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LES

FEMMES DE L'ÉVANGILE
HOMÉLIES
PRÈCHÉES A PARIS, A SAINT-LOUIS D'ÀNTIN,

PAR

LE R. P . VENTURA DE RAULTCA,
Ancien gênerai de l'Ordre des Tliéatins,
Membre de la Sacrée Congrégation des Rites, E \ a m i u a t e u r
d e s Évèques et du Clergé romain.

DEUXIEME EDITION,
r c u t e t't .îti^ntcnt^t*

DE N O U V E L L E S HOMÉLIES

TOME PREMIEH.

P A R I S

A l.A LÏR1W1H1K DR ÏMÈTK F.T * M I) \3 C A T 1 0 N

D'AUGUSTE VATON, ÉDITEUR.


RUE DU B A C , 50

L'auteur *t IVdttcur »e iViCïrcrt le di .ut ti iilurtwn et de rpj.ro ludion.


Tout exemplaire de cet ouvrage non revêtu de ma signature
sera réputé contrefait et poursuivi conformément à la loi.

OUVRAGES DU R. P. VENTURA.

LA RAISON PHILOSOPHIQUE ET LA RAISON CATHOLIQUE, ou


conférences sur les principaux dogmes catholiques, prëchées à Paris.
3 vol. in-8°, br 20 fr.
DE LA VRAIE ET DE LA FAUSSE PHILOSOPHIE, en réponse à une
lettre de M. le vicomte de Bonald. I n - 8 ° , br t fr. 50
ESSAI SUR L'ORIGINE DES IDÉES ET SUR LE FONDEMENT DE
LA CERTITUDE, suivi de nouvelles observations sur le cartésia-
nisme. I n - 8 ° , br 4 fr.
LA FEMME CATHOLIQUE, faisant suite aux femmes de l'Évangile.
2 vol. in-8°, br 12 fr.
CONFÉRENCES SUR LA PASSION. 2 vol. i n - 1 2 , b r . . . . 7 fr.
LA VIERGE M A R I E , MERE D E DIEU, MERE DES HOMMES.
4 volume 3 50

AVIS IMPORTANT.
L'auteur l'éditeur de cet ouvrage se réservent le droit de le tra-
duire ou de^le faire traduire en toutes les langues. Ils poursuivront,
en vertu deàf lois, décrets et traités internationaux, toutes contrefaçons
ou toutes traductions faites au mépris de leurs droits.
Le dépôt légal a été fait à Paris, au Ministère de l'Intérieur, dans te
cours du mois de septembre 1856, et toutes les formalités piescriles par
les traités seront remplies dans les divers Étals avec lesquels la France
a conclu des conventions littéraires.

P a r i s . — Imprimerie de G. GRAT10T, rue Mozarine, 3 0 .


L E S

FEMMES DE L'ÉVANGILE
A Y A N T - P R O P O S

E N publiant ce volume, sur LES FEMMES DE L'ÉVANGILE,


nous nous étions propose d'y mettre en tête un résumé
historique des plus grandes femmes d'après l'Évangile;
mais, ce travail étant devenu trop long pour pouvoir être
placé ici comme une préface, nous nous sommes décidé à
le publier à part, sous ce titre : LA FEMME CATHOLIQUE ( 1 ) .
C'est donc là qu'on trouvera notre manière d'apprécier
la femme au point de vue de sa puissance morale. C'est
encore là qu'on trouvera les portraits en petit des femmes
catholiques les plus célèbres, et qui ont fait le plus de bien,
au point de vue religieux et politique, aux cinq grandes
époques du christianisme, l'époque des APÔTRES, l'épo-
que DES MARTYRS, TépOque DES PÈRES, le MOYEN AGE et
les TEMPS MODERNES. C'est là enfin qu'on trouvera des re-
marques de quelque importance, à ce qu'il nous semble,
sur la grandeur et l'efficacité de la mission de la femme
catholique et les principaux moyens de l'accomplir. Et,
bien que nous n'ayons pas dissimulé, dans cet écrit, les
torts que quelquefois la femme s'est donnes par rapport
à la religion, il n'en est pas moins un hymne de gloire,
nous nous plaisons à le dire, de la femme telle que l'Évan-
gile l'a faite et peut la faire encore, de la femme, création
merveilleuse de l'esprit et de la grâce de l'Évangile.
Ainsi nous n'avons à nous occuper ici que de la mé-

(1) C'est l a Femme c a t h o l i q u e , pour faire suite a u x Femmes de


l ' É v a n g i l e , e n deux v o l u m e s . Paris, 1 8 5 5 , chea V a t o n .
Il AVANT-PROPOS.
thode que nous avons suivie dans ces HOMÉLIES lorsque
nous les avons prêchées et publiées en italien à Rome, et
maintenant que, sous de nouvelles formes, nous les pu-
blions en français après les avoir prêchées à Paris.
La BIBLE est le livre par excellence; et l'Évangile est la
partie la plus excellente de la Bible. Comme Jésus-Christ
est HOMME-DIEU, homme faible, infirme, Dieu majestueux
et tout-puissant, de même son Évangile, miroir fidèle du
grand mystère de sa Personne, est en même temps un
livre simple et sublime, simple par le style et les paroles,
sublime par les doctrines et par les choses; et comme la
Personne du Dieu fait homme n'est que la Divinité cachée
sous le voile de l'humanité, de même son Évangile n'est
que la Sagesse infinie cachée dans la simplicité de la
lettre. Jésus-Christ est un personnage singulier et unique;
Singulariter sum ego (Psal.), parce que, dans sa qualité
de Dieu éternel, il s'est fait écrire sa vie et faire son por-
trait avant sa naissance dans le temps. Les prophètes en
ont écrit la vie par leurs paroles; les patriarches en ont
fait le portrait par leurs actions. Chacun des patriarches
a représenté, en lui-même, un trait de Jésus-Christ; et de
tous ces traits réunis résulte un portrait magnifique, par-
fait de tous les mystères de sa Personne. Ce qui a fait
dire à saint Augustin que le peuple et le règne des Juifs,
et même la vie des patriarches ont été prophétiques ( 1 ) .
Or, comme ce divin Sauveur s'était fait prédire et figu-
rer lui-même, par des paroles et des actions, dans la per-
sonne des prophètes et des patriarches, de même il s'est
complu à instruire son Église, à en prédire et à en figurer
les caractères, la mission, la destinée, par des paroles et
par des actions, dans sa propre personne. Ainsi, il ne faut

( I ) « Propheticus populus, propheticum rcgnum; etiam patriar-


« charuui vita prophetica fuit. »
AVANT-PROPOS. III

pas se contenter, dit saint Augustin, d'admirer les pro-


diges du Sauveur du monde; mais il faut les interroger et
entendre ce qu'ils nous disent de lui ; car, si on y fait bien
attention, ils ont, eux aussi, un langage qui leur est
propre. C'est que, Jésus-Christ étant le Verbe de Dieu,
les faits de ce Verbe sont eux-mêmes un verbe, une parole
pour nous ( 1 ) . Saint Grégoire dit, lui aussi : Les miracles
de Notre-Seigneur et Sauveur, tandis qu'ils nous étonnent
par la puissance qui les opère, nous instruisent par les
mystères qu'ils renferment ( 2 ) .
Outre le sens immédiat ou littéral, outre le sens tropo-
logique ou moral, outre le sens anagogique ou relatif à la
vie future, tous les faits de l'Évangile, ainsi que tous les
faits de l'Ancien Testament, ont donc, eux aussi, un sens
allégorique ou spirituel. Dans l'Évangile, comme dans
toute l'Écriture sainte, tout est historiquement vrai, et en
même temps tout y est mystérieusement prophétique.
Or, c'est dans ces différents sens que, dans ces homé-
lies, nous avons interprété quelques traits de l'Évangile;
et par là nous avons voulu présenter à ceux qui lisent
l'Évangile un petit essai de la manière dont on doit inter-
préter tout le reste.
Saint Luc rapporte que, la première fois que le divin
Sauveur apparut aux apôtres après sa résurrection, il leur
ouvrit l'esprit pour qu'ils comprissent les Écritures : Ape-
ruit illis sensum ut intelligerent Scripturas. Or il est évi-

(1) a Non sufficit intueri in miracutis Christ!; interrogemus Ipsa


* miracula, quid nobis loquantur de Christo : habent enim, si i n -
« telligantur, linguam suam. Nam quia ipse Christus Verbum Dei
« est, etiara factum Verbi verbum nobis est (Tract. 2 4 , in Joan.}. »
(2) « Miracula Domini et Salvatoris nostri per potentiam aliud
« ostendunt, et per mysterium aliud loquuntur (Homil. lT inf

« Evang.). »
IV AVANT-PROPOS.
dent, par ces mots, que le divin Maître n'apprit pas alors
à ses apôtres le sens littéral des Livres saints, qu'ils con-
naissaient déjà, mais le sens mystérieux, allégorique, pro-
phétique de ces mêmes livres, c'est-à-dire qu'il leur ap-
prit à ne chercher que lui, à ne voir que lui dans les
paroles des prophètes, dans la vie des patriarches, aussi
bien que dans tous les rites et dans tous les sacrifices de
la Loi. 11 est évident aussi que la vraie science des Livres
saints consiste dans la connaissance non-seulement du
sens littéral, mais aussi du sens allégorique. 11 en est de
même de l'Évangile, qui, lui aussi, nous le répétons, a des
sens différents. S'arrêter donc à la lettre, et rien qu'à la
lettre de ces livres inspirés, c'est ne pas les connaître
assez, c'est les connaître mal, saint Paul ayant dit : « La
lettre tue, et l'esprit vivifie. » En effet, c'est en s'arrêtant
à la lettre de la Bible que le Juif n'y voit pas JÉSUS-CHRIST,
et que le protestant n'y voit pas FÉGLISE; et c'est là l'ori-
gine de la grande erreur, de l'erreur capitale de l'un et de
l'autre; car le Juif n'est Juif que parce qu'il nie Jésus-
Christ, et le protestant n'est protestant que parce qu'il nie
l'Église. Se borner donc à expliquer l'Évangile au sens
littéral, ne s'arrêter qu'aux sublimes leçons de morale
qu'il renferme, sans tâcher d'en découvrir la partie mys-
térieuse et prophétique qui y est cachée, c'est, en quelque
manière, judaïser; c'est expliquer l'Évangile à la manière
protestante.
Les Pères de l'Église, auxquels Dieu a donné une
lumière, une grâce particulière pour expliquer ses Ora-
cles, à l'imitation des apôtres et particulièrement de saint
Paul, se sont appliqués, dans leurs sublimes prédications,
h développer les faits de l'Écriture sainte, et particulière-
ment de l'Évangile, dans ses quatre sens en même temps.
C'est pour cela que leurs sermons, leurs homélies, sur ces
sujets, sont des instructions solides, magnifiques, sublimes
AVANT-PROPOS. V

sur la religion et sur les grandeurs du christianisme.


En lisant ces homélies et ces sermons, on y apprend
l'harmonie ineffable des deux Testaments, l'accomplisse-
ment successif des prophéties, les analogies du passé avec
l'avenir, du corporel avec le spirituel, du dogme avec le
précepte» de la loi avec l'Évangile, de la Synagogue avec
l'Église. Ces grands hommes ne se sont pas arrêtés à la
lettre; ils sont entrés dans l'esprit du livre de la BONNE
NOUVELLE, ils ont levé un coin du voile mystérieux qui le
couvre; et ils nous indiquent les richesses de la sagesse,
de la puissance, de la bonté de Dieu, qu'il a plu au Saint-
Esprit d'y enfermer. Ils nous font connaître Jésus-Christ,
par la grandeur de ses mystères, par l'excellence de ses
doctrines, par l'efficacité de ses sacrements, par les carac-
tères de son Église, par les pieuses industries de son
amour, par la condition heureuse de ses disciples, par la
générosité de ses récompenses,
A l'aide d'une éloquence fille de la conviction et du
génie, ils combattent tous les vices, ils persuadent toutes
les vertus; ils mettent à nu toutes les misères, toutes les
plaies de l'âme, et indiquent les baumes divins, les remèdes
célestes qui peuvent les guérir. Ils tonnent contre les es-
prits rebelles aux attraits de l'amour infini, et ils les me-
nacent de la sévérité de la justice infinie. Mais ils ne font
tout cela qu'à l'occasion de nous expliquer quelque trait
de la vie du Seigneur. En sorte que les Pères commencent
toujours leur prédication par Jésus-Christ; ils l'ont tou-
jours en vue; ils l'ont toujours sur les lèvres, parce qu'ils
l'avaient dans le cœur. Tous leurs morceaux oratoires ne
sont d'abord que le développement d'un de ses mystères,
d'où ils tirent ensuite, comme des conséquences de leurs
principes, leurs grandes leçons de morale. Ce sont de
beaux commentaires du l i v r e divin, dans lesquels l'in-
struction qui éclaire l'esprit précède toujours l'exhorta-
VI AVANT-PROPOS.
tion pour la réforme du cœur. Mais en nous présentant
des instructions variées, agréables, mais solides et bien
raisonnées, ils nous offrent, sans en avoir l'air, une apo-
logie complète, magnifique, lumineuse de la religion chré-
tienne, adaptée au besoin de tous les temps, au goût de
toutes les âmes, et que tous sont dans le cas de recevoir,
de comprendre, de retenir, pour leur instruction et pour
leur amendement.
Il n'est donc pas étonnant que les chrétiens de leur
époque, nourris par un aliment si substantiel, fussent si
vigoureux dans la foi, si éclairés dans la science divine de
la religion, et qu'ils fussent à même de comprendre et de
goûter les sublimes choses que les Pères leur prêchaient,
et qui fatiguent aujourd'hui l'intelligence des savants.
Mais, hélas! depuis longtemps on a abandonné cette ma-
nière d'expliquer l'Évangile. Depuis Bossuet, dont les Ser-
mons ne sont que la continuation de la prédication des
Pères en langue vulgaire, à des exceptions près, même
parmi ceux qui en ont l'obligation, on explique mal l'Évan-
gile, ou on ne l'explique pas du tout. Quelques-uns ne
prennent de l'Évangile courant qu'un seul passage pour
l'affubler d'un discours moral de fantaisie. D'autres se
contentent d'en lire en langue vulgaire ou d'en raconter
le fait, et, ne l'envisageant qu'au sens immédiat ou litté-
ral, ils en tirent quelques réflexions morales des plus fades
ou des plus banales; et voilà tout. C'est ce qui, à peu près,
constitue ce qu'en France on appelle le prône. Est-il donc
étonnant d'ENTENDRE DIRE PARTOUT que rien, en fait de pré-
dication, n'est plus ennuyeux ni plus insignifiant que le
prône? C'est une prédication de coutume, faite pour les
classes les moins intelligentes du peuple ; c'est une chan-
son monotone, languissante, froide, sans intérêt, sans élé-
vation , où l'on ne trouve rien qui éclaire, rien qui instruise,
rien qui touche, rien qui édifie; c'est un entretien qu'un
ÀVANT-VROPOS. VU

petit nombre de bonnes femmes suit, et dont personne ne


tire aucun profit (I).
Ainsi l'Évangile reste un livre cacheté aux sept sceaux,

(1) A Toccasion de ce passage, on s'est plaint de nous, et on nous


a reproché d'avoir déprécié un genre de prédication qui fait tant de
bien en France, et d'avoir blessé ceux des respectables membres du
clergé q«î l'exercent. Mais, d'abord, ainsi que nous le déclarons en
tontes lettres, dans ce passage même, nous n'avons fait qu'y répéter
ce que nous avons entendu dire partout en France, par de bons
catholiques français,, et nous ne nous sommes fait que l'écho de leurs
plaintes auprès de ceux à qui il appartient d'y faire droit, si elles
sont fondées. Si on nous en a imposé, et si, au contraire, le prône
e s t a présent ce qu'il doit être, tant mieux; nous en sommes trop
heureux, pour qu'il nous en coûte le moins du monde de rétracter
spontanément la censure qu'on nous avait suggéré d'en faire : non
dans un esprit de blâme des personnes, mais dans le désir d'obtenir
une réforme de la chose. Dans tous les cas, il n'est pas entré dans
nos Intentions de comprendre, dans cette appréciation en général du
prône d'aujourd'hui, les savantes et pieuses explications de l'Évan-
gile que la plupart de MM. les curés et vicaires de la capitale, par
exemple, font, nous aimons à le dire, avec autant d'éclat que de
profit pour les âmes.
Il en est de même de ce que nous disons ici sur la stérilité de la
prédication de nos jours. En regrettant ce fait déplorable, nous
n'avons pas voulu dire, cependant, qu'il n'y ait point bien des ex-
ceptions heureuses à faire; et moins encore avons-nous voulu nier
que la France compte même à présent beaucoup de prédicateurs dis-
tingués dans l'un et l'autre clergé, dont la parole éloquente obtient
de nombreux et véritables succès, particulièrement par les retraites
qu'ils prêchent à la fin du carême.
Enfin, si nous n'avons indiqué ici qu*un seul de ces apôtres de la
Sainte Parole, ce n'a été que pour prévenir l'objection qu'on aurait
pu tirer, contre la méthode que nous inculquons, de ce que cet ora-
teur exceptionnel ne l'a pas suivie, et cependant, il n'en a pas moins
fait un immense bien. Mais, dans notre pensée, l'éloge que nous avons
fait de lui, n'implique nullement la critique des autres.
VIII ÀVÀAT-PItOPO*.

ipnoré du commun des chrétiens; et de là le fait dont on a


la simplicité de s'étonner, que, même parmi ceux qui fré-
quentent les églises, on trouve tant d'ignorance en matière
de religion. Ah ! jamais, peut-être, on n'a plus prêché qu'au-
jourd'hui, et jamais la prédication n'a été plus stérile ( 1 ) .
C'est encore la méthode protestante, touchant l'expli-
cation de l'Évangile, méthode bien déplorable sans doute,
mais logique pour les malheureux qui la suivent.
D'abord, ayant fait naufrage par rapport au dogme, le
protestantisme s'est attaché à prêcher la morale; et, à
Pexception près des plus grossières invectives contre le
catholicisme, les devoirs moraux forment les sujets des
prêches protestants. Mais il est de fait que, même parmi
les membres de la même communion, il n'y a pas de sym-
bole commun et uniforme; il est de fait que, dans un
même auditoire, il ne se trouve pas deux personnes croyant
le même mystère ou le croyant de la même manière. On
n'a donc plus pu donner au précepte le dogme chrétien
pour base, et on a été obligé de descendre sur le terrain
du droit naturel, de substituer la philosophie à la révéla-
tion, la raison à la foi. De là ces étranges discours soi-di-
sant chrétiens d'où est élagué tout mystère et tout dogme
du christianisme; où on ne vous propose que les de-
voirs d'une morale purement philosophique, humaine;
où l'Écriture n'est citée,—lorsqu'on lui fait l'honneur de

(1) Il va sans dire que cette remarque, ainsi que celles qui sui-
vent, n'a pas trait à la prédication si étonnante, par le fond et par
la forme, de cet orateur unique que Dieu a suscité en France pour
concilier le christianisme avec la science et l'esprit moderne. C'est
un genre de prédication de circonstance, pour une certaine classe
qui croit peu, ou mal, ou qui ne croit point du tout ; c'est un genre
de prédication qui, comme l'a si bien compris le grand homme qui
en est la gloire, doit nécessairement s'écarter de la méthode ordi-
naire de la prédication, faite pour ceux qui croient.
AVANT-PROPOS. IX

la ciler,—que comme un livre d'érudition, et non comme


un code divin; où souvent Jésus-Christ se trouve accolé
à Socrate, et où saint Paul n'a pas plus d'autorité que
Marc-Aurèle.
Ainsi, prêcher les devoirs en les séparant des mystères
et des dogmes, c'est faire descendre la prédication catho-
lique à la misère, à la nudité, au scandale de la prédica-
tion protestante; c'est se faire, en quelque sorte, l'écho
des coryphées de l'impiété du dernier siècle, criant tou-
jours : La morale, la morale; le reste est indifférent. La
morale chrétienne, séparée du mystère chrétien, ne dé-
coulant pas du dogme chrétien, est une morale plus par-
faite, si Ton veut, que celle des stoïciens ; mais c'est une
morale qui, n'ayant plus une base divine, n'en est pas
plus certaine, plus obligatoire ni plus importante.
Ainsi encore, les sermons dont la morale toute seule fait
les frais ne sont que de vaines dissertations, bonnes pour
les académies et pour les temples ; mais, à coup sûr, ils ne
sont pas des sermons qu'on peut entendre dans les églises.
Ce sont de froides disputes qui ne disent rien à l'esprit, et
qui encore moins peuvent toucher efficacement le cœur.
L'enseignement de la morale non-seulement ne perd
rien à être présenté en compagnie des mystères de Jésus-
Christ, mais il y puise une force merveilleuse, une effi-
cacité toute particulière. Le chrétien qui n'a que des idées
mesquines, petites, restreintes de la religion ne peut pas
avoir du zèle et de la ferveur à en suivre les pratiques. Les
sermons les plus mâles sur la malice et l'horreur de cer-
tains vices peuvent l'ébranler, l'agiter, faire naître en lui
des velléités de réforme ; mais ils ne le changent pas. Le
Prophète l'a dit dans une parole pleine de sens et d'une
philosophie toute divine : Il faut que l'homme s'élève à
une grande hauteur de cœur pour que Dieu puisse se glo-
rifier en lui, être glorifié par lui : Accedet homo ad cor
X AVANT-PROPOS.

altutn, et exaltabitur Deus. C'est dire qu'il faut élever


l'homme de la région des sens à celle de l'esprit, de la
terre an ciel, l'initier aux grandeurs, aux profondeurs de
Dieu : Ad profunda J)ei, comme parle saint Paul; et c'est
lorsqu'on l'a transporté sur ce terrain élevé, dans cette
atmosphère spirituelle qu'il est facile, plus qu'on ne pense,
de lui inspirer le mépris du monde, la haine du vice et
l'abnégation de lui-même. Or, le moyen le plus aisé d'ob-
tenir de tels résultats, c'est de lui prêcher les grandeurs
de Jésus, le chef-d'œuvre de la sagesse et de la vertu de
Dieu, dans lequel se trouvent réunis et cachés tous les tré-
sors de la science infinie ; c'est de lui faire connaître les
raisons extérieures, les analogies, les rapports, la magni-
ficence des dogmes de l'Évangile; c'est, en un mot, de lui
expliquer l'Évangile dans le style et selon la méthode de
saint Paul et des Pères.
Enfin, l'amour de Jésus-Christ est ta mort des vices, le
germe précieux et en même temps le suc vivifiant et l'àme
detoutes les vertus. Semblable au feu matériel, ce feu cé-
leste, éclairant l'âme, l'échauffé, l'enflamme et y détruit
en peu d'instants toutes les affections profanes, la conver-
tit, la transforme, l'élève, la divinise. En effet, à com-
mencer par celle de Madeleine, les grandes conversions
qui se sont opérées dans l'Église, et qui ont change des
monstres en hommes, des pécheurs en Saints, n'ont été
que l'œuvre de l'amour de Jésus-Christ.
Or, quel moyen plus sur, quel chemin plus court d'al-
lumer ce feu sacré dans le cœur des fidèles que de leur
expliquer, d'après la méthode des Pères, l'Évangile, ce
code de l'amour divin à l'usage de l'amour, où le Sauveur
du monde est représenté sous les couleurs les plus aptes
à le faire aimer? Dans ce livre auguste, dicté par le Saint-
Esprit, qui n'est qu'Amour, écrit par des hommes possé-
dés par l'Amour, si Jésus-Christ se révèle quelquefois
AVANT-PROPOS. XI

dans la sévérité de juge souverain, dans la grandeur et la


majesté de Dieu, il se montre toujours au cœur du chré-
tien, à chaque page, à chaque ligne, dans l'humilité et la
douceur de Fils de l'homme, toujours pacifique, miséri-
cordieux , clément ; il s'annonce toujours le pieux Sau-
veur , le père, le frère, l'ami de l'homme, ne lui parlant
que d'Amour, et engageant l'homme qui l'écoute et le
médite à se donner tout entier à lui, en ne lui répondant
que par l'Amour !
À l'appui de ces réflexions pourquoi ne nous serait-il
pas permis de citer notre propre expérience, qui nous pa-
raît d'autant plus concluante qu'elle est moins impor-
tante? Nous ne dirons rien des succès que par cette ma-
nière de prêcher l'Évangile, Dieu ayant daigné bénir nos
intentions et nos travaux, nous avons obtenus en Italie.
Nous dirons ce qui nous est arrivé ici, à Paris même,
lorsque, il y a deux ans, nous y avons prêché ces HOMÉ-
LIES SUR LES FEMMES DE L'ÉVANGILE. On nous avait prévenu
que nous ne devions prêcher qu'à des femmes, et c'est
pour cela que nous avions choisi, pour sujet de notre sta-
tion, LES FEMMES DE L'ÉVANGILE. Eh bien, dès le premier
jour, notre auditoire de femmes se convertit, en majorité,
en auditoire d'hommes, qui nous ont suivi, jusqu'à la fin,
avec un empressement toujours croissant, et nous ont
écouté avec le plus grand intérêt et la plus grande bonté.
Or, grâce à Dieu, nous ne nous faisons pas illusion. Nous
ne nous attribuons pas la plus petite des qualités qui font
les grands orateurs, et, par-dessus tout, nous savons bien
que, étranger, il nous manque les premières conditions
pour se faire écouter avec bienveillance par des oreilles
françaises, si difficiles et si chatouilleuses : la langue et
l'esprit français. Nous n'avons exposé l'Évangile, pendant
cette station , que dans le style le plus modeste, le plus
familier, dépourvu de tous ces accessoires qui ordinaire-
XII AVÀNT-PROFOS.

ment font, pour les trois quarts, le triomphe de l'élo-


quence et la vogue du prédicateur. L'homme, l'orateur
n'ont donc été pour rien dans ce succès, ils n'y ont, au
contraire, été que pour l'empêcher. Voilà donc une preuve
de la force surnaturelle, du charme divin de l'Évangile ,
qui, prêché dans toute sa simplicité, ne triomphe pas
moins de la pauvreté des moyens de celui qui l'annonce
que des exigences exagérées de ceux qui l'écoutent.
11 faut dire cependant que ce genre de prédication,
malgré sa simplicité, présente dans cette simplicité même
une nourriture spirituelle, solide et apte au goût de tous.
L'homme de talent et d'esprit y trouve de quoi se satis-
faire par les sublimes conceptions des Livres sacrés, par
Jes grandes pensées des Pères qu'il y rencontre, par l'har-
monie des deux Testaments qu'il y aperçoit, et de divers
mystères qui lui découvrent la grandeur et la magnifi-
cence du christianisme, et qui sont la preuve de sa vé-
rité. L'1 omme du peuple, la femme, l'ouvrier, le paysan
et encore j'a jeune fille et même l'enfant y rencontrent de
quoi se consoler, en entendant les exemples ineffables, les
traits affectueux, les tendres sentiments, les paroles
pleines de grâce, de suavité, de douceur du Fils de Dieu
fait homme, exposés dans un style simple, facile, à la
portée de tous. En sorte que tous y trouvent de quoi s'in-
struire et de quoi s'édifier.
Oh ! si, en marchant sur les traces lumineuses de Bos-
suet, on revenait à cette méthode, on n'aurait plus à gé-
mir sur cette espèce d'éloquence sacrée qui, en bien des
endroits, fait presque seule les frais de la chaire chré-
tienne, au grand détriment des âmes, au grand discrédit
de la prédication évangélique. Éloquence riche de figures
et pauvre de pensées, féconde d'expressions et stérile de
sentiments; fastueux étalage d'une menteuse opulence,
qui, en faisant servir au désir de plaire le grand ministère
AVANT-PROPOS. XIII

d'instruire , et la parole de vérité à mendier l'adulation,


flatte les oreilles et laisse en paix les passions, et qui, au
lieu de prêcher Jésus-Christ, ne fait que se prêcher elle-
même. Éloquence, vain luxe d'esprits légers, qui s'éva-
pore en descriptions frivoles, en conceptions extrava-
gantes, en périodes rondes, en paroles sonores, en traits
recherchés, en fleurs, en ornements, en fard que le goût
le plus indulgent ne saurait pardonner, pas même dans
un roman, et dont la vérité est obligée de rougir comme
une honnête femme en se voyant couverte de la robe
d'une courtisane. Éloquence enfin qui, profane par les
doctrines aussi bien que par la forme, en ravalant le pré'
dicateur jusqu'au saltimbanque et la prédication jusqu'à
la comédie, n'a autre chose de sacré que la hardiesse sa-
crilège de profaner, en les traitant d'une façon trop maté-
rielle et humaine, les choses sacrées, spirituelles et divines !
Frappé de ces inconvénients, nous dirions presque de
ce scandale de la prédication de nos jours, et qu'on dé-
plore en Italie aussi bien qu'en France, lorsque nous
avons été appelé à prêcher à Rome, nous nous sommes
fait un devoir de quitter les formes modernes, et de nous
attacher aux anciennes formes. Nous avons pris l'Évan-
gile dans nos mains, et nous avons tâché de l'expliquer,
d'après la méthode des Pères, les meilleurs prédicateurs
après les apôtres, et les vrais maîtres et les vrais modèles
de l'éloquence chrétienne. Dans les deux cents homélies
qu'en différents temps nous avons prêchées dans la ville
éternelle, et dont plus de la moitié ont été imprimées en
huit volumes, nous avons marché à la lumière de ces
mêmes grands hommes, sous leur direction et dans la voie
sûre et élevée qu'ils ont tracée. Nous avons tâché d'imiter
leur style; nous avons emprunté leurs grandes pensées,
souvent nous avons parlé avec leurs paroles et leurs phra-
ses, toujours d'après leurs doctrines et leur autorité.
XIV AVANT-PROPOS.

En France, dans la circonstance que nous avons indi-


e
quée ailleurs {Préface au II volume des Conférences),
ayant été invité à évangéliser des croyants, nous en avons
fait autant; et ces HOMÉLIES SUR LES FEMMES DE L'ÉVAN-
GILE, que nous publions dans ce volume, en sont la preuve.
En publiant ces homélies, ainsi que les autres du même
genre qui, s'il plaît à Dieu, les suivront, nous avons pensé
d'abord à fournir aux âmes chrétiennes une lecture édi-
fiante, capable de leur faire soupçonner la richesse de
l'Évangile ; de leur apprendre que de grands mystères s'y
cachent sous le voile de circonstances les moins impor-
tantes ; de les faire entrer dans l'esprit, et de leur faire
sentir quelque chose de la grandeur et du charme de ce
livre divin. En même temps, nous avons voulu offrir au
clergé l'occasion de se demander s'il ne serait pas bien de
marcher dans cette voie , et si, en fait de réforme de la
prédication, il n'y aurait pas quelque chose à faire?
En nous exprimant ainsi, nous n'avons pas la préten-
tion de croireque, par de telles tentatives, nous puissions,
nous, produire en France le même changement que Dieu
nous a accordé de produire en Italie. Comme orateur
chrétien, nous n'avons pas assez d'autorité pour cela; et,
dans tous les cas, nous ne sommes pas Français. Seule-
ment , nous espérons que ces publications serviront d'a-
vertissement et d'impulsion pour quelques-uns de ces ta-
lents hors ligne, si nombreux dans le clergé français, à
entreprendre, par l'autorité de leurs exemples et par la
puissance de leur parole, cette réforme dans la prédica-
tion de l'Évangile.
Que personne ne s'attende ici à des discussions sur les
passages obscurs du texte que nous rencontrons sur notre
chemin. Autre chose est d'expliquer l'Évangile, dans une
école, aux jeunes lévites étudiant les Livres saints ; autre
chose est de l'expliquer au public, dans une église. Là il
AVANT-PROPOS. XV

s'agit de former des théologiens complets , ici de former


des chrétiens parfaits. Là il s'agit de fixer le sens de la
lettre; ici il ne s'agit que d'en faire ressortir l'esprit. Là il
s'agit avant tout d'instruire; ici il ne s'agit que d'édifier.
Ainsi donc, parmi les opinions différentes des Pères et
des interprètes sur le même passage du texte sacré que
nous expliquons, sans entrer dans des discussions souvent
inutiles, toujours ennuyeuses, nous nous en tenons à celle
qui est la plus communément suivie, et surtout la plus
apte àfaire une impression heureuse sur le cœur, à exciter
la foi, à nourrir la dévotion, à consoler la piété.
Afin de rendre encore plus solides, plus utiles et plus
variées ces homélies, nous nous sommes efforcé de lier le
récit que nous y expliquons à l'un des mystères, à l'un
des dogmes, à l'une des lois du christianisme, en sorte
que cette loi, ce dogme, ce mystère y apparaît ressortant
du récit et mis en action. Ainsi, par exemple , la Cha-
nanéenne, c'est la PRIÈRE; la Samaritaine, c'est la GRÂCE;
h veuve de Dfaïm, c'est I'ÉGLISE-MÈREEÏ LA MÈRE-ÉGLISE;
Ja Madeleine, c'est I'AMOUR PÉNITENT, et les saintes femmes
au tombeau sont le BONHEUR DES PETITS. Par ce moyen les
doctrines servent à faire comprendre le fait, et le fait à
confirmer les doctrines ; et les doctrines et les faits s'expli-
quent, s'éclaircissent mutuellement les uns les autres, et
l'Évangile y est expliqué par l'Évangile.
L'un des traits particuliers de l'histoire évangélique est
que ses Écrivains, tout en étant d'accord sur le fond des
faits qu'ils racontent, diffèrent l'un de l'autre par la ma-
nière de les raconter. Il en devait être ainsi. Cette variété
de circonstances dans la narration du même fait prouve
aux plus aveugles que les quatre Évangéiistes ne se sont
pas entendus pour tromper le monde, ne se sont pas co-
piés l'un l'autre, et que leurs récils sont la vérité. Or, dans
les touchantes histoires que nous avons expliquées, nous
XVI AVANT-PROPOS.

avons fondu, réuni ensemble toutes les circonstances


que les différents Évangélistes nous fournissent, et en
avons fait un seul récit. En tète de chaque homélie nous
avons cité les chapitres des Évangiles et des Évangélistes
qui racontent le fait; dans le cours de l'exposition, nous
ne citons que les versets de ces mêmes chapitres. Et, en
général, dans les citations tirées de l'Écriture sainte, que
nous avons consignées dans le texte, le chiffre romain
désigne le chapitre, le chiffre arabe le verset.
Les passages latins des Pères, nous les avons reportés
dans les notes. C'est, d'une part, pour prouver que les
pensées, développées dans le texte, leur appartiennent
vraiment; et, d'autre part, c'est pour montrer aux plus
difficiles que la manière de s'exprimer des Pères ne man-
que pas de précision, de clarté et de grâce, et qu'admi-
rables par la forme aussi bien que par le fond ils ne
méritent pas le titre de barbares, qu'on leuj prodigue avec
tant de légèreté, et sans les avoir lus.
Enfin, nous remarquerons que ces homélies sur les
FEMMES DE L'ÉVANGILE, prêchées pour les femmes, et
maintenant paraissant, par l'impression, particulière-
ment pour leur avantage et leur édification, peuvent être
utiles même aux hommes. D'abord, parce qu'il n'y est
question que de la connaissance et de l'amour de Jésus-
Christ, qui intéressent tout le monde, et des grands de-
voirs du chrétien, quels que soient son sexe et sa condi-
tion ; et ensuite parce que, malheureusement, il n'est que
trop vrai qu'aujourd'hui, en fait de religion , les femmes
valent mieux que les hommes, connaissent, sentent, com-
prennent le christianisme mieux que les hommes; en
sorte que certains hommes, même de ceux qui savent
tout, excepté ce qu'il faut avant tout savoir, ne feraient
pas mal d'aller apprendre le catéchisme à l'école des
femmes.
SUR LES

FEMMES DE L'ÉVANGILE.

P R E M I È R E H O M É L I E .

LA CHANANÉENNE (*),

OU

L'ESPRIT DE GRACE ET l'ESPRIT DE PRIÈRE.


(Saint Matthieu, ch. XV; Saint Marc, ch. YH).

Jn die Ula, effundam super domum David, et tuper habitolores Ilieru-


talent, ipiritum gratiœ et precum ; et adspicient ad me quem confixerunt,
âicit Dominut.
Le Seigneur a dit : Le jour 'viendra où je répandrai en abondance l'esprit de
grâce et de prière sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem ; et
ils reviendront à moi après m'avoir transpercé (Zach. Xltj.

INTRODUCTION.
1- Une ancienne erreur, touchant la moralité humaine, et les
conséquences de cette erreur.

L'UNE DES PLUS FUNESTES ERREURS D E L'ANCIENNE PHILO-


SOPHIE ÉTAIT CELLE-CI : « Q U E L ' H O M M E N ' A P A S BESOIN D E
D I E U P O U R CONNAÎTRE LA VÉRITÉ, NI POUR PRATIQUER LA
VERTU. »
D E LÀ L'INSOLENT B L A S P H È M E DES STOÏCIENS, CHEZ C I C É -

#
( ) Les Chananéens, descendants de Chanaan, fils de Cham et
petit-fils de Noé, avaient été un peuple belliqueux, mais corrompu et
féroce. Josué les chassa de la Palestine, et c'est alors qu'ils allèrent
s'établir aux frontières de la Syrie, prè3 le pays des Phéniciens. C'est
1
2 HOMÉLIE I. LA CHANANÉENNE,

ron : « Qu'il ne faut nullement attribuer au secours


de Dieu les actions vertueuses, ni lui en être recon-
naissant ( 1 ) . » Et de là aussi ce sarcasme sacrilège que
les épicuriens de la trempe d'Horace avaient continuel-
lement à la bouche : « Que Dieu m'accorde les riches-
ses et la vie; quant à l'honnêteté de l'âme, je n'ai pas
besoin de lui ; je me suffis à moi-même ( 2 ) . »
Or, quels furent les effets de ces doctrines d'impiété ?
David nous en a tracé le tableau, lorsque, sous la figure
du passé, prophétisant l'avenir, il dit : « Dès que
l'homme, en méconnaissant sa misère, en ne se com-
prenant plus lui-même, ne s'est plus soucié de cher-
cher en Dieu son appui et sa force, il s'est égaré hors
des sentiers de la justice *, Non est intelîigens aut requi-
rens Deum : omnes declinaverunt. La vérité, aussi
bien que la vertu, a presque abandonné la terre : Di-

pour cela que saint Marc appelle Syrophénisse la Chananéenne dont


on va expliquer ici l'histoire. Les Chananéens ou Phéniciens occu-
paient tout le pays qui se trouve entre la Méditerranée et l'Eu-
phrate. Leurs principales villes étaient Tyr et Sidon, toutes les âimx
au bord de la mer. Tyr était renommée à cause de la pourpre la
plus parfaite qu'on y fabriquait; Sidon, par son commerce. Sidon
avait é t é ainsi nommée par Sidon, fils de Chanaan, qui l'avait bâtie.
Ce fut aux environs de cette dernière ville que ta Chananéenne a'tia
â la rencontre du Sauveur du monde, implora et obtint de lui la
guérison de sa fille. Ce témoignage de la bonté de Jésus-Christ eut
lieu au commencement du mois de mai de la troisième année de sa
prédication. Deux seulement des Évangélistes, saint Matthieu et
saint Marc, l'ont enregistré. Cependant c'est le récit de saint Mat-
thieu qui se lit à la Messe du jeudi après le premier dimanche du
Carême.
(1) « Quis unquam, quod bonus vir esset, diis gratias egit? »
(2) « Det vitam, det opes : œquum mi animum ipse parabo. »
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 3

minutœ stint veritates a filiis hominum. L'homme qui


avait osé, dans son orgueil, se déclarer indépendant
de Dieu, s'est ravalé jusqu'à la brute par ses débau-
ches; Comparâtes est jumentis insipientibus ; et, cor-
rompu dans tout son être, victime stupide des plus
grossières erreurs, ignoble jouet des plus honteuses
passions, méprisable en même temps aux yeux de Dieu
et à ses propres yeux, il devint la plus abominable des
créatures, le scandale et l'opprobre de la création;
Abominabiles facti sunt in studiis suis] non est qui
facial bonum^ non est usque ad unum {Psal, x m ) . »

2. L'Esprit de grâce et de prière, et ses effets. C'est particulièrement


dans l'histoire de la C h a n a n é e n n e qu'on le voit en action. Conve-
nance qu'il y a de traiter un pareil sujet au commencement de la
station du Carême.

Qu'a donc fait le SAUVEUR DU MONDE pour retirer


l'homme de cet abîme, et ramener sur la terre le
Bien et le Vrai qui en avaient été bannis? Ainsi qu'il
l'avait solennellement annoncé et promis par l'organe
de son Prophète, il a répandu sur la véritable maison
de David, l'Eglise ; sur les véritables habitants de Jéru-
salem, les fidèles, l'Esprit de grâce et de prière; In
die illa dicit Dominus, effundam super domum David
y y

et super habiiatores Hierusalem, Spiritum gratiœ et


preeum\ et par ce grand moyen il a ramené, il a ré-
tabli sur la terre la vérité et la vertu ; il s'est fuit recon-
naître , adorer comme leur Rédempteur par ceux
mêmes qui avaient conspiré pour le crucifier par leurs
péchés; Et adspicient ad me, quem confixerunt. En
effet, en devenant chrétiens, les premiers fidèles de-
vinrent, ainsi que nous l'atteste saint Luc, hommes de
4 HOMÉLIE I. — LA CHANANÉENNE,

prière; et, en devenant hommes de prière, ils devin-


rent hommes de charité et de toutes vertus; Etant
persévérantes unanimiier in oratione. Etant cor unvm
et anima una (Act., i et iv).
Et qu'il est beau ce nom d'« Esprit de grâce et de
prière » que le Prophète a donné à l'Esprit-Saint que
Jésus-Christ, en montant au ciel, a envoyé sur la terre !
Car, toujours vivant et toujours efficace dans l'Eglise,
cet Esprit divin, c'est lui qui, en même temps, inspire
la prière et assure la grâce ; suggère les demandes et
les fait exaucer; soutient notre faiblesse et provoque
la divine miséricorde; élève l'homme jusqu'à Dieu et
fait descendre Dieu jusqu'à l'homme; met en rapport
le ciel avec la terre, l'homme avec Dieu; Spirilum
gratiœ et precum.
Or la sainte observance du Carême, qui vient de
commencer, n'a été instituée par l'Église, sur la tra-
dition des Apôtres, qu afin que ses enfants raniment
toujours davantage leurs croyances, purifient leurs
sentiments, réforment leur conduite par la pénitence,
qui est la prière du corps; par la prière, qui est la pé-
nitence de l'esprit. C'est donc un temps de prière que
ce temps-ci ; et je ne puis mieux commencer cette sta-
tion, que les honorables instances de yotre zélé pas-
teur, à l'amitié duquel je ne saurais rien refuser, m'ont
chargé de vous prêcher, qu'en vous entretenant de la
prière, le moyen le plus efficace, la condition la plus
indispensable pour obtenir de nouvelles lumières pour
l'esprit, et de nouvelles grâces pour le cœur.
Et puisque notre aimable Sauveur, notre divin
Maître Jésus-Christ ne s'est pas contenté de nous par-
OU L ^ S P R I T DE GRACE ET DE PRIÈRE. 5

1 e r , à chaque page de l'Évangile, de Y Esprit de grâce


et de prière ; de nous en révéler la nécessité et l'impor-
tance; mais qu'il a YOulu*encore nous en faire connaî-
tre la nature et les caractères, nous en ouvrir une école
pratique, dans l'admirable histoire de la Chananéenne,
c'est cette histoire que je vais vous expliquer aujour-
d'hui. Vous y verrez, mis en action, ce grand, ce pré-
cieux effet de la venue du Fils de Dieu au milieu des
hommes, ce riche don de sa bonté, l'Esprit de grâce et
de prière ; vous y apprendrez les sentiments qu'il de-
mande, le langage qu'il parle, les actes par lesquels il se
manifeste dans l'homme à l'égard de Dieu, et en Dieu
môme à l'égard de l'homme. Vous saurez comment
Dieu doit être prié, et comment l'homme qui prie bien
a t o u t à espérer de la bonté de Dieu.
Sainte et bienheureuse Marie, mère de Dieu et notre
mère, c'est s o u s votre auguste patronage que je mets
c e t t e prédication; rendez-la féconde par votre inter-
cession. Et vous, glorieux confesseur de la loi de Dieu,
saint Louis, bénissez du haut du ciel le saint ministère
que je vais exercer dans cette église, qui s'honore de
votre nom et de votre protection. Accordez-moi dès
aujourd'hui le secours de vos puissantes prières auprès
de Dieu, afin que j'aie le bonheur de répandre à mon
tour sur ces chrétiens qui vous sont si chers, et qui
forment une portion choisie de la maison de David,
d e s habitants de Jérusalem, de la véritable Église,
l'Esprit de grâce et de prière qui l e s convertisse ou les
perfectionne ; Effundam super domum David, et super
habitatores Hier usaient Spiritum gratiœ et precum ;
7

et adspicient ad quem confixerunt. A V E , MARIA.


6 HOMÉLIE I. — LA CHANANÉENNE,

PREMIÈRE PARTIE.

CONDITIONS DE L'ESPRIT DE PRIÈRE.

3. Jésus-Christ quittant momentanément les Juifs pour les corriger.


La Chananéenne allant à sa rencontre, figure de l'Église.

TRANSPORTONS-NOUS donc, mes frères, par notre pen-


sée, aux frontières du pays des Tyriens et des Sido-
niens; c'est là que, en quittant la Palestine, se relira
le Fils de Dieu; c'est là qu'a eu lieu la scène pleine
d'intérêt et d'instruction à laquelle nous allons assis-
ter; Egressus Jésus, secessit in partes, Tyri et Sidonis
(Matth. %\).
y

Mais que va-t-il faire, le divin Sauveur, dans cette


contrée païenne? Pourquoi sort-il de la Judée? Veut-
il abandonner les Juifs et se révéler aux Gentils? Non,
non, dit le savant interprète Haymon. Cela arrivera un
jour; mais dans ce moment le départ de Jésus-Christ
de la Judée n'est pas l'accomplissement de cet acte
terrible de sa justice; c'est, au contraire, un nouveau
trait de sa miséricorde. Il est vrai que les scribes et les
pharisiens venaient d'insulter le divin Maître en ca-
lomniant ses disciples. Mais l'aimable Sauveur, en leur
tournant le dos, veut les convertir, et non pas les pu-
nir ; il veut, par son éloignement momentané, les aver-
tir que, s'ils persistent dans leur haine obstinée, il
saura bien transférer aux Gentils la grâce de sa venue
sur la terre, son royaume, son Église, dont ils se ren-
daient indignes ; et il veut les effrayer par cette me-
nace, et les engager à le reconnaître pour le vrai
Messie. C'est ainsi qu'un tendre père ne trouvant pas
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 7

dans ses enfants l'affection, l'obéissance, le respect


auxquels il a droit, il les quitte pendant quelque temps
ces enfants ingrats, il les menace de léguer à un
étranger son héritage; et il attire ainsi à lui, par l'in-
térêt et par la crainte, ces âmes insensibles et rebelles
à son amour (1).
JÉSUS-CHRIST n'avait pas encore mis le pied dans le
pays de Chanaan, qu'il est abordé par une femme de
haut rang appartenant à une ancienne famille de la
Syrie et de la Phénicie, et païenne par religion; qui,
ayant appris que le Seigneur allait venir, Ut audivit
de eo {Marc, 25), sort de sa patrie, court à la rencon-
tre du Sauveur, et lui dit en criant : « Seigneur, fils
de David, ayez pitié de moi! Je suis la plus malheu-
reuse de toutes les mères : ma fille, mon unique fille
est possédée et tourmentée cruellement par le démon ;
Et ecce mulier Chananœa, geniilis, Syrophœnissa gé-
nère, egressa de finibus illis, clamavit, dicens : Mise-
rere met, Domine, fili David. Filia mea maie a dœmo-
nio vezatur (Matth., 25 ; Marc. 26). » y

Avant de passer o u t r e , arrêtez-vous un instant,


M- T. C, F . , nous dit le vénérable Bède; et dans cette
femme païenne quittant son pays pour aller à la ren-
contre du Sauveur, reconnaissez la figure de l'Église
des Gentils, de l'Église romaine, notre mère, qui a
aussi quitté son ancienne habitation au sein de l'idolâ-

(l) « Soient boni patres proprias hœreditates alienis offerre, ut


« negligentibus filiis metum incutiant, ne hîereditate priventur.
« Eadem ratione Dominus migrabat ad gentium civitates, ut animo.-
« Judseorum ad suum amorem incitaret, dum gratiam Dei sibi obla-
« tam gentibus Iribui formidarent (Expos.). »
8 HOMÉLIE I. — LA CHANANÉENNE,

trie pour suivre le Seigneur, et qui est venue à sa re-


cherche dans la personne de ses apôtres (1).
4. Perfection de la prière de la Chananéenne. La foi et IVIoigne-
mcnt du monde, premières conditions pour bien prier. Hue doit-
on penser de ceux qui demandent des guérisons au magnétisme?

Mais voyez, dit l'auteur de la Glosse, combien le lan-


gage de la Chananéenne est théologiquement exact
dans sa simplicité. En l'entendant s'exprimer comme
elle s'exprime, on la dirait une vieille chrétienne ; on
ne se douterait pas que c'est une âme qui ne fait que
sortir d'un pays idolâtre. En appelant Jésus-Christ
« Fils de David, » la Chananéenne le reconnaît homme
et Messie; et en lui disant « Seigneur, » elle le recon-
naît Dieu (2).
Mais où et comment a-t-elle appris, cette pauvre
païenne, à si bien prier, et à invoquer Jésus-Christ
comme son Sauveur et son Dieu? L'Evangéliste nous
l'apprend, quand il dit que cette femme avait franchi
les frontières de son pays natal; Mulier egressa de
finibus Mis. Par là l'historien sacré a voulu nous faire
entendre, dit saint Jérôme, que la Chananéenne, en
quittant sa patrie idolâtre, en avait abjuré la super-
stition et l'erreur; et q u e , en changeant de pays,
elle avait aussi changé, contre la vraie, sa fausse re-
ligion (3).

(1) « Hacc mulier Ecclesiam significat, de prisco van se conversa-


« tionis habitaculo ad Dominum venientem [Comm. in Marc). >
(2) « Magna fides Chananiea; hic notatur : Deum credidit ubi Do-
« minum vocat. Homincm vero, ubi dicit filium David (Glos. in
« Matth.). »
(3) « ldeo vocat « Dominum et filium David, » quia egressa fuerat
OU LESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 9

En attendant, ayant commencé sa prière par un acte


de foi si pur et si parfait, la Chananéenne nous a appris
que, comme l'a dit plus tard l'apôtre saint Jacques, la
première condition de bien prier est celle de bien
croire $ Posiuîet autem in fide{Jac, 1, 6)*, et que, pour
bien croire, il faut sortir de ces sociétés corruptrices
et corrompues qu'on appelle le monde, où les maximes
qui y régnent, les passions qui les dégradent, les maxi-
mes qui les tyrannisent, entretiennent le culte idolà-
trique de cette étrange divinité que saint Paul appelle
« le dieu de ce siècle, » et qui fait de tant de chrétiens,
de tant de nobles âmes, des êtres plus abjects et plus
aveugles que les infidèles eux-mêmes; In quibus Deus
hujus sœculi exccecavit men tes infidelium (II Cor., iv, -4).
Il faut sortir des villes, c'est-à-dire se dérober au bruit
du monde, et suivre Jésus-Christ dans la solitude du
silence et du recueillement. C'est à cette condition que
nous pourrons, comme la Chananéenne, épancher en
toute liberté notre âme devant Dieu, élever vers lui
la voix de notre misère, le cri de notre douleur; Cla-
mavit. Car à peine aurons-nous franchi ces funestes
frontières de l'idolâtrie mondaine, et déserté l'idole du
monde, que Dieu se trouvera tout prêt à nous com-
muniquer cet Esprit saint, cet Esprit de prière, qui,
dit encore saint Paul, nous apprend à prier en criant
haut à l'oreille de Dieu ; car c'est ce même Esprit saint
qui crie en nous, avec nous, et nous fait pousser des gé-
missements mystérieux et ineffables ; Ipse Spirituspos-

« de (Imbus suis, et errorcm Tjriorum, loci comrautatione mutave-


« rat (Commenta)', in Matth,). »
1
10 HOMÉLIE I. — LA CHANANÉENNE,

iulat pro nobis, gemitibus inenarrabilibus(Rom.,v\\\) t

Remarquez aussi, dit Origène, que la suppliante


dont il s'agit était femme et idolâtre, et par conséquent
doublement inclinée aux pratiques superstitieuses.
Cependant, aussi sage qu'elle est pudique, elle n'a pas
eu recours aux vains artifices des imposteurs, aux rites
sacrilèges des sorciers, aux artifices du démon, pour
obtenir la délivrance de sa fille de la domination du
démon. Mais elle est allée tout droit aux pieds du Sei-
gneur, qui seul peut nous sauver t o u s ( l ) . Et par là
cette admirable néophyte de la vraie foi a confondu
d'avance l'impiété stupide de tant de femmes chré-
tiennes de nos jours, qui vont demander à l'imposture
du magnétisme (2) et du somnambulisme la guérison

(1) « 0 prudentia fœminse! Non ivit ad homines seductores, non


« quaesïvit vanas ligaturas; sed omnem relinquens diaboli cultum,
« venit ad Dominum Jesum, Salvatorem omnium {Homil. 7, in
« divers.). »
(2) Nous ne voulons pas qu'on applique indistinctement cette flé-
trissure et ce blâme à toute espèce de magnétisme en globe. Le
Saint-Siège, interrogé à ce sujet par des prélats français, a répondu :
« Il n'est pas permis de faire usage du magnétisme, entendu de la
manière dont il est question dans la demande; Magnetismtnn, FROUT
EXPONITCR, non Ucere. » Il y a donc, pour le Saint-Siège, un magné-
tisme défendu et coupable ; et il y en a un autre qui peut être tout
à fait innocent et permis. Tant qu'on n'a recours au magnétisme
que comme à une cause naturelle, et qu'on ne lui demande que des
effets purement naturels, c'est un remède comme un autre. Mais
lorsqu'on en fait usage dans des conditions dont la morale a à rou-
gir, et qu'on le prend comme un moyen d'obtenir des phénomènes
hors de l'ordre naturel, il n'est pas douteux que c'est un maléfice,
s'il n'est pas de l'escroquerie ou de la fraude. Nous croyons que dans
l'affaire du magnétisme, selon les différentes manières d'en faire
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 11

des maladies de leurs enfants, ou de leur propre per-


sonne.

5. Autres sentiments que la Chananéenne a exprimés par sa prière.


La Confiance, l'Humilité et la Ferveur, conditions nécessaires, elles
aussi, pour bien prier.

Mais la Chananéenne, ajoute Haymon, se présente


à Jésus-Christ le cœur rempli d'une confiance aussi
grande que sa religion est parfaite. Elle ne doute pas
un instant que le Seigneur peut, d'un seul mot, sauver
en môme temps la mère et la fille (1).
Car par ces belles paroles de sa prière : « Seigneur,
fils de David, ayez pitié de moi, >» c'est, d'après Ori-
gène, comme si elle eût dit ceci au divin Sauveur :
ce 0 vous qui, étant fils du Père éternel, vous êtes fait
le fils de David; qui, étant le fils de Dieu, vous êtes
fait homme; vous m'inspirez, par cela même, une
immense confiance dans votre bonté. Que les anges
tremblent au ciel, en présence du D I E U - D I E U ; moi,
pauvre créature humaine, je ne crains pas de m'appro-
cher du DIEU-HOMME; car c'est pour cela que vous
YOUS êtes fait homme, afin que V homme puisse se pré-
senter à vous sans crainte, et vous parler comme à son
égal. Je n'ai donc pas besoin que personne réponde
pour moi auprès de vous ; votre qualité de fils de

usage, il peut y avoir de la science ou de l'imposture, ou même de


l'impiété; et nous sommes certains que la science elle-même et l'ex-
périence ne tarderont pas à prouver aux plus aveugles que cette seule
manière d'apprécier le magnétisme est la vérité.
( l ) « Confidcns quod eam verbo instaurare ad salutem posait
• (Expos.). »
12 HOMÉLIE I. LA CHANANÉENNE,

l'homme- est le gage de ma sécurité ; votre miséricorde


fait tout mon droit. Je n'ai besoin non plus de média-
teurs auprès de vous; je viens à vous toute seule,
comme au fils de l'homme, et je vous demande votre
miséricorde, que vous ne saurez pas refuser à l'homme,
puisque vous vous êtes fait homme (1). »
Oh î que cette confiance est belle ! que ce langage
est touchant! Ainsi à la confession de la vraie foi, qui
est la première condition et la base de la prière, nous
devons ajouter la confiance, qui en est la seconde con-
dition et l'appui. Nous ne devons, en priant, douter le
moins du monde, dit saint Jacques, que nous obtien-
drons de Dieu ce que nous lui demandons, si cela ne
s'oppose pas à notre salut; Postulet autem in fide^
nihil hœsitans (Jac, i). Bien plus. C'est Jésus-Christ
lui-même qui a indiqué cette confiance comme une
condition essentielle de la prière, lorsqu'il dit : « Quoi
que ce soit que vous demandiez dans la prière, vous
devez commencer par croire que vous obtiendrez de la
bonté de Dieu ce que vous demandez, et il vous sera
donné, et vous l'obtiendrez en effet; Omnia quœcum-
que orantes petitis, crédite quia accipietis^ et evenient
vobis (Marc. xi). »
9

Mais rien n'égale l'humble sentiment que la femme


de Chanaan a d'elle-même. Toute malheureuse et dé-
solée qu'elle soit, elle ne reconnaît pas moins, dit la

(l) « Quasi diceret : Ideo descendis!!, ideo carnem sumpsisti ut


« ego ad te loquar, et cum ûducia petam. Àngeli metuant in cœlis;
« mulier non formidat in terris. Non habeo opus sponsore ; per me
« accedo, per me obsecro, misericordiam quœro (Loc. cit.). »
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 13
Glosse, qu'elle n'a aucun droit, aucun mérite d'obtenir
la grâce qu'elle implore. En criant : « Seigneur, ayez
pitié de moi, » elle donne assez à comprendre qu'elle
n'attend la guérison de sa fille que de l'excès de la mi-
séricorde de Dieu (1). Et nous l'entendrons bientôt,
cette àme sublime, pousser le sentiment de son humi-
lité au point de se comparer à une pauvre petite
chienne, et, par cet aveu de sa bassesse, faire une
douce violence au cœur du Sauveur, lui arracher des
mains la grâce, et nous donner à nous l'importante
leçon que la troisième condition de la prière est le sen-
timent de notre misère, de notre indignité; qu'en
priant, il faut apporter devant Dieu, avec un cœur
confiant, un esprit profondément humilié, ne préten-
dant rien, se croyant indigne de tout, et attendant tout
de la libéralité de Dieu.
Car, comme l'oiseau ne peut voler qu'à l'aide de ses
deux ailes, de môme notre prière ne peut pas s'élever
jusqu'au trône de Dieu, si l'humilité ne s'y associe à la
foi et à la confiance. L'humilité sans la confiance, c'est
l'humilité de Judas, c'est du découragement et du dé-
sespoir. La confiance sans l'humilité, c'est la confiance
du pharisien, c'est de la présomption et de l'orgueil; et
il n'y a pas de grâce de la part de Dieu pour l'orgueil ni
pour la présomption : l'Ecriture sainte, en effet, nous
apprend que Dieu repousse les esprits superbes rem-
plis d'eux-mêmes, et leur résiste ; et qu'au contraire
il se plaît et se glorifie à répandre dans les humbles

(l) « Nihil ex merito postulat, sccl solam Dei miscricordiam effla-


• gitat, dicens : Miserere mei {Glos. ex Origen). »
14 HOMÉLIE I. — L A CHANANÉENNE,

cœurs les trésors de sa grâce et d e sa bonté; Deus sti-


perôis resistit-, humilibus autem datgratiam (Jac, iv).
Enfin la Chananéenne ne prie p a s d u bout des lè-
vres; le cri de sa prière sort du fond de son cœur. Elle
ne dit : « Seigneur, ayez pitié de moi, » que parce que
tout ce que sa pauvre fille souffre dans son corps, l'a-
mour maternel, dit la Glosse, l e répète d'une manière
plus cuisante dans l'âme d e la mère (1). Et, pour tou-
cher davantage le cœur d u Seigneur, à l'horrible ta-
bleau qu'elle fait, en deux mots, d e l'état de sa fille,
e l l e unit l'histoire de sa propre douleur (2). La Syro-
phénisse prie donc avec u n sentiment profond, avec
un empressement impatient d'être exaucée; e t , quoi-
q u ' e l l e élève bien haut sa Y o i x ; Clamavit; l e cri de
son cœur est encore plus fort que celui d e sa langue.
Voila donc la quatrième condition d e la prière, la
Ferveur (3).

6. Jésus-Christ n'ayant l'air de dédaigner la Chananéenne que pour


lui donner le mérite de persévérer dans sa prière. C'est la persé-
vérance dans la prière qui obtient les grâces.

Or, JÉSUS-CHRIST que fait-il ? que répond-il à cette


belle prière fondée sur la foi, soutenue par la con-
fiance, élevée par l'humilité, embellie par la ferveur,
et par cela même si parfaite ? Jésus-Christ, ayant l'air
de n e pas faire la moindre attention à la noblesse et
au malheur de la pétitionnaire qui la lui adresse, ne

(1) « Quia dolorfiliœ dolor erat matris. »


(2) « Ut magis eum ad compassionem moveat, totum ei dolorem
« enarrat. »
(3) Voyez sur ce sujet VAppendice, à la fin de la présente Homélie,
OU L'ESPRIT DE GRA.CE ET DE PRIÈRE. 15

lui accorde pas un seul regard, ne lui répond pas une


seule parole ; Qui non respondit et verbum (Malth., 23).
Mais qu'est-ce que cela signifie, mon Dieu? dirai-je
au Sauveur, avec Origène. Une mère désolée prie,
pleure, conjure, et fait résonner l'air tout à l'entour de
ses lamentations et de ses cris; le peuple spectateur
de cette scène en est touché, YOS apôtres même en
sont attendris; et vous, mon aimable Jésus, vous si
bon, si tendre, si affectueux pour tout le monde,
vous demeurez insensible, indifférent; vous ne pro-
noncez pas un seul mot! Est-ce que votre cœur est
changé? Est-ce que votre bonté n'est plus la même?
N'ètes-vous donc plus ce doux Jésus allant à la recher-
che même de ceux qui ne veulent pas de vous, puisque
vous dédaignez cette âme qui vous cherche, qui vous
prie, qui s'abaisse à vos pieds, qui croit en vous et
vous adore (1)?
Mais, que dis-tu donc? me répond saint Chrysos-
tôme. Ce silence du Sauveur n'est pas un trait de
dureté de son cœur, mais c'est de l'intérêt, de l'af-
fection pour cette même créature qu'il fait semblant
de dédaigner. Par ce moyen il veut la faire connaître,
la faire valoir, la faire admirer; il veut lui donner
l'occasion d'étaler au grand jour la profonde sagesse,
la philosophie de son esprit, et tous les trésors des
vertus qu'elle cache au fond de son cœur p u d i q u e ( 2 ) .

(t) « Petit et obsecrat mulier ; et lamentum suum producit m


« clamorem ; et amator omnium Deus non respomlet verbum. yuid
« est hoc? Si non quœrentes quœris, quare pulsantem non sus-
« cipis? »
(2) « Hac de causa videbatur negare gratiam ut philosophiam
16 HOMÉLIE I. — LA CHANANÉENNE,

Et Bède dit, lui aussi : Si le Seigneur ne répond pas


tout de suite à la Chananéenne, ce n'est pas parce
que ce Médecin miséricordieux méprise les prières des
malheureux, puisqu'il nous a assurés par son prophète
que les oreilles de sa miséricorde sont toujours ou-
vertes aux désirs du cœur de ses humbles créatures
élevant à lui le cri de leur misère; mais c'est pour faire
de cette belle âme notre modèle, pour nous la propo-
ser comme la vraie maîtresse de l'art de prier; pour
nous apprendre que l'Esprit de grâce ne descend sur
nous qu'attiré par la constance de l'Esprit de prière, et
que toutes les autres conditions de la prière ne font
que préparer les faveurs célestes, mais que c'est la per-
sévérance qui les obtient (1).
En effet, accueillie avec tant d'indifférence, regar-
dée avec une espèce de mépris, n'ayant pas reçu un
seul mot de réponse, la Chananéenne ne se décourage
pas, ne perd pas sa confiance, ne cesse pas de frapper
à la porte du cœur de Jésus, d'insister dans la même
demande, de répéter la même prière : « Seigneur, fils
de David, ayez pitié de moi. » On dirait, ajoute saint
Augustin, qu'elle avait entendu déjà, qu'elle avait ap-
pris fcette grande parole de l'Évangile : « Demandez,
ne vous lassez pas de demander, et vous obtiendrez.

« ejus omnibus'patefaceret, ut rcpositum in animo tbesaurum in


« lucem protraheret (HomiL in Matth.). »'
( l ) « Respondere differt, non quia misericors medicus miserorum
« preces despiciat, quia : Desiderium pauperum exaudivit Domi-
« nus. Sed ut perseverantiam mulieris nobis semper imiiabilem de-
« monstraret [Comment, in Marc). »
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 17

« Frappez toujours à la porte du ciel, et elle YOUS sera


« ouverte (1). »
En vain donc Jésus-Christ lui tourne le dos, et pour-
suit son chemin. La Chananéenne ne perd pas ses
traces-, elle le suit toujours, ne se lasse pas de crier.
Et ces mots des Apôtres : « Elle vient criant après
nous; Clamai post nos (Matlh,, 23), » donnent bien à
entendre, dit saint Augustin, que la Chananéenne sui-
vit pendant longtemps encore le Seigneur, les yeux
fixés sur sa personne, et ne cessant pas de faire réson-
ner à son oreille les gémissements de sa douleur (2).

7. La Chananéenne priant pour sa fille, figure de l'Eglise priant


toujours pour ses enfants. Les ministres de la prière de l'Église,
vrais bienfaiteurs du monde. Stupidité du monde qui les per-
sécute.

Mais, dans cette attitude de la Chananéenne suivant


toujours Jésus-Christ qui se dérobe à son regard, et le
priant toujours, qui ne voit pas, dit Haymon, la figure
de la sainte Eglise des Gentils, notre mère, qui n'a pas
vu face à face le Seigneur dans sa chair mortelle, mais
q u i , depuis qu'il est monté au ciel, lui adresse con-
tinuellement ses prières, le suit toujours de son re-
gard, de ses supplications et de ses cris (3)? Et que

(1) « At illa clamabat, instabat, pulsahat, tamquam audisset


« illud ( L u c , xi) : Petite et accipietis; pulsate, et aperietur vobis
« (Serm. 7 4 , de Tcmp.}. »
(?) « Haec verba nihll aliud vïdentur significare quam, post am-
* bulantem Dominum, mulierem istam deprecatoriam vocem emi-
« lisse (De Consensu Evangelist.). »
(3) « Mulier ista, post Dominum damans, Ecclesiam désignât ex
2
18 HOMÉLIE I . — LA CHANANÉENNE,

veut-elle, que demande-t-elle cette Église? Elle prie,


dit le vénérable Bêde suivant Hilaire, pour sa fille ché-
rie, la plèbe fidèle; elle prie pour tous les peuples
qu'elle a engendrés à la grâce de l'Évangile, afin qu'ils
soient délivrés de toutes erreurs, de tous vices qui
font d'eux les victimes, les esclaves et le jouet du
démon (1).
Ah! cette bonne et tendre mère ne se tait jamais
pendant le jour ni pendant la nuit, et, au son de la
harpe divine que lui ont léguée les Prophètes et les
Apôtres, ne cesse jamais de répéter son cantique d'a-
mour et de douleur que sa condition d'épouse, son état
d'exil et la situation dangereuse de ses enfants lui in-
spirent. Il y a d i x - h u i t siècles que sa voix toujours
mélodieuse et toujours gémissante, et sa parole tou-
jours agréable et toujours efficace, s'élèvent au ciel,
retentissent à l'oreille divine de son céleste époux,
éloignent de la tète de ses enfants bien-aimés les fléaux
de la justice de Dieu, et font descendre sur eux les
richesses de sa miséricorde.
Ce sont tous les ecclésiastiques, ce sont tous les reli-
gieux des deux sexes, ce sont toutes les âmes vraiment
pieuses et fidèles, ce sont tous les solitaires en particu-
lier, à qui l'Église emprunte le cœur et la langue, et
dont elle fait les organes de sa prière.
Le monde se moque de ces ministres de la prière

a gentibus ; quae Dominum prœsentem non vidit, eo tamen adscen-


« dente ad cœium, post ilïum ciamavît. »
(I) « Typus est haec mulier Ecclesiae gentium quœ pro fllia, id est
« gentium plèbe orat ; et pro populis suis ut et ipsi ab errore sal-
a ventur, divinse supplicat pietati (Comment, in Matin.). »
OU L^SPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 19

publique, le monde persécute ces anges, aux formes hu-


maines, qui se chargent de porter au ciel les vœux et les
désirs de la terre, et de faire descendre sur la terre les
bénédictions du ciel. Le monde s'acharne depuis trois
siècles à détruire, à faire disparaître de la surface du
globe les maisons religieuses, ces asiles de la pudeur,
ces temples de la prière. Cependant ce sont les vrais
paratonnerres du monde moral, qui détournent la fou-
dre des châtiments de Dieu prête à éclater sur le
monde, à l'écraser sous ses ruines; ce sont les média-
teurs terrestres qui font tolérer le monde, subsister le
monde malgré ses désordres, son incrédulité et sa cor-
ruption ; et le jour où il n'y aura plus de ces justes priant
pour la nouvelle Sodome, pour la nouvelle Gomorrhe
(Genès., x \ m ) , pour le monde, le feu du ciel tombera
sur le monde ; et ce sera le dernier jour du monde
Mais revenons à la Chananéenne.

8. Les Apôtres intercédant pour la Chananéenne, prouvant l'impor-


tance de l'inteTcession des Saints. Explication de la parole du Sei-
gneur : « Qu'il n'était venu que pour le salut d'Israël.

En la voyant dans une attitude si humble, si triste


et si désolée, marchant toujours après JÉSUS-CHRIST ,
et priant toujours, les Apôtres en ont compassion; ils
se font ses médiateurs auprès de leur divin Maître; et
« Seigneur, lui disent-ils, est-ce que vous ne l'enten-
dez pas, pleurant et nous poursuivant toujours de sa
présence et de ses cris? Et, à ce qu'il paraît, elle ne
nous quittera pas de sitôt. Il faut cependant que cela
finisse. Faites-lui donc la grâce qu'elle implore; car
vous rendrez par là heureuse celte pauvre mère, et
20 HOMÉLIE I- — LA CHANANÉENNE ,

vous nous délivrerez de ses importunités -, Accesserunt


discipult, dicentes : Dimiite eam, quia clamât post nos
(Matih., 23).
C'est précisément pour donner lieu à cette interces-
sion des Apôtres, dit Fauteur de la Glosse, en résu-
mant les belles interprétations de saint Augustin et de
Bède sur ce passage ; c'est précisément pour donner
lieu à cette intercession des Apôtres, que JÉSUS-CHRIST
ne répondit rien d'abord à la prière de la Chana-
néenne : voulant nous apprendre par là que l'interces-
sion des Saints est aussi nécessaire pour obtenir les
grâces du SAINT DES SAINTS, et que nous ne devons pas
nous laisser détourner, par les railleries et les blas-
phèmes insensés des hérétiques et des incrédules, de
la pratique du dogme consolant du culte des Saints, et
d'avoir recours à la médiation de la mère de Jésus-
Christ, des Amis de Jésus-Christ, pour obtenir la misé-
ricorde de JÉSUS-CHRIST (1).
Mais le moment n'était pas encore venu où le divin
Maître avait décidé de faire honneur à cette interces-
sion de ses disciples. En prenant donc l'air d'une froide
contenance, il leur répond par cette dure et désolante
parole : « Non, non, il n'y a pas de grâce pour les
Chananéens; ils sont Gentils ; et je n'ai été envoyé sur
la terre que pour les Juifs en particulier, pour sauver
les brebis égarées de la maison d'Israël; » Respondit
Jésus : Non sum missus nisi od oves qum perierunt
domus Israël (Matth*, 24).

(I) « Ideo non respondit, ut discipuli rogarent pro ea : osten-


« dens per hoc, necessarias esse preces Sanctorum ad aliquid impe-
« trandum. »
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 21

Mais, Seigneur, reprend encore à cet endroit Ori-


g è n e ; Seigneur, que dites-vous donc? Cette excuse
que vous mettez en ayant pour refuser à la Chana-
néenne ce qu'elle vous demande, en désolant cette
malheureuse mère, nous désole, nous aussi, et nous
glace d'effroi. Serait-il donc vrai que vous n'êtes
descendu du ciel, que vous n'avez pris la chair de
l'homme que pour sauver une poignée d'hommes d'un
seul angle obscur de la terre, et qu'il n'y a pas de
grâce et de salut pour le reste des hommes (1) ? Serait-
il donc vrai que vous voulez tout faire pour les Juifs,
et que pour nous autres pauvres Gentils, et enfants des
Gentils, il ne reste plus rien dans les trésors de votre
bonté infinie?
Saint Augustin dit, lui aussi : S'il était vrai que le
Sauveur n'a été envoyé que pour vivifier les brebis
mortes d*Israël, nous autres descendants des Gentils
ne pourrions espérer d'appartenir à la bergerie de
J É S U S - C H R I S T ; et cependant, d'après JÉSUS-CHRIST lui-
même, les Gentils devaient être appelés, eux aussi, et
réunis dans la même bergerie (2).
Quel est donc le sens de cette mystérieuse parole?
Le voici, nous dit encore saint Augustin, en suivant
le grand saint Hilaire de Poitiers ; Le Fils de Dieu, en
prononçant cette parole, n'a entendu parler que des

( 1 ) « Quid est hoc \erbum ? quœ est ista excusatio tua ? Numquid
• ideo te co*pore velasti, ut unum tantum angulum liberares, et
* integrum orbem relinqueres? »
(2) « Hic verborum iltorum oritur quœstio : Unde nos ad ovile
« Christi e gentibus venimus, si non est missus nisi ad oves qu;e pe-
« rierunt domus Israël (Serm, 7 4 , de Temp.)? »
22 HOMÉLIE I. — LA CHANANÉENNE ,

grâces de sa présence corporelle et de ses miracles ; et


il a voulu dire qu'il ne devait ces grâces qu'aux Juifs.
Et en effet ce sont les Juifs qui y ont directement pris
part-, c'est parmi eux qu'il est né, qu'il est mort, qu'il
est ressuscité, et qu'il a opéré ses plus grands pro-
diges (1).
Quant aux Gentils, s'il n'a pas eu, en tant qu'homme,
la mission de se faire voir, de se faire entendre person-
nellement chez eux, il a bien reçu la mission de se ré-
véler à eux, de se faire reconnaître, adorer par eux, et
de les sauver, eux aussi, en leur envoyant ses Apô-
tres, et en leur faisant part, par ce moyen, de son
Évangile, de ses doctrines, de sa grâce, de ses sacre-
ments (2). En sorte que s'il n'est pas venu pour se faire
reconnaître par eux en sa propre personne, il est venu
pour se faire connaître d'eux dans la personne de ses
Envoyés; et c'est à ce mystère de miséricorde, qu'il
aurait accompli en faveur des Gentils, et par lequel
nous aussi aurions appartenu à son troupeau, qu'a fait
allusion notre aimable Sauveur lorsqu'il a dit : « J'ai
d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie com-
posée de Juifs; il faut que je les appelle ces brebis
étrangères, et que je les réunisse aux brebis domes-
tiques, afin que de toutes ces brebis ensemble, ve-
nant de différents côtés, il ne se forme qu'une seule

(1) « hilelligimus praesentiam corporis, nativitatem, exhibitio-


« nem miraculoruin, virtutemque resurreetionis ostendere voluiÈae
« (Ibid.). »
(2) « Ad gentes autem non venit, sed diseipulos misit. »
OU i/ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 23

bergerie sous la direction d'un seul berger, une seule


Eglise sous un seul chef (1).

9. La Chananéenne cherchant et trouvant Jésus-Christ dans la mai-


son où il s'était caché, figure des âmes aimant le Seigneur, et le
cherchant et le trouvant daus la maison de l'Eglise, où il réside.
Réponse de Jésus-Christ ;'i une nouvelle prière de la Chananéenne.
Les « ENFANTS » et les « CHIENS » selon l'Evangile.

En attendant, qu'est-il advenu à la Chananéenne?


Le divin Sauveur eut l'air de prononcer d'un ton ferme
et résolu cette navrante parole : « Je n'ai été envoyé
que pour le salut des brebis d'Israël. » Il parait donc
que les Apôtres l'ayant entendu parler ainsi, ont dit à
la femme de Chanaan : Tu viens de l'entendre toi-
même, il paraît décidé à ne rien faire de ce que tu
demandes. Il est inutile que tu continues encore à
insister. Prends donc ton parti et retire-toi, et laisse-
nous en paix-nous-mêmes.
Mais, vains conseils! Moi, m'en aller sans avoir reçu
la grâce? reprit la Chananéenne. N'y pensez pas. Si
vous ne voulez plus, si vous ne pouvez plus parler
pour moi, je ferai moi-même mon affaire. Je me
charge de faire arriver à son cœur ma prière, et d'en
obtenir un résultat.
En vain donc, pendant ce dialogue entre les Apôtres
et la Chananéenne, le divin Sauveur s'était dérobé au
regard inquiet, aux yeux larmoyants de cette malheu-

(l) « Nec de illo tacuit ; ait enim (Joan.


} x) : Et alias oves haben
« quae non sunt de hoc ovili; et illas oportet me adducere, et eut
« unum ovile et unus pastor (Ibid*). »
24 HOMÉLIE I. — LA CHANANÉENNE,

reuse mère. En vain il s'était glissé dans une maison


voisine, et avait donné ordre aux disciples de ne faire
savoir à personne où il était; Et ingressus domum,
neminem voluit scire (Marc., 24). Le désir souvent
devine, l'amour découvre, le malheur flaire ce qui doit
le faire disparaître. Si personne ne dit à la Chananéenne
où Jésus-Christ se trouve, son cœur le lui dira, et elle
saura bien le trouver là où il est! Jésus-Christ, dit l'E-
vangéliste, ne put donc pas se cacher (1) aux désirs

(l) Cette expression de l'historien sacré : Que JÉSUS-CHRIST, tout


en l'ayant voulu, ne put se cacher à la Chananéenne; Et non po-
tuit laterc, paraît tout d'abord convenir fort peu, dit rÉmissène, au
Fils de Dieu, qui peut tout, et qui fait tout plier sous sa volonté;
Inconveniens videtur, ut Me qui omnia potest, latere velit, et la-
tere non possit (Exposit.). Mais il ne faut pas prendre cette phrase
dans un sens absolu, c'est-à-dire dans le sens que Jésus-Christ ait
vraiment voulu se cacher, et qu'il ne l'ait pas pu. L'Évangéliste n'a
parlé ici que d'une manière ordinaire; il a voulu dire que le divin
Sauveur ayant été retrouvé par la Chananéenne, malgré la défense
qu'il avait faite aux disciples de dire où il était, parut n'avoir pu se
cacher; Non sic accipiendum quasi latere voluisset, et nonpotuis-
set : simplici enim sermone utxtur hic Evangelista. Jésus-Christ
donc ne défendit aux Apôtres d'indiquer le lieu de sa demeure qu'a-
fxn de donner à la femme'suppliante l'occasion de le chercher elle-
même, de le retrouver elle-même, et de manifester encore mieux par
là la confiance qu'elle avait en lui; et non pas parce qu'il ait réel-
lement voulu se cacher à elle. Lorsque les Juifs voulurent l'empri-
sonner au milieu de Jérusalem, et J^SUS-CHRIST ne le voulant pas
alors, car l'heure de se livrer lui-même dans leurs mains n'était pas
encore arrivée, il continua à se promener par la ville au milieu
d'eux, et personne ne put porter sur lui sa main sacrilège ; Ipse
autem per médium illorum ibat, et nemo misit manum in eum,
guia nondum venerat hora ejus (JOAN., vu). Au jardin aussi il ne
fut reconnu par les soldats, et même par Judas, que lorsqu'il lui
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 25

ardents de cette mère éplorée; Et non poiuit latere


(Marc., ibid.).
Ah! il a disparu, se disait-elle. Mais c'est i c i , c'est
M dans cette maison qu'il doit être entré. Je saurai
« bien Fy trouver, moi ! » La voilà donc saintement
invêrêconde et hardie, dit saint Chrysostôme(l), péné-
trant de vive force dans la maison, et allant tout droit
au lieu où était assis le Seigneur; At illa venit, intra-
vit (Marc, 25).
0 heureuse femme, que Dieu a choisie pour figurer
les saints désirs, les empressements sincères de l'àme
cherchant la vérité et la grâce, et finissant par les
retrouver dans la maison de la vraie Église, où seule-
ment réside le Verbe de Dieu fait homme, plein de
grâce et de] vérité! 0 femme heureuse, type vérita-
ble des âmes qui aiment tendrement Jésus-Christ, et
qui le poursuivent partout, le cherchent en tout, le
demandent à tout, lorsque cet aimable Sauveur, objet
de leur amour, se cache, se dérobe aux regards de leur
esprit, aux doux sentiments de leur cœur, afin de leur
donner le mérite de l'avoir longtemps cherché, et en-
fin la joie de le retrouver !
L'ayant donc rencontré, et revu, ce Consolateur di-
vin, la Chananéenne se prosterne à ses pieds et l'adore ;
Procidens ad pedes ejus adoravit eum {Marc, 2 5 ) ;
7

et poussant un profond soupir du fond de son àmc dé-


plut de sé faire reconnaître lui-même. La Chananéenne ne Ta donc
pas retrouvé malgré lui, et parce qu'elle l'a cherché; mais elle ne
l'a cherché et ne l'a.retrouvé que parce qu'il l'a voulu ; Sciri igihtr
volu'U; et quia voluit, latere non potuit (Emiss.. ibid.).
()) « Inverccunda, sancta inverecundia (In Matth.). »
26 HOMÉLIE I. — LA CHANANÉENNE,

solée, avec l'accent de la confiance mêlée à la dou-


leur : « Seigneur, lui dit-elle, me voici de nouveau
devant vous, demandant votre secours et votre misé-
ricorde; voudriez-vous me repousser encore? je ne le
crois pas : je ne puis pas le croire; Dicena, Domine,
adjuva me (MattA., 25).
Arrêtez-vous ici un instant, nous dit saint Jérôme,
et considérez la persévérance héroïque de cette sublime
femme. Tant de refus, loin d'avoir lassé, affaibli sa foi,
l'ont fait devenir plus vive et plus parfaite. Elle avait
commencé par appeler Jésus-Christ fils de David, en-
suite elle l'a honoré comme son maître ; la voilà main-
tenant l'adorant comme son Dieu (1).
Que fera-t-il le divin Sauveur à ce nouvel assaut que
la Chananéenne livre à son tendre cœur? Le divin Sau-
veur fait semblant de n'en être pas touché; et, avec la
même froideur qu'auparavant : « Non, non, lui dit-il,
il n'y a pas de grâce pour toi ; il n'est pas juste, il n'est
pas convenable que je prenne le pain de mes enfants,
et que je le jette aux chiens; Qui respondens, dixil
illi : Non est bonum sumere panem fiîiorum et mit- 7

tere canibus (MattA., 26). »


Et par le mot « enfants, » disent les interprètes, le
Seigneur a désigné le peuple d'Israël, qui, dans les
Livres saints, est appelé « le fils aîné de Dieu, » parce

(I) « Nota quod ista mulier perseveranter, primum « fllium


« David » deinde « Dominum » vocat; denique adorât ut Deum
« {Comrn*)* n C'est, dit saint Chrysostôme, qu'elle croit vraiment
que Jésus-Christ est Dieu; car elle ne demande pas la médiation de
Jésus-Christ auprès de Dieu, elle lui demande son secours comme
étant Dieu lui-même : Pion dixit : « Roga Deum [Homïi.). »
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 27
que, engendré spirituellement de Dieu au vrai culte de
Dieu, il avait été nourri par Dieu même du lait de sa
parole et de sa loi (1). Par le mot « pain » Jésus-Christ
a voulu signifier son Évangile, ses miracles, et ses
grâces immédiates touchant le salut éternel (2). Enfin,
par le mot <t chiens » il a fait allusion aux Gentils, qui
mangeaient la chair des victimes offertes aux idoles,
se frottaient aux divinités de pierre, et les adoraient :
comme les chiens lèchent les pierres et s'enfoncent
dans le sang (3). C'était, du reste, la manière dont
s'exprimaient ordinairement les Juifs en parlant des
Gentils ; ils les appelaient « chiens (4). »

10. Pourquoi Jésus-Christ a appelé la Chananéenne «Une chienne. *


Dieu aime à être importuné par la prière. Admirable constance de
ta Chananéenne vis-à-vis d'une qualification si injurieuse pour
elle. Comment la change-t-elle en une nouvelle supplication? Com-
mentaires des Pères sur cette sublime prière.

Mais, mon Dieu, quelle parole que celle-ci! quelle


réponse! Est-il possible qu'elle soit sortie des lèvres de
Jésus-Christ? Est-il possible qu'elle ait été adressée à
une honorable matrone, à une malheureuse mère, par
le divin Sauveur, le plus aimable, le plus tendre, le

(1) « Filii sunt Judœi, generati et nutriti suh cultu uniusDeipei


« legem (Glos. ordin.). »
(2) « Panis est Evangelium, miracula et alla quae ad salutem
« pertinent {Jbid.). »
(3) « Canes dicuntur gentiles, quia sanguini dediti {Ibid.). »
« Quid tam familiare canibus quam lapides lingere (AUG. loc,

(4) « Loquitur Chrisfus more Judœorum, qui gentiles apncllabanl


« canes (CORNÉLIUS A Lapid. Hic). »
28 HOMÉLIE I. LA. CHANANÉENNE ,

plus compatissant des enfants des hommes, parce qu'il


est en même temps le Fils de Dieu? Comment, mon
divin Rédempteur, lui dit donc saint Chrysostôme,
vous appelez « Enfants » les Juifs qui vous haïssent,
qui vous persécutent, qui vous blasphèment; et vous
ne donnez que le nom de « Chienne » à cette vertueuse
femme qui croit en vous avec tant de foi, qui vous
adore avec tant de respect, qui vous invoque avec tant
de confiance, qui vous honore avec tant d'humilité!
Ah ! par cette parole si âpre qui sent le mépris et l'in-
sulte, bien plus que vous ne l'avez fait par votre si-
lence, vous blessez cette pauvre mère (1). Seigneur,
ne voyez-vous pas aussi que les spectateurs de cette
scène paraissent scandalisés, choqués, de vous enten-
dre répondre par tant de dureté à tant de religion et à
tant d'amour? Et quel homme, quel cœur ne se serait
laissé toucher par tant de larmes d'une mère implorant
la santé de son unique enfant (2) ?
Mais que dis-je? s'écrie, en se reprenant, saint
Chrysostôme. Qui ne voit que pareille dureté, de la
part du Sauveur envers la Chananéenne, est un nou-
veau trait de son industrieux amour pour nous tous?
Il a voulu, par ce magnifique exemple, nous révéler
d'une manière sensible la force merveilleuse que k
constance de nos prières exerce sur son cœur (3). Il a

(1) « Judœos FlUofi, ipsamCanem vocas? Quando responsum dc-


« dit, vulnus magis quam silentio exulceravit. »
(2) « Forsitan multi eorum qui aderant scândalum passi sunt.
« Quis enim misericordia flexus non fui&set, cum illam, pro labo-
« rantefilia, tamhumiliter supplicari cerneret (Ibid.)'! »
(3) « Attende quam magnum est instantia orationis. »
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 29

voulu nous persuader, de la manière la plus capable de


faire impression sur nous, cette grande vérité : Que,
malgré toutes les apparences de refus de la part de
Dieu, de nous accorder ce que nous lui demandons, il
ne faut jamais désespérer, il ne faut jamais se lasser de
prier; que l'Esprit de grâce veut être, non-seulement
supplié, mais importuné par l'Esprit de prière, et que
cette importunité sainte finit par l'emporter (1).
Q u a n t a la Chananéenne, Jésus-Christ connaît bien
la trempe de son âme ; il sait à quoi il doit s'attendre
de la part de la vertu de cette femme, que sa grâce a
formée et élevée au magistère de la prière.
En effet, toute autre femme, en s'entendant appeler
<t une Chienne » en présence de tant de monde, n'au-
rait pas su contenir son indignation, son courroux;
entre la douleur du refus et la honte de l'affront elle
aurait lancé sur le Sauveur un regard de haine; e t ,
changeant l'humilité en insolence, la confiance en mé-
pris, l'hommage en blasphème, elle lui aurait tourné
avec dépit le dos, elle serait partie, dit saint Chrysos-
tôme, exhalant par d'amers propos le fiel de sa rage (2).
« A u fond, aurait-elle dit, c'est un Juif. Insensée
que j'ai été d'espérer de pouvoir trouver grâce auprès
d'un Juif! Yoilà celui dont les siens vantent toute la
bonté du cœur envers les malheureux, et la puissance
des prodiges pour les soulager! Il n'en est rien; je
viens d'en faire moi-même l'expérience. Il est dur,

(1) « Vult Deus rogari, etquadam importunitate vinci. »


(2) « Quis non moveretur, eum aliud quam fama prxdicaverat
* fleri videret? »
30 HOMÉLIE I. — L A CHANANÉENNE,

blessant, superbe; il n'est pas puissant, il n'est pas


Dieu. » Et c'est ce que font, ce que disent, ou i\ peu
près, bien des chrétiens de nos jours, lorsque Dieu,
dans un dessein de miséricorde, tarde à exaucer leurs
prières.
Mais la Chananéenne, dit saint Augustin, se conduit
tout autrement. En sa qualité de femme païenne, elle
croit avoir mérité le nom flétrissant de « Chienne »
qu'on vient de lui donner, et ne s'en plaint pas ; et, en
réprimant le ressentiment de l'orgueil féminin si pro-
fondément froissé, elle devient d'autant plus confiante,
qu'elle a été plus humiliée (1). En regardant de près
J É S U S - C H R I S T , ayant appris à connaître son cœur,
même à travers la dureté apparente de ses paroles,
c'est à ce cœur qu'elle s'adresse. Car Jésus-Christ n'a-
vait pas fini de prononcer le mot « Chienne, » qu'elle
reprend aussitôt, et avec le ton dont le charme de l'hu-
milité, de la simplicité, de la candeur, relevait celui de
la grâce propre à la femme, elle dit au Seigneur :
« Vous avez raison, c'est vrai, je ne suis qu'une pau-
vre petite chienne ; mais par cela même vous ne pou-
vez pas me refuser la grâce que je vous demande. Les
petits chiens, restant sous la table, ne mangent-ils pas,
du pain que leur jettent les enfants ? Ne se nourrissent-
ils pas des miettes tombant de la table de leurs maîtres ?
Tout indigne que je suis, un petit morceau de pain se
trouvera toujours encore pour moi-, At Ula respondit
et dixit illi : Eiiam Domine, nom.et caielli edvnt
y

([) « Non commcta est, non succensuit; sed ipso veiuli convicio
« humilitatem ostendit (Serm. 7 4 , de Temp.). »
or L'ESPRIT DE GRÂCE ET DE PRIÈRE, 31

sub mensa de micis puerorum, quœ cadunt de mensa do-


minorum suorum (Malih., 2 7 ; Marc, 28).
0 réponse! ô parole 1 0 bel acte de foi! 0héroïsme
de patience! 0 prodige d'humilité! La Chananéenne
ne se contente pas d'appeler J É S U S - C H R I S T « Son maî-
tre-, Etiam, Domine, » et les Juifs, « les enfants chéris
de Dieu assis à sa table ; De micis puerorum ; » elle ne
se contente pas de se croire, de se reconnaître, de s'a-
vouer une pauvre petite chienne, indigne de rester
même sous la table; Sub mensa : elle regarde et pro-
clame ses seigneurs et ses maîtres même les Juifs;
Dominorum suorum : elle s'humilie envers tous, se
place aux pieds de tous!
Oh! que ces mots sont sublimes dans leur simplicité,
éloquents dans leur précision! Les Pères de l'Église
rivalisent entre eux d'esprit pour les expliquer, de zèle
pour nous les faire admirer. L'Émissène dit : Dans la
parabole de I'IMPORTUN (LUC, xi), allant à minuit de-
mander du pain à l'un de ses amis, et l'obtenant par
son insistance, par son importunité, malgré l'heure
incommode de sa visite, le Sauveur du monde avait
déjà révélé au monde ce grand mystère de miséri-
corde : Que l'importunité qui arrache tout des mains
des hommes, peut encore mieux tout arracher des
mains de Dieu. Or, la Chananéenne, dans son éton-
nante prière, a fait voir qu'elle avait deviné celte bille
doctrine de VÉvaugile , puisqu'elle Ta pratiquée avant
même de connaître l'Évangile (1).
Pour Orîgéne, les paroles de la Chananéenne peu-
( I ) « Evangdium non lcgerat ; et ticut Evangelium prarcepit,
« orat; cum impiobilate panem petit (Expos.) »
32 HOMÉLIE I . — LA CHANANÉENNE ,

vent se traduire ainsi : « Vous, Seigneur, m'appelez


« une Chienne; » eh bien, oui, je le suis en effet.
Mais vous avez beau m'humilier, vous ne réussirez pas
à faire que je vous quitte. Le petit chien, repoussé à
coups de pied ou de bâton par son maître, ne l'aban-
donne pas, chassé par une porte, il rentre par une
autre. C'est ainsi que moi, votre petite.chienne fidèle,
ne me lasserai pas de vous suivre (1).
Selon saint Jérôme, la Chananéenne parut dire :
« Je sais bien, et je l'avoue, Seigneur, que je ne mé-
rite pas le pain des enfants; que je ne puis pas m'as-
seoir, comme les enfants, à la table du père de famille,
et recevoir de lui ma portion de nourriture. Mais je
suis contente des restes qu'on jette aux chiens (2). »
Saint Chrysostôme va plus loin, et reconnaît dans
la réponse de cette femme étrangère un trait de vraie
philosophie; car, que fait-elle dans cette réponse?
Elle s'empare des mots de JÉSUS-CHRIST, lui annonçant
un refus irrévocable; elle façonne à sa manière ces
mêmes mots, et en compose et en fait ressortir la plus
tendre et la plus éloquente prière (3). Car ce fut
comme si elle avait dit : « Seigneur, oh! la bonne et
belle parole que vous venez de faire tomber de vos

(1) « Canem me vocas? Etiam, Domine, sum quod dicis. Con-


« fundis me, sed non recedam a te. Canis sum, sequar te quocum-
« que ieris. »
(2) « Seio me filiorum panem non mereri, nec integros accipere
a posse cibos, nec scdere ad mensam cum pâtre; sed contenta sum
« reliquiis catulorum. »
(3) « Philosophatur alienigena mulier, et ex ipsîs CHRISTI verbis
« deprecatoriam orationcm connectit. »
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 33

lèvres divines! Par cette parole, tout en ayant l'air de


rejeter ma demande, vous vous en faites le défenseur,
et vous convenez qu'elle mérite d'être exaucée. Vous
m'appelez « Chienne; » eh bien! je vous prends au
mot, et je vous dis que je suis une chienne, je ne vous
suis pas étrangère; je suis de la maison, j'appartiens,
moi aussi, à la famille, comme le chien domestique, et
je ne peux pas en être chassée. J'ai droit à être nour-
rie par mon maître; je ne puis m'éloigner tout à fait
de sa table. Et puisque je suis « une chienne, donnez-
moi donc au moins les miettes qu'on ne refuse jamais
aux chiens (1). »
Enfin, Victor d'Antioche remarque que la réponse
de la Chananéenne est un hommage qu'elle rend à la
richesse, à l'abondance des dons de Dieu. Car dire : Si
vous ne me donnez, Seigneur, que des miettes, j'en
aurai assez, j'en aurai même plus qu'il ne m'en faut,
j'en serai contente et heureuse, c'est dire : Je crois,
Seigneur, que les mets que vous préparez à vos servi-
teurs, à vos élus, à vos saints, à votre table spirituelle,
à la table céleste, sont si exquis et si abondants, que
même rien que leurs restes, rien que leurs miettes
suffisent à satisfaire, à rassasier tous ceux qui y pren-
nent part (2).

(1) « 0 Domine, factus es advocatuspetitionis mea?. Si canis sum,


« non tam aliéna sum. Si licet participare canibus, non omnino
« pTohibeor : nutri me ut canem. Non possum relinquere mensam
« domini mei. Quia canem me vocas, fac mihi quod cani debetur;
« da mihi micas. »
(2) « Tantœ sunt mensa; Domini opes, ut abunde mihi satis sit,
« si justorum suorum micis frui liceat (Expos.). »
3
34 HOMÉLIE I. LA CHANANÉENNE »

0 femme admirable ! reprend donc Origène ; ô


femme violente avec Dieu même! Le Seigneur lui dit :
« On ne peut pas-, il n'est pas permis. » Et elle, met-
tant de côté toute gène et toute réserve, oubliant,
en quelque manière, sa vèrccondie matronale, se met
hardiment à philosopher, à discuter avec Jésus-Christ,
et lui prouve en face tout le contraire, et insiste tou-
jours en lui disant : « Mais n o n , ce n'est pas comme
vous le dites. Non-seulement il se peut, il est permis,
mais il est convenable, il est nécessaire que vous fas-
siez ce que je vous demande. Rien ne s'y oppose; vous
n'avez qu'à vouloir, et vous me rendrez heureuse (1). »
Voilà, mes frères, comment Ton prie, comment l'on
doit prier Dieu, lorsqu'on veut vraiment obtenir ce
qu'on lui demande. A ces conditions, le succès de nos
prières nous est assuré, ainsi que va nous le prouver
J É S U S - C H R I S T l u i - m ê m e , par la manière dont il a
accueilli rétonnante prière de la Chananéenne. Après
avoir donc vu, par la conduite de cette incomparable
femme envers le Seigneur, comment procède le véri-
table esprit de prière et les conditions qu'il demande,
nous allons voir, par la conduite de Jésus envers la
Chananéenne, comme se répand sur l'homme I'ESPRIT
DE GRÂCE, et les richesses dont il le comble.

( I ) « O mulier violenta! Oblita verecundise, intermisso pudore,


« Dominum conatur vincere. Dominus dicit : « Non licet ; » etiila :
* Potes, si velis. »
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 35

DEUXIEME PARTIE.

L'ESPRIT DE GRACE ET SON ÉCONOMIE.


11. Jésus-Christ accordant enfin à la Chananéenne plus qu'elle ne
lui avait demandé. Tendre bonté du Seigneur pour cette femme.
Comment il l'a comblée de grâces et Va glorifiée.

"VOUS aurez remarqué, sans doute, q u e , dans la pro-


phétie dont j'ai fait le texte de ce discours, l'Esprit de
grâce marche de concert avec l'Esprit de prière ; Ef-
fundam Spiritum graiiœ et precum. Et savez-vous
pourquoi? Parce que la g F a c e ne fait jamais défaut,
aussitôt que la prière a rempli toutes ses conditions.
Voyez ce qui arrive, en effet, à la Chananéenne. Il
n'était pas possible de prier avec u n e p l u s grande foi,
une plus grande confiance, u n e plus grande constance,
une plus grande humilité, u n e plus grande perfec-
tion. Eh bien, Seigneur, Dieu de bonté, vous venez de
l'entendre cette heureuse fille d'Adam; elle a satisfait
À toutes les conditions de l'Esprit de prière-, hâtez-
vous donc d'accomplir sur elle les promesses de l'Es-
prit de grâce. Accomplissez la grande parole par la-
quelle vous avez solennellement promis que celui qui
demande comme on doit demander, obtient ce qu'il de-
mande; que celui qui cherche, trouve; que celui qui
frappe à la porte de votre cœur, la verra s'ouvrir de-
vant lui; Omnis qui petit, accipit; qui quœrit, inve-
rtit-, et pulsanti aperietur. Faites triompher sur elle,
pour notre édification, votre miséricorde, comme elle
vient d'étaler sous nos yeux toutes ses vertus!
36 HOMÉLIE I- LA CHANANÉENNE ,

C'est précisément ce qui arrive. Jamais, dit saint


Augustin, humilité de femme priant n'a été plus pro-
fonde, jamais la miséricorde du Dieu récompensant n'a
été plus abondante (1). Si la Chananéenne, en s'enten-
dant appeler « une Chienne, » se fût incontinent reti-
rée, elle serait restée une chienne, elle serait restée ce
qu'elle était lorsqu'elle vint trouver le Sauveur (2).
Mais, ayant tant insisté, elle est devenue Femme et
grande femme, de chienne qu'elle était, et a obtenu
plus qu'elle n'avait demandé (3), Car voyez comment
la scène change tout d'un coup. A peine la Chana-
néenne a-t-elle achevé son dernier m o t , que le Sei-
gneur dépose l'austérité de sa contenance : et, donnant
une libre issue à sa tendresse et à sa bonté, que pour
la plus grande gloire de la Chananéenne et pour notre
instruction il avait comprimées jusque-là dans son
cœur ; la regardant avec complaisance, avec tendresse,
avec l'air d'une amabilité, d'une douceur infinies :
« Femme, lui dit-il, que ta foi est grande! que ta reli-
gion est parfaite! Heureuse d'avoir su trouver la voie
de mon cœur ! A une si grande foi, à une si parfaite re-
ligion rien ne peut être refusé; Tune respondens Jésus,
ait illi : 0 mulier, magna est /ides tua (Matth., 28).
Je t'annonce donc que, par le mérite de ta belle prière,
dans ce même instant, le démon s'est dessaisi de ton
enfant, et l'a quitté pour toujours. Va-t'en satisfaite et

( 1 ) « Vide quemadmodum humilitas commendata est. *


(2) « Si recederet post hmc verba, canis accesscrat, canis absce-
« deret. »
(3) « Sed pulsando, homo facta est ex cane, misericordiam impe-
« travit. •
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 37

contente; ce que tu désirais est fait. Ta fille est sauvée


et tu es heureuse ; Propier hune sermonem, obi ; exi-
vit dœmonium a filia tua. Fiat tibi sicut vis. » Et, en
effet, au même instant sa fille se trouva tout à fait gué-
rie; Et sanata est filia ejus ex illa hora (Marc. 29; y

Matth., 28).
0 femme vraiment fortunée ! lui dit, en la félicitant,
Origéne. Te voilà récompensée de ta grande humilité.
Te voilà, toi, qui te croyais « une chienne, » devenue
plus sainte que les saints, plus élue que les élus (4).
Oui, elle est devenue sainte et élue; car les Pères de
l'Église sont unanimes à penser que le vrai et parfait
Sauveur de l'homme, J É S U S - C H R I S T , par chacun de ses
miracles, a sauvé tout l'homme qui en a été le sujet,
en convertissant en même temps les âmes de tous ceux
auxquels il a donné la santé et la vie du corps : ses
prodiges de l'ordre corporel n'ayant et ne pouvant
avoir avant tout qu'un but tout spirituel. On croit donc
que la Chananéenne, en obtenant que le corps de sa fille
fût délivré de la possession du démon, obtint en même
temps le salut de l'âme de cette môme fille, et le salut
aussi de sa propre âme; que la mère et la fille, abju-
rant le culte des idoles, se convertirent à la connais-
sance et au culte du vrai Dieu, et du Messie J É S U S -
CHRIST ; que, dès ce moment, la mère et la fille se
mirent à sa suite, devinrent ses disciples dévouées, et
firent partie des saintes femmes de l'Evangile qui sui-
vaient partout le Seigneur dans ses prédications, qui

(l) « 0 mulier, accepisti subito laudem, et inventa es electis


« electior. »
38 HOMÉLIE I. — LA CHANANÉENNE ,

le soignaient et le nourrissaient, lui et ses Apôtres, de


leur propre fortune, qui raccompagnèrent au Cal-
vaire, qui assistèrent à sa mort, qui ont été les pre-
miers témoins de sa résurrection, et qui, sous la con-
duite delà sainte Vierge, l'auguste Mère de Dieu et de
l'Église, ont é t é , après les Apôtres, les premières
pierres, les premières gloires de l'Église.
0 amour sage donc, ô sagesse amoureuse, ineffable
de notre divin Sauveur envers cette noble créature! Il
rie l'a appelée «. Chienne » que pour lui donner le mé-
rite de la patience et de l'humilité qui Ta élevée à la
hauteur de laFemme selon son cœur, de la vraiefemme,
de la femme héroïque, sainte et parfaite.; Mulier. Il
n'a eu l'air de déprimer sa condition qu'afln de pou-
voir faire le plus magnifique éloge de sa foi; Magna
est fides tua. Il n'a différé de lui accorder la grâce
qu'elle lui avait demandée que pour la lui faire plus
complète et plus instantanée; Sanata est filia ejus in
illa hora. Il ne l'a traitée comme étrangère que pour
l'élever au rang des enfants, auxquels leurs parents ne
savent rien refuser; Fiat tibi sicut vis. II n'a fait sem-
blant de la dédaigner comme païenne que pour pou-
voir en faire la maltresse, la théologienne et le modèle
de la prière pour tous les chrétiens; Magna est fides
tua. En un mot, dit saint Pierre Chrysologue, Jésus-
Christ ne Ta humiliée que pour l'exalter, ne s'est fait
sourd à ses premières instances qu'afln de pouvoir
placer sur sa tète une couronne resplendissante de
gloire (I). La voilà donc, dit encore le même docteur,
(1) « Distulit preces ut, fulgente corona, mulierem omaret [Serm.
« de Chanan*)* a
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 39

la voilà, cette femme, qui s'est avouée par humilité pau-


vre petite chienne, adoptée par Jésus-Christ, et procla-
mée l'une de ses enfants les plus chéries. La voilà cette
femme, qui avait pris la place d'une humble chienne
sous la table, élevée tout d'un coup par le Fils de Dieu
à l'honneur de s'asseoir à sa table en qualité de fille et
d'épouse (1). Oh! que l'Esprit de grâce est généreux
envers le vrai ESPRIT DE PRIÈRE! Il accorde plus qu'on
ne lui demande; il élève, il perfectionne tout l'homme.
Oh ! qu'elle est grande la gloire de l'homme qui s'a-
baisse! O h ! qu'elle est grande la générosité du Dieu
qui récompense !

12. Comment les Gentils convertis à la foi sont-ils devenus « E n -


fants, » de « Chiens » qu'ils étaient. L'âme du pécheur est sa fille
possédée par le démon. La prière seule peut la guérir.

Mais l'exaltation glorieuse de la Chananéenne, dans


sa vérité historique, a été aussi la figure de notre exal-
tation. Nous autres descendants de pères gentils, qui
formons à présent la vraie Église, au commencement,
dit Théophylacte, et dans la personne de nos pères,
nous avons eu l'air d'avoir été dédaignés, rejetés par
Jésus-Christ. Mais dans la suite, à cause de notre foi et
de notre humilité, nous avons été mis au rang de ses
enfants, et en cette qualité nous avons été admis â
nous nourrir du PAIN sacramentel DU CORPS de JÉSUS-
CHRIST (2).

(1) « Mcrito quœ se canem confessa erat, adoptatur in filiam ;


« levatur ad mensam quae, sub mensà, se Iaudabili humilitate de-
« jecerat, »
(2) « Est autem Chanansea symbolum Ecclesiœ ex gentibus col-
40 HOMÉLIE I. — LA CHANANÉENNE,

Les miettes mêmes dont a parlé la Chananéenne ren-


ferment, elles aussi, un mystère. Elles signifient, dit
saint Remis, les préceptes les plus petits et les plus
parfaits, les mystères les plus intimes, les plus cachés
et les plus précieux de l'Évangile, qui forment en
quelque sorte la nourriture de l'Église. Or les enfants
de l'Église ne parviennent à les accomplir, ces pré-
ceptes, à les saisir, à les pénétrer, ces mystères, que
par les sentiments et la pratique de l'humilité chré-
tienne ; c'est donc pour cela qu'il est dit, dans cet en-
droit de l'Évangile, qu'on ne peut recueillir, qu'on ne
peut manger ces miettes que sous la table (1).
Mais écoutons encore saint Jérôme. « Nous avons
beau en rougir, dit-il, nous avons beau le nier : c'est
une vérité patente que nous autres, descendants de
pères païens, n'étions que des chiens dans la personne
de ces mêmes pères, et que les Juifs, qui étaient pres-
que les seuls vrais adorateurs du vrai Dieu, étaient
aussi ses vrais enfants. Mais, ô changement merveil-
leux! ces titres, ces noms de chiens et d'enfants ont
changé de sujet à l'égard des peuples à qui ils étaient
attribués comme la vraie foi a changé de lieu (2). »

« lectœ. Nam et gentes prius repulsae fuerant ; et postea in filio-


« rum ordinem collecte, obUnuerunt panem Corporis Domini (j&r-
« posit.)* »
(î) « Per micas intellige minima praecepta vel interna mysteria
« quibus sancta Ecclesia pascitur. Mica? sub mensa, comedi dicun-
« tuT; quia Ecclesia ad imptenda divina praecepta humiliter se sub-
« mittit [In Caten, a « r . ) . »
(2) « Israël quondam filins; nos canes. Sed, mira.conversio ! Pro
« diversitatc fidei, ordo nominum commutatur (Gommentar.). »
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 41

Les Juifs, dit Origène, jadis étaient « des enfants; »


mais dès qu'ils s'acharnèreiit à déchirer, avec la bru-
talité de chiens enragés, la sainte chair, la chair di-
vine du Fils de Dieu fait homme, ils devinrent des
chiens véritables, et c'est pour cela que saint Paul, en
parlant des Juifs, nous dit : « Gardez-vous des chiens
qui ont mis en lambeaux le corps du Seigneur (1). »
Au contraire, dit saint Jérôme, nous autres enfants
des Gentils qui étaient des chiens, nous avons, par la
miséricorde de Dieu et par notre foi en JÉSUS-CHRIST,
gagné la qualité et le nom d'enfants; saint Jean ayant
dit que ceux qui croient dans le nom du Sauveur ont
été gratifiés de l'aptitude, delà capacité de devenir les
enfants de Dieu (2).
Mais voici encore un autre mystère que les Pères
ont reconnu dans la même histoire. La fille de la Cha-
nanéenne, tourmentée par le démon, représente, dit
d'abord saint Jérôme, l'âme de tout chrétien se livrant
aux passions, qui sont les armes et les titres de la tyran-
nie du démon sur les âmes (3). Et le vénérable Bède
dit, lui aussi : « La conscience humaine est Tunique
fille, la fille chérie de l'homme. Celui donc qui a sa
conscience infectée des souillures du vice a vraiment

(1) « IsraèTitae quondam filii, postquam manus suas in Filium


« Dei inamiserunt, facti sunt canes, de quibus ait Pauius : Videte ca-
• n é s ; videte interfectorefc. »
(2) « Nos aulem qui canes eramus, per Dei misericordiam nun-
« cupamur Filii, quia dédit eis potestatem fllios Dei fieri, his qui
« credunt in nomine ejus. »
(3) « Filiam Chananeae puto esse animas credentium quee maie a
« dœmonio vexantur. »
42 HOMÉLIE 1. LA CHANANÉENNE ,

sa fille au pouvoir du démon (1). » Or, par quel moyen


peut-il arracher cette unique, cette noble et précieuse
enfant aux griffes du démon qui l'a si brutalement
blessée et meurtrie, et lavoir tout à fait guérie? C'est,
dit le grand docteur Rabbanus, par son humble re-
cours au Seigneur, par la prière ; et ce moyen est le
seul certain, le seul puissant, le seul efficace (2).

13. La Chananéenne nous prouvant encore que l'Esprit de grâce ne


peut se refuser à l'Esprit de prière. Jacob devenu, par la prière, le
Vainqueur de Dieu. Toute-puissance de la prière.

Ainsi donc, dans la touchante histoire de la Chana-


néenne, nous venons de voir en action le grand et im-
portant mystère de l'Esprit de grâce et de prière. Cette
femme extraordinaire nous a fait entendre le langage
de ce vrai ESPRIT de prière, et Jésus-Christ nous a
démontré de quelle manière y répond l'Esprit de grâce.
La Chananéenne nous a appris que l'Esprit de prière
commence par quitter la terre des idoles, c'est-à-dire
les erreurs et les bruits du monde et des passions, et
suit Jésus-Christ dans la maison où il s'est caché sur
cette terre, c'est-à-dire dans l'Église 5 et là, prosterné
à ses pieds, il l'adore, parce que seules les adorations
qui lui sont rendues dans l'Église et dans l'Esprit de
l'Église, lui sont agréables. La Chananéenne nous a
appris que l'Esprit de prière se plaçant sur la pierre
inébranlable de la vraie foi, s'élevant, à l'aide du vent
de la ferveur, sur les ailes de l'humilité et de la con-

(1) « Si quis habet conscientiam alicujus vitii sorde pollutam, fi-


« liam habet a daemonio vexatam. »
(2) « Pro cujus sanatione recurrat ad Dominum. a
OU LESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 43

fiance, s'élance en haut, pénètre les cieux, va se pré-


senter intrépide devant le trône de Dieu, attendant
avec une patience invincible, une fermeté constante,
une sécurité parfaite, le moment où il plaira à Dieu de
répandre, sur les demandes qu'on lui fait, l'abondance
de ses miséricordes.
Et Jésus-Christ nous a fait voir aussi pourquoi l'Es-
prit de grâce paraît se faire sourd d'abord aux cris d e
nos prières, insensible à nos misères, à nos humilia-
tions, à nos douleurs-, il nous a fait voir que ce n'est
qu'après avoir mis à une longue et rude épreuve notre
patience et notre fidélité, qu'il se déclare pour nous,
se manifeste dans tous les transports de sa tendresse,
et accorde plus qu'on ne lui a demandé.
Par cet admirable drame donc, que l'Évangile de
la Chananéenne vient de mettre sous nos yeux, nous
savons d'une manière certaine et infaillible que, toute
grande, tout infinie que soit la distance qui nous sé-
pare de Dieu, la prière le rapproche de nous ; que, tout
irrité qu'il soit contre nous, la prière l'apaise ; et que,
tout éloigné qu'il paraisse de nous faire grâce, la prière
le touche, l'attendrit, l'entraîne à nous accorder ce
dont nous avons besoin. On dirait qu'aujourd'hui Dieu,
passez-moi cette expression, nous a lui-même décou-
vert son côté faible, le moyen secret d'arriver j u s q u ' à
lui, de nous emparer d e lui, d e le saisir par son c œ u r ,
et de le cacher dans le nôtre.
II est dit de Jacob qu'il fut fort contre Dieu même;
Contra Deum fortis fuisti (GVTI.,XXXII,28); e t que c'est
pour cela qu'il obtint le nom magnifique d'IsRAEL, qui
signifie le VAINQUEUR DE DIEU. Mais quel a été ce com-
44 HOMÉLIE I. — LA CHANANÉENNE,

bat que le fils d'Isaac livra à Dieu, et quelles sont les


armes par lesquelles il vainquit Dieu, il triompha de
Dieu? Jacob voulut à tout prix que Dieu bénit, bien
plus que sa personne, toute sa race, afin qu'elle ne fût
pas abandonnée tout à fait de la part de Dieu, et livrée
à la ruine et à la perdition ; Non dimiitam te, nisi
benedixeris mihi (Ibid.). Et le prophète Osée nous a
révélé que les moyens de la puissance que Jacob dé-
ploya dans cette grande circonstance contre Dieu, et
les armes de sa victoire, ne furent que l'humilité, la
confiance, la ferveur, la constance, les gémissements
et les larmes de sa prière 5 Flevit, rogavit, potens fuit
{Osée, xii).
Une pareille victoire de l'homme sur Dieu et par les
mêmes armes, nous venons de le voir, la Chananéenne
l'a remportée sur JÉSUS - C H R I S T . Toute son histoire
aussi peut donc se résumer dans les trois mots subli-
mes que le prophète Osée a écrits de Jacob : « Elle a
pleuré, elle a gémi, elle a prié, et par là elle a été assez
puissante pour vaincre le cœur du Fils de Dieu ; Flevit,
rogavit, potens fuit. Or, en marchant sur les traces de
Jacob et de la Chananéenne, nous pouvons, nous aussi,
remporter par les mêmes armes une victoire sembla-
ble. En pleurant, en gémissant devant Dieu, nous se-
rons puissants contre Dieu, vainqueurs de Dieu; Fie-
vit, rogavit, potens fuit. Contra Deumfortis fuisti.
Les anciens philosophes pensaient que la Divinité
était inaccessible à l'homme. C'est vrai. Ce Dieu im-
mense, éternel, infini, habite, dit saint Paul, au milieu
d'une lumière inaccessible ; Qui lucem inhabitat inac-
cessibilem(l Tim., vt). Des millions de millions d'anges
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 45

qui entourent son trône ne permettent à aucune créa-


ture de l'approcher. Mais, dans l'histoire que nous
venons d'expliquer, Jésus - Christ nous a révélé un
grand secret, nous a découvert, nous a indiqué un
sentier caché à l'orgueil, et qui ne peut être connu
que par l'humilité; un sentier facile, sûr, raccourci,
pour retrouver Dieu, pour aller tout droit à Dieu : le
secret, le sentier de la prière; et il nous a fait voir
que, par ce secret, par ce sentier, l'homme peut, non-
seulement approcher de la Divinité, mais encore en
triompher*, Contra Deum fortis fuisti.
L'histoire de la Chananéenne vient de nous assurer,
dit saint Augustin, que, par le secret et le sentier de la
prière, l'homme peut transpercer les cieux, se frayer
un chemin à travers les saints, rompre la phalange
des Esprits célestes, forcer la garde du grand et puis-
sant Monarque du ciel et de la terre, parvenir jusqu'à
son trône, lui ôter des mains la foudre près d'éclater,
et que nos péchés avaient allumée ; le désarmer, ce
Dieu ; le faire descendre de la hauteur de sa majesté,
de sa gloire infinie, jusqu'à notre infinie bassesse, et
l'obliger à nous relever, à nous combler de ses miséri-
cordes (1).
Bien plus encore, ajoute le même grand docteur,
du fond du cœur priant Dieu avec un humble désir,
une sincère ferveur, s'élèvent des gémissements, des
soupirs dont il n'est pas possible de comprendre la
puissance et le charme, car ils forment une musique
délicieuse et suave à l'oreille et au cœur de Jésus-

( i ) « Ascendit oratio, et descendit Dei miseratio. »


46 HOMÉLIE I. LA CHANANÉENNE ,

Christ; ils le touchent, et l'obligent à s'épancher sur


nous avec toutes les richesses de sa bonté (1).
Il est vrai que nous sommes non-seulement pauvres
et petits, mais la pauvreté même, la petitesse même,
comme Dieu est la richesse même, la grandeur même.
Il est vrai que notre esprit est naturellement aveugle,
notre imagination inconstante, notre volonté malade,
notre cha<ir rebelle, notre cœur glissant, prêt à chaque
instant à s'échapper de nos mains. Il est vrai que les oc-
casions du mal sont fréquentes, les risques grands, les
assauts redoutables,nos forces considérablement amoin-
dries, notre courage prêt à se démentir, à nous aban-
donner au moment du plus petit danger. Il n'est que trop
vrai enfin qu'à ces misères d'origine, de nature, de con-
dition, nous en avons ajouté de plus grandes encore par
le désordre et la perversité de notre volonté r, en sorte
que notre âme est devenue, comme le corps de J o b ,
de haut en bas toute une plaie. Mais ne nous y trom-
pons pas; une misère si grande et si profonde ne nous
servira pas même de prétexte au tribunal de Dieu, et
sa justice ne nous punira pas moins sévèrement de nos
fautes que le repentir n'aura pas effacées. Et pour-
quoi? Parce que comme à Job furent laissées des lèvres
saines-, Derelictasunt labia circa dentés meos(Job xi\), 9

de même, dans l'état pitoyable auquel la faute origi-


nelle, et bien plus nos fautes actuelles, nous ont ré-
duits, la divine bonté nous a laissé le remède de TEs-

(l) « Ex corde desiderante atque fervente gemitus emittuntux


« inénarrables, quibus, veluti musica, demulcetur Cbristus (Serm.
« 7 4 de Temp.). »
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 47
prit de prière, par lequel nous pouvons atteindre toutes
les grâces-, Spiritum grattée et precum; et par là nous
pouvons réparer toutes nos défaites, recouvrer nos
forces, revenir à une parfaite santé, et retourner en
société d'amour avec le Dieu que nous avons offensé j
Et adspicient ad me quem transfixerunt.
Donnez-moi l'homme le plus égaré dans les voies de
l'erreur, le plus enfoncé dans la fange des vices : si je
puis lui persuader la pratique de la prière, par ce seul
moyen je le rendrai fort, puissant vis-à-vis de Dieu et
de lui-même-, Flevit, rogavit, potens fuit. En priant
avec humilité d'esprit, avec sincérité de cœur, afin
d'être délivré de ses vices ou de ses erreurs, cet homme
par cela même commencera à détester ces erreurs et
ces vices : l'homme de prière ne pouvant pas être
homme de vices ou d'erreurs. Par cela même il com-
mencera à connaître la vérité et à l'aimer, et à appré-
cier la vertu chrétienne et à la désirer ; et il finira par
obtenir l'abondance de la lumière et de la grâce, la
contrition et le pardon, la force et la ferveur; par là
il sera converti, corrigé; car la prière est l'arme à
laquelle rien ne résiste, pas même la puissance de
Dieu ; Contra Deum foriis fuisti. La prière obtient
tout et triomphe de tout. Ah! il arrive bien souvent
de voir des hommes incrédules, hérétiques, pécheurs
en s'agenouillant, et qui se relèvent croyants, catholi-
ques et convertis, après avoir prié et bien prié.
48 HOMÉLIE I. — 1
LÀ CHANANÉENNE,

14. Ce n'est que par la prière qu'on peut bien vivre, obtenir la per-
sévérance finale, et faire son salut.

Mais si l'homme de prière ne peut pas être homme


d'erreur et de péché, par la raison opposée, l'homme
qui ne prie pas ne peut pas être homme de vérité et de
vertu. J'ai appris par vos journaux que les Arabes de
l'Algérie, au commencement de la conquête qu'en a
faite la France, en voyant les Français, à de rares
exceptions près, éloignés de toute pratique religieuse,
disaient : « Ce sont des impies, PARCE QUE CE SONT DES
HOMMES QUI NE PRIENT PAS. » En vérité, que ces mots
sont profonds, et qu'ils renferment tout un traité de
morale et de théologie! L'homme qui ne prie pas est
l'homme livré, sans le secours surnaturel de la grâce,
à ses ténèbres, à sa misère, à sa corruption ; est
l'homme jouet facile de toutes les erreurs, proie aisée
de toutes les passions ; et dès lors on ne peut compter
ni sur sa religion ni sur sa vertu. 11 est possible que
l'homme qui prie tombe quelquefois par surprise; mais
il n'est pas possible que l'homme qui ne prie pas soit
sincèrement et solidement vertueux. Point de vertu
véritable sans religion, point de religion sans prière.
Par conséquent l'homme qui ne prie pas n'est pas, ne
peut pas être un homme sincèrement religieux, ni un
vrai honnête homme; et, d'après la sagesse orientale,
il n'est et ne peut être le plus souvent qu'un impie par
rapport à la croyance, et, bien plus encore, un scélé-
rat par rapport aux mœurs. « Pour mon compte, me
disait un jour l'un de mes amis, homme du monde, je
vous avoue que si j'avais une fille à marier, un dépôt à
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 49

mettre en sûreté, je ne donnerais pas ma fille en ma-


riage, je ne donnerais pas à garder mon dépôt à un
homme qui ne prie pas. Car l'homme qui ne prie pas
est l'homme obligé de convenir que sa conscience, sa
fille unique, est à la merci du démon, sous la tyrannie
du démon; Filia mea maie a dœmonio vexatur; et
rien ne saurait me rassurer sur la moralité d'un homme
esclave du démon et des passions. »
En un mot, donnez-moi l'homme le plus vicieux :
s'il p r i e , il se corrige et il est sauvé. Donnez-moi au
contraire l'homme le plus saint : s'il cesse de prier, il
s'affaiblit, il tombe, et il est perdu.
Celui qui prie beaucoup, ou il n'est jamais tenté, ou
il ne succombe jamais. Le jour de la chute, disait saint
Bernard, est le jour où l'on a négligé de se fortifier
parla prière (1). La persévérance finale elle-même, le
dernier don de Dieu, couronnant, mettant le sceau à
tous ses autres dons; la persévérance finale, cette
grâce suprême qui nous ouvre les portes du ciel et
achève notre salut, Dieu ne la doit à aucun mérite,
quelque grand qu'il soit : cependant, dit saint Augus-
tin , il ne peut pas la refuser et ne la refuse pas au
mérite de la prière (2), Et pourquoi? Parce que Dieu
l'ayant, dans sa miséricorde, solennellement promise,
réservée, assurée à la prière, a établi entre la persé-
vérance finale et la prière un rapport nécessaire ; en
sorte que la prière humble, constante, ne peut man-
quer à la persévérance, ni la persévérance être refu-
sée à la prière.

(1) « Horrendum est diem sine oratione transire. »


(2) « Hoc donum Dei suppliciter emereri potest. »
4
50 HOMÉLIE I. — LA CHANANÉENNE ,

Ames chrétiennes que l'incertitude de votre salut


préoccupe t a n t , voilà de quoi calmer vos appréhen-
sions et vos craintes. C'est en désertant la pratique de
la prière que vous devez trembler. Mais tant que vous
la suivrez, cette grande pratique, vous n'avez rien à
craindre par rapport au salut. En priant toujours Dieu
pour qu'il vous sauve, vous serez sauvées, La prière,
en vous éloignant du mal, en YOUS engageant dans la
pratique du bien, rendra votre vocation certaine, vo-
tre élection infaillible. Les élus de Dieu, les prédes-
tinés de Dieu sont des hommes de prière > comme
l'homme damné, l'homme réprouvé est l'homme qui
ne prie pas, parce que l'homme qui ne prie pas est
l'homme ne faisant pas, ne pouvant pas faire tout le
bien qu'il doit faire pour se sauver.
L'homme qui pèche donc, qui se livre à l'erreur et
au désordre, et qui y périt, c'est l'homme qui, ne
priant pas, renonce volontairement au seul moyen
puissant et efficace d'être fort contre les faiblesses de
la nature, contre la force des tentations, contre l'at-
trait du péché; c'est, par conséquent, l'homme vo-
lontairement faible, volontairement pécheur; c'est
l'homme péchant et se perdant parce qu'il aura voulu
pécher et se perdre, en négligeant la prière, le moyen
souverain auquel est attachée la force de l'âme, la pra-
tique du bien et l'acquisition du salut; c'est l'homme,
comme Dieu même lui en fait le reproche, qui se sera
fabriqué de ses propres mains sa réprobation et sa
perte; Perditio tua, Israël; tantummodo in me auxi-
lium tuum (Osée, xin, 9 ) .
Partant, nécessité de la prière pour être honnête
OIT L'ESPRIT DK GRACE ET DE PRIÈRE. 51
homme, pour être bon et vrai chrétien, pour pratiquer
le bien et y persévérer, pour aspirer au salut et le con-
quérir.
Ranimons donc en nous, pendant ce temps du Ca-
r ê m e , l'Esprit de prière; mettons à profit pour nos
âmes ce grand capital, ce riche trésor que notre divin
Sauveur nous a acheté par son sang et nous a légué
par sa bonté, cette première grâce, la grâce de la
prière, qui n'est refusée à personne, et qui est la clef,
le gage de toutes les autres. Prions avec foi, avec
humilité, avec confiance, avec persévérance, avec fer-
veur; prions bien, prions toujours et ne nous lassons
jamais de prier ; et nous trouverons dans la prière, et
par la prière, la lumière de l'esprit, la force de l'âme,
le remède contre toutes nos maladies spirituelles, le
baume de toutes nos plaies, l'antidote de tous nos
vices, le bouclier contre tous les assauts du démon,
du monde, de la chair et des passions, la résignation
dans toutes nos afflictions, le soulagement dans toutes
nos douleurs, l'appui de toutes les vertus, la source
de toutes les grâces, la règle de la vie, la consolation
dans la mort, et le gage de la bienheureuse éternité;
car il est dit que quiconque invoquera le nom du Sei-
gneur sera sauvé ; Quicumgue invocaverit nomen Do-
mini, salvus erit (Act. n, 21). Ainsi soit-il.
y
52 HOMÉLIE U LA CHANANÉENNE,

APPENDIX

A L'HOMÉLIE QUI PRÉCÈDE.

AUTRES CONSIDÉRATIONS SUR L A PRIÈRE.

