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Il était mort, et ne le savait pas…

Alain Abelhauser
Dans Cliniques méditerranéennes 2008/2 (n° 78), pages 65 à 76
Éditions Érès
ISSN 0762-7491
ISBN 9782749209968
DOI 10.3917/cm.078.0065
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Cliniques méditerranéennes, 78-2008

Alain Abelhauser

Il était mort, et ne le savait pas…

Il était mort, mais il ne le savait pas. Il s’agit peut-être du rêve le plus


fameux rapporté par Freud. À deux reprises. Dans le chapitre VI de la Traum-
deutung, d’abord 1. Puis dans les Formulations sur les deux principes de l’événe-
ment psychique 2. Lacan le commente souvent, entre autres dans son
séminaire, Le désir et son interprétation, ainsi que dans le texte qui en est issu,
Subversion du sujet et dialectique du désir, qu’on trouve en bonne place dans les
Écrits 3. Le rêveur est Freud lui-même, on le sait. Dans la réalité, son père est
mort. Et il fait ce rêve étrange, dont voici le texte : Son père était de nouveau en
vie et lui parlait comme d’habitude, mais [chose étrange] il était mort quand même
et ne le savait pas 4.
Qu’est-ce à dire ? La première impression est d’absurdité : le père est
mort, mais il ne l’est pas – contradiction –, la preuve, c’est qu’il ne sait même
pas qu’il l’est (ce qui suppose donc qu’il ne l’est pas). Face à cette absurdité,
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on peut bien sûr rétorquer que l’inconscient ignore la négation, la contradic-
tion ; on peut être mort et simultanément ne pas l’être. D’ailleurs, après tout,
on dispose d’une catégorie pour désigner cet état : les morts-vivants, les reve-
nants. Et il est clair – l’analyse démontrera amplement par quels mécanismes

Alain Abelhauser, psychanalyste, professeur des universités (Laboratoire de psychopathologie et clinique


psychanalytique – E. A. 4050), vice-président de l’université Rennes II, 14, rue Montgolfier F-75003
Paris.
1. S. Freud, « Die Traumdeutung » (1899), dans Gesammelte Werke, tome II/III, Frankfurt am
Main, Fisher Verlag, 1946 ; trad. franç. : L’interprétation des rêves, Paris, PUF, 1926, p. 366.
2. S. Freud, « Formulierungen über die zwei Prinzipien des psychischen Geschehens » (1911),
dans Gesammelte Werke, tome VIII, Frankfurt am Main, Fisher Verlag, 1946 ; trad. franç. : « For-
mulations sur les deux principes du cours des événements psychiques », dans Résultats, idées,
problèmes, tome 1, Paris, PUF, 1984, p. 135-143.
3. J. Lacan, « Subversion du sujet et dialectique du désir », Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 793-827.
4. Variante des Formulations : « Mais en même temps il ressentait de façon extrêmement doulou-
reuse que pourtant son père était déjà mort, seulement il ne le savait pas. »
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cela passe – que chaque mort de « personne chère » ne peut que réactiver une
telle catégorie.
Mais Freud, on se le rappelle, va mettre l’accent sur un autre point. Son
interprétation est avant tout œdipienne. Il considère que le texte du rêve est
tronqué. L’élision, pense-t-il, porte sur le vœu – le Wunsch – du rêveur. C’est
cela qui est refoulé, une fois de plus, martèle Freud. Et il n’est besoin que de
convoquer ce désir pour rétablir le texte du rêve dans son intégralité. Ce qui
donne ceci : le père était mort [selon le vœu du rêveur], et ne le savait pas
[que tel était le vœu du rêveur].
Le désir est donc double : il porte sur la mort du père, d’une part, et sur
son ignorance, d’autre part – sur le fait que le père continue d’ignorer que son
fils entretenait à son endroit de tels vœux de mort. Le beurre, et l’argent du
beurre, en somme. Le désir de mort du père, et le désir simultané d’en être
néanmoins toujours aimé. Bien sûr.
Mais il est d’autres façons d’interpréter le rêve. Par exemple celles que
Lacan déplie dans Le désir et son interprétation, justement. Elles consistent à
montrer que le rêve a statut d’énoncé, que les clausules sont la trace d’une éli-
sion qui est la marque même du sujet, et que le sujet – grammatical – de
l’ignorance est finalement le rêveur lui-même, voire le sujet en général. Ce
qui revient à considérer, pour dire les choses un peu autrement – pour les
accentuer sur le mode qui me semble important ici –, qu’il n’y a pas de savoir
de la mort. Mon père – mais cela vaut finalement pour n’importe qui – peut
bien être mort : il ne le sait pas – il ne se sait pas mort. Et j’ai beau savoir qu’il
l’est, et d’une certaine façon ne le savoir que trop, je ne le saisis malgré tout
pas – je ne le sais pas véritablement, je ne le pense pas mort pour autant –
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parce que je ne peux le penser tel, je ne peux le penser mort, comme je ne
peux penser mort quiconque, parce que c’est la mort, en fait, qui est impen-
sable pour moi – pour l’inconscient, serait-il plus juste de dire.
L’inconscient ne peut qu’ignorer la mort, la négation absolue – s’escri-
mera à démontrer Freud. Ce qui rend le travail de deuil, comme aiment à
s’exprimer les psychologues, si difficile à effectuer. Voire impossible sur un
certain plan : comment faire le deuil de quelque chose qu’on ne peut se
résoudre à considérer comme radicalement, définitivement, perdu ? Impos-
sible de penser la mort, donc, et de penser mort quelqu’un, a fortiori quand il
s’agit d’un être cher, si ce n’est au prix d’une forme de forçage, de frayage, de
la pensée, qui consiste au bout du compte à tuer le mort. En arriver à réaliser
pleinement la mort de celui ou de celle qui m’est cher (chère), c’est, propre-
ment, le faire mourir une deuxième fois, c’est le tuer – là où précisément la
pensée recule à le faire.
Que je le sache mort, et je le tue – et en porterai éternellement le poids
de responsabilité et de culpabilité. Ajoutons : qu’il se sache mort, et il le sera
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– chose impossible que le rêve, dans sa grande sagesse, me rappelle être tout
bonnement impensable.

