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Chapitre 4
L E S P F D E G U E R R E FR O ID E
UNE ORGANISATION MALMENÉE
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L
es organisations de masse découlent des principes du léninisme
(article 9 des Vingt et une Conditions) et constituent un tout
interactif ; leur responsabilité est confiée à un membre du
comité central (Auguste Gillot, puis directement André Marty pour le
Secours populaire) assisté d’un adjoint (MM. Bailly puis Parinaud) ;
celui-ci est omniprésent dans le fonctionnement quotidien, se rend
souvent sur place et assiste aux réunions nationales ; il en réfère cepen-
dant pour les décisions importantes au responsable en titre, qui
convoque alors les dirigeants au siège du comité central. Au Secours
populaire, la période 1951-1952 doit être mise à part, les dirigeants
devant en répondre directement à André Marty même pour de menus
problèmes d’organisation. La communication se fait exceptionnellement
par courrier et plutôt, par discrétion, par téléphone et convocations.
En mai 1946, un secrétariat du PCF traitant de l’UJRF donne ce qui
pourrait être érigé en définition théorique de l’organisation de masse :
« doit être une organisation large qui n’affirme pas l’étiquette commu-
niste, mais qui travaille dans l’esprit communiste » ; « doit soutenir
l’action du parti dans une forme adaptée » pour « y faire pénétrer l’esprit
communiste 1 ». Les membres du parti ne doivent pas tenir seuls les
rênes du pouvoir, ou du moins ne doivent-ils pas en donner l’impres-
sion. Il leur faut cependant appliquer les directives fixées par la direc-
tion du parti et le non-respect conduit à des rappels à l’ordre, voire à
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constituant ainsi un garde-fou. La troisième : l’organisation de masse
est financièrement dépendante du parti et du conglomérat (donateurs,
souscripteurs) et, de 1945 à 1948 ou 1950, les dirigeants sont de surcroît
rémunérés par le parti à l’échelon de permanents du comité central non
élus 2. Enfin, au fil du durcissement du contexte politique, une cohésion
accrue s’impose et la fidélité absolue aux ordres devient de rigueur. Les
dirigeants de l’association sont alors, pour l’ensemble de leurs actes,
contrôlés par le parti ; les déplacements à l’étranger sont soumis à auto-
risation du secrétariat du PCF et les déplacements en France à une
autorisation au moins verbale d’un responsable en référant au
secrétariat du parti.
Au sein de cet ensemble, le Secours populaire est chargé de la « lutte
contre la répression », fonction a priori prestigieuse, puisqu’il s’agit de
défendre les militants œuvrant pour la Révolution et de permettre ainsi
la régénération des forces. Le prestige acquis par le Secours rouge
tendrait à corroborer cette hypothèse. Il n’en est pourtant rien :
« brancardier d’une révolution qui n’arrive jamais 3 », arrière-troupe
d’une avant-garde, le Secours populaire est une petite association
malmenée, considérée comme quantité négligeable ; elle est de surcroît
ballottée au fil des dissensions stratégiques au plus haut de la hiérarchie
communiste.
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Le SPF de guerre froide : une organisation malmenée
Le « brancardier » du conglomérat
Trois configurations témoignent du rôle de « brancardier » et de
« Croix-Rouge » joué par l’association : au service de la CGT, du
Mouvement de la paix et du PCF lui-même.
Le Secours populaire fait d’abord fonction de troupe arrière de la
CGT. Lors des grèves de novembre-décembre 1947, il contribue après la
fusillade de la gare de Valence à la solidarité matérielle aux grévistes et
aux familles, dénonce l’intervention des forces de l’ordre, et fait déposer
par ses avocats une plainte au nom des veuves et des orphelins ; il
constitue avec l’approbation de la CGT un comité ad hoc pour soutenir
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les victimes d’incidents ; il assure, à la demande de la CGT, la défense
juridique des grévistes 4. L’année 1948 est ensuite celle d’un fort rappro-
chement avec la CGT, dont le SPF soutient les mots d’ordre et à qui il
offre sa vice-présidence. Lors des grèves d’octobre-novembre 1948, ses
militants sont dès le début dans les usines pour collecter argent et
protestations, la CGT lui confie le soin de parrainer les emprisonnés et
de soutenir leurs familles, et mille six cents enfants de mineurs sont
accueillis en région parisienne. Le Secours populaire organise et finance
également, à la demande de la fédération CGT du sous-sol, la défense
d’une partie des inculpés.
