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Georges Bataille et Jean-Luc Nancy

Le « retracement » du politique. Communauté, communication,


commun
Fausto De Petra
Dans Lignes 2005/2 (n° 17), pages 157 à 171
Éditions Éditions Lignes
ISSN 0988-5226
ISBN 2849380369
DOI 10.3917/lignes.017.0157
© Éditions Lignes | Téléchargé le 04/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.8)

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pratique d’écriture. « L’œuvre poétique est sacrée en ce qu’elle est la création
d’un événement topique, “communication” ressentie comme la nudité. Elle
est viol de soi-même, dénudation, communication à d’autres de ce qui est
raison de vivre, or cette raison de vivre se “déplace” » (cité par Bataille en FAUSTO DE PETRA
V, 507-508). Écriture, communication, nudité, immanence, viol. Écrire,
c’est se déshabiller, « penser comme une fille enlève sa robe » (V, 200), aller
voir ce qu’il se passe à l’intérieur de soi-même, au plus profond, là où le Georges Bataille et Jean-Luc Nancy
cœur manque, et avoir le courage de livrer cette intimité au monde Le « retracement » du politique. Communauté, communication, commun
extérieur, pour qu’il s’y reconnaisse. Du coup, moins que s’envisager,
écrire, c’est se dé-visager : se « décapiter », c’est-à-dire se libérer de tout
ce qui nous fait oublier notre être essentiel. Ce qui fait que l’œuvre de
Bataille est et sera toujours actuelle se trouve là, dans sa révolte contre Bataille-Nancy, Nancy-Bataille : encore un aller-retour, tracés de
l’habitude et la faiblesse du consentement à l’insubstancialité finie, pensées répandues par intervalles de temps mais intimement conformes
autrement dit l’acquiescement de l’être à toutes les identifications qui le à une exigence commune. Nancy « avec » Bataille et Bataille « dans »
constituent. Car ce ne sont que des beaux pétales, des vaines corolles qui Nancy, deux expériences très différentes mais d’une infinie proximité de
recouvrent notre être profond (identification à nos pensées, émotions et pensée. Comment parler de ce rapport sans rapport qui les expose, malgré
au corps grossier), ou des cuirasses illusoires (succession temporelle, tout, à la nécessité d’une question sans fond, toujours relancée, rejouée
restriction spatiale, principe de discrimination, etc.). L’écriture pour Bataille de façon différente et en vecteurs qui se croisent sans cesse, se touchent
est par conséquent égale à l’effeuillage de la rose. Loin d’être un simple l’un l’autre, de l’un à l’autre. Comment essayer d’indiquer les lieux de la

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« dévisager » (Lévinas), l’entreprise littéraire et philosophique de Bataille pensée qui se nouent dans la trame partagée, dans le dédale de formes
est un déflorer. Il ne s’agit pas pour lui de faire fleurir des roses dans le que prend leur écriture ? S’interroger sur ce rapport signifie poser la
désert, comme le fait toute bonne littérature, mais au contraire de pénétrer question d’un partage qui rapproche et distingue deux itinéraires de sens.
toujours plus profondément dans son aridité, et de donner à tous les Qu’est-ce qui se touche entre Bataille et Nancy ? Qu’est-ce qui les touche
moyens d’y entrer : « Ce à quoi j’ai aspiré et que j’ai trouvé est la possibilité sinon le « contact de l’avec (du cum ou du co-) avec soi comme avec
de l’extase. J’appelle ce destin évident le DÉSERT, et je ne crains pas d’imposer l’autre, l’avec comme contact, la communauté comme co-tact » ? Deux 1

un mystère aussi aride. Or ce désert où j’ai accédé doit devenir accessible écritures, deux styles ne suffisent pas à décider ce qui arrive entre eux.
à chacun de ceux auxquels il manque » (V, 511). Écrire, c’est un moyen de Une limite « impartageable » les éloigne et les noue à travers l’exigence
révéler le lecteur à lui-même en ne parlant que de soi ; loin de construire de tracer et de re-tracer continuellement la « question sans réponse » du
son propre modèle de lecteur à travers un texte, il cherche le moyen de le sens, du politique, d’une existence toujours animée d’une urgence de
déconstruire. De l’obséder, de le violenter – le déflorer. Lorsqu’il nous fait partage, d’amitié offerte – en tant que communication – à l’« expérience
entrevoir au travers de ses textes la possible dissolution de toutes les du dehors », vouée à répondre à la question du commun. On pourrait se
structures qui nous font tels que nous sommes, Bataille ne nous effleure demander alors quelle est, aujourd’hui, la destination de sens d’un con-
pas, il nous déflore ; et nous violentant, il nous permet de renaître pour loquium, aussi possible qu’impossible, mais cependant pour nous
l’essentiel, enfin transparents à nous-mêmes, régénérés – vierges, enfin, nécessaire. Ou encore, quelle raison décide d’un retracement du
après la défloration.
1. J. Derrida, Le Toucher, Jean-Luc Nancy, Paris, Galilée, 2000, p. 133.

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politique qui s’impose quand tout semble désormais se dérober au
2 De la communauté abandonnée
domaine politique en tant que tel et toute configuration « commune » Le thème de la communauté s’impose à l’attention de Bataille de 1936
de la politique qui n’est pas représentée de la mesure du Capital globale à 1939, de l’échec de l’expérience politique de Contre-Attaque jusqu’au
semble s’évanouir. Qu’est-ce qui implique un re-tracement du politique Collège de sociologie et à Acéphale, véritable noyau incandescent dans
après tous les chemins que la politique a épuisés, abandonnés ou auxquels lequel naît l’idée de communauté. Vers la moitié de 1936, la désillusion pour
elle a renoncé à penser ? Retracer signifie ainsi répondre à une instance la politique pousse Bataille à une recherche passionnée du sacré qui, dans
qui remet en jeu la possibilité même d’une praxis qui se charge de la co- son ambiguïté, caractérise son attitude par rapport à la communauté. Une
existence. Retracer le politique renvoie en même temps à la nécessité de expérience athéologique qui renvoie au domaine de l’hétérogène, de la
se demander ce qui a représenté l’idée de communauté et comment un « part maudite », de la dépense . Le concept de dépense, considéré comme
4

tel concept s’est tragiquement révélé dans l’histoire de l’Occident, une consommation absolue sans réserve et sans retour, est la clef de voûte
annihilant dans son tourbillon des instances décisives qui, malgré tout, pour comprendre l’idée d’une communauté qui, pour Bataille, est toujours
le soutenaient au fond. Cela veut dire s’exposer aux mêmes apories de la marquée d’un « esprit apolitique » et inscrite dans une expérience du secret
5

communauté par laquelle Bataille fut fasciné, mais dont il prendra bientôt qui se dérobe au projet politique. La « communauté de la mort », pour
ses distances. Re-tracer le politique signifie ainsi repenser les traces Bataille, représentera l’extrême déclinaison du paradigme communautaire
possibles, les tracés de sens qui ont véhiculé l’exigence du commun dans qu’on retrouve surtout dans les écrits de la revue Acéphale et dans les
l’expérience de Bataille et d’où commence la réflexion sur le politique de documents de la société secrète Acéphale. Le mythe d’Acéphale est en effet
Nancy. Il s’agit de re-connaître les signes d’une communication qui sous- profondément lié à une logique autosacrificielle qui devient une véritable
tendait déjà chez Bataille l’instance du commun et qui revêt chez Nancy « obsession ». Le dispositif mythologique se révèle comme « foyer »
6

l’aspect d’un in-fini « partage des voix ». Il faut donc relancer une critique commun autour duquel la communauté se retrouve. Bataille qui l’associe
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du sujet et de l’individualisme global, qui puisse réactiver le mouvement souvent au sacrifice, considère la communauté, comme le lieu par
interne d’une pensée du commun, capable de rapprocher les instances de excellence de l’excès, force qui dans l’infinie perte d’énergie révèle un radical
la singularité à l’intérieur d’une expérience plurielle du monde. De cette antagonisme déployé entre puissance et dépense, mesure et excès, vie et
façon, on essaiera de prendre en considération trois images de pensée mort. L’issue tragique de Numance devient le paradigme de la communauté
telles que communauté, communication et commun pour renouer le fil vouée à la mort, qui est, pour Bataille, « l’objet fondamental de l’activité
rouge que, à partir de l’antihumanisme de Bataille, l’on retrouve dans commune des hommes ». Communauté comme œuvre de la mort, mort
7

l’ontologie politique de Nancy, auteur qui, en gardant sa propre comme œuvre de la communauté. L’autosacrifice, en effet, reste pour
originalité, ne renonce pas à « penser “avec” Bataille, de lire et d’inter-
préter activement, d’expliquer et d’exposer, d’accompagner un certain
Bataille ».
3
4. G. Bataille, « La Notion de dépense », La Critique sociale, n° 7, janvier 1933, p. 7-
15 ; repris dans Georges Bataille, Œuvres Complètes (abrégées Œ. C. à partir de
maintenant), Paris, Gallimard, 1970-1988, t. I, p. 302-320.
5. G. Bataille, « Constitution du “Journal intérieur” », dans L’Apprenti Sorcier. Du
Cercle communiste démocratique à Acéphale. Textes, lettres et documents (1932-1939)
2. P. Lacoue-Labarthe, J.-L. Nancy, « Ouverture » dans Rejouer le politique, Cahiers rassemblés, présentés et annotés par M. Galletti, Paris, Éditions de la Différence, 1999,
du Centre de recherches philosophiques sur le politique, publiés sous la responsabilité p. 340.
de P. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, Paris, Galilée, 1981, p. 18. 6. J.-L. Nancy, « L’insacrifiable », dans Une Pensée finie, Paris, Galilée, 1990, p. 219.
3. Jacques Derrida, op. cit., p. 135. 7. G. Bataille, Acéphale, Œ. C., t. I, p. 486.

