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Gildas Jaffrennou

Remerciements à
Gregor, grâce à qui tout a commencé,
David Joubard et Luc Rémon,
relecteurs de la première heure,
Elliott Biehler pour ses suggestions,
Carole Paillard, chasseuse de coquilles,
Florian Raclet, ciseleur perfectionniste,
Jean-François Jeunet, mon éditeur,
Stéphane Le Roux, pour son attention et sa précision.
Si malgré leurs efforts il subsistait quelques erreurs
ou imprécisions, elles sont du fait de l’auteur.
G. J.
De l’autre côté
du miroir
L’ARTIFICE DE LA FICTION / MYSTÈRE ET PLAISIR /
LA DRAMATURGIE AU QUOTIDIEN

J’emprunte à Lewis Carroll1 le titre d’une de ses


œuvres majeures pour vous prévenir, ami lecteur, que
les informations, techniques et analyses de cet ouvrage
ne sont pas inoffensives.
Ce livre s’adresse avant tout aux scénaristes, auteurs
et inventeurs d’histoires, débutants ou vétérans. Peut-
être travaillez-vous dans la mise en scène, la production,
le montage ou la diffusion. Dans tous ces cas, vous savez
que les spectateurs veulent de bonnes histoires et que
la narration est un savoir-faire qui se travaille. Vous avez
une idée de ce qui vous attend.
Il me faut prévenir les autres lecteurs, qui s’intéres-
sent à la narration sans forcément en envisager la pra-
tique pour eux-mêmes. Enseignants, journalistes, cri-
tiques, chroniqueurs, attachés de presse…
En pénétrant au-delà de la surface du miroir de la
fiction, vous entrez dans les coulisses de tous les spec-
tacles, où l’artifice se dévoile.
Derrière l’apparente simplicité d’une belle histoire
se révélera une multitude de fils dont les entrelacs ne

1. De l’autre côté du miroir (1872) est la suite du célèbre roman Les Aventures
d’Alice au pays des merveilles (Lewis CARROLL – 1865).

DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR 9


doivent rien au hasard et résultent souvent d’une habile,
délicate et subtile élaboration.
Accéder à cette dimension cachée des trames, fau-
filages et tricotages dont sont tissés les grands récits,
c’est un savoir à double tranchant.
Une fois initié aux subtilités de la dramaturgie, vous
serez comme Neo (Keanu Reeves) dans Matrix (Andy et
Larry Wachowski – 1999), qui parvient à voir la simula-
tion du monde en codes de programmation.
Vous percevrez la structure, l’architecture des récits,
les techniques et les mécanismes qui leur permettent
de fonctionner, et les stratégies par lesquelles les auteurs
font naître d’authentiques émotions.

L’artifice de la fiction
Grande question : quand vous aurez cette connais-
sance, vous sera-t-il encore possible de regarder un film
avec simplicité, de vous laisser emporter dans une
intrigue, de suspendre un temps votre incrédulité ?
Si vous avez la capacité d’analyser les ressorts d’une
dramaturgie, ne risquez-vous pas d’en percer les arti-
fices, bref, de ne plus vivre les émotions du récit comme
n’importe quel spectateur ?
Pensez aux tours de prestidigitation : on cherche à
comprendre le truc, mais si jamais on le découvre,
l’émerveillement change de nature.
Lorsqu’un magicien réussit un numéro extraordi-
naire sans que vous ne compreniez comment il a fait, le
mystère fait partie de l’émotion ressentie.
Si vous connaissez son secret, le merveilleux se dis-
sipe. Il reste à apprécier les performances techniques et
artistiques, mais ce n’est plus la même chose.

DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR 10


La magie, d’une certaine façon, est brisée par la
connaissance des ressorts qui lui permettent d’exister.
C’est bien entendu cette raison qui pousse les magiciens
à garder jalousement leurs secrets, ou à n’en révéler
qu’un minimum au public.

Mystère et plaisir
Il me semble que la plupart des amateurs de spec-
tacles de prestidigitation ont plus ou moins conscience
que leur plaisir provient en partie du mystère du tour
réussi.
En tant que cinéphile, bédéphile ou amateur de
bonnes histoires en tous genres, vous-même pourriez
souhaiter garder votre innocence de spectateur ordinaire
et préserver ce plaisir que Christopher Nolan décrit si
bien dans Le Prestige2 (2006) : le plaisir d’être dupé.
Je ne peux répondre pour vous, mais, personnelle-
ment, enseigner la dramaturgie a certainement changé
mon regard sur le cinéma, sur l’écriture, et plus large-
ment sur le monde médiatique.

Les bons films me font toujours autant d’effet. L’ana-


lyse dramaturgique et la compréhension de certaines
subtilités d’écriture sont devenues pour moi des frian-
dises, un « plus » à déguster pendant ou après la décou-
verte d’une œuvre.

La dramaturgie au quotidien
Au-delà de la seule sphère de la fiction, je perçois
l’usage qui est fait de techniques visant à susciter et

2. Tiré du roman éponyme de Christopher PRIEST (1995). Scénario de Chris-


topher et Jonathan NOLAN.

DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR 11


canaliser les émotions des spectateurs. À force de me
poser des questions, je suis devenu plus exigeant, y com-
pris avec moi-même, autant comme auteur que comme
spectateur.
Articles de presse, reportages, documentaires, toutes
ces formes que mon expérience m’avait amené à dis-
tinguer assez nettement de la fiction m’apparaissent
aujourd’hui implicitement dépendantes des mécanismes
de la dramaturgie, d’autant qu’elles prétendent traiter
de la vérité quand il ne s’agit toujours que de points de
vue, aussi honnête un journaliste soit-il.
Le fait est que les techniques narratives sont utilisées
depuis longtemps ailleurs que dans des œuvres de fiction.
Par exemple, le film de Robert Flaherty L’Homme
d’Aran (1934) a été longtemps considéré comme un
documentaire, or on sait aujourd’hui qu’il a été large-
ment écrit et mis en scène, même si l’intention était sin-
cère de donner une image réaliste de la vie des habitants
de cette île.

La dramaturgie est à l’œuvre dans toute communi-


cation humaine, avec comme enjeu permanent d’ame-
ner le spectateur à se sentir concerné, orienter ses émo-
tions pour au final lui faire éprouver de l’empathie ou
de l’antipathie.

Lorsqu’on agit sur les émotions, au bout du compte,


cela peut impacter les opinions des uns et des autres
sur n’importe quel sujet.

Comprendre les mécanismes de la dramaturgie se


révèle alors décisif pour développer sa liberté de penser.

DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR 12


Mode d’emploi
NOURRIR VOTRE PRATIQUE / PRATIQUER L’ÉCRITURE /
VOTRE LIBERTÉ

La volonté de dire les choses telles que je les com-


prends, aussi simplement et directement que possible,
m’amène parfois à des raccourcis réducteurs, mais je
serais peiné que vous y voyiez une volonté d’imposer
une sorte de dogme.
Vous seul(e) déciderez de ce que vous ferez de ce livre.

Si vous le pouvez, croisez ce que j’écris avec d’autres


auteurs, d’autres approches. Mon avis n’est qu’un point
de vue parmi d’autres, et j’accepte volontiers le débat et
la critique.
Comme disait Chris Marker, « une façon d’acquérir
de nouvelles certitudes, c’est d’apprendre à douter
ensemble3 ».
Certains de mes anciens stagiaires élaborent leurs pro-
pres modèles, différents de ceux que je propose ici. Je suis
d’accord. Il y a des précédents tout à fait respectables.
« Je tâche de suivre toujours le sentiment d’Aristote4
dans les matières qu’il a traitées ; et, comme peut-être
je l’entends à ma mode, je ne suis point jaloux qu’un
autre l’entende à la sienne5. »
Corneille
3. Dans le documentaire 2084 (Chris MARKER – 1984), consacré à l’avenir
possible du syndicalisme.
4. ARISTOTE (-384 / -322 avant J.C.) : philosophe grec, auteur d'une multitude
d’ouvrages et en particulier de Poétique (publié vers 335 avant J.C.), consacré
à la dramaturgie.
5. Premier des Trois discours sur le poème dramatique (CORNEILLE – 1660).

MODE D’EMPLOI 13
Nourrir votre pratique
J’en resterai au postulat que vous, qui lisez, êtes
aussi auteur ou voué à le devenir. Si vous êtes enseignant
en cinéma ou exercez un métier de communication, je
pense que vous y trouverez aussi votre compte.
Il sera beaucoup question de cinéma, mais tout ce
que je dis est transposable à la bande dessinée, au
roman, au théâtre, et même au jeu vidéo.
Ce livre n’est pas destiné à être lu d’une traite. Il
s’agit de présenter et d’expliquer des notions concrète-
ment utilisables en dramaturgie, de les relier à des exem-
ples et de proposer des exercices de mise en pratique.
Si vous ne connaissez pas certaines des œuvres
citées, pas d’inquiétude : des résumés accompagnent la
plupart des explications.
Parfois, je reste vague pour vous laisser le plaisir de
découvrir par vous-même certains aspects d’une œuvre.
Si vous êtes un lecteur actif, vous chercherez à iden-
tifier dans vos œuvres préférées les techniques et les
mécanismes dont traite cet ouvrage.
Je vous y encourage vivement, tout comme je vous
encourage à échanger avec d’autres auteurs sur vos tra-
vaux respectifs, dans le cadre de cercles de lecture ou
de rencontres.
Très important aussi, et même plus important encore
que n’importe quel livre, il y a la pratique de l’écriture.

Pratiquer l’écriture
On ne peut pas apprendre sans pratiquer, et l’écriture
ne fait pas exception.
Lire des centaines de pages d’explications ne garantit
rien. C’est uniquement ce que l’on a soi-même assimilé

MODE D’EMPLOI 14
dans la pratique qui se révèle utile. D’où l’intérêt, selon
moi, d’un aller-retour entre pratique et théorie, dans cette
expérimentation intime qu’est l’apprentissage personnel.

Les problèmes liés à l’écriture sont immensément


variés, et dépendent aussi du type d’écrit (roman, nou-
velle, BD… et bien sûr scénario pour le cinéma ou la télé-
vision). Ils n’ont que rarement une solution unique et
demandent à la fois sensibilité, distanciation et cohé-
rence. Acquérir un certain recul sur son propre travail
ne vient qu’avec l’expérience.
Une façon d’y parvenir est d’alterner l’écriture, l’ana-
lyse d’œuvres existantes et les explications de ce livre. À
la fin de chaque chapitre, des exercices sont proposés
pour mettre en pratique les notions décrites et expliquées.

Votre liberté
Vous pouvez choisir de circuler entre les différentes
parties du corpus au fil de votre inspiration.
Bien entendu, il est possible de tout lire, dans l’ordre,
du début à la fin.
Si vous préférez bâtir votre parcours personnel,
chaque fin de chapitre vous suggère différentes direc-
tions possibles, selon votre sensibilité, vos envies ou vos
besoins.
Enfin, vous pouvez aussi considérer ce livre comme
une boîte à outils, un ensemble de ressources utilisables
au coup par coup, et à la demande.
Que vous soyez au début d’un projet, en plein travail
sur le dénouement ou sur les rebondissements de votre
partie centrale, libre à vous de piocher où vous voulez.

Certains éléments ne serviront peut-être pas dans


votre projet actuel, d’autres demanderont à être adaptés,

MODE D’EMPLOI 15
mais la plupart sont suffisamment universels pour servir
dans n’importe quelle histoire.

Ce qu’aucun ouvrage ne pourra faire, c’est imaginer


et ressentir à votre place.
Un livre ne remplace pas une pratique régulière et
passionnée.

« Pour écrire, il suffit d’avoir du papier et un crayon. »


Jean Failler6

6. Jean FAILLER est l’auteur (entre autres) d’une quarantaine de romans d’in-
vestigation se déroulant en Bretagne et mettant en scène le personnage
de Mary Lester.

MODE D’EMPLOI 16
Vous voulez directement commencer
à développer vos idées ?

Pourquoi aime-t-on croire


fi Cliquez ici
aux fictions ?

Quels sont les éléments


fi Cliquez ici
de la structure d’un scénario ?

Comment créer l’univers


fi Cliquez ici
et les personnages de votre récit ?

Vous souhaitez des outils pour travailler


à un scénario en cours ?

Quel est l’intérêt d’utiliser


fi Cliquez ici
différents points de vue ?

Comment travailler
fi Cliquez ici
sur la cohérence du récit ?

De quelle façon peut-on


fi Cliquez ici
développer des effets dramatiques ?

Sinon, nous allons commencer par exposer les règles


de mise en forme du scénario, parler des intentions de
l’auteur et de la suspension consentie de l’incrédulité.

MODE D’EMPLOI 17
Mise en forme
À QUI S’ADRESSE UN SCÉNARIO /
QUALITÉS ESSENTIELLES / QUATRE PARTIES /
ÉCRIRE CE QUI SE VOIT ET CE QUI S’ENTEND / TRANSITIONS /
DIALOGUES IN, OFF, OVER / CAS PARTICULIERS /
INTENTIONS / NOTE DE RÉALISATION /
PITCHER SON PROJET / ANNEXES

Un scénario est fondamentalement un document


de travail destiné aux producteurs, aux techniciens et
aux acteurs. On ne doit donc pas le considérer comme
une forme achevée de récit, mais plutôt comme une
étape intermédiaire du processus créatif.

La question se pose donc de savoir si la présentation


du scénario a une quelconque importance, puisque
même dans le cas d’une bande dessinée, la seule chose
que verront les lecteurs, c’est un résultat qui, du moins
en apparence, ne dépend que du talent du dessinateur.

Objectivement, la mise en forme d’un scénario ne


détermine pas la valeur d’une œuvre. Cependant, il va
être utilisé par des collaborateurs qui attendent de vous
un document professionnel.

Votre premier lecteur :


le producteur
Même si c’est une affaire de première impression, il
faut se faire à cette idée : les apparences, ça compte. Si

MISE EN FORME 19
la forme de votre scénario est impeccable, vous aug-
mentez directement vos chances d’être produit simple-
ment en augmentant vos chances d’être lu. Observez
les modèles proposés et n’hésitez pas à en chercher
d’autres sur Internet. Même la qualité du papier produit
un effet, visuel et tactile.

Première qualité essentielle :


l’orthographe
Relisez-vous et faites-vous relire autant que néces-
saire. Votre scénario doit être engageant et agréable à
lire. Peut-être pensez-vous que syntaxe, grammaire et
orthographe sont des préoccupations d’un autre âge…

Peut-être. Mais pas pour un scénario.


Si vous laissez à votre lecteur la moindre raison de
douter de votre professionnalisme, ce doute va perturber
sa lecture et impacter son ressenti de votre travail. Vous
devez lui inspirer confiance, lui faire oublier qu’il lit.

Une faute, qu’elle soit grammaticale, syntaxique ou


orthographique, risque de casser son implication en le
ramenant au réel.

Les scénarios, comme les romans, ce sont effecti-


vement des mots écrits sur du papier, mais il faut tout
faire pour que le lecteur n’y pense plus une fois immergé
dans le récit.
La cohérence formelle est une des conditions de la
suspension consentie de l’incrédulité7.

7.Voir la suspension consentie de l’incrédulité, cliquez ici.

MISE EN FORME 20
Seconde qualité essentielle :
la fluidité
Ne vous encombrez pas de détails secondaires dans
vos descriptions. Seuls comptent les éléments qui jouent
un rôle dans votre récit.
Même si vous avez en tête de quoi remplir une page
entière pour décrire un lieu, quelques indications suffi-
ront généralement au lecteur pour que sa propre imagi-
nation prenne le relais.

Concrètement, un scénario comporte


quatre parties obligatoires
– Page de titre (ou page de garde)
– Synopsis
– Continuité dialoguée
– Note d’intention
Il peut aussi comporter une note de réalisation, un
pitch et des annexes.

1. La page de titre
Elle comporte le titre de votre scénario, la nature du
projet et vos coordonnées.
Elle n’a pas de numéro. La numérotation commence
conventionnellement à la page 2. Ne jamais indiquer de
numéro de version sur la page de titre, et encore moins
de mention du type « version finale » : un scénario est
susceptible de changements à toutes les étapes de la
production. Évitez les polices de caractères fantaisistes
et ne mettez aucune image.
Si vous avez déposé votre œuvre à la SACD8, il est
d’usage d’indiquer le numéro de dépôt.

8. SACD = Société des auteurs et compositeurs dramatiques.

MISE EN FORME 21
2. Le synopsis
Rédigé au présent de l’indicatif, c’est un résumé
complet du récit donnant un aperçu succinct de tout ce
qu’il contient : univers, personnages, enjeux, événe-
ments, rebondissements, climax, dénouement.

On doit y discerner non seulement les protagonistes9


et les antagonistes10, mais aussi leurs motivations, leurs
forces, leurs faiblesses et leurs transformations psycho-
logiques.

L’art du synopsis est celui du résumé, de l’efficacité,


du mot juste et du sous-texte. En dire le moins possible,
mais tout de même assez pour déclencher l’imaginaire
et donner envie de connaître le détail de la continuité.
À la différence du synopsis promotionnel (celui qu’on
lit dans les journaux, ou que l’on entend à la radio ou à la
télé, et qui résume le tout début du récit), le synopsis de
scénario raconte l’histoire jusqu’au bout, jusqu’à la fin,
avec tous les éléments essentiels de l’intrigue.
Un synopsis ne doit comporter ni intitulés ni dia-
logues.
Les descriptions doivent se limiter strictement à l’in-
dispensable, c’est-à-dire ce qui est déterminant pour le
récit.
Le synopsis peut évoquer les pensées, les émotions
et les raisonnements des personnages, si cela rend plus
clair le récit. En revanche, il ne doit pas faire état des
émotions ou des pensées de l’auteur, qui relèvent de la
note d’intention.

9. En principe, le protagoniste est le personnage qui vit le plus de conflit,


attirant ainsi l’empathie du spectateur. Cliquez ici.
10. Les antagonistes, ou opposants, sont les adversaires du protagoniste.
Voir les antagonistes, Cliquez ici.

MISE EN FORME 22
3. La continuité dialoguée
C’est la partie la plus longue.
Elle contient l’intégralité des scènes du récit dans
l’ordre, sans numérotation. Le texte doit être en police
courier, taille 12.
Certaines productions tolèrent les polices Times New
Roman, Arial ou Verdana. Toute autre police est à proscrire.
Pourquoi la police courier 12 ?
Par tradition d’abord, car c’est la police des machines
à écrire utilisées par les scénaristes depuis les débuts
du cinéma. Mais il y a une autre raison. C’est une police
non proportionnelle : tous les caractères occupent le
même espace.
Ceci permet de rédiger des pages qui comportent
toutes le même nombre de lignes, voire le même nombre
de signes.
Dans ce standard, on considère que :
1 page de scénario = 1 minute de film.
Le texte doit être aligné à gauche, et non justifié. Le
plus simple est d’observer l’exemple ci-dessous.

EXT/PARKING RESIDENCE/JOUR Intitulé


Une voiture entre en trombe et se gare dans
un crissement de pneus.
ASTRID, bien mise, très nerveuse, sort de la
voiture, verrouille la porte, observe autour
d’elle et s’avance vers MARTIN, austère,
lunettes noires, qui attend près d’une porte
vitrée, le visage impassible.

ASTRID
Didascalie
Ah Martin ! J’arrive à temps ?

MISE EN FORME 23
MARTIN (opinant)
Dialogue
Il n’a pas bougé, Madame.

Elle tente de pousser la porte, qui ne bouge


pas.

MARTIN
Il y a un code de sécurité. Mais ce
n’est pas tout.

Il hésite longuement. Elle le fixe, de plus


en plus tendue.

ASTRID (explosant) Didascalie


Il est avec cette fille, c’est ça ?
Bon ça suffit, passez-moi votre
arme, je lui règle son compte.

MARTIN (très doucement)


Je vous en prie, arrêtez, je vous
assure que c’est inutile. Je... La
femme avec qui il est en fait,
c’est… C’est la mienne.

Astrid le regarde complètement stupéfaite,


les yeux ronds. Elle s’assoit sur une
marche.

ASTRID (choquée)
Je boirais bien un cognac.

3.1. Les trois formats de la continuité dialoguée


a. Les intitulés
Ils sont toujours en majuscule. Exemple :
INT/BAR « LES ALOUETTES »/NUIT

MISE EN FORME 24
Ils comportent la position de la caméra (intérieur ou
extérieur), le lieu de l’action et son moment (jour ou nuit).
Par convention, on écrit INT pour intérieur ou EXT
pour extérieur. Si une scène intègre des positions de
caméra à la fois à l’intérieur et à l’extérieur, on peut indi-
quer dans l’intitulé INT – EXT. Ce sera le cas par exem-
ple si un personnage ouvre sa porte pour discuter avec
le facteur resté à l’extérieur.
Si une action se déroule dans une chambre, mais
qu’elle doit être filmée du point de vue d’une caméra
placée dans la rue, l’intitulé doit indiquer EXT… Quitte à
préciser le point de vue en didascalie.
Ne pas numéroter les scènes, ce n’est utile que lors
de la préproduction, quand on prépare le tournage des
plans du film11.

Chaque intitulé identifie une scène, c’est-à-dire une


suite d’actions s’enchaînant dans le même lieu et dans
le même temps12. Un changement de scène correspond
donc soit à une ellipse temporelle, soit à un changement
de lieu, et parfois aux deux à la fois.
En France, on parle indifféremment de scènes ou
de séquences, mais je crois la nuance importante.
Robert McKee13 définit une séquence comme un
enchaînement de scènes reliées par une unité d’action,
même si elles se déroulent dans plusieurs lieux.
Yves Lavandier14, lui, parle de scènes réunies par le
même sous-objectif, même si des actions très différentes
y sont menées.

11. En cherchant des exemples sur Internet, vous pouvez tomber sur des
scénarios en anglais avec des scènes numérotées. Attention, c’est un piège.
Les Anglo-saxons distinguent le speculative script, SPEC SCRIPT, que nous
appelons continuité dialoguée, du shooting script que nous appelons décou-
page technique.
12. On définit classiquement une scène par son unité de lieu et de temps.
13. Story (Robert MCKEE – 2000).
14. La Dramaturgie (Yves LAVANDIER – 1994).

MISE EN FORME 25
Dans une séquence, les événements se déroulent en
continuité temporelle dans plusieurs lieux. Par exemple,
une poursuite, un combat, une exploration. La notion de
séquence peut servir quand on travaille à la structuration
des grandes parties de l’histoire et à leur équilibre.
Pour une scène se déroulant dans un espace large,
on peut utiliser des sous-titres de scène (en majuscule
également) précisant la partie du décor utilisée.

DERRIERE LE COMPTOIR
SOUS LA TABLE
DEVANT LA PORTE DE LA CUISINE

b. Les didascalies
En italique, elles décrivent en langage clair (non tech-
nique) ce que le spectateur voit et entend, en temps réel.
Le texte est obligatoirement rédigé au présent de l’indi-
catif.
Évitez absolument les références à l’intériorité des
personnages (pensées, intentions, souvenir) : elles ne
pourront pas être filmées.
Bannissez les mots « car, donc, pour, parce que »,
les verbes « penser, comprendre, croire, décider, deviner,
imaginer, espérer, craindre, inquiéter »…
Si votre personnage remplit un arrosoir, écrivez : « X
remplit un arrosoir », et surtout pas : « X remplit un arro-
soir, inquiet pour ses plantes jaunissantes et décidé à
en prendre soin ». Tout ce qui est d’ordre causal, comme
les motivations des personnages, devrait se déduire de
l’action perçue par le spectateur. La didascalie doit abso-
lument s’en tenir à cela, uniquement au perceptible
(images et sons au cinéma).
Évitez de commencer vos phrases par On. Il est
implicite que la didascalie contient uniquement ce qui

MISE EN FORME 26
se voit ou s’entend. On voit le personnage ouvrir la porte
doit être remplacé par le personnage ouvre la porte, plus
concis et direct.
La pratique a conduit les scénaristes professionnels à
donner en didascalie diverses indications précisant les
types de transition. On peut les mentionner en majuscules
alignées à droite, par exemple comme ceci:

CUT TO
(passage sans transition de la dernière image d’une scène
à la première image de la scène suivante)

OUVERTURE AU NOIR
(l’image apparaît progressivement à partir d’un écran noir)

FERMETURE AU NOIR
(l’image s’assombrit progressivement jusqu’à devenir noire)

DEBUT GENERIQUE
(incrustations successives des noms des techniciens et des acteurs)

FIN GENERIQUE

FONDU ENCHAINE
(les dernières images du plan de la scène précédente
se mêlent aux premières images de la scène suivante)

FERMETURE À L’IRIS
(le champ de l’image se réduit à un cercle de plus en plus petit
entourant un personnage)

Vous pouvez indiquer des sons et bruitages dont la


source est invisible :
SON OFF : des pas font grincer le parquet.

Si un élément produit un son particulièrement


important, il y a lieu de l’indiquer en majuscule :

Le cambrioleur manœuvre le bouton d’ouver-


ture du coffre-fort, l’oreille collée à la
porte. CLIQUETIS du mécanisme de la serrure. La
porte s’ouvre avec un GRINCEMENT METALLIQUE.

MISE EN FORME 27
En général, il ne faut pas mentionner dans le scéna-
rio les placements des caméras ou les valeurs de plan,
qui relèvent du découpage technique (shooting script)15.
En revanche, il est possible de suggérer un découpage
par la didascalie.

Son doigt se crispe sur la gâchette


fi Gros plan
Devant lui, à perte de vue, le désert
fi Plan d’ensemble

De même, un saut de ligne dans la didascalie suggère


un changement de plan. C’est ce qu’on appelle le décou-
page implicite.

Lorsqu’un personnage apparaît pour la première fois


dans la didascalie, il faut indiquer son nom en majuscule.
En revanche dans les dialogues, les noms des locuteurs
doivent toujours être en majuscule.

c. Les dialogues
c1 . Voix IN, OFF, OVER
Il n’est pas obligatoire d’avoir des dialogues dans un
récit. De plus, le terme englobe toutes les voix entendues
par le spectateur, même si une seule personne parle.
On distingue les voix dont la source est dans le
champ (IN), de celles dont la source est hors-champ
(OFF) ou ajoutée au montage (OVER). Par défaut, tout
dialogue est IN.
Une voix sortant d’un combiné téléphonique est IN si
le combiné est visible dans l’image, OFF s’il est hors-champ.

15. Sauf cas particulier, le découpage technique n’est pas de la responsabilité


du scénariste, mais de celle du metteur en scène. Il sort donc du cadre de
ce livre. Nous traitons ici de dramaturgie au niveau du scénario, mais il y
a aussi une dramaturgie de la mise en scène et une dramaturgie du montage.

MISE EN FORME 28
Les pensées des personnages et les voix de narration
sont toujours OVER.
Pour ne pas se tromper, entre OFF et OVER, il suffit
de se demander si les autres personnes présentes à
l’image peuvent entendre ce qui est dit.
Si la réponse est oui, la source est hors-champ dans
la scène, donc OFF. Sinon, la source est extérieure à la
scène (extradiégétique16), donc la voie est OVER.
Les dialogues peuvent aussi comporter des préci-
sions entre parenthèses, qui sont de fait des didascalies,
mais dont la brièveté ne justifie pas une pleine ligne.

BOB (hésitant)
De la bière Suisse ?
(il goûte, grimace)
Pas si mal.

Quand une scène joue de façon complexe d’une


interaction de l’image, du son et de l’action, il est possible
d’intercaler dans un dialogue des didascalies du son.

Bob ponctue son discours par le BRUIT DES


BALLES INTRODUITES UNE À UNE dans le
chargeur de son arme.

BOB
Paix sur Terre (SHLAK), aux hommes
de bonne volonté (SHLAK), et les
autres (SHLAK), je pense pouvoir les
convaincre.

Il referme le barillet (SHLONK).

16. Diégèse : « Tout ce qui est censé se passer, selon la fiction que présente
le film ; tout ce que cette fiction impliquerait si on la supposait vraie. »
Vocabulaire d’esthétique (Étienne SOURIAU – 1990). Par extension, on qualifie
de diégétique ce qui fait partie de l’univers du récit, et d’extradiégétique ce
qui lui est extérieur, comme par exemple une musique d’accompagnement
ou un narrateur extérieur au récit.

MISE EN FORME 29
c2 . Voix de narration
Si votre récit comporte un narrateur, vous pouvez
l’indiquer tout simplement ainsi :

NARRATEUR (OVER)
Voici l’histoire d’un petit garçon
bien ordinaire, appelé Charlie
Bucket.

Le narrateur peut être extradiégétique (Le Fabuleux


destin d’Amélie Poulain – Jean-Pierre Jeunet – 2001),
diégétique (American Beauty – Sam Mendes – 1999) ou
passer d’un statut à l’autre au cours du film.

Lorsque le narrateur apparaît à l’écran, continuant à


raconter son histoire, il devient automatiquement IN.
Un effet de ce type est mis en œuvre au début du
film Les Mondes de Ralph (Rich Moore – 2012) : Ralph
nous raconte en VOIX OVER qu’il est le méchant d’un
jeu vidéo, et que sa vie n’est pas terrible, et nous décou-
vrons soudain qu’il parle (IN) à d’autres méchants dans
un groupe de parole.
À la fin de Charlie et la chocolaterie (Tim Burton –
2005), le spectateur comprend que le narrateur, jusque-
là en VOIX OVER impersonnelle, est en fait diégétique : il
s’agit d’un Oompa- Loompa17 (Gurdeep Roy).

3.2. Cas particuliers


Dans le cas d’un montage alterné entre deux lieux,
il est possible d’utiliser un intitulé double, pour simplifier
la présentation. Exemple :

17. Oompa-Loompas : peuple fictif inventé par Roald Dahl dans le roman
Charlie et la chocolaterie (1964). Engagés par Willy Wonka (Johnny Depp)
pour travailler dans sa chocolaterie, ils sont tous incarnés dans le film de
Tim BURTON par un seul et même acteur.

MISE EN FORME 30
INT/MAISON MICHEL — EXT/VOITURE JACQUES/JOUR
Michel et Jacques parlent au téléphone.

MICHEL
Je suis au point de rendez-vous.

JACQUES
Parfait. Tu es sûr que personne ne
t’a suivi ?

Michel regarde autour de lui.

MICHEL
Non, non, t’inquiète.

Ceci permet un dialogue comportant de nombreuses


répliques sans avoir besoin de les séparer à chaque fois
par un nouvel intitulé. Au moment du découpage tech-
nique, il y aura de fait deux scènes à tourner, qui seront
réunies au montage.

Si vous voulez indiquer l’apparition d’un texte en


incrustation, y compris pour un sous-titrage, indiquez-
le en didascalie.

Texte en incrustation : « Le lendemain


matin. »

Si vous prévoyez un effet spécial, vous pouvez l’in-


diquer par la mention SFX. (S pour spécial, FX se pro-
nonce comme le mot effects en anglais)

SFX : la foudre frappe la tour avec un


CRÉPITEMENT.

Si dans une scène vous souhaitez faire apparaître


un plan montrant un autre lieu, ou un autre moment du
récit, vous pouvez l’indiquer en insert.

INSERT - Bob se revoit enfant, seul avec


son père.

MISE EN FORME 31
4. La note d’intention
C’est un texte très personnel, qui vous donne la pos-
sibilité de vous exprimer avec une relative liberté. Vous
pouvez y utiliser le « Je », ainsi que tous les mots bannis
de la didascalie. Il s’agit d’expliquer votre démarche et
votre projet. Le but est de convaincre un producteur, ou
un éditeur, de la capacité de votre récit à toucher un public.
C’est la base fondamentale pour lancer toute pro-
duction.
Pour que votre scénario soit retenu, des producteurs
doivent estimer que votre projet justifie d’importants
investissements humains et matériels. Vous allez expli-
quer pourquoi vous avez imaginé ce récit, à qui il
s’adresse, quels thèmes vous abordez, avec quels points
de vue… et surtout à quelles fins.
Vous devez préciser le type d’émotions que vous sou-
haitez créer, et comment vous allez vous y prendre pour
les concrétiser à partir du medium et du format choisi.
Les mots-clés (que vous devez avoir en tête, mais
pas nécessairement écrire) sont l’originalité, l’universa-
lité, la sincérité et l’engagement.
Nous reviendrons plus en détail sur ces différents
éléments dans le chapitre suivant.

5. La note de réalisation
Depuis quelques années, plusieurs sociétés deman-
dent une note de réalisation, distincte de la note d’in-
tention.
Il s’agit d’expliquer sur un plan technique les moyens
envisagés pour réaliser le film.
En principe, ces éléments devraient être déjà abor-
dés dans la note d’intention, mais pour les chargés de

MISE EN FORME 32
production et les techniciens appelés à travailler sur
votre scénario, il est effectivement pratique d’avoir un
document plus spécifique, plus succinct, exposant com-
ment on va s’y prendre sans détailler le pourquoi.
On y précise dans quel contexte on envisage de tour-
ner; quels décors, quel matériel de prise de vue, d’éclairage,
de captage de son, le casting si jamais un(e) acteur(trice)
bankable18 a manifesté de l’intérêt pour votre projet.
Ces questions sont parmi les premières que l’on doit
se poser lorsqu’on démarre un travail d’écriture. On
conseille même parfois aux auteurs de commencer par
rédiger une première note (quitte à la réécrire plus tard)
pour organiser leurs idées et mieux cerner leur sujet.

6. Pitcher son projet


On attend aussi d’un scénariste qu’il puisse résumer
l’essentiel de son projet en quelques phrases. Le pitch
peut figurer par écrit sur une page dédiée, juste après la
page de titre. Nous parlerons davantage du pitch écrit
dans le chapitre consacré aux outils du développement,
page 235.
Il existe aussi un autre type de pitch, le pitch oral.
Lorsqu’on rencontre un producteur à l’occasion d’un
rendez-vous, il est classique qu’il demande une présen-
tation du projet de vive voix.
Être capable de décrire simplement et rapidement
son film, sans se répéter ni s’étendre sur les détails, est
un exercice de communication pointu, qui demande de
parfaitement connaître son scénario ET d’être capable
de le résumer de façon vivante.

18. Bankable, néologisme anglais signifiant que la notoriété d’un acteur


aidera significativement au succès du film, et in fine garantira le succès
financier de l’œuvre. C’est bien entendu un concept très subjectif.

MISE EN FORME 33
Mieux vaut s’y entraîner. Si vous êtes à l’aise et mon-
trez une parfaite connaissance de votre scénario et de
ses ressorts, ce sera un plus indéniable.
Mais pour en arriver là, vous devez d’abord écrire.

7. Les annexes
Si votre scénario concerne un univers particulier sur
le plan visuel, vous avez tout intérêt à ajouter des images
en annexe.
• Études préparatoires des décors, et design des per-
sonnages pour un film d’animation.
• Schémas, plans ou photos de véhicules particu-
lièrement importants (voiture, camion, paquebot,
voilier, sous-marin, vaisseau spatial, etc.).
• Panoramas des lieux de tournage pressentis (ville,
montagne, désert, fonds marins, etc.).
• Études ou images de références pour les costumes
(films d’époque, de science-fiction ou fantas-
tiques).
• Essais techniques pour un effet particulier (pers-
pective faussée, maquillages, accessoires).

Cette liste n’est pas limitative.

Exercice 1
Visionnez plusieurs fois la première scène d’un
film inconnu. Rédigez, en respectant toutes les
règles de mise en forme, la continuité dialoguée
correspondant à ce que vous avez vu et entendu.

MISE EN FORME 34
Exercice 2
Écrivez une scène d’une page, dans laquelle un
personnage agit et discute, tout en pensant à autre
chose. Indiquez ses pensées par une VOIX OVER.

Exercice 3
Écrivez deux scènes, en montage parallèle, l’une
montrant un personnage occupé à bricoler bruyam-
ment chez lui, l’autre montrant un autre person-
nage, en train de regarder un film d’horreur, et qui
panique à chaque fois qu’un des sons du voisin bri-
coleur se superpose à ceux du film qu’il regarde.

Et maintenant, voulez-vous :

en savoir plus sur la structure


fi Cliquez ici
du scénario ?

savoir comment rythmer


fi Cliquez ici
une continuité ?

aborder quelques-uns
fi Cliquez ici
des outils du scénariste ?

Sinon, nous allons aborder de façon plus approfon-


die la question délicate de la note d’intention.

MISE EN FORME 35
Rédiger sa
note d’intention
PIÈGES À ÉVITER / FONCTION DE LA NOTE D’INTENTION /
ÉLÉMENTS TECHNIQUES OBLIGATOIRES /
QUI, QUOI, COMMENT, OÙ, POURQUOI ? /
SIGNIFICATION / STYLE / POINT DE VUE

Pièges : ce qu’une note


d’intention n’est pas
– Ce n’est pas une biographie de l’auteur, ni une
analyse de ses motivations.
– Ce n’est pas une analyse du sujet ou du thème.
– Ce n’est pas un résumé commenté du synopsis.
– Ce n’est pas une explication de la continuité dia-
loguée.
– Ce n’est pas une liste de références à suivre ou à
ne pas suivre.

Fonction de la note d’intention


La fonction d’une note d’intention est de convaincre
des producteurs de produire, et des distributeurs de dis-
tribuer. C’est un document qui doit être vendeur, tout en
reflétant ce que l’auteur a de particulier, d’unique, et en
quoi sa vision donne au scénario une dimension originale.
Souvent on considère la note d’intention comme un
exercice difficile, ingrat et artificiel, car beaucoup d’auteurs

RÉDIGER SA NOTE D’INTENTION 37


ont le sentiment que la note d’intention ne leur sert pas
à eux, et n’est qu’un moyen pour obtenir le financement
d’un projet. Une sorte de passage obligé qu’on peut
oublier et jeter aux orties une fois la production lancée.
Or, même un film à gros budget, un de ces films
qu’on oppose trop facilement au cinéma d’auteur,
demande au metteur en scène une vision très claire de
la direction à suivre. La note d’intention est un des
moyens pour lui de partager cette vision avec son équipe
et de créer une synergie autour du projet. C’est alors
une mise en forme du point de vue de l’auteur sur ce
qu’il veut raconter.

Souvent, lorsqu’on écrit, les choses qui s’expriment


sont intuitives, inconscientes, et il n’est pas toujours
facile de faire émerger les raisons qui sont derrière les
histoires que l’on invente.
Il est plus facile en revanche de travailler sur ce qu’on
espère obtenir comme effet sur le spectateur. La note
d’intention doit dire pourquoi l’auteur veut raconter
l’histoire, mais ce n’est pas un pourquoi de causalité.
Ce qui intéresse le producteur n’est pas vraiment
l’origine de votre projet, même si vous pouvez succinc-
tement l’évoquer, mais plutôt sa destination.
Il s’agit de répondre à un pourquoi de finalité, de
but, d’objectif.
Vous voulez réaliser ce projet pour :
• exprimer quelles idées ?
• faire ressentir quelles émotions ?
• remettre en question quelle idée reçue ?
• mettre en débat quel sujet, quel thème ?
• défendre quel point de vue ?
• amener quelle critique ?
• toucher quelle corde sensible ?

RÉDIGER SA NOTE D’INTENTION 38


Plus généralement, on attend d’une note d’intention
qu’elle éclaire sur tout ce que le synopsis et la continuité
dialoguée ne peuvent pas dire.
Les intentions concernent les motivations de l’auteur
et la façon dont il compte s’y prendre pour partager avec
le public ce qui est important pour lui.

Il s’agit de prendre position notamment sur les


moyens dramaturgiques envisagés :
• quel style (choix formels, esthétiques tant pour
l’image que pour le son) ?
• quel genre (ou mélange de genres : policier,
comique, fantastique…) ?
• quel ton (tragique/poétique/réaliste/léger/sarcas-
tique…) ?
• quel rythme (posé, effréné, variable, tendu, faus-
sement calme…) ?
• quel positionnement moral (valeurs, conflits, réso-
lution) ?

Comme l’a dit Hayao Miyazaki, « le plus important


dans un film, c’est la trace qu’il laisse dans votre cœur19 ».
Même un film comique délirant et absurde laisse une
trace, et c’est cette trace qui fera du spectateur votre
ambassadeur pour parler de votre film et conseiller à
ses amis d’aller le voir.
Il en est de même pour un spectacle vivant ou une
bande dessinée.
Posez-vous donc la question de l’impact émotionnel
que vous voulez produire au final.
C’est important même si vous considérez que votre
récit est léger ou simple. Pensez par exemple à La Grande

19. Bonus du DVD de Princesse Mononoké (Hayao MIYAZAKI – 1997).

RÉDIGER SA NOTE D’INTENTION 39


Vadrouille (Gérard Oury – 1966), Bienvenue chez les Ch’tis
(Danny Boon – 2008) ou Spiderman (Sam Raimi – 2002).
Ces films ne sont pas seulement drôles ou spectaculaires.
Au delà de leur forme, ils ont tous un fond.

Au-delà du rire ou du spectacle, c’est le fond qui


donne aux émotions du relief, et au récit un sens.

Éléments techniques obligatoires


de la note d’intention
Pour aller à l’essentiel, essayez d’exprimer les deux
propositions fondamentales du film : la proposition dra-
matique et la proposition thématique.
La proposition dramatique correspond au pitch,
c’est un résumé en quelques phrases de l’essentiel de
ce qui se passe dans le récit. Elle doit dire succinctement
le Qui, le Quoi, le Où et le Comment.

– Qui est (ou qui sont) le(s) protagoniste(s)20 ?


– Qu’est-ce qui lui arrive, qu’est-ce qu’il doit faire ?
– Où se déroulent les événements ?
– Comment les choses se passent/se terminent-elles ?

Exemple : la Reine, jalouse de la beauté de Blanche-


Neige, veut sa mort. Elle la poursuit jusque chez les nains,
et l’endort par magie, mais Blanche-Neige est sauvée par
un baiser du Prince Charmant.

La proposition thématique résume en une phrase


le thème traité et le positionnement moral de l’auteur
par rapport à ce thème. Elle dit le Pourquoi du film.

20. En principe, le protagoniste est le personnage qui vit le plus de conflits.


Cliquez ici.

RÉDIGER SA NOTE D’INTENTION 40


Exemple : La jalousie et la haine finissent par se
retourner contre leur auteur, tandis que la gentillesse et
la générosité sont récompensées.

Par ailleurs, un récit peut comporter du sous-texte21,


un pouvoir d’évocation, une ambiance, un ton. Difficile
de faire passer tout cela dans la continuité dialoguée ou
dans le synopsis.
Ce sont les limites de la continuité dialoguée, qui
s’en tient à ce que l’on voit et ce que l’on entend. Un
récit peut aussi implicitement avoir une dimension sym-
bolique, mythologique et morale.

La note d’intention doit expliciter ces différents


aspects, y compris en faisant référence à d’autres
œuvres, d’autres auteurs au besoin. Attention, une réfé-
rence n’a d’intérêt qu’à la condition de s’en distancier,
c’est-à-dire présenter une approche originale par rapport
à la référence citée.

Vous devez aussi prendre position via le thème sur


les valeurs incarnées dans le récit, le point de vue ou les
points de vue dont votre récit orchestre la confrontation,
et les relier à votre propre motivation.
Si votre récit comporte plusieurs intrigues, elles doi-
vent être connectées à un thème commun, et votre note
d’intention doit l’expliquer.

Les trois questions fondamentales


auxquelles l’auteur doit répondre
Quel est le sens de ce que je veux raconter ?
fi Signification, enjeu.

21. Sous-texte : dialogue pensé mais non dit, suggéré par une situation ou
une périphrase. Un personnage dit une chose, mais nous devinons par le
contexte qu'il a autre chose en tête. Cliquez ici.

RÉDIGER SA NOTE D’INTENTION 41


Comment raconter cette histoire ?
fi Style, dimension formelle, traitement

En quoi mon point de vue sur cette histoire est-il


unique et original ?
fi regard personnel, expérience proposée au spectateur

Exercice 1
Imaginez que vous êtes metteur en scène. Rédigez
en une page, et en une heure maximum, ce que
pouvait être la note d’intention d’un film que vous
aimez.
Pensez bien que cette note est sensée être rédigée
avant la réalisation du film.

Exercice 2
La prochaine fois que vous découvrez un film, pre-
nez quelques notes et donnez-vous une heure
pour réaliser le même exercice.

Exercice 3
Rédiger un court récit en 15 lignes, mettant en
scène deux ou trois personnages. À partir du récit
proposé, expliquez ce que vous pourriez en faire
en tant qu’auteur et rédigez une note d’intention
d’une page du film que vous imaginez (ou BD, ou
pièce de théâtre).

RÉDIGER SA NOTE D’INTENTION 42


Et maintenant, voulez-vous en savoir plus sur :

la question du point de vue


fi Cliquez ici
(focalisation) ?

la posture schizophrénique
fi Cliquez ici
de l’auteur ?

l’importance des
fi Cliquez ici
valeurs morales d’un récit ?

Sinon, nous allons maintenant voir comment faire


accepter au public les récits les plus extraordinaires.

RÉDIGER SA NOTE D’INTENTION 43


Suspension
consentie
de l’incrédulité
LE PLAISIR D’Y CROIRE /
LE VRAISEMBLABLE N’EST PAS LE VRAI /
MAINTENIR LA SUSPENSION / DIMENSION ÉMOTIONNELLE /
MONDES IMAGINAIRES OU RÉALISTES /
IMPOSSIBILITÉS VRAISEMBLABLES /
CONTRE-PIED VOLONTAIRE / RUPTURE ASSUMÉE / LE NANAR

Voilà un mécanisme fondamental qui joue dans


absolument n’importe quelle forme de récit, et sans
lequel, disons-le, le fait même de raconter une histoire
serait tout simplement impossible.

L’expression en anglais est du poète Coleridge :


« […] il fut convenu que je concentrerais mes efforts
sur des personnages surnaturels, ou au moins roman-
tiques, afin de faire naître en chacun de nous un intérêt
humain et un semblant de vérité suffisants pour accor-
der un moment à ces fruits de l’imagination, cette sus-
pension consentie de l’incrédulité qui constitue la foi
poétique22. »
(Biographia Literaria – Samuel Taylor Coleridge – 1817)

22. « [...] It was agreed, that my endeavours should be directed to persons


and characters supernatural, or at least romantic, yet so as to transfer from
our inward nature a human interest and a semblance of truth sufficient to
procure for these shadows of imagination that willing suspension of disbe-
lief for the moment, which constitutes poetic faith. »

SUSPENSION CONSENTIE DE L’INCRÉDULITÉ 45


Le plaisir d’y croire
Dès que nous écoutons le commencement d’un
récit, nous sommes prêts à accepter d’y croire quand
bien même nous savons que ce n’est pas la réalité.
Mieux, nous avons envie d’y croire, au point d’ac-
cepter avec bienveillance des prémisses parfois très éloi-
gnés de notre quotidien.
Ces prémisses peuvent s’ancrer dans le monde réel,
mais peuvent aussi poser un cadre de référence tout à
fait différent. Par exemple :

Il était une fois dans une galaxie lointaine, très lointaine…


Il était une fois une jolie petite princesse nommée Blanche-
Neige…

Le vraisemblable n’est pas le vrai


L’important n’est pas que le récit soit vrai.
Du moment qu’il est vraisemblable, nous acceptons
de jouer à y croire : est vraisemblable ce qui est présenté
comme vrai dans le récit, c’est-à-dire dans le contexte
de la diégèse23.
Lors des premières minutes d’un film, il est donc
vital d’installer tous les éléments essentiels pour définir
l’univers du récit, des plus triviaux aux plus décalés.
Si par exemple votre protagoniste est un rat qui veut
devenir chef-cuisinier, qu’il est capable de lire un livre
et de reconnaître des parfums délicats24, vous ne pourrez
le faire accepter comme tel au spectateur qu’à deux
conditions :

23.Voir note page 29, cliquez ici.


24. Vous aurez probablement reconnu Rémy, du film Ratatouille (Brad BIRD
– 2007).

SUSPENSION CONSENTIE DE L’INCRÉDULITÉ 46


• le caractériser au plus tôt, pour poser comme allant
de soi ses étonnantes qualités,
• développer tout le reste du récit, ainsi que les autres
personnages, en cohérence avec ces prémisses :
l’odorat de votre rat, ainsi que le fait qu’il sache
lire devront avoir un impact dans la suite.

Si vous tardez trop à installer les choses, le specta-


teur risque d’avoir du mal à les accepter ensuite. Il partira
sur une mauvaise piste, et décrochera avant que vous
lui donniez enfin les clés de compréhension de votre
univers.
Les éléments donnés au spectateur au tout début
sont les plus importants, car c’est là qu’il est le plus
réceptif, le plus perméable à l’impossible.

Maintenir la suspension
Maintenir la suspension de l’incrédulité sur la durée
d’un film est essentiel.
En effet, vous allez devoir sans cesse ajouter des élé-
ments au récit : continuer la caractérisation des person-
nages, révéler de plus en plus de choses sur l’univers, et
cela sans jamais vous contredire ni tricher avec vos pro-
pres règles, sous peine de rompre le charme.
Le spectateur attend de l’auteur qu’il reste toujours
vraisemblable, c’est-à-dire qu’il lui rende compréhensi-
ble et prévisible l’univers du récit.
Les mêmes causes doivent produire les mêmes
effets, qu’il s’agisse de gadgets futuristes ou de pouvoirs
magiques. Même si les codes sociaux de votre univers
diffèrent de ceux du monde réel, ils doivent amener des
situations comparables, générer des émotions humaines
identifiables suscitant l’empathie.

SUSPENSION CONSENTIE DE L’INCRÉDULITÉ 47


Dans Ratatouille, par exemple, les relations de Rémy
avec sa famille sont totalement anthropomorphiques.
Le spectateur attend aussi d’être surpris. Non pas
par des événements incompréhensibles, mais au
contraire par des implications et des conséquences par-
faitement cohérentes avec les prémisses déjà installées.
À chaque fois qu’une chose inattendue se produit,
elle doit s’ajouter au tableau qui se construit au fil du
temps dans la mémoire du spectateur.
Si ce qui arrive est vraiment en contradiction avec
les règles établies, la seule manière de le rendre accep-
table pour le spectateur est de bien montrer à quel point
les personnages du récit eux-mêmes sont déstabilisés
et surpris par les événements. Si le spectateur peut par-
tager son incompréhension avec le personnage principal,
il restera plus facilement impliqué.
Pour en rester sur le cas de Ratatouille, lorsque Rémy
découvre qu’il peut contrôler les gestes de Linguini en
lui tirant les cheveux, c’est clairement un élément
bizarre, farfelu, et discordant avec les règles déjà instal-
lées de l’univers de ce récit.
Mais les auteurs ont absolument besoin de donner
à Rémy un moyen pour cuisiner, quitte à risquer l’inco-
hérence. Ils s’en sortent en jouant de la surprise de Lin-
guini face à la situation, puis en l’exploitant.
Pour apprendre à se coordonner, Rémy et Linguini
vont devoir s’entraîner, donnant lieu à une séquence
très drôle.
De surcroît, elle nous met dans la confidence et nous
rend les personnages d’autant plus sympathiques qu’on
voit leurs difficultés d’apprentissage. Du fait même que
c’est difficile, on en vient non seulement à y croire, mais
aussi à leur souhaiter de réussir.

SUSPENSION CONSENTIE DE L’INCRÉDULITÉ 48


Dimension émotionnelle
Cet exemple illustre aussi un fait important : le main-
tien de la suspension de l’incrédulité sur la durée dépend
beaucoup de la dimension émotionnelle du récit.
Vos personnages doivent être touchés par ce qui
leur arrive physiquement, et surtout psychologique-
ment, pour crédibiliser l’histoire que vous racontez.
À chaque fois, le spectateur a besoin de points de
repère pour interpréter les émotions des personnages
et pouvoir les partager.

Entretenir la suspension de l’incrédulité demande


un travail de caractérisation25 cohérent en continu
du début à la fin du récit, quelle que soit l’œuvre.

Mondes imaginaires ou réalistes


La question de la suspension consentie de l’incré-
dulité se pose, bien sûr, pour un récit fantastique ou un
dessin animé… mais elle se pose aussi pour un univers
inspiré de notre monde réel.
Le plus réaliste des cinéastes ne peut nous livrer
qu’un regard subjectif sur le monde où nous vivons.
Même dans une BD ou un film ancré dans le quoti-
dien, l’univers d’un auteur correspond non pas à une
réalité objective, mais au point de vue qu’il veut nous
faire partager. Il est donc impératif que l’auteur soit
cohérent, ce sont les différents aspects de sa vision qui
construisent un univers fictionnel crédible.
Par exemple, le monde de la pègre tel qu’il nous est
montré dans Les Tontons flingueurs (Georges Lautner –

25.Voir caractériser les personnages et l’univers du récit, cliquez ici.

SUSPENSION CONSENTIE DE L’INCRÉDULITÉ 49


1963) intègre de nombreux éléments réalistes, mais le
film joue aussi sur des effets de caricature, d’exagération
et de détournement qui dédramatisent les situations.
La cohérence du film tient à un subtil mélange de fidélité
à la réalité, et de distanciation par l’humour.
Cette cohérence génère la confiance, favorisant l’im-
plication du spectateur, sa connivence avec l’auteur, et
faisant de son expérience une aventure.

Les impossibilités vraisemblables


Ce à quoi nous sommes prêts à croire dans le
contexte d’un récit n’a rien à voir avec ce que nous pour-
rions croire dans le monde réel : les choses impossibles
dans la réalité le deviennent dans une fiction.
Aristote l’exprimait en ces termes :
« Il faut adopter les impossibilités vraisemblables, plu-
tôt que les choses possibles qui seraient improbables […] »
Poétique, chap. XXIV (Aristote – 335 avant J.C.) 26

Par exemple, il est possible que Wendy, Jean et


Michel aient rêvé leur voyage au pays imaginaire en
compagnie de Peter Pan, tout comme il est possible que
Totoro n’existe que dans l’imagination de Mei et Sat-
suki… mais dans le contexte des deux films concernés,
à savoir Peter Pan (Clyde Geronimi, Wilfred Jackson,
Hamilton Luske – 1953) et Mon voisin Totoro (Hayao
Miyazaki – 1988), ce serait improbable.
Les auteurs ont suivi Aristote et ont choisi de créer
des impossibilités vraisemblables… au point où nous-
mêmes, spectateurs, y adhérons le temps de la projection.

26. ARISTOTE - Poétique et Rhétorique, traduction de Charles-Émile RUELLE


(1883).

SUSPENSION CONSENTIE DE L’INCRÉDULITÉ 50


Le contre-pied volontaire
On peut parfois trahir avec pertinence la confiance
du spectateur : le twist27 (retournement) consiste à révé-
ler tardivement un ou plusieurs faits obligeant à com-
plètement réinterpréter le récit tel qu’il se déroulait
jusque-là.
Psychose (Alfred Hitchcock – 1960), Le Doulos (Jean-
Pierre Melville – 1962), Sixième Sens (M. Night Shyama-
lan – 1999), Fight Club (David Fincher – 1999), Shutter
Island (Martin Scorsese – 2010) utilisent cette technique
très exigeante sur le plan de l’écriture.
Dans ces exemples (que je ne détaillerai pas pour
éviter de vous gâcher la surprise), il s’agit de contrôler
les informations reçues par le spectateur, de sorte qu’il
se fourvoie dans son interprétation des faits. Une image
se dessine pourtant dans sa tête, suffisamment cohé-
rente et crédible pour susciter l’adhésion. C’est ce qu’on
appelle une fausse piste (ou hareng rouge28).
Ensuite, quand intervient le retournement, le spec-
tateur est déstabilisé. L’essentiel est alors qu’il puisse
reconstruire mentalement une autre cohérence à partir
des nouvelles informations reçues. Il acceptera de se
faire mener en bateau, à condition que ce soit avec talent
et que cela lui fasse vivre une expérience forte.
Le film de M. Night Shyamalan Sixième Sens (1999),
par exemple, a tellement marqué les spectateurs que
certains sont retournés voir le film afin d’y repérer les
indices préparant le twist, indices qu’ils n’avaient pas
remarqués à la première projection. En l’occurrence, la

27. Twist, ou retournement : procédé relevant de la technique de la fausse


piste, cliquez ici.
28. L’expression vient de l’anglais red herring, et proviendrait des harengs
saurs utilisés par les braconniers pour troubler l’odorat des chiens lancés
à leur poursuite.

SUSPENSION CONSENTIE DE L’INCRÉDULITÉ 51


révélation finale étant vécue autant par le protagoniste
que par le spectateur, son efficacité dramaturgique est
exemplaire.

La rupture assumée
À l’inverse, un auteur peut aussi assumer de ne pas
être crédible et d’en faire un jeu avec son spectateur. Il y
a un public pour l’humour non-sens, les films outrageu-
sement incohérents et les récits tellement contradic-
toires qu’y chercher un sens s’avère presque impossible,
voire inutile.
Certains deviennent même parfois des films « cultes ».
Les fers de lance de ce mouvement furent les Monty
Python29.
Citons Sacré Graal de Terry Jones et Terry Gilliam
(1975), mais aussi La Vie de Brian (1979) et Monty Python,
le sens de la vie (1983).
Ce type de narration est à la dramaturgie ce que le
clown est au théâtre : une forme extrême, décalée, appa-
remment hors-codes… alors qu’en fait la violation des
règles crée en soi un autre système de référence.
Les clowns, comme les bouffons médiévaux, ont
toujours eu une place importante dans la société, juste-
ment parce qu’ils permettent, le temps d’un spectacle,
de ne pas prendre le monde au sérieux, et donc de le
considérer avec distance.

Savoir briser une règle se révèle parfois plus inté-


ressant que la respecter.

29. Monty Python : célèbre troupe britannique initialement composée de


Graham Chapman, John Cleese, Eric Idle, Michael Palin, Terry Jones et
Terry Gilliam.

SUSPENSION CONSENTIE DE L’INCRÉDULITÉ 52


Évoquons dans une veine comparable les produc-
tions ultra-parodiques, qui assument des univers aux-
quels nous n’essayons même pas de croire.
Certaines parviennent à installer une connivence
particulière entre auteurs et spectateurs.
Wayne’s World (Penelope Spheeris – 1992) montre à
plusieurs reprises les personnages principaux, Wayne
(Mike Myers) et Garth (Dana Carvey), s’adressant direc-
tement au spectateur.
Dans Le Retour des tomates tueuses (John De Bello
– 1988), le professeur Gangreen (John Astin) a trouvé le
moyen de transformer d’innocentes tomates en tueurs
bodybuildés.
The Rocky Horror Picture Show (Jim Sharman – 1975)
est une comédie musicale d’horreur rock. Un jeune cou-
ple (incarné par Susan Sarandon et Barry Bostwick)
échoue par hasard dans un étrange château peuplé de
curieux personnages en pleine « soirée Transylva-
nienne », menés par un savant transsexuel (Tim Curry).
Planète Terreur (Robert Rodriguez – 2007) réunit
dans un même film des militaires, un agent biochimique
mortel, des zombies, et une fille (Rose McGowan) avec
un fusil-mitrailleur à la place d’une jambe.

Le nanar
Il peut aussi arriver qu’une œuvre soit ratée au point
de devenir « culte ».
Pour certains fans, un réel plaisir peut naître du
visionnage partagé de ce type de films. Une visite sur
http://nanarland.com vous donnera un aperçu de ce que
peut donner une complète rupture, généralement non
assumée, de la suspension de l’incrédulité.

