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La philosophie euro-occidentale
Vincent Citot
Dans Hors collection 2022, pages 163 à 232
Éditions Presses Universitaires de France
ISBN 9782130835899
DOI 10.3917/puf.citot.2022.01.0163
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T andis que sur les ruines de l’Empire romain d’Orient s’édifie
la civilisation byzantine, l’effondrement de l’Empire romain d’Occi‑
dent ouvre une période confuse où la culture antique se mêle aux
cultures germaniques christianisées. On nomme « Antiquité tardive »
ces siècles indécis où l’Antiquité s’efface sans être encore remplacée
par une civilisation nouvelle.
Au cœur de cet « âge moyen », le cycle carolingien (~750 à
~900) marque une première tentative de restauration de la grandeur
romaine par la constitution d’un empire centralisé et administré.
Mais cette « renaissance carolingienne » est une percée éphémère,
un accident politique accompagné de quelques jaillissements intel‑
lectuels, et non un authentique redémarrage civilisationnel. Lui
fait suite l’époque la plus sombre des temps médiévaux (première
moitié du xe siècle) où le féodalisme étouffe presque toute vie éco‑
nomique, culturelle et intellectuelle. Puis les Ottoniens tentent à
nouveau de restaurer l’Empire romain – c’est la naissance du Saint
Empire romain germanique en 962. En France, la fondation de la
dynastie capétienne en 987 marque également un tournant. Au nord
et à l’est, la Chrétienté conquiert de nouveaux territoires (contre les
Vikings, les Slaves et les Hongrois), la régionalisation décline et la
1. Dans ce chapitre, nous minimisons les notes de bas de page, pour ne pas alourdir
la lecture – on trouvera en bibliographie les références nécessaires.
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politique (la Papauté), linguistique (le latin), artistique (le roman
puis le gothique) et intellectuelle (la scolastique).
On voit par là que l’Europe se distingue de Byzance presque
autant que de l’Islam. À bien des égards, il serait artificiel de faire
une « histoire de la philosophie chrétienne » qui engloberait Occi‑
dentaux et Byzantins – peuples distincts, de langues, de culture et
de cultes différents. Cette histoire serait un amalgame hétéroclite de
penseurs romains, grecs, byzantins, européens, slaves, et qui englo‑
berait même tous les chrétiens où qu’ils se trouvent aujourd’hui, du
Japon au Gabon. Elle devrait aussi exclure les Occidentaux devenus
athées ou agnostiques. Ce serait confondre diffusion religieuse et
unité civilisationnelle. Or il n’y a pas de « civilisation chrétienne »,
mais seulement des peuples, des groupes et des individus plus ou
moins affiliés au christianisme. Une religion, quelle qu’elle soit, ne
suffit pas à définir une civilisation. Le christianisme n’est qu’un des
éléments avec lesquels l’Europe a forgé son unité.
Les briques de l’édifice européen sont anciennes (héritage gréco-
romain, religion chrétienne, culture germanique) mais l’architec‑
ture est neuve. Cette nouveauté doit être pensée comme principe
de rupture (avec le haut Moyen Âge) et de continuité : malgré
les traumatismes de l’histoire, les inflexions, voire les régressions,
un même cycle historique relie les Occidentaux du xxie siècle aux
paysans de l’an Mil. Même les tragédies des xive et xve siècles ne
rompent pas l’unité civilisationnelle. L’Europe se transforme et se
réinvente, mais toujours dans le sillage d’une dynamique inaugu‑
rée à la fin du xe siècle. Autrement dit, les découpages habituels
« Moyen Âge »/« Temps modernes »/« Époque contemporaine »
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page le plus pertinent – au moins sur le plan de l’histoire culturelle
et intellectuelle – reste la division entre les périodes préclassique
(~975 à ~1600), classique (~1600 à ~1775) et postclassique (depuis
~1775), selon que la religion, la philosophie ou la science prédo‑
minent. La « Renaissance » bascule ainsi du côté du « Moyen Âge »,
ce qui réduit les « Temps modernes » d’autant.
Nous appelons euro-occidentale cette civilisation pour écarter
les confusions que renferment les notions isolées d’« Europe » et
d’« Occident ». En effet, l’Europe qui nous occupe ici n’est que
la partie occidentale de l’Europe, et l’Occident dont nous allons
faire l’histoire n’est que l’Occident européen, à l’exclusion de l’Oc‑
cident antique gréco-romain (pour peu que cette appellation ne
soit pas impropre). Parler de civilisation euro-occidentale permet
en outre d’inclure les extensions hors d’Europe de la civilisation
européenne. Ainsi, la philosophie américaine, australienne ou néo-
zélandaise n’étant rien d’autre qu’une philosophie anglo-saxonne
exportée, il convient de l’inclure dans l’histoire de la philosophie
euro-occidentale. On peut en effet distinguer deux sortes de colonies
européennes : celles qui, comme les États-Unis, sont restées « occi‑
dentales » après l’indépendance, et les autres. La philosophie des
ex-Européens du Canada relève de la civilisation euro-occidentale,
tandis que la philosophie indienne, pendant ou après la domina‑
tion européenne, n’est pas une philosophie européenne. Entre ces
deux pôles se tient l’Amérique latine, où le métissage des peuples
a produit une culture mixte. Dans une large mesure, cependant, les
philosophes brésiliens, argentins, mexicains, etc., pensent avec des
catégories, des références et un style « occidentaux ». Le monde
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philosophie euro-occidentale, il faut faire de la micro-sociologie.
Nous pouvons nous en dispenser ici, puisqu’il s’agit de résumer
plus de dix siècles de vie intellectuelle en quelques pages. De plus,
l’essentiel de la philosophie euro-occidentale produite hors d’Europe
provient d’Amérique du Nord, à laquelle on peut ajouter l’Australie
et la Nouvelle-Zélande.
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suprême, les philosophes sont tous théologiens d’une façon ou d’une
autre, qu’ils se spécialisent dans l’étude du trivium (grammaire,
rhétorique, dialectique), du quadrivium (arithmétique, géométrie,
astronomie, musique) ou qu’ils s’occupent de politique. Dans ces
sept « arts libéraux », on reconnaîtra à la fois une recomposition
de l’héritage antique aristotélicien et un avant-goût de ce que seront
les savoirs scientifiques modernes, mais, au Moyen Âge, aussi bien
la culture antique que les savoirs spécialisés sont chapeautés (à peu
d’exceptions près) par la double autorité de la Bible et des Pères
de l’Église. Connaître, c’est avant tout commenter des autorités
– Platon, Aristote et Augustin sont constitués comme tels. L’expé‑
rience, l’observation, la collecte de données empiriques et l’explora‑
tion peuvent apporter de l’eau au moulin de la pensée, mais ne font
pas elles-mêmes autorité. Les philosophes du xive siècle fissurent et
bousculent ce cadre sans pouvoir le renverser. Le problème commun
à tous les médiévaux est de rendre compatibles les diverses autorités
intellectuelles – singulièrement Aristote et les dogmes de l’Église.
Concilier, subordonner ou distinguer la raison et la foi, en tant que
moine, écolâtre ou universitaire, telle est la situation intellectuelle
des médiévaux.
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grands artisans de la renaissance du quadrivium à la fin du xe siècle.
Dans ces conditions, l’enjeu intellectuel essentiel du xie siècle est
de déterminer si la théologie doit être dogmatique ou dialectique,
si l’introduction des arts libéraux gâte la vérité révélée ou bien la
complète, voire la rehausse. La discussion se cristallise autour du
conflit opposant Bérenger de Tours (998‑1088), voulant subordon‑
ner la foi à la dialectique, à Pierre Damien (c. 1007‑1072), rejetant
toute introduction des arts libéraux dans la théologie et participant
à la condamnation de celui-là pour hérésie. Anselme de Cantor‑
béry (c. 1033‑1109) trouve une voie médiane, considérant que la
raison doit retrouver les dogmes de la foi, c’est-à-dire conservant
la hiérarchie traditionnelle tout en intégrant l’élément dialectique.
De fait, le célèbre augustinien représente davantage l’esprit de son
temps que les deux positions extrêmes de Bérenger et Pierre Damien.
La raison n’est encore qu’un outil au service de la foi et du Dogme.
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plus de savoir, comme au xie siècle, si la théologie doit s’appuyer
sur la raison – question en grande partie réglée –, mais comment elle
doit le faire. En se rationalisant et en s’assimilant la pensée païenne,
la pensée chrétienne devient irrémédiablement philosophique.
Par rapport au xie siècle, le nombre d’auteurs est démultiplié. Se
réfutant ou s’épaulant les uns les autres, ils constituent un réseau
intellectuel de plus en plus dense, reflet du réseau estudiantin lui-
même en expansion constante. De l’école cathédrale de Chartres
(fondée très précocement en 990) sortent les plus grands penseurs du
xiie siècle. Fins dialecticiens, admirateurs de Platon et portés avant
tout sur le quadrivium, ils trouvent face à eux les mystiques du cloître
de Saint-Victor de Paris – contemplatifs antirationalistes, hostiles à
la philosophie païenne. Deux personnages incarnent cette lutte des
Chartrains et des Victorins : Abélard (1079‑1142, dialecticien vir‑
tuose, anti-traditionaliste forcené, père de la scolastique) et Bernard
de Clairvaux (1090‑1153, moine cistercien, puissant conseiller du
pape, véritable inquisiteur avant la lettre). Équivalent de Bérenger
au xiie siècle, Abélard sera, comme celui-ci, condamné pour hérésie.
