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Les parcours d'Aurélien

Bruno Gelas
Dans Libres cahiers pour la psychanalyse 2007/2 (N°16), pages 31 à 45
Éditions In Press
ISSN 1625-7480
ISBN 9782848351339
DOI 10.3917/lcpp.016.0031
© In Press | Téléchargé le 21/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.92.62.195)

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précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
La guerre laisse en l’homme une trace immuable,
métaphore de la mort.

Les parcours d’Aurélien

BRUNO GELAS

L A LITTÉRATURE A TOUJOURS AIMÉ LA GUERRE . Non seulement


pour la raison qu’en donne Freud – une sorte d’expérience de la
mort propre par procuration des personnages, doublée d’une assurance-
vie pour le lecteur – mais parce que le motif qu’elle offre se prête para-
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doxalement à des régimes narratifs apaisés. Héros problématique,
relations de crises interpersonnelles ou vis-à-vis du groupe, parcours
contradictoires de formation-déchéance, choix irritants de l’incipit et
de la fin du récit : tout ce qui constitue le cœur trouble du projet roma-
nesque peut s’y reconfigurer selon quelques grands types stables, que
les « Actuelles » de Freud éclairent d’ailleurs de manière suggestive.
Il y a les romans du « front » : au XX e siècle, de Barbusse à
Dorgelès en passant par Céline et Ernst Jünger1, la première guerre
mondiale leur offrit un terrain de choix. Ils permettent l’épique du
quotidien, y diluent toute intrigue, et ordonnent les aventures et
conflits individuels à l’omniprésence d’un Conflit où les scènes
l’emportent sur les épisodes, où narration et description se fondent
sur l’horizon d’une jouissance de l’indistinct. Sous les figures de

1. H. Barbusse, Le feu (1916), R. Dorgelès, Les croix de bois (1919), Céline, Voyage
au bout de la nuit (1932), E. Jünger, Orages d’acier (1920).
32 Parler de la mort

l’héroïsme ou de l’horreur, en apologie ou en dénonciation, ces


romans ne cessent en effet de tendre vers la limite du récit : les
acteurs, nécessairement agis, y sont comme dispensés ou exclus de
toute quête en propre. C’est que, d’une certaine manière, il n’y a rien
à raconter : l’immédiateté de la représentation (de l’image ?)
écrase toute aspiration narrative, toute mise en scène symbolique
du désir à travers la forme-récit. Cette position limite s’éprouve
tout particulièrement dans la littérature maintenant qualifiée de
« concentrationnaire », qui ne dispose le plus souvent d’autres modes
possibles de narration que celui d’une chronique minutieuse dont
l’oppression tient à une absence de but (Antelme), ou celui d’une
reprise des mêmes scènes au fil de romans sans cesse recommencés
(Semprun). Méticulosité du détail et ressassement du même sont
deux manières d’exacerber le narratif en le maintenant toujours en
deçà de ce qui l’ordonnerait en récit : aucune ouverture, aucun
horizon ne s’installent, aucun parcours ne se laisse rêver.
Il y a les romans de l’« arrière », où la temporalité du récit – vie
de Jumainville à l’heure allemande, quotidien d’un professeur de
philosophie dans un lycée de province, bourg de Valensole vidé de
ses hommes mûrs…2 – est comme modalisée, et parfois tétanisée,
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par celle de l’Autre récit, soustrait cette fois à la représentation : celui
des morts annoncées. Ce sont les romans où s’éprouve peut-être le
mieux l’ambivalence soulignée par Freud à propos de la perte des
êtres chers : attendue-redoutée, inscrite dans l’ordre des choses (la
guerre comme banalisation de la mort de l’autre) et insupportable à
hurler. La crise qu’ils développent est celle d’une longue prise de
conscience doublée d’un long déni : le père, le fils, l’amant ou l’ami
y deviennent aussi des étrangers qui obligent les personnages à sortir
de la relation identitaire ou fusionnelle qu’ils entretenaient avec eux ;
et leur mort au combat, quand elle survient, ne fait que confirmer une
altérité déjà consommée, une mort qu’on pressent ou découvre alors
inconsciemment acceptée. Si les précédents romans relevaient du
régime épique, c’est le tragique qui est ici moteur, pour peu que l’on

