Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Artaud
Chantal Allier
Dans Essaim 2006/1 (n o 16), pages 7 à 53
Éditions Érès
ISSN 1287-258X
ISBN 2-7492-0595-6
DOI 10.3917/ess.016.0007
© Érès | Téléchargé le 23/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 73.45.98.22)
Chantal Allier
J’aime la littérature et les fous. Avec un faible particulier pour les fous
qui se débattent en direct avec la question divine, ceux qui, à l’incontour-
nable question : « Qui parle au lieu de l’Autre ? 2 » répondent : « Dieu. »
Ce qui n’implique pas forcément qu’ils en soient réduits à une position
stricte de porte-voix ou « d’entonnoir de la pensée de tous » comme le dit
© Érès | Téléchargé le 23/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 73.45.98.22)
1. Cité par Jacques Prevel, En compagnie d’Antonin Artaud, Paris, Flammarion, 1974, p. 127.
2. J. Lacan, Les noms du père, leçon du 20 novembre 1963, inédite. « Il est clair que si Freud, au centre
de sa doctrine, met le mythe du père, c’est en raison de l’inévitabilité de cette question [qui parle
au lieu de l’Autre ?]. »
3. Artaud, Œuvres complètes, Lettre sur Lautréamont, t. XIV*, Paris, Gallimard, 1978, p. 36.
4. « La folie comme absence d’œuvre », conception de M. Foucault à laquelle nul n’est obligé de
souscrire.
5. Expression judicieuse de G. Mordillat lors des Marteaux d’Artaud (à la télévision).
Essaim 16 13/04/06 8:47 Page 8
8 • Essaim n° 16
non moins authentique aliéné. Écrivain, pour le qualifier, est sans doute un
peu restreint mais, somme toute, c’est ce qui renvoie le mieux à son activité
d’écriture, à cette écriture, « sans relâche ni repos », qui fut la sienne. C’est
d’ailleurs comme écrivain qu’il se présente parfois lui-même :
« écrivain.
Je dis :
écrivain.
Manieur de mots,
de phrases, de termes, de locutions 6… »
En « manieur de mots », il s’attaque au corps même de la langue dans
ce qu’elle possède de plus concret et de plus matériel : le son et la lettre. Des
mots du corps, qui sortent du corps, « bien macérés dans [ses] moelles »
comme il le déclare dans l’exergue choisie pour ce travail.
S’il est « un mot » qu’Artaud, dès l’amorce de la décompensation, va
travailler au corps, le maniant et le remaniant sans cesse, c’est bien son
propre nom, comme pour en juguler la puissance maléfique.
Ce nom, dont il dit parfois qu’il est le « nom étymologique du néant 7 »
ou qu’il attribue au « gouffre infini qui parle » sous la forme de sa réduc-
tion phonique « Arto », n’est pas sans affinité avec le « seul mot », le
« simple petit mot sans importance », le « mot subtil », le « mot témoin »,
« le mot qu’il [lui] faudrait pour parler sur le ton des prophètes ».
Dans ce mot qui manque et qui, s’il existait, pourrait dire le tout de
l’être, ne pourrait-on voir comme une sorte d’intuition de la nécessité d’un
signifiant manquant pour que se structure la signification, pour que tienne
une pensée (d’abord pour celui qui s’essaie à la former).
Si l’intuition que je prête à Artaud possède quelque fondement, il
© Érès | Téléchargé le 23/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 73.45.98.22)
6. O.C., t. XXIV, Le mal d’être pris pour Dieu lui-même, Paris, Gallimard, 1988, p. 32 (oct.-nov. 1946).
7. O.C., t. XXVI, Histoire vécue d’Artaud-mômo, Paris, Gallimard, 1994, p. 10 : « Oui, oui, moi, Anto-
nin Artaud, 50 piges, 4 septembre 1896 à Marseille, Bouches-du-Rhône, France, je suis ce vieil
Artaud, nom étymologique du néant… »
8. Lacan, Séminaire Le Transfert, Paris, Le Seuil, 1991, p. 278.
9. Lacan, Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 819.
Essaim 16 13/04/06 8:47 Page 9
10. Lacan, Problèmes cruciaux pour la psychanalyse, séminaire inédit (leçon du 6 janvier 1965).
11. O.C., t. I **, Paris, Gallimard, 1976, p. 49.
12. « Avatar », bien que rebattu comme appellation, m’a semblé un choix heureux car il désigne la
descente et les métamorphoses d’un dieu – Vishnou en l’occurrence – sur la scène du théâtre. Que
peut-on rêver de mieux s’agissant d’Artaud ?
