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Jean Lopez (dir.

), Nicolas Aubin, Vincent Bernard et


Nicolas Guillerat : Infographie de la Seconde Guerre
mondiale ; Perrin, 2018 ; 200 pages
Laurent Henninger
Dans Revue Défense Nationale 2019/5 (N° 820), pages 201 à 203
Éditions Comité d’études de Défense Nationale
ISSN 2105-7508
ISBN 9782919639861
DOI 10.3917/rdna.820.0201
© Comité d?études de Défense Nationale | Téléchargé le 22/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 37.171.196.30)

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RECENSIONS
Cet ouvrage souffre d’un défaut congénital, celui de vouloir construire une définition
tout au long du texte, au lieu d’en proposer une de suite quitte à l’amender. Devant
originellement être un article de journal, il souffre aussi de sa brièveté. Très philoso-
phique et psychanalytique (lacanien), il fait bon marché de l’Histoire (simplification
du lien entre Holocauste et Seconde Guerre mondiale, p. 30, l’annexion de la Serbie
en 1999, p. 65, etc.). Sa vision des monothéismes mérite aussi d’être discutée, tant on
se rapproche de simplismes dommageables et qui peuvent engendrer des confusions.
Que l’auteur refuse l’idée de morale à la tribu primitive – qui seraient toutes identiques –
est aussi dérangeant et on ne sait sur quoi se base E. Clémens quand il parle de guer-
riers à mi-temps et de femmes rétives (p. 49). Du côté des sources justement, Raymond
Aron n’est cité que pour son livre sur Clausewitz, mais rien sur Paix et guerre entre les
Nations. Par ailleurs, il est parfois dur de distinguer l’auteur de ses sources et cela ne
rend pas l’ouvrage plus facilement compréhensible. Le concept de guerre comme fête
noire, de fête inversée avec le recul de la religion et l’industrialisation a par contre
quelques attraits (p. 106), une action festive de plus « diluée dans la passivité specta-
culaire, dictée et contrôlée par les profits des annonceurs » (p. 142). Mais malheureu-
sement, la levée de l’interdit de l’inceste par la fête (comme celle du meurtre par la
guerre) n’est pas expliquée (d’après R. Caillois p. 143).
C’est donc un ouvrage hautement spéculatif. À chaque fois que l’auteur se rapproche
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de la pratique apparaissent les limites d’une telle démarche, comme le montre les nom-
breuses approximations historiques. La réflexion présentée est loin d’être inutile mais
il est douteux qu’elle puisse aider à régler des problèmes politiques immédiats. Si la
cause peut aussi être la solution, il faut pouvoir d’abord dénouer ce paradoxe.
Jean-Daniel Fischer

Jean Lopez (dir.), Nicolas Aubin, Vincent Bernard et


Nicolas Guillerat : Infographie de la Seconde Guerre
mondiale ; Perrin, 2018 ; 200 pages.

Voici probablement l’ouvrage le plus original de ces dernières


années, ne serait-ce que dans sa forme et surtout dans sa nature. Il
est l’œuvre d’une équipe dirigée par Jean Lopez, rédacteur en chef
du bimestriel Guerres & Histoire et auteur de plusieurs ouvrages remarqués sur la guer-
re germano-soviétique, auquel s’adjoignent deux autres historiens et un infographiste
de génie : Nicolas Guillerat. Disons même sans ambage que l’ouvrage est bien plus
qu’original : il est pour l’heure encore unique, car bel et bien le premier de ce type.
Souhaitons d’ores et déjà qu’il donne naissance à un véritable « genre » qui aurait toute
sa place dans le marché de l’édition, au même titre que les atlas ou les encyclopédies.
Avant toute chose, il convient de se réjouir du fait que l’historiographie sur laquelle
s’appuie cet ouvrage est la meilleure, et surtout la plus récente. On ne dira en effet

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jamais à quel point l’historiographie de ce conflit a été entièrement renouvelée ces trente
dernières années, et ce dans pratiquement tous les domaines. On doit donc considérer
comme à peu près totalement obsolète tout ce qui a été écrit dans les décennies précé-
dentes. Ce livre va ainsi contribuer à faire connaître au grand public tous ces nouveaux
travaux, d’autant plus qu’une bibliographie sommaire est disponible pour chaque gra-
phique. Dès le début de son avant-propos, Jean Lopez nous rappelle qu’« il s’est écrit
plus de livres sur la Seconde Guerre mondiale qu’il ne s’est écoulé d’heures depuis sa
conclusion ». Cela signifie que cet épisode historique constitue de facto un corpus de
ce qu’on l’on nomme désormais du « Big Data ». Or, le problème des masses de données
est qu’elles doivent impérativement être ordonnées et agencées, aisément accessibles, faci-
lement compréhensibles et, idéalement, « pensables » dans toute leur complexité, mais
aussi leur globalité. Le résultat final est à la hauteur, et l’infographiste, qui a déployé
des trésors d’inventivité et même de créativité, au sens le plus artistique de ce terme,
nous permet de littéralement visualiser l’intégralité des problématiques de ce conflit,
tout en nous donnant la possibilité de les comparer, de les relativiser et de les hiérar-
chiser. Ce faisant, on comprend l’appellation anglo-saxonne de « Data Designer », qui
rend mieux compte de la nature de son travail que le terme français d’« infographiste ».
Il est celui qui modèle et « architecture » la pâte informe des données brutes et leur
donne du sens, au même titre que le texte. Pour autant, ce dernier n’est pas absent, et
il s’établit un rapport dialectique entre les graphiques et lui. La lecture et l’étude de
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l’ensemble sont donc d’autant plus enrichissantes. Cela dit, cela signifie également que
cette lecture est exigeante et, si elle est parfaitement accessible et même captivante, elle
requiert une grande concentration, tant la masse d’informations est immense et son
agencement complexe – ce qui ne signifie pas ici « difficile », la complexité étant dif-
férente de la difficulté…

