l'image est gonflée en 70mm. De meme, un format
connu sous le nom de Super ]6mm fournit une image de meilleure qualité
une fois gonflé en 35mm.
L’image est souvent accompagnée d'un enregistrement sonore, une piste
son magnétique ou optique. Dans le premier cas, une ou plusieurs bandes
magnétiques bordent la pellicule; pendant la projection, cette piste est *luc»
par une tète de lecture semblable à celle d’un magnétophone. Les images
70mm de la figure 1.11 sont équipées dune piste son magnétique stéréopho
nique (sur les deux bords de la pellicule).
Sur une piste optique l’information sonore est codée sous la forme de
tâches transparentes ou opaques, sur une bande parallèle aux photogrammes.
Pendant l’enregistrement, les impulsions électriques provenant d’un micro,
traduites en pulsations lumineuses, sont inscrites photographiquement sur la
pellicule. Lors de la projection, les variations d’intensité lumineuse de la piste
optique sont retraduites en impulsions électriques, puis en ondes sonores.
Dans les premières décennies du cinéma sonore, l’enregistrement optique
était réalisé au moment du tournage; le son est maintenant enregistré sur des
bandes magnétiques puis transféré optiquement sur la pellicule à un autre
moment de la production.
La plupart des copies projetées dans les salles de cinéma et dans les univer
sités sont maintenant équipées de pistes optiques. Celles-ci codent le son sous
25
tHIU I IW1JJ UHIUJIIOII. iuuuwu
la forme d'une élongation variable, un ruban noir sinueux qui se déroule sur
fond blanc (ou l’inverse), inscrit dans la partie réservée au son sur la pellicule.
Les photogrammes 16mm de la figure 1.8 sont accompagnés, à droite, d'une
piste son optique à élongation variable; sur le film 35mm de la figure 1.9, la
piste est à gauche.
Une bande son peut être monophonique ou stéréophonique. I^e film
35 mm de la figure 1.9 a une piste optique monophonique, tandis que celle de
la figure J. 10 est stéréophonique, comme l'indiquent les deux lignes blanches
tortueuses qui longent le bord gauche de la pellicule. Certains sons stéréopho
niques ou utilisant plusieurs canaux sont numérisés. Pour reproduire le son
numérique dans la salle de cinéma, le projecteur recherche cl lit des informa
tions situées le long des perforations ou entre les zones réservées à l'image et
la piste optique. Les photogrammes extraits de Jurassic Park (fig. 1.10) présen
tent un des plus récents systèmes, où les informations inscrites sur la pellicule
servent à contrôler un disque compact numérique contenant les éléments de
la bande son.
Ce sont donc des machines qui créent le film à partir d'un matériau brut
— une bande chimiquement photosensible de celluloïd perforé, d'un format
standardisé, où sont inscrites des images et des informations sonores. Mais
aussi importante que soit la technologie, elle n’est qu'une partie de cette his
toire.
Facteurs sociaux
Les machines ne font pas les films toutes seules. La production d’un film, c'est
ce qui transforme un matériau brut en un produit fini par l'intervention d’un
ensemble de machines et du travail humain. Mais ce dernier peut connaître
différentes organisations, conditionnées par des facteurs économiques et
sociaux.
2. Le tournage. Des sons et des images sont inscrits sur la pellicule. Plus préci
sément, le réalisateur crée des plans. Un plan est une série de photogram
mes produits par la caméra en une seule opération ininterrompue. Ix
réalisateur enregistre ou crée aussi des sons pour accompagner les plans.
26
QHIIU I ; U HIHIllll H [IL«
3. Le montage. À cette étape, qui peut interférer avec celle du tournage, les
sons et les images sont assemblés sous leur forme définitive.
Tous les films ne passent pas par chacune de ces étapes. Un film amateur
pourra nécessiter très peu de préparation et aucun montage final. Pour un
montage d’archives, il n’y aura pas besoin de tourner de nouvelles séquences
mais il faudra effectuer un travail d'assemblage à partir d’extraits préexistants
en provenance d’archives. Néanmoins, la plupart des films traversent ces pha
ses de production.
27
iÂULLL imi H UlLimiOll!. mil D( 11LII
Figure 1.13
28
— i - ii Htninim h nm
La phase de préproduction
Dans les studios, la phase de préparation est connue sous le nom de prépro
duction. K ce stade, deux rôles clefs émergent : celui du producteur et celui du
scénariste.
Le rôle du producteur est d'abord celui d'un financier et d'un organisateur.
Il peut être un « indépendant » qui découvre des projets et essaye de convain
cre compagnies de production et distributeurs de les financer. Il peut tra
vailler dans le cadre d’un studio, trouvant des idées pour des films, ou être
engagé par un studio qui lui demande de regrouper et coordonner un ensem
ble particulier de contrats.
Le travail du producteur est de développer un projet par l'écriture d’un
scénario, d'obtenir un financement et de s’occuper du personnel du film. Pen
dant le tournage et le montage, il esi le lien entre le scénariste, ou le réalisa
teur. et l’entreprise qui finance le projet. Une fois la réalisation du film
achevée, il devra en coordonner la distribution, la promotion et les différents
aspects commerciaux, et assurer le bon remboursement des fonds qui le sou
tenaient.
Hors du système hollywoodien un seul producteur peut prendre en charge
tous ces éléments, mais dans l'industrie cinématographique américaine
actuelle son travail est davantage fractionné. Le producteur exécutif est ordi
nairement celui qui, loin du quotidien de la réalisation, s’occupe du finance
ment ou obtient les droits sur une oeuvre littéraire. Lui est subordonné un
producteur délégué, véritable organisateur du film, qui supervise l’ensemble
des phases de production. Le producteur délégué est assisté d’un producteur
associé, qui assure les relations avec les laboratoires ou avec le personnel tech
nique.
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HHll । I PL JL fi U LIJJI1UL JUUJi
30
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31
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La phase de réalisation
Dans le jargon hollywoodien, la phase de tournage est souvent appelée
«production*, même si « production » est aussi le terme servant à désigner
l'ensemble du processus de fabrication du film. En français, une même confu
sion s'attache au mot « réalisation ».
Bien que le réalisateur ait souvent un rôle à jouer dans la préproduction, sa
principale responsabilité est de contrôler les phases de tournage et de mon
tage. Le réalisateur fait d’un scénario un film en coordonnant les différents
moyens de l’expression cinématographique : dans la plupart des productions,
il est considéré comme la seule personne entièrement responsable des aspects
visuels et sonores du film achevé.
À cause de la spécialisation de la division du travail dans les grandes pro
ductions, de nombreuses tâches liées au tournage doivent être déléguées à des
techniciens travaillant en collaboration avec le réalisateur.
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twiiyj^jjjimaioii ju 1.1 un
effets spéciaux une première idée de ce à quoi les plans devront ressembler.
Avant de tourner Le parrain III, Francis Ford Coppola avait fait enregistrer
son storyboard sur une cassette vidéo où les dialogues étaient lus par des
figurants. Créés sur ordinateur pour certains films, ils permettent de
• prévisualiser» des cascades ou des effets spéciaux.
3. Le travail le plus visible, pour le public, est celui des comédiens formant
l'ensemble de la distribution. Cette dernière comprend généralement des
stars, des acteurs célèbres, populaires, auxquels on réserve les rôles princi
paux. La figure 1.16 montre Greta Garbo, star des années 30, dans un essai,
une procédure employée pour décider de la distribution et tester l’éclai
rage, les costumes, le maquillage et la position de la caméra par rapport à
l'acteur. La distribution est aussi constituée de rôles secondaires, ou acteurs
de second plan, et de figurants, ces personnes anonymes qui traversent une
rue, se rassemblent pour une scène de foule ou garnissent les décors de
vastes bureaux. Une part importante du travail du réalisateur est de faire
prendre forme à l’interprétation des acteurs. La plupart des réalisateurs
passeront beaucoup de temps à expliquer comment une réplique ou un
geste doivent être joués, rappelant à l'acteur la place de la scène dans la
33
MRIH 1 - JW.U pj HfliimiiiL ifHi
Figure 1.17
34
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35
c mjiu - isw U miHiiicjîjmu* uu
7. Une équipe composite constituée des maquilleurs, des costumiers, des coif
feurs et des chauffeurs (qui s’occupent du transport des acteurs et de
l’équipe technique).
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CMJP1IA4 I - LA Mm^IlON OU lI.IB
de la prise de vues, l'un des assistants du chef opérateur tient une clac/nette, ou
ciap, devant la caméra. Sur le clap sont notés le titre du film, la scène, le plan
et la prise. Son bras articulé produit un claquement qui permet ensuite au
monteur de synchroniser le son et l'image. (Voir la fig. 1.19.extraite de La chi
noise. de Jean-Luc Godard. Le X blanc indique que c'est le photogramme pré
cis avec lequel le claquement sonore devra être synchronisé.) De cette façon
chaque prise est identifiée et peut être retrouvée ultérieurement. Une autre
méthode de synchronisation, plus perfectionnée, consiste en un llashage
automatique du phoiogramme coordonné avec l’envoi d'un signal sur la Figure 1.20
bande son, au début de la prise.
La plupart des réalisateurs et des techniciens respectent une même organi
sation du tournage. Supposons qu’il faille filmer une scène. Pendant que les
équipes techniques positionnent les éclairages et testent le matériel d'enregis
trement du son, le réalisateur fait répéter les acteurs et donne ses instructions
au chef opérateur, Puis il supervise le tournage d’un plan général, qui couvre
l’ensemble de l’action et des dialogues dune scène. Celui-ci peut donner lieu
à plusieurs prises. Certaines parties de la scène sont ensuite rejouées et filmées
de plus près ou suivant des angles différents : ce sont les plans de sécurité
— chacun d'eux nécessite plusieurs prises. Tourner un grand nombre de
plans de sécurité en utilisant simultanément deux caméras ou plus est main
tenant une pratique courante. Le travail du script permet d'assurer la conti
nuité logique des détails dans les plans de sécurité.
Lorsqu’il faut des effets spéciaux, ils sonl soigneusement prévus au tour
nage. 11 est courant que des acteurs soient filmés devant des fonds bleus, afin
que leurs silhouettes puissent être insérées dans d’autres images. (C’est le pro
cédé de cache, qui sert à la réalisation d'images composites.) i«e réalisateur peut
filmer une action en sachant que d'autres éléments seront ajoutés à l'image :
pour le dimax de Jurassic Park, les acteurs furent filmés dans le décor de la
rotonde du centre touristique, mais les velociraptores et autres tyrannosaurcs
furent conçus plus tard par ordinateurs (fig. 120).
Postproduction
Dans l'industrie cinématographique, la phase de montage est appelée la post
production. Cependant, cette phase ne débute pas simplement lorsque le tour
nage est terminé : des membres de l’équipe de postproduction sont déjà au
travail, en coulisses, pendant toute la durée du tournage.
Le réalisateur ou le producteur aura probablement engagé un monteur (ou
chef monteur) avant le début du tournage, à qui est confiée la responsabilité
du classement et de l’assemblage des différentes prises réalisées.
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mm 1 - IVPIS D4 UaUMIIOHL
Accessoiriste: Technicien supervisant l'utilisaiion de l'ensem Étalonnent : Technicien de laboratoire qui, après examen du
ble des accessoires cl éléments de mobilier placés dans le négatif, règle plan par plan les lumières de tirage pour
décor. obtenir une certaine homogénéité des couleurs de la copie
A.CE, : Après le nom du monteur, dans les films américains; standard destinée i être projetée dans les salles,
abréviation pour -American Cinéma Edi tors*. une asso «Grcenery man* : Parfois l'équivalent de «fleuriste»; membre
ciation de monteurs professionnels. de l'équipe de réalisation chargé du choix et de l'entretien
A.S.C. : Après le nom du directeur de la photographie, dans les de l'ensemble des végétaux (arbres, herbes, fleurs,etc.) fai
films américains; abréviation pour - American Socieiy of sant partie du décor.
Cinematographers», une association de directeur de la Maquette : (1) Représentation miniature d'un projet de décor.
photographie professionnels. L’équivalent britannique est (2) Effets spéciaux : décor, véhicule ou personnage cons
B.S.C. truits à une échelle réduite, destinés par des procédés de
Bruiteur : Spécialiste des effets sonores, ou «bruitages», qui prise de vues cl de montage à se substituer à leurs équiva
crée par exemple les bruits produits par les déplacements lents -en vraie grandeur».
des personnages en marchant ou en déplaçant des objets Peintre en décors : Membre de l'équipe chargée des décors, qui
sur des surfaces de qualités différentes (sur du sable, de la doit s'occuper de la peinture des surfaces susceptibles
terre, du verre, etc.). Le terme anglais pour désigner le d'être dans le champ de la caméra.
bruiteur, - foley artist», vient du nom de l'un des pionniers Photographe de plateau: Technicien prenant des photogra
du métier, Jack Foley. phies des scènes tournées, pendant la prise ou sa prépara
Chargement : Opération consistant i approvisionner, ou tion, ainsi que des photographies des -coulisses- du
-charger-, le magasin débiteur de la caméra. Le membre tournage, par exemple des autres techniciens. Ces images
de l'équipe de prise de vues chargé de cette opération (en peuvent être utilisées pour vérifier des paramètres concer
anglais, le -loader-1 doit aussi procéder au déchargement nant les éclairages, les décors ou les couleurs; elles servent
du magasin récepteur, répertorier les prises et envoyer la pour la plupart a la promotion du film.
pellicule au laboratoire. Reprise vidéo («Video assist») : Utilisation d'une caméra vidéo
Clapman : Technicien qui manie la claquelte, ou dap, avant accrochée à la caméra film permettant de vérifier les quali
chaque prise tés de l'éclairage, du cadrage ou de l'interprétation. Le réa
Directeur de casting : Personne qui recherche et auditionne les lisateur et le directeur de la photographie peuvent ainsi
acteurs destinés à constituer la distribution du film faire des essais pour un plan ou une scène en l'enregistrant
sur bande vidéo avant de filmer sur pellicule.
«Düllygnp : Machiniste chargé des déplacements du chariot
supportant la caméra, entre les prises (d’un plateau à un Steadicam: Système stabilisateur permettant de réaliser cer
autre, par exemple), ou pendant la prise s'il y a un mouve tains mouvements de caméra portée: il est constitué d'un
ment de caméra. harnais équilibré par un système gyroscopiquc, attaché à
un opérateur spécialisé.
Effets optiques : Ensemble des modifications de l’image pou
vant être réalisées en laboratoire: les fondus, fondus
enchaînés, volets, aussi bien que les effets de cache ou
d'autres effets spéciaux photographiques.
38
Parce qu’il y a presque toujours plusieurs prises pour chaque plan, parce
que le film est tourné hors continuité et que le tournage par plan général /
plans de sécurités produit beaucoup de pellicule, le travail du monteur est
souvent énorme. Un long métrage en 35mm de 90 minutes,constitué d’envi
ron 2 400 mètres de pellicule, peut avoir été extrait de 150 000 mètres de film
exposé. C'est pourquoi la postproduction est devenue un processus très long
pour les films hollywoodiens importants; plusieurs monteurs et leurs assis
tants peuvent être appelés à y participer.
En règle générale, le monteur reçoit aussi rapidement que possible, du
laboratoire, le métrage développé. Ce sont les rushes, plus rarement appelés
les épreuves. Laissant à son assistant monteur le soin de synchroniser l’image et
le son et de classer les prises par scènes, le monteur examinera les rushes avec
le réalisateur ou, si le lieu du tournage est trop éloigné, il lui téléphonera pour
le tenir informé de la qualité des prises. Refaire des plans étant coûteux et dif
ficile, une vérification régulière des rushes est importante pour repérer à
temps les problèmes liés au point, à l'exposition, au cadrage ou à d’autres
aspects visuels.
Le métrage s’accumule et le monteur assemble les plans pour constituer un
premier bout à bout, une succession lâche de séquences, sans bruitages ni
musique. Certains films sont célèbres pour leurs bout à bout gargantuesques :
celui de La porte du Paradis (Heaven's gâte, Michael Cimino, 1980) durait plus
de six heures, celui de Apocalypse Now (Francis Ford (ktppola, 1979), sept
heure et demie — mais n'importe quel bout à bout est toujours plus long que
le film fini. À partir de là, le monteur conçoit avec le réalisateur un montage
final. Les éléments non utilisés forment l'ensemble des prises refusées.
Jusqu'au milieu des années 80, les monteurs fabriquaient une copie de tra
vail en coupant et collant la pellicule tirée à partir du négatif original. Pour
faire leurs différents essais, ils étaient obligés de travailler physiquement les
plans. Maintenant de nombreux films sont montés électroniquement : les
rushes sont transférés sur cassette vidéo, puis sur des disques lasers ou des dis
ques durs, et le monteur enregistre directement dans un ordinateur les don
nées concernant chaque prise. De tels systèmes électroniques de montage,
connus sous le nom de systèmes de montage virtuel, facilitent l’accès aux plans
disponibles et leur sélection : le monteur peut appeler à l’écran n’importe quel
plan, le joindre à n’importe quel autre, le morceler ou l’abandonner. Certains
systèmes permettent de la même façon d'essayer les effets spéciaux ou la
musique. Même si les techniques virtuelles ont ainsi réduit la durée du mon
tage, le monteur demande encore que soit tirée une copie de travail des scènes
principales, pour pouvoir en contrôler la couleur, les détails et le rythme.
Pendant que le monteur, le réalisateur et leurs équipes donnent forme au
montage final, il arrive qu’une seconde équipe soit en train de filmer des élé-
39
mill I ■ U ftULUfilIBML IWI H fllffll
Lorsque les plans sont organisés en une forme proche de la version finale
du film, le monteur son se charge de la confection de la bande son. Avec le
monteur, le réalisateur et le compositeur, il choisit les moments du film où
interviendront la musique et les bruitages : c’est le travail dit de repérage. Le
monteur son peut être assisté d’une équipe composée de spécialistes de l'enre
gistrement ou du montage des dialogues, de la musique et des effets sonores.
Le monteur son s’occupe aussi de l'ajout des bruitages. La plupart des sons
entendus par les spectateurs d’un film réalisé en studio n’ont pas été enregis
trés au moment du tournage. Le monteur les emprunte à une sonothèque,
emploie des éléments enregistrés «en direct - en extérieur ou en crée certains
spécialement pour le film : concevoir des bruits de pas, d'accident de voitures,
de portes que l'on ferme, de coups de feu ou d’un poing frappant sourdement
un corps (généralement produit en fendant une pastèque avec une machette),
fait partie de son travail quotidien. Dans Terminator2 (lames Camcron,
1991) par exemple, le son du cyborg T-1000 passant à travers les barreaux
d’une cellule est celui d’un repas pour chien glissant lentement hors de sa
boite.
40
(UHILU I - U tMM<UU tu f (Al.
41
iu । -- iei>4L pi niÆLUSui ojji. jv p 11 jluhil
Les copies positives complètes, avec l'image et le son, sont appelées les
copies zéro. Le producteur, le réalisateur et le chef opérateur vérifient à partir
d’une copie zéro les qualités de l’exposition, des dominantes colorées et
d’autres variables. S’ils ne sont pas satisfaits, iis demandent qu’une nouvelle
copie zéro, rééquilibrée, soit tirée. Dès que l'une d'entre elles a été acceptée,
des copies d exploitation sont réalisées pour la distribution, qui sont finale
ment projetées dans les salles de cinéma.
Mais cela n’est jamais totalement vrai. À regarder de près n’importe quelle
production importante réalisée en studio, on découvrira des compromis, des
accidents et des confusions qui en gênent le bon déroulement. Le mauvais
temps peut bouleverser le calendrier d’un tournage. Des désaccords sur le scé
nario peuvent aboutir au licenciement du réalisateur. Des changements de
dernière minute réclamés par le réalisateur ou par le producteur peuvent obli
ger à refilmer certaines scènes. La réalisation en studio est une lutte constante
42
entre le désir de planifier totalement un film et l'inévitable «bruit», le désor
dre créé par la grande complexité d’une division du travail si précise.
La production indépendante
Les films réalisés suivant le mode de production des studios ne sont pas tous
des projets à gros budgets financés par les grandes compagnies (les majors).
De nombreux films dits «indépendants» sont réalisés de façon comparable,
mais à plus petite échelle.
43
Pflfill.l I - IVHÎ H ftUUÎfillOtlL IVHÎ MJILU
44
CUflPITfit | - LS PôOPÜilJQJI Ml IJLID
45
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46
___ OllJltL-ALlWBIUMfXLLUL
Aux États-Unis, le collectif le plus célèbre et qui connut la plus grande lon
gévité fut le groupe Ncwsreel, fondé en 1967 pour rendre compte du mouve
ment de protestation des étudiants. Newsreel voulait non seulement créer des
conditions de production collective, avec un comité central de coordination
redevable à l'ensemble de scs membres, mais aussi un réseau de distribution
commun permettant aux activistes locaux de l’ensemble du pays d’avoir accès
aux films du groupe. A la fin des années 60 et au début des années 70, le col
lectif produisit des dizaines de films, dont iïnallygot the news et The woman's
film. Des groupes liés à Ncwsreel apparurent dans de nombreuse villes, ceux
de San Francisco (maintenant connu sous le nom de California Newsreel) et
de New York (connu sous le nom de Third world Newsreel) étant toujours en
activité dans les années 90. Après le milieu des années 70, le groupe prit quel
ques distances avec un mode de production purement collectif tout en con
servant certains de ses grands principes, comme l'égalité des salaires pour
tous les participants d’un film. Controlling interests, The business of anterica...
(financé en grande partie par la télévision publique américaine) et Chmnical
of hope: Nicaragua, sont quelques récentes productions importantes de
Newsreel. Certains membres, Robert Kramer, Barbara Koppel ou Christine
Choy, ont quitté le groupe pour réaliser leurs propres films.
47
puiiLi i__- mu » fiiauuiiONi. mu di inœ^
48
WLUJH 1 - Lfl HOOdLOB H Hlffl
49
mm i - iuhv HjniKMion. ims
déjouait cela tout simplement, en réalisant chaque fois que c’était possible
une seule prise par plan, avec très peu de chevauchement de l'action d’un plan
à un autre. En ayant déjà monté le film «dans sa tète», Ford laissait au mon
teur un minimum de possibilités ci n'avait pas besoin de mettre les pieds en
salle de montage. Enfin, l'importance du rôle des réalisateurs est confirmée
par la tendance récente qu’ils ont à travailler comme des indépendants, sur
des projets de leur choix.
Pour toutes ces raisons, nous considérerons en général dans le reste de ce
livre que le réalisateur est le technicien responsable du film. Il y a des excep
tions, mais c’est le plus souvent par le contrôle qu'il exerce sur les phases de
tournage et de montage que se cristallisent la forme et le style d’un film. Ces
deux dernières notions, centrales pour l'art du film, le seront aussi dans la
suite de notre propos.
La production cinématographique requiert une certaine division du tra
vail. mais la façon dont cette division est appliquée et dont le pouvoir est par
tagé entre différents postes diffère d'un projet à l’autre. Le processus de
production reflète ainsi différentes conceptions du cinéma et le film achevé
porte inévitablement la marque du mode de production à travers lequel il a
été conçu.
50
-LHPIIM 1 - LIS PàflPJICIIOH DU (ILffl
51
____ Main i - ims h minaniw. iwi tmii*
Trois types de distributeurs, comparables à ceux définis pour les salles, leur
fournissent les films. Les grandes sociétés nationales de distribution approvi
sionnent les cinémas commerciaux. Les distributeurs moins importants peu
vent s’occuper des productions indépendantes ou des films importés, pour le
marché des salles art et essai. Les films expérimentaux ont leur propre réseau
alternatif —aux États-Unis, la Fihn-Maker's Cooperative de New York, ou
Canyon Cinéma à San Francisco; à Paris, Light Cône.
Il n’y a rien de définitif dans ces distinctions entre plusieurs types d’exploi
tants et de distributeurs. Quelques cinémas d’art et essai montrent des films
expérimentaux ou des courts métrages en première partie de programme. Des
réalisateurs indépendants peuvent essayer de se lancer sur les réseaux de dis
tribution et d’exploitation des studios, comme l’ont fait Robert Rodriguez
avec El mariachi et Michael Moore avec Roger and me ( 1989). Aux États-Unis,
il y a eu ces dernières années une tendance à faire passer des films étrangers,
connaissant un certain succès dans les salles art et essai, vers les grandes salles
commerciales pour une seconde carrière; c’est ce qui est arrivé, par exemple, à
un film mexicain, Like waterfor rhocolate. Le dernier empereur (Bernardo Ber-
tolucci, 1987) aurait habituellement été projeté dans les cinémas d'art et essai,
mais ses costumes et ses décors spectaculaires lui permirent d’accéder à une
52
- ( J fl P1 LU I - LJ l|(ïm P U Lil I
Cinéma et vidéo
La vidéo est le plus considérable moyen de diffusion privée, que ce soit sous
forme de transmission hertzienne, de transmission par câble ou par satellite,
ou à travers des formats domestiques comme les cassettes ou les disques laser.
Depuis 1988, l'industrie cinématographique américaine a fait deux fois plus
de bénéfices avec le marché de la vidéo qu'avec celui de l'exploitation publi
que. L’usage très répandu de ce nouveau format de diffusion nous amène à
préciser ce qui le différencie de façon importante du cinéma.
Certaines de ces différences dépendent de facteurs techniques. Les images
vidéo sont générées par le bombardement de points phosphorescents photo
sensibles, qui recouvrent la surface intérieure d'un tube cathodique. Un
canon à électrons, situé à l’arrière du tube, en balaye la surface horizontale
ment, activant un à un, rapidement, chacun des points. Aux États-Unis, le
standard pour la diffusion télévisée est fixé à 525 lignes de balayage, chaque
ligne étant composée d'environ 600 points ou pixels (réduction de
l'anglais picture éléments). En Europe, le standard est de 625 lignes.
La pellicule de cinéma peut enregistrer une quantité beaucoup plus
importante d'informations visuelles que l’image vidéo standard. Les chiffres
varient, mais on estime qu'une image couleur en 16mm offre l’équivalent
d'au moins 500 lignes vidéo, et un film 35 mm une résolution en couleur
équivalente à plus de 2 000 lignes. Aux États-Unis, le standard vidéo est de
350 000 pixels par image, mais un film négatif couleur en 35mm en contient
l'équivalent de 7 millions. Cela ne devrait pas nous surprendre : alors que l'on
peut voir les minuscules pixels clignotant sur un moniteur vidéo, un grain de
bromure d'argent sur un film 35mm peut porter un point-image pas plus
gros que quatre atomes!
Un autre écart qualitatif entre le cinéma et la vidéo concerne les rapports de
luminance, ou contraste: le rapport entre les plages les plus claires et les plus
sombres de l'image. Là où une caméra vidéo ne peut reproduire, au mieux,
qu'un rapport de 20 pour 1, un film en couleur 35mm supportera des rapports
supérieurs à 100 pour 1. Il en résulte que l'image 35mm met à disposition un
53
mm j -mhlm.^iKiiiiH.mK
plus grand répertoire de tonalités. Lors du transfert d’un film en vidéo, il est
courant que les techniciens modifient les contrastes les plus faibles en éclaircis
sant l'image, perdant ainsi toute la richesse des zones sombres. - Les copies
vidéo de The deadzone ou de La mouche que vous verrez portent mon nom»,
faisait observer le réalisateur David Croncnberg, • et ce sont bien les films que
j’ai faits, mais je déleste l'allure qu’ils prennent en vidéo. Trop lumineux.»
Beaucoup d'autres défauts peuvent apparaître lors du transfert d’un film.
La couleur, en vidéo, a tendance à s’étaler, le rendu des rouges vifs ou des
oranges étant plus particulièrement délicat. 11 y a aussi le problème de la
rémanence (en anglais, le cornet tailing, la queue de comète), phénomène par
lequel les objets en mouvement sont suivis de traînées lumineuses sur fond
noir. Des vêtements avec des motifs très fins où des rayures horizontales très
serrées provoquent une vibration moirée de l'image.
Ji y a encore d’autres différences importantes entre le cinéma et la télévi
sion, dont l’une des plus manifestes est la taille. Une image 35mm est conçue
pour être projetée sur un écran de plusieurs mètres carrés. Une image vidéo
parait floue et granuleuse dès qu'elle est projetée sur une petite surface. Leurs
capacités de conservation distinguent aussi les deux supports : si la pellicule
est connue pour être fragile et périssable, elle est toutefois plus résistante
qu’une bande vidéo. Les estimations courantes donnent une espérance de vie
de 10 à 15 ans pour les images enregistrées sur un support vidéo de un pouce,
et deux fois moins de temps pour celles enregistrées sur des cassettes de un
demi pouce (VHS).
.Mais il y a plus que des différences lechniques enlrc les deux supports. Il
arrive que l'accompagnement musical de la version vidéo d'un film ne soit pas
le même que celui de la version destinée aux salles, généralement parce que les
producteurs ne pouvaient pas en obtenir les droits. Les films sont souvent
mutilés par les chaînes de télévision, qui refont un montage ou modifient une
bande son pour éliminer quelques répliques qui pourraient choquer. Les réa
lisateurs tournent parfois des éléments uniquement destinés aux versions télé
visées. Ainsi, la version du Silence des agneaux (The silence of the lambs,
Jonathan Demme, 1991 ) diffusée sur le réseau américain contenait des plans
qui étaient des variantes de ceux vus en salles. La - colorisation » met en oeuvre
l’analyse numérique pour ajouter de la couleur à des films noir et blanc. Les
techniciens de la télévision peuvent aussi employer un procédé de «com
pression » de la durée d'un film, qui en accélère la vitesse de diffusion au-delà
de 24 images par seconde pour pouvoir y insérer plus de publicités. Et certai
nes versions télévisées ou en cassettes vidéo présentent une image anamor-
phosée, où les visages et les corps sont déformés, comprimés, afin que
l’intégralité des informations normalement destinées à un écran large tien
nent dans l'écran de télévision.
54
(flfiPHLI I - Lfl PfiDPUdI OH DU (I
Figure 1.25
55
uiiii i - inu h kULisfiiioai. ims u (liai
originales de l’image. Les disques laser proposent une qualité d'image nette
ment supérieure (400 lignes ou plus). Les versions sur disques laser se rappro
chent aussi des compositions sur écrans larges par le jeu de bandes noires en
bas et en haut de l'écran (c’est le letterbaxingj. Elles sont, de plus, équipées
d'une piste son numérique stéréophonique, avec canaux d'ambiance
(ou surrouttd),qui est bien meilleure que celle des cassettes vidéo ou des films
16mm. Bien sur, ce format n’est pas sans défauts : les bandes noires ne resti
tuent pas toujours l'intégralité de l'image originale et un seul format de dis
que (le CAV) permet au spectateur de s’arrêter sur un photogramnie pour
l’examiner. Néanmoins, le disque laser est actuellement la meilleure approxi
mation, en vidéo, des qualités d'origine d'un film.
Une copie vidéo peut faciliter l’analyse d'un film, mais nous pensons que
la meilleure façon de l’utiliser est encore d'en faire le simple complément
d'une copie sur pellicule. Idéalement, la première vision d'un film devrait
avoir lieu dans des conditions de projection publique, et l'analyse détaillée,
être menée avec une copie sur pellicule. Si une telle copie n’est pas disponible,
le spécialiste ou l’étudiant peut utiliser un disque laser vidéo. Une cassette
vidéo ne donne qu’une faible idée des qualités visuelles d'un film, mais reste
valable pour l'étude des dialogues, de h musique, de l'interprétation ou de la
construction du scénario.
L’image télévisée s'améliorant, principalement à travers le développement
de la vidéo haute définition ou des supports numériques (DVD-Rom), elle
pourra peut-être bientôt rivaliser avec le 16 mm (voir tes Notes et Points d’in
terrogation). Comme toutes les techniques de communication, la vidéo a des
avantages et des inconvénients qu'il nous faut savoir reconnaître lorsque nous
étudions le cinéma.
56
i - tu un-------
assis dans une obscurité totale au moins 40 minutes! Bien sûr, nous ne perce
vons pas ces brefs intervalles de noir à cause de l'effet de mouvement apparent
et de la fréquence critique de scintillement, phénomènes inhérents à notre
appareil de vision.
57
mm i - mis >i « ; a nintr mu n mr.
L'auteur
À quel titre un réalisateur peut-il être identifié comme I'-auteur- d’un film
produit en studio ? 11 y a trois réponses possibles.
58
.. CWJ î U K 11 n »
59
mm j - LÿHLIiUULHiiuujmuXIJmk _ —-------
Cinéma et vidéo
60
WUUJâJ-U-1» UltlOIII H HL*
61
Typologie des films
2
Qui fréquente les vidéoclubs sait que l’on y classe les films
suivant différentes rubriques — acteur principal, période («films
muets»), pays d’origine («films étrangers»), grand genre
Types fondamentaux
(«drame», «comédie»). Pour comprendre comment «fonction
Les genres
nent» les films.il nous faut aborder les façons, très significatives,
dont le public, les réalisateurs ou les spécialistes les regroupent. Notes et Points d'interrogation
J11II4 1 .dmi H fiULHflUDNl. IMI H HIBÎ
Types fondamentaux
Certains types filmiques fondamentaux se déclinent selon des oppositions
claires. On distingue généralement le documentaire de la fiction, une action
réelle dite «en vues directes» d’une animation, le cinéma «commercial» du
cinéma expérimental ou d'avant-garde. Mais ces catégories ne sont pas
étanches; elles sont souvent sujettes à mélanges et combinaisons.
64
(wiim 2 - îmiocii mj inas
Mettre en scène pour la caméra n’est donc pas nécessairement faire d’un
film une fiction. Il nous faut croire à l’exactitude des informations fournies Figure 2.3
par un documentaire, sans autres considérations pour les détails de sa réalisa
tion. Meme si le réalisateur demande au fermier d’attendre un instant pen
dant que l’opérateur cadre le plan, le film évoque la promenade matinale dans
son champ comme une partie des tâches quotidiennes, et c’est cette évocation
qui nous est proposée comme véridique.
65
PflRILÏ I - IYW » RULBHIOlliJI/p RLJJL1I
66
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67
pflfiiill,- ivpi! px UfliBâiiûns. jmi Pc juiffl!
68
(mini 2 - imihir^ nias
Le film d'animation
Pour la plupart des films de fiction et des documentaires, les gens et les objets
sont photographiés en taille réelle, dans un espace a trois dimensions. Nous
avons vu au chapitre précédent que la cadence standard de tournage pour ces
prises en vues directes est de 24 images par seconde.
Les films d’animation se distinguent des films en vues directes par le travail
inhabituel effectué en phase de tournage. Les animateurs ne filment pas en
continu et en temps réel le déroulement d’une action mais créent une suite
d'images en filmant photogramme par photogramme. Entre chaque exposi
tion de photogramme, l’animateur modifie ce qui doit être photographié. On
ne filme pas Daffy Duck, on en filme, sous forme de photogrammes isolés,
une série de représentations légèrement différentes, préparées et réalisées avec
soin. Lorsqu'elles sont projetées, les images ainsi obtenues créent l'illusion du
mouvement comme un film tourné en vues directes. Tout ce qui est manipu-
lablc par le réalisateur peut être animé au moyen de dessins bidimensionnels,
d’objets tridimensionnels ou d'informations électroniques gérées par ordina
teur.
69
PUJ.Ll 1 .-J.yw H-Kfl.UkflL10JkJVWXU.UJl_.
70
(W1.I.H 2 - JJ.P.O lOÇJ ( PUJIII
Une autre façon d'animer des images en deux dimensions est d'utiliser des
découpages. Les réalisateurs emploient parfois des marionnettes très plates,
articulées: Lotte Reinigcr s’était fait une spécialité d'un éclairage qui silhouet
tait ses découpages, dans des contes délicats et complexes comme Les aventu
res du Prince Ahmed (fig. 2.10), le premier long métrage d’animation (1926),
Ces découpages peuvent aussi être animés photogramme par photogramme
pour créer des sortes de collages en mouvement; l'exubérant Frank film, de
Frank Mouris, réalisé suivant cette technique, est un tourbillon d'images
venant de la culture populaire (planche 2).
Des objets en trois dimensions peuvent aussi être déplacés et modifiés,
photogramme par photogramme, pour créer un mouvement apparent. L'ani
mation d’objets se divise en trois catégories voisines : la pâte à modeler, les
marionnettes et la pixilaiion. U pâte à modeler, moins salissante et fabriquée Figure 2.10
dans un grand nombre de couleurs, est plus souvent utilisée que l'argile (qui
donne son nom au terme anglais : clay animation, ou daymation). Des sculp
teurs modèlent objets et personnages dans ce matériau flexible, que les ani
mateurs vont ensuite manipuler pour les déformer légèrement entre chaque
exposition de la pellicule. Les films de pâte à modeler existent depuis le début
du siècle, mais ils sont devenus extrêmement populaires a partir des années
70. Créature comforts (Nick Park, 1993) (fig. 2.11) parodie les documentaires
d'entretiens en inventant de curieuses discussions avec les occupants d'un
zoo.
Le film de marionnettes, plus rarement appelé film de poupées, offre beau
coup de ressemblances avec la pâte à modeler. Comme son nom l'indique, il
suppose l'utilisation de formes qui peuvent être mises en mouvement par
l’intermédiaire de fils ou d'articulations diverses. Le maître historique de ce Figure 2.11
type d'animation fut Ladislav Starcvich. 11 déconcerta le public russe dès les
années 10 par le réalisme de ses marionnettes représentant des insectes qui
interprétaient des scènes comiques ou dramatiques, puis, plus tard, avec
Fétiche mascotte (1934), où ses marionnettes exécutent des mouvements
71
mm i.u.m.s k mumioiH, imi hjiliib
72
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73
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74
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Les genres
Les réalisateurs et les spectateurs classent aussi les films par genres. Un genre
est plus facile à reconnaître qu'à définir. Le western, le film noir, la comédie
musicale, le film d’action, le film d'horreur, la comédie ou le film sentimental
sont tous des genres; le cinéma populaire, dans la plupart des pays, est celui
des films de genre. L’Allemagne à ses Heirnatfilms, où l’on raconte la vie dans
les petites villes de province. En Inde, le cinéma hindi produit des films - de Figure 2.21
75
miu.J- imn* fiûui£iian..iy-P€î pj ;ilib$
dévotion», qui ont pour sujet les vies des saints et des grandes figures religieu
ses, et des films «mythologiques», adaptés de légendes et de classiques de la
littérature. Les réalisateurs mexicains inventèrent la cabaretem. un type de
mélodrame ayant pour personnages principaux des prostituées.
Les réalisations les plus populaires étant des fictions, ce sont les genres fic-
tionnels qui viennent d’ahord à l'esprit. Mais il y a aussi des genres documen
taires, k film de propagande ou le film didactique par exemple. De même
pour le film expérimental, où le found-footage est un genre très répandu. Et
dans beaucoup de cas les catégories génériques recoupent les types
fondamentaux : le film d’animation intitulé La Relie ci la Bâte est aussi une
comédie musicale et le de&sin animé japonais Akira, un film de science-fic
tion.
Définir un genre. Les spectateurs comme les réalisateurs connaissent très bien
les genres qui font partie de leur culture. Le problème devient plus intéressant
lorsqu’il s'agit simplement de définir ce qu’est un genre. Qu’cst-cc qui fait
d’un ensemble de film un genre ?
plupart des spécialistes s’accordent pour dire qu’aucun genre ne peut
être défini de façon concise et définitive. Certains existent par leurs sujets ou
leurs thèmes : un film de gangsters est consacré au crime organisé dans les
grandes villes: un film de science-fiction montre des inventions technologi
ques dépassant la science contemporaine: un western a souvent pour sujet la
vie sur une frontière, et pas nécessairement celle de l'Ouest, comme le suggè
rent Le grand Sam (North to Alaska. Henri Hathaway, 1960) ou Sur la piste des
Mohawks (Drumsalong theMohawk. John Ford, 1939).
Mais un sujet ou un thème ne suffisent pas à définir tous les genres. On
reconnaît les comédies musicales à leur façon de présenter une situation : par
des chansons, des danses ou les deux à la fois. Le film policier est en partie
défini par un schéma narratif : une enquête va permettre de résoudre un mys
tère. Certains genres se caractérisent par les émotions qu’ils entendent
provoquer : l’amusement dans fa comédie, la tension dans le thriller. 11 n’y a
en apparence aucun critère absolument logique pour circonscrire la variété
des facteurs déterminant les genres que nous connaissons.
À l'intérieur d’un genre, les choses sont aussi peu précises : mieux vaut y
penser comme à une catégorie approximative, intuitivement partagée par
spectateurs et réalisateurs, constituée de cas incontestables et d'exemples
moins clairs. Chantons sous la pluie est un grand exemple de comédie
musicale, mais True stories {David Byrne, 1986), avec sa façon ironique de
présenter les numéros musicaux, est déjà un cas limite. L’appréciation qu'a le
public des canons d’un genre est, de plus, très variable. Un film aussi sanglant
que Le silence des agneaux illustre sans doute assez bien ce qu’est un thriller
(wnu 2 - irnuÀii KLiiiiai
pour les spectateurs actuels; on peut imaginer que le public des années 5Û
aurait choisi un Hitchcock, par exemple le très civil La mort aux trousses
{North by Northwest. 1959).
Malgré l’instabilité des catégories génériques, identifier des groupes de
films cohérents au sein d'un genre — des sous-getircs — ne nous pose généra
lement aucun problème. Il y a, par exemple, le backstage musical, la «comédie
musicale de coulisse», qui met en scène des professionnels préparant un spec
tacle — Comme dans Lame (Alan Parker, 1980) ou 42^ rue I42nd Street,
Lloyd Bacon, 1933). Ce sous-genre est différent du folk musical, où des per
sonnages ordinaires chantent et dansent à leur façon tout au long du récit,
comme dans Le chant du Missouri (Meet me in St Louis, Vinccntc Minnelli,
1944) ou //air (Milos Forman, 1979). Parmi les sous-genres de la comédie, on
trouve la comédie sentimentale, le film burlesque ou la parodie.
Le mélange des genres est courant dans les films populaires. 11 y a des wes
terns musicaux (les films de Roy Rogers, avec leurs cowboys chanteurs), des
mélodrames musicaux — Yentl (Barbara Streisand, 1983) ou Une étoile est
née — et des films d'horreur musicaux, par exemple The Rocky horror picture
s/iow(Jim Shasman, 1975) Alien (Ridley Scott, 1979) est une combinaison de
film d'horreur, de film de science-fiction et de thriller; Aliens (lames Came-
ron, 1986) mêle horreur, science-ficiion et film de guerre. Blade Runner
(Ridley Scott, 1982) mixe science-fiction et enquête policière, cl Billy the Kid
Vs. Dracula (William Beaudine, 1966) associe le western et le film d'horreur,
deux genres plutôt incompatibles. Quant à la comédie, elle semble pouvoir se
combiner avec n'importe quoi.
Que les genres puissent se mélanger n'implique pas, cependant, qu’il n’y
ait aucune différence entre eux. Plutôt qu’une définition abstraite, la
meilleure façon d’identifier un genre est de savoir comment les publics et les
réalisateurs, à différents moments et dans différents lieux, ont spontanément
différencié des catégories de films.
Analyser un genre. l>es genres sont fondés sur un accord tacite entre publics
et réalisateurs. Ce qui donnent aux films d’un certain type une identité com
mune sont des conventions de genre, partagées, qui reviennent de film en film.
Certains éléments d’une intrigue peuvent être conventionnels. Nous atten
dons une enquête dans un film policier, une raison de se venger dans un wes
tern, l’occasion d’une chanson ou d'une danse dans une comédie musicale. Le
film de gangsters montre en général l'ascension et la chute d’un caïd, son
combat contre la police ou contre des bandes rivales. Nous attendons d’un
film biographique qu'il décrive toute la vie de son personnage principal.
L'indicateur louche, le copain rigolo, le chef impatient qui désespère de
77
’UIILL- UHi H IIUIIIIIOII. IOU H fllIS
trouver une équipe pour continuer l’enquête sont tous des personnages de
convention du thriller policier.
D'autres conventions de genre, plus thématiques, mettent en jeu des signi
fications générales constamment répétées. Les films d’arts martiaux de Hong-
Kong font l’apologie de la loyauté et de l’obéissance à un maître personnel. Un
thème typique des films de gangsters est le prix à payer pour la réussite crimi
nelle, l'ascension du gangster vers le pouvoir étant décrite comme un endur
cissement égotistc et brutal. La screwball comedy met en œuvre une
opposition thématique entre un milieu social guindé, rigide, et le désir de
liberté ou d'insouciance des personnages.
I-igure 2.22 D’autres, encore, se reconnaissent à des techniques particulières. Un éclai
rage faible, l'obscurité sont courants dans le film d’horreur et le thriller,
comme on le voit en 2.22 — Vaudou (I walked with a zombie, Jacques Tour
neur, 1943). Le film d’action repose souvent sur un montage rapide et une
dilatation de la durée des scènes de violence. Dans le mélodrame, un retour
nement émouvant peut être souligné par la brusque intervention d’une musi
que pathétique.
Moyen d’expression visuel, le cinéma invente aussi ses genres à travers des
iconographies conventionnelles. L’iconographie d'un genre consiste en des
images symboliques récurrentes, qui ont la même signification d’un film à
l'autre.
Les accessoires et les décors fournissent souvent l'iconographie d'un genre.
Un cheval au galop dans un John Ford des années 20 suffira sans doute à iden
tifier un western, tandis qu'un plan sur une longue épée recourbée sortant
d’un kimono nous emmènera dans le monde des samouraïs. Le film de guerre
se déroule dans des paysages marqués par les combats, le backstage musical,
dans des salles de spectacles et des boîtes de nuit, les films de voyages intersi
déraux, dans des vaisseaux spatiaux et sur des planètes lointaines. Même les
stars peuvent devenir des éléments iconographiques : ainsi Judy Garland pour
la comédie musicale, John Wayne pour le western, Arnold Schwarzenegger
pour le film d’action, Bill Murray pour la comédie.
Par sa connaissance des conventions, le spectateur entre plus facilement
dans le film. Les conventions sont comme des repères qui permettent au film
de genre de communiquer des informations rapidement et avec une certaine
économie de moyens. En voyant le shérif affaibli, nous savons déjà qu’il
n'affrontera pas les bandits armés et nous pouvons alors nous concentrer sur
le héros, un cowboy qui prend de plus en plus de risques pour aider les habi
tants de la ville à se défendre.
À l'inverse, un film peut modifier ou rejeter les conventions associées à son
genre. Bngsy Maione (Alan Parker, 1976) est un film de gangsters musical où
78
2 - imUKU KMllfflJ
des enfants jouent tous les rôles habituellement confiés à des adultes. 200} :
{‘Odyssée de l'espace {2001 : a space Odissey, Stanley Kubrick, 1968) viole plu
sieurs conventions de la science-fiction, en débutant par une très longue
séquence située dans des temps préhistoriques, en synchronisant musique
classique et évolutions de vaisseaux spatiaux et en s’achevant par l'énigmati
que symbole d’un fœtus dérivant dans l’espace.
Us spectateurs attendent d'un film de genre qu’il leur soit familier mais en
demandent aussi de nouvelles variations. Le réalisateur peut concevoir un
film légèrement ou radicalement différent, il restera fondé sur une tradition.
Le jeu réciproque de la convention et de l'innovation, du familier et du nou
veau, est la principale caractéristique d'un film de genre.
79
, irnuuMwawull i y h ! » &uu
80
(WIIJUL- LH0U4II W IIX«<
Il est courant de dire qu’à différents moments de l’histoire, les récits, les
thèmes, les valeurs ou l’imagerie d'un genre sont en accord avec les préoccu
pations du public. Izs films de science-fiction des années 50, par exemple, où
des bombes atomiques génèrent des monstres comme Godzilla, révéleraient
la crainte d’une catastrophe technologique. C'est faire l’hypothèse que les
conventions de genres, répétées de film en film, sont les symptômes des dou
tes et des angoisses profondes des spectateurs. Beaucoup de spécialistes du
cinéma montreraient que cette approche permet d’expliquer en partie les
changements de popularité des genres.
Des critiques répondraient qu'une telle lecture d'un film de genre est sim
plificatrice et se trouve souvent nuancée par une analyse précise, qui en révèle
toutes les complexités. En n'observant plus seulement Riplcy, l'héroïne de
Aiiens, mais l'ensemble des personnages, nous découvrons qu'ils illustrent
tous différents aspects du «masculin - et du «féminin» et que les survivants de
l’aventure semblent concilier le meilleur de chaque sexe. De plus.ee qui appa
raît parfois comme une réflexion sociale n’est que le résultat des efforts faits
par l’industrie cinématographique pour tirer partie des préoccupations du
moment. Un film de genre ne reflète pas, alors, les espoirs et les peurs du
public, mais les suppositions du réalisateur sur ce qui peut le faire vendre.
81
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Le western
Le western est apparu très tôt dans l’histoire du cinéma, il était un genre à part
entière dès les années 10. Il s’inspire d'une réalité historique : il y a bien eu,
dans l'Ouest américain, des cowboys, des hors-la-loi, des colons et des tribus
Figure 2.23 d’indiens. Les films s’inspirent aussi, pour leur représentation de la «fron
tière», de chansons, de récits populaires et des spectacles «Wild West». Les
premiers acteurs de western incarnaient parfois cette alliance de mythe et de
réalité : la star cowboy Totn Mix avait été Texas Ranger, acteur de «Wild West»
et champion de rodéo.
Le thème central du genre est rapidement devenu le conflit entre l’ordre
civilisé et l'absence de loi à la frontière. De l’Est et de la ville arrivent des
colons qui veulent fonder leurs familles, des professeurs qui veulent
développer l’apprentissage de la lecture, des banquiers et des représentants du
gouvernement. Dans les vastes espaces naturels vivent ceux qui sont hors de la
«civilisation» — pas seulement les Indiens, mais aussi les hors-la-loi, les trap
peurs, les marchands et les grands propriétaires de bétail avides d'argent.
L'iconographie vient renforcer cette dualité fondamentale. Les chariots
bâchés ei le chemin de fer sont opposés au cheval et au canoè; l’école et
l’église contrastent avec le campement isolé sur une colline. Comme dans la
plupart des genres, le costume est aussi un élément important de l'iconogra
phie. Ixs vêtements amidonnés des colons et leurs habits du dimanche
s’opposent aux costumes tribaux des indiens, aux jeans et au Stetsons des
cowboys.
Le héros typique du western se tient entre ces deux pôles thématiques.
Chez lui dans la nature sauvage mais naturellement enclin à la justice et à la
bonté, le cowboy est souvent suspendu entre sauvagerie et civilisation.
William S. Hart, une des stars les plus populaires du western des origines, ins
titua cette figure du - bon méchant » en héros normal du genre. Dans Le justi
cier (Helïs Hinges, William S. Hart, 1916), une religieuse essaie de le changer,
et l'hésitation entre les deux modes de vie est symbolisée en un plan : Hart lit
la Bible, une bouteille de whisky à portée de main (fig. 2.23).
L'indécision du héros a souvent beaucoup d'importance dans les grands
récits du western. Il peut commencer par être du côté des hors-la-loi ou sim
plement se tenir à distance des querelles. Dans tous les cas, la vie offerte par
82
■UliUiaU,,.- iwoLOiiujldiai
les nouveaux habitants de la frontière finira par l’attirer, malgré ses réticences.
Le héros peut alors décider de se joindre aux forces de l’ordre pour les aider à
combattre les tueurs, les bandits ou tout ce qui est présenté dans le film
comme une menace pour la stabilité et le progrès.
En se développant, le genre s’est conformé à l’idéologie sociale implicite
ment contenue dans ses conventions. La progression de la population blanche
vers l’ouest était considérée comme une mission historique, là où les cultures
des indigènes colonisés étaient dites sauvages et primitives. Les westerns sont
remplis de clichés racistes sur les Indiens et les Hispano-américains. Dans cer
tains films, les réalisateurs firent toutefois des personnages indiens des figures
Figure 2.24
tragiques, ennoblies par leur proximité avec la nature mais devant faire face à
la disparition de leur culture. Le premier exemple intéressant en est sans
doute Le dernier des Mohicans (The last of the Mohicans, Clarence Brown,
1920).
Le genre n’était pas totalement optimiste sur la possibilité de domestiquer
cette sauvagerie. L’éventuel engagement du héros pour des valeurs « civilisées-
était souvent mêlé de nostalgie pour sa liberté perdue. Dans Slraighl shooting
(John Ford, 1917),Chcycnne Harry (joué par Harry Carey) est engage par un
abominable propriétaire terrien pour expulser un fermier, mais il tombe
amoureux de la fille de celui-ci et jure de s'amender. Rejoignant les fermiers,
Harry les aide à vaincre le propriétaire. tMais il n'est pas encore prêt à s'instal
ler avec Molly. Un plan nous le montre dans l’encadrement d’une porte de la
ferme, pris entre les attraits de la civilisation et l’appel des grands espaces
(fig. 2.24).
On avait ainsi constitué un ensemble de valeurs au sein duquel furent
fixées les règles d’un grand nombre de scènes conventionnelles — l’attaque
des forts ou des chariots par les Indiens, la cour timide faite à une femme par
le héros maladroit, la découverte par ce dernier de la cabane incendiée d'un
colon, le vol d’une banque ou d’une diligence par le hors-la-loi, le duel final
dans les rues poussiéreuses de la ville, l^s scénaristes et les réalisateurs pou
vaient différencier leurs films par un traitement renouvelé de ces éléments.
Dans les flamboyants westerns italiens de Scrgio Leone, chaque convention
est longuement et minutieusement détaillée ou amplifiée jusqu a atteindre des
proportions gigantesques — il faut voir, par exemple, la fusillade finale de Le
bon, la brute et le truand (Il buono, il brutto, il cattivo, 1966), filmée comme
une corrida (planche 5).
Il y eut aussi des innovations narratives et thématiques. Après les westerns
«libéraux» des années 50 comme La flèche brisée (Broken arrow, Delmer
Daves, 1950), les cultures amérindiennes commencèrent à être traitées plus
respectueusement. Dans Little Big Man (Arthur Penn, 1970) et Soldat bleu
83
FUJI l I - imi M HUHHSI10ll!,jmi H fl Lias
Le film d'horreur
Si le western se définit clairement par un sujet, un thème ou une icono
graphie, le film d’horreur se reconnaît surtout aux émotions qu'il entend pro
voquer chez les spectateurs : choc, dégoût, répulsion —il faut horrifier le
public, l'effrayer. Cette nécessité informe les autres conventions du genre.
Qu'cst-ce qui est susceptible de nous effrayer ? Typiquement, un monstre.
Dans le film d'horreur, le monstre est une redoutable erreur de la nature, une
violation des règles du possible. Il peut être anormalement grand, comme
King Kong, ignorer les limites entre la vie et la mort, comme les vampires et
84
(OP.I.lfil 2 - lyPO.LDHl mjHll
85
miiLi , imi HjniHUiHL I9ÈÜ2LÜ1’1
Figure 2.29
momie (The munimy, Karl Freund, 1932) (fig. 2.29) connurent un énorme
succès et aidèrent le studio à devenir une major. Dix ans plus tard, à la RKO,
l'unité de production de séries B dirigée par Val Lewton réalisa un cycle de
films sombres, d’inspirations littéraires, à partir de budgets minuscules. Les
réalisateurs de Lewton opéraient par suggestions, laissant le monstre hors-
champ, noyant les décors dans le noir. Dans La féline par exemple, on n’assiste
jamais à la transformation de l'héroïne en panthère et l’on entraper<oit seule
ment l'animal dans certaines scènes. Le film atteint scs effets avec des ombres,
des sons hors-champ cl les réactions des personnages (fig. 2.27),
Des décennies plus tard, d'autres réalisateurs à petits budgets furent attirés
par le genre. Le film d'horreur devint la base économique des productions
indépendantes des années 60, avec pour cible principale, les adolescents. La
nuit des morts vivants (Night of the living deads, George Romero, 1968), avec
un budget de seulement 114 000 $ (moins de 700 000 francs), eut un énorme
succès sur les campus qui contribua à revitaliser le genre. Aujourd’hui, celui-
ci est très répandu dans les petits films économiques amateurs en vidéo.
Dans les années 70, le genre accéda à une nouvelle respectabilité, essentiel
lement à cause du prestige de films comme Rosemary’s baby (Roman Polanski,
1968) ou L'exorciste. Ces œuvres innovaient en montrant avec une franchise
sans précédent des scènes violentes et répugnantes : au moment où Regan, la
possédée, vomit sur le visage du prêtre qui se penchait au-dessus d’elle, une
nouvelle imagerie du film d'horreur était née.
Les films à gros budget entrèrent dans une période de popularité qui n'est
toujours pas terminée. Les grands réalisateurs hollywoodiens furent nom
breux à travailler pour le genre, et plusieurs films d’horreur — des Denis de ta
mer (Jrtws, Stcvcn Spielberg, 1975) et Carrie (Brian De Palnia, 1976) à furassic
Park et Entretien avec un vampire (Interview wilh the vampire, Neil Jordan,
86
(WIJAL1 - IVPDLOai DU fILIJ
87
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Genres et société
L’idée selon laquelle la fonction sociale des genres s'apparenterait à celle
d’autres «rituels» comme les célébrations des jours fériés procède, dans une
certaine mesure, des théories anthropologiques de Claude Lévi-Strauss. On
en trouvera des illustrations dans le livre de Thomas Schitz ou dans celui de
Rick Altman sur la comédie musicale.
Selon une autre conception, ce sont certains groupes craints et repoussés
par une grande partie de la société — en particulier les femmes et les minori
tés raciales— qui représenteraient la préoccupation centrale des films de
genre, les récits et l'iconographie de genre dresseraient un portrait menaçant
de ces groupes qui s’opposeraient à la vie «normale»,et l'action du film con
sisterait à les maîtriser pour les conserver en minorité. Pour une critique de
cette théorie, on pourra se reporter au livre de Noël Carroll sur le film d'hor
reur.
88
di uxiimi pflNii
LA FORME
DU FILM
Nous pouvons à présent être un peu plus abstrait et poser d'autres ques
tions. Quels sont les principes de composition d’un film ? Comment les dif
férentes parties entrent-elles en relation pour former un tout ? Répondre à
ces questions nous aidera à comprendre pourquoi nous réagissons à un film
et ce qui fait du cinéma un moyen d'expression artistique.
Ces questions d’esthétique vont être abordées dans les trois chapitres qui
suivent. Nous supposons qu’un film n'est pas une collection aléatoire d'élé
ments. Si c’était le cas, les spectateurs ne w soucieraient pas d’en manquer le
début ou la fin, ni d’en voir les séquences dans le désordre. Mais ils y font
attention. Lorsque vous dites d'un livre qu'il est «difficile à abandonner» ou
d’un morceau de musique, qu'il vous «absorbe», cela implique qu’ils aient
une structure, qu'une logique interne régisse les relations entre les parties et
engage votre attention. Ce système de relations entre les parties, nous
l’appellerons la forme. Le chapitre 3 examine la notion de forme filmique
afin de comprendre son importance pour une appréhension du cinéma
comme art.
92
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93
PlLUÂ 1 ■
Attentes formelles
Nous pouvons maintenant mieux comprendre la façon dont la forme filmi
que guide l'activité du spectateur. Une chanson interrompue ou une histoire
incomplète nous frustrent parce que nous avons un désir de forme. Nous
94
UWiinmmJULuliaULUWiL
réalisons que le système interne de l’œuvre est inachevé. Quelque chose man
que pour faire de la forme un tout satisfaisant; nous avons été pris par les
relations entre les éléments constituant une œuvre et nous voulons compren
dre comment ces indications nous invitent à en développer et à en compléter
les schémas.
Un des effets de la forme sur notre expérience est de nous donner l’impres
sion que «tout est là». Pourquoi sommes-nous satisfaits du retour d’un per
sonnage qui n'avait fait qu’une courte apparition au début du film ou de
l'équilibre entre deux formes dans le cadre ? De telles relations laissent suppo
ser que le film est organisé selon ses propres lois ou ses propres régies — son
propre système.
De plus, une œuvre d’art provoque par sa forme un type particulier de
participation. Dans la vie quotidienne, notre perception est soumise à des
objectifs pratiques, ce qui n’est pas le cas dans un film. Celui-ci nous donne
l'occasion de voir les choses différemment. Si quelqu'un tombe devant nous,
dans la rue, nous nous dépécherons sans doute pour l’aider à se relever; dans
un film, lorsque Bustcr Keaton ou Charlie Chaplin tombent, nous rions. Nous
verrons au chapitre 7 comment un acte de tournage aussi fondamental que le
cadrage d'un plan peut créer une nouvelle façon de voir. Nous observons un
ensemble d'événements qui n'est plus simplement «là-bas», dans le
monde que nous connaissons, mais qui est devenu l'une des parties prédéter
minées d’un tout autonome. La forme d’un film peut même renouveler notre
perception des choses, nous faire sortir de nos habitudes en proposant
d’autres façons d’entendre. de voir, de sentir et de penser.
Pour comprendre comment des caractéristiques formelles peuvent entraî
ner la participation des spectateurs, essayez l'expérience suivante (suggérée
par Barbara Herrnstein Smith). Supposez que A est la première lettre d’une
série. Qu'est-ce qui lui succède ?
AB
■ A» était une indication, à partir de laquelle vous avez fait une hypothèse
formelle, celle d'une succession alphabétique des lettres. Votre attente a été
confirmée. Qu'est-ce qui suit AB? La plupart des gens répondraient «C».
Mais le développement d'une forme ne correspond pas toujours à notre pre
mière attente.
ABA
La forme nous prend par surprise, elle nous rend perplexes. Lorsque le
développement d'une forme nous pose un problème, nous reformulons nos
attentes et essayons à nouveau. Qu’est-cc qui suit ABA ?
ABAC
95
mm 2 - l£ mu h ïilui
Ce jeu, aussi simple soit-il, illustre le pouvoir de la forme sur notre atten
tion. Le spectateur ou l'auditeur ne se satisfait pas du seul défilé des compo
sants d'une œuvre, mais y participe activement, créant et corrigeant ses
Figure 3.1 attentes formelles avec le développement de son expérience perceptive.
Considérons maintenant une histoire, racontée par un film. Au début du
Magicien d'O2, Dorothy serre son chien, loto, contre elle, et se met à courir
sur une route (fig. 3.1). Immédiatement, nous formons plusieurs attentes; elle
va peut-être rencontrer un autre personnage ou arriver là où elle veut aller.
Une action aussi simple demande déjà au public de participer activement à
son déroulement : il doit formuler certaines hypothèses sur «ce qui va se
passer» et rectifier scs attentes en conséquence. Peut-être allons-nous suppo
ser que le vœu de Dorothy, retourner au Kansas, sera exaucé; et en effet, par
ses décors, le film a une grande forme ABA, Kansas-Oz-Kansas, qui nous le
confirme.
L’attente informe toute notre expérience de l’art. En lisant un roman à
énigmes, nous espérons que celles-ci seront résolues, généralement à la fin. En
écoutant un morceau de musique, nous attendons la répétition d’un thème
ou d'un motif. (La musique est souvent composée suivant les structures AB,
ABA ou ABACA que nous avons évoquées). En regardant une peinture, nous
cherchons d’abord ce que nous supposons être les parties les plus importan
tes, puis nous examinons les autres. Toute notre participation à une œuvre
d’art se fait principalement en termes d’attentes.
Cela ne signifie pas qu'une attente doit être immédiatement satisfaite
— celte satisfaction peut être retardée. Dans notre exercice alphabétique, à la
place de ABA, nous aurions pu présenter ceci :
AB...
96
(HUHt i ■ ilOUKUUI » H mil IllllIH
Notre attente peut aussi être déçue, lorsque nous attendons ABC et obte
nons AHA. En général, la surprise est la conséquence d’une attente qui se
révèle incorrecte. Nous ne pensons pas qu’un gangster du Chicago des années
30 aura un hors-bord dans son garage; s'il en a un, nous devrons sans doute
réviser nos préjugés sur cette histoire. (On suggère ici qu'un des ressorts de la
comédie est l'attente trompée.)
Il nous faut évoquer un autre aspect structurel de notre attente. Une oeuvre
d'art fournira parfois des indications permettant de risquer des hypothèses
sur ce qui s’est passé avant. Lorsque Dorothy court sur la route au début du
Magicien d’Oz, on ne se demande pas seulement où elle va, mais aussi où elle
était et ce quelle fuit. De la même façon, une peinture ou une photographie
peuvent décrire une scène amenant le spectateur à s’interroger sur des événe
ments antérieurs. Cette capacité du spectateur à faire des hypothèses sur ce
qui s'est passé, nous l'appellerons la curiosité. Comme on le montre au
chapitre 4, la curiosité est un facteur important dans la forme narrative,
Nous avons déjà évoqué quelques unes des façons dont une oeuvre d'art
peut nous entraîner dans une participation active. La forme artistique peut
nous fournir des indications provoquant certaines attentes, satisfaites plus ou
moins rapidement. Elle peut, à l'inverse, chercher à décevoir nos attentes.
Nous associons souvent l’art à la plénitude et à la sérénité, mais un grand
nombre d’œuvres sont des lieux de confrontations, de tensions, de chocs. Les
déséquilibres et les contradictions d’une forme peuvent nous frapper, nous
être désagréables; beaucoup de personnes sont déroutées par la musique ato
nale, la peinture abstraite ou surréaliste, les formes expérimentales d’écriture.
Loin d’etre apaisant ou harmonieux, un film expérimenta! peut de la même
façon nous ébranler : les spectateurs de Eat, de Scorpio Rising et d'autres films
d’avant-garde en sortent souvent choqués ou perplexes, et nous aurons à étu
dier des effets similaires provoqués par le montage de Octobre (Sergueî M.
Eiscnstcin, 1927) (chapitre 8) ou le style de /I bout de souffle (Jean-Luc
Godard, 1960) (chapitre 11 ).
Même s’ils nous dérangent, ces films continuent de susciter et de modeler
des attentes formelles. À partir de notre expérience courante de spectateur de
cinéma, par exemple, nous nous attendons à ce que certaines voix correspon
dent à certains personnages clairement reconnaissables — mais ce n’est pas le
cas dans le film de Rainer, Film about a woman who... Nous pouvons être
décontenancés par un tel démenti de nos attentes, mais nous avons aussi envie
de chercher d'autres hypothèses plus appropriées au film.
Réussir à anticiper une œuvre déroutante rend notre participation plus
intense, le malaise diminuant au fur et à mesure que nous nous familiarisons
avec la singularité de son système formel. Zorns Lcrnrna (Hollis Frampton,
97
wüUi .J.1 US0I » ni.
J 970) entraîne lentement son spectateur à associer une série d’images et des
lettres de l’alphabet — spectateur qui finit par être totalement absorbé par la
vision de ces séries composant une sorte de puzzle cinématographique.
Comme cherchent aussi à le montrer Film abouta woman w/w... et Zorns
Leinma. une œuvre qui nous dérange révèle les limites de nos attentes formel
les. Ces films sont précieux parce qu’ils nous amènent à réfléchir sur ce que
nous croyons savoir de la forme cinématographique.
Les possibilités de composition d'un film sont illimitées — il y aura tou
jours des films pour nous obliger à revoir radicalement nos attentes, et noire
plaisir sera plus grand si nous en acceptons les expériences formelles inhabi
tuelles et stimulantes.
Conventions et expérience
Nous avons aussi vu. avec le petit jeu du ABAC, que l’un des moteurs de notre
attente était l'expérience acquise : c’est notre connaissance de l'alphabet qui
rendait l'hypothèse ABA peu probable. La forme esthétique n'est pas pure,
isolée du reste de mon expérience. L’idée que notre perception de la forme
dépend d'une expérience acquise a d’importantes conséquences, pour l’artiste
comme pour le spectateur.
Parce que les œuvres d’an sont des artefacts humains et parce que l’artiste
fait partie d’une histoire et d’une société, il ne peut éviter de mettre son œuvre
en rapport avec d’autres et avec certains aspects du monde en ge'néral. Une
tradition, un style dominant, une forme populaire peuvent être pareillement
présents dans des œuvres différentes. Ces caractéristiques communes sont ce
que Ion appelle des conventions. Les genres, comme on l'a déjà vu au
chapitre 2, reposent essentiellement sur des conventions : que les gens chan
tent et dansent est une convention de la comédie musicale (voir par exemple
Le magicien d'Oz). Que les problèmes auxquels sont confrontés les personna
ges soient résolus à la fin du récit est une convention de la forme narrative à
laquelle le film adhère en laissant Dorothy retourner au Kansas. Des ensem
bles de conventions constituent les normes de ce qui doit être fait ou de ce qui
est attendu dans le cadre d’une tradition particulière. Selon qu’il respecte ou
transgresse ces normes, l'artiste crée un lien entre son œuvre et d’autres
oeuvres.
Pour le spectateur, la perception de la forme artistique naîtra des indica
tions internes à l'œuvre et de son expérience acquise. Si notre capacité à
reconnaître des indications formelles peut être innée, nous venons aussi
devant l’œuvre avec des habitudes et des attentes particulières, déterminées
par d'autres expériences —de la vie quotidienne ou d'autres œuvres. Vous
98
avez été capable de suivre le petit jeu du ABAC parce que vous avez appris
l'alphabet. Vous pouvez l'avoir appris dans un cadre éducatif « normal* (dans
une classe, avec vos parents) ou avec une oeuvre d'art (des enfants apprennent
maintenant l alphahci avec des dessins animés, à la télévision). Nous sommes
capables de reconnaître le schéma du «voyage» dans le magicien d’Oz parce
que nous avons déjà voyagé, que nous avons vu d’autres films structurés de la
même façon — La chevauchée fantastique (Stagecoach, John Ford, 1939) ou La
mort aux trousses — ei que ce schéma informe aussi d’autres œuvres, L’Odys
sée ou Alice au Pays des merveilles. Notre capacité à repérer des indications, à
les constituer en système et à en tirer certaines attentes est guidée par notre
expérience de la vie réelle et notre connaissance des conventions formelles.
Pour prendre conscience de la forme d’un film, les spectateurs doivent
donc être prêts à en appréhender les indications formelles à travers leur con
naissance de la vie et des autres oeuvres d’art. Mais que se passe-1-il si ces deux
principes sont conflictuels ’ Normalement, les gens ne se mettent pas soudain
à chanter et à danser, comme dans Le magicien d’Oz. Les conventions servent
souvent à fixer les limites entre l’art et la vie, elles nous disent implicitement :
«Dans des oeuvres de ce type, les lois de la réalité quotidienne sont inopéran
tes. ici, les règles du jeu font que quelque chose d'« invraisemblable» peut
arriver. » Tout art stylisé — l’opéra, le ballet, la pantomime ou la comédie, par
exemple— nécessite que le public veuille bien suspendre pour un temps les
lois de l'expérience ordinaire et accepter certaines conventions. Il n’est plus
question, alors, de dire que ces conventions son! invraisemblables, de deman
der pourquoi Tristan s’adresse en chantant à Iseult ou pourquoi Buster Kea-
lon ne sourit jamais. L'expérience la plus utile à la perception des formes n’est
pas, le plus souvent, celle du quotidien, mais les rencontres préalables avec des
œuvres ayant des conventions semblables.
Les œuvres, enfin, créent de nouvelles conventions. Un travail très nova
teur peut d’abord paraître étrange, par son refus de se conformer aux normes
attendues. C’est le cas de la peinture cubiste, de la musique dodécaphoniste
ou du Nouveau Roman français des années 50. Mais avec une plus grande
attention, nous découvrons dans l’œuvre des règles singulières, un système
formel inhabituel que nous finissons par reconnaitre et auquel nous appre
nons à réagir. À leur tour, ces nouveaux systèmes peuvent donner lieu à des
conventions, et donc à de nouvelles attentes.
Forme et émotion
Les émotions jouent incontestablement un grand rôle dans notre appréhen
sion des formes. Pour comprendre ce rôle, il nous faut distinguer les émotions
99
jiajiU • u mi
Les réactions du spectateur sont aussi liées à la forme. Nous venons de voir
comment les indices offerts par l'oeuvre à notre perception sont en interaction
avec notre expérience acquise, surtout notre expérience des conventions artis
tiques La forme d'une oeuvre fait souvent appel à des réactions prévisibles
provoquées par certaines images (si elles évoquent, par exemple, la sexualité,
la race, la classe sociale). Mais une forme peut aussi créer de nouvelles réac
tions. De même que les conventions formelles nous amènent à suspendre la
compréhension normale de ce qui nous entoure, la forme peut nous amener à
passer outre nos réactions habituelles. Des gens que nous mépriserions dans
la vie font des personnages fascinants; nous pouvons être séduits par le traite
ment d'un sujet qui habituellement nous dégoûte. Une des causes de ces réac
tions est le caractère systématique de notre participation à un film. Dans Le
magicien d'Oz. nous pourrons trouver Oz beaucoup plus attrayant que le
Kansas, mais le film nous amène à partager le désir qu'a Dorothy de retourner
chez elle et nous serons satisfaits lorsqu’elle aura effectivement réussi à le
faire.
Ce sont d’alwjrd les aspects dynamiques d'une forme qui nous émeuvent.
L’attente, par exemple, rend nos émotions plus vives : faire une hypothèse sur
■ ce qui va se passer*, c’est s’investir émotionnellement dans la situation.
Retarder la satisfaction d’une attente — créer du suspense — peut produire
de l’angoisse ou de la compassion. (Le policier va-i-il trouver le criminel ? Le
garçon aura-t-il la fille ? La mélodie reviendra-t-elle ?) Combler une attente
peut produire un sentiment de satisfaction ou de soulagement. (Le policier a
résolu l’énigme, le garçon est avec la fille, la mélodie revient, une fois encore.)
Tromper une attente ou une curiosité sur des aspects passés du récit peut pro
duire de la perplexité ou un intérêt plus vif. (Ce n’est donc pas lui, le policier ?
100
UULLîy slmhhwqh h u Huyj.iiiiiim
Ce n'esi pas une histoire d'amour ? Une deuxième mélodie aurait remplacé la
première ?)
Toutes ces réactions sont seulement possibles : il n'existe pas de recette per
mettant de composer un film ou un roman qui produise la «bonne» réponse
émotionnelle. C’est un problème de contexte — un problème lié au système
particulier qu’est la forme globale de toute oeuvre d'art. seule certitude est
que l'émotion ressentie par le spectateur naît de la totalité des relations for
melles qu'il perçoit dans l'œuvre. C'est pourquoi nous devrions essayer d'en
remarquer le plus grand nombre possible; plus notre perception est riche,
plus nos réactions deviennent intenses et complexes.
Considérées dans leur contexte, les relations entre les émotions représen
tées dans le film et celles ressenties par le spectateur peuvent être très comple
xes. Prenons un exemple. Beaucoup de gens pensent qu’il ne peut rien arriver
de plus triste que la mort d'un enfant. Dans la plupart des films, un tel événe
ment sera représenté de façon à éveiller une affliction identique à celle que
l'on ressentirait dans des circonstances réelles. Mais la forme artistique a le
pouvoir d’altérer la teneur émotionnelle d'une telle situation. Dans Le crime
de M. Lange ( Jean Renoir, 1936) le cynique Batala, un éditeur parisien, viole et
abandonne une jeune blanchisseuse, Estelle. Après la fuite de Batala, Estelle
est intégrée dans la communauté constituée par les habitants de la cour
d'immeuble ou se trouve la maison d’édition et renoue avec son ancien fiancé.
Mais elle porte un enfant de Batala. La scène où Valcntinc, sa patronne,
annonce que l’enfant est mort à la naissance, est émotionnellement l’une des
plus complexes du cinéma. Gravité et tristesse sont les premières réactions
représentées; les personnages sont visiblement affligés. Soudain, un cousin de
Batala dit : «Hélas! C’était tout de même un parent.» Dans le contexte du
film, le mot peut être pris comme une plaisanterie et les autres personnages
commencent à sourire ou à s’esclaffer. Ce retournement émotif nous prend
par surprise: nous savons que les personnages ne sont pas cruels et il nous
faut donc revenir sur notre réaction pour ressentir, comme eux, du soulage
ment. La survie d'Estelle est bien plus importante que la mort de l'enfant de
Batala. Le développement formel du film a fait d’une réaction a priori scanda
leuse la bonne réaction. La scène est audacieuse et permet d’illustrer dramati
quement la façon dont les émotions représentées à l'écran dépendent, comme
nos réactions, du contexte créé par la forme.
Forme et sens
Comme l'émotion, le sens a une part importante dans notre expérience des
œuvres d’art. Observateur actif, le spectateur cherche continuellement à éten
dre la portée d'une œuvre, à comprendre ce qu elle énonce ou suggère. Il peut
101
lui attribuer des types de significations très variables. Examinons par exemple
quatre propositions relatives au Magicien d'Oz
1. Pendant la Grande Dépression, un cyclone emmène une jeune fille loin de sa
ferme familiale du Kansas, au pays mythique d'Oz Après une série d'aventu
res, elle retourne chez elle.
C’est un résumé très concret, qui donne l'essentiel de la structure du film.
Le sens dépend ici de la capacité du spectateur à identifier certaines
informations: une période de l’histoire américaine appelée la Grande
Dépression, un endroit connu sous le nom de Kansas, les caractéristiques
climatiques de cette région. S’il ne sait rien de tout cela, il lui manquera
certains éléments signifiants du film. Ces significations tangibles peuvent
être qualifiées de référentielles, le film faisant référence à des choses ou à
des lieux déjà dotés en eux-mêmes d'une signification.
Le sujet d’un film — dans Le magicien d'Oz, la vie dans une ferme du Kan
sas pendant les années 30 — est souvent établi à travers le sens référentiel.
Celui-ci fait partie de la forme, comme nous l’avons précédemment mon
tré pour la Guerre de Sécession dans Naissance d'une nation. Imaginez que
Dorothy ne vive pas dans un Kansas rural, plat et oublié, mais à Beverly
Hills. En arrivant à Oz (peut-être transportée jusque là par une crue subite
dévalant les collines), la foule et l’opulence ne lui paraîtront guère diffé
rentes de ce qu'elle connaît déjà. La référence «Kansas» joue donc un râle
précis dans le contraste produit par la forme du film entre ses deux princi
paux décors.
2. Une jeune fille rêve de quitter sa maison pour échapper à ses problèmes. Cesi
seulement après être partie qu elle réalise combien elle aime sa famille et ses
amis.
Cette proposition est encore très concrète. Si quelqu’un vous demandait
l'essentiel du film — sa morale, ce qu’il semble vouloir communiquer —
c'est ainsi que vous répondriez. Vous évoqueriez peut-être l’ultime répli
que de Dorothy, «Il n'y a pas de meilleur endroit que la maison ■, comme
un résumé de ce qu elle a appris. Ce type de signification clairement expo
sée par le film, appclons-le sens explicite.
Comme le sens référentiel, le sens explicite fait partie du tout formel de
l'oeuvre, il se définit par rapport à un contexte. Nous avons par exemple
tendance à interpréter la phrase « 11 n'y a pas de meilleur endroit que la
maison» comme la formulation du sens général du film. Mais pourquoi
pensons-nous que cette réplique est lourde de sens ? Dans une conversa
tion ordinaire, ce serait un cliché. Mais dans le film, la phrase est dite au
cours d’un gros plan, vient à la fin (moment formellement privilégié) et
rappelle tous les désirs et toutes les épreuves de Dorothy, le développement
102
imiiiiJ u^LiLtaiiDii » n mu nimm
entier du récit et son objectif. C'est la forme du film qui donne à ce bref
sermon une portée étrange.
Cet exemple nous montre qu’il faut observer la façon dont le sens explicite
est corrélé aux autres éléments du système. Si la signification du Magicien
d’Oz est convenablement et entièrement résumée par *11 n'y a pas de
meilleur endroit que la maison», il n'est plus nécessaire de voir le film : le
résumé suffit. Mais comme les émotions, les significations sont des entités
formelles : elles entrent en rapport avec d'autres éléments pour constituer
la totalité du système. 11 est rarement possible d’isoler un moment particu
lier et de déclarer qu’il détient le sens d’un film. La phrase de Dorothy,
aussi représentative soit-elle de l'une des significations du Magicien d’Oz,
doit être replacée dans le contexte du film, celui, attrayant, du monde ima
ginaire d’Oz. Si c’était effectivement à «Il n’y a pas de meilleur endroit que
la maison» que le film voulait en venir, pourquoi y a-t-il tant de choses
réjouissantes à Oz ? Les sens explicites naissent de la totalité d'un film et
entretiennent des liens formels dynamiques les uns avec les autres.
Pour essayer de voir les moments signifiants d'un film comme les parties
d’un tout plus vaste, il est intéressant de les opposer. On peut ainsi con
fronter la dernière réplique de Dorothy à la scène d'arrivée dans la cité
d’Émcraude, où les personnages se toilettent, et réaliser que le film ne
• traite» pas de l’un ou de l'autre sujet mais de la relation entre les deux
— les dangers et les délices d’un monde imaginaire opposés au confort et à
la stabilité de la maison familiale. Le système global du film se révèle alors
plus important que les sens explicites que l'on peut y trouver. Il ne faut pas
se demander «Quel est le sens du film ?», mais «Comment toutes les signi
fications du film entrent-elles formellement en relation ?».
3. Une adolescente qui va bientôt devoir affronter le monde des adultes aspire d
un retour vers le monde simple de l'enfance, mais accepte finalement les exi
gences de la maturité.
Cette formulation est beaucoup plus abstraite que les deux précédentes. La
proposition va au-delà de ce qui est explicitement développé par le film : le
«sujet» du Magicien d'Oz serait, en quelque sorte, le passage de l'enfance à
l'âge adulte. Selon cette hypothèse, le film suggère ou implique que les ado
lescents puissent avoir la nostalgie d’un monde enfantin sans complication
apparente. Le mécontentement de Dorothy face à sa tante et à son oncle,
son désir de fuir vers un endroit *over the rainbow», au-delà de l’arc-en-
ciel, deviennent exemplaires d’une conception générale de l’adolescence.
Cette signification suggérée, appelons-la le sens implicite. Lorsqu’un obser
vateur attribue un sens implicite à une oeuvre, on dit qu’il Vinterprète.
