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Objection libérale, objection libertarienne

Julien Damon
Dans Regards 2023/2 (N° 62), pages 163 à 176
Éditions EN3S-École nationale supérieure de Sécurité sociale
ISSN 0988-6982
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DÉCEMBRE 2023 • N°62

Objection libérale, objection libertarienne

Par Julien Damon, Enseignant à Sciences Po et à HEC, conseiller scientifique de l’En3s

Enseignant à Sciences Po, à HEC, et conseiller scientifique de l’EN3S,


Julien Damon a été directeur des études à la Caisse nationale des
allocations familiales (CNAF), chef du service Questions sociales au
Centre d’analyse stratégique, président de l’Observatoire national de
la pauvreté et de l’exclusion sociale, membre de cabinets ministériels.
Il a publié une trentaine d’ouvrages sur les questions sociales et
urbaines dont, récemment, Aux frontières du logement ordinaire
(2022), Toilettes publiques. Essai sur les commodités urbaines (2023).
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O
bjection, votre honneur ! Mais objection libérale. Par « objection libérale », il
faut entendre l’opposition argumentée aux obligations relatives à la protection
sociale. L’expression a été forgée par Henri Hatzfeld dans son étude des origines
de la sécurité sociale1, puis reprise dans la doctrine.
L’objection libérale c’est l’énoncé des risques, pour l’individu, de se voir trop
contraint, économiquement, juridiquement, moralement, par une organisation collec-
tive obligatoire.
Le libéralisme et l’idée libérale, surtout envisagés sur temps long, ne bénéfi-
cient toutefois pas d’une définition simple, tout comme l’objection libérale n’est pas
uniforme. Si l’on peut parler d’école ou de courant de pensée, plusieurs chapelles
coexistent. Quand elles ne s’affrontent pas2. En deux mots, le libéralisme constitue,
avec d’autres options, l’un des points cardinaux de la réflexion éthique et politique,
dérivant sur des analyses économiques et des pratiques concrètes. Il compte parmi
les grands modèles, les grands discours, les grandes théories (chacun choisira le mot
qui lui convient) qui structurent les pans de la réflexion économique et sociale actuelle
et qui, en ce sens, structurent les rapports entre un individu et les différents collectifs
qui l’entourent ou l’enserrent.

1 Henri Hatzfled, Du paupérisme à la sécurité sociale (1850-1940), Paris, Armand Colin, 1971. Son travail visait à
montrer que « la sécurité sociale s’oppose à la logique de la pensée libérale ».
2 Dans la collection des anthologies et réflexions sur le libéralisme, je demande le plus épais. Plus de 900 pages
de libéralisme et d’analyses fouillées sur cette idée souvent caricaturée se trouvent chez Alain Laurent et
Vincent Valentin, Les Penseurs libéraux, Paris, Les Belles Lettres, 2012. En plus court, mais toujours dense, voir
Michel Guénaire, Les deux libéralismes, Paris, Perrin, 2011. Voir aussi le classique de Pierre Manent, Histoire
intellectuelle du libéralisme : dix leçons, Paris, Fayard, 1987. Voir, pour une introduction sous format original,
Daniel Tourre, Pulp libéralisme. La tradition libérale pour les débutants, Versailles, Tulys, 2012.

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OBJECTION LIBÉRALE, OBJECTION LIBERTARIENNE

Depuis toujours, plus abondamment depuis la fin du XVIIIe siècle, mais aussi plus
précisément autour du philosophe John Rawls et de sa fameuse Théorie de la Justice
(1971), une littérature copieuse s’est développée au sujet des fondations des insti-
tutions sociales et de l’organisation collective des sociétés3. Indexées sur la ques-
tion centrale de la justice sociale, différentes postures, très solides, sont maintenant
disponibles sur le marché des convictions et des comportements. Toutes avec une
indéniable cohérence interne, ces théorisations composent le spectre des position-
nements éthiques et pratiques. Chacune développe une vision de la société juste
et du progrès humain. On peut lister, sans entrer dans le détail de leurs différentes
composantes, l’utilitarisme, le marxisme, l’égalitarisme et le libertarisme4. Ce dernier,
comme on le verra, est une forme radicale du libéralisme qui, lui, peut emprunter
aussi bien à l’utilitarisme qu’à l’égalitarisme. En tout cas, ces constructions intellec-
tuelles campent les « points cardinaux » des réflexions et des discussions politiques,
mais aussi, pouvons-nous ajouter, des discussions de café (qui ne sont pas moins
importantes). Faisant jouer les variables « juste », « bonne », « égalitaire », « libre »,
« heureuse », ces bases théoriques, qui ne sont pas des alternatives définitivement
opposables, permettent d’évaluer les formes de la protection sociale, en tant que
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systèmes d’obligations et de droits du côté de l’individu comme de la collectivité.
Mais revenons sur terre, et contentons-nous d’une rapide exploration doctri-
nale, centrée sur les deux derniers siècles de la protection sociale. Pourquoi les
deux derniers siècles alors que les deux premiers millénaires sont également riches
d’idées ? Parce que c’est sur cette période que se développent les pensées les plus
conséquentes, que s’élaborent et se répondent toutes les familles de « -ismes » qui,
du socialisme au libertarianisme en passant par le solidarisme5, se trouvent bien au
fondement des discussions, objections et propositions contemporaines.

I- L’OBJECTION LIBÉRALE CLASSIQUE


Cette exploration consistera essentiellement en la présentation de quelques
grands auteurs, connus, et en cela admirés ou détestés, pour leur libéralisme. Elle
peut débuter par une référence à Malthus. Non pas pour l’insérer de force dans le
camp libéral, mais pour rappeler la rigueur de la critique à l’égard de la protection
sociale collective.

3 Pour une mise en perspective voir, dirigé par la traductrice de Rawls en français, Catherine Audiard (dir.),
Individu et justice sociale. Autour de John Rawls, Paris, Seuil, 1988. Du même auteur, on lira aussi Qu’est-ce que
le libéralisme ?, Paris, Gallimard, 2009.
4 Sur ces « points cardinaux », voir Christian Arnsperger et Philippe Van Parijs, Éthique économique et sociale,
Paris, La Découverte, 2000. De façon plus détaillée, voir Philippe Van Parijs, Qu’est-ce qu’une société juste ?
Introduction à la pratique de la philosophie politique, Paris, Seuil, 1991. Dans cet ouvrage, on s’intéressera
principalement aux chapitres sur « l’ambivalence du libertarisme » et sur « l’économie du bien-être face au
défi libertarien ».
5 Sur ce « -isme » particulier qu’est le solidarisme et sur son auteur phare, Léon Bourgeois, bien plus connus
et appréciés par les experts de la protection sociale à la française, voir Serge Audier, La Pensée solidariste. Aux
sources du modèle républicain français, Paris, PUF, 2010.

