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Cléa Patin
DOI : 10.4000/books.editionscnrs.26179
Éditeur : CNRS Éditions
Année d'édition : 2016
Date de mise en ligne : 28 novembre 2019
Collection : Art
ISBN électronique : 9782271130419
http://books.openedition.org
Édition imprimée
ISBN : 9782271085597
Nombre de pages : 392
Référence électronique
PATIN, Cléa. La fabrique de l'art au Japon : Portrait sociologique d’un marché de l’art.
Nouvelle édition [en ligne]. Paris : CNRS Éditions, 2016 (généré le 29 novembre 2019).
Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/editionscnrs/26179>. ISBN :
9782271130419. DOI : 10.4000/books.editionscnrs.26179.
CLÉA PATIN
Maître de conférences à l’université Jean Moulin dans le département
des études japonaises. Sa thèse de doctorat menée conjointement à
l’Université de Tokyo et à l’EHESS, a reçu le prix Shibusawa-Claudel
2013.
SOMMAIRE
Remerciements
Préface
Pierre-Michel Menger
Introduction
Chapitre I. Alliances et transactions entre marchands d’art : un marché au sein
du marché
I. Genèse de la structuration de la profession
II. Le fonctionnement actuel des transactions entre professionnels
Chapitre VI. Une demande éparse mais passionnée, clé de voûte du marché de
l’art
I. Les difficultés à se repérer dans une offre pléthorique
II. Des achats publics restreints
III. Une tradition de soutiens privés encore vivace mais fragmentaire
Conclusion
Bibliographie
Tables des cartes, tableaux, graphiques, illustrations et photographies
Index des noms japonais
Profil des noms japonais de l’index
Remerciements
Note préliminaire
5 Pour les transcriptions du japonais au français, nous avons
globalement eu recours au système Hepburn modifié. Toutefois,
certains substantifs japonais francisés (kimono, samouraï, etc.) ont été
écrits sous la forme qu’ils prennent couramment dans le dictionnaire.
Quand des entreprises japonaises présentaient une transcription
officielle en anglais, nous avons repris ce nom en priorité (par exemple
Lake レイク , au lieu de Reiku). Enfin, les noms de personnes ont été
présentés dans l’ordre « patronyme + prénom », selon l’usage en
vigueur au Japon.
Préface
Pierre-Michel Menger
NOTES
1. Voir son livre Cultural Excursions, Chicago, University of Chicago Press, 1990.
2. Voir par exemple Peter M. Garber « Tulipmania », Journal of Political Economy, 1989, 97, 3,
p. 535– 557 et du même auteur, Famous First Bubbles, Cambridge (Mass.), MIT Press, 2000.
AUTEUR
PIERRE-MICHEL MENGER
I. Genèse de la structuration de la
profession
3 Au Japon, les ventes privées entre professionnels, dans le cadre des
« réunions d’échange », sont apparues à la fin du xviiie siècle au
moment où la profession s’est fortement structurée, d’abord dans le
sillage des premiers négociants d’art (karamonoya 唐物屋 ), puis suite à
l’émergence de la figure du « marchand d’art » (bijutsushô 美術商 ) au
cours de l’ère Meiji (1). Ces stratégies de rapprochements et d’alliances
culminèrent au début du xxe siècle avec la création de « syndicats »
(kyôdô kumiai 協同 組合/ ), aux barrières à l’entrée très strictes (2).
4 Les ancêtres des galeries japonaises – les karamonoya – sont nées dans
un contexte de complexification de l’environnement artistique, tant
sur le plan de l’offre que de la demande. Du côté de l’offre d’abord, si
les produits d’importation de Chine ou de Corée (karamono)
constituèrent le principal référent dans la fixation de la valeur
artistique au sein des collections privées jusqu’au xve siècle, l’essor de
la pratique de la cérémonie du thé, sous l’impulsion de la classe des
guerriers à partir de l’ère Muromachi (1337-1573), commanda des
innovations majeures au Japon même, tant sur le plan de la production
picturale que de la céramique. Peu à peu, des mouvements artistiques
transcendèrent la distinction traditionnelle entre peinture chinoise
唐絵
(kara-e / ) et peinture japonaise (yamato-e 大和 絵
/ ), tandis que des
maîtres de thé, tels Sen no Rikyû, initiateur des concepts de wabi et
sabi, permirent aux poteries produites au Japon de se frayer une place
en tant qu’art à part entière et de supplanter petit à petit les biens
d’importation dans les acquisitions.
5 Pour ce qui est de la demande, alors que le plaisir de collectionner à
titre privé était d’abord strictement réservé à une élite restreinte,
constituée des membres de la Cour et des seigneurs les plus influents,
il se diffusa aux autres classes de la société pendant l’époque d’Edo. De
fait, à partir de 1603 s’ouvrit une période de prospérité et de
défrichage, pendant laquelle le centre politique se déplaça de Kyôto
vers Edo, et au cours de laquelle le système de résidence alternée dans
la capitale (sankin kôtai参勤交代 ) obligea les daimyô à exhiber leurs
richesses pour rivaliser en prestige culturel. Les nouveaux « citadins »
(chônin 町人 ), établis dans les villes basses autour des châteaux, qu’ils
soient samurai, artisans ou marchands, montrèrent alors un désir
croissant de s’approprier une part, même modeste, du capital culturel.
Cette brusque augmentation de la demande stimula à son tour la
création artistique (à commencer par l’estampe ukiyo-e), et suscita
l’apparition de nouveaux réseaux d’intermédiaires.
6 Mécaniquement, l’extension du marché vers l’Est requérait en effet de
pouvoir assurer la circulation des biens d’art sur de longues distances
dans l’archipel. Les premières karamonoya, nées à Kyôto pendant l’ère
Keichô (1596-1615) 3 , intensifièrent considérablement leurs relations
entre elles et étendirent leur influence sur le plan géographique
(Yamamoto 2010). Le registre Tôkigozakki 陶器後雑記 , rédigé en 1734
par un groupe de négociants d’art implantés dans le Kansai, met ainsi
en lumière des échanges avec des marchands d’Edo (Tôkyô bijutsu
kurabu 1979 : 21). De manière typique, un négociant d’art comme
Fujita Jirôzaemon, originaire d’Ôsaka et actif autour de 1630,
s’approvisionnait dans le port de Nagasaki (pour les œuvres
importées), ou à Kyôto (auprès de courtisans, de seigneurs ou de
diverses institutions religieuses), avant d’acheminer les biens vers la
capitale. Parallèlement, des associations de marchands spécialisées
dans les œuvres d’art (shôshûdan 商集団 ) firent aussi leur apparition
dans le Kansai (Tôkyô bijutsu kurabu 2006 : 59-88).
7 Autre indice de l’augmentation des transactions entre négociants
d’art, on sait que des ventes par adjudication entre professionnels
furent organisées à Kyôto dès l’ère Tenmei (1781-1789), dans le cadre
de la Karamono-ya kumi 唐物度組 , corporation des marchands
d’antiquités de Chine et de Corée (Tôkyô bijutsu kurabu 1979 : 30). À
Ôsaka, une vente par adjudication est attestée le 25e jour du 2e mois
de 1834 (an 5 de l’ère Tenpô), dans le quartier de Fushimichô (Tôkyô
bijutsu kurabu 2006 : 1133). Il s’agissait alors d’ustensiles de thé ayant
appartenu à la famille du grand maître de thé Kobori Enshû , 小堀遠州
貫
qui réalisèrent un chiffre d’affaires total de 9 200 kan (environ 1 380
boisseaux de riz). À Kyôto, une vente d’envergure est mentionnée le
26e jour du 4e mois de 1870, sur les biens de la famille du seigneur
Matsudaira de la province d’Izumo. Du côté d’Edo, les sources restent
plus imprécises. Si nous savons que des « enchères » ont été organisées
dans la capitale dès le début du xixe siècle, notamment dans les
quartiers de Nihonbashi et d’Asakusa, il faut attendre l’organisation de
la première grande vente de l’ère Meiji, en 1871, pour connaître en
détail le volume des biens échangés et le montant des transactions
(Tôkyô bijutsu kurabu 2006 : 1135). Celle-ci, effectuée sur le patrimoine
de la famille du seigneur Sakai du fief de Himeji, inaugura une longue
série, suite à la décision du gouvernement, la même année, d’abolir les
domaines et de réduire les privilèges et prébendes héréditaires des
nobles 4 . L’appauvrissement de la classe des samouraïs et d’une partie
des daimyô força en effet nombre de familles à se dessaisir de leurs
collections.
Les marchands d’œuvres anciennes ont une longue histoire. Autrefois, ils se
réunissaient dans des restaurants ou des auberges, où ils exposaient des peintres.
Ils mangeaient, buvaient, puis s’achetaient mutuellement des œuvres. C’était une
part importante de leur activité. On peut penser que le mécanisme [des kôkankai] à
vu le jour au sein des antiquaires – les marchands d’ustensiles de thé existaient à
l’époque d’Edo – pendant les ères Bunka [1804-1818] et Bunsei [1818-1830]. (Galerie
Kawafune)
8 Ce n’est toutefois qu’à partir du milieu de l’ère Meiji que les
professionnels se structurèrent véritablement sous le terme de
bijutsushô美術商 (marchand d’art) 5 . Le monde artistique se redéfinit
alors en profondeur, centré d’abord sur la découverte et l’assimilation
des techniques artistiques occidentales, puis sur les modalités de
développement d’un art national.
16 Dès le départ, le Tokyo Art Club, dans ses statuts publiés au journal
Chûgai shôgyôshinpô 中外商業新報 , se posait en société commerciale :
il mentionnait clairement l’activité et le but de chacun de ses
fondateurs, ainsi que le montant de son capital et le nombre d’actions
émises. Ses membres, près de 300 négociants d’art, actifs surtout dans
les secteurs traditionnels, se côtoyaient déjà du fait de leur
engagement précédent au sein de la Kiryûkôshô-kaisha et/ou de la
Ryûchikai, mais aussi à cause de l’habitude de se retrouver lors de
ventes aux enchères privées, organisées dès 1886 à Ueno, sous la
présidence tournante de Kurokawa Shinsaburô, Mitani Kanshirô ou
Tazawa Seiun. C’est d’ailleurs devant le succès de ces ventes qu’ils se
décidèrent à acquérir un siège permanent. Leur choix se porta sur un
restaurant dans le quartier de Ryôgoku, quitte à coupler, dans un
premier temps, le commerce et l’exposition des œuvres d’art avec
l’activité de restauration. Mais il fallait pour cela accumuler un capital
de 150 000 yen, d’où l’émission de 3 000 actions de 50 yen, que les
négociants d’art acquirent à raison de 50 actions par personne.
Toutefois ils ne parvinrent avec cette méthode qu’à réunir seulement
la moitié des fonds. Deux marchands, Koyama Tsunejirô et Kawabe
Rikichi, se tournèrent alors vers le « roi du rail », Nezu Kaichirô 13
pour obtenir son soutien. Grâce au rachat par ce dernier des 1 300
actions restantes le Tokyo Art Club put enfin voir le jour 14 .
17 Du côté de la peinture à l’huile aussi, la volonté de s’unir s’imposa avec
plus d’urgence à partir du début des années 1930. L’arrivée sur le
devant de la scène de la très dynamique galerie Nichidô 日副画廊 , ne
pouvait laisser les autres marchands indifférents (Hikosaka Noyoshi,
1985 : 279-393). La décision de fonder l’association qui devait devenir,
après la guerre, le Syndicat des marchands d’art occidentalisé du Japon
(Nihon yôgashô kyôdô kumiai 日本洋画商協同組合 ) s’inscrivait en
effet dans le désir de constituer un petit oligopole, pour limiter la
concurrence et partager les fruits de la croissance. Il s’agissait d’abord
d’éviter les comportements opportunistes et la tendance à « faire
cavalier seul » : les galeristes Nishida Hanpô, Saitô Jirô, Nishikawa
Takerô et Ishihara Ryûichi avaient ainsi très mal vécu que la vente de
la collection Matsukata, suite à la faillite de l’entrepreneur en 1927,
leur ait complètement échappé 15 . En outre, il fallait encadrer
Hasegawa Jin, de la galerie Nichidô, qui risquait d’éclipser tous ses
confrères. En d’autres termes, la priorité était à apprendre à se
connaître, dialoguer et oublier les rancunes accumulées. De manière
plus conjoncturelle, le contexte de l’époque a aussi certainement joué :
en 1939, soit deux ans après le début de la deuxième guerre contre la
Chine et un an après l’adoption de la Loi de Mobilisation nationale
(Kokka sôdô-in hô 国家総動員法 ), la volonté de s’unir s’inscrivait
pleinement dans l’ordre de priorité de l’époque, faire corps autour de
la nation, se rassembler de manière solidaire.
18 Des réunions informelles eurent donc lieu le mercredi midi, à l’hôtel
Daiichi de Shinbashi, avant d’aboutir à la formation officielle de
l’Association Occident (Yôyôkai 洋々会 ), dans une ancienne sucrerie
de Yurakuchô. L’association passa alors de cinq à vingt membres, dont
trois marchands venus spécialement du Kansai. Tous scellèrent leur
bonne entente par une petite excursion dans une auberge de Hakone.
En 1941, elle intègra cinq nouveaux membres et prit le nom
d’« Association des Marchands de la Bonne Entente » (Gashô shinwa-
kai画商親和会 ). En décembre 1957, forte de vingt-cinq membres, elle
se transforma en « Syndicat des Marchands d’Art occidentalisé du
Japon », statut qui reçut l’aval du Bureau du Commerce et de
l’Industrie de Tôkyô en 1958. Aujourd’hui, elle compte trente-six
galeristes venus de tout le Japon, qui se réunissent tous les mois au
Ginza Yôkyô Hall 銀座洋協ホ一ル de Tôkyô. Son texte fondateur met
en avant la résolution de se soutenir mutuellement sur le plan
économique :
Les adhérents, dans un esprit d’entraide, entreprennent ensemble les projets
communs qui leur semblent nécessaires, dans le but de promouvoir et d’assurer
une activité économique équitable. Par ces efforts sur le plan économique, ils
visent aussi à contribuer au développement de notre pays sur le plan culturel et
artistique 16 .
Source : Dessins réalisés par l’auteur d’après les relevés de Hashiguchi Kônosuke.
41 Pratiqué lors des expositions des artistes vivants organisées par les
syndicats, qu’il s’agisse de peintres de nihonga ou de yôga, la vente sous
pli scellé suppose le dépôt de bulletins secrets dans des urnes, un peu à
la manière d’un vote. Le 26 mai 2007, lors de la 7e exposition « Créer à
partir de la tradition, xxie siècle 28 », coorganisée par le Tokyo Art
Club et le Syndicat des marchands d’art de Tôkyô, nous avons ainsi
assisté à une vente à bulletin secret. Naturellement, les prix espérés
n’étaient pas indiqués sous les tableaux. À l’entrée du bâtiment
s’alignaient des boîtes en bois portant chacune le nom d’un artiste. Les
marchands – et eux seuls – étaient habilités à glisser un papier dans la
fente, sur lequel ils inscrivaient ce qu’ils pensaient être le prix du
marché (shijô kakaku 市場価格 ), ainsi que le montant auquel ils
souhaitaient acquérir l’œuvre, s’ils étaient intéressés. Les bulletins
étaient ensuite lus et départagés de manière collective. Contrairement
au wan-buse, dans la plupart des ventes sur offre on peut proposer
plusieurs prix, par ordre décroissant : par exemple, trois quand les
œuvres se situent au-dessus de 10 000 yen, quatre au-dessus de 100 000
yen. La possibilité de choisir parmi ces montants laisse aux marchands
une certaine latitude dans la fixation des cotes, favorisant plus la
moyenne que le plafond.
57 Au cours de leur histoire, les marchands d’art japonais ont formé entre
eux des réseaux d’alliance puissants pour favoriser la circulation des
œuvres. Avec les karamonoya, ils ont ainsi développé un dense réseau
de diffusion sur tout le territoire, avant de commencer, dès la fin du
xviiie siècle, à organiser des ventes réservées aux seuls professionnels
(kôkankai), lors de rassemblements festifs dans les auberges de Kyôto
ou d’Edo. Alors que sous l’ère Meiji naissaient de nouvelles normes
artistiques à l’origine d’un académisme à la japonaise (les mouvements
yôga et nihonga), leurs missions se sont encore élargies : avec la
complicité des élites administratives, ils se sont d’abord attelés à
exporter leur peinture « nationale », à travers des associations ou des
entreprises, comme la Kiryûkôshô-kaisha ou la Ryûchikai, mais ces
tentatives n’ayant pas les effets escomptés, ils sont revenus à la
consolidation du marché intérieur au tournant du xxe siècle. Formant
désormais une profession à part, distincte des experts de la cérémonie
du thé ou des grands exportateurs, ils ont alors su se regrouper au sein
d’associations et de syndicats, pour limiter les effets destructeurs de la
concurrence et partager les fruits de la croissance. Parallèlement, forts
de liens symbiotiques avec les chefs de file des artistes dans l’art
traditionnel, ils ont œuvré pour contrôler les fluctuations des cours du
marché, ainsi que le processus de consécration des artistes.
58 Dès lors, le système des kôkankai est peu à peu devenu central, quelle
que soit l’évolution de la conjoncture : en période d’envolée du
marché, ces ventes privées ont permis de gérer au mieux
l’approvisionnement en œuvres, autorisant les marchands à réaliser
des marges importantes, tandis qu’en période de stagnation ou de
récession, elles ont servi de débouché stable et régulier aux galeries
dans l’embarras, grâce à des pratiques enracinées de financement et
de solidarité mutuels. Cependant, de par leur fermeture même, leur
manque de transparence (les transactions, cachées au monde
extérieur, échappent non seulement aux collectionneurs, mais parfois
au fisc) et leurs difficultés d’adaptation (elles se révèlent notamment
incapables d’absorber l’art contemporain), elles ont aussi freiné toute
velléité de réforme. Aujourd’hui, concurrencées de front par les
auctioneers et par les maisons de vente aux enchères japonaises, elles
traversent une crise profonde. Si l’augmentation des effectifs des
syndicats a momentanément retardé l’implosion du système en
engendrant une hausse du volume des transactions, elle a aussi
entraîné une baisse de la qualité des œuvres échangées, un
nivellement par le bas du niveau d’expertise, un relâchement des liens
entre les membres et une incertitude plus forte sur leur santé
économique. Fonctionnant de plus en plus en vase clos, les kôkankai
s’affaiblissent à terme sans débouchés extérieurs. Or, en leur sein, tous
sont solidaires, pour le meilleur et pour le pire. Aujourd’hui, les
galeries japonaises sont donc à l’affût : du dénouement de cette crise
dépendra la survie de tout un pan du marché.
NOTES
墨蹟之寫 , tenu vers 1611 par le
3. Elles sont évoquées dans le registre Bokuseki no utsushi
moine Kôgetsu Sôgan au temple Daitokuji (Takeuchi 1976), de même que dans le Gakumeiki 隔
蓂記, rédigé entre 1625 et 1660 par Hôrin Jôshô, supérieur au temple Rokuonji (Oka 1998). Par
exemple, Kôgetsu Sôgan consigna des informations sur des œuvres d’art en rapport avec le
sceau des artistes, les précédents propriétaires, le degré d’authenticité et le prix d’achat. Ainsi
sait-on que le rouleau vertical de Jitsuden Sôshin, intitulé « Fuyo shûtaku koji shôzôga san » 付
与宗托居士肖像画賛 fut acquis auprès du marchand Fujiemon, ce qui en fait l’un des
premiers négociants d’art recensés au Japon.
4. Cinq ans plus tard, le gouvernement imposa encore aux samouraïs et aux anciens chefs de
petits domaines une réduction supplémentaire de leurs revenus. Ainsi, un samouraï de haut
rang qui bénéficiait d’une rente de 1 000 boisseaux de riz avant la Restauration, n’en perçut
plus que 400 en 1868 ; en 1876, il se vit obligé de subsister avec l’équivalent de 150 boisseaux
en monnaie (Akamatsu 1968 : 80).
5. Afin d’assimiler la pensée et les techniques occidentales, le Japon de Meiji se lança dans un
formidable effort de définitions (Lozerand 2005, Lucken 2001 : 23-24), au point de
révolutionner sa langue. Les Japonais forgèrent à partir du lexique chinois des couples
notionnels nouveaux – c’est le cas de bijutsu 美術
(art, beaux-arts) et bigaku 美学
(esthétique).
6. Les okimono sont de menus objets en émail cloisonné, en bronze ou en ivoire, qui décorent
souvent le renfoncement de la pièce principale de la maisonnée (tokonoma 床の間 ). Ils
s’exportent principalement entre 1870 et 1880.
7. Ce terme, qui se réfère aux tableaux dans le style occidental élaborés par les Japonais, se
distingue de seiyôga 西洋画 , utilisé pour les œuvres importées d’Occident (Miyazaki 2007,
Lucken 2001 : 28-36).
8. La Kiryûkôshô-kaisha s’avéra dès le départ particulièrement dynamique dans la capitale
française : elle y ouvrit une branche et y organisa deux expositions d’art japonais, en 1883 et
1884. De l’autre côté de l’Atlantique, son action s’établit à New York et Newport (Rhode Island)
(Tôkyô bijutsu kurabu 2006 : 89-108).
9. Embauché comme traducteur par la Kiryûkôshô-kaisha dans la perspective de l’exposition
universelle de Paris de 1878, Hayashi Tadamasa se mit à étudier sérieusement l’histoire de l’art
japonais sur les conseils d’Iwai Kenzaburô. En 1882, tous deux fondèrent la Iwai-Hayashi
company 若井・林・カンパニー , active à Paris, Londres et New York. De retour en France,
où il s’établit pendant 27 ans, Hayashi tissa des liens fructueux avec de nombreux acteurs du
marché de l’art, dont les critiques Louis Gonse et Edmond de Goncourt, le marchand Samuel
Bing et les peintres Monet et Degas (Kigi 1987).
10. Elle compta d’éminents hauts fonctionnaires, à commencer par son président, Sano
Tsunetami, et son vice-président, Kawase Hideji, Directeur du Département des Affaires
commerciales du ministère des Finances. Du côté du ministère de l’Éducation, elle bénéficia de
l’appui du baron Kuki Ryûichi.
11. Les membres de la Ryûchikai (appelée pendant la première année Kanko bijutsu-kai 観古
美術会 ) se réunirent mensuellement pour sauver les objets qui leur étaient chers, en les
soumettant à l’expertise de leurs confrères.