On se trompe en pensant que la prière n'est qu'une pratique su-


rérogatoîre de piété; la prière est un devoir essentiel de la religion.
Le prophète-roi a dit que tous les êtres de la création tiennent
leurs yeux fixés en Dieu, en espérant, en attendant de lui ce dont
ils ont besoin; et que ce Dieu de bonté, touché par cette attente,
qui est elle-même une prière, ouvre sa main bienfaisante et accurde
à chacun l'aliment qui lui est propre, et répand sur tous les êtres
les bénédictions de ses secours et de son amour; Oculi omnium in
(espérant. Domine, et tu das escam illorum in tempore opportuno;
aperis tu manum tuam, et impies omne animal benedictïone
(Psal. CXLIV, 15, lu). Tout donc prie dans la nature; la brute, la
plante, comme l'homme. L'humanité entière a toujours prié, et priera
toujours. La prière est une loi universelle du monde moral, comme
l'attraction Vest du monde physique.
Nous devons un culte à Dieu, comme notre créateur, notre sei-
gneur, notre maître; et ce culte, nous ne pouvons le lui rendre que
par la prière. Prier, c'est croire que Dieu existe, que Dieu est tout-
puissant, qu'il est maître de tout et disposant de tout. Prier, c'est
espérer que Dieu dans sa miséricorde, dans sa bonté, daignera nous
accorder ce que nous lui demandons. Prier, c'est aimer Dieu et re-
connaître qu'il nous aime; car on ne prie que les personnes qu'on
aime et dont on croit être aimé. Prier, c'est s'humilier devant Dieu ;
car c'est reconnaître qu'on n'est rien sans Dieu; que c'est en lui seul
qu'on trouve la voie du bien, la vérité et la vie; qu'on a besoin de
lui, que tout bien nous vient de lui.
La prière est donc un acte auquel concourent la pensée, le senti-
ment et la langue, c'est-à-dire, l'esprit, le cœur et même le corps de
l'homme. Ainsi, par la prière, l'homme fait hommage à Dieu de tout
lui-même ; et c'est ce qui a fait dire à Clément d'Alexandrie que la
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 53
prière est à elle seule un sacrifice complet et parfait : Et hoc est
maximum sacrificium. Car le sacrifice lui-même n'est agréable à
Dieu qu'autant que l'homme s'associe par la foi et le désir à l'immo-
lation de la victime qui est offerte par lui et pour lui, et qu'il s'im-
mole spirituellement en elle et avec elle par la prière; c'est ce qui
fait que le sacrifice est la prière par excellence.
Remarquons aussi que Dieu étant le souverain maître, le maître
absolu de tout, ne devant rien à personne, ne peut pas faire que
tout bien de la création ne soit pas un acte de sa bonté. Le salut
éternel n'est donc et ne peut être qu'une grâce. Mais Dieu ayant
créé l'homme libre de sa volonté et de ses actions, et par cela même
capable de mériter, lui aussi, en quelque manière son salut, ce sa-
lut est aussi une rétribution, un prix de ses œuvres. Or comment
peuvent se concilier des choses si opposées? Si le salut est une
grâce, il est donc indépendant de toute bonne action; Si gratta
jam non ex operibus, a dit saint Paul (Rom., xi). S'il est une ré-
compense des bonnes œuvres, il n'est plus une grâce. La grâce ex-
clut le mérite, comme le mérite exclut la grâce. Or, c'est par la
prière que cessent ces contradictions, et se concilient ensemble la
grâce et le mérite dans l'économie du salut. On ne parvient au salut
que par les bonnes œuvres ; mais ces bonnes œuvres ne s'accom-
plissant que par les secours de la grâce, cela fait que le salut, qui en
est le résultat, est une grâce. Mais Dieu n'accordant les secours de
ses grâces qu'à la prière, l'homme obtenant ces secours par la prière
qui est un mérite à lui, c'est aussi par un mérite qui lui est proprr
qu'il fait le bien ; et le salut qui en est la récompense devient aussi
son mérite. Toute l'économie du salut est donc la prière, car voici
là-dessus la doctrine du concile de Trente : « Nous croyons, dit ce
concile, que personne ne vient au salut que sur l'invitation et l'ap-
pel que Dieu lui en fait; que personne, quoique invité et appelé,
n'opère son salut que par le secours de Dieu, et que personne n'ob-
tient de Dieu ce secours que par la prière; Nullum credimus ad
salutem, nisi Deo invitante, pervenire; nullum invitâtum, nisi
Deo auxiliantef salutem operari; nullum, jiisi orantem, auxi-
lium promereri. »
En second lieu, la prière est à l'âme, dit saint Augustin, ce que la
nourriture est au corps. Comme on ne peut pas conserver la vie du
54 HOMÉLIE I. — LA CHANANÉENNE ,

corps sans se nourrir, de même on ne peut conserver la vie de l'àme


sans prier.
Nous ne sommes par nous-mêmes que misères et faiblesse, nous
n'avons en nous-mêmes que le principe de nos chutes, de notre per-
dition. La force et le courage de triompher du mal nous sont étran-
gers; ils ne se trouvent qu'en Dieu. Tout cela doit donc nous venir
d'en haut, nous être concédé par Dieu, qui est le dispensateur de
tout don; et tout cela ne s'obtient que par la prière. La prière, dit
saint Augustin, n'est que le cri d'une grande misère auprès d'une
grande miséricorde, auprès de Dieu ; Omnes mendici Dei sumus. Et
le Prophète disait que l'homme n'est qu'un pauvre mendiant, ne
pouvant obtenir que de Dieu les secours qui le font vivre ; Ego veto
egenus et pauper sum ; Deus, adjura me (Psal. LXIX).
11 est vrai que bien souvent nous prions beaucoup sans rien ob-
tenir; mais c'est, nous dit l'apôtre saint Jacques, parce que nous
prions mal, et que par conséquent, tout en ayant l'air de prier, nous
ne prions vraiment pas ; Petitis, et non accipitis, eo quod maie pc-
tatis [Jac, iv).
Jésus-Christ, notre divin maître, nous a dit : Lorsqu'on prie, il
ne faut pas trop parler; Orantes, nolite multum loqui (Matth., vi).
Et ailleurs il nous a prévenus aussi qu'il ne suffit pas de répéter
souvent le nom du Seigneur, pour entrer dans le royaume des cieux ;
Non omnis qui dicit mihi : Domine, Domine, intrabit in re~
gnitm ccelorum. (Ibid.> vu). C'est nous dire que l'Esprit de prière
qui attire l'Esprit de grâce n'est pas l'Esprit de prière qui parle
beaucoup; mais c'est l'Esprit de prière qui sent beaucoup; ce n'est
pag l'Esprit de prière se manifestant par la langue, mais c'est l'Es-
prit de prière partant du cœur; et que par conséquent ces longues
prières qu'on déroule par habitude, sans la moindre attention de la
part de l'esprit, sans ferveur de la part de l'âme, sans recueillement
de ta part du corps, ne sont pas des prières, et dès lors il n'est pas
étonnant qu'elles ne soient pas exaucées.
Le vénérable Bède dit ausM : « C'est le sentiment qui fait fruc-
tlfler la prière; et la prière n'est efficace que lorsque c'est le cœur
qui dicte ce que la langue prononce; Illa solum orandi pertinacia
meretur esse fructifera, si quod ore precamur, mente medite-
mur. » Quant à ces chrétiens qui, bien que de corps dans l'église,
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 55
par leur esprit distrait courent le monde, qui articulent de leurs lè-
vres des prières auxquelles leur âme ne prend aucune part, ceux-là
ne tireront aucun profit de leurs récitations. Car comment pourrait-
il, Dieu, écouter des demandes que n'écoutent pas ceux mêmes qui
les font? Orequidem orantes, mente autem forïs vagantes omni se
orationis fructu privant : putantes cxaudiri a Deo preces quas nec
ipsi audiunt qui fundant.
Bien des pécheurs et des pécheresses, du fond de l'abîme de leurs
désordres, élèvent quelquefois leur voix vers le ciel, en demandant
à Dieu la force, qu'ils n'ont pas, de rompre de honteux liens, de se
défaire de mauvaises habitudes, de se repentir, de se corriger de
leurs péchés. Mais bien souvent ces prières articulées par la langue
ne sont pas accompagnées, sont même démenties par le cœur. On
aime à rester le plus longtemps possible dans l'état qu'on déplore.
On répand des larmes sur ses chaînes, mais on ne veut vraiment
pas les briser. On voudrait bien n'avoir jamais commencé, mais on
ne voudrait jamais unir. Et, comme il arrivait à saint Augustin de-
mandant à Dieu la chasteté avant sa conversion, pendant que ces
pécheurs font à Dieu des prières afin d'être délivrés de leurs vices,
ils ne craignent rien tant que de les voir exaucées ces prières,
ou de les voir exaucées trop tôt; Castitatem petebam... Timcbam
ne cito exaudires me.
Or, en pareils cas, plus fréquents qu'on ne pense, peut-on s'en
prendre à la bonté de Dieu s'il ne nous accorde pas des grâces dont,
au fond, nous ne voulons pas nous-mêmes? Est-ce que l'Esprit de
grâce a été jamais promis à l'insincérité, à l'hypocrisie, au faux Es-
prit de prière?
Mais si, par rapport aux choses spirituelles, on ne les obtient pas
parce qu'on ne les demande pas, ou qu'on ne les demande pas assez ;
par rapport aux choses temporelles, on ne les obtient pas parce
qu'on les demande trop. J'appelle « denrander trop » les choses tem-
porelles, lorsqu'on en demande au delà de ce qui est nécessaire
pour vivre honnêtement selon sa condition; lorsqu'on les demande
d'une manière absolue, et sans aucun égard au danger qui pour-
rait en résulter par rapport à notre salut. Or, en nous Tefusant de
pareilles grâces, JÉSUS-CHRIST, dit saint Augustin, nous fait la plus
grande de toutes les grâces et se montre notre vrai Sauveur, jaloux
56 HOMÉLIE I. — LA. CHANANÉENNE
avant tout du salut de notre â m e ; Non concedendo, salvatorcm se
exhibet.
11 est vrai que Jésus-Christ a dit : Tout ce que vous demanderez
EN MON NOM à mon Père, vous l'obtiendrez; Quodcumquc petieritis
Patrem in nomine meo dabit vobis [Joan., xiv). Mais le nom de
t

JÉSUS, on le sait, ne signifie que SAUVEUR, Sauveur des âmes par


rapport aux péchés; Vocabis nomen cjus Jesum. Ipse enim salvum
faciet populum suum a peccatis eorum (Matth., i). C'est donc
lorsque nous demandons à Dieu les grâces, les vertus dont nous
avons besoin pour échapper au péché et faire notre salut, que nous
prions vraiment au nom de Jésus, au nom du Sauveur; car ces
choses-là sont, avant tout, dans les intentions et dans les désirs du
Sauveur, sont selon l'esprit, la mission du Sauveur; et paï consé-
quent, en demandant avec foi, avec humilité, avec confiance, avec
ferveur, en demandant toujours, et par les mérites de Jésus-Christ,
le pardon de nos péchés et le salut de notre âme, nous l'obtiendrons
infailliblement, !c Fils de Dieu y ayant engagé sa parole. Mais lors-
que nous demandons des grâces de l'ordre temporel, dont le résul-
tat pourrait être le bien-être du corps au préjudice de l'âme, l'amé-
lioration de notre condition dans ce monde aux dépens de notre
salut dans l'autre; ces choses-là n'entrant pas dans l'économie des
grâces du Sauveur, ne peuvent pas être accordées par les mérites du
Sauveur; et même, demandées au nom du Sauveur, ne sont pas du
nombre de ces choses qu'on obtient au nom du Sauveur, et elles ne
peuvent pas être obtenues.
Il ne s'ensuit pas de là que nous ne devons pas demander à Dieu
les choses temporelles, Jésus-Christ nous ayant lui-même appris à
demander à Dieu le pain quotidien. Ce qui s'ensuit de là, c'est que
ce sont les choses spirituelles, le royaume de Dieu et sa justice que
nous devons chercher et demander avant tout et d'une manière ab-
solue ; Quaerite primumregnum Dei et justitiam ejus (Matth., vi);
et les choses temporelles nous ne devons les demander que condi-
tionnellement, en tant qu'elles ne s'opposeront pas à nos avantages
spirituels et à notre salut. Demandées dans cet ordre et avec cette
réserve, la prière les obtient; et bien souvent Dieu ne les accorde
que par la prière.
On ne saurait donc assez insister sur la pratique de la prière.
OU L'ESPRIT DE GRACE ET DE PRIÈRE. 57

La prière est la lumière de l'esprit, le repos du cœur, la force de


la volonté. La prière naît de la foi comme de sa racine, grandit dans
l'espérance, s'épanouit dans la charité, et fructifie par les bonnes
œuvres.
Semblable à une plante sans séve, l'âme qui ne prie pas ne fait
pas de fruits.
La prière donne l'intelligence pratique des choses ; la prière est
la règle des mœurs, la conseillère de la vie.
Par la prière l'homme s'élève jusqu'à Dieu, s'abandonne dans
les bras de Dieu, se livre entièrement à Dieu; et Dieu, selon l'ex-
pression des Livres saints, le garde comme la prunelle de ses yeux,
le couvre des ailes de sa protection, l'échauffé de la chaleur de son
amour.
L'homme de prière est sincère dans ses convictions, sérieux dans
ses goûts, véridique dans ses paroles, indulgent pour les autres, sé-
vère pour lui-même. L'homme de prière est l'homme de toute vertu
et de toute perfection.
58 HOMÉLIE II. LA FEMME MALADE,

D E U X I È M E H O M É L I E

LA FEMME MALADE,

OD

LA PIÉTÉ.

(Matthieu; ÏX ; Marc, V ; Luc, VIII).

Pictat ad omnia u(Ui$ est, promîssionem habent vitœ, quœ nunc est, et
futur œ.
La piété est utile à tout, ayant les promesse» de la rie présente et de celle à
venir (I ï ï m . , IV).

INTRODUCTION .

1. La piété fausse et la piété vraie. Nécessité qu'il y a aujourd'hui


d'inculquer la vraie piété. C'est ce qu'on va faire par l'exposition
de l'histoire de la FEMME MALADE.

D E même qu'il y a de l'or faux et de l'or vrai, de


même aussi il y a une piété fausse et une piété vraie.
La fausse piété est également odieuse aux yeux de
Dieu et aux yeux des hommes. La fausse piété n'est
que ou légèreté et caprice, ou erreur et illusion, ou
mensonge et hypocrisie. On a donc raison de la com-
battre, de la flétrir.
Mais le fait est que, de nos jours, sous prétexte de
fustiger la fausse piété, on frappe aussi sur la vraie.
Dans le langage du monde d'aujourd'hui, même toute
personne pratiquant la religion comme on doit la
pratiquer, et n'oubliant pas ses devoirs; même toute
OU LÀ PIÉTÉ. 59
personne sincèrement pieuse, n'est qu'une dévoie; et,
rien que par ce mot, on réussit à faire passer ces per-
sonnes pour de petits esprits, pour de pauvres natures,
pour des caractères opiniâtres, pour des tètes éven-
tées ; C'est une dévote, dit-on ; et par là on en a dit
assez pour rendre odieuse et ridicule même 1 àme aux
convictions profondes, à la vertu solide, à la conduite
irréprochable, aux idées élevées, aux sentiments géné-
reux.
On en est venu au point que particulièrement la
femme, aujourd'hui, craint bien plus le titre de dévote
que celui de mondaine; qu'elle est plus jalouse de
cacher sa piété que sa légèreté, ses pratiques reli-
gieuses que ses galanteries; et qu'on ne peut pas
exhorter à la piété une femme du monde sans s'en-
tendre répondre par elle : Je ne veux pas passer pour
dévote.
Cependant la vraie piété n'est que la floraison de la
foi, le parfum de l'espérance, le rayonnement de la
charité. C'est la vraie croyance dans toute sa ferveur,
le sentiment religieux dans toute sa délicatesse, l'ac-
complissement des devoirs dans toute sa plénitude, la
vertu dans toute sa personne ; et c'est pour cela que
saint Paul a dit que la piété est utile à tout, que la
piété est tout, et que c'est la source de toutes les
grâces, de toutes les consolations dans la vie présente,
et le gage le plus sur du salut pour la vie future;
Pietas ad omnia vfilis est^ promissiones habens vitce,
Quee nunc est, et futurœ. Renoncer donc à la vraie
piété, c'est renoncer à toutes les pratiques, à toutes
les espérances, à tous les secours de la vraie religion ;
60 HOMÉLIE II. — LA FEMME MALADE,

et c'est cesser d'être pieux, c'est cesser d'être chré-


tien. Vous voyez donc, mes frères, combien il est im-
portant aujourd'hui d'encourager les âmes faibles à
embrasser la vraie piété, et à marcher dans ses voies
sans rougir. C'est dans ces intentions que je vais vous
expliquer aujourd'hui l'histoire de LA FEMME MALADE
de l'Évangile, que notre divin Sauveur a guérie par
un grand et gracieux prodige. Vous verrez briller,
dans cette délicieuse histoire, les caractères, les sen-
timents, le langage, les œuvres, les beautés et les ré-
compenses de la vraie piété ; et vous ne vous en trou-
verez que mieux disposés à vous y attacher, plus zélés
à la défendre, plus courageux à la pratiquer. Ave,
Maria.

PREMIERE PARTIE.

LES CARACTÈRES ET LES RÉCOMPENSES DE LA VRAIE


PIÉTÉ.
2. La piété « vertu morale, » et la piété « don du Saint-Esprit. »
C'est de cette dernière espèce de piété qu'il va être question ici.

]\4AIS, avant d'aborder cette histoire si touchante et


en même temps si instructive, je dois vous rappeler
la belle doctrine de saint Thomas sur la Piété, afin de
vous faire mieux comprendre le sujet dont nous avons
à nous occuper aujourd'hui.
Le mot Piété signifie deux choses bien différentes :
tantôt il signifie l'une des vertus morales, tantôt il
signifie l'un des sept dons du Saint-Esprit.
La Piété* en tant que vertu morale^ est, dit saint
OU LA PIÉTÉ. 61

Thomas citant un auteur ancien, ce sentiment habituel


par lequel nous nous empressons de rendre nos de-
voirs et nos hommages à nos parents et à la patrie (1).
Car c'est aux parents qui nous ont engendrés et par
qui nous avons été nourris, et c'est à la patrie en la-
quelle nous sommes nés et nous vivons, que nous
devons notre être et notre conservation ; et, par con-
séquent, l'homme, après Dieu, se doit avant tout aux
parents et à la patrie (2).
Mais la Piété, en tant que don du Saint-Esprit, est
bien autre chose. Dans ce sens, la Piété est ce senti-
ment habituel par lequel nous rendons nos devoirs et
notre culte à Dieu comme étant noire père (3). Or, il
est certain que c'est par un mouvement du Saint-
Esprit que nous avons une espèce d'affection filiale
pour Dieu, saint Paul ayant dit : « Vous avez reçu
Y esprit d'adoption, en vertu duquel vous regardez et
invoquez Dieu comme votre père (4). » La piété donc,
par laquelle nous honorons Dieu comme notre père,
par un instinct du Saint-Esprit, est un don du même

(1) « Pietas est per quam sanguine junctis patri&que benevolia


a œ
• officiumet diligens tribuitur cultus ( 2 , q., 1 0 1 , a. 1, exTullio
« rhetor.). »
(2) « Nostri esse et gubernationis principia sunt parentes et patria
• a quibus et in qua nati sumus et nutriti sumus ; et ideo, post Deum,
« esthomo maxime debitor parentibus et patriie (/fcitf.). »
(3) « Pietas, quœ est donum, exhibet oflicium et cultum Deo ut
« patri (Ibid., q., 121, a. l ) . *>
(•i) « Movet nos Spiritus sanctus ad hoc quod affectum quemdam
« filialem habemus ad Deum ; juxla illud (Rom., xin) : Aceepistis
« spiritum adoptionis in quo clamamus : Abba, pater (îb\d.). »
62 HOMÉLIE II. LA FEMME MALADE,

Saint-Esprit (1). Car les dons du Saint-Esprit ne sont


que des dispositions habituelles de l'âme, par lesquelles
l'âme suit promptement les mouvements du Saint-
Esprit (2).
Par la vertu de religion, nous rendons un culte à
Dieu comme étant notre créateur. Par la vertu de
piété, nous rendons nos devoirs à nos parents selon
la chair. Mais c'est une chose plus noble de rendre un
culte au Dieu créateur que de rendre hommage au
père charnel. La vertu de religion est donc plus noble
que la piété, en tant que la piété n'est qu'une vertu
morale. Mais honorer Dieu comme notre père, est une
chose encore plus noble que de ne l'honorer que
comme notre créateur et notre maître. Puisque donc
c'est par la piété, en tant que don du Saint-Esprit,
que nous honorons Dieu comme noire père; la piété,
en tant quelle n'est que ce don, est quelque chose de
plus noble que la yertu même de la religion; c'est
le plus excellent de nos sentiments habituels envers
Dieu (3).
La piété, en tant que don du Saint-Esprit, est donc

(1) « Consequens est quod pietas, secundum quam cultum exhi-


« bemus Deo ut patri, par instinctum Spiritus saneti, sit Spiritus
« saneti donum (Ibid.). »
(2) « Dona Spiritus saneti sunt quaedam habituâtes anima dispo-
« sitiones, quibus est prompte mobilis a Spiritu sancto (Ibid.). »
(3) « Exhibere cultum Deo ut créâtori, quod facit Teligio, est
« excellentes quam exhibere cultum patri carnaii, quod facit pietas
a quae est virtus. Sed exhibere cultum Deo ut patri, est adhuc ex-
« cellentius quam exhibere cultum Deo ut creatori et domino. Unde
« religio est potior virtute pietatis. Sed pietas, secundum quod est
* donum, est potior religione (Ibid.). »
OU LA PIÉTÉ. 63
le plus délicat et en même temps le plus noble et le
plus élevé, le plus parfait des sentiments de l'àmo
chrétienne, et la première, la plus grande, la plus im-
portante de toutes les vertus. Or c'est de la piété dans
ce sens, c'est-à-dire de la piété l'un des dons du Saint-
Esprit, et qui est l'auréole, le couronnement de tous
ces autres dons, que je vais vous entretenir aujour-
d'hui, et que je vais vous faire voir en action dans
l'histoire touchante de la FEMME MALADE. Écoutez
donc.

3. Les mondains dans le malheur. Jaïre priant le Seigneur de lui


guérir sa fille. Imperfection dp cette prière. Les Gentils ont mieux
que les Juifs compris la religion. Bonté du Seigneur se rendant
aux désirs de Jaire.

Le monde a toujours été aussi contradictoire et aussi


absurde qu'il a été injuste et pervers. Comme on voit,
bien souvent de nos jours, des mondains que la tribu-
lation éprouve avoir recours aux prières des serviteurs
de Dieu, dont ils avaient, en d'autres temps, calomnié
la vie et tourné en ridicule la piété, de même, du temps
de Jésus-Christ, ou vit souvent les pharisiens, lors-
qu'ils étaient sous le poids du malheur, aller à Jésus-
Christ dans l'attitude la plus respectueuse pour sa per-
sonne qu'ils avaient toujours décriée, et implorer de
lui des prodiges auxquels ils n'avaient jamais voulu
croire.
Ne vous étonnez donc pas, mes frères, de voir,
dans l'histoire de la FEMME MALADE, le vieillard
Jaïre, prince et chef de la Synagogue de Capharnaum,
prosterné, comme le dernier homme du peuple, aux
64 HOMÉLIE II. LA FEMME MALADE,

pieds de Jésus-Christ, et l'adorant en toute humi-


lité; Ecce princeps unus de archisynagogis, nomine
Jairus, accessit ; procidit ad pedes ejus, et adorabat
eum [Matth., 48; Marc.^ 2 2 ; Luc, 41). Cet homme,
jadis si fier et si hautain avec le Sauveur, est main-
tenant profondément malheureux ; son unique fille,
âgée de douze a n s , et qu'il aime plus que lui-
même, est près d'expirer : Quia unica filia erai et
fere annorum duodecim et kœc moriebatur (Luc, 42).
y

Il prie donc en pleurant ; il conjure le Seigneur de


vouloir bien se rendre à la maison de l'enfant mou-
rante, de la toucher de sa main (1), et de lui rendre la
santé et la vie ; Et deprecabatur eum multum, ut in-
iraret in domum suam, dicens : Quoniam filia mea
in extremis est, veni impone manum super eam, ut
y

salva sit et vivat (Luc 41 ,* Marc, 23.)


y

Remarquez ici d'abord, dit saint Chrysostôme, la


grossièreté de l'esprit de ce docteur juif. Tout en
reconnaissant à Jésus-Christ la puissance de lui guérir
sa fille, il croit cependant que le Fils de Dieu ne peut
opérer ce prodige, à moins qu'il ne se rende à la mai-
son de la jeune fille malade, et qu'il ne la touche de
sa main(2).Tandis quele Centurion, quoique Gentil, et
la Chananéenne, quoique païenne, elle aussi, avaient
reconnu à Jésus-Christ le pouvoir d'opérer des pro-
diges, même de loin, par la seule puissance de sa vo-

(1) 11 avait appris que Jésus-Christ venait d'opérer beaucoup de


prodiges à Capharnaum, par la seule imposition de ses mains.
(2) « Vide crassitiem; duo expetit a Christo : ut accederet ad
« oam, et manum imponerct [ffomil. 32, in Matth.). »
OÎJ LA PIÉTÉ. 65

lonté et de sa parole (Matth., vin). Ainsi les Gentils,


désabusés du paganisme, comprenaient mieux que
les Juifs de ce temps-là le vrai Dieu et la vraie re-
ligion.
Cependant, ô mansuétude, ô bonté admirable du
Sauveur! il ne fait pas attention à la foi de Jaïre, si
défectueuse, si languissante, si imparfaite; il ne lui en
fait pas le moindre reproche ; il ne voit en Jaïre qu'un
père malheureux, et il a compassion de lui. Il consent
donc à se rendre chez lui, et, quittant le lieu où il in-
struisait la foule, il se met sans le moindre délai à le
suivre, en compagnie de ses Apôtres et d'un peuple
immense qui l'environnait et le pressait de tout côté,
heureux de pouvoir s'approcher de lui 5 Et surgens
Jésus, abiit cum Ulo ; et sequebantur eum discipuli
ejus; et turba multa, et comprimebant (Matth., 9 ;
Marc, 24).

4. La FEMME MALADE, c'est Véronique. Sa maladie incurable; et


comment elle a cherché à en être guérie par Jésus-Christ. La piété
orgueilleuse. La vraie piété est Humilité.

Sur ces entrefaites, il y avait dans les environs de


Capharnaûm une malheureuse appelée dame Véroni-
q u e ^ ) , qui depuis douze ans souffrait habituellement

(1) Il n'est pas certain que cette femme fût Véronique; mais il est
vraisemblable que la femme qui eut l'insigne honneur de pouvoir es -
•uyer de ses mains la sueur et le sang du \isage du Seigneur allant
au Calvaire, ait été la même que celle qui, dans la circonstance dont
il s'agit ici, a donné un des plus éclatants témoignages de la divinité
de Jésus-Christ. Cette hypothèse est, du reste, bien pieuse, bien tou-
chante et bien instructive : il ne nous en faut pas davantage pour
S
66 HOMÉLIE II. — LA FEMME MALADE,

d'une perte de sang; Mulier quœ fluxion sanguinis


patiebatur duodecim annis (Matth., 20). Par surcroit
de malheur, elle s'était ruinée à se faire soigner par
un grand nombre de médecins, qui, après lui avoir
fait subir des traitements plus douloureux que sa ma-
ladie même, l'avaient abandonnée en pire état qu'aupa-
ravant, et comme complètement incurable, parce
qu'elle n'avait plus rien à dépenser; Et fuerat multa
jjerpessa a medicis. Et in medicos erogaverat omnem
substantiam. Et nihil profecerat, sed magis détenus
habebat(Marc 2 6 ; Luc, 43.)
y

N'ayant donc plus rien à espérer des remèdes hu-


mains ,Véronique songea aux remèdes divins. Elle avait
bien souvent entendu parler de Jésus-Christ, desgrands
prodiges de sa puissance, et du prodige encore plus
grand de sa bonté; Cum audisset de Jesu (Marc, 26).
Ah! se disait-elle donc, il n'y a que lui qui puisse me
guérir. O h ! si je pouvais le voir une seule fois, et m'ap-
procher de lui, je sais bien ce que je ferais : j ' e n ob-

que, dans le doute qui nous laisse maître de notre opinion, nous la
préférions à l'hypothèse contraire. Ce qui parait certain, c'est que
l'Hémorroïsse, ainsi que nous l'atteste Eusèbe (liv. 7), Sozomène
(liv. 5) et Théophylacte (Comment.), était de la ville de Césarée.
Cette ville, au pied du mont Liban, jadis s'appelait Lais (Jos., 10),
et plus tard DAN, du nom de la tribu qui la posséda dans le partage
de la terre de promission ; et enfin elle fut appelée Césarée de Phi-
lippe, ayant été réédiûée et embellie par Philippe, le lils d'Héiode,
en Thonneur de Tibère César. Cette ville était aux frontières de la
terre d'Israël, du côté du nord. Tout près d'elle, prennent leur source
les deux petites rivières le Jor et le Dan, qui, à une courte distance,
réunissant leurs eaux aussi bien que leur nom, forment le fleuve
Jor-Dan.
01] LA PIÉTÉ. 67

tiendrais en même temps la guérison du corps et le


salut de mon âme !
Mais le moyen pour Véronique d'aller chercher le
Seigneur? La loi, ainsi que le remarque saint Jérôme,
défendait sévèrement aux femmes, affectées de pa-
reilles maladies, d'entrer dans les villes et de se
mêler au peuple (1). Doublement affligée d o n c , et parce
qu'aucun médecin humain n'avait pu la guérir, Nec
ab ullo potuit curari (Luc, 43), et parce qu'elle ne
pouvait non plus aller trouver le seul médecin divin
qui aurait pu lui porter remède, un beau jour elle
voit de loin venir une grande foule, et on lui dit qu'au
milieu de cette foule était Jésus. A cette annonce,
tressaillant de joie, elle quitte son habitation, s'é-
lance sur la route, et y attend le Seigneur qui allait
passer. Il arrive en effet là où était Véronique, qui,
en le cherchant de tout le désir du cœur, bien plus
q u e des yeux du corps, reconnaît l'aimable Sei-
gneur au milieu de la foule, le devinant à sa haute
taille, à son front majestueux, à son regard suave, à sa
figure divine, et bien mieux encore parce que, selon
saint Remi, une Yoix secrète lui dit, dans l'intérieur de
l'âme : « C'est LUI, et il est Dieu. » A cette voix, elle
sent son cœur palpiter d'espérance, et ne pense plus
qu'à la manière de demander la grâce, ne doutant pas
le moins du monde de l'obtenir (2).

(1) « Haec mulier sanguine fluens, non in urbe, non in domo ac-
« ceditad Dominum, quia juxta legem (hujusmodi mulieres) urbibus
ic eicluàébmXut (in Matth.). »
(2) « Desperans de salute medicorum, cœlestem adesse medicum
68 HOMÉLIE II. — LA FEMME MALADE,

C'est donc la femme que vous voyez là, mes frères,


pâle, éplorée, et en même temps pleine de confiance
et de résolution, humble et hardie, s'élançant en avant
dans la foule et restant toujours en arrière, faisant des
efforts pour s'approcher le plus qu'il lui fût possible
de Jésus-Christ, et demeurant toujours derrière lui;
Venit in turba rétro (Marc., 27), parce que Véro-
nique, dit saint Chrysostôme, avait honte d'elle-même,
se croyait immonde -, et par cela même elle se croyait
indigne de paraître devant le Seigneur (1).
Mais que veut-elle faire? que pense-t-elle? Oh! si
vous saviez ! Elle s'est dit à elle-même : Si je puis
réussir à toucher seulement le bord de son vêtement,
je serai guérie ; Dicebat intra se : Si iantum tetigero
vestimenta ejus, saha ero (Matth., 21).
O femme admirable! que cette pensée est noble,
que ce discours est sublime ! Voyez combien son hu-
milité est grande! dit saint Remi. Elle a résolu de tou-
cher seulement la robe du Seigneur, se croyant in-
digne de toucher même ses pieds (2). Mais remarquez
encore, nous dit le grand interprète Drutmare, que
Véronique ne veut pas même toucher la partie supé-
rieure de la robe du Seigneur, qui couvre de plus près
sa personne adorable, sa chair divine, mais simple-
ment l'extrémité, la frange extérieure de cette robe, sa

n credidit, et in eum omnemsuam intcntionem collocavit (Cat.). »


(1) « Rétro, quia verecundabatur se immundam existimans (ffom.
« 3 2 , in Matth.). o
(2) i Admiranda humilitas ! quia indignam se judicavit quae Do-
« mini pedes tangeret (In Cat.). »
OU LA. PIÉTÉ 69
partie la plus basse, celle qui touchait la terre : tant
elle pense bassement d'elle-même (1)!
Voici donc le premier caractère, la première condi-
tion, le fondement de la vraie piété, VHumilité de
l'esprit. Les âmes vraiment pieuses, dit saint Thomas,
sont des âmes vraiment mansuètes, vraiment modestes,
vraiment humbles. Dans le langage de l'Evangile, le
motpiété est synonyme du mot humilité. Toute piété
qui n e commence pas par l'humilité n'est par cela
même qu'une piété fausse ; c'est dupiélisme des héré-
tiques, l'un des plus funestes rejetons de l'orgueil de
l'hérésie*, ce n'est pas de la piété chrétienne. On a
donc raison de se méfier de la soi-disant piété de cer-
taines femmes si prétentieuse, qu'à ses yeux elle est
tout, et les qualités et les vertus des autres ne sont
rien; si prévenue en faveur de ses pensées, qu'elle
croit pouvoir donner aux autres, même aux ministres
de l'Eglise, une règle de conduite, au lieu de la rece-
voir d'eux et de s'y soumettre; si remplie d'elle-même,

( l ) « Non est ausa tangere vestimentum quod Christi carncm t e -


« gebat, sed quod foris prominebat (Expos.), D
Les anciens Juifs portaient à l'extrémité extérieure de leur vête-
ment une bande tout autour, et cela d'après la loi ordonnant aux en-
fants d'Israël de se faire des bandes aux angles de leurs manteaux ; Vt
faciant sibi fimbrias per angulos palliorum. (A'um., xvi.) Les plus
dévots avaient plus larges ces bandes à leur vêtement, et de là le re-
proche que le Sauveur faisait aux pharisiens qui élargissaient les
bandes de leurs habits en signe d'une grande religion, tandis qu'ils
restreignaient toujours davantage les sentiments charitables de leurs
«Burs (Matth. XX\\\).Ce&
J bandes étaient enfin de couleur bleu ciel,
afin, ajoutait la loi, que les Juifs, les ayant toujours sous leurs yeux,
se rappelassent toujours que leur loi leur était venue du Ciel.
70 HOMÉLIE II. — L A FEMME MALADE,

qu elle ne rapporte tout qu'à elle-même, n'est fièré


que d'elle-même, ne se plaît qu'en elle-même.
La vraie piété ne connaît pas ces sentiments autant
insensés que coupables. Non contente de s'abaisser à
ses propres yeux, elle s'abaisse aux yeux des autres. Elle
a toujours assez de la dernière place. Dans sa pensée,
elle se met au-dessous de tous 5 elle ne mérite rien, et
attend tout de la bonté de Dieu et de l'indulgence des
hommes, ne se doutant pas le moins du monde que
c'est le premier titre, le titre légitime de sa grandeur
aux yeux de Dieu et aux yeux des hommes. Car les
hommes, aussi bien que Dieu, sont enchantés, ravis
du mérite qui s'abaisse lui-même, et se font une gloire
de l'exalter autant qu'il s'humilie : tandis qu'ils se mo-
quent de la fatuité qui s'élève elle-même, et ils se
plaisent à l'humilier autant qu'elle s'exalte ; Qui se
humiliât exaltabitur, et qui se exaltât humiliabitur
(Luc, xiv).

5. Foi sublime et parfaite de Véronique. Portrait de l'homme sans


piété, n'entendant rien à la religion. Guérison prodigieuse de Vé-
ronique par le simple attouchement de la frange du vêtement du
Seigneur.

Mais la foi de Véronique est encore plus étonnante


que son humilité. Elle ne craint pas, en touchant
Jésus-Christ, de lui communiquer sa propre tache
légale ( l ) ^ car elle croit et donne à voir, dit saint

( 1 ) La loi mosaïque était là-dessus très-claire aussi bien que très-


sévère : Mulier, à\\&àit-&\e qu3spatltifrmuUisdiebusfluxurnsati-
f

guinis, non in tempore menstruati, sed qum post menstrutcm


sanguinem,fluere non cessât, quamdiu subjacet finiepassioni, im-
OU LA PIÉTÉ 71
Pierre Chrysologue, que, dans sa pensée, aucun con-
tact humain, quelque immonde qu'il soit, ne peut en-
tacher la sainteté de Dieu. Elle croit que si le rayon
du soleil ne se souille pas en touchant la boue, le Dieu
créateur du soleil pourra moins encore rester entaché
de l'attoucheftient de l'homme (1).
La foi de cette fille de la synagogue était donc la
censure de la foi de Jaïre prince et chef de la syna-
gogue. Nous venons de l'entendre, ce docteur, don-
nant à croire lui que, dans sa pensée, Jésus-Christ ne
pouvait lui guérir sa fille, à moins qu'il ne se rendît
chez elle et ne la touchât de sa main -, tandis que Vé-
ronique croit, au contraire, qu'elle va être délivrée de
sa maladie par le seul attouchement de la robe de J é -
sus, sans que Jésus opère rien, dise rien, et sans même
qu'il paraisse y faire attention ; Si tetigero tanium
vestimentum ejus, salva ero.
La voilà donc, dit encore saint Pierre Chrysologue,
la voilà, cette admirable femme, surpassant dans la
science de Dieu tous les docteurs, éclipsant dans Vin-

munda erit (levit., xv). Cette impureté léga'e de la femme tra-


vaillée par une pareille maladie, se communiquait non-seulement à
quiconque l'eût touchée ou eût été touché par elle, mais aussi aux
choses dont elle avait fait usage : Omne stratum in quo dormierit
et vas in quo sedorit, pollutum erit; quicumque tetiger'U eam, im~
muhdus erit (Id.). Grotius affirme que la raison de cette loi était
celle-ci : que ces maladies, dans la Syrie et les pays limitrophes,
sont contagieuses et nuisibles : In Syria et in vic'mis regionibus
habent aliquid contagio nocens (In Levitic.).
(l) « Sciens quia Deum nec tactus polluit, nec iniquinat humana
* cogitatio. Si sol tangit stercora, nec tamen inquinatur ; quanto
« magis solis Creator (Serm. 35). »
72 HOMÉLIE H. — L A FEMME MALADE,

telligence des mystères chrétiens tous les savants juifs,


et laissant derrière elle même les Apôtres par la pureté
et la constance de sa foi. Car la Judée, avec tous ses
scribes et ses pharisiens, méprisa les saintes chairs du
Seigneur. Saint Thomas eut besoin de plonger ses
doigts dans ses plaies, pour croire qu'il était Dieu et
qu'il était ressuscité. Tandis que Véronique, tout au
contraire, a cru qu'il n'y avait rien de bas, rien de
souillé en Jésus-Christ ; qu'il était tout-puissant par
rapport à son humanité, substantiellement unie à la
divinité; et q u e , comme la divinité ne s'était pas
amoindrie en s'unissant en lui à l'humanité, de même
la puissance de sa personne n'était pas atténuée dans
ses vêtements, et que ses vêtements étaient aussi puis-
sants que sa chair (1).
Elle crut donc que, en Jésus-Christ, toute la pléni-
tude du chrisme de sa divinité, toute la vertu de sa
lôte adorable s'étendait jusqu'aux, habits, et que c'é-
taitenluique s'accomplissait la prophétiedeDavid:«.Que
l'onction divine du véritable Aaron serait descendue
jusqu'aux bords de ses vêtements, conservant toute sa
puissance et toute son efficacité (2). »
(1) « Magna hœc mulier, quœ scientia omnes doctores vicit-, sa-
« cramento omnes Judseos superavit; Ade praecessit apostolum.
« Nam Judaea, cum scribis et doctoribus suis, Christum despexit in
« corpore ; Thomas apostolus, ut Christum Deum crederet, îmmisit
« manus, patefecit vulnera. Haec mulier in Christo nihil putavit ex-
« tremum : quia nec Deus minoratur in homine, nec virtus attc-
« nuatur in fimbria. »
(2) « Vidit in fimbriam vestimenti ejus totam plenitudinem divini
« chrismatis, totam divini capitis transisse \irtutem, sicut unguen-
« tum quod descendit in oram vestimenti ejus (Psal. cxxxu). »
OU LA PIÉTÉ 73
Ainsi voyez, nous dit encore le Docteur au discours
d'or, l'idée qu'avait Véronique de l'auguste personne
de Jésus-Christ, et des trésors de mérites, de privilèges
et de grâces dont la très-sainte âme du Sauveur était
enrichie : puisqu'elle a cru que, môme dans ses ha-
bits extérieurs, résidait la vertu de sa divinité (1). Oh !
qu'il est beau de voir cette femme, étrangère à toute
science théologique, se formant des idées si théolo-
giques, si pures, si exactes, si précises et si élevées de
la personne du Sauveur !
Oh! qu'il est vrai que, comme le dit l'Ecclésias-
tique, Dieu ne donne la sagesse qu'aux âmes vraiment
pieuses, et que les saintes pensées, le jugement sain
en matière de religion, et l'intelligence pratique de ses
mystères, ne sont que le prix de la vraie piété ; Pie
agentibus dédit sapientiam (Eccli., XLIII)! Tandis que,
d'après le tableau de main de maître qu'en a fait saint
Paul, l'homme qui, se croyant humilié par les doc-
trines de lapiètè, les repousse, cesdoctrines si sublimes
dans leur simplicité, est frappé d'aveuglement dans
son orgueil. Réduit à discuter toujours, il ne sait ja-
mais rien par rapport à la religion \ s'épuisant en des
questions de mots, il ne comprend rien aux choses.
Dominé par l'esprit de chicane, par l'envie et la dé-
fiance, il croit raisonner, et ne fait que blasplémer;
et, au bout de toutes ses recherches, il se trouve le
cœur corrompu et l'esprit vide de vérités 9 Qui non
acquiescit ei quce secundum PIETATEM est, doctrinœ,
y

(i) « Quid ista mulier vidit habitare in interioribus Christi, quae


« iu Christi fimbria vidit divinitatis habitare virtutem? »
74 HOMÉLIE II. — L A FEMME MALADE,

superbus est, nihil sciens, sed languens circa quœstiones


et pugnas verborum, ex quibus oriuntur invidiœ,
contentiones, blasphemiœ, suspiciones malœ, conflicta-
tiones hominum mente corruptorum,et qui veritate pri-
vatisunt (I TYm., vi).
La confiance de Véronique est à la hauteur de sa
foi. Ainsi que l'a remarqué l'auteur de laGlosse, Véro-
nique ne dit pas : « Si je parviens à toucher ses habits,
peuUêtre f espère que je guérirai \ elle dit ; « JE SUIS
y

CERTAINE que par ce moyen j'obtiendrai ma guérison,


et que je serai sauvée(l). »
Or, une si grande confiance se fondant sur une foi
si parfaite, ne pouvait manquer son objet de la part
du Dieu de bonté. Ce qu'elle croit lui arrive exacte-
ment comme elle s'y attendait. A peine, en Rabais-
sant et passant son bras à travers les pieds des Apôtres,
parvient-elle à toucher d'un seul doigt le bout du vê-
tement divin du Seigneur 5 Tetigit fimbriam vestimenti
ejus (Matth., 20), qu'à l'instant même, dit l'Évangile,
elle éprouve une révolution heureuse dans son corps 5 la
source du sang tarit; sa plaie intérieure est fermée, et
elle se sent soulagée, renouvelée, guérie * Et confes-
tim siccatus est fons sanguinis, et sensit corpore quia
sanata a plaga esset ( i f a r c , 29).
O femme fortunée! s'écrie encore saint Pierre Chry-
sologue, qui, n'osaiït se présenter en face du Médecin
céleste, parvient à lui par la voie secrète de son es-
prit ; qui sait trouver à sa honteuse maladie un re-
mède si prompt et si efficace, et qui, ne pouvant pas

(1) « Non dixit : Forsan, sed cette salva ero. »


OU LA. PIÉTÉ. 73
prier publiquement Jésus-Christ, réussit à se glisser
dans son cœur par l'éloquent silence de sa prière (1)!
Et même, qu'il est beau, qu'il est gracieux, qu'il
est magnifique, ce prodige de Jésus-Christ ! Quelle
est frappante, quelle est splendide, cette preuve de sa
divinité! Car un Dieu seulement, dit toujours saint
Pierre Chrysologue, pouvait avoir compassion de cette
femme qui n'avait pas paru en sa présence ; l'exaucer
sans qu'elle eût parlé *, connaître et la maladie de son
corps et la foi de son âme ; lire dans son cœur sans
l'avoir vue ; la guérir dans un instant et sans qu'il eût
rien dit, rien fait lui-même, mais seulement par un
acte intérieur de sa puissante volonté, par un trait
inaperçu de sa miséricorde (2). Et le grand saint Hi-
laire dit aussi : En prenant la fragilité, la misère de
notre chair, afin de nous racheter, le Verbe éternel,
la Vertu de Dieu, ne renferma pas, ne restreignit pas
sa puissance divine dans les limites de son corps. Et
comme le Dieu créateur a donné à l'aimant la vertu
d'attirer à lui de loin le fer, de même le Dieu rédemp-
teur a attribué à ses vêtements la vertu de repousser les
maladies, d'opérer des prodiges en dehors de sa per-
sonne, et de guérir tous ceux qui y touchaient avec un
sentiment de vive foi (3).

(1) « Invenitmulier verecundo vulneri qualiter subveniret, ut in-


« sinuaret fidei silentio quod publico clamore non poterat; et sécréta
« spiritus via perveniret ad Medicum ad quem pervenire manifesïo
« carnis itinere non poterat. »
(2) « Non nisi a Deo potuit latens videri, audiri tacens, celata sa-
«* nari. »
(3) « Sicut auetor naturae dat magneti virtutem ferrum attrahendi,
76 HOMÉLIE 11. — LA FEMME MALADE,

6. Blasphème stupîile de Cahin, osant dire superstitieux l'acte de


foi de Véronique. Le vêtement de Jésus-Christ était une augusle
relique. Les hérétiques et les incrédules convaincus de supersti-
tion. Le culte des reliques des saints inséparable de la vraie piété.
Combien ce culte est raisonnable, et agréable à Dieu. La sottise
de la piété est sagesse. Gloire des insultes dont la vraie piété est
l'objet.

Pour Calvin, cette âme noire, possédée d'une haine


aveugle, satanique contre la personne adorable du
Seigneur, dont il cherche partout, où il le peut, à
abaisser les mystères et obscurcir les preuves de la Di-
vinité; pour Calvin, dis-je, Véronique croyant se
guérir par le seul attouchement de la robe du Seigneur,
n'a été qu'une femme superstitieuse. Mais cette accu-
sation est en même temps un blasphème et une ab-
surdité. Un blasphème : parce que nier une vertu di-
vine aux vêtements qui touchaient le corps divin de
Jésus-Christ, n'est-il pas nier sa divinité ? Une absur-
dité : car ne faut-il pas avoir perdu toute raison pour
oser qualifier comme superstitieux un acte de latrie,
de sublime religion que le Fils de Dieu a confirmé par
un grand prodige, et a exalté par un grand panégy-
rique ? Mais savez-vous, mes frères, pourquoi la foi
de Véronique a causé tant de dépit à Calvin? C'est
parce que cette foi, dit un grand interprèle, a fourni à
l'Église catholique un magnifique argument en faveur
de la vertu et de l'efficacité des saintes reliques, et du

« sic Christus dabat vesti suae vim repellendi inlirmitates, et sanandi


« ex fide tangentem (Comment.). »
OU LA PIÉTÉ 77
culte qui leur est dû. Car c'était une sainte et auguste
relique que le vêtement de Jésus-Christ (1).
Apprenez donc par l à , vous autres catholiques
n'ayant que le nom de catholiques, sans avoir l'esprit
et l'intelligence du catholicisme, que lorsque vous
vous érigez en juges sévères, en censeurs orgueilleux
contre les âmes pieuses, les femmes chrétiennes qui
vénèrent les saintes reliques et ont recours à l'inter-
cession des Saints, vous ne parlez que le langage de
Calvin, sans vous en douter ; vous ne vous faites que
les échos des hérésiarques, des incrédules qui vou-
draient bien voir oubliés, foulés aux pieds les corps
des Saints, ces sanctuaires d'âmes sublimes et hé-
roïques, sanctifiés par l'innocence, le martyre, la pé-
nitence et la charité : tandis qu'ils honorent d'un culte
superstitieux et ridicule les corps des complices de
l'hérésie et de l'impiété (2), ces corps dégradés par

(1) • Est hoc cxemplum ad probandam vim et efftcaciam sancta-


« rum reliquiarum : talis enimfuit vestisChristi(CORNÉLIUS A LAPIDE,
< Comment, in Matth.), »
(2) Les modernes hérétiques ont condamné le culte des reliques
des Saints ; e t , au commencement de la prétendue réforme, ils
s'empressèrent, où ils le pouvaient, de les jeter à la mer, ou de lea
brûler et de les détruire, avec une rage, une fureur vraiment infer-
nales. Cependant, les successeurs de ces mêmes hérétiques, les sec-
tateurs de leurs doctrines, ne conservent pas moins religieusement,
ne vénèrent pas moins comme une relique sacrée, le cœur de Zwinl.
A Wurtemberg aussi, on montre et l'on honore les culottes de L u -
ther. Les incrédules de ces derniers temps en on fait exactement de
même. Après avoir, en 9 3 , profané, foulé aux pieds, détruit les reli-
ques des Saints, on les a vus rendre des honneurs presque divins aux
restes des ennemis de Jésus-Christ et des persécuteurs des chrétiens.
78 HOMÉLIE I I . — IA. FEMME MALADE,

tous les vices, et ignobles réceptacles d'âmes impures,


n'ayant respiré que la haine de Dieu et de l ' h u m a n i t é .
Quant au culte des Saints, rien n'est plus conforme
à la raison chrétiepne, à l'esprit de la vraie piété.
Comme par la piété, en tant que vertu morale, l'homme
non-seulement honore, ainsi que nous l'a appris saint
Thomas, son propre père, mais aussi tou$ les parents
de son père, en tant qu'ils appartiennent à son père ;
de même, dit encore saint Thomas en citant saint Au-
gustin, la piété, en tant qu'elle est un don du Saint-
Esprit , rend un cultç non-seulement à Dieu, mais
aussi à tous les hommes qui appartiennent d'une ma-
nière toute particulière à Dieu. C'est donc le propre
de la vraie piété d'honorer les Saints, comme c'est le
propre de la vraie piété de ne pas contredire l'Ecriture
sainte, mais de s'y soumettre, soit qu'on la comprenne,
soit qu'on ne la comprenne pas (1).

On les a vus ramasser avec un religieux respect ces restes impurs et


sacrilèges, les déposer dans une église, et y écrire dessus ; AUX GRANDS
HOMMES LA PATRIE REGONNAISSANTE ; épitaphe menteuse et blasphéma-
toire, n'attestant que l'insolence, la fatuité et l'esprit superstitieux
de ces soi-disant ennemis de toute superstition. Tant il est vrai que
l'homme, en cessant d'être religieux, devient vraiment superstitieux ;
comme, en cessant d'être croyant, il devient crédule!
(l) « Sicut per pietatem, quae est virtus, exhibet homo ofdcium et
« cultum non solum patri carnali, sed etiam omnibus sanguine con-
« juuctis, secundum quod pertinent ad patrem; ita etiam pietas,
« secundum quod est donum, non solum exhibet cultum et ofûcium
• Deo, sed etiam omnibus hominibus, in quantum pertinent ad
« Deum. Propter hoc ad IPSAM pertinet, ut ait Augustinus (De ])oc-
« trin. Christian., c. 7), honorare sanctos et non contradicere Scrip-
« turae, sive intellecta, sive non intellectaest (2, 2, q. 1 2 1 , a. 1). »
OU LA PIÉTÉ. 79
Ainsi nos frères séparés, les protestants, qui, en
jjjsant qu'ils vénèrent les saintes Écritures, rejettent
le culte dps Saints, sont inconséquents, et n'entendent
rien à la vraie piété, à la piété parfaite. C^r la vraie
piété exige que non-seulement on vénère tout ce qui
est à Dieu, mais aussi tout ce qui approche de Dieu,
tout ce qui tient à Dieu 5 et par conséquent la vraie
piété exige qu'on vénère non-seulement l'Écriture
sainte, parce que c'est la parole de Dieu, mais aussi la
sainte Vierge, parce que c'est la mère de Dieu ; les
Anges, parce que ce sont ses ministres; et tous les
Saints, parce que ce sont ses serviteurs fidèles et ses
«mis chéris.
Mais « V a-t-il rien de plus bête, vous disent à
chaque instant tous ces prétendus savants, y a-t-il rien
de plus bête que d'attribuer une vertu miraculeuse à
un morceau de papier, de toile, de cuivre ou d'osse-
ment? Y a-t-il rien de plus bête que de croire qu'en
baisant ces objets, ou en les portant sur soi-même,
on obtiendra la protection du Ciel? » Et pourquoi
pas, s'il vous plaît? D'abord, en vénérant tout ce qui
a été béni, consacré par l'Église, tout ce qui a appar-
tenu aux Saints, ou au SAINT DES S A I N T S , nous ne
faisons que vénérer Dieu, l'auteur de toute grâce et
de toute vertu qui se glorifie, qui apparaît admirable
dans ses Saints, et que ces objets, ces images nous
rappellent et nous représentent (1).

(l) Ceux qui trouvent béte que les aines pieuses portent sur leurs
personnes des Croix, des reliques des Saints, la Médaille et le Sea-
pulaire, ne blâment cependant pas ces âmes bien autrement super-
80 HOMÉLIE II. — LA FEMME MALADE ,

En second lieu, ce n'est pas à ces objets matériels


que nous attribuons une vertu divine, mais à Dieu
seul, que nous croyons agréer notre vénération pour
ses grands Amis, et notre confiance pieuse dans leur
intercession. Ainsi, ce ne sont pas ces objets matériels
par eux-mêmes, mais c'est la pensée élevée de la foi
avec laquelle nous en usons, qui nous fait du bien :
comme, d'après la remarque de saint Chrysostôme,
ce ne fut pas la bande de la robe du Seigneur par elle-
même, mais ce fut la loi en Celui qui portait cette
r o b e , qui guérit Véronique (1). Ces pratiques, ces
dévotions, qu'on taxe de bêtise, sont donc des actes
de foi, qui honorent Dieu et dans lesquels Dieu se
complaît. Car, comme Véronique, « par cela même
qu'elle espéra sa guérison par l'attouchement de la

stitieuses qui portent, sur leurs personnes, les cheveux, les billets,
les bagues de leurs amants, et tout ce que ceux-ci ont touché. Der-
nièrement, une de ces malheureuses a voulu, en mourant, être e n -
terrée avec les lettres de son amant placées sur sa poitrine. C'est
que l'homme éprouve un besoin naturel d'avoir toujours avec lui des
choses qui lui rappellent les objets de ses affections. Le culte des Re-
liques, ainsi que toutes les pratiques du catholicisme, tient donc à
une loi naturelle de l'humanité; et ceux qui le rejettent ou le blâ-
ment donnent à voir qu'ils sont aussi stupides qu'ils sont impies, et
qu'ils méconnaissent autant l'homme que le chrétien. On a beau
dire et beau faire, l'homme ne renoncera jamais au besoin d'avoir
sur lui des reliques et des scapulaires. Seulement, si l'on obtient de
lui qu'il se dépouille des reliques des Saints, il aura des reliques de
l'objet de ses affections ou de sa vénération terrestres ; et s'il se mo-
que du scapulaire de Dieu, il portera sur lui le scapulaire du diable;
et voilà tout.
(i) a Non fimbria, sed ejus cogitatio, eam salvam fecit. »
OU LA PIÉTÉ. 81
robe de Jésus-Christ, s'est montrée, dit encore saint
Chrysostôme, très-croyante et très-fidèle ( 1 ) ; » de
même, en espérant que Dieu voudra bien récompenser
par des grâces notre vénération pour les reliques des
Saints, nous mettrons notre foi et notre confiance en
Dieu dans tout leur éclat, dans toute leur perfection.
Rien n'est donc plus chrétien et même plus philoso-
phique que cette prétendue bêtise de la foi. C'est, du
reste, cette bêtise à laquelle faisait allusion saint Paul
lorsqu'il disait : Celui qui veut être sage parmi vous,
qu'il commence par s'humilier, par paraître sot aux
yeux du monde-, et à cette condition il deviendra
vraiment sage aux yeux de Dieu ; Si guis videtur
inter vos sapiens esse, siullus fiât ut sit sapiens
( l Cor., m).
Laissez-les d o n c , femmes chrétiennes, laissez-les
donc ces censeurs autant impies qu'absurdes, accuser
de superstition votre piété sincère, votre culte raison-
nable, vos actes pratiques de foi. En cela, comme
toujours, ils ne font que blasphémer ce qu'ils igno-
r e n t ; Quœ ignorant, blasphémant (Jac.). Oh! que
votre superstition, si elle en est une, est au moins
belle, honorable, sublime, puisqu'elle vous obtient
des prodiges, vous confirme dans la foi, vous fait
aimer la vertu, et sert d'aliment à la vraie dévotion!
Au fait, ces orgueilleux censeurs de la piété catho-
lique sont logiques : la vraie piété est la réfutation de
toutes leurs doctrines, le blâme de toute leur vie. Ils
doivent la haïr, la persécuter par l'ironie, la calomnie

( l ) « Fiuelissima hœc mulier, quœ a fimbria salutem speravit. »


G
82 HOMÉLIE II. — L A FEMME MALADE,

et l'outrage, et la traiter de folie; Nos stulti propier


Christum (I Cor., iv). Tous ceux, dit encore saint
Paul, qui veulent vivre dans la piété selon Jésus-Christ,
doivent s'attendre à être persécutés; Et omnes qui
pie volunt vivere in Chrisio Jesu, persecuiionem pa-
tientur (l Tim., ni). La condition de la vraie piété
dans ce monde est d'être méconnue, contrariée et in-
sultée comme l'a été Jésus-Christ, qui en est l'auteur
et le maître. Elle aussi n'a aux yeux du monde d'autre
diadème qu'une couronne d'épines, d'autre sceptre
que la croix, d'autre manteau royal que la pauvreté,
d'autre gloire que les opprobres. Mais elle n'en est
pas moins le plus beau fruit de la grâce du christia-
nisme, la vraie richesse, la vraie grandeur, lu vraie
gloire du chrétien aux yeux de Dieu. Ce Dieu puissant
saura donc, nous dit saint Pierre à son tour, délivrer
les âmes vraiment pieuses de tout danger, de toute
épreuve; Novit Dominus pios de tentâtione eripere
(Il Petr. n ) ; et la vraie piété finit toujours par triom-
}

pher même dans ce m o n d e , et au plus tard dans


l'autre; Habens promissiones viice quce nunc est et y

futurte.

7. Jésus-Christ cherchant à savoir qui l'a touché. Crainte de Vé-


ronique. Charme et bonheur de la crainte de Dieu propre aux
saints. Véronique glorifiant le Seigneur par la confession publique
de la grâce qu'elle avait obtenue en secret. C'est un besoin pour
la vraie piété que de manifester la foi. La confession de la foi est
la respiration de l'âme.

Un si grand et si beau prodige ne devait pas, dit


saint Chrysostôme, ne pouvait pas rester caché ; il
devait être connu pour la gloire de Jésus-Christ, pour
OC LA PIÉTÉ. 83

l'honneur de Véronique, pqur la confusion des Juifs


présents, pour l'instruction de tous les chrétiens qui
leur devaient succéder, pour l'édification de l'É-
glise (1). Voilà donc que le Sauveur va le faire pu-
blier de la façon la plus gentille et la plus gracieuse,
par la femme même qui Ta obtenu. Car aussitôt qu'il
sentit en lui-même que la femme avait été gué-
rie par la vertu divine sortant de lui ; Statim Jésus
%n semetipso cognoscens virtuiem quœ exierat de Ulo
(Marc., 30); se tournant vers la foule qui l'entourait,
il dit à haute voix, et d'un air sérieux et en même
temps très-aimable : « Quelqu'un de vous s'est appro-
ché de moi pour me toucher, et a, en effet, touché
mon vêtement. Je veux savoir de lui-même quel il a
été; Çûnvwsps ad turbam, aiebat ; Quis est qui me
tetigitt Quis tetigit veslimenta mea (Marc., 3 0 ;
Lue-, 45)? » Et comme ceux qui étaient les plus près
de lui s'en défendaient, en disant tous l'un après Vau-
tre : Ce n'est pas moi, ce n'est pas moi; Negantibus
autem omnibus (Luc, 45) ; Pierre prit la parole, et dit
au Seigneur, avec sa franchise et sa simplicité accou-
tumées : « Vous êtes bien curieux, mon maître[ La
foule, vous le voyez, se rue sur nous, nous presse tous
dp toute part, nous écrase tous, c'est à y étouffer; et
vous voulez savoir qui vous a touché? Eh ! mon Dieu,
p'est tout le monde! Dixit Petrus : Prœcepior, vides;
turba: te comprimunt, et affligunt, et tu dicis : Quis
me tetigit (Ibid.)? — Je te dis, Pierre, reprit le Sei-
gneur, que quelqu'un m'a touché d'une manière toute

(i) » Ne virtus miraeulosi opetis oblivioni tradatur. »


84 HOMÉLIE II. — L A FEMME MALADE,

particulière, et qu'il a éprouvé les effets de la vertu


qui est sortie de moi; et je te répète que je veux
savoir qui c'a é t é ; Dixit Jésus : Tetigit me aliquis;
nam ego nom virtutem de me exiisse (Ibid., 46); » et
en même temps il cherchait de son regard autour de
lui la femme qui avait touché ses habits; Et circum-
speciebat eam quœ hoc fecerat (Marc, 32). Véronique,
en entendant ces paroles : « Malheureuse que je suis,
se dit-elle en elle-même, il s'en est aperçu, il m'a
découvert ! C'est moi qu'il cherche ; car c'est moi qui,
en le touchant, ai éprouvé sa vertu divine. J'ai été
peut-être trop osée de porter ma main profane sur
ses vêtements! » Elle eut peur, et se mit à trem-
bler; Mulier, sciens quid facium esset in se, videns
quia non lateret, timens ac iremens (Marc, 33;
Luc, 47).
Mais qu'est-ce que cette crainte subite, que ce fris-
sonnement, que cette frayeur qui saisissent Véro-
nique, en présence de son puissant médecin, de son
aimable Sauveur? Est-ce que sa confiance dans la
bonté du Seigneur lui a fait défaut, l'a abandonnée ?
Tout au contraire, c'est même là un des signes les
plus certains de la vraie piété.
Nous venons de voir que la piété, en tant qu'elle
est don du Saint-Esprit, est, d'après le Docteur angé-
lique, la disposition de l'âme à aimer, à honorer Dieu
comme son père. Or, l'amour filial n'est jamais séparé
de la crainte révérentielle. L'amour de Dieu n'est donc
jamais séparé de la crainte de Dieu. Mais, bien diffé-
rente de la crainte de Dieu chez les méchants, qui a son
principe* dans la haine secrète cle Dieu, et qui est, au
OU LA PIÉTÉ, 85

fond, de la haine secrète de Dieu elle-même -, la crainte


de Dieu dans les justes, que la vraie piété inspire, a
son principe dans l'amour de Dieu, elle est de l'amour
de Dieu elle-même. C'est la pudeur, la vèrècondie de
l'âme; c'est sa trépidation à la pensée non pas que
Dieu la punisse, mais que Dieu cesse de l'aimer. C'est
un désir sincère de rester dans l'amour, d'aimer tou-
jours davantage et d'être aimé; c'est l'amour respec-
tueux de l'enfant, c'est la retenue de l'épouse pudique,
qui, loin de détruire la confiance, la maintient dans
ses justes limites, l'élève même, l'embellit et la per-
fectionne. C'est un tourment, si vous voulez, que cette
crainte de Dieu chez les justes; mais c'est un tourment
délicieux pour le cœur qu'elle travaille, c'est un tour-
ment qui, comme le dit l'Écriture sainte, fait le bon-
heur et le charme de la vie spirituelle ; les justes sont
aussi heureux de craindre Dieu que de l'aimer; B E \ T I
omnes qui timent Dominum, qui ambulant in viis eins
(Psal.y cxxvni). C'est ce qui se passe dans le cœur de
Véronique. Du moment où elle s'est humiliée, a cru et
a aimé le Saint-Esprit, cet Esprit-Saint lui a commu-
niqué largement le don ineffable de la piété, elle en
a tous les sentiments, elle en accomplit tous les actes,
en attendant d'en recevoir toutes les récompenses. En
adorant donc Jésus-Christ comme son Dieu, sa belle
âme l'aime déjà comme son p è r e ; mais, en véritable
fille, elle l'aime en le craignant, comme elle le craint
en l'ainvint. Comme son respect pour Jésus-Christ
est de la foi, son hésitation est de l'espérance; sa
crainte même est de l'amour, mais de l'amour aussi
modeste, timide, exquis, délicat, qu'il est pur, saint
86 HOMÉLIE II. — L A FEMME MÀLÀDF,

et parfait*, de l'amour se défiant de lui-même, et ne


se croyant pas assez digne d'un père qui est Dieu, et
d'un Dieu qui est père.
C'est, mes frères, le mystère de la crainte de Véro-
nique. Voyez, en effet, ce qu'elle fait, et ce qu'elle
dit.
En voyant qu'il n'y avait plus moyen de se cacher,
elle vient en présence de Jésus-Christ, s'agenouille
devant lui, se prosterne à ses pieds; et, le cœur sur
ses lèvres, avec l'abandon naïf d'uh enfant : « Sei-
gneur, lui dit-elle, puisque vous voulez que je vous
le dise moi-même, eh bien, je vous le dis : c'est moi
qui ai pris la liberté de vous toucher; Venit, et pro-
cidit an te pedes ejus, et dixit ei omnem veritatem
{Ibid.)
Mais remarquez bien, mes frères, que Véronique,
autant généreuse qu'elle est reconnaissante et sincère,
en dit plus que Jésus ne voulait qu'elle en dît. Le
Seigneur a seulement exigé que la personne qui ve-
nait de recevoir le prodigç se manifestât elle-même.
Mais Véronique, ne se contentant pas de cela, se re-
dresse, et se met à raconter devant la foule empres-
sée la maladie incurable qui l'avait affligée depuis de
si longues années, la confiance qu'elle avait eue d'en
être guérie par le seul attouchement de la robe du
Seigneur, et comment, en effet, par ce moyen elle
venait d'obtenir sur-le-champ de la bonté du Seigneur
une guérison parfaite; Et indicavit coram omni po-
pulo ob quam causam teiigerit eum, et quemadmodum
confestim sanata sit (Luc., 47).
Mais.ne vous étonnez pas, mes frères, de cette fran-
OU LA PIETE. 87

chi^e, de ce courage de Véronique publiant elle-même


sa honteuse maladie et sa guérison. Cette confession
est glorieuse pour Jésus-Christ; et c'est assez pour
qu'il n'en coûte pas à Véronique de la faire.
La vraie piété ne peut pas se renfermer en elle-
même. « Elle sent le besoin, dit saint Thomas, de
manifester au dehors la foi qui fait ses délices ; Pietas
est manifesiaiiva fidei. » Sans vanité comme sans ef-
forts, sans affectation comme sans fanatisme, elle se
fait une gloire et un bonheur en même temps de con-
fesser par la langue ce qu'elle croit par te cœur.
Croire en Jésus-Christ, c'est vivre dans l'ordre spiri-
tuel ; c'est Jésus-Christ lui-même qui l'a dit ; Omnis
qui crédit in me... vivit (Joann^xi). Comme la vie
du corps se manifeste par la respiration, de même
cette vie spirituelle, ineffable de l'âme, se fait con-
naître par la confession. Cette confession de la foi,
véritable respiration de l'âme, se fait aussi aisément,
je dirais presque aussi naturellement, que la respira-
tion du corps. Aussi ces âmes lâches qui rougissent de
Jésus-Christ, ces âmes faibles, à qui il en coûte trop
de paraître chrétiennes, et dont, par conséquent, cette
mystérieuse respiration du cœur, cette manifestation
naïve de la croyance divine par le langage, ne se fait
pas sentir du tout, ou n'est qu'une respiration hale-
tante, difficile, ce sont des âmes mortes ou près do
mourir à la vie de la foi ; elles ne sont pas pieuses,
elles ne sont pas chrétiennes.
88 HOMÉLIE II. — LA FEMME MALADE ,

8. Pourquoi Jésus-Christ a voulu que Véronique publiât elle-


même la guérison qu'elle avait obtenue. Touchante bonté avec
laquelle le Seigneur a récompensé Véronique de sa confession, eu
la déclarant « Sa fille. > Amour lilial de Véronique pour Jésus-
Christ. Le saint voile de Véronique. Vie et mort de cette admira-
ble femme après l'ascension du Seigneur. Le monument qu'elle
lui érigea â Césarée.

Mais pourquoi le Seigneur a-t-il voulu obliger cette


excellente et pieuse femme à manifester en public ce
qui venait de lui arriver? Ah! le doux, l'aimable Jésus
n'a pas voulu p a r l a , dit saint Chrysostôme, humilier
cette noble âme, mais la consoler, la délivrer de la
peur qui l'avait saisie d'avoir agi en secret, et d'avoir
en quelque manière volé le prodige (1). Saint Pierre
Chrysologue dit aussi que Jésus-Christ n'a voulu, de la
part de Véronique, la belle confession publique qu'elle
vient de faire, que, d'abord, afin de donner au peuple
une nouvelle preuve de sa divinité par un fait par
lequel il était évident que Jésus-Christ connaissait tout
et pouvait tout; en second lieu, afin que tout le
monde connût l'humilité profonde, la foi sublime, la
confiance sans bornes de Véronique, et de quelle ma-
nière ces vertus avaient été récompensées; en dernier
lieu, afin de la proposer comme modèle de ces vertus
à ses Apôtres, aux chrétiens, à tout le monde (2).
En effet, ces résultats obtenus par une si belle con-

(1) « Non permisit latere, ut solveret timorcm mulieris, ne a con-


te scientia pungatur, quasi donum furata fuisset (Loc. cit.). »
(2) « Ad confessionem eam induxit, et monstravit se nosse (et
« posse) omnia. Omnibus fidem ostcudit, ut eam imitenlur (Serin.,
« 33). »
OU LA PIÉTÉ. 89

fession, Jésus-Christ se mit à regarder d'un œil plein


de bonté Véronique, qui venait de retomber à ses
pieds confuse et tremblante, mais confiante et heu-
reuse d'avoir prêché au peuple la puissance, la bonté,
la divinité du Sauveur*, et, avec l'accent de la plus
grande amabilité et de la plus grande douceur, il lui
dit : « Ma fille, n'ayez pas peur; ne craignez pas que
j'aille vous reprocher votre foi, que je viens de récom-
penser par un prodige. Allez en paix; je vous con-
firme et pour toujours ce prodige, prix et conquête
d'une si grande foi. Vous êtes guérie pour toujours
de votre infirmité; At Jésus conversxts et videns eam,
dixit ei : Confide, filia; fides sua te salvam fecit Vade
%

in pace\ et esto sana a plaga tua (Matth. 2 2 ; Marc,


}

3 4 ; Luc, 48). »
Oh! que ces mots sont tendres, que cette révélation
est consolante, que cette promesse est précieuse! Oh !
que de charme ne renferme-t-elle p a s , cette parole :
« Ma fille! » Quelle faveur de la part du Fils de
Dieu d'appeler « sa fille » une pauvre et malheureuse
fille de l'homme! O h ! que le Seigneur est vraiment
bon et doux pour les âmes humbles, fidèles, droites et
sincères ! Quam bonus Israël Deus Us qui recto sunt
corde! Le divin Sauveur, non-seulement confirme à
Véronique la grâce que celle-ci vient d'obtenir de lui,
Esto sana a plaga tua, mais il exalte sa foi et ses vertus
en présence de ce même peuple devant lequel elle
s'était tant humiliée; Fides tua te salvam fecit; il lui
donne la paix du cœur, la paix avec elle-même ; Vade
in puce, indiquant par cette parole, dit saint Chrysos-
tôme, qu'il venait de lui pardonner, d'effacer tous ses
90 HOMÉLIE 11. — LA. FEMME MALADE,

péchés, et qu'en la guérissant par rapport au corps, il


avait aussi, par la grâce sanctifiante, purifié, sanctifié
son âme (1). Car, d'après la remarque d'Origène, toutes
les fois que le divin Sauveur a opéré des prodiges, il
convertissait à foi les âmes de ceux qui en étaient
l'objet, avant d'accorder à leur corps la santé et la
vie (2). Et enfin, en lui disant : « Ma fille , ayez con-
fiance, Confide, filia, » il la déclare sa fille chérie, la
fille bien-aimée de son cœur, la fille n'ayant désormais
plus rien à craindre, mais ayant tout à espérer de lui*
et par là il nous a fait entendre, dit encore saint Chry-
sostôme, que toute âme convertie, sanctifiée par la foi
et la grâce de Jésus-Christ, est par cela môme élevée,
à l'instant même, à la filiation, à l'amitié , à la ten-
dresse de Dieu (3).
O femme mille fois heureuse ! Y a-t-il rien de plus
élevé, de plus glorieux pour une créature de la terre,
que cet honneur d'être devenue la fille du Roi du ciel?
Mais remarquez, nous dit l'Émissène, que cette série
de grâces en une seule grâce, cette série de prodiges
en un seul prodige, dont l'aimable Sauveura comblé
Véronique, n'a été que l'effet du regard plein de mi-
séricorde et de puissance qu'il a daigné jeter sur elle :
Conrersus et videns eam. Heureuses les âmes que Jé-
sus-Christ regarde de cette manière, non-seulement
des yeux de son humanité, mais encore des yeux de sa

(1) « Ut cognoscat se etiam a peceatis mundatam. »


(2) « Sanat quidem primo, per fidem animam, deinde corpus. »
(3) « Fiiiam vocat, salvatam fidei ratione ; fides enim Christi Dei
« iiliationem praestat. »
OU LA PIÉTÉ. 91

divinité! Ces âmes sont, ainsi que l'a été Véronique,


délivrées de tout mal, de tout ce qui est vraiment mal,
et enrichies de tout ce qui est vraiment bon (1). 0 bon
et aimable Jésus ! daignez vous tourner vers nous tous ;
jetez sur nous tous un de ces regards de votre misé-
ricorde ; et nous aussi nous serons consolés, nous se-
rons sauvés ; Ostende faciem tuam et salvi erimus
(Psat. LÏXIX).
Devenue, depuis ce moment, la fille spirituelle la
plus tendre et la plus dévouée du Sauveur, Véronique
s'empressa de lui prouver son amour filial par ses œu-
vres. Le suivant partout. saintement avide d'entendre
ses doctrines, elle se montra aussi généreuse à les pra-
tiquer que fidèle à les croire. Se pénétrant de l'esprit
de l'Évangile, même avant la publication de l'Évangile,
elle se fit un bonheur de réaliser sa foi par sa charité.
Ce fut d'ahord l'une de ces femmes généreuses qui,
comme nous l'atteste saint Luc, consacrèrent leurs
biens à nourrir le Fils de Dieu et ses Apôtres. Lorsque
ce divin Sauveur alla au Calvaire y consommer l'œuvre
du salut du monde, Véronique Ty suivit (2) en compa-
ti.

(1) « Vidit oculis divinis, non humanis. Donatur bonis, caret m a -


« lis, quem videritDeus [Exposit.). »
(2) On sait que Y Évangile de Piicodème est apocryphe; mais,
tout apocryphe qu'il est comme évangile, il ne contient pas moins,
d'après la remarque du grand interprète Cornélius, quelques faits
vrais, et que la tradition a confirmés. Il en est ainsi de la tradition qui
se trouve dans ce prétendu évangile : que la femme qui essuya la
sueur du visage du Seigneur allant au Calvaire, a été l'Hémorroïsse,
et qu'elle s'appelait Véronique. Car ce même fait est attesté par
e
L. Dexter dans sa Chronique à Tannée 4 8 de Jésus-Christ, par ces
92 HOMÉLIE 11. — LA. FEMME MALADE ,

gnie des autres saintes femmes, en rendant par ses


larmes un hommage public à l'innocence et à la sain-
teté de Jésus-Christ, et en le consolant par sa douleur.
Mais, plus courageuse que les autres, bravant la haine
des Pharisiens et la cruauté des bourreaux, elle s'ap-
proche de Jésus-Christ tombé sous le poids de sa croix ;
et, en véritable fille, cette même femme qui jadis avait
à peine osé toucher en tremblant le bord du vêtement
du Seigneur, élève ses mains pures jusqu'au saint visage
du Rédempteur, et en essuie la sueur et le sang. Et,
en récompense de ce sublime acte de religion et de
charité, elle a l'insigne bonheur, ainsi que la tradition
chrétienne l'atteste, de reporter les traits de la figure
du Fils de Dieu dans ce linge précieux qui est resté
jusqu'à, nos jours Tune des plus authentiques reliques
de la passion du Seigneur, et l'un des plus beaux mo-
numents de religion (1).
Après l'ascension du Seigneur, Véronique ayant, à
son retour delà France, déposé à Rome le précieux
voile qui avait touché l'auguste front du Sauveur, se
retira à Césarée sa patrie, ou elle continua à pra-
tiquer envers les pauvres de Jésus-Christ ce dévoue-
ment généreux qu'elle avait pratiqué envers la per-
sonne de Jésus-Christ lui-même, et couronna par une

mots : « Veronica, sancta mulier a Gallia, Romam venit, ibique di-


« vino Vultu relicto, miraculis clara migravit ad Dominum, quam
« dicunt a Christo sanatam sanguinis fluxu. »
(l) Ce Voile sacré apporté par Véronique se conserve et se vénère
à Rome, dans la basilique de Saint-Pierre, où, trois fois dans Tannée,
on le montre aux fidèles, du haut de la loge, au-dessus de la belle
statue de la Véronique même.
OU LA PIÉTÉ 93

mort précieuse et sainte sa vie de foi (1) et de cha-


rité.

9. La vraie Piété est aussi charité. La femme vraiment pieuse a l'in-


telligence des besoins du pauvre, et est heureuse d'y apporter re-
mède. La piété égoïste flétrie.

Apprenons donc par l à , mes frères, que la vraie


piété est aussi charité; car, par cela même qu'elle nous

(1) En mémoire du prodige qu'elle avait reçu du divin Sauveur,


Véronique lui éleva, devant sa maison, au milieu de la place de Cé-
sarée, un monument en bronze, sur un piédestal du marbre le plus
précieux. Ce monument représentait Jésus-Christ étendant sa main
sur Véronique agenouillée, et priant à s e 3 pieds. C'a été la première
statue que la piété chrétienne ait érigée au Sauveur du monde ; et ce
n'est pas la moindre des gloires de Véronique d'avoir, elle, la pre-
mière, donné l'exemple et commencé la tradition apostolique de la
doctrine du culte des images.
Cet acte public, solennel et permanent de la reconnaissance filiale
et de la sublime religion de Véronique n'est pas resté sans récom-
pense, même sur cette terre. A l'honneur de cette grande femme, et
à la gloire de la vraie piété, le Seigneur daigna montrer combien cet
acte lui avait été agréable, au moyen d'un nouveau prodige qui s'est
renouvelé tous les ans pendant près de trois siècles. Dans la largeur
du piédestal des deux dites statues, poussait tout autour une herbe in-
connue en Orient ; et lorsque cette herbe arrivait à toucher par ses
bouts les bords du vêtement du simulacre du Sauveur, elle se trouvait
avoir la vertu miraculeuse de guérir des infirmités les plus désespé-
rées ceux qui se l'appliquaient avec la foi avec laquelle Véronique
avait touché la frange de la vraie robe du Seigneur : Aliéna species
plantx orta quœ ad eenei diploidis oras pertingens medicina om-
nium passionum esse ferebatur t dit Théophylacte.
L'àme impie de Julien l'Apostat ne pouvant pas supporter ce mo-
nument éloquent de la divinité de Jésus-Christ, en fit enlever les sta-
tues du Seigneur et de Véronique, et eut le triste courage d'y faire
94 HOMÉLIE II. — L A FEMME MALADE,

pousse à aimer Dieu comme notre père et à avoir du


zèle pour tout ce qui tient à Dieu, la piété, dit saint
Thomas, engage aussi le chrétien à s'intéresser à
l'homme , qui est l'image de Dieu, à le secourir dans
ses misères et le soulager dans ses douleurs -, en sorte
que les œuvres de la miséricorde sont de l'essence de
la vraie piété (1). Cela est si vrai, dit saint Augustin,
que Dieu lui-même n'est appelé PIEUX qu'en tant qu'il
ordonne avant tout à l'homme d'être miséricordieux
pour l'homme, et qu'il déclare que les œuvres de la
miséricorde lui sont plus agréables que les sacrifi-
ces (2). A h ! la vraie piété ne s'absorbe pas en elle-
même, ne se renferme pas en un saint égoïsme insen-
sible aux misères et aux malheurs des autres. C'est là
le quiètisme de l'hérésie , ce n'est pas la piété que la
grâce du vrai christianisme inspire. C'est là le mysti-

substituer sa propre statue; mais en vain, car, au lieu de pousser


une herbe miraculeusement salubre, le piédestal du monument, qui
était resté, attira du ciel des foudres visiblement vengeresses, qui
renversèrent et réduisirent en poussière la statue sacrilège de ce lâ-
che ennemi de Jésus-Chriôt; et elle n'y fut plus rétablie. Il n'y a pas
moyen de douter de la vérité de ce récit. Eusèbe, Sozomène et l'au-
teur de Y Histoire tripartite, Théophylacte, qui en parlent (locis
sup. citatis), sont des écrivains presque contemporains du fait, et
l'un d'eux était de la ville même de Césarée. Ils ont donc raconté ce
qu'ils ont pu voir de leurs propres yeux, ou dont la tradition était
très-récente. Voilà donc encore quelque chose un peu dur à mordre
pour les iconoclastes 1
(1) « Ex consequenti pietas subvenit in miseria constitutif; et
d,t:
« opéra misericordire pertinent ad pietatcm (2, 2 q. 1 2 1 , a. i). »
(2) « Opéra misericordiae prœcipue mandat Deus, quae sibi prœ sa-
« criliciis piacere testatur ; ex qua consuetudine factum est ut Deus
« ipse PUIS diceretur (De Civit. Dei, lib. x, c. 2). »
OU LA. PIÉTÉ. 95
cjsme de la philosophie, aussi froid que la raison, aussi
stérile que le néant; qui n'étudie pas l'homme pour le
secourir, mais pour le corrompre et pour l'égarer; qui,
le mot sacré HOMME toujours au bout de sa plume ou de
ses lèvres, ne l'a pas dans son cœur -, qui ne connaît
pas l'homme ni ses vrais besoins, et encore moins
g'empresse-t-il d'y porter remède. La vraie piété laisse
a la science à causer des moyens d'améliorer la condi-
tion de l'humanité, et elle s'empresse de les pratiquer.
C'est la virilité de l'âme qui n'a pas de s e x e , que les
hommes du monde ont usée par le doute ou par la dé-
bauche , et qui s'est réfugiée dans le cœur des vrais
chrétiens, et particulièrement dans la femme. C'est
cette virilité, œuvre de la grâce, signe manifeste de la
créature remplie de Dieu et recopiant en elle-même
l'image de la sagesse et de sa puissante bonté, qui
donne à la femme chrétienne cette intelligence de la
misère et du malheur dont parle l'Ecriture sainte, et
ce courage de tout oser pour les faire cesser, qui font
son bonheur ; Beatus qui intelligit super egenum et
pauperem (Psal. XL). De là dans la femme vraiment
pieuse cette vie à double esprit, à double face : cette
vie d'oraison et d'action, d'amour de Dieu et de dé-
vouement pour l'homme, qui n'est que la radiation de
la vie cachée, de la vie mystérieuse de Jésus-Christ en
elle, et qui se traduit au dehors par des œuvres de
justice et de charité qu'elle seule peut produire.
La vraie piété est autant heureuse à lTlotel-Dieu
qu'au temple de Dieu; au grabat du pauvre qu'à la
sainte Table; à essuyer les larmes, à panser les plaies,
à adoucir les souffrances du petit de Jésus-Christ qu'à se
96 HOMÉLIE II. — LA FEMME MALADE,

nourrir de Jésus-Christ. Les jours où elle est assez heu-


reuse de pouvoir revêtir, nourrir le pauvre, instruire
ses enfants, soigner son épouse malade, répandre dans
son cœur le baume de la consolation et de l'espérance,
ces jours-là sont, d'après la belle pensée de saint Gré-
goire, des jours de fête, des jours de banquet pour la
vraie piété, parce que les œuvres de charité sont la
vraie nourriture du cœur, la seule nourriture qui le
rassasie et le fait heureux (1).
Cela vous explique le prodige, que les hommes du
monde admirent sans pouvoir le comprendre, de cette
tendresse toute maternelle, de cette tendresse vigi-
lante, active, inventrice, constante, généreuse, que la
femme vraiment pieuse apporte dans l'exercice de la
miséricorde, jusqu'à faire croire qu'en se livrant à de
pareilles œuvres, elle est plus heureuse de faire le bien
que les autres de le recevoir.
Quant à cette piété que saint Paul a stigmatisée,
qui n'est qu'un pieux trafic auquel on s'adonne dans
l'espérance d'un gain, Hominum existimantium quœs-
ium esse pietatem (I Tira., vi, 5 ) ; ou à cette piété
q u i , trop scrupuleuse de ne pas négliger ses longues
prières, ne l'est pas du tout d'accomplir ses devoirs;
qui s'étale dans les églises, et que le pauvre, le mal-
heureux ne connaissent p a s , et qui laisserait plutôt le
monde tomber en ruine que de se déranger un seul
instant et se dérober à la sainte oisiveté de sa dévotion ;
c'est là une fausse piété , une piété d'humeur, de ca-

( i ) « Pietas in die suo convivium exhibet, quia cordis viscera m i -


a serieordiœ operibus replet {MoraL, 1, c. 12). »
OU LA PIÉTÉ 97
p r i é e , d'égoïsme; c'est cette piété de masque et de
vanité, poursuivant les apparences de la religion et en
abjurant la vertu, cette piété que saint Paul a flétrie
aussi, et conseillé d'éviter comme la peste-, Habentes
speciem pieîaiis : virtutem autem abnegantes; et hos
deviia (II ïïm., ni). Autant la vraie piété est utile à
tout, Ad omnia utilisest, autant cette fausse piété ne
sert à rien. Autant la vraie piété fait dans ce monde
et dans l'autre le bonheur de ceux qui l'ont embrassée,
Promùsiones liabens vitce quœ nUnc est futurce^ autant
cette fausse piété est une source de péchés pendant la
vie, et de malheur après la mort.

DEUXIÈME PARTIE.

L'ÉGLISE MODÈLE DE LA VRAIE PIÉTÉ.

30. L'état de Véronique avant sa guérison, figure de l'état de l'Église


des Gentils avant sa conversion.

ÉLEVONS encore plus haut nos pensées, mes très-


chers frères, et, après avoir pénétré le sens littéral de
l'histoire touchante de Véronique, tachons, à la lu-
mière des Pères de l'Église, d'en connaître aussi le
sens allégorique ou prophétique, et arrêtons-nous
quelques instants à nous réjouir aux grands mystères
qu'elle renferme.
Véronique, travaillée par le flux de sang, qui est
une infirmité impure aux yeux des hommes, signifie,
dit la Glosse, la Gentilité, que les rites sanguinaires de la
superstition, de l'idolâtrie, et la corruption de tous les
98 HOMÉLIE H. — LA FEMME MALADE,

vices charnels, dégradaient, et rendaient impure et


odieuse aux yeux de Dieu (1). C'est pour cela que l'évan-
géliste saint Jean appelle des enfants nés de la chair et
du sang ceux qui ne sont pas nés de Dieu par le baptême
et la grâce de la vraie religion ; Qui non exsanguinibus,
neque ex voluntate carnis , sed ex Deo nati sunt
(Jean, 1). Véronique donc, que l'impureté de sa ma-
ladie faisait exclure de toute maison, de toute ville, de
toute société humaine, et l'a obligée de recourir à J é -
sus-Christ sur la voie publique, exprimait d'une ma-
nière frappante, dit Drutmare, la condition malheu-
reuse du peuple païen, que son ancienne inclination et
ses transports pour les plaisirs de la chair séparaient de
la communauté des fidèles adorateurs du vrai Dieu, et
qui, ayant appris que le Verbe éternel était descendu
du ciel pour les Juifs, s'est présenté à lui, et, par la
promptitude de sa foi, a emporté, avant les Juifs
mêmes, la grâce du salut (2).
Afin de rendre plus expressive cette figure, l'Evan-
géliste a remarqué que la fille de Jaïre, qui venait de
mourir, n'était âgée que de douze ans; Filia erat fere
annorum duodecim, et que Véronique aussi était ma-
lade depuis douze ans ; Mulier quœ patiebatur fiuxum

(1) « Fluxus sangulnis intelligebatur et de pollutione idololatria?,


«i et de his quœ camis delectatione gerebantur. »
(2) « Sicutista exclusa erat domibus, et turbis, propter sanguinis
« immunditiam, et propter ea in via venit ad Dominum ; sic Gentilis
« populus exclususerat a cœtu fidelium, pollutugingenitocarnalium
« iluxu; sed cumVerboDei cerneret sahari Judaeam, rapuit sibi sa-
« lutem. »
OU LA PIÉTÉ. 99

sanguinis duodecim annorum. C'est-à-dire que son in-


firmité commença précisément au même temps que
naquit la fille de Jaïre. Par cette remarque, l'Ëvangé-
liste a voulu, dit saint Jérôme, appeler notre attention
sur ce fait historique : Que l'idolâtrie, avec l'infâme
cortège de toutes ses erreurs et de tous ses vices, n'a
pas été la religion primitive de l'homme; mais qu'elle
n'a commencé à devenir générale dans le monde que
douze siècles, à peu près, avant la venue de Jésus-
Christ au monde; et que la gentilité n'a commencé à
devenir immonde du crime de l'idolâtrie que précisé-
ment au temps où la synagogue des Juifs fut constituée
en Église publique, et en quelque manière naquit des
patriarches et des prophètes (1).
Il s'ensuit de là, ajoute Rabanus, que tant que la
synagogue fut pleine de santé et de vie, la gentilité fut
malade et mourante; et qu'elle, la gentilité, n'a re-
couvré sa santé et sa vie spirituelle qu'au temps où la
fille de Jaïre, la synagogue, mourut, à cause de son
crime contre le Messie (2).
Les médecins, ou malhabiles, ou trompeurs, qu'a-
vait écoutés Véronique au préjudice de tout son bien ;
Et in medicos erogaverat omnem substantiam, signi-
fient, dit Haymon, les faux théologiens, les prêtres

(1) « Jairi filia DUODENIS, et mulier DUODECIM annis sanguine fluxit.


« Scilicet tempore quo Ula nata est, hsec cœpit infirmari. Una enim
« pari saeculi aetate et synagoga cœpit ex patriarchis nasci et genti-
« lium natio idololatriœ sanie fœdari (Commentar. in Matth.). »
(2) • Sic quamdiu synagoga viguit, laboravit Ecclesia; et illius
« delicto salus gentium facta est (Comment.). »
100 HOMÉLIE II. — LA. FEMME MALADE,

imposteurs, les philosophes orgueilleux du paganisme,


qu'avait suivis la gentilité malheureuse, et à la suite
desquels elle avait usé toutes les facultés de l'esprit,
tous les sentiments du cœur, sans avoir jamais pu re-
trouver la vérité et la grâce, qui font la vie et la santé
de l'âme (1).
Drutmare ajoute : Les leçons et les préceptes que
donnaient les philosophes, comme des remèdes infail-
libles pour la pratique du bien, n'étaient, au fond, que
de la poésie pour amuser, et non pas des doctrines ca-
pables de réformer les mœurs. Et les malheureux
païens n'ont fait que perdre toute leur étude et leur
labeur à les écouter (2). Oh! que de disputes, dit tou-
jours le même interprète, ont excitées les philosophes
sur l'âme! Mais leurs contradictions perpétuelles, au
lieu de l'améliorer, n'avaient fait qu'empirer davan-
tage la condition lamentable des âmes : comme les
contradictions des médecins, au lieu de les guérir, ne
font que tuer les corps (3).
La loi de Moïse, dit saint Pierre Chrysologue, ne
fut ni plus efficace ni plus heureuse que la philosophie
pour guérir les infirmités morales de la gentilité, dont
Véronique fut la figure. Ce peuple infortuné, affligé de

(1) a In medicos, id est falsos theologos, divinos et philosophos


« gentium, substantiam suam, id est omnem inteilectum Gentili-
« tas expenderat ; sed non potuit ab iilis animas salutem recipere
« (Expos.). »
(2) « Omnem laborem gentilitas expendit in poematibus pbiloso-
« phorum. »
(3) « Philosopbi de anima disputarunt, sed ad veram medicinam
« sentilium populnm non adduxcrunt (WdX »
OU LA PIÉTÉ. 101
la maladie originelle qu'il avait contractée parle péché
du premier homme, saignant toujours davantage, ne
marchait qu'à la mort ; et la loi ne lui offrait pour tout
remède qu'une défense sévère d'approcher du temple,
et de prendre part aux sacrifices et aux cérémonies
religieuses du véritable Dieu (1).
Pendant que la vraie Véronique, la gentilité, lan-
guissait dans un état si pitoyable et si désespéré, J é -
sus-Christ se met en chemin en suivant Jaïre -, Jésus
sequebatur eum. C'est-à-dire, d'après les interprètes,
que Jésus-Christ est venu au monde à la suite de Moïse ;
car c'est Moïse qui, le premier de tous les écrivains sa-
crés et de tous les prophètes, avait, par la loi et ses
prophéties, tracé en quelque manière la route que le
Messie aurait suivie, et que le Messie a suivie en effet,
en accomplissant à la lettre tout ce que Moïse avait
prédit de lui (2). Et c'est encore pour cela que Jésus-
Christ lui-môme a nominativement proclamé Moïse
comme son prophète, son précurseur, son h é r a u t ,
ayant dit aux Juifs : Sachez que les livres de Moïse ren-
ferment mon histoire et ma vie ; De me enim ille
(Moyses) scripsit (Joan., v). Jésus-Christ donc, qui, en
suivant Jaïre, va ressusciter sa fille, est encore, dit
çaint Rilaire, le Verbe éternel qui, comme il l a déclaré

(1) « Ita et Ecclesia Gentium, quae primi hotninis vuinerata pec-


• eato, tota fluebat sanguine, tota originaliter decurrebat in mor-
• t e m ; quam non valuit Lex ipsa mundare; imo jusserat arceri
« templo, probiberi sacris, sanctis omnibus abstinere (Ser., 36). »
(2) m Sequebatur eum ; » quia sicut Moyses prsedixit de iilo, s x
« per omnia fecit Deus (Gloss.). »
102 HOMÉLIE II. LA FEMME MALADE.

lui-même, était venu sur la terre directement pour le


salut des brebis d'Israël, pour les Juifs, auxquels il
avait été principalement promis. Et Véronique q u i ,
pendant ce voyage de Jésus à la maison de Jaïre, se
présente au Sauveur, l'arrête sur la voie publique, et
en obtient sa guérison, est aussi la gentilité qui, par sa
foi, s'est approchée pour toucher le Seigneur, et a reçu
le salut éternel de la part de ce même Messie qui pa-
raissait n'être venu que pour les Juifs, puisqu'il était
né parmi eux (1).

11. Toutes les circonstances de la guérison de Véronique, figures et


prophéties des circonstances qui ont eu lieu dans la conversion de
l'Église des Gentils. L'Église « Fille chérie » de Jésus-Christ.

Mais qu'ils sont touchants et délicieux les mystères


que les circonstances de cette guérison ont figurés! Il
est dit d'abord que Véronique ne s'est pas présentée
devant le Seigneur, mais qu'elle s'est approchée de lui,
venant APRÈS LUI; Mulier venit rétro. Or, s'approcher
de cette façon de Jésus-Christ, dit Drutmare, c'est l'ac-
compagner, le suivre dans la voie de ses doctrines,
c'est imiter ses exemples; Jésus-Christ ayant d i t :
« Celui qui veut me servir n'a qu'à me suivre. » Voilà
donc la condition de nos pères gentils nettement tra-
cée. Ces premiers chrétiens des Gentils, desquels nous
descendons, ne sont venus à Jésus-Christ qu'après qu'il
fut monté au ciel. Ils n'ont fait donc que marcher

( 1 ) « Ad hanc principis filiam dum properat Verbum Dei, ut sal-


« vos faceret fllios Israël, sancta Ecclesia, de gentibus congregrata,
« fide perccpit sanitatem (Comment.). •
OU LA PIÉTÉ 103
après lui, le suivre en croyant en lui, en se dévouant à
lui (1).
Véronique est guérie par l'attouchement, non pas de
la sainte chair, mais de la frange de la robe du Sei-
gneur. O r , comme la robe du Seigneur signifie, dit
Rabbanus, son incarnation, par laquelle la personne
du Verbe se revêtit de notre humanité, de même la
frange de sa robe signifie les dogmes de la foi qui dé-
coulent de son incarnation même, ou qui sont renfer-
més dans ce mystère. Véronique donc ne touchant que
les extrémités du vêtement du Seigneur, est encore
l'Église des Gentils, notre mère, qui, sans avoir vu le
Sauveur dans sa chair mortelle, mais écoutant ses apô-
tres, en a saisi le mystère de l'Incarnation, en le
croyant sur leur parole (2).
C'est aussi la pensée du grand saint Hilaire, le pre-
mier et le maître des interprètes latins des Évangiles >
qui a dit : Véronique s'empressant de toucher le bord
du vêtement du Seigneur est l'Église de nous autres
Gentils, qui s'est hâtée de ramasser les dons du Saint-
Esprit dépendant du mystère de l'Incarnation, comme
la bordure dépend de la robe à laquelle elle est unie(3).

(1) « Aecedere rétro est Christum imitari et sequi ; quia cum


« Christus in cœlum ascendit, gentes credere cœperunt; sicut ipse
« dixit [Joan.) : Qui mihi ministrat me sequatur (Comm.). »
(2) « Vestimentum Christi dicitur Incarnationis mysterîuni, quo
« Divinitas induta est. Fimbria vestimenti, verba de ejus lncarna-
« tione dependentia. Non autem vestem sed fimbriam tetigit, quia
« non vidit in carne Dominum gentilis populus sed per apostolos
s

« verbum incarnationis suscepit. »


(3) « Ecclesia Gentium fimbriam vestis per fidem festinat attin-
104 HOMÉLIE 11. LA FEMME MALADE,

Faites aussi attention, nous dit saint Augustin, à la


circonstance que Véronique est guérie par le Seigneur
sans que le Seigneur Tait vue; qu'elle est cherchée par
lui comme étant éloignée de lui, et reçoit la grâce
comme lui étant présente. C'est précisément la prophé-
tie, la figure de ce qui allait arriver à nos pères gentils,
qui, cherchés, comme étant éloignés, par Jésus-Christ
représenté par ses Apôtres, ont été guéris de l'infirmité
de leurs âmes, comme si Jésus-Christ eût été présent
parmi eux. Ce divin Sauveur n'est pas dans la sainte
Eglise catholique, comme il l'a été dans la synagogue
pendant sa vie mortelle, par la présence visible de son
corps; mais il y réside toujours d'une manière réelle,
par ses sacremenls, par sa vertu, par sa grâce, par sa
vérité (1).
Enfin, Jésus-Christ se tournant vers la femme ma-
lade, et la regardant avec l'expression de la plus
grande bonté; Jésus autem conversus vidit eam, est,
dit Haymon, Jésus-Christ voulant, dès ce moment,
nous donner un signe sensible, un gage do la ten-
dresse avec laquelle il aurait regardé son Église, et,
dans son Église, vous toutes, âmes vraiment chré-
tiennes et fidèles, qui êtes l'ornement et la gloire de
l'Église (2).

« gère : donum, videlicet, Spiritus saneti, de Christi corpore, modo


« flmbriae, exeuntis (Loc. cit.), »
(1) « Ista mulier absentiamcorporis Domini et prœscnttam virtu-
« tis in omnibus gentibus signifuavit. Dominus tamquam absentem
« requirit, tamquam praesentem sanat (Ser. 6, de Verb. Domin.). »
(2) « Conversus ad eam » clementiam désignât quam habet erga
« Kcclesiam. »
OU LA PIÉTÉ. 105
Jésus-Christ, en regardant Véronique avec tant de
tendresse, l'appelle « sa fille » Confide, filia, parce
que, dit saint Chrysostôme, sa vive foi dans la divi-
nité du Sauveur l'avait fait devenir son enfant bien-
aimée (1). Et la sainte Eglise aussi, à laquelle nous
avons le bonheur d'appartenir, est appelée la fille de
Dieu dans les saintes Écritures; fille chérie, faisant,
par le charme de son dévouemeut, par la beauté de
ses vertus, les délices du regard et du cœur du Roi des
cieux ; Audi ^ filia, et vide\ et concupiscet rex décorent
tuum (Psal. XLIV).

12. En dehors de l'Église catholique on ne fait que prolester ; c'est


seulement dans cette Église qu'on croit. L'amour de Dieu et la cha-
rité pour les hommes, des hérétiques. Seule l'Église catholique
aime parfaitement Dieu et les hommes ; et par conséquent elle seule
est vraiment pieuse, et l'Église véritable.

Mais que les malheureux chrétiens que le schisme


ou l'hérésie ont séparés de nous ne se fassent pas illu-
sion! Cette Église, si bien figurée par l'histoire de la
femme malade, n'est pas et ne peut pas être l'Église
de Photius, ni l'Église de Luther, ni l'Église de Cal-
vin, ni l'Église de Henri VIII, ni aucune enfin de ces
Eglises s'appelant fastueusement orthodoxes, èvangè-
ligues ou réformées, que des hommes ont établies sous
l'inspiration, à l'aide et à l'avantage des passions
humaines.
Il n'y a pas une seule de ces Églises qui n'ait com-
mencé par un acte de rébellion à l'autorité de l'Église
universelle, c'est-à-dire par l'orgueil. Il n'y a que

(0 « Quia eam fides filiam effecerat. »


106 HOMÉLIE I I . — L A . FEMME MALADE,

l'Église catholique où l'autorité .même sert, où la


science même est humble, où la hauteur même s'a-
baisse, où la grandeur même se croit petite. Il n'y a
que l'Église catholique qui soit restée dans la première
des conditions de la vraie piété, Yhumilitê.
Dans ces réunions de chrétiens qui se sont formées
hors du catholicisme, il y a une foule d'àmes simples
qui par un reste d'habitude catholique croient en
Jésus-Christ sur l'autorité du ministère enseignant,
et qui sont dans un état d'ignorance invincible (dont
Dieu seul est le juge) par rapport aux vraies doctrines
et aux caractères de l'Église. Ce sont particulièrement
les gens du peuple, dont on dirait presque qu'ils
croient catholiquement même les erreurs qui les sépa-
rent du catholicisme. En dehors du corps de l'Eglise,
ils peuvent bien appartenir à son esprit, comme il y a
des catholiques qui n'appartiennent pas à l'esprit de
l'Église, tout appartenant à son corps. Mais quant aux
personnes instruites, qui connaissent les vraies causes,
les vrais principes du schisme et de l'hérésie au sein
desquels ils vivent; quant aux vrais schismatiques,
aux vrais protestants d'esprit et de cœur, ne croyant
qu'à leur raison, à leurs lumières, on peut dire qu'ils
n'ont pas la foi, et même, selon l'arrêt de Tertullien,
qu'ils ne sont pas chrétiens (1). On n'est pas chrétien
en ne croyant qu'à soi-même. Le nom de protestant,
que ces différentes sectes se sont attribué, exclut la foi.
Protester ce n'est pas croire. Le schismatique même,

(i) « Si hxretici &unt, Chriatiani non sunt. >


OU LA PIÉTÉ. 107
tout en rejetant comme une flétrissure le nom de pro-
testant, n'en proteste pas moins, lui aussi, contre
l'autorité et l'unité de l'Église. C'est un protestant à
. moitié, un protestant contre une ou deux vérités;
comme l'incrédule, l'athée est un protestant complet,
un protestant achevé, qui proteste contre toute vérité.
Hors de l'Église catholique, on ne fait que protester
plus ou moins effrontément contre un plus grand ou
un plus petit nombre de vérités. Il n'y a que l'Église
catholique qui admet, qui garde toute vérité, qui n'en
exclut aucune, qui les croit toutes; qui admet tout,
et ne proteste contre rien : si ce n'est contre toute
erreur, toute injustice et tout péché. Ailleurs on pro-
teste-, chez nous on croit. La seconde condition de la
vraie piété, la foi ; la foi n'ayant aucun défaut, aucune
ombre, aucune tache, la foi complète, la foi par-
faite, la foi que Dieu inspire, et qui élève et sanctifie
l'homme, n'est donc que dans l'Église catholique.
Regardez aussi aux sentiments qui, hors de l'Église,
dominent dans les cœurs par rapport à Dieu et à
Jésus-Christ son fils. C'est du respect sans la confiance,
ou c'est de la confiance sans le respect. La crainte de
Dieu y est sans amour, ou le prétendu amour de Dieu
y est sans crainte. On tremble sans espérer, ou Von
^ppère sans trembler. La Divinité, ou effraye trop, ou
n'effraye pas du tout. La Divinité n'y est qu'un cau-
chemar qui épouvante, ou un jouet qu'on méprise. La
crainte n'y est que servile, l'espérance n'y est que
téméraire. Il y a dans tout culte hétérodoxe quelque
chose de sombre qui attriste le cœur, ou quelque chose
de futile, d'inepte, d'insignifiant qui le révolte. C'est
108 HOMÉLIE II. — L A FEMME MALADE.

dans l'Église catholique seulement qu'on craint Dieu


en l'aimant, qu'on l'aime en le craignant, et que la
confiance empêche la crainte de devenir du découra-
gement ; et la crainte empêche la confiance de devenir
de la présomption. C'est que dans l'Église catholique
seulement le Saint-Esprit répand dans les âmes le don
de la vraie piété, par lequel Dieu est honoré comme
maître et aimé comme père; et l'homme ne se consi-
dère comme son serviteur qu'en tant qu'il se sent être
son enfant.
Enfin trouve-t-on quelque p a r t , hors de l'Eglise
catholique, cet amour de l'homme qui n'est que le
reflet de l'amour de Dieu; cet esprit de charité qui
n'est que l'épanouissement radieux de V esprit de piété?
L'hérésie et le schisme, loin d'avoir su jamais en éta-
blir de nouvelles, n'ont fait que détruire, là où ils
l'ont pu, les anciennes institutions charitables que le
catholicisme avait fondées. Horriblement habiles à
couper, selon les expressions des Livres saints, toutes
les voies du secours des pauvres, à écraser les man-
suètes de la terre; Subverteruntpauperum viam; op~
presserunt mansueios terne (Job, xxiv); ils ont tou-
jours été impuissants à rien faire, à rien imaginer
même pour soulager les misères de l'humanité. Bien
des fois la fantaisie leur a pris de singer le couvent,
de jouer à la sœur de charité ; mais tout cela a échoué,
tout cela a fini par le scandale ou par le ridicule. Le
schisme n'a su qu'opprimer l'homme, l'hérésie n'a su
que l'exploiter. C'est le catholicisme seul qui a su le
soulager. C'est l'Église catholique seulement qui a su
inventer et qui invente toujours, au grand étonne-
OU LA. PIÉTÉ. 109

ment de l'univers, de nouveaux moyens d'améliorer


la condition du pauvre, de le consoler dans tous ses
malheurs, d'adoucir toutes ses peines, de remédier à
toutes ses infirmités. C'est que l'erreur est cruelle, et
qu'il n'y a que la vérité qui soit charitable-, c'est que
la bienfaisance et la philanthropie peuvent rêver les
secours du malheur, et qu'il n'y a que la charité qui
puisse les réaliser.
Quelle est donc la conclusion de tout cela? C'est
que l'Église catholique seule remplissant toutes les
conditions de la piété, elle seule est vraiment pieuse;
elle seule est Véronique; elle seule aime vraiment
Jésus-Christ comme son père, et en est aimée comme
sa fille, fille que son cœur divin chérit, que sa toute-
puissance protège, qui n'a à craindre pour sa durée,
ni les fureurs de l'enfer, ni la coalition des passions
des hommesf et qui, par conséquent, esf seule la vraie
Église, la vraie religion.
Et, puisque l'Église c'est la multitude des fidèles
réunis par la profession de la même foi, par la parti-
cipation aux mêmes sacrements, par l'obéissance aux
mêmes légitimes pasteurs, par les sentiments du même
amour, réjouissez-vous, ô âmes pieuses, qui avez le
bonheur d'être du nombre des vrais enfants de l'É-
glise! Le Dieu de bonté étendra encore sur vous en
particulier cette tendresse paternelle, cette protection
efficace dont l'Église en général est l'objet. Et vous,
hommes et femmes du monde, ne désespérez pas : vous
pouvez atteindre, vous aussi, le même bonheur, aux
mêmes conditions que la femme de l'Évangile, et c'est
ce que je vais vous dire encore dans ma dernière partie.
110 HOMÉLIE II. — LA FEMME MALADE,

TROISIÈME PARTIE.
LES PRATIQUES DE LA VRAIE PIÉTÉ.

13. Il faut croire,- mais la foi seule ne fait pas le chrétien. Nécessité
de la pratique du culte extérieur. La femme doit travailler à ra-
mener l'homme aux pratiques extérieures de la religion.

TOUTE l'histoire de Véronique se résume dans ces


trois mots : elle crut, elle dit, elle toucha. Voilà donc,
reprend la Glosse, ce que nous devons faire, nous
aussi. Le vrai chrétien est celui qui croit par le cœur,
qui confesse par la langue, qui réalise par les œuvres
la foi et la loi de Jésus-Christ. C'est à ces trois condi-
tions qu'est attachée la guérison de toutes les infirmités
de l'âme, et la possession du salut éternel (1).
Comme donc la foi ne nous sauve pas sans les œu-
vres, de même les œuvres extérieures, la profession
extérieure du christianisme ne nous sauvent pas sans
l'esprit intérieur d'une foi humble, sincère et fervente.
C'est ce qu'a voulu nous inculquer le Seigneur, par
l'histoire que nous venons d'expliquer. Ayant dit à
Véronique : « Ma fille, ne craignez rien, votre foi
« vous a sauvée; Confide, filia; fides tua te salvam
tt fecit\ » ce fut, d'après Théophylacte, comme s'il
lui avait dit : « Femme, c'est en vain que vous auriez
touché l'extrémité de ma r o b e , si vous n'aviez pas

( l ) • Créditât, dixit, tetigit; quia tribus hisce, flde, verlio et


« opère, omnis salus acquiritur. »
OU LA PIÉTÉ. Hl

eu, en même temps, une foi vive, entière et parfaite


dans votre cœur. Le prix principal auquel vous avez
donc acheté la grâce que vous avez reçue, n'a été que
la foi (1). «
Mais Véronique non-seulement a cru, elle a dit; c'est
qu'il ne suffit pas, je le répète, de croire, il faut aussi
confesser; c'est-à-dire rendre à Dieu le culte extérieur,
public qui lui est dû, pratiquer la religion.
Car le culte de Dieu n'est, dit saint Thomas, que la
confession de notre foi en Dieu. Ce que nous disons
à Dieu, ce que nous faisons pour Dieu et qui se rap-
porte directement à Dieu, n'est que la traduction, la
profession publique de ce que nous croyons touchant
Dieu (2).
Or, la vraie piété, en tant que don du Saint-Esprit,
ayant Dieu pour objet, n'est, comme Va dit encore
saint Thomas, que la manifestation de la foi (3). Par
conséquent, la vraie piété n'est au fond que le culte
que nous devons à Dieu.
Le culte est de l'essence de la religion. Point de
religion sans culte. Il ne suffit pas, disait saint Paul,
de croire en Dieu dans l'intérieur de l'âme; il faut
aussi le confesser extérieurement par la langue; c'est
à cette foi, réalisée à l'extérieur par des actes, qu'est
attaché le salut; Corde credilur ad justitiam, oreau-

(t) « Ostendit quod nisi fidem habuis&et, benefieium non recepis-


* set, quamquam sanctas vestes tetigisset (Expos.). »
d
(2) « Per cultum Dei, protestamur fidem (2. 2 * q. 45, a. 1 1 ) . »
(3) * Pietas, quse pertinet ad Dei cultum, est manifestativa fidei.
« (Ibid.). »
H2 HOMÉLIE II. — L A FEMME MALADE,

fera confessio fil ad salutem (Rom., x ) . Si donc la


vraie piété n'est que le culte, si le culte est néces-
saire au salut, la vraie piété n'est pas une habitude de
surérogation dont on puisse se passer sans inconvé-
nient. La vraie piété est, elle aussi, nécessaire pour
obtenir le salut. Il est donc absurde de dire : « Je suis
chrétien parce que je crois; seulement je ne suis pas
pieux, je ne suis pas dévot. » On n'est pas plus chré-
tien par la foi sans les oeuvres, qu'on n'est homme
par l'âme sans le corps. Et parmi les œuvres, le culte
de Dieu occupe la première place. On ne peut pas se
sauver, n'ayant été chrétien qu'à moitié. Aussi ne se
faire jamais voir aux églises; laisser à sa femme ou à
ses filles, comme si ce n'étaient que des pratiques de
femmes, l'assistance au divin sacrifice et aux céré-
monies du culte, l'usage des sacrements, l'adoration,
la génuflexion, la prière; borner toute la religion à
croire (et encore Dieu sait comment!), et s'estimer
et se dire chrétien, c'est se faire illusion ; c'est ignorer
l'esprit, c'est négliger une partie essentielle des de-
voirs du christianisme; c'est se perdre.
Femmes assez sages, assez philosophes pour com-
prendre l'importance et la vérité de cette doctrine, et
assez courageuses et fortes pour la pratiquer, en dépit
des sarcasmes et des plaisanteries de mauvais goût de
la part de l'hérésie, de l'incrédulité et de la sottise,
ne vous contentez donc pas de rester fidèles à cette
doctrine pour votre compte, mais tâchez de la faire
comprendre et de la faire pratiquer aussi à vos époux,
à vos enfants, à vos frères. C'est là votre mission au
sein de la famille; c'est à son accomplissement que
OU LA PIÉTÉ. 113
vous (levez faire servir avant tout la puissance de vos
attraits et de votre dévouement. Rien n'est plus grand,
rien n'est plus beau devant Dieu, et même devant les
hommes, que la femme fidèle, sanctifiant, comme
parle saint Paul, c'est-à-dire attirant à la religion et à
ses pratiques l'homme, en tout ou en partie infidèle,
avec lequel elle est obligée de vivre : Sanctijicatus est
vir infidelis per mulierem fidelem (I Corinth., vu).
Enfin Véronique a ajouté à la foi de son cœur, à la
belle confession de sa langue, l'acte de toucher par
sa main pure le bord de la tunique du Sauveur; Cre-
didit, dixit tetigit. Et comme sa foi fut l'âme de cet
}

acte, cet acte fut à son tour la réalisation, le couron-


nement de sa foi, qui lui procura toutes les bénédic-
tions du Seigneur.

14. Qu'est-ce que toucher Jésus-Christ? La chair l'oppresse, c'est la


foi qui le touche. Comment ce double mystère s'accomplit encore
de nos jours. Châtiment auquel doivent s'attendre les malheureux
qui entourent Jésus-Christ sans le toucher. Encouragement aux
personnes pieuses. Exhortation atout le monde à pratiquer la vraie
piété.

Oh ! que ce mystère est beau et instructif ! dit saint


Augustin. Jésus-Christ était pressé de toute part par
la foule ; bien des gens du peuple touchaient de tout
leur corps, non-seulement ses vêtements, mais aussi
sa personne. Cependant le divin Sauveur ne dit d'au-
cun de ces hommes qu'il l'a touché ; il est au milieu
de tous ces hommes qui l'étouffent, comme si per-
sonne ne se trouvait près de lui (1). Mais à peine

( l ) « Sic ambulabat, quasi a nullo corpore tangeretur. »


i. 8
114 HOMÉLIE II. — LA FEMME MALADE.

Véronique touche le bord de su robe, que voilà le


Seigneur qui se sent comme piqué au cœur, et dit :
« Qui m'a touché? Quis vie tetigit? » C'est comme
s'il eût dit : « Toute cette foule qui m'entoure me
presse , mais elle ne me touche pas. Je cherche à
savoir qui a touché mon cœur par sa foi pratique,
agissante, et non pas qui accable ma personne par son
corps. Car la chair ne fait que m'opprimer; c'est seu-
lement la foi complète et parfaite qui me t o u c h e ( l ) . »
Or c'est, ajoute saint Augustin, ce qui arrive même
de nos jours. La foule de bien des hommes presse le
Seigneur, et il n'y a que la foi traduite dans la pra-
tique du bien, d'un petit nombre, qui le touche (2).
En effet, dit Haymon en commentant cette belle
pensée de saint Augustin, ce ne sont que des bandes
qui, sans toucher le Seigneur, l'oppressent, et (selon
l'expression évidemment mystérieuse de saint Luc) en
l'oppressant l'affligent et le désolent; Turbœ te affli-
gunt et opprimunt ; que toutes ces réunions de Juifs
rejetant le Messie, et d'hérétiques pires que les Juifs,
qui, tout en se disant chrétiens, ne veulent rien savoir
de la vraie foi ni de la vraie loi de Jésus-Christ (3).
Voilà donc le mystère de justice et de miséricorde que

(1) o Tamquam diceret: Tangcntemquaero, non premcntcm.Caro


o promit ; fides tangit. »
(2) « Sic etiam mine, corpus Christi premit turba multorum, et
« tangit fides paucorum. »
(3) « Turbœ quae comprimunt sunt conventicuire haereticorum
« ac Judœorum, dum rectam fidem in pectoribus suis recipere no-
« lunt. »
OU LA PIÉTÉ. H5

nous voyons s'accomplir en même temps sous nos


yeux. Comme au milieu d'une foule pressant de tous
les cotés le Seigneur sans recevoir de lui aucune grâce,
Véronique seule l'a touché par sa foi active et par son
humilité, et a reçu la guérison complète de son corps;
de même aujourd'hui, en présence de cette foule de
Juifs, d'hérétiques et d'incrédules qui, en contact avec
l'Église, dans les pays catholiques, attristent le Sei-
gneur par leur haine et leur persécution contre son
Église, par leurs blasphèmes et leur obstination à re-
jeter la vraie religion; un nombre iniini de païens,
humbles et sincères, de tout sexe, de tout rang, de
toutes les notions ; un nombre infini d'hommes hum-
bles et sincères, se convertissant au christianisme par
la prédication de nos missionnaires, croyant en Jésus-
Christ comme il faut croire en lui, acceptant et prati-
quant ses lois, touchent son cœur, et obtiennent de lui
la guérison parfaite et le salut de leurs âmes (1).
Ce sont encore des bandes pressant et attristant
Jésus-Christ; Turbce te comprimunt et affligunt, tous
ces individus des deux sexes au sein même du catho-
licisme, sur lesquels Salvien répandait des larmes de
si grande amertume, qui, païens par leurs maximes,
par leur esprit, par leur conduite, ne se souviennent
dé Jésus-Christ que pour le déshonorer, et n'ont de
catholique que le nom qu'ils flétrissent, qu'ils font
blasphémer par la témérité de leurs doctrines, par leur

(I) « Dum turba? comprimunt, intravlt mulier, et sanatur; quia


« dum Judœi et bœretici fidei veritatem respuunt, gentilis populus
« sanatur veraciter credens. »
H 6 HOMÉLIE H. — LA FEMME MALADE,

éloignement de toute pratique religieuse, autant que


par l'opprobre de leurs mœurs (1),
Ce sont enfin des foules pressant et affligeant le
Seigneur, ces tristes chrétiens, ces femmes légères et
invérécondes qui n'envahissent les églises que lors-
qu'ils y sont attirés par le désir d'y entendre une m u -
sique profane, ou par le besoin d'y étaler leur vanité,
ou par l'intérêt de honteuses passions.
Or, ces différentes foules, qui, tout près de Jésus-
Christ par le corps, en sont très-éloignées par le cœur,
et ne forment, selon l'expression des Livres saints,
que le fardeau du Seigneur, Quod est onus Domini
(Hier., xvn), n'ont à s'attendre qu'à voir tomber sur
elles le fardeau de sa justice ; et comme elles cherchent
maintenant à opprimer, à écraser, attrister Jésus-
Christ, elles seront un jour à leur tour brisées, comme
il les en a menacées, par Jésus-Christ, et comblées
d'amertume et de douleur-, Super quem ceciderit, con-
teret eum (Matth., xxi).
Mais pour vous, âmes vraiment pieuses et fidèles,
qui, à l'imitation de Véronique, suivez toujours Jésus-
Christ dans ses églises, à sa sainte table, dans la per-
sonne de ses pauvres et de tous les malheureux que
vous vous empressez de soulager, comme s'ils étaient
vos enfants ou vos frères, et qui par cela même croyez,
parlez, opérez en vrais chrétiens, vous n'avez rien à
craindre de ces redoutables menaces de sa justice ;
vous avez tout à espérer des richesses de sa miséri-

( l ) <t In nobis patitur opprobrium Christus; in nobis patitur chris


<t tiana lex maledictum. B
OU LA PIÉTÉ. H7

corde. Pendant que vous touchez extérieurement ses


habits par la sagesse exemplaire de votre conduite et
par les œuvres de votre charité, vous pénétrez jusqu'à
son àme, jusqu'à son tendre cœur par la sincérité de
votre foi, par l'humilité de votre esprit, par la con-
fiance et les doux épanchements de votre cœur. Eh
bien! donc, vous aussi recevez le pardon de tous vos
péchés, la guérison complète de tous vos mauvais pen-
chants, de toutes vos passions; et, au moment redou-
table de la mort, une voix secrète dira à votre àme
tremblante, en vue de la sévérité du jugement de Dieu :
«Ne craignez rien, ma fille; Confide, filia. Grande,
sincère, efficace a été votre foi. Elle vous a sauvée
dans le temps; elle va vous sauver dans l'éternité,
Fides tua te salvam fecit.
Voilà, mes frères, ce que c'est, ce que vaut la vraie
piété. Empressons-nous donc de nous y attacher, de la
suivre, d'en faire le but de nos désirs, le trésor de nos
cœurs. Souvenons-nous que la piété, se contentant de
ce qui suffit, est, d'après saint Paul, la plus grande
richesse du chrétien; Est quœsius maynus pietas cum
sufficientia (I Tim., vi). Souvenons-nous que Jésus-
Christ notre Sauveur, en venant au monde, dit encore
saint Paul, ne nous a apporté sa doctrine et sa grâce
qu'afln que, au milieu de ce siècle corrompu, nous
vivions non-seulement dans la tempérance et dans la
justice, mais aussi dans la piété; Apparuit gratia Sal-
vaioris nostri, erudiens nos ut... sobrie, juste et PIE
vivamus in hoc seculo (Tit., n ) ; et que par consé-
quent, nous dit le même Apôtre, jaloux de garder la
chasteté, nous devons nous empresser aussi d'accom-
118 HOMÉLIE II. — L A FEMME MALADE,

plir toutes les œuvres de la piété ; In omni pietate et


castitate (I Tim , n, 2). Suivons ces belles doctrines,
t

e t nous éprouverons à notre grand avantage combien


il est vrai que la pitié sincère et solide est utile a t o u t ,
qu'elle fait le bonheur de l'homme dans ce monde, et
qu'elle est le gage le plus sûr de son salut dans l'autre ;
Pietas ad omnia utilis est, promissiones habens vitm,
quœ nunc est, et futures. Ainsi soit—il.

APPENDIX
A l ' h o m é l i e PRÉCÉDENTE.

LE REMÈDE CONTRE LE VICE DE LA CHAIR.

La maladie honteuse qui affligeait rHémorroï.=se de l'Évangile dans


son corps, signifie aussi les maladies bien autrement honteuses qui
affligent tant de pauvres chrétiens dans leurs âmes. Dans ces jours
de tant de corruption par rapport aux mœurs, de tant de séduction
de la part du monde, de tant d'indifférence en matière de religion,
oh ! qu'il est grand le nombre des jeunes gens des deux sexes qui se
laissent entraîner dans ce vice, qui, quoi que Ton dise, quoi que l'on
fasse pour le justifier, n'est et ne sera toujours qu'une source de
malheur et de confusion! Que de belles âmes, de nobles natures
qui, tout en croyant, au commencement, pouvoir en rester à des
relations d'esprit et de cœur dont la pudeur n'aurait pas à s'alar-
mer, trahies par leur faiblesse, subjuguées par la tyrannie du res-
pect humain, tombent tous les jours dans tous les désordres de la
chair! Arrivées au fond de cette boue, en se souvenant du passé,
elles regrettent bien d'avoir mal commencé, et cependant elles ne
ta\ent jamais se décider à en finir. Elles baignent de leurs larmes,
en secret, leurs propres chaînes; mais elles ne se croient pas assez
fortes pour les rompre. Elles font à Dieu des promesses de tenir bon,
OU LÀ PIÉTÉ. 119
qu'elles démentent à la première occasion, à la première rencontre. En
tombant, elles se relèvent quelquefois ; mais c'est pour retomber de
nouveau. Eh bien ! âmes doublement malheureuses, et parce que vous
n'avez plus de part à la paix, au bonheur de la sainte vertu, et parce
que vous ne trouvez que des épines, de la honte et du remords dans
les sentiers du vice, ne désespérez pas, vous dit saint Pierre Chryso-
logue ; car qu'est-ce qui vous empêche de vous approcher souvent, et
même tous les jours, de Jésus-Christ résidant dans l'Eucharistie, et
de le toucher bien autrement que n'a pu le faire Véronique, puisque
vous pouvez, par la communion, faire du Corps divin de cet aimable
Sauveur votre nourriture, en le recevant en vous-mêmes ? Est-ce que
vous pouvez douter, par exemple, que la fréquente communion de la
chair du Fils de Dieu puisse fortifier votre cœur et vous guérir de
toutes les infirmités de votre âme, en sachant que rien que le bord
de la tunique couvrant cette même chair divine, touché une seule
fois par Véronique, l'a guérie d'une vieille et incurable infirmité du
corps ( l ) ?
On a beau essayer d'autres remèdes, le vice de la chair corrompue
de l'homme ne peut être guéri d'une manière durable, complète et
parfaite, que par la chair immaculée de Jésus-Christ. Le mariage lui-
même, qui, selon saint Paul, est un remède contre les ardeurs de la
concupiscence naturelle, n'en est pas un, ou ne sufiit pas tout seul,
ou toujours, contre des habitudes invétérées, devenues comme une
seconde nature. Pour quelques-uns qui, en se mariant, sortent
tout à fait des voies du libertinage où ils se trouvaient engagés, le
plus grand nombre n'en sort que pour y revenir, pour s'y enfoncer
toujours davantage et s'y perdre. Les péchés d'adultère sont, de nos
Jours, plus nombreux que les péchés de fornication. C'est que, comme
Jésus-Christ l'a dit, le démon de l'impureté ne peut être vaincu,
chassé, que par la mortification et la prière : Hoc yenus d&monio-
rum non ejicttur, nisi in orationc et jejunio [Matth., xvn, 20). Et la
Communion eucharistique, par laquelle le Dieu que Ton prie réside

(1) « Docuit mulier quale sit corpus Chribti, quœ m fimbria tantum ^s^e mou-
• stravit. Audiant christiaiii qui quotidie Christi corpus attingunt, quantum de
« ipso corpore sumere possuut medicinani, quum mulier rapuit de sola Christi
« fimbria sanitatem (Loc. ci/.).»
120 HOMÉLIE I I . — L A . FEMME MALADE,

corporellement dans l'homme priant, est la prière la plus sûre pour


atteindre son but, est la prière par excellence, la prière complète, la
prière parfaite. C'est que la Communion eucharistique, complément
du sacrifice divin, est l'acte suprême du culte et de la vraie piété,
auquel est annexée une vertu souveraine; vertu non-seulement
expiatoire du péché, mais aussi médicinale contre le péché. C'est que
l'Eucharistie est appelée, dans les Livres saints, le froment des élus,
le vin engendrant les vierges, le pain de la vie et de l'intelligence,
l'eau de la vraie sagesse du salut : Frumentum electorum, et vlnum
germinans virgines (Zach,, îx). Pauls vîtes et intellectus, et aqua
sapientiœ salutaris (EccL, xv, 3). C'est, dit saint Chrysostôme,
parce que l'effet le plus propre, le plus direct de cet auguste sacre-
ment est de calmer les insolentes exigences de la chair, de morti-
fier le MOI charnel de l'homme, et d'élever sur ses ruines un MOI tout
spirituel et divin.
Voulez-vous une preuve sans réplique, sensible, frappante (le ce
prodige"? Regardez ces religieuses de tous les ordres que la Fiance
répand dans le monde entier, ces mères dévouées que lâchante ca-
tholique improvise tous les jours à l'orphelin, à l'enfant abandonné;
ces providences visibles de toute espèce de misère, de malheur et
d'infortune; ces anges terrestres, ces prodiges vivants de toutes les
vertus; ces filles héroïques, l'honneur du sexe, la consolation de l'hu-
manité souffrante, la gloire de l'Église, que le monde païen lui-même,
aussi bien que le monde chrétien, envie à la France, et auxquelles
l'incrédulité elle-même n'a pu s'empêcher de rendre un éclatant
hommage ( 1 ) . Or, savez-vous, mes frères, d'où elles tirent cette force
supérieure, ce courage viril qui leur fait braver tous les dangers,
la mort m ê m e ; qui les fait triompher du mal, bien plus redoutable
que la mort, et qui les élève tant au-dessus d'elles-mêmes, et de la
misère et de la faiblesse de l'humanité? Elles le tirent de la sainte
table. C'est à la Communion eucharistique, à ce foyer de pureté et
d'amour, qu'elles puisent cet esprit de charité qui en fait l'admira-
tion, le confort du monde, et cet esprit de chasteté qui garantit si bien
leur jeunesse et leur beauté contre les mauvais penchants de la na-
ture et contre la séduction de toutes les passions, en fait des esprits

(i) On connaît l'éloge que Voltaire a fait des FILLES DE LA CHARITÉ.


OU LA PIÉTÉ. 121
angéliques en des membres humains, et les fait passer au milieu
de la corruption de tous les vices, comme la lumière passe sur la
boue sans en être tachée.
Spectatrices donc de ces prodiges que la fréquente communion
produit sous vos yeux, prenez courage, âmes faibles et qu'une suite
de chutes lamentables a rendues plus faibles encore, et soyez sûres
que l'attouchement, non pas de la robe seulement, mais du Corps di-
vin du Seigneur par la communion, vous rendra cette force que vous
cherchez en vous-mêmes; cette force de briser les liens qui tiennent
captif votre pauvre cœur ; cette force d'éloigner de vous des occa-
sions dans lesquelles vous avez fait une expérience déplorable de
votre faiblesse.
Que le sentiment de votre indignité ne vous effraye pas d'approcher
du Dieu de la pudeur. Jésus-Christ, dans son Sacrement, n'est pas
Seulement le bonheur des justes, mais aussi le remède des malades et
le soutien des faibles. Il n'y est pas seulement l'époux de l'àme qui
la réjouit, le père qui la nourrit, l'ami qui la console ; mais il est sur-
tout et avant tout le médecin qui la guérit. Loin que vos infirmités
spirituelles soient un motif légitime de vous éloigner de ce divin
médecin, elles sont au contraire une raison de plus, dit saint Gré-
goire, de le chercher et d'avoir recours à sa charité ( l ) : Jésus-Christ
lui-même nous ayant dit, en parlant de ce mystère de son amour,
que ce ne sont pas les sains, mais les malades, qui ont besoin du
médecin : Non est opus valentibus medico, sed maie habentïbus
(Matth., îx). Aussi donc plus vous vous sentez malades, plus vous
devez vous approcher de l'Eucharistie, ce pain qui fait les forts, cet
antidote universel de toutes les infirmités de l'âme.
Un homme qui se met à jouer à un jeu quelconque, avec un ha-
bile joueur, craint, croit même qu'il va perdre la partie; mais cette
croyance, cette crainte de perdre, n'exclut pas le désir sincère qu'il a
de gagner. Il en est de même par rapport à l'àme. Une expérience fu-
neste vous a appris combien peu vous pouvez compter sur vos résolu-
tions et sur vos promesses de ne plus retomber. Vous craignez donc,
vous croyez même qu'après votre communion vous retomberez peut-
être. Mais cette persuasion et cette appréhension très-fondées de rc-

( i ) « Si inhrmus es, quare non recurris ad medicum?