Les interprétations sont variables : un spectateur dira du Magicien d’Oz
qu'il traite vraiment de l'adolescence; un autre, du courage et de
103
____ « MMU î - iâ du 1111_
l’obstination; un autre enfin dira qu'il s’agit d'une satire du monde des
adultes. L'un des intérêts des œuvres d'art est quelles semblent appeler
plusieurs interprétations simultanées. Elles nous fournissent les indica
tions nécessaires à la réalisation d’une certaine activité — ici» construire
des sens implicites —, et leurs formes influent sur notre appréhension des
sens implicites.
Il y a des spectateurs qui abordent les films avec l’espoir d’en tirer quelques
leçons précieuses sur la vie; leur admiration va aux œuvres qui semblent
communiquer un message profond ou utile. Mais aussi importante que
soit la signification, on commet ainsi la faute de dissocier le film en un
contenu (la signification) et une forme (qui ne serait que le véhicule du
contenu). La qualité d’abstraction du sens implicite peut conduire à énon
cer des notions générales (que Ion appelle souvent des rhènies) : un film
peut avoir pour thème le courage ou la puissance d'un amour sincère. De
telles descriptions ne sont pas sans valeur, mais restent très vague; elles
correspondent à des centaines de films. Réduire Le magicien d'Oz à des
problèmes de puberté ne rend pas justice aux qualités spécifiques du film
comme expérience. La recherche des significations implicites ne doit pas
passer outre les spécificités et les caractéristiques matérielles d’un film.
Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas faire d’interprétations mais que ces
interprétations doivent être précisées en observant la manière dont les
significations thématiques sont déterminées par la totalité du système fil
mique. Dans un film, les sens explicites et implicites dépendent des rela
tions entre le récit et le style. Dans Le magicien d’t)2, l’élément visuel
appelé «la Rome de Brique Jaune» n'a pas de sens en soi. Mais si l'on exa
mine la fonction qu'il remplit par rapport au récit, à la musique ou à
l’ensemble des couleurs, on peut alors démontrer que la Route de Brique
|aune à un râle signifiant. Le fort désir qu'a Dorothy de revenir chez elle
fait de cette Route sa représentation. Nous espérons que Dorothy réussira
à aller jusqu'au bout comme nous espérons quelle retournera au Kansas;
la Route participe ainsi du thème des attraits de la maison familiale.
L’interprétation n’a pas besoin d'épuiser les possibilités d'un motif, elle
n’est pas une fin en soi mais un moment de notre compréhension générale
de la forme. On peut dire beaucoup de choses sur la Route de Brique
jaune, hors de sa relation signifiante au thème du film. Nous pouvons étu
dier la façon dont la Route devient le décor des danses et des chansons au
cours du voyage. Nous pouvons en comprendre l’importance narrative
lorsqu'un temps d’indécision, à un carrefour, retarde suffisamment Doro
thy pour qu elle puisse rencontrer l’Épouvantail. Nous pouvons dégager la
gamme colorée du film, qui met en contraste le jaune de la route, le rouge
des pantoufles et, entre autres, le vert de la cite d'Émcraude. L’interprétation
104
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105
PUIK î - m [DABI DI I IL|
il faut s’efforcer ici de fonder les sens symptomatiques sur les aspects spé
cifiques d’une oeuvre. Un film met en acte des significations idéologiques
à travers un système formel unique et particulier. Nous verrons au
chapitre 11 comment les systèmes narratifs et stylistiques du Chant du
Missouri et de Raging Bull (Martin Scorsese, 1980) peuvent être analysés
pour leurs implications idéologiques.
Les films «ont * du sens parce que nous leur attribuons des significations,
le sens n’est pas une résultante qu'il suffirait d’extraire. Nous cherchons à
découvrir la signification d’une œuvre d’art à différents niveaux, référentiel,
explicite, implicite et symptomatique. Plus notre approche est abstraite et
ramène l'oeuvre à des données générales, plus nous risquons de relâcher noire
attention sur le système formel du film. Il nous faut, en tant qu'analystes,
savoir équilibrer notre intérêt pour ce système concret et notre fort désir de
lui assigner un sens plus large.
Évaluation
Lorsque l'on parle d’une oeuvre d'art c’est souvent pour l'évaluer, souligner
ses qualités et ses défauts. Dans la rubrique cinéma d'un magazine ou lors
d'une conversation entre amis, on conseille d'aller voir les meilleurs films du
moment — mais il arrive bien souvent que l'œuvre appréciée par un autre
semble médiocre et l’on se plaindra alors que les jugements ne se fassent que
sur la base des goûts personnels.
Comment juger un film avec un minimum d'objectivité ? Nous pouvons
commencer par prendre conscience de la différence entre goût personnel et
jugement critique : dire «j'ai aimé ce film» ou «je l’ai détesté» n’est pas la
même chose que dire «c’est un bon film» ou «c’est mal fait». On ne prend pas
plaisir qu'aux grandes œuvres, la plupart des gens aimeront voir un film dont
ils savent qu'il n’est pas particulièrement bon. C'est parfaitement normal, tant
que ces personnes ne cherchent pas à nous convaincre que ces films font réel
lement partie des chefs-d'œuvre du cinéma (auquel cas nous n’écoulerons
sans doute plus jamais leur avis).
Les préférences personnelles ne sauraient constituer la base d'un juge
ment, Le critique qui désire s'approcher d'une évaluation objective emploiera
des critères spécifiques, des normes permettant de porter des jugements sur
des œuvres de qualités différentes.
Il existe toute sorte de critères. Certaines personnes jugent les films selon
les critères du «réalisme», les appréciant s’ils sont conformes à leur concep
tion de la réalité. Les amateurs d'histoire militaire jugent la fidélité et la préci
sion de l'artillerie représentée pendant les scènes de batailles cl s’intéressent
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ÇflflFlIU 3 - iKHUiunH K u tmi 111■ im __
107
- LijiuujLuu
utile que s’il révèle des relations et des qualités qui nous avaient échappées :
comme l’interprétation, il doit nous ramener à l'étude et à la compréhension
du système formel.
Nous avons, dans ce livre, réduit la part du jugement critique. La plupart
des séquences et des films que nous analysons sont, en regard des critères
énoncés, plus ou moins bons, mais notre but n'est pas de constituer des listes
de chefs-d’œuvre : pour qui veut porter des jugements critiques, ce livre four
nit une base, les moyens d’examiner en détail le système formel d’un film.
Fonction
Si la forme filmique est constituée par les relations entre différents systèmes
d'éléments, on peut supposer que chacun de ces éléments possède une ou plu
sieurs fond ions.
Tout ce qui compose un film doit être interrogé dans sa fonction. Dans Le
magicien d'Oz, chaque élément remplit un rôle : Miss Gulch par exemple, la
femme qui veut retirer Toto à Dorothy, réapparaît à Oz en sorcière. Dans la
première partie du film. Miss Gulch effraie Dorothy pour la faire partir de la
108
<USPiJJll 1 - .ÜCIUIOIJH H 11 IUU flLllllll
109
mm 2 la mini pu mi
nous voyons un homme vêtu comme un clochard au milieu d’un bal mon
dain, nous nous demanderons pourquoi il est habillé ainsi. Il est peut-être la
victime de farceurs qui lui ont fait croire qu’il s’agissait d’une soirée déguisée,
ou bien il s'agit d'un millionnaire excentrique qui veut choquer ses amis. 11 y a
une (elle scène dans Mon homme Godfrey (My man Godfrey, Gregory La Cava,
1936) : ce qui motive la présence d’un clochard au bal est une chasse au trésor
— en ramener un faisait partie du jeu.
La motivation est si courante dans les filins que les spectateurs ont ten
dance à ne plus y prêter attention. Un éclairage ténu et vacillant sur un per
sonnage sera peut-être motivé par la présence d’une bougie (même si nous
savons que la lumière, au moment de la réalisation, est fournie par des lampes
situées hors-champ, la bougie est donnée comme source et en motive donc les
qualités); un personnage qui traverse une pièce motive un déplacement de la
caméra permettant de suivre l’action et le garder dans le cadre. Pour l'étude
des formes narratives (chapitre 4) et non-narratives (chapitre 5), nous revien
drons plus précisément sur la façon dont la motivation détermine la fonction.
Ressemblance et répétition
Nous avons vu, avec le jeu de i’ABACA, que nous pouvons deviner le dévelop
pement d'une série grâce à la régularité d'une structure répétitive. Comme la
rythmique en musique ou la métrique en poésie, la répétition des A dans la
structure provoque une attente formelle et la satisfait. La ressemblance et la
répétition sont, suivant les mêmes mécanismes, d'importants principes de la
forme filmique.
La répétition est fondamentale pour notre compréhension des films: il
faut par exemple être capable de reconnaître les personnages et les décors à
Figure 3.2 chacune de leurs réapparitions. Mais dans un film, tout est sujet à répétition :
les dialogues, la musique, les positions de caméra, les comportements des per
sonnages et l'intrigue elle-même.
Un terme permet de désigner l'objet d’une répétition formelle : le motif.
Un objet, une couleur, un lieu, un personnage, un son ou un trait de caractère
peuvent être des motifs, comme un éclairage ou une position de la caméra,
s’ils sont répétés à travers le film. Dans un film aussi simple que Le magicien
d'Oî, tous ces types de motifs sont employés, montrant la prégnance de la res
semblance et de la répétition comme principes formels.
Il y a des ressemblances générales comme de parfaites duplications. Pour
bien comprendre Le magicien d’Oz, il nous faut saisir les ressemblances entre
l'F.pouvantail, l'Hommede fer blanc et le Lion peureux, et les trois journaliers
Figure 3.3 du Kansas, ou entre le diseur de bonne aventure itinérant (fig. 3.2) et le vieux
110
(Ufipiiai } - s ic b il k s 11 o ii u il iimiim
charlatan qui se fait passer pour le magicien {fig. 3.3). On devra réaliser que la
bicyclette de Miss Gukh (fig. 3.4) devient le balai de la sorcière (fig. 3.5). Ces
comparaisons n'indiquent pas des reprises à l’identique mais des parallèles,
développés tout au long du film. Dorothy dit dans une scène quelle a le senti
ment d'avoir déjà rencontré l’Épouvantail et ses deux compagnons. Lorsque le
Lion peureux avoue sa timidité, la disposition des personnages reprend, en
l'inversant comme dans un miroir, celle d’une scène antérieure où les deux
autres se moquent de Zeke parce qu’il a peur des cochons (figs. 3.6,3.7).
Les motifs peuvent être à l'origine de parallélismes. Le spectateur attend,
après chaque rencontre d’un nouveau personnage à Oz, la chanson de
Dorothy : We'rc off ta see the wizard. Une partie de notre plaisir de spectateur Figure 3.6
provient de la reconnaissance des parallélismes, qui ont dans un film un pou
voir équivalent à celui de la rime poétique.
Différence et variation
La répétition ne peut pas être le seul principe formel d’un film. AAAAAA est
une suite plutôt ennuyeuse — il y a toujours un changement ou une variation
minime dans une forme, qui nous fait dire que la différence en est un autre
principe fondamental.
On peut facilement comprendre la nécessité de la diversité, du contraste
ou du changement dans les films. Il faut différencier les personnages, les Figure 3.7
décors, les temps et les actions. Dans l’image elle-même, il nous faut distin
guer des différences de tonalités, de matières, de directions ou de vitesses des
mouvements.
C’est pourquoi la répétition d’un motif (d'une scène, d’une action, d’un
accessoire ou d'une invention formelle) est rarement une reprise à l'identique.
Dans notre exemple favori, Le magicien d’Oz, les trois journaliers du Kansas
111
POII£ 2,- tfl IOHl DU (lll
Développement
Pour rester attentif au travail de la ressemblance et de la différence dans un
film, il faut en chercher les principes de progression, ce qui fait passer d’une
partie à une autre. Des répétitions et des variations structurées constituent ce
que l’on appellera un développement. La suite ABACA est fondée sur une
répétition (récurrence du motif A), une variation (introductions successives
d’un B et d’un C) et sur une progression s’énonçant comme une règle : des A
112
aiPinu-^ u-^LJi-Cfliioii pi in mu mmiut__
alternent avec des lettres apparaissant dans l’ordre alphabétique. C'est le prin
cipe du développement de cette série.
On peut donner comme modèle de développement formel le passage d’un
clément X à un élément Z en passant par Y. Il y en a de plusieurs sortes dans
Le magicien d’Oz; en premier lieu, le voyage, qui va ici du Kansas à Oz pour
revenir au Kansas. Comme le dit la bonne fée Glinda : «Il vaut mieux com
mencer par Je commencement»; un plan nous montre Dorolhy posant le
pied sur le début de la Route de Brique Jaune, une simple ligne qui s’agrandit
sous scs yeux (fig. 3.10). Le magicien d’Oz est aussi une quête, s'ouvrant sur
une séparation, décrivant les différentes tentatives de l’héroïne pour revenir
chez elle et s'achevant par son retour. 11 est aussi structuré comme une énigme, Figure 3.10
débutant avec une question (qui est le magicien d’Oz ?), passant par diverses
hypothèses et se concluant par une réponse (le magicien est un charlatan). La
plupart des longs métrages sont ainsi composés de plusieurs schémas de déve
loppement narratif.
Pour analyser le développement d’un film il est souvent utile d'en produire
une segmentation, une rapide description écrite le divisant en parties princi
pales et sous-parties désignées par des numéros ou des lettres. Ces sous-par-
1 ies peuvent être des scènes comme des divisions à l’intérieur d'une scène (par
exemple, scènes 6A et 6B, etc.). La segmentation peut prendre la forme d'un
diagramme, qui permet d'avoir une compréhension d'ensemble directe et de
mieux relever les différences et les répétitions (se reporter aux chapitres -1 et
5). Figure 3.11
Une autre façon de mesurer le développement formel d'un film est d'en
comparer le début et la fin. Dans Le magicien d’Oz, une telle comparaison faite
au niveau narratif nous montre que le récit se boucle : la recherche du départ,
celle d'un lieu idéal «au-delà de l'arc-en-ciel», est devenue la recherche d'un
moyen de revenir à la maison. Les scènes finales reprennent en les dévelop
pant les éléments narratifs du début. Ce sont les deux seuls moments du film
en noir et blanc, répétition qui souligne le contraste narratif entre Oz et le
Kansas.
À la fin du film, une scène où le diseur de bonne aventure, le professeur
Marvel, rend visite à Dorothy (fig. 3.11 ), inverse la situation d'une scène anté
rieure, où c’était Dorothy en fuite qui venait le voir. Il l’avait alors convaincue
de retourner chez clic; plus tard, dans le rôle du charlatan de Oz, il lui donne
l’espoir de pouvoir le faire; et lorsque enfin elle le reconnaît, ainsi que les trois
journaliers, comme la base du personnage de son rêve, elle se rappelle aussi de
son fort désir de retour.
Nous pouvons à présent mieux comprendre de quelle façon la forme
filmique provoque attentes et réactions émotives. Les jeux constants de la
113
KUUJ - u mu >i jujjl
Cohérence
Le système filmique, c’est l’ensemble des relations entre tous les éléments d'un
film, quel que soit notre avis sur l'inadéquation apparente de l'un de ces élé
ments au système. Cet élément peut-être incohérent, problématique, énigma
tique — il peut introduire un défaut dans un film qui. sans lui, serait
parfaitement unitaire — mais il fait partie du film, et y produit donc un effet,
Lorsque toutes les relations que nous percevons dans un film sont intelligi
bles et tissées avec économie, on dit de ce film qu’il est cohérent. On dira aussi
d'un tel film qu'il est « achevé » ou «maîtrisé» parce qu’il ne laisse rien au
hasard dans son système formel : il n'y a aucun élément en trop, chacun d'eux
a un ensemble de fonctions spécifique, les ressemblances et les différences
sont déterminables et la forme obéit à un développement logique.
Il y a différents degrés de cohérence —rares sont les films si maîtrisés
qu’ils ne laissent rien en suspens, quelques questions sans réponses ou incohé
rences flagrantes. Dans une scène du Magicien d'Oz. la sorcière fait référence à
une attaque d’insectes qu elle aurait dirigée contre Dorothy cl ses amis, mais
comme nous n’avons jamais vu cet épisode, la référence reste mystérieuse,
Une séquence montrant une attaque d'abeilles avait effectivement été tour
née, pour être finalement abandonnée au montage, ôtant ainsi toute motiva
tion aux paroles de la sorcière. De façon encore plus frappante, nous ne
savons pas ce qu’est devenue Miss Gulch à la fin du film, plus personne ne fai
sant allusion à elle. Le spectateur ne fera peut-être pas attention à ce manque
parce que le double de Miss Gulch, la sorcière, a été tué à Oz et que l'on ne
s’attendait donc plus à la revoir.
Plus un film cherche l'unité, plus on en remarque le manque d'unité. Si
l’on estime que la cohérence est un critère de jugement, le film est un échec
— mais ce serait ignorer que ce critère est lui-même le produit de certaines
conventions formelles.
Nous voyons un film où plusieurs personnages meurent mystérieusement,
sans que l’on sache jamais comment ni pourquoi. L’insistance de ce manque
d’explication nous signale qu’il ne s'agit pas d’une «erreur», et l'impression
que les manques sont volontaires sera renforcée si d’autres éléments se révè
lent tout aussi imprécis. L’aspect lacunaire d'un film peut en être une qualité
formelle positive, qui n'est pas synonyme d'incohérence. Elle peut être
114
(wjuu 2 - nuuKanni h la maifiuiiH
Résumé
Nous avons essayé, dans cette approche esthétique du problème de la forme,
d'être concret. La forme est le système spécifique de relations structurées que
nous percevons dans une oeuvre d'art. Une telle notion nous aide à compren
dre comment ce que l'on appelle souvent le - contenu» — le sujet du film, les
thèmes abstraits qu'il évoque — a aussi une fonction formelle particulière.
Notre expérience des œuvres est concrète. En relevant les indications
d'une oeuvre, nous sommes amenés à faire certaines suppositions, à produire
certaines attentes qui sont stimulées, dirigées, retardées, trompées, satisfaites
ou perturbées. Nous éprouvons de la curiosité, de l’incertitude, de la surprise.
Nous comparons des aspects de l’œuvre avec ce que nous savons de la vie et de
l'art, avec des conventions. Par sa structure concrète, elle exprime et produit
des émotions et permet d'élaborer plusieurs niveaux de signification. Lorsque
nous appliquons des critères généraux pour porter un jugement critique sur
elle, ces critères nous aident avant tout à mieux discerner, à mieux pénétrer
ses particularités. Le reste du livre est consacré à l ’élude de toutes ces proprié
tés esthétiques de la forme au cinéma.
On peut regrouper les principes de la forme cinématographique en un
ensemble de questions qu’il faut poser à tout film.
115
H>11/ 2 - Lfl fjumc PU lljjl
Ressemblance et différence
Aucune élude systématique n’a été réalisée sur la façon dont les films mettent
en œuvre les répétitions et les variations, mais la plupart des critiques recon
naissent implicitement l’importance de ces processus. Un bon exercice consis
terait à lire un essai critique concernant un film que vous avez vu et à se
demander comment l'auteur attire l'attention sur les différences et les ressem
blances qui s’y entrelacent.
Certains théoriciens ont signalé de façon explicite le jeu de la ressemblance
et de la différence. Après l’analyse d'une séquence du Grand sommeil, Ray
mond Bellour (dans «L’évidence et le code») conclut que c’est un certain
schéma de ressemblances et de différences entre les plans qui fait que nous
pouvons comprendre le récit.
Certains films peuvent intriguer par leur façon d’exacerber les différences
au sein de leurs systèmes formels. On peut évoquer deux théoriciens ayant
porté une attention considérable aux fonctions des tensions et des conflits
dans la forme filmique : S.M. Eisenstein, comme Noël Burch dans sa Praxis du
cinéma utilise la notion de «dialectique» formelle. Un autre exercice intéres
sant consisterait à préciser les différences entre ces deux théoriciens?
116
Le narratif
4
comme système formel
réussite succède à de longues séries d'expériences. Les pièces de Narration le Ilot de hrtformatkin
théâtre racontent des histoires, comme les films, les spectacles narrative
télévisés, tes bandes dessinées, les peintures, la danse et bien Le cinéma hollywoodien clasnque
d'autres phénomènes culturels. Nos conversations sont émaillées La forme narrative dans Citizen fane
d'histoires — souvenirs ou plaisanteries. De même pour les arti Résumé
cles de journaux. El lorsque nous réclamons une explication,
Notes et Point! d’inlerrogabon
c'est en disant : «Raconte!». Nous n'y échappons pas, serait-ce
2 - L fl lO.filflJlil f IL ü __
dans le sommeil; les rives, nous les comprenons comme de courts récits, et
c’est généralement sous celte forme qu'ils restent en mémoire et sont racon
tés. Le narratif est sans doute, pour l’homme, un moyen fondamental de don
ner sens au monde.
La prégnance de la forme narrative dans notre quotidien justifie que
nous en observions attentivement la mise en oeuvre dans les films. «Aller au
cinéma» signifie presque toujours aller voir un film narratif — un film qui
raconte une histoire.
Si les formes narratives sont courantes dans les fictions, elles sont aussi
présentes dans d'autres types filmiques — dans le documentaire par exemple :
Printary raconte les campagnes électorales de Hubert Humphrey et
John E Kennedy dans le Wisconsin des années 60. Les films d’animation
racontent des histoires, que ce soient les longs métrages de Disney ou les
courts métrages de la Warner. De même pour les films expérimentaux, avec
des sujets et des moyens plus inhabituels; voir Film about à woman who... ou
Scorpio rising.
Familier des histoires, le spectateur aborde un film de fiction avec des
attentes précises. Nous pouvons savoir ce qu'un film va raconter pour avoir lu
le livre dont il est adapté ou vu le film dont il est la suite. Mais nos attentes
correspondent le plus souvent à la nature même de la forme narrative : on
suppose qu'il y aura des personnages et des situations qui les mettront en rap
port, une série de péripéties plus ou moins enchaînées, des questions ou des
conflits finalement résolus ou développés. Celui qui regarde un film narratif
est ainsi prêt à lui donner du sens.
En regardant un film, le spectateur relève des indications, revient sur cer
taines informations, anticipe ce qui va suivre et participe de façon générale à
la création de la forme filmique. La curiosité, le suspense, la surprise sont les
manifestations de ses attentes, déçues ou satisfaites par la fin du film —qui
peut aussi l'obliger à reconsidérer des informations antérieures. Nous verrons
ainsi à différents moments de notre étude comment la forme narrative
entraîne le spectateur dans une activité dynamique.
Récit et histoire
Nous pouvons considérer qu'un récit est une chaîne d’événements liés par des
relations causales, se déroulant dans le temps et dans l’espace — en confondant
pour l'instant le récit avec ce que l’on désigne par le terme « histoire». Généra
lement, un récit, couvre sur une situation, modifiée par une série d’événe
ments se succédant suivant un schéma causal et débouchant sur une nouvelle
situation qui mène à la fin du récit.
118
4 - U HflRÜfllU (OU IV51CDI {.OiSLLL
Dans cette définition, la causalité et le temps sont les deux éléments cen
traux. Une suite aléatoire de faits est difficilement recevable comme une his
toire. * Un homme s’agite, va et vient, incapable de dormir. Un miroir se brise.
Un téléphone sonne» : cette juxtaposition d'actions, sans relations causales ou
temporelles apparentes, ne se présente pas comme une narration.
Mais on peut en compléter la description : «Un homme se dispute avec
son patron. Dans la nuit, il s'agite, va et vient, incapable de dormir. Le lende
main matin, il est encore en colère et brise le miroir de la salle de bain. Le télé
phone se met alors à sonner : son patron l’appelle pour lui faire des excuses».
Nous avons maintenant un récil. Les épisodes sont liés spatialement :
l’homme est d'abord dans un bureau, puis chez lui; le miroir est dans la salle
de bain: le téléphone est ailleurs dans la maison. Nous comprenons que ces
trois événements font partie d’une série de causes et d’effets : la dispute avec le
patron a provoqué l’insomnie et la colère qui est à l'origine de la destruction
du miroir. Un coup de téléphone du patron résout le conflit; la narration est
terminée. De même pour les aspects temporels: la nuit d'insomnie vient
avant la destruction du miroir, qui arrive avant le coup de téléphone. Toute
l'action se déroule en une journée, une nuit et une matinée. Le récit se déve
loppe à partir d’une situation initiale —un conflit entre un patron et son
employé —, passe par quelques épisodes qui en sont les conséquences et
s’achève avec la résolution du conflit. Ce simple exemple résume ainsi
toute l’importance de la causalité, du temps et de l’espace dans la forme
narrative.
Celle-ci connaît d'autres principes formels, l e parallélisme, par exemple,
tel qu'on l'a défini au chapitre 3, est ce qui développe une ressemblance entre
différents éléments. Pour l'illustrer nous avions vu le lien, dans Le magicien
d’Oz, entre les trois journaliers du Kansas et les trois compagnons de Dorothy.
Un récit peut nous amener à mettre en parallèle des personnages, des décors,
des situations, des moments de la journée... Quelque chose d'autre (O nêcètn
jinérn, Vers Chytilova, 1963) présente alternativement des épisodes de la vie
d'une femme au foyer et de la carrière d’une gymnaste. Les deux femmes ne se
rencontrent jamais et mènent des vies totalement différentes : il n’y a aucun
lien causa) entre leurs deux histoires. Mais nous comparons les situations et le
comportement de chacune — nous faisons des parallèles. Primary est de la
même façon une comparaison entre les méthodes électorales de l’expérimenté
Hubert Humphrey et du jeune Kennedy.
Un autre documentaire, Hoop dreams, fait un usage encore plus radical du
parallélisme. Deux lycéens venant des ghettos noirs de Chicago rêvent de
devenir des basketteurs professionnels. Le film suit la carrière de chacun
d’eux, nous invitant à constater les similitudes et les différences entre leurs
119
. Hlîic ? 7 n rû«ni pü nia -
120
- LMHillK UJ-iiunut wm
Histoire
Récit
121
1 - IIUUIUIUI
qui raconte peut présenter ces événements directement, et donc les intégrer
au récit, comme en cacher ou en ignorer d’autres — dans La mort aux trousses
nous voyons la mère de Roger Thornhill, mais nous n’entendons jamais parler
de son père. Ajouter des éléments extradiégéliques à l'histoire est un moyen,
pour le réalisateur, d’en faire un récit, comme nous venons de le voir avec
Tous en scène.
Du point de vue du sujet percevant, les choses sont quelque peu diffé
rentes. Tout ce qui se présente à lui, c'est le récit — l'organisation narrative
concrète du film tel qu’il lui est donné à voir. Il crée l'histoire à partir des
informations fournies par le récit, tout en distinguant dans celui-ci ce qui est
extradiégétique.
Il semble alors qu'il y a toujours deux possibilités pour dresser le synopsis
d'un film narratif : résumer l’histoire, en respectant l’ordre chronologique des
événements déduits du récit, ou décrire le récit, suivant l’ordre que celui-ci
propose. On voit déjà que la distinction entre récit et histoire, si elle constitue
avec notre définition initiale un ensemble d'outils permettant d’analyser le
fonctionnement de la forme narrative, oblige aussi à reconsidérer pour cha
cun les trois paramètres de la forme narrative : causalité, temporalité, spatia
lité.
Causalité
Qu’est-ce qui a fonction d'agent causal dans une forme narrative ? Générale
ment, les personnages, qui déclenchent les situations et y réagissent; des per
sonnes, donc, ou des entités ressemblant à des personnes — Bugs Bunny, E.T.
l'extraterresire ou la théière chantante de La Belle et la Bête — mais que nous
appellerons toujours personnages pour éviter les confusions terminologiques.
Michael Moore est un personnage de Roger and me, Roger Thornhill, un per
sonnage de La mort aux trousses, même si le premier est une personne réelle et
le second, une fiction. Dans tout film narratif, documentaire ou fiction, les
personnages créent les causes et manifestent les effets. A l’intérieur du sys
tème formel du film, ils provoquent les événements et réagissent à leurs chan
gements.
Un personnage à plusieurs qualités. 11 est généralement doté d'un corps
(mais certains ne sont que des voix fantomatiques, comme lorsque Obi-Wan
Kcnobi revient d’entre les morts, dans L'Empire contre-attaque (Lite empire
strikes bock. Jrwin Kerschner, 1980) pour presser Yoda, le maître Jedi, de don
ner à Luke Skywalker son initiation). Il a aussi des traits de caractères, une
personnalité, dont la complexité varie selon les films. L’inoubliable Sherlock
Holmes est une collection de détails psychologiques ou comportementaux
122
ÏWIIU* u nofififliti coim mim
123
mm 2 - ;oik lu uiffl
requin au début des Dents de mer que le reste du film peut-être consacré
aux réactions des habitants de la ville. Mais le récit peut aussi nous conduire à
reconstituer, par inférences, l’enchaînement des causes et des effets, et par
conséquent la totalité de l'histoire. Le film policier offre le meilleur exemple
de la façon dont fonctionne celle élaboration dynamique de l'histoire.
Un meurtre a été commis : nous connaissons un effet, mais pas les causes
— l'identité de l'assassin, son motif et peut-être la façon dont le meurtre s'est
déroulé. L’inlrigue policière en appelle à notre curiosité, à notre désir de con
naître les faits antérieurs à l’ouverture du récit. Dévoiler les causes manquan
tes, c'est le travail du policier — à la fin, il nommera l'assassin, expliquera son
motif et sa méthode. Dans ce genre, donc, c'est au moment le plus important
du récit, de son dimax, que sont révélées les situations initiales de l'histoire.
a. Conception du crime
b. Préparation du crime
Histoire Réalisation du crime
Le crime est découvert
Récil Le policier enquête
Le policier dévoile a, b et c
C'est dans les récits policiers que cette structure est la plus courante, mais
tout récit cinématographique peut ainsi dissimuler des causes pour faire naî
tre notre curiosité. Dans les films d’horreur ou de science-fiction, par exem
ple, on nous dissimule souvent la nature des forces provoquant certains
événements. Nous verrons plus loin de quelle façon le récit de Citizen Kane
retarde l’explication des dernières paroles de son personnage principal.
À l'inverse, c’est la présentation des effets qui peut être retardée ou absen
tée pour éveiller notre imagination. Dans Les dents de la mer, le requin brise la
cage de protection dans laquelle Hooper, le jeune scientifique, était descendu
pour le combattre. On ne nous montre pas l’issue de la scène — ce sera sans
doute la mort, même si on voit le personnage qui essaye de se cacher dans les
fonds marins Mais plus tard, après que le shérif Brody a réussi à tuer l’animal,
Hooper refait surface, contre toute attente.
Celte figure est plus troublante lorsqu'elle vient en conclusion d'un récit,
comme dans la célèbre séquence finale des 400 coups (François Truffaul,
1959). Un jeune garçon, Antoine Doinel. s'est échappé d'une maison de
redressement et court sur une plage. Après un brusque zoom sur son visage,
l’image se fige (fig. 4.1) — c’est la fin du film, qui nous laisse libre d'imaginer
ce qui va se passer.
124
(wim 4 - u nmfliu uni ijjjmxWUl
Figure 4.1
Temporalité
Causes eî conséquences s'inscrivent dans une temporalité. La distinction
entre récit et histoire va nous permettre d’expliquer comment le temps agit
sur notre compréhension d'une intrigue.
Nous reconstruisons la chronologie de l'histoire à partir des données d’un
récit qui ne la respecte pas toujours. Dans Citizen Kane, par exemple, le spec
tateur assiste à la mort d'un homme avant de voir les épisodes consacrés à son
enfance et doit donc rétablir lui-même l'ordre biographique. Le récit peut
présenter une chronologie trouée, que le spectateur est appelé à compléter, ou
répétitive, par exemple lorsqu’un personnage se souvient continuellement
d'une scène traumatique. Cela nous conduit à préciser trois paramètres de la
construction narrative : l’ordre, la durée et la fréquence.
L'ordre. Nous sommes habitués aux films qui ne respectent pas l’ordre chro
nologique d’une histoire, avec par exemple le fîashback, ou «retour en
arrière». Une femme pense à son enfance : au plan qui la montre songeuse
succède un plan où elle apparaît petite fille — nous comprenons que ce plan
esc, dans la chronologie de l'histoire, antérieur au premier. Si nous schémati
sons la structure d'une histoire sous la forme ABCD, le récit correspondant
avec flashback s'écrit BACD, et celui avec flashforward (présentant une action
postérieure à l'action en cours), ABDC. Nous pouvons à nouveau évoquer
l'exemple du film policier, qui joue sur la causalité en retardant la révélation
d’événements capitaux mais bouleverse aussi l'ordre chronologique, le récit
ne présentant les événements entourant le crime qu’au moment du climax.
La structure temporelle du récit peut être une alternance d'actions passées
et présentes. Dans la première moitié de Distant voices. still Lives (Terence
Davies, 1988) le mariage d’une jeune femme, qui a lieu dans le présent de la
narration, est émaillé de flashbacks montrant l'époque où sa famille vivait
125
mm z ; j iiuii m un
La durée. Le récit de La mort aux trousses raconte quatre jours et quatre nuits
effrénés dans la vie de Roger Thornhill. Mais l'histoire se déploie sur une plus
longue période, des informations sur le passé des personnages — les diffé
rents mariages de Thornhill — ou des événements — les machinations de la
C.I.A., les activités clandestines de Van Damm — étant révélées au cours du
récit.
En général, un récit se concentre sur certains moments de l'histoire — que
ce soient des périodes courtes cl rapprochées, comme dans La mort aux trous
ses, ou une série d'épisodes importants ponctuant toute la vie d’un homme
comme dans Citizen Kane— dont la somme produit la durée globale du récit.
Il faut aussi considérer le temps de projection du film. Un film peut durer
vingt minutes, deux heures ou huit heures comme Hitler, un film d'Allemagne
(Hitler, ein film aus Deutschland, Hans Jürgcn Sybcrberg, 1977). Il y a donc
trois types de durée — durée de l’histoire, du récit et de projection — dont les
rapports sont complexes (voir «Notes et Points d’interrogation»). Nous nous
contenterons pour l'instant de souligner que la durée de projection est indé
pendante des deux autres — dans La mort aux trousses, l’histoire s'étend sur
plusieurs années, le récit, sur quatre jours, et la projection dure environ 136
minutes.
durée du récit est le résultat d'une sélection opérée dans la durée de
l’histoire, et il en va de même pour la durée de projection par rapport à celle
du récit. Des quatre jours de la vie de Thornhill, nous ne voyons que quelques
126
fragments. Mais il y a des contre-exemples, comme Douze hommes en colère
(Twelve angry men.Sidncy Lu met, 1957) l'histoire de la délibération d’un jury
sur une affaire de meurtre, où les 95 minutes du film correspondent presque
au pseudo temps réel de l’action.
La durée de projection peut aussi être la manifestation d'une manipulation
du temps de l’histoire par le récit. Elle peut, par exemple, excéder la durée
normale de l'action (on dit quelle la dilate}. La levée du pont dans Octobre, de
Sergueï Eisenstein, en est un exemple célèbre; sa durée, démultipliée au
moyen du montage, confère à l'action une formidable intensité. Le temps
peut aussi être comprimé, une longue scène, devenir une succession rapide de
plans. Ces aspects techniques de la création de la durée de projection seront
détaillés dans les chapitres 7 et 8.
Spatialité
L'espace est en général un élément important dans la narration filmique, con
trairement à d'autres modes d'expression narratifs où l’accent peut être mis
sur la causalité et la temporalité, sans précision de lieu. Ijes événements ont
souvent des contextes spatiaux précis, le Kansas ou Oz, le Michigan dans
Roger and Me, Manhattan dans La mort aux trousses. Avant de revenir à des
observations sur les décors au chapitre 6, consacré à la mise en scène, nous
127
u*in 2 - ii niii m im
pouvons faire quelques remarques sur la façon dont récit et histoire manipu
lent les données spatiales.
L’espace de l'histoire et celui du récit sont normalement confondus mais le
récit évoque parfois des lieux non-vus qui participent de l’histoire. C’est le cas
du bureau de Roger Thornhill ou des écoles dont Kanc est renvoyé. Dans une
scène à'Exodus (Otto Preminger. 1960) Dov landau, interrogé par les mem
bres d’une organisation terroriste dont il veut faire partie, raconte avec diffi
culté son passage dans un camp de concentration nazi. Le film ne nous
montre pas le camp par un tlashback : la puissance émotionnelle de la scène
dépend de notre capacité à en renforcer, par l’imagination, la description
sommaire.
Nous pouvons introduire ici une notion analogue à celle de durée de pro
jection, Le champ est cet espace délimité par le cadre, qui implique un hors-
champ et constitue un troisième espace à coté de ceux déterminés par l’histoire
et par le récit. De même que la durée de projection est le résultat de choix opé
rés dans la durée du récit, le champ est un fragment de l’espace du récit. Nous
y reviendrons au chapitre 7, à propos du cadrage cinématographique.
128
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129
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132
(W1IU 4 - U uujiii (1W
«Qui sait quoi à quel moment»? C’est une bonne façon d’interroger le
champ informatif dans un récit, en n’oubliant pas d’inclure le spectateur dans
les «qui», celui-ci pouvant non seulement en savoir plus que n'importe quel
personnage mais aussi être le seul à connaître certaines informations, comme
nous le verrons en analysant la fin de Citizen Kane.
La narration est manipulatrice : en réduisant le champ informatif du spec
tateur, elle peut provoquer sa curiosité ou sa surprise. (C’est le procédé classi
que du film d'horreur: un lieu sombre où notre perception est identique à
celle d'un personnage isolé et, soudain, une main jaillit par l'entrebâillement
133
MtTU I . 1.1 uni » iif
134
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précautions qui s’imposent. À l’inverse, le récit filmique peut nous faire parta
ger ce que le personnage voit et entend avec, par exemple, des plans corres
pondant à son point de vue optique (ce sont les plans subjectif*) ou des sons
correspondant à sa perception sonore (ce que les ingénieurs du son appellent
une perspective sonore). Ces procédés participent de ce que nous nommerons
la subjectivité perceptive. Par ailleurs, le récit peut atteindre une pseudo sub
jectivité plus profonde en dévoilant les pensées des personnages, par l’utilisa
tion d’une voix ou d'images -intérieures» représentant sa mémoire, son
imaginaire, ses rêves ou ses hallucinations, procédés participant de ce que l’on
appellera une subjectivité mentale.
Restriction du champ informatif et subjectivité ne sont pas nécessairement
liés. La narration du Grand sommeil est restreinte mais il est rare que nous
voyions ou entendions les événements par les yeux ou les oreilles de Marlowe,
et nous ne savons jamais ce qu’il pense; la narration y est proche de l'objecti
vité, L’omniscience de Naissance d’une nation est par contre caractérisée par
une intense subjectivité qu'illustrent des flashbacks, des plans subjectifs et la
vision finale d'un monde en paix tout droit sortie de l'imaginaire du person
nage principal. Hitchcock, quant à lui, prend plaisir à nous en faire savoir plus
que ses personnages tout en restreignant parfois notre perception à la leur. On
voit donc que les deux variables définissant le champ informatif sont indé
pendantes.
C’est pourquoi la notion de «point de vue» est ambiguë, se référant aussi
bien à l'étendue du champ informatif (dans l’expression: -point de vue
omniscient») qu’à sa profondeur (dans l'expression ; - point de vue subjectif»).
Nous ne l'utiliserons ici que dans le cadre de la subjectivité perceptive.
Les fonctions et les effets de cette profondeur sont multiples. Plonger dans
l’esprit d'un personnage peut renforcer l'identification du spectateur et donner
des indices certains sur ce qu’il fera ou dira. Les séquences de souvenir dans
Hiroshima mon amour (Alain Resnais, 1959) et les séquences de Huit et demi
illustrant l'imaginaire de son personnage principal nous informent sur la psy
chologie des protagonistes et justifient leurs choix futurs. Un flashback subjec
tif peut mettre en rapport deux personnages, comme dans L’intendant Sansho
(Sanshodayu, Kenji Mizoguchi, 1954) où une mère et son fils ont le même sou
venir. Le comportement mystérieux d'un personnage peut être expliqué rétros
pectivement par un commentaire intérieur ou un flashback subjectif.
L’objectivité peut, à l'inverse, être un moyen de retenir des informations.
Marlowe n’est pas traité subjectivement, dans Le grand sommeil : le genre
impose que le raisonnement du détective reste ignoré du spectateur jusqu'à la
dernière partie du récit afin que l’énigme garde toute son intensité. À
tout moment du film, nous pouvons demander : «Qu'cst-ce que je sais des
135
min .2 - lo mat du (ita
Le narrateur
narration est donc ce processus par lequel le récit présente, de façon plus
ou moins restreinte et plus ou moins subjective, des informations narratives
au spectateur. Elle peut aussi mettre en oeuvre un narrateur, un agent particu
lier de la narration passant pour celui qui nous raconte l’histoire. Le narrateur
Figure 4.4 peut appartenir au monde du film, en être un personnage : la littérature nous
a habitués à cette convention qui permet à Huck Finn ou Jane Eyre de rappor
ter toute l'action d’un roman. le détective de Adieu ma jolie (Murder my
tweet, Parewell rnytovely, Edward Dmytrick, 1944) raconte son histoire à tra
vers une séries de flashbacks adressés aux policiers qui mènent l’enquête.
Dans Roger and me, Michael Moore manifeste clairement son rôle de narra
teur en introduisant le film par des souvenirs de son enfance passée à Flint
136
muu mm
puis en apparaissant dans le cadre pendant les entretiens avec les ouvriers et
les confrontations avec les employés de la sécurité de General Motors.
Parfois, le narrateur n'est pas un personnage. C’est un procédé courant
dans le documentaire : nous ne connaîtrons jamais l’identité des narrateurs
de The river (Pare Lorentz, 1937), Primary ou Hoop Dreams, dont on ne fait
qu'entendre les voix off omniprésentes. Dans Jules et Jim un commentaire sec,
neutre, laisse l'impression d'une narration objective, tandis que d’autres films
peuvent viser par le même procédé un effet de réalisme — c'est par exemple la
fonction du ton d'urgence dans la voix off de La Cité sans voiles (The naked
city, jules Dassin, 1948).
La distinction entre les deux types de narrateurs peut être mise à mal si
leur localisation ou leur identification est incertaine. Film about a woman
who... laisse supposer que l’un des personnages est aussi le narrateur, mais
sans que l'on puisse préciser lequel — il est alors également possible que la
voix appartienne à un commentateur étranger à l’action.
A une catégorie de narrateur ne correspond pas nécessairement un type de
narration. Un narrateur appartenant à la diegèse peut posséder un champ
informatif illimité, raconter des événements auxquels il n’a pas assisté. Il peut
être extrêmement subjectif, dévoilant des détails de sa vie intime, ou totale
ment objectif, attaché aux seules apparences. Un narrateur extérieur à la dié-
gèse n'est pas toujours omniscient et peut limiter ses commentaires à ce que
sait un seul personnage, nous faire partager ses pensées intimes —comme
dans Jules et Jim — ou, au contraire, ne présenter que des situations générales
— comme la voix off impersonnelle de Ultime razzia (The killing, Stanley
Kubrick. 1956). Dans tous les cas, c'est ce que dit ou lait le narrateur qui guide
le spectateur dans les divers processus de relevé des indications, d’élaboration
des attentes et de reconstitution de l'histoire.
Résumé
Un commentaire de Mari Max H (George Miller, 1982) va nous permettre de
synthétiser nos différentes observations sur les puissances de la narration. Le
récit s’ouvre avec une voix off, celle d’un narrateur masculin âgé qui se sou
vient de «Max, le guerrier». Après une exposition ou il évoque les multiples
guerres mondiales qui ont détruit les structures sociales et laissé toute liberté
à des bandes de pillards, il s’arrête de parler. Son identité reste inconnue.
La suite du récit est consacrée à la rencontre entre Max et une population
pacifique vivant dans le désert. Ils veulent fuir vers la côte à l'aide de l'essence
qu'ils ont réussi à fabriquer mais sont assiégés par une horde de voleurs. Max
finit par accepter de travailler pour les «colons» en échange d’un peu
137
*ûUÀk2 - LOJffll DU LIJJ(
d’essence. Plus tard, blessé à la suite d’un accrochage avec des membres du
gang, ayant perdu son chien et sa voiture, Max se jure d'aider la population du
désert à sortir de leur campement. La lutte contre les gangs qui les encordent
aitcint son dimax lorsqu’un camion-citerne, conduit par Max, tente de forcer
les barrages.
A la fin du film la voix du narrateur revient pour nous dire que c'était lui,
l'enfant sauvage auquel Max s'était attaché. Les gens du désert sont partis,
Max est seul au milieu de la route. Le dernier plan du film — la silhouette du
héros disparaissant en travelling arrière — exprime à la fois une subjectivité
perceptive (le point de vue de l'enfant qui s'éloigne de Max) et un contenu de
conscience (le souvenir de cet homme s'estompant dans l’esprit du narra
teur).
Le récit de Mad Max // prend donc forme à travers une utilisation cohé
rente de la causalité, du temps, de l'espace, mais aussi de la narration. La par
tie centrale du film canalise nos attentes par une identification au personnage
de Max alternant avec des moments de narration moins restreinte. Cette par
tie centrale est «encadrée» par les interventions du mystérieux narrateur, qui
met l’ensemble du récit au passé. Après son intervention au début du film,
nous attendons qu'il revienne pour nous dévoiler son identité. C'est donc à la
fois l'organisation causale et la structure narrative qui donnent à l'œuvre sa
cohérence et lui permettent de s'achever sur un effet de clôture.
138
imiiiu-- u muni (ifflRimuiiu mia - -
139
»wn 2 ■ u uum ni nu
1967-68) ou Nashville (Robert Altman, 1975) ont tenté de se passer d’un per
sonnage principal. Chez Eisenstcin ou Ozu, ce ne sont plus des personnages
qui sont à l'origine des événements mais des forces qui les dépassent (sociales
chez le premier, naturelles chez le second); dans L’avventura (Michelangclo
Antonioni, 1960) un récit se constitue malgré la passivité des protagonistes.
Dans la narration hollywoodienne classique, la plupart des événements
narratifs découlent des actions justifiées par la psychologie. Le temps est sou
mis à la nécessité de ne montrer que les situations ayant une fonction impor
tante dans la chaîne causale — la durée des événements est donc raccourcie :
on élimine les heures passées par Dorothy et ses compagnons sur la Route
pour ne montrer que les moments où ils rencontrent un nouveau personnage.
La chronologie est manipulée afin de rendre les enchaînements de situations
plus frappants : si un personnage a un comportement mystérieux, un flash-
back nous en révélera la raison. Certains procédés permettent de lier directe
ment la temporalité du récil à sa chaîne causale : le rendez-vous (des
personnages doivent se rencontrer à un moment précis), l’échéance ou le
compte à rebours (la durée du récit est alors subordonnée à l'enchaînement
des actions). Les motivations, dans le cinéma narratif classique, tendent à être
aussi claires et complètes que possibles, jusque dans un genre aussi extrava
gant que la comédie musicale où les séquences chantées et dansées sont justi
fiées par les émotions des personnages ou leurs activités professionnelles
(dans le backstage musical).
La narration hollywoodienne classique emploie des procédés très divers
mais conserve une forte tendance à « l'objectivité» : l’histoire se déroule dans
une réalité «objective» par rapport à laquelle se définissent différents niveaux
de subjectivité perceptive ou mentale. Elle est généralement omnisciente;
même attachée à un seul personnage, elle peut évoquer des choses qu’il ne
voit, n’entend ou ne sait pas (voir La mort aux trousses ou Mad Max j/). Cet
équilibrage n’est ignoré que dans les genres à énigmes comme le film policier,
dont l’efficacité dépend d’une stricte réduction du champ informatif (voir Le
grand sommeil).
La plupart des films narratifs classiques présentent une forte clôture narra
tive qui marque la volonté de ne laisser aucune question sans réponse et de
boucler la chaîne causale sur un ultime effet. Nous connaissons généralement
le destin de chaque personnage, les solutions de toutes les énigmes et l’issue
de chaque conflit.
Il nous faut insister sur le fait que ces caractéristiques déterminent un cer
tain modèle narratif, non la forme narrative en général. Rien n empêche un
réalisateur de montrer des temps morts, sans importance pour la suite du
récit, entre deux situations plus significatives. (François Truffaut, lean-Luc
140
<M>lllt 4 . U HUIIII CO a JHJJU1UL mut-____ _____ __
Godard, Cari Dreyer ou Andy Warhol l’ont fait fréquemment, chacun à leur
façon.) Le récit peut jouer avec la chronologie pour compliquer les enchaîne
ments narratifs. Non-réconciliés (Nicht Versung. Es hilft nur Gewalt ivo Gewalt
herrscht, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, 1965) va et vient entre trois
périodes historiques très différentes sans jamais le signaler clairement. L'intri
gue de Une affaire de canir (Ljubavni slucaj, ili tragedÿa sluzbenice, Dusan
Makavcjev, 1967) est parsemée de flash fa rwa rds dont on ne comprend que
progressivement la relation causale avec l’action en cours.
Les rencontres fortuites dans les films de François Truffaut, les monolo
gues et les entretiens à caractère politique dans ceux de Godard, le «montage
intellectuel» d'Eisenstein ou les plans dits «de transition» dans l'œuvre d’Ozu
sont des éléments narrativement immotivés. Une narration peut être totale
ment subjective, comme celle du Cabinet du docteur Caligari, ou rester sus
pendue de façon ambiguë entre le subjectif et l'objectif, comme dans L'année
dernière à Marienbad. Enfin, les films qui n'appartiennent pas à la tradition
classique peuvent s’achever sur une fin ouverte, non-clôturée.
Nous verrons au chapitre 8 comment l'espace est assers1 i au système cau
sal, dans le modèle hollywoodien, à travers ce que nous appellerons le
«montage par continuité»; il nous suffit pour l’instant de noter que le modèle
hollywoodien a inventé, pour raconter des histoires, ses propres matériaux et
procédés de narration.
Attentes narratives
Nous avons vu au chapitre 3 que notre expérience de spectateur est largement
déterminée par les attentes élaborées au cours d'un film, auxquelles celui-ci
141
POfill.lJ - Lfi mu LU fjLU
répond de diverses manières. Souvent, la seule chose que l’on sait de Citizen
Kane avant de le voir est qu’il s'agit d’un grand classique du cinéma — maigre
connaissance qui n’enlraine pas d'attente particulière. 1^ public de 1941 était
en général plus averti, considérant le film comme une biographie déguisée du
magnat de la presse William Randolph Hearst et recherchant d'abord des réfé
rences et des révélations sur la vie de ce dernier. La campagne de promotion
du film (voir fig. 4.5), sans plus préciser le rapprochement, laissait compren
dre qu’il s'agissait de la description monumentale de la vie d’un seul homme.
Quelques minutes après le début du film, on commence à pouvoir déter
miner les genres dont il participe: la séquence - News on the Mardi» laisse
Figure 4.5 penser qu'il s’agit d'une biographie ficlionncllc, hypothèse que vient confir
mer l'enquête de Thompson sur la vie de Kane. Le déroulement du film, qui
couvre toute la vie d’un individu et en dramatise certains épisodes, s'appa
rente bien à celui d’une biographie. Le genre avait à l'époque été illustré par
des oeuvres comme Anthony adverse (Mcrvyn Leroy, 1936) ou Thomas Gard-
ner(The power and theglory, William K. Howard, 1933), l’influence de ce der
nier sur Citizen Kane étant souvent signalée à cause de son emploi complexe
des flashbacks.
On repère rapidement les conventions du genre «film de journaliste». Les
collègues de Thompson ressemblent aux reporters blagueurs de Un danger
publie (Picture snatcher, Lloyd Bacon, 1933), Five star final (Mervyn Leroy,
1931) ou His girl Friday, nous nous attendons à ce que. comme dans ces films
où l’obstination du journaliste est toujours récompensée, Thompson pour
suive son enquête et fasse la découverte triomphale de la vérité. Il y a aussi
quelques conventions de la comédie musicale dans les scènes consacrées à
Susan : les répétitions frénétiques, les préparations en coulisses et, surtout, le
court montage décrivant sa carrière de chanteuse d'opéra, parodie de ceux qui
évoquent des chansons à succès dans des films comme Le chant du printemps
(Maytime. Robert 7_ Leonard, 1937). Par ailleurs, le film emprunte au genre
policier, que ce soit par son argument principal — Thompson doit résoudre
une énigme (que signifie «Roscbud» ?) — ou par la façon dont le journaliste
mène ses entretiens — comme des interrogatoires.
Mais le film fait un usage équivoque des genres, dont il exploite les conven
tions tout en contrariant les attentes qu elles font naître. À la différence de la
plupart des films biographiques, Kane s'intéresse plus à la psychologie de son
personnage principal qu’à ses aventures ou à scs actions publiques. Il se diffé
rencie du genre «journalistique» en ne faisant pas aboutir l'enquête du repor
ter, et du film à énigme en laissant des questions sans réponses.
On pourrait faire le même constat sur son rapport au classicisme hol
lywoodien. Réalisé en 1941 par un studio américain, le film en respecte certai-
142
IU0NI414 . U ÜUIIII III«( juuu ynu
nés normes: les désirs des personnages font avancer le récit, les traits de
caractère et les objectifs de chacun d eux définissent la causalité, il n’y a pas de
conflit sans conséquence, le traitement du temps est justifié par les impératifs
de l'intrigue cl la narration est «objective», tour à tour restreinte et omnis
ciente. Mais ces désirs, caractères et objectifs ne sont pas toujours clairement
exposés, l'issue de certains conflits est incertaine et l’omniscience narrative
atteint une rare intensité à la fin du film. Cette fin, par ailleurs, ne clôture pas
le récit comme on pourrait l'attendre d’un classique d'Hollywood. Notre ana
lyse va montrer de quelle façon Citizen Kane fait appel aux conventions narra
tives hollywoodiennes tout en ne respectant pas certaines des attentes que
nous avons habituellement en regardant un film hollywoodien.
143
mn.l 2 - LJ JUL1MJJJJJX
E Générique de fin
144
(IUJUIJ - UJllillU UIHUIIWHIMI
Le temps
Le récit et l’histoire de Citizen Kane sont très différents en termes d’ordre, de
durée et de fréquence. Une grande partie de la puissance du film tient à sa
complexité narrative.
145
Mm z - u iMiuum
Les premières parties du récit en couvrent un grand nombre, tandis que les
dernières se concentrent sur des périodes plus précises. La séquence des
-News on the March» (2a) nous donne un aperçu de toutes les périodes et le
journal de Thatcher (4) évoque l'enfance, la vie de jeune éditeur et l'homme
de cinquante ans. Puis les flashbacks deviennent essentiellement chrono
logiques : le récit de Bernstein (5) concerne la vie d'éditeur et les fiançailles
avec Emily; celui de Leland, le premier mariage et le Kane de cinquante ans,
que Susan (7) évoque à son tour, avant de parler de la vieillesse de Kane que
Raymond (8) illustre, en passant, d’une anecdote.
La résorption progressive du désordre narratif, la «linéarisation» du récit,
permet une meilleure compréhension de l'histoire. Si tous les flashbacks
avaient couvert l’ensemble de la vie de Kane, comme c’est le cas dans le film
d’actualité ou dans les souvenirs de Thatcher, l'histoire aurait été beaucoup
plus difficile à reconstituer. En l'état, le récit nous montre d’abord les consé
quences d'événements que nous ne connaissons pas et dans les dernières par
ties, confirme ou modifie nos attentes.
Le bouleversement de l’ordre chronologique est destiné à provoquer des
attentes précises. Commencer par la mort de Kane et le film d’actualité don
nant un résumé de sa vie, c'est créer une double énigme — que signifie
• Roscbud » ? Pourquoi cet homme si puissant est-il devenu si solitaire à la fin
de sa vie?
146
«mnu < - irumiij <jiii iviuiunmi
Le film crée aussi un certain suspense. Nous avons déjà quelques connais
sances sur la vie de Kane au moment où le récit fait ses premiers retours dans
le passé : nous avons compris qu’aucun de ses mariages n’a duré, que tous ses
amis se sont éloignés, mais sans savoir à partir de quand et comment. Ces
questions deviennent centrales dans notre appréhension du récit; la fonction
d'un grand nombre de scènes est alors de retarder des issues que nous savons
inévitables. Il est certain, par exemple, que Susan quittera Kane et nous nous
attendons à ce quelle le fasse chaque fois qu'il la brime. C'est le cas dans plu
sieurs scènes (7b - 7j), même s’il semble désirer un apaisement de leurs rela
tions après la tentative de suicide. Le récit aurait pu la montrer quittant
Xanadu (7k) bien avant, mais les fluctuations de leurs rapports auraient été
moins violentes et il n’y aurait eu aucun suspense.
Il serait sans doute plus difficile de remettre en ordre les événements du
récit s'il n'y avait pas les * News on lhe March ». I>e grand nombre d’informa
tions que fournil cette séquence atténue rapidement l'abord déconcertant de
la première scène du film, qui montre la mort d'un personnage dont on ne
sait, à ce moment, rien. Le film d'actualité est comme une miniature de
l’ensemble du récit, dont il reprend les grandes lignes structurelles :
A. Vues de Xanadu
B. L’enterrement : gros titres de journaux annonçant la mort de Kane
C. Développement de son empire financier
D. La mine d'argent, la pension de Mme Kane
E. Le témoignage de Thatcher devant une commission du Congrès
E La carrière politique
G. La vie privée; les mariages, les divorces
H. L’opéra. Xanadu
I. La campagne électorale
J. La Grande dépression
K. 1935 : vieillesse de Kane
L, Isolement à Xanadu
M. Annonce de sa mort
147
_______ tfltm 2 - ljjb.ki.1 pu nia
Le film fait un grand usage de l'ellipse. Le récit franchit des années de l’his
toire en un raccord ou en quelques plans, et la durée de projection ne rend
compte que de quelques instants dans la semaine d'enquête de Thompson. Ix?
temps est aussi compressé dans des séquences dites «de montage» telles que
celles évoquant la campagne de Vlnquirer contre l’affairisme (4d), le succès du
journal (5c), la carrière de Susan à l'opéra (7e) et son ennui à Xanadu,
lorsqu'elle fait des puzzles (7h). De longs passages de l'histoire y sont conden
sés sous forme de brefs résumés, différents des scènes narratives ordinaires. Le
chapitre^ reviendra en détail sur ces séquences de montage, mais l'on peut
148
(muni i . ■< HH|T ( («au mWIUJAItfl
déjà voir que l'un des intérêts de ces segments est de donner au spectateur une
compréhension plus claire de la durée de certains événements.
Citizen Kane illustre aussi la façon dont des événements qui n’arrivent
qu'une fois dans l'histoire peuvent apparaître plusieurs fois dans le récit. Les
débuts de Susan Alexander à l'opéra sont évoqués successivement par Leland
et par Susan. Avec Leland (6i) nous sommes devant la scène, témoins de
l'ennui des spectateurs. Dans la version de Susan (7c) nous voyons les coulis
ses cl la scène le soir de la représentation, et devenons témoins de son humi
liation. Cette répétition n'entraîne aucune confusion; nous comprenons qu’il
s’agit du même événement, par ailleurs déjà présenté dans les «News on the
March- (en G et H).
Motivation
Des critiques ont prétendu que la recherche de « Roscbud » était un point fai
ble de Citizen Kane. la révélation finale montrant qu'il ne s'agissait que d'une
astuce sans intérêt. Le reproche est valable si l’on dit que l’objet du film est
effectivement d’identifier -Roscbud». Mais ce mot a en fait une toute autre
fonction : il motive l'enquête de Thompson et concentre l'attention du spec
tateur sur celle-ci. Citizen Kane devient un film policier où l'on enquête sur
un personnage et non sur un crime, comme le voudrait le genre, et les indices
concernant «Roscbud- justifient la progression du récit. (Même s'il a aussi
d’autres fonctions : la petite luge sert par exemple de transition entre la pen
sion de Mme Kane ei le triste Noël où Thatcher en offre une nouvelle à Char
les.)
Le récit de Citizen Kane tourne autour d'une enquête sur des caractéristi
ques psychologiques, caractéristiques qui fournissent la motivation d’une
grande partie des événements. (À ce titre, le film respecte les principes du
classicisme hollywoodien.) C’est parce que Kane veut prouver que Susan est
une chanteuse et pas simplement sa maîtresse qu’il prend le contrôle de sa
carrière. C'est parce que la mère de Kane, excessivement protectrice, veut éloi
gner son fils de ce quelle considère être un environnement néfaste quelle le
149
mijt 2 - u mai tu fut
150
uimu 4 - n imi sium rnmi.
Malgré son usage des motivai ions psychologiques, Citizen Kane s'écarte
par certains aspects des pratiques courantes de la narration hollywoodienne.
Certaines motivations restent ambiguës, surtout celles qui concernent le per
sonnage de Kane : si tous les personnages qui parlent à Thompson s'en font
une idée précise, leurs opinions ne s'accordent pas toujours. La nostalgie de
Bernstein n'est pas partagée par Leland, qui reste cynique sur ses relations
avec Kane. Certains agissements de ce dernier ne sont pas éclaircis ; envoie-t-il
une prime de licenciement de 25 000 S à Leland au nom de leur ancienne
amitié ou pour se prouver qu'il peut être plus généreux que lui ? Pourquoi
continue-t-il de remplir Xanadu avec des œuvres d'art qu’il ne déballe même
plus ?
Parallèles narratifs
Le récit de Citizen Kane ne se fonde pas entièrement sur des mises en parallèle,
mais on peut tout de même en relever plusieurs. Nous avons déjà évoqué les
importants parallèles formels entre les « News on the March » et l’ensemble du
film. Nous avons aussi remarqué un parallèle entre les deux grandes lignes
dramatiques . la vie de Kane et l'enquête de Thompson. «Roscbud- symbolise
tout ce que Kane a voulu obtenir pendant sa vie d'adulte. Nous le voyons
échouer en amour comme en amitié et finir par se retrouver seul à Xanadu.
Son incapacité à trouver le bonheur est doublée par celle de Thompson à
trouver le sens du mot «Roscbudx, parallèle qui n'implique pas une ressem
blance psychologique entre les deux personnages mais permet aux deux lignes
dramatiques de se développer simultanément dans des directions semblables.
151
HMU 1 - U MMt H fin
par Thompson dans le cadre de son enquête conduit à un tlashback qui élargi
noire connaissance de Kane.
L’ordre des visites structure la série des flashbacks suivant une nette pro
gression. Thompson passe des gens qui ont connu Kane jeune à ceux qui l'ont
connu plus âgé. Chaque flashback contient des types d'informations
différents : Thatcher évoque les opinions politiques de Kane, Bernstein, les
transactions commerciales de Hnquirer. Ces deux témoignages fournissent
une toile de fond aux succès du jeune éditeur et au récit de Leland sur sa vie
privée, où nous avons les premières indications sur les faiblesses et les échecs
de Kane. Susan reprend la description de son déclin en rendant compte de la
façon dont il a manipulé sa vie. Dans le dernier témoignage, celui de Ray
mond, Kane est devenu un vieil homme pitoyable.
Cette fin est relativement déceptive, plus ouverte qu’il n était de rigueur
dans le Hollywood des années 40. On peut dire que Thompson résout pour
lui-même l’énigme et inscrit le film dans un modèle classique de progression
lorsqu'il affirme qu’un seul mot n'aurait pas expliqué la vie de Kane : le récit
débouche bien sur un savoir, mais à caractère général. Or c’est plus générale
ment un objectif personnel que cherchent à atteindre les personnages de la
narration hollywoodienne.
L’histoire de Kane est encore plus ouverte. Non seulement Kane ne semble
pas avoir atteint son but, mais le film ne précise jamais ce qu’est ce but. Le
modèle narratif classique du conflit est évacué au profit d’une lente chute du
protagoniste dans la solitude, au cours de laquelle nous sommes invités à ima
giner ce qui pourrait le rendre heureux. L’absence de clotûre de cette partie du
récit faisait deCrtûeri Knne,à l'époque, un film peu ordinaire.
L'énigme • Rosebud » est dans une certaine mesure résolue à la fin du lîlin :
nous, les spectateurs, découvrons ce qu’était «Rosebud». Le film s’achève,
après cette découverte, par une variation sur son ouverture. Au mouvement
qui nous menait à travers les grilles vers la propriété se substitue une série de
plans qui nous éloignent de la maison, nous font repasser à l'extérieur de la
propriété, devant le panneau « No f respassing • («Défense d'entrer») et le large
K inscrit dans les grilles.
152
miiiH-iimiiiiniititim-Hiwi
153
!UII£ 2 - Lfl fOéffll Ml JILII
154
Xiinni 4 - h mutin
Sa maigre caractérisation (on distingue à peine son visage, on ne sait rien Figure 4.6
de son passé ou de ce qu'il est hors de sa fonction de journaliste) prévient
toute possibilité d'en faire le personnage principal du film. Le sujet de Citizen
Kane n’est pas Thompson mais sa recherche : il n’est que le vecteur neutre des
données de l'histoire, même si sa conclusion mélancolique, à la fin du film,
laisse penser qu’il a été changé intérieurement par son enquête.
155
miu 1 - Ll WM LU JUIF
Résumé
Le plan que nous avons adopté pour cette étude du récit de Citizen Kane n’est
pas un modèle d’analyse, notre propos étant aussi d’illustrer les notions de
causalité, de récit, d'histoire, de motivation, de parallélisme ou de champ
informatif. Une fois qu’il s’est familiarisé avec ces outils, le critique ou l’ana
lyste peut les utiliser de façon plus souple et adapter son discours aux particu
larités d’un film.
l^s questions suivantes peuvent nous aider à comprendre les structures
formelles de tout film narratif :
156
u in m 4 udmuiR.au j J un «L mm
Si aller au cinéma c’est, le plus souvenu aller voir un film narratif, il existe
beaucoup d'autres possibilités pour structurer la forme totale d'un film. Nous
étudions les types fondamentaux de la forme non-narrative dans le chapitre
suivant.
157
Les systèmes
5
non-narratifs
Nous pouvons aussi décider de mettre en œuvre des formes abstraites, qui
concentrent l’attention du public sur les seules qualités visuelles et sonores
des choses décrites — la forme, la couleur, le rythme sonore. Cette banale épi
cerie peut être l’occasion d’un film passionnant fait par exemple de boites de
conserves déformées par des positions inhabituelles de la caméra, de zones de
couleurs vives mise en évidence par des gros plans et dune bande son incon
grue influant sur la façon dont le spectateur réagit aux images.
Nous ne voulons pas dire ici qu'un réalisateur choisit un sujet puis cherche
le type d'agencement formel qui lui est le plus approprié —en général, la
forme procède à la fois des intentions du réalisateur et du contexte de produc
tion. On comprend par contre qu'à partir d'un même objet, l’épicerie, nous
obtenons quatre films très différents.
160
<»innt t - ut miuti iii-muui!
161
uim 2 - io mai ou mi
La plupart des catégories que nous employons dans notre vie quotidienne
sont moins strictes, moins élaborées et moins complètes. Nous avons ten
dance à classer les choses qui nous entourent en les abordant soit d’un point
de vue pratique, soit d’un point de vue idéologique. Lorsque nous voyons un
animal, nous ne le ramenons pas immédiatement à un genre et à une espèce
mais utilisons des catégories plus triviales : cet animal sera soit «domestique »,
soit «sauvage», -de la ferme» ou «du zoo». Ces ensembles ne sont ni exclusifs
ni exhaustifs (un animal pourra appartenir à plusieurs de ces catégories) mais
sont généralement suffisants. Les catégories idéologiques ne sont pas plus
rigoureuses: dire par exemple qu’une société est «primitive» ou qu’elle est
«avancée» est un jugement qui, porté sans connaissance de la complexité des
problèmes, ne résiste pas au moindre examen.
162
(Il a » IIAL C LCL^gl nJULILJU U
163
Pflfilll 2 - L| mil H IILl
plans sur des panneaux routiers signalant différents états, le récit du voyage
est brutalement interrompu et ie reste du film suit une forme catégorielle où
Blank présente systématiquement les décorateurs et leurs véhicules, hors de
tout schéma causal. On pourrait aussi soutenir que le film plaide pour la
liberté d'expression la plus extravagante, mais ce problème rhétorique reste
implicite et ne détermine pas la structure formelle.
Nous allons voir avec l'exemple suivant, la seconde partie d'un film à
caractère documentaire, Les Dieux du stade (Olympia. Fest der Sehdnheit. Leni
Riefenstahl, 1936), comment la simplicité de la forme catégorielle peut être
dépassée.
164
(UMIM t - Ul iflUlii 111-m.UllH
Le dëbut du film est consacré aux épreuves elles-mêmes plus qu'à la com
pétition entre les athlètes et entre les pays. On n apprend que progressivement
qui sont les participants et c'est seulement vers le milieu du film qu'un sus
pense se construit autour de l'identité du futur vainqueur. Dans la séquence
finale, celle des plongeons, un retour aux principes formels du début élimine
à nouveau toute différenciation entre les athlètes : le spectateur ne considère
plus que la beauté stupéfiante de l’épreuve.
Des parallélismes viennent renforcer cette grande forme ABA. Le film com
mence par montrer les athlètes et les spectateurs de façon impersonnelle, sans
aucune individualisation des apparences ou des réactions de chacun. Avec
l’avancée de la compétition, les athlètes commencent à être individualisés— il
y a même, une seule fois, un plan subjectif. Puis dans la séquence des plon
geons, cette personnalisation reflue à nouveau au profit de la vision d’une série
de corps abstraits passant à travers les airs comme des oiseaux. De la même
façon, on ne nous montre pas, au début, les efforts des athlètes — c'est seule
ment au fur et à mesure de leur individualisation que l’on peut en voir plus de
la tension et de la lutte. La séquence des plongeons nous ramène à l'apparente
absence d'effort montrée par les sportifs dans les premiers segments.
On passe aussi d'une forme totalement non-narrative à l'introduction de
micro-récits : certains des segments centraux font des athlètes les personnages
d’un suspense sportif ayant la victoire pour objet. Mais cette structure narra
tive disparaii elle aussi à la fin du film.
En dépit de la simplicité de son sujet. Les Dieux du stade, deuxième partie,
est donc un film très structuré dont les catégories sont exposées de différentes
manières. Ses segments sont nettement délimités par des fondus au noir ou
des morceaux de musique joués par une fanfare.
D. Générique sur fond de drapeaux olympiques
1. La Nature et les athlètes olympiques : exercices matinaux, natation
2. Gymnastique
3. Régate
4. Pentathlon
5. Gymnastique suédoise féminine
6. Décathlon
7. Jeux d'équipes : hockey sur gazon, polo, football
8. Course cycliste
9. Cross
10. Aviron
11. Plongeon et natation
12. Epilogue dans le stade
165
MÔU4 1 ■ Lft fOSIBl H H.13
166
(11MI1LI -JJ» Ifi^m^ilîL
(fig. 5.4). Dans le plan suivant, qui est aussi le dernier du segment, un aligne
ment de drapeaux récapitule l'ensemble des nationalités participantes
(fig. 5.5).
167
PHLU 2 - Lfl lOfiffll DU fllffl
accompagné d’un fondu au noir. Comme dans d’autres plans de cette partie
montrant la meme action, on ne le voit pas arriver au sol. Ce motif — des
corps qui, sans effort, s'élancent et restent suspendus dans les airs— infor
mera aussi la séquence des plongeons.
Ccl accent mis sur les épreuves elles-mêmes continue dans le troisième
segment, la régate. Des plans brefs sur les équipes et les bateaux ne nous per
mettent pas de les différencier clairement, mais le film commence à mettre
l'accent sur la compétition par l'intermédiaire de la voix d’un commentateur
donnant les noms de quelques vainqueurs, alors que les bateaux sont encore
Figure 5.10 sur l’eau. Nous ne voyons toujours pas la fin des courses, les réactions du
vainqueur, rien qui pourrait contribuer à individualiser les sportifs.
Les Dieux du stade développe une idéologie qui semble très éloignée du
racisme de scs financiers, le régime nazi. Les nazis voulaient que ce film, des
tiné à être projeté dans le monde entier, soit le spectacle d’une coopération
internationale. (Différentes versions des Dieux du stade furent distribuées,
avec des bandes son allemande, française ou anglaise, très semblables selon les
historiens. Riefenstahl n’essaya pas de cacher le fait que beaucoup de
médailles furent remportées par des athlètes noirs lors de ces Jeux berlinois;
malgré la désapprobation d’Hitler, Jessc Owens occupe une place importante
dans la première partie du film.) Cependant, quelques segments sont envahis
par une imagerie militaire : le raccord entre les jeunes garçons en uniforme et
les officiers allemands est particulièrement frappant (figs. 5.10, 5.11 ). Dans le
pentathlon cl dans le cross du segment 9, certains concurrents ou officiels
sont des militaires — on aperçoit parfois un svastika porté en brassard. Si la
présence de l’idéologie nazie est atténuée, on peut tout de même la considérer
comme un sens implicite du film.
168
(W.IIU ! - 14! HlUJULUl IlUl'Ill
169
JHIll 1 - LD ( OU ai PU (HS
cadre, comme il doii le voir lui-même (fig. 5.15), puis un arbre et une route
en surimpression sur un plan rapproché d’un autre coureur (fig. 5.16). A
l'inverse des images distantes des premiers segments, nous sommes mainte
nant avec les athlètes, voyant les choses telles qu’ils les voient. Les drapeaux
réapparaissent au moment de la remise des médailles dans le stade (fig. 5.17).
On ne retrouve pas cette forte subjectivité dans le segment suivant. Le
cross du segment 9 est traité à la manière du pentathlon : les coureurs sont
nommés mais peu individualisés, et l'imagerie militaire est a nouveau pré
sente. Les courses d'aviron du segment 10 mettent l'accent de la même façon
sur la nationalité des équipes et sur les vainqueurs. Il y a des plans rapprochés
sur les membres des équipes (fig. 5.18) ou sur les spectateurs, mais il ne s'en
détache aucun personnage comparable au Glen Morris du segment 6.
Ce retour à un traitement plus - objectif» prépare le climax de la séquence
finale. Nous voyons des femmes plonger et, brièvement, les réactions des
vainqueurs. Le père de l’une d'entre elles la prend dans ses bras; elle signe des
autographes. Dans la partie consacrée à la natation on a, après les plans
d’ensemble sur l’épreuve, quelques images des réactions des nageurs —par
exemple, le moment où un concurrent japonais apprend qu’il a gagné
(fig. 5.19). Mais l'aspect compétitif disparait presque complètement à la fin
170
(MJJJ 1 JLÜ m-HOmilH
171
juiutr - muMHtm
172
changera sa vie quotidienne, que cette décision concerne un shampoing, une
élection ou le départ d’un jeune homme pour la guerre.
I-es films peuvent employer toutes sortes d’arguments qui ne nous sont
généralement pas présentés comme tels mais à la façon de simples observa
tions ou de conclusions indiscutables qu’aucune autre opinion ne vient con
tredire. On peut distinguer trois grands types d'arguments : ceux qui
concernent la source des informations, ceux qui concernent le sujet et ceux
qui concernent le spectateur.
La source des informations. Le film est présenté comme une source fiable
d’information. Ceux qui l’ont réalisé comme ceux qui, par exemple, en disent
le commentaire, essayent de donner l’impression qu'ils sont intelligents, bien
informés, sincères, honnêtes, etc. Ce qui apparaît comme des caractéristiques
objectives implique en fait l’argument suivant : ce film a été réalisé par des gens
dignes de confiance, laissez-vous persuader par ce qu’il expose. Le choix d'une
voix pour une narration, par exemple, est important : une voix est souvent plus
convaincante si elle est grave et distincte que si elle est fluette et hésitante.
Le sujet. Un film fait parfois appel à des opinions répandues, dans une cul
ture et à une époque donnée. On dit par exemple qu'aux États-Unis, actuelle
ment, beaucoup de gens pensent que les hommes politiques sont cyniques et
corrompus. Ce jugement ne désigne pas nécessairement une personnalité pré
cise, mais le candidat à une fonction gouvernementale pourra jouer sur cette
opinion en promettant à scs électeurs potentiels d’assainir la vie politique.
Une autre méthode consiste, pour le film, à trouver des personnes ou des
faits qui soutiennent directement ou indirectement sa position. Une publicité
où l’on voit quelqu’un choisir tel produit parce qu i! est censé être le meilleur
ne nous montre pas tous ceux — peut-être la majorité— qui en choisissent
un autre.
Une argumentation peut, enfin, suivre des schémas familiers, naturelle
ment acceptés. Les étudiants en rhétorique appelle de telles formes des enthy-
mètnes, des arguments qui reposent sur une opinion commune et font
généralement l’économie de prémisses importantes.
Nous pourrions par exemple réaliser un film pour vous convaincre qu'un
problème a été correctement résolu : nous montrerions que ce problème a
existé, que des mesures ont été prises pour y mettre fin. Aller d'un problème à
une solution est une inférence si courante que le film emporterait sans doute
facilement votre conviction : nous aurions prouvé que ce qui a été fait était la
seule chose à faire. Mais en analysant plus attentivement le film, vous pourriez
découvrir qu’il se fondait sur une prémisse cachée du type : «En supposant
que ce soit la meilleure solution, telle décision a été prise». D'autres solutions
173
auraient peut-être été plus efficaces, mais elles étaient d'emblée considérées
comme inadéquates et le film ne les a pas examinées. On en déduit que la
solution présentée n'avait pas le caractère de nécessité dicté par le schème pro
blème-solution. Nous analysons plus loin le fonctionnement d’une telle struc
ture dans The River.
The river
The river est une commande de la Farm security administration du gouver
nement américain. En 1937, le pays commençait à sortir de la Grande
dépression; le gouvernement fédéral, dirigé par Franklin Delano Roosevelt,
mettait tout en œuvre pour créer des programmes de travaux publics destinés
à faire diminuer le nombre de chômeurs et réguler divers problèmes sociaux.
On considère maintenant que c'est la politique de Roosevelt qui permit aux
États-Unis de sortir de la crise économique, mais elle rencontrait à l'époque
une forte opposition. The river salue l’avènement de la Tennessee Valley
Authority (TVA) comme la solution aux problèmes d’inondation, de déclin
de l'agriculture et d’électrification. L’objectif politique du film est très
précis et avait alors un caractère polémique : il s'agissait de faire la promotion
du programme de Roosevelt et plus précisément, celle de la TVA.
174
tuymi t - lu Lvntnu m-moiiu
11 semble tout d'abord que le film se contente de nous donner des informa
tions sur le Mississippi sans manifester aucune argumentation. C’est par un
usage minutieux de la répétition et de la variation ainsi que par sa progression
générale que le film finit par apparaître comme un ensemble cohérent dont
toutes les parties ont une fonction rhétorique.
Le générique s’inscrit par-dessus une vieille gravure représentant des
bateaux à vapeur sur le Mississippi, puis par-dessus une carte des États-Unis Figure 5.24
ou l'emprise du fleuve et de ses affluents a été exagérée (fig. 5.23) : on nous
assure déjà que le compte rendu sera précis et documenté, tant historique
ment que géographiquement. La même carte réapparaît sous les cartons du
prologue, dans le très court premier segment, où l’on nous annonce que le
film est «l'histoire d’un fleuve». Ce serait donc un film narratif, rapportant de
façon objective une «histoire», affirmation qui dissimule d’emblée son vérita
ble propos comme sa nature formelle.
Le deuxième segment prolonge l'introduction avec des images de ciels, de
montagnes et de rivières, et une voix off masculine qui décrit la façon dont
des eaux venant d'Élats éloignés,comme l'Idaho ou la Pennsylvanie, parvien
nent jusqu’au Mississippi. Cette voix profonde, sévère, joue sur la gamme
conventionnelle des tons assurés et autoritaires. (Le narrateur, précisément
choisi pour ces qualités, était un baryton du Metropolitan opéra, Thomas
Chalmers.) Les rivières se rejoignent, grossissent (fig. 5.24) et la voix com
mence à psalmodier: «Après le Yellowstone, le Milk, le White et Cheycnne...
le Cannonball. le Mussclshell, le James et le Sioux.» Des noms de rivière sont
ainsi déclamés en rythme, suivant une technique inspirée de l'œuvre de Walt
175
*11111 1 . Li nui >1 LUI,
176
guerre de Sécession. Nous voyons des pins se découper sur fond d’épais nua
ges, comme au début des segments 2 et 3 (fig. 5.25), ce qui suggère un paral
lèle entre les richesses agricoles et industrielles. Une séquence très enlevée sur
le travail en forêt, accompagnée d'une musique inspirée par un autre classi
que du folklore, Hot time in the olti town tonight, reprend, avec la partie consa
crée à l'exploitation du charbon et à la sidérurgie, le thème du dynamisme
américain, Le segment se termine sur une évocation de la croissance urbaine :
• Nous avons construit cent, mille villes» —suit l’énumération de quelques
noms.
Jusqu’ici, le film a associé la puissance economique américaine à la richesse
de la vallée du Mississipi et n’a fait qu’effleurer les problèmes consécutifs à la
croissance. Le sixième segment amorce un retournement en s’opposant sur Figure 5.25
plusieurs points aux parties précédentes. Avec les mêmes noms d’arbres
— «épicéas noirs, pins de Norvège.» — on ne voit plus des pins et des nua
ges. mais des souches perdues dans le brouillard (fig. 5.26). Des phrases sont
complétées; «Nous avons construit cent, mille villes... mais à quel prix.»
Nous voyons la glace fondre au sommet désolé des collines, en éroder les
coteaux, venir gonfler les rivières et provoquer des inondations. La liste des
rivières du segment 2 revient, mais avec une musique funeste qui en chasse
tout aspect idyllique. Un parallèle est constitué entre l'érosion du sol et l'épui
sement des terres du Sud.
Le film nous a progressivement éloignés des beautés naturelles pour
décrire le problème qui est au cœur de son argumentation. On nous montre
maintenant de réelles scènes d’inondation : la construction de digues de for
tunes faites de sacs de sable, des destructions, des sauvetages, des camps où les
Figure 5.26
rescapés attendent sous des tentes. Des sirènes, le terrible grondement de
l’eau, tout concourre à l’expression du désastre et le spectateur peut difficile
ment résister à l'émotion devant le spectacle de l’impuissance des populations
à contrôler les débordements du fleuve.