2. J.-L. Bory, Mon village à l’heure allemande (1945), L. Guilloux, Le sang noir
(1935), J. Giono, Le grand troupeau (1931).
Les parcours d’Aurélien 33

souscrive à une de ces formules que Thibaudet aimait tant, quand il


expliquait que, dans le drame, la mort vient à la fin, alors que, dans la
tragédie, elle est donnée au début : « Ça a débuté comme ça »…
Il y a donc aussi les romans du drame – ceux de l’« avant » – où la
guerre mêle sa présence de plus en plus imminente aux aventures des
personnages jusqu’à les recouvrir et les dissoudre (les conclure) par
son arrivée en scène. L’été 1914 termine la saga des Thibault ; mais il
en révèle aussi l’une des lignes de sens, à la façon d’un thème
symphonique qui, d’abord discret, se fait de plus en plus dominant et
finit par soumettre à sa ligne mélodique tous les éléments de
l’orchestre. Car cette homogénéisation des histoires individuelles dans
la catastrophe qui les emporte conduit à les relire, en une sorte
d’immense analepse, comme autant de montées et de dévoilement
progressif du pulsionnel : toute l’histoire devient processus narratif de
régression vers un noyau primitif et violent qui, découvre-t-on alors
avec Freud, n’a jamais cessé de couver à côté des actions, des conflits
et des paysages. Romans d’une happy end à leur manière, puisque, en
rétablissant in fine ce qu’on appelle la «juste proportion des choses»
et «la vraie nature des gens», ils sont aussi ceux d’une révélation.
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Sur le fond de cette typologie esquissée en écho aux analyses de
Freud, Aurélien3 d’Aragon occupe une position assez originale : il ne
relève d’aucun de ces paradigmes de la relation entre la guerre et la
mort, et les convoque en même temps tous les trois. Ni avant, ni
pendant, ni à côté, son action se déroule en effet toujours dans un
temps de l’« après » : début des années 1920 pour l’essentiel, retraite
de 1940 dans l’épilogue. Ce choix chronologique n’est évidemment
pas sans effet : il permet de comprendre pourquoi l’œuvre et son
héros éponyme sont à ce point habités par la guerre, pourquoi cette
dernière est à ce point métaphore de la mort. Car narrateur,
personnages et lecteur sont installés dans le perfectum, cet aspect
verbal que les anciennes grammaires paraphrasaient en « résultat

3. L. Aragon, Aurélien (1944). Édition utilisée : Gallimard/Folio, 1999. Les paginations


indiquées entre parenthèses à l’intérieur du texte renvoient à cette édition.
34 Parler de la mort

présent d’une action passée ». Dire que la guerre est finie, c’est bien
sûr dire qu’elle est passée ; mais c’est en l’occurrence dire aussi
qu’elle est immuablement présente comme finie : sans révision
possible de son déroulement, même après coup ; sans modification
possible de son issue, donc de son sens. Elle est état, non action ;
catégorie, non événement ; mais d’une puissance ou d’une intensité
telles que sa présence-finie l’écarte du cycle du souvenir et de l’oubli
qui permettrait seul de la situer dans une histoire. Un écrivain comme
Jorge Semprun l’a bien compris, qui, aux prises avec les pièges du
témoignage, a vivement éprouvé la puissance mortifère de ce temps
de l’« avoir été » et n’a cessé de protester contre la place qu’il lui
assignait : « […] je ne suis pas un survivant […] je ne parlerai jamais
comme quelqu’un qui a survécu à la mort de ses camarades. Je ne
suis qu’un vivant, c’est tout. »4
Aurélien, en ce sens, est l’anti-Semprun :

Il semblait à Aurélien […] qu’il avait été battu, là, bien battu par la vie. Il avait
beau se dire: mais, voyons, nous sommes les vainqueurs…
Il ne s’était jamais remis tout à fait de la guerre.
Elle l’avait pris avant qu’il eût vécu. […] Il se prenait à regretter la guerre.
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Enfin, pas la guerre. Le temps de la guerre. Il ne s’en était jamais remis. Il
n’avait jamais retrouvé le rythme de la vie.

