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Traditions en mutation : le développement des médias en

Polynésie française
Tamatoa Bambridge
Dans L'Année sociologique 2001/2 (Vol.51), pages 365 à 390
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0066-2399
ISBN 9782130522171
DOI 10.3917/anso.012.0365
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TRADITIONS EN MUTATION :
LE DÉVELOPPEMENT DES MÉDIAS
EN POLYNÉSIE FRANÇAISE

Tamatoa BAMBRIDGE

RÉSUMÉ. — Cet article propose d’analyser le sens de l’appropriation des médias


(radio, télévision) dans une société traditionnelle du Pacifique, la Polynésie française, du
point de vue d’une anthropologie de l’identité. Un média comme la radio est réappro-
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prié dans le sens d’une logique traditionnelle. Il en est de même pour la télévision dont
les images font l’objet d’un processus de distanciation critique (contrôle social, moquerie,
rire) en zone rurale. Ce double processus nourrit les traditions plus qu’il ne les
bouleverse.
La situation est différente en zone urbaine où les structures sociales de l’identité se
sont affaiblies. L’identification aux messages véhiculés en particulier par la télévision y est
plus nette et contribue à transformer le rapport de la société polynésienne à la culture.
Concernant la production locale, l’image projetée correspond de plus en plus à une cul-
ture folklore qui n’a plus rien à voir avec une culture vécue. Toute la question est alors
de savoir comment se négocieront les rapports entre société, culture et communication.

ABSTRACT. — This article aims at analysing the meaning of the appropriation of


the media (radio and television) in a traditional society of the Pacific, French Polynesia,
from an anthropology of identity point of view. A media as the radio is reappropriated in
a way that meets « traditional » expectations. This is also valid for the television which
images undergo a critical distantiation process (social control, laugh, mockery) in rural
areas. This double process nourish the traditions without destroying them.
The situation is quite different in urban areas where the social structure of identity
have weakened. The identification to the message conveyed especially by the television
is more effective, which contribute to transform the relation of the polynesian society to
its culture. As far as local production is concerned, the projected image has more to do
with a folkloric culture which has nothing in common with the lived culture. The most
important question is to understand how the relations between society, culture and com-
munication will be negotiated.

Introduction

La mondialisation des industries de communication n’a pas


épargné les sociétés traditionnelles et en particulier les sociétés insu-
laires du Pacifique sud, alors même que le rapport entre société tradi-
L’Année sociologique, 2001, 51, n° 2, p. 365 à 390
366 Tamatoa Bambridge

tionnelle et communication fait l’objet de peu d’attention scientifique,


surtout du point de vue anthropologique.
Sur le plan de la communication (au sens large de l’interaction
humaine), l’anthropologie s’est beaucoup attachée à l’étude des
groupes1, des pratiques, des discours2 ou des individus3, mais peu de
travaux ont été réalisés en ce qui concerne les médias4. Cela peut évi-
demment se comprendre dans la mesure où l’anthropologie s’était
fixée comme objectif l’étude et la comparaison des sociétés « primiti-
ves » ou « traditionnelles » à partir d’études ethnographiques, alors
que les médias (sous leurs formes modernes) sont apparues tardive-
ment dans l’histoire des sociétés traditionnelles. Une autre raison
explique le développement tardif (voire inexistant) de l’anthro-
pologie par rapport aux médias dans les sociétés des îles du Pacifique.

1. Par exemple : Williams (ed.), 1973, Socialization and communication in primary


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groups, International Congress of Anthropological and Ethnological Sciences, 9th,
Chicago.
2. La langue en tant que support des réseaux de communication, constitue un objet
de recherche particulièrement dynamique en anthropologie. À titre d’exemple, voir :
McCormack et Wurm (eds), 1973, Language and man : anthropological issues, International
Congress of Anthropological and Ethnological Sciences, 9th, Chicago ; Brison et Karen,
1992, Just talk : gossip, meetings, and power in a Papua New Guinea village, Berkeley, Uni-
versity of California Press.
3. L’étude des attitudes corporelles est un courant, maintenant classique, de
l’anthropologie de la communication, voir, par exemple, à ce propos : Blacking, 1977,
The Anthropology of the body, Londres, New York, Academic Press ; O’Neill, 1989, The
communicative body : studies in communicative philosophy, politics, and sociology, Evanston,
Illinois, Northwestern University Press ; Shevill, 1986, Costume as communication :
ethnographic costumes and textiles from Middle America and the Central Andes of South America
in the collections of the Haffenreffer Museum of Anthropology, Haffenreffer Museum of
Anthropology.
4. Aussi, le problème des liens entre la société traditionnelle et les médias (comme la
télévision et la radio) constitue-t-il un objet d’étude récent, qui ne se développe pas
avant le début des années 1980. Voir par exemple, du côté de la sociologie (mais essen-
tiellement en Occident), Goffman, 1981, Forms of Talk, Publication d’Oxford, Black-
well ; surtout, Goffman, 1981, Radio Talk : a study of the way of our errors, dans Goffman,
op. cit. Du côté des anthropologues : Leach, 1976, Culture and communication : the logic by
which symbols are connected : an introduction to the use of structuralist analysis in social anthropo-
logy, Cambridge University Press ; Hanson, 1982, Studies in symbolism and cultural commu-
nication, Publication de l’University of Kansas dans Anthropology, no 14 ; Boyer, 1990,
Tradition as truth and communication : a cognitive description of traditional discourse, Cambridge
University Press ; Hage, 1996, Island networks : communication, kinship, and classification
structures in Oceania, Cambridge University Press.
Il y a très peu de journaux scientifiques portant sur cet objet de recherche interdisci-
plinaire. Mentionnons le Southwestern journal of anthropology for the Language and Communi-
cation ; Hermès, cognition, communication et politique (Éd. du CNRS) qui réalise parfois un
numéro spécial proche de l’anthropologie et des médias, par exemple, Hermès, no 10,
1992. Remarquons que le monumental International Encyclopaedia of Communications,
1989, Oxford University Press, vol. 1 à 4, n’a aucune entrée en ce qui concerne
l’anthropologie et les médias. Le Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie de Bonté et
Izard, 1991, paru aux PUF, n’a pas non plus d’entrée sur les médias.
Le développement des médias en Polynésie française 367

L’anthropologie dans sa vision apocalyptique et nostalgique des


sociétés traditionnelles, n’a cessé de prédire leurs disparitions tandis
que l’évolution historique des communautés insulaires continue de
démentir une telle vision et de donner du sens aux événements et à la
mondialisation des moyens de communication qui les affectent, en
des termes et des catégories qui leur appartiennent.
À cet égard, Marshall Sahlins note que la représentation des
sociétés traditionnelles que s’est faite la théorie anthropologique en
Océanie est passée par trois phases distinctes correspondant à trois
périodes théoriques et historiques : celle du découragement, de la
dépendance et de l’identité5. Selon cet auteur, dans le sillage de
l’époque coloniale, la théorie dite du découragement, représentée,
par exemple, par l’anthropologue américain Alexander Goldenwei-
ser, développe l’idée selon laquelle les sociétés traditionnelles insu-
laires étaient sur le point de disparaître, en raison de l’influence
dévastatrice de la civilisation blanche. Cette phase du décourage-
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ment a ensuite et logiquement fait le lit de la théorie de la dépen-
dance qui entendait décrire les régimes sous-développés et mercan-
tiles du Pacifique comme dépendant des nations développées et des
ressources provenant des migrants travaillant à l’étranger. Une telle
approche a évidemment contribué à répandre l’idée selon laquelle
les sociétés insulaires n’évoluaient que sous le stimulus de forces
externes et que les acteurs n’étaient donc pas maître de leur histoire.
Aujourd’hui, c’est la théorie de l’identité qui est en vogue. Contre
toute attente et contrairement aux approches anthropologiques pré-
cédentes, les communautés insulaires se sont inscrites à contre-
courant en se saisissant de leur devenir historique et culturel, pre-
nant elles-mêmes conscience de l’importance de la « culture ».
Si l’analyse de M. Sahlins semble pertinente quant à l’évolution
parallèle qu’il décrit de « l’anthropologie théorique luttant pour ne
pas se laisser distancer par celle de la réalité historique »6, la question
est de savoir si nous assistons là à une même évolution parallèle,
celle des théories précédentes de l’anthropologie et des réalités his-
toriques en ce qui concerne les médias. Dans une telle perspective,
en effet, la théorie du découragement était incapable de prendre en
compte les médias dans son analyse des sociétés traditionnelles,
puisque seuls les Européens y avaient accès et parce que les autoch-

