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STUDIA MEMORIAE
NICOLAI VAN WIJK DEDICATA
edenda curat
C. H. V A N SCHOONEVELD
Indiana University
Series Maior 95
ÉTUDES
LINGUISTIQUES
par
A. ROSETTI
1973
MOUTON
THE HAGUE. PARIS
Cet ouvrage paraît par les soins de
Editura Academiei Republicii Socialiste România
et
Mouton & Co. B. V., Publishers
PRINTED IN ROMANIA
PRÉFACE
Le présent volume, qui réunit nos études parues dans des publications périodi-
ques entre 1965 et 1972 (sauf quelques exceptions), fait suite aux recueils Mélanges
de linguistique et de philologie et Lingüistica, parus chez Einar Munksgaard
(Copenhague) et Mouton et Co (La Haye) en 1947 et 1965.
Les études publiées en roumain qui paraissent ici ont été traduites par nos soins.
Les textes n'ont subi aucune retouche.
Le volume est pourvu d'une Liste d'abréviations et d'un Index, rédigé par
M. Aurel Nicolescu, du Centre de recherches phonétiques et dialectales de
l'Académie de la République Socialiste de Roumanie.
M. Aurel Nicolescu a également relu une épreuve du volume.
Je le prie de trouver ici l'expression de ma vive gratitude.
A. R.
ABRÉVIATIONS
Préface 5
Abréviations 6
Histoire de la linguistique
Linguistique générale
Le mot, I (1965) 31
II (1966) 32
Sur la grammaire générative transformationnelle, I (1969) 34
II (1971) 37
III (1971) 41
Nom et verbe en roumain (1950) 45
Sur les changements phonétiques, I (1965) 47
II (1968) 48
Sur la représentation par écrit des sons parlés (1972) 50
Graphème, son-type et phonème, I (1970) 52
II: dr. den et din (1970) 53
Etymologica. Notes critiques (1970) 55
Sur le neutre en roumain, I (1968) 59
II (1970) 68
III (1966-1967) 69
La contribution des linguistes r.oumains à la géographie linguistique (1969) 72
8 TABLE DES MATIÈRES
Phonologie
Phonétique
(1836-1907)
Çi eu cine am avut,
Y a i de mine, 1-am pierdut !
L-a mîneat negrul pâmînt,
La bisericà-n mormînt !
traduction : L'été vient, l'hiver passe / Je n'ai pas avec qui passer mon
temps / E t avec qui j'ai eu / Hélas, je l'ai perdu / L a noire terre l'a mangé /
Dans le tombeau, à l'église /.
traduction : Mon cher mari / Mon cher cœur / Quand le désir te pous-
sera / De suivre la route / Pour éteindre mon désir / Ce printemps / Lorsque
tu sortais / A l'aube / A u chant des oiseaux / Dans le sifflement du vent/
Tu attelais la charrue / Tu creusais le sillon noir / E t tu criais / Ta, Plâvan /
E t hais Joian / Venez avec votre père, aidez-moi / Ne me quittez pas
dans ce moment difficile / E t retournez le sillon.
(B. P. Hasdeu, Cuvente den bâtrîni, t. III, Istoria limbii romane, partea I,
Prineipii de lingvisticâ, Bucure§ti, 1881, p. 91 et s.).
Hasdeu exprime donc l'opinion juste — il ne le dit pas d'une manière
explicite, mais cela ressort de la théorie — que la morphologie du roumain
est d'origine latine. Car on ne peut former aucune phrase en roumain sans
faire appel à des outils (matériau morphologique) d'origine latine, mais
en échange il existe une série de mots d'origine slave (comme drag « cher »,
iubi « aimer », plâti « payer », prieten « ami », primi « recevoir », scump
« cher », etc.) qui sont fréquents et font partie du vocabulaire de base du
roumain.
Hasdeu exprime cette vérité de la manière suivante : « Les plus fré-
quents, cependant, c'est-à-dire les plus utiles éléments slaves du roumain,
pour ne rien dire des éléments turcs, possèdent néanmoins une valeur
beaucoup inférieure aux éléments latins. Un §i, un sa, un câ, un eu, etc.
sans lesquels il est impossible de former une seule phrase en roumain,
valent comme 100 par rapport à 1, même en ce qui concerne le mot drag»
(op. cit., p. 100).
Hasdeu a fait de justes observations sur la valeur d'emploi des sons et
a posé le problème de la fréquence des phonèmes et de leur distribution,
thèses fondamentales du structuralisme.
Suivons sa démonstration :
« Prenons par exemple » nous dit Hasdeu « l'emploi des deux nasales
en grec ancien et en latin. Sur 100 consonnes en grec, il y a 18 n et seule-
ment 4 m ; en latin 14 n et 12 m. En grec, par conséquent, un n vaut
4 fois et 1/2 un m. Sur 100 voyelles, il n'y a en grec que 7 i, en latin 27.
En latin, par conséquent, un i a une utilité approximativement 4 fois
plus grande qu'en grec. Un tel total de la circulation relative des sons
nous fournit une vue réelle sur le caractère phonétique d'une langue ;
un alphabet ne nous donne aucune information... En roumain, le son
r, que les Mexicains et les Chinois ne possèdent pas, est répété dans les
15 fois sur 100 consonnes. Pouvons-nous lui attribuer la même valeur
qu'à h, employé dans les 2 fois sur 150 consonnes ? Et même toutes les
gutturales et les palatales ensemble : h, le, g, c, g et j, quoique au nombre
de 6, circulent en roumain moins qu'un seul r.
Supposons, un moment, que la circulation de j serait en roumain égale
à celle de r, de sorte que l'on puisse dire 1 j = 1 r ; alors le type phonologi-
que du roumain serait totalement différent, sans aucune ressemblance
avec la langue actuelle. Ainsi, dans la circulation, et seulement dans la
circulation se reflète l'image phonique, grammaticale et lexicale d'une
langue » (ibid., p. 101—102).
•
BOGDAN PETRICEICU HASDEU 17
Hasdeu a posé les bases de l'édition scientifique des textes roumains an-
ciens. Les éditions de textes de la série intitulée Cuvente den bàtrîni con-
stituent un modèle ; chaque texte est suivi de notes et de considérations
savantes, pour informer le lecteur. Cet ouvrage constitue une véritable
bible pour ceux qui étudient le roumain ancien.
Dans la préface du tome I er de Cuvente den bàtrîni (Bucureçti, 1878,
p. 1), Hasdeu montre que son « intention a été de fonder une base analy-
tique pour la philologie et la diplomatique roumaines ». Les textes publiés
(documents, actes de propriété, testaments) sont écrits dans la langue
parlée, de sorte que la syntaxe est préservée de l'influence du slave, appa-
rente dans les textes traduits.
Le tome II de la collection ( Cârtile poporane aie Românilor în secolul
al XVI-lea, în legâturà eu literatura poporanà cea nescrisà, Bucureçti,
1879), consacré à la littérature populaire, contient des remarques pré-
cieuses de l'éditeur sur la filiation des textes et le folklore général et parti-
culier. Les remarques de Hasdeu sur les particularités de langue des textes
sont extrêmement précieuses et elles constituent une véritable mine d'in-
formations pour le chercheur.
•
Les mérites de Hasdeu dans la lexicographie roumaine sont tout aussi
importants que dans les domaines que nous venons d'énumérer.
A partir des glossaires du XVI e siècle publiés dans Cuvente den bàtrîni,
jusqu'au monumental Etymologicum Magnum, Romaniae, Hasdeu a entre-
pris une enquête par correspondance, à l'aide d'un questionnaire contenant
206 questions du domaine de la langue et des croyances populaires. Le
questionnaire a été envoyé dans tout le pays, aux réviseurs scolaires et
aux prêtres. Les Réponses forment 20 volumes in folio, conservés dans la
Bibliothèque de l'Académie de la Eépublique Socialiste de Koumanie ;
ils constituent une riche source d'information, que Hasdeu, en premier,
a mis en valeur lors de la rédaction du dictionnaire.
•
L'œuvre vaste et variée de Bogdan Petriceicu Hasdeu a ouvert des voies
nouvelles et constitue un point de départ pour les recherches ultérieures.
Son érudition multilatérale, unie à son talent d'écrivain, le caractère par-
fois sarcastique de ses écrits complètent le portrait de Bogdan Petriceicu
Hasdeu, savant de grand prestige parmi les linguistes roumains.
2 - c. 679
OVIDE DENSUSIANU
(1873-1938)
Ovide Densusianu est mort le 8 juin 1938, à l'âge de 65 ans, des suites
d'une intervention chirurgicale, alors que, entré en convalescence, on
espérait le voir reprendre ses occupations. Il était né le 30 décembre
1873 à Fâgâraç, en Transylvanie. Fils d'Aron Densusianu, philologue et
écrivain, professeur à l'Université de Jassy, Densusianu s'est formé dans
un milieu austère, où le labeur quotidien était regardé comme une fin
en soi.
Licencié ès lettres dès 1892, Densusianu entre tout d'abord dans l'en-
seignement secondaire, comme professeur de roumain aux lycées de
Botoçani et de Foc§ani (1892—1893). En 1893 il se rend à Berlin et y
suit les cours d'Adolphe Tobler. L'année suivante, il s'installe à Paris et
décide de poursuivre ses études en France. A l'Ecole pratique des Hautes
Etudes, Densusianu devient bientôt l'un des élèves favoris de Gaston
Paris ; en 1896 il obtient le titre d'élève diplômé de l'Ecole pratique des
Hautes Etudes, avec une thèse de français médiéval (La prise de Cordres
et de Sébille, chanson de geste du XIIIe siècle). Rentré en Roumanie, il est
nommé en 1897 professeur-suppléant à la Faculté des lettres de Bucarest
(chaire de langue et de littérature roumaines ; v. la leçon d'ouverture
de ce cours : Obiectul §i metoda filologiei, Bucarest, 1897). En 1901,
Densusianu est appelé à la chaire de philologie romane nouvellement
créée, qu'il devait illustrer jusqu'à sa mort (v. la leçon d'ouverture de ce
cours : Filologia romamcâ în Universitatea noastrâ, Bucarest, 1902).
Ovide Densusianu est toujours resté fidèle aux méthodes apprises à
l'école de ses maîtres, et il y a mis une obstination qui l'a éloigné des re-
cherches et des théories nouvelles, qui ont bouleversé depuis le romanisme.
Il avait acquis, dans les années de sa jeunesse laborieuse, une rare maîtrise
des faits romans et notamment italiens. Densusianu ne s'est jamais can-
tonné dans un seul domaine, et il a été toujours préoccupé de voir large
et de considérer les faits roumains dans leurs rapports avec ceux d'autres
domaines. Son ouvrage capital, 1 ''Histoire de la langue roumaine (tome I,
Les origines, Paris, Leroux, 1902 ; tome II, Le seizième siècle, fasc. I,
OVIDE DENSUSIANU 19
Paris, Leroux, 1914 ; fasc. II, 1932 ; fasc. III, 1938) s'arrête au XVII e
siècle. La guerre mondiale, ses préoccupations littéraires, qui l'ont beau-
coup absorbé (poète, il a publié plusieurs recueils de poésies ; chef d'école
et introducteur du symbolisme en Eoumanie, critique militant sans cesse
sur la brèche, Densusianu a fait paraître, entre 1905 et 1925 une revue
littéraire, Vieata nouä, autour de laquelle il a groupé une partie de la
jeunesse roumaine), ont empêché Densusianu de pousser plus loin cette
œuvre, qui lui vaudra pourtant la reconnaissance de la postérité et dont la
parution s'achève peu avant sa mort. Parmi les ouvrages les plus remar-
quables de Densusianu, il convient de citer encore le dictionnaire étymolo-
gique du roumain, écrit en collaboration avec J.-A. Candrea (Bictionarul
etimologic al limbei romane; a — putea, Bucarest, Socec, 1907—1914),
qui est resté, lui aussi, inachevé.
Densusianu a inauguré à Bucarest l'étude scientifique des parlers rou-
mains, à laquelle il a joint l'étude concomitante du folklore. Il avait
fondé, en 1905, une société philologique qui n'a malheureusement pas eu
de lendemain (Buletinul Societätii filologice, Bucarest, Socec, 1905—1907,
5 fascicules parus). Densusianu créa, par la suite, auprès de sa chaire de
philologie romane, un Institut de philologie et de folklore dont l'organe,
Gtrai §i süßet, a été consacré à la linguistique roumaine et au folklore
(Bucarest, Socec, 1923—1937, 7 volumes parus). Une série d'enquêtes
dialectales ont été faites dans l'esprit de l'école de Densusianu (ouvrages
de Y. Vîrcol, J.-A. Candrea, T. Papahagi, etc.). Densusianu lui-même
a publié, dans la collection de son Institut, un beau volume consacré
aux parlers et au folklore de son pays natal (Oraiul din far a Eategului,
Bucarest, Socec, 1915). Enfin, il convient de mentionner ici l'étude con-
sacrée par Densusianu à la poésie populaire roumaine (Vieafa pästoreascä
în poesia noasträ popularä, 2 vol., Bucarest, 1922—1923).
Densusianu a attribué une grande importance aux migrations pastorales
dans l'histoire des langues romanes. Il croyait pouvoir expliquer par ce
critère non seulement la présence d'un certain nombre de termes du
roumain et du roman à étymologie obscure, mais aussi l'origine de traits
phonétiques, comme par exemple le rhotacisme de -n- dans certains par-
lers roumains (Din istoria migratiunilor pâstoreçti la popoarele romanice,
Bulet. Soc. filologice, III, 18 s. ; Pâstoritul la popoarele romanice, Bucarest,
1913 ; v. la critique judicieuse de P. Oancel, Convorbiri literare, XLVII,
851 s. ; Irano-romanica, Gr ai §i süßet, I, 39 et 235 s.).
20 HISTOIRE DE LA LINGUISTIQUE
(1873-1942)
(1887-1942)
(1899-1965)
1
La rédaction originale, en danois, date de 1943. Une deuxième édition, révisée, de la tra-
duction anglaise, a paru à Madison (U.S.A.), en 1961.
LOUIS HJELMSLEV 27
2
La bibliographie complète des œ u v r e s de Louis H j e l m s l e v , jusqu'en 1959, c o m p t e 162 articles
et ouvrages scientifiques et 26 articles destinés à un public plus large. Elle est publiée en a n n e x e
au choix de ses articles : Louis Hjelmslev, Essais linguistiques, Copenhague, 1959, a u x pages
251-271.
LINGUISTIQUE GÉNÉRALE
LE MOT
1
V. « Sur la définition du mot », dans ML, p. 17 — 19, et notre mémoire sur Le moi2, Copen-
hague — Bucarest, 1947, p. 23 — 26.
2
V. là-dessus Kn. Togeby, Qu'est-ce qu'un mot?, dans Travaux du Cercle linguistique de
Copenhague, V, 1949, p. 98. Cf. J. Greimas, dans A.T.A.L.A., cité ci-dessous : « U n e définition
acceptable par la majorité est difficile à donner; par ailleurs, elle serait peu rentable pour les
besoins de la linguistique appliquée ». B. Malmberg, dans Miscelánea Homenaje a André
Martinet, III, La Laguna, Canarias, 1962, p. 80 et s.
3
E. Benveniste, dans Proceedings of the Ninth International Congress of Linguists, 1964,
p. 269. E. Coseriu, dans Travaux de linguistique et de littérature, p.p. le Centre de philologie et
de littérature romanes de l'Université de Strasbourg, II, 1, 1964, p. 142.
32 LINGUISTIQUE GÉNÉRALE
II
4
Matériaux publiés dans A. T.A.L.A. Colloque sur le mot (samedi 8 décembre 1962). Les maté-
riaux publiés dans Voprosy jazykoznanija, 2, 1955 concernent le sens du mot.
6
Le mot, cité ci-dessus.
6
André Martinet, Le mot, Diogène, 51, 1965, p. 39—53. V . notre note Sur la définition du
mot, Cahiers de linguistique théorique et appliquée, II, Bucarest, 1965, p. 261 — 262.
7 3
Cf. R. L. Wagner, Introduction à la linguistique française , Genève, 1965, p. 44.
8
Critère de la non-séparabilité du m o t : A. Martinet, Word, 5, 1949, p. 89. La plus petite
unité libre, selon L. Bloomfield (Language, N e w York, 1946, p. 178) ; V. Finngeir Hiorth,
On defining « Word», Siudia linguistiea, X I I , 1958, p. 1 — 26. Chaque m o t a son spectre
sémantique : D. L. Bolinger, The Uniqueness of the Word, Lingua, 12, 1963, p. 135. U n i t é
de contenu : B. Malmberg, Voyelle, consonne, syllabe, mot, Miscelldnea Homenaje a André
Martinet, La Laguna, Canarias, III, 1963, p. 85 — 86 et id., Structural Linguistics and Human
Communication, Berlin-Gôttingen-Heidelberg, 1963, p. 137—138. « L e m o t est la plus petite
LE MOT 33
(Mélanges de linguistique et de philologie romanes offerts à Mgr. Pierre Gardette, Strasbourg, 1966,
p. 4 2 7 - 4 2 8 )
3 - c. 579
SUR LA GRAMMAIRE GENERATIVE
TRANSFORMATION NELLE
I
* Noam Chomsky, Aspects of the Theory of Syntax. Cambridge, Mass., 1965, p. 7 — 8.; Id.
Cartesian Linguistics, p. 64.
8
Gr. de Port-Royal, p. 68 — 69; Roland Donzé, La grammaire générale et raisonnée de
Port-Royal. Berne, 1967 ; Herbert E. Brekle, Semiotik und linguistische Semantik in Port-Royal.
Indogermanische Forschungen, 69, (1964), p. 103 — 121 ; Id., Die Bedeutung der Grammaire
générale et raisonnée — bekannt als Grammatik von Port-Royal — für die heutige Sprach-
wissenschaft. op. cit., 72, 1967, p. 1 — 21.
7
Lazär Çâineanu, Raporturile între gramaticä çi lógica. Bucureçti, 1891. p. 21 et s. ;
J. Chauvineau, La logique moderne. Paris 1962, p. 5 ; Ch. Serrus, Le parallélisme logico-gramma-
tical. Paris 1933 ; Id., La langue, le sens, la pensée. Paris, 1941 ; Eugenio Coseriu, Teoria del
lenguaje y lingüística general. Madrid, 1962, p. 235 et s. (Logicismo y antilogicismo en la gra-
mática). Coseriu a montré (p. 237 — 238) qu'Aristote est considéré à tort d'avoir identifié le
langage et la pensée, car selon Aristote le langage est un logos sémantique.
8
O. Ducrot, Logique et linguistique, dans Langages, 2, juin 1966, p. 3 et s.
9
N. Chomsky, Cartesian Linguistics. p. 75, n. 2.
36 LINGUISTIQUE GÉNÉRALE
Cette idée a été reprise, ces dernières années, par l'école américaine,
qui a obtenu quelques résultats intéressants.
Ainsi, un examen appliqué à 30 langues de familles différentes a établi
45 traits universaux, dans le domaine de la phonématique, de l'intonation
et de la syntaxe. 10
Chomsky a fondé sa théorie génératiye sur l'analyse de la contribution
du sujet parlant pour comprendre le message parlé.
L'analyse en profondeur de la phrase révèle sa structure profonde et
son noyau, ou la phrase de base.11
Les objections qui ont été formulées au sujet de cette conception se
réfèrent au fait qu'elle est fondée sur l'intuition du sujet parlant, ce qui
n'offre aucune garantie de nature linguistique.12
En partant du noyau de base, on construit une figure qui a la forme d'un
arbre, les relations entre les membres de la phrase étant déjà connues et
l'ordre d'apparition des membres de la phrase étant celui de leur succession
dans la chaîne parlée. 13
Le modelage de la langue, indifféremment du procédé employé, est
fondé pareillement sur l'intuition, comme le démontre, par exemple, la
phrase la course du cheval, qui serait une transformation de la phrase :
le cheval court, ou la lecture du livre, transformation de : il lit (le livre).14
Comme on vient de le voir, l'appel à l'intuition est condamné par les
uns, et pratiqué par les autres. Le refus de tenir compte de l'intuition
équivaudrait, nous dit-on, à « détruire l'objet même de la linguistique ».1S
L'apport positif de la grammaire transformationnelle est d'avoir mis
en lumière certaines relations systématiques entre les phrases, fondées
sur la règle x->y, où x représente, par ex., un syntagme nominal ou verbal
(SN ou SY), et = « sera récrit comme... »
10
Noam Chomsky, Cartesian Linguistics, p. 29 et s. ; Roman Jakobson, Implications of
Language Universals for Linguistics, dans Universals of Language, ed. b y J. Greenberg,
Cambridge, Mass., 1966, p. 265; J. Greenberg, Some Universals of Grammar with Particular
Reference of the Order of Meaningful Elements, dans op. cit., p. 74 et s. ; J. J. Katz — P. M.
Postal, An Integrated Theory of Linguistic Descriptions. Cambridge, Mass., 1965, p. 160 — 166.
11
Noam Chomsky, Current Issues in Linguistic Theory. The Hague, 1964, p. 15 — 1 6 ; Id.,
Topics in the Theory of Generative Grammar. The Hague, 1966, p. 12, 27, 75.
12
Blanche Grunig, Les théories transformationnelles, La linguistique, I, Paris, 1966, p. 1 — 101 ;
B. Pottier, Le rapport : linguistique générale actuelle et linguistique romane. Éléments pour une
discussion, présenté au X l l e Congrès international de linguistique et philologie romanes, Bucarest,
15 — 20 avril 1968, Rapports et communications. Résumés, p. 14.
13
Noam Chomsky, Aspects of the Theory of Syntax. Cambridge, 1965, p. 3 et s.
14
E. Vasiliu, Gramaticile generative. Limba românà, X I I , no. 3, 1963, p. 230 ; B. Pottier, 1. c.
15
« data of this sort are simply what constitute the subject matter of linguistic theory. We neglect
such data at the cost of destroying the subject » : Noam Chomsky, Current Issues in Linguistic
Theory, p. 79, in J. A. Fodor — J. I. Katz, The Structure of Language. New Jersey, 1964.
SUR LA G R A M M A I R E GÉNÉRATIVE T R A N S F O R M A T I O N N E L L E 37
II
1. La grammaire générative recourt à la compétence du sujet parlant
pour décider de la justesse des phrases de la langue. Mais L ' I N T U I T I O N ne
présente aucune garantie d'infaillibilité, et il est recommandé d'en éviter
l'emploi (Lalande, 537 et s. ; Grunig). Car lors de la vision immédiate d'un
objet, ce sont les sensations et les appétitions qui apparaissent, et non
l'intuition (Fouillée, 542—543). L'intuition, pensée implicite ou inexpri-
mée, est le résultat d'un travail intellectuel inexprimé, inconscient et
confus. C'est « notre première pensée indébrouillée. Son vrai nom n'est
donc pas intuition, mais divination. Il faut lui dénier les prérogatives
d'infaillibilité » (Baudin, 339).
On ne saurait, donc, fonder la théorie sur une base aussi fragile. 17
Chomsky fonde la grammaire transformationnelle sur l'intuition ( Current
Issues, 16), mais il reconnaît plus tard que l'aspect créatif du langage reste
inaccessible (Chomsky, Language and Mind, 84).
ls
Noam Chomsky, On the Notion « Rule of Grammar » in op. cit. p. 119 — 136.
17
Cependant, il faut bien recourir aux informations données par l'intuition pour refuser les
phrases inacceptables (par ex. le boulanger cuit la nuit /).
Sur l'appel au locuteur, source de préjugés et d'erreurs, v. O. Ducrot, dans Qu'est-ce que le
structuralisme (Paris, 1968), p. 9 0 - 9 6 .
38 LINGUISTIQUE GÉNÉRALE
18
Pourquoi faut-il que la phrase Pierre a conseillé à Jean de consulter un spécialiste doit avoir
comme proposition soujacente : Jean consulte un spécialiste (Nicolas Ruwet, Introduction
à la grammaire générative [Paris, 1967], p. 325)?
Une phrase en chinois, ou dans n'importe quelle autre langue non-romane a une toute
autre structure superficielle que la même phrase en français. Prenons un exemple de phrase
chinoise : Zu jedem Fest dass kommt, zu Neujahr, hat dein Vater mir immer das übliche Fest-
geschenk geschickt = (mot à mot) : jedes kommen vollenden Fesl(es), unteres Jahr (es), unteres
dein (du, dich, dir) Vater vervandt(er) immer senden Festgeschenk geben mir (ich, mich, mein)
(F. N. Finck, Die Haupttypen des Sprachbaus [Leipzig-Berlin, 1923], p. 28). '
19
O. Ducrot, « Logique et linguistique », Langages 2 (1966), 12 : l'inférence, en t a n t que telle,
n'a aucun droit particulier à figurer dans la description linguistique.
L'analyse en constituants immédiats de la phrase et la recherche de sa structure profonde
se font par abandon de l'objectivité et par appel à l'intuition et à l'expérience du sujet parlant
(A. Vàrvaro, Storia, problemi e metodi della linguistica romanza [Napoli, 1968], p. 388 et s.).
En suivant ce procédé, la phrase roumaine Ioana se piaptänä 'Jeanne se peigne' (structure
superficielle) correspondrait, en structure profonde, à Ioana (o) piaptänä pe Ioana 'Jeanne peigne
Jeanne' (S. Golopen^ia-Eretescu), « Structura de suprafaÇâ çi structura de adlncime în analiza
sintacticä », Probleme de lingvisticä generali V (Bucureçti, 1967, 153 — 154). L'expérience
démontre qu'il n'existe pas de structure profonde de la phrase, unique, abstraite et ordonnée
d'une manière linéaire (Thban). E. Coseriu (« Coordinación latina y coordinación
romànica », Aclas del III Congreso Espanol de Estudios Cldssicos [Madrid, 1968], 38)
repousse l'identification de la forme intérieure avec la structure profonde. Cf. B. Pottier (Rap-
port au Xlle Congrès intern, de linguistique et philologie romanes, Bucarest, 15 — 20 août 1968,
Rapports et communications, p. 1 2 : «les transformationnalistes disent que le tour le livre de
Pierre renvoie à Pierre a un livre, que la gentillesse de Pierre provient de Pierre est gentil ou que
le travail de Pierre est issu de Pierre travaille. Là encore. . . l'équivalence n'est vraie qu'au niveau
d'une information globale. Mais de quel droit, si ce n'est que pour la simplicité de la program-
mation, décide-t-on que l'une des deux tournures est issue de l'autre ? » V. aussi O. Ducrot,
« Logique et linguistique » (dans Rev. de l'enseignement supérieur 1—2, [1967], 106) : « on a été
amené à penser que le chien court doit être compris comme, ou même est mis pour le chein est
courant! »
20
A propos de l'erreur de considérer le langage comme produit de la pensée logique, E. Coseriu
(dans Teoria del lenguaje y linguistica general [Madrid, 1962], p. 235 et s.) a montré qu'Aristote
a établi la priorité du langage sur la pensée logique.
SUR LA GRAMMAIRE GÉNÉRATIVE TRANSFORMATIONNELLE 39
21 V. les exposés de McNeill, « Some Thoughts and Second Language Acquisition » (1965) ;
« Empiricist and Nativist Theories of Language », au Symposium on New Perspectives in the
Science of M an (Alpach, Austria, June 1968) ; « Explaining Linguistic Universals », au XIXth
International Congress of Psychologists (1969). La rapidité avec laquelle un petit enfant apprend
et emploie une langue « est un défi lancé aux théoriciens de l'apprentissage » (Noam Chomsky
et George A. Miller, L'analyse formelle des langues naturelles [Paris, 1968], p. 6 — 7). Cette
affirmation ne tient pas compte du fait que l'apprentissage du langage dure plusieurs années I
V. Là-dessus R. Husson, Mécanismes cérébraux du langage (Paris, 1968), p. 53. E t encore :
« le premier mot énoncé [par l'enfant] ne procède nullement d'un déterminisme physiologique,
mais il est déjà commandé par la langue du groupe » (Husson, op. cit., p. 45 ; v. aussi p. 8).
12 Pour Chomsky (Aspects, 37), l'acquisition du langage par l'enfant ne serait pas possible
si l'on n'admettait pas la connaissance antérieure du langage : le nouveau-né possède la faculté
de langage. Pour apprendre à parler, il faut la société humaine (H. Delacroix, « Au seuil du
40 LINGUISTIQUE GÉNÉRALE
RÉFÉRENCES
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III
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simple imitation, mais il doit, dans chaque cas individuel, être conquis à nouveau et formé à
nouveau. Il n'y a pas de langage enfantin en général, mais chaque enfant parle sa propre
langue » (E. Cassirer, « Le langage et le monde des objets », Psychologie du langage [Paris,
1933], 34). « Le langage crée des usages infinis avec des pensées finies » (Humboldt, cité par
Chomsky, Aspects, 8).
23
Cf. la discussion sur la grammaire transformationnelle, dans Report of the Thirleenth Annual
Round Table Meeting on Linguistics and Language Studies (Washington, 1963), p. 3 et s.
V. aussi O. Ducrot, «Logique et linguistique», 111 — 112.
42 LINGUISTIQUE GÉNÉRALE
•
En somme, l'apport positif de la grammaire générative transformationnelle
c'est d'avoir mis en lumière la « compétence » du sujet parlant d'associer
son et sens, et sa « performance », c'est-à-dire la manière de les employer
dans la phrase.
Nos remarques, qui viennent rejoindre celles présentées antérieure-
ment, nous ont permis d'éliminer les parties controversées de la théorie
de la grammaire générative transformationnelle.
1
Les faits réunis par A. Procopovici (Donum natàlicium Schrijnen, p. 437 s.), qui devraient
rentrer dans la catégorie de ceux que nous venons d'examiner, sont douteux et ne peuvent
pas fournir une base à la théorie.
46 LINGUISTIQUE GÉNÉRALE
Ces faits ne sont pas isolés Car le roumain emploie à l'impératif des
verbes aduce « apporter » et veni « venir », avec la désinence o du vocatif
des noms féminins : ado « apporte », vino « viens » (cf. sorâ « sœur », au vo-
catif, soro)2.
L'interférence des catégories du nom et du verbe, que nous venons de
voir, s'explique par ceci que le vocatif, qui est un interpellatif, a emprunté
sa désinence à l'impératif, qui exprime un appel (ordre ou demande)3.
Ce phénomène, qui est général en roumain, rend compte des faits que
nous avons analysés ci-dessus. Mais dans les exemples recueillis par nous,
ce sont des verbes aux modes personnels qui ont subi l'innovation ; ces
faits doivent donc comporter une explication différente, puisque l'inter-
férence entre les appellatifs nominaux et verbaux ne peut pas rendre
compte de l'innovation.
Il convient, dans ce cas, de faire appel à la théorie générale.