Cette a-rythmie le maintient dans un temps indistinct qui n’est pas


sans rappeler celui des romans du front et leur horreur étale. Il en est
revenu, certes, mais la première et plus prégnante emprise de la guerre
sur lui est d’en avoir précisément fait un revenant – condamné à n’être
ni du côté de la mort ni du côté de la vie, à la fois vainqueur et vaincu,
et, dans cette « in-différence » radicale des contraires, à errer sans fin :
de lieu en lieu dans Paris, de femme en femme, de réceptions en
cabarets… La guerre est d’autant plus présente qu’elle n’est jamais
représentée ni racontée, objet seulement d’une hantise (« Je me
réveille encore la nuit avec la peur des mines » (p. 115), avoue-t-il,
l’alcool aidant, dans un de ses rares moments de confidence) et d’un

4. Jorge Semprun, Quel beau dimanche ! (1980), Le livre de poche, 1982, p. 281.
Les parcours d’Aurélien 35

déni (« Je n’aime pas en parler… tout lui est bon pour revenir… »,
p. 256) : les seuls moments où elle est évoquée sont ceux des deux
rencontres avec ses amis anciens combattants – et encore Aurélien
reste-t-il alors passif et silencieux, préférant se lover dans le bonheur
éphémèrement retrouvé de la camaraderie des tranchées.
Or, il ne peut rien arriver à un fantôme, même pas une histoire
d’amour.
Il est emblématique que le superbe chapitre initial du roman –
dont la critique a souvent souligné le caractère prémonitoire ou
proleptique – semble amorcer une histoire d’amour pour ne
s’attacher aussitôt qu’à en figer le développement. « La première fois
qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. » Aragon a
rapporté par la suite que cet incipit scandé d’un alexandrin et d’un
octosyllabe s’était imposé à lui tandis qu’il marchait dans les rues de
Nice5, comme un appel à un roman dont il ne prévoyait encore ni le
contenu ni l’évolution. Appel, en effet : le stéréotype de
l’innamoramento peut bien y être retourné, la formule de la première
fois s’y inscrit pleinement, avec ce qu’elle recouvre de nouveauté
radicale, d’éblouissement originaire 6 , et ce qu’elle appelle de
deuxième, de troisième fois… Mais le départ tourne court, et le seuil
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des plus beaux possibles est immédiatement recouvert par une double
mise en abîme temporelle (Racine, puis l’Antiquité romaine) qui
amorce la fixation des personnages dans les rôles d’un drame déjà
joué, et surtout par l’arrêt sur image de Césarée, dont la
métaphorisation insistante conduit à substituer aux premiers mots du
chapitre un tout autre incipit :

Une ville frappée d’un malheur. Quelque chose comme une défaite. Désertée.
Une ville pour les hommes de trente ans qui n’ont plus de cœur à rien. Une
ville de pierre à parcourir la nuit sans croire à l’aube. […] Des épées aban-
données, des armures. Les restes d’un combat sans honneur.

5. Louis Aragon, Je n’ai jamais appris à écrire ou les incipit, Skira, 1969, p. 95.
6. « Il y aura toujours un couple frémissant / Pour qui ce matin-là sera l’aube
première » (Les yeux et la mémoire (1954) : « Que la vie en vaut la peine »).
36 Parler de la mort

Métaphore rabattue sur la métonymie d’une guerre trop


définitivement présente, Césarée devient la scène où va, six cents
pages durant, se jouer, s’éprouver et s’épuiser l’impossible histoire
d’Aurélien et de Bérénice – impossible parce que précisément
assujettie à ce signifiant. « Quelque chose comme une défaite » :
comment conduire un récit, comment engager une histoire d’amour si
l’on ne croit pas à l’aube ? Le lecteur pourra bien repérer par la suite
les étapes canoniques d’une telle histoire – demi-aveu, main saisie,
rendez-vous dans des cafés, étreinte ratée la première fois qu’elle
vient chez lui, piques jalouses, fausse lettre de rupture… –, elles ne
scandent nulle progression, ne cessent de s’annuler elles-mêmes, ne
développent aucune suite signifiante. Aurélien abonde de récits
parallèles, fortunes des uns, amours des autres, mais entre Aurélien et
Bérénice, il ne se passe rien – rien d’autre qu’un même face à face
répété qui ne parvient pas à embrayer sur un parcours : là encore, une
hantise et un déni, comme pour la guerre. Ou plutôt à cause d’elle, et
de la modalité particulière qu’elle prend dans le roman, écrasant
toute possibilité de s’en dégager pour créer une histoire individuelle,
instituer un sujet de désir et de quête. Son effet contagieux atteint
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jusqu’à la représentation de l’amour, et le thème récurrent qui les
assimile de plus en plus7 n’est pas de simple rhétorique : dans l’un et
l’autre cas, si l’on se rappelle ce que nous avons noté à propos des
romans « du front », faits de scènes et non d’épisodes, nous assistons
à une incapacité du récit, réduit tout au plus à ses signes. Variante
sous la bouche de Blaise Ambérieux s’adressant à son neveu :

