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Émile Durkheim.

– Leçons de sociologie criminelle, texte


découvert et édité par Matthieu Béra, Paris, Flammarion,
coll. « Bibliothèque des savoirs », 2022, 416 pages.
Philippe Steiner
Dans L'Année sociologique 2023/2 (Vol. 73), pages e5 à e11
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0066-2399
ISBN 9782130843283
DOI 10.3917/anso.232.e0005
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 31/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.82.211.159)

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principe allant à l’encontre des courants dits « compréhensifs-interpré-
tatifs » de la sociologie, qui étudient les significations en soi et « obli-
tèrent souvent la différence entre humain et social » (p. 322). Il évoque
également dans cette partie la sociologie dite « analytique », cristallisa-
tion dans les années 1990 de l’héritage de plusieurs sociologues de
renom comme Robert Merton, Raymond Boudon, Jon Elster ou
encore Peter Hedström. Les thèses contenues dans Sociologie fondamen-
tale font écho à nombre de questionnements épistémologiques et
méthodologiques qui accompagnent le développement de ce courant,
et ses partisans y trouveront donc sans aucun doute de quoi nourrir
avantageusement leurs réflexions.
L’ouvrage se conclut sur une réflexion à propos de la vérité
– l’auteur en présente de manière limpide et détaillée différentes théo-
ries – à une époque où elle se retrouve parfois reléguée au second plan
derrière d’autres types de valeur (politique ou idéologique par
exemple). On peut regretter tout de même ici que la démonstration de
l’entrée effective dans une « ère de la post-vérité » ne repose que sur
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une anecdote personnelle qui, certes, reflète une vision souvent parta-
gée dans notre société actuelle, mais ne saurait se substituer à une
analyse plus rigoureuse. Quoi qu’il en soit, le propos de D. Raynaud est
ici univoque : la vérité reste la norme fondamentale de toute recherche
scientifique.
Jérémy ATTARD
Service de philosophie et d’histoire des sciences,
Faculté des sciences, université de Mons
jeremy.attard@umons.ac.be

Émile DURKHEIM. – Leçons de sociologie criminelle, texte découvert


et édité par Matthieu Béra, Paris, Flammarion, coll. « Bibliothèque
des savoirs », 2022, 416 pages.
La parution des Leçons de sociologie criminelle est un événement
majeur pour la connaissance de la pensée et de l’œuvre d’Émile
Durkheim et on la doit à Matthieu Béra, professeur de sociologie à
l’université de Bordeaux. Il s’agit du cours inédit que le fondateur fran-
çais de la sociologie a proposé à ses étudiants de l’université de Bor-
deaux entre décembre 1892 et avril 1893, et que M. Béra a « inventé »
après de longues recherches 1. Ce cours entrait dans une séquence de
recherches et un cycle d’enseignements sur le crime, la peine et la
responsabilité ; il avait prévu d’étudier la procédure, mais en a été
détourné pour dériver vers la sociologie religieuse 2.

1. Inventé comme on dit désormais que Henri Cosquer a « inventé » la grotte qui
porte son nom, grotte dont l’existence s’était perdue dans la nuit des temps et sous les
37 mètres de profondeur de son entrée.
2. Lettre à Mauss du 28 mai 1894 (Durkheim, 1998).
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Avant d’entrer dans le détail, une vue d’ensemble de l’ouvrage est
utile. Composé de 13 leçons en 12 chapitres, le cours lui-même occupe
140 pages du volume : les notes prises ici par Marcel Mauss semblent
très précises, comme une sténographie du cours oral. Le reste du
volume est constitué d’un copieux et érudit appareil critique de
M. Béra. Après une brève introduction (p. 5-8) où ce dernier présente
le parcours qui lui a permis d’exhumer ce document, et une reconstitu-
tion de la table des matières des leçons (p. 157-171), vient un très
copieux dossier scientifique (p. 175-408) avec, successivement : un
commentaire approfondi des leçons (p. 175-220), suivi d’un synopsis
des leçons (p. 221-231), un glossaire de 132 termes (p. 223-292), un
index des termes par leçon (p. 294-309), la bibliographie explicite de
Durkheim et sa chronologie (p. 311-321), la bibliographie secondaire
(p. 323-337), les témoignages de deux étudiants (p. 339-342) et, pour
terminer, une importante série de notes érudites éclairant de nombreux
points du texte de Durkheim (p. 345-408).
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Le présent compte-rendu va mettre l’accent sur le contenu du
cours lui-même, puis sur les commentaires de l’inventeur du texte. Mais
avant cela, il faut expliciter le processus menant à l’invention de ces
leçons.