122 HOMÉLIE II. LA FEMME MALADE,
tomber n'empêchent pas que votre résolution de tenir bon ne soit
sincère. La crainte de retomber est une pensée de l'esprit; la réso-
lution de ne pas retomber est un acte de la volonté, et l'une de ces
choseâ peut bien coexister avec l'autre. Tachez donc que votre réso-
lution soit sincère; prouvez, en faisant ce qui est en votre pouvoir
de faire, que vous voulez vraiment revenir à Dieu ; et par là seule-
ment vous serez assez bien disposés pour communier : Dieu ne de-
mandant pour se communiquer à l'àme que la droiture de la volonté
et la sincérité du cœur : Quam bonus Israël Deus, ils qui recto
sunt corde.
Le ministre du sacrement de la pénitence, aux pieds duquel, comme
devant Dieu, vous aurez répandu votre cœur, saura bien distinguer
3i votre volonté est sincère, si vous voulez vraiment ce que vous dites
vouloir,- et il ne vous en demandera pas davantage. 11 ne prétendra
pas que vous ne péchiez plus pendant un certain temps avant de vous
lonner la grâce de l'absolution et de la communion. Ce serait vou-
oir que vous soyez guéri avant d'avoir fait usage des seuls remèdes
jui peuvent vous guérir. Après les premières absolutions, les pre-
nières communions même, il est possible que, malgré la sincérité de
rotre repentir, vous retombiez de nouveau : tout comme les pre-
nières doses du quina ne coupent pas à l'instant la fièvre. Mais
l'importe. Revenez au confessionnal, à la sainte Table; touchez,
ouchez toujours le corps du Seigneur, et vous finirez par être corn-
ïlétement guéri. La guérison parfaite de rame, tout comme la gué-
ison parfaite du corps, est l'affaire du temps. On ne se corrige pas
dus dans un instant d'une vieille habitude au mal, qu'on ne guérit
lans un instant d'une maladie invétérée ; et 11 en est des sacrements,
le ces puissants remèdes de l'âme, comme il en est des remèdes du
orps, qui, appliqués une première fols, font du bien, et ne guérissent
out à fait qu'autant que l'on continue à en faire usage ( î ) .
j
Eh oui, oui, pauvres âm< s que les mauvaises habitudes charnelles
int réduites à un état de faiblesse qui en vous faisant rougir de vous-
nèmes vous désespère, ft y a u n e ressource, il y a une espérance de
anté et de vie même pour vous dans le remède de son corps divin,
[ue le Seigneur nous a laissé dans son sacrement. Approchez-vous

(t) a ApplicaU juvant, continuata sanant. »


OU LA PIÉTÉ. 123
Ue lui, approchez-\ous de lui toujours; communiez toujours avec les
dispositions d'une vive foi, d'une profonde humilité, d'une entière
confiance, avec lesquelles Véronique a touché la robe du Seigneur:
et vous aussi non-seulement serez guéries de vos honteuses infirmi-
tés, mais vous pouvez vous élever à une grande sainteté, à une
grande perfection. Vous qui ne vous croyez pas même dignes d'être
les dernières des servantes du Seigneur, vous pouvez en devenir les
enfants chéries, n'ayant plus rien à craindre de sa justice, mais tout
à espérer de sa bonté : Confiée, filia. Votre foi, soutenue par les
œuvres, vous sauvera : Fides tua te salvam fecit. Et vous saurez
par votre propre expérience que celte pratique de sublime piété, de
la piété parfaite, parce qu'elle résume m elle le dogme, le culte et
la morale, la Communion eucharistique est utile à tout, puisque, en
vous délivrant des misères de la vie présente, elle vous fera trouver
le bonheur de la vie future : Pietas ad omnia utilis est, promis-
sionem habens vitse, quee njunc est, et futurœ.
124 HOMÉLIE III. — L A FILLE DE JAÏRE,

TROISIÈME HOMÉLIE.

LA FILLE DE JAÏRE,
ou

LA MORT D E S JUSTES.

fSaint Matthieu, ch. IX; Saint Marc, ch. V; Saint Luc. ch. XII.)

Pretiota in contpectu Domini mors Sanctorttm ejut;


La xaot^ des Saints du Seigneur est précieuse à ses yeux (PsaL cxv).

INTRODUCTION.

1. Les Égyptiens et les Israélites à la mer Rouge, figure des pécheurs


et des justes à la mort. On se propose d'expliquer, par l'histoire de
la fille de Jaïre, les a\antages de la mort des justes.

L E célèbre passage de la mer Rouge, dont parlent


les Livres saints, a été un événement non moins
instructif que prodigieux.
Voilà deux peuples qui arrivent au même point de
la même mer, qui s'engagent dans le même sentier
sec que la voix thaumaturge de Moïse a improvisé au
milieu des eaux, et marchent avec la même assurance
vers le même b u t ; et cependant le peuple égyptien
y est englouti par les flots : tandis que le peuple d'Is-
raël , trouvant la liberté et la vie là où son rival a
trouvé la défaite et la mort; après avoir atteint, sain
et sauf, libre et heureux, le rivage opposé, s'ache-
mine, plein d'espérance et de joie, et en chantant les
OU LA MORT DES JUSTES. 125

miséricordes et la puissance du Seigneur, à la conquête


de la terre de promission (Ezod., xvi).
Or ce grand événement, dans sa vérité historique,
c'est, dit saint Chrysostôme, un mystère et une pro-
phétie. C'est le tableau de ce qui arrive à la mort.
La mort, c'est un véritable passage, c'est un sentier
ouvert à tous les hommes au milieu des eaux de ce
siècle, auquel arrivent et que traversent tous les
hommes. Cependant les méchants, les impies y ren-
contrent cet horrible naufrage qui les fait couler au
fond des enfers : tandis que les vrais Israélites, les
fidèles, les pieux y trouvent le port de la sécurité;
d'où ils s'en vont à la possession de la vraie terre
promise, à la patrie des cieux (1),
Il avait donc bien raison, le Prophète, en considé-
rant cette issue si différente du même chemin, du
même passage de la m o r t , de s'écrier : « Que la
« mort des pécheurs est horrible : Mors peccatorum
apessima (Psal. xxxui)! et qu'elle est, au contraire,
« précieuse, ravissante aux yeux du Seigneur, la mort
« de ses Saints ; Preiiosa in conspectu Domini mors
u Sanctorum ejus ! »
Mais qu'est-ce qui arrive au juste mourant, et
qu'est-ce qui lui rend douce, heureuse cette même
mort, qui est si amère, si effrayante pour les p é -
cheurs ? L'Évangile nous l'apprend, nous le fait
voir même par le récit du prodige de la résurrection
de la F I L L E DE JAÏRE, que le Fils de Dieu opéra, après

(l) « Ita mors justis quidem quietus est portus, nocentibus nau
« fragium. »
126 HOMJÊLIK I I I . — L A FILLE DE JAÏRE,

avoir guéri l'Hémorroïsse de sa honteuse infirmité.


Étudions donc, aujourd'hui, ce nouveau prodige de
la puissance et de la bonté de notre divin Sauveur, qui
fait suite à l'histoire de la guérison de la femme
malade, et qui complète l'histoire prophétique de toute
la Religion. Ainsi nous allons l'exposer d'abord au
sens littéral et au sens allégorique; et ensuite, en l'ex-
posant au sens allégorique, nous y verrons comment
meurent ceux que Jésus-Christ a guéris, les amis sin-
cères, les fidèles serviteurs de Jésus-Christ, les Justes;
et nous nous encouragerons par là à vivre de la vie
sainte des Justes, afin de rencontrer la mort précieuse
des Justes ; Preiiosa in conspectu Domini mors Sano
torum ejus. Ave Maria.

PREMIÈRE PARTIE.
LA FILLE DE JAÏRE, AU SENS LITTÉRAL.

2. Jaïre à l'école de Véronique.

LE divin Sauveur n'avait pas fini de parler à Véro-


nique qu'il venait de guérir, que voilà un messager,
expédié en toute hâte par la maison de Jaïre, qui
arrive tout haletant auprès de ce malheureux père, et
qui lui dit : Inutile de faire déranger le divin Maître,
et de persister encore dans l'idée de l'amener chez
vous; l'enfant est morte, et bien morte, et il n'y a
plus moyen de la rappeler à la vie; Adhuc eo loguenie,
venit quidam ad principem synagogœ, dicens ei : Quia
filia tua mortua est ; quid ultra vexas magistrum
(Marc, 35; Luc, 49)?
OU LA MORT DES JUSTES. 127
Mais Jaïre, témoin de la puissance toute divine que
le Seigneur venait d'étaler dans la guérison de Véro-
nique, crut que ce même Jésus, qui, rien que par le
bord de son vêtement, avait chassé, en un instant, une
vieille infirmité, aurait bien pu lui ressusciter sa fille
en la touchant de sa main. Le cœur navré donc par
l'affreuse nouvelle qu'il venait de recevoir, mais tou-
jours plein d'espérance, revenant en présence de Jé-
sus qui le suivait : « Seigneur, lui dit-il en pleurant,
vous venez de l'entendre ; ma pauvre fille vient d'ex-
pirer. Mais n'importe ; daignez toujours venir chez
moi, car je suis sûr qu'en imposant votre main sur son
cadavre, vous pouvez la faire revivre ; Domine, filia
mea modo de/une ta est. Sed vent, impone manum tuam
super eam, et vivet (Matth., 18).
Pauvre Juif! Il croit, c'est vrai ; mais sa croyance,
dit saint Pierre Chrysologue, est, cette fois encore, bien
loin d'être une croyance éclairée, conséquente et par-
faite. Il croit que Jésus-Christ peut lui ressusciter safille,
mais il ne croit pas que le Fils de Dieu puisse opérer
ce prodige, à moins d'avoir sous ses yeux le cadavre
de l'enfant et de le toucher de sa main (1).
Cependant le bon, le compatissant Jésus, partageant
la douleur de ce père désolé, ne lui reproche pas la
misère, l'imperfection de sa foi. Il l'encourage, au
contraire, il le console en lui disant, avec l'accent de
la plus grande bonté : « Pauvre père, ne craignez rien.
Seulement ayez confiance, ayez foi, et votre fille sera

(i ) « Sluitus putavit Christum non posse suscitare mortuam, nisi


« teneret (Serm. 34).
128 HOMÉLIE 1 1 1 . — LA FILLE DE U l R E ,

sauvée ; Jésus autem^ avdito verbo quod dicebaiur,


respondit patri puellcs : JVoïi iimere. Taniummodo
crede; et saha erit (Marc, 3G ; Luc, 50). Et, d'après
saint Chrysostôme, par ces douces paroles le divin
Maître voulut dire ceci à Jaïre : «Croyez, Jaïre, mais
comme a cru Véronique, ainsi que vous venez de l'en-
tendre, et, comme Véronique, vous aussi obtiendrez
la grâce que vous implorez. » En effet, le Sauveur,
en mettant Véronique en demeure de manifester la
guérison qu'elle avait reçue, et la foi par laquelle elle
l'avait méritée, a voulu aussi donner au prince de la
synagogue, qui était là, une grande leçon pratique
de foi (1).
Et qu'est-ce, dit saint Pierre Chrysologue, que le
docteur juif n'a pas appris à l'école de cette femme
ignorante? Il y a appris que le Fils de Dieu n'a pas
besoin de changer de place, de faire une longue mar-
che, d'être corporellement présent dans un lieu pour
y opérer des miracles; mais qu'il est présent toujours
et partout, pouvant tout faire sans travail, par un seul
mot de sa bouche, par un seul acte de sa volonté, et
n'ayant pas besoin d'avoir recours aux remèdes de la
médecine pour donner la santé, ni d'étendre sa main
pour chasser la mort et rappeler la vie (2).

( 1 ) « Hoc miraculo synagogœ principem voluit emendare; fidem


« ei mulieris aperuït [ffomil. in Matth.). »
(2) « Didicit Deum non movendum loco, non itinere ducendum ;
« non trahendum praesentia corporali, sed credendum totum ubi-
« que praesentem; et quod totum possit jussu facere non labore;
« mortem non manu sed imperio fugare, \itam non arte reddere,
« sed prœcepto. »
OU LA MORT DES JUSTES. 129
Ayant Jonc reçu, avec une grande humilité d'esprit,
avec une grande docilité de cœur, une si grande leçon,
Jaïre en obtient le résultat heureux qui lui avait été
promis.
3. Le Seigneur à la maison de Jaïre.

Sa maison était en proie à la confusion et au deuil,


lorsque le Fils de Dieu y mit le pied en compagnie de
ses trois disciples privilégiés, Pierre, Jacques et Jean.
Une grande foule encombrait cette maison au dedans
et l'environnait au dehors. Ses différentes pièces r é -
sonnaient, selon l'usage, des airs lugubres des joueurs
de flûte, des tristes cantiques de la mort, de gémisse-
ments prolongés et de cris. C'était à cause du malheur
du père, prince de la synagogue, aussi bien qu'à cause
de la fin prématurée de sa fille; les pleurs étaient
universels, la douleur profonde ; Et non admisit Jésus se
segui quempiam; nisi et Petrum Jacobum et Joannem,
Et cum venisset in domum principes, et vidisset iibi-
cines et turbam iumultuanlem, et fientes et ejulantes
multum. Flebant autem omnes ei plangebant illam.
(Matth., 2 3 ; Marc, 3 8 ; Luc, 52)(1).

( l ) Elle était commune chez les Juifs, aussi la coutame générale-


t

ment en usage chez les Gentils, de payer des femmes pour venir
pleurer sur le cadavre d'un parent défunt, et l'accompagner tou-
jours en pleurant jusqu*au tombeau. De tes femmes, appelées pré-
fiées chez les Romains, parce qu'elles étaient les préfètes du deuil ;
Quiaplanctuiprceficieb'anlur(\ddjn, Antiq. rom.), il en est question
même au chapitre deuxième du prophète Jérémie, où il est dit : Vo-
cate lamentatrices, et ventant et deducant super nos lamentum.
Théophylacte affirme que ces gémissements et ces pleurs étaient ac-
compagnés chez les Juifs du son d'une trompette lugubre, si le
130 HOMÉLIE III. — LA Ï U L E DE JAÏRE,
Eti présence d'un si grand tumulte et d'une si
grande tristesse, Jésus-Christ, le visage joyeux, le
regard tranquille : Que signifie, dit-il, toute cette con-
fusion, tout cet apparat de désolation et de douleur?
L'enfant que vous pleurez comme étant morte n'est
pas tout à fait morte, elle dort;-£ï ingressus ait ' Quid
turbamini et ploratis? Non est mortua puella, sed dor-
mit (Marc, 39 ; Luc, 52).
1
Mais Jésus-Christ, disent les interprètes, en s ex*
primant ainsi, n'a pas voulu dire que l'enfant n'était
pas vraiment morte ; il a voulu dire que l'enfant n ' é -
tait morte que d'une manière passagère et condition-
nelle, etnon pasd'une manièrepéremptoire etabsolue,
ainsi que le croyait la foule (Cornélius à Lapide). Ce
fut donc comme s'il leur avait dit, selon saint Jérôme :
Pourvous, cette pauvre fille est morte, parce que vous
ne pouvez pas lui rendre la vie ; mais pour moi, qui puis
et veux la ressusciter, elle n'est qu'endormie (1). Et,
selon saint Pierre Chrysologue, le Sauveur a voulu, par
ces mots, apprendre à tout le monde qu'il est plus facile
à Dieu de rappeler un mort à la vie, qu'il n'est facile â
l'homme d'éveiller un autre homme qui dort (2).
Un pareil langage, tout spirituel et propre à Dieu,
était au-dessus de l'intelligence grossière des Juifs, et
de l'obstination de leur cœur à refuser à Jésus-Christ

défunt était un homme fait ou une femme âgée ; et du son de la


flûte, si c'était un garçon ou une jeune fille. De là les joueurs de
flûtes, tibicînes, dont il est fait mention à cet endroit de l'Évangile-
(1) « Vobis mortua est; mihi dormit (Comment, in Matth.). »
(2) « Ut crederent quia facilius Deus mortuum ad vitam revocat,
« quam de somno ad vigiliam dormiens revocetur (Senn. cit.), »
OU LA MORT DES JUSTES 131
la divinité. En entendant donc parler ainsi le Sei-
gne, ils se disaient entre eux : « Cet homme-là n'y
comprend rien ; l'enfant est vraiment morte. » Et ils
se riaient de lui; Et deridebant eum, dicentes quod
mortua esset (Luc, 53).
4. Le Prodige.

Mais, par ces railleries insolentes contre l'Auteur


de toute résurrection, cette foule orgueilleuse se ren-
dit indigne, dit saint Jérôme, de voir de ses yeux le
grand mystère de la résurrection des morts commen-
çant à s'accomplir par le premier mort que le Fils
de Dieu allait ressusciter (1). Ainsi le divin Sauveur
commença par mettre impitoyablement à la porte ces
rieurs sacrilèges de sa parole 5 et il n'admit que ses
trois Apôtres et les parents de la jeune fille au spec-
tacle du prodige qu'il allait opérer ; Ipse autem, ejectis
omnibus, assumit patrem et mairem pue lice, et qui se-
cum étant (Marc, 4 0 ) . 11 entra dans la pièce où le
cadavre froid de la jeune fille éteinte gisait sur son lit
mortuaire; Ingreditur ubi erat puella jacens (lb.) 11 m

la saisit par une main, en signe de son haut pouvoir,


de son domaine absolu sur tous les êtres ; et, de cette
voix toute-puissante qui commande à la mort et la
chasse, qui appelle la vie et la transmet, d'un air im-
posant, majestueux et divin, il s'écrie : « Jeune fille,
c'est moi qui te l'ordonne, lève-toi; » Et tenens ma-
<num ejus, clamamt, dicens : Puella, tibi dico : Surge
(Marc, 4 1 ; Luc, 3 4 ) . O parole! ô commandement!

( 1 ) « Facti sunt indigni qui vidèrent mysterium resurrectionis,


« qui suscitintem irriserant (Loc. cit.). »
132 HOMÉLIE III. — LA FILLE DE JAÏRE,

L'homme n'a jamaisparlé, ne peut pas parler ainsi. Celui


qui parle avec cette autorité n'est et ne peut être que
Dieu! Voilà donc un grand prodige s'accomplissant à
l'instant par cette parole, par ce commandement de
Dieu. Car, incontinent, l'esprit de la jeune fille se réunit
au corps inanimé dont la mort l'avait séparé. Elle ouvre
les yeux; elle reprend toute la fraîcheur de son colo-
ris, tous les charmes de sa beauté que la main de la
mort avait fanés; et, brillant de joie, et se levant de-
bout, elle se mit à marcher, pleine de grâce, de santé
et de vie : comme Eve lorsque la main toute-puissante
de ce même Dieu la tira du sein d'Adam endormi! Et
reversus est spiritus ejus, et confestim surrezit puella,
et ambulabat (Marc, 48 ; Luc, 55). Et pour qu'il ne res-
tât aucun doute que cette résurrection n'était pas fan-
tastique, mais vraie et réelle, Jésus-Christ ordonne de
donner à manger à l'enfant revenue à la vie ; Etjussit
iîlidari manducare (Luc, 5 5 ) ; comme après sa propre
résurrection, et pour la même raison, Jésus-Christ,
dit saint Jérôme, voulut, en présence de ses disciples,
manger lui-même.
On comprend pourtant la stupéfaction mêlée à la
joie, l'extase du ravissement et du bonheur des parents
en présence d'un si grand et si beau miracle, leur per-
mettant d'embrasser de nouveau toute vivante leur
unique enfant, qu'un instant avant ils pleuraient comme
leur ayant été ravie pour toujours par la main de la
mort; Et obstupuerunt parentes ejus stupore magno
(Marc,4£).
En vain donc le Seigneur leur ordonna de ne pas
ébruiter le prodige ; Quibus prœcepit ne alicui dice-
OU LA MORT DES JUSTES. 133

rent (Luc, 56), afin de nous apprendre, dit Cornélius


à Lapide, que nous ne devons pas chercher notre gloire
dans les grands faits que Dieu opère à notre sujet, mais
pour sa propre gloire (In Matth.). Ces fortunésparents,
ne pouvant pas contenir dans le cœur leurs transports
de joie et de reconnaissance envers Jésus-Christ,
se mirent à raconter à tout le monde l'insigne bienfait
qu'ils venaient de recevoir de lui, et qui les rendait si
heureux. En sorte que, dans quelques instants, la nou-
velle de ce grand prodige remplit toute la ville, et se
répandit par toute la contrée-, Exiit fama hœcper uni-
versam terram illam (Ib.).
O beau trait de la puissance, ô gloire de notre divin
Sauveur ! Mais en même temps 6 sort heureux de la fille
de Jaïre d'être morte sans douleur, et d'avoir été touchée
et rendue à la vie par la main même du Fils de Dieu!
Mais c'était une jeune fille de douze ans, dont le scan-
dale de l'obstination juive n'avait pas altéré la foi, ni
égaré l'esprit ; dont la corruption du monde n'avait pas
fané la fleur de l'innocence, ni terni la ptireté du cœur.
Elle était donc digne d'être choisie par Jésus-Christ
pour sujet du premier des miracles qu'il a opérés sur la
mort, et pour servir de figure, de modèle et de prophé-
tie, après l'avoir éprouvé en elle-même, au touchant
mystère de la mort des justes, précieuse aux yeux du
Seigneur; Pretiosa in conspectu Domini mors Sancto-
rum ejus !
Mais rappelons-nous que, comme la vie des patriar-
ches a été l'histoire anticipée, la prophétie vivante de
la vie de Jésus-Christ; de même la vie de Jésus-Christ
a été l'histoire anticipée, la propriété vivante de la
134 HOMÉLIE III. — LA FILLE DE JAÏRE,

vie et des grandes vicissitudes de l'Église. Après


avoir donc expliqué au sens littéral le récit de ce ma-
gnifique prodige de notre aimable Seigneur, nous de-
vons l'expliquer au sens allégorique et prophétique, et
y voir le grand mystère qu'il renferme, et que les plus
savants des Pères de l'Église y ont reconnu. C'est le
sujet de ma seconde partie.

SECONDE PARTIE.

LA FILLE DE JAÏRE AU SENS ALLÉGORIQUE.

5. Jaïre et sa fille, figure de Moïse et de la Synagogue.

IVIoïse est, sans contredit, le plus grand des pro-


phètes, l'homme le plus illumine de Dieu, par rapport
aux profonds mystères de la religion, et l'homme qui,
par ses sublimes écrits, qui lui ont été divinement in-
spirés, et où il nous trace les paroles et les doctrines
de la vérité et de la vie, a le plus illuminé le monde,
avant la venue«iu Sauveur du monde. Or le mot hébreu
Jaïre signifie illuminé et illuminaieur. Le père donc de
l'enfant ressuscitée, ayant ce nom, était ici, dit Rabba-
nus en suivant saint Hilaire, la figure de Moïse, le vrai
Jaïre, ou le vrai illuminateur et le vrai illuminé (1).
Jaïre, ainsi que nous l'avons déjà vu, s'est prosterné
aux pieds de Jésus-Christ, et l'a adoré; et par là, dit
Haymon, il nous représente en lui-même encore Moïse

(i) • Jairus illuminans et Uluminatus signât Moysen qui, a c -


« ceptis verbis vitae, dédit nobis ; et per hoc illuminât omnes Ipse a
« Spiritu sancto illuminalus (Comm.). »
OU LA. MORT DES JUSTES* 135

qui, ayant connu en esprit sur le Sinaï (Ezod., xxxn),


et, en réalité, sur le Thabor (Matth., x v u ) , le grand
mystère du Fils de. Dieu qui s'était fait homme et était
né d'une vierge, crut en lui, comme nous l'atteste saint
Paul (Hebr., xi), lui rendit les hommages de la plus
profonde adoration, reconnut son pouvoir divin, et se
soumit à son autorité (1).
La fille de Jaïre, poursuit le même interprète, signi-
fie la synagogue des Juifs, qui naquit de Moïse, parce
que c'est Moïse qui la constitua (2). Cette unique en-
fant de Moïse était morte, parce que, en effet, au temps
de la venue du Seigneur, les Juifs avaient presque en-
tièrement oublié les anciennes traditions, l'observance
de la loi, la foi toute spirituelle d'Abraham, les vrais
caractères du Messie-, et c'est pour cela qu'étant venu
parmi eux ce divin Messie, ils ne le reconnurent pas;
ils le crucifièrent, au lieu de l'adorer; et que, ayant
fait mourir leur Sauveur, ils se sont tués, sont morts
eux-mêmes. Oh! malheureuse condition donc de.la
synagogue judaïque, s'écrie ici rÉmissène! Elle est
morte au temps où elle aurait dû être saine et vivante
plus que jamais, ayant eu le bonheur de recevoir chez
elle le médecin céleste, celui qui est la Santé et la
Vie ( 3 ) !
Jaïre donc priant, conjurant Jésus-Christ de lui res-

(1) « Procidit adpedes ejus; quia praescius Moyses Filium Dei in


« mundum per Virginem venturum, humiliter se subdit potestati
« ejus. »
(2) « Filia Jairi est ipsa synagoga. »
(3) « Venit medicus. sanitas et vita; et cum sanari et convales-
« cere deberet, tune defuncta est. »
136 HOMÉLIE III. LÀ FILLE DE JAÏRE,

susciter son enfant éteinte, c'est encore Moïse, dit


Druthmare en suivant, lui aussi, saint Hilaire-, c'est
Moïse ayant tant de fois supplié le Seigneur pour la
résurrection de la synagogue, sa fille unique, qu'il a
aimée plus que soi-même (1). Et Jésus consolant Jaïre
par la promesse que sa fille morte lui serait rendue,
est ce même Verbe éternel déclarant à Moïse que la
synagogue ayant mérité de mourir, et devant mourir,
en effet, à cause de sa rébellion contre le Messie, ne
serait cependant pas restée toujours au pouvoir de la
mort, mais qu'elle aussi aurait été ressuscitée.

6. Le mystère de Véronique venant la dernière, et étant guérie la


première.

Mais remarquez bien, nous dit saint Jérôme, que le


divin Sauveur n'avait opéré que sept miracles jusqu'au
moment où Jaïre vint à ses pieds, lui demandant la
santé et la vie de sa fille. Ce prodige aurait donc été
le huitième. Mais Véronique s'étant présentée au Sei-
gneur sur la route qu'il suivait en allant à la maison
de Jaïre, et ayant été miraculeusement guérie, c'est
cette guérison qui devint le huitième des prodiges du
Seigneur. En sorte que le huitième prodige, le prodige
parfait (car I'OCTAVE est le complément et la souve-
raine perfection), ce huitième prodige, qui avait été
promis à la fille de Jaïre, c'est Véronique qui l'a obtenu.
O le beau et consolant mystère que ces circons-
tances recèlent! Nous y voyons tracée d'avance l'his-
toire de l'Église des Gentils, de notre sainte Église qui

( i ) « Est Moyses qui habet unicam filiam, quam unico amore di-
« Jexit, et pro ea fréquenter Dominum exoravit. »
OU LA MORT DES JUSTES. 137

allait commencer à la mort du Sauveur. Nousy voyons


figuré, exprimé en traits les plus saillants, le mystère
de la prédilection du Fils de Dieu pour nous, pauvres
enfants des Gentils. Nous y voyons comment l'Église
des Gentils a pris la place qui primitivement et direc-
tement avait été destinée à la synagogue des Juifs;
comment cette Église, cette communauté des Gentils
ayant été la dernière à prier, a été la première à être
guérie ; et comment s'est accomplie cette grande et
magnifique prophétie de David : « Que l'Ethiopie, ou
bien la gentilité, noircie par ses erreurs et ses vices,
aurait prévenu les mains d'Israël lui-même dans l'at-
touchement des vêtements du Seigneur, aurait la pre-
mière élevé ses cris suppliants vers lui, et en aurait
obtenu le salut et la vie (1). » Du reste, avant saint
Jérôme, le profond saint Hilaire avait fait la même
remarque, ayant dit : Voyez comment le salut, ayant
été apporté pour Tune, a été donné à l'autre. Voyez
le mystère de l'Église des Gentils, arrachant de la
main du Seigneur la grâce qui avait été préparée pour
Israël ( 2 ) ; Jésus ayant dit à la Chananéenne, comme
nous l'avons entendu : Je n'ai été envoyé qu'aux bre-
bis perdues de la maison d'Israël ; Non missus sum nisi
ad oves quœ perierunt domus Israël. C'est ainsi que

(1) « Quod octavo loco princïpis filia obtinere debebat, mulier


« obtinuit, ut principis filia, de hoc loco exclusa, veniat ad n o -
« n u m ; juxta illud (Psal. LXVII) : JSthiopia prœvenïet manus ejus
« Deo. »
(2) « Ita alteri salus, dum alii affertur, reddita e s t ; quia quod
« Israêli parabatur, plebs Gentium occupavit (Comm.). »
i 38 HOMÉLIE III. LA FILLE DE JAÏRE,

s'est accomplie cette grande parole du Seigneur : Les


derniers seront les premiers, et les premiers devien-
dront les derniers ; Et erunt novissimiprimi, et primi
novissimi (Matth., xix).

7. Les circonstances de la résurrection de la fille de Jaïre, magni-


fique figure et prophétie de la condition future des Juifs et de leur
conversion au Christianisme.

Mais ayant guéri Véronique, le divin Sauveur n'a


pas oublié la tille morte de Jaïre; il Ta rendue à la
vie; et, par ce touchant trait de sa bonté, il nous a
fait voir en action le grand mystère de miséricorde
que la Reine des prophètes, la sainte et auguste Marie
a prédit par ces sublimes paroles : « Sa miséricorde se
reproduira toujours de race en race pour ceux qui le
craignent... Il rembrassera Israël, son enfant, en se
ressouvenant de sa miséricorde, selon ce qu'il avait
promis à nos pères, à Abraham et à sa race pour tou-
jours (Luc., i;) » Et misericordia ejus a progenie in
progenies iimenlibus eum.,, Suscepit Israël puerum
suum, recordatus misericodiœ suce. Sicut locatus est
ad patres nostros, Abraham et semini ejus in scecula;
c'est-à-dire que, comme Ta clairement annoncé saint
Paul : Tous les Juifs aussi seront convertis et sauvés,
mais après que toute la gentilité sera entrée dans
TEglise; Donec intraret multiiudo gentium, tune
sohus fiet omnis Israël (Rom., xi). Jésus-Christ donc,
qui, après avoir rendu la santé à Véronique, continue
son chemin en marchant après Jaïre, afin d'aller res-
susciter sa fille, est, dit TEmissène, la Grâce de l'Évan-
gile qui, en suivant la Loi et les Prophètes, marche
OU IX MORT DES JUSTES. 139
toujours vers la conversion des Juifs, après avoir
éclairé et converti les Gentils/1).
Nous venons de voir que, pendant que le Seigneur
marchait vers la maison de la jeune fille éteinte, celle-ci
était entourée par une foule de pleureurs, par une
bande de joueurs de flûte, qui lui chantaient l'élégie
funèbre de la mort. Or cette circonstance encore, dit
saint Jérôme, a été une prophétie de ce que nous
voyons arriver même de nos jours. Car nous voyons
la nation juive, morte à la lumière et à la grâce du
Messie, entourée par les rabbins se disant les régisseurs
et les docteurs de la synagogue vivante, tandis qu'ils
ne sont que les tristes ministres de son deuil, pleurant
tous les jours sur son royaume détruit, sur son sacer-
doce aboli, sur son temple tombé en ruine (2). Et saint
Hilaire avait dit aussi que les rabbins juifs, par leurs
lectures publiques de la Loi, ne font autre chose aujour-
d'hui que chanter à la synagogue morte l'hymne na-
vrant de la douleur (3). Mais, vains sons, chants in-»
utiles, ajouteDruthmare, qu'onrépète tous les sabbats,
et qui ne peuvent ressusciter cette infortuné défunte,
car elle ne se relèvera que lorsque Jésus sera arrivé à
elle pour lui rendre la vie (4). Etl'Emissène dit lui
«ncore : La flûte rend un son doux et agréable à

(1) « Ipse ad hujus puellœ resurrectionem vadit; quia ad Judaeo-


« rum conversionem appropinquamus (Expos.). »
(2) « Usque modo jacet mortua (synagoga); et qui videntur ma-
* gistri, tibicines sunt, carmen lugubre canentes. »
(3) « Gui, in canticis legis, hymnus personat luctuosus. »
(4) « Tumultus et tibicines et planctus inutiliter agunt in sabba-
• lis, quia nondum ad eos venit Jésus. »
140 HOMÉLIE III. — LA FILLE DE* JAÏRE,

l'oreille; mais elle ne dit rien à l'esprit. Ainsi, ces


joueurs de flûte de l'Évangile ne signifient que les
pharisiens expliquant aux Juifs ébahis l'Écriture sainte
dans le sens de la lettre qui tue, sans pouvoir y ajouter
rien de l'esprit qui vivifie (1). Jésus-Christ donc, qui,
en mettant le pied dans la maison de la jeune fille
décédée, commence par faire taire, par mettre dehors
l'orchestre importun qui l'entoure; c'est Jésus-Christ
nous apprenant qu'un jour il chassera du milieu de la
race juive les faux docteurs qui la trompent, et fera
cesser l'enseignement de la lettre qui, au lieu de la
préparer à la vie, ne fait que la bercer agréablement
pour l'enfoncer toujours davantage dans le sommeil
de la mort (2).
II est dit aussi, dans l'Évangile que nous expliquons,
que le divin Sauveur, en entrant dans la maison de
Jaïre, y trouva une foule tumultueuse et criante autour
de la trépassée. Et par là l'évangéliste a voulu nous
peindre d'avance, selon saint Jérôme, la triste con-
dition du peuple juif après sa réprobation. Car ce
malheureux peuple, ainsi que nous le voyons, est
pourtant moins un peuple croyant qu'un peuple fai-
sant du tumulte (3).
La tourbe insolente qui entourait le cadavre de la
jeune fille décédée, en entendant le Seigneur s'écrier :

(1) « Quid tibicines nisi Pharisaei, legem ad litteram exponentes?


« Tibia enim dnkem sonum sine intelligentia reddit, »
(2) « Tune, jubente Domino, tibicines recèdent, quia tune ces-
« sabit litlera, auditum suaviter sed infructuose demulccns. »
(3) « Turba Judœorum non est turba credentium, sed tumultuan-
« tium. »
OU LA. MORT DES JUSTES. 141

« Ne pleurez pas; l'enfant n'est pas morte; elle est


« seulement endormie, » se moqua de lui; et, en puni-
tion de cette moquerie sacrilège, elle fut chassée de la
maison ; elle fut privée du bonheur d'assister au pro-
dige de la résurrection de l'enfant. Ce furent seule-
ment les parents de cette fortunée fille, pleins de foi
dans la puissance du Seigneur et de religieux respect
pour sa personne ; ce furent les Apôtres qui eurent la
faveur d'être les témoins du prodige. Or tout cela, dit
saint Hilaire, est encore une prophétie de ce qui doit un
jour arriver aux Juifs. Ils s'étaient moqués, pendant
la vie du Seigneur, de la prédiction qu'il avait faite de
sa résurrection ; et ils s'en sont toujours moqués après
sa mort. Ils se sont toujours obstinés à nier, à tourner
en ridicule ses doctrines et ses miracles. C'est pour
cela qu'au lieu d'être sauvés dans son Eglise, ce que le
Seigneur aurait voulu, ils ont été chassés de l'Eglise.
Et tant qu'ils resteront dans ces horribles dispositions,
ils seront indignes de voir, et ils ne verront pas la
résurrection de leur synagogue, de leur nation (1). Ce
ne sera donc, dit l'Emissène, que lorsqu'ils reconnaî-
tront enfin, comme le père et la mère de l'enfant
morte, la puissance et la divinité de Jésus-Christ; ce
ne sera que lorsqu'ils croiront à la promesse faite à
Moïse et conservée dans l'Église : « Que la résurrection
de leur peuple se fera par Jésus-Christ; » ce ne sera
que lorsqu'ils s'associeront aux Apôtres, en recevant

(1) « Turba omnis expulsa est, quam utique salvare Dominua


« optasset, sed îrridendo dicta et gesta ejus, resurrectionis non fuit
« digna consortio. »
142 HOMÉLIE III. — LA FILLE DE JAÏRE,

de leurs successeurs la doctrine et la foi de Jésus-


Christ, qu'ils verront leur synagogue endormie, se
réveiller à la résurrection et à la vie (1).
Jésus-Christ prend par la main l'enfant avant de la
rappeler à la vie, pour indiquer, dit saint Jérôme, que
la synagogue morte ne ressuscitera que lorsque les
mains des Juifs, dégouttant encore le sang de Jésus-
Christ qu'elles ont répandu, seront purifiées par les
eaux du baptême (2).
Tout cela accompli, au son de la voix toute-puis-
sante du Sauveur, l'enfant revient à la vie, se met à
marcher, et Jésus-Christ veut qu'on lui présente à
manger. C'est ainsi qu'au son de la prédication chré-
tienne des nouveaux apôtres, que Jésus-Christ enverra
dans le monde, à laquelle rien ne saura résister, l'esprit
vivifiant ranimera la nation juive. Elle s'asseyera à
la table commune de l'Eglise, Jésus-Christ voulant
qu'elle aussi mange de son divin Corps; et elle mar-
chera dans les voies du salut avec la foi, la ferveur, la
constance, le dévouement des chrétiens des premiers
siècles. Elle rivalisera de zèle avec les plus grands
apôtres pour la gloire de Jésus-Christ, et le fera ré-
gner d'un bout à l'autre du monde. Ce sera la resti-
tution véritable, le rétablissement complet du royaume
d'Israël, du royaume du Messie, du royaume de Jésus-
Christ sur la terre, et la plus belle, la plus magnifique

(1) « Venit cum discipulis, quia tune Christi fidem et Apostolorum


« doctrinam suscipiet muititudo Israël. »
(2) « Tenuit manum ejus, et surrexit puella. Quia nisi prius mnn-
s datae fuerint manus Judaeorum, plenae sunt sanguine., s j n a g ^ a
« eorum mortua non resurget. »
OU LA MORT DES JUSTES. 143

phase du Christianisme, dont nous ne savons pas, ne


pouvons pas savoir au juste le temps, mais dont il D e
nous est pas permis de nier la réalité (1). C'est là l e
véritable but vers lequel marche, progresse l'humanité.
Hâtez, nous vous en prions, hâtez, Seigneur, dans
votre miséricorde cet heureux moment où vous réu-
nirez les enfants d'Abraham selon la chair aux enfants
d'Abraham selon la foi, Ismaël à Isaac, Esaû à Jacob,
les Juifs aux Gentils, Jérusalem à Rome, afin que tous
les peuples, devenant un seul peuple sous un seul souve-
rain, une seule famille sous un seuLpère, un seul trou-
peau sous un seul pasteur, tous les enfants des hommes
professant les mêmes croyances, suivant les mêmes
lois, puissent tous louer votre même nom saint, vous

( 1 ) Lorsqueres Apôtres dirent au divin Sauveur ressuscité : «Sei-


gneur, n'est-ce pas dans ce temps-ci que vous allez rétablir le royaume
d'Israël; Domine, si in tempore hoc restitues regnum Israël?»
Jésus-Christ leur répondit : « II ne vous appartient pas de connaître
le temps et les moments que le Père a réservés en sa puissance. II
vous suffit de savoir que vous recevrez la vertu de l'Esprit-Saint qui
Surviendra en vous, et que vous me rendrez témoignage en Jérusa-
lem, dans toute la Judée et en Samarie, et jusqu'aux extrémités de
la terre ; Dixit autem eis : Non est vestrum nosse tempora vel
W&menta qum Pater posuit in sua potestate. Sed accipietis vir-
tutem supervenientis Spiritus saneti in vos, et erilis mihi testes in
Jérusalem, et in omni Judxa et Samaria, et usque ad ultnnum
terrx (Act., I). » Ainsi, le divin Sauveur, tout en nous cachant le
temps de ce grand événement, a affirmé que cet événement ;iura vrai-
ment lieu; c'est-à-dire que son royaume sur les àme.-*, son royaume
tout spirituel, commencé en Israël et par Israël, dans la JuiJée et par
les premiers chrétiens juifs, mais que la masse des Israélites n'a pas
compris, sera rétabli en tout le monde ; et JÉSUS NAZARÉEN, LE KOI
DES JUIFS, sera le vrai et unique roi de tout le monde.
144 HOMÉLIE III. LA FILLE DE JAÏRE,

rendre le même culte, participer aux mêmes sacre-


ments, obtenir le même héritage, atteindre la même
patrie du ciel, jouir de la même félicité!

8. Existence miraculeuse des Juifs. Dieu les conserve pour servir


de témoins à l'Église.

En attendant, en Jésus-Christ qui suit toujours Jaïre,


jusqu'à ce qu'il soit arrivé à sa maison, on ne peut pas
s'empêcher, disent les P è r e s , de voir sensiblement un
autre mystère de la sagesse et de la puissance de Dieu.
Tout peuple émigrant du pays de son origine, se
fractionnant et allant s'établir chez d'autres peuples,
finit par s'y mêler, s'y fondre, s'y assimiler, s'y identi-
fier, et disparaître. L'histoire de toutes les émigrations
anciennes et modernes est là pour constater que c'est
une loi générale et imprescriptible de l'humanité.
Il n'y a que le peuple juif qui, ayant abandonné la
Judée, n'ayant ni un chef commun, ni un centre com-
mun de pouvoir et d'autorité, dispersé, fractionné à
l'infini au milieu de tous les peuples, sur tous les points
du globe, soit resté toujours lui-même, conservant ses
traditions, ses croyances, ses habitudes, ses rites, sa
religion. C'est un petit ruisseau traversant, dans toutes
les directions, l'Océan, et conservant toujours sa trace
et la qualité spéciale de ses eaux. Une pareille exis-
tence du peuple juif, durant déjà depuis dix-huit siè-
cles (l'incrédulité a beau vouloir nous persuader le
contraire), est évidemment miraculeuse. C'est l'effet
de la promesse divine : Que le peuple juif ne périrait
pas. C'est l'écho fidèle de cette parole toute-puissante
du Dieu rédempteur : « La jeune fille n'est pas morte,
OU LA MORT DES JUSTES 145
elle n'est qu'endormie ; » et q u i , se répétant depuis
bientôt deux mille ans, dans tous les temps et dans tous
les lieux, conserve, dans toutes les fractions de ce
peuple dispersé,les germes de sa résurrection. En sorte
que, paraissant mort, il n'est que dormant, et atten-
dant son réveil : le sommeil n'étant que le repos et la
réparation de la vie ; Non est mortua puella, sed dormit.
On a dit que c'est par un trait de la justice de Dieu
que ce peuple existe toujours à l'état de peuple vaga-
bond, errant, fugitif, portant au front le stigmate du
déicide, et subissant la punition de Caïn, en peine
d'en avoir renouvelé le crime, parce q u e , lui aussi,
a donné la mort à son frère innocent, au vrai Abel,
Jésus-Christ. Cela n'est que trop vrai ; mais cela n'est
pas toute la vérité. La mystérieuse immortalité de ce
peuple s'explique bien encore, dit saint Augustin, par
le dessein visible de la sagesse de Dieu de faire servir
l'aveuglement, la perfidie,l'obstination et le châtiment
de ce même peuple au témoignage, à la preuve toujours
vivante de la vérité du christianisme.
En présence des Juifs ayant conservé l'Ancien Tes-
tament, qui renferme les titres primordiaux, les pro-
phéties de la Yie de Jésus-Christ et de sa religion, on
ne peut pas dire que c'est nous qui avons inventé ces
titres et ces prophéties , puisqu'ils se trouvent dans les
mains de nos ennemis, qui en attestent l'authenticité
et la vérité. Nous précédant toujours et partout, les
Juifs, dit saint Augustin, sont donc nos libraires, nos
archivistes (1). Ce sont eux qui conservent et mon-
( i ) « Prœcedit Judœus; spquilur Christianus Judaei librarii
« nostri facti sunt. »
146 HOMÉLIE 111. — L A FILLE DE JAÏKE,

trent au monde les diplômes authentiques prouvant


l'antiquité et la vérité de la religion chrétienne. Vien-
nent ensuite les Apôtres, q u i , l'Evangile d'une main
et le témoignage de l'histoire profane de l'autre, nous
prouvent que le vrai Messie, le vrai Sauveur du monde,
dont les livres des Juifs indiquent les caractères, est
Jésus-Christ, et que toutes les prophéties contenues
dans ces mêmes livres se sont accomplies à la lettre en
Jésus-Christ et en son Église $ et de ce double témoi-
gnage, dont la sincérité ne peut pas être mise en doute,
puisque ce sont deux peuples ennemis l'un de l'autre
qui affirment la même chose, résulte une preuve sans
réplique en faveur de la divinité du christianisme. De
cette double confession de deux peuples, ayant des
intérêts contraires, comme de deux chœurs opposés,
se forme l'harmonie magnifique, le vrai hymne de
gloire du Dieu rédempteur.
Jaire donc qui Ya en avant, et Jésus-Christ qui le
suit; Jaïre qui lui trace la route et lui indique le che-
min, c'est la prophétie visible du grand fait qui se re-
nouvelle et se perpétue depuis dix-huit siècles : Que
toujours et partout le Juif précède, portant, dans sa
Bible, la préface et le thème de l'Évangile ; et que le
chrétien, venant après, porte dans ce même Évangile
l'exposition de la même pensée, et complète par là le
même ouvrage. Jaïre allant en avant, et Jésus-Christ
qui le suit, est la figure vivante du peuple juif, est le
roi d'armes, le héraut portant en avant les armoiries,
la couronne, les emblèmes de la noblesse, de la gran-
deur, de la gloire de Jésus-Christ, le grand Roi im-
mortel des siècles qui apparaît successivement dans le
OU LA MORT DES JUSTES. 147

monde, y établissant son règne, et recevant les témoi-


gnages de tous les peuples que la puissance de sa grâce
et de sa vérité conquiert à l'empire de son amour.
9. Pourquoi les souverains Pontifes gardent les Juifs à Rome, et les
protègent. Magnifiques prophéties qui s'accompliront lors de leur
entrée dans l'Église. Ils ne ressusciteront à la vie de la foi qu'à
cause de l'esprit des Patriarches, qui est en eux.

Cela vous explique, mes frères, pour le dire en pas-


sant, pourquoi les souverains Pontifes, ne permettant
à Rome aucun culte, hors le culte catholique, y ont
gardé les Juifs pratiquant leur culte; les y ont pris
sous leur protection, et ont souvent réprimé le fana-
tisme aveugle de certains gouvernements qui sévis-
saient contre les restes de ce peuple prophétique, en
rappelant à ces gouvernements « qu'on doit du respect
à la race d'Abraham, de laquelle est sorti Jésus-Christ
selon la chair. » Eh mon Dieu ! c'est bien simple , c'est
bien naturel : par cela même qu'ils sont les déposi-
taires des preuves de l'antiquité et de la vérité de la
religion chrétienne, les Juifs attestent aussi l'origine
ancienne de l'Église, descendant d'Adam par les pa-
triarches et les prophètes ; la naissance de l'Église au
milieu du peuple de Dieu -, le testament divin, insti-
tuant l'Église héritière des promesses divines. Ce
sont donc, en quelque s o r t e , les dépositaires, les no-
taires, les témoins des titres, des droits, des privilèges
de l'Église. Ils rendent service, et grand service à
l'église-, ils doivent un jour faire partie de l'Église.
Ils appartiennent, en perspective, à l'Église. C'est une
portion de l'héritage divin qui doit aussi échoir à l'E-
glise. Dès lors rien n'est plus juste ni plus raisonnable
148 HOMÉLIE III. — LA FILLE DE JAÏRE,
t

que l'intérêt qu'en prend l'Eglise, que la protection


qu'ils trouvent au centre de l'Église à l'ombre de la
royauté du chef de l'Église.
C'est ainsi que s'accomplit la grande prophétie de
Noé, Que Japhet serait entré, aurait habité dans les
tabernacles de Sem et que Chanaan aurait servi tous
y

les deux (Gènes., îx). C'est-à-dire que la race des gentils


descendant de Japhet serait entrée dans l'Église formée
par Jésus-Christ, par ses Apôtres et le petit nombre de
Juifs fidèles tous descendant de S e m , et que les Juifs
incrédules et insolents, appelés race de Chanaan dans
les Livres saints, auraient servi le peuple chrétien,
formé des deux races des enfants respectueux et fidèles.
C'est ainsi que se réalise cette autre prophétie: Qu'Ê-
saii aurait vendu ses droits d'aînesse à Jacob, et que
l'aîné des deux frères attrait servi le plus jeune. O har-
monie divine ! ô richesse, ô magnificence, ô grandeur
des Livres saints! Qu'on vienne nous dire, après cela,
que ce plan immense, cette économie sublime de la reli-
gion, que nous voyons se dérouler sous nos yeux, sont
l'œuvre de l'homme!- En vérité, je ne sais pas s'il y a
plus de stupidité que d'impiété à dire et à croire cela.
Ce que je sais, de manière à n'en pouvoir douter, c'est
que ceux qui le disent, aussi bien que ceux qui ont
l'air de le croire, ont abjuré le bon sens , et que les
uns et les autres sont des rebelles contre la raison aussi
bien que contre la foi !
Quant aux Israélites actuels eux-mêmes, il y a de
l'aveuglement volontaire, de la perversité, de la perfi-
die même, dans leur obstination à méconnaître Jésus-
Christ pour le vrai Messie et le Sauveur du monde-,
OU LA MORT DES JUSTES. 149
mais le sang des patriarches et des prophètes ne coule
pas moins pour cela dans leurs veines 5 ils ne sont pas
moins les restes de ce peuple que Dieu a aimé comme
son enfant, et qu'il avait choisi pour être le sujet de
ses prodiges, et le gardien de son culte, de ses lois et
de ses vérités. Ils ne conservent pas moins des germes
de la foi des patriarches et des prophètes leurs pères.
Ces Justes de l'ancien temps ne vivent pas moins mo-
ralement, en quelque sorte, en eux; comme un père
saint ne vit pas moins physiquement dans son fils dé-
généré. Comme c'est par les prières et les mérites de
ces Justesque,d'après la prophétie, lasynagogue a duré
jusqu'ici et ne périra jamais ; Et filii eorttm PROPTER
ILLOS usque in œtemum manent ÇEccli., X L I V ) ; c'est

aussi par un restedeleur esprit résidant en elleque cette


même synagogue n'est pas tout à fait morte, parfaite-
ment morte; mais qu'elle n'est qu'endormie et attend
son réveil, ou sa résurrection à une vie nouvelle. Et
lorsque ce grand événement arrivera, il s'accomplira
précisément comme la résurrection de l'enfant de
Jaïre, p a r l e retour de l'esprit des anciens justes en
elle : Et reversus est spiritus ejus , et confestim sui*-
rexit puella. C'est encore ainsi que ces anciens Justes,
ces grands amis de Dieu, devant, en* quelque sorte,
revivre dans la personne de leurs derniers descendants,
ne sont pas morts entièrement, eux non plus ; que
leur mort n'aura été qu'un long sommeil ; Non est
mortua puella, sed dormit; et que cette mort a été
aussi précieuse aux yeux de Dieu ; Preiiosa in conspectu
Domini mors Sanctorum ejus.
Mais voyons comment nous aussi pouvons partager
150 HOMÉLIE III. LA FILLE DE JAÏRE,

le même bonheur; comment et en quoi, si notre


vie est sainte, notre mort aussi sera précieuse devant
Dieu. C'est ce que nous allons faire à l'instant, en
expliquant encore l'histoire de la résurrection de la
fille de Jaïre dans son sens anagogique.

TROISIÈME PARTIE.
LA FILLE DE JAÏRE, AU SENS ANAGOGIQUE.

10. Jésus-Christ, à l'occasion de la mort de cette fille, nous révélant


que la mort des Justes n'est qu'un sommeil. Charmes et grâce de
ee mot divin.

TELLE est, mes frères, la fécondité des mots des Li-


vres saints, qu'ils ont en même temps différents sens,
et que ces sens sont tous vrais et réels. Ainsi, par ces
douces paroles qu'il a prononcées en parlant de l'en-
fant de Jaïre : « La jeune fille n'est pas morte, elle
« n'est qu'endormie; Non est mortua puella, sed
« dormit, » le Seigneur a voulu dire, non-seulement
que cette enfant fortunée allait ressusciter comme un
homme qui se réveille , mais aussi qu'elle , étant une
àme pure et juste, venait mourir comme un homme
qui s'endort; et par là il a voulu, d'après saint Am-
broise, apprendre au vrai chrétien à ne pas craindre
la m o r t , non-seulement parce que l u i , notre divin
Sauveur, Ta sanctifiée en s'y soumettant volontairement
lui-même, et l'a rendue douce, agréable, heureuse;
mais aussi parce qu'une mort à laquelle il assiste lui-
même, par la grâce de ses sacrements, par le don de
la persévérance ; une mort dans laquelle le divin Époux
OU LA. MORT DES JUSTES 151
montre de près à l'àme fidèle le chirographe de sa pré-
destination, et l'appelle au baiser de son amour, a
changé sa nature et sa condition \ ce n'est plus la mort,
ce n'est qu'un doux sommeil (1).
En confirmation de la même consolante vérité, nous
l'entendrons bientôt, cet aimable Sauveur, dire de
Lazare à ses Apôtres : « Lazare, notre bon ami Lazare,
« dort ; et voilà que je vais le réveiller de son sommeil ;
« Lazarus amicus noster dormit ; et ego vado ut eum
« exciiem a somno (Joan., xi). » Et par là le Seigneur
ne voulut pas dire que Lazare n'était vraiment pas
tnort, puisqu'on l'avait déjà enterré depuis quatre
jours ; mais, ayant appelé Lazare, qui venait de mourir,
« son ami, » ainsi que l'ami de ses disciples, « amicus
noster » il a voulu nous assurer que la mort des vrais
y

Lazares, des amis de Jésus-Christ et de son Église, n'est


qu'un sommeil.
De là le langage adopté par les chrétiens, comme l'a
remarqué le vénérable Bède, d'appeler DORMANTS, dor-
mientes, ceux parmi eux qui mouraient dans la con-
fession de la vraie foi, dans la profession de la vraie
justice ; et d'appeler CIMETIÈRES OU dortoirs les lieux où
on les enterrait. Saint Paul a été le premier à parler ce
délicieux langage, lorsqu'il a dit : « Si quelqu'un s'en-
dort parmi vous, gardez-vous bien d'en pleurer à la
manière des Gentils, qui n'ont pas l'espérance d'une
ttieilleure vie ; De dormienlibus, ut non contristemini,
tncut et cœteri qui spem non habent (I Thess. iv). » y

(I) « Docuit non formidare mortem, quia ipse erat moriturus;


« mors enim, eo accedente, somnus est (Ambros. in Caten.). »
152 HOMÉLIE III. LÀ FILLE DE JAÏRE,

Après saint Paul, c'a été saint Luc, son disciple, qui a
fait usage de la même expression, nous ayant raconté
dans ces termes la mort du premier des martyrs chré-
tiens lapidé par les Juifs ; Les Juifs, dit-il, lapidaient
Etienne, qui priait et disait : « Seigneur Jésus, recevez
mon esprit. » Et s'étant mis à genoux, il cria d'une
voix forte : « Seigneur, ne leur imputez point ce
péché. » Et ayant dit cela, il S'ENDORMIT DANS LE S E I -
GNEUR ; Et lapidabant Stephanum o?*anfem et di-
centem : Domine Jesu, suscipe spiritum meum. Et
posiiis genibvs, clamavit voce magna : Domine, ne sta-
tuas illis hoc peccatum. Et cum hoc dixisset, OBDOR-
MIVIT IN DOMINO (Act v u ) . Oh! qu'il y a de charme-
tJ

dans cette parole : « Il s'endormit dans le Seigneur, »


et qu'elle est pleine de consolation et d'espérance!
Nous ne mourrons donc pas, si nous restons fidèles à
Dieu; nous ne ferons que nous endormir ; notre divin
Maître nous Ta dit : Non est mortua puella, sed dormit.
Mais tâchons de bien comprendre cette idée, aussi pro-
fonde et expressive qu'elle est délicieuse, que la Sa-
gesse incarnée nous a donnée de la mort de ses iidèles
serviteurs, de ses saints, en l'appelant « un sommeil. »

11. La mort des Justes, vrai sommeil, parce qu'elle est sans
douleur. Joie des Justes à la mort.

D'abord le vrai sommeil est sans douleur ; et c'est


ainsi qu'est la mort des Justes. Ces maladies compli-
quées que la médecine ne sait ni comprendre ni guérir,
et qui finissent par une mort douloureuse, ne sont
ordinairement que la conséquence d'une vie de lubri-
cité et de débauche, d'une vie agitée, déréglée, d'une
OU LA MORT DES JUSTES. 153

vie de passions et de désordres. La vie d'ordre, la vie


frugale, la vie pure, la vie mortifiée des vrais chrétiens,
les met à l'abri de ces horribles maladies, et des tour-
ments atroces qui en sont la suite au moment de la
mort. La chasteté est un cosmétique qui, en embel-
lissant l'àme, conserve le corps, prolonge la vie, et lui
fait éviter de grandes souffrances et de grandes dou-
leurs ; Quiabstinens est, adjiciet vilam (Eccli., xxxvn).
Les bons chrétiens ne meurent ordinairement que de
vieillesse, de fièvres ou de consomption, maladies qui
ne sont presque pas douloureuses.
Mais lors même que, afin d'augmenter ses mérites,
d'éprouver sa vertu, de purifier son àme, Dieu dispose
que le Juste ait en mourant à souffrir beaucoup dans
son corps; l'esprit de pénitence qui lui a rendu fa-
miliers la mortification et le crucifiement de la chair-,
la patience et la résignation chrétienne avec lesquelles
il est accoutumé à supporter tous les maux de la vie;
la croyance que de pareilles souffrances dans cette vie
sont autant de souffrances qu'il évite dans l'autre; la
pensée enfin que Jésus-Christ son Sauveur est mort
sur une croix au milieu des plus affreuses douleurs ;
toutes ces raisons réunies adoucissent de telle manière
toute espèce de peines, qu'on ne les sent presque pas.
Ajoutez encore que, comme l'apôtre saint Paul nous
l'a dit, et l'expérience de tous les jours le confirme,
Dieu est bon et fidèle à remplir les promesses qu'il a
faites à ses serviteurs, et qu'il ne permet pas que ces
âmes qui lui sont chères soient éprouvées au-dessus
de leurs forces. En les mettant à des épreuves doulou-
reuses, il leur accorde donc des secours surnaturels,
154 HOMÉLIE III. — LÀ. FILLE DE JAÏRE,

afin qu'ils puissent les supporter, ces épreuves, en


patience et même avec joie; Fidelis Deus, qui nonpa-
tieiurvos tentari supra id quod potestis, sedfaciet cum
tentatione proventum, utpossitis sustinere ( ï Cor., x).
Ah! l'onction de la grâce, les consolations spirituelles
dont Dieu inonde l'âme chrétienne à son dernier mo-
ment, sont si grandes, qu'elles lui rendent délicieuses
même les souffrances du corps. N'a-t-on pas vu en effet
les martyrs,même jeunes hommes, même jeunes filles,
même jeunes enfants, se réjouir, plaisanter même au
milieu des plus affreux tourments? Saint Laurent,
pendant qu'on le rôtissait sur un gril, ne disait-il pas
en riant au tyran : « Je suis assez rôti d'un côté;
« tourne-moi maintenant de l'autre ; repais-toi ensuite
« de ma chair (1). »
De la jeune vierge sainte Agathe, il nous est dit que,
pendant qu'on lui tenaillait son sein pudique, elle in-
sultait son bourreau en lui disant : « Comment! tu n'as
« pas honte de couper dans une femme ce que toi-
« même as sucé dans ta mère? » et il nous est dit aussi
qu'en parlant ainsi, la chrétienne héroïne marcha à la
rencontre de tourments plus affreux encore, aussi tran-
quille et joyeuse que si elle allait à un banquet (2)?
Mais laissons de côté les martyrs, ces vrais héros,
ces prodiges vivants de la grâce de la foi, ces témoins

(1) q Beatus Laurent lus, dum in craticula superpositus, ureretur,


« ad impiissimum tyrannum dixit : Assatum est jam, versa, et
« manduca (In Brev. rom. tO August.). »
t

(2) « Beata Agatha dixit ad judicem : Non pudet amputare in


.i foemina quod in matre suxisti? Et la?tissime etglorianter ibat ad
« carcerem, quasi ad epulas invitata (Ibid., 5 Februar.). »
OU LA. MORT DES JUSTES. 155
glorieux de la vérité du christianisme. Les plus humbles
même des serviteurs de Dieu se sont-ils jamais plaints
au milieu des souffrances de la mort? Ne les ont-ils
pas au contraire supportées avec une telle constance,
qu'on eût dit qu'ils ne souffraient pas du tout? Ce
théologien célèbre, le père Suarez, aussi grand par la
simplicité et la pureté du cœur que par l'élévation de
l'intelligence, ne disait-il pas, au milieu des douleurs
de sa dernière maladie : « Je n'aurais jamais cru qu'il
fût si doux de mourir (1)? » C'est ainsi que s'ac-
complit ce délicieux oracle des Livres saints : « Les
* âmes des Justes sont dans les mains de Dieu, et la
« douleur de la mort ne les atteint pas*, Justorum
« animée in manu Dei sunt ; et non tanget illos tor-
u mentum mortis (Sap., i n ) ; » et c'est ainsi que les
Justes souffrent aussi peu en mourant qu'un enfant en
s'endormant; Non est mortua puella, sed dormit.

11. La mort des Justes encore un vrai sommeil, parce qu'elle est
sans répugnance. Résignation héroïque d'une jeune veuve en
mourant.

En second lieu, on se livre au sommeil sans répu-


gnance et sans regret; et c'est aussi sans crainte
que les bons chrétiens voyent arriver la mort. Je
ne dis pas que même le juste n'éprouve une cer-
taine frayeur aux approches de la mort. C'est trop
g r a n d , disait saint Paul, l'amour que l'àme a pour
son c o r p s , pour s'en voir dépouiller sans peine.
Lors même qu'elle désire ardemment le ciel, elle
voudrait pouvoir être revêtue de l'immortalité sans

(0 « Non putabam tam dulco esse mori (tn Vita). »


156 HOMÉLIE III. LA FILLE DE JAÏRE,

être privée de son corps mortel; Nolumus exspoliar;


sed supervestii'i, ut quod moriale est absorbeatur a vita
(I Corinth., v). Et d'ailleurs rien, dit saint Thomas,
n'est plus naturel à l'homme que la répugnance de la
mort (1) ; et saint Augustin avait remarqué que la ré-
pugnance de la mort est un sentiment de la nature, et
non pas un préjugé d'éducation. Car s'il n'en était pas
ainsi, ajoute le même docteur, en donnant leur vie
pour Jésus-Christ, les martyrs n'auraient eu aucun
mérite, n'auraient acquis aucune gloire, puisqu'ils
n'auraient sacrifié après tout qu'un préjugé (2). C'est
précisément parce qu'il répugne trop à l'homme de
mourir, c'est parce que cette répugnance est aussi
naturelle qu'elle est vive et profonde, qu'il y a du mé-
rite à se résigner à la volonté de Dieu nous demandant
la vie, et bien plus encore à la donner volontairement,
cette vie, pour la gloire de son nom.
Mais, tout cela admis, il n'en est pas moins vrai que
cette répugnance, cette appréhension de la mort n'étant
point un péché, pas même une imperfection, puisque
Jésus-Christ a voulu l'éprouver lui-même, elle n'in-
quiète pas le moins du monde le chrétien qui meurt. II
n'en est pas moins vrai que c'est précisément par le
mérite de Jésus, ayant lui-même éprouvé la répugnance
de la mort, que l'âme fidèle obtient la force de maî-
triser cette répugnance-, et dès lors la mort, dit saint
Grégoire, qui a été la peine de nos vices, se convertit

(1) « Naturale est horaini timere mortem. »


(2) « Timorem mortis non op'mio facit, sed natura. ÀUoquin quœ-
« nam esset martyrum gloria (De Civ. Dei). »
OU LA MORT DES JUSTES. 157
en moyen de pratiquer de nouveaux actes de vertus,
et le châtiment du pécheur devient un source de mé-
rites pour le Juste (1). Or tout cela élève, console, dé-
dommage tellement le Juste mourant, qu'il ne sent
presque plus sa répugnance, ou qu'il ne la sent, je
dirais presque, qu'en dehors de l'àme, aux portes de
l'àme; et que cette frayeur de sa partie sensitive n'at-
teint pas sa partie spirituelle; et que ce frisson de son
corps ne trouble pas son cœur.
Quant au monde, l'ayant traversé sans l'aimer, l'âme
juste l'abandonne avec indifférence; quant aux biens
de la terre, les ayant possédés sans attache, elle s'en
dépouille sans regret; quant aux objets légitimes de
ses affections, ne les ayant aimés qu'en Dieu et pour
Dieu, elle n'éprouve pas une grande peine à s'en sé-
parer, puisque c'est Dieu même qui le veut ainsi. Voyez
cette jeune fille chrétienne, mourant à la fleur de l'âge,
lorsque tout souriait autour d'elle. Elle n'a d'autre
regret que celui de laisser dans la désolation sa mère
chérie. Préoccupée de la peine que va éprouver sa
mère, elle ne paraît éprouver aucune peine elle-même.
« Je vous recommande ma mère, consolez ma mère, »
dit-elle à toutes ses amies. Et elle cherche à la consoler
en l'assurant de sa résignation, de sa tranquillité et de
son bonheur. J'ai vu mourir une jeune veuve vraiment
chrétienne, laissant trois enfants en bas âge : « Ils me
font de la peine, disait-elle. Pauvres créatures dou-
blement orphelines! Après avoir perdu leur père, voilà

(I) « Ipsa pœna vitiorum transit in arma virtutum; fit Justi me


« ritum supplicium peccaloris. »
158 HOMÉLIE III. LA FILLE DE JAÏRE,

qu'elles vont perdre leur mère! Mais Dieu le veut


ainsi : que sa volonté soit faite! Il en prendra plus de
soin, lui, le Père céleste, et elles ne perdront rien au
change. Dorénavant, elles pourront avec plus de vérité
appeler Jésus-Christ « Notre Père, » et la sainte Vierge
« Notre mère. » D'ailleurs, je ne savais pas les bien
élever; d'autres s'y prendront mieux que moi, et je
leur serai plus utile au ciel que je ne leur étais utile
sur la terre (1). » C'est ainsi que lïime fidèle, domptant
par la force de la grâce tous les sentiments de la na-
ture, quitte sans répugnance, sans regrets, une vie
passée sans reproches, et subit la mort avec la tranquil-
lité avec laquelle on s'endorl ; Non est mortua puella,
sed dormit.

13. Troisième circonstance de la mort du Juste : La paix du


sommeil.

Troisièmement : le sommeil, c'est le repos du corps;


et la mort du Juste, c'est le repos de l'àme.
Les pécheurs, d'après un mot profond des Livres
saints, sont « des hommes dormants,» à cause de l'oubli
entier où ils vivent de Dieu, de l'âme, de l'éternité, et à
cause de l'affreuse sécurité qui les rend stupidement
tranquilles dans leurs péchés; Dormierunt somnum
suum viri divitiarum (Psal. L X X V ) . Mais, fidèles à l'a-

( l ) Cette foi et cette confiance en Dieu n'ont pas trompé celte


grande chrétienne. Ses trois enfants, après la mort de leur mère,
sont devenus trois petits saints. Le garçon est prêtre maintenant; la
cadette des deux filles est religieuse ; l'aînée édifie le monde par sa
piété, la fiùl.le^se de sa santé ne lui ayant pas permis de rester au
couvent.
OU LA. MORT DES JUSTES. 159

vertissement que Jésus-Christ a donné, à chaque


page de son Évangile, de veiller toujours, d'être tou-
jours sur ses gardes contre les surprises de la mort,
les Justes, au contraire, veillent toujours sur toutes
leurs pensées, sur tous leurs mouvements, sur toutes
leurs opérations, afin de ne s'écarter en rien des obli-
gations de la loi de Dieu. Ils sont toujours en action,
toujours en travail, toujours en peine pour faire leur sa-
lut, et ne s'accordent pas un seul instant de repos etde
sécurité. Ce sont ces serviteurs fidèles que Jésus-Christ
a dits mille fois heureux, parce qu'ils sont toujours
éveillés en attendant leur maître; Beati servi Mi, quos
cum venerit dominas, invenerit vigilantes (Luc, XII).
Mais la mort arrive aussi bien pour les uns que pour
les autres ; et les voilà les uns et les autres changeant
leur rôle et leur condition. Le pécheur qui n'a fait que
dormir toute sa vie se réveille, dit l'Écriture sainte,
au moment redoutable de la mort. Et qu'il est triste,
qu'il est désolant, qu'il est affreux ce réveil du pé-
cheur! Rien ne saurait rendre le trouble qui saisit
son esprit, la tempête qui s'élève dans son cœur. Oh !
qu'il est pénible de le voir alors la figure bouleversée,
ouvrant de grands y e u x , s'agitant, frissonnant de
toute sa personne, et cherchant, avec une impatience
et un empressement qu'il ne peut pas cacher, le temps
qui s'échappe, la grâce qui s'éloigne, l'espérance qui
l'abandonne, cherchant je ne sais quoi d'essentiel, de
pressant qui lui manque, et ne le trouvant pas ; Nihil
invenerunt in manibas suis (Psal. LXXV).
Le Juste, au contraire, ayant veillé et travaillé toute
sa vie, aux approches de la mort ne fait que se reposer
160 HOMÉLIE III. — LA. FILLE Ï>E JAÏRE,

et s'endormir. Une voix du ciel s'étant fait sentir à


saint Jean, dans son Apocalypse, lui dit : « Heureux
« les morts qui meurent dans le Seigneur! Oui, dit
« l'esprit de Dieu, car c'est le temps de se reposer de
« leurs travaux ; Et audivi vocemde cœlo, dicentemmi-
« hi: Beatimoriui, qui in Domino moriuntur'. Amodo
ujam, dicit Spiritus, ut requiescant a laboribus suis
« (Apoc, xiv, 13), » Bien avant que cette voix mys-
térieuse se fît entendre à saint Jean, le Prophète-
Roi avait mis ces mots dans la bouche du Juste parvenu
au terme de sa vie : « Maintenant, je m'endormirai en
paix dans les bras de mon Dieu ; In pace in idipsum
dormiamet requiescam (Psal. iv. » Et l'auteur du livre
de la Sagesse avait dit à son tour : « Aux yeux des
«insensés, les Justes paraissent mourir, eux aussi,
<c comme les autres hommes, tandis qu'ils ne font qiio
« s'endormir dans la paix-, Visi sunt oculis insipien-
iium mort ; illi autem sunt in pace (Sap., m). »
Il est vrai que la véritable Jérusalem (parole qui
signifie la vision de la paix) n'est que le ciel, et que
c'est au ciel que l'âme fidèle s'assied, suivant la pro-
phétie, au sein des beautés de la paix ; Sedebit po-
pulus meus inpulchritudine pacis (Isa., xxxn), et que
l'Église, en chantant au chrétien qui vient de mourir
l'hymne de la paix, et en lui adressant les augures
et les bénédictions de la paix, ne lui indique que le
ciel, ne lui souhaite que le repos du ciel 5 In pace sit
locus ejus. Requiescat inpace(Offic. Defunclor.). Mais
il est vrai aussi que c'est au lit de la mort que com-
mencent les mystères du ciel pour le Juste, aussi bien
que les mystères de l'enfer pour le pécheur. Ah! les
OU LA MORT DES JUSTES. MM
funestes pensées que, le front pensif, les yeux ha-
gards, la figure renversée, le pécheur rumine dans son
esprit consterné, à ses derniers moments! Or, de même
que les appréhensions qui l'agitent > les remords qui
le rongent, la profonde tristesse qui l'accable, ne sont
que les prémices du châtiment qui l'attend aux enfers;
de même la tranquillité de l'esprit du juste mourant,
la paix de son cœur, le calme de sa conscience qui se
traduit par la douleur de son regard, par la sérénité
de son visage, ne sont que l'aurore du jour de la ré-
compense qui va rayonner pour lui au ciel. Je vous
avoue, pour mon compte, qu'ayant eu le bonheur
d'assister à de pareilles morts, j ' y ai vu moins des ma-
lades expirant pour mourir, que des hommes fatigués
fermant les yeux pour se reposer, et que ma pensée
m'a rappelé cette belle parole du Seigneur : L'enfant
n'est pas morte, elle dort : Non est mortua puella, sed
dormit.

14. Quatrième circonstance de la mort du Juste : La sécurité du


sommeil. Le pécheur tremblant, le Juste espérant, à la mort; mi-
sons de cette différence. Description des derniers moments de ï.i
vie des Justes.

En s'endormant, on ne craint pas plus qu'on ne


souffre. C'est aussi l'une des conditions de la mort du
Juste, l'absence de toute crainte.
Pendant la vie, l'homme livré aux désordres et aux
passions est, au moins en apparence, le plus heureux
des êtres : toujours dans les plaisirs, toujours dans la
joie, il rit de tout, il se moque de tout, et ne craint
rien. Mais à la mort, c'est bien autrement ! il ne voit
alors dans le passé que des jouissances qui se sont
162 HOMÉLIE III. LA FILLE DE JAÏRE,

évanouies comme l'ombre, ne laissant dans son âme


d'autre trace que le remords, et des péchés de toute
espèce, et sans nombre. Il ne voit dans le présent
qu'une vie qui s'en va, quelques efforts qu il fasse pour
la retenir; et dans tout ce qui l'environne, les présages
et les appareils de la mort. En plongeant dans l'avenir
sa pensée consternée, il n'y voit que le divin Maître
en colère, et son âme souillée tombée au pouvoir de ce
même Dieu tout-puissant qu'il a offensé, et qui va pro-
noncer sur lui un jugement sans ménagements, un
arrêt sans appel. Il n'y voit qu'une balance, un poids,
une mesure infaillibles, une éternité, et sous ses pieds
l'abîme, sa gueule béante, et le réclamant comme sa
proie. A cette vue, que rien ne peut lui dérober, son
imagination s'effraie, son esprit se confond, son cœur
se serre; il tremble, et il ne peut que trembler. Et
s'il y a des impies qui au lit de mort paraissent tran-
quilles, n'en croyez rien, nous dit l'Ecriture sainte.
Semblables à une mer d'autant plus agitée au fond
qu'elle paraît plus tranquille à sa surface, sous ces
dehors menteurs d'un calme affecté, leur cœur n'en
est pas moins en proie à d'horribles appréhensions, à
des frayeurs funestes ; Impii quasi mare fei'vens, quod
quiescere non potesi (IsaL, LYII). Ce qui paraît en eux
du courage n'est que de la lâcheté, n'osant pas rétrac-
ter leur passé. Ce qui paraît de l'assurance n'est que le
désespoir froid, inguérissable, par lequel l'impie,
tombé au fond de l'impiété, après avoir tout méprisé,
finit par s'exécuter et se mépriser lui-même; Impius,
cum in profundum venerit, contemnet (Prov. X V H I ) .
t

Mais c'est tout le contraire qui arrive au Juste. Ii


OU LA MORT DES JUSTES 163
praint toujours pendant sa vie. II craint Dieu et la sé-
vérité de ses jugements ; il craint le démon et la puis-
sance de ses assauts \ il craint le monde et le prestige
de ses séductions 5 il se craint lui-même à cause de la
faiblesse de ses forces, de l'inconstance de son cœur.
La seule pensée : Qu'il peut à chaque instant tomber
et se p e r d r e , le fait frissonner. Toujours en garde
contre lui-même, il s'alarme des plus petites fautes, de
crainte de glisser dans de grandes. 11 s'interdit les
plus innocents plaisirs, de peur de se laisser emporter
à des plaisirs coupables. Sa vie, partagée entre le tra-
vail et la prière, les œuvres de charité et l'accomplis-
sement de ses devoirs, n'est qu'une vie de précautions,
de privations, de sacrifices, de crucifiement, qu'il
s'impose à lui-même. C'est un être timide, faible,
pusillanime, malheureux aux yeux du monde; et il
est bien fortuné s i , au lieu du dédain, du mépris
dont les mondains accablent les vrais serviteurs de
Dieu, il ne rencontre que de la compassion.
Mais, à la mort, tout change en un instant. Comme
la fausse sécurité des méchants se convertit alors en
frayeur, de même la frayeur du chrétien devient sécu-
rité. Il espère alors plus qu'il n'a tremblé, comme le
flécheur tremble alors plus qu'il n'a espéré. C'est le
t^emps du désillusionnement. Comme un éclair de l'en-
fer fait entrevoir au pécheur sa damnation, un rayon
céleste révèle en quelque façon au Juste son salut.
Comme une voix secrète apprend au pécheur qu'il est
le fils de Satan et le fait glacer d'effroi, de même le
Saint-Esprit, dit saint Paul, rend témoignage alors à
notre propre esprit qu'il est enfant de Dieu, et le ras-
164 HOMÉLIE III. — L A FILLE DE JAÏRE,

sure ; Ipse Spiritus testimonium reddit spirilui nostro


quod sumus filii Dei (Rom.> vin). L'un des prodiges
que la grâce opère dans le cœur de ceux qui la pos-
sèdent, c'est d'y organiser l'espérance de manière à
ce que rien ne puisse l'ébranler ; Quoniam tu, Do-
mine, singulariter in spe constiluisli me (PsaL îv).
Le passé ne rappelle au Juste mourant qu'une vie em-
bellie par les charmes de l'innocence, ou rachetée par
les larmes du repentir et les pratiques de la pénitence.
Au présent, il ne voit dans la destruction de son corps
que le terme des dangers de perdre son âme et l'aug-
mentation de ses mérites, par la résignation dans ses
souffrances et par la grâce des sacrements et des se-
cours de la religion. Dans l'avenir, il ne voit qu'un
juge plein de clémence, un père plein de tendresse,
un Dieu plein de miséricorde. Jésus-Christ, dit saintGré-
goire, frappe à la porte de notre cœur par les symp-
tômes de la maladie qui nous annoncent la proximité
de la mort (1). Que le pécheur tremble alors, c'est
bien naturel ; on ne peut que trembler quand on va
avoir pour juge celui qu'on a outragé (2). Mais l'âme
juste et fidèle, que le souvenir de ses bonnes œuvres
rassure, que l'espérance dans la miséricorde de Dieu
relève, pourquoi tremblerait-elle aux approches de la
mort? Non, non, cela n'est pas possible. Ce qui est
possible, ce qui arrive en effet, est qu'elle s'empresse
d'ouvrir au Seigneur qui frappe, et qu'elle se réjouisse
à la pensée d'avoir pour son juge celui qu'elle a aimé

( i ) « Puisât Dominus, cum per aegritudinis molestias esse mortem


« vicinani denuntiat {Homil. XIII, in Evang.). »
(?) * Qnem contempsis?e se mcminit, judicem formidat {fbid.). »
OU LA MORT DES JUSTES. 165

et honoré comme son père, et de qui elle n'a à attendre


que caresses et gloire pour sa récompense (1).
Le Juste qui meurt est l'homme qui a fait déjà
toutes ses dispositions pour l'autre monde, qui y a en-
voyé d'avance ses provisions ; qui a achevé, de sa part,
l'œuvre de son salut, et qui n'attend plus de la libéra-
lité de Dieu que le don de la persévérance qui va le
couronner. Ainsi, l'annonce de la mort, qui fait fris-
sonner les méchants, fait tressaillir de joie l'àme chré-
tienne. O la belle parole, dit-elle, d'après le prophète,
ô la belle parole qu'on vient de faire résonner à mon
oreille, en m'apprenant que je vais mourir, et que je
vais entrer dans la maison du Seigneur; Lœtatus sum
in his quœ dicta sunt mihi : In domum Domini ibi-
mus (Psal. cxxi ) 1
Quelques saints, il est vrai, ont paru saisis de crainte
aux approches de la mort. Pour s'affranchir de cette
crainte qui l'avait saisi, lui aussi, en présence de la
mort, saint Hilarion eut besoin de se rappeler sa vie
et de se dire à lui-môme : « Mon âme, pourquoi et
de quoi as-tu peur? Est-ce qu'on peut avoir peur de
Dieu lorsqu'on l'a servi pendant soixante-dix ans (2)? »
Mais c'est pour les mettre à l'abri des mouvements
de la vanité et de l'orgueil que Dieu a quelquefois
permis que de grandes âmes éprouvassent cette crainte

(1) « Qui autem de sua spe et operatione securus est, pulsanti


« confestim aperit, quia laetus judicem sustinet ; et cum tempus
« propinqua; mortis advenerit, de gloria rctributionis hilarescit
* (Ibid.). »
(2) « Anima mea, quid times? Septuaginta annis servisti Deo, et
a times (ffieronym. in vita) \ »
166 HOMÉLIE III. — L A FILLE DE JAÏRE,

salutaire de la mort. Les grands navires ont besoin,


pour ne pas chavirer, d'un fort lest dont les petits
bateaux peuvent se passer. Quant aux âmes justes,
mais faibles, timides, la divine bonté vient soutenir
leur courage chancelant au moment du grand pas-
sage du temps à l'éternité, en les comblant de conso-
lations et d'espérance, et en leur inspirant ce grand
amour de Dieu, qui chasse toute peur ; Charitas foras
mittit timorem ( I Joan., iv); et c'est par cette éco-
nomie de miséricorde que les âmes si scrupuleuses, si
timides, si délicates pendant la vie, se montrent si
confiantes, si tranquilles à ce moment redoutable, dont
la seule idée consterne les plus forts esprits, ébranle
les plus grands courages. C'est par cette économie de
miséricorde qu'on les voit, ces hommes, se réjouir, rire
même dans les bras de la mort. Car, lors même que le
sourire de l'espérance n'effleure pas leurs lèvres, il est
toujours dans leur cœur, afin que s'accomplisse cet
oracle divin : Que toute àme juste rira à son dernier
jour ] Et ridebit in die novissimo (Prov., xxxi.)
Voyez l'enfant qui s'endort au sein de sa mère. Que
sa respiration est calme! que sa figure est sereine! Il
n'a pas peur, et le sourire de ses lèvres annonce la paix
de son âme, la sécurité de son cœur. Oh! qu'elle est
heureuse la condition de l'innocence dormant au sein
de l'amour! C'est la condition du Juste mourant, dit
l'Ecriture sainte. 11 n'est, lui aussi, que dormant dans
les bras de Dieu, dans le sein même de Dieu ; Juslorum
animée in manu Dei sunt (Sap., m ) . Et dès lors il n'a
pas peur, lui non plus. La crainte de Dieu, pendant la
vie, s'est changée, d'après la prophétie, en sécurité,
OU LA MOHT DES JUSTES. 167

en bonheur, au moment de la mort; Timenti Domi-


num bene erit in extremis (Eccli., i).
La mort, on Ta souvent dit, n'est que l'écho de la
vie. On n'est, en mourant, que ce qu'on a été en vi-
vant. Le chrétien qui a vécu dans le désordre cherche,
en mourant, à être trompé, et à se tromper lui-même,
sur sa situation. Ne pouvant plus disputer les mois et
les années à la pénitence, il lui dispute même les mo-
ments. Il ajourne toujours, il renvoie, du matin au
soir et du soir au matin, la confession, jusqu'à ce que
le temps arrive où il n'est plus temps; Tempus non
erit ampli us (ApocaL, x ) . C'est ainsi, dit saint Augus-
tin, qu'en châtiment d'avoir oublié Dieu pendant la
vie, le pécheur mourant s'oublie lui-même (1). Mais
le vrai chrétien, à sa dernière maladie, ne se fait pas
illusion. Il n'attend pas qu'on les lui impose, il réclame
lui-même les suprêmes secours de la religion. Tandis
que le pécheur, accoutumé, pendant la vie, à ne se
préoccuper que du corps, ne se préoccupe que du
corps même dans ses derniers moments; le vrai chré-
tien qui, de son vivant, a toujours mis en avant l'inté-
rêt de l'àme, ne se soucie uniquement que de ce grand
intérêt au temps de la mort. L'un ne veut voir que des
médecins autour de lui ; l'autre ne veut auprès de lui
que le prêtre. L'un s'empresse d'avaler des médica-
ments; l'autre n'est attentif qu'à gagner des indul-
gences. L'un n'ordonne que des consultations; l'autre
ne demande que des prières. L'un est profondément
triste ; l'autre est content. L'un tremble ; l'autre espère.

(1) « Ut qui vivens oblitus est Dei, moriens obliviscatur sui. »


168 HOMÉLIE 111. LA FILLE DE J A i l l F ,

L'un aime ; l'autre hait. L'un a l a i r effaré d'un homme


dont on vient d'interrompre brusquement le sommeil ;
l'autre afexpression d'un homme fatigué, soupirant vers
le repos. C'est que, pour celui-là, la mort n'est qu'un
terrible réveil, tandis qu'elle n'est qu'un doux som-
meil pour celui-ci ; Non est mortua puella, sed dormit.
Ah! combien sont édifiants les derniers moments
du vrai chrétien! Voyez sa foi, son recueillement, sa
piété, en recevant les sacrements. « C'est la dernière
fois, se dit-il, que Jésus-Christ vient à moi. Mainte-
nant, c'est moi qui vais à lui. » Voyez la ferveur avec
laquelle il prie, le calme avec lequel il souffre, l'onc-
tion céleste avec laquelle il s'exprime. Il ne parle et il
n'aime qu'on lui parle que de choses de religion. Doux,
tranquille comme un homme qui est sûr de son salut,
lorsqu'on lui nomme le bonheur du ciel, son regard
s'anime, son front s'épanouit, son cœur palpite d'une
joie secrète qui se traduit sur sa figure et par tous ses
mouvements. On dirait qu'il ne va pas au ciel, mais
qu'il y est déjà; qu'il a déjà posé le pied dans le vesti-
bule de la sainte Jérusalem ; Stantes erant pedes nostri
in atriis tuis^ Jérusalem (Psal. cxxi).
Enfin le moment arrive : et qu'il est beau de le voir
alors répondre avec une voix ferme aux prières de
l'Église, invoquer avec délices les augustes et doux
noms de Jésus et de Marie; presser avec une confiance
affectueuse contre son cœur l'image sacrée du crucifix,
et la couvrir de baisers avec la plus tendre dévotion;
et, la sérénité de l'innocence sur le front, le sourire de
la grâce sur les lèvres, expirer enfin dans le baiser du
Seigneur ; In osculo Domini !
01 LA MORT DES JUSTES. 169

Or, que dites-vous de tout cela, mes frères? est-ce


là mourir? n'est-ce pas plutôt fermer les yeux pour
s'endormir? Non est mortua puella, sed dormit.

15. L'Enfant de Jaïre après sa résurrection, figure de l'âme juste se


trouvant, au réveil de la mort, au ciel, dans les bras de Jésus-
Christ. Bonheur des jeunes gens mourant dans le Seigneur; il ne
faut pas les regretter. Les bons chrétiens sont les vrais sages. Vœu
de mourir de la mort des Justes.

Enfin, comme on ne s'endort que dans l'espérance


de se réveiller; de même le Juste ne meurt à la terre
que dans l'espérance de ressusciter, de revivre au ciel.
En parlant de la mort du Messie, ainsi que de la mort
de tout chrétien qui aurait partagé les mérites, les
droits, les privilèges du Messie, David lui a mis sur les
lèvres ces belles paroles : Je ne ferai que m'assoupir,
m'endormir; ce ne sera que pour ressusciter, puisque
le Seigneur m'a pris dans ses mains ; Ego dormivi, et
soporatus sum, et exsvrrexi, quia Dominus suscejnt
me (Psal. m ) . Et ailleurs le même prophète David a
dit encore : Lorsque le Seigneur enverra la mort à ses
bien-aimés, ce ne sera qu'un doux sommeil, dont ils
se réveilleront bientôt; et en rouvrant les yeux, ils se
verront en possession de l'héritage du Seigneur; ils se
trouveront au nombre de ses enfants, et le Fruit imma-
culé du sein de la Mère sera leur récompense; Cum
dederit dilectis suis somnum, ecce hereditas Domini,
filii merces Fructus vent ris (PsaL cxxvi). Car, en effet,
les Justes ne meurent à la terre que pour se réveiller
au ciel, ne quittent les hommes que pour posséder
Dieu. Qu'il est donc grand le bonheur du vrai chrétien
qui meurt!
170 HOMÉLIE 1U. LA FILLE DE JAÏRE,

La fille de Jaïre a dû éprouver une surprise, une


joie impossibles à imaginer, lorsque, rappelée par la
voix puissante du Seigneur à la vie, en rouvrant les
yeux elle se trouva en présence de ses parents, envi-
ronnée des Apôtres, dans les bras de Jésus-Christ, qui
la tenait encore par la main! Cependant, d'après l'o-
racle prophétique que je viens de citer, tout cela, ce
n'est qu'une pâle figure, un essai de la stupéfaction,
du gaudium qu'éprouvera l'âme juste en sortant du
corps, en se voyant saisie par la main du Seigneur, et
ressuscitée du sommeil de la mort à la vie immortelle ;
Ego dormivi et exsurrexi, quia Dominus suscepit me.
Elle ne reviendra pas de son extase de bonheur, en se
voyant en possession de la Jérusalem céleste, parmi les
chœurs des anges, dans la compagnie des Saints, au
milieu des Apôtres, proclamée fille de Dieu, épouse de
Jésus, le Fruit béni du ventre de Marie, et présentée
par lui à son divin Père, à sa mère bien-aimée! Cum
dederii dilectissuis somnum, ecce hereditas Domini;
filii, merces Fructus ventris !
y

Pères et mères chrétiens à qui la main de la mort


vient d'enlever des enfants, objets de vos espérances et
de vos délices, sont-ils, ces enfants, morts dans le Sei-
gneur? Dans ce cas, ils ne sont pas morts, ils ne sont
qu'endormis. Non est mortua puella, sed dormit. Ils
n'ont fait que vous précéder dans le chemin du tom-
beau; ils vous ont donné rendez-vous au ciel, dans le
sein de Dieu, où. ils sont allés préparer vos places, et
où ils vous attendent. Que voulez-vous? ils ont marché
plus vite, ils ont achevé en un temps plus court leur
carrière. En peu d'années ils ont vécu plus que vous :
OU LA MORT DES JUSTES. 171
c'est avoir vécu beaucoup, lorsqu'on est parvenu à se
sauver 5 Consummatus in brevi ezplevit tempora multa
(Sap., iv). Ils ont gagné leur lot, tandis que vous
tremblez pour le vôtre. Vous ne les avez donc pas per-
dus, vous les avez assurés. La mort, en les arrachant
de vos bras, les a déposés dans les bras de Dieu. En
abrégeant leur vie, elle a prévenu et empêché le per-
vertissement de leur esprit et la corruption de leur
cœur; Raptus est ne maîitia mutaret intellectum ejus,
oui ne fictio deciperet animant illius (Ibid.). Vous vous
complaisiez dans les grâces de leur corps; Jésus-Christ
s'est épris des charmes de l'innocence de leur âme;
Placita enim erat Deo anima ejus (Ibid.). Pourquoi
donc, vous dit cet aimable Sauveur, ètes-vous dans le
trouble et dans les larmes; Quid turbamini etploralis
(Marc, 3 9 ) ? N o n , non; ne pleurez pas; NoJitefiere
(Luc, 52). Consolez-vous, au contraire; on ne pleure
pas, comme étant morts, des enfants qui n'ont fait que
s'endormir; Non est mortua puella, sed dormit.
Ce sont, mes frères, les réflexions que fait naître
naturellement dans l'esprit cette douce parole du Sei-
gneur. Par cette douce parole, il nous a donné la vraie
Idée de la mort des Justes.
Oh! que le gaudium, la félicité d'une pareille mort
est bien capable de dédommager le vrai chrétien des
privations auxquelles il s'était condamné, des vio-
lences qu'il a dû se faire, des peines, des contradic-
tions qu'il a essuyées, et des sacrifices auxquels il
s'est assujetti pour se maintenir fidèle à Dieu, pour
observer ses lois, pour pratiquer les devoirs et les
Vertus de l'Évangile ! Oh! avec quel transport ne bé-
172 HOMÉLIE I U . — L A FILLE DE JAÏKE,

nira-t-il pas une vie qui lui aurait valu une si belle
mort!
Oh ! c'est avec bien de la raison que l'Ecriture sainte
appelle « sots, insensés, » les pécheurs; Stulti, insi-
pienfes. Ah! ils font mal et bien mal leurs comptes!
Après avoir tant travaillé, tant sué pour se faire une
position heureuse dans le monde, au prix de tant de
bassesses, d'intrigues, d'angoisses et de peines, ils se
réveilleront au moment de la mort, et ils se trouve-
ront dépouillés de tout, ne pouvant compter sur rien,
frappés d'un désillusionnement complet arrivant trop
tard, en proie au désespoir et à la douleur; Evigila-
bunt, et nihil inventent. Ah! les vrais sages, les vrais
philosophes, les négociants vraiment habiles, sachant
bien faire leurs calculs et s'assurer des profits réels et
durables, ne sont que les Justes, les âmes simples, les
hommes de foi, d'humilité, de dévouement; les fem-
mes, bonnes filles ou bonnes mères de famille, crai-
gnant Dieu, détachées des vanités du monde, aimant
la retraite, le recueillement, la prière, et n'ambition-
nant que l'amitié de Dieu et le mérite d'avoir soulagé
dans leurs malheurs les hommes. Oh! qu'ils seront
heureux ! Tranquilles et contents de leur Dieu pendant
la vie, ils le seront encore davantage au moment de
leur mort!
Divin Sauveur, Dieu de bonté et de clémence, con-
vertissez-nous donc; Couverte nos, Deus, salutaris
noster; convertissez-nous tous à cette vie des Justes,
afin que nous ayons le bonheur de mourir de la mort
des Justes; Moriatur anima nostra morte Justorum
(Num., xxin, 10)! Faites, Seigneur, que.nous vivions
OU LA MORT DES JUSTES. 173

dans la sainteté, afin que nous puissions mourir dans


l'espérance ; afin que notre mort ne soit qu'un sommeil
à la terre et un réveil au ciel, une véritable pâque, un
passage dans votre grâce pour aller nous reposer dans
votre gloire; et que nous soyons du nombre de ces
âmes fortunées, de ces âmes à vous, dont la mort est
précieuse à vos yeux; Preiiosa in conspectu Domini
mors sanctorum ejus. Ainsi soit-il.
174 HOMÉLIE IV. — LA FEMME ADULTÈRE,

QUATRIÈME HOMÉLIE
LA FEMME ADULTÈRE (*),
ou

OBSTINATION E T REPENTIR.

(Saint Jean, chapitre vui).

Propter veritatem et mansuetudinem et justiliam deâucet te miraliliter


dextera tua.
Votre main droite vous conduira admirablement dans T O S œuvres, à cause de
votre justice, de votre douceur, et de votre vérité {Psal. L X I V ) .

INTRODUCTION.
1. Les Prophètes vrais amants de Jésus-Christ. David prédisant les
trois principales vertus du Messie. On propose de faire voir que
l'histoire de la FEMME ADULTÈRE n'est que la manifestation toute
particulière de ses vertus.

VÉRITABLES amants de Jésus-Christ, dont Dieu leur


avait révélé, dans leurs plus grands détails, tous les

O L'Évangile de saint Jean peut s'appeler le livre des Paralipo-


mènes ou des choses oubliées du Nouveau Testament. Ayant écrit
le dernier son Évangile, ce grand Évangélk-te y a réuni les faits, le>
prodiges et les discours que, Dieu l'a\ant ainsi disposé, les autres
Évangélistes n'avaient pas racontés, et desquels cependant la divi-
nité de Jésus-Christ ressort de la manière la plus frappante et la
plus lumineuse. L'histoire de la femme adultère est de ce nombre.
Saint Jean est le seul qui la rapporte. Ce fait arriva dans la grande
cour du temple de Jérusalem, la seconde année de la prédication
du Seigneur, le 7 du mois d'octobre, le dernier jour de la fête des
Tabernacles. Cet Évangile se lit à la messe du quatrième samedi
de Carême.
OU OBSTINATION ET REPENTIR. 175

mystères, les anciens prophètes n'oubliaient jamais cet


objet chéri de leur foi, de leur espérance, de leurs
désirs, de leurs affections. Tout leur parlait de lui,
tout le rappelait à leur esprit et à leur cœur. Ainsi,
lorsqu'en s'occupant d'un événement, d'un personnage
présent, ils y voyaient un trait de ressemblance avec
quelqu'un des mystères de la vie du Messie, vite ils
laissaient de côté l'événement, le personnage qu'ils
avaient sous leurs yeux, et ils se mettaient à chanter
ce mystère du Messie; ils lui parlaient comme s'il leur
était présent. Saisis d'admiration des prodiges de sa
charité, de la grandeur de sa personne, de la gloire de
ses triomphes, ils lui rendaient l'hommage de leur
adoration, ils lui adressaient les bénédictions de leur
reconnaissance, ils lui envoyaient les baisers de leur
amour.
C'est ce qui est arrivé à David en écrivant le Psaume
auquel j'ai emprunté les paroles de mon texte. Il ne
voulut faire d'abord, dans ce Psaume, qu'une pièce de
poésie, un épithalame à l'occasion du mariage de son
fils avec une princesse égyptienne. Mais Salomon (mot
qui signifie pacifique) épousant une étrangère, ayant
rappelé à David que le Messie, le vrai monarque paci-
fique, aurait un jour épousé, lui aussi, une étrangère,
l'Église des Gentils, le prophète oublie tout à fait son
propre fils, et ne chante, dans ce magnifique Psaume,
que les épousailles de Jésus-Christ avec l'Église, et la
justice, la douceur, la vérité par lesquelles cet Époux
divin aurait admirablement accompli l'œuvre de la
rédemption, et l'établissement éternel et la propaga-
tion de son Église par tout le monde; Propter veri-
176 HOMÉLIE IV. LA FEMME ADULTÈRE,

tatem et mansuetudinem et justitiam deducet te mira-


biliter dextera tua.
Voici donc, dit saint Augustin, dans ces trois mots
du prophète, résumés toute la vie et les vertus par
lesquelles le Fils de Dieu fait homme a achevé la grande
œuvre du salut de l'homme ; c'est-à-dire, par la justice,
comme juge des dispositions des cœurs; par la vérité,
comme maître des esprits ; parla mansuétude et l'amour,
comme rédempteur du monde (1).
Or, c'est dans le fait de l'absolution de la femme
adultère et de la condamnation de ses accusateurs, que
ces trois vertus caractéristiques du Messie, réunies
admirablement ensemble, rayonnent d'un éclat et
d'une grâce toute particulière, parce que cette femme
coupable était sincèrement repentante de sa faute, e t
ses accusateurs étaient souverainement injustes e t
obstinés. Considérons-le donc aujourd'hui, ce trait
ravissant, délicieux et en même temps sublime de la
vie du Seigneur, afin d'y apprendre à éviter l'obsti-
nation et à avoir recours au repentir, et afin de nous
décider à écouter docilement Jésus-Christ comme notre
maître, à le craindre salutairement comme notre juge,
à l'aimer affectueusement comme notre rédempteur.
Ave, Maria.

( i ) « Attulit veritatem ut doctor, mansuetudinem ut liberator,


« justitiam ut cognitor (Tract, x x x m in / o a n . ) . »
OU OBSTINATION ET REPENTIR. 177

PREMIÈRE PARTIE.
LA JUSTICE DU SAUVEUR DANS L'HISTOIRE DE LA FEMME
ADULTÈRE.

2. Explication du mystère de Jésus-Christ descendant de la mon-


tagne, allant s'asseoir dans le temple, et instruisant le peuple.

C E n'est pas sans mystère que le saint Évangéliste a


commencé cet admirable récit par ces paroles : « Jésus
a s'en alla sur la montagne des Oliviers; et le lende-
« main, au point du jour, il vint derechef au temple de
« Jérusalem*, Perrexit in mortem Oliveti, et diluculo
« iterum venit in templum (v, 1). » La montagne des
Oliviers ou de l'huile, dit le vénérable Béde, signifie
la hauteur, la grandeur de la divine miséricorde et de
la charité divine. Le temple de Jérusalem figurait la
synagogue et aussi l'Église ( I ) . Jésus-Christ donc,
qui, ayant passé la nuit sur la montagne des Oliviers,
vient au temple au point du jour, est Jésus-Christ, dit
le môme docteur, qui, après la nuit qui a précédé sa
venue et au commencement du grand jour nouveau de
la rédemption est descendu sur la terre, du mont de sa
miséricorde, en apportant dans ses mains la loi de l'a-
mour, comme Moïse avait, en descendant du Sinaï, ap-
porté la loi de la crainte, et a déposé cette loi d'amour
dans son nouveau temple, dans son Église, pour en faire
part à tous les fidèles qui s'y seraient trouvés réunis (2).

(1) « Mons quippe Oliveti sublimitatera Dominiez pietatis et mi-


t sericordias désignât. ïn templum, id est in Ecclesiam [In cat.). »
(2) « Venit diluculo in templum, ut incipiente novi Testamenti
« lumine, miserîcordiam fîdelibus, in Ecclesia videlicet sua, pan-
« dendam praebendamque significet {Ibid.). »
i. 12
178 HOMÉLIE IV. LA FEMME ADULTÈRE,

L'Évangéliste dit aussi que le Seigneur vint une


seconde fois au temple; Venit iterum in templum;
et par là il a voulu nous rappeler que c'était le même
Seigneur qui était venu une première fois dans ce même
temple au temps de Salomon ; mais qu'alors il y vint
enveloppé dans le nuage des mystères et des ligures
(II Paralip., vu), et en maître tout-puissant et sévère,
tandis qu'aujourd'hui il y est revenu manifestement en
personne, et sous les traits d'un tendre et indulgent
Sauveur.
Cessez donc, humanité malheureuse, de tenir le re-
gard toujours levé vers les montagnes éternelles, des-
quelles seulement pouvait, selon la prophétie, couler
sur vous le grand secours dont vous aviez besoin ; Le-
vavi oculos meos in montes, unde véniel auxilium mihi
(Psal. cxx). De la montagne delà miséricorde, la Misé-
ricorde est descendue en personne, Dieu l'ayant en-
voyée pour votre guérison et pour votre salut; Misit
Deus misericordiam suam, et sanavit eos (Psal. LVI).
Voyez-la5 quelle est douce, amoureuse, compatis-
sante, cette miséricorde de Dieu, personnifiée dans le
Fils même de Dieu fait homme pour l'amour de
l'homme!
C'est ce dont l'Ëvangéliste veut nous avertir, en
ajoutant que Jésus-Christ, arrivant au temple, s'y assit
pour instruire le peuple; Et sedens docebat eos (v, 2).
Car, comme Jésus-Christ debout, c'est Jésus-Christ
juste, dans la gloire de sa majesté, de même Jésus-
Christ assis au milieu du temple est, dit encore Bède,
Jésus dans l'abaissement de son incarnation, par la-
quelle il est venu s'asseoir dans son Église, afin de
OU OBSTINATION ET REPENTIR. 179

répandre sur tous sa miséricorde (1). Et le peuple qui,


ainsi que le remarque encore l'Évangéliste, se presse
autour de lui afin de le voir et de l'entendre, dans
une attitude de tant de familiarité et de douceur ; Et
omnis popuîus venit ad eum (v, 1); ce peuple, dis-je,
signifia dès lors, d'après Alcuin, la multitude de toutes
les nations qui seraient accourues entendre sa parole
et croire à sa doctrine, après que ce divin Sauveur s'est
rendu visible au monde dans son humanité (2).
Et le voilà par la miséricorde dont il fait usage dans
le temple envers la femme qui regrettait d'avoir aimé
un autre homme que son mari, nous confirmant ces
dispositions heureuses avec lesquelles il est venu, et
nous donnant un gage de la miséricorde qu'il aurait
répandue sur les pécheurs qui se repentent dans son
Église.

3. Intentions perverses dans lesquelles les pharisiens présentent au


jugement de Jésus-Christ la femme adultère.

Maître, lui disent les scribes et les pharisiens en lui


présentant cette femme coupable; maître, vous avez ici
devant vous une infâme créature. Nous venons de la
surprendre dans des relations scandaleuses; elle est
convaincue du crime d'infidélité envers son légitime
époux. Moïse nous a ordonné dans sa loi de lapider les
adultères} mais vous, qu'en dites-vous donc? Que dé-

f i ) « Sessio Domini, humilitatem incarnationis insinuât, per quam


« nobis misereri dignatus est (Loe. cit.). »
(2) « Sedente Domino, venit ad eum populus ; quia postquam,
t per ausceptam humanitatem visibilis apparaît, ex omnibus genti-
« bus crediderunt eum {In cal.). »
180 HOMÉLIE IV. LA FEMME ADULTÈRE,

vons-nous faire de cette femme? Adducunt autem


scribœ et phariseei mulierem in adulterio deprehensam,
et statuerunt eam in medio, et dixerunt ei : Magister,
hœc mulier modo deprehensa est in adulterio. In lege
autem Moyses mandavit nobis hujusmodi lapidare. lu
ergo quid dicis (v, 2-5)?
O vénération hypocrite ! s'écrie ici le vénérable Bède.
O témoignage menteur de respect d'esprits malins et
pervers (1)! Ils l'interrogent, dit l'Évangéliste lui-
même, comme leur maître, tandis qu'ils ne pensent
qu'à l'accuser et à le perdre comme leur ennemi, et
que ce sont des embûches qu'ils tendent à l'innocence,
tout en se montrant si zélés pour la justice ; Hoc autem
dicebant tentantes eum, utpossent accusare eum ( v , 6 ) .
Ils savaient bien, ces hommes aussi fourbes que mé-
chants, par l'expérience qu'ils en avaient faite, que
Jésus-Christ ne séparait jamais la mansuétude de la
justice, ni la justice de la mansuétude-, car la mansué-
tude sans la justice n'est que faiblesse, et la justice
sans la mansuétude n'est que dureté et oppression. Ils
savaient bien que le Seigneur, autant zélé que miséri-
cordieux, tout en compatissantaux misères de l'homme,
ne cessait de réclamer la plus exacte observance de la
loi de Dieu. Par cette question insidieuse, ils ne dési-
rent donc pas, d'après Bède, apprendre du Seigneur ce
qui était juste; mais ils tendent au Dieu de vérité un
piège auquel ils croyaient que le Nazaréen ne pourrait
pas échapper sans démentir ou l'une ou l'autre de ses

( l ) « O captiosa veneratio! 0 simulatum malignœ mentis obse


« quium (Erp.) ! »
OU OBSTINATION ET REPENTIR. 181
vertus, sans se montrer ou injuste ou inexorable (1).
Car si Jésus-Christ, se disaient-ils d'après saint Au-
gustin, affirme que la femme coupable doit être la-
pidée le voilà reniant lui-même par là cet esprit de
mansuétude et d'indulgence qui lui a valu tant de popu-
larité et tant d'amour auprès de tout le monde. Si, au
contraire, il s'oppose au supplice d'une femme dont
l'adultère était prouvé, le voilà se montrant violateur
de la justice, et nous offrant l'occasion de l'accuser et
de le condamner lui-même comme prévaricateur et
ennemi de la loi (2). Et puisque, remarque l'Ëmissène,
ils connaissaient son cœur inclinant à l'indulgence bien
plus qu'à la rigueur, l'ayant entendu s'écrier ; Je veux
la miséricorde bien plus que le sacrifice ; Misericordiam
volo ei non sacrificium (Matt/i.,\x),
7 ils étaient per-
suadés que Jésus aurait dans cette circonstance sacrifié
les intérêts de la loi à ceux de la charité, et ils se
croyaient bien assurés d'un triomphe astucieux et
impie (3).
Mais , ô que vous êtes stupides, leur dit saint Au-
gustin, autant que pervers ! Comment avez-vous donc
oublié ce que dit l'Écriture : Qu'il n'y a pas de dessein
qui vaille, qu'il n'y a pas de science qui tienne, qu'il
n'y a pas de force qui résiste contre le Seigneur, et

( ! ) « Interrogant, non ut, quod rectum est, discant ; sed ut veri-


« tati laqueos nectant. Sperabant posse se ostendere vel injustum
« vel immisericordem (Ibid.). P
(2) « Si eam dimitti censuerit, justitiam non attendit, et reum
t faciemus eum tamquam legisprœvaricatorem. »
(3) a Animadverterant eum nimium esse pium ; sperabant ergo
« eum potius ad pietatem quam ad verba legis attendere (Expos.). »
182 HOMÉLIE IV. — LA FEMME ADULTÈRE,

que toute l'astuce de l'homme est toujours humiliée,


confondue par la sagesse de Dieu ? Or, cette divine
sagesse, résidant en Jésus-Christ, lui fera bien trouver
le moyen, en vous répondant, d'exercer la miséri-
corde sans violer la justice (1). Mais la miséricorde, il
l'exercera envers la femme accusée; et la justice, en-
vers vous qui vous faites ses accusateurs.
4. On explique encore le mystère de Jésus-Christ écrivant de son
doigt sur le pavé du temple. Les noms des pécheurs écrits sur la
terre. Les pharisiens condamnés.

En effet, notre aimable Sauveur ne répond rien


d'abord à la question captieuse qu'on lui a adressée;
mais, s'inclinant de sa personne, dit l'Évangéliste, il
se met à écrire avec son doigt sur la terre ; Jésus au-
tem, inctinans se deorsum, scribebat in terra (v, 6).
Oh ! que cette écriture du doigt du Seigneur sur la
terre est sage, mystérieuse, divine! D'abord, les Juifs
venaient de citer à Jésus-Christ la loi de Moïse; ln
ïege mandavit Moyses, qui n'était que le développe-
ment de la loi que, ainsi qu'il est dit dans I ' E X O D E , Dieu
avait lui-môme écrite de son doigt sur les tables de
pierre ; Duos tabulas testimonii lapideas, scriptas di-
giio Dei ex utraque parte (Exod., xxxn, 15). Jésus-
Christ donc, en écrivant avec son doigt sur les pierres
du pavé du temple, voulut, dit Bède, apprendre à ses
lâches ennemis que c'était lui-même qui, jadis, avait
donné à Moïse la loi écrite sur les pierres du Sinaï (2).

(1) « Sed Dominus in reapondendo et justitiam servahit, et a


« mansuetudine non recedet. »
(2) « Per hoc quod digito scribebat in terra, illuoi ee esse m o n -
« stravit qui quondam legem scripsit in lapide. »
OU OBSTINATION ET REPENTIR. 183

Mais s'il est certain que Jésus a écrit sur les pierres
du temple, pourquoi l'Évangéliste a-t-il dit que le Sei-
gneur n'a écrit que sur la terre; Scribebat in terraî
Par deux raisons, disent les interprètes: la première
est littérale; et c'est parce que tout pavé sur lequel
on marche, quelle qu'en soit la matière, est du terrain,
et dans toutes les langues on l'appelle du nom géné-
rique de terre. La seconde raison est mystérieuse, et
c'est, dit saint Ambroise, parce que, dans les Livres
saints, on dit des pécheurs, qu'ils sont écrits sur la
terre; tandis qu'on dit des justes et des élus, qu'ils
sont écrits dans le ciel (1).
Rappelons-nous, en effet, que Jésus-Christ a dit à
ses Apôtres : Gardez-vous bien de vous réjouir de ce
que les esprits diaboliques vous sont obéissants et sou-
mis -, mais réjouissez-vous seulement de ce que vos
noms sont, dés à présent, ÉCRITS DANS LE CIEL; Noliie
gaudere quia spiritus subjiciuntur vobis ; gaudete au-
tem quia nornina vesira scripta sunt in cœlis (Luc, x).
Au contraire, le prophète Jérémie, en parlant des pé-
cheurs au Seigneur, s'exprime dans ces termes : « Tous
ceux, Seigneur, qui vous abandonnent et qui vous
méprisent seront un jour comblés d'opprobres, et leurs
noms seront écrits SUR LA TERRE ; Omnes, qui te dere-
linquunt, confundantur, et recedentes a te IN TERRA
SCRIBANTUR (Hier., xvn).

La voilà donc devenue très-claire, la signification


de cette mystérieuse écriture de notre divin Sauveur.
II a écrit sur la pierre, et par là il s'est déclaré lui-

(l) « Peccatoresin terra; justi scribuntur in coelo. »


184 HOMÉLIE IV. LA FEMME ADULTÈRE,

même l'auteur de la loi, le souverain juge de ses pré-


varicateurs, et la source de toute justice et de tout droit
légitime de juger. Mais rÉvangéliste a dit que Jésus
avait écrit sur la terre ; et par là il nous a donné à en-
tendre que le Seigneur, dans ce moment, exerçait sa
justice contre les pharisiens obstinés, endurcis dans
leurs péchés, et qui étaient venus dans l'intention sata-
nique de lui tendre un piège et de le calomnier.
Oh! que cette justice est redoutable, prompte, sé-
vère ! Ils cherchent l'occasion, le prétexte d'accuser
Jésus-Christ-, et Jésus-Christ, dans ce même moment
où ils se rendent coupables d'un aussi grand crime, les
juge et les condamne; et dès ce moment il écrit leurs
noms sur le livre des réprouvés, et leur fait entendre,
dit saint Augustin, que ce sont eux, les scélérats dont
avait parlé Jérémie, qui seraient un jour recouverts
de confusion, et dont les noms, étrangers au ciel, ne
se trouveraient écrits que dans le livre de la terre (I).
5. Conjectures pour savoir où est écrit le nom de chacun do nous. Le
dialecte du ciel et celui de l'enfer. Prière pour que notre nom soit
écrit dans le livre du ciel.

Or, à propos de cette double écriture de Dieu, à


laquelle se rapporte le passage de l'Évangile, je pense
qu'on serait bien aise de savoir dans lequel de ces deux
catalogues se trouvent inscrits les noms de nous tous,
qui nous trouvons réunis ici. O terrible pensée ! Som-
mes-nous inscrits en lettres d'or dans la liste heureuse
portant en tête le nom de Jésus-Christ, le chef des

(1) « Tanquam iilos taies in terra scribendos significaret, et non


« in cœlo. »
OU OBSTINATION ET REPENTIR. 185

prédestinés? Ou bien sommes-nous notés, en lettres


noires, dans le rôle affreux à la tête duquel figure le
nom de Satan, le chef des réprouvés ? Avons-nous
notre place après les Apôtres et les martyrs dans le
livre glorieux du ciel, ou bien sommes-nous classés
après les pharisiens, ennemis de Jésus-Christ, dans le
livre ignominieux de la terre ? Nous ne le savons pas,
nous ne pouvons pas le savoir d'une manière certaine.
Seulement nous pouvons former là-dessus des conjec-
tures, des probabilités, en jetant un regard sur nous-
mêmes. Si nos désirs et nos affections, disait saint Paul,
sont pour le ciel, si c'est au ciel et avec le ciel que nous
nous plaisons à converser par notre esprit etnotre cœur;
Nostra conversatio in cœlis est (Philip., m) ; si nous
tenons à Jésus-Christ, le SECOND A D A M , qui descendu
du ciel, est céleste ; Secundus homo de cœlo cœleslù
(I Corinth., xv); nous pouvons croire qu'en lui et avec
lui nous sommes célestes aussi bien que lui, et que
notre nom est inscrit au ciel ; Qualis cœlestis, taies et
cœlesles(lbid.). Mais s i , au contraire, nous ne cher-
chons que les honneurs de la terre, si nous ne sommes
sensibles qu'aux intérêts de la t e r r e , si nous ne cou-
rons qu'après les plaisirs, les joies de la terre ; si, en
marchant sur les traces des pharisiens, c'est dans la
terre et sur la terre que nous nous plaisons et que
nous nous enfonçons toujours davantage, par l'obsti-
nation dans nos vices et dans nos désordres ; il est clair
que nous appartenons au premier Adam qui, venant
delà terre, est, par son péché, devenu tout à fait ter-
restre; Primus homo de terra terrenus (Ibid.); qu'en
lui et avec lui nous sommes terrestres, aussi bien que
186 HOMÉLIE IV. -— LÀ FEMME ADULTÈRE,

lui, et que nous ne devons chercher notre nom que


dans les listes de la terre, où, dès à présent, il va être
écrit, s'il ne s'y trouve pas encore, par la justice de
Dieu; Qualis terrenus, taies et terreni(Ibid.).
La langue aussi annonce la patrie. Comme donc
celui qui parle grec est de Grèce, et celui qui parle
l'hébreu est de la patrie d'Héber ; de même celui qui
parle toujours un langage pur, charitable, chrétien,
saint, céleste, est du ciel*, et celui, au contraire, qui
ne parle qu'un langage de libertinage, de médisance,
de mensonge, d'impiété, un langage tout terrestre,
celui-là est de la terre, et par cela même il appartient
déjà à l'enfer, parce que l'enfer est dans la et terre de
la terre ; et la terre c'est l'enfer.
Mais ceux qui appartiennent à cette dernière ca-
tégorie doivent-ils désespérer? N o n , mes chers frè-
res, car même cette écriture redoutable, que le Fils
de Dieu trace aujourd'hui sur la terre, à l'égard d'hom-
mes aussi pervers que les pharisiens, est une industrie
de sa miséricorde plutôt qu'un arrêt péremptoire de
sa justice. Par cette mystérieuse écriture, il n'a fait
que les menacer de ce terrible arrêt; il n'a fait que
leur apprendre qu'ils étaient encore à temps de lui
faire suspendre, de lui faire changer, par leur repentir,
cet arrêt que leur obstination allait rendre définitif et
irrévocable. A plus forte raison il en est de même de
nous chrétiens catholiques, qui sommes encore dans
le vrai temple de Dieu, dans son Église, où ce Dieu
de bonté se plaît à répandre en plus grande abondance
ses miséricordes. Pendant que nous sommes encore
en yie, notre nom n'est pas écrit d'une manière tout à
OU OBSTINATION ET REPENTIR. 187

fait ineffaçable au livre des réprouvés, au livre des


enfers. Cette affreuse écriture, que nous avons tracée
nous-mêmes , dans ce livre fatal, à l'encre funeste de
nos péchés, nous pouvons bien encore l'effacer parles
larmes de notre pénitence, en nous appliquant les
mérites infinis du sang de l'Agneau divin, de Jésus-
Christ. Car ce n'est que ce sang pur et sans tache qui
efface les péchés du monde ; Agnus Dei qui tollii pec-
}

cata mundi.
Dieu de miséricorde et de bonté, regardez notre
confusion et notre repentir; et, d'une plume trempée
dans votre précieux sang, effacez l'horrible chirogra-
phe de mort que nous avons signé contre nous-mêmes,
et transportez notre nom du catalogue des réprouvés
au livre des élus du ciel; en sorte que nous ne soyons
que du ciel en vivant, et en mourant nous ne soyons
reçus qu'au ciel!

0. Jésus-Christ écrivant sur la terre les péchés des accusateurs de la


femme adultère. Sagesse divine de sa réponse à ses accusateurs.
Le magistrat coupable jugeant les coupables.

Mais pendant que nous nous arrêtons à ces consi-


dérations, les pharisiens insistent, auprès de Jésus-
Christ, sur leur demande, et ils réclament de lui une
ç^ponse; Cum ergo perseverarent, interrogantes eum
(Yt 7). La voici donc cette réponse, non pas telle que
Vhypocrisie et la méchanceté de ces hommes l'atten-
daient, mais telle qu'il convenait au Fils de Dieu, à la
sagesse et à la justice de Dieu de la donner.
Car, en attendant, ce Fils de Dieu avait écrit de
son doigt divin sur le pavé du temple, non-seulement
188 HOMÉLIE IV. — L A FEMME ADULTÈRE,

les n o m s , mais, d'après saint Jérôme, les péchés aussi


des accusateurs cruels de la femme accusée (1). En se
redressant donc, Erexit se, ainsi que le dit l'Evangé-
liste (v, 7), c'est-à-dire, en prenant l'air majestueux
et imposant propre au Maître, au Seigneur, à Dieu, et
en indiquant aux pharisiens ce qu'il venait d'écrire de
chacun d'eux, d'un ton sérieux et sévère il leur dit :
« Que celui qui, parmi vous, est sans péché lève le
« premier la main; qu'il saisisse une pierre, qu'il la
« lance sur cette femme et la tue ; Et dixit eis : Qui
« sine peccato est vesirum, primus in ittam lapidem
a mittat (v, 7). » Et, en prononçant ces mots, il se
baissa de nouveau, et continua à écrire à terre ; Et
iieruni se inclinons, scribebat in terra (v, 8 ) ; ce qui
était leur dire : Prenez garde à vous; ne vous posez
pas en hommes sans pèche. Vous pouvez encore trom-
per les hommes, mais vous ne pouvez pas me tromper,
moi qui suis Dieu, qui connais toutes les turpitudes de
votre cœur, ainsi que vous le voyez par ce que je viens
d'écrire ici de chacun de vous. Ne mentez donc pas à
vous-mêmes, car je suis ici, continuant à écrire votre
histoire jusqu'au bout.
Ainsi le Seigneur, remarque saint Augustin, n'a pas
dit : « Je ne Y e u x p a s que cette femme soit lapidée, »
afin qu'il ne parût pas s'opposer à la lettre de la loi.
II a dit encore moins : « Lapidez-la donc, » parce qu'il
n'était p a s venu p e r d r e , mais sauver l e s pécheurs se
repentant de leurs péchés (2). Il a dit seulement :

(1) « Eorum qui accusabant, peccata descripsit (Contr. Jovin.).


(2) « Non dixit : « Non lapidetur mulier, » ne contra legem di-
OU OBSTINATION ET REPENTIR. 189

a Que celui qui est innocent parmi YOUS punisse la


coupable; Qui sine peccato est vestrum, in illam lapi-
dent mittat. » <c Oh ! que de majesté, s'écrie encore
saint Augustin, que de sagesse et de justice n'y a-t-il
pas dans cette conduite , dans cet arrêt, dans ces pa-
roles de Jésus-Christ ! Je le reconnais, il n'y avait que
la majesté même de Dieu qui pût se conduire ainsi. Il
n'y avait que la sagesse même de Dieu qui pût pro-
noncer ces paroles. Il n'y avait que la justice même de
Dieu qui pût formuler un pareil arrêt. Ce fut comme
s'il avait dit : Que la pécheresse soit punie, mais non pas
par vous, qui êtes plus pécheurs qu'elle-même. Que
la loi soit exécutée , mais non pas par vous, qui êtes
tous des prévaricateurs effrontés de la loi (1).
Mais cette décision du Fils de Dieu ne paraît-elle
pas porter atteinte à l'économie des jugements des tri-
bunaux humains? Que deviendrait l'administration de
la justice publique, s'il n'appartenait qu'à des hommes
tout à fait innocents et saints de punir les coupables?
Ne suffit-il pas que le magistrat prononce d'après le texte
des lois et en applique les dispositions contre les accusés
pour que son arrêt soit réputé juste et qu'il soit exécuté,
quelle que soit sa conduite privée ? Cela est vrai. Ainsi,
si la femme adultère avait été jugée par les tribunaux
juifs, Jésus-Christ n'aurait rien excipé touchant un
arrêt conforme à la loi. Mais les scribes et les phari-
siens qui lui avaient présenté cette malheureuse femme

• cere videretur. Absit autem ut diceret : « Lapidetur. » Venit enim


« non perdere quod invenerat, sed quaerere quod perierat. »
(l) « Haec vox justitiae est. Puniatur peccatrix, sed non a pecca-
« toribu8. Impleatur Iex, sed non a praevaricatoribus legis. »
190 HOMÉLIE 1Y. — L A FEMME ADULTÈRE,

n'étaient pas des juges; ils n'étaient que des accusa-


teurs qui, si le Seigneur avait, sans tant de façons,
absous la coupable, n'auraient pas manqué de la faire
condamner par les magistrats, et de leur déférer le
bon Jésus aussi comme ayant voulu empêcher que la
justice eût son cours et que la loi fût exécutée. Ce
n'étaient pas des hommes zélés de Injustice, mais des
scélérats tapageurs, voulant faire du scandale, de Vin-
justice, de la calomnie et de la méchanceté.
Par cet admirable a r r ê t , le Seigneur a YOUIU en-
core donner une leçon à tous ceux qui sont chargés de
l'administration de la justice, et leur dire qu'il est
au moins inconvenant que des hommes chargés eux-
mêmes de crimes se mettent à punir les crimes des
autres ; que la dignité de la magistrature, de ce sa-
cerdoce civil, demande avant tout que les magistrats
soient des hommes d'une conduite, d'une vie irrépro-
chables. Car il n'est pas possible, dit saint Grégoire,
que l'homme qui ne connaît pas ses propres fautes, et
qui ne s'en corrige pas, puisse bien connaître, appré-
cier au juste et punir impartialement les fautes des
autres. Il n'est pas possible que celui-là juge sans pas-
sion les passions des autres, qui est lui-même le jouet
de honteuses passions (1).
7. Impudeur des pharisiens d'accuser la femme d'un crime dont ils
étaient plus coupables eux-mêmes. La pudeur est charitable; les
femmes libertines, injustes et sévères envers les autres.

Ce qui est hors de d o u t e , d'après ces paroles du


Sauveur : Que celui de vous qui est sans péché lapide la

(i) Qui enim seipsum non judicat, quid in alio rectum judicet
ignorât.
OU OBSTINATION ET REPENTIR. 191

coupable, c'est que, parmi cette foule d'accusateurs de


la femme adultère, il n'y en avait pas un seul qui fût
sans péché, et même qui ne fût coupable du même
péché qu'il voulait voir puni dans cette femme.
On sait en effet, par l'Évangile m ê m e , que les
pharisiens, comme Jésus-Christ leur en faisait souvent
le reproche, très-jaloux de la propreté du corps , ne se
souciaient pas trop de la pureté de l'àme ; q u e , stoï-
ciens en théorie, ils n'étaient, pour la plupart, que
des sadducéens ou bien des épicuriens, des matéria-
listes dans la pratique ; qu'infidèles eux-mêmes envers
leurs propres femmes, il faisaient bon marché des fem-
mes des autres. Car, d'après l'horrible peinture qu'en
a faite saint Pierre Chrysologue, ne croyant plus à
l'immortalité de l'àme et à la vie future, ils n'atten-
daient qu'à se faire une position agréable pour la vie
présente-, ils ne convoitaient que les dignités et les
richesses, parce qu'alors, au moyen de l'autorité et de
l'or, on obtenait toute chose. Us se glissaient dans les
places sans autre mérite que celui d'une immense am-
bition et d'une immense bassesse. Ils avaient profané
les choses saintes, ils avaient réglé par un tarif l'abso-
lution des péchés, et faisaient un trafic sacrilège de la
piété et du pardon. Dévorés par l'impudicité et l'ava-
rice, remplis d'orgueil et vides de tout sentiment de
charité, perdus dans le luxe, dégradés et meurtris par
tous les vices, comme ils ne croyaient pas pouvoir se
corriger, ils n'espéraient plus ni pardon ni salut (1).

(l) « Profanaverant sancta, et peccata vendentes, in pretium ve-


» niam pietatemque converterant. ('upiditate inflammati, captl
192 HOMÉLIE IV. — L A FEMME ADULTÈRE,

Quelle injustice donc, quelle insolence, quelle im-


pudeur de la part de pareils hommes, osant s'acharner
avec tant de fureur contre une malheureuse n'ayant pé-
ché qu'une seule fois, eux qui avaient mille fois commis
le même péché ! Mais ce triste et révoltant spectacle
se renouvelle à chaque instant, même de nos jours, et,
ce qui est encore plus déplorable, parmi les femmes!
La charité chrétienne s'étant refroidie et même tout à
fait éteinte dans la partie du sexe qui se livre au monde,
femme hait femme ; et ce sont particulièrement les
femmes qui se montrent les plus sévères, les plus
cruelles contre les femmes. Mais qui sont-elles ces
femmes qui se posent en censeurs rigides, en juges
impitoyables des femmes?Ah! la pudeur est chari-
table*, la pudeur ne croit pas même possible dans les
autres ce qu'elle n'a pas à se reprocher à elle-même;
ou si elle le croit, elle l'excuse, elle le pardonne, elle
le cache sous le voile de la discrétion, sous le man-
teau de la charité. La pudeur est aussi indulgente
pour les autres qu'elle est sévère contre elle-même.
Ce sont des femmes bien connues par leur vie liber-
tine, légère et dissipée, qui crient plus haut contre
la légèreté et le libertinage des femmes. Ce sont des
femmes qui ne se sont rien refusé à elles-mêmes, qui
ne pardonnent rien aux autres femmes. Ce sont des
épouses ayant foulé aux pieds tous leurs devoirs, qui
reprochent aux autres d'avoir oublié les leurs. Ce sont

a pompa, vitiis sauciati, vanitate ebrli, madefacti luxu, quia de


« correetione nihil cogitare poterant, de venia nihil sperabant (Serm.
« 2 de Epiphan.). »
OU OBSTINATION ET REPENTIR. 193

des femmes sensuelles, pataugeant dans la boue de la


volupté, qui se plaisent à raconter ce qu'on est con-
venu d'appeler « les galanteries » d'autres femmes, de
les exagérer, de les inventer même. On dirait, d'après
saint Jérôme, que ces âmes, aussi lâches qu'impu-
diques, ne croient plus à la vertu des autres parce
qu'elles n'ont plus de vertu en elles-mêmes, et que la
vertu des autres étant une censure tacite, un reproche,
une flétrissure sanglante de leurs vices, elles ne s'a-
charnent à la démolir, à la déchirer, à la faire croire
apparente ou impossible dans les autres, qu'afin qu'on
leur pardonne ou qu'elles se pardonnent, et éprouvent
moins de peine d'en manquer elles-mêmes (1 ). Femmes,
soyez donc charitables, discrètes sur les chutes de vos
sœurs, si vous ne voulez pas qu'on vous soupçonne
mille fois plus coupables vous-mêmes des misères dont
vous accusez impitoyablement les autres. D'ailleurs,
y a-t-il rien de plus cruel que de publier ce qui était
caché, de présenter comme l'habitude de toute la vie
d'une femme ce que cette femme n'a eu qu'une seule
fois à se reprocher clans sa vie ; d'exagérer comme un
grand crime ce qui a été moins une faute qu'un mal-
heur, moins un acte voulu qu'une surprise; et de
faire le sujet des nouvelles du jour, de plaisanter, de
ne pas pardonner une faiblesse qui n'a pas laissé de
trace de son passage, et que celle qui en a été victime
regrette sincèrement, et ne se pardonne jamais à elle-
même?