L’association intervient également lors des campagnes communistes
pour la paix, importantes à partir de 1948 ; les modalités sont cepen-
dant différentes, conduisant peu à peu à la confusion organisationnelle,
voire identitaire. Reprenant à son compte des objectifs politiques éloi-
gnés de ses prérogatives, selon le principe rappelé par Francis Jourdain
que « mieux vaut prévenir que guérir 5 », le SPF répercute de surcroît
chaque grande initiative, intervient lors des Assises nationales du
peuple français pour la paix et la liberté, et décide « d’être présent à une
place d’honneur dans les conseils communaux pour la liberté et la
paix », comme sont présents, au conseil national des Combattants de la
paix et de la liberté, nombre de ses dirigeants. Le soutien se mue alors
en adhésion concrète : en février 1949, le SPF devient officiellement
membre du Congrès mondial des partisans de la paix et signe l’appel
général ; en mai, Francis Jourdain, président du SPF, est délégué au
Congrès mondial à Paris. Lorsqu’en 1950, les campagnes s’intensifient,
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dans le comité de la paix, on parlait du Mouvement de la paix. Et le
lendemain, on se retrouvait les mêmes ; ordre du jour du comité de
section : “la lutte pour la paix” (il rigole)… On se retrouvait tous,
sauf le pasteur et le général de l’Armée du Salut… Donc, quand on
me dit “des comités pour élargir”, d’accord, mais il ne faut pas… On
changeait de casquette 6. »
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L’arrière-troupe d’une avant-garde
À l’image de son organisation matricielle, « avant-garde de la classe
ouvrière », le Secours populaire se veut l’« avant-garde de l’action
concrète pour la défense des libertés ». Il est cependant davantage, en
tant qu’organisation de masse secondaire et en décrue, une troupe
arrière servant de renfort numérique et de relais de la propagande.
L ’ o r g a n i s at io n d e m a ss e , f o r c e d ’ a p p o i n t
Lors des grandes mobilisations, le PCF rassemble l’ensemble de ses
organisations ; le Secours populaire sert alors d’appoint. Les organisa-
tions de masse s’aident également entre elles : le SPF participe ainsi aux
« semaines nationales » de plusieurs de ses consœurs, ou souscrit en
novembre 1949 pour le Front national lors de l’incendie de son siège.
Cette solidarité vaut également pour l’échelon départemental : la fédé-
ration du Vaucluse défend le dirigeant de l’UJRF condamné pour distri-
bution de tracts lors des grèves de 1947, celle du Nord collecte pour les
jeunes de l’UJRF arrêtés pour collage d’affiches début 1951 ; les mili-
tants de l’UFF ou de la CGT font également l’objet d’aides ponctuelles.
Les coopérations de terrain sont fréquentes : le SPF travaille main dans
la main avec la FNDIRP pour « le châtiment des traîtres » et la libération
des résistants emprisonnés, avec l’UFF pour les repas aux vieux
travailleurs ou les arbres de Noël, avec la CGT pour la défense des
grévistes, etc. ; les meetings locaux sont la plupart du temps communs,
avec des orateurs de chaque organisation concernée. Cette collaboration
directe est cependant une spécificité locale et départementale : au
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LE SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS, 1945-2000
parti communiste
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L ’ o r g a n i s a t i o n d e m a s s e , t r i bu n e p o li t i q u e
L’organisation de masse joue également un rôle important de sociali-
sation politique, notamment par son journal, passé au crible par les
relecteurs du PCF avant parution : destiné à informer les militants des
campagnes en cours, il se fait tribune et relais pour les actions du parti.