Entre les deux grandes écoles antagonistes, on trouve une multitude
de modérés, à l’image de Pierre Lombard (1100‑1160), dont le Livre
des sentences servira de manuel à des générations d’étudiants.
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viennent y enseigner à un moment ou un autre de leur carrière. Le
professeur d’université se substitue à l’écolâtre comme figure cen‑
trale de l’intellectuel. Il en est d’autant plus indépendant de l’Église.
Protecteur des universités (contre les monarques) et autorité ultime,
le pape incarne un pouvoir lointain, laissant aux enseignants une
certaine liberté dans l’exercice de leur profession. À tel point que
les condamnations successives des doctrines aristotéliciennes n’ont
que peu d’impact sur le contenu réel des enseignements. Après
Platon au siècle précédent, Aristote s’impose comme horizon intel‑
lectuel indépassable (suite à une nouvelle vague de traductions et
d’importations de textes via le monde arabe). Faute de pouvoir
l’interdire dans les faits, les théologiens n’ont d’autre choix que de
christianiser Aristote.
La Somme théologique de Thomas d’Aquin (1225‑1274) réalise
les idéaux de conciliation, de systématisation et de rationalisation
de l’époque. La philosophie reste néanmoins « theologiae ancil-
lans » (servante de la théologie) et, en dernière analyse, les vérités
de la foi demeurent les vérités suprêmes. Sur le plan politique, de
même, l’Église conserve sur l’État la primauté dans la pensée tho‑
miste. Les autres grands auteurs de l’époque réalisent, chacun à leur
façon, cette exigence de conciliation. L’aristotélisme dominant invite
à s’intéresser toujours plus aux réalités naturelles, de sorte qu’il
s’agit désormais de concilier le christianisme avec la « physique »,
l’astronomie et même l’expérience (comme on le voit entre autres
chez Albert le Grand et Roger Bacon), et pas simplement avec la
raison dialectique. Comme aux époques antérieures, les novateurs
se heurtent à un courant réactionnaire – refusant l’introduction de
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Tempier (réitérée et étendue en 1277), les philosophes commencent
à réaliser que la synthèse dont ils rêvaient entre vérités chrétiennes
et vérités païennes est un idéal impossible. Tout semble indiquer
(à commencer par la méfiance de l’Église à l’égard d’Aristote et de
ses commentateurs) que la raison et la foi sont deux chemins diver‑
gents vers le vrai. Se rejoignent-ils ultimement ? Certainement, car
la vérité est une, mais peut-être cette vision unitaire surpasse-t-elle
l’esprit humain. Au niveau de ce dernier, le dualisme s’impose : deux
autorités, deux allégeances, deux facultés intellectuelles et donc deux
vérités. Comme les théologiens sont les maîtres des vérités de la foi,
ne revient-il pas aux philosophes (ceux qui discutent les Anciens)
de se spécialiser dans les vérités de la raison et de l’expérience ?
Cette répartition des tâches, qui apparaît de plus en plus comme
une évidence, permet à la philosophie de gagner un peu d’autonomie
sur la théologie – qui continue néanmoins de couronner le système
du savoir. Sous couvert de recherches naturalistes spécialisées, les
philosophes s’émancipent en partie des considérations théologiques.
Parallèlement, les monarchies s’affirment de plus en plus face à
l’autorité papale (à l’image de l’affrontement de Philippe le Bel
contre Boniface VIII) : l’Église perd du terrain au niveau politique
autant qu’intellectuel.
Les aristotéliciens et averroïstes du xive siècle ne sont pas seule‑
ment critiques à l’égard des dogmes et de l’augustinisme de l’Église,
mais aussi à l’égard du réalisme platonicien, auquel ils opposent
le « nominalisme » – une ontologie faisant l’économie des « uni‑
versaux » de Platon et s’en tenant aux réalités individuelles. Le
triomphe des doctrines nominalistes va de pair avec le déplacement
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ford » (liste non exhaustive) représentent cette tendance – certains
poussent la critique jusqu’à remettre en question la « physique »
d’Aristote. Il faut y ajouter Marsile de Padoue qui, avec Ockham,
tire les conséquences politiques de ce nouvel état d’esprit (théorise
l’autonomie du politique sur le religieux).
L’Église réagit en institutionnalisant Aristote et canonisant
Thomas d’Aquin (en 1323). Le thomisme devient doctrine officielle
comme avant lui le platonisme et l’augustinisme – les hérésies d’une
époque font les saints de la suivante. On oppose désormais les
moderni (occamistes et nominalistes) aux antiqui (thomistes). On ne
confondra pas les premiers avec les adeptes de la devotio moderna,
qui représente l’épanouissement d’un puissant courant mystique
au xive siècle. Les innovations (rationalistes puis naturalistes) ont
toujours une contrepartie mystique : les Victorins au xiie siècle,
les néoplatoniciens et bonaventuriens au xiiie siècle, les disciples
d’Eckhart au xive siècle (la mystique rhénane, ou rhéno-flamande).
Ce mysticisme est soutenu par les grandes catastrophes qui rythment
l’époque : famines (par exemple en 1315‑1317, puis 1343‑1347),
épidémies (épisodes de peste noire : 1347‑1351, 1360‑1363, 1400,
1438‑1439), révoltes (comme en 1378‑1382), guerre de Cent Ans
(1337‑1453). La fin du xive et le début du xve siècle sont une période
particulièrement sombre pour la France et l’Angleterre. Le Moyen
Âge, avec son état d’esprit et ses institutions, ne se relèvera pas de
ces temps troublés. Une autre époque commence, sous l’impulsion
des régions restées dynamiques que sont la Flandre et l’Italie.
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Europe renaissante, une Europe de nations, de cours princières et
de capitales marchandes. L’Université continue de former les intel‑
lectuels, mais elle n’est plus le lieu où se construit le savoir, ni le
vivier des innovations théoriques. Deux nouvelles figures du penseur
apparaissent : après avoir été affilié à un pouvoir clérical (moine
dans son école monastique, clerc dans son école urbaine ou pro‑
fesseur à l’université), l’intellectuel est désormais et de plus en plus
affilié à un pouvoir civil (humaniste de cour, conseiller du prince)
ou sans affiliation (traducteur, éditeur ou penseur indépendants
participant à la « République des Lettres »).
Les philosophes et les producteurs du savoir, qu’ils soient affi‑
liés ou indépendants, se distinguent selon leurs spécialités. On
trouve en premier lieu la catégorie des lettrés ou des « huma‑
nistes » : connaisseurs des textes antiques latins, grecs et hébreux,
leur culture est avant tout littéraire et ils ont à cœur, après l’aristo‑
télisme médiéval, de revenir à Platon. En second lieu, on distingue
ceux qui s’occupent de la nature plus que des lettres : astronomes,
astrologues, magiciens et occultistes. Enfin, en recoupement partiel
avec ces naturalistes, les techniciens : médecins, juristes, ingénieurs,
voire artistes. Ils ne prétendent pas être philosophes et ne sont
pas reconnus comme tels, mais dans la mesure où ils participent
à la construction des connaissances et produisent un discours
sur leurs pratiques, il faut les compter parmi les « philosophes »
au sens large. De fait, ils sont des acteurs incontournables de la
révolution intellectuelle propre à la Renaissance et jouent un rôle
souvent supérieur aux lettrés dans l’avènement de la modernité à
la période suivante.
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appréhender les nouveautés de l’époque : les inédits grecs et romains,
les Indiens d’Amérique, les machines des ingénieurs, le corps humain
sous le scalpel des médecins, les corps célestes des astronomes. Les
médiévaux méprisaient l’expérience ou ne s’y intéressaient qu’armés
du Timée de Platon ou de la Physique d’Aristote – on trouve peu
d’exceptions à cette règle ; les Renaissants, au contraire, réconcilient
partiellement le théorique et le pratique, à l’image des artistes (se
revendiquant mathématiciens de la perspective) et des alchimistes
(manipulant la nature à la lumière d’une doctrine préétablie).
Du point de vue de l’histoire intellectuelle, on peut dire que
cette soif de connaissances pratiques constitue une étape indispen‑
sable vers la constitution des sciences modernes. Les Renaissants
desserrent le double carcan constitué par les dogmes chrétiens et la
philosophie naturelle aristotélicienne (qui était devenue elle-même un
dogme). Pensée sans cohérence ni méthode, bien souvent, mais qui a
le mérite d’assouplir toutes les vérités du Moyen Âge en les confron‑
tant aux réalités nouvelles mises au jour par les humanistes, les
astronomes, les voyageurs, les ingénieurs, les médecins et les penseurs
politiques. Ceci dit, la sensibilité religieuse continue d’imprégner
toute la pensée renaissante, qu’elle soit humaniste, naturaliste ou
occultiste. On s’émancipe de l’Église, mais pas encore de la religion.
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de s’enfermer dans des dogmes, l’humanisme rend hommage à la
liberté humaine et à sa vocation universaliste. La thématique de
la liberté comme invention de soi et dénaturation est particuliè‑
rement bien mise en évidence par Pic de la Mirandole. Toutefois,
le projet intellectuel des humanistes de cette génération – comme
Nicolas de Cues, Ficin, Pic et Érasme – reste de concilier Antiquité
et christianisme. En un sens, ils perpétuent dans un cadre nouveau
l’ambition des médiévaux.