Jusqu’ici, nous comprenons tout ce qui concerne les inondations et l'éro
sion. Le film retarde l'exposition des solutions et se contente toujours de pré
senter les effets de ces catastrophes sur la vie des Américains. Le septième
segment décrit l'aide fournie par le gouvernement en 1937 aux personnes
sinistrées, tout en précisant qu’elle ne résout pas le fond du problème. The
river emploie ici un enthymème flagrant : «El la pauvre terre fait les pauvres
gens — les pauvres gens font la pauvre terre.» La signification de cette phrase,
d’abord évidente, s'obscurcit si l’on s'y attarde. (Est-ce que les riches proprié
taires du Sud dont nous avons vu les maisons en ruines dans le segment 4
n'ont pas été responsables de l'appauvrissement du sol ?) Une telle affirma
tion est plus employée pour sa dimension poétique ou émouvante que pour
sa rigueur logique. Des scènes montrant des familles de fermiers habitant
177
?nilî 2 - 16 H fini PU flLffl
dans des locations (fig. 5.27) jouent elles aussi directement sur les réactions
émotives du spectateur. À la différence de ce qui était présenté dans le seg
ment 4, dont sont repris ici quelques motifs, ces personnes ne peuvent même
plus s’exiler vers l’ouest, où il n’y a plus de terres disponibles.
Le problème a été présenté, examiné, et le public a été préparé émotion
nellement a accepté une solution dont l’efficacité sera démontrée dans le hui
tième segment, la carte du début réapparaît, avec un commentaire du
narrateur : «I! n’y a rien de mieux, dans la nature, que la perfection d’un
fleuve, mais le Mississippi est déréglé.» C'est un nouvel exemple d’enthy-
mème — une inférence dont on accepte l’apparente exactitude logique. Le
Mississippi est peut-être «déréglé» par rapport à certains usages, mais l’est-il
pour la faune et la flore constituant son système écologique ? Il est sous-
entendu que la «perfection» d’un fleuve se mesure à la façon dont il répond à
nos besoins et à nos projets. Le narrateur poursuit en donnant la formulation
la plus concise de la position défendue par le film : « Le vieux fleuve peut être
contrôlé. Nous avons eu le pouvoir de détruire la Vallée. Nous avons le pou
voir de la réparer. »
Nous comprenons à présent pourquoi les précédents segments, plus parti
culièrement le troisième et le cinquième, ont insisté sur la construction par la
population américaine d’une grande force agricole et industrielle. Ce que
nous avons d’abord reçu comme de simples faits historiques se révèle être un
point crucial de l’argumentation du film : si les Américains ont eu le pouvoir
d’édifier et de détruire, ils l’auront à nouveau. C’est encore un enthymème :
on n’évoque pas la possibilité que ce qui a été détruit soit impossible à recons
truire ou que la population ait perdu de sa force et de sa volonté.
«En 1933, nous avons commencé...». Iz narrateur enchaîne sur la discus
sion de la TVA au Congrès, mais en présentant celle-ci comme l’unique solu
tion, prête à être mise en oeuvre. Il ne reste rien de la controverse dont elle
était l’objet. On a ici le cas d’une solution qui, parce quelle s’est révélée opé
rante, devient la seule possible. Rétrospectivement, il n’est pourtant pas cer
tain que la construction massive de barrages par la TVA ait été la meilleure
réponse aux crues du fleuve. Un projet moins radical, combinant le reboise
ment et une politique de préservation de l’agriculture, aurait causé moins de
problèmes (il n’aurait pas été nécessaire, par exemple, de déplacer les popula
tions menacées par les inondations dues aux barrages). Une gestion locale des
problèmes aurait peut-être été plus efficace qu’une gestion fédérale. The river
n’aborde même pas ces alternatives et joue entièrement sur le caractère auto
matique de l’inférence qui nous fiait accepter la première solution proposée.
Le neuvième segment débute par une liste de barrages, en construction ou
déjà terminés, qui rappelle les différentes énumérations —de rivières,
178
CHH1H i - Ui itlUBtl III
179
miK 2 -JJUWLOJLn m
180
tiiMtit t - tts umiu m intmiH
D'autres films abstraits ont pour principe organisateur une idée plus géné
rale. Pour réaliser Mothliglu, Stan Brakhage colla des ailes de papillons de nuit
sur un film transparent et en tira un négatif. Aucun principe mathématique
n'est ici à l'œuvre : c’est la variation aléatoire des positions des ailes qui crée,
de photogramme à phologramme. de vifs clignotements, des changements de
formes. Certains animateurs, comme Oskar Fishinger ou Norman McLaren,
font évoluer des formes suivant les rythmes d’un morceau de musique. Ce qui
importe, dans la réalisation et la vision d’une œuvre abstraite, ça n’est pas de
rassembler des éléments, des motifs isolés, mais de découvrir leur fonction
par rapport au tout du film.
181
miîit î - ii manu un
Ballet mécanique
Ballet mécanique est l’un des plus anciens films abstraits et aussi l'un des plus
importants, un film d’avant-garde toujours enthousiasmant et un exemple clas
sique de détournement d’objets quotidiens au service de l'abstraction formelle.
Le film fut réalisé par deux personnes entre 1923 et 1924 : Dudley Murphy,
un jeune journaliste américain qui voulait devenir producteur, et Fernand
Léger, le célèbre peintre français. Léger avait développé en peinture sa propre
vision du cubisme, où apparaissait souvent des fragments stylisés de machi
nes. Cet intérêt pour les machines, facilement transposable au cinéma, inspira
les principes formels de Ballet Mécanique.
Le titre du film résume le paradoxe exploité par les deux réalisateurs pour
inventer le thème et les variations de l’œuvre. L'idée de ballet est associée à la
fluidité et à une performance humaine, celle des danseurs; un ballet classique
182
( w 11 yj - m mmn loinamiui
serait l’opposé du mouvement d'une machine. Pourtant, le film crée une sorte
de danse mécanique, en utilisant peu de véritables machines mais des chapeaux,
des visages, des bouteilles ou des ustensiles de cuisine. C’est la juxtaposition de
ces objets avec des machines, la concordance de leurs rythmes visuels et tempo
rels qui font que nous les percevons comme les fragments d'un mécanisme.
On ne peut pas établir une segmentation de Ballet mécanique à partir
d'une argumentation ou d'un développement narratif. 11 nous faut plutôt
relever les grands changements qualitatifs qui marquent les quelques articula
tions du film. On trouve ainsi neuf segments :
D. Générique. Le titre du film est présenté par une poupée plate, stylisée
Figure 5.30
et animée, figurant Chariot (dont le nom apparaît au générique).
1. Présentation des éléments rythmiques composant le film
2. Des éléments identiques sont sus à travers des prismes
3. Des mouvements rythmiques
4. Comparaison entre des gens et des machines
5. Mouvements rythmiques de mots et d'images
6. Multiplication des mouvements, essentiellement d'objets circulaires
7. Rapides danses d’objets
8. Retour sur Chariot et les éléments du début
183
mu ci u uni pu nia
lèvres. Certaines qualités abstraites sont déjà évidentes. Soudain, une rapide
succession d'images nous permet juste de deviner, entre autres, un chapeau,
des bouteilles, un triangle blanc. Une bouche féminine apparait. souriant, ne
souriant plus, souriant à nouveau. Le chapeau revient, puis la bouche sou
riante, des objets en rotation, une boule brillante en métal qui fait des cercles
prés de la caméra. La femme sur la balançoire réapparaît, à l’envers, la caméra
suivant ses mouvements (fig. 5.32). Ces derniers trouvent un écho à la fin du
segment avec la boule de métal qui, à présent, avance et recule directement vers
la caméra. Cette comparaison nous confirme que la femme n’est pas un per
sonnage mais un objet, comme la bouteille ou la boule. Il en va de même pour
la bouche, dont le sourire exprime moins une émotion qu’un changement
régulier de forme. Toutes les qualités visuelles présentes dans cette introduc
tion — les formes des objets (un chapeau circulaire,des bouteilles verticales),
la direction des mouvements (de la balançoire et de la boule brillante), les tex
tures (la brillance de la boule et des bouteilles), les rythmes des mouvements et
les substitutions d'objets — reviendront dans le reste du film.
Nous ayant donné cette série d’indications, le film peut entamer son cycle
de variations. Le deuxième segment s'inscrit dans la suite directe du premier
en montrant à nouveau la boule de métal, mais cette fois à travers un prisme.
Viennent d’autres plans sur des objets ménagers qui, brillants et tous vus à
travers un prisme, sont comparables à la boule. On reconnaît par exemple un
couvercle (fig. 5.33), dont la circularité reprend celle de la boule et du cha
peau. Un objet ordinaire est ici détourné de sa fonction quotidienne et entre
dans un réseau de qualités formelles.
Une alternance très rapide entre un triangle et un cercle blanc fait irrup
tion au milieu de cette série, motif que l’on retrouvera par intermittence, avec
quelques variations. Ces formes géométriques, si elles contrastent avec le
caractère concret des ustensiles de cuisine, permettent aussi de faire des
comparaisons : le couvercle est circulaire, les facettes du prisme, triangulaires.
184
m-JUnuii
Dans le reste du deuxième segment nous voyons d'autres images prises à tra
vers le prisme, quelques rapides séries de triangles et de cercles, des yeux fémi
nins qui s’ouvrent et se ferment et sont partiellement masqués par des formes
noires (fig. 5.34), la bouche-qui-sourit/ne-sourit-pas du premier segment.
Le deuxième segment nous a confirmé que le film allait se concentrer sur
des comparaisons de formes, de rythmes ou de textures; nous avons aussi vu
apparaître un motif structurel, des insertions brusques de plans rapides. Dans
le premier segment, il s'agissait de l'alternance d'un triangle et de différents
objets; dans le deuxième, d'un cercle et d'un triangle. Le rythme généré par
les changements de plans est aussi important que le rythme des mouvements
à l'intérieur des plans.
Ces schémas établis, le film commence à introduire des variations plus
complexes et plus inattendues. Au début du troisième segment, un aligne
ment de disques ressemblant à des assiettes alterne avec des formes en rota
tion qui évoquent la roue d’un champ de foire. On peut supposer que formes
et mouvements circulaires seront au principe de ce nouveau segment; mais
soudain, la caméra glisse rapidement sur un tortueux toboggan de fête
foraine. Nous voyons des pieds de personnes en train de marcher, des voitures
passant au-dessus de la caméra et des plans rapides sur un défilé de chars de
carnaval. Différents rythmes se succèdent, plus importants que les formes
elles-mêmes, la plupart des éléments sont nouveaux et filmés en extérieur.
Après le défilé, on nous montre un plan relativement long sur un objet
brillant et tournant qui, sans être vu à travers un prisme, rappelle les instru
ments de cuisine du deuxième segment. On finit par l'alternance rapide de
cercles et de triangles.
Le quatrième segment offre une comparaison explicite entre les êtres
humains et les machines. Nous voyons un toboggan de foire identique à celui
du segment précédent, mais selon un autre point de vue: il est, cette fois,
filmé à la verticale. toboggan barre l'écran horizontalement; une silhouette
4L
18S
» 2 - la mmi pu ma.
186
5 000 000 ou une représentation des perles du collier. Au-delà du calembour
visuel, le zéro rappelle les nombreux motifs circulaires qui entaillent le film.
Le zéro laisse place à un collier de cheval pour un nouveau
calembour mêlant ressemblance visuelle et lexicale avec le collier de perle. Le
collier s'agite en l’air en une sorte de danse qui entre en alternance avec le
mouvement des zéros et des fragments de l’intertitre, parfois inversés pour
accentuer leur fonction graphique. Ce segment contient, comme les autres,
des motifs déjà vus dans le reste du film : l’œil féminin apparaît brièvement
avant le collier de cheval et un plan très rapide sur une machine est inséré au
cours des jeux sur les intertitres.
Le film commence ensuite à revenir à des variations plus proches des élé
ments des premiers segments. Le sixième segment se compose essentiellement
de formes circulaires en mouvement. Il débute avec la tête d’une femme aux
yeux clos, qui tourne (fig. 5.39), et raccorde sur une figure en bois se balan
çant d'avant en arrière vers l'objectif (fig. 5.40), pour une nouvelle comparai
son entre un corps humain et un objet. On voit grossir une forme circulaire
abstraite: une femme apparaît à travers un prisme —elle passe un carton
troué devant son visage, ses expressions changent constamment, de façon
mécanique. Nous voyons à nouveau alterner des cercles et des triangles, de
quatre tailles différentes, suivis d'une rapide succession de plans sur des ali
gnements d’ustensiles de cuisine (fig. 5.41) entrecoupés de plans noirs très
brefs. Ce noir est une variation sur celui qui constituait le fond des intertitres
du cinquième segment; les instruments de cuisine réintroduisent un motif
qui apparaissait dans tous les segments sauf le cinquième. Le motif des aligne
ments d'objets était apparu dans le troisième segmentées mouvements de va-
et-vient que l'on observe dans la plupart de ces plans font écho au balance
ment de la femme et à la boule de métal du premier segment.
Au début du septième segment des formes hélicoïdales dans une vitrine
sont comme le gel des mouvements rotatoires qui ont constitué l’essentiel des
187
PHîii ; lû MOI ; un
11
II
Figure S.42
II
1
A Figure 5.44
A
A
U
Figure 5.45
188
jmnu t - lu miuii m-miann
jeux rythmiques du film (fig. 5.42). Le motif circulaire revient dans une série
de «danses» qui sont autant de variations sur les principales composantes du
film. Par une succession de plans courts, les jambes d’un mannequin sem
blent danser (fig. 5.43), puis commencent à tournoyer à l’intérieur des plans.
La boule de métal réapparaît, mais avec une autre qui tourne dans le sens
opposé. Deux formes très différentes —un chapeau et une chaussure —
alternent rapidement (fig. 5.44) pour créer un conflit formel comparable à
celui du triangle et du cercle. Suit un visage de femme aux expressions chan
geantes, vu à travers un prisme, et un profil semblable à celui montré en 5.39.
Deux vues successives légèrement différentes sur un visage nous donnent
l'impression que la tête est agitée d'un hochement mécanique. Enfin, une
série de plans brefs sur des bouteilles les fait changer de position suivant un
rythme semblable, une fois encore, à celui d'une danse.
Les motifs utilisés dans le septième segment proviennent principalement
des segments 1 et 2 (les boules brillantes, le chapeau, les bouteilles) et 6 (le
visage à travers le prisme, le cercle qui s'agrandit). Au moment où le «ballet
mécanique» devient le plus explicite, le film rassemble des éléments de sa pre
mière partie et du segment précédent, où la récapitulation des éléments du
début avait déjà commencé. Le segment 7 ne reprend pas de motifs venant de
la partie centrale du film — de 3 à 5 — pour nous donner l’impression que le
film continue de se développer tout en se bouclant.
La fin du film confirme cette circularité de l’ensemble en faisant revenir le
Chariot animé du générique. les mouvements de la figurine sont de moins en
moins «humains» et à la fin la plupart de scs membres sont tombés, ne lais
sant plus à l'écran que la tête tournant seule, comme le profil au début du
sixième segment (fig. 5.39). Dans le dernier plan, la femme à la balançoire
réapparaît, debout dans le même jardin: elle sent une fleur, regarde autour
d'elle (fig. 5.46). Ces gestes ordinaires, parce qu'ils arrivent après des mouve
ments mécaniques et des combinaisons rythmiques qui ont conditionné
notre perception, ont perdu tout leur naturel : le sourire, les mouvements de
la tête sont devenus aussi artificiels que les autres motifs du film, l^ger et Figure 5.46
Murphy concluent leur œuvre abstraite en mettant en évidence la façon dont
ils ont altéré notre perception normale des objets et des corps.
189
mm Î ■ U 4I114 tu
Dans d’autres genres poétiques les effets peuvent être plus fugitifs, la for
mulation des qualités associatives des images y étant moins explicite. Le haïku
japonais est généralement composé par juxtaposition de deux images dans
190
une forme brève comprenant trois lignes; il doit créer une émotion immé
diate chez le lecteur. Voici un haiku du poète Bashô :
La onzième lune -
Dm cigogne» indifférentes
Se tiennent alignées
Ici, la signification des images utilisées est moins claire et la raison de leur
mise en rapport reste quelque peu mystérieuse. Cependant, si nous sommes
disposes à faire travailler notre imagination, comme est censé le faire le lec
teur de haïku, cela devrait avoir pour effet de produire un certaine tonalité
affective ou une humeur qui ne sont présentes dans aucune des deux images
prises isolément mais résultent de leur juxtaposition.
Jusqu'ici, nous avons observé le travail de la forme associative à une échelle
relativement «locale» : la juxtaposition d’images successives. La forme asso
ciative génère aussi des structures de taille plus importantes, qui peuvent
organiser la totalité d’un film. Mais parce que les systèmes associatifs ne sont
limités ni par le choix d’un sujet ni par un mode d’organisation, il est impos
sible de définir une partition conventionnelle, où chaque film associatif tom
berait. Dans le catégoriel, la clarté du propos dépend de la précision des
regroupements ou des classifications; dans le rhétorique, il faut pouvoir sui
vre les étapes de l'argumentation; dans un film abstrait, percevoir les qualités
visuelles et sonores qui font le matériau du système des thèmes et variations.
La forme associative peut être beaucoup plus vague. De nombreux films
élaboreront leur propre structure formelle en se souciant peu des conven
tions: certains nous montreront une série d’images amusantes tandis que
d’autres nous en offriront d’effrayantes. Cependant, nous pouvons faire un
premier pas vers la compréhension de la forme associative en remarquant
quelle répond en général à deux grands principes.
Le premier de ces principes est le regroupement des images en ensembles
de tailles supérieures à la simple association de plan à plan, qui constituent
des parties distinctes et cohérentes du film pouvant être mises en rapport les
unes avec les autres. Ce principe est aussi observable dans les films abstraits,
comme nous l’avons vu avec Ballet mécanique. Le second principe, que I on
retrouve dans tous types de formes, est celui d’une répétition de motifs per
mettant de renforcer certaines associations. Ces deux principes sont a l’oeuvre
dans Koyaanisqatsi.
Le film se divise en sept longues parties encadrées par un prologue et un
épilogue. Chaque partie correspond à un type d’association; dans le
deuxième segment, par exemple, des vues sur des falaises déchiquetées, des
canyons, des nuages et des rivières soulignent la beauté et la majesté d’une
nature intacte. Ce segment contraste nettement avec celui qui suit, où l’on
191
MHU 2 - Lg HW4M flll
voit des canalisations, des lignes à haute tension, des usines et des barrages
envahissant les paysages — série qui culmine avec des images d'explosions.
autres segments décrivent le gigantisme et la frénésie de la vie moderne
dans les villes. Chaque fois, les images sont regroupées en fonction d’une idée
ayant une forte charge émotive : la grandeur de la nature, la destruction de la
terre etc. Les associations sont soulignées par la musique de Philip Glass, qui
donne à chaque segment une identité mélodique et rythmique.
La répétition de motifs est un principe fondamental de tout type de forme
mais elle est particulièrement importante dans la forme associative. Celle-ci
n'est pas aussi clairement structurée que le narratif, le catégoriel ou le rhétori
que et dépend beaucoup de notre capacité à repérer des éléments récurrents.
Le spectateur doit, comme pour la forme abstraite, se souvenir de motifs et
retrouver à partir de ces motifs la cohérence du film.
Le prologue de Koyaamsqatsi présente trois motifs qui reviendront tout au
long du film. Nous voyons d'abord des représentations simplifiées de sil
houettes humaines, sur une roche, probablement ducs à une société primi
tive. La caméra recule et l'image se décompose, part en flammes et en fumée
au moment où une explosion d'origine inconnue fait pleuvoir des morceaux
de métal. Par la suite, les rochers, les pierres et d’autres minéraux seront les
emblèmes d’une nature intacte. Dans la séquence suivante, le feu est la pre
mière force de destruction de la nature; plus loin, la minéralité des collines et
des vallées laisse place à des gratte-ciel, des canyons de verre et d’acier. Des
figures humaines réapparaissent aussi tout au long du film, souvent filmées
avec un très fort ralenti qui les immobilise presque et les fait ressembler aux
figures peintes du prologue.
L'explosion initiale est répétée à la fin du film. On découvre quelle était
provoquée par le décollage d’une énorme fusée, dont la caméra suit le par
cours aérien jusqu’à ce que l'engin explose et retombe lentement en tour
noyant, ultime image de la vanité de la technologie et des destructions qu clic
provoque. Le film s’achève avec les peintures du début, nous invitant peut-
être à réfléchir sur le devenir de l’humanité. On voit donc de quelles façons les
récurrences de motifs contribuent ici à la cohérence de la forme associative.
Kûyaamsqatsi illustre bien les spécificités de la forme associative. Le film
présente une progression mais ne raconte pas une histoire à la manière du
cinéma narratif : il ne présente aucun personnage, aucun lien causal, aucune
organisation temporelle. Le film a un sujet, peut-être plusieurs, mais ne déve
loppe pas une argumentation pour nous convaincre de quelque chose le
concernant. Il n'examine pas un ensemble catégoriel clairement défini : la
grandeur de la nature ou le caractère destructeur de la technologie sont des
idées très vagues et ouvertes. Koyaanisqatsi n’est pas un pur exercice visuel :
192
(I1N1U t ■ Ul 1M11IU WIUlHIll
les images y sont parfois reliées par leurs qualités abstraites, mais ces qualités
sont associées à des idées ou à des émotions qui les dépassent.
Comme on le voit à travers celte brève analyse, la forme associative invite
fortement à l’interprétation, à l'assignation d'un sens général. La plupart des
spectateurs de Koyaanisqatsi conviendraient sans doute de ce que le film criti
que la destruction de la nature, la mécanisation et la frénésie qui caractérisent
le mode de vie contemporain, et conseille de revenir à la sagesse des anciens, à
un mode de vie associé à des civilisations moins «avancées». Ce serait son
sens explicite, suggéré par les seules associations d'images (sans aucun recours
à une voix off, par exemple).
Les liens associatifs de plan à plan, les grandes parties, les répétitions de
motifs et les indices poussant à une interprétation sont autant de caractéristi
ques de la forme associative indiquant quelle demande un important travail
de la part du spectateur. C'est pour ante raison que ce système formel est sur
tout employé dans le cadre du cinéma expérimental. Lorsque l'on regarde ces
films, il faut être prêt à fréquemment modifier ses attentes et à imaginer les
liens possibles entre les images.
Néanmoins le spectateur n'est jamais complètement perdu lorsqu'il réflé
chit à un film associatif; comme on l'a déjà dit, l'originalité des juxtapositions
visuelles ou sonores n’implique pas celle des idées ou des émotions. Le propos
de Koyaanisqatti n'est pas particulièrement nouveau ou subtil : comme dans
beaucoup de films associatifs, il s’agit ici de raviver une émotion ou une idée
familière au moyen d’une imagerie et de juxtapositions renouvelées.
Certains films sont plus complexes et plus allusifs que celui-ci. Le réalisa
teur peut se contenter d’inventer des combinaisons insolites, surprenantes, et
laisser au spectateur le soin d'éclaircir ces relations. Dans Seorpio rijiug par
exemple, les bandes de motards sont explicitement associées à des groupes
religieux traditionnels et, par leur violence, au nazisme, mais le film suggère
aussi, de façon plus élusive, que les emblèmes et les rituels de ces bandes rap
pellent par certains aspects la culture homosexuelle. Comme les autres formes
filmiques, la forme associative combine sens explicites et sens implicites.
4 movie
A movie (Bruce Conncr, 1958) montre comment une forme associative peut à
la fois nous confronter à des rapprochements énigmatiques, allusifs, et géné
rer un film cohérent ayant un impact intense sur son spectateur.
Conncr réalisa A movie. son premier film, en 1958. Comme Léger, il était
peintre et plasticien et on l'avait jusqu'alors essentiellement remarqué pour
scs «montages» —des collages faits avec des objets trouvés de natures
193
2ÜLLJ 2 - IA fOAmi H IILŒ
3. Une partie plus mystérieuse, plus pesante, où des objets sont en équilibre
précaire dans les airs ou dans l’eau
Segment 1. Ce segment fait beaucoup plus que nous donner le titre du film et
le nom du réalisateur, raison pour laquelle nous ne l’avons pas répertorié
comme un générique. L’ouverture rapide des Pins de Rome débute et nous
voyons défiler un morceau de bande amorce noire vierge — la musique esi
venue avant les images, façon d’en souligner l’importance dans le film. Les
mots «Bruce Conner» apparaissent et restent à l'écran plusieurs secondes,
avec une insistance qui nous indique déjà que le film jouera sur nos attentes.
194
(iumih t ■
195
mm 2 - u uni h mi
Segment 3. De l'amorce noire succède au «The end» que l'on vient d’évo
quer et la musique du troisième segment démarre après une pause. (Comme
au début du film, elle commence sur le noir). Cette fois la musique est lente,
196
uhiih s - in miiui uuwwnii
197
..WJJJL1-- (U4U! hll _
Cette musique nous emporte vers une série de plans montrant des vagues
ou des mouvements ressemblant à celui de vagues, qui semblent tous être
causés par l’explosion : un bateau perdu dans le brouillard ou dans la fumée,
des surfeurs et des rameurs malmenés par d'énormes vagues, des skieurs nau
tiques et des conducteurs de hors-bord tombant au cours de cascades. Pen
dant ce temps, 1j musique aérienne laisse place à une mélodie lente à la
cadence marquée, jouée par des instruments à cordes, d’un caractère plus
sombre. Les accidents, d’abord banals (les chutes de skieurs), deviennent
sinistres: un conducteur de hors-bord est éjecté de son véhicule au moment
où il heurte de plein fouet un amas rocheux.
198
Segment 4. Le film ponctue nettement chacune de ses parties par de l'amorce
noire et un accompagnement musical — ici, le troisième extrait des Pins de
Rome. La sonorité inquiétante d’un gong et la lenteur des instruments à cor
des créent encore une atmosphère angoissante, Les segments 2 et 3 se sont
développés autour d’images d'accidents et de catastrophes; celui-ci débute par
des vues sur des avions militaires abattus en plein ciel et brûlant à terre, sui
vies par une série d’explosions sur fond de ciel noir.
Le passage suivant juxtapose des plans de catastrophes avec des plans qui
paraissent inexplicables dans ce contexte. Toutes les images d’avions semblent
être associées au désastre et à la guerre: pourtant, nous voyons maintenant
deux avions passant à coté d'une pyramide égyptienne (fig. 5.56). Comme
pour la plupart des juxtapositions précédentes, il nous faut brusquement
modifier nos hypothèses sur les types de relations qui unissent les plans : il ne
s'agit plus ici d'avions militaires, mais civils. Ils raccordent avec deux plans
montrant un volcan en éruption, pour une relation essentiellement visuelle
entre ta forme du volcan et celle de la pyramide. L'éruption signale un retour
aux représentations de catastrophes, brièvement interrompu par une cérémo
nie religieuse (un couronnement) mais reprenant avec force à travers des ima
ges de l’incendie du dirigeable Hindcnburg, de tanks, d’accidents automobiles
et de chutes de corps.
Les plans suivants nous montrent des silhouettes sautant d’un avion, en
parachute 11 ne se passe rien d'effrayant, personne n'est blessé lors de ces
sauts, mais dans le contexte créé par les accidents précédents et à cause du
caractère sinistre de la musique, nous nous attendons à ce que chaque plan
amène son lot de catastrophes. Ces actions innocentes deviennent elles aussi
lourdes de menaces, associées à une forme de violence militaire et politique.
Il en va de même pour les images d'un ballon en train de brûler (rappel du
Hindenburg), qui raccordent avec des palmiers, des troupeaux de bêtes et
d'autres clichés évoquant un Middle East ou une Afrique idylliques 1 fig. 5.57).
Figure 5.57
199
MfiU.l 2 - LU moi PU fllfl
Ce répit précède immédiatement l'un des moments les plus sinistres et les
plus surprenants du film, trois plans montrant un pont suspendu qui se tord,
se déforme comme s'il était secoué par une main géante (fig. 5.58), suivis par
de terribles images d’un naufrage (fig. 5.59), d’un peloton d’exécution, de
corps pendus à un gibet, de cadavres de soldats et d'un champignon atomi
que. Le cadavre d'un éléphant et des vues sur des chasseurs introduisent une
courte série montrant les souffrances d’une population africaine. La musique,
dominée maintenant par les cuivres, a pris une tonalité triomphale.
Le ton du film change à nouveau après ce climax. Dans une suite de plans
sous-marins relativement longs, on suit un plongeur qui explore une épave
couverte de bernacles (fig. 5.6G), qui fait écho au naufrage vu auparavant
(fig. 5.59). La musique atteint une sorte de climat triomphal au moment où le
plongeur pénètre à l’intérieur de l'épave. Le film se termine sur une note lon
guement tenue par un instrument à corde, de l’amorce noire cl un ultime
plan dirigé vers le haut, vers la surface. Ironiquement, aucun «The end* ne
vient conclure le film.
Nous avons été conduit à travers un ensemble disparate de plans par des
associations d’images et de sons. Le rapprochement entre les éruptions volca
niques ou les tremblements de terre et une violence â caractère sexuel ou mili
taire ne sert aucune argumentation. Les éléments juxtaposés ne constituent
pas. pour la plupart, des ensembles logiques et ne construisent pas un récit.
Des qualités abstraites informent parfois les rapports entre les plans (voir
chapitre 10), mais de façon localisée.
Pour produire ses associations, â movie recourt à des principes formels
familiers : la répétition, la variation — par exemple, la répétition des images
de chevaux dans le premier segment ou les variations sur les avions dans les
segments 3 et 4. Ces répétitions créent des motifs qui permettent de donner
au film sa cohérence.
200
Le retour de ces motifs obéit à un schéma particulier. Nous avons vu que
les titres et les amorces de l'introduction reviennent dans tous les segments et
que la femme du premier segment est comparable à celle qui raccorde avec
l'officier du segment 3. Aucun des motifs du deuxième segment n’apparait
dans le troisième, ce qui contribue à créer un fort contraste entre les deux. Le
quatrième segment reprend et varie des motifs du 2 et du 3. Comme dans
beaucoup de films, la fin développe et reprend les parties antérieures : le cada
vre de l’éléphant, les tanks et les voitures de course trouvent leur origine dans
le deuxième segment, tandis que les indigènes, l'incendie de l’Hindenburg, les
avions, les bateaux et l'effondrement du pont prolongent des motifs prove
nant du troisième segment. Les juxtapositions qui paraissent évidentes jouent
sur la répétition tandis que celles qui sont plus obscures ou surprenantes
interviennent pour produire des contrastes. Conner a ainsi réussi à créer une
œuvre cohérente à partir d’une masse de plans incohérents.
201
. U lûm PJ1 (HP
Résumé
Comme on l’a vu dans les exemples précédents, un même film peut combiner
plusieurs systèmes formels. Dans Les Dieux du stade, la forme catégorielle est
émaillée de courts moments narratifs; certaines parties de The river utilisent
les principes de la forme associative et il y a dans A movie des relations visuel
les abstraites.
202
Cil a PU A4 I KLLWLLfflJLm JLflUÂI l fJ
203
minime mm
corrélé au
Système formel B» Système stylistique
La façon dont un film met en œuvre les techniques cinématographiques —son style— ne
peut pas être étudiée indépendamment de son utilisation des formes narratives ou non-narrati
ves. Nous découvrirons que le système stylistique et ce que nous avons appelé le système formel
sont liés. Dans un film narratif, le style peut permettre de faire progresser la chaîne causale,
Créer des parallèles, manipuler les relations entre le récit et l'histoire ou alimenter le flot des
informations narratives. Mais il peut aussi se distinguer des formes narratives ou non-narrati
ves et être considéré pour lui-même : certaines utilisations des techniques cinématographiques
attirent l’attention sur des figures de Style. Quoi qu’il en soit, nous reviendrons constamment,
dans les chapitres qui suivent, aux relations entre les systèmes formels narratifs ou non-narratifs
et le système stylistique.
la mise en scene
Le réalisme
Avant d'analyser en détail ce qu'est la mise en scène, il nous faut dissiper un
préjugé. Le spectateur qui ne se souvient que de tel ou tel moment d’une mise
en scène est souvent le même qui l’évalue à partir de normes réalistes : le réa
lisme d'une voiture, par exemple, sera son adéquation à l’époque décrite par
le film où elle apparait; l’irréalisme d'un geste, le fait que «les personnes réel
les ne bougent pas de cette manière».
Faire du réalisme un critère d’évaluation pose plusieurs problèmes. La
notion de réalisme varie suivant les cultures, les époques et même d'un
208
HWUILLJWL.il mi 1> “Kl
individu à un autre. L'interprétation de Marion Brando dans Sur les quais (On
the waterfront, Elia Kazan, 1954), acclamée au moment de la sortie du film
pour son «réalisme», parait maintenant très stylisée. La critique américaine
des années 10 appréciait les westerns de William S. Hart pour leur réalisme,
mais la critiques française des années 20, également enthousiaste, trouvait ces
mêmes films aussi artificiels que des épopées médiévales. Le réalisme est, de
plus, devenu l'un des plus importants problèmes de la philosophie de l'art
(voir «Notes et Points d’interrogation»). Se concentrer sur le réalisme d’un
film ne permet pas de rendre compte de la diversité et de l'inventivité d'une
mise en scène.
Figure 6.1
Observons par exemple ce photogramme extrait du Cabinet du docteur
Caligari (fig. 6.1). La ligne brisée des toitures, l’inclinaison des cheminées ne
correspondent sans doute pas à notre conception ordinaire de la réalité d’une
ville. Critiquer ce film pour son manque de réalisme serait toutefois peu per
tinent, la stylisation du décor étant ici employée pour représenter l’imaginaire
d'un fou, suivant des conventions empruntées à la peinture et au théâtre
expressionnistes.
Ce sont les fonctions de la mise en scène qu'il faut étudier, non l'adéqua
tion de tel ou tel de scs éléments à notre conception du réalisme. Un réalisa
teur peut avoir recours à n'importe quel système de mise en scène, et la tâche de
l'analyste est d’en observer le fonctionnement dans le tout du film — qu’csl-
ce qui motive cette mise en scène, comment varie-t-elle et se développe-1 - elle,
comment entre-t-elle en relation avec les formes narratives et non-narratives.
209
Figure 6.2 Figure 6.3
mortuaire. L'anecdote est peut-être apocryphe, mais elle résume bien ce pou
voir magique de la mise en scène que venait de découvrir Méliès. Il allait
ensuite consacrer une grande partie de sa vie à l'invention d’une forme d'illu
sionnisme cinématographique.
Mais il ne pouvait plus compter sur le hasard; il allait devoir préparer et
mettre en scène des situations, des actions pour la caméra. S'appuyant sur son
expérience théâtrale, Méliès édifia l'un des premiers studios de cinéma — un
petit hangar rempli par toute une machinerie de théâtre : fauteuils, trappes,
toiles de fond coulissantes. Il dessinait les plans avant le tournage, ainsi que les
décors et les costumes : les figures 6.2 et 6.3 montrent la ressemblance entre
ses dessins, très détaillés, et les plans réalisés. Méliès jouait dans ses films, par
fois plusieurs rôles différents en meme temps. Four réussir à créer les effets
magiques qu’il désirait, les visions fantaisistes qu'il imaginait, il lui fallait con
trôler tous les aspects de la mise en scène.
C’est seulement dans un studio que Méliès pouvait réaliser Ln sirène, un
film où un monde sous-marin est créé avec une actrice en costume, un aqua
rium placé devant la caméra, quelques toiles peintes et des «chariots pour
monstres » (voir fig. 6.4). Dans La lune a un mitre, où il joue un astronome, il
est entouré d'un ensemble impressionnant d’accessoires en trompe l'ccil, des
sinés et découpés, qui semblent sortis d'un dessin animé (voir le télescope, le
globe et le tableau noir de la figure 6.5).
La maison de production de Méliès, la Star film, fut à l'origine de centaines
de courts métrages «féeriques» et de «films à trucages» où il fallait contrôler
tous les éléments apparaissant dans le cadre : Méliès, premier grand maître de
la mise en scène, en démontrait toute la richesse technique. Ce magicien nous
a laissé un monde merveilleux, irréel, totalement soumis aux caprices de
l’imagination.
210
muni t - il mi - H mu n ±im
Le décor
Dés les débuts du cinéma, les critiques et le public ont compris que les décors
y jouaient un rôle plus actif que dans la plupart des mises en scène théâtrales.
Ainsi, André Bazin écrivait :
Il n'est de théâtre que de l'homme, mais le drame cinématographique peut
se passer d’acteurs. Une porte qui bal, une feuille dans le vent, les vagues
qui lèchent une plage peuvent accéder à la puissance dramatique. Quel
ques-uns des chefs d’œuvre du cinéma n'utilisent l’homme qu’accessoi-
rement : comme un comparse, ou en contrepoint de la nature qui consti Figure 6.6
211
mm i luijiu
en ruines (fig. 6.8). De nos jours, les réalisateurs vont souvent tourner «en
extérieurs* (on dit aussi «en décors naturels»).
Il peut aussi choisir de construire le décor. Beaucoup de réalisateurs, sui
vant la leçon de Méfiés, ont compris que le travail en studio permet d'exercer
un plus grand contrôle sur le tournage. En France, en Allemagne et surtout
aux États-Unis, la possibilité d’inscrire sur la pellicule des mondes totalement
artificiels conduisit au développement de différentes conceptions du décor
construit. Certains réalisateurs ont mis l’accent sur la vraisemblance
historique; Erich von Strohcim, par exemple, était fier de la précision de ses
décors, fruit de recherches méticuleuses —voir en 6.9 le photogramme
Figure 6.8
extrait des Rapaces (Greed, 1924). Les hommes du président (AU lhe présidents
men, ?\lan, J. Pakuia, 1976) participe de la même approche : il s'agissait de
créer une copie parfaite des bureaux du Washington Post sur un plateau de
tournage en reproduisant chaque détail de la salle de rédaction (fig. 6.10); on
alla jusqu'à éparpiller autour du plateau des vieux papiers provenant des véri
tables bureaux. Le réalisme d’un décor reste toutefois une affaire de
conventions : ce dont le réalisme nous frappe aujourd’hui pourra paraître
extrêmement artificiel à un public futur.
Dans d’autres films, la vraisemblance historique a moins d’importance.
D.W. Griffith a fait des recherches sur les différentes périodes historiques pré
sentées dans Intolérance, mais sa Babylone — tout à la fois assyrienne, égyp
Figure 6.9 tienne et américaine— reste le résultat d’une vision personnelle (fig. 6.11).
Pour Ivan le terrible, Sergueï Eisenstein stylisa librement le décor du palais du
tsar pour l’harmoniscr avec les lumières, les costumes et les mouvements des
Figure 6.10
Figure 6.11
212
cwiîfti c - h ?un . lb mu u lclh
personnages : ces derniers se plient pour passer des portes qui ressemblent à
des trous de souris et restent figés devant des fresques murales allégoriques.
Le décor peut submerger les acteurs,comme dans ce plan extrait des Nuits
de Chicago (Underworld, Josef von Sternberg, 1927) (fig. 6.12), ou être réduit
à néant, comme dans Le gai savoir (Jean -Luc Godard, 1968) ou La Passion de
Jeanne d'Arc (Car! T. Dreyer, 1927) (figs. 6.13, 6.14). Il peut être dénué de
toute architecture réaliste, comme en témoignent l'expressionnisme du Cabi
net du docteur Caligari.
[.'allure générale d'un décor peut avoir une influence impartante sur notre
compréhension d'une action. Dans Les vampires, serial policier muet de Louis
Feuillade, un coursier est assassiné alors qu’il se rendait dans une banque. Une
employée de la banque, Irma Vep, fait partie du gang qui a exécuté le crime;
au moment où elle dit à son supérieur que le coursier a disparu, un impos
teur, déguisé avec une barbe et un chapeau melon, arrive derrière eux
(fig. 6.15). L’homme et la femme nous tournent le dos lorsqu’il s'approche
Figure 6.15
(fig. 6.16). A un moment de l’histoire du cinéma où l'insertion de plans rap
prochés était rare, Feuillade attire l'attention du spectateur sur le nouveau
venu en le plaçant au centre de l'image. Le décor du bureau permet de mar
quer son importance en l'inscrivant nettement dans l'encadrement de la
porte.
Nous avons pris tous nos exemples dans des films en noir et blanc, mais la
couleur est aussi un élément essentiel du décor. Dans L'argent (Robert
Bresson, 1983), différents lieux — la maison, l’école, la prison — sont mis en
parallèle par la récurrence d’arrière-plans verdâtres, d'accessoires et de costu
mes d'un bleu froid (planches 6-8). La gamme colorée de Playlime (Jacques
Tati, 1968) change nettement au cours du film : dans sa première partie, les
costumes et les décors sont essentiellement gris, bruns et noirs —des cou
leurs froides, métalliques. Plus loin, à partir de la scène du restaurant, le décor Figure 6.16
213
affiche des couleurs plus joyeuses, des rouges, des roses et des verts. Ce chan
gement s’accorde au développement du récit, où la vitalité et la spontanéité
des personnages transforment un paysage urbain déshumanisé.
Il n'est pas toujours nécessaire de construire un décor grandeur nature :
pour économiser de l’argent ou réaliser certains truquages, il est possible de
faire construire des décors miniatures, des maquettes, qui autorisent les
mêmes effets que les plateaux normaux. (Voir fig. 1.18 pour un exemple de
maquette.) Des parties du décor peuvent être peintes en trompe l'œil pour
venir se mêler ensuite à des objets réels. Ces procédés mettant en œuvre des
techniques photographiques, nous y revenons dans le chapitre suivant.
Les accessoires — un autre terme qui vient directement du théâtre — sont
des éléments du décor. Lorsqu'un objet faisant partie d’un décor est destiné à
avoir un râle actif dans l'action en cours, on peut le désigner sous le nom
d'«accessoire». Les exemples foisonnent : le presse-papiers transparent qui se
brise au début de Citizen Kane, le ballon de la petite fille de M le maudit (M.
Fritz Lang, 1931 ), le cactus de L'homme qui tua Liberty Valante ( The ma» who
shot Liberty Valante, John Ford, 1962), le cercueil de Cesare dans Le cabinet du
docteur Caligari. Dans les films de Luis Buftucl, les accessoires sont souvent
détournés de leur fonction ordinaire, suivant un procédé proche du
surréalisme; dans Los olvidados ( 1950), un aveugle guérit une femme avec une
colombe (fig. 6.17).
Au cours d'un récit, un accessoire peut devenir un motif. Le rideau de
douche de Psychose est d’abord un fragment anodin du décor, mais lorsque
l’assassin pénètre dans la salle de bain ce rideau nous empêche de le (ou de la)
voir. Plus tard, après le meurtre, Norman Bâtes se sert du même rideau pour
envelopper le corps de la victime. Dans Le crime de M. Lange, une affiche fai
sant de la publicité pour Javert, un roman de gare à épisodes, est posée sur la
façade intérieure de la maison d’édition de Batala (fig. 6.18). Après que celui-
214
ijUHin; j - u y, im tj
que par celle des décors : on dit qu’il faisait porter à ses acteurs des sous-vète-
ments que l’on ne voyait jamais à l’écran mais qui correspondaient à leur rôle
et les mettaient en condition pour jouer. Dans Musketeers oj Pig Alley (D.W.
Griffith, 1912), Lillian Gish apparaît dans une robe délavée, élimée, qui mon
tre à elle seule toute la pauvreté dans laquelle vit son personnage.
Les costumes peuvent aussi être stylisés, attirer l’attention pour leurs seules
qualités visuelles. Dans Le cabinet du docteur Caligari, Cesare, le somnambule,
porte un collant d'un noir profond et la femme qu’il enlève, une chemise de
nuit blanche. Les costumes de fvnn le terrible sont soigneusement accordés les
uns aux autres en termes de couleurs, de matières et même de mouvements;
dans un plan montrant Ivan et son adversaire, le drapé de leurs robes a un
caractère plastique très dynamique (fig. 6.21 ). La réalisatrice de Freak Orlando
(Ulrike Ottinger, 1983), elle-même costumière, déploie à travers les vêtements
de scs personnages tout le spectre des couleurs primaires (planche 12).
Comme le décor, les costumes peuvent devenir des accessoires ayant une
fonction narrative. Guido, le personnage principal de Huit et demi, se cache con
tinuellement derrière ses lunettes de soleil. Imaginer Dracula, c’est penser à la
l igure 6.21
façon dont sa cape l’enveloppe, dont elle se déploie et se referme définitivement
215
i'K’.i j u mu
216
LS «uu i» iusj
sont calmées et le film a pris des teintes encore plus pâles, allant jusqu'au noir
cl blanc pur (planche 19).
Toutes ces remarques sur les costumes s'appliquent aussi à un domaine de
la mise en scène qui leur est étroitement lié, le maquillage. Celui-ci était
nécessaire, à l’origine, pour améliorer la qualité de la représentation du visage
sur des pellicules alors peu sensibles. Il est toujours employé pour renforcer
certains traits des acteurs, mais ses fonctions se sont diversifiées au cours de
l'histoire du cinéma. La Passion de Jeanne d'Arc était célèbre pour son refus
total du maquillage (fig. 6.14]; le film est un drame religieux intense qui
repose entièrement sur des gros plans cl de légers changements d’expressions.
A l'inverse, Nikolaï Tcherkassov ne ressemblant pas vraiment à l’idée que se
faisait Eiscnstcin du tsar Ivan IV, il porta une perruque, une barbe, un nez et
des sourcils postiches pour jouer dans Ivan le terrible. Transformer l’appa
rence des acteurs pour qu'ils ressemblent à des personnages historiques est
l’une des fonctions ordinaires du maquillage.
Un maquillage peut aspirer au plus grand réalisme. Lorsque Laurence
Olivier se colora la peau et les cheveux en noir pour jouer dans Othello (Stuart
Burgc, 1965), il cherchait à être un Maure crédible. Le maquillage porté par
les actrices est souvent conçu pour ressembler, à l'écran, à celui porté couram
ment par les femmes de l’époque, et celui des acteurs doit faire croire qu’il
n'en porte pas du tout. Mais le maquillage ne sert pas seulement le réalisme
— lorsqu’il donne aux acteurs une apparence étrange, il devient une conven
tion du film d’horreur. Dans /x* cabinet du docteur Caligari (fig. 6.24), les visa
ges des acteurs sont peints de façon â créer des zones uniformes d’ombre ou
de lumière, traitement qui s’accorde dans ce film aux autres aspects de la mise
en scène.
l.e succès des films d'horreur et de science-fiction à conduit ces dernières
années au développement de l'art du maquillage. Le caoutchouc et différents
composés plastiques permettent de créer bosses, protubérances, organes et
peaux artificiels dans des films comme La mouche (The fly, David Figure 6.24
Croncnberg, 1986 : fig. 6.25) ou Edward ata mains d’argent (Edward Scisso-
rhands, Tim Burton, I99Û). Iz maquillage devient alors aussi important que
le costume ou le décor pour créer la personnalité d’un protagoniste ou moti
ver des péripéties.
L'éclairage
L’effet produit par une image tient beaucoup à la façon dont la lumière y est
traitée. Au cinéma, l’éclairage n'est pas simplement ce qui permet de voir
la scène en cours. distribution des zones claires et des zones sombres dans
le cadre contribue à la composition de chaque plan et attire donc notre Figure 6.25
217
mnju - u nm
attention vers certains objets ou certaines actions. Une zone vivement éclairée
peut nous faire remarquer un geste important, une ombre, dissimuler un
détail ou une présence. La lumière permet aussi de faire disparaître clairement
des textures : la courbe d'un visage, le fil épais d’un morceau de bois, le dessin
délicat d’une toile d’araignée, la luisance du verre, le scintillement des facettes
d’un bijou.
L'éclairage donne forme aux objets en créant des zones lumineuses et des
zones sombres. U visage de l'homme, en 6.26 —extrait de Forfaiture (The
Cheat. Cecil B. De Mille, 1915) — comme les doigts que l’on peut voir en 6.27
— Picpockct (Robert Brcsson, 1959) — émettent de la lumière. La luminosité
Figure 6.26
d’une surface donne des indications importantes sur sa texture; si elle est
lisse, comme le verre ou le chrome, elle a tendance à produire des miroite*
ments et des scintillements: plus rugueuse, elle produit une lumière plus dif
fuse.
11 y a deux principaux types d’ombres : l’ombre propre et l’ombre portée.
L'ombrc propre apparaît lorsque la lumière n’édairc que partiellement un
objet, à cause de sa forme ou d’aspects particuliers de sa surface. Si un person
nage fait face à une bougie dans le noir, de larges parties du visage et du corps
restent sombres : c’est l'ombre propre. Mais celte bougie produit aussi une
ombre sur le mur se trouvant derrière le personnage : c’est l’ombre portée,
produite par un obstacle entre la lumière et la surface où elle se projette. Dans
la figure 6.26 par exemple, le corps de l'acteur reçoit l’ombre portée de barres
Figure 6.27
verticales placées entre lui et la source lumineuse; dans la figure 6.27, les peti
tes tâches sombres sur la main sont des ombres propres, dues aux courbes et
aux rides de la main elle-même.
L’ombre et la lumière facilitent l'appréhension spatiale d'une scène. En
6.26, quelques ombres suggèrent toute une cellule. Les memes indications
peuvent être reproduites dans un film d'animation : dans la planche 20,
extraite de Qui a peur de Roger Rabbit ?, les personnages dessinés, comme
l'acteur, possèdent ombres propres et ombres portées.
L’éclairage donne aussi forme à la composition générale d’une image. Un
plan célèbre de Quand la vi/te dort (Asphalt jungle, John Huston, 1950) ras
semble les membres d’un gang autour du cercle de lumière fourni par une
lampe à suspension (fig. 6.28). Celle-ci éclaire frontalcmeni le personnage
principal qui se trouve au fond, créant ainsi une hiérarchisation de la scène.
Figure 6.28
La lumière a une grande influence sur notre perception des formes et des
textures ; une sphère éclairée frontalcment devient, à l’écran, un disque; avec
une lumière latérale, cette sphère devient un demi-disque. Dans le court
métrage Lenton (Hollis Frampton, 1969), une source lumineuse déplacée
autour d’un citron crée des combinaisons spectaculaires de jaune et de noir.
218
Figure 6.29 Figure 6.30
Ce film semble avoir été réalisé pour illustrer une remarque de Joscf von
Sternberg, l'un des maîtres de l’éclairage : «Tout objet peut être embellit et
dramatise par une utilisation appropriée de la lumière-.
Nous allons isoler ici les quatre principales caractéristiques d’un éclairage :
sa qualité, sa direction, sa source et sa couleur.
Ce que nous appelons la qualité d'un éclairage désigne l’intensité lumi
neuse. Une lumière «dure» produit des ombres nettement dessinées —c'est
celle du soleil à midi —, une lumière «douce», un effet diffus —c’est celle
d'un ciel couvert. Ces catégories doivent bien sùr être nuancées selon les cas.
Une lumière dure crée des ombres profondes, égalise les textures et souli
gne les contours. Dans la figure 6.29, extraite de Aparajito (Statyajit Ray, 1956),
la mère d’Apu et le globe qu elle tient sont mis en valeur par une lumière très
contrastée. En 630, extraite du même film, une lumière plus douce brouille les
contours, diffuse la lumière et produit une gradation de gris.
La direction de la lumière dans un plan désigne la trajectoire suivie par la
lumière depuis sa ou ses sources jusqu'à l’objet qui la reçoit. «Toute lumière»,
a écrit von Sternberg, «connaît un point de plus grande intensité et un point
vers lequel elle a tendance à venir se perdre totalement... Le voyage des rayons
depuis ce cœur jusqu'aux avant-postes de l’obscurité constitue l’aventure et le
drame de la lumière.» Par commodité, nous allons distinguer des lumières
frontales, latérales, des lumières venant par derrière, par-dessous cl par-des
sus le sujet.
Une lumière frontale a tendance à éliminer les ombres. On voit planche 21
un photogramme de La chinoise où un tel éclairage produit comme un apla
tissement de l'image.
Dans La soif du mal (Touch of evil, Orson Wclles, 1958), l'éclairage latéral
(ou •cross light») souligne les traits des acteurs : figure 6.31, le nez, les pom
mettes et les lèvres produisent de fortes ombres propres et il y a une large
ombre portée sur le mur de gauche. Figure 6.31
219
muu li nuu
Le décrochage, parfois appelé contre-jour, est une lumière qui vient de der
rière le sujet filmé, par au-dessus, par le côté, par en dessous ou en pointant
directement vers l'objectif de la caméra. Si elle n'est pas complétée par une
autre source lumineuse, clic produit des effets de silhouettes (voir fig. 6.32,
extraite de Citizen Kane}. Combinée avec un éclairage frontal, elle permet de
souligner discrètement les contours d’une figure. Dans le photogramme pré
senté en 6.33, extrait des Ailes ( Wîngs, William A. Wellman. 1929), le corps des
acteurs se détache de l'arrière-plan grâce à une fine délinéation lumineuse.
220
IWIIU C LJ PLfiH . 19 mm JH !HH
Figure 6.36
plan à droite, dans la figure 6,36 extraite de Miracle en Alabarna (The miracle
worker, Arthur Pcnn. 1962) sont censées être les seules sources lumineuses de
la scène, mais l’on peut voir les nombreux projecteurs qui furent en fait utili
sés se refléter sous forme de minuscules points blancs sur le verre de la lampe.
Les réalisateurs et les chefs opérateurs parlent de l'hypothèse qu’il faut au
moins deux sources de lumière: une lumière principale (key lighl) et une
lumière d'appoint (fill light). La lumière principale, qu'on appelle couram
ment l'arra<jucou Vcffet, fournit leclairage dominant et produit les ombres les
plus fortes. La lumière d’appoint, généralement appelée lumière d'ambiance,
vient compléter la précédente en adoucissant ou éliminant certaines ombres
(ce pourquoi on l’appelle aussi «lumière de compensation » ou parfois • lumière
de bouchage»), La combinaison de ces deux sources, associées à d’autres, per
met de maîtriser précisément l'aspect de la lumière.
La lumière principale peut être dirigée vers le sujet sous n'importe quel
angle, comme nos différents exemples de directions d’éclairages l’ont déjà
montré. Planche 28 (un photogramme de Ivan le terrible) l'attaque vient de
sous le personnage et un éclairage d'appoint plus doux et plus vague vient Figure 6.37
221
Pflfilll. J - L( JI8U
222
CW1LU L- LOiail U BJJJ IB L£LB4
L'insoumise (fig. 6.40) et La rose pourpre du Caire (planche 23) donnent des
exemples d'éclairage high kcy. Les réalisateurs et les chefs opérateurs hol
lywoodiens l'ont souvent utilisé pour les films d'aventure et les drames.
Le high kcy ne sert pas seulement à représenter une situation où la lumière
est très vive —l’éblouissement d'une salle de bal ou d'un après-midi
ensoleillé —, c'est une conception générale de l'éclairage qui s’adapte à la
représentation de différentes situations lumineuses ou de différents moments
de la journée. Observons, par exemple, deux photogrammes de Retour vers le
futur : dans le premier (fig. 6.41 ), le high key correspond à une lumière diurne
et au clinquant d’un bar; dans le second (fig. 6.42), extrait d’une scène noc
turne, il se reconnaît à la douceur générale d'un éclairage peu contrasté et à
l'aspect nuancé des ombres.
Le low key, à l’inverse, produit des contrastes importants et des ombres
profondes. La lumière y est souvent dure, les appoints y sont réduits ou élimi
nés pour créer un effet général de chiaroscuro, de clair-obscur, où l'image peut
contenir à la fois des zones extrêmement sombres et des zones extrêmement
lumineuses. La figure 6.43 est extraite de Kanal (Andrzej Wajda, 1957). La Figure 6.43
223
saisissants de clair-obscur qui décrivent le monde des adultes ici qu’un enfant
l'imagine, plein de mystères et de dangers.
L’éclairage doit être pensé en fonction des déplacements des acteurs. Il y a
certains avantages à conserver une lumière égale en chaque point du décor,
même si le résultat est peu réaliste. À la fin des Nuits de Cabiria (Federico
Fellini, 1957), l'héroïne s'avance vers nous en diagonale, accompagnée par
une troupe de jeunes musiciens. La lumière sur son visage ne change pas et
l’on peut ainsi relever d'infimes changements d’expression (figs. 6.45,6.46). À
l'inverse, un personnage peut s'avancer à travers une combinaison d'ombres
et de lumières. Le combat à l'épée de Rashomon est dramatisé par le contraste
Figure 6.45
entre la férocité des personnages et l'aspect champêtre de l'éclairage mou
cheté qui envahit le sous-bois ( fig. 6.47).
Comme toute autre technique l'éclairage peut, au cours du film, devenir
un motif. La rose, pourpre du Caire raconte l’histoire d’une femme prise entre
un mari brutal, abusif, et scs rêveries autour d’un héros de cinéma (qui sort
de l'écran pour venir à sa rencontre). Les scènes où elle est avec ce personnage
sont traitées dans un high key modéré qui met en oeuvre le système à trois
points (planche 23). Les scènes avec son mari, chez elle, ont cette lumière
dure, contrastée, caractéristique du low key (planche 24).
Nous avons tendance à croire qu'il n’y aurait que deux couleurs de lumière
pour l’éclairage de cinéma — le blanc de la lumière solaire, la légère teinte
jaune des lampes à incandescence. Les réalisateurs veulent généralement tra
Figure 6.46
vailler avec la lumière la plus blanche possible: en plaçant des filtres devant la
source de lumière, ils ont tout contrôle sur son apparence finale. La teinte de
la lumière peut être justifiée par un élément appartenant à la scène filmée; les
chefs opérateurs utilisent souvent des filtres pour recréer les nuances orangées
d’un éclairage à la bougie, comme c’est le cas dans Lt chambre verre (François
Truffaut, 1978) (planche 26). Dans Ecrit sur du vent (Writtcn on the wind,
Douglas Sirk, 1957), l’éclairage bleu violacé est donné comme la couleur de la
Figure 6.47
224
lhhjh t - u uu inuru uni
nuit (planche 27). La lumière colorée peut aussi être irréaliste : dans la
seconde partie de Ivan le terrible, une lumière bleue non-diégétique est sou
dainement projetée sur un acteur pour exprimer sa terreur ei ses doutes
(planches 28 et 29). Un tel changement des fonctions stylistiques — la cou
leur a ici un rôle ordinairement réservé au jeu de l’acteur — est d'autant plus
efficace qu'il est inattendu.
Nous prêtons généralement peu d’attention à la lumière qui nous entoure
et pour la même raison, la lumière d’une image de cinéma est facilement per
çue comme «naturelle». Ixs caractéristiques visuelles d’une image sont pour
tant essentiellement déterminées par la qualité de la lumière, sa direction, sa
source et sa couleur. Le réalisateur peut manipuler et combiner ces différents Figure 6.48
facteurs pour façonner de diverses manières l'expérience du spectateur.
• L'aventure et le drame de la lumière» est sans doute l'élément le plus impor
tant d’une mise en scène.
225
HIIIIJ - MU —
226
( « 1 MJ »U-Lt Mil .il IVHI.IHK
227
fonctions d'une interprétation, i! faut donc définir les autres facteurs formels
— la chaîne causale ou les conventions du genre auquel appartient le film. Et
pour évaluer cette interprétation, il nous faut d'abord observer, sans aucune
considération sur son réalisme, si clic est en accord avec les fonctions du per
sonnage interprété.
On peut aborder les styles d’interprétation selon deux grands principes;
un jeu sera plus ou moins individualisé et plus ou moins stylisé. Ces deux cri
tères servent souvent, de façon implicite, à juger du «réalisme» d’une inter
prétation, en se demandant si elle contribue à créer un personnage autonome
et si elle n’est pas trop exagérée ou. au contraire, contenue.
On considère généralement qu'une bonne interprétation est celle qui pro
duit une forte individualisation du rôle, mais dans de nombreuses cinémato
graphies c’est la création de types, anonymes et universels, qui prévaut. Le
récit hollywoodien classique est basé sur une collection de stéréotypes idéolo
giquement codifiés : le flic irlandais affecté à une surveillance, le domestique
noir, le préteur sur gages juif, la serveuse ou la »girl» toujours amusante. Les
acteurs étaient sélectionnés et dirigés pour se conformer à ces stéréotypes,
dont les plus talentueux parvenaient parfois à renouveler les conventions.
Plusieurs réalisateurs soviétiques des années 20 employèrent un procédé
identique, le typage, suivant lequel les acteurs devaient représenter les diffé
rents archétypes d'une classe sociale ou d'un mouvement historique. Au
début de La grève, le capitaliste en haut-de-forme ressemble à une caricature
de dessin animé (fig.6.52) qui sera, au cours du film, opposée aux ouvriers
courageux et résolus (fig. 6.53).
L’interprétation peut donc être plus ou moins «typée», mais aussi plus ou
moins stylisée. Une longue tradition du jeu cinématographique vise la res
semblance à ce que l'on estime être un comportement réaliste, souvent à par
tir des caractéristiques psychologiques du personnage. Woody Allen et Diane
Keaton jouent l'introspection, dans Annie Hall (Woody Allen, 1977), par des
228
(iiMiti tu nsi i.i. ii.li d mit
229
mm i - jj mu
des acteurs non professionnels disent leurs textes de façon impassible ou n’ont
parfois pas de texte du tout. Le spectateur est incité à les considérer non plus
comme des êtres doués d’une psychologie mais comme les récitants d'un texte
écrit à l'avance. Nous devenons ainsi très conscients du caractère convention
nel de nos attentes relatives au jeu des acteurs, et ces attentes s’en trouvent
peut-être élargies.
230
-LOPlItl C - U PLAN . 18 Bl.il U
que c'est plutôt un constant mélange de retenue et d’emphase qu’il doit prati
quer.
On ne sera jamais aussi près d’un acteur de théâtre qu'on peut l’être d'un
acteur de cinéma. Mais un film n’est pas seulement composé de gros plans; en
fait, la caméra peut être à n’importe quelle distance d'une figure. Filmé de très
loin, l’acteur devient un point sur l'écran — plus minuscule qu’il ne nous
apparaîtra jamais depuis le plus lointain balcon d'un théâtre. De très près, la
caméra en révèle les mouvements les plus infimes.
L’acteur doit donc savoir adapter son jeu en fonction de sa distance à la
caméra : loin d'elle, ses mouvements devront être plus amples, son jeu, passer
Figure 6.60
par un plus grand nombre de déplacements; proche, la moindre contraction
d'un muscle du visage devient sensible. Il y a, entre ces deux extrêmes, toute
une gamme de variations possibles.
Fondamentalement, une scène peut se concentrer soit sur les expressions
faciales d’un acteur soit sur les mouvements de son corps. La première possi
bilité passe en général par l'emploi du gros plan, même si un gros plan peut
aussi avoir pour sujet une autre partie du corps que le visage. Les gestes de
l’acteur deviennent le centre de l'interprétation lorsqu’il est éloigné de la
caméra ou lorsque son visage est occulté.
Ce que nous voyons de l'interprétation d'un acteur de cinéma est donc
déterminé à la fois par la mise en scène de l'action et par la distance de la
caméra. Dans La stratégie de l'araignée (La strategia del ragno, Bernardo Figure 6.61
231
donner une bonne in ter prêtai ion grâce au cadrage cl au montage. La peur
apparente de lonesy, le chat de Aliens, vient d'une accentuation de son feule
ment et de son mouvement de recul au moyen de la lumière, du cadre, du
montage et du mixage sonore (fig. 6.62). Ce type de manipulation est encore
plus présente dans les films d'animation. Dans Fétiche mascotte, les visages et
les gestes d’un démon et d'un voleur en conversation ont des changements
subtils entièrement créés, image par image, à partirdc poupées (fig. 2.12).
Figure 6.62
Comme les autres éléments composant un film, l'interprétation offre un
champ infini de possibilités et ne peut être évaluée selon des critères généraux
ignorant le contexte concret de la forme du film.
232
cwnu c - u nia il œ.iu la su ni
L'espace
Il existe plusieurs sortes d’espaces cinématographiques. L’image projetée sur
un écran est plate et présente une composition délimitée par un cadre,
comme une photographie ou un tableau. La disposition des figures réglée par
la mise en scène fait la composition de l'espace de l’écran. Cette composition
en deux dimensions consiste en l'organisation de formes, de textures, de
lumières et d’ombres. Dans la plupart des films, cette composition représente
par ailleurs un espace à trois dimensions où se déroule l’action. L’image proje
tée sur l’écran étant plate, la mise en scène doit fournir au spectateur des indi
cations qui lui permettent d’imaginer les trois dimensions de la scène. Par la Figure 6.63
mise en scène, le réalisateur guide donc notre regard sur l'écran, détermine
notre perception de l’espace représenté et met l’accent sur certaines de ses
parties.
233
PAÛII4 î - H UJJJL
personnages ressortent sur les gris terreux el les noirs de l'entrepôt d’un fer
railleur (planche 30).
Lors-que les intensités lumineuses sont équivalentes, les couleurs chaudes,
celles appartenant à la gamme des rouges, oranges et jaunes, attirent plus
l'attention que les couleurs froides, les violets et les verts. Le décor et les costu
mes des personnages de Yai (Yilmaz Güney, 1982) ont des teintes chaudes,
mais la veste rose du personnage agenouillé en fait le premier objet du regard
(planche 31).
Le réalisateur concevra parfois la couleur de son film en fonction de ce que
les peintres appellent une - palette limitée» : un nombre réduit de couleurs
qui n'entrent pas en contraste, par exemple une combinaison de blanc, de
bruns, de gris et de noir. Z (Jan Lcnica, 1964) est un film d’animation qui met
en œuvre une palette colorée extrêmement limitée, n’égayant son noir et
blanc tramé que par la brève apparition de fleurs aux couleurs pastel (planche
32).
Une palette limitée permet au spectateur d’avoir une perception plus fine
de l’intensité, voire de la saturation des coloris. Le plan extrait du Casanova de
Fellini, évoqué plus haut (planche 15). utilise différentes nuances de rouges.
Meurtre dans un Jardin anglais (The Draug/ttsman contract, Peter Greenaway.
1982) développe une palette de couleurs froides (planche 33).
La monochromie est une réduction extrême de la gamme colorée employée
dans une image : le réalisateur choisit de ne travailler qu'avec une seule cou
leur, en faisant varier sa pureté et sa luminosité. Nous avons déjà vu un exem
ple de monochromie avec le blanc-sur-blanc de THX 1138 (planche 16); on
observe très souvent dans les films d'action des années 7Û et 80 un voile
argenté ou bleu-gris qui domine les séquences de combats — voir la planche
34, extraite de -4 better tomorrow III (Yinghung bunsik 111, Tsui Mark, 1989).
lin monochromie, la moindre petite tâche d’une couleur contrastant avec
celle qui domine le reste de l'image attirera immédiatement l’attention du
spectateur. Par rapport aux tons métalliques dominant Alicns, même un jaune
terne — celui d'un engin de chargement monté sur des échasses — suffit à
désigner un accessoire important pour la suite du récit (planche 35).
Le spectateur est aussi sensible aux changements de tonalités dans les films
en noir et blanc, où les couleurs des décors, des costumes, des lumières et des
Figure 6.66 figures deviennent des nuances de blancs, de gris et de noirs. En général, nous
remarquons plus rapidement les formes claires que les formes sombres. En
6.66, plan extrait de La mère (Mat', Vsevolod Poudovkine, 1926) le regard se
concentre spontanément sur le visage de l'homme plutôt que sur le noir qui
l'entoure (de même dans les figures6.31 à 6.38). Si differentes plages lumi
neuses rivalisent dans la composition, comme en 6.54 et 6.59, nous aurons
234
i - K pus .JJ nu (Lipi
Le cadre est un rectangle dont il faut aussi équilibrer tes moitiés gauche cl
droite. La symétrie est le procédé de composition le plus radical pour y
parvenir: elle informe par exemple la mise en scène du banquet de mariage de
Ivan le terrible (fig. 6.67) ou. sur un mode plus grandiose, la scène de bataille
de La vie sur un fil (Bian zou bianchang, Chen Kaigc, 1991 ) (planche 36).
Ces symétries presque parfaites sont moins courantes qu'un vague équili
brage. généralement réalisé en plaçant une figure au centre de la composition
et en réduisant l'importance des éléments périphériques —c’est ce que l'on
voit par exemple en 6.68, image extraite de La règle du jeu, ou en 6.14, 6.35.
6.37 et 6.40. Il est aussi possible d’équilibrer deux ou plusieurs figures pour
faire circuler le regard entre elles, comme dans cet autre plan de La règle du jeu
(6.69) et en 6.38, 6.56 ou 6.59. L’équilibre peut être très marqué, comme en
6.56, ou plus inégal, comme en 6.48, où ion voit d’abord les deux silhouettes
au centre avant de remarquer les villageois accroupis à l’extrême gauche du
cadre. Ces exemples montrent que nous recherchons des éléments ou des
actions signifiantes dans les zones déterminées par l'équilibre de la composi
tion.
235
n«ll( ) - “ 11,11
236
1WI1U C - lUlfiH Lfi 11114 (B KHI
Seul un écran parfaitement vide est composé d'un seul plan. Toute forme,
fut-elle abstraite, qui apparaît sur cette surface la transforme en arrière-plan.
Nous percevons les quatre formes en S de la figure 6.73 comme inscrites par
dessus le fond plus clair, alors qu'elles sont strictement sur la même surface.
L'espace est ici composé de deux plans, comme dans la peinture abstraite, et
c’est le recouvrement de l’un de ces plans par l'autre qui constitue une indica
tion de profondeur. (les formes en S semblent occulter une partie du «fond»
et être ainsi plus proches de nous. )
Le même effet peut être obtenu au moyen de la couleur. Les couleurs froi
des ou pâles ont tendance â reculer, les couleurs chaudes à avancer — les pre
mières sont souvent employées pour les arrière-plans, les décors, et les
secondes pour les costumes ou tout ce qui doit venir au premier plan. On en
donne encore un exemple avec les couleurs chaudes de la robe de l'héroïne de
Sambizanga (Sarah Maldoror, 1972), qui se détachent sur un fond pâle (plan
che 37) mais il faut aussi revoir les planches?, 12,13 et 35.
237
WII[ 2 - UJJ1LL
Les films d'animations utilisent en général des couleurs plus vives, plus
saturées que les autres types de films, et peuvent par conséquent produire des
effets de profondeurs plus forts. La grenouille de One froggy evtning (Chuck
lones, 1955), avec sa peau d'un vert brillant et son parapluie jaune, jure sur le
rouge sombre du rideau ci le beige de la scène. Dans l'image extraite de Bambi
(Walt Disney, 1942) présentée planche 39, la stratification spaiiale est créée
par un contraste entre des teintes pastel et d’autres plus sombres : on trouve
un jaune lumineux au premier plan, puis le noir et blanc pur de la moufette,
des tons pastel derrière elle et un vert sombre pour l'arrière-plan.
Des contrastes de couleurs très atténués peuvent suffire à créer un effet de
profondeur. Dans L'argent (planches 6-8), Robert Brcsson utilise une gamme
réduite de couleurs froides et un éclairage relativement uniforme, mais la
composition met toujours en valeur plusieurs plans par de légers chevauche
ments de masses sombres, brunes et bleutées. Ce sont de légères différences
dans les nuances de rouge qui étagent les plans de l'image extraite de Casa
nova (planche 15), et l'impression de profondeur est produite, dans celle que
nous empruntons à Meurtre dans un jardin anglais (planche 33), par la succes
sion des verticales noires et la gradation des verts en bandes horizontales de
valeurs égales. La stratification de la scène est ici clairement manifestée.
La planche 22 (La Chinoise} évoque un autre facteur dans la production de
l'effet de profondeur : le mouvement — ici, celui de la fumée au premier plan.
Le mouvement, au cinéma, fournît l'une des plus importantes indications de
la profondeur : il suggère à la fois les volume*; et la succession des plans. Il faut
aussi remarquer, planche 22, un autre facteur important, i'ombre portée du
personnage.
La perspective aérienne est une autre façon d'indiquer une profondeur, par
atténuation progressive des plans les plus lointains. Notre appareil de vision
interprète généralement les contours et les matières les plus nets, les couleurs
les plus pures comme appartenant au premier plan. Dans des vues de paysa
ges, l'aspect flou et grisé des plans lointains peut être dû à de véritables effets
atmosphériques, comme dans Le ntttr (Duvar, Yilmaz Güney, 1983) (planche
40). Même lorsque cet effet est minime, notre vision assigne les contrastes
forts au premier plan (voir planche 37). La manipulation conjointe de l'éclai
rage et du point sert souvent à estomper les arrière-plans. Dans La charge de la
brigade légère (Charge of the Light Bngade, Michael Curtiz, 1936) un effet de
perspective aérienne est créé artificiellement par la combinaison d’une
lumière diffuse au fond et d'un manque de netteté général de l'image
(fig. 6.74).
Le photogramme présenté en 6.75, extrait de Chronique d’Anna Mag-
Figure 6.74 dalena Bach, montre un effet de profondeur produit par plusieurs facteurs :
238
(upnu c - u Hfiti . u nin u îUm
Dans la plupart des exemples que nous avons déjà donnés, la mise en scène
ne sert pas seulement à focaliser notre attention sur des éléments du premier
plan mais plutôt à créer une relation dynamique entre le premier plan et le
fond. Planches 21 et 22, Godard maintient l’attention sur l'ensemble de la
composition en utilisant des arrière-plans saillants: planche 21, nous
balayons rapidement du regard toutes les images qui sc trouvent derrière
l'actrice et planche 22. nous sommes conscients de la présence du mur rouge
vif derrière le personnage même en essayant de nous concentrer sur son visage.
Dans ces deux derniers exemples, la profondeur de l’espace est réduite : le
Figure 6.76
plan le plus proche et le plan le plus lointain ne sont que très légèrement sépa
rés. La tendance inverse consiste à les séparer par une distance importante,
comme dans l'image extraite de Chronique d’Anna Magdalena Bach ou plu
sieurs scènes de Cendres et diamant (Popiôi diament, Andrzej Wajda, 1958), où
l’effet est marqué par une forte disproportion entre les figures du premier
plan et celles de l'arrière-plan (fig. 6.76).
À ce point de notre étude, vous pouvez vouloir revenir à des plans montrés
plus haut dans le chapitre. Vous remarquerez que ces images emploient les
indications de profondeur —chevauchement, mouvement, ombre portée,
perspective aérienne, diminution de la taille et perspective linéaire— pour
créer des relations précises entre le premier plan et l'arrière-plan.
239
muo - u uju
Le fait que nous soyons sensibles aux différences visuelles permet aux réa
lisateurs de diriger notre appréhension d'une mise en scène. Toutes les indica
tions créant l’espace de l'histoire interagissent, travaillent ensemble à
l’accentuation de certains éléments du récit, à la focalisation de notre atten
tion et à l'organisation de relations dynamiques entre différentes parties de
l’image. Cette interaction est particulièrement claire dans deux plans de Jour
de colère.
Dans le premier plan (fig. 6.78), Anne, l'héroïne, se tient debout devant
une cloison ajourée. Elle ne parle pas, mais son statut de personnage principal
en fait déjà le centre de notre attention. Le décor, l'éclairage, le costume et
Figure 6.78
l’expression de son visage confirment nos attentes. Le décor produit un motif
de lignes horizontales et verticales que viennent interrompre les courbes déli
cates de son visage et de ses épaules. La lumière divise le cadre en une zone
claire, à droite, et une zone sombre à gauche, dont Anne est le point de
rencontre; son visage est modelé par la lumière principale, relativement dure,
venant de la droite, ainsi que par une faible lumière zénithale tombant sur ses
cheveux et une légère lumière d’appoint. Son costume répète cette distinction
franche entre zone claire et zone sombre —le col blanc qui ponctue la
robe noire, le liseré blanc de la coiffe — pour, une fois de plus, souligner le
visage.
L’image produit un faible effet de profondeur. On distingue un arrière-
plan et un premier plan très proches. L’arrière-plan, dominé par la géométrie
rigide de la grille, fait du visage attristé du personnage l’élément le plus
expressif du cadre, attirant immédiatement notre attention. Cette même grille
divise le cadre horizontalement en deux parties égales; celle du bas est mar
quée par la verticale sombre de la robe, celle du haut par la présence du visage,
légèrement décentré à gauche mais tourné vers la droite de façon à compenser
le vide. (Imaginez, le déséquilibre de la composition si elle regardait vers la
caméra et que la même portion d'espace était laissée vide à droite.) L’équilibre
recherché par la composition contribue donc à mettre en valeur l’expression
du personnage. On voit que, sans aucun mouvement, Dreyer a établit un sys
tème de relations entre les lignes et les formes, l'ombre et la lumière, le pre
mier plan et l’arrière-plan.
Dans le second plan (fig. 6.79), notre attention est soumise à un mouve
ment de va-et-vient. C'est à nouveau le récit qui nous guide dans notre appré
hension de l’image, les personnages et la charrette étant des éléments narratifs
essentiels. Ix son nous aide, puisque Martin est à ce moment là en train
d’expliquer à Anne a quoi sert la charrette. Mais la mise en scène joue aussi un
rrtle. La différence de taille des figures cl les ombres portées permettent d’éta
blir que le couple se trouve au premier plan et la charrette, à l’arrière-plan.
Figure 6.79
L'espace est, par rapport au plan précédent, relativement profond (avec un
240
■twimt- U HH ,-imiuiKm
Le temps
Le plan et la perception que nous en avons sont temporels. Comme on le
verra plus loin lors de l’étude des techniques du montage (chapitre 8), le réali
sateur décide du temps pendant lequel un plan reste à l’écran. Dans les limites
définies par cette durée, il contrôle aussi le déroulement temporel du plan,
son rythme. La question du rythme au cinéma est très complexe et pas encore
totalement explorée; on peut dire, en général, quelle met en jeu une mesure
(que l’on désignera aussi sous le nom de pulsation ou de battement), un
tempo et des accents (des variations de l’intensité des pulsations).
241
mm b u ntii
Ces notions nous sont plus familières lorsqu’il s’agit de danse filmée : nous
sommes conscients du fait que les mouvements corporels de Fred Astaire ou
Ann Miller obéissent à des schémas rythmiques très précisément définis, et il
devrait en être de même pour n'importe quel mouvement dans une mise en
scène. Un mouvement peut avoir à 1 écran une pulsation particulière — celle
du clignotement d'une enseigne lumineuse ou du roulis d’un bateau. Il peut
aussi avoir un certain tempo — celui de l’accélération des voitures dans une
poursuite — ou créer des moments d'accentuation, qui focalisent l'attention
sur un instant précis.
Ces facteurs se combinent dans la perception du rythme du plan. Dans la
figure 6.80, extraite de Jeanne Diehnan, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles
(Chantal Akerman, 1975), le personnage prépare un repas. Ce film féministe
insiste sur le quotidien routinier d’une femme au foyer, en Belgique; dans de
nombreux plans les mouvements sont lents et de faible ampleur, mais parce
Figure 6.80
que rien d'autre ne vient en perturber le rythme, ils créent à eux seuls
des moments d'accentuation. Le rythme de l’ensemble du film concentre
l'attention sur des variations infimes et progressives des habitudes du person
nage.
La figure 6.81 présente un plan beaucoup plus dynamique, extrait de
42hne rue, où l’on trouve de fortes oppositions de mouvements. L’anneau cen
tral et l'anneau extérieur formés par les danseurs tournent dans un sens con
traire à celui de l’anneau du milieu et les danseurs impriment un mouvement
de va-et-vient à des bandes brillantes de tissus, pour créer une composition
quasi abstraite qui se développe sur un tempo rapide, avec une mesure et des
accents très marqués — autant d’éléments qui correspondent au contexte de
la séquence, celui d’un numéro musical.
242
< U F ! U I C - Ll FLfi H Lfl ffl IU l« i (l« l
notre attention peut rester concentrée sur un seul élément (ici, le visage du
personnage). À l’inverse, une composition en mouvement rend plus sensible
le déroulement du temps, en faisant circuler notre regard entre les différentes
parties de l'image suivant les vitesses, les directions et les rythmes des élé
ments qui la composent. Dans l’autre plan extrait de four de colère (fig. 6.79),
Anne et Martin nous tournent le dos (ce qui réduit la visibilité de leurs
expressions et de leurs gestes) et se tiennent debout, immobiles. Le seul mou
vement dans le cadre est celui de la charrette, qui attire immédiatement noire
attention. Mais lorsque Martin se met à parler et se retourne, nous revenons
au couple, puis à nouveau à la charrette en une sorte de va-et-vient dynami
que de notre attention, ici, la mise en scène contrôle à la fois et que nous
regardons et quand nous regardons.
Dans une scène de La terre tremble (La terra tréma, Luchino Visconti,
1950), la composition en profondeur nous prépare à une activité au premier
plan à gauche, celle des femmes qui viennent, une à une, regarder une image
accrochée hors-champ (figs. 6.83, 6.84). Au moment le plus dramatique de
L'élégie d'Osaka (Naniwa erejii. Kenji Mizoguchi, 1936). l’héroïne, à l’inverse,
recule vers le fond du plan et l'obscurité. Ce mouvement et son passage à
243
PUI.U J, U1UXL
travers des zones d’ombres accroissent notre curiosité sur son état émotionnel
(figs. 6.85,6.86).
Un changement dans la frontalité des figures est une autre façon de diriger
la perception du spectateur dans le temps. Nous nous attendons généralement
à ce qu'un personnage de face fournisse plus d’informations qu'un person
nage de dos. Ix spectateur ne s’attarde pas sur les figures qui sont retournées
et est attiré par celles qui se présentent frontalcment. Nous avons déjà com
menté ce phénomène avec la seconde image extraite de four de colère
(fig. 6.79) et celles venant des Vampires (figs. 6.15,6.16). Dans La terre tremble
(fig. 6.87), le fait que les personnages des premier et second plan nous tour
nent le dos favorise la perception de la profondeur, où se trouve le personnage
dont on voit le mieux le visage. Dans notre exemple tiré de L'élégie d'Osaka
(figs.6.85, 6.86), les deux personnages sont retournés: c’est par sa position
centrale et son déplacement que la femme attire notre regard.