Il y a des langues indo-européennes qui ne font pas la distinction entre
nom et verbe. En anglais, par exemple, un mot est nom ou verbe selon
qu'il est précédé de a, the ou de to (a, thefire, tofire). Le chinois, un grand
nombre de langues de l'Afrique, de l'Amérique et de l'Australie ne distin-
guent pas non plus le nom du verbe.
Ceci résulte du fait que le nom et le verbe ne constituent pas des parties
du discours nettement séparées. Ils rentrent tous deux, il est vrai, dans
des catégories différentes (qui expriment la substance et la relation), mais
restent en rapports étroits (ils expriment tous les deux aussi la qualité).
Comme l'a montré Viggo Brôndal 4 , chacune des catégories du discours
est solidaire avec les autres catégories. Si l'on distingue quatre catégories,
et parmi elles le nom, le nom est solidaire avec toutes les trois autres caté-
gories, et non avec une seule d'entre elles. Il résulte de là que, si le nom
manque, le verbe manque aussi, et tout pareillement le pronom et la
conjonction.
La réunion du nom et du verbe dans la même catégorie du discours n'a
donc rien pour nous étonner (il y a en effet des langues qui connr sent
une sorte de nom-verbe).
Les faits roumains que nous venons d'examiner ne sont donc pas inat-
tendus. Ils manifestent une tendance, qui s'est réalisée pleinement dans
certaines langues, comme nous l'avons vu ci-dessus.
(Journal de psychologie normale et pathologique, 43, 1950, p. 139 — 141)
2 DA, I, p. 49, s.v. aduce; Puçcariu, Limba românû, I, Bucarest, 1940, p. 115. Vino est
attesté dès le X V I e siècle (date des plus anciens textes roumains); mais, à cette époque, on
trouve seulement adu, qui est la forme normale (Densusianu, Ifisl. de la Ig. roum., II, p. 233).
3 Cf. F. Brunot, La pensée et la langue 3 , Paris, 1936, p. 260 et 561.
4 Les parties du discours, Partes orationis, Copenhague, 1948, p. 120 s.
SUR LES CHANGEMENTS PHONÉTIQUES
la langue », disions-nous dans notre mémoire précité (p. 7). Dans la parole,
il n'y a pas de limite à la variété des sons. Dans la langue, les changements
sont achevés, mais ils ne peuvent s'imposer que s'ils sont reconnus comme
« norme » par la société et, par la suite, généralisés. La langue opère avec
des phonèmes, qui constituent un système. Lorsqu'il se produit un chan-
gement dans la langue, c'est donc le phonème qui change. C'est pourquoi
le changement se produit sans exception 5 .
M. Buyssens affirme justement que les changements phonétiques
primaires sont individuels, et que les changements secondaires sont adoptés.
La propagation des changements phonétiques est, en effet, un fait social.
La géographie linguistique a éclairé d'un jour nouveau la complexité
des faits dans les parlers d'une langue donnée (emprunts, mots voya-
geurs, homonymie)6.
Les vues de M. Buyssens confirment le bien fondé de la doctrine des
lois phonétiques que nous venons d'exposer brièvement.
(Acta Lingüistica Hafnensia, IX, 1965, p. 6 9 - 7 0 )
II
5
Loc. cit., p. 8 : «Le changement phonétique, dans la langue, i n t é r e s s e . . . le phonème.
C'est le phonème qui change, et ce changement se produit sans exception ».
6
V. là-dessus l.c., p. 2 2 - 2 3 .
7
V. notre mémoire Les changements phonétiques, communication présentée le 10 novembre
1947 au Cercle linguistique de Copenhague, sous la présidence de L. Hjelmslev, Copenhague-
Bucarest, 1948 (reproduit dans notre L, p. 47 — 64). Les considérations de Morris Halle et Samuel
Jay Keyser (Les changements phonétiques conçus comme changements de règles, « Langages »
8 décembre 1967, p. 94 — 111) confirment notre manière de concevoir le problème.
SUR LES C H A N G E M E N T S PHONÉTIQUES 49
8
V. notre exposé dans L, p. 169 — 171.
8
V. notre tableau, op. cit., p. 142.
10
V. nos Changements phonétiques, déjà cités, p. 51 : « le changement phonétique est un
saut d'une articulation à une autre », et il se produit sans étapes intermédiaires.
11
Ibid., p. 52 : « le changement commence dans certains mots et se propage ensuite aux
mots qui se trouvent dans des conditions phonétiques analogues ».
12
Ibid., p. 51 — 54. On lira avec intérêt les remarques de W. Labov (The social motivation
of a sound change, « Word », 19, 1963, p. 273 — 309) sur la manière dont s'opère un changement
phonétique dans une communauté, de nos jours (Martha's Vineyard, Massachusetts, U.S.A.).
L'observation a porté sur le traitement de l'élément initial des diphtongues ai et au : adoption
de l'innovation, née dans un groupe, par un autre groupe, et sa généralisation.
13
Cf. Halle-Keyser, op. cit., p. 101 : « il est nécessaire d'établir une distinction entre la re-
présentation abstraite sous-jacente des entités linguistiques, et leur réalisation c o n c r è t e . . .
Ainsi on peut s'attendre qu'un changement linguistique d o n n é . . . soit attribuable à l'addition
d'une règle à la grammaire ».
4 - 0 . 679
SUR LA REPRÉSENTATION PAR ÉCRIT
DES SONS PARLÉS
1
Voir notre exposé (Rosetti, 1947 : 10 — 11) ainsi que Janakjev, 1964 : 61 — 62, et Benveniste,
1966 : 22. Ce dernier déclare (1966) : « [le locuteur] en entendant des s o n s . . . identifie des pho-
nèmes ( 2 2 ) . . . [Dans l'alphabet latin] chaque lettre correspond toujours et seulement à un
phonème (24). » V. aussi Göran Hammarström, Graphème, son, phonème..., Studia neophil.,
X X X I , 1959, p. 5 — 18 (dans 90% des cas, les lettres correspondent aux phonèmes).
SUR LA REPRÉSENTATION PAR ÉCRIT DES SONS PARLÉS 51
RÉFÉRENCES
Avram, A.,
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théorique et appliquée 1.
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structure générale de la langue », Deuxième Congrès international des linguistes (Paris)
p. 1 2 0 - 1 2 5 .
1
H. Lüdtke, « Die Alphabetschrift und das Problem der Lautsegmentierung », Phonetica,
20, 1969, p. 1 4 7 - 1 7 0 .
s
D. Jones ( The Phoneme, its nature and use 3, Cambridge, 1967, p. 7 et s., 253 et s.) avait
déjà discerné, en 1916, la véritable nature du phonème.
3
H. Truby, « A note on visible and indivisible Speech », Proceedings of the VIII. international
Congress of linguists, Oslo, 1958, p. 393 — 400 ; nos exposés « Points de vue sur la structure de la
syllabe», Zs. f , Phonetik, Sprachwissenschaft und Kommunikationsforschung, 16, 1963, p. 199 —
200, « Valeur de l'analyse spectographique en phonologie », « Son-type et phonème » et « A
propos du son-type et du phonème », dans notre recueil Lingüistica, La Haye, 1965, p. 138 — 140
et 144 — 147, et notre note « Son-type et phonème », dans Wiener Slaoistisches Jahrbuch, X I ,
1964, p. 1 3 0 - 1 3 3 ; N. I. Zinkin, Mechanisms of Speech, The Hague, 1968, p. 1 5 4 - 1 5 5 ;
Gunnar Fant, « Analysis and Synthesis of Speech Process », dans Manual of phonetics, ed. b y
B. Malmberg, Amsterdam, 1968, p. 235; H. Pilch, Phonemtheorie, I, Basel-New York, 1968,
GRAPHÈME, SON-TYPE ET PHONÈME 53
II
p. 90. «The concept of the distinctive feature appears to be a reality in perception »(G. Fant,
«The nature of distinctive features », Speech Transmission Laboratory. Quarterly Progress and
Status Report, 4, 1966, p. 13).
4 Formarea cuvintelor In limba romana. Volumul I. Compunerea, de Fulvia Ciobanu $i Finu^a
Hasan, Bucure$ti, 1970, p. 225.
5 V. ci-dessous, p. 174 et s.
54 LINGUISTIQUE GÉNÉRALE
6
ILR, p. 4 9 3 - 4 9 4 .
' V. les matériaux réunis par nous dès 1937, dans ML, p. 9 — 16 et Ch. Th. Gossen, L'inter-
prétation des graphbm.es et la phonétique historique de la langue française, dans Travaux
de linguistique et de littérature..., V I , Strasbourg, 1968, p. 149—168.
ETYMOLOGICA.
NOTES CRITIQUES1
Ce qui frappe tout d'abord, dans les travaux des linguistes qui ont adopté
le critère d'explication que nous venons d'évoquer (I. I. Eussu, G.
Eeichenkron, 0. Poghirc, A. Yraciu), c'est le fait de présenter une liste
d'éléments prétendus « autochtones », sans avoir contrôlé au préalable si
certains de ces termes n'ont pas été expliqués d'une manière différente,
et, par conséquent, sans avoir combattu ces explications.
Ainsi, nous trouvons dans les listes données par I. I. Eussu (1967,
p. 215—216 ; 1970, p. 101) une série de mots qui ont été expliqués d'une
1
Abréviations: Poghirc = C. Poghirc, dans ILR, II, 1969, p. 355 — 3 5 6 ; Reichenkron =
Günter Reichenkron, Das Dakische (rekonstruiert aus dem Rumänischen), Heidelberg, 1966;
Russu, 1967 = I. I. Russu, Limba traco-dacilor s , Bucureçti, 1967 ; Russu, 1970 = I. I. Russu,
Elemente aulohtone In limba romänä, Bucureçti, 1970 ; Vraciu = A. Vraciu, Precizäri tn legäturä
cu elementul autohton din limba romänä, dans LR X I X , 1970, p. 101 — 116.
56 LINGUISTIQUE GÉNÉRALE
manière satisfaisante par le latin ou par d'autres langues, par ex. arunca
(<latin, ILR, 187), bâiat ( <latin, l.c.), buiestru (<latin, l.c., 188), dop
(<parlers allemands de Transylvanie, l.c., 242), etc. Pareillement, dans
les listes données par Vracra (p. 110), par ex. codTu (<latin, ILR, 108),
doinâ (<slovaque, v. ci-dessous p. 207 et s.), a feri (Clatin, ILR, 189),
mic (<grec, ILR, 231), naibâ ( < d r . nu aibâ)2, pat (<grec) 3 , rînâ (<latin,
S. Puçcariu, DR, I I I , 7 7 8 - 7 7 9 , ML, 484), sat (<latin ML., 3 5 4 - 3 5 6 ) ,
stînâ ( < slave, ML, 408—411), etc.
En second lieu, nous constatons, non sans surprise, que le critère pour
désigner les éléments « autochtones » n'est fondé que sur l'impression que
le terme est ancien, sans fournir aucun argument pour confirmer cette
affirmation. Il est évident qu'une telle explication, non fondée sur des
arguments scientifiques, est dénuée de toute valeur.
•
Les choses en étant là, il est nécessaire de formuler les opérations qui
doivent être effectuées pour établir l'ancienneté d'un terme, à savoir :
1. Recueillir les matériaux qui figurent dans les dictionnaires existants
et les matériaux inédits de la Condicâ (dictionnaire) de Iordache Golescu,
et les Réponses aux questionnaires de N. Densusianu et B. P. Hasdeu.
2. Scruter le vocabulaire des textes roumains anciens,
3. et les matériaux de VALR et du nouveau ALR, les glossaires des
textes dialectaux,
4. effectuer des enquêtes supplémentaires sur les patois, au nord et au
sud du Danube.
En se fondant sur les résultats acquis, après examen des matériaux
que nous venons d'indiquer, on pourra déterminer quels mots sont anciens
et peuvent figurer dans la liste des mots supposés « autochtones », à côté
des mots existants.
•
Certains linguistes affirment que sont « autochtones les mots qui, sans
avoir un correspondant en albanais, peuvent être reconstruits au niveau
de l'indo-européen » (Yraciu, 111 ; v. ci-dessus, Russu).
Il se pose ici un problème de chronologie qui doit être précisé, afin de
démontrer le non-fondé de ce critère d'explication.
2 Lazâr Sâineanu, încercare asupra semasiologiei limbii romane, Bucureçti, 1887, p. 254.
3 I.-A. Candrea, Dicfionarul limbii romane din trecut si de astàzi, Bucureçti, 1931, p. 912 s.v.
ETYMOLOGICA. NOTES CRITIQUES 57
4
A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, 1939, p. 591 —
592.
58 LINGUISTIQUE GÉNÉRALE
5
U n e application de ce programme de recherche, a y a n t donné des résultats intéressants, dans
Gr. Brâncuç, « Les éléments l e x i c a u x autochtones dans le dialecte aroumain », RRL, X I , 1966,
p. 549 — 565, qui a montré, en se fondant sur une enquête sur place, que certains m o t s de l'an-
cien fonds ont disparu du parler des Aroumains d'Albanie.
6
A. Meillet, Avertissement, dans Ernout — Meillet, op. cit., p. VI.
SUR LE NEUTRE EN ROUMAIN 1
1
Le texte qui suit est une refonte de celui qui figure dans L, p. 83 — 92, complété p a r l a pré-
sente étude.
2
Louis Hjelmslev, Animé et inanimé, personnel et non-personnel, dans Travaux de l'Institut
de linguistique, I (Paris, 1956), p. 157 et. s.
3
R. Jakobson, Zur Struktur des russischen Verbums, dans Charisteria G. Mathesio... oblata
(Prague, 1932), p. 79.
4
L. Hjelmslev, l.c. ; G. L. Hall and J. St. Clair-Sobell, Animate gender in Slavonic and Ro-
mance Languages, Lingua, IV (1954), p. 194 et s.
60 LINGUISTIQUE GÉNÉRALE
5
L e r a p p r o c h e m e n t e s t i n d i q u é aussi p a r A . Graur, Studii de lingvisticâ generalâ, p. 348.
6
J . L o h m a n n , Genus und Sexus (Gòttingen, 1 9 3 0 ) , p . 8 0 - 8 1 ; A . Meillet, Introduction à
l'étude comparative des langues indo-europ. ( P a r i s , 1934), p. 1 8 9 — 1 9 1 ; L. H j e l m s l e v , op. cit.,
p. 1 5 5 — 1 9 9 ; V . I v a n o v , d a n s Actes du VIIIe Congrès international des linguistes (Oslo, 1 9 5 8 ) ,
p. 611.
7
W. Schultze, E . Sieg, W . Siegling, Tocharische Grommatile (Gottingen, 1 9 3 1 ) , p. 32-33.
62 LINGUISTIQUE G É N É R A L E
Cette classification est fondée sur ceci que le roumain, comme le tokha-
rien (T. ci-dessus), emploie pour désigner le neutre la désinence des
noms masculins, au singulier, et des noms féminins, au pluriel (sg. m.
scaun « chaise », pl. f. scaune).
C'est en évoquant la tendance commune à plusieurs langues indo-euro-
péennes, de marquer la distinction entre « animé » et « inanimé », que
les faits du roumain peuvent être expliqués.
Le neutre a été créé, en roumain, pour exprimer l'inanimé car il n'y
a pas d'animés, en roumain, qui soient du neutre 8.
Quant aux désinences, le roumain a recouru, comme le tokharien,
aux outils grammaticaux qu'il avait sous la main, à savoir les désinences
du masculin, pour le singulier, et du féminin, pour le pluriel.
Par la création du neutre, le roumain s'est montré sensible à la classi-
fication des noms en animés et inanimés (en slave aussi, le neutre exclut
l'animé, et notamment le « sexué »)9. Il est allé d'ailleurs encore plus
loin, dans cette direction, car il a créé, à l'intérieur de l'animé, un genre
8
Souvent, les raisons pour lesquelles certains noms font partie du genre animé nous échap-
pent, ce qui ne veut pas dire que ces raisons n'existent pas (sans doute des noms qui ont
désigné des forces agissantes, comme en latin uentus, qui est du masculin, etc.) ; L. Bloomfield,
Language (New York, 1946), p. 271 — 272 ; en algonquin, les noms de la « framboise », du « chau-
dron » et du « genou » sont du genre animé.
• Il y a des cas d'« extension » de l'animation ; cf. en russe, vot vino, ja ego kuplju, ou en
roumain : am cumpàrat cartea pe care m-ai rugat (G. L. Hall — J. St. Clair-Sobell, op. cit.,
p. 194 et. s.). J. Kuryiowicz, Personal and Animate Genders in Slavic, dans Lingua, X I (1962),
p. 249 — 255 : le remplacement de l'accusatif par le génitif, au singulier des noms masculins
animés, attesté dans les langues slaves à une époque préhistorique, n'est pas causé par la ten-
dance de distinguer l'animé de l'inanimé, mais de distinguer l'accusatif du nominatif, l'objet du
sujet, à l'intérieur du genre personnel (ou animé) et d'éviter la confusion. Cette explication
a été donnée pour les faits du roumain, où l'objet direct des substantifs animés est formé à
l'aide de la prép. pre (L. Onu, dans Recueil d'études romanes. . ., Bucureçti, 1959, p. 187 et s.),
mais on omet le fait que pre n'est pas employé avec le genre inanimé. Pourquoi, pour l'inanimé,
n'a-t-on pas ressenti la nécessité de créer un moyen pour éviter une telle confusion? L'expli-
cation de l'emploi de pre avec le genre animé (donc, non seulement avec les noms de personne,
mais aussi avec les noms d'animaux, dans des exemples comme : oaia nu-l lasà pe miel sâ sugà
« la brebis ne laisse pas têter l'agneau », ou bout l-a lovit pe cal « le bœuf a cogné le cheval »,
I. Chifimia, dans « Romanoslavica », III, 1958, p. 31 et s.) réside dans le fait que, par l'emploi
de pre le nom reçoit une individualité plus marquée et que le nom propre est lui-même caractérisé
par son unicité (A. Niculescu, dans Recueil cité, p. 171 et s.). C'est pourquoi pre peut manquer,
lorsque le nom est suivi d'un déterminatif qui individualise la notion : publicul a tncurajat spor-
tivii români t le public a encouragé les sportifs roumains » (A. Niculescu, op. cit., p. 174). L'an-
glais de nos jours a créé l'opposition grammaticale personnel — non-personnel ; on y fait la
distinction dans l'emploi du pronom relatif : who (personnel) et which (non-personnel) : A. Isa-
éenko, dans Cahiers F. de Saussure, 7 (1948), p. 22.
SUR LE NEUTRE EN ROUMAIN 63
10
A l . R o s e t t i , Despre genul neutru si genul personal in limba românâ, d a n s SCL, V I I I ( 1 9 5 7 ) ,
B u c u r e ç t i , p. 4 0 7 — 4 1 3 ; o n y t r o u v e r a u n e série d e r e n v o i s b i b l i o g r a p h i q u e s . Signalons la
p a r u t i o n , e n t r e t e m p s , d ' u n e é t u d e d e I. P à t r u t , Sur le genre « neutre » en roumain, dans Mélanges
linguistiques publiés à l'occasion du VIIIe Congrès international des linguistes à Oslo, du 5 au 9
août 1957, B u c u r e s t i , 1957, p. 2 9 1 — 301 ( l ' a u t e u r nie l ' e x i s t e n c e d u n e u t r e en r o u m a i n et la
p a r t i c i p a t i o n d u s l a v e à la c r é a t i o n d e c e t t e c a t é g o r i e g r a m m a t i c a l e ) .
11
G i u l i a n o B o n f a n t e , Esiste il neutro in italiano?, d a n s Quaderni dell' Istituto di glottologia,
V I ( 1 9 6 1 ) ( B o l o g n a , 1962), p. 1 0 3 — 109. P o u r l e s e x e m p l e s d e n e u t r e en i t a l i e n , v . G. R o h l f s ,
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12
G. I v à n e s c u , S C L , V i l i ( 1 9 5 7 ) , p. 2 9 9 et s. a f f i r m e q u e le n e u t r e s ' e s t c o n s e r v é d a n s l a
R o m a n i a o c c i d e n t a l e , et q u ' e n r o u m a i n il c o n t i n u e le n e u t r e l a t i n . L e s v u e s d e VI. H o f e j S i
( S C L , V i l i ( 1 9 5 7 ) p . 4 1 5 e t s.), s e l o n l e q u e l le r o u m a i n n ' a u r a i t q u e 2 g e n r e s (le m a s c u l i n e t le
f é m i n i n ) s o n t c o m b a t t u e s p a r A . Graur, Studii de lingvisticâ generali ( B u c u r e ç t i , 1960), p. 3 5 2 .
13
A. Graur, Les substantifs neutres en roumain, d a n s Mélanges linguistiques (Paris — B u c u r e ç t i ,
1 9 3 6 ) , p. 31 — 42 : ni p o u r la f o r m e , ni p o u r le s e n s le n e u t r e l a t i n n e c o n c o r d e a v e c le n e u t r e
r o u m a i n . « Il ne s ' a g i t d o n c p a s d ' u n e s u r v i v a n c e l a t i n e , q u i a u r a i t é t é g a r d é e en r o u m a i n p a r
simple conservatisme, mais bien du développement d'une catégorie grammaticale qu'on sentait
n é c e s s a i r e » (p. 4 2 ) ; T h . C a p i d a n , Aromânii. Dialectul aromân ( B u c u r e ç t i , 1 9 3 2 ) , p. 3 8 1 — 3 8 3 .
64 LINGUISTIQUE G É N É R A L E
latin, pour le pluriel des noms collectifs : dr. (masc.) sg. seaun « chaise »
— (fém.) pl. scaune, (n.), sg. (ochi « œil ») — pl. ocMuri « œufs sur le plat »,
aroum. (m.) sg. brat « bras » — (f.) pl. brate, (n.), (m.) sg. arniu « quartier
d'hiver, hivernage » — pl. (n.) arniuri.
Le neutre, en roumain, est une catégorie grammaticale signalée par
des marques certaines, à savoir la désinence du masculin, au singulier,
et celle du féminin, au pluriel. Vidée essentielle du neutre est la conception
d'inanimé. Il n'existe pas d'animés qui soient du neutre (sauf quelques
exceptions négligeables : mots empruntés au cours du XIX e siècle) M .
Le neutre roumain ne correspond ni pour la forme, ni pour les détails du
sens, au neutre latin. Il provient d'un réaménagement des matériaux de la
langue, qui est du fait du roumain et sera expliqué par le développement
en commun du roumain, au sein de la communauté balkanique, avec les
parlers bulgares, macédoniens et albanais. Le fait que certains emprunts
aux langues slaves ou au français ont changé de genre, en roumain, s'expli-
que par des considérations spéciales dans chaque cas.
Le genre personnel en roumain s'est constitué à l'intérieur du genre
animé : il est réservé aux noms de personnes et d'animaux personnifiés.
Le genre personnel est marqué par des morphèmes spéciaux. La compa-
raison avec les langues slaves (vieux slave, russe et polonais), qui se sont
constitué, de leur côté, un genre personnel, est intéressante, mais les détails
ne coïncident pas. Le roumain a un sens aigu de l'animé et de l'inanimé.
Comme il a été déjà montré, le roumain tend à se créer un genre per-
sonnel.
On a énuméré les marques du genre personnel du roumain, qui sont
nombreuses.
Voici quelques remarques en marge des études récentes qui ont été
consacrées à l'emploi de la prép. pre en roumain, une des marques du
genre personnel 15 .
Au fait que la prép. pre est un signe du genre personnel, on a objecté
ceci que pre s'emploie aussi devant des noms d'animaux. Un exemple
tel que oaia nu-l lasâ pe miel « le brebis ne laisse pas l'agneau » est en effet
très clair 16 .
11
Ce fait caractéristique est relevé par Roman Jakobson, dans son étude On the Rumanian
Neuter, dans Cercetâri de lingvisticâ, III, Supliment, 1958, p. 237 — 238.
15
Al. Niculescu, Sur l'objet prépositionnel dans les langues romanes, dans Recueil d'études
romanes publié à l'occasion du IXe Congrès international de linguistique romane, à Lisbonne, du
31 mars au 3 avril 1959 (Bucureçti, 1959), p. 167 — 185, et Liviu Onu, L'origine de l'accusatif
roumain avec pre, op. cit., p. 187 — 209.
19
I. C. Chitimia, Genul personal tn limbile polonâ si românâ, dans « Romanoslavica » (Bucu-
reçti, 1958), III, p. 39.
SUR LE N E U T R E EN R O U M A I N 65
La prép. pre est donc un indice du genre animé et, eo ipso, du genre
personnel, qui est un sous-genre du genre animé.
La construction arec pre a des parallèles dans d'autres langues romanes :
là aussi, le complément direct est introduit par une préposition, quand
c'est un être humain ; ces constructions ont leurs raisons grammaticales.
Mais c'est une erreur d'expliquer l'emploi de pre, dans ces cas, exclusive-
ment par des causes grammaticales (nécessité de distinguer le cas régime
direct du cas sujet). Car le problème est bien plus complexe, et il intéresse
la catégorie du genre. Ainsi, pe est employé pour compléter une déter-
mination : v&zînd împâratul fata « l'empereur voyant cette fille » (forme
déterminée, avec article -a du féminin, donc pe est inutile), mais vâzînd
împâratul pefatâ « l'empereur voyant la fille » (fata, forme non déterminée,
donc nécessité de la préposition pe).
Comme on le voit, l'article est un déterminant puissant.
Les noms propres sont toujours construits avec pre. Car le nom propre
exige une détermination majeure, puisqu'il désigne un être unique. C'est
donc une nécessité de cet ordre qui a fait de pre un des signes du genre
personnel. Car le nom propre, en roumain, ne peut pas être construit sans
la préposition pre : l-am vâzut pe Gheorghe « j'ai vu Georges », am vâzut-o
pe Maria «j'ai vu Marie ».
Comme on le voit, la création du genre personnel répond bien à la
tendance à la motivation, que nous avons déjà signalée 17. Cette tendance
apparaît, disparaît et reparaît, au cours de l'évolution de l'indo-européen,
et notamment au cours de l'évolution des langues slaves 18. Ceci explique
pourquoi le neutre, qui est placé à l'opposé du genre personnel, ne possède
pas de désinences propres, fait invoqué par ceux qui nient l'existence du
neutre en roumain. Car le neutre, en roumain, ne continue formellement
ni le neutre latin, ni le neutre slave, mais s'est reconstitué, à une date his-
torique, en tant que genre grammatical, en faisant état des matériaux exis-
tants dans la langue.
Examinons maintenant, dans le même ordre d'idées, les rapports entre
les notions d'animé — inanimé et de déterminé — non-déterminé.
Dans les langues qui possèdent l'article, la marque zéro est employée
pour la présentation objective des idées, tandis que leur présentation
subjective se fait à l'aide de l'article : fr. homme — Vhomme19.
17
Louis Hjemslev, op. cit., p. 164.
18
Louis Hjelmslev, Sur l'indépendance de l'épithète (Copenhague, 1956), p. 12 et Id., op.
cit., p. 176.
18
G. Guillaume, Le problème de l'article et sa solution dans la langue française, Paris, 1919 ;
(le grec ancien) « se sert de zéro (absence d'article) pour la présentation objective des idées,
et des articles ô, rj, t 6 pour leur présentation subjective ».
a - c. 679
66 LINGUISTIQUE GÉNÉRALE
23
I. Coteanu, Despre pluralul substantivelor neutre in románente. Limbâ ?i literaturà, I, Bucu-
reçti, 1955, p. 1 1 - 1 4 .
24
Paul Diderichsen, La catégorie morphématique du nombre dans le substantif danois, Helhed
og struktur, Kobenhavn, 1966, p. 64 — 79. Selon E. Vasiliu, Observafii asupra categorici neutrului
In limba românâ, dans SCL, X I (1960), p. 770, le féminin constitue, en roumain, le membre
marqué, le masculin, non marqué, et le neutre, zéro. Cf. R. Jakobson, The Gender Pattern of
Russian, ibid., p. 541 — 543; en russe, le féminin constitue le membre marqué.
26
Communication du professeur Leiv Flydal (Oslo).
26
A. Graur, Les substantifs neutres en roumain, dans Mélanges linguistiques, Paris —Bucureçti,
1936 p. 31.
68 LINGUISTIQUE GÉNÉRALE
II
27
V o i r c i - d e s s u s , p. 5 9 e t s.
28
V o i r C. MANECA, d a n s s o n é t u d e r é c e n t e s u r « la r é o r g a n i s a t i o n d u genre des s u b s t a n t i f s e n
roumain et en espagnol, à l a l u m i è r e d e l a f r é q u e n c e des m o t s », d a n s RRL, X I I I , 1968, n°5.
29
V o i r G i u l i a n o BONFANTE, « E s i s t e il n e u t r o in i t a l i a n o ? », Quaderni dell'Istituto di glottolo-
gia, V I , 1 9 6 1 , B o l o g n a , 1 9 6 2 , pp. 1 0 3 — 1 0 9 e t Id., « I l n e u t r o i t a l i a n o , r o m e n o e albanese»,
Ada philologica (Societas academica romena), I I I , R o m a , 1 9 6 4 , p p . 2 9 — 37.
30
V o i r n o t r e e x p o s é p r é c i t é , p. 5 9 e t s.
81
L a s t a t i s t i q u e e s t d'ailleurs c o n v a i n c a n t e : o n a c o m p t é 4 6 0 e x e m p l e s d e pluriels n e u t r e s
e n -uri, f a c e à 31 e n -e : v o i r ibid., p. 9. C. MANECA (l.c.) e x p l i q u e l a d é s i n e n c e d u m a s c u l i n a u
SUR LE N E U T R E EN ROUMAIN 69
III
singulier des substantifs neutres par le fait que le roumain ne connaît pas, en général, de noms
féminins à finale consonantique, ce qui équivaut à voir les choses du dehors, et non du dedans.
Car le problème est autrement vaste et complexe, comme nous avons essayé de le montrer.
32
Voir notre exposé, précité, p. 59 et s.
33
V. nos exposés réunis dans notre recueil Linguistica, La Haye, 1965, pp. 83 — 92, où l'on
trouvera les indications bibliographiques nécessaires.
34 M E I L L E T - V E N D R Y E S , Traité de grammaire comparée des langues classiques, Paris, 1 9 2 4 , p. 4 8 8 :
en latin « c'est uniquement par la flexion que le neutre est caractérisé ».
70 LINGUISTIQUE GÉNÉRALE
Mais des mots comme ventus, etc., qui désignaient en latin des forces
agissantes et, de ce fait, appartenaient au genre animé, sont du neutre
(inanimé) en roumain.
L'italien a conservé, lui aussi, la désinence -a des neutres latins et
l'article lo du neutre (masc. lu) : sg. (masc.) il frutto — pl. (fém.) le frutta.