Mon petit, je n’ai pas de conseil à te donner… mais écoute-moi bien… les
femmes avec lesquelles on couche, ce n’est pas grave… le chiendent, ce
sont celles avec lesquelles on ne couche pas…

L’inaccomplissement de la quête amoureuse d’Aurélien ne se laisse


donc pas lire en termes d’échec, mais d’impuissance de ce dernier à

7. Cf. Decœur : « Rose, c’est ma guerre à moi… » (p. 115). Le célèbre poème « Il n’y a
pas d’amour heureux », écrit par Aragon à la même époque qu’Aurélien, reprend ce
thème (« Ma vie elle ressemble à ces soldats sans armes…»).
Les parcours d’Aurélien 37

acquérir la compétence narrative8 qui lui permettrait d’engager cette


quête. Ce grippage initial (rôle du premier chapitre) tient pour l’essentiel
aux ravages du registre métaphorique dans lequel la présence-absence de
la guerre l’a contraint à s’installer. S’il partage quelque chose avec une
Bérénice marquée du « goût de l’absolu » (chap. XXXVI), c’est bien
cette incapacité au réel, cette astreinte à l’idéal chez elle, à la métaphore
chez lui, qui les condamne l’un et l’autre, chacun de son côté, à n’être
les acteurs effectifs que d’un autre récit, habité par l’absence ou par la
mort. Où l’on retrouve ce qui nous est apparu caractériser les romans de
l’« arrière », et qui met en œuvre l’ambivalence soulignée par Freud à
propos de la disparition des proches.
Car tout vient de ce qu’Aurélien est malade de la métaphore :

Une idée faisait en lui son chemin. C’est à propos de ce qu’il a pensé de
Bérénice, qu’elle était comme quelqu’un qui se noie, et qu’elle se raccro-
chait à son amour. […] On n’a pas plus tôt imaginé une chose pareille, que
tout devient clair, c’est-à-dire que tout devient sombre. Un poison perni-
cieux. D’abord Aurélien s’attache à tous les éléments de la métaphore: il y
a la noyée, la planche, la mer, la tempête… Qu’est-ce que cela signifie? Par
ce chemin d’accessoires, il cherche le sens caché de cette image, il cherche
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l’essence d’un drame deviné. Il ne sait vraiment rien de la vie de Bérénice.

Filer, ou traquer, la métaphore de la noyée pour mieux rater


Bérénice… et se trouver de ce fait impuissant à la prendre dans ses
bras. L’image verbale se substitue au corps, et les mots aux actes :
« Il ne le pouvait pas. Il avait besoin de travestir les choses, de les
parer avec des mots, des comparaisons. » (p. 299). Parer – de parare,
« orner », mais aussi « détourner, éviter »…
On peut alors lire Aurélien comme cet immense détour qui
conduit son personnage éponyme à s’engager dans un autre récit,
quasi fantômal, où l’image de la mort imprime les paysages, les êtres
et les actions. C’est là où la Seine « parle tout le temps, tout le temps

8. Compétence au sens où l’entendent les sémioticiens du récit lorsqu’ils reprennent la


logique aristotélicienne des actions, et traitent l’institution d’un sujet narratif (sujet
d’un « faire » transformateur) en termes d’acquisition des modalités de ce « faire » :
le vouloir/devoir-faire, le pouvoir-faire, le savoir-comment-faire.
38 Parler de la mort