(I) « Lacérant sanctum propopitum, et suae pœnaî solatium pu-


« tant, ut nemo t»it sanctus (Epistot. ad Asellam.) »
i. 13
194 HOMÉLIE IV. LA FEMME ADULTÈRE,

Quelle sera donc la punition à laquelle doivent s'at-


tendre une telle injustice, une obstination pareille?
Vous allez le voir dans la punition des pharisiens
accusateurs de la femme adultère.

8. Le Fils de Dieu punissant d'une manière éclatante l'injustice ei


l'obstination des pharisiens, et donnant un essai de ce qu'il réserve
à tous les pécheurs au jugement dernier.

L'oracle de Jérémie, que j'ai cité plus haut, s'ac-


complit à la lettre sur ces âmes obstinées et perverses.
Les scribes et les pharisiens, non-seulement furent,
du doigt de Dieu lui-même, inscrits sur la terre, mais
furent accablés de confusion et de honte Scribantur
in terra, et confundentur. Car Jésus n'avait pas encore
fini de leur porter ce redoutable défi qui, comme un
horrible éclair, rayonna dans leurs âmes : Que celui qui
est sans -pèche parmi vous lapide cette femme, qu'ils
se reconnurent tous coupables eux-mêmes du crime
dont ils étaient venus accuser cette malheureuse créa-
ture. Ils reconnurent qu'adultères par rapport au
corps, ils l'étaient encore davantage par rapport à
l'esprit, ne faisant qu'adultérer, gâter, réduire à de
vaines apparences, à des pratiques stériles l'accomplis-
sement de la parole et de la loi de Dieu. Us virent, que
Jésus-Christ les avait connus mieux qu'ils ne se con-
naissaient eux-mêmes, ayant écrit tout au long sur le
pavé la sale histoire de leur cœur. Abasourdis, dit
saint Augustin, épouvantés, terrassés comme d'un trait
de la justice de Dieu, ils n'osèrent donc plus articuler
un seul mot, et moins encore insister sur la condam-
OU OBSTINATION ET REPENTIR. 195

nation de la femme (1) ; et, se voyant donnés en spec-


tacle d'opprobre à tout le peuple, la consternation
dans l'âme, la rougeur sur le front, le silence sur les
lèvres, humiliés, confondus, écrasés, ils se retirèrent,
dit l'Évangéliste. l'un après l'autre, en commençant
par les plus vieux. Car les vieux hommes, aussi bien
que les vieilles femmes, sont d'ordinaire plus mé-
chants, plus injustes, plus coupables et plus déver-
gondés que les jeunes garçons et les jeunes filles 5
Audienies autem unus post unum exibant, incipientes
a senioribus (v, 9).
Ce châtiment des pharisiens ne vient pas toujours,
il est vrai, frapper en cette vie les tristes imitateurs
de leur injustice, de leur hypocrisie et de leur obsti-
nation. Mais ils ne perdront rien pour attendre : ce
châtiment, pour être ajourné, n'en sera que plus re-
doutable. Ce qui vient d'arriver aujourd'hui au juge-
ment que Jésus-Christ a fait d'une poignée d'hommes,
n'est que le prélude, l'essai, la figure du jugement
que ce môme JUGE DES VIVANTS ET DES MORTS
portera sur tous les hommes à la fin du monde. Dans ce
jour redoutable aussi, la lumière divine descendant du
trône du Juge souverain chassera, comme l'a prédit
saint Paul, toutes les ténèbres, mettra au grand jour
tous les mystères d'iniquité qui étaient restés dans ce
monde cachés au fond des c œ u r s , sous le masque
d'une probité affectée ou d'une profonde hypocrisie ;
llluminabit abscondita tenebrarum, et manifesiabit

( 1 ) « Cum percussisset eos teîo juptitiap, non ausi sunt damnare


t mulierem, qui, seipsos intuentes, similes invenerunt. »
196 HOMÉLIE IV. — L A FEMME ADULTÈRE,

consilia cordium (I Corinth., v). Comme aujourd'hui


l'histoire secrète de l'àme des pharisiens a été par
Jésus-Christ dévoilée aux yeux d'un seul peuple, l'his-
toire secrète de tous les pécheurs sera, par la puis-
sance de la même lumière, dévoilée aux yeux de tous
les peuples, de tout le monde. A la lueur de cette re-
doutable lumière, chaque pécheur sera connu parfai-
tement par tout le monde pour ce qu'il a été, et mieux
encore qu'il ne s'est jamais connu lui-môme \ Cognos-
cam sîcui cognilus sum ( I Corinth^ xm). La conduite
de la miséricorde, de la justice et de la providence de
Dieu, si calomniée par tant d'esprits orgueilleux et
d'âmes perverses, sera connue, justifiée, vengée, et
obtiendra un complet triomphe; Ut justificeris in ser-
monibus tuis, et vincas cum judicaris (PsaL L). Dans
ce jour de colère, de consternation, d'amertume, d'an-
goisse, d'effroi pour les pécheurs, l'iniquité, démas-
quée à la face de l'univers, convaincue de ses torts
par la seule manifestation publique de ses oeuvres,
pliera son front, abaissera son regard, fermera ses lè-
vres ; Omnis iniquitas oppilabit os suum (Psal. LVI);
et tous les réprouvés, condamnés bien plus par le
témoignage de leur propre conscience et par le témoi-
gnage du monde que par le jugement de Dieu, se reti-
reront comme les pharisiens de l'Évangile, s'achemi-
neront eux-mêmes , ainsi que Jésus-Christ l'a prédit,
à la rencontre de leur éternel supplice : tandis que les
justes, au comble de la gloire, de la joie et du bon-
heur, s'en iront posséder la vie éternelle ; Et ibunt ii
in suppHcium ceternum,justi autem in vitam œternam
(Matth., xxv).
OU OBSTINATION ET REPENTIR. 197

En attendant, qu'il est beau, qu'il est magnifique et


glorieux, ce triomphe que notre divin Sauveur a rem-
porté aujourd'hui sur ses lâches ennemis ! Les pharisiens
étaient venus devant lui en accusateurs, et ils en sont
partis, chassés et punis comme des criminels. Ils étaient
venus insulter Jésus-Christ, et sont partis recouverts
de confusion, au milieu des railleries et des sifflets
du peuple. Ils étaient venus accuser, convaincre, con-
damner Jésus-Christ comme coupable, et ils sont par-
tis après l'avoir expérimenté leur juge, leur Seigneur,
leur Dieu. Ainsi que l'avait prédit David, ils sont tombés
eux-mêmes dans le fossé qu'ils avaient creusé à l'inno-
cence ; ils ont été pris eux-mêmes aux filets qu'ils
avaient tendus à la vérité; Incidit in foveam quam
fecit. Comprehenduntur in consiliis quibus cogitant
(PsaL vu et x). Oh! que les récits de l'Évangile sont
étincelants de lumière dans leur simplicité! Oh! que
la divinité de notre Sauveur en rejaillit de toute part
d'une manière sensible et resplendissante !
. Mais, après avoir entendu la voix de la vérité de
notre divin Seigneur, écoutons maintenant, nous dit
saint Augustin, la voix de la mansuétude de son
cœur (1), et admirons la bonté que, dans cette admi-
rable circonstance, il a fait éclater à côté de sa justice;
Propter mansuetudinem et justitiam deducet me mirabi-
liter dextera tua; et dédommageons-nous de l'effroi
que nous a causé le châtiment de l'obstination, par la
vue consolante de l'absolution qu'obtient le repentir.

( 1 ) « Audivimus vocem justitias, audiamus vocem mansuetu-


« dinis. »
198 HOMÉLIE IV. — L A FEMME ADULTÈRE,

DEUXIÈME PARTIE.

LA BONTÉ ET LA VÉRITÉ DU SEIGNEUR DANS L'ABSO-


LUTION DE LA FEMME ADULTÈRE.

9. Explication du mystère de Jésus-Christ qui s'abaisse, et de la


femme coupable qui reste debout. Touchante manière dont le Sei-
gneur l'absout.

L'ÉVANGILE que nous expliquons nous dit que les


scribes et les pharisiens, aussi bien que la foule, s'étant
retirés, il ne resta que Jésus et l'accusée debout devant
lui, au milieu de la cour du temple ; Et remansit solus
Jésus, et mulier in medio s tans (v, 9). C'est-à-dire,
remarque saint Augustin, qu'il ne resta que la péche-
resse en présence de son Sauveur, la malade en pré-
sence de son Médecin céleste, la misère de l'homme
en présence de la miséricorde de Dieu (1).
Mais est-il possible que le pécheur s'humilie, se
confonde, se repente de son péché aux pieds de Jésus-
Christ, sans obtenir de lui son pardon? Est-il possible
que l'âme malade découvre au céleste Médecin ses in-
firmités, ses plaies, sans en être guérie? Est-il possible
que la misère de l'homme réclame, sollicite la miséri-
corde de Dieu, sans l'obtenir? Non, non, mes frères,
cela n'est pas possible ; cela n'est jamais arrivé, et n'ar-
rivera jamais. Et c'est ce dont l'Évangéliste a voulu
nous avertir en nous disant que la femme demeura
DEBOUT devant Jésus-Christ-, Et mulier in medio stans.

( i ) * Remansit peccatrix et Salvator ; remansit œgrota et Modi-


« eus; remansit miseria et misericordia. »
00 OBSTINATION ET REPENTIE. 199

Oh ! que tout est grand, sublime dans les saints Evan-


giles! Oh! que même les circonstances les plus insigni-
fiantes, en apparence, renferment de grands mystères
et d'importantes leçons! Par ces mots : LA FEMME RES-
TANT DEBOUT, saint Jean a voulu nous peindre, moins
la position du corps de l'accusée que l'état et la condi-
tion de son âme. Il a fait allusion à ce précieux ÊTRE
DEBOUT dont a parlé saint Paul, lorsqu'il a dit : Celui qui
est DEBOUT, qu'il prenne garde de ne pas tomber; Qui
stat, videat ne cadat. C'est-à-dire que saint Jean a fait
allusion à la grâce, à l'amitié de Dieu. Car l'âme D E -
BOUT, c'est l'âme à l'état de grâce et d'amitié avec son
Dieu. Il a voulu nous dire donc que l'âme de cette
pauvre femme, quelques instants avant malade et même
morte, et gisant à terre à cause de son péché, mainte-
nant, par son repentir, par sa confusion et par sa dou-
leur, s'est redressée, et demeure debout, étant revenue
à la santé et à la vie devant Dieu. Mais ce changement,
ce prodige n'a rien d'étonnant, nous dit Ericius; Jé-
sus-Christ vient de montrer, dans cette circonstance,
que lui, c'est le Dieu dont il est écrit que, en abaissant,
en écrasant l'orgueil d'une main, il relève et exalte
l'humilité de l'autre ; Hune humiliât, et hune exaltât
(Psah LXXIV). En effet, le voici, ce puissant Seigneur,
qui, après avoir, de l'autorité de sa justice, terrassé les
accusateurs superbes de la femme, relève de son abjec-
tion cette pauvre accusée, et la réhabilite par un grand
et ineffable don de sa pitié (1). Et saint Augustin a dit

( l ) « Qui accusatores, justitise auctoiitate, prostravit; eam quœ


« accusabatur, magno pietatis muncre sublevavit. »
200 HOMÉLIE IV. LA FEMME ADULTÈRE ,

aussi : Celui qui avait chassé les adversaires de la femme


par le trait de sa langue, le voici tournant vers l'accusée
le regard de sa miséricorde (1).
Remarquez aussi, nous dit encore l'Émissène, que
TËvangéliste ne nous a appris que la femme est de-
meurée debout, Mulier stam, qu'après nous avoir dit
que Jésus-Christ s'était incliné; Jésus inclinavii se
deorsum. Oh ! le grand et touchant mystère qui est con-
tenu dans ce contraste de mots de Jésus-Christ qui s'a-
baisse et de la femme qui se relève ! C'était nous dire :
Que la MISÈRE ne s'est relevée que lorsque la MISÉRI-
CORDE de Dieu est descendue (2); qu'à peine la bonté
de Jésus s'est inclinée à la pitié et au pardon, la p é -
cheresse s'est redressée, est revenue à la grâce et à la
vertu. C'était nous dire que l'homme ne se relève pas,
si Jésus-Christ ne s'abaisse; que l'homme ne monte
pas, si Jésus-Christ ne descend; que l'homme ne vit
pas, si Jésus-Christ ne meurt. Ce fut nous dire que
l'infirmité de notre Sauveur est toute notre force; que
ses humiliations sont notre gloire; que sa mort est
notre v i e ; et que ce n'est, dit saint Augustin, que parce
que le Fils de Dieu est descendu sur la terre, que
l'homme a reçu le secours, la force, les ailes, pour
s'élever jusqu'au ciel (3).
En attendant, la pauvre pécheresse dont il s'agit est
encore en présence du Seigneur, les yeux bas, humi-

(1) « Qui adversarios repulerat lingua, oculos mansuetudinis in


« illam levavit. »
(2) « Liberata est miseria, labente misericordia. »
3) « Descendit Deus ad terram, ut homo in cœlum ascenderet. »
OU OBSTINATION ET REPENTIR. 201

liée, dit saint Augustin, tremblante, et craignant de


s'entendre condamner par celui qui seul avait le droit
de la juger et de la punir, parce que c'était le seul sans
péché. Mais c'est tout le contraire qui arrive. Car J é -
sus, se redressant, et changeant en ton d'une amabilité
infinie le ton de sévérité dont il avait parlé aux accu-
sateurs, dit à l'accusée : Femme, où sont-ils donc ceux
qui t'accusaient? Us ont disparu, n'est-ce pas? et tu
n'as été condamnée par personne; Dixit ei Jésus :
Mulier, ubi sunt qui te accusabant? Nemo te condem-
navit ( v , 1 0 ) ! C'est vrai, répondit la femme; c'est
vrai, Seigneur; tout le monde m'accusait, et personne
ne m'a condamnée; Ai ilia dixit : Nemo, Domine
(v, 11). Eh bien, reprit Jésus-Christ, ni moi non plus je
ne te condamnerai pas; Dixit autem Jésus :Neque ego
te condemnabo (Ibid.). O bon, ô doux et très-aimable
Seigneur! que de miséricorde, d'indulgence, de man-
suétude n'y a-t-il pas dans cette parole : « Ni moi non
plus je ne te condamnerai pas?» Ah! cette parole m'en-
courage, me relève, porte dans mon âme l'espérance,
la consolation et la paix! Je ne crains plus, Seigneur,
à la vue de mes péchés, puisque j'ai affaire à un Dieu
si doux, si indulgent et si miséricordieux! Par cette
grande et aimable parole, je suis assuré qu'une fois
que je m'en remets à vous, à vous seul, je ne serai
ni repoussé, ni condamné, ni puni, mais que le pardon
me sera accordé; Neque ego te condemnabo. A h ! les
hommes réservant l'indulgence pour eux-mêmes n'ont
que de la sévérité, de l'injustice pour les autres. Ils ne
savent leur rien pardonner ; ils ne leur pardonnent pas
même leurs vertus. Tandis que vous, Seigneur, vous
202 HOMÉLIE IV. LA FEMME ADULTÈRE ,

pardonnez même les péchés, les péchés par lesquels


on a eu le malheur de vous offenser vous-même. Ah!
c'est qu'ils sont hommes, et que vous êtes Dieu. Oh!
qu'elle soit bénie, louée, votre miséricorde ! Pour moi,
je déclare, avec le prophète, que je la chanterai à ja-
mais cette miséricorde infinie qui, pécheur, ne m'a pas
abandonné, ne m'a pas puni, ne m'a pas écrasé, mais
m'a toléré, m'a attendu, m'a rappelé, m'a pardonné,
et m'a fait rentrer au nombre des enfants et des amis
de mon Dieu. Oui, je ne me lasserai jamais d'admirer,
de bénir, de louer, d'exalter cette douce miséricorde
pendant ma vie : heureux, si je pouvais en faire de
même pour toute l'éternité! Misericordias Domini in
œternum cantabo [PsaL Lxxxvui)!

10. Énormité du péché d'adultère. En absolvant la femme coupable


do ce péché, Jésus-Christ n'en a pas atténué la malice. II n'a fait
éclater que la vérité de sa promesse : Que le pardon est assuré au
repentir.

Mais, d'après la prophétie, l'œuvre du Messie aurait


été accomplie par la vérité aussi bien que par la justice
et la mansuétude, ou la bonté (1)-, et c'est par l'accord
de ces trois vertus qu'elle aurait été une œuvre unique,
admirable, divine; Propter veritatem, et mansuetudi-

(t) Le mot mansuétude dérive, même au latin, du mot man, sy-


nonyme de bon; et de là les mots humanus, inhumanus, humain,
inhumain. La mansuétude dit donc plus que la douceur. Celle-ci est
plutôt dans les manières; celle-là est dans le cœur et dans les m a -
nières aussi. C'est la bonté convertie en nature, c'est la miséricorde
traduite au dehors dans tous les actes, dans toutes les paroles. C'ebt
pour cela que, dans cette homélie, nous rendons le mot du prophète
mansuetudinem par les mots « miséricorde et bonté, »
OU OBSTINATION ET REPENTIR. 203

nem, et justitiam deducet te mirabiliter dextera tua.


Ailleurs, élevant la grandeur du dogme par les images
et les grâces de la poésie, le même prophète avait dit
encore : Le jour viendra où l'on verra la miséricorde
1
et la vérité allant à la rencontre de la justice, s embras-
sant mutuellement, et se donnant le baiser de la paix,
de la réconciliation et de l'amour, afin de régner en-
semble, de triompher ensemble dans l'œuvre du Ré-
dempteur; Misericordia et veritas obviaverunt sibi }

justifia et pax osculatœ su?it (PsaL vin). Or, nous n'a-


vons vu jusqu'ici que la justice et la mansuétude ou la
miséricorde du Seigneur se manifestant d'une éclatante
manière dans l'histoire de la femme adultère ; mainte-
nant, il faut que nous y voyions aussi le triomphe de
la Vérité, qui ne s'est jamais séparée, qui ne peut pas
se séparer de la miséricorde et de la justice, dans
l'œuvre de Dieu pour la justification et le salut de
l'homme.
Rien n'est certainement plus doux, plus aimable,
que cette parole que le divin Sauveur a adressée à la
femme convaincue d'adultère : « Personne ne t'a con-
« damnée, ni moi non plus je ne te condamnerai pas. »
Mais comment? dira-t-on, l'adultère pour une femme
n'est-il pas le plus grand de tous les attentats qu'elle
puisse commettre contre l'honneur du mari, contre la
paix de la famille, contre la légitimité et le bonheur des
enfants? L'adultère n'est-il pas le crime qui, tout à la
fois, porte atteinte à la propriété la plus chère, foule
aux pieds la foi la plus sacrée, profane la sainteté du
lit nuptial, et brise un lien que Dieu même a consacré?
L'adultère n'est-il pas le crime qui, en confondant les
204 HOMÉLIE IV. —* LA FEMME ADULTÈRE,

corps des hommes, comme se confondent les corps des


brutes, par l'instinct et non par la raison, sépare les
cœurs, renverse la pudicité, et introduit dans le sanc-
tuaire de la famille la discorde, le meurtre, l'infamie,
le malheur? L'adultère n'est-il pas le seul crime contre
lès mœurs que les Grecs et les Romains, les Perses
et les Égyptiens, les Parthes et les Arabes, les peuples
civilisés aussi bien que les peuples barbares, les peuples
professant la vraie religion aussi bien que les peuples
qui ont professé des religions fausses, ont tous et tou-
jours puni du dernier supplice? L'adultère n'est-il pas
enfin ce crime que même la loi de Moïse ordonnait
d'ensevelir sous une grêle de pierres, dans la personne
de ceux qui s'en rendaient coupables? Comment donc
le même péché que le Dieu de la Loi paraissait vouloir
punir d'une manière si sévère, est-il aujourd'hui laissé
impurti, est-il excusé, pardonné, absous entièrement
par le Dieu de l'Évangile? Seigneur, disait saint Au-
gustin à Jésus-Christ à cette occasion; Seigneur,
qu'avez-vous donc fait, qu'avez-vous donc dit? Cette
indulgence de votre part n'est-elle pas une espèce
d'encouragement et de faveur que vous venez d'ac-
corder au péché (1)?
Ah! je me trompe; il n'y a rien de tout cela, ajoute
le même Père (2). Le Dieu auteur de la justice, le Dieu
source de la miséricorde est aussi le Dieu de la vérité;
et Jésus-Christ, fils de Dieu et vrai Dieu lui-même, est,
lui aussi, tout cela; Chrislus veritas est (I Joan. v). En
y

(1) « Quid est Domine? faves peccatis?


(2) « Non ita plane. »
OU OBSTINATION E T R E P E N T I R , 205

exerçant sa justice, en accordant sa miséricorde, il


n'oubliera donc pas, il ne peut pas oublier de rendre
hommage à sa loi de vérité. Écoutez donc.
D'abord, en disant à la femme coupable : « Où sont-ils
donc ceux qui t'accusaient? » le Seigneur, disent les
Pères et les interprètes, inspira, par l'action secrète
de sa grâce, à cette pécheresse, un regret sincère, une
contrition parfaite de son péché, et le désir et la prière
du pardon, et la confiance de l'obtenir (1). E t la plus
grande miséricorde, la vraie miséricorde, que dans
cette circonstance Jésus-Christ a accordée à la femme
adultère, n'est pas dans l'acte extérieur par lequel il
l'a arrachée des mains des pharisiens, mais dans l'acte
intérieur par lequel il l'a convertie; ce n'est pas dans
le moyen par lequel sa sagesse l'a délivrée de la mort
du corps, mais dans le trait par lequel sa grâce l'a
rappelée à la vie de l'âme. Alors, touchée, conquise
par cette grâce, cette heureuse pécheresse vit s'ac-
complir en elle et par elle, dit saint Augustin, la pro-
phétie : « Que l'abîme aurait invoqué l'abîme, et que
l'abîme aurait répondu. » C'est-à-dire que l'abîme de
la profonde misère de cette âme noyée dans le dés-
ordre du péché eut recours à l'abîme de la miséricorde
do Dieu; et cet abîme de la miséricorde de Dieu lui
répondit par l'absolution et le pardon (2). Car, la
femme ayant répondu à Jésus-Christ : « C'est vrai,
« Seigneur, personne ne m'a condamnée : Nemo Do-

it) » Inspiravit dolorem de peccatis (Cornelhts, à Lapide). »


(2) « Tum abyssus abyssum invocavit ; abyssus miseriœ ubjssum
« misericordiae. •
206 HOMÉLIE IV. — LA FEMME ADULTÈRE ,

« mine ; » ce fut comme si elle lui eût dit encore : « C'est


cela qui me donne l'espérance, l'assurance même, que
vous, Seigneur, vous non plus, ne me condamnerez.
Ah ! le Fils de Dieu ne sera pas moins indulgent que les
fils des hommes. S'ils ont renoncé à la pensée de m'ac-
cuser ; vous aussi, parce que vous êtes le Seigneur, vous
vous abstiendrez de me condamner. Mais il ne me suf-
fit pas que votre miséricorde m'ait délivrée de la mort
dont me menaçaient mes accusateurs; je veux, j ' i m -
plore aussi votre miséricorde qui pardonne, qui elface
à vos yeux mon péché; et c'est aussi cette miséricorde
que j'espère obtenir de votre mansuétude et de votre
bonté, afin qu'il soit vrai qu'aujourd'hui tous me par-
donnent, le ciel et la terre, les hommes et Dieu ; et que
je puisse répéter, en toute vérité, que personne ne m'a
condamnée : Nemo te condemnavitt Nemo, Domine. »
En second lieu, ces mêmes mots de la femme adul-
tère : « C'est vrai, Seigneur, personne ne m'a con-
damnée, » peuvent se traduire de cette autre manière :
« Je reconnais, j'avoue, Seigneur, que la faute pour
laquelle on m'a amenée à vos pieds est vraie. Je l'ai
réellement commise; en sorte que je méritais bien, je
le reconnais encore, d'être condamnée; et si je ne l'ai
pas été, c'est à votre miséricorde que je le dois. Mais
je regrette, je déteste cette faute qui a failli me faire
perdre en même temps la vie du corps et celle de
rame. Me refuserez-Yous donc votre pardon? Je ne
puis pas le croire. Car vous avez promis le pardon au
repentir, la grâce à la prière, le salut à l'humiliation.
Ah! je ne partirai donc pas d'ici avant que vous aussi
ne m'ayez pardonné, afin que je sois exempte de toute
OU OBSTINATION ET HEPÏNTIR. 207

condamnation et de tout péché : Nemo te condem-


navit î Nemo, Domine. »
Jésus-Christ a donc vu la sincérité avec laquelle cette
pauvre créature regrette sa faute; l'humilité avec la-
v
quelle elle la confesse; la résignation avec laquelle elle
était prête à subir la punition temporelle qu'elle avait
méritée; la patience avec laquelle elle avait supporté
les invectives des pharisiens et la honte publique de sa
propre personne, Jésus-Christ a vu la ferveur avec la-
quelle elle prie, la confiance avec laquelle elle espère,
la sainte rougeur de la pénitence avec laquelle elle se
confond, s'abaisse, s'anéantit devantla majesté du Dieu
qu'elle a offensé; et c'est, dit Euthymius, en considé-
ration d'un repentir si sincère, d'une confession si
humble, d'une prière si fervente, d'une confiance si
ferme, que le Fils de Dieu prononça cette grande et
ineffable parole que Dieu seul peut prononcer par son
propre droit et en toute vérité : « J e te pardonne; ni
moi non plus je ne te condamnerai pas : Neque ego te
condemnabo (1). En sorte que par cette parole, dit le
vénérable Bède, Jésus-Christ, THomme-Dieu, a absous
la femme non-seulement de la peine, mais aussi de la
coulpe, non-seulement delà mort, mais aussi du péché;
et tout en ayant eu compassion d'elle en tant qu'homme,
il Va sauvée en tant que Dieu (2). C'est ainsi que le divin
Sauveur a fait triompher la vérité de ses promesses,
tant de fois répétées dans les Livres saints : « Que

(l) « Cum sciret quod illa toto corde pœniteret (Expos.)» »


( î ) « Quia Deus et homo erat, miseratur ut homo, absolvit ut
• Deus. »
208 HOMÉLIE IV. — LA FEMME ADULTÈRE ,

l'humble repentir, le repentir sincère et efficace n'est


jamais repoussé de la part de Dieu, et que le pardon lui
est toujours assuré : Cor contritum et kumiliatum,
Deus, non despicies (PsaL L ) .

11, Grande parole par laquelle, dans cette même circonstance, le


Seigneur a encore flétri l'adultère. Ce péché, quoi qu'en disent les
mondains, est toujours un grand péché aux yeux de Dieu.

Mais le Dieu de sainteté ne s'en tint pas là. Faites


attention, nous dit encore saint Augustin, à ce qui suit
dans ce même récit de l'Évangile (1); et voyez com-
ment le Fils de Dieu, tout en ratifiant la vérité de ses
consolantes promesses, a confirmé aussi la vérité de
ses terribles menaces. Car, en renvoyant la femme,
acquittée de l'accusation qu'on avait articulée contre
elle, il lui dit ces paroles : u Va, mais garde-toi bien de
« pécher de nouveau ; Vade, et jam amplius noli pec~
care (v. n). » Ainsi donc, poursuit saint Augustin,
Jésus, dans cette occasion, en absolvant et sauvant le
pécheur, n'a pas moins condamné et flétri le péché (2) ;
il n'a ni excusé ni atténué l'adultère, encore moins
l'a-t-il encouragé; car il n'a pas dit à la femme : « Va,
et vis encore comme bon te semble; mon indulgence
et mon pardon te sont assurés (3). » Il ne lui a pas dit :
« Quelque grands, quelque nombreux que seront les
péchés que tu pourras commettre à l'avenir, ma misé-

( I ) « Attende quod sequitur, »


(2) « Ergo et Dominus damnavit, non hominem, sed pecca-
« torem. »
(3) « Non dixit; Vade, et vive sicut vis; de mea liberatione &to
« securn. *»
OU OBSTINATION ET REPENTIR. 209

ricorde saura bien te délivrer non-seulement de toute


peine temporelle, mais aussi des peines éternelles de
l'enfer (1). » Mais en lui disant au contraire : « Garde-
toi bien de retomber dans le péché, » ce fut comme
s'il lui eût dit : « Absoute de tes péchés commis, ne
va pas croire que tu seras, avec la même facilité, déli-
vrée des péchés que tu voudrais une autre fois com-
mettre ; exempte de toute peine que tu avais encourue,
ne va pas te croire aussi à l'abri de toute peine que
tu pourrais encourir à l'avenir. Tranquille donc quant
à tes fautes passées, crains et tremble toujours pour tes
fautes futures (2). »
En sorte que la grande parole du Seigneur à la
femme adultère pénitente : « Va, et garde-toi bien de
pécher de nouveau, » a u n e double signification, une
double portée. La première de ces significations est une
condamnation véritable du péché dont cette femme
s'était rendue coupable. Car il est clair, évident, qu'en
lui disant : Garde-toi bien de pécher de nouveau, »
Jésus-Christ, tout en la détournant de tout péché dans
l'avenir, lui reproche son péché passé; et qu'il a voulu
lui dire, lui confirmer, qu'en se livrant à l'amour de
tout homme autre que son mari, cette femme avait
vraiment commis un péché, et un grand péché.
Nous venons de voir que les Scribes et les Pharisiens
étaient tous coupables, tous souillés du même péché
qu'ils se montraient si zélés de voir punir dans la

(1) « Non dixit : Quanlumcumque peccaveris, ego te ab inferni


« ardoribus liberabo. »
(2) « Facta secnra de prsterito, cave futura. »
210 HOMÉLIE IV. — LA FEMME ADULTÈRE,

femme; et qu'ils étaient tous des adultères, mais des


adultères par habitude, par système; des adultères dé-
vergondés, endurcis, obstinés. Nous venons de voir
que n'ayant, eux, répondu que par un mouvement
intérieur d'obstination infernale à l'invitation à se con-
vertir que l'aimable Sauveur leur avait adressée, il les
a tous sévèrement et redoutablement punis de ce péché,
quant au présent, en les démasquant tous en présence
du peuple, en les accablant de honte et de confusion;
et quant à l'avenir, en écrivant leurs noms sur la terre,
c'est-à-dire sur la liste affreuse des réprouvés de l'enfer.
Mais Jésus-Christ ne s'est pas contenté dans cette cir-
constance de flétrir l'adultère en le punissant, dans la
personne des pécheurs impénitents. Par cette parole :
« Garde-toi bien de retomber dans le péché, » il a flétri
de nouveau ce péché, même en le pardonnant, dans la
personne de la pécheresse repentante, et faisant éclater
en même temps la miséricorde qui pardonne au r e -
pentir, et la justice qui punit l'obstination. Voilà donc
une double condamnation, solennelle, publique, une
double flétrissure éclatante et redoutable du même
crime.
Comprenez donc bien cette leçon sévère, ô vous tous
qui ne voyez ou n'affectez devoir dans l'adultère qu'une
faiblesse plutôt qu'un crime, un égarement du cœur
plutôt qu'un acte pervers de la volonté, un oubli plutôt
qu'une violation de la loi de Dieu.
On a eu beau adoucir dans ces derniers temps la
sévérité de la peine de l'ancienne législation touchant
l'adultère; on a eu beau en atténuer, en ennoblir
même la coulpe, en ne le nommant qu'un trait de
OU OBSTINATION ET REPENTIR. 211

bonne amitié ou de galanterie; on a eu beau l'en-


courager en l'écartant, par la licence de la presse, par
le cynisme des spectacles, du nombre des atteintes à
la morale, et en l'érigeant même en vertu 5 on n'a pas pu
réussir encore, et on ne réussira jamais à obtenir que
la partie innocente s'y résigne, et ne le regarde pas
comme une blessure mortelle au cœur, dont on ne
peut guérir, comme l'affront le plus sanglant qu'on ne
peut effacer que dans le sang. Vos papiers publics sont
là, nous prouvant que, tant de divisions scandaleuses,
tant de haines implacables, tant de duels, d'empoison-
nements, de meurtres, de suicides, dont le récit vient
tous les jours attrister la société, n'ont que l'adultère
pour principe, pour motif et pour cause (1).

( l ) Dans le Livre sacré des PROVERBES, il est dit ceci (et ceci est
et sera toujours une grande vérité) : « Le vol n'est pas un grand
crime, car ordinairement on ne vole que lorsqu'on a faim. Et d'ail-
leurs, le voleur, surpris en flagrant délit, est condamné (d'après la
loi juive) à payer sept fois plus que ce qu'il a voléj et s'il ne le peut
pas, il doit donner tout ce qu'il possède; et tout est dit. Mais l'homme
qui se laisse aller à l'adultère, n'a pas de cœur; et il se couvre de
turpitude et de honte, et son opprobre ne sera jamais effacé. 11
perd son âme et expose sa vie, car la jalousie et la fureur du mari
outragé ne lui pardonnent pas. On a beau le prier et le faire prier,
cet époux déshonoré ; on a beau lui faire de grands cadeaux pour
l'indemniser et l'apaiser; le désir de tirer vengeance un jour ne le
quittera jamais ; Non grandis est culpa, cum quis furatus fuerit ;
furatur enim, ut esurientem impleat animam. Deprehensus quo-
que reddet septuplum y et omnem substantiam domus suoe tradet.
Qui autem adulter est, propter cordis inopiam, perdet animam
suam; turpitud'mem et ignominiam congregat sibi et opprobrium
7

illïits non delebitur. Quia zelus et furor vin non parcet in die
212 HOMÉLIE IV. — L A FEMME ADULTÈRE,

Or, si tous les artifices des passions, s'appuyant sur


l'incrédulité, n'ont pu changer, modifier même l'opi-
nion des hommes touchant ce crime, vous concevez
bien, mes frères, qu'ils ont encore moins pu changer,
modifier même, ce même sujet, la sévérité de la loi et
de la justice de Dieu. Cette justice n'en punit pas
moins, même dans cette vie, les peuples où ce désordre
règne, les livrant aux horreurs des discordes civiles,
des révolutions, de la misère, de la peste, delà guerre,
de la servitude; et quant à la vie future, Dieu n'a pas
rétracté, modifié, que je sache, l'arrêt sévère qu'il a
fait promulguer au monde par l'organe de saint Paul,
disant que l'adultère, si le repentir ne Ta pas effacé,
suffit à lui seul pour exclure à jamais du royaume de
Dieu l'âme qui s'en est rendue coupable; Neque adxd-
leriregnum Deipossidebunt (I Corinth., vi).

12. Les rechutes dans le péché. Danger de l'Obstination, et bonheur


du Repentir. Il faut espérer dans la miséricorde de Dieu, mais sans
oublier sa justice.

Mais la même parole du Seigneur : « Va-t'en, et


parde-toi bien de pécher de nouveau, » a une autre
signification encore plus étendue et plus importante.
C'est un avertissement à tous les pécheurs sur le danger
qu'il y a de revenir au péché, de se familiariser avec
le péché, de s'enfoncer dans le péché ; et, tout en ayant
donné dans cette occasion un exemple de sa miséri-
corde, afin que personne ne désespère, le divip Maître
a aussi ajouté un mot grave, afin que personne ne pré-

v'mdicLT, nec acquiescet cujusquayn precibus; nec suscipiet pro


redemptione dona plurima {Proverb., vi). »
OU OBSTINATION ET REPENTIR- 213

sume. C'est la répétition de ce qu'il avait dit ailleurs


aux pécheurs : « Que le Dieu qui a promis le pardon au
repentir, n'a pas promis une longue vie à la présomp-
tion. Que rien n'est plus juste, ni n'arrive plus sou-
vent que ce fait : Que tout pécheur s'encourageant, se
livrant au péché sur l'espérance de la miséricorde de
Dieu, ne retrouve plus cette miséricorde lorsqu'il la
cherche; et partant, qu'il finit la vie dans son péché ;
Quœretis me, et non invenietis; et in peccato vcsiro
moriemini (Joan., vu).
Craignons donc qu'une mort prochaine, imprévue,
subite, ne prévienne et ne rende impossible notre con-
version. Ne tardons p a s , comme le Saint-Esprit nous
en avertit dans les Livres saints, d'accomplir, pendant
que la grâce nous appelle, que la santé nous assiste,
nos desseins de retour à Dieu, que nous avons tant de
fois formés, que nous avons ajournés toujours, et que
nous n'avons jamais exécutés. Cessons de les ren-
voyer encore ces plans à un temps dont nous ne som-
mes pas les maîtres, et qui peut bien nous manquer;
et prévenons à notre tour ce jour redoutable dans le-
quel la colère de Dieu surprend subitement et écrase
celui qui a abusé pendant de longues années de la mi-
séricorde de Dieu; Ne tardes converti ad Dominum;
neque différas de die in diem* Subito enim venit ira
illius; et intempore vindictce disperdet te (Ecch., v).
Ah ! ces deux mots : OBSTINATION et REPENTIR, résu-
ment, à eux seuls, la condition morale, et décident du
sort de tous les hommes qui ont perdu l'innocence. Ces
hommes ne sont que pénitents ou obstinés; e t , selon
qu'ils sont l'une ou l'autre chose, ils seront sauvés ou
214 HOMÉLIE IV. — LA FEMME ADULTÈRE.

ils seront condamnés. Il n'y a pas de milieu. La misé-


corde de Dieu est sans doute infinie ; mais sa justice
Test tout de même. C'est pour cela, dit saint Grégoire,
que le Prophète, en s'écriant : « Seigneur, que vous
êtes miséricordieux et compatissant, * n'a pas manqué
d'ajouter : « Et que vous êtes juste ! » Misericors Do-
minus et miseraior etjustus (PsaZ., cxi). Que ceux donc
qui se plaisent à considérer la grandeur, les charmes
de la miséricorde dont Jésus-Christ a fait usage en-
vers la femme adultère, n'oublient pas la vérité de la
menace de sa justice qu'il lui a faite par ces mots :
« Va-t'en, et garde-toi bien de pécher de nouveau (1).
Espérons toujours dans la miséricorde de Dieu, afin
de nous relever et de nous convertir -, mais rappelons-
nous toujours aussi la vérité de ses menaces et la justice
de ses punitions, afin de ne pas retomber dans le pé-
ché, afin de ne pas nous endormir au sein du péché.
C'est en faisant régner admirablement ensemble la
justice, la miséricorde et la vérité, que le Rédempteur
divin a accompli le salut du monde ; et ce n'est que
l'ail toujours fixé à ces trois attributs de Dieu, que
nous pouvons aussi accomplir notre salut; Propter
vevitaiem et mansuetudinem et justitiam deducet te
mirabiliter dextera tua. Ainsi soit-il.

(î) « Intendant ergo qui amant in Domino mansuetudinem, et


« tuneant veritatem. »
HOMÉLIE V. — LA VEUVE DE NAÏM. 21b

CINQUIÈME HOMELIE.
LA VEUVE DE NAÏM (*),
OU

L'ÉGLISE-MÈRE E T LA MÈRE-ÉGLISE.

(Luc, chap. vu.)

« Quœ sursum est Hit rusaient, libéra ett; quœ est mater noslra;
« La Jérusalem d'en haut est libre ; et elle est notre mère [Galat, îv). »
f

INTRODUCTION.

1. Pourquoi Dieu a créé les deux sexes. Le mariage, figure de l'u-


nion de Jésus-Christ et de l'Église. La femme mère, figure de
IEOLISE-MÈRE et de LA MÈRE-ÉGLISE. Ce sont ces mystères qu'on se
propose de montrer en action dans l'histoire de la veu\e de Naïm.

APRÈS avoir créé l'intelligence sans la matière, Fange;


et la matière sans l'intelligence, les corps, Dieu voulut

(*) La ville de Naïm (mot hébreu signifiant Belle) n'avait ce nom


qu'à cause de la beauté de sa forme et de l'aménité de sa position ;
elle était dans la province de Galilée, à une petite lieue du mont
Thabor. Jésus-Christ s'y rendait en sortant de Capharnaiïm, après
avoir guéri le serviteur du Centurion (Matth.). Le prodige dont il
s'agit ici eut lieu vers la fin du mois de mai de la seconde année de
la prédication du Seigneur. Saint Luc seul nous a fait le tou-
chant récit de ce beau miracle de notre aimable Sauveur, qu'on lit
à la Messe du jeudi après le quatrième dimanche du Carême, à la
Messe du quinzième dimanche après la Pentecôte, et à la Messe
du jour de sainte Monique, mère de saint Augustin, et cela par la
raison qui sera expliquée dans le cours de cette même homélie.
216 HOMÉLIE V. LA VEUVE DE NAÏM,

aussi créer l'homme, l'être en même temps intelligence


et matière, esprit et corps, afin qu'il y eut des êtres de
toutes les nuances, afin qu'il y eût ordre complet, har-
monie, perfection dans l'univers.
Mais pourquoi, ayant voulu former l'homme, Dieu
l'a-t-il formé de manière à ce que ni l'homme ne puisse
engendrer sans la femme , ni la femme sans l'homme ?
En d'autres termes, pourquoi Dieu n'a-t-il pas formé
l'homme d'un seul sexe, pouvant, comme la plupart
des plantes, se reproduire tout seul en lui-même et par
lui-même?
C'est, dit le grand saint Thomas, parce que lavie
spécifique de la plante étant dans la faculté d'engen-
drer, les deux vertus, la vertu active et la vertu pas-
sive, par lesquelles toute génération se fait, doivent
se trouver toujours et en même temps dans la plante.
Mais la vie spécifique de l'homme n'était pas dans la
faculté $ engendrer ^ mais dans la faculté de compren-
dre , comme la vie spécifique de la brute est dans la
faculté de sentir, les deux vertus nécessaires à la gé-
nération ont dû se trouver, par rapport à la b r u t e , et
à plus forte raison par rapport à l'homme, dans deux
individus distincts de la même espèce \ et de là la né-
cessité de deux sexes pour la reproduction de la
b r u t e , et bien plus encore pour la reproduction de
l'homme (1).
Mais, indépendamment de cette grande raison , ré-
sultant de l'essence même des êtres dans l'ordre na-

(I) Voyez le pas€age qui contient cette profonde doctrine du Doc-


teur angélique, à la fin de cette homélie.
ou L'ÉGLISE-MÈRE ET LA MÊRE-ÉGLISE. 217

turel, il y a, dit encore saint Thomas en commentant


saint Paul, une raison sacramentelle, de Tordre surna-
turel, par laquelle Dieu fit l'homme mâle et femme,
et établit les deux sexes dans l'espèce humaine ; Mas-
culum et fœminam creavit eos (Gen. î, 27). Cette raison
la voici :
Ce n'est pas une pensée dévote, une idée ascétique,
mais c'est une vérité de foi que saint Paul nous a ré-
vélée, que le premier Adam n'a été que le type, le
modèle en petit du SECOXD ADAM OU de J É S U S - C H R I S T ;
Adam qui estforma FUTURI (Rom., \)\ et que dans tout
ce que Dieu fit, au commencement du monde, pour
l'homme, dans l'homme et par l'homme, son princi-
pal dessein, sa pensée dominante, fut, dit Tertullien,
de figurer, d'ébaucher les mystères du Verbe qui de-
vait se faire homme (1).
Or, il avait été fixé dans les conseils éternels que ce
ne serait point par une action solitaire, immédiate, di-
recte, mais que ce serait par le concours et le ministère
d'autres hommes, appelés I ' É G L I S E , que le Yerbe divin
fait homme aurait engendré les fils de Dieu, et per-
pétué dans le monde sa mission réparatrice et sanc-
tifiante de l'homme. En voulant donc annoncer
d'avance au monde, et lui présenter en figure, par la
génération charnelle de l'homme-homme, le grand
mystère de la génération spirituelle de I'HOMME-DIEU,
il était bien convenable que Dieu établit q u e , dans
l'ordre naturel, les hommes ne pussent naître du père

(0 « Quidquid limo cxprimebatur, Christus cogitabalur homo fu-


« turus. »
218 HOMÉLIE V. — LA VEUVE DE NAÏM,

seul, mais du mâle et de la femme, puisque, dans


Tordre surnaturel, les fidèles ne devaient pas naître
de Jésus-Christ seul, mais de Jésus-Christ et de TE-
glise. Ainsi cette grande parole que Dieu prononça au
commencement du monde : « Il n'est pas bien que
a Thomme soit seul ; faisons-lui un aide semblable à
« lui ; Non est bonum esse hominem solum. Faciamus
y « ei adjutorium simile sibi (Gen. n) ; » cette grande
y

parole, dis-je, fut une grande prophétie. Ce fut dire


que Thomme par excellence, Thomme parfait (parce
qu'il aurait été Dieu et homme en même temps), Jé-
sus-Christ, n'aurait pas été seul ; mais que dans l'E-
glise qui serait née de son côté sur le Calvaire, comme
Eve était née du côté d'Adam, il aurait eu lui aussi un
aide semblable à lui ou rempli de son esprit, une com-
pagne, une épouse. Ce qui a fait dire à saint Paul que
l'existence et le rapprochement de deux sexes pour
la génération de l'homme, ou le sacrement du ma-
riage, n'est un grand sacrement que parce qu'il a sa
raison, son modèle et son type dans l'existence et dans
l'union de Jésus-Christ et de l'Eglise; Erunt duo in
carne una. Sacramentum hoc magnum est, ego dico in
Christo et in Ecclesia (Ephes., v).
Mais si l'Eglise est la vraie épouse que le Père éter-
nel a donnée à son divin Fils pour la génération des
fidèles, comme il avait jadis donné Eve pour épouse à
Adam pour la génération des hommes, il s'ensuit, di-
sait encore saint Paul, que l'Église est la Jérusalem
céleste, parce qu'elle a son origine et sa base au ciel ;
qu'elle est libre, parce qu'elle a le Fils de Dieu pour
son époux ; et, par surcroit, qu'elle est notre mère à
ou L'ÉGLISE-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 219

nous, notre tendre, notre véritable mère ; Quœ sur-


sum est Hierusalem, libéra est; quœ est mater noslra*
Oh! que cet oracle du grand Apôtre est consolant
pour nous ! Il nous apprend, il nous certifie que nous
autres chrétiens nous avons une mère sur cette terre,
une mère noble, grande, céleste, divine, et que cette
mère est l'Eglise; Quœ est mater nostra.
C'est aussi ce touchant mystère de la maternité de
l'Église que saint Luc a mis sous nos yeux et nous a
fait voir en action dans la veuve de Naïm obtenant par
Ses larmes, de Jésus-Christ, la résurrection de son
unique fils.
Etudions-le donc, ce délicieux mystère, dans ce
grand prodige opéré aujourd'hui par notre divin Sau-
veur. Nous y verrons d'un côté la profonde misère des
pécheurs, et de l'autre côté, ce qu'est, ce que vaut en
elle-même l'Église, et ce qu'elle peut auprès de Dieu.
Nous y verrons que la vraie Église, l'Église catholique, a
pour nous les entrailles d'une mère ; et aussi que la vraie
m è r e , la mère chrétienne, exerce les fonctions, jouit
en quelque sorte de la puissance de l'Église au profit
m

de ses enfants ; en deux mots : que la vraie Église est


mère et que la vraie mère est Église. C'est le sujet de
cette homélie; il ne saurait en être de plus instructif
ni de plus intéressant pour tout le monde. Ave, Maria.
220 HOMÉLIE V. — LA VEUVE DE NAÏM,

PREMIÈRE PARTIE.
HISTOIRE DE LA VEUVE DE N A M , FIGURE DU MYSTÈRE
DE L'ÉGLISE-MÈRE.
2. Circonstances historiques de la résurrection du fils de celle
veuve. Puissance et bonté du Sauveur divin, dans l'opération de
ce prodige.

L A guérison du petit valet du Centurion, que le Fils


de Dieu venait d'opérer à Capharnaûm, de loin et par
une seule de ses paroles, ne pouvait pas être contestée.
Le même peuple qui avait entendu la prière pleine de
foi et d'humilité que le bon militaire avait adressée au
Seigneur, afin d'obtenir cette guérison ; le même peu-
ple qui avait entendu cette réponse pleine de bonté de
la part du Seigneur : « Qu'il soit fait comme YOUS avez
cru-, » ce même peuple, dis-je, ayait entendu aussi de
la bouche des domestiques du même Centurion cette
belle déclaration : « Qu'à leur retour à la maison, ils
« avaient trouvé instantanément et parfaitement sain
« le garçon qu'ils y avaient laissé mourant (Luc, v. 10). »
Malgré tout cela, il se trouva alors, parmi les Juifs,
de ces esprits faibles à force de vouloir paraître forts,
ne croyant pas aux miracles, et q u i , afin, dit saint
Grégoire de Nazianze, d'être dispensés de croire à la
guérison miraculeuse du petit valet du Centurion,
avaient nié sa maladie désespérée. Que fait donc le
Seigneur ? Afin de confondre la témérité, la médi-
sance de ces lâches calomniateurs lui refusant le pou-
voir de guérir un malade, il va, en leur présence, res-
susciter un mort (1) !

(1) « Cum de puero Centurionis dixerat aliquis, quia moriturus


OU L'ÉGLISE-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 221

C'est dans cette intention qu'accompagné par ses dis-


ciples et par la même foule qui le suivait depuis Caphar-
naûm, le Fils de Dieu s'achemina vers la ville de Naïm,
qui était tout près; Deinceps ibat in civitatem quœ
vocatur Nàim ; et ibant cum eo discipuli ejus, et mul-
tiiudo copiosa (Luc, vu, 11).
11 était presque aux portes de la ville, et voilà qu'une
lamentable scène se présente à ses yeux. Un jeune
homme, enfant unique, espérance, délices uniquesd'une
pière veuve, moissonné impitoyablement à la fleur de
son âge par la main de la mort, était porté au tombeau ;
et sa malheureuse mère, pâle, désolée et pleurant, en
accompagnait les restes chéris, décidée à s'ensevelir
avec lui, n'ayant plus le courage de vivre sans lui 5
Cum autem appropinquaret portœ civitatis, ecce de-
functus efferebaiur, filius unicus malris suœ 5 et hœc
vidua erat (v. 12).
Ce navrant malheur d'une noble femme, jeune en-
core, depuis peu épouse sans mari, et maintenant mère
sans enfant, avait excité un intérêt général, un cha-
grin bien sincère dans le peuple. La tristesse était
peinte sur toutes les figures, la compassion touchait
tous les cœurs. Cela nous explique cette foule com-
pacte accompagnant l'infortunée matrone, en pleurant
de ses pleurs et s'attristant de sa douleur; Et turba
civitatis multa cum illa (Ibid*).
Au comble de son affliction, absorbée dans la pensée
de l'immense perte qu'elle vient de faire, cette mère

« non erat; ut temerariam linguam compescerct, jam defuncto j u -


« venieum obviare (Evangelista) fatetur (Caten.). »
222 HOMÉLIE V. — LA VEUVE DE NAÏM,

malheureuse pleure, mais elle ne parle pas, ne dit pas


un seul mot, n'adresse pas au Seigneur la plus petite
prière- N'importe ; le spectacle de sa désolation et de
sa douleur est à lui seul une éloquente prière allant
tout droit au tendre cœur de Jésus. O très-cher et
très-aimable Jésus ! bien des fois l'homme n'a besoin
que de se présenter à vous dans l'excès de sa misère,
dans l'affliction de son â m e , pour éprouver les effets
de votre généreuse charité I C'est ce qu'a voulu nous
apprendre l'Évangéliste, en disant que le Seigneur,
ayant regardé cette mère éplorée , fut profondément
touché, attendri de sa douleur ; Quam cum vidisset Do-
minus, misericordia motus super eam (v. 13). Il l'a-
borde donc , cette mère désolée ; et du ton de la plus
grande tendresse, de la plus profonde pitié : « Pauvre
femme, lui dit-il, vous avez raison d'être aussi affligée.
Mais cessez de pleurer, vous avez Jésus pour vous. Je
vais vous consoler ; Quam cum vidisset Dominus, mise-
ricordia motus super eam, dixit illi: Noli flere (v. 13).
Et, en disant cela, il fait quelques p a s ; il s'approche
du convoi funèbre, il en arrête la marche : il saisit de
sa main divine le cercueil où gisait étendu le cadavre
du jeune homme ; et du ton de sa voix toute-puissante
de Maître du monde et de Dieu, il cria haut en disant ;
Jeune homme, c'est moi qui te le commande, lève-
toi ; Et accessit, et tetigit loculum [hi autem qui porta-
bant steterunt), et ait : Adolescens, iibi dico : Surge
(v. 14-). O voix! ô commandement! Le Fils de Dieu
n'avait pas fini d'articuler ces mots divins, qu'à l'in-
stant même le mort se leva sur son séant, et que, plein
de santé et de vie sur le brancard même de la mort, il
ou L'ÉGLISE-MÈRE E T LA MÈRE-ÉGLISE. 223

commença à parler ; Et resedit quifuerat morfuvs, et


cœpit loqui(y. 15). Alors l'aimable Seigneur, prenant
le jeune homme par la main , l'aida lui-même à des-
cendre du cercueil, et le présentant à sa mère : Soyez
contente, lui dit-il, femme fortunée ; voici votre enfant
revenu à la vie; Et dédit illum matri suœ (Ibid.).
Ainsi, ditl'Émissène, le divin Sauveur a montré en
même temps, dans cette circonstance, toute la ten-
dresse de sa pitié en ayant pitié de la m è r e , et toute
la grandeur de son pouvoir en lui ressuscitant son en-
fant; afin que nous aussi croyions, adorions et crai-
gnions sa puissance infinie, et tâchions d'imiter sa
miséricorde et sa bonté envers le prochain (1).
A la vue d'un prodige si touchant et en même temps
si grand et si magnifique, un sentiment de crainte
révérentielle, mêlé à la stupéfaction et à l'enchante-
ment, saisit d'abord tous les esprits, et rendit muettes
toutes les langues de la foule ; Accepit autem omnes
timor (v. 16). Mais un instant après, laissant un libre
cours aux sentiments de leur admiration et de leur re-
connaissance envers Jésus-Christ qui venait de faire
éclater tant de puissance et tant de bonté, tous, avec
le plus vif transport, avec un religieux enthousiasme,
se mirent à crier : « Que Dieu soit béni, loué, glori-
fié! Voici que le prophète (2), le grand prophète qu'il

(t) « Ut in uno nobis exemplum imitandse pietatis ostenderet; in


« altero fidem admirandœ potestatis adstrueret (Expos.). »
(2) Il parait que le peuple ait, par cette parole, fait allusion au
passage du Deutéronome (Deut., xvm. 18) où Dieu avait promis à
son peuple de faire surgir un prophète de ce même peuple, qui l'au-
rait gouverné comme Muise, et conduit à la terre de promission.
224 HOMÉLIE V. LA VEUVE DE NAÏM,

nous avait promis, vient enfin de surgir parmi nous;


et que Dieu même, ce Dieu de bonté, est venu visiter
son peuple ; Ei magnificabant Deum, dicentes : Quia
propheta magnus surrexit in nobis, et quia Deus visi-
tavit plebem suum (v. 17).
C'est, mes frères, la chère et touchante histoire que
vous venez, je ne dis pas d'entendre, mais de voir de
vos yeux peinte par saint Luc dans l'évangile de ce
jour. Elle est claire, elle est simple dans son sens
littéral; mais, au sens spirituel et allégorique, elle
renferme, dit Éricius, de grandes vérités, de grands
mystères et d'importantes instructions ( 1 ) , que je vais
vous expliquer.

3. Ëlie ressuscitant le fils de la veuve de Sarepta, prophétie de Jé-


sus-Christ ressuscitant le fils de la v e m e de Naïm, et se montrant
Dieu.

Remarquons d'abord qu'afin de montrer que les


prophètes furent non-seulement ses évangélistes anti-
cipés, mais aussi ses figures vivantes, le Fils de Dieu
fait homme, non-seulement a accompli à la lettre tous

Littéralement, ce prophète, si solennellement prédit, n'a été que


Josué ; mais, dans le sens allégorique,c'était aussi Jésus-Christ, dont
l'ancien Jésus ou Josué a été la figure même par le nom, et qui
aurait régi le vrai Israël, le peuple chrétien, dans l'ordre spirituel,
comme Moïse avait régi le peuple hébreu dans l'ordre temporel; et
qui l'aurait conduit au vrai pays de promission, au ciel, comme
Josué conduisit le peuple hébreu au pays de promission sur cette
terre.
(1) « Juxta historiam apertissima est : spiritualiter autem intef-
« lecta non modicam œdifleationem audientium mentibus submi-
« nistrat (ExpositJ). »
OU L'ÉGLISE-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 225

leurs oracles, mais il a aussi répété, bien que d'une


manière plus admirable et plus parfaite, toutes leurs
grandes et éclatantes actions. Il est, en effet, impossible
de ne pas voir, en Ëlieressuscitant le fils delà veuve de
Sarepta, la figure prophétique du Sauveur du monde
ressuscitant aujourd'hui le fils de la veuve de Naïm.
Car, afin qu'il n'y eût pas le moindre doute que ces
deux prodiges, ayant eu lieu à huit siècles de distance
l'un de l'autre, se rapportent l'un à l'autre comme la
chose figurée se rapporte à sa figure et l'événement à
sa prophétie, nous trouvons que l'Évangéliste saint
Luc parle de la résurrection du fils de la veuve de
Naïm presque dans les mêmes termes dans lesquels
l'historien sacré du quatrième livre des Rois avait parlé
de la résurrection du fils de la veuve de Sarepta. Il est
dit de Jésus-Christ : « Qu'il rendit l'enfant ressuscité
« à sa mère; Et dédit illum mairi suœ;» comme il
avait été dit d'Élie ; « Il prit par la main l'enfant re-
venu à la vie, et, en le rendant à sa mère, il lui dit:
Voilà que votre fils, que vous pleuriez mort, est vi-
vant ; Tulitque Elias puerum, et tradidit matri suce,
et dixit illi : En vivit filius tuus (IV Reg., XVH). Seu-
lement, le prodige du divin Rédempteur surpasse infi-
niment en grandeur et en magnificence celui d'Élie.
Ce prophète ne fit pas, lui, le prodige ; il l'obtint de la
bonté de Dieu par ses prières : tandis que Jésus-Christ
n'a pas obtenu, mais opéré lui-même son prodige par
la puissance de sa parole. Car Élie, en élevant à Dieu
le cri de son cœur, lui dit : « Seigneur, mon Dieu, je
vous conjure de faire rentrer l'âme, qui en est sortie,
dans le corps de cet enfant mort ; Clamavit ad Domt-
226 HOMÉLIE V. — LA VEUVE DE NAÏM,

num, et ait : Domine, Deus mens, revertaiur, obsecro,


animapueri hujus in viscera ejus; tandis que Jésus-
Christ n'a pas prié, mais il a dit : Jeune homme, lève-
toi; c'est moi, c'est moi-même qui te l'ordonne, et
qui le veux ainsi; Adoïescens, tibi dico surge. Élie
y

n'a donc parlé qu'en humble serviteur de Dieu, tandis


que Jésus-Christ a commandé en Dieu.
Et, en effet, Élie ressuscitant l'enfant de Sarepta,
ne fut reconnu par la mère de cet enfant que comme
THOMME DE DIEU ; Nunc cegnovi quoniam vir Dei es tu
(loc. cit.). Tandis que Jésus-Christ ressuscitant le
jeune homme de Naïm a été reconnu et béni par la
foule comme le prophète par excellence, comme le
Messie de Dieu, comme Dieu lui-même daignant visi-
ter personnellement son peuple ; Quia propheta mag-
nus surrexit in nobis, et quia Deus visitavit plebem
suam.
Ainsi, rien que les récits des actions du Sauveur,
sans réflexions et sans commentaires, mais portant
dans leur sublime simplicité les caractères les plus
frappants de la vérité, sont à eux seuls la preuve de sa
divinité; et ce grand dogme ressort, plein de lumière
à chaque page, de chaque phrase de l'Évangile !
Mais ce grand prodige de la résurrection d'un mort
à la vie du corps, comme tous les autres étonnants
prodiges opérés par notre divin Sauveur, historique-
ment vrai, est aussi mystérieusement prophétique : il
figura le prodige encore plus grand par lequel ce
même Sauveur ressuscite tous les jours des hommes à
la vie de l'àme. Car, comme saint Grégoire l'a remar-
qué, la conversion d'un pécheur est un plus grand
OU L'ÉGLISE-MÈBE ET LA MÈRE-ÉGLISÏ. 227

et plus étonnant prodige que la résurrection d'un


mort(l).
Eh 1 oui, le vrai Élie, touché par les prières et les
larmes d'une veuve bien autrement digne et intéres-
sante que les veuves de Sarepta et de Naïm, la vraie
Église, ressuscite tous les jours bon nombre de ses en-
fants à la vie de la grâce, et les rend à l'amour désolé
de leur tendre mère. Et c'est ce consolant mystère de
miséricorde que nous devons maintenant approfondir,
en commençant par constater la profonde misère de
l'âme morte par le péché, dont le jeune mort de Naïm
a été aussi la ligure.

4. Le mort de Naïm, figure de l'homme pécheur. Les portes de l'âme.


La bière de l'àme pécheresse, et son insensibilité dans l'état du
péché. Les pécheurs, des morts rivalisant de zèle pour s'enterrer
les uns les autres.

D'abord l'Évangéliste a remarqué que le cadavre de


ce jeune homme était déjà sorti hors des portes de la
ville \ Efferebattir extra portam civitatis. Or la ville,
dit Ëricius en suivant d'autres interprètes, c'est le
corps dans lequel habite l'âme, comme renfermée
dans sa propre ville (2).
Cette ville mystérieuse du corps a cinq portes, et
ce sont les cinq sens par lesquels l'âme sort en quelque
manière d'elle-même, se manifeste au dehors, lors-
qu'elle perçoit les objets extérieurs, et rentre en elle-

(1) « Majus quippe miraculum est peccatorem converti quam mor-


« tuum suscitari. »
(2) » Civitas uniuscujusque animœ est corpus in quo, tamquam
« in civitate, dansa inhabitat. »
228 HOMÉLIE V. — LA VEUVE DE NAÏM,

même, lorsqu'elle y réfléchit. Il n'y a Jonc pas de


doute, dit Haymon, que les portes de la ville de Naïm,
dont ce n'est pas certainement sans raison que l'É-
vangéliste a fait mention, signifient nos sens exté-
rieurs (1).
Tant que Thomme ne fait usage de ses sens que dans
les limites de la raison et du devoir, pour servir et
louer Dieu, pour se rendre utile à son prochain, pour
se perfectionner et se sanctifier lui-même, ses sens ne
sont que des portes de gloire. Ce sont ces portes que
le Prophète appelle les portes de la fille de Sion, ornées
du fronton auguste de la grâce et de la sainteté. Car
le rayon de la sainteté et de la grâce, dont l'âme fidèle
est intérieurement comblée, se reflète et resplendit
même au dehors par les sens ; et c'est ainsi que les sens
sont des portes d'où sort l'édification du prochain et
la louange de Dieu : Ut annuntiem laudationes tuas in
poriisfiliœ Sion (PsaL ix).
Mais lorsqu'on prostitue au désordre des passions
ces sens que Dieu ne nous a donnés que pour nos avan-
tages véritables et pour sa gloire, ils deviennent ces
portes de la mort dont le même prophète avait con-
fiance que Dieu l'aurait délivré : Qui exaltas me de
poriis mortis (ibid.) En effet, ajoute Haymon, inter-
prétant dans ce même sens ce Psaume, Jésus-Christ a
dit : « Celui qui s'arrête à regarder une femme avec
« un sens voluptueux, et une intention et un désir
« adultères, a déjà commis et consommé l'adultère dans

(1) o Per portas civitatis sensuâ exteriores exprimuntur. Sicut


< enim civitas habet portas, ita et corpus humanum habet sensus. »
ou L'ÉGLISE-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 229

« son cœur. » Les yeux deviennent donc, pour ce


malheureux, des portes sombres et funestes par les-
quelles son âme morte déjà est amenée au tombeau
de l'enfer (1). Il en est de même des autres sens. Ils
sont, eux aussi, des portes lugubres de la mort, lors-
qu'on les fait servir au péché.
Donc le jeune homme mort, amené aujourd'hui hors
d e l à ville, est, en général, dit T i t u s , tout pécheur
mort au ciel et q u i , au moyen de quelqu'un de ses
sens, ou par une action quelconque de son corps,
prouve qu'il est mort dans son àme, et annonce au
dehors la perversité de son cœur (2).
Par rapport au cadavre de Naïm, l'Évangéliste a
expressément remarqué encore qu'il était étendu dans
un cercueil et amené par des fossoyeurs au tombeau :
Tetigit loctdum... Ii qui portaàant (Luc, 14). O h !
que ces circonstances sont mystérieuses! Oh! qu'elles
nous représentent bien l'état lamentable du pécheur
qui a franchi l'enceinte de la ville, c'est-à-dire du pé-
cheur ayant mis déjà sa famille, ses amis, ses collè-
gues, le voisinage, le public entier dans le secret de
ses fautes !
D'abord ce brancard, disent Bède et Haymon, si-
gnifie la conscience endurcie ou indifférente dans la-

(1) « Qui viderit mulierem ad concupiscendum eam, jam m œ -


« chalus est eam in corde suo [Matth. v) ; et iste talis per portam
« ducitur. »
(2) « Per hujus civitatis portas mortuus elfertur, cum per aliquem
« sensum, malae voluntatis indicium ostendens, mortuum in anima
« se esse déclarât. •
230 HOMÉLIE V. — LA. VEUVE D E NAÏM,

quelle le pécheur dont il s'agit se retranche, se repose


stupidement étourdi et tranquille (1).
Le cadavre de l'enfant étendu dans sa bière est éga-
lement insensible au sort qui l'attend dans la fosse qui
va l'engloutir et aux larmes que sa mère et le peuple
avec elle répandent sur sa fin prématurée. Il en est de
même du malheureux pécheur. Pendant q u e , dans
l'affreux cercueil de sa conscience émoussée, cauté-
risée et éteinte, il est visiblement amené vers l'enfer;
pendant que ses parent» et tout le monde s'attristent
et pleurent par compassion sur ses désordres présents
et sur son enterrement prochain dans l'abime éternel,
lui seul ne parait pas sentir, ne pas appréhender ses
propres pertes, son propre malheur, ni les dommages
qu'il cause aux autres, ni la douleur de ceux qui s'in-
téressent à lui; lui seul ne fait aucune attention ni à
sa santé qu'il use, ni à son bien qu'il dissipe, ni à sa
vie qu'il abrège, ni à sa réputation qu'il perd, ni à ses
parents qu'il désole, ni à sa maison à laquelle il fait
honte, ni à son rang qu'il compromet, ni à la piété
qu'il attriste, ni au public qu'il scandalise, ni à la r e -
ligion qu'il déshonore, ni enfin à son âme qu'il expose
à la damnation éternelle. Au milieu du chagrin com-
mun, lui seul ne se chagrine pas; au milieu du deuil
commun, lui seul n'est pas en deuil, ne se gène pas,
ne se tourmente pas ; mais plein d'assurance, et pres-
que heureux de son sort, au milieu des fêtes, des spec-
tacles, des joies et des plaisirs, comme l'a dit Job, il est

(l) « Jacet mortuus in feretro, cum anima peccatrix requiescit


« in sua conscientia maie secura. »
OU L'ÉGLISE-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 231

entraîné vers l'abîme pour y être plongé lorsqu'il s'y


attend le moins ; comme un agneau folâtre et badin,
couronné de fleurs, est amené au sacrifice : Ducunt in
bonis dies suos et in puncto ad inferna descendant
(Job, xxi) !
Quant aux fossoyeurs qui se hâtent d'enterrer le cada-
vre du malheureux jeune homme, ils signifient, dit en-
core le vénérable Bède, les immondes désirs, les hon-
teuses passions qui, comme nous en avertit saint Paul,
entraînent invisiblement l'homme à la mort; aussi bien
que les tristes compagnons, les faux amis, les lâches
adulateurs qui, par des flatteries meurtrières, en excu-
sant, en approuvant, en encourageant, en glorifiant
môme l'oubli de la pudeur et les désordres du jeune
âge, en augmentent le nombre, la licence et la perver-
sité (1). Ce sont là ces fossoyeurs cruels, ajoute encore
le même docteur, dont a parlé le Seigneur lorsqu'il a
d i t : «Laissez aux morts le soin d'enterrer leurs morts:»
c'est-à-dire ces pécheurs, vrais morts à la grâce, qui ont
déposé toute honte, qui, par des conseils, des faveurs
et des cajoleries mutuelles, s'encourageant au péché,
se rendent les uns les autres l'horrible service de s'en-
terrer mutuellement sous la lourde pierre du respect
humain, afin qu'il ne leur reste pas même l'espérance
de ressusciter un jour de leurs péchés (2).

(1) « Qui vero sepeliendum portant, vel immunda desideria sunt


« quœ trahunt homines in intcritum (I Tim.); vel lenocinia blan-
t dientium sunt venenata sociorum, quœ peccata nimium juvenibus
• tollunt et accumulant (Expos.). »
(2) « 11U sunt de quibus alibi dicitur : « Dimitte mortuos sepelire
« mortuos suos. » (Matth. vm). Mortui quippe mortuos gepeliunt
232 HOMÉLIE V. — LA VEUVE DE NAÏM,

Et cette rivalité infernale des pécheurs, s'excitaut


mutuellement à toute espèce de péchés, combien n'est-
elle pas vive et animée de nos jours ! Dans ces jours
d'indifférence, de licence, d'impudence pour le mal, et
de corruption des mœurs publiques, on voit même
des mères apprendre à leurs enfants l'art de plaire et
leur inspirer, dès la plus tendre enfance, cet esprit de
vanité et d'orgueil, cette passion de la toilette, cette
rage du monde, des jouissances matérielles et des spec-
tacles qui, plus tard, leur seront si funestes! On voit
même des pères donnant à leurs enfants les leçons et les
exemples de l'indifférence, du mépris de toute religion !
On voit même des maîtres formant des élèves, qu'une
aveugle indifférence leur a confiés, moins à la littéra-
ture qu'au libertinage, les initiant moins à la science
qu'à l'impiété ! Ah! voyez comme les pécheurs de nos
jours fraternisent entre eux par la sympathie des mêmes
passions comme ils se cherchent, s'appellent, s'atti-
rent mutuellement pour s'inoculer, s'inspirer, se trans-
mettre les uns aux autres le péché! Voyez comme ils se
poussent, s'excitent, s'aiguillonnent, parles paroles et
les exemples, pour s'engouer toujours davantage du pé-
ché, pour s'enfoncer toujours davantage dans le pé-
ché ! Voyez comme chacun est maître et écolier, modèle
et imitateur, chef et sectateur des autres dans les voies
du péché! Écoutez-les se vantant d'excès qu'ils n'ont
pas encore eu le triste courage de commettre ; les
exaltant et y poussant les autres, afin qu'en les voyant

m cum peccatores sui similes alios favore demulcent, congestaque


m pessimœ adulationis mole opprimunt, ne aliquando spe resurgendi
« potiantur. »
ou L'ÉGLISE-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 233

commettre par leurs compagnons ils puissent, par leurs


exemples, s'encourager à les commettre eux-mêmes
avec moins de peine et sans remords ! Ah ! combien peu
y a-t-il, même dans une grande ville, d'âmes vivant de
la vie de la grâce ! Pour la plus grande partie, ce sont des
âmes mortes par le péché ! Nos villes chrétiennes sont
devenues presque autant de villes païennes, de véri-
tables nécropoles, c'est-à-dire villes des ?norts, où des
spectres spirituels, hideusement difformes aux yeux de
la foi, ne sont occupés qu'à s'aider mutuellement, avec
un zèle satanique, à s'encourager à s'ensevelir d'abord
dans le cercueil de tous les vices et ensuite dans le
gouffre des enfers, sous l'horrible pierre sépulcrale de
la damnation qui les couvrira à jamais : Mortui sepe-
liunt mortuos suos.

5. La veuve de Naïm, une grande figure. Le mystère du veuvage et


de l'unité de l'Église. Comment elle est, en même temps, stérile et
féconde, vierge et mère.

Ce sont là, mes frères, les tristes mystères que nous


représente le mort de Naïm. Voyons maintenant les
mystères consolants qu'a figurés sa mère. Ah! dit saint
Ambroise, cette veuve sublime, dont le chagrin est si
éloquent, dont les larmes sont si fécondes, marchant
accompagnée d'une grande foule qui partage son deuil
et sa douleur, n'est pas une femme ordinaire*, ce n'est
pas même une femme. Elle est plus grande qu'elle ne
parait; elle représente en elle-même quelque chose
de plus noble qu'elle-même (1) !

(1) î Hanc viduam populorum turba circumseptam, quœ suarum


« tontemplatione lacrymarum unicum adolescentem flliuni a pompa
234 HOMÉLIE V . — LA VEUVE DE NAÏM,

Ah! cette veuve, dit Ericius, lui aussi, en suivant


saint Augustin, c'est notre auguste et sainte mère l'É-
glise, qui, ne voyant plus corporellement auprès d'elle
son époux divin dès qu'il est remonté au ciel, est restée
comme une veuve sur cette terre (1), Mais ce veuvage
de l'Eglise, ajoute encore saint Ambroise, n'est pas
perpétuel -, par la mort corporelle de Jésus-Christ, l'É-
glise n'a pas perdu pour toujours cet époux bien-aimé,
puisqu'elle doit le revoir et vivre éternellement avec
lui, après le jugement dernier (2).
Il est vrai que l'Église est la réunion de plusieurs
personnes-, car c'est la société de tous les fidèles sous
la dépendance des légitimes pasteurs, professant la
vraie foi, pratiquant le vrai culte et suivant la vraie loi
de Jésus-Christ. Mais par cela même, dit Haymon,
que cette société divine n'a qu'UNE SEULE et même
religion, elle est UNE et n'est qu'UNE-, et par consé-
quent elle est très-bien représentée par la veuve une
de l'Évangile (3).
Oh! qu'il est grand, qu'il est profond, qu'il est beau
le mystère de l'Église ! Tous les Yrais fidèles de Jésus-
Christ, dit le vénérable Bède, en tant qu'ils sont unis

« funebrl revocat ad vitam,plus video esse quamfeminam(Cowi?Men;. '


• in Luc). •
(1) « Sancta Ecclesia vidua est, quia virum suum Christum in
« corpore prœsentem non videt, postquam abiit in cœlum ; et tan-
« quam vidua remansit in terra (Expos.). »
(2) « Ecclesia vidua est quae amisit virum secundum corporis
« passionem ; sed in die judicii receptura (De Viduis). »
(3) « Sancta Ecclesia per istam mulierem designatur, quae, licet
« multis personis constet, tamen propter unitatem fldei una dlcitur
« tôt cit.). »
OU LÉGLI8E-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 235

par la confession de la même foi, par les liens de la


même charité de Dieu, ne forment tous ensemble
qu'un tout, une seule personne morale, une seule
Eglise, l'épouse chérie du Dieu Sauveur; mais en tant
que chacun de ces mêmes fidèles partage la vérité et
la grâce dont Jésus-Christ a fait don à tout le corps de
l'Église, et dont est dépositaire l'Église, il est vrai-
ment l'enfant de cette sainte communauté de l'Église,
et l'Église est vraiment sa mère (1). En sorte que l'É-
glise a autant d'enfants qu'il y a de fidèles répandus
sur la surface de la terre!
Le prophète Isaïe avait parlé d'une femme mysté-
rieuse qui, tout en restant vierge et intacte, aurait été
plus heureusement féconde, aurait eu un plus grand
nombre d'enfants que toute femme ayant un mari. Et
par conséquent, en la voyant en esprit, comme si elle
eût été présente à ses yeux, cette femme si extraordi-
naire, le même prophète l'exhortait à se réjouir de sa
solitude, à se glorifier de sa virginité, à louer, à bénir
Dieu de ce qui, pour une femme, est un sujet d'op-
probre aux yeux des hommes, à savoir, de ne pas
avoir trouvé d'époux parmi les hommes : Lœtare, ste-
rilis, quœ non paris ; décanta laudem et hinni, quœ
non parturiebas, quoniam multi filii desertœ magis
quam ejus quce habet virum (/sa. L I V ) .
Or, c'est en citant ce mystérieux passage d'Isaïe que
saint Paul nous a révélé que cette femme miraculeu-

( l ) « Slngull quippe fldelium univcrsalis Ecclesiee filios rectissime


* nos fatemur, nam electus quisque fllius est quando ad ftdem
« imbuitur. »
236 HOMÉLIE V. LA VEUVE DE NAÏM,

sèment féconde, dont le prophète avait chanté les


grandeurs, n'est que l'Église, la céleste Jérusalem des-
cendue du ciel, libre de toute servitude, de toute su-
jétion par rapport aux hommes, et qu'elle est notre
mère ; Quœ sursum est Hierusalem libéra est, quœ est
mater nostra.
La femme de Naïm n'ayant plus ni époux ni enfant,
ayant tout perdu, étant restée seule sur cette terre,
n'ayant de consolation que dans les larmes, d'espé-
rance que dans le Seigneur, a très-bien figuré la mi-
sère, la désolation de l'Église des Gentils avant la
venue du Sauveur. Tandis que la fille de Moïse, la
synagogue des Juifs unie aux pontifes descendants
d'Aaron selon la chair, paraissait riche, puissante,
heureuse, possédant seule le privilège et la gloire d'en-
gendrer les vrais croyants, les vrais adorateurs de
Dieu, l'Église des Gentils, bornée au petit nombre
d'âmes qui avaient conservé, hors du judaïsme, les
traditions primitives, n'ayant pas de vrai pontife vi-
sible, ayant perdu son unique enfant, le peuple païen,
mort par l'idolâtrie à la vie de la grâce et de la vérité,
était au comble de la tristesse et de l'opprobre, comme
une femme sans époux et une épouse sans enfants.
Mais à peine le divin Sauveur, allant lui-même à sa
rencontre, jette sur la veuve de Naïm un regard de sa
miséricorde et de son compatissant amour, que voilà
la condition de cette mère éplorée tout à fait changée.
Pour un enfant, selon la nature, qu'elle avait perdu,
elle reçoit un enfant de prodige. Humainement stérile,
n'ayant pas d'époux, elle devient miraculeusement fé-
conde, elle devient mère de nouveau, sans altération
ou L'ÊGLISE-MÈRE ET LÀ MÈRE-ÉGLISE. 237

de sa pudicitè 5 car l'enfant qui lui est rendu n'est pas


l'œuvre de l'amour de l'homme, mais du pouvoir de
Dieu. Elle ne Va pas conçu par son sang, mais par sa
douleur; elle ne l'a pas enfanté de son sein, mais de
son cœur. Rien de charnel, rien d'humain dans la
nouvelle naissance de cet enfant, qui ne doit sa vie
nouvelle qu'à la miséricorde de Jésus-Christ et aux
larmes de sa mère; tout y est pur, saint, céleste, di-
vin ; et c'est par cela même, dit saint Ambroise, que
cette naissance est mystérieuse, est prophétique. C'est
le mystère, la prophétie de l'Église devenue féconde
par son union au Verbe divin comme à son éternel
époux, sans détriment de sa mystérieuse virginité (1).
A peine ce Verbe divin, dans la personne et par la
personne de ses Apôtres, ayant répudié la synagogue,
s'est attaché à lui l'Église des Gentils, en rejetant
*

Jérusalem, a choisi Rome que cette Eglise, jusque-là


stérile et humiliée, a tout à fait changé de condition.
Elle n'a plus eu rien à envier à la synagogue; elle a
même le droit de se réjouir de son ancienne stérilité :
Lœtare, sterilis quœ non paris; décanta lavdem, qvœ
nonparturiebas. Car, toujours vierge et toujours mère,
vierge, dit encore saint Ambroise, par la vertu, mère
par la grâce ; vierge par l'intégrité de sa doctrine,
mère par la fécondité de ses sacrements ; vierge par la
pureté de la vie, mère par la tendresse de l'amour,
dans sa virginité même elle jouit d'une fécondité sans
exemple; elle engendre, et engendrera, jusqu'à la
( l ) « Sine fluxu pudoris Ecclesia Verbo, quasi sponso, innubit
« seterno. »
238 HÔMÉLIB V , — hk VEBVK DE N i l M,
fia du monde, de nouveaux successeurs à la foi des
Apôtres, de nouveaux fils à la grâce, de nouveaux hé-
ritiers à la gloire ; c'est donc la femme illustre dont le
prophète a prédit la fécondité et célébré la richesse et
les triomphes (1).

6. Fécondité prodigieuse de l'Église catholique. Stérilité eynisère de


toute Eglise protestante ou schismatique. La veuve de Naïm figu-
rant encore l'amour avec lequel l'Eglise élève ses enfants. L'homme
toujours enfant pendant qu'il est sur cette terre. Le lait que lui
donne l'Église est un aliment divin qui lui suffit. Erreur insensée
de l'hérésie accusant l'Église de priver les fidèles de la nourriture
de la parole de Dieu.

Toute honnête femme n'engendre que de son époux


et pour son époux. Il en est de même de l'Eglise, di-
sait saint Paul. Par l'Évangile qu'elle fait prêcher tou-
jours et partout par ses apôtres et par ses pasteurs,
elle engendre toujours et partout des enfants, de Jésus-
Christ à Jésus-Christ : In Christ o Jesu per Evangelium
ego vos genui (I Corint. iv). C'est ainsi qu'elle a jadis
engendré nos pères païens à la vérité et à la grâce du
Sauveur; et c'est ainsi qu'elle nous a engendrés nous-
mêmes, par l'effusion de cette même grâce, par la lu-
mière de cette même vérité qu'elle a fait répandre sur
nous par ses ministres : In Christ o Jesu per Evange-
lium ego vos genui. Comment donc, reprit Haymon,
l'Église ne serait-elle pas, comme l'a dit saint Paul,
notre mère, quand c'est elle qui nous fait renaître à la

(1) « Ecclesia virgo est castitate, mater proie; sponsum habet


« sana? doctrinal. Virgo est sacramentis et virtutibus, mater est
« populis, cujus fœcunditatem Scriptura loquitur : Quoniam plures
« fllii déserta? magis quam ejus quœ habet virum (De Virginia.). »
OU L ' É G L I S E - M É B I E T LA. MÉRE-ÉGtlME. 239

vie spirituelle par la foi, et nous fait devenir les en-


fants de Dieu (4)?
Remarquons aussi que cette fécondité divine n'est
propre qu'à l'Église catholique. Tandis que l'Église
protestante a pour son époux et pour son chef le plus
grand pouvoir maritime (l'Angleterre), et que l'Église
schismatisme a, à son tour, pour son chef et pour son
époux le plus grand pouvoir terrestre (la Russie),
l'Église catholique n'a, dans le souverain Pontife, le
vicaire visible de Jésus-Christ, qu'un époux, un chef
non-seulement faible, mais la faiblesse elle-même, par
terre et par m e r ; un époux, un chef à peu prés nul
sous le rapport de la puissance humaine. Elle est donc
comme une veuve, sans appui, sans ressources tempo-
relles sur cette terre. Et cependant l'Église protestante
et l'Église schismatique sont stériles. Leurs missions
ne sont qu'une dérision, une plaisanterie. Leur prédi-
cation, c'est le bruit du canon ; leur grâce, c'est l'appât
de l'or. Au lieu de convertir, elles ne font que per-
vertir. Connaissez-vous, mes frères, des contrées dans
le monde converties par le schisme ou par l'hérésie? Je
n'en connais pas. Ils peuvent séduire, ils ne peuvent
pas persuader; ils peuvent dompter, opprimer les
hommes par la force, ils ne peuvent pas les attirer par
la grâce. Ils peuvent corrompre les cœurs, ils ne peu-
vent pas les sanctifier. Ils font des esclaves à Satan,
mais ils ne peuvent pas engendrer des enfants à JÉSUS-
C H R I S T . Il n'y a que l'Église catholique, veuve et faible,

(î) « Quœ est mater nostra-, quia ipsa nos régénérât, et filios
« Dei efficit, »
240 HOMÉLIE V. — L A VEUVE DE NAÏM,

parce que dépourvue de toute force humaine, qui soit


féconde d'une fécondité toute divine; sa prédication
seule est puissante; ses sacrements seuls sont régéné-
rateurs; ses missionnaires seuls sont des apôtres. Elle
seule fait toujours et partout des chrétiens; elle seule
fait des saints, elle seule a des martyrs. Il n'y a qu'elle
qui convertisse, qui sanctifie les âmes, et qui, mère
heureuse de presque trois cents millions d'enfants,
engendre toujours et partout plus d'enfants nouveaux
à Jésus-Christ qu'elle n'en perd : Multi filii deserfœ
magis quam ejus quœ habet virum. C'est que toutes les
Églises hétérodoxes ne sont unies qu'à l'homme, la
seule Église catholique n'a que Dieu pour son époux.
Toutes les Églises hétérodoxes sont de la terre ; l'Église
catholique seule est du ciel; et par conséquent, tandis
que celles-là, épouses riches et puissantes sur cette
terre, sont stériles et n'ont pas d'enfants pour le ciel,
celle-ci, pauvre veuve désolée aux yeux des hommes,
est mère féconde devant Dieu, et c'est de Dieu et pour
Dieu qu'elle est aussi notre véritable m è r e : Quœsursum
est Hierusalem quœ est mater nostra.
t

La veuve de Naïm, inconsolable de la perte de son


unique enfant, au point d'avoir ému, d'avoir intéressé
en sa faveur tout le monde, par le seul spectacle de
sa désolation et de sa douleur, nous dit assez com-
bien elle l'aimait, cet enfant chéri; elle nous dit assez
que, particulièrement après la perte de son époux,
elle avait environné ce fruit unique de ses entrailles
des soins les plus tendres et les plus affectueux; elle
nous dit assez qu'après l'avoir nourri de son lait elle
l'a alimenté de son travail et de son propre bien; elle
ou L'ÉGLISE-MÈRE E T LA MÈRE-ÉGLISE. 241

nous dit assez qu'elle en avait été doublement mère,


et parce qu'elle l'avait engendré de son sang, et parce
qu'elle seule l'avait élevé, l'avait fait grandir par sa
vigilance, par son dévouement et par son amour. C'est
la vraie signification de ces mots si touchants de l'Évan-
gile : a C'était l'enfant unique de sa mère, et celle-ci
« était veuve; Fiîius unicus mairis suœ et heec vidua
9

« erat. » Or, c'est par toutes ces circonstances réunies


que la veuve de Naïm est encore le type et la figure de
l'Église.
Dans les saintes Écritures, la vie de l'homme sur la
terre est comparée à l'enfance, parce que, pendant
cette vie, l'àme, enveloppée dans les sens, habitant le
pays des erreurs et des illusions, juge et parle des
choses divines avec la petitesse des idées, avec l'in-
constance des sentiments propres à l'enfance, et que
comme l'enfant elle est exposée à être trompée, à
s'égarer et périr : Cum essem parvulus, sapiebam ut
parvulus, loquebar ut parvulus (I Corinih.^ xui). Au
contraire, la vie future, la vie éternelle, la vie du ciel
est, dans les mêmes Livres saints, comparée à l'âge
mûr, à l'âge complet et parfait, auquel âge toute âme
juste parvient par sa ressemblance avec Jésus-Christ,
principe, modèle, auteur de toute perfection : In
virum perfectum, in mensxtram œtatis plenitud'mis
Chrisii (Ephes.,\\).
Or l'homme corporel, pendant son enfance, a tou-
jours besoin de l'assistance, des soins, de la direction,
de l'instruction, des avertissements de sa mère. Car
que deviendrait-il s'il était livré à lui-même, à cet âge
de faiblesse, d'ignorance, d'inexpérience et de danger?
242 HOMÉLIE V. — LA VEUVE DE NAÏM,

Le besoin de la mère ne cesse donc pour Thomme ter-


restre que lorsqu'il a atteint l'âge où il peut se suffire
à lui-même, se conduire par lui-même. De la même
manière, jusqu'à son arrivée au ciel, aussi longtemps
qu'elle n'a pas atteint dans cette patrie de la sûreté, de
la réalité, de la lumière, l'âge de la force, de la con-
naissance et de la stabilité, par son union avec l'Intel-
ligence incréée et l'Amour infini, l'intelligence créée,
tant qu'elle est unie au corps dans ce monde, a toujours
besoin de la tutelle, del'assislance, du secours de l'Eglise,
a toujours besoin de recevoir son enseignement, d'être
docile à sa parole, de dépendre de son autorité.
Ainsi il a plu à la Sagesse infinie d'établir que la vie
de Tâme suive les mêmes conditions que la vie du
corps. D'abord, comme l'homme corporel ne se donne
pas lui-même la vie du corps, mais qu'il la reçoit du
père et de la mère ; de même, l'homme spirituel ne se
donne pas lui-même la foi et la grâce qui constituent la
vie de l'àme, mais les reçoit de Jésus-Christ et de
l'Eglise, au moyen de la prédication et du baptême :
en sorte que les nouveaux chrétiens, les nouveaux
convertis ne sont, dit l'apôtre saint Pierre, que de
tendres enfants qui viennent de naître : Sicut modo
geniii infantes (I Petr*, H). Mais par cela même que le
chrétien n'est qu'à l'état d'enfance, et que l'enfant ne
se choisit pas lui-même l'aliment qui lui convient,
mais que c'est la mère qui le lui fournit dans le lait
qu'elle lui donne ; de même le chrétien ne se crée pas,
dit saint Paul, l'instruction dont il a besoin, mais c'est
l'Eglise qui la lui administre comme un lait mysté-
rieux, comme une nourriture propre à sa faiblesse
ou L'ÉGLISE-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 243

spirituelle : Tamquam parvulis lac vobis potum dedi


(I Cor., m ) . Rien ne manque donc, reprend ici saint
Augustin, à ce que l'Église soit pour nous une véri-
table mère, puisque, après nous avoir conçus et en-
gendrés de Jésus-Christ, elle nous a nourris et nous
nourrit toujours, tant que nous vivons sur cette terre,
du lait pur et précieux de l'enseignement de la foi (1).
Et saint Ambroise dit aussi : « L'Église, tout en étant
notre mère, est toujours vierge; puisque le lait qu'elle
nous donne n'est pas une substance corporelle, mais
la doctrine des Apôtres (2).
Mais, tout en recevant immédiatement de la mère sa
nourriture, l'enfant ne vit pas moins de la sollicitude
paternelle. Car, au fond, c'est le père qui fournit à la
mère les aliments qu'elle convertit en lait et dont elle
fait la nourriture de l'enfant. De même, le chrétien,
tout en recevant immédiatement de l'Église sa nour-
riture spirituelle, ne vit pas moins de la providence
paternelle de Jésus-Christ; car au fond c'est Jésus-
Christ qui, toujours uni à l'Église et toujours dans
l'Église (Matth., xxvm), fait subsister l'Église. C'est
lui qui l'éclairé par sa doctrine, l'enrichit par ses mé-
rites, l'embellit par son sang (Éphes., v), la nourrit
par ses sacrements, la rend féconde par sa grâce, la
protège par son pouvoir.
Aussi, dit saint Augustin, en Jésus-Christ se trouvent

(î) « Ecclesia mater est, quœ nos de Christo peperit, et fidei lacté
« nu tri vit et nutrit (Epistol. 3 8 ) . »
(2) « Nutrit nos virgo non corporis lacté, sed doctrina Aposto-
« lorum ( De Pirginib.). »
244 HOMÉLIE V. — LA VEUVE DE NAÏM,

tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu.


Jésus-Christ époux de l'Église lui fait part de cette
sagesse et de cette science divine. L'Église en fait son
aliment, en les convertissant en lait dans ses mysté-
rieuses entrailles, au moyen de ses mamelles prophé-
tiques, ou de la prédication et du ministère des suc-
cesseurs des Apôtres, elle fait de ces biens divins la
nourriture de ses enfants après qu'elle s'en est nourrie
elle-même. Malheur donc à ceux qui dédaignent le
sein maternel de l'Église ! Par cela même qu'ils rejet-
tent le lait de l'enseignement de l'Église, ils se pri-
vent de l'aliment divin du père de famille, qui ne se
trouve que dans le corps de l'Église, et qu'on ne peut
recevoir qu'en s'attachant au sein de l'Église (1). Et
saint Cyprien avait dit aussi : « Celui qui ne veut pas
dépendre de l'Église, qui ne veut pas avoir pour mère
l'Eglise, ne peut pas avoir Dieu pour son père (2); et il
reste sans la nourriture, sans l'aliment de Dieu.
Oh! que cette doctrine est, en même temps, délicieuse
et instructive ! L'enseignement de l'Église est donc pour
notre intelligence enfantine, pendant cette vie, ce que
le lait maternel est pour le corps tant qu'il est petit.
Ah! que l'hérésie est donc injuste et stupide d'accuser
l'Église catholique de priver les âmes de l'aliment de
la parole de Dieu, parce qu'elle ne met pas, sans expli-

(1) « îbi sunt omnes thesauri sapientiae et scientiae absconditi,


« qui nuUi aperientur; si sibi, per maternam carnem trajectum
a cibum, id est per apostolica et prophetica ubera, iactts alimenta
« contempserit (Contra Faustum manich., lib. XII, c. 4 6 ) . »
(?) « Non potest Deum habere patrem qui Ecclesiam noluerit ha-
« bere matrem (De Unitat. Eccles.}. »
ou I/ÉGLISË-MËRE ET LÀ MÈRE-ÉGLISE. 245

cations et sans commentaires, la Bible dans les mains


des fidèles! Dans le lait qu'elle donne à son enfant,
la mère lui donne toutes les espèces d'aliments que
Dieu a créés pour la nourriture de l'homme corpo-
rel; mais elle les lui fournit, ces aliments, digérés
par elle et changés dans ses entrailles en un suc sub-
stantiel, précieux, adapté à la faiblesse du corps. De
même, dans ses catéchismes, dans ses livres si nom-
breux et si variés d'instructions et de piété, adaptés à
tous les âges, à toutes les classes, à toutes les condi-
tions, livresque l'hérésie lui envie, apparemment que
l'Eglise ne présente pas à ses enfants les doctrines des
Védas ou du Coran; elle ne leur offre que toutes les
vérités de la Bible, de l'Évangile et de la Tradition;
toutes les vérités que Dieu a révélées pour la nour-
riture de l'homme spirituel. Seulement elle les leur
offre, ces vérités, digérées en quelque sorte dans son
sein maternel, c'est-à-dire réduites à des formules
claires et précises et converties en un lait mystérieux,
adapté à la faiblesse de l'àme. Il est donc aussi absurde
d'accuser pour cela l'Église de dérober aux fidèles la
connaissance des révélations du Dieu rédempteur qu'il
serait absurde d'accuser la mère, qui ne donne que du
lait à son enfant, de le priver des dons du Dieu créa-
teur!
Remarquons encore que le lait seul suffit à l'enfant;
et qu'il lui tient lieu de toute autre espèce de nour-
riture. N'ayant rien que ce lait, il peut se passer de
tout autre mets, de toute autre boisson. De même
l'enseignement de l'Église suffit au chrétien par rap-
port à sa nourriture spirituelle et à son salut. C'est la
246 HOMÉLIE V. — LA VEUVE DE NAÏM,

science de Jésus-Christ qui seule, dit saint Paul, nous


tient lieu de toute autre science. N'ayant que cet ensei-
gnement, l'homme spirituel peut bien se passer de tout
autre enseignement et de toute autre instruction.
Au contraire, si le lait vient à manquer au petit
enfant, il ne sait que faire de tous les autres aliments;
en vain ces aliments abonderaient autour de lui, il n'en
saurait faire usage, et il périrait de faim. De même toute
connaissance philosophique, toute science purement
humaine ne serait d'aucune valeur pour l'homme hors
de l'Église, par cela même qu'il manquerait de l'ensei-
gnement divin de l'Église. Environné de livres, sur-
chargé de maîtres, il n'en serait pas moins toujours à
jeun, toujours privé de la vérité qui est nécessaire à
l'homme, et il n'en périrait pas moins dans le doute
et dans l'erreur. C'est que, comme l'a dit Jésus-Christ,
la nourriture propre de notre intelligence dans l'ordre
spirituel n'est pas le pain ou l'enseignement de l'homme,
mais la parole de Dieu : Non in solo pane vivit homo,
sed in omni verbo quod procedit de ore Dei (Matth., iv).
Or cet aliment divin ne se trouve que dans l'Église,
et n'est fourni, dispensé que par l'Église.

7. Les chrétiens hors de l'Église sont des enfants sans mère. Nullité
de l'instruction religieuse donnée par l'hérésie. Il ne lui est pas
possible d'instruire les chrétiens. Esclavage ignominieux de toute
Église qui n'est pas catholique.

Qu'elle est donc triste la condition de nos frères que


le schisme et l'hérésie ont séparés de nous! Ils voient
par l'œil de leur désir, dans les Livres saints, les vé-
rités divines, le pain indispensable de l'âme; mais ils
ou L'ÉGLISE-MÈRE ET LÀ MÈRE-ÉGLISE. 247

n'ont pas l'Église pour leur amollir, pour leur préparer


ce pain divin et l'adapter à la faiblesse de leur enfance
spirituelle. Ce sont des enfants sans mère. Ce sont de
ces enfants dont parle le Prophète, criant toujours,
soupirant toujours après le pain, et n'ayant pas la main
d'une mère qui le leur brise : Parvuli petierunt pa-
nent, et non erat qui frangerei eis ( Thren. iv). Leurs
ministres, hommes sans autorité et sans amour, jetant
une Bible dans les mains de ces malheureux chrétiens
qu'ils ont arrachés au sein de leur vraie mère, au sein
de l'Église, et leur disant : « Lisez, et croyez ce que
vous voulez, » sont semblables à des nourrices dénatu-
rées, ne donnant à de petits enfants faméliques que des
pains entiers, rassis, qu'ils n'ont ni la force de rompre
ni la force de mâcher.
Ah! oui, toute l'instruction religieuse que donnent
au peuple les ministres de l'hérésie se réduit à lui lire
ou faire lire quelque chapitre de la Bible, à lui expli-
quer, dans des discours fades, sans suc, sans sub-
stance, quelques passages des Livres saints, que peut-
être ils ne croient pas, et auxquels, à coup sûr, ils
ne comprennent rien eux-mêmes. Car la bonne diges-
tion, passez-moi ce mot, la transsubstantiation vrai-
ment salubre du pain de la parole de Dieu en lait nour-
rissant des âmes ne se fait que dans les entrailles de
l'Église, en tant qu'elle seule possède la vraie intelli-
gence, le sens légitime des Écritures saintes.
Ainsi, l'instruction religieuse, dans ces prétendues
églises séparées de I ' É G L I S E , est absolument nulle et
sans effet. A l'exception de quelques familles où un
reste de traditions catholiques qui s'y est conservé mal-
248 HOMÉLIE V. LA. VEUVE DE NAÏM,

gré l'hérésie, y maintient un reste de vérités chré-


tiennes, le peuple en masse croupit dans une profonde
ignorance du christianisme et de toute religion. Voyez
ces peuples d'ouvriers dans les villes manufacturières
des pays hérétiques : moins intelligents en quelque
sorte que les machines qu'ils font jouer, et machines
au travail eux-mêmes, rien n'égale leur dégradation
morale, leur barbarie, leur abrutissement. On cherche-
rait en vain parmi ces êtres humains quelque chose de
l'homme, et moins encore quelque chose du chrétien.
Les sauvages du nouveau monde sont des êtres civilisés
en comparaison de ces créatures aux formes humaines
dont l'hérésie avait la prétention de faire, rien que par
la Bible, des chrétiens éclairés. Sans la moindre idée
de Jésus-Christ, de Dieu même, ils n'ont ni foi ni loi;
ils ne croient rien (1), ils n'espèrent rien, et ne se
dédommagent des traitements cruels auxquels on les
assujettit que p a r l a plus hideuse débauche, par l'ivro-
gnerie et le suicide.
Mais ces églises séparées voudraient bien nourrir,
élever chrétiennement les peuples qu'elles ont égarés,
qu'elles ne le pourraient pas. D'abord, ayant nié les
dogmes les plus consolants, ayant aboli les sacrements

(1) On se rappelle encore le fameux discours dans lequel l'évêque


anglican d'Oxford, en présence de soixante membres de l'Université
de la même ville, avoua que le peuple anglais, par défaut d'in-
struction, se précipite toujours davantage dans l'athéisme; que le
christianisme est mort dans cette malheureuse contrée; que la re-
ligion n'y est restée que par le nom; et finit par faire des vœux pour
le retour de l'Angleterre au catholicisme, « qui seul, dit-il, peut
faire cesser de si grands maux. » (Voy. VUnivers, juillet 1842.)
OU L'ÉGLiSE-MÈRE E T LA MÈRE-ÉGLISE. 249

les plus efficaces, elles ont tari pour elles-mêmes les


vraies fontaines du Sauveur (Isaïe), les vraies sources
de la vérité et de la grâce. Comment donc pourraient-
elles répandre sur les autres la grâce et la vérité qu'elles
ne possèdent pas elles-mêmes? On ne peut pas donner
ce qu'on n'a pas.
En second lieu, il y a une grande différence entre la
femme libre et la femme esclave. La femme libre con-
serve tous ses droits de mère sur ses enfants, et elle
peut les nourrir à son aise et les élever comme bon lui
semble. C'est là la condition de la vraie Église. Figurée
par la matrone de Naïm, noble femme, femme libre,
indépendante et riche, l'Église catholique, libre aussi
et indépendante de tout pouvoir temporel, est souve-
rainement riche, elle dispose de biens immenses que
lui a légués son époux divin, n'ayant rien à demander
au monde, rien à attendre du monde pour son main-
tien et pour celui de ses enfants ; elle peut les nourrir,
les élever, les gouverner comme elle veut, comme elle
l'entend, d'après les intentions de leur Père céleste,
dans l'intérêt de leur sanctification dans le temps et
de leur bonheur dans l'éternité. En sorte que, d'après
la grande parole de saint Paul, l'Eglise [n'est mère,
n'exerce envers nous toutes les fonctions de mère qu'en
tant qu'elle n'est pas de la terre, mais du ciel; en tant
qu'elle n'est pas servante, mais épouse; en tant qu'elle
n'est pas esclave, mais libre : Quœ sursum est Hieru-
salem libéra est, quœ est mater nostra.
Mais il n'en est pas de même de la femme esclave.
Celle-ci n'engendre des enfants qu'à son maître et pour
son maître, et ne conserve sur eux aucun de ses droits
250 HOMÉLIE V. — LA VEUVE DE NAÏM,

de m è r e ; elle ne peut garder ses enfants, les nourrir,


les élever qu'autant que cela plaît au maître, dans l'in-
térêt et d'après le bon plaisir du maître, dont ils sont
les esclaves, dont ils sont la propriété autant que leur
mère. Or, c'est la condition du corps des pasteurs et
des ministres représentant les églises schismatiques et
protestantes.
Toute église qui n'est pas unie au souverain Pontife,
le vicaire de Jésus-Christ, et qui conséquemment n'est
pas unie non plus à Jésus-Christ lui-même ni a Dieu par
la logique inexorable des choses, par une loi qui ne
connaît pas d'exception, appartient de droit au pouvoir
temporel, à l'homme; elle lui est naturellement assu-
jettie; elle est et doit être l'esclave du pouvoir tempo-
rel, de l'homme. Voyez-les, en effet, ces prétendues
églises qui se nomment orgueilleusement réformées,
èvangéliques, orthodoxes. En punition de ne pas avoir
voulu de l'Évoque des évêques, de VÊvêque intérieur
des âmes, elles ont été obligées d'accepter pour leur
chef spirituel Yévêque extérieur des corps, un soldat
puissant, ou même une femme. En punition d'avoir
dédaigné le pouvoir religieux en soutane, elles ont été
obligées de courber leur front devant un pouvoir reli-
gieux en uniforme militaire et même en jupon. La
tiare romaine leur paraissait trop lourde; et elles ont
dû plier le cou sous le poids d'une couronne de fer. La
houlette du Pasteur universel leur semblait trop in-
commode, et elles ont dû subir le régime du sceptre et
du glaive (1). Elles rejettent les bulles des papes, les

( l ) Le saint synode de Saint-Pétersbourg, composé d'évêques


OU L'ÉGLISE-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 251

décrets des conciles, les décisions des congrégations


romaines, et elles doivent recevoir les règles de foi, les
interprétations de l'Évangile et la solution des cas de
conscience de la volonté de la royauté, des arrêts des
parlements et des ordres des conseils d'État.
Rien n'égale la servitude de ces églises se prétendant
libres. Carie pire des esclavages est l'esclavage qui pèse
sur la conscience. Ainsi, tandis que la foi du catholique
peut se résumer dans ce seul article, qui renferme toute
vérité : « Je crois ce que croit l'Église; » la foi du chré-
tien, dans les pays dominés par le schisme ou l'héré-
sie, peut se résumer dans ce seul article : « J e crois
ce que le pouvoir temporel veut bien me permettre de
croire; » et cet article du symbole de l'hérésie ren-
ferme à son tour toute erreur, même l'athéisme. Les
soi-disant évèques, les soi-disant ministres de ces
églises n'ont le droit d'interpréter, d'expliquer, d'en-
seigner l'Évangile, et ce qui leur est resté des vérités
chrétiennes, que sous l'inspiration, les ordres, les ca-
prices et dans l'intérêt du pouvoir temporel (1). Ce

sclnsmatiques, n'a d'autre droit que celui de dire a AMEN » à tou-


tes les volontés, et de signer tous les décrets, en matière de reli-
gion, que le czar lui transmet par un général de cavalerie, qui est
le PRÉSIDENT-NÊ* de la sainte assemblée : digne grand-vicaire d'un
pareil pontife!! !
(i) On se souvient de l'immense scandale qui a dernièrement eu
lieu en Angleterre à l'occasion du refus d'un évêque anglican d'in-
staller dans un bénéfice ecclésiastique, ayant cure d'âmes, un m i -
nistre qui y avait été nommé par la reine, quoique notoirement soci-
nien et ayant publiquement nié et combattu le sacrement du
t

baptême. L'évêque récalcitrant a été condamné et menacé de dtsiir-


tution par le conseil privé, pour avoir voulu empiéter sur les droits
252 HOMÉLIE V. — LA VEUVE DE NAÏM,

sont des esclaves n'engendrant, par le baptême qu'ils


administrent, que des chrétiens esclaves, et ne pouvant
les élever que d'après la volonté et pour les avantages
du maître.

8. La veuve de Naïm figurant encore la tendresse de l'Église pour


ses enfants morts, et son zèle pour leur résurrection. Cruauté de
l'hérésie, et son injustice d'accuser d'intolérance l'obligation qu'im-
pose l'Église aux fidèles d'approcher des sacrements.

Mais c'est moins par sa tendresse pour son enfant


vivant que par sa douleur pour son enfant mort que la
veuve de Naïm est particulièrement le type, la figure
de VÉglise-mère. « Eh ! oui, dit saint Pierre Chryso-
logue, cette noble veuve, qui répand tant de larmes
sur les restes froids de son unique fils décédé, qui ne
l'oublie pas, qui le suit jusqu'au tombeau, ne pouvant
se résigner à s'en séparer, même depuis qu'il est mort,
et espérant que ses prières et ses pleurs le lui rendront
tout vivant, c'est la Communauté des fidèles associés
par la même foi, vivant par la même grâce, et formant
par là l'Église vivante, l'Église-mère, l'Église appli-
quant à chacun des membres qui la composent l'amour
qui les unit tous; et qui, lorsque nous tombons dans
le péché qui tue notre âme, ne nous oublie pas, nous
accompagne, nous suit partout par ses sollicitudes, ne

et privilèges de la reine en tant que chef de l'Église établie. Et le


digne archevêque de Cantorbéry, métropolitain de l'évêque opposant,
sur l'ordre de sa majesté-pontife du sexe féminin et au nom de sa
suprématie religieuse, prit sur lui d'installer d'office le ministre re-
jeté par son évéque. C'est la liberté dont jouit l'église anglicane.....
Mais au moins elle est affranchie de la tyrannie du pape!!!
OU L'ÉGLISE-MÈRE ET LA. MÈHE-ÉGUSE. 253

peut pas se consoler de notre perte, et compte nous


voir revivre par ses prières et ses pleurs; car ce sont
les larmes de l'Église que ces prières que les fidèles
des deux sexes adressent continuellement à Dieu pour
les pécheurs, dans toute la ferveur de leur esprit, dans
toute la tendresse de leur c œ u r ; c'est le sang de l'É-
glise que le sang de ses martyrs de la pénitence, aussi
bien que de ses martyrs de la foi. C'est ainsi que l'Église
ne tarit jamais ses pleurs jusqu'à ce que chacun des
membres du peuple chrétien, qu'elle regarde comme
son enfant, soit entré en possession de la vie éter-
nelle, pour compléter la joie et le bonheur d'une telle
mère (1). »
C'est là aussi un des caractères propres de l'Église
catholique. En dehors de cette Eglise, il n'y a personne
qui s'inquiète, qui s'afflige, qui se désole de la mort spi-
rituelle du chrétien, et qui se donne la moindre peine
pour l'en ressusciter. Voyez ces riches prébendes de l'hé-
résie et du schisme; est-ce qu'ils se soucient le moins
du monde que les chrétiens vivant sous leur juridiction
spirituelle tombent ou ne tombent pas dans le péché et
s'abrutissent par toute espèce de vices et de désordres?
Semblables à la fausse mère dont il est question au troi-
sième Livre des Rois, qui aurait vu, avec un sentiment
de joie féroce, coupé en deux et mort l'enfant contesté
plutôt que de le voir rendu à l'amour de sa véritable

(i) « Nam, per supplicantes, Ecclesia lacrymas fundit jugiter;


« per martyres suos sacrum sanguinem sudat, donec unicum suum,
« id est^opulum chvistianum, perpétua? vitae reddat in supernae ma-
« tris gaudium sempiternum (Serm. 103). »
254 HOMÉLIK V. — LA VELVE DE N A Ï M ,

mère; Nec mihi, nec tibi sit sed dividatur in fans


t

(III Reg. m, 26), ces hommes sans entrailles et étrangers


à la charité de l'Église ne se préoccupent pas de ce que
les malheureux chrétiens qu'ils dominent cessent d'être
chrétiens en devenant unitaires, sociniens, quakers,
méthodistes,panthéistes, déistes et même athées, pourvu
qu'ils ne se convertissent pas au catholicisme. Barbares!
Ils aiment mieux les voir mourir à la vie de toute grâce
et de toute vérité plutôt que de les voir retourner dans
les bras de leur véritable mère, l'Église. Car, froids,
indifférents, muets en présence des horribles ravages
qu'une philosophie antichrétienne fait tous les jours
sous leurs yeux, parmi les chrétiens qui leur sont sou-
mis, ils n'ont du zèle que pour s'opposer à leur retour
à la communion catholique, n'ont de voix que pour
crier contre le papisme. Tolérants pour toute espèce
d'erreur, ils n'ont du fanatisme persécuteur, injuste,
cruel que contre la vérité! Ah! il n'en faut pas davan-
tage pour conclure que ces Églises-là ne sont pas MÈRES,
que les chrétiens qu'elles exploitent ne sont pas leurs
véritables enfants, puisque, loin de regretter, de pleu-
rer leur mort, elles s'en applaudissent, et font des
efforts sataniques pour les empêcher de revenir à la
vie ; Nec mihi, nec tibi si/, sed dividatur infans!
Voyez, au contraire, le zèle, le dévouement, les
sollicitudes, les saints artifices de l'Église catholique
pour la conversion des pécheurs. On l'accuse d'into-
lérance, parce que, sous peine d'excommunication,
elle oblige ses enfants d'approcher tous les ans des
saints sacrements. « Eh ! qu'importe, dit-on, à l'Église
que les fidèles se sauvent ou se perdent? Pourquoi
Oï) L'ÉGLISE-MÈRE ET LÀ MÈRE-ÉGLISE. 255

n'imito-t-elle pas la tolérance des pasteurs protestants,


qui laissent chacun tranquille et maître de croire ce
qui lui plaît, et de vivre comme il croit?
La réponse à un pareil langage est bien simple. Que
les ministres de l'hérésie et du schisme soient indiffé-
rents à la perte des âmes qu'ils ont l'air de soigner, cela
se comprend. Séparés de la vraie Église, ils ne sont pas
l'Église; ils n'ont pas, ils ne peuvent pas avoir les en-
trailles, les sentiments, l'esprit de l'Église. Malgré le
titre de « pasteurs » qu'ils s'attribuent, en réalité ils n'ont
que des rapports extérieurs, officiels avec leurs ouailles,
mais non pas des rapports de parenté spirituelle qui
n'existe que dans l'Église et par l'Église. Us ne sont
rien ; ils ne sont tout au plus que des marâtres; mais
à coup sûr ils ne sont pas des mères. Mais la vraie
Église est mère et vraie mère ; Quœ est mater nostra.
Ainsi, prétendre qu'elle ne se donne aucune peine
pour empêcher les chrétiens de mourir ou pour les
faire revivre à la grâce et au salut est aussi absurde
que de dire à une mère véritable : « Eh ! que vous
importe-t-il que vos enfants soient sains ou malades,
qu'ils vivent ou qu'ils meurent?» Ainsi, comme, au
besoin, la mère a recours même à la force et à la vio-
lence pour faire avaler à son enfant malade le remède
qui doit lui rendre la santé, de même, au besoin, l'É-
glise a recours même aux menaces, à la violence mo-
rale pour obliger les fidèles à approcher des sacrements,
où, comme son divin Époux le lui a dit, elle est la
source et le remède de la santé et de la vie spirituelle :
Nisi manducaverilis carnem Filii hominis et biberitis
ejus sangxrinem, non habebiiis vitam in vobis (Joan., v).
256 HOMÉLIE V. LA VEUVE DE NAÏM,

En sorte que rien n'est plus juste ni plus consolant


pour les fidèles que cette prétendue intolérance de
l'Église. C'est la preuve la plus frappante de sa mater-
nité, de son amour; c'est la preuve qu'elle est la vraie
Église, la vraie Église devant être mère : Quœ est ma-
ter nostra.
Ce n'est pas tout. Partout où il y a des ténèbres à
dissiper, des erreurs à détruire, des vices à combattre,
des malheureux à secourir, des âmes à sauver, on est
sûr d'y trouver des missionnaires, des évêques, des
prêtres, des religieux des deux sexes, des hommes de
l'Église catholique, bravant toute espèce de dangers,
de privations, de persécutions, de travaux, de peines,
bravant même la mort pour évangéliser l'infidèle,
attirer l'hérétique, détromper l'incrédule, convertir le
pécheur. C'est là, passez-moi cette expression, la Cali-
fornie de l'Église, qui attire de toutes parts les spécula-
teurs, les négociants du royaume des cieux : Simile
est regnum cœlorum komini negotiaiori (Matth., xm) ;
c'est là qu'accourt l'Église, dans la personne des meil-
leurs de ses membres ; c'est là que l'Église se montre
d'une manière sensible pleurant sur la mort spirituelle
des âmes, les suivant partout où elle les trouve, r é -
pandant ses larmes les plus brûlantes, son sang le plus
pur pour les rappeler à la vie sainte et éternelle ; et
prouvant au monde qu'elle est la vraie Église, puis-
qu'elle est la seule Église se révélant partout et toujours
comme étant une véritable mère : Quœ est mater nostra.
OU L'ÉGLISE-MÈRE ET LA M*RE~ÉGLISE. 257

9. Efficacité des prières de l'Église figurée par l'efficacité des larmes


de la veuve de Naïm. Jésus-Christ, en disant A cette femme : NK
PLEUREZ PAS, a confirmé à l'Église le pouvoir d'absoudre les péchés.
Cruauté de l'hérésie niant ce dogme-
Mais est-ce que ces prières et ces larmes de l'Église
restent stériles et sans effet ? Non 5 car il est dit de la
veuve de Naïm, que par ses pleurs, sa désolation et sa
douleur elle toucha profondément le cœur du Sei-
gneur ; Quam cum vidisset, misericordia motus est
supei* eam; et par ce sentiment d'une compassion di-
vine que le Sauveur du monde a manifesté pour cette
femme pleurant la mort temporelle de son enfant, il a
voulu nous apprendre, dit saint Pierre Chrysologue,
qu'il se laisse encore plus vivement toucher, atten-
drir par les larmes continuelles, par la sueur de sang
que l'Église, son épouse, répand sans cesse pour la
mort spirituelle de ses fils (1).
En effet, par quel moyen, particulièrement dans le
nouveau monde, une si grande multitude d'âmes
passe-t-elle tous les jours des ténèbres de l'infidélité
et de la barbarie à la lumière et à la civilisation de
l'Évangile ? Par quel moyen, particulièrement en An-
gleterre, tant de nobles âmes, d'intelligences d'élite,
de savants de premier ordre, de protestants de toutes
les classes rentrent-ils par milliers tous les jours dans
le giron du catholicisme? Par quel moyen, particuliè-
rement en France, tant d'incrédules et de pécheurs re-

(l) * Si ad unius vidua? lacrymas sic commotus est Christus,


« quid modo faciet ad Ecclesise sponsœ suœ lacrymas diuturnas et
« sanguineos sudores(L<w\ cit.)? »
258 «PMfalB V. — LA VEUVE DE NAÏM ,

viennent-ils en si grande foule tous les jours à la foi et à la


vertu, si ce n'est, avant tout>parla puissance des larmes
et de la prière de l'Église ? Ce sont, il est vrai, les mission-
naires, les prédicateurs, les apologistes catholiques qui
opèrent ces merveilles. Mais c'est la prière de tous les
instants que l'Église adresse au maître de la moisson,
qui obtient de pareils ouvriers pour sa moisson : Rogale
Dominum messis ut mittat operarios in messem svam
(Matth. ix)- comme c'est l'esprit maternel de l'Église
?

qui les anime et les forme. Et cette inépuisable fécon-


dité de l'Église catholique engendrant de nouveaux
enfants et faisant revivre ceux qui étaient morts, en
présence de la stérilité visible de toutes les Églises
séparées, en prouvant qu'elle seule est mère, prouve
aussi qu'elle seule est vivante, qu'elle seule est saine,
qu'elle seule est jeune, qu'elle seule est libre, qu'elle
seule est céleste, qu'elle seule est divine : Quœ sursum
est Hierusalem libéra est, quœ est mater nostra.
Mais ce qui est encore plus consolant, c'est que
notre Église ser$ toujours ce qu'elle a été, ce qu'elle
est maintenant ; car Jésus-Christ disant à la veuve de
Naïm : « Ne pleurez pas ; Noliflere, » c'est, disent les
Pères, Jésus-Christ promettant dès lors d'exaucer tou-
jours les prières que lui adresse l'Église pour la résur-
rection spirituelle de ses enfants, les pécheurs, et de
laisser dans ses mains pures le moyen par lequel les
pécheurs peuvent ressusciter, c'est-à-dire le pouvoir
d'absoudre tout péché.
Ah ! le Seigneur savait bien qu'il se trouverait, dans
la succession des temps, des hommes assez inhumains
pour nier le sacrement de la pénitence et le dogme de
OU L'ÉGLISE-MÈRE ET LA MÈRB-É6LI8E. 259

la rémission des péchés par l'Eglise. Barbares! sous


prétexte d'effrayer le chrétien, afin qu'il ne se livre
pas au péché, ou de le soustraire au joug, qu'ils disent
insupportable, de la confession, lorsqu'il y est tombé,
ils ont voulu ôter à l'homme déchu jusqu'à l'espérance
de se relever par le ministère de l'Église-, ils ont voulu
le jeter dès à présent dans l'abîme du désespoir, et le
pousser par là à se plonger dans tous les vices ! Il pa-
raîtrait impossible qu'il puisse se trouver des hommes
capables d'enseigner des doctrines si cruelles si Jésus-
Christ lui-même ne nous avait révélé qu'il y a des
hommes que le démon remplit de son esprit, à qui il
fait partager son langage, dont il fait ses enfants, sa
race, ses ministres, ses coopérateurs visibles, les igno-
bles organes des désirs meurtriers, de la haine pro-
fonde qu'il nourrit depuis le commencement du monde
contre la pauvre humanité : Vos ex pâtre diabolo estis :
desideria ejus vultis perficere (Joan>, vin). Les héré-
siarques appartiennent tous à cette catégorie, à cette
race. C'est pour cela que l'hérésie est essentiellement
cruelle et ennemie de l'homme, et que ses doctrines,
en flattant les passions des hommes, n'ont d'autre but
que celui de les corrompre, de les matérialiser, de les
abrutir même et de les rendre malheureux dans le
temps et dans l'éternité.
Dans les premiers siècles du christianisme, ce furent
les Novatiens, et dans les siècles derniers, les Calvi-
nistes qui ont YOUIU détruire le dogme consolateur du
pardon que Jésus-Christ a promis au repentir humble
et sincère, et dont il a, dans les termes les plus expli-
cites, confié la dispensation à l'Église, par ces sublimes
260 HOMÉLIE V. — LA. VEUVE DE NAÏM,

mots adressés aux Apôtres après sa résurrection : « Re-


« cevez le Saint-Esprit, en vertu duquel les péchés que
« vous remettrez à tout homme lui seront vraiment re-
« mis : Accipite Spirilum sancfum : quorum remise-
« ritis peccaia remittentur eis (Joan., xx). » Or, par la
négation de ce dogme précieux, ces hérétiques ont
voulu ravir à l'Eglise, la tendre mère des chrétiens, la
consolation qu'elle éprouve en espérant que ses enfants
qu'elle pleure comme des morts puissent ressusciter à
la vie. Notre aimable Sauveur donc, en disant à la
veuve de Naïm : « Ne pleurez pas, » a, dit le vénérable
Bède, condamné d'avance ces désespérantes doctrines
des hérésiarques, a concédé et assuré à son Église le
grand pouvoir d'absoudre les péchés et de tarir par là
la source de ses pleurs (1) !

10. La bière du mort de Naïm figure de la croix, par laquelle le par-


don des péchés et la résurrection à la grâce nous sont assurés.

Mais, à cette occasion si touchante, le Seigneur non-


seulement a confirmé le dogme du pardon, mais en a
encore découvert la raison, le principe et le fonde-
ment. La bière sur laquelle gisait le cadavre de l'enfant
de Naïm, par rapport à sa forme et à son usage, a si-
gnifié, ainsi que nous l'avons vu, le funeste mystère
de la conscience endurcie, par laquelle Thomme gît
immobile dans le péché ; mais par rapport à la matière
dont cette bière était formée, le bois, elle représente,

([) * Noll (1ère. » NovaU dogma confunditur, qui humilem qui-


et dem pœnitentium mundationem evacuare conatur; veramque ma-
« trem Eccleslam, de natorum suorum exstinctione plorantem, spe
« vitae condonandae negat consolari debere. »
OU i/ÉtiUSE-MÈRK ET LA MÈRE-ÉGLISE. 261

dit Ëricius, le bois de notre prévarication première,


l'arbre fatal par lequel nous sommes morts en Adam,
et sur lequel nous étions portés à l'abîme, comme les
morts sont portés sur le bois au tombeau (1). O bois
funeste à notre race ! s'écrie donc saint Ambroise ; mais
depuis que le FilsdeDieu s'est approchédeluietl'a tou-
ché, ce bois de mort, Accessit et tetigit loculum ; c'est-à-
dire depuis qu'il a étendu ses bras divins à l'arbre, au
bois de la croix; depuis qu'il s'est placé lui-même sur
ce cercueil de douleur-, depuis qu'il a subi sur ce bois
la mort que le premier homme avait attirée sur lui et
sur tous les hommes, par le bois; depuis qu'il s'y est
endormi dans un sommeil mystérieux, par l'attouche-
ment divin de ce bois, il en a changé la condition, il
a changé la bière de la mort en un char de triomphe
et de vie. Heureux donc le jeune homme de Naïm qui
est porté sur le bois que Jésus-Christ a touché de sa
main, et qui est le symbole de l'espérance de la résur-
rection, comme le bois touché par Adam était le sym-
bole et le gibet de la mort! Jésus-Christ qui en tou-
chant ce bois fait ressusciter le mort qui y était couché
est donc Jésus-Christ qui, dès aujourd'hui, nous ap-
prend que c'est uniquement par le bois de sa croix que
l'homme mort par le péché peut recevoir son pardon et
revenir au salut et à la vie spirituelle (2).

( 1 ) « Per loculum quidam intelligunt lignum primariae praevari-


« cat io ni s, in quo omnes mortui portabamur (Expos.). »
(2) * Spem resurgendi habebat iste qui ferebatur in Hgno : quod
« etsi nihil proderat, tamen, postquam illud Christus tetigit, profi-
• cere cœpit ad vitam, ut esset indicio ealutem populis per crucis
« patibulum refundendam (in Luc.). »
262 HOMÉLIE V* — LA VEUVE DE NAÏM,

L'Évangéliste a dit aussi qu'à l'instant même où le


divin Sauveur s'approcha du brancard et y apposa sa
main, les fossoyeurs qui le portaient s'arrêtèrent ; Hi
autem quiportabant steterunt. Or, qui ne voit pas que
cette circonstance, qui n'a aucun intérêt au sens litté-
ral, n'a été remarquée par l'historien sacré que parce
qu'elle aussi renferme un mystère? Et ce mystère, quel
est-il, si ce n'est pas ce profond mystère de la croix que
saint Paul nous a révélé lorsqu'il nous a dit : Par cela
même qu'il a touché de son corps sacré le bois de la
croix, et qu'il y a été suspendu, Jésus-Christ y a arrêté,
y a suspendu, y a crucifié, pour les y faire mourir par
sa mort, toutes les convoitises, tous les mauvais désirs,
toutes les passions qui entraînent l'homme au tombeau
éternel; et dés lors ces causes funestes de la perdition
de l'homme, formant le vieil homme, l'homme de la
mort et du péché, furent arrêtées dans leurs effrayants
progrès, perdirent leur infernale énergie : en sorte que
dès lors, pour ceux qui voudront s'associer à ce mys-
tère, l'horrible corps du péché a été entièrement dé-
truit, et ne peut plus subsister : Nos scimus quia vêtus
homo noster simul crucifixus est, ut destruatur corpus
peccati (Rom., vi).
Or, ce que le Rédempteur divin a fait sur la croix,
pour toute l'htitoanité en masse, il le répète encore à
chaque instant, dit Haymon, avec les hommes, avec les
chrétiens atitqueb il applique les mérites, le prix, la
vertu de sa cfôfa. Câfr, à peine, ému par les larmes et
les prières de l'Église, l'aimable Jésus s'approche, par
sa grâce, du chrétien pécheur ; à peine il touche la con-
science coupable de ce pécheur, en troublant sa sécu-
OU L'ÉGLISE-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 263

rite trompeuse et en excitant en lui la crainte et le


remords; à peine y fait-il pénétrer un peu de la com-
ponction céleste, l'un des plus exquis fruits de l'arbre
de la croix, que les passions s'arrêtent dans leur fou-
gue, que les immondes désirs du cœur se retirent et
n'ont plus la force d'entraîner l'homme à l'abîme; et
que même les tentations extérieures, personnifiées
dans les hommes qui flattent les vices, qui inspirent et
enseignent l'iniquité, s'arrêtent, elles aussi, s'éloignent
et (iisparaissent, en laissant l'âme, qu'elles avaient tuée,
dans les bras de Jésus-Christ pour en opérer la résur-
rection en présence et par le ministère de l'Église (1).
11. Le jeune homme de Naïm ressuscitant à la vie, à une parole du
Seigneur, figure du pécheur ressuscitant à la grâce par l'absolu-
tion du prêtre. Joie que cette résurrection fait éprouver à l'Église
militante et à l'Église triomphante.

A peine le jeune homme de Naïm entendit la voix


toute-puissante du Fils de Dieu, lui commandant de se
lever, qu'il ouvrit les yeux, se leva en effet sur son
séant, comme un homme se réveillant d'un profond
sommeil. Or tout cela, dit saint Augustin chez Hay-
mon, n'est qu'une belle figure en relief, une prophétie
en action de tant d'âmes que, étant mortes spirituelle-
ment par le péché, Jésus-Christ ressuscite tous les jours
à la vie de la grâce par la puissante parole du prêtre
disant au pécheur, au nom et par l'autorité de Jésus-
Christ ; « Je vous absous de tous vos péchés. » Ce que

(1) « Qui portabant steterunt, quia ubi compunctio cœlestis men-


« tem tangit, continuo immunda desideria recedunt; nihil prœva-
« lent, nec possunt ad mortem trahere. Omnes etiam adulatores pro
« nihilo deputantur. »
264 HOMÉLIE V. — LA VEUVE DE NAÏM,

le divin Sauveur fait donc aujourd'hui avec un seul


mort, par rapport au corps, est le gage de ce qu'il vou-
drait faire avec tous les pécheurs par rapport à l'àme,
et qu'il fait en effet tous les jours avec beaucoup de
pécheurs dans son Église (1).
Le jeune homme ressuscité est rendu par le vrai
Élie à sa mère : Et dédit illum matri suœ ; et de même
le pécheur ressuscité par l'absolution sacramentelle est
vraiment rendu à sa mère, l'Église; parce que, dès
l'instant qu'il est réintégré dans la communion de
l'Église, il redevient membre vivant de l'esprit de
l'Église (2).
Mais impossible de rendre par la parole la stupéfac-
tion, la joie, le bonheur, le ravissement de la veuve
mère, serrant dans ses bras, tout rayonnant de jeu-
nesse, de grâce et de vie, son unique enfant qu'elle
pleurait inconsolablement comme mort. Ce sont de ces
choses qu'on sent mieux qu'on ne peut les exprimer.
Et encore il faut être mère pour bien sentir tout cela.
Eh bien, dit saint Augustin, il en est de même du pro-
dige de l'ordre spirituel, dont ce prodige de l'ordre
temporel a été la figure : il n'est pas moins difficile de
vous exprimer le contentement, la félicité de l'Église
lorsqu'elle voit les pécheurs ressuscitant à la vie de la
grâce. Cette joie de l'Église est d'autant plus vive que
sa douleur pour la mort spirituelle de ses enfants est

(1) « Quod tune operatus est Dominus in uno homine, resusci-


« tando eum de morte ad vitam, hoc quotidie agit spiritualiter in
« Ecclesia, cum mortuos peccato sua gratia revocat ad vitam. »
(2) • Redditur matri, cum, per sacerdotalis décréta judicii, com-
« munioni sociatur Ecclesiie (Id,, ibid.). »
OU L'ÉGLISE-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 265

plus profonde. Car cette mort de Thomme par le péché


est, à son tour, d'autant plus affreuse qu'elle est moins
sensible et moins regrettée. Les âmes vraiment chré-
tiennes, pieuses, saintes et zélées qui forment l'àme,
l'esprit de l'Église, regardent les pécheurs comme leurs
enfants, mais enfants de larmes, de douleur et de sang.
M e s s'intéressent vivement à eux, prient Dieu, s'affli-
gent, se tourmentent, se sacrifient pour eux. Lors donc
qu'elles voient que leurs prières sont exaucées, que
leurs peines, leurs sacrifices sont agréés, et que le cé-
leste Epoux vient chercher ces morts que lui seul con-
naît, comme c'est lui seul qui peut les ressusciter; lors-
qu'elles voient l'aimable Sauveur continuant toujours
la mission qu'il est venu exercer sur cette terre, de
ressusciter les hommes morts par le péché ; lorsqu'elles
voient que ce n'est pas en vain que TApôtre a dit :
u Lève-toi, homme qui dors; ressuscite du milieu des
« mortsàla vie,et Jésus-Christ t'éclairera;«lorsqu'elles
voient enfin ces pécheurs, pour lesquels elles avaient
tant pleuré, revenir à elles, se réunissant à elles comme
des enfants vivants, des enfants d'honneur et de gloire,
elles éprouvent un sentiment de contentement inté-
rieur, de joie sainte et pure, d'enivrant bonheur qu'au-
cune cause purement humaine ne saurait produire,
qu'aucune parole humaine ne peut rendre (1)!