L'usage de la frontalité permet au réalisateur de focaliser momentanément
l’attention sur les éléments de son choix. Durant une conversation entre trois
Figure 6.88 personnages des Ensorcelés (The bad and the beautiful, Vincentc Minnclli,
1952), nous nous concentrons d’abord sur l'exécutif du studio, à droite, qui
est le seul à être de face (fig. 6.88). Mais lorsque le producteur se retourne, sa
position centrale et frontale en fait le personnage le plus important (fig. 6.89).
Le même procédé est utilisé dans une scène de L'avwnlura, de façon plus
étonnante, au moment où les personnages sont l'un et l'autre, alternative
ment, de dos et de face (figs.6.90, 6.91). Ces problèmes de fronlalités mon
trent, au même titre que l’organisation des mouvements dans un volume
éclairé ou le remplissage des zones vides, ce que la mise en scène de cinéma
doit au théâtre.
Comme ensemble de techniques, la mise en scène contribue à la composi
tion du plan cinématographique dans l'espace et dans le temps. Le jeu réci
Figure 6.89 proque des décors, de l'éclairage, des costumes et de l'interprétation produit
244
(nniiH c -3-Oijn u mu u
Figure 6.90
Fonctions narratives de la mise en scène :
Les lois de /'hospitalité
Nous n'avons fait jusqu'ici qu’évoquer de façon générale les possibilités offer
tes par la mise en scène. Dans un film abstrait la mise en scène peut servir à
créer des compositions purement visuelles; des films catégoriel, rhétorique ou
associatif s’en serviront pour diriger l'attention du spectateur, sa compréhen
sion de ce qu'il voit ou les inférences qu'il en tire. Le reste du chapitre est con
sacré à l'usage de la mise en scène dans les films narratifs.
Pour comprendre les informations relatives à l'histoire qui nous sont pré
sentées dans un film narratif, nous devons comparer des lieux, identifier des
personnages, remarquer des gestes et des actions — autant d’éléments définis
en partie par la mise en scène. Un grand nombre des motifs qui reviennent au
cours d’un récit sont des éléments visuels de la mise en scène; ils peuvent
fournir le matériau des principes formels qui sont à la base de l'organisation
générale du film : sa cohérence, ses schémas de ressemblance, de différence et
de développement.
La mise en scène contribue au déroulement du récit puisque tout ce que
l'on voit à l’écran constitue le récit; mais des éléments de mise en scène peu
vent aussi donner des informations sur l'histoire. Si un policier découvre un
cadavre, nous pouvons imaginer le meurtre. Si une femme raconte à une amie
un important épisode de son passé et lui montre une photographie de ses
parents, cette image fournit des informations sur des événements qui ne sont
pas directement mis en scène. De même, la plus ou moins grande restriction
de la narration peut passer par la mise en scène : tous les éléments du Cabinet
du docteur Caligari, par exemple, participe de la vision subjective d'un fou
(figs. 6.1 et 6.58). Caligari reste un cas extrême, mais il est par contre courant
que le savoir du spectateur soit réduit, dans une situation donnée et pour
quelques plans, à celui d’un personnage, notamment par la subjectivité per
ceptive (nous voyons ce qu'écrit le personnage, ce qu'il voit par la fenêtre).
La mise en scène alimente nos attentes relatives aux événements narratifs.
Si nous voyons un personnage cacher une boite remplie de bijoux, nous nous
245
hiiii r- ii mu
246
IMHIlIt t ■ Il liai . LU 11» tuait
détours pour échapper à scs ennemis. La narration est peu restreinte une fois
que Willic arrive dans le Sud, se concentrant sur lui ou les membres de la
famille Canfield. Nous en savons plus sur eux que Willie — nous les voyons
souvent en train de s'approcher des endroits où il se cache, par exemple.
Chaque décor remplit une fonction narrative particulière. La «propriété"
des McKay, que Willie imagine comme une grande maison, se révèle être une
cabane en ruine. Elle s’oppose à la maison des Canfield, vaste demeure de
planteurs ressemblant à un palais. En terme de fonction narrative, la maison
des Canfield prend une importance décisive lorsque le père interdit à scs
enfants de tuer Willie parce que ■ Notre code de l’honneur nous interdit de le
tuer tant qu'il est notre hôte.» (Dès que Willie entend cela, il décide de ne plus
quitter la maison.) I.a maison de ses ennemis devient donc, ironiquement, le
seul lieu sûr de toute la ville, et de nombreuses scènes sont consacrées aux
efforts des fils Canfield pour l’attirer dehors. À la fin du film, un autre décor
prend une grande importance : les prés, les montagnes, les bords d'une
rivière, les torrents et les chutes, tout ce qui compose le paysage à travers
lequel les Canfield poursuivent Willic. Cette poursuite et l'ensemble de la que
relle prennent fin dans la maison, où il est accueilli en tant que mari de la fille
Canfield. Le développement du récit est clair, de la fusillade initiale dans la
maison des McKay, qui détruit le foyer de Willie, à la scène finale où il devient
membre d'une nouvelle famille, dans la maison des Canfield. Tous les décors
sont ainsi justifiés par la chaîne causale, par les parallèles, les oppositions et le
développement général du récit.
La même motivation narrative caractérise l’emploi des costumes. Willie est
habillé comme un jeune citadin un peu dandy, tandis que la noblesse sudiste
de l'aîné des Canfield est signifiée par son costume blanc de planteur. Les
accessoires prennent beaucoup d’importance : la valise et le parapluie de
Willie le campent dans son rôle de visiteur de passage, les pistolets omnipré
sents des Canfield nous rappellent qu'ils ne veulent pas oublier le différend
familial. Un changement de costume — un déguisement féminin — permet à
Willic de fuir la maison des planteurs. La fin de la querelle est marquée par
l’abandon collectif des armes.
La lumière, dans Les lois de l'hospitalité, joue un rôle à la fois local et global.
Le film fait alterner systématiquement des scènes nocturnes, sombres, et des
scènes diurnes, lumineuses : la fusillade du prologue a lieu la nuit; le voyage
de Willie vers le Sud et sa balade dans la ville, le jour; la nuit, il va dîner chez
les Canfield où il reste dormir; le lendemain, il est pourchassé par toute la
famille; le film s’achève de nuit avec te mariage de Willie. Le film est éclairé
dans sa majeure partie suivant la méthode des trois points, sauf le prologue,
dominé par une dure lumière latérale. Lorsque l'aîné des McKay éteint la
lampe avec son chapeau, on passe d'un éclairage trois points aux effets
247
mm ] - li uw
248
(WI1H C - LC HH . Lfl,JlUiaj(M _______ ,
eux sans avoir trouvé Willie et l'un des fils remarque que le râtelier a été vidé :
c’est Willie qui a pris tous les pistolets et, par précaution, les a gardés sur lui.
comme il le montrera dans le dernier plan au moment où les Canfield accep
tent le mariage. On a donc ici la répétition, la variation et le développement
de quelques motifs créés par la mise en scène.
249
PûftlIL 2 - U ÎIULl
250
(HJIIH C - 14 Hflï . U 911.4 4» UIHI
certains le regardent passer, un clochard monte sur les bielles, un vieil homme
jette des pierres sur la locomotive. Dans une courte série de gags, c’est la voie
cllc-mèmc qui fournit le • thème-, les variations se déclinant sous la forme
d’une portion de voie cabossée, d’une autre bloquée par un âne, d’une autre
pleine de courbes et de virages et, enfin, de l’absence totale de voie.
La série la plus complexe met en œuvre le motif du «poisson au bout de la
ligne», Peu après son arrivée, Willie va pécher et remonte un minuscule pois
son avant qu’un autre, énorme, le tire dans l’eau (fig. 6.102). Plus tard, après
quelques mésaventures, il se retrouve lié par une corde à l’un des fils Canfield.
Cette «corde ombilicale» est l’occasion de nombreux gag; Canfield va notam
Figure 6.105
ment être projeté dans l’eau comme Willie précédemment.
Le plan le plus drôle du film est peut-être celui où, au moment de la chute
du fils Canfield (fig. 6.103), Willie comprend qu’il va lui aussi être précipité en
bas (fig. 6.104). Après s’être libéré de son ennemi, Willie conserve la corde
attachée à la taille. Dans le climax, elle lui permet de rester suspendu à un
tronc au-dessus des chutes comme un poisson au bout d’une ligne
(fig. 6.105). Ici encore, on constate qu’un élément rempli plusieurs fonctions,
le dispositif du « poisson au bout de la ligne » fait avancer le récit, devient un
motif unifiant le film et prend place dans une série structurée de gags mettant
en jeu Willie au bout de sa corde. Les lois de l’hospitalité devient ainsi un
exemple remarquable d'intégration de la mise en scène à la forme narrative.
Résumé
Il faut aborder une mise en scène de façon systématique pour pouvoir
l’étudier : observer les décors, les costumes, l'éclairage et le jeu des acteurs, en
essayant pour commencer de suivre l’évolution d’un seul de ces éléments sur
l’intégralité du film.
251
■M1ILL1 - U <î|U
252
(UMHC U nu UJllLU'«.>■
La profondeur
Les historiens de l'art ont longuement étudié les effets de profondeur dans les
images à deux dimensions. On répertorie en général cinq grands procédés
techniques de représentations de la profondeur, que nous avons tous évoqués
dans ce chapitre : la perspective linéaire, le travail des ombres, la séparation
des plans se succédant dans la profondeur, la perspective dite «atmosphé
rique » ei l’effet perspectif obtenu par des contrastes de couleurs.
Le travail sur la planéilé et la profondeur, sur les qualités spatiales de
l’image de cinéma remonte aux premiers films, mais son approche critique
date seulement des années 40, lorsqu'André Bazin remarqua que certains réa
lisateurs créaient, par leur mise en scène, une profondeur inhabituelle dans le
plan. Il constata ce travail chez F.W. Murnau (dans Nosferatu et L’aurore),
Orson Welles (dans Citizen Kane et La splendeur des Amberson), William
Wyler (dans La vipère et Les plus belles années de notre vie} et Iran Renoir
(dans presque tous ses films des années 30). Aujourd'hui, nous ajouterions
Kenji Mizoguchi (pour L'élégie d'Osaka, Les sœurs de Gion et d’autres œuvres)
et Serguei Eisenstein (pour La ligne généraleJvan le terrible et l’un de ses films
inachevés, Le pré de Béjine). Bazin a fait avancer de façon importante notre
253
compréhension de la mise en scène en faisant de la profondeur et de la pla-
néité des catégories analytiques (voir «L'évolution du langage cinéma
tographique», dans Qu'est-ce que le cinéma?). Sergueï Eisenstein. que l’on
oppose souvent à Bazin, s'est aussi intéressé aux problèmes de profondeurs
dans scs cours des années 30 transcris par Vladimir Nijny dans Leçons de mise
en scène. Eiscnstein demanda à ses élèves de mettre en scène un meurtre en un
seul plan et sans mouvement de caméra, ce qui provoqua une utilisation sur
prenante de la profondeur et de mouvements énergiques dirigés vers le spec
tateur. On trouvera un commentaire de ces cours dans le livre de David
Bordwell, The cinéma of Eiscnstein.
La couleur
Les réalisateurs ont longtemps considéré que la couleur était un aspect impor
tant de la mise en scène, capable de fournir de nombreux motifs à développer
au cours d'un film. Rouben Mamoulian, qui pensait que chaque couleur pro
voquait une émotion particulière, voulait qu'un réalisateur utilise «toute la
gamme chromatique dans un même film ». Dreyer partageait cette opinion : il
insistait sur la nécessité, pour le réalisateur, d'organiser les combinaisons de
couleurs en une sorte de circulation fluide «qui produise un effet de mouve
ment constant des personnages et des objets et fasse que les couleurs opèrent
de continuels glissements rythmiques et créent sans cesse de nouveaux et sur
prenants effets, quand elles se heurtent à d’autres couleurs ou se fondent en
elles.» («Film en couleur et film colorié», p. 90.)
Pour Stan Brakhagc, le cinéma doit briser notre perception habituelle des
couleurs. Dans «ce que l'on voit les yeux fermés» (• elosed-eye visions») il y a
des tonalités autres, totalement subjectives : «À la lumière de toutes ces expé
riences, j’affirme être capable de transformer les formes lumineuses qui se
trouvent dans une pièce plongée dans la pénombre en des images de lumières,
d’arcs-en-ciel, et ce, sans l’utilisation d'un quelconque attirail créé par la
science» (Métaphores et vision, p. 32). Sergueï Eiscnstein est le réalisateur qui
a produit la réflexion la plus complète sur la couleur. On pourra par exemple
lire son texte «De la couleur du cinéma», dont les références sont données
dans la bibliographie de ce chapitre.
254
CWHH j - K Ml H ai'i U l«H
255
Le plan :
la prise de vues
L'image photographique
La prise de vues ou, selon un terme désuet, la cinématographie (littéralement,
«écriture du mouvement») dépend pour une grande part de la photographie
(«écriture de la lumière»). Un réalisateur peut se passer de caméra et travailler
directement sur la pellicule, mais dessiner, peindre ou gratter le celluloïd, le
trouer ou y cultiver des moisissures, c’est toujours y créer des formes transpa
rentes et opaques. Le plus souvent, le réalisateur se sert d’une caméra pour
contrôler l'inscription photochimique de la lumière renvoyée par un objet sur
le film sensible. Il peut ainsi choisir les tonalités qu'aura l'image, jouer avec la
vitesse des mouvements et modifier la perspective.
Les tonalités
Une image peut paraître grise ou au contraire, durement contrastée; être en
couleur; laisser apparaître nettement les textures ou les noyer dans une sorte
de voile lumineux. Ces qualités sont déterminées par le type de pellicule
employé, son exposition et son développement.
Les différents types de pellicules sont définis par les qualités chimiques de
leurs émulsions. Le choix d'une pellicule à plusieurs conséquences formelles
— tout d’abord, sur le contraste de l’image (le rapport entre les zones les plus
claires et les zones les plus sombres) : une image fortement contrastée pré
sente des lumières blanches très vives, des noirs profonds et, entre les deux,
une gamme réduite de gris. Une image faiblement contrastée présente, à
l'inverse, une riche gamme de gris mais aucun noir ou aucun blanc purs.
Comme nous l'avons déjà souligné dans le chapitre6, notre appareil de
vision est très sensible aux différences de couleurs, de textures ou de formes.
Les contrastes permettent au réalisateur de guider le regard du spectateur vers
les zones importantes du cadre. H y a différentes manières de contrôler le
niveau des contrastes dans une image. En général les émulsions dites « lentes»,
peu sensibles à la lumière réfléchie, produisent de forts contrastes, a l'inverse
des plus sensibles. L’ensemble des éclairages utilisés pendant le tournage ainsi
que le mode de développement employé (puissance, température et durée des
bains de traitement) affectent aussi le niveau des contrastes.
En jouant sur la qualité d'une pellicule, des éclairage et sur le processus de
développement, les réalisateurs peuvent obtenir des images ayant des aspects
très différents. Les équilibres de gris, de noirs et de blancs qui caractérisent la
plupart des films noir et blanc — par exemple Le crime de M. Lange,
(fig. 7.1 ) — s'opposent à des utilisations plus violentes, comme le blanchisse
ment, l'aspect délavé de la séquence onirique du début des Fraises sauvages
258
mmii l- m ..u >uh h 'in
259
Mim i. u niu
Les tonalités d’une pellicule couleur peuvent aussi être modifiées par un
travail effectué en laboratoire. Le technicien chargé de l’éta la nuage corrige les
dominantes colorées d’une copie. Un rouge peut devenir, au tirage, vif ou
pâte, cramoisi ou rose ou de n’importe quelle nuance entre ces deux extrêmes.
Généralement, l’étalonneur choisi avec le réalisateur une couleur de référence
pour son travail d’équilibrage, qui peut cependant varier en fonction de la
destination de la copie. Actuellement la plupart des copies 35 mm destinées à
une projection en salle sont assombries au tirage pour créer des ombres pro
fondes et des couleurs plus foncées, mais celles qui servent au transfert vidéo
sont tirées sur une pellicule spéciale, à faible contraste, pour en compenser
l'accentuation lors du passage à la télévision. L’image est souvent plus lumi
neuse et a des couleurs plus brillantes que dans la version vue en salle.
260
- (UPI1H 1 - LJ. MflU Ifl PfilLl H U££
Un procédé plus rare et dont l’exécution est plus difficile est celui du colo
riage à h main, où les images en nnir et blanc sont peintes une à une. Le dra
peau du bateau du Cuirassé Potemkine était, dans les copies de l’époque, peint
en rouge sur fond de ciel bleu. Innocence sans protection (Nevinost bez zastite,
Dusan Makavejev, 1968) offre un exemple contemporain de coloriage manuel
(planche 52).
11 y a beaucoup d'autres façons de manipuler les tonalités de l'image après
le tournage. Dans Reflections on black (1955), Stan Ürakhage a gratté localc-
menl l'émulsion pour créer des effets visuels qui soulignent, tout au long du
film, le motif de l’ceil (fig. 7.4). Figure 7.4
C'est cependant le contrôle de l’exposition qui a la plus grande influence
sur la tonalité de l'image. Effectué le plus souvent au moment de la prise de
vues par le réglage de la quantité de lumière traversant l'objectif, il peut être
corrigé au développement ou au tirage, une exposition «correcte» pouvant
ainsi devenir sur- ou sous-exposée. (La surexposition produit, par l'entrée
d’une trop grande quantité de lumière, une image trop lumineuse. Ix? phéno
mène est strictement inverse pour la sous-exposition.)
Dans les films noir américains des années 40, certaines parties de l’image
étaient sous-exposées par la technique du low key. Dans Ordet (Cari Dreyer,
1955), la surexposition de la lumière des fenêtres se trouvant derrière le prêtre
participe de l’atmosphère de mysticisme religieux du film (fig. 7.5). Dans
Vidas secas (Nelson Pcreira dos Santos, 1963), le réalisateur surexpose la fenê
tre de la cellule pour intensifier le contraste entre l’enfermement du person
nage et le monde extérieur (fig. 7.6).
Le choix de l’exposition est particulièrement important pour le travail de
la couleur. Dans certains plans de Kasba (19901, Kumar Shahani a voulu
accentuer des teintes situées dans l’ombre et a donc procédé à des surexposi
tions qui «brûlent», blanchissent à l'image les parties de la scène qui se trou
vaient au soleil. Planche 53, on remarque les couleurs éclatantes des articles de
l'épicerie et la surexposition, au fond. Dans d'autres plans, le réalisateur a
choisi, à l’inverse, de sous-exposer des porches ombragés pour valoriser la
partie centrale de l'image, qui montre une scène extérieure (planche 54).
L'exposition peut aussi être contrôlée au moyen de filtres — des feuilles de
gélatine ou des lames de verre placées devant l'objectif de la caméra ou de la
tireuse pour absorber certaines des fréquences lumineuses atteignant la pelli
cule. Les filtres modifient de façon très importante les tonalités : ils peuvent
par exemple permettre de bloquer une partie de la lumière pour qu’un plan
tourné le jour paraisse avoir été tourné à la lumière de la lune — c’est ce que
l’on appelle une «nuit américaine» (les Américains disent *day-for-night*).
Depuis les années 20 les chefs opérateurs d’Hollywood travaillent la lumière Figure 7.6
261
des gros plan avec des fillres et des diffuseurs pour nimber les visages d’un
effet «glamour» (plus particulièrement les visages des actrices).
On peut, enfin, modifier l’exposition par fiashage: la pellicule est exposée
à la lumière, avant le tournage ou avant le développement. Ce procédé permet
de modifier le contraste de l'image, en rendant les ombres plus grises et moins
opaques. Pour Tuckcr (Tuckcr, the man and his dream, 1988), Francis Ford
Coppola fit flasher chaque bobine différemment pour que le rendu des cou
leurs évolue au cours du film.
La vitesse
Des exercices de gymnastique étirés par un ralenti ; un fait banal qui, accéléré,
devient comique; un arrêt sur image figeant un joueur de tennis au moment
du service — nous sommes habitués à ces effets du contrôle de la vitesse de
l’image. Si un réalisateur peut, par la mise en scène, imprimer un certain
rythme à une action, ce rythme peut aussi être contrôlé par un moyen pure
ment cinématographique : la possibilité de faire varier la vitesse du mouve
ment représenté.
La vitesse des mouvements que nous voyons à l'écran résulte du rapport
entre la cadence de prise de vues et la cadence de projection. Toutes deux
s’expriment en images par seconde. À l’époque du muet, les films étaient
tournés à des cadences différentes, généralement entre 16 et 20 images par
seconde, avec une sensible accélération vers le milieu des années 20. Au
moment de l'apparition du cinéma sonore, il devint nécessaire de standardi
ser les vitesses d'enregistrement du son et de l'image pour faciliter la synchro
nisation. La cadence de prise de vue et celle de projection furent fixées, pour le
cinéma sonore, à 24 images par seconde.
Pour obtenir une représentation fidèle du mouvement, il faut que ces deux
cadences soient identiques. L'aspect saccadé et accéléré des films muets tels
qu’ils nous sont souvent donnés à voir actuellement n'est pas une caractéristi
que d'origine mais le résultat d'une vitesse de projection inadéquate (24 ima
ges par seconde au lieu de 16 ou 20) : projetés à la bonne cadence, ces films
offrent des représentations normales des mouvements. C’est pourquoi il vaut
mieux regarder les films muets avec un projecteur pouvant fonctionner à 16
ou 18 images par seconde ou, mieux encore, avec un projecteur à vitesse
variable, qui permet d’ajuster précisément la cadence de défilement.
Le réalisateur n’a généralement aucune influence sur le processus de pro
jection mais il peut par contre contrôler la vitesse de défilement au moment
de la prise de vues : les caméras 35 mm autorisent actuellement des cadences
variant entre 8 et 64 images par secondes.
262
(W1IHJ - LC PLU8 Lfl Pllil PI VU(j
Pour obtenir des effets plus expressifs, il est possible de modifier la vitesse
d'un mouvement au cours d'un plan. Dans une scène de Piège de cristal (Die
hard, John McTiernan, 1988), une explosion dans une cage d'ascenseur pro
voque la montée d'une boule de feu vers la caméra. Au tournage, le feu qui
arrivait du bas de la cage fut d'abord filmé à 100 images par seconde, ce qui
ralentissait la représentation du mouvement, puis à des cadences de plus en
plus faibles au fur et à mesure de la montée pour produire un effet d'accéléra
tion. Francis Ford Coppola voulait que le vampire de Dracula (Bratn Stoker's
Dracula, 1992) paraisse glisser vers ses proies avec une rapidité anormale. Son
chef opérateur, Michael Ballhaus, contrôla par ordinateur les vitesses d’obtu
ration et de défilement pour permettre un ralentissement sans heurt de la
cadence de prise de vues de 24 à 8 images par seconde puis une accélération
inverse pour revenir à une cadence normale.
263
Mini i ■ ou
On peut ralentir la vitesse de prise de vues sur la plupart des caméras; les for
tes accélérations ne peuvent être réalisées que sur des appareils spéciaux.
La perspective
Vous êtes debout au milieu d’une voie ferrée et regardez vers l’horizon, où ses
lignes semblent se rencontrer. La taille des arbres et des bâtiments qui la bor
dent diminue selon une règle simple : a taille réelle constante, les objets les
plus proches paraissent plus grands et les plus éloignés, plus petits. Les rayons
lumineux réfléchis par cette scène sont accueillis par votre système optique
qui fournit un ensemble d’informations concernant la taille, l'éloignement et
les relations spatiales de ses différentes parties. Ces relations spatiales obéis
sent aux lois de la perspective.
264
—________ (WIIH 1 - LCPHI . Li PfilH H Ï.U.H _
1. L’objectif à courte focale et le grand angulaire, on grand angle. Pour une pel-
licule de formai standard 35mm, un objectif dont la focale est inférieure à
35mm est appelé «courte focale» et parfois «grand angle- (le terme
«grand angle» s'appliquant plutôt à des focales inférieures à 18mm). Ces
objectifs ont tendance à faire bomber vers l'extérieur du cadre les lignes
qui le bordent. On peut remarquer ce type de déformation dans ces deux
images extraites de Ne vous retournez pas (Don t look now, Nicholas Roeg,
1973) (figs. 7.8,7.9). La caméra pivole pour suivre le personnage; un lam
padaire qui se trouve au second plan parait d’abord incliné vers la droite,
puis vers la gauche. Lorsqu'une courte focale est utilisée pour des plans
moyens ou des gros plans, les distorsions peuvent devenir importantes
— voir en 7.10, un plan de Quand passent les cigognes (Letjat Zuravli,
Mikhaïl Kalatozov, 1957).
Figure 7.11
Une courte focale exagère la profondeur. En 7.11, l’objectif fait paraître les
personnages de La vipère plus éloignés les uns des autres qu’ils ne peuvent
l’être réellement. La représentation de la distance entre le premier plan et
le fond étant ainsi faussée, les personnages qui se déplacent vers la caméra
ou s'en éloignent semblent aller plus rapidement.
265
mm î ■ lc nui
Figure 7.12
2. L'objectif à focale moyenne, ou focale normale. La distance locale est ici
comprise entre 35 et 50mm. Avec cet objectif «normal-, les distorsions
sont réduites : les verticales et les horizontales sont droites et perpendicu
laires, les lignes parallèles s’éloignent à l’infini, la distance séparant le pre
mier-plan de l'arrière-plan ne paraîtra ni étirée (comme avec le grand
angle] ni comprimée (comme avec le téléobjectif). L'image présentée en
7J2, extraite de His girl Friciay, a été prise avec un objectif à focale nor
male. On peut utilement la comparer avec la fig. 7.11.
Figure 7.14 Les longues focales sont comprises entre 75 et 250mm (on parle de très
longue focale ou de téléobjectif à partir de 135mm). Parce qu elles permet
tent de se «rapprocher» d'une action, elles sont couramment utilisées
pour filmer des épreuves sportives. (Nous connaissons tous ces plans de
malches de football télévisés où des joueurs, le gardien de but et l’arbitre,
très éloignés sur le terrain, semblent à l’image très proches les uns des
autres.) Les capacités de la longue focale sont spectaculairement illustrées
dans Koyaanùiatsi, où un avion filmé de très loin semble atterrir au milieu
d'une autoroute embouteillée (fig. 7.14).
Akira Kurosawa utilise beaucoup ce type d’objectif, pour toutes les tailles
de plans. Dans la figure 7.15, extraite des Sept samouraïs, les personnages
semblent être très proches et presque de la même taille, alors que les deux
Figure 7.15 qui font face sont loin derrière le troisième.
266
Figure 7.16 Figure 7.17
267
mm ] - il nvu
Figure 7.22
Figure 7.23
268
7 - L4 PLI B LU PALSJi Dl *U£L
7.23). À la fin de Barravento (Glauber Roc ha, 1962) un zoom arrière nous
montre le personnage, qui vient de quitter son village, hésitant devant un
futur menaçant (figs. 7.24.7.25).
Le zoom produit un mouvement du cadre mais n'est pas le résultat d’un
mouvement de caméra : l’appareil reste fixe, seule la distance focale est modi
fiée à l'intérieur de l'objectif. Malgré cette apparente simplicité technique, ce
procédé peut transformer de façon intéressante les dimensions des figures et
les effets de profondeur, comme on le verra en étudiant Waveleilgth (Michael
Show, 1966-67).
L’incidence de la focale sur la représentation de la perspective est le sujet
même d'un film expérimental de Ernic Gchr, Serene Vdodty (1970). Le décor
est un couloir vide. Gehr a utilisé son objectif à focale variable entre les prises,
et non pendant; il a expliqué qu'il avait
divisé la distance focale par deux et, en partant du milieu, enregistré les
images résultant des changements de focale... caméra n'était pas du
tout déplacée, le zoom n’était pas utilisé au cours de l'enregistrement.
Chaque photogramme fui impressionné individuellement, comme une
Figure 7.26
photographie. Quatre photogrammes par focale différente. Pour donner
un exemple : j’ai pris les quatre premiers photogrammes à 50mm. [.es qua
tre photogrammes suivant à 55mm. Pendant un certain temps, approxi
mativement 20 mètres de pellicule, je suis allé ainsi en avant et en arrière :
quatre photogrammes à 50mm, quatre à 55, quatre à 50, quatre à 55, etc.
pendant approximativement 20 mètres. Puis je suis passé à 45-60 [mm], et
j'ai recommencé pour 20 mètres. Puis à 40-65, et ainsi de suite.
Il en résulte un film où la perspective semble être soumise à une pulsation
qui affecte d'abord légèrement les dimensions et les rapports de tailles entre
les parties de l’image puis, progressivement, crée une tension beaucoup plus
importante entre les images prises au téléobjectif et celles prises au grand
angle (figs. 7.26,7.27). Figure 7.27
269
muu._- li mil
Figure 7.29
Si la profondeur de champ règle les relations perspectives en déterminant
quels plans seront nets à l’image, quels sont les choix dont dispose le
réalisateur ? 11 peut opter pour une netteté sélective — choisir de faire le point
sur un seul plan et laisser les autres dans un flou plus ou moins important.
C’est ce que fait Renoir dans noire exemple extrait du Crime de M. Lange.
Avant 1940 il était courant, à Hollywood, de filmer les gros plan en faisant
le point sur les visages mais en laissant le premier plan cl le fond flous — voir
en 7.29, Harpo Marx brûlant une bougie par les deux bouts dans Plumes de
cheval (Horse feathers. Norman McLeod, 1932). Le contraste entre la netteté
du second plan et le flou du premier plan permettait d’attirer immédiatement
l'attention du spectateur. On observe les mêmes choix stylistiques dans le
cinéma contemporain, surtout lorsque des objectifs à longue focale sont utili
sés. En 7.30 (Le Parrain), seul k visage de Michael, filmé avec une longue
Figure 7.30
focale, est net; sa main tenant le revolver, ainsi que ce que l’on aperçoit du
fond, est flou. Restent nets le personnage principal où les objets importants,
comme en 7.31 (extrait de Sans toit ni loi, Agnès Varda, 1985); cette technique
peut aussi servir à créer des effets de compositions plus abstraits (voir la
figure 7.32, extraite de Roy meetsgirl).
270
ki M1H h nu
Effets spéciaux. Les relations perspectives peuvent aussi être créées au moyen
de certains effets spéciaux. Le truquage du décor peut consister en l'utilisation
Figure 7.34
Figure 7.35
271
2 - LI HVLi
272
i - u mt - »uw
Figure 7.38
La projection frontale, surtout utilisée à partir de la fin des années 60, con
siste à projeter l’image du décor sur une glace sans tain, placée de telle façon
quelle renvoie l’image sur un écran à très forte réflectance. Les acteurs, placés
devant cet écran, sont filmés par la caméra à travers le miroir (fig. 7.39). On
peut voir de nombreux exemple de projection frontale dans la première partie
de 2001, l'Odyssée de l'espace, intitulée «L’aube de l’humanité». (À un
moment, un éclat dans l’œil d’un tigre à dent de sabre révèle la lumière du
projecteur.) La netteté de l'image projetée permet d'adoucir la juxtaposition
du premier plan et du fond. Hans-Jürgen Syberberga exploré les possibilités
offertes par la projection frontale dans son Parsifal (1982), adapté de l'opéra
de Wagner: elle lui permet de faire apparaître derrière les personnages des
paysages colossaux et fantasmagoriques (planche 58).
Figure 7.39
273
miu
274
1 - LI P LA B . LA M1H H V Ull
Figure 7.43
Superman ou des vaisseaux spatiaux peuvent voler. La figure 7.43 est un pho
togramme extrait de 2001, l'Odyssée de l'espace-, le vaisseau spatial que l'on
voit à travers le hublot est une maquette qui a été insérée par cache mobile
dans l'image montrant l’astronaute aux commandes. Le mime procédé fait
apparaître en 6.50 le robot devant des acteurs en mouvement et, planche 20,
les personnages dessinés de Qui a peur de Roger Rabbit ? au milieu de person
nages «réels».
Il est courant de combiner dans une même image différents effets spé
ciaux. Dans notre exemple tiré de Blade Ratifier (fig. 7.42). un vaste décor, où
se déplacent les acteurs, est associé à une projection frontale des pyramides
extérieures, à des caches peints pour le ciel et les détails des colonnes au pre
mier plan, et à un soleil animé. Pour un seul plan d'un film de science-fiction,
on peut ajouter aux mouvements de maquettes animées image par image et
insérées dans un décor par cache mobile, des explosions en surimpression et
des effets de caches peints; pour certains plans de l'accident de train du Fugitif
275
puni i il nvi
(Andrew Davis, 1993), une transparence et une projection frontale furent uti
lisées simultanément.
Le glass shot. les truquages par expositions multiples, projections ou caches
participent tous de deux domaines techniques distincts: ils nécessitent une
organisation des éléments à filmer devant la caméra, ce qui en fait des techni
ques de mise en scène, mais sont aussi, tant au tournage qu'à la post-produc
tion, des techniques photographiques. Nous les avons placés dans ce chapitre
parce qu'à la différence des effets qui ne font qu'employer des maquettes ou
des figurines, ces illusions font toujours intervenir un truquage photographi
que (on les désigne d'ailleurs sous le terme générique de truquages optiques).
Figure 7.-H Avec l’arrivée des images de synthèse, la confusion entre ce qui est du
domaine de la mise en scène et de celui de la photographie est presque totale,
L'animation numérique permet à un réalisateur de filmer une scène avec des
acteurs, puis de lui ajouter un arrière-plan, des ombres ou des mouvements
sans passer par les caches, les expositions multiples et les tirages optiques.
Dans Specd (Jan de Boni. 1994), un bus franchit d’un bond une voie d’auto
route. La cascade fut exécutée sur une rampe spéciale et l'autoroute,
• dessinée» plus lard par traitement numérique de l'image —l’équivalent
électronique d'un cache peint. Ces effets sont aussi convaincants que les tru
quages optiques et sont plus faciles à manipuler.
Comme les autres techniques cinématographiques, les procédés photogra
phiques ne constituent pas une fin en eux-mémes mais doivent être mis en
Figure 7.45 relation avec l’ensemble du film. Il ne faut pas juger des qualités photographi
ques de l'image, de la vitesse ou de la perspective selon des critères réalistes,
mais fonctionnels. La plupart des réalisateurs hollywoodiens, par exemple,
font en sorte qu'une transparence reste vraisemblable et donc imperceptible.
Mais dans Chronique d'Anna Magdalena Bach, de Jean-Marie Straub et
Danièle Huillet, une transparence incohérente fausse les relations spatiales
entre le premier plan et le fond (fig. 7.44). Bach est debout, jouant du clave
cin. filmé avec un axe de prise de vues horizontal, alors que le bâtiment der
rière lui est vue en contre-plongée. Ixs autres plans tournés en extérieur
montrant une perspective correcte, ce jeu sur l’artificialité de la transparence
attire notre attention sur le style visuel du film tout entier.
De même, la figure 7.45 nous présente un plan des Petites marguerites qui
semble totalement irréaliste, avec son personnage masculin dont on peut esti
mer la taille à une soixantaine de centimètres. Chytilova s’est servi du décor,
de la position des acteurs et d'une grande profondeur de champ pour créer
cette image comique qui résume la façon dont ces deux femmes traitent les
hommes — les choix photographiques sont ici en cohérence avec le reste du
système formel du film. Mais le fait que cet homme paraisse être couché sur le
haut du paravent contre lequel les deux femmes sont adossées est aussi le
résultat d'un autre facteur technique ; le cndrngedu plan.
276
(W11UJ - U PLfll Lfl PfilU U Hll
Le cadrage
Il peut sembler étrange d’étudier quelque chose d’aussi insaisissable que les
limites d'une image, que l’on pourrait considérer comme une caractéristique
négative, un simple pourtour, un bord. Mais le cadre cinématographique ne
produit pas une limite neutre : il donne une vision particulière de ce qu'il
contient, définit l’image en la délimitant.
Pour donner des preuves des puissances du cadrage, il suffit de se retour
ner vers le premier grand réalisateur de l’histoire du cinéma, Louis Lumière.
Inventeur et homme d’affaire, Louis Lumière et son frère. Auguste, conçurent
l’une des premières caméras (fig. 7.46), l'appareil de prise de vues le plus pra
tique de son époque, qui pouvait aussi servir de projecteur. La caméra inven
tée par l’Américain W.K.L. Dickson faisait presque la taille d'un bureau
(fig. 7.47); celle des frères Lumière, petite et portable, pesait moins de six
kilos. Elle pouvait être emmenée en extérieur et installée rapidement. Les pre
miers films de Louis Lumière présentent des situations simples : des ouvriers
sortant de l’usine de son père, des joueurs de cartes, un repas familial.
Lumière y montre déjà une capacité à transformer, par le cadrage, la réalité
quotidienne en événement cinématographique.
Observons l'un de ses plus célèbres films, L’arrivée d’un train en gare de La
Ciotat (1895). S’il avait suivi une démarche théâtrale. Lumière aurait cadré le
plan perpendiculairement au quai, laissant le train entré par l’un des côtés de
l’image. Mais il a préféré un angle oblique, créant une composition dynami
que dans laquelle le train arrive en diagonal (fig. 7.48). Avec un axe de prise de
vues perpendiculaire au quai, nous n’aurions vu qu'une rangée de dos mon
tant dans le train; l'angle choisi permet au contraire de détailler les silhouettes
des passagers et de créer différents plans en profondeur. Ce film très simple,
composé d'un seul plan durant moins d'une minute, illustre parfaitement les
conséquences du choix d’une position pour la caméra.
277
U-IIILL
Dans un autre film Lumière, Le repas île bébé (1895) (fig. 7.49), la position
de la caméra met l'accent sur certains aspects de l’action : là où un plan de
longue durée aurait pris le temps de situer la famille dans le contexte du jar
din, Lumière préfère cadrer les personnages en plan moyen, ce qui réduit la
présence du décor mais donne toute leur importance aux gestes et aux mimi
ques des membres de la famille. Le contrôle exercé par le cadre sur l'échelle de
l'action représentée détermine aussi notre compréhension de la scène.
Le cadrage peut avoir une grande influence sur l'image par le biais : ( 1 ) de
la forme et des proportions du cadre: (2) de la création d'un champ et d'un
hors-champ; (3) de la taille du plan, de l'angle de prise de vues; et (4) des
Figure 7.49
mouvements du cadre.
278
- u h_k . ii_>hioj ymu _ -----
À la fin des années 20, l'arrivée du cinéma sonore modifia les proportions
du cadre. Ajouter la bande son sur la pellicule nécessitait une correction de la
hauteur ou de la largeur des photogrammes. Certains films furent d’abord
tirés dans un format plus proche du carré (1 x 1,17) (voir la fig. 7.51, extraite
de L’ennemi public, William A. Wellman, 1931), avant que VAcademy of
Motion PicturesAris and Sciences d'Hollywood n'établisse le I x 1,33 comme
format standard (en américain, le Acadenty ratio). Sur la plupart descopies.ee
format est plus proche d'un rapport de 1,37, mais le 1,33 reste la référence uti
lisée. Il fut employé dans le monde entier jusqu'au milieu des années 50 (voir
la fig. 7.52, extraite de La règle du jeu), et l’est toujours dans certains pays.
L'écran de télévision standard est aussi du même format.
A partir du milieu des années 50, divers formats larges sont apparus, adap
tés au tournage en 35mm. Le formai le plus courant aux États-Unis est actuel
lement le 1,85, appelé pano américain (voir la figure 7.55, extraite de Aliens).
Le 1,66, dit pano français, est plus couramment utilisé en Europe (fig. 7.53:
Lancelot du Lac, de Robert Brcsson) même si Stcven Spielberg a réalisé ET.,
l'extraterrestre dans ce format. Moins courant, le 1,75, dit patio italien, est
aussi essentiellement européen (fig. 7.54 : Le dernier tango d Pans, Bcrnardo
Bertolucci, 1972). Le 235 est Je standard du format CinémaScope, procédé
anamorphique qui s'est répandu au cours des années 50. 11 est généralement
projeté dans un rapport de 1 x 2,40 (fig. 7.57 : The valiant ones [Zhong lieh tu,
King Hu, 1974]). Le 2.2 est un format courant pour les projections en 70mm
(fig. 7.56 : Gosfhbusters), même si les projectionnistes lui préfèrent souvent un
rapport de 1 x 2.
279
LUI II 1. U HHI
format 1 x 1,85
Figure 7.55
format ! *2,2
Figure 7.56
280
U<N1H 1 - U LUI II HIU H mi _
format I x 2,33
(33 mm anamorphose)
Figure 7.57
281
FilIII i - H
fenêtre qui donnera à l'image un format de 1 x 1.85 (indiqué par les deux
lignes colorées).
On peut aussi créer un formai large par anamorphose. Un objectif spécial
produit, au tournage ou au tirage, une compression horizontale de l’image; le
phénomène est inversé à la projection grâce à un objectif semblable. On voit
en 7.60 un photogramme de Mode in USA (Jean-Luc Godard, 1967) tel qu'il
apparaît sur la pellicule 35mm, et en 7.61, à l’écran, dans un format 2,35, cx-
CinémaScope (on oublie maintenant ce nom de marque pour désigner tous
les formats très larges, utilisant en général le procédé d'anamorphose, sous le
nom de «scope»). Le film de Godard fui tourné en Techniscope, un procédé
très utilisé en Europe; le plus utilisé aux États-Unis csi le Panavision.
I^es formats larges, qu’ils soient obtenus au moyen d’une fenêtre ou d'une
anamorphose, produisent des effets visuels importants. L'écran devient une
bande accentuant les horizontales. Le format, d’abord associé aux genres
spectaculaires où il était essentiel de pouvoir embrasser en une seule image de
vastes décors — westerns, films d’aventures, comédies musicales, films
historiques— fut rapidement utilisé pour des sujets plus intimistes. La
figure 7.62, extraite du Barberousse de Kurosawa, montre comment on peut
282
uuniALJ -jriua. lu pilu h mil
organiser un premier plan et des arrière-plans à partir d'un décor étroit, dans
un cadre très large produit par anamorphose (ici, le procédé Tohoscope, équi
valent japonais du CinémaScope).
Plus récemment, le procédé Omnimax, lié au format Imax (fig. 1.12) a été
utilisé dans des musées et d’autres lieux spécialisés. Le public est assis dans Figure 7.66
une salle spécialement conçue pour ce type de projection, dans des sièges
inclinés, face à un écran hémisphérique qui couvre l'intégralité du champ de
vision et produit de forts effets de profondeur. Les films réalisés pour ce type
de projection sont tournés avec des objectifs qui anamorphoseni l’image
horizontalement et verticalement.
283
phih a * u 1.1m
Des expériences de cinéma à 360° ont été réalisées dans diverses exposi
tions universelles et dans les parcs Disney. L’image y forme un cercle complet
autour du public
Comme nous l’avons fait remarquer au chapitre 1. les formats larges sont
rarement respectés à la télévision. Dans de nombreuses versions vidéo,
l’image est incomplète, coupée par le procédé pan and scan afin de remplir
totalement le formai 1,33 de l'écran. Un même plan de Tempête à Washington
(Advise and consent, Otto Preminger, 1962) (fig. 7.67) est divisé en deux plans
dans la version vidéo (figs. 7.68, 7.69). Une autre solution, encore plus radi
cale, consiste à laisser l’image partiellement anamorphoséc au moment du
transfert vidéo, ce qui produit des silhouettes allongées,amaigries.
Pour éviter ces problèmes, les films tournés en formats larges sont généra
lement conçus en fonction d'un éventuel passage au format de la télévision.
Les rectangles correspondant aux différents cadres possibles sont inscrits dans
les viseurs des caméras et beaucoup de chefs opérateurs essayent de composer
l’image à la fois pour la projection en salle et pour la vidéo. l.a solution la plus
simple est de laisser «vides» certaines parties de l’image originale, pour
quelles puissent être éliminées au moment du transfert. (On peut ainsi
284
niuuij - ilmjli . ii mj.( îi •-
comparer les figures 7.70 et 7.71. extraites respectivement d'une copie 35mm
et d'une copie VHS )
11 est courant, aujourd'hui, qu'un film 35mm soit tourné dans un certain
format d’image et montré dans un autre. Speed, par exemple, fut tourné en Figure 7.70
35 mm avec un procédé d’anamorphose. Certaines copies furent projetées
au format correspondant (2,35) et des copies 70mm furent tirées à partir
du négatif 35 mm et projetées au format 2,2.
La situation la plus courante est qu’une image filmée -plein-cadre» soit
réduite, en salle, au formai J ,85 au moyen d'une fenêtre de projection. Les
réalisateurs conservent les copies au formai standard (1,33) pour que le
transfert vidéo soit réalisé à partir d’une image plus carrée. Les copies sur
vidéodisques simulent les formats larges par l’introduction de bandes noi
res en haut et en bas de l'écran.
Nous présentons en 7.72,7.73 et 7.74 différentes versions d’un même plan
de Retour vers le futur. La première image est celle, plein-cadre, de la copie
35mm, modifiée à la projection pour passer au format 1,85. La copie VHS Figure 7.71
(fig. 7.73) conserve une grande partie de cette image plein-cadre, tandis
que la version sur vidéodisque (fig. 7.74) donne à voir une image au for
mat 1,85 proche de celle montrée en salle.
Le transfert vidéo devient un problème pour les films tournés en formats
larges, 1,85 ou 2,35. On peut utiliser des bandes noires, qui ne respectent
souvent qu'une partie du format original, ou le pan and scan, qui frag
mente l'image originale.
285
NUHIl J - Il H1U
Par ailleurs, le format d’image peut être différent selon les formats de film.
Une image anamorphosée sur copie 35mm (format d'image: 2,35) est
coupée en haut et en bas lors du transfert en 16mm (les figs. 7.62 et 7.67
sont extraites de copies J6mm anamorphosées).
Au fil de ces variations de proportions, on se demande parfois quelle est la
version originale d'un film. Peu de réalisateurs ont été aussi clair que
Hans-Jürgen Syberberg, dont le Parsiftil (planche 58) débute par l'aver-
tisse-ment suivant : «Ce film a été tourné au format standard (fenêtre de
prise de vues : 1 x 1,33) et ne doit pas être montré sur écran large. •
I.a primauté du rectangle n'a pas empêché des réalisateurs d'essayer
Figure 7.78 d'autres formes de cadre, en utilisant des caches placés devant l’objectif pour
empêcher la lumière d'impressionner certaines parties de l'image. Cette tech
nique était courante à l’époque du muet. Un cache circulaire mobile, qui
s'ouvre ou se ferme pour laisser apparaître ou faire disparaître une scène, est
un iris. Dans La Roue, Abel Gancc a employé diverses sortes de caches circu
laires et ovales (fig. 7.75). On voit en 7.76 une image extraite d'intolérance
dont une grande partie est occultée pour ne plus laisser qu'une fine bande
verticale qui vient souligner la chute d’un soldat du haut d'un rempart. Quel
ques réalisateurs du cinéma parlant ont réutilisé les iris et les caches : dans La
splendeur des Amberson (fig. 7.77), Orson Welles conclut une scène par une
fermeture à l’iris, ce qui ajoute une note nostalgique à la séquence.
Il faut enfin mentionner le procédé d'images multiples, aussi appelés multi*
images ou split screen, qui permet de faire apparaître dans le même cadre plu
sieurs images ayant chacune leurs propres formes et dimensions. On s'est
servi de cet effet dès les débuts du cinéma pour présenter des scènes de con
versation téléphonique; la figure 7.78 en fournit un exemple, tiré de Suspense
(Philips Smalley. 1913). Le procédé a été utilisé pour le même type de scène
dans Bye bye Birdie (Georges Sidney, 1963) et d’autres comédies sur écran
286
(Miniai 1 - U Pli B Lfi Nllll H ni!
large des années 60. Le splît screcn permet au spectateur de voir plusieurs
actions se dérouler en même temps et cet effet d’omniscience est un bon fac
teur de suspense, comme l'a montré Brian de Palma dans plusieurs films,
notamment Sœurs de sang (Sisters, 1973). Dans L'uliimatum des trois merce
naires (Twilight lasl gleanùng, Robert Aldrich, 1977) le moment précédant le
lancement des missiles est intensifié par une division du cadre en plusieurs
images qui nous fournissent un grand nombre d'informations simultanées :
certaines nous montrent les hommes désespérés qui ont réquisitionné le silo
Figure 7.79
de lancement des missiles, d’autres, une attaque lancée contre le silo par
Washington (fig. 7.79).
Le choix du formai est l’un des facteurs permettant au réalisateur de
façonner l’expérience du spectateur. La forme et les dimensions du cadre gui
dent l'attention de ce dernier, pour la concentrer sur un élément précis au
moyen de la composition ou de caches, ou pour la perdre dans une démulti
plication d’effets visuels et sonores. Les mêmes possibilités existent avec le
multi-images, procédé qui nécessite une coordination minutieuse de ses
divers éléments pour réussir à effectivement focaliser l’attention ou la faire
circuler d’une image à une autre.
Le champ et le hors-champ
Quelle que soit sa forme, le cadre limite l’image, la borne : d’un monde dont
nous acceptons qu’il est continu, il nous donne à voir un fragment choisi.
Même dans les premiers films de l’histoire du cinéma, largement influencés
par le théâtre, les personnages qui entrent dans l'image viennent de quelque
part et, lorsqu'ils en sortent, vont ailleurs —dans l'espace hors-champ. Un
film abstrait nous donne la même impression, que les formes qui surgissent
viennent de quelque part. Si la caméra se déplace, abandonne un personnage
ou un objet, nous supposons qu’ils sont toujours là, hors du cadre. Figure 7.80
287
min j - n mu ——
cadrer avec l'homme qui vient de porter un toast en son honneur (figs. 7.82,
7.83). L'intrusion de la main nous a violemment signalé la présence de cet
homme. Le regard de lulie. le mouvement de la caméra et la bande son sont
venus conforter notre nouvelle compréhension de l’espace total de la scène. Le
cadre a ici permis d'exclure un élément capital pour mieux organiser son
apparition.
Les irruptions dans le cadre sont plus systématiques, et développées
comme un thème, dans Muskeuen of PigAlley, de D.W. Griffith. Dans la scène
où un gangster essaye de glisser une drogue dans la boisson de l’héroïne, nous
ne savons pas que Snapper Kid est entré dans la pièce avant qu'un peu de
Figure 7.85
fumée de sa cigarette viennent flotter dans le cadre (fig. 7.84). À la fin du film,
le meme personnage reçoit de l'argent d'une main mystérieuse s'introduisant
dans l’image par l'un de ses bords (fig. 7.85). Chaque fois, Griffith a produit
un effet de surprise en nous rendant soudain conscients d'une présence hors-
champ.
Le cinquième hors-champ, celui qui se trouve derrière le décor, est cou
ramment utilisé : des personnages sortent par une porte et sont dissimulés par
un mur ou une cage d’escalier. L’utilisation du sixième hors-champ —celui
qui se trouve à côté et derrière la caméra — est plus rare. La régie du jeu en
offre un exemple célèbre, dans un plan où les personnages font irruption dans
le cadre depuis le hors-champ : André et Robert sont pris dans une bagarre;
dans la mêlée. André est précipité en arrière par-dessus un canapé (fig. 7.86).
Figure 7.86
Des journaux sont projetés sur lui, arrivant dans le champ par le haut du
cadre, depuis un endroit situé • derrière le spectateur» (fig. 7.87).
288
(wim ? - u pian . u hui pi iuu
déments composant l’image sont vus. Le plus souvent cette position est celle
de la caméra, mais il existe des exceptions : dans un film d'animation, les posi
tions que semblent indiquer les images n’ont pas forcément été occupées par
la caméra pendant le tournage. Les plans d'un film d’animation peuvent
paraître cadrés en plongée ou en contre-plongée, en plan d’ensemble ou en
gros plan, ils sont toujours le résultat d’un effet de perspective dessiné, photo
graphié depuis la même position. Nous continuerons toutefois à parler
d'angle et de hauteur de prise de vues, en sachant que ces termes désignent
plus ce que nous voyons à l’écran qu’une réalité de tournage.
Angle vertical. Le cadre implique l'existence d'un angle de cadrage qui déter Figure 7.90
mine notre position imaginaire par rapport à la scène montrée. Ces angles sont
en quantité infinie, la caméra pouvant virtuellement occuper n'importe quel
point de l'espace. On distingue trois principaux types d’angles verticaux:
l'angle normal, la plongée et la contre-plongée. L’angle normal, où l'axe de
prise de vue est horizontal, est le plus courant. On en voit un exemple, tiré de
Chronique d’Anna Magdalena Bach, en 7.88. Une plongée nous met • au-
dessus» de ce qui est filmé, regardant vers le bas, comme en 7.89 (bwi le terri
ble). En contre-plongée, nous regardons par-dessous (fig. 7.90 : Ivan le terrible).
289
puiiu. -..n
Christopher McLaine, un cadre incliné fait d’une rue escarpée un plan hori
zontal et penche les maisons qui se trouvent à l'arrière-plan (fig. 7.92).
Tailles de plan. Le cadrage nous place aussi à une certaine distance de ce qui
est filmé : nous pouvons avoir l'impression d’être très loin ou très près de ce
qui est mis en scène dans le plan. Celte distance apparente détermine l’échelle
des plans, la hiérarchie de leurs différentes tailles. Dans ce qui suit, nous pren
drons pour mesure de référence le corps humain, même si n'importe quel
autre élément filmé peut avoir la même fonction. Les exemples sont tous tirés
du Troisième homme.
Dans un plan général, la figure humaine est à peine visible (fig. 7.93). C’est
Figure 7.95
le cadre des paysages ou des vues aériennes.
Dans un plan d'ensemble, les figures ont plus d'importance, même si
l'arrière-plan reste dominant. Le plan moyen montre les personnages en pied
dans le décor (fig. 7.94) et le plan américain large les cadre au-dessous des
genoux (fig. 7.95), ce qui permet d'équilibrer les figures et le fond. Les plans
cadrés à la même distance représentant des figures non-humaines sont appe
lés des plans de demi-ensemble. Le plan américain cadre à mi-cuisse.
290
(W1JAI 1 ■ U PLflU . LU Pfilil PI VUU
291
M1IH 1^11-11111
L'analyse de l'art du film serait sans doute facilitée par une telle normalisa
tion du sens. Mais les films, pris individuellement, y perdraient beaucoup de
leurs richesses et de leurs singularités. Les angles et les tailles de plans peuvent
avoir les significations que nous avons évoquées dans quelques films, pas dans
la majorité d'entre eux. Ces formules ne prennent pas en compte le fait que les
significations et les effets sont toujours produits par la totalité d’une œuvre,
des opérations qui la fondent comme système: les fonctions du cadrage,
comme celles de la mise en scène ou des qualités photographiques du plan,
sont déterminées par l'ensemble du film, Observons trois exemples.
Les contre-plongées sur Kane dans le film d’Orson Wclles expriment à plu
sieurs reprises la puissance menaçante du personnage, mais l’une des plus for
tes contre-plongées intervient au moment d’une défaite humiliante : l'échec
de sa campagne électorale. L'angle permet ici d’isoler Kane et son ami dans un
décor déserté, celui de son quartier général (fig. 7.101). Le cadrage influe sur
la façon dont apparaissent les personnages, mais aussi sur l’apparence de
l’arrièrc-plan.
Figure 7.102
292
(WJLftl 1 - U HU . Lfi II VJ1U
Figure 7.103
De même, il n’est pas question de «monde qui vacille- dans cette image
extraite à'Octobre (fig. 7.103). L'inclinaison du plan accentue l’impression
d'effort que donnent les hommes poussant le canon.
Les tailles de plan, la hauteur et les angles de cadrage ont souvent des fonc
tions narratives précises. Une taille de plan appropriée peut permettre de Figure 7.104
situer dans l'espace un décor ou des personnages, comme on le voit dans le
chapitre suivant avec l'analyse du montage de la première séquence du Faucon
maltais (The maltese falcott, |ohn Huston, 1941). Un détail narratif capital
peut ainsi se trouver isolé : les larmes d'Henriette dans Partie de campagne
(Jean Renoir, 1936) (fig. 7.104), les cheveux coupés de Jeanne dans La Passion
de Jeanne d'Arc (fig. 7.105).
Le cadrage nous donne aussi des indications sur le caractère «subjectif»
d'un plan. Nous avons vu au chapitre 4 que les informations constituant le
récit peuvent correspondre à différents degrés de «profondeur» psycholo
gique : il est possible de rendre compte de ce qu'un personnage voit ou
entend, ce que nous avons appelé un effet de subjectivité perceptive Lors
qu’un cadrage semble correspondre à la vision d'un personnage, il s'agit d'un
Figure 7.105
plan subjectif. En 7.106 (Fury, Fritz Lang, 1936), le héros est vu de l’extérieur
293
liiiiLi - u n m
294
1 - LI llll LA HIH H mi
Figure 7.111
29S
PSfiLIJ 2 - U I1VU
1-e cadrage peut servir à des effets comiques, comme l'ont montré Charlie
Chaplin, Buster Keaton ou Jacques Tati. Nous avons vu que Keaton utilise la
profondeur du champ dans sa mise en scène des Lois âc l’hospitalité. Les
angles de prise de vues et les tailles de plans assurent de la même façon le suc
cès de certains gags. Si le gag du train présenté en 6.94 avait, par exemple, été
filmé latéralement et en plan général, il aurait été impossible de voir aussi clai
rement la séparation des deux parties du train sur des voies parallèles et la
posture insouciante du cheminot. I.a création d'un hors-champ est capitale
dans le gag présenté par les figures 6.103 et 6.104. Le comique est ici produit
par un jeu temporel : la traction qu’exerce Willie sur la corde semble tout
d'abord n'avoir aucun effet, puis l'on voit le fils Canfield attaché à l’autre bout
tomber à travers le cadre et disparaître. Willic réagit et est lui-même entraîné
hors cadre, dans le gouffre. Le gag naît ici d'une subtile association entre la
mise en scène et le cadrage.
296
(U fl Pliai l - L( Plfi B U UIU H ÏUl!
Mobilité du cadre
Les caractéristiques que nous avons relevées jusqu’ici définissent aussi la pein
ture, la photographie ou la bande dessinée. Toute image cadrée est analysable
en terme de format, de relation entre un champ ei un hors-champ, d’angle, de
hauteur et de tailles relatives des figures. Mais il y a une puissance du cadrage
qui est spécifiquement cinématographique (et vidéographique) : au cinéma,
le cadre peut bouger, évoluer par rapport à ce qui est cadré.
Il y a «mobilité du cadre* lorsque dans les limites de l'image, le cadrage
des objets change, lorsque la hauteur, l'angle de prise de vues ou la taille du
plan se modifient au sein d'un même plan. Le cadre nous assignant à une
position imaginaire par rapport à ce qui est filmé, sa mobilité entraîne la
nôtre : nous nous approchons ou nous éloignons des objets, en faisons le tour,
les dépassons.
297
uniH ) - iî nm
298
UjPIJK l U HH ■ Il rais
299
tum i li m
300
(HMI1L l - LI PLJJHJfl MHl U »UJ
La caméra portée est aussi utilisée dans les films de fiction, souvent au ser
vice d'effets subjectifs — voir la figure 7.128, une image de Police spéciale (The
nak&ikiss, Samuel Fullcr, 1964). Elle accentue parfois une impression de bru
talité, le sentiment que l'action a été filmée « sur le vif». La première charge à la
machette (La primera cargo al machetc, Manuel Octavio Gomez, 1969) se
déroule en 1868, bien avant l’invention du cinéma, mais présente néanmoins Figure 7.129
son histoire de rébellion paysanne sous la forme d’un documentaire, composé
d'entretiens et de fausses archives auxquelles le filmage en caméra portée con
fère un caractère d’immédiateté et d'urgence (fig. 7.129).
301
Figure 7.130 Figure 7.131 Figure 7.132
des effets identiques à ceux des mouvements de caméra peuvent être créés
image par image (figs. 7.130-7.132, un panoramique de Theoldgrey hare). Un
effet de cadre mobile peut être produit en photographiant à differentes dis
tances successives une mémo partie d'une image fixe, procédé fréquent en
tirage optique. Un iris qui s’ouvre sur une large vue ou se ferme pour isoler un
détail, un zoom avant ou arrière, tous ces effets participent de la mobilité du
cadre.
Il est difficile d’illustrer ici la différence entre les mouvements optiques
Figure 7.133 réalisés en laboratoire ou les zooms, et ceux réalisés par déplacement de
l’appareil au cours de la prise de vues. Personne ne confondra une ouverture à
l’iris ou un travelling circulaire avec un zoom; mais comment distinguer un
zoom avant d’un travelling avant, un mouvement de grue arrière d’un reca
drage réalise sur tireuse optique ? Dans les dessins animés, les truquages ou les
zooms, le mouvement du cadre est en fait obtenu par réduction ou agrandis
sement d’une partie de l’image. Les mouvements d'appareil produisent eux
aussi ces changements de dimension des objets représentés, mais ces derniers
paraissent en plus passer les uns derrière les autres à différentes vitesses, nous
révélant différents aspects de leur volumétrie et amplifiant les effets de pro
fondeur.
Figure 7.134
Considérons quelques exemples. Dans La guerre est finie (Alain Rcsnais,
1966), un travelling avant permet de faire sentir toute la masse et la solidité
d’un mur (figs. 7.133, 7.134). L'écriteau n'a pas seulement changé de dimen
sions, sa forme même a changé avec l'évolution du point de vue. De même en
7.135-7.137, dans un travelling avant oblique extrait du Dernier tango à Paris
de Bertolucci.
Les mouvements optiques n’altèrent pas la forme ou les positions relatives
de ce qui est filmé. Les troupes en marche de Barry Lindon (Stanley Kubrick,
1975) diminuent de taille, dans plusieurs plans, par l’effet d’un zoom arrière
302
(WIIH 1 - U Plflü II PAIU H fUIi
(figs.7.138, 7.139). Notre point de vue sur les soldats et sur te paysage ne
change pas mais notre appréhension spatiale de la scène évolue avec l'agran
dissement relatif du cadre : à cause de la vue au téléobjectif, les personnages
paraissent plus proches des arbres du fond au début du plan qu'à la fin, où le
zoom révèle aussi l'existence d’un groupe de spectateurs au premier plan.
Les réalisateurs associent souvent entre eux ces mouvements de cadre que
nous avons pour l'instant commenter isolément : un travelling et un panora
mique, un mouvement de grue et un zoom peuvent être réalisés simultané
ment. Chaque cas est généralement analysable comme une combinaison des Figure 7.138
différents mouvements fondamentaux que nous venons d’évoquer.
303
paftm â - u nuu __
avec les mouvements des personnages ou des objets, par exemple. Le reefl-
drage est l'une des fonctions les plus courantes des mouvements de cadre :
un personnage se déplace, la caméra panote horizontalement ou verticale
ment pour compenser l’effet de ce déplacement sur la composition de
l’image. Ainsi dans Hisgirl Friday. lorsque Hildy va s’asseoir sur le bureau,
un panoramique gauche-droite la suit; lorsque Walter pivote sur son siège,
le plan est légèrement recadré vers la gauche (figs. 7.140-7.142). Motivés
par les déplacements des personnages, les recadrages sont souvent imper
ceptibles et pourtant très nombreux.
Un mouvement de cadre peut aussi permettre de suivre des personnages
ou des objets : un panoramique conserve une voiture au centre du cadre,
un travelling avant suit un personnage d’une pièce à une autre, un mouve
ment de grue accompagne l’envolée d'un ballon. La mobilité du cadre a ici
pour fonction principale de maintenir notre attention sur te sujet du plan,
au mouvement duquel elle est subordonnée.
Ces plans d’accompagnement peuvent devenir très complexes. Dans de
nombreuses scènes de Chronique d'un amour (Cronaea di un amore,
Michclangelo Antonioni, 1950) la caméra suit un personnage qui en croise
un autre, accompagne ce second personnage jusqu’à un troisième quelle
suit à son tour, et ainsi de suite. La séquence de la soirée offre un superbe
exemple de caméra qui passe rapidement, sans interruption, d'un person
nage à un autre.
Le mouvement du cadre n'est pas nécessairement subordonné à celui des
personnages. Un mouvement non motivé par un déplacement à l'intérieur
de l'image peut simplement servir à révéler une information narrative
importante. Dans les cas les plus banals. la caméra vient pointer un indice
ignoré, un signe qui commente l'action principale, une ombre que per
sonne n’a vue, une main qui s'agrippe. Le mouvement d'appareil peut
décrire un décor dans lequel les personnages vont pénétrer, comme au
304
-.lUUU U wh Pt ÏJLU.
305
mjll a LL 1ULLL
Figure 7.148
306
UJAJWU il HJJ4 ».l ’IU_
307
2 - u (uu
plus cadrer que son visage. Ce plan est le climax de l’ensemble des mouve
ments vers l'avant qui ont débutés avec le zoom vers l’hôtel : le film nous a
fait littéralement entrer dans l’esprit de Norman. Dans Citizen Kane, la
récurrence des mouvements vers l'avant métaphorise également la lente
découverte du secret d une personnalité.
Dans Lola Montés (Max Ophuls, 1955), les travellings à 360° qui caractéri
sent les scènes se déroulant dans l’arène du cirque s’opposent aux cons
tants mouvements de grue verticaux des scènes montrant son passé. Le va-
et-vient d'un panoramique horizontal fonde toute la structure formelle de
** de Michael Snow, généralement appelé Rack and Forth (1968-69); le
changement de ce mouvement en un panoramique vertical, à la fin du
film, crée un effet surprenant. Dans tous ces films, les mouvements de
cadre sont un matériau sujet à répétitions et variations.
Dans ces exemples, les répétitions et variations des motifs constitués par
les mouvements de caméra sont corrélés à une forme narrative ou non-narra
tive. Nous allons rapidement évoquer deux films qui illustrent de façons
opposées ces corrélations dans un cadre narratif; dans la premier, la mobilité
du cadre est au service du récit tandis que dans le second, la forme narrative
est subordonnée à un mouvement qui la dépasse.
La grande illusion (Jean Renoir, 1937) est un film de guerre où l'on ne voit
presque jamais la guerre: les clichés du genre —attaques héroïques ou
bataillons condamnés — sont absents, la Première Guerre mondiale est tenue
obstinément hors-champ. Renoir préfère s’intéresser à la vie dans un camp de
prisonniers allemands, pour évoquer l’influence de la guerre sur les relations
entre des hommes de nationalités et de classes sociales différentes. Maréchal
et Boïeldieu sont deux prisonniers français; Rauffenstein est allemand. Mais
Boïeldieu, d'origine aristocratique, a plus de points communs avec Rauffens
tein qu'avec Maréchal, un mécanicien. Le récit décrit la mort du couple aris
tocratique Boïeldieu-Rauffenstein et la survie difficile de Maréchal et son
compagnon, Rosenthal : comment ils se cachent dans la ferme d'Eisa et y
trouvent un moment de paix, comment ils arrivent jusqu'à la frontière fran
çaise, pour probablement retrouver la guerre.
Les mouvements de caméra ont dans le film plusieurs fonctions, toutes en
relation directe avec le récit. Il y a tout d'abord les mouvements d'accompa
gnement des personnages : la caméra suit les évadés, Maréchal et Rosenthal,
durant leur marche; elle recule lorsque les prisonniers sont attirés à la fenêtre
par le bruit des troupes allemandes allant au pas.
Mais ce sont les mouvements non soumis aux déplacements d’un person
nage qui font l’intérêt du film. Ils interviennent pour commenter l'action,
créer du suspense ou donner au spectateur une information inconnue des
308
imim i - Lum = lô h ms
personnages. Dans une scène, par exemple, l'un des prisonniers qui creusent
le tunnel destiné à l’évasion tire sur la corde signalant qu'il veut être tiré hors
du trou : la caméra cadre la boite de conserve qui, attachée à la corde, tombe
(fig. 7.149), puis panote vers la gauche pour montrer que les autres personna
ges n’ont rien remarqué (figs. 7.150,7.151 ). Le mouvement de caméra contri
bue ainsi à créer une narration à caractère omniscient.
La caméra est parfois un agent très actif, dont Renoir utilise les mouve
ments répétés pour créer des sortes de thèmes ayant une fonction narrative.
Un de ces thèmes est celui du mouvement liant les personnages à un détail de
leur environnement. Une séquence débute par un gros plan sur un détail dont
la caméra établit en reculant le cadre général, spatial et narratif. Ainsi la con
versation entre Boieldieu et Maréchal, pendant laquelle ils planifient leur éva
sion, débute par un gros plan sur un écureuil dans une cage (fig. 7.152) avant
qu’un travelling arrière montre les deux hommes de chaque côté de la cage
(fig. 7.153), pour créer un parallèle narratif évident.
La scène de la cérémonie de Noèl chez Eisa est plus complexe; elle s'ouvre
sur un gros plan de la crèche et le mouvement arrière de la caméra révèle, en
309
Miim- u mu.
plusieurs temps, le jeu entre les diverses réactions des personnages. Ces mou
vements ne sont pas simplement décoratifs : commencer par un détail scéni
que avant d’en montrer le contexte est une façon très tenue de souligner les
relations entre les différents éléments de la mise en scène. Il en va de même
pour les plus rares travellings avant du film, qui viennent isoler un détail à la
fin d'une scène, comme au moment où, après la mort de Boïeldieu, la caméra
s'avance vers la fenêtre pour cadrer en gros plan le géranium dont Rauffens-
tein vient de couper l’unique fleur (figs. 7.154,7.155).
Les personnages sont parfois liés à leur environnement par des mouve
ments de caméras plus complexes, qui mettent en évidence d’importants
parallèles narratifs. Dans la première scène du film, alors que Maréchal quitte
le mess des officiers (fig. 7.156), Renoir combine un panoramique et un tra
velling latéral vers la gauche pour montrer des photographies de pin-up (sur
la droite de l'image, en 7.157) et une affiche (fig. 7.158). Une scène plus loin,
un même mouvement vers h droite abandonne un groupe d’officiers alle
mands pour parcourir, dans leur mess, une même série de décorations
310
SM.WIU - il HH , i« mu » LUI ————
311
Figure 7.165 Figure 7.166 Figure 7.167
312
(WlliXJ - 14 Ml Lfi LfilH
relation avec la mise en scène, le parallèle étant renforcé par l’utilisation sub
tile des objets comme motifs — les crucifix des figures 7.162 et 7.172, les pho
tographies des figures 7.163 et 7.170, les tables à la fin des deux plans.
Une autre fonction des mouvements de caméra est de lier les personnages
entre eux. Dans le camp de prisonniers, la caméra se déplace continuellement
pour relier un homme à son camarade, créant spatialement leur commu
nauté. Les prisonniers fouillent dans une malle contenant des vêtements fémi
nins et l’un d'entre eux décide de se déguiser: lorsqu’il réapparaît tous les
autres se figent et Renoir montre silencieusement, en travelling, leurs visages,
sur lesquels peut se lire le désir refoulé.
Un mouvement de liaison plus savant intervient dans la scène du specta
cle, lorsque les hommes apprennent que les Français ont repris une ville
investie par les Allemands : la caméra parcourt le groupe au moment où, arrê
tant la représentation, les prisonniers entonnent la Marseillaise. Le plan est
une sorte d'hymne à l'unité spatiale, partant des musiciens (fig. 7.173] pour
aller trouver, en travelling latéral vers la droite, les chanteurs (figs. 7.174,
7.175) et deux gardiens allemands inquiets (fig. 7.176). Un panoramique
droite-gauche vient ensuite montrer une rangée de prisonniers debout,
313
ihuu-h.mu
chantants (fig. 7.177); un travelling arrière nous fait repasser devant les musi
ciens (fig. 7.178) et un nouveau panoramique droite-gauche cadre, de face,
l’ensemble de l'assistance (fig. 7.179). Ce mouvement très complexe fait circu
ler la caméra parmi les prisonniers au moment où ils s'unissent pour défier
ceux qui les ont capturés.
Une remarque d'André Bazin nous semble ici pertinente : «Jean Renoir a
trouvé une façon de révéler la signification cachée des gens et des choses sans
détruire l'unité qui leur est naturelle». Soulignant certains détails et créant
des comparaisons, la mobilité du cadre devient aussi importante, dans ce film,
que la mise en scène. La caméra produit spatialement des rapports qui enri
chissent le récit : Renoir a inventé des formes de mouvements de cadre qui
participent pleinement du système narratif.
314
(Wllkl 1 - U PUB U PfillI H UIJ
cadre (fig. 7.184). Le film dure ainsi cinquante minutes; à la fin, une photo
graphie montrant des vagues, accrochée au mur, emplit l’écran.
Wavelengih est donc construit autour d’un seul type de mouvement de
cadre, le zoom avant. Le film ne se développe pas selon une structure
narrative : il s’affirme comme une étude minimale des effets du zoom sur la
représentation de l’espace de cet appartement. Les coups de zoom créent de
brusques transformations de la perspective, produisent de nouvelles relations
spatiales : ils excluent progressivement du cadre la majeure partie de la pièce,
agrandissent et aplatissent ce qui nous reste à voir. l_a bande son vient renfor
cer cette progression formelle par l’émission d'un simple bourdonnement qui
devient de plus en plus aigu avec l’agrandissement de l'image. Figure 7.183
31S
Mfilil J - U H VU
temps filmiques. Cette mobilité peut être motivée par des éléments formels de
plus grande importance, comme dans le film de Renoir, ou devenir le prin
cipal objet formel se subordonnant tous les autres systèmes, comme dans le
film de Snow. En portant ainsi attention à la façon dont les réalisateurs
emploient la mobilité du cadre dans des contextes particuliers, nous acqué
rons une plus grande compréhension du fonctionnement général d’un film.
316
. U Hil U Klll » <1U
au sein d'un seul et même plan cl qu'il n’y a aucune nécessité de correspon
dance absolue entre la durée du plan et celle des événements représentés.
Le plan long
Tout plan a une durée mesurable. Les réalisateurs en ont favorisé, au cours de
l'histoîre du cinéma, différentes sortes. Les premiers films (1895-1905) étaient
souvent constitués d'un seul plan relativement long. Avec l'émergence entre
1905 et 1916 de ce que l'on appellera plus loin le «montage par continuité»,
les plans devinrent plus courts. À la fin des années dix et au début des années
vingt, la durée moyenne du plan était de cinq secondes, qui montèrent à dix Figure 7.188
secondes après l'arrivée du parlant.
Mais il y a toujours eu des réalisateurs pour préférer des plans de durées
supérieures à la moyenne, Vers le milieu des années 30 il y eut dans différents
pays une tendance à faire des plans plus longs, tendance qui se développa au
cours des vingt années suivantes. Les causes de ce changement sont complexes
et partiellement incomprises, mais il est évident que ces plans de longueurs
inhabituelles — ces plans longs — sont une ressource formelle majeure pour
les réalisateurs.
Dans les films de Jean Renoir, de Kenji Mizoguchi, d'Orson Welles, de Cari
Dreyer ou de Miklâs Jancsô, un plan peut durer plusieurs minutes et il est
donc impossible d'analyser leurs films sans quelques connaissances des effets
formels et stylistiques de cette durée. Un plan de My Hustler (Andy Warhol,
1965) suit le jeu de séduction entre deux homosexuels se préparant dans leur
salle de bain (fig. 7.188). Il dure à peu près trente minutes et constitue à lui
seul la seconde moitié du film.
On peut généralement regarder un plan long comme une alternative â une
suite de plans plus courts. Lorsqu'une scène entière est composée d'un seul
plan, on parle de «plan séquence».
Le plus souvent, les réalisateurs emploient le plan long de façon ponc
tuelle. en alternance avec des moments reposant sur le montage, ce qui leur
permet d’associer certains aspects des formes narratives ou non-narratives à
différents choix stylistiques. Ainsi la première partie de L'heure des brasiers (La
hora de los homos. Fernando Solanas, Octavio Gctiho, 1966-68) décrit
l’influence des idéologies européennes et nord-américaines sur les pays en
voie de développement au moyen d'un montage entre images documentaires
et plans mis en scène, et se termine par un lent zoom avant sur une photogra
phie du cadavre de Che Guevara, symbole de la résistance des guérillas contre
l’impérialisme. Solanas fait durer ce plan trois minutes, pour forcer le specta
teur à réfléchir au prix payer par les résistants.
317
mni j - u uvu
Le mélange entre plans longs et plans plus courts permet aussi de créer des
parallèles el des oppositions entre différentes scènes. André Bazin avait
remarqué que Citizen Kaneoscillait entre les plans longs des scènes dialoguécs
et le montage rapide de quelques séquences, dont celle des «News on the
mardi». Hitchcock, Mizoguchi ou Dreyer faisaient eux aussi varier la durée
des plans suivant la fonction d’une scène dans le film.
Un réalisateur peut aussi décider de n'utiliser que des plans longs. La Corde
(Rope, Alfred Hitchcock, 1948) n'est composé que de huit plans, qui ont tous
la longueur d'une bobine. Sirocco d'hiver (Sirokkâ, 1969), Agnus Dei, Psaume
rouge et d'autres films de Miklôs lancsd ne contiennent que des plans
séquence. Dans ces exemples, chaque plan devient une sous-partie du film et
les raccords peuvent acquérir une très grande force. Après un plan de six ou
sept minutes un raccord elliptique peut, par exemple, totalement désorienté le
spectateur, comme on le voit dans les films de Jancsé.
Si le plan long remplace souvent le montage, il n'est pas étonnant qu’il
soit souvent associé à une mobilité du cadre: panoramiques, travellings,
mouvements de grue et zooms permettent de varier les points de vue tout en
318
(Hi >lli( 1 - U PU fi Lfi pum Pi mi
respectant la continuité du plan, pour créer des effets comparables, dans une
certaine mesure, aux changements de vues produits par le montage.
Les mouvements de cadre brisent le plan long en sous-unités signifiantes.
Dans Les sœurs de Gion (Gion no shimai, Kcnji Mizoguchi, 1936) un plan long
débute sur Omocha et le vieil homme, assis presque face à face (fig. 7.189).
Puis, $e préparant à le séduire afin qu’il devienne son «protecteur», elle se lève
pour aller de l’autre côté de la pièce, suivie en travelling arrière par la caméra
(figs. 7.190, 7.191 ) et. dans un second temps, cherche à provoquer sa compas
sion. 11 vient la consoler (figs.7.192, 7.193): la caméra se rapproche au
moment où il succombe à ses avances (fig. 7.194). On voit qu’ici, sans mon
tage, les mouvements de la caméra et des personnages ont marqué des étapes
importantes de l’action.
Les plans longs sont généralement filmés en plan moyen ou en plan
d'ensemble, comme dans l'exemple précédent. Le spectateur a ainsi le temps
de parcourir du regard un champ plus étendu et d’y découvrir lui-même les Figure 7.195
éléments intéressants. Stcven Spielberg, dont on ne peut pas dire qu'il soit un
cinéaste du plan long, a reconnu l’importance de cet effet :
l’aimerais que les réalisateurs fassent confiance au public, qu’ils le croient
capable de devenir, avec scs yeux, le monteur des films, un peu comme
devant une pièce de théâtre, où le public choisit qui il veut regarder dans
une scène... Il y a tellement de montage, tellement de gros plans qui sont
tournés actuellement, qui sont, je crois, comme une influence directe de la
télévision.
Nous avons toutefois vu, dans le chapitre précédent, comment le réalisa
teur peut guider le regard du spectateur dans le cadre au moyen de la mise en
scène, autre façon de dire que le plan long est souvent un moyen de souligner
les differentes composantes de la mise en scène — l’interprétation, la lumière
Figure 7.196
ou les décors par exemple.
Le plan extrait des Sœurs de Gion illustre aussi une autre caractéristique
importante du plan long. Il possède une forte logique interne : il a un début,
un milieu, une fin. Comme sous-partie du film, le plan long peut avoir sa pro
pre structure, sa propre progression, ses propres principes formels. Il déve
loppe son propre suspense; nous commençons â nous demander comment le
plan va continuer et quand il va finir.
L’exemple classique du plan long constituant une unité formelle indépen
dante est celui de la séquence d’ouverture de La soif du niai. Il débute par un
gros plan sur une main qui remonte le mécanisme d’horlogerie d’une bombe
(fig. 7.195), immédiatement suivi par un travelling latéral gauche-droite sui
vant d’abord l’ombre, puis la silhouette d’un inconnu qui place la bombe
dans le coffre d’une voiture (figs. 7.196, 7.197), Figure 7.197
319
________________________ M1IIL1 - U IIILI__________________ —
320
Figure 1 le douter Adam Figure 2 franci Mm
Figure 10 le ver»
Figure 11 Le vent
II
Figure 17 love
Figure l8Uft-e
Figure 19 lewr
III
Figure 25 le sud
IV
Figure 33 Meurtre dani un /orrfin angiaii
Figure 32 A
V
Figure 40 Hw Mfoff
Figure 41 Rn d'automne
VI
Figure 48 £û colère des dieux
Figure 49 Cenere
Figure 53 Kasba
Figure 54 Kasba
Figure 55 Le dernier longe à Paris
VII
Figure 56 le dernier tango à Ponj
Figure 57 Juews froides
Figure 58Pûfütal
Figure 59 Rusty (ornes
VIII
■(JIJU1JALU-U.HU-.- ILnUULHU. _
Résumé
Le plan est donc une unité formelle très complexe. La mise en scène fournit à
l’image des matériaux —décors, costumes, éclairage, jeu des acteurs— qui
dépendent du contexte formel de l'œuvre considérée dans sa totalité. Suivant ce
même contexte, le réalisateur contrôle aussi les différentes qualités proprement
cinématographiques du plan — sa photographie, son cadrage, sa durée à l'écran.
Il est facile de se sensibiliser à ces différentes qualités comme à celles de la
mise en scène en suivant la progression, à travers un film, de l'une d’entre
elles, ou en essayant de repérer le début et la fin d'un plan, de comprendre la
321
Nilll J - Il îI!LL£
relation d'un plan long au reste du film. 11 faut observer les mouvements de
caméra, tout particuliérement ceux qui accompagnent l’action (parce que ce
sont ceux que l'on remarque habituellement le moins). C'est seulement en
étant conscient de ces qualités cinématographiques qu’il devient possible de
comprendre leurs éventuelles fonctions au sein du système filmique.
I^S chapitres 6 et 7 étaient consacrés au plan; le chapitres a pour sujet la
mise en rapport des plans entre eux, le montage.