La Défense diffuse en effet la vision communiste, alors quelque peu
manichéenne, autant pour entretenir les ardeurs des convaincus que
pour rallier les éléments indécis et/ou non affiliés. Les États-Unis sont
traités en Corée de « criminels d’Hiroshima 9 » menant des « raids de
terreur contre les populations civiles », bombardant les hôpitaux, incen-
diant les villages et « massacrant des innocents », faisant du pays un
nouvel « Oradour ». La Corée du Nord est présentée comme le lieu des
réformes agraires et sociales, celle du Sud celui de la misère et de
l’esclavage. L’avancée des troupes communistes en Chine donne lieu à
force et poétique métaphore : « le Kuomintang se décompose comme la
pourriture 10 » car « le régime du Kuomintang, c’est de la pourriture, et
tout ce qui est pourri finit par se décomposer ». Tito est victime des
diabolisations les plus outrancières. Inversement et sans surprise, l’URSS
est portée aux nues : « école de la dignité humaine 11 » où le travail forcé
n’existe pas, le « travail correctif » est en revanche l’« une des réussites
les plus étonnantes et les plus accomplies du régime » : ce système
datant « de la lutte contre le koulak saboteur » est fondé sur « une parti-
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programmes politiques du PCF. En février 1945, il appelle ainsi à voter
pour les listes communes d’unité française aux élections municipales
d’avril, faisant sien le programme du CNR et présentant même des
candidats à double casquette SPF/PCF. Lors de la mise au vote des deux
projets successifs de Constitution, il relaie également les consignes de
vote du PCF. Les prises de position sont ensuite moins formalisées,
l’association n’appelant plus ouvertement à voter pour les candidats du
parti (contrairement à l’UFF qui se prononce officiellement jusqu’en
1954 12) ; les propos n’en restent pas moins sans équivoque et la viru-
lence du discours envers le gouvernement et les partis non commu-
nistes, le général de Gaulle et Jules Moch étant les plus violemment
écornés, ne laisse planer de doute sur les sympathies politiques. Sont de
surcroît régulièrement relayés les congrès du PCF ou, en 1951, l’indi-
gnation communiste contre la loi sur les apparentements, « étape vers la
fascisation du régime 13 ».
On voit ainsi combien les organisations de masse sont constamment
sommées de reprendre, de surcroît sans atténuation, les propos commu-
nistes les plus manichéens. Le PCF étouffe donc lui-même dans l’œuf
leur rôle constitutif, celui de sas entre le parti et la société.
L ’ o r g a n i s at io n d e m a s s e , u n o u t i l de d i f f u s io n
de la culture communiste
Outil directement politique, les organisations de masse sont aussi et
plus subtilement un vecteur culturel. Les militants participent aux fêtes
du conglomérat, qui sont chaque année l’occasion d’un rappel opportun
12. Renée Rousseau, Les Femmes rouges, Paris, Albin Michel, 1983.
13. La Défense, mars 1951.
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(celui du national, et celui de la fédération de Paris ou des régions).
Dans son rôle de « sas de socialisation », le Secours populaire
consacre dans chaque numéro du journal, à l’instar du PCF et de sa
politique culturelle, une rubrique sur le cinéma, l’art et/ou la littérature.
À visée a priori distractive, cette page immerge le lecteur dans la culture
communiste du moment : les critiques plus que dithyrambiques vont
sans surprise aux films faisant l’éloge de l’URSS (La Bataille de Stalin-
grad, Mitchourine 14) et à ceux dans lesquels jouent des communistes ou
des compagnons de route (La Beauté du Diable avec Michel Simon et
Gérard Philippe, La Marie du port de Marcel Carné avec Jean Gabin et
Nicole Courcelle, Thérèse Raquin avec Simone Signoret…). En revanche,
Autant en emporte le vent est taxé de film « colonialiste, esclavagiste,
oppressant et déprimant […] d’un ennui imposant (quatre heures de
projection !) » et représentatif du « cinéma américain, cinéma de prépa-
ration à la guerre 15 ». Les chroniques de La Défense abordent également
la littérature, sorte de petite « bataille du livre » répondant à celle lancée
par le PCF. L’enjeu est similaire : la diffusion d’une littérature militante
contre l’américanisation de la culture française. La rubrique relaie les
parutions des ténors du parti, à commencer par la reparution de Fils du
peuple de Maurice Thorez : ce livre « est toute clarté et toute simplicité.
Il n’est pas un livre pour spécialistes distingués. Il est le livre de tous,
que liront avec joie et profit le jeune lycéen aussi bien que le métallo,
l’historien et la ménagère, le paysan et le professeur. Il est un livre plein
d’enseignements qui porte à réfléchir, qui montre la route à ceux qui la
cherchent, éclaire la route de ceux qui l’ont déjà trouvée. Il est le récit
d’une vie toute consacrée au bien du peuple. Il est exaltant. Il nous fait
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Le SPF de guerre froide : une organisation malmenée
vouloir être meilleurs 16 ». Côté peinture, enfin, l’association fait siens les
canons artistiques du parti et l’évolution vers le réalisme socialiste.