*
* *

Pourquoi égrener, ici, ces commentaires d’une analyse que l’on connaît
certainement par cœur ? Parce qu’ils me semblent pouvoir à bon droit intro-
duire à mon propos, lui offrir le modèle qui l’ancrera dans la thématique de
ces Journées 5 et lui donner ainsi un peu d’assise.
Mon idée est on ne peut plus simple : il n’y a pas que les pères qui meu-
rent, et ne le savent pas. Il en va également ainsi du monde, du monde où
nous vivons, où nous survivons – de notre monde. Il est mort, pensé-je, mais
ne le sait pas – pas encore, pas encore vraiment. Il est déjà mort, mais ne le sera
véritablement que lorsqu’il l’aura réalisé – lorsque nous le lui aurons signifié
– lorsque nous nous le serons dit.
On reconnaît là, bien sûr, les accents du discours post-catastrophique
que nombre d’intellectuels filent depuis des années. La catastrophe a déjà eu
lieu ; simplement nous mettons beaucoup de temps à en prendre toute la
mesure, comme ces reptiles qu’on importe des pays chauds et qui mettent
des mois à finir de mourir au fond de nos vivariums. Slavoj Zizek, ce vieil
ami maintenant hélas perdu de vue, avait sa façon pédagogique et gaie de
l’imager : nous nous trouvons dans un Tex Avery, dans l’un de ces cartoons où
une bestiole ne cesse de courir après une autre, un coyote, par exemple, après
un road runner – ces drôles d’oiseaux des déserts d’Amérique. Eh bien, tôt ou
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tard, le coyote, emporté par son élan, se lance au-dessus d’un précipice et
continue allégrement à courir dans le vide. Le spectateur retient son souffle :
les lois de la pesanteur sont transgressées, rien de fâcheux n’arrive, la course
se poursuit comme si de rien n’était. Jusqu’à l’instant, en tout cas, où – piqué
par quelle malsaine curiosité ? – le coyote finit par regarder à ses pieds et
découvre le vide sur lequel il se déplace. Alors, bien sûr, ce vide devient effec-
tif, le précipice exerce ses droits, et il chute longuement. La morale est claire :
il n’y a que l’ignorance qui protège. Dès lors que l’on mesure le gouffre que
l’on a sous ses pieds, on y tombe – toutes les hystériques le confirmeront.
Cela étant, la comparaison vaut-elle raison ? Est-il bien licite de voir le
monde en place de coyote fou, courant allégrement à sa perte, tout en fei-
gnant de l’ignorer et croyant ainsi la différer d’autant ? En principe, voici