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politique qui s’impose quand tout semble désormais se dérober au
2 De la communauté abandonnée
domaine politique en tant que tel et toute configuration « commune » Le thème de la communauté s’impose à l’attention de Bataille de 1936
de la politique qui n’est pas représentée de la mesure du Capital globale à 1939, de l’échec de l’expérience politique de Contre-Attaque jusqu’au
semble s’évanouir. Qu’est-ce qui implique un re-tracement du politique Collège de sociologie et à Acéphale, véritable noyau incandescent dans
après tous les chemins que la politique a épuisés, abandonnés ou auxquels lequel naît l’idée de communauté. Vers la moitié de 1936, la désillusion pour
elle a renoncé à penser ? Retracer signifie ainsi répondre à une instance la politique pousse Bataille à une recherche passionnée du sacré qui, dans
qui remet en jeu la possibilité même d’une praxis qui se charge de la co- son ambiguïté, caractérise son attitude par rapport à la communauté. Une
existence. Retracer le politique renvoie en même temps à la nécessité de expérience athéologique qui renvoie au domaine de l’hétérogène, de la
se demander ce qui a représenté l’idée de communauté et comment un « part maudite », de la dépense . Le concept de dépense, considéré comme
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tel concept s’est tragiquement révélé dans l’histoire de l’Occident, une consommation absolue sans réserve et sans retour, est la clef de voûte
annihilant dans son tourbillon des instances décisives qui, malgré tout, pour comprendre l’idée d’une communauté qui, pour Bataille, est toujours
le soutenaient au fond. Cela veut dire s’exposer aux mêmes apories de la marquée d’un « esprit apolitique » et inscrite dans une expérience du secret
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communauté par laquelle Bataille fut fasciné, mais dont il prendra bientôt qui se dérobe au projet politique. La « communauté de la mort », pour
ses distances. Re-tracer le politique signifie ainsi repenser les traces Bataille, représentera l’extrême déclinaison du paradigme communautaire
possibles, les tracés de sens qui ont véhiculé l’exigence du commun dans qu’on retrouve surtout dans les écrits de la revue Acéphale et dans les
l’expérience de Bataille et d’où commence la réflexion sur le politique de documents de la société secrète Acéphale. Le mythe d’Acéphale est en effet
Nancy. Il s’agit de re-connaître les signes d’une communication qui sous- profondément lié à une logique autosacrificielle qui devient une véritable
tendait déjà chez Bataille l’instance du commun et qui revêt chez Nancy « obsession ». Le dispositif mythologique se révèle comme « foyer »
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l’aspect d’un in-fini « partage des voix ». Il faut donc relancer une critique commun autour duquel la communauté se retrouve. Bataille qui l’associe

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du sujet et de l’individualisme global, qui puisse réactiver le mouvement souvent au sacrifice, considère la communauté, comme le lieu par
interne d’une pensée du commun, capable de rapprocher les instances de excellence de l’excès, force qui dans l’infinie perte d’énergie révèle un radical
la singularité à l’intérieur d’une expérience plurielle du monde. De cette antagonisme déployé entre puissance et dépense, mesure et excès, vie et
façon, on essaiera de prendre en considération trois images de pensée mort. L’issue tragique de Numance devient le paradigme de la communauté
telles que communauté, communication et commun pour renouer le fil vouée à la mort, qui est, pour Bataille, « l’objet fondamental de l’activité
rouge que, à partir de l’antihumanisme de Bataille, l’on retrouve dans commune des hommes ». Communauté comme œuvre de la mort, mort
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l’ontologie politique de Nancy, auteur qui, en gardant sa propre comme œuvre de la communauté. L’autosacrifice, en effet, reste pour
originalité, ne renonce pas à « penser “avec” Bataille, de lire et d’inter-
préter activement, d’expliquer et d’exposer, d’accompagner un certain
Bataille ».
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4. G. Bataille, « La Notion de dépense », La Critique sociale, n° 7, janvier 1933, p. 7-
15 ; repris dans Georges Bataille, Œuvres Complètes (abrégées Œ. C. à partir de
maintenant), Paris, Gallimard, 1970-1988, t. I, p. 302-320.
5. G. Bataille, « Constitution du “Journal intérieur” », dans L’Apprenti Sorcier. Du
Cercle communiste démocratique à Acéphale. Textes, lettres et documents (1932-1939)
2. P. Lacoue-Labarthe, J.-L. Nancy, « Ouverture » dans Rejouer le politique, Cahiers rassemblés, présentés et annotés par M. Galletti, Paris, Éditions de la Différence, 1999,
du Centre de recherches philosophiques sur le politique, publiés sous la responsabilité p. 340.
de P. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, Paris, Galilée, 1981, p. 18. 6. J.-L. Nancy, « L’insacrifiable », dans Une Pensée finie, Paris, Galilée, 1990, p. 219.
3. Jacques Derrida, op. cit., p. 135. 7. G. Bataille, Acéphale, Œ. C., t. I, p. 486.

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Bataille inséparable du partage de la mort. Une passion qui a l’aspect d’une communautaire comme sujet » ? Bataille lui-même sera critique par
14

ivresse extatique devant l’abîme de la mort, l’ivresse sacrificielle de rapport à tout retour de l’homme à l’immanence, à l’animalité.
Dionysos partagée par Nietzsche, auteur duquel Bataille s’approche à L’immanence signifiait en effet la négation du lien social et la fin de toute
travers Chestov . Pour Bataille, toutefois, « il ne s’agit nullement de
8
communauté humaine hypothétique. Le retour à l’immanence absolue
mourir mais d’être porté “à hauteur de mort” ». La mort en commun se
9
selon Nancy destine l’homme à « la vérité de la mort ». La communauté
15

manifeste et comme acte fondateur et comme exitum dissolvant du lien est entièrement remise à soi-même, au partage de l’absence. Comment cette
communautaire. Le rapport sacrifice-communauté traverse aussi la absence commune peut-elle devenir une vraie communauté ? Bataille,
société secrète d’Acéphale vouée à la création de nouvelles valeurs conscient de ces apories, et faisant l’expérience de l’impossibilité de pouvoir
sacrées, « valeurs de cohésion » qui peuvent assurer l’accès à l’« unité
10
partager la « mort en commun », a préféré nous renvoyer à l’impossibilité
communielle ». Paradoxalement, la cohésion de la communauté est définie même de la communauté. Ce qui devait être une communauté du sacrifice
par les mêmes valeurs qu’elle voudrait fonder. Contrairement à la s’est révélé à la fin comme le véritable sacrifice de la communauté. Nancy
communauté de Tönnies, de la communauté-nation de matrice fichtéenne remarque que Bataille a mis radicalement en question la logique du sacrifice
ou de la communauté de peuple nazie, l’idée qui fascine Bataille est celle jusqu’à le démasquer finalement comme une « comédie ». Si un réel 16

d’une société secrète existentielle , au-delà de l’utile, « désœuvrée », selon


11
sacrifice a eu lieu ce fut celui d’Acéphale, comme projet communautaire
la définition de Nancy. Sacré dispendieux, « extase collective » et « mort « en tant que communauté “durable” ». Nous savons, aujourd’hui, que
17

paroxystique » sont en effet des éléments essentiels de la communauté. la logique sacrificielle d’Acéphale n’atteignit pas à l’accomplissement . La 18