L’organisation de masse ne diffuse donc pas une culture exhaustive,
s’en tenant aux grands classiques et à l’actualité. Car « les éléments
fondamentaux, même de la culture communiste, au sens le plus intellec-
tuel du terme, ne sont pas démesurément nombreux […]. En quelques
années, on peut, en s’en donnant la peine, acquérir l’essentiel de la
culture communiste officielle 17 ». Ce sont précisément ces rudiments,
qui constituent le « vernis » essentiel à la socialisation, qu’inculque
l’organisation de masse via son journal, ses goguettes et autres formes
de sociabilité.
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Dysfonctionnements du conglomérat
Outil au service exclusif du PCF, l’association ne possède durant la
guerre froide aucune autonomie. Ballottée dans ses attributions comme
par les dirigeants du parti qui la chapeautent, elle est victime des incer-
titudes stratégiques du PCF et des dysfonctionnements organisationnels.
D a n s u n br o u i l la r d d ’ i n c e r t i t u d e s
Révélateur des changements stratégiques du PCF, le secrétaire
général de l’association change à chaque congrès, et il en va de même
pour les statuts. Au sein d’un même combat (cf. la lutte anticolonialiste
ou antifasciste), le Secours populaire peut se voir attribuer certaines
campagnes, mais pas d’autres pourtant similaires, ou s’en voir chargé
puis déchargé d’un mois à l’autre (cf. l’Espagne). Ses prérogatives sont
en outre très – voire trop – larges, puisque prendre en charge l’ensemble
des victimes de la répression (en France et à l’étranger ; pour l’anticolo-
nialisme, l’anticommunisme et l’antifascisme) nécessiterait une associa-
tion beaucoup plus forte qu’il ne l’est alors – et de se retrouver ipso
facto condamné à ne mener qu’une action très en deçà des attentes de
son organisation matricielle.
Le plus souvent, le PCF, conscient de la faiblesse de son organisation
de solidarité, préfère donc recourir à la stratégie des comités ad hoc
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lement dévolue au rôle de troupe arrière ou de second couteau, n’ayant
jusqu’à l’automne 1952 que peu d’actions valorisantes à mener, le
Secours populaire voit ses militants quitter le navire.
Autre incertitude, l’association est déboussolée, stricto sensu, par les
oscillations récurrentes entre ouverture et fermeture. De 1945 à 1947, la
tentative d’ouverture est réelle. L’association cherche à se rendre
« populaire », appelant même à « briser le cercle dans lequel s’enferment
encore trop de fédérations pour qui le mot “populaire” est synonyme
d’“ouvrier”. Il ne faut pas considérer que seuls les ajusteurs et les chemi-
nots sont pourvus d’un cœur 18 ». En janvier 1947, encore, elle demande
aux militants de « voir large, cesser de rester entre copains, entre amis
qui pensent de la même façon 19 ». Ces bonnes paroles sont cependant
relativement peu suivies d’effet, le soutien sans faille au PCF entravant
l’élargissement. Ainsi, même durant les années 1945-1947, le Secours
populaire ne recrute pas au-delà du parti et des organisations de masse,
qui constituent son principal vivier de collecte et d’adhésions 20 – ce qui
limite ses possibilités tant financières qu’humaines, puisqu’elle n’est ni
l’association la plus attractive, ni la plus prestigieuse. Quand arrive
ensuite le mouvement de fermeture de guerre froide, André Marty prône
sans succès une ouverture idéologique à contre-courant : « l’union n’est
pas nécessaire sur les causes de la répression, il suffit qu’elle le soit sur
ses conséquences. Tous les gens de cœur qui sont légitimement indignés
de voir des parents arrachés à leurs enfants, des citoyens honnêtes
traités comme des criminels, des civils traduits en temps de paix devant
des conseils de guerre, peuvent et doivent s’unir contre la répression,
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Le SPF de guerre froide : une organisation malmenée
quelles que soient par ailleurs leurs opinions respectives sur les causes
de cette répression 21 ». André Ménétrier estime qu’en 1950-1951, au
moins 80 % des militants étaient communistes, les autres étant des
sympathisants 22.