12. La première s’effectua dans le plus grand désordre : le comité de sélection n’eut le temps
de se procurer que 51 tableaux et 22 rouleaux anciens. Cela ne suffit guère pour meubler l’aile
nord du Palais de l’industrie, et les Japonais se virent obligés d’emprunter une centaine
d’œuvres à Samuel Bing. Alors qu’Iwai Kenzaburô, un proche du marchand parisien, suggérait
de limiter les toiles de bunjin-ga à une cinquantaine d’artistes et de favoriser les estampes
ukiyo-e, son conseil fut ignoré. L’année suivante, malgré une préparation nettement plus en
amont – la Ryûchikai commanda pas moins de 250 tableaux à 152 peintres – le projet connut
de nouveau un revers. Sur les deux expositions, seulement 80 œuvres reçurent des critiques
élogieuses. Les ventes se trouvèrent en chute libre.
13. Nezu Kaichirô, originaire de la ville de Kaikoku dans le département de Yamanashi, devint
député en 1904 à la Chambre des Représentants ; l’année suivante, il présida la compagnie
ferroviaire Tôbu. Au faîte de sa richesse, il se lança dans l’achat d’œuvres d’art
(principalement des ustensiles de la cérémonie du thé). À sa mort, il légua sa collection à la
Fondation du musée Nezu.
14. Après le tremblement de terre de 1923, le Tokyo Art Club déménagea une nouvelle fois
pour établir son siège dans l’arrondissement de Shiba, à Atagoshita, un quartier plutôt calme
mais dynamisé par une ligne de chemin de fer le reliant à Shinbashi. Ce nouveau local
contentait les marchands situés à Nihonbashi, Kyôbashi, mais aussi Shiba, Akasaka et Azabu
(assez nombreux à l’époque).
15. La vente de la collection Matsukata revint au marchand Suzuki Satoichirô, qui négocia un
monopole en sa faveur, en 1934, avec la banque Jûgo ginkô 十五銀行 (chargée d’apurer les
dettes du grand collectionneur). Aux yeux de ses confrères, il aurait abusé de son rang
d’« aînesse » – c’est le plus âgé de la première génération de yogashô – pour soutirer de
l’information et étendre son réseau d’influence (Hikosaka 1985 : 356-369).
16. Site officiel : http://www.yokyo.or.jp/introduction/index.html
17. Issue du Tôkyô bijutsushô shinkô kumiai 東京美術商親交組合 , fondé en 1924, cette
organisation a par la suite changé quatre fois de noms avant de trouver son appellation
actuelle. Aujourd’hui, elle est souvent désignée sous l’abréviation Tôbi 東美
. Si le Tôkyô
bijutsu kurabu a pour but de développer des relations d’amitié entre marchands et stimuler
l’échange d’information, le Tôkyô bijutsu-shô kyôdô kumiai se place plus concrètement du
côté des échanges monétaires et commerciaux.
http://www.toobi.co.jp/association/index.html
18. Même si ce syndicat comprend des membres actifs dans tous les domaines de l’art
« traditionnel » (kobijutsuya, nihongashô et yôgashô) plus de la moitié restent tournés vers l’art
ancien, ce que reflète la nomination de Shimojô Keiichi (galerie Kobijutsu Shimojô 古美術下
條 ) comme président. Toutefois, les galeries spécialisées dans le nihonga, telles Murakoshi garô
村越画廊 , Awazu garô 粟津画廊 , Natsume bijutsu-ten 夏目美術展 , Sankeidô 三溪堂 ou
Seiryûdô 青龍堂 ont joué un rôle important dans la hiérarchie du groupe.
19. Shin bijutsushô kyôdô kumiai 新美術商協同組合 , dont l’origine remonte à 1978. Voir les
règles d’admission sur le site (http://www.gm2000.co.jp/sinbishou.html).
20. Il vient du latin auctio, qui désignait les ventes aux enchères dans la Rome antique, qu’il
s’agisse de celles des particuliers ou de celles de l’État, des ventes volontaires ou des ventes
forcées.
21. Le système japonais d’enchères scellées au premier prix (nyûsatsu seido 人札制度 ), qui se
distingue des enchères orales (seriuri 競り売り ) par le fait que l’enchérisseur ne reçoit aucun
signal de la part des autres participants lorsqu’il remet son offre, serait né à la fin du
xvie siècle. Toutefois, il ne concerne alors que des transactions privées. Si le bakufu met en
garde les magistrats en charge de l’entretien des infrastructures (kobushin bugyô 小普請奉行 )
contre les ententes collusoires dans la répartition des marchés publics dès 1661, il faut
attendre le début de l’ère Meiji pour que le gouvernement adopte officiellement un système
d’enchères sous enveloppe cachetée pour les appels d’offres et les contrats publics
会計
(concessions, travaux, prestations ou fournitures), avec la Loi sur la Comptabilité (Kaikei hô
法) de 1889 (Kinoshita et al. 2010 : 169-180).
22. Les enchères ascendantes sont appelées couramment « enchères anglaises », tandis que les
enchères descendantes sont nommées « enchères hollandaises ».
23. . On doit la première étude conceptuelle majeure des mécanismes d’enchères à Lawrence
Friedman, qui cherchait à anticiper les comportements des agents lors de l’enchérissement
(Friedman 1956 : 104-112). En 1961, William Vickrey a également appliqué une théorie
novatrice – celle des jeux – aux mécanismes de l’enchère. Il montre que l’acheteur qui suit
trop son intuition ou se laisse emporter par son ambition peut être aveuglé par le
surenchérissement des concurrents et acquérir le bien ou le service à un prix nettement
supérieur à sa valeur initiale (Vickrey 1961 : 8-37).
24. Ces enchères ayant été théorisées par William Vickrey, on les appelle aussi « enchères de
Vickrey ». De nos jours, elles sont souvent utilisées lors des transactions sur Internet.
25. Sous l’impulsion d’un maître de cérémonie, une trentaine de confrères se réunissaient
dans des salles louées à cet effet, et festoyaient gaiement en cercle avant de passer aux
affaires. En cas d’achat, le paiement avait lieu un mois, voire soixante jours après
l’adjudication, tandis que l’organisateur prenait une commission de 10 % à 20 %.
26. Du côté des libraires, il semblerait que cette pratique soit plus récente : elle serait apparue
au début de l’ère Taishô, au sein de l’Association des libraires de livres anciens (koten-kai古典
会).
27. http://www33.ocn.ne.jp/~seibundo/glossary/wa.html
28. « Dai nana kai dentô kara no sôzô 21 seiki-ten » 第 7 回伝統からの創造 21 世紀展.
Chapitre II. Les grands magasins,
vecteurs privilégiés de la diffusion
des œuvres d’art
11 Mitsukoshi également, à partir des zuan, s’est vite tourné vers d’autres
supports 32 . Sa première grande exposition présente une
rétrospective du peintre de l’école Rinpa, Ogata Kôrin.
Notre première exposition remonte à 1904, avec des œuvres d’Ogata Kôrin. Elle a
connu un succès phénoménal, au point de retarder, vers 15 h, la parution des
journaux du soir. Il y avait tellement de monde que les gens ne pouvaient même
plus entrer. Par ailleurs, comme la mode était aux kimonos, nous avons réutilisé ces
motifs pour doper nos ventes. (Mitsukoshi)
Le monde du rail
17 Avant la guerre, alors que le réseau des musées publics et privés restait
encore embryonnaire, les grands magasins ont assumé sciemment une
mission de service à l’égard de la clientèle et, au-delà, de la société, qui
s’est exprimée concrètement par la gratuité des expositions. Ce n’est
pas une coïncidence si leurs chefs de file sont apparus au début du
xxe siècle, à l’heure où naissaient les premiers musées scientifiques de
type occidentaux (hakubutsukan 博物館
) : ils partageaient ensemble
une même vocation à montrer, éduquer, rassembler – en d’autres
termes une même culture de l’exposition. Après la guerre, face aux
destructions matérielles et à l’impuissance du gouvernement à
soutenir le secteur culturel, les grands magasins sont même allés plus
loin : ils se sont substitués aux pouvoirs publics pour participer à
l’éducation artistique de la population.
Les grands magasins japonais ont pour tâche de diffuser les arts et la culture à un
large public. Ils ne se contentent pas de vendre des objets, mais participent à
l’amélioration des conditions de vie des habitants de la région. (Kintetsu)
Dans les années 1930, il n’y avait presque pas de musées d’art au Japon. Ils sont
apparus après la guerre, surtout au cours des années 1960. Du coup, nous autres
grands magasins avons joué ce rôle de musée. Au 8e étage, on exposait des
Bonnard, des Marie Laurencin, des Chagall, ou des porcelaines de Meissen… Nous
avons organisé une exposition pionnière de Picasso dès 1950. Malheureusement, à
partir du moment où des musées ont été fondés dans chaque département, nous
avons dû nous rabattre sur des artistes moins célèbres. Nous compensions alors en
vendant leurs créations à l’étage en dessous. (Takashimaya)
Quand le grand magasin Odakyū a été inauguré, en 1967, il n’y avait pas
d’établissements culturels à Shinjuku, tels que des musées d’arts ou de sciences.
Nous avons donc conçu cet espace dans la perspective d’un service culturel rendu
aux habitants du quartier. (Odakyū)
18 Toutefois, la notion de « service culturel », très forte par le passé, tend
à se déliter aujourd’hui. À l’image de l’ensemble de l’entreprise, la
section artistique est désormais tenue de faire des profits, ce qui
subordonne ses choix artistiques à une perspective plus commerciale.
Pour assurer sa survie, elle doit avancer des gains symboliques, en
terme de fidélisation de la clientèle, de différenciation face à la
concurrence et, plus généralement, de prestige.
La galerie d’art nous permet de nous différencier des supermarchés et des
magasins spécialisés. (Kintetsu)
Si autrefois les grands magasins se sentaient naturellement investis d’une mission
à l’égard de la société, l’aspect marketing a pris le dessus ces derniers temps. La
notion de mission culturelle s’affaiblit. Toutefois, les œuvres d’art restent
importantes en terme de prestige, (surtout vis-à-vis des gros clients) et de
mobilisation de la clientèle. (Isetan)
En offrant des œuvres d’art inédites, que l’on ne trouve pas dans d’autres
boutiques, les grands magasins soulignent leur propre valeur à exister. Mais il faut
combiner le devoir de stimuler les clients sur le plan culturel avec des ventes
lucratives. (Meitetsu)
23 Quoi qu’il en soit, les ventes associées aux collections des grands
maîtres actuels de la cérémonie du thé sont encore capables d’attirer
les membres de la haute société, qui se déplacent en grande tenue
pour l’occasion.
Nous avons présenté cette année une exposition de la collection des ustensiles de
, en l’honneur du 70e anniversaire du maître
35
thé de la famille Omotesenke
actuel de la lignée. C’est une tradition : tous les dix ans, nous réunissons les
créations des dix artisans auxquels les descendants de Sen no Rikyû commandent
leurs ustensiles de thé, ainsi que les croquis et les objets préférés de l’iemoto.
L’exposition n’a pas été envoyée en province, mais a attiré des visiteurs venant de
tout le Japon. Le milieu social de la clientèle m’a alors semblé très différent de ce
que l’on voit habituellement : on venait en kimono – et quels kimonos !
(Takashimaya)
39 Les artistes aussi concèdent volontiers qu’à défaut d’être des « pros de
l’art », les employés des grands magasins sont des « pros de la vente ».
Voici le témoignage d’un jeune peintre de nihonga :
Tout s’est déroulé de manière très intelligente et j’ai énormément appris. Ce sont
des pros de la vente : ils ont une manière d’approcher le client avec beaucoup de
tact. Contrairement aux vendeurs de vêtements qui lancent « vous cherchez des
culottes ? des vestes ? », ils attendent que le visiteur ait vu la moitié de l’exposition,
puis ils l’orientent imperceptiblement vers les œuvres qu’ils pensent être en accord
avec ses goûts. Et ils devinent juste ! On sent derrière eux un siècle d’expérience. Ils
savent s’occuper des œuvres d’art. (Peintre de nihonga H)
Un fonctionnement en réseau
L’exception Seibu
63 Les grands magasins doivent aussi une bonne part de leur collection à
la perduration d’une tradition qui n’existe pas en France : celle de
l’envoi croisé de cadeaux, au moment de deux événements clés de la
vie japonaise : ochûgen 46 et oseibo. Pendant ces périodes, qui suivent
globalement les solstices d’hiver et d’été, les Japonais ont pour
habitude de se faire des dons et des contre-dons de cadeaux (okurimono
贈り物 ), soit par gratitude, soit par devoir. En tant qu’acteurs de la vie
sociale, les grands magasins n’échappent pas à la règle et participent à
cet envoi généralisé de présents, pour remercier leurs meilleurs
clients. Ils commandent donc des œuvres (dessins, tableaux, rouleaux
illustrés) à des calligraphes et des peintres de renom, qu’ils
reproduisent sous la forme de boîtes, d’éventails (plats ou pliants) et
de grands carrés d’étoffe (furoshiki 風呂敷
). Leur choix se porte
toujours sur des artistes à la notoriété extrêmement forte, puisque
celle-ci rejaillit directement sur l’établissement.
Nous n’avons pas de véritable collection, mais nous avons conservé les dessins
originaux qui ont servi à la fabrication de calendriers, à l’envoi d’éventails, à
l’élaboration d’affiches publicitaires. (Mitsukoshi)
Notre « collection » se présente sous une forme ancienne : elle se trouve
intimement liée au rituel des salutations saisonnières, ochûgen et oseibo. Elle
rassemble aujourd’hui environ 400 artistes, artisanat d’art inclus. (Takashimaya)
Image 8 : Coffret représentant la succession des fleurs au fil des saisons (shiki sôka
bunko 四季草花文庫 ), par Kamisaka Sekka 神坂雪佳 , peintre qui a aussi collaboré aux
affiches et aux zuan © Takashimaya shiryôkan.
70 Nous l’avons vu, les grands magasins n’abritent pas en leur sein de
véritables historiens d’art. Ils sont mal armés face à des erreurs
d’appréciation, qui peuvent cependant causer des dommages
considérables tant sur le plan du chiffre d’affaires que du prestige.
Dans certains rares cas, l’erreur peut même tourner à la malversation.
Ce fut le cas à l’été 1982, lorsqu’au sein de l’exposition « Trésors de la
Perse antique » (Kodai perusha hihô ten 古代ペルシャ秘宝展 ), la
quasi-totalité des œuvres – des tapis persans anciens – se sont révélées
être des faux (Gerlach 1992 : 111-113).
71 Revenons un instant sur ce scandale. Quand Mitsukoshi lance
l’événement, le 28 août, des experts en Iran comme au Japon, tels
Tanabe Katsuhiko du Musée d’Antiquité Orientale, font vite part de
leurs doutes. Sous leur pression, des recherches plus poussées mettent
au jour un mécanisme très étudié de fraude collective (Nanao 2006 :
74-117). Tout d’abord, le directeur de l’entreprise à laquelle
l’organisation de l’exposition avait été déléguée, Watanabe Chikara, un
proche du président de Mitsukoshi, Okada Shigeru, avait sélectionné
lui-même les pièces en sachant que la plupart n’étaient pas
authentiques – d’où le manque flagrant d’informations concernant
leur provenance au moment de l’exposition. Il s’était globalement
fourni auprès de l’entreprise Nejatora Sakai ネジャトラ サカイ • , dont
l’un des fondateurs, Irai Sakai 47 , de nationalité américaine mais
marié à une Japonaise, s’était évaporé dans la nature juste avant
l’inauguration. Quant aux « antiquités » perses, la plupart avaient été
acquises à Londres, voire au Japon même : sur les quarante-sept pièces
exposées, six provenaient d’un atelier de Yokohama. Elles avaient
d’abord transité par un antiquaire de Chiba, puis par un magasin de
Tôkyô appelé Mujinzô 無尽蔵 , avant de grossir le lot des œuvres
rassemblées par Sakai. L’atelier aurait mis en garde son client contre
une utilisation frauduleuse des biens (les tapis étaient vendus dix-sept
fois plus cher que le prix de sortie d’usine), mais ces avertissements
avaient été ignorés. La fraude avait d’ailleurs été assumée au point que
certaines pièces avaient été renvoyées au fabricant pour que soient
accentués les points de ressemblance avec de véritables antiquités.
72 L’affaire, dévoilée à grand bruit par la presse, eut un impact tellement
corrosif sur la réputation de Mitsukoshi qu’elle éclaboussa au passage
les autres membres de son keiretsu – Mitsui en premier lieu –, qui
réagit avec la plus grande fermeté : on menaça le grand magasin de le
priver des achats à l’occasion des périodes rituelles de dons et de
contre-dons de cadeaux, l’une des sources majeures de son bénéfice
annuel. Acculé, le Conseil d’Administration n’eut d’autre choix que de
destituer son P-DG, une première dans l’histoire des entreprises
japonaises.
C’était un sacré scandale, qui faisait tous les jours les choux gras des médias. À
l’époque, je suis allé voir l’exposition de l’une de mes connaissances à Mitsukoshi :
il n’y avait plus personne ! Depuis, j’ai la hantise d’exposer des objets que je ne
connais pas. (Takashimaya)
Rivalité et compétition
Complémentarité
90 Dans les grands magasins, les tableaux se négocient au cas par cas,
selon le coût du matériel, la réputation de l’artiste et son ancienneté
dans le métier. À Kintetsu ou Matsuzakaya, on écoule en moyenne 500
toiles par an, pour un prix qui varie entre 100 000 et 200 000 yen. Une
lithographie se situe plutôt entre 50 000 et 100 000 yen. Du fait de la
cherté des fournitures, les tableaux de nihonga commandent
structurellement des prix plus élevés. Par exemple, si l’achat des
pigments avoisine 20 000 yen par jour et qu’il faut une dizaine de jours
pour produire l’œuvre, on atteint des coûts de production proches de
300 000 yen. Le grand magasin opte alors pour une étiquette autour de
500 000 yen.
91 Toutefois, dans bien des cas, pour une même œuvre, existent des
signaux de prix divergents. Par ordre croissant viennent ainsi le prix
fixé par la galerie d’origine, celui négocié auprès des galeries suiveuses
et celui décidé par le grand magasin. Ce différentiel alimente un
contentieux profond. Les grands magasins considèrent qu’un prix
élevé est une garantie de sérieux et que les galeries cherchent à établir
un argument de vente discriminant à leur égard. Les galeries, quant à
elles, pensent qu’une hausse brutale des cotes ruine leurs efforts de
maintien des prix à des niveaux viables sur le long terme. Elles
s’indignent d’autant plus qu’il leur est impossible de réduire les prix
par la suite : une baisse constitue en effet un signal négatif à l’égard du
marché.
Les grands magasins prennent une commission considérable : ils proposent à
240 000 un tableau qui n’en vaudrait pas plus de 100 000 en galerie. Sans doute est-
ce pour eux le seul moyen de s’en sortir. Mais du coup, les œuvres connaissent une
sorte d’inflation et une petite galerie comme moi se retrouve dans l’impossibilité
de vendre, quel que soit l’endroit. C’est un point délicat : il faudrait que les cotes
augmentent petit à petit, toujours sous contrôle. L’une de mes artistes a justement
commencé à exposer dans le cadre d’une galerie spécialisée dans la vente au sein
des grands magasins. Cette dernière ne pouvait pas maintenir les prix que nous
proposions, ils étaient trop bas, ce n’était pas rentable pour elle. Alors elle les a
fixés à 30 000 le point, puis 35 000 et enfin 40 000, alors qu’ils plafonnaient chez
nous à 25 000 ! Un tel écart s’est révélé embarrassant. Nous avons été obligés de
nous aligner, afin de former une unité sur tout le territoire. (Marchand TM, Galerie
T-Box)
93 In fine, aux yeux des marchands comme des grands magasins, la seule
marge de flexibilité repose du côté des artistes : bon nombre de
négociations se font à leur dépend. Les peintres débutants
notamment, doivent endosser une partie non négligeable des coûts.
Trois points les rendent particulièrement vulnérables : tout d’abord, la
concurrence entre eux est telle qu’ils ne peuvent se permettre d’être
trop exigeants, au risque de se faire remplacer par un confrère.
Ensuite, ils ont tendance à valoriser une certaine capacité à
l’abnégation dans une perspective de « l’art pour l’art » (le mythe de
l’artiste maudit a la vie dure dans l’imaginaire collectif), ce qui les rend
peu aptes à défendre leurs intérêts. Enfin, ils font face, quand ils
exposent en grand magasin, à une multiplication des intermédiaires,
qui contribue à la réduction de leurs marges.