5. « Du malaise dans la culture à la violence de la civilisation : la psychanalyse dans le lien


social. »
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venu le moment de présenter les preuves de ce que j’avance, de déplier les


arguments sur lesquels je m’appuie. Mais je ne veux pas pour autant entrer
dans un débat « technique », qui nous ferait perdre la substance – si je puis
m’exprimer ainsi – que je tente de mettre ici en jeu. Aussi, mes preuves, mes
arguments, j’irai les chercher à de drôles d’endroits, disparates s’il en est, lais-
sant ensuite chacun s’en débrouiller à sa guise.
Dans la littérature, d’abord, si l’on veut bien accepter qu’elle fasse aussi
symptôme d’une époque. Certaines choses me frappent : le merveilleux, par
exemple, a changé de nature. Le merveilleux du XIXe siècle, de la première
partie du XXe, c’était d’abord l’hymne au progrès scientifique, façon Jules
Verne, ou façon âge d’or de la science-fiction. En clair, et en gros, on croyait
au progrès, même si c’était pour le dénoncer, pour alerter l’opinion sur ses
dangers, et l’inciter à s’en protéger. Depuis quelques dizaines d’années, le
merveilleux – en tant que genre littéraire – a changé, je crois. Plus exactement,
c’est ce qui fait succès, dans le merveilleux, qui a changé. C’est maintenant
beaucoup plus « l’héroic fantasy » qui fait recette, c’est-à-dire la nostalgie
d’une époque, d’un passé, révolus, mythifiés, et regrettés. Et, de surcroît, les
romans, les films, les plus aboutis sur ce plan sont ceux qui mettent en scène
précisément la fin d’une époque, la perte irréparable qu’elle représente, et la
mélancolie qui s’en dégage. Un exemple, un seul ? Le plus beau de tous : Le
seigneur des anneaux, de Tolkien. Comment débute la très belle adaptation
cinématographique de Peter Jackson ? Par ces mots : « Le monde a changé. Je le
perçois dans l’eau. Je le ressens dans la terre. Je le sens dans l’air. Bien des choses
d’antan sont perdues, aucun de ceux qui vivent ne s’en souvient. » Et, sur ce, com-
mence la longue ballade qui raconte l’histoire des elfes, des ents, des hobbits,
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des hommes de jadis, aussi, qui s’allièrent et se battirent pour que leur
monde ne disparaisse pas n’importe comment, mais résiste au mal et ne s’ef-
face que pour laisser place à un autre – le nôtre – ayant encore toutes ses
chances.
Le western lui-même prend en compte la nouvelle donne. On n’en fait
plus beaucoup, me direz-vous. Mais justement, la plupart de ceux qu’on
tourne encore 6 ont cette même thématique – la fin d’un monde, l’aube d’un
nouveau qui s’annonce à la fois plus triste et tout compte fait bien plus dan-
gereux, les réaménagements que cela implique – et prennent une teinte cré-
pusculaire caractéristique – laquelle a d’ailleurs permis en bonne partie un
certain renouvellement du genre.
La littérature plus classique – ce qu’on a pu appeler la littérature psy-
chologique – n’est pas en reste. Que nous racontaient Stendhal, Balzac, Flau-