du suicide » (p. 97) : « ce grand fossé noir, en bas. La Seine qui


charriait des boues glaciaires, et des noyés. » (p. 316) C’est là aussi
que se répète le processus rhétorique de Césarée, et par lui la
possibilité d’un récit d’outre-tombe. Car la métaphore, a fortiori
quand elle se généralise, est rétive au narratif : son paradigme
d’échos l’ordonne à une répétition qui appelle plutôt le poème.
Claudel l’avait bien compris, quand il développait, dans une des rares
critiques à avoir loué l’ouvrage à sa parution, la lecture d’un roman-
poème fondé sur le retour et la variation d’une poignée de thèmes
insistants. Mais de même que l’évocation de Césarée la dotait, aux
yeux d’Aurélien, des attributs de la Grande Guerre et de la déroute de
ceux qui y avaient survécu, de même la Seine mortifère est soumise à
un processus de « métonymisation » qui la rend compatible avec le
registre du récit. C’est même exclusivement sur le mode du
glissement par contiguïté que ce dernier procède : le masque
mortuaire moulé sur le visage (première métonymie) d’une Inconnue
retrouvée noyée dans le fleuve recoupe d’abord insensiblement, aux
yeux d’Aurélien, les traits de Bérénice (deuxième métonymie). Et
celle-ci aura beau tenter d’échapper, en laissant tomber et se briser
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l’objet, à la violence de cette imposition d’une image d’elle-même,
elle finira vite par se soumettre à sa loi, offrant à Aurélien le masque
« mortuaire » qu’elle a fait modeler sur son propre visage aux yeux
clos (troisième métonymie). « Elle s’était prêtée pour lui à ce jeu
tragique » (p. 388). Il devient alors faux de prétendre qu’Aurélien n’a
jamais couché avec Bérénice : il faut relire l’hallucinante fin du
chapitre où le héros de l’Autre récit, éprouvant en son corps la
violence d’un orgasme, s’unit à ce masque, l’appelle Bérénice, et lui
murmure les mots du royaume des morts :

Des mots qui lui venaient, des mots tendres, qui s’échappaient, de ses dents
entr’ouvertes, de sa langue mobile comme un fantôme, des mots qu’il enten-
dit avant de les penser, des souffles… Dans le domaine des morts on parle
peut-être ainsi. Et nulle part ailleurs.

La scène, à vrai dire, scelle et consacre un mouvement amorcé


bien en amont, et qui se poursuivra jusqu’aux dernières pages, par
Les parcours d’Aurélien 39

lequel Aurélien se crée deux Bérénice. L’une a les yeux ouverts


tandis que l’autre les ferme ; l’une vit au « rythme de la vie » quand
l’autre se prête au rite mortuaire ; et l’une peut bien crier de
jouissance dans les bras de Paul Denis9 : l’autre se dégage de toute
tentative d’étreinte d’Aurélien et le contraint à ne la saisir que « dans
le champ variable de son regard » (« Il la regardait fuir, et revenir, se
distraire de lui », p. 302). Un corps et une image. Il lui vient vite à
l’idée que leur rencontre constitue le « secret » de Bérénice, et « ce
qui chante en elle » pour lui :

Il frotte la paume de sa main et s’étonne. Une brûlure. Une présence. Une


absence. Les deux à la fois.
Une chanson.

« Les deux à la fois » : non pas une alternance qui tiendrait au


comportement de Bérénice, mais une perpétuelle superposition
entretenue et cultivée par le seul Aurélien. En d’autres lieux : non pas
l’amour puis la haine, mais l’amour dans la haine, la haine dans
l’amour. Les remarques de Freud éclairent d’ailleurs vivement
l’enjeu de cet art du dédoublement de l’autre où se lit le désir
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inconscient de sa mort. N’est-ce pas ce que pressent Bérénice quand,
effrayée du masque auquel l’assigne Aurélien, elle lui confie que
« cette femme… sa force est d’être morte… » (p. 311), et se résout
en conséquence à se substituer à elle ? Et Aurélien lui-même se
l’avoue crûment dans l’Épilogue, lorsqu’il retrouve près de vingt ans
après, dans la débâcle de la retraite, une Bérénice aux yeux trop
ouverts dont le léger vieillissement est trace qu’elle vit :

Ce n’était pas Bérénice. Cette Bérénice vieillie. La sienne, sa Bérénice, c’était


ce masque de plâtre, cette jeune morte, belle éternellement. […] C’est un
bonheur d’aimer une morte, on en fait ce qu’on veut, elle ne peut parler et dire
soudain une phrase qu’on aurait voulu qu’elle n’eût pas dite… (p. 677)

9. « Mais ce qu’elle avait ressenti dans ses bras ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait
pu connaître… Une violence… Elle ignorait que cela fût en elle… cette possibilité.
Et que ce gosse de Paul […] que ce gosse lui ait donné ce plaisir-là… » (p. 518).
40 Parler de la mort