5. M. Sahlins, 2000, « Identités et modernités du Pacifique », La nouvelle Revue du


Pacifique, vol. 1, no1.
6. M. Sahlins, 2000, op. cit., p. 19.
368 Tamatoa Bambridge

tones auraient disparu avant même de les connaître. C’est la théorie


anthropologique qui correspond précisément à l’époque coloniale
qui est en vigueur jusqu’au milieu de ce siècle. Les médias (comme
les journaux) n’ont d’ailleurs jamais constitué un objet anthropolo-
gique en soi par rapport à la société traditionnelle, mais ont plutôt
servi à véhiculer la perception défaitiste de la théorie anthropolo-
gique du découragement. Le meilleur exemple de cette vision nos-
talgique et défaitiste en Polynésie est sans aucun doute celui du
journal La guêpe dont Paul Gauguin était l’auteur.
La théorie de la dépendance à partir des années 1960-1980
observe, pour sa part, que les médias (essentiellement occidentaux
de la presse, de la radio et de la télévision) accréditent les idées du
néo-colonialisme et de la dépendance. Les communautés insulaires
« lointaines » et « minuscules » seraient influencées par les sons et les
images extérieures et la seule image que leur renvoient ces médias
est celle de leur dépendance à l’égard des pays plus puissants, plus
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développés.
Cependant, ces deux théories font fi du fait que, pour les
autochtones au jour le jour, c’est le système mondial qui se situe
à la « périphérie », c’est le « village mondial » qui est « loin-
tain ». C’est en reconnaissant cette simple réalité que la reven-
dication d’une identité culturelle est apparue avec force, revendi-
cation d’ailleurs soutenue par des chercheurs et des intellectuels
océaniens7. Dans l’optique d’une théorie anthropologique de
l’identité, il ne s’agit pas de soutenir un « renouveau culturel océa-
nien », mais de rattraper le retard pris par les théories anthropologi-
ques sur la dynamique actuelle de ce renouveau culturel que nous
constatons depuis plusieurs décennies. Dans la mesure où les peu-
ples du Pacifique continuent de donner un sens à leurs pratiques,
s’approprient ce qu’ils prennent ailleurs, les médias n’auraient donc
pas échappé à cet état de fait. Qu’en est-il exactement dans les
sociétés traditionnelles du Pacifique ?
En effet, si les médias changent les conditions de la com-
munication humaine traditionnelle comme ils l’ont fait dans les
sociétés occidentales, on peut raisonnablement s’attendre à ce
qu’une telle dynamique n’ait rien de comparable avec les consé-

7. Par exemple, à Tonga, Hau’ofa Epeli, 1975, Anthropology and Pacific islanders,
p. 282-289, Sydney. Voir aussi l’article de Waddell, 2000, « Construire un espace intel-
lectuel océanien », La nouvelle Revue du Pacifique, vol. 1, no 1, p. 92-110, qui présente
certains chercheurs et intellectuels dans le Pacifique insulaire.
Le développement des médias en Polynésie française 369

quences de la communication technique par rapport à la commu-


nication humaine que l’on a pu identifier dans les sociétés
occidentales, car de tels changements reposent nécessairement
sur une appropriation des médias par les Polynésiens selon un
sens qu’ils leur auront donné et des significations qui leur sont
propres.
C’est en étudiant une société insulaire que je connais bien en
tant que chercheur, la Polynésie française, que je vais analyser ces
questions, en suivant le mouvement parallèle des théories anthropo-
logiques précédentes et les réalités historiques que constituent plus
particulièrement les médias (en particulier la radio et la télévision)
dans les communautés insulaires.

Le rapport entre la société et la politique


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Lorsque la première radio est créée à Mahina sur l’île de Tahiti
en 1915, la société tahitienne traditionnelle est déjà affectée par les
influences religieuses, politiques, économiques et culturelles des
Européens installés, en petit nombre, dans cette région depuis le
début du XIXe siècle. Précisons donc que ce ne sont pas les médias
qui ont bouleversé les conditions de la communication humaine
de la société tahitienne, car la politique et la religion avaient déjà
eu une influence considérable. Dès l’époque des missionnaires, la
centralisation du pouvoir politique, selon les îles, avait eu lieu : un
seul arii (chef) dominait alors l’île de Tahiti et ses dépendances,
contrairement à autrefois. Depuis 1842, un protectorat avait été
établi par la France et Tahiti et les îles polynésiennes avaient été
annexées en 1880. Auparavant, il n’existait aucun principe
d’unification entre les cinq archipels indépendants (voire même
entre les îles dans les archipels), parfois en guerre et distants de plu-
sieurs centaines de kilomètres. Les conditions politiques de la com-
munication humaine s’étaient donc largement transformées depuis
l’époque pré-européenne. Le pouvoir des chefferies s’était considé-
rablement réduit et les chefs étaient soumis au contrôle administra-
tif du pouvoir centralisé à Tahiti. Un décret de 1887 avait tenté,
sans succès, d’organiser la propriété des terres. Celles-ci sont
toujours conservées en communauté par les familles élargies et
demeurent sous le contrôle et l’influence des Matahiapo (aînés des
familles élargies), particulièrement dans la zone rurale. Après la
Seconde Guerre mondiale, les Établissements français d’Océanie
370 Tamatoa Bambridge

sont devenus un territoire d’outre-mer dont le statut institu-


tionnel n’a cessé d’évoluer pour devenir la Polynésie française
d’aujourd’hui8.

La société, la politique et les médias

Aujourd’hui, les théories anthropologiques représentatives de la


doctrine du découragement et de la dépendance seraient incapables
d’expliquer pourquoi nous constatons, depuis un demi-siècle, le
succès constant d’un certain nombre d’émissions populaires de radio
ou de télévision. Car, ainsi que nous l’avons mentionné, de telles
théories passent sous silence l’ambiguïté du statut sémiologique des
informations qui sont médiatisées. Ne considérant pas les gens du
Pacifique comme des acteurs, elles ne disent pas sur quoi repose
l’appropriation des médias dans les communautés insulaires et elles
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n’expliquent pas quelles sont les significations que les sociétés îlien-
nes donnent aux médias9. Pas plus que cette appropriation10 ne
s’apparente à une victoire d’un idéal démocratique, elle ne peut se
confondre avec une adhésion à une soi-disant société d’infor-
mation, d’ailleurs très discutable même en Occident. Il y a, en effet,
d’autres raisons culturelles qui expliquent l’engouement des Poly-
nésiens pour les nouvelles techniques de communication.

Pourquoi le succès de la radio ?


Certes, la radio comme partout a été un facteur d’ouverture
dans les sociétés, en revanche, le rôle de lien social par rapport à
l’organisation traditionnelle de la société y aurait été plus important.