En marge du courant humaniste se développe une culture
savante dont le cœur est l’École astronomique de Vienne, fondée
par Johannes von Gmunden durant les années 1420. Ses célèbres
successeurs sont, pour la période qui nous occupe, Georg von Peur‑
bach et Regiomontanus (Johannes Müller). Astronomes et mathé‑
maticiens, ils traduisent, commentent et complètent l’Almageste de
Ptolémée. C’est aussi à cette époque que les ingénieurs, architectes,
peintres et médecins commencent à revendiquer une place dans
l’organisation du savoir. Contre la vieille distinction des arts libé‑
raux (libérés des choses pratiques) et des arts mécaniques (privés
d’ambition théorique), ils tentent de hisser les arts et les techniques
au rang de sciences. Cette ambition est manifeste chez Leon Battista
Alberti, mais elle est partagée par beaucoup de ses contemporains
(dont Léonard de Vinci, même s’il se tient toujours à l’écart de la
théorisation).
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puis traduit le Nouveau Testament en allemand (1522), François Ier
et Charles Quint montent sur le trône (1515 et 1516), Magellan
fait son tour du monde (1519‑1521), Cortès conquiert l’Empire
aztèque puis Pizarro l’Empire inca. Autant d’événements de nature
à bouleverser la philosophie du siècle commençant. La multipli‑
cation des doctrines naturalistes (cosmologie, astrologie, alchimie,
magie) et l’intérêt croissant pour la réalité humaine sous un angle
réaliste font que ce siècle sera relativement moins littéraire (moins
« humaniste ») et moins religieux que le précédent. Le courant
théologique lui-même est bouleversé par la Réforme d’une part,
et la découverte du Nouveau Monde d’autre part. Le contact avec
cette autre humanité représentée par « les Indiens » engendre une
série de réflexions théologico-philosophico-moralo-politiques sur la
relativité des cultures, l’universalité du genre humain, la légitimité
de la christianisation, la propriété du sol, la guerre juste, le droit à
disposer de soi-même, etc. De Vitoria à Montaigne en passant par les
acteurs de la « Controverse de Valladolid » (Sepúlveda et Las Casas),
ces questions préoccupent tous les grands esprits, directement ou
indirectement, consciemment ou non (car la décentration culturelle
consécutive à la découverte de l’Amérique fournit un modèle pour
toute décentration dans d’autres domaines).
La réalité humaine, la vie sociale et les rapports de pouvoir
sont pensés d’une façon tout à fait novatrice au xvie siècle, avec
des auteurs tels que Machiavel, Bodin, La Boétie, Montaigne ou
encore Botero. Leur démarche réaliste fait d’eux les précurseurs de
la science politique et de l’anthropologie. Ils n’envisagent pas la
pensée politique autrement qu’assise sur la connaissance des sociétés.
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Parallèlement aux courants théologique, humaniste et réaliste,
le courant naturaliste a toute son importance au xvie siècle. Nous
regroupons sous cette appellation ceux qui s’occupent de « philo‑
sophie naturelle » et de connaissances positives, qu’ils soient plutôt
astronomes/astrologues (comme Copernic, Tannstetter, Tycho Brahe,
Bruno puis Kepler peu après), alchimistes (comme Paracelse), ana‑
tomistes (comme Ambroise Paré et Vésale), botanistes (comme Fal‑
loppia) ou physiciens (comme Gilbert). Certes, il faudrait distinguer
les disciplines techniques des élaborations théoriques, qui relèvent
plus proprement de la « philosophie naturelle ». Mais l’immense
majorité des naturalistes de la période (dont les auteurs cités dans
notre petite sélection) sont médecins de formation, qu’ils s’occupent
des étoiles ou du corps humain. À la Renaissance, la frontière entre
les arts mécaniques et libéraux devient poreuse, et l’on constate un
rapprochement entre la technique clinique, la science théorique, la
religiosité occultiste et la philosophie de la nature. Dans la mesure
où nous avons affaire à des auteurs (et pas seulement des prati‑
ciens), il n’est pas aberrant de les inscrire dans une histoire de la
« philosophie naturelle ». Une grande partie de leur travail s’attache
d’ailleurs à remettre en question la vision du monde aristotélicienne
et à corriger les théories de savants comme Ptolémée et Galien. Les
naturalistes de la Renaissance critiquent, corrigent et complètent
les Anciens sans véritablement renouveler les cadres de leur pensée
(Copernic lui-même conserve l’essentiel de la pensée cosmologique
antique bien qu’adoptant l’héliocentrisme).
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nisme toujours. Antiquité sacralisée, vénérée, amendée, complétée,
étudiée ou critiquée, mais Antiquité toujours. Aussi critique soit
la pensée préclassique, elle reste comprise dans la matrice gréco-
chrétienne qui la contient. On utilise Platon pour critiquer Augus‑
tin, puis Aristote pour critiquer Platon, puis Platon et Plotin pour
critiquer Aristote tout en admirant Cicéron et Sénèque ; enfin, on se
réfère à Hippocrate, Archimède, Galien et Ptolémée pour renouveler
les connaissances, et eux-mêmes sont corrigés, mais, quoi qu’on
fasse, les Anciens restent une référence incontournable. La pensée
préclassique ne vit pas sans croyance religieuse ni confiance dans
quelque tradition. C’est précisément ce qui la distingue de la phi‑
losophie classique, qui entend se donner une méthode pour établir
d’elle-même des vérités. Les croyances et traditions ne sont pas
rejetées pour autant, car elles peuvent être excellentes. Mais il faut
en juger d’abord, d’une façon autonome. La philosophie classique,
c’est la philosophie revendiquant son autonomie (notamment par
rapport à la théologie et aux traditions), et l’exerçant pleinement.
Bien entendu, tous les auteurs ne sont pas « classiques » en période
classique, et il y a des exceptions à toutes les règles. Il importe toute
fois d’identifier les traits caractéristiques des différentes époques.
L’âge classique est la période durant laquelle la philosophie joue
pleinement son rôle dans l’histoire intellectuelle. Libérée de la tutelle
religieuse sans être encore concurrencée par la science, sans parents
ni enfants, en quelque sorte, la philosophie est dans la force de
l’âge. Aussi est-elle légitime à s’ériger en science universelle, en dis‑
cours omni-pertinent, qu’il s’agisse de connaître le monde naturel,
le monde humain ou d’établir des normes. Durant les deux siècles
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sances disponibles. Les philosophes sont des philosophes-savants
et les savants des savants-philosophes – ils ne se distinguent que
par nuances. Après le philosophe-moine, le philosophe-clerc, le
philosophe-universitaire et le philosophe-lettré s’impose la figure
du philosophe-savant. Ceux-là étaient essentiellement des affiliés (à
des pouvoirs cléricaux ou civils), celui-ci est avant tout indépendant.
Il exerce différents métiers, enseigne un peu, vit de sa plume ou de
ses rentes, reçoit quelques subsides, trouve des mécènes ou passe
d’une institution à une autre, mais n’est jamais aussi dépendant que
l’ont été les préclassiques et le seront les postclassiques.
Les universités, déjà ringardisées à la Renaissance, le sont encore
davantage (sauf en Allemagne, en Angleterre et en Écosse). Quant
au système du mécénat princier, il décline. Les hommes de l’âge
classique fondent donc des académies qui correspondent davantage
à leur double besoin d’indépendance et de protection institution‑
nelle : Académie des Lincei à Rome (1603), Academia Parisiensis de
Mersenne (1634), Accademia del Cimento à Florence (1657‑1667),
Royal Society of London (1662), Académie royale des sciences de
Paris (1666), Société des sciences de Berlin (1700), etc. Au xviiie siècle
s’y ajoute la fréquentation des Salons. Quant à la République des
Lettres, ce vaste réseau d’échanges intellectuels, elle ne fait que se
densifier à l’âge classique. On notera également une redistribution
géographique des rapports de force : les philosophies espagnole
et italienne battent de l’aile par rapport à l’âge d’or que fut pour
elles la Renaissance, la philosophie allemande reste en retrait, la
philosophie flamande émerge, les philosophies française, anglaise,
puis écossaise triomphent.
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non-ptoléméennes), il en ressort une impression de désordre, de
contingence et d’incertitude au cœur même de la science. Tout en
accueillant les nouveautés, on voudrait les canaliser, les systématiser,
les ordonner, bref, leur donner le cadre qui leur manque désor‑
mais. Il convient donc de réfléchir sur ce qui fait qu’un savoir est
un savoir, comment il s’élabore, selon quels principes, avec quelle
rigueur et dans quelles bornes. Les philosophes modernes cherchent
avant tout à déterminer la méthode (le chemin) menant au vrai, et
les principes de la connaissance rigoureuse. Ces théoriciens de la
connaissance font donc preuve d’une aptitude inédite à la réflexivité
et, en cela, inaugurent une nouvelle façon de philosopher.
Deux principes entrent en concurrence pour déterminer l’origine
du savoir rigoureux : la raison et l’expérience – plus précisément
la rationalisation et l’expérimentation. Ce sont là deux façons de
se décentrer, donc d’éviter les biais liés aux errements de la pensée
et aux aléas du contexte. Avant de comprendre la complémenta‑
rité de ces méthodes, les philosophes commencent par les opposer
– les expérimentalistes voyant dans l’apriorisme des rationalistes
un résidu de scolastique, et les déductivistes dans l’empirisme un
manque de rigueur –, critiques croisées toutes deux pertinentes à
leur niveau. Descartes devient la figure tutélaire des rationalistes
déductivistes (avec Hobbes, Spinoza et Leibniz), Bacon le premier
inspirateur des empiristes et expérimentalistes (suivi par Beeckman,
Mersenne, Gassendi, Roberval, Huygens, Pascal, Boyle et Locke).