Comment mieux dire le travail de l’image sur lequel se construit


l’Autre histoire d’Aurélien et de Bérénice : celle d’une mise à mort
de l’autre, de sa mise à la place du mort ou de la morte ? Cela
commence en effet par le contraindre au silence, car, on l’a vu, les
mots des morts ne sont pas de langage humain. Dans ce roman
polyphonique à l’excès et bruissant de paroles, celles qu’ils
s’échangent s’épuisent chaque fois dans le mutisme que suscite
l’emprise croissante sur eux de l’image imaginée (« Fermez les yeux !
supplia-t-il », p. 315). Et, là, Bérénice n’est pas en reste : n’a-t-elle
pas, une fois rentrée chez elle, construit, entretenu et imposé à son
entourage, des années durant, la représentation idéale de son Unique
Amour ? C’est au point que, quand le hasard des garnisons conduit
Aurélien à R… et à leurs retrouvailles, il constate non sans un certain
malaise que tous ces inconnus le reconnaissent : « Alors, vous êtes
l’Aurélien de notre Bérénice ? […] Ne vous étonnez pas… ici, vous
êtes un peu un être de légende… » (p. 660-661). Rien à répondre,
évidemment… Car le « sois belle et tais-toi » par où Aurélien trouvait
cyniquement agréable d’aimer une morte, se retrouve chez Bérénice
dans un art consommé de priver l’autre de réponse : pas plus que la
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lettre d’adieu du chapitre XLIX, elle n’expédie à leur destinataire les
missives quotidiennes qu’elle lui écrit pendant vingt ans.
On sait que le risque de la parole est que l’autre réponde, et que le
face à face se transforme, volens nolens, en lien. On peut, à cette aune,
lire Aurélien comme une longue stratégie d’évitement de l’interlocution
qui se déroule en contrepoint de la mise en image. Perpétuellement à
l’œuvre en sourdine, elle culmine, de manière attendue, dans les
derniers chapitres, où la rupture s’organise en scénario de retrait de
l’adresse. Ce sont d’abord des paroles qui n’appellent pas de réponse:
« Il y eut un trou de silence dans cette dentelle noire qui les entourait.
[…] La phrase se perdit murmurée. […] Cette fois-ci, elle laissa flotter
cette question dans l’ombre » (p. 692). Puis c’est la voix même de
Bérénice qui, se soustrayant pour ainsi dire à sa propre énonciation pour
se loger dans un rôle, exclut définitivement Aurélien du langage:

Il remarqua qu’elle avait une manière à elle, cette fois comme la précédente,
d’appuyer sur le mon cher, et pas du tout désinvolte ou agressive: comme si
Les parcours d’Aurélien 41

elle avait parlé à un mort: « Mon cher Aurélien… », répéta-t-elle. Et il était


bien possible qu’elle pleurât (p. 693).

Comment mieux tuer l’autre qu’en s’adressant à lui comme à un


mort ? Les cimetières sont remplis de vivants qui pleurent des corps
réduits à une image, et qui ne leur répondent plus…

Que la mort consacre ainsi l’accomplissement du « roman


d’Aurélien et de Bérénice » éclaire enfin sur le caractère régressif qui
l’anime, et que Freud souligne comme un autre effet de la présence
de la guerre. Cela passe d’abord par l’environnement : innombrables
y sont les rêves fusionnels d’effacement des contraires dans un
continuum très fortement thématisé par l’élément aquatique. Si l’on
sort du récit du masque, le seul autre moment où Aurélien s’unit
fantasmatiquement à Bérénice est le jour où il se rend à la piscine
d’Oberkampf « avec l’idée de la retrouver » :

Bérénice mêlée à la caresse de l’eau, à la souplesse de la nage, à cette inti-


mité solitaire de son corps nu, à cette paresse jointe à l’effort, à toute la
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merveille de la rêverie et du mouvement. […] Il se retourna, nageant, comme
on fait dans un lit dormant avec une femme; et dans cet enroulement d’un
corps d’homme et d’une image, elle le suivit comme fait la femme, incons-
ciente, qui épouse la courbe du dormeur (p. 182).