94 Happés dans le duel entre galeristes et grands magasins – les premiers
bataillant pour une augmentation régulière des cotes, les seconds pour
un gain important, mais ponctuel – les artistes se rangent presque
toujours du côté de leurs marchands. On aboutit alors à une situation
paradoxale où ils se battent pour être payés moins cher. Ils affirment
alors se satisfaire des progrès enregistrés dans la circulation de leurs
œuvres, ainsi que des retombées en terme de prestige et de
reconnaissance sociale. Certes, certains n’ont vu leurs proches
accepter de les voir embrasser une vocation artistique qu’à partir du
moment où un grand magasin les a pris sous son aile (une exposition à
Mitsukoshi, Takashimaya ou Daimaru s’avère nettement plus parlante
pour un parent salarié d’entreprise, que l’activité d’une sombre galerie
au fin fond de Ginza). Ainsi, malgré un partage des bénéfices en leur
défaveur, ils laissent dans les livres d’or des messages emprunts de
gratitude. Une artiste raconte ainsi son parcours :
J’ai d’abord exposé à Daimaru, puis dans un nombre croissant de grands magasins,
de Hokkaidô à Kyûshû. (…) Depuis le début, les grands magasins me pressent de
faire monter la valeur du point, mais je m’y oppose fermement. Ça me fait peur… Je
ne veux surtout pas me couper des galeries. Alors j’ai accepté de réduire ma part de
bénéfices. (…) Quand on travaille avec une galerie, les profits sont partagés à parts
égales. Ce n’est pas le cas avec les grands magasins, puisque plusieurs
intermédiaires entrent en jeu. Or, on pourrait penser que trois personnes
recevraient chacune un tiers. Il n’en est rien. Je ne reçois qu’entre 10 et 12 % des
bénéfices. Avec l’achat des cadres, il ne me reste plus rien. Mais il faut voir le bon
côté des choses : les personnes au contact de mes œuvres augmentent. Et tout ce
que je voulais, c’était devenir artiste. (Peintre de nihonga S)
95 Ce témoignage se trouve corroboré par un autre jeune peintre de
nihonga :
Quand j’ai exposé, en août dernier, à Takashimaya, on m’a dit : « Vos œuvres sont
les moins chères que nous ayons jamais vues ! ». C’est dire à quel point le prix était
bas. En règle générale, quand on expose dans un grand magasin, les prix
augmentent subitement, d’autant plus que d’autres marchands s’introduisent en
tant qu’intermédiaires. On atteint alors des niveaux qui ne sont plus tenables
quand il s’agit de réexposer par la suite dans des galeries de Ginza. Je suis au début
de ma carrière ; j’ai encore des amis du même âge qui veulent acquérir mes
œuvres… Je souhaite qu’elles restent accessibles. Alors, même si c’est
embarrassant, j’ai répondu : « N’augmentez pas les prix. Tant pis si je ne gagne pas
d’argent, si je reçois zéro yen ! » J’ai insisté pour que les prix restent bas. Comme
ces personnes sont très sympathiques, elles ont accepté. (Peintre de nihonga H)
97 Sur un siècle, les grands magasins ont réussi à s’imposer comme des
animateurs incontournables de la vie artistique : alors que certains
peuvent revendiquer des liens très forts tissés avec le monde artistique
dès l’époque d’Edo, tous ont souhaité pallier, dans l’immédiat après-
guerre la faiblesse des politiques culturelles et la quasi-absence de
musées publics, avant d’alimenter, dans les années 1970-80, le vaste
mouvement de commercialisation de la culture. Un repli s’est certes
opéré depuis le milieu des années 1990, mais ils continuent d’agir sur
deux segments : la gestion culturelle (expositions de prestige) et le
commerce de l’art. Dans ce dernier cas, leur action a glissé, depuis le
milieu des années 1970, de la vente d’art ancien et/ou importé vers
celle d’œuvres réalisées par des artistes japonais vivants. Enclins à
favoriser l’art figuratif traditionnel, ils ont bénéficié, par rapport aux
galeries, d’atouts incontestables, en terme de proximité de la clientèle,
de visibilité (prestige de l’enseigne, force de frappe publicitaire), et de
réseau (possibilité de faire tourner les expositions au sein de leurs
branches). En revanche, ils se sont montrés moins producteurs de
valeur ajoutée : en effet, ils ne peuvent reprendre des œuvres à des
clients, s’approvisionner dans des réunions d’échange, effectuer des
acquisitions risquées, ou encore intervenir sur le marché pour
endiguer les mouvements spéculatifs. Au contraire, ils seraient plutôt
à l’origine d’une hausse artificielle des prix, dommageable aux
marchands, et d’une multiplication des intermédiaires, qui se
répercute sur le pourcentage des artistes.
98 Cependant, à la croisée de plusieurs chemins, les grands magasins
doivent aujourd’hui se réinventer un rôle. Ainsi Takashimaya a-t-il fait
le choix osé mais généreux de soutenir l’art actuel, tandis que
Mitsukoshi peut se vanter d’avoir inspiré à Jacques Toubon, lors d’une
exposition organisée en 1994 à l’espace Étoile, intitulée « 95 Trésors
Nationaux Vivants », la décision de lancer les « maîtres d’art » sur le
modèle japonais. Dans ce milieu de la grande distribution, où la
concurrence fait rage et où les biens apparaissent de plus en plus
standardisés, la culture pourrait plus que jamais constituer un vecteur
de prestige et de différenciation.
NOTES
29. Les Galeries Lafayette, dans l’optique d’une transversalité entre la mode, les arts plastiques
et le design, ont inauguré en 1922 les ateliers d’arts appliqués « La Maîtrise ». Dirigés par le
décorateur Maurice Dufrêne, ceux-ci avaient pour vocation de produire des œuvres d’art
(meubles, tissus, tapis, papiers peints, céramiques). Toutefois, ce grand magasin n’a ouvert une
galerie d’art qu’en 2001. (http://haussmann.galerieslafayette.com/culture-et-patrimoine/)
30. Echinoya a été fondée dans le quartier de Honchô à Edo, vers l’actuel emplacement de la
Banque du Japon. Sa façade ne dépassait alors pas 2,9 mètres de largeur. Elle a déménagé à
Surugachô en 1683, puis diversifié son activité dans le domaine du change – à l’origine de
l’actuelle banque Mitsui-Sumitomo 三井住友 –, avant d’ouvrir une filiale à Ôsaka en 1691.
31. Celle-ci abrite encore le théâtre Mitsukoshi.
32. Pour le détail de la chronologie des expositions de Mitsukoshi depuis 1904, se référer à
Takata 2004.
33. Dans la capitale, la ligne périphérique Yamanote, inaugurée en 1925 par la compagnie
Nippon Tetsudô, a précédé de deux ans la première ligne de métro, établie par la compagnie
Tôei, entre Ueno et Asakusa (embryon de l’actuelle ligne Ginza).
34. En règle générale, le mari est tenu de confier son salaire à son épouse. Celle-ci lui reverse
un montant d’argent de poche préalablement négocié entre eux (il n’existe pas au Japon
d’équivalent du « compte joint »). La générosité ou à l’inverse le sens de l’épargne des
maîtresses de maison se répercutent donc sur l’allocation des ressources pour tout le foyer.
35. L’une des trois branches d’enseignement de la cérémonie du thé, avec Uransenke et
Mushanokojisenke, dont les maîtres sont des descendants directs de Sen no Rikyû.
36. Sakaida Kakiemon XIV (1934- ?) représente une lignée de potiers établie sur les fours
d’Arita, dans le département de Saga à Kyûshû, dont le maître fondateur est Sakaida Kakiemon
(1596-1666). Il a été promu « trésor national vivant » en 2001.
37. . Uemura Shôen (1875-1949), Uemura Shôkô (1902-2001), Uemura Atsushi (1933- ?),
Uemura Jun. ichirô (1963- ?).
38. Les expositions montées par les grands quotidiens nationaux (Asahi Shimbun 朝日新聞 ,
Yomiuri Shimbun 読売新聞 , Mainichi Shimbun 毎日新聞 , Nikkei Shimbun 日経新聞, Sankei
Shimbun 産経新聞, etc.) ou régionaux (Daily Tôhoku デ一リ一東北, Chûnichi Shimbun 中日
新聞 , etc.) dépendent des sections de programmation culturelle (bunka kikaku-bu 文化企画
部). Celles-ci abritent des spécialistes du marketing ou de l’événementiel et se distinguent des
sections de rédaction spécialisées dans le domaine de la culture (bunka-bu 文化部 ), animées
par des journalistes.
「ルノワ一ル展」 , elle s’est déroulée du 26 septembre au 6
39. Intitulée « Renoir-ten »
novembre 1979.
40. Isetan bijutsukan 伊勢丹美術館 à Shinjuku (1979), Sogô bijutsukan そごう美術館 (1985) à
Yokohama, Tôkyû Bunkamura The Museum 東急文化村ザ • ミュージアム (1989) à Shibuya,
Daimaru Museum 大丸ミュージアム (1990) à Tôkyô, Mitsukoshi bijutsukan 三越美術館
(1991) à Shinjuku, etc.
41. Poète et romancier, Tsutsumi Seiji est le fils illégitime du fondateur de Seibu, Tsutsumi
Yasujirô. Écrivain sous les noms de plume Tsujii Takashi ou Yokose Ikuo, il devient membre de
l’Institut des Beaux-Arts du Japon en 2007.
42. Fondé à Tôkyô en 1962, ce musée se concentre à l’origine sur l’art japonais ancien, avant de
déménager à Karuizawa en 1981, où il se tourne vers l’art moderne et international. En 1990, il
devient le « Musée Saison d’art contemporain » セゾン現代美術館 , qui abrite environ 600
œuvres de 120 artistes, tels que Kandinsky, Klee, Mark Rothko, Jackson Pollock, Abakanowicz,
Kiefer, Clemente, Dômoto Hisao, Usami Keiji, Arakawa Shusaku ou Nakamura Kazumi.
(http://www.smma-sap.or.jp/)
43. Voir le catalogue de la première exposition de Seibu (Tsutsumi 1975 : 2).
44. Le remaniement de la Loi sur les Collectivités locales (chihô jichi-hô 地方自冶法 ), le 1er avril
2000, oblige les métropoles régionales japonaises de plus de un million d’habitants désignée
政令指疋都市
par décret (seirei shitei toshi ) à construire un musée municipal en leur sein.
45. La Fondation culturelle de Takashimaya (Takashimaya bunka kikin タカンマヤ文化基金),
forte d’un capital de 800 millions de yen, offre tous les ans à trois plasticiens, sélectionnés à
partir des recommandations de critiques d’art, une enveloppe de deux millions de yen chacun.
Depuis sa création en 1990, elle a fait une cinquantaine de bénéficiaires.
(http://www.takashimaya.co.jp/corp/csr/culture/fund.html)
46. O-chûgen お中元 culmine le 15 juillet. Elle revêt, pour tout grand magasin qui se respecte,
une importance capitale : on lui dédie un demi étage pendant plusieurs semaines, au sein
duquel on dresse des stands de nourriture soigneusement emballée (bière, biscuits salés, pâtes
de sarrasin, gâteaux, etc). Il s’agit en effet d’une occasion inespérée de faire des bénéfices et de
fortifier les relations avec la clientèle. À l’origine, il s’agissait toutefois de calmer les âmes
défuntes, tout en exprimant sa gratitude envers la vie, parallèlement à la fête bouddhique
d’urabon 盂 蘭 盆 , qui se déroule autour du 24 juillet. La deuxième période d’échange de
お歳暮 (lit. « fin de l’année ») a lieu fin décembre.
cadeaux, oseibo
47. Beaucoup plus tard, dans les années 2000, une investigation du FBI démontrera que
l’individu n’en était pas à l’écoulement de ses premières (ni de ses dernières) contrefaçons :
depuis le début des années 1970, et ce jusqu’à la fin du xxe siècle, il se faisait une spécialité de
fourguer des faux tableaux aux grands marchands de Ginza, profitant de leur naïveté, de leur
code de l’honneur et de leur impuissance à réagir officiellement pour ne pas « perdre la face ».
Inculpé en 2004, il écopera aux Etats-Unis de trois ans et demi de prison.
48. Papier épais de forme rectangulaire ou carrée sur lequel on inscrit des poèmes ou l’on
peint des motifs.
49. La coopétition désigne le partage d'information au sein d'un réseau socio-professionnel de
concurrence. Elle suppose que l'information prend de la valeur lorsqu'elle est partagée et que
c'est paradoxalement en émettant de l'information stratégique que l’on se forge une position
dominante dans un groupe de compétiteurs (Nalebuff et Brandenburger 1996).
50. En économie expérimentale, le terme « passager clandestin » (en anglais free rider) décrit le
bénéficiaire d'un bien, d'un service ou d'une ressource, qui ne paie pas le juste prix de son
utilisation. (Olson 1965, 1978).
Chapitre III. Portrait socio-
économique des galeries :
stratégies de développement et
formation de la valeur marchande
Graph. 1 : Importation d’œuvres d’art pour les années 1987-2008 (en millions de yen).
Graph. 2 : Importation des œuvres d’art par type d’œuvres pour l’année 2008.
Source : Tôkyô Art Institute à partir des statistiques du ministère des Finances (Segi
2010 : 84-88).
16 L’instabilité dans les chiffres d’affaires se retrouve aussi au niveau du
profil démographique des galeries.
Déclin démographique
18 Le nombre total de galeries suit une courbe ascendante très forte entre
1987 et 1992, passant de 1 786 à 2 045 établissements (graph. 3). Une
année après l’éclatement de la bulle spéculative, début 1992, on
compte encore 942 galeries en programmation pure, 124 galeries en
semi-programmation et 444 galeries locatrices. À l’époque, la plupart
des acteurs pensaient qu’il s’agirait d’une crise passagère et ont tenté
de poursuivre leur activité (les témoignages de marchands laissent
envisager un décalage de deux ans environ entre l’éclatement de la
bulle et ses contre-coups sur le marché de l’art). Par rapport à ce
sommet, l’année 2007 présente des baisses de 27 %, 5 % et 33 % pour
les galeries programmatrices, semi-programmatrices et locatrices. En
pleine période de récession et de restructuration – « la décennie
perdue » (Kaji 2002 : 67-90) – de nombreuses galeries disparaissent. La
pente de la courbe suggère même que le choc ait touché davantage les
galeries programmatrices, qui ne bénéficient pas d’un revenu foncier.
Par ailleurs, alors que l’on aurait pu s’attendre à une embellie à partir
de 2003, suite à l’amélioration de l’environnement macro-économique,
le déclin démographique des galeries se poursuit jusqu’en 2007.
Graph. 5 : Évolution démographique des galeries par régions (indice base 100 : 1987).
Graph. 7 : Nombre de galeries créées par décennie dans les différentes régions.
23 Toutefois, il faut bien prendre en compte le biais du « pari réussi » : le
taux de disparitions pourrait s’avérer beaucoup plus élevé, mais
compensé par un nombre important de nouveaux entrants, ce qui
masquerait l’existence d’un cycle de vie extrêmement rapide. Pour
avoir une vision plus objective du taux de mortalité, il faut donc
quantifier les apparitions et les disparitions, en comparant le nom des
galeries selon les dates considérées. C’est ce que nous avons fait pour
Ginza et Kyôbashi.
Tableau 4 : Cycle de vie des galeries entre 1987 et 2007 à Ginza et Kyôbashi.
Source : Données extraites de l’annuaire Bijutsu nenkan. Note : entre parenthèses sont
indiqués les cas où, lors d’une succession, la relève est prise par un membre de la même
famille.
32 Pour ce qui est du prix des terrains (carte 4), 58,5 % des galeries
tokyoïtes (24,5 % de tout le Japon) sont implantées dans les quartiers
où le foncier est le plus élevé, au-delà de 760 000 yen (6 740 euros) le
m2.
Carte 6 : Prix du m2 à Ginza
(transactions sur les logements résidentiels, 4e semestre 2010). Source : ministère de
l’Aménagement du Territoire, de l’Équipement et des Transports.
Photographie 5 : Okuno biru 奥野ビル , août 2015. Ce vieil immeuble de Ginza, l’un des
derniers en briques du quartier, abrite une dizaine de galeries (photographie de l’auteur).
Création de galeries autour de nouveaux centres
Photographie 6 : La tour de Roppongi Hills, avec en premier plan une sculpture de Louise
Bourgeois, « maman » (1999), en août 2015 ; le musée se situe au 52e étage
(photographie de l’auteur).
Photographie 7 : Roppongi art night, avril 2010 © Tokyobling. Ce robot, appelé « Before
Flower », est le fruit de l’ingéniosité de l’artiste Tsubaki Noboru. Les projections sur l'œil
changent de couleur en fonction de la quantité de dioxyde de dioxyde de carbone émise
par les visiteurs.
L’omniprésence de la direction
Nombre de
A. Succession %
réponses
A1 Héritage familial 10 % 11
B1 Amour de l’art 14 % 15
B2 Expérience de collectionneur 3% 3
B3 Sentiment d’autonomie/d’initiative 8% 9
B4 Épanouissement personnel 15 % 16
C. Diffusion de l’art
Non réponses 27 % 29
64 Le fait que la galerie dépende très fortement des choix effectués à son
sommet par un seul(e) homme (femme) constitue certes un atout, par
la cohérence des sélections que cela suppose, mais pose aussi un
problème en terme de diversification des risques. Or, ceux-ci sont
omniprésents sur tout le segment de la production.
68 La fixation des prix obéit cependant à une règle d’or. Il vaut toujours
mieux fixer un prix de départ modeste, pour permettre une
augmentation progressive mais soutenue, parce qu’une inflexion à la
baisse, même minime, constitue un signe très négatif sur le marché
(Moulin 1992 : 49). Par exemple, il peut arriver que des marchands
recourent à des procédés artificiels pour faire monter la cote de leurs
protégés, en portant leurs œuvres aux enchères, mais ce
comportement s’avère à double tranchant : un échec en vente
publique risque de disqualifier l’artiste à jamais. Le principe d’une
hausse continue se trouve confirmé par le responsable de la galerie
Tôkyô :
Pour le prix, c’est moi qui décide. Je dis toujours aux jeunes artistes de démarrer
avec des prix bas. En effet, l’art constitue une exception : on ne peut pas baisser les
prix quand ils sont trop élevés. Par contre, tout le monde est content quand ils
augmentent progressivement, à commencer par les acheteurs. Alors je négocie
ferme avec les artistes, qui suivent mes conseils de bonne grâce. (Galerie Tôkyô)
83 Bien qu’il leur en coûte – nombreux sont ceux qui insistent sur le fait
que les prix sont déjà très bas et que les rabais instaurent une forme
d’injustice entre les acheteurs – les galeristes sont souvent obligés de
négocier et de consentir aux clients des facilités de paiement.
Toutefois, une perte trop forte de leur côté se répercute
irrémédiablement sur le revenu des artistes. À cela s’ajoute le
problème des « mauvais payeurs ».
Si seulement les gens pouvaient payer rapidement quand ils acquièrent des
œuvres… Mais non, la plupart s’acquittent en versant des mensualités. Que les
clients soient de simples employés, des travailleurs indépendants ou des personnes
fortunées, que cet argent provienne du rendement de titres, du rapport d’intérêts
ou d’un surplus retiré de la vente de terrains, très peu de personnes payent rubis
sur ongle… et certains ne s’acquittent pas de leurs dettes. Parce que les œuvres ne
constituent pas des produits de première nécessité. (Galerie Shinobazu)
84 Ces soucis mis à part, la relation qui se noue entre amateurs d’art et
galeristes, constructive, dynamique et sans cesse réactivée, forme les
bases d’un cheminement commun pour choyer une collection, dont
chacun retire de la fierté. La sélection s’opère alors des deux côtés : le
collectionneur choisit son marchand avec soin, de même qu’un bon
galeriste s’attache un petit nombre de clients, qui continuent de le
soutenir dans les creux de la conjoncture.
Je vends les meilleures œuvres à mes clients préférés. À ceux qui achètent
uniquement par vanité ou orgueil, je vends des œuvres différentes. Je fais le tri.
(Galerie NCA)
Je préfère prendre mon temps pour attraper un million de yen plutôt que la pièce
qui se trouve sous mon nez. Quand on vend à des clients, il ne s’agit pas
uniquement de business. On ne vend pas à n’importe qui, sous prétexte que cela
rapporterait de l’argent. Moi, je suis un sale type, alors je ne vends qu’aux clients
qui me plaisent. Je ne choisis que ceux qui seront capable de choyer les œuvres que
je leur propose. Parce qu’elles sont un peu mes enfants. On collectionne par amour.
(Galerie Kotôken)
88 Pourtant, on ne peut pas nier que des initiatives intéressantes ont été
menées, d’abord du côté des collectionneurs, puis du côté des
galeristes eux-mêmes, pour rapprocher les galeries des « Japonais
lambda ». Ainsi, depuis six ans, la galerie Yanagi organise-t-elle des
« tours » pour faire visiter les galeries de Ginza (parmi lesquels
figurent ses concurrents directs !) à des salariés d’entreprise, tandis
qu’elle accueille régulièrement en son sein les enfants de l’école
voisine (Noro 2008).
Graph. 13 : Revenus moyens déclarés par les visiteurs d’Art Fair Tokyo en 2012 et 2013.
91 De manière symptomatique, alors qu’à l’étranger ces visiteurs se
portent souvent acquéreurs (proportion qui peut se monter à 90 % à
Art Basel), au Japon, seulement 10 % environ achètent des œuvres.
Quand le chiffre d’affaires de la foire de Bâle dépasse les 60 milliards de
yen, celui de Tokyo Art Fair plafonne à 1 milliard. Même des acteurs
importants sur le marché japonais rapportent des ventes très
modestes (entre 200 000 et 300 000 sur l’ensemble de la foire), qui
portent alors sur plusieurs biens, mais négociés à des prix très bas 73 .
Les retombées sur le plan économique déçoivent les exposants eux-
mêmes :
Je participe à la foire d’art contemporain depuis plus de vingt ans. Or, depuis trois
ou quatre ans, quels que soient mes efforts, je ne vends pas. Les visiteurs se
déplacent en grand nombre, mais pour profiter des expositions, pas pour acheter. À
la FIAC ou à Basel, les gens acquièrent des œuvres. Ici, l’absence de demande
constitue l’éternel couperet au-dessus de nos têtes. (Galerie Soh)
92 Sur un mode concurrent quoique plus intime, Plus The Art Fair
(renommée Plus Ultra en 2012), regroupe depuis novembre 2004 les
galeristes japonais plus avant-gardistes. Son rayonnement reste
cependant limité à un niveau national. Enfin, il faut noter les efforts
entrepris par Murakami Takashi en direction des jeunes artistes, avec
l’organisation de GEISAI, jusqu’à deux fois par an, de 2001 à 2014.
Pourtant, en octobre 2010, Murakami lui-même devait annoncer sur
son compte Twitter que le déficit de cette foire se chiffrait en dizaines
de millions 74 . Après une 20e ultime session en 2014, la foire a donc
officiellement changé de format, pour favoriser en 2015 une sélection
plus draconnienne de créateurs au sein du projet « GEISAI∞infinity »,
qui se tient à la galerie Kaikai Kiki de Nakano Broadway.
Photographie 10 : Art Fair Tokyo, mars 2014 © Iwashita Munetoshi.
93 Même si toutes les galeries se situent au cœur des réseaux qui relient
artistes et collectionneurs, l’efficacité de leur action se révèle au final
très inégale non seulement en fonction de leurs structures et de leurs
profils socioéconomiques, mais aussi de leur positionnement sur le
marché, ce qu’éclaire avec force l’analyse factorielle des données de
l’enquête.
La classe A
96 Sur le plan juridique et comptable, nous retrouvons ici les galeries les
plus anciennes, puisque 57,7 % ont été fondées avant 1980, avec les
surfaces les plus vastes – 42,3 % occupent plus de 100 m2. Il s’agit du
groupe qui présente le plus grand nombre d’employés : 65,4 %
embauchent plus de six personnes, contre 20,8 % en moyenne. Elles
concentrent aussi le taux de programmation le plus élevé (88,5 % sont
purement programmatrices), et se déclinent très souvent en sociétés
anonymes. Pour ce qui est des indicateurs financiers, elles écoulent les
œuvres les plus chères (38,5 % de leurs tableaux dépassent le million
de yen, contre 15,1 % pour l’ensemble), affichent les plus gros chiffres
d’affaires (69,2 % gagnent plus de 100 millions de yen par an), et
dépendent beaucoup des cinq clients les plus importants. Nous voici
donc bien dans le monde des galeries les mieux installées. Il semblerait
que le secret de leur réussite consiste à vendre peu d’œuvres, mais à
des prix élevés, et à des clients fidèles.