Une découverte exceptionnelle

L’invention de ce texte inédit de Durkheim est le résultat d’une


recherche originale qui a consisté à partir des contemporains de
Durkheim, c’est-à-dire des membres de sa famille, de ses collègues et
de ses élèves de la période bordelaise, puis à retrouver leurs héritiers
afin d’examiner avec eux s’il restait des documents relatifs à la période
bordelaise de leur ancêtre. Une démarche indirecte donc puisqu’il
n’existe pas de dépôt connu d’archives du père de la sociologie fran-
çaise, outre ce que Mauss avait réuni et que l’on peut consulter à l’Insti-
tut des mémoires de l’édition contemporaine (Imec). Cette démarche
indirecte demande de l’ingéniosité, du temps et un sens consommé de
la diplomatie puisqu’il s’agit de convaincre des personnes d’aller fouiller
dans de vieux coffres, des étagères rarement visitées. Et surtout, lorsque
des documents intéressants surgissent, il s’agit de les convaincre de les
laisser examiner par un chercheur, certes très sympathique et empa-
thique, mais étranger à leur monde relationnel. Des correspondances
inédites ont déjà été exhumées, une prise de note, très difficile à lire,
de Mauss sur le cours de Durkheim sur la famille l’a été également et
est en cours de transcription. Aujourd’hui, grâce à Madame Éveline
Halphen, épouse d’un des petits-fils de Marie Durkheim, la fille
d’Émile Durkheim, M. Béra nous offre l’aboutissement d’un long
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travail avec la retranscription quasi complète du cours que Durkheim a
donné à l’université de Bordeaux entre décembre 1892 et avril 1893.

Le cours de Durkheim

La structure de ces leçons est sans surprise. Après une première


leçon destinée à offrir une définition initiale du crime et à présenter le
thème du cours, Durkheim enchaîne avec quatre leçons sur l’essence
du crime, son rapport à la conscience collective et sa normalité. À la
fin de la cinquième leçon et d’une partie de la suivante, le professeur
bifurque en prenant pour objet l’évolution pénale et l’évolution de la
répression. Cet ensemble de leçons forme les deux premières parties du
cours que M. Béra appelle respectivement les éléments constants et les
variables du crime.
La troisième partie jusqu’à la dixième leçon rassemble les leçons
que Durkheim consacre à la critique des interprétations non sociales
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du crime, dont les principaux tenants sont les criminologues italiens
– Cesare Lombroso (1835-1909), Raffaele Garofalo (1851-1934) et
Enrico Ferri (1856-1929) en sont les représentants les plus connus.
Enfin, du milieu de la dixième leçon à la douzième, Durkheim
présente une classification des facteurs sociaux du crime avec, successi-
vement, les crimes altruistes, alcooliques, ataxiques et anomiques. Une
brève leçon de conclusion fait le lien entre le crime et la civilisation et
évoque les groupes professionnels comme solution pratique.
Les lecteurs habitués à l’œuvre publiée de Durkheim se retrouve-
ront vite en terrain balisé tant les similarités avec les Règles de la méthode
sociologique sont nombreuses – ce que M. Béra relève méticuleusement
dans ses commentaires.
Durkheim commence par une définition du crime en l’adossant à
la dimension institutionnelle qu’est la peine (p. 11-15). Le crime est un
fait social, ce qui veut dire qu’à l’inverse de l’école criminologiste ita-
lienne et de ses émules, c’est ici le crime qui est l’objet de l’étude et non
le criminel. Si on y ajoute la dimension pratique, Durkheim allonge
la séquence crime-peine avec la notion de responsabilité (p. 12). La
qualification de fait social est ensuite précisée en expliquant qu’il y a
crime parce que l’acte froisse des sentiments collectifs intenses et précis
(p. 29). Le crime est déjà dans son esprit un fait normal, nécessaire et
utile lorsqu’il ne dépasse pas un taux donné (p. 42).
Il est remarquable de voir que dès cette période Durkheim fait le
lien avec la religion : le rapprochement entre le fait moral et le fait
religieux provient du lien qu’il introduit entre le crime et le péché
(p. 34) 3. Un peu plus loin, Durkheim assimilera les tatouages, plus