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I.1/ Malthus contre les droits des pauvres


Thomas Robert Malthus (1766-1834) est le sixième enfant d’une famille aisée et le
père d’un garçon et de deux filles. Économiste et pasteur anglican, il occupe le premier
professorat d’économie politique créé en Angleterre, dans un contexte marqué par la
misère. Son Essai sur le principe de population (1798), publié d’abord anonymement,
connaît un retentissement considérable, mêlant diatribes et dithyrambes. Le « prin-
cipe de population », c’est-à-dire la « puissance » de croître que possède la population
sans réel égard pour les ressources dont elle dispose, constitue un écueil majeur pour
le progrès.
Malthus formule une loi mathématisée (simple, mais jamais vérifiée) de la progres-
sion de la population. « Lorsque la population n’est arrêtée par aucun obstacle, elle
va doubler tous les vingt-cinq ans, et croît de période en période, selon une propor-
tion géométrique. » Or « les moyens de subsistance, dans les circonstances les plus
favorables à l’industrie, ne peuvent jamais augmenter plus rapidement que selon
une progression arithmétique ». Pédagogue, Malthus précise que « la race humaine
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croîtrait comme les nombres, 1, 2, 4, 8, 16 ; tandis que les subsistances croîtraient
comme ceux-ci : 1, 2, 3, 4, 5 ». L’équilibre ne peut être rétabli que par des obstacles
« destructifs » (guerres, famines, etc.) qui provoquent une baisse de la population et
par des obstacles « privatifs » qui préviennent l’augmentation de la population. Pour
« contenir la population au niveau des moyens de subsistance », Malthus a essentielle-
ment plaidé pour la mise en œuvre de l’obstacle privatif par excellence : la « contrainte
morale ». Celle-ci revêt un double aspect : « l’abstinence du mariage, jointe à la chas-
teté ». L’homme doit rester chaste avant le mariage et, après avoir convolé, ne pas
avoir plus d’enfants qu’il ne peut raisonnablement en élever.
Si Malthus est d’accord pour « améliorer le sort des pauvres méritants », la
pauvreté ne peut être vaincue que par une limitation démographique des classes défa-
vorisées. Malthus était un farouche opposant aux Poor Laws (lois sur les pauvres) qui,
selon lui, en faisant de l’assistance aux pauvres une obligation, favorisaient la nata-
lité sans augmentation de la production nécessaire. Il juge nécessaire de « désavouer
publiquement le prétendu droit des pauvres à être entretenus aux frais de la société »,
car il n’y a pas toujours de places pour eux « au grand festin de la nature ». Si, disait-il,
vous assistez les pauvres, ceux-ci deviendront plus prolifiques et vous augmenterez la
misère que vous voulez réduire. « Ces lois, écrivait-il avec des mots qui annoncent la
théorie des effets pervers, créent les pauvres qu’elles assistent. » Elles faussent des
mécanismes dont les vertus régulatrices sont liées à la spontanéité et à la liberté qui
doivent être laissées. En ce sens, obliger la collectivité pour l’individu nécessiteux c’est
mettre en péril la collectivité.

I.2/ Tocqueville contre l’État-providence tutélaire

Un peu plus tard, Tocqueville cherche, dans un passage très couramment cité
de De la démocratie en Amérique (1835 et 1840), à prévenir ses contemporains et les
générations qui suivent des dangers qu’il y aurait à laisser se déployer l’État-provi-
dence : « Au-dessus des hommes semblables et égaux s’élève un pouvoir immense
et tutélaire qui se charge seul d’assurer leurs jouissances et de veiller sur leur sort.

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OBJECTION LIBÉRALE, OBJECTION LIBERTARIENNE

Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance pater-


nelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il
ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les
citoyens se réjouissent pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers
à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur
sécurité, prévoit et assure leurs facilités et leurs plaisirs, conduit leurs principales
affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leur héritage. »
Né noble, juste après la Révolution, Alexis de Tocqueville (1805-1859) n’aura eu
de cesse de se pencher sur les questions d’égalité et de démocratie. Jeune magistrat
envoyé en Amérique pour y étudier le système pénitentiaire, il connaît des deux côtés
de l’Atlantique un immense succès avec ses ouvrages. Élu député de centre gauche, il
sera également membre de l’Institut, avant d’être un éphémère ministre des Affaires
étrangères, qui se retirera de la vie politique après le coup d’État du futur Napoléon III.
Son talent et son action auront été mis au service du problème crucial de la compati-
bilité entre égalité et liberté. Il apparaît comme un penseur fondamental de la moder-
nité, quand la « passion ardente » de l’égalité l’emporte sur le goût de la liberté.
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Dans son Mémoire sur le paupérisme (1835) il dénonce, à la Malthus pourrait-on
dire, la charité qui ne serait plus individuelle et libre, mais collective et obligée par le
truchement des droits. C’est une attaque contre la charité légale. Les phrases sont
célèbres : « Tout système régulier, permanent, administratif, dont le but sera de pour-
voir aux besoins du pauvre, fera naître plus de misères qu’il n’en peut guérir, dépra-
vera la population qu’il veut secourir et consoler. » En réalité, il ne condamne pas ce
que le juriste actuel baptise assistance, si celle-ci reste discrétionnaire. Il s’attaque à
la logique des droits-créances, droits propres à l’individu qu’il pourrait faire valoir sur
un collectif désincarné.
Dans un discours prononcé à l’Assemblée en septembre 1848, le « citoyen de
Tocqueville » s’en prend au droit du travail6. Il développe l’objection libérale classique à
l’encontre du droit social et des programmes sociaux publics. Pour Tocqueville, l’éven-
tuelle création d’un « droit au travail » ouvre la voie fatale des faux droits et de la
servitude. Le socialisme en prend pour son grade philosophique. Rousseau, Proudhon
et Babeuf sont conspués. Et Tocqueville de célébrer une Révolution française qui n’a
pas d’abord consacré l’État, mais la propriété individuelle. Rapprochant, pour cause
d’étatisme et de dérive liberticide possible, les socialistes et l’Ancien Régime, il réfute
le principe de droits sociaux. Il voit dans de nécessaires aides sociales publiques du
« christianisme appliqué à la politique ».
Sociologue, il s’interroge sur la subsistance de la liberté individuelle face aux
profondes aspirations égalitaires. Il montre les divergences entre Europe et Amérique
dans leur façon de devenir des sociétés démocratiques. Philosophe libéral, ses
réflexions dénoncent les tyrannies et les catastrophes en germe derrière une démo-
cratisation qui serait égalisation autoritaire des conditions, individualisation totale
des personnes et centralisation absolue du pouvoir. Il met en exergue les risques de
dérive d’une démocratie d’extrême égalité vers un État tutélaire, chaque citoyen étant
invité à se réfugier dans une vie privée dégagée de la collectivité. Tocqueville souligne
que dans les sociétés aristocratiques chacun avait une place bien attribuée, dans une
« longue chaîne qui remontait du paysan au roi ». Les hommes n’avaient pas besoin
de s’y associer, car ils étaient fortement retenus ensemble par castes ou par classes.