« Le sacré est justement la continuité de l’être, révélé à ceux qui fixent leur communauté ne fut pas une véritable « œuvre de mort », mais elle fut une
attention, dans un rite solennel, sur la mort d’un être discontinu . » Bataille
12
absence d’œuvre, le noyau décisif de la critique de l’œuvre qui, pendant
était hanté en effet par l’idée qu’un sacrifice humain devait consacrer la l’après-guerre, soutiendra la critique du communisme soviétique.
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communauté d’Acéphale. Un sacrifice qui se présente comme l’abîme L’« absence de communauté » signe un tournant décisif dans la réflexion
19

autour duquel tourne tout son « répertoire figuratif ». La « mort en


13
sur la communauté de Bataille qui proposera l’idée d’une communauté
commun », par contre, ne donne accès à aucune recharge de sens ni aux négative ou « de ceux qui n’ont pas de communauté ». « Que signifie en
20

hypostases collectives, elle ne renvoie qu’à l’immanence pure à laquelle effet un groupe, sinon une opposition de quelques hommes à l’ensemble des
est vouée la communauté qui, si elle est exposée à une authentique fusion, autres hommes ? » Bataille met en question l’aspect exclusif et
21

disparaîtrait à l’instant. La communauté donc d’une impossible


immanence absolue. À quoi nous expose une communauté qui « assume
l’impossibilité de sa propre immanence, l’impossibilité d’un être
14. M. Blanchot, La Communauté inavouable, Paris, Minuit, 1983, p. 24.
15. J.-L. Nancy, La Communauté désœuvrée, Christian Bourgois Éditeur, Paris, 1986-
1990, p. 35-36.
8. M. Surya, Georges Bataille, la mort à l’œuvre, Paris Gallimard, 1992, p. 80. 16. G. Bataille, « Hegel, la mort et le sacrifice », Œ. C., t. XII, p. 336.
9. G. Bataille, Le sacrifice, Œ. C., t. II, p. 243. 17. V. Kaufmann, « Communautés sans traces », dans Georges Bataille après tout, sous
10. G. Bataille, « Programme », Ibid, p. 273. la dir. de D. Hollier, Paris, Belin, 1995, p. 73.
11. G. Bataille, « 19 mars 1938 », Ibid, p. 360. 18. P. Waldberg, « Acéphalogramme », Magazine littéraire, n° 331, avril 1995, p. 159 ;
12. G. Bataille, L’Érotisme, Œ. C., t. X, p. 84. maintenant dans Georges Bataille, L’Apprenti Sorcier, op. cit., p. 597.
13. R. Esposito, « La comunità della perdita : l’impolitico di Georges Bataille », dans 19. G. Bataille, La Religion surréaliste, Œ. C., t. VII, p. 394.
Georges Bataille, La congiura sacra, a cura di Marina Galletti, Torino, Bollati 20. G. Bataille, Méthode de méditation, Œ. C., t. V, p. 483.
Boringhieri, 1997, p. XXXII. 21. G. Bataille, La Religion surréaliste, op. cit., p. 394.

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Bataille inséparable du partage de la mort. Une passion qui a l’aspect d’une communautaire comme sujet » ? Bataille lui-même sera critique par
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ivresse extatique devant l’abîme de la mort, l’ivresse sacrificielle de rapport à tout retour de l’homme à l’immanence, à l’animalité.
Dionysos partagée par Nietzsche, auteur duquel Bataille s’approche à L’immanence signifiait en effet la négation du lien social et la fin de toute
travers Chestov . Pour Bataille, toutefois, « il ne s’agit nullement de
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communauté humaine hypothétique. Le retour à l’immanence absolue
mourir mais d’être porté “à hauteur de mort” ». La mort en commun se
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selon Nancy destine l’homme à « la vérité de la mort ». La communauté
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manifeste et comme acte fondateur et comme exitum dissolvant du lien est entièrement remise à soi-même, au partage de l’absence. Comment cette
communautaire. Le rapport sacrifice-communauté traverse aussi la absence commune peut-elle devenir une vraie communauté ? Bataille,
société secrète d’Acéphale vouée à la création de nouvelles valeurs conscient de ces apories, et faisant l’expérience de l’impossibilité de pouvoir
sacrées, « valeurs de cohésion » qui peuvent assurer l’accès à l’« unité
10
partager la « mort en commun », a préféré nous renvoyer à l’impossibilité
communielle ». Paradoxalement, la cohésion de la communauté est définie même de la communauté. Ce qui devait être une communauté du sacrifice
par les mêmes valeurs qu’elle voudrait fonder. Contrairement à la s’est révélé à la fin comme le véritable sacrifice de la communauté. Nancy
communauté de Tönnies, de la communauté-nation de matrice fichtéenne remarque que Bataille a mis radicalement en question la logique du sacrifice
ou de la communauté de peuple nazie, l’idée qui fascine Bataille est celle jusqu’à le démasquer finalement comme une « comédie ». Si un réel 16

d’une société secrète existentielle , au-delà de l’utile, « désœuvrée », selon


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sacrifice a eu lieu ce fut celui d’Acéphale, comme projet communautaire
la définition de Nancy. Sacré dispendieux, « extase collective » et « mort « en tant que communauté “durable” ». Nous savons, aujourd’hui, que
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paroxystique » sont en effet des éléments essentiels de la communauté. la logique sacrificielle d’Acéphale n’atteignit pas à l’accomplissement . La 18

« Le sacré est justement la continuité de l’être, révélé à ceux qui fixent leur communauté ne fut pas une véritable « œuvre de mort », mais elle fut une
attention, dans un rite solennel, sur la mort d’un être discontinu . » Bataille
12
absence d’œuvre, le noyau décisif de la critique de l’œuvre qui, pendant
était hanté en effet par l’idée qu’un sacrifice humain devait consacrer la l’après-guerre, soutiendra la critique du communisme soviétique.

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communauté d’Acéphale. Un sacrifice qui se présente comme l’abîme L’« absence de communauté » signe un tournant décisif dans la réflexion
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autour duquel tourne tout son « répertoire figuratif ». La « mort en


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sur la communauté de Bataille qui proposera l’idée d’une communauté
commun », par contre, ne donne accès à aucune recharge de sens ni aux négative ou « de ceux qui n’ont pas de communauté ». « Que signifie en
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hypostases collectives, elle ne renvoie qu’à l’immanence pure à laquelle effet un groupe, sinon une opposition de quelques hommes à l’ensemble des
est vouée la communauté qui, si elle est exposée à une authentique fusion, autres hommes ? » Bataille met en question l’aspect exclusif et
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disparaîtrait à l’instant. La communauté donc d’une impossible


immanence absolue. À quoi nous expose une communauté qui « assume
l’impossibilité de sa propre immanence, l’impossibilité d’un être
14. M. Blanchot, La Communauté inavouable, Paris, Minuit, 1983, p. 24.
15. J.-L. Nancy, La Communauté désœuvrée, Christian Bourgois Éditeur, Paris, 1986-
1990, p. 35-36.
8. M. Surya, Georges Bataille, la mort à l’œuvre, Paris Gallimard, 1992, p. 80. 16. G. Bataille, « Hegel, la mort et le sacrifice », Œ. C., t. XII, p. 336.
9. G. Bataille, Le sacrifice, Œ. C., t. II, p. 243. 17. V. Kaufmann, « Communautés sans traces », dans Georges Bataille après tout, sous
10. G. Bataille, « Programme », Ibid, p. 273. la dir. de D. Hollier, Paris, Belin, 1995, p. 73.
11. G. Bataille, « 19 mars 1938 », Ibid, p. 360. 18. P. Waldberg, « Acéphalogramme », Magazine littéraire, n° 331, avril 1995, p. 159 ;
12. G. Bataille, L’Érotisme, Œ. C., t. X, p. 84. maintenant dans Georges Bataille, L’Apprenti Sorcier, op. cit., p. 597.
13. R. Esposito, « La comunità della perdita : l’impolitico di Georges Bataille », dans 19. G. Bataille, La Religion surréaliste, Œ. C., t. VII, p. 394.
Georges Bataille, La congiura sacra, a cura di Marina Galletti, Torino, Bollati 20. G. Bataille, Méthode de méditation, Œ. C., t. V, p. 483.
Boringhieri, 1997, p. XXXII. 21. G. Bataille, La Religion surréaliste, op. cit., p. 394.

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immunisant de tout paradigme communautaire. Bâtir une communauté
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idéaliste, et donc apolitique ou infra politique ». Le paradigme
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signifie toujours reconnaître la présence d’un « hors-lieu », d’un « extra- communautaire, contre le « politique », n’admet aucun partage effectif de
communautaire », d’un autre à nier. L’identité et la négation sont les traits la différence en-commun. Quand se réalise la « communauté politique »,
propres de la communauté, en tant qu’unité organique toujours potentiel- le politique est déjà hors-jeu et c’est pour cette raison qu’aucune politique
lement totalitaire. La seule condition commune se révèle l’« absence de ne peut « produire ce nom ». Dans la communauté, on est toujours à
25

communauté ». Le lien social, semble nous intimer Bataille, ne peut se l’intérieur d’une autoreprésentation identitaire qui ne peut jamais renoncer
fonder que sur le refus catégorique de tout paradigme communautaire. au principe de l’Un. La « communauté/Un » nie la pluralité au nom d’un
Cette conscience va le pousser, pendant l’après-guerre, vers l’abandon inévitable fondement absolu ; elle renonce à l’horreur de l’ab-grund, de
définitif de la communauté. l’anomie, de la perte de l’identité, de l’autre. Dans cette perspective, se place
Nancy, à cet égard, a eu l’incontestable mérite de rouvrir le débat ce que Nancy propose comme une « déconstruction du christianisme ». La
philosophique des vingt dernières années sur le thème de la communauté critique de Nancy au concept de communauté se fonde sur la « critique
en nous donnant la possibilité de repenser l’être-en-commun, au niveau de l’œuvre ». Exposer la communauté au désœuvrement, signifie
ontologique-politique, débat que la philosophie, après Heidegger et démanteler le paradigme qui a tendance à la représenter comme sa propre
Bataille, avait renoncé à penser. Nancy reprend et prolonge, de façon œuvre . Il faut décliner l’« être-en-commun » en tant que partage de
26

décisive, la critique de la communauté en partant du lien communauté- l’existence. Le « partage », en plus de l’avec, emporte toujours une division,
communisme. L’exigence du commun représente le trait qui noue et croise une propriété disjonctive de la relation qui noue et coupe à la fois
les destins de la pensée du communisme et de la communauté. Ces derniers l’ensemble des éléments qui entrent en contact : « individu », « peuple »,
se sont éloignés du commun, dans leur développement historique, l’un « communauté », « pensée ». « Au nom de la communauté, écrit Nancy,
dans les échecs du communisme réel, l’autre dans la catastrophe de l’humanité – mais tout d’abord en Europe – a fait la preuve d’une capacité
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la communauté nazie. Ces désastres font du « communisme » et de la insoupçonnée à se détruire . » C’est pour cette raison que, pour nous, la
27