( i ) « De juvene illo resuscitato gavisa est mater vidua ; de homi-


« nibus quotidie in spiritu suscitatis gaudet mater Ecclesia. lllc qui-
« dem mortuus erat corpore, isti autem mente ; illius mors visibilis
« vîsibiliter plangebatur, istorum mors invisibilis nec quierebatur
m nec videbatur. Quœsivit ille qui noverat mortuos. Ille solus nove-
« rat mortuos qui poterat facere vivos. Nisi enim ad mortuos s u s -
266 HOMÉLIE V. LA VEUVE DE NAÏM,

Cette ineffable et sainte joie pour une pareille cause


n'est pas éprouvée seulement sur la terre; mais, ainsi
que Ta dit Jésus-Christ lui-même, elle monte au ciel,
pénètre dans le ciel, se répand par tout le ciel. A la vue
d'un pécheur qui ressuscite à la grâce par le repentir
et la pénitence, l'Église triomphante se réjouit autant
et plus encore que l'Église militante. De pareils événe-
ments sont le sujet d'une grande fête, d'une immense
félicité dans la Jérusalem céleste, aussi bien que dans
la Jérusalem terrestre. Les anges en sont aussi heureux
que les saints; et tous les esprits comprêhenseurs, unis-
sant leurs voix aux voix des esprits des justes viateurs,
en louent, en bénissent ensemble la miséricorde de
Dieu : Ita gaudium magnum erit in cœlo super uno pec-
catore pœnitentiam agente (Luc., xv). Oh! qu'il est
donc beau, qu'il est consolant le dogme de la COM-
MUNION DES SAINTS, qui ne se trouve que dans la vraie
Église ! Et que nous sommes heureux d'appartenir à
cette Eglise, qui, mère divinement intelligente, con-
naît tous nos besoins; mère tendre et dévouée, les
prend à cœur et ne s'épargne aucune peine pour y
apporter remède ; et mère enfin libre et puissante,
puisqu'elle est céleste et divine, possède en elle-même
et nous fournit toute espèce de secours, de grâces,
d'avantages, de consolations pour le temps et pour l'é-
ternité : Quœ sursurn est Hierusalem libéra est quœ y

est mater nostra.

« citandos venisset, Apoatolus non diceret : Barge, qui dormis, et


« exsurge a inortuis, et iiiuminabit teChristus [Serm. 44; de Verbts
« Domini). »
OU L ÉGLISE-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 267

Mais la veuve de Naïm n'a pas figuré seulement les


sentiments et la puissance de l'Église par rapport à
tous les fidèles; elle a aussi figuré les sentiments et la
puissance de toute mère chrétienne par rapport à la
vie spirituelle de ses propres enfants. Après avoir donc
vu, dans cette magnifique figure, l'Église ayant pour
tous les fidèles le cœur d'une mère, voyons-y mainte-
nant la mère chrétienne ayant pour ses enfants le
cœur de l'Église; et après avoir édifié et consolé les
fidèles en général par l'explication du grand mystère
de I'EGLISE-MÈRE , arrêtons-nous encore quelques
instants à édifier, à consoler et à encourager, en
particulier, toute mère chrétienne par l'explication
du mystère de LA M È R E - É G L I S E .

DEUXIÈME P A R T I E .

LE MYSTÈRE DE LA MÈRE-ÉGLISE, REPRÉSENTÉ PAU


L'HISTOIRE DE LA VEUVE DE NAIM.

H. La mère chrétienne exerçant à l'égard de ses enfants les fonc-


tions que l'Église exerce à l'égard des fidèles. Comment la mère
chrétienne engendre ses enfants à Dieu et les élève pour lui.

venez de l'entendre, 1° nous engendre


L ' É G L I S E , YOUS
à Jésus-Christ par le baptême; 2° nous nourrit par sa
doctrine; 3° nous élève par sa vigilance; 4° nous con-
serve, nous guérit et nous fait revivre par ses larmes
et par ses prières; et c'est pour tout cela qu'elle est à
notre égard une véritable mère : Quœ est mater nosira.
Or toutes ces grandes et touchantes fonctions que
l'Église exerce par rapport à l'universalité des fidèles,
268 HOMÉLIE V. — LA. VEUVE DE NAÏM,

la mère chrétienne les accomplit envers ses enfants en


particulier, dans Tordre spirituel; et c'est pour cela
que, si Y ÉGLISE EST MÈRE par rapport à tous les fidèles,
la MÈRE CHRÉTIENNE EST ELLE-MÊME L'ÉGLISE par rap-
port à ses enfants.
La veuve de Naïm, nous venons de le voir, a eu le
bonheur d'être deux fois mère de son unique enfant :
la première fois en l'engendrant de son sang, la seconde
fois en obtenant par ses larmes de le voir revenir à une
vie plus heureuse et plus parfaite que celle que la mort
lui avait ravie. C'est aussi la condition de toute mère
véritablement chrétienne ; elle est deux fois mère de
ses propres enfants : la première fois en les engen-
drant à la vie du corps, la seconde fois en les enfantant
à une vie plus noble et plus importante, à la vie de
l'âme.
A peine l'épouse chrétienne s'aperçoit-elle d'avoir
conçu que ses premières pensées se portent moins sur
la satisfaction qu'elle va avoir de devenir la mère d'un
homme que sur l'honneur qu'elle va avoir de devenir la
mère d'un chrétien. Elle est heureuse de sa grossesse,
moins parce que, dans l'enfant qu'elle porte dans son
sein, elle va donner un héritier à son époux que parce
qu'elle va, dans cet enfant, donner un fils de plus à
l'Église, un disciple de plus à Jésus-Christ. Elle le lui
offre donc, elle le lui consacre; elle veut qu'il soit à
lui, et que Jésus-Christ prenne de lui pleine et entière
possession. C'est ainsi q u e , même avant de l'avoir
entièrement formé dans son corps à la vie matérielle,
elle le conçoit, l'engendre, dans son cœur, à la vie
spirituelle, en le destinant au ciel, en le faisant en
OU L'ÉGLISE-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 269

quelque sorte naître au ciel môme avant de l'avoir


enfanté à la terre. Mais puisque ce n'est que par l'eau
et le Saint-Esprit, c'est-à-dire par le baptême, que
nous renaissons réellement à Jésus-Christ et au ciel
(Joan., I), les sollicitudes les plus empressées d e l à
mère chrétienne venant d'accoucher n'ont d'autre
objet que celui d'assurer, de hâter le baptême au
chaste fruit de ses entrailles. Combien se réjouit-elle
donc dans le Seigneur, lorsqu'on lui rend son enfant
baptisé! Oh! avec quels transports ne presse-t-elle pas
sur son cœur, ne comble-t-elle pas de baisers affec-
tueux et révérencieux ce petit chrétien, le front encore
humide de l'eau régénératrice, ce petit ange, ce sanc-
tuaire vivant de la foi et de la grâce de Jésus-Christ!
C'est alors seulement que son bonheur maternel est
complet et parfait, puisqu'elle peut embrasser un fils
de Jésus-Christ dans son propre fils. C'est ainsi que la
mère chrétienne, étant mère de son enfant selon la
nature, le devient encore selon la grâce-, c'est ainsi
qu'elle est, en quelque sorte, le premier ministre de
l'Église, ayant préparé, offert son enfant au baptême
de l'Église, et que conséquemment elle est, dés les
premiers instants, la MÈRE-ÉGLISE.
La fille de Pharaon, en remettant dans les bras
d'une femme qu'elle croyait une nourrice, le petit
Moïse qu'elle venait de sauver des eaux, dit à cette
femme : « Prenez cet enfant et élevez-le pour moi, et
vous en serez largement récompensée; Accipe puerum
istum et nutri mihi : ego dabo tibi mercedem tuani
y

(Exod., II). » Cette nourrice à laquelle l'enfant Moïse


fut confié, était sa propre mère. Qu'elle fut donc heu-
270 HOMÉLIE V. LA VEUVE DE NAÏM,

reuse, cette mère, de se voir chargée d'un pareil soin,


d'élever son propre fils et pour elle-même et pour la
fille du plus grand roi de la terre! C'est une figure du
bonheur de la mère chrétienne, lorsqu'on lui remet
dans les bras son propre enfant devenu chrétien. Elle
croit entendre l'Église même, la fille du grand Roi du
ciel, lui disant : « Prenez cet enfant, la chose la plus
précieuse que j'aie sur la terre, une âme en grâce, et
élevez-le pour moi, comme l'un de mes membres,
comme l'héritier du royaume de Dieu, u Car ce n'est
pas une pensée pieuse, c'est une vérité de foi que
l'Auteur de la nature n'accorde des enfants aux pa-
rents que dans le but de l'ordre de la grâce et du salut,
et qu'ils doivent les élever bien moins pour eux-mêmes
que pour le Dieu qui les leur a donnés. Pénétrée de
cette grande pensée, de ce grand devoir, d'être l'ange
gardien visible, 1'ÉGLISE, vis-à-vis de son enfant, la
mère chrétienne se met de bonne heure à l'œuvre. A
peine son enfant commence à connaître, qu'elle lui
indique du doigt le ciel avant la terre, qu'elle lui
révèle Dieu avant l'homme, qu'elle lui apprend le
Père céleste avant le père terrestre. A peine son petit
homme commence à bégayer quelques syllabes, qu'elle
s'empresse, qu'elle s'efforce pour que ses premiers
mots soient ceux qui doivent être les derniers dans la
bouche du chrétien; pour que, avant même de dire:
« Papa et maman, » il dise : « Jésus et Marie, »
Saint Pierre Chrysologue, en parlant des enfants
chrétiens, a prononcé ces paroles pleines de grâce :
« Ces enfants, dit-il, doivent être attachés au sein de
la mère Église dans toute piété; il doivent foire sortir
OU L'ÉGLISE-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 271

de leur tendre gosier des sons indiquant la pureté de


leur à m e , le pacte qu'ils ont contracté avec l'in-
nocence; ils ne doivent tendre leurs petits bras que
vers le pauvre par les saintes œuvres de la charité; ils
ne doivent faire leurs pas encore chancelants que dans
les sentiers de la foi (1). » Or, former l'enfant à ces
habitudes et l'y établir, c'est le rôle, c'est la fonction
de la mère.

13. La mère est tout, pour l'instruction religieuse de ses enfants.


La mère mondaine et la mère chrétienne. Efficacité du ministère
de cette dernière mère.

Dans l'ordre temporel, le devoir du père est que rien


ne manque à la famille, que l'ordre, l'harmonie et la
paix y régnent. Le père n'exerce qu'une vigilance
générale sur les besoins de ses enfants; c'est lorsqu'il
s'agit de leur donner un état, de les établir, qu'il inter-
vient avec sa prévoyance, qu'il fait valoir son autorité.
Quant aux besoins particuliers des enfants en bas âge,
c'est à la mère à les deviner et à y pourvoir. De même,
dans Tordre spirituel, il n'appartient au père que de
veiller d'une manière générale sur tous les membres
de la famille, pour en éloigner tout danger et tout
scandale, pour y faire régner la crainte de Dieu, et le
respect, et la pratique de la religion. 11 n'appartient au
père que de choisir des précepteurs qui doivent in-
struire ses enfants, et des écoles qu'ils doivent suivre.

(l) « Pietate tota sub Ecclesiœ matris uberibus occupentur. Tra-


« hant teneris faucibus imocentiœ pactum. In opère sancto brachia
« meditentur extendere. Nitantur in cursu fidei tremula flrmare ves-
« tieia (Serin. 73). »
272 HOMÉLIE V. — LÀ VEUVE DE NAÏM,

Il n'appartient au père que de les aider de ses conseils


par rapport à la vocation qu'ils veulent embrasser. Mais
l'instruction première, la première éducation, l'édu-
cation, je dirai presque de détail, des fils en bas âge,
appartient presque exclusivement à la mère. C'est elle
qui est la providence particulière, la providence spé-
ciale des enfants. C'est à elle, et à elle seulement qu'il
appartient de les instruire de bonne heure dans les
éléments de la religion; de leur apprendre les prin-
cipaux mystères de la foi, le Symbole des Apôtres, les
commandements de Dieu, les sacrements et les lois de
l'Église. C'est à elle de les préparer, avant tout, à leur
première communion; c'est à elle à jeter dans leurs
cœurs vierges les germes de la piété et de la crainte de
Dieu, qu'ensuite l'instruction plus étendue du prêtre
doit développer. Comme c'est la mère qui apprend à
l'enfant à parler le langage de la terre, à marcher dans
les voies de la terre, c'est à elle aussi à lui apprendre
le langage du ciel, à marcher de bonne heure dans les
voies du ciel. Or la mère chrétienne n'oublie aucun
de ces grands devoirs; les accomplir, c'est même son
plaisir, son bonheur. Ce sont les parents mondains, dit
saint Chrysostôme, qui prennent un plus grand soin de
leur fortune et de leurs biens, que de leurs enfants qui
doivent en hériter (1). C'est la mère remplie de l'es-
prit du monde, qui ne rêve que les grandeurs, les hon-
neurs du monde pour ses enfants. Ah! semblable à cet
oiseau cruel, dit l'Écriture sainte, qui, ayant pondu,

(!) * Majores nobis possessionum curaequam eorum quorum i 11;e


« gratia comparantur (ffom, t in I, ad Timoth.}. »
OU L ÉGLISE-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 273

enfonce ses œufs dans la terre, les y oublie, et les y


abandonne, la mère mondaine ne se soucie de pro-
curer à ses enfants que les avantages de la terre; elle
les enfonce dans la terre, les entoure, les couvre de
terre, et ne prend aucun soin de leur âme et de leur
éternité; Filia populi mei, crudelis : quasi struthio
in deserio derelinquit ova sua in terra ( T R E N . , IV, et
JOB, xxxix). Mais la mère chrétienne se conduit tout
autrement; son principal but, sa pensée fixe n'est pas
que ses enfants soient riches, mais qu'ils soient saints.
Car elle sait bien que la sainteté, la vertu, la religion,
sont le patrimoine le plus riche, le plus solide qu'on
puisse leur léguer : l'unique patrimoine qui est à l'abri
des exigences du fisc, des jeux de la fortune, des révo-
lutions des États, et qui peut les rendre heureux dans
toutes les situations, contre toutes les vicissitudes, dans
le temps et dans l'éternité. Moins jalouse donc de faire
de son enfant un grand homme que d'en faire un grand
chrétien, c'est à ce but qu'elle dirige tous les artifices
de sa vigilance, tous les soins de son amour. Très-facile
à leur pardonner des vivacités d'enfants, elle n'est
sévère, n'est inexorable qu'à l'égard de leurs fautes
touchant l'instruction religieuse, la pureté de l'âme,
les pratiques de la piété, et le culte de D i e u ( l ) ; et

( l ) Ah! grâce à Dieu et à la puissance que la foi exerce dans la


femme chrétienne, pour être inconnues, il n'existe pas moins, et
en plus grand nombre qu'on ne pense, de nouvelles Blanches répé-
tant toujoursà leurs enfants « qu'elles préfèrent de les voir frappés
par la mort plutôt que de savoir qu'ils ont souillé lenr âme par le
péché. » Nous n'en citerons ici qu'une seule de ces mères héroïques,
que nous avons connue. C'est cette Virginie Bruni, dont nous avons
î. 13
274 itOMÊtm v. — LA VEUVE DE NAÏM,

c'est lorsqu'ils ont mieux répondu aux questions du


catéchisme, c'est lorsqu'ils ont mieux fait leur prière,
c'est lorsqu'ils ont été plus sages, plus obéissants, plus
sincères, et qu'ils se sont mieux acquittés de leurs petits
devoirs, que la bonne mère leur fait de plus jolis ca-
deaux, et les comble de plus douces caresses et de
baisers plus affectueux.
Il y a des brutes qui n'enfantent que des masses vi-
vantes, mais informes, hideuses; et ce n'est qu'en les
léchant avec leur langue, en les façonnant avec leurs
pattes qu'elles parviennent à leur donner une forme
régulière et à faire de jolies petites bêtes. Or ce que
la femelle des brutes fait avec ses petits, par instinct
de nature, la mère chrétienne le fait, d'une manière
plus noble et plus heureuse, avec ses enfants, par ins-
tinct de foi. C'est elle qui, en faisant valoir, selon les
circonstances, la crainte ou l'amour, les promesses ou

parlé plus haut (pag. 121 ), jeune veuve, morte à Rome en 18 40, à l'âge
de vingt-cinq ans. Elle avait trois enfants, un garçon et deux filles.
Or, tous les jours, le soir, après la prière, qu'elle leur faisait faire
en commun et en sa présence, elle élevait la voix, et d'un ton éner-
gique elle disait tout haut au Seigneur : a Mon Sauveur et mon Dieu,
ne regardez pas à mon amour pour ces petits enfants, et faites qu'ils
meurent tous les trois, ici, à l'instant, sous mes j e u x , avant qu'ils
aient le malheur de commettre un seul péché. » Cette prière était
faite pour inspirer de bonne heure à ces petites créatures une grande
horreur pour le mal. Or, élevés ainsi dans la crainte du mal, il n'est
pas étonnant que, comme nous l'avons dit, ces heureux enfants
soient devenus trois petits saints (Voyez la vie de cette chrétienne
héroïque que nous avions écrite et publiée en langue italienne à
Rome, l'année 1840, et qu'on vient de traduire et de publier en
français (Pans, chez Gaume, 1851).
OU L'ÉGLISÊ-MÈRE E T LA MÈRE-ÉGLISE. 275

les menaces, la douceur ou l'autorité, corrige de mau-


vais caractères, de rudes et informes natures, et hi
éloigne dji mal et les plie au bien. Ah ! qu'il est vrai
qu'au moral comme au physique, par rapport à la
vie de l'âme comme par rapport à la vie du corps, l'en-
fant, particulièrement, n'est que l'œuvre de sa mère.
A ces saints artifices d'une prévoyance éclairée,
dont elle puise le zèle et la constance dans son amour
de mère et dans sa foi de chrétienne, la mère vraiment
pieuse unit ses prières continuelles à Dieu, à la sainte
Vierge, aux anges, aux saints, afin d'assurer leur pro-
tection à ses enfants.
Or, il n'est pas possible que des enfants élevés avec
un tel soin ne deviennent pas de vrais chrétiens, eux
aussi, des citoyens excellents, capables de faire un jour
l'honneur et le bonheur de la famille et de la patrie.
Il n'y a pas d'humeur si difficile, de si mauvaise na-
ture, qui ne cèdent pas, qui ne se plient pas au bien
sous le poids d'une telle éducation. Sainte Félicité eut
sept enfants, et, par ces moyens, elle en fit sept mar-
tyrs. Sainte Brigitte e n eut huit, et, par ces moyens,
elle en fit huit saints. La mère de saint Bernard e n
eut dix, et, par ces moyens, elle en fit dix religieux
solitaires et dix apôtres.
Saint Paul disait à Timothée : « Je t'en conjure de-
« v a n t Dieu et devant Jésus-Christ qui jugera les v i -
« Yants et les morts, en son avènement et en son règne,
« annonce lg. parole, insiste à temps et à contre-temps,
« reprends, supplie, gourmande en toute patience et
« doctrine. Car viendra un temps où ils ne sup-
« porteront plus la saine doctrine, m a i s , selon leurs
276 HOMÉLIE V, — LA. VEUVE DE NAÏM,

« propres désirs, ils chercheront de tous les côtés des


« maîtres qui flattent leurs oreilles, et fermant l'ouïe à
« la vérité, ils se tourneront vers les fables. Pour toi,
« veille et ne te refuse à aucun travail *, sois sobre ; fais
« l'œuvre d'un évangéliste , remplis ton ministère
« ( I I Timoth., iv, 1-5).» Or, dans la triste prévision
que le même malheur, que saint Paul prédisait aux dis-
ciples de Timothée, arrivera très-probablement à ses
enfants, lorsqu'ils seront obligés de subir les leçons de
certains collèges et de certaines universités, la mère
chrétienne fait avec son enfant tout exactement ce que
saint Paul voulait que Timothée fit à l'égard de ses
nouveaux convertis. Toujours la sainte parole à la
bouche, elle travaille, insiste toujours pour les affer-
mir dans la crainte de Dieu, dans les principes de la
foi, afin qu'ils puissent sortir victorieux des horribles
épreuves auxquelles ils vont être exposés au milieu
du monde, à l'âge des dangers et des passions. Mais ces
fonctions, pour être exercées par une femme, ne sont
pas moins les fonctions d'un apôtre. Ce ministère, pour
être exercé dans l'intérieur de la famille, n'est pas
moins le ministère de l'Église, et la mère qui l'exerce
n'est pas moins, en quelque sorte, le minisire de l'É-
glise, n'est pas moins l'Église,

14. Grandeur du ministère de la femme chrétienne. Elle est la vraie


Eglise, par rapport à ses enfants. Le salut des parents dépendant
de la manière dont ils auront élevé leurs fils.

Mères chrétiennes, comprenez donc la grandeur et


l'importance de votre ministère, de votre vocation.
Quelque grand, quelque sublime que soit votre état
ou L'ÉGLISE-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 277
dans l'ordre naturel, votre état, dans l'ordre surnaturel,
est de beaucoup plus g r a n d , de beaucoup plus su-
blime. Dans l'ordre naturel, vous êtes les premiers
ministres, les premiers instruments par lesquels se
transmet la vie du corps; dans Tordre surnaturel,
vous êtes les premiers ministres, les premiers instru-
ments par lesquels se transmet la vie de l'âme. Dans
l'ordre naturel, Dieu vous associe à lui pour former
l'homme; dans Tordre surnaturel, Dieu vous associe
à lui pour former le chrétien. Dans Tordre naturel,
vous êtes choisies pour continuer sur la terre l'action
du Dieu créateur; dans Tordre spirituel, vous êtes
appelées à continuer sur la terre l'action du Dieu ré-
dempteur. C'est dans votre sein que le Dieu créateur,
y trouvant un corps préparé, y unit Tâme qui fait
vivre ce corps de la vie matérielle; et c'est dans vos
bras que le Dieu rédempteur, trouvant préparée Tâme
de votre enfant que vous lui offrez, y répand la grâce
qui fait vivre cette àme de la vie spirituelle.
11 est vrai que c'est par le ministère de l'Église que
Dieu éclaire, convertit, sanctifie les âmes ; mais il est
vrai aussi que l'Église elle-même n'exerce son action
divine sur vos enfants qu'en tant que vous les lui offrez
par votre volonté, en tant que vous les lui préparez
par YOS premières instructions. L'Église est le grand
ministre de Jésus-Christ, disait saint Paul, le ministre
dispensateur des mystères de Dieu pour tout le monde ;
Sic nos exisiimet homo ut ministros Christi, et dispen-
satores mysteriorum Dei (l Corinth., iv). Et la mère
est le grand ministre de TÉglise, le ministre dispensa-
teur de la révélation et des grâces de TÉglise, par rap-
278 HOMÉLIE V. LA VEUVE DE NAÏM,

port à ses enfants. Car c'est par elle que l'influence du


souverain pontife, de l'évoque, du prêtre pénètre dans
la famille et y reste. C'est par elle, avant tout, que les
enfants sont évangélisés, sont instruits, sont attirés à
la connaissance de Dieu et de son Fils divin, sont
donnés à l'Église, naissent dans l'Église. C'est elle qui
est le premier missionnaire, le premier apôtre, le
premier évangéliste, le premier pontife, le premier
évoque, le premier prêtre, la première Église de ses
enfants.
Comme l'Église entière se résume donc dans la per-
sonne du souverain pontife par rapport à toute la chré-
tienté et à tout le monde ; comme elle se résume dans
la personne de l'évèque par rapport à chaque diocèse,
et dans la personne du curé, du prêtre par rapport à
chaque paroisse, de même l'Église entière se résume,
en quelque sorte, dans la personne de la mère par
rapport à chaque famille chrétienne. C'est que, comme
c'est par le souverain pontife que l'action de l'Église
s'exerce, s'applique et s'accomplit d'une manière gé-
nérale par rapport à tous les chrétiens, et même par
rapport à tous les hommes; comme c'est par l'évèque
que cette action même s'exerce, s'applique, s'accom-
plit par rapport à tous les individus d'un même dio-
cèse ; et comme c'est enfin par le curé que la même
action s'exerce, s'applique, s'accomplit par rap-
port à tous les individus de la même paroisse : de
même c'est par la mère que cette action de l'Église
s'exerce, s'applique, s'accomplit par rapport à tous les
enfants d'une rnême famille. Ainsi, comme tout sou-
verain pontife légitime est l'Église par rapport à tous
OU L'ÉGLISE-MÈRE E T LA MÈRE-ÉGLISE. 279

les chrétiens, à tous les hommes 5 comme tout évèque


en communion avec le souverain pontife est TEglise
par rapport à ses diocésains, comme tout curé, tout
prêtre (1) en communication avec son évêque, est
TEglise par rapport à ses paroissiens : de même, toute
mère vraiment chrétienne, en communion avec son
curé et par lui en communion avec son évêque, avec
le souverain pontife, avec toute TÉglise, est TÉglise
par rapport à ses enfants. C'est ainsi que non-seule-
ment la vraie É G L I S E EST MÈRE, mais aussi que la vraie
MÈRE, la MÈRE CHRÉTIENNE EST L ' É G L I S E .
Mais vous le voyez bien, mères chrétiennes qui
m'écoutez, la mère chrétienne n'est TÉglise qu'autant
qu'elle exerce les fonctions de TÉglise envers ses en-
fants. En vous rappelant donc ce qu'elle est, je vous ai
dit ce que vous devez être 5 en vous rappelant ce qu'elle
fait, je vous ai dit ce que vous devez faire ; son éloge

(1) A Palerme, notre patrie, le peuple appelle le prêtre « la sainte


Église. » Lorsqu'un prêtre se présente quelque part à des gens du
peuple, on lui dit : « Que nous commande la sainte Église? Veut-elle
quelque chose la sainte Église? » Oh E que cette parole est en même
temps délicieuse et profonde ! Elle renferme tout un traité de la vraie
Église, car tout prêtre qui se respecte et qui, par son évêque, est
en communion avec l'Église, est lui-même l'Église pour le peuple.
Une telle parole n'a pu être suggérée que par cet instinct de foi qui
distingue les peuples catholiques, et qui leur met à la bouche des
expressions résumant des traités entiers de théologie, et qui font
l'admiration du vrai théologien lui-même et du vrai philosophe.
C'est, du reste, une justice que le peuple palermitain rend par ce
mot à son clergé. C'est, nous aimons à le dire tout haut, et avec
un juste orgueil, le clergé le plus savant, le plus irréprochable e,t le
plus dévoué que nous ayons connu.
280 HOMÉLIE V. — LA VEUVE DE NAÏM,

est votre instruction. Saintement fières de votre gran-


deur, de votre dignité, soyez donc aussi scrupuleuse-
ment jalouses d'en accomplir tous les devoirs. Souve-
nez-vous que votre enfant, à l'âge mûr, ne sera que ce
que vous l'aurez fait au premier âge. Il n'abandonnera
pas même dans sa vieillesse, dit l'Écriture sainte, la
voie que vous lui aurez indiquée, et dans laquelle vous
l'aurez engagé dans son enfance ; Adolescens juxia
viam suam etiam cum senuerit^ non recedet ab ea
}

(Proverb. xxu). Le sort de vos enfants, tout leur avenir


dans ce monde et dans l'autre, est dans vos mains. 11
sera bon chrétien, il fera son salut, si vous avez su,
de bonne heure, former son esprit et son cœur aux
croyances et aux pratiques du christianisme, et si YOUS
lui avez inspiré, avant tout, un zèle sincère pour le
salut de son àme. Mais si, contentes qu'il ait un vernis,
ou point du tout de religion, vous ne lui inspirez que
des pensées, des sentiments tout humains, tout païens
et terrestres, YOUS en aurez fait un être de la terre : il
se perdra, et vous vous perdrez avec lui; car c'est à
vous, vous crie Origène, que Dieu, à son jugement,
demandera un jour un compte rigoureux de tous les
péchés que vos enfants auront commis, et qu'une ins-
truction solide, une sage correction de votre part leur
auraient fait éviter; et c'est sur vous que retomberont
la lourde responsabilité et le châtiment de leurperte (1 ).
A l'exemple de David, appelez donc maintes et
maintes fois vos petits enfants autour de vous, gar-

(i) • Omnia quœ deliqnerint fllii, de parentibus exquirentur, qui


« non erudierint, neque corripuerint (In Job.). »
ou LÉ - ÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE.281
'GLISEM
dez-les a votre école pour tout ce qui se rapporte
à la morale et à la religion ; dites-leur : « Mes
enfants, tout ce qui touche aux études de la littéra-
ture et des arts, vous pouvez bien l'apprendre de la
bouche des autres; mais les premières leçons de la
crainte de Dieu et de ses lois, YOUS
ne devez les rece-
voir que des lèvres de votre mère; Veniie, filii, audite
me; iimoremDomini docebo vos. » Pour moi, je ne con-
nais rien de plus noble, de plus grand, de plus auguste,
de plus saint que la mère chrétienne révélant Dieu à
ses enfants. Si vous les aimez donc vraiment, ces en-
fants que Dieu vous a donnés, et si vous vous aimez vous-
mêmes, ne négligez pas cette pratique si délicieuse au
cœur d'une mère, et en même temps si utile à la mère
et aux enfants. Rappelez-Yous que vos avantages et les
leurs, pour le temps et pour l'éternité, y sont attachés ;
que vous ne pouvez vous sauver et entrer dans le ciel
toutes seules, sans vos enfants; et que, par conséquent,
vous devez faire tous vos efforts pour vous sauver, pour
entrer dans le ciel en leur compagnie, si vous n'en
voulez pas être exclues avec eux.

15. Juste douleur de la mère chrétienne en voyant qu'on lui a gâté


ses enfants qu'elle avait chrétiennement élevés. Elle ne doit ni se
décourager ni désespérer de leur conversion.

Mais, hélas! s'écrieront peut-être quelques-unes


parmi vous, nous avions bien fait tout cela avec nos
enfants, mais nous ne nous en trouvons pas plus heu-
reuses. Nous les avions bien élevés dans la crainte d e
Dieu, dans le respect et la pratique de la religion ; mais
ils n'en sont pas moins devenus des incrédules, se mo-
282 HOMÉLIE V. — LA. VEUVE DE NAÏM,

quant de toute religion. Nous en avions fait des chré-


tiens, et Ton nous en a fait des philosophes. En sortant
de nos bras, c'étaient de véritables anges; en y reve-
nant, nous ne les trouvons que de vrais diables! Oh!
qu'il est pénible, qu'il est désolant, qu'il est atroce pour
une mère chrétienne de voir l'édifice de la foi qu'elle
avait, au prix de tant de soins, et tant de peines, cons-
truit dans l'esprit et dans le cœur de son enfant, ren-
versé, détruit, çprès quelques mois de collège, après
quelques mois de ces études par lesquelles la jeunesse
doit passer, comme sous les Fourches Caudines de
l'enfer, pour avoir un état!
Oh! malheureuses mères, vous avez bien raison de
vous plaindre ainsi, et je compatis du fond de mon âme
à votre tribulation, et je partage tout votre chagrin et
toute votre douleur. Mais consolez-vous et ne regrettez
pas ce que vous avez dû vous imposer de peines et de
sacrifices pour élever chrétiennement vos enfants.
D'un côté, ces sacrifices et ces peines vous vaudront
un jour un immortel bonheur dans le ciel, et, de Vautre
côté, ils ne sont pas tout à fait perdus pQur les objets
chéris pour qui vous les avez endurés. Car écoutez :
Au milieu de la corruption de mœurs, de l'esprit
d'incrédulité ou d'indifférence pour la religion, qu'une
éducation toute païenne et d'horribles doctrines ont
produits dans la société de nos jours, il est bien possi-
ble, et malheureusement il n'arrive que trop souvent,
que même des enfants élevés par des mères chrétien-
nes dans les vrais principes et dans les pratiques du
christianisme, glissent dans le désordre et même dans
l'irréligion et l'impiété. Mais ils ont beau faire; ils n'ar-
OU LKGLISE-MKBK ET LÀ MÈRE-ÉGLI6E. 283

riveront jamais à déraciner tout à fait du fond de leur


cœur toute vérité, tout sentiment chrétien que la piété
maternelle y avait semés. Il leur eu restera toujours
quelque chose; il leur en restera des germes que les
passions auront pu étouffer sans pouvoir les anéantir;
et ces germes, dans un âge plus mûr, à l'aide de cir-
constances heureuses et de désillusionnements utiles,
et, au plus tard, au lit de la mort, on les voit éclore et
porter leurs fruits de conversion et de salut. Et, en
effet, tous ces changements de tant de pécheurs en
vrais pénitents, de tant d'incrédules en vrais croyants,
qui ont lieu tous les jours dans nos contrées et qui com-
blent de joie TÉglise, si on y fait attention, ne sont
dus généralement qu'aux principes chrétiens que leurs
mères avaient répandus et bien établis dans leurs âmes.
Il est donc évident d'abord que les ravages que le phi-
losophisme moderne exerce, avec un si affreux succès,
dans la jeunesse de nos jours, loin de décourager le
zèle de la mère chrétienne d'élever chrétiennement
ses enfants, doivent l'exciter davantage. Plus grands
et plus redoutables sont les dangers auxquels va être
exposée leur foi, lorsqu'ils seront jeunes, plus grands
et plus empressés doivent être les soins et la sollicitude
de la mère chrétienne à implanter solidement cette
foi dans leur cœur, pendant qu'ils sont enfants. Quant
à vous, pauvres mères, qui êtes obligées à gémir du
naufrage funeste que YOS enfants ont fait touchant la
foi, il est encore évident que yous ne devez pas déses-
pérer; que vous devez même YOUS attendre à les voir
revenir sur la voie de la religion et du salut à laquelle
des mains sacrilèges et cruelles las ont arrachés. Seule-
284 HOMÉLIE V. — LA VEUVE DE NAÏM,

ment, à l'imitation de la femme de Naïm, vous ne de-


vez jamais vous lasser de pleurer devant Dieu leur mort
spirituelle et de solliciter par vos ferventes prières leur
résurrection.

16. Histoire de saint Augustin, converti par les larmes et les priè-
res de sa mère. Mort de cette admirable femme. Encouragement
aux mères chrétiennes désolées de la mauvaise conduite de leurs
enfants.

Rappelez-vous sainte Monique. D'abord, mariée à un


idolâtre au caractère le plus dur et le plus intraitable,
Monique, parle prodige de sa patience et de sa douceur,
en fit un agneau, et finit par avoir le bonheur de le voir
se faire et mourir chrétien ; et par là elle a prouvé ce
que peut la vertu; et par là elle est votre modèle, à
vous, femmes mariées, vous montrant que si vous le
voulez ( e t malheur à vous, si vous ne le voulez pas ! )
et si YOUS êtes des épouses vraiment chrétiennes, vous
êtes très-puissantes pour ramener à la religion, pour
sanctifier même, comme parle saint Paul, Thomme irré-
ligieux et infidèle; Sanciificaius est vir infidelis per
mulierem fidelem ( I Corînth., vu).
Mais le vrai triomphe, la vraie gloire de sainte Mo-
nique, c'est la conversion de son unique fils Augustin.
Oh! que rien n'est plus admirable ni plus touchant que
cette conversion du plus grand génie du monde, du
plus grand homme du christianisme, à la foi catholi-
que, par le zèle, par les prières et les larmes d'une
femme, sa sainte mèrel Je vais vous en dire quelques
mots, pour votre instruction et pour votre confort, à
vous, mères chrétiennes, dont le regard du cœur est
OU L'ÉGLISE-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 285

désolé du spectacle de Y O S enfants morts spirituelle-


ment, eux aussi, à la vie de la foi et de la grâce.
Fils d'un père idolâtre et confié, dans des écoles
païennes, à des maîtres idolâtres ou à des hérétiques
pires que les idolâtres mêmes, Augustin finit par se
débarrasser tout à fait des principes et des sentiments
chrétiens que sa sainte mère lui avait inspirés dès l'en-
fance. En devenant littérateur et philosophe, il devint
l'adepte de toutes les sectes, le jouet de toutes les
erreurs, la victime de tous les vices. A l'âge où l'on a
le plus besoin de frein et de conseil, ayant perdu son
père, il se trouva maître de sa fortune et de lui-même.
Ce fut alors que, jeune homme à l'imagination ardente,
au caractère impressionnable, au cœur passionné, il
trempa, d'une manière si affreuse, dans la débauche,
que, en peu de temps, il dépassa tous ses tristes collè-
gues moins par l'élévation de son esprit que par la
licence et le dévergondage de ses mœurs. En vain sa
bonne mère l'avertissait, le priait même à genoux de
s'abstenir au moins de certains excès ; Augustin se mo-
quait de ses avis, ne faisait pas attention à ses prières,
croyant dans son orgueil, que c'était se dégrader que
d'écouter les parolesd'une femme (1). Le moyen donc,
pour la malheureuse veuve, de dompter son indomp-
table fils, et de le ramener à Dieu par la foi et la vertu!
Cependant Monique ne désespéra pas de réussir. Seule-
ment elle déploya plus d'amour que d'empire envers cet
enfant égaré ; elle se prit à le soigner en servante bien

(I) « Qui mihi raonitus muliebres videbantur, quibus obtemperare


« erubescerem {Confession, lib. u , c. 3). »
286 HOMÉLIE V. — LA VEtVfi DE NAÏM,

plus rju'à lui commander en mère. Monique ne parla


presque plus de Dieu avec Augustin, mais elle ne cessa
jamais de parler, de pleurer beaucoup pour Augustin
auprès de Dieu (1).
Tous les jours elle se rendait à l'église pour assister
au sacrifice divin qu'elle faisait offrir pour le salut de
son fils. Il ne se réunissait pas d'assemblée catholique,
qu'elle n'y fût présente pour y faire prier pour son fils.
Il n'y avait pas de prêtre ou d'évêque en renommée de
sainteté à qui elle ne se hâtât d'aller recommander son
fils. Et en rentrant à la maison, elle parlait à son fils
avec beaucoup d'éloges de cet évêque, de ce prêtre,
pour exciter en lui l'envie de le connaître. C'est parce
moyen qu'elle amena souvent Augustin à entendre les
sermons du grand saint Ambroise.
C'est en vain qu'Augustin essaya de se débarrasser
de la présence importune de Monique, en se rendant
d'Afrique en Europe et d'Europe en Afrique, et quel-
quefois en partant de nuit à son insu, lui laissant igno-
rer le temps de son départ et le lieu de son ar-
rivée.
Monique, guidée par son instinct, par son amour de
mère, le devinait, le découvrait partout, et, forte de
sa piété, de sa confiance de chrétienne, bravant tous
. les dangers par mer et par terre, elle allait le rejoindre
partout, le suivait partout, et ne le quittait jamais, jus-
qu'au point de mourir pour lui loin de sa patrie, pour
avoir le bonheur de mourir auprès de lui (2). En vain

(1) « Cum non desineret, horis omnibus orationum suarum, de


« me plangere ad te (Lib. m, c. I I ) . »
(2) « Jam venerat ad me mater pietate fortis, terra marique me
OU L'ÊGLISE-MÊRÈ ET LA. MÈRÏ-ÉGLlSfc. 287
encore, s'enfonçant toujours davantage dans tofcs les
vices, se livrant toujours davantage à toutes les étfenrs
de la secte des Manichéens — les panthéistes ét les ra-
tionalistes de ce temps-là—Augustin paraissait prendre
plaisir à éloigner toujours davantage les chances de sa
conversion et à désoler l'espérance qu'en avait gardée
sa bonne mère. Cette femme héroïque ne se lassait ja-
mais de pleurer et de îprier, espérant toujours que ses
prières et ses pleurs seraient plus efficaces à attirer la
miséricorde de Dieu sur son fils, que les désordres de
son fils ne le seraient à attirer sur lui l'abandon de
Dieu. Cependant, ce dur martyre d'attente, ce sacrifice
de chagrins et de larmes de tous les jours et de tous les
instants avait tellement abîmé sa figure, qu'elle n'était
plus reconnaissable, qu'elle n'était plus qu'un fantôme
de femme, l'image vivante de la tristesse et de la dou-
leur. Au point qu'un évêque, en la voyant un jour pros-
ternée à ses pieds, pâle, éplorée et lui demandant, bien
plus par des pleurs que par des paroles, le secours de
ses prières pour la conversion d'Augustin, le saint
homme en fut profondément touché, et s'inspirant de
la bonté et de la miséricorde de Dieu, lui dit d'un ton
prophétique : Femme, console-toi; il est impossible
qu'un fils de tant de larmes prérisse (1).
En effet, après douze ans de résistance et de lutte,
dompté par la miséricorde de Dieu et par les larmes de

« s e q u e n s , et in perîculia omnibus de te secura (Confess. vi,


«cl).»
( i ) « Fieri non potest ut filius tantarum lacrymarum pereat (Con-
fess. m, c. 12). »
288 HOMÉLIE V. — LA VEUVE DE NAÏM,

sa m è r e , Augustin se rend enfin, et plie son esprit


superbe à la foi ; son cœur rebelle, à la grâce.
Mères chrétiennes, je vous laisse à penser, vous
seules pouvant le comprendre, ce que fut pour Moni-
que le jour où, se levant du pied de l'arbre fameux où
Dieu l'avait blessé au fond de l'âme, Augustin alla
trouver cette admirable mère, et lui dit : « Mère, Y O U S
avez vaincu, ou plutôt Dieu a vaincu par votre moyen.
Me voici converti; me voici chrétien! » Ah! en le
voyant tout à fait changé de ce qu'il était, en l'enten-
dant s'exprimer ainsi, Monique poussa un cri de bon-
heur, et se jetant au cou de son fils avec un inexpri-
mable transport, et le pressant sur son cœur, elle le
combla de baisers, l'arrosa de ses larmes, s'écriant :
« Mon fils! mon fils! » Car, étouffée par la joie, elle
ne pouvait dire autre chose.
Elle vit bientôt ce fils chéri recevant le baptême de
la main de saint Ambroise; elle le vit marcher d'un
pas rapide dans la voie de la sainteté et de la perfec-
tion; elle le vit initié au sacerdoce; elle le vit défen-
dant et terrassant de son génie tous les ennemis du
nom chrétien. Et, en bénissant le Seigneur, elle lui
dit : « Dieu de miséricorde, que vous avez été bon et
généreux avec votre humble servante! Vous m'avez
accordé plus que je ne vous avais demandé! Je ne vous
avais demandé que de me rendre mon fils chrétien, et
vous m'en avez fait un saint, un docteur, un apôtre de
votre Eglise! Ainsi, mon bonheur terrestre est à son
comble. Je n'ai plus rien à désirer, plus rien à attendre
ici-bas. Que fais-je donc davantage sur cette terre?
Appelez-moi au ciel pour aller vous remercier et
ou L'ÉGLISE-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 289

vous louer éternellement d'une si grande grâce (1)! »


Quelques jours après, se sentant mourir—une fièvre
lente, et bien plus encore la fièvre de ses désirs pour
la patrie éternelle l'ayant consumée— elle appela son
fils près de son lit : « Augustin, lui dit-elle, que vous
êtes bon! que vous êtes pieux pour moi! Laissez-moi
vous embrasser pour la dernière fois. » Et l'ayant pressé
dans ses bras défaillants elle lui dit encore : « Écoutez,
mon fils, je veux, avant de mourir, vous dire une chose
que je ne vous ai jamais dite : c'est que je me rappelle
avec bonheur que, pendant même le long cours de vos
égarements, je ne vous ai jamais entendu prononcer
un seul mot dur ou peu respectueux pour votre mère.
Fils, je vous en remercie, je vous en bénis de tout mon
cœur, et je meurs très-contente de vous (2). Je ne YOUS
demande, ajouta-t-elle, que de vous souvenir de mon
âme à l'autel du Seigneur, lorsque vous lui offrirez le
sacrifice de l'Agneau sans tache. » Et ainsi disant, les
yeux fixés vers le ciel, elle expira sans douleur, comme
elle avait vécu sans péché.
Omort! ô belle mort! ô mort délicieuse et sainte,
juste récompense d'une sainte vie! Femmes chré-
tiennes, vous me paraissez touchées, ravies d'une
mort si précieuse, et YOUS paraissez me savoir gré de

(1) « Benedicebat tibi, quod tanto ampli us sibi a te concessum


« videbat quam petere solebat miserabilibus flebilibusque gemitibus
(Confess. vin, c. 12). »
(2) « In ea ipsa ultima œgritudine, obsequiis meîs Interblan-
« diens, appellabat me pium. Commemorabat grandi diîeclionis af-
« fectu nu m quam se audisse ex ore meo jaculatum in se du ru m aut
« contumeliosum sermonem (Ibid. ix, 12). »
î. 19
290 ttOVÉLIE V . — LA VEUVF DE NAÎM,

vous y avoir fait assister aujourd'hui. Mais savez-


VOVJS ce qui m'a donné l'idée de cet édifiant épisode,

à propos de l'Évangile de la veuve de Naïm? C'est que


cet Évangile se lit à la messe du 4 mai, jour de la fête
de sainte Monique. Oh! qu'elle est grande, qu'elle est
profonde la pensée de l'Église, en faisant lire cet
Évangile ce jour-là! Elle nous avertit, elle nous prêche
par là que la veuve d e Naïm, obtenant par ses larmes
de voir son U n i q u e enfant ressuscité à la vie du corps,
a é t é la figure vivante non-seulement de l'Église-mère,
m a i s a u s s i de la rtière-Église, pouvant, elle encore,
obteriir p a r ses larmes de voir ses enfants ressuscites
à la vie de Tâme. Elle nous avertit, elle nous prêche
que les prières et les larmes d'une mère chrétienne
sont toutes-puissantes auprès de Dieu pour implorer
l a conversion de ses enfants égarés dans les voies du
désordre et de l'incrédulité.
Ne désespérez donc pas, pauvres mères, que l'affreux
état de l'àme de Vos enfants ou leur mort spirituelle
désole et effraye. Pleurez, priez toujours, et ne cessez
jamais de pleurer et de prier. De longues années s'écou-
leront peut-être encore pour vous, comme jadis pour
saihte Monique, sans que vous soyez exaucées. Mais si
vous ê t e s aussi riohstantes qu'elle le fut à prier, comme
elle, vous aussi finirez par emporter la grâce que vous
sollicitez. Le c œ u r de Jésus-Christ ne saurait résister
au spectacle du cœur d'une mère désolée, pleurant et
priant pour le salut de s e s enfants. De telles prières
e t de telles larmes ont quelque chose de grand et de
puissant, et rien ne saurait leur être refusé. Oui,
oui, cet aimable Jésus, le vrai consolateur des- affli-
OU L'EGLÎSE-MERË Et t i RÉERfe-iettSE. 2Ô1
gés (1), changera vos larmes de douleur eh l&rmes de
joie; Noliflere. Il vous consolera autant que vous aurez
souffert ; il ressuscitera spirituellement aussi vos enfants
morts, et il les rendra tout vivants d'une houvelle vie
à votre amour et à votre douleur : Et dédit illum mufti
suœ. Souvenez-vous toujours de cette parole prophé-
tique qui résonna si fort à l'oreille de sainte Monique,
et se répétasi douce dans son cœur : « Il est impossible
qu'un enfant de tant de larmes périsse! » Oh! la belle
parole que celle-ci! Elle vous dit que, comme vous
avez donné à ces enfants, lorsqu'ils n'existaient pas
encore, la vie naturelle par votre sang, vous pouvez
maintenant qu'ils sont morts par le péché ou par l'er-
reur, les faire revenir à la vie spirituelle par vos pleurs ;
et que, doublement mères de ces chers objets, et par
rapport au corps et par rapport à l'àme, pour le temps
et pour l'éternité, vous serez à ce titre encore, et les
filles fidèles de I ' É G L I S E - M È R E et les M È R E S É G L I S E de
nouveaux fils de l'Église, dont la céleste Jérusalem est

( t ) Rien n'est plus doux que YOraison de l'Église pour la fête de


sainte Monique. La voici cette belle Oraison, que tout pécheur ferait
bien de transcrire à part et de répéter toujours : « O Dieu, qui, vrai
« consolateur des affligés et espérance de ceux qui ont confiance en
« vous, avez si miséricordieusement accueilli les larmes pieuses de
« la bienheureuse Monique pour la conversion de son fils Augustin,
« daignez nous accorder, par l'intercession de tous les deux, de dé-
« plorer nos péchés et de retrouver l'indulgence de votre grâce ;
« Deus, mœrentium consolator et in Te sperantium salus, gui
« beatx Monicœ pias lacrymas, in conversione filii sui Augustini,
« misericorditer suscepisti; da nobis, utriusque interventu, pec-
i cata nostra deplorare > et gratim tu& indutgentiam invenire.
292 HOMÉLIE Y. LA. VEUVE DE NAÏM,

le type et la récompense : Quœ sursum est Hierusalem,


libéra est, quœ est mater nostra.
Maintenant permettez-moi encore quelques mots sur
la conclusion de ce bel Évangile de la veuve de Naïm,
pour le profit et l'édification de tout le monde.
17. Explication des derniers mots de l'£vangile de la veuve de Naini.
Jésus-Christ proclamé par le peuple le docteur et le médecin de
Thomme. Comment daigne-t-il nous visiter toujours. Nécessité de
profiter au plus tôt de cette visite.

Vous avez entendu déjà que, d'après l'Évangéliste,


en voyant l'enfant mort de la veuve ressuscité en un
instant, le peuple fut d'abord saisi d'une religieuse
frayeur : Accepit autem omnes ti?nor(y. 16) ; mais que,
en se rassurant ensuite, et tressaillant de joie et de
bonheur, il se mit à glorifier le Seigneur, en disant :
« Vraiment, le grand Prophète a surgi parmi nous*, et
Dieu est venu personnellement visiter son peuple ; Et
glorificabant Deum dicentes : Quia Propheta magnus
surrexit in nobis et quia Deus visitavit plebem suam
1

(Ibid.). »
Or, ce cri, disent les Pères, est, lui aussi, mystérieux,
prophétique, et l'Esprit-Saint seul a pu l'inspirer. Car
le mot prophète, chez les Juifs, signifiait docteur.
Visiter, ajoute le vénérable Bède, se dit du médecin
allant retrouver le malade pour le soigner. En appe-
lant donc Jésus-Christ docteur et médecin, le peuple de
Naïm lui a reconnu, lui a attribué les deux plus grands
caractères propres au Messie-, a annoncé la double
mission du Fils de Dieu au milieu des hommes, de
dissiper, par sa doctrine, les ténèbres de leur esprit;
de guérir, par le médicament de sa grâce, la corrup-
ou LÉ
'GLISEM
- ÈRE ET LÀ MÈRE-ÉGLISE. 293
tion de leur cœur; de les éclairer de sa lumière et de
les laver dans son sang : Quia Propheta magnus sur-
rezit in nobis, et quia Deus visitavit plebem suam.
Oh! qu'il est beau, qu'il est délicieux, pour les âmes
aimant Jésus-Christ, de voir ce divin Sauveur vengé,
de temps en temps, par la voix libre et spontanée du
peuple, des injures, des calomnies par lesquelles les
princes du sacerdoce et de l'empire s'efforçaient d'en
flétrir la personne et le n o m ! Qu'il est beau, qu'il est
délicieux pour nous, que tant de blasphèmes contre
Jésus-Christ attristent tous les jours, d'apprendre que
le témoignage public, non altéré, non corrompu par
l'influence de lâches et sales passions, a proclamé, a
reconnu de son vivant cet aimable Jésus pour le divin
personnage que nous croyons et adorons comme le
Fils de Dieu, vrai Messie et Sauveur du monde!
Cette divine visite donc, à laquelle a fait allusion le
peuple de Naïm, n'est que la visite dont Zacharie, le
père du Précurseur, avait parlé quelques mois après
que le grand mystère de l'Incarnation du Verbe s'était
accompli dans le sein de Marie; ayant dit : « Le vrai
ORIENT, notre Dieu, est enfin venu, du haut du ciel,
nous visiter pour nous faire éprouver toute la tendresse
de sa miséricorde ; Per viscera misericordice Dei nostri
in quibus VISITAVIT nos Oriens ex alto (Luc., î).
En effet, dit encore Haymon, comme le médecin
compatissant va visiter le malade, lui indique les re-
mèdes qui peuvent lui rendre la santé du corps, de
même notre miséricordieux Dieu, par l'Incarnation de
son Verbe éternel, a daigné visiter le genre humain,
et lui a prescrit le grand remède de recouvrer la santé
294 HOME LIS V . — LA. VEUVE DE NAÏM,
de l'âme, ayant dit ; « Faites tous pénitence, autre-
ment vous périrez tous également. » Et quel remède
plus efficace que celui-là pour guérir des maladies de
l'âme (1)?
Mais cette miséricordieuse visite du médecin céleste
ne s'est pas terminée avec la vie mortelle du Fils de
Dieu sur cette terre; elle se continue toujours, avec
cette différence, dit le vénérable Bède, qu'alors il nous
visita en faisant prendre à son Verbe notre propre
chair, et qu'à présent il nous visite encore en envoyant
ce même Verbe dans nos cœurs (2). Touché donc par
les larmes et les prières de l'Église notre mère, à
chaque jour, ajoute Haymon, à chaque heure, à
chaque instant, notre bon Dieu daigne nous visiter.
Et ce ne sont que des visites affectueuses qu'il nous
fait faire par son Verbe, ces voix secrètes, ces inspira-
tions intérieures que nous sentons de temps en temps
en nous-mêmes, et qui nous poussent à nous corriger
de nos vices, à marcher dans les sentiers de la vertu,
à faire divorce avec le monde, à renoncer à la vanité,
aux délices menteuses et fugaces de la terre, pour
nous appliquer à nous procurer la paix de l'esprit et
les jouissances du ciel, les seules qui soient de vraies
jouissances et qui ne finissent jamais (3) !
(1) « Yisitat medlcua tnfirmum, adhibet potionem, ut pristinam
« restituât sanitatem. Sic Deus Pater, per Incarnationem Filii sui,
« visitavit humanm» genqs, mediçinam adhibuit, dicens : (Luc.) Pœ-
« uitentia,m agite; nisi poanitent^am egeritis, omnes similiter peri-
« bitis. QuJ4 bac medicina melius? »
(2) <t Visitavit Deus non solum Verbum suum incorporando, sed
« semper in corda mittendo. »
(3) « Non solum visitavit, sed etiam visitât, dum per eumdem
ou L'ÉGLJSE-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 295
En effet, n'est-il pas vrai, mes chers frères, que ce$
voix divines se font depuis longtemps entendre à yotre
cœur? N'est-il pas vrai que depuis de longues années
le Seigneur vous répète à l'oreille cette grande parole
de commandement et d'invitation, en même temps de
menace et de promesse, de justice et de miséricorde,
d'autorité et d'amour : « Pécheur, pécheresse, qui
prolongez dans l'âge mùr les folies de la jeunesse, je
vous dis qu'il faut une bonne fois en finir avec vos
péchés, et qu'il faut que vous sortiez de l'état de dés-
ordre où vous gisez; Adolescens, tibi dico : Stirge.
Étes-vous heureux, avez-vous été jamais heureux au
milieu des plaisirs du monde et des passions? Ne voye?-
vous pas à quelle triste et dégradante condition vous a
réduits l'ambition, l'avarice, la volupté? N'êtes-vous
pas le jouet de tous les caprices, la victime de toutes
les passions, le poids de Dieu et la risée du monde?
Que de vanité dans vos pensées, que de turpitudes dans
vos affections, que de légèreté dans Y O S désirs, que de
bassesse dans Y O S intrigues, que de malice dans vos
desseins, que de honte dans vos œuvres, que de scan-
dales dans votre conduite, que d'amertume, d'an-
goisses, de chagrins dans votre vie! Oh! que vous
seriez humiliés, confondus, si on levait un coin du
voile qui couvre le désordre de vos actes, la perversité
de votre cœur, en sorte que vous paraissiez aux yeux
des hommes ce que vous êtes aux yeux de Dieu!
Pourquoi donc vous obstinez-vous à rester toujours

« Filiam suum, nobis "inspirât ut relinquamus vitia, virtutes eequa-


« mur, et gaudia requiramus œterna. 1
296 HOMELIE V. — LA VEUVE DE NAÏM,

plongés dans cette fange? Pourquoi ne voulez-vous pas


en surgir? Ah ! levez-vous, je vous le dis, levez-vous au
plus tôt; Adolescens, tibi dico : Surge. Rappelez-vous
que Jérusalem a été abandonnée par le Seigneur, moins
à cause de ses péchés que pour n'avoir pas voulu re-
connaître le temps précieux de la visite de miséricorde
que lui fit le Seigneur et avoir refusé d'en profiter,
afin de guérir de ses péchés : Eo quod non cognoveris
tempus visitatzonis tuœ {Luc, xix). Hàtez-vous donc
de répondre à cette voix d'amour qui vous presse, pour
la dernière fois peut-être, de recourir au repentir, au
pardon et à la vie, afin que vous n'ayez pas le mal-
heur de l'entendre un jour, cette même voix, vous inti-
mant l'ordre de subir le châtiment et la mort. Et, pleins
de reconnaissance envers Dieu de vous avoir ménagé
dans l'Eglise et par l'Eglise tant de ressources, tant de
remèdes de guérison et de vie, faites-en votre profit
dans le temps; soyez fidèles, obéissants, dociles envers
l'Eglise-mère, envers vos mères chrétiennes qui sont
l'Église, et vous en serez récompensés, vous en serez
heureux dans l'éternité. Ainsi soit-il.

N O T E AU PREMIER PARAGRAPHE DE LA PRÉCÉDENTE HOMÉLIE.

On n'a pu, à cet endroit (p. 168), qu'indiquer à peine la doctrine


du DOCTEUR ANGÉLIQUE touchant la raison de l'existence des deux
sexes dans le règne animal. On sera donc bien aise de trouver ici
cette même doctrine un peu mieux développée, par une courte glose
du passage de saint Thomas qui la contient.
Tout être vivant a sa vie spécifique, ou la vie propre à lui, qui le
constitue en telle ou telle autre espèce; et la plus noble de ses
OU L'ÉGLISE-MÈRE ET LÀ MÈRE-ÉGLISE. 2 9 7

fonctions vitales consiste dans l'exercice de cette vie. Il est donc


nécessaire que tout être vivant a i t , en tout temps, inhérent à l u i ,
inséparable de l u i , la vertu d'accomplir cette fonction, qui est sa
propre vie.
Toute génération se fait par la vertu activé du mâle et la vertu
passive de la femelle.
Or, la vie propre à la plante n'étant que végétative, et par consé-
quent la plus noble de ses fonctions vitales étant celle d'engendrer
ou de se reproduire, il est nécessaire que chaque individu du règne
végétal ait complexivement, et toujours en lui-même, les deux vertus,
la vertu active et la vertu passive, nécessaires à la génération;
c'est-à-dire qu'il ait les deux sexes en lui-même : en sorte qu'il
puisse, par rapport à la génération qui est toute sa vie, se suffire à lui-
même.
Mais comme la vie spécifique de la brute est la vie sensitive, et sa
plus noble fonction n'est pas celle d'engendrer, mais celle de sentir,
de même la vie spécifique de l'homme est la vie intellective qu'il
partage avec Dieu même, et, à plus forte raison, sa plus noble fonc-
tion n'est pas celle tfengendrer ni celle de sentir, mais c'est la
fonction de comprendre.
Il est donc nécessaire que tout individu de l'humanité ait, en tout
temps, en lui la vertu intellective pour comprendre: aussi bien que
toute brute doit avoir, en tout temps, en elle, la vertu sensitive pour
sentir; mais il n'est pas nécessaire que tout individu de l'humanité
ni que tout individu des brutes aient complexivement, et toujours
en eux, la vertu active et la vertu passive pour engendrer, ou qu'ils
aient les deux sexes. Il suffit que ces deux vertus se trouvent ensemble
dans l'acte de la génération, par lequel les deux individus de la
même espèce, possédant ces deux vertus séparément l'une de l'autre,
selon l'expression profondément philosophique des Livres saints, ne
* font qu'UN, en une seule et même chair ; Erunt duo in carne una.
Mais, en dehors de cette fonction de la génération, qui est la plus
noble fonction, la fonction essentielle, spécifique de la plante, mais
qui n'est qu'une fonction secondaire et accidentelle pour la brute, et
à plus forte raison pour l'homme, les deux vertus nécessaires à la
génération peuvent et doivent même se trouver séparées dans deux
individus de la même espèce, afin qu'il soit manifeste que la vie
298 HOMÉLIE V. — LA VEUVE DE NAÏM, ETC.
propre, la vie spécifique de ces espèces, est ailleurs que dans la fonc-
tion d'engendrer; c'est-à-dire qu'elle est dans la fonction de sentir
pour la brute, et dans la fonction de comprendre pour l'homme.
De là l'existence des deux sexes dans le règne animal, servant, à
elle seule, à indiquer le but, la fin de l'homme et de la brute, et à
constater l'immense différence qu'il y a entre la plante et la brute,
et la différence encore plus grande qui existe entre la brute et
l'homme.
Or voici le beau passage de saint Thomas, dont ce qu'on vient de
Jire n'est que l'explication :
Quœdam viventia habent virtutem generationis activant et pas-
sivam conjunclam, sïcut accidit in plantis, quœ generantur ex
semine. Non enim est in plantis aliquod nobilius opus vitm quam
generatio. Unde, convenienter, omni tempore, in eis, virtuti passive
jungitur virtus activa generationis. Animalibus vero perfectis
competit virtus activa generationis secundum sexum masculinum,
virtus vero passiva secundum sexum femininum. Et quia est ali-
quod opus vitx nobilius in animalibus quam generatio, ad quod
eorum vita principaliter ordinahir; ideo, non omni tempore, sexus
masculinus feminino conjungitur, in animalibus perfectis, sed
solum tempore coïtus : ut imaginemur, per coïtum, sic fierï unum
ex mare etfemina, sicut in planta, omni tempore, conjungitur vis,
masculina et feminina : etsi in quibusdam plus abundat una
harum; in quibusdam plus altéra. Homo autem ad hue ordinatur
ad nobilius opus vitx quod est 1NTELLIGERE ; et ideo adhuc m
}

homine debuit esse majori ratione dislinctio utriusque virtutis,


ut seorsim produceretur fem}ina a mare, et tamen, carnaliter con-
jungerentur in unum, ad generationis opus. Ideo statim, post
fomalionem mulierti, dicitur in Genesi (Cap. n) : E R U N T DUO IN
CARNE UNA.
HOMÉLIE VI. — L 4 SAMARITAINE, OU LA 6RACE. 280

SIXIÈME HOMÉLIE
LA SAMARITAINE (*),
OU

LA GRACE

(Saint Jean, chapitre IV).

Atdngil a /înc usqur ad finem fortiter, et dtsponit omnia mavitrr ;


Il arrive à ses fins avec force; il arrange tout avec suavité (Sap VIII).
t

INTRODUCTION.
1. Magnifique idée que l'Écriture sainte donne, en deux mots, du
grand mystère de la Grâce. On propose de montrer ce mystère en
action dans la conversion de la Samaritaine.

C'EST quelque chose de vraiment admirable que le


style des Livres saints. Voilà, dans les deux mots que
je viens de citer, révélé au monde, avec la plus grande
simplicité, mais avec une élégance, un charme tout

O Après qu'Hérode eut emprisonné saint Jean-Baptiste, qui lui


reprochait sa vie incestueuse, le divin Sauveur quitta la Judée, pour
se rendre en Galilée. Ces deux provinces étaient entrecoupées par la
. province ou royaume de Samarie. Ce fut donc en traversant ce
royaume, et dans le mois de janvier de la première année de sa di-
vine prédication, que le Fils de Dieu opéra le grand et touchant pro-
dige de la conversion de la Samaritaine et d'un grand nombre de ses
concitoyens à la foi du Messie ; et ce n'est que saint Jean qui nous a
transmis cette admirable histoire, qu'on Ut à la messe du mercredi
après le troisième dimanche de carême.
300 HOMÉLIE VI. LA SAMARITAINE,
particulier, le prodige de l'action immédiate de Dieu
sur l'homme, le profond et incompréhensible mystère
de la grâce.
D'après ces naïves et, en même temps sublimes
paroles, Thomme, dans ses rapports avec l'homme, s'il
fait usage delà force, exclut, chasse l'amour - s'il s'ap-
puie sur l'amour, il n'obtient pas les conquêtes rapides
et éclatantes de la force -, il n'y a que Dieu qui, en agis-
sant sur Thomme, l'entraîne d'un bout à l'autre du
monde moral, de la chair à l'esprit, de la terre au ciel,
de Terreur à la vérité, du vice à la vertu, mais sans lui
faire la moindre violence. Il n'y a que Dieu qui sache
unir ensemble, concilier dans une harmonie parfaite
des choses aussi contradictoires qu'amour et force,
conquête et liberté : Atiingens a fine usque ad finem
fortiter, et disponens omnia suaviter.
La seule action divine promène donc Thomme comme
elle veut, où elle veut, sans porter atteinte à son libre
arbitre ; opère en lui, et lui laisse tout le mérite de ses
œuvres; obtient tout de lui, ne paraissant lui rien r e -
fuser; lui fait aimer le devoir, en semblant seconder
ses inclinations; l'attire, en lui cédant; le domine, en
paraissant condescendre à ses volontés; et s'en rend
maîtresse, tout en ayant l'air de lui obéir.
O domination précieuse! qui fait de Thomme le pri-
sonnier de Dieu! O esclavage inestimable! dont les
chaînes apportent la liberté, et dans lequel servir c'est
régner, la sujétion est gloire, Tobéissance est félicité !
Car amour et force s'y combinent si bien que ni l'a-
mour n'affaiblit le moins du monde l'efficacité de la
force, ni la force n'atténue en rien les charmes, les
OU LA. GRACK 301
douceurs de l'amour; mais un amour puissant et une
puissance amoureuse, une suavité forte et force suave,
attirent tout, dominent tout et triomphent de tout :
Aliingens a fine usque ad finem fortiter, et disponens
omnia suaviter.
C'est là, mes frères, le mystère de la grâce, que Vin-
crédulité nie, parce qu'elle ne le connaît pas; que l'hé-
résie blasphème, parce qu'elle le connaît mal ; et que
le catholicisme seul croit, aime et honore, parce que
l'Église, qui en a le dépôt et en entend le secret, le lui
présente dans tous les charmes de sa beauté, aussi bien
que dans toute la splendeur de sa vérité.
Ne me demandez pas : Qu'est-ce que la grâce? Je ne
saurais vous le dire. L'attrait triomphant, la délecta-
tion victorieuse, ce sont des mots qui en disent quelque
chose sans en expliquer rien. C'est un mystère, et un
grand mystère, autant insaisissable par la raison h u -
maine que le*Dieu qui en est l'auteur. Mais c'est un
mystère que ce même Dieu, nous l'ayant fait voir en
action dans la conversion de la Samaritaine, nous a
fait connaître : nous ayant appris comment il opère sur
le cœur de l'homme, comment il parvient aux con-
quêtes de la force, en ne faisant usage d'autres armes
que de celles de la douceur, de la suavité et de l'amour :
Attingens a fine usqve ad finem foriiter, et disponens
omnia suaviier.
r

Etudions-la donc cette belle et importante doctrine


de la foi catholique dans le délicat et magnifique ta-
bleau que nous en a tracé l'Évangéliste de l'amour.
Voyons-y comment Jésus a, par sa grâce, converti,
sanctifié, couronné cette femme perdue de Samarie;
308 HOMÉLIE VI. — LA SAMARITAINE,

et ftppreïiotis-y à correspondre à la même grâce, pour


en obtenir les mêmes effets et les mêmes récompenses.
Ave, Maria.
PREMIERE PARTIE.

ACTION DE LA GRACE DANS LA CONVERSION DE LA


FEMME DE SAMARIE.

2. Explication des circonstances dont saint. Jean a fait précéder le


récit de ce prodige. La fontaine de Jacob. La lassitude du Sei-
gneur. Les caractères généraux de la grâce.

E N abordant ce beau et magnifique prodige de la


bonté de notre divin Sauveur, on ne peut s'empêcher
de se demander pourquoi l'Évangéliste en a commencé
le récit par nous apprendre que ce fait est arrivé en
Samarie, aux environs de la ville nommée SICHAR, près
des champs que, dix-huit siècles avant, Jacob avait
donnés à son fils Joseph ; qu'il y avait là un puits appelé
le puits de Jacob; que Jésus, fatigué de la route, s'assit
sur les bords de ce puits, et que c'était la sixième heure
du jour, c'est-à-dire midi : Venit in civitatem Sama-
riœ quœ dicitur Sichar ,juxtaprcedium quod dédit Jacob
fiho suo. Erat autem ibi fons Jacob, Jésus ergo, fatiga-
ius ex iiinere, sedebat sic supra fontem. Horaerat quasi
sexta (Joan., v. 5 et 6). Quel besoin y avait-il d'indi-
quer toutes ces circonstances? Ah ! dit saint Augustin,
si ces circonstances ne sont pas d'un grand intérêt pour
l'intégrité de l'histoire, elles sont de la dernière impor-
tance pour l'intelligence et l'unité du mystère; et, en
voyant le soin que prend saint Jean de les enregistrer,
nous devons comprendre qu'il s'agit ifci d'un grand
OU iA GRACE. 303

événement', nous devons donc y faire line attention


sérieuse et chercher à les ëomjprendfré (1).
D'abord, tous les prophètes et Tarchatigè Gabriel
lui-même, en annonçant la naissance du Messie, avaient
dit qu'îL RÉGNERAIT A JAMAIS DANS LA MAISON DE JACÔB$
Et regnabit in domo Jacob in ceiernum (Luc, t); c'est-
à-dire, d'après les interprètes et les Pères, DANS L * É -
GLISE, qui, formée par Jésus et ses Apôtres, tous Juifs
d'origine et par cela même descendants de Jacob, est
la vraie maison de Jacob, que le vrai Jacob-Dieu père
a donnée au vrai Joseph, à Jésus-Christ; et où le Fils
de Dieu, en commençant à régner pendant qu'elle est
sur cette terre, régnera toujours après qu'elle se sera
réunie dans le ciel. En nous disant donc que la conver-
sion de la Samaritaine est arrivée dans la terre que Ja-
cob avait léguée à Joseph, et que dans cette terre il y
avait une fontaine près de laquelle s assit le Seigneur,
TEvangéliste a voulu nous avertir que les conversions
véritables ne s'opèrent que dans l'Eglise que le divin
Père a donnée en héritage à Jésus-Christ, son fils; que
la fontaine de toute grâce ne se retrouve que dans l'É-
glise, où s'est assis, s'est établi Jésus-Christ, ayant dit
lui-même : Voilà que je suis avec vous tous les jours
jusqu'à la consommation des siècles; Ecce ego vobis-
cum sum omnibus diebus usque ad consummalionem
smculi (Math., xxvui); et enfin, qu'il faut venir cher-
cher la grâce dans TÉglise, et que c'est par TÉglise
qu elle se répand par tout le monde.

( 1 ) « H sec omnia innuunt aliquid ; atlentos nos faciunt; et ut put


* semus hortantur (Tractât, xv in Joann.).»
304 HOMÉLIE VI. LA SAMARITAINE,

En second lieu, les Samaritains étaient, eux aussi,


Hébreux d'origine. C'étaient les peuples des dix tri-
bus qui, par la révolution que fit Jéroboam, au temps
de Roboam, fils de Salomon, s'étaient détachées du
peuple de Dieu -, mais qui, en se détachant de la syna-
gogue et de Jérusalem, avaient fini par altérer, par
perdre les vraies traditions juives, et par tomber dans
la superstition et l'idolâtrie, comme les protestants de
nos jours, en se détachant de TÉglise catholique et de
Rome, ont, peu à peu, altéré, perdu les vraies tradi-
tions chrétiennes et sont tombés en grande partie dans
le rationalisme et l'incrédulité.
Par cette particularité, que la fontaine de Jacob était
tout près de la ville de Sichar, capitale de la Samarie,
l'Évangéliste a donc voulu nous rappeler, dit Théophy-
lacte, que comme la fontaine et les champs de Jacob,
que les patriarches avaient achetés par leur foi, avaient
été enlevés aux Juifs et étaient restés au pouvoir des
Samaritains, de même le royaume de Dieu ou la vraie
Église, avec la fontaine de la grâce, qui ne se trouve
que chez elle, serait, un jour, passée des Juifs aux
Gentils (1).
Il est à remarquer aussi que les Samaritains, Hébreux
ou Israélites eux aussi par la race, mais idolâtres déjà
par la religion, représentaient à eux seuls les grandes

( î ) « Ex commemoratione fontïs et praedii edocemur quod ea, quas


« patriarchae propter fidem adepti sunt, Judaei propter impietatem per-
« diderunt; et eorum loco Gentibus tradila sunt. Quare nihil novi
a nunc accidit quod Gentiles pro Judseis regnum cœlorum conseculi
« sint (Expos.). »
OU LA GRACE 305
divisions d'Israélites et de Païens dans lesquelles était
partagé alors le genre humain. En nous apprenant
donc que le prodige s'est opéré à Samarie, saint Jean
a voulu nous avertir que la grâce, qui fortifie les vrais
croyants, sert à éclairer aussi les infidèles, qu'elle est
le remède pour les maladies de toute l'humanité, et qui
s'offre et se donne à tout le monde.
La Samaritaine pourtant, étrangère au peuple juif,
venant d'une ville schismatique (1) et idolâtre se con-
vertir à Jésus-Christ, a été, dit saint Augustin, le type,
la figure de la vraie Église, qui n'avait pas été justifiée
encore, mais qui n'allait pas tarder à l'être, venant des
Gentils étrangers aux Juifs (2).
On ne peut pas dire de Celui qui est partout qu'il
va en quelque lieu que ce soit. Or Jésus-Christ, en tant

( l J C'était l'ancienne ville de Sichem, dite encore Sichar. Au temps


d'Alexandre le Grand, elle fut nommée Neapolis; on l'appelle De-
lose ou Naplouse aujourd'hui. C'est une ville célèbre dans les Li-
vres saints. Saint Jérôme est d'avis que c'est la même ville que Sa-
lem, dont Melchisédech fut jadis roi et seigneur. C'est là qu'Abraham,
venant de la Mésopotamie, érigea un autel au vrai Dieu et reçut de
lui la promesse « Qu'un Jour cette terre lui appartiendrait. » Jacob y
acheta le fonds qu'il laissa ensuite en héritage à son fils Joseph.
C'est là qu'il demeura jusqu'à ce que le carnage que ses enfants firent
des Sichémites l'obligeât à déloger de ce pays. Les restes de Joseph y
furent déposés au temps de Josué, qui déclara SicAem une ville d'asile.
Jéroboam en fit la capitale de son royaume de Samarie. Mais cette
ville ne doit sa plus grande célébrité qu'au prodige qu'y opéra per-
sonnellement le Sauveur du monde, en convertissant la Samaritaine
et la plupart de ses compatriotes.
(2) « Haec mulier est forma Ecclesiœ, non justificata, sed justifi-
« cans. Quae ventura erat de gentibus, et alieno a génère Judaeorum
« (Loc. cit.). »
306 HOMÉLIE VI. — LA SAMARITAINE,

que Fils de Dieu et Dieu lui-même, était partout. Lors-


qu'on dit donc qu'il a voyagé, cela ne peut s'entendre,
dit saint Augustin, que par rapport à sa qualité d'homme
et à sa chair visible, par laquelle il est venu visiblement
jusqu'à nous. Le voyage de Jésus-Christ ne signifie donc
que sa vie mortelle dans l'humanité qu'il a prise de nous ;
et Jésus-Christ qui, fatigué de sa route, vers la sixième
heure, s'assied pour prendre du repos, n'indique que
Jésus-Christ devant, à la fin de sa carrière mortelle et
par la faiblesse de son humanité, se reposer àla sixième
heure, en mourant sur la croix (1).
Oh ! que ce mystère est beau et touchant! Si Jésus-
Christ ne se lasse pas, ne se fatigue pas, ne s'assied pas
près de la source de l'eau, vers la sixième heure, cette
eau n'a pas d'efficacité, et la Samaritaine ne se conver-
tit pas. Et qu'est-ce que cela signifie, si ce n'est que la
suavité et la force de la grâce du Sauveur, l'efficacité de
ses sacrements ne résultent que de sa lassitude, de sa
vie laborieuse, humble, pénitente, et de sa douloureuse
Passion, aussi bien que du repos de sa mort sur la croix,
qui a été la source intarissable de tout mérite, de toute
grâce, de toute conversion, de tout salut. C'est au pied
de cette croix, c'est des plaies cruelles de Jésus crucifié
que jaillirent ces pieuses fontaines du Sauveur aux-
quelles, selon la prédiction des prophètes, toutes les
nations, figurées par la Samaritaine, devaient venir,

( l ) « Qui enim ubique est, quo U? Nisi quia non veniret ad nos,
a nisi formam visibilis carnis assumeret. lier ipsiua nihil aliud est
R nisi caro pro nobis assumpta, et fatigatus ab illnere, nihil aliud
i est nisi fatigatus in carne. »
OU LA GRACE. 307

pleines de joie, puiser les eaux mystérieuses de leur


salut : Haurietis nouas in ffaiiêiù Ûê fb%tibu$ Sàlw-
toris (lsaï., ï n ) .
Jésus-Christ, dit encore saint Augustin, est fort et
faible en môme temps. Il est fort, parce qu'il est le
Verbe de Dieu ; il est faible, parce que ce Verbe de Dieu
s'est fait homme. La lassitude de Dieu nous a créés,
son infirmité nous a rachetés. C'est par la force de sa
parole qu'il a créé le monde et a fait que ce qui n'é-
tait pas fût; et c'est par les souffrances endurées dans
son humanité qu'il a restauré le monde et a fait que
ce qui était n'allât pas en perdition (1). O lassitude
précieuse! dit encore saint Augustin. Nous devons à
cette lassitude notre fermeté! Si elle nous abandonne,
nous devenons faibles; si elle est en nous et avec nous,
nous devenons forts (2). En Jésus-Christ, notre force
est sortie de sa faiblesse, aussi bien que notre repos de
son labeur, notre joie de ses pleurs, notre gloire de son
opprobre, notre guérison de ses plaies, notre vie de sa
mort !
Voyez donô, mes frères, combien est admirable l'é-
conomie de l'Écriture sainte! Puisqu'il s*agit, dans
cette histoire de la Samaritaine, de l'action de la grâce
sur les âmes, le Saint-Esprit a commencé par nous in-

(1) <c Inventes Jestihî fortem et inflfmum. Fortem, quia Verbum


« Dei ; inflrmum, quia Verbum caro factum est. Fortitudo Christi te
« creavit; infirmitas Christi te fecreavit. Fôrtis, fecit ut esset quod
« non erat; infifmus, fecit nt quod erat non periret (Loc. cit.). »
(2) « Non frustra fatigatur per quem fatigati recreantur. Quo dese-
« rente fatigamur; quo prajsente flrmamur. •
308 HOMÉLIE VI. LA SAMARITAINE ,

diquer : 1° la source de cette grâce, dans la lassitude


et la mort de notre divin Sauveur ; 2° le lieu où la grâce
se trouve, dans la vraie Église; 3° enfin, les personnes
auxquelles la grâce est gratuitement offerte : à tous les
peuples, mêmes gentils et étrangers au peuple de Dieu,
en un mot, à tout le monde. Ce sont les caractères
généraux, les qualités essentielles de la grâce. Hâtons-
nous de voir son action forte et suave en même temps
sur Tâme humaine.

3. Qui était la Samaritaine. Jésus-Christ lui demandant à boire.


Mystère de la soif du Seigneur. Gratuité et saints artifices de la
grâce.

A peine Jésus-Christ, comme un homme fatigué


d'une longue course, s'était assis près de la fontaine
de Jacob, que voilà une femme qui, sortant de la ville
voisine, delà schismatique Sichar, vient puiser de l'eau
à cette fontaine; Venit mulier de Samaria haurire
aquam (v. 7).
Voulez-vous savoir son nom? Elle s'appelle P H O -
T I N E (1). Voulez-vous savoir son état? Elle est veuve.

Voulez-vous savoir sa vie? Elle est une courtisane. Et


le moyen de s'y tromper, rien qu'en la voyant, au front
hautain, à l'œil invérécond, à la contenance dégagée,

e
( ï ) Dans l e Martyrologe romain, le 2 0 jour de mars, on lit ce
qui suit : « Le même jour est la fête des saints POTHINE LA SAMA-
« RITAÏNE, Joseph et Victor, ses enfants, Sébastien, officier del'ar-
« mée, Anatole, Photius, Photide, Parasceve et Cyriaque sœurs, qui
« tous ayant confessé Jésus-Christ, parvinrent au martyre. » On
trouve ces mêmes noms, au même jour, dans le Ménologe des Grecs,
aussi bien que dans le Martyrologe très-ancien du Mont-Cassin.
OU LA GRACE. 309
à la mise coquette ! Ames pures et honnêtes, n'ayez pas
répugnance de la regarder un instant, puisque le Dieu
de la pureté et de l'innocence ne dédaigne pas d'arrêter
sur elle le regard de sa miséricorde, et de converser
avec elle.
Il était là, seul, ce divin Sauveur, car ses disciples
étaient allés dans la ville acheter de quoi manger :
Discipuli enim ejus abierant in civitatem, ut cibum
emerent (v. 8 . ) 5 et la femme de Samarie, ayant puisé
son eau, s'en allait sans daigner le regarder, sans se
douter de la grâce qu'elle évite, ni du bonheur qui l'at-
tend. Mais Jésus l'arrête dans son chemin, en lui disant:
«c Femme, j'ai soif*, donne-moi à boire-, Dicii ei Jésus :
Da mihi bibere (Ibid.). »
A cette demande inattendue de Jésus-Christ, Pho-
tine répondit avec un ton d'impatience et de surprise,
en d i s a n t : «Comment, vous qui êtes Juif, me de-
mandez-vous à boire à moi qui suis une femme sama-
ritaine? YOUS devriez vous rappeler qu'il n'y a rien de
commun entre les Samaritains et les Juifs \Dicitergoei
mulier illa Samaritana : Quomodoiu^ Judceus cum sis,
bibere a me poscis, quœ sum mulier Samaritana (v'.9)? »
En effet, après le schisme dont je viens de parler, il
existait un divorce si complet, une haine si profonde
entre les Samaritains et les Juifs, que, comme le r e -
marque l'Évangéliste, il n'y avait entre eux aucune
espèce de commerce; Non enim coutuntur Judœi Sa-
maritanis (ibid.), et qu'ils auraient cru commettre un
sacrilège en se servant seulement les uns de la vaisselle
des autres. Mais le Fils de Dieu, en se montrant prêt
à boire à la cruche de la Samaritaine, nous a ap-
3I0 HOMÉLIE VI. — - L À . SAMARITAINE,

pris que, dès ce moment, il abolissait toutes les inimi-


tié*, tous les scrupules superstitieux qui divisaient les
peuples d'origine, de langage et de mœurs différents;
qu'il aurait établi entre eux une fraternité véritable,
qu'il les aurait tous réunis en un seul peuple, en une
seule famille, s'asseyant à la même table et buvant au
même calice de l'Eucharistie, auquel il aurait bu lui-
même le premier.
Mais est-ce que la fontaine pouvait jamais avoir
soif ? Jésus-Christ demandant à boire est d o n c , dit
saint Ambroise, Jésus-Christ demandant à boire non
pas de la boisson de l'homme, mais de son salut; est
Jésus^Christ désirant non pas Veau elle-même, mais la
rédemption du genre humain (i).
Saint Augustin a d i t aussi : Cette soif du Sauveur est
moins la soif de sa langue que la soif de son cœur. Il
ne cherche point l'eau de la Samaritaine, mais sa foi,
car cet aimable Sauveur a soif de la foi de tous les
hommes, pour qui il a répandu tout son sang (2). Cette
demande de Jésus - Christ : * Femme, donne-moi à
boire, « n'est donc, ajoute encore saint Augustin, que
la divine "Vérité s'offrant la première à l'homme qui ne
pense pas à elle, qui no la cherche pas (3). C'est la
grâce première» la grâc$ tout à fait gratuite, la grâce

( 1 ) « Non poterat Fons sitire, Sitiehat plane non potum bominum,


« sed salutem; non aquam. mundi, &ed redemptionem generis fru-
it mani {Serm* 3 3 ) . »
(2) « Slilebat Je»U9 NULTORIA fidem : eorum enim sitit idem pro
« quibus. M U e| ataguteem. (toc eW.). »
(3) » Est tonus Deus qui uilra le offert non quœrenti. »
OU LA. GRACE.

, de la vocation première, grâce produisant les pré-


mices de la foi, et ne dépendant pas, comme l'enseigne
la théologie catholique, du mérite de la prière. C'est la
grâce allant la première à la recherche de l'homme,
faisant les premiers pas, appelant l'homme, courant
après lui pour l'arrêter dans sa marche, sur la voie de
la perdition ; sans quoi, dit saint Bernard , l'homme
ne chercherait jamais Dieu, ne penserait jamais à
Dieu (1).
Mais cette grâce est tout à fait gratuite dans son prin-
cipe, et indépendante de tout mérite, de toute prière
de l'homme ; autrement, comme raisonne saint Paul, la
grâce ne serait pas la grâce : Si autem gratia Jam non ex
operibus; alioquin gratia jam non est gratia(Hom., xi);
mais cette grâce, dis-je, que Dieu ne refuse à per-
sonne, cette grâce, tout à fait gratuite dans son prin-
cipe, est aussi douce dans son action que puissante
dans ses résultats : Attingens a fine usque ad finem for-
titer, et disponens omnia suamter. Elle prend toutes
les formes, dit l'apôtre saint Pierre, parle tous les
langages, se plie à tous les goûts de l'homme pour
triompher de lui sans lui faire violence ; Multiformis
gratia Dei (l Pet., iv). Elle choisit, ajoute saint Au-
gustin, les voies les plus faciles, les côtés les plus
faibles du cœur pour y pénétrer ( 2 ) .
C'est pour cela, dit, lui aussi, saint Cyrille, que
comme, pour convertir les Mages, qui étaient des

(1) « Noverit anima se praeventamj nisi quaesita non quaerereti


« niai vocata non reverteretur. »
(2) « Vocat quomodo scit congruere. »
312 HOMÉLIE VI. LA SAMARITAINE,

astronomes, la grâce se choisit une étoile, comme pour


appeler Pierre et André, qui étaient des pécheurs,
la grâce se servit de la pèche miraculeuse; de même,
aujourd'hui, puisque la Samaritaine était venue cher-
cher de Veau, la grâce prend de Veau même l'occa-
sion d'entamer avec elle l'entretien qui doit la con-
vertir (1). Car, sachez-le b i e n , mes frères, que ce
n'est que l'homme qui exploite l'homme, qui asservit
l'homme, qui dégrade, qui méprise, qui tue l'homme,
qui veut se faire heureux par le malheur de l'homme;
mais le Dieu créateur de l'homme, le Dieu maître vé-
ritablede l'homme, respecte l'homme, honorerhomme,
aime l'homme, caresse l'homme, sa créature bien-
aimée et son image ; et, selon l'admirable expression
des Livres saints, il traite l'homme avec la plus grande
révérence ; Cum magna rcverentia disponis nos
(Sap. xn). Ce n'est donc pas par la violence que la
grâce nous attire, mais par la douceur; Disponens omnia
suamter \ tout comme le père, dit saint Augustin,
attire à lui son petit enfant en lui offrant des noix,
tout comme le berger se fait suivre par sa brebis en
lui montrant une poignée d'herbe (2).

(1) « Ab ipsa T e quam mulier faciebat, facto collocutionis initio


(Expos.). »
(2) « Puero ostendis nuces, et trahis. Ramum viridem ostendis
« ovi, et trahis. »
OU LA GRACE 313

4. Ineffable bonté avec laquelle le Seigneur répond au mot dur de


la Samaritaine. La grâce commençant à la gagner. Explication du
mystère de l'eau divine éteignant la soif à jamais. Huit traits de
ressemblance entre l'eau et la grâce. La fontaine dont le jet pousse
à la vie éternelle.

Mais la parole dure et presque insolente par laquelle


Photine répond à la première parole, si douce, que lui
adresse le Sauveur, que signifie-t-elle ? si ce n'est le
premier mouvement d'impatience avec lequel l'homme,
en l'entendant, cherche à étouffer la voix de la grâce
venant le troubler par le remords, dans le sommeil
funeste, dans la paix menteuse de son péché. Mais la
grâce, si mal accueillie par l'homme, repoussée par
l'homme, ne se tait pas, ne cesse pas de le supplier,
de l'appeler par de nouveaux cris, ne cesse pas de
frapper par de nouveaux coups à la porte de son cœur.
Et c'est pour nous apprendre d'une manière sensible
cette longanimité patiente de sa grâce, appelant tou-
jours l'âme infidèle et ingrate, que Jésus-Christ, loin
de montrer le moindre ressentiment du vilain trait de
Photine, refusant de le désaltérer et lui tournant le
dos : Femme, lui dit-il avec le même ton d'une inalté-
rable bonté, o h ! si tu connaissais le don que Dieu
t'offre dans ce moment; oh ! si tu savais qui est celui
qui te demande à boire, non-seulement tu ne lui refu-
serais pas quelques gouttes de ton eau, mais tu lui de-
manderais peut-être de la sienne; et il te donnerait
cette eau à lui, qui est toujours toute vive; Si scires
donum Dei, et quis est qui dicit tibi : Da mihi bibere !
tu forsitan petisses ab eo et dedisset tibi aquam vi-
9

varn (v. 10).


314 HOMÉLIE VI. LA SAMARITAINE,
Quelle douceur, quel charme, quelle amabilité, dit
saint Augustin, ne recèlent pas ces paroles ( 1 ) ! Mais
en disant : « Si tu connaissais le nom de Dieu, » Jésus-
Christ, ajoute saint Cyrille, se révèle Dieu lui-môme.
Car ce n'est que Dieu qui peut conférer l'eau de Dieu,
la grâce de Dieu, le don de Dieu par excellence (2) ;
mais un Dieu plein d'amour et de miséricorde, une
grâce pleine de suavité ; Disponens omnia suaviter;
ce qui ne l'empêche pas, cette grâce, de déployer une
force qui lui assure son triomphe; Attingens a fine us-
que ad finem fortiter.
Photine commence, en effet, à se sentir changée en
une nouvelle femme. Elle rabat de sa légèreté et de sa
hauteur, abaisse les yeux, prend la contenance de la
modestie et de la pudeur; et celle qui, il y a un ins-
tant, paraissait dédaigner le Sauveur comme un odieux
Juif, la voici le reconnaissant comme un maître misé-
ricordieux, comme un Seigneur à qui elle est prête à
obéir. Car, d'un ton d'humilité et de respect : « Sei-
gneur, lui dit-elle, expliquez-moi encore mieux votre
parole. Comment pourriez-vous me donner de votre
eau vive? où la tenez-vous cachée ! Le puits est trop
profond (3), et vous n'avez pas avec quoi puiser ; Do-

(1) « Quid ista hortatione suavius! Quid benignius! »


(2) « Deum se ostendit; nerao potest enim Dei donum largiri, nisi
« Deus. »
(3) Saint Augustin remarque, A cat endroit, que tout puits est
une fontaine, quoique toute fontaine ne soit pas un puits. Tout puits
est une fontaine, car tout puits est une source d'eau jaillissante des
entrailles delà terre, ce quiestle propre de toute fontaine. Mais toute
fontaine n'est pas un puits, car on ne donne ordinairement ce nom
OU LA. GRAGK. 315
mine, neque in quo haurias habes et puieus altu$ est,
unde ergo habes aguam vivam (v. 11)? Seriez-vous
par hasard un personnage plus grand et plus puissant
que notre père Jacob? Pourriez-vous improviser ici
une autre fontaine meilleure que celle-ci, qu'il nous a
laissée, et où il a bu lui-môme, et ses enfants et ses
troupeaux l JNumquid tu major es paire nostro Jacob,
qui dédit nobis puteum et ipse ex eo bibit, et fitii ejus,
y

' et pecora ejus (v. A 2)?


O Dieu grand et puissant autant que vous êtes misé-
ricordieux! Oh! que l'action de votre grâce est forte
et suave en même temps! Voici l'aurore du soleil de
la vérité commençant à poindre pour la Samaritaine!
Une idée confuse de la divinité de Jésus-Christ rayonne
déjà dang son esprit; une étincelle de l'amour divin
s'allume déjà dans cette àme glacée par le froid de la
volupté. Son cœur commence déjà à deviner le cœur
de Jésus; il entend ses voix secrètes, et il y répond.
Photine trouve de l'attrait dans la conversation du
Seigneur; elle cherche à la prolonger; elle lui propose
des doutes; elle veut être instruite. Eh bien, le Sei-
gneur l'instruit en effet, car il ne demande pas mieux
que de se faire connaître par les esprits qui le cherchent,
que de se donner aux cœurs qui le désirent. « Écoute
donc ceci, dit-il à la Samaritaine : Quiconque boit de
l'eau de ce puits-ci aura encore soif; Omnis qui bibit

qu'aux sources d'eau qui rejaillissent à la surface de la terre. C'est


pour cela que saint lean, appelle ici également * puits et fontaine »
le puits que Jacob avait fait creuser pour son propre usage et pour
l'image de toute w maison.
316 HOMÉLIE VI. — LA SAMARITAINE,

ex aqua hac, sitiet iterum (y. 13). » Ce qui est très-vrai,


dit saint Augustin, par rapport à l'eau naturelle et par
rapport à l'eau allégorique dont l'eau naturelle est la
figure (1).
L'eau dans le puits, ajoute ce grand docteur, signifie
la volupté charnelle cachée dans les profondeurs téné-
breuses du cœur, et qu'on puise au moyen de la con-
voitise; car c'est p a r l a convoitise qu'on est poussé à
la volupté. Mais, hélas! il n'est que trop vrai que,
comme en buvant, même en abondance, de l'eau ma-
térielle, on n'est satisfait que pendant quelques heures,
et la soif revient toujours; de même, après que l'homme
s'est désaltéré, jusqu'au dégoût, dans les jouissances
charnelles, il en éprouve une soif plus ardente qu'au-
paravant, la volupté ne disant jamais : C'est assez (2) !
Au sens figuratif donc, aussi bien qu'au sens littéral,
rien n'est plus vrai que cette parole du Seigneur :
« Quiconque boit de cette eau a encore soif; Omnis qui
bibit ex aqua hac, sitiet iterum.
Mais il n'en est pas de même, dit encore à la Sama-
ritaine le divin Sauveur, il n'en est pas de même de
l'eau que je t'offre, et que moi seul puis donner. Celui
qui boira de cette eau à moi, de cette eau d'une qualité
toute particulière, n'aura jamais soif; Qui autem biberit
ex aqua, quamego dabo ei, non sitiet in œternum (v. 13).

(1) « Quod verum est et de sensibili aqua, et de aqua quam illa


« significat. »
(2) « Aqua in puteo est sœcularis voluptas in tencbrosa profundi-
« tate. Hic eam hauriunt homines, hydria cupiditatum. Nam qui
« non prsemiserit cupiditatem, non pervenit ad voluptatem. Cum
« autem ad eam pervenerit, numquid non sitiet iterum ? »
OU LA. GRACE. 317
Cette eau mystérieuse que je donne forme, en celui qui
en boit, une fontaine dont le jet s'élève jusqu'à la vie
éternelle; Sed aqua, quam ego dabo ei, fiet in eo fons
aquce salientis in vitam œternam (v. 14).
Or, quelle est cette eau miraculeuse à laquelle le
Seigneur a fait allusion par ces paroles? 11 nous Ta dit
lui-même. Rappelons-nous qu'un jour ce divin Sau-
veur, s'étant placé debout au milieu du temple de Jéru-
salem, se mit à crier, en disant : «Quiconque a soif,
qu'il vienne à moi et qu'il boive. Qui croit en moi verra,
comme dit l'Écriture, des fleuves d'eau vive coulant de
son sein; Clamavit dicens : « Siqiiissitit,veniatadme,
et bibat.Qui crédit in me, sicut dicit Scriptura,jlumina
aquce vivœ fluent de ventre ejus (Joan., vu, 37, 38). »
Et saint Jean, l'interprète le plus éclairé et le plus fidèle
des mystères de l'amour de Dieu, en nous rapportant
cette exclamation amoureuse de Jésus-Christ, y a ajouté
ce commentaire : « Par ces paroles Jésus a voulu signi-
fier l'abondance du Saint-Esprit que devaient recevoir
ceux qui croiraient en lui; Hoc autem dixit de Spiriiu
quem accepturi erant credentes in eum {Ibid., v. 39). »
11 n'y a donc pas de doute, reprend saint Augustin,
que l'eau vive dont Jésus-Christ parle aujourd'hui à la
Samaritaine soit la grâce du Saint-Esprit, qu'il donne à
ceux qui croient en lui avec une foi amoureuse et un
amour fidèle; car c'est là le vrai don de Dieu (1).
Oh! qu'elle est expressive, gentille, charmante cette
idée que nous a donnée de la grâce Celui qui en est le

( 1 ) « Spiritum sanctumrecte inteliîgimusaquam vivam : quod est


c donum Dei. »
318 HOMÉLIE VI. — LA SAMARITAINE,

principe et l'auteur, et qui par conséquent en connaît


bien le secret, la nature, l'usage et la force l Oh 1 qu'elle
est expressive, gentille, charmante cette idée que Jésus-
Christ nous a donnée de la grâce en la comparant à
l'eau vive!
Car, 1° l'eau lave le corps et en fait disparaître toute
souillure; et la grâce aussi purifie les âmes de toutes
les taches et immondices du péché.
2° L'eau rafraîchit; et la grâce calme les ardeurs de
la concupiscence.
3° L'eau désaltère ; et la grâce éteint la soif des jouis-
sances.
4° L'eau fait grandir les plantes ; et la grâce aug-
mente nos vertus.
5° L'eau réjouit rien qu'en la voyant; et la grâce,
porte la joie de Dieu dans nos cœurs.
6° A. la différence de l'eau croupissante, Veau vive
est toujours en mouvement; et la grâce est en nous
toujours agissante et active.
7° L'eau est la boisson la plus nécessaire à la yie du
corps; et la grâce est le secours le plus indispensable
pour la vie de l'âme.
8° L'eau, enfin, jaillit en fontaines; et la grâce,
comme l'a dit le Sauveur lui-même, se transforme dans
le cœur de l'homme en source mystérieuse et jaillis-
sante de grâces nouvelles; Fiet in eo fons atjuœ sa*
lientis. Avec cette différence que l'eau matérielle coule
toujours de haut en bas, tandis que l'eau spirituelle, la
grâce, suit une direction toute contraire; elle coule de
bas en haut; et que, en emportant tout ce qu'elle ren-
contre, elle l'élève de bas en haut, de la terre au ciel;
0 0 LA GRACE.

elle élève sur la pointe de son jet et pousse vers le ciel


le cœur même d'où elle jaillit, et le met en possession
de la vie éternelle. Car la grâce est la condition néces-
saire, le titre indispensable pour obtenir la gloire de la
vision de Dieu; Fons saîientit in vitam eêternam.
0 précieux jet, s'écrie un interprète, jet énergique,
puissant de cette fontaine sacrée de la grâce, nous fai-
sant monter toujours jusqu'à la maison de Dieu (1)!
C'est par la grâce qu'en restant encore sur la terre
nous pouvons faire, comme Ta dit saint Paul, notre
conversation au ciel; Nosira conversatio in cœlis est
(Philip., m). C'est par la grâce que, après avoir fait
notre séjour au ciel par la pensée et le désir, nous nous
y logerons de nos personnes, et, comme le dit l'Ecri-
ture, nous y trouverons à volonté des torrents des dé-
lices divines, de l'abondance, des douceurs de la maison
de Dieu; Torrente voluptatis tuce potabis eos. Inebria-
buntur ab ubertate domus Dei (PsaL xxv). C'est ainsi
que, comme on nous l'a promis, nous n'aurons à jamais
ni faim ni soif; Neque esurient, neque siiient amplius
(Apoc, vu); et c'est ainsi que s'accomplira cette
grande et magnifique parole du Seigneur : « Celui qui
boit de l'eau de ma grâce n'aura plus soif pour toute
l'éternité; Qui biberit ex aquoT^ quam ego dabo ei non )

sitiet in ceternum. »

( 1 ) « Magnus hic saltus est. Sursum versus feruntur sactorum


« fluminum tontes {Cornélius a Lapide, in Joan.). »
320 HOMÉLIE VI. LA SAMARITAINE,

5. La volupté matérialisant l'esprit. La Samaritaine changée encore


davantage sous l'action de la grâce, et commençant à prier.

Mais, ainsi que nous Ta dit saint Paul, l'homme


charnel, les femmes voluptueuses ne peuvent pas com-
prendre, ne peuvent pas goûter les mystères sacrés
de l'Esprit de Dieu; Animalis homo non percipit ea
quœ sunt Spiritus Dei (Corint., n). Comme l'œil des
hystériques voit tout jaune, l'esprit maladif par le
désordre de la volupté voit tout chair, ne voit que
chair, même dans les choses les plus spirituelles
et divines. C'est pour cela que les Juifs, les hérétiques,
les incrédules ne comprennent pas ce que renferment
de grand, de sublime, de délicieux les saintes Écri-
tures. Enfoncés dans les délices des sens, ils ne sont
presque plus intelligents; ils sentent beaucoup les
choses de ce monde, mais ils ne conçoivent rien en
matière de religion ; Animalis homo non percipit.
La Samaritaine était entachée de cette poix du vice
de la chair. Du fond de son cœur corrompu par la dé-
bauche s'élevaient encore des vapeurs qui l'empê-
chaient de voir la sainte lumière de Dieu, et de recon-
naître le grand mystère qui venait de lui être révélé.
Photine prit donc au sens matériel les paroles toutes spi-
rituelles du Sauveur. Elle crut que Jésus-Christ avait le
secret d'une eau toute particulière, capable d'éteindre
la soif à jamais; et avec le sentiment d'humble con-
fiance que l'aimable Sauveur avait commencé à lui in-
spirer, « Seigneur, lui dit-elle, veuillez me donner, je
vous en prie, de cette eau si extraordinaire et si pro-
digieuse, afin que je n'aie plus soif et que je n'aie plus
OU LA GRACE. 321

besoin de venir ici puiser de l'eau pour boire; Domi-


ne, da mihi hanc aquam, ut non sitiam, neque veniam
hue haurire (v. 15). »
Saint Augustin remarque qu'étant Samaritaine Pho-
tine ne pouvait pas ignorer les prodiges que le pro-
phète Élie avait opérés dans le royaume de Samarie.
Sachant donc que Dieu avait accordé à ce prophète
de pouvoir, pendant quarante jours, se passer de toute
nourriture et de toute boisson, elle pensa que Jésus-
Christ aussi avait lepouvoir de composer pour lui-même,
et de dispenser aux autres, une espèce d'eau qui, une
fois bue, les aurait affranchis pour toujours du besoin
d é b o i r e ; et c'est dans cette persuasion qu'elle de-
mande au Fils de Dieu l'eau vive dont il venait de
lui parler (1).
Ainsi, reprend saint Chrysostôme, cette femme qui,
au commencement, n'avait vu en Jésus-Christ qu'un
mauvais Juif, à présent y voit un personnage divin
capable d'opérer des prodiges. Voyez donc comment
la sainte voix du Seigneur, résonnant à son oreille, et
bien plus, l'action secrète de la grâce opérant dans
son cœur, élèvent peu à peu l'esprit de la Samaritaine
à la haute connaissance de l'auguste personne de Jésus-
Christ et du mystère de sa divinité ( 2 ) .

(1) a Dederat Deus servo suo Eliae ut per quadraginta dies nec
• esuriret, nec sitiret. Tali delectato munere, rogat ut ei aquam
« vivam daret. »
(2) « Vide qualiter paulatim mulier ad dogmatum allitudinem
« ducitur, Primum imquum exi&timavit Judœum-, posteu credidit
« quoniam posset, sua aqua, sitis necessitatem tôlière (HonûL 32
« in Joan). »
î. 21
3i2 HOMÉLIE VI. LA SAMABITALNE,

En attendant, voilà, dit saint Augustin, celte F E M M E ,


qui avait refusé au Seigneur quelques gouttes d'eau
naturelle, réduite à lui demander son eau spirituelle.
Ah ! mes frères, c'est que le Seigneur ayant soif de la
foi de la Samaritaine, et ne voulant pas la lui imposer
violemment, cette foi divine, mais la lui accorder sur
sa prière, il excite dans le cceur de cette femme le
dcsir d'obtenir le Saint-Esprit, qui est la source de la
foi, et l'amène à lui demander, comme une grâce, cet
Esprit-Saint que Jésus-Christ lui-même est bien plus
empressé de lui communiquer qu'elle ne l'est de l'ob-
tenir (1).
Oh! que ce procédé de la grâce est plein de sagesse
et de miséricorde ! La grâce est plus impatiente de se
donner à nous que nous ne le sommes de la recevoir!
Cependant, à l'exception de la grâce première, de la
grkce^rèvenante de la prière, grâce tout à fait gra-
tuite, et qui n'est refusée à personne, toute grâce con-
comitante ne se donne qu'à qui la désire, la demande
et la cherche ; et c'est pour cela qu'elle commence
par exciter en nous le désir d'elle-même et l'esprit de
prière. Et si l'homme, en s'y rendant, prie, il obtient,
comme par qn effort délibéré de son cœur, ce qui, au
fond, n'est que l'effet de la grâce première, du don
tout à lait gratuit, descendant du cœur miséricordieux
de Dieu. C'est, mes frères, le mystère ineffable d e l à
grâce, dans lequel le mérite de l'homme se concilie
avec la gratuité du don de Dieu ; et ce qui, dans son

(j) « Quia ipse sitiebat fidem ejus, eidem sitienti Spiritum sanc-
« tuin dare cupiebat. »
OU LA CRACK 323

principe, n est qu'une largesse de la bonté de Dieu de-


vient une récompense de la prière de l'homme. Telle
est l'économie de la grâce, la suavité <}e ses attraits, la
douceur de son action-, Disponens omnia swviier.
6. Jésus reprochant, avec la plus grande douceur, à la Samaritaine
tous ses désordres. Le mystère des cinq hommes de l'Ame. L'in-
tellect, son vrai époux. Humilité avec laquelle la Samaritaine a c -
cepte ces reproches.

Mais, tout en croyant que le don dont lui parle le


Seigneur était une chose matérielle, Photine n'a pas
moins le désir sincère et ardent de le mériter, n'est
pas moins disposée à tout faire pour l'obtenir. Parve-
nue donc à cette disposition heureuse par l'opération
secrète de la grâce, voici Jésus-Christ lui imposant le
sacrifice qu'elle était déjà décidée d'accomplir. Car il
lui dit : « Femme, je ne tô donnerai pas ce que tu me
demandes tant que tu es seule ici \ va donc appeler
ton mari, et reviens vite ici 5 JPicit ei Jésus : Vade,
voca virum iuum, et veni hue (v. 16) ».
A cette repartie, à laquelle Photine était bien loin
de s'attendre, elle rougit d'elle-même ; et d'une voix
tremblante : « Seigneur, dit-elle, je n'ai pas de mari;
Respondit mulier et dixit : Non habeo virum (v. 17). »
Et Jésus, la prenant au mo\ : « Photine, lui dit-il, tu
as raison d'affirmer que tu n'as pas de mari, car tu as
eu, il est vr/ai, cinq hommes, wais ils n'ont pas plus
été tes maris que celui avec lequel tu vis à présent. Tu
as dit vrai en cela; Dicit ei Jésus ; René dixisti ; Quia
non habeo virum. Quinque enim viros habuisti ; et
nunc quem habes non est tuus vir. Hoc vere dixisti
(v. 18). »
324 , HOMÉLIE VI. — LA SAMARITAINE,

Cette réponse de Jésus-Christ eut deux sens elle


aussi : un sens est littéral, par lequel le Sauveur
voulut faire entrevoir à la Samaritaine que rien ne lui
était caché, et qu'il était Dieu; l'autre sens est
tropologique, et, d'après l'opinion des Pères, le Sei-
gneur l'eut aussi directement en vue en prononçant
ces dernières paroles. Voici la belle doctrine de saint
Augustin sur ce mystérieux et obscur passage de l'É-
vangile.
Les premiers cinq hommes dont a parlé Jésus-
Christ, dans ce passage, signifient les cinq sens du
corps, qui sont comme les aides de l'opération, les
époux, dans l'état actuel de l'âme (1). Mais tant que
l'âme ne vit que dans les sens et par les sens et n'obéit
qu'aux sens, les sens ne sont point des époux, mais
des hommes illégitimes, adultères, qui la dégradent
et la corrompent. Le sixième homme est l'intellect.
Celui-ci est le vrai époux de l'âme, son époux par ex-
cellence; car l'âme qui, voulant bien régler sa vie,
écouté l'intellect, et non pas les sens, est bien dirigée
dans ses opérations(2), Mais si l'intellect n'est pas
écouté, si on le fait servir aux sens ou aux intérêts de
l'erreur et des passions, ce noble pouvoir de l'âme
n'est pas plus son vrai époux que les sens ; et dans un
tel état l'âme, tout ayant les cinq sens et l'intellect,
qui pourrait l'aider dans la voie du bien, ne fait que du
mal, et n'est qu'une femme ayant six hommes, et point

(1} « Quinque priores viros animai possumus accipere quinquecor-


« poris sensus. »
(2) « ïntellectus est vir anima?. Cum enim ordinala fuerit viia,
« intelleetus animam régit. »
OU LA GRACE. 325

de mari ; Bene dixisti: Quia non habeo virum. Quinque


enim viroshabuisti;et nuncquem habes non est tuus vir.
Le Seigneur donc, en disant à la Samaritaine : « Al-
lez chercher votre mari, et revenez ici en sa compa-
gnie, » ce fut comme s'il lui eût dit : Photine, avant
que tu puisses entendre et goûter les révélations que
je vais te faire, afin que tu puisses recevoir les grâces
que je te prépare, il est de toute nécessité que tu
abjures toutes tes jouissances charnelles, que tu t'é-
lèves au-dessus de tes sens; que tu n'écoutes que l'in-
tellect; que tu te décides à ne dépendre que de lui;
et c'est seulement avec son aide et en sa compagnie
que, tu pourras tirer profit de mes doctrines, rétablir
l'ordre dans la maison de ton cœur et bien régler ta
vie(l).
O femmes chrétiennes, qui avez eu le malheur de
suivre la Samaritaine dans ses écarts, prenez cette
grande parole du Seigneur comme une leçon qu'il
adresse particulièrement à vous. Allez, allez vite cher-
cher votre intellect, ce flambeau que Dieu a allumé, a
établi en vous, époux auquel il a uni votre âme; et
pour le retrouver, cet époux véritable de l'âme, dont
vous vous êtes séparées, faites ce que faisait David,
recourez à la prière ; dites à Dieu ; « Rendez-moi, Sei-
gneur, l'intellect que j'ai perdu, afin que je puisse
connaître les obligations que votre loi m'impose, les
récompenses qu'elle me promet; Da mihi intellectum,

(l) « Voca virum t u u m ; id est : pr&senta intellectum t u u m ,


« adhibe intellectum tuum, virum qui me intelligat,; per quem do-
« cearis et regaris. »
326 HOMÉLIE VI. — LÀ. SAMARITAINE,

et scrutabor ïegem tuam (PsaL cxvin). » Sous le guide


de cet intellect q u e , par Vorgane du même prophète,
Dieu a promis à tous ceux qui le lui demandent, vous
pourrez reprendre la voie droite du salut, dont vous
vous êtes égarées, y marcher sans danger et sans crainte,
et attirer sur vous le regard et les complaisances de
Dieu ; Intellectum tibi dabo et instruam te in via hac qua
gradieris ; firmabo super te oculos meos (ibid., xxxi) ; et
gardez - vous bien, vous dit encore le Seigneur, de
vous ravaler jusqu'aux brutes, qui, n'ayant pas d'in-
tellect, se laissent entraîner par l'instinct aveugle qui
les domine; Nolite fieri sicut equus et mulus, quibus
non est intellecivs (ibid.). Oh! que vous serez malheu-
reuses si vous continuez à être du nombre de ceux qui
méprisent les lumières de l'intellect éclairé par la foi,
et qui ne veulent pas bien entendre, afin qu'ils ne
soient pas obligés de bien vivre; Noluit intelligere, ut
bene ageret (PsaL xxxv).
En attendant, que de miséricorde, que de bonté,
que de douceur ne respirent pas ces paroles du Sei-
gneur à la Samaritaine : « Vous avez bien dit que vous
n'avez point de mari; car vous avez eu cinq hommes,
et ils n'étaient pas plus vos maris que celui que vous
avez à présent? »
Il découvre par là à Photine toutes ses liaisons scan-
daleuses, toutes ses turpitudes; mais il ne la gronde
pas, il ne la méprise pas, il ne l'effraye pas, cette
ignoble courtisane ; mais il l'invite simplement à jeter
un regard de son intellect sur elle-même, à se recon-
naître elle-même, à rougir d'elle-même, à Se repentir,
à se corriger elle-même; Voca virum tuum, et veni
Ot? 1A GRACE. oZt

hue! Oh! qu'elle est suàVe cette action de LA grârie;


Disponens omnia suaviferf Mais qu'il est; beau le
triomphe que, par dès rhoyens Si doux, là gfâce ob-
tient de cette femfrne perdue! La vrjllà sautant d'un
bond dë la vole du désotdw âhr la voie de là vërtù.
La voilà changée tout d*tih Millp, de pécheresse dévef-
gondée qu'elle était, en pénitente sincère; Àtlingens
a fine usque ad finem fortîîer.
Considérez-la, en effet, nous dit saint Chrysostôme,
cette femme, il y a un instant, si impudente et si
fière ; elle erilend Jésus-Christ lui reprochant ses mau-
vaises habitudes et ses vices, et elle ne s'en offense
pas, ne s'en indigne pas, ne se met pas en colère; elle
ne tourne pas le dos au médecin charitable qui ne lui
découvre toutes ses plaies que pour les guérir. Elle
reconnaît la honte de sa vie; elle s'en afflige, ttiais
sans se courroucer; elle s'en humilie, mais sans s'irri-
ter; elle s'en confond, mais sans se laisser abattre ; et,
honteuse de ses fautes, elle demeure en présence du
Sauveur, toute ébahie, stupéfaite de tant de bonté de sa
part unie à tant de lumières (1). Et, poussant un sou-
pir du fond de son cœur, d'une voix humble, respec-
tueuse et dolente : « Ah ! Seigneur, » s'écrie-t-elle, « ce
« que vous dites n'est que trop vrai ! Je vois que vous
« lisez au fond des âmes, et que vous êtes un pro-
« phète à qui rien n'est caché : Domine* video quia
« propheta es tu (v. 19). » O Photine ! lui dit ici saint
Augustin, o h ! qu'elle est belle cette confession que

( l ) « A Christo repreïiensa, non eontristata est,-nec eum dimit-


'i Uns aufuyit. Adm<ratur et immoratur (Hom. 32). »
328 HOMÉLIE VI. — LA SAMARITAINE,

vous venez de faire tomber de vos lèvres ! Mais je n'en


suis pas surpris. Sur le commandement que vous en a
fait le Seigneur, et bien plus encore par l'impulsion
secrète de sa grâce, vous avez répudié déjà les cinq
hommes adultères qui vous tenaient en esclavage; vous
vous êtes élevée au-dessus de vos sens; vous venez
d'appeler le sixième homme, l'intellect, qui, n'étant
pas encore votre homme non plus, va le devenir par
la docilité avec laquelle vous êtes prête à écouter sa
voix, à suivre ses conseils. Avec ce secours, il n'est
pas étonnant que vous commenciez déjà à entrer dans
la foi des mystères de Dieu (1).
Et voyez, en effet, reprend saint Chrysostôme; Pho-
tine a déjà perdu tout à fait de vue les intérêts du
temps, pour ne s'occuper que des intérêts de l'éter-
nité. Elle ne parle plus de l'eau miraculeuse qu'elle
avait demandée au Seigneur, que le Seigneur avait
semblé lui promettre, et qui devait éteindre à jamais
la soif de son corps; elle ne s'en soucie plus de cette
eau, elle n'y pense plus; désormais elle ne cherche
qu'à connaître les doctrines célestes qui peuvent rafraî-
chir, désaltérer, laver et sauver son àme (2),

(1) « Jam cœpisti intellectu adesse; jam, prœsente viro, est qui
« in te credat. »
(2) « Non molestatur sitiendo; pro doctrinis sollicita, nihil mun-
it danumeuminterrogavit. a
OU LA GRACE. 329

6. La Samaritaine demandant à être instruite par le Seigneur sur la


vraie religion. Révélation sublime et prophétique du Seigneur
sur ce sujet. Les schismatiques et les protestants adorant Dieu
sans le connaître. La vraie adoration de Dieu, en esprit et en v é -
rité, ne se trouvant que dans l'Eglise catholique.

Car, en indiquant de sa main le mont Garizim, qui


était tout près de là, et sur lequel Melchisédech, Abra-
ham, Jacob, Josué, David avaient adoré le vrai Dieu :
Nos pères communs, dit-elle au Seigneur, les patriar-
ches, dont, nous autres Samaritains, descendons aussi
bien que vous autres Juifs, ont rendu à Dieu, sur cette
montagne, un culte véritable, et ont plu à Dieu. Pour-
quoi donc, vous autres Juifs, soutenez-vous toujours
que ce n'est qu'à Jérusalem q u ï l faut adorer Dieu, et
que toute adoration qu'on lui rend hors de cette ville ne
peut pas lui être agréable? Patres nostri in monte hoc
adoraverunt; et vos dicitis quia Hierosolymis est locus
in quo oportet adorare (v. 2 0 ) . C'était, comme on le
voit, entamer la grande question sur la vraie religion
qu'il faut suivre pour se sauver. C'était dire au Sei-
gneur : Vous autres Juifs, vous nous regardez comme
des schismatiques, comme des apostats de la vraie reli-
gion ; et cependant nous suivons encore les pratiques
religieuses que suivaient les patriarches, qui sont nos
pères aussi bien que les vôtres. Expliquez-moi, Sei-
gneur, cette énigme; éclairez-moi sur ce point impor-
tant, et le plus important de tout ce qui importe. Suis-
je dans la vraie religion ou dans la fausse?
Par cette question, Photine montra un sincère désir
de connaître la vraie religion et une confiance sans
bornes en Jésus-Christ; car elle crut que celui qu'elle
330 HOMÉLIE VI. LA SAMARITAINE,

venait d'appeler « Prophète, » tout Juif qu'il était,


l'aurait instruite sur la religion avec autant de vérité
que celle avec laquelle il lui avait découvert tous les
secrets de son cœur. Une pareille question donc, in-
spirée à la Samaritaine, moins par une vaine curiosité,
propre aux femmes, que par le désir sincère du salut
de son âme, ne pouvait rester sans réponse de la part
du Sauveur des âmes. Voici donc le Fils du Très-Haut,
le Fils de Dieu se mettant, avec une bonté infinie, à
instruire cette pauvre et simple créature, empressée
de connaître la vérité, et lui expliquant la nature et
l'esprit de la vraie religion. Écoutons, mes frères, cette
sublime leçon de notre divin Maître; car c'est aussi
pour nous et pour le monde entier qu'elle a été faite
et enregistrée dans l'Evangile.
Jésus-Christ dit donc à la Samaritaine : « Femme,
croyez-moi, l'heure est venue où vous n'adorerez le
Père ni sur cette montagne ni à Jérusalem. Vous ado-
rerez ce que vous ne connaissez point; mais nous,
nous adorons ce que nous connaissons, parce que
le salut vient des Juifs. Mais l'heure qui devait venir
est celle-ci, où les vrais adorateurs adoreront le Père
en esprit et en vérité. Car cë sont là les adorateurs que
cherche le Père. Dieu est esprit; et ceux qui l'adorent
doivent l'adorer en esprit et en vérité. » Dicit ei Jésus :
Mulier, creie mihi, quia venit hoïa, quando neque in
monte hoc, neque in Hiefosotymis adorabitis Patrem.
Vos adoraiis quod nesciiis ; nos adoramus quod sci~
mus : quia salus ex Judceis est. Sed venit hora, et nunc
est, quando vert adoratores adorabunt Patrem in spi-
rifu et verifafe. Nam et Pater (aies quœrii qui adorent
Otî tÂ. GRACE. 331

eum. Spiritus eét Deus; ei eos, qui adorant eum, ift


spiritu èt veritafo oportet adorare (v. 21-24).
0 leçon ! d parole î qu'elle est grande ! qu'elle est pro-
fonde, qu'elle est majestueuse, qu'elle est sublimé! Àh!
c'est vraiment Dieu et ce ne peut être que Dieu celui qtii
parle ainsi ! Tâchons de bien comprendre cette parole et
cette leçon. La plus importante question que l'horhme
puisse sé proposer, la question touchant la vraie reli-
gion, y est résolue datas les termes les plus clairs.
Jésus-Christ a donc voulu nous dire que Dieu, étant
un esprit, ne demande avant tout qu'un culte spirituel,
fondé non pas sur la matérialité des lieux, mais sur la
vérité des croyances et sur la sainteté des œuvres :
Spiritus est Deus ; et eos, qui adorant eum, in spiritu et
veritafe oportet adorare; que ni le montGarizim, dont
les Samaritains étaient si fiers, ni le temple de Jérusa-
lem, dont s'enorgueillissaient tant les Juifs, ne consti-
tuaient pas à eux seuls la vraie religion; en preuve de
quoi le Seigneur prédit, dès ce moment, qu'on verrait
des hommes qui, quoique étrangers à cette montagne
et à ce temple, n'en rendraient pas moins à Dieu, son
Père, le culte véritable qu'il demande; et que la vraie
religion, allant se répandre par tout le monde, par la
prédication évangélique, aurait changé le monde entier
en vrti temple de Dieu.
Le divin Sauveur a dit aussi que ce n'était pas parce
qu'ils ne fréquentaient pas le temple de Jérusalem que
les Samaritains étaient en dehors de la vraie religion ;
mais que c'était parce qu'ils avaient abandonné les tra-
ditions et les doctrines de vérité de Jérusalem; que
c'était parce qu'ils avaient corrompu les Livres saints,
332 HOMÉLIE VI. — LA SAMARITAINE,

altéré l'idée du vrai Dieu, en faisant de lui l'idole


d'une localité et en mêlant au culte de Dieu le culte
des idoles; en sorte que le vrai Dieu n'était plus connu
parmi eux, et que les Juifs seulement avaient conservé
l'idée de ce Dieu et le culte qui lui était dù dans toute
sa pureté. Enfin le divin Maître a dit que ce qui était
nécessaire pour la profession de la vraie religion, ce
n'était pas la visite au temple de Jérusalem; mais que
c'était la conservation de la foi de Jérusalem : car c'é-
tait en cette ville qu'existait le dépôt des traditions, du
sens des Écritures et des doctrines du salut, et qu'on
ne pouvait renoncer, en tout ou en partie, à ces doc-
trines sans se mettre en dehors des voies du salut ; Quia
salus ex Judœis est.
Voici donc d'abord, disent Origène et saint Chrysos-
tôme, dans cette magnifique leçon une éclatante pro-
phétie de ce qui est en effet arrivé après la mort du
Sauveur, c'est-à-dire que le lieu de l'adoration véritable
ne serait ni le mont des Samaritains ni le temple des
Juifs, mais le monde entier, l'Église, répandue par tout
le monde, dans laquelle des hommes de toutes les par-
ties du monde, en comprenant bien les doctrines et les
lois toutes spirituelles de l'Évangile, ont offert à Dieu
une oblation toute sainte, des victimes toutes spiri-
tuelles, et lui ont rendu un culte véritable et toufàfait
digne de lui (1). C'est dans cette Église, substituée à la
synagogue des Juifs, que se trouvent la vraie victime,

(i) « Dicit hoc de Ecclesia, in qua est vera adoratio Dei et Deo
« congrua; ubi vera oblatio et spirituales victimae offeruntur ab iis
« qui spiritualem legem intellcxerunt. »
OU LA GRACE. oôô

le vrai sacrifice, le vrai culte, parce que c'est chez elle


que se trouve la vraie foi; et ce n'est qu'en elle et par
elle qu'on peut espérer le salut.
Les hérétiques donc qui se sont séparés de Rome,
comme les Samaritains qui s'étaient séparés de Jérusa-
lem, ne sont pas hors de la vraie religion parce qu'ils
n'adorent pas Dieu dans les églises de Rome et ne sui-
vent pas tous les rites de Rome-, mais parce que, par
leur schisme d'avec Rome, ils ont nié ou corrompu les
doctrines et la foi de Rome. En effet, comme les Sama-
ritains encore, qui, tout en se vantant d'adorer Dieu
selon le rit des anciens patriarches, n'avaient pas moins
détruit chez eux le vrai culte de Dieu, de même les
hérétiques, selon la remarque de Théophylacte, tout
en se vantant d'avoir réformé le christianisme et de
l'avoir rappelé à la simplicité du culte spirituel du temps
des Apôtres, n'ont pas moins altéré, chez eux, la vraie
doctrine de Jésus-Christ (1). Car les anciens mani-
chéens et les luthériens modernes ont nié la prescience
de Dieu, comme les anciens nestoriens et les modernes
calvinistes ont nié sa honte, et ont fait de Dieu, ceux-là
.un être stupide, ceux-ci un être cruel. Ajoutez encore
qu'il n'y a pas une seule des lois de l'Évangile que ces
schismatiques de Rome n'aient foulée aux pieds; pas
un des conseils évàngéliques qu'ils n'aient rejeté;
pas un des sacrements qu'ils n'aient détruit; pas une
des doctrines sur la justification, sur la grâce, sur l'ac-
tion de Dieu sur l'homme, qu'ils n'aient corrompue.

( 1 ) a Dixit hoc quia muUi putant secundum spiritum Deum ado-


« rare, non rectam de Deo opinionem habentes, sicut hacretici. »
334 HOMÉLIE VI. — LA. SAMARITAINE,

En sorte qu'il est vrai de dire que toute hérésie est une
altération plus ou moins protonde de la vraie idée des
communications de Dieu à l'homme, de l'action de Dieu
sur l'homme, des rapports entre Dieu et Vhomme-, et
par conséquent de la nature de Dieu et de la vraie reli-
gion. On peut donc dire à ces faux adorateurs de Dieu
et de Jésus-Christ : « Vous adorez un Dieu que vous ne
connaissez pas, ne le connaissant plus comme vous
devriez le connaître, et comme vos pères dans la foi
l'avaient connu. C'est nous catholiques, seuls, qui con-
naissons le Dieu que nous adorons, le connaissant et
l'adorant comme il veut être connu et adoré, et en
conservant pur et intact dans notre Église le dépôt des
vraies idées de Dieu, de sa nature, de ses attributs, de
son médiateur, de ses lois, de son culte, de sa religion,
et par conséquent c'est nous seuls qui sommes dans la
vraie voie du salut. Car la vérité ne peut se trouver
que dans Tune des deux doctrines opposées; le salut
ne peut rejaillir que d'un côté : il ne peut venir que de
Rome, comme jadis il ne venait que des Juifs; Vos,
adoratis quod nescitis ; nos, quod sçimus adoramus :
quia salus ex Judceis est.

8 . La Samaritaine désirant de connaître le Messie, et Jésus-Christ


lui révélant que le Messie c'était lui. La Samaritaine le croyant et
l'adorant.