6. Depuis, disons, les derniers grands westerns spaghettis.


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bert – dans une moindre mesure, certes –, mais aussi Maurois, Malraux, voire
Camus et Sartre ? Que c’était difficile de se faire une place dans le monde. Le
héros avait du mal, il y arrivait, ou n’y arrivait pas, et rencontrait de nom-
breux obstacles, de la résistance sociale à l’absurdité de l’existence en passant
par tous les aléas politiques des époques. Mais c’était cela, la question : com-
ment se faire une place dans le monde qui s’ouvre, ou se ferme, à moi ? « À
nous deux, Paris », dit Rastignac depuis le Sacré-Cœur. Et Julien Sorel
d’échouer, Emma Bovary aussi, d’une autre façon, ainsi qu’Antoine Roquen-
tin et les autres, étrangers finalement à cette place qui leur est ménagée, et
qu’ils ne savent occuper sans autre état d’âme.
Mais maintenant, est-ce toujours la question ? Il ne me semble pas. L’an-
goisse existentielle – pour employer ce terme particulièrement maladroit –
n’est plus la même, décidément. Il ne s’agit plus tant de savoir si l’on va arri-
ver à prendre place dans le monde que de savoir si le monde, dans lequel on
a pris place d’une façon ou d’une autre – bien obligé –, va pouvoir continuer
à me garantir cette place. Va perdurer le temps suffisant pour que cette place,
aussi peu satisfaisante soit-elle, veuille bien me faire encore un peu d’usage.
Il n’est que de lire le dernier roman de McEwan, Saturday, pour comprendre
ce que je veux dire. Ou, autre solution, particulièrement éloquente, lire, ou
relire, L’ami Fritz, d’Erckmann-Chatrian 7. C’est l’histoire simple d’un homme
heureux, heureux de goûter aux bonheurs simples prodigués par la vie quo-
tidienne. L’histoire d’un bon bourgeois alsacien qui dort bien, mange déli-
cieusement, s’épanouit chaque jour davantage entre sa gouvernante, ses amis
de Winstub et la prospérité de ses affaires, dans un cadre idyllique et cham-
pêtre, parfait écrin à sa jouissance paisible et bien tempérée. On se croirait
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dans une publicité financée par le conseil régional, avec en sus le petit côté
« Herta » : n’oublions pas les plaisirs simples de la vie… Et pour qu’il y ait
quand même une intrigue – même un Alsacien finirait par se lasser de cette
constance du bonheur – l’ami Fritz voit un jour sa digestion troublée par
quelque chose qu’il n’arrive pas à identifier. Le verdict tombe cinquante
pages plus tard : il se découvre amoureux de la petite Sûzel, la fille de son fer-
mier. Son trouble, c’était donc ça – c’était l’amour ? Oui, mais ne rêvons pas :
encore vingt pages de plus, et tout est rentré dans l’ordre. Il épouse Sûzel, et
sa digestion se rétablit parfaitement. Dormez, braves gens, tout est calme,
tout va bien.
Comprend-on bien où je veux en venir ? À ceci : est-il encore possible
d’écrire un roman pareil ? La réponse est claire : c’est proprement impossible.

7. Page de publicité, dictée par mes origines alsaciennes, bien sûr.


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Non parce qu’il est nunuche – je l’ai un peu brocardé, mais à la vérité, c’est
un texte délicieux, que j’aime beaucoup –, mais parce qu’il fait fond de
quelque chose qui est perdu, bien perdu, et qu’on ne trouve plus désormais
que dans ces contes de fées modernes que sont les spots publicitaires. Dont
acte.
Notre monde, alors, celui dans lequel nous vivons, c’est quoi ? Comment
le caractériser ? D’un mot, peut-être. Celui de disparition. Nous assistons –
qui ne le sait ? – à un moment, particulièrement concentré et accéléré, de dis-
parition des espèces. Notre Terre a vraisemblablement déjà connu – relisons,
par exemple, les travaux de Stephen Jay Gould – cinq périodes d’extinction
massive, selon un cycle assez bien repérable. De nombreuses espèces – cer-
tainement plus de 90 % dans deux des cas – disparaissent, laissant ainsi la
place à d’autres. La fin des dinosaures, donnant aux petits mammifères la
possibilité de se développer et d’occuper le terrain laissé vacant, n’en est que
le dernier épisode. L’avant-dernier, plus exactement, si l’on considère que le
dernier se déroule en fait actuellement. Mais avec des caractéristiques nou-
velles. D’abord, il ne correspond pas au cycle des précédents. Normal : c’est
l’homme, c’est nous, qui en sommes cette fois responsables. Ensuite, il est
beaucoup, beaucoup plus rapide que les autres. Ceux-ci se sont étalés sur
quelques dizaines de milliers d’années, ce qui a permis justement à d’autres
espèces d’évoluer et de conquérir de nouvelles niches écologiques. Alors que
le moment de disparition que nous vivons se concentre sur quelques cen-
taines d’années – peut-être même quelques dizaines, au rythme où vont les
choses. Normal, encore : nous ne les faisons pas à moitié. Ce qui risque
d’avoir pour conséquence de ne pas laisser à d’autres espèces le temps de se
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développer et de prospérer.
Pas d’inquiétude : je ne vais pas reprendre le discours écologique de cir-
constance. Simplement accentuer quelques points. Le soir, un peu tard, avant
d’aller me coucher, quand je n’arrive plus à travailler, il est assez fréquent
que je me vautre une demi-heure devant la télé et que, au lieu de zapper
comme tout bon consommateur d’images qui se respecte, je m’endorme pro-
gressivement devant des chaînes animalières. Je me suis rendu compte
récemment que j’avais ainsi réinventé les lampes des chambres d’enfants, qui
tournent en projetant sur les murs des images apaisantes d’animaux. Eh bien
moi, je regarde les savanes africaines, les guépards poursuivre les gazelles de
Thomson, les lionnes élever leurs lionceaux, les hippos régler leurs pro-
blèmes territoriaux, et je m’endors. Sur cette vision d’un monde qui meurt,
d’un continent qui bascule, d’une vie qui s’enferme dans l’espace clos de
quelques réserves. Je ne dois pas être le seul à qui cela arrive. Néron, ravi,
contemplant l’incendie de Rome ? Je préfère l’image du Petit Prince, noyant
son chagrin dans la mélancolie des couchers de soleil. Il lui suffisait, rappe-
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lons-nous, de tirer sa chaise de quelques pas pour regarder, sur sa si petite