« communauté » deux termes probablement irrécupérables, inutilisables. communauté n’est plus en question. Le désastre de la communauté est dans
La communauté, selon Nancy, est toujours considérée comme « être le « philosophème » qui exige d’exposer « le sens lui-même comme une
commun », exposée par là aux possibles variantes de l’organicisme. Comme vérité ». Nancy a préféré en effet remplacer le mot « communauté » par
28

« sujet commun » qui subsume à son intérieur tous les individus de la « être-en-commun » ou « être-avec ». L’être-en-commun est ce qui nous
communauté. Pour Nancy, la communauté « a représenté le corps social arrive, une « comparution » qui se donne comme un être-ensemble d’exis-
ou collectif dans sa figure la plus intériorisée, la plus immanente, et donc la tences finies. La finitude ne signifie pas achèvement, mais temporalité de
plus totalitaire ». La communauté, autrement dit, homogénéisant ce qui
23
l’être, d’un avoir lieu dans le temps qui décide de l’impossibilité de toute
reste à l’intérieur, tombe dans le remous de l’immanence commune. Elle transcendance de l’existence. Notre horizon reste, pour Nancy, toujours
est toujours connotée à une forme « obstinément chrétienne, idyllique,

24. Ibid., p. 9.
25. A. Badiou, « L’outrepassement politique du philosophème de la communauté », dans
22. Cf. R. Esposito, Communitas, Paris, PUF, 2000 ; Id., Immunitas. Protezione e Politique et Modernité, éditeurs G. Leyenberger, J.-J. Forté, Ciph, Niort, Éditions
negazione della vita, Torino, Einaudi, 2002 ; Id., Bíos. Biopolitica e filosofia, Torino, Osiris, 1992, p. 59.
Einaudi, 2004. 26. J.-L. Nancy, La Communauté affrontée, Paris, Galilée, 2001, p.35
23. J.-L. Nancy, « Prefazione all’edizione italiana », dans La Comunità inoperosa, 27. J.-L. Nancy, La Pensée dérobée, op. cit., p. 115
Napoli, Cronopio, 1992, p. 8. 28. A. Badiou, op. cit., p. 64.

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immunisant de tout paradigme communautaire. Bâtir une communauté
22
idéaliste, et donc apolitique ou infra politique ». Le paradigme
24

signifie toujours reconnaître la présence d’un « hors-lieu », d’un « extra- communautaire, contre le « politique », n’admet aucun partage effectif de
communautaire », d’un autre à nier. L’identité et la négation sont les traits la différence en-commun. Quand se réalise la « communauté politique »,
propres de la communauté, en tant qu’unité organique toujours potentiel- le politique est déjà hors-jeu et c’est pour cette raison qu’aucune politique
lement totalitaire. La seule condition commune se révèle l’« absence de ne peut « produire ce nom ». Dans la communauté, on est toujours à
25

communauté ». Le lien social, semble nous intimer Bataille, ne peut se l’intérieur d’une autoreprésentation identitaire qui ne peut jamais renoncer
fonder que sur le refus catégorique de tout paradigme communautaire. au principe de l’Un. La « communauté/Un » nie la pluralité au nom d’un
Cette conscience va le pousser, pendant l’après-guerre, vers l’abandon inévitable fondement absolu ; elle renonce à l’horreur de l’ab-grund, de
définitif de la communauté. l’anomie, de la perte de l’identité, de l’autre. Dans cette perspective, se place
Nancy, à cet égard, a eu l’incontestable mérite de rouvrir le débat ce que Nancy propose comme une « déconstruction du christianisme ». La
philosophique des vingt dernières années sur le thème de la communauté critique de Nancy au concept de communauté se fonde sur la « critique
en nous donnant la possibilité de repenser l’être-en-commun, au niveau de l’œuvre ». Exposer la communauté au désœuvrement, signifie
ontologique-politique, débat que la philosophie, après Heidegger et démanteler le paradigme qui a tendance à la représenter comme sa propre
Bataille, avait renoncé à penser. Nancy reprend et prolonge, de façon œuvre . Il faut décliner l’« être-en-commun » en tant que partage de
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décisive, la critique de la communauté en partant du lien communauté- l’existence. Le « partage », en plus de l’avec, emporte toujours une division,
communisme. L’exigence du commun représente le trait qui noue et croise une propriété disjonctive de la relation qui noue et coupe à la fois
les destins de la pensée du communisme et de la communauté. Ces derniers l’ensemble des éléments qui entrent en contact : « individu », « peuple »,
se sont éloignés du commun, dans leur développement historique, l’un « communauté », « pensée ». « Au nom de la communauté, écrit Nancy,
dans les échecs du communisme réel, l’autre dans la catastrophe de l’humanité – mais tout d’abord en Europe – a fait la preuve d’une capacité

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la communauté nazie. Ces désastres font du « communisme » et de la insoupçonnée à se détruire . » C’est pour cette raison que, pour nous, la
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« communauté » deux termes probablement irrécupérables, inutilisables. communauté n’est plus en question. Le désastre de la communauté est dans
La communauté, selon Nancy, est toujours considérée comme « être le « philosophème » qui exige d’exposer « le sens lui-même comme une
commun », exposée par là aux possibles variantes de l’organicisme. Comme vérité ». Nancy a préféré en effet remplacer le mot « communauté » par
28

« sujet commun » qui subsume à son intérieur tous les individus de la « être-en-commun » ou « être-avec ». L’être-en-commun est ce qui nous
communauté. Pour Nancy, la communauté « a représenté le corps social arrive, une « comparution » qui se donne comme un être-ensemble d’exis-
ou collectif dans sa figure la plus intériorisée, la plus immanente, et donc la tences finies. La finitude ne signifie pas achèvement, mais temporalité de
plus totalitaire ». La communauté, autrement dit, homogénéisant ce qui
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l’être, d’un avoir lieu dans le temps qui décide de l’impossibilité de toute
reste à l’intérieur, tombe dans le remous de l’immanence commune. Elle transcendance de l’existence. Notre horizon reste, pour Nancy, toujours
est toujours connotée à une forme « obstinément chrétienne, idyllique,

24. Ibid., p. 9.
25. A. Badiou, « L’outrepassement politique du philosophème de la communauté », dans
22. Cf. R. Esposito, Communitas, Paris, PUF, 2000 ; Id., Immunitas. Protezione e Politique et Modernité, éditeurs G. Leyenberger, J.-J. Forté, Ciph, Niort, Éditions
negazione della vita, Torino, Einaudi, 2002 ; Id., Bíos. Biopolitica e filosofia, Torino, Osiris, 1992, p. 59.
Einaudi, 2004. 26. J.-L. Nancy, La Communauté affrontée, Paris, Galilée, 2001, p.35
23. J.-L. Nancy, « Prefazione all’edizione italiana », dans La Comunità inoperosa, 27. J.-L. Nancy, La Pensée dérobée, op. cit., p. 115
Napoli, Cronopio, 1992, p. 8. 28. A. Badiou, op. cit., p. 64.