13. G. Deleuze, Logique du sens, Paris, Minuit, 1969, p. 11. « Car le nom propre ou singulier est garanti
par la permanence d’un savoir… c’est l’épreuve du savoir et de la récitation, où les mots vien-
nent de travers… qui destitue Alice de son identité. »
Essaim 16 13/04/06 8:47 Page 10
10 • Essaim n° 16
12 • Essaim n° 16
20. P. Thévenin, « Le ventre double », dans Ce désespéré qui vous parle, Paris, Le Seuil, 1993, p. 26.
21. Otto Hahn, Portrait d’Antonin Artaud, Le Soleil noir, 1968, p. 11.
22. P. Thévenin, Le ventre double, op. cit., p. 27.
Essaim 16 13/04/06 8:47 Page 13
Une des traces les plus nettes apparaît dans Héliogabale l’anarchiste cou-
ronné (bel oxymore) écrit en 1933. Le double littéraire le plus clairement
© Érès | Téléchargé le 23/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 73.45.98.22)
14 • Essaim n° 16
16 • Essaim n° 16
18 • Essaim n° 16
38. Lacan, Séminaire L’identification (leçon du 21 mars 1962) : « … après le meurtre du père surgit
pour lui… cet amour suprême… lequel fait justement de ce trépas, du meurtre originel, la condi-
tion de sa présence désormais absolue. La mort en somme, jouant ce rôle, se manifeste comme
pouvant seule le fixer dans cette sorte de réalité, sans doute la seule absolument perdurable,
d’être comme absent… »
39. S. Freud, Essai de psychanalyse : le moi et le ça, Paris, Payot, p. 243, 244.
Essaim 16 13/04/06 8:47 Page 20
20 • Essaim n° 16
La fracture mexicaine
(11 janvier 1936 – 12 novembre 1936)
42. O.C., t. IV, Gallimard, 1978, p. 122 : « Le premier spectacle du théâtre de la cruauté s’intitulera :
la conquête du Mexique. »
43. C’était déjà une caractéristique fort bien perçue de son théâtre : un théâtre contre la représenta-
tion, un théâtre anti-métaphorique. Ici le processus s’accuse et déborde pourrait-on dire le
registre du théorisable en littérature.
44. O.C., t. IX, Paris, Gallimard, 1971, p. 44 et 50.
45. Gilles Deleuze, Logique du sens. Du schizophrène et de la petite fille, Éd. de Minuit, 1969, p. 106. Lais-
sons Gilles Deleuze voir en Artaud « un schizo », si tant est que ce soit le cas. Il n’est pas sûr
d’ailleurs « qu’Artaud le schizo » ait le statut, en tant que tel, d’un diagnostic. C’est plutôt une
sorte de sobriquet provocant et affectueux, un clin d’œil à « Artaud le Mômo ».
Essaim 16 13/04/06 8:47 Page 22
22 • Essaim n° 16
Mais le plus décisif, pour étayer l’hypothèse que c’est bien au cours de
« ce terrible et merveilleux voyage… » que s’amorce pour Artaud « le cré-
puscule de la réalité », réside dans les effets d’après-coup.
C’est le début du lâchage du nom et de ses avatars.
46. O.C., t. VII, Les nouvelles révélations de l’être, Paris, Gallimard, 1982, p. 121.
47. Jean-Claude Maleval, dans son ouvrage La forclusion du Nom du Père, fait l’hypothèse que le « Un-
père » aurait surgi pour Artaud à Bruxelles sous la forme « du père de la fiancée » : « Quant à
l’entrée d’Antonin Artaud dans la psychose déclarée, il faut constater qu’elle fut consécutive à
une rencontre unique en son existence, celle du père de sa fiancée », Paris, Le Seuil, 2000, p. 265.
Vu le rapport qu’entretient Artaud à la paternité en général et à son « père particulier », il est plus
que probable que cette rencontre avec le père de Cécile Schramme n’ait pas eu un caractère ano-
din. Mais les sources d’informations sur cette période étant peu sûres, voire contradictoires, la
biographie de T. Maeder étant considérée actuellement comme assez peu fiable, nous préférons
voir dans cette rencontre un point de ponctuation, au sens d’une accentuation d’un processus de
décompensation déjà en marche.
Essaim 16 13/04/06 8:47 Page 23
Il en sait désormais un bout sur « qui il est » mais il n’a pas encore de
nom à lui.