planète, le crépuscule chaque fois qu’il le désirait. « Un jour, s’exclame-t-il, j’ai
vu le soleil se coucher 43 fois ! Tu sais, quand on est tellement triste, on aime les cou-
chers de soleil ! »
Disons les choses simplement : il n’est presque plus de grands animaux
emblématiques – tigres, pandas, baleines, gorilles, rhinos, condors, et tous les
autres plus discrets – qui ne se comptent plus à présent que par seulement
quelques milliers, voire quelques centaines d’individus, et ne s’acheminent
d’un pas décidé vers une mort annoncée. Que ferons-nous d’une Terre où les
seuls ours blancs présents seront en peluche, et où nos enfants prendraient
les vrais pour des copies, s’ils s’avéraient les rencontrer ? Il y a quelques
années – l’accident m’avait impressionné –, deux petits Noirs du Bronx se
sont fait hacher par les ours polaires du zoo de Central Park. Les enfants
étaient descendus dans la fosse, à l’accès mal défendu, pour jouer avec les
nounours. Ceux-ci n’étaient déjà plus réels ; c’était juste, pour les gosses, des
personnages de cartoons. Évidemment, ces derniers se sont rebiffés. Cette
réalité-là résiste encore un peu – mais plus pour très longtemps.
J’en viens ainsi, sans grande transition, à une autre série de remarques.
Justement, d’ailleurs, l’a-t-on remarqué ? Moi, c’est un patient qui a attiré
mon attention sur le phénomène : c’est bizarre, m’a-t-il dit, cette manière
qu’ont les gens autour de moi, au moment où je les quitte, par exemple, de
me demander de les rappeler très bientôt, sans faute, absolument, de façon à
ce qu’on se revoie très vite, sans attendre aussi longtemps que la dernière
fois, il n’y a vraiment aucune raison de différer à nouveau un tel plaisir. C’est
bizarre, commentait-il, et ridicule, d’insister de la sorte, alors que tout le
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monde sait parfaitement que l’autre ne rappellera pas, que le cours de la vie
continuera à nous éloigner les uns des autres, et qu’on ne se reverra pas avant
les calendes grecques – au mieux. Pourquoi faut-il alors se duper, se raconter
des histoires à tout prix, et demander aux autres de participer à cette fiction,
assez ridicule au demeurant, comme s’il s’agissait par là de l’accréditer, de lui
donner une consistance irréfutable ? Pourquoi donc exiger de l’autre qu’il
prenne à sa charge un tel désir, et qu’il se fasse à ce point complice d’une telle
croyance ?
Qu’on ne me jette pas la pierre : j’ai cru bon, en cette circonstance pré-
cise, de hasarder une réponse. Parce qu’on est si peu assuré de son propre
désir, ai-je prétendu, qu’il est finalement assez légitime d’en créditer l’autre,
faute de mieux, pour tenter de garantir ainsi le sien propre. C’est cela, l’ave-
nir moderne d’une illusion : cultiver le mirage d’une telle croyance, en requé-
rant tout un chacun de la partager.
Mon intervention a eu de l’effet. Mais là n’est pas le propos. Il n’y a pas
que mon patient que cela ait fait réfléchir. Même les analystes peuvent à l’oc-
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casion se faire analysant. C’est vrai, me suis-je dit ensuite, qu’on ne cesse de
demander à l’autre – au sens de l’alter ego – de bien vouloir se montrer dési-
rant – à notre place, bien sûr. Est-ce là un simple avatar du discours hysté-
rique ? Je n’en suis pas sûr. Il me semblerait plutôt que cette convocation du
petit autre n’est en fait que l’écho atténué d’une autre convocation, bien plus
importante : celle du grand Autre – pour le dire ainsi.
L’Autre n’existe pas – certes. Mais on peut considérer que son manque
est l’élément essentiel, constitutif, de la structure subjective. C’est ce qu’ac-
centue toute la psychanalyse, depuis Totem et tabou. Le père est mort – c’est
ce qui fonde le symbolique, la loi, l’ordre social. Et de cette mort originelle –
et reconnue, celle-là – s’institue le Nom-du-Père et tout ce qu’il vient garan-
tir, de croyance et de désir. Qu’on le convoque donc, ce grand Autre, et qu’il
ne réponde pas là où on l’attend, rien de plus normal, en somme. Mais est-ce
là le propre de notre « modernité » ? Je ne crois pas. La caractéristique de
celle-ci serait plutôt, au contraire, qu’on sollicite n’importe quoi pour faire
figure de grand Autre – à condition que ça veuille bien répondre – et qu’on
se satisfasse alors de cette réponse.
Je m’explique. C’est une chose de convoquer l’Autre, et de mettre Dieu
à la place de sa faille, Dieu comme tentative infructueuse, ou comme signi-
fiant, de garantie de la structure. (Descartes, qui cherche à créer un système
logique auto-référent et suffisant, avant de devoir, malgré tout, invoquer
Dieu – c’est-à-dire un point extérieur au système comme garantie de l’en-
semble.) Et c’en est une autre de convoquer l’Autre, et de croire le trouver –
je ne vais évidemment pas prendre n’importe quel type d’exemple – dans un
discours supposé être celui de la science, et censé garantir la vérité de ce
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qu’on pense, de ce qu’on croit.
Je mets les points sur les « i ». Sur quoi est-ce que nous ouvre la science
– j’allais dire la vraie – du XXe siècle ? Sur la relativité, les lois d’incertitude,
l’indécidabilité. C’est d’ailleurs un peu comme cela, à mon sens, qu’on recon-
naît un « vrai » scientifique, quand on en rencontre un. Il est volontiers dubi-
tatif et circonspect – ce qui fait qu’il a du mal à passer à la télé. La science
moderne est tout sauf un discours de certitude. Et pourtant, quel rôle, actuel-
lement, lui demande-t-on de jouer ? Celui de diseuse de vérité. Celui de
garantie dernière. Dieu est mort, ou, mieux, Dieu est inconscient ? Qu’à cela
ne tienne, la science peut en tenir lieu, qui nous confirme qu’il est juste, ou
non, de penser ceci ou cela. Et elle répond présent ! Ou plutôt, certains répon-
dent présents pour elle. C’est une forme de scientisme, qui se conjugue par-
faitement à ce qu’on peut appeler la « passion évaluative » dont on a vu
récemment s’épanouir quelques avatars. Il y a, quelque part – à l’INSERM, par
exemple –, quelqu’un qui peut certifier que ceci est plus efficace que cela,
chiffres à l’appui. Ça soulage. Ça rassure. C’est censé faire du bien. Au
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moment même où la science formalise l’indécidabilité, elle est convoquée