322
iwj > >li - n plu.- iji mu » vmi
Le format de l'image
Dans Le Méprit (Jean-Luc Godard, 1963). Fritz Lang, jouant son propre rôle,
dit sur un ton de regret que «le CinémaScopc n’est bon qu'à filmer les enterre
ments et les serpents». Le Mépris est évidemment un film destiné à une pro
jection sur écran large, utilisant un procédé d'anamorphose (le Franscope).
323
l.UJIW
Au cours des années 80, deux variâmes du format traditionnel furent con
çues pour répondre à la demande de formats larges. Une de ces innovations fut
le Super-35mm, qui permet d’augmenter la place occupée par l’image sur une
pellicule 35mm standard. Essayé dans des films comme Abysse ou Black min
(Ridley Scott, 1989), ce format annonce la possibilité, pour les réalisateurs, de
tirer des copies en 2,35 (avec anamorphose) ou en 1,85 (avec caches). Le Super-
16mm a été plus largement adopté à cause de sa capacité à être gonflé en
35mm; il fournit 40 %de surface d’image en plus et un cadre plus large qui avec
des caches donne un format de 1,85, favorisé pour les projections en 35mm.
Utilisé pour la première fois dans Balltul of Gregorio Cortez.dc Robert Young et
Reviens, Jimmy Dean, revient (Corne baek ta the five and dime. Jimmy Dean.
Jimmy Dean, Robert Altman. 1982), le Super-16 mm a permis la réalisation de
films indépendants comme Workinggirls de Lizzie Bordcn ou Nota Duling n’en
fait qu’à sa tête (She’s gotta hâve il Spike Lee, 1986) et a été souvent utilisé au
cours des années 90, par exemple dans Leaving Las Vegas (Mike Figgis, ■ ).
Le plan subjectif
La position et les mouvements de la caméra nous incitent parfois à voir une
scène - par les yeux, d'un personnage. Certains réalisateurs (Howard Hawks,
John Ford, Kenji Mizoguchi, Jacques Tati) se servent rarement du plan
subjectif; d’autres l’utilisent de façon constante (Alfred Hitchcock, Alain
Rcsnais). Police spéciale, de Samuel Fuller, débute par une série de plans sub
jectifs marquants (voir la figure 7.128) :
On ouvre avec une coupe franche |un «eut»]. Dans cette scène, les acteurs
se servaient de la caméra. Ils portaient la caméra; elle était collée sur eux.
Pour le premier plan, la caméra était attachée à la poitrine du proxénète. Je
dis à [Constance] Towers: «Frappe la caméraI». Elle frappe la caméra,
l’objectif. Puis j'inverse le dispositif. Je mets la caméra sur elle, et elle
frappe l’autre de toute scs forces jusqu’à ce qu'il sorte. Je pense que ça a été
efficace. [Rapporté dans Eric Sherman et Martin Rubin, The directors
event, New York, Signet, 1969, p. 189. ]
Les réalisateurs ont commencé très tôt à explorer les possibilités de la
• caméra subjective ». On trouve des plans subjectifs dans un film de 1901,
Grandma’s reading dass. Les trous de serrure, les jumelles ou d'autres types
d'ouvertures et de fentes étaient souvent utilisés pour justifier un point de vue
optique inhabituel. Abel Gance employa beaucoup de plans subjectifs dans
pâteuse, en 1919, et de nombreux réalisateurs des années 20 s'intéressèrent à
l’expression filmique de la subjectivité : Jean Epstein avec Cœur fidèle (1923)
ou La belle tiivernaise (1923), E.A. Dupont avec Variety ( 1925), F.W. Murnau
avec Le dernier des hommes (1924) et sa fameuse séquence d’ivresse, et Abel
324
I11HUIJ. - U_H1I ULttülH H U
Gancc avec Napoléon (1927). Certains pensent que le plan subjectif, et plus
particulièrement les mouvements de caméra subjectifs, trouvèrent une
extrémité logique incontrôlée dans La dame du lac (Lady in the lake, Robert
Montgomery, 1946). Pendant la quasi-totalité du film, la caméra est à la place
du personnage principal, Philip Marlowe, que nous voyons seulement
lorsqu'il se regarde dans un miroir. «Du suspense! De l'insolite!» clamaient
les publicités pour le film. «VOUS acceptez une invitation dans l'appartement
d'une blonde! Un homme suspecté de meurtre VOUS frappe à la mâchoire!»
L’histoire technique du plan subjectif a poussé les théoriciens du cinéma à
se demander dans quelle mesure il provoque une identification du public au
personnage. Nous prenons-nous pour Philip Marlowc en regardant La dame
du lac ? Ce problème reste l'un des points difficiles de la théorie du cinéma:
on en trouvera quelques commentaires dans les ouvrages cités dans la biblio
graphie de ce chapitre.
325
mm i - u niu
326
D'un plan à l'autre :
8
le montage
Mais l’on comprend l'énorme fascination qu'a pu exercer sur les esthéti
ciens du cinéma une technique si puissante. La chevauchée du Ku Klux Klan
dans Naissance d’une nation, les escaliers d’Odessa dans Le cuirassé Poumkine,
la «destruction des dieux» dans Octobre, la douche de Psychose, l’accident de
train dans La roue, les plongeons des Dieux du stade, les «News on the march»
de Citizen Kane, le tournoi de Lancelot du Lac : toutes ces séquences célébrés
tirent l’essentiel de leur force du montage.
Mais le plus important, toutefois, est sans doute le rôle du montage dans le
système stylistique d’un film considéré dans son intégralité. Un film hol
lywoodien contient généralement entre 800 et 1200 plans; un film dont
l’action est plus «rapide» peut être composé de plus de 2000 plans. Ces seuls
chiffres font comprendre que le montage façonne fortement l'expérience du
spectateur, meme à son insu. Le montage contribue beaucoup à l’organisation
d’un film et à ses effets sur les spectateurs.
Ce qu'est le montage
On peut considérer le montage comme la coordination d'un plan avec celui
qui suit. Comme nous l'avons déjà vu un plan est, en phase de production, un
photogramme ou plusieurs photogrammes, exposés en série sur un segment
continu de pellicule. Le monteur élimine le métrage dont il n’a pas besoin en
ne gardant généralement que la meilleure prise. 11 coupe au début et à la fin
des plans les phologrammes superflus, par exemple ceux montrant le clap. Il
assemble ensuite les plans de son choix en joignant la fin de l’un d’entre eux
au début d’un autre.
Ces points de jonctions peuvent être de différentes sortes. Un fondu au
noir (ou fermeture en fondu) est un obscurcissement progressif de l'écran à la
fin d’un plan et une ouverture en fondu, l'apparition progressive de l'image à
partir d’un écran noir. Un fondu enchaîné superpose brièvement la fin d’un
328
(u_wm 8 - ft un plh fi i oui. H fflûauu
plan A et le début d’un plan B. (Voir les figures 8.1 à 8.3,extraites du début du
Faucon maltais.] Un volet substitue un plan B â un plan A au moyen d’une
ligne en mouvement délimitant les deux images (fig. 8.4 : Les sept samouraïs]
qui sont donc momentanément ensemble à l’écran mais sans être mêlées
comme dans le fondu enchaîné. Les fondus et les volets sont des effets opti
ques, le plus souvent réalisés en laboratoire.
La façon la plus courante de joindre deux plans est le raccord. Il est créé en
reliant deux plans au moyen d’une colle ou d'un ruban adhésif. Certains réali
sateurs * raccordent» pendant le tournage en prévoyant que le film sortira de
la caméra prêt pour la projection. Dans ce cas, la jonction physique d’un plan
Figure 8.4
à l’autre est créé pendant l'acte de tournage. Ce «montage caméra» reste une
technique exceptionnelle, réservée aux films expérimentaux et aux films
amateurs; la règle est de monter après le tournage. Les monteurs travaillent
maintenant beaucoup avec des images transférées sur cassettes ou disques
vidéo, ce qui permet de travailler les raccords sans toucher à la pellicule, la
version finale du film étant par contre toujours préparée pour le tirage en
coupant et collant le négatif.
En tant que spectateurs, nous percevons un pian comme un fragment inin
terrompu de temps, d’espace ou de configurations visuelles. Les fondus et les
volets sont perçus comme ce qui met fin graduellement à un plan et le remplace
par un autre et les raccords, comme des substitutions instantanées de plans.
Observons un exemple, quatre plans extraits de la scène de la première
attaque sur Bodcga Bay dans Les oiseaux d’Alfred Hitchcock (figs. 8.5-8.8) :
329
mm i - u uvu
3. Plan générai. Point de vue de Mélanie. Une station service de l’autre côté
de la rue, une cabine téléphonique au premier plan. Des oiseaux attaquent
en piqué le pompiste, traversent l’écran de droite à gauche (fig. 8.7).
330
<wiih i - n> Ml » uiw it imust
Dimensions du montage
Le montage offre au réalisateur quatre domaines fondamentaux de choix et de
conirôle :
331
mm
332
(W 0 - P III HAd II L IU1H . Ll
333
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334
_ (BIPIIH B P Ul PLflH fl I flUIfil U DmmMI
335
t>oûrii i . ii nm
Un réalisateur peut, par le montage, créer un conflit visuel entre des cou
leurs. Le personnage principal de Paris. Texas découvre que sa femme travaille
dans un peep-show. Wenders suit la conversation du couple en faisant raccor
der alternativement, de chaque côté d'une glace sans tain, l’espace réservé au
client et celui de la strip-teaseuse (planches 60, 61). Chacun des personnages
est toujours visible dans les plans, mais le montage accentue leur séparation
par de fortes discordances des couleurs : le décor où se tient la femme, bleuté,
délavé lorsqu’il est vu depuis le côté de son mari, jure avec la noirceur et les
reflets des feuilles d’aluminium que l'on voit dans le plan suivant.
30. (p.e.) Plongée. Point de vue de Mélanie sur la voiture en flammes et l'extension de l'incendie. 73 photogrammes
31. (p. épaule) Angle normal. Mébnie, immobile, regarde vers le hors-champ gauche, bouche ouverte. 20 photogrammes
32. (p. m.) Plongée. Point de vue de Mélanie. Panoramique sur les flammes passant de la partie basse 18 photogrammes
droite du cadre à la partie gauche haute.
33. (p. épaule) Comme 31. Mélanie, immobile, regardant fixement vers le bas et au centre. 16 photogrammes
34. (P- m.) Plongée. Point de vue de Mélanie. Panoramique sur les flammes passant de la partie basse 14 photogrammes
droite du cadre à là partie gauche haute.
35. (p. épaule! Comme 31. Mélanie. immobile, regardant terrorisée wrs le hors-champ droit. 12 photogrammes
36. <pc) Point de vue de Mélanie. La station service. Les flammes pénétrent rapidement dans le cadre 10 photogrammes
par b droite. Mitch. le shérif et le pompiste en sorte par la gauche en courant.
37. (p. épaule) Comme 31. Mélanie. immobile, regarde fixement vers l'extrême droite du hors-champ. 8 photogrammes
38. (p.«.) Comme 36. Point de vue de Mébnie. Les voilures présentes à la station service explosent. 34 photogrammes
39. (p. épaule) Comme 31. Mélanie se couvre le visage des deux mains. 33 photogrammes.
40. (P-10 Vue aérienne en plongée de la ville: b traînée de feu au centre du cadre. Des mouettes
entrent dans l'image.
336
— JWIUl I - P Jl PHD fl L.fiUIfll L H DDmilU
337
>uji.LUALU11£
338
quelques photogrammes totalement blancs, créant à la projection un brusque
flash lumineux évoquant la brutalité de l'impact. À l’inverse, la durée d’un
plan peut servir à affaiblir l’effet d’une action; pendant le montage des Aven-
turiers de l'Arche perdue, Steven Spielberg découvrit qu’il fallait ajouter quel
ques secondes à la scène où Indiana Jones tue le gigantesque homme au sabre
pour que la réaction du public puisse retomber avant la reprise de l’action.
Dans la suite de la scène, les pians sont relativement courts et leurs lon
gueurs sont subordonnées au rythme des dialogues et des mouvements dans
l’image. Les longueurs des plans 5 à 29 (qui ne sont pas illustrés ici) ne répon
dent donc à aucun modèle défini. Mais une fois que les composantes dramati
ques essentielles ont été établies, Hitchcock revient à une accélération du
montage.
339
>HTH > - U mu
340
(11IIÎAX I . » Il »lll I 1HH II ■llîiCI
341
pe&ïii i - ii rniu
342
savons seulement que Jeanne ci les prêtres sont dans la même pièce; la neutra
lité des fonds blancs et la fréquence des gros plans interdisent toute compré
hension spatiale de la totalité de la scène — il est difficile d évaluer à quelle
distance se trouvent les personnages ou de déterminer précisément leurs posi
tions relatives. Nous évoquons plus loin des discontinuités spatiales encore
plus importantes produites dans Octobre et L'année dernière à Marienbad.
343
—______________ mini.r
344
(jHfiPiiRt o - un Pian s ljbibî u miflu
345
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procédés de montage — si réduit en fait, que l’on peut parler d’un style de
montage dominant l'ensemble de l’histoire du cinéma occidental. Ce style est
généralement défini par sa recherche de continuité, ce pour quoi nous l'appel
lerons «montage par continuité». Son étude est incontournable, mais ne doit
pas faire oublier qui! existe d’autres façons de monter un film, que nous con
sidérerons plus loin.
346
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347
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348
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349
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350
(wirn o - mi Pifii fl muiu u imim
fenêtre du bureau (plan la, fig. 8.49) puis la caméra bascule vers le bas pour
faire entrer Spade dans le cadre, en train de rouler une cigarette (plan 1b,
fig. 8.50). Le plan 2 (fig. 8.51) apparaît au moment où te détective dit «Oui,
mon ange ?»; i! est important pour plusieurs raisons. C’est un plan de situa
tion. qui présente l'ensemble de l’espace du bureau : la porte, une zone inter
médiaire, le bureau, la position occupée par Spade: et il établit un axe entre
Spade et sa secrétaire, Effie (nous sommes dans un cas semblable à celui sché
matisé en 8.45), axe que la caméra va, dans une première phase, ne pas traverser.
Ainsi décrit pour nous dans les deux premiers plans, l’espace est ensuite
analysé, décomposé. Les plans 3 {fig. 8.52) et 4 (fig. 8.53) montrent Spade et
Figure 8.52 Pian J
Effie en train de parler. Le respect de la règle des 180° (chacun des plans est
pris depuis le même côté du bureau) fait que nous pouvons connaître les
positions respectives des personnages. En raccordant deux plans de tailles
identiques (des plans poitrine), Huston exploite deux autres procédés caracté
ristiques du système des 180°.
Iz premier est la figure dite du champ-contrechamp. Une fois la ligne des
180° établie, il est possible d'en montrer alternativement les deux extrémités
— ce qui est fait ici entre Effie et Spade. Un champ-contrechamp n'est pas
obtenu par une stricte inversion, sur l’axe de la caméra, de la direction de la
prise de vues : c'est un plan montrant, généralement de trois-quarts face, ce
qui, sur l’axe de jeu, se trouve en face de ce qu'a montré un premier plan. En
8.45, les plans 2 et 3 raccordés constituent un champ-contrechamp, comme Figure 8.53 Pion 4
les figures 8.52 et 8.53 ici. Les couples 8.23 et 8.24, 8.25 et 8.26. offrent
d’autres exemples de champ-contrechamp.
Le second procédé utilisé par Huston est celui du raccord regard. Un plan A
présente un personnage regardant quelque chose hors-champ et un plan B
nous montre ce qu’il regarde, sans que le personnage et l’objet soient réunis
dans aucun plan. Dans l’ouverture du Faucon maltais, le raccord entre Effie
(plan 3. fig. 8.52) et Spade à son bureau (plan 4, fig. 8.53) est un raccord
351
u.mu ■ U uni
regard, comme les plans des Oiseaux où Mélanie voit l'attaque de la mouette
et la progression de l’incendie ou les exemples de champ-contrechamp rappe
lés plus haut.
Un champ-contrechamp n'est pas nécessairement constitué de raccords
regard: la figure reste la même lorsque des personnages situés sur un même
axe de jeu mais ne se regardant pas — die se cache les yeux, il lui tourne le
dos — sont montrés alternativement.
Le raccord regard est une idée simple mais très puissante, la direction d'un
regard créant de forts effets de continuité spatiale : pour pouvoir être regardé,
un objet doit se trouver près de celui qui regarde. 11 participe des effets de
construction spatiale découverts par Koulechov; l'acteur, même inexpressif,
parait regarder ce que présente le raccord ci le public suppose qu'il réagit en
conséquence.
Dans le cadre du système des 180°, le raccord regard, comme la constance
des directions à l'écran, permet de consolider les données spatiales d'une
scène. Le regard de Effie vers le hors-champ droit, au plan 3, confirme la posi
tion de Spade. et si celui-ci ne regarde pas vers elle au plan 4, la prise de vues
s’opère depuis un point situé du même côté de l’axe de jeu (le cadrage est
presque le même que celui du plan lb),cequi nous informe que Effie est dans
le hors-champ gauche. La décomposition spatiale de la scène, respectant la
règle des 180°, est complètement logique; le champ-contrechamp et le rac
cord regard nous permettent de comprendre les positions relatives des per
sonnages, même lorsqu’ils ne sont pas à l'écran.
La cohérence spatiale est réaffirmée dans le plan 5, qui présente un cadrage
semblable à celui du plan 2. On y voit à nouveau le bureau (plan 5a, fig. 8.54),
au moment où entre un autre personnage, Brigid O'Shaughnessy. Spade se
lève pour la saluer, la caméra panote vers le haut pour le garder dans le cadre
Figure 8,54 Pian Sa (plan 5b, fig. 8.55). Le plan 5 est un nouveau plan de situation, qui reprend
l’ensemble de l’espace décomposé en 2 et 3. L’enchaînement plan de situation /
décomposition / nouveau plan de situation est, pour la description d'un espace,
l'un des grands schèmes de montage du style linéaire classique que nous
étudions.
Arrêtons-nous un instant pour examiner la façon dont cet enchaînement
contribue à l'avancée du récit, Le plan 1 a suggéré les lieux et, surtout, donné
toute son importance au personnage principal en le reliant à l’inscription
peinte sur la fenêtre. Un son hors-champ et le «Oui, mon ange ?» de Spade
motivent le raccord avec le plan 2, plan de situation qui permet de situer
rétrospectivement ce qui est représenté par le plan 1 dans l'espace de la
scène tout en introduisant l’origine du son précédent — un nouveau person
Figure 8.55 Pian Sb nage, Effie. Le raccord a lieu au moment précis où elle entre dans la pièce :
352
(UMIU h Ht LUU A L'IUlftl
On peut repérer les mêmes procédés, à une variante près, dans les plans
suivants. Au plan 5, Brigid O’Shaughnessy entre dans le bureau de Spade;
dans le plan 6, contrechamp, elle s'avance vers lui (plan 6a, fig. 8.56) et s’assoit
juste devant son bureau (plan 6b. fig. 8.57). L’axe de jeu qui était jusqu'ici la
ligne allant de Spade à la porte est devenu celle qui le relie à sa cliente, assise
en face de lui. Une fois établie, cette nouvelle ligne ne sera pas outrepassée.
La variante annoncée est une troisième figure de montage, le raccord dans
le mouvement. Un personnage commence un mouvement dans un plan I ; soit
le raccord intervient à la fin du mouvement et laisse donc celui-ci se dérouler
entièrement dans le même plan, soit il intervient en cours de mouvement, qui
se continue alors dans un plan 2. Ce dernier cas constitue un raccord dans le
Figure 8.57 Pian 6b
mouvement.
Ûn mesure la difficulté technique de ce type de raccord en ayant à l’esprit
que la plupart des films sont tournés avec une seule caméra. Le plan où le
mouvement débute peut être filmé plusieurs heures, voire plusieurs jours
avant ou après celui où il est censé s’achever; leur montage est donc plus com
plexe que s’il s’agissait de travailler à partir de deux prises de vues simultanées
d’une même action. Pour que tous les détails puissent s'enchaîner correcte
ment au montage, il faut, dans les étapes précédentes, avoir conservé des
notes sur les positions de la caméra ou les objectifs utilisés, sur la mise en
scène, sur les raccords prévus.
Il y a un raccord dans le mouvement entre la fin du plan 5 (fig. 8.55) et le
début du plan 6 (fig. 8.56) de notre scène du Faucon maltais, sur les quelques
pas que fait Brigid entre la porte et le bureau de Spade. La règle des 180° per
met de conserver des directions constantes —elle va de gauche à droite dans
les deux plans — et contribue donc à masquer le raccord. Le raccord dans le
mouvement est bien sûr un puissant outil de continuité narrative; le désir du
spectateur de suivre l’action est si fort que la collure passe souvent inaperçue.
L’identité du mouvement d'un plan à l’autre retient plus l’attention du specta
teur que les différences résultant du raccord.
353
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354
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Figure 8.67 tort J6o Figure 8.68 ton 16b Figure 8.69 ton 17
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357
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358
(HflFUJIl a - MH PLflB fl L flUIH LI ffl fl BU U
égaillé devant elle. Ils sont regroupés à une extrémité de la table sans jamais
être cadrés avec elle, ensemble ou individuellement. De plus. Lee fait de Nola
le personnage central de la scène en organisant les angles de prise de vues à
partir de son appréhension globale de l’action {comme en 8.80). Les plans
plus larges comme le plan épaule qui lui est consacré contribuent A intensifier
la progression dramatique de la scène : les hommes s'exposent et elle juge
tranquillement le comportement de chacun.
Un autre intérêt du système des 180e est le faux raccord. Il arrive qu’un réa
lisateur n’obtienne pas une continuité parfaite entre deux plans parce qu’il a
composé chacun A des fins différentes. Les deux plans doivent-ils s'accorder
Figure 8.86
parfaitement ? C’est encore une question de motivation narrative. La règle des
180° mettant l’accent sur les enchaînements causais, le réalisateur peut dans
une certaine mesure «fausser» des éléments de mise en scène d’un plan à
l'autre, bouleverser légèrement les positions des personnages ou des objets.
Dans plusieurs des exemples que nous avons convoqués jusqu’ici, le mon
tage par continuité s'est révélé adapté à la description des relations entre des
personnages. Mais la même technique peut être utilisée lorsqu’un personnage
est seul. Fenêtre sur cour (Rcar window, Alfred Hitchcock, 195-1 ) comprend de
nombreuses scènes où Jeff, le photographe solitaire, observe les événements se
déroulant dans un appariement se trouvant de l’autre côté de la cour. Hitch
cock se sert d’une figure courante : il raccorde un plan de Jeff regardant quel
que chose hors-champ et un plan montrant ce qu'il voit. (Il n'y a en général
aucun plan de situation; c’est donc l'effet Koulechov qui fonctionne ici.)
Champ-contrechamp et raccord regard sont des figures essentielles du film, à
l’origine de la plupart de ses effets. Plus précisément, Hitchcock met en œuvre
ce que l’on appellera des raccords regard subjectifs.
359
mm - » lui*
360
(«fl PIÎRl 0 - t) UH Hflfl J LflUIèl . Il ffl fl fl IA C £
Lorsqu’un réalisateur brise ainsi la ligne des 180°. il prend souvent des pré
cautions supplémentaires pour rendre les relations spatiales compréhensibles.
Dans la plupart des cas, le réalisateur qui recherche des effets de continuité
préférera ne pas raccorder avec un plan pris depuis l’autre côté de la ligne.
L’exemple extrait des Yeux sans visage a montré comment l’évolution des
acteurs dans le cadre peut créer de nouveaux axes de jeu sans désorienter le
spectateur. La caméra elle-même peut se déplacer et traverser la ligne: les
règles du montage par continuité n'étant éventuellement transgressées que
lors d’un changement de plan, un mouvement de caméra délimitant un nou
vel axe ne brise pas la continuité d’une scène.
Le montage par continuité illustre la façon dont le montage peut doter ta
narration d’un vaste champ informatif. Un raccord peut nous faire passer
d’un point à n’importe quel autre situé du même côté de l’axe de jeu. Le mon
tage peut créer des effets d’omniscience narrative, où le film cherche à présen
ter au spectateur un savoir total sur les événements. L’invention technique la
plus remarquable, en ce domaine, est le montage alterné, dont D.W. Griffith
fut le premier grand expérimentateur dans scs scènes de sauvetages de der
nière minute. Dans The battle at Elderbush Gulch, la cavalerie vient au secours
361
puni} - u nm
Figure 8.95
362
tntilM i - ni HH i mut IL»»»»
fortes attentes sur la succession des plans. Nous tirons aussi des inférences à
partir d'indications internes : lorsque Brigid et Spade regardent vers le hors-
champ gauche, nous en déduisons que quelqu’un vient d'entrer et attendons
de voir un plan montrant ce personnage. Ce qui rend le système de la conti
nuité «invisible» est sa capacité à mettre en œuvre une série de techniques si
bien acquises par le spectateur qu elles lui paraissent automatiques. Cela en
fait un outil puissant pour le réalisateur qui désire conforter les attentes
habituelles des spectateurs; il devient une cible importante pour celui qui, à
l’inverse, veut utiliser la technique cinématographique pour remettre en ques
tion ou transformer nos activités perceptives normales.
Pour être plus précis, il nous faut rappeler la distinction faite au chapitre 4
entre ordre, fréquence et durée. Le montage par continuité respecte en géné
ral l’ordre des événements de l'histoire, qui se succèdent logiquement (Spade
roule une cigarette, puis Efiîc entre, puis il lui répond, etc.). Le flashback,
signalé par un raccord ou par un fondu enchaîné, est la façon la plus habi
tuelle de transgresser cet ordre. 1^ montage classique ne présente ordinaire
ment qu’une seule fois ce qui est arrivé une fois dans l’histoire : dans ce
contexte classique, Huston ferait une grosse erreur en répétant, par exemple,
le plan où l'on voit Brigid s’asseoir (fig. 8.57). Les flashbacks sont là encore la
façon la plus courante de justifier la répétition d’une scène déjà vue. La mani
pulation temporelle passe donc ici, en terme d’ordre et de fréquence, par le
respect d'une chronologie et l'unicité des occurrences. Il existe quelques
exceptions, comme nous l'avons vu avec Le parrain ou Do the right thing.
363
Mtiin - IJjUU
364
___ (W1IU Q - Ml Plll 0 LflUIU . Il IHIflU
caractère informatif (une date, un nom de lieu), des images stéréotypées (un
monument pour une ville), des extraits d'actualité, des gros titres de journaux
et d’autres éléments du même ordre peuvent être rassemblés, avec fondus
enchaînés et musique, en un ensemble rapide résumant une longue suite
d’actions en quelques instants.
365
POIll } - KJJVJl
les exemples les plus célèbres. Dans 42*"* rue, Chercheuses d'or. Prologues,
Palace hôtel (Golddtggers of 1935] et Dames (Ray Enright, 1934), le récit s'en
raye périodiquement et le film présente des numéros de danses complexes qui
sont chorégraphiés, filmés et montés avec une attention particulière portée
aux configurations visuelles formées par les danseurs et le fond (fig. 6.81,
extraite de 42^f rue).
Le montage visuel pratiqué par Yasujiro Ozu entretient des relations plus
élaborées avec le récit. Un raccord y est souvent dicté par une continuité
visuelle beaucoup plus précise que dans le style linéaire classique. Dans Fin
d’automne. Ozu raccorde directement un plan montrant un homme en train Figure 8.99
de boire du saké (fig. 8.99) avec un autre plan montrant la meme action, réa
lisée par un autre personnage qui se trouve exactement dans la même posi
tion. porte le même costume, fait les mêmes gestes (fig. 8.100). Plus tard, un
autre raccord nous fait passer d’un homme à un autre (figs. 8.101,8.102) dans
des plans aux compositions très semblables. Une bouteille de bière (différente
dans chaque plan) occupe précisément la même position, sur la gauche du
cadre, et est tournée dans la meme direction par rapport à l’axe de prise de
vue, comme le montre l’orientation de l’étiquette. Dans Bonjour (Ohayo.
1959), Ozu fait une utilisation identique de la couleur; un raccord entre des
vêtements séchant sur un fil et l'intérieur d’une habitation fait réapparaître
une tache rouge, en haut à gauche de chaque cadre, qui est successivement un Figure 8.100
maillot et une lampe (planches 62,63).
La continuité visuelle est, bien sur, toute relative; sur le spectre allant de
l'approximation hollywoodienne à la précision de Ozu, il y a ces deux plans
extraits de Ivan le terrible, première partie (figs. 8.103, 8.104). L’éclairage (la
partie gauche du cadre est obscure, la partie droite, lumineuse) et les formes
triangulaires à droite du cadre du plan 1 sont repris dans le plan 2, la coiffe et
le corps d’Anastasia faisant écho au dessin des chaises précédentes. Si de tels
raccords visuels étaient au principe de toute la forme du film, le récit tendrait
à s'éclipser et l’œuvre deviendrait plus abstraite.
Figure 8.101
367
PUJIIll i - Il Î1U(
Certains films narratifs ont, pendant une courte période, soumis les fac
teurs spatiaux et temporels du montage à des facteurs rythmiques. Dans les
années 20, l'école de l'«impressionnisme» français et l’avant-garde soviétique
ont souvent fait primer le rythme du montage sur les problèmes narratifs.
Dans des films comme La roue d’Abel Gance, Coeur fidèle ( 1923) et La glace à
trois faces 11927) de Jean Epsiein ou Kean (Alexandre Volkov, 1924) avec Ivan
Mosjoukine, le montage accéléré restitue le tempo d’un train lancé à toute
allure, d'un manège tourbillonnant, d’une voiture faisant la course ou d’une
danse ivre. Dans une séquence poétique de La chute de la maison b'sher (Jean
Epstein, 1929) durant laquelle Roderick Usher joue de la guitare et chante, la
longueur des plans est organisée sur le modèle d’une chanson,avec couplet et
refrain. Le rayon de la mort (Luc smerti. Lev Koulechov, 1925) et, comme nous
le verrons, Octobre d’Eiscnstcin, font parfois dominer les aspects rythmiques
sur la spatialité et la temporalité du récit. On peut trouver de forts moments
de montage rythmique dans des oeuvres plus récentes : les comédies musicales
de Busby Berkeley, Aimez-tnoi ce soir de Roubcn Mamoulian, Le million de
René Clairet plusieurs films de Ozu ou Hitchcock. Il a connu un renouveau
dans le «nouvel Hollywood» (cf.chapitre 12) avec des films comme Assaut
(Assatdt on precinct 13, John Carpenter, 1976), Terminator (The terminator,
lames Cameron, 1984), True romance (Tony Scott, 1993) et d’autres, influen
cés par le montage tout en battements et pulsations des vidéos musicales
— Flashdance (Adrian Lync, 1983), The Crow (Alex Proyas, 1994).
368
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369
PWI.l - l( nui
30°», selon laquelle l'angle de deux prises de vues correspondant à des plans
successifs doit varier d'au moins 30°. l^es jump cuts de Godard dans  bout de
souffle ne sont pas sans conséquences. Entre les deux plans montrant Patricia
dans la voiture, l'arrière-plan a changé et du temps s'est écoulé (figs. 8.110,
8.111). Loin de rechercher un effet de fluidité, de tels raccords désorientent le
spectateur.
Une seconde atteinte fréquente à la continuité est celle produite par des
inserts extradiégétiques. Le réalisateur passe de la scène en cours à un plan
métaphorique ou symbolique n'appartenant pas au temps et à l’espace du
récit. Cela donne souvent lieu à des clichés : dans Fury par exemple, Fritz Lang
associe un groupe de ménagères en plein bavardage (fig. 8.112) et des poules
en train de glousser (fig. 8.113). On trouve des exemples plus élaborés dans
les films de Godard ou Eisenstein. Dans Ln grève, d’Eisenstein, le massacre des
ouvriers est entrecoupé par des plans montrant l’abattage d’un taureau. Dans
La chinoise, de Godard, un personnage raconte que les anciens Egyptiens
croyaient que «leur langage était le langage des dieux». Au moment où il dit
cela (fig. 8.114), Godard insère deux gros plans sur des sculptures recouvertes
370
. (Mil MIH B - O1 PLflM i LJUlfil . Il mO«l<Ç(
371
_ IHILLL-JUJIU.
des tueurs, Godard bouleverse l’ordre des plans. Ferdinand saute dans la voi
ture lorsque Marianne démarre (fig. 8.117), puis on voit à nouveau le couple
dans l'appartement (fig. 8.118), la voilure roulant dans une rue (fig. 8.119),
Marianne et Ferdinand sur le toit d'un immeuble (fig. 8.120). Les plans sui
vants continuent de brouiller l'ordre de l'action. Godard joue aussi sur la fré
quence en répétant un mouvement — Ferdinand qui saute dans la voiture —
mais en le montrant chaque fois de manière différente. De telles manipula
tions gênent nos réflexes d'anticipations narratives et obligent à se concentrer
sur la seule reconstitution, morceau par morceau, de l’action.
Le montage peut aussi prendre des libertés avec la durée de l’histoire. La
dilatation de la durée d’une action est, à côté des effets classiques de conti
nuité temporelle et d'ellipses, une troisième possibilité par laquelle un
moment est étiré, la durée de projection, rendue plus longue que celle de
l’histoire. Truffant utilise un effet de ce type dans Jules et Jim pour souligner
les moments décisifs du récit (Catherine soulevant son voile ou sautant d'un
pont). Dans La femme infidèle (Claude Chabrol, 1969), lorsque le mari, hors
de lui, frappe l’amant de sa femme avec une statuette, les différents plans
montrant la chute de la victime se chevauchent pour démultiplier la durée du
mouvement.
Les réalisateurs ont trouvé des façons inventives de retravailler les princi
pes de continuité les plus fondamentaux. Nous avons vu, par exemple, qu’un
372
XOP1IK S - DUB PLflfl i L HIfil . L$ rngniUÉ
373
— HU1U J - Lt IIHU
374
(U.U.IIRI fi - Ht PLfiJI II L illlfil . Il imiùd
que poussières et fragments d’obus s’abattent sur eux. Eisenstcin raccorde sur
une série de plans montrant un canon descendant d'une chaîne de montage.
Pendant quelques instants, il fait alterner ces images avec celles des soldats sur
le champ de bataille (figs. 8.126, 8.127). Dans la dernière partie de la
séquence, les plans sur le canon alternent avec des femmes et des enfants affa
més faisant la queue, dans la neige, pour obtenir du pain (fig. 8.128). La
séquence se termine sur deux intertitres: «Tout comme avant...» i «Faim et
guerre*.
Visuellement, on relève quelques continuités et un grand nombre de fortes
discontinuités. Lorsque les soldats fraternisent, de nombreux plans se
ressemblent; un plan d’explosion raccorde visuellement avec le mouvement
des hommes qui s’empressent de rejoindre les tranchées. Les discontinuités
visuelles sont plus remarquables. Un soldat allemand riant, tourné vers la
droite, raccorde avec une statue représentant un aigle menaçant, tourné vers
la gauche, qui se trouve au quartier général du gouvernement (figs. 8.129,
8.130). Un audacieux jump eut nous fait passer du laquais incliné au même se
tenant droit (figs. 8.131,8.132). Un plan fixe sur des fusils fichés dans la neige Figure 8.129
375
miU 2 - Li JI.YU
376
(miiH i - p y njb a l ont ; u nuim
377
tUIlli-UJtill
Résumé
Lorsque deux plans sont joints, quels qu’ils soient, nous pouvons poser plu
sieurs questions :
1. Y a-t-il continuité ou discontinuité visuelle entre les plans ?
Plus généralement, nous pouvons poser la même question qu'à toute autre
technique cinématographique : quelle est la fonction de cette technique par
rapport aux (ormes narrative ou non-narrative ? Est-ce que le film emploie le
montage pour décrire systématiquement l'espace, le temps et la chaîne causale
constituant te récit, sur le mode de la continuité classique ? Ou utilise-t-il
d'autres figures de montage entretenant des rapports différents avec le récit ?
Si le film n’est pas narratif, comment le montage provoque-t-il nos attentes
formelles?
Quelques indications pratiques pour apprendre à observer un montage. Si
vous avez du mal à repérer les raccords, essayez de regarder un film ou une
émission de télévision en tapant avec un crayon à chaque changement de
plan. Une fois que vous réussissez à reconnaître les points de coupe, regardez
n’importe quel film en ne vous attachant qu'à un seul aspect de son montage
— par exemple, la façon dont l'espace est décrit, dont les caractéristiques
visuelles ou temporelles des plans sont mises en rapport. Sensibilisez-vous au
rythme d’un montage en en relevant les différentes vitesses; frapper la
cadence des raccords peut être utile. Regarder des films américains des années
30 et 40 peut vous initier à la continuité classique; essayez d'en anticiper les
plans. (Vous serez surpris d’avoir souvent raison.) Lorsque vous regardez un
film en vidéo, éteignez le son : les figures de montage deviennent ainsi plus
378
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379
»uui muu
Les films documentaires reposent peut-être plus que les films de fiction sur
le montage. Certaines conventions s'y sont développées : il est courant, par
exemple, de faire alterner des entretiens avec des experts comme une façon de
présenter des points de vue opposés. Pour Le dossier Adams, Errol Morris
demanda à son monteur, Paul Barnes. d'éviter de raccorder des plans mon
trant les deux principaux suspects. «Il ne voulait pas de cette juxtaposition du
documentaire standard entre bon et méchant... Il détestait que je fasse alter
ner des personnes racontant la même histoire, ou des personnes se contredi
sant ou répondant à ce que quelqu'un venait de dire» (cité dans le recueil de
Gabriclla Oldham dont nous donnons les références dans la bibliographie).
Morris voulait apparemment donner à la version de chacun des interlocuteurs
une certaine intégrité, laisser chacune des versions apparaître comme un
compte-rendu possible des événements.
380
(■niIHJ .I lMlIMLlIJU U >1111(1
381
Le son
9
La plupart des films créent la forte impression que les personnes et les
choses qui y sont représentées produisent tout naturellement les sons
qui leur correspondent. Mais comme nous l'avons vu au chapitre 1. h
bande son est réalisée indépendamment de la bande image et peut être
l’objet de manipulations spécifiques. Cela fait des techniques sonores
un ensemble aussi souple et varié que les autres techniques cinémato
graphiques.
Pouvoirs du son
Remarqué ou pas, le son est, pour plusieurs raisons, un puissant matériau fil
mique. Premièrement, il engage une activité perceptive spécifique. Que notre
attention visuelle se double d'une attention sonore, le cinéma «muet» le pre
nait en compte bien avant l'introduction du son enregistré (1926). Les films
étaient alors accompagnés par un orchestre, un orgue ou un piano. Au pire, la
musique comblait le silence et donnait au spectateur une expérience percep
tive plus riche. Mais le plus important est que le Iravail d'écoute rendait possi
ble ce que Scrgueï Eisenstein a appelé une «synchronisation des sens» —la
concordance de l'image et du son sous un seul rythme ou une seule qualité
expressive.
Deuxièmement, le son a la capacité d'iniluencer notre perception et notre
interprétation des images, comme le démontre Chris Marker dans une
séquence de Lettre de Sibérie. Marker nous montre trois fois la meme série
d'images— un plan sur un bus croisant une voiture; trois plans montrant des
ouvriers en train de paver une rue. Mais elles sont chaque fois accompagnées
d’une bande son totalement différente, dont on peut comparer les trois ver
sions dans le tableau 9.1. Ces différences sont accentuées par l’identité des
images; l’interprétation de ces dernières varie en fonction de la bande son.
384
finiîH j . U jfll
Tableau 9. I Lettre de Sibérie
Figure 9.1
joyeuse émulation du tra Dans la posture des esclaves, As-ec courage et ténacité, et
vail socialiste, la heureux les malheureux ouvriers dans des conditions très
ouvriers soviétiques, parmi soviétiques, parmi lesquels dures, les ouvriers soviéti
lesquels nous soyons passer nous voyons passer un ques, parmi lesquels nous
un pittoresque représen inquiétant Asiate,... voyons passer un lakute. .
tant...
Figure 9.2
des contrées boréales, ... s'appliquent à un travail affligé de strabisme,
s'appliquent... bien symbolique :... s'appliquent à...
Figure 9.3
... 1 faire de ia lakutie un ... le nivellement par le bas. embellir leur ville, qui en
pays où il fait bon vivre. a besoin.
Ou bien : Ou simplement :
Figure 9.-I
385
—.__ umix-amu
La séquence de Lettre de Sibérie illustre aussi une troisième qualité impor
tante du son. Celui-ci peut diriger notre attention de façon relativement pré
cise à l’intérieur de l’image. Lorsque le commentateur décrit -les autobus
rouge sang-, nous regardons le bus plutôt que la voiture. Lorsque Fred Astaire
et Ginger Rogers exécutent un pas compliqué, il est probable que nous regar
derons leurs corps plutôt que les spectateurs silencieux qui les entourent. Le
son nous guide ainsi à travers les images, «pointe» ce qu'il faut regarder.
Cette possibilité révèle toute sa richesse si l’on considère que des indica
tions sonores peuvent anticiper les manifestations visuelles d’un élément et
donc nous y préparer. Imaginons un gros plan sur un homme, en intérieur,
accompagné du grincement d'une porte en train de s'ouvrir. Si le plan suivant
montre une porte ouverte, l'attention du spectateur se concentrera sans doute
sur elle, identifiée comme origine du son hors-champ qui a précédé. Mais si le
plan suivant montre une porte fermée, le spectateur reconsidérera probable
ment son interprétation. (Ce son n’était peut-être pas celui d’une porte.) La
bande son peut ainsi élucider des événements présentés par l’image, les con
tredire ou les rendre ambigus. Dans tous les cas, elle entre en relation active
avec la bande image.
Cet exemple de la porte qui s’ouvre évoque une quatrième qualité du son :
il fournil des indications conduisant à certaines attentes. Si nous entendons
un grincement de porte, nous en déduisons que quelqu'un est entré dans la
pièce et anticipons son apparition dans le plan suivant. Mais si l’oeuvre fait
appel aux conventions du film d'horreur, la caméra pourra rester sur le per
sonnage qui vient d’entendre le bruit, regardant d’un air effrayé vers le hors-
champ où se tient un monstre dont nous attendrons alors l'apparition avec
inquiétude. Ce sont souvent les films d'horreur et les films policier qui ont
recours à des sons provenant de sources invisibles pour forcer l’attention du
spectateur, mais tout type de film peut tirer parti de ce procédé. Pendant la
réunion municipale des Dents de In mer, les personnages entendent un crisse
ment cl se retournent pour regarder, hors-champ, ce qui l'a provoqué; un rac
cord montre la main de Quint raclant un tableau noir — façon saisissante
d’introduire ce nouveau personnage. Nous évoquons plus loin plusieurs
exemples où une utilisation inventive du son permet de tromper ou de réo
rienter les attentes du spectateur.
Par ailleurs, comme l’a signalé V.F. Perkins, le son s'accompagne d'une
sensibilité renouvelée au silence. «C'est seulement lorsque la couleur est dis
ponible que l’on peut considérer l'utilisation du noir et blanc photographique
comme le résultat d'une décision artistique réfléchie. C’esi seulement dans un
film sonore que le réalisateur peut utiliser le silence à des fins dramatiques.»
Dans un contexte sonore, le silence acquiert une nouvelle fonction expressive.
386
(JUIIIHH II Itl
Une dernière qualité : le son est un domaine d'invention aussi riche que le
montage. Le montage permet d’associer deux plans montrant des espaces dif
férents pour produire entre eux une relation signifiante. De même, le mixage
permet à un réalisateur de former un tout à partir de n’importe quels phéno
mènes sonores. Avec l'avènement du cinéma sonore, l'infinité des événements
acoustiques se joignait à celle des possibilités visuelles.
387
permet de différencier la musique et les dialogues des autres bruits, ou
certains objets entre eux. Des sons graves, par exemple des coups sourds,
peuvent évoquer des objets creux: des sons plus aigus (ceux produits par
des cloches, par exemple) évoquent des surfaces lisses ou dures et des objets
compacts.
La hauteur peut aussi répondre à des fonctions plus précises. Lorsqu’un
jeune garçon essaye de parler avec une profonde voix d’homme mais échoue,
dans Quelle émit verte ma vallée (Howgreen was my valley, John Ford, 1941),
c’est un jeu sur des différences de hauteur sonore. L’élocution particulière de
Marlène Dietrich repose sur une intonation montante qui fait résonner une
affirmation comme une question. Dans la scène du couronnement de Ivan le
terrible, un homme à la voix de basse très profonde entame un chant de
louanges pour le tsar. La hauteur de sa voix monte spectaculairement à la fin
de chaque vers et Eisenstein renforce cet effet au montage en faisant coïncider
les changements vocaux avec un gros plan du chanteur. Lorsque Bernard
Herrmann obtînt l’effet strident, perçant comme un cri d’oiseau de la musi
que de Psychose, de nombreux musiciens ne parvinrent pas tout de suite à
reconnaître ce qui le produisait : des violons dont on tirait des sons incroya
blement aigus.
Le timbre. Les harmoniques qui composent un son lui donnent une certaine
couleur, une certaine qualité —ce que les musiciens appellent le timbre. Le
timbre est un paramètre acoustique moins important que l’amplitude ou la
fréquence, mais il est indispensable pour décrire la texture, le «grain» d’un
son , la sensation qu’il procure. Lorsque nous disons d’une voix qu elle est
• nasale» ou d’une musique qu elle est «douce» ou «mélodieuse», nous nous
référons à leurs timbres. Dans la vie quotidienne, la reconnaissance des sons
familiers se fait souvent grâce aux différences de timbres.
Les réalisateurs manipulent continuellement le timbre des sons. Il facilite
l'articulation des différentes parties d’une bande son en permettant de
distinguer, par exemple, des instruments de musique les uns des autres. Le jeu
sur le timbre est plus manifeste dans certaines occasions —on peut ainsi
penser à l’utilisation stéréotypée de saxophones doucereux au cours des scè
nes de séduction. De façon plus subtile, la séquence d’ouverture de Aimez-tnoi
ce soir de Rouben Mamoulian montre des gens qui, dans la rue, au petit
matin, font passer un rythme musical d’un objet à un autre — un balai, une
tapette. L'aspect comique de ce numéro vient en partie des différences de
timbre entre ces objets. Pour réaliser la bande son de Wmess, les monteurs
utilisèrent des bandes enregistrées plus de 20 ans auparavant, de façon à ce
que leur timbre désuet exprime la retraite loin de la ville de la communauté
Amish.
388
UVJJUI - U IV
389
permet de différencier la musique et les dialogues des autres bruits, ou
certains objets entre eux. Des sons graves, par exemple des coups sourds,
peuvent évoquer des objets creux: des sons plus aigus (ceux produits par
des cloches, par exemple) évoquent des surfaces lisses ou dures et des objets
compacts.
La hauteur peut aussi répondre à des fonctions plus précises. Lorsqu’un
jeune garçon essaye de parler avec une profonde voix d’homme mais échoue,
dans Quelle émit verte ma vallée (Howgreen was my valley, John Ford, 1941),
c’est un jeu sur des différences de hauteur sonore. L’élocution particulière de
Marlène Dietrich repose sur une intonation montante qui fait résonner une
affirmation comme une question. Dans la scène du couronnement de Ivan le
terrible, un homme à la voix de basse très profonde entame un chant de
louanges pour le tsar. La hauteur de sa voix monte spectaculairement à la fin
de chaque vers et Eisenstein renforce cet effet au montage en faisant coïncider
les changements vocaux avec un gros plan du chanteur. Lorsque Bernard
Herrmann obtînt l’effet strident, perçant comme un cri d’oiseau de la musi
que de Psychose, de nombreux musiciens ne parvinrent pas tout de suite à
reconnaître ce qui le produisait : des violons dont on tirait des sons incroya
blement aigus.
Le timbre. Les harmoniques qui composent un son lui donnent une certaine
couleur, une certaine qualité —ce que les musiciens appellent le timbre. Le
timbre est un paramètre acoustique moins important que l’amplitude ou la
fréquence, mais il est indispensable pour décrire la texture, le «grain» d’un
son , la sensation qu’il procure. Lorsque nous disons d’une voix qu elle est
• nasale» ou d’une musique qu elle est «douce» ou «mélodieuse», nous nous
référons à leurs timbres. Dans la vie quotidienne, la reconnaissance des sons
familiers se fait souvent grâce aux différences de timbres.
Les réalisateurs manipulent continuellement le timbre des sons. Il facilite
l'articulation des différentes parties d’une bande son en permettant de
distinguer, par exemple, des instruments de musique les uns des autres. Le jeu
sur le timbre est plus manifeste dans certaines occasions —on peut ainsi
penser à l’utilisation stéréotypée de saxophones doucereux au cours des scè
nes de séduction. De façon plus subtile, la séquence d’ouverture de Aimez-tnoi
ce soir de Rouben Mamoulian montre des gens qui, dans la rue, au petit
matin, font passer un rythme musical d’un objet à un autre — un balai, une
tapette. L'aspect comique de ce numéro vient en partie des différences de
timbre entre ces objets. Pour réaliser la bande son de Wmess, les monteurs
utilisèrent des bandes enregistrées plus de 20 ans auparavant, de façon à ce
que leur timbre désuet exprime la retraite loin de la ville de la communauté
Amish.
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UVJJUI - U IV
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HAIUI - u mu
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_______________ _ HIHttjJ - II ! DI
Le dialogue n'a pas toujours cette importance. Les bruits sont des éléments
essentiels des scènes d'action et la musique peut dominer des scènes dansées,
des séquences de transition ou des moments émotionnellement forts, sans
dialogue. Certains réalisateurs ont bouleversé la hiérarchie conventionnelle
des sons. Dans deux films de Charlie Chaplin, Les lumières de la ville (City
Lights. 1931) et Les temps modernes (Modem limes, 1936), les dialogues sont
éliminés au profit des bruits et de la musique. Les films de Jacques Tati ou
ceux de Jean-Marie Straub conservent des dialogues mais accentuent le rôle
des bruits. Plus loin dans ce chapitre, nous évoquerons la façon dont la musi
que et les sons de Un condamné à mort s'est échappé (Robert Bresson, 1956)
viennent enrichir un dialogue rare par l'évocation d'un espace hors-champ et
la création d’associations thématiques.
Pour réaliser une bande son, le réalisateur doit donc choisir des matériaux
qui rempliront une fonction précise. Cela entraîne généralement une simplifi
cation du monde sonore du film par rapport à celui de la réalité. Nous ne per
cevons normalement que les stimuii qui nous sont les plus utiles à un
moment donné; en lisant, vous vous concentrez sur cette page et (à des degrés
divers) ignorez certains des stimuii qui atteignent vos oreilles. Mais si vous
fermez les yeux et écoutez attentivement, vous entendrez des sons que vous
n'aviez pas remarqués jusqu’ici — des voix lointaines, le bruit du vent, des
pas. une radio. Tout amateur pratiquant l'enregistrement sait que si l'on place
un microphone dans un environnement «silencieux», ces sons habituelle
ment ignorés deviennent gênants. Le micro est peu sélectif : comme l’objectif
de la caméra, il ne «filtre» pas automatiquement ce qui pourrait déranger la
perception. Les auditoriums, les caissons insonores (les « blimps») qui servent
à absorber les bruits du moteur de la caméra, les micros directionnels ou les
dispositifs de protection des micros (les «bonnettes»), le travail de montage et
de mixage des sons, les sonothèques, tous ces outils permettent au réalisateur
de choisir ce qui convient exactement à une bande son. Sauf à vouloir utiliser
le son ambiant d’une scène, un simple enregistrement en cours de tournage
fournit en généra! un matériau insuffisamment sélectif.
391
uuu-x-uimi
392
1 ; LjJM
Figure 9.6
Figure 9.7
Figure 9.X
393
_muu.umu
d'Hollywood expliquait ainsi que «dès qu’un mot est dit, qu’une question est
posée (...) j’essaye de trouver une réaction, pour voir (...) comment ils
essayent de formuler une réponse par une expression faciale ou par le
dialogue.» Le principe du chevauchement est aussi valable pour les bruits.
Dans cette scène de la poursuite d’Octobre rouge, le tintement d’une cuillère
dans une tasse de thé, le bruit produit par des papiers feuilletés rapidement se
poursuivent au-delà de certains raccords en un flot ininterrompu d'informa
tions sonores.
Ce flot n'est pas seulement constitué d'un enchaînement de répliques ou
de sons. Nous avons déjà vu qu’au stade de la réalisation, la combinaison des
sons se faisait ordinairement après le tournage, durant la phase dite de
mixage. l>e mixeur contrôle précisément l’intensité, la durée et la tonalité de
chaque son. Dans les réalisations contemporaines, plus de douze pistes diffé
rentes peuvent être mélées à n’importe quel moment. I^e mixage peut être
relativement dense — comme dans une scène se déroulant dans un aéroport
qui combinerait la rumeur produite par différentes voix, des bruits de pas et
de chariots à bagages, la musique d'ambiance du hall et le bruit des moteurs
d’avions. Le mixage peut, à l'inverse, être «clairsemé*, ne présenté que quel
ques sons occasionnels sur un fond de silence total. La plupart des bandes son
se trouvent entre ces deux extrêmes. Dans notre scène de À la poursuite
d’Octobre rouge, le vrombissement lointain des moteurs et de légers bruisse
ments d’étoffes forment l’arrière-plan assourdi du dialogue.
Le réalisateur peut créer un mixage où chaque son se mêle aux autres avec
fluidité. C’est couramment le cas lorsque de la musique et des bruits sont
associés à des paroles. Dans le cinéma hollywoodien classique des années 30,
la musique pouvait devenir l’élément dominant au moment où il n’y avait pas
de dialogue, puis baisser en intensité lorsque les personnages commençaient à
parler. Les sons peuvent, à l’inverse, s'opposer brutalement. Les films hol
lywoodiens contemporains tirent souvent parti de la dynamique importante
du procédé Dolby pour enrichir les scènes de poursuites par de brusques con
trastes entre le ronflement grave d'un moteur et le cri strident d'une sirène ou
des crissements de pneus.
Les différentes façons dont des sons peuvent se combiner pour créer un
flot continu d’informations sont bien illustrées par la séquence finale des Sept
samouraïs. Sous une pluie battante, des pillards attaquent un village défendu
par ses habitants et les samouraïs. Le bruit de la pluie et du vent couvre toute
la scène, en arrière-plan sonore. Avant l'assaut, la conversation entre les hom
mes en train d'attendre, des bruits de pas et celui des épées qu’on tire de leurs
fourreaux sont ponctués par de longues pauses où l'on entend plus que le bat
tement de la pluie. Soudain, on distingue un bruit lointain, hors-champ : des
sabots de chevaux. Notre attention se déplace vers les attaquants et Kurosawa
394
(1UHUI1 U tU
raccorde sur un plan d'ensemble montrant leur arrivée; le son produit par
leurs chevaux devient brusquement plus fort. (La scène met en œuvre des
effets conventionnels de «perspective sonore • : plus la caméra parait être pro
che de la source, plus le son gagne en intensité.) Au moment où les bandits
font irruption dans le village, un autre élément sonore intervient — leur cri
de bataille perçant, dont l’intensité s’accroît avec leur approche.
La bataille commence. L’impact du montage très rythmé et de la mise en
scène, toute de boue et d’orage, est renforcé par des bruits brefs, explosifs, qui
interviennent sur le fond incessant de pluie et de clapotements — les hurle
ments des blessés, le son d'une barrière volant en éclat sous le poids d’un bri
gand, celui produit par la corde d'un arc, les hennissements des chevaux, le
gargouillement d’un brigand transpercé par une lance, les cris des femmes au
moment où le chef de la bande pénètre dans leur cachette. Certains sons mar
quent de façon abrupte des étapes de la bataille. Ces fréquents effets de sur
prise accroissent la tension d'un spectateur qui se trouve ballotté rapidement
d’une action à une autre.
La scène atteint son dimax après l’assaut principal. Les bruits des chevaux,
hors-champ, sont interrompus par un nouveau son —la détonation sèche
d’un coup de fusil touchant l’un des samouraïs— immédiatement souligné
par une longue pause durant laquelle on n'entend plus que la pluie. Le
samouraï jette rageusement son épée dans la direction du coup avant de tom
ber, mort, dans in boue. Un autre se précipite vers le tireur, le chef des pillards,
et une autre détonation retentit; il tombe en arrière, blessé. Une nouvelle
pause laisse entendre la pluie. Le samouraï blessé parvient à tuer le chef des
pillards et le reste des samouraïs se rassemble avant que, à la fin de la scène, les
pleurs du plus jeune d’entre eux, le bruit de la pluie et les hennissements loin
tains des chevaux partis seuls, sans cavaliers, ne s éteignent lentement.
Le mixage relativement dense de cette bande son joue sur l’introduction
progressive de bruits qui attirent notre attention sur des éléments narratifs
nouveaux (les sabots, les cris de bataille) et sont ensuite modulés au sein d’un
ensemble continu et harmonieux. Ce flot sonore est ponctué par des sons
brusques d'intensités et de hauteurs inhabituelles, correspondant à des
actions importantes pour l’avancée du récit (le tir d’une flèche, les cris des
femmes, les coups de feu). La combinaison de sons divers vient surtout
rehausser une narration objective, illimitée, qui préfère nous montrer ce qui
se passe dans différentes parties du village plutôt que nous restreindre à
l'expérience d'un seul protagoniste.
Choisir et associer des sons permet aussi de créer des schèmes traversant
l’ensemble d'un film. On s’en aperçoit facilement en s'attachant à l'usage de la
musique. Un réalisateur peut choisir des morceaux préexistants, comme
395
UAiu i - u inu
Bruce Conner utilisant des extraits des Pins de Rome de Respighi pour accom
pagner les images de /I movie. La musique peut aussi être composée pour le
film; le réalisateur et le compositeur font alors un ensemble de choix com
muns.
Les thèmes musicaux sont associés à des aspects précis du récit. Catherine
exprime sa quête incessante de bonheur et de liberté en chantant le Tourbillon
de la vie. où i! est dit, à peu près, que la vie est un permanent changement de
partenaire amoureux. Les décors sont aussi évoqués en termes musicaux. On
entend une même mélodie chaque fois que les personnages sont dans un café.
Les années passent et l'air, qui était joué par un piano mécanique, l’est main
tenant dans une version jazz, par un pianiste noir.
396
(IUim « - LLIB
Avec le temps, les relations entre les personnages deviennent plus tendues
et plus compliquées; la musique reflète cette évolution à travers le développe
ment des principaux motifs. Une mélodie romantique est entendue une pre
mière fois lors d’une promenade des trois personnages à la campagne et au
bord de la mer. Cet air de l’idylle revient plusieurs fois lorsque les personnages
se réunissent, mais avec les années son tempo se ralentit, l'orchestration se fait
plus sombre et passe du mode majeur au mode mineur. Un autre motif qui
réapparait sous differentes formes est le thème de «l'amour dangereux» asso
cié à Jim et Catherine. Cette valse solennelle, intervient une première fois
lorsque Jim rend visite à Catherine chez elle et la regarde vider un flacon de
vitriol dans un évier. (L'acide, dit-elle, est «pour les yeux qui mentent.») Par
la suite, ce thème aux accords fragiles, qui s’apparente aux Gyninopédies de
Satie, sert à souligner les différentes étapes de leur vertigineuse histoire
d'amour, accompagnant les scènes de passion comme celles où leur désen
chantement et leur désespoir grandissent.
Le thème qui est le plus sujet à variations est une phrase musicale mysté
rieuse, jouée une première fois à la flûte au moment où Jules et Jim font la
découverte d'une surprenante statue antique. Plus tard, ils rencontrent Cathe
rine et réalisent qu elle a le même visage que la statue; une répétition du motif
musical vient confirmer cette comparaison. À travers tout le film, ce bref
motif est associé aux aspects énigmatiques de Catherine. Il est développé de
façon étrange dans les dernières scènes. La ligne de basse jouée au clavecin ou
sur un instrument à cordes, qui accompagnait discrètement l'air joué par un
bois, vient maintenant au premier plan et produit un rythme âpre, implaca
ble. Cette valse menaçante souligne la fuite de Catherine avec Albert et
accompagne sa vengeance finale contre Jim, lorsqu’elle se précipite en voiture,
avec lui à bord, au fond d'une rivière.
Une fois les motifs musicaux sélectionnés, ils peuvent être combinés pour
évoquer certaines associations. Durant la première conversation intime entre
Jim et Catherine apres la guerre, la version «menaçante» de la valse décrite
plus haut est suivie du thème de l'amour, comme si ce dernier pouvait occul
ter la face sombre de la jeune femme. Le thème de l'amour accompagne de
longs travellings montrant Jim et Catherine flânant en forêt. Mais à la fin de la
scène, alors qu'il lui dit au revoir, la version originale pour bois du thème de
Catherine revient pour rappeler son mystère et le risque qu'il coure en tom
bant amoureux d’elle. De même, lorsque Jim et Catherine, allongés côte à
côte, font face à la fin de leur histoire d’amour et que la voix off du narrateur
dit : «C'était comme s'ils étaient déjà morts», on entend le thème de «l'amour
dangereux». Cette séquence associe leur romance à la mort et annonce leur
destin.
397
MMU 2 - U illll
Le rythme
Le rythme est l’une des caractéristiques sonores les plus complexe. Nous en
avons déjà brièvement évoqué le rapport à la mise en scène dans le chapitre 6
et au montage dans le chapitre 8. Comme nous l'avons dit, le rythme peut être
analysé, de façon minimale, en termes de mesure, de tempo, cl d'accent. Toutes
ces caractéristiques sont plus évidentes dans une musique, où la mesure, le
tempo et l’accentuation sont des éléments fondamentaux de composition.
Dans nos exemples précédents tirés de Jules et }im, les motifs musicaux peu
vent être caractérisés comme étant à trois temps, avec l’accent mis sur la pre
mière mesure, et un tempo variable — parfois lent, parfois rapide.
La parole aussi a un rythme. Les gens peuvent être identifiés par leurs
«empreintes vocales», qui ne révèlent pas seulement des fréquences et des
amplitudes caractéristiques mais aussi des façons particulières de rythmer ce
398
’ -11 *>■
qui en est dit ou d'accentuer les syllabes. Dans les films de fiction, le rythme
de la diction dépend d’abord de l'acteur, même si l'ingénieur du son peut
aussi le travailler au moment du doublage.
Les bruits ont leurs propres qualités rythmiques. Le pas lourd d’un cheval
de ferme ne produit pas le même son que le galop d’une troupe de cavaliers
lancés à pleine vitesse. Le son d’un gong s’éteint lentement, tandis que celui
d'un éternuement est brièvement accentué. Dans un film de gangster, le crépi
tement rapide et régulier des mitraillettes diffère des détonations sporadiques
des pistolets.
Toute considération sur l'utilisation rythmique du son est compliquée par
le fait que les images ont leur rythme propre, répondant aux mêmes principes
de mesure, de vitesse et d'accentuation. Le montage, enfin, crée encore un
autre rythme : une succession de plans courts produit un tempo rapide, que
des plans plus longs ralentissent.
Dans la plupart des cas le rythme du montage, des mouvements internes
de l’image et du son concourent aux mêmes effets. La tendance la plus cou
rante consiste sans doute à coordonner les rythmes sonores cl visuels. Mais
des variations sont toujours possibles. Dans les séquences dansées d’une
comédie musicale, les personnages se déplacent en suivant un rythme déter
miné par une musique, ce que font par exemple Fred Astaire et Ginger Rogers
dans le numéro « Waltz in swing tinte» de Sur les ailes de la danse (Swing time,
Georges Stevens, 1936). Aucun montage court ne vient travailler le rythme de
cette scène, filmer en un seul plan d'ensemble.
Les films d'animation de Walt Disney des années 30 offrent un autre cas
typique de coordination précise entre les mouvements présentés à l'écran et le
son. Les déplacements de Mickey Mouse et des autres personnages de Disney
sont souvent parfaitement synchronisés avec la musique, meme lorsqu'ils ne
dansent pas. (Comme nous l’avons vu, cette précision était possible parce que
la bande son était réalisée avant les dessins.) Ce type de synchronisation entre
la musique et des mouvements quelconques est connu sous le nom de
* mickey ntousing».
Le réalisateur peut aussi choisir de différencier les rythmes du son, du
montage et de l’image. Un procédé courant consiste à monter les scènes dialo-
guées en allant -contre» le rythme propre du discours. Dans l’extrait de A la
poursuite d'Octobre rouge utilisé plus haut, les points de coupe ne coïncident
pas avec les moments d'accentuation ou avec le rythme générai du discours de
l'officier, ceci afin de «fluidifier» les raccords et mettre en valeur la réponse et
les expressions du capitaine Ramius. Lorsqu'un réalisateur veut mettre en
valeur un personnage en train de parler et ce qu'il dit, il fait généralement
intervenir les points de coupe au moment des pauses ou des articulations
399
M1BI J - U IUB
400
(muu j - u <g>
La fidélité
La fidélité dont nous voulons parler ici n'est pas celle qualifiant la qualité d'un
enregistrement. Le terme se réfère pour nous à la conformité d'un son à sa
source telle qu’elle nous est donnée à imaginer ou à voir. Si un film nous
montre un chien qui aboie et que nous entendons un aboiement, le son est
conforme à sa source visible : il reste fidèle à la source. Mais si la même image
est accompagnée d'un miaulement de chat, il y a une disjonction entre
l'image et le son, un manque de fidélité.
De notre point de vue, la fidélité n’a aucun rapport avec l’origine techni
que du son considéré. Comme nous l’avons vu, un réalisateur peut manipuler
le son indépendamment de l’image. Associer l’image d'un chien à un miaule
ment n'est pas plus difficile que l’associer à un aboiement. Si le spectateur
estime que le son qu'il entend provient bien de sa source diégétique, il y a
conformité, quelle qu'ait été la source réelle du son au moment de la réali
sation.
401
LWJLL J LL II11I
Lorsque nous réalisons qu’un son n'est pas en conformité avec sa source,
cette prise de conscience scri généralement des effets comiques. Dans Les
vacances de M. Huiot, un grand nombre d’effets proviennent de l’ouverture et
de la fermeture de la porte d’une salle de restaurant. Plutôt que d'en restituer
le son réel, Tati associe un son nasillard, comme une corde de violoncelle pin
cée, à chacun de ses battements. Ce bruit est amusant en lui-même mats sert
surtout à marquer les figures rythmiques créées par les passages des clients ci
des serveurs. Dans Les vacances de M. Hidoi comme dans tous les autres films
de Tati, de nombreux gags sont basés sur une infidélité, une sorte d’excentri
cité des bruits qui fait de l'oeuvre entière un excellent objet pour l’étude du
son.
Un autre maître de ce type d’effet est René Clair. Dans plusieurs scènes du
Mi/lion, des bruits ne sont pas conformes à leurs sources. Lorsque l’ami du
personnage principal lance une assiette, on n'entend pas un bruit de vaisselle
cassée mais un claquement de cymbales. Plus lard, au cours d’une scène de
poursuite, le bruit d’une collision entre deux personnages est rendu par un
battement de tambour très grave. On trouve souvent de tels jeux sur la fidélité
du son dans les dessins animés.
Dans certains cas, la fidélité du son est manipulée par des changements
d’intensité. Un son peut paraître invraisemblablement fort ou faible par rap
port à d’autres. Dans La possédée de Curtis Bcrnhardt. les intensités se trou
vent ainsi modifiées hors de toute conformité aux sources. Le personnage
principal du film est une femme qui devient progressivement folle. Dans une
scène où elle est seule, perdue, dans sa chambre, par une nuit pluvieuse, notre
champ informatif se trouve limité au sien et des effets sonores permettent à la
narration d’accéder à une certaine profondeur subjective. Nous commençons
à entendre ce quelle entend; le tic-tac d'une horloge et le martèlement des
gouttes de pluie augmentent peu à peu d'intensité. Cette évolution vers une
infidélité du son sert à décrire un état psychologique, une évolution cor
respondante du personnage d’une perception exacerbée vers une pure hallu
cination.
402
( 14HÎ1I I . [[ (D*
L'espace
Le son a une dimension spatiale parce qu’il vient d’une source. Ce que nous
savons ou pensons de celte source a une influence importante sur notre com
préhension du son.
Pour analyser la forme narrative (chapitre 4), nous avions qualifié de dié-
géfique les événements ayant lieu dans le monde de l'histoire, Les sons diégèti-
ques sont ceux dont la source se trouve dans le monde de l’histoire : ce sont les
mots prononcés par les personnages, les bruits produits par des accessoires et
la musique provenant d’instruments existant dans l'espace diégétique.
Ix son diégétique est souvent difficile à remarquer en tant que tel parce
qu’il semble émaner naturellement du monde décrit par le film. Mais comme
nous l'avons vu avec le ping-pong des Vacances de M. Hulot, le réalisateur peut
manipuler des sons diégétiqucs de façon totalement irréaliste.
H y a aussi des sons extradiégétiques, donnés comme venant d'une source
extérieure au monde de l'histoire. Les musiques ajoutées à une scène, desti
nées à en souligner certains effets, sont les manifestations les plus courantes
de ce type de son. Lorsque Roger Thornhill escalade le Mont Rushmore dans
La mort aux trousses, on ne s’attend pas à ce que la musique angoissante qui
accompagne les images soit jouée par un orchestre perché sur un versant du
massif. Les spectateurs comprennent que la «musique du film» est une con
vention et que sa source n'est pas à chercher dans le monde de l'histoire. De
même en ce qui concerne, dans certains films, le narrateur omniscient dont la
voix désincarnée fournit des informations sur le récit sans appartenir à aucun
des personnages représentés. On en trouve un exemple dans La splendeur des
Ambcrson, où c'est Orson Wellcs, son réalisateur, qui assure la narration
extradiégétique.
Il existe aussi des bruits extradiégétiques. Dans Le million, divers person
nages sont à la poursuite d’un vieux manteau qui contient, dans l’une de ses
poches, un ticket de loterie. Leurs courses convergent dans les coulisses de
l'Opéra, où ils se filent et s'évitent les uns les autres, font circuler le manteau
en le lançant à leurs complices. Au lieu d'utiliser les sons provenant de l’espace
réel de la poursuite, Clair introduit ceux d’un match de football. Les manœu
vres des personnages ressemblent effectivement à celles des joueurs d'un
match où le manteau ferait office de ballon — le son vient donc souligner une
analogie comique produite par la mise en scène. On entend les applaudisse
ments d'une foule, le sifflet d'un arbitre, sans jamais attribuer ces sons aux
personnages présents. (Nous ne sommes pas dans un cas de manipulation de
la fidélité, comme dans l'exemple précédemment extrait du Million.) Les
bruits extradiégétiques produisent un effet comique en créant une sorte de
calembour audio visuel.
403
m iiu j u mu
Tous les sons d’un film peuvent être extradiégétiques. A movie, de Bruce
Conner, Scorpio Rising, de Kenneth Anger ou War requiem, de Derek Jarman
(1989), ne contiennent que des musiques extradiégétiques. De même pour un
grand nombre de documentaires faits à partir d'images d’archives, où une
voix off omnisciente et une musique orchestrale guident nos réactions aux
images.
Comme pour la fidélité, la distinction diégétique/exlradiégétique ne
dépend pas de la source réelle du son au moment de la réalisation mais plutôt
de notre sensibilité aux conventions filmiques. Nous savons que certains sons
sont donnés comme provenant du monde de l'histoire et d'autres comme
provenant d’un autre espace, qui lui est extérieur. Ces conventions sont si
courantes que nous n’avons généralement pas à réfléchir au type de son que
nous entendons à un moment particulier. Nous verrons toutefois à plusieurs
reprises, dans ce chapitre, que la narration brouille parfois volontairement les
frontières entre les différentes catégories spatiales. Ce jeu avec les conventions
peut servir, entre autres, à désorienter ou à surprendre le public, à créer des
effets humoristiques ou des ambiguités.
Examinons rapidement quelques-unes des possibilités offertes par le son
diégétique. Nous savons que l’espace où se déroule l’action n'est pas limité à
ce que nous en voyons à l’écran à un moment donné. Si nous avons déjà con
naissance de la présence de plusieurs personnages dans une pièce, nous pou
vons voir un plan ne montrant que certains d’entre eux sans supposer que les
autres ne sont plus là — nous savons qu’ils sont hors-champ et s’ils se mettent
à parler, nous comprendrons toujours que le son ainsi produit provient d’une
partie de l'espace diégétique. Le son diégétique peut donc venir du champ
comme du hors-champ.
Un plan montre un personnage en train de parler, nous entendons le son
de sa voix. Un autre plan montre une porte qui se ferme et nous entendons un
claquement. Un personnage joue du violon, nous en entendons les notes.
Dans chaque cas. la source du son appartient à l’histoire — est diégétique —
et est visible à l’image — est dans le champ. Mais le plan pourrait montrer un
personnage écoutant la voix sans que l'on voit celui qui parle; un autre plan,
montrer un personnage courant le long d'un couloir puis nous faire entendre
le claquement d'une porte invisible; au lieu du violoniste et de son instru
ment, nous pourrions seulement voir leur auditoire attentif. Dans tous ces
exemples, les sons appartiennent au monde de l'histoire — ils sont encore
diégétiques — mais ils sont maintenant hors-champ.
Cette distinction pourrait paraître triviale au premier abord si nous
n’avons pris connaissance, au chapitre?, des puissances du hors-champ. Un
son hors-champ peut évoquer un espace s'étendant au-delà de ce qui est
404
umiu < - u mu
visible d'une action en cours. Dans American graffiti, un film qui joue massi
vement sur la différence entre musiques diégétiques et musiques extradiégéti-
ques, il semble parfois que toutes les autoradios qui forment le hors-champ
sonore sont réglés sur la même fréquence.
405
U1ILL1 - JXJLUL
406
Pour résumer : le son peut être diégétique (appartenant au monde de l'his
toire) ou exlradiégétique (lui être extérieur —son off). Diégétique, il peut
venir du champ (son in) ou du hors-champ être interne («subjectif» — son
off) ou externe («objectif»).
407
>1>ÎH ) . U U}l(
408
mmu J U IJU
409
Mftllt î - UUIU
l'impression qu’ils ont été dits tout prêt de h caméra. Godard ne se manifeste
pas comme un personnage faisant partie de l’action, bien que les personnages
à l’écran se comportent parfois comme s’ils l’entendaient. Ces incertitudes sur
la nature spatiale de la source sonore lui permettent d'attirer l’attention sur les
aspects conventionnels de l’utilisation courante du son.
La distinction entre sons diégétiques et sons extradiégétiques est indispen
sable à la compréhension de certains films, comme nous le verrons avec quel
ques cas examinés à la fin de ce chapitre.
Le temps
Le son permet aussi au réalisateur de représenter le temps de différentes
manières, suivant qu’il est identique ou différent de celui représenté par
l'image.
La relation audio-visuelle 1a plus simple est la synchronisation. Le son syn
chrone est celui dont on peut attester la coordination à l'image lors de la
projection : il est entendu au moment où l'on voit sa source le produire. Un
dialogue est généralement synchronisé de façon à ce que les lèvres des acteurs
bougent en accord avec les mots que nous entendons.
Lorsque le son se désynchronise au cours d’une séance (à cause d'une
erreur à la projection ou lors du travail des laboratoires), le résultat est assez
gênant. Mais certains réalisateurs ont obtenu des effets astucieux en désyn
chronisant volontairement le son. Un effet de ce genre intervient dans une
scène de Chantons sous la pluie. Au tout début du cinéma parlant, à Hol
lywood, deux acteurs du muet réalisent leur premier film, The dueling cavalier.
Leur compagnie de production organise une projection-test (une «preview»)
en salle, pour un public normal. Dans les premiers temps du -parlant», le son
était souvent enregistré sur un disque qui était lu lors de la projection, techni
que qui rendait les risques de désynchronisation plus grands qu'aujourd'hui.
C’est ce qui arrive pendant la preview de The dueling cavalier : la bande image
se ralentit un instant, mais l’enregistrement sonore conserve la même vitesse
et à partir de ce moment, tous les sons arrivent avec quelques secondes
d'avance sur la représentation visuelle de leur source. On entend le début
d'une réplique, puis l'acteur commence à bouger les lèvres. On entend la voix
d'une femme alors que, à l'écran, c’est un homme qui parle, et vice-vcrsa. Le
comique de cette désastreuse preview repose sur notre prise de conscience du
caractère illusoire et mécanique de la synchronisation.
Il y a dans What’s up, Tiger Lily? (Woody Allen, 1966). un jeu beaucoup
plus long sur la synchronisation et les attentes spcctatorielles quelle provo
que. Allen a double un film d’espionnage asiatique avec des dialogues anglais
410
(UHIH ! - U IL#
qui ne sont pas la traduction des répliques originales mais un autre texte
créant une nouvelle histoire par des juxtapositions comiques avec les images.
L’humour réside en grande partie dans le décalage constant entre les mots que
Ion entend et les mouvements des lèvres des acteurs; Allen a ainsi transformé
le problème habituel des doublages de films étrangers en principe de sa comé
die.
La synchronisation est relative à la durée ou au temps de projection.
Comme nous l'avons vu au chapitre 4, les films narratifs présentent aussi un
temps du récit et un temps de l'histoire. Le temps de l’histoire est celui consti
tué par l’ordre, la durée et la fréquence de tous les événements participant au
récit, qu'ils soient montrés ou non. Le temps du récit est constitué par les qua
lités temporelles (ordre, durée, fréquence) des événements représentés. Le
récit nous montre certains événements de l’histoire et fait seulement référence
aux autres : il couvre généralement une durée moins importante que l’his
toire.
Il y a essentiellement deux façons de manipuler ces temporalités au moyen
du son. Si, en considérant les événements de l’histoire, le son a lieu en même
temps que l’image, on dira qu'il est simultané. C'est le cas le plus fréquent; des
personnages parlent et nous les voyons à l’écran : les mots que nous enten
dons interviennent au même moment dans le récit et dans l’histoire.
Mais le son que nous entendons peut venir plus tôt ou plus tard dans l'his
toire que les événements représentés à l'image. Celte manipulation de l'ordre
crée un son non-simultané. Le flashback sonore en est la manifestation la plus
fréquente : on peut voir un personnage et entendre la voix d'un autre, corres
pondant à une scène antérieure. Le son non-simultané permet de fournir des
informations sur des événements de l’histoire sans les montrer. Il peut,
comme le son simultané, avoir une source interne ou une source externe
— «objective-, dans le monde du film, ou -subjective», dans l'esprit d'un
personnage.
Comme le suggèrent ces catégories, les relations temporelles filmiques sont
complexes. Pour faciliter leur reconnaissance, le Tableau 9.2, page suivante,
résume les relations spatiales et temporelles possibles entre image et son.
1. Son simultané. C'est la relation temporelle la plus courante dans les films
de fiction. Les bruits, les musiques ou les paroles venant de l’espace de
l'histoire arrivent pour la plupart, invariablement, en même temps que
l’image. Comme tout autre type de son diégétique, le son simultané peut
être externe (objectif) ou interne (subjectif).
411
Hlllj i -■ U <I!U
1. Son non-simultané : le son correspond i Flashback sonore; fla.ihforv.-jrd visuel; ponl Son dont l’antériorité aux images est mani
un événement de l'histoire intérieur à sonore feste (par exemple, un discours de lohn
celui présenté par l'image Kennedy sur des images de l'Amérique con
temporaine)
2. Son simultané : l'événement auquel le Externe : dialogues, bruits, musique Son dont la simultanéité avec les images est
son correspond est présenté simultané Interne: pensées d'un personnage manifeste (par exemple, un narrateur décri
ment â l'image vant des événements au présent )
3. Son non-simultané : le son correspond 1 Flash fa ru a rd sonore; flashback visuel avec Son dont la postériorité aux images est
un événement de 1 histoire postérieur i le sonde l'action en cours se prolongeant; manifeste (par exemple, k narrateur se sou
celui présenté par l'image un personnage raconte des événements venant des événements de La tplendeur des
passés; pont sonore Ambenon)
412
(tiflPHH q - LI UI
Les ponts sonores peuvent également rendre nos attentes plus incertaines.
Dans The river's edge (Tint Hunter, 1987), un lycéen confesse à deux
autres, devant leur école, qu’il a tué sa petite amie. Alors que ses camarades
commencent à se moquer, i! dit : - Ils ne me croient pas.» On raccorde sur
le cadavre de la jeune fille, étendu dans l'herbe, près d’une rivière, tandis
que l’on entend l'un de ses deux amis lui répondre que c’est une histoire de
fou à laquelle personne ne voudra croire. Pendant un instant, nous ne
sommes pas sûrs de la nature de ce plan : il peut d’agir du début d’une
nouvelle scène ou d’un simple plan de coupe entre deux images montrant
les lycéens. Mais le plan s’attarde et après une pause on entend, avec un
son d'ambiance différent : «Si tu nous as fait faire.. . On raccorde alors
sur un plan montrant les trois jeunes garçons traversant un bois pour
accéder à la rivière, avec le même personnage continuant de parler: «...
tout ce chemin pour rien...». La remarque précédente, concernant le
caractère incroyable de cette histoire, est antérieure au plan montrant le
cadavre et est utilisée comme un pont sonore aux effets troublants.
Depuis la fin des années 60, faire commencer le son d'une scène sur les
images de la précédente est devenu un procédé courant qui participe des ponts
sonores évoqués plus haut. Dans L'ami américain (Der amerikanische Freund,
Wim Wenders. 1977), un plan nocturne montrant un petit garçon assis à
l’arrière d’une voiture est accompagné par un claquement sec. On raccorde
sur l’intérieur d’une gare, où les fiches métalliques d'un tableau tournent
pour afficher les horaires et les destinations des trains. Le son qui est inter
venu sur le plan montrant le petit garçon provenait de l'espace de la scène
suivante; il était donc non-simultané.
Si le matériau du pont sonore n'est pas immédiatement identifiable, il peut
surprendre ou désorienter le public, comme dans la transition de L'anti
américain que l’on vient de décrire. Une introduction sonore plus facile à
413
nmj ■ il n»u
reconnaître crée une anticipation plus sûre de ce qui va suivre. Huit et demi se
déroule dans une ville célèbre pour sa station thermale et scs sources d’eau
minérale; plusieurs scènes montrent un orchestre d'extérieur jouant pour
divertir les touristes et les clients. Vers la moitié du film, une scène se termine
par la fermeture d’une fenêtre donnant sur un bain de vapeur. On entend sur
la fin de ce plan une version pour orchestre de la chanson Blue moon, puis on
raccorde sur une vue d’un orchestre en train de jouer cet air dans le quartier
commerçant de la ville. Avant que cette nouvelle scène établisse avec exacti
tude le lieu de l'action, on pouvait s’attendre logiquement à ce que le pont
musical nous ramène à la vie publique de la station.