Surprise, étonnée, ravie en une espèce d'extase,


d'enchantement et de bonheur en entendant le divin
Sauveur lui parlant de si importantes et sublimes choses
avec taut de bonté, dans la confusion de son esprit,
dans le bouleversement de son cœur, la Samaritaine
0]J LA GBAÇS. 33b

no sait dire que ces mois ; « Soigiicur, je sais que le


Messie, qu'on appelle le Christ, va venir, s'il n'est pas
venu déjà. C'est lui qui, lorsqu'il viendra, nous révé-
lera toutes choses; Scio quia Messias venit (quidicitur
Chrisius); cum ergo venerit ille, nobis annuntiabit
omnia (v. 25). »
Par ces belles paroles la Samaritaine, dit saint Au-
gustin, a donné à voir qu'elle savait déjà que c'était au
Messie à l'instruire sur la vraie religion, quoiqu'elle
ne se doutât pas encore que le Messie était précisément
celui-là même qui dans ce moment l'instruisait déjà
sur ce grave sujet (1). La Samaritaine avait donc déjà
une foi solide en la venue du Messie et des idées les
plus pures, plus exactes sur le but tout spirituel de sa
mission que la plupart des Juifs. Ceux-ci l'attendaient
et l'attendent encore comme un prince temporel de-
vant rétablir le trône de Juda, et affranchir les corps,
(andis que Photine l'attend comme le précepteur, le
maître et le sauveur des âmes : Ille annuntiabit nobis
omnia ! Connue parmi nos frères que l'hérésie a séparés
de nous se trouvent dans la classe du peuple bien des
chrétiens qtii, ayant conservé intactes les traditions
catholiques, malgré le protestantisme et en plein pro-
testantisme, put des idées plus justes, des sentiments
plus tendres touchant Jésus-Christ que bien de ces soi-
disant catholiques eux-mêmes qui du catholicisme n'ont
conservé que le nom.
Par ces mêmes paroles la Samaritaine a donné à voir

( l ) * Prit bat quis eam posai.t tloccve ; seu jam docentem non
« aunoscebat. »
336 HOMELIE VI. LA SAMARITAINE ,

encore qu'elle attendait déjà impatiemment la venue


du Messie; qu'elle sentait déjà sa présence; que, ne le
connaissant pas encore, elle ne brûlait pas moins de
l'envie de le connaître, et qu'elle n'était pas moins prête
déjà à croire à lui et à tout ce qu'il aurait voulu lui
apprendre : Annuntiabit nobizomnia! Ces paroles fu-
rent donc en même temps un acte de foi vive dans le
Messie et une humble prière au Messie. Il n'était pour-
tant pas possible que Jésus, le bon, le miséricordieux
Jésus, refusât de se révéler à une âme si bien disposée,
si humble, si sincère et si impatiente de le connaître.
Voilà donc ce qui arrive. Les Juifs, insistant un jour
auprès de Jésus-Christ, lui disaient : « Jusqu'à quand
nous tiendrez-vous en suspens? Si vous êtes le Messie,
vous n'avez qu'à nous le dire franchement; Usquequo
animam nostram tollis? si tu es Clirisius, die nobispa-
îam(Joann^x). » Mais les Juifs, remarque saint Chry-
sostôme, ne faisaient pas au Seigneur cette sommation
insolente pour croire en lui, mais pour le calomnier.
Le Seigneur ne leur répondit donc que d'une manière
mystérieuse et obscure (1). Mais Photine ne demandait
à connaître le Messie que dans toute la simplicité du
cœur (2), pour lui obéir et l'adorer. Voilà donc ce même
Sauveur qui s'était rendu impénétrable à la haine or-
gueilleuse des Juifs se révélant sans ambiguïté et sans
énigme à l'humble docilité, au désir affectueux de cette
pauvre petite femme. Car il lui dit : Femme, le Messie
que vous avez tant d'envie de connaître, je le suis, moi

(1) o Judœis quaerentibus non manifeste revelavit seipsum. »


(2) « Haec vero ex simpliei corde loquebatnr. »
OU LA. GRACE 337
qui Y O U S parle; Dicit ei Jésus : Ego sum qui loquor
tecum (v. 26).
Mais en prononçant cette grande parole : JE SUIS,
Ego sum, que Dieu seul peut prononcer de lui-même,
car c'est par rapport à Dieu seul qu'elle est une vérité ; en
prononçant, dis-je, de sa douce voix cette grande parole
à l'oreille de la Samaritaine, le Seigneur la lui répéta,
par sa grâce, d'une manière ineffable dans l'intérieur
de l'âme, en éclairant son esprit, en excitant dans son
cœur les sentiments de respect, de confiance et d'a-
mour vers le Messie. Photine crut donc à l'instant
même au Messie, et elle l'aima; et quoique l'Évangé-
liste ne le dise pas, il est clair, par tout le contexte,
que, comme le fit plus tard l'aveugle-né, Photine fit
une confession explicite de sa foi, et que, se proster-
nant aux pieds de Jésus-Christ, elle l'adora profondé-
ment, à la manière dont, ainsi que le Seigneur venait
de le lui apprendre, Dieu doit être adoré, c'est-à-dire
en esprit et en vérité! La voilà donc cette femme si
fière, qui avait commencé par regarder Jésus-Christ
comme un Juif digne de mépris, prosternée mainte-
nant à ses pieds, le reconnaissant pour le vrai Messie,
l'adorant comme son Dieu ! Oh ! le grand chemin qu'elle
a parcouru en peu d'instants ! Ah ! que l'on marche bien,
que l'on arrive vite lorsqu'on ne s'oppose pas à la grâce,
et que c'est elle qui nous conduit par la main : Attin-
get a fine usque ad finem jortiter !

22
338 HOMÉLIE VI. — LÀ SAMARITAINE ,

SECONDE PARTIE.

L'ACTION DE LA GRACE DANS LA CONVERSION DES


CONCITOYENS DE LÀ SAMARITAINE.

*J. Ëtonnement des Apôtres de voir leur divin Mattre parlant avec la
Samaritaine ; combien il est instructif. L'école du Seigneur. Aver-
tissement aux femmes. La Samaritaine convertie à la chasteté, et
changée en apotre de Jésus-Christ.

E N se relevant changée en une toute autre femme


qu'elle avait été jusque-là, la Samaritaine laissa aux
pieds du Seigneur la cruche qu'elle venait de remplir
d'eau, courut vers la ville et disparut; Reliquit ergo
hydriam suam mulier, et abiit in civitatem (v. 27).
En même temps, les disciples vinrent, et ils s'éton-
naient de ce que leur maître parlait avec une femme.
Néanmoins, tel était le respect qu'ils avaient pour leur
divin Maître et l'opinion qu'ils avaient de sa sainteté
qu'aucun d'eux n'osa lui dire : « Que voulez-vous de
cette femme? » ou : « De quoi parlez-vous avec elle?»
Et continua venerunt discipuli ejus, et mirabantur
quia cum muliere loquebafur. Nemo tamen dixit :
Quid quceris? aut, Quid loqueris cum ea (v, 28)?
Oh! que cette circonstance, remarquée avec tant
de précision et d'à-propos par l'Évangéliste, est ins-
tructive pour les ministres de l'Évangile, et même
pour les femmes! Cet étonnement des disciples en
voyant leur Maître parlant avec la Samaritaine nous
indique assez, dit saint Cyprien, que notre divin Sau-
veur n'avait pas l'usage de parler avec des femmes en
OU LA GRACE. 339
particulier, et cela afin de donner l'exemple de la cir-
conspection , d e la réserve que tous les fidèles, mais par-
ticulièrement les clercs, les prêtres, les prédicateurs,les
missionnaires,les religieux, doivent mettre dans leurs
relations spirituelles avec les femmes. On ne doit ins-
truire les femmes qu'à l'église, en public, ainsi que
Jésus-Christ l'a fait aujourd'hui. Quanta les visiter en
particulier, les Saints des deux Testaments, dit encore
saint Cyprien, ont évité la familiarité des femmes, ont
tous été d'avis que par ces visites on s'expose à un
grand danger, et qu'on n'obtient que fort peu de pro-
fit, même touchant le salut. La pudicitédes uns et des
autres y perd souvent; la réputation toujours (1).
Mais ce n'est pas sans mystère, dit saint Augustin,
que l'Évangéliste a encore enregistré la circonstance
que la Samaritaine convertie abandonna à l'instant la
cruche et l'eau. La cruche, remplie de l'eau du puits,
ainsi que le même grand docteur vient de nous l'ap-
prendre, signifie la convoitise par laquelle l'homme
puise, du fond du puits obscur des passions charnelles,
les eaux bourbeuses de la volupté (2). Photine donc,

(1) « Insoîitum fuit Christo seorsim loqui cum muliere, idque hoc
« fine ut castitatis et honestatis omnibus fidelibus, sed maxime cle-
« ricis, sacerdotibus, prsedicatoribus, religiosis daret exemplum.
o Hinc Elisftîus et omnes Saneti tantopere fugerant colloquia m u -
« lierum, ideoque communis fuit il lia omnium sensus : feminas parvo
« fructu, sed magno periculo adirij periculo, inquam, pudicitiœ,
« propris vel illarum, quœ s a p e vultus virorum tacite delibant et
« depascuntur; vel certe periculo famae. Mulieris in publica con-
« cione doccantur, uti Christus hic fecit (Apud Cornclium a Lapid.
o in îv Joan.). »
(2) « Hydria amorem hnjus saecuïi signifleat, id est cupiditalem
340 HOMÉLIE VI. LA SAMARITAINE,

abandonnant extérieurement sa cruche, c'est Photine,


dit encore saint Augustin, qui vient d'abandonner
intérieurement, et pour toujours, les plaisirs sensuels
du monde. Car on ne peut pas croire vraiment en
Jésus-Christ sans renoncer à la chair, aussi bien qu'au
monde (1). EtOrigène a dit aussi que, par cet acte
d'avoir laissé extérieurement aux pieds du Seigneur sa
cruche, la Samaritaine donna à voir qu'intérieurement
elle venait de laisser aussi aux pieds du Seigneur ses
anciennes mœurs, ses habitudes impudiques, pour de-
venir un vaisseau d'honnêteté et de pudeur (2).
O changement étonnant ! ô conversion merveil-
leuse ! s'écrie donc saint Ambroise. Oh! qu'il est beau
de voir l'eau vive de la grâce purifiant en un instant
une femme impudique et en faisant une sainte! Oh!
qu'il est beau de voir cette femme, courtisane ignoble
lorsqu'elle est arrivée à la fontaine oh était assis Jésus-
Christ, devenue chaste lorsqu'elle en est partie! Oh!
qu'il est beau de voir cette femme, qui n'était venue
chercher que de l'eau matérielle, ne remporter que le
trésor tout spirituel de la sainte pudicité (3) ! Ah !
suivez-la du regard, nous dit encore saint Ambroise :

« qua hommes e tenebrosa profunditate, cujus imaginera puteus


« gerit, hauriunt aquam. *
( 1 ) f Oportebat autem ut, Christo credens, sœcuîo renuntiaret;
* et, relicta hydria, cupîditatem sœcularem se reliquisse mons-
c traret. »
(2) « Facta est mulier receptaculum honestae disciplina?, quod
« prins sapiebat deponens. »
(3) « Mulierem fornicantem vivi meatus unda purifuîat ! Mulier
« quœ ad puteum meretrix advenerat, a Chriati fonte casta regredi-
« tur ; et qua? aquam petere venerat pudicitiam reportavit (Ser. 30). «
OD LA GRACE. 341

la voilà, — ô femme heureuse ! — ne portant plus sa


cruche dans ses mains, mais portant la grâce dans son
cœur ; délivrée de tout poids extérieur, la voilà en-
richie dans l'intérieur de Tâme du précieux trésor de
la sainteté (1).
Apprenez par là, femmes chrétiennes, que ce n'est
pas à la lecture des romans, mais à la lecture de l'É-
vangile ; que ce n'est pas aux spectacles, mais aux
églises; que ce n'est pas aux maximes des hommes,
mais à la doctrine de Jésus-Christ, à votre conversa-
tion avec lui, à sa grâce, à ses sacrements que vous
devez aller demander l'esprit de pudeur et de chasteté,
qui est votre plus bel ornement et (passez-moi ce mot)
votre plus charmante toilette, votre grandeur, votre
puissance et votre dignité.
Mais ce n'est pas tout, poursuit toujours saint Am-
broise ; il y a encore quelque chose de plus admirable
dans cette conversion. Photine n'était qu'une pauvre
pécheresse lorsqu'elle est venue où était le Seigneur,
et la voilà convertie en une prédicatrice généreuse ; et
même elle ne s'est hâtée de se dépouiller de ses con-
voitises que pour être plus apte à annoncer, à prêcher
la vérité (2).
Oh ! qu'il est donc grand, éclatant, magnifique ce
triomphe que la grâce du Sauveur vient de remporter
par les armes de la douceur ! Attingens fortiier et dis-
ponens suaviter. Le Seigneur, dit Origène, n'a pas

(1) « Ad civitatem non fert hydriam, sed refert gratiam. Vacua


« videtur recenti onere, sed plena revertitur sanctitate (Ibid.). »
(2) « Quae venerat peccatrix revertitur prœdicatrix. Projecit cupi-
« ditatem et properavit annuntiare veritatemi »
342 HOMÉLIE VI. LA SAMARITAINE,

effrayé Photine par des menaces, ne l'a pas alléchée


par des promesses; mais rien qu'avec le charme de sa
parole, rien qu'avec une étincelle de son divin amour
qu'il lui jeta dans le cœur, il l'a tout enflammée du
feu sacré du zèle, et a converti une femme de scan-
dale en un apôtre de vertu et de vérité (1). Mais non,
dit saint Chrysostôme, Photine n'est pas seulement un
apôtre, elle est aussi un véritable évangéliste de Jésus-
Christ; car voilà q u e , l'ayant connu à peine elle-
même, ce divin Jésus, elle est impatiente de le faire
connaître aussi aux autres, d'en révéler la divinité
non-seulement à un homme, mais à une ville tout en-
tière (2).

10. Confession publique que la Samaritaine fait de sa vie passée,


pour glorifier le Seigneur. Humilité et sagesse avec lesquelles elle
prêche le Messie à ses concitoyens. Charmes du zèle et de la p é -
nitence de la femme sincèrement convertie. Succès de la prédica-
tion de la Samaritaine.

Et voyez comment elle remplit la sainte et noble


mission dont la grâce l'a chargée ! Elle entre dans la
ville ; et, hors d'elle-même à cause du bonheur qu'elle
éprouve d'avoir rencontré le Messie, le cœur inondé*
de la paix du repentir, de la confiance du pardon ; les
yeux étincelants de la plus grande joie ; la langue en-
flammée du zèle le plus ardent, elle parcourt toutes les
rues de la métropole en criant : « Citoyens, mes amis,
venez, venez avec moi voir un personnage qui vient

(t) « Quasi quodam apostolo hac muliere utitur; adeo verbis eam
« inflammaveratl »
(2) « Evangeîistarum opus fecit; et s o n unum U n t u m vocat, 6ed
« integram civitatem. »
OU LA. GRACE. 343

de lire dans mon cœur toute l'histoire honteuse de


mes désordres, toutes les turpitudes et les scandales de
ma vie. Ne serait-il point, celui-là, le Messie? Venue et
videte hominem qui dixit mihi omnia quœcumque feci.
Numquid ipse est Christus (v< 29) ?
0 parole 1 ô le bel exemple que celui d'une péni-
tence humble et sincère! Avant de confesser Jésus-
Christ, Photine se confesse et s'accuse en public elle-
même. Elle avoue, en présence de tout le monde,
qu'elle a été la plus mauvaise femme du monde ; elle
ne cache plus, n'excuse plus les égarements de son
cœur, les scandales de sa conduite ; elle les publie,
les raconte elle-même -, elle les déteste et en demande
pardon à ses concitoyens. Videte... omnia quœcumque
feci !
Mais quel besoin avait-elle de faire cette confession
publique de sa mauvaise vie? C'était le besoin qu'elle
éprouvait de faire avant tout connaître et glorifier J é -
sus-Christ. C'est du zèle aussi sage et éclairé qu'il est
pur, ardent et empressé. Si elle avait dit tout simple-
ment : « Je viens de rencontrer le Messie, » personne
n'aurait ajouté foi à sa parole ; personne, sur le témoi-
gnage d'une femme d'une réputation aussi mauvaise,
n'aurait cru à la venue du Messie, à ce grand événe-
ment qui intéressait à un si haut degré la politique, et
bien plus encore la religion. « Allons donc ! aurait-on
dit; si le Messie était vraiment venu, il n'aurait pas
commencé par se révéler à une courtisane. » Mais
en disant qu'elle a rencontré un personnage qui lui a
dévoilé tous ses péchés et l'a rappelée à la pénitence ;
en commençant par la publication du grand prodige
344 HOMÉLIE VI. LA SAMARITAINE,

de sa conversion, qui, par cela même qu'il l'humiliait,


ne pouvait pas être attribué à un rêve de son esprit, à
un calcul de ses passions, elle prépara habilement, dit
saint Cyrille, les esprits de ses concitoyens à croire, à
reconnaître Jésus-Christ pour Messie ( 1 ) ; et aussi gé-
néreuse qu'elle est sincère, ajoute Théophylacte, dans
l'intérêt de la vérité de Dieu, elle commence par fou-
ler aux pieds sa propre réputation (2).
Et remarquez encore la délicatesse, la discrétion
avec lesquelles elle annonce cette grande vérité. Elle
ne dit pas d'un ton affirmatif : a Ce personnage prodi-
gieux n'est et ne peut être que le Messie. » Elle dit
simplement d'un ton dubitatif : « Un pareil person-
nage ne serait-il pas, ne pourrait-il pas être le Mes-
sie ? » Numquid ipse est Christus? Par cette manière de
s'exprimer elle réveille l'attention, excite la curiosité
de ses auditeurs. Glorieuse conquête de la grâce, elle
s'en fait à son tour l'organe et le ministre. Elle dis-
pense à ses concitoyens la première des grâces de Dieu,
le désir de Dieu, qui est le premier pas pour arriver à
la connaissance et à l'amour de Dieu. Pour convertir
ses concitoyens, elle fait usage des mêmes armes, de
la douceur et de la suavité dont Jésus a fait usage pour
la convertir elle-même : Disponit omnia suaviter !
Remarquez enfin l'humble défiance d'elle-même
que manifeste cette nouvelle convertie. Elle invite
tout le monde en disant : « Venez et voyez 5 » Venite

( l ) « Miraculi narrationc proposila, prœparavit auditores ad


« fidem. »
2) « Contemnit gloriam, ut prœdicet vcritatem, »
OU LA GRACE. 345

cl videte. C'est-à-dire, comme l'a remarqué saint Chry-


sostôme, qu'elle ne prétend pas qu'on la croie sur sa
parole; qu'elle ne demande autre chose à ses conci-
toyens que de venir se convaincre par leurs propres
yeux et par leurs propres oreilles de la grande vérité
que Jésus-Christ était le Messie (1). « Il n'est pas pos-
sible de voir ce Jésus et de ne pas le reconnaître pour
ce qu'il est, de le reconnaître et de ne pas l'aimer. Oh !
si mes concitoyens entendent seulement le son déli-
cieux de sa voix ! Oh ! s'ils voient seulement l'amabi-
lité de son visage, la douceur de ses regards, la bonté
de ses manières, la majesté divine de sa personne!
Oh ! s'ils goûtent la sublimité de ses doctrines, la cha-
rité de ses sentiments, ils en seront charmés, entraî-
nés, comme j'en ai été charmée, entraînée moi-même
à croire en lui, à l'aimer, à l'adorer (2)! »
Mais que ces qualités, ces artifices de la prédication
de la Samaritaine ne vous étonnent p a s , mes frères.
C'est le feu céleste de l'amour de Dieu, que la grâce de
l'Évangile allume dans les cœurs; c'est particulière-
ment dans les âmes pénitentes qu'elle déploie toute sa
force, toute sa sagesse et toute sa vivacité; en sorte
que les prodiges de l'esprit de pénitence ne sont que
des prodiges d'amour.
Parmi les âmes pénitentes, c'est chez la femme que
cette flamme sacrée pétille d'une force et d'une grâce
toute particulière. Oh! que la religion est belle, at-

(1) « Volebal non ex propria annuntiatione, sed ex auditu proprio


« eos iuducere. »
(2) « Noverat enim quod solum gustando ex illo fonte eadem pas-
« suri erantquae etip&a. »
346 HOMÉLIE VI. LA SAMABITALVE,

(rayante dans la femme ! Oh ! que la pénitence chez


elle rivalise de zèle et de grâce avec l'innocence ! Oh !
que de charmes la vraie pénitence étale chez la femme!
quelles formes gracieuses elle revêt! quels attraits elle
déploie! quel ascendant elle exerce! Malheureusement
heureuse et forte pour attirer au mal lorsqu'elle ne
suit que la voie du mal, elle est encore plus forte et
plus heureuse pour attirer au bien lorsqu'elle revient
sincèrement au bien elle-même. Femmes j comprenez
donc votre mission et votre dignité. Dieu ne vous a
pas accordé l'empire de la grâce pour scandaliser,
mais pour édifier. Oh! que vous êtes donc grandes,
que vous êtes sublimes lorsque vous faites servir vos
attraits, qui perdent tant d'hommes, à les ramener à
Dieu, à les convertir, à les sauver !
Mais revenons à la Samaritaine.
'La prédication si humble et si chaleureuse que Pho-
tine répète en parcourant toute la ville porte ses fruits.
Par les attraits de la suavité et de la douceur, elle
obtient, elle aussi, les conquêtes et les triomphes de la
force : Attingit fortiter, disponens suaviter. Rien que
sur le témoignage de cette femme, d'impure qu'elle
était changée en sainte, et disant à tout le monde ;
« Il m'a deviné tous les désordres de ma vie$ » un
grand nombre de citoyens de Sichar, avant même d'a-
voir vu Jésus-Christ, crurent qu'il était le Messie : Ex
civitate autem illa multi crediderunt in eum Samari-
tanorum, propter verbum mulieris testimonium perhi-
bentis : Quia dixit mihi omnia qucecumque feci (v. 3 9 ) .
C'est ainsi que plus tard nos pères gentils, sans avoir
vu de leurs yeux le Rédempteur divin, crurent en lui
OU LA GRACE. 347

sur le témoignage de Rome, d'idolâtre qu'elle était


devenue chrétienne.

11. Touchante déclaration que le Sauveur a faite à ses Apôtres sur


le désir de la conversion des pécheurs. L'aliment de son cœur
divin. L'œuvre de Dieu par excellence. La moisson des âmes. Ré-
compense pour ceux qui s'en occupent.

En attendant, le divin Jésus, présent de son corps


auprès du puits, suivait de l'oeil de son âme et de sa di-
vinité Photine rentrée dans la ville et remplissant avec
tant de succès la mission que sa grâce lui avait confiée,
et nourrissait, restaurait son cœur de Sauveur des
âmes de la pensée que bientôt les Samaritains se con-
vertiraient à sa foi et à son amour.
En vain donc les Apôtres le prient et le pressent, en
lui disant : Maître, prenez un peu de nourriture ; Inte-
rea vocabant eum discipuli^ dicentes : Rabi, manduca
(v. 31). Ah! leur dit le Sauveur, j'ai toute prête une
autre nourriture, bien plus substantielle et plus déli-
cieuse que la vôtre, et dont vous ne vous doutez pas ;
Ille autem dicit eis : Ego cibum habeo manducare,
quem nescitis (v. 32). Les Apôtres ne comprirent rien
à cette réponse de leur divin Maître, et dans leur sim-
plicité grossière ils se dirent entre eux : « Quelqu'un,
en notre absence, lui aura apporté quelque chose de
recherché pour manger; Dicebant ergo discipuli ad in-
vicem : Numquid aliquis aitulit ei manducare (v. 33).
Mais qu'elle soit bénie cette simplicité des Apôtres !
Elle nous a valu une révélation nouvelle de la part de
notre bien-aimé Sauveur. Car, ayant deviné leurs pen-
sées : Non, non, leur dh-ii, ce n'est pas ce que vous
croyez. Il ne s'agit pas d'une nourriture corporelle,
348 HOMÉLIE VI. LA SAMARITAINE,

mais d'une nourriture toute spirituelle. Sachez que ma


véritable nourriture est de faire la volonté de mon
Père divin, qui m'a envoyé, et d'accomplir son œuvre,
la conversion des âmes : Meus cibus est ut faciam vo-
luntatem ejus, qui misit me, ut perficiam opus ejus
(v. 34).
O déclaration douce et consolante pour notre espé-
rance, précieuse pour notre foi! par ces ineffables et
sublimes paroles, par cette touchante déclaration,
nous savons, de manière à n'en pouvoir plus dou-
ter, que l'œuvre de Dieu par excellence, Opus ejus,
n'est pas la création du monde, mais la conversion de
l'homme égaré, sa sanctification et son salut ; que c'est
là le désir, la volonté de Dieu, que l'accomplissement
de cette volonté et de ce désir, l'exécution de cette
œuvre est la nourriture, l'aliment, les délices propres
au cœur de Jésus-Christ.
Ce délicieux passage de l'Évangile nous rappelle la
révélation que saint Paul, instruit par Jésus-Christ lui-
même, nous a faite sur le même sujet en nous appre-
nant qu'au ciel encore, à la droite de son divin Père,
notre aimable Sauveur ne s'occupe que de la même œu-
vre, de nous appeler, de nous attirer, de nous conver-
tir à lui, pour nous sauver, en priant, en intercédant
incessamment pour nous ; et que cette occupation est
l'aliment de sa vie immortelle au sein de la gloire,
comme ell# le fut de sa vie mortelle au sein de ses
souffrances et de ses opprobres : Semper vivens ad
interpellandum pro nobis (Hebr., vu).
Cela nous explique la promptitude des secours, l'a-
bondance des grâces, le comble des consolations que
OU LA GRÂCE. 349

reçoit le pécheur quand à peine il a conçu la résolution


sincère de se convertir. C'est que Jésus-Christ, au ciel
m ê m e , s'occupe sérieusement de lui, s'intéresse vive-
ment à lui, comme au seul mets délicieux dont il se
nourrit, dont il est heureux : Meus cibus est ut perfi-
ciam opus ejus. Dans l'affaire de notre conversion il ne
s'agit donc que de vouloir; et vouloir, c'est faire. Car
tout le reste est accompli par la grâce de l'intercession
perpétuelle de notre Médiateur divin. C'est cette grâce
qui aplanit les obstacles, fait disparaître les difficultés,
augmente nos forces, raffermit notre volonté et nous
fait triompher de nous-mêmes : Semper vivens ad in-
terpellandum pro nobis.
Voyez le beau commentaire que cet aimable Sei-
gneur a ajouté à ses dernières paroles; car, en conti-
nuant à parler sur le même sujet à ses disciples : Ah !
leur dit-il, vous ne comprenez pas maintenant cette
œuvre divine de la conversion des âmes ; mais dans un
instant vous allez la voir s'accomplir sous vos yeux. Ne
disiez-vous pas tout à l'heure : Encore quatre mois, et
la moisson viendra? Cela est vrai de la moisson maté-
rielle. Mais voici une moisson bien plus importante et
plus heureuse, la moisson spirituelle qui est déjà venue.
Levez les yeux, et voyez des champs mystérieux qui
blanchissent déjà, et le blé parvenu à sa maturité
n'attendant que la main qui doit le moissonner :
Nonne vos diciiis quodadhuc quatuor menses sunt, et
messis venit? Ego dico vobis : Levaie oculos vestros,
et videte regiones quiaalbm sunt jam admessem (v. 3 5 ) .
Dans Vordre spirituel, dit encore le Seigneur, se
vérifie aussi ce proverbe touchant l'ordre temporel :
350 HOMÉLIE VI. — LA SAMARITAINE,
« Autre est celui qlii sème, et autre est <#4ui qui mois-
sonne; car je vous ai choisis pour vous envoyer où
vous n'avez pas travaillé; d'autres ont travaillé avant
vous, et vous allez entrer dans leurs travaux : fn hoc
enim esf. verbum verum : « Quia alius est qui seminat,
et alius est qui metit. » Ego misi vos meiere quod vos
non taborastis. Alii laboraverunt, et vos in labores
eorum introistis (v. 37 et 38).
Je vous dis encore que celui qui moissonne de ce
blé spirituel reçoit sa récompense, et recueille les
fruits pour la vie éternelle, afin que Dieu qui sème se
réjouisse aussi avec celui qui moissonne : Et qui me-
tit mercedem accipit, et congregat fructum in vitam
)

mternam, ut et qui seminai simul gaudeat et qui metit


(v. 36).
Par ces simples et touchantes paroles, le Seigneur a
fait allusion aux anciens patriarches, aux prophètes,
aux vrais savants, qui, depuis le commencement du
monde, avaient répandu la semence de la révélation
primitive, de la vérité de Dieu par tout le monde; qui
pendant quatre mille ans avaient travaillé au sol où
cette semence divine des traditions et des révélations
divines se trouvait étouffée par l'ivraie des erreurs que
Xennemi de Vhomme y avait sursemèe (Matth., XIII); et
il constate que le temps était déjà arrivé où devait s'ac-
complir la grande prophétie de David : Que, en parcou-
rant le monde,—ce champ dans lequel les anciens justes
avaient travaillé, et qu'ils avaient arrosé de leurs larmes
en y répandant leurs semences,— les Apôtres seraient
entrés dans les travaux de ces justes, auraient tiré parti
des traditions qui y étaient restées debout, en auraient
OU I A GRACE. 351

fait ressortir le blé des doctrines ée rÉ*fttigîte, et fe-


raient revenus au Seigneur, l'âme comblée de joie et
les mains pleines de gerbes d'âmes converties et sau-
vées : Euntes ibant et flebant mittentes semina sua;
venientes autem ventent in exsultatione portantes ma-
nipulos suos (PsaL cxxx). Et remarquez aussi un autre
trait du vif intérêt de ce divin Sauveur pour notre sa-
lut, en ce que, pour encourager ses Apôtres et leurs
successeurs, tous les missionnaires, tous les ecclésiasti-
ques et même les laïques zélés, et même les femmes, à
travailler à la conversion des âmes, il leur promet une
riche récompense ; il déclare qu'en travaillant à cette
moisson si agréable à son cœur divin ces heureux
moissonneurs ramasseront un fruit abondant pour
eux-mêmes, c'est-à-dire qu'ils assureront leur propre
salut en coopérant au salut des autres, et combleront
les anciens justes, qui avaient semé le blé, de la même
joie qu'éprouveront ceux mêmes qui l'auront mois-
sonné : Et qui metit mercedem accipit et congregat
fructus in vitam œternam, ut et qui seminat simul
gaudeat et qui metit (1).

12. Jésus-Christ à la ville de Sichar. Conversion de cette ville à la


foi du Messie. Jésus-Christ proclamé par le peuple « LE SAUVEUR
DU MONDE. » Crime des faux savants refusant à Jésus-Christ ce
sublime caractère. Triomphe de sa grâce, preuve de s* divinité.

Or les prémices de cette moisson divine, de cette


conversion du monde, que les Apôtres et leurs succes-
seurs allaient accomplir après la mort du Sauveur, com-

(l) Ces explications sont un résumé des doctrines des Pères.


Voyez Cornélius à Lapide sur le quatrième chapitre de saint Jean,
352 HOMÉLIE VI- LA SAMARITAINE,

mençaient déjà en figure, en essai, dans le pays de


Samarie, que sa correspondance et sa docilité à la pré-
dication de la Samaritaine avaient rendu mûr déjà pour
sa conversion et son salut. C'est donc à cette conversion
toute prête que le Fils de Dieu fit directement allusion
en disant aux disciples : « Levez vos yeux, et voyez les
champs qui blanchissent déjà pour la moisson. »
En effet, il n'avait pas encore achevé cette magni-
fique et touchante allocution que voilà la ville entière
de Sichar, que Photine avait évangélisée, venir à la
recherche, à la rencontre de Jésus-Christ : Exierunt
ergo de civitale, et veniebant ad eum (v. 39). Et en le
voyant si beau et si majestueux, assis près du puits, dans
une attitude si humble et si imposante, si attrayante et
si gracieuse, avec ces lueurs de divinité qui, d'après
Origène et saint Jérôme, rayonnaient toujours de sa
figure aux yeux des âmes droites et sincères, les Sama-
ritains en furent étonnés, enchantés, ravis.
Il n'y avait donc que quelques jours que les perfides
habitants de la fidèle Judée, malgré la grande quantité
de prodiges que le Seigneur y avait opérés, l'avaient
chassé de leurs villes comme un méchant sujet; et voilà
que les Samaritains schismatiques, sans avoir encore
vu d'autre prodige de sa puissance divine que celui de
Photine convertie à la pudeur, s'approchent de Jésus-
Christ avec respect, l'environnent de leurs hommages
et de leur amour, le prient de vouloir bien se rendre
dans leur ville, et se disposent à l'y recevoir, à l'y
honorer comme un Dieu : Cum venissent ergo Sama-
ritani ad illum, rogaverunt eum ut ibi maneret (40).
Jésus-Christ, cédant à des instances si empressées et si
OU LA GRACE. 353

sincères, entre dans la ville de Sichar. Il est accueilli en


triomphe, fêté avec transport, écouté avec satisfaction,
obéi avec docilité; et dans les deux jours que l'aimable
Seigneur daigna passer chez ces braves gens, Et mansit
ibi duos dies (ibid.), en les instruisant par ses discours
et en les édifiant par ses exemples, ils ne se rassasiaient
pas de le voir, de l'entendre, de l'honorer. Attirés par
sa douceur, domptés par sa bonté, charmés par sa pa-
role, ravis de sa sagesse divine, ils crurent en lui en un
plus grand nombre et le reconnurent et l'adorèrent
comme le véritable Messie : Et multo plures crediderunt
in eum, propter sermonem ejus (y. 4 1 ) ; et, dans un
transport de joie aussi affectueux que pur et sincère,
ils disaient à Photine : « Maintenant ce n'est plus sur
ton témoignage que nous croyons en lui ; car, l'ayant
vu de près, l'ayant entendu parler nous-mêmes, nous
nous sommes convaincus par nous-mêmes, nous savons
certainement et nous croyons que ce Jésus est vraiment
le SAUVEUR DU MONDE : Et mulieri dicebant : Jam non
propter tuam loquelam credimus; ipsi enim audivimus
et scimus quia hic est vere SALVATOR MUNDI (V. 4 1 ) .
Oh! que le témoignage de ce bon peuple est magni-
fique et beau! Les Samaritains déclarent donc qu'ils
croient que le monde est perdu et qu'il a besoin d'un
personnage divin qui le sauve; qu'ils attendaient ce
Sauveur, et que ce divin Sauveur, ce Sauveur véri-
table est Jésus-Christ, qui, ainsi qu'il venait de le faire
avec Photine, aurait converti les hommes à la justice
et à la sainteté, e t les aurait délivrés du joug de Satan
e t des châtiments du péché : Scimus quia hic est vere
Salvator mundi.
354 HOMÉLIE VI. — LA SAMARITAINE,

Ohl que de vérité, de sagesse, de bon sens n'y a-t-il


pas dans cette belle parole des Samaritains! Voyez ce
que c'est que le peuple! Combien il est juste dans ses
jugements, droit dans ses instincts, franc dans ses
acclamations, lorsqu'il n'est pas trompé, égaré par des
hommes qui veulent l'exploiter et en faire le jouet de
leurs doctrines et l'instrument de leurs passions! Quel
sujet donc d'humiliation pour les prétendus savants de
nos jours, ne voyant en Jésus-Christ que tout au plus
un homme éclairé, un homme de bien, un homme
charitable, un sage, un philosophe; tandis que tout le
peuple de Samarie, un peuple naguère à demi idolâtre,
l'a reconnu pour le vrai Messie, le vrai Dieu; car Dieu
seul est le vrai Sauveur du monde : Vere est Salvator
mundi! Quelle leçon pour ces orgueilleux politiques
prétendant, à l'exclusion de la doctrine de Jésus-Christ,
de sa grâce, de ses exemples, de sa religion, pouvoir
sauver l'homme et la société, et se posant comme les
sauveurs du monde, eux, pauvres imbéciles, qui n'ont
su jamais rien sauver, qui n'ont pas su se sauver eux-
mêmes! En attendant, que ce triomphe de notre divin
Sauveur est beau, écK.tant, magnifique et propre à nous
le révéler pour le vrai Fils de Dieu ! Quel roi, quel héros
du monde, fortd'une grande armée, a jamais pu accom-
plir une conquête plus grande, plus rapide, plus im-
portante que celle que Jésus-Christ a obtenue aujour-
d'hui rien qu'avec le charme de sa douceur? Attingit
a fine usque ad finem fortiter, et disponens omnia sua-
viier. C'est, mes frères, que tout homme est bon à
subjuguer les peuples par la force des armes; et qu'il
n'y a que Dieu qui puisse, en un instant, dompter
OU LA GRACE. 3 5 5

les esprits, convertir les cœurs par sa grâce. Mais


encore quelques mots d'édification sur l'ensemble de
l'histoire de la conversion de la Samaritaine.

TROISIÈME PARTIE.
L'EXEMPLE DE LA SAMARITAINE.

13. Amour saint de la Samaritaine pour Jésus-Christ. Sa vie, son


martyre et son tombeau.

L'ESPRIT de Jésus-Christ, dit un grand interprète, en


convertissante les âmes, leur inspire un zèle extraordi-
naire de convertir à lui les autres (1).
Le feu céleste de l'amour de Dieu, dit saint Chrysos-
tôme, une fois allumé dans l'âme, elle perd de vue, à
l'instant même, tous les intérêts humains et terrestres ;
elle ne s'occupe plus que de cette flamme divine ; et c'est
cette flamme qui devient le principe, la règle, le but
de tous ses mouvements, de toutes ses opérations. Elle
ne cède qu'à ce feu sacré; elle ne vit, n'agit que sous
les impressions de cet incendie mystérieux qui la pos-
sède et la domine (2). C'est ce qui est arrivé à l'heu-
reuse femme de Samarie dont je vous ai aujourd'hui
raconté la conversion. A peine le feu de l'amour divin
s'attacha à son cœur, elle s'y livra tout entière; elle
en fut pénétrée, saisie, et dès cet instant elle ne vécut

(1) « Spiritus Christi zelum a se conversis alios convertendi inji-


« cit [Cornélius a Lapide, hic). »
(2) « Cum ignita fuerit anima igne divino, fui unam solam, quae
« eam detinet, flammam, et ad nihil earum qua; sunt in terra,
« adspicit (Homil. 33). »
356 HOMÉLIE VI. — LA SAMARITAINE ,

plus que de lui et pour lui. Dès ce jour, elle, aussi bien
q u e s e s deux sœurs et ses enfants, qu'elle avait con-
vertis à la foi du Messie, se mit à la suite de Jésus-
Christ ; et, comme la Chananéenne, elle devint Y une des
disciples les plus ferventes et les plus fidèles du Sau-
veur. Elle le suivit partout, avec les autres pieuses
femmes, jusqu'au Calvaire. Elle se trouva au cénacle'
lorsque le Saint-Esprit descendit sur les premiers chré-
tiens. Ayant reçu le baptême de la main des Apôtres,
elle fut l'une des plus saintes et des plus vénérables
femmes de l'Église naissante.
Elle ne cessa jamais d'annoncer à Jérusalem les
miséricordes, les grandeurs et les gloires du Sauveur
du monde. Ce zèle lui attira d'abord la persécution des
Juifs, qui la reléguèrent en Afrique, avec toute sa
famille, et ensuite la persécution des païens aussi, qui,
sous l'empire de Néron, la dix-septième année après la
mort du Seigneur, lui firent subir, ainsi qu'à ses en-
fants et à ses sœurs, les plus affreux tourments, et lui
firent terminer la vie d'une sainte par la mort d'une
héroïque martyre. Ses reliques, transportées à Rome,
se trouvent à la basilique de Saint-Paul; Dieu ayant
disposé par là que la première prédicatrice des Gentils
reposât à côté du premier des Apôtres des Gentils, et
qu'à Rome fût particulièrement vénérée cette heureuse
femme dont la conversion, l'humilité, la foi, le zèle,
figurèrent si bien d'avance la conversion, l'humilité,
la foi et le zèle de Rome (Cornélius a Lapide, in iv
Joan.).
OU LA GRACE. 357
H . Malheurs de la Samaritaine si elle avait repoussé la première
grâce. Jésus-Christ qui appelle et passe. Ses voix divines au coeur
du pécheur. Nécessité et bonheur de les écouter et de s'y rendre.

Mais, en rappelant avec tant de satisfaction et de


bonheur ces souvenirs glorieux de la Samaritaine,
je ne puis m'empêcher de penser avec effroi à ce
qu'elle serait devenue si elle n'avait pas été docile,
obéissante et fidèle à la première grâce. Si, lorsque le
divin Sauveur l'appela et lui demanda à boire, Photine
lui avait tourné le dos et avait continué son chemin, elle
n'aurait pas reçu la révélation du Messie; elle n'aurait
pas entendu ses leçons sublimes ; elle ne se serait pas
convertie à sa foi et à son amour; elle aurait continué
à croupir dans la pourriture de ses vices, à s'aveugler
dans la nuit de ses erreurs, et aurait terminé par une
mort affreuse une vie de crimes et de désordres!
Oh! que de fois ce terrible mystère se renouvelle!
Combien d'âmes gémissent au nombre des réprouvés,
aux enfers, qui jouiraient du bonheur éternel du ciel
si elles n'avaient pas opposé une résistance opiniâtre,
orgueilleuse et coupable à la grâce du Dieu Sauveur,
les appelant à la conversion, au pardon, à une vie
sainte et parfaite! En refusant de prêter l'oreille à cet
appel divin, qui leur était transmis par une tendre
sœur, par une mère affectueuse, par une domestique
chrétienne, par un ami sincère ou par un prédicateur
zélé, en rejetant cette première grâce, elles se sont pri-
vées des autres grâces qui en auraient été la continuation
et la conséquence. Elles ont brisé elles-mêmes cette
chaîne mystérieuse d'amour réciproque entre le Créa-
teur et la créature dont le dernier chaînon est la per-
358 HOMÉLIE VI. — LA SAMARITAINE ,

sévérance finale et le salut éternel! Jésus-Christ est


Sauveur et en même temps Dieu : Sauveur, il doit à
sa miséricorde d'appeler souvent le pécheur; Dieu, il
doit à sa justice, à sa grandeur, à sa dignité de ne pas
appeler toujours le pécheur, de ne pas le tolérer tou-
jours. Ce serait faire servir sa patience et sa bonté à
l'encouragement du crime, au jouet et au caprice des
passions de l'homme. Jésus-Christ, selon les expres-
sions des Livres saints, tolère, et se lasse; crie, et se
tait; appelle, et passe. Heureuse Tâme pécheresse qui,
au premier essai de cette tolérance divine, au premier
cri de l'aimable Sauveur, au premier appel de sa grâce,
abandonne à l'instant le système d'une vie de scandale
et d'achoppement, comme Matthieu; les soins illicites
des intérêts terrestres, comme Zachée ; les liaisons d'un
amour coupable, comme la Samaritaine et la Madeleine ;
et se met, sans délai, à la suite de Jésus-Christ! Il en
fait, en peu d'instants, des apôtres et des saints. Mais
malheur à ceux qui ne se rendent pas à l'appel divin,
qui ne se répète pas souvent, qui ne se répète pas tou-
jours! C'est ce qui faisait dire à saint Augustin : « Je
ne crains pas Jésus-Christ qui humilie mon orgueil,
qui abaisse ma fierté, qui, par des moyens inattendus,
entrave mes coupables excès et répand l'amertume
dans les sentiers de mes passions ; ce que je crains le
plus, c'est Jésus-Christ qui appelle et passe, et laisse le
pécheur à lui-même, s'étourdissant toujours davantage
dans la sécurité trompeuse de ses erreurs, dans la paix
funeste de ses péchés (<!).

( 1 ) « Timeo Jesum transeuntem. »


OU LA. GRACE. 359

Mais voyez ce qu'a valu à la Samaritaine sa docilité


au premier appel de la grâce. Elle a vu se réaliser
dans son cœur le grand mystère de cette même grâce
que le divin Sauveur avait révélé à son esprit. A peine
tombée sur l'âme de la Samaritaine, terre desséchée,
brûlée par le feu de la volupté, l'eau mystérieuse de
la grâce la tendit féconde; lit rejaillir dans son cœur
une fontaine de grâces toujours puissantes et plus pré-
cieuses ; une fontaine dont le jet, en montant toujours
davantage et emportant avec lui cette àme bienheu-
reuse, l'éleva, selon la parole du Seigneur, à une
grande sainteté pendant sa vie et au salut éternel après
sa mort :Aqua, quam dédit ei, facta est in ea fons aquce
vives salientis in vitam œternam.
Imitateurs de cette femme vivant dans le désordre,
tâchons donc de l'imiter aussi dans sa docilité à la voix
de la grâce, qui, depuis si longtemps et en tant de
manières, résonne à nos oreilles. Car ces illuminations
soudaines que de temps en temps nous éprouvons dans
notre esprit et qui nous font entrevoir la misère de
notre état, la sévérité des jugements de Dieu, l'hor-
reur d'une punition éternelle ; ces appréhensions ef-
frayantes de nous perdre qui s'excitent dans notre
cœur on ne sait comment, et qui, en interrompant
notre sommeil, nous font frissonner pendant la nuit,
et nous font trembler et nous attristent pendant le
j o u r ; ces dégoûts du vice, ces désirs de la vertu, ce
vide, ces amertumes, ces épines que nous rencon-
trons à chaque pas dans les voies de nos désordres; ces
attraits qui, lorsque nous nous y attendons le moins,
nous arrachent violemment à la terre, et nous pous-
360 HOMÉLIE VI. LA SAMARITAINE.
sent, malgré nous, vers le ciel; ces angoisses, ces
peines, ces remords, ces frayeurs que nous éprouvons
au fond de Tâme en entrant par hasard dans une
église, en écoutant un sermon, en lisant un livre de
piété, en apprenant la mort subite d'un parent, d'un
ami, en rencontrant sur la rue un cadavre qu'on mène
au tombeau ; tous ces phénomènes moraux que nous
éprouvons en nous-mêmes, ce sont, sachons-le bien,
le travail de la grâce, les invitations, les appels de la
grâce; ce sont les voix du Seigneur, les accents de
son amour désolé en vue de notre perte, et nous de-
mandant à boire de l'eau de nos larmes et de notre
pénitence, afin de pouvoir, lui ensuite, effacer nos pé-
chés; nous demandant à boire de Veau de notre foi,
de notre piété, de notre amour, afin de nous combler
de ses trésors éternels (1).
Et si nous sommes dociles à entendre, prompts à
accueillir, fidèles à accomplir ces avertissements si
amoureux, si doux, si suaves de la grâce, elle dé-
ploiera en nous aussi une force merveilleuse qui nous
fera triompher de nos mauvaises habitudes, de nos
honteuses passions ; nous fera passer des frontières du
vice à celles de la vertu, de la terre au ciel : Attin-
gens a fine usque ad finem fortiter^ et disponens omnia
suaviter. Ainsi soit-il.

(1) « Aquam postulat ut pcccata dimittat. Sitire se dicit, ut si-


VL tienUbus œternam gratiam largiatur (Saint Ambroise). »
HOMÉLIE V I I . — L A PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE. 361

SEPTIÈME HOMÉLIE.
LA PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE (*),
OU

L'AMOUR PÉNITENT.
(Saint Luc, chap. vit).

* Ordinavit in me chariiatem ;
« 11 n*a fait qu'ordonner en moi l'amour [Cantic. II). »

I N T R O D U C T I O N .

1. A quelle occasion le divin Sauveur convertit Madeleine. Jésus-


Christ prouvant qu'il était le Messie (dans la note). La religion
n'est qu'amour. L'amour pénitent en action dans la conversion de
Madeleine, sujet de cette homélie.

LA vraie religion, considérée par rapport à tous les


devoirs qu'elle impose, à toutes les vertus qu'elle ins-

(") Saint Jean le Précurseur, ayant été emprisonné par Hérode,


avait envoyé deux de ses disciples à Jésus-Christ, afin qu'ils pussent
apprendre de lui-même qu'il était le Messie. Comme le désir de ces
disciples de connaître le Messie était sincère, Jésus-Christ daigna te
satisfaire de la manière la plus éclatante, c'est-à-dire moins par des
paroles que par des faits; car il opéra sous les yeux de ces disciples
de Jean-Baptiste des prodiges de toute espèce, et ensuite il leur dit :
Allez, et ne rapportez à Jean que ce que vous venez de voir de vos
propres yeux et d'entendre de vos propres oreilles : c'est-à-dire que
les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris,
les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres sont évangé-
lbés {Matth.Mais ces disciples, qui étaient des hommes instruits
362 H O M É L I E V U . L A P É C H E R E S S E D E L'ÉVANGILE,

pire, au but qu'elle veut atteindre, n'est qu'amour;


tout, dit saintPaul, y commence par l'amour pour finir
à l'amour (Plenitudo legis est dilectio(Rom., xni, 1 0 . )

dans les saintes Écritures, savaient très-bien que le prophète Isaïe


avait prédit que le Messie, en venant habiter parmi nous, devait opé-
rer tous ces prodiges. C'est donc comme si Jésus-Christ leur eût dit :
Je suis le Messie, puisque vous venez de voir et d'entendre que je fais
les œuvres que, d'après les oracles des prophètes, doit faire le Messie,
et qui doivent le faire connaître. C'était leur donner la preuve la plus
claire, la plus frappante de sa qualité de Messie. Ainsi, ils n'eurent pas
de peine à croire en lui. Mais las scribes et les pharisiens, qui avaient
assisté à cette révélation, ne cessant point de persister dans leur i n -
crédulité, Jésus-Christ leur fit les plus durs reproches an sujet de leur
obstination; il leur fit voir qu'ils étaient doublement coupables :
d'abord de ne pas avoir voulu croire que Jean était le Précurseur,
et ensuite de ne pas croire que lui-même, Jésus-Christ, était le
Messie; et là-dessus il les menaça de les abandonner, de leur pré-
férer les publicains et les courtisanes, et il leur prédit que ceux-ci
auraient un jour pris la place des pharisiens dans le royaume des
cieux. Ce fut donc pour confirmer cette menace par le fait, dit saint
Chrysostôme, et leur faire voir comment les courtisanes elles-
mêmes seraient sauvées, tandis qu'eux, les pharisiens, malgré leur
prétendue justice, se seraient perdus, qu'il accepta d'aller dîner chez
Simon le Pharisien, où la Sagesse incarnée saviit que Madeleine la
courtisane serait venue y pleurer ses péchés, recevoir son pardon et
faire son salut. C'est ainsi que tout dans la vie du Sauveur, dans
l'Évangile, se lie avee une économie ineffable de providence qui eu
atteste la vérité et la divinité.

Cette éclatante conversion ne noue a été racontée que par saint


Luc. Saint Jean, comme on va le voir plus loin, s'est contenté d'en
dire un seul mot, par lequel il nous a laissé croire que ce touchant
événement, qui nous a révélé la douceur, la miséricorde, la bonté
de l'esprit du Sauveur envers les pécheurs, était toujours vivant
dans La mémoire des fidèles et connu par tout le monde. C'est dans
la ville de Naïm que cette conversion eut lieu, quelques jours après
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 363
En effet, dans la vraie religion, dans la religion de
l'Evangile, la foi n'est que l'amour qui croit j l'espé-
rance n'est que l'amour qui attend; l'adoration n'est
que l'amour qui se prosterne ; la prière n'est que l'a-
mour qui demande ; la miséricorde n'est que l'amour
qui pardonne ; la charité n'est que l'amour qui se
dévoue, la mortification, le martyre même ne sont
que l'amour qui s'immole. En sorte que l'homme juste,
le vrai chrétien, le chrétien sincère, fidèle et parfait,
n'est que l'homme qui aime, ou qui aime comme on
doit aimer; que l'homme dans le cœur duquel la grâce
a établi la règle, la mesure, l'harmonie, Tordre de l'a-
mour : Ordinavit in me charitatem.
Par la raison opposée, le pécheur n'est que l'homme
qui n'aime pas, ou qui aime m a l ; l'homme dans le
cœur duquel le péché a introduit la perturbation, le
dérèglement, le désordre de l'amour. Car le péché, dit
saint Thomas, n'est que l'apostasie du cœur, abandon-
nant Dieu pour se tourner vers les créatures, ou aimant
les créatures àla place de Dieu et au-dessus de Dieu (1).
Il est donc manifeste par là qu'il n'y a pas, qu'il ne
peut pas y avoir de vraie conversion qu'en tant que la
gnice a rétabli dans le cœur du pécheur l'ordre de
l'amour que le péché y avait troublé; il est manifeste

le prodige de la résurrection du fils de la veuve que Jésus-Christ y


opéra, dans le mois de mai de la seconde année de sa prédication.
Dans le Missel romain, ce trait de l'Évangile de saint Luc se lit à la
messe du jeudi de la semaine de la Passion, du vendredi des Quatre-
Temps, de septembre, et du 22 juillet, jour de la féte de sainte
Marie-Madeleine.
( I ) « Peccatum est aversio a Deo et conversio ad créatures. *
364 HOMÉLIE VII. — LA PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,
que la grâce qui nous convertit est la grâce qui nous
apprend, qui nous pousse à bien aimer, et que c'est
l'amour qui fait les vrais pénitents, comme il fait les
vrais martyrs : Qrdinavit in me charitaiem.
Pécheurs, mes frères, comprenez donc bien l'esprit
de la Loi de grâce, sous l'empire de laquelle nous
autres chrétiens avons le bonheur de vivre, et sachez
bien que, lorsque du haut de cette chaire sacrée on
vous intime la pénitence, on ne YOUS demande ni les
jeûnes d'Ézéchiel, ni les chaînes de Jérémie, ni les dé-
chirures de Michée; on ne vous demande que d'aimer,
car rien que l'amour peut vous changer en quelques
instants, et faire de vous de vrais pénitents, des chré-
tiens saints et parfaits.
Et le moyen de douter de la vérité de cette doctrine
consolante après le récit évangélique que vous venez
d'entendre, et ou le Fils de Dieu lui-même vient de nous
dire qu'une grande pécheresse, la pécheresse dans son
plus déplorable excès, la pécheresse de la ville de Naïm,
Mulier in civitate peccatrix, ne s'est bien convertie que
parce qu'elle a bien aimé, et qu'un grand amour lui
a fait pardonner de grands et innombrables péchés :
Remiiiuntuv eipeccata multa quia dilexit multum.
Étudions donc aujourd'hui cette grande et étonnante
conversion. Voyons-y VAMOUR PÉNITENT mis en action.
Voyons les motifs dont il s'inspire, les sentiments qu'il
suggère, les récompenses qu'il obtient, les actes par
lesquels il se prouve et se manifeste, afin que, encou-
ragés, nous aussi, par un si beau et si touchant exemple
à retourner au Seigneur, nous sachions comment nous
devons aimer, pour nous bien convertir. Ave, Maria.
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 365

PREMIÈRE PARTIE.
LA CONVERSION ET LA CONFESSION.

2. La pécheresse de l'Évangile n'est <rue Marie-Madeleine (dans la


note). Quand s'est-elle convertie? Désordres et scandales do sa vie
de péché.

LE touchant récit de la pécheresse que je vais vous


expliquer n'est que le récit des actes de sa pénitence,
et non pas celui de sa conversion.
Elle était déjà repentante de sa vie passée dans le
désordre; elle regrettait, détestait profondément tous
ses crimes lorsqu'elle est venue les pleurer aux pieds
du Seigneur, et en implorer le pardon. Jésus-Christ,
dit saint Grégoire, avait déjà touché, conquis, attiré à
lui, par l'action intérieure de sa grâce, cette heureuse
femme qu'il accueille aujourd'hui avec les signes exté-
rieurs d'une si grande bonté ( i ) . Quand et comment
s'est-elle donc convertie? L'Evangile ne nous le dit
pas. Ce qui paraît certain, d'après l'opinion unanime
des Pères, c'est qu'elle ne s'est convertie qu'à l'un des
sermons publics du Seigneur.
Quelques interprètes pensent que ce fut à l'occasion
où saint Jean le Précurseur, en indiquant de son doigt
prophétique le Sauveur, s'écria : « Voici l'Agneau de
« Dieu; voici celui qui efface les péchés du monde. »
Mais cette opinion n'a aucun fondement dans l'Évan-
gile ni dans la tradition. Il me parait plus probable que

(l) « Christus, per gratiam traxit intus, quam per miseritord'am


« suscepit foris. »
366 HOMÉLIE VII. — LA PÉCHERESSE DE î/ÉVANGILE,

Madeleine (c'est certainement son nom) ( I ) s'est con-


vertie en assistant à l'étonnant prodige de Jésus-Christ,

(I) On ne conçoit pas qu'il ait pu se trouver des auteurs affir-


mant que îa pécheresse dont il s'agit ici n'est pas la même Marie-
Madeleine, sœur de Marthe et de Lazare, dont il est si souvent ques-
tion dans les Évangiles, mais une autre femme dont on Ignore le
nom. Saint Jean a dit : « Il y avait un certain Lazare qui était ma-
« lade en Béthanie, où demeuraient Marie et Marthe, sa sœur. Marie
« était celle qui oignit de parfums le Seigneur et lui essuya les
« pieds avec ses cheveux, et Lazare, qui était malade, était son
« frère {xn, 1 et 2 ) . » Or, par ces derniers mots, saint Jean a évi-
demment fait allusion à l'onction des pieds du Seigneur que la pé-
cheresse de saint Luc fit dans la maison de Simon le Pharisien; car,
antérieurement à la résurrection de Lazare, il n'est nulle part ques-
tion dans les Évangiles d'une femme ayant essuyé avec ses cheveux
tes pieds de Jésus-Christ. C'est donc comme si saint Jean eût dit :
Cette Marie est cette femme célèbre par sa conversion, par les lar-
mes « qu'elle répandit sur les pieds du Seigneur, qu'elle esauya en-
te suite avec ses cheveux. » 11 est pourtant clair, par ce passage de
saint Jean, que Marie-Madeleine, sœur de Marthe et de Lazare, était
la même femme que celle dojit saii:t Luc a raconté la conversion.
Saint Luc lui-même, au chapitre qui suit, a dit : « Les douze étaient
• avec lui, et quelques femmes qu'il avait guéries de leurs infirmi-
« tés et des mauvais esprits, telles que MARIE, appelée MADELEINE,
« de qui sept démons étaient sortis, etc. (Luc, vm, i et 2J. » Or,
les Pères et les interprètes sont d'accord à penser que les sept dé-
mons sortis de cette femme ne signifient que les sept vices capitaux
et l'universalité des vices djnt cette femme a été délivrée par son
humilité et par son repentir. Cette Marie-Madeleine n'est donc évi-
demment que la même femme dont le même Évangéliste venait de
rappeler la pénitence dans )e chapitre précédent. Ainsi c'est saint
Luc lui-même qui nous apprend que la pécheresse de l'Évangile est la
même Marie-Madeleine qui, avec les Apôtres et en compagnie d'au-
tres femmes pieuses, suivait partout le Seigneur.

On oppose que, d'après saint Matthieu (xxvi), Marie-Madeleine ré-


pandit son onction sur la tête du Seigneur, tandis que la pécheresse
ou L'AMOUR PÉNITENT. 367

de la guérison de l'aveugle-muet possédé par le démon,


et aux circonstances qui ont accompagné ce prodige.
Car le sublime discours d'abord que le divin Sauveur
prononça à cette occasion, sur l'action du démon dans
les âmes, parait avoir été fait exprès pour effrayer Ma-
deleine de l'horrible état de son àme et l'attirer à la
pénitence; et en second lieu, parce qu'il y a des inter-
prètes qui croient que la femme courageuse qui, dans
cette même circonstance, a rendu un éclatant hommage
à la divinité de Jésus-Christ n'a été que sainte Marcelle,
femme de compagnie ou gouvernante de la jeune vierge
sainte Marthe, sa compagne inséparable, qui la suivait
partout, qui l'a accompagnée dans son exil à Marseille
et qui en a écrit la vie \ et qu'il est très-probable qu'avec

la répandit sur ses pieds divins; et l'on conclut de là que la péche-


resse était une autre femme que la Madeleine. Mais cette objection
n'a pas de sens ; car pourquoi la même Madeleine qui, dans l'onction
qu'elle fit au Seigneur deux ans avant sa mort dans la ville de Naïm,
chez Simon ïe Pharisien, n'osa répandre son parfum que sur les
pieds de Jésus-Christ, parce qu'elle n'était encore qu'une péche-
resse, n'a-t-eile pas pu, dans l'onction qui eut lieu six jours avant
la pas-ion, en Béthanic, chez Simon le Lépreux, répandre l'onguent
sur la tête du Seigneur, puisqu'elle était déjà justifiée et devenue la
plus fervente et la plus dévouée des disciples du Sauveur? D'ailleurs
l'opinion la plus commune des Pères, particulièrement de saint Cy-
prien, de saint Augustin, de saint Grégoire et des interprètes les
plus célèbres, aussi bien que le consentement des fidèles et la tradi-
tion universelle et constante de l'Église, — a i n s i qu'il est prouvé
par l'office de sainte Marie-Madeleine,—est que la pécheresse de l'É-
vangile est la même Mûrie-Madeleine, sœur de Lazare et de Marthe,
qui reçut si souvent le Seigneur chez elle, qui le suivit au Calvaire,
qui le chercha au tombeau et fut le premier témoin de &a résurrec-
tion. Nous nous en tenons à ces autorités.
368 HOMÉLIE VII. LA PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

Marcelle Marthe, son élève, et Madeleine, sœur de Ma-


the, se sont trouvées présentes à cette prédication du
Seigneur (1), C'est donc à cette hypothèse que je m ar-
rête, d'autant plus volontiers qu'elle nous fournit l'oc-
casion de graves et importantes considérations.
Ce qui est hors de toute contestation, c'est que Marie-
Madeleine s'était trop enfoncée dans la boue de tous les
vices, et que la grâce a dû la faire revenir de bien loin.
Ayant perdu, à la fleur de l'âge, ses parents, Marie-
Madeleine prit de grands airs de liberté et d'orgueil, et
fit comprendre à sa sœur et à son frère qu'elle n'enten-
dait plus garder aucune réserve ni respecter aucune
loi. Jeune, noble, riche et remarquable par la beauté
du corps autant que par la grâce des manières et l'élé-
vation de l'esprit, elle ne pensa qu'à briller dans le
monde, à s'imposer au monde, à jouir du monde, en
marchant dans les voies du monde, en cédant à tous
les attraits, à toutes les séductions du monde.
Au commencement, ce n'était que de la vanité fri-
vole pour se distinguer par la parure au milieu de ses
égales; ce n'était que de la folle ambition des amours,

(l) L'unique objection qu'on peut faire contre cette hypothèse est
que, dans l'Évangile de saint Luc, le prodige de la guérison du
sourd-muet possédé par le démon est raconté au chapitre onzième,
tandis que l'histoire de la pécheresse est rapportée au chapitre
septième. Mais cette objection n'en est pas une lorsqu'on se souvient,
d'après Cornélius à Lapide, que, bien souvent, les Évangélistes n'ont
pas suivi l'ordre chronologique des faits. Evangelistœ, dit le même
interprète, ssepe non servant ordïnem temporis in recensendis
Christi dictis vel foclis (Canon II,in L'vang.); et que c'est là l'une
des RÈGLES qu'on doit avoir présentes à l'esprit pour se rendre compte
de certains passages des Évangélistes.
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 369
aspirant à traîner après elle de nombreux adorateurs ;
ce n'était que du vain plaisir d'être courtisée et de ré-
gner sur de pauvres êtres par la fierté et la coquetterie.
Mais ces amusements de l'esprit, ces affections plato-
niques, ne pouvant pas rendre heureuse l'àme qui s'y
livre, elle descend de la hauteur où elle s'était placée
et où elle se flattait vainement de pouvoir rester, et va
chercher dans la volupté du corps des amusements plus
positifs et plus grossiers. L'orgueil n'est que l'adul-
tère, la débauche de l'esprit, et, particulièrement dans
la femme, il finit toujours par la débauche et l'adul-
tère, qui est l'orgueil des sens. On commence, disait
saint Paul, par l'esprit, et Ton finit par se livrer à la
chair, par s'y plonger et s'y perdre : Cum spiritu cœ-
peritis, nunc carne consummemini (Galat. III). C'est
t

ce qui arriva à Marie-Madeleine.


Saint Augustin, avec d'autres interprètes, pense
qu'elle avait été mariée à un riche et puissant person-
nage, seigneur du château de Magdalon, dans la Ga-
lilée, dans les environs de Naïm, et qu'ayant perdu
bientôt son époux elle resta maîtresse de ce château,
ce qui lui valut le surnom de Magdalena, ou de la dame
de Magdalon.
Pendant le peu de temps qu'elle vécut dans le mariage,
il paraîtqu'elle ne respectapasplus lapudeurconjugale
que, jeune fille, elle n'avait respecté la pudeur virgi-
nale; car le même saint Augustin (Serm. 58, de Tem-
por.) et bon nombre des Pères de l'Église l'ont appelée
« adultère. » Mais ce fut seulement après que la mort
l'eut débarrassée de la compagnie incommode de son
mari qu'elle se livra entièrement au désordre. D'abord,
J. 24
370 H O M É L I E V H . L À P É C H E R E S S E 1)E L ' É V À N G I L E ,

comme il arrive toujours dans la voie du mal, elle ne


s'y livra que dans l'espérance que ses fautes seraient
restées secrètes. En les multipliant ensuite, ces fautes,
elle perdit toute répugnance de s'y abandonner ; et en-
fin, emportée par son imagination ardente, par son cœur
passionné, et ne pouvant plus supporter les précautions
pénibles qu'il fallait prendre pour se cacher, elle finit
par forcer et renverser toutes les digues de la vèrècon-
die naturelle -, elle se fit un sujet de vanité de ne rien
craindre, et de s'élever au-dessus des gênes du respect
humain. Elle se jeta dans les plaisirs sans pudeur, sans
frein comme sans remords, bravant également, par le
dévergondage de sa conduite, par le luxe et l'immo-
destie de ses habillements, les regards des hommes et
la justice de Dieu. Voilà ce qu'était Marie-Madeleine,
ainsi que nous l'apprend cette grande parole du saint
Évangile : « C'était la femme pécheresse dans la ville;
Mulier in civitate peccatrix (v. 37). » Car c'est nous
dire qu'elle était la courtisane la plus éhontée et la plus
tristement célèbre-, et, selon l'expression énergique
de saint Pierre Chrysologue, elle n'était pas seulement
pécheresse, elle était la pécheresse au plus haut degré,
le péché personnifié, le péché public, le péché vivant
de la ville (1).

(1) m Non peccatrix solum, sed urbis facta est ipsa peocatum. »
Cornélius à Lapide dit aussi : Elle est appelée par l'Évangile « LA PÉ-
CHERESSE » antonomastiquement > en tant que non-seulement elle
péchait gravement et beaucoup, mais qu'elle engageait aussi les au-
tres à pécher comme elle et avec elle : Peccatrix dicitur anto-
nomastiee, quod tpsa graviter peceare soleret, et altos ad secum
peccando allkere.
ou LA
' MOUR PÉNITENT 371

3. Sainte Marthe et ses mœurs. Son zèle pour la conversion de Ma-


deleine, sa sœur. Jésus-Christ guérissant le sourd-muet. Son d i s -
cours touchant l'action du démon sur les âmes. Hommage écla-
tant que sainte Marcelle rend à Jésus-Christ. Impression que tout
cela produisit dans l'esprit de Madeleine. Changement prodigieux
de, son cœur, et sentiments qu'il lui inspire.

On pense bien que Marthe, jeune vierge dont les


mœurs et la vie étaient aussi pures que celles de Marie
étaient corrompues, profondément humiliée de la hon-
teuse célébrité attachée au nom de sa sœur et profon-
dément désolée de l'état et de la perte de son âme, ne
négligeait aucun moyen de la ramener dans les voies de
la pudeur, du devoir et du salut. Mais, hélas! marques
d'affection et signes de mécontentement et de regret,
exhortations et prières, de sa part, tout avait été inutile.
Marie était même aussi facile à s'emporter au plus petit
avertissement qu'on lui adressait qu'elle était facile à
céder à toute espèce de séduction. Marthe en avait
donc pris son parti; elle lui prêchait bien plus par son
exemple que par ses paroles; elle lui parlait peu de
Dieu, mais elle ne se lassait pas, jour et nuit, déparier
d'elle à Dieu et de lui demander de la convertir.
Les prières et les larmes de l'innocence, pour la
conversion des pécheurs, ne parlent jamais en vain au
Dieu de bonté. Aussi Marthe finit par obtenir ce qu'elle
avait demandé pour sa sœur chérie, et même au delà
de ce qu'elle avait demandé.
(1 paraît que, ainsi qu'elle nous Fa appris elle-même,
dès le premier instant qu'elle vit et entendit parler Jé-
sus-Christ, cette pieuse et sainte vierge avait cru en
lui ; car, à l'époque de la résurrection de son frère,
372 HOMÉLIE VII.— LA PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,
Jésus-Christ lui ayant demandé si elle croyait que lui,
Jésus-Christ, était la résurrection et la vie; Ego sum
resurrectio et vita... Credis hoc ? Marthe ne répondit
pas seulement : « Je le crois. » Mai^ elle répondit :
« Oui, certainement, J'AI TOUJOURS CRU que vous êtes
le Fils de Dieu vivant, qui êtes venu au monde pour
sauver le monde : Utique, Domine, ego CREDIDI quia
tu es ChrisUis filius Dei vivi qui in hune mundum ve-
nisti (Joan., xi). Ainsi, se disait-elle, si ma sœur voyait,
entendait une seule fois seulement ce Jésus-Christ, ce
Fils du Dieu vivant, ce Messie et ce Sauveur, dontVas-
pect est si ravissant et la parole si puissante et si douce,
elle sera, elle aussi, enchantée, ravie de lui, convertie
par lui, et sauvée.
Ce fut donc à l'instigation de Marthe, dit saint Gré-
goire, que Marie se décida un jour d'aller voir le Sei-
gneur et assister à Tune de ses prédications. Elle ne
fit cette démarche que pour contenter sa sœur, et bien
plus encore pour satisfaire sa curiosité de femme,
désirant connaître un personnage qui avait rempli la
Palestine de la renommée de sa doctrine, de la gloire
de ses prodiges, de la grandeur de son nom. Mais la
grâce l'y attendait pour en faire sa conquête.
C'était, comme nous venons de l'établir, le jour où
le divin Sauveur opéra l'un de ses plus grands pro-
diges. On lui avait amené un homme possédé du dé-
mon et, par surcroît de malheur, muet et aveugle :
Oblaius est ei dœmonium habens, ccecus et mutus
(Matth., xii; Luc, xi). Le Seigneur en eut compas-
sion, et en un instant il chassa le démon du corps de
cet homme; il lui ouvrit les yeux et lui délia la lan-
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 373
gue : Et curavit eum ita ut loqueretur et videret
(Matth., ibid.). Ces trois prodiges en un seul avaient
saisi le peuple d'admiration et l'avaient fait tressaillir
d'espérance et de bonheur : « Ce Jésus-Christ qui fait
de telles merveilles, disait-on tout haut, ne serait-il
pas le fils et l'héritier de David qui nous a été promis
pour Messie : Et stupebant omnes turbce et dicebant :
Numquid hic est fiîius David (Ibid.) ?
Or, le spectacle de cette guérison merveilleuse,
accompagné de ce témoignage unanime de la foule :
« Que Jésus était le Messie, » et bien plus encore l'as-
pect et un regard de Jésus-Christ, qui, en passant
comme une flèche dans son cœur, le fit frissonner de
bonheur, furent des éclairs de lumière dans l'esprit de
Madeleine, qui réagirent sur son àme. » Qu'il est beau !
se disait-elle ; qu'il est majestueux ! qu'il est sublime !
Il est certainement un homme; mais il y a sur ce front,
dans ce regard, sur ces lèvres, dans ces allures, dans
cette pose, quelque chose de sévère et de doux, d'im-
périeux et de modeste, d'imposant et d'attrayant qui
n'est pas de la terre, qui n'est pas de l'homme! Com-
ment se fait-il qu'en commandant le respect jusqu'à
l'adoration il inspire l'attachement jusqu'à l'amour ?*
Ne serait-il pas vraiment le Messie ? Et s'il est le Messie
vraiment, ne pourrait-il pas renouveler dans mon âme
les prodiges qu'il vient d'opérer dans le corps de ce mal-
heureux qu'il vient de guérir? Ne suis-je pas, moi aussi,
et d'une manière encore plus affreuse, possédée par
l'esprit de Satan, qui m'a rendue muette à la confession
et à la louange de Dieu, et profondément aveugle sur
l'état de mon àme, sur les dangers de ma position?...
374 HOMÉLIE VII. — LA PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

Il est dit dans les Livres saints que « la crainte de


Dieu est le commencement de la vraie sagesse : Ini-
tium sapientiœ timor Domini (Eccli., i ) . » Or, cet
oracle du Saint-Esprit se vérifie particulièrement dans
la conversion des pécheurs. Dans sa lutte avec l'àme
pécheresse, la grâce, dit saint Augustin, commence
par l'effrayer; et c'est cette frayeur que la grâce
charge d'ouvrir les portes à l'amour(J). Or, c'est de
cette manière que la grâce s'y est prise pour convertir
Madeleine.
Car, après avoir victorieusement réfuté le stupide
blasphème que les pharisiens venaient d'articuler con-
tre Jésus-Christ en disant que c'était par la vertu de
Beelzébub, le prince des démons, qu'il chassait les dé-
mons; In Beelzébub^ principe dcemoniorum, d<emonia
ejicit (Matth., xn), le Seigneur fit un effrayant tableau
des horribles ravages que Yesprit immonde fait dans
les âmes. Il dit « que cet esprit pervers n'abandonne
Famé qu'il a commencé à tyranniser que pour revenir
à elle en compagnie de sept autres esprits plus per-
vers que lui, et qu'alors la nouvelle condition de cette
àme infortunée devient mille fois plus affreuse qu'elle
n'était auparavant; car sa perte est presque inévitable
et sa guérison presque désespérée ; Cum immundus spi-

( l ) « Timor primo occupât meutem; non autem ibi remanet t i -


« mor, quia ideo intravit ut introduceret charitatcm (Tract. IX in
« Epistol. Joan.). » Et le sacré concile de Trente dit aussi que bien
souvent Dieu commence par impressionner de la crainte de l'enfer
les pécheurs, afin de les convertir. « Plerumque Deus gehennae
« me tu m incutere incipit ad impium convertendum ( Sess. v i ,
« C. 6).u
ou LA' MOUR PÉNITENT. 375
ritus ezierit ab homine... assurnit seplem alias
secum nequiores se, et ingressihabitant ibi. Etfiuntno-
vissima hominis illius pejora prioribus (Matth. X H ;
Luc., xi). E t , afin qu'il n'y eût lieu à méprise dans
ces menaces, Jésus-Christ avait fini par dire : « C'est ce
qui va arriver à cette génération perverse qui est ici
en m'écoutant sans se convertir : Sic erit et generationi
huic pessimœ (Matth*, XH, AS). »
Or, en entendant ces derniers mots : « Malheurà moi,
se dit donc Madeleine! Je suis de ce nombre. L'esprit
immonde avec sept esprits plus méchants que lui, et les
sept vices capitaux qu'ils mettent en jeu, sont en moi. Si
quelquefois, lassée dans la voie de l'iniquité, je me suis
arrêtée, je ne l'ai fait que pour reprendre ma marche
avec plus de fougue et plus d'aveuglement. Tout ce dis-
cours de Jésus est particulièrement pour moi ; c'est àmoi
qu il l'adresse ; c'est dans mon cœur qu'il vient de lire;
c'est la peinture de mon cœur qu'il vient de faire et
de mettre sous mes yeux. Voilà ce que je suis ; voilà
l'abîme au bord duquel je marche; voilà l'horrible
malheur qui m'attend! » C'est ainsi que, dans l'esprit
de Madeleine, le voile qui la cachait à elle-même se
dissipe; le masque de l'illusion tombe, le prestige des
préjugés mondains disparait. C'est ainsi qu'elle recon-
naît ce qu'elle est devant Dieu ; que tous ses péchés lui
apparaissent dans toute l'affreuse multitude de leur
nombre, dans tout l'excès de leur malice, dans toute
la turpitude de leur difformité; tandis que, d'un autre
côté, sa pensée s'arrête aussi à la considération de la
brièveté de la vie, du moment de la mort, de la sévé-
rité du jugement de Dieu, des peines de l'éternité; et
376 HOMÉLIE VII. — LA PÉCHERESSE DE L*ÉVANG1LE,

là-dessus de rougir de honte, de frissonner d'horreur,


de trembler d'effroi.
Mais Jésus-Christ venait de dire aussi : « Celui qui
« n'est pas avec moi est contre moi. Celui qui ne r e -
a cueille pas avec moi disperse ; Qui non est mecum,
« contra me est, et qui non congregat mecum, dispergit
(Luc., xi). » Or Madeleine prit encore ces paroles
comme lui étant personnellement adressées, comme
étant un doux reproche que le Seigneur lui faisait d'a-
voir, elle aussi, pris fait et cause pour les esprits des
ténèbres, pour les pharisiens, leurs complices, contre
lui, et en même temps comme une invitation affec-
tueuse à se déclarer pour lui, comme une promesse
que Jésus-Christ lui faisait, si elle voulait être de sa
compagnie, de lui faire recouvrer le temps qu'elle
avait perdu, les dons de Dieu qu'elle avait dispersés, et
de la sauver. Et par ces pensées elle sent son courage
se relever, son cœur s'ouvrir à l'espérance, sa volonté
se plier sous l'empire de la charité.
Mais la grâce lui réservait encore un dernier coup
qui devait l'achever spirituellement, par rapport à la
vie du monde et d'elle-même. Ce fut lorsque Marcelle,
qui était alors à son côté, ne pouvant plus contenir
dans son cœur l'enthousiasme religieux que l'attitude
sublime et les paroles de Jésus-Christ lui avaient in-
spiré, interrompant le silence mêlé d'admiration avec
lequel la foule écoutait le Seigneur, se mit à crier, au
milieu de cette foule, de toute la force de sa Y o i x , et
bien plus, de toute l'énergie de sa religion et de son
amour, en disant au Sauveur : « Heureux! mille fois
« heureux, le ventre qui vous a porté! Bénies, mille
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 377
« fois bénies les mamelles que vous avez sucées ; Ex-
« iollens vocem queedam mulier de turba, dixit iiïi :
« Beatus venter, qui te portavit, et ubera quœ suxisti
« (Ibid.). »
Ce trait de courage viril de Marcelle, bravant la
haine féroce des pharisiens, et opposant à leurs blas-
phèmes contre le Seigneur cette belle confession pu-
blique de sa foi en l'humanité et la divinité de Jésus-
Christ, touche encore plus le cœur de Madeleine et y
excite une sainte envie de l'imiter. « Ah! voilà, se
disait-elle, une belle à m e , une âme noble, grande,
parce qu'elle est pure ! une âme libre pour le bien,
tandis que je ne suis libre que pour le mal ! Une âme
pleine du courage de confesser Dieu, tandis que je n'ai
de courage que pour l'offenser! Une âme supérieure
aux vaines craintes de la terre, parce qu'elle n'aspire
qu'au ciel! Une àme maîtresse d'elle-même, parce
qu'elle est remplie de toutes les vertus, tandis que je
ne suis que le jouet de toutes les passions. Quelle
gloire, quel bonheur de pouvoir épancher ainsi son
cœur devant Dieu et lui rendre hommage, avec tant
d'indépendance, à la présence des hommes ! O la belle
alliance, dans la femme qui se respecte, de la timidité,
de la pudeur et de la foi! O Marcelle! que YOUS êtes
heureuse ! Je ne vous ai jamais vue aussi grande, aussi
noble, aussi belle! Je comprends maintenant où est,
pour la femme en particulier, la vraie grandeur, la
vraie noblesse et la vraie beauté ! »
Mais ce qui finit de toucher, de dompter l'âme de
Madeleine, si sensible et en même temps si fière, ce
fut la dignité et la bonté avec lesquelles l'aimable Sau-
378 HOMÉLIE VII. — LA PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

veur récompense la belle confession de Marcelle par la


plus sublime de ses leçons, par la plus précieuse et la
plus riche de ses promesses; en lui répondant : « C'est
« vrai; mais bien plus heureux sont tous ceux qui
« écoutent la parole de Dieu et qui la gardent ; Quin-
« imo beaii qui audiuni verbum Dei et custodiunt
y

« itiud (Ibid.) I » Cette promesse, se disait Madeleine,


ce bonheur spirituel, ce bonheur véritable, ce bon-
heur éternel, que ce bon et doux Jésus vient de pro-
mettre À Marcelle, il Va aussi promis à tous ceux qui
sont ici, s'ils veulent bien écouter sa parole. Il n'a
excepté personne. Moi aussi j'y suis comprise comme
les autres et avec les autres. Et n'est-il pas vrai que
cette grande parole, adressée directement à l'âme heu-
reuse qui est près de moi, a retenti d'un son éclatant
à mon oreille, a pénétré toute mon àme et a saisi tout
mon être ! Eh bien donc, ce bonheur sera aussi à moi ;
il ne pourra m'être refusé, si, en prenant ce divin J é -
sus au mot, je fais mon profit de ce qu'il vient de me
faire entendre, si je le garde dans mon cœur, si j'en
fais la règle de ma v i e ! . . . Et, là-dessus, Madeleine ne
voit plus, ne sent plus que le bonheur de suivre Jésus-
Christ, le charme du bien, les maintes délices de la
vertu et la richesse de ses récompenses !
C'est ainsi que la même lumière céleste qui lui dé-
couvre l'abime de sa misère lui fit entrevoir l'abîme de
la miséricorde de Dieu. C'est ainsi que la même voix
qui la menace du châtiment lui annonce le pardon ; le
même trait qui la blesse la guérit ; le même coup qui
l'abat la relève; le même mouvement qui l'ébranlé
l'attire. C'est ainsi que, sans cesser de se confondre,
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 379
elle se rassure; sans cesser de craindre, elle espère;
sans cesser de trembler, elle aime.
C'est l'ineffable économie par laquelle l'action di-
vine de la grâce produit en nous ces changements sou-
dains, ces transformations profondes qu'aucune autre
cause ne saurait produire.
Voyez, effectivement, par ce que Madeleine fait, ce
que Madeleine est devenue. Absorbée dans ses pen-
sées, le front bas, les yeux larmoyants, l'air effaré,
cette femme, il y a une heure, si légère, si hautaine,
si confiante et si gaie, quitte la foule qui entourait
toujours le Seigneur, se hâte de regagner sa maison ;
et s'enferme dans son appartement. La solitude est un
besoin pour une âme bouleversée, en proie à une pro-
fonde émotion et voulant rentrer en elle-même et ne
s'occuper que d'elle-même.
Là elle se recherche et ne se retrouve pas ; ou bien
elle se retrouve changée en tout autre être. Le regard
virginal de Jésus, les saints traits de son auguste
visage, en passant dans l'âme de Madeleine, venaient
de la purifier. Toutes les idoles de Vimpudicité ont dis-
paru de son esprit; toutes les traces de ses amours
adultères se sont effacées de son cœur. Son imagi-
nation, que tant de fantômes charnels avaient salie,
n'a plus que l'empreinte de l'honnêteté. Du fond de
cette âme, qui naguère ne respirait que la volupté, ne
s'élèvent que les saints désirs de la pudeur, qui l'attire
et la ravit d'elle-même. Son cœur, si inconstant, si
volage, se trouve fixé dans la résolution du bien par la
puissance de cet attrait divin, qui ne permet à l'âme
qui le subit de goûter d'autre bonheur que celui de lui
380 HOMÉLIE VII. — LA PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

céder et de lui obéir. Tout ce qui l'enchantait l'effraie;


tout ce qui l'attirait la repousse; tout ce qui faisait sa
félicité fait maintenant le sujet de sa confusion, de ses
regrets et de sa douleur; et, au contraire, l'idée d'un
entier divorce du monde, de la sévérité de la vertu,
des rigueurs de la pénitence ; cette idée, à laquelle elle
n'aurait pu s'arrêter un instant sans frémir, mainte-
nant lui sourit, et fait ses attraits et ses délices. La
terre s'est dissipée à ses yeux avec toutes ses illusions
et ses plaisirs; Marie ne pense plus, n'aspire plus qu'au
ciel. Dans cette solitude de son esprit, dans ce silence,
dans ce calme de toutes ses passions, elle croit enten-
dre toujours cette voix de Jésus-Chrisl qui avait ré-
sonné si douce à ses oreilles et qui s'était répétée avec
un écho si puissant dans son cœur.
Où suis-je donc, se disait-elle en donnant un libre
cours à ses larmes ; où suis-je donc, et quelle main
m'y a conduite? Que suis-je maintenant, et qui m'a
faite ce que je suis, si différente de ce que j'étais? Ce
grand changement, comment s'est-il opéré en moi en
quelques instants, sans bruit, sans secousse, sans vio-
lence? Ah! IL n'a fait que me regarder, et j'ai été
ébranlée. Il n'a fait que me parler, et j'ai été trans-
formée entièrement, refondue dans tout mon être. Il
est donc certainement Dieu ce Jésus dont le regard et
la parole ont été sur moi si puissants. S'il n'était pas
Dieu, qui me fait donc pleurer sur ma vie passée et me
la fait détester? Qui force ce cœur rebelle et lui im-
pose de se renier lui-même et de ne plus chercher son
bonheur que dans sa sujétion à la grâce? Ah! je ne
connais que trop les hommes! L'homme peut bien
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 381
égarer l'homme, le séduire, le corrompre; il ne peut
pas le convertir. Ce n'est pas un homme celui qui,
dans ce moment, peut tant sur moi, qui obtient tant
de moi, sans l'avoir presque demandé. A h ! le cœur de
l'homme ne peut être ainsi maîtrisé que par le Dieu
qui l'a fait! De pareils changements ne sont que l'œuvre
de la droite du Très-Haut : Hcec muiatio dexterœ Ex-
celsi (PsaL LXXVI).
« Mais si ce Jésus est Dieu, ce sont donc les yeux
de Dieu qui viennent de me regarder; c'est la parole
de Dieu que je viens d'entendre ; c'est Dieu lui-même
qui vient de se révéler à moi et de m'appeler à lui. C'est
Dieu qui est venu me chercher pour me sauver. Mais
comment et pourquoi ai-je trouvé tant de grâce au-
près de Dieu ? Comment Dieu a-t-il pu arrêter le r e -
gard de sa miséricorde sur moi, la plus ingrate, la plus
coupable, la plus abjecte de ses créatures, n'ayant fait
jusqu'ici que provoquer sa justice?
« Dieu de puissance et de majesté, comment avez-
vous pu être pour moi si bon, si clément, si miséricor-
dieux ? Je ne faisais que pécher, et vous aviez l'air
de dissimuler mes désordres ! Je ne mettais aucun
frein à mes crimes, et YOUS arrêtiez vos fléaux ! Au
fur et à mesure que je prolongeais, en péchant, la
chaîne de mes iniquités, vous prolongiez la longani-
mité de votre patience et de votre pitié ( l ) . Malheu-
reuse que j'ai été! Ah! je n'ai vécu que pour vous

(1) Emprunté à ce passage de saint Augustin : Ego peccabam, et


tu dissimulabas. Non continebam me a scelei'ibus, et tu abstine-
bas te a verberibus. Prolongabam ego, peccando, mïquïtatem; et
tu, Domine, pietatem tuam {Confession.).
382 H O M É L I E V H . — L A P É C H E R E S S E D E L ' É V A N G I L E ,
faire la guerre la plus obstinée, de toutes les puis-
sances de mon âme, de toutes les forces de mon corps,
par la multiplicité de mes crimes, par l'horreur de
mes scandales, par l'abus de tous vos dons, par la ré-
sistance à toutes vos grâces, par la profanation de
toutes vos lois, par le mépris de votre religion ! Et vous,
adorable Seigneur, au lieu de m'écraser sous le poids
de votre juste colère, vous venez de me tendre votre
main charitable pour m'aider à sortir de 1 abîme de mes
désordres-, au lieu de me frapper d'une mort sou-
daine et balayer la terre du scandale de mon exis-
tence, vous m'appelez à vous ; vous m'ouvrez le ciel, au
lieu de me plonger au fond des enfers; vous m'accordez
le plus grand de vos bienfaits au moment où je mérite
le plus affreux de vos châtiments! Madeleine, jus-
qu'ici toute contre Dieu, que feras-tu dorénavant
pour Dieu? »
Et dans ces soliloques, mêlés à un torrent de larmes
et aux coups les plus rudes dont elle se frappe la poi-
trine, elle porte les mains à sa chevelure et la laisse
tomber en désordre-, elle s'arrache tous ses ornements
qui ne respiraient que le luxe et la séduction; elle se
défait de toutes ses parures; elle fait un adieu définitif
au monde et à toutes ses vanités, à ses spectacles, à ses
intrigues, à ses plaisirs; elle renonce à toutes ses con-
naissances, à toutes ses amitiés; et, reléguée dans le
coin le plus obscur et le plus solitaire de la maison,
elle se livre à la méditation et à la prière, à tous les
sentiments du repentir, à toutes les pratiques de la
pénitence.
OU L'AMOUR PÉNITENT 383
4. Nécessité de la Confession sacramentelle pour la tramruillitè* du
pécheur. Madeleine guettant l'occasion de revoir le Seigneur pour
lui demander son pardon. Comment elle va le chercher dans 1*
maison de Simon le pharisien. Les banqiiets auxquels assistait le
Seigneur.
Mais, quelle que soit la sincérité de ses regrets et la
grandeur de son repentir, le pécheur converti craint
toujours de se faire illusion, tremble toujours de l'in-
certitude de son pardon. Il a donc besoin que Dieu
l'assure ou le fasse assurer par quelque moyen sen-
sible que ses péchés lui ont été remis. Et c'est l'une des
raisons de la nécessité de la Confession sacramentelle,
se terminant par cette grande parole qu'au nom de
Dieu y prononce le prêtre, à qui Dieu a, dans l'Évan-
gile (Joan.,xxu), conféré le droit de la prononcer, par
cette grande parole qui fait le bonheur de l'âme péni-
tente : « Je vous absous de tous vos péchés. »
Madeleine regrettait profondément le nombre de
ses crimes, les scandales d e sa vie. Elle sentait bien
qu'elle n'était plus pécheresse dès que, se repentant de
l'avoir été, elle avait décidé de ne plus l'être, et que la
grandeur de sa douleur l'avait changée en une vraie pé-
nitente. Mais tout cela ne lui suffit pas. Elle a besoin
d'un signe qui l'assure de son pardon, et elle le souhaite
de toute la vivacité de ses désirs... « Mais de quoi m'in-
quiété-je?se dit-elle à elle-même. LeDieu que j'ai offensé
n'est-il pas dans la personne de cet aimable Jésus qui
m'a convertie? Je n'ai donc autre chose à faire que
d'aller le trouver, me jeter à ses pieds, pleurer mes
péchés; et mes larmes désarmeront sa juste colère, ma
douleur touchera son cœur. Ma foi dans son pouvoir
divin, ma confiance dans sa bonté feront une douce
384 HOMÉLIE V I I . — L A PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

violence à sa miséricorde ; et ce Dieu, aussi bon qu'il


est puissant, ne me rejettera pas, ne me chassera pas,
je l'espère, j ' e n suis même sûre ; mais, au contraire,
il m'accordera la rémission que j'implore, et qui, met-
tant le cachet divin à ma conversion, achèvera mon
bonheur. Seulement, où et comment le trouverai-je,
afin de pouvoir à mon aise épancher mon cœur à ses
pieds et lui dire toute ma douleur ? »
Madeleine était dans ces dispositions et dans ces
pensées lorsque quelques jours après, Simon, l'un de
ces pharisiens que le divin Sauveur venait de con-
fondre par le prodige de la guérison de l'aveugle-
muet possédé du démon , et de foudroyer par ses
invectives pour les sauver \ Simon, dis-je, moins
méchant que les autres, avait invité le Seigneur à un
grand banquet qu'il allait donner chez lui à tous ses col-
lègues. Jésus-Christ avait volontiers accepté cette in-
vitation, dont sa grâce avait inspiré la pensée au pha-
risien, et dont la sagesse incarnée savait bien que
Madeleine allait profiter pour changer la salle d'un
festin en un lieu de pénitence et en un temple de reli-
gion. Voilà donc le divin Sauveur se rendant à ce ban-
quet, non pas, dit l'Interprète, pour se restaurer par
des aliments terrestres, mais pour nourrir, lui, par des
mets célestes tous ceux avec lesquels il se serait trouvé
en compagnie, pour donner lui-même aux convives
de cette réunion un banquet tout spirituel, en les ren-
dant témoins de la pénitence de Madeleine et de son
pardon (1). Et saint Chrysostôme a dit aussi : Jésus-

(1) « Hac de causa Chrislus, invitatus, ad convivlum pharisaei


ou LA
' MOUR PÉNITENT. 385
Christ ne s'est pas assis à cette table pour rassasier,
par des mets exquis, son corps, mais pour désaltérer
son cœur par les larmes de la pénitence qui allaient
couler, dans cette salle, des yeux de Madeleine. Car
Dieu a soif des larmes des pécheurs (1).
A peine le Fils de Dieu se fut-il couché (2) ou mis à

« venit, ut ibi convivium spirituale pœnitentiœ Magdalenae convivis


î exhiberet. »
( 1 ) « Accubuit, non saporata mella sumpturus, sed pœnitentis
« lacrymas potaturus. Deus enim sitit lacrymas peccatorum. »
Remarquez donc bien, nous dit Ericius, que toutes les fois que le
Fils de Dieu est allé dîner quelque part, ou il y a donné une grande
leçon, ou il y a révélé un grand mystère, ou il y a opéré un grand
prodige ; Quotiescumque pransurus resedit, aut aîiquid docuit, aut
signa patravit (Expos. Xin Luc). Ainsi, c'est par un prodige et par
l'appel de l'époux à l'apostolat que se termina le banquet des noces
de Cana (Joan., H). Celui qui eut lieu dans la maison de Matthieu
{Matth,) et de Zachée (Luc.) se termina par leur conversion. Celui
auquel le Seigneur assista chez le prince des pharisiens (Luc.) se
termina par la guérison de l'hydropique et la grande doctrine sur
l'humilité, et ainsi des autres. En sorte que, vous le voyez, ajoute
l'Emissène, Jésus-Christ, en assistant à des repas disposés pour res-
taurer les corps, les a toujours fait tourner au profit des âmes : Vide
quod cœnee Christi in salutem animarum convertuntur (Exposit.).
11 en devrait être ainsi de tous les banquets auxquels prennent part
des évêques, des prêtres et des religieux.
(2) Pour bien comprendre ce mot et ce qui suit, dans cet admi-
rable récit, il faut rappeler ici que les Juifs de quelque considération
avaient emprunté aux Romains, sous le joug desquels ils étaient
tombés, l'usage de manger à demi couchés sur de petits lits (qu'au-
jourd'hui on appellerait divans ou sofas), la face tournée vers la
table et les pieds dehors. Cela nous explique pourquoi, ici et ailleurs,
il est dit dans l'Évangile discubuit ou accubuit (mots qui signifient
il se coucha), pour dire « il se mit à table. » Et cela nous fait en-
386 HOMÉLIE VII. — LA PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

table chez Simon le pharisien que Madeleine en fut


avertie : Cum cognovissel quod in domo Pharisœi dis-
cubuit (v. 37). Cette circonstance, qui aurait rebuté,
détourné, arrêté toute autre femme d'y aller, n'est
qu'un appât de plus pour l'amour pénitent de Made-
leine, aussi généreux qu'il était fervent. « Tant mieux,
se dit-elle, si Jésus se trouve dans cette maison, en-
touré de tout ce que la ville de Naïm a de plus savant
et de plus distingué. Mes désordres ont été publics, il
faut que ma pénitence soit publique aussi ; il faut que
ce même monde qui m'a vue pécheresse dévergôttdëë
me voie humble pénitente ; j'irai pleurer hnfefe failles fen
présence même de ceux qui m'on! vue les commettre.
Combien y a-t-il là peut-être de mes anciens amis, de
complices de mes crimes, de victimes de mes séduc-
tions? Il faut que tout ce monde-là sache bien qtie je
ne suis plus ce que j'étais. Heureuse si, par l'exemple
de mon repentir, je pouvais ramener ceux que j'ai
perdus par mes scandales! » Et ainsi disant, sans per-
dre un seul instant, elle saisit un vase d'albâtre rempli
d'une liqueur exquise : Attulit alabastrtim unguenti
(v. 37); et, les cheveux épars, le front humilié, les
yeux baissés, la figure pâle, l'air calme, la mise mo-
deste, elle va à la maison de Simon, et elle y va d'un
pas accéléré ; rien ne peut arrêter les transports de son
repentir, les élans de son amour. En plein jour, elle
n'a pas honte de se laisser voir par les rues les pliis

tendre aussi comment la Madeleine, dans cette circonstance, aussi


bien que dans une antre, ait pu oindre les pieds du Seigneur sans
être obligée de se mettre sous la table.
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 387
populeuses de la ville, dans urte ëititUdë si étratigë et
si nouvelle. Elle foule aux pieds tout respect tnitttairt.
La vue du public ne l a retient pas, l a hotlle tië l'arrête
pas. Car que voulez-vous? dit l'Interprète; là grâce dti
Seigneur vient de découvrir à l'esprit de cette fértifflë
la turpitude de son âme, la profonde misère de son
état. C'est pour cela que, couverte de confusion et le
cœur transpercé par la douleur, elle ne peut pas se
supporter elle-même Un seul instant de pllis, ët elle
accourt vile aux pieds du Seigneur y trouver la fbrce
qui lui était nécessaire pour sortir de Sa lamentable
position (1). Saint Cyrille dit : « Ah! la vie de cette
femme a été impure; mais sa pensée, son intention
dans ce moment est pieuse, est sainte. Elle vient de-
mander à Jésus-Christ, au Dieu qu'elle a offensé, le
pardon de toutes ses fautes (2). » Et saint Grégoire
ajoute : u C'est que cette femme, en jetant uft regard
sur elle-même, vient de voir toutes les turpitudes qui
la salissent; elle en esthofiteuse, effrayée; elle court
donc aux pieds du Seigneur, parce qu'elle sait que c'est
là la fontaine de la miséricorde^ où elle peut être puri-
fiée (3). » C'est ainsi qu'opère l'anlour pénitent. Le
temps viendra où elle sera assez heureuse de recevoir

(1) « Ostendit ei Christ us in mente turpitudinem sua ni et mise-


nt rabUem statum ; unde ipsa confnsa et dolore transfixa, nec ad m o -
« mentum se ferre potuit ; sed illico cucurrit ad Christum, ut a tam
« miserabili statu se liberaret. »
(2) « Mulier inhonestae vitse, promens autem fldelem alfectum,
« venit ad Christum quasi petens largiri sibi veniam conimissorum. »
(3) « Quia hœc mulier turpitudiniâ maculas aspexit, ad Fontem
« misericordiae lavanda cucurrit. » «
388 H O M É L I E V I I . — L A P É C H E R E S S E D E L ' É V A N G I L E ,
Jésus-Christ chez elle et de faire les honneurs de sa
maison à cet Hôte divin. A présent elle va le chercher
dans la maison des autres, partout où elle peut le trou*
ver, comme l'Epouse des Cantiques, qui en fut la figure,
cherchait partout le bien-aimé de son cœur (1).

5. La Madeleine aux pieds du Seigneur. Sa confession tacite. Les


actes de sa pénitence célébrés par les Pères.

Profitant donc de la circonstance d'être connue par


les domestiques de la maison, Simon lui-même étant
l'un de ses amis, et, d'après quelques interprètes, l'un
de ses amants, elle pénètre jusqu'à la salle du banquet.
On la reconnaît; tous les regards se portent sur elle.
On s'étonne de la voir à cette heure dans un tel lieu,
en telle circonstance, dans une attitude si inusitée; on
en rit même, on s'en moque. Mais Madeleine n'y fait pas
attention. Que l'on trouve étrange, autant qu'on vou-
dra, qu'elle, dame du plus haut rang, ose se présenter,
se glisser comme par force là où personne ne l'a appe-
lée, cela lui est parfaitement égal, dit saint Augustin.
Elle veut se montrer effrontée pour son salut, puis-
qu'elle l'avait tant été pour sa perdition. C'est une
pieuse impudence que la sienne, puisque c'est le désir
de sa guérison spirituelle qui la lui inspire. Sa présence
peut paraître importune dans un festin ; mais elle est
très-opportune pour elle, à cause de l'avantage qu'elle
en attend. Ah! elle ne sait que trop la gravité de sa
maladie, et qu'elle n'en peut être guérie que par Celui

(l) A répitre de la messe de sainte Marie-Madeleine, on lit ce pas-


sage des Cantiques.
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 389
qu'elle est venue chercher (1). Ne vous étonnez donc
pas, poursuit saint Grégoire, que cette femme ne r e -
cule pas devant l'idée de se présenter dans l'attitude
de la pénitence devant tant de monde. La honte inté-
rieure qu'elle éprouve devant Dieu est si grande qu'elle
lui fait oublier la honte extérieure qu'elle peut rencon-
trer devant les hommes (2). La voilà donc qui, sans se
préoccuper de ce qu'on va dire ou penser de sa dé-
marche, va tout droit se placer là où était Jésus-Christ;
tout près de ses pieds, dit l'Évangile, et se cachant en
quelque sorte à lui, et se tenant respectueusement der-
rière lui ; Statis reiro secus pedes ejus (v. 37) ; et mon-
trant par là, d'après saint Grégoire de Nysse, qu'elle
s'estime indigne de demeurer en présence et d'attirer
sur elle les purs regards du Seigneur (3).
Mais voyez encore ce qu'elle fait. Fondant en lar-
mes, elle s'agenouille aux pieds du Sauveur, elle lave
ses pieds divins de ses pleurs, elle les essuie de ses
cheveux, elle y imprime de pieux baisers, elle les
arrose, les parfume de la liqueur précieuse qu'elle
avait apportée : Lacrymis cœpit rigare pedes ejus; et

(1) « Ubi cœîestem medicum venisse cognovit, ultro se ingessit


« in domum ubi rogata non fuerat, et quœ prius frontosa erat ad
« perditionem, postea frontosior facta est ad salutem. Quaesivit pia
« impudenlia sanitatem, irruens quasi importuna convivio, oppor-
« tuna beneficio. Noverat enim quanto morbo laboraverat; et illum
« ad sanandum esse idoneum ad quem venerat sciebat (Serm. 5 8 ,
« de Temp.). »
(2) « Convivantes non erubuit, nam quia semetipsam intus gra-
« viter erubescebat, nihil esse credidit quod verecunderetur foris. »
(3) « Stabat post tergum, indignitatem suam ostendens. »
300 HOMÉLIE VII. — LA PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

capiUis capiiis suiiergebai; ei oscuîabahir pedes ejus;


et unguenio ungebat (v. 37).
Elle ne profère pas un seul mot. La douleur qui Té-
touffe ne ILÛ laisse d'autre voix que celle de ses gémisse-
ments, de ses soupirs et de ses pleurs. Mais quel besoin
a-t-elle de parler par sa bouche, puisqu'elle parle si haut
et si éloquemmentpar ses actes? En humiliant, par ces
démonstrations de pénitence, ce corps qu'elle avait
prostitué au péché, ne confesse-t-elle pas assez qu'elle
a beaucoup péché, par la vanité de sa parure, par la
séduction de ses attraits, par la licence de ses regards,
par la sensualité de ses baisers, par la mollesse de sa
vie, par l'idolâtrie de toute sa personne? Ne dit-elle
pas assez qu'elle est honteuse, repentante de sa mau-
vaise conduite, et qu'elle en implore le pardon ? Car ce
qu'elle fait est-il autre chose que changer les enseignes
de ses plaisirs en moyens de manifestation de sa dou-
leur, et la matière de sa vanité en matière de sacri-
fice? Ses yeux, déjà si impudiques, ne savent que
pleurer. Elle ne se lasse pas, d'après l'expression de
l'Évangéliste, de baiser les pieds du Seigneur; Non
cessabat deosculari pedes ejus. Et qu'est-ce encore que
cela, dit l'Interprète, sinon convertir les impurs bai-
sers qu'elle avait prodigués à ses amants en baisers
chastes et suppliants, et vouloir sanctifier ses lèvres,
jadis si invérécondes, par le contact de la chair adorable
du Seigneur (1)? Oh! qu'il est beau de voir cette
femme, naguère si fière de sa naissance, de ses ri-

(i) « Osciria impudica ama&iorum convertit in escnla casta et


« supplicia pedum Christi. »
OU LAMOUR PÉN1TEKT. 391

chesses, de son esprit, de sa beauté, de ses coupables


conquêtes, maintenant si humiliée, si anéantie-, ne fai-
sant pas de conditions, se livrant à discrétion au Dieu
qui l'a appelée -, voulant être toute à lui, pour se venger
d'avoir été toute au monde et au péché; et, par les
sentiments de son affection et de sa dquleur, qu'elle
répand avec ses pleurs, semblant jurer qu'elle est dé-
cidée d'aimer le Seigneur autant qu'elle l'a offensé, et
que le nombre de ses péchés sera surpassé par le nom-
bre de ses sacrifices, par les actes de son dévouement!
Ainsi les Pères de l'Église se sont fait un bonheur d'il-
lustrer, par de beaux commentaires, les actes de la péni-
tence de Madeleine, et de s'extasier dessus. Je vais vous
édifier en rapportant ici quelques-uns des éloquents
passages de ces grands hommes sur ce touchant sujet.
C'est saint Grégoire d'abord qui nous dit: « Lorsque
je pense à la pénitence de Marie-Madeleine, je vous
assure que j'ai plus envie de pleurer avec elle que de
parler d'elle. Car il faut avoir le cœur plus dur que le
marbre pour ne pas être attendri, touché au spectacle
de cette pécheresse changée en modèle des vrais péni-
tents! La pensée fixe sur les torts qu'elle s'est donnés
vis-à-vis de Dieu et des hommes, elle ne met même
pas de terme au bien, par lequel elle veut les réparer.
Elle ne recule pas devant l'inconvenance qu'il y avait
à se présenter tout éplorée à un festin. Comprenez
donc combien sa douleur doit être grande, pour qu'elle
n'ait pas honte de venir répandre et mêler des larmes
à la gaieté d'un banquet (1). »

( l ) « Cogitanli mihi de Mari te pœnitentia flere ma gis libet quam


392 HOMÉLIE V I I . LA P É C H E R E S S E D E L ' É V A N G I L E ,
Dans cette circonstance, Madeleine a pratiqué, au
plus parfait, au plus héroïqqe degré, toutes les vertus
de l'Evangile avant même la publication de l'Évangile.
Elle n'est venue chercher Jésus-Christ que pour obtenir
de lui le pardon de ses péchés. Or, dans l'ancienne loi,
Dieu n'avait pas conféré, même aux prophètes, la
faculté d'absoudre. Madeleine, croyant que Jésus-
Christ peut l'absoudre, est donc, d'après l'argumenta-
tion de saint Augustin, Madeleine croyant que Jésus-
Christ était en même temps vrai homme et vrai
Dieu (1), Remarquez encore qu'elle ne prononce pas un
mot, parce qu'elle croit que Jésus-Christ, sans qu'elle
parle, lit dans son cœur, qu'il connaît les intentions
qui l'ont amenée aux pieds de son Sauveur, qu'il con-
naît la contrition qui brise son àme, la confusion qui
l'accable, les désirs qui l'enflamment, les prières qu'elle
lui adresse. Mais croire tout cela, c'était aussi croire
que Jésus était Dieu.
Saint Chrysostôme remarque, lui aussi, que jusqu'à
ce moment on ne se s'était adressé au divin Sauveur que
pour obtenir de sa bonté et de sa puissance des secours
et des guérisons du corps. Madeleine a été la première
à ne chercher auprès de Jésus-Christ que le pardon, la

« aliquid dicere. [Cujus enim vel saxeum pectus htrjus peccatricis


« lacrymas, ad exemplum pœnitentis, non emolliant? Consideravit
« quid fecerit, et noluit moderari quod faceret. Inter epulantes, la-
« crymas obtulit. Discite quo dolore ardet quai flere et inter epulas
« non erubescit (HomiL xxxui.iw Evang.). »
(\) « Quae sibi peccatum a Christo remitti credidit, Christum non
« hominem tantum, sed et Deum credidit. »
ou L'AMOUR PÉNITENT 393

grâce et le salut de Tâme (1). Et puisque ce n'est que


Dieu qui pardonne le péché, confère la grâce et sauve
les âmes, Madeleine recourant la première à Jésus-
Christ pour obtenir de lui tout cela, c'est Madeleine le
reconnaissant, la première, pour le vrai Messie, et
rendant un hommage public, éclatant, à sa divinité.
En voilà assez pour la pureté et la perfection de sa foi.
Saint Augustin, en commentant, lui aussi, ces actes
cle la Madeleine, écrit ce qui suit : « Elle est allée tout
droit chercher, non pas la tète, mais les pieds du Sei-
gneur ; et par là elle a voulu faire voir qu'en regrettant
d'avoir, pendant si longtemps, fait mauvaise route,
elle voulait dorénavant suivre les traces sûres de son
Sauveur et ses voies droites pour bien marcher. Les
larmes par lesquelles elle a lavé avant tout les pieds du
Seigneur, et qui se sont écoulées moins de ses yeux que
de son cœur, n'ont été qu'une confession tacite de ses
péchés. Il est vrai qu'elle n'a pas proféré un seul mot;
mais ses actes ont été plus éloquents que les plus longs
discours, pour attester à Jésus-Christ tout son attache-
ment et toute sa dévotion (2).
Il était d'usage chez les Juifs, lorsqu'on se présentait
dans une maispn où l'on avait été invité à dîner, que
le maître de la maison allât à la rencontre des invités,

( 1 ) « Prima fuit de qua novimus quod veniœet gratis causaive-


« rit ad Christum (Homil. xi in Matth.). »
(2) « Non ad caput, sed ad pedes venit, et quœ diu maie ambu-
« laverat vestigia recta quœrebat. Prius fudit lacrymas cordis et
« tangit Domini pedes confessionis obsequio. Tàcita loquebatur.
« Non sennonem promebat, sed devotionem ostendebat (Serm. 23 t

* inter. 60).
394 HOMÉLIE VII. — LA PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,
les baisât au front, leur fit laver les pieds ( 1 ) et oindre
la tète d'huiles parfumées et délicates. Simon le phari-
sien n'avait rien fait de tout cela avec Jésus-Christ,
qu'il avait invité à manger chez lui. Et voici que Made-
leine, se substituant elle-même à Simon, prend sa
place, et accomplit, d u n e manière infiniment plus
agréable au cœur du Seigneur, les actes de civilité que
le pharisien avait négligé de pratiquer envers le divin

(I) Cet usage était inviolable particulièrement lorsqu'il s'agissait


de grands dîners. Ainsi, au fur et à mesure que les convives arri-
vaient dans une grande maison pour y manger, le maître de la mai-
son, après les avoir embrassés et leur avoir donné un bai&er en
signe de bienveillance, les accompagnait au lavoir, où des domesti-
ques destinés à cela leur lavaient les pieds ; et c'étaient des femmes
qui remplissaient cette fonction, ainsi que nous l'apprend l'Écriture
même (I Reg., vin).
Cet usage tenait peut-être à ce que les Orientaux de ces temps-là,
comme aujourd'hui, marchaient généralement les pieds nus, et par
conséquent s'empoudraient facilement ; ce qui leur rendait nécessai-
res de fréquentes lotions. Ce lavement fini, d'autres domestiques,
d'un ordre plus élevé, apportaient aux convives des parfums ou des
huiles odoriférantes, et ils les répandaient sur leur téte et sur leurs
mains. C'étaient des essences d'herbes aromatiques, en particulier
du nard, mêlées à de la myrrhe. Ce n'était pas seulement en signe
de joie, et pour procurer aux convives une jouissance, — l e s Orien-
taux aimant beaucoup à se parfumer, à se rafraîchir et à se récréer
le corps par des odeurs,.— c'était aussi une précaution qu'on prenait
contre l'ivresse. Àd Impediendam ebrietatem, dit Cornélius à La-
pide. Car les odeurs, on le croyait du moins, empêchent l'Ivresse.
On appelait alabdtres les fioles contenant ces parfums, parce
qu'elles étaient d'alabastrite très-fragile comme du verre. On pouvait,
par conséquent, les casser très-facilement (comme le fit Madeleine à
la seconde onction qu'elle pratiqua au Seigneur), particulièrement
du côté du col, qui était long et étroit.
OU L ÀMOUH PÉNITENT. 395

Maître. Comme Jésus-Christ même Ta dit, lors dp la


seconde onction qu'elle lui fit six jours avant sa mort*
Madeleine, dans cette première onction, traite le corps
du Seigneur comme une chose sacrée, comrpe une
auguste relique, et la plus auguste, la plus sainte de
toutes les reliques, comme un corps divin, et lui rend
des honneurs divins; car elle ne lui lave les pieds que
de ses larmes, ne les lui essuie qu'avec ses cheveux, ne
les lui oint et ne les lui baise qu'en tremblant, et avec
un religieux respect, avec la plus tendre dévotion.
Elle se fit, dit saint Paulin, des pieds du Seigneur, de
ces pieds si purs, si beaux, si délicats, œuvre du Saint-
Esprit, une espèce de sanctuaire et d'autel; et c'est
dans ce sanctuaire, c'est sur cet autel qu'elle se purifia
par ses larmes, répandit son cœur par ses onguents,
s'immola par son affection, offrit à Dieu, en un mot,
un sacrifice complet. Car, d'après l'Écriture sainte, le
cœur attristé par le repentir est, pour Dieu, le plus
agréable des sacrifices humains (1). En voilà donc assez
encore pour la ferveur de sa religion.
C'est une amende honorable, reprend saint Grégoire,
que Madeleine fait, c'est une satisfaction complète
qu'elle donne à la justice divine de tous les désordres
de sa vie. Ses yeux n'avaient cherché que Ips objets
voluptueux dê la terre ; et la voilà châtiant ces yeux
par les larmes de sa pénitence. Elle s'était servie de
ses cheveux pour relever la beauté de sa figure, pour

(1) « Ipeos pedes sacrarium et altare constitua, in quibus libavit


« fletUj litavit unguento, aacrificayit affectu. » Saprificiuip enim
Deo (Psal. L.) spiritus contribulatus {EpistoL w).
396 HOMÉLIE VII. — LA. PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

augmenter les attraits de ses séductions; et la voilà


humiliant ses cheveux, ne les faisant servir qu'à
essuyer les pieds du Seigneur, qu'elle vient d'arroser
de ses pleurs. Elle n'ouvrait la bouche que pour tenir
d'orgueilleux propos, pour prononcer d'obscènes pa-
roles ; et la voilà sanctifiant cette bouche parles baisers
religieux et pudiques qu'elle imprime sur les pieds de
son Rédempteur. Elle n'avait fait usage des onguents
et des odeurs*que pour parfumer son corps, pour se
donner une jouissance voluptueuse, et la voilà main-
tenant offrant ces onguents et ces odeurs en l'hommage
de son Dieu. En un mot, elle fait des sacrifices par
tous les moyens par lesquels elle s'était donné des plai-
sirs ; elle convertit en matière de vertus tout ce qui lui
avait servi à multiplier le nombre de ses égarements.
Elle a changé en instruments de pénitence, pour le ser-
vice de Dieu, tout ce qui n'avait été en elle-même qu'un
instrument coupable pour l'offenser; et par là cette
courtisane si dévergondée est devenue plus pure que
les vierges mêmes (1). En voilà donc assez pour l'hu-
milité de sa confession et la sévérité de sa pénitence.

( 1 ) « OcuUs terrena copierai ; sed, nos jam per pœnitentiam con-


te terens, flebat. Capillis ad compositionem vultus exhibuerat; sed
« jam capillis lacrymas tergebat. Ore superba dixerat; sed pedes
« Domini osculans, hoc in Redemptoris sui vestigio flgebat. Unguen-
« tum sibi pro odore s u s carnis exhibuit ; quod ergo sibi turpiter
« exhibuerat, hoc jam Deo laudabiliter offerebat. Quot ergo in se
« habuit delectamenta, tôt de se invenit holocausta. Convertit ad
« virtutum numerum, numerum criminum : ut totum Deo serviret
« in pœnitentia quidquid ex se Deum contempserat in culpa. Sic
a igitur meretrix effecta est honestior virginibus, »
ou L'AMOUR PÉNITENT. 397

Tout cela est bien admirable, sans doute, dit tou-


jours saint Grégoire; mais tous ces actes extérieurs de
pénitence, visibles aux yeux de l'homme, que Made-
leine accomplit par son corps, ne sont rien en compa-
raison des actes intérieurs de pénitence qu'elle accom-
plit en même temps par son cœur, et qui n'ont d'autre
témoin que Dieu (1); c'est-à-dire q u e , pendant que
Madeleine fondait en larmes, son àme, ainsi que Jésus-
Christ va nous le révéler tout à l'heure, était brisée
par une immense douleur, parce qu'elle brûlait d'un
grand amour.
Saint Hilaire dit aussi : Elle convertit à l'honneur et
à la louange du Seigneur tout ce qui lui avait servi aux
soins du corps, et lui donna ainsi tous les témoignages
d'un cœur profondément dévoué (2).
Le baiser, dit saint Ambroise, est le symbole de la
réconciliation aussi bien que de l'amitié et de l'amour.
Par cet acte de baiser les pieds du Sauveur, Madeleine,
tout en demandant le pardon de ses péchés, a de-
mandé à se réconcilier avec Dieu, à recouvrer l'amitié
et l'amour de Dieu (3).
Jésus-Christ, ajoute saint Paulin, n'a pas été touché
des parfums de Madeleine, mais de son saint amour ( 4 ) .

(1) « Hœc quidem agebanlur exterius, quae vero revolvebat ejus


« intentio, multo ferventiora erant, quae solus Deus inspiciebat. »
(2) * Omnem curam corporis sui, et totum pretiosœ mentis affec-
« tum in Dei honorem laudemque transfudit. »
(3) « Hoc gestu petens peccatorum veniam et reconciliationem ;
« hujus enim symbolum est osculum aeque ac amoris et chari-
* tatis. »
(4) «Non unguentumin illa Deus, sed charitatemdilexit(/?pi$/.iv).»
398 HOMÉLIE VII. — L A PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

C'est donc l'amour pénitent qui vient de prendre, dans


son cœur, la place de l'amour coupable ; et dès lors elle
se sent possédée par un vif sentiment de pitié religieuse
pour Jésus-Christ, de haine profonde pour elle-même,
de honte pour ses fautes, de confiance de leur pardon.
C'est un ensemble de mille sentiments divers, mais
tous purs, tous nobles, tous parfaits, qui étouffent le
péché dans la contrition et qui l'effacent par l'amour.
En voilà donc assez encore pour la perfection de toutes
les vertus intérieures, l'humilité, la confiance, la gra-
titude, la contrition et la charité.
Enfin, cette scène si touchante a lieu dans un ban-
quet public, en présence de tous les personnages les
plus marquants de la ville qui a été témoin de ses
désordres; en voilà donc assez, dit l'Interprète, pour
la publicité de sa pénitence par laquelle elle répare e(
efface la publicité de ses scandales (1).

G. La conversion de Madeleine parfaite. Le monde ne se moque quu


des conversions équivoques. La femme vraiment convertie par
l'amour de Dieu.

Désormais vous chercherez donc en vain dans Made-


leine cette femme éhontée qui promenait ses scandales
par toute la Palestine, qui se faisait un titre d'affreuse
gloire d'être devenue non-seulement une grande pé-
cheresse, mais aussi le péché permanent, le péché
public, le symbole visible du péché de tout un peuple :
Mulier in civitate peccatrix. Elle a fait un tel chan-

(i) « ln publico convivio hos pœnitentiœ actus edebat, ut publica


« scandala publica pœnitentia satïsfaceret, iliaque aboleiet. »
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 399
gement qu'il n'est plus possible de s'y tromper, et de
penser qu'elle pourra jamais redevenir ee qu'elle à été ;
qu'il n'est plus possible d'exciter le moindre doute sur
la sincérité de son repentir et la constance de sa con-
version. Ainsi elle pourra dorénavant suivre partout
le Seigneur, l'accueillir chez elle sans le moindre in-
convénient pour la réputation de l'un et de l'autre. Le
monde pourra bien s'étonner du fait de son retour au
Seigneur-, mais il ne pourra pas le nier, et il saura btèn
à quoi s'en tenir*, il ne pensera rien qiii ne soit pur et
saint dans les relations de Madeleine avec qui que ce
soit. Le inonde ne plaisante, et à juste raison, que sur
des conversions à moitié-, sur des conversions préten-
dant demeurer dans un juste milieu entre Dieu et le
monde; sur des conversions produites moins par la
haine que par l'ennui, la nausée du péché; sur des
conversions prêtes, dès que le péché aurait revêtu de
nouveaux attraits, à revenir sur elles-mêmes, à se dé-
mentir elles-mêmes. Mais quant aux conversions que
l'amour pénitent a faites, conversions sincères, radi-
cales, complètes, le monde, même le plus léger, sans
avoir le courage de les imiter, les admire, les respecte
et leur rend hommage.
Remarquez aussi que personne n'a prêché Made-
leine, ni ne lui a suggéré de faire ce qu'elle vient de
faire. Jésus-Christ seul est allé droit à son cœlir, y a
allumé le feu de l'amour céleste, et cette flamme
sacrée, en dévorant en un instant tout ce qu'il y avait
de charnel et de profane dans ce cœur, Ta éclairée en
même temps qu'elle Ta purifiée. A la lueur de cette
flamme divine, Madeleine comprit tout d'abord ce que,
400 HOMÉLIE VII. — LA PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

dans tout ce qu'elle croyait innocent ou indifférent, il


y avait de coupable pour elle-même et de dangereux
pour les autres et ce qui lui convenait de faire pour
s'éloigner du mal, pour s'affermir dans le bien.
Ainsi, il n'est pas nécessaire de tonner, du haut de
cette chaire sacrée, contre le luxe ruineux du sexe,
contre son immodestie dans les habillements, contre
le danger de ses confidences, contre le scandale de ses
relations, contre sa fureur pour la danse, les plaisirs et
les spectacles. Et les ministres de l'Évangile font bien
de ne pas trop insister sur ces sujets, et de réserver à
la grâce de Dieu d'instruire là-dessus les femmes mon.
daines plutôt que de livrer sa parole à leur censure.
Pour des femmes que le feu de l'amour divin n'a pas
atteintes, les réprimandes, les objurgations sur ces su-
jets ne produisent aucun bien-, au lieu de convenir de
la culpabilité de leurs actes, elles accusent de trop de
sévérité nos paroles 5 elles s'indignent, se roidissent, se
révoltent contre l'orateur sacré; mais elles ne se cor-
rigent pas. Quant aux femmes que la grâce a touchées, et
qui, ayant répondu à l'appel delà grâce, se livrent à son
action, nous pouvons nous reposer sur elle pour l'ins-
truction de ses nouvelles converties. L'amour divin,
commençant à les travailler, les instruit. Elles com-
prennent d'elles-mêmes ce qu'elles doivent désormais
s'interdire et ce qu'elles peuvent se permettre. Elles
voient bien du mal là où autrefois elles disaient qu'il n'y
en avait pas du tout; et le même amour divin qui les
éclaire sur leurs devoirs les pousse, les encourage à les
accomplir.
Femmes chrétiennes, il y a donc moyen de dire vrai,
ou L'AMOUR PÉNITENT 401

il y a moyen de rompre avec le monde, de renoncer


au monde pour être toutes à Dieu, sans avoir rien à
craindre de l'injustice et de la méchanceté du monde;
c'est de se livrer à l'attrait de l'amour divin ; c'est d'être
pénitent par amour, comme et autant qu'on a été pé-
cheur par amour; et l'amour pénitent fera de vous des
prodiges de vertu, lors même que l'amour pécheur eût
fait de vous des pécheresses monstres ou des monstres
de péché : Mulier in civitate peccatrix.

DEUXIÈME PARTIE.
LE PARDON ET LA SATISFACTION.

6. Simon le pharisien critiquant Jésus-Christ et Madeleine. La fausse


justice. Le prêtre doit être reconnaissant à Dieu et indulgent e n -
vers les pécheurs. Jésus-Christ se manifestant Dieu aux traits
mêmes auxquels Simon le mésestime comme homme.

JVLus, revenons à notre Évangile. Cette conversion


paraît une chose si étrange et si difficile au pharisien,
qui en était témoin, qu'au lieu de croire Madeleine
vraiment convertie, il croit plutôt que Jésus-Christ
s'est trompé. Car si ce Jésus, se disait-il, était vraiment
ce qu'on le dit, un prophète, il saurait combien est
infâme la femme qui est à ses pieds ; il saurait que c'est
une courtisane célèbre, et il aurait honte de se laisser
toucher les pieds par elle; Hic, si essetpropheta^ sciret
utique quœ, et qualis est mulier quœ tangit eum, quia
peccatrix est (v. 39) (1).

(l ) Au sens allégorique, ce pharisien si présomptueux de sa fausse


justice signifie, dit saint Grégoire, le peuple juif; et la femme p é -
i. 26
402 HOMÉLIE VII. LA. PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

Voilà donc le pharisien, dit Saint Grégoire, confon-


dant dans le même blâme et dans le même mépris et
la femme qui était aux pieds du Seigneur et le Seigneur
même qui l'accueillit. Le voilà, ce docteur faussement
juste et vraiment superbe, faisant à la femme malade
un crime de ses infirmités spirituelles, et au Médecin
feéleste un crime de sa disposition à la guérir. Le voilà,
ce censeur impitoyable, nous donnant bien à penser
que, si cette femme s'était approchée dé lui, il l'aurait
chassée à coups de pied (1).
C'est le type, poursuit saint Grégoire, de certains
ecclésiastiques quî^ pour n'avoir pas fait beaucoup de
mal, pour avoir fait quelque peu de bien, sans réfléchir
que c'est à la grâce de Dieu qu'ils doivent tout cela,
se croient avoir le droit de mépriser ceux qui n'ont
pas autant de mérite à leurs yeux, et de repousser avec
dédain les pécheurs de la classe inférieure du peuple.
Mais c'est l'esprit des pharisiens. Le vrai prêtre de Jésus-
Christ, pénétré de son esprit, en voyant les plus grands
pécheurs; art lieu de les repousser, doit répandre des
larmes sur lui-même, en se souvenant, en présence
de leat ntèlhfctfr, que peut-être il est tombé, ôd qu'au

cheressc, accourant aux pieds du Seigneur et pleurant sa propre


faute, signifié là gèntîlitè', convertie au cnrïstiariisme, Sfystico in-
tcllèetu, pharisiens, de falsà justitia prwiumens, judaicum po-
pulum; peccatrix mulier ad vestigia Domini veniens et plorans,
conversam gentilitatem désignât. »
(î) « Ecce pharisaeus, veraciter apud se superbus et fallaciter
« justus, aegram reprehendit de aegritudine, et Medicum de sub-
< veritione. Qûaè sï atfpnârisœi pédes venisset, calcïbus repùlsà dis-
« cëderef. »
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 403
moins il peut tomber lui aussi dans les mômes fautes.
Le vrai prêtre de Jésus-Christ doit bien comprendre
que le même Dieu qui lui a donné la mission de
tonner contre les vices lui a fait une obligation de
compatir aux misères de la nature humaine. Il y a dans
tout pécheur qui se présente à nous deux hommes,
l'homme coupable et l'homme qui est notre prochain,
notre frère. Eh bien, tout en réprimandant dans le
pécheur l'homme coupable, nous devons accueillir,
embrasser en lui l'homme prochain, l'homme frère,
particulièrement lorsqu'il déteste, par un repentir
sincère, le mal qu'il a fait* car alors le pécheur a
disparu en lui, pour ne laisser également en lui que
notre prochain, qui se met d'accord avec Dieu, en con-
damnant lui-même, en lui-même, ce que la justice de
Dieu condamne (1). »
Voici encore un beau passage de saint Augustin au
sujet de \û reconnaissance que doit à Dieu l'âme qui
n'a pas commis de grands excès, et au sujet de la dé-
fiance d'elle-même et de l'esprit d'humilité qu'elle doit
toujours garder. Le saint docteur introduit Dieii par-
ti) * Sic quidam sacerdotal! offlclo praediti, si quid fartasse juste
« exterius vel tenuiter egerint, protinus subjectos despiciunt, et
« peccatores quosque in plèbe positos dedignantur. Necesse est autem
» ut cum peccatores quosque conspicimus, nosmetipsos prius in
« eorum calamitate defleamns, quia fortasse ih similibus aut lapsi
« pumus, autlabl possumus. Oportet autem ut sollicite discernamus,
« quia distrtctionem debemus vitiis, compassionem naturse* si enim
« feriendus est peccator, nutriendus est pro\imus, cum jam per
« pœnitentiam percutit ipse quod fecerlt,jam nosterproximus, pec-
« cator non est, quia hoc ipse punit quod divina justitia depré-
* hendit. »
404 HOMÉLIE VU. LA PÉCHERESSE DE L*ÉVANGILE,

lant comme suit à cette àme : <c Si tu n'as pas été adul-
tère, qui t'a conservée pure Pce n'est qu'à moi que tu dois
de ne pas avoir commis d'adultère. Si tu n'as pas trouvé
de tentateur, c'est moi qui ai fait que le tentateur te
manquât. Si, ayant bien des tentateurs, aussi bien que
le temps, l'occasion, l'opportunité de faire le mal, tu
ne Tas pas fait, c'est moi aussi qui, t'ayant intérieure-
ment effrayée, t'ai détournée de le faire. Reconnais
donc en tout la grâce de Celui auquel tu dois d'avoir
évité tous les péchés que tu n'as pas commis, et sache
bien que, si le Dieu créateur et recteur de l'homme
s'éloigne de l'homme, il n'y a pas de si grand péché,
commis par un h o m m e , qu'un autre homme ne puisse
pas commettre (1). Mais revenons à Simon.
L'argument qu'il se faisait à lui-même pour con-
clure au blâme du Seigneur, en présence de la bonté
avec laquelle le Seigneur recevait les honneurs que lui
rendait Madeleine, se réduisait à ceci : Ou Jésus ne
connaît pas cette femme, ou il la connaît. S'il ne la
connaît pas, s'il n'a pas pu la deviner, il n'est donc pas
un voyant, un prophète. S'il la connaît, et cependant
qu'il consente à se laisser toucher par une aussi im-
pure créature, il n'est pas pur lui-même. Mais c'est
tout le contraire qui est vrai. Par cela même qu'il se

( l ) « Adulter non fuisti, servabam te mihi ut adulterium non


« committeres. Suasor defuit; ut suasor deesset, ego feci. Affuit
« suasor, non defuit locus, non defuit tempus, ut non consentires,
« ego terrui. Agnosce ergo gratiam Ejus cui debes quod non admi-
« sisti. Nullum est enim peccatum quod facit homo quod non possit
« facere aller homo, si desit Hector, a quo factus est homo (loc.
« citât.)* »
ou LA
' MOUR PÉNITENT 405
laisse approcher et toucher par Madeleine, Jésus-
Christ montre clairement qu'il est n o n - s e u l e m e n t
prophète, mais le Dieu des prophètes; qu'il est n o n -
seulement pur, mais la pureté môme. II se révèle pro-
phète et Dieu, parce qu'il fait voir qu'il connaît le
changement qui vient de s'opérer dans cette femme,
jadis si coupable ; qu'il connaît qu'elle n'est plus p é -
cheresse ni impure, puisqu'elle s'était sanctifiée et
purifiée par le repentir (1); qu'il connaît, dit saint
Pierre Chrysologue, que cette femme est vraiment
Madeleine. Mais Madeleine changée en toute autre
femme, et qu'elle est déjà devenue plus sainte et plus
pure que l'immonde et orgueilleux pharisien lui-môme,
qui avait commis les mêmes fautes que Madeleine, et
peut-être de plus graves encore (2). Jésus-Christ se
découvre encore comme la source de la pureté, dit
Cornélius à Lapide, puisqu'il trouve convenable que
les impurs le touchent, afin d'être purifiés par lui (3).
Remarquez enfin, nous dit Titus, que Jésus-Christ a
pénétré les pensées coupables que le pharisien roulait

( 1 ) C'est que la contrition parfaite ne demande pas du temps, dit


saint Léon, pour justifier le pécheur et lui obtenir le pardon, même
hors du sacrement, puisque le Saint-Esprit nous a fait dire par son
prophète : A peine vous aurez commencé à gémir, en vous conver-
tissant, que vous serez sauvés ; Nullas patitur venix moras vera
conversio, dicente Spiritu sancto per prophetam : « Cum, conver-
ti sus, ingemueris, tune saïvus eris (Epistoi. 9 1 ) . »
(2) « Erat enim eadem, sed altéra; erat mundior et sanctior i m -
« raundo et superbo pharisœo qui similia et graviora fortasse quam
« Magdalena commiserat (Serm. 73 et 7 4). »
(3) • Decebat immundos tan gère Christum, ut ab eo munda-
« rentur. »
406 HOMÉLIE VII. LA PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE.
dans son esprit, puisque l'Évangile nous dit que le
Seigneur y répondit sans que Simon les eût articulées :
Respondens autem Jésus (v. 40). Voilà donc le même
Seigneur démontrant qu'il a lu non-seulement dans le
cœur de Madeleine, mais dans le cœur de Simon lui-
même, et prouvant encore par là qu'il est prophète et
le Dieu des prophètes (1); et voilà Simon bien cou-
pable de l'avoir si mal jugé.