Les deux camps se retrouvent partiellement sur la question du
« mécanisme », c’est-à-dire sur le nouveau paradigme en philosophie
naturelle, prenant la place du finalisme aristotélicien. La nature est
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La philosophie euro-occidentale
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savoir une méthode et des principes universels, presque tous contri‑
buent à produire ce savoir, et le siècle entier trouve ses bornes
dans les travaux de Galilée (pour le début) et la mécanique new‑
tonienne (pour son achèvement). Galilée n’est pas philosophe au
sens étroit du terme, mais il est celui qui a renversé définitivement
Aristote et stimulé toute la pensée du xviie siècle en réalisant (bien
plus que Copernic, Tycho Brahe, Bruno ou Kepler) la « révolution
copernicienne ». Théoricien autant qu’expérimentateur, projetant
un regard de physicien sur le « supralunaire » tout en mathémati‑
sant le « sublunaire », il est le révolutionnaire par excellence. Ses
continuateurs s’opposent sur la méthode (la « philosophie natu‑
relle spéculative » contre la « philosophie naturelle expérimentale »,
dont la controverse entre Hobbes et Boyle est l’explicitation) avant
que la synthèse de Newton ne mette tout le monde d’accord. Au
xviie siècle, savants-philosophes et philosophes-savants participent
à une même révolution intellectuelle et il est artificiel de séparer
les disciplines, même si, à l’évidence, une spécialisation est déjà à
l’œuvre1.
La philosophie politique du xviie siècle est à l’image de la philo‑
sophie naturelle : elle cherche une méthode, des principes et même
un fondement universel. Ce fondement, c’est la nature humaine.
1. Sur le fait que les savants du xviie siècle travaillent dans le cadre de la « philo
sophie naturelle », et donc qu’une histoire de la philosophie doive considérer leurs
productions, on lira Schaffer, 1986 ; Schuster et Watchirs, 1990 ; Dear, 2001 ; Anstey
et Schuster, 2002 ; Clavelin, 2004 ; Gaukroger, 2006 ; Grant, 2007, chap. 10 ; Reeves,
2008 ; et Dawes, 2011. Dans le même sens, mais plus radicalement encore : Cunnin‑
gham, 1988 et 1991 ; Cunningham et Williams, 1993 ; Harrison, 2006 et 2007.
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premier au second. Cet idéalisme méthodologique diffère des utopies
politiques de la Renaissance d’abord en ceci qu’il s’agit d’établir
les droits de l’individu et de fixer les limites de l’autorité de l’État
(tandis que les Renaissants ignoraient largement cette perspective
individualiste et n’entendaient pas limiter la puissance publique).
De fait, la philosophie politique du xviie siècle est, pour l’essentiel,
une philosophie du droit. On appelle « contractualistes » les théo‑
riciens qui déduisent le droit légitime à partir d’une conception de
la nature humaine jouant le rôle d’un fondement, au moyen des
fictions de « l’état de nature » et du « pacte social » – Althusius,
Grotius, Hobbes, Spinoza, Pufendorf, Locke.
Au total, on peut dire que la philosophie du xviie siècle prend le
contre-pied de la philosophie renaissante. Celle-ci était éclectique,
foisonnante, trop fascinée par la diversité des savoirs pour chercher à
les ordonner, trop bouleversée par les révolutions en cours (Réforme,
Grandes découvertes, copernicianisme) pour consacrer du temps
aux métadiscours. À l’inverse, les « modernes » veulent mettre de
l’ordre dans les connaissances, les déduire et les fonder si possible,
à défaut en comprendre les principes. Il ne s’agit plus simplement
de connaître, mais de maîtriser son savoir par des « discours de la
méthode ». Les empiristes ne cherchant pas moins que les ratio‑
nalistes à organiser le savoir, tous construisent des systèmes. Les
Renaissants n’en avaient pas l’idée et les Lumières s’en moqueront,
mais, au xviie siècle, la systématisation est une exigence intellectuelle
importante.
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La philosophie euro-occidentale
• Caractères généraux
Le « siècle des Lumières » commence durant les années 1680 avec
ce que Paul Hazard a appelé « la crise de la conscience européenne »,
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et s’achève avant l’ère des révolutions et le « tournant transcendan‑
tal » de Kant. L’autonomie et la rigueur de la pensée philosophique
étant chose acquise (c’était l’œuvre propre du xviie siècle), on peut
prendre des distances avec la rigidité des faiseurs de systèmes (surtout
des rationalistes), s’ouvrir à la diversité des choses et des savoirs
plutôt que de chercher à les encadrer, les déduire ou les fonder – ce
qui est une façon de les limiter. Il convient plutôt de les recenser
et de les présenter dans des dictionnaires et des encyclopédies1. La
« révolution copernicienne » est achevée depuis la publication des
Philosophiæ naturalis principia mathematica de Newton (1687), où
triomphe l’expérimentalisme anglais contre le rationalisme cartésien,
contre cette idée folle qui a consisté pour l’auteur des Principes de
la philosophie à vouloir déduire la physique et la structure du réel.
Le monde est désormais à expérimenter et explorer, à l’image des
grandes expéditions navales qui se multiplient durant la seconde
moitié du siècle. Les savants embarqués rapportent notamment
des données ethnologiques, et tout le monde se passionne pour la
richesse et la diversité des cultures. On ne cherche plus2 à déduire un
système juridique à l’aide de fictions représentant l’individu comme
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D’une façon générale, le « siècle des Lumières » n’est pas, comme
on le dit souvent, le siècle de la raison (qui définirait mieux le pré‑
cédent), mais celui de l’expérience et de l’exploration d’une part,
de l’esprit critique d’autre part. Ce dernier s’exerce en premier lieu
contre le rationalisme qui, trop pressé de fonder, manque de com‑
prendre, comme dit Pascal, que « la raison est bien faible » – parce
qu’elle est gouvernée secrètement par des affects, parce qu’elle ignore
qu’elle est historique et culturelle. La raison des Modernes était
dogmatique et idéaliste ; celle des Lumières est critique et anthropo‑
logique. Les philosophes du xviiie siècle, philosophes-savants comme
leurs aînés, élargissent le champ des connaissances et changent de
paradigme : alors que les mathématiques, la physique et l’astronomie
fournissaient aux hommes du xviie siècle le modèle d’intelligibilité
du monde naturel et humain (paradigme mécaniste), c’est désormais
l’histoire naturelle (botanique, zoologie, géologie, géographie, miné‑
ralogie) et les prémices des sciences humaines (plus particulièrement
l’économie, la sociologie et l’anthropologie) qui dominent. On ne
remet pas en cause les acquis de la révolution copernicienne, mais
on ajoute au réel (le réel du vivant et le réel humain) des moyens
de compréhension plus adéquats et plus précis.
L’esprit sceptique des Lumières s’exerce également contre l’es‑
prit religieux qui pesait encore, malgré tout, sur les constructions
théoriques du xviie siècle. Les Modernes étaient des religieux qui
1. Nombreuses sont les études portant sur cette question. Parmi elles, on peut citer
Gusdorf, 1960, 1971, 1972 et 1973 ; Jones, 1989 ; Olson, 1993 ; Fox, Porter et Wokler,
1995 ; Heilbron, Magnusson et Wittrock, 1996 ; Waszek, 2003 et 2010 ; Gautier, 2015.
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que la philosophie sceptique et savante des Lumières accentue et
accomplit les efforts modernes d’autonomisation de la pensée phi‑
losophique. À ce titre, elle marque un sommet dans l’histoire de la
philosophie. En effet, cette autonomie ne sera plus possible quand, à
la fin du xviiie siècle, les diverses sciences prendront à leur tour leur
autonomie par rapport à la « philosophie naturelle », contraignant
ainsi les philosophes à recevoir les nouveaux savoirs de l’extérieur.
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pologie, l’économie, la linguistique, la psychologie et bien entendu
l’histoire. Telle est la grande œuvre des Lumières : avoir fondé un
nouveau régime de savoir sur l’homme et ainsi avoir contribué à
délivrer celui-ci – pour partie – des illusions sur son propre compte.
Cela n’empêche nullement les Lumières d’étudier aussi la nature,
comme le font par exemple Maupertuis, d’Alembert, le jeune Kant
et certains des auteurs déjà cités.
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xviie siècle était identiquement philosophique. Ce que l’on appelle
la « science moderne », en revanche, correspond à la rupture de la
fin du xviiie siècle, quand les sciences s’émancipent de la « philo‑
sophie naturelle »2. Elles se professionnalisent, s’institutionnalisent,
créent des réseaux indépendants, fondent des organes spécifiques,
des chaires universitaires, une éthique professionnelle, bref, elles se
disciplinarisent. Il devient clair que travailler en tant que scientifique
n’est plus du tout la même chose que de penser en philosophe. Le
mot anglais science prend son sens moderne (c’est-à-dire employable
par opposition à philosophie) à partir de 18333. Quant aux sciences
humaines, leurs professionnalisation et institutionnalisation se font
progressivement au cours des xixe et xxe siècles. Elles suivent le
même chemin, avec un décalage dans le temps, que les sciences de
la nature. Les philosophes ne peuvent que constater cette situa‑
tion historique inédite. Mais le choix leur revient de déterminer
quelle attitude adopter. Nous trouvons dans ce choix un critère de
périodisation historiographique : nous appelons Postclassique I la
période durant laquelle, globalement, les philosophes refusent de se
voir marginaliser sur le plan cognitif, et Postclassique II celle qui
correspond à une posture plus collaborative vis-à-vis des sciences.