Encore l’union et la caresse maintiennent-elles la distinction entre


l’homme et la femme. Ce ne sera plus le cas avec la Seine, qui lui
offre la même étreinte et la même chaleur, mais en étend le champ en
y joignant la figure de la mort ; et pas n’importe laquelle : « Je
m’endors chaque nuit et chaque jour je me réveille entre les bras de
la Seine… […] entre les bras de la Seine comme un noyé… »
(p. 113). L’image du noyé est probablement celle qui parcourt le plus
le roman : soutenant dès les premières pages une des très rares
évocations de la guerre, « quand le Danube charriait des suicides »
(p. 29), elle ne cesse d’obséder un Aurélien trop éternellement
flottant pour ne pas en pressentir les risques, atteint Bérénice jusque
dans son escapade amoureuse à Gimeny, s’épanouit évidemment dans
42 Parler de la mort

la fascination pour l’Inconnue de la Seine. C’est que, en elle, même


l’intimité s’efface, la différence ultime entre intérieur et extérieur se
dissout, corps et eau mêlés.
Mais la Seine conduit plus loin encore qu’à cette fusion extrême,
le soir où Aurélien confie à Mary le bouleversement suscité en lui par
la remarque d’un de ses amis qualifiant de « M veineux » le coude du
fleuve qui s’aperçoit du balcon de son appartement. Affres
renouvelées, alors, de l’errance métaphorique :

Ce qui me bouleverse, c’est de devoir maintenant… pour me conformer à cette


image de l’M veineux… me représenter le sens, continuellement, de cette eau
qui coule, de ce sang bleu, devant moi… Je sais bien qu’il vient de derrière,
et qu’il s’en va vers l’aval, vers la mer… Mais les veines, Mary, les veines
du coude viennent de la main, remontent vers l’épaule, vers le cœur… […]
Il faut croire que le cœur c’est la mer… (p. 97).

Bouleversement, en effet, et totale inversion du parcours. De


même que la rêverie de Bérénice la ramène toujours à la « grande
maison » de son enfance, celle que la Seine développe chez Aurélien
ne se contente pas de lui faire reprendre la formule consacrée du déni
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(«Je sais bien… mais quand même») : elle l’entraîne dans un
mouvement régressif de remontée au cœur de la mer(e), là où
l’homophonie entre aussi en assonance avec la mort, avec la guerre,
et laisse même entendre dans le « M veineux » bouleversant les
signifiants respectifs de l’amour et de la haine…
La Seine / la Scène. On ne s’étonnera donc pas qu’une puissance
maternelle se dégage de l’ambivalence d’une figure qui unit à ce
point le refuge et la dévoration, le berceau protecteur des bras et
l’expansion asphyxiante. De fait, les images de mère abondent dans
Aurélien, à commencer par celles des épouses et des maîtresses, que
la gent masculine semble toujours préférer plus âgées (« Au fond,
toutes les deux, nous aurions pu être des amies de Madame votre
mère » (p. 59) dit Mary Perseval à Aurélien, lui faisant comprendre,
avant de devenir son amante, qu’elle est au courant de sa liaison
antérieure avec Diane de Nettencourt). Bérénice, qui ne peut avoir
d’enfant, s’épanouit tout particulièrement dans ce rôle, qui la fait
Les parcours d’Aurélien 43

protectrice de son mari mutilé, qui la ravit dans son aventure avec
Paul Denis, et qui s’affirme de manière étonnante à la fin de sa lettre
d’adieu non envoyée à Aurélien :

Je vous aime, Aurélien, je vous aimerai toujours! Adieu, ne cherchez pas à


me voir. (…) Au moins y aura-t-il dans notre amour cette consolation que rien
jamais ne le fera déchoir. Aurélien, pour la première et la dernière fois, je vous
serre dans mes bras, contre moi, mon petit, mon petit, mon amour! (p. 416)

Ce lien étonnant tissé entre la parole maternelle, l’amour préservé


et la séparation définitive s’éclaire dans le roman par le lourd
contentieux que les deux personnages entretiennent avec leurs
propres parents (pour ne pas parler de celui d’Aragon avec les
siens…10). Côté Bérénice, une mère qui lui demanda l’autorisation de
l’abandonner avec son père pour s’en aller vivre en Afrique une
nouvelle histoire d’amour11. Côté Aurélien, une « jolie Maman » qu’il
aimait « à sa manière » (« Elle avait été sa première idée de la
femme », p. 48), et qu’il enrageait de voir en dispute perpétuelle avec
un père détesté, dans les yeux duquel il avait surpris à cinq ans « une
lueur de meurtre », et qu’il accuse d’avoir voulu tuer sa femme dans
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l’accident de voiture qui leur coûta la vie à tous deux. Chacun, selon
des modalités différentes, garde ainsi l’image ambiguë d’une mère
belle, aimable, aimée par d’autres, aliénée par un mari trop solitaire
ou trop violent – et qui leur a fait défaut. C’est vers elle que l’un et
l’autre avec acharnement reviennent. Bérénice, qui tente de colmater
la brêche par un rôle maternel à tout va, ne peut cependant
s’empêcher de lier l’amour passion et le départ, ni de rejouer avec
Aurélien la scène d’une séparation consacrée par l’amour, et
réciproquement ; Aurélien, pris dans la série de maîtresses qui ne