8. Le statut d’Établissements français de l’Océanie (EOF) date de 1889 tandis que la


loi cadre de Gaston Deferre transformera en 1957 ces EOF en territoire d’outre-mer
appelé Polynésie française.
9. Une analyse culturelle de l’appropriation des médias par les Polynésiens est néces-
saire dans le sens où, à l’instar de ce qu’indique M. Sahlins, 2000, p. 20, op. cit., « Le
paradoxe historique tient au fait que, face à l’hégémonie de la culture mondiale qui menace
de les absorber et d’absorber avec eux leurs pratiques, les peuples insulaires ont tenté à leur
tour d’absorber cette culture venue d’ailleurs. J’engloutis qui m’engloutit : c’est là sans
doute la grande contradiction de notre époque, mais aussi sa principale dynamique. Le pro-
cessus s’est amorcé de manière inconsciente, telle une pratique culturelle spontanée [...] ».
10. Par « appropriation anthropologique », nous désignons le processus cognitif et
culturel qui consiste à se saisir d’un objet technique pour l’utiliser dans un sens donné qui
possède une fonction culturelle dans la société considérée. Voir par exemple à ce sujet :
Hanson, 1982, op. cit., et Allen, 1994, Media anthropology : informing global citizens, West-
port, Bergin and Garvey.
Le développement des médias en Polynésie française 371

Les Polynésiens auraient « détourné » un outil moderne de commu-


nication de son sens premier, ou en tout cas, l’auraient d’abord uti-
lisé dans la perspective de leur organisation traditionnelle. Mention-
nons le fait que l’on manque cruellement de travaux comparatifs
pour voir dans plusieurs sociétés traditionnelles, comment l’arrivée
de la radio, bien avant celle de la télévision, a plutôt été un facteur
de désorganisation culturelle, ou au contraire, par une sorte de
détournement de la modernité, a constitué un moyen de faire per-
durer l’organisation sociale et culturelle traditionnelle.
Reprenons donc la chronologie du développement de la radio
en Polynésie française. C’est seulement à partir des années 1950 que
la radio, en tant que média, se généralise en Polynésie française. Dès
la mise en place de Radio Tahiti, celle-ci diffuse un programme
comme « Allô les îles » auprès de dizaines d’îles éparpillées sur un
espace géographique de quatre millions de kilomètres carrés, soit
une superficie aussi grande que l’Europe occidentale11. Cette émis-
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sion « Allô les îles » diffusée en langue tahitienne et en langue fran-
çaise, connaît un succès retentissant. Les présentateurs sont chargés
par les personnes habitant à Tahiti de lire les messages adressés aux
personnes qui sont restées dans les autres archipels « lointains »12.
Étienne Raapoto, un précurseur rapporte :
« On servait à tout : donner les nouvelles du fiston, souhaiter la bonne
année, prévenir qu’il fallait récupérer de l’essence sur la prochaine
goélette [...] »13
Le succès initial de « Allô les îles » s’est prolongé pendant près de
cinquante ans. Les autres radios qui émettent sur les archipels possè-
dent toutes aujourd’hui ce genre de programme qui passe quoti-

11. La première station de radio est créée en 1915 dans le district de Haapape
(Mahina). Dès 1937, cette radio émet pendant quatre heures quotidiennement avec des
journaux d’information en langue française et en langue tahitienne. En 1949, François
Mitterand, ministre de l’Outre-mer, fait mettre en place « Radio Tahiti ». En 1958,
Radio Tahiti est intégrée à l’ORTF. Les premières images télévisées seront diffusées
en 1965 à Papeete. Les îles Sous-le-Vent seront couvertes en 1974 tandis que les images
sont envoyées, préenregistrées, dans les autres archipels par un système de « vidéo-
archipel ». FR3-Tahiti est encore la seule radio et la seule télévision en Polynésie. Puis,
en 1982, les différentes stations de FR3 sont remplacées par RFO, de même que de nom-
breuses radios FM voient le jour dès la fin des années 1980. Enfin, de nouvelles chaînes de
télévisions se développent en 1993 (Canal +), 1994 (Téléfenua) et en 2000 (Tahiti Nui
TV, une chaîne territoriale).
12. Ce type d’émission a fait l’objet de nombreuses analyses dans les sociétés occi-
dentales, mais jamais dans une société traditionnelle non occidentale. Voir par exemple,
Goffman, 1981, op. cit., qui analyse les erreurs liées aux annonces publiques.
13. M. Leyral, 2000, p. 20, Champ médiatique et champ du pouvoir en Polynésie fran-
çaise, mémoire de DEA, Université de la Polynésie française.
372 Tamatoa Bambridge

diennement aux heures de grandes écoutes (Radio Bleue, Radio


Polynésie – anciennement RFO –, Radio Tefana)14. Ces émissions
occupent une place importante dans la grille des programmes des
radios (environ trois heures réparties le matin, à midi et vers 17-
18 heures).
Notre hypothèse est que le développement de ces émissions à la
radio, leur pérennité depuis cinquante ans, montre que l’apport de
la radio aux relations entre la zone urbanisée de Tahiti et les archi-
pels ruraux, constitue moins, une plus grande ouverture au monde,
qu’une continuité, un maintien des liens sociaux par rapport à des
réseaux familiaux et de solidarité déjà établis. Il s’agit en effet de
continuer, sous une autre forme, de tisser des liens affectifs forts
entre des parents (fetii) plus ou moins éloignés géographiquement.
Ce type d’émission à la radio renvoie directement à des attentes
majeures de l’organisation sociale polynésienne. Ces attentes sont
liées à la tradition familiale polynésienne. Un exemple : la parenté
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polynésienne, de type hawaïen, est une parenté indifférenciée, qui
n’a pas de frontière absolue, fixe et définitive. Contrairement aux
systèmes de parenté unilinéaires, des adoptions d’enfants peuvent se
faire dans les deux lignes de descendance. Ces adoptions entre des
parents pourtant généalogiquement plus éloignés que des frères et
sœurs, rapprochent considérablement les liens effectifs de parenté.
Autrement dit, ce ne sont pas les liens généalogiques formels qui
déterminent le groupement de la parenté, mais plutôt la nature des
alliances qui se sont constituées dans l’univers de la parenté. Au
cœur de ces liens de parenté, la résidence constitue alors une ques-
tion fondamentale15. Sachant que dans cet univers de la parenté

14. Une analyse de la structure de ces émissions montre qu’il peut en effet s’agir de :
Parau faaara (lit. Parole qui réveille ou parole d’annonce) qui véhicule tout type de mes-
sage comme :
— dire les sentiments (on pense à vous, on vous souhaite une bonne continuation, on
vous aime, de la part de...) ;
— rappeler une période importante de la vie sociale (souhaiter un anniversaire, dire l’âge
d’un petit-enfant à un grand-parent resté dans une île d’origine) ;
— annoncer un événement de la vie sociale : un mariage, un décès, etc. ;
Poroì (lit. Messager ou convocation) :
— annoncer un message officiel (le passage du bateau administratif, la convocation de
personne à une mairie dans le cadre des tournées administratives, la tournée foraine
d’un ministre ou d’un homme politique) ;
— annoncer les dates de passage de la goélette dans les îles et les archipels ;
Parau haamaramarama (lit. Parole qui fait en sorte que la lumière soit) :
— informations locales, territoriales, nationales et internationales.
15. Sur ce sujet, voir Paul Ottino, 1972, Rangiroa, Paris, Éd. Cujas.
Le développement des médias en Polynésie française 373

indifférenciée, tout le monde est parent (fetii) avec tout le monde, la


résidence apparaît comme un facteur venant considérablement res-
treindre et séparer dans l’univers de la parenté, les parents proches
des parents éloignés. Ainsi, dans la société polynésienne, la parenté
ne se conçoit pas indépendamment des terres sur lesquelles on
réside et que l’on détient en commun16.
Or, ce sont justement ces traits anthropologiques, qui ont résisté
à deux siècles de bouleversements sociaux, qui donnent un sens au
rapport entre l’appropriation du média radio et le contenu des mes-
sages envoyés aux parents (fetii) dans les archipels éloignés.
Il s’agit en quelque sorte de rappeler régulièrement que les liens
affectifs ne se sont pas distendus par l’éloignement géographique. Il
est certain que le lien de communication nouveau introduit par la
radio ne se suffirait pas à lui-même, et que, sans des visites réguliè-
res, ce lien porté par la communication radiophonique, ne perdure-
rait pas. Autrement dit, les Polynésiens ont trouvé dans la radio un
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outil technique nouveau qui permet de maintenir sous une forme
originale un trait culturel déjà ancien. La radio a moins individualisé
les rapports sociaux, comme on le dit souvent, et à juste titre,
qu’elle n’a maintenu un lien familial fort. Ce lien familial fort
dépend d’ailleurs d’un statut particulier des terres. C’est donc peut-
être, par rapport aux Polynésiens qui ont su conserver un modèle
original de familles élargies et un système foncier communautaire,
que la radio joue ce rôle de maintien des liens collectifs, et non le
rôle d’individualisation que l’on a remarqué notamment dans les
pays européens où la structure familiale et le rapport à la propriété
foncière est radicalement différent17.
Par ailleurs, le média radio a même conforté ces liens affectifs
sans cesse en construction. Désormais, ce n’est pas seulement dans
l’univers « privé » que ces liens sont maintenus, mais ils sont entre-