L’ère qui s’ouvre est aussi un retournement majeur par rapport
au statut des philosophes. Principalement universitaires à l’époque
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nombreuses soient les différences, le statut du philosophe est assez
identique : le voilà avant tout salarié (payé par ses étudiants jadis,
employé par l’administration aujourd’hui, voire fonctionnaire). Le
philosophe postclassique est rémunéré pour philosopher de telle
heure à telle heure, dans une salle de classe. Son salaire le libère de
certaines contraintes et démocratise la discipline, mais lui en inflige
d’autres. Des contraintes invisibles qui vont avec la professionnali‑
sation : en tant que membre d’un corps professoral, il ne jouit plus
de la même indépendance d’esprit et embrasse l’esprit de corps2.
Son métier, ses intérêts de carrière, ses étudiants, ses collègues : tout
affecte sa pensée. Le choix même de ses recherches est orienté par
ses intérêts professionnels et la structure objective du « champ »3.
On se commente, on se réfute, on se cite et on se juge ; on fait des
cours, on organise des examens, on corrige des copies et on prépare
des colloques ; on écrit des articles et on remplit des dossiers, et,
après cela, on n’a plus le temps de s’occuper du monde extérieur.
Cette extériorité peut être celle qui suscita les « grands problèmes
philosophiques » quand, à la fin de l’adolescence, on fit le choix
de la philosophie. Elle peut être aussi celle des savoirs scientifiques.
Comment dégager assez de temps pour se mettre au niveau de la
recherche savante contemporaine quand on en manque pour régler
les détails de sa vie professionnelle ? Ce n’est pas une question de
tempérament ou de bonne volonté : la professionnalisation de la
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postclassique. En somme, il est bien difficile pour les philosophes,
depuis la fin du xviiie siècle, d’être à la hauteur des exigences tra‑
ditionnelles de leur discipline. Pas impossible, mais difficile. Par
conséquent, rare.
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philosophiquement les sciences. Au nom de l’existence, de la vie,
de la nature, de la tradition, de la beauté, de l’art, de la liberté, de
la subjectivité ou de la divinité, on peut trouver de quoi critiquer
les sciences. D’autant plus facilement qu’on les pense en bloc avec
leurs usages et conséquences indirectes (la « technoscience ») ou
leurs traits psychologiques associés (froideur rationaliste, logicisme
sclérosant, scientisme impérialiste). C’est la faiblesse de cette posi‑
tion : jeter le bébé (le savoir) avec l’eau du bain (la « modernité »,
la destruction de la nature, la guerre, l’aliénation, etc.).
Troisième possibilité : l’invention de para-sciences, c’est-à-dire
de pseudo-sciences philosophiques. Il s’agit cette fois d’élaborer
une forme concurrente de savoir : anthropologie philosophique,
sociologie philosophique, psychologie philosophique, linguistique
philosophique, et ainsi de suite. Le propre de ces disciplines est de
n’être pas décentrées : par principe, on ne peut leur appliquer les
méthodes classiques de vérification-falsification (expérimentation,
observation, mathématisation, modélisation, documentation, sta‑
tistiques, enquêtes, fouilles, mesure, etc.). De là leur difficulté à
produire un savoir partageable.
La dernière stratégie postclassique de la philosophie pour rester
cognitivement légitime est l’extra-science : production d’un savoir
sur un secteur du réel inaccessible à la science (alors que les para-
sciences concurrencent la science sur sa méthode mais adoptent
les mêmes objets d’étude). Certains « philosophables », en effet, ne
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« le bien ») et à nier que la science soit éclairante sur les domaines
considérés (alors que la sociologie et l’anthropologie ont beaucoup
à dire sur les valeurs morales). Même chose pour la liberté : on se
veut libre, on a l’intuition de sa liberté, on se sent libre, ou pas, mais
on ne peut dire qu’il s’agisse là d’un savoir. En réalité, les quatre
stratégies répertoriées pour concurrencer la science sont vouées à
l’échec. La philosophie postclassique ne peut se légitimer durable‑
ment en se faisant passer pour une forme de savoir. Bien d’autres
tâches lui incombent qui garantissent sa légitimité et sa pérennité,
mais ce serait sortir de notre sujet que d’aborder ce point.
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étendre toujours davantage ces droits ; le libéralisme politique lutte
lui aussi contre les rentes et privilèges de l’Ancien Régime (et les
actuels) et promet la prospérité par la libération des énergies qui
en résulte ; pour le socialisme et le communisme, l’histoire est en
elle-même un processus d’établissement du juste par dépassement
successif des formes d’aliénation ; les anarchistes et les gauchistes
souscrivent également à la conception progressiste ; de même enfin
que les républicains modérés qui subissent l’influence des autres.
On trouve bien des conservateurs et des réactionnaires parmi les
philosophes politiques postclassiques, mais ils sont très minoritaires.
Le second aspect de la pensée politique postclassique I est le
constructivisme : l’idée que le monde politiquement meilleur auquel
on aspire peut et doit être bâti sur la base d’un plan préétabli, que
le réel obéit au concept, ou, pour le dire dans les mots de Sartre,
que l’essence précède l’existence. Ainsi, si l’on veut rendre la société
plus juste, l’important n’est pas de l’étudier (comme faisaient les
hommes des Lumières jusque vers 1775, Rousseau à part), mais
de poser de nouvelles normes (comme font les révolutionnaires, les
kantiens, les postkantiens, les socialistes utopistes, les utilitaristes,
une partie des marxistes, les républicanistes philosophes du droit, et
jusqu’aux rawlsiens et habermassiens). Cette démarche se justifie très
simplement : le fait étant impuissant à définir le droit, il faut nier
le premier pour établir la justice – selon la formule de Rousseau :
« Commençons donc par écarter tous les faits » (introduction du
Second Discours). Cet idéalisme méthodologique n’est pas de même
nature que les utopies de la Renaissance (exercice littéraire) ou les
fictions du xviie siècle (jeux théoriques) : nous avons affaire ici à un
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Le trait le plus marquant de la période est d’abord le retour de
la pensée systématique. On renoue avec l’ambition du xviie siècle
de fonder le savoir, ce qui implique de bâtir des systèmes. La phi‑
losophie allemande, qui s’est toujours distinguée par son aptitude
à systématiser, fait son grand retour sur la scène intellectuelle. Le
fondationnalisme philosophique correspond à ce que l’on a appelé
la production de méta-sciences. Elles prennent diverses formes :
théorie transcendantale de la connaissance (Kant), idéalisme spécula‑
tif (Fichte, Schelling, Hegel), spiritualisme (Maine de Biran) et, dans
une certaine mesure, organisation du système des sciences (Comte).
Les philosophes de l’époque ont besoin de fondement, d’absolu,
d’a priori, d’universel, de cadres stables et de vérités définitives.
Tout ne doit pas changer dans le changement et, si l’histoire fait
son œuvre (l’histoire sociale comme celle des sciences), du moins
faut-il qu’elle le fasse dans des bornes qui ne sont pas historiques.
C’est ainsi que Comte assigne à chaque science ses principes et ses
objectifs1, comme Hegel dialectise tout, sauf ses propres principes
dialectiques.
Ce désir d’absolu correspond à l’esprit du romantisme. On rêve
de grandes synthèses et de conciliation des contraires – l’homme et
la nature, le moi et le monde, la raison et l’entendement, l’intui‑
tion et la raison, la sensibilité et la pensée, les phénomènes et la
chose en soi, l’art et la philosophie, la philosophie et la religion.
Schopenhauer incarne parfaitement cette tendance aux côtés de ses
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balayé par la vogue spiritualiste (avec Maine de Biran et Cousin
comme chefs de file).
La pensée politique de la période ressemble d’abord à un
grand retour au xviie siècle : après le réalisme reviennent les
spéculations sur le « droit naturel », la « nature humaine » et le
« contrat social ». La philosophie des « droits de l’homme » se
définit en effet par ce triple caractère : universalisme (le droit
n’est pas fonction des cultures ou de la diversité des aspirations
humaines), artificialisme (il s’agit de passer un contrat, d’établir
des conventions, de déclarer des droits) et fondationnalisme (la
« nature humaine » et « l’Être Suprême » jouent le rôle de garants
des droits de l’homme). Les grands textes où s’exprime cette phi‑
losophie sont la Déclaration des droits de Virginie (1776, écrite
par George Mason), la Déclaration d’indépendance des États-Unis
(1776, écrite surtout par Thomas Jefferson), la Constitution du
Massachusetts (1780, rédigée par John Adams, Samuel Adams et
James Bowdoin) et bien sûr la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen (1789). On trouve chez Kant et ses contemporains la
même inspiration jusnaturaliste. La philosophie politique redevient,
comme au xviie siècle, une philosophie du droit, une conception
conventionnaliste de la justice qui compense son propre artifi‑
cialisme par une référence à une nature humaine universelle. Ce
constructivisme radical (« notre histoire n’est pas notre code », dit
Rabaut Saint-Étienne à la Constituante) ne peut s’établir qu’en
tournant le dos aux sciences humaines en cours de constitution,
car il est difficile d’être historien, sociologue et anthropologue
en déclarant qu’il faut faire table rase du passé pour transposer
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hommes (paix perpétuelle, cosmopolitisme, État universel, bonheur,
prospérité). L’histoire n’est pas le simple passage du temps mais
une avancée vers le mieux et l’incarnation progressive d’une finalité
préétablie. Enfin, la dernière grande catégorie de la pensée politique
de la période est l’utopisme socialiste : apparition du socialisme sur
la scène intellectuelle et retour en grâce de la forme utopie. Saint-
Simon, Fourier, Owen, Cabet, Enfantin, Buchez, Leroux et Comte
peuvent être rattachés à ce courant. Tous, ou presque, cherchent
à fonder une nouvelle religion (socialiste) sur les ruines du chris‑
tianisme1. Qu’il s’agisse de la philosophie des droits de l’homme,
de l’Histoire ou du socialisme, ou encore des antirévolutionnaires
français (qui se réclament du christianisme), presque toute la pensée
politique de l’époque est marquée par le romantisme et l’idéalisme.