3. M. Béra a consacré un article à cette question essentielle (Béra, 2022).


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fréquents chez les criminels que dans l’ensemble de la population, au
totémisme (p. 77). Ce rapprochement se prolonge lorsque Durkheim
examine l’évolution de la criminalité : d’une part, il relève le fait que
les crimes religieux diminuent tandis que les crimes contre la propriété
augmentent (p. 57) et, de l’autre, il note que si la morale ancienne
portait l’individu à s’attacher à des formes collectives, la morale nouvelle
lui demande de s’attacher à l’humain (p. 60).
Les leçons consacrées à la critique de l’école italienne montrent
que Durkheim mobilise longuement les données statistiques – quand
bien même ses propres calculs peuvent être entachés d’erreurs. Ce
faisant, il examine pour les écarter les facteurs biologiques, cosmolo-
giques, voire économiques – plus que le crime du pauvre, c’est celui
du vagabond qui retient son attention, parce que le vagabond est
l’image même de l’individu désocialisé. Cela fait, il ne reste plus, dit-il
en appliquant une méthode par élimination dont on peut douter de la
pertinence, que le facteur social (p. 109).
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La classification des crimes

Consacrées à une classification des crimes, les dernières leçons font


immédiatement penser à ce que Durkheim proposera dans son étude
du suicide, parue en 1897.
La classification de Durkheim propose de distinguer quatre formes
de crimes avec les crimes altruistes, alcooliques, ataxiques et anomiques
– une cinquième classe relative aux crimes sexuels est brièvement
évoquée en quelques mots dans la dernière leçon. De toute évidence,
cette catégorie le gêne : il la rapproche du crime altruiste pour les viols
et attentats sur adultes, avant de renvoyer les viols sur enfants aux crimes
dits vésaniques, c’est-à-dire à la perversion et psychopathie des crimi-
nels, car il ne leur trouve « aucune condition sociale » (p. 149).
Les crimes altruistes sont caractérisés par des sentiments collectifs
envers des objets collectifs (le groupe, sa religion, etc.) occupant une
place importante dans la conscience des individus : en conséquence,
l’individu seul (un objet non collectif) importe peu et est donc tué plus
aisément. Comme l’importance de ces objets collectifs diminue avec le
progrès de la civilisation, cela explique la baisse des homicides, mais a
contrario, la guerre, les crises politiques, la religion catholique, qui ont
toutes pour effet de renforcer la présence des objets collectifs dans les
consciences, sont des milieux sociaux dans lesquels les homicides
s’accroîssent. Il relève également que les homicides sont également le
produit d’une vie sociale plus intense, comme leur relative concentra-
tion sur les jours de fête le montre selon lui.
Le terme d’altruisme appliqué à l’homicide, et plus généralement
à la violence, peut surprendre admet Durkheim (p. 120). Dès le début
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de ses leçons, il avait prévenu son auditoire que l’altruisme désignait
l’intérêt pour autrui (p. 26), mais pas nécessairement le fait de faire du
bien à autrui (p. 32). Il suit le fil de cette idée pour caractériser
l’altruisme comme la situation dans laquelle la conscience individuelle
est occupée par autre chose qu’elle-même. On n’est plus très loin de la
définition qui sera mise en œuvre dans Le Suicide.
Les crimes alcooliques sont associés à la vie de cabaret, lieu de la
consommation d’alcool, et à une vie sociale plus intense que Durkheim
qualifie déjà d’effervescence collective. Mais cette catégorie fait diffi-
culté : au-delà du lien établi avec l’intensité de la vie collective,
Durkheim reste discret sur le rapport aux sentiments collectifs. Comme
le note M. Béra, les crimes alcooliques peuvent sur ce point être rap-
prochés du crime anomique (perte de repère moral et désirs immodé-
rés) ou du crime ataxique (instabilité sociale).
Les crimes ataxiques – un terme issu de la littérature médicale pour
désigner le manque de coordination des membres chez un individu –
concernent les vols. Est-ce dû à la misère ? Durkheim écarte cette inter-
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prétation en expliquant que ce sont les départements les plus riches qui
sont les plus touchés. Il n’envisage pas que les inégalités de revenus et
de patrimoines puissent fournir une explication lorsque misère et
richesse sont côte à côte. Il se tourne vers une explication morale en
faisant une association entre vol et vagabondage, c’est-à-dire entre vol
et individus peu intégrés socialement, en situation d’instabilité sociale.
Ce crime est donc caractérisé par une vie sociale de faible intensité et
la faiblesse des sentiments collectifs : il est le symétrique du crime
altruiste dans cette typologie. Enfin, presque car, finalement, Durkheim
indique que si cela est valable pour la version rurale, les crimes ataxiques
urbains associent l’instabilité sociale à un niveau élevé de la vie
collective.
Les crimes anomiques forment la dernière catégorie. Ce sont des
crimes dont la composante économique est essentielle (banqueroute,
abus de confiance) marqués par des désirs immodérés. Les causes
sociales sont donc celles d’une vie collective intense associée à une
faiblesse des sentiments collectifs.
Cette classification suscite la comparaison avec celle élaborée pour
Le Suicide, comme le remarque M. Béra qui considère celle avancée
dans les Leçons comme une esquisse permettant d’entrer dans le labora-
toire de travail de Durkheim (p. 199). Dans les deux cas, il s’agit d’inter-
préter des faits collectés par la statistique officielle comme des faits
sociaux, de manière à fournir un discours sociologique théoriquement
fondé et différent de celui des criminologues. Mais la structure théo-
rique sous-jacente diffère, et sans doute celle des leçons était encore
insatisfaisante.
M. Béra propose d’interpréter la typologie des Leçons selon deux
axes, avec les sentiments collectifs d’un côté, la vie collective de l’autre,
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chacun pouvant être présent par excès ou par défaut. Dans les termes
qu’utilisera Durkheim ensuite, le premier axe est celui des représenta-
tions, le second celui des pratiques. Cette interprétation, surtout
appuyée sur le crime altruiste, peut être traduite dans un tableau
(p. 218), reproduit ci-dessous.
L’interprétation suggère que les différentes classes de crime sont
redevables d’une double caractérisation. Ainsi par exemple, le crime
anomique est dû à un excès de vie collective et à un défaut de sentiment
collectif. Comme M. Béra le note, cette classification rend mal compte
du crime alcoolique, catégorie absente des figures 12 et 14 de son
commentaire (p. 211 et 218). On peut sans doute ajouter le fait que le
crime ataxique urbain pose également difficulté, puisque Durkheim
l’associe à un haut niveau de vie collective, ce qui rend sa position
incertaine dans le tableau croisé.