Ces questions renvoient donc les militants – troisième incertitude – à
l’ambiguïté récurrente sur le positionnement au regard des campagnes
du parti. En 1945-1947, le problème de l’attitude à avoir sur l’Espagne
avait déjà été posé (faut-il ne faire que dénoncer la répression ou
prendre parti pour la rupture des relations diplomatiques et économi-
ques avec Franco ? La question avait été tranchée en faveur de la
première option). Il se repose sur le réarmement allemand, pour être
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tranché par Marty en mai 1951 :
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– Je ne connaissais personne ! Et je ne connaissais pas le Secours…
Si, de nom. Les débuts du Secours populaire, si, quand même ; mais
les rouages, tout ça, moi je ne connaissais strictement rien. Je suis
arrivé dans cette direction avec ce titre que je n’avais pas du tout
demandé, je n’avais rien demandé […]. Alors comment les choses se
sont déroulées pour que moi, monsieur Lambda, sois nommé par le
Parti secrétaire général, en dehors des instances régulières du
Secours populaire, et tout le monde a voté pour moi à l’unanimité
alors que c’est la première fois qu’ils me voyaient et moi c’est la pre-
mière fois que je les voyais, dans un congrès… C’était… C’était… Bon
j’ai pas tellement discuté, à dire vrai, mais avec le recul du temps je
m’aperçois quand même que ce sont des méthodes un peu particuliè-
res. Alors d’où c’est venu, je n’en sais strictement rien […]. Et je n’ai
jamais rien demandé – d’ailleurs je n’avais rien à demander 24 ! »
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U n e o r g a n i s a t i o n d e m a s s e p e u c o n si d é r é e
L’entretien cité avec André Ménétrier montre combien le SPF pouvait
être en 1950 quasi inconnu à un responsable syndical, alors même
qu’un rapprochement important venait d’être opéré avec la CGT. Plus
généralement, l’association est pour nombre de militants communistes
considérée comme quantité négligeable ; elle est même ouvertement
dénigrée par certains dirigeants :
25. Bernard Pudal, Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF,
Paris, Presses de Sciences Po, 1989.
26. Olivier Le Cour Grandmaison, « Le Mouvement de la paix pendant la
guerre froide : le cas français (1948-1952) », Communisme, 18-19, 1988,
p. 120-138.
27. Michel Pigenet, Au cœur…, op. cit., p. 53.
28. Entretien avec Pierre Éloire du 15 octobre 2003.
29. Georges Lavau, À quoi sert le PCF ?, Paris, Fayard, 1981.
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Secours populaire se heurte au durcissement de la justice et du gouver-
nement face aux communistes, qui oblitèrent fortement toute possibilité
de succès. Vanter les mérites de l’efficacité de l’action populaire, lors de
la libération du résistant Édouard Moreau après huit années d’incarcéra-
tion, même si la peine de mort et la détention à perpétuité lui ont fina-
lement été évitées, n’a de fait, au regard des verdicts de l’époque, rien de
très glorieux. De même, si la Campagne Henri Martin a certes pris une
ampleur politique exceptionnelle – mais due à l’implication du PCF –, le
résultat concret pour l’emprisonné n’en revient pas moins à presque
trois années et demie de réclusion au régime sévère, pour des tracts
exprimant ce qu’Esprit put toujours écrire sans l’ombre d’une menace de
poursuite.
Il n’est donc pas surprenant que les militants soient parfois difficiles
à motiver, et doivent « [être convaincus] que le militantisme au Secours
populaire n’est pas secondaire, n’est pas une tâche mineure ; que dans
la bataille contre les forces rétrogrades, le rôle de brancardier n’est pas
négligeable 30 ». Il est moins étonnant encore qu’il soit pour ainsi dire
impossible de s’attacher durablement des cadres solides. Julien
Lauprêtre, affecté en 1954 par le PCF, explique comment sa mutation
fut perçue comme une mise au placard :
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on fait une pétition ! Ah non, tu ne vas pas aller là-dedans, ça y’a
rien à faire !” Et il y en a un en douce qui me dit : “Mais t’as fait une
connerie ?” C’était l’état d’esprit qu’il y avait, tu vois 31. »
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outre leur rôle spécifique et statutaire, une fonction de relais : ils gros-
sissent numériquement les rangs dans les diverses manifestations et
accroissent les résultats lors des pétitions, s’offrent comme tribune poli-
tique, sont un sas de socialisation et de familiarisation à la culture
communiste – cet « ensemble de croyances et de comportements politi-
ques conduisant à l’inculcation de normes sociales 33 ». Les organisations
de masse sont aussi indispensables dans le versant « téléologique » que
« sociétal » du communisme et le Secours populaire, bien qu’il appa-
raisse comme un chétif mal-aimé, y participe avec les moyens qu’on lui
donne.
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