16. En ce qui concerne les questions relatives aux terres, à la parenté et au plura-
lisme normatif et culturel depuis le XIXe siècle en Polynésie orientale, voir Ottino, 1972,
Rangiroa, parenté étendue, résidence et terres dans un atoll polynésien, Paris, Éd. Cujas ; Bam-
bridge, 2001, Revendications foncières : les temporalités constitutives et leurs dynamiques dans le
champ social semi-autonome de la région des Australes aujourd’hui (Polynésie française), thèse de
doctorat de troisième cycle de sociologie, Université de Paris-IX Dauphine.
17. Notre analyse va dans le même sens que celle de M. Sahlins, 2000, p. 19-20, op.
cit., qui indique : « Les peuples insulaires confrontés à l’argent, aux lois du marché, et aux
moyens de communication modernes demeurent envers et contre tout des êtres sociaux
bien définis. Ce qu’ils font de leurs 10 kina ou de leurs 1 000 F est fonction, quoi qu’on
en dise, des liens de parenté et des fratries qui les unissent les uns aux autres, mais aussi de
leur sexe, de leur appartenance à certaines structures familiales ou villageoises ou de leur
statut [...] ».
374 Tamatoa Bambridge

tenus et activés sur la place « publique », car tout le monde peut


écouter les messages qui sont envoyés d’un archipel à un autre,
d’une famille à une autre, d’un individu à une famille. Toutefois, ce
n’est pas parce que de tels programmes sont diffusés qu’ils sont
nécessairement écoutés. En effet, lorsque les informations sont
transmises à travers les îles, les réseaux de communication oraux
prennent ensuite le relais18. Les informations entendues font le tour
du village ou de l’île. Les destinataires des messages ne sont pas
nécessairement ceux qui écoutaient le message lorsque celui-ci était
transmis. La circulation des informations de personne à personne,
devient alors l’objet d’une négociation permanente. Il arrive égale-
ment que le destinataire du message soit le seul à ne pas connaître le
contenu du message transmis par un parent éloigné. Autrement dit,
l’information médiatisée par la radio fait l’objet d’un ajustement
social selon les intérêts et les stratégies des acteurs19. Nous avions
indiqué que les Matahiapo (aînés) contrôlaient toujours l’usage de la
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terre dans la partie rurale de la Polynésie française. Un cadeau
envoyé par un parent plus ou moins proche (fetii), mais éloigné géo-
graphiquement, peut faire l’objet d’un refus ou d’une dénégation
localement lorsque le Matahiapo ne souhaite pas accueillir ce parent
ou veut favoriser un autre membre de sa famille élargie. Un mes-
sage radio peut ainsi donner lieu à une ignorance feinte ou réelle,
mais celle-ci ne passe jamais inaperçue dans un milieu insulaire. Il
n’en reste pas moins que dans la société de l’oralité qu’est la société
polynésienne actuelle, le média radio a contribué à consolider un
ensemble de traits culturels fondamentaux dans le contexte de la
parenté étendue et des terres polynésiennes.

18. Voir à ce sujet, Hage, 1996, op. cit.


19. « Ajustement social » ici entendu comme un synonyme d’accommodation
sociale au sens de R. Firth, 1965, dans Essays on social organization and values, London
school of economics. Firth indique, 1965, p. 46 : « Since culture is a continuum, some
problems of accommodation can be solved once and for all. But in various kinds of situa-
tions tensions still exist and have to be solved again and again, no matter how much the
solution is aided by precedent. » Traduction personnelle : « [...] parce que la culture est
un continuum, certains problèmes d’accommodation peuvent être résolus une fois pour
toute. Mais dans beaucoup de situations, des tensions se répètent et doivent être résolues
encore et encore, indépendamment de savoir comment les mêmes situations ont été
résolues dans le passé ». Puis l’auteur s’inspirant de Sol Tax, lui-même critiquant
l’approche théorique de Radcliffe-Brown sur ces aspects de la question, continue :
« Hence, in his (Sol Tax) view, the problem of kinship accommodation is reduce to a
problem of choices that individuals must make if they are to live together. Modern des-
cent group theory is coming to take this much more into consideration [...]. »
Le développement des médias en Polynésie française 375

Les images et le « contrôle social »


Le développement de la télévision dans les archipels est plus tar-
dif (à partir des années 1970) et prend la forme de vidéocassettes
envoyées par la goélette dans les archipels où tout le monde ne pos-
sède pas de poste de télévision. Encore aujourd’hui, peu nombreux
sont ceux qui possèdent un poste de télévision. Les locaux adminis-
tratifs publics (mairie) ou religieux (temple), font alors office de salle
de télévision commune. Par exemple, à Huahine, jusqu’au début
des années 1980-1990, le film du samedi soir était diffusé à la salle
paroissiale (fare putuputuraa) protestante de Fare. Dans le noir et à la
lueur des étoiles, nous nous rendions par petits groupes pour
« voir » le film. Mis à part le fait que le lieu de diffusion soit un lieu
religieux et donc symbolique, je ne me souviens pas qu’il y ait eu de
censure particulière sur le type de film diffusé. Des scènes parfois
« osées » ou violentes apparaissaient. Les scènes dévêtues faisaient
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d’ailleurs rire toute l’assistance. Parfois, une seule maisonnée au vil-
lage disposait d’un poste de télévision. Tous les enfants du village
(et les plus grands) se réunissent alors dans le salon, assis par terre,
sur des nattes (peùe) pour regarder les émissions ou le film diffusé à
l’écran. Le film fait toujours l’objet de commentaires, et paradoxale-
ment, le spectacle des téléspectateurs est aussi intéressant et vivant
que ce qui se passe à l’écran et devient un sujet d’observation pour
le chercheur. Le spectacle vécu en groupe, la distanciation des audi-
teurs vis-à-vis de la petite boîte à image, renvoient à leur tour à un
autre trait culturel important lié au contrôle social polynésien20. Ici
également, l’auditeur n’est pas un individu unique et séparé des
autres, assistant passivement (ou activement) à un programme de
télévision.
Les images et les paroles diffusées font elles-mêmes l’objet d’une
censure collective et immédiate. Cette censure ne prend pas la
forme d’une sanction qui résulterait d’une règle fixée d’avance et de
manière définitive. Elle est mise en œuvre par les auditeurs en tant
que groupe. Cette mise en œuvre est flexible et dépend de la com-
position du groupe lui-même, des classes d’âge auxquelles les indi-
vidus appartiennent et du contexte social et culturel des interac-