SUSPENSION CONSENTIE DE L’INCRÉDULITÉ 53


Vous aurez ainsi l’occasion d’établir une belle liste
des choses à ne pas faire si vous voulez que votre récit
fonctionne.
Paradoxalement, un nanar est parfait pour appren-
dre en analysant les erreurs des autres.

Exercice 1
Repensez au dernier film ou à la dernière BD que
vous avez le moins aimé, un récit dans lequel vous
n’êtes pas entré. Identifiez les éléments de carac-
térisation de l’univers et des personnages qui vous
ont repoussé, tenu hors du récit. Quels change-
ments seraient nécessaires à votre avis ?

Exercice 2
Voyez ou revoyez Raiponce de Nathan Greno et
Byron Howard.
Identifiez, dans les cinq premières minutes du film,
l’ordre d’installation des éléments fantastiques du
récit. Listez-les, puis classez-les du plus extraor-
dinaire au moins extraordinaire. Comparez avec
la chronologie d’exposition.

SUSPENSION CONSENTIE DE L’INCRÉDULITÉ 54


Exercice 3
Écrivez en une page la première scène d’un récit
installant les éléments suivants :

• De joyeux lutins bleus de dix centimètres de haut


débarquent d’une autre planète pour envahir la
Terre, bien décidés à prendre possession de
toutes les richesses et violer toutes les femmes.
• Ils utilisent la magie de leur vieux chef pour se
protéger des armes humaines.
• Leur seul point faible est qu’ils sont affaiblis par
la pollution.

Et maintenant, voulez-vous voir comment :

utiliser quelques méthodes


fi Cliquez ici
et outils pour écrire ?

caractériser les personnages


fi Cliquez ici
et l’univers d’un récit ?

Utiliser les codes du


fi Cliquez ici
documentaire en fiction ?

Sinon, nous allons aborder les différents types de


focalisation et leur intérêt.

SUSPENSION CONSENTIE DE L’INCRÉDULITÉ 55


Point de vue
et focalisation
CELUI QUI RACONTE / CONSTRUIRE LA CONFIANCE /
QUI EST DANS LA VOITURE / CHANGER DE FOCALISATION /
3 TYPES DE FOCALISATION / CAS DE LA NUIT DES MASQUES /
CAS DE LA MORT AUX TROUSSES

« Tu découvriras que beaucoup de vérités auxquelles


nous tenons dépendent avant tout de notre propre point
de vue. »
Obi Wan Kenobi30

Raconter une histoire, c’est choisir un point de vue.


Il y a toujours plusieurs récits possibles, autant que
de personnes impliquées dans ce qui s’est passé. Je peux
vous dire l’histoire de mon propre point de vue, rester
neutre, ou même choisir le point de vue d’un objet, d’un
animal, d’un farfadet…

Celui qui raconte


Prenez l’histoire du homard cuisiné à l’armoricaine :
ce n’est pas le même récit selon qu’il est raconté par le
pêcheur, le cuisinier, le gastronome, ou le homard lui-
même.
Vous pouvez aussi choisir un narrateur totalement
extérieur aux faits : un témoin, un poète de passage,
Dieu, le Diable, etc.

30. Dans Le Retour du Jedi (Richard MARQUAND – 1982).

POINT DE VUE ET FOCALISATION 57


Enfin, et pour le scénariste c’est le plus important,
vous pouvez changer de point de vue en cours de nar-
ration, selon vos objectifs et votre stratégie.

En effet, le point de vue conditionne deux aspects


essentiels :
– la relation qui va se développer au fil du récit entre
le spectateur, les personnages et vous-même (l’au-
teur) ;
– l’installation et l’exploitation de tous les procédés
narratifs mis en jeu dans le scénario (implants31,
suspens, quiproquos32, fausses pistes33, etc.).

En tant qu’auteur, tout en construisant votre récit,


vous construisez aussi une relation avec le spectateur.
Vous êtes le capitaine du navire et vous accueillez des
passagers pour un voyage à travers un monde différent
du monde réel : celui de la fiction.
Il s’agit donc de faire partager l’expérience d’un uni-
vers, d’une intrigue, à travers votre point de vue, ainsi
que celui de vos personnages.

Construire la confiance
Tout univers de fiction s’appuie sur un subtil
mélange de règles issues du monde réel, et d’autres
règles propres à l’univers du récit.
Ces règles, c’est vous, l’auteur, qui les établissez au
fur et à mesure, installant petit à petit une connivence
avec le spectateur. Cette connivence est fondée sur la
confiance, qui se développe uniquement sur la base des

31. Implants : cliquez ici.


32. Ironie dramatique : cliquez ici.
33. Fausse piste : cliquez ici.

POINT DE VUE ET FOCALISATION 58


points de vue que vous proposez. La confiance, ça se
construit, et ça se mérite.
Dès le début du récit, il vous faut intégrer des
contraintes : caractériser34 des besoins, des faiblesses,
des désirs, des qualités, des défauts… que l’on va établir
en faisant agir et réagir les personnages face à des obs-
tacles, résoudre des conflits35, trouver des solutions.
Vous devez placer le spectateur en position partiale,
de sorte qu’il puisse prendre parti : s’identifier aux per-
sonnages, partager leurs émotions, anticiper, s’inquiéter,
espérer, etc.
La dimension émotionnelle d’un récit émerge prin-
cipalement par identification au personnage dont nous
partageons le point de vue.

La règle du Who is in the car ?36 (« Qui est dans la


voiture ? ») en est l’illustration.

Qui est dans la voiture ?


Imaginez une scène montrant une voiture s’écrasant
au fond d’un ravin. Un incendie se déclare, la voiture
explose.
Cette scène, pourtant spectaculaire, n’aura pas d’im-
pact profond sur le spectateur… à moins que les scènes
précédentes n’aient caractérisé les passagers, nous fai-
sant connaître les enjeux de leur vie ou de leur mort.
Songez, pour prendre un autre exemple, à ce que
nous pouvons ressentir à la nouvelle d’un crash aérien
à l’autre bout du monde. C’est dramatique, mais c’est
un fait divers parmi d’autres.

34. Caractérisation des personnages et de l’univers d’un récit: cliquez ici.


35. Conflits et obstacles: cliquez ici.
36. L’expression serait du cinéaste Georges STEVENS (1904-1975). Source :
Le Livre du scénario (Bernard TREMEGE – 2009).

POINT DE VUE ET FOCALISATION 59


En revanche, lorsqu’il y a des proches parmi les vic-
times, des personnes que l’on connaît bien et auxquelles
on est attaché, l’émotion est considérable.

De même dans un film, plus le spectateur en sait sur


les personnages, plus ce qui leur arrive lui importe et
l’impacte.

Changer de focalisation
On peut aussi jouer de plusieurs points de vue. C’est
un moyen de faire passer le spectateur d’une émotion à
une autre, pour créer des contrastes émotionnels, par-
ticipant au rythme de la narration.
Le passage d’un point de vue à un autre peut se faire
de plusieurs manières :
• Par montage parallèle, on alternera d’une scène à
l’autre les protagonistes et les lieux.
• Par de courts inserts type flashs37, on peut partager
avec le spectateur le ressenti d’un personnage par-
ticulier à un moment donné.
• Par la construction d’intrigues secondaires38
concernant une partie des personnages.

La maîtrise des changements de point de vue est


essentielle pour la mise en œuvre d’un puissant méca-
nisme : l’ironie dramatique.
Il s’agit de donner au spectateur une information
(cruciale ou non) qu’un ou plusieurs autres personnages
ignorent. Viendra un moment où, tôt ou tard, la vérité
éclatera, à l’occasion d’une scène de conflit39.

37. Flash-back et autres flashs : cliquez ici.


38. Intrigues secondaires : cliquez ici.
39. Ironie dramatique : cliquez ici.

POINT DE VUE ET FOCALISATION 60


Ces moments de vérité sont toujours des moments
d’émotion, de ceux que l’on savoure particulièrement,
et qui créent l’attachement aux personnages, à l’œuvre
et à l’auteur.
Or pour installer et exploiter ces moments, il faut maî-
triser non seulement les informations que reçoit le spec-
tateur, mais aussi celles que reçoivent les personnages.

L’auteur doit planifier le moment et la manière dont


les informations parviennent aux uns et aux autres :
• les informations concernant l’intrigue ;
• celles concernant les personnages: que savons-nous
qu’ils savent et que savons-nous qu’ils ignorent?

La seule façon de gérer ces contraintes est de choisir


dans chaque scène le point de vue permettant de distiller
l’information utile, et pas plus.

Trois types de focalisation40


On distingue classiquement trois types de focalisation:
• La focalisation interne nous donne à partager ce
que sait un personnage, à en savoir autant que lui.
Elle favorise l’identification.
• La focalisation externe fait de nous des témoins
de ce qui se passe, mais sans que nous puissions
savoir les tenants et les aboutissants de l’action.
Elle permet de préparer des surprises.
• La focalisation zéro (« point de vue omniscient »
ou « point de vue de Dieu ») offre au spectateur
des informations pour lui seul, lui donnant un
avantage sur les personnages principaux. Elle est
idéale pour installer de l’ironie dramatique.

40. D’après Gérard Genette (Figures III – 1972).

POINT DE VUE ET FOCALISATION 61


Analysons quelques exemples.

Halloween : la nuit des masques (John Carpenter – 1978)


La première séquence du film consiste en un seul
plan, filmé en vue subjective. Nous sommes pourtant
en focalisation externe, car nous ignorons de qui nous
partageons le point de vue.
Nous pouvons voir la main de ce personnage s’em-
parer d’un couteau et assassiner une jeune femme.
À la fin de ce plan-séquence, nous découvrons
l’identité du mystérieux assassin : un enfant de six ans,
Michael Myers (Will Sandin). Là, nous sommes en foca-
lisation zéro, les personnes démasquant l’enfant ne
sachant pas encore ce qui s’est passé, alors que nous,
nous savons.
Ellipse. Quinze ans plus tard nous découvrons en
même temps que le docteur Loomis (Donald Pleasence)
l’évasion du monstre de l’institution où il était enfermé.
Focalisation interne, car nous en savons autant que
Loomis.
Nous voyons ensuite l’assassin devenu adulte (Tony
Moran) circuler dans la petite ville de Haddonfield, sans
que personne ne le remarque (focalisation zéro). Un
enfant le croise de près et sent que quelque chose ne va
pas, mais nous ne savons pas qui il est. C’est donc une
focalisation externe. Puis Laurie Stroke (Jamie Lee Curtis)
l’aperçoit. Elle a déjà été caractérisée, nous sommes en
focalisation interne.

Par la suite, le film va et vient entre une focalisation


interne (point de vue de la protagoniste, Laurie) et une
focalisation externe (lorsque nous voyons agir le tueur
hors de vue de quiconque, mais sans savoir ce qui
l’anime).

POINT DE VUE ET FOCALISATION 62


La Mort aux trousses (Alfred Hitchcock – 1959)
Pendant les premières minutes du film, nous suivons
de façon continue le personnage de Roger Thornhill
(Cary Grant), caractérisé par un long dialogue avec sa
secrétaire. Nous en savons autant que lui, c’est donc
une focalisation interne.
Il arrive au bar du Plaza où l’attendent des clients
pour un rendez-vous d’affaire. Pendant la conversation,
un appel est lancé dans la salle par un serveur : « On
demande Monsieur Kaplan. Monsieur George Kaplan. »
Thornhill ne s’en aperçoit pas, concentré sur son propre
problème : faire parvenir un message à sa secrétaire.
Il fait signe à un serveur. Juste après, la caméra se
déplace jusqu’à deux types louches qui repèrent le geste
de Thornhill. L’un d’eux glisse à l’autre d’un ton entendu :
« Kaplan », nous signifiant qu’ils prennent Thornhill
pour ce fameux Kaplan. Nous sommes passé en focali-
sation externe, pour installer un quiproquo.
Ce n’est pas une focalisation zéro, car nous n’avons
aucune idée des enjeux du quiproquo.
Les deux hommes kidnappent Thornhill. On revient
à une focalisation interne pour découvrir, en même
temps que le protagoniste, le guêpier dans lequel il se
trouve. À part un plan (que je vous laisse le soin de repé-
rer), nous restons en focalisation interne jusqu’à la
trente-septième minute du film, quand nous quittons
Thornhill pour un bureau de la CIA.
Des agents discutent des événements en présence de
leur supérieur, nous révélant que Kaplan est un person-
nage imaginaire qu’ils ont inventé dans le but de protéger
un autre agent. Toute cette scène est en focalisation zéro.
À partir de ce moment, le film alterne focalisation
interne et focalisation zéro, nous donnant toujours de
l’avance sur le protagoniste… sauf pour deux scènes en
focalisation externe.

POINT DE VUE ET FOCALISATION 63


Exercice 1
Identifiez, dans le dernier tiers de La Mort aux
trousses, les deux scènes en focalisation externe.

Exercice 2
Voyez ou revoyez Reservoir Dogs (Quentin Taran-
tino – 1992). Identifiez, pour chaque séquence du
film, le type de focalisation choisi et les effets que
ce choix permet de produire sur le spectateur.

Exercice 3
Même consigne que l’exercice précédent pour une
autre œuvre de votre choix : livre, BD, film, épisode
de série, court-métrage…

Exercice 4
Choisissez un de vos propres scénarios et cherchez
ce que des changements de focalisation pourraient
permettre d’installer, d’exploiter ou de résoudre.

POINT DE VUE ET FOCALISATION 64


Et maintenant, voulez-vous voir comment :

définir par quel point de vue


fi Cliquez ici
commencer votre récit ?

la focalisation peut créer


fi Cliquez ici
l’ironie dramatique ?

jouer sur le point de vue


fi Cliquez ici
pour un récit à fausse piste ?

Sinon, nous allons traiter de la structure ternaire


d’un scénario.

POINT DE VUE ET FOCALISATION 65


La structure ternaire
TROIS TEMPS : INSTALLER, EXPLOITER, RÉSOUDRE /
INCIDENT DÉCLENCHEUR /
CHRONOLOGIE ET NARRATION /
LE RÉCIT N’EST PAS L’HISTOIRE / STRUCTURES IMBRIQUÉES

« Toute histoire comporte un début, un milieu et


une fin ». C’est par cette lapalissade qu’on pourrait résu-
mer le schéma narratif classique, décrit par Aristote dans
sa célèbre Poétique (335 avant J.C.).

Si seulement c’était aussi simple !


Mais cette structure ternaire, qu’on nomme parfois
pompeusement schéma tri-actanciel, ne fonctionne
réellement qu’à plusieurs conditions, relevant autant du
talent que de la technique.
Précisons d’abord ce que doit contenir chacune des
trois parties.

Trois temps : installer,


exploiter, résoudre
Le début, qu’on appelle aussi l’exposition, doit per-
mettre au spectateur d’entrer dans le récit. On doit donc
découvrir où se passe l’histoire, à quelle époque (quand),
ce qui se passe (quoi) et surtout à qui cela arrive. Un bon
début doit installer le spectateur dans l’univers du récit
par l’intermédiaire des personnages, des situations et

LA STRUCTURE TERNAIRE 67
des actions. C’est pourquoi je propose d’appeler cette
première partie installation.
Point très important, le spectateur doit être en
mesure de comprendre, par cette installation, qui est le
protagoniste41, quel est son problème et quel est son but.
De plus, il doit être en mesure de prendre parti pour
ou contre le protagoniste, c’est-à-dire que l’installation
doit poser des enjeux amenant une implication émo-
tionnelle de sa part. Pour y parvenir, le meilleur moyen
est de créer une situation de conflit42 ou de perspective
de conflit.
Cela implique que dès l’exposition, il faut aussi ins-
taller des obstacles et des adversaires. La caractérisation
des personnages et de l’univers du récit43 fait implicite-
ment partie de ce processus.
On doit également y placer des implants : ce sont
des faits, des accessoires ou des personnages, que le
spectateur s’attend à voir exploités dans la suite du récit.
Cela peut être n’importe quoi : un prospectus, une
épée, un bijou, un walkman, un homme en noir44…
Si l’implant ne sert à rien, il s’agit d’un faux implant.
On les utilise pour distraire l’attention du spectateur et
éviter qu’un récit soit trop prévisible.
Plus important, vous devez installer un incident
déclencheur.

41. En principe, le protagoniste est le personnage qui vit le plus de conflit,


celui auquel le spectateur a tendance à s’identifier. Cliquez ici.
42.Voir Conflits et obstacles, cliquez ici.
43.Voir Caractériser les personnages et l’univers d’un récit, cliquez ici.
44. Si vous n’aviez pas deviné, ces exemples proviennent de Retour vers
le futur (Robert ZEMECKIS – 1985), Excalibur (John BOORMAN – 1983), Titanic
(James CAMERON – 1997), Les Gardiens de la Galaxie (James GUNN – 2014) et
Le Château dans le ciel (Hayao MIYAZAKI – 1986).

LA STRUCTURE TERNAIRE 68
Incident déclencheur
C’est un événement (ou un enchaînement d’événe-
ments) conduisant vos personnages à entrer en action
de façon irrévocable (passage à l’acte 2).
Pour certains auteurs, l’incident déclencheur est le
premier événement qui perturbe la situation initiale et
pousse de fil en aiguille le protagoniste à se mettre en
action. Pour d’autres, c’est l’événement précédant
immédiatement sa décision. En quelque sorte la goutte
qui fait déborder le vase.
Concrètement, cet incident bouleverse un équilibre
initial, pousse le personnage à la rupture, et par consé-
quent vers l’étape suivante de son cheminement.
C’est un fait simple en lui-même mais qui, s’ajoutant
à tous les autres, achève de convaincre le personnage.
Contraint et forcé, il doit aller de l’avant alors que jusque
là, il se contentait de demi-mesures.
Pour simplifier, disons que le déclencheur est l’évé-
nement ou l’enchaînement d’événements qui propulse
le protagoniste sur le chemin des épreuves.
Le déclencheur ne doit pas être confondu avec la char-
nière dramatique vers l’acte 2, dont il est la préparation.
Classiquement, le déclencheur bouleverse une situa-
tion initiale stable45 et crée un déséquilibre. L’incident
déclencheur est souvent conflictuel, mais ce n’est pas
obligatoire. Il suffit qu’il soit porteur d’une promesse de
conflit pour le protagoniste.
Si le récit comporte plusieurs protagonistes, on peut
considérer un déclencheur distinct pour chacun, mais
ils doivent être connectés d’une façon ou d’une autre.

45. Stable ne veut pas dire confortable. Un personnage peut par exemple
se trouver dans le couloir de la mort dans l’attente de son exécution. C’est
le cas dans La Ligne verte (Frank DARABONT – 1999).

LA STRUCTURE TERNAIRE 69
Une autre confusion à éviter : celle avec le fantôme
(ghost)46. Certains événements trouvent leur racine dans
un fait passé, mais le déclencheur, lui, intervient dans le
temps même du récit.
• Dans Bienvenue chez les Ch’tis (Danny Boon –
2008), le protagoniste Philippe Abrams (Kad
Merad) voit sa mutation sur la côte d’Azur refusée.
C’est l’incident déclencheur. Abrams tente ensuite
de se faire passer pour un handicapé, se fait pren-
dre et sanctionner par une mutation dans le Nord
– il s’agit de la charnière dramatique vers l’acte 2.
• Dans Rain Man (Barry Levinson – 1988), nous finis-
sons par comprendre que toute l’histoire de Charlie
(Tom Cruise) et Raymond (Dustin Hoffman) s’est
nouée pendant leur enfance. Ce qui s’est passé a
conduit à l’internement de Raymond, Charlie
oubliant même qu’il avait un frère. C’est le fantôme.
Mais dans la narration, le déclencheur est la mort
du père. L’importance de l’événement est magni-
fiée par le demi-tour effectué sur la route par Char-
lie lorsqu’il apprend la nouvelle.
• Dans La Guerre des étoiles (George Lucas – 1977),
récit à multiples protagonistes, le premier élément
déclencheur est la capture du vaisseau de la prin-
cesse Leia (Carrie Fisher). Les protagonistes locaux
au début sont les deux robots, D2-R2 et Z-6PO.
Ensuite, le protagoniste est Luke (Mark Hamill), et
son incident déclencheur, c’est le message confié
par Leia à D2-R2. Le vol des plans de l’étoile noire
appartient au fantôme.

Caractériser, préparer, installer, déclencher… Cela


fait beaucoup de choses, et de surcroît il faut que tout

46. Le fantôme, c’est la vie des personnages avant que le récit ne commence.
Cliquez ici.

LA STRUCTURE TERNAIRE 70
cela soit fait assez rapidement pour ne pas lasser le spec-
tateur.
On ne doit donc pas répondre à toutes ces nécessités
séparément les unes des autres : il faut au contraire les
intégrer et les traiter autant que possible de façon conco-
mitante. C’est pourquoi le début d’un récit requiert fré-
quemment plusieurs réécritures.

Le milieu, appelé aussi acte 2 ou nœud est en géné-


ral la partie la plus longue du récit. Je préfère la nommer
exploitation, car y sont exploités les éléments installés
dans la première partie.
On suit les pérégrinations du protagoniste pour
atteindre son but, à travers une succession d’épreuves
qu’il doit affronter et dont nous comprenons les enjeux.
Ces épreuves ne sont pas forcément des combats
ou des défis physiques : il peut s’agir aussi de dépasser
des obstacles internes ou de vivre des conflits psycho-
logiques.
On parle parfois de péripéties, de chemin des
épreuves ou de parcours initiatique. Peu importent les
termes, l’essentiel est de suivre des personnages que
nous avons commencé à connaître, dont nous savons
les désirs et les faiblesses et dont nous pouvons souhai-
ter la réussite ou l’échec.
L’enchaînement des péripéties devrait construire
une progression dramatique, c’est-à-dire que chaque
nouveau problème et chaque nouvelle action du prota-
goniste dramatise les situations, augmente la tension et
pousse les personnages à douter, se remettre en ques-
tion, prendre des risques, se découvrir, se révéler.

À plusieurs moments, les circonstances amènent le


protagoniste à changer : changer d’objectif, de camp,
d’alliés, de point de vue…

LA STRUCTURE TERNAIRE 71
Ces moments de renversement sont appelés char-
nières (ou pivots) dramatiques47.
Ce sont des scènes « sans retour », c’est-à-dire mar-
quées par des actions irréversibles. Elles sont très impor-
tantes pour relancer un récit, surprendre le spectateur
et maintenir son attention.

Le point culminant de la progression dramatique est


une charnière particulière, le climax, moment clé d’ex-
trême tension pendant lequel les actions les plus décisives
ont lieu, pour un résultat irréversible. Bon ou mauvais…

La fin est la conclusion, le résultat de ce qui a été


accompli, même si le héros a échoué. On l’appelle
dénouement, mais je préfère parler de résolution
puisqu’on y découvre les conséquences, directes ou indi-
rectes, des actions menées durant le récit.
Il est essentiel que la résolution comporte une
réponse dramatique, c’est-à-dire que l’on sache en quoi
le protagoniste a résolu (ou pas) son problème, atteint
(ou non) son but, et surtout en quoi lui-même a été
transformé (ou pas) par ce qu’il a vécu.
La fin est très souvent la plus courte des trois parties.
Pourtant, la valeur que le spectateur donne au récit dans
son entier dépend essentiellement du message moral48
véhiculé par la résolution.
Une bonne fin ne devrait pas seulement résoudre des
problèmes matériels, mais surtout donner des réponses
à des enjeux humains. Ce sont eux qui marquent le cœur
du spectateur, et qui peuvent avoir un pouvoir cathar-
tique49 ou réparateur. La réponse émotionnelle à ces
enjeux est un point clé qui peut faire le succès ou l’échec
d’une œuvre.

47.Voir le chapitre consacré aux charnières dramatiques, cliquez ici.


48.Voir le chapitre consacré à la morale de l’histoire, cliquez ici.
49.Voir note de bas de page sur la catharsis, cliquez ici.

LA STRUCTURE TERNAIRE 72
On peut l’obtenir par l’évolution des personnages, mais
ce n’est pas obligatoire. C’est parfois la résistance d’un
personnage au changement qui fait la saveur d’une réso-
lution. Par exemple, à la fin du Retour du Jedi, l’empereur
Palpatine (Ian McDiarmid) échoue à transformer Luke Sky-
walker (Mark Hamill) en serviteur du côté obscur.

Ces trois parties (installation, exploitation, résolution)


s’enchaînent par l’intermédiaire de charnières drama-
tiques50 particulièrement importantes: le passage à l’acte 2
et le climax final.
Attention, il doit y avoir d’autres charnières drama-
tiques dans un long-métrage, en particulier au sein de
la partie centrale. On peut par exemple placer un climax
médian vers le milieu du film.
La durée relative des trois parties d’un long-métrage
peut énormément varier d’une œuvre à une autre.
L’installation peut prendre de quelques minutes
(Duel dans le Pacifique – John Boorman – 1962) à plus
d’une demi-heure (Titanic – James Cameron – 1997).
La résolution est généralement la partie la plus
courte, de quelques secondes (Duel dans le Pacifique) à
une vingtaine de minutes (Le Retour du Roi – Peter Jack-
son – 2003).
L’exploitation est souvent la partie la plus longue,
représentant à elle seule au moins la moitié, si ce n’est
les trois-quarts du film.

Chronologie et narration
On pourrait croire que certains films ne respectent
pas le schéma ternaire.

50.Plus d’informations sur les charnières dramatiques, cliquez ici.

LA STRUCTURE TERNAIRE 73
Citons Memento (Christopher Nolan – 2000) dont la
narration se fait à rebours du déroulement du temps.
Ainsi, nous partageons ce que ressent le personnage
principal (Guy Pearce), atteint d’un trouble de la mémoire
immédiate.
Mais l’analyse de cette narration non-chronologique
fait tout de même émerger des actes et des charnières
dramatiques.
Cela veut dire que la chronologie de la narration n’est
pas celle des faits.

Des films comme Pulp Fiction (Quentin Tarantino –


1994) ou Mr Nobody (Jaco Van Dormael – 2009), ne rela-
tent pas les faits dans l’ordre où ils se produisent.

Le récit n’est pas l’histoire


Il me semble pertinent de suivre Gérard Genette51,
qui nomme histoire le contenu narratif, récit l’énoncé
narratif, et narration l’acte produisant l’énoncé.
L’auteur, en train d’écrire, de filmer ou de dessiner,
fait de la narration.
Le résultat du travail de l’auteur, texte, film, bande
dessinée… est un récit.
Le contenu du récit, les faits et actions dont il est
constitué, c’est l’histoire.
Les trois parties du schéma ternaire correspondent à
la temporalité que perçoit le spectateur. C’est l’ordre de
visionnage des séquences du film qui conduit à les iden-
tifier comme installation, exploitation ou résolution.
La fin d’une histoire, au sens des faits dans leur chro-
nologie, peut constituer l’exposition du récit. L’exploration

51. Dans Figures III (1972).

LA STRUCTURE TERNAIRE 74
de l’épave du Titanic, par exemple, est l’épilogue de
l’histoire de ce navire. Mais pour James Cameron, c’est
une partie importante de l’exposition de son film (Tita-
nic – 1997).

Structures imbriquées
Chaque partie ou sous-partie du récit peut être consi-
dérée par l’auteur comme une structure en elle-même,
avec à chaque fois un début, un milieu et une fin.
Au sein de chaque séquence, il est possible d’utiliser
des éléments installés dans une séquence précédente, ou
d’installer des éléments destinés aux séquences suivantes.
Ce n’est pourtant pas simplement comme si les
structures s’emboîtaient, à la façon de poupées russes.
En fait c’est plutôt comme une tapisserie : des fils s’en-
trecroisent, certains s’arrêtent, d’autres s’ajoutent pour
faire évoluer le motif, la couleur, le rythme52.

Ceci étant, certains films fonctionnent par enchaî-


nement de séquences qui se suffisent à elles-mêmes :
les trois actes y sont à chaque fois.
Parfois un plan à lui seul peut comporter tous les
éléments d’un schéma ternaire, lui-même inclus dans
une séquence, elle-même incluse dans le film.
Jacques Tati procédait très souvent ainsi. Les
Vacances de Monsieur Hulot (1953) est construit comme
une série de sketches dont chacun peut quasiment fonc-
tionner comme un mini-récit complet : le trajet en voi-
ture qui ouvre le film, l’arrivée à l’hôtel, la partie de ten-
nis, la soirée avec le feu d’artifice…

52. Cette analogie entre la composition dramatique et le tissage va loin : ne


parle-t-on pas du fil du récit, de la trame d'une intrigue, du canevas d’une
progression dramatique... les mots texte et textile ont la même étymologie.

LA STRUCTURE TERNAIRE 75
Là réside la force, mais aussi toute la difficulté de
mise en œuvre du schéma ternaire : on doit le travailler
à différentes échelles du récit tout en maintenant la
cohérence de chaque sous-structure avec les autres.
En fait, cette structuration, si elle est nécessaire, n’est
ni suffisante ni exclusive des autres éléments constituant
le récit.
Le plus important, c’est que tous ces éléments ins-
tallés soient connectés entre eux, et entrent en jeu dans
l’exploitation et surtout dans la résolution. C’est pour
cela que les faits doivent être organisés en système.
Non seulement le récit doit respecter une logique
de narration, qui est celle de l’auteur, mais en plus tout
le déroulement doit avoir une logique interne inatta-
quable, au moins en apparence.

Cette double exigence s’intègre dans un ensemble


qu’Aristote appelle le système des faits.

Exercice 1
Entraînez-vous à repérer les trois actes de la struc-
ture ternaire en visionnant des courts-métrages,
en lisant des histoires ou en repensant à vos œuvres
préférées.

LA STRUCTURE TERNAIRE 76
Exercice 2
Écrivez une scène installant, exploitant et résol-
vant la situation suivante : un serveur de restaurant
mélange les commandes de plusieurs de ses
clients à des tables différentes. Faites en sorte qu’à
la fin, ils retrouvent leurs plats et soient tous assis
à la même table.

Exercice 3
Écrivez un récit avec deux personnages et les trois
temps suivants : le coup de foudre, les conflits de
la vie commune et (au choix) une rupture ou une
réconciliation.

Et maintenant, voulez-vous :

en savoir plus sur les


fi Cliquez ici
charnières dramatiques ?

travailler sur la caractérisation


fi Cliquez ici
des personnages ?

voir les différentes façons


fi Cliquez ici
d’entrer dans un récit ?

Sinon, abordons le système des faits aristotélicien.

LA STRUCTURE TERNAIRE 77
Système des faits
et milking
UNITÉ D’ACTION / LE CAS DE RETOUR VERS LE FUTUR /
EXPLOITATION ET MILKING / LE TOPPER, MILKING ULTIME

Construire un récit à la fois cohérent et prenant


repose sur une double exigence : tout ce qui est porté à
la connaissance du spectateur doit faire partie de l’uni-
vers du récit et être nécessaire à la narration.

« Il faut que l’action soit une et entière, que l’on


constitue les parties des faits de telle sorte que le dépla-
cement de quelque partie, ou sa suppression, entraîne
une modification et un changement dans l’ensemble ;
car ce qu’on ajoute ou ce qu’on retranche, sans laisser
une trace sensible, n’est pas une partie (intégrante) de
cet ensemble. »
Poétique, chapitre VIII (Aristote)

Autrement dit, si votre récit comporte des scènes


que l’on peut déplacer ou retirer sans altérer la signifi-
cation et la cohérence d’ensemble de l’œuvre, c’est
qu’elles ne font pas partie du système des faits.

Unité d’action
Renversons la proposition positivement: pour l’au-
teur, il s’agit d’intégrer chaque scène de son récit dans un
enchaînement cohérent de causes et d’effets, d’actions

SYSTÈME DES FAITS ET MILKING 79


et de réactions dont l’ensemble forme un tout indivisible.
Il faut que les faits qui se produisent soient perçus
comme des conséquences vraisemblables ou néces-
saires des événements antérieurs. Il peut s’agir de faits
attendus, ou de totales surprises, peu importe.
Ce qui est essentiel, c’est que le spectateur n’ait jamais
le sentiment que les choses importantes arrivent par pur
hasard, un hasard qui ne serait que la volonté mal dissi-
mulée de l’auteur, ou son incompétence à nous faire
croire que les personnages ont leur destin entre leurs
mains. Lorsqu’une solution arrive de façon inattendue,
improbable et injustifiée, on parle de Deus ex machina53.

Le cas de Retour vers le futur


Un exemple valant mieux qu’un long discours,
voyons comment quelques éléments du scénario de
Retour vers le futur (Robert Zemeckis – 1985) sont ins-
tallés et exploités.
La première scène du film nous fait découvrir un
logement excentrique : des horloges partout, un système
ingénieux mais foireux sert automatiquement la nour-
riture du chien. Sur la gamelle est écrit le nom du chien :
Einstein.

Pendant que la télé nous parle de terroristes libyens


soupçonnés d’un vol de plutonium, la caméra suit le
skateboard de Marty McFly (Michael J. Fox) jusqu’à une
caisse… de plutonium. Marty allume alors un énorme
ampli, plaque un accord de guitare, fait exploser le sys-
tème et tombe à la renverse.

53. L’expression vient du théâtre antique, lorsqu’une machinerie faisait


descendre du ciel une divinité apportant la solution à une situation inex-
tricable.

SYSTÈME DES FAITS ET MILKING 80


Voyons maintenant ce que nous avons appris dans
ces quelques minutes, et la façon dont ces éléments
sont ensuite exploités par les scénaristes Robert
Zemeckis et Bob Gale.

• Le propriétaire du chien, « Doc » Emmett Brown


(Christopher Lloyd), se révèle effectivement un
savant génial mais farfelu et pas très fiable. Il a
volé le plutonium à des terroristes, dont l’attaque
va constituer l’élément déclencheur menant à la
première charnière dramatique majeure.
• Marty sait faire du skateboard, cela lui permettra
de faire la nique au vilain Biff (Thomas F. Wilson)
lors de leur premier affrontement de 1955.
• Les problèmes électriques constatés chez Doc vont
être logiquement suivis de problèmes électriques
sur la voiture qu’il a modifiée pour voyager dans
le temps. Notez que les scénaristes ont besoin de
ce problème pour justifier le bond involontaire de
Marty en 1955, ils prennent donc soin de l’installer
dès les premières secondes du film.
• Cette problématique de l’énergie électrique et du
faux contact est à nouveau exploitée lorsqu’il faut
capter la foudre pour permettre le retour de Marty
vers le futur. En toute logique avec ce qui a été
installé au long du film, le pauvre Doc Brown aura
les pires difficultés pour brancher le circuit (char-
nière dramatique majeure).
• Marty sait jouer de la guitare, et il en joue effecti-
vement lors du bal où ses parents dansent ensem-
ble pour la première fois. Cette petite astuce per-
met de le mettre en retard pour son rendez-vous
avec Doc Brown, augmentant la tension drama-
tique lors du climax de fin.

SYSTÈME DES FAITS ET MILKING 81


Je n’ai pas analysé ici toute l’installation de ce film,
un modèle du genre tant par la densité des informations
données que par la façon dont elles nous sont transmises.
Il n’y a pas un seul élément qui ne soit pas exploité
à un moment ou à un autre dans la suite du film, ce qui
respecte totalement le système des faits d’Aristote : si
on retranche ou déplace un seul élément, toute la
construction s’en trouve dégradée.

« Le point le plus important, c’est la constitution des


faits, car la tragédie est une imitation non des hommes,
mais des actions, de la vie, du bonheur et du malheur ;
et en effet, le bonheur, le malheur résident dans une
action, et la fin est une action, non une qualité. »
Poétique, chapitre VI (Aristote)

Exploitation et milking
Une astuce merveilleuse pour relier au maximum
les éléments d’un récit consiste à réutiliser autant que
possible les faits précédemment installés.
C’est le milking (du verbe to milk : traire, en anglais).

Le procédé consiste à exploiter plusieurs fois un élé-


ment apparemment ponctuel d’un récit pour l’enrichir.
Il s’agit de tirer de chaque idée le plus d’enjeux dra-
matiques possible, exactement comme un éleveur veut
tirer le plus de lait possible de ses vaches.
Le milking peut concerner des accessoires, des
décors, des personnages, des actions, des dialogues… et
même des sons particuliers ou des images précises.

Exemple de milking d’accessoires : la caméra vidéo


et le walkman de Marty dans Retour vers le futur.

SYSTÈME DES FAITS ET MILKING 82


• La caméra sert d’abord à filmer la longue explica-
tion du Docteur Brown de 1985 sur sa machine à
voyager dans le temps. Elle permet ensuite de
convaincre celui de 1955 de la véracité de l’histoire
de Marty.
• Le walkman caractérise l’intérêt de Marty pour la
musique rock au début du film. Il sert ensuite à
faire croire à George McFly (Crispin Glover) qu’il
est visité par un extra-terrestre, et à le contraindre
de faire la cour à Lorraine (Lea Thompson).

Exemple de milking de dialogue : plusieurs tirades


de Shakespeare dans le film To Be or Not to Be d’Ernst
Lubitsch.
• Les mots to be or not to be sont d’abord le texte
d’un acteur sur scène, jouant Hamlet (William Sha-
kespeare – 1601). Ensuite, ils sont un code secret
entre la femme de l’acteur et son amant pour qu’il
la rejoigne pendant que le mari est sur scène en
plein monologue.
• Plus tard, c’est le moyen pour la femme de se rap-
peler au bon souvenir de son amant, par l’inter-
médiaire d’un messager.
• Ce dernier délivre le message, mais s’en va aussi
raconter toute l’histoire à l’homme qu’il prend pour
le commandant de la Gestapo de Varsovie, et qui
est en réalité le mari déguisé.
Un milking magistral, qui joue aussi sur des effets
d’annonce-paiement54, pour un effet comique somp-
tueux.

Exemple de milking de décor dans Shining de Stan-


ley Kubrick (1980).

54.Voir annonce-paiement, cliquez ici.

SYSTÈME DES FAITS ET MILKING 83


• On découvre à la vingt-troisième minute du film
que les jardins de l’hôtel comportent un immense
labyrinthe végétal. Ce fait restera purement anec-
dotique jusqu’à la trente-huitième minute, quand
Wendy (Shelley Duvall) et son fils Danny (Danny
Lloyd) s’y engagent. On voit alors Jack (Jack Nichol-
son) contempler la maquette du labyrinthe située
dans l’hôtel.
• Un faux contrechamp nous donne alors l’impres-
sion bizarre que Wendy et Danny sont deux Lilli-
putiens déambulant dans la maquette sous le
regard de Jack.
• Par la suite, il ne sera plus question de ce décor
jusqu’au moment où Danny y trouve refuge, dans
les dix dernières minutes du film, pour une scène
de poursuite d’anthologie, dans la neige et la nuit.

Exemple de milking d’actions dans Blade Runner de


Ridley Scott (1982).
Blade Runner se déroule à une époque où l’on
fabrique par ingénierie génétique des répliques biolo-
giques d’aspect humain, programmables, auxquelles on
peut même greffer de faux souvenirs. Gaff (Edward
James Olmos) est l’adjoint affecté à Deckard (Harrison
Ford) pour retrouver des répliquants en fuite.
• À plusieurs reprises, nous voyons Gaff jouer à faire
de petits pliages qu’il sème partout où il passe. Dans
la dernière scène du film, Deckard tombe sur un
de ces pliages représentant une licorne. Ce pliage
est d’autant plus étrange que la seule autre licorne
du film est dans un rêve et n’existe que dans la
mémoire de Deckard. Ici, le milking permet d’attirer
l’attention du spectateur sur un tout petit détail,
mais qui peut avoir une très grande importance.

SYSTÈME DES FAITS ET MILKING 84


Comment Gaff pourrait-il connaître les rêves de
Deckard ? Et si ce dernier était un répliquant doté
de faux souvenirs ?

Enfin, finissons avec un milking de personnage : la


vieille dame aux chiens dans Un poisson nommé Wanda
(Charles Crichton – 1988), dont il est aussi question au
chapitre des intrigues secondaires55.
• Cette dame apparaît pour la première fois pendant
le braquage du début du film, ce qui fait d’elle un
témoin à charge très gênant pour George, le chef
du gang (Tom Georgeson).
• Nous revoyons cette dame comme cible récur-
rente de tentatives de meurtre ratées, orchestrées
par Ken (Michael Palin), un autre membre du gang.
Ses petits chiens sont également les victimes d’un
milking particulièrement sanglant. On peut dire
sans jeu de mots que les scénaristes les ont « mil-
kés » jusqu’au dernier.
• Le décès du témoin gênant intervient comme une
conséquence de celui du dernier petit chien, c’est
ce qu’on appelle un topper.

Le topper, milking ultime


Le terme topper vient de l’anglais top, ce qui est en
haut. Le topper, c’est le pompon sur le bonnet, la cerise
sur le gâteau, le bouquet final du feu d’artifice, bref, le
petit détail qui vient couronner une scène.
Dans le film Les Ramoneurs (Lloyd French – 1933)
Laurel et Hardy se chamaillent. Hardy tombe dans le
conduit de la cheminée et reçoit une pluie de briques et
de suie.

55.Voir les intrigues secondaires, cliquez ici.

SYSTÈME DES FAITS ET MILKING 85


Le calme revenu, Hardy retire son chapeau pour
l’épousseter. Quatre briques lui tombent alors successi-
vement sur la tête à une seconde d’intervalle.
Hardy lève les yeux, intrigué, et pan, une dernière
brique, restée en l’air quelques secondes de plus que
toutes les autres, lui tombe dessus à son tour.
C’est ça un topper dans le burlesque: la surenchère
finale qui consacre la dimension comique d’une séquence.

Au fil du temps, il s’est avéré que n’importe quelle


scène peut comporter un topper, même une scène vio-
lente, dramatique ou effrayante.
Pensez au Terminator (Arnold Schwarzenegger) qui
se remet en route après avoir explosé (Terminator, James
Cameron – 1981), ou à Phil Connors (Bill Murray) se réveil-
lant pour la énième fois dans le même lit après s’être
pourtant suicidé (Un jour sans fin, Harold Ramis – 1993).
Considérez les briques au sens allégorique et cherchez
ce que vous allez pouvoir faire tomber sur la tête de vos
personnages en exploitant les situations au maximum.
Le topper peut être considéré comme le milking
ultime, car c’est une exploitation au-delà des attentes du
spectateur, au moment où il pense la scène terminée.

Exercice 1
Dans Retour vers le futur, l’essentiel du récit se
déroule en 1955, lorsque Lorraine tombe amou-
reuse de Marty sans savoir qu’il est son fils. Cher-
chez comment sont installés les éléments de cette
intrigue secondaire dans l’exposition du film, et
en particulier comment des situations conflic-
tuelles nous poussent à nous y intéresser.

SYSTÈME DES FAITS ET MILKING 86


Exercice 2
Toujours dans Retour vers le futur, Marty doit faire
accepter au Doc Brown de 1955 qu’il vient du futur.
Il doit ensuite lui faire comprendre de quoi il a
besoin pour y retourner. Enfin, ce qu’il sait du futur
leur permet à tous les deux d’imaginer une solu-
tion (capter l’énergie de la foudre). Cherchez par
quels moyens tous les éléments nécessaires à ces
étapes sont soigneusement installés dès l’exposi-
tion du film, pour être milkés ensuite.

Exercice 3
Écrire deux scènes : dans la première, installer un
objet (par exemple une épée, un briquet, un télé-
phone…), une information (passage d’une comète,
résultat du loto, remise du prix Nobel…), ainsi
qu’un conflit lié à l’objet et à l’information.
Dans une seconde scène, exploitez ce conflit sans
le résoudre, en faisant du milking avec les éléments
installés. La première scène doit faire au maximum
2 pages, la seconde peut en faire 3 ou 4.

SYSTÈME DES FAITS ET MILKING 87


Et maintenant, voulez-vous voir :

comment articuler
fi Cliquez ici
différentes parties d’un récit ?

comment définir et caractériser


fi Cliquez ici
les personnages ?

l’importance des conflits


fi Cliquez ici
et des obstacles ?

Sinon, nous allons traiter des différentes façons de


commencer un récit, c’est-à-dire de la question de l’an-
gle d’attaque (ou point d’entrée).

SYSTÈME DES FAITS ET MILKING 88


Le point d’entrée
dans le récit
LES PORTES DU RÉCIT / SURPRENDRE D’ENTRÉE DE JEU /
SITUATION DE CONFLIT / PAR L’ÉCHEC / PAR LA RÉUSSITE /
LE MONDE ORDINAIRE / POSER LES ENJEUX /
COMMENCER PAR LA FIN / QUI EST L’ENNEMI ? /
POINTS D’ENTRÉE À FAUSSE PISTE /
DANS LE FEU DE L’ACTION – IN MEDIA RES /
CONJUGUER LES APPROCHES

Chaque récit s’inscrit dans un temps, avec un avant


et un après.
Souvent, de belles histoires donnent des récits labo-
rieux pour une seule raison : un mauvais point d’entrée.
Le point d’entrée, c’est le choix du lieu et du moment
pour commencer la narration.
La première idée qui vient en tête, c’est qu’un récit
commence… avec le début de l’histoire. Sauf que le récit
n’est pas l’histoire.
L’histoire, c’est l’ensemble des choses qui se déroulent
dans l’ordre où elles se déroulent. Le récit, c’est la façon
dont on raconte l’histoire, et cette narration peut être non
chronologique, elliptique ou partielle, voire partiale.

Les portes du récit


On peut entrer dans un récit de plusieurs façons, et
le point de vue56 peut aussi déterminer le moment où le
récit démarre. Voyons quelques exemples.

56.Voir point de vue et focalisation, cliquez ici.

LE POINT D’ENTRÉE DANS LE RÉCIT 89


Quand Blanche-Neige était petite
Dans Blanche-Neige et les sept nains (Walt Disney,
David Hand – 1937), l’histoire de la petite princesse a
commencé avant même sa naissance, quand ses parents
se sont rencontrés.
Ensuite, sa mère étant morte, son père s’est remarié,
puis est mort à son tour. Ainsi la Reine qui dirige le
royaume de Blanche-Neige n’est pas sa mère. Tout ceci
se déroule avant qu’elle ne devienne une jeune fille dont
la beauté concurrence celle de sa marâtre.
Or, le point d’entrée choisi par les scénaristes dans
ce récit n’est ni la rencontre des parents, ni la naissance
de Blanche Neige, ni la mort de sa mère ou de son père.
Le conteur choisit de commencer précisément au
moment où la beauté de la princesse déclenche la jalou-
sie de la Reine, c’est-à-dire très peu de temps avant que
la jeune fille ne soit menacée de mort. Cette menace,
vous l’avez compris, est ici l’incident déclencheur57.
C’est une manière très classique d’entrer dans un
récit : montrer l’adversaire (la Reine), caractériser son
désir (être la plus belle), sa faiblesse (la jalousie) et son
besoin (apprendre à accepter les outrages du temps), de
sorte que dès qu’elle nous apparaît, la protagoniste
Blanche-Neige nous est immédiatement attachante du
fait de la menace qui pèse sur elle.
Le plus important est que le point d’entrée se situe
le plus près possible de l’incident déclencheur de l’in-
trigue proprement dite. Ici, c’est le moment où la beauté
de Blanche-Neige surpasse celle de la Reine.
Il n’est cependant pas obligatoire que le protagoniste
soit dès le début au centre des enjeux du récit.

57. Incident déclencheur, cliquez ici.

LE POINT D’ENTRÉE DANS LE RÉCIT 90


Le cas de La Guerre des étoiles
George Lucas a démarré sa célèbre saga par l’épi-
sode 4, Un nouvel espoir (1977). Le protagoniste n’y appa-
raît qu’après plusieurs minutes de film.
Auparavant, nous suivons des personnages inatten-
dus : les robots Z-6PO et D2-R2. Voilà un point d’entrée
original, qui ne s’est pas du tout imposé de lui-même à
l’écriture.
Aurait-on pu commencer directement avec Luke et
son oncle faisant leurs courses ?
Sans doute. Mais il aurait alors fallu caractériser tout
l’univers du récit à partir du contexte de Tatouine, une
planète périphérique plutôt désertique sans rien de bien
spectaculaire.
Pour sa première séquence, Lucas choisit donc une
focalisation externe : un énorme croiseur pourchasse et
capture un astronef plus petit. Il enchaîne avec les deux
robots qui sont les seuls à échapper aux griffes de Dark
Vador.
Cette ouverture allie le spectaculaire et l’informatif.
Nous découvrons qui est Vador, qui est Leia, comment
combattent les vaisseaux et les troupes. Nous apprenons
quel est l’enjeu (les plans volés de l’Étoile Noire), et nous
l’apprenons avant le protagoniste, ce qui nous plonge
dans une attente pleine d’intérêt : y aura-t-il quelqu’un
pour aider ces malheureux robots ? Qui est Obi-Wan
Kenobi ? Leia sera-t-elle secourue ?
Cette installation minutieuse des enjeux avant
même l’entrée en scène de Luke Skywalker permet une
excellente caractérisation de l’univers du récit.
Luke n’a pas besoin d’être longuement caractérisé,
on peut le résumer en une phrase : il est jeune, inexpé-
rimenté et il veut quitter sa planète.

LE POINT D’ENTRÉE DANS LE RÉCIT 91


Pour que cette ouverture fonctionne, l’impératif était
de rendre attachants les deux robots.
Ce fut réussi d’abord grâce à un jeu de contraste :
visuellement D2-R2 est petit et simple, tandis que Z-6PO
est grand et complexe. Ce décalage se retrouve dans leur
façon de communiquer.
D2-R2 est caractérisé par un travail très novateur de
bruitages, et l’acteur Anthony Daniels a donné à Z-6PO
un style bien particulier, à la fois guindé et naïf.
La différence de personnalité des robots permet en
outre de créer du conflit entre alliés58.

Surprendre d’entrée de jeu


Un bon point d’entrée doit comporter une prise de
risque, ou au moins un aspect inattendu qui surprenne le
spectateur. Même si le début du récit est conventionnel,
il est important d’installer rapidement un démarquage.
Le spectateur doit se dire en même temps : « Je m’y
retrouve, je ne suis pas perdu » et « Je me demande
bien comment le personnage va s’y prendre ».
C’est une recherche d’équilibre entre lisibilité de
l’univers du récit et imprévisibilité des actions des per-
sonnages et des événements à venir.

Le début de La Guerre des étoiles trouve cet équilibre


grâce aux robots, qui n’ont clairement pas l’habitude de
se trouver au milieu des combats, ni échoués en plein
désert. Ils ont des problèmes et doivent faire face à des
dangers qu’ils ne maîtrisent pas.

Tous les bons points d’entrée installent une situation


comparable, même s’il n’est pas nécessaire que le danger
soit mortel.

58.Voir le conflit entre alliés, cliquez ici.

LE POINT D’ENTRÉE DANS LE RÉCIT 92


Démarrer par une situation de conflit
Un récit ne démarre vraiment qu’une fois le premier
conflit installé. On peut donc engager la narration en
montrant très tôt une situation conflictuelle, quitte à ce
que les enjeux ne soient explicités qu’un peu plus tard,
une fois l’attention du spectateur captée.
Scarface (Brian de Palma – 1983) commence par l’in-
terrogatoire très tendu d’un réfugié cubain (Al Pacino)
par les services d’immigration américains de Miami.
Au début de Shaun of the Dead (Edgar Wright –
2004), un jeune couple est en pleine scène de ménage.
Pour s’en sortir, Shaun (Simon Pegg) promet à sa petite
amie Liz (Kate Ashfield) que leur vie va changer.
Le conflit initial n’installe pas forcément les enjeux
majeurs du récit, mais il peut permettre de travailler sur
la caractérisation des personnages.

Installation par l’échec


Un point d’entrée peut être marqué par l’échec d’un
personnage dans ce qu’il entreprend.
Le premier personnage apparaissant dans ce type
d’ouverture est parfois un personnage secondaire qu’on
prend pour le protagoniste jusqu’à ce que sa défaite,
voire sa mort, nous prenne par surprise.
Le véritable protagoniste aura ensuite pour objectif
de venger la victime, d’arrêter l’assassin ou bien de réus-
sir là où le collègue a échoué.
L’intérêt est de convaincre tout de suite le spectateur
que l’univers du récit est dangereux, que les personnages
principaux prennent de « vrais » risques. L’échec suscite
la compassion, l’attachement et le désir de revanche.
De nombreux films comportent un point d’entrée
par l’échec.

LE POINT D’ENTRÉE DANS LE RÉCIT 93


• Octopussy (John Glen – 1983) commence par l’as-
sassinat de l’agent 009 déguisé en clown. L’agent
007 (alias James Bond) peut alors entrer en scène.
• Au début de Blade Runner (Ridley Scott – 1982),
l’agent Holden (Morgan Paull) fait passer un test
au répliquant Léon (Brion James), qui sort une
arme et l’assassine. Du coup, on appelle Rick
Deckard (Harrison Ford) pour mener l’enquête.
• Les Chemins de la liberté (Peter Weir – 2010) com-
mence par un interrogatoire stalinien, dans lequel
une épouse (Sally E. Brunski) est contrainte d’ac-
cuser son mari Janusz (Jim Sturgess) de trahison.
Il se retrouve condamné au goulag.
• Les Dents de la mer (Steven Spielberg – 1975) com-
mence pendant la nuit, un groupe de jeunes
s’amuse sur une plage. Une fille pulpeuse se baigne
au clair de lune, lorsqu’un requin l’attaque et l’em-
porte. Le lendemain, le shérif Brody (Roy Scheider)
reçoit un coup de fil. Son enquête commence.
• Au début des Aventuriers de l’Arche perdue (Steven
Spielberg – 1981), le professeur Jones (Harrison
Ford) se voit dépossédé d’une précieuse idole en
or par son adversaire Belloq (Paul Freeman). Il le
retrouvera plus tard sur son chemin.
• Le Prix du danger (Yves Boisset – 1983), démarre
sur une séquence de poursuite dans le cadre d’un
jeu télévisé, qui se termine par la mort du concur-
rent. Nous découvrons ensuite le protagoniste du
film (Gérard Lanvin), qui sera le candidat de l’émis-
sion suivante.
• V pour Vendetta (James McTeigue – 2005) débute
par un flash-back évoquant l’échec de la conspi-
ration des poudres du 5 novembre 1605, avec

LE POINT D’ENTRÉE DANS LE RÉCIT 94


l’arrestation et l’exécution de Guy Fawkes (Clive
Ashborn). Le reste du film se déroule en l’an 2038,
mais le visage de Fawkes sert de modèle pour le
masque du justicier V (Hugo Weaving) dans sa lutte
contre le dictateur Sutler (John Hurt).

Installation par la réussite


Une autre façon de procéder est de montrer tout
d’abord le protagoniste en réussite, pour bien caractéri-
ser ses talents et son efficacité.
Ainsi, lorsque ses ennuis vont venir, ses difficultés à
y faire face ne seront pas considérées comme des fai-
blesses, mais simplement comme l’expression de la force
de l’ennemi. Le héros devra alors se surpasser, ou car-
rément se remettre en question.

• Au début de Predator, (John McTiernan – 1987), une


équipe de soldats d’élite, menée par le Major Schae-
fer (Arnold Schwarzenegger) attaque un camp de
trafiquants puissamment armés. En quelques
minutes, les ennemis sont balayés sans que l’équipe
ne souffre de la moindre perte. Le commando se
trouve ensuite confronté à un seul ennemi, invisible,
qui les pourchasse et les tue un par un.
• Dans le Batman de Tim Burton (1989), le justicier
masqué (Michael Keaton) met en déroute le groupe
de truands auquel il est confronté au début du
film. Lorsqu’il rencontrera le Joker, ce ne sera pas
si simple.
• L’ouverture de Mon nom est personne (Tonino
Valerii – 1973) met en scène le redoutable Jack
Beauregard (Henri Fonda), que l’on voit seul mettre
en échec le piège des trois tueurs venus l’attendre.

LE POINT D’ENTRÉE DANS LE RÉCIT 95


Ce sera plus compliqué quand il se retrouvera seul
face à la horde sauvage.
• Le protagoniste de Drive (Nicolas Winding Refn –
2011) montre son talent de pilote dès le début du
film, permettant à des truands d’échapper à leurs
poursuivants. Mais par la suite, fuir ne sera plus
une solution.
• Hot Fuzz (Edgar Wright – 2007) nous fait découvrir
son protagoniste surdoué Nicholas Angel (Simon
Pegg) dans une séquence par épisodes résumant les
exceptionnelles réussites de sa jeune carrière. Il est
si doué que ses supérieurs se sentent ridicules et
préfèrent le muter à la campagne pour avoir la paix.
• Au début du film Le Bon, la brute et le truand (Ser-
gio Leone – 1968), Blondin (Clint Eastwood) par-
vient à couper la corde de Tuco (Eli Wallach), le
sauvant de la pendaison. Cette situation est mil-
kée59 tout au long du film et fait l’objet d’un topper
dans la scène finale.

Démarrer par le monde ordinaire


Si votre univers est très différent du monde réel,
vous aurez tout intérêt à choisir un point d’entrée situé
suffisamment en amont de l’incident déclencheur pour
avoir le temps de bien caractériser l’univers du récit et
ses règles.
C’est ce que font fréquemment les scénaristes des
studios Pixar, dont les univers sont souvent très originaux.
Toy Story (John Lasseter – 1995), Wall-E (Andrew
Stanton – 2008), Monstres & Cie (Pete Docter – 2001) et
Cars (John Lasseter et Joe Ranft – 2006) ont de très

59.Voir milking et topper, cliquez ici.

LE POINT D’ENTRÉE DANS LE RÉCIT 96


longues expositions, nécessaires pour nous familiariser
avec des personnages et des règles inhabituelles, propres
à chaque film.
Le début de Wall-E, par exemple, nous fait découvrir
le quotidien d’un petit robot-éboueur, qui passe ses jour-
nées à compacter des ordures. Il est le dernier modèle
du genre à fonctionner et ignore que les humains ont
déserté depuis des siècles une planète Terre devenue
inhabitable. Or ce robot a développé deux étranges com-
portements : il collectionne des objets hétéroclites et se
distrait en regardant des comédies musicales roman-
tiques. Comme il ne parle pas, sa caractérisation passe
uniquement par ses actions, ce qui demande un peu de
temps. Sa routine n’est perturbée qu’à la quinzième
minute du film avec l’arrivée d’un autre robot, Eve.
En prise de vue réelle, les films fantastiques et de
science-fiction demanderont toujours une installation
conséquente du monde ordinaire.
• Alien — Le huitième passager (Ridley Scott – 1979)
commence par de longs plans des coursives du
Nostromo, le vaisseau spatial dans lequel se
déroule l’essentiel de l’histoire.
• District 9 (Neill Blomkamp – 2009) nous expose la
situation d’extraterrestres réfugiés en Afrique du
Sud qui subissent le mépris des humains, bien avant
de nous faire découvrir le protagoniste du film.

Un univers du récit différent, cela peut aussi concer-


ner un aspect méconnu du monde réel.
• Les Amishs, groupe religieux ayant renoncé à la
technologie, sont minutieusement caractérisés au
début de Witness (Peter Weir – 1985).
• Dans les premières minutes du film Les Guerriers
de la nuit (Walter Hill – 1979), nous découvrons les

LE POINT D’ENTRÉE DANS LE RÉCIT 97


bandes de rue de New York, rassemblées à l’occa-
sion d’une trêve.