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infiniment fini et c’est en cette marge, dans cette ouverture de sens, qu’il faisant de l’existence une relation, lui donne l’aspect d’un labyrinthe, un
nous faut nous charger de notre existence en commun. réseau noué d’existences exposées au rapport avec l’autre. Les mots et
l’ensemble pluriel des relations linguistiques, font de l’homme un « être
La communication in-finie en rapport », où la relation permet l’individuation même du singulier. La
« Tout ce que j’ai vécu, dit, écrit relation se définit donc comme condition pré-ontologique de l’expérience
– que j’aimais – je l’imaginais communiqué . » 29
en nous exposant à la nudité. Le sujet, en tant que langage, ne fait sens que
dans l’ouverture de la communication. La « subjectivité » en effet existe
Dans les années qui suivent l’expérience communielle, la critique du seulement si elle est communiquée ; Bataille affirme que « la souveraineté
solipsisme de Bataille prend les traits d’une phénoménologie de l’expé- est toujours communication, et que la communication, au sens fort, est
rience extatique, une « expérience du dehors » qui trouve dans la communi- toujours souveraine ». L’essentiel est le flux d’énergie qui transite dans le
33

cation une radicale mise en question de la subjectivité même. La théorie de passage partagé d’expériences co-exposées au monde. « La vérité, écrit
la communication traverse en effet les thèmes les plus importants de la Bataille, n’a lieu qu’en passant de l’un à l’autre ». Le singulier, en effet,
34

production théorique de Bataille : de la communauté à la souveraineté, du en tant que ego isolé, n’a pas le pouvoir d’accéder à l’essentiel, au sens.
jeu à la chance, de la dépense au sacré. Communiquer signifie pour Bataille L’« en rapport », comme l’« infra » de Hannah Arendt, définit l’espace de
mener le sujet à une expérience de la limite, l’exposer au-dehors de lui- l’« entre nous », du commun mais aussi de l’impropre, de l’écart qui
même, à un flux qui sépare et lie les discontinuités individuelles. Si le sujet distribue les sujets et qui les noue dans la forme de la relation. Bataille
cartésien ou kantien était caractérisé par la fermeture, ce qui marque le propose ainsi une « mise en jeu » du commun, en tant que communication
« glissement » effectué par Bataille est l’exposition de la subjectivité à la et en tant qu’amitié. Il n’y aurait pas de communication si les singularités
déchirure, à la « blessure » qui, au fond, le constitue. Le sujet n’est jamais « en question » étaient fermées ; l’inachèvement rend possible les passages
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donné en tant qu’être isolé, mais en tant qu’être exposé à la blessure de la de l’une à l’autre. La communication reste donc pour Bataille toujours
communication. Celle-ci, en déchirant la solidité supposée du sujet, ouverte, parce qu’elle est exposée à la chance, qui comme « effet d’une mise
l’expose à l’« inachèvement », « condition » même de la communication . 30
en jeu », nous oblige à une « réussite inachevée ». La chance est la sœur
35

Communiquer signifie s’exposer ensemble au risque de l’autre sans de l’inachèvement, de l’aléa, du kairos ; elle expose, en tant qu’ouverture
« remplir » la « faille » constitutive des êtres qui les oblige à un échange
31
du possible, le sujet à la pluralité des événements et à la « multitude des
infini, au désir excessif de l’autre. L’expérience humaine, en effet, pour êtres aléatoires ». Dépense et communication se jouent dans le même
Bataille, ne peut pas avoir lieu si elle n’est pas communiquée. C’est un mouvement de l’être, où l’« être isolé » ne peut se dérober à l’excès ; il « doit
passage, un entretien infini de différentes discontinuités. La nécessité de communiquer » et, en même temps, il doit renoncer à la prétention d’être
partager s’impose pour les êtres en tant qu’ouverture, une ek-stasis qui se reconnu de l’autre en tant que sujet. Pour Bataille la communication,
joue, dans la dimension de l’entre qui nous fait être ensemble. C’est le contrairement à Hegel, ne prévoit aucune reconnaissance. Le « moi » se
langage, en tant que structure de la subjectivité, qui rend possible à révèle simplement comme « rapport à quelque autre chose ». L’événement
36

l’homme la représentation de l’existence à soi-même . Le langage, en


32
du sujet a lieu dans le rapport, dans le « contact » où les singularités

29. G. Bataille, Sur Nietzsche, Œ. C., t. VI, p. 31. 33. G. Bataille, La Littérature et le mal, Œ. C., t. IX, p. 312.
30. G. Bataille, Le Coupable, Œ. C., t. V, (note) p. 513. 34. G. Bataille, L’Amitié, Œ. C., t. VI, p. 303.
31. Ibid., p. 266. 35. G. Bataille, Le Coupable, op. cit., p. 317.
32. G. Bataille, L’Expérience intérieure, Œ. C., t. V, p. 99. 36. Ibid., p. 362.

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infiniment fini et c’est en cette marge, dans cette ouverture de sens, qu’il faisant de l’existence une relation, lui donne l’aspect d’un labyrinthe, un
nous faut nous charger de notre existence en commun. réseau noué d’existences exposées au rapport avec l’autre. Les mots et
l’ensemble pluriel des relations linguistiques, font de l’homme un « être
La communication in-finie en rapport », où la relation permet l’individuation même du singulier. La
« Tout ce que j’ai vécu, dit, écrit relation se définit donc comme condition pré-ontologique de l’expérience
– que j’aimais – je l’imaginais communiqué . » 29
en nous exposant à la nudité. Le sujet, en tant que langage, ne fait sens que
dans l’ouverture de la communication. La « subjectivité » en effet existe
Dans les années qui suivent l’expérience communielle, la critique du seulement si elle est communiquée ; Bataille affirme que « la souveraineté
solipsisme de Bataille prend les traits d’une phénoménologie de l’expé- est toujours communication, et que la communication, au sens fort, est
rience extatique, une « expérience du dehors » qui trouve dans la communi- toujours souveraine ». L’essentiel est le flux d’énergie qui transite dans le
33

cation une radicale mise en question de la subjectivité même. La théorie de passage partagé d’expériences co-exposées au monde. « La vérité, écrit
la communication traverse en effet les thèmes les plus importants de la Bataille, n’a lieu qu’en passant de l’un à l’autre ». Le singulier, en effet,
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production théorique de Bataille : de la communauté à la souveraineté, du en tant que ego isolé, n’a pas le pouvoir d’accéder à l’essentiel, au sens.
jeu à la chance, de la dépense au sacré. Communiquer signifie pour Bataille L’« en rapport », comme l’« infra » de Hannah Arendt, définit l’espace de
mener le sujet à une expérience de la limite, l’exposer au-dehors de lui- l’« entre nous », du commun mais aussi de l’impropre, de l’écart qui
même, à un flux qui sépare et lie les discontinuités individuelles. Si le sujet distribue les sujets et qui les noue dans la forme de la relation. Bataille
cartésien ou kantien était caractérisé par la fermeture, ce qui marque le propose ainsi une « mise en jeu » du commun, en tant que communication
« glissement » effectué par Bataille est l’exposition de la subjectivité à la et en tant qu’amitié. Il n’y aurait pas de communication si les singularités
déchirure, à la « blessure » qui, au fond, le constitue. Le sujet n’est jamais « en question » étaient fermées ; l’inachèvement rend possible les passages

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donné en tant qu’être isolé, mais en tant qu’être exposé à la blessure de la de l’une à l’autre. La communication reste donc pour Bataille toujours
communication. Celle-ci, en déchirant la solidité supposée du sujet, ouverte, parce qu’elle est exposée à la chance, qui comme « effet d’une mise
l’expose à l’« inachèvement », « condition » même de la communication . 30
en jeu », nous oblige à une « réussite inachevée ». La chance est la sœur
35

Communiquer signifie s’exposer ensemble au risque de l’autre sans de l’inachèvement, de l’aléa, du kairos ; elle expose, en tant qu’ouverture
« remplir » la « faille » constitutive des êtres qui les oblige à un échange
31
du possible, le sujet à la pluralité des événements et à la « multitude des
infini, au désir excessif de l’autre. L’expérience humaine, en effet, pour êtres aléatoires ». Dépense et communication se jouent dans le même
Bataille, ne peut pas avoir lieu si elle n’est pas communiquée. C’est un mouvement de l’être, où l’« être isolé » ne peut se dérober à l’excès ; il « doit
passage, un entretien infini de différentes discontinuités. La nécessité de communiquer » et, en même temps, il doit renoncer à la prétention d’être
partager s’impose pour les êtres en tant qu’ouverture, une ek-stasis qui se reconnu de l’autre en tant que sujet. Pour Bataille la communication,
joue, dans la dimension de l’entre qui nous fait être ensemble. C’est le contrairement à Hegel, ne prévoit aucune reconnaissance. Le « moi » se
langage, en tant que structure de la subjectivité, qui rend possible à révèle simplement comme « rapport à quelque autre chose ». L’événement
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l’homme la représentation de l’existence à soi-même . Le langage, en


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du sujet a lieu dans le rapport, dans le « contact » où les singularités

29. G. Bataille, Sur Nietzsche, Œ. C., t. VI, p. 31. 33. G. Bataille, La Littérature et le mal, Œ. C., t. IX, p. 312.
30. G. Bataille, Le Coupable, Œ. C., t. V, (note) p. 513. 34. G. Bataille, L’Amitié, Œ. C., t. VI, p. 303.
31. Ibid., p. 266. 35. G. Bataille, Le Coupable, op. cit., p. 317.
32. G. Bataille, L’Expérience intérieure, Œ. C., t. V, p. 99. 36. Ibid., p. 362.