La différence entre le neutre roumain et le neutre latin consiste dans
ceci, qu'en latin seulement les inanimés sont du neutre, tandis qu'en
roumain les noms d'objets peuvent être du masculin ( fagure « rayon de
miel ») ou du féminin (masâ « table »). Mais les êtres vivants ne peuvent
pas être du neutre.
Oe qui est donc nouveau, dans le neutre roumain, c'est d'avoir donné,
aux noms qui sont du neutre, comme en tokharien et en italien, la désinence
du masculin, au singulier, et du féminin, au pluriel : sg. scaun (m.) — pl.
scaune (fém.).
Le procédé d'attribuer une désinence spéciale aux collectifs (en roum.,
lat. -ora) se retrouve en italien et en danois.
La désinence -uri des pluriels neutres en roumain est d'origine latine,
comme nous l'avons signalé ( < lat. -ora). Mais la manière d'employer
cette désinence appartient au roumain. Il existe, en effet, en roumain, 460
exemples de pluriels neutres en -uri (sg. bun « bien (avoir, fortune) » —
pl. bunuri), qui sont du fait du roumain, en regard de seulement 31 exem-
ples de pluriels neutres en -e (sg. ac « aiguille » — pl. ace, etc.) 35 .
En italien, le neutre est employé pour dénommer des collectifs (inani-
més), à l'aide de la désinence -a des neutres latins de la 2e déclinaison :
it. le braccia, le ossa.
En danois, un certain nombre de substantifs ont deux pluriels, dont le
second désigne des collectifs, par exemple sg. gift « poison, ration alimen-
taire », pl. giftes « rations alimentaires » et gifte « poisons ». Le collectif
constitue le terme marqué, par rapport au singulier et au pluriel, mais
d'autre part, il pourrait être considéré aussi comme neutre, ou non-mar-
qué36.
Cette particularité ne remonte pas très haut. On la retrouve en norvé-
gien : sg. vott « gant », pl. votta « gants », votte « (des gants aux mains) »,
35
I. COTEANU, Despre pluralul subslanlivelor neutre in romàneçte, Limbà çi literaturâ, I, Bucureçti,
1955, pp. 1 1 - 1 4 .
36
Paul DIDERICHSEN, La catégorie morphématique du nombre dans le substantif danois, Helhed
og struktur, Kebenhavn, 1966, pp. 64 — 79. Selon E. VASILIU, Observafii asupra categorici neutrului
in limba românâ, Studii 5/ cercetàri lingvistice, X I , 1960, p. 770 : le féminin constitue, en roumain,
le membre marqué, le masculin, non-marqué, et le neutre, zéro. Cf. R. JAKOBSON, The Gender
Pattern of ftussian, ibid., pp. 541 — 543: en russe, le féminin constitue le membre marqué.
SUR LE NEUTRE EN ROUMAIN 71
et 60 ans, ont été surtout des paysans, pour les questions concernant l'agri-
culture et l'élevage. h ' A L R contient aussi des matériaux recueillis dans 3
localités situées dans les régions de langue hongroise, 2 localités où l'on
parle ukrainien et par 2 localités de langue allemande, de langue bulgare et
serbe ; un point d'enquête a été consacré à la langue tsigane. On a recueilli
aussi les réponses données par trois écrivains représentatifs des provinces
de Moldavie, de Valachie et de Transylvanie.
De cette manière, l'enquête pour VALB a fourni en même temps des
matériaux précieux pour l'étude des langues slaves, germaniques et
magyare. D'autre part, la linguistique générale trouvera dans VALB des
matériaux pour l'influence des langues de populations qui ont longtemps
vécu en symbiose : emprunts, calques linguistiques, métaphores, etc.,
phénomènes dûs à l'interférence des langues.
D'autre part, on peut suivre sur les cartes de VALB le rôle de la langue
des émigrants de Transylvanie et des pâtres venus avec leurs troupeaux
dans les pays roumains d'au-delà des Carpathes, sur la langue de la popu-
lation locale.
Les deux enquêtes ont été effectuées simultanément, de 1930 à 1937.
L'enquête de Sever Pop, à l'aide d'un questionnaire réduit, été faite dans
un plus grand nombre de localités que l'enquête de E. Petrovici, qui dis-
posait d'un questionnaire plus étendu. Pop a interrogé un seul sujet, dans
chaque localité, tandis que Petrovici plusieurs, ce qui fait que, d'un côté,
VALB nous informe sur le parler d'un seul individu, tandis que la seconde
enquête donne le parler collectif de la localité respective.
La liaison entre les deux enquêtes a été maintenue. Il y a des questions
communes aux deux questionnaires (par exemple le terme cârunt « grison-
nant », et des questions formulées d'une manière différente, mais qui com-
portent la même réponse (questions sînge « sang », inimâ « cœur », gît
« cou », vintre « bas-ventre »). D'autres fois, le questionnaire de Pop com-
porte des questions pour certaines notions (par exemple deget « doigt »,
barba « barbe »), tandis que le questionnaire de Petrovici contient des
questions concernant les doigts de la main ou des pieds, ou les différents
genres de barbe. Dans ALB, I I (Petrovici), il existe des questions con-
sacrées à la sémantique, qui ont droit de cité dans la linguistique moderne.
Ainsi, l'opposition entre les termes aspru « rude » et neted « poli (en parlant
de la surface d'un objet) », ou entre la terminologie humaine et animale
(burtâ).
Les deux questionnaires de VALB contiennent des questions qui se
retrouvent aussi dans les autres Atlas romans, afin de permettre la com-
paraison entre les systèmes des langues romanes et l'établissement de la
place du roumain parmi les langues romanes.
LES LINGUISTES ROUMAINS ET LA GÉOGRAPHIE LINGUISTIQUE 75
L'enquête pour VALR a fourni des matériaux sur les noms de personne
et de lieu, en transcription phonétique.
Le caractère particulier et nouveau de l'enquête pour VALR ressort
donc des considérations que l'on vient de faire.
•
Une innovation importante apportée par les linguistes roumains à la
méthode de la géographie linguistique est l'élaboration de cartes colorées,
dans les deux séries de VALRM, I et II. La chose a été possible étant
donné le caractère unitaire des parlers dacoroumains.
Ainsi, en se fondant sur les cartes de VALR, I et II, S. Pop et E. Petro-
vici ont pu dresser une série de cartes, d'un format réduit, dont chacune
est consacrée à des phénomènes groupés, et dont la matière est empruntée
à plusieurs cartes de VALR. Ces cartes représentent par conséquent des
synthèses personnelles fondées sur une connaissance intime de la matière,
et dont la valeur d'information n'échappera à personne.
Enfin, signalons une autre importante innovation : le recueil de textes
oraux, notés en transcription phonétique, par E. Petrovici, recueillis
pendant l'enquête pour VALR, II, qui fournit de précieuses indications sur
la syntaxe et le vocabulaire des parlers populaires qui ont fait l'objet de
l'enquête pour VALR.
•
Mais une nouvelle enquête sur les parlers roumains à l'époque actuelle
a été jugée nécessaire, après les grands changements et les mouvements de
population qui se sont produits pendant et après la dernière guerre mon-
diale.
A la suite de la conférence qui a réuni les principaux dialectologues
roumains, à Bucarest, en avril 1958, il a été décidé d'élaborer, dans les
années à venir, un Nouvel Atlas linguistique roumain, par régions. Il y
aura 8 Atlas régionaux, avec environ 2.200 points d'enquête.
Le nombre de localités qui seront enquêtées, dans chaque région, se
dénombre comme suit : Valachie et Dobrogea : 250, Olténie : 98, Moldavie
et Bucovine : 225, Transylvanie : 250, Oriçana : 120, Maramureç : 20,
Banat : 100, Péninsule Balkanique : 80.
L'enquête sera faite à l'aide de 2 questionnaires : un questionnaire général
de 2.543 questions, qui sera posé dans 2.000 localités, et un questionnaire
spécial de 1.500 questions, qui sera employé selon les particularités
spécifiques de chaque région (forêts, montagne, etc.). Les questions sont
indirectes ; le questionnaire contiendra aussi des illustrations.
Il ne peut pas être question, pour le domaine roumain, de dresser un
Atlas phonologique. Mais il existe des questions qui se rapportent aux
76 LINGUISTIQUE GÉNÉRALE
INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
SEVER POP, Buts et méthodes des enquêtes dialectales, Paris, 1927, pp. 83 —102 et 169 — 175.
SEVER POP, Problèmes de géographie linguistique, Revue des études indo-européennes, I, 1938.
SEVER POP, Micul Atlas linguistic roman, Partea I, Cluj, 1938, Introducere.
KARL JABERG, Der rumänische Sprachatlas und die Struktur des dakorumänischen Sprachgebietes,
Vox Romanica, V, 1940, pp. 48 et s.
A. ROSETTI, Sur la méthode de la géographie linguistique, d a n s nos ML, pp. 417 — 423 (Notes
critiques sur les ouvrages de Sextil Puçcariu et E . Gamillscheg).
MANUEL ALVAR, A proposito del Atlas de Rumania, Salamanca, 1951 ; Idem, Les nouveaux Atlas
linguistiques de la Romania, dans Actes du Colloque international de civilisations, littératures et
langues romanes, Bucarest, 1959, pp. 152 — 182.
EMILE PETROVICI, Les nouveaux Atlas linguistiques delà Romania orientale, dans ibid., 183 — 190.
Noul Atlas lingvistic roman pe regiuni. Oltenia, I, Bucureçti, E d . Academiei Republicii Socialiste
R o m a n i a , 1967.
(Accademia nazionale dei Lincei. Gli Atlanti linguistici. Problemi e risultati, R o m a , 1969, p. 93—97)
En collaboration avec Marius Sala
1
Pour l'influence arabe sur le turc, voir, notamment : L. Bouvat, Les emprunts arabes et
persans en tur¿ osmanli, in « Keleti Szemle », IV, 1903 ; M. Bittner, Der Einfluss des Arabischen
78 LINGUISTIQUE G É N É R A L E
Par l'intermédiaire du turc les mots arabes ont pénétré dans le bassin
de la Mer Noire. Un grand nombre de mots d'origine arabe, venus du
turc, appartenant à des terminologies diverses, ont été conservés jusqu'à
nos jours dans les langues balkaniques.
Voici une liste des mots arabes (abréviation: ar.) qui ont pénétré en
roumain par l'intermédiaire du turc, groupés par catégories. Leur
nombre est très grand, comme nous le montrerons dans la partie finale
de notre communication, lorsque nous examinerons leur situation dans
l'ensemble du lexique roumain.
Voici quelques exemples (un certain nombre des mots cités ci-après,
marqués d'un astérisque, sont archaïques et ont disparu de la langue
actuelle) 2 .
1. Termes abstraits
*adet 'habitude ; usage ancien ; taxe douanière ; impôt' < te. âdet <
ar. 'âdat; ageamiu 'inexpérimenté' < te. acemi < a r . a garni ; belea 'cala-
mité' < te. belâ < ar. balâ' ; berechet 'abondance' < te. bereket < ar.
barakat; *calp 'faux' < te. Icalp < ar. qalb; chef 'bonne disposition;
envie, caprice ; (faire la) noce' < te. keyif < ar. kayf; cherern 'faveur,
grâce; c a p r i c e ' < te. kerern < ar. Tcaram; cusur 'défaut' < te. kusur
< ar. qusûr; habar 'souci, cure' < te. haber < ar. habar; hac 'salaire';
(a veni cuiva de) hac 'venir à bout de quelqu'un' < te. hak < ar. haqq;
hain 'rebelle, traître; méchant' < te. hain < ar. ha*in; hal 'état, situa-
tion' < te. hal < ar. hal; halal '(iron.) joli'; halal (sa-i fie) 'grand bien
lui fasse' < te. helâl < ar. halal; *haram 'sans profit; propre à rien';
haram (de capul vostru) 'malheur à vous' < te. hararn < ar. harâm;
hatîr 'faveur, concession' < te. hatïr < ar. hatir; haz 'attrait, agrément'
< te. haz < ar. hazz; huzur 'repos, commodité' < te. huzur < ar. hudûr;
mahmur 'étourdi, grisé' < te. mahmur < ar. mahmûr ; marafet 'artifice;
t r u c ; (pl.) petites façons, mignardises' < te. marifet < ar. ma'rifa';
mofluz 'banqueroutier, failli' < te. miïflis < ar. muflis; mucalit 'plaisant,
undPersischen auf das Türkische, in « Sitzungsberichte der Wiener Akademie der Wissenschaf-
ten »,CXLII, 1910; K. Lokotsch, Etymologisches Wörterbuch der europäischen Wörter orien-
talischen Ursprungs, 1927 ; Andreas Tietze, Direkte arabische Entlehnungen im anatolischen
Türkisch, in Jean Deny, Armagal, Ankara 1958 ; Hasan Eren, Anadolu agizlarinda Rumca,
Islâvca ve Arapça kelimeler, in « Türk Dili Araçtlrmalarï Yllllgt », 1960.
2
Une liste beaucoup plus riche dans L. Çâineanu, Influen(a orientalä asupra limbii culturii
romane, Bucureçti, 1900. L'étude récente de V. Buescu (Etymologies roumano-turques, dans
« Orbis », X I , 1962, p. 290 — 341) est consacrée à des mots moins connus.
RAPPORTS ENTRE L ' A R A B E ET LE ROUMAIN 79
spirituel, drôle' < te. mukallit < ar. muqallid; *nafaca 'moyens de sub-
sistance' < te. nafalca < ar. nafaqa' ; nuri (pl.) 'grace, charme, appat'
< te. nur < ar. nûr ; *§art 'ordre ; sens' < te. §art < ar. § art; çiret 'rusé,
fin, malin' < te. sirret < ar. sirra1 ; tablet 'habitude ; manière' < te.
tabiat < ar. tabi'at; tertip 'moyen (malhonnête), artifice, t r u c ; (pl.) sub-
terfuges, faux fuyants' < te. tertip < ar. tartïb; tevaturà 'tapage, esclan-
dre, bruit' < te. tevatur < ar. tavâtur.
2. Habitation
culâ 'tour' < te. kule < ar. quia1; havuz 'bassin; jeu d'eau' < te. havuz
< ar. havd ; sofa ' s o p h a ' < te. sofa < ar. suffah; sofra 'table ronde,
basse' < te. sofra < ar. sofra1.
3. Vêtements
aba 'bure, grosse étoffe de laine' < te. aba < ar. 'abâ? ; atlaz 'étoffe de
soie fine et brillante' < te. < ar. atlas; catifea 'velours' < te. kadife
< ar. qatlfa' ; *cumas 'étoffe de soie ; gros bonnet' < te. humas < ar.
qumâs ; *giubea 'large vêtement de dessus ; manteau de fête des paysans,
doublé de fourrure' < te. cubbe < ar. gubba1 ; giuvaer 'joyau ; bijou'
< te. cevahir < ar. gavâhir; maeat 'courtepointe, housse (du lit)' < te.
maTcat < ar. maqâd; sidef 'nacre' < te. sedef < ar. sadaf ; taclit 'bande
d'étoffe vergée employée comme ceinture ou pour entourer la tête' < te.
taklid < ar. taqlld.
4. Aliments
acadea 'caramel' < te. aMde < ar. 'âqida' ; chebap 'rôti de mouton' < te.
Icebap < ar. Icabâb; ciorbâ 'soupe, potage' < te. çorba < ar. êurba; halva
'gâteau turc fait de farine, sésame et de miel' < te. helva < ar. halva;
Hocma 'pâtisserie orientale ; (fig.) forte somme' < te. lokma < ar. luqma1 ;
magiun 'marmelade de prunes' < te. macun < ar. ma'gûn; musaca
'viande hachée, aux aubergines ou aux pommes de terre' < te. musakka
< ar. musaqqâ; rahat 'pâte sucrée faite de farine, d'amande et du jus de
certains fruits' < te. rdhatlokum < ar. rahat-i halqûm ; *simit 'galette
(faite de pâte non levée) < te. simit < ar. samîd; serbet 'sorbet' < te.
§erbet < ar. ëarba1 ; *tahîn 'farine de sésame' < te. tahin < ar. tahin.
80 LINGUISTIQUE G É N É R A L E
5. Métiers
calfà 'apprenti (ouvrier)' < te. kalfa < ar. halîfa' ; casap 'boucher' < te.
Icasap < ar. qassâb ; cavaf 'cordonnier' < te. kavaf < ar. haffâf; *gelep
'marchand acheteur de moutons, pour les revendre à Constantinople' <
te. célep < ar. galab; hamal 'portefaix' < te. hamal < ar. hammal;
*isnaf 'corporation' < te. esnaf < ar. asnâf; tâbàcar 'tanneur, corroyeur' <
te. tabak ( +ar) < ar. dabbâg ; telai 'fripier, marchand de vieux habits' <
te. tellâl < ar. dallai; zaraf 'changeur' < te. sarraf < ar. sarrâf.
6. Commerce
7. Vie citadine
mahala 'faubourg, quartier' < te. mahalle < ar. mahalla1 ; *meremet
'réparation' < te. meramet < ar. maramma1 ; saca 'tonneau pour porter
l'eau' < te. saka < ar. saqqâi.
8. Administration
*haraci 'tribut payé à la Porte' < te. haraç < ar. harâg ; hazna 'trésorerie
de l'État; fosse à ordures' < t c . hazine < ar. haztna; leafà 'salaire' < te.
ulûfe < ar. 'ulûfa' ; *nazir 'commandant d'une cité turque du Danube'
< te. nazir < ar. nâzir;1 *sinet 'lettre de charge, quittance' < te. senet
< ar. sanad; vecMl 'fondé de pouvoir, mandataire, administrateur d'une
propriété terrienne' < te. vekil < ar. vakïl; vizir 'vizir' < te. vezir < ar.
vazlr; *berat 'diplôme d'investiture' < te. berat < ar. barâH ; cadiu 'juge'
< te. kadi < ar. qâdî; *dava 'chiffre d'affaires' < te. dava < ar. da'va;
1
Per mancanza dell'apposito segno tipografico la z col punto sottoscritto (enfatica) è trascritta
con [z].
RAPPORTS ENTRE L ' A R A B E ET LE ROUMAIN 81
*hati§erif 'édit impérial' < te. hattiçerif < ar. hatt Sarïf ; *menzil 'poste
(ensemble du service postal)' < te. menzil < ar. manzil; raia 'eité occupée
par les Turcs, sujet chrétien du Sultan' < te. raya < ar. ra'iya1.
9. Armée
*ascher 'soldat turc' < te. asker < ar. 'aslcar ; *cavaz 'agent de police
turc' < te. Tcavas < ar. qavvâs; *nefer 'soldat' < te. nefer < ar. nafar;
*sileaf 'large ceinture de cuir' < te. silâh < ar. silah; tain 'ration, por-
tion' < te. tayin < ar. ta'yin ; *zaharea 'provision, approvisionnement' <
te. zahire < ar. zahlra1.
10. Religion
geamie 'mosquée' < te. cami < ar. garni' ; coran 'le Coran' < te. Tcuran
< ar. qur'ân-, hagiu 'pèlerin' < te. hacï < ar. hâg ; *mecet 'petite mosquée'
< te. mescit < ar. masgid; *alem 'la sémi-lune placée sur la coupole des
mosquées' < te. âlern < ar. 'alem; imam 'prêtre mahométan' < te. imam
< ar. imâm; minarea 'minaret' < te. minare < ar. menâra1 ; muftiu
'chef de la religion mahométane, représentant religieux du Prophète'
< te. muftii < ar. mufti; ramadan, ramazan 'neuvième mois de l'année
musulmane, pendant lequel il est prescrit de jeûner pendant toute la jour-
née' < te. ramazan < ar. ramazan ; *ulema 'homme de loi musulman et
théologue' < te. ulema < ar. 'ulamâ'.
catran 'goudron' < te. lcatran < ar. qatrân ; macara 'treuil' < te. maltara
< ar. baiera, bakara (Kahane-Tietze, l.c.) ; *reiz 'capitaine d'un vaisseau'
< te. reis < ar. ra'is.
Les termes que nous venons d'énumérer sont peu nombreux. Parmi
eux, certains font partie de la terminologie nautique en arabe et en turc
(ainsi : macara, reiz).
12. Plantes
cîrmîz 'cochenille' < te. Mrmïz < ar. qirmiz; liliac 'lilas' < te. ley-
lâh < ar. laylâq; tarhon 'estragon' < te. tarhun, tarhon < ar. tarhûn.
13. Faune
fil 'éléphant' < te. fil < ar. fil.
6 - C. 6 7 9
82 LINGUISTIQUE GÉNÉRALE
14. Adverbes
get-beget 'de père en fils, pur-sang' < te. cetbecet < ar. gadd bigadd; taman
'justement, précisément' < te. tamam < ar. tamâm; tiptil 'déguisé,
incognito ; en tapinois, furtivement' < te. tebdil < ar. tabdll.
15. Interjections
*ama 'ma foi, en vérité' < te. ama, amma (conj.) < ar. ammâ; aman
'grâce, pardon' < te. aman < ar. aman; *hélbet 'certes, certainement' <
te. elbet < ar. albat.
16. Divers
ziafet 'bombance, ripaille' < te. ziyafet < ar. ziyâfa1 ; taraf 'orchestre
de musiciens' < te., ar. taraf ; musafir 'hôte ; convive, invité' < te. mi-
safir < ar. musâfir; *mascara 'bouffon' < te. maslcara < ar. masfoara1 ;
mârgean 'corail' < te. mercan < ar. margân; mu§ama 'toile cirée'; a
face muçama 'étouffer une affaire' < te. musamba, muçamma < ar. mu-
ëamma' ; chibrit 'allumette' < te. kibrit < ar. Ttibrit; fitil 'mèche' < te.
fitil < ar. fatil ; ibric 'aiguière' < te. ibrik < ar. ibrik ; temenea 'révérence,
courbette' < te. temenna < ar. tamannâ.
Les termes d'origine arabe qui ont pénétré en roumain par l'inter-
médiaire des langues romanes (français, italien) sont moins nombreux ;
ils ont été empruntés en même temps que d'autres termes de civilisation
moderne. Nous nous limiterons, ici, à la présentation de quelques exem-
ples, à savoir aux mots qui ont été empruntés au turc et aux langues ro-
manes occidentales.
En voici l'énumération : bidiviu 'cheval de selle à allure rapide ; vif
(en parlant d'un cheval)' ( < te.) et beduin 'bédouin' ( < it., fr.) ; *cahvé,
( < te.) et cafea ( < fr.), catran ( < te.) et gudron ( < fr.), *chervana 'grande
voiture de transport' ( < te.) mais caravanâ ( < f r . ) , cîntar 'balance ro-
maine' ( < te.) et chintal ( < f r . , it.), *cubea 'coupole' et alcov ( < f r . ) ,
*giubea 'large vêtement de dessus' ( e t c . ) , mais jupâ ( < f r . ) , *mecet
'petite mosquée' ( < te.) et moscheie ( < fr.), minarea ( < te.) et minaret
( < fr.), zar 'dé (à jouer)' ( < te.) et hazard ( < fr.).
Dans certains cas (par ex. cafea, minarea) la différence entre les deux
formes du mot est minime. A noter le fait qu'il existe, parfois, une grande
différence entre le sens des mots (par ex. dans cîntar — chintal, giubea —
jupâ).
•
Afin de donner une image exacte de l'influence arabe en roumain, nous
allons abandonner l'examen quantitatif du lexique, pour faire place à
RAPPORTS ENTRE L'ARABE ET LE ROUMAIN 83
1 Torna Pavel, Distributia sunetelor in poezie, dans Fonelicä si dialectologie, V, 1963, p. 22.
2 Pavel, /. c.
3 Heinz Wissemann, Untersuchungen zur Onomalopoiie, I, Heidelberg, 1954, p. 238 — 239.
4 M. Grammont, Onomatopées et mots expressifs, Trentenaire de la Soc. pour l'étude des langues
romanes, Montpellier, 1901, p. 265.
5 Bertil Malmberg, Couches primitives de structure phonologique, Phonetica, 11, 1964, p. 222.
SUR LA VALEUR EXPRESSIVE DES SONS PARLÉS 85
6
Voir notre exposé sur l'emploi des onomatopées, dans SCL, X I I I , 1962, p. 440 — 441.
7
T o m a Pavel, art. cit., 23.
PHONOLOGIE
SITUATION ACTUELLE DU PHONÈME
Le phonème est une unité fonctionnelle 1 ; c'est une altérité 2, étant par
nature différent d'un autre phonème. Le phonème s'oppose à un phonème
différent par la forme, qui est autre dans chaque cas.
Le fait d'être une entité abstraite 3 oppose le phonème au son-type 4 ,
qui possède une substance. Cette forme abstraite 6 se manifeste dans la
parole par des sons parlés (qui ont une substance). Le phonème est donc
une entité abstraite, dans la conscience du sujet parlant, qui se manifeste
extérieurement par la substance du son parlé 6.
Le phonème appartient à la langue et à la norme Le son-type et le
son parlé sont placés sur un autre échelon du langage articulé, celui
de la parole.
Comme nous l'avons déjà posé, le son-type (ou le graphème noté par
l'écriture) est un prototype 8, le son en général, doté de substance, tel que
le conçoit le sujet parlant. Il est constitué par la totalité des sons qui en
forment le substrat physique.
(1972)
1
L. Zabrocki, apud Franciszek Grucza, Bemerkungen zur Frage Phon-Phonem, Bulletin
phonographique, VIII, Poznan, 1967, p. 41 — 42.
2
« Altérité » : caractère de ce qui est autre. V. R. Jakobson, Selected Writings, 's-Graven-
hage, 1962, I, p. 304; Id., Essais de linguistique générale, Paris, 1963, p. 111; Ëarko Mulja-
Èié, Altérité et aliété, Filologija, 6, Zagreb, 1970, p. 105 — 111.
3
S. K. Saumjan, Problems of theoretical Phonology, The Hague-Paris, 1968, p. 110 — 111.
B. Malmberg, Changement de perspectives en phonétique, Bruxelles, 1970, p. 10.
4
V. nos exposés sur le son-type et le phonème, dans L, La Haye, 1965, p. 144 — 147 et dans
Cahiers de linguistique théorique et appliquée, VII, 1970, p. 55.
6
Ernst Pulgram, Phoneme and Grapheme: a Parallel, Word, 7, 1951, p. 15 — 20; Bertil
Malmberg, Les domaines de la phonétique, Paris, 1971, p. 14 — 19, 43, 54.
• A. Martinet, La linguistique, 1969, 2, p. 128 : « les unités phonologiques sont partiellement
indépendantes de la réalité phonique ».
7
Eugenio Coseriu, Sistema, norma e parola, Studi linguistici in onore di Vitlore Pisani,
p. 2 3 5 - 2 5 3 .
8
H. J. Uldall, Speech and Writing, Acta linguistica, Copenhague, 1944, IV, p. 15 ; Roland
Harweg, Das Phänomen der Schrift als Problem der historisch-vergleichenden Sprachforschung,
Kratylos, XI, 1966, p. 33 — 48; J. L. Malone, In Defense of uniqueness of phonological Represen-
tations, Language, 46, 1970, p. 333.
LE PROBLÈME DE LA RÉDUCTION DES PHONÈMES
D'UNE LANGUE DONNÉE
1
Yuen-Ren Chao, The Non-Uniqueness of Phonemic Solutions of Phonetic Systems (1934),
Readings in Linguistics, ed. by Martin Joos, New York, 1958, p. 38 — 54. Cf. R. Bach (Diogène,
51, 1965, p. 128): «rien ne saurait garantir qu'une seule analyse phonématique puisse être
donnée d'un système phonétique quelconque ».
2
K. V. Teeter, A Note of Uniqueness, Language, 42, 1966, p. 475 — 478.
3
V. le compte rendu de A. Martinet de notre ouvrage collectif Recherches sur les diphtongues
roumaines (Bucarest, 1959), dans Bulletin de la Soc. de linguistique de Paris, 57, 1962, p. 119 —
122.
LA RÉDUCTION DES PHONÈMES D ' U N E L A N G U E D O N N É E 91
II
TOUTES LES D E U X
1
V., pour plus de détails, nos exposés dans l'ouvrage collectif précité, p. 53 — 54 et Sur la
règle de la commutation en phonologie, RRL, VIII, 1963, p. 19 — 21.
5
V. les indications bibliographiques dans ILR, p. 333, l'exposé de E. Vasiliu, SCL, X V I I I ,
1967, p. 141 — 167 et Id., Fonologia istoricâ a dialectelor dacoromâne, Bucureçti, 1968, p. 45—50.
92 PHONOLOGIE
6
E. Vasiliu, Fonologia istoricà a dialeclelor dacoromâne, p. 48.
7
Id., op. cit., p. 47.
8
V. ILR, p. 333 et 504.
8
La monophtongaison de ea, suivie de e dans la syllabe suivante est attestée, en daco-roumain,
au X V e siècle : ILR, p. 448 ; cf. E. Vasiliu, SCL,XVIII, 1967, p. 142.
10
ILR, p. 333. La monophtongaison (smad, pribag) est attestée dans les parlers locaux (et
de même veadrà, izmeanà, etc.).
LA R É D U C T I O N DES P H O N È M E S D U N E L A N G U E D O N N É E 93
11
II. R, p. 333, et nos exposés de Lingua viget (Commertlationes slavicae in honorem V. Ki-
parsky), p. 111 —114 et de l'Association internationale d'études du Sud-Est européen, Bulletin,
I I I , Bucarest, 1965, p. 4 7 - 4 9 .
12
I L B , p. 448.
PHONÉTIQUE
REMARQUES SUR LA DISSIMILATION CONSONANTIQUE *
M. Knud Togeby (9), à la suite de Mme E. Posner (5), qui vient de consacrer
un livre à la dissimilation consonantique, remet en question les fondements
de ce phénomène phonétique : « Je reprends à mon tour le problème »,
nous dit M. Togeby, « .. .pour conclure que la dissimilation n'est ni une
loi phonétique, ni un phénomène sporadique, mais que, à part certains cas
réguliers, il ne semble pas y avoir d'action de cause à effet sous la forme
d'une influence d'une consonne sur une consonne identique à distance »
(p. 642).
Il y a, tout d'abord, à poser ce que l'on doit entendre, de nos jours, par
« loi » phonétique. Nous avons tâché d'apporter notre contribution (7)
à ce problème, dans un mémoire publié en 1948 — présenté, au préalable,
sous forme de communication au Cercle linguistique de Copenhague (no-
vembre 1947) — et dans une note en cours de publication (8).
Nos vues coïncident avec celles de J. Fourquet et de K. Togeby,
énoncées au cours de son étude précitée.