Poser les vrais enjeux


Si votre récit présente un cadre historique (guerre,
découverte, invention, conquête), vous pouvez prendre
le parti de révéler dès le début au spectateur tous les
enjeux liés à l’événement lui-même. Ainsi, il se concen-
trera plutôt sur ce qui arrive aux personnages.
C’est ce qu’a très bien su faire James Cameron dans
l’exposition de Titanic (1997) : nous suivons une équipe
qui explore l’épave à la recherche d’un bijou extraordi-
naire appelé le Cœur de l’Océan. Nous apprenons en
détail comment le Titanic a coulé, permettant d’exploiter
cet aspect de l’histoire sous la forme d’une ironie dra-
matique, pendant le flash-back qui constitue la partie
centrale du récit.
Reste alors à découvrir qui va s’en sortir, comment,
et ce qu’il est advenu du Cœur de l’Océan. Comme tout
le monde sait plus ou moins comment le Titanic a coulé
avant même de voir le film, il est essentiel de bien signi-
fier au spectateur que le sujet du film n’est pas le nau-
frage proprement dit, de sorte qu’il s’intéresse à ce qui
s’est passé à bord entre Jack (Leonardo DiCaprio) et Rose
(Kate Winslet).

Commencer par la fin
Des années après un drame, ou même après la mort
du héros, des personnages fouillent un site archéolo-
gique, évoquent le passé ou questionnent leurs grands-
parents.
Qu’un témoin raconte une horrible vérité cachée,
qu’une lettre la révèle ou qu’une minutieuse enquête

LE POINT D’ENTRÉE DANS LE RÉCIT 98


soit nécessaire pour l’établir, le cœur du récit est dans le
passé, le point d’entrée devient donc l’installation d’un
ou plusieurs flash-back, c’est-à-dire qu’il faut caractéri-
ser un problème dont la clé se trouve dans le passé.
C’est ce que réalisent Spielberg dans Il faut sauver le
soldat Ryan (1998), Billy Wilder dans Boulevard du cré-
puscule (1950), Sam Mendes dans American Beauty
(1999), Jean-Pierre Jeunet dans Un long dimanche de
fiançailles (2004), Clint Eastwood dans Sur la route de
Madison (1995) et James Cameron dans Titanic (1997).
La trame principale se retrouve alors enchâssée dans
le film sous forme d’un gigantesque flash-back (ou de
plusieurs, plus petits).

Qui est l’ennemi ?


Montrer avant toute chose la vilenie, la puissance et
la cruauté d’un sinistre personnage crée efficacement
chez le spectateur le désir de le voir se faire battre. En
vérité, le simple fait de voir un personnage réussir ce qu’il
fait avec trop d’aisance, même s’il est brave et honnête,
nous le rendra moins sympathique que de le voir échouer.
Si le méchant est crédible, caractériser le héros
devient ensuite plus simple. Même si nous ne le connais-
sons pas bien, nous voudrons le voir réussir à mettre en
échec son adversaire, parfois uniquement parce qu’il est
le challenger.
Il s’agit de montrer l’ennemi en action et de connecter
cette action au reste du récit d’une façon ou d’une autre.
• The Dark Knight (Christopher Nolan – 2008) com-
mence par un braquage orchestré par le Joker
(Heath Ledger) qui tue ses complices avant de s’en-
fuir avec le butin.

LE POINT D’ENTRÉE DANS LE RÉCIT 99


• Dragons (Chris Sanders et Dean DeBlois – 2011)
débute avec une présentation du village de Berq,
la nuit même où les dragons attaquent.
• La Valse des pantins (Martin Scorsese – 1982) nous
fait découvrir en premier lieu le show télévisé de
Jerry Langford (Jerry Lewis). Il sera l’antagoniste
de Rupert Pupkin (Robert De Niro) dans sa quête
pour le sommet du hit-parade.
• Dans le prologue de Raiponce (Nathan Greno et
Byron Howard – 2010), la mère Gothel apparaît à
plusieurs reprises, établissant sans ambiguïté son
égoïsme et sa malfaisance.
• Assaut (John Carpenter – 1976) commence par une
séquence de massacre au fusil perpétrée par la
police dans le ghetto noir de Los Angeles. La suite
du film nous montre un commissariat de police
attaqué à son tour.

Points d’entrée à fausse piste


Le récit prend une direction apparemment claire,
qui se révèle complètement fausse et crée une surprise.
• Toy Story 2 (John Lasseter – 1999) démarre avec
Buzz l’Éclair en mission sur la Lune. Il se fait désin-
tégrer. Nous découvrons alors qu’il ne s’agissait pas
du vrai Buzz mais d’un personnage de jeu vidéo.
• Le début de Toy Story 3 (Lee Unkrich – 2010) a des
allures de superproduction. Nous y reconnaissons,
dans des rôles inédits, la plupart des personnages
popularisés par les premiers films de la série. En
fait tout se passe dans la tête d’Andy, en train de
s’amuser avec ses jouets.
• Monstres et Cie (Pete Docter – 2001) commence
par un enfant dans son lit, effrayé par des ombres.

LE POINT D’ENTRÉE DANS LE RÉCIT 100


Nous découvrons que l’enfant est une marionnette
et qu’il s’agit d’une salle de simulation pour entraî-
ner les monstres à faire peur.
• Ça tourne à Manhattan, (Tom DiCillo – 1995)
débute sur le plateau d’un tournage à petit budget.
Rien ne va, jusqu’à ce qu’un son répétitif agaçant
tire le metteur en scène de son sommeil. En fait il
faisait un cauchemar.
• Monty Python, le sens de la vie (Terry Jones, Terry
Gilliam – 1983) s’ouvre par une séquence racontant
la révolte des employés d’une compagnie d’assu-
rances contre leurs patrons. En fait, on ne reverra
les personnages de cette séquence qu’un très bref
instant dans le reste du film.

Ce type de point d’entrée caractérise certains aspects


de l’univers du récit, mais le spectateur est sciemment
fourvoyé dans une fausse piste pendant quelques
minutes avant que le récit ne démarre pour de bon.

Démarrer dans le feu de l’action


(in media res)
Une manière dynamique d’entamer un récit est de
le prendre en cours de route, en distillant des indices
et/ou des flash-back permettant au spectateur de recol-
ler les morceaux et d’imaginer les scènes précédentes.
• Master and commander : de l’autre côté du monde
(Peter Weir – 2003) s’ouvre sur un bateau en pleine
brume. L’alerte est donnée par les hommes de
quart. Le temps que le capitaine Jack Aubrey (Rus-
sell Crowe) arrive sur le pont, l’ennemi ouvre le feu.
• Kill Bill (Quentin Tarantino – 2003) commence dans
une église, où une fusillade vient d’interrompre un

LE POINT D’ENTRÉE DANS LE RÉCIT 101


mariage. Arrive un homme au visage caché qui,
après un bref dialogue, tire une balle dans la tête
de la mariée (Uma Thurman).
• La première scène du film Intouchables (Olivier
Nakache et Éric Toledano – 2011) est en fait un
flash-forward60 dont les enjeux et le sens ne
deviennent compréhensibles que bien plus tard
pour le spectateur.

Conjuguer les approches


Ces différentes façons d’entrer dans un récit ne sont
pas incompatibles. Un même point d’entrée peut, par
exemple, à la fois caractériser l’ennemi et l’univers ordi-
naire, tout en préparant un grand flash-back. Il y a tou-
jours plusieurs solutions et il peut même y avoir plu-
sieurs bonnes solutions pour entrer dans un récit.
Comment choisir ?
Les deux questions importantes quand vous devrez
opérer un choix de point d’entrée sont d’une part celle
de l’émotion, et d’autre part celle des enjeux.
Le meilleur point d’entrée sera souvent celui qui a
un fort impact émotionnel, tout en posant des questions
dont le spectateur voudra à tout prix avoir les réponses.
La surprise est également un moyen de capter l’at-
tention dès le début.
Si votre point d’entrée comporte une image forte et
inattendue, ou un événement extraordinaire, vous sti-
mulerez la curiosité du spectateur.

Dans Big Fish (Tim Burton – 2004), l’extraordinaire


commence par ce poisson fabuleux qu’Edward Bloom
(Albert Finney/Ewan McGregor) a toujours rêvé d’attraper.

60.Voir le chapitre sur les flashs, cliquez ici.

LE POINT D’ENTRÉE DANS LE RÉCIT 102


Ce mini-récit est prétexte à une séquence par épi-
sode montrant comment son fils Will (Billy Crudup)
développe au fil des années du ressentiment à l’égard
de son père.
Cette entrée dans l’histoire nous prépare aussi à l’en-
chevêtrement de flash-back qui va rythmer toute la nar-
ration. De plus, elle installe dès les premières secondes
le mélange de réel et d’exagération qui caractérise les
histoires d’Edward Bloom senior. Enfin, cette entrée pré-
pare la dernière séquence du film.

Conseil : commencez par établir la chronologie des


événements de votre histoire, et seulement ensuite
posez-vous la question des différentes options pour
démarrer le récit.

Votre fin pourra par exemple rejoindre le point d’en-


trée d’une façon inattendue, comme dans Pulp Fiction
(Quentin Tarantino – 1994). Le pré-générique nous fait
découvrir Pumpkin (Tim Roth) et Honey Bunny (Amanda
Plummer). Ils discutent de l’intérêt d’arrêter les bra-
quages… puis sortent leurs armes pour braquer le res-
taurant où ils se trouvent.
On les oublie pendant tout le film. Jusqu’à la scène
de fin, focalisée sur les personnages de Vincent Vega
(John Travolta) et Jules Winnfield (Samuel L. Jackson).
Elle se déroule dans le même restaurant, mais com-
mence un peu plus tôt.
Le braquage de Pumpkin et Honey Bunny intervient
au milieu de la scène. Un télescopage temporel soigneu-
sement préparé, puisqu’un insert61 nous rappelle que les
braqueurs sont bien là.

61. Insert : plan inséré au montage dans une scène, montrant un autre lieu
ou un autre moment du récit.

LE POINT D’ENTRÉE DANS LE RÉCIT 103


Exercice 1
À partir d’un film que vous aimez, réfléchissez aux
autres possibilités de point d’entrée qui s’offraient
aux scénaristes. Trouvez-en au moins deux, en iden-
tifiant à chaque fois un avantage et un inconvénient.

Exercice 2
Parmi les films que vous n’appréciez pas, choisis-
sez-en un dont le point d’entrée vous paraît mal
choisi. Proposez au moins deux autres possibilités
de point d’entrée, avec les avantages qu’elles pro-
curent pour le reste de la structure (installation
d’ironie dramatique, caractérisation, enjeux).

Exercice 3
Votre producteur préféré vient de vous comman-
der un scénario sur la vie d’Albert Einstein. Propo-
sez au moins trois points d’entrée différents.

LE POINT D’ENTRÉE DANS LE RÉCIT 104


Et maintenant, voulez-vous voir :

en quoi le point de vue détermine


fi Cliquez ici
l’identification ?

l’importance du passé (fantôme)


fi Cliquez ici
des personnages ?

comment utiliser les adversaires ? fi Cliquez ici

Sinon, nous allons parler de la façon dont s’articulent


les différentes parties d’un récit par les charnières dra-
matiques.

LE POINT D’ENTRÉE DANS LE RÉCIT 105


Charnières
dramatiques,
rebondissements
POINTS DE NON-RETOUR / CHOIX ET RENONCEMENT /
CHARNIÈRES MINEURES ET MAJEURES /
PRÉPARATION ET DÉCISION /
MOUVEMENT, TENSION ET RUPTURE DRAMATIQUE /
DANS LA GUERRE DES ÉTOILES / CHARNIÈRE ÉMOTIONNELLE /
LES CHARNIÈRES DANS L’ACTE 2

Tout scénario est constitué de différentes parties qui


s’enchaînent par l’intermédiaire de scènes particulières
qu’on appelle des charnières dramatiques (ou pivots dra-
matiques). Ce sont des scènes « sans retour », c’est-à-
dire qu’elles sont nécessairement marquées par des
actions irréversibles.
Un pivot est toujours un moment de décision que
les scènes précédentes amènent inéluctablement.
La fonction d’un pivot est de réorienter le récit dans
une direction nouvelle bien claire, qui prolonge les buts
déjà installés ou bien amène les personnages à en définir
d’autres. Les enjeux doivent doit être limpides pour le
spectateur, afin qu’il puisse prendre partie, autrement
dit s’impliquer émotionnellement dans le récit.
C’est pourquoi les scènes précédant une charnière
doivent la préparer.

CHARNIÈRES DRAMATIQUES - REBONDISSEMENTS 107


Points de non-retour
Habituellement, un pivot est amené par la nécessité
pour un personnage de surmonter un obstacle ou de
relever un défi, le pivot lui-même cristallisant la décision
par une action claire.
Même si le spectateur se dit : « À la place du prota-
goniste, j’aurais fait ceci ou cela », il doit aussi pouvoir se
dire : « Ce qu’il fait a un sens, il a de bonnes raisons de le
faire ». Une charnière suppose un vrai choix, c’est-à-dire
un renoncement à un avenir possible au profit d’un autre.

Choix et renoncement
Avoir à choisir entre partir à la pêche et rester chez
soi ne sera pas une charnière dramatique… sauf si l’action
comporte un enjeu véritable. Si votre protagoniste doit
renoncer à quelque chose pour y aller, avec un risque de
ne jamais le retrouver, et qu’il est conscient de ce risque,
alors vous aurez bel et bien une charnière dramatique.
Le spectateur devra en outre connaître cet enjeu avant
que le protagoniste ne prenne sa décision, en partager le
poids pour se sentir un minimum impliqué.

Charnières mineures et majeures


Dans un long-métrage, on peut avoir une douzaine
de charnières majeures en tout. Celles qui séparent les
trois principaux actes sont particulièrement importantes.
On peut aussi avoir jusqu’à une cinquantaine de char-
nières dramatiques mineures. Les actes principaux doi-
vent donc être considérés comme des ensembles de
sous-actes, reliés par des charnières.

En toute logique, les charnières font partie du sys-


tème des faits cher à Aristote : leurs causes et leurs

CHARNIÈRES DRAMATIQUES - REBONDISSEMENTS 108


conséquences doivent entièrement découler des actions
des personnages, de leurs caractéristiques et des parti-
cularités de l’univers du récit.

Préparation et décision
Accomplir une action irréversible ne peut jamais être
anodin. Quitter sa femme, braquer une banque, tuer
quelqu’un, partir pour Mars, faire le tour du monde, ris-
quer sa vie pour une cause… Ces actes relèvent de déci-
sions qui sont l’aboutissement d’un parcours personnel.
Le fonctionnement et la crédibilité de vos charnières
dépendront essentiellement de votre capacité à faire
partager les enjeux de ce parcours à votre spectateur.
Pour travailler ce parcours, n’oubliez jamais que vos
personnages doivent être perçus comme sensibles,
réflexifs et dotés de libre arbitre.
Même si ce sont des animaux, des objets ou des
véhicules, visualisez-les comme de vrais êtres capables
de voir, de sentir, d’entendre, de souffrir et d’agir.
Si vos personnages ne sont pas humains, il faudra
les anthropomorphiser, c’est-à-dire leur donner des
traits humains, au moins sur le plan psychologique.
Appuyez-vous sur les trois particularités qui distin-
guent l’homme de la plupart des animaux : la mémoire
(l’apprentissage), l’émotion (le ressenti) et la cognition
(la pensée).
Mémoire, émotions et pensées forment le socle de
tout travail sur l’évolution des personnages et les char-
nières dramatiques qu’ils traversent.
L’enchaînement des faits et leur logique permettent
au spectateur de mémoriser les règles propres à l’univers

CHARNIÈRES DRAMATIQUES - REBONDISSEMENTS 109


du récit, l’amenant à partager les émotions des person-
nages. Le plus décisif pour réussir une bonne charnière
est cette dimension émotionnelle.
Préparer une charnière dramatique consiste à ins-
taller et exploiter des éléments conflictuels pour aug-
menter progressivement la tension dramatique et abou-
tir à une rupture.

Mouvement, tension
et rupture dramatique
On utilise couramment les termes de charnière ou
de pivot avec l’idée d’un récit articulé autour de ces élé-
ments. L’image évoque le côté mécanique du scénario,
mais ce dernier doit aussi être organique : autrement dit,
pousser les personnages au bout de leurs limites phy-
siques et psychologiques.
Le désir met le personnage en action (mouvement),
les obstacles et les conflits le mettent sous une pression
qui s’accumule jusqu’à un point de rupture, marqué par
une décision/action radicale : la charnière dramatique.
Pour ma part, j’insiste sur le fait qu’il s’agit d’une
construction par étapes successives, s’enchaînant logi-
quement.
Évidemment il ne s’agit pas de soumettre la pro-
gression dramatique à la seule logique cartésienne. Vos
personnages peuvent avoir leurs coups de sang.
L’essentiel reste l’enchaînement cohérent des faits
et des actions.

Illustrons tout cela en analysant l’installation et la


résolution de la première charnière dramatique majeure
d’un film célèbre.

CHARNIÈRES DRAMATIQUES - REBONDISSEMENTS 110


Dans La Guerre des étoiles
1. Deux droïdes échappent aux forces impériales lors
de la capture de la princesse Leia. Ils sont pris par des
commerçants qui leur posent des entraves électro-
niques et les revendent d’occasion à l’oncle de Luke
Skywalker.

2. Luke Skywalker désire quitter la ferme de son


oncle et de sa tante. Obstacle : son oncle lui demande
de rester une saison de plus et le charge de nettoyer et
de programmer les deux droïdes qu’il vient d’acheter.
Action : Luke obéit, mécontent.

3. D2-R2 diffuse un morceau du message de la prin-


cesse Leia, qui demande l’aide d’Obi-wan Kenobi. Luke
veut voir la suite. Obstacle : D2-R2 prétend ne pas pou-
voir montrer la suite à cause d’un court-circuit provoqué
par l’entrave électronique qu’on lui a posée. Action :
Luke retire l’entrave. Charnière mineure. D2-R2 ne
montre rien (échec). Luke doit aller manger.

4. Quand il revient, le robot s’est enfui pour chercher


Kenobi. Son oncle va incendier Luke (conflit). Action: il
part à la recherche de R2 avec Z-6PO. Charnière mineure.

5. Luke retrouve D2-R2. Obstacle : les hommes des


sables l’attaquent. Il est sauvé par Ben Kenobi, qui obtient
du robot l’intégralité du message. Luke apprend que le
robot contient les plans de l’Étoile Noire, dont la rébellion
a besoin. Ben lui révèle ses origines et son destin : devenir
un Jedi comme son père. Charnière mineure. Luke
refuse, il ne peut laisser tomber sa famille.

6. Les troupes impériales suivent la piste des droïdes


jusqu’à la ferme et massacrent la famille de Luke. Quand
ce dernier découvre les cadavres de son oncle et de sa
tante, plus rien ne le retient. Au contraire, il a une bonne

CHARNIÈRES DRAMATIQUES - REBONDISSEMENTS 111


raison d’en vouloir à l’empire. Charnière majeure : Luke
décide d’accompagner Ben et de l’aider à accomplir sa
mission.

Voyez ici qu’il s’agit bien d’une rupture : non seule-


ment le déroulement des événements brise l’équilibre
antérieur, mais il place le protagoniste dans une situation
insupportable, le poussant à un choix qui rend impossi-
ble un retour à la situation initiale.
La décision du protagoniste doit se traduire par une
action claire et lisible.

Situation/attitude initiale fi perturbation(s)


fi action(s) fi tension fi rupture (charnière)
fi évolution fi nouvelle situation/attitude.

Charnière émotionnelle
Quand la charnière dramatique a un enjeu émotion-
nel, l’implication du spectateur est décuplée. Plus le per-
sonnage aura de difficulté à prendre une décision (choix
moral/choix affectif), plus le spectateur sera touché.
Il se sentira fier si le protagoniste a été courageux,
honteux s’il a été lâche.
On voudra le voir réussir s’il a souffert, et le voir
échouer s’il a été méprisable. Bref, on espérera une juste
récompense pour ce qu’il aura accompli.

Les charnières dans l’acte II


Bien que l’on résume souvent le système aristotéli-
cien par la structure en trois actes, et même si les char-
nières entre acte I, acte II et acte III sont particulièrement
importantes, votre acte II lui-même doit intégrer de
nombreuses charnières : rebondissements, transitions,

CHARNIÈRES DRAMATIQUES - REBONDISSEMENTS 112


révélations, remises en causes, échecs, trahisons, revi-
rements, entraves, libérations…
Tout cela pour rythmer la narration, la relancer,
déjouer les attentes, en créer de nouvelles et tenir le
spectateur en haleine sur la durée.
Il s’agit de mener la progression des personnages
vers le climax en variant le rythme localement… tout en
l’accélérant globalement62. Vos charnières n’auront donc
pas toutes la même importance, ni la même densité.
La tension doit monter, mais pour que le spectateur
la ressente, il faut lui ménager des temps de pause, de
sorte qu’il puisse assimiler les événements passés et
continuer à anticiper ce qui pourrait arriver ensuite.
Pour s’épanouir, l’émotion du spectateur a besoin
qu’on lui accorde des temps de disponibilité mentale.
Par exemple, dans Psychose (Alfred Hitchcock –
1960), Norman Bates (Anthony Perkins) fait le ménage
de la salle de bains où Marion Crane (Janet Leigh) vient
d’être assassinée. La scène dure sept minutes, permet-
tant au spectateur de digérer ce choc.

62. Nous reviendrons sur cette question du rythme narratif dans le prochain
chapitre.

CHARNIÈRES DRAMATIQUES - REBONDISSEMENTS 113


Exercice 1
Si vous avez vu (ou quand vous aurez vu) Intou-
chables (Olivier Nakache et Éric Toledano – 2011),
identifiez la situation initiale des personnages prin-
cipaux au début du film, et la succession d’événe-
ments qui va conduire Driss à accepter de travailler
pour Philippe.
Partez du désir, de la faiblesse et du besoin de cha-
cun des deux personnages.
Repérez au fil du récit les obstacles que Driss ren-
contre et les étapes (c’est-à-dire les charnières dra-
matiques) de son évolution.
Plus intéressant encore, voyez comment les rôles
s’équilibrent progressivement et repérez les obs-
tacles et les étapes que Philippe doit dépasser dans
sa propre évolution.

Exercice 2
Dans le film Da Vinci Code (Ron Howard – 2006),
intéressez-vous aux charnières dramatiques impli-
quant le personnage de Sir Leigh Teabing (Ian
McKellen).
– Identifiez les incohérences entre la caractérisation
du personnage et les actions qu’il entreprend.
– Comment le scénariste aurait-il pu faire selon
vous pour rendre l’évolution de ce personnage
plus logique ?

CHARNIÈRES DRAMATIQUES - REBONDISSEMENTS 114


Exercice 3
Les Aventuriers de l’Arche perdue (Steven Spielberg
– 1981) comporte une série de séquences bien
identifiables, tant par le moment que par le lieu
de l’action. Identifiez au long du film chacune des
charnières dramatiques justifiant le passage d’une
séquence du récit à l’autre.
Remarque : la séquence d’ouverture du film se ter-
mine sans charnière dramatique.

Et maintenant, voulez-vous voir :

la place des charnières


fi Cliquez ici
dans le système des faits ?

comment faire avancer un récit


fi Cliquez ici
grâce aux obstacles ?

comment préparer une charnière


fi Cliquez ici
par une annonce ?

Sinon, nous allons passer à la question du rythme


narratif.

CHARNIÈRES DRAMATIQUES - REBONDISSEMENTS 115


Le rythme narratif
TEMPS RÉEL, TEMPS NARRATIF / RYTHMER LA STRUCTURE /
RYTHMER UNE SÉQUENCE / RYTHMER LA DIDASCALIE /
TENSION PSYCHOLOGIQUE / 24 HEURES CHRONO /
LA NARRATION LENTE / ALTERNANCE ET TRANSFORMATION

Dans la vie réelle, toute action, tout événement s’ins-


crit dans un espace et dans un temps.
En fiction cependant, ni l’espace ni le temps ne sont
réels. Concrètement, vous lisez une page de roman, une
planche de BD ou vous suivez ce qui défile dans le cadre
d’un écran.
Le temps, comme l’espace, est alors suggéré par dif-
férents moyens, dramaturgiques et scénographiques. Il
est possible de dilater le temps, de le figer, l’accélérer
ou même de l’ellipser. Dans tous les cas, il n’existe que
dans l’esprit du spectateur.

Le rythme narratif, c’est une impression créée par


l’écriture, par la mise en scène, éventuellement par le
découpage (surtout en BD) et le montage (en vidéo-
cinéma).
Lorsqu’on écrit, il faut assumer un ton, un style, un
genre, des valeurs et des enjeux, et aussi construire ce
fameux rythme narratif qui installe le spectateur dans
une temporalité subjective.
Le scénariste construit pour que le spectateur ressente.

C’est principalement en travaillant sur les émotions


et les basculements émotionnels des personnages (et

LE RYTHME NARRATIF 117


du spectateur) que l’on peut espérer successivement
surprendre, intéresser, faire peur, donner un espoir, frus-
trer, satisfaire, faire rire ou pleurer.
Il y a une temporalité de l’émotion en fiction. Elle
naît à partir d’éléments qu’il faut installer et exploiter
dans la durée. Une exploitation trop rapide risque d’ame-
ner une émotion superficielle.

Rythmer la structure
Construire le rythme d’un récit, c’est un travail à dif-
férentes échelles. L’échelle globale d’abord. On doit tra-
vailler sur les principales articulations du récit et leur
préparation.
Ensuite, s’occuper de l’enchaînement des scènes
proprement dites : en tenant compte de leur durée
moyenne, en faisant alterner des scènes de longueurs
différentes, et en travaillant par contraste les écarts de
durée entre scènes rapides et scènes plus lentes.
En même temps, il s’agit de doser la densité du
drama, c’est-à-dire la fréquence des effets drama-
tiques63, leur préparation (annonce), leur exploitation et
leur résolution (paiement).
Ne pas confondre la densité du drama avec la densité
des événements qui se déroulent. Une séquence peut
comporter beaucoup d’action physique mais peu d’effets
dramatiques. C’est une erreur très fréquente de croire
qu’un enchaînement très rapide d’actions donnera for-
cément un récit rythmé. Pour produire un bon effet de
rythme, on doit avoir posé de façon limpide des enjeux
très simples permettant de nombreux conflits, et sub-
séquemment de nombreuses émotions.

63.Voir les effets dramatiques, cliquez ici.

LE RYTHME NARRATIF 118


Rythmer une séquence
L’exemple typique est la séquence de poursuite. Au
début d’Ennemi d’État (Tony Scott – 1998) un ornitho-
logue se retrouve en possession d’une vidéo montrant
l’assassinat d’un député. Le début du film établit claire-
ment que le commanditaire de l’assassinat travaille à la
NSA (l’agence de Sûreté Nationale Américaine) et qu’il
cherche à faire disparaître la preuve de sa forfaiture.

Il envoie donc tous les moyens de l’administration


américaine aux trousses du malheureux ornithologue
présenté comme un ennemi des USA. S’engage une
poursuite rapide, avec de nombreuses surprises et
rebondissements, mais un seul ressort dramatique : la
cible réussira-t-elle ou non à s’échapper ?

Les personnages se déplacent rapidement, agissent


rapidement, doivent réagir rapidement à des obstacles
qui se succèdent rapidement. Toute la séquence
enchaîne des variations d’un même schéma : le pour-
suivant repère le poursuivi, se rapproche, est sur le point
de le rattraper, quand leur course les amène à une confi-
guration nouvelle, offrant un nouveau choix d’action au
protagoniste.

Son adversaire, pris par surprise (comme le specta-


teur), voit sa cible lui échapper. Le poursuivi reprend un
peu d’avance, le poursuivant s’adapte… et on repart pour
un tour. Chaque fois qu’on est à deux doigts d’une fin
de poursuite (heureuse ou tragique), l’émotion atteint
un pic avant de décroître.

Comme en musique, il y a crescendo et decrescendo.

Dans ce cas, le rythme est une pulsation qui doit


comporter des points forts (mini-climax) et des détentes,
à partir desquelles la tension peut à nouveau croître.

LE RYTHME NARRATIF 119


Rythmer la didascalie
Dans un scénario, on n’a pas à donner d’indications
de durée pour les images et les actions qui se succèdent.
C’est la façon dont on décrit les choses (la didascalie)
qui suggère la durée.
Une longue description d’une pièce donnera l’idée
d’une caméra explorant lentement les lieux. Une phrase
courte et succincte évoquera plutôt un ou deux plans
rapides.
Il est possible de suggérer un plan-séquence rapide
en enchaînant gestes et actions séparés par des virgules.
Exemple :

Marco suit le trafiquant dans le passage


étroit, le voit tourner à gauche, avance la
tête à l’angle de la rue, repère une porte
en train de se refermer, sort son arme, se
met à courir et parvient à glisser son pied
dans l’ouverture.

On peut aussi installer et exploiter une certaine len-


teur, associée à la tension d’une situation.

Marco pose lentement sa mallette en cuir


sur la table et l’ouvre. Le trafiquant voit
le contenu, ses traits se crispent. Il tire
en vain sur ses liens. Marco sourit et sort
de la mallette, un par un, plusieurs
instruments en métal poli, qu’il montre à
son prisonnier avant de les poser sur la
table. Une pince. Une lancette. Un poinçon.
Une mini perceuse. Un briquet. Une goutte de
sueur perle sur le front du trafiquant.

LE RYTHME NARRATIF 120


Tension psychologique
Un rythme peut aussi être créé sans action rapide,
par un crescendo seul, comme par exemple dans le duel
final du film Le Bon, la brute et le truand (Sergio Leone –
1966). Là, tout est construit sur la promesse du conflit :
trois hommes armés s’apprêtent à se tirer dessus.
L’enjeu : tous convoitent le même trésor.
Situation morale : aucun d’entre eux ne le mérite
vraiment.
La situation de duel est installée par les pas de Sen-
tenza (Lee Van Cleef) qui se place à mi-distance des deux
autres, sa silhouette minuscule dans l’immense cime-
tière qui entoure la scène.
Commence alors une guerre des nerfs entre les trois
hommes, dont nous attendons l’explosion. L’exploitation
du conflit est signifiée par les yeux, la sueur et surtout
les mains qui se crispent et s’approchent lentement des
armes.
On revient de façon récurrente sur les échanges de
regard, en alternance avec les mains des cow-boys qui
se placent prêtes à dégainer, le tout accompagné d’un
crescendo musical. Juste avant le coup de feu qui résout
le conflit, le rythme de passage des images s’accélère.
Le coup de feu retentit, la musique s’arrête.
Un tel effet peut (et doit) être pensé et décrit dans le
scénario, qui suggère et implique un découpage et une
accélération.
Dans un récit conséquent, les auteurs sont amenés
à élaborer différentes parties en travaillant séparément
le rythme de chacune, de sorte par exemple que des
moments calmes et contemplatifs viennent contraster
et mettre en valeur d’autres événements plus intenses.

LE RYTHME NARRATIF 121


Le Château dans le ciel (Hayao Miyazaki – 1986) com-
porte une séquence rapide de poursuite rocambolesque,
qui s’achève par la chute des deux enfants (Pazu et Sheeta)
dans le vide. Le pouvoir de la pierre de Sheeta les sauve
et ils se retrouvent au fond d’une mine. Là, ils vont ren-
contrer Papi Pom, dans une séquence lente et contem-
plative qui constitue un des sommets poétiques du film.
Cette séquence sous terre n’est pas seulement
magnifique en elle-même : son rythme lent contraste
avec celui de la scène précédente, magnifiant son effet.
En termes de rythme, chaque séquence d’un scéna-
rio devrait présenter avec celle qui la précède une forme
de rupture. Notez qu’en musique c’est exactement ce
que font aussi les grands compositeurs.
Dans un scénario, les changements de rythme peu-
vent aussi être obtenus en entremêlant les enjeux et en
suivant parallèlement plusieurs intrigues liées.

24 heures chrono
Cette série (crée par Robert Cochran et Joel Surnow)
est construite pour donner la sensation du temps réel.
Les auteurs y parviennent en alternant plusieurs fils nar-
ratifs, nous faisant partager les situations et les actions
de différents personnages, en plusieurs lieux, enchaînant
action, poursuite, dialogue, exploration, interrogatoire,
prises de décision, échecs, réussites, vitesse, lenteur, etc.
Il y a de fait des ellipses temporelles dans 24 heures
chrono, mais elles sont presque invisibles, nous avons
toujours l’impression d’être là où les choses se déroulent.
Ces fils narratifs permettent aussi aux scénaristes
d’installer des intrigues secondaires : on découvre avant
Jack Bauer (Kiefer Sutherland) ce que font ses ennemis,

LE RYTHME NARRATIF 122


ce qui crée un intense suspense (une forme d’ironie dra-
matique), mettant le spectateur sous tension.
La ligne narrative du sénateur David Palmer64 (Dennis
Haysbert) évite au récit de tomber dans un affrontement
duel : il y a des conflits entre alliés ET des conflits entre
antagonistes.
Tout cela pour dire que la réputation du rythme de
cette série tient autant à l’élaboration de sa structure
globale qu’à la construction minutieuse de chaque
séquence.
Les temps forts ne concernent pas seulement Jack
Bauer mais aussi ses collègues, sa famille, ses ennemis.
Presque tous les épisodes se terminent par un split-
screen65 montrant des cliffhangers66 simultanés pour des
personnages situés à des endroits différents… à quelques
secondes du générique de fin.
D’évidence, une telle synchronisation n’est pas réa-
liste. Parvenir à la rendre vraisemblable résulte d’une
très habile construction, qui de façon insensible dilate
ou contracte le temps des différentes séquences.

La narration lente
Il existe aussi quelques œuvres remarquables dont la
narration impose au spectateur une forme de lenteur. Un
rythme lent est toujours une prise de risque, mais peut
fonctionner même sans qu’un enjeu net ne soit posé.

64. Cet exemple précis concerne la saison 1.


65. Split-screen (ou écran partagé) : technique de montage consistant à
décomposer l’écran en plusieurs surfaces distinctes, pour montrer de façon
simultanée des actions se déroulant en des lieux différents.
66. Cliffhanger (de l’anglais cliff = falaise et to hang = suspendre) : procédé
narratif utilisé dans les séries feuilletonnantes, consistant à terminer un
épisode sur un personnage en très mauvaise posture. Le nom provient de
l’archétype de ce genre de situation : le héros se rattrape de justesse au
bord d’un précipice, d’une seule main. Écran noir. Texte incrusté : Ne
manquez pas le prochain épisode.

LE RYTHME NARRATIF 123


Si les personnages sont originaux, remarquables (en
bien ou en mal) et si les événements qui se déroulent
installent une forme de dépaysement, on peut accepter
qu’il y ait peu de conflits.
Dans les premières minutes (ou les premières pages)
d’un récit vous pouvez alors prendre le temps d’installer
les personnages et l’univers, retardant l’incident déclen-
cheur. Le spectateur commencera par s’acclimater à ce
que vous lui proposez, s’attachant du coup à de petits
détails qui seraient passés inaperçus autrement.
C’est ainsi qu’au début de Mon voisin Totoro (1988),
Hayao Miyazaki nous fait partager avec beaucoup de
simplicité l’arrivée de la famille Kusakabe dans son nou-
veau foyer.
Il nous fait découvrir des paysages, des véhicules,
des personnages, des tenues vestimentaires, dans un
contexte réaliste. La focalisation interne avec les deux
petites filles (Satsuki et Mei) découvrant leur nouveau
cadre de vie fait accepter au spectateur cette longue
exposition.
De nombreuses surprises dépaysantes alternent
avec la découverte progressive des éléments surnaturels
de l’univers du récit. Ces surprises valent autant pour
les fillettes que pour nous, et créent en elles-mêmes un
enjeu diffus, propre à l’étrangeté des situations qui se
présentent.
Un scénariste méthodique aurait posé un désir pour
les deux enfants, avec des obstacles et des conflits. Miya-
zaki, lui, s’appuie sur un élément essentiel du fantôme67
(back-story) de son récit : l’incertitude sur l’état de santé
de la maman hospitalisée et les problèmes que pose son
absence au quotidien.

67. Fantôme : cliquez ici.

LE RYTHME NARRATIF 124


Perdre sa maman est probablement une des angoisses
humaines les plus fondamentales.
Songez à l’émotion suscitée chez les jeunes specta-
teurs de Bambi (David Hand – 1942) lorsque la mère du
faon est tuée… où à cette scène de Dumbo (Ben Sharp-
steen – 1941) lorsque l’éléphanteau est séparé de sa
mère, qui ne peut le toucher qu’avec sa trompe à travers
les barreaux de sa cage.
Le simple fait qu’une maman ne puisse être auprès
de ses enfants réveille au fond des spectateurs une puis-
sante émotion, créant de fait un enjeu majeur sans avoir
besoin de l’appuyer.
Dans Mon voisin Totoro, l’absence de la maman
amène cet enjeu.
L’identification du spectateur aux fillettes est quasi
immédiate.

Alternance et transformations
Les problèmes de rythme narratif commencent
lorsqu’on néglige l’alternance émotionnelle au sein des
scènes et dans leur succession.
Selon Robert McKee68, les personnages doivent pas-
ser par des transformations émotionnelles : du rire aux
larmes, des larmes à la peur, de la peur à l’espoir, de
l’espoir à l’angoisse, etc.
Un personnage principal qui reste du début à la fin
du récit sans jamais vivre de transformation émotionnelle
devient très rapidement ennuyeux. C’est l’une des prin-
cipales faiblesses de La Menace fantôme (George Lucas
– 1999) dont le scénario, entièrement tourné vers le spec-
taculaire, néglige de nous faire partager les basculements
psychologiques des personnages.

68. Dans Story (2000).

LE RYTHME NARRATIF 125


Même la mort de Qui Gon Jinn (Liam Neeson), si
triste soit-elle, n’a pas un impact suffisant pour faire
changer les autres personnages. Certes le jeune Ben
Kenobi (Ewan McGregor) est touché par ce drame, mais
quel est l’impact sur son évolution personnelle ?
Pensez, par comparaison, à l’effet produit sur Luke
Skywalker par le spectacle de la mort de Ben Kenobi
dans le premier film de la saga.
Qu’aurait été l’impact psychologique de la mort de
Qui Gon sur le jeune Anakin Skywalker (Jake Lloyd) s’il y
avait assisté ? Il me semble qu’il y aurait eu, dans ce cas,
matière à un sérieux traumatisme, préparant de façon
convaincante le basculement futur de Dark Vador.
Au lieu de ça, nous voyons le jeune Anakin prendre
un vaisseau et s’en aller quasiment sans obstacle ren-
verser à lui tout seul l’issue de la bataille finale.
Spectaculaire, mais émotionnellement plat.

N’oubliez jamais que les émotions des personnages


sont des points de repère essentiels pour les spectateurs.

Exercice 1
Intéressez-vous de près aux cinq à dix premières
minutes de votre film préféré. Identifiez chacune
des transformations émotionnelles vécues par les
personnages, puis relevez la manière dont ces
transformations sont préparées, exploitées et réso-
lues. Notez la durée de chaque séquence et le
timing des enchaînements.

LE RYTHME NARRATIF 126


Exercice 2
Livrez-vous au même exercice sur Au bout du
conte (Agnès Jaoui – 2013), en distinguant les dif-
férentes lignes narratives de ce récit à intrigues
multiples. Repérez les changements de rythme.

Exercice 3
Écrivez une scène dans laquelle le protagoniste
passe successivement et de façon crédible par les
émotions suivantes : l’espoir, la haine, le désir.

Et maintenant, voulez-vous voir :

l’importance des conflits


fi Cliquez ici
pour la progression ?

les possibilités qu’offrent les


fi Cliquez ici
ellipses temporelles ?

l’intérêt de croiser plusieurs


fi Cliquez ici
intrigues ?

Sinon, nous allons nous intéresser à la caractérisa-


tion, technique essentielle pour faire découvrir au spec-
tateur des personnages et un univers narratif.

LE RYTHME NARRATIF 127


Caractériser
les personnages
et l’univers
RENDRE UN RÉCIT VIVANT / LE MACGUFFIN /
RENDRE UN UNIVERS CRÉDIBLE
INTÉGRER LES PERSONNAGES ET L’UNIVERS DU RÉCIT /
ATTACHEMENT ET IDENTIFICATION /
CARACTÉRISER DU DÉBUT À LA FIN

Le pire pour votre spectateur, c’est de ne pas « entrer »


dans l’histoire que vous lui racontez. Le contexte lui reste
indifférent, il ne se sent pas concerné par les personnages,
ne parvient pas à s’impliquer dans les situations.
Bien sûr, on ne peut pas plaire à tout le monde, et il
peut arriver à n’importe qui de ne pas entrer dans un
film. La question n’est donc pas individuelle mais col-
lective : comment faire pour qu’un maximum de spec-
tateurs entre dans votre récit ?
Il y a plusieurs réponses à cette question, la première
d’entre elles tient en un seul mot, la caractérisation, der-
rière lequel se cachent plusieurs défis.
Caractérisation : ensemble des attributs (apparence,
costumes, etc.) et des comportements (actions, gestes,
etc.) qu’un auteur confère à un personnage pour le rendre
vivant, crédible.
Il s’agit d’abord de donner au spectateur, dès le début
de la narration, suffisamment d’éléments pour compren-
dre l’univers et les personnages du récit.

CARACTÉRISER LES PERSONNAGES ET L’UNIVERS 129


Cependant, si comprendre vos personnages et votre
univers est important et nécessaire, ce n’est pas suffisant,
pour que le spectateur vous suive.
La véritable clé pour entrer dans l’imaginaire du
spectateur, seul lieu où l’histoire que vous racontez
prend vie, c’est son émotion : l’adhésion, l’implication,
l’intérêt pour un récit passent immanquablement par
l’attachement émotionnel.
Un travail de caractérisation doit donc s’appuyer sur
deux objectifs parfois antinomiques mais pourtant indis-
sociables : faire autant comprendre que ressentir au
spectateur les enjeux de votre récit.

Comprendre suscite la fascination, ressentir


appelle l’identification et les deux conjugués nour-
rissent l’empathie.

Idéalement, une bonne caractérisation devrait res-


sembler suffisamment à la vraie vie pour que le specta-
teur puisse y croire.
D’où deux questions cruciales :
• Qu’est-ce qui rend un récit vivant ?
• Jusqu’à quel point le spectateur peut-il croire à un
récit de fiction ?

Comment rendre un récit vivant


Pour rapprocher un spectateur réel et un personnage
de fiction, Robert McKee69 vous dirait : « Écrivez la vérité »,
c’est-à-dire quelque chose qui ressemble à la vraie vie.

69. Dans Story (2000).

CARACTÉRISER LES PERSONNAGES ET L’UNIVERS 130


Sur quoi peut-on s’appuyer pour ressembler à la
vraie vie ?
Que signifie vivre ?
Qu’est-ce que la vie implique, que nous puissions
utiliser dans des histoires ?

À ma connaissance, le meilleur résumé des fonda-


mentaux de la psyché humaine a été proposé en Inde
par Siddartha Gautama, plus connu sous le nom de
Bouddha. Il sera en quelque sorte notre guest-star70 dans
ce chapitre.
Environ 500 ans avant Jésus-Christ, il énonça ce
qu’on appelle les quatre nobles vérités. Nous allons auda-
cieusement les considérer comme des outils du scéna-
riste et voir ce que nous pouvons tirer de chacune :

1. Vérité sur la souffrance (ou dukkha71, insatisfac-


tion) : la naissance est une insatisfaction, la vieillesse est
une insatisfaction, la maladie est une insatisfaction, la
mort est une insatisfaction, être uni à ce que l’on n’aime
pas est une insatisfaction, être séparé de ce que l’on aime
est une insatisfaction.
Remplacez le mot insatisfaction par frustration, souf-
france, imperfection ou conflit, et vous tenez une idée
essentielle, maîtresse, transposable à tout récit : pour
que votre caractérisation soit vivante, elle doit compor-
ter, pour tout ou partie de vos personnages, une diffi-
culté psychique ou physique.

70. Guest-star : littéralement « célébrité invitée ». À la télévision comme


sur Internet, les guest-stars sont un moyen de relancer ou d’entretenir
l’audience.
71. Dukkha vient du mot sanskrit original Dukha, souvent traduit par souf-
france, mais il peut aussi signifier insatisfaction. Je préfère ce dernier sens,
qui englobe le mal-être au-delà de la douleur physique.

CARACTÉRISER LES PERSONNAGES ET L’UNIVERS 131


En écrivant vos scènes de caractérisation, partagez
au plus tôt avec le spectateur ce qui ne va pas dans la
vie de votre personnage.
Son insatisfaction, sa souffrance, ou la perspective
de sa souffrance, détermineront de la façon la plus déci-
sive l’implication émotionnelle du spectateur.

2. Vérité sur l’origine de la souffrance : c’est cette


« soif » (tanha72) […] qui trouve sans cesse une nouvelle
jouissance tantôt ici, tantôt là, à savoir la soif des plaisirs
des sens, la soif de l’existence et du devenir et la soif de la
non-existence.
Ceci correspond parfaitement à la notion de désir
en dramaturgie.

Sans désir, pas de conflit, ni de récit.

John Truby73 lui aussi le dit bien : les désirs des per-
sonnages définissent les enjeux du récit. Désirs de jouis-
sance, de domination, de possession, de reconnaissance,
d’amour, d’immortalité, de mort…

3. Vérité sur la cessation de la souffrance : c’est l’an-


nihilation de cette soif, le rejet, la libération du désir.
Quels que soient son désir et les obstacles qui l’en
séparent, un personnage n’a jamais que deux choix : ten-
ter d’atteindre son but ou y renoncer. C’est alors une
remise en question des causes de son insatisfaction pour
les transformer et s’en libérer.
La notion importante ici est la transformation. Quand
les personnages peuvent se transformer, évoluer, un
récit gagne singulièrement en profondeur.

72. Tanha peut aussi se traduire par soif, avidité, désir, convoitise.
73. Dans Anatomie du scénario (2010).

CARACTÉRISER LES PERSONNAGES ET L’UNIVERS 132


Notez que dans un scénario, il peut s’agir d’une trans-
formation négative ou d’une transformation partielle.
Une transformation négative : dans Shining (Stanley
Kubrick – 1980), Jack (Jack Nicholson) devient fou et
tente de tuer sa femme et son fils.
Une transformation partielle : à la fin du film Les
Mondes de Ralph (Rich Moore – 2012), Ralph est plus
heureux, mais il est toujours un méchant dans le jeu
Felix Fixe Jr.

4. Vérité sur la voie menant à la cessation de la souf-


france.
C’est le noble sentier aux huit branches, qui sont :
compréhension Juste, intention Juste, parole Juste, action
Juste, moyen d’existence Juste, effort Juste, attention
Juste et concentration Juste74.
Pour les scénaristes, il s’agit de faire agir les person-
nages, en se rappelant que dans la vraie vie la plupart
des gens ne sont ni sages ni raisonnables.
Les huit branches du noble sentier octuple se révèlent
être une ressource inépuisable lorsqu’on en inverse
toutes les propositions.
Incompréhension, duplicité, mensonge, injustice,
triche, malversation, négligence et distraction, voilà notre
panoplie pour créer des conflits, des quiproquos, des
problèmes et des affrontements en tous genres.
Au fond, ce qui fait la matière d’un récit, c’est en
bonne part les faiblesses des personnages. C’est pourquoi
il est particulièrement utile de définir en amont de l’écri-
ture proprement dite leurs désirs, faiblesses et besoins.

74. La formulation proposée ici des quatre vérités est une synthèse de deux
traductions du Mahavagga : celle d’Alexandra David-Néel dans Le Boud-
dhisme du Bouddha (édition du Rocher – 1989), et celle de Rahula Walpola
(L’Enseignement du Bouddha – 1961).

CARACTÉRISER LES PERSONNAGES ET L’UNIVERS 133


Les désirs déterminent l’objectif poursuivi par le per-
sonnage. Les faiblesses sont ses points faibles, ses
défauts, ses fragilités.
Les besoins, souvent inconscients, correspondent à
des manques, des carences qui bloquent ou entravent
l’évolution du personnage. Pour les distinguer, pensez
qu’on peut combler un besoin, mais pas une faiblesse.
Dans Witness (Peter Weir – 1985), le protagoniste est
John Book (Harrison Ford). Sa faiblesse est sa confiance
excessive dans ses collègues, qui lui vaut d’être trahi et
gravement blessé. Son besoin : être aimé. Son désir : que
justice soit faite.
Dans Apollo 13 (Ron Howard – 1995), le protagoniste
est James Lovell (Tom Hanks), mais on peut considérer
tout l’équipage comme un groupe de protagonistes. Fai-
blesse : l’ambition, qui pousse ces hommes à partir pour
la Lune. Besoin : se serrer les coudes dans l’adversité.
Désir : accomplir leur mission honorablement au début,
revenir vivant coûte que coûte à la fin.
La faiblesse de Philippe Abrams (Kad Merad) dans
Bienvenue chez les Ch’tis (Dany Boon – 2008) est égale-
ment l’ambition. Son besoin : remettre en question ses
préjugés. Son désir : faire plaisir à sa femme et construire
ainsi un bonheur conjugal idéalisé. Ce désir évolue au fil
du récit.
Lorsqu’un besoin ou une faiblesse s’opposent à la
ligne de désir d’un personnage, il y a conflit interne,
donc mal-être, ce qui appelle l’empathie du spectateur
et son identification au protagoniste.
Vous devez au plus tôt faire comprendre au public
ce qui ne va pas, ce qui pose problème et après quoi
court votre protagoniste.

CARACTÉRISER LES PERSONNAGES ET L’UNIVERS 134


Le MacGuffin
Une astuce pour installer une ligne de désir : utiliser
un MacGuffin75. Il s’agit d’une information, d’un objet ou
d’un personnage que tout le monde veut trouver,
contrôler ou s’approprier, mais que le spectateur n’a pas
besoin de connaître ou de comprendre en détail.
• Dans La Mort aux trousses (Alfred Hitchcock –
1959), le premier MacGuffin est le personnage de
George Kaplan. Ensuite, ce sont les secrets d’état
volés par Vandamm (James Mason).
• Dans Il faut sauver le soldat Ryan (Steven Spielberg
– 1998), le MacGuffin est… le soldat Ryan (Matt
Damon).
• Dans Ennemi d’État (Tony Scott – 1998), l’enjeu est
un enregistrement vidéo prouvant la responsabi-
lité d’un responsable de la NSA76 dans l’assassinat
d’un député.

Comment rendre un univers crédible


Le maître mot, c’est la cohérence. Notez qu’un
monde cohérent n’est pas un monde parfait. Notre pro-
pre monde est loin d’être parfait, mais quand on l’étudie
avec attention, on découvre que même ses aspects
absurdes ont une origine, une explication… y compris
les injustices et les guerres.
Si votre récit se déroule dans un univers réaliste,
inspiré du monde réel, votre travail consiste à rassembler
une documentation sérieuse.

75. Le MacGuffin est expliqué par Alfred HITCHCOCK à François TRUFFAUT dans
leurs célèbres entretiens (Hitchcock/Truffaut – 1966).
76. NSA : National Security Agency. Organisme gouvernemental de la
Défense des États-Unis. C’est l’équivalent, toutes proportions gardées, de
la DGSI (ex-DST) française.

CARACTÉRISER LES PERSONNAGES ET L’UNIVERS 135


Pensez à la culture des Amishs de Witness (Peter
Weir – 1985), à la technologie de la NASA dans Apollo 13
(Ron Howard – 1995), au patois du Nord dans Bienvenue
chez les Ch’tis (Dany Boon – 2008) ou à l’organisation de
la mafia dans Le Parrain (Francis Ford Coppola – 1972)
et dans Les Affranchis (Martin Scorsese – 1990).
Cet extrait de conversation entre deux metteurs en
scène77 donne quelques pistes :

Akira Kurosawa : Et si vous essayiez d’adapter Sha-


kespeare en en faisant un jidai-geki78 ?
Hayao Miyazaki : Ah, c’est… (perplexe) Je dois com-
mencer par savoir ce qu’on mangeait, ce qu’on portait à
cette époque. Toute une foule de détails essentiels.
Akira Kurosawa : Il y a des documents là-dessus.

Les mœurs, les tenues vestimentaires, la situation


politique, la technologie, la langue, le climat, la géogra-
phie, l’aménagement du territoire, les techniques agri-
coles, la gastronomie, l’urbanisme, l’architecture, les
tabous, les routines quotidiennes…
Pour restituer une époque dans une fiction, tous ces
détails sont essentiels.

Si votre univers est lié à un genre précis, vous devez


prendre en compte certains codes implicites. Film de
zombie, western, conte de fée, thriller, policier, histoire
de super-héros, etc.
Vos spectateurs ont en tête des clichés, des arché-
types, des icônes qu’il faut prendre en compte.

77. Extrait d’un entretien enregistré en 1993, publié en juin 1998 par
HK Magazine.
78. Jidai-geki : littéralement Histoire des temps anciens. Genre à part entière
au Japon. Il définit les films historiques en costumes, comme Les Sept
Samouraïs (Akira Kurosawa – 1954) ou Le Héros sacrilège (Kenji Mizoguchi
– 1955).

CARACTÉRISER LES PERSONNAGES ET L’UNIVERS 136


Vous pouvez les suivre, les prendre à contre-pied
ou mélanger l’attendu et l’inattendu.
Même un univers totalement inventé doit avoir sa
logique interne, y compris pour des aspects apparem-
ment secondaires. Ce sont les détails et leur cohérence
qui donnent corps et crédibilité à un monde imaginaire.
Certains auteurs79 parlent de l’arène du récit.
L’arène, c’est le lieu où s’affrontent les gladiateurs,
mais aussi celui où le matador se retrouve face au tau-
reau. L’idée forte, c’est que des règles spécifiques régis-
sent l’existence des êtres qui évoluent ici, des règles inhé-
rentes au lieu et au contexte. Ce sont ces règles qu’un
auteur doit établir lorsqu’il développe son univers.

Cette étape du processus créatif prend du temps, et


nécessite d’interroger les conséquences et les implica-
tions de chacune des idées posées pour définir l’univers
du récit (ce que l’on appelle la diégèse80).

Prenons le cas d’un univers dans lequel les fantômes


existent. Vous parviendrez à le rendre cohérent en
répondant à un maximum de questions précises.

• À quelles conditions un mort devient-il un fantôme ?


Est-ce inéluctable ?
• Les fantômes peuvent-ils agir dans le monde des
vivants ?
• Peuvent-ils être vus ou entendus ou sont-ils invisi-
bles ?
• Peut-on les combattre ? À quelles armes sont-ils
sensibles ?

79. Par exemple John Truby dans Anatomie du scénario (2010).


80.Voir note page 29, cliquez ici.

CARACTÉRISER LES PERSONNAGES ET L’UNIVERS 137


• Les vivants peuvent-ils communiquer avec les fan-
tômes ?
• Si oui, comment ?
• Les gens ordinaires y croient-ils ou est-ce un secret?
• Un fantôme peut-il s’apaiser et cesser de hanter un
lieu ?

Toutes ces questions se sont posées à de nombreux


auteurs. Ils ont élaboré des univers très différents, en
fonction de l’histoire qu’ils voulaient raconter.

Petite liste non exhaustive :


• Les Contes de la lune vague après la pluie (Kenji
Mizoguchi – 1953) ;
• Poltergeist (Tobe Hooper – 1982), SOS Fantômes
(Ivan Reitman – 1984) ;
• Beetlejuice (Tim Burton – 1988) ;
• Histoire de fantômes chinois (Ching Siu-Tung –
1987) ;
• Ghost (Jerry Zucker – 1990) ;
• Fantômes contre fantômes (Peter Jackson – 1996) ;
• Sixième Sens (M. Night Shyamalan – 1999).

Chacun de ces récits fonctionne dans une diégèse81


différente, un univers spécifique doté de ses propres
règles, implicites ou explicites. Chaque question trouve
donc selon le scénario des réponses particulières, en
fonction des auteurs.
La grande règle, c’est que tout ce qui s’y déroule soit
en totale cohérence.
Ceci vaut pour tout univers inventé (science-fiction,
fantastique, animation), et également pour les films de
genre (horreur, policier, thriller, etc.).

81. Diégèse : voir note page 29, cliquez ici.

CARACTÉRISER LES PERSONNAGES ET L’UNIVERS 138


Les récits faisant intervenir le surnaturel, le fantas-
tique ou la science-fiction requièrent un développement
conceptuel de l’univers du récit qui doit aller au-delà
des seules apparences pour être convaincant.
Songez au Seigneur des anneaux (J.R.R. Tolkien –
1954), à Avatar (James Cameron – 2009) ou Harry Potter
(J.K. Rowling – 1997/2007).
Ces œuvres ont connu un grand succès, le public et
les critiques reconnaissant unanimement l’originalité, la
complexité et la cohérence de leurs univers respectifs.

Ce travail concerne toutes les formes de narration.


Citons :
• Le Trône de Fer de G.R.R. Martin (romans et série
télé) ;
• L’Histoire du futur de Robert A. Heinlein (nouvelles,
romans et films) ;
• La saga Vorkosigan de Lois McMaster Bujold
(romans) ;
• Nausicaä de la vallée du vent d’Hayao Miyazaki
(manga et film) ;
• Le Cycle de Dune de Franck Herbert (romans, film
et téléfilms) ;
• De Cape et de Crocs d’Alain Ayroles et Jean-Luc
Masbou (BD) ;
• Prince of Persia de Jordan Mechner et Yannis Mal-
lat (jeux, film) ;
• Le Disque-monde de Terry Pratchett (romans, BD,
film, série, jeu vidéo).

Le travail de développement requis pour obtenir un


univers qui se tient est considérable. Les auteurs de ces
œuvres-univers y ont consacré des années de leur vie.

CARACTÉRISER LES PERSONNAGES ET L’UNIVERS 139


Intégrer les personnages
et l’univers du récit
Concrètement, la caractérisation consiste à faire
comprendre et ressentir qui sont les personnages uni-
quement par leurs actions, gestes, expressions, dialogues
et par leurs relations aux choses ou aux gens.
Elle prend sens dans l’univers du récit, qu’il soit le
clone du monde réel ou un monde imaginaire complè-
tement fantaisiste. Il est très important de caractériser
conjointement les personnages du récit et l’univers dans
lequel ils évoluent.
Ceci implique une vraie réflexion pour définir l’uni-
vers, son histoire, les règles particulières qui le régissent
et la façon dont les personnages s’y intègrent et évoluent.
• Que serait le jeune Luke Skywalker (Mark Hamill)
dans un univers sans la Force, sans Jedi ? (La Guerre
des étoiles, George Lucas – 1977)
• L’acariâtre Phil Connors (Bill Muray) se remettrait-
il en question s’il n’était contraint de revivre sans
cesse la même journée ? (Un jour sans fin, Harold
Ramis – 1993)
• Le psychopathe Joseph Bouvier (Michel Galabru)
pourrait-il assassiner impunément autant de vic-
times si son histoire ne se déroulait pas en province
à la fin du XIXe siècle? (Le Juge et l’assassin, Bertrand
Tavernier – 1975)
• Des paysans japonais désespérés engageraient-ils
des samouraïs pour se protéger des bandits si le
récit ne se déroulait pas à l’époque Edo ? (Les Sept
Samouraïs, Akira Kurosawa – 1954)

Attachement et identification
L’attachement aux personnages passe à la fois par
l’humanité de leurs émotions et par la cohérence de

CARACTÉRISER LES PERSONNAGES ET L’UNIVERS 140


leurs actions/réactions avec le monde dans lequel ils
évoluent.
Les situations peuvent être étranges, fantastiques,
surnaturelles, ce n’est pas décisif pour l’adhésion du
spectateur. Ce qui compte vraiment, dans un monde de
fiction, c’est la crédibilité des réactions des personnages,
plus que celle de l’univers du récit.
Blanche-Neige et les sept nains (David Hand et Walt
Disney – 1937) se déroule dans un univers dessiné, assumé
comme irréel et fantaisiste, pourtant depuis plus de 75
ans ce récit garde une force et un impact surprenants.
Cette force tient essentiellement à la caractérisation
des personnages. La douceur et la naïveté de Blanche-
Neige, les personnalités contrastées des sept nains, la
froide méchanceté de la Reine. Chaque personnage est
un archétype psychologique, que le talent des dessina-
teurs a transcrit en images devenues depuis des icônes.
Ajoutez à cela une grande cohérence visuelle, une
utilisation incroyable des couleurs (qui en 1937 n’allait
pas de soi) et une logique interne impeccable…
Au final, même le style graphique propre à l’époque
se révèle caractérisant. Il participe à notre immersion
dans l’univers du récit, qui continue de fonctionner au
fil des décennies sur toutes les générations.