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réciproques sont mises en jeu. La communication se révèle de cette façon co-essentiel par rapport au Dasein. En d’autres termes, il faut repenser
comme état métastable qui ne parvient jamais à l’accomplissement. Selon l’existence en tant qu’être-en-commun. L’être social ne peut pas être
Bataille, elle dépasse toujours la pure objectivité, la déborde, dans l’excès reconduit simplement aux termes de « société » ou « socialité ». Il ne s’agit
qui la dépasse au-delà d’elle-même. « La communication est en nous, car ni d’une dimension surajoutée à un donné individuel présupposé ou
l’homme existe dans la mesure où les hommes communiquent entre eux . » 37
originaire ni, comme voudrait Husserl, d’une préexistence du sujet par
L’homme est exposé à ce nouage, au tissu infini des communications, qui rapport à l’accident de l’intersubjectivité. Si le sens passe toujours de l’un
se propagent de l’un à l’autre, dans un écart différentiel qui laisse toujours à l’autre, comment peut-on envisager le Dasein isolément ? Pour Nancy,
ouverte la possibilité du conflit, de la déchirure, de la coupure qui remet l’être est exposé toujours comme « avec », il est – « identiquement » – être-
les singularités réciproquement à la confrontation et à l’affrontement des avec. « L’être est singulier et pluriel, à la fois, indistinctement et distinc-
existences. La communication se dérobe de cette façon à toute tement. Il est singulièrement pluriel et pluriellement singulier . » Nancy
42

appropriation de la part des sujets en se révélant, au contraire, comme un nie de cette manière la possibilité d’un être qui précède l’être singulier-
procédé sans sujet. Ce mouvement, en touchant la subjectivité et son pluriel. En d’autres termes, les singularités sont toujours inséparables de
rapport avec l’objet, s’impose comme « mise en question du sujet comme l’être-avec-les-autres, elles sont des « singularités multiples ». Autant le
de l’objet », « glissement » de l’être vers l’« au-delà des limites du moi sujet, pour Nancy, est offert à l’excès de sens, à la chance, autant la
isolé ». Bataille écrit : « Nous ne sommes donnés, fût-ce à nous-mêmes,
38
multitude des corps est exposée, dans la nudité, à l’expérience de la
sinon dans un réseau de communication avec les autres : nous baignons dans communication. La question du rapport entre le sens et la communication
la communication . » Cela signifie, pour Bataille, s’exposer à une
39
est en effet décisive pour Bataille et pour Nancy. Ce dernier aussi, se
contagion, à la prodigalité qui nous dispose à la rencontre, au con-loquium. référant à Bataille, fait remarquer que le « sens » ne peut pas avoir lieu sinon
Nancy définit la communication comme « trame nue et sans « en passant de l’un à l’autre ». La vérité passe, elle ne se laisse approprier
43
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“contenu ” » qui se réalise comme exposition de l’« être-avec ». L’existence
40
ni par l’un ni par l’autre ; elle se dérobe bien qu’elle soit toujours ouverte
des êtres, au-delà de tout contrat, est inscrite depuis toujours dans le trait dans ce passage. La communication ne se laisse pas objectiver parce qu’elle
de l’avec qui se donne, pour Nancy, comme une structure ontologique est toujours l’articulation d’un langage qui n’a rien de personnel ou de
fondamentale de l’existence. L’homme est donc exposé au partage de l’être- propre ; comme le rappelle Nancy, « il n’y a pas de langage privé ». La 44

là dans la finitude. Il s’agit d’une « communication infinie », d’une 41


communication, dans la forme d’un « entre nous », a ainsi le pouvoir de
ouverture au commun qui coupe avec toute fermeture communautaire. nommer le commun, comme ce qui se dérobe à toute appropriation de sens.
L’« en-commun » exposé de la communication, se révèle en tant que partage La singularité, en tant qu’événement de sens, est toujours ouverte à l’expé-
infini de la finitude. Nancy, en proposant le thème du Mit-Sein présenté rience de l’« entre-nous », à la chance qui la fait arriver et qui l’expose à la
par Heidegger dans Être et temps, souligne la nécessité de redéfinir « liberté du sens » et au sens comme liberté. Le non-savoir, en tant
l’ontologie à partir du singulier-pluriel, de l’« être-avec », pour développer qu’« expérience du dehors », mesure la finitude singulière et la met en jeu
son analytique co-existentielle. Il remarque en effet que le Mit-sein est dans la communication avec les autres, du sens de l’autre au non sens de
l’un, et vice versa. Dans cette commune altération a lieu la communication,

37. Ibid., p. 544.


38. G. Bataille, « Collège socratique », Œ. C., VI, p. 291.
39. G. Bataille, La Littérature et le mal, op. cit., p. 310. 42. J.-L. Nancy, Être singulier pluriel, op. cit., p. 48.
40. J.-L. Nancy, Être singulier pluriel, Paris, Galilée, 1996, p. 47. 43. J.-L. Nancy, La Pensée dérobée, op. cit., p. 36.
41. J.-L. Nancy, La Communauté désœuvré, op. cit., p. 47. 44. Ibid., p. 36.

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réciproques sont mises en jeu. La communication se révèle de cette façon co-essentiel par rapport au Dasein. En d’autres termes, il faut repenser
comme état métastable qui ne parvient jamais à l’accomplissement. Selon l’existence en tant qu’être-en-commun. L’être social ne peut pas être
Bataille, elle dépasse toujours la pure objectivité, la déborde, dans l’excès reconduit simplement aux termes de « société » ou « socialité ». Il ne s’agit
qui la dépasse au-delà d’elle-même. « La communication est en nous, car ni d’une dimension surajoutée à un donné individuel présupposé ou
l’homme existe dans la mesure où les hommes communiquent entre eux . » 37
originaire ni, comme voudrait Husserl, d’une préexistence du sujet par
L’homme est exposé à ce nouage, au tissu infini des communications, qui rapport à l’accident de l’intersubjectivité. Si le sens passe toujours de l’un
se propagent de l’un à l’autre, dans un écart différentiel qui laisse toujours à l’autre, comment peut-on envisager le Dasein isolément ? Pour Nancy,
ouverte la possibilité du conflit, de la déchirure, de la coupure qui remet l’être est exposé toujours comme « avec », il est – « identiquement » – être-
les singularités réciproquement à la confrontation et à l’affrontement des avec. « L’être est singulier et pluriel, à la fois, indistinctement et distinc-
existences. La communication se dérobe de cette façon à toute tement. Il est singulièrement pluriel et pluriellement singulier . » Nancy
42

appropriation de la part des sujets en se révélant, au contraire, comme un nie de cette manière la possibilité d’un être qui précède l’être singulier-
procédé sans sujet. Ce mouvement, en touchant la subjectivité et son pluriel. En d’autres termes, les singularités sont toujours inséparables de
rapport avec l’objet, s’impose comme « mise en question du sujet comme l’être-avec-les-autres, elles sont des « singularités multiples ». Autant le
de l’objet », « glissement » de l’être vers l’« au-delà des limites du moi sujet, pour Nancy, est offert à l’excès de sens, à la chance, autant la
isolé ». Bataille écrit : « Nous ne sommes donnés, fût-ce à nous-mêmes,
38
multitude des corps est exposée, dans la nudité, à l’expérience de la
sinon dans un réseau de communication avec les autres : nous baignons dans communication. La question du rapport entre le sens et la communication
la communication . » Cela signifie, pour Bataille, s’exposer à une
39
est en effet décisive pour Bataille et pour Nancy. Ce dernier aussi, se
contagion, à la prodigalité qui nous dispose à la rencontre, au con-loquium. référant à Bataille, fait remarquer que le « sens » ne peut pas avoir lieu sinon
Nancy définit la communication comme « trame nue et sans « en passant de l’un à l’autre ». La vérité passe, elle ne se laisse approprier
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“contenu ” » qui se réalise comme exposition de l’« être-avec ». L’existence
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ni par l’un ni par l’autre ; elle se dérobe bien qu’elle soit toujours ouverte
des êtres, au-delà de tout contrat, est inscrite depuis toujours dans le trait dans ce passage. La communication ne se laisse pas objectiver parce qu’elle
de l’avec qui se donne, pour Nancy, comme une structure ontologique est toujours l’articulation d’un langage qui n’a rien de personnel ou de
fondamentale de l’existence. L’homme est donc exposé au partage de l’être- propre ; comme le rappelle Nancy, « il n’y a pas de langage privé ». La 44

là dans la finitude. Il s’agit d’une « communication infinie », d’une 41


communication, dans la forme d’un « entre nous », a ainsi le pouvoir de
ouverture au commun qui coupe avec toute fermeture communautaire. nommer le commun, comme ce qui se dérobe à toute appropriation de sens.
L’« en-commun » exposé de la communication, se révèle en tant que partage La singularité, en tant qu’événement de sens, est toujours ouverte à l’expé-
infini de la finitude. Nancy, en proposant le thème du Mit-Sein présenté rience de l’« entre-nous », à la chance qui la fait arriver et qui l’expose à la
par Heidegger dans Être et temps, souligne la nécessité de redéfinir « liberté du sens » et au sens comme liberté. Le non-savoir, en tant
l’ontologie à partir du singulier-pluriel, de l’« être-avec », pour développer qu’« expérience du dehors », mesure la finitude singulière et la met en jeu
son analytique co-existentielle. Il remarque en effet que le Mit-sein est dans la communication avec les autres, du sens de l’autre au non sens de
l’un, et vice versa. Dans cette commune altération a lieu la communication,

37. Ibid., p. 544.


38. G. Bataille, « Collège socratique », Œ. C., VI, p. 291.
39. G. Bataille, La Littérature et le mal, op. cit., p. 310. 42. J.-L. Nancy, Être singulier pluriel, op. cit., p. 48.
40. J.-L. Nancy, Être singulier pluriel, Paris, Galilée, 1996, p. 47. 43. J.-L. Nancy, La Pensée dérobée, op. cit., p. 36.
41. J.-L. Nancy, La Communauté désœuvré, op. cit., p. 47. 44. Ibid., p. 36.