97 En terme de gestion des œuvres, ces galeries recourent
comparativement peu au dépôt-vente (73,1 % déclarent un taux faible),
mais pratiquent activement d’autres modes d’approvisionnement. Par
exemple, 88,5 % d’entre-elles se tournent massivement vers l’achat-
vente (contre 54,7 % en moyenne) ; 61,5 % privilégient le financement
de projets en amont (contre 20,8 %), 50 % se fournissent dans les
ventes aux enchères internationales (contre 22,6 %), tandis que 30,8 %
salarient leurs artistes (contre 8,5 %). Nous assistons donc à une forme
diversification, qui constitue l’un des piliers du succès. La clientèle
apparaît pareillement diversifiée : en proportion, elles vendent moins
que l’ensemble aux collectionneurs mais plus aux musées (84,6 %
cultivent beaucoup ce type de clientèle), aux entreprises (88,5 %), aux
galeries, qu’elles soient japonaises ou étrangères, et aux grands
magasins. Ce sont aussi les établissements qui utilisent le plus les
brochures et les catalogues pour faire leur promotion (ces derniers
sont publiés par 80,8 % d’entre elles, contre seulement 36,8 % en
moyenne). En revanche, elles ne sont pas nécessairement mieux
implantées sur Internet : le groupe B les devance dans ce domaine.
98 Ces galeries ne sont pas particulièrement localisées : leurs positions
dans Tôkyô sont équivalentes à l’ensemble. Il y a peu de directrices, au
maximum un quart. Cela tend à confirmer l’hypothèse selon laquelle
les non-réponses renvoient majoritairement à des hommes (dans cette
classe, où le nombre de femmes est particulièrement faible, la part de
non-réponse est la plus élevée). La classe A rassemble également un
grand nombre de directeurs âgés. Ceux-ci ont notablement déjà
travaillé dans une galerie auparavant (57,7 %) et, listent, parmi les
raisons de la fondation de la galerie, un grand nombre de successions
(30,8 %). On peut penser que ces galeries, anciennes, remplacent le
directeur partant par un ancien employé.
99 Enfin, nous retrouvons pour les œuvres vendues le plus d’art moderne
occidental (42,3 %, contre 16 % pour l’ensemble). Toutefois, ces
galeries sont aussi leaders en gravure, en peintures yôga et nihonga,
ainsi que pour l’artisanat d’art et la peinture à l’encre. Elles pratiquent
très peu le performance art. Bien entendu, ce sont elles qui promeuvent
le plus d’artistes étrangers, notamment asiatiques (42,3 % contre
23,6 % en moyenne), et aussi le plus d’artistes décédés (46,2 % contre
17,9 %). Elles déclarent le plus chercher leurs artistes dans les musées
(50 % contre 30,2 %), au détriment des autres modes de découvertes,
notamment le contact direct et la recommandation par un
collectionneur. Tous ces facteurs indiquent, une fois de plus, qu’il
s’agit de galeries solidement implantées, qui peuvent envisager leur
développement sur le long terme.
La classe B
La classe E
105 Ce sont des galeries relativement récentes, puisque plus des deux tiers
ont été fondées après 1990. Elles présentent aussi les surface les plus
exiguës : 54,2 % affichent moins de 25 m2, contre 22,6 % pour
l’ensemble. Au niveau du personnel, elles comptent les effectifs les
plus faibles des cinq catégories. Les deux tiers d’entre elles
n’embauchent personne, ou bien se contentent d’un seul employé
(directeur exclu), contre 22,6 % en moyenne. Elles tendent aussi à se
détourner de la programmation (45,8 % ne dépassent pas le taux de
50 %), vendent des œuvres peu chères (75 % coûtent moins de 200 000
yen) et collectent en conséquence un chiffre d’affaires modeste :
54,2 % déclarent gagner moins de 20 millions de yen par an (contre
34 % en moyenne). Le taux de non-réponse très élevé à la question des
finances reflète une forme de pudeur ou la volonté de cacher un
déficit. Plus qu’ailleurs, ces galeries déclarent des « statuts autres »
que SA ou SARL, ce qui fait penser que de nombreux directeurs se
lancent de manière individuelle, en free-lance.
106 Elles pratiquent principalement le dépôt-vente (62,5 % déclarent un
taux fort), même si 20 % déclarent ne pas en faire du tout. On peut
penser que ces dernières sont les plus fortement dépendantes de la
location. Elles sont très peu actives dans les autres modes de gestion :
75 % ne recourent pas à l’achat vente (contre 26,4 % pour l’ensemble),
95,8 % ne salarient pas leurs artistes (contre 51,9 %), 91,7 % ne
pratiquent pas le financement en amont (contre 49,1 %) et aucune ne
participent aux enchères internationales (contre 54,7 %). Par ailleurs,
nous pensons que les « taux forts » affichés pour l’achat-vente et le
financement en amont (respectivement 20,8 % et 8,3 %) se basent sur
des surestimations, qui renvoient ici à une volonté de justifier sa
propre position dans le milieu, de se donner une contenance pour
contrebalancer des déclarations globalement ressenties comme
négatives.
107 À qui vendent-elles donc leur marchandise ? La fréquence de leurs
relations avec les collectionneurs ne s’écarte pas de la moyenne. En
revanche, elles sont extrêmement peu nombreuses à diversifier leur
type de clientèle : 83,3 % ne parviennent pas à toucher les musées
(contre 24,5 % en moyenne), 87,5 % ne peuvent vendre aux entreprises
(contre 26,4 %), 79,2 % ne comptent aucune galerie japonaise parmi
leurs clients (contre 22,6 %), et a fortiori des galeries étrangères. Dans la
même ligne, 91,7 % ne possèdent aucun débouché auprès des grands
magasins. Vu qu’aucune galerie ne coche la réponse « clientèle autre »,
on peut aussi penser que les artistes eux-mêmes sont exclus. De quoi
vivent les 25 % qui déclarent ne pas vendre aux collectionneurs ?
Probablement de la location. Peut-être ces galeries sont-elles aussi
assez démoralisées pour cocher systématiquement « pas » ou « peu »
quand on leur demande de se placer sur une échelle. Elles pratiquent
très peu le catalogue (12,5 %, contre 36,8 % en moyenne) ou la
brochure (8,3 % contre 28,3 %) ; toutefois, elles restent très présentes
sur Internet, moyen de promotion le plus abordable.
108 Il s’agit du groupe le mieux implanté hors du « centre » Ginza-
Kyôbashi : 45,8 % viennent de la périphérie, contre 30,2 % pour
l’ensemble. Les directeurs sont plus souvent des femmes (41,7 % des
cas, avec un fort taux de non-réponse) et comptent parmi les plus
jeunes (seulement 25 % ont plus de soixante ans). Ceux-ci
mentionnent davantage que leurs confrères l’existence d’une carrière
« autre », c’est-à-dire hors des sentiers artistiques. Sinon, au niveau
des raisons de fondation de la galerie, ils ne présentent pas de traits
discriminants.
109 Du côté des œuvres, ces galeries se situent partout en dessous de la
moyenne, à l’exception de la photographie (70,8 % contre 58,5 %) et de
l’art vidéo (41,7 % contre 31,1), pour lesquels elles viennent en tête. À
noter qu’il s’agit ici de reproductibles. Bien que les acteurs du marché
soient conscients de la nécessité de préserver la rareté, en fixant par
exemple un nombre limité de tirages ou de téléchargements, ces biens
peuvent être multipliés en dizaines de copies identiques, pour
engendrer une baisse des coûts de production. Elles promeuvent peu
d’artistes étrangers, et surtout très peu d’artistes décédés (79,2 % en
font moins de 5 %, contre 47,2 % en moyenne). Rien ne les distingue
sur la manière dont elles repèrent les artistes, à part le fait qu’elles
passent très peu par les musées (16,7 % contre 30,2 pour l’ensemble).
110 Aucun doute, nous avons affaire ici aux galeries les plus modestes.
Très dépendantes de la location, elles se tournent fortement vers de
jeunes artistes locaux, dont les débouchés ne dépassent souvent pas le
cercle restreint des connaissances interpersonnelles. Nous n’excluons
cependant pas qu’une forme d’autocensure ait pu avoir lieu lors de la
passation du questionnaire, les « poussant » vers le bas.
La classe D
111 Ces galeries présentent des galeries un peu plus anciennes que le
groupe E (33,3 % ont été fondées dans les années 1980), des surfaces
plus importantes (28,6 % alignent entre 51 et 100 m2) et globalement le
même nombre d’employés (61,9 % ne comptent qu’entre 0 et 1
employé). Elles recourent aussi massivement à la location pour
survivre (47,6 % sont faiblement programmatrices, contre 26,4 % en
moyenne). Pourtant, ce sont le plus souvent des sociétés anonymes
(42,9 % des cas), contrairement aux E. Elles vendent leurs œuvres
moins cher que A et B, mais plus que E (52,4 % fixent un prix entre
200 000 et 1 million de yen, contre 34,9 % pour l’ensemble). Leur
chiffre d’affaires est certes plus élevé que celui des E, mais ne dépasse
jamais les 100 millions de yen. Elles ne semblent pas avoir de clients
principaux. Dans 28,6 % des cas, les cinq clients les plus importants
contribuent peu au chiffre d’affaires, proportion à laquelle nous
pensons pouvoir rattacher une bonne partie des non-réponses
(diversification du portefeuille de clients). La disparition de l’un d’eux
les laisse donc relativement préservées.
112 Elles pratiquent le dépôt-vente (52,4 % déclarent un taux fort), mais
surtout l’achat-vente (57,1 %), à l’exclusion des autres modes de
gestion des œuvres. Ainsi, 90,5 % ne salarient pas leurs artistes (contre
51,9 % en moyenne), 95,2 % n’exercent pas de financement en amont
(contre 49,1 %) et 81 % ne participent pas aux enchères
internationales. Ceci dit, quand elles le font, ce sont des
multirécidivistes. De même que les E, elles ne semblent pas avoir de
type de clientèle particulier. D’ailleurs, comme si les débouchés leur
importaient au fond assez peu, elles restent peu présentes sur Internet
(un tiers n’ont pas de site). Elles ont plus que le groupe E les moyens
financiers d’imprimer des brochures (28,6 % des cas), mais ne vont pas
jusqu’au catalogue (seulement 14,3 %). Elles se situent en masse à
Ginza (61,9 %, contre 43,4 % pour l’ensemble). Elles sont souvent
tenues par des femmes (42,9 %, contre 30,2 % pour l’ensemble), qui
sont en moyenne les plus âgées des cinq classes (61,9 % ont plus de
soixante ans, contre 41,5 %). Leurs carrières ne semblent pas
spécifiques, à l’exception près qu’un bon nombre semblent avoir
travaillé dans une galerie auparavant (47,6 % contre 38,7 % pour
l’ensemble). La raison d’être de la galerie invoquée est rarement la
diffusion de l’art ou le soutien aux artistes, mais bien plus souvent la
rubrique « autonomie, plaisir » (38,1 %, contre 27,4 %). Enfin, les types
d’œuvres par lesquels elles se distinguent sont le nihonga (61,9 %,
contre 50 % en moyenne) et la sculpture (81 %, contre 66 %). Elles
promeuvent relativement peu d’artistes étrangers (19 % contre
32,1 %), mais offrent une certaine proportion d’artistes décédés (ils
représentent entre 5 et 50 % des œuvres dans 52,4 % des cas). Le mode
de sélection des artistes passe plutôt par la recommandation des
artistes eux-mêmes.
113 Il est ici un point qu’il nous semble bon d’ajouter, même s’il ne fait pas
partie des variables actives et illustratives : il s’agit du degré de
propriété de l’espace. Sur les 21 galeries propriétaires (soit 19,8 % de
l’ensemble), huit se situent dans la classe A, deux dans la classe B et
onze dans la classe D. C’est donc cette dernière qui regroupe le plus de
directeurs ayant eu au départ un patrimoine immobilier à faire
fructifier. On peut penser que dans ces onze cas, le métier de galeriste
a attiré des femmes issues d’un milieu aisé, qui ont opéré une
reconversion professionnelle suite à un héritage ou un changement de
mode de vie (départ à la retraite, mère au foyer ayant vu partir ses
enfants, etc.). Cela expliquerait les âges assez avancés. Or l’ouverture
d’une galerie apporte à la fois prestige social et revenu locatif, à
condition de mesurer les risques. C’est pour cela que nous retrouvons
ici des établissements peu innovants, très dépendants de la location,
mais stables sur le long terme (fort taux de sociétés anonymes).
L’avenir leur semble assuré quel que soit le degré d’engagement envers
l’art le plus novateur, d’où la forte proportion de nihonga. De même, la
création de relations étroites avec les collectionneurs ne constitue pas
une priorité (peu de promotion, pas de désir de diversification
apparent). En revanche, les motivations liées à l’épanouissement
personnel jouent ici un rôle clé.
114 En conclusion, la classe des D reste très proche des E, même si elle
bénéficie d’atouts patrimoniaux nettement plus importants. Elle
demeure en effet à la limite de ce qui définit un galeriste
professionnel : elle montre des choix plutôt consensuels sur le type
d’œuvres sélectionnés – il faut plaire au plus grand nombre (marché
des chromos) –, évite les investissements massifs, et fait porter sur les
artistes eux-mêmes la majeure partie des coûts.
La classe C
115 Ce sont de loin les galeries les plus récentes : 36,8 % ont été créées
dans les années 1990 et 42,1 % dans les années 2000. Elles n’affichent
pas de surface très importante (52,6 % ont entre 26 et 50 m2), mais
embauchent globalement plus que les groupes D et E (47,4 % se situent
au-dessus de deux employés). Du côté de la programmation, elles se
révèlent aussi beaucoup plus actives, puisque 73,7 % sont
programmatrices à plus de 51 %. De ce point de vue, elles forment
effectivement une sorte de continuité entre les galeries puissantes (A
et B) et les modestes (D et E). Elles se déclinent peu souvent en sociétés
anonymes (seulement 21,1 %, contre 40,6 % pour l’ensemble),
revendiquant par contre le statut « autre » d’entrepreneur
indépendant. Elles vendent des œuvres peu chères (78,9 % se situent
entre 40 000 et 200 000 yen), parfois même à des prix inférieurs à D et
E (seulement 5,3 % se placent au-dessus de 200 000 yen). Pourtant,
10,5 % présentent tout de même un chiffre d’affaires supérieur à
100 millions de yen, ce qui peut s’expliquer par leur agressivité en
terme de marketing. Contrairement aux D, elles ne bénéficient pas
d’atouts patrimoniaux, et à l’inverse des E, elles méprisent la location,
outil indigne du métier de galeriste (elles ne l’utilisent qu’en dernier
recours). Leurs moyens de survie dépendent donc étroitement de leur
capacité à percer le marché local, à fidéliser et diversifier la clientèle.
D’où leur dépendance relative à l’égard des habitués : les cinq clients
les plus fidèles n’exercent pas une influence démesurée (ils ne
représentent pour 31,6 % d’entre elles qu’entre 0 et 25 % du chiffre
d’affaires).
116 En matière de gestion des œuvres, elles touchent à tout sans préséance
apparente. Elles affirment toutes faire du dépôt-vente (dont 57,9 % à
un niveau fort), de l’achat-vente (42,5 % à un niveau fort), de la
salarisation et du financement en amont, même si cela reste alors dans
des proportions plus faibles. Elles ne sont que 20 % à ignorer les ventes
aux enchères internationales (contre 54,7 % pour l’ensemble). De
même, elles ne dédaignent aucun type de clientèle, même si elles
cochent plus souvent que les groupes A et B des proportions faibles.
Elles possèdent toutes un site Internet, mais rarement doté d’une page
en anglais (seulement 15,8 % des cas, contre 34,9 % pour l’ensemble).
Elles pratiquent peu la promotion par brochure (15,8 %) ou catalogue
(15,8 %).
117 Elles sont plus souvent que les autres installées à Kyôbashi. Le
directeur est souvent un homme d’âge « moyen » (52,6 % ont entre 50
et 60 ans), qui ne présente pas de parcours particulier, si ce n’est
d’avoir été plus souvent collectionneur que dans les autres catégories.
La succession est rarement la cause de la fondation (seulement 15,8 %
des cas), mais la diffusion de l’art se trouve souvent invoquée, ainsi
que l’autonomie, le plaisir et le soutien aux artistes.
118 Elles se détournent de la peinture à l’encre, de la peinture moderne
occidentale, et même de la peinture nihonga, qui restent toutes en
dessous de la moyenne. En revanche, elles ne délaissent ni la sculpture
(73,3 %), ni la gravure (78,9 %), probablement dans leurs versions les
plus avant-gardistes, puisque l’art contemporain constitue la catégorie
la plus largement représentée (94,7 % déclarent en faire). Cela se
reflète aussi dans l’intérêt pour les installations (42,1 %) et le
performance art. Elles font peu d’artistes décédés (4,8 % seulement
investissent fortement ce segment) et peu d’artistes étrangers
(seulement 26,3 %, contre 57,7 % pour l’ensemble). Pour les modes de
découverte, elles se basent plus que la moyenne sur les
recommandations des autres artistes (84,2 %), les expositions de fin
d’études (52,6 %) et les recommandations d’autres galeries (42,1 %) ;
toutefois, elles ne dédaignent pas non plus le contact direct par les
artistes (57,9 %).
119 Contrairement aux galeries d’ouverture, installées aussi
majoritairement à Kyôbashi, ces galeries sont très peu
internationalisées. En revanche, elles se révèlent très proches des
jeunes créateurs et en phase avec les différents réseaux de diffusion
sur la scène japonaise (leur clientèle est très diversifiée). Elles
constituent sans doute ce que Benahmou et al. appelleraient la
« frange de l’oligopole » : elles prennent majoritairement en charge le
risque lié à l’innovation, quitte à ce que leurs paris réussis soient
happés par plus gros qu’elles (en l’occurrence les A et les B). Leur
éclectisme, leur dynamisme et leur professionnalisme quant au
lancement des artistes en début de carrière leur permet de surnager
au-dessus des « petits » – si ce n’est sur le plan financier, en tout cas en
terme de prestige – mais elles ne peuvent en aucun cas prétendre au
statut de major (ce que peuvent espérer les B).
120 Au final, deux mécanismes de compétition émergent : le premier,
vertical, joue au niveau de la taille, de la puissance financière et de la
réputation ; le second, horizontal, concerne la segmentation du
marché selon les catégories de biens ou les styles. Nous pouvons en
outre observer une solution de continuité A-B-C-D-E par ressemblance
(AB BC CD DE), sur plusieurs variables : la surface, le nombre
d’employés, la programmation, le chiffre d’affaire, l’importance des
clients principaux, mais aussi l’ancienneté et la valeur des œuvres
(quoique dans ce cas, la position des C brouille un peu les cartes). Les A
sont les majors. Présentes à la fois sur le premier et le second marché,
elles bénéficient d’une implantation ancienne et solide. Suivent les B,
galeries d’ouverture, fortement implantées sur le marché
international. Il s’agit ici de la frange ayant réussi dans le domaine de
l’art contemporain qui, avec le temps, pourra prétendre au statut des
A. Elle a tout intérêt à laisser subsister en dessous d’elle des galeries
plus modestes, chargées de la découverte et le lancement des artistes,
quitte à user de leur nom pour débaucher les artistes les plus
prometteurs. Cette génération de galeries innovantes mais à faibles
moyens financiers est caractérisée par les C. Récentes, éclectiques,
elles jouent un rôle primordial pour les artistes en début de carrière.
Derrière elles viennent enfin les galeries pour lesquelles la location
permet d’équilibrer les comptes. Certaines présentent des atouts sur le
plan patrimonial qu’il faut faire fructifier (les D) ; d’autres surnagent
en faisant simplement porter aux artistes la majeure partie des coûts
d’exposition (les E).
121 Cette hiérarchie des galeries démontre une fois de plus que le milieu se
structure en grappes (Bystryn 1982, p. 390-408). En son sein, les
parcours ne sont pas statiques : les artistes se trouvent happés au fil de
leur carrière d’un échelon à l’autre, chaque étape apportant son lot
d’avantages – nouveaux financements pour leur création, réseau de
collectionneurs étendu, reconnaissance par les experts. Mais si ce
système de progression dans le lancement et la reconnaissance des
artistes est bien connu, l’analyse factorielle met ici en lumière un
impact encore inégalé de la force financière comme arme de
production des artistes – phénomène qui semble nouveau au Japon par
son ampleur. C’est désormais elle qui permet de mobiliser l’ensemble
des acteurs du marché, au risque d’exacerber des mécanismes de
prédation, qui pourraient fragiliser à terme l’écosystème des galeries
et créer de nouveaux déséquilibres.
122 De fait, le marché prend de plus en plus la forme d’un oligopole à
frange. Quelques grosses galeries maîtrisent une part significative du
marché, tandis qu’à leur périphérie gravitent de nombreuses petites
ou moyennes entreprises (galeries ou collectifs d’artistes) amenées à
satisfaire des demandes de faibles volume ou des demandes
spécifiques. « Les firmes du cœur laissent aux autres le soin d’exhumer
les tendances les plus novatrices, sans subir les coûts de promotion et
les risques liés aux échecs potentiels, puisqu’il leur suffit de se
réapproprier plus tard le fruit des découvertes, par le contrôle des
entreprises en marge de l’oligopole, ou par leur capacité de séduction
vis-à-vis des artistes à la notoriété grandissante » (Benhamou et al
2001 : 126). À l’inverse, les firmes périphériques fixent leurs prix sous
« l’ombrelle » des dominantes et tendent à assumer la majeure partie
de l’innovation. Alors qu’elles ne peuvent subsister qu’en soutenant
des plasticiens à plusieurs stades de leurs carrières (elles gèrent un
« portefeuille d’artistes »), en réinjectant le fruit des investissements
réussis sur la jeune génération, elles sont soumises à un mécanisme de
prédation des artistes les plus en vue, qui les prive d’un précieux
retour sur investissement. Ainsi, autant le cœur bénéficie d’un pouvoir
de marché qui lui assure une certaine longévité – même si la
mondialisation tend à accentuer la concurrence que se livrent les plus
puissants à l’échelle internationale – autant les firmes de la frange
vivent une existence instable et précaire. Voici le témoignage d’un
collectionneur qui observe de manière lucide le renforcement de ce
phénomène :
Jusqu’ici, les galeries se spécialisaient chacune dans un domaine. Certaines
s’occupaient de soutenir les jeunes talents fraîchement sortis des Beaux-Arts. Une
fois qu’un de leurs poulains sortait du lot, elle se faisait contacter par une galerie
plus puissante qui prenait le relais. Et ainsi de suite jusqu’au sommet de la
pyramide, constitué des majors. Mais il y avait des règles, des gardes fous. En tout
état de cause, ça passait par des marchands. Aujourd’hui, c’est la loi de la jungle.