Procédons à une analyse plus détaillée de scènes de


caractérisation, issues cette fois de La Guerre des étoiles
(George Lucas – 1977).
En nettoyant le droïde D2-R2 dont son oncle vient de
faire l’acquisition, Luke (Mark Hamill) déclenche la diffu-
sion d’un fragment d’enregistrement holographique.
Une jeune femme (Carrie Fisher) apparaît en boucle,
prononçant les mots : « Au secours, Obi-Wan Kenobi,
vous êtes mon seul espoir ».

CARACTÉRISER LES PERSONNAGES ET L’UNIVERS 141


Luke se demande si elle ne parle pas du vieux Ben.
L’autre droïde, Z-6PO (Anthony Daniels), traduit les sons
de R2, suggérant de retirer le verrou électronique qui
l’entrave pour débloquer le reste du message… Luke
décide de prendre le risque, ce qui a pour effet inattendu
de couper la diffusion.
Luke, appelé par son oncle, doit provisoirement
renoncer à résoudre le problème.

Caractérisation des personnages Caractérisation de l’univers


• Luke sait s'occuper des robots • Discuter avec un robot est
(compétence). normal.
• Il est obéissant et serviable (qua- • Les robots sont des escla-
lités). ves.
• Son oncle lui fait faire des corvées • Les hommes ont besoin
d'entretien qu'il n'aime pas (mal- des robots pour leurs acti-
être). vités.
• Luke est attiré par la jeune fille • Les hologrammes 3D sont
(Leia) au premier regard (désir). courants.
• Il connaît peut-être le destinataire
du message (attente).
• D2-R2 a des ressources cachées
(on attend d'autres surprises pour
plus tard).
• Z-6PO est bavard, obséquieux et
guindé, mais lui seul peut échan-
ger avec D2-R2.
• Leia a un plan et elle a besoin
d'aide (appel de l'aventure).

Si elle participe en soi à la cohérence de l’univers,


une situation se révèle aussi caractérisante par les actes
qu’elle amène.

CARACTÉRISER LES PERSONNAGES ET L’UNIVERS 142


Remarquez dans cet exemple le nombre d’éléments
caractérisés implicitement, c’est-à-dire uniquement par
les actions des personnages.

Caractériser du début à la fin
Contrairement à une idée répandue, la caractérisa-
tion ne concerne pas uniquement la première partie du
récit. Elle s’étend sur toute sa durée et doit être envisagée
dans chaque scène.
La caractérisation continue permet de divulguer au
spectateur des indices de l’évolution82 (ou de la non-
évolution) des personnages.
Le spectateur perçoit ainsi les transformations des
personnages, en même temps que s’affine sa connais-
sance de l’univers du récit.
Ainsi, à la fin de Tootsie (Sydney Pollack – 1982), le
protagoniste Michael Dorsey (Dustin Hoffman) se
retrouve pour la première fois sous son apparence mas-
culine devant Julie (Jessica Lange), qui quelques jours
avant le prenait encore pour une femme.
Il va se faire pardonner ses mensonges, mais surtout
montrer qu’il a changé, avec ce dialogue truculent :

MICHAEL
J’ai été mieux comme mec avec toi
en étant une femme, que je ne l’ai
jamais été avec une femme en étant
mec. Faut encore que j’arrive à
vivre ça sans robe.

Jolie formule pour signifier sa transformation inté-


rieure.

82.Évolution des personnages : voir page 167, cliquez ici.

CARACTÉRISER LES PERSONNAGES ET L’UNIVERS 143


Exercice 1
Regardez (ou revoyez) Un jour sans fin (Harold
Ramis – 1993). Dans un tableau à 3 colonnes, iden-
tifiez pour chaque scène :
a) l’action qui s’y déroule ;
b) ce qu’elle caractérise des personnages ;
c) ce qu’elle caractérise de l’univers du récit.

Par quels procédés sommes-nous amenés à


accepter le fait que la même journée recommence
sans cesse ?

Exercice 2
Choisissez trois œuvres que vous aimez, et traitant
d’un thème commun (enquête policière, histoire
d’amour, de fantômes, de morts-vivants, de sor-
ciers, d’extra-terrestres, etc.).
Identifiez, par rapport à ce thème, les choix spéci-
fiques opérés par les scénaristes dans chaque dié-
gèse.
Présentez votre analyse sous la forme d’un tableau
à double entrée indiquant les questions com-
munes liées au thème, et les réponses différentes
correspondant à chacun des trois récits.

CARACTÉRISER LES PERSONNAGES ET L’UNIVERS 144


Exercice 3
Écrivez une scène caractérisant l’univers et les per-
sonnages suivants :
Nous sommes en 1797, à Saint-Domingue. L’escla-
vage a été aboli par la Convention trois ans plus
tôt. Ryme, quinze ans, est intelligent et costaud
mais c’est un métis. Il est timide et amoureux de
Mona, quinze ans elle aussi. Elle est attirée par lui,
mais elle est blanche… et sensible au regard des
autres : celui des jeunes de son âge, de ses parents,
et surtout des adultes de la communauté blanche
dominante, qui redoutent les pratiques occultes
des noirs (Vaudou).
Cette trame laisse volontairement une large place
à votre inventivité : à vous de vous poser des ques-
tions pour compléter et caractériser un univers qui
soit autant le vôtre que celui de vos personnages.
Peut-être aurez-vous aussi intérêt à faire quelques
recherches sur l’époque et la région concernées.

CARACTÉRISER LES PERSONNAGES ET L’UNIVERS 145


Et maintenant, voulez-vous :

revoir ce qui fonde la crédibilité


fi Cliquez ici
d’un récit ?

différentes options pour définir


fi Cliquez ici
un point d’entrée ?

travailler le passé (back-story)


fi Cliquez ici
de vos personnages ?

Sinon, voyons maintenant ce qu’il est possible de


faire avec la communication non-verbale, le non-dit et
le sous-texte.

CARACTÉRISER LES PERSONNAGES ET L’UNIVERS 146


Communication
verbale
et non verbale
PLUSIEURS MOYENS POUR CARACTÉRISER /
CRÉER DES DIALOGUES CRÉDIBLES /
COMMUNIQUER PAR L’ACTION / NON-DIT ET SOUS-TEXTE /
LA PUISSANCE DES ICÔNES / L’INTÉRÊT DES STARS /
ICÔNES ET CLICHÉS / COMMUNICATION SUBLIMINALE

Le dialogue est le moyen le plus immédiat pour deux


personnages d’échanger des informations. Pourtant, ce
n’est pas le seul. Parfois, on peut communiquer d’un
soupir.
Même rester silencieux, en réponse à une question,
peut être une manière de faire passer un message.
Il arrive qu’une communication par l’action soit plus
pertinente ou plus percutante qu’une ligne de dialogue.
Ouvrir une porte, sortir une arme, se jeter sur le sol… Gestes,
regards, expressions faciales, signes de la main, grimaces
ou grincements de dents; le recours aux codes gestuels
peut impacter n’importe quelle situation dramatique.
La communication peut aussi passer par des signes,
des symboles ou des icônes. Un agent montre sa carte
de police, un militaire porte les insignes de son grade,
un chrétien arbore une croix. À l’époque où j’enseignais
les sciences, certains collègues s’étonnaient que je ne
porte pas de blouse blanche, arguant que les élèves me

COMMUNICATION VERBALE ET NON VERBALE 147


respecteraient davantage si je me conformais à l’image
convenue du savant.
Des personnages de fiction crédibles useront de tous
ces moyens pour communiquer, et pas seulement du
dialogue.
Parfois, ce ne sont pas les mots prononcés, les gestes
accomplis ou les symboles affichés qui portent un sens,
mais ce qu’ils sous-entendent. Tout dialogue, et même
toute action peut ainsi comporter ce que l’on appelle
du sous-texte.

Plusieurs moyens pour


caractériser
La tendance naturelle de tout auteur est de faire
communiquer ses personnages comme lui-même com-
munique.
Le risque est d’aboutir à ce qu’ils s’expriment tous
de la même manière.
Quand on cherche à différencier de façon tranchée,
un autre risque est de tomber dans l’exagération ou la
caricature.
Pour trouver le bon équilibre, le mode de commu-
nication doit s’intégrer au développement des person-
nages. Si vous définissez soigneusement qui ils sont, il
sera plus facile de les différencier par la culture, le voca-
bulaire, l’éducation, les tics de langage, la diction, la
tenue, etc.
En construisant ces nuances pour ainsi dire de l’in-
térieur des personnages, à partir du passé que vous leur
prêtez, vous avez de bonnes chances de trouver pour
chacun un mode d’expression personnel, et donc carac-
térisant.

COMMUNICATION VERBALE ET NON VERBALE 148


Créer des dialogues crédibles
Il n’est pas évident de faire parler un personnage avec
un autre vocabulaire que le sien propre. Cela demande
souvent un travail de recherche et un entraînement, à
moins que vous ne puisiez dans votre propre culture.
Si, par exemple, votre récit fait intervenir un per-
sonnage québécois, vous aurez à cœur de placer dans
ses lignes de dialogue quelques expressions typiques.
Cela vous sera plus simple si vous-même êtes originaire
de la Belle Province.
Michel Audiard, grand dialoguiste, passait une partie
de son temps à écouter parler les gens et à noter les expres-
sions remarquables qu’il pouvait entendre. Rien ne vous
empêche d’en faire autant, si vous avez un projet de récit
impliquant une culture ou des coutumes particulières.
La question se pose aussi pour les personnages
détenteurs d’un savoir, d’une culture spécifique.
Dans Retour vers le futur (Robert Zemeckis – 1985),
le professeur Emmet Brown (Christopher Lloyd) se révèle
volubile et parfois grandiloquent. Régulièrement, il pose
sur ce qu’il voit des mots scientifiques. Marty McFly
(Michael J. Fox), en revanche, a un vocabulaire plus sim-
ple, et plus familier.

MARTY McFLY
Vous voulez dire que j’aurais un
ticket avec ma mère ! ? !
Oh, dur, c’est pas le pied.

EMMETT BROWN DE 1955


Encore ? Mais qu’est-ce que c’est que
ces histoires de pieds ? Les pieds
seraient le point sensible des
hommes du futur ? C’est peut-être dû
à un accroissement de la pesanteur.

COMMUNICATION VERBALE ET NON VERBALE 149


Dans L’Empire contre-attaque (Irvin Kershner –
1980), le personnage de Yoda (Frank Oz) utilise une syn-
taxe très particulière, devenue à elle seule un cliché :
Personne par la guerre ne devient grand.
Oh, ton père ? Un Jedi très puissant il était…
Depuis huit cents ans je forme des Jedi. À mon seul
jugement je me fie pour savoir qui doit être formé.
Sa façon de parler reste compréhensible tout en le
rendant unique.
Mais Yoda s’exprime aussi en redressant les oreilles,
en plissant le menton ou en écarquillant les yeux. Quand
Luke (Mark Hamill) lui demande s’il est bien Yoda, ce
dernier se contente de le regarder gravement en hochant
la tête, sans ajouter un mot.
Ici, on a du verbal et du non-verbal.

Communiquer par l’action


Au début du même film, Han Solo (Harrisson Ford) se
vante, devant Luke et Chewbacca (Peter Mayhew), des
sentiments que Leia (Carrie Fisher) éprouverait pour lui.
Leia le regarde alors avec mépris.

LEIA
Je crois que vous avez encore
beaucoup de choses à apprendre sur
les femmes.

Elle embrasse alors Luke à pleine bouche, devant


Solo médusé.
Ceci constitue un parfait exemple de communication
par l’action. Mieux qu’une grande explication énervée
avec Solo, ce geste permet à Leia de lui signifier ce qu’elle
ressent avec une force qu’aucun mot n’aurait pu avoir.

COMMUNICATION VERBALE ET NON VERBALE 150


Dans Les Tontons flingueurs (Georges Lautner –
1963), Fernand Naudin (Lino Ventura) doit reprendre en
main les affaires illégales de son ami Louis le Mexicain
(Jacques Dumesnil). Les sous-fifres du Mexicain l’accep-
tent très mal. Juste après le départ de Fernand d’une
réunion de travail chez Raoul Volfoni (Bernard Blier), ce
dernier s’emporte :

… Il connaît pas Raoul ce mec.


Il va avoir un réveil pénible. […]
Je vais le travailler en férocité,
faire marcher à coups de latte !
À ma pogne, je veux le voir ! Et je
vous promets qu’il demandera pardon.
Et au garde à vous.

À ce moment, on frappe à la porte. Volfoni ouvre, et


se fait étendre d’un direct en plein visage. Naudin était
resté. Sa réponse aux propos entendus est typiquement
une communication par l’action.
Plus tard dans le film, Naudin reçoit pour son anni-
versaire un paquet qui fait tic-tac et qu’il a tout juste le
temps de jeter dans le jardin avant explosion. CUT. On
frappe à la porte de Volfoni, il ouvre et trouve devant lui
Naudin, qui lui chante Happy birthday to you… avant de
l’étendre à nouveau d’un direct.
Selon le contexte, une chanson ou une danse peut
être un moyen de communiquer.
Ce sera le cas des comédies musicales, dans les-
quelles tout ou partie des dialogues sont chantés, et où
la danse peut aussi être importante. C’est un genre bien
établi, se déclinant sous tous les styles, du comique au
tragique.
Quoi qu’il en soit, la façon de communiquer d’un
personnage doit être cohérente avec sa personnalité,

COMMUNICATION VERBALE ET NON VERBALE 151


autrement dit avec sa caractérisation, tout comme avec
celle de l’univers où il évolue.
Parfois, on peut aussi se passer de dialogues.
Dans Raiponce (Nathan Greno et Byron Howard –
2010), qui intègre par ailleurs de nombreuses chansons,
les parents de la princesse n’ont pas une ligne de dia-
logue. Toutes leurs scènes fonctionnent uniquement
avec des gestes et des regards.
À l’époque du cinéma muet, des artistes comme Max
Linder, Charles Chaplin, Buster Keaton, Laurel et Hardy
ou Harold Lloyd ne pouvaient s’appuyer que sur quelques
intertitres pour faire un peu parler les personnages.
Tous développèrent des gestes, expressions,
mimiques, postures, réactions, regards… des éléments
non verbaux qui font autant partie de leur mode de com-
munication que de leur identité d’artiste.
Votre personnage est-il bavard ou laconique ? Est-il
vulgaire ou policé ? Est-il cultivé ? A-t-il des tics de lan-
gage ? Parle-t-il par gestes ? A-t-il du mal à trouver ses
mots ? Devient-il maladroit quand il est troublé ?
Chaque fois qu’un personnage peut exprimer
quelque chose autrement qu’avec des mots, ou en joi-
gnant le geste à la parole, vous devriez y réfléchir, et si
possible en jouer.

Non-dit et sous-texte
Communiquer sans mot, ou au-delà des mots, fait
appel à l’implicite.
Une scène dans laquelle les personnages ne disent
rien pourra être parfaitement compréhensible par les
actions concrètes qui y sont menées.
Quand des faits contredisent des dialogues, vous
obtenez du sous-texte.

COMMUNICATION VERBALE ET NON VERBALE 152


Dans Les Tontons flingueurs, après la dernière visite
de Naudin, Raoul décide de réagir.
RAOUL
Non mais il est dingue, ce mec ! […]
moi les dingues je les soigne.

Il ouvre un secrétaire.

RAOUL
Je m’en vais lui faire une
ordonnance…

Il sort un paquet de dynamite.

RAOUL
Et une sévère.

Nous avons tous les éléments en main pour com-


prendre ce que veut vraiment faire Raoul, et pour mesu-
rer l’ironie de ses propos. Un bon exemple d’une com-
munication intégrant dialogue et action, avec le
sous-texte en prime.

Vers la quarante-cinquième minute de La Mort aux


trousses (Alfred Hitchcock – 1959), nous retrouvons
Roger Thornhill (Cary Grant) dans un train, face à Eve
Kendall (Eva Marie Saint).
Elle lui dit savoir qu’il est recherché pour meurtre,
mais qu’elle ne compte pas le dénoncer.

ROGER
Pourquoi ?

EVE
Je vous l’ai déjà dit, vous me
plaisez.

COMMUNICATION VERBALE ET NON VERBALE 153


ROGER
C’est l’unique raison ?

EVE
C’est interminable, une nuit
en train…

ROGER (dubitatif)
Oui…

EVE
Et je trouve assez ennuyeux le
livre que j’ai commencé.
Vous avez compris ?

ROGER
Heu… Je réfléchis…

Long silence.

ROGER (souriant)
Oui. Je suis certain d’avoir
compris.

Vous avez déjà ici un splendide sous-texte. Mais la


scène n’est pas finie.

Eve sort une cigarette.

Roger sort ses allumettes, en craque une et


la tend à Eve.
Elle se penche vers lui la cigarette à la
bouche, et tient sa main le temps d’allumer
sa cigarette à la flamme de l’allumette.

Roger commence à retirer sa main, mais Eve


la retient du bout des doigts et souffle la
flamme.

COMMUNICATION VERBALE ET NON VERBALE 154


Je n’ai pas transcrit le dialogue qui accompagne cette
action, car ce qui nous intéresse, c’est le non-dit, le sous-
texte derrière ces gestes.
La flamme est bien évidemment un des symboles
de la passion.
Quand Eve sort une cigarette, le sous-texte est :
« Saurez-vous allumez la flamme de mon désir ? »
En lui tendant l’allumette enflammée, il répond :
« Oui, voyez comme moi-même je brûle pour vous. »
En lui tenant la main tandis qu’elle allume sa ciga-
rette, elle suggère un lien direct entre contact physique
et embrasement.
Lorsqu’elle souffle la flamme après avoir aspirée la
première bouffée de sa cigarette, son geste signifie :
« Nous pouvons assouvir ensemble nos désirs ».

User du sous-texte peut merveilleusement pimenter


une scène, lui donner une dimension comique, érotique,
ou même tragique.

Le sous-texte peut être limpide, mais il peut aussi


être ambigu.
On peut alors l’utiliser pour créer des quiproquos ou
orienter le spectateur sur une fausse piste.

La puissance des icônes


Toute communication s’appuie sur le déjà là du réci-
piendaire, c’est-à-dire sa culture. J’écris, et vous savez
lire. Je photographie ou je filme, et vous interprétez les
images. Je joue un air, je chante une chanson, et peut-
être connaissez-vous la mélodie.
En tant qu’espèce sociale, l’humanité partage diffé-
rents modes de communication, mais aussi une

COMMUNICATION VERBALE ET NON VERBALE 155


mémoire de cette communication. L’existence de pays,
langues, et par conséquent de cultures différentes, n’a
que peu d’importance.
Les fondamentaux humains sont partout les mêmes.
Nous communiquons à partir de références com-
munes, et ces références vont souvent au-delà de la
langue et des coutumes. Elles résultent de la très longue
et très complexe histoire de notre espèce.
Le développement des moyens de communication
depuis l’invention de l’écriture a conduit à une massifi-
cation de la culture et à l’émergence du phénomène
iconique.
De quoi s’agit-il ?
Pour faire simple, il s’agit des références communes
par lesquelles nous comprenons le monde et commu-
niquons entre humains.
Il existe toutes sortes de références : images, repré-
sentations, schémas, paroles, gestes, sons, vêtements,
formes, formules, proverbes, etc.
Le soleil de la météo, le champignon atomique, le
signe de la victoire, le symbole de la paix, l’étoile de
David, un chapeau haut-de-forme, un panneau STOP,
la formule E = mc2, la phrase « Un tiens vaut mieux que
deux tu l’auras »…
Parmi les représentations iconiques, il y a aussi des
œuvres, des actions et des situations que l’histoire a
rendu célèbres : le sourire de la Joconde, Einstein tirant
la langue, Marilyn Monroe retenant sa jupe au-dessus
de l’aération du métro83, l’assassinat de John F. Kennedy84,
les marines plantant le drapeau américain sur l’île d’Iwo

83. Ce plan vient du film Sept ans de réflexion (Billy WILDER – 1955).
84. Filmé par Abraham ZAPRUDER à Dallas le 22 novembre 1963.

COMMUNICATION VERBALE ET NON VERBALE 156


Jima, un landau dévalant l’escalier du port d’Odessa85,
Jésus sur la croix, etc.
Les personnages archétypaux ont également valeur
iconique, qu’ils soient inventés ou réels : Charlot, la
Vierge Marie, Gandhi, Superman, Mère Thérésa…
Tout média peut utiliser des icônes et en créer.

Prenons la statue de la Liberté. Voilà une statue célèbre,


devenue symbole du rêve américain, dont le sens premier
était de représenter, sous les traits d’une femme, La liberté
éclairant le monde. C’est d’ailleurs son nom officiel.
Offerte par la France pour le centenaire de la décla-
ration d’indépendance des États-Unis, elle apparaît dans
de très nombreuses œuvres au point d’être devenue une
icône au-delà de son sens premier.
Par exemple, à la fin de La Planète des singes (Fran-
klin J. Schaffner – 1968), le protagoniste Taylor (Charlton
Heston) découvre sur une plage les ruines de la statue
de la Liberté, révélant qu’il se trouve sur Terre et que
ses ancêtres ont détruit sa civilisation. Cette image est
devenue une icône, liée à la peur d’un conflit atomique.
Ceci pour nous amener à l’utilisation des icônes dans
un scénario.
Cela va du simple clin d’œil rappelant une œuvre
préexistence, à la référence ostensiblement affichée,
mais concerne aussi l’utilisation de visages célèbres ou
de citations connues.
Pour fonctionner, une référence doit être largement
connue du public.
Si ce n’est pas le cas, vous ferez un private joke, qui
ne touchera que vos proches et quelques passionnés.

85. Le plan le plus célèbre du film Le Cuirassé Potemkine (Sergueï EISENSTEIN


– 1925).

COMMUNICATION VERBALE ET NON VERBALE 157


Il en sera de même pour les caméos, les apparitions
brèves de personnalités. Faites toujours en sorte, quand
vous prévoyez un caméo ou un clin d’œil, qu’il n’ait pas
d’impact sur l’intrigue principale. Ainsi, les spectateurs
ratant le clin d’œil ne risqueront pas de se déconnecter
du récit.
Par exemple, le metteur en scène Brad Bird a fait
des caméos avec Ollie Johnston et Frank Thomas86, dans
ses films Le Géant de Fer (1999) et Les Indestructibles
(2004). Ces apparitions brèves, passées complètement
inaperçues pour la plupart des spectateurs, ne les ont
aucunement empêchés d’apprécier les films.
Certaines icônes, que nous pourrions croire univer-
selles, sont liées à l’histoire d’un pays ou d’une région.
Au Japon, par exemple, les temples Shintô sont indiqués
sur les plans et cartes touristiques par des svatiskas. Ces
signes ressemblent beaucoup à des croix gammées, mais
n’ont pas du tout la même signification en Asie.
Ce n’est pas une mince affaire que d’identifier et
d’utiliser des icônes universelles. Il se trouve que le
cinéma, par la diffusion mondiale d’œuvres issues de
pays très différents, est à la confluence des cultures.
C’est un des plus puissants médias pour créer, utiliser,
transformer ou détourner les icônes.
Ainsi, dans Charlie et la chocolaterie (Tim Burton –
2005), un appareil téléporte une tablette de chocolat
pour la faire apparaître dans l’écran d’une télévision, où
le spectateur peut venir la prendre. Or, l’expérience se
déroule pendant la rediffusion du film de Stanley Kubrick
2001 : l’odyssée de l’espace (1968).

86. Ollie JOHNSTON et Frank THOMAS étaient deux animateurs vétérans des
studio Disney, auteurs du livre The Illusion of life, une référence pour les
animateurs du monde entier.

COMMUNICATION VERBALE ET NON VERBALE 158


La tablette téléportée se retrouve en lieu et place
d’un mystérieux monolithe noir, bien connu des ama-
teurs de science-fiction, et dont la nature fait l’objet de
débats passionnés depuis des décennies.
Qu’est-ce donc que ce monolithe? Un artefact extra-
terrestre? Un message divin? Une porte dimensionnelle?
Tim Burton nous répond qu’il s’agit d’une tablette de cho-
colat. Un pur gag au second degré, que les spectateurs les
plus jeunes ne peuvent probablement pas comprendre.
Or, ce film de Burton utilise une quantité extraordi-
naire de références, d’icônes et de clins d’œil, c’est un
de ses traits distinctifs.
En adaptant le livre éponyme de Roald Dahl, Burton
s’attaquait à un classique, qui de plus avait déjà fait l’objet
d’une adaptation en 1971. Une histoire déjà connue d’une
large part du public et déjà adaptée, c’est un défi redou-
table. Comment faire une œuvre originale et personnelle?
Le metteur en scène décide d’assumer toutes les
icônes inhérentes à son sujet, d’en jouer et d’en faire un
thème caché de son film.
• La maison biscornue et misérable de la famille de
Charlie est une icône de l’échec social et de la pau-
vreté.
• La fantaisie et l’opulence de la chocolaterie de
Willy Wonka constituent une représentation ico-
nique de la vie rêvée.
• Les autres enfants sont tous des caricatures, des
archétypes négatifs incarnant divers défauts.
• Les parents eux-mêmes sont caractérisés à l’ex-
trême, chacun ayant failli à sa manière dans l’édu-
cation de son enfant.
• Charlie est l’archétype du pauvre dont la famille
est la seule richesse.

COMMUNICATION VERBALE ET NON VERBALE 159


• Willy Wonka est l’archétype du riche excentrique
souffrant de solitude.
Tim Burton traite toutes ces icônes d’une manière
ultra-parodique parfaitement assumée. La présence de
Johnny Depp au générique, dans le rôle du fantasque
Willy Wonka, est elle aussi un jeu iconique, l’acteur paro-
diant par moments d’autres rôles tenus dans d’autres
films du cinéaste.

L’intérêt des stars


Alfred Hitchcock87 cherchait toujours à avoir des stars
dans le casting de ses films. Il s’agissait pour lui de faci-
liter l’identification des spectateurs au protagoniste, en
jouant précisément sur l’effet iconique d’une célébrité.
Aller au cinéma est une activité sociale. Retrouver à
l’écran des acteurs déjà connus et appréciés donne le
sentiment d’être un peu en famille, d’être accueilli dans
l’univers du récit. Parfois, une actrice particulièrement
en vogue assure le succès de l’œuvre par sa seule pré-
sence au générique.
Ce type d’effet concerne aussi les acteurs associés à
un rôle particulier ou à un personnage récurrent. Charlot,
Scarlett O’Hara, James Bond, Ellen Ripley, Indiana Jones
ou Jason Bourne sont devenus des icônes par le succès
important des œuvres où ils apparaissent.
Le phénomène joue également sur les voix en ani-
mation. Tex Avery reconnaissait que la voix de Bugs
Bunny était essentielle à la caractérisation du person-
nage. Peut-être ne connaissez-vous pas le nom de Mel
Blanc, mais je suppose que vous avez en tête les voix de
Bugs Bunny, Daffy Duck, Porky Pig ou Speedy Gonzales.
Toutes sont faites par ce même acteur.

87. Dans Hitchcock/Truffaut (François TRUFFAUT – 1962).

COMMUNICATION VERBALE ET NON VERBALE 160


Plus près de nous, le succès des Shadoks (René Borg
et Jacques Rouxel – 1968) tient en partie à la voix parti-
culière du narrateur, Claude Piéplu.
Si le phénomène de starisation apporte un plus, il
ne garantit pas la qualité d’un film. John Travolta, par
exemple, est clairement devenu un acteur iconique
après ses rôles dans La Fièvre du samedi soir (John Bad-
ham – 1977) et Grease (Randal Kleiser – 1978). Mais durant
la décennie suivante, il a surtout joué dans des films
médiocres, ternissant son image. Sa notoriété est remon-
tée avec Pulp Fiction (Quentin Tarantino – 1994), relan-
çant sa carrière.
Michel Serrault, plusieurs fois lauréat du César du
meilleur acteur, reconnaissait avoir joué dans un très
grand nombre de navets retentissants.
Avoir une idée du casting en écrivant un scénario
peut être très utile, si vous obtenez d’une star un accord
de principe pour jouer dans votre film.
Vous trouverez plus facilement un producteur. Mais
si votre projet est vraiment bon, il devrait aussi pouvoir
s’en passer.

Icônes et clichés
Les grandes stars sont souvent des personnalités
positives, mais pas toujours. Lee Van Cleef, par exemple,
est devenu célèbre en jouant les méchants. De même,
les icônes humaines ne sont pas toujours positives. Gen-
gis Khan, Joseph Staline ou Adolph Hitler sont des icônes
aussi universellement connues que Dark Vador ou la
sorcière de Blanche Neige.
De nombreux signes iconiques ont une connotation
négative : le symbole de la radioactivité, la guillotine, le
Jolly Roger (aussi appelé pavillon noir), ou la tenue
blanche encapuchonnée du Ku Klux Klan.

COMMUNICATION VERBALE ET NON VERBALE 161


L’avantage d’une icône pour le scénariste, c’est de
renvoyer le spectateur à un archétype qu’il a en mémoire,
dont le sens s’impose en un instant sans avoir besoin
d’explication. Un homme porte un crucifix ? C’est un
chrétien. Il enfile un brassard arborant une croix gam-
mée ? C’est un nazi. Recourir à des icônes permet de
faciliter la tâche de l’auteur pour caractériser les per-
sonnages et les situations.
Les icônes se révèlent particulièrement intéressantes
quand elles se contredisent. Au début de La Liste de
Schindler (Steven Spielberg – 1993), le protagoniste
embrasse une croix chrétienne, puis il fixe une croix
gammée sur sa veste. Deux icônes apparemment oppo-
sées, pour caractériser un personnage complexe.

Comme toute image, une icône peut être détournée,


décontextualisée ou renversée. Nous l’avons vu pour la
statue de la Liberté, mais ce sera le cas de n’importe
quelle icône.
Le film JCVD (Mabrouk El Mechri – 2008), par exem-
ple, propose une mise en abyme88 surprenante de l’icône
Jean-Claude Van Damme. Dans ce film, l’acteur joue son
propre rôle.
Il se retrouve pris en otage dans un braquage de
banque. Tout le monde s’attend à le voir maîtriser les
voleurs à grand renfort de Karaté et de Kung-Fu.
Or nous sommes en Belgique dans le monde ordi-
naire et pas dans une superproduction hollywoodienne.
Le vrai Jean-Claude n’aime pas risquer sa vie ni celle des
autres. Il se comporte en otage modèle et reste tranquille.
Pour les policiers, ce comportement est incompatible

88. Mise en abyme : procédé consistant à utiliser une image à l’intérieur


d’elle-même. Par exemple un film sur le tournage d’un film, une chanson
parlant de la carrière du chanteur, un dessin montrant une main se dessi-
nant elle-même. C’est un moyen de prendre du recul, de proposer un point
de vue distancié avec un sujet ou un thème.

COMMUNICATION VERBALE ET NON VERBALE 162


avec l’image qu’ils ont de l’acteur, et du coup, ils le soup-
çonnent de complicité avec les braqueurs.
Ceci nous amène à la question des clichés. Un cliché
est une image ou une situation, que nous avons telle-
ment vue et revue qu’elle est devenue un lieu commun,
sans originalité. Un bandit pourchassé par un gendarme,
c’est un cliché. Un prince qui enlève une princesse aussi.
Il y en a des centaines, et tous, comme les icônes, sont
liés à la mémoire et à la culture qui nous est commune.
Jean-Claude Van Damme, par exemple, réussit à être
à la fois une star, une icône et un cliché, mais ce n’est
pas donné à tout le monde.
Quand on écrit, le premier jet risque toujours de
comporter un ou plusieurs clichés, car comme les arché-
types, les clichés sont des icônes. La question est de
savoir quoi en faire.
« Il vaut mieux partir d’un cliché qu’y arriver. »
Alfred Hitchcock
Les spectateurs accepteront toujours qu’un récit parte
d’une situation vue et revue. En revanche, ils vous atten-
dent au tournant pour savoir ce que vous allez en faire.
Plutôt que d’essayer à toute force de bannir les cli-
chés de vos histoires, essayez de les assumer, de les
intégrer et d’en faire quelque chose d’inattendu et ori-
ginal, comme l’a fait El Mechri dans JCVD.

Communication subliminale
Un message subliminal est un stimulus, visuel ou
auditif, trop faible pour être perçu consciemment, mais
suffisant pour impacter l’inconscient.
Le sujet est sulfureux, relevant historiquement du
vocabulaire publicitaire, associé à la propagande et à la

COMMUNICATION VERBALE ET NON VERBALE 163


manipulation de l’opinion. Néanmoins, c’est un moyen
de communication dont un cinéaste peut se servir.
Le procédé a été utilisé par David Fincher dans son
film Fight Club (1999) sous forme d’images insérées dans
le montage du film et faisant apparaître pendant un
vingt-quatrième de seconde le personnage de Tyler Dur-
den (Brad Pitt).
En principe, ce type d’effet ne relève pas du travail
du scénariste, sauf s’il s’agit à un moment ou à un autre
de l’exploiter dans une intrigue.

Exercice 1
Intéressez-vous au personnage du cheval Maximus
dans Raiponce (Nathan Greno et Byron Howard –
2010).
Comment communique-t-il avec les différents
humains qu’il côtoie au long du film ? Intéressez-
vous particulièrement à sa gestuelle lors de sa pre-
mière rencontre avec Raiponce. Quel autre animal
a pu inspirer les animateurs ?

Exercice 2
Au début de To Be or Not to Be (Ernst Lubitsch –
1942), Maria Tura (Carole Lombard) reçoit dans sa
loge le lieutenant Sobinski (Robert Stack). Leur dia-
logue comporte un sous-texte assez truculent que
je vous invite à analyser en détail.

COMMUNICATION VERBALE ET NON VERBALE 164


Exercice 3
Parmi les icônes incontournables du XXe siècle,
Nelson Mandela est en bonne place. Comparez
son traitement dans Goodbye Bafana (Bille August
– 2007), Invictus (Clint Eastwood – 2009) et Un
long chemin vers la liberté (Justin Chadwick – 2013).

Exercice 4
Relisez vos propres scénarios et cherchez à quels
endroits vous pourriez jouer davantage avec le
non-verbal, le sous-texte et le non-dit.

Et maintenant, voulez-vous :

relier sous-texte et ironie


fi Cliquez ici
dramatique ?

utiliser du sous-texte pour créer


fi Cliquez ici
de fausses pistes ?

intégrer le non-verbal à des effets


fi Cliquez ici
dramatiques ?

Sinon, voyons maintenant un moyen efficace pour


donner sens à n’importe quel récit : l’évolution des per-
sonnages.

COMMUNICATION VERBALE ET NON VERBALE 165


Faire évoluer
les personnages
QUI EST LE PROTAGONISTE? / CHOIX ET TRANSFORMATION /
LA RÉGRESSION, UNE ÉVOLUTION NÉGATIVE /
CAS DES PERSONNAGES RÉCURRENTS /
ÉQUILIBRER SURPRISE ET VRAISEMBLANCE /
SYMBOLES ET MYTHOLOGIE / VIE ET TRANSFORMATION /
LES 7 POINTS DE TRUBY / LE VOYAGE DU HÉROS

Quelle que soit l’intensité des scènes qui le consti-


tuent, un récit ne prend tout son sens que par la trans-
formation des personnages. C’est un des éléments com-
muns à beaucoup de grands chefs-d’œuvre du cinéma,
de la littérature, de la bande dessinée, du théâtre et
même du jeu vidéo.
Il s’agit bien évidemment ici de transformation psy-
chologique. Cette transformation, pour créer de l’émotion,
ne doit être ni facile ni simple: il faut au contraire qu’elle
intervienne dans l’adversité, les épreuves et les conflits.
« À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. »
Le Cid (Corneille – 1637)
Il s’agira d’orchestrer votre récit en un enchaînement
cohérent de problèmes et d’obstacles, amenant vos per-
sonnages (en particulier le protagoniste) à des actions
de plus en plus risquées.
Des difficultés croissantes font peser sur eux des
tensions de plus en plus importantes, les poussant à

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 167


remettre en question leur façon de faire, leur façon de
voir et, ultimement, leur façon de penser.

Qui est le protagoniste ?


De tous les personnages, c’est celui qui vit le plus de
conflits89, et donc qui traverse le plus de difficultés, ame-
nant le spectateur à éprouver de l’empathie pour lui. On
peut avoir aussi un duo ou même un groupe de prota-
gonistes, à condition qu’ils partagent un objectif, des
valeurs et la plupart des conflits.
Qui dit conflit dit action, car c’est par ses actions que
nous comprenons qui est le protagoniste et que le récit
avance.
Point important, ce sont les erreurs liées à ses fai-
blesses et ses difficultés à se remettre en question qui
donnent au protagoniste sa dimension pleinement
humaine, appelant le spectateur à s’identifier à lui.

Choix et transformation
Chaque étape de l’évolution d’un personnage devrait
correspondre à un véritable choix de sa part.
Pas un choix entre une bonne et une mauvaise chose,
mais un authentique dilemme : le choix doit induire un
renoncement net, sans retour en arrière possible.
• Le personnage doit choisir entre deux maux, par
exemple trahir ses parents ou la femme qu’il aime.
• Il doit choisir entre deux bonheurs, par exemple obte-
nir une promotion ou faire le voyage de ses rêves.
• Le choix remet en cause ses valeurs, si par exemple
il est pacifiste mais qu’un ennemi le menace d’une
arme mortelle.

89. Dans La Dramaturgie (Yves LAVANDIER – 2008).

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 168


• Ne pas agir aurait des conséquences, par exemple
il sait qu’un crime se prépare et, s’il ne fait rien
non seulement quelqu’un va mourir, mais en plus
on risque d’accuser le protagoniste de complicité.

Prenez Antoine Doinel, le personnage emblématique


incarné par Jean-Pierre Léaud dans plusieurs films de
François Truffaut.
Dans chacun des récits où il intervient, nous assis-
tons à un passage : de l’enfance à l’adolescence dans Les
Quatre cents Coups (1959), de l’adolescence à l’âge adulte
dans Baisers volés (1968), de jeune époux volage à époux
fidèle dans Domicile conjugal (1970).
À chaque fois, il se trouve tôt ou tard dans une situa-
tion inextricable l’obligeant à renoncer à quelque chose.

La régression, une évolution négative


L’évolution d’un personnage n’est pas forcément
positive, ni linéaire. Un récit peut parfaitement fonc-
tionner en relatant la régression d’un personnage jusqu’à
sa folie (Shining – Stanley Kubrick – 1980), sa corruption
(La Couleur de l’argent – Martin Scorsese – 1986) ou son
cheminement vers la mort (American Beauty – Sam
Mendes – 1999).
Parfois la trajectoire du personnage l’amène à renier
sa propre progression et à redevenir ce qu’il avait cessé
d’être, avec une valeur morale ambiguë :
• Memento (Christopher Nolan – 2000) ;
• A History of Violence (David Cronenberg – 2005).

On peut aussi construire un récit avec une ascension


suivie d’une chute, un effet crescendo/decrescendo :
• Scarface (Brian de Palma – 1983) ;

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 169


• Les Affranchis (Martin Scorsese – 1990) ;
• Blow (Ted Demme – 2001).

Cas des personnages récurrents


Notons aussi que dans le cas des séries, les auteurs
décident parfois de conserver les personnages récurrents
identiques du début à la fin. C’est le cas du lieutenant
Colombo dans la série éponyme (Richard Levinson et
William Link – 1971/2003), mais aussi de l’équipage de
l’Enterprise dans les premières séries Star Trek (Gene
Roddenberry – 1966/1969).
De même, la caractérisation de James Bond n’évolue
pas vraiment d’un film à l’autre, en dehors des nuances
apportées par les acteurs successifs qui ont incarné le
personnage.
On peut donc parfaitement réussir un scénario avec
des personnages qui évoluent peu, ou pas.
Il s’agit donc d’un choix narratif qui doit répondre à
un impératif dramaturgique. Faire évoluer un person-
nage doit donner du sens au récit, sinon c’est un déve-
loppement inutile.

Dans beaucoup de séries, chaque épisode constitue


une étape dans un récit plus vaste. Ce sont les feuilletons
ou séries feuilletonnantes. Là, on aura de temps en
temps un épisode marquant une évolution remarquable
d’un ou plusieurs personnages.

Équilibrer surprise et vraisemblance


Pour être réellement intéressante, une évolution de
personnage ne devrait être ni linéaire ni prévisible, tout
en restant vraisemblable.

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 170


Lorsqu’on élabore l’univers du récit, il faut garder à
l’esprit que c’est d’abord dans ce contexte-là que l’évo-
lution du personnage prend sens. Un dénouement dans
lequel le prince épouse la princesse, ça marche dans un
univers de conte de fées, mais pas dans un film de Quen-
tin Tarantino.

L’image de fin des Dents de la mer, (Steven Spielberg


– 1975) montrant le chef Brody en train de nager, arrive en
conclusion d’un duel à mort face à un requin. Nous savons
que Brody était hydrophobe au début du récit, nous pou-
vons mesurer à quel point cette aventure l’a changé.

Dans plusieurs films des frères Cohen (Fargo – 1996,


The Big Lebowski – 1998, O’Brother – 2000, True Grit –
2010), la difficulté des personnages à se remettre en ques-
tion les entraîne vers un destin parfois absurde et cruel…
mais cohérent dans l’univers décalé où ils évoluent.

Symboles et mythologie
Au-delà de cette cohérence, on peut aussi tenter de
donner à l’évolution des personnages une valeur sym-
bolique ou même mythologique. Le spectateur sentira
que votre récit le touche davantage même s’il ne sait
pas pourquoi.
• Le fait que Luke Skywalker devienne un chevalier
Jedi a une valeur dans l’univers de La Guerre des
étoiles. Le chevalier est un symbole qui fait écho
aux romans de chevalerie, à la spiritualité orientale
et aux contes de fée. Symboliquement, l’adoube-
ment final de Luke est un passage à l’âge adulte.
Son histoire renvoie aux grands récits initiatiques,
qui touchent le spectateur parce qu’il a vécu, vit
ou aimerait vivre ce type d’expérience.

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 171


• Le robot-tueur venu du futur dans Terminator
(James Cameron – 1984) évoque le mythe du
Golem : une créature créée par l’homme, mais dont
le pouvoir se retourne contre son créateur. Les
humains qui l’affrontent ont précisément pour but
de sauver l’humanité d’un futur dominé par les
machines.
• L’histoire d’E.T. l’extraterrestre (Steven Spielberg –
1982) suit les mêmes grandes étapes que la vie de
Jésus : E.T. vient du ciel, accomplit des miracles,
délivre un message d’amour, subit de mauvais trai-
tements de la part des humains, meurt, ressuscite
et remonte au ciel.
• La créature du film Alien — Le huitième passager
(Ridley Scott – 1979) doit pondre des œufs dans le
corps d’êtres humains pour se reproduire. Ses
actions recouvrent à la fois la symbolique du viol
et celle de la possession diabolique. Ripley (Sigour-
ney Weaver) survit et élimine le monstre, incarnant
à la fois la pureté du corps et celle de l’âme.

Vie et transformation
Qu’est-ce que vivre, sinon traverser une multitude
d’expériences transformantes ? Nous commençons par
la naissance pour finir par la mort, et entre les deux,
nous pouvons appendre, grandir, désirer, lutter, aimer,
décider, renoncer, nous remettre en question, échouer,
réussir, etc.
L’évolution d’un personnage doit être inattendue,
mais pour être intéressante elle doit aussi renvoyer cha-
cun à un motif psychologique profond et signifiant dans
lequel il puisse se reconnaître.
Concrètement, plusieurs schémas peuvent guider le
scénariste lorsqu’il élabore les étapes de l’évolution d’un

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 172


personnage, pour constituer ce qu’on appelle aussi un
arc (ou une courbe) dramatique.
John Truby90 identifie 7 points importants dans
l’évolution d’un personnage, que je résume ainsi :

Les 7 points de Truby (résumé)


1. Le besoin moral fi problème initial = faiblesse et
besoin psychologique.
2. Le désir fi ce que veut le protagoniste.
3. L’adversaire fi antagoniste simple ou multiple.
4. Le plan foireux fi le protagoniste met en place une
stratégie qui échoue.
5. La bataille fi confrontation décisive, inéluctable et
irréversible.
6. La révélation à soi-même fi le protagoniste change.
7. Le nouvel équilibre fi la situation est stabilisée, en
bien ou en mal.

Dans son modèle complet, Truby propose en tout 22


points à travailler pour construire l’évolution des per-
sonnages. Certains concernent le récit pris dans sa glo-
balité, d’autres s’attachent au passé du personnage, à des
notions psychologiques ou à des mécanismes narratifs.
Concrètement, ce système est un intéressant moyen
de vérifier qu’on n’a rien oublié d’important, mais ce
n’est pas un mode d’emploi ou une recette toute faite.
Une précision. L’étape 4 est décrite par Truby sous
le nom de plan du héros, mais je préfère parler de plan
foireux, car ce plan doit échouer.
Le plan foireux correspond à une action au résultat
négatif en dépit de la bonne volonté de son auteur, ou

90. Anatomie du scénario (John TRUBY – 2010).

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 173


positif alors qu’il tentait de faire le mal. Il se trouve dans
les deux cas en situation d’échec personnel.
J’y vois en fait une autre façon de présenter l’ha-
martia91 telle que la définit Aristote.
C’est la confrontation à l’échec, et si possible une
confrontation répétée, qui pousse in fine le protagoniste
dans ses retranchements, et même idéalement « à la
limite extrême de ce dont il est humainement capa-
ble »92. Là, et seulement là, sa transformation apparaît
comme crédible. Plus un personnage se trompe, échoue
et voit ses actes produire des effets contraires à ses
vœux, plus sa transformation intérieure sera vécue
intensément par les spectateurs.
On peut recouper le travail de John Truby avec celui
de Joseph Campbell.
Dans son livre Le Héros aux mille et un visages,
Campbell proposait dès 1948 une typologie des héros
mythologiques ainsi qu’un schéma fondateur commun
à tous les grands mythes de l’histoire humaine.
Le Monomythe campbellien comporte une succes-
sion d’étapes que le héros doit traverser.

Le voyage du héros de Campbell


(résumé)
1. Le monde ordinaire fi caractérisation de l’univers
et de la place initiale du héros.
2. L’appel de l’aventure fi un événement pousse le
héros à s’engager dans une quête.

91. Pour ARISTOTE (Poétique – 335 avant J.C.), [Le protagoniste] est un homme
qui n’a rien de supérieur par son mérite ou ses sentiments de justice, et qui
ne doit pas à sa perversité et à ses mauvais penchants le malheur qui le
frappe, mais plutôt à une erreur (ou faute, ou péché) qu'il commet pendant
qu’il est en pleine gloire et en pleine prospérité.
92. Le conseil est de Robert MCKEE (Story – 2000).

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 174


3. Le refus de l’appel fi quelque chose empêche le
héros de s’engager.
4. L’aide surnaturelle fi une révélation amorce la trans-
formation du héros.
5. Le passage du premier seuil fi le héros relève un
premier défi, surmonte ses premières peurs.
6. Le chemin des épreuves fi succession de conflits et
d’apprentissages marqués par des échecs.
7. Le ventre de la baleine fi tout semble perdu, le héros
doit vaincre son propre désespoir.
8. La rencontre avec la déesse fi là se joue l’aptitude
du héros à obtenir le don d’amour.
9. La femme tentatrice fi la déesse peut devenir sor-
cière du péché, le héros doit lui échapper.
10. La réunion au père fi le héros transcende sa propre
noirceur, accepte sa part d’ombre.
11. Apothéose fi le héros acquiert des capacités excep-
tionnelles, une nouvelle conscience.
12. Le don suprême fi le héros risque sciemment sa vie
pour obtenir l’objet de sa quête.
13. Le refus du retour fi sa quête accomplie, le héros
est tenté d’en garder les fruits pour lui seul.
14. La fuite magique fi le héros fuit la colère des dieux,
de ses ennemis ou même de ses ex-alliés.
15. La délivrance venue de l’extérieur fi le héros
renonce à la félicité pour rentrer chez lui.
16. Le passage du seuil au retour fi le retour du héros
remet en cause sa propre société d’origine.
17. Maître des deux mondes fi le héros transformé est
reconnu par les siens pour ce qu’il est.
18. Libre devant la vie fi le héros trouve sa nouvelle
place dans le monde.

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 175


Intégrer tous ces éléments lorsqu’on écrit un premier
jet est évidemment impossible, et n’est même pas sou-
haitable. De plus, un scénario peut parfaitement fonc-
tionner en n’utilisant qu’une partie de ces éléments.
Et puis, à vouloir suivre à toute force des schémas-
type, on perd la fraîcheur et la spontanéité d’une écriture
libre et originale.
Alors, comment faire ?

C’est plus simple qu’il n’y paraît. Campbell a décou-


vert que le schéma du Monomythe est issu de notre
inconscient collectif. D’innombrables générations ont
eu à faire face aux mêmes problèmes sociaux, relation-
nels, psychologiques, et notre espèce a intégré ces élé-
ments d’une manière intangible mais profonde.
Autrement dit, quiconque tente de raconter une his-
toire va naturellement, et inconsciemment, faire réfé-
rence à des éléments du Monomythe, tout simplement
parce qu’il est ancré au plus profond de notre psyché.
Il est donc inutile de chercher à avoir tout cela en
tête lorsqu’on jette ses premières idées sur le papier.

En revanche, à la relecture, et lors de la réécriture,


vous pouvez changer de posture: passer d’un état mental
créatif libre à une attitude analytique et introspective.
Là, il devient possible de tirer profit des travaux de
Campbell et Truby, en identifiant les motifs placés
inconsciemment dans un récit pour les retravailler en
finesse et en conscience.

« Tu écris le premier jet avec ton cœur, et tu réécriras


avec ta tête. »93

93. William Forrester (Sean Connery) dans À la rencontre de Forrester (Gus


VAN SANT – 2000).

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 176


Même au sein d’une scène isolée, ou d’une
séquence, peut intervenir un changement, ne serait-ce
qu’émotionnel, lié à l’évolution d’un personnage sur son
chemin des épreuves. Il suffit parfois de peu de chose
pour donner à ce changement un relief particulier.

Dans Rain Man (Barry Levinson – 1988) par exemple,


quand Charlie Babbitt (Tom Cruise) se trouve confronté
pour la première fois à la souffrance de son frère Raymond
(Dustin Hoffman), il tente de gérer la situation comme à
son habitude, par le dialogue et la persuasion, en espérant
aboutir tout de même à ses fins (plan foireux).
Plus tard, en parlant vraiment avec son frère, il
retrouve au fond de lui le souvenir enfoui du Rain Man
(Raymond en fait) de son enfance, qui lui chantait des
chansons lorsqu’il avait peur. Tout va bien jusqu’à ce que
Charlie fasse couler de l’eau et que ce bruit déclenche
une crise de panique de Raymond.
Nous comprenons alors, en même temps que Char-
lie, que son frère a été placé en institution suite à un
accident domestique dont on l’a rendu responsable. Il
s’agit bien ici d’un moment de vérité, de révélation à soi-
même, qui bouleverse profondément Charlie.

Le parcours du héros
de Joseph Campbell
1. Le Monde ordinaire : le héros, dans son milieu
ordinaire, est incomplet, imparfait. Il est guidé par ses
désirs, mais ne se rend pas compte que ce qu’il désire
n’est pas ce dont il a vraiment besoin. Il lui manque
quelque chose mais il ne voit pas clairement quoi (conflit
entre désir conscient et besoin inconscient).

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 177


2. L’appel de l’aventure : le héros reçoit un signe,
souvent en réponse à un acte caractérisant sa faiblesse.
S’il s’agit d’un hasard, ce n’est qu’apparent, le destin le
désigne à son insu.
Il peut s’agir de plusieurs signes dont l’accumulation
devrait alerter le héros.

3. Le refus de l’appel : le personnage peut refuser


l’appel, ne pas y répondre ou y répondre négativement.
S’il en reste là, cela revient à nier l’aventure et la quête.
Le héros reste prisonnier de ses contraintes ou de ses
intérêts immédiats. Mais le refus peut aussi être provi-
soire. C’est alors une étape, un obstacle qu’un fait décisif
permettra au héros de dépasser.

4. L’aide surnaturelle : une première personne sur


le chemin, figure protectrice bienveillante (masculine
ou féminine), apporte une aide. Elle peut inciter le héros
à répondre à l’appel, l’encourager s’il hésite, le conforter
dans sa décision ou au contraire le mettre en garde s’il
est trop confiant. Cette aide confronte le héros à cer-
taines de ses potentialités cachées, lui dévoile un élé-
ment du passé, du présent ou du futur. Des changements
s’amorcent dans la psyché du héros sans qu’il en ait for-
cément conscience.

5. Le passage du premier seuil : guidé par l’aide


bienfaitrice, le héros arrive aux frontières des régions
obscures (l’inconscient). Il doit affronter le gardien du
seuil, incarnation de sa propre peur ou de ses doutes.
C’est un reflet du héros lui-même. En dépassant ses pro-
pres limites, le héros accède à une nouvelle perception
du monde.

6. Le chemin des épreuves : une fois le premier


seuil passé, le héros rencontre une longue succession

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 178


d’épreuves périlleuses et de défis. Il doit apprendre les
règles du monde dans lequel il vient de pénétrer. Cet
apprentissage initiatique passe par des échecs répétés,
face à des ennemis qui rendent l’objectif de plus en plus
difficile à atteindre. Le héros acquiert de l’expérience,
des compétences et se trouve des alliés.

7. Le ventre de la baleine (ou la caverne) : le héros


est englouti dans le ventre du monstre ou doit traverser
une caverne ou une forêt obscure. Au lieu de passer
l’obstacle comme prévu, la situation tourne à la catas-
trophe. Le héros semble condamné. Pour échapper aux
ténèbres, il doit accomplir une transformation, vaincre
ses démons intérieurs (son ego). Il passe un second seuil.

8. La rencontre avec la déesse : le héros triomphant


a la possibilité de s’unir à la déesse du monde (princesse
ou reine) qui manifeste le complexe d’Œdipe enfoui en
chacun de nous. Cette récompense est à la fois un récon-
fort et une tentation. Dans cette épreuve se joue l’aptitude
du héros à obtenir le don d’amour, de vie et d’éternité.

9. La femme tentatrice : le mariage célébré avec la


déesse ne signifie pas que le héros est maître de son
destin. S’il a libéré le champ de sa conscience, alors il
prend la place du père (du roi). Mais lorsque la chair – la
luxure – empêche l’âme de s’épanouir, la femme n’est
plus un symbole de victoire et d’union mais de défaite.
La déesse se transforme en sorcière du péché. Le héros
doit alors dépasser la figure de la mère (du complexe
d’Œdipe) qui le retient prisonnier.

10. La réunion au père : la figure du père est un


reflet de l’ego. Alors qu’il l’a déjà vaincu symbolique-
ment, le héros soutenu par la déesse doit comprendre
que le père (= roi = ego) est une part de lui-même. Le

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 179


héros qui ouvre son esprit atteint la maturité qui lui per-
met de transcender l’obscurité, sa propre obscurité. Der-
rière le visage occulté du père, le héros perçoit son pro-
pre visage.
Il devient capable d’accepter sa part d’ombre.

11. Apothéose : le héros humain dépasse les derniers


stades de l’ignorance et de l’angoisse, accédant à l’illu-
mination. Il atteint la vérité universelle, la Source Imma-
nente en lui. Son ego se désintègre dans l’expansion de
sa conscience. Il accède à une nouvelle vision du monde,
acquiert parfois de nouvelles capacités relationnelles ou
des dons surnaturels.

12. Le don suprême (ou la récompense finale) : pour


obtenir l’objet de sa quête (le don, l’élixir, le Graal, le
pouvoir suprême…), le héros doit surmonter un obstacle
final au péril de sa vie. Il peut être soutenu par les divi-
nités, mais il arrive qu’il s’en empare par la ruse. Le don
suprême est toujours un symbole à la mesure des
besoins du héros. Parfois le pouvoir était latent en lui. Si
l’élu s’empare du don avec la bénédiction de la déesse
ou du dieu, il est ensuite chargé de retourner vers sa
communauté. Son chemin de retour est alors sûr, car il
est soutenu par des forces protectrices.

13. Le refus du retour : ayant accompli sa quête, le


héros doit ramener son trophée pour en faire profiter
sa collectivité et le monde. Il peut être amené à refuser
cette responsabilité. Il cesse alors d’être un héros. Dans
de nombreux récits, l’adversaire principal est un ancien
héros qui s’est arrêté à cette étape de la quête. Le don
qu’il détient est alors souillé puisque son ego a repris
le dessus.

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 180


14. La fuite magique : parce qu’il a refusé le retour
qui lui était ordonné ou parce qu’il a abusé les divinités,
le héros subit leur colère et doit fuir dans une poursuite
mouvementée semée d’obstacles.

15. La délivrance venue de l’extérieur : le héros a


besoin d’aide pour renoncer à la félicité et revenir au
désordre du monde ordinaire. Il doit accepter le retour
du royaume mystique au gris quotidien. L’aide peut lui
permettre de vaincre cet obstacle, qui est une résur-
gence de l’ego.

16. Le passage du seuil au retour : chargé de son


trophée, le héros retrouve des hommes qui pensent être
le centre du monde, alors qu’il a lui-même mis son ego
à bas. Le sens de la quête héroïque/mystique est souvent
incompris de la société. Pour que sa quête ait un sens,
le héros doit surmonter le choc provoqué par son retour.

17. Maître des deux mondes : le monde des dieux


(ou des esprits, ou de l’aventure) et celui des hommes
ordinaires paraissent séparés, mais en fait ils n’en for-
ment qu’un. Le spirituel (ou le transcendant) fait partie
de notre monde, mais il est occulté à notre conscience.
Le héros revenu vivant du monde caché peut s’employer
à harmoniser les deux mondes. Il dévoile le mystère des
dieux (ou de l’âme, ou des esprits) à l’humanité. Il devient
un guide.

18. Libre devant la vie : le héros est en paix et en


harmonie avec lui-même et avec le monde. Il peut utili-
ser le pouvoir qu’il a conquis (don, élixir, Graal…) pour
rendre le monde meilleur, donnant sens à la quête. Il
trouve sa place.