20. Sur la question du contrôle social, voir notamment Sack, 1980, p. 15-23 :
« Bobotoi and Pulu. Melanesian law : normative order or way of live ? », Journal de la
Société des Océanistes ; Griffith, 1984, The division of labour in social control, p. 37-69, dans
Black (ed.) : Toward a general theory of social control, New York, Academic press.
376 Tamatoa Bambridge

tions. Durant le film diffusé à la salle paroissiale de Fare le samedi


soir, les personnes d’un âge mur (taata paari), assises au fond de la
salle, peuvent rire de certaines scènes, elles peuvent aussi afficher
une posture sérieuse affirmant ainsi leur désapprobation. Les géné-
rations plus jeunes assises aux premiers rangs peuvent, au contraire,
témoigner une autre attitude : rire ou se moquer des scènes gênan-
tes, censurant ainsi les images que la société locale refuse en tant que
communauté. On peut également se poser la question de savoir si la
salle paroissiale, en tant que lieu de projection des images, a vu une
évolution de son statut dans la société. Contrairement à une idée
reçue, il me semble que la projection des images dans un lieu de
culte, n’a pas désacralisé pour autant ce même lieu. Car, d’une cer-
taine manière, cela revient à reconnaître la prééminence du pouvoir
religieux et de l’ordre qu’il a institué depuis plus d’un siècle, sur
l’ordre temporel des humains.
Si nous considérons l’autonomie culturelle inhérente aux
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acteurs, la réappropriation des médias comme la radio et la télévi-
sion ne peut se comprendre par rapport à une théorie du découra-
gement ou à celle de la dépendance dont discutait M. Sahlins. C’est
bien la question de l’identité culturelle et collective qui est au cœur
de l’utilisation de ces médias. Dans beaucoup d’archipels, on ne
peut donc pas dire que la télévision ait contribué à « individualiser la
société », elle a plutôt constitué une nouvelle occasion de réunir des
personnes qui étaient déjà en situation de corésidence dans le vil-
lage. Elle n’a pas non plus bouleversé fondamentalement les habitu-
des de vie et les comportements sociaux des membres de la société.
Il est toutefois indéniable que la télévision est devenue une nouvelle
activité sociale où les personnes appartenant à une même société, à
des groupes d’âge différents, se réunissent, plus ou moins spontané-
ment, dans une maison ou un temple religieux désormais largement
connus et reconnus pour disposer d’un poste de télévision. La fasci-
nation pour les images est réelle, à l’image de ce membre d’une
chefferie de Papouasie Nouvelle-Guinée, qui voyant son ami pour
la première fois à l’écran d’une vidéo portative, se mit à rire et à se
moquer de lui, lequel ne se reconnaissait pas. En revanche, cette
fascination n’a pas conduit à une transformation de l’organisation
sociale traditionnelle telle qu’elle s’est constituée depuis l’influence
européenne.
Ainsi, l’appropriation de la radio comme de la télévision dans les
archipels ruraux, par les personnes et les groupes, jusqu’au début des
années 1990, souligne au moins deux faits majeurs. D’une part, il
Le développement des médias en Polynésie française 377

n’y a pas d’appropriation « neutre » de la part des auditeurs de ces


médias car la réception des messages télévisuels et radiophoniques
passent par le prisme de la culture polynésienne qui modifie les
conditions de la réception des informations médiatisées. Même les
plaisanteries et les rires auxquelles certaines scènes peuvent donner
lieu témoignent en même temps du fait que les auditeurs ne sont
pas des témoins passifs, en face de l’altérité. Présenter et diffuser des
images qui, de toute évidence, n’appartiennent pas au même uni-
vers symbolique, n’implique aucunement l’adhésion de ces télé-
spectateurs à ces mêmes images21. D’autre part, la télévision comme
la radio sont devenues des techniques de communication supplé-
mentaires qui se sont superposées aux canaux oraux et traditionnels
de communication. Autrement dit, ces techniques de communica-
tion sont venues compléter et se superposer à d’autres techniques de
communication orales, sans les annihiler. La situation en zone
urbaine est-elle la même lorsque les mécanismes du contrôle social
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se sont affaiblis ?

Les médias et la zone urbaine :


une redéfinition du rapport de la société à la culture ?

Face à la mondialisation des moyens de communication et à la


proximité de la modernité en zone urbaine, les Polynésiens conti-
nuent d’exprimer leurs culture selon des modalités qui évoluent,
remodelant leur cultures indigènes et leur conférant de nouvelles
formes.
Toutefois, les médias comme la radio et la télévision constituent
des objets techniques particuliers dans la mesure où ils véhiculent
également des programmes de toutes natures qui sont regardés par
les communautés insulaires. Objets techniques, mais également
symboliques qui sont porteurs de sens et de significations divers.

21. Nous devons souligner à cet égard qu’une analyse culturelle ne fait que confir-
mer ce fait bien connu dans le domaine de la théorie de la communication. Pour une dis-
cussion de la différence entre nombre d’auditeurs et adhésion aux informations véhicu-
lées par les médias, voir par exemple Wolton, 1997, Penser la communication, Paris, Éd.
Flammarion. Cependant, il me semble que l’on n’étudie pas suffisamment de quelle
manière les médias contribuent à poursuivre, sous une autre forme, des traits anthropolo-
giques importants dans la société traditionnelle. Les analyses se concentrent plus sur la
nouveauté et les transformations sociales impliquées par les médias et s’inscrivent le plus
souvent dans la perspective d’une théorie de la dépendance communicationnelle ou
encore dans celle de l’aliénation.
378 Tamatoa Bambridge

C’est en s’interrogeant sur la nature de ces programmes que


nous pouvons, à nouveau, confronter les théories anthropologiques
représentatives des points de vue du découragement, de la dépen-
dance et de l’identité, aux sens et aux pratiques des communautés
polynésiennes vis-à-vis des programmes des radios et des télévisions.
En effet, si M. Sahlins semble considérer que ces trois courants
théoriques se sont succédé historiquement, une analyse contempo-
raine des médias nous montre au contraire que tant le contenu de
certains programmes véhiculés par les médias que les événements
culturels locaux traités dans le cadre de l’espace public médiatique,
semblent s’inscrire dans une perspective théorique de la dépen-
dance. Aussi, le développement naissant d’une production audiovi-
suelle locale rend problématique la construction d’une théorie
anthropologique de l’identité.

Une théorie imagée de la dépendance


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s’insinue-t-elle dans les programmes ?
Essayons d’identifier et d’analyser jusqu’à quel point et dans
quels sens, certains programmes continuent de s’inscrire dans le
courant d’une théorie anthropologique représentative de la dépen-
dance et contribuent ainsi à transformer le rapport de la société
polynésienne à la culture.
Dans la masse des programmes aujourd’hui disponible, il
convient de distinguer l’information (locale, de métropole et inter-
nationale), les programmes essentiellement occidentaux (films,
téléfilms, émissions de variété et de divertissement, etc.), et les
documentaires qui, contrairement aux autres programmes, portent
un regard sur la tradition polynésienne et tentent de faire le lien
entre l’histoire et la modernité22. Le cas des documentaires est par-
ticulièrement important car ceux-ci sont souvent porteurs d’un
contresens. C’est apparemment l’ouverture à l’ « autre » culture,
mais une « autre » culture où l’autre ne se reconnaît pas toujours !
Ces documentaires décrivent (et interprètent) la société tradition-
nelle selon une perspective ethnographique. Les faits, les outils, les
pratiques (plus rarement les discours), sont décrits et analysés avec
l’exactitude de l’ethnographie (propre à une certaine tradition de
cette science). Cependant et incidemment, cela a pour effet de

22. Les documentaires portant sur le Pacifique ou la Polynésie sont ceux qui peu-
vent être vus sur la seconde chaîne de RFO et sur les chaînes câblées.
Le développement des médias en Polynésie française 379