Dans nos ouvrages précités, nous disions, en essence, que les change-
ments phonétiques survenus dans la parole doivent être séparés de ceux
survenus dans la langue. Le changement phonétique intéresse le phonème,
et il n'a pas de chances de s'imposer que s'il est reconnu comme « norme »
par la société, et donc adopté et généralisé par elle. Comme c'est le phonème
qui change, le changement se produit sans exception. La propagation des
changements est un fait social. Les « exceptions » aux lois phonétiques sont
déterminées par des facteurs sociaux : mots usuels et mots savants, em-
prunts et mots voyageurs, homonymes, etc.
En somme, il ne faut pas oublier, comme le rappelle avec raison M.
Togeby (p. 645 et 667), la formule de J. Gilliéron : chaque mot a son
histoire propre.
Ceci dit, revenons à l'exposé de M. Togeby.
7-c. 67»
98 PHONÉTIQUE
1
« La formule de Grammont "la loi du plus fort" ne correspond pas aux faits » (Togeby,
p. 643).
2
R. Posner (p. 198 — 199) fait appel à la «force » du phonème dans le système de la langue,
à son « importance » dans le système phonologique, mais les exemples ne semblent pas confirmer
ce critère. C'est plutôt la nature physiologique des consonnes qui doit être mise en cause. Ainsi,
en roumain, ce sont les consonnes l, r et n, m qui subissent le changement ; v. ci-dessous.
8
Cf. Togeby (p. 652) : « nature labile » de I et r.
REMARQUES SUR LA DISSIMILATION CONSONANTIQUK 99
4
Tous les exemples qui suivent son pris au dacoroumain.
• Pour tous détails, v. les exemples et les « commentaires » dans 6, p. 23 et s. K. Togeby
cite (p. 655) comme cas de rhotacisme, dr. bire ( < lat. bene), ce qui est juste, mais il faut tenir
compte du fait que le phénomène est dialectal et qu'il n'est attesté qu'aux XV® —XVI e siècles.
Quant à dr. mârunt, ràrunchi, stngeros, ils s'expliquent par dissimilation consonantique, car
ces phonétismes sont signalés dans des régions qui n'ont pas connu le rhotacisme ; v. là-dessus
6, p. 23 et s.
4
« Les dissimilations existent », nous dit-il, « mais elles sont bien plus rares qu'on ne le croit
d'ordinaire » (p. 667).
100 PHONÉTIQUE
BIBLIOGRAPHIE
Il est donc juste de dire, comme le fait M. Straka, que les semi-voyelles
se séparent des voyelles par la moindre amplitude des mouvements orga-
niques sur la ligne du larynx.
Cependant, même du point de vue physiologique, il y a à maintenir
l'existence des semi-voyelles (ou semi-consonnes).
Cette différence est fondée, comme l'a montré l'abbé Eousselot et
l'avons expérimenté nous-même, sur l'observation des tracés du kymo-
graphe : accolée à une voyelle, avec laquelle elle forme une seule syllabe,
la voyelle (ici, semi-voyelle ou semi-consonne) subit des modifications
articulatoires qui séparent nettement la semi-voyelle (ou semi-consonne)
de la voyelle et de la consonne.
L a semi-voyelle (ou semi-consonne) est donc un élément différent de
la voyelle ou de la consonne. Si l'on considère la totalité des sons parlés
d'une langue donnée, on constate qu'à un bout de la chaîne figurent les
voyelles proprement dites et les consonnes ouvertes (l, r, n, etc.), tandis
qu'à l'autre bout de la chaîne figurent les consonnes proprement dites,
soit les sons fermés (p, t, Je, etc.). Entre ces deux éléments sont placées
les semi-voyelles ou semi-consonnes, qui ont des caractères communs
aux deux membres de la série : elles sont ouvertes, comme les voyelles, et
se rapprochent des consonnes par le bruit caractéristique des consonnes.
2. Fonction. Du point de vue de la fonction dans la syllabe, comme nous
l'avons établi naguère 4 , il n'y a pas lieu de maintenir l'existence des semi-
voyelles ou des semi-consonnes, et ici nous donnons raison à M. Straka,
car ces éléments phonétiques ouverts jouent exactement le même rôle
dans la syllabe que les consonnes ouvertes. E n ce qui concerne leur fonction
dans la syllabe, il y a donc lieu de reconnaître les seuls éléments suivants :
1. phonèmes ouverts et fonctionnellement syllabiques : i, u, l, ip, etc.,
2. phonèmes ouverts et fonctionnellement non-syllabiques : i, u, ï, metc.,
3. phonèmes fermés, non-syllabiques : p, t, Je etc.
Ainsi, dans ia (ou ya), i (ou y) joue exactement le même rôle que Je
dans Jea. E t de même, i dans pi, joue le même rôle que l dans pl.
Les semi-voyelles (ou semi-consonnes) peuvent donc jouer dans la
syllabe le rôle de noyau syllabique ou d'élément marginal, c'est-à-dire
de voyelle ou de consonne.
V. ML, p. 3 8 - 3 9 et L, p. 1 0 7 - 1 0 8 .
SUR LE PROBLÈME DES SEMI-VOYELLES 103
Du point de vue des traits distinctifs de ces éléments dans une langue
donnée, qui ressortit à la phonologie, il y a lieu d'établir la distinction
entre les semi-voyelles et les semi-consonnes.
Constatons, tout d'abord, qu'en roumain les semi-voyelles apparaissent
dans des positions où ne peuvent pas figurer des voyelles, par exemple
i dans iarbâ, e dans teacâ, Q dans soare, etc.
L'existence de la catégorie des semi-voyelles démontre l'identité pho-
nologique entre e et -i, qui sont les variantes du même phonème : luni
« lundi » + l'article a > lunea 'le lundi' (-i après consonne, comme e
dans teacâ, par exemple) 6 .
D'autre part, les semi-voyelles E et Q sont différentes des semi-con-
sonnes y et w, car celles-ci sont dissociables, comme les consonnes, dans
des groupes tels que graiul 'le parler' = gra-yul, etc. Enfin, les semi-
consonnes apparaissent là où les semi-voyelles ne peuvent pas figurer,
par exemple à la fin de la syllabe : grai.
3. Conclusion. Comme on le voit, l'existence des semi-voyelles (ou
semi-consonnes) est confirmée en phonétique, mais non du point de vue
de leur fonction dans la syllabe, car là les semi-voyelles (ou semi-consonnes)
jouent le même rôle que les consonnes. Du point de vue des traits distinctifs,
qui ressortit à la phonologie, il y a lieu de distinguer, à part les voyelles
et les consonnes proprement dites, les semi-voyelles et les semi-consonnes.
1
A. Avram, Recherches... cit., p. 136 — 137, 140—141.
REMARQUES SUR LE DEGRÉ DE FORCE DES CONSONNES
(VERSION NOUVELLE)*
* Le texte qui suit représente un remaniement de notre étude du même titre, publiée dans les
Mélanges offerts à V. Vâànânen (Helsinki, 1965).
1 P. 98.
2
B. Malmberg, The phonetic Basis for Syllable Division, Studia linguistica, IX, 1955, p. 80.
3
B. Malmberg, op. cit., p. 86.
SUR LE D E G R É D E F O R C E DES CONSONNES 105
4
Use Lehiste, An Acoustic-phonetic Study of Internal Open Juncture, 1960, Phonetica, Sup-
plementum ad vol. V, 1960; Id. Acoustic Studies of Boundary Signals, Proceedings of the IV.
Intern. Congress of Phonetic Sciences, The Hague, 1962, p. 178 — 187.
6
On entend par consonne géminée ou bien la répétition de la même consonne, la première
étant explosive et la deuxième implosive, ou bien une seule consonne, longue. Tout dépend,
par conséquent, de la place de la coupe syllabique : tap-pa, tapp-a ou ta-ppa.
6
Lehiste, An Acoustic-phonetic Study..., p. 29—38.
106 PHONÉTIQUE
une joncture fermée, en d'autres termes, c'est une explosive, tandis que
la consonne « faible » appartient à une joncture ouverte : elle est donc
implosive.
*
Nos considérations, comme on l'a vu, se fondent sur la réalité phonétique,
explorée à l'aide des appareils de précision.
Le mot « phonétique »7 est, on le sait, une réalité d'ordre psychologique 8.
Oar, dans le chaîne parlée, le mot n'a pas d'existence propre (Les unités
qui existent dans la chaîne parlée coïncident, parfois, avec les limites du
mot et du morphème). Mais la syllabe a une existence physiologique et
acoustique, comme on l'a déjà démontré 9 .
*
La manière de traiter les consonnes dites « géminées », du latin, est diffé-
rente dans chaque langue romane.
En espagnol, lat. -nn-, contrairement à -n-, a une articulation palatale :
cast, caria, catal. canya < lat. cannarti. En français, lat. poena est devenu
peine, avec diphtongaison de Ve en syllabe ouverte, tandis que la géminée
a été traitée différemment : lat. penna > fr. penne, panne10. Il en va autre-
ment, en roumain, où Yn géminée, groupée dans la syllabe suivante (donc,
forte), a permis la diphtongaison de la voyelle précédente : lat. pinna > dr.
peana (XVI-e s.) et, ensuite, panà, tandis que l'e de lat. bene a passé à i :
dr. bine, par suite de l'influence de 1'» non-géminée, groupée dans la même
syllabe que la voyelle accentuée (donc, faible, cf., en italien, pietra < lat.
pe-tra)11.
Les voyelles latines e et o ont été diphtonguées en espagnol devant
groupe de consonnes ou consonnes géminées : esp. siete, Merro, grueso <
lat. septem, ferrum, grossum, tandis qu'en français ces voyelles n'ont pas
subi la diphtongaison : sept, fer, gros. Il y a donc là une différence de force
dans le comportement des consonnes 12.
7
Lehiste, An Acoustic-phonetic Study..., p. 48.
8
A. Rosetti, Le mot. Esquisse d'une théorie générale2, Copenhague-Bucarest, 1947, p. 18.
8
Lehiste, op. cit., p. 48 ; A. Rosetti, Sur la théorie de la syllabe 2, La Haye, 1963, p. 30. V.
à ce sujet les remarques de B. Malmberg, La notion de force et les changements phonétiques,
Studia linguistica, XVI, 1962, p. 3 8 - 4 4 .
10
A. Martinet, Economie des changements phonétiques, Berne, 1955, p. 276 — 280.
11
1LR, 127; A. Rosetti, Sur la théorie de la syllabe, p. 1 7 - 1 8 .
12
V. Bertil Malmberg, Gémination, force et structure syllabique en latin et en roman, Orbis litte-
rarum, Supplementum, 3, 1963, Études romanes dédiées à Andreas Blinkenberg, Copenhague,
p. 109-110.
SUR LE DEGRÉ DE FORCE DES CONSONNES 107
13
V. là-dessus les remarques, fondées sur des expériences à l'aide du Spectrographe, pour-
suivies à l'Institut de phonétique de Lund, de A. L. Fliflet, Einige Beobachlungen ilber Anschluss
und Silbe, Proceedings of the IV. Intern. Congress of Phonetic Sciences..., 4 —9 September 1961,
The Hague, 1962, p. 610 — 615. La manière de représenter les choses (no-te etc.) rend, de façon
abrégée, le phénomène, qui est autrement complexe. V. à ce sujet Malmberg, Gémination, etc., I.e.
À PROPOS DES CONSONNES PALATALES,
PALATALISÉES ET MOUILLÉES ET DE LEUR STATUT
PHONOLOGIQUE EN ROUMAIN
1
V .notre exposé Sur les consonnes palatalisées et les consonnes mouillées, dans L, p. 197 — 203.
2
Georges Straka, Naissance et disparition des consonnes palatales dans révolution du latin au
français, Travaux de linguistique et de littérature p.p. le Centre de philologie et de littératures
romanes de l'Université de Strasbourg, III, I, 1965, p. 117 — 167.
3
Straka, le., p. 1 2 0 - 1 2 1 , 125-130.
4
L, p. 199.
CONSONNES PALATALES, PALATALISÉES ET MOUILLÉES EN ROUMAIN 109
6
Ibid., p. 198, 1 9 9 - 2 0 0 ( c ' e s t a u s s i l ' a v i s de A. Fardell, Zs. f . Phon., 20, 1 9 6 7 , p. 89,
114-116).
« Ibid., p. 198-200.
7
S t r a k a , 1. c., p . 127.
8
V. n o s Recherches sur la phonétique du roumain au XVIe siècle, P a r i s , 1 9 2 6 , p. 111.
9
L.c., p. 125, n. 16 : « N o u s n e s a u r i o n s t r o p i n s i s t e r sur le d a n g e r qu'il y a à m ê l e r et à
c o n f o n d r e les t e r m e s f o n d é s s u r l ' a r t i c u l a t i o n et c e u x qui s o n t d'ordre a u d i t i f ».
10
R a p p e l o n s ici les progrès i m p o r t a n t s réalisés d a n s le d o m a i n e d e la c o n n a i s s a n c e des s o n s
parlés e t d u s t a t u t p h o n o l o g i q u e des l a n g u e s p a r la p h o n é t i q u e a c o u s t i q u e . L a priorité de l ' a n a -
lyse acoustique sur l'analyse physiologique a été s o u v e n t affirmée. V. par ex. R. Jakobson.
Remarques sur l'évolution phonologique du russe, Selected Wrigtings, La H a y e , 1 9 6 2 , p. 23,
n. 18.
11
V . n o t r e e x p o s é , p. 199.
110 PHONÉTIQUE
palata- palata-
alvéo- lisées palata- mouil- lisées 14
dentales (alvéo- les lées 13 (palatalo- vélaires
palatales) vélaires)
Palatalisation Palatalisation
11
L. c„ p. 125.
13
La notation à l'aide d'un trait courbe sous le caractère typographique ( t) est préférable,
puisque l'autre notation (/') a le désavantage de ne pas différencier la consonne palatalisée
de la consonne mouillée. Mais il faut dire que la première notation risque de créer des difficultés
techniques pour les imprimeries qui ne disposent pas de ce type de caractères. Il est bien entendu
que cette restriction entre 'palatalisé'et 'mouillé'n'a plus sa raison d'être sur le plan phonologique.
u
k et g sont assurément des vélaires (Straka, /. c., p. 117, n. 1), mais qui peuvent être palata-
lisées lorsqu'elles sont suivies d'articulations de cette catégorie.
15
G. M. Goiin, Spektral'nyj i rentgenologiceskij analiz nepalatalizovannyx i palatalizovannyx
soglasnyx v svjazi s konecnym i v moldavskom jazyke, Moskva—KiSinëv, 1963, p. 18 : les consonnes
palatalisées sont biphonématiques, tandis que les consonnes mouillées (k, g, h) sont monopho-
nématiques. En position finale, les occlusives, fricatives et sonantes sont suivies par un i non-
-syllabique (pluriel du type lupi). Id., Spektrale Analyse des nichtsilbischen /// im Moldavischen,
Phonetica, 12, 1965, p. 144 — 146: les consonnes palatalisées sont composées de deux sons:
la consonne proprement dite, et /// suivant.
18
Comme nous l'avions proposé naguère, dans notre Esquisse d'une phonologie du roumain
(republiée dans ML, p. 50) on sait le rôle important joué par l'opposition consonne palatalisée
— comme non-palatalisée dans les langues slaves. V. p. ex. W. Merlingen, Studia linguistica in
honorem acad. Stephani Mladenov, Sofia, 1957, p. 493 — 501, et Id., Proceedings of 5th Intern.
Congress of Phonetic Sciences, Münster, 1964, p. 418 — 419.
CONSONNES PALATALES, PALATALISÉES ET MOUILLÉES EN R O U M A I N 111
17
E. Vasiliu (dans Fonologia limbii române, Bucarest, 1965) dresse le tableau des consonnes
palatalisées du roumain (p. 127), qui se trouvent en distribution complémentaire avec les mêmes
consonnes non palatalisées. Ce sont des variantes consonantiques ; la langue littéraire ne fait
pas usage de cette opposition, comme nous le montrons ci-dessous.
19
E. Vasiliu, op. cit., p. 1 0 9 - 1 1 1 .
M. Sol Saporta, dans un compte rendu consacré à notre recueil Recherches sur les diphton-
gues roumaines (Bucarest—Copenhague, 1959) (dans Romance Philology, X I X , 1965, p. 84 — 86),
ne se réfère pas à notre exposé sur le statut phonologique des consonnes palatalisées en roumain,
inclus dans ce volume (aux pages 53—54).
Dans cet exposé, nous avons combattu le point de vue de E. Petrovici, selon lequel dans
beat t ivre » — bat « je bats », il y aurait une opposition phonologique entre /¿'/ (palatalisé) et
lb[ (dur), parce que cette opposition consonantique n'existe pas, du moment qu'au singulier,
comme au pluriel (beat — bete) la consonne est suivie d'une voyelle palatale et que, par consé-
quent, il n'y a pas d'opposition, puisque dans les deux cas la consonne se trouve dans la même
situation.
Dans beat, comme dans tous les mots où la diphtongue /ea/ du singulier du mot est opposée
à /e/ de la forme du pluriel, de même que dans toute autre opposition grammaticale entre /ea/
et /e/, l'opposition phonologique est donc vocalique, et non consonantique : /?a/ — /e/.
Pour mieux connaître notre pensée, nous poursuivons notre argumentation, en reproduisant
le texte de notre étude précitée, dans le but d'administrer la preuve requise :
« Selon E. Petrovici, dans beat — batà il y aurait une opposition phonologique consonantique
entre /b'I (mouillé ou mou) et /¿/ (dur) (E. Petrovici, Corelafia de timbru a consoanelor dure fi
moi tn limba românâ, dans SCL, 1950, I, p. 172 et s.).
Si l'on venait à accepter cette hypothèse, il faudrait admettre une opposition analogue entre
piatra et patru, c'est-à-dire /p'/ — /p/, étant donné que la notation phonétique avec e de la diph-
tongue dans beatâ et dans peatrû (prononciation caractéristique pour plusieurs parlers roumains),
112 PHONÉTIQUE
8 - c. 678
BRÈVES CONSIDÉRATIONS SUR LA FORMATION
DE LA LANGUE ROUMAINE
(Version roumaine dans Acta Musei Apulensis. Apulum, VII/1, 1968, p. 465 — 468)
SUR TORNA, TORNA, FRATRE
1
P. Ç. Nàsturel, Quelques mots de plus à propos du ripva cppaxpe de Théophylacte et de Théo-
phane, Sofia, 1966, p. 217—222, pose l'année 586, au lieu de 587.
a
Id., dans Studii ?/ cercelàri de istorie veche, V I I , 1956, p. 179 — 188.
' V. ci-dessus, n. 1.
4
A. Philippide, dans Originea Românilor, I, Iaçi, 1923, p. 504 — 5 0 8 ; cf. P. Ç. Nàsturel,
loc. cit., p. 185, n. 2.
120 HISTOIRE DU ROUMAIN ET DES LANGUES BALKANIQUES
données dans la langue connue par les soldats, donc en latin 5. Il énumère
les termes de commande latins employés par la cavalerie byzantine, parmi
lesquels figure aussi torna 6.
Les termes torna, torna, fratre appartiennent donc au roumain ; ils corres-
pondent à des termes latins de commande de l'armée byzantine. Les chro-
niqueurs byzantins indiqués nous donnent, par conséquent, une infor-
mation précieuse sur la langue de la population romanisée du sud du
Danube, qui allait devenir le roumain.
(Version roumaine dans Omagiu lui Constantin Daicoviciu, Bucureçti, 1960, p. 467—468)
5
Henrik Zilliacus, Zum Kampf der Weltsprachen im Oströmischen Reich, Helsingfors, 1935,
p. 128 — 137 : « Zu Beginn des 4 Jahrh. war die Kommando und Verwaltungssprache des Heeres
im ganzen Reiche das lateinische... Im allgemeinen erreichte ja gerade im Anfang des
4 Jahrh. der Einfluss der lateinischen Sprache seinen Höhenpunkt... Vor allem ist aber darauf
hinzuweisen, dass das rein lateinische oder romanisierte Element im Oströmischen Reiche viel
verbreiteter war als man gewöhnlich glaubt ». L'auteur montre que le sud de la Mésie et de la
Thrace étaient entièrement romanisées, au moment de l'arrivée des Slaves. « Für die Truppen
auf der Balkanhalbinsel einschliesslich Konstantinopel, war das Lateinische die natürliche
Sprache... Dass das Lateinische unter diesen Volkstämmen [il s'agit des Thraces] die Sprache
des gemeiner Mannes war, geht aus einer amüsanten Episode hervor [l'incident provoqué par
la charge du mulet, relaté ci-dessus, et il conclut : ] Wir sehen dass die Soldaten eine italische
Sprache als Muttersprache hatten ». Dans le « Strategikon », attribué à l'empereur Maurice
(VI e s.), la terminologie est latine (aux p. 134 — 135 sont reproduits les termes latins de cet
ouvrage).
« Op. cit., p. 134.
SUR L'APPARTENANCE DU DALMATE
6
Roger L. Hadlich, The Phonological History of Vegliale, Chapel Hill, 1965.
6
Clemente Merlo, Dalmatico e latino, Rivista de filologia e istruzione classica 35, 1907,
p. 482 —484. Le vénitien a été importé ultérieurement en Dalmatie (Bartoli, I, col. 3, 89 — 90).
Cf. P. Skok, Considérations générales sur le plus ancien istroroman, Sache, Ort u. Wort. Jakob
J u d zum sechzigsten Geburtstag, Romanica Helvetica, vol. 20, 1943, p. 472 : « Ici [en Dalma-
tie], l'ancien parler roman des villes c ô t i è r e s . . . a été supprimé par les ondes linguistiques pro-
venant des centres voisins politiquement plus puissants : en Dalmatie, en t a n t que les sujets
parlants sont restés fidèles au roman, par le vénitien ».
7
~V.ILR, p. 107. Cf. W. Meyer-Liibke, Rumänisch, romanisch, albanesisch, Mitteilung, des
rumän. Inst, an der Univ. Wien, I, Heidelberg, 1914, p. 15 : «Von den romanischen Sprachen
steht das Dalmatische in seinen zwei Z w e i g e n . . . räumlich dem Albanesischen und Rumäni-
schen am nächsten ». Pour P. Skok (Osnovi romanske lingvistike, Zagreb, 1940, I. p. 42 — 43),
le dalmate appartient au groupe oriental des langues romanes. Bartoli (I, col. 310) considérait
le traitement par u de lat. ü comme l'un des traits caractéristiques des langues romanes de
l'est. V. aussi C. Tagliavini, Enciclopedia italiana, 1931, s.v. * Dalmatica lingua », p. 244
et I. Çiadbei, Sur l'élément latin de l'albanais, dans Mélanges linguistiques publiés à
l'occasion du V I I I e Congrès intern, des linguistes, Bucarest, 1957, p. 64 — 6 6 ; Id., dans
Studii çi cercetäri lingvistice V I I I , 1957, p. 481 — 482 (données discutables ; ainsi lat.
SPÖDIUM est donné avec ô, alors que Meyer-Lübke, R E W , n° 8166 enregistre un <5 et
donne le mot pour grec).
SUR L'APPARTENANCE DU DALMATE 123
Ó 0 0 u (syll. ouverte)
shok < Iat. S O C I U S sof < lat. SÔCIUS luk < lat. LOCUM
korb < lat. C O R B U S corb wa (syll. fermée)
kwarp < lat. C O R P U S
u u u oj (syll. ouverte)
gjygjê < lat. J U D I C E M jade lojk < lat. L U C E M
fryt < lat. F R Ï J C T U S frupi o (syll. fermée)
jost < lat. JUSTUM
u u u aw (syll. ouverte)
numër < lat. N O M E R U S numâr dawk < lat. D U C E M
u (syll. fermée)
palpe < lat. PÎJLPA pulpà pulp < lat. PÎJLPA
8
A n t o n i o Colombis, Elementi veglioti nell'isola di Cherso-Óssero, Archivum Romanicum X X I ,
1937, p. 2 6 4 - 2 6 5 .
9
Cf. Meyer-Liibke, op. cit., p. 16 : « Andererseits scheint « z u bleiben : dulk dulce, buka
bucca ». Mais il ne tire aucune conclusion de cette observation.
124 HISTOIRE DU ROUMAIN ET DES LANGUES BALKANIQUES
(Festschrift Walther von Wartburg, zum 80. Geburtstag, Tübingen, 1968, p. 71 — 74)
10
Ce n'est pas l'avis de l . Muljaèic, La posizione del dalmatico nella Romania, Actes du X e
Congrès international de linguistique et philologie romanes, (Strasbourg, 1962) III, Paris, 1965,
p. 1191, pour qui « il Hadlich spiega i difficili cambiamenti [du vocalisme] nel vegliotto in un
modo veramente nuovo e convincente ».
11
V. la carte n° 10, dans W. von Wartburg, La fragmentación linguistica de la Romania, Madrid,
1952 et notre exposé A propos de la place du roumain parmi les langues romanes, dans L, p. 238 —
239. Cf. P. Skok, op. cit., p. 485 : « L'istro-roman de l'époque préfrioulane appartenait à la
même aire du latin oriental que l'ancien dalmate ». Parmi les traits qui séparent le dalmate du
roumain (v. l'exposé de B. Rosenkranz, Die Gliederung des Dalmatischen, Z R P h 71, 1955,
p. 269 — 279), le traitement par ü de l'u latin (que l'on retrouve aussi en albanais) est expliqué
par Hadlich (op. cit., p. 47) par voie interne.
SUR LES ÉLÉMENTS AUTOCHTONES DU ROUMAIN
1
Abréviations :
G = Vladimir I. Georgiev, Introduzione alla storia dette lingue indeuropee, R o m a , 1966.
126 HISTOIRE D U R O U M A I N ET DES LANGUES BALKANIQUES
2
Dans un « avertissement » du Dictionnaire étymologique de la langue latine 2 (Paris, 1939),
par A. Meillet et A. Ernout, p. VI.
3
V. notre exposé, ILR, II, 41 — 4 4 ; G. 164 — 167. Les arguments contraires, apportés par
E. Çabej (v. notre exposé, R. 43) et Studii f i cercetäri lingvistice, X , 1959, p. 560, ne sont pas
convaincants.
4
C. Poghirc, Considérations sur les éléments autochtones de la langue roumaine, « Rev. roum. de
linguistique», X I I , 1967, pp. 1 9 - 3 6 ,
6
Fjalor i gjuhës shqipe, Tirana, 1954, p. 48 s. v .
« L. c., 3 0 - 3 1 .
7
R. Trautmann, Baltisch-slavisches Wörterbuch, Göttingen, 1923, pp. 5 0 - 5 1 ; K. Mülen-
b a c h - I . Endzelin, Lettisch-deutsches Wörterbuch, Riga, 1943 I, p. 432.
SUR LES ÉLÉMENTS AUTOCHTONES D U R O U M A I N 127
8 Les éléments lexicaux autochtones dans le dialecte aroumain, « Rev. roumaine de linguistique »,
X I , 1966, pp. 5 4 9 - 5 6 5 .
9 Meillet-Ernout, /. c„ pp. V - V I .
10 V. aussi Gr. Brîncus, Ueber die einheimischen lexikalischen Elemente im Rumänischen,
«Rev. des études sud-est européennes», I, 1963, pp. 309 — 317. Nous avons exprimé notre
opinion sur les travaux de G. Reichenkron dans I L R , II, 22 et dans la « Rev. roumaine de
linguistique » X I I , 1967, pp. 163 — 164 : « Sur la reconstruction du dace. »
SUR LA RECONSTRUCTION DU DACE
1
G. Reichenkron, Das Dakische (rekonstruiert aus dem Rumänischen), C. Winter, Heidelberg,
1966, 1 vol. in-8°, 226 p. (Les études parues précédemment sont énumérées à la p. 14,
n. 20).
» V. ILR, p. 53.
8
Ibid., p. 264 et s.
S U R LA RECONSTRUCTION DU DACE 129
9 - c . 579
L'APPORT DU LATIN BALKANIQUE ET DU ROUMAIN À
LA CONSTITUTION DE LA COMMUNAUTÉ BALKANIQUE
BULGARE
1
On trouvera les renseignements bibliographiques nécessaires à l'intelligence de l'exposé
dans les « introductions » qui ouvrent les exposés de notre Istoria limbii romàne, (Bucarest, 1968).
V. aussi notre exposé Balcanica. L, p. 213 et s. Pour l'appartenance de l'albanais au thrace et
à l'illyrien, v. aussi. V. P i s a n i , Studia albanica, I, 1964, p. 61 — 68 et E. Ç a b e j, op. cit.
p. 6 9 - 7 5 .
2
P. S k o k, 0 bugarskom jeziku u svjetlosti balkanistike, Juznoslovenski filolog, X I I , 1933,
p. 121. Y. le compte rendu critique de St. Mladenov dans GodiSnik na Sofijskija Univ., 1st.-fil.
fak., X X X V , 1939, N o 12, pp. 1 - 7 4 . [Note de la rédaction],
3
Pour le macédonien, v. A. M a z o n, Contes slaves de la Macédoine sud-occidentale, Paris,
1923, p. 37.
L'APPORT DU LATIN BALKANIQUE ET DU ROUMAIN. 135
main 4 . (Le détail des faits marque la différence entre les faits du roumain
et ceux du bulgare.)
Un autre fait d'origine « balkanique » du bulgare consiste dans ceci que
les substantifs qui accompagnent les noms de nombre, à partir de cinq,
sont au nominatif pluriel, comme en néo-grec, albanais et roumain, et
non au génitif pluriel, comme dans les autres langues slaves 5 .
En matière de flexion verbale, on a signalé, comme étant d'origine
roumaine, la formation du futur avec «vouloir » (v. si. hostç)6, et la perte de
l'infinitif, remplacé par des formes périphrastiques du verbe.
Enfin, signalons des « calques » en bulgare, par exemple, des constructions
avec ot, qui correspondent aux constructions roumaines du type apà
de izvor « eau de source », apà de put « eau de puits », apà de ploaie « eau
de pluie »7.
Le problème des emprunts au vocabulaire du latin balkanique en alba-
nais, néo-grec, bulgare et serbo-croate est traité par nous, vu la proportion
des matériaux, d'une manière partielle, afin de donner au lecteur une vue
rapide des faits.
Pour le slave méridional, il convient de séparer les mots latins du slave
commun, entrés par intermédiaire germanique (tels hnstiti « baptiser »),
de ceux venus plus tard, du latin balkanique : IcormTcati « communier »,
pogam « payen », rusalija, etc. 8 , par les villes où l'on parlait latin (Byzance,
Aquilée, Salona, Sirmium), ou du roumain. Pour les mots de cette caté-
gorie il faut admettre la possibilité qu'il y en ait qui sont venus par le
grec.