6 Texte repris dans Alexis de Tocqueville, Contre le droit au travail, Paris, Les Belles Lettres, 2015.

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La démocratie a brisé cette chaîne et séparé les individus. Dans les sociétés démo-
cratiques, les citoyens, renvoyés à leur individualité, sont indépendants mais faibles.
Selon Tocqueville, l’individualisme est d’ailleurs la maladie constitutive des « temps
d’égalité ». Pour remédier aux dangers d’un culte excessif de l’individu, il convient
de valoriser les institutions intermédiaires typiquement démocratiques que sont les
associations, dont, à cette époque, les mutuelles. Tocqueville en ce sens ne figure pas
dans le camp de ceux qui fustigent toute protection sociale, ni d’ailleurs tout État. C’est
ce que font les libertariens.

II- L’OBJECTION LIBERTARIENNE


À côté des libéraux et du libéralisme, ou bien dans leur prolongement, se
trouvent les libertariens et le libertarianisme7. On parle aussi parfois de liberta-
risme. La doctrine place en son centre le droit à la liberté et le droit à la propriété.
Le mot « libéralisme » pourrait valablement servir la même fonction. Il est cepen-
dant galvaudé par plus d’un siècle d’usage. Et il sert, outre-Atlantique, à désigner
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la social-démocratie. Les libertariens, farouchement opposés à toute immixtion de
l’État sur les marchés (dont celui de l’assurance), et les spécialistes de philosophie
politique lui préfèrent donc une étiquette moins ambigüe. Les partisans d’un liberta-
rianisme, pulvérisant l’axe droite-gauche, se dressent donc contre la redistribution
étatique et contre les interdictions étatiques (par exemple les politiques contre la
consommation de stupéfiants ou contre l’immigration). Ce qui doit compter, dans une
société juste, c’est si la distribution observée est le produit de transactions volon-
taires. La préservation de la liberté individuelle est un objectif premier, prévalant
très largement sur l’amélioration du bien-être collectif.
Méconnu en France, ce courant a ses lettres de noblesse intellectuelle, puisant aux
mêmes sources que le libéralisme classique, par exemple celui d’un John Locke, qu’il
veut mettre en œuvre intégralement8. D’ailleurs, pour adapter la formule de Charles
Maurras (en rien un libéral) qui théorisait le « nationalisme intégral », les libertariens
veulent une sorte de « libéralisme intégral ». Pour le résumer : entre l’individu et le
collectif aucune médiation obligatoire, et donc aucune organisation de protection
sociale structurée autrement que par le marché.
Comptant comme l’une des familles cardinales et radicales de la philosophie
politique, en rupture avec le conservatisme, le libertarianisme dispose de ses grands
noms, avec les Autrichiens Ludwig von Mises et Friedrich Hayek, avec Milton et David

7 Pour une présentation et une analyse de « l’archipel des utopies libertariennes », voir Sébastien Caré, La Pensée
libertarienne. Genèse, fondements et horizons d’une utopie libérale, Paris, PUF, 2009. Voir également son autre
ouvrage, Les Libertariens aux États-Unis. Sociologie d’un mouvement asocial, Rennes, Presses Universitaires
de Rennes, 2010. Et pour une incarnation concrète du projet libertarien, voir Julien Damon, « Vers des villes
flottantes ? », Constructif, n° 57, 2020, pp. 47-51.
8 Au passage, on lira de John Locke, Que faire des pauvres ?, Paris, PUF, 2013. Le philosophe propose, à la fin
du XVIIe siècle, un panaché de coercition, de moralisation et d’institutionnalisation pour la prise en charge des
pauvres. Dans ce court rapport, que les PUF exhument, l’ambition est de centrer l’assistance sur l’obligation
de travailler. Cette lutte contre l’oisiveté (que l’on pourra lire, rétrospectivement, comme une guerre contre les
défavorisés) produit des obligations pour les individus, mais aussi pour la collectivité. La dureté de l’auteur
de la Lettre sur la tolérance surprendra. Il recommande des châtiments corporels même pour les enfants
mendiants. On pourra aussi se gausser de ses positions moralisantes sur la nécessaire fermeture de certaines
tavernes ou sur l’obligation de fréquenter l’église.