Tocqueville est certes à l’opposé de cette sensibilité, mais il n’est
pas philosophe de formation ni de profession : c’est un historien et
un sociologue qui fait de la philosophie.
1. Angenot, 2000.
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discours sur l’homme, la société, la culture, la psyché, mais les
sciences humaines affirment toujours plus leur indépendance par
leurs productions (en attendant leurs institutionnalisations)2. Durant
le troisième quart du xixe siècle, les caractères habituels du post‑
classique sont neutralisés parce que les philosophes – comme les
artistes, les écrivains, les politiques et le grand public (enthousiasmé
par les Expositions universelles) – sont fascinés par la science. Sans
redevenir des philosophes-savants comme à l’âge classique (encore
que ce soit le cas de certains d’entre eux), ils abandonnent la spé‑
culation, accueillent les paradigmes scientifiques en vogue (parti‑
culièrement l’évolutionnisme) et renouent un lien étroit avec les
réseaux scientifiques.
Inversement, les savants, qui avaient pris leurs distances avec
la philosophie à la fin du xviiie siècle pour affirmer la spécificité
de leur démarche, s’engagent désormais sur le terrain philoso‑
phique. Une nouvelle histoire de la philosophie commence vers le
milieu du xixe siècle : la philosophie des scientifiques. Elle ne peut
exister, cela va sans dire, qu’une fois opérée la grande dissociation
1. Freuler, 1997.
2. En histoire, Tocqueville publie L’Ancien Régime et la Révolution (1856),
Mommsen Histoire romaine (1854‑1856), Burckhardt La Civilisation de la Renaissance
en Italie (1860) et Fustel de Coulanges La Cité antique (1864) ; en économie, Marx
publie Le Capital (1867) et Walras Éléments d’économie politique pure (1874‑77) ;
en anthropologie sociale, Morgan publie La Société ancienne (1877) et Tylor Culture
primitive (1871) ; la préhistoire est fondée par Boucher de Perthes avec De l’Homme
antédiluvien et de ses œuvres (1860) ; en psychologie expérimentale Fechner publie ses
Éléments de psychophysique (1860) et Wundt ses Éléments de psychologie physiolo-
gique (1874).
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le cas ensuite quand les réseaux seront à nouveau séparés1. La
philosophie de philosophes (postclassique) apparaîtra alors dans
sa différence avec la philosophie de savants (qui échappe, de jure
et de facto, au « postclassique »). Bien entendu, il existe des inter‑
médiaires, puisque certains auteurs ont la double formation. Dans
la suite de cette étude, on se concentre sur la philosophie des
philosophes, car elle reste le courant principal de l’histoire de la
philosophie.
Au Royaume-Uni domine une philosophie dite « positiviste »
(quoiqu’elle diffère beaucoup du positivisme de Comte2). Elle se
caractérise par une bienveillance à l’égard de la science, à laquelle
elle emprunte ses concepts fondamentaux. On peut ranger Mill,
Lewes, Bain, Spencer et Harrison dans cette catégorie des positi‑
vistes. En Allemagne, après l’idéalisme des postkantiens et avant
que ne s’affirme le néokantisme à la période suivante, c’est la vogue
matérialiste qui s’impose avec des auteurs aussi divers que Marx,
Engels, Du Bois-Reymond, Büchner, Moleschott et Vogt. La plupart
d’entre eux ont une activité savante et, comme on sait, Marx et
Engels renouvellent radicalement la pensée socialiste en cherchant
à lui donner une assise « scientifique ». Les philosophes français
sont les plus rétifs à épouser l’air du temps, malgré le scientisme
de Renan, de Taine et de quelques autres. Le courant spiritualiste
reste dominant, assurant ainsi la continuité entre Maine de Biran
et Bergson, avec Vacherot, Ravaisson, Janet, Caro et Lachelier.
1. Citot, 2019.
2. Becquemont, 2003.
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crit l’utopisme au profit du « socialisme scientifique ». Le darwi‑
nisme exerce une influence puissante sur la pensée politique et tous
invoquent les leçons de la science : Mill et Spencer y cherchent
un fondement pour le libéralisme, tandis que Taine et Renan la
tirent vers une politique néo-traditionaliste. La pensée politique se
fait science appliquée : sociologie appliquée (« politique positive »
de Comte, libéralisme de Tocqueville, traditionalisme de Le Play),
économie appliquée (communisme de Marx, méritocratisme de
Walras), biologie appliquée (darwinisme social et ultralibéralisme
de Spencer), anthropologie physique appliquée (racialisme de Gobi‑
neau), histoire appliquée (matérialisme historique de Marx, conser‑
vatisme de Taine et Renan).
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avec l’impressionnisme (vers 1874) et aboutit au « postmodernisme »
en passant par toutes les avant-gardes bien connues ; en politique,
c’est la succession des courants radicaux jusqu’au gauchisme des
années 1960 (socialisme, anarchisme, radicalisme, communisme,
fascisme, nazisme, franquisme, maoïsme, trotskisme, etc.) ; et en
philosophie, c’est le foisonnement des méta-para-extra-sciences.
1. Fabiani, 1985, 1988 et 2010 ; Pinto, 1993, 1995 et 2009 ; Castelli Gattinara,
2001 ; S. Soulié, 2006 ; Joly, 2017.
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de psychologie de Paris (1889) ; pour l’anthropologie sociale : chaire
de Tylor à Oxford (1895) et de Boas à New York (1899), création
de l’American Anthropological Association (1902) ; pour la socio‑
logie : section de sociologie à l’Université de Chicago (1893), Revue
internationale de sociologie (1893), L’Année sociologique (1898),
American Sociological Society (1895), Sociological Society (1903),
Deutsche Gesellschaft für Soziologie (1909), chaires en Angle‑
terre (1907) et en Allemagne (1914) ; pour l’économie : multipli‑
cation des chaires universitaires, création de l’American Economic
Association (1885) et de l’American Academy of Political and Social
Science (1889) ; pour la préhistoire : création de la Société pré‑
historique de France (1904) ; enfin, la psychanalyse se revendique
comme nouvelle branche de la psychologie et fonde l’Association
psychanalytique internationale (1910).
Ces informations, loin d’être exhaustives, suffisent à indiquer
combien la concurrence disciplinaire devient rude. La philosophie,
jadis reine des sciences, voit se multiplier les disciplines concurrentes
à l’Université, chacune grignotant un peu le terrain qui lui était
autrefois chasse-gardée. De plus, le modèle allemand de l’Université
moderne (« humboldtienne ») se répand partout dans le monde à
partir des années 1870. Ces réformes de l’enseignement supérieur
transforment l’Université en un lieu d’innovation et de pouvoir où il
s’agit, pour chaque discipline, de se trouver une place pour prendre
part à la grande course de la modernité. Les philosophes ne sau‑
raient justifier la leur en enseignant leur philosophie personnelle
(car toute philosophie n’est-elle pas personnelle ?) et en évaluant
les étudiants et doctorants à la lumière de leurs propres penchants.
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être de vrais professionnels, on crée des revues spécialisées : La
Critique philosophique (1872), la Revue philosophique (1876) et
la Revue de métaphysique et de morale (1893). Mais on organise
aussi des Congrès internationaux (à partir de 1900) et on fonde
la Société française de philosophie (1901). L’ensemble constitue
– pour la philosophie française, en l’occurrence – un arsenal d’auto-
légitimation et une réponse à ce qui est ressenti comme une « crise
de la philosophie3 ».
La conséquence de cet effort de professionnalisation est le ren‑
forcement de ce qui avait été constaté à partir de 1775 : la dépen‑
dance à l’égard de l’institution universitaire. La période 1848‑1875
n’était qu’une parenthèse, où presque tous les grands auteurs étaient
indépendants : Mill (administrateur colonial), Proudhon, Kierke‑
gaard, Renouvier, Lewes, Marx, Engels, Spencer, Renan et Taine.
À partir de 1875, tout le monde, ou peu s’en faut, est professeur
d’université. Comme déjà dit, cela affecte l’orientation et le contenu
des recherches.
Mais la réponse à la « crise » ne peut être seulement orga‑
nisationnelle et institutionnelle : il faut légitimer la philosophie
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(comme durant la première moitié du siècle), ni les laisser prendre
le leadership (comme en 1848‑1875), la solution qui se présente
consiste à les superviser par une « théorie de la connaissance » et
une posture transcendantaliste fondationnaliste. Les néokantiens
(Liebmann, Cohen, Riehl, Simmel, Windelband, Rickert, Natorp)
mettent à jour le programme de Kant en fonction des avancées
scientifiques contemporaines. D’autres, « empiriocriticistes »,
« psychologues » ou « phénoménologues », s’inscrivent plutôt
dans la perspective phénoméniste ouverte par Renouvier (Mach,
Avenarius, James, Cohen, Ziehen, Husserl). On peut qualifier de
néo-romantiques ou de néo-vitalistes les auteurs qui renouvellent
à leur façon le programme de Schopenhauer et réenchantent le
monde : Hartmann, Nietzsche, Bergson, Guyau, Steiner, le Whi‑
tehead de Process and Reality et Blondel. Enfin, le néo-idéalisme
est un courant très puissant (surtout en Angleterre) avec Green,
Schuppe, Bradley, Bosanquet, Hamelin, McTaggart et l’Italien
Croce. En France, le spiritualisme reste dominant avec Boutroux,
Brunschvicg et Bergson. La « philosophie réflexive » de Lagneau et
d’Alain peut s’y rattacher dans une large mesure. La philosophie
politique semble, elle aussi, renouveler les recettes de la première
moitié du siècle. Ainsi les doctrines néo-révolutionnaires des anar‑
chistes et des socialistes (Lafargue, Labriola, Sorel, Jaurès), néo-
républicaines (Fouillée, Buisson, Alain) et néo-anti-révolutionnaires
(Barrès, Maurras).