Yoici la liste de quelques emprunts au latin 9 . Bègne animal, kolastra
« erste Milch nach dem Werfen, Biestmilch » < *colastra. mule « Maultier »
< mulus.
Religion, oltar « Altar » < altarium. Busalii « die Gruppen, die von Weih-
nachten bis 6 . Januar von Haus zu Haus gehen und spezielle Spiele
spielen » < Rosalia, Rosaria. Koleda < « Weihnachten » < calendae.
4
P. S k o k , op. cit., p. 1 2 9 - 1 3 1 . ILR, p. 2 5 2 - 2 5 6 .
6
P. S k o k, op. cit., p. 132. V . aussi P. D i e 1 s, Altkirchenslavische Grammatik, I,
Heidelberg, 1932, p. 216 et A. V a i l l a n t , Manuel du vieux slave, I, Paris, 1948, p. 152.
6
S k o k, ibid., p. 134.
7
S k o k, ibid., p. 133. K . Mircev explique par 1'« union linguistique balkanique » l'évolution
de la structure analytique du bulgare (perte de l a déclinaison), la perte de l'infinitif, la construc-
tion du futur a v e c « vouloir », l'article postposé (Istoriëeska gramatika na bàlgarskija ezik 2,
Sofia, 1963, p. 5 7 - 6 1 ) .
8
A. M e i l i e t et A. V a i l l a n t , Le slave commun 2 , Paris, 1934, p. 514 — 517.
8
St. R o m a n s k i, Lehnwörter lateinischen Ursprungs im Bulgarischen, XV-ter Jahres-
bericht des Inst. f . rumänische Sprache... zu Leipzig, 1909, p. 89 — 134.
136 HISTOIRE DU ROUMAIN ET DES LANGUES BALKANIQUES
Habitation. Meubles. Objets, hup a « tiefer Teller » < cuppa. mesal « Art
Tuch » < mensale. polata « Vorraum im oberen Stocke eines Bauern-
hauses » < palatium. porta « Tor » < porta, slcala « Treppe, Leiter » <
scala. Icomin « Eauchfang, Schornstein » < caminus. banja « Bad », très
souvent dans la toponymie < *baneum. bisagi « Doppelsack, Quersack »
< bissaccium,. bakal « fassartiges hölzernes Wassergefäss » < buccula. fuma
« Backofen » < fumus. hérka « Spinnrocken » < furca. Tcatina « Anhän-
geschloss ; Schlüssel » < catena « Kette ». kapistra « Halfter » < capistrum.
Corps humain, rus « blond » < russus.
Calendrier, avgust « août » < augustus.
Nourriture, mäst « Most » < mustum. Jcesten « Kastanienbaum, Kastanie » <
castanea.
Nature, cer « Art Eiche » > cerrus.
Autres catégories. Icorona « Krone » < corona. poganin « Heide ; schmut-
ziger Mensch » < paganus.
Empruntés au roumain 10 :
Religion. Fêtes. Kracun « ein Tag der Weihnachten » < Cräciun.
Objets. Elevage, cutura « gourde pour transporter le vin » < ciuturà.
faSa « ceinture, cordon de cuir » < fa§ä. ficor « domestique » < fecior. gega
« Stab mit umgebogener Spitze » < ghioagä. gusav « goitreux » < gussä.
gugla « capuchon » < gluga. hrälig « houlette des pâtres » < cîrlig. sapun
« savon » < säpun. Faune, barza « cigogne » < barzâ. buhär « colimaçon »
< v. roum. buär « auroch ». Tcopoj « chien de chasse » < copoi. vuntur
« aigle » < vultur.
Habitation. Objets, aca « bobine de fil » < atà. burlcan « pot » < borcan.
Icoptor « four » < cuptor. zabun « manteau » < zäbun. faMija « Fackel » <
fäclie.
Plantes, fasul « Bohne » < fasole. gulija « helianthus tuberosus » < gulie.
Parties du corps, buza « figure » < buzâ.
Autres catégories, domna « weiblicher Personennamen » < doamnä. dalbin
« monnaie en or » < galben. Tcandilo < « Lampe vor heil. Bilder » < can-
delä. mamaliga « polenta » < mämäliga.
Toponymes d'origine roumaine autour de Sofia : Baniëor, Corul, Gurguljat,
Jarbata ( < iarbä), Kärnul, Piéor, etc.
10
B. C o n e v, Ezikovni vzaimnosti meïdu Bälgari i Madzari, GodiSnik na Sofijskija Univer-
sitet, I, Ist-fil. fak., X V — X V I , 1919 — 1920, Sofia, 1921 (cet exposé est reproduit dans l'ou-
vrage de l'auteur, Islorija na bälgarski ezik, II, Sofia, 1934, p. 3 — 151). V. la critique de
P. S k o k , Slavia, III, 1925, p. 325 — 346. T h . C a p i d a n , Raporturile slavo-romane, Daco-
romania, III, p. 129 — 233.
L'APPORT DU LATIN BALKANIQUE ET DU ROUMAIN. 137
NÉO-GREC11
11
P. S k o k ( o p . cit., p. 126. Cf. ILR, p. 102) a attiré l'attention sur un phénomène
phonétique général, qui se produit en roumain et en néo-grec, à savoir l'allongement des syllabes
accentuées et l'abrègement des syllabes non accentuées. N o u s n ' y voyons, pour notre part,
qu'un parallélisme, sans autre signification.
12
Matériaux dans : G u s t a v M e y e r , Neugriechische Studien, III, dans Sitzungsberichte
der kaiserl. Akad. der Wissenschaften, C X X X I I Bd., W i e n , 1895, phil.-hist. Cl. ; M a n. A .
T r i a n d a p h y l l i d i s , Die Lehnwörter der mittelgriechischen Vulgärliteratur, Strassburg,
1 9 0 9 ; A t h . B u t u r a s , Ein Kapitel der historischen Grammatik der griechischen Sprache,
Leipzig, 1910, p. 55 et suiv.
138 HISTOIRE D U ROUMAIN ET DES LANGUES BALKANIQUES
ALBANAIS
Conjonctions et adverbes, a < aut, e < et, qe < quod, më < magis.
Les emprunts au roumain sont en petit nombre. En voici quelques-uns 15 :
Habitation. Ustensiles, hupshore « kleiner Teller » < dr. cupçoarâ. lemnj
«Garnwinde, Haspel » < lemne (pl.). pedim « Franse » < piedin. shpar-
tallój « it. sfasciare » < pariai « Stück ».
Elevage, fiçor « Gehilfe des käsebereitenden Senners » < fecior.
SERBO-CROATE
16
Th. C a p i d a n, Raporturile albano-române, Dacoromania, II, Cluj, 1922, p. 444 — 554.
16
Nombreuses études de P. Skok, bourrées de faits. N o u s citons les principales : Zum Balkan-
latein, dans Zeilschrift für romanische Philologie, X L V I I I , 1928, pp. 398 et suiv. ; L I V , 1934,
p. 1 7 5 - 2 1 5 , 4 2 5 - 4 9 9 ; Rev. des études slaves, X, 1930, p. 1 9 4 ; Mélanges de philologie et d'hist.
offerts à H. Hauvette, Paris, 1934, p. 13 —19 ; De l'importance des listes toponomastiques de Procope
pour la connaissance de la latinité balkanique, Revue intern, des études balkaniques, III, 1937 p.
47 — 5 8 ; Zs. f . Namenforsch., X I V , p. 75 — 81. Le programme de ces recherches, dues à l'un
des meilleurs connaisseurs des langues balkaniques, est exposé par P. Skok de la manière
suivante : « Unter dieser Überschrift gedenke ich das lateinische Wortmaterial, soweit es in skr.,
alb. und neugr. Lehnwörtern vorliegt, nocheinmal durchzumustern und durch eigene Mate-
rialsammlungen zu vervollständigen, u m aus dem dieselben mit dem R u m ä n i s c h e n gestaltenden
Kräfte innerhalb des Balkanlateins zu gewinnen » (Zs. f . roman. Phil., X L V I I I , p. 398, n. 1).
17
Iv. P o p o v i c, Geschichte der serbokroatischen Sprache, Wiesbaden, 1960, p. 569 — 570.
140 HISTOIRE DU ROUMAIN ET DES LANGUES BALKANIQUES
lenga « Meerestiefe, wo sich Fische befinden » < lanca, ingvast « Tinte » <
encaustum. tòdur « Vormund » < tutore, ëetrun « Ort bewachsen mit Zi-
tronen » < citrus. Autres catégories, raëun « Rechnung, rechnen » < ra-
tione. rus « blond » < russus. fürest « fremd » < forasticus.
Administration, zäur « Ausrufer, Polizist des Rektors der Republik »
(Dubrovnik) < sidurus.
Toponymie. JaMn < Ancona. Kostur (en Grèce) < castra. Brâc < Brattia.
Arëar (en Bulgarie) < Batiaria. Oprtal < Ad Portulam. OmiSolj < Ad
Musculum. Majsan<Maximus. Solin < Salona, Fossaton (cher Procope)<
fossatum. Karin < Korinien. Mogren < Malum Oraneum « Granatapfel ».
Skradin < Scardona.
Un grand nombre de mots roumains ont pénétré en serbo-croate. Nous
nous proposons d'en énumérer quelques-uns. Nous avons examiné ci-dessus
les conditions historiques qui ont déterminé l'emprunt de ces termes.
En général, ce sont des mots qui font partie de la terminologie de l'élevage :
birka « race de moutons » < bircä. blanda « Blase an der Haut » < blinda,
hér „lévrier qui excelle à flairer et dépister le gibier» < cine (avec -n- >
-r-), ëutura « gourde » < ciuturà. Tcùlizdra « fromage » < colasträ. gaman
« vorace, gourmand » < gaman. maèuga « massue » < maciucä18.
Une série de noms propres et de noms de lieu :
Arborié n. pr. < arbore, Durmitor n. de montagne (Monténégro) < dormi
« dormir », Baci n. de 1. < baci, Barbat n. pr. < bärbat, Kracun n. pr. <
Cräciun, Dracul n. pr. < drac, n. de 1. Magura < mägurä, Pirlitor n. de
montagne (Monténégro) < pirli « roussir », etc.
Conclusions. Comme on le voit, l'influence du latin parlé sur les langues
balkaniques a été importante. Là où, à la suite de la colonisation romaine,
a persisté une langue issue du latin oriental, le roumain, l'influence du latin
a continué de s'exercer, ce qui fait que la grammaire elle-même du bul-
gare est atteinte par l'influence du latin balkanique. L'influence lexicale
du roumain en bulgare et en serbo-croate est notable.
(Actes du premier Congrès international des éludes balkaniques et sud-est européennes, V I , Sofia,
1968, p. 3 1 - 3 9 )
18
Sextil P u ? c a r i u, Studii istroromâne, II, Bucarest, 1926, p. 274 — 311 (énumération
des termes roumains du serbo-croate). V. aussi l'exposé d e R a d u F l o r a , Contribufii la
metodologia studierii relafiilor slrbo-romane pe plan lingvislic fi lilerar-cullural, Lumina, X V I I ,
Panciova, 1963, p. 3 9 3 - 4 1 5 .
à A. G R A U R
en souvenir du Bulletin linguistique
(1933-1948)
A. R.
1
V. Arvinte, « Die Westgrenze des Entstehungsgebietes der rumänischen Sprache », Zs. f .
Balkanologie, VI, 1968, p. 9 7 - 1 1 3 .
2
E. Petrovici, « Problema limitei sud-vestice a teritoriului de formare a limbii româneçti »,
LR, IX, 1966, p. 7 9 - 8 3 .
3
C'est ce qui ressort du passage suivant de l'étude de E. Petrovici : « aça dar, teritoriul
de formare a limbii româneçti nu se lntindea pînà în apropierea Dalmafiei » (p. 82).
4
R. L. Hadlich, The phonological history of Vegliote, Chapel Hill, 1965, et notre exposé
«Sur l'appartenance du dalmate», Festschrift TV. von Wartburg, Tübingen, 1968, 71 — 74,
ci-dessus, p. 121 et s.
142 HISTOIRE DU ROUMAIN ET DES LANGUES BALKANIQUES
6
V. notre exposé « A propos de la place du roumain, parmi les langues romanes », dans
L, 1965, p. 2 3 6 - 2 4 4 et, pour tout détail, ILR, passim.
6
V. notre ILR, p. 293. Arvinte méconnaît cette réalité, quand il affirme : « Eine genaue
Grenze zwischen diesen südslavischen Stämmen bestand bereits in ihrer Urheimat, und sicher-
lich existierte diese noch im 9. Jahrhundert auf dem Balkan » (p. 105).
7
V. nos exposés « Sur la chronologie des éléments slaves méridionaux du roumain », ci-des-
sous, p. 158, et « Sur quelques emprunts anciens du roumain au slave méridional et au magyar »,
ibid., p. 160.
LE VOCABULAIRE SUD-EST EUROPÉEN
DE QUELQUES INSTITUTIONS
I
Animaux
dr., ar, mînz s.m. « poulain », alb. t. mes, mezi, g. mâz « männliches Füllen
von Pferd und Esel ». Le terme albanais contenait une occlusive nasale,
présente en messapien : Menzana « nom de Jupiter, à qui on sacrifiait des
chevaux ».
En italien, dans l'Engadine, en français et en wallon, avec le sens de
« bœuf » ; cf. alb. mêzat (« jeune bœuf »). Cf. dr. mînzat(a) «veau de moins
d'un an », mînzare « brebis laitière ».
A l'origine, attesté en thrace et en illyrien
ILR, 2 2 4 ; TILB, 3 3 2 - 3 3 3 .
dr., mégi., murg, ar. murgu, s.n., adj. «brun; (cheval) alezan», alb.
murg « dunkel, schwarz, grau ». Cf. dr. amurg « crépuscule », gr. «[iopyoç
« soir, nuit ; ténèbres ».
ILE, 2 7 2 ; TILB, 333.
1
D e riches m a t é r i a u x o n t é t é p u b l i é s p a r f e u N . J o k l , Linguistisch-kulturhistorische Unter-
suchungen aus dem Bereiche des Albanischen, B e r l i n u n d L e i p z i g , 1923.
144 HISTOIRE D U R O U M A I N ET DES L A N G U E S BALKANIQUES
Famille, parenté
dr., ar., mégi, copil s.m. « bâtard » (anc.), « fils, garçon » attesté dans
toutes les langues balkaniques : alb. Jcopil « Knecht ; junger Mensch »,
g. «bâtard», n.gr. x ô t c â ô ç «jeune», bg. hopelëja, hopelâh «bâtard », s.-cr.
hópile « id. ». Aussi en magyar et dans les langues slaves de l'est.
ILB, 2 6 9 - 2 7 0 ; TILB, 340.
dr. cumâtru s.m. « titre de parenté ; désigne le parrain, qui a tenu l'en-
fant sur les fonds baptismaux ; compère », cumâtrâ f. < lat. commater,
alb. humptër, kundër < lat. compater, Icumtër < lat. commater.
Du latin, comme d'autres termes de parenté du roumain (dr. cuscru,
fiu, fin, frate, mâtuçâ, norâ, nun, socru, sorâ, unchi, var, etc.).
En bulgare et serbo-croate, des formes abrégées :
bg. hum — huma, s. -cr. hûm ; cf. hong. homa « Gevatter ».
ML, 314-316.
dr., mégi., istr. mo$, s.m., ar. moa§â s.f. «vieux, vieillard; grand-père,
aïeul ; oncle (Moldavie) », alb. motshë, moshë s.m. « Greis, Alter ».
Les termes du roumain et de l'albanais ont sans doute la même source.
ILB, 272 ; TILB, 345
Corps humain
dr., mégi, buzâ, ar. budzâ, s.f. «lèvre; bord», alb. buzë s.f. «Lippe;
Spitze, Band, Schnabel eines Gefàsses ».
Le terme est attesté aussi en bulgare, avec le sens de « joue ».
ILB, 267 ; TILB 329.
Culte, fêtes
dr. colindâ « Noël, chant de quête, cantique de Noël que les enfants vont
chanter de maison en maison (dr. colindâtori, pl.), dans la nuit de Noël »
< v. si. holçda « Neujahrstag ». Terme du latin ecclésiastique (calendae),
entré en slave à l'époque du slave commun (v. dans Berneker, SEW, 544,
s.v. les termes du russe, ukrainien, bulgare, serbo-croate, slovène, tchèque
et polonais). Le sens du mot roumain ne coïncide pas avec ceux du slave.
C'est que le roumain a possédé un représentant direct du terme latin :
dr. *cârindâ, conservé jusqu'à nos jours dans le nord-ouest de la Transyl-
vanie : corindâ (avec â > o sous l'influence du terme venu du slave).
Cf. dr. càrindar « janvier ; sorte de calendrier populaire » < lat. calen-
darius. Le terme est attesté aussi en albanais.
ML, 330.
LE VOCABULAIRE SUD-EST EUROPÉEN D E QUELQUES INSTITUTIONS 145
dr., ar., mégi. Cräciun (ar. Cîrcun, Crîêun, mégi. Cärcun) s.m. «Noël» <
lat. creatio. Le phonétisme du terme roumain s'explique par ceci, que
lat. creatio a pénétré en slave méridional, et de là en roumain. Les langues
slaves, au voisinage du monde roman, ont des représentants de lat. crea-
tio, venus par la langue de l'église de Byzance, Aquilée, Salona ou Sirmium.
(En russe, des termes tels que haraéwn et koroëun, etc., qui ont un autre
sens, comportent une explication différente : Icortükü, v. si. kraStç-lcratiti
« verkürzen, kurz machen »). Alb. Tcërëuni « tronc, souche, bûche ». Les
autres langues romanes connaissent des dérivés de lat. natalis, et pareille-
ment l'albanais : Icershëndellë ( < lat. Christi natalis).
ML, 3 2 4 - 3 2 9 ; Bosetti, 8CL, XXII, 1971, p. 3 - 4 .
dr. Busalii, Busale « Pentecôte », ne provient pas directement de lat.
Bosalia, car l latin aurait dû être rendu par r. Le terme a donc pénétré en
roumain par le slave méridional, qui l'avait emprunté au latin : v. si.,
bg. rusalija (bg. rusalii), s.-cr. rusalj(i), rusalja, slov. rusalcek.
ML, 331.
dr. zîna s.f. « fée » < lat. Diana, de *zänä, avec à > î. alb. zânë « Fee,
Muse, Göttin », alb. du nord zâna « Bergfee und Helferin im Streit ».
Diana était vénérée en Illyrie et en Dacie (la majorité des dédicaces
militaires concernant le culte de Diane viennent de Dacie ; Lozovan,
Bomance Phil, XY, 1961, p. 177).
ML, 352-354.
Habillement
dr. brîu s.n., alb. brez s.m. « Gürtel ». Le prototype antérieur auquel
renvoient les deux langues comportait une consonne nasale : cf. alb.
brenc s.f. « Binde », mbrenj « gürte », et les formes du roumain sud-danubien :
ar. bamu, bîrn, brîn, mégi. brçn.
Cf. dr. brina s.f. « sentier ; sentier au flanc d'une colline ou d'une mon-
tagne », brinar « confectionneur, marchand de ceintures ».
ILB, 266 ; TILB, 337.
Habitat
dr., mégi., catun, ar. cätunär s.n. «hameau, cabane; four creusé en terre;
tanière », alb. katunt s.m. « Gebiet, Stadt, Dorf », katund « villaggio, bor-
gata ». Le terme est attesté dans toutes les langues balkaniques : néo-grec,
serbo-croate, bulgare, avec des sens voisins : « campement, quartier, ha-
meau, tente » ; katund « ville » est attesté en albanais au XI e siècle.
ML, 267-258, TILB, 339.
10 - c. 570
146 HISTOIRE DU ROUMAIN ET DES LANGUES BALKANIQUES
dr., mégi, gard, ar. gardu s.n. « clôture, enclos, clayonnage, haie sèche,
palissade », alb. gardh s.m. « Hecke, Zaun », gard « siepe ».
ILB, 269; TILB, 341.
dr. sat « village » (au XVI e s., encore fsat « Feld »), s.n. alb. fsîiat « id. »
< lat. fossatum « fossé qui entourait le village », « castra », en bas-latin.
A l'origine, terme militaire, «poste de commande, quartier d'une troupe
(IVe—VIe s.). cpoCTffâxov «châteaufort sur le Danube, la mer Noire ou le
territoire avoisinant » (Procope, VI e s.), en néo-grec, « ein mit Gräben
umzogenes Lager ».
Les villages albanais étaient fortifiés, et le sont encore de nos jours
ar. fusatea « fossé, retranchement », mégi, fusât « fossé ».
ML, 354-356.
dr., ar., mégi., vaträ s.f. «foyer, âtre », alb. g. voter, t. vatrë «Herd,
Feuerstelle ». Dans les langues slaves voisines du roumain et en magyar,
le terme a été emprunté au roumain.
ILB, 275; TILB, 3 5 2 - 3 5 3 .
Nature
dr., ar., mégi, baîtà, istr. bâte s.f. «lac, étang, marais, marécage, flaque ;
eau stagnante », alb. balte « boue, marécage ».
Emprunt au slave méridional, à une époque très ancienne, avant la
métathèse.
Le mot est attesté aussi dans les dialectes italiens : lomb., piém. pauta,
émil. pälta.
ML 3 1 0 - 3 1 2 , ILB, 614, TILB, 328, 374.
dr. Carpati s.m. « les monts Oarpates », alb. Tcarpë « roche » thr.
KapTOxTYjç (8poç).
ILB, 225.
mal s.n. « bord escarpé, berge, rive (d'un fleuve), rivage (de la mer) »,
alb. mal « Berg, Gebirge », n. de lieu Malung « sehr langen, oben geraden
Bergrücken », thr. Malua, capitale de la Dacie, Maluese, Dada Maluensis
(traduit en latin par Dada Bipensis) ; cf. le n. de lieu Maluntum.
ILB, 225-226, TILB, 331.
dr. p&ràu, pîrâu, pîrîu s.n. « torrent, ruisseau » : alb. përrua, prrua,
dét. përroi «Bett eines Flusses, Baches ; Bach, Tal, Waldstrom ». Le terme
albanais contenait, à l'origine, un n, cf. pl. perronjë, përrenje, përrënjë.
En slave méridional : bg. poroj « Gebirggsbach, Wolkenbruch, Platzregen »,
s.-cr. poroj « lit de rivière caractéristique, avec terre et pierres ».
ILB, 272; TILB, 346.
LE VOCABULAIRE SUD-EST EUROPÉEN DE QUELQUES INSTITUTIONS 147
dr. troian s.n. « fossé (avec pli de terrain), tranchée », de lat. Trajanus
« nom de l'empereur Trajan », par filière slave méridionale : bg. Trojan,
TrojansM (p&t), Trojanov fgrad), etc., r. (Val) Trojanov.
ML, 331.
Terminologie agricole
dr., ar. arat, dr. plug s.n. « charrue ». Ar ai est attesté de nos jours seule-
ment dans 2 localités de la Roumanie, dr. aletrà « charrue » < n.-gr. àXexpt.
Arat < lat. aratrurn ; plug : v.sl. plugu (emprunté au germanique).
L'arai est une charrue en bois, sans avant-train, avec le coutre en métal ;
dr. ranitä (rälitä) «primitiver Pflug, jetzt nur noch Jätten und Häufeln
gebraucht : Hackenpflug » est emprunté au slave méridional. Ces instru-
ments primitifs ont été remplacés par un instrument perfectionné, le plug.
(A paraître dans « Hommage à A. G. Haudricourt »).
Terminologie pastorale
Les termes suivants sont caractéristiques de la terminologie pastorale.
dr. smîntînâ, s.f. « crème » : v.sl. *sümetana (attesté dans toutes les
langues slaves). On devrait partir de * smentana, avec propagation de 1'»
dans la première syllabe (bg. smetâna, s. smetana).
dr. stînâ « bergerie, châlet ; endroit où l'on garde les brebis pendant
l'été, à la montagne », *stana est attesté dans toutes les langues slaves. En
bulgare : stan « lieu où les voyageurs passent la nuit ; halte, station »,
s.-cr. stân « Sennerei im Gebirge ; locus et casa mulgendis aestate ovibus,
crates pastorales ».
ML, 410; TILB, 356, 374.
II
Ces faits, qui ne sont par conséquent pas dus à une parenté généalogi-
que, viennent confirmer la nécessité de poser l'existence d'une civilisation
commune des populations de langue roumaine et albanaise, à une
époque reculée.
Voici l'énumération de ces termes, groupés par catégories.
Animaux
dr. câpâtînâ, ar. câpitînâ, s.f. « crâne, tête (surtout des animaux) », lat.
capitina (Graur, p. 91), alb. kaptinë «tête, crâne » (Fj., p. 201).
dr., ar. coamâ, s.f. « crinière », lat. coma, alb. kom, Icomë « crinière ;
poils de la queue du cheval » (Fj., p. 224, 226).
dr., mégi., grangur, s.m. «loriot» (ar. adj. gangur «couleur entre le
vert et le noir »), lat. galgulus (ILE, p. 190), alb. gargull « étourneau »
(Fj., p. 136).
Famille, parenté
dr., ar., mégi., istr. cuscru, s.m. «parent (père, mère ou proche) du
marié ou de la mariée », lat. eonsocer, alb. IcrushTc « groupe de parents qui
accompagnent la mariée » (Fj., p. 241).
dr., ar., nuiarcâ (ar. aussi nearcâ), s.f. «belle-mère, marâtre», lat.
noverca (ILB, p. 192), alb. njerkë «marâtre, belle-mère» (Fj., p. 355).
Corps humain
dr. stat «taille, stature», s.n. lat. status, alb. shtat «id. » (Fj., p. 542).
Culte, fêtes
dr. ura, urare « souhaiter, souhait », vb., s.f., ar. urare, s.f. « action de
souhaiter », lat. orare, alb. uroj « souhaiter de longues années, bonheur,
etc. » (Fj., p. 592).
Habillement
dr. iie « chemise de femme », s.f., lat. linea (Puçcariu, EW, p. 67), alb.
linjë « id. » (Fj., p. 273).
dr. mârgea (ar. mârdzeao, mégi, mârdzeaua), s.f. « perle », lat. margella
« corail » (ILE, p. 191), alb. marcel « boucle ronde de ceinture, de couleur
jaune, imitation du louis d'or que les femmes portent comme ornement »
(Fj., p. 291).
LES ÉLÉMENTS LATINS 149
Habitat
dr. scoartâ, s.f. « couverture », lat. scortea, alb. shkorsë « tapis, tapis en
poils de chèvre, dans une chambre habitée » (Fj., p. 528).
Nature
dr., ar., mégi., pom, s.m. « arbre fruitier », lat. pômum, alb. pemë « arbre
fruitier; fruit» (Fj., p. 387).
dr., ar., §es «plaine», lat. sessum, alb. shesh «plaine, champ» (Fj.,
p. 519).
Titre de noblesse
dr. împârat, mégi, ampirat, s.m. « empereur », lat. imperator, alb. mbret
«roi, empereur» (Fj., p. 300).
Harnachement
dr. §ea, ar., mégi., §auâ, s.f. « selle », lat. sella, alb. shalë « selle (de che-
val) » (Fj., p. 514 ; cf. dr. §ele, ar. §ale, sel'î s.f.pl. « reins », Graur, p. 113,
n° 7795 ; alb. shalë « partie intérieure de la cuisse ; jambe ».
dr. turba, ar. turbu, mégi, anturb, istr. turba, vb. « enrager », lat. turbare,
alb. tërboj « irriter, enrager » (Fj., p. 563).
1
V . les textes publiés par S. PUÇCARJU, Études de linguistique roumaine, Cluj — Bucureçti,
1937, pp. 6 6 - 6 8 .
V. notre exposé ILR, 352-354.
152 HISTOIRE DU ROUMAIN ET DES LANGUES BALKANIQUES
1. e. Au début de la syllabe, e est réalisé comme ie' : dr. ieri, ar. a(i)eri<
lat. Jieri.
Cette diphtongue est aujourd'hui monophonématique, tant au nord qu'au
sud du Danube 7.
2. Précédé par n, e n'a pas été diphtongué : dr. inel, ar. nel < lat. anellus.
3. Suivi par n ( + consonne) e est passé à i: dr. bine, ar. g'ini < lat.
bene.
4. e suivi par n géminé ou par le groupe mn n'a pas été altéré, car dans
ces cas, l'occlusive nasale faisait partie de la syllabe suivante : 1. dr.
pana, ar. peanà < lat. pinna, 2. dr., ar. lemn < lat. lignum.
5. La métaphonie sous condition de e et de o accentués, que nous
allons examiner maintenant, est une particularité caractéristique du rou-
main. Les diphtongues ea' et ça', qui en ont résulté, sont biphonématiques.
Les faits sont les suivants :
lat. e' — a (â) > ea' : dr. cearâ, ar. tearâ < lat. cera.
lat. e' - e > ea' : dr. lege (XVI 8 s. leage), ar. leadze < lat. legem.
lat. o' - a (â) > ça' : dr., ar. coadâ < lat. coda.
lat. o' - e > ça' : dr. floare, ar. floari < lat. florem.
Dans les mots issus du slave méridional et du néo-grec, seuls e' et o'
suivis de a (à) ont été diphtongués. La diphtongaison n'a pas eu lieu lors-
que e' ou o' étaient suivis, dans la syllabe suivante, d'un e :
o'- a (â) > ça' : dr., ar. eoasâ : v. si. Tcosa, dr. coalâ < n.-gr. xôXXa.
o' - e : la diphtongaison n'a pas eu lieu : dr. cobe, ar. cob : v. si. Jcobï.
Par la suite, ë (un è très ouvert ou la diphtongue ea', en bulgare oriental
et en macédonien) des mots bulgares qui ont pénétré en roumain a été
rendu par la diphtongue ea, qui figurait déjà, comme on vient de le voir,
dans le système phonologique du roumain.
Le passage de e à ea', ou de o à ça', lorsque ces voyelles étaient suivies
d'un a (â), dans les mots roumains issus du latin, du slave ou du néo-grec
s'explique suffisamment par métaphonie (groupement de la voyelle sui-
vante, a ou â, avec la voyelle accentuée e ou o, de la syllabe précédente).
Mais le passage de e ou o à ea', ça', quand la syllabe suivante contenait un
e, suppose une étape intermédiaire, à savoir un è ouvert : ee > ee' > ea'.
Ainsi, e et o dans les mots autres que ceux issus du latin, n'ont pas
subi la diphtongaison : le phénomène, accompli à une étape antérieure,
ne s'est pas renouvelé 8.
7
Selon A. A v r a m , SCL, X V , 1964, pp. 361 — 362, dans fier, ie' était pareillement initial
de syllabe : fi-ier.