D’après Le Héros aux mille et un visages


(Joseph Campbell – 1948)

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 181


Les Points de Truby
(S : version simple, C : version complète)

1 Fantôme (ghost) : la back-story, c’est ce qui est


arrivé au personnage avant la page 1 du scénario.
C’est le passé, le passif dans lequel s’ancrent les
conflits.

2 Le monde de l’histoire (= univers du récit = arène


générale) : définir la société, environnement,
logique implicite, personnages secondaires, rela-
tions, cohérence entre univers et personnages.

1 3 Faiblesses, besoins : ses faiblesses empêchent


le personnage d’obtenir ce dont il a besoin, il n’en
a pas forcément conscience.
4 Incident déclencheur: événement ou suite d’évé-
nements qui conduisent le personnage à s’engager.
Décision + action. Plusieurs incidents doivent par-
fois s’enchaîner pour qu’enfin le protagoniste n’ait
d’autre choix que relever le défi/agir.

2 5 Désir : ce qui pousse le personnage à agir, son


but. La force motrice du film. On doit le com-
prendre au plus tôt, voire avant le protagoniste
lui-même.

6 Alliés : tous ont un passé, des faiblesses, des


besoins, des désirs. Ils font partie de l’histoire tout
en vivant leur propre histoire. Amis, famille, col-
lègues, maître, disciple, voisins, rencontre occa-
sionnelle (hasard) ou inévitable (destin), l’allié peut
apporter avec ou sans conditions une aide
(concrète, relationnelle, professionnelle), une pro-
tection, une information, un conseil, un objet… Les
S C alliés peuvent aussi générer des conflits locaux.

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 182


3 7 L’adversaire : C’est celui ou celle qui veut/peut
empêcher le héros d’atteindre son objectif. Ce
n’est pas forcément un méchant. Le protagoniste
peut être son propre adversaire. Les adversaires
peuvent avoir eux aussi des alliés, former un
groupe. Un adversaire mystérieux (adversaire Ice-
berg) peut donner une intrigue en deux parties
(le démasquer puis le vaincre).

8 Faux alliés : un (ou plusieurs) des alliés poursuit


des buts personnels qui entrent en conflit avec
ceux du protagoniste. On le découvre en cours
de route (surprise) ou bien on savait depuis le
début que la situation exploserait tôt ou tard (iro-
nie). Un faux allié ne doit pas être une manière
artificielle de relancer l’action, sa trahison doit
avoir une explication et une logique, sinon il y a
risque de rupture de l’implication du spectateur.

9 Révélation fi rebondissement : le personnage


découvre quelque chose qui remet en question
ses plans et l’amène à redéfinir ses objectifs et sa
stratégie. Révélation fi transformation du désir
fi décision fi nouvelle motivation. Plusieurs révé-
lations peuvent s’enchaîner, chaque fois plus
explosives et plus fortes que la précédente.
Chaque révélation est une charnière dramatique.

4 10 Stratégie du héros – plan foireux: le personnage


croit pouvoir mettre en place une ou plusieurs
stratégies, en faisant fi de sa/ses faiblesse(s), et il
échoue. La stratégie de l’adversaire triomphe…
provisoirement. Suite à son échec, le personnage
doute, se remet en question, cherche à se com-
prendre lui-même, change de stratégie. C’est un
S C moment de doute, mais aussi de révélation.

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 183


11 Stratégie et plan de l’adversaire : le conflit entre
le protagoniste et l’adversaire va être exploité au
fil du récit par la confrontation de leurs plans res-
pectifs. Il est donc essentiel que l’adversaire ait
un plan minutieusement établi. Le protagoniste
va contre-attaquer et tenter à chaque fois d’adap-
ter sa stratégie en fonction des révélations suc-
cessives auxquelles il est confronté. L’adversaire
peut changer ses plans.

12 La dynamique du récit : le personnage entre-


prend différentes actions pour atteindre son but,
mais il est contrecarré (par l’adversaire, par le
contexte, par ses propres faiblesses), ce qui
l’oblige à prendre de plus en plus de risques. Il se
retrouve acculé, tenté de recourir à des actes
immoraux, voire d’en accomplir.

13 Apprentissage : un allié tente de faire changer le


héros, en critiquant sa façon de faire ou en lui
enseignant de nouvelles techniques. Le protago-
niste peut tenter de biaiser, refuser de mettre en
application l’enseignement qu’il reçoit, ou douter
de sa pertinence.

14 La défaite apparente: le héros semble perdre. Lui-


même croit qu’il perd. C’est le moment où il est au
plus bas. Sa faiblesse éclate au grand jour, étei-
gnant tout espoir. Sa souffrance et sa fragilité sus-
citent l’adhésion du public, qui sait ou qui sent en
lui (ou elle) le potentiel pour rebondir. Une nouvelle
information lui redonne espoir et motivation.

15 Révélation décisive fi dynamique obsession-


nelle : là aussi, on doit respecter le schéma révé-
lation fi transformation du désir fi décision fi
S C nouvelle motivation. C’est une radicalisation de

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 184


l’engagement du personnage. Sa détermination
obsessionnelle devrait cristalliser l’intérêt du
spectateur. Le protagoniste décide d’aller au-
devant du pire en connaissance de cause.

16 Dévoilement – installation d’ironie dramatique:


le spectateur apprend quelque chose d’essentiel
que le personnage ignore. Il a de l’avance et se
trouve soumis à une tension dramatique intense,
la question brûlante étant de savoir si le person-
nage va comprendre à temps qu’une donnée lui
manque, qui peut faire échouer toute sa stratégie.

17 Révélation et remise en cause : cette fois le pro-


tagoniste apprend quelque chose qui rend
caduque sa stratégie précédente et l’oblige à
modifier son désir. La signification de ses enjeux
et de ses buts est remise en question.

18 Les portes de la mort: le héros se trouve en grand


danger. Il prend conscience qu’un échec signifie-
rait la mort (réelle ou symbolique). Ses chances
de succès sont minuscules, il s’en sort d’un souf-
fle. C’est une épreuve initiatique de confrontation
au risque d’un échec total et définitif.

5 19 L’affrontement (la bataille = battle) : pivot dra-


matique majeur, il va déterminer qui, du person-
nage ou de son adversaire, va atteindre l’objectif.
Scène très intense, par laquelle le personnage
révèle en action qui il est vraiment. Dans une
progression dramatique, il peut y avoir plusieurs
affrontements. Le plus décisif – et le dernier en
général – correspond au climax.

6 20 La révélation à soi-même : le personnage com-


S C prend qui il est. Il prend conscience du masque

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 185


qu’il portait, d’une vérité le concernant qu’il refu-
sait de voir. Cette révélation psychologique et
morale va impacter son comportement avec les
autres. Typiquement, il prend conscience de son
besoin. Ce n’est pas forcément instantané, et peut
comporter des allers-retours et des étapes : déci-
sion fi révélation fi décision. Le point culminant
de cette évolution peut intervenir un peu avant
le climax, au moment du climax ou juste après.

21 Décision morale : la révélation s’étant imposée


à lui, le personnage a le choix. Il peut décider de
suivre différentes voies, correspondant à des
valeurs et des principes de vie bien distincts. Une
action doit nous faire prendre conscience du
choix du personnage, de la nouvelle orientation
qu’il donne à sa vie et des valeurs que cette déci-
sion représente.

7 22 Le nouvel équilibre : la tension retombe, c’est


l’apaisement. Le personnage a grandi, et c’est un
acquis irréversible. Il s’agit que le spectateur le
perçoive, ressente ce qui a changé (réponse dra-
matique positive). Il est aussi possible que le per-
sonnage ait été détruit par sa révélation (réponse
S C dramatique négative).
D’après Anatomie du scénario (John Truby – 2010)

Exercice 1
Voyez ou revoyez le film Intouchables (Olivier
Nakache et Éric Toledano – 2011). Repérez les prin-
cipales étapes de l’évolution du protagoniste.

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 186


Exercice 2
Voyez ou revoyez Ratatouille (Brad Bird – 2007).
Un des pivots majeurs du récit est bâti sur la trans-
formation de l’antagoniste. Transcrire les trois
scènes qui matérialisent cette transformation.

Exercice 3
Relisez une de vos histoires et identifiez au moins
deux transformations de votre protagoniste. Pour-
riez-vous mieux les préparer et/ou mieux les dra-
matiser ?

Et maintenant, voulez-vous voir comment :

utiliser un flash-back
fi Cliquez ici
pour impacter un personnage ?

mieux associer transformation


fi Cliquez ici
et émotion ?

les intrigues secondaires


fi Cliquez ici
changent les personnages ?

Sinon, nous allons parler à présent du passé des per-


sonnages, que l’on appelle aussi ghost ou back-story.

FAIRE ÉVOLUER LES PERSONNAGES 187


Le fantôme
dans le scénario
LE PASSÉ DES PERSONNAGES /
SUGGÉRER CE QUI N’EST PAS MONTRÉ /
L’ALCOOLISME DU CAPITAINE HADDOCK /
CONSTRUIRE UN FANTÔME / APPROCHE PAR LES ENJEUX

Ce terme correspond à l’anglais « ghost », qui veut


aussi dire « âme », « esprit », et suggère que les êtres
humains ne sont pas seulement faits de chair et de sang.
Notre cartésianisme français ayant mis au ban du
vocabulaire sérieux ces mots d’illuminés, il est devenu
difficile de les employer, sauf au sens figuré.
Écrire suppose un minimum de travail sur les per-
sonnages, leur profondeur et donc leur psychologie.
Il paraît impossible de construire un personnage cré-
dible sans l’approcher pour ainsi dire de l’intérieur, savoir
ses fragilités, ses blessures invisibles, ses pulsions, ses
phobies, bref tout ce qui ne se voit pas de prime abord
mais que le spectateur attend.
Cette intériorité, que John Truby94 propose d’aborder
par le triptyque désirs, faiblesses et besoins, s’élabore
dans le vécu du personnage avant le début du récit.
Ceci impose de travailler la biographie des person-
nages, au moins dans les grandes lignes, tout en sachant

94. Dans Anatomie du scénario (2010).

LE FANTÔME DANS LE SCÉNARIO 189


que, sauf exception, ces faits ne seront pas montrés dans
le cadre du récit proprement dit.

Le passé des personnages


Le fantôme, techniquement, c’est l’ensemble de tout
ce qui s’est passé avant le début du récit, qui n’est pas
montré directement et qui détermine l’intériorité des
personnages.
On parle aussi de back-story (l’histoire précédant le
début du récit).
Un fantôme bien élaboré est une mine d’or pour le
scénariste. Il peut y puiser des sources de conflits
(internes ou externes), des alliés, des adversaires, des
obstacles.
De plus, un fantôme bien élaboré permet à l’auteur
de rester toujours cohérent quant aux tenants et abou-
tissants des actions issues du passé des personnages.
Il est également possible de se servir du fantôme
pour suggérer au spectateur ce qu’il ne montre pas, et
faire vivre l’univers du récit dans son imaginaire en plus
de le faire exister sur l’écran.

Suggérer ce qui n’est pas montré


Prenons cette réplique de Leia Organa (Carrie Fisher)
dans La Guerre des étoiles (George Lucas – 1977) :

LEIA
Seigneur Tarkin. Je ne suis pas
surprise de vous voir dans l’ombre
de Dark Vador. J’ai senti votre
odeur méphitique dès que je suis
montée à bord.

LE FANTÔME DANS LE SCÉNARIO 190


C’est la première fois que nous voyons Leia et Tarkin
ensemble.
Pourtant cette seule phrase nous fait comprendre
que Leia connaît l’amiral Tarkin depuis longtemps,
qu’elle le méprise et qu’ils se sont déjà affrontés aupa-
ravant. Où ? Quand ? À quel sujet ?

Tout cela est laissé à l’imagination. Ce qui n’est pas


montré existe du fait même qu’on nous le suggère.
Autre exemple, la première scène commune entre
René Belloq (Paul Freeman) et le professeur Henri
« Indiana » Jones Jr (Harrison Ford) dans Les Aventuriers
de l’Arche perdue (Steven Spielberg – 1981), juste après
qu’Indy ait réussi à dérober une idole en or dans un tem-
ple péruvien.

BELLOQ (condescendant)
Docteur Jones. Encore une fois vous
le voyez, il n’est rien que vous ne
possédiez dont je ne réussisse à
m’emparer. Et vous savez bien que je
ne renonce jamais.
Indy sort son arme. Les indiens Hovitos
le menacent de leurs arcs. Indy donne son
arme à Belloq.
BELLOQ
Vous avez mal choisi vos amis,
Jones, et cela va vous coûter cher,
très cher.
Belloq tend la main.
INDY (amer)
Dommage que les Hovitos ne vous
connaissent pas comme je vous
connais, Belloq !
Indy donne l’idole en or à Belloq.

LE FANTÔME DANS LE SCÉNARIO 191


Nous comprenons très vite que ces deux-là ont un
lourd contentieux : Indiana Jones a déjà subi plusieurs
revers à cause de Belloq, et ce dernier est tellement sûr
de sa victoire qu’il se permet de se moquer de son
ennemi. Mais que s’est-il passé au juste entre eux ?
Quand ? Nous ne le saurons jamais, nous avons juste
matière à l’imaginer.

Le scénariste, lui, doit-il savoir ce qui s’est passé,


même si cela n’est jamais révélé ? Selon moi, la réponse
est oui, au moins dans les grandes lignes.
Plus vous aurez les idées claires sur le fantôme, et
mieux vous pourrez faire travailler l’imaginaire du spec-
tateur.
De plus, en définissant clairement ce passé invisible,
vous éviterez les contradictions, et cela participera à la
cohérence interne du récit et de son univers.
Pour nos exemples, cela donnerait :
• Leia et Tarkin se sont affrontés oralement et poli-
tiquement du temps de la république. Lors de
débats à l’assemblée, elle l’a bloqué à plusieurs
reprises dans ses projets, ce qui l’a poussé à rejoin-
dre Palpatine et Dark Vador.
• René Belloq et Indiana Jones ont été étudiants
ensemble, et concurrents. Belloq n’a pas eu de
poste d’enseignant et jalouse Jones qui a mieux
réussi.

L’alcoolisme du capitaine Haddock


Selon les cas, il est possible d’entrer beaucoup plus
dans les détails, voire de tricoter certains éléments de
l’intrigue principale autour du fantôme d’un des per-
sonnages.

LE FANTÔME DANS LE SCÉNARIO 192


C’est ce qu’ont fait Steven Moffat, Edgar Wright et
Joe Cornish pour le scénario des Aventures de Tintin : le
secret de la Licorne (Steven Spielberg – 2011).
En retravaillant le personnage du capitaine Haddock,
ils sont parvenus à transformer une simple chasse au
trésor en une histoire de vengeance et de règlement de
comptes. Comment ont-ils trouvé cette idée ? Ils se sont
juste demandé quel était le passé de Haddock, où il avait
grandi, ce qu’il savait de ses ancêtres, comment il était
devenu alcoolique, etc. Chaque réponse a ouvert des
pistes pour connecter les différents fils du récit, tout en
utilisant des éléments empruntés aux albums originaux
d’Hergé : Le Crabe aux pinces d’or (1940), Le Secret de la
Licorne (1943) et Le Trésor de Rackham le Rouge (1943).
Je recommande la relecture de ces albums pour
mieux analyser le travail accompli dans l’adaptation
cinématographique.

Construire un fantôme
Le processus de création du fantôme est en réalité
bien plus complexe qu’il n’y paraît, car il ne s’agit pas
seulement de trouver deux ou trois idées : il faut sou-
vent explorer plusieurs voies et passer beaucoup de
temps pour enfin choisir celle qui offre les meilleures
possibilités.
Une option consiste à commencer par une trame
peu précise d’une quinzaine de lignes, et d’y revenir
régulièrement pour l’enrichir au fur et à mesure du déve-
loppement du récit.
Une autre méthode est de commencer par travailler
le climax du récit, pour déterminer les conflits majeurs,
de sorte qu’ensuite on puisse identifier plus clairement
ceux qui correspondent au temps de la narration et ceux

LE FANTÔME DANS LE SCÉNARIO 193


qui ne concernent que le fantôme… les seconds pouvant
aussi être la conséquence des premiers.

Approche par les enjeux


Une fois identifié l’enjeu principal de votre récit, vous
pourrez décider selon les cas de faire démarrer la narra-
tion plus tôt ou plus tard. On peut par exemple décider
à un moment de l’écriture, qu’une partie de l’intrigue
développée serait plus intéressante en étant placée dans
le fantôme.

Exemple : Rain Man de Barry Levinson (1989).


Il s’agit de l’histoire d’un homme, Charlie Babbitt
(Tom Cruise) qui découvre à la mort de son père qu’il a
un frère aîné autiste, Raymond (Dustin Hoffman) lequel
doit hériter de toute la fortune familiale.
L’enjeu du récit concerne Charlie, qui va apprendre
au fil du temps à aimer son frère, malgré son handicap.
Inutile donc de commencer le récit trop longtemps avant
le moment où Charlie apprend qu’il ne va pas hériter de
son père. Nous avons besoin de caractériser Charlie et
sa situation initiale, ce qui est fait en quelques scènes
précédant de peu la mort du père.
Tout ce qui précède, tant concernant Charlie que
Raymond, relève donc du fantôme.
Au fil des événements, nous allons progressivement
comprendre par quoi chacun des personnages est passé
pour devenir ce qu’il est : non par des flash-back, mais
par la caractérisation et l’exploitation du fantôme.

LE FANTÔME DANS LE SCÉNARIO 194


Exercice 1
Caractérisez en une page un personnage torturé
par le remord d’un crime qu’il n’a pas pu empêcher,
sans révéler le crime.

Exercice 2
Écrire une scène d’une page, avec deux person-
nages. Fantôme : ils ont été très proches, mais un
événement grave les a séparés, que chacun a vécu
très différemment.
Attention : ne révélez pas le passé, suggérez-le.

Exercice 3
Écrire une scène de deux pages : dans la conversa-
tion, nous devons comprendre, en même temps
que Bob, que Clara est sa fille mais qu’elle l’ignore.
Elle devine que quelque chose cloche.

Conseil pour ces exercices : bâtir le fantôme avant


d’écrire la scène.

LE FANTÔME DANS LE SCÉNARIO 195


Et maintenant, voulez-vous voir comment :

intégrer le passé à la diégèse ? fi Cliquez ici

valoriser le ghost par


fi Cliquez ici
des flash-back ?

utiliser une révélation


fi Cliquez ici
pour opérer un renversement ?

Sinon, nous allons parler des principaux moteurs de


toute narration : les conflits et les obstacles.

LE FANTÔME DANS LE SCÉNARIO 196


Conflits et obstacles
TROIS FORMES DE CONFLITS /
BUTS, DÉSIRS, ESPÉRANCE / TROIS TYPES D’OBSTACLES /
DES OBSTACLES GÉNÉRANT DU CONFLIT /
CONFLIT ENTRE ADVERSAIRES / CONFLIT ENTRE ALLIÉS /
ENCHAÎNER LES CONFLITS

Le latin conflictus (heurt, choc, lutte, attaque) dérive


de confligere (heurter, opposer), qui nous renvoie à plu-
sieurs lectures possibles.

• Au sens propre : lutte ou combat physique pour


faire valoir un droit, s’emparer d’un bien, se pro-
téger d’une menace.
• Au sens figuré : opposition violente de sentiments,
d’opinions, d’intérêts, d’influences.
• Au sens psychologique : l’expression de forces pul-
sionnelles antagonistes inconciliables.

Dans toutes les histoires, sans exception, les conflits


sont les principaux moteurs de l’action.
La raison principale, c’est que nous vivons dans un
monde où tout peut être source de conflit, que ce soit
dans la nature ou dans les relations humaines. Les
confrontations font partie de notre monde sensible.
Notre énergie, nos émotions, nos existences même
sont marquées par la nécessité de faire face à des conflits,
aussi petits soient-ils, et de les résoudre par l’action.
Le Drama (l’action, en grec) ne peut entrer en
résonance avec le spectateur qu’en s’appuyant sur son

CONFLITS ET OBSTACLES 197


psychisme et sur les codes sociaux régissant son rapport
au monde.
Quand le spectateur comprend et partage les conflits
vécus par les personnages, il se sent concerné, s’implique
émotionnellement et se projette dans le récit.

Buts, désirs, espérance


De façon générale, il y a conflit lorsqu’un obstacle
vient empêcher un personnage d’atteindre un objectif.
L’obstacle peut être matériel, conjoncturel, social, mili-
taire, psychologique…
En toute logique, vous ne pouvez installer conflits
et obstacles dans un récit qu’à la condition expresse de
définir également les buts, les désirs, les intentions ou
les espérances de vos personnages.

Trois types d’obstacles


En écriture scénaristique, on distingue :
• les obstacles externes, qui sont imposés par les
circonstances ;
• les obstacles internes, qui mettent le personnage
face à ses limites, ses faiblesses et/ou ses contra-
dictions. Ils sont liés à la psyché du personnage ;
• les obstacles externes d’origine interne, qui parais-
sent liés aux circonstances mais qui résultent en
fait d’une action liée à la faiblesse du personnage.

Des obstacles générant du conflit


Dans Titanic (James Cameron – 1997)
• La mère de Rose la pousse à épouser Caledon
Hockley pour sa fortune. Obstacle interne : Rose
ne l’aime pas.

CONFLITS ET OBSTACLES 198


• Rose (Kate Winslet) et Jack (Leonardo DiCaprio)
tombent amoureux. Obstacle externe : ils ne font
pas partie du même monde, Rose est une aristo-
crate et Jack, un artiste pauvre.
• Quand le bateau coule, ils veulent survivre ensem-
ble. Obstacle externe : il n’y a pas assez de canots
de sauvetage pour tout le monde.
• Rose peut aller sur un canot avec sa mère. Obstacle
interne : elle aime Jack et ne peut l’abandonner.

Dans Les Sept Samouraïs (Akira Kurosawa – 1954)


• Les paysans voudraient vivre tranquilles. Obstacle
externe : une bande de brigands vient régulière-
ment piller leur village, voler leurs récoltes et enle-
ver leurs femmes.
• Gisaku l’ancien (Kokuten Kôdô) envoie quatre pay-
sans recruter des samouraïs pour défendre le vil-
lage. Obstacle externe : ils n’ont pas d’argent pour
les payer.
• Kikuchiyo (Toshirô Mifune) veut rejoindre le groupe
de samouraïs. Obstacle externe d’origine interne :
il n’est pas samouraï mais paysan, il a volé son four-
niment sur un cadavre et ment sur son identité.
• Le paysan Manzo (Kamatari Fujiwara) craint que
la beauté de sa fille Shino (Keiko Tsushima) ne
trouble les samouraïs et il lui coupe les cheveux
dans l’espoir qu’on la prenne pour un garçon. Obs-
tacle externe d’origine interne : le plus jeune des
samouraïs, Katsuhiro (Isao Kimura) prend Chino
pour un homme qui refuse d’aller à l’entraînement
et la poursuit. En la plaquant au sol, il comprend
son erreur.

CONFLITS ET OBSTACLES 199


Dans Les Dents de la mer (Steven Spielberg – 1975)
• Les habitants de l’île d’Amity comptent sur les
revenus du tourisme estival. Obstacle externe : un
requin blanc attaque les baigneurs, jetant le doute
sur la sécurité des plages.
• Quand un premier requin est tué, le biologiste Matt
Hooper (Richard Dreyfus) prouve que ce n’est pas
le bon et demande que la traque continue. Obsta-
cle externe d’origine interne : la saison touristique
va commencer et les élus refusent de l’écouter,
prêts à tout pour rassurer les vacanciers.
• Martin Brody (Roy Scheider) doit aller en mer chas-
ser le requin. Obstacle interne : il est hydrophobe
(phobie de l’eau). Obstacle externe : sa femme n’a
pas du tout envie de le laisser y aller.

Dans Le Seigneur des anneaux (John Ronald Reuel


Tolkien – 1954 pour le roman, Peter Jackson – 2001,
2002, 2003 pour les films)
• Le magicien Saroumane tente de convaincre Gan-
dalf d’utiliser l’anneau pour contrer Sauron. Obs-
tacle externe : Gandalf refuse, il sait que l’anneau
le rendrait maléfique.
• Boromir doit protéger Frodon, dont la mission est
de porter l’anneau de Sauron à la Montagne du
destin afin de le détruire. Obstacle interne : Boromir
est lui-même attiré par l’anneau.
• Frodon et Sam, parvenus dans le Mordor, doivent
traverser le plateau du Gorgoroth pour atteindre
la Montagne du Destin. Obstacle externe : le pla-
teau est couvert d’armées ennemies. Obstacle
interne : l’anneau consume la volonté de Frodon.

CONFLITS ET OBSTACLES 200


Dans La flûte à six Schtroumpfs (Peyo – 1960 pour la
BD, 1976 pour le film)
• Johan et Pirlouit veulent contrer le voleur Torche-
sac qui utilise une flûte enchantée pour plonger
ses victimes dans l’inconscience. Obstacle externe :
le pouvoir de la flûte les endort eux aussi.
• L’enchanteur Omnibus leur explique que seule une
autre flûte magique pourrait contrecarrer celle de
Torchesac. Obstacle externe: seuls les schtroumpfs,
qui habitent très loin de là, savent fabriquer de
telles flûtes.

Dans Dragons (Chris Sanders et Dean DeBlois – 2009)


• Harold le Viking veut apprivoiser le dragon Krok-
mou. Obstacle interne: il ne connaît rien du dragon
qu’il a capturé. Obstacle externe 1: les autres Vikings
considèrent les dragons comme des créatures dan-
gereuses. Obstacle externe 2: Stoïk, le père d’Harold,
espère qu’il deviendra un grand tueur de dragons.
• La jeune Astrid veut devenir la meilleure combat-
tante. Obstacle externe: Harold devient la coque-
luche de la classe. Obstacle interne: sa propre vanité.

Voyez à quel point obstacles et conflits sont insépa-


rables, et forcément liés aux objectifs des personnages.
Cependant, pour capter l’attention du spectateur, il n’est
pas obligatoire que le conflit soit explicite.
Parfois, la perspective d’un conflit est suffisante pour
que le spectateur veuille à tout prix savoir comment les
choses vont tourner.
Au début du Seigneur des anneaux, quand Gandalf
explique à Frodon la nature de l’anneau qu’il détient,
cela ne crée aucun conflit immédiat. En revanche, les
conséquences possibles sont effrayantes et suffisent à
créer une tension.

CONFLITS ET OBSTACLES 201


La perspective d’un conflit peut aussi naître d’un
événement dont le spectateur a connaissance, mais que
le personnage principal ignore.

Dans Le Grand Blond avec une chaussure noire (Yves


Robert – 1972), Perrache (Paul Le Person) fait croire au
Colonel Milan (Bernard Blier) que l’innocent François Per-
rin (Pierre Richard) est un agent spécial qui peut lui nuire.
La situation promet du conflit et génère une tension
dramatique sans conflit immédiat. Milan va tenter de savoir
ce que Perrin a contre lui… en pure perte évidemment.

Certains obstacles fonctionnent sur la plus grande


partie d’un récit, d’autres seulement sur une scène, avec
tous les intermédiaires imaginables.
Un obstacle peut aussi être dépassé provisoirement
et réapparaître inopinément plus tard dans le récit.
Parfois, un obstacle interne peut à lui seul générer
plusieurs conflits successifs, dont la véritable résolution
demande une remise en question et une évolution pro-
fonde du personnage.
Le moment le plus conflictuel d’un récit intervient
généralement à la charnière entre la seconde et la troi-
sième partie : c’est le climax.

Vous avez pu également remarquer que les conflits


ne concernent pas seulement les relations protago-
niste/antagoniste : on peut créer d’excellentes histoires
en développant du conflit entre adversaires, et du conflit
entre alliés.

Conflits entre adversaires


Dans Kick-Ass (Matthew Vaughn – 2010), l’antago-
niste Franck d’Amico (Mark Strong) utilise son fils Chris

CONFLITS ET OBSTACLES 202


(Christophe Mintz-Plasse) comme appât pour attraper
Big Daddy (Nicolas Cage), mais Chris s’insurge quand son
ami Kick-Ass (Aaron Taylor-Johnson) se retrouve capturé
en même temps et menacé de mort.
Dans Le Grand Blond avec une chaussure noire, le
colonel Toulouse (Jean Rochefort) décide de sacrifier
François Perrin, alias le grand blond, pour discréditer
son subordonné Milan. Mais l’adjoint de Toulouse, Per-
rache, refuse de cautionner la mort d’un innocent et
ordonne aux hommes de Toulouse de le protéger. Il se
retrouve en conflit avec son supérieur.
Dans La Guerre des étoiles, (George Lucas – 1977),
Dark Vador utilise la Force pour faire taire un officier de
l’empire qui a eu l’audace de critiquer l’ancienne religion
en sa présence.

Conflits entre alliés


Dans La Ruée vers l’Or (Charles Chaplin – 1925), Big
Jim (Mack Swain) est tellement affamé qu’il prend son
ami Charlot pour un poulet géant et tente de le tuer.
Dans La Grande Vadrouille (Gérard Oury – 1966),
Augustin Bouvet (Bourvil) et Stanislas Lefort (Louis de
Funès) passent tout le film à se fâcher et à se réconcilier.
Stanislas considère qu’ils ne font pas partie du même
monde et traite systématiquement Augustin avec hau-
teur et condescendance.
Mais quand le danger menace, son patriotisme
prend le dessus et jamais il ne laisse tomber Augustin.
Tout le récit est rythmé par l’alternance conflit/entraide
des deux compères, face à l’adversaire plus global qu’est
l’occupant allemand.
Dans L’Empire contre-attaque (Irvin Kershner – 1980),
nous découvrons le personnage de Lando Calrissian (Billy

CONFLITS ET OBSTACLES 203


Dee Williams). Ami de Han Solo (Harrisson Ford), il a dû
passer un accord avec l’empire, livrant Solo, Leia (Carrie
Fisher) et Chewbacca (Peter Mayhew) à Dark Vador
(David Prowse). Il essaie ensuite de leur sauver la vie,
mais éprouve bien des difficultés à les convaincre de sa
bonne foi.

Le conflit entre alliés est une ressource inépuisable,


à toutes les époques et dans tous les styles. C’est égale-
ment le ressort principal des grands duos comiques.
Laurel et Hardy, Schrek et l’âne, D2-R2 et Z-6PO…

Enchaîner les conflits


Quand l’action menée par un personnage pour
dépasser un obstacle n’aboutit pas au résultat espéré,
sa situation devient généralement pire. Il avait un pro-
blème, il a maintenant un problème plus grave, qui évi-
demment promet d’autres conflits. Pour décrire cette
escalade dramatique, Robert McKee95 utilise l’image du
fossé narratif.

Un fossé narratif naît de l’écart entre l’objectif d’une


action et son effet réel.
Plus le résultat obtenu par un personnage est éloigné
du but poursuivi, plus le fossé narratif est large. Pour le
combler, le contourner ou l’enjamber, le personnage
change ses plans (rebondissement, péripétie) et, surtout,
se voit contraint de prendre davantage de risques. Sa
volonté d’atteindre son but relance le récit.
Un même obstacle peut être la source de plusieurs
conflits, de plusieurs actions, et peut donc mener à plu-
sieurs fossés narratifs.

95. Dans Story (2000).

CONFLITS ET OBSTACLES 204


Les fossés narratifs placent les personnages devant
une réalité différente de ce qu’ils espéraient. Ils les pous-
sent à se remettre en question, les confrontant à leurs
peurs, leurs faiblesses, leurs limites.
N’oubliez jamais que les obstacles et les conflits sont
des moyens pour conduire vos personnages devant le
plus grand fossé dramatique possible.

Exercice 1
Voyez (ou revoyez) Un jour sans fin (Harold Ramis
– 1993). Listez l’installation, l’exploitation et la réso-
lution des conflits autour desquels se construit
l’histoire.
Pour vous aider à démarrer : un des premiers
conflits est installé lorsque Phil Connors (Bill Mur-
ray) apprend qu’il doit aller faire un reportage à
Punxsutawney.

Exercice 2
Choisissez votre film préféré et effectuez le même
travail d’analyse.
Y-a-t-il parfois des tensions provenant de pers-
pective de conflit, et non de conflits réels ?
Remarquez que l’installation de certains conflits
intervient alors que d’autres, déjà en cours d’ex-
ploitation, n’ont pas encore été résolus.

CONFLITS ET OBSTACLES 205


Exercice 3
Relisez vos propres scénarios en vous posant les
questions suivantes :
• Hormis lors du dénouement, ai-je bien fait en
sorte que le spectateur puisse toujours partager
un conflit, ou au moins une perspective de
conflit ?
• Ai-je pensé à créer des conflits entre alliés ?

Et maintenant, voulez-vous savoir comment :

un conflit mène à une charnière


fi Cliquez ici
dramatique ?

caractériser vos personnages


fi Cliquez ici
par du conflit ?

utiliser l’ironie dramatique pour


fi Cliquez ici
préparer un conflit ?

Sinon, il est temps de s’intéresser aux adversaires,


opposants et autres antagonistes.

CONFLITS ET OBSTACLES 206


Les antagonistes
MEILLEUR EST LE MÉCHANT… / DIX QUALITÉS COMMUNES /
L’ENNEMI INTÉRIEUR /
QUAND L’ADVERSAIRE EST UN SYSTÈME /
QUELQUES ARCHÉTYPES /
ANIMAUX, OBJETS ET EXTRATERRESTRES /
LES VALEURS DE L’ENNEMI / OPPOSITION EN QUATRE POINTS

Que seraient Blake et Mortimer sans Olrik ? Tintin


sans Rastapopoulos ? Luke Skywalker sans Dark Vador ?
Thorgal sans Kriss de Valnor ? Clarisse sans Hannibal ?
La Communauté de l’Anneau sans Saroumane ?

« Bien sûr que les méchants ont une âme,


sinon où nicheraient les délices de se mal conduire ? »
Jean-Pierre Dufreigne
article pour Ciné-Live du 15.07.1999

De nombreuses œuvres doivent leur intensité dra-


matique au développement particulièrement soigné des
adversaires, opposants et autres malfaisants contre les-
quels les protagonistes entrent en conflit.

Sir Alfred Hitchcock résumait cela en une phrase


lapidaire :
« Meilleur est le méchant, meilleur est le film. »
(The more successful the villain, the more successful
the picture.)

Souvent, les antagonistes sont des méchants, mais


rien n’oblige à respecter cette tradition.

LES ANTAGONISTES 207


Le méchant (villain) est un personnage souvent anti-
pathique, maléfique et moralement indéfendable. L’an-
tagoniste (opponent), même s’il est en conflit avec le
protagoniste, peut être honnête, voire sympathique.
En d’autres termes, un méchant n’est pas forcément
opposé au protagoniste.
L’antagoniste, quant à lui, poursuit des buts en conflit
avec ceux du protagoniste même si c’est un défenseur
du bien et de la justice.
Le plus simple pour comprendre l’intérêt des anta-
gonistes en dramaturgie est d’étudier ceux des films,
romans, bandes dessinées, comics, mangas, jeux vidéo
et pièces de théâtre que vous aimez… sans oublier ceux
que vous affrontez dans la vraie vie.
Vous verrez alors que tous les antagonistes réussis
ont des points communs :

1. Ils sont très clairement caractérisés.


2. Leur fantôme est souvent complexe.
3. Ils ont des qualités, des défauts, des talents remar-
quables.
4. Leur but (désir) est indiqué très tôt au spectateur.
5, Ils ont un plan, un plan B et même parfois un plan
de secours.
6. Il est très difficile, voire impossible de les faire renon-
cer à leur objectif.
7. Leurs actions sont le reflet de leur système de valeurs.
8. Leurs actes sont en cohérence avec le système des
faits et l’univers du récit.
9. Ils ont au moins une faiblesse dont le protagoniste
peut tirer parti.
10. Ils entrent facilement en conflit avec leurs associés.

LES ANTAGONISTES 208


Bien entendu, de nombreux films fonctionnent sans
ce schéma « protagoniste vs antagoniste ». Il arrive que
les principaux problèmes auxquels le protagoniste soit
confronté proviennent de lui-même. Il est alors son pro-
pre adversaire :
• Fight Club (David Fincher – 1999) ;
• Sixième sens (M. Night Shyamalan – 1999) ;
• Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain (Jean-Pierre
Jeunet – 2001) ;
• Requiem for a dream (Daren Aronofsky – 2000) ;
• Inception (Christopher Nolan – 2010).

Parfois, l’antagoniste n’est pas une personne mais


un groupe ou un système.
• La Vie est belle (Roberto Benigni – 1997) ;
• Brazil (Terry Gilliam – 1985) ;
• La Grande Vadrouille (Gérard Oury – 1966) ;
• Certains l’aiment chaud (Billy Wilder – 1959) ;
• V pour Vendetta (James McTeigue – 2005) ;
• Farenheit 451 (François Truffaut – 1966) ;
• Minority Report (Steven Spielberg – 2002).

Dans le premier cas, il s’agit de bien définir et exploi-


ter le conflit interne du personnage principal, dont la
contradiction psychologique doit être le moteur.
Dans le second cas, un univers du récit très typé, et
très contraignant, doit constituer à lui seul un carcan
révoltant que le protagoniste essaie d’affronter ou de fuir.
Si vous élaborez un récit sans antagoniste, vous pou-
vez transposer tous les éléments lui correspondant :
• au protagoniste s’il est son propre adversaire,
• au système dans lequel il évolue, auquel il s’affronte.

LES ANTAGONISTES 209


Le travail sur l’antagoniste doit répondre aux nom-
breuses questions et contraintes imposées par la nature
du récit, l’univers du récit, les thèmes, les arcs d’évolu-
tion des personnages et la morale de l’histoire.
L’action de l’antagoniste doit remplir des fonctions
dramatiques :
• faire avancer l’intrigue ;
• transmettre des informations ;
• pousser le protagoniste à agir ;
• produire un impact émotionnel sur le spectateur.

Quelques archétypes d’adversaires


Parmi les milliers d’histoires qui ont déjà été écrites,
on peut identifier des antagonistes typiques qui sont
devenus des clichés au fil du temps. Des références sur
lesquelles le spectateur s’appuie pour comprendre et
tenter d’anticiper les événements dans les nouvelles his-
toires qu’il découvre.

En parcourant ces quelques exemples, gardez à l’es-


prit qu’un même antagoniste peut croiser plusieurs arché-
types… et que cette liste ne prétend pas être exhaustive.

Archétype Description Exemples Œuvres/scénaristes


L’Île du docteur Moreau
Le docteur Moreau
Une invention H.G. Wells
Le savant lui donne un Le professeur La Marque jaune
fou énorme pouvoir Septimus d’Edgar P. Jacobs
dont il abuse
Z comme Zorglub
Zorglub
Franquin et Greg

LES ANTAGONISTES 210


Archétype Description Exemples Œuvres/scénaristes
Seven
John Doe
Andrew Kevin Walker
Il tue par Calendrier meurtrier
Le tueur January
plaisir, folie
en série Man John Patrick Shanley
ou les deux
Jame Gumb Le Silence des agneaux
« Buffalo Bill » Thomas Harris, Ted Tally
Professeur Sherlock Holmes
Il veut que le Moriarty A. Conan Doyle
Le génie monde entier Fantômas
Fantômas
du mal reconnaisse P. Souvestre et M. Allain
sa valeur
Superman
Lex Luthor
Jerry Siegel et Joe Shuster
Le Seigneur des anneaux
Saroumane
J.R.R. Tolkien
Tourne sa Matrix
veste pour son Cypher
Andy et Larry Wachowski
propre profit.
Le traître
Connaît les Alien - le huitième passager
faiblesses des Ash
Dan O’Bannon, R. Shusett
héros
Inglorious Basterds
Hans Landa
Quentin Tarantino
Blanche-Neige et les 7 nains
Utilise sa La Reine
d’après J. et W. Grimm
magie pour Coraline
La sorcière garder son L’autre mère
Henry Selick, Neil Gaiman
pouvoir, sa
jeunesse, etc. Raiponce D. Fogelman,
La mère Gothel
M. Kennedy, D. Wellins
Lost saison 2
Jongle entre Benjamin Linus
Jeffrey Lieber, J.J. Abrams
vérité et Usual Suspects
Le mani- Roger
mensonge pour
pulateur « Verbal » Kint Christopher McQuarrie
contrôler tout
le monde Le Silence des agneaux
Hannibal Lecter
Thomas Harris, Ted Tally

LES ANTAGONISTES 211


Archétype Description Exemples Œuvres/scénaristes
The Dark Knight
Le Joker
Asocial, Jonathan et Ch. Nolan
Le psycho- perturbé mais Léon
Norman Stansfield
pathe cohérent dans Luc Besson
sa folie
Psychose
Norman Bates
Joseph Stefano
Un mauvais pantalon
Voleur, mais Le pingouin
Nick Park
pas forcément La Mort aux trousses
Le truand meurtrier, son Philipp Vandamm
Ernest Lehman
but est juste le
profit Piège de cristal J. Stuart,
Hans Gruber
S. de Souza, R. Thorp

Éprouve du Clarence Robocop (1987)


plaisir à faire J. Boddicker E. Neumeier, M. Miner
souffrir les Reservoir Dogs
Le sadique Mister Blond
autres pour Q. Tarentino et R. Avary
atteindre son
Hitcher
but John Ryder
Eric Red
La Guerre des étoiles
Dark Vador
George Lucas
Un drame l’a X-Men
Le héros Eric Lensherr /
fait basculer
déchu Magnéto Stan Lee et Jack Kirby
du côté obscur
Apocalypse Now
Walter E. Kurtz
F.F. Coppola, John Milius

Animaux, objets et extraterrestres


L’antagoniste peut être un animal.
• Les Dents de la mer (Steven Spielberg – 1975).
• King Kong (Merian C. Cooper et Ernest B. Schoed-
sack – 1933).

LES ANTAGONISTES 212


Il peut également s’agir d’une entité surnaturelle.
• Poltergeist (Tobe Hooper – 1982) ;
• SOS fantômes (Ivan Reitman – 1984) ;
• Christine – John Carpenter – 1983).

Ce peut aussi être un extra-terrestre.


• Alien – Le huitième passager (Ridley Scott – 1979) ;
• Lifeforce (Tobe Hooper – 1985) ;
• The Thing (John Carpenter – 1981).

Dans ces cas-là, le spectateur doit pouvoir comprendre


ce qui se passe au moins autant que les protagonistes.
La caractérisation de la nature, des pouvoirs et des
buts d’un antagoniste non humain est particulièrement
difficile et essentielle pour donner sens aux enjeux des
conflits.

Les valeurs de l’ennemi


Si vous créez un adversaire humain, souvenez-vous
qu’en temps normal les humains ont des limites de plu-
sieurs sortes. Des limites physiques pour commencer :
ils ont besoin de boire, de manger, de dormir. Ils doivent
se faire soigner s’ils sont malades ou gravement blessés.
Ils ont aussi des limites psychologiques : il y a des choses
qu’ils sont prêts à faire et d’autres non (voler, torturer,
tuer, trahir leurs amis, etc.).
Un adversaire qui s’impose des limites aura souvent
plus de classe, il paraîtra plus respectable, et le specta-
teur pourra comprendre, voire respecter son point de
vue. Le récit aura alors une certaine subtilité et évitera
le manichéisme.
Un antagoniste transgresseur, prêt à toutes les igno-
minies, suscitera horreur et répulsion, et donnera un

LES ANTAGONISTES 213


récit moralement plus limpide, car le spectateur n’aura
aucun doute sur qui a raison ou tort. Entre ces deux
extrêmes, il y a bien sûr de nombreuses possibilités.

Notez enfin qu’un antagoniste, humain ou non, doit


avoir des limites et des faiblesses en cohérence avec
l’univers du récit, de sorte que le spectateur puisse tou-
jours croire à une possible victoire du protagoniste.

C’est, à mon sens, le problème majeur de Funny


Games (1997) de Michael Haneke.
Les antagonistes y sont tellement puissants que
nous passons tout le film à constater l’incapacité des
personnages principaux à reprendre un tant soit peu le
contrôle de la situation96.
Certains scénaristes utilisent non pas un mais plu-
sieurs antagonistes pour créer des possibilités d’alliances
et de mésalliances.

Opposition en quatre points


Dans Anatomie du scénario (2010), John Truby
explique l’intérêt d’un système avec quatre personnages
en conflit : par exemple un protagoniste, un faux allié,
un ennemi et un faux ennemi. C’est le principe de l’op-
position en quatre points.

Il préconise de créer ces personnages en parallèle,


de les définir non seulement individuellement, mais sur-
tout par les relations qu’ils entretiennent entre eux.
Cela permet de mieux caractériser en quoi les anta-
gonistes se distinguent du protagoniste et des autres
personnages.

96. J’admets que ce sentiment de frustration et d’impuissance puisse être


le but de l’auteur. De ce point de vue le film est une réussite incontestable.

LES ANTAGONISTES 214


Donner au spectateur des éléments de comparaison
aide beaucoup la caractérisation, surtout quand l’univers
du récit est différent du monde ordinaire (récit histo-
rique, science-fiction et fantastique notamment).
Deux personnages qui s’opposent, c’est simple
comme le jour et la nuit. Mais quatre personnages, tous
différents, s’opposant par leurs valeurs, leurs méthodes,
leurs faiblesses et leurs besoins, voilà qui peut enrichir
considérablement les conflits et les promesses de
conflits d’un scénario.

Truby97 conseille de créer des adversaires qui s’atta-


quent tous à la faiblesse du héros d’une façon différente,
de sorte que chaque conflit le fasse évoluer d’une
manière distincte.
Prenons le personnage de Harold dans Dragons
(Chris Sanders et Dean DeBlois – 2010). Son premier but
est de tuer un dragon, afin de complaire aux idéaux de
son clan et surtout de son père Stoick.
Mais son échec le conduit à apprivoiser Krokmou,
ce qui lui permet d’en apprendre énormément sur les
dragons.
Il se retrouve opposé à Astrid (antagoniste 1, faux
ennemi) pendant les leçons de Geulefort, à son père (anta-
goniste 2) quand il découvre la vérité, puis finalement à
la Reine Dragon (antagoniste 3) à la fin de l’acte 2.
Au final, cela fait trois adversaires, trois conflits dif-
férents, des interactions entre eux et une issue différente
à chaque fois. Efficacité garantie.

97. Toujours dans Anatomie du scénario (2010).

LES ANTAGONISTES 215


Exercice 1
Dans Princesse Mononoké (Hayao Miyazaki – 1997),
le protagoniste Ashitaka s’oppose successivement
à Dame Eboshi, à San et au Bonze Jiko. Analysez
pour chacun : leur but, leur faiblesse, leurs actions
et la nature du conflit qui les oppose à Ashitaka.

Exercice 2
Dans Les Évadés (Frank Darabont – 1994), Andy
Dufresne (Tim Robbins) est confronté à plusieurs
antagonistes. Faites-en l’inventaire. Identifiez la
caractérisation de chacun d’eux et la chronologie
de leurs entrées dans le récit.

Exercice 3
Albert, archéologue, arrive sur une île perdue
pourvu d’une carte indiquant l’emplacement d’un
trésor, près d’un site de nidification d’oiseaux
marins. Ses adversaires : le petit-fils du pirate ayant
enterré le coffre, un scientifique œuvrant à la pro-
tection des oiseaux et une habitante de l’île qui
veut chasser les intrus.
Utilisez ces éléments pour construire les person-
nages en développant leurs oppositions, puis éla-
borez la liste des conflits pouvant se succéder dans
une intrigue les faisant tous intervenir.

LES ANTAGONISTES 216


Et maintenant, voulez-vous savoir comment :

utiliser le point de vue


fi Cliquez ici
de l’adversaire ?

intégrer des antagonistes à votre


fi Cliquez ici
univers narratif ?

les antagonistes servent


fi Cliquez ici
la morale de l’histoire ?

Sinon, nous allons expliquer plus en détails un puis-


sant outil déjà évoqué : l’ironie dramatique.

LES ANTAGONISTES 217


Ironie dramatique,
suspense
et quiproquos
UN DÉCALAGE D’INFORMATION / DIFFÉRENTES ÉCHELLES /
VICTIMES / RÉSOLUTION OU FIN OUVERTE /
ÉVITER LE DEUS EX MACHINA

Obtenir la participation émotionnelle de ses specta-


teurs est une des clés du succès pour tout auteur. Au-
delà du spectacle, vous devez lui offrir des émotions :
l’espoir, le doute, la peur, l’angoisse, la frustration, le
rire, la colère, le soulagement, le contentement…
Or il y a une différence fondamentale entre faire vivre
ces émotions aux personnages d’un récit et les faire vivre
aux spectateurs. Ces derniers sont témoins de ce qui
arrive, mais ils sont à l’extérieur de l’histoire. Ils ont donc,
au moins potentiellement, du recul et une distance avec
les faits, les personnages et l’univers du récit.
Non seulement il faut leur permettre d’entrer dans
votre univers, mais cette entrée doit s’avérer payante
en terme émotionnel.
S’il est attaché aux personnages, le spectateur éprou-
vera du plaisir à s’inquiéter pour eux, s’énerver de leurs
manques ou se réjouir de leurs bonheurs.
Pour obtenir toutes ces émotions, l’ironie dramatique
est l’outil maître.

IRONIE DRAMATIQUE, SUSPENSE ET QUIPROQUOS 219


Un décalage d’information
Le principe consiste tout simplement à informer le
spectateur d’une chose qu’un ou plusieurs personnages
ignorent, puis à jouer du décalage entre ce qu’il sait et
que les personnages ne savent pas, jusqu’au moment
où enfin la vérité éclate.
Autrement dit, une ironie dramatique doit être ins-
tallée, pour pouvoir être exploitée avant d’être résolue.
C’est par ce mécanisme qu’on produit du suspense, des
gags, de la peur ou des quiproquos.
Un quiproquo est une double ironie dramatique :
deux personnages qui se méprennent chacun à leur
manière sur la situation.

Différentes échelles
On peut faire fonctionner l’ironie dramatique à
l’échelle d’une scène, d’une suite de scènes, sur plusieurs
scènes dispersées, et dans certains cas sur toute la durée
d’un récit.

Exemples d’ironie dramatique à l’échelle d’une his-


toire entière :
Dans Tootsie (Sydney Pollack – 1982), nous savons
que Dorothy Michaels est en fait Michael Dorsay (Dustin
Hoffman) qui s’est déguisé en femme pour obtenir un
rôle dans une série télé. La plupart des autres person-
nages l’ignorent.
Dans Les Tontons flingueurs (Georges Lautner –
1963), Fernand Naudin (Lino Ventura) se retrouve à la
tête de la bande de ruffians de son ami Louis (Jacques
Dumesnil), dit « le Mexicain ». Il doit s’occuper de la fille
de ce dernier, Patricia (Sabine Sinjen), qui ignore tout
des affaires louches de son défunt père.

IRONIE DRAMATIQUE, SUSPENSE ET QUIPROQUOS 220


Dans Le Seigneur des anneaux (J.R.R. Tolkien – 1954),
nous savons que Frodon doit porter l’anneau unique
dans le Mordor, jusqu’à la montagne du destin pour le
détruire. Sauron et Saroumane l’ignorent.
Dans Un jour sans fin (Harold Ramis – 1993), nous
savons que Phil (Bill Murray) revit sans cesse la même
journée. Quand il en parle, personne ne veut le croire.
Dans Retour vers le futur (Robert Zemeckis – 1985),
nous savons que Marty vient de 1985 et doit y retourner.
Les gens de 1955 l’ignorent.

Quand l’ironie installée au début n’est résolue qu’à


la fin, elle peut être exploitée tout au long de l’histoire
et de multiples manières. Notez que selon les cas, l’ironie
dramatique peut créer des situations comiques, des
drames, du suspense, des quiproquos…

Plus localement, l’ironie dramatique peut concerner


une partie de l’œuvre.
Dans Avatar (James Cameron – 2009), Jake Sully
(Sam Worthington) finit par se sentir plus proche des
Na’vis que de son supérieur Quaritch (Stephen Lang),
mais ce dernier ne s’en aperçoit pas tout de suite.
Dans Certains l’aiment chaud (Billy Wilder – 1959),
Joe (Tony Curtis) se fait passer pour un milliardaire afin
de séduire Sugar (Marilyn Monroe), qu’il sait attirée par
l’argent. En plus, il se prétend frigide (et nous savons
qu’il n’en est rien), poussant Sugar à une surenchère
d’effets de charme et de baisers langoureux. Par ailleurs,
il est déguisé en femme pendant une bonne partie du
film pour échapper à la mafia.
Dans 2001 : l’odyssée de l’espace (Stanley Kubrick –
1968), David Bowman (Keir Dullea) et son coéquipier
Franck (Gary Lockwood) s’isolent pour évoquer les pro-
blèmes que leur pose HAL, l’ordinateur de bord.

IRONIE DRAMATIQUE, SUSPENSE ET QUIPROQUOS 221


Nous comprenons que ce dernier parvient à lire la
discussion sur leurs lèvres, eux l’ignorent.

Victimes
Pour que ça marche, toute ironie dramatique doit
faire une ou plusieurs victimes : le moment où la vérité
qui leur était cachée est enfin révélée au grand jour
constitue une scène essentielle, quasi obligatoire.
David Bowman comprend en voyant son coéquipier
se faire tuer. Sugar comprend lorsque Joe, pourtant
déguisé en femme, ne résiste pas à l’envie de venir l’em-
brasser sur scène. Et Quaritch comprend en voyant l’ava-
tar de Jake Sully démolir les caméras d’un bulldozer.

Remarquez qu’une même ironie dramatique peut


donner lieu à un panel d’émotions très variées entre son
installation, son exploitation et sa résolution.

Certains scénaristes installent et exploitent plusieurs


ironies dramatiques, s’arrangeant pour ne résoudre les
premières qu’après en avoir installé d’autres qui pourront
à leur tour être exploitées. C’est par exemple systéma-
tique dans les films d’Ernst Lubitsch. Citons To Be or Not
to Be (1938), qui fait même du milking98 avec plusieurs
ironies dramatiques.

Il faut s’arranger pour que le spectateur soit toujours


en attente et s’amuse à anticiper la suite. Cela lui offre la
possibilité de craindre, d’espérer ou de deviner ce qui
pourrait arriver ; bref, d’être actif par son imagination et
ses émotions. Cela offre en plus la possibilité au scéna-
riste de déjouer une attente par une exploitation ou une
résolution inattendue.

98.Voir le milking, cliquez ici.

IRONIE DRAMATIQUE, SUSPENSE ET QUIPROQUOS 222


Résolution ou fin ouverte
La résolution d’une ironie dramatique est une scène
attendue. Si vous ne l’écrivez pas, vous allez frustrer votre
spectateur. Ceci étant, un tel choix peut parfois se justifier.

Par exemple dans le dernier épisode des Mysté-


rieuses Cités d’Or (Édouard David et Bernard Deyriès –
1983), nous comprenons que l’homme que tout le monde
prend pour le grand prêtre de la cité est en réalité le
prophète-voyageur, c’est-à-dire le père d’Esteban.
On s’attend à ce que ce dernier apprenne la vérité après
que son père est allé au-devant de la mort pour neutraliser
le Grand Héritage qui menace de détruire la région.
Pourtant la vérité ne lui est pas révélée, à la demande
de Mendoza qui pense que ce serait trop dur pour lui.
Cette non-résolution est frustrante et constitue un
argument de poids pour motiver la réalisation d’une
suite (sans compter que son père n’est peut-être pas
mort…). Dans le cadre d’un récit qui devrait se suffire à
lui-même, en revanche, cela laisse au spectateur un goût
d’inachevé.
En tant qu’auteur, il vaut mieux créer sciemment ce
sentiment et l’assumer plutôt que de l’obtenir par négli-
gence lors de l’écriture du scénario.

Éviter le deus ex machina


Dans A.I. Intelligence artificielle (Steven Spielberg –
2001), nous comprenons très tôt que David, robot à l’ap-
parence d’un enfant, ressent des émotions et a besoin
d’être aimé autant qu’un être humain. Ses « parents »
l’avaient acheté pour pallier l’absence de leur véritable
enfant, dans le coma. Ils l’abandonnent parce qu’ils ne le
considèrent pas comme un vrai petit garçon.

IRONIE DRAMATIQUE, SUSPENSE ET QUIPROQUOS 223


Ils sont incapables de percevoir la réalité des émo-
tions du robot, ayant récupéré leur enfant véritable sorti
du coma.
David est victime d’un abandon, mais ses parents
eux sont victimes d’une ironie dramatique : ils ne savent
pas que l’amour de David est bien réel, alors que nous le
savons.
Cette ironie n’est pas résolue dans le film. Spielberg
recourt à un Deus ex machina99 pour finir l’histoire, plu-
sieurs siècles après la mort de tous les êtres humains : la
scène obligatoire se déroule du coup avec une réplique
de la mère créée par des extraterrestres et dont l’exis-
tence est d’une durée limitée.
La portée de cette scène est sans rapport avec ce
qu’aurait donné une prise de conscience de la véritable
mère de son vivant.

99. Deus ex machina : résolution sans action du protagoniste. Cliquez ici.

IRONIE DRAMATIQUE, SUSPENSE ET QUIPROQUOS 224


Exercice 1
Identifiez dans To Be or Not to Be (Ernst Lubitsch
– 1938) l’installation, les exploitations (il y en a de
nombreuses) et la résolution de l’ironie dramatique
liée à la réplique qui donne son titre au film.

Exercice 2
Choisissez un film, un livre, une BD, un manga ou
un jeu vidéo que vous connaissez et dans lequel
vous pensez trouver des ironies dramatiques. Repé-
rez-en trois, en précisant comment chacune est
installée, les principales exploitations qui en sont
faites et la manière dont chacune est résolue.

Exercice 3
Vérifiez dans vos propres scénarios si vous avez
implicitement utilisé des ironies dramatiques. Si
c’est le cas, félicitations !
Vérifiez maintenant comment elles fonctionnent,
comment elles s’enchaînent et (cerise sur le gâteau),
comment elles sont connectées.

IRONIE DRAMATIQUE, SUSPENSE ET QUIPROQUOS 225


Et maintenant, voulez-vous voir comment :

prévoir l’ironie dramatique


fi Cliquez ici
dès l’étape du séquencier ?

relier l’ironie aux autres


fi Cliquez ici
effets dramatiques ?

installer l’ironie par


fi Cliquez ici
des intrigues secondaires ?

Sinon, voyons une application particulièrement


puissante de l’ironie dramatique, l’annonce-paiement.

IRONIE DRAMATIQUE, SUSPENSE ET QUIPROQUOS 226


Annonce –
paiement
L’ART DE LA PRÉPARATION / PROMESSE DE CONFLIT /
PAIEMENT DIRECT / EFFETS DE SURPRISE /
GARE À L’EFFET TÉLÉPHONÉ /
ÊTRE À LA HAUTEUR DES ATTENTES / LE GROS LOT

Cet outil-là exige de l’auteur qu’il se mette à la place


de son spectateur pour préparer ses réactions et ses
émotions.