166 167
qui n’éclaire rien sinon ce passage en commun. La pensée se révèle donc, identitaire, « je » ou « nous », en nous exposant à un infini passage entre
pour Nancy, dans l’idée d’un con-tact, dans l’infinie possibilité de « passer individu et collectif. Il se révèle, selon le lexique de Bauman, un concept
de l’un à l’autre », dans la mutuelle coexposition au sens. Dans cette liquide, qui de façon coextensive noue le singulier et le pluriel. Cette
dynamique, il y a tout le sens possible de l’être-en-commun, de ce qui ne dynamique rapproche, en un certain sens, Nancy au dualisme sans
se donne ni « propriété », ni appropriation de sens. « Le partage “lui- synthèse, qui traverse toute l’écriture de Bataille. L’existence nous arrive
même”, observe Nancy, ne “se” communique pas : il est le passage et la en-commun, non en tant que « être commun », mais comme
partition de la communication . » Au commun, on est exposé « collecti-
45
l’« espacement » du commun. La communication, qui était déjà un effet
vement », dans chaque singularité finie, au-delà d’un sens commun qui du commun pour Bataille, « implique la dualité, mieux la pluralité, de ceux
puisse réabsorber le singulier dans la substance du collectif. La communi- qui communiquent, appelle, dans les limites d’une communication donnée,
cation se déploie comme ouverture coexistentielle qui règle le commun, leur égalité ». Seulement dans la pluralité il y a la subjectivité : « Il n’y a
49

l’incommensurable même, et qui résiste de cette façon, à tout possible pas d’énoncé à sujet singulier, explicite ou implicite, qui ne comporte aussi
accomplissement, à toute « fin de l’histoire ». la marque plus ou moins manifeste d’un sujet collectif ou commun, d’un
“nous” qui est au moins celui de la langue de l’énoncé ».‹ « Nous » sommes
50

Koinos depuis toujours en société, « nous » sommes coextensifs à la société, ni


Quel vecteur de sens a eu la force de traverser la communauté, le pour une agrégation additionnelle, ni par choix, mais pour sociation. Dans
communisme et la communication sinon celui du commun ? « Quel est son le socius, la dimension de la pluralité, de l’espace politique, est déjà inscrite
être, quelle ontologie rend compte de cela qu’indique un mot bien connu de façon décisive. Nous co-existons, en tant que « sociation » partagée dans
– commun – mais au concept peut-être devenu fort incertain ? » 46
la pluralité d’un ensemble-monde. Cette « évidence » précède et excède
L’ontologie politique de Nancy, s’étaie sur une pré-condition sans laquelle toujours l’Ego et le rend possible ; « l’existence sociale de Descartes, observe
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la possibilité de penser un monde serait impossible. Une dimension pré- Nancy, précède logiquement et chronologiquement la possibilité de l’énon-
individuelle qui engendre le singulier mais qui découle du collectif. Le ciation d’ego sum – lequel, en s’énonçant, s’énonce d’ailleurs au moins à
koinos , en tant que trait qui assure toujours la « réunion avec division »,
47
un autre […] et si bien, peut-on dire, que tout ego sum est un ego cum . » 51

décide de l’expérience de l’homme dans le monde, mais il ne renvoie à La sociation articule les singularités selon un commun rapport de
aucune essence commune. Le commun se donne comme l’impropre, coexistence. Mais si le commun a le pouvoir de nous exposer au sens, au
l’étrangeté, se révèle « dans le partage qui n’est pas fusionnel, dans l’alté- « sens-en-commun », comment peut-on l’adresser aux inédits tracés de
52

ration induite de toute relation avec l’extérieur ». Le commun est toujours


48
sens ? Il s’agit en effet d’un « travail commun », d’un « retracement » qui
à l’œuvre dans le monde, mais il ne fait pas d’œuvre ; il est le « partage » commence avec Bataille mais qui demande aujourd’hui un décisif effort
qui nous ouvre au singulier-pluriel de l’existence et qui, selon Nancy, ne d’élaboration. Bataille et Nancy nous obligent à penser et à relancer une
fait jamais du « nous » un sujet pluriel. Le commun, au-delà de toute
clôture de la subjectivité, nous empêche de prononcer, d’une façon
49. G. Bataille, op. cit., p. 302.
50. J.-L. Nancy, « Ré-fa-mi-ré-do-si-do-ré-si-sol-sol », dans La Démocratie à venir.
45. J.-C. Bailly, J.-L. Nancy, La Comparution : politique à venir, Paris, Christian Autour de Jacques Derrida, Sous la dir. de M.-L. Mallet, Actes du colloque qui s’est
Bourgois Éditeur, 1991, p. 80. tenu au Centre culturel international de Cerisy-la-Salle, 8-18 juillet 2002, Paris, Galilée,
46. J.-L. Nancy, La Communauté affrontée, op. cit., p. 28. 2004, p. 345.
47. J.-L. Nancy, La Pensée dérobée, op. cit., p. 118. 51. J.-L. Nancy, La Pensée dérobée, op. cit., p. 117.
48. A. Illuminati, Del comune, Roma, Manifestolibri, 2003, p. 168. 52. J.-L. Nancy, La Création du monde ou la mondialisation, Paris, Galilée, 2002, p. 62.

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qui n’éclaire rien sinon ce passage en commun. La pensée se révèle donc, identitaire, « je » ou « nous », en nous exposant à un infini passage entre
pour Nancy, dans l’idée d’un con-tact, dans l’infinie possibilité de « passer individu et collectif. Il se révèle, selon le lexique de Bauman, un concept
de l’un à l’autre », dans la mutuelle coexposition au sens. Dans cette liquide, qui de façon coextensive noue le singulier et le pluriel. Cette
dynamique, il y a tout le sens possible de l’être-en-commun, de ce qui ne dynamique rapproche, en un certain sens, Nancy au dualisme sans
se donne ni « propriété », ni appropriation de sens. « Le partage “lui- synthèse, qui traverse toute l’écriture de Bataille. L’existence nous arrive
même”, observe Nancy, ne “se” communique pas : il est le passage et la en-commun, non en tant que « être commun », mais comme
partition de la communication . » Au commun, on est exposé « collecti-
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l’« espacement » du commun. La communication, qui était déjà un effet
vement », dans chaque singularité finie, au-delà d’un sens commun qui du commun pour Bataille, « implique la dualité, mieux la pluralité, de ceux
puisse réabsorber le singulier dans la substance du collectif. La communi- qui communiquent, appelle, dans les limites d’une communication donnée,
cation se déploie comme ouverture coexistentielle qui règle le commun, leur égalité ». Seulement dans la pluralité il y a la subjectivité : « Il n’y a
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l’incommensurable même, et qui résiste de cette façon, à tout possible pas d’énoncé à sujet singulier, explicite ou implicite, qui ne comporte aussi
accomplissement, à toute « fin de l’histoire ». la marque plus ou moins manifeste d’un sujet collectif ou commun, d’un
“nous” qui est au moins celui de la langue de l’énoncé ».‹ « Nous » sommes
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Koinos depuis toujours en société, « nous » sommes coextensifs à la société, ni


Quel vecteur de sens a eu la force de traverser la communauté, le pour une agrégation additionnelle, ni par choix, mais pour sociation. Dans
communisme et la communication sinon celui du commun ? « Quel est son le socius, la dimension de la pluralité, de l’espace politique, est déjà inscrite
être, quelle ontologie rend compte de cela qu’indique un mot bien connu de façon décisive. Nous co-existons, en tant que « sociation » partagée dans
– commun – mais au concept peut-être devenu fort incertain ? » 46
la pluralité d’un ensemble-monde. Cette « évidence » précède et excède
L’ontologie politique de Nancy, s’étaie sur une pré-condition sans laquelle toujours l’Ego et le rend possible ; « l’existence sociale de Descartes, observe