reléguer et de cantonner la perception de l’auditeur à une culture


qui semble étrangère à la sienne. À l’image du Papou qui se voit
pour la première fois à l’image, le téléspectateur (pourtant acteur)
paraît lui-même étranger à l’image qui est projetée. La structure de
l’émission y joue pour beaucoup. La parole semble objective, les
acteurs sont décrits comme des personnes désincarnées (par
exemple, « les Marquisiens vivent de telle et telle manière... »,
comme on dirait : « les Français habitent tel ou tel type de mai-
son... »). L’auditeur a le sentiment d’être une bête de foire,
d’apparaître comme dans un « zoo humain », comme cela a pu
exister à une autre époque. En conséquence, ce type d’émission a
pour effet d’insuffler un profond sentiment de honte (haama) au
sens polynésien du terme. Honte, parce que le film ne cesse de
rappeler qu’il s’agit là d’une « culture primitive ». Culture ancienne
que l’influence chrétienne actuelle n’a cessé d’associer à un temps
païen (te tau etene) et sauvage. Honte, parce que la société que l’on
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montre est appréhendée sous le rapport tradition/modernité. Un
peu comme si la tradition n’était pas dynamique, un peu comme si
la modernité (sous-entendue occidentale) était l’inéluctable voie
vers laquelle se dirigeait la société polynésienne. On peut d’ailleurs
se demander pourquoi certains s’obstinent, d’un point de vue
scientifique, à analyser la dynamique d’une société par rapport à
cette dichotomie ? Si celle-ci a un sens pour certaines situations de
la vie sociale, il est de plus en plus évident qu’elle est inappropriée
à beaucoup de situations symboliques ou culturelles. Non seule-
ment les cultures « traditionnelles » perdurent souvent avec un vrai
dynamisme que l’on ne sait pas examiner, sous l’emprise de plus en
plus grande de la modernité, mais aussi, on remarque, lorsque l’on
regarde plus en détail, qu’il y a constamment une négociation plus
ou moins silencieuse entre les différentes formes de cultures.
Modernité enfin, dont les codes (occidentaux) en termes de lan-
gage, de formation, de pratiques et de discours, échappent inévita-
blement à la plupart des auditeurs. C’est précisément eu égard à la
théorie anthropologique représentative de la dépendance écono-
mique et culturelle qui est sous-entendue dans ces types de docu-
mentaires que l’on comprend les analyses de Tosivo Nakayama, de
Chuuk (en Micronésie), qui : « [...] dénonce ce qu’il appelle
l’ “intimidation culturelle” dont le but est d’amener les Microné-
siens à avoir honte de leur façon de vivre, de leurs coutumes, et de
leurs traditions. À cet égard, la religion du développement que
l’Occident a propagé au XXe siècle est comparable au christianisme
380 Tamatoa Bambridge

répandu au XIXe siècle par les missionnaires. Dans les deux cas, on
prétendait racheter les peuples insulaires et les délivrer d’un mal
intrinsèque après avoir suscité en eux un profond sentiment de
mépris de soi. Aux yeux du christianisme, les cultures traditionnel-
les étaient spirituellement marquées par le péché. De même dans
l’économie du développement, ces cultures, telle une épine dans le
pied, constituent une entrave au progrès des sociétés peu évoluées,
établies dans des îles “lointaines” et insignifiantes, dépourvues des
ressources et des compétences du “développement” » [...]23.
Ces programmes, véhiculés par la télévision, influencent large-
ment les conditions de la communication interculturelle dans la
mesure où ils tentent d’objectiver et de fixer une culture qui est, par
définition, perpétuellement en mouvement. Par rapport à l’auditeur
polynésien, cela ne fait qu’alimenter les points de vue péjoratifs et
ne favorise nullement la possibilité d’un dialogue avec l’altérité
(occidentale cette fois-ci)24.
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Comme nous venons de le voir, la théorie de la dépendance
peut continuer à être véhiculée par certains programmes, souvent
réalisés de bonne foi. Le paradoxe tient ici au fait que ce point de
vue de la dépendance ne s’immisce pas seulement dans les docu-
mentaires, on la retrouve également dans le traitement des événe-
ments culturels actuels. La question est alors de savoir ce qu’il en est
lorsque ces théories dites de la dépendance participent également à
la dynamique du renouveau identitaire et culturel des Polynésiens ?
C’est en s’attachant à l’analyse des événements locaux médiatisés par
la télévision et la radio que nous allons maintenant étudier cette
question.

L’événement culturel local


Lorsqu’on se penche sur la médiatisation des événements cultu-
rels locaux, une théorie dite de la dépendance peut participer
conjointement à la dynamique de renouveau identitaire et culturel
que l’on observe aujourd’hui en Polynésie française. L’analyse de

23. Dans Sahlins, 2000, p. 22, op. cit. Voir aussi les subtiles analyses de Pascal Boyer,
1990, op. cit.
24. La mondialisation des techniques de communication et la banalisation des ima-
ges, loin de favoriser le dialogue interculturel, l’ont, au contraire, piégé. Les auditeurs
appartiennent de ce point de vue à une « culture mondiale » en réalité occidentale. Voir à
ce sujet, du côté de la sociologie, Wolton, 2000, Internet et après ? Une théorie critique des
nouveaux médias, Paris, Flammarion, Allen, 1994, op. cit.
Le développement des médias en Polynésie française 381

l’anthropologie océanienne par M. Sahlins qui distingue trois théo-


ries historiques de l’anthropologie – postures théoriques qui se sui-
vent (logiquement) dans la diachronie – me semble constituer une
vision trop simpliste des théories portant sur les communautés insu-
laires du Pacifique. En voulant absolument (et légitimement pour
un anthropologue) réintroduire le sens que les acteurs donnent aux
objets techniques et à leurs pratiques, M. Sahlins semble sous-
estimer la force et l’influence de ces mêmes objets chargés de sym-
boles, dont les médias et les programmes qu’ils véhiculent semblent
en être les parfaits exemples.
Les radios et les télévisions polynésiennes nous proposent quoti-
diennement des émissions et des programmes en rapport avec une
culture polynésienne publiquement affichée. Beaucoup de ces pro-
grammes ou de ces émissions montrent des clips vidéo, des chan-
sons et des danses folkloriques « traditionnelles ». Ces télés et radios
retransmettent volontiers les compétitions de danses traditionnelles
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du Heiva (juillet) qui sont organisées tous les ans à Tahiti. Une
grande partie de la population et des jeunes participent à de grands
rassemblements festifs de courses de pirogue (Havaiki nui) et de
compétitions de surf (Teahupoo surf pro). Ces compétitions se dérou-
lent pendant plusieurs jours sur un même lieu ou entre plusieurs
îles. Les sponsors affichent largement leurs banderoles : Hinano (la
bière locale), Total (une marque de carburant), etc. Ces sponsors
ont acquis une telle importance que certaines équipes de pirogues
sont alors appelées « l’équipe Shell », le « Team Hinano » ou
« Total ». Les compétitions de danse comme les rassemblements fes-
tifs sont alors suivis par de nombreuses chaînes de télévision et de
radios, de RFO (Réseau France Outre-Mer), à TNTV (Tahiti Nui
Télévision), de Téléfenua à CNN. Les médias en Polynésie française
affichent ainsi, de plus en plus largement, un « style de vie » intrin-
sèquement lié à ce qu’ils désignent comme étant « La culture poly-
nésienne ». Affichage public tout autant que normatif car plus per-
sonne, parmi les jeunes et dans la classe moyenne polynésienne à
Tahiti n’échappe désormais à ce « style de vie » (à Tahiti, même les
Polynésiens francophones diront « way of life »). Dans le même
temps et vue de Tahiti, le mode de vie dit « traditionnel » associé à
la Polynésie rurale constitue le support de catégories de pensée et de
langage dévalorisantes, par rapport à la prétendue « modernité » à
Tahiti.
La culture n’est plus appréhendée en termes de « culture vécue »
qui mérite et suscite le respect, mais elle est appréhendée en termes
382 Tamatoa Bambridge

de « culture folklore », susceptible d’être commercialisable. Toute la


question est de savoir quels liens les Polynésiens font entre cette
culture folklore et leur culture vécue, entre les différentes formes de
cultures « modernes » et « traditionnelles » qui se superposent.
Selon les observations que j’ai pu recueillir, il y a, dans la zone
urbaine, beaucoup moins de processus de distanciation (rire,
moquerie, contrôle social) vis-à-vis des clips, danses folkloriques et
autres manifestations sportives de grande envergure. La multiplica-
tion des chaînes et des images, la généralisation des postes de télévi-
sion et des maisonnées habitées par des familles de plus en plus
nucléaires, contribuent, pour une part, à déconstruire le contrôle
social encore en vigueur dans les archipels. Même si certaines des
images des clips, des courses ou des danses peuvent faire l’objet
d’une moquerie, ce n’est plus dans le sens d’une distanciation, mais
plutôt d’une identification positive ou négative aux images reçues25.
Autrement dit, sur l’île de Tahiti largement urbanisée, les médias
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proposent aux auditeurs une image normative de la culture « style
de vie », à laquelle les individus s’identifient. Désormais, une partie
toujours plus importante des Polynésiens (et pas seulement dans le
Pacifique oriental) identifie la culture dans ce qu’elle considère de
plus traditionnelle, aux danses folkloriques affichées chaque année
au Heiva.
Certes, les médias n’ont fait qu’accompagner ce mouvement,
mais, en même temps, n’est-ce pas le rapport de la société à sa culture
qui a changé ? Comment ces compétitions de danse ou sportives
sont-elles devenues une partie intégrante d’une culture normative ?
Si M. Sahlins insiste pertinemment sur l’analyse du sens que les gens
accordent à la modernité (ce fameux processus « d’indigénisation de
la modernité »26), il me semble également que la réponse aux ques-
tions précédentes nécessite d’analyser le poids des influences exté-
rieures dans le mécanisme de construction de cette culture norma-
tive folklorique. Compte tenu de la médiatisation extrême des
manifestations se déroulant dans la société urbaine de Tahiti, des
enjeux touristiques et économiques que représentent ces manifesta-
tions, l’œil d’autrui semble compter davantage que l’œil de l’autochtone27. À