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OBJECTION LIBÉRALE, OBJECTION LIBERTARIENNE

Friedman (père et fils) et ses formulations les plus radicales avec Murray Rothbard,
Robert Nozick9 ou l’étrange romancière Ayn Rand10. Appuyé sur quelques prix Nobel
d’économie et sur une salve de livres publiés notamment dans les années 1970, il
dispose, aux États-Unis, de son petit parti, mais aussi de ses think tanks influents (dont
le Cato Institute), et, maintenant, de ses responsables politiques de premier plan s’en
revendiquant. Des techno-prophètes milliardaires de la Silicon Valley, Elon Musk et
Peter Thiel au premier rang, défendent intellectuellement et matériellement un tech-
nolibertarianisme qui se déploie. Outre-Atlantique, le mouvement ne concerne pas que
les États-Unis. En Argentine, le candidat explicitement libertarien et anarcho-capita-
liste, tout en conservatisme également, Javier Milei a défrayé la chronique internatio-
nale en 2023 avec sa victoire à l’élection présidentielle11.
La pensée libertarienne (aisément caricaturable en - disons - « ultra ultra libé-
rale »), qui voit dans l’impôt l’esclavage12 et dans l’État la spoliation et la négation des
droits naturels, n’est en rien un modèle systématique unique. Il s’agit d’un mouvement
foisonnant d’idées au fondement et à la portée parfois contradictoires, avec diffé-
rentes options : le minarchisme (pour un État minimal), l’anarcho-capitalisme (pour
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une liberté sans État), le libéralisme d’un Hayek, d’un Friedman (père). Ces derniers
paraissent d’ailleurs bien mesurés, voire timorés, par rapport aux autres libertariens.
Le point de départ commun des libertariens procède de la dignité fondamentale de
chaque individu. Pour les libertariens, une société juste n’est pas une société heureuse,
mais une société libre, c’est-à-dire composée d’individus souverains dont la liberté ne
peut être bridée par des impératifs collectifs. Chacun, dans une société libertarienne, a
d’abord entière propriété de soi. L’individu libre s’engage dans des transactions volon-
taires, refusant toute coercition et toute obligation, qui permettent une juste circulation
des droits de propriété. Récusant la justice sociale (un « mirage » pour Hayek), les
libertariens valorisent l’égalité formelle (l’égalité des droits) et repoussent toute idée
d’égalité substantielle (égalité des chances ou des situations).

9 Son ouvrage majeur Anarchie, État et utopie, publié en 1974, est considéré comme la réponse libertarienne à
la Théorie de la justice de John Rawls, son collègue à Harvard, parue trois ans auparavant. Critique à l’égard de
l’orthodoxie libertarienne anarcho-capitaliste, il est favorable à un état minimal.
10 Théoricienne d’un « égoïsme rationnel » et de ce qu’elle baptisait « objectivisme », Ayn Rand (1905-1982)
est une figure singulière. Peu connue en France, très diffusée aux États-Unis, elle fait l’objet d’une certaine
dévotion du côté libertarien. En plus d’une vie romanesque et de romans à succès (dont Atlas Shrugged en
1957), elle développe une philosophie de défense radicale du capitalisme, de l’individualisme et de la raison.
Voir, introduite par le philosophe libéral Alain Laurent, la collection de textes de Ayn Rand, Une philosophie pour
vivre sur la Terre, Paris, Les Belles Lettres, 2020. Voir aussi Mathilde Berger-Perrin, Ayn Rand. L’égoïsme comme
héroïsme, Paris, Michalon, 2023.
11 À son sujet voir notamment l’article du Financial Times (31 août 2023), « Libertarianism is having a moment
with Argentina’s Milei ». Décrié en France comme trublion ultralibéral, Milei avait dit un jour, au sujet de sa
coiffure (qui dénote), qu’en la matière aussi il laissait faire la main invisible…
12 Sur l’impôt, d’un point de vue libertarien, voir l’essai signé par le traducteur français de Hayek, Philippe Nemo,
Philosophie de l’impôt, Paris, PUF, 2017. Nemo invite ardemment à revenir aux fondamentaux de l’impôt. Celui-
ci procéderait de trois légitimités. Pour assurer l’ordre public, chacun doit contribuer également (per capita, par
capitation). L’impôt se justifie aussi pour financer certains services collectifs. Il doit alors être proportionnel au
revenu, et plafonné. La taxation devrait, encore, réduire les inégalités. Mais, selon Nemo, au risque de verser
dans la spoliation confiscatoire et l’inquisition liberticide, une société doit s’interdire la progressivité de l’impôt
qui amène à cotiser sans contrepartie.

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II.1/ Hayek et les mirages du social

Docteur en droit et en sciences politiques, Friedrich August von Hayek (1899-1992)


est célébré ou exécré (selon les orientations) dans le monde entier. Il ne soulève pas
immédiatement la sympathie dans le secteur social. Il rejette toute base pour des
politiques d’égalité des chances, de solidarité, de redistribution, ou encore d’aide au
développement. Thuriféraire d’une orthodoxie libérale, souvent présenté comme un
apologiste de la loi de la jungle, il a en tout cas développé une des plus importantes
pensées du siècle. Ses adversaires comme ses zélateurs en conviennent, faisant de
son essai La Route de la servitude (1944) paru, entre autres, en réaction implicite au
rapport Beveridge13, un livre de chevet ou un pensum court à s’infliger.
Contempteur de toute protection sociale obligatoire, cet « anti-Keynes », qui est
aussi un anti-Beveridge, s’est consacré à la défense des mécanismes autorégula-
teurs du marché. Il affirme « la supériorité de l’ordre spontané sur l’ordre décrété » et
confère à l’État le seul rôle de permettre l’ajustement mutuel des préférences et des
anticipations individuelles.
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Le marché est, chez Hayek, le règne de la liberté. Au cœur de sa philosophie,
on trouve ce principe : « Nous devons faire le plus grand usage possible des forces
sociales spontanées, et recourir le moins possible à la coercition. »
Selon lui, la justice sociale est donc un « mirage », mais aussi une « incantation
inepte », un « fantasme ». Elle constitue un obstacle majeur au marché et, partant,
à la survie en société. Pour Hayek, les droits sociaux, tels qu’il les décortique dans
La Constitution de la liberté (1960) et dans le tome II de Droit, législation et liberté
(1976), sont « absurdes », car il s’agit de créances dont le recouvrement ne peut-être
justement assuré. « Des règles de juste conduite ne peuvent jamais conférer à titre
personnel un droit à tel ou tel bien ; elles ne peuvent procurer que des possibilités
d’acquérir un titre à quelque chose. »
Pourfendeur incisif du socialisme et du marxisme, comme base de l’engrenage
totalitaire, Hayek exécrait le mot social qu’il qualifiait même de « mot fouine ». De
même qu’une fouine aurait la capacité de vider un œuf en le gobant sans en abîmer
la coquille, il existerait des mots asséchant de sens tous les termes auxquels ils sont
associés. Accoler social à un terme c’est vider ce dernier de toute signification. Le
penseur libéral considère d’ailleurs que l’invention du mot « sociétal » s’explique par
la nécessité de rendre à social, désormais dépouillé de toute véritable signification,
son sens descriptif initial (qui se rapporte à la société)14. En tout cas, dans la logique de
Hayek, il n’y a pas de justice sociale, mais une justice, pas de politiques sociales, mais
des politiques, pas de droits sociaux, mais des droits.
Pour Hayek, tout plan collectif - comme le plan français de Sécurité sociale - est
un chemin vers le totalitarisme. Ironie de l’histoire des idées, Hayek se voit attribuer
le prix Nobel d’économie en 1974 en même temps que Gunnar Myrdal (1898-1987),
un Suédois dont les analyses et recommandations, menées avec son épouse Alva,
ont servi de base à l’architecture de la protection sociale de type social-démocrate.
D’un côté, le refus libéral de tout droit social, de l’autre, l’idée d’investissements publics
à consentir pour une gamme importante de services et d’équipements.
13 Paru en 1942, ce rapport fondateur ne sera traduit en français qu’en 2011, dans une version abrégée, avec une
préface de François Hollande.
14 Voir le