Il déduit (puisque…) son illégitimité du fait constaté qu’il n’a pas
encore de nom à lui. Le nom est à venir…
© Érès | Téléchargé le 23/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 73.45.98.22)
24 • Essaim n° 16
26 • Essaim n° 16
60. « Le nom de Dieu n’est que le nom propre maximum », Rhétorique spéculative, Folio, 1987, p. 110.
61. O.C., t. VII, op. cit., 14 septembre 1937, p. 220.
62. O.C., t. VII, op. cit., 13 septembre 1937, p. 216.
63. O.C., t. VII, op. cit., 5 septembre 1937, p. 206.
64. O.C., t. VII, op. cit., 5 septembre 1937, p. 209.
65. O.C., t. VII, op. cit., p. 220.
Essaim 16 13/04/06 8:47 Page 27
28 • Essaim n° 16
Le patronyme renié
J’ai demandé en vain depuis que je suis ici à voir le Consul de Grèce
qui a toute qualité pour se rendre compte mieux que tout autre si je
suis Grec comme je l’affirme ou Français comme le prétend malhon-
nêtement la Sûreté générale 75… »
75. Bulletin international Antonin Artaud, op. cit., n° 2, p. 65. Les capitales d’imprimerie, les souli-
gnages sont d’Artaud.
76. Peut-être y a-t-il là l’origine de la future reprise obsessive des éléments de son état civil.
Essaim 16 13/04/06 8:47 Page 30
30 • Essaim n° 16
Le nom de l’« autre », il ne peut pas l’écrire. Nulle part dans cette lettre
le « vrai nom » est mentionné : ce qui suggère à quel point le patronyme
s’est rechargé de persécution.
À l’exception notable de la première syllabe AR, Artaud se livre à une
opération de traduction du nom propre plutôt exceptionnelle : ce qui dis-
tingue le nom propre du nom commun est précisément qu’il « se conserve
dans sa structure d’une langue à l’autre 77 », qu’il ne se traduit pas 78.
Artaud traduit son patronyme en deux langues :
AR/TAU/D – > AR/LAN/D – > AR/LAN/APULOS
Le TAU/D est traduit en anglais par LAN/D la terre, puis – le D ayant
sauté – en grec par l’ajout de APULOS ;
AR/LAND est appelé, induit par EIRELAND, par l’Irlande.
Si l’on considère que c’est le TAU, la lettre grecque qui est, au premier
chef, traduite par LAND, peut-être est-ce alors une traduction par translitté-
ration ?
Je ne suis pas français, semble dire Artaud ; bien que la sûreté générale
veuille me faire passer pour tel, la meilleure preuve : « Je m’appelle
ARLAND… »
Pour se revendiquer comme « sujet grec » et se réclamer de la « terre
mère », il passe d’abord par l’étape irlandaise, par cette forme d’identifica-
tion à la terre d’Irlande qui laissera des traces (il se dira, par périodes, irlan-
dais). La « terre-mère », c’est d’abord la Turquie d’Asie où sa mère et sa
grand-mère Nénéka sont nées. Comme elles, Artaud dit être né à Smyrne.
La double opération de traduction n’est pas fondée sur l’homophonie
comme celle proposée par Jean-Pierre Brisset, intrépide explorateur de la
langue :
Jean-Pierre Brisset – > En pierre brisée (le calembour étant le guide
© Érès | Téléchargé le 23/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 73.45.98.22)
79. Paule Thévenin, Le ventre double, Paris, Gallimard, op. cit., p. 20.
80. André Roumieux, Artaud et l’asile, I, Séguier, op. cit., p. 58.
81. André Roumieux, Artaud et l’asile, I, Séguier, op. cit., p. 59.
82. Antonin Artaud, O.C., t. XXIV, oct.-novembre 1946, op. cit., p. 192.
Essaim 16 13/04/06 8:47 Page 32
32 • Essaim n° 16
Nalpas. Pour cette période asilaire précédant Rodez (29 septembre 1937 –
10 février 1943), les sources sont extrêmement fragmentaires : elles ne per-
mettent ni datation précise, ni hypothèses véritablement étayées.
Du passage d’Antonin Artaud à Sainte-Anne (avril 1938 – février
1939), peu de choses sont connues mais il est difficile de résister à l’envie
d’évoquer sa brève rencontre avec un jeune psychiatre nommé Jacques
Lacan qui aurait dit à son propos : « Il est fixé, il vivra jusqu’à 80 ans, il
n’écrira plus une ligne, il est fixé 83. »
Le pronostic de Lacan avait toutes les chances de s’avérer prophétique,
si Artaud n’avait rencontré G. Ferdière.