Rien ne s’oppose, en principe, au flashforward sonore : le réalisateur peut
utiliser, par exemple, le son de la scène 5 pour accompagner les images de la
scène 2. En pratique, ce procédé est rarement utilise. Dans Bande à part ( Jean-
Luc Godard, 1964), le rugissement d'un tigre est utilisé comme son hors-
champ. et non pas off, plusieurs scènes avant que l'on voit l'animal. On trouve
un cas plus ambigu dans Le mépris. Un couple se dispute; à la fin de la scène,
la femme s'éloigne à la nage tandis que l'homme s’assoit tranquillement sur
un rocher. On entend la voix de la femme, enregistré avec un micro très pro
che de sa bouche, lisant une lettre où elle lui dit être repartie pour Rome en
voiture, avec un autre homme. Le mari n’ayant pas encore reçu cette lettre que
la femme n’a peut-être pas encore écrite, elle vient, comme sa lecture, d’un
moment postérieur de l’histoire. Le flashforward fonde ici des attentes très
fortes, confirmées par une scène ultérieure où l’on voit la femme et le rival du
mari s’arrêter dans une station essence, au bord de la route. Aucune scène ne
nous montrera le mari recevant la lettre.
Résumé
En regardant un film, nous ne faisons pas rentrer mentalement chaque son
dans l'une des catégories spatiales et temporelles que nous venons d’évoquer.
Mais ces catégories facilitent l'analyse : ce sont des outils qui permettent de
414
CUMILIQ - ltl|«
415
Harry réécoute, refihre, remixc de façon obsessionnelle tous ses enregistre
ments de la conversation. Des flashbacks visuels sur le couple — dont on ne
sait pas s'ils représentent des souvenirs de Harry — accompagnent ce travail.
Il parvient finalement à une bonne version de la bande, où l'on entend
l’homme dire : -Il nous tuerait s’il pouvait.»
La situation générale est assez mystérieuse. Harry ne sait rien du jeune
couple (la femme est-elle l'épouse ou la fille du client?), mais il soupçonne
que l’employé représente un danger pour eux. Son studio est fouillé, l'enregis
trement, volé; il découvre plus tard que son client l’a en sa possession. Harry a
plus que jamais le sentiment d’être mêlé à une affaire de meurtre. Après une
suite d’événements très ambigus, notamment une scène durant laquelle il doit
assurer la surveillance sonore d’une chambre d’hôtel où a lieu un meurtre,
Harry apprend que la situation est différente de ce qu'il pensait.
Sans éventer le mystère, il est possible de dire que nous sommes abusés,
dans ce film, par une narration proposant, dans un premier temps, de consi
dérer comme objectifs des sons que nous sommes enclins à traiter, à la fin du
film, comme subjectifs ou équivoques. La surprise réservée par le récit,
comme ses mystères persistants, reposent en fait sur des passages non signalés
entre son interne et son externe.
Les deux films qui viennent d’être évoqués indiquent une deuxième façon
de justifier les catégorisations de ce chapitre. Nos catégories semblent corres
pondre à des suppositions et inférences implicites faites par le spectateur
durant la projection. Les films et notre façon d’y réagir laissent penser que
nous apprenons rapidement à faire la différence entre son interne et son
externe, diégétique et extradiégétique. simultané et non-simultané. Nous
sommes surpris ou amusés lorsque ces catégories sont transgressées; per
plexes ou égarés lorsqu’une source sonore passe d’une catégorie à une autre.
Si ces catégories ne correspondaient pas à nos hypothèses de spectateurs, des
films comme Providence ou Conversation secrète n’auraient pas le pouvoir
d’ébranler nos attentes, de créer du suspense, de la surprise ou de l’incerti
tude. Notre taxinomie s’offre donc à la fois comme un outil pour l'analyse fil
mique et comme une description sommaire mais systématique des intuitions
ordinaires des spectateurs.
416
UiU
Il arrive que le son vienne corriger une impression donnée par l’image.
Renvoyé dans sa cellule après avoir été informé de sa condamnation à mort,
Fontaine se jette sur son lit. On pourrait croire qu’il pleure s’il ne disait, off :
«Je dus rire d'un rire nerveux qui me soulagea. - Ainsi, le commentaire ajoute
417
1U1HI UU1U
un degré de profondeur à 1a narration par des aperçus sur les états psycholo
giques du personnage.
Le commentaire, qui énonce souvent des faits dont l'image nous informe
déjà, peut sembler inutile. Dans la scène où Fontaine essuie le sang sur son
visage, sa voix nous dit : «Je m'essuyais de mon mieux.» Il décrit constam
ment ses actions juste avant, juste après ou au moment de leur accomplisse
ment à l'image. Mais cette utilisation du son n’est pas redondante. Une
fonction majeure du commentaire au passé comme de ces remarques appa
remment superflues est de souligner le fait que les événements liés à la prison
ont déjà eu lieu. Le commentaire, plutôt que de simplement présenter les évé
nements au présent, en affirme donc le caractère passé.
Certaines phrases soulignent le fait que le commentaire est un souvenir.
Alors que nous voyons Fontaine allongé dans sa cellule après avoir été battu,
sa voix off dit : «Je crois que j'ai perdu un instant courage et que j’ai pleuré»,
comme s’il doutait de l'exactitude de ses souvenirs. 11 rencontre un autre pri
sonnier et raconte que «A titre exceptionnel et meme unique, le gardien chef
autorisait Terry à voir sa fille certains jours. Je ne le sus que beaucoup plus
tard. » Nous sommes conscients, par le jeu des temps verbaux, que 1a rencon
tre à laquelle nous assistons se déroule dans le passé.
Par cette différence temporelle entre l’image et le commentaire, le récit
nous indique que Fontaine réussira finalement à s'évader et ne sera pas exé
cuté. (Le titre nous le signale aussi.) On connaît ainsi l'ultime conséquence de
la chaîne causale — il en résulte un suspense entièrement concentré sur la
cause : on ne se demande pas si Fontaine va s'échapper, maïs comment il va
s’échapper. Le film concentre d'abord nos attentes sur une description minu
tieuse du travail accompli par Fontaine pour s’échapper de la prison. Le com
mentaire cl les bruils attirent notre attention sur des gestes minuscules et des
objets banals qui deviennent essentiels pour l'évasion.
Ce travail ne peut pas se faire en solitaire, le récit y insiste : Fontaine et les
autres prisonniers ne réussissent à survivre, psychologiquement et physique
ment, que grâce à leurs efforts pour s’entraider. Fontaine reçoit l’aide et le
soutien moral de ses compagnons de prison; son voisin, Blanchet, lui donne
une couverture pour la confection des cordes; un autre prisonnier qui tente
aussi de s'évader, Orsini, fournit des informations capitales sur la façon
d’escalader les murs. Fontaine doit lui-même faire confiance à son nouveau
compagnon de cellule, Jost, en l'emmenant avec lui en dépit de certains soup
çons laissant croire qu’il pourrait être un mouchard à la solde des Allemands.
L'interaction entre les sons et les images nest pas la caractéristique du seul
commentaire. Les bruits ont aussi la capacité de focaliser notre attention sur
un détail, notamment par une particularisation des timbres. Dans la longue
418
. ii (H
419
liim j - u imj
Une forte intensité sonore est parfois accompagnée d'un effet d’écho pro
duisant un timbre particulier. Les voix des gardiens allemands sont plus rau
ques et plus réverbérées que les voix des prisonniers français. Les bruits des
menottes et des poignées de portes sont amplifiés par un meme effet d'écho
— manipulations qui expriment la perception subjective de Fontaine. Nos
réactions à l'emprisonnement du personnage sont donc exacerbées par des
manipulations des timbres sonores.
420
(WILH, urn
Tous ces procédés permettent de focaliser notre attention sur des détails de
la vie de fontaine en prison. D'autres procédés travaillent à la cohérence du
film et alimentent ses développements narratifs et thématiques. Ce sont des
motifs sonores, qui interviennent à des moments déterminants du film.
Un premier ensemble de motifs insistent sur l'espace extérieur à la cellule.
Nous voyons un tramway dans la scène d’ouverture — on entend la cloche et
le moteur d'un tramway, hors-champ, chaque fois que Fontaine parle à
quelqu'un par la fenêtre de sa cellule. Nous sommes ainsi toujours conscients
de son objectif : rejoindre la rue, de l'autre côté des murs de la prison. Dans la
seconde moitié du film, des bruits de trains deviennent importants. Lorsque
Fontaine a une première occasion de sortir de sa cellule et s'avance dans le
couloir sans que personne ne le remarque, nous entendons le sifflement d'une
locomotive qui reviendra chaque fois qu’il quittera sa cellule clandestinement ;
ce son couvrira, à la fin, les bruits de l’évasion.
Les prisonniers dépendent les uns des autres et certains motifs sonores
nous rendent plus attentifs aux relations de Fontaine avec ses compagnons. La
toilette quotidienne, pour laquelle les hommes sont rassemblés et doivent uti
liser un évier commun, se trouve ainsi associée aux bruits des écoulements
d’eau. Le robinet est montré une première fois, puis Bressan ne présente plus
que des plans rapprochés des prisonniers, avec le bruit de l’eau hors-champ.
La désobéissance aux règles de la prison est associée à une autre série de
motifs. Fontaine tape sur un mur avec ses menottes pour avertir ses voisins. Il
tousse pour couvrir le raclement du manche de sa cuillère, et la toux devient
une sorte de code parmi les prisonniers. Fontaine brave les ordres des gar
diens en continuant de parler avec les autres hommes. 11 y a d'autres motifs
sonores dans le film (des cloches, des coups de feu, des sifflements, des voix
d’enfants), qui partagent des fonctions déjà mentionnées : rendre plus intense
l'évasion du personnage, attirer noire attention sur des détails et déterminer
ce que l’on remarque.
Le seul son extradiégétique du film, des extraits d’une messe de Mozart,
constitue encore un autre motif. Cette musique est clairement justifiée par les
constantes références du film à la foi religieuse; Fontaine dit à un prisonnier
qu’il prie mais ne s'attend pas à ce que Dieu l’aide s’il n'oeuvre pas à sa propre
liberté. La structure des interventions de la musique est par contre moins
claire.
Nous sommes relativement incapables, au début du film, de former quel
que attente logique concernant la musique, dont les retours sont en général
surprenant. On l'entend lors du générique, puis elle disparaît pendant un cer
tain temps- Elle accompagne l'action une première fois lors de la première
marche de Fontaine et des autres prisonniers, durant laquelle ils vident leurs
421
m iu i - u jliu
422
(wuaix-
Tableau 9.3 Le son et le silence dans Un condamné à mort s'est échappé
pT7 Vois Bruits acteurs 1
Mouvements de caméra
(1)27gec
F. (off) : Fl pourtant un Verrou hors-champ
peu plus tard, encore
une fois...
Bruits de pas,
hors-champ F. se tourne
Figure 9.15
... je crus 1 l'anéantis Bruits de pas, F. tourne la tête vers la
sement de mes efforts. hors-champ gauche
Figure 9.17
Bruits de verrous et de
portes avec effet
d’écho, hors-champ
(off) : Il paraissait seize
ans à peine.
Bruits de pas
Figure 9.18
423
P û fi 11 ; fi 7 K
Tableau 9.3 Le son et le silence dans Un condamné à mort s'est échappé (suite)
Pian Vûii Bruit, Jeu des acteurs/
Momrmrflli de caméra
F. (in) : Tu es
Allemand ?
Figure 9.19
<2) 10sec
Français ’ Quel est ton
nom ’
F. (off) : Était-ce un
mouton qu'on
m'envoyait ?
Figure 9.21
(3) 10sec
F. (off) Pensait on
qu'ébranler parle ver F. baisse les yeux
f/il
dict de tout à l'heure, je
parlerai ’
l igure 9.22
424
(.WIUl 5 - .LlJjJ
Tableau 9.3 Le son et le silence dans Un condamné à mort s'est échappé (suite)
Plan Bruits fcu do icteun I
Mouvements de cimCri
Figure 9.24
(3) 10s«
Bruit produit par |<M1 Jost se lève, ils se ser
se levant rent b main
Figure 9.25
Diwilve
425
*niu i - u mu
est aussi long que les trois autres réunis) et crée ainsi plusieurs effets. La nar
ration s’en trouve tout d'abord considérablement restreinte, puisque nous ne
savons pas à quoi réagit Fontaine. Le commentaire, qui nous donne en quel
que sorte accès à la conscience du personnage, fait seulement allusion à la
menace : le «il» pourrait aussi bien désigner un gardien ou un autre prison
nier. C’est l’un des nombreux petits moments de suspense produit par la nar
ration.
Le retardement de l'apparition de Jost permet aussi d’insister sur l'impor
tance de son allure extérieure. Nos attentes se concentrent sur les réactions de
Fontaine (essentiellement communiquées par le commentaire diégétique
non-simultané) et non sur le nouveau personnage. Lorsque l'on peut enfin
voir Jost, nous savons qu'il inquiète Fontaine, troublé par son uniforme à
moitié allemand et doutant de son identité, ainsi que le soulignent les quel
ques mots prononcés au début de la scène. Plutôt que d’afficher un air décidé,
il cherche à avoir quelques informations. Ix commentaire revient pour rendre
compte de son dilemme : Jost est peut-être un mouchard, placé là par l'admi
nistration de la prison. Cependant, les paroles qu’il adresse au garçon contras
tent avec ce doute intérieur; il lui serre la main et lui parle de façon amicale.
L'interaction entre le dialogue simultané et la narration non-simultanée per
met donc au réalisateur de présenter des aspects psychologiques opposés de
l'action.
l^s bruits marquent les actions importantes et les étapes de la progression
narrative. On entend les pas de Fontaine lorsqu'il s’avance vers Jost après être
resté sur sa réserve el les bruits produits par Jost au moment où il se lève
accompagnent leur premier geste de confiance, la poignée de main. Le racle
ment de leurs chaussures contre le sol vient, à la fin de la scène, marquer le
moment où ils se détendent et commencent à parler de leur situation.
Cette scène est très brève, mais les différentes combinaisons sonores que
l’on trouve dans ces quelques plans laissent imaginer la complexité générale
de la bande son du film. Il faut considérer la bande son par rapport au reste
du film, dans son interaction avec les autres techniques et avec la forme narra
tive. Par le choix des matériaux sonores el le contrôle de leurs qualités acous
tiques ainsi que par le contrôle des relations qu'ils entretiennent, entre eux et
avec les images, Bresson a fait du son un facteur technique important qui
façonnent notre expérience de spectateur.
Résumé
Comme pour les autres techniques, c’est autant la vision d'un grand nombre
de films que l'observation précise de quelques-uns qui aiguisera votre sensibi-
426
(umu ujj<
lite aux mécanismes du son filmique. Vous pouvez vous familiariser avec les
oui ils analytiques proposés plus haut en posant des questions de ce type :
7. Pour chacune des questions 1 à 6. quels sont les raisons et les effets des
manipulations sonores ?
Le pouvoir du son
• Le moment le plus passionnant-, déclarait Akira Kurosawa, «c'est celui où
j’ajoute le son... À ce moment, je tremble.»
De tous les réalisateurs, c'est Sergueï Eisenstein qui a été le plus prolifique
et le plus étonnant dans scs écrits sur les techniques du son. Se reporter en
particulier à son étude sur la polyphonie audio visuelle dans La non-indiffé
rente nature. On trouvera aussi quelques remarques sybillines dans les Notes
sur le cinématographe de Robert Bresson. Par exemple: •L’œil sollicité seul
rend l’oreille impatiente, l'oreille sollicitée seule rend l'œil impatient. Utiliser
ces impatiences» (p. 63).
427
muuuiuii
Doublage et sous-titres
Qui commence à étudier le cinéma pourra exprimer sa surprise (ou son
ennui) devant le fait que les films étrangers sont généralement présentés en
428
UPIUI I - U w
429
Le style
10
comme système formel
La notion de style
Au début de la seconde partie, nous avons vu de quelle façon les
différentes parties d'un film entrent en relation au sein d'un
ensemble dynamique que nous avons appelé sa forme. Nous La notion de style
avons déjà étudié l'un des aspects majeurs de la forme filmique : L'analyse stylistique
son organisation en un système catégoriel, rhétorique, abstrait,
Le style dans Citizen Kane
associatif ou narratif Après avoir évoqué chacune des catégories
Le style dans Les Dieu* du stade
techniques du cinéma dans les chapitres précédents, nous pou
vons poursuivre en observant comment l'interaction de ces tech Le slyte dans The river
niques produit un autre système formel, le style d’un film. Ces Le style dans Ballet mécanique
deux systèmes —le style et la forme narrative ou non-narra Le style dans A movie
tive— sont eux-mémes en corrélation au sein de la totalité du Notes et Ponts d'interrogation
film.
* utl111 11
«rrde j u
Système formel Système stylistique
\
Narratif Non-nanaiif Utilisation structurée et
Catégoriel signifiante des techniques :
Rhétorique Mise en scène
Abstrait Prise de vues
Associatif Montage
Son
Aucun film n'emploie à lui seul l'ensemble des possibilités techniques que
nous avons examinées. Ce sont en premier lieu les circonstances historiques
qui limitent les choix ouverts aux réalisateurs. Avant 1928 par exemple, la plu
part des réalisateurs n’avaient pas la possibilité d’utiliser des dialogues syn
chronisés. Aujourd'hui, où l’éventail des choix techniques semble plus large, il
y a toujours des limites. On ne peut plus employer le film orthochromatique
de l’époque du muet, maintenant obsolète, alors qu'il était par certains
aspects supérieur aux pellicules actuelles. On n’a pas encore inventé de sys
tème capable de produire des images cinématographiques en relief ne nécessi
tant pas le port, par le spectateur, de lunettes spéciales.
Le spectateur a lui aussi un rapport au style. Bien que nous en soyons rare
ment conscients, nous avons tendance à avoir certaines attentes relatives au
style d'un film. Si nous voyons deux personnages en plan d'ensemble, nous
nous attendons à un raccord sur une vue rapprochée. Si un acteur marche
vers la droite et semble être sur le point de sortir du cadre, nous nous atten
dons à ce que la caméra panofe ou effectue un travelling latéral vers la droite
pour le conserver dans le champ. Si un personnage parle, nous nous atten
dons à entendre un son diégétique conforme à la source présentée.
432
I! -ILIHU CmiU flîUL
On peut parler du Style d'un film mais aussi du style d'un réalisateur. On se
réfère alors principalement aux techniques particulières employées par une
même personne et aux façons caractéristiques dont elles entrent en rapport
au sein de son oeuvre. En examinant Un condamné à mon s'est échappé, nous
avons caractérisé Bresson comme un réalisateur donnant une grande impor
tance au son dans ses films et avons analysé plusieurs types de relations entre
ce matériau et l'image. Cet usage du son est l'un des aspects du style singulier
de Bresson. De même, nous avons observé, dans Les lois de l’hospitalité, com
ment une mise en scène A caractère comique est organisée autour d'une utili
sation cohérente des plans d'ensemble; cela participe aussi du style de Keaton
dans d’autres films. Bresson et Keaton ont des styles différents auxquels nous
pouvons nous familiariser en analysant leur utilisation des techniques dans
l'ensemble de leurs systèmes filmiques.
On peut parler, enfin, d'un style propre à des groupes — l’utilisation cohé
rente de techniques à travers l’œuvre de plusieurs réalisateurs. On peut parler
d'un style expressionniste allemand ou d’un Style de montage soviétique.
Nous examinerons, dans la cinquième partie, les styles de quelques groupes
importants apparus au cours de l’histoire du cinéma.
433
uAüxi -jj imi
Le style, c'est donc ce système formel qui, dans un film, coordonne les
techniques cinématographiques. Sa création repose le plus souvent sur des
choix particuliers et définitifs, restreints par le contexte historique du projet.
Le terme de - style» peut aussi servir à désigner une utilisation des techniques
propre A un réalisateur ou à un groupe de réalisateurs. Si le style n'est pas tou
jours consciemment remarqué par le spectateur, il n’en contribue pas moins
aux effets et à la signification globale d’un film.
L'analyse stylistique
Nous sommes sensibles, en tant que spectateurs, aux effets du style d'un film,
mais nous le remarquons rarement. Si nous voulons comprendre comment
ces effets sont produits, il faut regarder et écouter plus soigneusement qu'à
l’habitude. Les quatre chapitres précédents ayant montrés de quelle façon on
peut se rendre attentif à certaines caractéristiques stylistiques, on peut main
tenant proposer quatre étapes générales pour une analyse de style.
434
(inuit il. .t mu xin (iiinrxiuti
consciemment. Une fois que vous saurez les remarquer, tous pourrez les
identifier comme techniques — repérer et nommer, par exemple, une
musique exiradiégétiquc ou une contre-plongée.
Mais repérer ci nommer n'est que le début d’une analyse stylistique. L’ana
lyste doit développer une sensibilité aux prodédés techniques les plus
remarquables. Ce caractère est en partie déterminé par l’importance ou la
fréquence de leur utilisation. Le zoom avant saccadé de Wavdength ou le
montage rapide et discontinu de Octobre nécessitent des études minu
tieuses, parce qu'ils jouent un rôle central dans la création de l'effet global
de ces films.
L'importance donnée à un élément dépend aussi du propos de l’analyste.
Si vous voulez montrer que le style d’un film est caractéristique d’une cer
taine conception de la réalisation, vous vous concentrerez sur la confor
mité des procédés techniques aux attentes stylistiques. Le montage du
Faucon maltais fait un usage discret de la règle des 180°, ne cherche pas des
effets remarquables, mais ce respect des règles de continuité classique est
justement un aspect caractéristique du style du film. C’était le propos de
notre commentaire du chapitre 8. Si toutefois vous voulez insister sur les
qualités inhabituelles d’un style, vous pouvez vous concentrer sur des pro
cédés techniques plus inattendus. L'usage que Brcsson fait du son dans Un
condamné û mort s'est échappé est inhabituel, implique des choix que peu
de réalisateurs feraient. C'est sur l’originalité de ces procédés sonores que
nous avons choisi d’insister dans le chapitre 9. Les costumes du film cons
tituent des traits stylistiques moins saillants que le son parce qu'ils s'accor
dent plus aux pratiques conventionnelles. Lorsque l’analyste décide du
caractère remarquable d’une technique, il le fait donc sous la double
influence de ce que le film accentue et du propos qu'il entend avoir.
435
Win i .UulHJJu
regardant une scène d action, est-ce que cela est rapportable à la rapidité
du tempo musical ou à l’accélération du montage ?
Vous pouvez aussi chercher, dans le même but, à découvrir les façons dont
le style vient renforcer des schémas narratifs ou non-narratifs. Dans
n'importe quel film, la «ponctuation» entre les parties nécessite l’utilisa
tion d’éléments stylistiques particuliers (des fondus, des raccords, des fon
dus enchaînés, des changements de couleurs, des ponts sonores). Dans un
film narratif, les scènes sont généralement structurées suivant un modèle
dramatique —rencontre, conflit, résultat— que le style reflète souvent,
avec, par exemple, un montage de plus en plus marqué et des plans de plus
en plus rapprochés. Dans Le silence des agneaux, le dialogue entre Clarke
Starling et Hannibal Lecter débute par un conventionnel champ-
contrechamp; les personnages, en plan américain, regardent soit légère
ment à droite, soit légèrement à gauche de la caméra (figs. 10.1, 10.2).
Comme leur conversation devient plus intense et intime, la taille des plans
change : la caméra est plus proche des personnages et l’on sait qu elle est
sur l'axe de jeu au moment où chacun regarde droit dans l'objectif
(figs. 10.3, 10.4).
Comme nous l'avons vu dans La grande illusion, le style peut créer des
associations entre des situations — par exemple lorsque des mouvements
de caméra expriment la solidarité des prisonniers. Il peut aussi renforcer
des parallèles, comme le font les travellings comparant les trophées de
guerre de Rauffenstein et Eisa. Nous verrons plus tard comment le style
peut aussi venir renforcer l'organisation des films non-narratifs.
Quelquefois, la structuration stylistique ne respecte pas la structure narra
tive ou non-narrative d’un film. Le style peut attirer notre attention pour
lui-même. La plupart des procédés stylistiques ayant plusieurs fonctions,
une technique peut intéresser l'analyste pour différentes raisons. Les plan
ches 62 cl 63 présentent un raccord entre un étendoir et un salon qui fonc
Figure 10.1 tionne comme une transition entre deux scènes. Mais l’intérêt de ce
436
imiut 11 - LI mu -«•»!
raccord est ailleurs : nous ne nous attendions pas à ce qu’un film narratif
traite les objets comme des aplats de couleur se faisant écho d’un plan à un
autre; de tels jeux visuels participent des conventions du film abstrait.
Dans cet extrait de Bonjour, un choix stylistique devient manifeste parce
qu’il va au-delà de sa fonction narrative. Même ici, cependant, les schèmes
stylistiques.ou «figures de style», continuent de provoquer les attentes du
Spectateur et de le faire participer à un processus dynamique. Qui a remar
qué la corrélation visuelle entre les objets rouges de Bonjour sera probable
ment ravi et amusé par le caractère non-conventionnel du raccord. Et si
certaines figures se singularisent, il nous faut toujours avoir une idée de
l'organisation narrative ou non-narrative du film pour montrer quand et
comment cela se produit.
437
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438
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439
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440
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441
MUH •
tous les déments impliqués par l'action en cours. Le garçon, sujet de la con
versation, reste cadré par la fenêtre tout au long de la scène; le fait qu’il joue
nous conduit à penser qu’il ignore tout de ce que sa mère est en train de faire.
On comprend les tensions entre le père et la mère parce quelle l’exclut de
la discussion mais aussi par un effet de chevauchement sonore. Ses objections
à la signature des documents se mêlent au dialogue du premier plan et aux
cris lointains de l'enfant (un ironique - The Union Forever!*, «L’Union pour
toujours!»). Le cadrage accentue aussi, dans la plus grande partie de la scène,
la présence de la mère. C’est sa seule apparition dans le film. Sa sévérité
comme l'émotion que, très tendue, elle réussit à contrôler, contribuent à justi
fier la série d’évènements qui vont découler de son acte. Nous avons eu une
introduction très succincte a cette scène, mais l’association du son, du
cadrage, de la profondeur de champ, du mouvement de caméra et de la mise
en scène en communique toute la complexité avec une globale objectivité.
Tout réalisateur dirige notre attention, mais Welles le fait de manière inha
bituelle. Kane illustre bien la façon dont un réalisateur choisit entre plusieurs
possibilités. Welles renonce au montage et guide notre attention par une mise
en scène s'étirant dans la profondeur du champ (impliquant les mouvements
et les positions des personnages, la lumière) et par le son. Nous pouvons voir
les expressions des acteurs, qui jouent face à la caméra (fig. 10.16); le cadrage
met en valeur certains personnages en les plaçant au premier plan ou au cen
tre (fig. 10.17); notre attention va d’un personnage à un autre, au gré de leurs
répliques. Si Welles s'écarte des conventions hollywoodiennes classiques, qui
Figure 10.17
voudraient que de telles scènes soient «montées», il utilise toujours les techni
ques cinématographiques pour nous pousser à faire des suppositions cl des
inférences correctes.
Les témoignages objectifs mais limités des différents narrateurs sont
enchâssés dans des contextes plus larges. L’enquête de Thompson fait le lien
entre eux; nous en apprenons donc à peu près autant que lui. Il ne doit pas,
cependant, prendre la place de Kane et devenir le personnage principal du
film. Welles fait alors un choix stylistique capital; l’emploi d’un éclairage low-
key sélectif et de certaines figures de mise en scène ou de cadrage rendent
Thompson quasiment non identifiable. 11 nous tourne le dos, est repoussé
dans un coin du cadre ou reste, le plus souvent, dans l'obscurité. Le traite
ment stylistique en fait un enquêteur neutre, moins un personnage qu'un
simple vecteur d'informations.
Nous avons aussi vu que l'enquête de Thompson s'inscrit dans le cadre
d'une narration omnisciente qui la dépasse. Notre analyse des plans d’ouver
ture sur le domaine de Xanadu se révèle ici pertinente : les effets de style y
sont employés pour communiquer un savoir que ne possède absolument
442
iiihih U - nMmuummtun
aucun personnage. Mais lorsque nous pénétrons dans la chambre où Kane est
en train de mourir, le style suggère à l'inverse la capacité de la narration à son
der l'esprit des personnages, avec les plans couverts de neige (fig. 10.18) qui
évoquent une vision subjective. Plus loin dans le film, les mouvements de
caméra nous rappellent quelquefois l’existence d’une narration au champ
informatif plus étendu. Dans la première version de l'échec de Susan à l'opéra
(celle de Leland, segment 6), la caméra quitte la scène (fig. 10.19) en un mou
vement de grue vertical qui nous emmène à travers le cintre jusqu’à deux per
sonnages au sujet desquels ni Leland, ni Susan ne peuvent rien savoir — des
machinistes qui critiquent durement son interprétation (fig. 10.21). La
séquence finale, qui résout au moins partiellement l’énigme «Rosebud», met
aussi en œuvre un vaste mouvement de caméra pour nous offrir un point de
vue omniscient. La caméra survole les objets qui ont appartenus à Kane,
s'avançant dans l’espace mais reculant dans le temps jusqu'à se focaliser sur
son plus lointain souvenir, le traîneau. Un effet technique remarquable se
conforme ici encore au modèle illustré par les exemples précédents, en nous
offrant un savoir qu’aucun autre personnage ne possède.
En étudiant le développement de la forme narrative du film, nous avions
vu comment Kane. d’abord jeune homme idéaliste, perd ses amis el devient
solitaire. Le film construit une opposition entre les premières années où il est
éditeur et son retrait de la vie publique après l'échec de la carrière de Susan à
l'opéra. Cette opposition est plus directement apparente dans la mise en scène
et particulièrement dans les décors des bureaux de Vinquirer et de Xanadu.
Ix?s bureaux de Vinquirer fonctionnent bien mais sont désordonnés, lorsque
Kane prend la direction du journal, il y crée un cadre temporaire en amenant
scs meubles et en vivant dans son bureau. Les contre-plongées ont tendance à
accentuer la présence des piliers étroits et des bas plafonds blancs soumis à un
éclairage vif et uniforme. La collection de caisses remplies d'antiquités appar
tenant à Kane finit par encombrer son petit bureau. Xanadu, à l’inverse, est un Figure 10.18
443
i ; . u hvu
lieu énorme, peu meublé. Les plafonds sont trop hauts, dans la plupart des
plans, pour pouvoir être vus, et les rares meubles sont largement espacés. La
lumière vient souvent frapper les personnages par derrière ou sur le côté
(comme dans le plan où Kane descend un énorme escalier, en 6.32), créant
quelques tâches de lumière vive au milieu de l'obscurité générale. Les collec
tions d’antiquités cl de souvenirs, plus importantes, sont maintenant conser
vées dans de profondes réserves aux allures de cavernes.
L’opposition entre les locaux de l’/nquireret Xanadu est aussi créée par les
techniques sonores associées à chaque décor. Plusieurs scènes se déroulant
dans les bureaux du journal (l’arrivée de Kane, son retour d’Europe) possè
dent un mixage dense OÙ les voix $e superposent pour produire une rumeur
générale. L'exiguïté de l’espace est exprimée par un relatif manque de réso
nance. À Xanadu, les conversations sonnent très différemment : Kane cl
Susan se disent leurs répliques lentement, avec des temps d’arrêt, et leurs voix
sont augmentées d’un effet d’écho qui s’associe aux décors et à la lumière
pour communiquer l’impression d’un espace immense cl vide.
Il faut comparer ces scènes â celle qui conclue presque le film, où les jour
nalistes envahissent la réserve-musée de Kane à Xanadu (fig. 10.23). Malgré
l’écho qui restitue le caractère caverneux du décor, les journalistes le remplis
sent brièvement de ces mêmes effets de voix se chevauchant en un ensemble
dense que l'on a pu entendre à Vlnquirer et dans la scène suivant les «Newson
the March». En rassemblant dans un même lieu les journalistes et ce qui fut
l’ultime décor de la vie de Kane, le film produit une nouvelle opposition sou
Figure 10.23 lignant les changements du personnage principal.
444
Figure 10.24 Figure 10.25 Figure 10.26
Des figures de montage peuvent aussi indiquer des ressemblances entre des
scènes, comme lorsque Welles compare deux moments où Kane semble
recueillir un soutien public. Dans la première scène, Kane est candidai au
poste de gouverneur et fait un discours devant une foule immense. La scène
est principalement organisée autour d'une figure de montage consistant A
montrer un ou deux plans de Kane en train de parler puis un ou deux gros
445
MAI1I_J __ - _
pians sur des petits groupes de personnages faisant panie du public (Emily et
leur fils, Leland, Bernstein, Gcttys), puis un autre plan sur Kane. Le montage
met en place les personnages importants pour leur opinion sur Kane. Boss
Gettys est le dernier a être montré dans cette scène ci nous nous attendons à
ce qu’il se venge des accusations lancées contre lui.
Après sa défaite, Kane cherche à faire de Susan une vedette de l'opéra, jus
tifiant ainsi publiquement l'intérêt qu’il lui porte. Dans la scène montrant les
débuts de Susan, mise en parallèle avec le discours électoral, l'organisation des
plans esi comparable à celle que l’on vient de décrire. Le personnage qui est
sur scène, Susan, sert de pivot au montage. Un ou deux plans sur elle sont sui
vis par quelques plans sur les différents auditeurs (Kane, Bernstein, Leland, le
professeur de chant), puis l’on revient sur elle (figs. 10.27, 10.28). Des parallè
les narratifs d’ordre général et des procédés stylistiques particuliers articulent
deux étapes de la recherche du pouvoir par Kane : d’abord par lui-même, puis
à travers Susan.
446
. ____ uflniHjD ■ li mu (üfflnt mui( mœu
révèle incapable de chanter du grand opéra. Les chansons créent ainsi des
parallèles entre différents faits de la carrière de Kane.
Nous avons déjà évoqué l'importance narrative de la séquence constituées
par le film d'actualité, qui fournit comme un «plan» du récit à venir. Cette
importance fait que Welles a distingué le style de cette séquence de celui du
reste du film par l'emploi de techniques spécifiques. Il faut, par ailleurs, que le
public puisse croire à l’authenticité de ces actualités pour justifier la recherche
de Thompson. Cette séquence réaliste permet aussi de montrer le pouvoir et
la richesse de Kane, qui seront à la base des actions ultérieures.
Welles utilise plusieurs techniques différentes pour imiter les aspects
visuels et sonores des films d'actualité de l’époque. Certaines sont relative
ment simples. La musique, par exemple, est celle des véritables - News on the
March»; et les intertitres, passés de mode dans les films narratifs ordinaires,
étaient toujours une convention des films d’aciualité. Welles emploie aussi
quelques techniques plus subtiles pour arriver à cet aspect «documentaire-.
Certains plans du film étant supposés avoir été tournés durant la période du
muet, il se sert de différents types de pellicules pour faire comprendre que les
plans assemblés sont d’origines diverses. Certains plans ont été tirés de façon
à reproduire l'aspect saccadé des films muets projetés à la vitesse du sonore;
Welles a aussi gratté et voilé la pellicule pour qu elle paraisse vieillie, usée. Ces
effets, associés au maquillage, créent une impression documentaire remar
quable dans les plans où Kane est avec Théodore Roosevelt. Adolf Hitler
(fig. 10.30) ou d’autres figures historiques. Dans des plans ultérieurs mon
trant Kane promené en fauteuil roulant dans sa propriété, la caméra portée,
les lattes de bois et les barrières au premier plan (fig. 10.3!) ou les plongées
imitent les effets d’un filmage clandestin. Toutes ces conventions «documen
taires» sont accentuées par la présence d'un narrateur, off, dont la voix toni
truante imite celle des grands commentateurs de l'époque.
Figure 10.30
L’une des plus importantes caractéristiques formelles de Citizen Kane est la
manière dont son récit manipule la temporalité de l'histoire. Ceci est justifié,
comme nous l’avons déjà vu, par l'enquête de Thompson et l'ordre dans
lequel il interroge les narrateurs. Diverses techniques concourent à cette
manipulation de l'ordre et de la durée. Le passage du récit au présent, par un
narrateur, à l’événement passé qu’il raconte, est souvent renforcé par un rac
cord «choc». On peut définir un raccord «choc» comme la succession discor
dante de deux plans, produite en général par une augmentation soudaine de
l’intensité sonore et une forte discontinuité visuelle. Citizen Kane en offre plu
sieurs exemples : le brusque début du film d'actualité juste après le plan sur le
lit de mort de Kane; le passage de la conversation tranquille, dans la salle où
vient d’être projeté le film, à l’éclairage et à l’orage à l’extérieur de El Rancho;
un cacatoès qui surgit en criant devant la caméra, au début du témoignage de Figure 10.31
447
J - Ll HHl
448
(MIFIHt || ■ |I tint (ll»r
449
est particulièrement apparent lorsque les caméras sont équipées d'objectifs à
très longue focale permettant de saisir un détail. Dans le pian poitrine sur
Glen Morris, la foule, loin derrière lui, n'est plus qu'un ensemble de taches
noires et blanches (fig. 5.13). De tels plans contrastent avec ceux où l'on voit
les athlètes sur fond de ciel, pris dans des contre-plongées qui éliminent toute
présence de la foule à l'image (figs. 5.9 et 5.21). Comme nous l’avons vu au
chapitre 5. l'évolution vers ce type de plans fait partie de l'un des schémas de
développement du film; ils interviennent vers la fin des épreuves de gymnasti
que (segment 2) et des plongeons (segment 11).
D'autres techniques de cadrage contribuent à la progression stylistique du
film. Des voiliers qui envahissent très lentement le cadre (fig. 10.33) produi
sent une composition étonnante et soulignent une fois de plus le motif du
ciel. Certains cadrages mettent en valeur la juxtaposition d’un premier plan et
des arrière-plans, comme ce moment où une branche placée devant le stade
lointain prolonge le motif de la nature (fig. 5.6) ou lorsque les cyclistes fran
çais, vainqueurs de leur épreuve, regardent la levée des drapeaux (fig. 10.34).
Dans les segments où les athlètes sont plus individualisés, certaines tech
niques intensifient l'objectif général; c'est par exemple le moment où une
surimpression crée un effet subjectif de vitesse lorsqu’un cycliste accélère vers
la ligne d’arrivée (fig. 5.16).
Riefenslahl, qui disposait d'une énorme quantité de film impressionné,
dut faire face un gigantesque travail de montage. Le film ne sortit qu'en 1938,
deux ans après la fin des Jeux, à cause de l’ampleur du travail de postproduc-
lion. Mais les nombreuses heures de film impressionné offraient aussi de
riches possibilités de juxtapositions dynamiques tant visuelles que rythmi
ques. Cette seconde partie des Dieux du itade contient un large éventail de
techniques de montage. Certains moments jouent sur des ressemblances
visuelles, comme lorsque s’enchaînent une suite de panoramiques montrant
les différents coureurs du pentathlon quittant la ligne de départ. Dans d'autres
450
UfiPIIH 10 - LL.(QWJ.mm mmu
451
HILLLL U LULLL
l’espace. Riefenstahl insère des plans où le mouvement a été inversé — les ath
lètes montent vers le plongeoir— cl d'autres où l'inversion du mouvement sc
double d'un renversement du cadre (fig. 10.41 ). Les plongeurs, défiant les lois
de la gravité, sc mettent à évoluer dans toutes les directions, ce qui renforce
l’impression que leur mouvement est celui d'un envol.
La bande son des Dieux du stade est simple mais puissante. Une musique
romantique à caractère wagnérien, composée par Herbert Windt, accompa
gne de nombreuses épreuves et prend foute son importance au début et à la
fin du film, lorsque le commcniateur ne nous donne aucune information.
Figure 10.41 Cette musique nous incite à réagir de certaines façons : elle est lente et majes
tueuse pour la scène d’ouverture, dans les bois; des rythmes plus légers
accompagnent les exerciccsdu segment 2; elle se fait grandiose, grisante, pour
la séquence des plongeons. Pour apporter un peu de variété, certaines scènes
sont dénuées de musique et entièrement dominées par la voix du narrateur
(comme dans le hockey sur gazon du segment 7). Cette voix nous conduit
aussi à certaines réactions; elle a un râle essentiel dans les segments narratifs
centraux, où les personnages sont plus individualisés. Au cours du pentathlon
et du décathlon, le narrateur provoque un suspense en nous indiquant quels
athlètes il faut regarder. Sa voix hésitante laisse croire qu’il attend, lui aussi,
l’issue de l’épreuve (même si la bande son fut ajoutée bien après cette der
nière). Certains bruits sont parfois supposés venir de l’espace où se déroulent
les évènements —des acclamations du public, du vent, etc.— mais le film
emploie essentiellement la musique et le discours du narrateur pour guider
notre attention.
Nous avons vu dans le chapitre 5 comment cette seconde partie des Dieux
du stade produit des significations tant référentielles qu’explicites relatives aux
Jeux olympiques eux-mêmes, tandis que scs significations implicites et symp
tomatiques procèdent de l’idéologie de ses concepteurs nazis. Le style du film
joue un grand rôle dans l’indication des significations symptomatiques. Les
décors grandioses comme les figures de cadrage et de montage faisant des
athlètes des surhommes, participent de cette mythologie nazie fondée sur la
suprématie de certaines races. Ix cadrage met en valeur la discipline excessive
des épreuves; la musique wagnérienne sc conforme aux normes de la culture
officielle. Ces idées sont, fort heureusement, moins présentes parmi nous
aujourd'hui et un public contemporain ne réagira sans doute pas aux Dieux
du stade de la même façon que le public allemand des années 30. Mais en
séparant clairement les différentes catégories composant le film et en mar
quant ses différents schémas de développement, le style réussit à doter la
forme catégorielle d'un intérêt et d’une charge émotive considérables.
452
— ... _ (WILLCJII - L.( HJ U LOBID.I Hj.UBI lûfi|£l
453
„ mini • H IIÎH
454
.(BflNïH io - li twu coimjmm toiiiii
la séquence s'imensific; des plans brefs sur des éclairs sont insérés parmi
ceux montrant le déchaînement des eaux et la musique, dramatique, est bien
tôt étouffée sous les bruits de fortes sirènes et de sifflets. Les procédés stylisti
ques sc sont combinés pour arriver à un moment d’intensité maximale, un
dimax qui nous convainc de la menace représentée par la crue. Sans cette Figure 10.46
appréhension tant factuelle qu'émotionnelle de la situation, l’argumentation
générale du film nous toucherait sans doute moins. Les voix, les musiques, le
montage et les mouvements internes aux plans sont constamment utilisés,
dans The river, pour élaborer un rythme servant ses fins rhétoriques.
455
1UIU.1 -IL LUI!
456
(Wllil 18 - U HVLl (Û.11.LWI1RI lOfijnil
la plupart des objets utilisés font partie de la vie quotidienne mais la mise
en scène les extrait de ce contexte familier et renouvelle notre façon de les voir.
Une grande quantité de plans, par exemple, présentent des visages ou des
objets sur fonds noirs ou blancs (figs. 5.37 et 5.44). Dans quelques cas, les
fonds eux-mêmes sont composés de motifs noirs et blancs, comme dans le
plan montrant la boule qui se balance, presque à la fin du deuxieme segment
(fig. 10.53). Les objets animés d'un mouvement de balancier ou de rotation,
particulièrement les mouvements de machine du quatrième segment, tra
vaillent directement l'idée de -ballet mécanique». Même le maquillage, que
l’on associe habituellement aux films avec personnages, souligne des corres
pondances abstraites: dans le plan sur le profil de la femme (fig. 5.39), un
maquillage épais associé au manque d’expression du personnage et à un mou
vement de rotation très raide manifeste sa ressemblance avec un mannequin.
De même, les mouvements exécutés par des figures humaines miment ceux
des machines.
D’autres aspects du cadrage ont des fonctions similaires. Des caches modi
fient la forme de l’écran pour en souligner une partie, comme dans les plans
répétés d’un œil féminin (fig. 5.34). La femme à la balançoire du segment 1
est présentée dans un cadre renversé (fig. 5.32) comme les alignements de
Figure 10.54
plats qui se balancent du segment 6 (fig. 5.41). Un effet spécial peut informer
tout un segment — par exemple les vues prismatiques du deuxième segment,
qui reviennent plus tard comme motif. Les mouvements de cadre, enfin, ont
essentiellement une fonction rythmique. Les panoramiques courts et régu
liers du plan renversé sur la femme à la balançoire lancent ce processus et
reviennent sous forme d’une rapide et répétitive succession de brefs panora
miques sur les attractions d'un champ de foire, dans le troisième segment.
457
min î - ii mil
458
<anium llibu (mi svmu miti
459
ie style nous offre des indications sur la façon de réagir aux images, tant intel
lectuellement qu'affcctivcment.
Notre capacité à suivre les comparaisons qui sont faites d'un plan à l’autre
est aussi problématisée par le fait que Conner a juxtaposé des éléments sem
blables trouvés dans des films différents, plaçant côte à côte un accident de
stock-car et un accident de voilure de course ou la chute d'un skieur nautique
et celle d’un surfeur. Par ailleurs. A movie se sert de la mise en scène des diffé
rents plans qui le composent pour orienter nos réactions émotionnelles. Les
accidents d’avions ou les plans montrant des pompiers suscitent l’angoisse ou
l'horreur, tandis que les parties du film moins violemment sinistres contien
nent quelques images d’une grande beauté, comme le premier plan sur l’Hin-
denburg flottant au-dessus d’une ville (fig. 5.49). Des éléments de la mise en
scène contribuent à la forme globale du film, des motifs visuels étant répétés
et modifiés. Comme nous l'avons vu dans le chapitres, les motifs des
deuxième et troisième segments sont repris dans la quatrième partie et dans la
dernière.
460
utniJU io - k uni (Dim sjjiiajjojoiu
Figure 10.61
461
HiJUJ - H.1IJUL
franche sur une vue plus proche du volcan (encore avec un zoom avant), on
passe en fondu enchaîné à une scène de couronnement (fig. 10.64), qui fait
elle aussi l'objet d'un agrandissement optique (fig. 10.65). Suit un autre fondu
enchaîné sur l'incendie de l’Hindenburg puis un dernier, associé à un zoom
avant, sur un alignement de tanks en mouvement. Ce bref segment contraste
avec le reste du film, où la manipulation des plans d’origine se limite généra
lement au travail du montage et du son. Ces fondus enchaînés et ces zooms
rapides semblent avoir en partie pour effet de nous précipiter vers les catas
trophes ou les autres scènes montrées par chacun des plans. Maison peut sur
tout constater que, de façon frappante, chaque scène semble surgir de la
figure 10.64 précédente — le volcan «sort» de la pyramide, le prêtre se mêle un instant à la
fumée du volcan avant de s'agrandir, etc. Cette série crée un lien très fort
entre les éléments disparates qui la composent, accroissant notre sensibilité au
rythme et au caractère inexorable de ce flot d'images funestes.
Le son est indispensable aux différents effets de movie. Dans le
chapitre 5, nous avons vu que les séparations entre les segments 2, 3 et 4 cor
respondent à des pauses entre les mouvements des Pins de Rome de Respighi.
Les importantes différences de tonalité entre ces mouvements nous donnent
aussi de fortes indications sur la façon dont nous sommes censés réagir aux
images. Les plans qui ouvrent le troisième segment — les femmes portant des
totems, l’Hindenburg, les acrobates — acquièrent leur caractère inquiétant,
légèrement sinistre, par la seule présence de l’accompagnement musical. La
Figure 10.65
musique, de plus, intensifie nos réactions émotionnelles. Les catastrophes en
série du quatrième segment, effrayantes par elles-mêmes, s'enchaînent sous
l'effet d'une musique solennelle, au rythme impérieux, en un même course
mortelle et apocalyptique.
Le son est entièrement extradiégétique et l’on n'entend aucune voix, aucun
bruit qui seraient censés provenir des scènes représentées. Cependant, le
montage de Conncr est attentif aux correspondances rythmiques entre les
mouvements de l’image, les raccords et la musique. La montée frénétique du
passage rapide des Pins de Rome, à la fin du deuxième segment, accompagne
par exemple la série d'accidents de voiture. Des phrases stridentes, dissonan
tes, commencent à ponctuer régulièrement la musique, que le réalisateur syn
chronise avec les accidents afin d’accentuer leur impact visuel. Plus tard, dans
le quatrième segment, le plan sur le joueur de flûte (fig. 5.57) coïncide avec un
passage pour flûte et hautbois, de telle façon que nous avons, un court instant,
l'impression que le son est devenu diégétique. Cette impression accroît le
caractère idyllique de ces plans exotiques, juste avant le retour des plans mon
trant diverses catastrophes. Même si Conner a choisit un morceau de musique
préexistant, il l'a précisément ajusté à scs images et l’a fait concourir à la tona
lité et à la forme du film.
462
_______ t , (WllH 10 - Il HïLl (DIDŒl IVH1II IDfimiL
Comme Ballet mécanique, À movie utilise des raccords visuels pour pro
duire des comparaisons. Au cours de la même série de déplacements rapides
montés ensemble dans le deuxième segment, on voit d’abord une diligence
passant au-dessus de la caméra (fig. 10.66) puis un plan, visuellement sembla
ble, montrant un tank filmé avec une caméra placée près du sol (fig. 10.67). Figure 10.66
Associés au tempo rapide du montage, de tels moments contribuent à la fré
nésie et à l’euphorie générées par ce segment. En trouvant ce genre de ressem
blances dans des plans d’origines différentes, Conner en souligne aussi des
correspondances à caractère associatif. Ces liens stylistiques nous conduisent
à la découverte de liens émotionnels et conceptuels.
463
muiLi. u ntu
ce film, comme dans tout type de forme non-narrative, le style joue un rôle
capital pour la totalité formelle de l'œuvre et l'expérience du spectateur.
Ceci conclut notre examen de la forme et des techniques cinématographi
ques. Comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises, aucun ensemble de
règles ne vous permettra de comprendre automatiquement un film. Tout film
crée une forme unique à partir d’une interaction entre structure et style, et la
fonction de chaque élément singulier (chaque partie de la forme ou chaque
procédé stylistique] dépend de sa place au sein de ce système. Analyser la
nature de ce système formel et les fonctions de procédé singuliers, tel est
l'objectif du critique. La quatrième partie de ce livre est constituée d’une série
d'analyses montrant de quelle façon un critique peut appréhender le fonc
tionnement de filins appartenant à des genres très différents.
464
omrà mm
ANALYSES
CRITIQUES
Nous avons détaillé jusqu’ici des notions et des définitions qui permettent à
l'amateur de cinéma de pratiquer une analyse systématique. Le critique aborde
une œuvre en sachant que l’importance probable de certaines structures for
melles, telles que les répétitions et les variations, nécessitera leur observation. I]
sera aussi attentif aux principes formels narratifs ou non-narratifs, comme aux
usages remarquables qui pourraient être faits de différentes techniques; il fon
dera scs affirmations sur des éléments précis extraits du film.
Nous avons considéré, dans les chapitres précédents, l’ensemble des techni
ques cinématographiques; nous avons aussi exposé les principes fondamentaux
qui déterminent le caractère narratif ou non-narratif d’une forme. Nos exem
ples et nos analyses ont montré que la fonction des éléments composant un film
est toujours relative à un système. Mais, au-delà de ces connaissances, la seule
façon d'acquérir une compétence analytique est de regarder des films, d’écrire
sur eux dans une visée critique et de lire des analyses faites par d'autres criti
ques. C’est pourquoi nous voulons conclure notre évocation des films comme
systèmes formels par une série d’exemples, de brefs essais sur quelques œuvres.
Parce que l’analyste est limité par son propos, il y a peu de chance qu'il
remarque « tout -, qu’il rende compte de chaque facette d’une œuvre. Les analy
ses suivantes n’échappent pas à la règle : aucune d’elle n’épuise le film dont elle
traite. Vous pourrez étudier n’importe lequel des films évoqués et découvrir
plus de points intéressants que ce qu’il nous était possible de présenter ici : des
livres entiers peuvent être consacrés à un seul film — et certains l’ont été — sans
épuiser toutes les possibilités d’en enrichir noire expérience.
La critique de film :
exemples d'analyses
On passe enfin à une série d'analyse mettant l’accent sur des éléments
d’idéologie sociale. Notre premier exemple. Le chant du Missouri, est un film
qui accepte une idéologie dominante et renforce la croyance du spectateur en
cette idéologie. À l’inverse, Raging bull (Martin Scorcese, 1980) montre de
quelle façon les implications idéologiques d'un film peuvent présenter des
ambiguïtés.
On aurait pu souligner d'autres aspects de chacun de ces films. Le chant du
Missouri, par exemple, est aussi un film narratif classique, que l'on pourrait
aborder en tant que tel; L’homme à la caméra pourrait être considéré comme
une alternative au montage par continuité: et chacune des œuvres présente
une position idéologique qui pourrait être l'objet d’une analyse. Nos choix ne
font que suggérer certains angles d'approche: votre propre activité critique
vous permettra d’en découvrir beaucoup plus.
Cette activité est le sujet de l'appendice ajouté au chapitre, où nous propo
sons certaines façons de préparer, d’organiser et d'écrire une analyse critique.
Nous nous basons sur les quelques exemples d’analyses qui auront précédé
pour illustrer différentes stratégies que vous pourrez appliquer à vos propres
textes.
468
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469
luiLty hihw jmmu
grâce à son intérêt renouvelé pour le journalisme. Elle change d'avîs à pro
pos de son mariage avec Bruce et reste avec Walter.
2. Crime et politique. Earl Williams doit être pendu pour avoir abattu un
agent de police. Les actuels dirigeants politiques de la ville comptent sur
celte exécution pour assurer leur réélection : c'est l’objectif partagé par le
maire et le shérif. Mais l'un des objectifs de Walter est de persuader le gou
verneur de surseoir à l'exécution de Williams et de réussir ainsi à faire per
dre son siège au parti du maire lors des élections. À cause de la stupidité du
shérif, William s'évade; il trouve refuge auprès de Hildy et Walter. Pendant
ce temps, la grâce est accordée par le gouverneur; le maire soudoie
l’homme qui apportait le document pour qu'il reparle. Williams est
découvert, mais le messager revient à temps pour le sauver de la mort et
faire en sorte que Walter et Hildy échappent à la prison. On suppose que le
parti du maire sera battu aux élections.
470
h - ii (iijjjn uuii■
Il est peut-être plus impartant de noter la façon dont les scènes sont
littéralement - enchaînée» les unes aux autres. Un événement constituant la
fin d'une scène est la cause d’un événement qui ouvre la suivante. À la fin de
la première scène, par exemple, Walter invite Bruce et Hildy à déjeuner; la
scène 2 débute avec les trois personnages arrivant au restaurant. Cela illustre
bien la «linéarité» du récit classique : la quasi-totalité des scènes s’achèvent
sur une «cause sans suite», dont l’effet est montré au début de la scène
suivante. Dans His girl Frîday, cette structure linéaire soutient l'avancée
rapide du récit par une brève mise en place, à la fin de chaque scène, de ce qui
va suivre.
La logique causale du film illustre encore un autre principe de structura
tion du récit classique : la clôture. Tout événement à une cause (même l’arri
vée de Pettibone n’est pas un heureux hasard, car nous savons que l’on fait
pression sur le gouverneur pour qu'il prenne une décision) et, surtout, les
deux intrigues sont clairement résolues à la fin : Williams est sauvé et les poli
ticiens sont couverts de honte. Bruce, retourné chez lui avec sa mère, quitte
Walter et Hildy qui se préparent pour une seconde lune de miel pas moins
mouvementée que la première.
Voilà pour la causalité. Qu’en est-il du temps dans ce récit ? Dans le
cinéma classique hollywoodien, le temps est généralement asservi aux rela
tions causales; l’un des procédés courants pour y arriver est d’imposer à
l’action une limite temporelle : une échéance. Objectif temporel et objectif
causal se trouvent ainsi associés; le temps se charge d’une portée causale.
L’échéance est. bien sûr, l’une des conventions du «film de journaliste», qui
programme le temps du récit et l’enrichit d’un effet de suspense. Mais dans
His giri Friday, chacune des deux intrigues a son propre point limite. Celui
auquel le maire et le shérif font face est évident : Earl Williams doit être pendu
avant les élections — qui ont lieu le mardi suivant — et avant que le gouver
neur ne puisse le gracier. Walter Burns se trouve confronté au meme délai,
mais d’un point de vue inverse ; il veut que Williams soit gracié. Ce à quoi on
ne s’attend peut-être pas, c’est que l’intrigue amoureuse soit, elle aussi, sou
mise à une échéance.
Bruce et Hildy doivent prendre un train allant vers la villed’Albany,et vers
le mariage, à seize heures le jour même. Les machinations de Walter obligent
le couple à constamment reporter leur départ. S’ajoute à cela le fait que lors
que Bruce vient s’expliquer avec Walter et Hildy.il sort sur cet ultimatum : «Je
prends le train de neuf heures!» (Hildy manquera aussi ce train.) La structure
temporelle du film est donc liée à la séquence causale : si Earl Williams devait
être pendu le mois suivant, si les élections se déroulaient dans deux ans ou
si Bruce et Hildy avaient programmé leur mariage pour une date ultérieure,
il n’y aurait pas cette impression d’urgence dramatique. Les nombreuses
471
échéances qui se chevauchent et dont tous les personnages sont victimes
provoquent un entrelacement serré de toutes les intrigues et alimentent la
cadence effrénée du film.
Un autre aspect de la structuration temporelle vient encore renforcer cette
cadence. Bien que le récit présente les événements dans un ordre chronologi
que, il prend des libertés frappantes avec la durée. L’action se déroulant en à
peu près neuf heures (de 12h3O à 211130 environ), nous nous attendons à ce
que du temps soit éliminé entre les scènes; ce qui se produit. Mais plus inhabi
tuelle est l’accélération du temps d l'intérieur des scènes.
Au début de la première scène, par exemple, l’horloge qui se trouve dans
un bureau du Post affiche I2h57. Il est important de noter qu’il n’y a eu
aucune ellipse dans cette scène; la durée de l’histoire a simplement été com
primée. Si vous chronométrez la scène 13, vous constaterez une accélération
encore plus importante: des personnages qui partent pour un long voyage
reviennent moins de dix minutes plus tard! Là aussi, le montage est continu :
c’est le temps de l’histoire qui «va plus vile» que celui de la projection. Cette
compression temporelle s’associe au flot délirant du dialogue et à quelques
moments d’accélération du montage (par exemple, lorsque les journalistes se
mettent à crier juste avant la capture de Williams) pour créer le rythme enlevé
du film.
L’espace, comme le temps, est ici subordonné à la causalité narrative. La
caméra de Hawks se déplace discrètement pour maintenir une disposition
symétrique des personnages dans le cadre. (Observez n’importe quelle scène
sans le son pour constater le travail constant de ce subtil «équilibrage-. On en
donne un exemple avec les figures 7.140 - 7.142.) L'axe de prise de vues est
généralement horizontal, à l'exception d’une occasionnelle plongée sur la
cour de la prison ou sur les barreaux de la cellule de Williams. On peut se
Figure 11.1 demander en passant pourquoi la prison reçoit ce traitement visuel particu
lier, en terme d’angle de prise de vues et d’éclairage.
Le fait que l'action soit limitée à un très petit nombre de décors peut sem
bler un handicap, mais les dispositions des personnages sont remarquable
ment variées et fonctionnelles. Le moment où Walter persuade Hildy d'écrire
un article est intéressant de ce point de vue, les deux personnages faisant le
tour complet du bureau et Walter prenant quelques poses comiques
(figs. 11.1, 11.2; remarquez le recadragc). L’effet de continuité spatiale assuré
par le montage permet d'anticiper chaque action par un raccord judicieux sur
une vue rapprochée ou un raccord dans le mouvement fluide, qui fait que
nous regardons les gestes et ne remarquons pas les raccords. Dans la scène
d’ouverture, par exemple, le moment où Hildy jette son sac à main sur Walter
Figure 11.2
est l’occasion d'un raccord dans l'axe sur une vue plus large de la scène
472
( U fl PI III II - LA (fl 11 12U4 H 11IH . Il11 PLI! P 'fl « fl LVU i
Mais Hawks orchestre aussi les aspects visuels et sonores de cette utilisa
tion massive du téléphone. On en trouve de nombreuses variantes : une per
sonne peut parler au téléphone ou plusieurs personnes, parler successivement
dans différents téléphones: plusieurs personnes peuvent aussi parler en même Figure 11.4
temps dans différents appareils et une conversation téléphonique peut se
trouver juxtaposée à une autre conversation se déroulant dans la même pièce.
Dans la scène 11, il y a un effet de polyphonie au moment où tous les repor
ters appellent leurs rédacteurs en chef et où chaque conversation se mêle à la
précédente. Plus tard, dans la scène 13, tandis que Hildy, frénétique, appelle
des hôpitaux, Walter cric dans un autre téléphone (fig. 11.5). Et lorsque Bruce
revient chercher Hildy, éclate un tohu-bohu dans lequel on peut distinguer
trois lignes sonores: Bruce suppliant Hildy de l’écouter; Hildy qui fait un
bruit obsédant en tapant son article; Walter hurlant au téléphone pour que
Duffy finisse la première page («Non, non, laisse l’histoire du coq — ça a un
intérêt humain!»). Il serait justifié de consacrer aux téléphones de Hisgirl Fri
day. comme à beaucoup d’autres éléments du film, une étude détaillée préci Figure 11.5
sant les façons complexes et variées dont ils sont intégrés au récit et dont ils
contribuent au tempo rapide de l’oeuvre.
473
Pfijim 4 - mimi UIIIJIUI
Hitchcock a longuement insisté sur le fait qu’il faisait des thrillers, des films à
suspense, pas des filins policiers OU à énigmes. S'il reste des éléments partici
pant de ces genres dans des films comme La enchaînés, Le grand alibi (Stage
fright, 1950) ou Psychose, La mort aux trousses s’offre par contre comme une
pure illustration de cette conviction de son réalisateur : les énigmes ne sont
qu'un prétexte pour éveiller la curiosité du public. La très forte cohérence de
la chaîne causale, dans ce film, permet <1 Hitchcock de créer un récil captivant
obéissant aux règles classiques. Ce récit est présenté à travers une narration
qui accentue constamment les effets de suspense et de surprise.
Même à partir d'un compte rendu aussi dépouillé, il est évident que ce
récit présente au spectateur des schémas narratifs conventionnels. On y
trouve une recherche: Thornhill essaye de retrouver Kaplan; un voyage:
Thornhill et ses poursuivants vont de New York à Chicago, puis à Rapid City,
dans le sud du Dakota, plus quelques détours: et enfin une histoire d'amour,
entre Ève et Thornhill, autour de laquelle s'organisent les deux derniers tiers
du récit. Chacune de ces formes évolue sensiblement au cours du film. Durant
sa recherche, Thornhill doit souvent prendre l’identité de celui qu’il veut
retrouver. Ij forme du voyage est diversifiée à travers les différents véhicules
474
(JUUJIil I I - Il (1111oül H XIII 4IWLH D IHUHH
475
mm v julub ojutu!
476
iWliU I lé iuujiw pi mi iiîim PiLfiuuu
d'un policier droit vers la caméra — le plan subjectif nous fait directement
partager l’expérience du personnage (figs. 11.10, 11. ) ) ).
Les plans subjectifs associés à Thornhill fonctionnent dans le cadre d'une
narration souvent restreinte non seulement à ce qu’il ivit, mais à ce qu'il sait.
L'attaque de l’avion à Prairie Stop, par exemple, est entièrement décrite dans
les limites du savoir de Roger. Hitchcock aurait pu insérer, dans la scène le
montrant en train d’attendre au bord de la roule, un plan sur les pilotes de
l’avion se préparant à l'attaquer. De même, quand Roger cherche la chambre
de Kaplan et reçoit un appel des deux hommes de main de Van Damm, Hitch
cock aurait pu, par un montage alterné, nous les montrer au téléphone dans le Figure 11.10
hall de l'hôtel. Au lieu de cela, nous apprenons où ils sc trouvent en même
temps que Thornhill, Lorsque ce dernier se dépêche de sortir de la chambre
avec sa mère, le montage alterné n'est pas plus utilisé pour nous montrer les
deux hommes à leur poursuite, ce qui rend plus surprenant le moment où ils
se retrouvent tous ensemble dans l'ascenseur. Dans des scènes comme celles-
ci, limiter le savoir du spectateur à celui de Thornhill permet d’aiguiser les
effets de surprise.
Les mêmes effets sont parfois produits lorsque le film nous restreint au
savoir du personnage puis nous donne une information qu’il ne possède pas.
Dans le chapitre 4, nous avons dit qu'une surprise de ce type intervenait au
moment où l’on passe de la fuite de Thornhill hors du bâtiment des Nations
unies, après le meurtre, à la scène se déroulant dans un bureau de l’USIA, où Figure 11.11
une équipe d'agents discute de toute l’affaire. Nous apprenons alors qu’il n'y a
pas de George Kaplan — ce que Roger ne découvrira que plusieurs scènes
plus tard.
Un autre écart par rapport au savoir du personnage principal produit un
effet comparable durant la séquence du voyage en train entre New York et
Chicago. Depuis plusieurs scènes, Eve Kendall aide Thornhill à échapper à la
police. Ils se retrouvent enfin seuls et relativement en sécurité dans le compar
timent de Eve. À ce moment, la narration passe à un autre champ informatif.
Un message est remis dans un autre compartiment; des mains déplient une
note : «Qu’est-ce que je fais de lui demain matin ?» La caméra recule pour
nous montrer Léonard et Van Damm en train de lire ce message : nous savons
à présent que Eve n'est pas qu'une inconnue secourable mais quelqu’un qui
travaille pour le réseau d’espions. Roger apprendra cela beaucoup plus lard.
Dans de tels cas. le passage à un champ informatif plus étendu permet a la
narration de nous placer un cran plus haut que Thornhill dans la hiérarchie
des savoirs.
Ces moments provoquent la surprise, mais nous avons déjà signalé que
Hitchcock prétendait en général qu’il préférait déclencher du suspense. Le
477
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478
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480
WHiI 11 - p IJIIIIM u (LU immiumi
narration va, une fois de plus, nous révéler brusquement les limites de notre
savoir. Une détonation retentit, hors-champ, et Léonard s’écroule. Le Profes
seur est arrivé et a capturé Van Damm; un de ses hommes a abattu Leonard.
C'est donc encore une restriction du champ informatif qui a permis à la nar
ration de surprendre le public.
Ce même effet se trouve magnifié à la toute fin du film. Roger, dans une
succession de plans subjectifs, tire Ève jusqu’à lui. Ce geste entre en continuité
visuelle et sonore avec un mouvement équivalent par lequel il la fait monter
sur sa couchette, dans un train. La narration ne donne pas les détails du sau
vetage pour briser net le suspense généré par la situation de Ève. Une telle
transition, totalement réfléchie, n'est pas déplacée dans un film qui a pris le
temps de produire par ailleurs quelques traits de dérision. (Au cours du géné
rique, on voit Hitchcock en personne, manquant un bus dont les portes se
referment devant lui. lorsque Roger, sur le point d'ètre projeté dans son
aventure, pénètre à grands pas dans l’hôtel Plaza, il y a une musique
d'ambiance dont le titre est : H's a ntost unusual day, «C’est une journée des
plus inhabituelles».) Cette pirouette finale montre une fois encore que la
manipulation, plan par plan, du savoir du spectateur produit un constant jeu
de va-et-vient entre le probable et l'inattendu, le suspense et la surprise.
A première vue. Do the right thing, avec ses multiples scènes courtes
décousues, sa caméra vagabonde, infatigable, et son grand nombre de person
nages sans objectif, ne semble pas être un film narratif classique. Comme
nous le verrons, le film s’écarte en effet par certains aspects des règles clas
siques. Mais il a aussi cette clarté excessive de l’action et cette sorte de forte
tendance au récit que l'on associe au classicisme cinématographique. Il
s'apparente de plus à un genre ordinaire du cinéma américain — le film trai
tant de problèmes sociaux. Une analyse plus précise révèle enfin que l.ee a fait
appel à de nombreux procédés classiques pour donner une unité sous-jacente
à un film qui parait d’abord peu structuré.
Do the right thing se déroule dans le quartier Bedford-St uyvesant de Broo
klyn, à majorité afro-américaine, durant une vague de chaleur. Des tensions à
caractère sexuel et racial surgissent lorsque Mookie, un livreur de pizza irres
ponsable. essaye de s’entendre avec sa petite amie portoricaine. Tina, et son
481
patron italo-américain, Sal. Un vieil ivrogne, Da Mayor, cherche à s'attirer les
bonnes grâces de sa voisine, la virulente Mother Sistcr. Une dispute entre Sal
et doux clients, Buggin’Out et Radio Raheem, s'envenime et provoque une
rixe au cours de laquelle Radio Raheem est tué par la police. La pizzeria est
incendiée pendant l'émeute qui s'ensuit.
Dû the right thing contient beaucoup plus de séquences isolées que, par
exemple, His girl Friday et ses 13 scènes nettement délimitées. Même en réu
nissant ensemble quelques-unes des scènes les plus brèves, il reste encore 42
segments. Dresser une segmentation détaillée du film pourrait être utile dans
le cadre d'une autre analyse; nous voudrions, ici, nous concentrer Sur la façon
dont Lee entrelace toutes ces scènes en un tout.
Un important facteur d'unité, dans ce film, est le décor. Tout le récit se
déroule autour d'un pâté de maisons de Bcdford Stuyvesant. La «Sal s fanions
pizzeria - et le supermarché coréen qui se trouve en face forment, a l'une des
extrémités du pâté de maisons, un repère spatial fort où la plus grande partie
de l'action prend place. Les autres scènes se déroulent à l'intérieur ou devant
l’immeuble de couleur brune qui borde le reste de la rue. Les rencontres entre
les habitants du quartier fournissent les matériaux de la chaîne causale.
Pour s’accorder à celte limitation du décor, le cadre temporel de l'action
est lui aussi limité — une journée, d’un matin au matin suivant. Organiser un
film autour d’une courte période de la vie d'un groupe de personnages est une
pratique rare mais pas totalement ignorée dans le cinéma américain, comme
en témoignent Scène de la rue (Street scene. King Vidor, 1931 ), Rue sans issue
(Dead end. Wylliam Wyler, 1937), American Graffiti ou Nashville (Robert
Altman, 1975), L’animateur de radio, Mister Sehor Love Daddy, constitue un
motif récurrent liant ensemble les événements du film. Il apparaît en gros
plan au tout début de la première scène pour donner d’importantes informa
tions, par l’intermédiaire de son émission de radio, sur le lieu de l’action et
sur le temps — une vague de chaleur s’abat sur la région, qui va exacerber les
tensions entre les personnages et concourir à l’explosion de violence finale.
Pendant que l'animateur parle, la caméra sort lentement du studio en travel
ling et, par un mouvement de grue vertical, nous montre la rue encore vide au
petit matin. À plusieurs reprises au cours du film, Mister Sehor Love Daddy
fait des commentaires sur l'action en cours, comme lorsqu'il conseille à un
groupe de personnages lançant des injures racistes de -rester calme». La
musique qu'il diffuse passe sur des postes de radios situés dans différents lieux
de l’action et crée des ponts sonores entre des scènes sans liens directs. lj fin
du film fait écho au début : la caméra suit Mookie en travelling, dans la rue,
tandis que l'on entend la voix de l'animateur débitant une série d'informa
tions comparables à celles du malin précédent et dédiant la dernière chanson
à feu Radio Raheem.
482
<1111111 n ■ in (11119111 u mi. luxujj » iiunu
483
huit personnages sont épisodiques, vagues et introduits de façon relativement
tardive dans le récit.
Buggin'Out, par exemple, exige que Sal affiche sur son mur des images
représentant des héros de ta cause noire. Lorsque Sal refuse cl le jette dehors, il
crie aux clients de boycotter la pizzeria. Un peu plus tard, tous les voisins qu’il
essaie de convaincre de participer au boycott refusent et son projet semble
compromis. Plus loin dans le film, Radio Rahccm et le débile Smiley acceptent
de s’allier à lui; c'est leur passage à la pizzeria, destiné à effrayer Sal, qui va
précipiter l’action vers son climax. L’objectif de Buggin’Out est atteint, briève
ment et de façon ironique, lorsque Smiley met une photographie de Malcom
X et Martin Luther King sur le mur de la pizzeria en feu — alors que Bug-
gin’Out est, à partir de ce moment, destiné à la prison.
Le but de Mookie est implicitement évoqué dès sa première apparition. Il
compte de l’argent et insiste constamment sur le fait qu'il veut simplement
travailler et être payé. Il rappelle plusieurs fois qu’il doit être payé dans la soi
rée — seule échéance du film, qui permet d’en souligner la condensation
chronologique. Mais ses raisons restent peu claires. Est-ce qu’il veut l'argent
pour pouvoir déménager de chez sa sœur, comme elle le réclame ? Ou est-ce
qu’il prévoit aussi d’aider Tina à prendre soin de leur enfant ?
De la meme façon on ne comprend pas très bien pourquoi, face à la mon
tée des tensions. Sal ne ferme pas sa pizzeria. Da Mayor exprime clairement
l’un des seuls objectifs précis du film lorsqu'il dit à Mother Sistcr qu'un jour,
elle sera gentille avec lui. 11 agit avec tant de courtoisie et de courage qu elle
finit par se rendre à son amitié. Pino, le fils de Sal, au racisme virulent, a un
but — réussir à faire comprendre à son père qu’ils pourraient vendre la pizze
ria cl quitter le quartier noir. Son désir sera peut-être finalement satisfait, bien
que le récit ne précise pas où Sal va reconstruire un restaurant.
Dans les films classiques traditionnels, où les désirs des différents person
nages sont souvent destinés à s’opposer, des objectifs clairement définis
génèrent un ou plusieurs conflits. Lee renverse habilement ce schéma en mini
misant les objectifs individuels mais en créant une communauté qui, dès le
début du film, est traversée de multiples conflits. Des disputes portant sur des
problèmes raciaux ou sexuels éclatent fréquemment, et les insultes volent. Ces
conflits sont à mettre en rapport avec le fait que Do the right thing est un film
traitant de problèmes sociaux, qui acquiert une grande partie de son unité à
travers un message didactique. Tout ce qui arrive est lié à une question
centrale : que peut-on faire pour apaiser une communauté déchirée par tant
de tensions ?
E^s objectifs et les actes des personnages sont autant de propositions
de réactions face à cette situation. Certains d'entre eux désirent seulement
484
ihimnm h fin amu».«««!”■<
l’éviter ou y échapper — Pino en quittant le quartier, Da Mayor en surmon
tant l'animosîté de Mother Sister. Mookie essaie de ne pas s’impliquer, ni du
côté de Sal, ni du côté de ses amis noirs; seule la mort de Radio Raheem le
pousse à se joindre à l'attaque de la pizzeria et même, en fait, à la provoquer.
D’autres personnages essaient de résoudre leurs problèmes. L’objectif de
Tina est, à ce titre, central : elle voudrait que Mookie agisse de façon plus res
ponsable, passe plus de temps avec elle et leur enfant; on nous laisse entendre
à la fin qu elle a peut-être, dans une certaine mesure, réussi. Mookie obtient sa
paye; il dit qu’il va chercher un autre travail et part voir son fils. Le dernier
plan, qui nous le montre en train de descendre la rue redevenue calme, peut
laisser penser qu’il le fera effectivement plus souvent par le futur.
Toutefois, la question centrale du film n’est pas de savoir si tel personnage
atteindra ou non scs objectifs mais si les conflits qui se propagent pourront
être résolus pacifiquement ou par la violence. Comme le dit l'animateur de
radio, le matin suivant l'émeute : «Allons-nous vivre ensemble — ensemble,
allons-nous vivre ?»
La fin de Do the right thing laisse un certain nombre de questions en sus
pens. Est-ce que Sal va reconstruire une pizzeria ? Est-ce que Mookie va vrai
ment voir son fils? Mais le plus important est que si le conflit, après un
embrasement brutal, s’est éteint, il est toujours présent dans la communauté,
prêt à refaire surface. Le problème de sa résolution définitive demeure, et le
film ne peut donc pas proposer un parfait dénouement. Une telle fin est
caractéristique des films traitant de problèmes sociaux : le conflit immédiat
peut être résolu mais pas la crise qui en est l’origine.
C’est aussi la raison pour laquelle la fin du film à un caractère volontaire
ment ambigu. Tout comme on ne sait pas, à la fin de Citizen Kane,si la révéla
tion du sens de «Rosebud» explique la personnalité de Kane, on est libre de
méditer, à la fin de Do the right thing («Fait la chose juste», «Fait ce qu'il faut
faire») sur ce qu'est «la chose juste». Le film se poursuit, après la fin de l’his
toire, par deux citations extradiégétiques. de Martin Luther King et Malcom
X. Celle de King prône une démarche non-violente pour la lutte pour les
droits civils, tandis que Malcom X admet la violence lorsqu'elle est une auto
défense.
Le film ne veut pas indiquer lequel des deux leaders a raison — même si
l'action et l'insertion de la phrase -By any means necessary», «Par tous les
moyens nécessaires», à la fin du générique, semblent faire pencher le film du
côté de Malcom X. La juxtaposition des deux citations, associée à la fin
ouverte du récit, semble aussi destinée à stimuler le débat. L'ensemble sous-
entend peut-être que chacune des positions est valable selon les circonstances.
L'inlrigue concernant la pizzeria de Sal s'achève dans la violence: pendant ce
485
PfifilH 4 - £BfilVJ.il (HIIIHU
486
uim h - il (sium pi ma ;
487
pfiftill 4 - fiflûLVJU i IJALI'
Par certains aspects, bout de souffle imite un genre hollywoodien des années
40, le film noir, où l’on trouve des détectives entêtés et intrépides côtoyant des
gangsters ou des hommes ordinaires attirés par le crime. Souvent une femme
séduisante, «fatale»,y persuade le personnage principal d'accomplir une mis
sion dangereuse pour des raisons personnelles qu elle dissimule — cf. Le fau
con maltais, Assurance sur la mort (Double indemnity, Billy Wildcr, 1944). Le
récit de À bout de souffle l'apparente à une sous-catégorie classique du film
noir — le film de «hors-la-loi», mettant en scène de jeunes criminels en fuite
— cf. Les amants de la nuit (They live by night, Nicholas Ray, 1949), Le démon
des armes (G«n Crazy, 1950, Joseph H. Lewis).
488
_ jaoiiujj u (imm h iilb . hiimi p iiiuui. —
489
U1IU 4 - filiLVin (1LLLUU
coudes —dont certaines oni peu de rapport avec les objectifs que l'on vient
de définir — alternent avec de longues plages de dialogues qui semblent, elles
aussi, hors de propos. La plupart des 22 segments qui composent le film ne
durent pas plus de quatre minutes. Une scène de 43 secondes montre simple
ment Michel, à l’arrêt devant un cinéma, regardant une photographie de
Bogart.
Les scènes contenant une action importante sont parfois rapides et confu
ses. Le meurtre de l'agent de police, événement qui déclenche une grande par
tie de ce qui va suivre, est traité sur un mode très elliptique. Nous voyons
d’abord, en plan d’ensemble, l'agent qui s'approche de la voiture de Michel,
garée dans une contre-allée; puis, en plan de demi-ensemble, Michel qui
pénètre dans la voiture pour prendre son pistolet. Suit un gros plan sur son
visage, au moment où le policier dit : «Bouge pas ou je te brûle» (fig. 11.29).
Deux gros plan très brefs panotent sur le bras de Michel puis sur son arme
(figs. 11.30, 11.31), et l’on entend une détonation. On entraperçoit le policier
tombant dans un bas-càté broussailleux (fig. 11.32), puis l’on voit Michcl.cn
plan général, qui s'éloigne en courant à travers un champ. Une grande partie
de l’action a été éludée, si bien que l'on peu à peine comprendre ce qui se
passe et que l'on doit juger par soi-même du caractère volontaire ou acciden
tel du coup de feu tiré par Michel.
À l’inverse de cette description éclair d’un moment clé de l'action, une très
longue conversation, au milieu du film, conduit à une sorte d'immobilisation
du récit. Durant presque 25 minutes. Michel et Patricia discutent dans la
chambre de celte dernière. À certains moments, Michel tente de remplir ses
différents objectifs : il essaie, en vain, de téléphoner à Antonio ou de persua
der Patricia de venir à Rome. Mais la plus grande partie de la conversation est
insignifiante, triviale — il critique la façon dont elle met son rouge à lèvres,
elle lui demande s'il préfère les disques ou la radio. Ils jouent à se regarder
Figure 11.29 dans les yeux pour savoir qui fléchira le premier ou parlent de l’a tlichc quelle
490
ÜIW1KJJ - Il UUIUUM tlU niym LAllWll
vient d’acheter. Leur dialogue est si décousu que certains critiques ont sup
posé qu’il était improvisé (Godard affirme qu’il était entièrement écrit).
Patricia insinue, à un moment de la séquence, quelle ne partira pas avec
lui parce quelle ne sait pas si elle l’aime. Michel: «Quand est-ce que tu
sauras ?• Patricia : «Bientôt.. Michel : «Qu’est-ce que ça veut dire, bientôt ’
Dans un mois, dans un an ?■ Patricia : -Bientôt, ça veut dire bientôt.» S'ils
font l’amour à la fin de cette longue scène (qui occupe presque un tiers des 89
minutes du film), nous ne savons toujours pas vraiment s’il a réussi à la
séduire et il n’a, par ailleurs, pas progressé dans son projet de fuite. Dans de
telles scènes, Michel ressemble plus à une sorte de délinquant vagabond, per
dant facilement la tête, qu'au héros pourchassé et désespéré d’un film noir.