On appelle annonce (set-up) le fait de révéler au spec-


tateur un fait conséquent, c’est-à-dire un fait qui aura
tôt ou tard des conséquences prévisibles dans le dérou-
lement du récit. Il peut s’agir de l’organisation d’un bra-
quage ou d’un attentat, d’un homme célibataire qui prend
rendez-vous avec une femme mariée, d’un trader qui
place une fortune sur un placement à haut risque, d’un
savant qui tente de recréer un être humain en assemblant
des morceaux de cadavres, d’un extraterrestre malen-
contreusement oublié par les siens sur Terre…

Dans tous les cas, l’annonce est un fait ou un ensem-


ble de faits qui promettent une suite, c’est-à-dire une
exploitation future. En ce sens, les annonces font partie
de l’installation, à ceci près que le spectateur comprend
d’entrée de jeu qu’il y aura une suite et peut imaginer
différentes possibilités.

ANNONCES - PAIEMENTS 227


L’art de la préparation
Une annonce installe donc une attente : plus nous
en savons sur ce qui se passe, plus nous pouvons anti-
ciper. Ce genre d’attente stimule l’imagination, rendant
le spectateur actif.
Il attend, imagine et espère LA scène que l’annonce
promet. Yves Lavandier100 appelle ça « une scène à
faire », tout simplement parce que son absence frustre-
rait le spectateur.

Lorsqu’on parvient à l’impliquer dans un récit, il


attend en retour de ressentir des émotions. C’est pour
cette raison qu’on parle de paiement (pay-off). Cela
oblige l’auteur à aller au bout de ce qu’il promet.
Le paiement concerne autant les émotions du spec-
tateur que celles des personnages. Tout l’art de l’annonce
consiste à préparer le paiement.

Vous aurez noté que l’annonce-paiement (set-


up/pay-off) revient à installer et exploiter une ironie dra-
matique évidente, en connivence avec le spectateur.

Promesse de conflit
Autant l’installation d’une ironie dramatique peut
être discrète et passer inaperçue sur le moment, autant
une annonce doit être clairement posée et perçue
comme telle.
C’est l’équivalent de la promesse du magicien lorsqu’il
vous déclare qu’il va couper son assistante en deux ou
faire disparaître un lapin. Toute l’attention du spectateur
et toute son imagination sont concentrées et focalisées
par l’annonce, le poussant à chercher le truc, comprendre

100. Dans La Dramaturgie (Yves LAVANDIER – 2008).

ANNONCES - PAIEMENTS 228


ce qui se passe, découvrir comment le magicien va pou-
voir s’y prendre.
Il en est de même pour vos spectateurs.

Prenez la première partie des Dents de la mer (Steven


Spielberg – 1975). En apprenant que le premier requin
tué par les pêcheurs n’est pas le mangeur d’homme
redouté, le spectateur se trouve dans l’attente angois-
sante de la prochaine attaque qui fera comprendre à
tout le monde l’erreur commise. Tout comme le prota-
goniste, nous nous doutons qu’il faudra une nouvelle
victime pour que la situation évolue. La tension drama-
tique créée est énorme et, quand l’attaque se produit,
son impact mène directement à la charnière dramatique
vers le second acte.

Une annonce est donc une promesse de conflit clai-


rement posée dont l’enjeu peut être la vie, la mort,
l’amour, la fortune, la gloire, la tranquillité, la guerre…
L’annonce peut aussi avoir un enjeu local, aux consé-
quences immédiates, donnant lieu à une exploitation
directe. Voyons un exemple tiré du film La Vie est belle
(Roberto Benigni – 1998).
Guido (Roberto Benigni) se retrouve dans un camp
de concentration avec son jeune fils, à qui il veut faire
croire qu’il s’agit d’un camp de vacances. Arrive un offi-
cier allemand qui va énoncer les règles du camp et
demande à quelqu’un de traduire ses propos en italien.
L’annonce est faite : nous voyons bien qu’à moins d’un
miracle, son fils va comprendre ce qui se passe. Guido
lève alors la main, se proposant comme traducteur.
Nous, spectateurs, pouvons constater, même sans
comprendre l’allemand, qu’entre ce que dit l’officier et
ce que dit Guido, il y a un écart considérable qui crée à

ANNONCES - PAIEMENTS 229


la fois une tension dramatique ET un effet comique tota-
lement inattendu dans ce contexte.

Paiement direct
C’est un paiement immédiat, qui pourtant ne résout
pas l’ironie de la situation. C’est même un paiement qui
nous plonge dans l’inquiétude, car ce que Guido a
annoncé dans sa fausse traduction risque par la suite
d’être éventé.
Une scène peut ainsi être à la fois un paiement d’une
annonce précédente, tout en annonçant des paiements
ultérieurs. C’est le principe même de l’exploitation en
dramaturgie.

Effets de surprise
La mécanique de l’annonce-paiement peut aussi
permettre de préparer des effets de surprise. Le specta-
teur identifie une annonce, anticipe sur les paiements
possibles que cette annonce promet, et du coup ne voit
pas venir une exploitation tout à fait inattendue d’un
élément qui a été installé en même temps que l’annonce,
ou lors d’un paiement associé à cette annonce.

Dans La Vie est belle, la scène de pseudo-traduction


déjà citée amène Guido à promettre au gagnant du grand
jeu du camp de vacances un char d’assaut. Or ce char
fera son apparition lorsque les Américains arrivent au
camp après le départ des Allemands, provoquant la joie
de l’enfant… et une grande émotion au cœur du specta-
teur, qui sait qu’entre-temps Guido a été fusillé.

L’enchaînement des annonces-paiements est un


excellent vecteur émotionnel. Son utilisation pour

ANNONCES - PAIEMENTS 230


masquer la préparation et l’exploitation d’autres effets
dramatiques ou comiques est d’une incomparable effi-
cacité pour faire vivre au spectateur de puissants rebon-
dissements.
Mais il y a des risques.

Gare à l’effet téléphoné


C’est ce qui arrive quand l’annonce prépare une solu-
tion et non un problème. Une solution prévisible annon-
cée est toujours une déception pour le spectateur.
« On s’y attendait », « C’était cousu de fil blanc »,
« C’était évident ».
Ainsi, si vous annoncez une solution, prenez tou-
jours soin de la faire échouer. Même si cet échec paraît
improbable, il sera plus facilement accepté par le spec-
tateur qu’un effet téléphoné.
Un bon exemple : à la fin de Toy Story (John Lasseter
– 1995), Buzz et Woody poursuivent le camion de démé-
nagement où se trouvent les autres jouets. Or Buzz a
une fusée attachée dans le dos et Woody, une allumette
dans son holster. Le moyen idéal pour que les deux amis
se propulsent jusqu’au camion. Mais lorsque Woody
repense à cette allumette et la craque, un coup de vent
l’éteint… évitant un effet téléphoné trop facile.

Être à la hauteur des attentes


Le second risque, c’est de ne pas être à la hauteur
des anticipations suscitées chez le spectateur. Quand
on promet du conflit, il faut en donner.
Chaque annonce devrait être exploitée, si possible
de façon inattendue.

ANNONCES - PAIEMENTS 231


Prenez soin de toujours laisser au protagoniste une
marge de manœuvre décisive. Si son destin n’est pas
entre ses mains, la solution à ses difficultés risque d’être
un Deus ex machina101, le privant de tout mérite.
Si vous parvenez à éviter ces écueils, peut-être por-
terez-vous l’art de l’annonce-paiement à son summum,
le gros lot.

Le gros lot
C’est un paiement au-delà des attentes, après un
premier paiement déjà satisfaisant, constitué d’une
scène complète bien plus dense qu’un topper102.
À la fin de Braindead (Peter Jackson – 1992), a lieu
une séquence de carnage total. Lionel (Timothy Balme)
démembre les zombies qui encombrent son salon à
grands coups de tondeuse à gazon. On pense un moment
que tout est fini, tant nous sommes soulagés de voir la
bataille se terminer victorieusement pour les héros.
Sauf que toute cette violence nous a fait oublier
qu’un personnage important et dangereux manque à
l’appel pour que les problèmes de Lionel soient réso-
lus… jusqu’à sa petite phrase « Je n’ai pas vu maman »,
qui précède le grand final du film. Le carnage à la ton-
deuse à gazon n’était qu’une mise en bouche, un paie-
ment encore plus énorme nous attend.

Pour finir, retenez que l’annonce est beaucoup plus


efficace que le mystère pour scotcher votre spectateur.
Les auteurs débutants me disent souvent ne pas
vouloir que le spectateur comprenne trop vite ce qui se

101. Deus ex machina : voir page 80, cliquez ici.


102. Topper, voir page 85, cliquez ici.

ANNONCES - PAIEMENTS 232


passe. Je leur réponds qu’ils feraient mieux de se soucier
d’être compris le plus tôt possible.
Vous devriez toujours chercher à donner au specta-
teur le maximum d’éléments pour comprendre ce qui
est en jeu dans vos récits, même si vous le surprenez de
temps en temps avec de fausses pistes.
La plus grande crainte du scénariste devrait être
qu’on ne comprenne pas son histoire.
N’oubliez jamais que vous êtes redevable envers le
spectateur de son attention, de son temps et de son argent.

La particularité du paiement en dramaturgie, c’est d’ac-


quitter cette dette sous forme d’émotions authentiques.

Exercice 1
Repérez les annonces-paiements dans le scénario
des Dents de la mer (écrit par Peter Benchley).
Notez en particulier ce qui transforme l’horrible
mort de Quint (Robert Shaw) en paiement.

Exercice 2
Écrivez deux scènes séparées par une ellipse de
plusieurs jours. La première doit caractériser un
personnage exécrable et annoncer son intention
de commettre un meurtre. La seconde doit com-
porter un paiement sans que personne ne meure…

ANNONCES - PAIEMENTS 233


Exercice 3
Écrire une scène d’annonce dont le paiement sera
constitué par le plan suivant : le protagoniste entre
dans une grande pièce luxueuse mais vide et se
met à pleurer.

Et maintenant, voulez-vous savoir comment :

utiliser le milking avec des


fi Cliquez ici
annonces-paiements ?

utiliser l’annonce-paiement
fi Cliquez ici
pour rythmer un récit ?

créer une intrigue à fausse piste ?


fi Cliquez ici
(hareng rouge) ?

Sinon, nous allons vous proposer quelques outils


pratiques pour développer concrètement un scénario.

ANNONCES - PAIEMENTS 234


Les outils
du développement
DE LA PRÉMISSE AU PREMIER TRAITEMENT /
PITCHING, DÉVELOPPEMENT, NOTES PRÉPARATOIRES /
SCÈNE-À-SCÈNE /
DUALITÉ FONCTIONNELLE DE LA CONTINUITÉ DIALOGUÉE

Le processus d’écriture n’est pas rectiligne. Chaque


auteur est amené, au fil des projets, à développer diffé-
rentes méthodes de travail pour arriver à ses fins.
Beaucoup de jeunes auteurs cherchent LA méthode
pour écrire, mais il n’y a pas de méthode miracle.
Ce qui suit n’ambitionne pas de vous mener auto-
matiquement au succès et à la gloire.
Plus humblement, il s’agit de proposer des points de
repère pour ne pas se perdre dans les méandres de sa
propre imagination, et aussi aborder quelques outils qui
peuvent être très utiles lorsqu’on travaille à plusieurs.
Ce sera notamment le cas pour des scénarios de
séries, mais également pour tout gros projet ciblant un
large public.
À Hollywood, la plupart des films tournés sont entiè-
rement réécrits, parfois en collaboration avec l’auteur
original, parfois sans lui s’il n’est pas prêt à ce genre de
démarche.
Et puis, il y a le travail des script-doctors comme
votre serviteur. Dans tous les cas s’impose la nécessité

LES OUTILS DU DÉVELOPPEMENT 235


d’outils et de vocabulaire communs pour aborder le tra-
vail d’écriture. C’est l’enjeu principal de ce chapitre.

Pitching, développement,
notes préparatoires
Le pitch est un résumé de l’essentiel du récit en
quelques phrases, idéalement deux. Il faut parfois des
jours de réflexion et de tâtonnement avant de dégager
une idée centrale claire et originale, connectée à un
thème principal bien identifié.
La mise en forme du pitch, lorsqu’elle est remise à
plus tard au lieu d’être posée comme une donnée fon-
damentale d’un projet, peut in fine rendre caduque des
pans entiers d’un scénario déjà écrit.
Je recommande donc d’y travailler dès le début et
d’établir au minimum une première version des propo-
sitions dramatiques et thématiques de vos projets.

Proposition dramatique : le personnage principal, ce


qui lui arrive, ce qu’il fait et à quoi il aboutit.
Proposition thématique : quels points de vue sont
développés dans le récit, sur quel thème central.

Ces deux propositions devront dans tous les cas se


trouver clairement exposées dans votre note d’intention.
Si la rédaction du pitch vous pose trop de problèmes,
vous pouvez aussi passer par une phase de développe-
ment et mettre en forme votre récit tout en prenant des
notes sur les particularités inhérentes à votre univers
narratif et/ou des notes de recherches si vous vous
appuyez sur des faits réels.
Il arrive souvent que la rédaction d’un premier jet,
sous forme d’un traitement de quelques pages, permette

LES OUTILS DU DÉVELOPPEMENT 236


de décanter suffisamment ses idées pour en dégager
l’essentiel.

Scène-à-scène (traitement)
Il peut être intéressant (mais pas obligatoire), de
découper le récit en séquences, résumées en quelques
phrases, sans les dialogues.
En parallèle, gardez une trace de tout ce qui est spé-
cifique à l’univers de votre récit. Si vous écrivez du fan-
tastique, vous devez savoir comment fonctionne votre
fantastique. Si vous écrivez de la science-fiction, défi-
nissez avec soin ce que les sciences et techniques de
votre univers permettent de faire… ou de ne pas faire103.
Le séquencier (appelé aussi scène-à-scène, ou trai-
tement) donne une vue d’ensemble des mécanismes
mis en œuvre dans une narration : le point d’entrée
(appelé aussi accroche), les annonces, les paiements, la
préparation des effets, le rythme narratif, l’équilibre
action/dialogue/contemplation, etc.
Il permet aussi de visualiser plus facilement les
temps forts, les charnières dramatiques104 et les intrigues
secondaires105.
C’est également un document dont le format peut
intéresser un producteur. Un séquencier de vingt à trente
pages est plus rapide à lire qu’un scénario complet de
quatre-vingt-dix ou cent pages.

Cependant, cet outil présente un inconvénient : il


risque de vous enfermer dans une approche purement

103. Voir la caractérisation de l’univers et des personnages d’un récit, cliquez ici.
104. Voir les charnières dramatiques, cliquez ici.
105. Voir les intrigues secondaires, cliquez ici.

LES OUTILS DU DÉVELOPPEMENT 237


intellectuelle et logique, et faire de votre récit une méca-
nique trop bien huilée.
Parfois, des scènes entières s’imposent à l’imagina-
tion des auteurs sans pour autant être justifiées et sans
réelle cohérence avec le reste du récit. Renoncer à une
scène au nom de la logique globale n’est pas toujours la
solution.

Un exemple de séquencier (extrait) :

INT/CAGE D’ESCALIER 1958/SOIR


Des bruits de pas montant un escalier.
Jonathan, la cinquantaine, manteau et
chapeau gris, arrive sur le palier.

INT/CHAMBRE JONATHAN 1958/SOIR


La porte s’ouvre. C’est une petite chambre
pauvrement meublée. Jonathan garde ses
maigres économies dans une boîte à sucre.
La radio diffuse des informations de 1958.
Jonathan mange. Il est heureux.

INT/CHAMBRE JONATHAN 1958 — SALLE DE


BAIN/NUIT
Jonathan se brosse les dents.

INT/CHAMBRE JONATHAN 1958/NUIT


Jonathan finit de lire le dernier chapitre
de « L’île au trésor », remonte son réveil,
éteint la lumière et ferme les yeux. Bruits
de vagues.

INT/CHAMBRE JONATHAN 1968/MATIN


Jonathan allume la radio pile à l’heure des
infos. On est en 1968. Il prépare son petit
déjeuner.

LES OUTILS DU DÉVELOPPEMENT 238


INT/CHAMBRE JONATHAN 1968/MATIN
Jonathan part au travail joyeux.

INT/BUREAU JONATHAN 1968/SOIR


Jonathan a aussi ses petites manies au
bureau.
Il termine avec application son travail
de la journée et quitte son bureau.

INT/CHAMBRE JONATHAN 1968 — SALLE DE


BAINS/NUIT
Jonathan se brosse les dents. Un battement
d’ailes l’interrompt.

INT/CHAMBRE JONATHAN 1968/NUIT


Jonathan lit « L’Ile au trésor ». Bruits de
mer à nouveau, et nouveaux battements
d’ailes. Il ne s’endort pas immédiatement,
intrigué.

INT/CHAMBRE JONATHAN 1968/MATIN


À son réveil, il trouve une plume au pied de
son lit. Il rate le début des infos.

INT/CHAMBRE JONATHAN 1968/MATIN


Jonathan jette dans sa chambre un regard
intrigué et part au travail.

On peut parfois retravailler la trame pour préparer


l’arrivée d’une scène, et s’arranger par la suite pour l’ex-
ploiter.
Dans ce cas, vous réécrirez le récit dans le but d’y
intégrer des scènes qui vous tiennent à cœur et que
vous voulez absolument conserver. Quand ce travail est
mené avec soin, cela peut donner des scènes-cultes.
Pensez à la séquence du champ de maïs dans La
Mort aux trousses (Alfred Hitchcock – 1958). Le metteur

LES OUTILS DU DÉVELOPPEMENT 239


en scène l’avait en tête, mais comment la placer dans un
film? Elle trouve sa justification par une astuce de scéna-
riste: un rendez-vous au cours duquel on promet au pro-
tagoniste des explications sur ce qui lui arrive. Ça fonc-
tionne, parce que cette proposition répond à un besoin
que nous partageons avec Roger Thornhill (Cary Grant).
Pour que le séquencier vous soit utile, vous devez
donc maîtriser des notions de dramaturgie.
Le séquencier est au scénario ce que l’esquisse est
au plan d’architecture : un architecte anticipe l’effet de
sa construction sur les personnes qui la visiteront, avant
même l’élaboration de plans cotés. Il sait où il va quand
il fait son esquisse.
Il doit en être de même pour le scénariste. Établir
un séquencier sans être en mesure d’en analyser la por-
tée et la pertinence d’un point de vue dramaturgique ne
mènerait qu’à la confusion.
Mais si vous prenez le temps de vérifier point par point
les fonctions dramatiques remplies par chaque séquence,
la cohérence de leur enchaînement et les effets qui en
résultent, vous parviendrez progressivement à élaguer
certains passages et à en étoffer d’autres pour parvenir à
l’équilibre tout en intégrant ce qui vous tient à cœur.
Ceci étant, ajouter des scènes particulières dans un
scénario n’est pas toujours possible.

Hitchcock lui-même a ainsi dû renoncer à quelques


scènes que ses scénaristes n’ont pas réussi à faire fonc-
tionner dans le cadre d’un récit plus vaste106. Retenez

106. Dans les entretiens Hitchcock/Truffaut (1966, 1980) le metteur en scène


britannique décrit l’idée suivante : Cary Grant et un contremaître discutent
d’un troisième personnage devant une chaîne d’assemblage. Derrière eux,
une voiture est construite pièce par pièce à partir de rien. Le véhicule flam-
bant neuf sort de la chaîne, les deux hommes s’émerveillent, l’un d’eux
ouvre une portière et un cadavre en tombe: celui du troisième personnage…

LES OUTILS DU DÉVELOPPEMENT 240


qu’en travaillant sur le séquencier, on a des chances de
trouver une solution.

Dualité fonctionnelle
de la continuité dialoguée
La continuité dialoguée est l’étape finale de mise en
forme du récit scénarisé.
Chaque geste, regard, bruit, parole, mouvement doit
avoir sa double justification ou disparaître.

Justification diégétique, fondement du vraisem-


blable en fiction.
Si vous avez bien posé toutes les bases de votre uni-
vers, les événements qui s’y déroulent, l’évolution de
vos personnages, tout ce qui arrive doit s’enchaîner avec
cohérence, même les surprises et les rebondissements.

Justification narrative, au sens de la logique aris-


totélicienne des faits.
Chaque élément du récit devrait correspondre à une
étape d’installation, d’exploitation ou de résolution.
« Ce qu’on ajoute ou ce qu’on retranche, sans laisser
une trace sensible, n’est pas une partie de cet ensemble. »
Aristote (Poétique – 335 av J.C.)

Sauf cas particulier, vous devriez supprimer tous les


éléments qui ne sont pas doublement justifiés.
On peut parvenir à finaliser une continuité à force
de réécritures successives. C’est souvent comme cela

… John CARPENTER a rendu hommage à cette idée dans le prologue de son


film Christine (1983). Steven SPIELBERG y fait référence dans Minority Report
(2002), où John Anderson (Tom Cruise), poursuivi dans une chaîne de
montage automatisée, s’échappe dans la voiture que les robots ont
construite autour de lui.

LES OUTILS DU DÉVELOPPEMENT 241


que se déroule la mise au point d’un scénario. Mais on
peut gagner beaucoup de temps et s’épargner bien des
tâtonnements lorsque l’on a soigné sa préparation.

Définir le pitch, le thème central, le ton, le genre ou


le mélange de genre, ainsi que les grandes étapes du
récit en parallèle avec l’évolution des personnages, cela
donne un cadre.

Établir clairement pour chaque scène la situation ini-


tiale, les conflits, les transformations et la situation finale,
c’est un moyen très efficace de baliser votre travail.

Vous pourrez alors vérifier, à chaque étape de votre


récit, si vous exploitez pleinement tous les enjeux qu’il
comporte.

Exercice 1
Partez d’un film que vous connaissez et établissez-
en le séquencier. Repérez ensuite dans ce séquen-
cier les charnières dramatiques, les annonces-paie-
ment, les préparations/exploitations/résolutions.

Exercice 2
Livrez-vous au même exercice sur le scénario d’un
film non tourné. Cherchez ensuite ce qui pourrait
améliorer ce scénario.

LES OUTILS DU DÉVELOPPEMENT 242


Exercice 3
On vous a commandé le scénario d’un épisode
spécial de la série Breaking Bad107 (Vince Gilligan –
2008/2013) pour Noël.
Le producteur tient beaucoup à y faire apparaître
une scène montrant le Père-Noël (le vrai ou un
faux) prendre sa dose de blue meth. Proposez un
séquencier cohérent avec le reste de la série, qui
intègre cette contrainte tout en la justifiant sur les
plans diégétiques et narratifs.

Et maintenant, voulez-vous voir comment :

faire fonctionner une charnière


fi Cliquez ici
dramatique ?

rythmer un récit ? fi Cliquez ici

jouer avec les codes de la fiction ? fi Cliquez ici

Sinon, voyons d’autres moyens pour déclencher et


moduler les émotions du spectateur, grâce aux effets
dramatiques.

107. Cette série raconte le parcours d’un professeur de chimie, Walter White
(Bryan Cranston) atteint d’un cancer en phase terminale, qui décide de se
lancer dans la fabrication de drogue (la fameuse blue meth) pour assurer
la sécurité financière de sa famille. Il obtient l’aide d’un ancien élève, Jesse
Pinkman (Aaron Paul), dont les erreurs répétées compliquent systémati-
quement les plans de Walter, surtout dans les premières saisons.

LES OUTILS DU DÉVELOPPEMENT 243


Les effets
dramatiques
LES TROIS TEMPS DU DRAMA /
ATTENDU ET INATTENDU / PERMIS DE TRICHER /
LE CAS DE LÉON / TYPES D’EFFETS / EFFETS COMIQUES /
RIRE DE TOUT / ENCHAÎNEMENT DES EFFETS /
ANALYSE DU DÉBUT DE LA GUERRE DES ÉTOILES

Le mot dramatique renvoie au grec drama qui signifie


littéralement action.
Les actions, c’est du concret, du visible, du tangible.
Mais derrière les apparences, il y a ce qui se passe à l’in-
térieur des personnages. La notion d’effet dramatique
est intimement liée à la dimension psychologique des
rapports humains.
Créer un effet dramatique consiste à faire partager
au spectateur, par l’intermédiaire d’actions visibles, des
éléments de l’intériorité du personnage, afin de faire
naître et évoluer ses émotions.

Un effet dramatique est donc principalement émo-


tionnel.

Cependant, il doit aussi articuler le récit (charnières


dramatiques) et s’intégrer dans une continuité narrative,
en préparant par exemple un effet ultérieur. C’est la
dimension structurale du récit.

LES EFFETS DRAMATIQUES 245


Les trois temps du drama
Créer un effet, c’est comme un tour de magie. Dans
le monde de la prestidigitation, comme en dramaturgie,
on distingue trois parties :

• La promesse consiste pour le magicien à exposer


ce qu’il va tenter de faire. Cela place le spectateur
dans l’expectative, stimule son appréhension, sa
peur ou ses espoirs.
• Ensuite vient le tour proprement dit, consistant
en une action extraordinaire, difficile à croire mais
qui paraît réelle et incontestable. C’est le temps
fort de l’émotion : selon les cas effroi, émerveille-
ment, stupéfaction, satisfaction, répulsion, atti-
rance, écœurement… la liste est infinie.
• Enfin vient le prestige : le magicien rétablit la nor-
malité, le conventionnel, rassurant le spectateur
en le reconnectant au réel (distanciation d’avec
l’émotion qui a précédé).

C’est là, et seulement là, que le spectateur applaudit


pour manifester son plaisir : celui d’avoir été mystifié et
charmé par le talent du prestidigitateur (littéralement,
celui qui obtient le prestige par l’agilité de ses doigts).
La construction d’un effet dramatique répond aux
mêmes règles, avec les trois phases obligatoires : instal-
lation, exploitation et résolution.
On retrouve les éléments du schéma narratif clas-
sique, dit schéma tri-actanciel, mais il s’agit de les
employer pour créer des effets précis, localement, et
pas seulement pour la structuration générale d’un récit.
Notez que ces deux usages ne sont pas antinomiques, il
sont mêmes hautement complémentaires.

LES EFFETS DRAMATIQUES 246


Attendu et inattendu
Tout effet dramatique fonctionne sur une prépara-
tion, et donc une attente installée, soit implicitement,
soit par une annonce108.
Un effet attendu se présente comme une consé-
quence prévisible de la situation et des événements pas-
sés. Son impact dépend du type de préparation : selon
que le spectateur redoute ou espère une action, apprécie
ou rejette un personnage, partage ou non les désirs du
protagoniste ou de son adversaire.
Si on espère un événement heureux et qu’il arrive,
on éprouve de la satisfaction, de la joie ou du bonheur.
Si on craint un événement horrible et qu’il se produit,
on éprouve de la tristesse, du dégoût ou de l’amertume.
Beaucoup de jeunes auteurs veulent surprendre en
permanence leur spectateur et se refusent à utiliser des
effets attendus. Or, même si on ne doit pas en abuser,
ces effets sont essentiels pour que le spectateur entre
dans l’univers du récit.
Donner au spectateur la satisfaction d’une attente
comblée crée un plaisir de connivence. Ce type de paie-
ment suscite l’attachement du spectateur au mode de
narration de l’auteur et renforce l’intérêt pour les per-
sonnages.
Un effet inattendu est une conséquence imprévue
des événements précédents.
Cette conséquence doit rester vraisemblable, cohé-
rente et explicable dans le contexte installé, sans quoi
le spectateur risque de décrocher.
Surprendre est une façon de relancer le récit et de
stimuler le spectateur.

108. Un effet dramatique peut être considéré comme un paiement. Voir


page 227. La question ici concerne les effets dramatiques non annoncés.

LES EFFETS DRAMATIQUES 247


Face à une surprise, il va tenter de raccorder les faits
entre eux et doit pouvoir se dire : « Je ne m’y attendais
pas, mais ça se tient ».

Permis de tricher
Il est possible de jouer avec des effets inattendus
carrément invraisemblables, assumant, vis-à-vis du
spectateur, un complet décrochement narratif. C’est par-
fois ce que font les Monty Python109 dans leurs films.
Entre ces deux postures extrêmes (effets vraisem-
blables/invraisemblables) peut aussi exister une certaine
ambiguïté, pour faire osciller le spectateur entre la sidé-
ration et le doute. Tim Burton le fait souvent, par exem-
ple dans Charlie et la chocolaterie (2005).
En tant qu’auteur, vos intentions ne doivent pas être
équivoques, même si les situations que vous créez le
sont pour vos personnages.
Attention : voir un protagoniste réussir une action
extraordinaire contre tout espoir n’est pas un effet inat-
tendu. En effet, on peut espérer contre toute attente,
croire aux chances du héros en dépit de tous les signes
qui annoncent son échec.
L’inattendu, c’est autre chose : ce devrait être un évé-
nement qui déjoue autant l’espoir que la crainte, et sur-
tout qui réoriente les attentes du spectateur dans une
nouvelle direction.
Il y a une part évidente de subjectivité dans la façon
dont nous percevons les effets dramatiques. Voyons un
exemple.

109. Voir note page 52, cliquez ici.

LES EFFETS DRAMATIQUES 248


Le cas de Léon
À la fin de Léon (Luc Besson – 1994), Léon (Jean Reno)
semble échapper aux policiers qui ont donné l’assaut
chez lui. Déguisé en l’un d’eux, il traverse leurs rangs et
se dirige vers l’extérieur.
On le croit tiré d’affaire. Premier événement inattendu,
son ennemi Stansfield (Gary Oldman) lui tire dans le dos.
Léon s’effondre et agonise.
Deuxième événement inattendu, il ouvre la main,
libérant une grenade dégoupillée qui explose et tue
Stansfield en même temps que lui.

Cet enchaînement fonctionne parfaitement, car un


plan nous a précédemment avertis que Léon emportait
des grenades (préparation), et nous sommes prévenus
depuis un moment que Stansfield est le genre d’homme
à tuer sans sommation (caractérisation).

Voici les effets dramatiques que je traverse en tant


que spectateur110 :
1. Lorsque Léon marche vers la sortie, je suis heu-
reux et soulagé de le voir échapper au massacre,
j’espère qu’il va pouvoir retrouver Mathilda
(Nathalie Portman).
2. Lorsqu’il prend la balle et s’effondre, je suis mortifié,
dégoûté de penser qu’il échoue finalement, d’au-
tant que Stansfield vient le narguer (frustration).
3. Quand Léon lâche la grenade dégoupillée, j’espère
qu’il va réussir à tuer Stansfield avant de rendre
l’âme et que du coup sa mort ne sera pas vaine.
4. La grenade explose, et j’éprouve un mélange de
tristesse (le héros est mort) et de contentement (il

110. J’assume ici mon point de vue, que vous pouvez bien entendu ne pas
partager.

LES EFFETS DRAMATIQUES 249


a réussi à tuer son ennemi, qui avait pourtant par-
tie gagnée).
5. Mathilda se retrouvant seule, je veux savoir ce
qu’elle va devenir, attente qui sera en partie com-
blée dans la résolution du film.

Cet exemple montre par ailleurs que le contexte,


dans l’univers du récit (la diégèse), amène le spectateur
à prendre parti pour des personnages que nous ne pen-
serions jamais à défendre dans la « vraie vie ». Ici, nous
prenons fait et cause pour Léon, qui est un tueur pro-
fessionnel111 !

Types d’effets dramatiques


Le théâtre classique distingue deux genres : la tra-
gédie et la comédie.
De même, un effet dramatique pourra être tragique,
comique, ou tragicomique s’il joue sur les deux registres.
Mais précisons le sens des mots.
Le tragique, c’est ce qui est funeste, alarmant,
effrayant, révoltant et qui suscite la pitié, la peur, la colère,
la tristesse.
Perdre un proche, se faire agresser, assister à un
crime, voir un innocent subir l’injustice, un puissant abu-
ser de son pouvoir, une personne méritante privée de
sa récompense, un coupable échapper à sa punition, un
être aimé subir des malheurs…
La liste est sans fin, le tragique est au cœur de l’his-
toire humaine. Toute situation tragique résulte d’une
faiblesse ou d’une limitation humaine : bêtise, jalousie,
orgueil, avidité, inconscience, naïveté…

111. Voir également la morale de l’histoire, cliquez ici.

LES EFFETS DRAMATIQUES 250


Ce qui n’empêche pas l’humanité de rire d’elle-
même, comme on va le voir.

Le tragique peut être traité sérieusement dans un récit.


• Si le protagoniste est victime d’une fatalité impla-
cable, qui le condamne d’avance, ce sera une tra-
gédie. Le concept remonte à la Grèce antique et
correspond à la punition divine des puissants cou-
pables d’Hubris112.
• Si le héros a la possibilité de changer le cours des
choses, si son action est porteuse d’espoir mais
qu’il échoue, ce sera un drame.

Il est aussi possible de traiter le tragique d’une façon,


disons, non-sérieuse.

Effets comiques
On pourrait croire que le comique ne s’intéresse
qu’aux sujets légers, excluant de fait tout élément
funeste, effrayant ou triste. Ce n’est pas si simple.
Henri Bergson, dans Le Rire, essai sur la signification
du comique (1900), fait trois remarques :
• N’est comique que ce qui est humain.
• Le fait de rire exclut temporairement toute affec-
tion, toute compassion.
• Le rire n’a de signification que dans son milieu
naturel qui est la société.

En effet, que l’on s’amuse du comportement d’une


personne, de l’inconfort de sa situation ou des problèmes

112. L’Hubris, (du grec ancien ὕϐρις), est un sentiment démesuré d’orgueil
menant à tous les excès : abus de pouvoir, vol, agression, profanation,
sacrilège…

LES EFFETS DRAMATIQUES 251


qu’elle rencontre, au cœur de toute situation comique,
il y a de l’humain ou une imitation113 de l’humain.
Toutes les situations comiques prennent leur source
dans un problème humain, qui met un personnage en
difficulté : maladresse, distraction, mauvaise humeur,
timidité, orgueil, avidité, naïveté…
Votre sentiment d’avoir lu ces mots à la page précé-
dente est fondé. Le comique, c’est du tragique que l’on
refuse de prendre au sérieux, que l’on met à distance.
Le rire apparaît comme une libération des tensions
générées par le tragique, et la comédie est le moyen
d’opérer cette libération.
Tout événement peut être source de comédie si on
le traite avec une mise à distance (spatiale, temporelle)
et un décalage de point de vue.
La première condition pour y parvenir est de faire
du spectateur le complice du comique, en lui donnant
de l’avance sur les personnages par rapport à la situation.
Il faut donc mettre en place une ironie dramatique114 ou
s’appuyer sur une ironie dramatique implicite.
Une imitation moqueuse, par exemple, fonctionne
quand le public connaît déjà ce qui est imité. L’ironie est
implicite.
Reste ensuite à trouver les moyens d’intégrer ironie
dramatique, mise à distance et décalage. Voyons quelques
exemples.

113. Bugs Bunny et Donald Duck parlent, agissent et réagissent comme des
humains. Ce sont des animaux anthropomorphisés. Même chose pour les
jouets de Toy story (John LASSETER – 1995) ou les voitures dans Cars (John
LASSETER – 2006).
114. Voir l’ironie dramatique page 219, cliquez ici.

LES EFFETS DRAMATIQUES 252


Par la caricature, l’exagération
Un personnage dont les défauts sont exagérés ins-
talle une distance comique : Don Salluste (Louis de
Funès) dans La Folie des grandeurs (Gérard Oury – 1971)
est acariâtre et désagréable avec son entourage (limita-
tion humaine). C’est objectivement tragique. Mais le sur-
jeu assumé de l’acteur créée une distance, un décalage
dont naît le comique.
Cela peut marcher dans l’autre sens : dans Hot Fuzz
(Edgar Wright – 2007), le sérieux et l’application extra-
ordinaire du lieutenant de police Nicolas Angel (Simon
Pegg) à bien faire son travail en font un personnage cari-
catural par ses qualités. On le mute à la campagne parce
qu’il fait trop bien son travail.
C’est injuste, donc tragique, mais voir ce super-flic
confronté à des situations parfaitement inoffensives crée
de fait un décalage comique, en confrontant le person-
nage à sa faiblesse humaine : l’orgueil.

Dans Un poisson nommé Wanda (Charles Crichton –


1988), l’avocat coincé Archie Leach (John Cleese) tombe
amoureux de Wanda (Jamie Lee Curtis), ignorant qu’elle
fait partie d’un gang de truands. Il suscite alors la jalousie
maladive d’Otto (Kevin Kline). Dans une scène culte, Otto
exige d’Archie des excuses. On pense qu’Archie va résis-
ter, mais le plan suivant nous le montre collé à un mur,
exprimant ses regrets les plus sincères. La caméra recule
et pivote à 180°, révélant qu’Otto tient Archie suspendu
par les pieds au balcon du troisième étage. La réaction
exagérée d’Otto amène une situation caricaturale, créant
un effet d’autant plus comique qu’Archie exprime ses
excuses avec un impeccable flegme britannique (effet
de contraste, voir plus bas).

LES EFFETS DRAMATIQUES 253


Par le détournement
Au début du film Le Grand Blond avec une chaussure
noire (Yves Robert – 1972), une équipe d’espions se
retrouve chargée de suivre François Perrin (Pierre
Richard), qui n’est qu’un homme ordinaire. Surveillé dès
son arrivée à l’aéroport d’Orly, il est pris en photos sous
tous les angles. Or Perrin vient juste de se mettre dans
la bouche un caramel collant.
Tandis que les espions commentent le plus sérieu-
sement du monde les informations qu’ils ont pu trouver
sur lui, défile une série de photos sur lesquelles on voit
Perrin faire toutes sortes de grimaces à cause du caramel
qu’il est en train de manger. La situation de l’innocent
harcelé est détournée de son sens initial grâce au cara-
mel, donnant le sentiment que Perrin fait des grimaces
aux gens qui l’observent et qui n’ont, eux, pas du tout
envie de rire.

La Grande Vadrouille (Gérard Oury – 1966) se déroule


en 1942, en France, pendant l’occupation allemande. Au
début du film, Stanislas (Louis de Funès) et Augustin (Bour-
vil) doivent retrouver un aviateur anglais aux bains turcs,
avec comme signe de reconnaissance la chanson Tea for
two. Ils savent juste que l’aviateur a une moustache.
L’un et l’autre se mettent à siffloter en tournant
autour du mauvais moustachu, qui n’est au courant de
rien (ironie dramatique). Évidemment, un homme qui
en approche un autre avec cette chanson sur les lèvres
suggère autre chose qu’un rendez-vous d’affaire.
Le signe de reconnaissance est détourné de sa fonc-
tion première, installant un magnifique quiproquo115.
Dans les années soixante, il pouvait être tragique pour
un homme d’être pris pour un homosexuel, mais le

115. Quiproquo : double ironie dramatique, voir page 220, cliquez ici.

LES EFFETS DRAMATIQUES 254


détournement opéré ici produit un effet comique, pré-
cisément parce qu’il moque le tragique.
Le détournement est aux images ce que le calem-
bour est aux mots. Un changement de contexte remet
en question le sens initial, tout en pointant une faiblesse
ou un défaut humain.

Par le contraste
Toujours dans La Grande Vadrouille, Augustin et
l’aviateur anglais Peter Cunningham (Claudio Brook) sont
poursuivis. Ils se réfugient dans l’appartement de Juliette
(Marie Dubois). Les Allemands frappent à la porte, et évi-
demment on craint le pire. Augustin et Juliette improvi-
sent alors une dispute conjugale totalement inattendue.
L’ironie dramatique de la situation (nous savons
qu’ils simulent) installe une tension, mais le contraste
entre le risque encouru et ce qui se déroule effective-
ment crée un excellent effet comique.
Plus tard, les fugitifs s’enfuient par les égouts, guidés
par un chanteur d’Opéra vêtu en Méphistophélès116. Au
moment de la séparation, il les gratifie d’un puissant
« Dieu vous garde » qui résonne dans les profondeurs.
Le contraste inattendu entre les paroles pieuses et l’ap-
parence démoniaque du locuteur crée un effet comique.
Un autre contraste, celui du niveau social entre Sta-
nislas, le chef d’orchestre, et Augustin, le peintre en bâti-
ment. Stanislas prend systématiquement de haut son
compatriote.
Ainsi, quand après avoir quitté Paris ils tombent en
panne, les Anglais et Augustin poussent la voiture, mais
pas Stanislas, même si on lui demande poliment. Lorsqu’ils

116. Méphistophélès est un prince des Enfers.

LES EFFETS DRAMATIQUES 255


se partagent les tickets de rationnement et l’argent, Sta-
nislas s’octroie d’office plus de billets qu’Augustin.
« Quel crâne ! », s’indigne Augustin au bout d’un
moment.
Quelques minutes plus tard, ils se retrouvent à nou-
veau poursuivis et jettent des citrouilles sur les Alle-
mands à leurs trousses.
Dans le feu de l’action, Augustin saisit la tête de Sta-
nislas, qui s’insurge : « Non mais dites donc, vous prenez
ma tête pour une citrouille, vous ! ».
Appréciez la préparation, l’exploitation et la résolu-
tion du conflit sous forme de gags récurrents.
Dans Un poisson nommé Wanda, Archie retrouve
Wanda dans l’appartement d’un de ses amis. Alors qu’il
achève de se déshabiller, en vue d’ébats torrides, il ne
voit pas entrer dans la pièce un couple accompagné de
ses cinq enfants. Se retrouver nu devant des inconnus
est tragique.
Mais le contraste avec ce que la scène promettait
initialement (lui et Wanda s’apprêtaient à faire l’amour)
en fait un moment très comique. Après discussion,
Archie comprend que ces inconnus ont loué l’apparte-
ment auprès d’une agence.
Ils ont donc le droit d’être là, alors que lui, non. Il est
tout nu, et en plus il est en tort. Topper117, il s’aperçoit
que ces gens sont les précédents propriétaires de son
domicile. Ils le connaissent. C’est encore plus tragique,
et paradoxalement encore plus drôle, le brave Archie,
toujours nu, continuant à converser comme si de rien
n’était avec toute son éloquence.

117. Voir le topper, page 85, cliquez ici.

LES EFFETS DRAMATIQUES 256


Vous avez peut-être appris durant votre scolarité à
distinguer le comique de geste, le comique de situation,
la comédie de mœurs et la parodie. Ces distinctions ne
sont pas propres au comique. Elles concernent au pre-
mier chef les situations dramatiques ou tragiques dont
le comique tire sa matière. Or le comique peut prendre
sa source dans tout ce qui est humain ou issu de la
société humaine.
Quand on y regarde de près, même le comique de
répétition (running gag) se révèle être une déclinaison
de la technique du milking118, laquelle peut également
être mise en œuvre dans une tragédie ou un drame.

Nous avons évoqué l’ironie dramatique, la mise à


distance et le décalage. Les situations comiques ont
presque toutes un autre point commun : personne n’y
souffre gravement, autrement que psychologiquement.
Dans le burlesque classique, dans les cartoons et
dans de nombreux autres films comiques, même si les
personnages subissent des explosions ou se tirent des-
sus, ils s’en sortent sans grand dommage.
La douleur est toujours passagère et sans grande
conséquence, ou alors elle est elle-même mise à distance.
En revanche, la menace du drame ou de la catas-
trophe est un ressort comique évident dans plusieurs
des exemples qui précèdent. Frôler le drame et s’en
sortir indemne amène bien souvent un rire de soulage-
ment libérateur de la tension ressentie.
Retenez par ailleurs qu’une distance ou un décalage
produisent une atténuation de l’identification aux per-
sonnages. On rit plus facilement d’une situation quand
on ne se sent pas trop proche des personnages impliqués.

118. Milking, voir page 82, cliquez ici.

LES EFFETS DRAMATIQUES 257


Du coup, faire fonctionner l’alternance comédie/tragédie
dans un même récit est un travail d’équilibriste.

Rire de tout
On peut créer du comique même autour d’un cada-
vre, si le décédé est un inconnu comme dans Arsenic et
vieilles dentelles (Frank Capra – 1944) ou une personne
détestable comme Siletsky (Stanley Ridges) dans To Be
or Not to Be (Ernst Lubitsch – 1942).
C’est plus dur de créer du comique autour d’un
meurtre ou d’une scène de torture… mais la chose reste
possible.
En assumant une violence très caricaturale, la dis-
tance créée avec les personnages peut amener un effet
comique même avec la souffrance ou le sang.
Quentin Tarantino ne s’en prive pas dans certaines
scènes de Kill Bill (2003), en particulier lors de la grande
scène de combat contre les Crazy 88.
C’est aussi le cas dans Braindead (Peter Jackson –
1992), quand par exemple Lionel (Timothy Balme)
affronte des zombies armé d’une tondeuse à gazon.

Enchaînement des effets


L’état mental du spectateur évolue au fil des événe-
ments, des conflits, des surprises, des annonces et des
paiements qui s’enchaînent sous ses yeux.
Voir un personnage qui réussit sans cesse créera
pour le spectateur l’attente d’un échec, de même qu’une
suite de drames crée l’espoir d’un événement positif.
Il s’agit donc, dans le déroulement du récit, de travailler
les passages d’un type d’émotion à un autre, non seule-
ment entre les scènes, mais éventuellement à l’intérieur

LES EFFETS DRAMATIQUES 258


même de chaque scène pour faire varier l’émotion, ainsi
que la manière dont elle est créée, en jouant par exemple
sur des alternances :

– tension/détente ;
– calme/mouvement ;
– réussite/échec ;
– frustration/satisfaction ;
– silence/bruit/musique ;
– dialogue/gestes silencieux ;
– dans la foule/dans l’intimité ;
– lumière/pénombre ;
– attendu/inattendu ;
– action/contemplation ;
– comique/tragique…

L’alternance et la progression sont deux principes


importants d’une construction dramatique : alternance
des effets localement, et progression de l’intrigue glo-
balement. Cette alternance jouera aussi sur le rythme
narratif119.
La progression ne doit pas être trop linéaire, sous
peine d’être prévisible. Un scénario prévisible risque de
devenir ennuyeux.
Il faut régulièrement déjouer le prévisible (l’attendu)
tout en l’utilisant (principe de l’annonce-paiement120).
En travaillant l’enchaînement des scènes, recherchez
l’équilibre entre les émotions précédentes (attendues/
inattendues, satisfaisantes/frustrantes), celles de la scène
en cours, et celles qui restent à venir.
Voyons un autre exemple.

119. Voir page 117, cliquez ici, chapitre consacré au rythme narratif.
120. Voir l’annonce-paiement, page 227, cliquez ici.

LES EFFETS DRAMATIQUES 259


Encore La Guerre des étoiles
Au début de La Guerre des étoiles (George Lucas –
1977), un texte devenu célèbre nous donne les enjeux de
l’histoire, les camps en présence et la situation initiale. On
nous annonce Leia, l’Empire, les rebelles, une arme abso-
lue et des plans volés. Nous attendons d’en savoir plus.
Suivent des plans dans l’espace où nous découvrons
le petit vaisseau de Leia poursuivi par l’énorme croiseur
impérial.
Le déséquilibre flagrant des forces en présence
annonce que les occupants du plus petit vaisseau vont
passer un sale quart d’heure, et nous prenons malgré
nous parti pour les faibles, en espérant qu’ils échappe-
ront aux forts. Le petit vaisseau est ensuite arraisonné
(événement attendu), non sans un combat meurtrier.
Nous vivons ce combat focalisés sur les deux robots,
D2-R2 et Z-6PO, à qui Leia ordonne de fuir sur la planète
Tatouine pour une mission secrète.
Cette annonce nous fait espérer qu’ils s’échappent
et nous donne envie de connaître les plans de Leia. La
réussite de la fuite des robots est un événement attendu
qui nous procure de la satisfaction.
La capture de Leia est un événement redouté mais
attendu, qui crée frustration (nous aurions voulu qu’elle
s’échappe), ressentiment (envers les troupes impériales),
colère (envers l’amiral Tarkin) et inquiétude (pour Leia,
qui tient tête courageusement). Sa façon de parler à Tar-
kin nous donne pourtant l’espoir qu’elle résiste à ses
bourreaux. Entre en scène Dark Vador, qui devine aus-
sitôt l’importance de la capsule avec laquelle les droïdes
se sont échappés.
C’est inattendu, mais cela caractérise les pouvoirs de
Vador et crée un suspense : les deux robots, qui ignorent

LES EFFETS DRAMATIQUES 260


que les troupes les recherchent, parviendront-ils à
accomplir leur mission ?
Sur Tatouine, les deux robots entrent en conflit et
se séparent. C’est inattendu et inquiétant. Plus tard, D2-
R2 est capturé par des créatures inconnues. Capture pré-
parée, donc attendue, qui met notre ami D2-R2 en situa-
tion critique. Puis les deux robots se retrouvent réunis,
ce qui donne l’espoir qu’ils puissent s’entraider.
Sur un plan plus global, ce chemin de croix des
robots nous les rend sympathiques : plus ce qu’ils tra-
versent est difficile, plus nous leur souhaitons de réussir
à surmonter les obstacles. Nous nous attachons à eux
et nous espérons qu’ils finiront par trouver de l’aide.
Quand George Lucas fait entrer en scène Luke Sky-
walker, qui est son protagoniste, il nous est très facile
de nous identifier à lui : coincé sur cette planète où il ne
peut réaliser aucun de ses rêves. Nous sommes amenés
à espérer qu’il aide les robots et que cela lui permette de
conquérir sa propre liberté.

La maîtrise des effets dramatiques, c’est l’art de jon-


gler avec les émotions des spectateurs, pour l’impliquer
à chaque instant dans les événements du récit.

Exercice 1
Continuons avec La Guerre des étoiles.
Partant de l’exemple de la page 260, établissez
pour le reste du film la façon dont les effets dra-
matiques sont préparés et exploités, pour quel type
d’émotion, s’ils sont attendus ou inattendus, et la
façon dont ils alternent.

LES EFFETS DRAMATIQUES 261


Exercice 2
Au début de To Be or Not to Be (Ernst Lubitsch –
1942) un effet comique est obtenu en utilisant
l’image d’Adolf Hitler. Analysez son installation,
son exploitation, et sa résolution.

Exercice 3
Reprenez les quatre premières scènes d’un de vos
scénarios. Cherchez comment modifier l’enchaîne-
ment des effets pour alterner attendu et inattendu,
tension et détente. Comment pourriez-vous donner
une dimension comique à l’une des scènes?

Et maintenant, voulez-vous savoir comment :

les médias utilisent les codes


fi Cliquez ici
de la fiction ?

utiliser des flashs pour produire


fi Cliquez ici
des effets ?

élaborer une progression des


fi Cliquez ici
effets au fil du récit ?

Sinon, voyons à présent comment l’utilisation d’el-


lipses temporelles peut dynamiser un récit, et même
enrichir sa dramaturgie.

LES EFFETS DRAMATIQUES 262


Les ellipses
temporelles
LE TEMPS INVISIBLE / ELLIPSES NATURELLES /
PRÉSERVER LE SPECTATEUR / ELLIPSES DE CONNIVENCE /
ELLIPSES DE DISSIMULATION / PRÉPARER UN TWIST /
UTILISATIONS PARTICULIÈRES

Généralement, les scènes d’un film sont séparées


les unes des autres par des coupures nettes qui repré-
sentent de l’espace, du temps, ou les deux.
Comment faire comprendre et ressentir au specta-
teur le passage du temps sans qu’il n’existe dans la conti-
nuité temporelle de la narration ?
Les ellipses temporelles, puisque c’est de cela qu’il
s’agit, sont forcément implicites puisque justement ce
qui est ôté ne peut pas être vu.
Mettre en place une ellipse temporelle, c’est créer
un temps masqué, subjectif, psychologique, non vécu
par le spectateur mais qu’il se représente mentalement.
Une ellipse ne peut être comprise qu’avec retard,
par le constat du manque ou du changement. Elle peut
se manifester par la modification physique d’un person-
nage, d’un objet, d’un décor, par le passage d’une
ambiance à une autre (du jour à la nuit par exemple) ou
plus sobrement un déplacement trop important pour
être possible en continuité directe (un personnage au
volant d’une voiture en ville se retrouve la scène suivante
seul, à pied, au milieu d’un désert).

LES ELLIPSES TEMPORELLES 263


On pourrait dire que dans un scénario, les ellipses
sont des espaces-temps invisibles situés entre les
séquences. Mais bien entendu, ils existent d’un point de
vue dramaturgique, dans l’imagination du spectateur.

Ellipses naturelles
Les ellipses les plus courantes passent totalement
inaperçues, tant nous y sommes habitués. D’autres
demandent au spectateur un travail d’attention et d’ima-
gination.

Trois exemples
1. Un enquêteur reçoit un appel l’informant qu’un
crime a été commis à l’autre bout de la ville ; dès la
scène suivante il arrive sur place pour commencer
son enquête. Si rien d’important ne se déroule pen-
dant un trajet, il n’y a aucun intérêt à le montrer.
2. Une scène se termine de nuit, la suivante débute
de jour.
Il est sous-entendu que le temps occulté est un
temps mort, ou bien que s’il s’est passé quelque
chose, nous l’apprendrons en même temps que le
protagoniste.
3. Une scène se termine dans un bureau, et dans la
scène suivante nous retrouvons un des personnages
sur une plage. Il a pu se passer une heure ou plu-
sieurs jours, mais nous avons l’habitude en tant que
spectateurs de ne pas tout saisir dans l’instant, ce
qui nous amène à guetter au fil du récit les indices
permettant de préciser l’ampleur de l’ellipse.

La première fonction d’une ellipse, de loin la plus


utilisée, est de passer sous silence les moments où rien

LES ELLIPSES TEMPORELLES 264


d’important n’arrive pour se concentrer sur ceux qui
portent une tension dramatique, comportent du drama121
ou apportent des informations importantes.
Ces ellipses-là paraissent naturelles, et souvent ne
sont pas perçues comme telles, puisqu’il ne se passe rien
d’essentiel dans les temps que l’on omet de montrer.
Pour les faire fonctionner, chaque nouveau début
de séquence peut comporter des indices, des informa-
tions, des dialogues qui donneront au spectateur une
idée, même vague, de ce qui a pu se dérouler pendant
cette période.
La plus célèbre ellipse temporelle de l’histoire du
cinéma est une ellipse naturelle : un homme préhisto-
rique découvre qu’un os peut lui servir d’arme et d’outil.
Il l’utilise pour se battre et vaincre ses adversaires. Il
lance l’os en l’air en signe de triomphe. CUT. Nous
sommes dans l’espace, en orbite autour de la Terre, près
d’une station orbitale. L’ellipse englobe tout ce que l’hu-
manité a accompli entre la découverte du premier outil
et la conquête de l’espace (2001 : l’odyssée de l’espace –
Stanley Kubrick – 1968).

Préserver le spectateur
Une autre fonction importante de l’ellipse peut être
de préserver le spectateur d’une scène très dure. Au
début d’Amours chiennes (Alejandro Iñárritu – 2000) se
déroule un combat de chiens. La scène de ce combat
est coupée dès la première seconde. Nous avons compris
ce qui se passait et le cinéaste a judicieusement estimé
inutile de nous l’infliger en entier. Nous avons suffisam-
ment de détails en tête pour l’imaginer.

121. Drama : voir page 197, cliquez ici.

LES ELLIPSES TEMPORELLES 265


Il existe deux autres types d’ellipses.

Ellipses de connivence
Le premier type, qu’on pourrait appeler ellipse de
connivence, consiste à ne pas s’étendre sur des actions
que nous intégrons sans avoir besoin de les voir.
Dans M le Maudit (Fritz Lang – 1931), une ombre
menaçante apparaît sur l’avis de recherche près duquel
joue une fillette. Nous n’avons pas besoin de voir la suite
pour comprendre que l’assassin va frapper. Le metteur
en scène nous a suffisamment caractérisé M pour que
nous sachions ce qui est en jeu.
Dans Les Tontons flingueurs (Georges Lautner – 1963),
plusieurs bagarres sont suggérées sans être montrées,
avec l’utilisation d’une petite musique récurrente qui
revient comme un gimmick, créant un leitmotiv burlesque.
Dans Tootsie (Sidney Pollack – 1982), Michael Dorsey
(Dustin Hoffman) discute avec son ami Jeff (Bill Murray)
de la meilleure manière d’annoncer à sa petite amie Sandy
(Teri Garr) qu’il lui a piqué le rôle qu’elle convoitait.

JEFF
Tu lui dis rien.

MICHAEL (plaisantant)
Et le fric, je lui dis qu’il tombe
du ciel ? Qu’est-ce que je vais
inventer ? Que je viens de perdre une
cousine qui me lègue son blé ?

CUT TO

INT/APPARTEMENT DE SANDY/JOUR
SANDY
Oh mon dieu, c’est arrivé quand ?

LES ELLIPSES TEMPORELLES 266


MICHAEL
La semaine dernière.

SANDY
Elle est morte de quoi ?

Nous comprenons que durant l’ellipse, Michael s’est


finalement résolu à raconter à Sandy cette histoire de
cousine.

L’effet produit ici est comique, mais on peut avoir le


même type d’ellipse dans un contexte dramatique.

Dans la série Dexter (James Manos Jr. – 2006 à 2013),


le protagoniste commence toujours par endormir ses
victimes d’une injection, avant de les immobiliser dans
l’espace qu’il a choisi et aménagé pour leur mise à mort.
Les premiers épisodes nous montrent comment Dexter
(Michael C. Hall) prépare les lieux.
Par la suite, ces détails seront systématiquement omis,
les auteurs partant du principe que les spectateurs n’ont
pas besoin qu’on leur répète ce qu’ils savent déjà… Il en
sera de même pour les moments où Dexter découpe ses
victimes en morceaux. Il nous suffit de le voir jeter de
son bateau plusieurs sacs-poubelles pour comprendre.

Ellipses de dissimulation
Le second type d’ellipse, bien plus délicat à manier,
consiste cette fois à cacher volontairement des faits au
spectateur.
Je propose de les appeler ellipses de dissimulation.
Dissimuler certains faits importants permet de les
utiliser ultérieurement afin de produire un effet.
Il s’agit presque toujours d’un effet de surprise, aussi
faut-il prendre garde à ce que cette surprise ne concerne
pas seulement le spectateur.

LES ELLIPSES TEMPORELLES 267


Pour qu’une surprise soit acceptée, elle doit concer-
ner au premier chef un personnage important de l’his-
toire. Mieux encore, après réflexion, ce qui était une sur-
prise doit s’intégrer en cohérence avec le reste du récit.

Ce type d’ellipse peut servir dans les scénarios à


fausse piste (technique dite du hareng rouge122) pour
préparer un twist (renversement).

Préparer un twist
Dans son film Shutter Island (2010) par exemple,
Martin Scorsese nous dissimule bon nombre d’informa-
tions sur l’enquêteur dont nous suivons le parcours,
jusqu’à un moment de révélation terrible, que je préfère
ne pas spoiler.
Pour créer un effet de surprise maximale, il prend
soin de nous donner de nombreux indices, sous forme
de flashs psychologiques123, et de ne jamais nous montrer
le point de vue des autres personnages.
Le choix de focalisation permet de justifier les
ellipses de dissimulation préparant le twist.