On voit également apparaître des tendances nouvelles, dont
le point commun est de chercher une scientificité d’un nouveau
genre qui immunise contre le réductionnisme naturaliste. Ainsi les
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de trois influences : la psychologie introspective, l’idéalisme logi‑
ciste et le phénoménisme néokantien. Ultime nouveauté de la
période 1875‑1910 : les débuts de l’épistémologie « à la française »
avec Poincaré, Duhem et Meyerson. On notera, enfin, que la philo
sophie américaine émerge sur la scène internationale. Elle ne fera
qu’accroître toujours plus son influence.
• Formalisme néo-transcendantal
et sciences philosophiques (~1910 à ~1980)
Les philosophes de la première moitié du xixe siècle ont réagi à
l’autonomisation des sciences en élaborant des systèmes idéalistes
et des grandes synthèses romantiques ; leurs successeurs ont contre-
réagi en se faisant scientistes, ce qui a provoqué ensuite une contre-
contre-réaction néo-idéaliste et néo-romantique. Va-t-on maintenant
prendre le contre-pied des néo-idéalistes par un néo-scientisme ?
Non : ni spéculation, ni positivisme, tel est le mot d’ordre. Il faudrait
mimer la rigueur scientifique sans empiéter trop gauchement sur le
terrain des sciences. La « dialectique » des marxistes, la « généa
logie » nietzschéenne et « l’empiriocriticisme » permettaient déjà de
donner au discours philosophique un caractère savant sans prendre
le risque de la falsification. Cette inventivité se décuple à présent et
l’on voit fleurir une nouvelle série de méta-sciences, de para-sciences
et d’extra-sciences. L’avant-gardisme bat son plein, en art, en poli‑
tique comme en philosophie.
1. Dont l’œuvre doit être comprise comme réaction contre la montée en puissance
des sciences (Steizinger, 2017 – l’auteur montre qu’il en va de même pour Nietzsche).
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tisme, il faut trouver une solution plus radicale. Nous sommes à
l’époque de la relativité d’Einstein, de la mécanique quantique et
peu après la « crise des fondements » en mathématique ; toutes
les certitudes vacillent et le besoin d’un socle solide se fait sentir.
Aussi les philosophes vont-ils inventer un transcendantalisme d’un
nouveau genre, que l’on appelle ici le néo-transcendantalisme forma‑
liste ou le formalisme néo-transcendantal. Le supplément de rigueur
est fourni par un travail sur la forme dans laquelle les problèmes
philosophiques se présentent : le langage, les propositions et leur
enchaînement logique d’une part ; le vécu et le flux des phénomènes
d’autre part. On reconnaît là les outils théoriques qui serviront aux
deux grands courants de la période : la philosophie analytique et la
phénoménologie. L’une et l’autre entreprendront de déterminer les
conditions de possibilité du sens, de la vérité et de la connaissance
– raison pour laquelle ce sont des transcendantalismes, même si,
en un sens étroit du terme, elles pourront s’opposer au « transcen‑
dantalisme ».
La philosophie analytique se présente d’abord sous la forme
du « positivisme logique ». Il s’agit de prendre le contre-pied de
l’idéalisme de la période précédente, et, pour cela, de fonder une
« philosophie scientifique ». La revendication de scientificité est
une constante de ce courant depuis son origine, comme on le voit
à la lecture des titres d’ouvrages et de congrès : La Nature de
la vérité selon la logique moderne (Schlick, 1910), La Méthode
scientifique en philosophie (Russell, 1914), Tractatus logico-
philosophicus (Wittgenstein, 1913‑1918), La Construction logique
du monde (Carnap, 1928), La Conception scientifique du monde.
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est indéniable (puisqu’après son passage, il ne reste alors plus rien
à dire d’intéressant en philosophie), il n’est pas sûr qu’il rende
service à la science ni qu’il contribue à se faire une idée juste
de ce qu’est « la science ». De fait, le programme de recherche
initial d’un « langage idéal » est abandonné au profit d’une philo‑
sophie du « langage ordinaire ». Mais la posture transcendantale
est conservée, car il s’agit toujours de déterminer les conditions de
possibilité du sens et de la vérité. Le formalisme aussi demeure,
car l’analyse du langage reste l’arme fatale pour régler tous les
problèmes imaginables. On a seulement changé l’idée que l’on se
faisait du langage. Par ailleurs, les savants ne font aucun usage
de cette philosophie qui se veut pourtant une propédeutique fon‑
damentale pour toute connaissance possible.
La phénoménologie est très comparable à la philosophie ana‑
lytique dans son ambition et son histoire. Même fascination ori‑
ginaire pour le logicisme et l’idéalisme (Russell I, Husserl I), puis
revirement anti-idéaliste au profit d’un formalisme transcendantal
qui se veut scientifique (Husserl, 1907, puis La Philosophie comme
science rigoureuse, 1911 ; voir également Scheler, Le Formalisme en
éthique et l’éthique matériale des valeurs, 1913‑1916), puis retour
au concret avec le paradigme existentialiste (qui correspond au
tournant du « langage ordinaire » en philosophie analytique). Les
phénoménologues posthusserliens rejettent radicalement le transcen‑
dantalisme du maître, mais ils conservent l’essentiel de sa méthode,
qui consiste à aborder toutes les questions philosophiques comme
des « phénomènes » qui se présentent à l’esprit. « Réduction phé‑
noménologique » ou pas, « subjectivité transcendantale » ou pas,
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Le langage et la logique, le phénomène et le vécu fonctionnent
comme des transcendantaux. De même la « réflexion » et le « juge‑
ment » pour le courant de la « philosophie réflexive » ou encore
« l’interprétation » en « herméneutique philosophique ». Ce sont
des conditions du sens et de la connaissance comme les catégo‑
ries de l’entendement dans le kantisme. Or tout le problème est
que la connaissance authentique requiert un décentrement que ne
permettent pas – et même excluent – ces transcendantaux philo‑
sophiques. Le discours sur les vécus a sa pertinence propre mais il
n’établit pas de connaissance ; et le progrès des connaissances ne
passe pas par un discours sur les vécus.
Après les méta-sciences transcendantales, venons-en aux para-
sciences. Ce sont des sciences alternatives dont la philosophie se
réserve le monopole mais dont l’objet est commun avec les sciences
courantes : on applique une méthode non scientifique (non décen‑
trée) à un objet de science. « L’anthropologie philosophique », par
exemple, est un discours de l’homme qui se passe des méthodes de
l’anthropologie savante et qui prétend néanmoins, ou plus exac‑
tement de ce fait, fournir un savoir supérieur. On peut regrouper
sous l’appellation de para-sociologie philosophique l’ensemble des
discours sur la société qui, à l’époque où la sociologie est constituée
comme science, refusent cette scientificité au nom d’une intelligibilité
plus éminente (philosophique au sens strict ou idéologique au sens
large) : la « sociologie phénoménologique », la « dialectique », la
« Théorie critique », etc. La phénoménologie de l’imagination, des
émotions, de la perception, etc., la « psychanalyse existentielle »
et la « schizo-analyse » sont quant à elles des para-psychologies
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philosophie, à une floraison de para-sciences et extra-sciences. On
englobe sous ce dernier terme toute démarche métaphysique qui
se fait passer pour un savoir – au sujet de l’Être, du Logos, de la
Structure, de l’Inconscient, de la Différence, de l’Événement, de
l’Immanence, etc.
La philosophie politique de l’époque est dominée par l’idée d’une
transformation radicale de la société pour éliminer l’aliénation,
émanciper les masses et établir la justice. La question qui divise
est principalement de savoir comment. Pour la philosophie politique
marxisante, c’est par le jeu des rapports de forces – constructi‑
visme volontariste. À cet horizon marxiste se rattachent le Cercle de
Vienne, l’École de Francfort, les « compagnons de route » du Parti
communiste (qui sont légion entre 1910 et 1980), les trotskistes, les
maoïstes, les guévaristes, les castristes, etc. L’autre grande méthode
pour établir la justice est celle de la philosophie politique transcen-
dantale. Le constructivisme est, cette fois, formaliste : on imagine des
procédures formelles pour établir un droit juste ou obtenir l’assenti‑
ment du plus grand nombre sur la société à bâtir. À ce courant sont
liés tous ceux qui conçoivent le droit, non comme le reflet d’une
société, avec son inertie propre, mais comme le fruit d’une délibéra‑
tion abstraite entre citoyens, ou bien un système clos autosuffisant.