8. Ineffable bonté avec laquelle Jésus-Christ reprend Simon. La pa-


rabole de deux débiteurs expliquée. Les dettes du péché. Com-
ment Madeleine les a acquittées par l'amour. La contrition et l'at-
trition.

Cependant l'aimable Seigneur n'aborde pas Simon


d'un air courroucé, ne le gronde pas des jugements
téméraires qu'il s'est permis contre la Madeleine et
contre le Seigneur lui-même. Mais, en vrai médecin
charitable des âmes (2), il s'applique, avec la plus
grande bonté, à détromper Simon de sa prétendue

(1) « Dominus autem non verba ejus audiens, sed cogitationcs


« inspiciens, Dominum se prophetarum ostendit. »
(2) Voyez donc, nous dit encore saint Grégoire, entre Simon et
Madeleine, entre deux pécheurs, le Fils de Dieu assis au milieu,
comme un médecin entre deux malades ; avec cette différence que
l'un de ces deux malades, Madeleine, connaît bien son état malgré
la fièvre de ses vices; et l'autre, Simon, ne comprend pas le sien,
aveuglé qu'il est par la fièvre de son orgueil. En effet, celle-là, en
pleurant ses péchés, sollicite le remède de ses infirmités, tandis que
celui-ci, enorgueilli de sa fausse justice, ne fait qu'exagérer sa santé :
Inter duos aegros medicus aderat; sed untts, in febre, sensum te-
nebat, alter sensum perdiderat mentis. Ma quippe Jtebai quk
fecerat; pharisxus autem, de falsa justifia elatus vim suœ v<i-
}

letudinis exagerabat.
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 407
justice, à le guérir de son orgueil, c'est-à-dire, d'après
la jolie pensée de saint Augustin, que le Fils de Dieu
ne voulut pas avoir l'air de dîner gratis chez ce phari-
sien, et par ce soin qu'il prit aussi de son âme il voulut
le rétribuer largement de son hospitalité (1).
Il réprimande en effet cet injuste censeur, mais sans
le froisser - il le confond, mais sans l'abattre; il l'ins-
truit, mais sans l'avilir. Car : Simon, lui dit-il de l'air
de la plus grande douceur, j'ai quelque chose à te com-
muniquer : Simon, habeo aîiquid tibi dicere. Parlez,
maître, répondit le pharisien, je suis prêt à vous en-
tendre : Magister, die (v. 40).
Un créancier, reprit le Seigneur, avait deux débi-
teurs : l'un lui devait cinq cents deniers, l'autre ne lui
en devait que cinquante. Mais n'ayant ni l'un ni l'autre
de quoi payer leur dette, il la leur remit à tous les
deux tout entière : Duo debitores erant cuidam fœne-
raiori : unus debebat denarios quingentos, alius quin-
quaginta. Non hàbentïbus illis unde redderent, donavii
utrique (v. 41-42). Or, il est à supposer que ces deux
débiteurs aimaient tous les deux ce créancier, pour
avoir mérité qu'il leur remît leur dette. Sur cela, je te
fais cette question : Lequel des deux, selon toi, aimait
davantage ce créancier généreux ? Quis wgo eum plus
diligit (v. 42)? Je pensp, répondit Sjnion, que celui
qui aimait davantage est le débiteur à qni Ton a fait une
grande remise : Respondens Simon dixit : JEsiimo
quia is oui plus donavit (v. 43). Tu en as bien jugé,

(0 « Quia et ipsum sanare cupiebat, ne gratis apud illum come-


« deret. »
408 H O M É L I E V I I . LA. P É C H E R E S S E D E L ' É V A N G I L E ,

reprit Jésus-Christ: Ai ille dixit : Reciejudicasti(Ibid).


Et, se tournant vers Marie, qui, accablée par la confu-
sion que lui causait la vue de ses péchés, se tenait tou-
jours derrière le Seigneur et n'osait se présenter de-
vant lui; il la regarda avec l'expression du plus grand
intérêt et de la plus grande bonté, et la montrant au
pharisien : Simon, lui dit-il, vois-tu cette femme que
tu méprises tant dans ton cœur, que tu crois indigne
de toucher mes pieds? cette femme vaut, à mes yeux,
mieux que toi: Et conversus ad mulierem (Y) dixit
Simoni : Vides hanc mulierem (v. 44)? Je suis venu
chez toi à ta sollicitation; et, contre la coutume de la
civilité la plus commune, tu ne m'as pas offert de l'eau
pour me laver les pieds, tandis qu'elle, quoique je ne
fusse pas chez elle, a arrosé mes pieds de ses larmes (2)
et les a essuvés de ses cheveux : Intravi in domum

(1) « Erat enim rétro a ter go, nec audebat ex criminum confu-
« sionecoram ejus facie comparere ; et beuignis eam oculis respexit
« [Cornélius à Lapide.). »
(2) C'est comme s'il lui avait dit, d'après saint Ambroise : Rien
n'est plus facile que d'offrir de l'eau, mais il n'est pas aussi facile de
répandre des larmes. Tu m'as donc refusé même Peau que tu pou-
vais m'offrir chez toi sans te déranger, tandis que cette femme a dû
faire bien des efforts sur elle-même pour venir ici laver mes pieds
de ses larmes. Heureuse donc cette femme que tu regardes avec m é -
pris et qui cependant est parvenue, par ce lavement de mes pieds, à
effacer les taches de son âme, et qui, les ayant essuyés de ses che-
veux, a acquis la sainteté par le même moyen par lequel elle avait
attiré les jeunes gens au péché : Facilis est usus aquarum, non est
facilis tacrymarum effusio. Tu promptis non es usus; hase effudit
non prompta. Lavans lacrymis pedes tneos, lavit maculas pro-
prias. Tersit comis, et quibus venata est ad peccatum juventutem
venata est sanclitatem.
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 409
tuam aquam pedibus mets non dédis ti; hœc autem ri-
y

gavit pedes meos et capillis suis tersit (Ibid.). Tu ne


m'as pas donné le baiser de l'amitié, qu'on ne refuse
nulle part chez soi aux personnes que Ton considère,
tandis qu'elle, dès l'instant où elle est entrée ici, n'a
pas cessé de me baiser les pieds : Osculum mihi non
dedisii ; hœc autem, ex quo intravit, non cessavit oscu-
lari pedes meos (v. 45). Tu ne m'as pas versé une
goutte d'huile sur la tête, tandis qu'elle a parfumé mes
pieds des baumes les plus précieux : Oleo caput meum
non unxisti; hœc autem unguento unxit pedes meos
(v. 46).
C'est pourquoi je te dis que beaucoup de péchés lui
sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé; car, d'a-
près la règle que tu viens d'admettre, celui à qui on
a remis moins aime moins. Et, s'adressant à Made-
leine , l'aimable Seigneur lui dit : Vos péchés vous
sont remis : Propter quod dico tibi ; Remiituntur ei
peccata multa quia dilexit multum ; cui autem minus
dimittitur minus diligit. Dixit autem ad illam : Re-
miituntur tibi peccata (v. 47 et 48.)
Or, tout cela est bien touchant; mais il est en même
temps bien intéressant et bien instructif. Tâchons seu-
lement de le bien comprendre.
Le créancier à qui Jésus-Christ a voulu faire allusion
dans cette parabole était Dieu ; ses deux débiteurs lui
devant l'un une somme plus forte que l'autre étaient
Madeleine et Simon, tous les deux pécheurs, mais Ma-
deleine l'était bien plus que Simon. Car tout pécheur
est le débiteur de Dieu, et tout péché est une véri-
table dette que l'homme qui pèche contracte avec la
410 HOMÉLIE V U . — L A PÉCHERESSE DE L ÉVANGILE,

justice de Dieu, ainsi que Va déclaré Jésus-Christ lui-


même en nous apprenant à demander à Dieu de vou-
loir nous remettre toutes nos dettes : Dimiite nobis dé-
bita nostra (M'aitA., îv), c'est-à-dire de vouloir bien
nou§ pardonner tous nos péchés.
Les deux débiteurs étaient tous les deux également
insolvables, et par là le Seigneur a voulu nous révéler,
dit la Glose, la triste condition où toujt pécheur se
trouve de ne pas pouvoir, par ses seuls efforts, être
délivré des dettes, de ses péchés, expier ses péchés, et
d'avoir besoin que la miséricorde de Dieu les lui re-
mette (1). Or, le pharisien avait méprisé dans son cœur
Madeleine, parce qu'elle était une grande pécheresse;
et dans son cœur même il s'estimait valoir plus qu'elle,
et il se préférait à elle. Par la parabole des deux débi-
teurs, Jésus-Christ voulut donc le détromper. Car ce
fut lui dire, d'après Titus : Il est vrai que tu n'es pas
coupable d'un aussi grand nombre de péchés que Ma-
deleine; mais, pour être moins pécheur qu'elle, tu
n'en es pas moins qu'elle le débiteur de Dieu. N'étant
pas sans péché, tu n'es pas non plus sans dettes; tu
n'as pas moins besoin que Madeleine que la miséri-
corde de Dieu t'en fasse la remise. De quoi et pour-
quoi t'élèves-tu donc tant dans ton esprit au-dessus
d'elle (2)?

(1) « Nullus enim potest, per sçipsum, a O>J)UQ peccatt liberari,


« nisi diyina gratia yeniam consequatur (Glos. in Çaten.). »
(2) « Neque tu absque debilo e s . Quid igitur si in paucioribus te-
« ncris? Non superbies, quia tu quoqùe'vènia' eges. » D'après saint
Chrysostôme, Jésus-Christ nous avertit par cette comparaison que
nous devons, en nous convertissant au Seigneur, faire dû bien en
ov I/AMOUB PÉMTE_NT. 411
En second lieu, par la différence que le Eib dp
Dieu a signalée entre la manière dont Madeleine ve-
nait de le traiter dans une maison étrangère et la
manière dont Simon l'avait accueilli chez soi, il vou-
lut lui dire encore ceci : « Simon, il est clair, par ce
contraste, que cette femme m'a aimé plus que toi, et
même mieux que toi, puisqu'elle a fait ce que j'aime
que tout pécheur fasse pour moi, puisqu'elle est venue
pleurer devant moi ses péchés, et en a sollicité le par-
don. Tu aurais aussi dù en agir ainsi, mais tu ne l'as
pas fait; tu m'as même refusé les marques de la bien-
veillance la plus ordinaire ; tu ne m'as aimé pas même
comme homme, tandis qu'elle m'a reconnu, honoré,
aimé comme Dieu. Qu'importe donc qu'elle ait commis
un plus grand nombre de péchés que toi, puisque, se
reconnaissant plus criminelle que toi et se croyant
dans le besoin d'une plus grande miséricorde, d'une
plus grande indulgence, elle est venue les provoquer
cette indulgence et cette miséricorde par des actes de
l'amour le plus sincère, le plus respectueux, le plus
fervent et le plus parfait? Ces péchés, si nombreux et
si graves, lui sont remis en considération de son grand
amour : Remittunluv ei peccata multa quia dilexii
multum ; tandis que toi, si tu te décides à me demander

proportion du mal que nous avons fait; que des grands péchés d e -
mandent de notre part une grande pénitence et que, parce que la
miséricorde de Dieu nous les a pardonnes, nous ne devons pas moins
nous rappeler l'immense dette que nous avons, par ces péchés, con-
tractée avec la justice de Dieu. « Qui vehementer se ingesserunt
« malis rursus et bonis vehementer insistant, conseil ad quot dé-
fi bita se obligaverunt. »
412 HOMÉLIE V U . — L A . PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

pardon de tes péchés, tu l'obtiendras, il est vrai, toi


aussi ; mais en te croyant débiteur d'une petite somme
ou moins coupable, tu viendras solliciter avec moins
d'amour ma miséricorde et mon indulgence, dont tu
croiras avoir moins besoin ; et, par conséquent, en rece-
vant toi aussi ton pardon, comme Madeleine, tu m'au-
ras moins aimé : Cui autem minus dimittitur minus
diligit. Les péchés donc vous ayant été remis à tous
les deux, vous serez sans dettes devant Dieu \ mais il
restera à Madeleine le mérite d'avoir plus aimé : plus
diligit ; elle vaudra, à cause de cela, plus que toi, qui
auras aimé moins : minus diligit. Tu as donc toujours
tort et bien tort de t'élever au-dessus d'elle, puisque
cette femme, jadis une si grande pécheresse, est main-
tenant, à un si beau titre, tant au-dessus de toi : Vides
hanc muîierem? Dilexit multum.
Remarquons encore, d'après l'Interprète, que, dans
la même parabole, c'est l'amour plus ou moins grand
des débiteurs qui a été la cause provocatrice de la
remise du créancier. En sorte que, comme il n'y a pas
de doute que la remise accordée par le créancier a dû
exciter l'amour du débiteur, de même il n'y a pas de
doute que c'est l'amour préalablement montré par le
débiteur qui a mérité la remise du créancier (\). Et
par là notre divin Maître, en nous apprenant que tout
péché, quelque grand qu'il soit, peut, comme à la

(I) « Major dilectio débitons est causa majoris condonationis cre-


« ditoris, illam enim provocat et allicit, Sicut remissio creditoris
« parit dilectionem debitoris, ita vicissim dilectio debitoris parit re-
« missionem creditoris. 9
ou L'AMOUR PÉNITENT 413
Madeleine, nous être remis, nous a appris aussi que,
comme à la Madeleine, cette rémission ne nous sera
accordée de la part de Dieu que par la voie de l'amour,
qu'à la condition qu'un amour sincère et fervent nous
aura amenés à ses pieds ; que si nous avons besoin d'un
grand pardon, nous ne pourrons l'obtenir qu'en tâ-
chant, à l'imitation de la Madeleine, d'exciter en nous
un grand amour, et que ce n'est qu'en partageant son
amour que nous pouvons partager son pardon (1)$
c'est-à-dire que l'amour pénitent peut bien être de la
contrition ou de l'attrition, de l'amour i'amitié ou de
l'amour de concupiscence, de l'amour plus ou moins
g r a n d , plus ou moins parfait : Plus diligit, minus
diligit-, mais il est toujours nécessaire, et il n'y a pas
de vraie conversion, et on n'obtient pas de pardon,
sans aimer (2).
Remarquez enfin, sur ce même trait de notre Évan-
gile, que, dans le Nouveau Testament, le mot « beau-
coup, » multum, est synonyme du mot « entièrement, »
comme le mot « plusieurs » est synonyme du mot
« tous. » Jésus-Christ disant que Madeleine a aimé
beaucoup et que beaucoup de péchés lui ont été remis
est donc Jésus-Christ disant que Madeleine a aimé entiè-
rement, souverainement, et que tous ses péchés lui ont
été remis-, c'est-à-dire, d'après le commentaire des Pè-
res, chez Cornélius à Lapide, que l'amour de Madeleine

(1) Voyez la note à la fin de cette Homélie.


(2) « Ut ostenderet non tantum remissa peccata, sed et modum
« et via m qua remissa sunt, nimirum per dilectionem, ut illam imi-
« temur, ac per ferventem dilectionem mereamur a Deo indulgen-
• tiam peccatorum. »
414 HOMÉLIE V I I . — L A PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

ayant été entier et souverain, il lui a mérité un entier


et souverain pardon ; que, comme elle s'est pleinement
repentie de tout, elle a tout pleinement expié, et par
conséquent tout lui a été pardonné ; que Jésus-Christ
non-seulement avait effacé de cette àme pénitente toute
tache de ses péchés, mais qu'il lui cri avait remis toutes
les peines, quelque grandes qu'elles eussent dû être,
après de si graves excès-, et qu'elle venait de recevoir
une indulgence plénièrè, un parfait jubilé en récom-
pense d'un amour plein, d'une contrition parfaite;
Remiitunlur ei peccata multa quia dilexit mulium.
Tandis que Simon, lors même qu'il se repentît de ses
péchés, ayant aimé moins, ou ayant aimé d'une ma-
nière imparfaite, ne recevrait qu'un pardon borné à la
coulpe de ces mêmes péchés, et qui lui laisserait encore
bien des fautes à expier, bien des peines à subir : Oui
minus dimittitur minus diligit. C'est ainsi que, à cet
endroit de l'Évangile, Jésus-Christ lui-même â établi,
de la manière la plus claire, la doctrine que professe
son Église sur la différence entre la contrition parfaite,
fille de l'amour parfait ou de l'amour d'amitié, et la
contrition imparfaite ou l'attrition, fille de l'amour
imparfait, de Vamour d'espérance et de concupis-
cence. Doctrine consolante pour les pénitents faibles
qui, ne sachant pas s'élever à la perfection de lia con-
trition, n'en restent qu'à l'imperfection de l'attrition.
Car cette doctrine les assure que cette imperfection
d'amour et de douleur ne les empêche pas de recevoir
réellement leur pardon ; Minus dilexit, minus dimit-
titur, lorsque le prêtre de Jésus-Christ, au nom et en
vertu du pouvoir qu'il a reçu de Jésus-Christ même,
ou L'AMOUR PÉNITENT 415
prononce 9ur ces pénitents les mêmes mots de Jésus-
Christ : Je vous absous de tous vos péèhés, Bèmittun-
tur tibi peccata tua.

9. Simon converti, lui aussi, et recevant son pardon. Jésus-Christ


absolvant Madeleine. Plénitude et richesse de cette absolution.
Les pénitents formés par l'amoctr.

Il paraît que cette leçon salutaire du divin Maître ne


fut pas perdue pour Simon le pharisien, caç il ne r é -
pondit rien; mais, abasourdi, touché, ravi de tout ce
qu'il venait de voir et d'entendre, il en fit son profit ;
à l'exemple de la Madeleine, il demanda, lui aussi, à
Jésus-Christ son pardon; il l'obtint j car saint Augus-
tin et d'autres Pères pensent que ce Simon se conver-
tit et obtint son salut (1 ).

(I) Il n'y a pas de doute que Simon était encore, lui, un pécheur;
parce que, dans la parabole par laquelle le Seigneur a voulu le désil-
lusionner et le confondre, il est représenté comme un débiteur ^ lui
aussi; mais il n'y a pas de doute non plus qu'il était moins pécheur
que Madeleine, puisque, dans la même parabole, il est lè débiteur
nè devant que cinquante deniers, tandis que Madeleine est le débi-
teur qui en devait cinq cents. U paraît certain encore que Jésus-
Christ a pardonné à Simon ses péchés aussi bien qu'à la Madeleine
les s i e n s , car, dans la parabole, il est dit que le créancier remit éga-
lement aux deux débiteurs leurs dettes, Dimisit utrique. On peut
donc croire que Simon, touché par le spectacle de la pénitence de
Madeleine, et éclairé et attiré par la grâce et la parole toute-puis-
sante du Sauveur, s'est converti, lui aussi, a aimé, lui aussi, 1e Sei-
gneur, mais moins que Madeleine, parce que moins de péchés lui
avaient été pardonnes; Cul minus dimittitur minus diligit. Pour
mol, je partage l'opinion des interprètes qui pensent que ce Simon
le pharisien, s'étant vraiment converti, comme Madeleine, son a n -
cienne amie, quitta comme elle la Tille de Naim et la Galilée; qu'il
416 HOMÉLIE VII. LA PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

Mais il n'en fut pas de même des autres pharisiens


qui remplissaient la salle du banquet. En entendant Jé-
sus-Christ adresser à la Madeleine cette grande parole
que Dieu seul peut prononcer d'une manière absolue
et en vertu d'un pouvoir qui lui est propre : « Vos
péchés vous seront remis; » ils en furent scandalisés;
et, se regardant les uns les autres, ils se disaient inté-
rieurement : « Qui est donc cet homme-ci, qui ose s'ar-
roger l'autorité divine même au point de remettre les
péchés ; Et cœperunt qui simulrecumbebant dicere inira
se : Quis est hic qui etiam peccata dimittit (v. 49)?
Ainsi ces âmes autant aveugles que perverses, au lieu
de voir en Jésus-Christ pardonnant les péchés un Dieu
véritable, s'obstinent à ne voir en lui qu'un homme
usurpant un pouvoir divin. Au lieu de se jeter, eux
tous aussi, à ses pieds, en lui disant : « Seigneur, par-
donnez-nous, à nous aussi, nos péchés, » ils trouvent
mal que Jésus accorde le pardon aux autres; au lieu de
profiter pour le salut de leurs âmes du pardon qui dans
ce même moment leur est offert, ils le repoussent, et
ils deviennent plus malades, dit saint Grégoire, en pré-
sence du grand remède qui peut les guérir. La conver-
sion de Madeleine, au lieu de les toucher, les rend plus
obstinés et plus aveugles. Jésus, le céleste médecin, en

alla s'établir avec elle dans la Judée, en Déthanie, près de Jérusa-


lem, afin de jouir de la présence et profiter des doctrines du Sau-
veur; qu'il rivalisa avec elle de zèle pour honorer le Seigneur,
comme il avait conspiré avec elle pour l'offenser; et que c'est le
même Simon le Lépreux chez lequel Jésus-Christ, six jours avant
sa mort (Joan., xn), dîna une autre fois en Béthanie, eu compagnie
de Madeleine, de Marthe et de Lazare (Vide Cornclium à Lap. hic).
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 4J7
gémit dans son cœur de Sauveur, mais il ne leur fait
pas le moindre reproche, et, sans faire attention à leur
perversité, il revient à celle qui, par son humilité et son
repentir, venait d'obtenir sa guérison, il la rassure par
l'arrêt miséricordieux de sa pitié ( 1 ) ; car, en se tour-
nant vers elle de cet air de bonté infinie qu'il prend
lorsqu'il pardonne, Jésus-Christ lui dit : « Femme,
levez-vous. La grande foi que vous avez eue en moi,
le grand amour que vous me portez vous ont mérité
le pardon de tous YOS péchés. Le voici donc ce pardon*,
il ne s'est pas fait trop attendre; et dès ce moment sa-
chez bien, femme, que tous vos péchés, comme vous
les avez tous détestés, vous ont tous été pardonnes.
Allez-vous-en donc en paix. Vous êtes sauvée : Dixit
autem admulierem iïïam : Remittuntur tibi peccata;
fides tua te salvam fecit ; vade in pace. »
O belles et touchantes paroles ! C'était lui dire :
Heureuse femme, qui ayant cru que moi je suis le Fils
de Dieu, pouvant pardonner les péchés, et qui, m'ayant
demandé ce pardon avec une confiance parfaite de
l'obtenir, l'avez obtenu en effet! Cette foi et cette con-
fiance, que vous venez d'accompagner par des dé-
monstrations d'un grand amour, YOUS ont établie sur
la voie du salut; et, puisque vous persévérerez dans
cette voie, je vous prédis dès à présent que vous êtes
sauvée : Fides tua te salvam fecit. Quant à vos péchés,

( l ) « Ecce quae ad medicum venerat aegra sanata est; sed de sa-


« lute ejus adhuc alii œgrotant. Sed cœlestis Medicus aegros non
« respicit quos etiam ex medicamento fieri détériores vidit. Eam
« autem quam sanaverat per pietatis su® scntentiam confirmât. »
418 HOMÉLIE V U . - * - L A PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

ils ont été remis, effacés, de manière qu'il n'en reste


pas de traces dans votre esprit. Ainsi* ils ne vous appor-
teront pas le moindre préjudice; ils ne YOUS causeront
plus de remords, ils ne déchireront plus votre cœur;
et, dès ce moment, YOUS entrez dans la possession de
la vraie paix, de la paix parfaite, la paix de Dieu, qui
est le vrai bonheur de Tâme dans le temps, et les pré-
mices, le gage de son bonheur dans l'éternité : Vade
in pace.
O bonté de notre divin Sauveur pour cette âme
pénitente! Les pharisiens l'accusent, et Jésus la dé-
fend; les pharisiens la condamnent, et Jésus l'absout;
les pharisiens la méprisent, et Jésus l'exalte; les phari-
siens la disent une grande pécheresse, et Jésus la pro-
clame une grande sainte; les pharisiens la croient in-
digne de toucher même les pieds d'un prophète, et
Jésus la déclare digne des embrassements et des bai-
sers de Dieu; les pharisiens voudraient la voir chassée
au fond de l'enfer, et Jésus lui ouvre les portes du ciel.
Vides hanc mulierem? Dilexit multum, non cessavit
osculari pedes meos. Fides tua te salvam fecit; vade in
pace.
Mais comment le divin Sauveur, en congédiant
Madeleine convertie, ne lui dit-il rien de plus? Com-
ment la renverra-t-il sans lui imposer aucune péni-
tence pour le passé, sans lui prescrire aucune règle de
vie pour l'avenir? Ah ! c'est que rien de tout cela n'était
plus nécessaire.
Rappelons-nous d'abord que Jésus-Christ est Dieu
et, par conséquent, que ses œuvres sont parfaites, et
que sa parole» puissante et efficace, crée à l'instant
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 419
tout ce qu'elle nomme, réalise, accomplit tout ce qu'elle
dit- Voilà donc, par les derniers mots du Seigneur, Ma-
deleine changée, transformée en une toute autre femme-
La voilà remplie de toutes les vertus cette âme qui, il y
a quelques heures, était le repaire de tous les vices (1).
Car, d'après les interprètes, Jésus-Christ, en parlant
à Madeleine comme il vient de le faire, a détruit en
elle toutes ses habitudes vicieuses, tous ses penchants
à la luxure, à la gourmandise, à la vanité; l'a délivrée
de toutes les tentations de la chair; lui a inspiré un en-
tier mépris de toutes les choses humaines et terrestres,
et a excité en elle le désir des choses célestes et divines ;
lui a donné une humilité profonde et une chasteté par-
faite, un amour ardent pour Dieu et pour Jésus-Christ
lui-même, un violent transport de se dévouer entière-
ment à lui, de ne vivre que de lui et de mourir môme
pour lui. Or, ayant l'ait tout cela pour Madeleine, Jésus-
Christ n'avait nullement besoin de parler davantage.
En second lieu, il sait bien, ce divin Sauveur, que,
comme il vient de le déclarer publiquement, Madeleine

( i ) O bon et aimable iéèus, s'écrie ici à son tour saint Cyprienî


Madeleine s'est entièrement dévouée à vous, sans rien se réserver
d'elle-même ; et A O U S , le Dieu qui pénétrez les cœurs, faisant atten-
tion moins à ce qu'elle faisait qu'au sentiment de l'affection sainte
avec lequel elle le faisait, vous l'en récompensiez en oignant par
vos inspirations celle qui vous oignait pac ses parfums, en lavant
par votre grâce celle qui v o u s j a v a l t par ses larmes, en essuyant à
l'intérieur, par votre pardon, cette àme pénitente qui essuyait exté-
rieurement vos pieds p;ir ses cheveux. Nihil sibi de se retinens,
totam se tibi devovit, et tu, affectum potius quam faclum atten-
dais, ungebasungentem, abluebas lavantem, tergebas intrinseeus
pœnitenfem (Tractât, DE A B M J T I O N E P E D U M ) .
420 HOMÉLIE VII. LA. PÉCHERESSE DE L'ÉVÂNGÏLE,

aime beaucoup, et que l'amour est Tâme de sa péni-


tence, ainsi que le motif de son pardon : Remittuntur
ei peccata multa,quoniam dilexit multum. Il laisse donc
à cet amour le soin d'indiquer à cette illustre pénitente
les actes par lesquels elle doit recomposer son passé et
régler son avenir. Une àme sensible, à laquelle on a
beaucoup pardonné, aime beaucoup ; et un grand
amour sait bien, lui, comment on doit correspondre
à un grand pardon : Cui plus donavit, plus diligit.
Donnez-moi un grand amour dans Tâme pénitente,
et il n'est pas besoin de procéder avec elle par des demi-
mesures, d'avoir pour sa faiblesse des égards, de mé-
nager sa susceptibilité. Rien ne lui coûte; elle ne re-
cule devant aucune difficulté; elle ne refuse à Dieu
aucun sacrifice. Nous connaissons cela par expérience.
Lorsqu'il se présente à nous, dans le tribunal du par-
don, des âmes repentantes et que l'amour divin amène
à nos pieds, nous les voyons tomber devant nous de
l'air éperdu et éploré d'une grande douleur, s'exhalant
en soupirs, en sanglots, se fondant en larmes, de ma-
nière à nous faire, nous aussi, pleurer par tendresse
avec elles et sur elles. Tout mot que nous leur disons
pénètre leurcœur; toute parolede consolation que nous
leur adressons les rend plus inconsolables. Nous n'avons
pas besoin de leur peindre la laideur du péché; tout
ce que nous pourrions leur dire à çe sujet serait tou-
jours au-dessous de ce qu'elles en pensent elles-mêmes.
Nous ne pouvons leur assigner de pénitence si grave
qu'elles ne nous prient de leur en infliger une plus
grave encore. Le Dieu qu'elles ont offensé, voilà ce qui
les préoccupe uniquement, ce qui les afflige; elles ne
ou LA
' MOUR PÉNITENT 4 2 1

peuvent penser à autre chose, ne peuvent pleurer pour


autre chose. Et si nous avons besoin de faire usage de
notre autorité sur elles, ce n'est pas pour leur imposer
des pratiques sévères, mais pour mettre un frein aux
pratiques sévères qu'elles veulent s'imposer elles-mê-
mes. Ce sont les vraies consolations de notre minis-
tère, dont bien souvent nous sommes aussi confondus
que nous en sommes touchés et édifiés.

10. Sentiments de Madeleine après avoir reçu son pardon. Son


amour et sa fidélité pour le Dieu sauveur. Sa pénitence pendant
le reste de sa vie. Éloge qu'en a fait Jésus-Christ.

En attendant, que dit-elle, Madeleine? En sortant


tout émue et mouillée de larmes de la maison du pha-
risien, et courant chez elle se livrer à toutes les émo-
tions de son cœur pénétré de douleur de ses fautes,
de reconnaissance et d'amour pour Jésus-Christ, est-il
donc vrai, se dit-elle, que tant d'années d'excès et de
désordres, que tant de crimes, de scandales et de luxure
m'aient été déjà pardonnes? Et à quelle condition? à
quel prix? A-t-il exigé de moi la moindre chose, ce
doux et aimable Seigneur? Lorsque je me suis jetée à
ses pieds, m'a-t-il chassée? m'a-t-il fait mauvaise mine?
m ' a - t - i l montré la moindre répugnance? m ' a - t - i l
adressé le plus petit reproche? m'a-t-il dit un seul mot
de mes fautes ? Oh ! avec quelle bonté il m'a accueillie !
avec quelle compassion il m'a regardée! avec quel
intérêt il a pris ma défense! avec quel bonheur de son
aimable cœur il m'a pardonné ! avec quelle grâce, en
me congédiant, il m'a envoyé la paix, dans un mot
plein de charme, avec un regard plein de tendresse!
422 HOMÉLIE VII. — LA PÉCHERESSE DE [/ÉVANGILE,

Je n'ai pas eu le courage de lui demander par ma bou-


che mon pardon ; je ne le lui ai demandé que par mon
cœur, par mes désirs de l'obtenir, par mes regrets de
m'en être rendue indigne. Et lui, lisant dans mon
cœur, a eu la bonté de me l'accorder, et d'une manière
publique, solennelle, qui lui a attiré la censure et le
blâme de ses ennemis; il m'a même pardonné avant
que j'eusse osé lui demander mon pardon; et, pour
toute pénitence, il m'a renvoyée en paix ; Vade in pace.
O Dieu d'infinie bonté! serait-il vrai que votre ami-
tié coûtât si peu? Serait-il vrai que l'on pût passçr si
facilement des bras de votre justice dans le sein de
votre miséricorde? Comment pourrais-je donc me con-
soler jamais de m'être livrée à tant de perversités eu-
vers un Dieu si bon et si rempli de douce bienveil-
lance? O bon et miséricordieux Jésus ! O excès de clé-
mence et de pitié ! En revanche de l'horrible guerre
que je vous ai faite, vous venez de m'accorder la paix !
C'est l'unique vengeance que vous avez tirée des cri-
mes par lesquels je vous ai offensé !
La paix, m'avez-vous dit, la paix soit avec toi ! va-
t'en en paix... La paix à moi? la paix à Madeleine?
Àh! c'est dès ce moment où j'ai obtenu la paix avec
vous, que je vais commencer la guerre avec moi-
même, guerre qui ne finira qu'avec ma vie. Je ne me
pardonnerai jamais de ne vous avoir pas toujours
connu comme je vous connais, de ne vous avoir pas
toujours aimé comme je vous aime. Le pardon môme,
si prompt, si facile, si complet, si affectueux que vous
m'avez donné me fait une obligation de ne rien me par-
donner à moi-même. Grottes de Marseille, vous serez
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 423
un jour les témoins de la paix que je me destine ! J'i-
rai cacher dans votre obscurité la honte de mes crimes,
qui ont tant insulté le ciel, souillé la terre, étonné et
scandalisé le monde! O mon aimable Sauveur, c'est
moi, à présent, qui dois exercer, contre ce corps souillé
par tant d'excès, les vengeances de votre justice, que
votre bonté ne m'a pas demandées !
C'est dans ces pensées, dans ces sentiments qu'en
regagnant sa maison elle se prosterne à terre, embrasse
le sol, comme si le Seigneur était là présent, et comme
voulant embrasser encore une fois, presser sur son
cœur les divins pieds du Seigneur, en disant : « Chers
pieds de mon doux Sauveur, qui ne vous êtes jamais
lassés de me suivre lorsque je vous fuyais, de me cher-
cher lorsque je m'égarais loin de vous, de me retrou-
ver lorsque je m'étais perdue, de me ressusciter lors-
que j'étais morte; pieds adorables, témoins de ma
douleur et auprès desquels j'ai trouvé tant de pitié,
tant d'espérance, tant de consolations et tant de dou-
ceurs, à mon tour je ne vous oublierai jamais; je vous
chercherai, je vous suivrai toujours, et, tant que je le
p o u r r a i , je m'empresserai de m'asseoir auprès de
vous ; et vous embrasser, vous baiser, vous arroser de
mes larmes sera dorénavant mon unique passion, ma
gloire et mes délices I »
Femme d'un cœur aussi grand, aussi reconnaissant
et aussi généreux que son esprit était élevé, ne comp-
tant pour rien ce qu'elle venait de faire et ce qu'elle
avait résolu de faire bientôt pour Jésus-Christ, elle ne
s'expliquait pas comment ce divin Sauveur avait pu la
louer en public d'avoir beaucoup aimé : Dilexit mul-
424 HOMÉLIE VII. LA PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,
tum. Comment, se disait-elle, aurais-je aimé beaucoup,
moi qui n'ai même pas encore commencé à aimer ! Ah !
par cette aimable parole, « que j'ai beaucoup aimé,»
c'est moins un éloge qu'il a voulu faire de moi qu'un
encouragement qu'il a voulu me donner! une invita-
tion qu'il a voulu me faire, une obligation qu'il a
voulu m'imposer! En prononçant cette douce parole,
il a YOUIU dire moins ce que j'ai été que ce que je dois
être; moins ce que j'ai fait que ce que je dois faire
encore. Il ne m'a dit que j'ai aimé beaucoup que pour
m'avertir, pour me faire comprendre que désormais
je dois beaucoup aimer; que, m'oubliant, me détestant
moi-même, me punissant moi-même de ce que je me
suis trop aimée, je ne dois aimer que lui, je dois me
dévouer entièrement à lui, me sacrifier pour lui.
C'est ainsi que l'amour pénitent fait jaillir du fond
du cœur qu'il possède deux sentiments qui ne sont
qu'un seul et même sentiment, le sentiment d'une im-
mense tendresse pour Jésus-Christ et d'une extrême
rigueur pour soi-même.
Depuis ce jour, son château, ses richesses, les com-
modités de la vie ne furent plus pour elle ; tout ce qu'elle
possédait fut consacré, hypothéqué au service, au main-
tien de Jésus-Christ, des apôtres et des pauvres. Elle,
toujours modeste dans ses habits, sans autre ornement
que les charmes de là sainte pudeur, humble dans ses
allures, douce dans ses manières, pieuse et charitable
dans ses actes, l'air toujours recueilli, absorbé dans la
méditation, la figure pâlie par les jeûnes, les yeux
gonflés par l'esprit de pénitence, mais le cœur tran-
quille, heureux de la paix de Dieu et riche des trésors
OU L AMOUR PÉNITENT. 425
de sa grâce et de son amour, elle devint le soutien de
la sainte humanité du Sauveur, la compagne insépara-
ble de ses voyages, l'auditeur le plus assidu de ses
prédications, le plus fidèle de ses disciples, le plus
intrépide de ses confesseurs, le plus zélé de ses apolo-
gistes, la plus affectueuse des âmes sublimes qui lui
étaient profondément dévouées. C'est très-beau, mais
c'est bien naturel. Tout est amour dans cette âme
noble et généreuse, dit saint Grégoire. C'est l'amour
de Jésus-Christ qui lui a fait détester ses péchés; et la
détestation de ses péchés l'a amenée, l'a élevée à un
amour plus grand pour Jésus - Christ. C'est parce
qu'elle a beaucoup aimé qu'elle a reçu un grand par-
don, et c'est parce qu'elle a reçu un grand pardon
qu'elle aime encore davantage. C'est l'amour qui a fait
d'elle la pénitente la plus parfaite, et c'est la pénitence
qui Va faite la plus affectionnée des disciples du
Sauveur (1).
En laissant à sa sœur le soin de la maison terrestre,
elle ne s'occupait que des délices de la céleste maison.
Lorsque le divin Sauveur s'arrêtait à son château, on
était sûr de trouver Marie toujours à ses pieds, écou-
tant ses paroles, ravie de sa sagesse, heureuse de son
céleste amour, et ne pouvant pour rien au monde se
détacher de ces pieds divins; Secus pedes Domini,
audiebat verbum illius [Luc., x).
Au temps de la passion, temps de scandale et d'a-
choppement, où les amis du Sauveur se cachent, les
disciples désertent, les Apôtres même l'abandonnent,

( i ) « Postquam accensa est pcenitentia, in amorem exarsit. »


426 HOMÉLIE V I I . — L A TÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

Madeleine, à la tête d'autres saintes femmes qu'elle


encourageait de son exemple, le suit partout, aux tri-
bunaux., au Golgotha, et ne le quitte pas un seul in-
stant. Au Calvaire même, les autres femmes demeurent
à une certaine distance du Sauveur crucifié : Etant
mulieres a longe aspicientes (Marc, xv); mais Made-
leine, en compagnie de l'auguste Vierge, mère du Sau-
veur, et de sainte Marie Salomé et de saint Jean, est
tout près de la croix, est au pied de la croix, recueil-
lant religieusement les gouttes précieuses du sang di-
vin du Rédempteur, le prix ineffable de son pardon et
du salut du monde.
Jésus ayant expiré, Madeleine ne pouvant plus le voir
vivant, ne le quitte pas même mort. De la croix, elle
raccompagne au tombeau, veut voir comment on le
place dans ce tombeau, et reste pleurant avec Marie
Salomé vis-à-vis du tombeau : Sedens contra sepul-
crum (Matth., xxvn).
Le troisième jour, c'est Madeleine qui, la première,
arrive au tombeau et qui en part la dernière. Les
apôtres, Pierre et Jean, n'y arrivent qu'après elle et
sur l'annonce qu'elle leur apporte que le divin Maître
est ressuscité; car c'est elle qui, après la divine Mère,
l'a vu la première; c'est à elle, avant qu'à tout autre,
que l'aimable Seigneur s'est "manifesté après sa résur-
rection, parce qu'elle avait été plus que les autres
constante à le chercher, fervente à l'aimer.
Après l'ascension du Seigneur au ciel, chassée de
Jérusalem et de toute la Palestine par les Juifs, en
haine de sa fidélité et de sa foi en Jésus-Christ, et
abordant miraculeusement à Marseille, en compagnie
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 427
de saint Lazare, son frère, de sainte Marthe, sa sœur,
et de saint Maxime et de sainte Marcelle, ses amis
dans le Seigneur; c'est Marie-Madeleine qui, la pre-
mière, a apporté dans cette belle terre de France la
lumière de l'Evangile, l'exemple vivant de la Yie sainte
et parfaite des disciples de Jésus-Christ, le spectacle
nouveau de la vraie pénitence. Et ce fut ce spectacle
nouveau d'une femme à la fleur de l'âge, aux traits
nobles et délicats, renfermée dans une grotte, morte
au monde et à elle-même, et ne vivant, pendant trente
ans, que dans la prière et la contemplation, dans le
jeûne et dans toutes les pratiques de la pénitence; ce
fut ce spectacle, dis-je, qui bien plus que la prédication
de son frère, frappa les yeux et les cœurs de vos pères
païens et les attira au christianisme.
Ce sont, mes frères, les prodiges que l'amour péni-
tent a opérés en Marie-Madeleine, La justice divine ne
pouvait pas obtenir de cette âme héroïque plus que ce
qu'a obtenu d'elle la miséricorde; la divine colère n e
pouvait être plus sévère pour elle que ne Ta été le divin
amour. L'histoire ecclésiastique ne nous offre pas
d'exemple d'une pénitence plus noble dans ses motifs,
plus efficace dans ses œuvres, plus constante dans sa
durée. Voilà ce qu'a été Marie-Madeleine; et c'est pour
cela que les saints Pères et les Docteurs de l'Église en
ont fait constamment le sujet de leur admiration et de
leurs éloges.
Mais ces éloges de Madeleine parles hommes ne sont
rien vis-à-vis des éloges qu'en a faits Dieu même. Jésus-
Christ a dit d'elle qu'elle a beaucoup aimé, et que son
grand amour pour Dieu lui a obtenu de Dieu un grand
428 HOMÉLIE VII. — LA PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

pardon : Remittuntur ei peccata multa, quia dilexit


multum. Or, aimer Dieu vraiment, et l'aimer beau*
coup, c'est le comble du mérite. En voilà donc assez
par rapport à la sainteté de Madeleine et àsa perfection.
Saint Jean l'appela « l'âme bien-aimée de Jésus-
Christ Cl); Diligebat Mariam Jésus (Joan. xi). » 7

Comme il s'appelle lui-même « le disciple bien-aimé


du même Seigneur : Discipulus quem diligebat Jésus. »
Or, être le bien-aimé de Dieu c'est le comble de la
grandeur. En voilà donc assez par rapport à la gloire
de notre sainte et à son élévation. Jésus-Christ même
lui a dit : « Votre foi vous a sauvée ; Fides tua te salvam
fecit. » Mais le Fils de Dieu proclamant d'une manière
si absolue le salut d'une àme, c'est le Fils de Dieu la
confirmant dans la grâce et l'assurant de son salut
éternel. En voilà donc assez par rapport à la certitude
du salut de notre pénitente et à sa prédestination. Je
dirais même que Marie-Madeleine a été, de son vivant,
canonisée par Jésus-Christ lui-même. Car ayant dit
d'elle : « Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui
« sera jamais ôtée ; Maria optimam partem elegit, quœ
« non auferetur ab ea (Luc. x ) , » Jésus-Christ a fait
y

d'elle le panégyrique le plus complet (2), l'a déclarée

( 1 ) II arrive souvent, dit saint Grégoire, qu'une âme convertie,


après avoir beaucoup péché, devienne, par sa pénitence et sa fer-
veur, plus agréable à Dieu qu'une àme paresseuse et froide, malgré
la pureté de ses mœurs : Plerumque gratior est Deo fervens post
culpam vita quam securitate torpens innocenlia.
(2) Cet éloge est si complet que l'Église l'applique à la Sainte
Vierge ; car l'évangile qui contient cette grande parole se lit à la
messe du jour de l'Assomption.
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 429
une véritable sainte dans le temps et pour l'éternité, et
l'a présentée comme telle à la vénération de l'Église.
Mais le Fils de Dieu n'a pas tant exalté Madeleine
afin que nous l'honorions seulement, mais aussi et
surtout afin que nous l'imitions; ou plutôt afin que
nous l'honorions en l'imitant. Car la meilleure manière
d'honorer les saints, dit saint Grégoire, c'est de les
imiter. Etudions donc encore un peu ce grand et par-
fait modèle de conversion, afin d'en tirer quelques le-
çons utiles, quelques règles pratiques pour notre con-
version. C'est le sujet de ma dernière partie.

TROISIÈME PARTIE.
L'EXEMPLE.

11. La pénitence intérieure. Efficacité de l'amour pénitent, et m a -


nière de l'exciter dans le cœur.

LA pénitence est intérieure et extérieure; la péni-


tence extérieure assujettit la chair à l'esprit; la péni-
tence intérieure assujettit l'esprit et la chair, tout
l'homme à Dieu.
Il est certain que Madeleine s'est signalée dans ces
deux espèces de pénitence. Cependant l'Evangile ne la
loue, ne l'exalte que pour sa pénitence intérieure, pour
sa pénitence de l'esprit et du cœur, de l'esprit qui a
bien cru, du cœur qui a beaucoup aimé : Fides tua le
salvam fecit. Dilexit multum. Et cela par deux rai-
sons : la première, afin de donner un plus beau et plus
puissant attrait à la pénitence en ne la faisant consister
que dans la plus noble partie de l'homme, l'esprit, et
430 HOMÉLIE V I I . — LA PÉClîÉftESSE DE l/ÉVANGILE.

dans le sentiment le plus noble du cœur, l'amour; la


seconde raison, c'est pour inspirer un plus grand cou-
rage aux pénitents en les faisant passer pour de vérita-
bles amants de Dieu.
Ah! mes frères, lorsque la voix de Dieu vous appelle
à la pénitence et que vous commencez à avoir le désir,
à former le projet de vous rendre à cette invitation
divine, n'allez pas charger votre imagination d'idées
d'austérités corporelles, de sacrifices de sang; mais,
par la considération des bienfaits dont Dieu vous a
comblés, des dangers dont il vous a délivrés, de sa
patience à vous attendre, de sa persistance à vous
appeler, de la bonté avec laquelle il vous a conservé
une vie que vous avez mille fois mérité de perdre,
tâchez d'exciter en vous le sentiment de la reconnais-
sance et de l'amour; et cette reconnaissance et cet
amour feront jaillir à son tour dans votre cœur ce
regret et cette douleur du péché qui fait le vrai péni-
tent, et qui assure le pardon. Alors cet abandon de
relations qui vous ont été si funestes, ce dépouillement
d'habitudes invétérées qui se sont converties en vous
en une seconde nature, ces restitutions si dures à faire
de biens mal acquis, cette fuite des occasions où vous
avez mille fois fait une triste expérience de votre fai-
blesse, cet oubli, ce pardon d'offenses qu'on vous a
faites et que vous croyez n'avoir pas méritées, cette
confession humble, sincère, complète de toutes vos
fautes, ces pratiques de la religion que vous devez r e -
prendre, tous les devoirs, en un mot, que la vraie
pénitence vous impose et qui YOUS préoccupent tant,
qui vous effrayent tant et que vous vous représentez
OU L AMOUR PÉNITENT. 43l

comme impossibles à remplir, vous deviendront faciles


par l'amour. L'amour humain est toul«-puissftnt ; rfen
ne coûte à un cœur qui aime ! Que sera-t-il de l'amour
divin que l'onction de la grâce accompagne pour lé
fortifier et raffermir? L'amour humain qui fait opérer
tant de prodiges, et bien des fois aussi tant de crimeà>
ne fournit à l'âme qu'une force factice, qui Unit par
s'évanouir. C'est la force momentanée que donnent au
corps la folie ou les liqueurs spiritueuseS. Tandis que
l'amour divin produit dans l'âme une force réelle, in-
trinsèque et par cela môme solide et durable. C'est la
force du corps résultant d'une excellente constitution,
d'une nourriture substantielle et de l'état d'une santé
parfaite. L'amour divin non~seulement vous rendra
donc faciles les devoirs de la pénitence, mais .donnera
encore des attraits à ces devoirs qui vous paraissent
maintenant si durs et si pénibles; en sorte que vous
vous trouverez même heureux de les remplir.
Et ne dites pas que vous ne demandez pas mieux,
mais que votre cœur est devenu si dur que rien ne l'a-
mollit, que rien ne le touche, et que, toujours en proie,
quoi que vous fassiez, au dégoût, à l'ennui, à la tris-
tesse, à l'effroi, toujours sensible jusqu'à la lâcheté
aux attraits de la chair et de Thomme, il est insen-
sible aux attraits de la grâce et de l'amour de Dieu.
Non, non, ce n'est pas vrai. En effet, pendant que je
vous parle, pendant que je vous mets sous les yeux
les prodiges, les charmes de l'amour pénitent de Ma-
deleine, n'éprouvez-vous pas en vous-même du regret
d'être ce que vous êtes, d'avoir fait ce que vous avez
fait, et d'avoir oublié, depuis si longtemps, ce que
432 HOMÉLIE VU. — LA PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

vous deviez faire? N'ètes-vous pas honteux, ne sentez-


vous pas du remords d'avoir, par tant de fautes,
offensé Dieu, scandalisé les hommes, contristé l'Église,
exposé votre âme à une perte irréparable, d'avoir en-
fin perdu tous droits au ciel, et mérité l'enfer? N'é-
prouvez-vous point quelques désirs de revenir sur vos
pas ? la vertu, la sainteté, le devoir ne vous appa-
raissent-ils pas pleins de charmes? la condition des
serviteurs de Dieu ne vous paraît-elle pas heureuse?
Or, tous ces sentiments différents, que dans ces mo-
ments vous éprouvez dans votre cœur, ce n'est pas
moi qui les y ai excités; ce sont les effets de la voix
de Jésus-Christ qui vous appelle, de sa miséricorde qui
vous touche, de sa grâce qui vous tend la main. Place
donc à la grâce qui descend vers vous, qui vient à
vous pour régner en vous. Retirez-vous pendant quel-
ques instants en vous-mêmes, dans quelque coin de
votre maison ou d'une église; fermez vos oreilles aux
vains bruits du monde et des passions; écoutez la voix
céleste qui vous parle, qui frappe à la porte de votre
cœur. A l'imitation de Madeleine, représentez-vous
devant les yeux, je vous le répète, la vie malheureuse,
ignoble que vous avez menée jusqu'ici, le nombre et le
prix des grâces dont vous avez abusé, la multitude et la
malice des péchés que vous avez commis, les scandales
que vous avez donnés, les âmes que peut-être vous
avez perdues; souvenez-vous de cette immense misé-
ricorde qui ne s'est jamais lassée de vous supporter, de
vous appeler, de vous attendre, de vous protéger, vous
toujours ingrats, toujours durs, récalcitrants et re-
belles ; comparez votre conduite à l'égard de Dieu à
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 433
la conduite de Dieu à votre égard ; arrêtez-vous à ces
considérations; tâchez de les approfondir; frappez tou-
jours sur ce dur rocher de votre cœur, et soyez sûrs
qu'une veine de componction céleste s'y ouvrira; et
si cela n'arrive pas, si votre cœur ne s'amollit pas, ne
s'ébranle pas, criez aux pieds de Jésus-Christ, priez-le
qu'il daigne vous frapper lui-même de coups encore
plus forts de sa justice et de sa miséricorde, qu'il brise
ce cœur qui vous paraît tenir moins de la chair que du
m a r b r e ; et ce cœur se brisera, l'amour y fera jaillir
la source des larmes du repentir, et vous éprouverez
alors combien il est doux de pleurer ses péchés par
une contrition amoureuse et par un amour pénitent!

12. La sainte colère contre soi-même et le souvenir des péchés com-


mis, deux signes de la vraie pénitence. Le pénitent qui se ménage
et qui oublie ses péchés est un faux pénitent.

Mais l'exemple de Madeleine, tout en vous encoura-


geant, pécheurs mes frères, comme vous venez de le
voir, vous donne encore une importante leçon. C'est
qu'en YOUS convertissant, vous devez être sévères en-
vers vous-mêmes, et que c'est à cette condition que
vous devez vous prouver à vous-mêmes et aux autres
la sincérité de votre conversion. Car, écoutez.
David, le modèle des vrais pénitents de l'Ancien
Testament, comme Madeleine Test de ceux du Nou-
veau, disait au Seigneur : «Vos colères sont passées en
moi, » In me transierunt irce iuœ (PsaL LXXXVII), et
par cette profonde parole ce grand théologien de la
pénitence nous a révélé l'un des plus mystérieux
effets de l'amour pénitent dans l'âme convertie.
i. 28
434 H O M É L I E V I I . Là P É C H E R E S S E D E L ' É V À N G I L E ,
Dieu, dit l'Ecriture sainte, hait et ne peut que haïr
l'iniquité, et par conséquent encore l'homme qui en est
souillé : Odio sunt Deo impius et impietas ejus. Mais
à peine l'homme se repent-il sincèrement de ses pé-
chés que Dieu cesse de le haïr, que sa colère se change
en tendresse, sa haine en amour. Mais cette tendresse,
cet amour de Dieu pour l'âme repentante la boule-
verse, la pénètre de la plus vive reconnaissance, dont
l'effet naturel, logique, est de se détester en proportion
de l'excès de bonté dont Dieu l'a aimée. L'amitié de
Dieu, lorsqu'elle est rendue à l'urne pécheresse, lui
imprime un instinct si fort d'amour vers Dieu et de
haine envers elle-même qu'elle ne se pardonne jamais
d'avoir tant offensé le Dieu qui lui a si facilement par-
donné. Elle commence donc à avoir, pour elle-même
et pour ses péchés, la colère et la haine qu'en avait
Dieu lui-même. Elle commence à se haïr, à haïr ses
péchés pardonnes, comme Dieu les haïssait lorsqu'ils
étaient commis. Dieu n'est plus en colère, il n'est
qu'en paix avec l'àme convertie; et c'est de ce mo-
ment qu'elle commence à se haïr, à se détester, comme
Dieu la détestait avant sa conversion. Elle se met à la
place de Dieu ; elle prend à cœur les intérêts de la jus-
tice de Dieu ; elle venge en elle-même ce qwe Dieu
n'a pas voulu venger, ce que Dieu a pardonné ; elle
puise dans le cœur de Dieu la haine du péché et du pé-
cheur, s'en pénètre elle-même et la fait éclater en elle-
même : In me tramierwU irœ tuœ. Ce qui a fait dire à
Tertullien cette grande parole : « Le vrai pénitent est
l'homme en colère contre lui-même* ou l'homme ne se
pardonnant pas à lui-même d'avoir offensé le Dieu qui
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 435
pardonne, ou Thomme se détestant, pour satisfaire à
Dieu*, en proportion de ce qu'il s'est aimé pour l'of-
fenser : Pcenitens est homo irascens sibi. »
Je vous laisse à décider, d'après cela, ce qu'on doit
penser de ces pénitents qui, après leur conversion,
continuent à s'aimer eux-mêmes, à avoir tous les
égards pour eux-mêmes, à se ménager, à se caresser
eux-mêmes, comme avant leur conversion, au point
qu'ils n'osent pas se faire la plus petite violence, s'in-
terdire le moindre plaisir, s'impo6er la plus petite pri-
vation, le plus petit sacrifice; qui, trouvant trop sévère
le confesseur, trop lourde et trop longue la pénitence
qu'il leur a infligée, ne l'accomplissent qu'avec impa-
tience, avec peine, ou l'ajournent d'un tempsà l'autre,
et finissent par ne l'accomplir point du tout. Ah! ces
hommes ne se haïssent donc pas encore ; ils ne sont
pas en colère contre eux-mêmes. Ils ne trouvent rien à
devoir payer, à devoir expier en eux-mêmes. Ils sont
en paix avec eux-mêmes. Ils s'aiment encore follement
eux-mêmes ; ils ne sont donc pas de vrais pénitents,
ou ce sont des pénitents que l'amour pénitent n'a pas
faits. Car le propre de l'amour pénitent, c'est d'ins-
pirer au pécheur, de faire passer dans le cœur du p é -
cheur la colère de Dieu contre le pécheur et le péché :
In me ircmsiemnt irœ tuce. C'est de mettre le pécheur
converti en une sainte colère contre lui-même : Est
homo irascens sibi. Sainte colère, dis-je, parce que
celte colère est de l'amour véritable, de l'amour utile,
de l'amour ordonné que, à la place de l'amour désor-
donné, Dieu inspire et que le pécheur se doit à lui-
même : Ordinavit in me charitatem.
436 HOMÉLIE V I I . — L A PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

Souvenez-vous encore que David avait été assuré


par le prophète Nathan que Dieu avait eu miséricorde
de lui, et qu'il lui avait pardonné son péché : Dominus
quoque transtulit peccatum tuum (II Reg. XII, 13). Et
cependant David ne cessa jamais, jusqu'à la fin de sa
vie, d'implorer la grande miséricorde de Dieu, de
prier ce Dieu d'une infinie bonté d'avoir pitié de lui et
d'effacer son iniquité : Miserere mei, Deus, secundum
magnam misericordiam tuam ; et secundum multitu-
dinem miserationum tuarum, dele iniquitaiem meam
(PsaL L, 1 , 2 ) .
Saint Pierre aussi, après la résurrection du Sei-
gneur, avait été assuré par les anges et par le Sei-
gneur lui-même que son péché lui avait été pardonné.
Et cependant, ainsi que nous l'atteste saint Clément,
son disciple, l'Apôtre pénitent ne cessa jamais de pleu-
rer son reniement et son parjure, au point que les
larmes qui coulaient toujours de ses yeux avaient formé
deux sillons sur sa figure, et que tant qu'il vécut il eut
la coutume de se lever toujours au milieu de la nuit au
chant du coq, et, se prosternant à terre, il demandait
à Jésus-Christ de lui pardonner.
Enfin, Marie-Madeleine avait é t é , comme on vient
de l'entendre, assurée de la bouche de Jésus-Christ
lui-même que tous ses péchés lui avaient été pardon-
nés, et qu'elle était rentrée en grâce, en paix avec son
Dieu : Remittuntur tibi peccata tua ; vade in pace ; et
cependant elle ne cessa, pendant les trente ans qu'elle
passa encore sur la t e r r e , de demander toujours le
pardon qu'elle avait obtenu, de faire pénitence de ses
péchés, qui lui avaient été remis. Cela, sans doute, peut
ou L'AMOUR PÉNITENT 437
vous paraître étrange, mes frères; et pourtant, c'est
encore là un des effets de 1'AMOUR PÉNITENT et la preuve
la plus certaine de sa présence et de son empire dans
l'âme convertie.
L'amour pénitent, par cela même qu'il obtient tout
de suite le pardon des péchés, ne cesse jamais de pleu-
rer les mêmes péchés qui lui ont été si promptement
pardonnes.
Il paraîtrait que les péchés confessés et pardonnes ne
devraient plus revenir à la mémoire et devant les yeux
du pécheur pénitent. Point du tout, mes frères, ce n'est,
au contraire, que lorsqu'il les a confessés et qu'il en a
reçu le pardon que ces péchés se redressent plus viva-
ces devant ses yeux, lui apparaissent dans toute leur
laideur et leur difformité ; c'est alors qu'il aime à les
avoir toujours présents et qu'il a plus d'envie de les
pleurer, parce que c'est alors qu'il les connaît mieux
comme des actes monstrueux contre un Dieu qu'il a
expérimenté si bon et si facile à les pardonner : Quo-
niant iniquitatem rneam ego cognosco, et peccatum
meum contra me est semper, disait David.
Comprenez bien cela, mes frères, car cela est grave,
fort grave, sachez-le bien; et cela doit inspirer une
juste défiance de la sincérité de leur repentir à ces
pécheurs qui, après la confession, ne se souviennent
plus de l'immense multitude des œuvres d'iniquité
dont ils se sont confessés. « Nous nous en sommes con-
fessés, » vous disent ces braves pénitents. Mais êtes-
vous certains que toutes ces œuvres d'iniquité vous
ont été pardonnées? Non, vous ne l'êtes pas, et vous
ne pouvez pas l'être : n'étant pas certains d'avoir
438 HOMÉLIE VU. — LA PÉCHERESSE DE L*ÉVANGILE,

accompli les conditions auxquelles le pardon a été


promis, comment les mettez-vous donc sur le compte
de dettes payées, de parties acquittées?
La vraie conversion ne consiste pas dans la confes-
sion seule, mais dans la détestation du péché. La grâce
du pardon n'est pas accordée au pécheur qui ne fait que
confesser le péché, mais au pécheur q u i , en con-
fessant le péché, désavoue, regrette et abhorre le p é -
ché. Il y a des cas où, tout en le voulant, on ne peut
pas se confesser ; et alors la contrition du péché avec
le seul désir de la confession suffit, tandis que la con-
fession ne suffit jamais sans la contrition. Dans tous les
temps, dit le saint concile de Trente, la contrition et la
détestation du péché ont été absolument nécessaires,
ont été de l'essence de la vraie pénitence. Point de par-
don du péché donc sans le repentir sincère du péché.
Or, sur la présomption que vos péchés vous ont été
remis, vous prenez le parti de ne plus penser à vos
péchés; et moi, de ce que vous ne pensez plus à vos
péchés, j'en conclus que très-probablement vos péehés
ne vous ont pas été remis; car vous n'avez pas eu,
vous n'avez môme pas dans ce moment une douleur,
un regret ou une contrition sincère de vos péchés. Et
pourquoi? parce que je sais que le pardon du péché
est un 6i grand acte de miséricorde de la part de Dieu,
et qu'il imprime un tel sentiment de reconnaissance
dans l'âme qui en est l'objet, une telle horreur de son
ingratitude et de soji aveuglement, qu'elle ne peut
jamais se rappeler combien fut doux le pardon sans se
rappeler combien fut grave le péché ; et qu'elle se sou-
vient toujours et de la bonté de Dieu pour l'aimer et
ou LA
' MOUR PÉNITENT 439
de son péché pour le détester. Comme, ainsi qu'on
vient de le voir, Dieu cesse d'être en colère contre le
pécheur dés que le pécheur commence à se mettre en
colère contre lui-même : Pœnitens est homo irascens
sibi; de même Dieu ne se rappelle plus les péchés
commis pour les punir dès que le pécheur s'en sou-
vient toujours pour les détester. En sorte que le sou-
venir du péché est un signe de la reconnaissance de
l'âme qui en a reçu le pardon, et par conséquent de la
détestation du péché ; et par conséquent aussi l'oubli de
ses propres péchés est un signe qu'on ne regrette pas
beaucoup de les avoir commis, qu'on n'en est pas vrai-
ment repentant ; et dès lors c'est un signe qu'ils n'ont
pas été pardonnes.
Cela vous explique pourquoi les plus grands péni-
tents du Nouveau Testament, tels que saint Pierre,
saint Augustin, sainte Marie l'Egyptienne, sainte Mar-
guerite de Cortone, saint Ignace, saint François de
Borgia, saint Camille de Lellis, aussi bien que la Ma-
deleine, n'ont jamais oublié d'avoir été pécheurs, ont
toujours pleuré leurs péchés, et à ce signe l'Église les
a reconnus pour de vrais pénitents, à qui Dieu avait
pardonné et que Dieu a sauvés.
13. Comment le vrai pénitent doit répéter les actes de Madeleine
envers Jésus-Christ. Les odeurs. Les pieds du Seigneur et les
cheveux de l'homme, au sens allégorique. Bonheur de la vraie
pénitence.

Ah ! que ne marchons-nous donc sur les traces de


ces illustres pénitents, et particulièrement de Marie-
Madeleine! Le Fils de Dieu, en l'indiquant au phari-
sien, c'est a nous tous aussi qu'il l'indique de son doigt
440 HOMÉLIE V I I . — L A PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE,

divin; c'est à nous tous aussi qu'il dit : Voyez-vous


cette femme? Vides hanc mulieremî Regardez-la
bien : ce n'est qu'une femme, un être faible et délicat
qui vous prêche d'exemple, et qui vous dit comment
on doit satisfaire à Dieu lorsqu'on a eu le malheur de
l'offenser. Vous n'avez donc plus le droit, vous hom-
mes, de prétexter la faiblesse de la nature, la délica-
tesse de la complexion, pour vous soustraire aux r i -
gueurs, aux sacrifices de la pénitence. Il est vrai que
Dieu n'exige pas de tout le monde la pénitence exté-
rieure de Madeleine. Mais ce grand exemple d'une
âme pénitente qui, selon le monde, aurait fait trop,
n'est-il pas un sujet de confusion et de condamnation
en même temps pour des pécheurs et des pécheresses
qui ne font rien? Ah! que ne confessons-nous au
moins, comme Madeleine, nos péchés aux pieds du
Seigneur? Ayant offensé comme elle et plus qu'elle
peut-être ce Dieu de majesté, que ne pleurons-nous
aussi nos péchés comme elle et avec elle? Doit-il donc,
le Seigneur, voir toujours ses saintes lois violées par
nos désordres, et ne doit-il voir jamais ses pieds arro-
sés de nos larmes? Aquam pedibus meis non dedistis*
Doit-il donc nous voir toujours péchant, mais ne nous
repentant et ne pleurant jamais?
Venez donc, pécheurs mes frères, venez, vous dit
saint Ambroise, offrir au Seigneur, une bonne fois,
l'hommage de votre pénitence, après l'avoir tant in-
sulté par vos crimes. Accourez partout où vous enten-
drez raisonner le nom adorable de Jésus-Christ. Jetez-
vous à ses"pieds divins, c'est-à-dire recueillez avec soin
jusqu'aux derniers mots de sa sagesse, jusqu'à la plus
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 441
humiliante de ses doctrines, jusqu'à la plus dure de ses
lois ; CONFESSEZ, en les pleurant, vos péchés (1).
O la belle et précieuse chose que les saintes larmes
de la pénitence, poursuit le même Père, puisque nous
pouvons par elles non-seulement laver nos crimes,
mais aussi découvrir les traces du Verbe céleste, con-
naître ses pas et le suivre ! O la belle et précieuse
chose que les saintes larmes de l'amour pénitent, puis-
qu'elles ne sont pas seulement la rédemption des pé-
cheurs, mais aussi la nourriture et la consolation des
justes (2) ! Pour saint Bernard, les larmes des pécheurs
convertis sont la liqueur délicieuse des Anges (3). Et
saint Chrysostôme, en réfléchissant aux larmes de
Madeleine : O larmes heureuses, s'écrie-t-il, que l'effi-
cacité des larmes de la pénitence est grande ! Comme
à une pluie torrentielle succède une grande sérénité
dans le ciel, de même après qu'on a beaucoup pleuré
ses péchés Vobscurité du crime disparaît, et il se fait
une grande tranquillité dans Tâme. Ah! comme la pre-
mière fois nous n'avons pu être purifiés que par l'Es-
prit et l'eau du baptême, de même, étant tombés de
nouveau dans le péché, nous ne pouvons être purifiés

(1) « Defer tu, post peccata, pœnitentiam ; ubicumque audieris


« Christi nomen, accurre. Accurre ad pedes : hoc est, vel ex tréma m
« partem quaere sapientiae; lacrymis CONFITERE peccata. »
(2) • Ronae Jacrymœ, quœ non solum nostrum possunt lavare
« delictum, sed etiam Verhi cœlestis rigare vestigium, ut gressus
cr ejus nobis exuberent! Ronae lacrymœ, in quibus non solum re-
« demptio peccatorum, sed etiam justorum refectio est ! »
(3) « Lacrymas poanitentium sunt vinum angelorum (Serm. xxx,
« in Cantic). »
442 HOMÉLIE VII.—-LA PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE.

une seconde fois que par la CONFESSION et les larmes


de la pénitence(4). Quant à m o i , disait à son tour
saint Augustin, je déclare avoir appris, par ma propre
expérience, que les larmes de la pénitence sont plus
délicieuses que tous les plaisirs, que les jouissances
des spectacles (2).
Mais avec les larmes il faut apporter l'onguent. Or,
que signifie l'onguent, dit saint Grégoire, si ce n'est
l'odeur du bon exemple, la bonne opinion qui suit la
pratique des œuvres vertueuses? Lors donc que nous
faisons le bien de manière à édifier l'Église, à remplir
l'Église de la bonne opinion de nos vertus, nous répan-
dons vraiment un onguent précieux sur le corps du
Seigneur. Car le corps mystique du Seigneur, c'est
r

l'Eglise (3). Il est dit de Madeleine qu'en pleurant ses


péchés elle est restée tout près des pieds du Seigneur.
Or si, après avoir péché, dit encore saint Grégoire,
nous nous convertissons à la vraie pénitence, nous
aurons, nous aussi, le même bonheur de rester tout
près des pieds du Seigneur, parce que, dès le moment
où nous sommes à lui, nous suivons ses traces et mar-

(1) « Sicut ubi vehemens imber proruperit, fit serenitas, sic, la-
« crymis effusis,appare£ tranquillitas et périt callgo reatuum ; et sicut
a per aquam et Spiritum, sic per lacrymas et C0NFE8SI0NEM d e -
« nuo mundamur (fn Çaten.). »
(t) « Dulciores mihi sunt lacrymœ pœnitentïs quam gaudia thea-
« trorum. »
(3) « Quid aliud unguento nisi bonus odor opinionis exprimitur ?
<t Si igitur reeta opéra agi mu s, quibns opinione boni odoris Eccle-
« siam respergimus, quid in corpore Domini nisi unguentum f o n -

te dimus? »
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 443
chons avec lui (1) ^ et marcher avec Jésus-Christ, c'est
l'aimer. Ah! oui, nous dit saint Paulin, à l'exemple de
la Madeleine, aimons, nous aussi, Jésus-Christ, car
l'aimer c'est nous acquitter d'une dette; baisons Jésus-
Christ, car le baiser c'est la perfection de la chasteté;
unissons-nous à Jésus-Christ, car l'épouser, c'est la
gloire de la virginité; soumettons-nous à l u i , car se
soumettre à lui c'est s'affranchir du monde et dominer
l'univers; mourons avec lui, car mourir avec lui, en
qui réside la vie, c'est vivre de lui et en lui, qui a dai-
gné à son tour mourir, lui, le premier, en nous et
pour nous (2).
Enfin F AMOUR pénitent ne sépare pas la charité de
Jésus-Christ de celle des pauvres; et c'est cela encore
que Madeleine nous prêche par son exemple. Car, d'a-
près la belle pensée que saint Grégoire a empruntée à
saint Augustin, les pieds du Seigneur signifient encore
les plus petits, les plus humbles des serviteurs de Dieu,
les pauvres et les malheureux. Les larmes sont encore
l'expression de la compassion; les baisers sont le signe
et le témoignage de l'amour. Les cheveux, qui sont
des superfluités du corps nullement nécessaires pour
vivre, signifient aussi le surplus de nos revenus et de

(î) « Secua pedes mulier stetit. Et nos, si ad veram pœnltentiam


« post peccata convertimur, jam rétro secus pedes stamus; quia ejus
« vestigia sequimur. »
(2) « Jesum amemus, quem amare dêfaitum est. Jesum OBCtrie-
a mur, quem osculari castitas est. llli eopulemur cui nupsisse vir-
« ginitas est. llli subjiciamur, sub quo jacere supra mundum starc
« est. Illi commoriamur in quo vita est, in quo et mortui vivimus,
« qui vicissim nobis hoc esse dignatur {Loc. citât.). »
444 HOMÉLIE V i l . — L A P É C H E R E S S E D E L ' É V A N G I L E ,
nos biens. Donc Tune des manières très-agréables au
cœur de Jésus-Christ de laver ses pieds par nos larmes,
d'y imprimer des baisers respectueux et de les essuyer
de. nos cheveux, c'est de nous incliner, de descendre,
par les sentiments de la compassion et de la charité,
jusqu'aux dernières classes des fidèles, jusqu'aux indi-
gents et aux infortunés ; de les secourir du superflu de
nos ressources, et de respecter et de chérir comme nos
frères ceux que nous avons secourus comme des mal-
heureux (1). Voilà ce que nous devons faire à l'exem-
ple de Madeleine, et par là nous partagerons ses r é -
compenses. Les mots que le divin Sauveur a adressés à
Madeleine, en lui disant : « Votre foi vous a sauvée ;
allez en paix, » n'ont pas été prononcés seulement
pour elle. Ces mots délicieux nous regardent, nous
aussi. Notre humble foi, rehaussée par la confiance,
embellie par l'amour, réalisée par les œuvres, nous
justifiera, disait saint Paul, et en nous justifiant nous
mettra en possession delà paix auprès de Dieu : Ut jus-
tificaiiex fide, pacemhabeamus apud Deum (Rom.,y).
Cette paix divine, dit encore saint P a u l , dont les
charmes, les délices spirituels surpassent infiniment
les charmes et les délices sensibles, remplira d'elle-
même, possédera notre intelligence et notre cœur :
Pax Dei, quce exsuperat omnem sensum, possideat

( l ) « Lacrymis Domini pedes rigamus, si quibuslibet membris


« Domini compassionis affectu meditemuT. Capillis pedes Domini
« tergimus, cum sanctis ejns, quibus ex charitate compatimur ex his
« quae nobis superflu un t, miseremur. Osculatur mulier pedes quos
« tersit, quod nos quoque plene agimus si studiose diligimus quos
« ex largitate sustinemus. »
ou LA
' MOUR PÉNITENT. 445
corda vestra et inleîligentias vestras (Philipp., iv). Car
cette paix c'est l'harmonie, c'est Tordre entre la nature
et la grâce,' entre Tâme et le corps, entre la raison et
la foi, entre la crainte et l'espérance, entre Thomme
et Dieu, entre Thomme et Thomme même. C'est l'har-
monie, c'est Tordre dans tout Thomme par l'amour,
ordonné lui-même par la grâce : Ordinavit in me
charitatem.
Courage donc, mes frères, accourons tous aux pieds
du Seigneur, encore chauds des larmes et des baisers
de l'amour pénitent de Marie-Madeleine. Il est ici,
parmi nous et avec nous, ce même Jésus, prêt à ac-
cueillir nos larmes, nos baisers, notre repentir et notre
amour.
O doux et aimable Jésus, percez notre cœur par un '
de ces traits qui font jaillir les larmes de tout cœur
qu'ils blessent. Faites tomber sur nous une étincelle
de ce feu sacré, de cet amour pénitent dont les pleurs
sont si efficaces à obtenir le pardon et l'empressement
si généreux, pour correspondre au pardon qu'on a
obtenu. Afin que nous aussi méritions de recevoir de
votre miséricorde la paix de Tâme dans le temps et le
salut dans T éternité : Fides tua te salvam fecit; vade
in pace ; et puissions-nous YOUS remercier pour tou-
jours de nous avoir convertis, de nous avoir sauvés par
l'amour : Ordinavit in me charitatem. Ainsi soit-il.
446 HOMÉÏ-IE VII. — LA PÉCHERESSE D E L'ÉVANUILE,

NOTE A LA PAGE 4 3 3 .

LA CONTRITION ET L'ATTRITION.

La crainte, d'après les théologiens, est de trois espèces : mon-


daine, filiale et servile. La crainte mondaine est la crainte des
peines dont les créatures nous menacent, qui nous induit à com-
mettre même le péché, afin d'éviter ces peines. La crainte filiale
est la crainte du péché en tant qu'il est l'offense du Dieu souverai-
nement bon et parfait, qu'on aime au-dessus de toute chose. La
crainte servile est la crainte des châtiments que Dieu réserve au
péché. Luther et d'autres hérétiques ont soutenu que cette crainte
servile est mauvaise et qu'elle rend l'homme hypocrite. Mais ces
prétendus théologiens n'ont pas fait attention que la crainte servile,
elle aussi, est de deux espèces : SERVILEMENT servile, ou SIMPLE-
MENT servile. La crainte SERVILEMENT servile est celle qui nous fait
redouter le péché à cause des peines qu'il entraîne, mais de ma-
nière qu'on serait actuellement prêt à pécher si ces peines n'exis-
taient pas. Or il n'y a pas de doute que cette espèce de crainte est
mauvaise et insuffisante pour obtenir le pardon, parce qu'elle ren-
ferme l'amour, l'attachement au péché; et il est certain que le p é -
ché n'est, ne peut être pardonné, à moins qu'il ne soit réellement
et souverainement détesté. Mais quant à ia crainte SIMPLEMENT ser-
vile, par laquelle on redoute la peine pour elle-même et le péché
au-dessus de toute peine ; elle est bonne, car le concile de Trente
en parlant de la douleur imparfaite du péché, fondée sur cette
crainte, a dit : « La contrition imparfaite, qui s'appelle attrilion
n parce qu'elle se conçoit communément ou par la considération de
« la laideur du péché, ou par ia peur de l'enfer et d'autres peines,
* si elle exclut la volonté de pécher et renferme l'espérance du
« pardon, est un don de Dieu, et une impulsion du Saint-Esprit,
« qui n'habite pas encore dans Tâme, mais qui la meut; et par ce
« secours le pénitent se fraye la voie à la justification ; Contritio
« imperfecta, quœ ATTRITIO dicitur, quoniam vel ex turpitudinis
« peccati consideratiorte, vel ex gehennx et pœnarum metu com-
« muniter concipitur, si voluntatem peccandi excluait cum spe
« venise, est donum Dei, et Spiritus saneti impulsus : non ad hue
ou L'AMOUR PÉNITENT. 447
« qu'idem in habit an tis sed moventis; quo pœnitens adjutus, viam
« sibi ad justitiam parât (sess. ry, c. 4). »
Mais tout cela admis, il n'en est pas moins vrai que, comme saint
Augustin Va dit, la seule charité de Dieu détruit le péché ; que notre
âme, laide par l'iniquité, devient belle par cette charité; que notre
réconciliation avec Dieu, notre réintégration dans l'amitié de Dieu
ne se fait que par l'amour; et que l'amour c'est la mort de tous les
vices et la vie de toutes vertus; « Tota charitas exstinguit delicta.
« Anima nostra fœda per iniquitatem, amando Deum pulchra effici-
« tur. Diligendo amici facti sumus (Tract. 1 et 9 in Epist. Joan.).
« Charitas est mors vitiorum, vita virtutum (DeLaudib.Charitat.).*
Et saint Pierre Chrysologue a dit aussi : « Vouleï-vous être absous,
« aimez ; Si vis absolvi, ama. »
L'amour de Dieu est aussi de deux espèces : tantôt c'est l'amour
de charité ou d'amitié, tantôt c'est l'amour d'espérance ou de con-
cupiscence. L'amour d'amitié c'est l'amour par lequel on aime Dieu
au-dessus de tout pour lui-même, ou bien parce qu'il est souverai-
nement bon et parfait. L'amour de concupiscence C6t celui par lequel
on aime Dieu au-dessus de tout, comme souverain bien par rapport
à nous. L'amour de la première espèce se dit l'amour parfait, celui
de la seconde espèce se nomme amour imparfait. L'amour parfait
de Dieu produit la douleur parfaite du péché ou la contrition pro-
prement dite ; l'amour imparfait ne produit que la douleur impar-
faite ou l'attrition. La contrition, unie au désir et à la résolution de
se confesser, justifie le pécheur avant même qu'il ait reçu l'absolu-
tion, et fait ce qui est arrivé à la Madeleine; et par conséquent,
comme l'a remarqué un savant théologien, en lui disant : <t Vos pé-
chés vous sont remis, » Jésus-Christ ne l'a pas justifiée à cet instant
même; il n'a fait que déclarer et confirmer la justification qu'il lui
avait antérieurement conférée à cause de sa contrition parfaite :
« Illis verbis Magdalenam non primo justificavit, sed solum priorem
« justificationem declaravit et conûrmavit (ANTOINE, De sacrampœ-
« nitent., art. v, 3). » L'attrition ne justifle le pécheur qu'avec la
confession et par l'absolution du prêtre. Mais cette attrition ou dou-
leur imparfaite, qui, unie à l'absolution sacramentelle, suffit à la
justification du pécheur, n'en est pas moins, n'en doit pas moin3
être de l'amour, de l'amour imparfait si vous voulez, de l'amour de
448 HOMÉLIE V I I . — LA PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE.

concupiscence, mais toujours de L'amour, ce qui a fait dire au théo-


logien précité que toute attrition n'est pas suffisante pour obtenir
le pardon des péchés mortels, même dans le sacrement de la péni-
tence; mais qu'il faut avoir pour cela une attrition appréciatvvement
souveraine, renfermant avec la crainte de l'enfer quelque amour de
Dieu ; et que cette attrition seulement, procédant d'un certain amour
de Dieu, est une disposition suffisante pour obtenir la justification
dans le sacrement : « Ad remissionem peccatorum mortalium in
« sacramento pœnitentiae obtinendam non sufilci t quaelibet attritio,
« sed requiritur attritio appretiative summa quae, preeter metum
« gehennœ, includat aliquem Dei amorem. Sola attritio ex aliquo
« Dei amore est dispositio ad justificationem in sacramento suffi-
« ciens (artic. vu, § 1). » L'assemblée du clergé de France de Tan-
née 1700 a dit : Nous croyons devoir avertir et enseigner, d'après le
saint concile de Trente, que personne ne doit croire d'avoir bien
reçu le sacrement si, outre les actes de foi et d'espérance, il n'a au
moins commencé à aimer Dieu comme la source de toute justifica-
tion : « Ex sancta synodo Tridentina monendum etdocendum duximus
« ne quis putet in sacramento se esse securum si, praeter fidei et
« spei actus, non incipiat diligere Deum tamquam omnis justifica-
«< tionis fontem. » La raison de tout cela, dit toujours Antoine, est
bien simple et bien claire. Tout péché n'est qu'un acte par lequel
l'homme tourne le dos à Dieu et s'attache à la créature. Il est donc
nécessaire, afin qu'il reçoive le pardon, que non-seulement il se dé-
tache de la créature, mais aussi qu'il revienne à Dieu, en l'aimant
au moins comme son souverain bien et en plaçant en lui son der-
nier bonheur : « Perpeccatum homo avertitur a Deo et convertitur ad
« creaturas. Ergo, ut remissionem obtineat, débet non solum averti
« a creatura, sed converti ad Deum, ipsum saltem amando ut sum-
a mum bonum et in eo suam beatitudinem statuendo (Loc. cit.). »
C'est ainsi que toute conversion sincère ne s'opère au fond que par
l'amour et que l'on n'est pas un vrai pénitent, et que l'on n'obtient
pas de pardon, sans aimer.

FIN DU PREMIER VOLUME


TABLE ANALYTIQUE.

PREMIÈRE HOMÉLIE.
AVANT-PROPOS V
LA CHANANÉENNE ou L'ESPRIT DE GRACE ET L'ESPRIT DE
PRIÈRE. . 1
I n t r o d u c t i o n . — 1. Une ancienne erreur, touchant la moralité h u -
maine, et les conséquences de cette erreur 1&.
2. L'Esprit de grâce et de prière, et ses effets. C'est particulièrement
dans l'histoire de la CHANANÉENNE qu'on le voit en action. Conve-
nance qu'il y a de traiter un pareil sujet au commencement de la
station du Carême 3
f r o n t i è r e p a r t i e . CONDITIONS OE L'ESPRIT DE PRIÈRE. — 3. Jésus-
Christ quittant momentanément les Juifs pour les corriger. La
Chananéenne allant à sa rencontre, figure de l'Église. . . . 6
4. Perfection de la prière de la Chananéenne. La foi et l'éloigné-
ment du monde, premières conditions pour bien prier. Que doit-
on penser de ceux qui demandent des guérisons au magné-
tisme? 8
5. Autres sentiments que la Chananéenne a exprimés par sa prière.
La Confiance, l'Humilité et la Ferveur, conditions nécessaires, elles
aussi, pour bien prier 11
6. Jésus-Christ n'ayant l'air de dédaigner la Chananéenne que pour
lui donner le mérite de persévérer dans sa prière. C'est la persé-
vérance dans la pTière qui obtient les grâces 14
7. La Chananéenne priant pour sa fille, figure de l'Église priant
toujours pour ses enfants. Les ministres de la prière de l'Eglise,
vrais bienfaiteurs du monde. Stupidité du monde qui les per-
sécute 17
8. Les Apôtres intercédant pour la Chananéenne, prouvant l'impor-
tance de l'intercession des Saints. Explication de la parole du Sei-
gneur : « Qu'il n'était venu que pour le salut d'Israël. » . . 19
9. La Chananéenne cherchant et trouvant Jésus-Christ dans la mai-
son où il s'était caché, figure des âmes aimant le Seigneur, et le
cherchant et le trouvant dans la maison de l'Eglise, où il réside.
Réponse de Jésus-Christ à une nouvelle prière de la Chananéenne.
Les < ENFANTS » et les * CHIENS » selon l'Évangile 23
10. Pourquoi Jésus-Christ a appelé la Chananéenne «Une chienne. »
Dieu aime à être importuné par la prière. Admirable constance de
la Chananéenne vis-à-vis d u n e qualification si injurieuse pour
elle. Comment la change-t-elle en une nouvelle supplication?Com-
mentaires des Pères sur cette sublime prière 27
î. 29
450 TABLE ANALYTIQUE.
n e u v i è m e p a r t i e . L'ESPI\IT DE GRÂCE ET SON ÉCONOMIE. — 11. J é -
sus-Christ accordant enfin à la Chananéenne plus qu'elle ne lui
avait demandé. Tendre bonté du Seigneur pour cette femme. Com-
ment il l'a comblée de grâces et l'a glorifiée 35
12. Comment les Gentils convertis à la foi sont-ils devenus « En-
fants, > de Chiens > qu'ils étaient. L'âme du pécheur est sa fille
possédée par le démon. La prière seule peut la guérir. . . . 39
13. La Chananéenne nous prouvant encore que l'Esprit de grâce ne
peut se refuser à l'Esprit de prière. Jacob devenu, par la prière, le
vainqueur de Dieu. Toute-puissance de la prière 42
14. Ce n'est que par la prière qu'on peut bien vivre, obtenir la per-
sévérance finale, et faire son salut 48
A p p e n d i x à l'homélie qui précède. AUTRES CONSIDÉRATIONS SUR LA
PRIÈRE 52

D E U X I È M E HOMÉLIE.

LA FEMME MALADE ou LA PIÉTÉ 58


I n t r o d u c t i o n . 1. La piété fausse et la piété vraie. Nécessité qu'il
y a aujourd'hui d'inculquer la vraie piété. C'est ce qu'on va faire
par l'exposition de l'histoire de la FEMME MALADE Jb.
P r e m i è r e p a r t i e . L E S CARACTÈRES ET LES RÉCOMPENSES D E LA VRAIE
PIÉTÉ. — 2 . La piété v vertu morale, » et la piété « don du Saint-
Esprit. » C'est de cette dernière espèce de piété qu'il va être ques-
tion ici 60
3. Les mondains dans le malheur. Jaïre priant le Seigneur de lui
guérir sa fille. Imperfection de cette prière. Les Gentils ont mieux
que les Juifs compris la religion. Bonté du Seigneur se rendant
aux désirs de Jaire 63
4. La FEMME MALADE, c'est Véronique. Sa maladie incurable; et
comment elle a cherché à en être guérie par Jésus-Christ. La piété
orgueilleuse. La \raie piété est Humilité 65
5. Foi sublime et parfaite de Véronique. Portrait de l'homme sans
piété, n'entendant rien à la religion. Guérison prodigieuse de Vé-
ronique par le simple attouchement de la frange du vêtement du
Seigneur 70
0. Blasphème stupide de Calvin, osant nommer superstitieux l'acte
de foi de Véronique. Le vêtement de Jésus-Christ était une auguste
relique. Les hérétiques et les incrédules convaincus de supersti-
tion. Le culte des reliques des saints inséparable de la vraie piété.
Combien ce culte est raisonnable, et agréable à Dieu. La sottise
de la piété est sagesse. Gloire des insultes dont la vraie piété est
l'objet 76
7. Jésus-Christ cherchant à savoir qui l'a touché. Crainte de Vé-
ronique. Charme et bonheur de la crainte de Dieu propre aux
saints. Véronique glorifiant le Seigneur par la confession publique
de la grâce qu elle avait obtenue en secret. C'est un besoin pour
la \raie piété que de manifester la foi. La confession de la foi est
la respiration de l'âme 82
* Pourquoi Jésus-Christ a \ o u l u que Véronique publiât elle-
TABLE ANALYTIQUE 451
même la guérison qu'elle avait obtenue. Touchante bonté a^eo
laquelle le Seigneur a récompensé Véronique de sa confession, en
la déclarant ,< Sa fille. » Amour filial de Véronique pour Jésus-
Christ. Le saint voile de Véronique. Vie et mort de cette admira-
ble femme après l'ascension du Seigneur. Le monument qu'elle
lui érigea à Césarée 88
9. La vraie Piété est aussi charité. La femme vraiment pieuse a l'in-
telligence des besoins du pauvre, et est heureuse d'y apporter re-
mède. La piété égoïste flétrie 93
D e u x i è m e p a r t i e - L'ÉGLISE MODÈLE DE LA VHAIE PIÉTÉ. — 1 0 . L ' é -
tat de Véronique avant sa guérison, figure de l'état de l'Église des
Gentils ayant sa conversion 97
11. Tontes les circonstances de la guérison de Véronique, figures et
prophéties des circonstances qui ont eu lieu dans la conversion de
l'Église des Gentils. L'Église « Fille chérie v de Jésus-Christ. 102
12. En dehors de l'Église catholique on ne fait que protester ; c'est
seulement dans cette Église qu'on croit. L'amour de Dieu et la cha-
rité pour les hommes, des hérétiques. Seule l'Eglise catholique
aime parfaitement Dieu et les hommes et par conséquent elle seule
est vraiment pieuse, et l'Église véritable 105
T r o i s i è m e p a r t i e . LES PRATIQUES DE LA VRAIE PIÉTÉ.— 13. Il faut
croire; mais la foi seule ne fait pas le chrétien. Nécessité de la
pratique du culte extérieur. La femme doit travailler à ramener
l'homme aux pratiques extérieures de la religion 109
14. Qu'est-ce que toucher Jésus-Christ? La chair l'oppresse, c'est la
foi qui le touche. Comment ce double mystère s'accomplit encore
de nos jours. Châtiment auquel doivent s'attendre les malheureux
qui entourent Jésus-Christ sans le toucher. Encouragement aux
personnes pieuses. Exhortation atout le monde à pratiquer la vraie
piété 113
A p p e n d i x à l'homélie précédente. LE REMÈDE CONTRE LE VICE DE LA
CHAIR 118
TROISIEME HOMÉLIE.
LA FILLE DE JAIRE ou LA MORT DES JUSTES 124
I n t r o d u c t i o n — 1. Les Égyptiens et les Israélites à la mer Rouge,
figure des pécheurs et des justes à la mort. On se propose d'expli-
3 uer, par l'histoire de la tille de Jaïre, les a\antages de la mort
es justes l b .
P r e m i è r e p a r t i e . LA PILLE DE JAÏRE AU SENS LITTÉRAL. — 2. Jaïre
à l'école de Véronique 129
3. Le Seigneur à la maison de Jaïre 129
4. Le Prodige 131
S e c o n d e p a r t i e . LA FILLE DE JAÏRE AU SENS ALLÉGORIQUE. — 5. Jaïre
et sa fille, figure de Moïse et de la Synagogue. . . . . . . 134
6. Le mystère de Véronique venant la dernière, et étant guérie la
première l.tfi
7. Les circonstances de la résurrection de la fille de Jaïre, magni-
452 TAJ8LE A N A L Y T I Q U E .

fique figure et prophétie de la condition future des Juifs et de leur


conversion au Christianisme 138
8. Existence miraculeuse des Juifs. Dieu les conserve pour servir
de témoins à l'Église 144
9. Pourquoi les souverains Pontifes gardent les Juifs à Rome, et les
protègent. Magnifiques prophéties qui s'accompliront lors de leur
entrée dans l'Église. Ils ne ressusciteront à la vie de la foi qu'à
cause de l'esprit des Patriarches, qui est en eux 147
T r o i s i è m e p a r t i e . LA FILLE DE JAÏRE AU SENS ANAGOGIQUS.—10. Jésus-
Christ, à l'occasion de !a mort de cette fille, nous révélant que
la mort des Justes n'est qu'un sommeil. Charmes et grâce de ce
mot divin 150
11. La mort des Justes, vrai sommeil, parce qu'elle est sans dou-
leur. Joie des Justes à la mort 15-2
12. La mort des Justes encore un vrai sommeil, parce qu'elle est
sans répugnance- désignation héroïque d'une jeune veuve en
mourant 155
13. Troisième circonstance de la mort du Juste : La paix du som-
meil 158
14. Quatrième circonstance de la mort du Juste : La sécurité du
sommeil. Le pécheur tremblant, le Juste espérant, à la mort; rai-
sons de cette différence. Description des derniers moments de la
vie des Justes 161
15. L'Enfant de Jaïre après sa résurrection, figure de l'âme juste se
trouvant, au réveil de la mort, au ciel, dans les bras de Jésus-
Christ. Bonheur des jeunes gens mourant dans le Seigneur; il ne
faut pas les regretter. Les bons chrétiens sont les vrais sages. Voeu
de mourir de la mort des Justes 169

QUATRIÈME HOMELIE.

LA FEMME ADULTÈRE ou OBSTINATION ET REPENTIR. . . 174


I n t r o d u c t i o n . — 1 . Les Prophètes vrais amants de Jésus-Christ.
David prédisant les trois principales vertus du Messie. On propose
de faire voir que l'histoire de la FEMME ADULTÈRE n'est que la ma-
nifestation toute particulière de ses vertus l b .
P r e m i è r e p a r t i e . L A JUSTICE DU SAUVEUR DANS L'HISTOIRE DE LA
FEMME ADULTÈRE. — £ . Explication du mystère de Jésus-Christ
descendant de la montagne, allant s'asseoir dans le temple, et i n -
struisant le peuple 177
3. Intentions perverses dans lesquelles les pharisiens présentent au
jugement de Jésus-Christ la femme adultère 179
4. On explique encore le mystère de Jésus-Christ écrivant de son
doigt sur le pavé du temple. Les noms des pécheurs écrits sur la
terre. Les pharisiens condamnés 182
5. Conjectures pour savoir où est écrit le nom de chacun de nous. Le
dialecte du ciel et celui de l'enfer. Prière pour que notre nom soit
écrit dans le livre du ciel , . 184
6. Jésus-Christ écrivant sur la terre les péchés des accusateurs de la
TABLE ANALYTIQUE. 453

femme adultère. Sagesse divine de sa réponse à ses accusateurs.


Le magistrat coupable jugeant les coupables 187
7. Impudeur des pharisiens d'accuser la femme d'un crime dont ils
étaient plus coupables eux-mêmes. La pudeur est charitable; les
femmes libertines, injustes et sévères envers les autres. . . 190
8. Le Fils de Dieu punissant d'une manière éclatante l'injustice et
l'obstination des pharisiens, et donnant un essai de ce qu'il réserve
à tous les pécheurs au jugement dernier 194
D e u x i è m e p a r t i e . LA BONTÉ ET LA VÉRITÉ DO SEIGNEUR DANS L'AB-
SOLUTION DE LA FEMME ADULTÈRE. — 9 . Explication du mystère de
Jésus-Christ qui s'abaisse, et de la femme coupable qui reste d e -
bout. Touchante manière dont le Seigneur l'absout 198
10. Énormité du péché d'adultère. En absolvant la femme coupable
de ce péché, Jésus-Christ n'en a pas atténué la malice. Il n a fait
éclater que la vérité de sa promesse : Que le pardon est assuré au
repentir 202
11. Grande parole par laquelle, dans cette même circonstance, le
Seigneur a encore flétri l'adultère. Ce péché, quoi qu'en disent les
mondains, est toujours un grand péché aux yeux de Dieu. . 208
12. Les rechutes dans le péché. Danger de l'Obstination, et bonheur
du Repentir. Il faut espérer dans la miséricorde de Dieu, mais sans
oublier sa justice 212
CINQUIEME HOMÉLIE.
LA VEUVE DE NAIM ou L'ËGLÏSE-MÈRE ET LA MÈRE-ÉGLISE. 215
I n t r o d u c t i o n . •— 1. Pourquoi Dieu a créé les deux sexes. Le ma-
riage, figure de l'union de Jésus-Christ et de l'Église. La femme
mère, figure de I'ÉGLISE-MÈRE et de LA MÈRE-ÉGLISE. Ce sont ces
mystères qu'on se propose de montrer en action dans l'histoire de
la veuve de Naïm l à .
P r e m i è r e p a r t i e . L'HISTOIRE DE LA VEUVE DE NAÏM, FIGURE DU MYS-
TÈRE DE L'ÉGLISE-MÈRE. — 2. Circonstances historiques de la r é -
surrection du fils de cette veuve. Puissance et bouté du Sauveur
divin, dans l'opération de ce prodige 220
3. Élie ressuscitant le fils de la veuve de Sarepta, prophétie de
Jésus-Christ ressuscitant le fils de la veuve de Naïm, et se mon-
trant Dieu 224
4. Le mort de Naïm, figure de l'homme pécheur. Les portes de l'âme.
La bière de l'âme pécheresse, et son insensibilité dans l'état du
péché. Les pécheurs, des morts rivalisant de zèle pour s'enterrer
les uns les autres 227
5. La veuve de Naïm, une grande figure. Le mystère du veuvage et
de l'unité de l'Église. Comment elle est, en même temps, stérile et
féconde, vierge et mère 233
6. Fécondité prodigieuse de l'Église catholique. Stérilité et misère de
toute Église protestante ou schismatique. La veuve de Naïm figu-
rant encore l'amour avec lequel l'Eglise élève ses enfants. L'homme
toujours enfant pendant qu'il est sur cette terre. Le lait que lui
donne l'Église est un aliment divin qui lui suffit. Erreur insensée
454 TABLE ANALYTIQUE

de l'hérésie accusant l'Église de priver les fidèles de la nourriture


de la parole de Dieu -238
7. Les chrétiens hors de l'Église sont des enfanls sans mère. Nullité
de l'instruction religieuse donnée par l'hérésie. Il ne lui est pas
possible d'instruire les chrétiens. Esclavage ignominieux de toute
Église qui n'est pas catholique -. . . 240
8. La veuve de Naim figurant encore la tendresse de l'Église pour
ses enfants morts, et son zèle pour leur résurrection. Cruauté de
l'hérésie, et son injustice d'accuser d'intolérance l'obligation qu'im-
pose l'Église aux fidèles d'approcher des sacrements 252
9. Efficacité des prières de l'Église figurée par l'efficacité des larmes
de la veuve de Naim. Jésus-Christ, en disant à cette femme : NE
PLEUREZ PAS, a confirmé à l'Église le pouvoir d'absoudre les péchés.
Cruauté de l'hérésie niant ce dogme 257
10. La bière du mort de Naim figure de la croix, par laquelle le par-
don des péchés etla résurrection à la grâce nous sont assurés. 260
11. Le jeune homme de Naïm ressuscitant à la vie, à une parole du
Seigneur, figure du pécheur ressuscitant à la grâce par l'absolu-
tion du prêtre. Joie que cette résurrection fait éprouver û l'Église
militante et à l'Église triomphante 2(53
D e u x i è m e p a r t i e . LE MYSTÈRE SE LA HÈRE-ÉGLISE, REPRÉSENTÉ PAR
L'HISTOIRE DE LA VEUVE DE NAÏM. — 12. La mère chrétienne exer-
çant à l'égard de ses enfants les fonctions que l'Eglise exerce à
l'égard des fidèles. Comment la mère chrétienne engendre ses en-
fants à Dieu et les élève pour lui 267
13. La mère est tout, pour l'instruction religieuse de ses enfants.
La mère mondaine et la mère chrétienne. Efficacité du ministère
de cette dernière mère 271
14. Grandeur du ministère de la femme chrétienne. Elle est la vraie
Église, par rapport à ses enfants. Le salut des parents dépendant
de la manière dont ils auront élevé leurs fils 270
15. Juste douleur de la mère chrétienne en voyant qu'on lui a gâté
ses enfants qu'elle avait chrétiennement élevés. Elle ne doit ni se
décourager ni désespérer de leur conversion 281
16. Histoire de saint Augustin, converti par les larmes et les priè-
res de sa mère. Mort de cette admirable femme. Encouragement
aux mères chrétiennes désolées de la mauvaise conduite de leurs
enfants 284
17. Explication des derniers mots de l'Évangile de la veuve de Naim.
Jésus-Christ proclamé par le peuple le docteur et le médecin de
l'homme. Comment daigne-t-il nous visiter toujours. Nécessité de
profiter au plus tôt de cette visite 202
Note au premier paragraphe de la précédente homélie. . . . 2D6 r

SIXIÈME H O M É M E .
LA SAMARITAINE ou LA GRACE 29<i
I n t r o d u c t i o n . — 1. Magnifique idée que l'Écriture sainte donne,
en deux mots, du grand mystère de la Grâce. On propose de montrer
ce mystère en action dans la eomersiun de la Samaritaine.. 1b.
TABLE ANALYTIQUE 455
P r e m i è r e p a r t i e . ACTION DE LA GRÂCE DANS LA CONVERSION DE LA
FEMME DE SAMARIE. — 2. Explication des circonstances dont saint
Jean a fait précéder le récit de ce prodige. La fontaine de Jacob. La
lassitude du Seigneur. Les caractères généraux de la grâce. 302
3. Qui était la Samaritaine. Jésus-Christ lui demandant à boire.
Mystère de la soif du Seigneur. Gratuité et saints artifices de la
grâce r ' . . * 308
4. Ineffable bonté avec laquelle le Seigneur répond au mot dur de
la Samaritaine. La grâce commençant à la gagner. Explication du
mystère de Veau divine éteignant la soif à jamais. Huit traits de
ressemblance entre l'eau et la grâce. La fontaine dont le jet pousse
à la vie éternelle 313
5. La volupté matérialisant l'esprit. La Samaritaine changée encore
davantage sous l'action de la grâce, et commençant à prier. 320
6. Jésus reprochant, avec la plus grande douceur, à la Samaritaine
tous ses désordres. Le mystère des cinq hommes de l'âme. L'in-
tellect, son vrai époux. Humilité avec laquelle la Samaritaine ac-
cepte ces reproches 223
7. La Samaritaine demandant à être instruite par le Seigneur sur la
vraie religion. Révélation sublime et prophétique du Seigneur
sur ce sujet. Les schismatiques et les protestants adorant Dieu
sans le connaître. La vraie adoration de Dieu, en esprit et en v é -
rité, ne se trouvant que dans l'Église catholique 329
8. La Samaritaine désirant de connaître le Messie, et Jésus-Christ
lui révélant que le Messie c'était lui. La Samaritaine le croyant et
l'adorant 334
S e c o n d e p a r t i e . L'ACTION DE LA GRÂCE DANS LA CONVERSION DES CON-
CITOYENS DE LA SAMARITAINE. — 9. Etonnement des Apôtres de voir
leur divin Maître parlant avec la Samaritaine ; combien il est instruc-
tif. L'école du Seigneur. Avertissement aux femmes. La Samaritaine
convertie à la chasteté, et changée en apôtre de Jésus-Christ. 338
10. Confession publique que la Samaritaine fait de sa vie passée,
pour glorifier le Seigneur. Humilité et sagesse avec lesquelles elle
prêche le Messie à ses concitoyens. Charmes du zèle et de la p é -
nitence de la femme sincèrement convertie. Succès de la prédica-
tion de la Samaritaine 342
11. Touchante déclaration que le Sauveur a faite à ses Apôtres sur
le désir de la conversion des pécheurs. L'aliment de son cœur
divin. L'œuvre de Dieu par excellence. La moisson d e s âmes. R é -
compense pour ceux qui s'en occupent 347
12. Jésus-Christ à la ville de Sichar. Conversion de cette ville à la
foi du Messie. Jésus-Christ proclamé par le peuple « LE SAUVEUR DU
MONDE. » Crime des faux savants refusant à Jésus-Christ ce sublime
caractère. Triomphe de sa grâce, preuve de sa divinité. . . . 351
T r o i s i è m e p a r t i e . L'EXEMPLE DE LA SAMARITAINE. — 1 3 . Amour
saint de la Samaritaine pour Jésus^Christ. Sa vie, son martyre et
son tombeau 355
14. Malheurs de laSamaritaine si elle avait rppoussé la première grâce.
Jésus-Christ qui appelle et passe. Ses voix divines au cœur du p é -
cheur. Nécessité et bonheur de les écouter et de s'y rendre. 357
456 TABLE ANALYTIQUE.

SEPTIÈME HOMÉLIE.
L A PÉCHERESSE DE L'ÉVANGILE ou L'AMOUR PÉNITENT. 361
i n t r o d u c t i o n . — 1. A quelle occasion le divin Sauveur convertit
Madeleine. Jésus-Christ prouvant qu'il était le Messie (dans la
note). La religion n'est qu'amour. L'amour pénitent en action
dans la conversion de Madeleine, sujet de cette homélie. . . Ib.
P r e m i è r e p a r t i e . LA CONVERSION ET LA CONFESSION. — 2. La péche-
resse de l'Evangile n'est que Marie-Madeleine (dans la note). Quand
s'est-elle convertie? Désordres et scandales de sa vie de péché. 365
3. Sainte Marthe et ses mœurs. Son zélé pour la comersion de
Madeleine, sa sœur. Jésus-Christ guérissant le sourd-muet. Son
discours touchant l'action du démon sur les âmes. Hommage écla-
tant que sainte Marcelle rend à Jésus-Christ. Impression que tuut
cela produisit dans l'esprit de Madeleine. Changement prodigieux
de son cœur, et sentiments qu'il lui inspire 371
4. Nécessité de la Confession sacramentelle pour la tranquillité du
iécheur. Madeleine guettant l'occasion de revoir le Seigneur pour
Î ui demander son pardon. Comment elle va le chercher dans la
maison de Simon le pharisien. Les banquets auxquels assistait le
Seigneur 383
5* La Madeleine aux pieds du Seigneur. Sa confession tacite. Les
actes de sa pénitence célébrés par les Pères 388
6. La conversion de Madeleine parfaite. Le monde ne se moque que
des conversions équivoques. La femme vraiment convertie par
l'amour de Dieu 398
D e u x i è m e p a r t i e . L E PARDON ET LA SATISFACTION. — 6. Simon le
harisien critiquant Jésus-Christ et Madeleine. La fausse justice,
E e prêtre doit être reconnaissant à Dieu et indulgent emers les
pécheurs. Jésus-Christ se manifestant Dieu aux traits mêmes aux-
quels Simon le mésestime comme homme 401
8. Ineffable bonté avec laquelle J.-C, reprend Simon. [La parabole de
deux débiteurs expliquée. Les dettes du péché. Comment Made-
leine les a acquittées par l'amour. La contrition et l'altrition. 406'
9. Simon converti, lui aussi, et recevant son pardon. Jésus-Christ
absolvant Madeleine. Plénitude et richesse de cette absolution.
Les pénitents formés par l'amour 415
10. Sentiments de Madeleine après avoir reçu son pardon. Son
amour et sa fidélité pour le Dieu sauveur. Sa pénitence pendant
le reste de sa vie. Éloge qu'en a fait Jésus-Christ 4-21
T r o i s i è m e p a r t i e . L'EXEMPLE.—11. La pénitence intérieure. Effica-
cité de l'amour pénitent, et manière de l'exciter dans le cœur. 429
12. La sainte colère contre soi-même et le souvenir des péchés com-
mis, deux signes de la vraie pénitence. Le pénitent qui se ménage
et qui oublie ses péchés est un faux pénitent 433
13. Comment le vrai pénitent doit répéter les actes de Madeleine e n -
vers J.-C. Les odeurs. Les pieds du Seigneur et les cheveux de
l'homme, au sens allégorique. Bonheur de la vraie pénitence. 439
Note a la page 433. La contrition et l'attritiou 446

Paris. — Imprimerie de G. GRATIOT, rue Maiarine, 30.


LES

FEMMES DE L'ÉVANGILE
HOMÉLIES
P R É C H É E S A P A R I S , A SAINT-LOUIS D'ÀNTIN,

PAK

LE R. P . VENTURA DE RAULICA,
Ancien général de l'Ordre des Theatins,
Membre de la Sacrée Congrégation des Rites, Examinateur
des É*èqucs et du Cierge romain.

DEUXIÈME ÉDITION,
revue 11 ju-tuent'-e

DE N O U V E L L E S HOMÉLIES.

TOME SECOND.

PARIS
A LA U B K À I R I E DE P I É T É ET D'ÉDUCATION'

D'AUGUSTE V A T O N , E D I T E U R
RUE DU B A C , 50

1856
LAïutcur e t l'éditeur i t ; réservent le di'oit tic tr<uluetiim et de r e p r o d u c t i o n .
Paris, — imprimerie de G. GRATIOT, rue Mazarinc, 3 0 .
LES

FEMMES DE L'ÉVANGILE
HOMÉLIES
SUR LES

FEMMES DE L'ÉVANGILE.

H U I T I È M E H O M É L I E .

M A R I E A U P I E D D E L A C R O I X (*),

ou

LA MÈRE DE l'ÉGLISE.
(Saint J e a n , chapitre xix).

Cum vidittet J é s u s matrem et discipulvm stantem quem diligebat, dicit


malri tuœ : a Mulier, ecce filius tuus. n Veirtde dicit discipulo : « Erre
mater tua. n Et ex illa hora accepit eam dUcipulus in sua;
Jésus, ayant t u sa mère, et, debout près d'elle, le disciple qu'il aimait, il
d i t à s a mère : o Femme, voilà votre fils. » Et ensuite il dit au disciple : n "Voilà
votre mère. » Et depuis cette heure-là le disciple la prit comme une chose qui
lui était propre (v, 26 e t 2 7 ) .

INTRODUCTION.

1. Explication du mystère d'Adam appelant sa femme «La mère des


vivants. » Ce fut une magnifique prophétie du mystère de Marie
devenant, au Calvaire, la Mère de l'Eglise; et c'est ce mystère
qu'on propose pour sujet de cette homélie.

I l est dit dans la Genèse qu'après avoir été, lui, sa


compagne et sa postérité, condamnés tous à mourir,
Adam, en s'adressant à sa femme, lui donna le nom

(*) Cette Homélie n'est que le résumé de notre ouvrage intitulé :


La m è r e d e d i e u m è r e d e s hommes, que nous avons puhlié en Italie,
qu'on a traduit en français et puhlié en France, et dont non» pré-
"1 HOMÉLIE VIII. — M A R I E AU PIED DE LA CROIX,

mystérieux et ineffable ( T È V E , qui signifie la VIE,


1 Ê T R E VIVANT et la MÈRE DE TOUS LES VI-
VANTS; Dixit Deus ; Pulvises, et in puherem rêver-
teris... Et vocavit Adam nomen uxoris suœ, Heva : eo
quod mater esset cunctorum viveniium (Gènes., m).
Or, il est certain que, par son péché, Eve était elle-
même morte, par rapport à la vie de l'âme, était assu-
jettie à la mort et devait infailliblement mourir aussi
par rapport à la vie du corps. N'est-il donc pas étrange,
dit saint Épiphane, que c'est précisément alors qu'A-
dam lui impose le nom d ' Ë v E et qu'il l'appelle V I V A N T E
ou simplement la VIE ? Il est certain qu'Eve, en péchant
d'abord seule, puis entraînant son époux à désobéir au
commandement du Seigneur, avait occasionné une révo-
lution immense dans toute la nature, et qu'elle avait ap-
pelé la mort non-seulement sur elle-même, mais aussi
sur toute sa race : Perpeccatum mors (Rom., v). N'est-il
donc pas étrange qu'Adam appelle E V E « LA MÈRE
DES VIVANTS » au moment même où Eve est devenue
la mère des morts ; et que, pendant que Dieu fait ré-
sonner à l'oreille de cette malheureuse femme l'hor-
rible parole de la mort, Adam lui adresse une saluta-
tion, un augure heureux d'immortalité et de vie ( 1 ) ?
Ah! dit le même grand docteur, il n'y a rien dans
ce fait d'étrange et d'humain, mais tout y est grand,

parons une nouvelle traduction, que précéderont d'autres homélies


sur les grandeurs de la sainte Vierge, telles qu'elles résultent de
IËvangile expliqué par les Pères de l'Église.
(l) « Illa (Heva) mater viventium vocata est, postquam audivit :
« Pulvis es et in pulverem reverteris; et mirum est quod post trans-
« grepsiomm hoc magnum cognomen hahuerit. >*
OU LA MÈRE DE i/ÉGLISK 3

mystérieux et divin. Eclairé, dans ce moment, par la


jumière d'en haut, Adam vit l'avenir se déployant au
regard de son esprit, à l'espérance de son cœur; et dans
l a femme qui était près de lui il reconnut la ligure,
l'emblème, l'énigme d'une autre femme qui, semblable
à l a première par le sexe et par la fécondité, mais bien
différente d'elle par la sainteté et la justice, devait
rendre la vieà ceux qu'Eve n'aurait engendrés que pour
l a mort. Dans la personne de sa femme il considéra
Marie, et c'est littéralement et directement à Marie
qu'il adresse de loin cette grande salutation prophé-
tique, en l'appelant LA MÈRE DE TOUS LES VI-
VANTS ( 1 ) .
Ainsi, le transgresseur du commandement de Dieu,
changé en un instant en prophète inspiré de Dieu, en
promenant le regard effaré de son esprit de l'Éden au
Calvaire, de l'arbre défendu à l'arbre de la croix, d'un
côté il y voit l'Adam céleste, pur, obéissant et fidèle,
expiant le péché de l'Adam terrestre, impur, prévari-
cateur et rebelle \ et de l'autre côté il y voit Marie,
associée aux peines et aux opprobres de Jésus, et en-
gendrant, en lui et par lui, les enfants de la nouvello
alliance. Il voit le nombre prodigieux de ces enfants,
leur innocence, leur gloire, leur dignité. Et dans la
personne d'Eve, qui ne conçoit que dans le péché, qui
n'engendre que pour le tombeau, qui ne multiplie s e s
enfants que pour peupler l'enfer et à laquelle d'autre
nom ne peut convenir que celui de la mère des morts,

1
( 0 «*Beata mater Dei Maria per Hevam significabatur, qua per
« enigma accepit ut mater -vvventium \ocaretur [IbitL). »
4 HOMÉLIE VIII. — MARIE AU PIED DE LA CROIX,

il voit Marie concevant les hommes, mais dans la grâce,


ne les engendrant que pour l'immortalité, ne multi-
pliant sa race que pour peupler le ciel, et à laquelle
seulement appartient littéralement et proprement le
nom de MÈRE HEUREUSE DE TOUS LES VIVANTS ;
et sous la figure de la fécondité naturelle de la mère
cfe l'humanité il chante, il célèbre, il glorifie la fécOn-
d i t e glorieuse de la mère de l'Eglise : Vocavit nomen
uxoris suce Heva, eo quod mater esset cunctorum vi-
ventium.
Or, c'est l'accomplissement de cette magnifique
prophétie, c'est la réalisation de ce grand et délicieux
mystère de Marie, mère des chrétiens, M È R E D E L ' É -
G L I S E , que le nouvel Adam, l'Homme-Dieu, Jésus-

Christ, a annoncé au monde du haut de sa croix


lorsque, voyant près de cette croix l'Eve nouvelle,
Marie, e n compagnie du disciple bien-aimé, il dit à sa
mère : « Femme, Yoilà votre Fils; » et au disciple il
dit : (t Voilà votre Mère; » et dès lors le disciple l'ac-
cepta et l'honora comme sa propre mère : Cum vidisset
Jésus matrem et discipulum stantem quem diligebat,
dicit matri suœ : « Millier, ecce filins tuus. » Deinde
dicit discipulo : « Ecce mater tua. » Et ex illa hora
accepit eam discipulus in sua. Et c'est ce mystère et
cette prophétie que je vais vous expliquer.
Dans la semaine qui commence aujourd'hui, d'autres
voix bien plus éloquentes que la mienne vous expose-
ront les grands mystères de la passion de Jésus-Christ,
notre aimable Sauveur. Pour moi, n e voulant pas sor-
tir de mon sujet, L E S F E M M E S D E L ' E V A N G I L E , je Yeux
vous entretenir aujourd'hui particulièrement de la pas-
OU LA MÈRE DE L'ÉGLISE. O

sion de Marie. Vous verrez donc dans cette homélie


comment, au Calvaire, pendant que le Fils de Dieu
nous régénérait par son sang, la mère de Dieu nous a
conçus et enfantés par ses peines; vous y verrez en-
core à quels titres Marie, au pied de la croix, est de-
venue L A M È R E D E L ' É G L I S E , notre véritable mère; et
comment nous devons soutenir la grandeur, accomplir
les devoirs de cette grande dignité d'avoir la mère même
de Dieu pour notre propre mère. Ave, Maria.

PREMIÈRE PARTIE.

LES TITRES DE LA MATERNITÉ DE MARIE A L'ÉGARD


DE L'ÉGLISE.

•2. La femme dont Dieu a parlé dès l'origine du monde. Les m y s -


tères du Calvaire ayant leur raison dans la catastrophe de l'Ëden.
Pourquoi Jésus-Christ, sur la croix, a appelé Marie « FEMME . />
et non pas « M È R E . » Grandeur et magnificence du mot « FEMME ;>
adressé à Marie.

JLE prophète a dit que Dieu, au milieu même des


transports de sa juste colère contre le péché, n'oublie
jamais sa miséricorde envers le pécheur : Cum iraius
fuerisy misericordiœ recordaberia (Habac, m). C'est
ce qui est arrivé à l'origine du monde. Au même mo-
ment où Dieu, souverainement irrité de la faute de nos
premiers parents, les condamnait eux et toute leur race
à l'esclavage, à la malédiction et à la mort, il leur fit
la grande promesse du Rédempteur qui, en rachetant
l'homme et toute son espèce, l'aurait rappelé à la li-
berté, à la bénédiction et à la vie. Car c'est en présence
d'Adam et d'Eve qu'il dit au serpent qui les avait sé-
6 HOMÉLIE VIII. — M A R I E AU PIED DE LA CROIX,

duits : J'établirai un jour une inimitié éternelle entre


toi et L A F E M M E , entre ta race et la sienne. En vain tu
dresseras des embûches à son talon ; ce sera cette femme
qui t'écrasera la tête : Inimicitias ponam inter te et
MULIEREM, inter semen tuum et semen illius; et tu
insidiaberis calcaneo ejus; ipsa conteret caput tuum
(Gen.) ni).
Or, voulez-vous savoir, mes frères, quelle était cette
F E M M E , sans nom, dontDieu parlait alors avec tant d'in-

térêt et avec tant d'amour? C'est, dit saint Augustin,


la sainte Vierge, mère du Sauveur; ce n'est qu'elle,
tout aussi bien que le serpent n'était que le démon,
et ce n'était que lui ; et cela est connu par tout le
monde (1).
En effet, c'est Marie qui, exemptée dans sa concep-
tion de la tache originelle, triompha des embûches et
des assauts du démon au moment où tous les hommes
deviennent ses esclaves, et lui écrasa la tête ; et c'est
encore Marie qui, en devenant la mère de Jésus-Christ,
de qui est née la grande famille des chrétiens, est, par
cela même, devenue elle aussi le chef d'une race sainte
et divine, la race de Jésus-Christ, éternellement oppo-
sée à la race méchante et diabolique du serpent.
Mais souvenons-nous que la catastrophe de l'Eden
n'a été réparée (jue sur le Calvaire ; et que les mystères
qui se sont accomplis $ur le Calvaire n'ont leurs raisons
de convenance que dans les circonstances qui accom-

(l) « Draconem Ulum dtabolum esse, M U L I E R E M vero illam V I R G I -


« NEM MARiAM significaase nulluq veetrum ignorât {Ad Catecàumen.
« lib. iv, 1 ) . »
OU LA MÈRE DE L EGLISE. 7

pagnèrent le péché de l'Éden. L'arbre de la croix n'a


été élevé au milieu de la synagogue juive que parce
que l'arbre de la science du bien et du mal surgissait
* au milieu du paradis terrestre. Le second Adam n'a
étendu ses bras obéissants sur la croix et n'y a été atta-
ché par des clous cruels que parce que le premier Adam
avait étendu ses mains sacrilèges et rebelles à l'arbre
défendu et qu'il y était resté attaché par sa convoitise.
Et c'est parce qu Adam s'était associé une femme, Eve,
dans la perpétration de son crime, que Jésus-Christ, en
expiant ce crime, a voulu s'associer une femme, Marie,
afin, disent saint Pierre Chrysologue et saint Bernard,
en suivant la pensée d'anciens Pères (1), que les deux
sexes concourussent tous les deux à notre salut, comme
tous les deux ils avaient conspiré pour notre ruine.
C'est ainsi qu'Eve au pied de l'arbre nous explique Marie
au pied de la croix (2).

(1) « Congruum fuit ut adesset nostrae reparationi uterque sexus,


« quorum corruptioni neuter defuisset. »
(2) Les saints Père3 sont unanimes à reconnaître cette substitu-
tion de Marie à Eve, et la coopération de celle-là pour la réparation
du mal que nous avait fait celle-ci. Saint Irénée dit : Comme le
genre humain a été poussé à la mort par une Vierge (Eve étant en-
core vierge lorsqu'elle pécha), c'est aussi par une Vierge qu'il a été
sauvé : Quemadmodum morti adstrictum est humanum genus per
virginem, salvaltir per virginem* Tertullien a dit, lui aussi : La
faute qu'Eve avait commise par sa crédulité (aux suggestions du
serpent), Marie Ta effacée par sa foi (à la parole de Dieu). En sorte
que ce qui était allé en perdition par le sexe est revenu au salut par
le sexe : Quod Ma credendo deliquit, hxc credendo delevit, ut
quod per stxum abierat in perditionem per eumdem sexum redi-
geretur in salutem. Saint Augustin s'exprime ainsi : Comme la
8 HOMÉLIE VIII. — MARIE AU PIED DE LA CROIX,

Mais comme c'est dans le paradis terrestre qu'Eve,


en écoutant le serpent, le fit triompher, et devint, par
sa concupiscence, la mère malheureuse de la race
maudite du démon, de même c'est particulièrement
au Calvaire que Marie, en s'associant aux sublimes
sentiments de Jésus-Christ, confondit le serpent, lui
écrasa la tête, et devint par sa vertu la mère heureuse de
la race sainte de Jésus-Christ, et c'est aussi au Calvaire
que s'est accomplie la grande parole que Dieu prononça
sur l a f e m m e au commencement du monde.
Ces rapports, ces liaisons entre l'événement fatal du
paradis terrestre et les mystères précieux du Calvaire
sont frappants, sont manifestes, sont clairs. Cependant
notre aimable Sauveur n'a pas voulu nous les laisser à
chercher, à trouver, à deviner; il a daigné nous les
révéler lui-même. Et c'est ce qu'il a fait lorsque, en
regardant du haut de sa croix son auguste mère, qui
était là, debout, l'âme plongée dans un océan d'amer-
tume et de douleur, et le disciple bien-aimé qui était
près d'elle, il dit à Marie : « Femme, voilà votre Fils-, »
et à Jean : « Voilà votre Mère; » Dicit matin sucs :
« Mulier, ecce filius tuus. » Deinde dicit discipulo :

mort est venue par une femme, c'est aussi par une femme qu'est
venue la vie. Comme c'est par Eve que nous avons été ruinés, c'est
par Marie que nous avons reçu le salut : Per fœminam mors, per
fœminam vita. Per Hevam interitus, per Mariam salus. Enfin l'É-
glise elle-même félicite Marie dans ces termes : 0 Marie, vous nous
rendez par votre adorable fils tout ce que la malheureuse Eve nous
avait enlevé. Yous ouvrez le*; portes du ciel, afin d'y faire entrer
les pauvres exilés de la terre : Quod Heva tristis abslulit, — Tu
reddis almo germine; -— Intrcnt ut attra Jlebilcs, — Cœli reclu-
dis cardincs.
OU LA MÈRE DE L ÉGLISE, 9

« Ecce mater tua, » 0 paroles! qu'elles sont tou-


chantes ! et en même temps qu'elles sont mystérieuses
et profondes dans leur simplicité !
Remarquez d'abord que le divin Sauveur n'appelle
pas Marie de son nom \ il ne lui dit pas non plus : « Ma
Mère. » Il ne l'appelle que F E M M E , mulier. Or, qu'est-ce
que cela signifie? Est-ce que Jésus-Christ ne recon-
naissait pas, en cette grande circonstance, Marie pour
sa Mère?
Un ancien auteur, plus pieux qu'éclairé, a affirmé
que Jésus-Christ, dans ce moment suprême, n'a appelé
Marie « Femme, » et non pas « Mère » qu'afin de ne
pas déchirer davantage, par ce pieux et touchant mot
de mère, les entrailles maternelles de Marie (1). Mais
cette interprétation sent trop l'humanité, et elle me
paraît également fort peu convenable pour un Fils
Sauveur et ayant Dieu pour son Père, et pour la Mère
de ce Sauveur ayant Dieu pour son Fils. Cette interpré-
tation rabaisse trop les paroles du Seigneur -, car elle
en fait la manifestation d'un sentiment humain, tandis
que ces paroles sont évidemment la révélation d'un
mystère divin, de ce grand mystère que Dieu avait
prédit dès l'origine du monde. Car en appelant Marie
« Femme, » et non pas « Mère, » il nous a donné à
entendre que Marie, au pied de la croix, était cette
FEMME mystérieuse et prophétique dont Dieu même
avait, dès l'origine du monde, prédit la grandeur, et
je dirai presque chanté le triomphe.
Oh! que cette parole est donc grandiose, féconde,

( i ) Ne materna pium laceraret visceranomen (Prudentius).


1
10 HOMÉLIE Vlll. — MARIE AL PIED DE LA CROIX,

magnifique, sublime! Elle nous découvre un immense


horizon dans la science des Livres saints. Elle lie, dans
un tout merveilleux, le passé et l'avenir, l'Ancien Tes-
tament et le Nouveau, les prophètes et les évangélistes.
Elle reflète un éclat divin sur ce code sacré. Elle v
imprime un cachet divin en nous prouvant qu'un livre
où tout se concilie, s'harmonise avec un si étonnant
accord n'est pas la pensée, l'œuvre de l'homme, et que
l'homme ne l'a écrit que sous la dictée de Dieu !
Mais souvenons-nous encore que le Fils de Dieu s'est
lui-même appelé « le F I L S D E L ' H O M M E » sans autre
adjonction, et que c'est ce titre d'HoMME qu'il répète
toujours, et dans lequel il se complaît le plus dans son
Évangile. Or, comme ce titre d ' H O M M E sans nom,
d'homme au sens indéfini, au sens général et absolu,
signifie qu'il est l'homme par excellence, l'homme
modèle, l'homme parfait, l'homme rédempteur et sau-
veur de rhomme, parce qu'il est le seul homme qui
en même temps est Dieu de même le nom de F E M M E ,
5

que Jésus-Christ a donné à sa Mère, au sens indéfini,


au sens général et absolu, signifie que Marie est la
femme par excellence, la femme modèle, la femme
parfaite, la femme bénie parmi toutes les femmes, et
par qui la femme en particulier a été relevée, régé-
nérée et délivrée de sa servitude et de son abjection;
parce que Marie est la seule femme sans tache, la
seule femme qui, en même temps, a été épouse et
chaste, vierge et mère. Et comme ce mot H O M M E est
le vrai titre de la dignité, le résumé de toutes les gran-
deurs, de toutes les gloires de Jésus-Christ, de même
ce mot F E M M E est le vrai titre de la dignité, le résumé
OU LA MÈRE DE L'ÉGLISE. 11
de toutes les grandeurs, de toutes les gloires de Marie.
Conune rien n'est plus profondément mystérieux, ni
p l u s grand, ni plus sublime que cette parole de Pilate

en parlant de Jésus-Christ : « V O I L A L ' H O M M E , Ecce


Homo; » de même rien n'est plus profondément mys-
térieux, ni plus sublime, ni plus grand que cette parole
de Jésus-Christ : « V O I L A L A F E M M E , Ecce Mulier. » C'est
comme s'il eût dit : Voici la femme que Dieu s'est
formée ayant tous les siècles, que tous les siècles ont
attendue, que tous les prophètes ont prédite, que toutes
les saintes femmes ont figurée, que tous les poètes ont
chantée, à qui même toutes les fausses religions ont
rendu hommage. Voici la femme au-dessus de toutes
femmes et même de toutes créatures ; la femme ministre
delà plus grande des œuvres de Dieu ; la femme symbole
de la grâce, de la réconciliation et du pardon; la
femme que toutes les générations appelleront heu-
reuse, que tous les peuples béniront; la femme gloire
de l'Eglise, au-dessus de l'humanité, que les anges
vénéreront comme leur reine, et que les chrétiens re-
garderont et respecteront comme leur mère, parce que
c'est la seule femme qui, fille de l'homme, est mère
de Dieu ; Mulier, ecce filius tuus, ecce mater tua.
Qu'ils sont donc simples, qu'ils sont petits ces
esprits qui s'étonnent, qui regrettent que le Fils de
Dieu n'ait pas, sur sa croix, appelé Marie « Mère, »
mais « Femme! » Ah! si Jésus-Christ, dans une cir-
constance si solennelle, avait appelé Marie « Mère, »
il aurait manifesté un sentiment pieux; en l'appelant
« Femme » il nous a révélé de grands mystères. S'il
l'avait appelée « Mère, » il l'aurait profondément
12 HOMÉLIE VIII. — M A R I E AU PIED DE LA CROIX,

émue; en l'appelant « Femme » il Ta élevée à la plus


haute grandeur. S'il l'avait appelée « Mère, » il l'au-
rait déclarée sa mère ; en l'appelant « Femme » il l'a
déclarée corédemptrice. S'il l'avait appelée « Mère, »
Marie ne serait que sa mère ; en l'appelant « Femme, »
et en lui donnant Jean pour fils, il en a fait la femme
mère de l'univers, mère de l'Église. S'il l'avait appelée
« Mère, » il ne se serait montré que fils; en l'appelant
« Femme » il s'est déclaré lui-même rédempteur. S'il
l'avait appelée « Mère, » il aurait parlé en homme; en
l'appelant « Femme » il a parlé en Dieu.
Car, en l'appelant « Femme, » c'est comme si Jésus-
Christ eût dit à Marie : « 0 Marie ! vous êtes la femme
bienheureuse, la femme puissante qui, en vous immo-
lant en moi et avec moi, en partageant mes humilia-
tions et mes douleurs, écrasez, en moi et par moi, la
tète de l'ancien serpent, et qui, en moi aussi et par
moi, devenez la mère féconde de la race sainte de mes
disciples, de mon Église. Et voilà, dans la personne de
Jean, le type de ses enfants de bénédition qui, en
naissant de mon sang, de mes souffrances et de ma
mort, naissent aussi de vous, parce que vous êtes ma
mère, parce que je suis né de vous ; et c'est de vous que
commence cette race sainte dont je suis le père : Ecce
filius tuus. »
3. Pourquoi Jésus-Christ n'a pas appelé non plus Jean par son nom.
La maternité de Marie à l'égard de l'Église résultant de la cir-
constance que Marie a été la Mère de J é s u s - C h r i s t , au même
titre que Dieu en est le Père.