C’est seulement au cours de la scène se déroulant à l’extérieur des locaux
du Herald Tribune qu’un autre événement décisif intervient. Un passant (joué
par Godard) reconnaît Michel, dont il a vu la photographie dans un journal,
et prévient le police, déclenchant une chaîne d'événements qui vont mener à
la mort du personnage. Cependant, immédiatement après, le film fait un
nouveau détour; dans la scène suivante, Patricia participe à une conférence de
presse où est interviewé un romancier célèbre, personnage sans lien avec
l’action principale. La majorité des questions posées par les journalistes se
rapportent aux différences entre les hommes et les femmes. Les réponses
du romancier sont plus ludiques que véritablement sérieuses, à la fin, Patricia
lui demande quelle est sa plus grande ambition, et il répond de façon
énigmatique: «Devenir immortel, et puis mourir». Le regard perplexe
jeté par Patricia à la caméra préfigure l'incertitude qui s’attachera à la fin du
film.
Après avoir été interrogée par le commissaire Vital dans les bureaux du
Herald Tribune, Patricia comprend, avec Michel, que la police a retrouvé la
trace de ce dernier. bout de souffle commence alors à se développer de façon
plus conventionnelle. Dans la scène suivante, Patricia dit à Michel quelle
l’aime «énormément»; ils volent une voiture. Elle s'engage à fuir avec lui et
Michel semble donc atteindre scs objectifs romantiques. Lorsque Antonio
accepte de lui amener l’argent le lendemain matin, Michel progresse vers la
réalisation de son second objectif. Nous pouvons alors prévoir quelques
dénouements possibles: le couple réussira à s’enfuir ou bien l'un des deux,
voire les deux, seront tués lors de la tentative de fuite. Mais le matin suivant,
Patricia trompe toutes nos attentes en livrant Michel à Vital. Michel a encore,
à ce moment, une dernière chance : Antonio arrive juste avant la police, avec
l'argent et une voiture — mais il ne peut se résoudre à partir sans Patricia.
fin est particulièrement énigmatique. Michel est à terre, perdant son
sang, et Patricia, debout, le regarde. 11 refait, lentement, les mêmes grimaces
491
HÉTU 4 - MIIVHI (6IÎI0UH
qu’il lui avait faites durant leur longue conversation. Il murmure «C’est vrai
ment dégueulasse» et meurt. Patricia demande au commissaire Vital ce qu’il a
dit et celui-ci déforme les derniers mots de .Michel : • Il a dit : «Vous êtes vrai
ment une dégueulassc»». On nous laisse libre de décider ce que ce
• dégueulasse» désigne .■ la trahison de Patricia, le fait qu’il ait échoué in extre
mis à s'enfuir, ou tout simplement sa mort. Dans le dernier plan, Patricia fixe
la caméra, demande ce que -dégueulasse» veut dire, sc caresse les lèvres avec
ce même geste, inspiré par Bogart, qui a été celui de Michel pendant tout le
film (fig. 11.33) et nous tourne brusquement le dos au moment où intervient
un fondu au noir.
Figure 11.33
D’une certaine façon, le récit de bout de souffle s'achève sur un effet de
clôture: Michel n’a pas réussi à atteindre ses objectifs. Mais beaucoup de
questions restent en suspens. Même si Michel et Patricia parlent constam
ment deux-mêmes, nous apprenons très peu de choses sur leurs raisons
d’agir. Le film débute avec Michel disant : - L'un dans l’autre, je ne suis qu’un
pauvre type»: ses actes ne feront, en un sens, que confirmer ce jugement.
Cependant, on ne nous fournit jamais d’informations secondaires qui expli
queraient ses différentes décisions. Pourquoi est-il devenu un voleur de
voiture? Il a facilement abandonné sa précédente complice, plus tôt dans le
film, alors pourquoi veut-il risquer sa vie pour rester avec Patricia, une femme
qu'il ne connaît presque pas ? Parce que mourir pour l'amour d’une femme
qui n’en vaut pas la peine est ce qu’est supposé faire quelqu’un qui veut deve
nir l'équivalent d'un héros hollywoodien ?
Les traits de caractère et les objectifs de Patricia sont encore plus vagues et
ambigus. Lorsque Michel la voit pour la première fois, en train de vendre des
journaux sur les Champs-Élysées, elle n’est pas vraiment communicative:
pourtant, à la fin de la scène, elle revient en courant pour l'embrasser. Elle dit
continuellement quelle veut devenir journaliste au Tribune et écrire un
roman, mais parait abandonner toutes ses ambitions lorsqu’elle sc croit
amoureuse de Michel. Elle lui dit aussi être enceinte de lui, alors quelle n’a
pas encore reçu les résultats de son examen médical — et qu elle n’évoque
jamais cela comme une raison pour rester à Paris. Elle prétend souvent avoir
peur, mais après qu’ils ont volé une voiture elle dit que • il est trop tard main
tenant pour avoir peur». Cette réplique laisse comprendre quelle est venu à
bout de ses indécisions cl a décidé d’unir définitivement son destin à celui de
Michel. Lorsqu’elle le trahit, elle ne pense pas qu’il sera lué mais veut simple
ment le forcer à la quitter. Néanmoins, la façon dont elle explique pourquoi
elle a livré des informations sur Michel n’élucide pas son soudain revirement
sentimental. De même que Michel n’est pas fait pour être un dur, Patricia est
trop naïve et indécise pour jouer le rôle de la classique femme fatale.
492
___ JWIÏH H - Lfl U.IIIQUI U IILD1 UllHU MIWU1-..
Dans le film noir modèle, tous les personnages ont des rapports intenses et
sont fortement impliqués dans l'histoire. Ici, Michel et Patricia semblent avoir
peu de sentiments forts pour ce qu’ils font. Lorsque la femme trahit, dans k
film noir, le héros devient amer et désabusé; mais Michel ne semble pas blâ
mer Patricia pour ce qu elle a fait. Tout se passe comme si ces personnages
indécis, désorientés, sans confiance, étaient incapable de jouer la passion
désespérée des rôles hérités de la tradition hollywoodienne.
Le récit elliptique, voire obscur, de bout de souffle, est mis en image à
l’aide de procédés techniques qui sont eux aussi peu conventionnels. Comme
nous l’avons vu, les films hollywoodiens mettent en œuvre un système d’éclai
rage dit -trois points», constitué d’une lumière principale ou d’attaque, d’une
lumière d’appoint et d’un décrochage, soigneusement contrôlés en studio
(chapitre 6). bout de souffle a été entièrement tourné en décors réels, même
les intérieurs. Godard et son directeur de la photographie, Raoul Coutard,
avaient décidé de n'ajouter aucune source de lumière artificielle dans les
décors. De fait, les visages des personnages se retrouvent parfois dans l’ombre,
comme ce moment où Patricia s’assoit devant une fenêtre et allume une ciga
rette (fig. 11.34).
Tourné en décors réels, et particulièrement dans de petits appartements,
aurait dû rendre difficile la multiplication des positions et des mouvements de
caméra. Mais sachant profiter des nouveaux matériels portables, Coutard
filma en caméra portée et fut capable d’exécuter plusieurs travellings très
longs suivant les personnages, comme ce plan de trois minutes où Michel ren
contre Patricia pour la première fois alors qu elle parcourt les Champs-Élysécs
pour vendre le Herald Tribune (fig. 11.35). On raconte que Coutard était assis
dans un fauteuil roulant pour filmer ce plan, ainsi que quelques autres conte
nant des mouvements complexes en intérieurs. Lorsque Michel se rend dans
une agence de voyage pour essayer de toucher son chèque, 1e cadre glisse et
tourne avec aisance au moment où il passe entre les bureaux et dans un cou
loir (fig. 11.36). De tels plans rappellent les tournages en studio de nombreux
493
miu - nmm umsw
films noirs, par exemple les scènes finales de Ultime razzia, à la différence que
la position basse de la caméra ou un passant qui se retourne pour regarder les
acteurs (l’homme à droite du cadre en 11.35) attirent l’attention sur la techni
que, d’une façon qui s’écarte résolument des pratiques hollywoodiennes.
Le montage de Godard est encore plus surprenant que sa mise en scène. Il
suit parfois les normes et, à d'autres moments, s’en détache, rompt avec elles.
Le banal champ-contrechamp est au principe de plusieurs scènes, comme
lorsque Michel s'arrête devant une photographie de Bogart qui semble le
regarder (figs. 11.37, 11.38). De même, lorsqu’il remarque l'homme qui exa
mine sa photo dans le journal, Godard organise dans les règles les raccords
Figure 11.-10 regards. C’est un moment décisif du récit, où le respect de la règle des 180"
permet de mettre en évidence le fait que l'homme a repéré Michel et va peut-
être le dire à la police.
Cependant, ce qui donne au film son caractère «heurté», syncopé, encore
sensible pour un spectateur d’aujourd’hui, ce sont ses différentes transgres
sions du montage par continuité. S'il y a un type de raccord que le monteur
hollywoodien désapprouve, c’est le jump eut, la saute, où deux plans se succé
dant produisent une ellipse temporelle sans que la caméra ait notablement
changé de position (chapitre 8). Le jump eut est présent tout au long de À
bout de souffle. Dans l’une des premières scènes, où Michel rend visite à une
ancienne petite amie, leurs positions respectives changent brusquement à
l’occasion de plusieurs raccords. (La figure 11.39 montre le dernier photo-
gramme de l'un des plans et la figure 11.40, le premier photogramme du plan
qui suit.) Nous avons déjà évoqué un autre exemple de jump eut dans le
chapitre 8, une série de plans sur Patricia durant une conversation en voiture
(figs. 8.110,8.111, dernier et premier phoiogrammes de deux plans contigus).
Même quand la position de la caméra change, Godard fait disparaître un
peu de temps entre les plans ou bouleverse la disposition des personnages.
494
XHÛWU JJ - Ifl (11111111 H £JLfl) . IHDimi
Godard ne sc contente pas d’éviter les raccords dans le mouvement, il met Figure H.41
aussi en évidence les moments où il ne respecte pas la règle des 180°. Patricia
marche en lisant un journal; elle se déplace vers la droite dans un plan
(fig. 11.41) et vers la gauche dans le suivant (fig. 11.42), transgressions fla
grantes des conventions de représentation du mouvement. Dans la première
scène du film, alors que la complice de Michel lui indique une voiture à voler,
les directions de regard sont imprécises et nous ne comprenons pas très bien
quelles sont les positions respectives des deux personnages.
495
(jiihw
Voyage à Tokyo
Tokyo mûnogatari.!953. Shochiku ! Ofuna. Japon. Réalisé par Yasojiro Ozu.
Scénario de Ozu el Kogo Noda. Photographie : Yiiharu Attula. Avec Otishu
Ryu, Chieko Higjshiyama. So Yantamura, Haruko Sugimura, Selsuko Hais.
496
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497
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498
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499
mm 4 - fihfliyiii union
un séchoir; 1a caméra fait alors face à la partie arrière du salon (fig. 11.48). Un
nouveau raccord à 180° présente un plan d’ensemble de la pièce, orienté
comme le premier vers la porte de devant ; les grands-parents arrivent dans le
salon (fig. 11.49). Ce court ensemble ne constitue pas un cas isolé de trans
gression des règles de continuité, mais la manière propre à Ozu de cadrer et de
monter.
Ozu est un maître du raccord dans le mouvement, mais il les exécute sou
vent de fa<;on inhabituelle. Au moment où la grand-mère et Noriko s'avan
cent vers la porte de l’appartement de cette dernière, on raccorde, à 180°.
d'une vue frontale sur les deux personnages (fig. 11.50) à une vue arrière
Figure 11.51
(fig. 11.51). Le raccord dans le mouvement est très précis, mais les hauteurs
de caméra et les tailles de plans créent des cadrages si semblables que le rac
cord donne l'impression que les personnages se heurtent à eux-mêmes. Leurs
positions respectives se trouvent aussi brutalement inversées, ce qui est géné
ralement considéré comme une erreur dans le système de la continuité. Un
réalisateur classique aurait probablement évité un raccord aussi inhabituel;
Ozu l'emploie ici et dans d'autres films comme un élément de son style per
sonnel.
Comme le montrent ces exemples, Ozu ne réduit pas les positions possi
bles de sa caméra ou ses figures de montage à ce qu’autorise, dans le système
des 180°, l'espace demi-circulaire se trouvant d'un côté de l’axe de jeu. il rac
corde des plans qui peuvent être pris depuis n'importe quel point du cercle
imaginaire entourant l’action, en privilégiant les changements d’axe a 90° ou
à 180°. Cela signifie que les arrière-plans changent radicalement d’un plan à
l’autre, comme on peut le voir dans les deux exemples précédents. Dans un
film hollywoodien, la caméra traverse rarement l'axe de jeu pour venir mon
trer le «quatrième mur». Parce que le cadre de l'action change très souvent
dans Voyage à Tokyo, il acquiert un rôle important : le spectateur doit être très
attentif au décor pour comprendre clairement ce qui se passe.
500
_gvjyi 11 • Lijmuüt pi mm. iimuLEiOJU
Le travail sur des plans de transition qui différent ou contrarient les hypo
thèses du spectateur et celui sur l'espace circulaire, qui lui demande de porter
une forte attention aux décors, peuvent être associés. La scène nù les grands-
parents se rendent dans une station thermale d’Atami débute par un plan
d’ensemble sur un couloir (fig. 11.52). Une musique de type occidental vient
du hors-champ; plusieurs personnes passent dans le couloir. Le plan suivant
(fig. 11.53) est un plan d’ensemble sur un autre couloir, à l’étage, où l’on voit
une hôtesse portant un plateau; deux paires de pantoufles posées près d'un
seuil sont tout juste visibles, en bas à gauche du cadre. Puis vient un plan de
demi-ensemble sur un couloir se trouvant près d’une cour (fig. 11.54), tra
versé par un plus grand nombre de personnages qui ont l’air affairé. Suit un
plan moyen sur un groupe jouant au mah-jong (fig. 11.55), accompagné par
les bruits forts des discussions et des mouvements de pièces. Ozu fait alors un
raccord à 180° pour montrer un autre groupe de joueurs (fig. 11.56). Le pre
mier groupe est maintenant à l’arrière-plan, vu depuis le côté opposé. On
revient ensuite sur le plan du couloir situé près d’une cour (fig. 11.S7). Dans
tous ces plans nous n’avons pas encore vu les grands-parents, seuls personna
ges importants présents dans cette station thermale. Mais un plan moyen sur
501
mm 4 - mims uiiimi
les deux paires de pantoufles évoquées plus haut (fig. 11.58) laisse penser
qu'elles se trouvent devant la chambre des grands-parents. L’agitation de la
fête qui se déroule hors-champ se reflète dans la porte vitrée d’un placard, et
l'on entend toujours la musique et les discussions. Un plan moyen sur le cou
ple Hirayama allongé, essayant de dormir malgré le bruit, établit enfin la
situation narrative; une conversation s’engage (fig. 11.59). Le film explore
donc, en sept plans, l’espace de la scène, pour nous laisser découvrir progres
sivement la Situation. Les pantoufles passent presque inaperçues dans le
second plan (fig. 11.53). Elles signalent la présence des grands-parents, mais
la révélation de l’endroit où ils se trouvent est différée.
Ozu parvient ainsi à détourner notre attention des fonctions strictement
causales de l’espace diégétique pour lui donner une importance propre. 11 fait
la meme chose avec l’espace plat de l’écran. Les figures 8.99 à 8.102 et les plan
ches 62 et 63 donnent des exemples de raccords visuels tirés de ses films. Ce
procédé stylistique caractérise Ozu, qui utilise rarement les corrélations
visuelles à des fins narratives. Dans Voyage à Tokyo, un dialogue conduit à un
traitement en champ-contrechamp mais, une fois encore, avec des raccords à
180° coupant l'axe de jeu. Les deux hommes sont cadrés de façon à ce que
chacun regarde vers le hors-champ droit. (À Hollywood, les tenants du sys
tème de la continuité diraient que cela implique que les deux hommes regar
dent vers un même élément situé hors-champ.) La similitude de leurs
positions dans le cadre produit une corrélation visuelle très forte entre les
deux plans (figs. 11.60. 11.61). On peut dire, a ce titre, que le style d’Ozu doit
quelque chose à la forme abstraite (chapitre 5 et chapitre 10). C’est comme s'il
cherchait à réaliser un film narratif où les ressemblances visuelles seraient
aussi manifestes que dans un film abstrait du type de Ballei mécanique.
La façon dont l'espace et le temps sont utilisés dans Voyage à Tokyo n'est
pas délibérément obscure, pas plus qu elle n'a une fonction symbolique dans
Figure 11.58 le récit. Elle propose plutôt une relation entre l’espace, le temps et la logique
502
UUUHJJ - 11 (linAlOJJJJl minfiHIllWl
503
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504
mniU U -JJ (Sium h (JIB . (UIOPLM hiiliul-----------
Les actions relatives à chacune de ces activités sont décrites suivant des
principes narratifs. De nombreux segments sont de petites scènes dominées
par un conflit : le surveillant principal insiste pour donner une retenue injus
tifiée à un garçon, un administrateur se dispute avec des parents mécontents,
et ainsi de suite. Néanmoins, la forme générale du film n'est pas narrative;
lui font défaut des personnages qui réapparaîtraient de façon régulière, des
enchaînements à caractère causal (une action n’est pas au principe de ce qui
lui succède) et la possibilité de reconstituer une chronologie (nous ne con
naissons ni l'ordre ni la durée «réels» des événements montres). Wiseman a
compris que notre savoir et nos expériences antérieures nous aideraient â
combler les manques du film. Lorsqu’un segment débute avec le surveillant
principal disant : «Comment ça, tu ne peux pas sentir la gym ?!», nous faisons
appel à nos souvenirs du lycée pour créer autour de cette scène un contexte
typique. Enfin, comme nous le verrons, le film s’apparente dans une certaine
mesure à la forme associative par la façon dont il ordonne et relie ses différen
tes parties. High schooi combine donc, comme de nombreux documentaires,
divers principes d’organisation formelle : il présente les aspects typiques de la
vie d’un lycée à travers de petits épisodes narratifs, liés de façon associative.
505
les autorités cherchent à obtenir l’obéissance. Un administrateur dit à une
jeune fille quelle pourrait être une meneuse; le surveillant principal invite un
garçon à prendre $3 punition comme un homme. Si un conflit éclate, on voit
un professeur ou un administrateur prendre une mesure sévère pour appli
quer strictement la discipline ou affirmer son autorité. Dans ce film, les res
ponsables ne manquent jamais d’arguments. L'intérêt dramatique de chaque
scène dépend de notre capacité à reconnaître ce phénomène comme la répéti
tion d’un meme scénario, celui de la victoire de l'autorité. Nous finissons par
attendre que le surveillant principal fasse taire un garçon hargneux ou qu’un
administrateur oblige les étudiantes à porter des vêtements plus stricts pour le
bal de fin d'année.
La façon dont les différentes parties du film sont agencées témoigne aussi
du mélange des types formels. Le premier segment du film ébauche des effets
d'attente narrative. On voit, en ouverture, des rues, des autoroutes et, ponc
tuellement, le lycée, filmés depuis un car ou un bus. Cela laisse penser que la
journée commence avec quelqu’un (professeur ? étudiant ?) se rendant à l’éta
blissement. La séquence suivante, qui se déroule apparemment durant un
cours, tend à nous confirmer qu'il s’agit du début d’une journée. Mais le film
avance et aucun indice ne nous permet de repérer les différentes phases de
cette hypothétique journée. Nous voyons plus lard un autre cours ainsi que
plusieurs réunions, une simulation de vol dans l’espace et d'autres activités
qui ne peuvent vraisemblablement pas avoir toutes eu lieu en un seul jour.
Arrivés à la dernière séquence, qui montre une réunion de professeurs, nous
sommes incapables de nous situer chronologiquement — cette réunion pour
rait avoir lieu à la fin de la journée comme à la fin du semestre. Ce que nous
montre le film, ce sont simplement différents aspects de la vie d’un lycée
réduits à des relations de pouvoir, des face-à-facc du type de ceux que nous
avons évoqués.
En général, High school expose ses catégories puis les relie de façon associa
tive, en regroupant plusieurs séquences autour de thèmes. Quelques scènes
sont par exemple consacrées à la manière dont l'école aborde la sexualité et
les différences sociales entre les sexes. La séquence 15 montre un cours
«dhygiène» pour garçons, consacré à la famille: elle est suivie d’une séquence
montrant un groupe de jeunes filles auxquelles on fait un cours sur la sexua
lité. Séquence 17. un administrateur et un professeur expliquent pourquoi
506
(U HIH I 1 - Lfl (fillIQU PI ri LU . UIIBPLU P HUSLVUI
tous les élèves de sexe féminin doivent porter des robes de soirée pour le bal
des étudiants. Séquence 18, des jeunes filles s’exerçant aux barres parallèles
sont hélées par leur professeur de gymnastique : «Allez! Nous sommes des
femmes.» Plus loin, trois autres cours d’éducation sexuelle sont regroupés
pour insister sur l'idée que l’école génère des modèles comportementaux défi
nissant masculinité et féminité.
Les liens associatifs sont renforcés par d'autres moyens dom. en premier
lieu, la réapparition de motifs. Wiseman utilise des plans sur le couloir princi
pal de l’établissement pour ponctuer les scènes. D’autres détaillent l'anatomie
des élèves — particulièrement des hanches et des jambes — pour souligner
l'idée de corps dociles qui attendent, se mettent en rang ou sont disposés à
accomplir tous les travaux qu'on leur attribue. L'autorité est par contre asso Figure 11.6-1
ciée aux mains : tout en parlant à des parents d'élèves, un administrateur serre
le poing et le cadre insiste sur ce geste par un gros plan (fig. 11.63); dans la
séquence suivante, la main du surveillant principal fait l’objet d'un cadrage
similaire (fig. 11.64).
Il est plus frappant de constater que certaines transitions entre les scènes
reposent sur des associations. Ce sont parfois de simples répétitions, comme
ce moment où un professeur demande : «Est-ce qu’il y a des questions?» et
que l'on raccorde sur un autre demandant : «Des questions ?». D’autres tran
sitions sont plus figurées; un professeur achève sa lecture de Casey at the bat
sur la phrase : «Ce sacré Casey avait fait sortir la balle». Raccord sur une jeune
fille donnant un coup de batte dans une balle pendant un cours d’éducation
physique. Un professeur d’espagnol lève les bras pour diriger la classe lors
507
mm 4 - mmu ÎKIJ.I0U1
508
jwiîH h - u uuirn h Hlm. mœpiu niiuw
fait constamment alterner le plan où i! apparaît avec des élèves regardant vers
la gauche, alors qu'aucun plan ne les montre ensemble dans le même espace.
Le recours au montage par continuité fait plus que donner aux scènes une
cohérence que nous pouvions apprécier à travers notre connaissance des con
ventions hollywoodiennes. Les raccords permettent aussi à Wiscman d’éluder
certaines actions et de dissimuler la saute temporelle qui en résulte grâce au
son hors-champ. En conservant la voix du professeur sur un plan de coupe
montrant un élève attentif, il peut éliminer, lors du raccord suivant sur le pro
fesseur, des phrases entières de ce qu'il a dit. Dans la scène où le professeur
d’anglais étudie la chanson de Simon et Garfunkel. les plans de coupe et le
hors-champ sonore permettent à Wiseman d’éliminer les commentaires des
élèves sur le poème. Plans de coupe et hors-champs sonores produisent des
ellipses «invisibles» qui sont régulièrement employées dans les actualités télé
visées — un raccord sur un journaliste hochant la tête permet souvent de
camoufler une coupe faite dans ce que dit la personne interviewée. C'est une
application documentaire du principe de chevauchement du dialogue que
nous avons évoqué au chapitre 9.
L’absence de plans de situation et le recours aux directions de regard peut
même produire cette sorte de • géographie imaginaire » étudiée par Koulechov
(chapitre 8). Nous suivons un professeur qui parcoure les couloirs en deman
dant aux élèves leur carte. 11 tourne (fig. 11.71). On raccorde sur un plan
d'ensemble montrant une jeune fille qui s’éloigne dans un couloir (fig. 11.72).
Après que l'homme a ordonné à quelques étudiants de quitter le couloir, il
s’avance vers une porte et regarde à l’intérieur (fig. 11.73). Une musique hors-
champ devient progressivement plus forte; on raccorde sur un éleclrophûne
et des jeunes filles s’entraînant, en cours d’éducation physique. Le cadrage
insiste sur les jambes et les torses (fig. 11.74). Figure 11,71
509
- - PUIIL4 - IlILtfLH UHJMi-.- _____
Après avoir analysé la façon dont High school détermine nos réactions, par
sa forme globale et des techniques cinématographiques particulières, il peut
paraître étrange de dire que le film est quelque peu ambigu. On constate
pourtant que la réception du film est variable : lorsqu’il fut montré pour la
première fois au conseil d’établissement du lycée, de nombreux responsables
en firent l'éloge, alors que d'autres commentateurs américains curent ten
dance à considérer le film comme une critique de ce lycée et de l’enseigne
ment supérieur en général. Est-ce que l'existence de ce débat indique que le
cinéma direct a ici atteint son objectif de simple capture du réel, de neutralité,
laissant à chaque spectateur sa propre interprétation des images ?
Nous pensons que cette diversité des réactions illustre la façon dont un
spectateur peut privilégier un type de signification sur un autre. Il semble que
les responsables de l’établissement se sont focalisés sur les sens référentiels et
explicites, traitant le film comme un document ne concernant que leur école
(une sorte de film de famille institutionnel) et comme une démonstration des
succès de leur enseignement. Ils ont peut-être donné trop de poids à un senti
ment sous-jacent qui devient très explicite à la fin du film, lorsque la direc
trice lit une lettre envoyée par l’étudiant qui est sur le point de partir au
Vietnam. Des critiques ont toutefois fourni une interprétation du film qui
venait souligner un sens implicite contraire au sens explicite : ce qui est mon
tré, selon eux, c’est le caractère oppressif et bureaucratique de l’établissement.
Ces critiques pourraient se servir de notre analyse pour prouver que la forme
et le style du film, ainsi que ses stratégies de sélection et d’agencement,
décrivent une institution qui serait plus concernée par l'apprentissage de
510
jjmim h - Li umm u mu (uœpin $ nnuii
L'homme à la caméra
Chevûlek kinoapparatom. Réalisé en 1928, sertie en 1929. VUFKU, Union des
Républiques socialistes soviétiques. Réalisé par DrigJ Vertov. Photogtaphie
Mikhaïl Kaufman. Montage t Elizavela Svilova.
511
mm 4 - ofliviu uiiiiw
attentes (ou plutôt de toute musique contrôlée par le réalisateur, puisque dans
les salles de l’époque un piano ou un orchestre pouvaient accompagner la
projection). De plus, le film n’a pas recours à des intertitres qui fourniraient
un commentaire sur l’action, à l'inverse de la plupart des documentaires
muets. Cependant, L'homme d la caméra n'essaye pas, comme High school, de
donner l’impression que la réalité dont il rend compte n’est pas modifiée par
son traitement cinématographique : Dziga Vertov affirme au contraire la puis
sance de manipulation du montage et du filmage, qui fondent une multitude
de petites scènes tirées de la réalité quotidienne en une sorte de documentaire
expérimental unique.
Le nom de Vertov est habituellement associé au montage : dans le
chapitre 8, nous avons cité un extrait de l'un de ses textes, où il identifie le
réalisateur à un œil rassemblant des plans venant de lieux différents et les
associant de façon créative pour le spectateur. Dans ses écrits théoriques, il
compare aussi l’oeil à l'objectif de la caméra sous le concept de «Ciné-œil*
(«Kino-Glaz»).
Dans L'homme d la caméra, cette idée —l’analogie entre l’œil du réalisa
teur et l’objectif de la caméra — est au principe des aspects associatifs de la
forme du film. Ce dernier devient un éloge du pouvoir qu’a le réalisateur de
contrôler notre perception de la réalité au moyen du montage et des effets
spéciaux. La première image est un gros plan sur une caméra. Par un effet de
double exposition, nous voyons le cameraman du titre (interprété par l’opé
rateur et directeur de la photographie habituel de Vertov, Mikhaïl Kaufman)
qui arrive soudain, en plan général, sur le dessus de cette caméra géante
(fig. 11.77). 11 installe son propre appareil sur un trépied, filme quelques ins
tants, puis redescend. Ce jeu avec la taille du plan au sein d’une seule image
met immédiatement l’accent sur le pouvoir qu'a le cinéma de modifier la réa
lité d’une façon qui peut paraître magique.
512
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513
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519
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les costumes, les décors ou la couleur des cheveux des personnages (planches
44 et 45) , Ceux-ci portent des vêtements de couleurs vives : Esther, souvent en
bleu, porte du rouge pendant le bal de Noël et sa soeur Rose, du vert. Cela ren
force l'association entre l'unité familiale et les périodes de fête et permet par
ailleurs de repérer plus facilement les deux sœurs dans la masse tourbillon
nante des danseurs vêtus de tons pastel. La planche 45 présente un plan extrait
de la scène du tramway où Esther attire le regard parce qu clic est le seul per
sonnage en noir au milieu des vêtements de couleurs vives.
Le chant du Missouri est une comédie musicale, et la musique joue un
grand rôle dans la vie de la famille. Les chansons interviennent aux moments
romantiques ou lors des réunions familiales. Rose cl Esther chantent Mcet me
in Saint Louis dans le salon avant le dîner; lorsque le père, revenant du travail,
les interrompt —«Pour l'amour du ciel, arrêtez ces hurlements!»— il est
immédiatement identifié comme s’opposant tant au chant qu’à la foire. Les
autres chansons d’Esther montrent que son histoire d’amour avec John Truitt
est solide et raisonnable. Une femme n’a pas besoin de quitter la maison pour
trouver un mari : elle peut le trouver dans son quartier ( The boy nexf door) ou
en prenant le tramway (The trolley song). D’autres chansons accompagnent les
deux fêtes. Esther chante enfin pour Tootie, après le bal, Hâve yourself a merry
Utile Chrisimas, essavanl de rassurer la cadette en lui disant que tout se passera
bien à New York si la famille peut rester unie.
Mais il y a aussi dans la chanson d’Esther le pressentiment que cette unité
est menacée : « Un jour prochain nous serons tous ensemble, si les Parques le
permettent / En attendant, nous devrons peiner un peu.» Nous savons déjà
qu’Esther a atteint son objectif romantique par ses fiançailles avec John Truitt.
Si les Smith s'en vont effectivement à New York, elle devra choisir entre lui et
sa famille. Le récit se retrouve, à partir de là, dans une impasse: quoi quelle
décide, le mode de vie de toujours sera détruit. Il faut une résolution à ce
problème; à la fin de la chanson, les pleurs hystériques de Tootie conduisent
M. Smilh à revenir sur sa décision.
La destruction des bonshommes de neige par la cadette, succédant à la
chanson d’Esther, est une représentation frappante de la menace que consti
tue le départ à New York pour la cohésion familiale. Au début de la section
hivernale du film, les enfants font des bonshommes (et un chien] de neige
dans la cour. Ils créent ainsi, en modelant des figures de différentes tailles et de
différents sexes, un parallèle avec leur propre famille. Au départ ces bonshom
mes de neige faisaient partie de la scène comique où Esther et Katie persua
dent I.on et Rose d'aller ensemble au bal de Noël. Mais lorsque Tootie devient
hystérique face à la perspective du départ pour New York, elle descend et sort
en chemise de nuit pour les détruire. La scène est presque choquante, Tootie
semblant tuer les doubles de sa propre famille. Ce moment doit être fort.
520
uouilij is (jiuui » m» mnmi mniiui
excessif, pour justifier le revirement du père. Il réalise que son désir de partir à
New York met en danger les liens internes de la famille et décide par consé
quent de rester à Saint-Louis.
Deux autres éléments de mise en scène sont à l'origine de motifs souli
gnant le confort de la vie familiale. Les Smith vivent entourés de nourriture.
Dans la première scène les femmes préparent du ketchup, chichement servi au
cours du diner. Mais après la scène où le petit ami de Rose, avec qui elle parle
au téléphone, ne la demande finalement pas en mariage, les tensions retom
bent et la bonne sert de larges tranches de corned-beef.
Dans la scène qui se déroule pendant Hallowccn, le lien entre l'abondance
de la nourriture et l’unité familiale devient encore plus explicite. Il y a tout
d’abord le moment où les enfants se réunissent pour manger des gâteaux et de
la glace. Le père arrive et annonce le départ pour New York : tout le monde
s’en va sans avoir touché à la nourriture. C’est seulement lorsqu’ils entendent
la mère et le père chanter et jouer du piano qu’ils reviennent progressivement
pour manger. Les paroles de la chanson — « Le temps peut s'écouler, nous res
terons ensemble»— accompagnent leurs actions. L'utilisation de la nourri
ture comme motif associe la vie domestique à l'abondance et à l’assurance,
pour chaque individu, d'avoir une place dans le groupe. À la foire, dans la
dernière séquence, ils décident d’aller tous ensemble au restaurant : le motif
de la nourriture revient au moment où se réaffirme la possibilité de vivre en
famille à Saint-Louis.
Un second motif associé à l’unité familiale concerne la lumière. La maison
est la plupart du temps éclatante de lumière, comme enflammée. Au moment
où la famille s'assoit pour diner, le soleil bas de fin de soirée envoie d'intenses
rayons jaunes à travers les rideaux blancs. Plus tard, lors de l’une des scènes les
plus charmantes du film, Esther demande à John de l’accompagner au rez-de-
chaussée pour l'aider à éteindre les bougies. Celte scène est essentiellement
constituée d'un seul plan long, à la grue, qui suit les deux personnages d'une
pièce à l’autre. À chaque arrêt, le lustre vivement éclairé est cadré dans la par
tie haute de l’image (planche 44). Les pièces s’obscurcissent, le couple rejoint
le vestibule et la caméra descend au niveau de leurs visages. Le plan se déve
loppe suivant un remarquable changement de ton : il débute par le prétexte
que trouve Esther pour garder John auprès d'elle, tellement forcé qu’il en
devient comique (-J’ai peur des souris»), et s'emplit progressivement d'une
atmosphère profondément romantique.
La séquence qui se déroule durant Halloween est entièrement nocturne et
fait de la lumière un motif central. La caméra commence par s’avancer vers les
fenêtres baignées de jaune de la maison; une musique légèrement inquiétante
en fait un flot rassurant au milieu de l’obscurité. Tootie et Agnès sortent pour
521
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522
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Raging bull
1980. United ArtisU. Réalisé pjr «Martin Scoriesc. Scénario : Paul Schrader el
Mardi k Martin, à partir du livre Raging Bull de Jakr La Moi ta. Joseph Carter et
Peter Savage. Photographie : Michael Chapman. .Montage: ïhelma Schoon-
maker. Avec Robert de Nino.Cathy Moriarty, Joe Pesei, Frank Vincent, Nicho-
las Colasanto, Therew Saldana.
Dans noire analyse du Chant du Miisourt. nous avons défendu l'idée que le
film perpétue une idéologie typiquement américaine. Mais un film hollywoo
dien peut aussi avoir une position plus ambiguë face à des questions d'ordre
idéologique. C'est ce que fait le Raging bull de Martin Scorsese en prenant la
violence pour thème central.
La violence est très répandue dans le cinéma américain, elle est souvent au
principe du spectacle. Dans les dernières décennies, une violence extrême
s'est installée au cœur de plusieurs genres tels que la science-fiction ou le film
d’horreur, qui la traitent avec une stylisation la rendant peu dérangeante. Une
série de morts sanglantes, mises en valeur par des effets spéciaux élaborés,
peuvent ainsi constituer l'action principale d'un film. Raging bull recourt à
une tactique différente en faisant appel à certaines conventions du réalisme
cinématographique pour donner à la violence un caractère viscéral et déran
geant. Si ce film est en un sens moins brutal que beaucoup d’autres œuvres de
son époque — on n’y trouve, par exemple, aucune mort — il contient plu
sieurs scènes difficiles à supporter. Ce sont non seulement les matchs de boxe,
très brutaux, mais aussi les âpres disputes de la vie quotidienne qui mettent la
violence au premier plan.
Le film de Scorsese est lointainement inspiré de la véritable carrière du
boxeur Jake La Motta, qui devint champion du monde poids moyen en 1949.
Raging Bull fait des scènes de boxe (basées sur des combats réels) des
moments emblématiques de la violence qui envahit la vie de |ake. Celui-ci
semble être incapable de communiquer sans provoquer une dispute, proférer
des menaces ou lancer des injures. Scs deux mariages, et particulièrement
celui avec sa seconde femme, Vickie, sont remplis de scènes de ménages, de
violences domestiques. Même si son frère Joey semble être la personne dont il
est le plus proche, il finit par le rejeter au cours d'une crise de jalousie et se
l'aliène pour toujours. Si les actes de Jakc font souffrir les autres, ils sont aussi
destructeurs pour lui-même, éloignant tous ceux qu’il aime et l’amenant à
une pathétique carrière de comique obèse puis d'acteur récitant des poèmes et
des dialogues de pièces el de films célèbres.
Comment pouvons-nous appréhender l’idéologie d’un film qui a pour
héros une telle brute ? On peut être tenté d’avancer deux interprétations exclu
sives : ou bien le film exalte la rage meurtrière de Jake ou bien il condamne le
525
personnage et en fait un cas pathologique. Cependant, en se contentant de
l’une de ses deux interprétations, on ne réussira pas à aborder cet équilibre
déconcertant de compassion et de révulsion que le film exprime envers Jake.
Nous faisons l’hypothèse que Raging bull emploie diverses stratégies, narrati
ves et stylistiques, pour faire du personnage de Jake un cas d'étude sur le rôle
de la violence dans la société américaine. Scorsese crée ainsi un contexte com
plexe à l’intérieur duquel les actes du personnage doivent être jugés.
On peut se faire une meilleure idée de ce contexte en étudiant la structure
formelle du récit. S’il fallait segmenter le film en respectant chacune des scè
nes, on finirait par obtenir une longue liste. Même s'il y a quelques séquences
de durée importante, la plupart sont courtes; on en totalise 46, générique de
début et citation finale inclus. On peut regrouper certaines des scènes les plus
courtes et obtenir une segmentation en Imparties :
526
(UUim H - Lfi (llllliyjl ULffl UIBPLU rflNflivut
12. 1964. Jake s’apprête à aller sur scène pour dire ses textes.
13. Une citation de la Bible et la dédicace du film en blanc sur fond noir.
527
- mm 4 - mimi uiiiiun
une bagarre éclate dans les tribunes, indiquant dis le début que la violence est
présente au-delà du ring. Les relations familiales s’expriment par l'agressivité,
comme dans les disputes entre Joey et Jake ou lorsque Joey veut apprendre la
discipline à son fils en le menaçant d‘un coup de couteau. Plus dérangeant
encore, la violence est continuellement dirigée contre les femmes. Jake et Joey
insultent et effrayent leurs femmes et la façon dont Jake bat ses deux épouses
forme un cruel contrepoint à scs combats sur le ring. Au cours de la première
scène au Copacabana, les femmes apparaissent comme les cibles privilégiées
des injures, jake accuse Vickie de flirter avec d'autres hommes, il insulte un
boxeur et un membre de la mafia en les traitant de <femmelettes», et meme le
comédien qui est sur scène sc moque des femmes présentes dans le public.
Scène après scène, l'agencement des incidents et des motifs suggère que
l'agressivité et la souffrance envahissent le mode de vie américain.
Scorsesc privilégie certains procédés techniques pour représenter la vio
lence des matches. Dans l’ensemble, le style du film réussit à rendre la vio
lence dérangeante en faisant appel à des conventions réalistes. Un grand
nombre de combats sont filmés avec une Steadicam, qui permet de réaliser
des travellings inquiétants ou des gros plans venant souligner les rictus de
douleur des adversaires. Des contre-jours, justifiés par les projecteurs entou
rant le ring, illuminent les gouttelettes de sueur ou de sang qui jaillissent des
corps des boxeurs au moment des coups (fig. 11.86). Un montage rapide, sou
vent elliptique, et les bruits cinglants des coups intensifient l'expression de
leur force physique. Un maquillage spécial crée des effets grotesques d'éclate
ment de veines sur le visage des boxeurs. Scorsese traite différemment les scè
nes de violence qui ont lieu hors du ring, favorisant les plans longs et des
Figure 11.86
effets sonores moins saisissants.
Il crée un contexte social et historique réaliste en employant d’autres con
ventions. L’une d’entre elles est une série de titres en surimpression indiquant
la date, le lieu et les noms des combattants de chaque match — astuce narra
tive qui donne au récit un ton quasi documentaire.
Mais le facteur de réalisme le plus important est l’interprétation. À l’excep
tion de Robert de Niro, la distribution est essentiellement composée d’acteurs
inconnus ou non professionnels, qui ne donnent pas au film l’aspect sédui
sant qu’auraient apporté des stars. De Niro était essentiellement connu pour
scs interprétations réalistes audacieuses dans Mcan streets (1973) et Taxi dri
ver (1976), du même Martin Scorsese, ou dans Voyage au bout de l'enfer
(Michael Cimino, 1978). Dans Ragittg bull, les acteurs parlent avec un fort
accent du Bronx. répètent ou marmonnent souvent leurs répliques et
n'essaient pas de créer des personnages sympathiques. Dans la campagne de
promotion du film, on avait aussi beaucoup parlé du fait que de Niro avait
pris 30 kilos pour jouer Jake vieilli. Le film souligne la transformation de
528
(O1H11 I I - Lfl ( 11 IlflU l PI f I LS (HDIPLU P m LV H S
l’acteur par une coupe franche entre deux plans taille de Jakc correspondant à
la transition entre les segments 2 et 3, 196-1 et 1941 (figs. 11.87,11.88). Un tel
réalisme dans l'interprétation, et dans d'autres effets techniques, fait qu’il est
difficile d’ignorer la violence de ce film comme on pourrait le faire face à un
film d’horreur ou un film policier conventionnels.
C'est donc à travers sa structure narrative et son usage des conventions sty
listiques du réalisme que le film offre une vision critique de la violence dans le
mode de vie américain, tant sur le ring qu'au foyer. Cependant, le film ne
nous permet pas de condamner Jake comme un simple «taureau enragé»; la
violence y est aussi présentée sous un jour fascinant et ambigu : la brutalité de
Jake est, de façon dérangeante, attirante.
Figure 11.87
La principale manifestation de cette attitude est le fait que la narration se
concentre beaucoup plus sur les auteurs de la violence que sur ses victimes.
Les trois personnages féminins importants — la première femme de Jakc, la
femme de Jocy, Lcnore, et Vickie— agissent peu; elles se font injurier et
protestent, sans effet. Nous n’apprenons jamais pourquoi elles sont attirées,
au départ, par ces hommes violents quelles épousent ou pourquoi
elles restent avec eux si longtemps. Vickie semble d’abord admirer Jakc à
cause de sa célébrité et de sa voiture clinquante, mais sa volonté de rester
marier avec lui demeure ensuite sans explication. De même, sa brusque déci
sion de le quitter après onze ans de vie commune n’aura aucune motivation
précise.
Ces victimes de la violence de lake servent en premier lieu à le faire réagir.
Il roue de coups un boxeur plutôt séduisant qui, pense-t-il, attire Vickie. ou Figure 11.88
réagit brutalement lorsqu'il croit, de façon irrationnelle, quelle a eu une
liaison avec Jocy. Il faut remarquer qu’après cette crise, où Jake rosse son frère,
ce dernier devient un personnage aussi secondaire que Vickie. Nous le
revoyons brièvement lors de la terrible défaite de Jake rejouant son titre puis
dans une courte scène où il résiste à la proposition de réconciliation de son
frère. Le film n'offre donc aucun contrepoids positif aux excès de Jake.
Une autre manifestation de la fascination de la narration pour la violence
du boxeur est la façon dont nous sommes incités à nous identifier à lui. Plu
sieurs scènes présentent les événements de son point de vue et emploient le
ralenti pour indiquer que nous ne voyons pas seulement ce qu’il voit, mais
aussi comment il y réagit. Ce procédé technique devient particulièrement
important lorsque Jakc voit Vickie avec d’autres hommes et devient jaloux.
De même, dans le dernier combat contre Robinson, nous avons le point de
vue subjectif de Jake sur son adversaire. Ce plan contient aussi une combinai
son de travelling avant et de zoom arrière qui produit une sorte d’étirement
de l’espace du ring en profondeur, tandis qu'un affaiblissement des lumières
529
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530
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531
MiTir 4 . iiiiiaj cumin
hollywoodienne (celle de Citizen Kane) qui à une clôture totale du récit pré
féré un certain degré d’ambiguïté, un refus des réponses catégoriques et
exclusives du type «ou bien... ou bien». Cette ambiguïté peut donner un
caractère équivoque à l'idéologie véhiculée par le film en générant des sens
implicites très différents, voire contradictoires.
Préparation
Comme tout type de texte, une analyse filmique nécessite que le travail soit fait
avant de s’asseoir pour écrire. 11 faut d'abord se demander à quel type de texte
s'apparentera le résultat final. Généralement, il s’agira d’un essai de type argu
mentatif, où vous chercherez à présenter votre avis sur un film et à soutenir cet
avis par une argumentation. Notre analyse de High schooi, par exemple,
affirme que Wiseman ne présente pas de façon neutre le quotidien du lycée
mais que la forme et le style du film déterminent nos réactions. De même,
le texte sur Ragtng bull essaye de montrer que ce film critique la violence
comme spectacle de masse tout en présentant une fascination pour son attrait
viscéral.
Choisir quel film analyser n'est sans doute pas un grand problème. Quel
que chose en lui vous attire ou vous avez entendu dire qu'il valait la peine
d’être étudié de près. Il est par contre plus difficile de réfléchir précisément à
ce que l'on veut en dire. Qu’cst-cc qui vous intrigue ou vous dérange le plus
dans ce film ? Qu'est-ce qui en fait une œuvre digne d’attention ? Est-ce qu’il
illustre certaines caractéristiques de la réalisation cinématographique de
façon particulièrement claire? Est-ce qu’il a un effet inhabituel sur ses
spectateurs ’ Est-ce que ses sens implicites ou symptomatiques semblent avoir
une importance particulière?
En répondant à ce type de question, vous trouverez la thèse de votre
analyse. La thèse est la proposition centrale défendue par votre argumenta
tion. Dans notre analyse de His girl f-'riday, la thèse est que le film emploie les
532
procédés narratifs classiques pour créer une impression de vitesse. Pour
L'homme à la caméra, la thèse est que ce film rend son spectateur conscient de
la façon dont le cinéma manipule le monde que nous voyons à l’écran.
Généralement, votre thèse sera une affirmation concernant les fonctions,
les effets ou les significations du film (ou un mélange des trois). Nous avons
par exemple défendu l’idée que la diversité des personnages de Do the right
thing permet à Spike Lee d’entrelacer plusieurs intrigues et d’élargir le thème
des problèmes relatifs à la survie d'une communauté. Dans notre étude de La
mort aux trousses, nous nous sommes plutôt concentrés sur la façon dont le
film parvient à produire ses effets de suspense et de surprise, l.’analysc du
Chant du Missouri souligne la façon dont les sens implicites et symptomati
ques sont exprimés en technique.
Le chimiste qui analyse un composé le divise en ses éléments constitutifs.
Le chef d’orchestre qui analyse une partition la décompose mentalement pour
voir de quelle façon les mélodies el les motifs y sont agencés. Toute analyse
implique une fragmentation de son objet en ses parties constitutives. Votre
thèse sera une affirmation d'ordre général sur les fonctions, les effets et les
significations du film, dont l'analyse montrera comment ils naissent de l'inte
raction des parties composant les systèmes formel et stylistique. Par exemple,
notre affirmation selon laquelle Raging bull met en rapport violence et specta
cle se base en partie sur la preuve fournie par la succession, au début du film,
du plan de générique sur le ring et de Jake répétant son one man show et
s'exclamant : «C'est du spectacle!»
Dans la majorité des cas, votre argumentation sera meilleure si un impor
tant travail préparatoire précède la rédaction du texte. Vous pouvez pour cela
faire une segmentation du film, comme nous l’avons montré tout au long de
la seconde partie. Il vous semblera parfois nécessaire de présenter au lecteur
une segmentation scène par scène, comme nous l'avons fait pour Hisgirl Fri
day. 11 faut adapter la précision de votre découpage à votre propos : il peut être
plus grossier, constitué de sections de tailles supérieures, ou à l'inverse plus
fin; c'est ce que nous avons fait en divisant en trois sous-segments la pour
suite finale de La mort aux trousses. Quelle que soit la façon dont votre seg
mentation réapparaît finalement dans l’analyse écrite, elle doit toujours être
détaillée dans la phase préparatoire. Elle vous permettra ainsi d'avoir une per
ception plus claire de la forme globale du film et de repérer les schémas de
répétition, de variation et de développement contribuant à son unité.
Pour étudier un film narratif, il est généralement utile de commencer
par identifier les différents enchaînements causais, les objectifs des person
nages, les principes de progression du récit, son degré de clôture et d'autres
caractéristiques fondamentales de la forme narrative. Pour étudier un film
533
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534
[wnu h . ia unim h nia , mtpui d atiiiMM
l
Plan et rédaction
La plupart des textes argumentatifs ont la structure suivante :
Introduction : Informations préalables
Formulation de la thèse
Corps du texte : Raisons de croire à cette thèse
Preuves et exemples soutenant la thèse
Conclusion : Re formulât ion de la thèse et commentaire sur ses
implications
535
CilLLMU
Il est utile de réfléchir à la partie centrale de votre texte comme à une série
de raisons de croire à la thèse développée, soutenues par des preuves et des
exemples. Notre analyse d\A bout de souffle défend l'idée que le film de
Godard rend hommage au film noir et, dans le même temps, opère une révi
sion brutale de ses conventions. Le premier paragraphe décrit les traditions
hollywoodiennes en question et le second montre que l’intrigue d'A bout de
souffle l’apparente à celte sous-catégorie du film noir mettant en scène des
couples de hors-la-loi en fuite. Les trois paragraphes suivants font remarquer
que le film de Godard s’attache aussi à retravailler les conventions des studios.
Michel semble imiter les durs hollywoodiens, tandis que la forme et le style du
film ont une apparence d'improvisation. Ce serait une façon de laisser le
public s'amuser à une version réfléchie et renouvelée du film policier améri
cain.
Notre argumentation impliquant un long travail de comparaison et
d’opposition, la partie centrale du texte explore les ressemblances et les diffé
rences entre le film et les conventions hollywoodiennes. Les onze paragraphes
suivants cherchent à établir que, en ce qui concerne la forme narrative du
film :
1. Michel ressemble, par certains aspects, à un héros hollywoodien.
2. Toutefois, faction est beaucoup plus capricieuse, soumise à digres
sion, que dans un film hollywoodien.
3. La mort du policier offre un excellent exemple de traitement ellipti
que et abrupt d’une scène.
4, 5. À l’inverse, la conversation dans la chambre entre Patricia et Michel
est un cas de situation narrative relativement figée, où l’on ne pro
gresse pas vers l'accomplissement des objectifs de Michel.
6. Plus loin, le récit redémarre, mais pour s’arrêter à nouveau.
7,8. En s’approchant de sa résolution, le récit reprend de la vitesse, mais le
final reste mystérieux et ouvert.
9, 10. Michel et Patricia restent avant tout des personnages déconcertants et
obscurs.
II. La caractérisation du couple est donc nettement différente de celle
des couples romantiques de la plupart des récits de films noirs.
536
4WiliJU । uniUM-j nii-jnjnn miiivih
537
iujjiu muiun
538
(inom mm
HISTOIRE
r DU CINÉM,
1. Des films produits pendant une période et/ou dans un pays particuliers,
partageant des caractéristiques stylistiques et formelles significatives;
Il faut préciser, enfin, que nos choix sont d’autant plus limités que nous
nous intéressons surtout à Hollywood et à certaines de ses alternatives. Nous
décrivons le développement du cinéma narratif commercial tout en l’oppo
sant à d'autres approches du style et de la forme.
Il est à peine utile de préciser que ce qui suit est très incomplet. L’écriture
d'une histoire du cinéma rigoureuse en est à ses débuts et il nous faut souvent
faire fond sur des sources secondaires qui finiront par être dépassées. Ce cha
pitre ne fait que refléter l’état actuel des connaissances; il y a sans doute
encore des films, des réalisateurs et des mouvements qui attendent d’être
découverts. Par ailleurs, il y a plusieurs oublis malheureux : des réalisateurs
importants qui ne sont pas liés à un mouvement (Tati, Bresson ou Kurosawa,
par exemple) sont absents de notre compte-rendu, comme certains mouve
ments cinématographiques : le cinéma populiste français des années 30, le
cinéma novo brésilien du début des années 60. Ce qui suit cherche seulement
à montrer de quelle façon certaines possibilités du style et de la forme filmi
que ont été explorées au cours de quelques périodes historiques connues.
542
_____ (nmifi- lu fQiai h mi n lihioih niftj.
543
JULIUU - HJU01U H une nu
Edison pensait que les films n’étaient qu'une mode passagère et ne chercha
donc pas à développer un système de projection sur écran. Ce soin fut laissé
aux frères Lumière, Louis et Auguste, lis inventèrent sans aucune aide leur
propre caméra, qui permettait d’exposer une courte bobine de pellicule
35mm cl servait aussi de projecteur (fig. 12.2). Le 28 décembre 1895, au
Grand Café, à Paris, les frères Lumière organisèrent l'une des premières pro
jections publiques, sur écran, d’images cinématographiques.
544
CIULPI LU U LU [069 4 LU flll (I L JIHIDIfil PU 11LŒI
Figure 12.3
545
PflRUL L - UKIÛIHl DD (18(M
5445
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devait limiter la libre circulation des films entre les pays et Hollywood se révé
ler la principale force industrielle dans la production cinématographique
mondiale. Ces facteurs contribuèrent à lemergence de différences précises
dans les caractéristiques formelles des cinémas nationaux.
547
»mt k- ilisi.0ui n-üitia _
Progressivement, au cours des années 10 et des années 20, les plus petits
studios fusionnèrent pour former les grandes entreprises qui existent encore
aujourd'hui, l’amous Players s'associa à Je&se L. Lasky puis créa une branche
distribution, Paramount. Même s’ils étaient concurrents, ces studios, compre
nant qu'aucune entreprise ne pouvait satisfaire à elle seule toute la demande,
avaient tendance à coopérer.
En 1903, Porter réalisa l’attaque du Grand Rapide (The gréat train rob-
bery), qui est par certains aspects un prototype du cinéma classique améri
cain. L’action s’y développe de façon claire et linéaire, tant du point de vue du
temps et de l'espace que de la simple logique causale. Nous suivons chaque
étape de l'attaque (fig. 12.6), la poursuite et la défaite finale des voleurs. En
1905, Porter réalisa un film dont le récit était basé sur un parallèle simple, The
klcptomaniac. opposant le destin d’une femme riche et celui d’une autre, affa
Figure 12.6 mée, toutes deux prises en flagrant délit de vol.
54B
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549
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550
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551
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Il existait d'autres types de films dans cette période — réalisés, pour la plu
part, dans d'autres pays. Après avoir évoqué ces autres mouvements, nous
reviendrons brièvement sur le cinéma hollywoodien classique tel qu'il se pré
sentait dans les premières années du cinéma sonore.
552
uulmjh 12 - ls mu >u [in n l miioifioii nui
553
Quelques petites sociétés réussirent, pendant une courte période, à rester
indépendantes. Parmi elles, la Decla d’Erich Pommer (qui devint plus tard la
Decla-Rioscop). En 1919, l’enlreprise s'engagea dans la production d’un scé
nario peu conventionnel écrit par deux inconnus, Cari Mayer cl Hans
Janowitz. Ces jeunes écrivains voulaient que le filin soit réalisé d'une façon
stylisée, elle aussi inhabituelle. Les trais décorateurs désignés pour travailler
sur le film — Hermann Warm, Walter Reimann et Walter Rohrig— proposè
rent qu'il soit conçu dans un style expressionniste. L'expressionnisme avait
d’abord été un mouvement d’avant-garde important en peinture (à partir de
1910 environ) avant d’étre rapidement adopté au théâtre, en littérature el en
architecture. Us administrateurs des sociétés de production acceptaient à
présent de l'essayer au cinéma, pensant probablement que se serait un bon
argument de vente sur le marché international.
Ce sentiment fut confirmé lorsque le film. Le cabinet du docteur Caligari,
réalisé avec très peu d’argent, créa l'événement à Berlin puis aux Etats-Unis,
en France et dans d’autres pays. Ce succès fit que d'autres films adoptant un
style expressionniste suivirent; il en résulta un mouvement stylistique ciné
matographique qui dura quelques années.
Le succès de Caligari et d'autres films expressionnistes retint la plupart des
réalisateurs d'avant-garde allemands dans un cadre industriel. Quelques réali
sateurs expérimentaux firent des films abstraits, comme Diagonai-symphonie
( Viking Eggeling,1923) ou les films Dada influencés par le mouvement artisti
que international du même nom, par exemple Fantômes du matin (Hans
Richtcr. 1928). De grandes entreprises comme la UFA (qui avait absorbé la
Decla-Bioscop en 1921) et des sociétés plus petites investirent dans le cinéma
expressionniste, dont les films pouvaient concurrencer ceux réalisés aux
États-Unis. Vers le milieu des années 20. les films allemands les plus impor
tants étaient considérés par beaucoup comme étant parmi les meilleurs du
monde.
La première oeuvre du mouvement, Caligari, en est aussi l'un des exemples
les plus représentatifs. L'un de ses décorateurs, Warm, déclarait que - l'image
de cinéma doit devenir graphisme.. Caligari, avec sa stylisation extrême, res
semblait bien â une peinture ou à une gravure expressionniste en mouve
ment. À côté de l'impressionnisme français, dont le style est principalement
fondé sur la prise de vues et le montage, l’expressionnisme allemand repose
essentiellement sur la mise en scène. Les formes y sont altérées ou exagérées
de façon irréaliste à des fins expressives. Les acteurs sont souvent lourdement
maquillés et ont des mouvements saccadés ou lents et sinueux. Le plus impor
tant est que la corrélation visuelle de tous les éléments de la mise en scène crée
une composition globale. Les personnages ne sont pas simplement présents
dans le décor mais constituent des éléments visuels sc confondant avec lui,
554
(opiiêi 12 - is mu du fin ii i MHjoific ou mai
55S
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Pour tenter de freiner la concurrence toujours plus rude des films hol
lywoodiens après 1924, les Allemands commencèrent aussi à imiter les pro
ductions américaines. Il en résulta des films qui. s’ils étaient parfois
impressionnants, édulcoraient les qualités uniques du style expressionniste.
Vers 1927, l'expressionnisme, comme mouvement, avait disparu. Mais
comme Georges Sadoul l’a fait remarquer, une tendance expressionniste per
sista dans un grand nombre de films allemands de la fin des années 20
jusqu'au début des années 30 avec certaines œuvres de Fritz Lang comme Al Je
maudit (1930) et Le testament du docteur Mabuse (1932). Beaucoup de réalisa
teurs allemands ayant émigré aux États-Unis, les films hollywoodiens déve
loppèrent aussi cette «tendance» expressionniste. Les films d'horreur, par
exemple Le fils de Frankenstein (Son of Frankenstein. Rowland V. Lee, 1939),
ou les films noirs, avaient un caractère fortement expressionniste par leurs
décors et leurs éclairages. Même si le mouvement allemand ne dura que sept
ans, l’expressionnisme n’a jamais totalement disparu en tant que tendance
stylistique.
556
iiimiiü.iiitiiiiiiiii n i niyuu m nn<
leurs films. La France des années 20 offrait donc un cas étonnant de coexis
tence de mouvements cinématographiques différents.
L'impressionnisme
La Première Guerre mondiale porta un coup rude à l’industrie française du
cinéma. Le personnel des sociétés de production fut appelé sous les drapeaux,
beaucoup de studios furent affectés à des usages militaires et une grande par
tie des exportations furent suspendues. Les deux plus importantes sociétés,
Pathéfrères et Léon Gaumont, contrôlaient aussi les réseaux de salles et
avaient donc besoin de remplir les écrans vidés par le début de la guerre : en
1915, les films américains commencèrent à pénétrer massivement en France.
Représenté par les films de Pcarl Whitc, Douglas Fairbanks, Chaplin ou Ince,
Forfaiture de Cecil B. De Mille et les westerns de William S. Hart (que les
Français surnommaient affectueusement «Rio lim»), le cinéma hollywoodien
dominait le marché à la fin de 1917. Après la guerre, le cinéma français ne
réussit pas à se redresser : dans les années 20, le public voyait huit fois plus de
films américains que de films nationaux. L'industrie cinématographique
essaya de reconquérir ce marché de différentes manières, le plus souvent en
imitant les méthodes de production et les genres hollywoodiens. Du point de
vue artistique, toutefois, la démarche la plus importante fut le soutien apporté
par les entreprises aux plus jeunes réalisateurs du moment : Abel Gance, Louis
Delluc, Germaine Dulac, Marcel L'Herbier et Jean F.pstein.
Ces réalisateurs étaient différents de leurs prédécesseurs. L’ancienne géné
ration avait considéré la réalisation cinématographique comme une profes
sion à caractère commercial. Plus théoricienne ei ambitieuse, la nouvelle
génération écrivait des essais déclarant que le cinéma était un art comparable
à la poésie, à la peinture et à la musique. Le cinéma, disaient ces réalisateurs,
devait être complètement lui-même et ne pas emprunter au théâtre ou à la lit
térature. Impressionnés par le brio et l’énergie du cinéma américain, les jeu
nes théoriciens comparaient Chaplin à Nijinski et les films de «Rio Jim» à La
chanson de Roland. Le cinéma devait être avant tout, comme la musique, une
occasion pour l’artiste d'exprimer des sentiments, des impressions. Gance,
Delluc, Dulac, L’Herbier, Epstein et d’autres membres plus éloignés de ce
mouvement cherchèrent à mettre cette esthétique en pratique dans leur
oeuvre de cinéma.
Entre 1918 et 1928, dans une série de films extraordinaires, ces réalisateurs
inventèrent des alternatives aux principes formels dominants inventés par
Hollywood. Étant donné le caractère central de l’émotion dans leur esthé
tique, il n'est pas étonnant que des récits psychologiques intimistes aient été
si présents dans leurs œuvres. Les relations entre un petit nombre de
557
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558
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559
Hlîll t - «11181*1 n
Le surréalisme
Tandis que les réalisateurs impressionnistes travaillaient dans un cadre indus
triel et commercial, les réalisateurs surréalistes vivaient de mécénats privés et
projetaient leurs oeuvres au cours de petites réunions d'artistes. Un tel isole
ment n’est pas vraiment surprenant : le cinéma surréaliste était un mouve
ment plus radical, produisant des films qui déconcertaient ou choquaient la
majorité des spectateurs.
560
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561
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coup de rasoir dans l'œil au début d’Un chien andalou est un effet choquant
qui repose sur des principes de continuité (en fait, sur l’effet Koulechov). Par
ailleurs, des effets de discontinuités dans le montage sont souvent utilisés
pour briser toute cohérence spatio-temporelle. Dans le même film, l’héroïne
met l’homme hors de la pièce où elle se trouve et ferme la porte, mais
lorsqu’elle se retourne il est, inexplicablement, derrière elle. Dans l’ensemble,
le style du cinéma surréaliste se caractérisait par son refus de privilégier des
procédés particuliers, qui auraient mis ordre et raison là où devait seulement
exister un «jeu libre de la pensée».
S62
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563
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564
(WIIÊi 12 - Ll 10 ADI PJ1 {ILS II L IIHlDIAi DU {liai
Les jeunes théoriciens n’étaient pas tous d’accord : Poudovkine pensait que
les plans étaient comme des briques, qu'il fallait associées pour bâtir une
séquence; Eiscnstein protestait en disant que l'on obtiendrait un effet maxi
mum si les plans ne s’enchaînaient pas parfaitement, s'ils créaient une saute,
un choc pour le spectateur. II préférait aussi juxtaposer les plans de façon à
faire naître une idée, comme nous l’avons déjà vu au chapitres à propos
d'Oaobre et du «montage intellectuel-. Vertov était en désaccord avec ces
deux théories et leur préférait son idée du «ciné-œil» pour aborder l'enregis
trement et la mise en forme de la réalité documentaire.
565
PflfiUI C - UJLIQIfil PU (JiUlDfl
d'un prêtre (fig. 12.25). Le montage parallèle créé ici par Poudovkine souligne
la vanité de ces deux rituels.
La façon dont les réalisateurs de l'école soviétique abordaient la forme nar
rative les distinguait des cinémas des autres pays. Les films narratifs soviétiques
tendaient à minimiser le caractère causal de la psychologie des personnages au
profit des forces sociales. Les personnages étaient intéressants par la façon dont
ces causes sociales influaient sur leurs vies. Les films participant du mouve
ment n’avaient pas toujours qu'un seul protagoniste : des groupes sociaux pou
vaient constituer un héros collectif, comme dans tous les films d'F.isenstein
réalisés avant La ligne générale (1929). À cause de cette dévalorisation des per
Figure 12.25
sonnalités individuelles les réalisateurs soviétiques évitaient souvent d'em
ployer des acteurs connus, préférant distribuer les rôles à des personnes qui
n'étaient pas acteurs et qu’ils allaient chercher hors du monde du cinéma. Cette
pratique était connue sous le nom de typaget parce que les réalisateurs choisis
saient souvent des individus dont l'apparence semblait immédiatement expri
mer le type de personnage qu'ils ou elles devaient jouer. À l’exception du héros,
tous les Mongols de Tempête sur l'Asie sont des acteurs amateurs.
Vers la fin des années 20, chacun des plus grands réalisateurs de ce mouve
ment avait réalisé environ quatre films importants. La chute du mouvement
ne fut pas d'abord causée, comme en Allemagne et en France, par des facteurs
économiques et industriels mais par les pressions politiques d'un gouverne
ment qui, en exerçant un fort contrôle sur les films, découragea leur emploi
particulier du montage. Vertov, Eisenstein et Dovjenko étaient critiqués pour
leurs approches excessivement formelles et «ésotériques» du cinéma. En
1929, Eisenstein partit à Hollywood pour y étudier les nouvelles techniques
sonores; lorsqu'il revint en 1932, le paysage cinématographique soviétique
avait changé : quelques réalisateurs avaient transposé leurs expériences de
montage dans le cadre du cinéma sonore mais les autorités, sur les instruc
tions de Staline, poussaient les réalisateurs à créer des films simples, faci
lement compréhensibles par tout type de public. Les expérimentations
stylistiques ou les sujets non réalistes étaient souvent critiqués ou censurés.
Cette tendance culmina en 1934, lorsque le gouvernement institua une
nouvelle politique artistique nommée «réalisme socialiste». Cette politique
imposait que toutes les oeuvres d'arl décrivent les progrès de la révolution et
soient fondées sur les principes du «réalisme». Les grands réalisateurs soviéti
ques continuaient à faire des films, parfois des chefs-d’œuvre, mais les expé
riences des années 20 devaient être abandonnées ou corrigées. Eisenstein
réussit à poursuivre son travail sur le montage mais dut régulièremen subir les
foudres des autorités jusqu’à sa mort en 1948. Comme mouvement, on peut
dire que l’école soviétique s’est éteinte vers 1933, avec la sortie d'Enthousiasme
(Dziga Vertov, 1931) et du Déserteur (Vsevolod Poudovkine, 1933).
S 66
(wiiH.13 - uuow h rijjg uniHûiu mixill
tion du son finalement adopté par les studios, il devrait être compatible avec la
mécanique des projecteurs des salles. C’est un système où la bande son se
trouve sur la pellicule, à côté de l'image, et non sur un disque, qui devint h
norme et continue de l’ètrc (se reporter au chapitre I). Vers 1930, la majorité
des salles américaines étaient équipées pour projeter des films sonores.
Pendant quelques années, les techniques d'enregistrement du son mirent
un frein aux progrès du style hollywoodien. La caméra devait être placée à
l’intérieur d'un caisson insonore de façon à ce que le bruit du moteur ne soit
pas capté par les micros. La figure 12.27 est une photographie de plateau,
posée, montrant les éléments indispensables au tournage d'une scène dialo-
guée dans un film MGiM de 1928. L'opérateur de prise de vues ne peut enten
dre qu’à travers ses écouteurs et la caméra peut à peine bouger, sinon pour de Figure 12.27
légers panoramiques de recadrage. L'encombrant micro qui se trouve sur la
table à droite est, lui aussi, fixe. Les acteurs devaient demeurer dans un espace
limité si ce qu'ils disaient était enregistré. Toutes ces restrictions entraînèrent
une brève période durant laquelle les films, statiques, ressemblaient à des piè
ces de théâtre.
567
mm £ - uinoi&i du aumu
Cependant, dès les débuts du cinéma sonore, des solutions furent trouvées
à ces différents problèmes. Plusieurs caméras, toutes enfermées dans des cais
sons insonores, enregistraient parfois une même scène simultanément depuis
des angles différents. Les images obtenues pouvaient ensuite être montées
ensemble selon les règles normales de continuité, avec un son parfaitement
synchronisé. U caisson pouvait être équipé de roues, de façon à exécuter des
mouvements de caméra, ou une scène pouvait être filmée sans le son, qui était
rajouté plus tard. Des films du début du parlant, par exemple Applause (Rou-
ben Mamoulian. 1929), démontrent que la caméra a rapidement reconquis
une grande souplesse dans les déplacements. Plus tard, des caissons plus
Figure 12.28
petits, enveloppant seulement le corps de l’appareil, remplacèrent les encom-
brants dispositifs d'origine. Ces blimps (fig. 12.28) permirent aux chefs opéra
teurs de placer la caméra sur des supports mobiles. De même les micros
accrochés à des perches et tenus au-dessus des acteurs permettaient de suivre
une action en mouvement sans perte de qualité à l'enregistrement.
Une fois que la mobilité de la caméra cl des sujets filmés fut rendue au
cinéma sonore, les réalisateurs continuèrent à employer un grand nombre des
caractéristiques stylistiques développées à Hollywood à l'époque du muet. Le
son diégétique représentait un puissant complément au système du montage
par continuité. Un chevauchement du dialogue permettait par exemple de
créer une continuité temporelle fluide cl de suggérer les espaces se trouvant
hors-cadre.
Chaque studio développa ses propres caractéristiques, tout en restant dans
le cadre général du système de la continuité et de la forme narrative classique.
La MGM, par exemple, devint le studio du prestige, avec un très grand nom
bre de stars et de techniciens sous contrats de longue durée, dépensant des
sommes considérables en décors, costumes et effets spéciaux — comme dans
Vûrtges d'Orient (Thegood earih, Sidney Franklin, 1937), où l'on assiste à une
attaque de sauterelles, ou Smi Francisco (W.S. Van Dyke, 1936), qui reconsti
tue de façon spectaculaire le grand tremblement de terre qui toucha la ville au
début du siècle. Warner, malgré son succès avec le son, restait un studio
relativement petit, spécialisé dans les genres les moins coûteux, l^s séries de
films de gangsters —Le petit César (Utile Cacsar, Mervin Leroy, 1931),
L'ennemi public —et de comédies musicales— 42'"“ rue, Chercheuses d’or.
Dames — étaient les productions qui rencontraient le plus grand succès. Uni
versal se situait encore plus bas sur l’échelle du prestige; le studio comptait
plus sur des réalisations inventives que sur des stars établies ou des décors
coûteux pour créer l'atmosphère de films d’horreur comme Frankensiein
(James Whale, 1931) ou The olddark house ( 1932) (fig. 12.29).
L’un des genres les plus importants du cinéma américain, la comédie
Figure 12.29
musicale, ne devint possible qu'avec l'introduction du son. En fait, la pre-
568
(IIU11H IJ U mil PU lia H L1ISJJJJH WJ.U»'
L’une des majors, la RKO, réalisa une série de comédies musicales avec
Fred Astaire et Ginger Rogers dont certaines, comme Sur les ailes de la danse
(Swing rime, George Stevens, 1936) sont de bons exemples de récits construits
de façon classique. Comme Les lois de l'hospitalité. Sur les ailes de la danse con
tient un ensemble de motifs importants du point de vue de la causalité, qui
reviennent tour au long du film pour créer un récit à la structure très tendue.
Fred vient d’une famille de joueurs; sa virtuosité lui permet de gagner contre
un chef d'orchestre qui lui laisse, en guise de paiement, une boîte de nuit.
Avec celle-ci, Fred gagne aussi Ginger, qui travaille pour le chef d’orchestre.
Joueur, le héros a un porte-bonheur, une pièce de vingt-cinq cents dont la
perte provoque la première rencontre avec Ginger. Le personnage de Ginger
Rogers s’appelle Penny.ce qui l’associe directement au motif de la pièce porte-
bonheur. Dans ce film, les numéros musicaux sont justifiés par le récit. Au
départ, Ginger travaille dans une école de danse; Fred est un danseur profes
sionnel, mais il dit être débutant pour pouvoir mieux la connaître. Lorsque
Ginger décide d'épouser le chef d'orchestre, Fred la convainc d’exécuter une
dernière danse romantique avec lui. Cela donne une justification à la scène
finale, où Ginger choisit Fred plutôt que le chef d'orchestre. Du point de vue
du style, les numéros musicaux contiennent des plans beaucoup plus longs et
sont donc montés de façon plus lente que les autres scènes.
Au cours des années 30, les pellicules en couleur commencèrent à être lar
gement utilisées. S’il y avait des séquences en Technicolor dans quelques films
des années 20, le procédé, employant seulement deux couleurs pour créer
toute les autres teintes, restait rudimentaire : l’image était dominée par des
bleus verts et des tons rosés. Le procédé était de plus trop onéreux pour que
son utilisation soit généralisée. Au début des années 30 cependant, le Techni
color avait été amélioré : employant trois couleurs primaires, il pouvait à pré
sent reproduire une gamme très étendue de teintes. Même s’il était encore
cher, il prouva rapidement son attrait auprès du public. Après Becky Sharp
(Rouben Mamoulian, 1935), premier long métrage à utiliser le nouveau Tech
nicolor, et La fille du trois maudit (The irait of the lonesome pine, Henry
Hathaway, 1936) les studios utilisèrent de plus en plus le procédé. 11 fut
employé jusqu'au début des années 70. (Pour divers exemples d’images en
Technicolor, extraites de films réalisés entre les années 40 et les années 60, voir
les planches 17 à 19,27,38, 39. 44. 45 et 57.)
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570
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572
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L’ambiguïté des films néoréalistes est aussi le fait d'une narration qui
refuse de donner un savoir omniscient sur les événements, comme s’il s'agis
sait de reconnaître que la réalité dans sa totalité est tout simplement incon
naissable. C'est particulièrement évident dans les fins de films. À la fin du
Voleur de bicyclette, l’ouvrier et son fils errent toujours dans la rue, sans avoir
retrouvé la bicyclette volée, sans certitude sur l'avenir. Même s'il se termine
sur l'échec du soulèvement des pécheurs contre les marchands, La terre trem
ble n'élimine pas la possibilité d'un autre mouvement. Ces fins ouvertes, con
séquences de la tendance du néoréalisme à construire ses récits autour de
• tranche de vie», s'opposaient à la clôture narrative du cinéma hollywoodien.
573
ÜUU
Vers le milieu des années 50 un groupe de jeunes gens qui écrivaient pour
la revue de cinéma parisienne Les cahiers du cinéma prit l'habitude d'attaquer
les réalisateurs français les plus respectés de l’époque. «Je considère qu’une
adaptation est de valeur», écrivait François Truffaut, «seulement lorsqu’elle
est écrite par un homme de cinéma. Aurenche et Bost |les principaux scéna
ristes du moment] sont essentiellement des hommes de lettre et je leur repro
che ici de mépriser le cinéma en le sous-estimant.» S'adressant à 21 grands
réalisateurs, Jean-Luc Godard affirmait : «Vos mouvements de caméra sont
laids parce que vos sujets sont mauvais, vos acteurs jouent mal parce que vos
dialogues sont sans intérêt; en un mot, vous ne savez pas comment faire du
cinéma parce que vous ne savez même plus ce que c'est. » Truffaut et Godard,
Claude Chabrol, Éric Rohmer et Jacques Rivctte défendaient par ailleurs des
réalisateurs considérés comme quelque peu dépassés (Jean Renoir, Max
Ophuls) ou excentriques (Robert Bresson, Jacques Tati).
Plus important encore, ces jeunes gens ne voyaient aucune contradiction à
rejeter l'establishment du cinéma français tout en aimant le cinéma hollywoo
dien le plus commercial. I^s jeunes rebelles des Cahiers prétendaient que les
oeuvres de certains réalisateurs —certains auteurs— prouvaient que le
cinéma américain pouvait avoir une valeur artistique. Un auteur n’était géné
ralement pas celui qui écrivait directement le scénario mais, transcendant les
contraintes du système hollywoodien, il parvenait à imprimer sa personnalité
sur un genre et une production. Howard Hawks, Otto Preminger, Samuel
Fuller, Vinccntc Minclli, Nicholas Ray, Alfred Hitchcock —ceux-là étaient
plus que des hommes de métier. L’œuvre de chacun d'entre eux constituait un
monde cohérent. Truffaut citait Giraudoux : -11 n’y a pas d'oeuvre, il n'y a que
des auteurs». Godard fit remarquer, plus tard : «Nous avons gagné le jour où
a été reconnu le fait qu’en principe, un film d'Hitchcock, par exemple, est
aussi important qu’un livre d’Aragon. Les auteurs de cinéma, grâce à
nous, ont finalement fait leur entrée dans l'histoire de l’art.» Un grand nom
bre des réalisateurs hollywoodiens dont ces critiques cl cinéastes faisaient les
éloges ont effectivement acquis une réputation qui s'est perpétuée jusqu’à
aujourd’hui.
Écrire des critiques, cependant, ne satisfaisait pas ces jeunes gens. Ils
avaient une grande envie de faire des films. F.mpruntant de l'argent à des amis
et filmant en extérieurs, chacun commença à tourner des courts métrages.
Vers 1959 ils étaient devenus une force avec laquelle il fallait compter. Cette
année là, Rivette tourna Paris nous appartient. Godard réalisa .A bout de souf
fle, Chabrol, son second long métrage. Les cousins, et en avril Les 400 coups de
François Truffaut remporta le prix de la mise en scène au festival de Cannes.
La nouveauté et la vigueur de ces jeunes réalisateurs conduisit les journa
listes à les rassembler sous le nom de nouvelle vague. Leur production était
574
(nflMim 12 - lu font du tusHUL
stupéfiante : les cinq principaux réalisateurs firent 32 films entre 1959 et 1966;
Godard et Chabrol, 1] chacun! Une telle quantité de films ne pouvait, évi
demment, que générer une grande diversité, mais il y a toutefois suffisam
ment de ressemblances entre eux pour que l’on identifie une façon propre à la
nouvelle vague d'aborder les problèmes formels et stylistiques.
La qualité la plus manifeste et la plus révolutionnaire des films de la nou
velle vague était leur aspect improvisé, qui devait choquer les partisans du
cinéma policé de la «qualité française». Les membres de la nouvelle vague
avaient admiré les néoréalistes (particulièrement Rossellini) et pour aller con
tre le cinéma des studios, ils choisirent de mettre en scène leurs films dans des
décors réels, à l'imérieur et autour de Paris. Tourner en extérieurs devint la Figure 12-33
norme. Les éclairages parfaits des studios furent remplacés par la lumière
ambiante et quelques sources complémentaires. Peu de films français d'après-
guerre auraient osé montrer les appartements et les couloirs obscurs et cras
seux de Paris nous appartient (fig. 12.33).
La prise de vues évolua aussi. La caméra de la nouvelle vague bougeait
beaucoup, n’hésitant pas à faire des panoramiques et des travellings pour sui
vre des personnages ou décrire des relations à l’intérieur d’un même espace.
De plus, le tournage en extérieur nécessitait un matériel portable, maniahlc.
La société Éclair venait justement de concevoir une caméra permettant de
tourner avec une faible luminosité et pouvant éirc portée à la main. (Le fait
que l'Éclair ait d’abord été employée pour la réalisation de documentaires
s'accordait parfaitement au «réalisme» de la mise en scène des films de la
nouvelle vague.) Les réalisateurs furent littéralement grisés par la nouvelle
liberté qu'offrait la caméra légère. Dans Les 400 coups, la caméra explore un
petit appartement et monte dans une centrifugeuse de foire. Dans bout de
souffle, le chef opérateur porte la caméra, assis dans un fauteuil roulant pour
pouvoir suivre la trajectoire complexe du héros dans le bureau d'une agence
de voyage (fig. 11.36).
L'une des caractéristiques les plus évidentes des films de la nouvelle vague
est leur humour; les jeunes réalisateurs s’amusaient délibérément avec leur
moyen d’expression. Dans Bande à part, les trois personnages principaux déci
dent de rester silencieux pendant une minute et Godard coupe alors conscien
cieusement tous les sons. Dans Tirez sur le pianiste, un personnage jure qu'il ne
ment pas ; «Que ma mère tombe morte si je ne dis pas la vérité». Raccord sur
une vieille dame s’écroulant. Mais la plupart du temps, l’humour repose sur
des références sibyllines faites à d’autres films, hollywoodiens ou européens.
On trouve des hommages à des auteurs admirés : les personnages de Godard
sont autant d’allusions à lohnny Guitar (Nicholas Ray, 1954), Comme un tor
rent (Some came rumiing, Vincentc Minnclli, 1959) ou à l'Arizona Jim du
Crime de AL Lange de Renoir. Dans Les carabiniers, Godard parodie Lumière et
575
MAJH V-
dans Vivre sa vie il cite La passion de Jeanne d'Arc. Hitchcock est fréquemment
cité dans les films de Chabrol et Les Mis tons de Truffa ut (1958) recrée un plan
d'un court métrage Lumière: comparez la figure 12.34 avec le photogramme
extrait de L’arroseur arrosé présenté en 6.6. Ces références et citations étaient
parfois des jeux concernant les films du mouvement eux-mêmes: Jean-Claude
Brialy et Jeanne Moreau, deux acteurs de la nouvelle vague, traversent un plan
des 400 coups; un personnage de Godard parle d’« Arizona Jules- (mélange
entre Le crime de M. Lange et Jules et Jim). L.cs réalisateurs de la nouvelle vague
pensaient que des gags de ce genre permettaient d'enlever un peu de leur
solennité tant au tournage qu’à la vision des films.