10. Rappelons que, fils illégitime et non reconnu d’un dignitaire de la IIIe République,
Louis Andrieux, Aragon fut déclaré né de parents décédés, et élevé par ses
grand’parents maternels en compagnie de sa mère, qu’on faisait passer auprès de lui
pour sa sœur…
11. « Je me souvenais d’avoir dit va t’en ! à maman, avec tout le romanesque d’une
petite fille prête à rêver. J’aimais l’amour, je donnais toujours raison à l’amour
contre tout le monde, contre mon père d’abord, ce père détesté. » (p. 415).
44 Parler de la mort

cessent de le quitter, fait tout pour revivre chaque fois avec elles le
traumatisme de l’abandon12, avant de découvrir combien il est doux, à
lui l’orphelin, d’aimer une morte…
Au-delà même des biographies des deux principaux personnages,
cette présence récurrente d’un maternel auquel tout s’assujettit révèle
peu à peu Aurélien comme le roman de l’envahissement du féminin :
c’est par là qu’il apparaît le plus vivement ordonné par un
mouvement de régression vers la chaleur première et l’indistinction
originelle. Car la défaillance des hommes y est totale : pas un d’entre
eux qui ne soit « battu par la vie », battu par les femmes. C’est
l’impuissance masculine, la débandade généralisée : les pères qui ont
échoué à retenir les mères de leurs enfants, Édouard l’arriviste
manipulateur en fin de compte ruiné et rejeté par sa femme, Lucien
trop symboliquement mutilé du bras, Decœur méprisé et bafoué par
Rose, Paul Denis finalement tué, Aurélien qui convient aux toutes
dernières pages que « toute sa vie, toute sa vie, il avait souffert de
n’être pas à la hauteur de la situation » (p. 687) – entendez : de n’être
pas un homme, un vrai, lui dont les maîtresses se détachaient parce
qu’elles avaient le sentiment « que c’était lui qui était la fille dans
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leur aventure » (p. 50). On comprend que les critiques communistes
aient, en dépit de la renommée de l’auteur, accueilli fraîchement le
roman à sa sortie : il avait beau s’afficher comme un tome du « Cycle
du Monde réel », il leur semblait aller à l’encontre des principes du
réalisme socialiste, et ils lui reprochaient en particulier de ne pas
offrir d’image de « héros positif » – sauf peut-être à son extrême fin,
à travers quelques propos de résistance tenus par… Bérénice avant
qu’elle soit tuée par des balles ennemies. Les critiques avaient bien
raison : toutes les figures masculines, qu’elles soient de combattant,
de père ou de fils, y sont disqualifiées sans appel.

Ne reste que la fascination du féminin. Et sans doute est-ce en elle


que se retrouvent et convergent à la fois les trois modalités du

12. « Il n’avait jamais fait les quelques gestes qui retiennent une femme […] Elles se
détachaient d’elles-mêmes, un peu déçues, sans beaucoup lui en vouloir, heureuses
qu’il n’insistât point, et vexées. » (p. 49-50).
Les parcours d’Aurélien 45

« roman de guerre » – marqué par la prévalence de la scène sur le


récit, le désir de mort et la régression – et les « Actuelles » que Freud
propose en référence constante à un noyau pulsionnel, primitif et
infrangible, que la civilisation et la culture ont vainement (sottement,
précise-t-il) cru faire taire ou dépasser. C’est qu’on n’est jamais
vraiment sorti de Césarée, la ville de la défaite des hommes. On n’est
jamais non plus à l’abri de l’image emblématique qui en conclut
l’évocation, à la fin du premier chapitre, quand les femmes, seules
debout, sont pétrifiées et mortifères, et que les anciens guerriers
viennent à la fois se lover en elles et se livrer comme offrandes :

Il pensait aux statues qu’il y a sur les places de Césarée : ces Dianes
chasseresses, rien que des Dianes chasseresses à l’air hagard.
Et des mendiants endormis à leurs pieds.

Bruno Gelas
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