Des majors sont venus débaucher directement des jeunes créateurs dans cet
immeuble même, juste sous le nez de leurs galeristes. Et pas seulement ici ! Les
galeries semi-programmatrices se donnent beaucoup de mal pour donner leur
chance aux débutants et se les font voler. Il suffit pour un galeriste célèbre de tirer
un jeune par la manche et de lui dire « ça te dirait d’exposer chez moi ? ». S’il avait
l’intention de le suivre sur le long terme, pourquoi pas, mais ce n’est pas le cas.
L’artiste, tout juste sorti de l’école, accepte avec empressement. S’il émet quelques
réserves, le galeriste lui réplique, condescendant : « Très bien, reste dans ta petite
galerie ; ils ne risquent pas de t’acheter une œuvre majeure. » Pour l’appâter, on lui
propose d’acheter une centaine de points. Et marché conclu. Ensuite, le galeriste
répète son manège dans d’autres galeries. Puis il réunit tous ces artistes pour
organiser une exposition collective dans ses propres locaux. Si l’un d’eux perce,
tant mieux. Sinon, out, bye-bye ! Les artistes sont jetés. Le problème, c’est que le
jeune ne peut plus revenir dans son ancienne petite galerie : il est grillé. C’est
arrivé maintes fois ! Il n’y a plus de règles. On est passé à la chasse aux idoles.
(Collectionneur Y)
NOTES
51. La galerie Art Space a ainsi recueilli de très nombreux témoignages (Shinohara 2001 et
2002).
52. En France, les premières galeries de promotion sont apparues à la fin du xixe siècle.
Durand-Ruel, Vollard, puis plus tard Kahnweiler, ont incarné un nouveau modèle de
marchands, résolument tournés vers des artistes vivants en rupture avec les canons
académiques.
53. Bijutsu techô nenkan, un supplément du mensuel Bijutsu techô, a en effet cessé de paraître
en 2006. De manière générale, les annuaires présentent des données pour l’année fiscale
précédant la date de parution. Ainsi Bijutsu nenkan de 2007 correspond-il à la période
s’étendant d’avril 2006 à mars 2007. Dans nos tableaux et graphiques, l’année mentionnée
renvoie au titre de l’annuaire.
54. Entre 1992 et 2003, la déflation s’installe durablement dans l’économie, laissant la
politique monétaire impuissante : les taux d’intérêt, ramenés à 0,5 % en 1995 puis à 0 en 1999
ne peuvent tomber plus bas. Or, la hausse des taux d’intérêt réels et de la valeur des dettes
asphyxie les entreprises, qui se débarrassent de leurs avoirs et soldent leurs stocks pour se
désendetter – ce qui accentue encore la déflation. En avril 2003, le Nikkei atteint son plus bas
niveau, à 7 830 points (contre 39 000 en décembre 1989). Parallèlement, la valeur des terrains
chute de 80 %. Entre 2001 et mars 2006, la Banque du Japon lance donc une politique de
« détente quantitative » : elle porte de 40 à 300 milliards de dollars le montant des titres
qu’elle est susceptible d’accepter à son bilan, tout en étendant leur gamme. En 2003, le
gouvernement rachète en masse des créances douteuses aux banques. Enfin, à partir de 2005,
celles-ci commencent à rembourser les fonds reçus de l’État et à reprendre leur activité de
crédit (Adda 2008 : 70-71).
55. Selon les données du recensement de 2005, seulement 67 % des personnes qui travaillent à
市
Tôkyô résident aussi dans la capitale (prise ici au sens large, avec les villes shi ). 11,6 %
viennent du département de Kanagawa, 10,9 % de Saitama, 8,7 % de Chiba et enfin 1,7 %
d’autres départements.
56. Tôkyô comprend la seule université nationale des Beaux-arts, ainsi que six grandes
universités d’art privées. Kyôto et Ôsaka en regroupent cinq, dont deux publiques.
57. En 2005-2006, les régions du Kantô et de Kinki comptaient 30,9 % et 15,8 % des musées
japonais, dont 14,9 % pour la seule ville de Tôkyô (statistiques élaborées à partir des données
présentes dans Bijutsu techô nenkan 美術手帳年鑑 , 2006). À titre comparatif, leur population
s’élevait respectivement à 41 322 millions de personnes (33 % de la population totale) et
21 685 millions de personnes (17 %) (source : Kinki Regional Development Bureau :
http://www.kkr.mlit.go.jp/en/data03.html). Tôkyô regroupe à elle seule 10 % de la population
totale, avec 12 989 millions d’habitants.
58. Les « externalités » désignent les actions d’un agent économique qui ont un impact (positif
ou négatif) sur le bien-être et le comportement d’autres agents, sans que cet impact soit pris
en compte dans les calculs de l'agent qui le génèrent.
59. Koyanagi Atsuko implanta sa propre galerie d’art contemporain à Ginza en 1995. Elle
soutint notamment l’artiste qui a représenté le Japon à la biennale de Venise en 2011,
Tabaimo, ainsi que Mori Mariko (avant que les coûts de financement ne deviennent trop
élevés). Aujourd’hui encore, elle conserve des liens privilégiés avec quatre galeristes en
particulier : Koyama Tomio, Satani Shûgo, et Wakô Kiyoshi (davantage spécialisé sur les
artistes européens).
60. Fondée en 1978, cette galerie est la première à avoir imposé au Japon la photographie
comme forme d’art à part entière et forcé la reconnaissance de photographes d’avant-garde,
comme Araki ou Moriyama Daidô.
61. SCAI : Shiraishi Contemporary Art Institute.
62. Elle a déménagé à Roppongi en 2003, avant de se déporter momentanément sur la baie de
Tôkyô en 2008, puis revenir sur Roppongi en 2011.
63. La fortune familiale a certainement servi le succès de Mori Mariko, même si elle a aussi su
par ses premières photographies d’elle-même en costumes parfois futuristes (1994-95)
interpeller l’imaginaire occidental (Favell 2012 : 38).
64. Le principal promoteur immobilier de Tokyo Midtown est Mitsui Fudôsan 三井不動産, qui
a investi en partenariat avec plusieurs partenaires privés. Le projet global a été monté par
l’entreprise d’architecture américaine Skidmore, Owings and Merrill LLP, tandis que le Musée
Suntory a été dessiné par l’architecte Kuma Kengô.
65. Doté d’une architecture magnifique, le Centre national des Arts se comporte cependant
plus comme un art center qu’un musée, sans collections d’envergure, et organise peu
d’expositions d’art contemporain transgressives. Il a aussi été utilisé pour héberger le très
conservateur salon Nitten.
66. Parmi les plus célèbres, on peut citer Songzhuang, 798 Art District, Suojiafen Village, et
Feijiacun Art Zone à Pékin, Chuangku à Nanjing, Moganshan à Shanghai, Tank Warehouse à
Chongqing, ou encore Heyri à Séoul. Cette liste s’accroît de décennie en décennie, si ce n’est
d’année en année. Concentrant parfois plus de 2 000 créateurs, ces espaces stimulent une
dynamique de globalisation du marché, essentiellement focalisée sur l’art contemporain. Tous
bénéficient du soutien des pouvoirs publics, conscients de l’impact sur le plan économique
d’une vitrine de la création nationale vis-à-vis de l’étranger. Ainsi, les villages d’artistes
chinois ont-ils bénéficié en 1994 d’une dotation du gouvernement de 140 millions de dollars
(environ 126 millions d’euros), destinée à encourager les arts visuels.
67. L’enquête du Matisse recensait 35 % de non réponses (Benhamou et al. 2001 : 26) ; 22 % des
galeries interrogées gagnaient moins de 250 000 francs par an, 32 % se situaient entre 250 000
et 1 million de francs, 26 % entre 1 million et 3 millions de francs et enfin 20 % au dessus de
3 millions de francs. Une extrapolation réalisée en multipliant la moyenne (2,8 millions de
francs) par le nombre des galeries répertoriées sur Paris (376) donnait un chiffre d’affaires
total d’un milliard de francs pour l’ensemble du marché. Ainsi, même en tenant compte de
l’inflation, sur les dix ans qui séparent les deux enquêtes, les revenus en France semblent plus
faibles encore qu’au Japon, malgré la force des exportations.
68. Issu de l’allemand Arbeit, ce terme désigne en japonais l’ensemble des petits emplois
précaires.
69. Cette hiérarchie se traduit dans le langage et les comportements. Par exemple, les
subalternes sont tenus d’employer un langage de respect (keigo 敬語 ) et d’attendre que leurs
supérieurs soient partis avant de rentrer chez eux. À l’inverse, le groupe « entreprise » fait
corps vis-à-vis de l’extérieur : ses membres emploient des formes déférentes pour se désigner
et honorifiques envers leurs interlocuteurs.
70. Les entreprises familiales, qui concernent 2,4 % des travailleurs au Japon (recensement
de 2005), bénéficient de déductions fiscales au moment de la succession.
71. Sensation de plaisir associée à la consommation d’un bien.
72. C’est aussi à ce titre que la formation du goût s’avère sujette à un fort déterminisme social
(Bourdieu et Darbel 1969).
73. À l’encontre de cette règle générale, le revenu global de Tokyo Art Fair en 2014 a
exceptionnellement été tiré vers le haut par le fruit d’une seule vente.
74. https://twitter.com/takashipom/status/26028597602
75. Nous remercions Colin Marchika (EHESS) pour son précieux soutien, ses relectures et ses
conseils dans l’analyse statistique.
Chapitre IV. L’art japonais en
ventes publiques : marché
domestique vs marché
internationalisé
1. Le Japon en marge ?
Art et nationalité
4 Aux heures sombres du xxe siècle, les États ont tenté de faire main
mise sur la création, à des fins de propagande ou d’édification du
peuple. On pense spontanément à l’art nazi, à l’art officiel russe ou aux
peintures de guerre des artistes japonais. Pourtant, en temps de paix
et dans les pays les plus prompts à défendre la démocratie et à
encenser la liberté du créateur, la nationalité ne se retire pas pour
autant de la scène artistique, où elle s’enracine de manière plus
insidieuse.
Comme, dans le domaine de l’art, chauvinisme et nationalisme jouent, ainsi que
partout ailleurs, un rôle essentiel, les artistes modernes – les grands maîtres des
temps anciens font partie du patrimoine mondial – les artistes modernes qui sont
nés dans les pays les plus riches ont le plus de chances de devenir les artistes les
plus chers. Parce que leurs compatriotes leur accordent la préférence. Parce que
leurs gouvernants s’efforcent de les imposer à l’étranger. (Duret-Robert 1991 : 142-
143)
Juin
Hokkyô
Sculpture en bois (11,5 cm), deux lutteurs 117 600 175 779 2004,
Sessai
Londres
Mai
Namikawa 2005,
Paire de larges vases cloisonnés (56 cm) 102 000 149 123
Sôsuke Easton
Neston
Juin
Boîte en métal incrusté avec couvercle (28,1 × 23,7 Yamada
95 200 142 298 2004,
× 8,8 cm), pour l’entreprise Ozeki Motonobu
Londres
Nov.
Estampe, Le Pont Ohashi et Atake sous une averse Andô
90 000 133 341 2005,
soudaine (36 × 24.5 cm) Hiroshige
Londres
Nov.
Estampe, Feux-follets sous le micocoulier la veille du Andô
81 600 120 896 2005,
Nouvel an à Oji (36 × 24,4 cm) Hiroshige
Londres
Figurine en ivoire (5,1 cm), chien assis, Kyôto, fin Masanao 66 000 97 783 Nov.
du xviiie siècle 2005,
Londres
Juin
Album illustré (27,2 × 19,5 cm), À marée basse Kitagawa
63 600 95 064 2004,
(1789) Utamaro
Londres
Juin
Kitagawa
Estampe (39 × 26,5 cm), La geisha Tatsumi Rokô 55 200 82 508 2004,
Utamaro
Londres
Juil.
Figurine en bronze doré d’un fauconnier Miyao
40 800 59 536 2005,
(73,5 cm) Eisuke
Londres
Juin
Kagyokusai
Netsuke en bois (5,1 cm), sanglier 37 000 55 889 2004,
Masatsugu
Londres
Date /
Titre/caractéristiques Prix* Prix (€)
lieu
Mars
Sculpture bouddhique en bois du Dainichi attribué à $ 2008,
8 200 030
Nyôrai, époque Kamakura (années 1190) Unkei 12 800 000 New
York
Rouleau, La rivière Sumida (1805) Katsushika £ 713 250 831 187 Nov.
Hokusai 2008,
Londres
Mars
école 2006,
Paire de six paravents (début du xviie siècle) $ 962 000 808 391
Hasegawa New
York
Sept.
Grues, encre, couleur et feuilles d’or sur papier Maruyama $ 2007,
751 067
(1774) Ôkyo 1 105 000 New
York
Sept.
Aux alentours de la capitale, encre, couleur, 2008,
anonyme $ 962 500 683 900
feuilles d’or (xviie siècle) New
York
Sep.
2004,
Paravent (début xviie siècle) anonyme $ 589 900 481 276
New
York
Sept.
Pot à thé nommé « myriade de fleurs » (xiiie- 2009,
anonyme $ 662 500 450 300
xive siècles) New
York
Mai
Plat Kutani, avec tampon (époque d’Edo, fin du
anonyme £ 400 800 448 965 2007,
xviie siècle)
Londres
Oct.
Armure, époque d’Edo (xviie siècle), casque Saotome 2009,
$ 602 500 408 860
signé lechika New
York
Livre illustré, Le Poème de l’oreiller (1788) Kitagawa $ 441 600 359 609 Sep.
Utamaro 2005,
New
York
Nov.
Inrô en laque de Shibata Zeshin, ère Meiji (7 cm) 162 000 188 703 2010,
Londres
Nov.
Okimono d’un dragon en bronze créé au sein de l’école Myôchin
120 000 139 780 2010,
妙椿 , époque d’Edo, xviiie-xixe siècle (137 cm)
Londres
Mai
Inrô de Shibata Zeshin, ère Meiji (4,8 cm) 120 000 136 719 2011,
Londres
Mai
Inrô de Shibata Zeshin, ère Meiji (7,1 cm) 102 000 116 212 2011,
Londres
Nov.
Inrô de Hirata Harumasa, milieu du 19e siècle (7,3 cm) 96 000 111 824 2010,
Londres
Mai
Inrô de Shirayama Shôsai, début du xxe siècle (7,3 cm) 92 400 105 274 2011,
Londres
Nov.
Coffret par Shibata Zeshin, ère Meiji (2 cm × 21,3 cm × 5,1 cm) 74 400 86 663 2010,
Londres
Nov.
Inrô en laque par Shibata Zeshin, ère Meiji (8,2 cm) 66 000 76 879 2010,
Londres
Source : « Gallery of highlights », Japanese art, Bonhams (2011) * Commission de
l’acheteur incluse.
Source : Artprice (ventes du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013). Note : artistes nés après
1945.
20 Hormis cette poignée de stars, le Japon brille plutôt par son absence –
une impression corroborée du reste par ce témoignage d’une
employée japonaise de Sotheby’s :
Nous considérons que les Japonais ne sont pas encore des artistes majeurs dans le
domaine de l’art contemporain. Ça tourne globalement autour de trois noms,
Murakami Takashi, Nara Yoshitomo et Sugimoto Hiroshi, dont l’envergure est
véritablement internationale. Murakami se défend bien dans les enchères « World
wide contemporary auctions ». Par contre, des artistes comme Mori Mariko se
trouvent relégués dans les enchères « Asian contemporary », que l’on réserve aux
artistes en voie de reconnaissance, dont le sort n’est pas encore fixé. Il s’agit en
quelque sorte d’enchères expérimentales. Or, en leur sein, l’art contemporain
japonais occupe proportionnellement une part minuscule. Ce marché reste
extrêmement faible, instable. À l’inverse, l’art contemporain chinois connaît un
succès incroyable. Il attire non seulement des acheteurs et des vendeurs Chinois,
mais aussi Américains, qui s’échangent des œuvres pour des centaines de millions
de yen. (Sotheby’s Japan)
Quelques trajectoires…
Photographie 11 : Vente aux enchères d’œuvres d’art à Shinwa art auction © Shinwa art
auction.
Photographie 12 : Vente aux enchères d’œuvres d’art à Shinwa art auction © Shinwa art
auction.
42 Un tel succès n’était pourtant pas joué d’avance. Les maisons de vente
aux enchères japonaises ont en effet dû créer de toutes pièces de
nouvelles pratiques d’achat. Ensuite, leur dynamisme masque une très
grande sensibilité à la conjoncture, comme le montre la disparition de
Tôkyô Auction House, en janvier 2002 (créée en 1996, elle accédait
pourtant à la troisième place en 2000) et AJC Auctions, en décembre
2008. Même Shinwa Art Auction a connu en 2008 des difficultés
financières suffisamment sérieuses pour menacer sa survie. Cette
fragilité potentielle se trouve encore accentuée par la concurrence
féroce qu’elles se livrent entre elles. Parallèlement, Sotheby’s et
Christie’s, non contents de faire transiter les œuvres d’un continent à
l’autre en fonction de la demande potentielle, viennent chasser sur
leur territoire, invitant les acheteurs japonais à se mouvoir au-delà de
leurs propres frontières.
Nous aimerions bien augmenter la proportion d’art contemporain, mais nous
subissons la concurrence de nos rivales, qui y mettent toutes leurs forces. Et puis,
la compétition est rude avec Christie’s et Sotheby’s. Quand le marché asiatique se
renforce, ils font venir des œuvres d’Europe. Quand il s’affaiblit, ils les font repartir.
Nous sommes loin de posséder une telle force de frappe. En comparaison, notre
champ d’action est très étroit. Contrairement aux grands auctioneers, nous n’avons
pas d’experts en interne capables de garantir la valeur des œuvres. Du coup, les
prix ne montent pas à un niveau suffisant et on ne nous confie pas les biens qui
partiraient à l’étranger pour 100 ou 200 millions de yen.
Tableau 16 : Évolution des ventes aux enchères japonaises (base 100 : 1998).
59 Porter une œuvre aux enchères ne comporte cependant pas que des
avantages. Tout d’abord, un bien mis plusieurs fois en salle des ventes,
de manière trop rapprochée, risque de voir son prix s’effondrer – on
dit alors que l’œuvre est « brûlée » 80 . Ce problème s’est posé maintes
fois pendant la période de bulle spéculative. En conséquence, quand il
s’agit d’une œuvre originale d’un artiste connu, l’enjeu majeur est
d’être le premier à recourir aux enchères.
Un jour, j’ai vendu un multiple de Kinutani, pour voir, au prix public (800 000 yen).
Tout de suite, quelqu’un l’a remis en salle des ventes. C’est tombé à 350 000. Comme
quoi, il faut attendre. Si on met deux ou trois gravures sur le marché, deux
collectionneurs se battent, et l’on obtient un bon prix. Mais si on recommence, le
deuxième se rappelle le prix d’avant et ne monte pas. Il l’achète alors moins cher. Il
faut faire attention. (…) Une autre fois, quelqu’un a acheté à la galerie Soh cinq
gravures de Kusama Yayoi, au prix public (4,5 millions de yen). C’était soit disant
« pour faire plaisir à quelqu’un ». En fait, ça a été revendu à un tiers, qui les a
encadrées et qui les a portées, un mois plus tard, chez Sotheby’s. Elles avaient été
signées en décembre, en mars elles étaient en salle des ventes. Elles ont fait
7,5 millions de yen. Donc la galerie m’a appelé. « Si tu les vends ce prix-là, la
commission n’est pas la même. C’est toi qui les as mises ? » J’ai répondu que non.
Alors bien sûr, j’ai appelé Sotheby’s et j’ai regardé le numéro. Donc j’ai su qui les
avait vendues. Mon amie m’a dit : « Je suis désolée, c’était un marchand que je
connaissais bien, il m’a assuré que c’était pour un collectionneur ». En fait, ce gars-
là était commandité par une autre galerie, qui avait essayé directement, mais avait
été refoulée. Ma copine a pris 10 %, l’autre 10 %, mais c’est le premier qui a agi en
salle des ventes qui a raflé la mise. (Marchand d’art spécialisé dans les multiples)
61 En cas d’échec, les marchands ne donnent pas une seconde chance aux
artistes qui les auraient quittés avant de se « griller » sur le marché des
reventes.
Sur la voie de la réussite immédiate, les maisons de vente aux enchères jouent un
rôle majeur. Autrefois, elles se cantonnaient aux tableaux des grands maîtres
(Monet, Picasso, etc.), sur le marché secondaire, mais elles participent aujourd’hui
au lancement des jeunes artistes, sur le marché primaire. Les émules de Murakami
délaissent donc de plus en plus leurs galeries pour vendre directement en leur sein.
Si par hasard un collectionneur étranger s’intéresse à eux, bingo. Bien entendu, ils
choisissent en priorité des thèmes appréciés sur la scène globalisée : dessins
animés ou mangas. Pourtant, on finit toujours par se lasser de ceux qui suivent la
mode. Les engouements sont éphémères. Or, quand on a lassé son public, ou échoué
sur le segment de l’art globalisé, il n’est pas possible de revenir à une carrière
progressive en galerie. Ça ne passe pas. Les marchands rétorquent : « Tu as fait de
la vente directe ? Tu n’as plus besoin de nous ». De nos jours, 70 % ou 80 % des
jeunes artistes se précipitent sur ce segment, alors qu’une infime minorité réussit.
(Collectionneur salarié)
63 Face à ces incursions sur leur territoire, les galeries conservent encore
des atouts, dans la mesure où les effets d’expérience y sont dominants.
Elles tirent ainsi un avantage concurrentiel de leur excellente
connaissance du milieu et d’une très forte capacité d’expertise.