À la folie… pas du tout (Laetitia Colombani – 2002)


fonctionne également avec des ellipses de dissimulation,
qui nous font croire pendant la première moitié du film
qu’Angélique, une jeune étudiante (Audrey Tautou), et
Loïc, un homme marié (Samuel Le Bihan), vivent une
histoire d’amour compliquée. Nous ne nous apercevons
pas qu’elle est mythomane et fantasme totalement cette
relation, jusqu’au moment où…

122. Voir Fausses pistes et renversements, cliquez ici.


123. Voir Les flashs, cliquez ici.

LES ELLIPSES TEMPORELLES 268


La dernière partie de L’Empire contre-attaque (Irvin
Kershner – 1980) se déroule dans la cité des nuages de
Bespin. Han Solo (Harrison Ford), Leia (Carrie Fisher) et
Chewbacca (Peter Mayhew) sont guidés par Lando Cal-
rissian (Billy Dee Williams) jusqu’à une salle à manger…
où Dark Vador (David Prowse) les attend en embuscade.
On apprend alors de la bouche de Lando qu’il était là
avant leur arrivée. Nous en avions des indices, mais la
conversation qui manifestement a déjà eu lieu entre
Vador et Calrissian a été soigneusement ellipsée.

Utilisations particulières
Le scénario de Very Bad Trip (Todd Phillips – 2009)
fonctionne sur une ellipse qui correspond à l’amnésie des
personnages principaux. L’un d’eux a mis du GHB (la
drogue du violeur) dans la boisson que tous ont consom-
mée et, au lendemain de l’enterrement de vie de garçon
de leur copain Doug (Justin Bartha), les autres découvrent
que ce dernier a disparu, qu’il y a un bébé dans un placard
et un tigre dans la salle de bains de leur suite.
Évidemment ils n’ont aucune idée de ce qui s’est passé.
Leur but: reconstituer le déroulement de cette folle nuit
pour retrouver Doug qui doit se marier le lendemain.
Certains cinéastes osent parfois faire des ellipses sur
des pivots. C’est le cas de Joel et Ethan Cohen dans No
Country for Old Men (2007). Llewelyn Moss (Josh Brolin)
découvre un charnier après un règlement de compte
entre trafiquants. Il s’empare de deux millions de dollars
en liquide qui lui valent d’être poursuivi par un tueur
implacable (Javier Bardem), auquel il échappe plusieurs
fois de justesse.
Vers la fin du film, énorme surprise, on découvre
que ce personnage a finalement été tué… mais la scène
est absente du montage.

LES ELLIPSES TEMPORELLES 269


Cette ellipse, particulièrement audacieuse, oblige le
spectateur à changer de point de vue : il était tenté d’em-
brasser celui de Moss, qui se trouvait de fait en situation
de protagoniste, et le voilà obligé d’adopter celui de Ed
Bell (Tommy Lee Jones), le policier chargé de l’enquête,
complètement dépassé par la gravité de la situation et
qui ne parvient pas à empêcher quoi que ce soit.
Ce choix narratif m’a personnellement énormément
frustré lorsque j’ai vu le film pour la première fois, car il
nous prive d’une scène très attendue. Pourtant c’est une
solution intéressante pour amener le spectateur à se
poser des questions sur le monde dans lequel il vit. Au
fond, Moss a volé l’argent qui lui vaut tous ses ennuis. Il
ne vaut guère mieux que le tueur qui le pourchasse,
alors pourquoi prendrions-nous parti plus pour l’un que
pour l’autre ? Ne devrions-nous pas souhaiter la justice,
a lieu d’espérer le succès d’un voleur ?

Une ellipse est toujours un pari sur la capacité du


spectateur à repérer les éléments de discontinuité et à
les interpréter pour reconstruire par l’imagination tout
ce qui manque, mais c’est aussi un moyen redoutable
pour amener le spectateur à s’interroger sur ses propres
attentes et ses partis pris.
Ici, l’ellipse nous met face à notre propre voyeurisme
par rapport à la violence que le film dénonce.

Si les ellipses sont habituellement placées entre les


scènes (ou entre les cases en BD), on peut aussi induire
l’idée d’un temps elliptique qui se déroule durant le plan,
en y intégrant des indices successifs.
Par exemple à la fin de Signes (M. Night Shyamalan
– 2002), un plan panoramique passe devant plusieurs
fenêtres, la première montrant un paysage printanier,

LES ELLIPSES TEMPORELLES 270


tandis que les suivantes montrent l’automne et l’hiver.
Un seul plan ici suggère le passage d’une année.
Le procédé peut aussi s’appliquer sur une case large
en BD.
Plus audacieux encore, dans Les Enfants loups
(Mamoru Hosoda – 2012), un enchaînement de travel-
lings de caméra dans un couloir d’école suggère le pas-
sage de plusieurs années.

Exercice 1
Le Doulos, de Jean-Pierre Melville, bâtit un magni-
fique hareng rouge, grâce à de nombreuses ellipses
de dissimulation. Visionnez ce film une première
fois, puis une seconde pour repérer à quels
moments certaines informations ont été sciem-
ment ellipsées.

Exercice 2
Dans La Véritable Histoire du petit Chaperon rouge
(2005), Cory et Todd Edwards procèdent à toute
l’exposition du film par l’intermédiaire de flash-
back successifs focalisés sur les personnages prin-
cipaux, chacun comportant des ellipses qui se
comblent petit à petit. Voyez, puis revoyez le début
du film et établissez dans un tableau les chrono-
logies des flash-back, ainsi que les ellipses qui y
sont utilisées pour ménager des effets de surprise.

LES ELLIPSES TEMPORELLES 271


Exercice 3
Rédigez une histoire en une page, dans laquelle
un assassin tue son banquier, mais croise le même
jour un honnête citoyen qui a des problèmes de
couple. Déterminez plusieurs ellipses qui puissent
nous amener à croire que l’honnête homme est
l’assassin, puis rédigez le récit de son point de vue,
avec des ellipses de dissimilation.

Et maintenant, voulez-vous voir


(ou revoir) comment :

les ellipses temporelles impactent


fi Cliquez ici
le rythme narratif

travailler les ellipses


fi Cliquez ici
dès la phase de développement

une ellipse de dissimulation


fi Cliquez ici
prépare une fausse piste

Sinon, nous allons nous intéresser maintenant aux


ruptures dans la continuité narrative et découvrir que
les flashs ne sont pas toujours back…

LES ELLIPSES TEMPORELLES 272


Les flashs
FLASH-BACK / FLASH-FORWARD / FLASH ALTERNATIF /
FLASH PSYCHOLOGIQUE / FONCTIONS DRAMATIQUES /
JOUER AVEC LES FLASHS

En principe, on raconte une histoire dans l’ordre où


se déroulent les événements, en sautant les temps morts
par des ellipses temporelles. Mais il arrive que l’on ait
besoin d’intégrer au récit un événement qui ne fait pas
partie de la continuité spatiale et temporelle des person-
nages sur lesquels nous sommes focalisés. On appelle
flash cette rupture dans la chronologie de la narration.
Vous aurez plusieurs cas de figure selon l’événe-
ment.

• Il s’est déroulé avant l’instant où l’on interrompt


l’histoire racontée : flash-back = retour en arrière.

• Il ne s’est pas encore produit au moment où on le


montre : flash-forward = aperçu du futur.

• Il se produit un événement simultanément à


l’action, hors de la perception normale des per-
sonnages mais l’un d’eux a une vision : flash ins-
tantané.

• Il se produit en rêve, dans une simulation ou pro-


jection mentale, révélant un monde parallèle où
certains faits du passé se sont déroulés différem-
ment, impactant toute la trame historique : flash-
sideway = flash alternatif.

LES FLASHS 273


• Un personnage pense à ce qui serait arrivé s’il avait
agi autrement : flash uchronique124.

Les deux dernières catégories relèvent plus globa-


lement d’un procédé que je propose d’appeler flash psy-
chologique. Un flash qui n’a lieu que dans la tête d’un
personnage.

Ces catégories sont évidemment artificielles et peu-


vent parfois se chevaucher. L’idée la plus importante, c’est
que les flashs doivent remplir des fonctions dramatiques.
Avant de vous en servir, demandez-vous toujours si
une autre solution ne fonctionnerait pas mieux, car
contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’utilisation
des flashs est délicate.
Rendre le flash intelligible au spectateur ne va pas
de soi.
Je ne dis pas que le spectateur doit forcément tout
saisir. Cependant, il doit au moins avoir l’impression de
comprendre ce qui est en jeu, quitte à prendre conscience
plus tard qu’il y avait anguille sous roche.
Prenons un flash-back classique : un personnage vit
une situation qui le renvoie à son passé. Le flash-back
correspond à un évènement important, dont le souvenir
revient soudain à sa mémoire. L’idée est de faire partager
au spectateur l’importance de ce souvenir.

Pour que le spectateur suive, il faudra en principe


quatre étapes :

124. Terme proposé par l’auteur, en référence au concept d’Uchronie :


Histoire refaite en pensée telle qu’elle aurait pu être et qu’elle n’a pas été.
(Dictionnaire général des sciences humaines – sous la direction de G. THINÈS
et A. LEMPEREUR – 1975).

LES FLASHS 274


1. Installer une situation qui renvoie le personnage
à son passé.
2. Entrer dans le flash-back, c’est-à-dire en carac-
tériser l’époque, la situation et les protagonistes.
3. Évoquer les actes accomplis ou subis (souvent
traumatiques) qui ont marqué le personnage.
4. Sortir du flash-back (retour au présent de la nar-
ration).

Certains auteurs, comme Gérard Genette125, distin-


guent différents types de flash-back :

• flash-back interne, si l’événement fait partie du


champ temporel du récit principal ;
• flash-back externe, si l’événement se situe en
dehors de la trame temporelle principale ;
• flash-back partiel, si le flash-back s’achève en
ellipse sans rejoindre le récit principal ;
• flash-back complet, si le flash-back rejoint le récit
principal.

Fort heureusement, nul besoin de connaître tous


ces termes pour écrire.
En revanche, quand vous faites le point sur un travail,
en particulier un travail collaboratif avec d’autres
auteurs, ces notions vous seront très utiles pour accorder
vos violons.
Voyons à présent différents exemples d’utilisation
de flashs, et pas seulement des flash-back.

125. Figures III (Gérard GENETTE – 1972). Dans la partie Discours du récit, l’au-
teur parle en fait d’analepse et de prolepse, son propos concernant tout
type de narration. Au cinéma, comme en bande dessinée, les termes équi-
valents sont flash-back et flash-forward.

LES FLASHS 275


Johnny s’en va-t-en guerre (Dalton Trumbo – 1971).
Le récit commence par le jeune protagoniste, Joe Bon-
ham (Timothy Bottoms) sur son lit d’hôpital. Il n’a plus
de visage, ni de bras ni de jambes.
Nous découvrons à quoi il ressemblait avant ses
mutilations par ses souvenirs, antérieurs au début du
récit, sous forme de flash-back externes partiels.
Ce film contient aussi des flashs psychologiques,
quand par exemple Joe, avec son corps d’antan, discute
avec un jeune homme barbu équipé d’une ceinture de
charpentier (le Christ, incarné par Donald Sutherland),
ainsi qu’avec son défunt père (Jason Robards) à qui il
demande conseil.

Dans Brazil (Terry Gilliam – 1985), on finit par com-


prendre que l’évasion de Sam et Jill (Jonathan Pryce et
Kim Greist) à la fin du film est en fait un long flash uchro-
nique déguisé. À la toute fin, il apparaît que Sam est tou-
jours prisonnier. Il a été torturé et a sombré dans la seule
échappatoire qui lui restait : la folie, dans laquelle il a
imaginé son évasion rocambolesque. Ce flash peut aussi
être considéré comme un flash alternatif.

Dans Memento (Christopher Nolan – 2000), le scé-


nario écrit par Jonathan et Christopher Nolan raconte
l’histoire de Leonard (Guy Pearce), un homme atteint de
troubles de la mémoire à la recherche de l’assassin pré-
sumé de sa femme. Problème : il oublie tout ce qui lui
arrive au bout de quelques minutes.
Pour faire partager au spectateur ce que vit le per-
sonnage, les frères Nolan ont eu l’idée géniale de racon-
ter le récit par tranches temporelles, en remontant à
rebours le fil du temps, c’est-à-dire par une série de
flash-back internes complets.

LES FLASHS 276


Le protagoniste n’a qu’une vision fragmentaire de
sa propre histoire, mais nous, spectateurs, parvenons
progressivement, grâce à notre propre mémoire, à
reconstituer le fil des événements.

Certains épisodes de la série américaine Lost : les


disparus (J.J. Abrams, Jeffrey Lieber, Damon Lindelof –
2004 à 2010) atteignent des sommets dans la mise en
œuvre des flashs.
Prenons l’épisode 8 de la saison 3, Impression de
déjà-vu (Flashes before your eyes, Jack Bender – 2007),
écrit par Drew Goddard et Damon Lindelof.
Dans cet épisode, Desmond Hume (Henry Ian Cusick)
se trouve à plusieurs reprises plongé dans ce qui res-
semble à des flash-back externes. Sauf que dans ces
flash-back, les choses ne se déroulent pas comme elles
se sont déjà déroulées dans son véritable passé, que le
spectateur assidu connaît par des épisodes précédents.
Sont-ce des flashs alternatifs ?
Ou bien Desmond remonte-t-il vraiment le temps
pour revivre sa vie d’une manière un peu différente ?
De plus, pendant ces séquences dans lesquelles Des-
mond revit son passé, apparaissent des flashs que nous,
spectateurs, reconnaissons comme des scènes que Des-
mond a déjà vécues sur l’île, donc pour nous des flash-
back internes, mais qui sont ressentis par Desmond
comme des flash-forward.
Les allers-retours entre ces différents flashs nous
baladent d’un point de vue à un autre et nous amènent
à accepter l’idée la plus fantastique de l’épisode : suite à
l’implosion du Bunker, Desmond a acquis la capacité de
voir à l’avance ce qui risque d’arriver à son ami Charlie
(Dominic Monaghan) et d’empêcher sa mort.

LES FLASHS 277


Un autre exemple dans Lost, également avec le per-
sonnage de Desmond Hume, mêle la technique des
flashs avec le thème du voyage dans le temps.
Il s’agit de l’épisode 5 de la saison 4, Perdu dans le
temps (The Constant, Jack Bender – 2008).
Plutôt que tenter de décrire le travail des scénaristes
de cet épisode (Carlton Cuse et Damon Lindelof), je vous
invite à le voir ou le revoir pour analyser les flashs mis
en œuvre et leurs interactions. Ici, futur et passé s’in-
fluencent successivement.

Dans L’Armée des 12 singes (Terry Gilliam – 1996),


James Cole (Bruce Willis) est hanté par un rêve lié à une
scène de son enfance, le jour où il a assisté à la mort
d’un homme. Mais à la fin du film, James remonte dans
le temps, se retrouve dans cette même scène, et c’est
lui qui se fait tuer. Sur les lieux se trouve l’enfant qu’il
était à l’époque et qui assiste à la scène.
Notez que cette idée était déjà présente dans le
court-métrage La Jetée (Chris Marker – 1962) dont le
film de Gilliam s’inspire. Ici le flash-back se révèle fina-
lement être aussi un flash-forward.

Les catégories de flashs peuvent ainsi être contour-


nées, truquées, mélangées, le statut d’un flash pouvant
évoluer au cours d’un même récit.

LES FLASHS 278


Exercice 1
Revoyez l’épisode 1 des Mystérieuses Cités d’Or
(1982) et repérez les différents flash-back. Pour
chacun d’eux, indiquez :
1. comment il est installé,
2. comment il est caractérisé,
3. l’action qui s’y déroule,
4. la manière dont on sort du flash-back (retour
au présent de la narration).
Sont-ils internes ou externes ?
Partiels ou complets ?

Exercice 2
Voyez ou revoyez Next (Lee TAMAHORI – 2007), dans
lequel Cris Johnson (Nicolas Cage) peut voir ce qui
va lui arriver trois minutes à l’avance. Identifiez les
différentes manières d’installer les flash-forward
du personnage et les fausses pistes induites.
Remarquez au passage la façon dont la révélation
tardive de certains flashs conduit le spectateur à
une réécriture a posteriori du récit dans sa propre
imagination.

LES FLASHS 279


Exercice 3
Écrire un scénario de 6 pages maximum, mettant
en œuvre chacun des 5 principaux types de flashs
présentés dans ce chapitre : flash-back, flash-for-
ward, flash instantané, flash alternatif, flash uchro-
nique (un ou plusieurs flashs peuvent appartenir
simultanément à différentes catégories).

Et maintenant, voulez-vous voir comment :

intégrer des flashs dans une


fi Cliquez ici
structure narrative ?

utiliser des flashs pour changer


fi Cliquez ici
de focalisation ?

utiliser les flashs pour créer des


fi Cliquez ici
effets dramatiques ?

Sinon, nous allons aborder la question des intrigues


secondaires et la manière dont on peut les connecter
au récit principal.

LES FLASHS 280


Les intrigues
secondaires
INTRIGUE SECONDAIRE OU PÉRIPÉTIE /
UNE HISTOIRE DANS L’HISTOIRE /
DES FONCTIONS MULTIPLES / RELIER AU THÈME

Il ne faut pas confondre intrigue secondaire et péri-


pétie. Si le personnage principal d’un récit est face à un
obstacle dont le dépassement constitue une étape de
sa progression, cela ne constitue pas une intrigue secon-
daire, mais une péripétie.

Une histoire dans l’histoire


Une intrigue secondaire est une petite histoire dans
l’histoire, qui concerne des personnages, des lieux ou
des objets de l’univers du récit, mais dont l’impact sur la
trame principale est indirect.
L’installation de l’intrigue secondaire se noue dans
le flux de l’intrigue principale, mais son exploitation et
sa résolution se déroulent en parallèle.
Si l’intrigue secondaire est simple, elle peut consti-
tuer une parenthèse dans la trame principale. Lorsqu’elle
est plus complexe, elle est traitée en plusieurs scènes
qui s’entremêlent avec le récit.
Notez que même si une intrigue secondaire est sans
impact direct sur la trame principale, elle devrait interagir
avec elle et influencer les personnages principaux.

LES INTRIGUES SECONDAIRES 281


Si elle reste totalement détachée, le récit entier
risque d’en être affaibli.

« Aristote blâme fort les épisodes détachés et dit


que les mauvais poètes en font par ignorance et les bons
en faveur des comédiens pour leur donner de l’emploi. »
Corneille126

Des fonctions multiples


Une intrigue secondaire doit être reliée au récit prin-
cipal par une ou plusieurs fonctions dramatiques.
Idéalement, chaque intrigue devrait remplir les
conditions suivantes :

• Caractériser l’univers, les adversaires, les alliés,


leurs relations ;
• Constituer un écho à l’intrigue principale, permet-
tant sa mise en perspective ;
• Préparer ou exploiter un effet comique ou tragique
qui enrichit l’intrigue principale ;
• Préparer et exploiter des conflits ;
• Donner au spectateur des informations essen-
tielles ;
• Amplifier la tension dramatique du récit entier par
des interactions avec l’intrigue principale ;
• Contribuer de façon décisive au sens et à la morale
de l’histoire ;
• Donner de l’importance aux personnages secon-
daires pour créer un effet de réel.

Pour qu’une intrigue secondaire fonctionne, il faut


qu’elle soit installée dans le respect du fameux système

126. Trois discours sur le poème dramatique (1600).

LES INTRIGUES SECONDAIRES 282


des faits127 aristotélicien : tout ce qui arrive dans l’intrigue
secondaire doit être en cohérence avec la logique propre
à l’univers du récit principal.
Son thème et ses enjeux doivent croiser d’une
manière ou d’une autre ceux du thème principal. Même
sa résolution doit participer au sens que prendra la réso-
lution de l’intrigue principale.
Typiquement, certaines étapes de l’évolution du
protagoniste devraient être plus ou moins influencées
par le développement des intrigues secondaires.
Chaque intrigue secondaire a une structure propre,
son protagoniste, poursuivant son propre but, avec ses
obstacles, son climax et son dénouement.
Idéalement, le protagoniste de l’intrigue secondaire
peut aussi avoir, comme le protagoniste du récit princi-
pal, son évolution et ses transformations personnelles.

Au cinéma, un exemple célèbre de film à intrigues


secondaires est Tootsie (Sydney Pollack – 1982)128.
Rappelons que dans ce film, Michael Dorsey (Dustin
Hoffman) doit se déguiser en femme pour obtenir un
rôle dans une série télé, que sa petite amie Sandy (Teri
Garr) n’a pas réussi à décrocher.
Il se lie d’amitié avec Julie (Jessica Lange), une des
actrices de la série, tandis que le metteur en scène et un
autre acteur vont lui faire des avances bien gênantes…
Plus tard, le père de Julie tombe aussi amoureux de
Tootsie, ce qui complique évidemment la situation.
Lorsque Julie se sent attirée vers Tootsie, elle se croit
homosexuelle et refuse la relation.

127. Voir système des faits et milking, cliquez ici.


128. Le scénario est de Don MCGUIRE, Larry GELBART et Murray SCHISGAL.

LES INTRIGUES SECONDAIRES 283


Ces intrigues secondaires trouvent leur origine dans
l’intrigue principale : le travestissement de Michael.
Toutes participent à le faire progressivement changer
de point de vue sur les femmes, mais aussi sur lui-même
en tant qu’homme.
Lorsqu’enfin il dévoile publiquement et en direct la
réalité de son identité et de son sexe, dans un climax
d’anthologie, il reste à clore les intrigues secondaires,
qui ici sont autant d’ironies dramatiques suspendues à
la révélation de la vérité.
Le cas de Tootsie est d’autant plus intéressant que
l’intrigue principale à elle seule ne présente que peu de
potentiel, en tout cas pas assez pour tenir la distance
d’un long-métrage.
En étoffant le personnage principal, en faisant de
son rapport aux autres (et en particulier aux femmes)
un des enjeux majeurs de son évolution, les scénaristes
ont réussi l’installation de nombreuses intrigues secon-
daires qui permettent de rythmer le récit, de le démulti-
plier, d’explorer les différentes facettes du thème central.
Elles mettent le personnage principal au cœur d’un
réseau relationnel qui finit par le dépasser complète-
ment, lui qui jusque-là prétendait contrôler sa vie, tant
personnelle que professionnelle.

Autre exemple, dans Un poisson nommé Wanda


(Charles Crichton – 1988) écrit par Charles Crichton et
John Cleese.
Le film commence par un vol de diamants, parfaite-
ment exécuté mais qui a un témoin : une vieille dame
qui promène chaque jour ses trois petits chiens.
Un membre du gang, Ken Pile (Michael Palin), bègue
et amoureux des animaux, a pour tâche de la faire dis-
paraître. Hélas, non seulement il rate son coup à trois

LES INTRIGUES SECONDAIRES 284


reprises, mais à chaque fois il tue involontairement un
des petits chiens, ce qui le désespère. Heureusement
(pour lui), la mort du troisième chien est pour la dame
un choc de trop, et elle succombe à une crise cardiaque.
Après avoir vu Ken pleurer à plusieurs reprises la
mort des chiens, nous le voyons finalement exploser de
joie à la mort de la pauvre dame. Effet comique grinçant
garanti.
L’amour des animaux de Ken est aussi l’occasion
d’une scène de torture inédite. Pour lui faire avouer où
est cachée la clé du coffre contenant le butin, Otto (Kevin
Kline) dévore vivants les poissons de son aquarium.
Cette scène est liée à l’intrigue principale, qui
concerne les diamants, mais son impact est décuplé par
ce que nous avons appris sur Ken lors de ses mésaven-
tures avec la dame aux chiens.
C’est d’ailleurs quand Otto s’apprête à avaler Wanda,
le plus joli poisson de l’aquarium – et le préféré de Ken –,
que ce dernier craque et révèle où se trouve la clé. Cette
scène, dont provient le titre du film, exploite ainsi plu-
sieurs faits établis par des intrigues secondaires.
Elle use également d’ironie dramatique, puisque
nous, spectateurs, savons depuis un moment déjà que
la fameuse clé n’est plus là où Ken l’imagine. Nous avons
vu Wanda (Jamie Lee Curtis) s’en emparer pour son pro-
pre compte.

LES INTRIGUES SECONDAIRES 285


Exercice 1
Voyez ou revoyez Il était une fois dans l’Ouest (Ser-
gio Leone – 1968). Identifiez les personnages prin-
cipaux, ainsi que les différentes intrigues que
croise ce récit. Quelle est pour vous l’intrigue prin-
cipale ? Comment les intrigues secondaires y sont-
elles connectées ?

Exercice 2
Faire le même exercice avec une BD ou un film
que vous adorez (et qui comporte des intrigues
secondaires).

Exercice 3
Relisez vos propres scénarios et choisissez-en un
comportant des intrigues secondaires. Vérifiez les
fonctions dramatiques remplies par chacune
d’elles, leur connexion avec l’intrigue principale et
leur résolution.

LES INTRIGUES SECONDAIRES 286


Et maintenant, voulez-vous voir
(ou revoir) comment :

justifier différentes intrigues par


fi Cliquez ici
un thème central

suivre plusieurs intrigues


fi Cliquez ici
en changeant de focalisation

intégrer les intrigues secondaires


fi Cliquez ici
dès le séquencier

Sinon, nous allons voir maintenant un des procédés


les plus subtils à mettre en place dans une narration,
celui de la fausse piste.

LES INTRIGUES SECONDAIRES 287


Fausses pistes
et renversements
ATTENTE ET ANTICIPATION / PRÉPARATION / EXPLOITATION /
LE CAS DE PSYCHOSE / DES FLASHS ET DES ELLIPSES /
LE POSITIONNEMENT DE L’AUTEUR

Les récits à fausse piste, dits à hareng rouge129, sont


complexes à élaborer.
Il s’agit de fourvoyer le spectateur dans une inter-
prétation erronée des éléments qu’on lui présente, et
de le surprendre par la révélation d’un fait inattendu ou
par la découverte d’une explication surprenante restée
cachée jusque-là. Ces moments de renversement sont
forcément des charnières dramatiques majeures130.

Souvent, les auteurs confondent la préparation d’un


renversement avec l’exploitation d’un mystère, aussi
nous allons tenter d’expliquer quelques techniques
essentielles pour « scotcher » un spectateur sur une
fausse piste afin de mieux le surprendre, et surtout de
lui faire aimer sa surprise.

Attente et anticipation
Avant d’être une fausse piste, tout récit doit construire
une piste tout court. Personnages, buts, enjeux, contexte,
tout doit concorder pour faire entrer le spectateur dans
une première interprétation des événements. On doit

129. Hareng rouge : voir note de bas de la page 51, cliquez ici.
130. Voir les charnières dramatiques, cliquez ici.

FAUSSES PISTES ET RENVERSEMENTS 289


avoir l’impression de comprendre où va le récit, en atten-
dre quelque chose et pouvoir anticiper sur la suite.

Préparer le renversement
Quelques indices doivent préparer le renversement,
suffisamment ambigus pour ne pas éveiller de soupçons.
Il faut absolument installer ces indices, sans lesquels la
révélation du hareng rouge ne sera pas acceptée par le
spectateur. Si ce dernier est face à une surprise totale-
ment déconnectée de tous les éléments déjà installés, il
va se déconnecter du récit.

Exploiter un mystère
En même temps que l’on prépare un renversement,
il faut continuer à mener le récit, c’est-à-dire à exploiter
les éléments déjà en place tout en continuant d’en ins-
taller d’autres.
Dans un segment du scénario, on peut tout à fait
exploiter un mystère, autrement dit confronter les per-
sonnages à des faits inexpliqués dont ils tentent de saisir
le sens.
Leur parcours, forcément infructueux, permettra
d’affiner et de développer leur caractérisation, tout en
maintenant les protagonistes dans le drama, c’est-à-dire
dans l’action.

Le premier renversement de Psychose


(Alfred Hitchcock – 1960)
Toute l’intrigue de la fausse piste (le hareng rouge
lui-même) doit susciter adhésion, attente et anticipation.
Quand Marion Crane (Janet Leigh) s’arrête au Motel de
Norman Bates (Anthony Perkins) et passe un moment à

FAUSSES PISTES ET RENVERSEMENTS 290


discuter avec lui, nous avons déjà été mis au courant
des pensées et des doutes de la jeune femme.
Nous espérons qu’elle va changer d’avis, rentrer chez
elle et restituer à son patron l’argent qu’elle a volé. Nous
pensons même qu’elle est décidée à revenir en arrière
quand elle est soudain mortellement agressée.
Autrement dit, nous l’avons totalement acceptée
comme protagoniste, et nous sommes focalisés sur ses
problèmes au point de lui souhaiter d’y trouver une solu-
tion. Dans l’écriture de toute la première partie du scé-
nario, ce personnage a été construit avec autant de soin
que s’il avait été élaboré pour durer tout le long du film.
Nous avons été mis en situation d’espérer et d’attendre
de Marion une évolution.
Notre expérience de spectateur nous dit qu’un tel
personnage, en pleine épreuve face à sa propre vie,
devrait rester au centre du récit jusqu’au bout. Dans le
même temps, Hitchcock a établi de façon indirecte la
présence de la mère de Norman, sans que jamais nous
ne soyons en mesure de voir son visage.
Il a également bien établi certains aspects de la per-
sonnalité complexe et inhibée de Bates, dont les fai-
blesses vont être pleinement révélées lorsqu’il découvrira
le cadavre. Il nous donne aussi à entendre une dispute
entre Norman et sa mère, qui instille en nous l’idée que
cette femme existe bien et pourrait être dangereuse.

Le premier hareng rouge du film, révélé par la mort


de Marion Crane, est ainsi rendu vraisemblable. Nous
avons cru qu’elle serait le protagoniste, c’était une fausse
piste. La violence du meurtre et l’horreur exprimée par
Norman lorsqu’il découvre le cadavre font écho à celles
que nous ressentons comme spectateur et cela nous
garde connectés au récit.

FAUSSES PISTES ET RENVERSEMENTS 291


Encore plus fort, la longue scène, pendant laquelle
Norman fait le ménage dans le lieu du crime, constitue
une transition très efficace pour nous permettre d’opérer
inconsciemment un basculement de notre attachement
déçu pour Marion Crane vers le « pauvre » Norman,
dont nous comprenons la volonté de protéger sa mère.

Utilisation de flashs
et d’ellipses de dissimulation
Dans Shutter Island (2010), Martin Scorsese nous
focalise d’entrée de jeu sur le personnage de Teddy
Daniels (Leonardo DiCaprio), sur sa migraine et ses trou-
bles de la perception.
L’enquête qu’il doit mener le met mal à l’aise, mais
nous avons des motifs raisonnables d’attribuer cela à
ses souvenirs traumatiques, que des flashs nous révèlent
en partie.
Au fil du récit, ses visions se multiplient, alors même
que les indices sur la réalité de la situation s’accumulent.
Pourtant nous n’avons pas vraiment de moyens d’as-
sembler les pièces du puzzle avant la confrontation avec
le docteur Cawley (Ben Kingsley).
Même là, nous avons toujours un doute quant à ce
qui est vrai ou fantasmatique, à cause de la focalisation
sur un personnage qui doute de tout.
Pour obtenir cet effet très troublant, plusieurs tech-
niques :

• des flash-back131 partiels avec des ellipses de dissi-


mulation132 ;

131. Voir les flashs, cliquez ici.


132. Voir les ellipses temporelles, cliquez ici.

FAUSSES PISTES ET RENVERSEMENTS 292


• des flashs psychologiques: scènes qui montrent des
visons où se mêlent la réalité, le passé, et des résur-
gences de l’inconscient refoulé du personnage ;
• une focalisation133 presque tout le temps interne,
sauf peut-être pour quelques plans à la toute fin,
dont on peut penser qu’ils visent à ancrer le spec-
tateur dans une réalité devenue objective.

Notez qu’Hitchcock, dans Psychose, n’utilise pas de


flashs psychologiques, ni de flash-back. Les informations
sur la mère de Norman Bates nous sont cachées par des
ellipses de dissimulation.
Le fonctionnement de la dramaturgie de ce film
repose sur des moyens principalement cinématogra-
phiques. C’est par sa mise en scène qu’Hitchcock par-
vient à nous occulter bon nombre d’informations sans
que nous en prenions vraiment conscience.

C’est également ce que fait M. Night Shyamalan dans


Sixième Sens (1999) : a posteriori, il est possible d’identi-
fier des ellipses de dissimulation dans le récit, mais elles
sont très habilement masquées par la mise en scène.
L’intrigue du hareng rouge est ici menée avec beau-
coup de sérieux, ce qui nous convainc de sa vraisem-
blance, en dépit du caractère paranormal de la prémisse
(un enfant qui voit les esprits des morts).

Le positionnement de l’auteur
Une autre façon de travailler l’implication du spec-
tateur est de réfléchir au positionnement de l’auteur par
rapport à son public. Les films qui suscitent le plus effi-
cacement l’adhésion jouent souvent sur l’installation

133. Voir point de vue et focalisation, cliquez ici.

FAUSSES PISTES ET RENVERSEMENTS 293


d’une connivence avec les spectateurs. Idem pour les
bandes dessinées, les romans et les pièces de théâtre.
Si le point de vue par lequel l’histoire est racontée lui
donne à penser qu’il en sait davantage que les person-
nages, le spectateur va intuitivement se sentir proche de
l’auteur. Les informations reçues lui permettent d’anti-
ciper et de se sentir témoin privilégié des actions en cours.
S’appuyer sur une telle connivence permet de ren-
dre acceptables des moments de distanciation, voire de
dissimulation d’informations visant à préserver une sur-
prise à venir.

C’est ce qui se passe dans Kick-Ass (Matthew Vaughn


– 2010). Le film comporte plusieurs fausses pistes, dont
une qui nous laisse croire par exemple que le héros se
fait liquider.
Et il y a un twist énorme, quand nous découvrons
Hit-Girl, dont la scène de caractérisation reste un pur
délice en termes de surprise dramaturgique.
Mais cette surprise a été minutieusement préparée :
nous avons pu voir un papa (Nicolas Cage) entraînant sa
fille (Chloë Grace Moretz) à de curieuses activités,
comme se faire tirer dessus. Elle préfère se faire offrir
un couteau plutôt qu’un petit chien.
On pouvait certes se douter de quelque chose, mais
sans doute pas à ce qu’une bande de ruffians adultes se
fasse massacrer par une gamine de dix ans.

Exercice 1
Relevez dans Psychose les indices préparant la
révélation finale du film et les procédés permettant
de dissimuler jusqu’au bout la vérité.

FAUSSES PISTES ET RENVERSEMENTS 294


Exercice 2
Dans À la folie, pas du tout, identifiez les outils scé-
naristiques mis en œuvre dans la première partie
du film pour créer une (fausse) intrigue prenante
et les indices qui préparent le renversement.

Exercice 3
Construire un séquencier avec le hareng rouge sui-
vant: Tim est un flic infiltré dans un groupe de
truands qui prépare un braquage. Il leur tend un piège
en vue de leur arrestation. En fait, son vrai but est de
trahir tout le monde et de s’enfuir avec le butin.

Et maintenant, voulez-vous voir (ou revoir) :

différentes possibilités
fi Cliquez ici
de point d’entrée ?

différents types d’ellipses ? fi Cliquez ici

différents types de flashs ? fi Cliquez ici

Sinon, je vous propose une réflexion sur la posture


quasi-schizophrénique de l’auteur, qui doit se mettre
dans la peau de tous ses personnages.

FAUSSES PISTES ET RENVERSEMENTS 295


La posture
schizophrénique
de l’auteur
LOGIQUE PLURIELLE / EXPLORER LES POINTS DE VUE /
CONNAÎTRE SON UNIVERS / SAVOIR OÙ ON VA / RÉÉCRIRE /
LA SCHIZOPHRÉNIE DE L’AUTEUR COMME SUJET

Écrire un scénario implique de faire exister tout un


univers en dissimulant soigneusement à son public son
dessein et ses astuces.
En effet, pour le spectateur, ce qui se produit dans
un bon récit n’existe que par l’enchaînement d’actions
s’engendrant naturellement les unes les autres.
L’histoire semble avancer toute seule, le narrateur
(ou le cinéaste, ou le dessinateur) se contentant de ren-
dre compte d’événements, d’actions, de conflits et de
drames qui se produisent malgré lui, comme s’il en était
simplement le témoin et le rapporteur.
Illusion que tout cela.

En réalité, l’auteur prévoit et construit par son travail


tout ce qui paraît aller de soi. Sa réussite sera d’autant
plus magistrale s’il parvient à faire oublier au spectateur
qu’il y a un auteur derrière le récit.

Une logique plurielle


Être scénariste, c’est avoir cette capacité à suivre
simultanément deux logiques.

LA POSTURE SCHIZOPHRÉNIQUE DE L’AUTEUR 297


• D’une part, amener les personnages à suivre le
parcours défini pour faire évoluer le récit dans une
direction sciemment choisie.
• D’autre part, donner le sentiment que le person-
nage contrôle son destin et détermine ce qui lui
arrive par ses choix propres.
En quelque sorte, il faut dissimuler la nécessité où
nous sommes, en tant qu’auteur, de faire advenir les
choses dont nous avons besoin pour mener la narration
comme nous l’entendons, derrière des apparences de
hasard et de libre arbitre totalement construites, élabo-
rées pour paraître naturelles.

En principe, le scénariste devrait être invisible dans


son propre univers134.

Créer un récit demande d’entrée de jeu une vision


multiple : celle que l’on souhaite faire partager au spec-
tateur, celle que l’on a sur son propre travail et celle des
personnages de l’histoire. Comme si, soi-même, on
devait changer de focalisation, passer de son propre
point de vue à celui du spectateur, mais aussi à celui
des personnages.
Aussi fictifs soient-ils, nous devons donner l’illusion
qu’ils sont persuadés d’être dans un univers existant par
lui-même.

La meilleure démarche, à mon avis, est de se mettre


à la place des personnages et de se poser la question :

134. Le fait de prendre cette affirmation à contre-pied peut donner une


narration originale. Par exemple, dans L’Incroyable destin de Harold Crick
(Marc FORSTER – 2006), le protagoniste (incarné par Will Ferrell) entend des
didascalies dans sa tête et finit par comprendre qu’il est un personnage de
fiction. Il n’aura de cesse de rencontrer son auteur pour lui demander des
comptes et changer son destin.

LA POSTURE SCHIZOPHRÉNIQUE DE L’AUTEUR 298


« Que ferais-je dans cette situation ? ». Cela correspond
à ce que Robert McKee135 appelle « travailler les scènes
de l’intérieur vers l’extérieur ».

Explorer les différents points de vue


de vos personnages
Lorsqu’on a soigneusement construit les protago-
nistes d’une histoire, on doit pouvoir se représenter
comment ils réagiraient dans telle ou telle situation.
Cette mise en situation permet d’éviter des incohé-
rences : on croit parfois avoir bien réussi à mettre les
personnages en difficulté, et on s’aperçoit en se mettant
à leur place qu’on leur a laissé une porte de sortie facile.
Il faut alors modifier le contexte de la scène, et par-
fois rebâtir certains éléments du récit en amont.
Cette démarche, consistant à « se mettre à la place
de », est un exercice particulièrement exigeant lorsqu’un
récit comporte beaucoup de personnages, de conflits
émotionnels forts et d’enjeux vitaux.
L’auteur peut être amené à créer une situation dans
laquelle un personnage très attachant se trouve en mau-
vaise posture, se fait agresser, blesser, torturer, ou pire.
Il est alors à la fois le bourreau, la victime et le chef d’or-
chestre du drame qui se joue. S’il a la moindre faiblesse,
épargnant contre toute logique un personnage dont le
destin paraît sans espoir au spectateur, le risque est
grand d’opérer un Deus ex machina136 et de briser la sus-
pension consentie de l’incrédulité137.

135. Dans Story (2000).


136. Deus ex machina : solution miracle offerte au protagoniste, cliquez ici.
137. Voir la suspension consentie de l’incrédulité, cliquez ici.

LA POSTURE SCHIZOPHRÉNIQUE DE L’AUTEUR 299


Un personnage peut se retrouver dans une situation
grave par malchance ou par hasard, mais le spectateur
acceptera difficilement qu’il s’en sorte juste par chance
ou par coïncidence.
De même, lorsqu’un héros parvient à vaincre un
grand méchant, mais que vous souhaitez préserver l’af-
freux pour plus tard, veillez à ne pas rendre sa survie,
son évasion ou son sauvetage trop miraculeux.
On doit croire qu’il pouvait s’en sortir par ses propres
moyens, sans que le scénariste ne fasse de croche-pied
au protagoniste.

Construire et développer un récit s’appuie donc sur


deux logiques parallèles simultanées, effectivement
schizophréniques :
• celle du narrateur, qui sait d’où part son récit, par
quelles charnières il doit passer et comment il doit
finir ;
• celle de la diégèse138, c’est-à-dire la cohérence
interne de l’enchaînement des évènements, qui
doivent, apparemment au moins, se dérouler natu-
rellement, logiquement, par les seules actions et
réactions des personnages.
Cela peut paraître étrange, mais à un certain stade,
les personnages acquièrent une existence propre. Leur
logique s’impose à l’auteur, qui ne peut plus leur faire
faire n’importe quoi.

Comment y parvenir
La première chose, c’est de bien connaître son uni-
vers et ses personnages. Robert McKee139 en a fait un de

138. Diégèse : voir note page 29, cliquez ici.


139. Dans Story (2000).

LA POSTURE SCHIZOPHRÉNIQUE DE L’AUTEUR 300


ses dix commandements : « Connais l’univers de ton
récit aussi bien que Dieu connaît le nôtre. »

Ensuite, vous devez bien définir où vous voulez aller :


quel climax, quel dénouement, quelle fin. C’est parfois
frustrant pour un auteur d’avoir à écrire un récit en
connaissant déjà son issue. On aimerait être porté par
l’écriture en elle-même et « laisser venir » en laissant
faire les personnages. Rédiger un premier jet intuitif pour
poser les éléments-clés d’un récit est d’ailleurs une tech-
nique possible.
Une relecture analytique de ce premier jet vous per-
mettra de dégager les thèmes sous-jacents, les cohé-
rences et les incohérences des actions des personnages.
Vous pourrez déceler les ficelles trop visibles du récit.
Là encore, vous devrez changer de positionnement : pas-
ser de l’état de créateur-rédacteur à celui de critique-
analyste.
Enfin, peu ou prou, il vous faudra réécrire, c’est-à-
dire réaménager à la fois les éléments constituant l’uni-
vers du récit et le fantôme140 (back-story) des person-
nages pour amplifier les conflits, les enjeux, la lisibilité
des situations et chaque enchaînement.

Les trois points cruciaux


1. Connais ton univers.
Cela impose un important travail de recherche et de
développement. Si votre récit est à l’image du monde
réel, vous devez tout faire pour connaître en détail les
éléments de ce monde intervenant dans votre récit.

140. Fantôme : voir page 189, cliquez ici.

LA POSTURE SCHIZOPHRÉNIQUE DE L’AUTEUR 301


• Un prophète de Jacques Audiard (2009) a claire-
ment bénéficié d’un impressionnant travail de
recherche sur les réalités du monde carcéral.
• Bienvenue chez les Ch’tis de Dany Boon (2008) ne
tiendrait pas la route sans son puissant ancrage
dans les réalités d’une région.
Si votre univers est en grande partie inventé, gardez
à l’esprit que des univers comme ceux du Seigneur des
anneaux, de La Guerre des étoiles, d’Harry Potter ou de
Toy Story résultent tous d’un long travail créatif et
conceptuel.

2. Sache où va ton récit.


C’est souvent le plus difficile, surtout lorsqu’on
débute. La tentation est immense de vouloir mettre dans
un film toutes les grandes questions, tous les thèmes
qu’on considère comme importants.
Mais on doit garder à l’esprit que lorsqu’un film traite
de plusieurs thèmes, tous doivent être connectés à une
question centrale, un super-thème global dont tous les
autres ne sont que des déclinaisons.
C’est bien plus facile de trouver cette question cen-
trale en étudiant les films achevés et réussis, qu’en
s’échinant sur un scénario en construction, à moins que
cette question centrale n’ait été clairement identifiée et
posée dès le début du travail d’écriture.
Si tel est le cas, vous aurez d’autres problèmes,
consistant à transposer votre question centrale en situa-
tions dramatiques, mais au moins vous aurez la vision à
long terme de votre but, ce qui est essentiel quand on
mène un travail dans la durée.
L’approche consistant à démarrer l’écriture avant
d’avoir identifié la question centrale, en revanche, peut

LA POSTURE SCHIZOPHRÉNIQUE DE L’AUTEUR 302


faire émerger des idées de scènes tout à fait originales,
dans lesquelles on peut s’apercevoir après coup que la
question centrale est abordée sans qu’on l’ait sciemment
décidé.
Exploiter ce genre de pépite peut s’avérer extrême-
ment intéressant, c’est pourquoi il serait vain de prétendre
qu’une approche d’écriture est meilleure qu’une autre.

3. Réécris.
Cela revient à assumer nos limites mais aussi notre
capacité d’évolution et d’amélioration. Être content
d’une scène dès sa première mouture ne devrait pas
empêcher de tenter de l’améliorer, voire d’en écrire une
autre, différente, pour se donner le choix ou vérifier que
toutes les potentialités d’une situation ont été explorées.
Réécris, c’est une prise de distance avec soi-même
et avec son travail de création, un recul qui doit nous
permettre d’englober tous les points de vue, d’échapper
précisément aux postures schizophréniques que nous
imposent les premières étapes du travail d’écriture d’un
scénario.

La réécriture, c’est le moment où l’auteur unifie son


travail multiple et dispersé en un tout à la fois cohérent,
fonctionnel, émouvant et signifiant.

La schizophrénie de l’auteur
comme sujet
Quelques films fameux donnent à partager les affres
par lesquels passe un auteur qui s’égare dans sa propre
création.
Citons Le Magnifique de Philippe de Broca (coécrit
par lui-même, Jean-Paul Rappeneau, Vittorio Caprioli
et Francis Veber – 1973). Le protagoniste, François Merlin

LA POSTURE SCHIZOPHRÉNIQUE DE L’AUTEUR 303


(Jean-Paul Belmondo), est l’auteur de récits où intervient
un héros récurrent, Bob Saint-Clair, lui aussi joué par
Belmondo. Tout le récit montre en parallèle la réalité du
quotidien du scénariste et celle de son personnage et
l’influence des tracas « réels » du premier sur la vie
« imaginaire » du second.
Dans un film plus récent, Adaptation141 (Spike Jonze
– 2003), le scénariste Charlie Kaufman intègre sa propre
schizophrénie d’auteur contraint de se démultiplier à
travers les personnages de son récit. Il apparaît lui-même
dans le film sous les traits de deux frères jumeaux (joués
par Nicolas Cage), le second frère n’existant que dans
l’univers du récit.
Enfin, Twixt (Francis Ford Coppola – 2011) propose
l’audacieuse exploration croisée d’une intrigue réelle
dont un auteur tente de s’emparer pour en construire
une seconde, fantasmée. Une mise en abyme142 qui met
le protagoniste, Hall Baltimore (Val Kilmer), face à son
idole Edgar Allan Poe (Ben Chaplin) dans une séance de
script-doctoring onirique.
Avant d’en arriver à traiter de la posture schizophré-
nique de l’auteur comme sujet d’un récit, sans doute est-
il préférable de faire vos armes sur des scénarios permet-
tant une distanciation plus aisée d’avec vos personnages.

141. Oscar du meilleur scénario adapté en 2003.


142. Mise en abyme : voir note page 162, cliquez ici.

LA POSTURE SCHIZOPHRÉNIQUE DE L’AUTEUR 304


Exercice 1
Choisissez un film que vous aimez comportant
plusieurs personnages, puis rédigez le récit tel qu’il
est vécu du point de vue de chacun d’entre eux.

Exercice 2
Voyez ou revoyez Le Doulos (Jean-Pierre Melville
– 1962) ou Sixième Sens (M. Night Shyamalan –
1999). Rédigez ensuite le récit tel qu’il est vécu du
point de vue des personnages principaux, ainsi
que le récit tel qu’il est perçu par le spectateur.

Exercice 3
Écrivez sous forme de synopsis trois paragraphes :
le premier décrivant le plan d’un truand pour déro-
ber un trésor, le second la façon dont un concur-
rent découvre ce plan et parvient à le détourner à
son profit, le troisième racontant comment le poli-
cier chargé de l’enquête parvient à reconstituer
(ou pas) l’enchaînement des événements.

LA POSTURE SCHIZOPHRÉNIQUE DE L’AUTEUR 305


Et maintenant, voulez-vous voir comment :

obtenir la cohérence globale de


fi Cliquez ici
tout le récit ?

rendre crédible le point de vue


fi Cliquez ici
d’un antagoniste ?

construire l’univers autour des


fi Cliquez ici
personnages ?

Sinon, nous allons parler d’un sujet un peu délicat


mais crucial : la question de l’éthique en dramaturgie,
ou, plus prosaïquement, de la morale de l’histoire.

LA POSTURE SCHIZOPHRÉNIQUE DE L’AUTEUR 306


La morale
de l’histoire
UNE MORALE POUR QUOI FAIRE ? / LES CHOIX DIFFICILES /
LA CLÉ DU SYSTÈME DE VALEUR / CATHARSIS /
LA MORALE DE L’AUTEUR

Dans le monde moderne, la notion de morale est


souvent associée aux religions, aux fables et à l’éduca-
tion des enfants. Faire la morale à quelqu’un est géné-
ralement considéré comme infantile, vain, prétentieux
et ennuyeux.
Il semble loin le temps où l’on attendait du drama-
turge qu’il produise des œuvres propres à l’édification
des foules.
Et puis c’est évident, aucun spectateur n’a envie
qu’on lui fasse la morale. Alors… pourquoi un récit
devrait-il en avoir ?

• La première et principale raison, c’est la nécessité


pour toute œuvre d’avoir une portée émotionnelle.
Pour toucher le spectateur ou le faire rire, il nous
faut lui donner des émotions. On doit s’appuyer
pour cela sur son ressenti, son jugement, sa
mémoire, ses valeurs humaines, sa vision du bien
et du mal.
• La seconde raison, c’est éventuellement le désir
de l’auteur d’amener le spectateur à découvrir un
nouveau point de vue sur une question donnée.

LA MORALE DE L’HISTOIRE 307


Ceci sans rien lui imposer, ni même suggérer que
ce point de vue pourrait devenir le sien. Il doit rester
libre d’y adhérer ou non, libre même de ne pas pren-
dre parti dans le conflit que vivent les personnages.
• Il peut y avoir une troisième raison, externe au
processus d’écriture lui-même : le cahier des
charges d’un commanditaire pour un projet ciblé.
Ce sera le cas par exemple d’une série TV ou de
films à suite (James Bond, Alien, La Guerre des
étoiles, Sherlock Holmes, Jason Bourne, Harry Pot-
ter, Bob l’éponge…)

Ceci étant, même si l’auteur n’y pense pas spéciale-


ment au départ, tout récit véhicule des valeurs et met
en place des prises de position par rapport à elles.
Éthiques, politiques ou philosophiques, ces valeurs
s’intègrent à l’univers du récit, définissant une vision du
bien et du mal, du juste et de l’injuste, du correct et de
l’incorrect, de l’acceptable et du scandaleux.

Impossible d’évacuer la question du positionnement


moral : même une histoire amorale produit un effet sur
son auditoire : dégoût, adulation, gêne, honte, tristesse,
soulagement, regret…

Une bonne histoire place toujours les personnages


principaux face à des choix difficiles qui remettent
en cause leurs valeurs fondamentales.

Rien n’est plus difficile qu’un choix moral. Rien n’a


plus d’impact sur le sens de la vie que l’on mène. Rien
ne donne plus de sens et de portée émotionnelle à une
fiction.

LA MORALE DE L’HISTOIRE 308


Prenons sciemment deux exemples moralement
ambigus.
C’est arrivé près de chez vous, de Rémy Belvaux
(1992), est un faux documentaire consacré à un tueur
en série (Ben) incarné par Benoît Poelvoorde. L’humour
décalé et le positionnement radicalement immoral de
ce film en ont rapidement fait une œuvre culte. Mais le
film n’est pas immoral gratuitement, pour seulement
faire rire ou pour choquer.
Au fond de cette comédie grinçante, la question du
parti pris des journalistes émerge comme un thème
majeur, avec une progression de leur implication dans
plusieurs crimes de plus en plus odieux.
Le protagoniste du film n’est pas Ben, mais l’équipe
de tournage : ce sont les choix du metteur en scène « du
film dans le film » qui aboutissent à l’issue tragique de
son projet.
En terme d’implication, cet exemple montre qu’un
enjeu supérieur, distinct des buts des personnages, peut
accrocher le public. Ici ce sera : « Qui va arrêter ces crimes
en série ? ».
Le spectateur est autant concerné par un person-
nage horrible qu’il souhaite voir échouer que par un per-
sonnage sympathique qu’il souhaite voir réussir.
Quand on est spectateur, prendre position contre
un personnage peut susciter autant d’attention que
l’identification à un héros.
Dans ce film toutefois, la prestation exceptionnelle
de Benoît Poelvoorde rend le tueur un peu trop atta-
chant, contrecarrant en partie l’intention initiale.

Un monstre peut aussi avoir comme adversaire un


autre monstre encore pire que lui. Pensez à ce serial

LA MORALE DE L’HISTOIRE 309


killer dont la série Dexter (James Manos Jr. – 2006 à
2013) parvient à faire un protagoniste crédible, voire
sympathique.
Un récit peut donc fonctionner avec des protago-
nistes amoraux ou immoraux. C’est un des avantages
des personnages de fiction. En tant que spectateurs,
nous savons qu’ils ne sont que des personnages, que
nous jouons à croire en eux.

Les clés du système de valeur


Gardez à l’esprit que la façon dont réagissent les per-
sonnages donne au spectateur des clés pour lire la valeur
morale et la portée d’une scène.
Tout univers fictionnel définit un système de valeur
qui lui est spécifique, et c’est dans ce système de valeur
que les effets dramatiques prennent sens.

Les notions de bien et de mal, notamment, sont hau-


tement dépendantes du contexte installé. Dans Léon
(Luc Besson – 2002) un tueur prend la défense d’une
orpheline dont on a vu la famille se faire massacrer. Il
gagne aussitôt notre sympathie et, dans le même temps,
nous espérons que ce duo improbable va parvenir à évo-
luer, surmonter ses problèmes et vaincre ses ennemis.

La distanciation implicite de la fiction nous autorise,


le temps d’un épisode, à vibrer aux actions d’un assassin
qui tue des criminels pires que lui. Le même mécanisme
nous fera accepter de voir des gens se tirer dessus, se
battre ou simplement s’insulter, alors que nous n’ose-
rions pas le faire dans notre propre quotidien. N’importe
qui peut rêver d’envoyer paître un patron désagréable
ou un parent envahissant, mais dans la vraie vie, qui ose
le faire ?

LA MORALE DE L’HISTOIRE 310


On retrouve ici le fameux effet de Catharsis143 cher à
Aristote dans sa Poétique144.
Le spectateur n’a pas à assumer les conséquences
des actions menées par les personnages, mais il peut se
sentir libéré de sa tension intérieure en voyant accomplir
dans la fiction ce que lui-même ne s’autorisera jamais.

Et la morale de l’auteur dans tout ça ?


L’évolution des protagonistes du récit peut conforter
les opinions du public ou les remettre en cause.

Un spectateur attentif, c’est un spectateur « en ten-


sion », poussé à questionner encore et encore son sens
moral. Si nous essayons, nous auteurs, de pousser le
public à adopter un positionnement moral, c’est parfois
pour l’amener à changer d’avis, et même plusieurs fois
au fil du récit.
De là naîtront des sentiments de satisfaction, de frus-
tration, de joie ou de colère, allant toujours de pair avec
des valeurs (morales, amorales, immorales).
La fin du récit permettra de tirer les conclusions vers
lesquelles l’auteur souhaitait aller.
C’est une des grandes réussites de la série Game of
Thrones (créée par David Benioff et D.B. Weiss d’après
George R. R. Martin – 2011-). Les scénaristes font sans
cesse évoluer les positionnements des personnages.
Tous, à un moment ou à un autre, passent du misérable
au sublime, du sublime au sournois, du sournois au

143. Pour ARISTOTE, la Catharsis est une purgation des passions par la repré-
sentation artistique. Vivre intensément un spectacle libère les émotions
(en particulier la pitié et la peur) amenant un allégement accompagné de
plaisir. Dans l’Antiquité, la tragédie avait vocation à la purgation cathartique
du corps social, et pas seulement à celle des individus.
144. Poétique (ARISTOTE – 335 avant J.C.).

LA MORALE DE L’HISTOIRE 311


chevaleresque… et nous spectateurs, passons au fil des
intrigues par toutes les couleurs d’une vaste palette
émotionnelle.
Prenez Tyrion Lannister (Peter Dinklage) et voyez la
façon dont notre point de vue sur lui change au fil des
saisons. Il y a des moments où nous souhaitons sa mort,
d’autres où nous souhaitons qu’il s’en sorte… d’autres
où il montre une grandeur d’âme extraordinaire… Le
moins qu’on puisse dire, c’est qu’il suscite en nous de
vives émotions, et cela tient pour beaucoup à la valeur
morale/immorale de ses choix dans l’univers de Game
of Thrones.

Il y a donc lieu, lorsqu’on bâtit une intrigue, de tra-


vailler en amont la question du positionnement moral
des personnages, dans le contexte de l’univers du récit
et à définir au mieux sa propre position d’auteur.

À univers différents,
systèmes de valeurs différents
Dans le cas d’un schéma manichéen, avec des
méchants et des gentils bien identifiés, la position
morale est généralement claire pour tout le monde. Les
gentils sont droits, honnêtes, sympathiques, tandis que
les méchants sont fourbes, malfaisants, désagréables.
Pensez à Blanche-Neige et à la sorcière, à Luke Skywal-
ker et Dark Vador.
On peut aussi faire autrement. Par exemple, imagi-
ner un héros roublard et violent (The Chaser – Hong-
Jin Na – 2008), un antagoniste droit et honnête (Arrête-
moi si tu peux — Steven Spielberg – 2002) ou un super-
héros mal embouché et alcoolique (Hancock, Peter Berg
– 2008).

LA MORALE DE L’HISTOIRE 312


Ce genre de personnage, plus complexe, évite une
évolution trop prévisible et crée une tension implicite.
Précisément parce que dans le fil même du récit, le spec-
tateur est appelé en permanence à douter du bien-fondé
des actions des uns et des autres et à s’interroger sur
leurs motivations.

Dans Le Bon, la brute et le truand (Sergio Leone –


1966), chacun des trois personnages a sa part de rou-
blardise et de vilenie. Sentenza (Lee Van Cleef) est un
tueur professionnel qui n’hésite pas à torturer pour arri-
ver à ses fins. Tuco (Eli Wallach) est un voleur et un
escroc maladroit et rancunier, mais pas un tueur. Blondin
(Clint Eastwood) est un malin qui profite du système et
abuse de la crédulité des uns et des autres… mais pas le
genre à abattre un homme désarmé.
Dans l’arène du récit (les États-Unis en pleine guerre
civile), leur affrontement repose principalement sur les
systèmes de valeurs que chacun d’entre eux incarne, et
qui entrent en conflit.
Conflit que le titre du film annonce avec une rare
efficacité.

On peut aussi imaginer une diégèse145 en décalage


complet avec le monde réel.
Les valeurs prônées par les institutions et par les
personnages peuvent alors être totalement opposées à
celles du monde réel. Dans le court-métrage Majorité
opprimée (2009), Éléonore Pourriat imagine un monde
dans lequel les hommes restent au foyer et s’occupent
des enfants, écrasés par la domination des femmes.
Un homme se trouve même contraint de porter le
voile, tandis qu’un autre se fait agresser dans la rue par

145. Diégèse : voir note page 29, cliquez ici.

LA MORALE DE L’HISTOIRE 313


des femmes. L’effet de cette simple inversion est d’une
redoutable efficacité dramatique.
On est à la fois très loin du monde réel et très près
du problème universel du sexisme.