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la possibilité de penser un monde serait impossible. Une dimension pré- Nancy, précède logiquement et chronologiquement la possibilité de l’énon-
individuelle qui engendre le singulier mais qui découle du collectif. Le ciation d’ego sum – lequel, en s’énonçant, s’énonce d’ailleurs au moins à
koinos , en tant que trait qui assure toujours la « réunion avec division »,
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un autre […] et si bien, peut-on dire, que tout ego sum est un ego cum . » 51

décide de l’expérience de l’homme dans le monde, mais il ne renvoie à La sociation articule les singularités selon un commun rapport de
aucune essence commune. Le commun se donne comme l’impropre, coexistence. Mais si le commun a le pouvoir de nous exposer au sens, au
l’étrangeté, se révèle « dans le partage qui n’est pas fusionnel, dans l’alté- « sens-en-commun », comment peut-on l’adresser aux inédits tracés de
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ration induite de toute relation avec l’extérieur ». Le commun est toujours


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sens ? Il s’agit en effet d’un « travail commun », d’un « retracement » qui
à l’œuvre dans le monde, mais il ne fait pas d’œuvre ; il est le « partage » commence avec Bataille mais qui demande aujourd’hui un décisif effort
qui nous ouvre au singulier-pluriel de l’existence et qui, selon Nancy, ne d’élaboration. Bataille et Nancy nous obligent à penser et à relancer une
fait jamais du « nous » un sujet pluriel. Le commun, au-delà de toute
clôture de la subjectivité, nous empêche de prononcer, d’une façon
49. G. Bataille, op. cit., p. 302.
50. J.-L. Nancy, « Ré-fa-mi-ré-do-si-do-ré-si-sol-sol », dans La Démocratie à venir.
45. J.-C. Bailly, J.-L. Nancy, La Comparution : politique à venir, Paris, Christian Autour de Jacques Derrida, Sous la dir. de M.-L. Mallet, Actes du colloque qui s’est
Bourgois Éditeur, 1991, p. 80. tenu au Centre culturel international de Cerisy-la-Salle, 8-18 juillet 2002, Paris, Galilée,
46. J.-L. Nancy, La Communauté affrontée, op. cit., p. 28. 2004, p. 345.
47. J.-L. Nancy, La Pensée dérobée, op. cit., p. 118. 51. J.-L. Nancy, La Pensée dérobée, op. cit., p. 117.
48. A. Illuminati, Del comune, Roma, Manifestolibri, 2003, p. 168. 52. J.-L. Nancy, La Création du monde ou la mondialisation, Paris, Galilée, 2002, p. 62.

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ontologie politique du commun, une « co-ontologie », une pensée du créateur » de la propriété qui rend possible le partage du commun. La
politique qui se charge du commun en tant que praxis de sens. Le commun « création du monde » se révèle ainsi une production destinée, au-delà de
s’affirme, de cette manière, comme une forme matricielle et originaire du l’accumulation du capital, à une « appropriation partagée » de la valeur
politique, de la pensée même d’un espace public ; il réalise le nouage qui même. Ce que Bataille aurait défini comme une dépense partagée de la
tient ensemble singulier et pluriel, comme condition du collectif. Cette finitude. À cet égard un retracement de la partition commune de Bataille
« ressource inédite » rend possible et nécessaire un « retracement » du
53
et Nancy est décisif pour reconnaître les traces qui annoncent déjà une
politique en tant qu’événement du politique. Il s’agit ainsi d’articuler la pensée du commun qui nous expose à l’événement singulier-pluriel du
« coexistence » comme rapport pluriel de singularité, c’est-à-dire comme monde, et qui nous permet d’affirmer ensemble et toujours avec Bataille :
exposition à l’avec. La mesure de l’avec se révèle, de cette manière, comme « L’être n’est jamais moi seul, c’est toujours moi et mes semblables . »
54

ce qui éloigne et unit le commun, et s’affirme dans le conflit du singulier


avec le pluriel, du global avec le local à travers un mouvement inclusif
exposé sans cesse à la tenue de la sociation. Le koinos, comme la « vieille Traduction par Tiziana Canosa et Fausto De Petra,
taupe », creuse, au-dessous des murs qui protègent l’édifice commu- revue par Catherine Duval
nautaire, ses tracés de sens dans la différence, et il empêche toute réduction
du tissu social à l’équivalence générale du Capital. Le commun n’a jamais
accès à l’Unité mais garde toujours un reste, un « écart inassimilable », selon
les mots de Bataille, qui nous laisse toujours dans une réciproque in-
différence, ce que Blanchot a définit heureusement comme « l’étrangeté
de ce qui ne saurait être commun ». Il devient un tissu polychrome d’exis-
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tences, une marée hétérogène, une inédite représentation des procédés
sociaux d’hybridation et de métissage culturel qui traversent – avec les
marchandises – notre Océan commun. Le commun se donne ainsi en tant
que sujet de résistance au « mauvais infini » qui prétend se mondialiser
dans la violence du Capital. Un trait politique qui met en évidence la
nécessité de cette démocratie à venir dont a parlé Jacques Derrida dans ses
écrits. Un tel effort pourra éviter à l’existence de s’appauvrir dans l’infinie
misère de l’individualisme global. À cet égard, le commun se dérobe à la
dichotomie mortelle entre individu et communauté, identité et différence,
et il se confirme, comme concept fort de cette seconde Modernité. Toutefois
il faut aujourd’hui écrire une grammaire qui valorise le potentiel de
libération du commun, pour répondre aux défis de l’« injustice globale »
qui domine notre « glomus ». Il faut repenser la mondialité, selon Nancy,
comme une « expérience de la liberté », dans laquelle chacun soit « créé-

53. J.-L. Nancy, La Communauté affrontée op. cit., p. 30. 54. G. Bataille, La Souveraineté, Œ. C., t. VIII, p. 297.

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ontologie politique du commun, une « co-ontologie », une pensée du créateur » de la propriété qui rend possible le partage du commun. La
politique qui se charge du commun en tant que praxis de sens. Le commun « création du monde » se révèle ainsi une production destinée, au-delà de
s’affirme, de cette manière, comme une forme matricielle et originaire du l’accumulation du capital, à une « appropriation partagée » de la valeur
politique, de la pensée même d’un espace public ; il réalise le nouage qui même. Ce que Bataille aurait défini comme une dépense partagée de la
tient ensemble singulier et pluriel, comme condition du collectif. Cette finitude. À cet égard un retracement de la partition commune de Bataille
« ressource inédite » rend possible et nécessaire un « retracement » du
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et Nancy est décisif pour reconnaître les traces qui annoncent déjà une
politique en tant qu’événement du politique. Il s’agit ainsi d’articuler la pensée du commun qui nous expose à l’événement singulier-pluriel du
« coexistence » comme rapport pluriel de singularité, c’est-à-dire comme monde, et qui nous permet d’affirmer ensemble et toujours avec Bataille :
exposition à l’avec. La mesure de l’avec se révèle, de cette manière, comme « L’être n’est jamais moi seul, c’est toujours moi et mes semblables . »
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ce qui éloigne et unit le commun, et s’affirme dans le conflit du singulier


avec le pluriel, du global avec le local à travers un mouvement inclusif
exposé sans cesse à la tenue de la sociation. Le koinos, comme la « vieille Traduction par Tiziana Canosa et Fausto De Petra,
taupe », creuse, au-dessous des murs qui protègent l’édifice commu- revue par Catherine Duval
nautaire, ses tracés de sens dans la différence, et il empêche toute réduction
du tissu social à l’équivalence générale du Capital. Le commun n’a jamais
accès à l’Unité mais garde toujours un reste, un « écart inassimilable », selon
les mots de Bataille, qui nous laisse toujours dans une réciproque in-
différence, ce que Blanchot a définit heureusement comme « l’étrangeté
de ce qui ne saurait être commun ». Il devient un tissu polychrome d’exis-

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tences, une marée hétérogène, une inédite représentation des procédés
sociaux d’hybridation et de métissage culturel qui traversent – avec les
marchandises – notre Océan commun. Le commun se donne ainsi en tant
que sujet de résistance au « mauvais infini » qui prétend se mondialiser
dans la violence du Capital. Un trait politique qui met en évidence la
nécessité de cette démocratie à venir dont a parlé Jacques Derrida dans ses
écrits. Un tel effort pourra éviter à l’existence de s’appauvrir dans l’infinie
misère de l’individualisme global. À cet égard, le commun se dérobe à la
dichotomie mortelle entre individu et communauté, identité et différence,
et il se confirme, comme concept fort de cette seconde Modernité. Toutefois
il faut aujourd’hui écrire une grammaire qui valorise le potentiel de
libération du commun, pour répondre aux défis de l’« injustice globale »
qui domine notre « glomus ». Il faut repenser la mondialité, selon Nancy,
comme une « expérience de la liberté », dans laquelle chacun soit « créé-

53. J.-L. Nancy, La Communauté affrontée op. cit., p. 30. 54. G. Bataille, La Souveraineté, Œ. C., t. VIII, p. 297.

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