Vie collective
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Excès Défaut

Excès Crimes
altruistes

Sentiments
collectifs
Défaut Crimes Crimes
anomiques ataxiques

En plus de l’absence d’un crime égoïste qui ferait symétrie avec le


crime altruiste, la classification des Leçons est insatisfaisante. Est-ce la
raison pour laquelle Durkheim ne la reprend pas ? C’est probable.
D’autant qu’il serait bien difficile de faire rentrer les quatre types de
suicide dans le tableau ci-dessus. Tout laisse penser que la mise à l’écart
de la classification en 1897 provient d’un changement dans la théorie
de la socialisation de Durkheim.
En effet, dans les Leçons, il s’appuie sur le croisement des pratiques
(la vie collective, plus ou moins intense) et des représentations (senti-
ments collectifs, plus ou moins intenses). En dehors du crime alcoo-
lique qui fait difficulté, il n’est jamais question d’intégration sociale, et
encore moins de régulation sociale, c’est-à-dire de la conceptualisation
à la base de la classification du Suicide. L’arrivée de ces concepts permet
une typologie bien différente de celle des Leçons. Si on suit l’interpréta-
tion de Philippe Besnard (1987 : 99), l’intégration sociale suppose des
pratiques communes, des représentations communes et un idéal ou but
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commun, il en va de même selon moi pour la régulation sociale
(Steiner, 1994 : 44-46) qui suppose une hiérarchie régulant les pra-
tiques, une modération des passions et la légitimité des buts communs.
Il n’est plus alors question des deux axes qui organisent la classification
des Leçons : pratiques et représentations ne sont plus distinguées comme
les deux variables-clés, car, dans Le Suicide, elles sont désormais fondues
dans l’intégration sociale d’une part, dans la régulation de l’autre,
chacune des deux pouvant être en excès ou en défaut, pour donner
la classification symétrique et complète des différents cas, ce que la
classification des Leçons ne permettait pas de faire.
La lecture de ces Leçons de sociologie criminelle va donner lieu à com-
mentaire. L’édition que l’on doit à M. Béra n’est pas seulement un
texte supplémentaire à ajouter à l’œuvre de Durkheim. C’est également
le moyen de suivre au plus près l’élaboration théorique du sociologue
français, au travers de ses toutes premières réflexions. On ne peut que
se réjouir de disposer désormais de ce texte qui permet de mieux
répondre aux questions que posent la formation et l’évolution de la
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pensée de Durkheim.
Philippe STEINER
GEMASS, Sorbonne Université
philippe.steiner@sorbonne-universite.fr

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Béra M., 2022, « Crime et religion chez Durkheim. Les liens forts
entre ses sociologies criminelle et religieuse », Durkheimian
Studies, 26, 1, p. 41-67. DOI : 10.3167/ds.2022.260103.
Besnard Ph., 1987, L’Anomie. Ses usages et ses fonctions dans la disci-
pline sociologique depuis Durkheim, Paris, Puf.
Durkheim É., 1998, Lettres à Marcel Mauss, éditées et présentées par
Ph. Besnard et M. Fournier, Paris, Puf.
Steiner Ph., 1994, La Sociologie de Durkheim, Paris, La Découverte.

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