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OBJECTION LIBÉRALE, OBJECTION LIBERTARIENNE

En tout cas, Hayek aura marqué de son empreinte la pensée libérale, en particu-
lier en matière de protection sociale. Un auteur libéral français, avec qui il dialoguait,
Bertrand de Jouvenel, sera tout aussi clair sur la redistribution. Lors de conférences
prononcées à Cambridge en 1951, il estime que « la redistribution, plutôt qu’un trans-
fert de revenu disponible des riches vers les pauvres, est en réalité une redistribution
de pouvoir de l’individu à l’État ». Tout est ici dit en résumé. Même si cette charge de
Jouvenel contre les « redistributionnistes » ne condense qu’une partie de la vie intel-
lectuelle de cet auteur singulier15.

II.2/ Murray Rothbard et l’anarcho-capitalisme

On connaît la formule de Proudhon : « La propriété, c’est le vol ! » Pour Murray


Rothbard (1926-1995), philosophe et économiste libertarien, la propriété est, au
contraire, le fondement de tout droit. Figure de proue de l’anarcho-capitalisme, Roth-
bard est bien partisan d’un libéralisme intégral. Cet auteur américain prolixe, mais
largement ignoré en France16, a ses partisans inconditionnels et ses détracteurs
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rapides. Il faut dire qu’il ne fait pas dans la demi-mesure : « L’État est l’ennemi éternel
du genre humain. » Il s’explique. La propriété légitime de l’homme, vis-à-vis de son
corps et de son travail, ne saurait résulter de la coercition. Or l’État opère par « para-
sitisme coercitif » (l’impôt, la police, les tribunaux).
Pour Rothbard, l’État est une organisation criminelle (la plus grande qui soit).
Son analyse n’est pas uniquement une méditation (avec tout de même son Robinson
Crusoé qui choisit ses champignons). C’est aussi une argumentation assise sur des
cas pratiques (le monopole de la vente de frites comme métaphore de l’État, ou les
priorités d’attribution des places dans un canot de sauvetage).
Au fond, sans que cette maxime soit de lui, sa pensée illustre une formule qui
résume la pensée libertarienne qu’il incarne : « Je me battrai jusqu’au bout pour qu’un
couple d’homosexuels puisse défendre son champ de cannabis avec ses armes. »
Sa théorie des droits naturels de propriété n’est ni morale ni métaphysique (en tout
cas, elle se prétend telle). Elle débouche sur la condamnation de l’intervention publique
et de tous les « parasites » qui ne produisent ni n’échangent, en particulier ceux qu’il
nomme les « hommes de l’État » (les élus et les fonctionnaires). Il faut le lire pour le
croire : on peut être pour l’abolition totale de l’État, pour le désarmement nucléaire,
contre les droits des animaux (et des Martiens), pour le port d’armes, contre la conscrip-
tion, pour l’avortement, pour que toutes les rues soient privées. On peut même être en
faveur d’un « marché libre des bébés ». En tout cas, on peut être absolument contre toute
obligation de protection collective, ceci afin de préserver et responsabiliser l’individu.
Dans le sillon du libéralisme dit classique (celui d’un John Locke ou d’un Herbert
Spencer17), notre auteur, avec rigueur et sans aridité, est cohérent. Extrémiste reven-
diqué, il ne fait pas de concession. Toute forme d’État, même minimale, ne peut que
dériver vers le collectivisme total. Ses propos sur Tocqueville « confus et incohérent »
et ses pages sur Hayek dépeint comme un quasi-étatiste valent le détour.

15 Voir Bertrand de Jouvenel, L’Éthique de la redistribution, Paris, Les Belles Lettres, 2014.
16 Son ouvrage le plus connu a cependant bénéficié de deux éditions en France, voir Murray Rothbard, L’Éthique
de la liberté, Paris, Les Belles Lettres, 1991 et 2011.
17 Sur Spencer, qui fut un temps le penseur le plus influent et le plus lu dans toute l’Europe ainsi qu’aux États-
Unis, et sur son hostilité envers toute forme étatique ou municipale de subvention aux pauvres, voir Daniel
Becquemont et Laurent Mucchielli, Le cas Spencer, Paris, PUF, 1998.
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DÉCEMBRE 2023 • N°62

Inspirateur, outre-Atlantique, de certaines dimensions du mouvement Tea Party et,


aujourd’hui, de certains républicains, Rothbard n’a rien d’un illuminé sans consistance.
Son appel à l’abolition de l’État (comme on abolit l’esclavage) est irritant ou fascinant.
Toujours décapante, son objection libertarienne est une opposition totale à la protec-
tion sociale telle qu’on la conçoit et telle qu’on la déploie en France.