pour dire ce qu’il faut décider. C’est cela, la modernité : troquer Dieu, signi-
fiant – muet – de la garantie, contre un discours – bruyant – qui donne forme
imaginaire à cette garantie.
L’Autre répond, donc. Ou, plus exactement, je peux mandater quelqu’un
pour me faire croire qu’il répond. Et qu’il garantit ainsi tant la légitimité de
ma croyance que la consistance de mon désir. Plus besoin d’ordalie pour le
sommer de se prononcer. Il suffit de siffler, de s’adresser au bon expert. Ce
qui a quand même quelques conséquences. D’abord – je me contenterai là de
quelques notations elliptiques – ce que j’appellerai une forme de « sacralisa-
tion de la croyance ». Voit-on ce à quoi je fais allusion ? Ce discours – qui, per-
sonnellement, m’exaspère assez – qui s’étale un peu partout, et qui veut
qu’une croyance échappe forcément à tout jugement, ait une valeur absolue
et doive être respectée du simple fait de son statut de croyance. Ce que je
crois force nécessairement le respect – puisque je le crois ! Où est-on allé
prendre ça ? Que notre société fasse place à ce type de valeur, en vienne à
sacraliser le fait même de croire, est bien un symptôme, me semble-t-il, de
notre malaise et de la mutation qui affecte l’Autre, l’empêchant de remplir sa
fonction tierce, parce que manquant à sa place (de manque).
Autre conséquence (la formule que je viens d’employer a pu permettre à
certains d’anticiper sur ce que je m’apprête à avancer) : l’angoisse. Les figures
de l’angoisse, me semble-t-il, sont en train de changer. Pour Lacan, en 1962,
(et en schématisant beaucoup), les figures de l’angoisse, c’étaient la tête
hideuse du chameau de Cazotte, apparaissant lorsqu’on sollicite le diable, et
demandant aux petits malins pétrifiés : que vuoi ? Ou la mante religieuse
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géante qui, elle, sait bien ce qu’elle me veut : me bouffer tout cru, en com-
mençant par la tête. L’Autre me sommant de dire mon désir et me confron-
tant à l’impossibilité de cette énonciation, ou l’Autre m’imposant son désir et
me demandant d’y faire bouchon. Je crois, et propose de considérer, que ce
n’est plus cela. L’angoisse, ce n’est plus que le chameau m’interroge sur mon
désir et que je ne puisse lui répondre, c’est que ce soit lui qui soit bien embar-
rassé pour dire quoi que ce soit du sien, alors même qu’il apparaît pourtant
dès que je le convoque. Ce n’est plus que la mante religieuse veuille me bouf-
fer, c’est qu’elle soit anorectique, ou vraiment trop repue pour que je l’inté-
resse encore. L’angoisse, en un mot, cherché-je à dire, procède maintenant de
la profusion des figures imaginaires de l’Autre, décidément inaptes à soute-
nir, grâce à l’appui de son absence, sa fonction de référence.
Une dernière remarque, encore, avant de conclure, à propos de ces
figures de l’Autre. Je ne la développerai pas du tout, en tout cas pas comme
elle le mérite, mais tiens néanmoins à en faire mention ici, simplement pour
prendre date, en quelque sorte. Il fut un temps, extrêmement récent à
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l’échelle de l’histoire de la vie, où nous vécûmes dans la proximité, au