Derrière tous les grands succès de l’histoire du


cinéma, il y a une question morale. Parfois explicite,
mais souvent implicite, la question morale prend de
multiples formes :

• Échapper à l’injustice dans un système corrompu.


(Les Évadés de Frank Darabont – 1994) ;
• Trouver des raisons de vivre et de rire malgré une
situation d’exclusion. (Intouchables d’Olivier
Nakache et Éric Toledano – 2011) ;
• Vaincre les préjugés de tout un village pour réussir
à y vivre (Le Chocolat de Lasse Hallström – 2000) ;
• Croire à la force en soi quand tout semble perdu.
(La Guerre des étoiles de George Lucas – 1977).

Attention, même si la question morale se cristallise


au moment du climax, elle doit se décliner sous forme
de variations dans chaque séquence du récit, y compris
les intrigues secondaires.
Quand vous mettrez le point final à votre note d’in-
tention, veillez à y expliquez clairement votre point de
vue sur cette question.

LA MORALE DE L’HISTOIRE 314


Exercice 1
Faites la liste de vos cinq films, romans, BD, pièces
de théâtre, jeux vidéos préférés. Formulez en une
phrase, pour chaque titre, la question morale qui
sous-tend le récit.

Exercice 2
Formulez pour chacun de vos propres récits votre
positionnement moral d’auteur.

Exercice 3
Choisissez une œuvre que vous connaissez mais
que vous n’avez pas aimée et identifiez ce qui cloche
pour vous du point de vue de la question morale.

LA MORALE DE L’HISTOIRE 315


Et maintenant, que voulez-vous faire :

Traiter la question de la morale


fi Cliquez ici
dans la note d’intention ?

Caractériser un système
fi Cliquez ici
de valeur ?

Intégrer la question morale


fi Cliquez ici
à votre structure ?

Sinon, voyons comment les médias utilisent tous


les outils dont ce livre parle et comment des auteurs
jouent à mélanger les codes du documentaire avec ceux
de la fiction, pour le meilleur… mais pas toujours.

LA MORALE DE L’HISTOIRE 316


Jouer avec les codes
de la fiction
QUAND LA FICTION RESSEMBLE TROP À LA RÉALITÉ /
LA CAMÉRA DIÉGÉTIQUE /
RÉUSSIR UN FAUX DOCUMENTAIRE /
LES CODES IMPLICITES DE LA FICTION /
DÉTOURNER LES CODES /
LA COMMUNICATION MÉDIATIQUE

Le concept de narration est implicitement distancié


du réel. Pour raconter une histoire, il faut qu’elle ait eu
lieu ou bien que quelqu’un l’ait préalablement imaginée.
Dans un cas comme dans l’autre, la disjonction du temps
narratif d’avec le temps de notre réalité constitue un des
fondements de la convention fictionnelle.
Il suffit de mêler ces temporalités pour induire une
confusion entre la fiction et le monde réel.
L’exemple le plus célèbre de ce phénomène est cer-
tainement la diffusion en 1938 sur le réseau CBS146 de
l’adaptation radiophonique de La Guerre des Mondes
d’Herbert George Wells.
Ce récit de l’invasion de la Terre par des envahisseurs
martiens a depuis fait l’objet de très nombreuses adap-
tations cinématographiques. Mais en 1938, en faire une
version radiophonique était une première.

146. CBS : Columbia Broadcasting System.

JOUER AVEC LES CODES DE LA FICTION 317


Plus originale encore, l’idée qu’a Welles de donner à
sa dramatique les caractéristiques d’une émission de
reportage en direct. Pour de nombreux auditeurs, ce for-
mat signifiait implicitement l’immédiateté et la réalité
des faits.
Certes, les auditeurs ayant suivi depuis le début la
retransmission avaient été informés qu’il s’agissait d’Or-
son Welles et de la troupe du Mercury Theatre dans La
Guerre des Mondes d’Herbert George Wells.
Mais cette information, qui en principe aurait dû ins-
taller les auditeurs dans le code narratif de la fiction, ne
fut pas entendue par tous les auditeurs. Ceux qui pre-
naient l’émission en cours se trouvèrent confrontés à
des informations qui, prises pour la réalité, devenaient
terrifiantes.
Il y eut des auditeurs pour y croire et le phénomène
donna lieu par la suite à des études sociologiques.

Ce qui nous intéresse, c’est qu’on identifie une fiction


par des codes et qu’il est possible d’en jouer.
Le premier de ces codes est le décalage de tempora-
lité. Une fiction se rapporte toujours à un récit se dérou-
lant dans un autre temps que le présent du spectateur.
Un reportage, qu’il soit réalisé en direct ou diffusé
en différé, se présente comme une captation instantanée
du réel. Les reporters sont immédiatement perçus
comme des témoins et non comme des narrateurs.
La caméra, dans un reportage, fait partie du monde
qu’elle filme, elle est diégétique. Or en fiction classique,
la caméra est toujours extra-diégétique.
Voici donc un second code : lorsque la caméra est
extradiégétique, vous installez le spectateur dans la cer-
titude qu’il regarde une fiction.

JOUER AVEC LES CODES DE LA FICTION 318


Bien sûr, rien n’empêche un auteur de construire un
récit dans lequel la caméra soit diégétique. Le film aura
alors la capacité de tromper le spectateur. Il s’agira d’un
faux reportage, d’un faux documentaire et tout l’art du
metteur en scène consistera à créer l’illusion du réel par
imitation de la caméra diégétique.
Plusieurs fictions utilisent ce code pour prendre l’ap-
parence du réel et brouiller les pistes.
Cela donne des films comme Le Projet Blair Witch
(Daniel Myrick, Eduardo Sanchez – 1999), mais aussi
C’est arrivé près de chez vous (Rémy Belvaux – 1992).
Le cadre contemporain de ces deux films participe
aussi de leur crédibilité.
Plus récemment, Cloverfield (Matt Reeves – 2008)
utilise le procédé, mais avec un récit de science-fiction.
La nature même des faits se déroulant à l’écran constitue
ici le parfait exemple du troisième code de la fiction :
quand vous voyez un monstre détruire New York, votre
propre expérience vous dit que ce n’est pas vrai, même
si cela semble avoir été filmé par une caméra amateur.

Appelons ce troisième code le décalage matériel avec


le réel. Il s’agit de poser, par des éléments factuels ou
par l’esthétique des images, des indices clairs du déca-
lage entre la diégèse et le monde réel.
Par exemple, l’ouverture de Blade Runner (Ridley
Scott – 1982) nous montre le paysage de Los Angeles en
2019. Un Los Angeles sombre, au ciel noir et dont l’hori-
zon est bouché par les miasmes d’une pollution délétère.
Cette seule image suffit à installer immédiatement le
décalage.
En l’absence d’indices de décalage, on peut sciemment
créer une ambiguïté, ce qui produira un effet de réel.

JOUER AVEC LES CODES DE LA FICTION 319


Il est possible de jouer avec ce code, même en ani-
mation : au début de Toy Story 3 (Lee Unkrich – 2010)
nous voyons des images style caméra 8 mm, montrant
Andy enfant. Seule la nature de l’image (créée par ordi-
nateur) produit un décalage, et l’effet de réel de la fausse
caméra diégétique devient un jeu avec le spectateur.
Sorti la même année, Le Dernier exorcisme (Daniel
Stamm – 2010) se présente à tous points de vue comme
un documentaire : caméra diégétique, interviews,
regards caméra, voix des techniciens de tournage…
Le film suit un prédicateur professionnel pratiquant
occasionnellement des exorcismes. Nous découvrons
sa famille, il parle de son travail, de sa décision d’arrêter.
Mais on le sollicite pour en accomplir un dernier.
L’équipe de tournage veut profiter de l’aubaine et le
suit heure par heure, jusqu’au moment où des événe-
ments « réellement » surnaturels se produisent.
Le dernier tiers du film bascule complètement dans
le fantastique, tout en restant dans le dispositif scéno-
graphique du documentaire. L’idée est intéressante mais,
hélas, pas vraiment aboutie. Les événements fantas-
tiques arrivent tard dans le récit et sont manifestement
trop surnaturels et trop bien filmés pour être véridiques.
Au pire moment, c’est-à-dire au climax, ce qui nous est
montré se révèle en complet décalage avec le réel.
Peut-on parler ici de rupture de suspension de l’in-
crédulité ?
Sans doute pas, car l’apparence du documentaire
empêche le spectateur de prendre conscience d’entrée
de jeu qu’il est au cœur d’un jeu narratif entre lui et le
metteur en scène. Du coup, comprendre soudain que
tout ceci est une construction brise la confiance accordée
par principe à tout film ayant l’apparence d’un docu-
mentaire honnête.

JOUER AVEC LES CODES DE LA FICTION 320


Je pense que le dispositif du faux documentaire à
dimension imaginaire fonctionne mieux si, en tant que
spectateur, nous sommes avertis (et donc complices
consentants) du subterfuge.
Faire comprendre au spectateur d’entrée de jeu la
nature du dispositif narratif, voilà le quatrième code
d’installation dans la fiction.
C’est par exemple la posture choisie par Peter Wat-
kins dans plusieurs de ses films. Citons La Bataille de
Culloden (1964), La Bombe (1965), Punishment Park (1971)
ou La Commune de Paris (1871) (2000).
Dans tous ces films il s’agit de présenter, sous forme
de reportages, des faits passés datant d’avant l’invention
du cinéma ou des faits imaginaires présentés comme
des possibilités réalistes à court terme.
La Bombe, par exemple, filme les conséquences pro-
bables d’un bombardement nucléaire sur Londres. La
Bataille de Culloden se présente comme un reportage
(avec interviews filmées des protagonistes) d’une bataille
qui s’est en réalité déroulée en 1746.
La Commune de Paris (1871) se présente dès les pre-
mières minutes comme une reconstitution des princi-
paux faits survenus à Paris en 1871, avec acteurs en
improvisation, dont l’enjeu premier est d’interroger le
rôle des médias officiels dans l’image qu’ils donnent des
événements.
D’autres films aux apparences de documentaire par-
viennent à cacher leur jeu presque jusqu’au bout, au
point d’installer parfois des idées absolument fausses
dans la tête des spectateurs trop passifs.

Citons-en deux :
• Opération Lune (William Karel – 2002) est un faux
documentaire racontant comment un certain

JOUER AVEC LES CODES DE LA FICTION 321


Stanley Kubrick aurait fabriqué pour la NASA les
images de la conquête de la Lune, alors que celle-
ci n’aurait jamais eu lieu. Quelques indices sont
semés pendant le film, comme la prétendue inter-
view d’un astronaute américain nommé David
Bowman (il s’agit en fait d’un personnage du film
2001 : l’odyssée de l’espace… de Stanley Kubrick).
Le spectateur a réellement confirmation que tout
le film est un canular pendant le générique de fin.
Là seulement, il peut comprendre que le véritable
objet de ce film est de nous faire prendre con-
science de notre crédulité et de la facilité pour un
documentariste de nous convaincre de n’importe
quoi ou presque. Le fait que ce film ait été diffusé
sur Arte ajoutait évidemment du crédit à son pro-
pos. Pour l’anecdote, à l’école de cinéma, j’ai eu
l’occasion de discuter avec des étudiants qui, ayant
zappé le générique de fin, s’étaient laissés persua-
der que les Américains n’avaient jamais marché sur
la Lune.
• Mermaids : the Body Found (Sid Bennett – 2011)
prétend révéler un immense complot visant à dis-
simuler au monde l’existence bien réelle d’une
population humaine adaptée à la vie aquatique et
vivant cachée dans les océans. À l’heure où j’écris
ces lignes, le film peut être trouvé en français sur
youtube sous le titre Sirène, le grand complot. Il a
été diffusé sur Discovery Channel, et cette caution
a dû contribuer à crédibiliser les contenus farfelus
de ce faux documentaire.
Là encore, seule une attention particulière au
générique de fin vient contredire l’illusion de vérité
créée touche par touche tout au long du film.

JOUER AVEC LES CODES DE LA FICTION 322


Derrière les documenteurs147 les plus réussis, vous
trouverez toujours la transgression des quatre codes
dont nous avons parlé.
Par ricochet, nous pouvons identifier les codes spé-
cifiques de la fiction au cinéma, c’est-à-dire ceux dont
l’usage permet au spectateur d’identifier sans erreur
votre œuvre comme relevant de la fiction :

1. décalage avec la temporalité du monde réel ;


2. caméra extradiégétique ;
3. décalage avec la matérialité du monde réel ;
4. avertissement du spectateur, implicitement ou
explicitement.

Vous tenez les règles à suivre pour un canular parfait:


1. raconter ce qui se passe comme une réalité immé-
diate vérifiable ;
2. utiliser une caméra diégétique ;
3. montrer des choses compatibles avec les croyances
populaires ;
4. affirmer implicitement et explicitement que tout
est vrai et non truqué.

Ajoutons que tout bon canular mêle d’abondants


éléments réels vérifiables aux bidonnages les plus ima-
ginatifs.

Parmi les innombrables vidéos mises en ligne sur


Internet, on peut trouver une multitude de canulars plus
ou moins réussis (comprenez des canulars qui ont réussi
à convaincre un certain nombre d’internautes).
Vous pourrez constater que tous suivent ces règles.

147. Agnès Varda a réalisé en 1981 un film intitulé Documenteur. Il semble


qu’elle ait été la première à utiliser ce mot-valise.

JOUER AVEC LES CODES DE LA FICTION 323


Les apparences de la réalité
Depuis la fin des années 1990, il est possible de créer
des images d’apparence réelle sur n’importe quel sujet.
L’humanité est entrée l’air de rien dans une époque
étrange. Nous découvrons des exoplanètes sans pouvoir
les filmer, et dans le même temps nous pouvons créer
des images de mondes imaginaires tout aussi réalistes
que d’authentiques photographies.
J’ai en tête les scènes de Forrest Gump (Robert
Zemeckis – 1994), dans lesquelles Tom Hanks serre la
main de plusieurs présidents des États-Unis d’Amérique.
Un trucage qui mélange réel et imaginaire, ce n’est pas
encore de l’image recréée, mais c’en est le début.
Puis, nous avons eu le Gollum numérique du film Le
Seigneur des anneaux : les deux tours (Peter Jackson –
2002). Un personnage à la frontière du réel et de l’irréel,
mais qui reste suffisamment décalé de la réalité pour
être crédible dans une fiction. Mélange d’animation
numérique et du jeu d’un acteur bien réel (Andy Serkis),
il n’est pas totalement recréé à partir de rien.
Les frontières continuent de reculer.
Il est aujourd’hui à la portée de beaucoup de
vidéastes de réaliser des vidéos truquées ayant tous les
attributs apparents du réel. Les frontières entre le docu-
mentaire et la fiction ont en fait disparu, mais personne
n’a l’air de s’en apercevoir.

Quels moyens avons-nous aujourd’hui de savoir


avec certitude si une vidéo mise en ligne sur Internet
correspond à un fait réel ? Aucun.
Nous n’avons d’autre choix que de faire confiance,
ou alors d’en venir à considérer toute image comme une
fabrication possible.

JOUER AVEC LES CODES DE LA FICTION 324


Faire confiance, cela revient à accorder crédit sur la
base de la réputation. Quand on fait confiance à un inter-
venant, même des images de synthèse peuvent servir à
soutenir son propos.
Cette confiance nous pousse à croire certaines fic-
tions, présentées comme « s’inspirant de faits réels ».
Les frères Cohen en ont joué, l’annonçant au début de
leur film Fargo (1996), qui est en réalité totalement fictif.
Au début du film Le Retour des morts-vivants (Dan
O’Bannon – 1985), un texte incrusté doublé d’une voix
over nous informe que l’histoire est entièrement vraie,
y compris les noms des personnages et des lieux.
Là, il suffit de voir le film pour comprendre que c’est
un gag.
Mais quand Peter Jackson et Costa Botes relatent la
redécouverte du cinéaste pionnier Colin McKenzie dans
Forgotten Silver (1995), ils mettent en jeu toutes leurs
relations dans le monde du cinéma, obtenant de nom-
breuses personnalités de faux témoignages pour accré-
diter leur propos.
Le film est identifié aujourd’hui comme un mocku-
mentary (mocumentaire ou documenteur) mais lors de
sa première diffusion, il mystifia bon nombre de spec-
tateurs, jusqu’aux historiens et enseignants en cinéma.
On pourrait se demander si la réussite d’un canular
de grande ampleur n’est pas devenue le défi ultime que
tout grand metteur en scène doit relever à un moment
ou à un autre de sa carrière.

Même Quentin Tarantino s’y est un peu amusé, l’air


de rien. Lorsqu’il met en scène la mort d’Hitler à Paris à
la fin d’Inglorious Basterds (2009), il doit bien penser
qu’une part de son public risque sérieusement d’y croire,

JOUER AVEC LES CODES DE LA FICTION 325


du simple fait que tout le reste du film respecte assez fidè-
lement le cadre historique de la Seconde Guerre mondiale.

Le détournement des codes


Pour finir, il reste à évoquer la façon dont les rédac-
tions des journaux, de la télévision et de la radio
construisent ce que nous appelons les informations.
La plupart de ce qu’on y voit correspond à une réa-
lité, et on peut raisonnablement penser que les journa-
listes sont dans l’ensemble honnêtes.
Mais il arrive aussi que le point de vue sur cette réa-
lité soit de nature à orienter notre jugement. Il peut aussi
arriver qu’un journaliste véhicule à son insu de fausses
informations.
Rappelez-vous des soi-disant armes de destruction
massive qui justifièrent l’intervention américaine en Irak
en 2003. Les images de Colin Powell, exhibant devant le
congrès américain de petites fioles présentées comme des
armes biologiques redoutables, ont fait le tour du monde.
On sait aujourd’hui que tout cela n’était qu’une mise en
scène, une construction visant à manipuler l’opinion.
Ces constructions apparaissent régulièrement dans
les médias et sont assez facilement décelables avec un
peu d’habitude.
La diabolisation dont le dictateur Mouammar
Kadhafi a fait l’objet en 2011 en est un autre exemple.
Entendons-nous bien, mon propos n’est pas de soutenir
une dictature. Si je peux écrire ces lignes, c’est bien parce
que nous vivons en France dans un état de droit, ce qui
n’était pas le cas de la Libye de Kadhafi.
Je ne cherche donc pas ici à défendre un régime
autoritaire, mais simplement à décortiquer un processus
de construction scénaristique appliqué au monde réel.

JOUER AVEC LES CODES DE LA FICTION 326


À partir de février 2011, nos médias (journaux et télé-
vision) se sont fait l’écho d’une contestation populaire
en Libye, qui aurait été réprimée dans le sang, déclen-
chant une insurrection armée.
Les questions qui se posaient quant à l’origine de
ces rebelles armés et quant à l’origine de leur armement,
furent peu abordées par les médias. L’accent fut mis au
contraire sur la dénonciation de la répression (bien réelle)
exercée par les forces du régime, et aucun des crimes
(tout aussi réels) commis par les rebelles ne fit l’objet de
la moindre manchette.
Focalisation externe et ellipses de dissimulation pour
aboutir à une caractérisation de protagonistes dont on
souhaite la réussite du fait de leurs difficultés (les
rebelles), et d’un antagoniste incarnant le mal et le pou-
voir absolus (Kadhafi).
Ce qui a été mis en œuvre ici, ce sont les outils d’une
narration à fausse piste.

Un gigantesque hareng rouge, élaboré devant nos


yeux et avec tous les indices accessibles pour compren-
dre… à condition d’avoir en main les bons outils d’ana-
lyse et les bonnes informations.
Nous savons maintenant148 que les rebelles étaient
armés par des puissances étrangères, en particulier par
l’OTAN, et qu’ils ont été les auteurs de bombardements
meurtriers, imputés par les médias aux forces loyalistes.
Il est bien discutable de présenter le lynchage de
Kadhafi comme une « victoire de la démocratie ». C’est
pourtant le point de vue de certains médias149.

148. Je vous invite à vérifier par vous-même ce qu’il en est. J’ai conscience
de présenter les choses d’une manière très superficielle, mais vous aurez
compris qu’il ne s’agit pas ici de faire une analyse complète de la situation
politique libyenne.
149. Déclaration de Mansour SAIF AL-NASR (du conseil national de transition
libyen) le 20.10.2011 sur BFMTV.

JOUER AVEC LES CODES DE LA FICTION 327


En fait la Libye a connu une guerre civile, et la vic-
toire des rebelles est une victoire militaire.
À ce niveau, ce n’est plus un simple jeu avec les
codes de la fiction. Il s’agit d’utiliser les techniques du
scénario aux fins de propagande.
Le métier de scénariste n’est pas de faire de la poli-
tique. Mais les outils du scénariste, comme n’importe
quels outils, peuvent servir à toutes sortes de choses.
Que l’on soit ou non d’accord avec ce qui en est fait, il
n’est pas possible d’empêcher la propagande.
Comme l’explique Paul M. A. Linebarger150 dans son
célèbre ouvrage La Guerre psychologique (1948), notre
société occidentale vit avec la propagande depuis qu’elle a
accepté l’utilisation des médias pour faire de la publicité.
Pour cette raison, je pense que la nécessaire liberté
d’expression doit aller de pair avec un minimum d’esprit
critique, précisément pour que nous puissions tous être
de vrais citoyens et pas des pantins manipulables.
Mon seul conseil face aux tentatives de manipula-
tions, c’est d’appréhender toute communication média-
tique avec prudence, en gardant en tête les différentes
techniques exposées au fil de ces pages.
Que vous soyez auteur ou simple spectateur, pren-
dre du recul vous rendra moins facile à manipuler, et
donc plus libre d’exercer votre esprit critique.

Si vous êtes motivé(e) pour raconter des histoires


fortes et passionnantes, souvenez-vous que tout bon
récit, même complètement imaginaire, dit quelque
chose du monde réel.

150. Le docteur LINEBARGER est beaucoup plus connu dans le monde de la


science-fiction sous le pseudonyme de Cordwainer SMITH. Il est l’auteur
du cycle des Seigneurs de l’instrumentalité.

JOUER AVEC LES CODES DE LA FICTION 328


Bien connaître le monde, les êtres humains, leurs cul-
tures, leurs désirs, leurs faiblesses, leurs besoins et leurs
coups tordus, est une inépuisable source d’inspiration.

Exercice 1
Plusieurs séquences du film American Beauty (Sam
Mendes – 1999) mettent en jeu une caméra dié-
gétique. Repérez ces séquences et analysez les
effets qu’elles produisent.

Exercice 2
Visionnez Chronique des morts-vivants (George A.
Romero – 2007).
Quels sont les codes du documentaire utilisés dans
ce film ?
Quels sont ceux de la fiction ?
Comment sont-ils renversés pour créer un effet
de réel ?

Exercice 3
Choisissez une scène d’un de vos scénarios et
réécrivez-la de sorte qu’elle implique une caméra
diégétique.

JOUER AVEC LES CODES DE LA FICTION 329


Et maintenant, que voulez-vous faire ?

Mettre en forme votre scénario ? fi Cliquez ici

Commencer à développer
fi Cliquez ici
une structure ?

Créer des personnages et un


fi Cliquez ici
univers original ?

Sinon, vous voici au terme de ce livre.


Comme promis, il donne beaucoup d’informations,
d’explications et de conseils, mais il ne peut pas écrire à
votre place.
Quand vous serez plongé(e) dans votre création, face
à des choix, cherchant différentes solutions, j’espère
qu’il vous aidera et sera pour vous un fidèle partenaire.

En vous souhaitant le succès.

JOUER AVEC LES CODES DE LA FICTION 330


Index

2001 : l’odyssée de l’espace (Stanley Arrête-moi si tu peux (Steven Spiel-


Kubrick, 1968) 158, 221, 265, 322 berg, 2002) 312
2084 (Chris Marker, 1984) 13 Arsenic et vieilles dentelles (Frank
Capra, 1944) 258
24 heures chrono (Robert Cochran et
Joël Surnow, 2000 à 2008) 117, 122 Assaut (John Carpenter, 1976) 100
A History of Violence (David Cronen- Au bout du conte (Agnès Jaoui, 2013)
berg, 2005) 169 127
À la folie… pas du tout (Lætitia Avatar (James Cameron, 2009) 139,
Colombani, 2002) 268
221
Aventures d’Alice au pays des mer-
À la rencontre de Forrester (Gus Van
veilles (Les) (Lewis Carroll, 1865) 9
Sant, 2000) 176
Aventures de Tintin : le secret de la
A.I. Intelligence artificielle (Steven
Licorne (Les) (Steven Spielberg,
Spielberg, 2001) 223
2011) 193
Adaptation (Spike Jonze, 2003) 304 Aventuriers de l’Arche perdue (Les)
Adversaire 22, 68, 90, 94, 99, 105, (Steven Spielberg, 1981) 94, 115,
119, 173, 180, 183-185, 190, 197, 191
202-203, 206-207, 209-210, Baisers volés (François Truffaut, 1968)
213, 215-217, 247, 265, 282, 169
309
Bambi (David Hand, 1942) 125
Affranchis (Les) (Martin Scorsese, 1990)
Bankable 33
136, 170
Bataille de Culloden (La) (Peter Wat-
Alien – Le huitième passager (Ridley kins, 1964) 321
Scott, 1979) 97, 172, 211, 213, 308
Batman (Tim Burton, 1989) 95
American Beauty (Sam Mendes, 1999)
Beetlejuice (Tim Burton, 1988) 138
30, 99, 169, 329
Besoin (psychologique) 59, 91, 114,
Amours chiennes (Alejandro Iñárritu,
133, 135, 173, 177, 181-182, 186,
2000) 265
189, 215, 223, 240, 329
Anatomie du scénario (John Truby,
Bienvenue chez les Ch’tis (Danny
2010) 132, 137, 173, 186, 189,
Boon, 2008) 40, 70, 134, 136,
214-215 302
Annonce 83, 115, 118, 227-234, 237, Big Fish (Tim Burton, 2004) 102
242, 247, 258-260
Big Lebowski (The) (Joël et Ethan
Apocalypse Now (Francis Ford Cop- Cohen, 1998) 171
pola, 1979) 212
Biographia Literaria (Samuel Taylor
Apollo 13 (Ron Howard, 1995) 134, 136 Coleridge, 1817) 45
Armée des 12 singes (L’) (Terry Gilliam, Blade Runner (Ridley Scott, 1982) 84,
1996) 278 94, 319

INDEX 331
Blake et Mortimer (8 albums, Edgar P. Christine (John Carpenter, 1983) 213,
Jacobs 1946 à 1990) 207 241
Blanche-Neige et les sept nains (W. Chronique des morts-vivants (George
Disney, D. Hand, 1937) 40, 46, 90, A. Romero, 2007) 329
141, 211, 312
Cid (Le) (Pierre Corneille, 1637) 167
Blow (Ted Demme, 2001) 170
Cliffhanger 123
Bombe (La) (Peter Watkins, 1965) 278
Climax 22, 72-73, 81, 113, 119, 185-
Bon, la brute et le truand (Le) (Sergio 186, 193, 202, 283, 284, 301,
Leone, 1968) 96, 121, 313 314, 320
Bouddhisme du Bouddha (Le) (Alex- Cloverfield (Matt Reeves, 2008) 319
andra David-Néel – 1959) 133
Colombo (68 épisodes, R. Levinson et
Boulevard du crépuscule (Billy Wil- W. Link, 1971 à 2003) 170
der, 1950) 99
Comédie 53, 97, 151, 250, 252, 257-
Braindead (Peter Jackson, 1992) 232, 258, 309
258
Comique 39, 83, 86, 151, 155, 204,
Brazil (Terry Gilliam, 1985) 209, 276
221, 230-231, 245, 250-253,
Breaking Bad (Vince Gilligan, 2008 à 255-259, 262, 267, 282, 285
2013) 243
Commune de Paris (1871) (La) (Peter
Burlesque 86, 257, 266 Watkins, 2000) 321
C’est arrivé près de chez vous (Rémy Conflit 93, 110-111, 118, 121, 123-124,
Belvaux, 1992) 309, 319 127, 131-134, 157, 167-168, 175,
Ça tourne à Manhattan (Tom DiCillo, 177, 182-184, 190, 193, 196-198,
1995) 101 201-209, 213-216, 227-229,
Calendrier meurtrier (Pat O’Connor, 231, 242, 256, 258, 261, 282,
1989) 211 297, 299, 301, 308, 313
Caractérisation 47, 49, 54, 59, 68, Contes de la lune vague après la
77, 91, 93, 97, 104, 114, 127, pluie (Les) (K. Mizoguchi, 1953) 138
129-132, 140-143, 152, 160, Continuité dialoguée 21, 23-25, 34,
170, 174, 194, 213, 215-216, 37, 39, 41, 235, 241
237, 249, 290, 294, 327
Coraline (Henry Selick, 2009) 211
Cars (John Lasseter et Joe Ranft –
Couleur de l’argent (La) (Martin Scor-
2006) 96, 252
sese, 1986) 169
Certains l’aiment chaud (Billy Wilder,
1959) 209, 221
Crabe aux pinces d’or (Le) (Hergé,
1940) 193
Charlie et la chocolaterie (Tim Bur-
ton, 2005) 30, 158, 248 Cuirassé Potemkine (Le) (Sergueï
Eisenstein, 1925) 157
Charnière dramatique 69-70, 81,
108, 110, 112, 115, 183, 206, Cycle de Dune (Le) (6 romans, Franck
229, 243 Herbert, 1965 à 1985) 139

Chaser (The) (Hong-Jin Na, 2008) 312 Da Vinci Code (Ron Howard, 2006) 114
Château dans le ciel (Le) (Hayao Dark Knight (The) (Christopher Nolan,
Miyazaki, 1986) 68, 122 2008) 99, 212

Chemins de la liberté (Les) (Peter Weir, De Cape et de Crocs (10 tomes, Alain
2010) 94 Ayroles et Jean-Luc Masbou) 139
Chocolat (Le) (Lasse Hallström, 2000) Déclencheur 67-70, 81, 90, 96, 124,
314 182

INDEX 332
Dents de la mer (Les) (Steven Spielberg, Ellipse temporelle 25, 263, 265
1975) 94, 171, 200, 212, 229, 233
Empire contre-attaque (L’) (Irvin
Dernier exorcisme (Le) (Daniel Stamm, Kershner, 1980) 150, 203, 269
2010) 320
Enfants loups (Les) (Mamoru Hosoda,
Désir 59, 71, 90, 93, 99, 110, 114, 2012) 271
124, 127, 132-135, 142, 155, 173,
Ennemi d’état (Tony Scott, 1998) 119,
177, 182-185, 189, 197-198, 208,
135
247, 307, 329
Enseignement du Bouddha (L’)
Deus ex machina 80, 219, 223-224,
(Rahula Walpola, 1961) 133
232, 299
Dexter (James Manos Jr., 2006 à 2013) Évadés (Les) (Frank Darabont, 1994)
267, 310 216, 314

Dialogue 19, 22, 24, 28-29, 31, 41, Excalibur (John Boorman, 1983) 68
63, 82-83, 102, 122, 140, 143, Exploitation 58, 71, 73-74, 76, 79,
147-149, 151-153, 155, 164, 177, 82, 86, 118, 121, 194, 205, 222,
237, 259, 265 225, 227, 229, 230-231, 241-
Didascalie 23-29, 31-32, 117, 120, 242, 246, 256, 262, 281, 289
298 Extradiégétique 29, 30, 318, 323
Diégèse 29, 46, 137-138, 144, 196, Fabuleux destin d’Amélie Poulain
250, 300, 313, 319 (Le) (Jean-Pierre Jeunet, 2001) 30,
Diégétique 29-30, 241, 243, 317- 209
320, 323, 329 Faiblesse 22, 59, 71, 90, 95, 114, 125,
Discours sur le poème dramatique 133-134, 168, 173, 178, 182-184,
(Pierre Corneille, 1600) 13, 282 189, 198, 205, 208, 211, 214-216,
District 9 (Neill Blomkamp, 2009) 97 250, 253, 255, 291, 299, 329
Documenteur (Agnès Varda, 1981) 323 Fantômas (Pierre Souvestre et Marcel
Allain, 1910 à 1911) 211
Domicile conjugal (François Truffaut,
1970) 169 Fantôme 70, 105, 124-125, 137-138,
144, 182, 189-190, 192-195,
Doulos (Le) (Jean-Pierre Melville, 1962)
208, 213, 301
51, 271, 305
Fantômes contre fantômes (Peter
Dragons (Chris Sanders et Dean
Jackson, 1996) 138
DeBlois, 2011) 100, 201, 215
Drama (action en grec) 118, 197, 245 Farenheit 451 (François Truffaut
d’après Ray Bradbury, 1966) 209
Dramaturgie (La) (Yves Lavandier,
2008, 2014) 25, 168, 228 Fargo (Joël et Ethan Cohen, 1996) 171,
325
Drive (Nicolas Winding Refn, 2011) 96
Fausse piste 51, 58, 65, 89, 100, 101,
Duel dans le Pacifique (John Boor- 155, 234, 268, 272, 287, 289-
man, 1962) 73
291, 327
Dumbo (Ben Sharpsteen, 1941) 125
Fièvre du samedi soir (La) (John Bad-
E.T. l’extraterrestre (Steven Spielberg ham, 1977) 161
– 1982) 172
Fight Club (David Fincher, 1999) 51,
Effet téléphoné 227, 231 164, 209
Ellipse de connivence 266 Figures III (Gérard Genette, 1972) 61,
Ellipse de dissimulation 272 74, 275
Ellipse naturelle 265 Flash psychologique 273-274

INDEX 333
Flash-back 60, 94, 98-99, 101-103, 289-291, 293, 295, 327
187, 194, 196, 271, 273-280, Harry Potter (J.K. Rowling, 1997/ 2007)
292-293 139, 302, 308
Flash-forward 102, 273, 275, 277- Héros aux mille et un visages (Le)
280 (Joseph Campbell, 1948) 174, 181
Flûte à six Schtroumpfs (La) (Peyo, Histoire de fantômes chinois (Ching
1960 [BD], 1976 [film]) 201
Siu-Tung, 1987) 138
Folie des grandeurs (La) (Gérard Oury,
Histoire du futur (L’) (23 nouvelles,
1971) 253
R. A. Heinlein, 1939 à 1963) 139
Forrest Gump (Robert Zemeckis, 1994)
Hitchcock/Truffaut (Entretiens, 1966,
324
1980) 135, 160, 240
Funny Games (Michael Haneke, 1997)
Hitcher (Robert Harmon, 1986) 212
214
Homme d’Aran (L’) (Robert Flaherty,
Game of Thrones (David Benioff,
1934) 12
Daniel B. Weiss, 2011) 311-312
Gardiens de la galaxie (Les) (James Hot Fuzz (Edgar Wright, 2007) 96, 263
Gunn, 2014) 68 Identification 59, 61, 105, 125, 129-
Géant de fer (Le) (Brad Bird, 1999) 158 130, 134, 140, 160, 257, 309
Ghost 70, 182, 187, 189, 196 Il était une fois dans l’Ouest (Sergio
Leone, 1968) 286
Ghost (Jerry Zucker, 1990) 138
Il faut sauver le soldat Ryan (Steven
Goodbye Bafana (Bille August, 2007)
Spielberg, 1998) 99, 135
165
Île du docteur Moreau (L’) (H.G Wells,
Grand Blond avec une chaussure
1896) 210
noire (Le) (Yves Robert, 1972) 202-
203, 254 Implant 58, 68
Grande Vadrouille (La) (Gérard Oury, Inception (Christopher Nolan, 2010)
1966) 203, 209, 254-255 209
Grease (Randal Kleiser, 1978) 161 Incident déclencheur 67-70, 90,
Guerre des étoiles (La) (George Lucas, 96, 124, 182
1977) 70, 91-92, 107, 111, 140- Incroyable destin de Harold Crick
141, 171, 190, 203, 212, 245, (L’) (Marc Forster, 2006) 298
260-261, 302, 308, 314 Indestructibles (Les) (Brad Bird, 2004)
Guerre des mondes (La) (adaptation 158
d’Orson Welles, 1938) 318
Inglorious Basterds (Quentin Taran-
Guerre des mondes (La) (H.G. Wells tino, 2009) 211, 325
– 1898) 317
Insert 31, 60, 103
Guerre psychologique (La) (Paul M.
Installation 54, 58, 68, 73-74, 82,
A. Linebarger, 1948) 328
91, 93, 95, 97, 99, 104, 110, 185,
Guerriers de la nuit (Les) (Walter Hill, 205, 222, 225, 227-228, 241,
1979) 97 246, 262, 281, 284, 293, 321
Halloween : la nuit des masques Intitulé 22-25, 30-31
(John Carpenter, 1978) 57, 62
Intouchables (Olivier Nakache, Éric
Hamlet (William Shakespeare) 83 Toledano – 2011) 102, 114, 186,
Hancock (Peter Berg, 2008) 312 314
Hareng rouge 51, 234, 268, 271, Invictus (Clint Eastwood, 2009) 165

INDEX 334
Ironie dramatique 58, 60-61, 65, Matrix (Andy et Larry Wachowski, 1999)
98, 104, 123, 165, 185, 206, 217, 10, 211
219-226, 228, 252, 254-255, Mauvais pantalon (Un) (Nick Park,
257, 285 1993) 212
James Bond (12 romans, Ian Fleming, Memento (Christopher Nolan, 2000)
1953 à 1966) 94, 160, 170, 308 74, 169, 276
JCVD (Mabrouk El Mechri, 2008) 162- Menace fantôme (La) (George Lucas,
163 1999) 125
Jetée (La) (Chris Marker, 1962) 278 Mermaids : the Body Found (Sid Ben-
Johnny s’en va-t-en guerre (Dalton nett, 2011) 322
Trumbo, 1971) 276 Milking 79, 82-87, 96, 222, 234, 257,
283
Jour sans fin (Un) (Harold Ramis, 1993)
86, 140, 144, 205, 221 Minority Report (Steven Spielberg,
2002) 209, 241
Kick-Ass (Matthew Vaughn, 2010) 202,
294 Mon nom est personne (Tonino Vale-
rii, 1973) 95
Kill Bill (Quentin Tarantino, 2003) 101,
258 Mon voisin Totoro (Hayao Miyazaki,
1988) 50, 124, 125
King Kong (Merian C. Cooper et Ernest
B. Schoedsack, 1933) 212
Mondes de Ralph (Les) (Rich Moore,
2012) 30, 133
Léon (Luc Besson, 1994) 212, 245, 249,
Monstres & Cie (Peter Docter, 2001)
310
96
Lifeforce (Tobe Hooper, 1985) 213
Monty Python, le sens de la vie (T.
Ligne verte (La) (Frank Darabont, 1999) Jones et T. Gilliam, 1983) 52, 101
69
Mort aux trousses (La) (Alfred Hitch-
Liste de Schindler (La) (Steven Spiel- cock, 1959) 57, 63-64, 135, 153,
berg, 1993) 162 212, 239
Livre du scénario (Le) (Bernard Tre- Mr Nobody (Jaco Van Dormael, 2009)
mege, 2009) 59 74
Long chemin vers la liberté (Un) Mystère 9-11, 181, 232, 289-290
(Justin Chadwick, 2013) 165 Mystérieuses cités d’Or (Les) (Édouard
Long dimanche de fiançailles (Un) David et Bernard Deyriès, 1983) 223,
(Jean-Pierre Jeunet, 2004) 99 279
Lost (J. Lieber, J.J. Abrams, D. Lindelof, Nausicaä de la Vallée du Vent (film,
2004 à 2010) 211, 277-278 Hayao Miyazaki, 1984) 139

M le Maudit (Fritz Lang, 1931) 266 Next (Lee Tamahori, 2007) 279

MacGuffin 129, 135 No country for old men (Joël et Ethan


Cohen, 2007) 269
Magnifique (Le) (Philippe de Broca,
Note d’intention 21-22, 32, 35, 37-
1973) 303
42, 236, 314, 316
Majorité opprimée (Éléonore Pourriat,
O’Brother (Joël et Ethan Cohen, 2000)
2009) 313
171
Marque Jaune (La) (Edgar P. Jacobs,
Obstacle 59, 68, 71, 88, 108, 110-111,
1956) 210
114-115, 119, 124, 126, 132, 167,
Master and Commander (Peter Weir, 178-181, 190, 196-202, 204-
2003) 101 205, 261, 281, 283

INDEX 335
Octopussy (John Glen, 1983) 94 112, 119, 127, 134, 143, 157, 160,
Opération Lune (William Karel, 2002) 162, 167-169, 173-174, 182-187,
321 202, 207-210, 213-214, 216,
229, 232-234, 240, 247-248,
Opposant 22, 206-207 251, 261, 267, 270, 275-277,
Paiement 118, 228, 230, 232-234, 283, 290-291, 298-300, 303-
237, 247, 258 304, 309-311, 321, 327
Parrain (Le) (Francis Ford Coppola, Psychose (Alfred Hitchcock, 1960) 51,
1972) 136 113, 212, 289-290, 293-294
Peter Pan (C. Geronimi, W. Jackson, Pulp Fiction (Quentin Tarantino, 1994)
H. Luske, 1953) 50 74, 103, 161
Piège de cristal (John McTiernan) 212 Punishment Park (Peter Watkins, 1970)
Pitch 19, 21, 33, 40, 236, 242 321
Pivot 72, 107-108, 110, 185, 187, 269 Quatre cents Coups (Les) (François
Truffaut, 1959) 169
Planète des singes (La) (Franklin J.
Schaffner, 1968) 157 Quiproquo 58, 63, 133, 155, 219-
221, 254
Planète Terreur (Robert Rodriguez,
2007) 53 Rain Man (Barry Levinson, 1988) 70,
177, 194
Poétique (Aristote, 335 avant J.C.) 13,
50, 67, 79, 82, 174, 241, 311 Raiponce (Nathan Greno et Byron
Howard, 2010) 54, 100, 152, 164,
Point d’entrée 88-93, 96, 99, 101-
211
104, 146, 237, 295
Ramoneurs (Les) (Lloyd French, 1933)
Poisson nommé Wanda (Un) (Charles
85
Crichton, 1988) 85, 253, 256, 284
Ratatouille (Brad Bird, 2007) 46, 48,
Poltergeist (Tobe Hooper, 1982) 138,
187
213
Réponse dramatique 72, 186
Predator (John McTiernan, 1987) 95
Requiem for a dream (Daren Aro-
Prestige (Le) (Christopher Nolan, 2006)
nofsky, 2000) 209
11
Reservoir Dogs (Quentin Tarantino,
Prince of Persia (film, Mike Newell,
1992) 64, 212
2010) 139
Résolution 39, 72-74, 76, 110, 118,
Prince of Persia (jeux de J. Mechner
202, 205, 219, 222-225, 241-
et Y. Mallat, 1989 à 2008) 139
242, 246, 250, 256, 262, 281,
Princesse Mononoké (Hayao Miya- 283, 286
zaki, 1997) 39, 216
Retour des morts-vivants (Le) (Dan
Prix du danger (Le) (Yves Boisset, O’Bannon, 1985) 325
1983) 94
Retour des tomates tueuses (Le)
Projet Blair Witch (Le) (D. Myrick, (John de Bello, 1988) 53
E. Sanchez, 1999) 319
Retour du Jedi (Le) (Richard Mar-
Prophète (Un) (Jacques Audiard, 2009) quand) 57, 73
302
Retour du Roi (Le) (Peter Jackson, 2003)
Proposition dramatique 40, 236 73
Proposition thématique 40, 236 Retour vers le futur (Robert Zemeckis,
Protagoniste 22, 40, 46, 52, 60, 62- 1985) 68, 79-80, 82, 86-87, 149,
63, 68-72, 90-91, 93-97, 108, 221

INDEX 336
Rire, essai sur la signification du SOS Fantômes (Ivan Reitman, 1984)
comique (Le) (Henri Bergson, 138, 213
1900) 251
Sous-texte 22, 41, 146-148, 152-
Robocop (Paul Verhoeven, 1987) 212 155, 164-165
Rocky Horror Picture Show (The) Spiderman (Sam Raimi, 2002) 40
(Jim Sharman, 1975) 53
Split-screen 123
Ruée vers l’Or (La) (Charles Chaplin,
1925) 203
Star Trek (Gene Roddenberry, 1966 à
1969) 170
Sacré Graal (Terry Jones et Terry Gil-
liam, 1975) 52 Story (Robert McKee, 2000) 25, 125,
130, 174, 204, 299-300
Saga Vorkosigan (La) (Lois McMaster
Bujold, 1995-) 139 Superman (Joe Shuster et Jerry Siegel,
1933-) 211
Scarface (Brian de Palma, 1983) 93, 169
Sur la route de Madison (Clint East-
Scène-à-scène 235, 237
wood, 1995) 99
Secret de la Licorne (Le) (Hergé, 1943)
Surprise 48, 51, 61, 80, 83, 100, 102,
193
119, 124, 142, 167, 170, 183, 227,
Seigneur des anneaux: les deux tours 230, 241, 248, 258, 267-269,
(Le) (Peter Jackson, 2002) 324 271, 289-290, 294
Seigneur des anneaux (Le) (John Suspense 123, 219-221, 260
Ronald Reuel Tolkien, 1954) 139,
200-201, 211, 221, 302, 324 Suspension consentie de l’incré-
dulité 17, 20, 45, 49, 299
Sept Samouraïs (Les) (Akira Kuro-
sawa, 1954) 136, 140, 199 Synopsis 21-22, 37, 39, 41, 305
Séquence 25-26, 48, 62, 64, 74-75, Terminator (James Cameron, 1984) 86,
86, 91, 94, 96, 100-101, 103, 115, 172
117-119, 122-123, 126, 177, 232, Thème 32, 37-38, 40-41, 144, 159,
237, 239-240, 264-265, 277, 162, 210, 236, 242, 278, 281,
314, 329 283-284, 287, 301-302, 309
Séquencier 226, 237-238, 240-243, Thing (The) (John Carpenter, 1981) 213
287, 295
Thorgal (J. Van Hamme, G. Rosinski,
Seven (David Fincher, 1996) 211
1977 à 2006) 207
Shadoks (Les) (René Borg et Jacques
Titanic (James Cameron, 1997) 198
Rouxel, 1968) 161
To Be or Not to Be (Ernst Lubitsch,
Shaun of the Dead (Edgar Wright,
1942) 83, 164, 222, 225, 258, 262
2004) 93
Sherlock Holmes (60 récits, A. Conan Tontons flingueurs (Les) (Georges
Lautner, 1963) 49, 151, 153, 220,
Doyle, 1887 à 1927) 211, 308
266
Shining (Stanley Kubrick, 1980) 83, 133,
169 Tootsie (Sydney Pollack, 1982) 143,
220, 266, 283-284
Shutter Island (Martin Scorsese, 2010)
51, 268, 292 Topper 79, 85-86, 96, 232, 256
Signes (M. Night Shyamalan, 2002) 270 Toy Story (J. Lasseter, A. Brannon et L.
Unkrich, 1995) 96, 231, 252, 302
Silence des agneaux (Le) (Jonathan
Demme, 1994) 211 Toy Story 2 (John Lasseter, 1999) 100
Sixième sens (S. Night Shyamalan, 1999) Toy Story 3 (Lee Unkrich, 2010) 100,
51, 138, 209, 293, 305 320

INDEX 337
Tragédie 82, 250-251, 257-258, 311 Véritable histoire du petit Chaperon
Tragicomique 250 Rouge (La) (C. et T. Edwards, 2005)
271
Tragique 39, 119, 151, 155, 250-257,
259, 282, 309 Very Bad Trip (Todd Philips, 2009) 269
Trésor de Rackham le Rouge (Le) Vie de Brian (La) (Terry Jones, 1979) 52
(Hergé, 1943) 193 Vie est belle (La) (Roberto Benigni,
Trône de Fer (Le) (J.R.R Martin, 1996-) 1997) 209, 229-230
139 Vocabulaire d’esthétique (Étienne
True Grit (Joël et Ethan Cohen, 2010) 171 Souriau, 1990) 29
Twixt (Francis Ford Coppola, 2011) 304 Wall-E (Andrew Stanton, 2008) 96-97
Usual Suspects (Bryan Singer, 1994) Wayne’s World (Penelope Spheeris,
211 1992) 53
V pour Vendetta (James McTeigue, Witness (Peter Weir, 1985) 97, 134, 136
2005) 94, 209
X-Men (Stan Lee, Jack Kirby, 1963) 212
Vacances de Monsieur Hulot (Les)
(Jacques Tati, 1953) 75 Z comme Zorglub (André Franquin,
Jidehem et Greg, 1960) 210
Valse des pantins (La) (Martin Scor-
sese, 1982) 100

INDEX 338
Table des matières

De l’autre côté du miroir .....................................................9


L’artifice de la fiction ............................................................10
Mystère et plaisir ..................................................................11
La dramaturgie au quotidien ..............................................11
Mode d’emploi.....................................................................13
Nourrir votre pratique..........................................................14
Pratiquer l’écriture................................................................14
Votre liberté ...........................................................................15
Mise en forme ......................................................................19
Votre premier lecteur : le producteur................................19
Première qualité essentielle : l’orthographe.....................20
Seconde qualité essentielle : la fluidité .............................21
Concrètement, un scénario comporte
quatre parties obligatoires ..................................................21
1. La page de titre ......................................................21
2. Le synopsis.............................................................22
3. La continuité dialoguée .......................................23
4. La note d’intention ...............................................32
5. La note de réalisation...........................................32
6. Pitcher son projet .................................................33
7. Les annexes ............................................................34
Rédiger sa note d’intention..............................................37
Pièges : ce qu’une note d’intention n’est pas...................37
Fonction de la note d’intention .........................................37
Éléments techniques obligatoires
de la note d’intention ..........................................................40
Les trois questions fondamentales auxquelles
l’auteur doit répondre .........................................................41
Suspension consentie de l’incrédulité ..........................45
Le plaisir d’y croire ...............................................................46
Le vraisemblable n’est pas le vrai ......................................46

TABLE DES MATIÈRES 339


Maintenir la suspension......................................................47
Dimension émotionnelle ....................................................49
Mondes imaginaires ou réalistes.......................................49
Les impossibilités vraisemblables .....................................50
Le contre-pied volontaire ...................................................51
La rupture assumée .............................................................52
Le nanar .................................................................................53
Point de vue et focalisation..............................................57
Celui qui raconte...................................................................57
Construire la confiance .......................................................58
Qui est dans la voiture ?.......................................................59
Changer de focalisation.......................................................60
Trois types de focalisation..................................................61
La structure ternaire ..........................................................67
Trois temps : installer, exploiter, résoudre.......................67
Incident déclencheur...........................................................69
Chronologie et narration.....................................................73
Le récit n’est pas l’histoire...................................................74
Structures imbriquées .........................................................75
Système des faits et milking ............................................79
Unité d’action ........................................................................79
Le cas de Retour vers le futur..............................................80
Exploitation et milking ........................................................82
Le topper, milking ultime ....................................................85
Le point d’entrée dans le récit .........................................89
Les portes du récit ................................................................89
Quand Blanche-Neige était petite .....................................90
Le cas de La Guerre des étoiles ...........................................91
Surprendre d’entrée de jeu.................................................92
Démarrer par une situation de conflit ..............................93
Installation par l’échec ........................................................93
Installation par la réussite...................................................95
Démarrer par le monde ordinaire......................................96
Poser les vrais enjeux ..........................................................98
Commencer par la fin ..........................................................98
Qui est l’ennemi ?..................................................................99
Points d’entrée à fausse piste...........................................100

TABLE DES MATIÈRES 340


Démarrer dans le feu de l’action (in media res) .............101
Conjuguer les approches...................................................102
Charnières dramatiques, rebondissements...............107
Points de non-retour .........................................................108
Choix et renoncement.......................................................108
Charnières mineures et majeures....................................108
Préparation et décision .....................................................109
Mouvement, tension et rupture dramatique ................110
Dans La Guerre des étoiles ................................................111
Charnière émotionnelle ....................................................112
Les charnières dans l’acte II..............................................112
Le rythme narratif ............................................................117
Rythmer la structure..........................................................118
Rythmer une séquence .....................................................119
Rythmer la didascalie ........................................................120
Tension psychologique .....................................................121
24 heures chrono.................................................................122
La narration lente ...............................................................123
Alternance et transformations.........................................125
Caractériser les personnages et l’univers...................129
Comment rendre un récit vivant .....................................130
Le MacGuffin .......................................................................135
Comment rendre un univers crédible ............................135
Intégrer les personnages et l’univers du récit ...............140
Attachement et identification ..........................................140
Caractériser du début à la fin............................................143
Communication verbale et non verbale .....................147
Plusieurs moyens pour caractériser................................148
Créer des dialogues crédibles...........................................149
Communiquer par l’action................................................150
Non-dit et sous-texte ........................................................152
La puissance des icônes ....................................................155
L’intérêt des stars................................................................160
Icônes et clichés .................................................................161
Communication subliminale............................................163
Faire évoluer les personnages .......................................167
Qui est le protagoniste ? ....................................................168

TABLE DES MATIÈRES 341


Choix et transformation ....................................................168
La régression, une évolution négative............................169
Cas des personnages récurrents ......................................170
Équilibrer surprise et vraisemblance ..............................170
Symboles et mythologie ...................................................171
Vie et transformation.........................................................172
Les 7 points de Truby (résumé) ........................................173
Le voyage du héros de Campbell (résumé) ....................174
Le parcours du héros de Joseph Campbell ....................177
Les points de Truby............................................................182
Le fantôme dans le scénario...........................................189
Le passé des personnages.................................................190
Suggérer ce qui n’est pas montré ....................................190
L’alcoolisme du capitaine Haddock ................................192
Construire un fantôme ......................................................193
Approche par les enjeux ...................................................194
Conflits et obstacles .........................................................197
Buts, désirs, espérance ......................................................198
Trois types d’obstacles ......................................................198
Des obstacles générant du conflit ...................................198
Conflits entre adversaires .................................................202
Conflits entre alliés.............................................................203
Enchaîner les conflits.........................................................204
Les antagonistes................................................................207
Quelques archétypes d’adversaires ................................210
Animaux, objets et extraterrestres ..................................212
Les valeurs de l’ennemi.....................................................213
Opposition en quatre points.............................................214
Ironie dramatique, suspense et quiproquos ..............219
Un décalage d’information ...............................................220
Différentes échelles............................................................220
Victimes ...............................................................................222
Résolution ou fin ouverte .................................................223
Éviter le deus ex machina .................................................223
Annonce-paiement ..........................................................227
L’art de la préparation........................................................228
Promesse de conflit............................................................228

TABLE DES MATIÈRES 342


Paiement direct...................................................................230
Effets de surprise ................................................................230
Gare à l’effet téléphoné .....................................................231
Être à la hauteur des attentes...........................................231
Le gros lot.............................................................................232
Les outils du développement.........................................235
Pitching, développement, notes préparatoires.............236
Scène-à-scène (traitement)..............................................237
Dualité fonctionnelle de la continuité dialoguée .........241
Les effets dramatiques ....................................................245
Les trois temps du drama..................................................246
Attendu et inattendu .........................................................247
Permis de tricher ................................................................248
Le cas de Léon .....................................................................249
Types d’effets dramatiques ..............................................250
Effets comiques ..................................................................251
Par la caricature, l’exagération.........................................253
Par le détournement..........................................................254
Par le contraste ...................................................................255
Rire de tout ..........................................................................258
Enchaînement des effets ..................................................258
Encore La Guerre des étoiles.............................................260
Les ellipses temporelles ..................................................263
Ellipses naturelles...............................................................264
Préserver le spectateur......................................................265
Ellipses de connivence ......................................................266
Ellipses de dissimulation...................................................267
Préparer un twist................................................................268
Utilisations particulières....................................................269
Les flashs.............................................................................273
Les intrigues secondaires ...............................................281
Une histoire dans l’histoire ...............................................281
Des fonctions multiples ....................................................282
Fausses pistes et renversements ..................................289
Attente et anticipation.......................................................289
Préparer le renversement .................................................290
Exploiter un mystère .........................................................290

TABLE DES MATIÈRES 343


Utilisation de flashs et d’ellipses de dissimulation.......292
Le positionnement de l’auteur.........................................293
La posture schizophrénique de l’auteur .....................297
Une logique plurielle..........................................................297
Explorer les différents points de vue
de vos personnages ...........................................................299
Comment y parvenir ..........................................................300
Les trois points cruciaux ...................................................301
1. Connais ton univers............................................301
2. Sache où va ton récit..........................................302
3. Réécris ..................................................................303
La schizophrénie de l’auteur comme sujet....................303
La morale de l’histoire .....................................................307
Les clés du système de valeur..........................................310
Et la morale de l’auteur dans tout ça ? ............................311
À univers différents, systèmes de valeurs différents ...312
Jouer avec les codes de la fiction ..................................317
Les apparences de la réalité..............................................324
Le détournement des codes.............................................326
Index ....................................................................................331

TABLE DES MATIÈRES 344


Déjà paru aux éditions LettMotif
Collectif
John Cassavetes
Kevan Stevens
Précis d’écriture du scénario
Sonia Duault
Considérations sur la fascination que le milieu
du cinéma exerce sur nos contemporains
Jean-Christophe HJ Martin
Directed by Sylvester Stallone
Gabrielle Tremblay
Scénario et scénariste
Danielle Bleitrach
Bertolt Brecht et Fritz Lang : le nazisme n’a jamais été éradiqué
David Da Silva
Le populisme américain au cinéma
Jérôme d’Estais
Jean Eustache ou la traversée des apparences
Thibault Grasshoff
Philippe Garrel, une esthétique de la survivance
Francesca Dosi
Trajectoires balzaciennes
dans le cinéma de Jacques Rivette
Charles Beaud
L’Histoire de l’Italie
à travers le cinéma d’Ettore Scola
Stephen Sarrazin
Réponses du cinéma japonais contemporain
Robin Gatto
Hideo Gosha, cinéaste sans maître (2 tomes)
Georg Stefan Troller
Welcome in Vienna
Claude Gauteur
Jean Gabin, du livre au mythe
Sur Sacha Guitry

Collection Scénars

Jean-Pierre Jeunet, Marc Caro, Gilles Adrien


110 en dessous de zéro
Delicatessen
La Cité des enfants perdus
Jean-Pierre Jeunet, Guillaume Laurant
Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain
Frédéric Krivine
Un village français (saison 1 et saison 2)
Cyril Mennegun
Louise Wimmer
Bénédicte Pagnot
Les lendemains
Katell Quilévéré
Suzanne
Louise Archambault
Gabrielle
Jérôme Bonnell
Les Yeux clairs
Dorothée Sebbagh
Chercher le garçon
Hal Hartley
The Girl from Monday
Luc Béraud
Plein Sud
Frédéric Louf
J’aime regarder les filles
Catherine Corsini
Trois Mondes
Robert Guédiguian
Le Voyage en Arménie
Olivier Assayas
L’Eau froide
Une nouvelle vie
L’Enfant de l’hiver
Jacques Maillot
Nos Vies heureuses
Emmanuelle Cuau
Très bien, merci
Patrice Leconte
Voir la mer
Martin Valente
Un jour mon père viendra
Fragile(s)
Jennifer Devoldère
Et soudain, tout le monde me manque
Géraldine Nakache, Hervé Mimran
Tout ce qui brille

Revue Mondes du cinéma


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