25. Par exemple, « j’aime / je n’aime pas », « c’est nul ce qu’ils font », mais sous-
entendu, « j’aurais pu faire mieux », « j’admire » et non « cela m’est complètement étran-
ger, mais c’est rigolo ou détestable ».
26. Sahlins, 2000, op. cit., p. 25.
27. Autrement dit, « l’œil, cet organe de la tradition » selon la formule célèbre de
Malinowski, est en voie d’être supplanté par « l’œil cet organe de la modernité ».
Le développement des médias en Polynésie française 383

ce titre, on peut se demander jusqu’à quel point le mythe du jardin


d’Éden, celui de la nouvelle Cythère, en bref, le mythe occidental du
folklore polynésien28 a influencé, voire déterminé le choix des élé-
ments culturels qui doivent être normativement affichés ? En fait, les
Océaniens sont pris là dans une contradiction inhérente à la moder-
nité et à la mondialisation des échanges. Comment pourront-ils à la
fois conserver une dynamique authentique de leurs cultures, tout en
s’ouvrant aux touristes occidentaux qui sont motivés par un imagi-
naire occidental particulièrement puissant, portant sur le mythe du
Paradis perdu qu’incarnent à leurs yeux les Polynésiens ?
Nous sommes en présence d’un paradoxe théorique et histo-
rique qui semble avoir échappé à M. Sahlins. Comment pourrait-
on ici construire une théorie anthropologique de l’identité sans
tenir compte du fait que les Polynésiens, par leur volonté
d’ouverture, deviennent eux-mêmes dépendants à l’égard de prati-
ques folkloriques symboliques (que sont la danse et le sport), qui
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sont aussi nourries par l’imaginaire occidental ? Je ne dis pas que les
gens sont moins polynésiens lorsqu’ils jouent au rugby à l’instar des
Maori de Nouvelle-Zélande (Aotearoa) ou que ceux qui s’inves-
tissent dans les danses folkloriques, pour donner un sens à leurs
dynamiques identitaires et culturels, sont moins polynésiens pour
autant. Je me demande simplement jusqu’à quels points un tel
investissement émotionnel dans des activités sociales culturelles de
cette sorte, ne constitue pas, par un détournement de la tradition,
une aliénation supplémentaire qui vient accréditer et confirmer le
mythe occidental véhiculé sur le folklore polynésien. Aussi, cette
imposition médiatique d’une « tradition publique » demeure ambi-
guë car elle repose sur une alliance objective entre un capitalisme
local qui participe très largement à ces manifestations et qui fournit
en même temps les moyens conséquents aux radios et aux chaînes
de télévision pour médiatiser de tels spectacles. « Culture publique »
qui constitue une ambiguïté en soi car le « contenu » de cette cul-
ture demeure largement influencé par le regard et la perception de
l’autre, de l’altérité, par les intérêts économiques en jeu, et n’a plus

28. Le folklore mélanésien ne connaît heureusement ou malheureusement pas le


même succès encore que... Il semble osciller entre le mythe occidental du « mauvais sau-
vage » ou du « cannibale » et voudrait en même temps adopter l’autre mythe occidental
du « bon sauvage » accolé aux Polynésiens. Pour une discussion des mythes occidentaux
véhiculés à propos des Polynésiens, voir Tcherkezoff, 2001, Le mythe occidental de la
sexualité polynésienne (1928-1999, Margaret Mead, Derek Freeman et Samoa), PUF, coll.
« Ethnologies » ; Baert, 2001, « Du continent austral au Paradis terrestre : une vision
espagnole des peuples océaniens, XVIe-XVIIe siècles », Hermès, no 32-33.
384 Tamatoa Bambridge

grand-chose à voir avec l’ « authenticité culturelle » et la tradition


qu’elle est censée représenter. On est face à une sorte d’imposition
problématique d’une tradition culturelle (au sens de culture fol-
klore) qui n’a plus rien de commun avec l’autre tradition culturelle
(au sens de culture vécue). Il s’agit, en quelque sorte, d’une tradi-
tion de substitution et il est encore trop tôt pour savoir comment
elle se négociera avec l’autre tradition (culture vécue) et les diffé-
rentes formes de la modernité. Le problème n’est pas spécifique à la
Polynésie orientale, mais il y a ici des facteurs propres : immense
dispersion géographique des îles, volonté affichée de préserver et de
développer l’identité polynésienne, pluralité des traditions culturel-
les faussement unifiées sous le vocable de Polynésie française, etc.
Les médias, par l’influence sociale qu’ils exercent désormais, projet-
tent donc un rapport particulier de la société à la culture et contri-
buent à consolider la transformation de ce rapport. La dynamique
sociale identifiée semble désormais favoriser le passage d’une culture
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vécue à une culture « folklore », dans laquelle certains Polynésiens
ne se reconnaissent pas forcément.

Production locale et transfert de sens


La production locale est-elle capable d’inverser le mouvement ?
Dans la mesure où ce qui doit constituer le contenu des program-
mes de télévision, est largement déterminé par une audience de plus
en plus occidentalisée, « maohi-anisé » et qui s’identifie à ce nou-
veau « mode de vie » polynésien, il me paraît difficile d’inverser la
machine sauf à « choquer », ce que détestent (en terme d’audience)
les chaînes de télévision et les radios. Les auditeurs sont désormais
pris dans ce processus d’identification à un « style de vie » qui n’a
plus grand-chose à voir avec une culture normative polynésienne
ancienne. La question est alors de savoir si cette « audience »
devient elle-même plus influençable, plus manipulable, ou si elle
n’est pas dupe du processus actuel de folklorisation de la culture.
À ce stade du travail, nous ne disposons pas de suffisamment
d’éléments ni d’enquêtes pour savoir dans quel sens s’orientera la
dynamique de la société polynésienne actuelle.
Il me semble néanmoins, qu’en zone urbaine, beaucoup
d’auditeurs, compte tenu des dynamiques sociales observables
depuis une dizaine d’années, séparent pour le moment difficilement
ce qui relève du folklore de ce qui relève de la culture ancestrale.
Ayant même inversé le rapport entre les deux, les auditeurs sont
Le développement des médias en Polynésie française 385

peut-être prêts à regarder et à s’identifier avec n’importe quelle


émission « culturelle », pour peu que cela réponde à une attente ou
à une angoisse sociale.
En raison des évolutions sociales et culturelles contradictoires,
parfois ambiguës qui se déploient aujourd’hui, il apparaît que les
médias semblent conforter le processus d’acculturation politique et
culturelle en favorisant la confusion quant à la signification que
l’on peut aujourd’hui donner à certains traits culturels anciens, à
certains concepts polynésiens. Prenons par exemple à Tahiti
l’émission « Matahiapo » (lit. Aîné) qui consiste à interviewer en
tahitien une personne âgée ayant une certaine notoriété et à lui
faire raconter son histoire. Il est incontestable que cette émission
rencontre un succès considérable auprès du public polynésien (ou
non). Nous avons signalé au début de ce texte que le Matahiapo
avait un rôle fondamental dans la culture polynésienne, puisqu’il
est chargé d’administrer les terres détenues en commun par la
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communauté que constitue la famille élargie. Or, ce qui est remar-
quable, c’est que presque tout le monde a maintenant identifié le
« Matahiapo » à un sage (ce sont des personnes âgées qui passent à
l’émission) et non plus à un aîné. Pourtant, matahiapo, renvoie
avant tout à l’aîné même si, de par sa position et en vertu du con-
trôle social en vigueur, lui sont nécessairement associées les qualités
de sagesse et de prudence, dans la culture polynésienne. Allons-
nous bientôt oublier que le Matahiapo était le premier né par qui
tout commence (comme dans matamua29), que l’on enveloppait
dans une feuille de hiapo (la feuille de l’arbre de banian) au
moment de sa naissance ?30 Dans le même temps, à tort ou à rai-
son, on nie de plus en plus le type d’autorité que possède le Mata-
hiapo sur la gestion et l’administration des terres des familles élar-
gies. Dans une ou deux générations, ne va-t-on pas faire l’impasse
sur les valeurs d’accueil (fariiraa) et de bonté (aroha) qui sont sous-
tendues par une organisation sociale où les familles élargies, les
terres détenues en communauté et le Matahiapo constituent un sys-