Les mêmes imaginent, inversement, qu’en ayant déclaré des droits,
le principal est accompli. Cet idéalisme est partagé par certains
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(morale analytique et méta-éthique, phénoménologie des valeurs),
mais dans une moindre mesure que la philosophie politique et la phi‑
losophie du droit. En revanche, l’esthétique est fortement marquée
par le formalisme logico-linguistique (esthétique analytique de
Goodman, Danto et Dickie), phénoménologique (Merleau-Ponty,
Dufrenne, Henry, Maldiney) ou herméneutique (Gadamer). Ces
recherches ne manquent pas d’intérêt, mais la question est de savoir
si la philosophie de l’art, du goût et de la jouissance esthétique ne
s’enrichirait pas considérablement en assimilant ce que l’histoire,
la sociologie, la psychologie et l’anthropologie ont à dire de ces
questions – ce qui impliquerait de renoncer à la posture formaliste.
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diminuer la pollution. Nous croyons toujours au progrès, mais sous
une forme post-prométhéenne : le progrès des réparations plutôt
que des reconstructions et refondations. L’idéalisme avant-gardiste
était adapté à une vie intellectuelle prométhéenne ; désormais, nous
avons besoin de connaître la société pour la nettoyer de ses tares
et ne pouvons plus nous permettre de mépriser le présent au nom
de l’avenir.
Cet avenir lui-même paraît d’ailleurs assez sombre aux contem‑
porains, ce qui renforce leur souci du réel et du présent. Dans ces
conditions, tourner le dos aux sciences n’est plus d’actualité ; il faut
désormais collaborer avec elles. L’interdisciplinarité, la pluridiscipli‑
narité et la transdisciplinarité sont les maîtres-mots. Cette attitude
définit la philosophie postclassique II.
• Quasi-science du philosophe-chercheur
et collaboration interdisciplinaire
Les philosophes universitaires – c’est-à-dire la grande majorité
des philosophes1 – se veulent désormais des « chercheurs » comme
les autres. Ultra-spécialisés, compétents, experts, techniciens, ils ont
complètement assimilé les exigences de la « recherche ». L’histoire
de la philosophie en sort renforcée, du moins sur le continent.
Dans la mesure où les méthodes historiographiques savantes restent
étrangères aux philosophes-historiens, nous dirons qu’ils sont quasi-
historiens et pratiquent une quasi-science. Assez de science, toutefois,
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font ainsi quasi-sociologues. La collaboration interdisciplinaire et
la compétence pluridisciplinaire sont évidemment un atout quand
on travaille en philosophie de l’esprit (collaboration avec les
sciences cognitives), en bioéthique (avec la biologie), en éthique
médicale (avec la médecine), en écologie (avec l’écologie savante),
en philosophie de l’éducation (avec les sciences de l’éducation), en
philosophie politique (avec les sciences politiques, la sociologie et
l’économie), etc.
La philosophie ayant pacifié ses rapports avec les sciences depuis
qu’elle a cessé de leur donner des leçons méta-scientifiques, on
constate un impact croissant des savoirs scientifiques en philoso‑
phie. Il y aurait de quoi se réjouir si les sciences humaines avec
lesquelles collaborent les philosophes n’avaient pas été elles-mêmes
transformées depuis 1980.
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d’acteurs sociaux porteurs d’un agenda politique : postcolonial
studies, subaltern studies, ethnic studies, racial studies (Black
studies, Latino studies), gender studies, gay and lesbian studies,
queer studies – autant de versions de la sociologie critique –, à quoi
il faut ajouter l’écologie semi-savante semi-politique, l’anthropologie
décoloniale, l’économie alternative et toutes les formes idéologisées
de politologie1.
Au total, pour un même problème, par exemple la cause des
inégalités scolaires, on trouve deux solutions antagonistes : le tout-
culturel des savants-idéologues et le « 50 % génétique » des prati‑
ciens de la méthode des jumeaux. Qu’aucune science n’échappe aux
rapports de pouvoir ni ne soit idéologiquement neutre – comme le
veulent les foucaldiens et le montrent les sociologues des sciences –,
c’est possible, mais tout est affaire de degré. Les praticiens des
studies étant, souvent de leur propre aveu, proches du militan‑
tisme, nous sommes fondés à les appeler des savants-idéologues ou
savants-philosophes (si leur idéologie fait l’objet d’une réflexion
argumentée).
Dans leur grande majorité, les philosophes se sentent plus proches
politiquement des savants-idéologues, et se montrent rétifs à l’idée
d’une naturalisation/mathématisation/informatisation de l’homme ;
ils vont donc rechercher des collaborations en fonction. Or quand
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le besoin, à un certain moment de leur carrière, de tirer des leçons
générales et de montrer les enjeux philosophiques de leurs travaux.
Il nous semble que cette philosophie de savants est davantage à
la hauteur des exigences philosophiques que la philosophie des
philosophes.
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du double discours (« en première personne » et en « troisième
personne »), donc la collaboration interdisciplinaire avec la neu‑
robiologie, la psychologie, la psychiatrie, la psychopathologie,
la sociologie, l’anthropologie et l’écologie. La « réduction phé‑
noménologique » devient presque une technique de concentra‑
tion pour décrire des « phénomènes » et des impressions, avec
la possibilité ensuite de confronter les résultats avec d’autres
types de discours1.
Quant au marxisme, il se transforme lui aussi, mais en y laissant
son âme. Car il ne reste pas grand-chose de la doctrine de Marx
quand on délaisse la « lutte des classes » pour la « politique de la
reconnaissance », et la révolution pour diverses formes de réfor‑
misme. Le déclin du marxisme est en fait lié au déclin général de
l’influence continentale en philosophie contemporaine.
Depuis les années 1980, presque tous les grands courants de
pensée viennent des États-Unis. Alors qu’ils étaient auparavant
de grands importateurs de philosophie (pragmatisme, philosophie
analytique, poststructuralisme), ils sont devenus les fournisseurs
internationaux d’idées nouvelles. Les Anglais et les Autrichiens, à
l’origine de la philosophie analytique, subissent maintenant unilaté‑
ralement l’influence de la « philosophie de l’esprit » qui en est issue.
Les Français eux-mêmes, qui ont livré aux campus américains les
doctrines de Foucault, Deleuze, Derrida et Lyotard, se retrouvent
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ce sens qu’elle adhère encore au schéma d’une histoire-progrès. On
ne croit plus à une histoire-processus qui engendrerait fatalement
la justice et la prospérité (par téléologie immanente, incarnation
de l’Esprit absolu, lutte des classes ou progrès scientifique), mais
on conserve l’idée que l’histoire a un sens et qu’il convient d’y être
fidèle. L’opposition des progressistes et des conservateurs est donc
intacte. En revanche, le constructivisme décline au profit d’une poli‑
tique de réarrangement du monde social. On ne reconstruit pas la
société, on la réorganise ; on ne rêve plus de Révolution, on répare
le réel. On ne cherche plus à fonder la justice in abstracto, on met
en évidence des injustices et on cherche pragmatiquement les moyens
de les éliminer. La fin des avant-gardes signe aussi la fin des grandes
ambitions théoriques. A-t-on besoin de formalisation/modélisation/
conceptualisation pour réclamer l’égalité des sexes, des cultures et
des orientations sexuelles ? De plus, à partir de 1980, nombreux
ont été les philosophes (les « Nouveaux philosophes », notamment)
à dénoncer les effets pervers et les conséquences totalitaires des
grandes doctrines de l’« émancipation ».
En somme, plus personne ne tient aux « grands récits » – ni les
conservateurs, ni les modérés ni les progressistes radicaux. Ce dont
ont besoin les gens, désormais, et qui préoccupe les philosophes,
c’est la reconnaissance, la protection, la prévention, la santé, le
soin (le care), la sécurité, la paix et la solidarité. La reconnais‑
sance des minorités culturelles, ethniques et sexuelles ; la protec‑
tion contre le chômage, la violence, la maladie et les dangers de
1. Cusset, 2003.
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hétérosexuels et non-hétérosexuels, jeunes et vieux, citoyens et étran‑
gers, valides et handicapés, sveltes et gros, et même espèce humaine
et autres espèces.
Les studies, que nous avons déjà évoquées, sont spécialisées dans
l’étude de toutes ces inégalités. Les philosophes politiques leur sont
très liés et leurs thèmes sont associés : féminisme, multiculturalisme,
communautarisme, postcolonialisme, décolonialisme, réflexion sur
les « capabilités », la « reconnaissance », la « mémoire », le sexisme,
le racisme, le « spécisme » et « l’animalisme ». L’ensemble de ces
réflexions aboutit au grand retour du droit (et de la philosophie
du droit) après des années de dévalorisation par le marxisme et
le gauchisme. Les droits de l’homme, le droit des minorités, les
droits économiques, sociaux et culturels se présentent comme un
enjeu majeur pour réformer la société. En philosophie morale, les
thématiques sont proches : éthique de la vulnérabilité et de la sol‑
licitude, éthique animale, éthique environnementale, antiracisme,
bioéthique et éthique médicale. La plupart des chercheurs en philo‑
sophie morale et politique nouent, comme les autres philosophes, des
collaborations interdisciplinaires. Il est bien évident que s’entourer
de médecins est essentiel quand on travaille en éthique médicale.
Le raisonnement vaut pour les autres secteurs.
Le cycle euro-occidental est loin d’être achevé. Malgré les inquié‑
tudes périodiques au sujet de la « mort de la philosophie », le plus
probable est qu’il s’étale encore sur plusieurs siècles. Dans quelques
décennies, peut-être, nous passerons du Postclassique II au Post
classique III, c’est-à-dire au retour du religieux comme pôle d’attrac‑
tion principal de la pensée philosophique.
215
Bibliographie
Généralités
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