II.3/ Charles Murray et le revenu universel contre l’État-providence

Fréquemment présenté à la fois comme ultralibéral et ultraconservateur, Charles


Murray (né en 1943) bataille depuis toujours contre tous les programmes sociaux, au
moins depuis son premier ouvrage à grand retentissement Losing Ground (1984)18.
Son constat est d’abord celui des conservateurs américains : dans la guerre contre la
pauvreté, c’est cette dernière qui aurait gagné. La boucle de ce petit article est bouclée :
on retrouve ici le Malthus qui se dressait contre les Poor Laws britanniques. Murray
s’érige, avec plus de chiffres, mais avec les mêmes fondements moraux, contre la
« guerre contre la pauvreté » ainsi explicitement lancée outre-Atlantique au début des
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années 1960.
Il s’agit d’un auteur que la polémique et les sujets sensibles rebutent peu. Dans
The Bell Curve (1994), Murray s’intéressait au rôle de l’intelligence, mesurée par le QI.
Ce gros best-seller, hautement disputé, débordant de statistiques indigestes, avançait
que la disparité des QI expliquerait la structure des revenus. La stratification sociale
serait d’abord une « stratification cognitive ».
Mais son principal combat, c’est l’État-providence. Pour en sortir et y mettre défini-
tivement fin, il propose, dans In Our Hands (2006), un plan complet non pas de sécurité
sociale, mais pour sortir de la protection sociale. Comment faire ? En créant un revenu
universel, et en supprimant tous les autres mécanismes socio-fiscaux.
C’est la même légitimation que Milton Friedman apporte à son impôt négatif.
Le mieux, selon ce dernier, serait qu’il n’y ait pas de politiques sociales. Mais puisqu’elles
ont été créées, il est impossible de totalement s’en débarrasser. Alors pour être effi-
cace, une solution se dessine, celle d’une simplification radicale par l’impôt négatif19.
Notons que Hayek lui aussi ne voit de justification à une politique sociale que dans la
mise en place d’un filet minimum de sécurité pour ceux qui ne sauraient subvenir à
leurs besoins.
L’argument de Murray est simple. La population américaine n’a jamais été aussi
riche. Chaque année, les pouvoirs publics organisent la redistribution, par des méca-
nismes socio-fiscaux sophistiqués, de plus de 1 000 milliards de dollars (nous sommes
au milieu des années 2000), afin de financer des systèmes collectifs de retraite, d’as-
surance maladie et de lutte contre la pauvreté. Or, il y a toujours autant de pauvres,
de retraités aux très faibles pensions, et de personnes qui n’accèdent pas aux soins.
Pour Murray, seul un gouvernement peut se permettre de dépenser autant d’argent,
de manière aussi inefficace. La solution, simple, apparaît : il faut donner cet argent
directement aux gens. En résumé : « Voilà l’argent. Faites-en ce que vous voulez.

18 En France, un ouvrage signé d’un intellectuel libéral sur les dérapages des politiques sociales et les méfaits de
l’État-providence était sorti un an plus tôt. Moins outrancier que celui de Murray il rencontra moins de succès :
Philippe Bénéton, Le Fléau du bien. Essai sur les politiques sociales occidentales, Paris, Laffont, 1983.
19 Voir Milton Friedman, Capitalisme et liberté, Paris, Laffont, 1972.

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OBJECTION LIBÉRALE, OBJECTION LIBERTARIENNE

Votre vie est entre vos mains. » Concrètement, chaque citoyen américain de plus de
21 ans (sauf en cas d’incarcération) recevrait une somme de 10 000 dollars. À chacun
ensuite de se débrouiller20.
Les États-Unis sont riches, si riches qu’il est, selon lui, possible, voire facile, de
permettre à tout le monde d’accéder à un niveau de vie décent. La seule contrainte qui
empêche véritablement cette meilleure répartition des richesses, c’est le système collectif
de redistribution. La bureaucratie qui gère les prestations et les équipements, avec des
mécanismes de plus en plus complexes et opaques, serait inefficace et contre-productive.
L’argument n’est pas nouveau, mais la solution préconisée, en revanche, est plus
originale. Les impôts collectés ne doivent plus transiter par les rouages des différents
programmes de protection sociale. Le montant total des impôts serait divisé par le nombre
d’adultes, et une prestation monétaire serait versée directement à chaque Américain. Le
montant forfaitaire de cette allocation unique devrait être suffisant pour qu’il n’y ait plus de
pauvres (en situation de pauvreté « absolue », c’est-à-dire selon le standard américain de
mesure de la pauvreté comme minimum ne dépendant pas de la distribution des revenus),
pour que tout le monde puisse s’assurer en termes de santé, et pour que tout le monde soit
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capable de s’organiser une retraite confortable. Ce qui est nouveau, c’est l’accent mis sur
la faisabilité financière (sinon politique) d’un tel programme.
L’auteur est loin d’être naïf. Il sait combien son programme de substitution d’une
allocation quasi universelle à l’État-providence actuel pose de problèmes en termes
de désincitation au travail, de coûts de transaction entre les systèmes, d’implications
en matière de réorganisation radicale de l’administration sociale et fiscale. Toutes ces
questions sont abordées et traitées, mais ne constituent pas le sujet principal de
Murray. Ce ne sont pas les débats habituels autour des réformes paramétriques de
l’État-providence qui lui importent, mais l’adaptation de la protection individuelle à
un âge d’abondance et de sécurité. À la rigueur, historiquement, lorsque les premiers
problèmes étaient ceux de la survie, l’intervention publique pouvait, aux yeux du liber-
tarien Murray, se justifier. Désormais, en période d’abondance, la question qui se pose
est celle du sens de l’existence humaine. Le problème des sociétés avancées n’est pas,
selon lui, véritablement celui de la pauvreté, des retraites, ou des soins. C’est celui de
vivre une vie qui ait un sens - sens qui ne peut se trouver que dans la responsabilité
individuelle et dans le renforcement des institutions de base, en particulier la famille
et la « communauté » (en clair, le voisinage et les réseaux sociaux dits de proximité).
Le plan à cet égard n’est pas une solution seulement technique. Il s’agit profon-
dément de mettre en œuvre certains fondements de la philosophie libertarienne : la
liberté ne peut être bridée par des impératifs collectifs, et les individus responsables
doivent s’auto-organiser sans passer par la création d’institutions publiques désincar-
nées et coupées de la réalité quotidienne des communautés.
Libertarien revendiqué, Murray n’est pas libertaire21. Lui-même divorcé, il voit dans le
déclin du mariage une des raisons de l’aggravation des problèmes sociaux. Avec quelques
contradictions donc, il permet cependant de souligner nettement, pour notre sujet, que
le principe libertarien de base consiste à ne rien faire en matière de protection sociale22.

20 Sur les différentes formules de revenu universel, dont celles de Friedman et de Murray, voir Philippe Van Parijs
et Yannick Vanderborght, Le revenu de base inconditionnel, Paris, La Découverte, 2019.
21 Voir sa propre analyse du libertarianisme, Charles Murray, What It Means to Be a Libertarian, New York,
Broadway Books, 1997.
22 Pour aller plus loin en introduction à Murray, voir Julien Damon, « Pauvreté et justice sociale : l’optique
libertarienne et conservatrice de Charles Murray », Regards croisés sur l’économie, n° 4, 2008, pp. 138-146.