Dans le domaine de l’expertise, les galeries ont une longueur d’avance. Elles
peuvent mettre en relation, tant du côté de l’offre que de la demande, des
connaisseurs issus d’un même milieu, et dotés d’un très haut niveau de savoir. Nous
autres maisons de ventes aux enchères sommes très en retard sur ce point. Nous
manquons de solidité sur le plan de la recherche scientifique, nous manquons de
profondeur dans l’étude. (Mainichi Auction)
65 Nous l’avons vu, les galeries sont aussi les acteurs les plus actifs en
matière de formation de valeur ajoutée. Elles soutiennent activement
les artistes en début de carrière, forgeant avec eux des liens
personnels sur le long terme, tout en se battant pour édifier un socle
solide de collectionneurs, à force de conseils, de rachats,
d’encouragements. Leur rôle au croisement entre l’offre et la demande
s’avère aussi précieux qu’incontournable.
Galeries et maisons de vente aux enchères diffèrent fondamentalement sur deux
points. D’abord, les premières soutiennent les artistes, tandis que les secondes se
limitent à la question des prix. Ensuite, les galeries participent à la formation la
demande. Nous autres collectionneurs discutons avec leurs directeurs. En
observant ce qu’ils achètent, nous parvenons progressivement à cerner leur vision
des œuvres, leur sens esthétique. Les maisons de ventes aux enchères, elles, se
fichent bien d’éduquer les amateurs d’art. Dans le domaine de l’art contemporain,
qu’elles investissent depuis peu, elles contribuent à rendre encore plus célèbres des
artistes déjà connus. (Collectionneur M)
Les maisons de vente aux enchères n’ont pas pour vocation de soutenir les artistes.
À l’inverse, Les galeristes ne pensent pas qu’aux bénéfices et grandissent avec les
artistes qu’ils choisissent. (Galerie Shirota)
66 Du fait de leur incapacité à former la demande, les maisons de ventes
aux enchères sont forcées d’accueillir en leur sein des participants peu
instruits des choses artistiques.
Honnêtement, nous avons aussi des novices complets sur le marché de l’art, des
personnes qui achètent un tableau sur un coup d’œil en se fiant simplement aux
chiffres. Beaucoup se réfèrent au Price Book, qui indique le prix atteint par un
tableau en fonction de sa taille, ou les prix affichés dans les grands magasins.
(Mainichi Auction)
67 Indirectement, elles bénéficient cependant du travail effectué par les
marchands d’art. Du côté de la demande, elles profitent de la
formation d’acheteurs compétents. Du côté de l’offre, elles ravissent le
fruit des efforts des galeries à la frange de l’oligopole, qui assurent
seules le risque inhérent au travail de découverte des nouveaux
talents. En cela, elles se comportent en « passagers clandestins » du
marché de l’art. Les petites galeries, affaiblies, sont incitées à délaisser
la production pure pour se replier sur la location, ce qui pénalise en
dernier ressort les artistes.
Depuis que les ventes aux enchères s’engagent aussi sur le marché de l’art
contemporain, les vieilles galeries se raréfient, à l’image de la clientèle. (Galerie
Kamakura Drowing)
Cela ne me dérange pas qu’il y ait des maisons de vente aux enchères, mais leur
hypertrophie risque d’affaiblir les galeries. Pour survivre, celles-ci seront obligées
d’augmenter la part de location. Elles continueront d’accueillir quantité d’artistes
en surface, mais le niveau baissera de manière drastique. Il sera encore plus
difficile de trier la mauvaise monnaie de la bonne. (Collectionneur M)
NOTES
76. Oscar Oiwa, né en 1965, est un artiste satirique qui mène dans ses œuvres une critique
sociale, à travers notamment de larges paysages urbains. Né de parents Japonais émigrés au
Brésil, il étudie l’architecture avant de se spécialiser dans l’art visuel. Encore étudiant, il lance
sa première exposition en solo à Rio de Janeiro en 1985, puis participe à la XXIe biennale de
Sao Paolo en 1991. Il s’installe à Tôkyô en 1991, avant d’effectuer un court passage à Londres
entre 1995 et 1996, pour se baser définitivement à New York à partir de 2002.
77. Le fait que les collections publiques japonaises possèdent peu d’œuvres de Murakami ne
manque jamais de suprendre les galeristes occidentaux. Ainsi aura-t-il fallu vingt ans pour que
le Musée national d’art moderne, à Takebashi, se décide à l’intégrer dans sa collection. Or,
depuis peu, l’artiste exprime un désir de reconnaissance très fort au Japon même, après une
décennie focalisée sur l’étranger. Il prépare ainsi deux expositions, au musée Mori de
Roppongi (en novembre 2015), puis à Yokohama (de janvier à mars 2016).
78. Ashenfelter a notamment été l’un des premiers à mettre en évidence « l’anomalie du prix
décroissant » pour des biens identiques mis aux enchères (par exemple, des bouteilles de vin),
en montrant que les acheteurs avers au risque acceptent de payer plus contre la certitude
d’obtenir le lot.
79. https://swot.jp/company/stake.php?comp=shinwa-art
80. Les marchands français choisissent souvent d’attendre un an et demi environ après avoir
acquis une œuvre dans les ventes publiques, pour la remettre sur le marché. Ils cherchent
ainsi à éviter que l’acheteur potentiel, une fois le prix public connu, ne soit rebuté par le
bénéfice qu’ils escomptent de la revente (Duret-Robert 1991 : 286).
81. En France la « responsabilité trentenaire » des commissaires priseurs, censés pouvoir
rembourser un faux pendant une période de trente ans après la vente, ne fonctionne presque
jamais. De fait, quand la vente a lieu sans catalogue ou que le catalogue ne présente pas de
reproductions, l’acheteur peine à faire reconnaître que l’objet problématique est bien celui
ayant figuré dans la vente, et non son frère. Ensuite, les dispositions du Code civil font porter
les conséquences de la méprise neuf fois sur dix sur le vendeur ou sur l’acheteur, et non sur le
commissaire-priseur ou l’expert (Duret-Robert 1991 : 320).
Chapitre V. La bulle spéculative de
la fin des années 1980 : de
l’euphorie au retrait des acteurs
japonais
1 Le rôle très actif des Japonais sur le marché de l’art international dans
la seconde moitié des années 1980 a fait couler beaucoup d’encre, tant
dans la presse nationale et étrangère, que les magazines spécialisés.
Aux États-Unis et en Europe surtout, les Japonais ont été accusés de
s’approprier de manière indue les « trésors » des pays occidentaux.
Certes, le marché de l’art, dominé par les acheteurs nippons, a fourni
un exemple très pur des phénomènes d’enchaînement des records,
dans un objectif de rendement à court terme. De nouveaux opérateurs
issus des milieux d’affaires et de la finance, rassurés par la publicité
des prix en ventes publiques, stimulés par la liquidité potentielle des
biens d’art et grisés par leur pouvoir d’achat, ont alors commencé à
acquérir des œuvres en masse à New York, Londres ou Paris, avec le
soutien de leurs marchands. Parallèlement, d’autres acheteurs –
surtout de grands entrepreneurs – ont aussi caressé des idéaux qui
transcendaient leur sens des affaires. Heureux et fiers de pouvoir enfin
posséder des chefs-d’œuvre internationalement reconnus, ils ont
cherché à ouvrir leurs collections, à faire venir au Japon des tableaux
dont beaucoup n’avaient vu que des reproductions, à diffuser l’art au
sein de la société. La bulle a-t-elle donc mis en place des forces
profondes, le Japon souhaitant agir dans le concert des nations sur la
scène artistique mondialisée ? Les Japonais de l’époque ont-ils
véritablement assumé une ambition de dominer le marché
international ? Quelles ont été les conséquences de l’éclatement de la
bulle sur le quotidien des galeries et les mentalités ?
2 Si à l’époque la presse occidentale était particulièrement critique et
acerbe, il ressort aujourd’hui que c’est bel et bien le Japon, victime
d’asymétries informationnelles très fortes avec les vendeurs
occidentaux, qui est sorti grand perdant de cette période
d’emballement. Aussi conjoncturelle soit-elle, la parenthèse de la bulle
spéculative a imprimé dans l’inconscient collectif un profond
traumatisme, qui n’a pas fini de hanter les acteurs du marché de l’art.
Nous verrons d’abord que les années 1987-1989, ont vu s’opérer un
élargissement spectaculaire du marché (I). Grisés par leurs succès
financiers, des spéculateurs ont dès lors perçu dans l’investissement
artistique un moyen de diversifier leur activité, de contourner les
restrictions tardives imposées par les autorités sur les autres marchés,
voire de mener quelques opérations peu licites à des fins de
refinancement ou d’évasion fiscale (II). Malgré un léger décalage sur le
marché de l’art, tous ont cependant été rattrapés par la récession au
début des années 1990, qui a engendré faillites et scandales en chaîne,
ainsi qu’un reflux massif des œuvres (III).
9 Sur le marché de l’art, le coup d’envoi fut donné par l’achat des
Tournesols de Van Gogh, par l’assureur maritime Yasuda chez 安田
Christie’s (Londres), le 30 mars 1987, pour 24,75 millions de livres (six
milliards de yen). Véritable tournant, il marqua pour les Japonais le
début d’une prise de confiance en eux et d’une participation active sur
le marché de l’art. Pourtant, ces derniers restaient encore minoritaires
dans les ventes publiques internationales. Ainsi, chez Sotheby’s New
York, ils n’achetèrent le 11 mai 1987 que 22,5 % des œuvres
impressionnistes et modernes, laissant 17 invendus. D’après David
Nash, directeur des ventes d’œuvres d’art :
Le centre des achats réels se situe toujours aux États-Unis. Même si les Japonais
achètent en bénéficiant d’un puissant discount, les Américains restent la première
force au niveau des acheteurs. (The New York Times, 12 mai 1987).
38 Il fallait à l’époque des œuvres pour tous les goûts et surtout tous les
budgets. À partir de 1989, parallèlement à l’implantation de Sotheby’s
au Japon avec le soutien du grand magasin Seibu, les achats se
diffusèrent au sein de la classe moyenne. Grands collectionneurs, mais
aussi salary men, employés de bureaux, travailleurs indépendants,
femmes au foyer sensibles à la distinction sociale que procure la
possession d’une œuvre d’art, aussi modeste soit-elle (Itoi 2001 : 28 ;
39). Pour la première fois, la facilitation de l’accès à des ventes
publiques au Japon même – la plupart des maisons de vente japonaises
virent le jour pendant cette période – leur permettait d’économiser
sur les frais de transport, les dépenses hôtelières à l’étranger, la
commission versée aux intermédiaires (10 % du prix d’achat). Même
dans les ventes aux enchères internationales, deux méthodes
autorisant les nouveaux acheteurs à enchérir à distance se
popularisèrent : l’indication d’un prix plafond, que l’auctioneer se
chargeait de relayer en salle des ventes, et l’enchérissement par
téléphone. Parallèlement, Sotheby’s et Christie’s rivalisèrent pour
publier une abondance de catalogues illustrés, accessibles à tous dans
leurs bureaux de représentation de Tôkyô, tandis que proliféraient en
librairie des ouvrages sur les conditions de « la réussite d’un bon
investissement artistique » (Fujii 1987).
Selon les milieux sociaux, les achats étaient différents. Les personnes les plus
fortunées acquéraient des œuvres mondialement reconnues – des Van Gogh, des
Renoir – mais ce n’était qu’une poignée de nantis. Les gens du commun se
contentaient d’œuvres moins célèbres. Pourtant, quel que soit le niveau social,
acheter une œuvre d’art était à la mode ; c’était un signe de distinction, au même
titre qu’un sac Louis Vuitton ou une Mercedes. (Galerie Shinobazu)
La spéculation des années 1980 a fait beaucoup de dégâts, mais on ne peut pas nier
que c’est grâce à cette euphorie que les Japonais de tous les milieux ont pu acheter
des œuvres d’art. (ancienne Galerie Art Point)
43 De toutes les œuvres de Van Gogh, il en est une qui déchaîne encore et
toujours la passion des historiens d’art : le Portrait du Dr Gachet. Et ce
avec raison. Plusieurs lettres adressées à des proches (Théo et
Willemina) attestent de son importance aux yeux du peintre, tant sur
le plan affectif que technique. Œuvre tardive (elle ne fut achevée que
six semaines avant sa mort), elle occupe aussi une position particulière
en tant que rescapée de la politique nazie contre l’« art dégénéré »
(Saltzman 1998). Au cours du xxe siècle, elle aura circulé entre de
nombreuses mains : vendue en 1897 par la belle sœur de Van Gogh
pour 300 francs, puis détenue par Paul Cassirer (1904), Kessler (1904)
et Druet (1910), elle finit par échouer dans les collections de la galerie
Städel à Francfort. Le ministère nazi de la Propagande la confisqua
en 1937, pour la revendre à un marchand hollandais, qui la céda à son
tour au collectionneur Siegfried Kramarsky. Suite à l’exil de ce dernier
à New York, elle fut prêtée à partir de 1941 à des musées américains,
dont le National Metropolitan Museum. On peut donc concevoir que,
lorsqu’en 1990 les héritiers de Kramarsky décidèrent de s’en séparer,
une vente en grande pompe fut organisée chez Christie’s (NY). Hélas,
au grand dam de la presse anglo-saxonne, le tableau se trouva acquis,
le 15 mai 1990, par un industriel japonais, Saitô Ryôei, président de
l’usine de papeterie Daishôwa Seishi 大昭和製紙 , au prix record de
82,5 millions de dollars.
44 Alors âgé de 74 ans, Saitô n’en était pas à son premier achat artistique :
parti des œuvres domestiques dans les années 1950, il avait élargi ses
goûts aux tableaux américains et européens dans les années 1970, avec
des toiles de Marc Chagall ou d’Andrew Wyeth. En 1989, il avait même
obtenu l’un des vingt exemplaires de la sculpture de Rodin, Le Penseur,
de l’entreprise américaine Columbia Savings & Loan. Bien que l’œuvre
de Gogh n’ait pas été envoyée à Tôkyô (les vendeurs avaient émis le
souhait qu’elle ne voyage en raison de sa fragilité) il avait pris la
décision de l’acheter au premier coup d’œil jeté dans le catalogue de
Christie’s, enjoignant à son marchand, Kobayashi Hideto, de l’acquérir
pour lui « à n’importe quel prix ». Bien qu’il espérât qu’elle reste dans
la fourchette des estimations (entre 40 et 50 millions de dollars), il
accepta sans sourciller de payer un montant très supérieur. Après son
achat, il la plaça dans un coffre-fort aux conditions de conservation et
de sécurité optimales, en attendant de la prêter éventuellement au
Musée départemental de Shizuoka (département dans lequel le frère
de Saitô était préfet) ou de construire un musée privé.
45 Le lendemain, encerclé par la presse, Saitô devait cependant
reconnaître recourir à l’emprunt et hypothéquer une bonne partie de
sa fortune : « La question n’est pas de savoir ce que ça fait, 10 ou
20 milliards de yen. Si je gage des terrains, on me prête tout de suite 50
ou 100 milliards ». Lorsqu’un journaliste évoqua l’amertume, voire
l’agressivité des médias étrangers, il répondit en riant : « Si l’on prend
garde à ce genre de chose, on ne peut plus rien acheter, plus rien gérer.
Si c’était à refaire, je le referais. » Quant à penchants et ses goûts, il
affirma, péremptoire : « Je n’aime que les chefs-d’œuvre ; ce qui est
petit et mignon ne m’intéresse pas. » (Itoi 2001 : 76.) De fait, il acquit
deux jours plus tard le Moulin de la Galette, pour 78,1 millions de dollars
(Sotheby’s NY). Alors même que le marché de l’art montrait des signes
de faiblesse et que sa propre entreprise connaissait des difficultés –
visibles dans le bilan comptable dès septembre 1990 – il continua à
assurer avec superbe qu’il n y aurait « aucun problème ».
46 De fait, début 1991, tout sembla encore lui sourire. En mai, il caracola
en tête du classement des milliardaires, notamment à cause des impôts
acquittés à la suite de la vente de terrains à Shizuoka et à Tôkyô.
Toutefois, lors d’une interview télévisée, il se laissa aller, sur un coup
de tête, à annoncer : « À ma mort, que le Gogh et le Renoir me suivent
dans ma tombe » (Le Monde, 15 mai 1991). Plus tard, il se défendit de
tels projets, assurant que c’était une simple métaphore pour exprimer
son attachement, mais si la presse japonaise ne sembla pas prendre
l’affaire au premier degré, en Grande-Bretagne et en France, cette
déclaration suscita l’inquiétude. Le 13 mai, le quotidien londonien The
Daily Telegraph titra ainsi sur sa déclaration mortuaire, détaillant les
conséquences des rites funéraires bouddhiques liés à la crémation.
Après ce funeste faux-pas, la situation de Saitô se dégrada. En
novembre 1993, il dut répondre à une convocation du Parquet de
Tôkyô dans une affaire de corruption, qui concernait la construction
et l’exploitation d’un golf près de la ville de Natori, dans le
département de Miyagi. Arrivé au tribunal en fauteuil roulant, il avoua
avoir versé une enveloppe de 100 millions de yen au préfet pour
accélérer la procédure et se trouva condamné à cinq ans de prison
(avec trois ans de sursis). Il n’eut cependant pas l’occasion de purger sa
peine : il décéda deux ans plus tard, le 30 mars 1996, d’une attaque
cérébrale. Toute la presse s’interrogea alors sur le sort des tableaux. La
famille gênée, rétorqua qu’il n’avait jamais été question de les brûler.
Pourtant, ils demeuraient introuvables.
47 Selon le quotidien Nikkei, du fait d’une gestion financière
particulièrement opaque entre le patrimoine de l’entreprise et celui
du président – la première aurait apporté des terrains et des actions au
second pour l’aider à se nantir en banque – le Portrait du Dr Gachet avait
été transféré à l’entreprise Daishôwa Seishi, puis saisi par les banques
Fuji虽士 h et Suruga スルガ . Par la suite, d’autres élucubrations plus
ou moins crédibles fusèrent : George Keyes, conservateur des tableaux
européens à l’Institut d’Art de Détroit prétendit qu’il se trouvait à New
York, tandis que le collectionneur et homme d’affaires Ronald Lauder,
Président du Musée d’Art moderne de New York, affirma qu’il était en
France. D’autres le situèrent chez un magna de l’agro-alimentaire
italien, un marchand d’art suisse, ou encore un investisseur américain.
Aucune de ces pistes ne s’avéra satisfaisante. Une hypothèse plus
convaincante laisse quant à elle entrevoir la venue d’un marchand
new-yorkais à Tôkyô au printemps 1998, sur invitation de la banque
Fuji, avec des représentants de Sotheby’s et Christie’s, pour négocier la
vente éventuelle du tableau. À l’époque, la banque aurait décliné
l’offre du galeriste, située autour de 75 millions de dollars. Au final,
c’est donc le financier autrichien Flöttl qui aurait acquis le tableau
dans le plus grand secret à la fin des années 1990, mais s’en serait
dessaisi au cours des années 2000, suite à des difficultés financières.
Ensuite, les traces s’estompent 92 .
Émergence des « prêts garantis par des œuvres d’art » (art loans)
Takayama Tatsuo
Lumière blanche 白光 10 200
Titre inconnu 40 500
Aichi peina à recouvrer ses créances. En outre, la firme fit face, à partir
de 1990, à d’importants revers en bourse (Asahi, 27 juin 1990) 110 .
Lorsque la Commission d’enquête du tribunal d’Ôsaka, en charge de
l’affaire Itôman, procéda à une inspection surprise à son siège,
Morishita s’écria donc, désespéré : « J’ai restreint les crédits. Il ne me
reste plus que la moitié des 800 milliards de yen que j’avais. Les
bénéfices d’exploitation ont été divisés par deux. Si l’on ne met pas en
place une baisse des taux d’intérêt, seules subsisteront les grandes
entreprises qui ont emmagasiné des fonds pendant la bulle (…) L’image
des œuvres d’art s’est dégradée : elles n’atteignent plus un prix
décent. » Avant cependant d’ajouter : « Mais l’argent reviendra
bientôt ; pour l’art aussi, d’ici deux ans, on verra [une embellie]. »
(Asahi, 6 juin 1991.) Pourtant, à partir de 1992, Aichi continua
d’accumuler les déficits. En février 1996, elle fut définitivement mise
en faillite par le Tribunal de district de Tôkyô. Ses dettes se montaient
alors à 182 milliards de yen (Asahi, 10 février 1996). La plupart des
œuvres avaient été saisies par la compagnie d’assurance-vie Chiyoda,
qui tenta de les écouler sur le marché, avec des fortunes diverses. Par
exemple, le tableau Carrières aux alentours de Saint-Rémy de Van Gogh
fut revendu à l’été 1997 à l’un des rois du casino de Las Vegas, Steve
Wynn, pour 1,1 milliard de yen (contre 1,6 milliard en 1989). Entre les
lys de Gauguin, qui avait appartenu à la collection de Ruedi Staechelin
avant d’être acquis par Aska le 15 novembre 1989 chez Sotheby’s (NY),
à 11 millions de dollars (environ 1,57 milliards de yen), retourna à un
marchand suisse pour environ 600 millions de yen (Itoi 2001 : 154 ;
158).
106 La fin des années 1990 marqua le crépuscule du soutien de la part des
entreprises privées à une seule institution ou activité culturelle. Le
grand magasin Seibu montra la voie, en sacrifiant son musée en 1999.
Il se trouva suivi par de nombreuses autres enseignes (Isetan, Sôgô,
Odakyû, etc.), aussi bien dans la capitale que dans les régions.