29. « Matamua », avant, commencement. « Mata » constitue une racine désignant le


commencement, comme dans « haa-mata », commencer ou « mata-mua ».
30. C’est l’anthropologue Bruno Saura qui nous a fourni cette explication de
« mata-hiapo », explication qui diffère de celle de « mata-hia-po », qui voit ce qui est
caché, donnée par Roti Make mais qui s’attache plus à une représentation sociologique
d’une fonction attachée au statut des « matahiapo » dans la gestion des terres. Dans ce
dernier cas, les « matahiapo » sont des sages à qui on délègue la responsabilité de la ges-
tion et de l’administration des terres.
386 Tamatoa Bambridge

tème sans cesse en équilibre, toujours susceptible de se rompre ?


« Quid de l’aîné, welcome le sage » dans la société urbaine tahitienne
de demain31 ?

Conclusion

Les distinctions faites par M. Sahlins en ce qui concerne


l’histoire des théories anthropologiques représentatives des courants
du découragement, de la dépendance et de l’identité, sont très utiles
à la compréhension non seulement de l’évolution de l’anthro-
pologie océanienne, mais également des dynamiques actuelles des
communautés insulaires. Toutefois, ces distinctions opératoires et
historiques entre les différents types de théories anthropologiques,
me semblent, à y regarder de plus près en prenant l’exemple des
médias, encore s’appliquer sur un plan synchronique. S’il est avéré
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qu’aucune pratique, ou qu’aucun objet technique ne semblent
échapper à la quête de l’identité par les Polynésiens, enrichissant
leur culture de formes anciennes et modernes, je me demande jus-
qu’à quels points les gens « exigent [...] que toutes ces choses leur
soient données selon des conditions et à des fins qu’ils auront eux-
mêmes déterminés »32 ? En Occident comme dans les communautés
insulaires, plus personne n’échappe désormais à la mondialisation
des moyens de communication. Or, la question qui nous préoc-
cupe, dans la perspective d’une théorie anthropologique de
l’identité dans le Pacifique, est de savoir ce que deviendront ces
communautés insulaires lorsque, sous l’effet de la mondialisation
croissante, l’appartenance aux familles élargies, aux communautés
villageoises, à certains statuts (comme celui de Matahiapo) cesseront
d’informer les pratiques elles-mêmes. Autrement dit, tant que les
structures sociales de l’identité perdurent, les gens ont la capacité de
s’approprier, dans leur sens, les influences extérieures. Toutefois,
l’ambiguïté contemporaine inhérente à la Polynésie française réside
dans le fait que l’évolution du sens d’un concept comme celui de
Matahiapo peut aussi témoigner d’un affaiblissement de ces structu-
res sociales de l’identité. Toute la question est alors d’identifier, à

31. Ce n’est pas le contenu de l’émission qui est en cause. Il s’agit là d’une idée
extrêmement originale, développée par un journaliste de talent, Tavita Marae. Ce n’est
ni son émission (sur RFO) ni lui-même que je critique, c’est plutôt la transformation
sociale, plus large, dont cette émission est le vecteur médiatique.
32. Sahlins, 2000, op. cit., p. 25.
Le développement des médias en Polynésie française 387

partir de cette appropriation des médias et des programmes à Tahiti,


ce qu’impliquera l’émergence translocale d’une nouvelle forme de
structure de l’identité polynésienne. S’il est encore trop tôt pour le
dire, les transformations sociologiques que nous venons de présen-
ter, soulignent en tout cas, trois enjeux majeurs : scientifiques, cul-
turels et politiques.
D’un point de vue scientifique, une anthropologie de la com-
munication qui peut se développer, doit lier les problématiques de
la communication aux questions théoriques en rapport avec la cul-
ture dans une société. L’exemple de l’hypothèse que j’ai faite en ce
qui concerne la radio vecteur du lien social (et non comme facteur
d’individualisation) par rapport à la famille élargie, au régime fon-
cier avec l’existence d’un principe de résidence qui accueille
théoriquement tout le monde, illustre la construction de cette
anthropologie de la communication. Les problématiques de la
communication doivent être reliées à d’autres dimensions sociales et
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culturelles de la société. Il s’agit là de socialiser les problématiques
de la communication pour éviter leur réification dans le sens d’une
idéologie techniciste et évolutionniste33.
Par rapport à la culture, les liens entre la culture folklore telle
qu’elle est véhiculée par les documentaires et les événements cultu-
rels locaux, et, ce qu’on peut appeler la culture vécue, doivent être
identifiés. La seconde sera-t-elle capable de résister à la première ?
Poser une telle question suppose que l’on prenne conscience d’une
dualité et d’un décalage entre les deux. Dans cette perspective,
l’étude des conflits entre les deux formes de la culture peut nous
permettre de saisir dans quelle mesure la culture vécue, dynamique
par définition, sera capable de « digérer » la culture folklore et
médiatique.
Dès lors, l’anthropologie de la communication constitue un
domaine de recherche à part entière pour comprendre comment la
culture polynésienne moderne non seulement ne s’impose pas à la
culture traditionnelle, mais qu’il y a une négociation et une interac-
tion dynamiques entre les deux. Les changements liés aux techni-
ques de communication permettent ainsi de saisir ce qu’il reste de
dynamiques sociales et culturelles antérieures dans le processus de
négociation entre les différentes dimensions de la culture. Autre-

33. Cela montre ainsi la nécessité de recherches en anthropologie de la communi-


cation, notamment en ce qui concerne les questions liées à la réception cognitive et cul-
turelle envers les nouvelles techniques de communication.
388 Tamatoa Bambridge

ment dit, à condition d’apprendre à regarder, on peut émettre


l’hypothèse que l’arrivée des formes les plus modernes de la com-
munication technique (la radio, la télévision et internet) peuvent
être moins la fin de la culture traditionnelle de la communication,
qu’un lieu de lecture du dynamisme des formes préalables de cultu-
res et de communications. Lieu de lecture pour identifier et com-
prendre les échanges et les interactions entre plusieurs formes de
cultures et de communications.
Enfin, la culture constitue un enjeu politique de première
importance. La question est par exemple de savoir ce que seraient
les effets de l’introduction de la première forme de culture vécue
dans les programmes « culturels authentiques ». Serait-ce un moyen
de préserver la culture réelle ? N’y a-t-il pas d’autres alternatives
pour dépasser le stade de l’indigénisation du mythe occidental sur
les Polynésiens, en favorisant une création artistique plus ambi-
tieuse ? À quelles conditions peut-il y avoir une superposition de la
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culture vécue et de la culture folklore sans que la seconde ne pha-
gocyte la première ? Dans la perspective de ces enjeux culturels et
politiques du rapport entre les deux formes de la culture, on perçoit
maintenant comment une problématique de la communication
constitue une question centrale par rapport à la société. Compte
tenu du développement probable des nouvelles techniques de com-
munication et des enjeux économiques qui accompagnent ce mou-
vement, il serait sans doute souhaitable de relancer une réflexion et
une analyse plus approfondie des rapports entre la société, la culture
et la communication.
Tamatoa BAMBRIDGE
CNRS/Laboratoire Communication et Politique

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