8
V. ci-dessous, Sur la diphtongaison des voyelles e et o en roumain, p. 224.
154 HISTOIRE DU ROUMAIN ET DES LANGUES BALKANIQUES
» V. ML, p. 148.
10
V. ILR, p. 364.
11
V . M. CARAGIU-MARIOTEANU, SCL, X I V , 1 9 6 3 , p. 3 1 9 .
SUR LE ROUMAIN COMMUN 155
12
V. ILR, p. 249.
« V. ILR, p. 383.
14
V. notre Étude sur le rhotacisme en roumain, Paris, 1924, pp. 48 — 51.
15
V. ILR, p. 338-339.
16
II faut dire que la disparition de l'n, en dacoroumain (v. ILR, p. 371 — 372), n'est pas trop
ancienne ; au X V I e siècle, les t e x t e s notent par uo le *uà, qui provient de unâ.
Dans dr. frtu, grtu et brtu < lat. frenum, granum et thrace *brenu, le dacoroumain se
sépare là encore de l'aroumain, qui connaît des formes à n conservé : brin, frln, ftrnu, grtn, glrnu.
A noter que l'occlusive nasale est conservée en dacoroumain dans les formes du pluriel
frtne, grtne (et brtne, avec un sens spécialisé ; v. ILR, p. 368).
Ces faits sont donc postérieurs à l'époque du roumain commun.
SUR LE ROUMAIN COMUN 157
2. I vélaire intervocalique est passé à r : dr. burete, ar. bureati < lat.
boletus.
s, v. ci-dessus.
bl. b du groupe bl intervocalique est passé à u o u a disparu : dr., ar.
sulá < lat. subla.
br. b du groupe br intervocalique est passé à » o n a disparu : dr. dur,
mégi. t¡ur < lat. cibrum.
cl. gl. I des groupes cl, gl a été palatalisé, puis mouillé : dr. cheie, ar.
cl'ae < lat. clavis, dr. ghiafâ ar. gl'atâ < lat. glacia. Tel' est conservé en
aroumain. La réduction du groupe kl' en h' (k palatalisé) est du fait du
dacoroumain ; le phénomène est tardif, car kl' est attesté encore au XVI e
siècle : Urecle (n. pr.). (k' fait partie, comme on l'a vu, de l'inventaire de
phonèmes du roumain commun).
se. Le groupe initial se- a été sonorisé en zg : dr., ar. zgurâ < lat. scoria.
st. s du groupe lat. st, suivi par e, i, est passé à J< : dr. creste, ar. creaçtiri
< lat. ereseere, cîçtiga, ar. cîçtigari < lat. castigare.
Remarques finales. — Le roumain, à l'époque de communauté, était
parlé, comme on l'a vu, sur un vaste territoire, au sud et au nord du Danube.
La séparation entre le groupe du sud et celui du nord est une chose accom-
plie au X e siècle.
Il convient de séparer les innovations phonétiques communes aux deux
groupes, et la création d'un système phonologique commun, des innova-
tions ultérieures, qui se sont développées d'une manière indépendante
dans chacun des groupes. Le passage de e, suivi de » ( + consonne), à i,
la diphtongaison de Ve en ie, la métaphonie des voyelles accentuées e
et o, suivies, dans la syllabe suivante, de a (a) ou e, et le passage de a inac-
centué à à comptent parmi les traits caractéristiques de la phonétique et
de la phonologie du roumain commun. Il faut signaler, ensuite, le passage
de o inaccentué à u, et l'altération des consonnes suivies d'une voyelle
prépalatale, dont les débuts datent de l'époque du latin. Dans le traite-
ment de Vn intervocalique, le dacoroumain se sépare de l'aroumain. Le
traitement de l, devant une voyelle prépalatale, de l vélaire intervocalique
et des groupes cl, gl est pareil dans les parlers du nord et du sud du Danube.
E t de même, celui des groupes se et st.
Le roumain commun était phonétiquement unitaire, mais sur quelques
points importants, les parlers du sud du Danube ont eu une évolution
différente, tout en partant d'un état commun.
Les éléments slaves qui ont pénétré en roumain à une époque ancienne
forment plusieurs couches, que l'on peut dater en prenant pour critère
certains traitements phonétiques subis par ces éléments.
Ainsi, il est admis que les mots dans lesquels Y. si. ç a subi le traitement
un, en roumain, sont les plus anciens (ainsi : dr. cumpànâ : v. si. Tcçpona ;
dr. dumbravâ: v. si. dçbrava, etc.), tandis que ceux dans lesquels v. si.
g est rendu par în (< ân), sont plus récents (postérieurs au 12e siècle :
dr. oblînc : v. si. oblçM, etc.) 1 .
Parmi les mots slaves qui ont pénétré à une époque ancienne en roumain,
on compte aussi ceux, attestés en bulgare au 10e siècle, dans lesquels les
diphtongues à liquides or et ol du slave commun n'ont pas subi la métathèse,
ainsi dr. baltâ, daltâ et gard. Plus tard, le roumain a emprunté au slave
méridional des mots dans lesquels la métathèse a eu lieu : dr. grâdinâ,
grajd, plaz, prag, etc 2 .
M. Vladimir Georgiev a attiré récemment l'attention sur le fait que
dans un parler bulgare archaïque (à Tichomir, près de la frontière grecque),
la voyelle o n'apparaît que sous l'accent ; dans tous les autres cas, on
trouve un a 3 .
Ce traitement particulier se retrouve dans une série de toponymes
grecs d'origine slave recueillis par M. Yasmer, et antérieurs, eux aussi, au
10e siècle.
Ainsi pàXrouxa < v.bg. Blatûlco, Tapi-rera : cf. bg. Qorica, etc. 4
Nous avons examiné naguère ce problème, en nous fondant sur le même
ouvrage de M. Yasmer (Die Slaven in Griechenland, Berlin, 1941).
Nous avons expliqué le fait que certains de ces toponymes, répandus sur
le territoire de langue grecque, montrent des traitements antérieurs à
ceux que les mêmes sons du slave méridional ont subi en roumain, par ceci,
1
V. ILR, p. 3 3 9 - 3 4 2 et 6 1 5 - 6 1 7 .
* ILR, p. 3 4 2 - 3 4 3 .
3
Vladimir Georgiev, « Problèmes phonématiques du slave commun », Revue des études slaves,
X L I V (1965), 7 - 1 2 .
4
Georgiev, l.c., 9.
CHRONOLOGIE DES ÉLÉMENTS SLAVES MÉRIDIONAUX DU ROUMAIN 159
1 Abréviations:
Mladenov = S t . M l a d e n o v , Etimologiëeski i pravopisen reinik na bàlgarskija kni-
ïoven ezik, Sofija, 1941.
Mihäilä = G. M i h ä i I ä, Imprumuturi vechi sud-slave In limba românà, Bucureçti, 1960.
T. Papahagi, D = T a c h e Papahagi, Dicfionarul dialectului aromân général fi
etimologic, Bucureçti, 1963.
Petkanov = I v a n P e t k a n o v , Les éléments romans dans les langues balkaniques,
Actes du Xe Congrès international de linguistique et philologie romanes, Strasbourg, 1962,
Paris, 1965, III, 1159-1176.
Tamâs W = L a j o s T a m â s , Etymologisch-historisches Wörterbuch der ungarischen Ele-
mente im rumänischen, Budapest, 1966.
Vasmer W = M a x Vasmer, Russisches etymologisches Wörterbuch, I—III, Heidelberg,
1953-1958.
2 V. E m. V a s i 1 i u, dans Omagiu lui Al. Rosetti, Bucarest, 1965, p. 9 7 7 - 9 7 8 .
EMPRUNTS ANCIENS D U R O U M A I N . 161
3
L'explication de dr. juptn, stàptn, sttnâ, smtnttnâ par le latin, reprise par E. P e t r o v i c i ,
Le latin oriental possédait-il des éléments slaves?, RRL, X I , 1966, p. 313 — 321) ne saurait être
retenue, car elle est fondée sur des reconstructions hypothétiques et ne tient pas compte du
fait que les mots en question ont des représentants dans toutes, ou dans la majorité des langues
slaves, et non seulement en slave méridional.
11 - C. 679
162 HISTOIRE D U R O U M A I N ET DES LANGUES BALKANIQUES
1. dr. bivol « buffle » : v. si. byvolü (Mihäilä, 77, mais ne figure pas dans
Sadnik-Aitzetmüller), bg. bivol, s.-cr. bivo < lat. (bos) bübalus (Yasmer
W., I, 139, s.v. ; Mladenov, 28, s.v., Petkanov, 1164).
2. dr. candelä «veilleuse»: v. si. kanûdilo, bg., s.-cr. kandilo < lat.
eandela, par intermédiaire du gr. xavSvjXa (Vasmer W, I, 517, s. v.
Sadnik-Aitzetmüller, 44, sv., Mladenov, 230, s.v. : du grec).
3. dr. colindà « cantique de Noël », ar. colinda « la veille de Noël »
(T. Papahagi, D, 304 s.v.) : v. si. Icolçda « Neujahrstag » (Sadnik-Aitzet-
müller, 45, s.v.), bg. Mleda « Weihnachtsfest » (Mladenov, 246, s.v.),
s.-cr. kôleda « Weihnachtslied » (Yasmer W, I, 606) < lat. calendae (et
non par le grec). V. nos remarques, avec indications bibliographiques,
dans ML, 330.
4. dr. cräciun « la fête de Noël », ar. eràciun « Noël ; bûche de Noël »
(T. Papahagi, D, 308, s.v.) doit être expliqué, comme nous l'avons
déjà montré, par le lat. creationem (v. notre exposé, ML, 324—330),
emprunté au latin balkanique par le slave méridional (bg. Kracun « ein
Tag um Weihnachten », Mladenov, 256, s. v., Vasmer W, 633, s. v.), et
passé ensuite en roumain.
5. dr. otet «vinaigre»: v. si. ocïtu (Sadnik-Aitzetmüller, 74, s. v.,
Mihäilä, 62), bg. ocet (Mladenov, 405, s. v.) < lat. aeëtum (Yasmer W, II,
294—295 : peut-être par got. akeit, explication que Skok, Zs. Bom. Phil.,
XLVI, 1926, p. 394 conteste).
6. dr. rusalii « Pentecôte » (v. nos remarques, ML, 331) : v. si. rusalija
«Pfingsten» (Sadnik-Aitzetmüller, 116, s.v.), bg. rusallca «être féminin
mythique », s.-cr. rùsâlje, rusalja < lat. rosalia « pascha rosata, rosarum »
(Mladenov, 564, s. v., par le néo-grec, ou directement du latin, Vasmer W,
II, 549).
7. dr. troian « fossé (avec pli de terrain), tranchée », bg. trojan (Vasmer
W, III, 142, Petkanov, 1163), Trojan « ville au centre des Balkans »,
TrojansM pät « route de Trajan », Trajano « route près de Sofia », Trajanov
drum «route de Trajan, en Thrace occidentale » < lat. Trajanus. V. notre
exposé, avec indications bibliographiques, ML, 331.
III. Emprunts au magyar, par l'intérmédiaire du slave méridional.
1. Nous avons expliqué le traitement par î (< ä) de dr. gînd «pensée,
imagination, intention » < mag. gond (attesté à partir du XV-e s.), par
intermédiaire slave, mag. o -f n ayant subi le même traitement que v. si.
ç: ä >î (v. notre exposé dans ILE, p. 298—299). Il faut cependant
tenir compte du fait que, à part ce mot, il y en a aussi d'autres, ainsi dr.
dîmb « colline » < mag. domb, et, comme l'a indiqué avec justesse L.
Tamâs (W, 298—299 et 386—387), d'autres mots roumains d'origine
magyare avec l'hésitation entre u-î ( < mag. o -f n, m) : dr. bolund, bo~
E M P R U N T S ANCIENS DU ROUMAIN.., 163
lînd < mag. bolond, dorungâ, dorîngâ < mag. dorong, golumb, golîmb
< mag. galamb.
Ceci prouve que l'p magyar, suivi d'une nasale, a été traité en roumain
de la même manière que l'ç> slave.
Il se peut, donc, que dr. dîmb et gînd aient pénétré en roumain par
l'intermédiaire du slave : gînd est général, en dacoroumain, et dîmb est
signalé en Transylvanie et dans la moitié septentrionale de la Moldavie
(répartition territoriale attendue, pour un mot d'origine magyare ; la
Yalachie et la Dobrogea connaissent des termes tels que movilâ, etc.)4. Mais
les autres mots cités ci-dessus, qui sont signalés seulement dans les parlers
roumains de la Transylvanie, mettent en doute cette explication et font
pencher la balance pour un emprunt direct au magyar.
2. Les verbes dacoroumains en -ui ( < m a g . i : alkatni, bântani, etc.)
< si. -ovati : aldovati > dr. aldui, bantovati > dr. bîntui, engedovati > dr.
îngàdui, felelovati > dr. felelui5.
IV. Noms de rivières. La forme phonétique de quelques noms de rivières
du domaine dacoroumain prouve que les noms d'origine thrace (ou autre)
ont passé par une filière slave méridionale.
Ainsi : Ampoi, Arges, Buzâu, Mureç, Siret, Timiç 6.
(Romanoslavica, X V I , 1968, p. 1 9 - 2 2 )
4
V. Atlasul lingvistic román, serie nouà, vol. III, Bucureçti, 1961, carte 809.
* V. ILR, p. 419.
6
V. ILR, p. 227 — 228 et V. G e o r g i e v , Introduzione alla storia delle lingue indeuropee,
Roma, 1966, p. 3 5 9 - 3 6 0 . Pour C. P o g h i r c (Rev. roum. de ling., X I I , 1967, p. 25),
« loin d'être transmis par l'intermédiaire s l a v e . . . la majorité des hydronimes (cités ci-dessus)
présentent des changements phonétiques spécifiques au daco-mésien tardif, inexplicables par
le slave parlé au moment de la venue des Slaves ». Ces traitements sont s > S et a > o. Il faut
dire que, dans l'état actuel de nos connaissances, une telle affirmation est pour le moins hâtive.
Le traitement s > í est prévu et ancien, et il a pu été transmis tel quel par le slave, comme nous
l'avons montré dans notre exposé précité.
SUR LA LANGUE SLAVE DES CHARTES VALAQUES
DES XIV e -XV e SIÈCLES
1
S. B. Bernstein, Razyskanija v oblasli bolgarskoj istoriceskoj dialektologij, tome I : jazyk
bolgarskih gramot XIV—XV vekov, Moskva—Leningrad, 1948.
2
Ultérieurement Bernstein est revenu sur cette affirmation, en admettant l'existence, à cette
époque, d'une population autochtone en Valachie (S. B. Bernstein, Cu privire la legàturile ling-
oistice slavo-române, dans Omagiu lui Iorgu Iordan, Bucureçti, 1958, p. 78 — 79).
LA LANGUE SLAVE DES CHARTES VALAQUES DES XlVe—XVe S. 165
3 V. ILR, p. 286 et s.
4 G. Mihäilä, dans le c.r. du livre précité de Bernstein (SCL, VII, 1956, p. 143 — 149),
observe avec raison que Bernstein ne donne aucune précision sur les parlers bulgares nord-
danubiens.
5 St. Mladenov, Geschichte der bulgarischen Sprachen, Berlin —Leipzig, 1929.
166 HISTOIRE DU ROUMAIN ET DES LANGUES BALKANIQUES
6
V. notre e x p o s é dans ML, p. 317 et s.
LA L A N G U E SLAVE DES CHARTES VALAQUES DES XlVe—XVe S. 167
7
Bernstein (p. 240, 241) admet que dans la première moitié du X V e siècle on peut remarquer,
dans la langue des chartes de Valachie, la croissance de l'influence du roumain et l'apparition
d'expressions spécifiquement roumaines. Dans les chartes des X V I e — X V I I I e siècles on trouve
beaucoup de « roumanismes » (B., p. 38).
SUR LA CONFIGURATION DIALECTALE
DU DACOROUMAIN
1
E m a n u e l Vasiliu, Fonologia istoricà a dialectelor dacoromâne, Bucureçti, 1968.
2
Al. Philippide, Originea Românilor, II, Iasi, 1927, p. 47.
LA C O N F I G U R A T I O N DIALECTALE D U D A C O R O U M A I N 169
3
V. ML, p. 149.
4
ILR, p. 4 8 7 - 4 8 8 et 532.
6
J'ai consulté tous les matériaux de l'ALR, comme suit :
ALRM, cit.
ALR : brlndufà: II, s.n. vol. III, c. 643.
„ : bucfà: II, s.n., vol. II. c. 342.
„ : cirjà: II, MN, 4202, p. 6 1 ; 3926, p. 148.
„ : coajà: II, vol. I, s.n. 206, 2 1 3 ; vol. II, 607.
,, : gâinuçâ : II, s.n., vol. III, 644.
„ ; guçà: II, MN, 6951, p. 22.
,, : mâcefe: II, s.n., vol. III, 631.
„ : mâlufà : I, vol. II, 167, 168.
„ ; moafâ : I, vol. II, c. 2 1 2 ; II, MN, 2651, p. 71.
„ : napâ : vol. II, c. 2 1 7 ; II, MN, 2683, p. 79.
,, : (epufà: 11, s.n., vol. II, 357.
170 HISTOIRE DU ROUMAIN ET DES LANGUES BALKANIQUES
carte à l (â) e
ALRM, I, vol. II, Moldavie (rare), Valachie, Moldavie, Valachie f dans la Transylvanie
c. 235 : màtufà Transylvanie de l'ouest, e en
Olténie, Valachie
Nord-ouest de la Molda-
ALRM, I, vol. II, vie, nord et sud de la Moldavie, Valachie e et -ç: ouest de la
c. 296 : moafâ Valachie et de l'Olténie, Transylvanie, Olténie
Transylvanie
•
Nous dirons, pour conclure, qu'un exposé fondé sur la réalité linguistique,
fournie par des textes écrits et, pour les parlers actuels, les cartes de VALB,
aboutit à des résultats différents de ceux présentés par E. Vasiliu.
L'hypothèse est, à coup sûr, indispensable, dans la recherche scientifi-
que. Mais lorsque les faits la démentent, il faut l'abandonner.
* Au cours du présent exposé nous avons fait usage des abréviations suivantes :
CB = Cuvente den bàtilni, éd. B. P. Hasdeu. CT = Coresi. Evangheliar, 1561. CV = Codicele
Voronefean, éd. Sbiera. DR = Dacoromania, Cluj. H = Psaltirea Hurmuzaki, dans l'éd. Can-
drea. PO = Palia de la Oràçtie, éd. M. Roques. S = Psaltirea Scheianà, éd. Candrea. T = Car-
tea de clntece, 1570 — 1673, éd. Sztripszki-Alexics.
1
Ed. dans SCL, XV, 1964, Nous renvoyons au chapitre et au paragraphe respectif de
l'ouvrage.
172 HISTOIRE DU ROUMAIN ET DES LANGUES BALKANIQUES
raie, les exemples tirés d'un seul texte (Cod. Vorone^ean) s'opposent aux
matériaux extraits des autres textes du XVI e siècle.
En effet, Codicele Yorone^ean occupe une situation particulière parmi
les autres textes du XVI e siècle.
Comment convient-il d'interpréter cette opposition entre le Codice
VoroneÇean et tous les autres textes?
Etant donné que les recherches antérieures ont établi que la traduction
originale sur laquelle a été copié l'exemplaire connu sous le nom de « Codice
Vorone^ean », a été effectuée à la même date ou à une date rapprochée
de la traduction des autres textes rhotacisants, et que la traduction a été
effectuée dans la même région, il s'ensuit que les particularités phonéti-
ques ou phonologiques du Codice VoroneÇean ne sont ni des archaïsmes,
ni des régionalismes provenant d'un autre territoire.
Les données du Codice VoroneÇean devront donc être interprétées
à la lumière de ces données : si l'état phonétique ou phonologique
supposé du CV s'oppose à l'état donné par les autres textes rhotaci-
sants, alors l'explication de cette anomalie devra être cherchée dans
un autre domaine que celui de la phonétique ou de la phonologie.
Et notamment, dans des considérations sur la graphie des textes du
XVI e siècle.
Car nous ne pouvons pas admettre que dans telle localité du nord de la
Transylvanie ou du Maramureç, où a été effectuée la traduction roumaine
des Actes et des Epîtres des Apôtres, u, par exemple notait en position
finale post-consonantique une voyelle syllabique (Avram, ch. IV, § 2,6)
tandis que dans une localité voisine ou dans la même localité cette voyelle
finale n'existait pas.
Dans cette occurrence, les considérations sur la syllabation des lettres,
pendant l'écriture, peuvent nous venir en aide, comme nous l'avons montré
autre part (L, p. 93—96) et, pareillement, l'examen de la graphie d'un
texte imprimé avec des lettres latines (T : Cartea de cîntece-psalmi de
Pavel Tordasi, imprimée probablement à Cluj ou à Oradea-Mare, en 1570 —
1573), qui ont l'avantage de nous éviter les incertitudes d'interprétation
dues à l'intervention des copistes. Ce texte étant imprimé en caractères
latins, nous permet d'éviter les hésitations liées à l'interprétation des lettres
cyrilliques : t , k, e, a, etc.)
Au cours de notre exposé, nous ferons donc appel, chaque fois que la
chose sera nécessaire, au témoignage de T.
*
Nous relevons dans l'exposé d'Avram, comme dans ceux d'autres cher-
cheurs, la tendance d'attribuer aux copistes des exemples contradictoires
SUR LA PHONÉTIQUE ET LA PHONOLOGIE DU ROUMAIN AU XVie S. 173
2
ILR, p. 4 8 3
3
Mais il l ' a d m e t dans d'autres cas, par ex. dans l'alternance "feÎM)-« (ch. II, § 5) ou dans
la n o t a t i o n de à, t (ch. V, § 4 in fine).
4
Les t e x t e s offrent des e x e m p l e s de la n o t a t i o n par e aussi dans les cas obliques, lorsque i
ne suivait p a s i m m é d i a t e m e n t dans la syllabe s u i v a n t e , ainsi, dans CV : legeei, 55/2, legiei,
29/13, 119/2, 1 2 9 / 1 4 ; legeei, dans H , Candrea, S, p. 178/19.
174 HISTOIRE DU R O U M A I N ET DES L A N G U E S B A L K A N I Q U E S
e ( + n) et i ( + n)
» I L R , p. 448-449.
SUR LA PHONÉTIQUE ET LA PHONOLOGIE DU ROUMAIN AU XVI» S. 175
6
ML, p. 148. Le passage de à à / ou à / est conditionné par la qualité de la voyelle de la syllabe
suivante : vtnâ, mais pl. vine : v. ML, p. 151 — 153.
' ILR, p. 4 9 3 - 4 9 6 .
8
CB, III, p. XV.
9
ILR, p. 495.
10
V. N. Drâganu, DR, IV, 1927, p. 145.
176 HISTOIRE D U R O U M A I N ET DES L A N G U E S BALKANIQUES
u final
En ce qui concerne Vu final, le CV est le seul texte qui le note d'une manière
conséquente, la notation avec les jers étant rare ; dans les autres textes du
XVI e siècle, la notation avec -u alterne avec la notation par les jers.
Avram remarque que l'aire de -u, de nos jours, est rapprochée de la
région dans laquelle il est supposé que les premiers livres religieux ont été
traduits en roumain.
Il considère que dans CV la notation avec -u correspond à la réalité
phonétique : u final faisait partie des sons ou phonèmes de la langue parlée.
Mais si nous adoptons cette thèse, l'état phonétique des autres textes
reste inexpliqué.
D'autre part, il ne nous est pas dit comment s'explique la notation
avec -u dans des mots qui n'ont jamais possédé un -u final.
Car si cet -u provient de Vu latin, comme l'admet Avram, cette expli-
cation n'est plus valable pour les graphies avec -u du CV, dans des mots
comme : rodu, kipti (3 fois), alënu (4 fois), zboru (2 fois), eresu (2 fois),
sîntu (3 pl. ind. pr. du vb. a fi, 3 fois), gàndu (3 fois), glasu (3 fois),
gudetu (3 fois), izvoru, istovu, Iacovu (4 fois).
Ces exemples sont suffisants pour annuler l'explication ayant trait à
la réalité de u comme son ou phonème. Ils montrent sans aucun doute,
que la notation de V-u est une habitude graphique sans valeur phonétique
ou phonologique.
Notre explication n'exclut cependant pas l'existence de la prononciation
avec -u. Mais les graphies du CV ne nous autorisent pas de signaler la
prononciation avec -u au XVI e siècle.
Par conséquent, telle étant la situation, nous devons nous contenter,
dans l'état actuel de nos connaissances, de l'explication que E. Petrovici
et nous-même avons donnée de la graphie avec -w11.
Le fait que l'écriture avec -u est un fait de graphie est démontré à
l'aide du témoignage de T, où nous pouvons relever les exemples suivants :
sans -u : timpul 148/4, kurn 148/5, domnul 150/1, skulatul 150/3, ~kum
156/13, meçterul 158/15, Unul 160/6,
avec -u: muritu 148/12, akmussu 148/1.3, trupulu 148/3, orassu 150/2,
uaku 154/9, ramanu 156/12, suentu 156/1, kipu 156/1, uemiku 156/4,
lukrullu 158/6, darulu 158/8, svatu 164/8.
Des exemples tels que orassu ( = ora§), vaku ( =veac) ou kipu ( =chip),
de T, dont l'étymon n'a jamais comporté un -u, prouvent abondamment
11
L, p. 93-96.
SUR LA PHONÉTIQUE ET LA PHONOLOGIE DU ROUMAIN AU XVIe S. 177
Les diphtongues
12 ILR, p. 443.
13 V. L, p. 9 3 - 9 4 .
11 ML, p. 176 et s., 249 et s.
15 CB, suppl. au t. I, p. L X X V .
12 - 0. 579
178 HISTOIRE DU ROUMAIN ET DES LANGUES BALKANIQUES
*
Dans sa « conclusion », Avram montre que le système phonologique des
voyelles, au XVI e siècle, comportait des éléments qui ont subi plus tard
des transformations. Le graphique contient les voyelles de timbre à (la
diphtongue ed) et â (la diphtongue ça). à manque, dans la série médiale
(car la différenciation entre a et î ne s'était pas encore produite), voyelle
que Avram considère en dehors de la série, mais faisant partie du système
vocalique du XVI e siècle.
18 V. ILR, p. 3 3 3 - 3 3 4 , 3 6 0 - 3 6 2 .
17 La notation par o, comme nous l'avons montré dans ILR, p. 455 et 506, s'explique par le
fait que la diphtongue n'existait pas en v. slave et non plus en magyar, d'où les notations de
T : tota, omeny, morte, flore, etc. La prononciation avec à (ouvert) de nos jours, relevée dans
les parlers de Transylvanie, est attribuée par I. Pàtrut, SCL IV, 1953, p. 212 à l'influence
magyare.
SUR LES BASES DU ROUMAIN LITTÉRAIRE
Ces derniers temps il a été élevé des objections relatives à la thèse selon
laquelle le sous-dialecte valaque formerait la base du roumain littéraire,
à partir du XVI e siècle. G. Istrate, en partant de l'affirmation que le diacre
Coresi, venu de Braçov à Tîrgoviçte, n'aurait pas participé à la traduction
des livres roumains qu'il a imprimés, élimine le sous-dialecte valaque de la
discussion et lui substitue le parler de la région Bra§ov-Orâ§tie 1 .
L'argumentation de Istrate est cependant déficiente.
Istrate pose une prémisse indémontrable : que Coresi n'aurait pas par-
ticipé à la traduction des livres qu'il a imprimés.
Les informations concernant l'activité du diacre Coresi sont, à la vérité,
extrêmement sommaires. Mais dans l'état actuel de nos connaissances,
l'affirmation que le diacre Coresi a participé ou non à la révision des tra-
ductions venues du Maramureç, qu'il a imprimées, ou à la traduction des
versions de la Cazania I et II, est gratuite. C'est pourquoi nous sommes
d'avis que l'on ne peut tirer aucun argument, pour ou contre, de ce genre
de considérations.
D'autre part, il faut constater que Istrate n'a pas vu que la référence
à Coresi est inutile, du moment que tous les chercheurs sont d'accord qu'il
n'existe pas de nos jours, et qu'il n'a pas existé au XVI e siècle, un sous-dia-
lecte du sud de la Transylvanie, le sud de la Transylvanie étant en effet
groupé, du point de vue linguistique, avec le territoire de la Valachie
voisine 2.
1 G. Istrate, Originea si dezuollarea limbii romane literare, Analele ?tiin(ifice aie Universitâfii
„Al. I. Cuza" din Iapi, serie noua, t. III, 1957, p. 77 — 9 6 ; Ici. Originea limbii romane literare;
noi contribuai, op. cit., t. VI, 1960, p. 67 — 7 8 : « J ' a i combattu le point de vue de ceux qui
placent nos premiers livres imprimés dans la zone Tîrgoviçte — Braçov, parce que le diacre
Coresi n'était pas le traducteur des livres qu'il a imprimés, mais seulement leur typographe »
(p. 6 7 - 7 8 ) .
2 E . Petrovici, Repariifia graiurilor dacoromâne pe baza Atlasului lingvistic roman, Lit, III,
5, p. 5 — 1 7 : « L a Transylvanie n'a p a s . . . un dialecte propre, mais le sud de cette province
est groupé, du point de vue dialectal, avec la Valachie » (p. 7). Id., Baza dialectalâ a limbii
noastre nafionale, LR, I X , 1960, 5, p. 60 — 78. Parmi les cartes dialectales qui accompagnent
180 HISTOIRE DU ROUMAIN ET DES LANGUES BALKANIQUES
l'exposé, nous m e n t i o n n o n s celles dans lesquelles l'aire v a l a q u e renferme aussi Braçov et ses
e n v i r o n s ; c. 4 rinichi; c. 6 ; ei spune; c. 7 : bea; c. 8 : vâz; c. 9 : mâ tunz; c. 12 : ginere;
c. 14 : pisicâ; c. 13 : zâpadâ; c. 16 : porumb. V. aussi R . T o d o r a n , Cu privire la reparti-
(ia graiurilor dacoromâne, LR, V, 1956, 2, p. 38 — 50. Les cartes dialectales 1, 2, 3, repro-
duites par l'auteur, nous p e r m e t t e n t de constater que la Valachie et le s u d de la T r a n s y l v a n i e
f o r m e n t une seule aire. Id., Noi particularitâfi aie subdialectului dacoromân. Cercelàri de lingvis-
ticâ, V I , 1961, p. 43 — 73 : le dialecte du s u d - e s t de la T r a n s y l v a n i e forme groupe a v e c celui
de la Valachie. <« D u point de v u e s t a t i s t i q u e , les particularités du sous-dialecte v a l a q u e qui
ont pénétré dans la langue littéraire sont b e a u c o u p plus n o m b r e u s e s que celles qui p r o v i e n n e n t
du sous-dialecte m o l d a v e . . . A la base de notre l a n g u e littéraire nationale se t r o u v e le sous-
dialecte du sud (valaque) » (p. 71). V. aussi I. Coteanu, Elemente de dialectologie a limbii
române, Bucureçti, 1961, p. 74 — 75 et la carte (fig. 9).