Parallèlement, les petits musées créés par des entrepreneurs
philanthropes souffrirent en profondeur des conséquences du
retournement de la conjoncture. Ils vacillèrent face aux coûts de
gestion et à la baisse du nombre de visiteurs. Beaucoup réussirent à se
maintenir jusqu’au début des années 2000 – on note une inertie sur dix
ans ou quinze ans, en raison du coût des infrastructures et de la
lourdeur des démarches administratives – avant de péricliter
définitivement. De fait, « liquider » des collections muséales ne va pas
de soi : les conditions sont strictement encadrées par la loi. Quand une
personne morale de bien public enregistrée auprès de l’Agence pour
les Affaires culturelles disparaît, qu’il s’agisse d’un musée privé ou
public, elle est obligée selon le Code civil de céder ses biens (terrains,
œuvres, etc.) à une personne morale partageant un but similaire. En
d’autres termes, la vente est interdite : il ne peut s’agir que d’une
donation. Cependant, elle peut aussi procéder à une vente volontaire
de son patrimoine, à condition d’obtenir une permission spéciale. C’est
ce que visèrent la plupart des établissements mis en difficulté par
l’éclatement de la bulle. Ainsi le musée Ônuma Venezia glass 大沼ヴエ
ネチアガラス ferma-t-il ses portes en novembre 2000, le musée
Morioka Hashimoto 盛岡橋本 (département d’Iwate) en mars 2001, le
musée Henry Miller (département de Nagano) en octobre 2001, le
musée Recove, qui avait abrité à Hakone les œuvres en copropriété
sous l’impulsion de l’entreprise Marukô, en septembre 2007. La liste
est encore longue : plus de 80 musées auraient été concernés.
107 Quelques exemples ont marqué les annales du monde de l’art (Itoi
2001 : 166-181). On pense d’abord au Musée d’Art et d’Artisanat Azabu
麻布美術工芸館 , construit en 1988, qui devait son admirable
collection (400 estampes) à l’entrepreneur milliardaire Watanabe
麻布
Kitarô, à la tête de l’entreprise de construction Azabu tatemono
建物 . Celui-ci avait bénéficié d’une manne financière de plus de
100 milliards de yen en provenance de Mitsui jyûtaku 三井住宅 et
Mitsui shintaku 三井信託 , lui permettant de spéculer dans les
secteurs fonciers et immobilier (jusqu’à acheter des hôtels à Hawaï),
avant d’être rattrapé par un déficit notoire. En juin 1996, il fut accusé
de faire obstruction au redressement de son entreprise. Un an plus
tard exactement, le musée périclita. En 2006, l’entreprise se trouva
mise en faillite aux États-Unis, plombée par 564,8 milliards de dettes.
Quoi qu’il en soit, le goût de Watanabe s’avéra très sûr, puisque sa
collection devait briller chez Christie’s (NY) à l’automne 1997, où 95 %
des pièces s’arrachèrent pour cinq millions de dollars, auprès
d’acheteurs américains et japonais.
108 Un autre cas d’école est constitué par le musée Minami ミナミ美術館,
qui ouvrit en 1996 dans le quartier d’Akihabara à Tôkyô, au 7e étage du
bâtiment détenu par l’entreprise d’électroménager Minami musen
denki ミナミ無線電機 . Lui aussi refléta le triste sort des
établissements projetés pendant la bulle. Son fondateur, Nangaku
Masao, s’était lancé sur le marché de l’art dans la seconde moitié des
années 1980, acquérant 37 bijoux de Dali pour 6 milliards de yen, dans
l’espoir d’attirer une clientèle plus féminine, peu encline à arpenter le
quartier de l’électronique. Par la suite, il compléta cet achat par trois
tableaux du même artiste : Madonna de Port Lligat (900 millions de yen),
La Bataille de Tétouan (2,4 millions de dollars) et Gala regardant la mer
Méditerranée (2,3 millions de dollars). Dans l’attente du musée
d’Akihabara, l’entreprise exposa ses trésors dans ses locaux, en face de
la gare de Kamakura, à partir de 1989. Malheureusement, après le pic
de 1990, elle dut se séparer de ses œuvres. Le musée ferma en 1997, au
bout d’un an seulement d’existence. La Bataille de Tétouan réapparut
donc chez Christie’s (NY) le 5 octobre 1994, où il fut revendu pour
2,2 millions de dollars (au tiers de sa valeur initiale) à un
collectionneur Japonais, Morohashi Teizô, grand amateur de Dali et
propriétaire de la chaîne de vêtements masculins Xebio ゼビオ .
En 1999, la collection de bijoux repartit à l’étranger, dans les
collections du musée Dali, en Espagne. Enfin, en 1996, le Musée
départemental de Fukuoka reprit au groupe Credit Saison Madonna de
Port Lligat pour 560 millions de yen.
109 En proie à des difficultés similaires, le musée Manno 萬野美術館 à
Ôsaka porta aux enchères chez Christie’s (Londres), le 21 juin 2001, une
collection de 118 pièces, dont 7 étaient classées « objets d’art
important ». Une fois n’est pas coutume, celles-ci furent retenues à la
frontière (il s’agit d’un des rares cas où la loi se trouva appliquée). Le
reste dépassa les estimations, pour atteindre un total de 4,28 millions
de livres.
110 Enfin, un cas un peu à part concerne la très riche collection de
céramiques et d’antiquités japonaises et coréennes rassemblées, dès le
lendemain de la Seconde Guerre mondiale par un ancien directeur de
la banque Kôfuku, Egawa Tokusuke. Ces œuvres appartenaient pour
partie à l’homme d’affaire (500 pièces environ) et pour partie à la
banque. Elles avaient été confiées en 1973 à un petit musée privé, sis à
Nishimiya (département de Hyôgo), où elles étaient gérées avec le
soutien de l’établissement bancaire. Cependant, suite à la faillite de la
banque Kôfuku en 1999, les droits de gestion furent transférés à un
fond de placement américain, qui décida de porter aux enchères les
œuvres dont celle-ci était propriétaire. Au vu de la qualité
exceptionnelle de la collection et dans le but d’éviter une sortie du
territoire, deux musées de premier ordre – le Musée national de Tôkyô
et le Musée national de Kyôto – unirent leurs forces pour acquérir
douze pièces majeures (dix à Tôkyô, deux à Kyôto), pour un total de
480 millions de yen.
14 Ici aussi, la répartition des étudiants par sexe dans le domaine des arts
visuels s’inverse au fur et à mesure que le degré de
professionnalisation s’approfondit. Le nombre de filles dans les
formations artistiques dépasse largement celui des garçons, tant dans
les universités de cycle court (huit fois plus) que les universités de
cycle long (trois fois plus en licence). Pour les premières, cela peut
s’expliquer par le fait que la population y est structurellement plus
féminine : ces écoles ont longtemps été considérées comme un
tremplin en vue de réussir un bon mariage. Dans le cas des secondes,
on peut penser que cela reflète la surreprésentation des filles dans le
domaine des sciences sociales par rapport aux sciences dites « dures ».
Cependant, l’inversion drastique de la répartition homme/femme au
moment de la reconnaissance par les pairs et le marché indique
clairement que celles-ci sont les premières à abandonner leur carrière,
dans des proportions nettement plus importantes que leurs
homologues masculins, sous l’effet conjugué d’une remise en cause
personnelle de leur propre talent (les artistes ajustent leurs espoirs de
réussite au fil des sélections progressives) et des pressions sociales
(abandon du travail au premier enfant, dépendance financière vis-à-
vis du conjoint, etc.). Difficile aussi de ne pas envisager des formes de
sexisme au sein même du monde de l’art.
À l’époque – il y a trente ans – on ne faisait pas beaucoup de bruit autour des
questions de discrimination sexuelle, contrairement à aujourd’hui. Mais cela ne
signifie pas qu’il n’y en avait pas. Par exemple, les hommes attiraient plus de
commentaires. Moi ça m’a relativement peu touchée, dans la mesure où je suis
restée en dehors des associations de photographes. Mais petit à petit, j’ai quand
même ressenti des formes de sexisme. (Artiste photographe I)
Dans les années 1970, à Geidai, l’ambiance était très machiste. Nous autres filles
(huit dans la promotion) étions transparentes – à part les plus jeunes et les plus
mignonnes, bien sûr. Je ne me doutais pas qu’il pouvait exister un tel degré de
sexisme. Ça m’a fait un choc. Tous les profs étaient des hommes. Les assistants
aussi. D’ailleurs, jusqu’à l’année dernière [2006], il n’y a eu que des hommes. Ils ont
embauché une femme de 39 ans, pour la première fois, cette année [en 2007]. Je ne
sais pas pourquoi les femmes sont ainsi stigmatisées. (…) Au bout de quatre ans, j’ai
hésité à continuer en doctorat, mais vu le sexisme ambiant, j’ai laissé tomber. J’ai
exposé une fois, comme les autres, à la sortie de l’université. Mais quand il y a le
caractère ko sur l’invitation (Yôko, Shigeko…), personne ne vient voir. C’est
l’exclusion des femmes. Je me suis dit, à ce stade-là, même si je continue pendant
dix ans, ça ne donnera rien. Il faut que je parte. (Artiste plasticienne HS)
15 Par ailleurs, bien que les écoles d’art japonaises drainent un nombre
croissant d’élèves, elles ne semblent pas constituer une rampe de
lancement efficace. Il leur manque des réseaux solides en relation avec
des artistes au faîte de leur réussite, capables de parrainer des jeunes
sur la scène mondialisée (ce qu’a fait Murakami avec GEISAI), ainsi
qu’une meilleure insertion à l’international. Elles reflètent en outre, de
manière sans doute inconsciente, certaines conventions de la société
japonaise, comme le respect vis-à-vis des aînés, où des notions peu
compatibles avec la défense d’un art commercial, telles que la notion
de l’art pour l’art.
Au Japon, le système est strictement divisé par années et un élève de 4e année est
forcément quatre fois meilleur qu’un élève de 1re année. En France, on est plus
mélangés. Et puis, les relations prof/élèves sont moins hiérarchisées, plus intimes.
(Artiste sculpteur Y)
Quand j’étais étudiant, le commerce de l’art avait quelque chose de honteux – ce
qui me rendait perplexe, dans la mesure où il fallait bien qu’on vive de quelque
chose. Récemment de passage à Londres, j’ai vu que non seulement les jeunes
fixent un prix sur leurs œuvres, mais qu’en plus, leur salon attire des galeristes et
des collectionneurs, qui parlent affaires et leur font déjà mettre le pied à l’étrier. Ils
bénéficient d’un environnement complètement différent. (…) Tous les ans, des
milliers d’aspirants artistes sortent des écoles d’art japonaises, mais on les trompe.
On ne leur dit pas qu’ils ne vont pas trouver de travail dans la société. On ne leur
enseigne pas comment survivre. Moi, si je devais y enseigner, j’aborderais des
points très concrets. Par exemple, je leur conseillerais de remplir la fiche de
déclaration fiscale bleue. Les profs eux-mêmes ne savent pas comment gérer leurs
relations avec les galeries, alors les étudiants ne peuvent espérer faire mieux.
(Artiste sculpteur HK)
Graph. 25 : Évolution du budget de l’Agence pour les Affaires culturelles (en milliards de
yen).
Source : Agence pour les Affaires culturelles 2011 : 8.
31 À partir du 1er avril 2001, les musées nationaux ont en effet changé de
statut, ce qui les oblige désormais à se tourner vers le mécénat
d’entreprise, le soutien des NPO et les fondations pour obtenir des
fonds (Inoue 2007 : 13-17). Ils doivent aussi fixer de manière collective
des objectifs quinquennaux, qui nécessitent l’approbation du ministre
de l’Éducation. Il rompent donc avec l’habitude de concevoir des
programmes chacun de leur côté, en adaptant le budget d’une année
sur l’autre. Autre volet de la réforme, à partir du 1er octobre 2002, la
Loi sur l’Amélioration de la Gestion de l’Information au sein des Institutions
administratives autonomes les contraint à divulguer leurs comptes et
à justifier leurs choix en matière d’acquisition de manière plus
transparente. Enfin, leurs résultats font désormais l’objet d’une double
évaluation, de la part du ministère de l’Éducation et du ministère de
l’Intérieur 120 .
32 Cette volonté d’accroître l’efficacité et la transparence des musées
nationaux, louable à certains égards, s’est cependant accompagnée de
coupes budgétaires. D’abord, la subvention d’exploitation en
provenance de l’État n’a cessé de diminuer : pour les musées d’art, elle
a ainsi baissé de 5 % sur la décennie. Ensuite, le gouvernement a exigé,
entre 2006 et 2011, une diminution de 15 % des dépenses de gestion
courante et de 5 % des frais d’exposition. Pour compenser ces pertes,
les administrateurs ont dû augmenter leurs « recettes propres », quitte
à privilégier dans leurs expositions des thèmes « populaires », au
détriment de l’originalité. Ils ont aussi multiplié les prises de contact
avec les entreprises sponsors, recherché des subventions et stimulé les
donations ou les dépôts en provenance des collectionneurs privés. Si
leurs efforts ont permis de maintenir un enrichissement des
collections relativement stable au début de la décennie, à partir
de 2003, leurs recettes ont connu une évolution chaotique, rendant la
tâche plus ardue. De plus, alors qu’elle était censée stimuler la
motivation du personnel, la fixation d’objectifs très stricts dans
l’autofinancement a fini par décourager les équipes de conservateurs :
plus ils se démenaient pour trouver des financements extérieurs, plus
les exigences du gouvernement se faisaient tatillonnes et plus leur
subvention d’exploitation diminuait. Enfin, dans la mesure où leurs
effectifs, eux, n’augmentaient pas, cette quête de fonds s’est déroulée
au détriment du travail de recherche.
Le budget des musées nationaux a fondu. Quand je travaillais au Musée national
d’Art occidental d’Ueno, nous ne pouvions monter avec notre subvention qu’une
seule exposition par an. Nous devions forcément nous tourner vers des entreprises
sponsors pour en monter d’autres. Ainsi, il nous fallait obtenir le soutien des
grands groupes de presse ou des chaînes de télévision, qui possèdent en leur sein
des sections spécialisées dans la gestion d’événements culturels (c’est une
particularité du Japon). Deux fois par an, ces équipes se joignaient à nous en
apportant un financement. Sans ces soutiens privés, il aurait été impossible de
maintenir le rythme de trois grandes expositions par an. (Conservatrice I, musée
New Ôtani)
36 Ensuite, on note une forte aversion au risque dans les achats muséaux.
Sans doute est-ce une nécessité, une fatalité pour les musées de présenter des
œuvres dont la réputation est stable. Exhumer des artistes originaux est trop
risqué (Galerie Mushanokôji).
Jusqu’ici les musées se fournissaient chez les galeristes. Mais beaucoup se
transforment en art centers et déclarent qu’ils « ne possèdent plus de collections ».
(…) En outre, depuis que les musées publics sont devenus des institutions
autonomes de droit public, ils sont obsédés par l’augmentation du nombre de
visiteurs, perdant au passage une part de ce qui fait leur vraie valeur. (Artiste
sculpteur HK)
41 Comme les grands magasins, les journaux ont soutenu la culture non
seulement dans le but d’augmenter et de fidéliser leur lectorat, mais
aussi parce qu’ils se sentaient investis d’une mission sociale à l’égard
de leurs contemporains. En effet, leur action est double : d’un côté, ils
s’illustrent dans le domaine de l’expertise, par des articles ciblés dans
les pages culturelles (il s’agit alors du travail de journalistes
spécialisés, qui ont passé le concours d’entrée dans l’entreprise) ; de
l’autre, ils prennent part à l’organisation d’expositions, auquel cas
l’initiative incombe à leurs départements de programmation
culturelle. C’est sur ce deuxième versant – organisationnel –, que nous
nous pencherons d’abord, parce qu’il a véritablement fait la singularité
du Japon.
42 Sans les journaux, l’art exposé au Japon au cours du xxe siècle aurait
en effet été beaucoup moins perméable aux grands courants
internationaux. Leur engagement dans la sphère culturelle ne date pas
d’hier : la première exposition d’art français remonte à 1912. Dès les
années 1920, les quotidiens nationaux (Asahi, Yomiuri et Mainichi
surtout) rivalisèrent pour organiser des expositions, des concerts ou
des spectacles. En 1920, le journal Asahi emprunta ainsi des œuvres de
Renoir, Cézanne et Degas à des collectionneurs privés, pour les exposer
dans sa maison mère, à Ôsaka. Comme le note une coordinatrice de la
section culturelle de l’Asahi :
Ils avaient déjà vocation à instruire, à éclairer ; il était naturel qu’ils se chargent
aussi de diffuser la culture au plus grand nombre » (section culturelle, Asahi)
55 Dès les années 1960, plusieurs dérives ont toutefois mis en lumière le
danger de faire peser les achats muséaux, de même que les sélections
d’artistes, sur une poignée seulement d’individus. Ainsi, les tableaux
vendus par le marchand Fernand Legros au Musée national d’Art
occidental – Pont de Londres de Derain (22,32 millions de yen) et Baie des
Anges de Dufy (2,28 millions de yen) en 1964, Visage de femme de
Modigliani (1,29 millions de yen) en 1965, se révélèrent être, malgré
les certificats, d’authentiques Elmyr de Hory ou Réal Lessard. En 1971,
l’Agence pour les Affaires culturelles interdit d’ailleurs aux musées
publics de les exposer. Des comités d’acquisition plus neutres ont donc
été créés dans les années 1990-2000, regroupant un large panel
d’universitaires et d’experts indépendants ; les conservateurs de
musée ont été soumis à un véritable devoir de réserve, consistant à ne
pas dévoiler d’opinions trop personnelles pour ne pas influencer les
cotes (même si ces opinions deviennent publiques à l’occasion de la
publication d’un catalogue raisonné). Malgré ces progrès, des relations
souterraines restent sans doute à l’œuvre, surtout du côté des experts
indépendants :
On ne peut pas savoir très clairement, mais je pense que plus de la moitié, voire
70 % des critiques indépendants reçoivent de l’argent de la part des galeristes. Il
faut bien qu’ils vivent. Bien sûr, ça n’apparaît pas en surface : il n’y a pas de
factures. Les critiques sont en effet censés écrire de manière souveraine et
indépendante. Pourtant, en coulisse, ils reçoivent de l’argent, sous forme de « dons
de gratitude ». Par exemple, un galeriste peut tendre une enveloppe dans laquelle il
a glissé des billets, en affirmant qu’il s’agit d’une contribution aux frais de
transport. Il peut encore l’inviter à boire un verre ou lui offrir une œuvre. (Galerie
T-Box)
Fondateur /
Musée Date Spécialité Activité
P-DG
Ôkura
Art ancien Fondateur du zaibatsu
Fondation Ôkura 1917 Kihachirô
大倉集古館 1928
asiatique,
cérémonie du thé
Ôkura
Ôkura (finances, import-
export)
Kishichirô
Iwasaki
Fondation Seikaidô Président(s) du zaibatsu
Art ancien Yanosuke
Bunko 1940 Mitsubishi (finances,
静嘉堂文庫 asiatique, livres Iwasaki
Koyata
import-export, etc.)
Art
Musée Bridgestone Ishibashi Fondateur de Bridgestone
ブリヂストン美術館 1952 impressionniste
et moderne
Shôjirô (industrie du caoutchouc)
笑術館 1966
asiatique Sazô
pétro-chimique Idemitsu
Kôsan
Haut administrateur du
Musée Seibu Art moderne et Tsutsumu
西部美術館 1975
contemporain Seiji
groupe Saison (grand
magasin Seibu)
Musée Hara 1979 Art contemporain Hara Toshio Héritier de Hara Kunizô 原
原美術館 邦造 (Tôkyô gaz, JAL, etc.)
Président de la compagnie
Musée Ôta
太田記念美術館 1980 Estampes ukiyo-e Ôta Seizô d’assurances Tôhô seimei
hoken
Ôtani
Musée New Ôtani
ニューオー夕ニ美術 1991 Estampes
Yonetarô Fondateur de l’Hôtel Ôtani
館 Ôtani
Yoneichi
Président de l’Hôtel Ôtani
Président de Suntory
Suntory bijutsukan 1961
サントリー美術館 2007
Artisanat d’art Saji Keizô (boissons alcoolisées,
agroalimentaire)
• Famille Fondateurs et
Mitsui Kinen Art ancien
1985 Mitsui administrateurs du
bijutsukan asiatique
三井記念美術館 2005
Cérémonie du thé
• Groupe
Mitsui
zaibatsu Mitsui (finance,
import…)
Chichû bijutsukan 地
中美術館 2004 Fukutake
Président de Benesse
Inujima Seirensho Art contemporain (produits éducatifs, cours
bijutsukan 犬島精錬 2008 Sôichirô
privés)
所美術館
92 La Nouvelle Loi sur les entreprises de 2005, qui entérine la fin des sociétés
à responsabilité limitée et place plus que jamais l’administrateur
gestionnaire, talonné par les actionnaires, au cœur du fonctionnement
des corporations, pourrait aussi influer de manière néfaste sur la
poursuite des programmes de mécénat. Si, depuis la bulle, l’idée
d’acheter une œuvre dans la perspective de réussir un bon
investissement n’est plus de mise, elle se trouve désormais d’autant
plus compromise que les entreprises n’ont plus dans leurs statuts le
droit de la revendre – ce que le fisc contrôle désormais avec soin
(Ôtake 2006). Les quelques entreprises encore actives sur le marché de
l’art ne peuvent procéder à leurs transactions que par l’intermédiaire
de fondations privées, qu’elles dotent d’un capital. Enfin, l’aspect
conjoncturel joue certainement : on pense ainsi à l’impact de la crise
financière de 2008, ou aux conséquences dramatiques du tsunami du
11 mars 2011, qui a forcément conduit à revoir l’ordre des priorités
dans les dons.
93 Demande publique, demande privée : le Japon a longtemps cherché un
équilibre, où un État peu interventionniste trouvait des relais, peu
nombreux mais solides, dans la sphère privée. Dès l’ère Meiji, des
acteurs privés se sont substitués à lui pour embrasser des missions de
diffusion de l’art, de service culturel. Aujourd’hui encore, face à
l’inflation continue du nombre d’aspirants artistes, les institutions
publiques semblent dépassées. Le budget de l’Agence pour les Affaires
culturelles ne représente que 0,01 % de l’ensemble du budget de l’État,
tandis que la politique fiscale, pourtant réaménagée en profondeur
en 1976, puis dans les années 1990-2000, reste peu incitatrice auprès
des collectionneurs et des entreprises. Les musées publics –
municipaux, départementaux et nationaux – ont certes bénéficié dans
les années 1990 d’un moment de grâce, puisque les budgets décidés
pendant la bulle leur ont permis d’acquérir des œuvres en provenance
des collections privées qui refluaient sur le marché à « prix cassés »,
mais ont été rattrapés par la crise au début des années 2000. Désormais
encadrés par le statut d’« institution autonome de droit public »,
astreints à des coupes budgétaires, ils doivent développer des
stratégies de plus en plus commerciales pour justifier leur existence
vis-à-vis des autorités de tutelle (ministère de l’Éducation ou
collectivités locales). Si l’objectif est qu’ils deviennent au fil des ans de
véritables « musées-entreprises », au cœur de stratégies très axées sur
l’analyse des coûts et la rentabilité directe ou indirecte, le risque à
court et moyen terme est un nivellement des expositions sur les
thèmes bénéficiant déjà de la plus haute visibilité (le Cool Japan), ainsi
que des choix d’acquisition trop consensuels.