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DÉCEMBRE 2023 • N°62

II.4/ Observations et ouverture face aux deux objections

Ce petit tour de piste ne se veut finalement que rappel ou information sur des
constructions intellectuelles, dont la solidité et la rigueur ne sauraient être unique-
ment brocardées. Les objections libérales et libertariennes (mettons tout au pluriel),
aux doubles sources française et anglo-saxonne, reposent sur des arguments écono-
miques liés aux effets désincitatifs de l’aide sur l’offre de travail, sur des arguments
juridiques quant à la consistance des droits-créances par rapport aux droits-libertés,
sur des arguments éthiques qui confrontent un devoir moral à une dette légale.
Ces objections opposent-elles totalement l’individu et le collectif ? Dans une certaine
mesure oui, car libéraux classiques et libertariens plus déterminés ont en commun de
mettre en avant les droits-libertés de l’individu. Les droits-créances pesant, de fait, sur
la collectivité sont, selon eux, soit nécessairement de moindre portée soit absolument
infondés. Les libéraux et les libertariens sont-ils pour autant intégralement opposés à
l’organisation collective de prestations sociales ? Certainement pas. Ils aspirent seule-
ment à ce que les individus puissent librement adhérer et s’organiser. On pourrait dire,
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pour synthétiser, qu’ils s’opposent davantage à l’État-providence, c’est-à-dire à l’État,
qu’à la protection sociale, si celle-ci ressort de la libre participation des individus.
De fait, nombre de libéraux déplorent à la fois l’individualisme, avec ses consé-
quences moralement néfastes, et le collectivisme, avec ses conséquences économi-
quement et socialement perverses. Même si le premier des maux leur semble moins
préoccupant que le second.
Bien entendu, l’analyse mériterait d’être à la fois nuancée et développée.
Nuancée, car comme on le fait ici, on réduit la pensée à quelques remarques. Déve-
loppée, car précisément le libéralisme (contenant le libertarianisme) est un océan
d’idées et de positions. Il aurait donc été judicieux de traiter aussi du néo-libéralisme23
ou de l’ordo-libéralisme24.
Bref, il reste à faire. Mais, à ce stade, laissons une première conclusion, en forme
d’ouverture, à un libéral classique, le français Frédéric Bastiat (1801-1850). Défendant
constamment la liberté individuelle face à toute autorité instituée, il est l’auteur de la
célèbre formule, prisée par tous les libéraux du monde entier, selon laquelle « l’État,
c’est la grande fiction par laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de
tout le monde ». Présente dans ses Harmonies économiques (1850), elle jouxte bien
d’autres considérations vilipendant la naissance des droits-créances et les pers-
pectives de développement de l’État-providence. Comme son collègue Tocqueville à
l’Assemblée, comme son successeur et admirateur Hayek, Bastiat craignait de voir
l’individu se noyer dans le collectif (même si ce ne sont pas ses mots). Était-il pour
autant contre toute organisation collective de la protection sociale ? Assurément non.
Fervent défenseur des caisses de secours mutuel, Bastiat s’oppose avec force à
toute nationalisation de ce système. Il est un des premiers à dénoncer les dérives

23 Pour un panorama critique, voir Bruno Amable, Le Néo-libéralisme, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2023, et
notamment le chapitre « Contre la protection sociale ». Voir aussi tous les travaux de Kevin Brookes, notamment
le numéro thématique qu’il a dirigé de la revue Quaderni (n° 97, 2018), « Néo-libéralisme(s). Réseaux et formes
des mobilisations en France ». Voir, enfin, l’essai bien senti de Guillaume Bazot, L’Épouvantail néolibéral, un mal
très français, Paris, PUF, 2022.
24 Pour une mise en avant actuelle de la philosophie ordolibérale, voir Alexis Karklins-Marchay, Pour un libéralisme
humaniste, Paris, Presses de la Cité, 2023.

• 173
OBJECTION LIBÉRALE, OBJECTION LIBERTARIENNE

possibles de la nationalisation des systèmes d’assurance maladie. Un long extrait de


ses Harmonies économiques en témoigne.
« Supposez que le gouvernement intervienne. Il est aisé de deviner le rôle qu’il
s’attribuera. Son premier soin sera de s’emparer de toutes ces caisses sous prétexte
de les centraliser et, pour colorer cette entreprise, il promettra de les grossir avec des
ressources prises sur le contribuable.
« Mais, je le demande, que sera devenue la moralité de l’institution quand sa caisse
sera alimentée par l’impôt ; quand nul, si ce n’est quelque bureaucrate, n’aura intérêt
à défendre le fonds commun ; quand chacun, au lieu de se faire un devoir de prévenir
les abus, se fera un plaisir de les favoriser ; quand aura cessé toute surveillance
mutuelle et que feindre une maladie, ce ne sera autre chose que de jouer un bon tour
au gouvernement ?
« Il nommera des vérificateurs, des contrôleurs, des inspecteurs, on verra des
formalités sans nombre s’interposer entre le besoin et le secours. Bref, une admirable
institution sera, dès sa naissance, transformée en une branche de police.
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« Les ouvriers ne verront plus dans la caisse commune une propriété qu’ils admi-
nistrent, qu’ils alimentent, et dont les limites bornent leurs droits. Peu à peu, ils s’ac-
coutumeront à regarder le secours, en cas de maladie ou de chômage, non comme
provenant d’un fonds limité préparé par leur propre prévoyance, mais comme une
dette de la société.
« L’État se verra contraint de demander sans cesse des subventions au budget.
Là, rencontrant l’opposition des commissions de finances, il se trouvera engagé dans
des difficultés inextricables. Les abus iront toujours croissant, et l’on en reculera le
redressement d’année en année, comme c’est l’usage, jusqu’à ce que vienne le jour
d’une explosion.
« Mais alors on s’apercevra qu’on est réduit à compter avec une population qui
ne sait plus agir par elle-même, qui attend tout d’un ministre ou d’un préfet, même la
subsistance, et dont les idées sont perverties au point d’avoir perdu jusqu’à la notion
du droit, de la propriété, de la liberté et de la justice. »
De l’objection libérale pure, avec à la fois un soutien au mutualisme non étatique et
une résonance singulièrement contemporaine.

III- CONCLUSION CRITIQUE


Conséquente et cohérente, l’objection libérale, avec sa dimension radicale que
constitue l’objection libertarienne, ne se réfute pas d’une ligne courroucée.
En philosophie politique, une posture positive et constructive consiste à entrer dans
les argumentations, à explorer des implications, à réfuter des objections, et, à la suite
de Philippe Van Parijs, à adopter « face aux libertariens comme aux marxistes, aux libé-
raux comme aux communautariens, une attitude de sympathie critique qui permet le
dialogue sans bannir les convictions »25. Cette sympathie critique invite simplement à
prendre au sérieux des arguments et des théories. Se placer dans une telle perspective
n’empêche pas l’appréciation critique. Voici donc trois appréciations critiques.