8
G. Istrate, Originea limbii române lilerare. Noi contribuai, loe. cit.,
4
V . ILR, p. 580-581.
6
Çt. Paçca, Problème in legàlurà cu tnceputul scrisului románese. Cercetári de lingvisticá, II,
1957, p. 56-57.
SUR LES BASES DU ROUMAIN LITTÉRAIRE 181
MIHAIL EMINESCU
ET L'EXPRESSION POÉTIQUE ROUMAINE
La poésie toute entière I)e-a§ avea (Si j'avais) n'est qu'une seule con-
struction rhétorique, dont la rigidité se trouve annulée d'heureuse manière
par la vivacité du mètre populaire de 7—8 syllabes. La proposition prin-
cipale de cette longue phrase qu'est la poésie De-a§ avea, se trouve à la
fin, dans le vers antépénultième, à savoir le 22e : I-a§ cìnta doina, doinita,
reprise et amplifiée dans les deux derniers vers. Les trois strophes sont
composées chacune d'une proposition conditionnelle, introduite par de :
De-as avea si eu o floare (Si j'avais une fleur), De-aç avea o floricicà (Si
j'avais une fleurette), De-a$ avea o porumbitâ (Si j'avais une colombelle).
Ces propositions sont ensuite développées dans les autres strophes ; ainsi,
dans la première strophe, chaque vers détermine un mot du vers antérieur :
9 v. L. Gâldi, Din atelierul tlnàrului Eminescu. Glasul poelului profet, dans « Limba romînâ »,
I X , 1960, nr. 4, p. 47.
188 HISTOIRE DU ROUMAIN ET DES LANGUES BALKANIQUES
milliers fuient autour de lui / Nageant sur les vagues de l'instant / jusqu'au
moment où périt la dernière orbite) ; limbâ (peuple) : Un sultan dintre
aeeia ce domnesc peste vro limbâ [I, p. 142] (Un sultan d'entre ceux qui
régnent sur un peuple) ; de même dans les variantes [II, pp. 294, 303] ;
schiptru (sceptre) : tapàn, drept eu schiptru-n mina [I, p. 85] (raide et
droit, son sceptre à la main); de même dans les variantes [I, pp. 406 —
419].
Néologismes. Dans les poésies de jeunesse, alors que le poète n'était pas
encore maître de tous les moyens d'expression et tâtonnait, à la recherche
d'une expression juste, on le voit employer, tout comme ses contemporains,
une série de néologismes, dont certains sont demeurés dans la langue litté-
raire et d'autres ont été acceptés dans des formes modifiées 11 : a confia
(confier) : De-a§ fi mîndrâ, rîusorul / care dorul / Si-l confie cîmpului [I,
p. 5] (Si j'étais, ma belle, le ruisseau / Qui confie / Au champ son désir) ;
flamâ (flamme) : Sufletu-ti arde-n sufletul meuj C-oflamâ dulce, tainica,
linâ [I, p. 280 ms.] (Ton âme brûle en mon âme / Ainsi qu'une douce
flamme, secrète, sereine : fr. flamme, lat. flamma) ; freme (frissonner) :
cîntarea în cadentâ a frunzelor ce freme [I, p. 8] (Le chant cadencé des
feuilles qui frissonnent) ; codrul cel vechi fremea umflat de vînt [Post.,
p. 234] (La vieille forêt frissonnait, gonflée par le vent : lat. fremere,
frissonner, trembler) ; maratrâ (marâtre) : natura cea maratrâ (la nature
marâtre) [Post. ed. Iaçi, p. 72, ms. de 1869] ; orcan (ouragan) : ma topesc
tainic, însâ mer eu / De aie patimilor or cane (Je me consumme secrètement,
mais sans répit / Dans l'ouragan des passions) ; orcan : germanisme en
Transylvanie, Orkan « ouragan », [I, p. 26] ; de même dans la variante
[I, p. 279].
Dans la période de sa maturité, les néologismes s'accordent parfaite-
ment aux matériaux de la langue. Comme on l'a observé 12, Eminescu
joint le néologisme à un terme existant dans la langue, l'incorporant ainsi
au trésor de la langue roumaine.
Nous verrons dans ce qui suit que les néologismes sont introduits sous
la forme dans laquelle ils se sont imposés dans la langue et qu'Eminescu
use de manière conséquente du procédé que nous venons de signaler et
qui consiste à adjoindre au terme nouveau un terme plus ancien : si-a
créât pe pînza goalâ pe Madona dumnezeie [I, p. 29] (et il a créé sur la
toile nue la Divine Madone ; de même dans les variantes [I, p. 288—289]) ;
oceanele de stele (les océans d'étoiles) ; Delta biblicelor sînte (le Delta des
11 v. Oh. Bulgâr, Cuvinle rare In opéra lui Mihail Eminescu, dans Lit, X , 1961, nr. 1,
pp. 4 8 - 5 7 .
12 G. Càlinescu, Opéra lui Mihail Eminescu, IV, Bucarest, 1936, p. 238.
M. EMINESCU ET L'EXPRESSION POÉTIQUE ROUMAINE 191
(le cygne mourant); te apropii surîzîndâ [I, p. 42] (tu t'approches sou-
riante) ; Pe lumea eea clormindâ [I, p. 372] (En ce monde sommeillant, ms. ;
le mot n'est pas employé dans la forme définitive de la poésie Mélancolie).
L'adjectif, ce moyen essentiel de sensibilisation de l'image poétique,
lequel détenait une place d'honneur dans l'art poétique du romantisme,
est assez faiblement représenté dans les productions de jeunesse d'Emi-
nescu (nous avons en vue, surtout, les poésies publiées dans cette période).
L'écrivain utilise avec prédilection l'épithète appréciative et non pas
l'épithète sensible, évocatrice : timbra mâreatâ [I, p. 1] (ombre grandiose) ;
floare mîndrâ, râpitoare [I, p. 2] (fleur charmante, ravissante) ; balsamu-i
divin [I, p. 3] (son baume divin) ; visuri fericite [I, p. 8] (rêves heureux).
Ses épithètes sont pour la plupart les épithètes décoratives du classicisme,
qui sacrifient toujours l'image particulière au profit de la qualification
générale 13 . C'est à cette catégorie qu'appartiennent la plupart des adjectifs
à fonction d'épithète de la poésie 0 câlârire în zori (Chevauchée à l'aube),
où nous puisons quelques exemples : roz-alb Aurorâ (l'aurore blanche-rose) ;
narcise albe (blancs narcisses) ; subtire voal (voile fin) ; dalbâ fecioarâ (blan-
che jouvencelle); negrele-i buele (ses boucles noires), etc.
Nous avons signalé, au cours de notre exposé, que dans sa création
d'avant 1870 Eminescu a eu recours à un nombre relativement restreint
d'épithètes. Celles-ci proviennent de la tradition littéraire et reviennent
fréquemment sous la plume de l'écrivain : alb, dalb (blanc), blînd, dulce
(doux), jalnic (triste), lin (calme), usor (léger), tainic (secret), verde (vert)14.
On rencontre parmi elles des épithètes auxquelles les romantiques ont
souvent recours, comme, par exemple, dulce, jalnic, tainic. Nous avons
affaire, dans ce cas aussi, à l'épithète stéréotype, dont l'emploi abusif
a considérablement annulé le potentiel expressif. Quelque fréquents que
soient ces déterminants, l'adjectif n'est que peu mis en valeur dans cette
période de l'activité d'Eminescu. Son style est désormais un style qui
préfère le substantif et, dans une moindre mesure, le verbe.
L'allusion mythologique est un exercice que le jeune Eminescu prati-
quait avec ferveur. On voit ainsi apparaître dans ses vers : Eliseu (Elysée),
Ghloris, Aurora (l'Aurore), Eros, Vesta, Apollon, silfele usoare (les sylphes
légers), Erato (I, pp. 1, 3, 13, 15, 17, 26). La mythologie est également
présente dans les comparaisons auxquelles il a recours à cette époque :
Ca Eol ce zboarâ prin valuri si tipâ, / Fugarul usor / Necheazâ, s-aruncâ
[I, pp. 4, 5] (Tel Eole qui vole par les vagues et crie / Le fuyard aux
13 v. T u d o r Vianu, Epitetul eminescian, dans Problème de stil si arlu literarâ, Bucarest, 1955,
pp. 25-31.
14 T u d o r Vianu, op. cit., p. 3 3 et suiv.
M. EMINESCU ET L'EXPRESSION POÉTIQUE ROUMAINE 193
16
T u d o r V i a n u , op. cit., p. 38.
13 - c. 679
194 HISTOIRE DU ROUMAIN ET DES LANGUES BALKANIQUES
Crini ca urne antice de argint [IY, p. 92] (Des lis pareils à d'antiques
urnes d'argent) ; capul ei sur ca cenusa [P.L., p. 18] (sa tête grise comme
la cendre) ; luna trecea ca un scut de aur prin întunericul norilor [P.L.,
p. 57] (la lune passait ainsi qu'un bouclier d'or à travers l'obscurité des
nuages) ; un nouvel alb ca si cînd s-ar fi vârsat lapte pe cer [P. L., p. 104]
(un petit nuage blanc, à croire que du lait se serait épanché dans le ciel).
Plus d'une fois, Eminescu a recours aux comparaisons de la langue
courante. Ainsi, pour donner plus de vigueur à la qualité exprimée par
l'adjectif alb (blanc), il fait appel, comme on l'a vu, à la comparaison avec
la neige (zâpadâ) ou bien avec la cire (cearâ) ou la chaux (varul). Cette
dernière comparaison est reprise plusieurs fois par le poète, qui accroît
l'expressivité de l'image en approfondissant la vision concrète : Ca unse
eu var I Lucesc zidiri, ruine pe cîmpul solitar [I, p. 69] (Comme oints de
chaux / brillent des murs, des ruines dans le champ solitaire) ; Unde ajung
razele lunii par vâruite zid, podele ca de cridâ [I, p. 76] (Sous les rayons
de la lune les murs semblent passés à la chaux et les planchers sont pareils
à la craie). Les comparaisons avec le marbre (marmurâ) sont si fréquentes
dans la période 1866—1870, qu'elles en deviennent communes. Pour
évoquer de fines nuances de couleur, Eminescu détermine le substantif
menacé de tomber dans la banalité par l'épithète sensible : Fata era de
acea dulceatâ vînât albâ ca si marmura în umbrâ [P.L., p. 32] (Son visage
avait la douceur blanche-violette du marbre dans l'ombre).
Il est aisé de saisir la voie dans laquelle Eminescu s'oriente, après 1870,
quant au style. Il va de l'abstrait classique au concret romantique et il
y réussit, même s'il se voit parfois retardé par certaines hésitations et
certaines contradictions.
Dans le domaine de la métaphore, également, nous enregistrons cette
même orientation vers l'image sensible, particulière.
L'écrivain s'attache à présent à sensibiliser, à donner des contours
matériels, palpables, aux notions abstraites ou à transfigurer métaphori-
quement la substance concrète des termes désignant les éléments de la
réalité. Les notions les plus abstraites acquièrent volume, couleur, consis-
tance matérielle. Les siècles sont des arbres et leur réunion, l'histoire de
l'humanité, une forêt : Codrii de secole, océan de popoare / 8e întorc eu
repejune [IY, p. 111] (Les forêts séculaires, océan de peuples / S'en
retournent rapidement). Les rêves sont des brebis que le poète mène paître
en troupeau : Turma visurilor mêle, eu le pasc ca oi de aur [IY, p. 110]
(Je fais paître le troupeau de mes rêves, ainsi que des brebis d'or).
Les métaphores d'Eminescu sont d'une richesse et d'une plasticité
sans précédent dans la poésie roumaine. Le poète tire les effets les plus
suggestifs de la contemplation du ciel. Dans Mortua est, le ciel est dépeint
196 HISTOIRE D U R O U M A I N ET DES LANGUES BALKANIQUES
« plus grave, plus lent » apparaît dans les poésies élégiaques, pénétrées
d'un sentiment d'accablement, datant de la période finale de l'activité
littéraire de l'écrivain 22. Le mètre qui préside à la composition d'un vers
contribue effectivement à la réalisation de l'image poétique. Dans le vers :
Icoana stelei ce-a mûrit, încet pe cer se suie [I, p. 234] (l'image de l'étoile
qui s'éteint monte lentement dans le ciel), l'accent tombe sur la seconde
syllabe de chaque pied et se répète trois fois dans le même intervalle, suggé-
rant ainsi l'élévation progressive vers les cieux. Dans le vers : înâljimile
albastre / Pleacâ zarea lor pe dealuri [I, p. 210] (Les cimes azurées /
S'inclinent vers les collines), l'accent tombe sur la première syllabe de
chaque pied, dont la structure est donc descendante. Du fait de la propor-
tion des accents principaux et secondaires, ainsi que de leur position, la
descente des hauteurs est mise en relief avec beaucoup d'expressivité.
Chez Eminescu, l'idée essentielle se concentre souvent dans le mot qui
forme la rime : A fost odatâ ca-n povesti / A fost ca niciodatâ / Din rude mari
împâràteçti / 0 prea frumoasâ fata [I, p. 167] (Il fut une fois / Une fois
au temps jadis / Issue d'une souveraine famille / Une jeune fille belle
comme le jour). Ou bien : Mai am un singur dor: \ în liniçtea serii, / 8â ma
lâsati sa mor / La marginea mârii [I, p. 216] (Je n'ai plus qu'un désir :
/ Dans le calme du soir / Laissez-moi mourir / Au bord de la mer).
L'harmonie propre aux vers d'Eminescu résonne surtout dans la poésie
des années de maturité. Renonçant à présent aux ornements décoratifs,
le poète libère les réserves musicales des sons et des groupes de sons. Emi-
nescu met en valeur, avec une maîtrise sans pareille, les vertus esthétiques
de la langue roumaine, recourant à cette fin à des phonétismes empruntés
à tous les parlers. Il obtient ainsi des effets remarquables en utilisant des
phonétismes moldaves. Si Eminescu a recours à des diphtongues en -e,
comme seconde élément (ie), par exemple, dans nemîngiiet (inconsolable),
ceci tient au fait que la voyelle e de cette diphtongue est moins ouverte
que a (nemîngâiat), la grande ouverture de cette voyelle donnant l'impres-
sion d'une chute dans le vide. Mû par un instinct sûr, Eminescu a recours,
lorsqu'il en sent le besoin, à des formes à e, comme dans §ede, jele, du fait
que e rend un son plus discret que a (sade, jale). Eminescu tire le plus grand
profit, avec une maîtrise particulière, de la valeur expressive des sons du
roumain. Ainsi, l'impression de glissement, d'écoulement suggérée par les
liquides l et r se dégage des vers : « Çi se duc ca cZipele / Scuturînd aripeie »
[I, p. 214] (Et ils fuient comme les instants / En battant des ailes). Dans
les vers qui suivent, le sentiment d'écoulement mélancolique est suggéré
22 v. G. Ibrâileanu, Note asupra versului, dans Studii literare, Bucarest, 1930, pp. 151 — 177
et passim.
M. EMINESCU ET L'EXPRESSION POÉTIQUE R O U M A I N E 199
par la combinaison des liquides avec les nasales : « Ne-n\eles ranime gîwduï /
Ce-^i strâbate cmturiîe / Zboarâ veçmc, higmmÛM-l / VaîuriZe, vînturiïe ! »
[IV, p. 396] (Incomprise reste la pensée / Qui se fait jour dans tes chants
/ Elle vole sans répit, en imitant / Les vagues et les vents). Le son voilé
des consonnes nasales contribue à exprimer la mélancolie : « Peste vîrfuri
trece luwâ / Codru-çi bate frcrnza lin, / Dmtre ramuri de arin / lielancolic,
cornul sunâ / l i a i departe, mai departe / l i a i încet, tôt mai mcet, / Sufle-
tu-mi «emîwgîiet / îndulcind eu dor de moarte. / / De ce taci cmd ferme-
catâ / Iwima-mi spre tine-ntom 1 / l i a i sum-vei, dulce cor«, / Pewtru
mine vreodatâ? » [I, p. 206] (La lune passe sur les cimes / La fôret fait
bruire tranquillement ses feuilles / Entre les branches des aulnes / Le cor
sonne mélancoliquement / Sonne et sonne toujours / Doucement, toujours
plus doucement / Appaisant du désir de mort / Mon âme inconsolée. / /
Pourquoi te tais-tu lorsque mon cœur / Charmé se tourne vers toi ? / O,
sonneras-tu encore jamais / Pour moi, doux cor?).
CONCLUSIONS
23
Anghel D e m e t r i e s c u , Opere, Bucarest, 1937, pp. 224 — 225.
SLAVO-ROMANICA. DR., AR. ARAT ET PLUG «CHARRUE»
1
Dans Munfii Apuseni, en Transylvanie : Istoria Romànici, Ed. Acad. R. P. Romane,
Bucureçti, 1962, II, p. 20 (aratru [sic !] et à Rucâr (ancien district Muçcel), arat, ici avec le
sens spécialisé de «pièce du métier à tisser » : C. Lacea, Dacoromania VI, 1931, p. 339 — 340;
pl. arate « battants du métier à tisser ». Cette pièce figure dans la terminologie populaire rou-
maine, sous le nom vatalâ « b a t t a n t du métier (à tisser) », « montant du cadre » (Fr. Dgmé,
Nouveau dictionnaire roumain-français et français-roumain, V e volume, Le lexique roumain-fran-
çais et français-roumain de la terminologie paysanne, Bucarest, 1900, p. 66, s.v. ; vatalâ ; v. dans
Id., Incercare de terminologie poporanà românà, Bucureçti, 1898, p. 135, la pièce no. 9 du
métier à tisser, dans le dessin de la p. 134; aratru «aratrum, Eke » [hongrois «charrue»],
dans le Dictionariu rumanesc, lateinesc ji unguresc de loan Bobb, Cluj, 1822, I, p. 66 s.v. et
de même dans le Dict. d'étymol. daco-romane de Cihac, I, Franclort s.M., 1870, p. 14 s.v. ;
aratu, pl. -uri, dans le Lexicon valachico-latino-hungarico-germanicum, Budae, 1825, p. 28,
s.v., sans localisation précise. Cf. arat, chez Candrea-Densusianu, Dicf. etimologie al Ib. romàne,
Bucureçti, 1907, p. 11 s.v. S. Puçcariu (Dacoromania, V I I I , 324), après avoir cité Lacea
(v. ci-dessus), définit arat par «plug » ( = charrue) (Mais v. ensuite Limba românà, Bucureçti,
1940, p. 279). A. Ciorànescu, Diccionario etimológico rumano, I, 1958, p. 33 s.v. donne arat
(pl. -te), mais la forme du pluriel n'est pas attestée. Pour l'aroumain, v. T. Papahagi, Dicfionarul
dialectului aroman, Bucureçti, 1963, p. 82 (aletrà), 128 (arat) et 868 (plug).
2
Arat n'est pas attesté en dacoroumain dans les enquêtes pour i'ALR (Allas linguistique
roumain), et non plus dans l'enquête actuelle pour le « Nouvel Atlas linguistique
roumain » (NALR).
3
Georgeta Moraru-Popa, « Comentarii etnografice la arheologia plugului » et « Puñete de
vedere în cercetarea etnografica a inventarului agricol arhaic románese », Revista de etnografie
fi folclor, t. 12, 1967, p. 2 1 3 - 2 2 , et t. 13, 1968, p. 2 5 1 - 2 6 2 .
202 HISTOIRE D U R O U M A I N ET DES L A N G U E S BALKANIQUES
4
V. Kiparsky, Die gemeinslaoischen Lehrwörter aus dem Germanischen, Helsinki, 1934,
p. 258 — 259 : plugü < v.h.a. pfluog (le nom de la charrue n'est ni roman, ni germanique,
selon B. Kratz, Zur Bezeichnung von Pflugmesser und Messerpflug in Germania und Romania,
Giessen, 1966, p. 98 et s.) ; Max Vasmer, Russisches-etymologisches Wörterbuch, Heidelberg,
1955, II, p. 376 s.v. Les noms des parties de la charrue, en roumain, viennent du slave méri-
dional (bulgare et surtout serbo-croate). V. P. Cancel, Termenii slavi de plug in dacoromânà,
Bucureçti, 1921, et nos remarques, ML, p. 345 et 471.
6
V. nos Mélanges cit., p. 345 et Ist. României, I.e. : « termenii agricoli slavi dovedesc o
perfectionare a agriculturii în timpul conviefuirii popula^iei bàçtinaçe eu Slavii ».
6
Vasmer, op. cit., II, p. 489 s.v. ; Cancel, op. cit., p. 28 — 29. Sur l'araire en bois, attesté
au nord du Danube par les fouilles archéologiques, v. ci-dessus, G. Moraru-Popa. V. l'exposé
détaillé de l'emploi des instruments agricoles dans la Péninsule des Balkans et en Roumanie,
dans A. G. Haudricourt-Mariel Jean-Brunhes Delamare, L'homme et la charrue à travers le
monde, Paris, 1955, p. 276 et s.
' G. Moraru-Popa, op. cit., t. 13, p. 261, n. 34 : au cours du moyen-âge l'emploi de la charrue
(plug) a été généralisé sur le territoire de la Roumanie d'aujourd'hui, l'araire (arat) n'étant
plus employé que dans certaines régions.
8
Haudricourt-Mariel Jean-Brunhes, op. cit., 49 : « étudier les objets avant les mots ».
0
E. Coseriu, « Semantisches und Etymologisches aus dem Rumänischen », E. Gamillscheg
zum 80. Geburtstag, München, 1968, p. 135 — 138 : la cause de la disparition du terme arat serait
l'homonymie avec le participe arat. Cette homonymie ne s'est pas produite en aroumain, où
le participe est aratä. Mais en dacoroumain arat est employé avec l'article : aratul, ce qui
le différencie du participe arat, de même qu'en aroumain aratä de arat. L'explication que nous
avons proposée ci-dessus, rend caduques les tentatives de résoudre ce problème en ignorant
l'évolution des instruments aratoires à travers les siècles.
SLAVO-ROMANICA. DR., AR. ARAT ET PLUG «CHARRUE» 203
1
Al. Rosetti, Rom. Cräciun, Romanoslavica, IV, 1960, p. 65 —71 ; v. aussi AI. Graur, Eti-
mologii româneçti, Bucureçti, 1963, p. 78 — 80, qui explique la présence de -à et de -un par des
critères internes.
2
Eqrem Çabej, Cräciun, SCL, X I I , 1961, p. 3 1 3 - 3 1 7 ; v . aussi Jos. Schütz, Der rumä-
nismus Cräciun „Weihnachten" in Slavischen, dans Beiträge zur Süd-Osteuropa Forschung,
München, 1966, p. 35—40.
3
DA, ms., s.v. näclad.
4
Simeone Mangiuca, C&lindariu... pe anul 1882, Braçov, 1881, p. 15.
5
Tiktin, RDW, s.v. « En Transylvanie cette bûche est nommée cälindäu, et ceux qui chan-
tent les noëls, lorsqu'ils pénètrent dans la maison, attisent le feu avec leurs bâtons en bois de
noisetier », dans Gazeta Säteanului, X I V , 1897, p. 493,
ROUM. CRÀCIUN «NOËL» 205
11
Al. Rosetti, Rom. Crâciun, I.e., p. 68 — 69. G. Rohlfs, Rumänisch Cräciun „Weihnachten",
Zs. f . roman. Phil., 88, 1970, p. 382 — 385 attribue une origine autochtone («thrace, dace,
illyrienne », p. 285) aux termes roumain et albanais.
SUR DR. DOINÀ
Dr. doinä « espèce de mélodies mélancoliques jouées sur des flûtes (chalu-
meau) par les bergers montagnards, et puis chanson, poésie mélancolique
en général » (Cihac)1, « chant élégiaque » (Fr. Damé)2, « lyrisches Volkslied
elegischen Charakters » (Tiktin)3, « poésie lyrique populaire, chant d'amour,
de mélancolie ou de désir ardent » (I.-A. Candrea)4.
Les définitions ci-dessus s'accordent pour attribuer à dr. doinä un
caractère lyrique. Toutefois, D. Cantemir range ce genre de productions
parmi les chants de caractère épique 5 ; c'est aussi l'avis des folkloristes
d'aujourd'hui 6 .
Le terme est connu surtout dans le nord et le nord-ouest de la Tran-
sylvanie et en Moldavie 7. (Les parler s de type « moldave » couvrent la Mol-
davie proprement dite et aussi une partie du nord de la Transylvanie :
région Mure? et Cluj. On peut donc en inférer que c'est de la Transylvanie
voisine que les parlers de Moldavie ont acquis le terme doinä.)* Il n'est
pas signalé dans les parlers de Yalachie, si ce n'est comme un terme de la
langue littéraire, popularisé par Y. Alecsandri 9 .
En effet, lit. dainà « Volkslied » ne peut pas être séparé du terme rou-
main.
V O Y O N S LES FAITS
Lit. dainà < i.-e. deiô {deù-) «hüpfe», lett. diju, diêt «hüpfen, tanzen»,
gr. Sïvoç « art Tanz »1S.
Le terme n'est pas attesté dans les autres langues slaves, et notamment
pas dans les langues slaves méridionales (où à lit. ai aurait dû correspondre
un ë)u.
C. Poghirc recule l'explication du terme roumain jusqu'à l'époque la
plus ancienne : doinä serait d'origine thrace, mais il omet de nous montrer
sur quelles correspondances phonétiques un tel rapprochement est-il
fondé ? Faute de quoi l'hypothèse reste en l'air15.
Dans l'absence d'autres données, il semble incontestable qu'une étymo-
logie autre que par le slave est exclue.
L'historien Fr. J. Sulzer, qui a donné une excellente histoire des Princi-
pautés roumaines, à la fin du XVIII e siècle, nous ouvre la voie d'une expli-
cation possible.
Voici ce qu'il nous dit à propos de doinä : « Boinâ, doinâ dudelt der
Walache, so oft er für sich in Gedanken etwas weltliches singen will, wozu
er keine Verse oder Worte weiss ». Un texte musical sans paroles est récité
avec les mots doi-na, en deux syllabes, équivalents à te-ri-rem ou te-ri-ri,
qui n'ont d'autre fonction que de servir de refrain... Boina est aussi,
chez les Valaques, une chanson sans paroles. De même, chez les Slovaques ;
leurs chansons sans texte emploient les mêmes mots : dâina, dâina16.
13
J. Pokorny, Indogermanisches Elym. Wb., Bern —München, I, 1959, p. 187, s.v. de / s - ;
R. Trautmann, Baltisch-slavisches Wörterbuch, Göttingen, 1923, p. 50 — 51. Lit. daTna «das
Volkslied, das Lied » est expliqué de deux manières : 1 cf. lett. dainuâl « kreischen, lustig sein »
et lit. déjà « Weheklage », 2 ci. lett. diet « tanzen » .V. aussi dainât « singen, tanzen » (K. Mülen-
bach —J. Endzelin, Lettisch deutsches W örterbuch, Riga, 1943, I, p. 432).
11
P. Arumaa, Urslavische Grammatik, I, Heidelberg, 1964, p. 84.
15
C. Poghirc, Considérations sur les éléments autochtones de la langue roumaine, RRL, X I I ,
1967, p. 3 0 - 3 1 .
18
Fr. J. Sulzer, Geschichte der transalpinischen Daeiens, II, Wien, 1781, p. 322 — 323. On
retrouve dana en hongrois et en ukrainien. En hongrois : dana « chanson, chant ». Famille de
mots d'origine expressive et onomatopéique. Cf. aussi dinom—danom «Schrei beim Gezeche;
Zecherei, fröhliches Gelage » (A magyar nyelv tôrténeti etimológiai szotära, föszerkeszfö L. Benkö,
Budapest, I, p. 640). Je dois cette indication à l'amabilité de M. L. Gàldi, de l'Université de
Budapest. Dans Ugro-russki narody spëvanki, izdal Mihail Vrodel, I, Budapest, 1900, p. 43.
doina : Narodnye pesni Galickoi i Ugoroskoî Rysi, Sobranniyja la. F. Golobackin, II, 809
14 - c. 679
210 HISTOIRE D U R O U M A I N ET DES LANGUES BALKANIQUES
II
Dans notre étude précédente (v. ci-dessus, p. 207), nous avons montré
que lit. dainà provient de i.-e. deio (dep-) «hiïpfe», de même que lett.
diju, diêt « hiïpfe, tanzen » ; cf. gr. Sïvoç « art Tanz ».
D. Oaracostea admet la parenté du terme roumain et de lit. dainà
(II, p. 463—465), mais il le rapproche en même temps de doinita du
folklore bulgare (II, p. 4 5 8 - 4 6 1 , 476—479).
Il existe là une contradiction qui doit être résolue.
Si dr. doinâ est apparenté à lit. dainà, alors le terme roumain ne peut
plus être rapproché du terme bulgare, dont l'étymologie est différente.
En effet, comme nous l'avons montré dans notre étude précitée, à lit.
ai de dainà, devrait correspondre un ë en slave méridional.
Mais le mot n'est pas attesté en slave méridional ! Oar le terme bulgare
cité par Oaracostea a une étymologie différente et un sens différent : il
provient de v. si. dojo-dojiti « sàugen ; donner le sein » < i.-e. *dhë(i),
lett. dêju, dët « an der Mutterbrust sàugen »21.
Le rapprochement de bg. dôjnica (et non doina, forme qui appartient à
Oaracostea !) est donc contredit par la réalité des faits ; cette constatation
peut être argumentée comme suit :
1. en bulgare est attesté le mot dôjnica (et non doina !),
2. le vocalisme oi du bulgare ne correspond pas au vocalisme du terme
lituanien correspondant, comme nous l'avons montré ci-dessus, et pour
pouvoir expliquer la présence de oi dans dr. doinâ, il convient de partir
du vocalisme ai de dr. daina, qui est originaire (comme nous l'avons mon-
tré ci-dessus, p. 208),
3. le terme roumain est attesté dans le nord du domaine dacoroumain
et il manque dans les régions voisines du territoire bulgare,
4. si nous partons de doinâ, le vocalisme ai (dr. daina), attesté dans la
Transylvanie du nord, resterait inexpliqué, parce qu-il ne peut pas provenir
de oi, comme nous l'avons montré ci-dessus, p. 211,
5. le sens du terme roumain ne correspond pas à celui du bulgare :
d'une part « danser » (dr. doinâ), mais de l'autre « allaiter » (bg. dojka,
dôjnica, s.-cr. dôjnica, avec le sens de « nourrice »).