94 Ces limites à l’action publique pose de manière plus cruciale encore la
question des soutiens privés. Or, les journaux, qui ont soutenu le
domaine de la culture depuis le début des années 1920, connaissent un
affaiblissement de leur influence : ils pâtissent d’un recentrage des
choix budgétaires qui ne place plus la culture au centre des priorités. À
quelques exceptions près (Nanjô Fumio, Hasegawa Yûko, Kitagawa
Fram), les critiques d’art ne s’avèrent pas non plus en mesure
d’influencer la formation des cotes et encore moins de bâtir les
réputations artistiques à l’international, même si à un niveau collectif,
ils peuvent agir au sein de revues spécialisées ou à travers les jurys de
concours. Au fond, le Japon est sans doute le seul pays d’Asie à n’avoir
pas réussi à retenir en son sein des conservateurs de musée étrangers,
alors même que ceux-ci sont les principales courroies du processus de
globalisation de l’art. Il en découle que la charge titanesque de fournir
des débouchés aux artistes et aux galeristes revient aux galeristes et
aux collectionneurs privés, dont les soutiens restent marginaux, mais
stables. De par leur engagement éclairé et solide, une poignée
d’individus ont incité dès le début de l’ère Meiji leurs propres
entreprises à investir dans le domaine de la culture, action qui a
abouti, en 1991, à la création de l’Association pour la promotion du
mécénat. Toutefois, à l’heure où la culture entre de plus en plus en
concurrence avec d’autres domaines (l’écologie, la santé ou le sport) et
sous le triple effet des aléas conjoncturels, de la disparition
progressive des présidents fondateurs et de la montée en force des
actionnaires, les firmes japonaises se retirent peu à peu de la sphère
artistique. Seul reste donc le lot irréductible des individus passionnés
qui, loin des bruits de la spéculation, ont acquis très tôt, pour des
sommes raisonnables, la production des artistes en voie de
reconnaissance. À la tête de collections importantes, ils savourent
aujourd’hui le couronnement de certains choix, par des expositions en
galerie ou des legs à des musées. Bastions dans un système où l’offre
excède structurellement la demande, ils cherchent aussi, par des
actions de convivialité, à augmenter le nombre des acquéreurs. De leur
succès dépend l’avenir du marché.
NOTES
115. Les écarts entre 1920 et 1930 attirent notre attention. On observe une chute de 26 000 à
16 000 artistes, puis une remontée à 21 000, une baisse de nouveau à 10 000… Le grand
tremblement de terre du Kantô de 1923 peut expliquer qu’il y ait eu des morts, mais ne rend
pas compte à lui seul de cette instabilité, d’où l’hypothèse d’une variation dans les critères de
définition. En revanche, il est probable que ces critères n’aient pas beaucoup changé entre
1960 et 2000.
116. Article 71 de la Loi sur la Protection du Patrimoine du 30 mai 1950.
117. Nous avons distribué un bref questionnaire à une classe d’histoire de l’art de 33 étudiants
de licence, à l’université des Beaux-Arts de Musashino, le 10 décembre 2007. Les questions
portaient sur leur parcours personnel, la variété des enseignements, la qualité des
équipements, le degré de hiérarchie professeur-élève, le financement des études, etc. Tout en
nous gardant de trop généraliser à partir d’un échantillon aussi restreint, les réponses ont
montré que les étudiants étaient globalement satisfaits de leur cursus : la moitié considèrent
que l’école propose une grande variété de cours (contre un seul mécontent), 48 % des
étudiants se disent très satisfaits de la qualité des équipements (contre seulement 9 % d’avis
contraires), 57 % considèrent que l’école offre un environnement très propice à la création
(contre seulement 6 % d’avis mitigés) et enfin 76 % affirment que les relations professeurs/
élèves sont très faiblement hiérarchisées, aucun étudiant ne se plaignant de contrôles trop
stricts sur leur création.
118. Le MOT est le musée qui bénéficie de la visibilité la plus forte dans le domaine de l’art
contemporain. Toutefois, d’autres musées spécialisés dans l’art actuel ont aussi été lancé dans
le cadre des stratégies des collectivités locales : Hiroshima (1989), Yokohama (1989), Mito
(1990), Toyota (1998), la médiathèque de Sendai (2001), le Musée de Kanazawa du 21e siècle
(2004) et le musée national d’Ôsaka (2004).
119. Cette décision n’allait pourtant pas de soi sur le plan juridique : les musées enregistrés
auprès de l’Agence pour les Affaires culturelles sont en effet des « institutions d’utilité
publique » (kôeki hôjin 公益法人 ), dont le « patrimoine principal » (kihon zaisan 基本財産) est
sujet à de strictes restrictions concernant la vente. Dans le cas du MOT, l’accord de l’autorité
de tutelle (la mairie de Tôkyô) permettait cependant de passer outre ces limitations.
120. Les deux comités en charge de l’évaluation sont respectivement le Dokuritsu gyôsei hôjin
hyôka iinkai独立行政法人評価委員会 pour le ministère de l’Éducation, et le Seisaku
hyôka/dokuritsu gyûsei hôjin hyôka iinkai 政策評価 • 独立行政法人評価委員会 ) pour le
ministère de l’Intérieur.
121. Elle a récemment pris ses distances, pour deux raisons : tout d’abord, elle possède sa
propre fondation d’art, qui fait un peu doublon ; ensuite, le rachat de Kanebo en 2006 a
occasionné des frais énormes.
122. Son bureau, situé à Paris, promeut les activités de près de 4 500 membres, répartis en 63
sections. Son fonctionnement est entièrement financé par les cotisations des membres,
membres honoraires et bienfaiteurs.
Voir le site officiel de l’AICA (http://www.aica-int.org/spip.php?rubrique8)
123. http://arts-npo.org/andb/index.html
124. L’exposition Shôwa kai ten 昭和会展 a été mise en place par le 2e directeur de la galerie
Nichidô pour exhumer de jeunes talents. Elle garantit l’achat immédiat d’œuvres aux lauréats,
des expositions individuelles et une reconnaissance au sein des galeries partenaires.
125. Dans les années 1980, Nanjô gérait déjà l’entreprise Nanjo and Associates, connue pour
ses achats artistiques, ses programmes de rénovation urbaine et ses projets artistiques
financés par des fonds publics.
126. Elle a aussi été commissaire pour la Biennale de Venise de 2010 et directrice du projet
artistique « Inujima Art House », dans le cadre du projet de l’entpreprise Benesse sur les îles
de la mer intérieure de Seto. Elle enseigne à l’université de Tama.
127. Inauguré en 2004, il accueille sa propre collection sur l’île de Naoshima.
128. En 2005, le secteur le plus choyé des entreprises restait la musique, avec 300 sociétés
(73 %) et 1 064 programmes (41,5 %). Les arts de la scène tous genres confondus (danse,
théâtre, nō, bunraku et kabuki) attiraient 309 firmes (75,2 %) et 548 programmes (21,5 %). Les
arts visuels (beaux-arts, arts plastiques) arrivaient en troisième position, avec 224 entreprises
(54,5 %) et 780 programmes (30,5 %), mais dont une infime proportion dans le domaine
vraiment contemporain (Mesena Kyôgikai 2005 : 171).
129. Citons par exemple le cas d’Umeno Takashi, archétype du profil du « découvreur ». Quand
ses œuvres prennent de la valeur, il s’en dessaisit pour réinvestir sur des jeunes en voie de
reconnaissance. Sa collection a ainsi connu plusieurs cycles (Bijutsu nenkan-sha 2006 : 854).
130. https://www.nta.go.jp/taxanswer/sozoku/4155.htm
131. Alors que les biens d’une personne morale sont évalués à l’aune de l’inventaire qui sert
habituellement de référence aux déclarations fiscales, ceux des individus le sont toujours par
un expert, délégué par le fisc ou les héritiers.
Conclusion
– 1er janv. 1991, « Kaiga torihiki 12 ten no jittai hanmei, sagaku wa doko e nagareta ? 絵画取引
十二点の実態判明、差額はどこへ流れた? (Éclaircissements sur les transactions pour 12
œuvres d’art ; mais où est passé la différence ?).
– 1er janv. 1991, « Seibu hyakkaten → Kansai Shimbun → Itoman tenbai de 25 oku en kôtô » 西
武百貨店 → 関西新聞 → ィトマン転売で二十五億円高騰 (2 500 millions d’augmentation
dans les reventes entre Seibu hyakkaten → Kansai Shimbun → Itoman).
– 6 avr. 1991 (éd. du soir), « Kazei yônin no jôshinsho ‘shito fumeikin atsukai ni’ : kaiga torihiki
15 oku en de Mitsubishi shôji » 課税容認の上申書「使途不明金扱いに」絵画取引 億円 15
で三菱商事 (Une société commerciale de Mitsubishi impliquée dans une vente de tableaux de
1,5 milliard de yen : le rapport du fisc sur « l’utilisation des fonds disparus »).
– 16 avr. 1991, « Sôka gakkai to Mitsubishi shôji no innen : kaiga baibai 15 oku en » 創価学会と
三菱商事の因縁絵画売買1 5億円 (relations mystérieuses entre la Sôka gakkai et une société
de Mitsubishi : pour 1,5 milliard de yen d’achat-vente de tableaux).
– 5 juin 1991 (éd. du soir), « Aichi nado 3 sha o sôsaku – Itoman karami de Ôsaka chiken » アイ
チなど 社を捜索 イトマン絡みで大阪地検
3 (Le tribunal d’Ôsaka élargit ses investigations à
trois entreprises, dont Aichi, dans le cadre de l’affaire Itôman).
– 6 juin 1991 (éd. du matin), « Ikitsuzukeru ‘tochi’ ‘kabu’ shinkô 生き続ける「土地」「株」
信仰 (バブル汚染2) (le culte des « terrains » et des « titres » continue – la pollution de la bulle
2).
– 11 juil. 1991 (éd. du soir), « Aichi to mitsuyaku de sharei 10 oku en – Itoman Kawamura zen-
shachô, kabu tôshi de unyô アイチと密約で謝礼 億円 イトマン河村前社長、株投資で運
10
用 (Rémunération d’1 milliard de yen suite à une entente secrète avec Aichi : les placements
en titres de l’ex patron d’Itoman, Kawamura).
– 19 déc. 1991 (éd. du soir), « Baburu no kôzu ni semaru – kane, kabu, e… kôsaku – Itôman jiken
no shuyaku sho kôhan » バブルの構図に迫る力ネ 株 絵 交錯 イトマン事件の主役初公
• • ...
判 (Implosion de l’édifice de la bulle - un mélange d’argent, de titres et d’œuvres d’art : le
début du procès Itôman).
– 31 mars 1993 (éd. du matin, Ôsaka), « Itoman jiken no nokoru nazo » イトマン事件の残るな
ぞ (Les mystères qui planent toujours sur l’affaire Itoman).
– 10 févr. 1996 (éd. du matin), « Non bank ‘Aichi’tôsan – fusai sôgaku wa 1820 oku en » ノンバ
ンク「アイチ」倒産負債総額は1 8 2 0 億円 (Faillite de l’établissement non bancaire Aichi
sous un passif atteignant 182 milliards de yen).
– 14 nov. 2000 (éd. du soir), « Kaiga o kyôbai – Itôman jiken no Heo hikoku ni chôeki 7 nen 6
gatsu kyûkei » 絵画を競売イトマン事件の許被告に懲役 年 月求刑 大阪地裁 7 6 (Vente aux
enchères d’œuvres d’art – Le parquet d’Ôsaka requiert 6 ans et demi d’emprisonnement contre
Heo).
– 29 mars 2001 (éd. du soir), « Heo hikoku ni chôeki 7 nen 6 gatsu – Itôman jiken, tokubetsu
hainin nado de Ôsaka chisai hanketsu 許被告に懲役 年 月イトマン事件、特別背任など
7 6
で大阪地裁判決 (décision du tribunal d’Ôsaka : 6 ans et demi d’emprisonnement pour Heo,
notamment condamné pour abus de confiance).
– 23 avr. 2002 (éd. du soir, Ôsaka), « Kawamura moto shachô no jikkei shiji – Itôman jiken
kôsoshin de Ôsaka kôsai 河村元社長の実刑支持 イトマン事件控訴審で大阪高裁 (La Cour
d’appel d’Ôsaka maintient la prison ferme contre Kawamura dans le cadre de l’affaire Itôman).
– 9 oct. 2005 « Itôman jiken, Heo hikoku no jikkei kakutei he – saikôsai ga jôkoku hikyaku –
hainin no kyôhan kakutei » イトマン事件、許被告の実刑確定へ 最高裁が上告棄却 背任
の共犯認定 (maintien de la prison ferme pour Heo, dont le pourvoi en Cassation a été rejeté ;
condamnation pour complicité d’abus de confiance).
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Cartes
Carte 5 : Répartition de la tranche des ménages les plus riches (30 %) à Tôkyô en 2005 129
Tableaux
Tableau 1 : Estimation des effectifs des réunions d’échanges par domaines de spécialité. 39
Tableau 3 : Galeries présentes dans le top trente des années fiscales 2000 et 2005 115
Tableau 4 : Cycle de vie des galeries entre 1987 et 2007 à Ginza et Kyôbashi 122
Tableau 5 : Population de l’enquête par rapport à celle de l’annuaire Bijutsu nenkan 142
de 2007
Tableau 8 : Pourcentage du total de points obtenus par chaque pays (1994-2000) 182
Tableau 9 : Participation par pays à la foire de Bâle, édition des années 2000 et 2005 183
Tableau 10 : Les dix meilleures ventes d’art japonais chez Sotheby’s 185
Tableau 11 : Les dix meilleures ventes d’art japonais chez Christie’s 186
Tableau 12 : Les dix meilleures ventes d’art japonais chez Bonhams 187
Tableau 13 : Classement d’Artprice pour l’art contemporain et l’art classé (2012) 188
Tableau 15 : Classement des maisons de vente aux enchères (années fiscales 2000 et
201
2005)
Tableau 16 : Évolution des ventes aux enchères japonaises (base 100 : 1998) 204
Tableau 20 : Les dix meilleures ventes remportées par des acheteurs Japonais (1987-
230
1990)
Graphiques
Graph. 2 : Importation des œuvres d’art par type d’œuvres pour l’année 2008 117
Graph. 13 : Revenus moyens (en yen) déclarés par les visiteurs d’Art Fair Tokyo en 2012
164
et 2013
Graph. 23 : Répartition des membres des associations d'artistes par secteur d’activité 293
Graph. 26 : Transition dans les dépenses culturelles des collectivités locales 302
Illustrations
Image 2 : Le Tokyo Art Club après son déménagement dans l’ancien arrondissement de
35
Shiba, en 1924
Image 5 : Esquisse d’un phoenix sur des fleurs de paulownia dans la lumière du matin, 67
de Kishi Chikudô
Image 7 : Affiche publicitaire Ya no ne Gorô réalisée par Kitano Tsunetomi pour le grand
92
magasin Takashimaya
Image 9 : Affiche pour le festival « Ginza art night », juillet 2012 133
Photographies
Photographie 11 : Vente aux enchères d’œuvres d’art à Shinwa art auction 202
Photographie 12 : Vente aux enchères d’œuvres d’art à Shinwa art auction 203
Index des noms japonais
A
Andô Hiroshige, 185
Aoki Shigeru, 265
Asai Chû, 32, 353
E
Egawa Tokusuke, 281
F
Fujii Kazuo, 224, 226, 228, 230, 232, 234, 235, 236, 238, 279, 361, 367
Fujita Jirôzaemon, 29
Fukuhara Yoshiharu, 239
Fukushima Shigetarô, 250, 290, 325
G
Gotô Keita, 325
Gotô Yasuo, 240, 364
H
Hamada Takeo, 246, 252, 253
Hara Toshio, 218, 326, 370
Hari Ichirô, 315
Hasegawa Jin, 37, 112, 150, 186, 352
Hashimoto Gahô, 33
Hashimoto Hakuzô, 271
Hatakeyama Issei, 149, 325, 359
Hayashi Tadamasa, 33, 188, 247, 353, 361, 368
Heo Young-joong, 261, 262, 263, 266, 267, 366
Higashiyama Kaii, 98
Hiraki Shinji, 325, 326
Hirata Harumasa, 187
Hirayama Ikuo, 234, 265
Hôrin Jôshô, 29
I
Idemitsu Sazô, 238, 325, 326, 327
Ikejiri Kazuhiro, 263
Ishibashi Shôjirô, 325
Ishida Tetsuya, 264, 267
Ishihara Ryûichi, 37, 112
Ishihara Shintarô, 283, 304
Ishihara Yû, 257, 258
Isoda Ichirô, 260
Itô Suemitsu, 233, 261, 262, 263, 264, 266, 267
Iwai Kenzaburô, 33, 34
Iwasaki Koyata, 325
Iwasaki Yanosuke, 325
Iwaya Kunio, 317
K
Kameyama Shigeki, 230, 235, 278
Kanazawa Shôji, 246
Kaneko Akira, 258, 373
Katô Yoshikuni, 266
Katsushika Hokusai, 186
Kawabe Rikichi, 36
Kawakita Michiaki, 311
Kawamura Yoshihiko, 256, 260, 261, 262, 264, 265, 266, 365, 366
Kawara On, 189
Kawase Hideji, 34, 233
Kayama Matazô, 265, 267
Kishida Ryûsei, 189
Kitagawa Utamaro, 185, 186
Kitahara Yoshio, 321
Kitaôji Rozanjin, 235
Kobayashi Hideo, 315
Kobayashi Hideto, 242
Kobayashi Yosoji, 311
Kobori Enshû, 30
Kôgetsu Sôgan, 29, 354
Koiso Ryôhei, 267
Konno Yuri, 254
Kôri Kiyotaka, 230, 269
Koyama Tsunejirô, 36, 59, 129, 155
Kuki Ryûichi, 32, 34
Kuresawa Takemi, 317
Kuribayashi Takashi, 336
Kuroda Seiki, 151, 206, 234, 235
Kurokawa Hiroshi, 264
Kurokawa Shinsaburô, 36
Kurokawa Sonoko, 263
Kusama Yayoi, 21, 155, 188, 212, 285
M
Maeda Seison, 234, 268
Makiuchi Yûsuke, 247
Maruyama Ôkyo, 115, 186
Matsukata Kôjirô, 33, 37, 325
Matsumoto Shunsuke, 265, 353
Matsuo Gisuke, 33
Matsuoka Sejirô, 325, 326
Mitani Kanshirô, 36
Miyamoto Saburô, 265
Miyao Eisuke, 185
Miyata Munenobu, 258
Mori Kazunari, 258
Mori Minoru, 326
Morishita Yasumichi, 251, 269, 270, 271
Morohashi Teizô, 281
Munakata Shikô, 234
Murakami Takashi, 21, 165, 188, 285, 296, 362
N
Nakahara Yûsuke, 315
Namikawa Sôsuke, 184, 185
Nangaku Masao, 281
Nara Yoshitomo, 21, 188, 285, 290
Nawa Kôhei, 336
Nemoto Chôbei, 239
Nezu Kaichirô, 36, 325
Nishida Hanpô, 37, 112
Nishikawa Takerô, 37
O
Ogata Kôrin, 68
Ôhara Magosaburô, 151, 325
Okahira Katsurô, 247
Okakura Tenshin, 32
Ôkawa Isao, 283
Okazaki Kenjirô, 317
Ôkura Kihachirô, 325
Ôkura Kishichirô, 325
Oscar Oiwa, 181
Ôta Seizô, 129, 155, 325, 326
Ôtani Yoneichi, 326
Ôtani Yonetarô, 325, 326
S
Saeki Yûzô, 268, 282
Saitô Jirô, 37
Saitô Ryôei, 230, 242, 278, 284
Saji Keizô, 326
Sakurai Yoshitoshi, 250
Sano Tsunetami, 33, 34
Saotome lechika, 186
Satô Masahiko, 23, 263, 274, 299, 351, 353
Sawada Masahiko, 271, 272, 369
Sawaragi Noi, 317
Sen no Rikyû, 28
Shibata Zeshin, 187, 188
Shikanai Nobutaka, 326
Shirayama Shosai, 187
Shishima Tsukasa, 279
Suda Kunitarô, 267
Sugimoto Hiroshi, 188
Sumitomo Kichizaemon, 260, 262, 263, 265, 266, 267, 268, 279, 325, 326
Suzuki Satoichirô, 37, 112, 148, 304, 359
T
Tachibaba Reiko, 258
Takahashi Harunori, 253, 254, 255, 256, 277, 278
Takakura Tatsuo, 258
Takayama Tatsuo, 265
Takeshita Noboru, 249
Taki Kôji, 315, 354
Takiguchi Shûzô, 315
Tanabe Katsuhiko, 96
Tanaka Ikkô, 89
Tanikawa Tetsuzô, 315
Tobishima Akira, 279
Tôgô Seiji, 241
Tsuchida Bakusen, 206
Tsurumaki Tomonori, 230, 249, 250, 251, 252, 269, 279, 364
Tsutsumu Seiji, 326
U
Uemura Shôen, 206, 265
Umehara Ryûzaburô, 41, 206, 235
Utagawa Hiroshige Voir Andô Hiroshige
W
Wanibuchi Masao, 278
Watanabe Kitarô, 280
Y
Yahiro Yorio, 258
Yamada Motonobu, 185
Yamaguchi Kaoru, 140, 155, 265, 290
Yamamoto Kiyonori, 29, 277, 354, 358, 371
Yamazaki Taneji, 325, 326
Yanagi Muneyoshi, 315
Yashiro Yukio, 315, 374
Yasui Sôtarô, 235
Yokoyama Taikan, 33, 206
Profil des noms japonais de l’index
針生一郎 (1925-2010)
Hari Ichirô Critique d'art
池尻一寛 (?)
Ikejiri Kazuhiro Homme d'affaires (Kansai Shimbun)
松本竣介 (1912-1948)
Matsumoto Shunsuke Peintre (yôga)
奈良美智 (1959-)
Nara Yoshitomo Artiste contemporain
桜井淑敏 (1944- ?)
Sakurai Yoshitoshi Ingénieur (Honda)
八尋頼雄 (?)
Yahiro Yorio Avocat, ancien vice-président de la Sô