Figure 12.54
Ces films poussèrent aussi plus loin les expériences néoréalistes sur la
construction narrative. Les rapports de causalité devenaient en général très
lâches. Y a-1-il réellement un complot politique dans Paris nous appartient?
Pourquoi Nana est-elle tuée d'un coup de feu à la fin de Vivre sa vie ? l a pre
mière séquence de Tirez sur le pianiste consiste essentiellement en une conver
sation entre le frère du héros et un homme qu'il a rencontré par hasard dans
la rue; ce dernier lui parle longuement de ses problèmes conjugaux, alors qu'il
n’a a priori aucun rapport avec le récit.
Les films sont souvent dénués de personnages ayant un objectif. Les per
sonnages principaux peuvent errer sans but, s'engager dans une action sur un
coup de tète, passer leur temps à parler et à boire dans un café ou à aller au
cinéma. Les récits de la nouvelle vague présentent souvent des changements
de ton surprenants qui ébranlent nos attentes. Lorsque deux gangsters enlè
vent le héros et sa petite amie dans Tirez sur le pianiste, le groupe ainsi consti
tué entame une discussion comique sur le sexe. Des effets de discontinuités
créés par le montage bouleversent de façon encore plus importante la conti
nuité narrative: cette tendance à atteint scs limites avec les jump cuts de
Godard (chapitre 8).
Ix plus important est peut-être le fait que les films de la nouvelle vague se
terminent généralement de façon ambiguë. Nous l'avons déjà vu à propos d’A
bout de souffle. Antoine arrive près de la mer dans le dernier plan des 400
coups, mais au moment où il s'avance. Truffaut fait un zoom avant et stoppe
l'image, terminant le film sur une question : que va faire le personnage, où va-
t-il aller ? (Fig.4.1 ) Dans Les bonnes femmes (Claude Chabrol, 1960) ou Ophé-
lia (id„ 1963), dans Paris nous appartient et presque toutes les œuvres de
Godard et de Truffaut de cette période, l’imprécision de la chaine causale con
duit à des fins délibérément ouvertes et incertaines.
Curieusement, malgré ce que les films exigeaient des spectateurs et le
déchaînement critique de leurs réalisateurs contre l'industrie cinématographi
que française, celle-ci n’était pas hostile à la nouvelle vague. La décennie 1947-
576
Ûfi 11 H nLL-£I4 i|HLLU-^< fnffil
1957 avait été bonne pour la production : l’Êtat soutenait le secteur à travers
un système de quotas, ks banques avaient massivement investi et les copro
ductions internationales représentaient une part florissante du marché. Mais
en 1957, la fréquentation des salles chuta de façon considérable, principale
ment à cause de la généralisation de la télévision. Vers 1959, l'industrie étaii en
crise. Le financement indépendant de films à faible budget semblait offrir une
bonne solution. Les réalisateurs de la nouvelle vague tournaient beaucoup
plus rapidement et pour moins d’argent que les principaux réalisateurs du
moment ; parce qu’ils s'entraidaient, ils réduisaient les risques financiers pour
les sociétés établies. C’est pourquoi l’industrie française soutint la nouvelle
vague pour la distribution et l’exploitation, parfois pour la production.
Il est en fait possible de défendre l’idée que, vers 1964, même si chaque
réalisateur de la nouvelle vague avait sa propre société de production, le
groupe avait été absorbé par l'industrie cinématographique nationale.
Godard réalisa Le mépris ( 1963) pour un grand producteur de films commer
ciaux, Carlo Ponti; Truffaut réalisa Fahrenheit 4SI (1966) en Grande-Bretagne
pour Universal; Chabrol commença à tourner des parodies de thrillers à la
James Bond.
Dater exactement la fin du mouvement est difficile, mais la plupart des
historiens choisissent l'année 1964, moment où la forme et le style du cinéma
de la nouvelle vague s'étaient déjà diffusés et avait été imités — par le réalisa
teur anglais Tony Richardson dans son film Tom Jones ( 1963), par exemple.
Les bouleversements politiques que connut la France après 1968 ont certaine
ment contribué à modifier les relations entre chacun des réalisateurs. Cha
brol, Truffaut et Rohmer s'implantèrent dans l’industrie, tandis que Godard
installait un studio expérimental de cinéma et de vidéo, en Suisse, et que
Rivette commençait à inventer des récits d'une complexité et d'une longueur
surprenantes (comme Ont one (1971 -1974), qui durait à l'origine 12 heures!).
Vers le milieu des années 80, Truffaut mourut, les films de Chabrol étaient
rarement vus hors de France et ceux de Rivette avaient pris un caractère ésoté
rique. Rohmer retint l'attention des pays étrangers avec ses contes ironiques
sur l’amour et l'égarement dans les milieux bourgeois français — Pauline d la
plage ( 1982), Les nuits de la pleine lune (1984). Godard conserva sa notoriété
avec des films comme Passion ( 1981) et sa version controversée de l’Ancien et
du Nouveau testament. Je vous salue Marie (1983). En 1990 il sortit un film
élégant et énigmatique, ironiquement intitulé Nouvelle vague, qui a peu de
rapport avec le courant du même nom. Rétrospectivement, la nouvelle vague
a non seulement offert plusieurs films précieux et originaux mais a aussi
démontré que le renouveau de l'industrie cinématographique pouvait venir
de jeunes gens talentueux et agressifs, largement inspirés par un pur amour
du cinéma.
577
PWIl S - UHIOIU PU (I N( O
578
umm u , u ruii u mn o nuiiiuiuc
une famille italo-américainc. Paul Schrader mit ses propres obsessions con
cernant la violence et la sexualité dans ses scénarios — Taxi Driva, Ragitig
Bull — et dans ses films — Hard Cote (1979).
Le cinéma ayant occupé une place importante dans la vie de ces jeunes réa
lisateurs, beaucoup de films du nouvel Hollywood s’inspiraient du vieil Hol
lywood. Les oeuvres de De Palma empruntaient énormément à Hitchcock;
Puisions, par exemple, est manifestement un travail sur Psychose. On s’fail la
valise ( What s up Doc ?. Peter Bogdanovich. 1972) était une réactualisation des
• screwball comédies», avec des références précises à L’impossible monsieur Bébé
de Hawks. Assaut. de Carpentcr, était en partie inspiré de Rio Bravo (Howard
Hawks, 1959); un certain - John T.Chance» est mentionné comme monteur
au générique : c'est en fait le nom du personnage joué par John Wayne dans le
western de Hawks.
Altman et Allen étaient d'une génération un peu plus âgée, mais ce sont les
• movie h rats» qui connaissaient le succès le plus constant. Lucas et Spielberg
devinrent de puissants producteurs, travaillant ensemble sur la série des
Indiana Jones et incarnant la nouvelle génération hollywoodienne. Coppola
ne parvint pas â financer son propre studio mais resta un réalisateur impor
tant. La réputation de Scorsese n’a pas cessé de grandir : vers la fin des années
80, il était le réalisateur américain vivant le plus acclamé par la critique.
Au cours des années 80, des talents neufs ont gagné la reconnaissance du
public et de l’industrie et ont crée un - nouveau nouvel Hollywood». Beau
coup des plus gros succès de la décennie venaient de Lucas et Spielberg, mais
d'autres réalisateurs à succès étaient un peu plus jeunes : James Cameron
— Terminator (1984); Terminator 2 (1991)—, Tim Burton —Beetlejuice
(1988); Btirnum (1989) — et Robert Zcmeckis — Retour vas le futur (1985);
Qui a peur de Roger Rabbu ? (1988). Deux films aux succès stupéfiants sym
bolisèrent en 1993 et 1994 les vagues successives de la renaissance
579
Br4_llUU 4 - iiiunii m jiitn
580
12 - iDfiat 011 u L MKTÛlâi H1 HL5H
581
gros plans en courte focale pour créer des déformations dignes de la bande
dessinée (fig. 12.36). On trouve des effets similaires dans le road movie gay de
Gregg Araki, The iiving end (1992). Dans des films comme Trust me (1991 ),
Hal Hartley tempère un scénario mélodramatique par un rythme lent, des
gros plans de visages songeurs et des compositions dynamiques mettant en
tension premier plan et arrière-plan (fig, 12.37).
Les réalisateurs indépendants ont aussi fait des expériences de construc
tion narrative. Barton Fink (Joël et Ethan Cocn, 1991), d’abord portrait satiri
que de l’Hollywood des années 30, devient imperceptiblement une sorte de
cauchemar halluciné. Réservoir dogs (Quentin Tarantino. 1993) et Pulp fiction
(id-, 1994) jonglent avec le temps de l’histoire et celui du récit d'une façon qui
Figure 12.36
rappelle la complexité des flashbacks des films des années 40. À la différence
de The joy luck dub cependant, les soudains passages d’un moment à un autre
de l'histoire ne sont pas justifiés comme des souvenirs des personnages : le
public est obligé de découvrir par lui-même la raison de ces changements
temporels. Dans Daughters of the dust (1991), Julie Dash laisse scs acteurs par
ler le riche dialecte Gullah et développe une structure temporelle complexe
qui cherche à fondre présent et futur. Dans une scène, un personnage entre
voit un enfant qui n'est pas encore né.
Le vieil Hollywood fit donc son retour dans les studios des années 70 et 80,
Figure 12.37 à travers de jeunes réalisateurs talentueux qui adaptèrent les conventions clas
siques aux goûts contemporains. Dans le même temps émergea une sorte de
tradition, très dynamique, du cinéma indépendant, qui trouva son public
parmi les cinéphiles, les jeunes, les minorités raciales et culturelles désirant
vivre une expérience vraiment différente de celle que leur proposait le cinéma
commercial.
582
Angle de cadrage Position du cadre par rapport au sujet Cache d'écran Pour la projection en salle, masque noir Cadrant
représenté : au-dessus du sujet, dirigé vers le bas (plongée); à l'image sur l'écran. Le cache, mobile, est ajusté au format de
l'horizontal. 1 la même hauteur que le sujet (angle normal): l’image projetée.
dirigé vers le haut (contre-plongée). Aussi appelé «angle de Cadence Au tournage, nombre de photogrammes exposés par
prise de vues». seconde: à la projection, nombre de phoiogrammes projetés
Angle de prise de vues Voir Angle de cadrage par seconde. Si les deux cadences sont égales, h vitesse du mou
Animation Tout procédé par lequel on crée un mouvement artifi vement représenté paraîtra normale; une différence entre clics
créera un ralentissement ou une accélération du mouvement.
ciel, en photographiant un à un des dessins (soir aussi Cellulo),
des objets ou des images de synthèses. L’illusion du mouvement La cadence standard du cinéma sonore est de 24 images par
est produite par de légers changements de position des figures, seconde au tournage et à La projection.
enregistrés photogramme par photogramme. Cadrage Utilisation des bords du photogramme pour sélection
Auteur L’auleur véritable ou supposé d'un film, généralement ner ci composer ce qui sera visible à l’écran.
identifié au réalisateur. Le terme est parfois utilisé dans un sens Cadre incliné Image où les horizontales du cadre ne sont pas
critique, pour distinguer les -bons, réalisateurs (les nur«<n) parallèles a l'horizon; le bord droit ou gauche est plus bas que
Automate de prise de vues Technique permettant, grâce â un Caméra portée Utilisation du corps du cadreur comme support
ordinateur, d'organiser et de répéter des mouvements de pour la caméra; le cadreur porte l’appareil â la main ou emploie
caméra précis pour filmer des maquettes ou réaliser des effets un harnais.
Axe de jeu Dans le système du montage par continuité, la ligne sinés les différentes phases de la décomposition d'un mouve
imaginaire qui, passant par les principaux acteurs, définit les ment.
relations spatiales de tous les éléments de la scène, qui se trou Champ-contrechamp Deux plans, ou plus, montés de façon à
vent alors constamment à gauche ou â droite les uns par rap faire alterner des personnages, généralement au cours d’un dia
port aux autres. La caméra est censée ne pas passer de l'autre logue. Dans le système du montage par continuité, les person
côté de cet axe lors d'un raccord, ce qui aurait pour consé nages qui regardent sers la gauche dans un premier plan
quence d'inverser les relations spatiales. On l'appelle aussi la regardent vers h droite dans celui qui suit. Le contrechamp
«ligne des 180*» (voir aussi Règle des 180°). comprend souvent en amorce le personnage montré de (ace
dans le plan précédent.
Basculement Voir Panoramique vertical.
Cache Écran opaque placé dans la caméra ou La tireuse, qui mas Chevauchement Indication de la profondeur dans une image par
que une partie du photogramme et modifie h (orme de la le fai! que les objets les plus proches dissimulent en partie les
partie impressionnée de l'image. La zone masquée est généra plus lointains. On utilise aussi le terme «recouvrement ».
lement noire â l'écran mais elle peut aussi être blanche ou Chevauchement de l'action Lors d'un raccord, reprise dans un
colorée. plan d'une partie ou de la totalité d’une action montrée dans le
plan précèdent, qui en augmente donc la durée à l'écran cl dans Doublage Remplacement d'une partie ou de la totalité des voix
le récit. sur une bande son pour corriger des erreurs techniques ou
Chevauchement sonore Dans le montage d'une scène, raccord réenregistrer des dialogues. Voir aussi Postsynchronisation.
intervenant avant qu'une réplique ou un bruit venant d'un plan Durée Dans un film narratif, l'un des aspects des manipulations
A soit terminé, les sons se poursuivant sur un plan B qui n'en temporelles concernant le rapport entre le laps de temps consa
montre plus la source. cré à une action dans le récit et sa durée supposée dans l’hatoire.
Clôture Façon dont la fin d'un film narratif révèle les conséquen Voir aussi Fréquence, Ordre.
ces de tous les événements présentes et résout (ou clôt) toutes Durée de projection Temps que dure la projection d'un film, à la
Direction Les relations droite-gauche dans une scène. Ces rela constitué par l’ensemble des lieux, montrés ou non, où se
tions sont établies dans un plan de situation-, les positions des déroule l’action, et l'espace du récit, constitué par l'ensemble
figures dans le cadre, leurs mouvements, les directions de des lieux représentés par l'image ou le son.
regard sont censés rester cohérents d’un plan à l’autre, dans le Exploitation L'une des trois branches de l'industrie cinématogra
système du montage par continuité. Voir aussi Axe de jeu. Rac phique: projection des films achevés à un public. Voir aussi Dis
cord regard. Règle des ISO0. tribution, Projection.
Distance focale Distance du centre de l'objectif au point où les Exposition Réglage du mécanisme de la caméra permettant de
rayons lumineux convergent (foyer) pour former une image contrôler la quantité de lumière qui vient frapper chaque pho
nette. La dislance focale détermine les relations perspectives de togramme au moment où il passe devant la fenêtre de prise de
Distribution L'une des trois branches de l'industrie cinémato cord qui présente une continuité temporelle mais bouleverse les
graphique: location des films achevés aux salles où ils seront positions des personnages ou des objets.
584
uUIWl
ralcmcni du genre policier ou du thriller, caractérisés par leurs Forme narrative Type d’organisation filmique où les parties sont
éclairages en lowkeyet une atmosphère sombre. en rapport les unes avec les autres à travers une série d'événe
Filtre Morceau de verre ou de gélatine placé devant la caméra ou ments ayant des relations causales et se déroulant dans un cer
devant l'objectif de La tireuse pour modifier la qualité ou la tain espace, en un certain temps.
quantité de lumière frappant la pellicule au moment où elle Forme rhétorique Type d'organisation filmique où les parties
passe devant la fenêtre. produisent et appuient une argumentation.
Flashback Modification de lordre de l’histoire par laquelle le Fréquence Dans un film narratif, l'un des aspects des manipula
récit revient sur un événement antérieur à l'action en cours. tions temporelles concernant le nombre de fois où un événe
Fkshforward Modification de l’ordre de l'histoire par laquelle le ment de l'histoire est montré dans le récit. Voir aussi Durée,
récit présente des événements futurs puis revient au présent de Ordre.
l’action. FronUlité En mise en scène, position des figures qui font face au
Focale normale Objectif qui montre les objets sans déformation spectateur.
importante de la perspective. F.n format 35mm. les focales nor Genres Les différents types de films que le public et les réalisa
males sont de 35 à 50mm. teurs reconnaissent par leurs conventions narratives : la comé
Fonction Le rôle ou l’effet de tout élément faisant partie de la die musicale, le film de gangster, le western sont parmi les
Fondu 1. Ouverture en fondu un écran noir est progressivement Grand angle Objectif à courte focale qui altère la représentation
remplacé par un plan. 2. Fermeture en fondu : un plan s'assom de la perspective par déformation des lignes droites se trouvant
brit progressivement jusqu’à ce que l’écran soit noir (on parle près des bords du cadre et par exagération de la distance appa
souvent de fondu an Mtr). Les fermetures en fondu peuvent rente entre le premier plan et l’arrière-plan. En format 35mm,
parfois donner lieu au remplacement progressif du plan par un un objectif dont la distance focale esi inférieure à 3Gmm. Voir
blanc pur ou par une autre couleur. aussi Focale normale. Téléobjectif
Fondu enchaîné Transition entre deux plans au cours de laquelle Gros plan Cadrage où la taille de l’objet montré est relativement
une première image disparaît progressivement tandis qu’une importante; le plus souvent, il s'agit d'un visage ou d'un objet
seconde image apparaît; les deux sont un instant mêlées en une de taille comparable qui remplit tout l’écran.
surimpression. Hard light Éclairage «dur*, qui crée des ombres aux contours très
1,33), rapport qui passa, plus tard, à 1 x 1.85. vement transparentes, «débouchées - par la lumière d'appoint.
Forme Le système général des rapports entre les parties d'un film. Histoire Dans un film narratif, tous les événements que nous
Forme abstraite Type d’organisation filmique où les parties sont voyons cl entendons plus tous ceux que nous en déduisons ou
en rapport les unes avec les autres par répétition et variation de que nous supposons avoir eu lieu, rétablis dans leur ordre chro
qualités visuelles comme la forme, la couleur, le rythme et la nologique, leur durée réelle, leur fréquence et leurs relations
direction des mouvements. Spatiales présumées. Opposé au récit. qui est La présentation
Forme associative Type d’organisation filmique où les parties directe, par k film, de certains événements de l'histoire
sont juxtaposées pour suggérer des ressemblances, des opposi Hors-champ Les six zones qui ne sont pas visibles à l'écran mais
tions, des idées, des émotions ou des qualités expressives. font partie de l’espace de La scène: ce qui se trouve au-delà de
Forme catégorielle Type d’organisation filmique où les parties chacun des quatre côtés du cadre, derrière le décor et derrière la
sont consacrées à des sous-ensembles distincts d’un même sujet caméra. Voir aussi Espace.
principal. Un film sur les Etats-Unis sera par exemple composé Idéologie Système de valeurs, de croyances ou d'idées relative-
de cinquante parties, une par état. ment cohérent, partagé par un groupe social « considéré
58S
G10 JUIH
comme allam de soi parce que naturel ou fondamentalement l-umière zénithale Eclairage venant du dessus sur un personnage
vrai. ou un objet, pour en souligner les parties supérieures ou k
Inserl extradiégétique Plan ou série de plans insérés dans une détacher plus nettement du fond.
séquence, montrant des objets ou des personnages ne faisant Mise en scène Tout ce qui concerne les éléments sc trouvant
pas partie du pseudo espace de l'histoire. devant la caméra pour être filmés : le décor et les accessoires, b
Interprétation Activité du spectateur qui analyse les «ns implici lumière, les costumes ci les maquillages, le jeu des acteurs.
tes et symptomatiques suggérés par le film. Voir aussi Sens. Mixage Mélange de deux pistes sons, ou plus, en une seule.
Iris Cache circulaire mobile qui peut « refermer pour marquer la
Monochromie Caractère d'une image dominée par une gamme
fin d'une scène (fermeture4l'iris)ou souligner un détail, ou qui réduite de nuances d'une meme couleur.
peut s'ouvrir pour marquer le début d’une scène (ouverture à
Montage 1. Au coun de la réalisation du film, sélection et assem
l'iris) ou révéler une plus grande ponion d'espace autour d'un
blage des prises de vues. 2. Dans le film achevé, ensemble des
détail.
techniques réglant les reblions entre les plans.
Jump eut Raccord elliptique qui semble être une simple interrup
Montage alterné Procédé de montage qui consiste à faire alterner
tion dans un même plan. Soit les figures changent instantané
des plans montrant deux actions ou plus, généralement simul
ment de place et le fond reste le même, soit c'est le fond qui
tanées. se déroulant dans des lieux différents.
change tandis que les figures ne bougent pas. Voit aussi ERipse.
Montage elliptique Élimination d'une partie d'une action lors du
Lentille Pièce formée d'un matériau transparent (généralement
du s'erré) dont une ou deux faces sont courbes de façon 1 ras passage entre deux plans, produisant une ellipse dans le temps
du récit et de l'histoire.
sembler et faire converger les rasons lumineux. La plupart des
objectifs équipant les caméras et les projecteurs sont composés Montage intellectuel Juxtaposition d'une série d'images destinée
d'une série de lentilles placées dans un tube métallique. à produire une idée abstraite absente des images considérées
causes et de conséquences sans digressions importâmes, retar- Montage par continuité Système de montage permettant d'assu
demenis ou actions n’ayant aucun rapport avec le reste de h rer, dans un contexte narratif, le déroulement clair et continu
narration. de l’action. Le montage par continuité repose sur une stricte
Low key Eclairage créant de forts contrastes entre les zones claires corrélation des directions des mouvements, des positions dans
et les zones sombres de l’image: les ombres sont profondes, b l'espace et des relations temporelles entre les plans. Pour des
lumière d'appoint étant peu utilisée. techniques spécifiques, voir Axe de jeu, Champ-contrechamp,
Lumière d’ambiance Voir Lumière d'appoint. Direction. Montage alterné, Plon de situation. Raccord dans l'axe.
Raccord dans le mouvement, Raccord regard.
Lumière d’attaque Voir Lumière principale.
Lumière d'appoint Eclairage produit par une source moins vive Montage par discontinuité Tout système alternatif d'assemblage
de plans utilisant des procédés s’opposant aux principes du
que la lumière principale, utilisé pour adoucir les ombres trop
montage par continuité. Ces procédés peuvent être : le boule-
noires. On parle aussi de lumière d'ambiante ou de lumière de
verrement des relations spatiales et temporelles, la transgres
bouchage.
sion de la règle des 180° ou l’importance donnée aux rapports
Lumière frontale Éclairage dirigé sur la scène depuis un point
visuels entre les plans. Voir aussi Chevauchement, Insert extra
situé près de la caméra.
diégétique. Jump cul. Montage elliptique. Montage intellectuel.
Lumière latérale Éclairage venant de côté sur un personnage ou
Raccord visuel.
un Objet, généralement pour créer une impression de volume,
Motif Élément répété de façon significative.
faire ressortir les reliefs d’une surface ou éclaircir des zones lais
sées dans l'ombre par un autre éclairage. On parle dans certains Motivation lustification de la présence des éléments composant le
cas de « I um ière rasante ». film. Elle peut faire appel à h connaissance qu'ont les Specta
teurs du monde réel, à des conventions de genre, à la causalité
Lumière principale Dans le système de l’éclairage trois points,
narrative ou à des figures de style propre au film.
l'éclairage le plus intense. On parle aussi de lumière d’attaque
ou, plus souvent, d'effet. Voir Décrochage. Lumière d'appoint. Mouvement assisté par ordinateur Voir Automate de prise de
Éclairage trois points. vues.
586
miHiu
Mouvement de cadre Effet, à l'écran, d'un déplacement de la Perspective aérienne Indication de b profondeur, dans une
caméra, d'un zoom ou de certains effets spéciaux; changement image, par un rendu net des objets situés au premier plan et
de cadrage dans un même plan en fonction de la scène filmée. plus flou de ceux situés dans le lointain.
Voir aussi Mouvement de grue, Panoramique, Travelling. Perspective sonore Spatialisation du son. produite par l'intensité,
Mouvrmtnl de caméra Voir Mouvement de cadre. le timbre, la hauteur des sons et, avec un système de reproduc
tion stéréophonique, les informations dites »binauralcs«.
Mouvement de grue Déplacement de la caméra au-dessus du sol
dans toutes les directions. Photogramme Une image sur b pellicule. Lorsqu'une série de
photogrammes sont projetés sur un écran en une succession
Narration Processus par lequel le rien transmet ou dissimule les
rapide, ils procurent au spectateur l'illusion du mouvement.
événements constituant l'histoire. La narration petit être plus
Photographie Terme général pour désigner toutes les modifica
ou moins restreinte à ce que sait un seul personnage et plus ou
moins «profonde», si elle présente les perceptions et les pensées tions de la pellicule opérées par la caméra en phase de tournage
l’image des contours précis et des textures distinctes. Plan I. Au tournage, série de photogrammes impressionnés au
cours d’un fonctionnement ininterrompu de la caméra. Aussi
Objectif anamorphooeur Un objectif qui permet de réaliser des
films pour écrans larges à partir d'un format d image standard. appelé prise. 2. Dans le film achevé, une image ininterrompue
caractérisée par une unité du cadrage, mobile ou statique.
L’objectif de h caméra couvre un champ très large, comprimé
sur le photogramme; à la projection, un objectif identique pro Plan américain Cadrage coupant les personnages à mi-cuisse.
duit l'opération inverse pour restituer une image non-compri Plan d'accompagnement Plan dont te cadrage change pour gar
mée sur l'écran. der une figure en mouvement a l'écran.
Ordre Dans un film narratif, l'un des aspects des manipulations Plan de demi-ensemble Cadrage de la partie du décor où se tien
temporelles concernant la façon dont la chronologie des événe nent les personnages.
ments de l'histoire est réorganisée dans le récit. Plan d'ensemble Cadrage où les objets représentés sont relative
Panoramique filé Mouvement de caméra latéral extrêmement ment petits: plan cadrant l'ensemble du décor.
rapide, qui produit un bref brouillage de l'image en un ensem Plan de situation Pbn général ou plan d'ensemble montrant les
ble de lignes horizontales. Un raccord imperceptible peut par relations spatiales entre les personnages, les objets cl le décor
fois joindre deux panoramique filé pour créer une transition d'une scène. Le plan de situation vient sous-ent au début cl à la
inattendue entre deux scènes. fin d'une série de plans rapprochés sur l'action,
Panoramique horizontal Mouvement de caméra où le corps de Plan long Plan qui se poursuit pendant une durée inhabituelle
l'appareil tourne vers la droite ou vers la gauche sur son axe ver avant le passage au plan suivant.
tical. A l'écran, il produit un mouvement de cadre qui balaie Plan moyen Cadrage où tes personnages occupent toute la hau
l'espace horizontalement. teur de l'écran.
Panoramique vertical Mouvement de caméra où le corps de Plan poitrine Voir Plan rapproche
l'appareil pivote vers te haut ou vers le bas autour de son axe Plan rapproché Si l'on considère la figure humaine comme élé
horizontal. À l'écran, il produit un mouvement de cadre qui ment de référence, on parlera de plan rapproché taille, ou plan
balaie l’espace verticalement. Aussi appelé •basculement». taille pour les images cadrant les personnages au niveau de la
Pellicule Bande transparente recouverte sur une face d'une émul taille, et de plan rapproché poitrine, ou plan poitrine pour les
sion photosensible, sur laquelle une série d'images sont impres images cadrant tes personnages au niveau de la poitrine.
Perche Longue tige grùce A laquelle on peut suspendre un micro plan long.
au-dessus de la scène filmée et qui esi utilisée pour pouvoir en Plan subjectif Plan filmé avec la caméra située approximative
changer les positions en fonction de l’évolution de l'action. ment à remplacement des yeux d'un personnage et montrant
587
iiû mm
donc ce que ce dernier est censé voir; raccorde généralement cution d'un mouvement, de façon à ce que celui-ci paraisse ne
avec un plan du personnage en train de regarder. pas avoir été interrompu.
Plan taille Voir Plan rapproche. Raccord regard Raccord respectant un axe de /eu et obéissant à 1a
Point (changer le point) Faire passer la netteté d’une zone à une régie tics ISO*, où un plan montre un personnage regardant
hors-champ dans une certaine direction et le pbn suivant, un
autre de l'image au cours du plan.
espace contigu comprenant ce que le personnage regarde. S’il
Pont sonore 1. Au début dune scène, bref débordement du son
regarde vers la gauche, il doit se retrouver, dans le pbn suivant,
de la scène précédente. 2. A la fin d’une scène, le son de b sui
hors-champ et A droite.
vante débute avant qu’elle ne soit terminée.
Raccord visuel Raccord produisant une forte ressemblance entre
Postsynchronisation Ajout de sons après le tournage et le mon
des éléments composant les deux plans successifs (par exemple
tage des images. Le doublage des voix, l’introduction d'une
des ressemblances entre les couleurs, les formes).
musique diégétique ou de bruits font partie des procédés de
R ce ad rage Bref panoramique horizontal ou vertical qui permet
postsynchronisation. Opposé à Sort dimt.
de conserver les personnages ou les objets à l’écran ou de les
Prise Au tournage, le plan produit lors d’un fonctionnement
maintenir au centre de b composition lorsqu’ils se déplacent.
ininterrompu de b caméra. Les plans composant la version
Récit Dans un film narratif, tous les événements directement pré
finale d'un film ont souvent été choisis parmi plusieurs prises
sentés au spectateur, avec leurs relations causales, leur ordre
différentes de la même action.
chronologique, leur durée, leur fréquence et leurs situations
Production L une des trois branches de l'industrie cinématogra
spatules. Opposé i histoire,qui est b reconstitution imaginaire,
phtque: le processus de création du film. Voir aussi Distribu par le spectateur, de tous les événements qui sont supposés
tion. Exploitation. avoir eu lieu. Voir aussi Durée, Durée de projection, Ellipse, Fré
Profondeur fin mise en scène, utilisation plus ou moins impur quence. Ordre.
tante, par b disposition des personnages ei des objets, de b Règle des 180° Dans le système du montage par continuité, b
profondeur de l’espace où se déroule b scène filmée. Tout
caméra doit rester d’un même côté de l’axe de jeu pour que 1a
l'espace, ou seulement une certaine partie, peut apparaître net à
représentation des relations spatiales entre les objets reste cohé
l'écran.
rente d'un pbn J l'attire. Vaxe de jeu est aussi appelé ligne des
Profondeur de champ I. Distance du plan le plus proche de b ! 8(f. Voir aussi Montage par continuité. Directions.
caméra au plus éloigné entre lesquels tout apparaît net à Roloscopc Machine qui projette les images d’un film une par une
l’image. Pour une profondeur de champ comprise entre 1,5 sur une table à dessin, pour qu'un animateur puisse tracer les
mètre et 5 mètres, par exemple, tout objet situé à moins de 1,5 contours des figures apparaissant sur chacune des images. Il
mètre ou à plus de 5 mènes apparaît flou. 2. Grande profon s'agil, par ce procédé, d’obtenir des mouvements plus réalistes
deur de champ : égale netteté des plans très proches de la dans les dessins animés.
caméra et des plans éloignés, obtenue par une certaine utilisa
Rythme La cadence et b régularité perçues d'une série de sons, de
tion de l'objectif et des éclairages.
plans ou de mouvements à l’intérieur des plans. Les paramètres
Projection frontale Procédé complexe où les images censées du rythme sont b mesure, l’acceni et le tempo.
représentées le décor au fond d'un plan sont projetées frontale
Scène Segment d’un film narratif caractérise par son unité tem
ment sur un écran; les personnages et les objets situés au pre
porelle et Spatiale ou qui emploie le montage alterné pour
mier plan sont devant l’écran, filmés suivant le même axe.
montrer deux actions simultanées ou plus.
Inverse de Transparence.
Segmentation Division du film en plusieurs parties pour l'ana
Raccord En phase de montage, assemblage de deux morceaux de
lyse.
pellicules par une collure. 2. Dans le film, changement instan
Sens 1. Sens référentiel : allusion a un savoir préabble commun,
tané de cadrage. Voir aussi lump eut.
extérieur au film, que le spectateur est supposé reconnaître et
Raccord dans l'axe Passage instantané d’une taille de plan à une
comprendre. 2. Sens explicite-, signification présentée directe
autre conservant le meme axe de prise de vue sur le même sujet. ment, généralement dite, souvent à la fin ou au début d’un film.
Raccord dans le mouvement Raccord entre deux vues différentes 3. Sens implicite : signification qui reste tacite, que le spectateur
d’une même action, intervenant au même moment dans l'exé doil découvrir par l'analyse ou b réflexion. 4. Sens symptoma
588
tique-. signification déduite du contexte historico-sociate du Son simultané Son diégétique présenté comme arrivant en même
film. temps dans l'histoire que l'image qu'd accompagne.
Séquence terme couramment utilisé pour désigner un segment Son synchrone Son qui est en état de simultanéité temporelle
relativement important du film, où se déroule une action com avec les mouvements se déroulant à l'image, comme lorsqu’une
plète. Dans un film narratif, est souvent l'équivalent d'une réplique correspond aux mouvements des lèvres.
images symboliques et de clichés. Ixs fondus, fondus enchaînés gnées de descriptions écrites.
cl surimpressions sont souvent utilisés pour lier les images d'une Style Emploi répété cl remarquable de certaines techniques ciné
séquence de montage. matographiques. propre à un seul film ou à un ensemble de
Soft Jight Eclairage où les zones trop brillantes ou trop sombres films (l'œuvre d'un cinéaste ou d’un mouvement, par exem
sont éliminées au profit d'une gamme continue de nuances. ple).
Son diégétique Voix, morceau de musique ou bruit donné Surimpression Expositions multiples de la même portion de pel
comme wnant d'une source présente dans le monde du film. licule, ayant pour résultat le mélange de plusieurs images en
Voir aussi Son extradiégéitque une seule.
Son diégétique externe Son donné comme venant d’une source Taille de plan Echelle relative du cadre, par rapport au person
réelle, située dans l'espace de ['histoire, et dont nous supposons nage ou aux objets représentés. On parle aussi d'« échelle des
que les personnages participant à la scène en cours l’entendent plans» pour désigner toute la gamme des tailles de plan. Voir
aussi. Voir aussi Son diégétique interne. aussi Gros plan, Plan américain, Plan général, Plan d'ensemble.
Son diégétique interne Son donné comme venant de la cons Plan moyen, Plan rapproché. Très gros plan.
cience d’un personnage faisant partie du pseudo espace de l'his Technique Tout aspect du médium cinématographique pouvant
toire. Nous pouvons l'entendre, ainsi que le personnage qui en faire l'objet d’un choix et d'une manipulation lors de la réalisa
est l'origine, mais nous supposons que les autres personnages tion d'un film.
ne le peuvent pas. Fait partie des sons off. Voir aussi Son dtégé/i-
Téléobjectif Objectif à longue focale qui altère la perspective par
que externe. un agrandissement des plans les plus lointains, qui paraissent
Son direct Musique, bruit ou parole, tout son enregistré en même alors plus proches du premier plan. En formai 3Smm. un
temps que sa source est filmée. Opposé à Postsynchronisation. objectif ayant une distance focale de plus de 75mm. Voir aussi
Son extradiégélique Son, par exemple une musique d'amhiance Focale normale. Grand angle.
ou un commentaire, présenté comme venant d'une source Transparence Technique permettant de combiner sur une meme
extérieure au pseudo espace de l'histoire. Voir aussi son off. image une action située au premier plan a une action se dérou
Son hors-champ Son simultané venant d’une source supposée se lant en fond de plan filmée antérieurement. Le premier plan est
trouver dans l'espace de la scène mais dans une zone qui n'est filmé en studio devant un écran sur lequel est projetée, par der
pas visible à l'écran. rière. l’image représentant l’action de l’arrière-plan. Opposé à
Son in Son simultané externe dont la source est visible à l'écran. Projection frontale.
Son non-simultané Son diégétique correspondant à un événe Travelling Mouvement de caméra ayant pour effet, à l'écran, une
ment antérieur ou postérieur à ce qui est montré à l'image. avancée, un recul ou un déplacement latéral dans l'espace de la
Son non-synchrone Son qui n'est pas en état de simultanéité scène. Voir aussi Mouvement de grue. Panoramique horizontal.
temporelle avec les mouvements se déroulant a l'image, comme Panoramique vertical.
lorsque une réplique n'est pas synchronisée avec les mouve Très gros plan Cadrage où la taille de ce qui est montré est très
ments des lèvres du personnage. importante: le plus souvent, un petit objet ou une partie d'un
Son off Tout son qui n est pas présenté comme pouvant être corps emplissent tout l'écran.
directement entendu dans l'espace de i’histoirc. Les sons dis Typage Technique de jeu propre au cinéma soviétique des années
tiques internes et non-simultanés ou les sons exiradiégétiques 20 par laquelle un acteur est doté de traits physiques censés
589
Variation Dans h forme filmique, retour d’un élément accompa Zoom Objectif à focale variable. Un allongement de la distance
gné de changements remarquables. focale au cours d'un plan produit un agrandissement d'une
Volet Transition entre deux plans où une ligne traversant l'écran partie de l'image « un écrasement des différents pians compo
marque h limite entre une première image qui disparaît au fur sant la profondeur: un raccourcissement de la distance focale
590
L’édition américaine de Film Art comporte une bibliographie chapitre par chapitre, intégrée dans les rubriques
«Notes et Points d’interrogation». Les références mentionnées y étant exclusivement américaines, nous avons, avec
laccord des auteurs, complété et transformé ces indications en donnant ici des références en français, ne conservant
les renvois aux ouvrages et articles américains que quand nous estimions ceux-ci essentiels et incontournables. Le
choix des références françaises n’a aucune prétention à être complet. Il s'agit seulement de montrer que certains
points ont fait l’objet de longs débats et de travaux souvent nombreux et diversifiés, et donc d’ouvrir pour le lecteur
des pistes dans des directions diverses, lui permettant de prolonger sa réflexion en trouvant des ouvrages spécialisés
ou des articles sur chacun des thèmes traités.
Ce travail de mise à jour et d'adaptation de la bibliographie a été effectué par Cyril Béghin et Philippe Dubois.
Nous remercions pour leur aide François Albéra, lacques Aumont et Dick Tomasovic.
Lyon (Christopher) (dir.) The MacMillan Dictionnary offilms and autres que les noms ou titres. Mais exercice difficile de synthè
Rapp (Bernard) et Lamy (Jean Claude) (dir.). Dictionnaire des pensable. le plus complet dans sa catégorie. Il faut de bons yeux
films, Paris, Larousse. 1*“ éd. 1990 (nombreuses rééditions). pour lire.
liai।m - - ------
les. publication de la F1AF (Fédération Internationale des des pays du monde, le classement est à peu près clair. Il y a bien
Archives du Film) depuis 1972 jusqu'à nos jours {un volume sûr du retard sur l’actualité (les volumes sortent bien après
pour chaque année). Il s'agit de l'oulil le plus indispensable coup). Un CD-Rom existe, plus commode pour la recherche :
puisqu’il répertorie, en principe, - tous» les textes (articles en Film Index International, Chadwyck-Hcalcy/BFl.
revue, magazine, journal, etc.), parus chaque année sur le
1.1 L'illusion de mouvement au cinéma Bazin André, Qu est-ce que le cinéma l (4 volumes : vol. I. Ontolo
Plusieurs contributions dans les volumes de l'encyclopédie dirigée Perriault ( Jacques), Mémoires de l'ombre et du son : une archéolo
par Carterette (E.G) et Friedman (H.). HandbooL of Perception. gie de l'audiovisuel. Paris, Flammarion. 1981.
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612
Nous nous contentons ici de donner, sans autre précision, les adresses de quelques sites français et anglais en acti
vité au moment où nous écrivons, traitant directement de cinéma et pouvant présenter un intérêt pour l'étudiant ou
la personne cherchant des informations fiables. Certaines sont purement indicatives, donnant accès à des pages
sélectionnées parmi de très nombreux sites équivalents (par exemple celles concernant, en dernière partie, les
réalisateurs); d'autres (base de données, institutions) peuvent constituer des points de départ sérieux pour une
recherche filmographique, bibliographique ou iconographique. 11 va de soi que, compte tenu du caractère tem
poraire d’un grand nombre de sites et des liens offerts sur chacun d'entre eux, cette liste n'est ni exhaustive, ni défi
nitive.
h iip-Jfwww. ctnenta.ucla.edti/fiaf
- Catalogue de h Bifi (références de films, d'ouvrages, et des
- Service du film de recherche scientifique
archives de h Bibliothèque du Film)
http/Swww (fri, fr/
http://www.bifi.fr
- Deutsches filmmuseum Frankfurt am main : eingangsseite
- Base de données sur le cinéma (films, réalisateurs, acteurs, pro
- Cinegraph htip/icinemalenUaiecam/iaii/
http://www.cinesraph.df/ - Orson Welles
httpj/www.ftlmindw-coni/
Studios, sociétés dé cinéma - Cinéma français
h dp.//www. rrnrigineJ.fr
- UGC
finpy/H'ww.ugc-fr/ h »p.//www. nwlink. cont/~ dbntfck
http://www.taumortt.fT/ http://www.anica.il/
614
Les agrandissements de phutogrammes et les photographies de plateaux proviennent de sources très diverses.
Dans la liste qui suit, les chiffres en gras donnent la référence des figures. Nous avons utilisé les abréviations
suivantes : WCFTR (Wisconsin Center for Film and Theater Research) et MOMA (Muséum of Modern Art). Toutes
les illustrations non mentionnées ici appartiennent à la collection des auteurs.
1.9 copyright 1954, Columbia; 1.10, 1.20 copyright Universal 1974, Paramount; 7.26-7.27 Ernic Gehr; 7.29 copyright
and Amblin; 1.11 copyright 1989, Paramount; 1.14, I .16 1932. Paramount; 7.30 copyright 1972, Paramount: 7.33
WCFTR; 1.17MOMA; 1.24copyright l988.Geffcn. copyright 194], RKO; 7.35copyright 1981, Filmways; 7.42
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Aldrich 287 Dali 561
Burch 116,252.255. 287
Allen 44. 60, 129,222.228.410. 486. 579 Dash 582
Bunon5l.80.217, 322. 579
Altman 140, 208. 482.578. 579 Dassin 137.513
Byrne 76
Anders 580 Davcs 83
Angef 75,404
Antonioni 131, MO, 236. 304,573, 579
c Davics 125
Davis 222, 226
Araki 582 Cagncv225 De Mille 218. 550, 557
Arnheim 296. 379. 428 Gamcron 73, 77, 226, 331.368. 579 De Palma 43. 86. 271.287. 578. 579. 581
Arrabal 260 Gapra 365 De Santis 571
Carax239 De Sica 236, 571,572.573
Artaud 561
Carpcnter 368. 578, 579 Delerue 396
Astaire 386, 399. 569
Carrey 227
Dtlluc 557. 558
Cavalcanli 514
B Chabrol 372, 574. 575. 576. 577
Demme 54
Deren 46. 74. 373, 560
Bacon 340 Chan 227
Baillie 73 Dickaon 277. 278. 544
Chaplin 79. 296. 391.552.557
Diclrich 220
Baldwin 68 Choy47
Bazin 57.252.253.255.314. 316. 318. 326. Disney 238.399
Chytilova 260
Dmyirick 136
379, 428 Cimino 528
Dovjenko 565. 566
Bergman 259, 579 Cissè215. 334
Berkeley 340. 366, 368 Dreyer67. 141,213.254,317, 318
Clair 129.295. 340, 368. 402, 428
Bemhardl 402 Dulac 557, 558, 561
Coen 396,581,582
Bcrtolucci52.231.279.302 D^n 273
Canner 46. 74. 75, 161. 193, 342. 345, 396,
Blank 16). 162. 163 404
Blasetii 571 Coolidre 580 E
Block68 Coppcla 33.60.67,87,223.262. 263, 268. Edison 278, 544 . 545.547. 548
Bogdanovkh 579 275.428. 578.581 Eggeling 554
Brakhage 46. 48. 71, 74. 181.254,261.366 Coutard 493 Eiscnstein 97, 116, 127, 139. MO. 141,212,
Brando 68. 209,226. 331 Croncnberg 54.217, 580 217. 221. 252-254. 278. 326. 345. 368.
Breer71,74. 75,366 Crosland 567 370, 373-377. 384. 388. 401. 516. 517.
Brcsson 213.218. 229. 238. 241. 279, 391. Cruise 226 563 566
400. 416. 417, 427, 433. 574 Cukor 207 Epstein 324, 368, 557, 558, 559
Brooks 87. 408 Curtis 365 Ericc 223
im> H. 1W
F 338-341. 368. 402, 441, 474-181. 553, Léger 74. t82, 189
560. 574, 576. 579 Leone 42,83
Fairbanks 551.552, 557. 563
Hoffman 226 Leroy 142. 568. 570
Fellini 43, 58. 129, 216. 224.234. 573
Holm 226 Lester 307
Ferreri 267
Hopper 578 Levinson 36.226
Feuilhdc 213
Howard 68, 356.412 Lewton 86
Fields 216
Hu279 Linklalcr 44
Fishinger 181
Hudlin 580 Lorentz 137, 174,503
Fitzhamon 549
Huillei 141.229.276.322 Loscv 412
Flcming93. 94
Hukc 229 Lubilsch 229, 380. 553
Fong 267
Huntcr413 Lucas 73, 216. 384. 579. 581
Ford 49. 50. 76, 83. 84. 99. 208, 214. 233.
Huston 218.293. 350, 363 Lumet 127, 129
324. 388, 405
Lumière 48, 209. 211, 277, 278, 544 . 545.
Forman 77. 229 I 546, 576
Forsyth 396
Incc 549.557 Lye 260
Frampton 97,218
Lynch 42. 60. 580
Franju 3S7
Lyne 368
Freund 86. 555 1
Friedkin 85 Jacobs 74, 264
Friedrich 73 jannings 555 M
Fuller 271. 301,323,324. 574 Mackendrick 243
Jancsd 317, 318
janowiii 554 Makavejcv 261
Maldoror 237
G jarman 75. 404
Malick 496
Galeta 74 Jarmush 47. 580
Mamoulian 254, 263. 322. 368. 388. 568.
Gance 221. 278. 286. 324. 340. 368. 557. Jcnnings65
569
558. 559. 560 Joncs 238
Mankiewicz 226
Garland 30. 78, 246
K Mann 84. 129
Gehr46. 269
Mari 260
Gctino 317 Kaige 235
Marker 384, 400
Gish2l5 Kalatozov 265
Martin 227
Glass 192 Kaufman 512
Marx 216. 270
Godard 37, 97. 141, 213, 230, 239, 259. Kazan 209,226
Mayer 27. 554
282. 323. 369-371. 409. 414 , 488-496. Keaton 228. 246. 249. 296. 433. 548. 551, Mayslcs 503
574-577 552 McCarcy207
Gomcz 301 Kcllcr 74
McLaine 290
Grant 30 Kidd 49
McLaren 71.72.181.237
Greenawav 161, 234 Killifer 365
McTieman 263, 392. 400
Griffith 94, 212. 215. 288. 307, 340, 342. Koppei 45.47
Melbourne-Coopcr 72
361.547. 549. 551.552.563 Koulcchov 341,342. 368. 509, 563. 564
Méliès 209,210.272.546
Güncy234. 238 K ramer 47 Melville 281.283,326
Kubelka 366
Menzcl 233
H Kubrick 79.137.302. 364
Menzics 68, 570
Hark234 Kurosawa 225,268, 282, 323,333, 394 Milestone 340
Ha ri in 580 Miller 137,325,361
Harris 44. 47. 580 L Minnclli 77. 121. 244. 517-524.574,575
Hari 82. 209.550,551,557 L'Herbier 557. 559, 560 Mix82
Hartlev582 La Casa 110 Mizoguchi 135. 243. 253. 306, 317-319,
Hathaway 76, 569 Lane 44 324
Hawks 58. 132, 324. 356, 365. 468. 469. Lang 214. 293. 323. 362,555.556 Mohr 49
470.471.472.473.574,579 Lattuada 571 Montgomery 325
Head49 Leacock 503 Moore 52,65.88
Hcckcrling 580 Lean 59. 408. 578 Morris 69, 343
Hepworth 546. 549 Lee (Brandon) 40 Mosjoukine 220, 368. 562
Herrmann 388 Lee (Bruce) 227 Mouris 71
Hitchcock30, 49, 59,60,77, 134, 135.216. Lee (Spikc) 44. 60. 68, 345. 358. 481, 482. Mure h 407
295. 305, 318. 324, 325, 329, 332, 336. 483,484,485,486,487, 488, 580 Murnau 85, 324. 555
618
UHI »I< IKI
Richter 554 Taraniino 36. 44, 126, 582 Zcmcckis69, 73. 129. 579-581
619
A caméra 19, 21. 22. 57. 316. 503. 512. 513. contraste 53,54, 258,259.262
543. 544. 559. 567 contre-plongée 289, 291, 295, 444
abstrait {Voir: Forme abstraite) 159, 160.
caméra portée 301.493, 575 convention 98-100. 115, 228. 246. 4(M.
161.182.206.432
catégoriel (Voir. Forme catégorielle) 159- 406, 409. 433, 471. 474. 488. 496, 571.
accéléré 262.263. 264.316
161. 163.206.432 581
accessoire 214,215, 216
causalité 118. 119. 120, 122-124. 130. 138. costume 36. 208. 215, 216, 232, 240, 247,
ambiguité 153. 373. 386. 404 . 408. 4 1 5.
139, 141, 143. 145, 156. 228. 248, 315. 251,520
485.492.511,529. 531,573
350. 362. 369. 469-471. 519. 549. 550, couleur 22.54.181.213-216.2)9,224.233,
anamorphose (Voir: Format large) 282. 551.561,576 234 . 23 7 . 2 3 8 , 254 . 260-2 62 . 3 1 5. 322.
283
champ 128. 287. 297. 303. 305. 306. 404 332, 336. 518,520. 569
angle 296
champ informatif 156 critère 106, 107. 115
angle de cadrage 288-296, 444
champ contrechamp 335. 351-358. 369, critère d'évaluation 208
animation 64 , 69-73. 118. 218 , 226, 238,
436.441.448.486.494,502, 508.551
276,301,390.399
chevauchement de l'action 345
associatif 159, 160. 161,206, 432 D
chevauchement sonore 392, 394, 442, 509,
attente 94-98, 115, 118, 130, 131. 141.146. début 113. 128. 141.440. 527
568
232, 245. 306. 307. 315. 321, 362. 363. décor 208, 211-215, 232. 240, 246, 247,
cinéma direct 66. 301, 503, 504, 508, 510,
372. 386, 401, 405, 409. 413, 419. 421. 251, 276. 439. 443, 444, 449, 482. 500.
511
432.433,456.499 546. 547. 554.555, 572
cinéma expérimental 52, 64 , 73-75. 118,
auteur 58.59,574 développement 101. 1)2-115, 128-130,
269, 390. 554. 556. 560
axe 349,351.361 cinéma indépendant 43. 44. 47, 52, 179, 152. 163. 164. 175. 232, 249. 315. 448.
axe de jeu 347-361,369,378.436.499. 500. 452,474.519. 527
578, 580
502.508 classicisme hoüwoodien 139-142, 222, développement narratif 151
350, 374, 394. 433. 442, 468. 496. 547- diégèse 121
c 552,563,570 différence 111, 112.232
cache 37. 274, 275. 286, 287, 300. 322,558 clip 340 directeur de la photographie 34. 493
cadrage 257. 277, 278. 288-296. 450. 453. clôture 471, 492.573 distance focale 265-269, 449
457. 493, 507 cohérence 114, 115.232 distribution 33. 50, 52
cadre incliné 289, 456, 513 collectif 4 5-4 7 division du travail 27.45,46, 49
. J1HI MUIIIIIS
documentaire 45. 64-69. 118. 137. 139. fondu 329, 344 intensité sonore 387. 389, 420
162. 179. 208. 220. 301. 341. 404. 503. fondu au noir 328. 364. 468 interprétation 103. 104. 384. 504. 511
512.513.517. 563-565, 575 fondu d’ouverture 328. 468 iris 286. 302.558
doublage 40. 411,428,429, 572 fondu enchaîné 328, 340. 364, 462, 468.
durée 561
— dans le moniale 339 . 340 . 343, 344, format du film 23. 25. 286. 287
Ku 208, 225-232, 240. 248. 251, 528. 549.
363.364.372.377 format de l'image 51. 278, 279. 285. 286.
554
297, 323
— dans le récit 125. 126. 145. 148. 149. jump cul 369, 370, 371. 373,375.494. 495.
formai de film 286 576
152,411.447,472
formai large 55.279, 281-284. 559
— du plan 316-321 forme abstraite 180. 181, 203. 237. 245.
269, 366. 390, 456-459. 502. 556
L
low key 223
E forme associative 189-193, 202, 203. 366.
459-463,505-507.512-514 lumière d'appoint 221,222,240
éclairage < Voir aussi : Lumière d’appoint ; lumière principale 221,222, 240
forme catégorielle 161-164. 166. 168, 169,
Lumière principale) 208. 217-225, 232,
170, 172.202, 449-452,505.506
240. 247. 248. 251. 258. 259, 367. 439.
521,522,550. 570. 575 forme narrative (Voir «iumi : Durée; M
Histoire: Narration; Objectif des maquette 36.272.275.300
éclairage trois points 222.247
personnages; Récil) 93. 117, 118. 165. maquillage 217. 457. 554
effet Koulechov 342. 358. 359, 509, 510,
168, 169, 293. 308. 378. 426. 438. 468, mise en scène (Voir aussi: Accessoires;
562
505, 515. 546, 548. 566, 570. 572,576 Costumes; Comportement des figures;
effets spéciaux 36, 40. 271, 272, 275, 300,
322, 323. 439. 461, 512, 513. 525. 546. forme non narrative (Voir aussi : Forme Décor el mise en scène ; Éclairage ;
abstraite; Forme associative ; Forme Fronlalilé ; Jeu ; Profondeur du champ ;
581
catégorielle ; Forme rhétorique) 159. Rvihmc)65.206-25$. 276.310.313.319.
ellipse ( Voir Montage elliptique) 364.378
378 321. 332. 346. 432, 449, 457, 460, 519.
émotion 99. 100. 101. 115, 131. 437, 456,
forme rhétorique 66, 172, 174, 202. 453- 5 20.521, 546 , 554 . 5 7 5
460
456 mobilité du cadre 301, 302
équilibre de la composition du cadre 235,
fréquence 127, 372 mode de production 27-29. 552
236, 240
— dans le montage 343, 345, 363. 377 mode de production des studios 42,47, 49,
espace 119, 120
espace dans l’image de cinéma 233 — dans le récit 125, 145. 148. 152,411 67,578
espace et narration 118, 122, 127. 138 fréquence critique de scintillement 18 momage (Voir aussi : Chevauchement de
étendue du champ informatif 131-135, fronlalilé 244 l'action ; Durée et montage ; Fréquence ;
143. 153-155, 248, 295, 309. 344, 4Û6, Jump eut: Montage par continuité;
419. 442, 443. 476-481.487. 519 c Montage par discontinuité : Montage
elliptique ; Ordre ; Raccord ; Relations
évaluation 106 genre 75-88. 142, 216. 228. 246. 406. 525.
exploitation 50-53 spatiales; Relations temporelles; Rela
560. 568,578, 581
exposition 258, 261,272, 543 tions visuelles; Rythme) 206. 230, 317,
grand angle 264.265.269
exlradiégétique 327-381. 399. 432. 445. 449. 453. 463.
494. 499, 508. 510, 512, 516. 558, 559.
élément — 121. 122
H 563. 564.565, 566
insen—370.371.485
hauteur sonore 387-389 montage alterné 342, 36). 362. 378. 440.
son — 498 high key 222-224 549
histoire 118-128, 131. 141. 146, 156, 206. montage elliptique 344.345, 364.472. 494,
245.343. 344.363.411 495,497. 528
hors continuité 36. 39, 341 montage intellectuel 565
faux raccord 359.463
fiction 64-69 hors-champ ( Voir aussi : Son hors-champ) montage parallèle 342, 375. 378, 514, 566
128. 287. 288. 296. 297. 303. 305. 306,
fidélité 401,402 montage par continuité (Voir aussi: Axe
filtre 261,262 405 de jeu; Plan de situation; Raccord
fin 113, 118. 128, 141,440.527, 576 regard; Raccord dans le mouvement ;
flashback 125-129. 135. 136. 140. 144. 146, I Directions: Champ contrechamp) 33,
153, 154 . 343. 363. 371. 406. 411. 412, idéologie 105.171,468, 517. 520,522. 524, 33), 34). 346, 378, 463. 472. 486. 496,
440.441,526. 527.558 526, 530 $08.509,550.563. 568. 580
flashforward 125. 127. 141.343. 3 4 4,4 14 illusion du mouvement 56 montage par discontinuité 366-378. 433.
focale normale 266 image de synthèse 36,72, 252. 276 435, 437. 458. 486. 494. 499, 516. 562.
fonction 94. 108-110. 114, 115, 291, 292, indice de profondeur 236 56$. 576
533 individuel 45. 46 motif 110. !ll. 112, 115. 180. 224. 245.
622
irni MJ UB1JH
2M9, 251, 252. 294. 397. 421, 422, 453, personnage 122, 123. 137. 138. 143. 483. entre les plans 377
475. 488, 495. 508. 511. 513. 521.569 566 montage 331.340, 368, 378
motivation 109, 110. 114. 123, 140. 141. perspective 265. 269
son 403
149, 150, 151. 156, 549.551,572 perspective el photographie 264
relation spatiale entre les plans 377
mouvement 554, 580 perspective linéaire 239
relation temporelle entre les plans 331.
mouvement apparcni 19.459 perspective sonore 135.395. 407
343, 344.345. 376,378.463. 548
mouvement de cadre 297-321 plan de situation 341. 351. 352. 355, 359.
relation visuelle entre les plans 331, 332.
mouvement de caméra (Voir aussi : Mou 377, 497, 509
333, 334. 335. 336. 338. 346. 366. 367.
vement de grue : Panoramique : plan long 316.317,318,319.320,321.322.
375,463
Recadragc ; Travelling) 313, 325, 559, 326, 441
répétition 110. 175.249. 308,345
567.568.575 plan séquence 317. 318
ressemblance 110. 232
mouvement de grue 298, 299, 302. 305, plan subjectif 135. 136, 293, 294, 300. 307,
rhétorique ( Voir : Forme rhétorique) 159.
440,443,482.487 324, 360. 408. 476. 477. 479. 481. 529.
160, 161.176,206.432
multi-images 286 559
rythme 398, 462
mullipiste (Voir aussi : Son stéréophoni plongée (Voir aussi: Angle de cadrage) mise en scène 241
que) 384,394.407 289. 292. 295
musique 41. 365. 384. 389. 390. 391. 395, montage 331, 338-340. 346, 451. 450,
pont sonore 412. 413,482
396. 397. 400. 402. 409. 421, 422, 428, postproduction 37 454,459.472.528,559
4 39, 446, 448, 452, 454 . 455, 462. 487. préproduel ion 29. 32 prise de v-ues 306
498.501,520 prise 36 son 399,400,401,462
prise de vues 206, 257, 432. 449, 453. 460,
N 508,512,513.559
S
narrateur 127. 136,137. 153-156, 175,176. producteur 29. 36. 37. 42,43. 59. 548. 563.
scénariste 30,49, 59
178, 400, 403, 409, 412, 413, 417. 503 564
profondeur script 33
narratif (Voir : Forme narrative) 206, 432
segmentation 113, 143, 144, 175, 183, 194.
narration 131-138. 141, 153,155, 156.404, indice de — 236-241
434,469, 482, 504,526,533
405,406,417.481, 496. 499, 529 mise en scène 239, 243. 248. 250. 253.
netteté 270 sens
270,442.445 — explicite 102,103. 104. 171,452,510.
non-narratif (Voir: Forme non narrative)
profondeur de champ 270. 271. 276, 441. 511.515.523
206, 432
445,514,570
nouvel Hollywood 368 — implicite 103. 104,171.371,422,452.
profondeur du champ informatif 131. 134.
510,511,515.516.523
135. 136. 138.293.442.479,558
O projecteur 18. 21,22. 56.57, 543. 544 — référentiel 102, 171. 452, 510, 511.
objectif des personnages 129. 139. 141. projection frontale 273, 275,276 523
143. 145, 469. 470. 483, 484. 485, 489, propriétés acoustiques 387. 388, 389 — symptomatique 105, 106. 171, 452.
492, 576
ombre portée 218.238,239,240 511.516, 523. 524
R séquence de montage 148 . 294 . 340, 364.
ombre propre 218
ordre 126 raccord ( Voir aussi : Montage) 329. 330 365.374.448, 456,560
raccord dans le mouvement 353. 354, 364, signification 115
— dans le montage 343, 363, 376. 377
369. 373. 378.472.495. 500. 518. 550
— dans le récit 125. 145. 152.411.447 son ( Voir aussi: Hauteur sonore : Intensité
raccord regard 351,352,353. 354.356, 358. sonore ; Mdtipiste ; Propriétés
orientation, direction de mouvement de 463,487.494.550, 558 acoustiques ; Son diégétique : Son
regard 348, 463, 495, 499, 508 raccord visuel 333, 367, 375.437,458,463, exiradiégélique; Son hors-champ; Son
ouverture 518 502 simultané; Son stéréophonique; Son
ralenti 262,263. 264.316. 529 synchrone; Temporalité de son; Tim
P réalisateur 32. 58. 59. 433, 542, 571, 574. bré) 25. 35, 40, 41, 51. 206. 232. 364.
panoramique 299, 304, 306. 314, 440, 457. 578 383-429, 432, 444, 449, 462. 473. 487.
575 réalisme 106. 208. 209, 212. 225. 226, 227. 495, 508.510. 567
panoramique filé 448 252, 275,276,392,428.571 son diégétique 364, 403, 404. 406, 409.410,
panoramique horiïontal 297, 310. 313 recadrage 304 111,412.495, 498
panoramique vertical 297, 298 récit 118-124. 126-129, 132. 133. 137. 139. son exiradiégélique 403, 404. 405. 409.
parallèle 111. 112. 115. 119. 151. 156. 309, 141, 143. 146-149. 153. 156. 206. 245, 410.412.414,421
313.362,436,445.454, 548 246 . 315 . 343 . 344 , 363. 4M. 469. 472. son hors-champ 404, 405, 406. 420, 421.
pellicule 22, 56, 258, 259, 260, 543. 544, 476. 569, 581 509
569, 570 relations spatiales 341.463 son simultané 411.412
623
IHU »I< IOIIOO
son stéréophonique ( Voir auai : Muliipis- 457. 549 travelling 298. 299, 302, 305. 309-313. 440,
tc) 26.51 téléobjectif 264, 266.269. 559 441,482, 487,493. 529,572,575
son synchrone 410 temporalité du son 410, 411
Sleadicam 300. 325, 528 temps 119, 120. 145 V
storyboard 32 temps et narration 118. 122, 125, 138. 241. variation 111. 112, 175. 249.308
style 43), 432,434,435, 436. 437,438 447 vidéo 53-55. 60. 284, 285. 297. 329. 486
subjectivité 134-136, 406, 411. 441. 476. thème et variation 180. 182, 183, 250,251, volet 329,344, 364, 468
558 311 vues directes 64
surimpression 272,275, 322. 558. 561 timbre 388. 389,420
tireuse 20-22. 302,316 Z
T tonalité 258-261 zoom 124. 268. 302. 305. 315, 317. 325.
taille de plans 290.291, 293. 294. 296. 346. transparence 36. 272,273. 276,322,323 435.461, 462. 508. 529
624
2001, l'Odyssée de l'espace 79. 275. 295. Allemagne, année zéro 211, 571, 572 Attaque du Grand Rapide (L1) 548
364 Alouettes sur le fil (Les) 233 Aurore (L'J 253
23rd psalm branch 46 Amadeus 229 Autant en emporte le vent 94, 207
25 ways to quit smoking 161 Amants de la nuit (Les) 488 Aventure du Poséidon (L') 80
400 coups (Les) 124. 131.574-576 American graffiti 392. 405. 482, 578 Aventures de Sherlock Holmes (Les) 570
42ème me 77. 242. 340. 367. 568 Aniericano (The) 551 Aventures du Prince Ahmed (Les) 71
Ami américain (L’1 413 Aventuriers de l'Arche perdue (Les) 129,
A Amour en l'an 2000 (L’J 79 339
Amour fou (L ) 139 Awenlura (L'J 140.244.283
À bout de souffle 97. 230, 369. 371, 489-
Année dernière à Marienbad (L ) 136. 141.
496. 536. 537,574-576
A la poursuite d’Octobre rouge 23, 41.392.
305. 343.373 B
Annie Hall 228
394, 399 Back and Forth 308
Anthony Adverse 142. 570
À l’Ouest, rien de nouveau 340 Balade sauvage (La) 496
Anticipation of lhe nighl 366
A nous la liberté 340 Ballet mécanique 74, 161. 182. 183. 186.
Aparajito2l9
Abysse 73. 324 225. 366.456-459
Apocalypse now 39, 331,408, 409
Accident 412 Bambi 238
Apollo 13 68
Aci of seeing with one’s own eyes (The) 46 Bande à part 414. 575
Applause 568
Adieu ma jolie 136 Arènes sanglantes 322 Barberousse 268, 282
Age d’or (L ) 561 Barravento 269
Argent (L ) 213, 216.238. 559. 560
Agnus Dei 305, 318 Arizona junior 396. 581 Barry Lindon 302
Ailes 220 Arme fatale (L‘) 80 Barton Fink 582
Ailes du désir (Les) 406 Armée des ombres (L’) 283 Bas-fonds new-yorkais (Les) 271
Aimez-moice soir 263. 340. 368. 388 Arrivée d'un train en gare de La Ciotat (L’) Batman 80, 579
Akira 76 277.545 Baille ai tlderbush Gukh (The) 361
Alexandre Nevski 401 Arroseur arrosé {L’) 211. 545. 576 Beckv Sharp 322,569
Alien 77,85. 294 Assaut 368,579 Bectlejuicc 51, 87. 579
Alicns 77, 81,232, 234. 279.285. 334 Assurance sur la mon 488 Bcgone Dull Care 237
Ail of me 227 Atomic café (The) 66 Belle de jour 136. 562
imJLHLLUHl
Belle et h Béic (U) 76. 122 Chinoise (La) 37.219,237. 238. 370 Dieux du stade (Les) 164-171. 180. 328.
Belle Nivemaisc (La) 324. 558 Chorcography for caméra 46, 74, 373 449-452. 503
Berlin, symphonie d'une grande ville 514 Chronica! ofhopc 47 Dimensions de dialogue 226
Better tomorrow 111 (A) 234 Chronique d’Anna Magdalena Bach 229, Diner 36
Bill and Tcd excellent adventure 80 238-239.276. 289. 322 Distant voices. still lives 125
Billy theKidVs. Dracula 77 Chronique d’un amour 304, 573 Dixième symphonie (La) 558
Black rain 324 Chute de la maison Usher (La) 368 Do the right thing 44. 153, 345. 363. 48) -
Blade Runncr 77.223. 274, 275 Cinquième colonne (La) 295 488, 533, 581
Blinkety blank 7) Cité sans voiles (La) 137,513 Docteur Jivago (Le) 59, 578
Blow oui 43,271 Citizen Kane 34. 59. 124-126. 129. 133, Dogstar man 46, 74
Blow-up 579 141-156, 214, 220. 253, 271. 308. 318. Don Juan 567
Blue Velvet 580 328. 335, 389. 438-441, 443. 445-448. Don’t look back 503
Bon, La brute et le truand (Le) 83, 94 570, 581 Dossier Adams (Le) 69. 208. 343
Bonjour 367,437 Civilization 549 Douze hommes en colère 127
Bonnes femmes (Les) 576 Clcrks 44 Down by law 580
Bon nie and Clyde 496 Coeur fidèle 324, 368. 558. 559 Dracula 85.87. 263.58)
Boy meeugirl 239. 270 Colère des dieux (La) 260
Boyz N the hood 80. 580 Comédiens (Les) (Symphonie diagonale, E
Brasier ardent 220 tilre original, ou Diagonal svmpbony) E.T.85
Bugsy Malone 78 36 Easy Rider 578
Border ofdreams 161 Comme un loneni 575 Eat 74.97.327
Business of America (The) 47 Controlling interests 47 Eclipse (L') 131
Bye bye Birdie 286 Conversation secrète 268. 415. 416 Ecrit sur du vent 224
Coquille et le dergyman (La) 561 Ed Wood 322
C Corde (La) 318 Edward aux mains d’argent 217
Cabinet du docteur Caligari (Le) 85. 141. Cosmic ray 366 Eiga-zuke 74
Cousins (Les) 574 El mariachi 43. 52
209. 213-215, 217. 229. 230, 245. 554.
555 Créature comforu 71 Eldorado 559
Cri (Le) 236 Élégie d’Osaka ( L') 243. 244.253
Cadavres ne portent pas de costard (Les)
Crime de M. Lange (Le) 101,214,258,270. Emak Bakia561
342
Calvaire des divorcés 551 305, 575, 576 Empire 327
Carabiniers (Les) 259,575 Crow {The) 40.60. 368 Empire contre-attaque (L‘) 122,275. 578
Cuirassé Polemkine (Le) 139, 216. 261. Enchaînes (Les) 30, 474
Carrie 86
328,373, 564 End (The)289
Casanova 216,234. 238
Cendres et diamant 239 Enfer est à lui (L’) 225, 380
Cendrillon 546 D Ennemi public (L*) 279, 568
Cenere 260 Dame du lac (La) 325 Ensorcelés 244
Cet obscur objet du désir 136 Dames 367, 368 Enthousiasme $66
Chaînes conjugales 226 Damned if you don’t 73 Entr acle 295
Chair (The) 503 Danger immédiat 300 Entretien avec un vampire 86
Chairy laie (A) 72 Daughters of chaos 74 Eraserhead 580
Chambre verte (La) 224 Daughters of the dust 582 Etrange Noël de monsieur Jack (L') 72
626
ion ki iiiui
Gaucher (Le) 84 Inconnu du Nord-Express (L‘) 216 Life (The) ofan American fireman 548
Geography of lhe body 74 Indiana Joncs 579 Ligne générale (La) 253, 373. 566
Glace à trois faces (U) 368 Like water for chocolaté 52
Indiscrétions 207, 380
Golden eightics (The) 283 Innocence sans protection 261 Liste de Schindler (La) 68
Gosthbuslcrs 279 Inondation (L'J 558 Lilllc Big Man 83
Goût du riz au thé ven (Le) 306 Insoumise (L') 222.223,287. 303, 359 Liitle stab* al hapiness 74
Grand alibi (Le) 474 Intendant Sansho(L') 135 Livingcnd (The) 582
Grand attentat (le) 129 Intérieurs 579 lx>cal hero 396
Grand Sam (Le) 76 Intolérance 212, 286, 340. 342, 549, 563, Lois de l'hospitalité 246-251,270,296,433,
Grand sommeil (Le) 132, 135. 140. 207 565 438,551.569
Grande illusion (La) 308-310, 313, 315, Invaders from Mars 68 Lola Montés 308
433,436 lialian (The) 549 Longday's journey into night 129
Grcat K & A train robbery (The) 79, 549 Ivan le Terrible 212, 215-217, 221. 225, Look who’s talking 580
Grève (La) 139, 228, 345, 370, 373, 564 229. 235. 253.289. 298. 367. 388 Love 216
Guerre des étoiles (La) 80, 225, 384 . 408, Iwo Jina 273 Lumières de la ville (Les) 391
578.581 Lune à un mètre (La) 210
Guerre csi finic ( La) 302, 371
1
J'accuse 324 M
H Je vous salue Marie 577 M le maudit 214, 362, 556
Hair77 Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, M. Smith au Sénat 365. 380
Hallowçen 578 1080 Bruxelles 242 Mad Max 11 137 140. 338,361
Hamlet 406 Idée (La) 400 Mad Max, au-del3 du D6mc du Tonnerre
Hard Core 579 Jeune el Innocent 305 34
627
I’»' »J> "J»1’
628
mw
River $ edge (The) 413 403, 407,409,414 Une affaire de cœur 141
Rivière sans retour (La) 55 Stalkei 260 Une étoile est née 30, 77
Robocop 226 Straight shooting83 Une petite ville sans histoire 570
Rocky horror picturc show (The) 77 Stranger than paradise 47, 580
Roger and me 52, 65-67, 87, 88, 122. 127, Stratégie de l'araignée 231 V
136 Street stories 44
Vacances de M. Hulot (Les) 129, 369. 391.
Roi lion (Le) 80 Sud (Le) 223
402
Roman de la vallée heureuse (Le) 551 Sueurs froides 325
Valiant ones (The) 279
Rome ville ouverte 513. 571, 572 Sur la piste des .Mohawks 76
Valley Giri 580
Ronde delaube 55 Sur les ailes de la danse 399, 569
Vampires (Les) 213
Rose pourpre du Caire (La) 222-224 Sur les quais 23.209. 226
Varicty 324
Rosemarv s baby 86 Suspense 286
Vaudou 78
Roue (La) 221, 286, 328. 368. 558. 559 Symphonie diagonale 554
Vent (Le) 215. 334
Rouges et blancs 305
Vers sa destinée 233
Rue sans issue 482 T
Vertigo 273, 305
Rusty lames 223, 275, 581 Taxi driver 227, 528, 578,579, 581
Vidas «cas 261
Tempête à Washington 284
Vie sur un fil (La) 235
S Tempête sur l'Asie 565, 566
Vipère (La) 253,265,570
Sailor et Lula 42 Temps de l'innocence (Le) 581
Visages d'Orient 568
Salcsman 503 Temps modernes (Les) 391
Viteüoni (Les) 573
Sambizanga 237 Terminator 2 40. 226, 253, 579
Vivala muene ! 260
Samouraï (Le) 281,325 Terminator 368, 579
Vivre sa vie 576
San Francisco 568 Terre tremble (La) 243. 244, 571-573
Voisins (Les) 72
Sans toit ni loi 270 Testament du docteur Mabuse (Le) 556
Voleur de bicyclette (Le) 236. 571-573
Santa Chus 546 Thelma et Louise 226
Voyage à Tokyo 369. 496-503. 535
Scarface 365 Thomas Gardner 142
Voyage au bout de l'enfer 528
Scène de la rue 482 THX 1138 216. 234
Scenes front under childhood 46, 366 Tirez sur le pianiste 575, 576
School daze 44 Tom Joncs 577 W
Schwechater 366 Tom Tom the piper's son 264 War requiem 404
Science friction 75 Tootstc 365 Watching for the Queen 233
Sciuscià 571 Tous en scène 121,122 Wavelcngth 269, 314.315
Scorpio rising 75, 97. 193, 404 Trafic 369 Waxworks 555
Secret adventuresofTont Thumb (The) 72 Tremblement de terre 79 Waynè's world 80, 580
Sept samouraïs (Les) 225, 266, 295. 333, Trente-neuf marches (Les) 402 Western history 366
394 Tribulation alicn anomalies unddr Ameri Whal’s up, Tiger Lily ? 410
Screnc Vdocity 269 ca 68. 99 Whoopct ! 79
Shanghai Express 220 Trois femmes 579 Wild and Woolly 55 j
Shérif est en prison (Le) 408 Trois mousquetaires (Les) 551 Wild Whccls 162, 163
Silence des agneaux (Le) 54, 76, 365. 412. Troisième homme (Le) 289. 290 Winchester 73 84.229. 380
True romance 368. 496
436 Window watet babv moving 46
Silent Mflbius 70 True stories 76,333
Witncss 30. 380. 388
Sirène (La) 210 Trust me 582
Woman's film (The) 47
Sirocco d'hiver 318 Tucker 262,581
Word isout 66
Slackcr 44 Two tintes in one space 75
Slcep 327 Y
Smoke 580 U
Y a-t-il un flic pour sauver la reine ’ 407
Soeurs de Gion (las) 253. 3)9 Ultimatum des trois mercenaires (L‘) 287
Yentl 77
Soeurs de sang287 Ultime razzia 137, 494
Yeux sans visage (Les) 357,361
Soif du mal (La) 219, 223, 319-321. 336. Umberto D573
Yol 234
441 Un chien andalou 561. 562
Soldat bleu 83 Un condamné à mort s'est échappé 391,
Soupe au canard 207 4)6-435
Z
Souriante madame Beudct (La) 558 Un danger public 142 Zelig 129
Specd 276,285 Un fils unique 316 Zéro de conduite 562
Splendeur des Amberson (La) 253, 286. Un tramway nommé désir 226 Zorns Lemma 97
629
Notice des auteurs . .5
Note liminaire 7
AVANT-PROPOS 9
Partie 1
TYPES DE RÉALISATIONS, TYPES DE FILMS
CHAPITRE 1
Chapitre 2
Typologie des films .................. .63
Types FONDAMENTAUX................................. . 64
Documentaire contre fiction , .64
Le film d'animation ....... .... .69
Films expérimentaux et films d'avant-garde.......................... ........ 73
Partie 2
LA FORME DU FILM
Chapitre 3
Signification de la forme filmique . 91
Chapitre 4
Le narratif comme système formel 117
632
rwi H! .1IU1K
RÉSUMÉ. 156
CHAPITRE 5
Les SYSTEMES NON-NARRATIFS .. ............................ ..159
633
IftftU UJl ihiiuu
Partie 3
LE STYLE
Chapitre 6
Le PLAN : LA MISE EN SCÈNE 207
Qu'est-ce que la mise en scène ?....................... . 208
Le REALISME............................................................................. .208
Pouvoir de la mise en scène............................................ . 209
ASPECTS DE LA MISE EN SCÈNE..................................................................... .... 21 1
Ledécor ... .............................................................................................................211
L/i costumes et le maquillage ... ... ... , 21S
L'édairage ................... .....217
Expressions et mouvement* des figures............................................ 225
La mise en scène dans l’espace et dans le temps........................................ 232
L'espace.......................... 233
Le temps . . ............ ... ................................. .241
Fonctions narratives de ia mise en scène : Les lois de l'hospitalité ... 245
Résumé. ... ................ . ......................................................................... 251
Notes et Points d'interrogation.......................................................................... 252
Sur k réalisme et la mite en scène.............................................................................. 252
Images de synthèse et mise en kÿw . . .............................. ........... 252
La profondeur..................................................................................... ......... . 253
La couleur................ ......................................... .. , 254
Composition de l'image et regard du spectateur ... .... .254
Chapitre 7
Le PLAN : LA PRISE DE VUES ........ 257
L’image photographique............ 258
Ls tonalités .... 258
La vitaie................... . 262
La perspective ............ , 264
LE CADRAGE................................................................................................................... 277
Formes et dimensions du cadre . ............ ... . 278
Le champ et le hors-champ .... .......... ................. . 287
Le cadrage : angle vertical, angle horizontal, hauteur et tailles de plan ... .288
Mobihié du cadre.............................. 297
IA DURÉE DE l’image : LE PIAN LONG................................. ... ,316
Le pian long ................................................ 317
Résume.. ......... ....................... ... .... 321
634
IWl tu M1UHI
Chapitre 8
D‘UN PLAN À L’AUTRE : LE MONTAGE 327
Résumé....................................................................................... 378
Chapitre 9
LE SON 383
635
IIIU Ul UIUU!
Chapitre 10
Le style comme système formel 431
Partie 4
ANALYSES CRITIQUES
Chapitre 11
LA CRITIQUE DE FILM :EXEMPLES D’ANALYSES 467
Le cinéma narratif classique....................... 468
Hti girl Friday.............................. 468
La mari aux trouves....................... 474
Do the right thing ... ... 481
Alternatives narratives au cinéma classique. ..... . 488
A bout tie toufilf . ......... .. 488
4 Tokjv ............ . . ....... 496
636
IUH DG 1Ï1ÛIKRG
Partie 5
HISTOIREDU CINÉMA
CHAPITRE 12
Glossaire..................................... 583
Bibliographie 591
637
CINEMA
&
tt L’ART DU FILM
UNE INTRODUCTION
âritabla introduction aux problématiques fondamentales de l'esthétique du film, l'intérêt de l'ouvrage
lient notamment à son caractère systématique en 1 2 chapitres, tous les aspects y sont abordés, dans
une pensée d'une parfaite lisibilité.
Le propos se développe en s'appuyant constamment sur des analyses présises de séquences el articule ses
conceptions personnelles avec des synthèses sur les théories existantes, exposées dans leurs dimensions
les plus récentes
Cet ouvrage dresse ainsi un état des lieux assez complet, concernant à la fois la production et les aspects
techniques, les genres et autres catégories de classement des films, les problèmes de forme, la narration, la
plasticité, la misa en scène, la prise de vue, le montage, le son, le style, le modèle classique, ses alternatives,
l'anclyse critique et, pour finir, l'histoire du cinéma
De plus, ce panorama exemplaire est enrichi d'une formidable iconographie du près da 900 photagram-
raos, directement tirés du film lui-mëme, et accompagnant les analyses, inscrivant immédiatement, en vis-à-vis
du texte, la réalité visuelle des films. Irremplaçable expérience d'image, qui convoque précisément le souvenir
d'un film, el qui surtout incarne les concepts, les fixe visuellement dans la mémoire, faisant de L’Art du film
un livre à voir autant qu'à lire.
Enfin, a cela s'ajoutent encore quelques outils pratiques un glossaire des principaux termes et concepts
utilisés, un tripla index (noms, titres, notions], une liste à jour des principaux sites Internet consacrés au
cinéma et une bibliographie importante, orientée vers les travaux disponibles en français.
L'Art du film est donc un livre de référence, incontournable pour tous ceux, étudiants de cinéma en premier
lieu, mais aussi enseignants et cinéphiles, qui veulent découvrir le cinéma comme une forme d'expression
à part entière. C'est le premier livre traduit en français de David Bordwell et Kristin Thompson, par ailleurs
auteurs - et autorités - reconnus de nombreux travaux de recherches dans le champ des études cinémato
graphiques.
DAVID BORDWELL
Il est titulaire de la chaire «Jacques Ladoux» en Études cinématographiques à l'Universitê du
Wisconsin à Aladison
KRISTIN THOMPSON
Elle est professeur «Honorary Fellow» au département des arts de la communication de l'Universitê
du Wisconsm à Madrson
ISBN 2-7445-0072-0
ISSN 1374-0998