•
Nous dirons pour conclure, que l'explication proposée par D. Oaracostea,
fondée sur des données erronées, s'élimine d'elle-même.
(Version roumaine dans Studii cercetâri lingvislice, X X I , 1970, p. 273 — 274).
Dr. pedestru s.m. «piéton », adj. « (qui va) à pied », de la langue actuelle
continue le latin pëdëster, mais il n'est pas inclus dans le fonds ancien de
mots latins du roumain, comme l'indique la conservation du d (car lat.
d + e, i est rendu, en roumain, par z : zece < dëcëm, zeu < dëus ; cf. v.
fr. peestre)1. L'emprunt a dû avoir lieu entre le VI e et le X e siècle, et il est
probable que c'est un terme d'origine militaire : dans la terminologie latine
de l'armée byzantine, attestée à cette époque, lat. pedes est rendu en grec
p a r TCSSÎTTJÇ2.
Pedestru n'est pas un mot savant, comme son attestation dans les tra-
ductions roumaines de livres religieux du XVI e siècle pourrait le faire
croire, car, comme on le verra ci-dessous, il est attesté aussi dans un parler
villageois du XVII e siècle (les traductions sont faites sur des originaux
rédigés en slavon ou en hongrois ; mais le recours au texte latin de la Vulgate
1
Nous nous rangeons à l'opinion de O. Densusianu, qui n'enregistre pas le mot parmi les
mots latins du vieux fonds (DE), de même que Tiktin (R.-D. Wb.) ; cf. M eyer-Liibke, REW3.
6346 : «Arum, siebenb. pedestru, fällt mit — d — statt — z — auf », tandis que Candrea (Dicf.)
et Puçcariu (EW) passent outre l'objection, sans en donner la raison.
Ar. pedestru est probablement emprunté à l'italien (T. Papahagi, Dicfionarul dialectului
aromân, Bucureçti, 1963, p. 836 s. v.). Le terme est donné par Cavallioti, dans son dictionnaire
de l'aroumain paru à Venise, en 1770 (Per. Papahagi, Scriitori aromâni In secolul al XVIII-lea,
Bucureçti, 1909, p. 238 s.v.). Pour les termes italiens (vénitiens) en aroumain, dont certains
ont pénétré par l'intermédiaire du néo-grec, v. G. Pascu Elementele romanice din dialectele macedo-
fi megleno-române, Bucureçti, 1913 (Analele Academiei Romane,XXXV liter.).
2
H. Zilliacus, Zum Kampf der Weltsprachen im Oströmischen Reich, Helsingfors, 1935, p.230.
Cf. H. et R. Kahane, Les éléments byzantins dans les langues romanes. Cah. F. de Saussure,
23, 1966, p. 68. Cf. fr. piètre ; en v. fr. « lat. pedestris « qui va à pied », qui a perdu son sens
propre et pris un sens péjoratif, par opposition à « celui qui va à cheval », dans les milieux féo-
daux » (Bloch-Wartburg, Dict. étym. de la lg. fr., Paris, 1932, II, p. 153). La terminologie mili-
taire d'origine slave du roumain (postérieure au X e siècle) a fait l'objet d'une présentation com-
pétente due à I. Bogdan (Organizarea armatei moldovene tn sec. XV, Bucureçti, 1907 — 1908,
Analele Academiei Romane, ser. II, ist., X X X ) . V. p. 390 — 439 : l'armée de Çtefan cel Mare
(XV e s.) était composée de : boieri, viteji « les gens de Cour », feciori « l'infanterie », oastea « le
ban et l'arrière-ban », composé de paysans.
214 HISTOIRE D U R O U M A I N ET DES LANGUES BALKANIQUES
3
B. P. Haçdeu, Archiva istoricà a României, I 2 , Bucureçti, 1865, p. 26, n° 294.
4
Cf., pour le sens, fr. piètre, dans les parlers actuels « boiteux », « qui a le pied contrefait, en
normand » (Bloch-Wartburg, l. c.). L'altération du d de pedestru en d', g' (ou d')» dans les parlers
de l'ouest de la Transylvanie, est un fait récent : v. E. Petrovici, SCL, I, p. 179 et notre ILR,
p. 624. La carte du territoire linguistique dacoroumain reproduite ici est fondée sur les cartes de
VALU, I, c. 71, 154, ALRM, I, c. 97, ALR, II, c. 115, 127, ALRM, II, MN, 2223, 224, et les
fiches du Dicfionarul limbii române (éd. de l'Académie de la R. S. de Roumanie). E n Olténie,
pedestru est attesté tout le long de la frontière ouest, jusqu'à T. Severin (V. NALR, Oltenia,
I, c. 117 et 118).
216 HISTOIRE DU ROUMAIN ET DES LANGUES BALKANIQUES
1
H . Mihàescu, « Les éléments latins de la langue albanaise », Rev. des ét. sud-est europ., IX,
1966, p. 30.
s
Alb. fshat, dr. sat « village », dans « Bulletin linguistique », X, 1942, p. 75 s., reproduit
dans nos Mélanges de linguistique et de philologie, Copenhague —Bucureçti, 1947, p. 354 — 358.
BALCANICA. SUR ROUM. a
D'autre part, on sait qu'au XVI e siècle, dans certaines régions du daco-
roumain, le passage de à à î n'était pas encore accompli ; la graphie des
textes roumains du XVI e siècle est témoin de ce flottement 6 .
î est présent dans tous les dialectes roumains, affirme Petrovici. La
chose est vraie. Mais ce timbre peut y être récent. C'est ce que montrent
bien l'aroumain et certains parlers dacoroumains de nos jours, dans les-
quels seul à est attesté 7.
Ainsi donc, comme on vient de le voir, l'argument principal sur lequel
est fondée la théorie de Petrovici, à savoir que lat. an (am) > roum. în >
in, est contredit par les faits que nous venons d'énumérer.
C'est par conséquent du traitement par à de lat. an (am) qu'il convient
de partir : àn a passé à en, en roumain, après consonne palatale ou semi-
voyelle palatale (cf. lat. familia > dr. fâmeaie (XVI e siècle) > femeie,
lat. oricla > ureche, etc.), et ensuite en >in : ghindâ, fin.
Selon Petrovici, a dans dr. pâcat (lat. peccatum) serait dû à l'action de
l'occlusive labiale sur Ve primitif, de sorte que le rapprochement avec le
traitement pareil de l'albanais (t. mëkat) serait illusoire.
L'influence de l'occlusive labiale sur la voyelle suivante, en roumain, est
incontestable ; elle est confirmée par d'autres exemples et constitue une loi
du développement de la phonétique du dacoroumain, en opposition avec les
parlers du sud du Danube, où le phénomène ne s'est pas produit (ar. picot,
megl. picati, istr. pecat) ; mais la présence de Vâ, dans pâcat, montre juste-
ment que la langue a employé un phonème déjà existant dans son système
phonologique, et qu'elle n'a pas créé un phonème nouveau. La présence du
timbre à, à une époque ancienne, est donc confirmée là aussi.
Nous dirons, pour conclure, qu'à la suite de notre examen il est constaté
que les arguments avancés par B. Petrovici n'ont pas réussi à ébranler la
théorie admise communément, selon laquelle la voyelle de timbre à du
roumain est de beaucoup plus ancienne que la voyelle de timbre î, et que
la présence de timbres vocalique pareils en albanais et en bulgare confirme
l'ancienneté de Vâ en roumain, trait caractéristique des langues balkaniques.
1
V. notre exposé Sur la diphtongaison de e. et o accentués en roumain, dans L, p. 169 — 171.
2
George Y. Shevelov, A prehistory of Slavic, Heidelberg, 1964, p. 1 5 7 - 1 6 2 , 171 — 173.
3
Shevelov, op. cit., p. 151 —152; p. 162 : corriger sora en sore, soare, 171 : peaçterà en peçterà.
4
L, p. 170.
6
Pour tout détail, v. Recherches sur les diphtongues roumaines, p.p. A. Rosetti, B u c a r e s t -
Copenhague, 1959, p. 2 8 - 3 1 et 4 0 - 4 5 .
LES DIPHTONGUES ROUMAINES EA', OA' ET L ' I N F L U E N C E SLAVE 221
(Association internationale des études sud-est européennes, Bulletin, III, Bucarest, 1965, p.
47-48)
« Ibid., l.c.
' V. ILR, p. 333.
SUR LA DIPHTONGAISON DE VE ACCENTUÉ
EN ROUMAIN
5
V. nos mémoires cités ci-dessus, n. 3 et nos Recherches sur la phonétique du roumain au X VIe
siècle, Paris, 1926, p. 144 — 146. Deacâ > dacà prouve aussi, comme nous l'avons déjà montré
(v. ILR, p. 333), que la consonne labiale précédente n'est pour rien dans la monophtongaison
de l'ea'. Même ceux qui expliquent la monophtongaison exclusivement par l'influence de la
consonne labiale précédente, doivent reconnaître l'influence du timbre de la voyelle contenue
dans la syllabe suivante, du moment que ea', précédé d'une consonne labiale, est monophton-
qué en a, devant a (â), dans falà (< *featù), mais en e devant e, dans mese (pl. de masà).
SUR LA DIPHTONGAISON DES VOYELLES
E ET O EN ROUMAIN 1
I V. nos exposés, avec indications bibliographiques, dans I L R , p. 334 — 335, 360 — 362,
634 — 638 et ci-dessus, p. 220 et s.
II V. ILR, 3 6 1 - 3 6 2 .
SUR LA DIPHTONGAISON D E E ET O EN R O U M A I N 225
complexe, par rapport au précédent (e ou o — â) : *ee > *eè > *è > ça',
oe > oè > ça'.
Si, dans les éléments latins du roumain, le phénomène est régulier, il
n'en va pas de même ultérieurement, car les éléments slaves plus récents
du roumain et les éléments empruntés au néo-grec n'ont pas souffert cette
diphtongaison. La tendance phonétique était donc parvenue à l'état
d'épuisement.
Dans les mots issus du latin, le groupe de consonnes qui suivait dans
certains mots la voyelle accentuée e ou o n'a pas fait obstacle à la diphton-
gaison, parce que le premier élément du groupe ne fermait pas la syllabe
contenant la voyelle accentuée car, dans ce cas, cette voyelle n'aurait
pas pu subir la diphtongaison. Il faut donc admettre, comme nous l'avons
posé naguère 3 , que dans lat. herba, septe, petra, testa, etc. la syllabation
devait se présenter de la manière suivante : he-rba se-pte, pe-tra, te-sta,
pour permettre la diphtongaison de Ve' : dr. iarbâ, sapte, piatrà, teastà
(cf. it. pietra, etc.).
Dans les mots issus du slave, par exemple dans les noms de lieu Cerna,
Cesna, Lepsa, etc., — même en admettant que ces noms datent des pre-
miers contacts entre les Slaves et la population romanisée des provinces
danubiennes — la conservation des timbres vocaliques non-diphtongués
dans ces mots s'explique suffisamment par le fait que les noms de lieu restent
à l'écart du mouvement qui imprime des changements aux mots du voca-
bulaire de base de la langue 4 .
La cause de la non-diphtongaison de la voyelle accentuée dans ces noms
est donc pareille au même phénomène que l'on retrouve dans les noms de
lieu Cega, Bisoca, Dîlboca, Hliboca, etc., où la voyelle accentuée n'est
pas suivie par un groupe de consonnes.
Parmi les mots comportant un groupe de consonnes, qui ont pénétré
en roumain à une époque ancienne et qui sont attestés en vieux slave, il
3 V. 1LR, 107.
4 Pour A. Avram (La diphtongaison de [e'], [o'] et le passage de [à] à [î] en daeoroumain, RRL,
X I I I , 1968, pp. 397 — 4 0 0 ; abréviation: Avram), la non-diphtongaison, dans cette catégorie
de mots, serait due à la présence du groupe de consonnes qui suit la voyelle accentuée. C'est
l'opinion de Iorgu Iordan, dans son ouvrage consacré à ce phénomène ( D i f t o n g a r e a lui e fi o
accentuafi in poziliile â, e, Iaçi, 1920), ainsi, par ex., à la p. 90 : « il est impossible », nous dit-il,
« de ne pas attribuer à l'existence de ces sons [les groupes de consonnes] l'absence de la diphton-
gue ».
15 - c. 579
226 HISTOIRE DU ROUMAIN ET DES LANGUES BALKANIQUES
convient de citer dr. beznâ « obscurité profonde, nuit noire » : v.sl. bezdùna
« Tief, Abgrund » 5 , où Ve n'a pas subi la diphtongaison6.
On a attribué ce traitement au groupe de consonnes qui suit la voyelle
accentuée, dont l'un des éléments aurait fermé la syllabe contenant cette
voyelle, mais il convient de formuler deux objections à cette explication :
1. si c'est la première consonne du groupe qui a empêché la diphton-
gaison dans dr. beznâ, pourquoi le phénomène s'est cependant produit,
dans les mêmes conditions phonétiques, dans des emprunts récents tels
que boambâ (fr. bombe, it. bomba), oardâ (fr. horde), soaldâ (cf. ail. de Tran-
sylvanie scholt), etc.?, 7
2. peut-on fonder une théorie sur le témoignage d'un seul mot (car,
comme on le verra ci-dessous, dans d'autre mots issus du slave, la non-
diphtongaison de la voyelle accentuée comporte une autre explication) ?
Assurément non.
Par conséquent, on expliquera le traitement particulier de beznâ par ceci,
que ce n'est pas un terme de la langue courante, et qu'il est donc resté
à l'écart du changement. C'est ce qui est arrivé aussi à dr. slovâ « lettre,
caractère (écriture) » : v.sl. slovo « Wort, Eede, Ansprache, Homilie, Ge-
heiss » (Sadnik-Aitzetmuller, 121), bien attesté dans les textes vieux-sla-
ves, qui fait partie d'un vocabulaire spécial.
Quant aux termes tels que dr. cergâ, gleznâ, poreclâ, sfeclâ, lefter, ciorbâ,
ce sont des emprunts récents aux langues slaves méridionales, au néo-grec
ou au turc ottoman (bg. ëerga, v.sl. tardif gleznù, bg. glezen, v.sl. tardif
et bg. poreMo, v.sl. tardif sveMû, n.-gr. èXeù0epoç, te. ottom. çorba),
ou des termes dérivés (ainsi dr. vorbâ, cf. v.sl. dvorû), où la voyelle accen-
6 Sadnik-Aitzetmuller, p. 9. Ce dictionnaire contient tous les mots employés dans les textes
vieux-slaves (v. op. cil., p. VII). On sait que le Lexicon palaeoslovenico-graeco-lalinum de Fr.
Miklosich, Vindobonae, 1862 — 1865, enregistre aussi les termes fournis par des textes tardifs
( X I I I e — X V I e s.). V. aussi G. Mihâilâ, împrumuturi vechi sud-slave în limba românà, Bucureçti,
1960. Avram retient aussi dr. bollâ « voûte », parmi les mots empruntés au vieux slave, dans
lesquels l'o' n'a pas été diphtongué. Mais l'exemple est mal choisi, car bollâ n'est pas vieux slave :
il est attesté en bulgare, et c'est un emprunt à l'it. voila ; v. E . Berneker, Slavisches elymol.
Wb., Heidelberg, 1 9 0 8 - 1 9 1 3 , p. 70 s.v.
8 Nous avons dépouillé les listes données par Iordan, 94 et s., 228 et s.
7 L'affirmation d'Avram, que dans « deux tiers » des mots énumérés par Iordan (72 et s., 94
et s. 203 et s., 228 et s.) la voyelle accentuée s'est maintenue devant groupe de consonnes, est
fondée sur des emprunts récents, en partie d'origine douteuse. La diphtongaison a eu cependant
lieu dans des mots de cette catégorie, tels que ceux que nous avons énumérés ci-dessus, et dans
buleandrà, bulearcà, foarcàt, goangà, joardà, etc.
SUR LA D I P H T O N G A I S O N D E £ ET O EN R O U M A I N 227
(Studies in General and Oriental Linguistics, presented to Shirô Hattori, on the Occasion
of His Sixtieth Birthday, Tokyo, 1970, p. 5 0 5 - 5 0 7 ) .
8
Iordan (233), à propos de dr. sobà: « l'absence de la diphtongue dans un mot tellement répandu
nous semble curieuse et inexplicable » [ !].
SUR L'-t/ (FINAL) EN ROUMAIN
1 Robert L. Rankin, Final -u in Rumanian, dans Essays in Rumanian Philology from the
University of Chicago, in Honor of the XIlth International Congress of Romance Linguistics and
Philology, Bucurefti, 15 — 20 April 1968, Chicago, p. 48 — 71.
2 L'essentiel et réuni dans JLR, p. 4 5 0 - 4 5 2 et 4 9 8 - 5 0 1 .
SUR L'-t/ (FINAL) EN R O U M A I N 229
3
ILR, p. 224, 231, 389.
4
Op. cit., p. 231, 293, 402.
5
Op. cit., p. 399.
6
V. les exemples dans op. cit., p. 394.
230 HISTOIRE D U R O U M A I N ET DES LANGUES BALKANIQUES
jusqu'à nos jours ( ? !), mais dans laquelle, défait, ont eu lieu de fréquents
mouvements de population ?
Le fait de postuler une pareille thèse est suffisant pour rendre évidente
son absurdité » 7 .
•
Un fait que nous n'avons pas examiné, dans nos publications antérieures,
est la présence de -i (non -i) dans les parlers dacoroumains actuels, au
pluriel des noms et des adjectifs, dans l'aire de -u.
Dans les textes du XVI e siècle et s. une insuffisance graphique (il n'est
pas fait la différence entre i et ï) nous empêche de pouvoir identifier la
présence de ce son. Le phénomène signalé dans les parlers actuels devra
être étudié à l'aide des appareils dont dispose la phonétique expéri-
mentale, pour avoir des données sur ses caractéristiques physiologiques
et acoustiques.
Une recherche récente sur les parlers de la Criçana atteste la présence de
l'-w final (plus rarement de î final et de -i final) dans ces parlers (opposition :
sg. lupu — pl. lupi). -i apparaît à la finale de noms qui n'ont pas de -u
au singulier : sg. floare — pl. flori 8.
Eankin nie l'existence d'une relation entre ces faits, mais la réalité
parlée ne lui donne pas raison : la présence de -u, etc. et de -i, dans les
parlers de nos jours doit être expliquée par un critère commun : la pronon-
ciation particulière de la consonne en fin de mot.
•
En ce qui concerne la présence de -a aux formes du participe passé et du
gérondif, que l'on relève dans les parlers roumains, Eankin y voit une géné-
ralisation de la forme du féminin. Nous avons cependant montré il y a
longtemps que cette terminaison apparaît là où le sujet de la proposition
est au masculin, ce qui annule l'explication proposée. Par conséquent, -â
dans ces cas est d'origine phonétique 9 .
Cette explication est valable pour -a des formes du participe passé
(cîntatâ), celles en -a, delà forme du gérondif, de l'aroumain, étant expli-
quées par l'analogie avec les adverbes en -a (adv. atumfea-gêronàiî alî-
gînda) 10.
•
7
Op. cit., p. 397.
8
T. Teaha, Vocaiele silabice (-u, -i) in graiurile din Criçana, SCL, X I X , 1968, p. 9.
8
ML, p. 1 7 8 - 1 7 9 .
10
Matilda Caragiu-Marioteanu, Fonomorfologie aromânà, Bucureçti, 1968, p. 160 — 161.
SUR L'-U (FINAL) EN ROUMAIN 231
Nous avons tenté de montrer, dans l'exposé ci-dessus, que Rankin mélange
des faits de nature différente, qui n'ont pas la même origine : d'un côté,
dans les textes écrits, la notation purement orthographique de Vu et des
jers cyrilliques à la fin des mots, par l'émetteur du message, conscient de
ce fait, de l'autre, dans la langue parlée, la découverte par les dialectolo-
gues d'un timbre vocalique à la fin des mots, noté d'une manière variée,
et que le sujet parlant n'est pas conscient d'avoir prononcé.
*
En conclusion, nous dirons que l'exposé de R. L. Rankin n'apporte rien de
valable pour nous faire abandonner l'explication de la présence de V-u
dans les anciens textes roumains et dans les parlers actuels, telle qu'elle
a été proposée dans nos écrits.
P.S. E. Yasiliu, dans Fonologia istoricâ a graiurilor dacoromâne (Bucu-
reçti, 1968, p. 80—85) expose la situation de -u et -i en roumain
commun. Contrairement à son affirmation (p. 82), l'existence éventuelle
d'un timbre vocalique après l'émission d'un -s est normale, étant donnée
la nature du son. La discussion concernant nos propres vues sur la situation
des voyelles finales en roumain commun est sans objet, étant donné que
les citations données se réfèrent à leur situation seulement du moment de
l'apparition des premiers monuments de la langue, c'est-à-dire à commen-
cer par le XIII e siècle, comme on peut le constater dans notre exposé
ci-dessus (p. 228 et s.) ; en ce qui concerne la situation en roumain commun,
la citation suivante, de ILB, p. 382, éclaire avec précision notre point de
vue : « L'opposition de sonorité ne se neutralise pas à la finale, parce que
en roumain commun la finale était vocalique (nous soulignons) : corbu-corpu
(l'aroumain a conservé jusqu'à nos jours cette structure phonétique,
v. M. Caragiu-Mariot-eanu, SCL, XYI, 1963, p. 313) ».
Version roumaine d a n s Siudii yi cercelâri lingvistice, X I X , 1968, p. 303 — 305).
II
La présence, de nos jours, d'un -i- sonore syllabique dans les parlers
dacoroumains de l'ouest de la Transylvanie (Criçana : d. Bihor et Arad,
v. notre carte), a été signalée par les dialectologues (en même temps que
celle de l'-tt), là ou la langue littéraire connaît un -i sourd asyllabique
L'-i sourd asyllabique (ou chuchoté)1 de la langue littéraire, marque du
pluriel des noms et des adjectifs, et de la 2 e personne du singulier de l'in-
dicatif présent des verbes (dr. lupi,flori, adj. verzi, vb. întrebi) est prononcé
dans cette région comme l'-i, marque du pluriel -f- l'article défini encli-
tique de la langue littéraire, noté -ii par l'orthographe officielle du rou-
main. Donc : [lupi], deux syllabes, « loups », avec i prononcé comme lupii
« les loups » de la langue littéraire, au lieu de [lupï], une syllabe. Cet i
sonore syllabique a été enregistré par E. Petrovici, dans son enquête pour
VALB, II, dans la localité Ro§ia (d. Bihor ; v. notre carte) 2 ; dans
les textes oraux recueillis dans cette localité, -i figure à la finale de
mots comme eîpcîni (pl., p. 140, 10) ou figani (pl., 1. c., 25 ; « ogres,
tziganes »).
Une enquête récente sur les lieux a confirmé l'existence de cet -i, à côté
de Y-ï normal 3 . Les résultats de l'enquête sont les suivants : dans 12 loca-
lités de la région, ont été enregistrés 348 mots à -u, 210 à -û, 194 à -i (70
à -î) et 247 à -ï 4 .
D'autre part, des enquêtes récentes ont révélé l'-i sonore syllabique
dans plusieurs localités de l'Olténie5.
Les enregistrements à l'aide du sonagraphe montrent que cet -i est
très proche de l'-i noté ii par l'orthographe officielle.
i dans pl. porumbi : bâgâm -i dans pl. albi: ficaiii i dans uâri : de doua ori
porambi « nous plantons albi « foies blancs ». 01- «deux fois ». Transyl-
du maïs ». Valachie, d. ténie, d. Oit, sujet vanie, d. Bihor, sujet
Oit, sujet homme, 41 ans. femme. 68 ans. homme, 56 ans.
FI 260 Hz 275 Hz
F II ... 2320 Hz 2435 Hz
FIII ... 2865 Hz 3240 Hz
Durée . . 75 ms 135 ms
* Les enregistrements et mensurations ont été exécutés par V. ijuteu, dans le laboratoire du
Centre de recherches phonetiques et dialectales de l'Académie de la R . S. de Roumanie. M. ¡ju-
te u voudra bien trouver ici nos vifs remerciements. Les mots qui ont fait l'objet de l'enregistre-
ment ont été recueillis sur le terrain et inscrits à l'aide d'un magnétophone portatif. La b a n d e
magnétique a été ensuite réinscrite et analysée à l'aide du sonagraphe.
' i se trouve ici dans d'autres conditions phonétiques qu'à la finale ; mais la comparaison
de ses traits caractéristiques avec ceux de l'-ï et de l'-i est d'un précieux enseignement.
SUR L 7 FINAL DES PARLERS DR. ACTUELS 235
8 Cf. A. Avram, Contribuai la interpretarea grafiei chirilice a primelor texte româneçti, Bucureçti,
1964, p. 44.
9 Y . nos remarques : Problema lui -u (final) In limba românâ, SCL, X I X , 1968, p. 3 0 3 - 3 0 5 .
SUR LA DATE DU RHOTACISME
EN ROUMAIN ET EN ALBANAIS
Dans une étude récente, sur le traitement des voyelles nasales dans les
mots slaves de l'albanais, M. Camaj soutient que la nasalisation en guègue
et le rhotacisme de V-n-, en tosque, seraient antérieurs à l'influence du slave
méridional sur l'albanais 1 .
Le rhotacisme a été signalé aussi dans les emprunts de l'albanais au
slave méridional. Si l'on est d'accord avec M. Camaj d'expliquer la pré-
sence de Yr dans le n. de lieu alb. Oljëmboëâri (et Oljëmbocâri), par le suffixe
-ar 2, il n'en est pas moins vrai que t. i vrërët « finster, trübe », avec le
passage de -n- à -r-, en regard de g. vranë, i vranët, est un emprunt au slave
méridional : v.sl. vranü (bg., s.-cr. man) « schwarz ». E t de même, t. tërsirë
« Strick, Seil » < si. mérid. Hraéina. L'explication de t. i vrërët par le
vieux fonds (indo-européen) de l'albanais, tentée par H. Baric, n'a pas été
retenue 3 .
Si les faits sont tels, il s'ensuit que le rhotacisme, en tosque, est posté-
rieur à la séparation dialectale (qui est assez récente) et à l'influence du
slave méridional sur l'albanais 4 .
D'autre part, on sait que seuls quelques mots slaves du roumain (jupîn
et smîntînà) présentent le rhotacisme (et le passage de a accentué + n
à ä > î). En règle générale, le rhotacisme n'affecte pas les mots issus du
slave, en roumain, de même que l'a accentué + n des mots slaves du rou-
main n'est pas rendu par ä ( > î).
1 Martin Camaj, Zur Entwicklung der Nasalookale der slavischen Lehnwörter im Albanischen,
dans Die Kultur Südosteuropas. Ihre Geschichte und ihre Ausdrucksformen, "Wiesbaden, 1964,
p. 1 8 - 2 5 .
2 Op. cit., p. 25.
3 Cf. Max Vasmer, Studien zur albanesischen Wortforschung. Dorpat, 1921, p. 65, n. 1 : « Die
Ansicht Bariés, Albanorum. Slud., I, 117, sq., wonach alb. vrânë etc. nicht aus dem slav.
entlehnt sein soll, kann doch niemand für ernst halten ».
4 Y . notre Etude sur le rhotacisme en roumain, Paris, 1924, p. 53—54.
SUR LA DATE DU RHOTACISME EN ROUMAIN ET EN ALBANAIS 237
Il est en effet admis que ces deux mots ont pénétré en roumain à l'épo-
que la plus ancienne du contact entre slave méridional et roumain5.
Il y a donc à poser une différence concernant le traitement de l'-n- entre
le roumain et l'albanais : le rhotacisme s'est produit dans ces deux langues
à des dates différentes 6.
(Association internationale d'études du sud-est européen, Bulletin, III, Bucarest, 1965, p. 48 — 49)
6
V. notre Istoria limbii romàne, I I I 6 , Bucarest, 1964, p. 96 — 97.
6
Le rhotacisme est signalé, aussi, dans les emprunts de l'albanais au grec, dans des mots
qui y ont pénétré à une époque ancienne (et même dans des emprunts au néo-grec, ainsi dans
korë < n.-gr. ikona). Le phénomène est donc postérieur au Xl-e siècle, puisqu'il est signalé
même dans les emprunts de l'albanais à l'italien (cf. putërë < it. puttana). On a donc alb.
spërk « bartlos » < anaviç « dürftig, spärlich, bartlos », mais dr. spin « imberbe ». Sur l's des
mots albanais, v. notre Ist. limbii romàne, II, Bucarest, 1964, p. 68, 86 — 87.
S U R L E T R A I T E M E N T D E S G R O U P E S KS, KT
DANS LES LANGUES BALKANIQUES
1 Dans BL, III, 1935, p. 65 et suiv. Nos articles sont reproduits dans ML, p. 267 et suiv.
2 A. Graur, Quelques nouveaux exemples de ks > ps, dans BL, VIII, 1940, p. 236 — 237.
3 D. Detschew, Die thrakischen Sprachresle, Vienne, 1957, p. 566, 571 ; G. R. Solta, c. r. de
l'ouvrage précédent, Indogerm. Forsch., L X V I , 1961, p. 72 — 73.
4 ILR, 252.
6 Rosetti, l.c. L'albanais connaît aussi la vocalisation du k, dans le groupe kt, qui est de date
plus récente.
LES GROUPES KS KT DANS LES LANGUES BALKANIQUES 239
E n grec :
n. pr. : "A^up-roç ("AÇupTOç), xpé^a (Crexi), béotien K6xxu+ ( K 6 X X O £ ) ,
gr. tLopoç (^Tjpoç), grec mod. <J"Tpi (ÇiTpi), ^upi (Çicpiov) ital. mérid. oftô
6
< ÔXTW, nifta < VÛ/.TOC, Terra d ' O t r a n t o oftâ < ÔXT<Î>, dâftilo < SàxxuXoç .
•
Tous ces faits, réunis, montrent que la labialisation des groupes ks,
Jet (qui a abouti, en général, à une occlusive et, en albanais, en italien
méridional à une fricative labiale), en illyrien, en thrace, en vieux macé-
donien, en roumain, en albanais et, dans certains cas, en grec et en italien
méridional, est caractéristique pour les langues parlées anciennement et
de nos jours dans la péninsule des Balkans 7.
6
H . Baric, Lingvisticke studije, Sarajevo, 1954, § 11 ; G. Rohlfs, Historische Grammatik der
italienischen Sprache, I, Bern, 1949, p. 472, note 2.
7
C'est aussi l'avis de G. R. Solta, dans le c.r. cité ci-dessus.
I N D E X DES A U T E U R S