À son arrivée à Ville-Évrard (février 1939), Artaud semble se recon-
naître dans son patronyme et son état civil légalement répertorié (il est
d’ailleurs inscrit comme Antoine Artaud).
C’est ainsi qu’il remplit sa fiche de renseignements :
« – Quel est votre nom ? Artaud
– Quels sont vos prénoms ? Antonin M (il barre le M du début de Marie)
– Quel âge avez-vous ? 43 ans
…
– Quelle profession exercez-vous ? écrivain auteur dramatique
– Dans quel genre d’établissement pensez-vous être ? asile d’aliénés
etc., signé Antonin Artaud 84. »
Il lui arrive encore de se dire « orthodoxe grec » ou bien irlandais.
D’autres identifications surgissent, sans entraîner le reniement du nom. La
prophétie de Saint Patrick est posée comme équivalente à celle de Saint-
Artaud. La canne de Saint Patrick qui, en Irlande était « celle même de
Jésus-Christ » est également celle de Confucius…
La signature : Antonin Nalpas apparaît – semble-t-il – en décembre
© Érès | Téléchargé le 23/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 73.45.98.22)
83. Interview de Roger Blin, Libération, 14 juin 1977 (c’est à la demande de R. Blin que Lacan a ren-
contré Artaud).
84. Jacques Chazaud, À propos du passage d’Antonin Artaud à Ville-Évrard. L’évolution psychiatrique, 52,
4, 1987, p. 946-947.
85. Jacques Chazaud, ibid.
Essaim 16 13/04/06 8:47 Page 33
34 • Essaim n° 16
90. Antonin Artaud, Nouveaux écrits de Rodez, L’imaginaire, Gallimard, 1977, p. 29, lettre du 12 février
1943.
Essaim 16 13/04/06 8:47 Page 35
36 • Essaim n° 16
95. O.C., t. X,. Lettre du 5 avril 43 adressée au docteur La Tremolière, op. cit., p. 37.
96. O.C., t. X,. Lettre à J.L. Barrault, op. cit., p. 39.
Essaim 16 13/04/06 8:47 Page 37
97. Cité par Y. Moulier Boutang dans Louis Althusser. Une biographie, Grasset, 1992, p. 255.
Essaim 16 13/04/06 8:47 Page 38
38 • Essaim n° 16
Aux environs du 17 septembre 1943, une lettre en fait foi, Artaud aban-
donne Nalpas et se reconnaît dans son nom véritable. Que s’est-il passé ?
Bien difficile en l’état de nos connaissances d’isoler un élément qui serait
décisif.
Moins d’un mois auparavant, Artaud écrivait à Ferdière : « J’ai hâte
d’avoir en main le travail que vous deviez me confier, il ne me manque
qu’un travail régulier pour achever de normaliser ma vie 101. » Ce qui laisse
à penser qu’il sentait une forme d’amélioration se faire jour en lui… Il n’est
© Érès | Téléchargé le 23/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 73.45.98.22)
40 • Essaim n° 16
Autoproclamation, dérision,
anagramme du nom
où comment se refaire un nom (1945-1948)
« Je saurai éviter d’écrire et de parler à tout venant comme je le
faisais avant 1937, ce qui me permettra de dire des choses encore plus virulentes
et plus terribles mais sous un angle de vérité si sûr du fond de mon travail
de taraud au fond du sillon incarné de ma termitière, que même l’inconscient de
l’agent provocateur en sera neutralisé par la totale dévaluation de ses taux.
© Érès | Téléchargé le 23/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 73.45.98.22)
42 • Essaim n° 16
107. O.C., t. IX, L’évêque de Rodez, op. cit., p. 219-220. « J’étais au Golgotha il y a deux mille ans et je
m’appelais comme toujours Artaud, et détestait les prêtres et dieu, et c’est pourquoi j’y fus mis
en croix… Car sans tambour ni trompette, et loin des mythes de la résurrection, je me suis tout
simplement relevé, et je connais la sale petite lope, l’affreux petit envoûteur de Judée que toute
la chrétienté actuelle adore… sous la dénomination de Jésus-Christ. Quand il n’était qu’un certain
M. Nalpas. »
108. O.C., t. XII, Dossier d’Artaud le momo, Paris, Gallimard, 1984, p. 151.
Essaim 16 13/04/06 8:47 Page 43
sous un angle de vérité si sûr… » 1937 étant bien marquée comme l’année
terrible où le nom l’a lâché et qui s’est achevée par l’immersion dans la folie
caractérisée.