contact, d’autres hommes. Non pas d’autres races d’hommes, si le terme a
encore un sens. Mais au contact d’une autre espèce d’Homo, voire de deux 8.
L’altérité est, ici, radicale. Nous vécûmes proches, en Europe, pendant
quelques milliers d’années, d’autres hommes, les néandertaliens, qui étaient,
cela apparaît clairement maintenant, plus costauds que nous, certainement
aussi malins – ils avaient en tout cas un plus gros cerveau – et aussi cultivés
que nous – les preuves en affluent. Ils ont pourtant disparu, après quelques
milliers d’années de « cohabitation ». Pourquoi ? Le mystère, pour les paléon-
tologues, reste entier, même si les hypothèses se multiplient. Et il se redouble
d’un autre : nous sommes-nous mélangés ? Y a-t-il eu hybridation ? Les pre-
mières études démontraient que ce n’était pas le cas. Les suivantes, les plus
récentes, reposent la question. Alors ? Il me semble que la psychanalyse peut
elle aussi proposer, sur ce point, quelques hypothèses, si elle veut bien se
demander d’abord pourquoi elle ne s’est pas posé jusqu’à présent – à ma
connaissance – une telle question. La vie au contact d’un autre décidément
autre, mais avec lequel nous aurions pu nous croiser – l’imaginaire, les
mythes, les lois et les interdits, n’en gardent-ils pas quelques traces consis-
tantes ? –, et dans la disparition duquel nous aurions bien pu – déjà – avoir
une certaine part de responsabilité – là aussi les échos qu’en garde notre cul-
ture ne me semblent pas négligeables. Un meurtre et une alliance dont notre
culture reste imprégnée, dont nous pouvons – dès lors que nous y prêtons
attention – relever et saisir de nombreux indices, mais qui n’ont pas été – c’est
là le point important – pour autant symbolisés.
Il y eut, si l’on suit Freud, un meurtre fondateur, une mort originelle, au
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principe de la loi et du symbolique, et à l’origine de la prohibition de l’in-
ceste. Mais qu’en est-il, si l’on s’arrête un instant sur l’hypothèse que je viens
d’évoquer, d’un meurtre, d’un génocide, d’une élimination de l’autre, qui,
pour avoir laissé de nombreuses traces dans notre culture, n’en ont pas été
pour autant fondateurs ? Et qu’en est-il d’une union, d’une mésalliance radi-
cale, d’un mélange génétique qui, pour incarner ce qui fut si longtemps perçu
comme la mise en péril la plus extrême de l’humanité, et ce qui fut donc si
férocement réprimé, n’en ont pas été pour autant à l’origine d’un interdit
structurant le lien social ?