L’ouvrage est divisé en quatre grandes parties : le cadre matériel et humain ; armes et
armées ; batailles et campagnes ; bilan et fractures. On constate rapidement que l’angle
stratégique est au centre de tout l’ouvrage, ce qui devient encore plus évident au vu de
l’importance accordée aux questions économiques, industrielles, mais aussi logistiques,
ce qui est cohérent car le transport, l’équipement et le ravitaillement des forces sont les
prolongements des deux premiers facteurs sur les théâtres d’opérations. Cette vision
stratégique est visible aussi dans le fait que le caractère systémique de l’ensemble des
phénomènes étudiés apparaît rapidement de façon évidente. Et, au final, c’est même le
conflit dans sa globalité qui nous apparaît comme un système de systèmes, un méta-
système, en quelque sorte, comprenant des dimensions politiques, sociales, écono-
miques, industrielles et militaires. Organisation de la production, rôle de l’or ou du
pétrole, mobilisation de la main-d’œuvre industrielle, loi prêt-bail, problème des réfu-
giés et des déplacements de populations ainsi qu’ébranlement des empires coloniaux
dans le monde de l’après-guerre, rien n’est négligé. De même, comprend-on bien la
complexité pharaonique du projet Manhattan, ou le caractère tout à la fois industriel et
multiple de l’extermination des populations juives d’Europe, en particulier à l’Est, car
on sait maintenant que ce processus fut loin de se limiter aux camps de la mort et que
la « Shoah par balles », notamment en Biélorussie et en Ukraine, en constitua un volet

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RECENSIONS
majeur. Les résistances au nazisme sont montrées dans leur complexité, et notamment la
française, qui a droit à un traitement particulièrement détaillé. Coup de chapeau au pas-
sage au succinct mais bienvenu rappel de l’importance énorme du théâtre d’opération que
constitua la Chine, ce que trop de gens ont tendance à oublier – et ce qui explique bien
des choses sur la géopolitique actuelle de l’Asie orientale. Quant au bilan de la guerre, son
traitement est édifiant, notamment sur la question des pertes. Et la vue des graphiques
montrant l’ampleur des pertes militaires et civiles soviétiques donne le vertige.
Mais l’aspect le plus original, et peut-être le plus intéressant, est le traitement des ques-
tions proprement militaires. D’abord parce que le traitement de leurs aspects straté-
giques est systématiquement complété par une « descente » dans leurs aspects organi-
sationnels, techniques et tactiques, du groupe de combat au théâtre d’opération. Les
principaux théâtres et les principales campagnes aériennes et navales sont présentés :
Méditerranée, Pacifique, bataille de l’Atlantique, bataille d’Angleterre, campagnes de
bombardement sur le Japon et surtout sur l’Allemagne. À ce sujet, les auteurs nous
offrent, outre l’analyse globale de cette campagne, une fascinante infographie sur deux
pleines pages décortiquant deux missions américaines de bombardement. Bien entendu,
ce sont les forces et les opérations terrestres qui se taillent la part du lion. À cet égard,
les analyses de l’opération Bagration et de la ruée sur Berlin donnent l’occasion aux
auteurs de nous montrer toute la spécificité du concept purement soviétique d’« art
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opératif ». La palme revient cependant aux nombreux graphiques nous présentant

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l’organisation, la composition, les effectifs, l’équipement, les matériels, les doctrines
d’emploi et le rôle des grandes unités, notamment les divisions d’infanterie et les divi-
sions blindées – ou les « armées de chars » chez les Soviétiques. La rapide mais très claire
comparaison de l’organisation des hauts-commandements soviétique, allemand, anglo-
saxon et japonais est, elle aussi, passionnante. Rien qu’avec ces derniers graphiques, on
comprend pourquoi les Allemands et les Japonais ont perdu cette guerre… Enfin, il
ressort de l’ensemble de l’ouvrage que la puissance globale (économique et militaire)
des États-Unis apparaît comme le vainqueur ultime de cette conflagration planétaire, non
seulement par son rôle dans le cours de celle-ci, mais encore par son émergence à la sor-
tie comme en étant l’ultime vainqueur, position qu’elle n’a jamais abandonnée depuis.
On aura compris que ce livre est indispensable pour tous ceux qui, pour une raison ou
une autre, s’intéressent à la Seconde Guerre mondiale, mais également pour tous ceux
qui entendent comprendre l’histoire du monde dans lequel nous vivons depuis lors, car
nombre de ses problèmes sont, directement ou non, issus de ce drame. Deux petites
réserves, cependant : l’immense et fascinante guerre du Pacifique est insuffisamment
traitée ; il en est de même des questions politiques et diplomatiques. Mais il est vrai
que ces derniers aspects sont probablement les plus difficiles à rendre de façon gra-
phique. On peut donc considérer que les auteurs ont fait de leur mieux sur ce point et
qu’ils nous ont livré l’essentiel. Cet ouvrage devra donc obtenir rapidement le statut
d’« usuel » auquel il conviendra de se référer et de revenir, mais un usuel qui se lit
comme un essai ! Il est le complément parfait de toutes les autres lectures sur ce thème.
Laurent Henninger

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