44 • Essaim n° 16
Le gouffre Arto
« [Les juifs] ont bien expliqué que c’était le Père, le Père qu’ils appellent,
un Père qu’ils foutent en un point du trou qu’on ne peut même pas imaginer :
“Je suis ce que je suis”, ça c’est un trou, non ?… Un trou…
ça tourbillonne, ça engloutit plutôt et puis, il y a des moments où ça recrache.
Ça recrache quoi ? le Nom. C’est le Père comme nom 115. »
46 • Essaim n° 16
119. D’une façon oblique, certes, mais quand même, la formule : « Du signifiant dans le réel » vient à
l’esprit.
120. O.C., t. XIV (Rodez Juin 1946), op. cit., p. 127.
121. Août 1947, cité par P. Thévenin, dans Ce désespéré qui vous parle, op. cit., p. 254.
Essaim 16 13/04/06 8:47 Page 47
122. Décembre 1947, cité par P. Thévenin, Ce désespéré qui vous parle, op. cit., p. 260.
123. Maurice Lever, Le sceptre et la marotte, Fayard, 1983, p. 22. « Dans les marges de l’Éloge de la folie,
Holbein dessine « une tête de Christ coiffé du capuchon à grelots. Singulière réminiscence en
vérité ! Car l’une des premières images de l’art chrétien représente un homme crucifié à tête
d’âne. Il s’agit d’un graffiti du IIIe siècle retrouvé à Pompéi. »
124. Lacan, Les formations de l’inconscient, Paris, Le Seuil, 1998, p. 471.
Essaim 16 13/04/06 8:47 Page 48
48 • Essaim n° 16
signifiant « qui s’appelle le père » qui est visé. Le blasphème peut être
conçu comme une tentative à renouveler sans cesse pour « tuer » le père
afin qu’advienne quelque chose d’une suppléance imaginaire à sa carence
symbolique.
« Lisez quelques passages des canonistes et vous ne serez pas loin de
penser que le blasphème est à lire comme un substitut du parricide 125. »
Le nom du Christ en tant que tel n’est pas épargné. Sous la plume
d’Artaud le nom du Dieu fait homme devient « Jiji-Cricri » ou « Jizo-Cri ».
La dérision se tempère un tantinet lorsqu’il s’en prend directement à son
propre nom. Elle semble alors moins acharnée.
Ainsi, lorsqu’il écrit : « Vous n’ignorez pas que je suis, moi, Antonin
Artaud, ce même Artaud qui, en 1917, a soulevé pendant deux jours la
population de Marseille pour faire cesser cet état de fait, à la suite de quoi
j’ai été appelé par tous les bourgeois et leurs journaux Saint Tarto, comme
on dirait tarte à la crème, tartine ou petit tantinet 126. »
Ces nominations sont posées comme venant de l’Autre. Saint Tarto est
la résultante d’une liaison « trop bien à propos », d’un cuir, issu de Saint-
Artaud qui fut, en son temps, le double de Saint Patrick.
Saint Tarto > Tarte > Tartine > Tantinet prend l’allure d’une déclinaison
plutôt gentille où « Tantinet » détonne, car quelque chose de l’homophonie
se rompt. « Petit Tantinet » est l’équivalent plus suave de « petite lope ».
Est-ce que Tarto > Tarte > Tartine > Tantinet, parfois « Toto » sans
oublier « momo » (comme doublure au nom propre) comme nominations
méritent bien la qualification de dérision ?
J’ai balancé entre dérision et humour, la stratégie de l’humour étant
revendiquée comme telle par Artaud 127. La dérision l’a emporté et pas seu-
© Érès | Téléchargé le 23/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 73.45.98.22)
50 • Essaim n° 16
130. S. Mallarmé, Le tombeau d’Edgar Poe, Poésie, Gallimard, NRF, 1966, p. 94.
131. Cité par Paule Thévenin, Ce désespéré qui vous parle, Le Seuil, op. cit., p. 255. Les majuscules sont
d’Artaud lui-même.
Essaim 16 13/04/06 8:47 Page 51
Le Tau
132. Jacques Lacan, séminaire D’un discours qui ne serait pas du semblant, inédit, leçon du 16 juin 1971.
133. O.C., t. XXIV, op. cit., p. 229.
134. O.C., t. XI, Paris, Gallimard, 1974, p. 126.
Essaim 16 13/04/06 8:47 Page 52
52 • Essaim n° 16