25 Philippe Van Parijs, Qu’est-ce qu’une société juste ?, op. cit.

174 •
DÉCEMBRE 2023 • N°62

D’abord, nombre de libéraux et de libertariens valident les fondements de leurs


objections, mais ne croient pas à la réalisation de leur projet. Le monde explicitement
utopique de l’État minimal (à la Nozick) ou un monde absolument sans État où les contrats
remplaceraient toute constitution (à la Rothbard) ne sont certainement valable que dans
le ciel des idées. Que l’on juge celles-ci pures ou impures. Aucun projet politique crédible
n’est vraiment envisageable en ce sens. D’ailleurs, aucun programme politique ne se
veut pleinement libertarien, totalement anarcho-capitaliste. Au fond, les projets qui se
revendiquent de ces pensées sont surtout des programmes qui critiquent des excès et
des défauts de l’État-providence. Désincitation, déresponsabilisation, déshumanisation
sont trois piques classiques à l’encontre des politiques sociales et de leurs bureaucra-
ties. L’ampleur et les raisons fondamentales de ces trois problèmes font l’objet d’infinies
discussions, même entre les libéraux de plus ou moins stricte obédience.
Ensuite, même s’il y a toujours, quoi qu’on en dise, du neuf sous le soleil, les objec-
tions libérales et libertariennes sont plutôt classiques. On l’a assez dit. Elles reposent
sur des arguments anciens, raffinés avec des théories et des chiffrages modernisés.
Le sujet français, peut-être, tient dans la relative ignorance de la puissance de ces
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arguments. Pierre Rosanvallon, dans son livre classique La Crise de l’État-providence
(1981), le relevait déjà, appelant à prendre les Hayek et autres Nozcik au sérieux, tout
en déplorant la méconnaissance de leur œuvre dans l’Hexagone.
Enfin, plus au fond, on peut conclure sur les différentes générations de droits.
Même si la théorie des trois générations de droits se discute, elle est utile ici. Les
libéraux et les libertariens défendent une stricte position. Selon eux, il n’y a, dans une
acception stricte, que des droits de première génération. Il s’agit des droits de l’homme
au sens des droits-libertés, visant à limiter l’intervention étatique. Ceux-ci protègent
l’individu de la collectivité. Libéraux et libertariens réfutent ou, dans un programme
moins strict, limitent la portée des droits-créances. Ceux-ci, appelant un renforcement
de l’État, protègent l’individu dans la collectivité. La position libérale et libertarienne
à l’égard des droits de troisième génération est critique ou dubitative. Ces droits dits
de « troisième génération » parfois baptisés « droits de solidarité », affirmés dans des
textes d’ambition générale, mais généralement sans effectivité évidente, rassemblent
le droit à l’environnement, le droit des générations futures, le droit à la paix, le droit au
respect du patrimoine commun de l’humanité. Ces droits protègent, en fait, la collecti-
vité. Mais, tout le monde en convient, ils sont difficilement justiciables.
Les deux grandes questions, à réponses très diversifiées, soulevées par les objec-
tions libérales et libertariennes sont celle de l’obligation (du devoir) et celle de la certi-
tude (du droit). Sur l’obligation, il s’agit de critiquer philosophiquement une immixtion
trop importante du collectif sur l’individuel. Sur la certitude, il s’agit davantage d’une
réflexion historique sur la nature et la force du droit. Pour libéraux et libertariens,
les droits sociaux ne sont pas naturels et, surtout, ils sont incertains, car mouvants,
difficiles à faire valoir, contingents. Pour les non-libéraux tout le sujet est de les rendre
solides et certains. C’est là, en réalité, toute l’histoire de la construction de la protec-
tion sociale avec consécration juridique d’autres principes que la liberté, comme
l’égalité et, singulièrement en France, la fraternité26. Du côté de l’incertitude et de
la certitude, la construction des politiques sociales et des droits dits sociaux (pour

26 À ce sujet, aux innombrables déclinaisons, voir Michel Borgetto et Robert Lafore, La République sociale.
Contribution à l’étude de la question démocratique en France, Paris, PUF, 2000. Voir également la collection
d’articles de Jean-Jacques Dupeyroux, collection qui ne vaut pas réfutation des deux objections libérale et
libertarienne, mais élément de réponse : Jean-Jacques Dupeyroux, Œuvres choisies de droit social, Paris, Dalloz,
2023.
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OBJECTION LIBÉRALE, OBJECTION LIBERTARIENNE

faire clin d’œil à Hayek) est précisément une volonté de contrer l’incertitude de l’exis-
tence individuelle par une affirmation des obligations collectives. Et cette affirmation
passe par la consolidation de droits-créances, devenant, pour prendre une expression
chère à Jean Jaurès (effectivement non libéral), des droits certains. Voici ce que le
parlementaire Jaurès en disait à la Chambre des députés le 10 janvier 1910 : « Je dis
que fabriquer, que produire, que créer une société où toutes les personnes auraient
un droit certain et, par la certitude de la garantie sociale, seraient harmonisées les
unes avec les autres, c’est faire œuvre de spiritualité profonde, non pas de spiritualité
abstraite, factice, détachée, mais de spiritualité réelle et concrète qui s’empare de tous
les éléments du monde naturel pour les transfigurer. » Voici aussi ce qu’il signait dans
L’Humanité le 6 mai 1911 au sujet des retraites : « De la magnifique idée d’assurance
sociale, qui crée pour tous les salariés un droit certain, intangible, sans humiliation,
sans condition, nous retombons à une loi d’aumône et d’arbitraire, où le bon plaisir des
autorités distribuera quelques miettes à des pauvres choisis. »
Bref, si on relit et si on relie les analyses des deux députés Bastiat et Jaurès on a,
au-delà de l’éloquence, un jeu d’objections et de réponses aux objections qui aboutit
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à l’équilibre d’un système de protection sociale. Même si cet équilibre, du point de
vue des principes, restera toujours instable et attaqué. Pour plus ou moins de droits
sociaux, pour davantage de collectif par rapport à l’individu ou davantage d’individuel
par rapport à la collectivité.

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