8. Cette deuxième espèce (surnommé « le Hobbit ») correspond à l’Homo floresiensis, découvert sur
l’île de Flores, et donné pour l’instant comme un Homo erectus, plus proche des Australopithèques
que des Homo sapiens modernes, mais vieux de 13 000 ans – autant dire datant d’avant-hier !
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Qu’en est-il de ces transgressions – essentielles – de ce qui n’a même pas


pu prendre figure d’interdit social, de ce qui n’a même pas pu advenir à la
dignité du symbolique : l’alliance, puis le meurtre, d’un autre radical, alliance
et meurtre dont les traces restent vives, sans pour autant faire histoire, sans
pour autant s’inscrire dans la mémoire culturelle dont nous relevons ?
N’est-ce pas, en somme, uniquement parce que notre monde (le monde
issu de ces transgressions non symbolisées) est déjà mort, et ne se survit que
de ne pas le savoir, que nous pouvons à présent saisir, et penser, ce qui fut
jusqu’alors proprement impensable ?

*
* *

Je conclus ; il est temps. Mon propos n’est pas exempt d’une tonalité
mélancolique assez accentuée, j’en ai bien peur. Ce qui me fait songer, évi-
demment, à ce qu’écrivait Freud, dans Deuil et mélancolie, précisément, à pro-
pos de ces sujets en proie aux reproches et à l’auto-dévaluation, qui ne
cessent de se juger nuls, sans valeur, inadaptés, incapables de quoi que ce
soit. Ce que dit Freud alors, avec son humour susceptible d’être assez féroce
à l’occasion, est, en substance, à peu près ceci : « Pourquoi donc faut-il aller
si mal pour être enfin lucide ? »
Je vous pose, je nous pose, à présent, la question : le temps est-il venu de
la lucidité ?
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Résumé
L’un des plus célèbres rêves analysé par Freud – celui du père qui était mort et ne le
savait pas – nous fournit un modèle de compréhension de l’état de notre monde :
d’être, lui aussi, déjà mort, mais sans le savoir.
Que nous en venions à réaliser cette mort, et elle deviendra effective – c’est ce que
nous enseignent les mythes, la littérature, l’imaginaire dans son ensemble.
Est-ce donc désormais à cela qu’il faut nous résoudre : renoncer à la protection de
l’ignorance et accepter que notre monde, notre culture, n’existent dorénavant plus tels
que nous voulons encore les penser ?
Admettre cela permet autant de reconsidérer l’actualité du « malaise de la civilisa-
tion », que de prendre la mesure de l’éclairage que la psychanalyse peut encore y
apporter.

Mots-clés
Mort, culture, altérité.
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« HE WAS DEAD, BUT DIDN’T KNOW IT… »

Summary
One of the most famous dream analysed by Freud – that of the father who was dead
but didn’t know it – provides us with a model to understand the state of our world :
that of being, it too, already dead, but without knowing it.
Understanding that death, and that impending death, is what myths, literature and
the imaginary all teach us.
Should we therefore now bring ourselves to face this situation : relinquishing the pro-
tection of ignorance and accepting that our world, our culture, henceforth no longer
exist as we still would wish to think they do ?
To admit that would allow us both to reconsider the contemporaneousness of the
« malaise of civilisation », and to take stock of the enlightenment that psychoanalysis
can still contribute.

Keywords
Death, culture, otherness.
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