Remarquez aussi, mes frères, que le divin Sauveur


n'appelle pas plus le disciple par son nom que la mère
L A MÈRE DE L'ÉGLISE. 13

par le sien. Jean n'est appelé que le D I S C I P L E BIEN-AIMÉ,

comme Marie n'est appelée que « la F E M M E -.Disci- ».

pulus quem diligebat Jésus. Or, cette particularité du


disciple sans nom est aussi mystérieuse que la particu-
larité de la femme sans nom, Millier. Comme la femme
sans nom n'est pas une femme commune, mais la femme
par excellence, la femme perfection, honneur et gloire
de son sexe, de même le disciple sans nom, dont Marie,
par sa charité, est devenue et a été déclarée la mère, n'est
pas,disent les Interprètes, un disciple commun de Jésus-
Christ-, ce n'est pas même précisément Jean ; mais ce sont
tous les vrais disciples du Seigneur, tous les vrais chré-
tiens, les chrétiens d'esprit et de cœur, aussi bien que par
leurs œuvres et leur conduite, que Jésus-Christ aime,
que Jésus-Christ chérit à cause de la pureté de leurs
mœurs, de la confiance et de la fidélité de leur foi ( 1 ) .
Nous voilà donc avertis, par cette mystérieuse parole,
que tout véritable disciple de Jésus-Christ est le fils de
Marie; et que tout vrai fils de Marie est le disciple bien-
aimé de Jésus-Christ. Et puisque ces caractères ne con-
viennent qu'aux enfants de l'Église, à l'Église elle-
même, voilà Marie déclarée par cela même la V R A I E
MÈRE D E L'ÉGLISE.

Ainsi la génération virginale de Marie est aussi fé-


conde et au même titre, que la génération virginale du
Père éternel. Ce Père éternel n'a qu'un fils, le Verbe,
qu'il engendre de toute éternité, tout seul, de son
unique substance, sans mère. Mais par ce fils unique

( i ) « In Joanne întelligimus omnes Christi fidèles quorum beata


• Virgo per charitatem effecta est mater {Sylvrira\ »
14 HOMÉLIE VIII. — MARIE AU PIED DE LA CROIX,

de Dieu, tous les êtres ayant été créés; Omnia pei*


ipsum facta sunt; le Père éternel, dans ce Fils et par
ce Fils, est aussi le père de toute créature dans Tordre
de la nature. Marie aussi n'a eu qu'un fils, Jésus-Christ,
que, dans le temps, elle a engendré toute seule de sa
substance, sans père. Mais par ce fils unique de Marie,
tout ce qui avait été créé ayant été restauré, Instaurare
omnia in Christo (Ephes., i), dans ce fils et par ce fils,
Marie est donc devenue la mère de toute nouvelle
créature dans l'ordre de la grâce.
Jésus-Christ est Dieu et homme : en tant qu'il est
Dieu, il est le Fils consubstantiel du Père éternel; en
tant qu'il est homme et Dieu, il est aussi le Fils con-
substantiel de Marie. Comme donc tout ce que le Verbe
a lait dans la création remonte à Dieu, qui était son
père, de même tout ce que ce Verbe-Homme a fait
dans la rédemption remonte non-seulement à Dieu
même, qui était son père, mais aussi à Marie, qui était
sa mère. Voilà donc Marie, rien que par sa maternité
divine de Jésus-Christ, devenue, à toute rigueur, la
mère du peuple chrétien naissant de Jésus-Christ,
comme le Père éternel, rien que par sa paternité éter-
nelle du Verbe, est le père de tout ce qui a été fait par
le Verbe. C'est donc à juste raison que Dieu, dans le
Paradis terrestre, a appelé cette race sainte de Jésus-
Christ, l'Eglise, « la race de la femme, semen illius; »
et que Jésus-Christ lui-même a, sur le Calvaire, appelé
cette même race à lui, cette Église qui lui est si chère,
a la race, la descendance, le fils de Marie ; Ecce filius
tuus; » et c'est à juste raison que Marie est la mère
de l'Église.
LA MÈRE DE L*ÉGLISE. 15

4. C'est sur le Calvaire que Marie subit la peine infligée à Eve,


« d'«nfanter dans la douleur. » Grandeurs des douleurs de Marie
sur le Calvaire. Elle y souffre dans son cœur tout ce que Jésus
souffre dans son corps. Attitude sublime dans laquelle elle toléra
ce martyre.

Mais, indépendamment de ce titre général et indi-


rect, dérivant de sa maternité divine, Marie est encore
d'une manière plus particulière et plus directe la mère
de tous les chrétiens, la M È R E D E L ' É G L I S E , parce
qu'elle a partagé les souffrances de Jésus-Christ et
l'amour du divin Père pour les hommes. Ce sont ces
titres que nous devons maintenant expliquer.
On sait qu'en punition de son péché Adam avait
été condamné à ne pouvoir gagner son pain qu'à la
sueur de son front : In sudore vulius tui vesceris pane
(Gen.) m). Or Jésus-Christ, ayant volontairement
pris la place d'Adam pour expier son péché, a subi ce
môme châtiment; car il n'a gagné qu'à la sueur de
son sang son pain, qui, comme il l'a dit lui-môme
(Joan., v u ) , n'était que notre salut. Mais on sait
aussi qu'en punition d'avoir coopéré à la faute de son
époux Eve avait été condamnée à n'enfanter ses fils
que dans la douleur : In dolore paries (Gen., in). Or
Marie, ayant été appelée, comme on vient de le voir,
à prendre la place d'Eve dans l'expiation de son crime,
a dû partager la môme peine. Mais il est certain que,
par rapport à son premier-né, Jésus-Christ, Marie l'a
enfanté sans douleur, comme elle l'avait conçu sans con-
cupiscence. Quand et comment Marie aurait-elle donc
enfanté dans la douleur ? Ah ! dit saint Jean de Da-
mas , cela lui est arrivé au temps de la passion du
Seigneur. C'est sur le Calvaire, en enfantant les
16 HOMÉLIE VIII. — MARIE AU PIED DE LA CROIX,

hommes coupables, qu'elle a rencontré, mille fois plus


atroces , les douleurs qu'elle n'avait pas souffertes
en enfantant son fils innocent à Bethléhem (1).
Saint Thomas, avec la précision de son langage
théologique, soutient que les douleurs de Marie sur le
Calvaire furent les plus aiguës, les plus poignantes
qu'on puisse souffrir dans la vie présente (2). Et si
elle a survécu à de pareilles douleurs, c'est, dit saint
Anselme, parce que la tristesse de cette auguste mère,
dans ce mystérieux enfantement au Calvaire, a été de
la même espèce que la tristesse de Jésus-Christ au Jar-
din, c'est-à-dire une tristesse assez forte pour lui don-
ner mille fois la mort, mais en même temps assez mi-
raculeuse pour la retenir en vie (3).
Comblée de grâce et mère de Dieu, Marie a été au-
dessus de tout ce qui n'est pas Dieu. Placée, pour ainsi
dire, aux limites de la création, elle a épuisé tous les
privilèges qu'une pure créature est capable de rece-
voir. Marie est l'œuvre de Dieu, qui, en degrés de per-
fection, n'est surpassée que parle divin Ouvrier qui l'a
faite (4). Or, c'est précisément cette immense richesse
de perfections, dit saint Amadée, qui est la mesure de
ses peines. Comme aucune créature ne s'est plus ap-
prochée du Dieu fait homme par la splendeur de ses
privilèges, de même aucune créature ne s'est plus

(1) « Quos dolores effugit pariens, eos passionis tempore susli-


« nuit. »
(2) « Dolor Virginis fuit maximus inter dolores praesentis vita*. »
(3) « Non crediderim tantos cruciatus, quin wtam amitteret, p o
« tuisse sustinere, nisi ipse spiritus fllii sui eam confortaret. »
(4) « Opus quod solus artifex supcrgreditur (S. Bem.) »
LA MÈRE DE L'ÉGLISE. 17
approchée de ce même Homme-Dieu par la grandeur
de ses douleurs (1). Ainsi, tout en elle est mystérieux
et incompréhensible ; et comme en elle ce sont d'in-
compréhensibles mystères que la sainteté de sa concep-
tion, l'abondance de ses grâces, l'intimité de son union
avec Dieu et la hauteur de sa dignité de mère de Dieu,
de même, dit encore saint Amadée, c'est un mystère
incompréhensible que la douleur de son cœur dans la
passion de son Fils (2).
Jésus-Christ a dit dans l'Evangile : « La femme,
lorsqu'elle enfante, est au comble de la tristesse, car
c'est une heure affreuse que l'heure de l'enfantement;
Mulier y cum parti, tristitiam habet^ quia venu hora
ejus (Joan., xvi). » Mais il est certain que pour la
femme accouchant les douleurs du corps sont bien
plus acerbes que la tristesse de l'âme. Quelle est donc
cette femme mystérieuse, si différente des autres
femmes, et dont le Seigneur dit qu'en enfantant elle
ne souffre pas de douleurs dans son corps, mais a seu-
lement le cœur absorbé dans la tristesse et navré dans
une angoisse profonde ; Cum parit, tristitiam habetf
C'est Marie, dit saint Bernard, qui, en enfantant les
hommes à la vie spirituelle, a enduré dans son tendre
cœur toutes les peines, tous les tourments, tous les
déchirements atroces que son divin Fils a endurés dans
son corps (3). Tâchons donc de sonder, en quelque
(1) * Prae cunctis sanctis fuit Christo vicinior, non tantum in odore
* unguentorum, sed et in multitudine dolorum. »
(2) « Effugit omnem sensum humanum, intelîectum exsuperat
« concepta deNati passione tristitia. »
( 3 ) « Quod Christus in corpore, bcata Virgo in corde perpessa est. »
ii. 2
18 HOMÉLIE VIII. — M A R I E AU PIED DE LA CROIX,

manière, cette tristesse et cette douleur de notre


bonne Mère, dont les prophètes comparent l'immen-
sité à un océan sans fond et sans limites ; Magna est
velut mare contritio sua (Tren., H).
Ayant prévenu l'arrivée de son Fils bien-aimé à la
fière montagne pour y être crucifié, elle avait vu ce
divin Fils entouré de bourreaux et de soldats, le pous-
sant, l'entraînant et le foulant aux pieds ; elle l'avait
vu couronné d'épines, le saint visage défiguré par Je
sang qui s'y était coagulé, haletant sous l'énorme far-
deau de sa croix, et gagnant à grand'peine la cime es-
carpée du Calvaire.
Elle venait de voir les bourreaux de son Fils lui arra-
chant violemment ses vêtements attachés à ses plaies et
les lui renouvelant, ces mêmes plaies, de la manière la
plus brutale et la plus atroce. Et l'amour maternel, imi-
tant la cruauté des bourreaux, venait, dit saint Bona-
venture, de recopier et de réunir dans son cœur toutes
ces plaies et ces douleurs du corps de Jésus-Christ(l).
Elle venait de voir, enfin, l'horrible insolence avec la-
quelle on l'avait attaché à sa crojx; et, par consente-
ment d'affection, dit saint Jérôme, tous les coups des
marteaux qui avaient enfoncé des clous cruels dans les
mains et les pieds du Fils, et ces mêmes clous, et les
déchirures qu'ils ont causées dans ces membres déli-
cats, s'étaient répétés, d'un terrible écho, dans l'âme
de la Mère(2). Mais là ne finit pas; bien plus, là re-

(1 ) « Singula vulnera per ejus corpus dispersa in uno Marte corde


« sunt oonsregata. »
(2) a Quot clavi, quot ictus Christ! carnem rumpentes, totidem
« Maria; animam verberantes. »
OU LA MÈRE DE L'ÉGLISE. 19
commence, d'une manière encore plus douloureuse, la
passion de la R E I N E D E S M A R T Y R S .
On élève la croix, on suspend entre le ciel et la terre
le Médiateur auguste entre Dieu et les hommes. Et
Marie, que fait Marie? Loin de s'éloigner d'un spec-
tacle si déchirant, elle se tient debout près de la croix
de son Fils, décidée à le voir, de ses yeux, exhalant
cette vie qu'elle lui a donnée : Stabat juxta crucem
Jesu Mater ejus. Loin de craindre les bourreaux de
Jésus-Christ, elle est là, dit saint Ambroise, bravant
leur fureur, s'offrant à leur brutalité, et se pressant
à la croix où pendait son trésor, et embrassant ce
bois (1)!
Ah! sur le Calvaire, dit encore saint Ambroise, tout
est digne de la grande victime qui s'y immole. Il n'ap-
partient qu'à un homme, qui en même temps est Dieu,
d'y mourir comme y meurt Jésus-Christ; et il n'appar-
tient qu'à une femme, qui est mère de Dieu, d'assister
à cette mort de la manière dont Marie y assiste. Dans le
sublime maintien de la Mère vous avez une preuve
nouvelle, une preuve frappantede ladivinitéduFils(2).
Cette femme que vous voyez prosternée au pied de
la croix, fondant en larmes et recueillant les gouttes
précieuses du sang du Sauveur du monde, c'est Made-
leine. Cette attitude d'une désolation se traduisant au
dehors par des pleurs convient à une femme qui n'est
que le disciple fidèle, la fille hien-aimée du Seigneur :

(1) « Pendebat in cruceFilius; mater persecutoribus sese offe


« rebat. »
( 2 ) « SpectaLat non dpgeneri spectaculo mater. »
20 HOMÉLIE VIII. — MARIE AU PIED DE LA CROIX,

Dilicjebat Mariant Jésus (Joaiu, xn). Mais quant à Ma-


rie, dit toujours saint Ambroise, je lis dans l'Évangile
qu'elle était là debout; je n'y lis pas qu'elle était là
pleurant (1). Elle est mère, il est vrai-, mais elle est la
mère d'un Dieu ; elle ne dément donc pas cette grande
dignité, et elle se montre dans une attitude conforme
à la hauteur de son rang. Son auguste visage, que pas
une larme ne sillonne, trahit une immense résignation,
au milieu d'une immense douleur. Absorbée comme
dans l'extase d'une profonde affliction et d'une con-
templation sublime, elle ne détourne pas un seul in-
stant ses regards maternels de l'horrible scène de sang
de son unique Fils, le Fils de Dieu, expirant au milieu
des plus atroces tourments, saturé d'insultes, de malé-
dictions et d'opprobres, comme le plus criminel des
hommes. Au contraire, elle arrête sur cette scène ses
pieux regards, pleins d'intérêt et de charité pour les
hommes, bien plus que de compassion pour son propre
Fils; elle passe en revue, une à une, avec un religieux
respect, toutes ses déchirures cruelles, toutes ses plaies
et les gouttes du sang qui en découlent. Et elle ap-
prouve tout cela, dit saint Ambroise, elle y applaudit,
elle s'y plaît même et s'en réjouit, en pensant que c'est
de ces déchirures, de ces plaies et de ce sang que va
jaillir la grâce, et que ce sont là les conditions néces-
saires, le prixde la rédemption et du salut du monde (2).
Oh! dit un interprète, que cette attitude de Marie,

(1) « Stantem lego; flentem non lego. »


(2) « Piis oculis spectabat filii vulnera, ex quibus sclebat redem-
« ptionem hominibus futuram. »
OU LÀ. MÈRE DE L'ÉGLISE. 21
au pied de la croix est noble, grandiose, sublime î L'ex-
cès de ses peines n'est surpassé que par l'excès de sa
constance. La gloire de sa pudicité virginale est re-
haussée par le prodige de sa tranquillité. La plus déli-
cate de toutes les vierges, la plus désolée de toutes les
mères apparaît la plus héroïque de toutes les femmes.
Pas un signe d'impatience dans sa figure; pas un mot
de plainte ne sort de sa bouche. La dignité de la pos-
ture de son corps n'est surpassée que par la grandeur,
l'élévation et la fermeté de son âme. S'élevant au-dessus
del'immensitéde sa douleur, plus qu'àl'événement tra-
gique qui va la priver de son fils, elle n'arrête sa pen-
sée qu'à l'excès de la charité de Dieu, dont elle a sous
les yeux la preuve et l'exemple-, et, partagée entre
Tétonnement et la douleur, la compassion et l'amour,
elle demeure extatique en présence du sacrement inef-
fable de la piété infinie du Fils de Dieu agonisant et
expirant sur la croix pour le salut des hommes (1).
Saint Augustin va même plus loin. Et ne nous arrê-
tons pas aux apparences, nous dit-il; Marie corporelle-
ment n'est que près de la croix-, mais spirituellement
elle est aussi sur la croix de Jésus-Christ; et le fils et
la mère ne sont que deux victimes sur le même autel,
deux hosties du même sacrifice (2). C'est que Marie ne
jette pas seulement des regards fugitifs sur le spectacle
déchirant qui se déploie sous ses yeux -, elle le consi-

(1) « Corpore excelsa animo excelsior, spectans et admirans


« magnum pietatis sacramcntum, Deum in cruce (CORNÉLIUS A LA-
» P I D E , in Matth.). »
(2) « Christo crucifixo, crucifigebatur et mater. *
22 HOMÉLIE VIII. — MARIE AU PIED DE LA CROIX,

dère attentivement dans toutes ses parties-, elle le pé-


nètre avec toute la vivacité de son intelligence si claire,
avec toute la vigueur de son imagination si pure; elle
se place, par son esprit, dans la position où son fils se
trouve par son corps; elle fixe sa réflexion sur tous les
tourments qui déchirent une humanité si précieuse et
qui lui est si chère; elle arrête sa pensée à ces tour-
ments et se les représente d'une manière si vive, avec
une activité si profonde, qu'elle les fait passer en elle-
même, et que par la force imaginative elle souffre dans
les différentes parties de son corps ce que Jésus-Christ
souffre dans les différentes parties du sien. Ce sont deux
lyres, dit saint Grégoire de Nazianze, accordées à l'u-
nisson; si l'on en touche une, les sons se répètent sur
l'autre.
C'est ainsi qu'elle aussi se sent la tête tourmentée
par les épines, les mains et les pieds déchirés par les
clous, les membres tiraillés par le chevalet de la croix
de son fils. C'est ainsi qu'elle éprouve encore l'ardeur
de la soif qui le brûle, l'amertume du fiel qui l'empoi-
sonne, les affronts des hommes qui l'insultent, la peine
du père qui paraît l'abandonner. C'est ainsi qu'elle
change de couleur, agonise comme lui, et qu'en atten-
dant d'avoir, elle aussi, selon la prophétie, son àme
transpercée par la lance qui ouvrira le cœur de son fils,
elle partage sa mort, dit saint Bernard, comme elle
partage sa croix (1).
Il est vrai qu'elle ne meurt pas. Mais loin que ce soit
un soulagement pour elle, c'est un supplice. Oh ! si une

(1) « Imo et in cruce cum ûlio cruciatur. »


OU LA MÈRE DE L EGLISE. 23

victime purement humaine eût pu satisfaire la justice


divine, avec quel transport cette tendre mère se serait
substituée à son fils pour mourir à sa place (1)! Mais,
De le pouvant pas, elle brûle du désir affectueux de
mourir au moins avec lui. Si donc elle ne meurt pas
de cette espèce de mort qui sépare l'âme malgré elle
du corps, elle meurt de cette espèce de mort bien
plus douloureuse que les Écritures appellent la mort
seconde^ qui retient l'âme malgré elle dans le corps (2).
Parce que, dit saint Àmadée, la pire de toutes les morts,
c'est d'éprouver toutes les douleurs de la mort sans
mourir (3), Et saint Bernard dit aussi : Marie vivant
mourait en effet, par cela même qu'elle restait en vie.
Elle meurt par cela même qu'elle vit. Sa vie est pour
elle une véritable mort; elle meurt précisément parce
qu'elle ne peut pas mourir (4).

5. Fécondité des douleurs de Marie. Elle nous a engendrés par


ses douleurs, en même temps que Jésus-Christ nous engendrai!
par son sang.

Mais comment cette horrible mort de Marie, sem-


blable à celle d'Abraham immolant son fils, comment
cette mort toute d'esprit et de cœur a-t-elle pu être

( i ) « Infinities, si potuisset, se morti pro filio tradidisset (Sanct.


« Amad.). »
(2J « Prima mors animam nolentem toliit a corpore; seçunda
« mors animam nolentem retinet in corpore (August.). »
(3) « Ibi mors morte durior, ubi vita non tollitur, et mortis an-
« guslia toleratur. »
(4) a Moriebatur vivens, vivcbat moriens, nec mori poterat, quia
« vivens mortua erat. »
24 HOMÉLIE V I I I . — MARIE Al] PIED DE LA CROIX,

féconde, a-t-elle fait devenir Marie la mère de l'Église?


De la même manière que, comme l'avait prédit Isaïe,
la mort de Jésus-Christ pour le péché a été une mort
génératrice, une mort vivifiante, faisant naître une
race nombreuse à la vie ; Si posuerit pro peccato ani-
mam suam, videbit semen longmvum (Isaï. L U I , 10).
Oh! que les mystères du Calvaire sont grands et
profonds! Que fait Jésus-Christ sur la croix? Ah! dit
saint Paul, l'Homme nouveau, parles tourments atroces
qu'il endure, par la mort ignominieuse qu'il subit sur
cet infâme gibet, ne faisait que détruire le vieil homme,
l'homme du péché et le péché même qui le perdait;
Nos scimus quia vêtus homo noster simul crucifîxus est,
ut desiruatur corpus peccaii (7?om., vi). Il effaçait par
son sang l'horrible chirographe qui condamnait l'homme
à mourir; Deîens quod adversus nos erat chirographum
decreti (Coloss., n). Il réanimait l'homme, le vivifiait,
en le faisant entrer dans un ordre tout nouveau de pro-
vidence et de grâce; il en faisait une créature nouvelle;
juste de sa justice, sainte de sa sainteté, glorieuse de
sa gloire et vivante de sa vie ; Sed nova creatura. In
Christo omnes vivificabantur.
Mais remarquez bien que ce sang très-pur qui, ré-
pandu sur la terre, y lait ainsi germer, éclore la race
nouvelle des enfants de Dieu ; cette chair innocente qui,
étrangère au péché, représente en elle-même tous les
pécheurs (I); ce corps de l'Homme nouveau, dans le-
quel notre vieil homme est crucifié pour renaître à une

( l ) « Per eum agcbatur omnium causa, in quo crat omnium na-


« tura :rine culpa (S. Léon). »
OU LÀ MÈRE DE L'ÉGLISE. 25

nouvelle vie; ce sang, dis-je, cette chair, ce corps


appartiennent à Marie, sont la propriété de Marie et
elle en est maîtresse : elle seule les ayant fournis de
son [propre sang, de sa propre chair, de son propre
corps. Par conséquent, les grands mystères qui s'ac-
complissent par le corps de ce Fils divin sont com-
muns, même à la mère, non-seulement parce que cette
mère souffre, en compagnie de ce fils, mais encore
parce que ce fils lui-même, en tant qu'homme, est
seulement sang et chair de sa mère. La génération spi-
rituelle, divine qui s'opère dans la chair et par la chair
de Jésus-Christ remonte donc jusqu'à Marie. Dans le
grand sacrifice qui est offert pour le salut du monde,
par rapport à l'infinité de son prix, c'est la personne du
Verbe qui est tout. Mais, à quant son accomplissement
extérieur, ce sacrifice est tout dans l'humanité dans la-
quelle il est offert, Jésus-Christ ayant souffert, étant
mort en tant qu'homme et ayant relevé à l'infini le
prix de sa Passion et de sa mort en tant qu'il était
Dieu. Or, puisque cette humanité, c'est Marie qui l'a
fournie, le fruit de ce sacrifice et son mérite sont par-
tagés par Marie, qui en a fourni la victime.
Le mystère funeste du péché peut, lui aussi, nous
aidera mieux comprendre cette théologie de l'heureux
mystère de piété qui le répare et l'efface. Au paradis
terrestre Adam prévariqua plus qu'Eve; car il avait plus
de lumière, plus d'intelligence et plus de force. Et parce
qu'il a prévariqué en qualité de chef et de père de l'hu-
manité, son péché se transmet dans tous les hommes.
Mais ce péché, que nous recevons tous d'Adam, celui-ci
ne l'a consommé que sur un fruit qu'Eve a recueilli,
26 HOMÉLIE VIII. — M A R I E AU PIED DE LA CROIX,

qu'Eve a offert, qu'Eve a fait manger à son époux,


contre la défense de Dieu; Tulit et dédit vivo suo; qui
et comedit (Gènes., m). C'est pour cela que le péché
d'Adam est aussi le péché d'Eve ; et quoique ce soit
réellement Adam qui nous donne la mort ; In quo om-
nes moriuntur (I Cor., xv), cependant une telle mort
nous arrive encore de la part, par la coopération et par
les mains d'Eve.
Il en est de même au Calvaire, où ce péché est puni
et expié, où cette mort est réparée et détruite. Jésus
souffre infiniment plus que Marie. Et puisqu'il souffre
en qualité de chef, de père, et de chef et de père qui
est Dieu, c'est sa justice et sa sainteté qui se transmet-
tent en nous; c'est par lui seul que nous devenons la
justice même de Dieu; Ut nos ejjiceremur justifia Dei
in ipso (II Cor., v, 21). Mais cette sainteté que nous
recevons de lui et que nous ne recevons que de lui, il
ne nous l'a méritée que dans une chair que Marie lui a
librement fournie. Par conséquent, le sacrifice de Jé-
sus-Christ c'est encore le sacrifice de Marie; et quoique
ce soit Jésus-Christ et que ce ne soit que lui qui nous
vivifie; In quo omnes vivificabunhir (I Cor. xv), ce-
pendant une telle vie nous arrive encore de la part, de
la coopération et des mains de Marie.
Que fait-elle donc Marie au pied de la croix! Ah!
elle est là, dit saint Bernard, partageant les souffrances
de Jésus-Christ, et par cela même nous enfantant, par
la grandeur de ses douleurs, à la vie en Jésus-Christ(l).
Et puisque, dans ce mystérieux enfantement, ajoute

( l ) « Erat magnodolote parturiene. »


OU LÀ MÈRE DE L'ÉGLISE. 27
saint Bernardin de Sienne, Marie a tous les hommes
pour enfants, elle a enduré à elle seule, réunies dans
son cœur, toutes les souffrances que toutes les mères
en enfantant ont éprouvées séparément dans leur
corps(1).
On comprend encore par là que cette grande pa-
role que Dieu prononça contre Eve : « Tu enfanteras
dans la douleur, » fut en même temps une loi et un
mystère, un châtiment et une prophétie. Dès ce mo-
ment, la douleur devint la condition inévitable pour
devenir mère non-seulement dans l'ordre de la nature,
mais aussi dans l'ordre de la grâce. Le bonheur d'avoir
des enfants spirituels, aussi bien que le bonheur d'a-
voir des enfants corporels, n'a pu être acheté qu'au
prix de grandes douleurs. La qualité de mère n'a pas
pu être séparée de la qualité de martyre ; In dolore pa-
ries. Et Eve, qui ne devient mère des fils de l'homme
qu'en endurant d'atroces tourments dans son corps,
fut la figure de Marie, qui n'est devenue mère des en-
fants de Dieu qu'en endurant d'horribles tourments
dans son âme; Erat magno doloreparturiens.
0 tendre et généreuse Marie! qu'il est beau de la
voir ainsi devenue miraculeusement féconde au pied
de la croix ! Qu'il est beau de savoir que nous lui de-
vons, à elle aussi, après Jésus-Christ, notre nouvelle
naissance-, qu'au Calvaire, où son Premier-né a eu sa
sépulture, nous avons trouvé notre berceau ; et qu'elle

( l ) i Omnium parturientium cruciamenta in hanc conspirave-


« runt m a t r e m , quia omnium matrum collective dolores adœ-
» quavit. '»
28 HOMÉLIE VIII. — MARIE AU PIED DE LA CROIX,

aussi nous a conçus et enfantés là par ses souffrances,


pendant que Jésus-Christ nous y engendrait par son
sang î Elles furent vraiment grandes, inouïes les dou-
leurs de cet enfantement; Erat magno dolore partu-
riens ; mais il fut très-nombreux, immense le peuple
qui en sortit. Ce fut l'accomplissement de la prophétie
d'Isaïe « que la vraie Sion aurait mis au jour, en un seul
instant, une grande nation; Numqnid parietur gens
simul, quia parturivit Sion filios suos (Isa., L X V I , 8). »
Et c'est à cette nation, à ce peuple, naissant des dou-
leurs de Marie comme un seul enfant, que Jésus-
Christ a fait allusion en disant à cette heureuse mère :
Femme, voilà votre enfant; Mulier, ecce fiîius tuus.

G. Rébecca figure de Marie. Amour de Marie pour les hommes lui


e
ayant fait sacrifier son fils, pour leur salut. Génurosilé s u b l i m
de ce sacrifice.

Mais Marie nous a engendrés au Calvaire non-seule-


ment en partageant les douleurs atroces de son (ils, mais
encore en s'unissant aux dispositions sévères du divin
Père. Et à ce point de vue elle est encore la femme
mystérieuse de l'Evangile, qui, toute accablée de tris-
tesse dans son enfantement, se réjouit de ses souf-
frances dans la pensée que par ces souffrances l'homme
est né dans le monde ; Mulier, cum parit, tristitiam
habet \ cum autem peperit, non meminit pressurée prop-
ter gaudium, quia natus est homo in mundum. Tâchons
encore de comprendre ce touchant mystère.
11 n'y a pas de doute que Marie aime Jésus-Christ de
l'amour le plus saint, le plus pur, le plus parfait, parce
qu'il est son Dieu, et en même temps de l'amour le
OU LA MÈRE DE L'ÉGLISE 29
plus tendre, le plus intense et le plus violent, parce
qu'il est son fils, et un fils qu'elle seule a conçu de son
sang. Mais à cet amour si énergique de Marie pour son
Fils-Dieu s'oppose un autre amour à elle, non moins
tendre, non moins fort; c'est son amour pour les fils
de l'homme. Ces deux amours luttent dans le cœur de
cette tendre mère, comme les deux jumeaux Esaû et
Jacob luttaient dans le sein de Rébecca; Collidebantur
in utero parvuli (Gènes., xxv). Ce que l'un de ces
deux amours exige, l'autre le repousse. Ce que l'un de
ces deux amours désire, l'autre l'abhorre. Marie ne
peut satisfaire l'un de ces amours sans sacrifier l'autre,
les intérêts de ces deux amours étant aussi contraires
que les objets en sont différents. Marie ne peut vou-
loir le salut des hommes sans vouloir la mort de son
fils, ni vouloir la vie de son fils sans consentir à la
perte des hommes. Voir le monde sauvé et son fils
mort, c'est trop douloureux. Voir son fils épargne et
le monde perdu, c'est trop cruel. 0 lutte donc, ô
combat de deux amours rivaux dans un même cœur;
Collidebantur in utero parvuli /
Mais il est dit de Rébecca, qu'instruite par l'oracle
de Dieu que dans les desseins de l'élection divine
« L'aîné de ses deux enfants devait servir le cadet;
Et major serviet minori (Gènes., xxv); » elle donna,
dans son amour, la préférence au lils mineur sur son
fils majeur, à Jacob sur Esaù; Diligebat Rebecca Ja-
cob (Ibid.).
Or, il en a été de même de Marie ; instruite, elle
aussi, d'en haut que, par le décret de Dieu, le Fils de
Dieu devait servir de victime, de sacrifice, de prix de
30 HOMÉLIE VIII. — M A R I E AU PIED DE LA CROIX,

rédemption aux fils des hommes, elle consent, elle


aussi, que l'enfant de ses entrailles soit immolé aux
enfants de son adoption. Dans son cœur contristé, ti-
raillé, déchiré, le désir du salut des hommes obtient la
préférence sur le désir de la vie de son fils, et lui fait
endurer avec une magnanimité admirable, et môme
avec joie, la mort de son fils devant apporter aux hom-
mes la vie; Non meminit pressuréepropter gaudium,
quia nalus est homo in mundum.
0 mystère de grande douleur, et en même temps
d'ineffable piété! Le ciel et la terre paraissent conspi-
rer de concert à désoler les derniers moments de la vie
de THomme-Dieu. Jésus, suspendu à la croix par des
clous déchirants, élève vers le ciel la voix de sa dou-
leur comme pour lui demander ce confort que la terre
lui refuse. 0 Père saint, Père juste, Père amoureux, ne
reconnaissez-vous plus votre fils? Vous aussi le livrez à
la haine des hommes ; Deus meus, Deus meus, ut quid
dereliquisti me (Matth., xxvn). De l'autre côté, l'en-
fer déploie contre Jésus-Christ crucifié ses extrêmes
fureurs. Les scribes et les pharisiens, les magistrats et
le peuple, les bourreaux et les soldats, les Juifs et les
Romains se plaisent, avec une joie féroce, à cette scène
de douleur, et dans les emportements de leur bruta-
lité satanique, font résonner tout autour d'horribles
blasphèmes, d'insolents défis> des plaisanteries amères,
d'atroces insultes contre le Sauveur du monde. Marie
écoute cet affreux concert d'outrages sanglants qu'on
fait contre la majesté, l'innocence d'un Dieu qui est
son fils, d'un fils qui est son Dieu, et par la voie de
l'oreille tout cela se répète d'un terrible écho dans son
OU LA MÈRE DE L'ÉGLISE. 3t

cœur. A travers la faible lumière que les astres a demi


éteints répandent sur ce drame déicide, elle contemple
ce corps sacré couronné d'épines, couvert de plaies,
de la tête aux pieds, transpercé par les clous, épuisé
d e f o r c e , dégouttant tout son sang. Elle voit son front
p â l e , ses lèvres livides, ses yeux larmoyants, ses joues
enfoncées, sa respiration haletante. Elle entend les
d e r n i e r s gémissements de cette auguste humanité
p r ê t e à exhaler une âme noyée dans la douleur et en-
flammée d'amour pour ceux mêmes qui veulent la lui
arracher. Cependant, en présence de cette horrible
s c è n e , toute affection humaine se tait en Marie vis-à-
vis des dispositions divines. Son amour pour le Dieu-
Père, dont elle est la fille ; son amour pour le D i e u
Saint-Esprit, dont elle est l'épouse, l'emportent en elle
sur l'amour du Dieu-Fils, dont elle est la mère. Ainsi,
tandis que la terre tremble, le soleil s'éclipse, le Cal-
vaire s'écroule ; au milieu du bouleversement, du deuil
de toute la nature pleurant son auteur. Marie seule,
à l'imitation du Dieu-Père, demeure spectatrice si-
lencieuse et impassible des souffrances de son divin
F i l s (1).

Mais si ses lèvres se taisent, son cœur ne se tait pas.


E t , dans l'excès de son amour pour les hommes, s'a-
dressant au divin Père ; « Père saint, Père divin, lui
dit-elle, ne faites pas attention à mon chagrin et à ma
d o u l e u r . Je suis mère, il est vrai, et vous savez, mon

(1) « Amor Dei tantum in ea prœvaluit, ut omnem humanum


« affectum devinceret. Omni creatura in morte filii dolente, ipsa soïa
« cum divlnitate immobilis persévérât (S. Amad.). »
32 HOMÉLIE VII. -— MARIE AU PIED DE LA CROIX,

Dieu, ce que mon amour de mère me fait souffrir.


Mais, vous aussi, n'ètes-vous pas son Père? C'est le
chaste fruit de mes entrailles; mais n'est-il pas aussi
l'image de votre substance? Mon sang coule dans ses
veines; mais, avec votre nature, ne sont-elles pas re-
copiées en lui aussi toutes vos perfections? Je l'aime
comme mon Fils chéri; mais ne l'aimez-vous pas aussi
comme votre Fils bien-aimé et l'objet de toutes vos
complaisances divines (Matth., xvn)? Cependant vous
paraissez l'abandonner. Eh bien, moi aussi je l'aban-
donne. Vous ne l'épargnez pas, vous ne lui pardonnez
pas ; ni moi non plus, je ne l'épargne pas, je ne lui par-
donne pas. Vous le condamnez ; et moi aussi je le con-
damne. Vous voulez qu'il meure sur la croix; et moi
aussi je le veux, je l'exige. Oui, oui, qu'il meure sur
ce bois infâme, pourvu que votre justice soit sa-
tisfaite et l'homme sauvé; Crucifige, crucifige eum
(Matth., xxviu).
Cet horrible cri de mort contre le saint enfant de
Dieu est donc sorti en même temps de l'âme impure
et brutale des Juifs et de l'immaculé et tendre cœur
de Marie, avec cette différence que sur les lèvres des
Juifs ce fut un cri de rage, tandis qu'il est un cri de
pitié dans le cœur de Marie. Les Juifs crient : « Mort à
Jésus! » par haine contre Jésus; tandis que Marie crie,
elle aussi : « Mort à Jésus! » mais par amour envers
les hommes. Pour les Juifs, ce cri féroce, c'est un nou-
veau crime, et le plus grand des crimes qui les perd ;
pour Marie, c'est le cri de sa miséricorde qui nous
sauve; parce que, en vertu d'une pareille résignation
et d'une pareille offrande, les hommes pécheurs re-
OU LA MÈRE DE L'ÉGLISE. 33
naissent aussi de Marie au monde de la grâce, en vrais
enfants de Dieu ; Non meminit pressures propter gau-
diurriy quianatus est homo in mundum.

7. A l'exemple du Père éternel, en livrant son Fils pour le salut


des hommes, Marie est devenue leur mère au même titre que Dieu
est devenu leur père. La mère des Machabées. Paraphrase des
mots : FEMME, VOICI V O T R E F I L S .

Or, rappelons-nous ces délicieuses paroles de saint


Jean : « Voyez jusqu'à quel point le Père céleste nous
a aimés-, il nous a donné non-seulement le nom, mais
aussi la qualité de fils de Dieu ; Videte qualem chanta-
ient dédit nobis Pater, ut filii Dei nominemur et si-
mus (I Joan. ni)! » Mais par quels moyens le divin
y

PèrCÇsf il devenu notre Père et nous a-t-il fait devenir


ses véritables enfants? Qui exDeo natisunt (Joan., i)?
Jésus-Christ nous l'a appris par cette ineffable parole :
« Dieu a tellement aimé le monde, qu'il a livré à la
mort son Fils unique pour le salut du monde 5 Sic Deus
dilexit mundum, ut Filium suum unigenitum daret
ut salvetur mundus per ipsum (Joan., m, 16,17). » Et
saint Paul a dit aussi : « Dieu a poussé à un tel excès
sa charité envers nous qu'il n'a pas même épargné son
propre Fils, mais qu'il l'a sacrifié pour nous tous; Pro-
prio Filio suo nonpepercit, sedpro nobis omnibus ira-
didit illum {Rom., vin). » Ainsi Dieu, qui était déjà
notre Père par la création, est devenu, d'une manière
encore plus noble et plus réelle, notre Père par la Ré-
demption. Car dans la création nous étions nés à la vie
naturelle, par la puissance de sa parole; dans la Ré-
demption, nous sommes nés à la vie spirituelle par
34 HOMÉLIE VIII. — MARIE AU PIED DE LA CROIX,

l'excès de son amour ; Propter nimiam charitalem


suam (Eph., 11).
Or, il est hors de toute contestation, dit saint Bona-
venture, que Marie, dont la sainteté a été dans une
conformité parfaite de sentiments et de vues avec les
sentiments et les vues de Dieu, a partagé ces prodiges
de la charité de Dieu pour les hommes; et que, par
conséquent, elle aussi nous a donné son Fils, a offert
son Fils à la mort, comme le Père divin nous l'a dcnné,
nous l'a offert, et comme le divin Fils s'est offert, s'est
donné lui-même dans le même but, afin que la confor-
mité de la volonté de la mère avec l'amour du Père et
celui du Fils fût entière et parfaite (1). En sorte que,
d'après le même docteur, on peut dire de Marie aussi,
dans une certaine proportion : « Marie a tellement
aimé le monde qu'elle a donné son unique Fils pour le
salut du monde (2). » Et saint Bernard dit : « Comme
la donation que Dieu nous a faite de son unique Fils
est l'objet d'une charité telle qu'il est impossible d'en
trouver une plus grande, de même la donation que
Marie nous a faite de ce même Fils est l'effet d'une
charité telle qu'il est impossible d'en trouver une plus
grande en dehors de la charité de Dieu même (3). »
Mais comme le divin Père, en nous livrant son Fils

(1) « Nullo modo dubitandum est quin Maria \o1ucrit filium tra-
« dere, propter salutem generis tuunani, ut in omnibus et per omnia
« mater iieret conformis Patri et Filio. »
(2) « Ita ut de ea quoque dici potest : « Sic Maria dilexit m u n -
« dum, ut filium suum unigenitum daret. «
(3) « Feeit illud charitas qua majorem nemo habet; fecit et hoc
« charitas oui post iltam similis altéra non fuit. *
OU LA MÈRE DE L'ÉGLISE. 35

unique afin de nous régénérer à la grâce, nous a lui-


mêmc engendrés et nous a fait devenir réellement se6
enfants; Ut Filii Dei nominemur et simus; de même
Marie, en nous donnant, en quelque façon, avec le
même transport, avec le même désintéressement, avec
le même amour et pour la même fin, ce même Fils,
nous a, elle aussi, engendrés et nous a fait réellement
devenir ses enfants; Ut Filii Marits nominemur et
simus.
C'est par un reflet de la fécondité du Dieu-Père que
Marie a conçu, de sa seule substance humaine, Jésus-
Christ, en tant qu'il est homme ; comme le Père éternel
l'a conçu de sa seule substance divine, ce même Fils,
en tant qu'il est Dieu. Or, comme le sein de Marie a été
conforme au sein de Dieu même, par rapport à la
génération, son cœur a été conforme au cœur de Dieu
même, par rapport à l'amour; et comme, en partageant
la fécondité divine, elle est devenue la mère du Fils de
Dieu, de même en partageant l'amour divin, elle est
devenue la mère des fils des hommes.
Nous sommes donc nés de Marie de la même manière,
aux mêmes conditions que nous sommes nés de Dieu
même; Qui ex Deo nati sunt\ et notre filiation par
rapport à Marie est de la même nature et a la même
réalité que notre filiation par rapport à Dieu.
On peut même dire que nous sommes nés de Marie,
-OR quelque sorte, comme Jésus-Christ lui-même. Car
le même Saint-Esprit, l'amour personnel du Père et du
Fils, qui, en remplissant de la vertu du Très-Haut le
sein de Marie, la rendit corporellement féconde et la
fit mère de Jésus-Christ, c'est lui aussi qui, en rem-
36 HOMÉLIE VIII. — M A R I E AU PIED DE LA CROIX,

plissant son cœur des flammes de son amour pour les


hommes, Ta rendue spirituellement féconde et l'a faite
notre mère. Ainsi, dit saint Augustin, cette môme au-
guste Vierge qui, selon la chair, est la mère véritable
de Jésus-Christ, notre chef, est aussi la mère véritable
de tous les membres de ce Chef divin, selon l'esprit -,
car, au Calvaire, c'est par la grandeur de sa charité
qu'elle a coopéré à la naissance des fils de Dieu dans
l'Église (1).
Tout cela nous explique encore pourquoi, sur le
Calvaire, Jésus-Christ ne dit pas à Marie : « Femme,
Jean sera dorénavant votre fils-, » mais il lui a dit :
« Femme, voilà votre fils; Mulier, ecce filins tuus\ »
car la multitude des fils de Dieu, des disciples de Jésus-
Christ, la chrétienté entière, l'Église représentée dans
saint Jean et par saint Jean, ne devait pas naître dans
la suite du cœur de Marie, mais elle était née déjà de
l'excès de son martyre, de la ferveur de sa charité.
Dans la personne de Jean, cette Église était déjà là
toute vivante, et, comme parle saint Paul, lavée,
purifiée, embellie dans le sang et par le sang de Jésus-
Christ. En sorte que, en disant que Marie est la mère
de Jean ou de l'Église, et que Jean ou l'Église est
l'enfant de Marie; Ecce filius tuus, ecce mater tua-,
Jésus-Christ n'a pas opéré un nouveau mystère d'amour,
de nous donner Marie pour mère et de nous donner à
Marie pour ses enfants; mais il n'a fait que découvrir,

( l ) « Maria carne mater Capitis nostri ; spiritu mater membrorum


« cjus; quia cooperata est charitate ut filii Dei nascerentur in Eccle-
« sia [Ad Catechum. îv, i ) . »
OU LA MÈRE DE L'ÉGLISE 37
publier un mystère caché, mais qui s'était déjà opéré,
qui s'était déjà accompli dans le cœur et par le cœur
de Marie, dans les profondeurs de son amour pour les
hommes : amour le plus généreux dans son offrande,
le plus pur, le plus élevé dans ses motifs, le plus con-
stant dans ses épreuves, le plus héroïque dans ses
sacrifices. Et tout en le révélant ce délicieux mystère,
et en l'annonçant du haut de sa croix au monde, qui,
sans cette parole divine, l'aurait toujours ignoré, Jésus-
Christ l'a revêtu de la formalité de son consentement
divin, l'a confirmé, Ta sanctionné de l'autorité de sa
divine parole, et l'a érigé en loi dans Tordre spirituel
du salut.
En parlant de la mère des Machabées, saint Augustin
a dit que cette femme héroïque devint plus féconde en
offrant, en consacrant elle-même ses sept enfants à la
mort que lorsqu'elle les enfanta à la vie. Car, par cet
acte de foi sublime, ayant confirmé tous ses cona-
tionaux dans la vraie religion, elle ne perdit ses en-
fants, selon la nature, que pour devenir mère de tout
un peuple selon l'esprit (1). Or c'est, dit l'abbé Rupert,
une belle figure de Marie. Car en offrant de plein gré
son unique Fils à la mort et en le perdant dans la dou-
leur, elle devint, elle aussi, une mère plus féconde que
lorsqu'elle le conçut dans la sainteté et l'enfanta dans
la joie. Car, pour un Fils dont elle fut privée, elle
obtint plusieurs fils. Elle livra Jésus-Christ à la mort,
et par lui et en lui elle engendra à la vie le peuple

(1) « Fœcundior virtutibus quando filii passi sunt quam fœtibus


« quando nati sunt. »
38 HOMÉLIE VIII. — MARIE AU PIED DE LA CROIX,

fidèle ; elle devint la mère heureuse non-seulement de


Jean, mais de tous les chrétiens (1).
En lui disant donc : Femme, voilà votre fils, ce fut
comme si Jésus-Christ lui eût dit : « Femme, — car
clans ce moment j'oublie que vous êtes ma tendre mère
pour ne voir en vous que la femme par excellence, la
femme forte, la femme sublime, la femme héroïque, la
femme parfaite que j'ai fait annoncer et exalter dans
mes Écritures, Mulier.—Femme, voyez-vous là, Jean?
Il est pur, il est saint, il est courageux, il est fidèle, il
ne rougit pas de mes ignominies et de mes peines; et
il est, par conséquent, tout vivant de la vie de ma grâce,
Or c'est le type des enfants dont vous, dans ce moment,
devenez la mère : enfants vivants de la vie de la grâce
eux aussi, parce qu'eux aussi seront purs, saints, fidèles,
et ne rougiront pas de mon nom, de mon Évangile, de
ma religion. Votre cœur est transpercé par les clous
qui déchirent mes membres; votre âme partage et
l'amour de mon divin Père, et les peines de mon corps,
et les opprobres de ma personne. Entrés en société
d'amour avec mon divin Père par votre généreuse
charité, et en société de supplices avec moi par votre
profonde désolation, entrez-y donc encore avec moi
et avec mon Père en société de mystère, de grandeur
et de prodiges. Aimant le monde avec mon Père ; souf-
frant, vous aussi, pour le monde avec moi, votre Fils,
vous êtes féconde de ma fécondité et de la fécondité de
mon Père. Les enfants qui naissent de l'amour infini

( i ) « Suis in cruce doloribus hoc etiam promeruit ut non solum


« Joannis, sed et omnium credentium mater dicereturet esset. »
OU t A MÈRE DE h EGLISE 39
de mon Père et de mes peines infinies naissent encore
de vous. Par la même raison qu'ils sont à mon Père et
à moi, ils sont à vous; vous aussi les engendrez dans
votre amour et dans votre douleur. Ces enfants, à vous,
ne naîtront pas, ils sont nés déjà, et voyez-en dans Jean
le type et le modèle; Ecce filius Unis. Ces enfants sont
plusieurs, sont innombrables, et en même temps ils ne
sont qu'un seul, parce que la communauté de mes
fidèles, mon Eglise, n'est qu'un seul corps dont je suis
le Chef et eux les membres, et vous, mère de leur Chef,
par cela même vous êtes leur mère ; Filius tuus. Mais en
même temps, en un seul, ils seront plusieurs, ils seront
innombrables; ce seront tous ceux qui croiront en moi.
C'est là la race nombreuse que vous enfantez, dans ce
moment, comme un seul enfant. Dieu en est le père,
moi je suis leur frère aîné, le Rédempteur, et vous la
mère; Mulier, ecce filius tuus. »
0 fécondité des douleurs de Marie! 0 enfantement
de la mère de Dieu, d'autant plus fécond qu'il est plus
douloureux! 0 transfixion de son tendre cœur très-
précieuse pour nous! C'est dans ce cœur que nous
avon s été régénérés par son amour! 0 sein, ô cœur, ô
tabernacle du Fils de Dieu, ô arche de salut des fils des
hommes! O gloire, ô bonheur des vrais chrétiens! En
passant par ce cœur, enveloppés dans cet amour, nous
sommes menés du monde terrestre et corporel au
monde spirituel et divin.
40 HOMÉLIE VUl. — MARIE AU PIED DE LA CROIX,

DEUXIÈME P A R T I E .

SENTIMENTS DE MARIE A L'ÉGARD DE L'ÉGLISE, ET DE


L'ÉGLISE A L'ÉGARD DE MARIE,

H. Jésus-Christ faisant son testament sur la croix, et nous laissant, à


titre de legs, Marie pour Mère, aussi bien que Dieu pour Père.

IVIAIS voici encore un autre titre, non moins sacré


pour nous à la filiation de Marie.
D'après saint Paul, Jésus-Christ, en mourant, a fait
son testament. Et saint Ambroise, en commentant
cette grande pensée de saint Paul, nous dit : Voulez-
vous savoir ce qu'a fait Jésus-Christ, à quoi il pensait,
de quoi il s'est occupé pendant les trois heures qu'il
a passées sur sa croix? 0 excès d'incompréhensible
amour! rassasié d'opprobres, abreuvé de fiel, au
comble de ses angoisses et de ses douleurs, il ne mé-
connaît pas les hommes qui lui font subir un traitement
si horrible et si cruel! Et, près de mourir, il déclare ses
dernières volontés en leur faveur. Il dispose de tout ce
que son divin Père a mis en son pouvoir. Père aussi
généreux que tendre, il divise son héritage à ses en-
lants, n'oubliant aucun d'eux, pas même les plus in-
grats et les plus rebelles. II rédige et il dicte, avec toutes
les formalités d'usage, son testament public et privé (1).
Rien ne manque, en effet, aux conditions d'un véri-
table testament. D'un côté, c'est le mourant qui le pro-
nonce; de l'autre côté, tous ceux en faveur de qui il

( 1 ) « Condebat in cruce Dominus non solum publicum, sed et do-


it mesticum testamentum. •
OU LA MÈRE DE L'ÉGLISE, 41
est prononcé, dans l'attitude d'acceptants, y sont pré-
sents dans la personne de leurs procureurs et de leurs
fondés de pouvoirs. Les soldats romains représentent
le peuple gentil ; les habitants de Jérusalem sont là pour
le peuple juif; les saintes Marie jouent le rôle de tous
les justes, saint Jean de tous les innocents, les larrons
de tous les pécheurs, Madeleine de tous les pénitents.
Tousles peuples, tous les sexes, tous les hommes, quels
que soient leur condition et l'état de leur âme, assis-
tent à cet acte solennel qui est fait pour tous. Mais saint
Jean soutient encore, poursuit saint Ambroise, un autre
rôle très-important, le rôle de notaire public, de grand
chancelier de l'Église, recevant et enregistrant les pa-
roles du Seigneur, et en même temps le rôle de témoin
qui les confirme, témoin bien digne d'un si grand Tes-
tateur (1).
En effet, après avoir rédigé, dans son sublime Évan-
gile, ce précieux et divin testament de notre amoureux
Père; après avoir attesté que cet auguste testateur est
vraiment mort, saint Jean a mis tout cela en forme
d'acte public, d'instrument authentique; il y a apposé
sa signature, et il a déclaré, sous la foi du serment,
qu'il n'a écrit que ce qu'il a vu de ses propres yeux et
entendu de ses propres oreilles, et que son témoignage
est sincère, véridique et fidèle : Et qui vidit lesiimo-
niumperhibuit ; et seimus quia verurn est iestimonium
ejus(Joan., xxi).
Or, d'après saint Jean même, l'un des articles de ce

( 0 « Testabatur in cruce Dominus, et testamentum suum con-


« débat Joannes, dienus tanto Testatorc testis. »
42 HOMÉLIE VI». — MARIE AV PIED DE LA CROIX,

testament de notre divin Sauveur est la disposition que


Jésus-Christ a faite de sa propre mère en la destinant
pour mère à tous ses disciples, et la disposition qu'il a
faite de tous ses disciples en les destinant pour fils à sa
propre mère : Ecce filius tuus> ecce mater tua.
Marie ne nous aurait donc réellement pas enfantés
par son amour et par ses douleurs qu'elle n'en serait
pas moins notre véritable mère, et nous ne serions
pas moins ses véritables enfants, en vertu de la dis-
position testamentaire de notre aimable et généreux
Sauveur.
Car, en disant à Jean : «Voilà votre mère, » c'était
nous dire : « Je vous avais promis, vous devez vous en
souvenir, que je ne vous aurais pas laissés orphelins
sur cette terre ; Non relinquam vos orpkanos. Or, le
temps est venu de réaliser cette parole, d'accomplir
cette promesse. En vous recommandant tous à mon
divin Père, en vous déposant tous dans ses bras comme
si vous étiez mon propre esprit, mon âme, comme si
vous étiez moi-même ; Pater, in manus tuas commendo
Spiritum meum (Luc.) ; je vous laisse pour père mon
propre Père; et vous aurez en lui un père nouveau
qui vous aura régénérés à la vie, à défaut d'Adam,
votre ancien père, qui ne vous avait engendrés que
pour la mort. Mais tout cela ne suffit pas à mon
amour. Si je m'arrêtais là, vous resteriez toujours or-
phelins du côté de la mère, ne pouvant plus regarder,
invoquer comme votre mère l'ancienne mère Eve,
qui, elle aussi, vous a donné la mort en vous enfan-
tant à la vie. Afin donc que vous ayez aussi une nou-
velle mère, comme vous allez avoir un nouveau père,
k OV LA MÈRE DE L'ÉGLISE. 43

je vous laisse, je YOUS destine pour mère ma propre


Mère, comme je vous laisse, je vous destine pour père
mon propre Père. Et la voilà en Marie cette mère qui
vous manquait, cette mère que je vous donne,
'cette mère à laquelle je vous confie et vous recom-
mande. Ecce mater tua; et qui vous dédommagera de
la mère ancienne qui vous a perdus. Ainsi un père et
une mère vous sont assurés pour la vie spirituelle,
comme vous avez eu un père et une mère pour la vie
corporelle. Mais ces nouveaux parents que mon amour
vous lègue ne vous feront jamais défaut, ne mourront
jamais ; vous les trouverez toujours à vos côtés ; vous
pourrez, et pendant la vie et au moment de la mort,
vous jeter dans leurs bras, et vous y serez toujours
bien reçus. Ils vous accueilleront, ils vous embras-
seront, ils vous aimeront comme si vous étiez moi-
même ; car je vous ai cédé ma place auprès d'eux, ou
bien je vous ai identifiés, unis tous en moi-même ; et
dès lors ils ne pourront pas s'empêcher de vous regar-
der, de vous traiter comme leurs propres fils, comme
si vous étiez moi-même.
C'est ainsi que j'ai pourvu à tous vos besoins, que
je vous ai assuré toute espèce de consolation. C'est
ainsi que je me suis dépouillé de tout en votre faveur,
que je vous ai tout légué. C'est ainsi que je n'ai plus
nen à vous donner, que je vous ai tout donné, même
CQ que j'avais de plus cher, mon propre Père et ma
tna propre Mère. C'est ainsi que mon héritage est com-
plet, que mon testament est clos, et que tout est con-
sommé. Constimmatum est. Il ne me reste plus qu'un
souffle de vie; prenez-le, je vous le donne aussi; et
44 HOMÉLIE VIII, — MARIE AU PIED DE LA CROIX,

vivez de ma mort, et soyez riches de mon bien et heu-


reux de mon amour. » Et ainsi disant il baissa la tête,
et rendit l'esprit. Et incltnato capite tradidit $pi-
ritum.

9. Efficacité des paroles adressées par le Seigneur à Marie et à Jean ;


et sentiments qu'elles créèrent dans le cœur de la Mère et du disci-
ple. Amour de l'Eglise pour Marie. Il n'a sa source que dans ces
paroles de Jésus-Christ.

Mais remarquons encore que ce précieux testament


tire une importance toute particulière de la grandeur
du personnage qui l'a fait. Un testateur qui n'est qu'un
homme peut bien en mourant recommander un ami à
son propre père et à sa propre mère; il peut bien dire
à sa mère : « Je vous recommande cet ami ; regardez-le
comme votre propre lils; » et dire à l'ami : «Je vous re-
commande ma mère; regardez-la comme votre propre
mère. » Mais, tout en manifestant ces volontés et ces
désirs, ce testateur ne peut pas créer, ne peut pas
faire naître, par ses paroles, des sentiments mater-
nels dans le cœur de sa mère à l'égard de l'ami qu'il lui
recommande, ni des sentiments filiaux dans le cœur de
l'ami à l'égard de la mère qu'il lui confie. Et, hélas!
de pareils désirs, de pareilles volontés des testateurs
humains trop souvent sont oubliés; trop souvent ils
demeurent des désirs inefficaces et stériles ; trop sou-
vent ils ne restent que sur le papier testamentaire,
pour attester de la sollicitude de celui qui les a émis,
et de l'insensibilité de ceux à qui ils ont été adressés.
Mais le testament de Jésus-Christ est le testament
d'un homme qui en même temps est Dieu ; et par cou-
OU LA MÈRE DE L EGLISE. 45

séquent c'est' l'acte d'un testateur dont la volonté toute-


puissante produit tout ce qu'elle veut; dont la parole
thaumaturge accomplit tout ce qu'elle nomme; dont
les désirs sont des réalités, et les mots sont des créa-
tions.
En prononçant donc, non pas du ton de l'homme
qui supplie, mais du ton de Dieu qui commande, ces
grandes paroles : ((Femme, voilà votre enfant ; Dis-
ciple, voilà votre mère ; » il opéra une révolution com-
plète dans le cœur de la mère et dans celui du dis-
ciple. Ces paroles se répétèrent d'un écho puissant et
efficace dans ces deux cœurs, et y opérèrent et y réa-
lisèrent des prodiges conformes à leur signification.
Marie sentit, au même instant se former en elle un
cœur de mère pour l'Eglise, et Jean ou l'Eglise un
cœur d'enfant pour Marie. Ils se sentirent tous les
deux remués jusqu'au fond de l'âme, élevés, retrempés
et formés tout d'un trait à des sentiments en harmonie
avec la nouvelle charge qu'ils venaient de recevoir.
Marie se trouva au même instant impressionnée,
investie des sentiments de la plus tendre des mères à
l'égard de l'Église ; et l'Église, représentée par Jean,
se trouva à son tour saisie, pénétrée des sentiments
du plus affectionné, du plus dévoué des fils à l'égard
de Marie. Et c'est ce que l'Évangile a exprimé par ces
mots : u Et depuis cette heure-là le disciple reçut Ma-
rie comme une chose qui lui était propre et qui était
entièrement à lui ; Et ex il/a kora accepit eam disci-
pulus in sua; c'est-à-dire que c'est dès ce moment
que l'Église entra en possession de l'amour maternel
de Marie, et Marie de l'amour filial de l'Église.
40 HOMÉLIE VIH. — MARIE AU PIED DE LA CROIX,

Voilà donc la date véritable de l'amour de l'Eglise


pour Marie. Cet amour n'est pas né à Rome, mais à
Jérusalem. Cet amour ne jaillit pas du Vatican, mais du
Calvaire. Cet amour n'est pas d'hier, n'est pas du moyen
âge, mais il date de la même heure où Jésus-Christ
mourut sur la croix; il remonte à l'heure même de
la naissance de l'Église , au pied de la croix ; Et ex
iîla kora accepit eam discipulus in sua.
Cela vous explique ce fait que l'hérésie ne peut con-
tester sans se mettre en opposition flagrante avec tous
les monuments des antiquités chrétiennes ; ce fait,
dis-je, que les premiers siècles du christianisme ont
été plus fervents pour Marie que les siècles suivants,
et que les Pères du temps des Apôtres et de leurs dis-
ciples, saint Denis l'Aréopagite, par exemple, saint
Ignace martyr, saint Irénée, le grand docteur des
Gaules, ont été plus emphatiques en parlant de la
sainte Vierge que les Pères qui leur ont succédé.
Aux catacombes de Sainte-Agnès, qu'on fouille en
ce moment à Rome, et dont l'antiquité remonte au
premier siècle de la foi de la ville éternelle, on trouve
partout, sur tous les murs, sur tous les autels, des
images de Marie, l'enfant Jésus dans ses bras : preuve
sans réplique d'abord de l'ancienneté du culte des
images sacrées en général et de la dévotion, du zèle,
de l'amour, en particulier, des premiers chrétiens ,
de l'Église primitive, pour Marie.
En second lieu, cet amour de l'Église pour Marie
n'est pas superficiel et stérile, mais profond et effi-
cace. Voyez combien de fêtes l'Église a instituées,
combien de pratiques elle a consacrées, combien de
OU LA MÈRE DE L'ÉGLISE. 47

prières elle a rédigées, combien de communautés reli-


gieuses elle a autorisées en l'honneur de Marie. Voyez
le culte qu'elle lui rend, les titres qu'elle lui prodigue,
la confiance avec laquelle elle l'invoque, la tendresse
avec laquelle l'Eglise salue Marie tous les jours et à
toutes les heures du jour. Voyez le goût, le bonheur,
les transports avec lesquels l'Église célèbre les fêtes de
Marie, rappelle ses grandeurs, défend ses privilèges,
exalte ses mérites, implore sa protection!
Enfin cet amour de l'Église pour Marie, si ancien, si
actif, est aussi universel et commun à tous les peuples
restés sincèrement chrétiens. Dans l'ancien monde et
dans le monde nouveau, chez les vieux fidèles et chez
les fidèles récemment convertis, chez les Églises grec-
ques comme chez les Églises latines, chez les nations
civilisées et chez les nations qui ne font que sortir du
sein de la barbarie, chez tous les vrais chrétiens, chez
toutes les âmes vraiment catholiques, de tous les temps
et de tous les lieux, on trouve les mêmes sentiments,
le même cœur, la même dévotion, le même attache-
ment, le même amour pour Marie,
Or, un tel amour de l'Église pour Marie, si ancien,
si profond, si tendre, si industrieux, si constant et si
vivace, malgré son vieil âge, ne s'explique pas par des
raisons particulières et humaines. Le fanatisme et la
superstition ont pu en abuser; mais ils n'ont pas pu le
faire naître, et moins encore le faire subsister pendant
dix-huit siècles en des contrées si éloignées les unes
des autres et chez des peuples si différents entre eux
par le langage, par les mœurs et par les degrés de leur
civilisation. Il n'est pas donné à la superstition et au
48 HOMÉLIE VIII. — M A R I E AU PIED DE LA CROIX,

fanatisme de produire des effets constants, uniformes


et durables. Le prodige d'un pareil sentiment, produit
par de pareilles causes, serait encore plus grand et
plus incompréhensible que le prodige qui Ta réelle-
ment engendré, et que l'orgueil aveugle et stupide <Je
l'incrédulité et de l'hérésie se refuse d'admettre. Cet
amour de l'Église pour Marie est donc le reflet de l'es-
prit de Jésus-Christ lui-même, qui, étant resté dans
l'Église et avec l'Église, est l'âme, la vie, la lumière
de l'Église, lui inspirant non-seulement la foi aux
mêmes doctrines, mais aussi le zèle et l'amour pour les
mêmes pratiques de piété et de religion.
C'est l'effet de cette grande parole prononcée au
Calvaire, et qui, ayant donné à Marie un cœur de mère
pour l'Église, a donné aussi à l'Église un cœur de fille
pour Marie. C'est ce mot de « fille » qui explique tout,
qui dit tout, qui autorise tout : aucune marque de ten-
dresse et d'amour ne pouvant paraître excessive entre
fille et mère.
Ainsi, comme les hommes ne naissent à la vie natu-
relle qu'en vertu de cette grande parole du Dieu créa-
teur, qui, depuis six mille ans, se répète d'un écho
tout-puissant dans toute l'humanité : « Croissez et mul-
tipliez-vous, et remplissez la terre; » de même les
fidèles ne naissent à la vie morale de l'amour de Marie
qu'en vertu de cette grande parole du Dieu rédempteur
qui, depuis dix-huit siècles, se répète d'un écho tout-
puissant dans l'Église : « Femme, voilà votre Fils; Dis-
ciple, voilà votre mère, » Et c'est en vertu de cette
parole divine que l'Église est toujours à Marie, comme
Marie est toujours à l'Église ; et qu'elle est, après Jésus-
OU LA MÈRE DE L'ÉGLISE. 49

Christ, le bien de l'Église, la gloire de l'Église, l'amour,


les délices de l'Église; Et ex illa kora accepit eam
discipulus in sua.
Mais les belles et douces paroles de notre divin Sau-
veur, que nous venons d'expliquer, donnent encore
lieu à deux réflexions pratiques que je veux bien vous
développer, afin que cette homélie soit, pour ceux qui
m'écoutent, un sujet d'édification en même temps
qu'elle est un sujet d'instruction.
10. Les mêmes paroles de Jésus-Christ sont une loi. Tout vrai chré-
tien est et doit être l'enfant dévoué de Marie. Stupidité des héré-
siarques qui blâment le culte que l'Église rend à Marie. Misère de
leur prétendue religiun.

Faites attention d'abord, mes frères, à ce que notre


adorable Sauveur a mis de majesté et de grandeur
dans l'ineffable élocution de son amour, que nous ve-
nons de méditer. Le mot « Voilà, Ecce, » n'est pas
un mot de supplication, mais un mot d'autorité, de
puissance et d'empire. En disant donc à Marie :
« Femme, voilà votre Fils, » et à Jean : « Disciple,
voilà votre Mère, » Jésus-Christ n'a pas seulement
énoncé un désir, mais il a fait une loi ; il n'a pas seule-
ment parlé en maître de Jean, en fils de Marie, en
homme, mais il a ordonné, il a commandé en Sei-
gneur, en Roi, en Dieu. Ce fut leur dire : « Femme,
en tant que votre fils, je vous demande; mais, en tant
que Fils de Dieu, en même temps, je vous ordonne
de regarder, d'aimer mon Église comme votre fille :
Mulier, ecce filius tuus. Et vous aussi, mes disciples
bien-aimés, qui allez former mon Église , sachez que
moi, votre Seigneur et votre Maître, je veux, je vous
30 HOMÉLIE VU!. — MARIE AU PIED DE LA CROIX,

commande, à vous aussi, de regarder, d'hoporer Mario


comme votre mère. C'est ma volonté. Vous l'aurez
pour entendue; vous vous y conformerez; et il en sera
toujours ainsi, et pas autrement. »
Or, il s'ensuit de là que l'amour filial envers Marie
est l'une de ces lois morales que Dieu avait promis
d'écrire, à l'époque de la rédemption, dans le cœur des
vrais disciples du Rédempteur : Dabo legem meani vis-
cerihus eorum, et in corde eorum scribam eam(Jerem.,
xxxi, 33); et que, par conséquent, tous ceux qui n'é-
prouvent pas dans leur cœur des sentiments d'amour
filial pour Marie sont étrangers à cette délicieuse loi,
et ne sont pas des vrais disciples de Jésus-Christ.
Àh! comprenons-le bien; la même grâce qui nous
fait catholiques ou vrais disciples de Jésus - Christ
nous forme à l'amour de Marie. Il n'y a pas de ca-
tholicisme véritable sans le culte affectueux de Marie;
comme il n'y a pas de vrai culte de Mario hors du
catholicisme.
Jésus-Christ ayant dit à Jean, son disciple bien-
aimé : « Voilà votre mère, » il a empreint dans le
cœur de tous ses véritables disciples bien-aimés ce
sentiment de tendresse, cet instinct d'amour, cet
empressement de zèle, cette inclination à la con-
fiance, à l'égard de Marie, que les enfants éprouvent
envers leur mère; en sorte qu'au moment où Ton de-
vient vrai disciple de Jésus-Christ et son hien-aimé, on
devient aussi un fils affectueux pour Marie, s'attachant
ù Marie comme à sa propre mère ; Ex illa kora accepit
cam disvijmhis in sua^ et que ces deux qualifications
de « disciple bien-aimé du Seigneur » et « d'enfant
ut' LA MF.UE T)E i/ÉGLISE. 31

dévoué à Marie » sont devenues deux choses corréla-


tives, inséparables, se prouvant Tune par Vautre, et
rie pouvant subsister l'une sans l'autre (I). Tous ces
prétendus chrétiens, qui ne sont pas, à l'égard de
Marie, dans ces dispositions du cœur que la parole puis-
sante du Fils de Dieu a créées dans le cœur de ses
vrais disciples, et dont il a fait une marque de distinc-
tion de ses vrais disciples d'avec ceux qui ne le sont
pas; tous ces prétendus chrétiens, élevés à l'école de
Calvin ou de Jansénius, qui se scandalisent du culte
que l'Église catholique rend à Marie, qui crient contre
lès pratiques de dévotion, de vénération, de confiance
et d'amour par lesquelles les vrais fidèles honorent
Marie; tous ces prétendus chrétiens qui n'aiment pas
Marie, qui la jalousent, au contraire, qui la dédai-
gnent, et. tranchons le mot, qui lai haïssent, ne sont
donc pas de vrais disciples, des disciples bien-aimés
tïu Sauveur, ils ne sont pas de vrais chrétiens, tout
vrai chrétien, tout vrai disciple bien-aimé du Seigneur

( l ) Cela vous explique ce phénomène qui, pour être bien sin-


gulier et bien touchant, n'en est pas moins vrai : que tout infidèle
qui embrasse le vrai christianisme, tout incrédule qui vient à la vraie
religion, tout hérétique qui rentre dans la vraie Église, se sent tout
^.coup saisi des sentiments les plus doux et les plus tendres envers
Marie. C'est que par le baptême ou par leur réconciliation avec l ' É -
glise, en devenant vrais disciples, disciples bien-aimés de Jésii-:-
Christ, ils reçoivent toutes les grâces habituelles, tous les sentiments
propres à cet état; et Tune de ces grâces est la filiation de Marie,
« l l'un de ces sentiments est l'amour, le respect ûlial envers Marie,
que Jésus-Christ a érigé en loi et ddnt il a fait l'une des condition?
indispensables , l'un des caractères propres de ses vrais disciples
bien-aimés ; Dicit discipido t j u e m diligebat : « Ecce mater tua. »
o2 HOMÉLIE VIIÏ. — MAKIE AU PIED DE LA CROIX,

étant et devant être, en vertu de la loi qu'en a faite


Jésus-Christ lui-môme, l'enfant dévoué de Marie.
Ils peuvent être des Pierre reniant leur divin maî-
tre, des Thomas ne voulant pas croire en lui, des dis-
ciples l'abandonnant, et même des Judas le trahissant
et le vendant à ses ennemis; mais tant qu'ils restent
dans ces dispositions sataniques à l'égard de Marie,
quoi qu'ils fassent, quoi qu'ils disent, ils ne sont pas,
ils ne seront jamais des Jean, le disciple fidèle de Jésus-
Christ qui n'a jamais quitté d'un seul pas son divin
maître, qui l'a toujours aimé, et qui était aimé, chéri
par lui et appelé son bien-aimé; Discipulus quem dili-
gebat Jésus»
Par cela même que rien sous leur sein gauche ne
palpite, ne tressaille au nom de Marie, et qu'ils ne sen-
tent pas Marie ; par cela même que rien ne les attire
vers Marie, ne les attache à Marie, ils ne sont pas ses
fils, ils ne sont pas de sa race et de sa descendance. Or,
en dehors de cette race sainte de Marie, qui remonte à
Marie par Jésus-Christ, il n'y a que la race du serpent.
Par cela même donc que ces ennemis personnels de
Marie n'appartiennent pas à la race de Marie, ils appar-
tiennent à la race du serpent.
C'est pénible pour nous de le dire. Nous ne vou-
drions pas articuler une pareille flétrissure contre nos
frères séparés. Mais le moyen de croire qu'il en soit
autrement en présence des textes formels des Livres
saints que nous venons d'expliquer. N'est-ce pas Dieu
lui-même qui a dit qu'une inimitié irréconciliable au-
rait toujours existé entre ces deux races? Faire donc
la guerre à la race de la F E M M E , particulièrement à
OU LA MÈRE DE L'ÉGLISE. 53

cause de la femme même qui en est le chef, c'est se


déclarer pour la race opposée, c'est se déclarer appar-
tenant à cette dernière race, partageant l'esprit du ser-
pent, faisant cause commune avec lui, c'est se décla-
rer son descendant et son enfant.
Sans doute que le christianisme ne consiste pas seu-
lement, il s'en faut, dans une dévotion enthousiaste
pour Marie. Mais comme la respiration, dit le docteur
Saint-Germain, n'est pas la vie, mais l'indice et le
signe certain de la yie, de même l'amour, la dévotion
pour Marie ne constituent pas à eux seuls le vrai disci-
ple de Jésus-Christ*, mais c'est le signe, l'indice qu'on
est de sa suite, qu'on appartient à son école, qu'on est
son disciple.
Ainsi ne vous laissez pas tromper, mes frères, par
les modernes pharisiens, à des exceptions près, aussi
faux et aussi hypocrites que les pharisiens du ju-
daïsme; ne vous laissez pas tromper par leurs sophis-
mes, par leurs critiques, par leurs railleries, par leurs
blasphèmes contre le culte que l'Eglise catholique
rend à Marie,
A les entendre, ils ne condamnent ce culte que dans
l'intérêt de la pureté du christianisme, de la gloire de
Dieu et de l'honneur de Jésus-Christ, toutes choses
auxquelles, d'après eux, le culte que les catholiques
rendent à Marie porte sérieusement atteinte. N'en
croyez rien, mes frères, je vous en supplie. Ce rôle
menteur est bien souvent l'effet de la plus déplorable
ignorance du vrai esprit du christianisme, et plus sou-
vent encore n'est qu'un calcul de l'orgueil, un masque
de l'hypocrisie et de l'erreur. La dévotion à Marie est
54 HOMÉLIE VIII. — MARIE AU PIED DE LA CROIX,

dans l'esprit et dans la lettre de l'Évangile, et elle y


est parfaitement conforme. C'est l'Évangile qui nous
assure que Jésus-Christ, assis sur la chaire de la croix,
a ordonné, de la manière la plus claire, la plus pré-
cise et la plus formelle que Marie doit regarder Jean,
ou tous les disciples de Jésus-Christ ressemblant à
Jean et représentés par Jean, comme ses enfants; et
que ces disciples doivent, à leur tour, honorer et ai-
mer Marie comme leur mère. C'est la signification la
plus logique, la plus simple, la plus naturelle de ces
touchantes paroles du Seigneur : « Femme, voilà votre
fils; Disciple, voilà votre mère; » et elles ne peuvent
pas admettre d'autre signification.
Enfin, ce ne sont que les doctrinaires de toutes les
nuances de l'hérésie, ce ne sont que les maîtres de
toutes les sectes rebelles à l'Église, ce ne sont que les
philosophes protestants et les protestants philosophes,
ce ne sont que tous les incrédules, tous les ennemis de
toute religion qui font concert de blâmes, de censures
et de blasphèmes contre les démonstrations simples,
naïves, pieuses de l'amour des peuples catholiques
pour Marie. Or, à coup sûr que ces malheureux ne
sont pas de vrais disciples, des disciples bien-aimés de
Jésus-Christ. Il n'est donc pas étonnant qu'ils n'éprou-
vent rien de ces doux sentiments envers Marie que les
vrais disciples de Jésus-Christ éprouvent et doivent
éprouver, d'après la loi que Jésus-Christ en a faite et
publiée sur le Calvaire.
Ils ne sont donc pas à écouter, mais à plaindre, ces
censeurs, dans leurs emportements sacrilèges, dans
leurs plaisanteries de mauvais goût contre la piété ca-
OU LA MÈRE DE L EGLISE. 53

tholique à-l'égard de Marie! Ils croient y voir mieux


que les autres, et ils sont aveugles. Ils se croient maî-
tres, et il n'y a pas de petite femme sachant son caté-
chisme qui ne soit en état de leur donner des leçons
sur le véritable esprit de l'Evangile. Laissons-les donc
avec leur prétendue religion de l'esprit, et tenons-nous
à notre religion du cœur. Laissons-les avec leur reli-
gion du respect, et tenons-nous à notre religion de
l'amour. Laissons-les avec leur religion du Sinaï, et
tenons-nous-en à notre religion du Calvaire. Laissons-
les avec leur prétendue religion de la Bible et du rai-
sonnement, religion étrangère à toutes les douces émo-
tions de l'âme, à tous les sentiments délicats du cœur;
religion indifférente comme l'examen, froide comme
la raison, sombre comme le doute, dure comme l'er-
reur, vide comme le néant, déchirante comme le re-
mords, funeste comme le désespoir; religion, enfin,
qui ne leur laissera jamais comprendre tout ce qu'il y
a de délicieux pour le juste, de consolant pour le pé-
cheur, d'honorable pour le chrétien, de glorieux pour
l'homme d'avoir la Mère de Dieu pour sa mère; et en
répandant des larmes sur un tel aveuglement, sur une
telle misère de ces âmes égarées, continuons par la
ferveur de nos sentiments, par la fidélité et la cons-
tance de notre culte envers Marie, à goûter les dou-
ceurs, les délices, les charmes de la piété catholique,
qui est la vraie piété, puisqu'elle est la fleur de la vraie
re|igion.
56 HOMÉLIE VIII. — M A R I E AU PIED DE LA CROIX,

11. On n'est enfant de Marie qu'autant qu'on est vrai disciple de


Jésus-Christ, semblable à saint Jean par la pureté des mœurs et
le courage de la foi. Nécessité de ne pas séparer la dévotion à
Marie de l'imitation de ses vertus et de l'accomplissement de tous
les devoirs du chrétien.

Mais la doctrine que je viens d'expliquer donne lieu


à une autre conclusion encore ; c'est-à-dire que, comme
on n'est pas vrai disciple de Jésus-Christ si l'on n'est pas
enfant dévoué à Marie, de même on n'est pas vrai en-
fant de Marie si l'on n'est pas disciple bien-aimé de
Jésus-Christ. Car c'est en indiquant saint Jean que le
Seigneur a dit à Marie : « Femme, voilà votre Fils. » Et
par là il a déclaré que les vrais iils de Marie sont ceux
seulement qui ressemblent à Jean par la pureté de leurs
mœurs et par leur constante fidélité à Jésus-Christ.
Saint Jean d'abord était innocent, était vierge, était
pur, et, d'après les Pères, c'est le mérite de son inno-
cence, de sa pureté, de sa virginité qui lui valut, de la
part du Fils de Dieu, l'insigne honneur de recevoir en
dépôt le Tabernacle vivant de Dieu sur la terre, la plus
auguste Relique, le Trésor le plus précieux, sa propre
Mère; Mairem virginem virgini commendavit (Beda,
ex sancto Hieronymo et aliis).
C'est donc en vain que même le catholique redou-
blerait ses pratiques de dévotion envers Marie s'il n'ac-
compagne pas ces pratiques par l'observance de la
chasteté de son état, la plus belle des vertus de l'Évan-
gile, la fleur de la vie chrétienne, la première des lois
des vrais disciples de Jésus-Christ. Le catholique qui
sépare la dévotion de Marie de l'observance de la chas-
teté n'est pas un vrai disciple de Jésus-Christ; et, par
OU LA MÈRE DE L'ÉGLISE. 57

conséquent, il n'est pas non plus le chrétien que Marie


doit regarder comme son enfant. Le jeûne du samedi,
l'office de la Vierge, le chapelet, la médaille, le scapu-
laire sont d'excellentes choses lorsqu'elles marchent
ensemble avec l'accomplissement exact de tous nos
devoirs. Mais séparées de la pratique de ces devoirs,
elles peuvent bien nous exposer à de grandes méprises
et à de déplorables illusions ; mais elles ne pourront pas
nous sauver. Marie ne compte au nombre de ses fils
cadets que ceux dont la vie est conforme aux doctrines,
aux lois de son fils aîné, Jésus-Christ.
En second lieu, saint Jean porta jusqu'à l'héroïsme
sa fidélité envers son divin maître. Il ne se sauva pas,
comme ses collègues, lors de l'arrestation du Seigneur.
Il ne le quitta pas un seul instant, il ne le perdit jamais
de vue pendant sa passion. Et voyez avec quel courage,
debout auprès de la croix, il brave la cruauté des sol-
dats, la fureur des bourreaux de Jésus-Christ, et par-
tage ses douleurs, et s'honore, se glorifie de ses humi-
liations et de ses opprobres ! Heureux s'il pouvait aussi
partager sa mort, en donnant sa vie pour lui! Son
intrépidité et son dévouement, sa ferveur et sa piété
ne sont surpassés que par l'intrépidité, le dévouement,
la ferveur, la piété de Marie, dont cet heureux disciple
fait son modèle avant de l'avoir pour mère, et imite ses
exemples avant d'en posséder l'affection. Et c'est cette
sainte fierté de la croix, c'est cette constance et ce cou-
rage qui lui ont valu encore l'honneur d'être l'unique
apôtre témoin de la mort du Sauveur du monde, l'his-
torien, le dépositaire et l'exécuteur de ses dernières
volontés.
58 HOMÉLIE VIII. — M A R I E AU PIED DE LA CROIX,

C'est donc en vain aussi que même le catholique suit


en secret certaines pratiques de dévotion envers Marie
si en public il cache sa foi, et rougit d'appartenir à
Jésus-Christ et d'être chrétien. O malheureux hypo-
crites de l'incrédulité et du vice, mille fois plus lâches
et plus méprisables aux yeux de Dieu que les hypo-
crites de la foi, de la piété et de la Y e r t u ! C'est une
lâcheté, sans doute, que d'affecter dans les paroles une
foi qu'on n'a pas dans le cœur, d'emprunter à la sain-
teté les apparences d'une vertu qu'on désavoue, qu'on
dément par les plus honteuses actions! Mais c'est une
lâcheté encore plus grande que de se vanter d'excès
qu'on n'a pas commis, que de se montrer indifférent,
incrédule même, tandis qu'on croit au fond du cœur.
Afficher la vertu pour s'en honorer, c'est mal-, mais
afficher le vice pour plaire au monde, c'est encore pis :
c'est plus que de la lâcheté, c'est de l'apostasie, c'est
du sacrilège. Et quel sacrilège plus grand et plus hon-
teux que celui de ne pas avoir le courage de la foi, tan-
dis qu'on a le courage de la politique; que de rougir
d'être homme de l'Église, tandis qu'on ne rougit pas
d'être homme de secte, homme de coteries, homme de
partis; que de suivre de tristes maîtres en philosophie,
tandis qu'on ne veut pas de maître en religion; que
de confesser l'homme et de ne renier que Dieu?
Hélas! Jésus-Christ a dit qu'il rougira, à son tour,
devant son divin Père, de ces lâches chrétiens qui au-
ront rougi de lui devant le monde ; qu'il les désavouera,
les rejettera du nombre de ses disciples; et dès lors Ma-
rie aussi ne pourra pas les compter parmi ses enfants.
Comprenons donc bien, mes frères, l'esprit de la
OU LA. MÈRE DE L'ÉGLISE. 59
vraie dévotion envers Marie, d'après l'esprit de l'Évan-
gile, et ne séparons pas ce que Jésus-Christ a uni, le
respect et l'amour d'enfants envers Marie d'avec la
fidélité, la docilité, l'obéissance de vrais disciples en-
vers Jésus-Christ. Aimons et honorons Marie en en-
fants, car elle nous aime en mère, comme ses Benja-
jnins ou les enfants de sa douleur : Filios doloris mei
(Gènes., xxxv). Mais en lui rendant le culte de mère
qui lui est dû, d'après l'ordre formel de Jésus-Christ;
Ecce mater tua; soyons aussi dociles à ses inspirations.
Célébrons ses grandeurs; mais imitons aussi ses exem-
ples. Récitons ses louanges et ses prières; mais prati-
quons aussi ses vertus. Ayons confiance dans sa protec-
tion; mais soyons aussi fidèles et bien-aimés disciples
de son Fils. C'est à ces.conditions qu'elle voudra bien
nous regarder, nous aider, nous défendre, nous aimer
comme ses enfants ; et c'est aussi à ces conditions qu'ad-
mis dans le ciel et présentés par Jésus-Christ à cette
auguste mère, nous l'entendrons répétant à Marie :
« Femme, voilà votre fils ; Mulier, ecce filius tuus; » et
ppiis disant, à nous : « Voilà votre mère ; Ecce mater
tua; » et qu'en compagnie d'un tel père, Dieu, d'une
telle mère, Marie, d'un tel frère, Jésus-Christ, nous
serons heureux pour toute l'éternité. Ainsi soit-il.
60 HOMÉLIE Vill. — MARIE AU PÏED DE LA. CROIX,

APPENDIX

A L'HOMÉLIE PRÉCÉDENTE.

Les soins de Marie pour l'Église naissante.

On vient de voir que Jésus-Christ, ayant associé Marie à toutes


ses peines, ne l'a pas aussi associée à sa mort, et n'a pas permis
qu'elle mourût de la transûxion de son âme, comme il est mort du
crdcifiement de son corps. Mais savez-vous pourquoi? C'est qu'il
avait promis de ne pas laisser orpheline son Église ; Non relinquam
vos orphanos. Et par conséquent, dit l'Interprète, il a laissé sa Mère
lui survivant, afin qu'elle fût le centre d'union et de ralliement des
apôtres et des disciples qui formaient l'Église; afin qu'elle les con-
solât dans leur atfliction, les raffermît dans leur inconstance, leur
donnât des conseils dans leurs anxiétés, et les instruisît, les diri-
geât, les encourageât en tout, en vraie mère de l'Église ; Relicta fuit
a Chrïsto, ut lapsos aposlolos colligeret, afflictos solaretur, titu-
bantes solidaret, anxiis consuleret, eosque per omnia dirigcret,
instmcret, animaret (A Lapide, in Matth.).
En effet, c'est Marie, ajoute le même interprète, qui réunit dans
le Cénacle les apôtres que la peur des Juifs, après la capture du Sei-
gneur, avait dispersés. C'est elle qui, par l'espérance du pardon,
remonta l'esprit de Pierre, abattu par la pensée de son reniement.
Ce fut elle qui, parla foi dans la résurrection de leur divin maître,
rassura les apôtres, que sa mort avait complètement bouleversés;
Vnde ipsa aposlolos a Ckristo capto diffugientes collegit. Petrum,
ob negationem pusillanimem, spe veniae erexit- y discipulos, ob
mortem Christi turbatos, fide resurrectionis confirmavit (Ibid.).
C'est par la même raison qu'en remontant au ciel le Fils de Dieu
laissa Marie encore pendant douze ans sur cette terre; c'est-à-dire,
poursuit Cornélius à Lapide, afin que cette mère divine, en qualité
de vicaire de la tendresse de Jésus-Christ pour l'Église, fût le sou-
tien de l'Église, l'institutrice des apôtres et la consolatrice des fi-
dèles ; Hac de causa Christus matrem sibi superstitem esse voluit,
\it quasi sui v\caria columen esset Ecclesiœ, doctnx
y apostolorum,
consolatrix ftdelium (Ibid.).
ou LA MÈRE DE L'ÉGLISE 61
Et un autre interprète dit encore que le Fils de Dieu ressuscité,
en retournant à son divin Père, a laissé encore pour quelque temps
dans ce monde sa propre mère, comme la nourrice de l'Église en-
core enfant, encore an berceau, afin qu'elle l'alimentât de son
lait mystérieux, et réchauffât de son amour; Ut Ecclesiam lacta-
ret et foveret, matrem suam reliquit ei nutricem (Apud Corne-
Hum a Lapide).
Au fait, Marie, par l'efficacité de ses prières, par la sainteté de
ses exemples et par la solidité de sa doctrine, nourrit, de son vi-
vant, l'Église, l'épouse encore petite de son Fils, comme jadis elle
avait nourri de son lait virginal Jésus-Christ enfant, l'époux de
l'Église; Oratione, exemplo, doctrinafilii sut sponsam nutrivit,
qux jam virgineo lacté parvulum Ecclesiœ nutriverat sponsum
(Ibid.).
Oh! qu'ils sont donc à plaindre ceux qui s'étonnent, qui se scan-
dalisent de la tendresse de l'Église pour Marie ! Us ne savent donc
pas, ou ils ne veulent pas savoir que, dans l'absence corporelle de
Jésus-Christ, c'est Marie qui prit soin de l'Église, en véritable mère,
que c'est pour cela que les apôtres et les disciples lui obéissaient
comme à leur maîtresse, l'aimaient et l'honoraient comme leur
mère; et que le souvenir de ces bienfaits que Marie répandit sur
l'Église et de la reconnaissance de l'Église pour Marie est resté
toujours vivant dans l'Église ; Chrïsto corporalitcr absente, Maria
Ecclesix curant materna sedulitate suscepit. Proinde apostoli et
discipuli eam ut matrem et magistram obsequio et amore sunt
prosecuti (Ibid.).
C'est encore bien singulier qu'on ne tienne pas compte à Marie
des belles et touchantes révélations qu'elle fit à l'Église naissante
et que l'Église ne put apprendre que d'elle et par elle. En effet, saint
Joseph étant mort depuis longtemps et les vieux parents de saint
Jean-Baptiste aussi, Marie seule a pu instruire les évangélisles de
son mariage avec saint Joseph, des doutes de cet époux vierge qui
ont été une confirmation éclatante de la virginité de l'épouse ; du
discours de l'Ange au moment de l'annonciation ; de la conception
et de la naissance du Précurseur; de la visite que Marie fit à sainte
Elisabeth, des circonstances de la naissance du Sauveur, de l'adora-
tion des bergers et des mages, de sa circoncision, de sa présenlation
02 HOMÉLIE VÏIT. — MARIE ATI P1T.T) DE LA CROIX,
au temple, de sa fuite en Egypte, de la cruauté d'Hérode et de tou*
les délicieux mystères de la sainte enfance du Seigneur. C'est elle
qui nous a conservé, en les dictant aux écrivains sacrés, son propre
cantique, aussi bien que les cantiques de Zacharie et de Siméon,
ces trois pièces d'une poésie toute divine, si remplies de mystères, et
que l'Église répète tous les jours et qui font les délices de l'Église.
Ce n'est donc qu'à Marie qu'a fait particulièrement allusion l'é-
vangéliste saint Luc lorsqu'il a dit, au commencement de son évan-
gile, « que tout ce qu'il y a rapporté, il l'avait appris par les person-
« nés qui furent les premiers témoins et qui jouèrent le plus grand rôle
(i dans la vie du Sauveur; Sicut tradiderunt nobis qui ab initio
n ipsi viderunt et ministri fuerunt sermonis. » Enfin ce fut Marie
qui instruisit les historiens sacrés non-seulement des plus grands
mystères, mais encore du style dans lequel il les ont racontés. Ce
style des Ëvangélistes donc, si magnifique, si sublime dans sa naï-
veté, ce stjle reflet fidèle de l'auguste personnage qui fait le sujet
de l'Évangile, parce que ce style n'est que la sagesse divine dans la
simplicité de la lettre, comme Jésus-Christ était le Fils de Dieu dans
l'enveloppe de l'homme; ce style si délicieux, si au-dessus de tout
ce qui a été écrit par l'homme et par conséquent si manifestement
divin; ce style si rayonnant de vérité et si ravissant de douceur, ce
style, lumière de l'âme et en même temps baume céleste de toutes
les plaies du cœur; ce style, dis-je, n'a eu pour modèle que le lan-
gage de Marie, le dialecte de son esprit et de son cœur.
C'est là la pensée de saint Bernard lorsqu'il a dit que la concep-
tion miraculeuse du Précurseur ne fut, avant toute autre personne,
révélée à Marie qu'afin qu'elle pût ensuite mieux en instruire les
ëvangélistes et leur en attester la vérité. Car on savait que per-
sonne n'avait été mieux qu'elle instruite dès le commencement de
tous les mystères de l'Évangile et que personne ne connaissait mieux
qu'elle les secrets de Dieu; Ideo conceptus Joannis Mariée est an-
nuntiatus, ut ipsa melius postmodum scrtptoribus Evangelii re-
scraret veritatem, quœ plene de omnibus, a principio, fuerat
instructa mysteriis. Ipsa conscia secretorum Dei. C'est aussi la
pensée de saint Bonaventure, appelant Marie la M A Î T R E S S E DES MAÎ-
T R E S , ic docteur D E S É V A N G É U S T E S eux-mêmes; Magistra magisfio-
rum, magistra evangelistarum.
OU LA MÈRE DE L* É G L I S E . 63
Lucius Davier, dans sa Chronique, que saint Jérôme a traduite
<fu grec, affirme que Marie présidait toujours le collège apostolique,
et s'y faisait admirer par la sagesse de ses conseils et par les lumiè-
res de sa doctrine ; et que les Apôtres n'entreprenaient rien de grave
ijae sur les conseils et la direction de Marie ; Consilio et doctrinal
luce collegio prœsidet apostol'tco; nih'dquegrave faciunt illi quod
non ejus consilio ductuque gérant [Ad annum xxxv). Et c'est sur
lé témoignage de cet ancien écrivain que le docteur Sylveira a dit,
lui aussi, que Marie siégeait toujours au milieu des Apôtres, afin de
lés éclairer tous par sa présence et par sa parole; Sedebat in me-
dxo Apostolorum, ut sua prxsentia et suis verbis cunctos illumi-
naret.
L'abbé Rupert soutient que toutes les fois que les Apôtres eurent
besoin de quelques éclaircissements et de quelques témoignages en
confirmation des sens bibliques que le Saint-Esprit leur avait appris,
Ils ne reçurent ces éclaircissements et ces témoignages que des lè-
vres religieuses de Marie ; Apostoli quidquid supplementi vel testi-
moniiad confirmandos sensus quos a Spiritu sancto acceperant ex
religioso Mariée ore percepentnt.
Le même docteur et avec lui de Castro, Canisius et Cornélius à
Lapide, sont d'avis que la grande question des rites judaïques qu'on
voulait imposer aux convertis du paganisme, question au sujet de la-
quelle les Apôtres étaient divisés d'opinion, ne fut résolue que sur la
décision qu'en donna l'auguste Vierge, que tous regardaient comme
la maîtresse de l'Église; Beata Virgo quasi magistra omnem hanc
quœstionem solvit. Voilà donc ce que Marie a été, ce qu'elle a fait
à l'enfance de l'Église, et voilà ce qui lui a >alu^ de la part Je
l'Église, les titres glorieux de R E I N E D E S P A T R I A R C H E S , de R E I N E D E S
P R O P H È T E S et de REINE DES APOTRES.

Remarquons enfin que ce sont les Ëvangélistes qui nous ont appris
qu'à Bethléhem les maints rois ne retrouvèrent l'enfant .lésus qu'avec
Marie; Invenerunt puerum cum Maria matre ejus (Matth., nj ;
qu'au Calvaire Jésus-Christ n'accomplit notre salut qu'en présence
de sa mère, debuut au pied de la Croix; Stabat juxta crueem J e s i t
mater ejus ; qu'au Cénacle Je Saint-Esprit ne descend sur tas Apôtrrs
qu'autant qu'ils y sont réunis en prières avec Marie, la mère de, Jésus ;
Ibi omnes erant unanimiter persévérantes in oratione, cum MARIA
64 HOMÉLIE VIII. — MARIE AU PIED DE LA CROIX.

(Act. i ) . Voilà donc les trois plus grands mystères du


MATRE J E S C t

christianisme, la naissance et la manifestation de Jésus-Christ au


monde, sa mort précieuse et la descente du Saint-Esprit surl'Église,
ne s'accomplissant qu'en présence de Marie et avec son concours et
sa coopération. Or, qu'est-ce que tout cela, si ce n'est la leçon la
plus claire, pour tous les chrétiens, qu'il ne faut jamais séparer le
culte de Marie du culte de Jésus-Christ, puisque Jésus-Christ ne
s'est jamais séparé d'elle en accomplissant ses plus grands mystères?
C'est donc à l'école de l'Évangile que l'Église a appris à rendre à
Marie un culte tout particulier, le culte le plus honorable après celui
qn'elle rend à Jésus-Christ, à la vénérer, à l'aimer au-dessus de
tout, après Jésus-Christ ; à l'invoquer comme sa mère et sa média-
trice auprès de son fils ; après avoir, elle l'Église, invoqué Jésus-
Christ comme son médiateur auprès de son Père. O malheureux
chrétiens, qui, élevés à l'école de Calvin, l'ennemi personnel de
Jésus-Christ et de sa divine mère, trouvez de l'exagération et même
de la superstition dans cette conduite de la vraie Église envers
Marie, commencez donc par effacer de l'Évangile ces passages où la
coopération de Marie dans le grand mystère du salut du monde est
si clairement annoncée. Il ne vous reste d'autre moyen d'avoir raison.
Mais alors que devient votre prétendu respect pour la parole de
l'Évangile?
HOMÉLIE IX. — LE BONHEUR DES PETITS 65

NEUVIÈME HOMÉLIE

LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU DU


SEIGNEUR RESSUSCITÉ,

OU

LE BONHEUR DES PETITS.

(Matth,, XXVIII ; Marc, xvi ; Luc, xxiv; Joann., x i ) .

« Âbtcondisti hœc a sapientibut et prudentilus} et revelatii ea par-


vulit;
« Vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et ne les avez r é -
o vélées qu'aux petits (Matth., xi, 2 5 ) . n

INTRODUCTION,

1. Les selon l'Évangile; les révélations divines leur sont e x -


PETITS
clusivement réservées. Les saintes femmes au tombeau du Sei-
gneur preuve de cette vérité. Sujet et importance de cette h o -
mélie.

Ayant un jour appelé un petit enfant, et l'ayant


placé au milieu de ses disciples, le diviu Sauveur leur
dit : «En vérité, je vous l'assure, si vous ne changez
et ne devenez comme de petits enfants, vous n'en-
trerez pas dans le royaume des cieux : Et advocans
Jésusparvulum, siatuit eum in medio eorum.Et dixit :
*Amen dico vobis, nisi conversi fueritis, et efficia-
minisicut parvuli^ non intrabitis in regnum cœlorum
(Matth., xvin).
' Par ces graves et importantes paroles, nous savons
il. 5
66 HOMÉLIE IX. - L E S SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

donc bien, mes chers frères, que les PETITS DE L'EVAN-


GILE ne sont autres que ces âmes nobles et généreuses
qui deviennent par vertu ce que les enfants sont par
nature, humbles d'esprit et dociles de cœur; et que
ces petits sont les êtres heureux auxquels le Dieu
Père révèle les plus grands mystères, les plus hautes
vérités qu'il cache aux hommes, orgueilleux de leur
prudence et de leur sagesse : Abscondisti hœc a sapien-
tibtis et prudentibus, et revelasti ea parvulis.
Ne vous étonnez donc pas, mes frères, de ce que,
comme l'Évangile d'aujourd'hui vient de vous l'ap-
prendre, ce n'est qu'aux femmes qu'a été faite la pre-
mière révélation du grand mystère de Jésus-Christ
ressuscité ; et que ce sont les femmes qui en ont été
les premiers témoins, les premiers apôtres, les pre-
miers évangélistes.
Ce n'est certainement pas que la femme soit un être
plus noble que l'homme et qu'elle vaille mieux que
Thomme aux yeux de Dieu , mais c'est parce que les
femmejS de l'Évangile ont été, en général, plus hum-
bles, plus dociles, plus fidèles, plus généreuses que les
hommes de l'Évangile. Ayant donc mieux mérité, il
est bien naturel qu'elles aient été mieux récompen-
sées. Car ce n'est pas à la prééminence du rang, à la
supériorité du talent, à la noblesse du sexe, mais
c'est à l'humilité et à la docilité de l'esprit, c'est à la
pureté, à la simplicité et à la générosité du cœur que
Dieu aime à se révéler, à se communiquer, à se don-
ner-, ce sont là les vrais titres, les titres uniques qui
donnent droit à la singularité de ses dons, à l'abon-
dance de ses miséricordes, à la préférence de son
OU LE BONHEUR DES PETITS. ()7
amour, aux tendresses de sa bonté : Abscondisti hœc a
sapieniibus et prudentibus^ et revelasti ea parvulis.
C'est cette grande leçon, c'est ce délicieux mystère
<lu BOIVHEUK DES PETITS SELON L'EVANGILE qui ressortent
d'une manière touteparticulière de l'histoire des saintes
femmes au tombeau du Seigneur ressuscite ; et je suis
heureux, en vous expliquant aujourd'hui cette his-
toire, de vous entretenir du mystère de la résurrec-
tion sans sortir du sujet des femmes de V Évangile, que
j'ai choisi pour cette station.
Ah ! ces saintes et bienheureuses femmes sont elles-
mêmes une prédication vivante, un magnifique évan-
gile pour tout le monde. A leur école peuvent, mieux
qu'ailleurs,s'inslruirenon-seulement toutes les femmes,
maisaussi tous les hommes eux-mêmes. Ellesnous mon-
trent, mis en action, le vrai mérite de l'homme et ses
récompenses de la part de Dieu. Elles nous apprennent
la vraie science, la vraie sagesse, la science, la sagesse
chrétiennes ; en un mot, tout l'Evangile, renferme
dans un court et simple récit, mais plein de charmes
et de lumières, plein de grâces et de vérités! Oh!
les graves et en même temps les touchantes et conso-
lantes choses que j'ai à vous dire aujourd'hui! Hatons-
nous donc d'entrer en matière, après avoir félicité
Marie, la femme de V Evangile par excellence, de la
glorieuse résurrection de son fils : Regina cœli, te-
tare, etc.
68 HOMÉLIE I X . — LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

PREMIÈRE PARTIE.

LE BONHEUR DES SAINTES FEMMES VOYANT LES ANGES.


2. Dévouement de la femme au Seigneur pendant sa passion. La
femme de Pilate proclamant Jésus-Christ JUSTE. Courage des
femmes l'accompagnant au Calvaire et assistant à sa mort.

L ' U N des traits les plus édifiants de l'histoire évangé-


lique est certainement le récit de la conduite admirable
des femmes au temps de la passion et de la mort du
Sauveur.
Ce fut beau vraiment de voir alors Pilate, avant de
livrer Jésus-Christ à la mort, se laver les mains devant
le peuple, et dire à haute voix : « Je suis innocent
« du sang de CE JUSTE; c'est à vous d'en répondre :
« Accepta aqua lavit manus, coram populo dicens :
y

« Innocens ego sum a sanguine JUSTI HUJUS :


« vos videritis (Matth xxvn, 24.). » C'est ainsi que
tl

le Dieu, qui se joue de la volonté perverse des hommes,


qui la plie, à son gré, quand il veut et comme il veut,
et la fait servira ses desseins, se plut à ce que son Fils
fût, d'une manière si solennelle, déclaré juste et inno-
cent, au moment même où il allait mourir comme un
criminel. Mais rappelons-nous, mes frères, que ce fut
Claudia Procula (1) qui fit dire à Pilate, son époux,

(1) Dans la chronique de Lucius Dexter (an. 34), il est dit que la
femme de Pilate s'appelait Procula : Vxor Pilati Procula. Nicé-
phore (lib. 7, c. 30) l'appelle PROCULA. lui aussi, ainsi que le Méno-
loge des Grecs et l'Évangile de Nicodème, qui tout apocryphe qu'il
soit, ne renferme pas moins, comme le remarque Cornélius à Lapide,
bien des choses vraies et édifiantes : Quod licet apocryphum multa
tamen vera probaque continet [In xxyuMatth.).
OU LE BONHEUR DES PETITS. 69
en plein tribunal : « Ne vous mêlez pas de ce qui
touche à ce juste ; car j'ai été aujourd'hui étrange-
ment tourmentée en songe à cause de lui ; Sedente
autem illo pro tribunali, misit ad eum uxor ejus di- y

cens : aJViàil tibi et Jusio illi; multa enim passa su m


hodie per visum propter eum (ibid., -19). » Ainsi Pi-
late n'appelle Jésus-Christ LE JUSTE, Justi hujus,
qu'après que sa femme lui a fait savoir que Jésus-
Christ est le JUSTE PAR EXCELLENCE ; Justo illi.
Ainsi Pilate ne fait que répéter le même mot que sa
femme lui a mis sur les lèvres. Et ce magnifique et
éclatant témoignage que l'innocence du Messie reçoit
de la bouche du juge même qui le condamne, avant
d'être formulé par l'homme, était sorti des lèvres et du
cœur d'une femme, et a été inspiré par elle, suggéré par
elle (1). Ainsi c'est la femme qui, avant l'homme, re-
connaît la sainteté et la justice de Jésus-Christ et la
proclame. Ah! ne vous étonnez pas de cela, dit saint
Augustin. C'est la femme qui fait amende honorable
du mal qu'elle a causé à l'homme. Au commencement
du monde, c'est par la femme que l'homme a été
attiré à l'infidélité et à la mort; et pendant la passion
du Seigneur, c'est la femme qui rappelle l'homme à
la foi, au salut et à la vie (2).

(1) « Saint Hilaire, Origène, saint Ambroise, saint Augustin, saint


ChrysostÔme, Eulhymius, Théophylacte et bien d'autres pensent que
ce fut le Saint-Esprit qui fit connaître en vision à la femme de
Pilate que Jésus-Christ était juste et saint, et qu'il était le Messie.
Ainsi, c'est à une femme qu'a été faite la première révélation du
mystère de Jésus-Christ parmi les Gentils.
(2) « In nativitate mundi, uxor ducit virum ad mortemj in pas
70 HOMÉLIE IX. — LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU.

Et remarquez bien, nous dit saint Chrysostôme,


que cette femme, aussi intelligente qu'elle est zélée,
ne communique pas en secret, à son époux, la révé-
lation qu'elle vient de recevoir. Elle la lui apprend en
public, par un message qu'elle lui adresse pendant que
Pilate siégeait sur son tribunal, entouré des princes
du sacerdoce, des scribes, des pharisiens et du peuple,
afin que tout le monde en eût connaissance ; et par là
cette femme confesse, évangélise devant tout le monde,
prêche à tout le monde que Jésus-Christ est le Juste,
le Messie, le Sauveur du monde (1).
Mais ce n'est pas le seul témoignage glorieux que le
Sauveur ait reçu par des femmes au temps de ses plus
grands opprobres. Les disciples, à une seule exception
près, comme un troupeau auquel on vient d'enlever le
berger, s'étaient débandés et avaient abandonné leur
divin et aimable Maître aux mains de ses cruels enne-
mis. Personne, parmi tant d'hommes qui avaient été
rassasiés, guéris, convertis par lui, n'ose se déclarer

« sione Christi, uxor provocat ad saïutem (Serm. 121, de Temp.). »


(1) Il parait, dit Cornélius àLapide, que Claudia Procula était une
femme honnête, pieuse et charitable, et que c'est en récompense de
ses vertus qu'elle connut, par une révélation immédiate de Dieu, que
Jésus-Christ était le Messie. Ce qui est certain c'ettque cette fennue
fortunée a cru en Jésus-Christ, s'est faite chrétienne, et a été sau-
vée. Car Lucius Dexter le dit expressément en ces termes : Pro-
cula, uxor Pilati, admonita per somnum, in Christum crédit et
salutem consegvitur. LeMénologe des Grecs l'énumère dans le cata-
logue des SAINTS ; et le grand interprète que nous venons de citer, Cor-
nélius à Lapide, pense qu'il est très-probable que Claudia, la femme
chrétienne dont parle saint Paul dans sa seconde lettre à Timothéc,
n'est pas autre que Claudia Procula, la femme de Pilate.
OU LE BONHEUR DES PETITS. t 71

pour lui. Pierre lui-même, qui avait juré de mourir en


sa compagnie, au moment du danger le renie lâche-
ment, et jure, au contraire, de ne pas le reconnaître
et de n'avoir rien de commun avec lui. Or, par une
admirable inversion de Tordre naturel, dit Euthymius,
pendant que les hommes tremblent, fuient et se dis-
persent, il n'y a que les femmes qui montrent du cou-
rage; pendant cette apostasie générale des hommes
vis-à-vis de Jésus-Christ, il n'y a que les femmes qui
se montrent envers lui constantes et fidèles (1).
On mène Jésus-Christ à la mort, comme le plus
grand criminel. Jamais homme n'avait paru en un état
de plus grande faiblesse, de plus grande humiliation,
aux yeux des hommes. Ecrasé sous le poids de sa
croix, il marchait en marquant de chutes et de sang-
le chemin du Calvaire, tandis que ses bourreaux le
poussent, le frappent, l'entraînent, le foulent aux
pieds, comme le plus abject des êtres et que le peuple
se moque de lui, le blasphème et parait jouir de ses
peines et insulter à sa douleur. Or, il n'y eut que les
femmes, ses disciples, qui, — en prévenant la con-
stance et la générosité des martyrs, et condamnant
d'avance la lâcheté de ces chrétiens qui, même à pré-
sent , paraissent rougir de lui, e t , pour plaire au
monde, le renient aux yeux du monde, — osèrent par-
tager les ignominies de sa croix, et qui le suivirent
les larmes aux yeux et les lamentations sur les lè-
Yres : Et mulieres plangebant et lamentabantur eum

( l ) « Vide ordinem conversum ; discipuli siquidem fugerunt; dis-


« cipulae assistentes permanenant (Expos.). »
72 HOMfiLlE I X . — LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

(Luc., XXHI, 27). Il n'y eut que les femmes qui lui
témoignèrent leur foi, leur respect et leur dévoue-
ment, et confessèrent en public le Seigneur pendant
qu'il était l'objet de la haine et du mépris de tout le
monde. Ah! elles ne«e laissent effrayer ni par l'ani-
mosité des prêtres, ni par la fureur du peuple, ni par
le pouvoir des juges, ni par la licence des soldats.
Elles paraissent même provoquer, par leurs pleurs, la
rage aveugle, la vengeance cruelle des ennemis de
Jésus-Christ*, et, par le spectacle de leur douleur, elles
paraissent prononcer une condamnation publique con-
tre Tinjustice et la barbarie avec lesquelles on traitait
Jésus-Christ, leur Maître. Rien, remarque un inter-
prète, ne peut les éloigner de lui ni les décider à l'a-
bandonner. Depuis le Prétoire jusqu'au Calvaire, elles
ne l'ont pas un seul instant perdu de vue- elles l'ont
suivi, désolées et pleurantes; et, enfin, elles vont assis-
ter à sa mort, heureuses d'admirer ses derniers exem-
ples, d'entendre ses dernières paroles, de méditer ses
derniers mystères, de recueillir son dernier soupir;
prêtes à tout souffrir pour lui, et, s'il le faut, à mourir
aussi pour lui (1).
Voyez-les, en effet : c'est Marie-Madeleine, c'est
Marie Salomé, c'est Marie, femme de Cléophas et mère
de Jacques, ce sont toutes les autres saintes femmes
que le Seigneur avait guéries, converties, attirées à sa
suite, qui, en suivant l'exemple et se groupant autour
de l'auguste Vierge, mère du Sauveur, s'établirent

(I) « Nec ab eo intuendo, meditando et admirando Judœorum


« melu et minis avelli potuerunt (A Lap., in Matih.). »
OU LE BONHEUR DES PETITS. 73

intrépidement sur la fière montagne, près de la croix,


autant que l'insolence des soldats le leur permettait,
les yeux fixés sur Jésus-Christ crucifié : Erant auiem
ibimulieres multœ a longe aspicientes (Marc, xv); et
qui, comme d'après le texte grec, le remarque Corné-
lius à Lapide, s'occupèrent à contempler, avec un sen-
timent de compassion mêlé au chagrin, avec un senti-
ment de tendresse mêlé à la religion, cette scène de
miséricorde, de douceur et de paix de la part de Jésus-
Christ, et de rage infernale et d'une cruauté inouïe de
la part de ses bourreaux. On le hait, elles le chérissent ;
on l'insulte, elles l'honorent ; on le maudit, elles le bé-
nissent ; on le blasphème, elles l'adorent.
Saint Luc(xxiv,10)inomme, comme étant du nombre
de ces femmes héroïques et sublimes, Jeanne, femme
de Chusa, l'intendant de la maison d'Hérode, ce mons-
tre de libertinage et de cruauté, chez lequel le divin
Sauveur venait d'être méprisé par foute la cour, et
renvoyé revêtu de la robe blanche, qui était le signe
distinctif des fous. Voici donc la femme de celui qui
venait, lui aussi, d'insulter le Seigneur comme fou l'a-
dorant comme la sagesse même de Dieu; ainsi que
Procula, la femme de celui qui fit crucifier Jésus-Christ
comme un criminel, l'avait publiquement déclaré
innocent.
3. Le corps du Seigneur incorruptible, même après la mort. Pieuse
intention des saintes femrnes de parfumer encore ce corps divin.
Pourquoi la sainte Vierge ne s'est pas associée à elles dans la vi-
site du tombeau.

On descend de la croix le corps sacré du Seigneur ;


Joseph d'Arimathie, l'enveloppant d'un linceul, va
74 HOMÉLIE IX. — LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

le déposer dans un tombeau nouveau. Et les saintes


femmes, que font-elles? Oh! elles ne savent pas quit-
ter un instant cet objet saint et chéri -, elles veulent se
trouver près de lui jusqu'au dernier instant. Elles sui-
vent Joseph jusqu'au sépulcre ; elles veulent tout voir,
tout observer, comment le corps du Sauveur y est mis ;
elles veulent s'assurer que rien ne manque à l'honneur
et à la dignité de l'auguste corps de leur Seigneur : Suù-
secutee autem mulieres viderunt monumentum, et quem-
admodum positum erat corpus ejus (Luc, XXIH, 5o) \
afin, dit Bède, de pouvoir, plus tard, aller honorer
encore ce divin corps et lui offrir les derniers }iom-
mages de leur religion (1).
Car ces âmes si pures, si pieuses et si dévouées à
Jésus-Christ ne pensaient qu'à lui, ne s'occupaient que
de lui, même mort, comme elles l'avaient nourri de
leurs fortunes et suivi partout lorsqu'il vivait. En ren-
trant donc chez elles, elles n'eurent d'autre pensée
que d'acheter et de préparer des aromates, des par-
fums, pour revenir embaumer encore le divin corps du
Seigneur, ne leur paraissant pas l'avoir été assez • Et
revertentes emerunt et paraverunt unguenta et aro-
mata, ut venientes ungerent Jesum {Luc, xxin, S6;
Marc, xvi, 1).
Lorsque nous mourons, la corruption de notre corps
commence dès l'instant même que l'âme s'en sépare ;
dès cet instant il devient cadavre, du latin cadaver,
c'est-à-dire, selon l'étymologie de ce mot, il devient

evo
(I) « Ut scilicet, congruo tempore, possent ei munus suœ 4 ~
« tionis offerre [Cat.) »
OU LE BONHEUR DES PETITS. 75
de la chair donnée en pâture aux vers (CAuo DATA
VERWBUS). Mais il n'en a pas été de même du corps
de Jésus-Christ. Séparé de son âme bénie, — car sa
mort fut une mort réelle, fut une véritable mort, — ce
corps immaculé, étranger au péché, n'en demeura pas
moins, ainsi que l'âme, intimement uni à la personne
divine du Verbe, comme, lorsqu'on tire l'épée du four-
reau, le fourreau et l'épée, momentanément séparés
l'un de l'autre, n'en restent pas moins inhérents à la
même personne, le fourreau au coté gauche, l'épée à
la main droite de celui qui l'a dégainée. Pourtant, hy-
postatiquement uni à la divinité, qui est essentielle-
ment la vie, le corps du Seigneur, le SAINT DE DIEU
par excellence, ne fut pas même un seul instant à
l'état de cadavre, n'éprouva pas, ne pouvait pas éprou-
ver, selon la prophétie, la corruption de la mort : Nec
dabis SANCTUM TUUM videre corruptionem (Psal. xv). Il
n'avait donc pas besoin d'onguents et d'aromes pour
se conserver incorruptible et intact.
Mais cette belle doctrine, résultant nécessairement
du mystère de l'Incarnation, n'était pas encore claire et
distincte dansl'esprit des saintes femmes. Elles croyaient
bien que le corps de leur Maître bien-aimé avait quel-
que chose de divin, puisqu'elles se proposèrent do
l'honorer avec un culte religieux. Mais cette croyance
était bien confuse et imparfaite, au point qu'elle leur
laissait à penser qu'en redoublant les embaumements
fiUF ce corps saint on l'aurait mieux conservé, et pour
plus longtemps, dans son intégrité et dans sa beauté.
C'est dans cette pensée que, en revenant du tom-
beau où elles avaient vu renfermer le corps du Sei-
76 HOMÉLIE IX. — LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

gneur, les saintes femmes allèrent acheter des baumes


odoriférants, et les tinrent prêts pour le moment où il
leur aurait été permis d'en parfumer ce corps divin.
Elles savaient que Nicodème avait employé cent livres
des arômes les plus précieux pour embaumer cette
chair sacrée (Joan., xix) avant de l'envelopper dans le
linceul neuf, dans les linges délicats que Joseph d'Ari-
mathie avait apportés. Mais ce qui était plus que suffi-
sant pour le besoin supposé d'éloigner la corruption
de ce dépôt chéri ne Tétait pas pour satisfaire la piété
de leur cœur. Elles voulaient avoir leur part aux hon-
neurs qu'on venait de rendre au corps de leur saint
Maître, et lui donner cette dernière preuve de leur
dévouement et de leur religion.
Il ne faut pas s'étonner que la sainte Vierge ne se
soit pas trouvée dans cette pieuse compagnie, allant
vénérer le corps de son fils. D'abord, ayant seule con-
servé, dans toute sa perfection, la foi de la résurrec-
tion de Jésus-Christ, la foi de l'Église, afin que cette
foi parfaite ne manquât pas tout à fait dans l'Église,
l'auguste Marie savait bien que le corps divin du Sau-
veur n'avait pas besoin d'onguents et de parfums, puis-
qu'il allait ressusciter. En effet, pendant que les saintes
femmes allaient au tombeau, vers le point du jour, le
Seigneur avait repris sa vie glorieuse, et, d'après l'o-
pinion des Pères (1), il avait déjà apparu à sa sainte
mère. Avant de se montrer aux autres après sa résur-
rection, il devait bien sa première visite à cette âme
sublime qui avait cru, qui avait espéré, qui avait aimé,

(j) S. Ambrosius, de Virginitat,


OU LE BONHEUR DES PETITS 77
qui avait souffert plus que tous les autres; à ce(te mère
chérie que Jésus-Christ aimait au-dessus de tous les
autres. Car jamais fils n'aima sa mère autant que Jésus-
Christ aima Marie, comme jamais mère n'aima son fils
autant que Marie aima Jésus-Christ.

4. La Madeleine allant au tombeau. Les prodiges qui avaient ac-


compagné la résurrection du Seigneur. L'attitude de l'ange, con~
solante pour les justes, effrayante pour les méchants.

Le jour suivant étant le jour solennel du Sabbat,


où toute oeuvre corporelle était interdite, les saintes
femmes se tinrent tranquilles par respect pour la loi :
Et Sabbaio quidem siluerunt secundum mandatum
(Luc., ibid.). Mais le premier jour férié du Sabbat ( 1 \
elles ne purent résister au pieux désir qui les attirait
au saint tombeau où elles avaient laissé leur cœur.
Il parait cependant que Madeleine, plus impatiente
que les autres, parce qu'elle aimait plus que les autres,
ne voulut pas attendre ses compagnes ; et dès le matin,
avant que les ténèbres de la nuit fussent dissipées,
elle se rend au sépulcre : Vna auiem Sabbati, Maria

(l) Les Juifs commençaient à compter les jours de la semaine du


Jour du sabbat, qui était leur jour de fête; et ils disaient la pre-
mière, là seconde, Ja troisième, etc., férié du sabbat, pour dire /e
premier, le second, le troisième jour de la semaine. En souvenir du
grand mystère de la résurrection du Seigneur, qui s'est accompli le
premier jour après le sabbat, ce premier jour est appelé parmi les
chrétiens le jour dominical (le dimanche), ou le jour du Seigneur;
et, par institution des apôtres, c'est le jour de fête des chrétiens.
Aussi c'est de ce jour que nous encore commençons à compter les
jours de la semaine et que notre semaine commence.
78 HOMÉLIE IX. — LES SAINTES FEMMES AC TOMBEAU,

Magdahne venit mane, cum adhuc tenebrœ essent, ad


monumentum (Joan., xx, 4). Mais quelle lie fut pas sa
surprise et sa douleur en voyant qu'on avait ôté la
pierre du tombeau, et que le corps du divin Maître n'y
était plus! C'est que, ainsi que nous le rapporte un
autre Évangéliste, au moment même où notre divin
Sauveur ressuscité, en vertu de cette propriété de tout
corps glorifié de pouvoir traverser les plus épaisses
murailles sans les fendre, s'était lancé triomphant
hors du sépulcre sans en briser les portes, comme il
avait en naissant, dit saint Augustin, franchi le sein de
sa divine mère sans en altérer la virginité (1), un
grand tremblement de terre se fit, et l'ange du Sei-
gneur, descendu du ciel, s'approchant du tombeau,
en avait, d'un coup de pied, fait sauter et en avait
lancé à une grande distance la grosse pierre qui le fer-
mait et s'était assis sur cette pierre : Et ecce teirœ
motus factus est magnus. Angélus enim Dominx des-
cendit de cœlo, et accedens revohit lapidem ; et sedebat
super eum (Matth^ xxvui, 2), paraissant dire, d'après
saint Jérôme, d'un air de dédain à la mort : O mort, où
donc est ta victoire (2)?
Le vêtement de cet ange, poursuit rÉvangéliste, était
de la blancheur éclatante de la neige, son visage plus
redoutable et plus menaçant que la foudre : Erat autem
aspectus ejus sicut fulgur y et vestimentum ejus sicut
nixilbid.^ v. 3). Imaginez donc, mes frères, lasur-

(1 ) « Sicut ex intactis matris visceîibus, salvavirginitateprocessît. »


(2) « Revolvit lapidem, quasi dicens : Ubl est> m o r s , Victoria tua
( m Matth. xxxvm)? »
OU LE BONHEUR DES PETITS. 79

prise, l'effroi, l'horreur des soldats, gardiens du tom-


beau, en voyant en même temps de si grands phénomè-
nes et autant de prodiges : la terre qui tremble, la pierre
qui saute, le sépulcre qui s'écroule, la lumière qui les
éblouit, l'ange qui les darde de ses yeux. L'Évangile dit
que, saisis de frayeur, ils devinrent comme morts :
Prœ timoré autem ejiis exterriti sunt custodes et facti
suntvelut mortui (Ibid.,y .4); et que, aussitôt qu'ils re-
vinrent de l'épouvante qui les avait frappés, s'enfuyant
à toutes jambes vers la ville, ils allèrent annoncer aux
princes des prêtres tout ce qui s'était passé : Quidam
de custodibus vénérant in civitatem, et nuntiaverunt
principibus sacerdotum omnia quœ facta fuerant (Ibid.,
v, 11). C'est pour cela que Madeleine trouve le tom-
beau ouvert, vide, et abandonné.
Oh! que ce récit est beau, est magnifique dans sa
simplicité! Chaque circonstance a ici un sens profond ;
chaque mot est un mystère. Les Pères de l'Église nous
aideront à connaître ces sens, à pénétrer ces mys-
tères.
Il est dit que l'ange est apparu assis sur la pierre du
tombeau. Oh! que cette circonstance est importante!
Cet esprit céleste, dit Sévérien, qui, n'étant pas capable
de lassitude, est cependant assis sur la pierre du tom-
beau comme le premier précepteur du mystère de la
résurrection, comme le premier docteur de la foi, nous
annonce, dés ce moment, la stabilité du dogme chré-
tien, l'une des plus grandes garanties de sa vérité pour
ceux qui croient; et nous apprend que les fondements
de cette foi, sur lesquels Jésus-Christ va édifier son
Eglise, sont, dés ce moment, assis sur une pierre que
80 HOMÉLIE IX. — LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

rien ne pourra jamais ébranler, et qui ne changera, ne


bougera jamais (1).
Il est dit encore que la figure de l'ange était mena-
çante, paraissant tout foudroyer autour de lui, tandis
que son vêtement était blanc comme la neige : Erat
autem aspecius ejus sicut fuïgur, nestimentum autem
ejus sicut nix. Or, par le mot « la foudre, » dit saint
Grégoire, l'Évangéliste a voulu indiquer le frissonne-
ment de la peur-, par le mot « la neige, » la joie cares-
sante que la blancheur inspire. C'est donc à juste raison
que l'ange témoin, l'ange évangéliste de la résurrection
du Seigneur, apparaît terrible par son regard et at-
trayant par ses vêtements, afin que dans cet ange, qui
aujourd'hui terrifie les réprouvés et caresse les âmes
pieuses, nous sachions qu'un jour le Dieu tout-puissant
se montrera aussi doux et aimable pour les justes qu'il
sera redoutable pour les pécheurs (2).
Les soldats étaient là, non, comme y étaient les
saintes femmes, pour honorer le Seigneur par les
hommages de leur piété, mais comme des ennemis
animés d'un sentiment de malveillance et de cruauté.

(1) « Sedebat, cui nulla inhœret lassitudo, ut fidei doctor, ut


« resurrectionis magister, sedebat supra petram ut soliditas sedentis
« daret credentibus firmitatem. Ponebat angélus super petram fun-
« damenta fidei, super quam Christus erat Ecclesiam œdificaturus
« (In Cat. in Mattk.). »
(2) « In fulgure terror timoris est, in nive blandimentum candoris.
« Quia vero omnipotens Deus est terribilis peccatoribus et blandus
« justis, recte testis resurrectionis angélus et in fulgure vultus et in
« candore habitus demonstratur, ut de ipsa sua specie et teneret
« reprobos et mulceret pios (Homel, 21, rô Evang.). »
OU LE BONHEUR DES PETITS. 81

H n est donc pas étonnant que le même ange, le même


ministre de Dieu, qui vient de foudroyer et de terrifier
les soldats, ait, comme on va le voir, encouragé et con-
solé les femmes, ne leur parlant que le langage de la
confiance et de la douceur (1).
C'est encore bien avec raison, ajoute le savant Rabba-
nus, que l'Évangéliste nous dit que les gardiens du tom-
beau restèrent cloués là comme des hommes morts. Ils
étaient vraiment morts par rapport à l'esprit bien plus
que par rapport au corps, puisqu'ils n'avaient pas voulu
croire le dogme vivifiant de la résurrection du Sei-
gneur (2).
Enfin, la circonstance même du renversement de la
pierre renferme un mystère. L'ancienne loi avait été
écrite sur la pierre. La pierre renversée et le tombeau
ouvert aujourd'hui signifient donc, d'après le vénérable
Bède, que l'ancienne loi est abolie, et que les grands
mystères de la vie et de la mort du Seigneur, qui
jusqu'ici étaient demeurés enveloppés sous le voile des
figures et des rites de la loi mosaïque, deviennent, dès
ce jour, clairs, manifestes et accessibles à tout le
monde (3)
N'ayant donc pas aperçu le corps du divin maître,
Madeleine revient à la hâte sur ses pas, et va tout droit

(1) « Custodiebant enim crudelitatis studio, non pietatis obsequio.


« Hlnc angélus percellit impios, alloquitur pios (Severian.). «
( 2 ) « Facti sunt velut mortui; quia resurrectionis veritatem cre-
« dere noluerunt. *
(3) « Revolutio lapidis reserationem insinuât sacramentorum
« Christi, quœ velamine litterse legis tenebantur. Lex enim lapide
* scripta est, »
II, G
82 HOMÉLIE IX. — LES SAINTgS FEMMES AU TOMBEAU,

trouver Pierre, comme chef de l'Eglise, et Jean, le


disciple hien-aimé du Seigneur, et leur dit d'un air
consterné et effaré : « Les scélérats! ils ont même en-
levé le Seigneur du sépulcre, et nous ne savons pas où
ils l'ont mis : Vidit lapidem sublatum a monumento.
Cucurrit ergo, et venit ad Simonem Petrum et ad
alium discipulum que m amabat Jésus, et dicit illis :
Tulerunt Dominum de monumento, et nescimus ubi
posuerunt eum (Joan,, xx, 1 et 2). »
5. Les autres saintes femmes allant au tombeau du Seigneur. Vi-
sion de l'ange et explication des circonstances de cette apparition.
Son discours aux femmes.

En attendant, les autres saintes femmes, à la pre-


mière lueur du jour, avaient, elles aussi, à leur tour, pris
le chemin du tombeau sacré, lorsqu'une pensée parut
les arrêter. « Nous n'avons pas réfléchi, se disent-elles,
que le monument est fermé par une énorme pierre ;
qui trouverons-nous donc pour nous aider à ôter cette
pierre de l'entrée du sépulcre? Valde mane una sabba-
torum veniunt ad monumentum, et dicebant ad invi-
cem : Quis revolvet nobis lapidem ab ostio monumentif
Erat quippe magnus valde (Marc, xvi, 2, 3, i). » Mais
elles n'avaient pas fini de se faire cette question qu'en
regardant de loin, le soleil étant déjà levé, elles s'aper-
çurent aussi que la pierre avait été enlevée du tombeau,
et que l'entrée en était ouverte à tout le monde : Orto
jam sole, et respicientes in monumentum viderunt re-
voluium lapidem (Ibid., 2 et 4).
Elles y entrent donc avec un sentiment de religieux
respect et de recueillement profond. Mais elles n'ont
fait qu'un pas dans le monument que les voilà reculant
OU LE BONHEUR DES PETITS. 83

pleines de surprise et de frayeur. Car, au lieu du corps


•sacré du Seigneur qu'elles cherchaient, elles ne virent
qu'un ange assis à la droite, vêtu d'une robe blanche
resplendissante et rayonnant de lumière et de beauté :
fit introeuntes in monumentum, non invenerunt corpus
Domini Jesu. Viderunt juvenem sedentem in dextris,
caopertum siola candida, et obstupuerunt (Marc, v. 5;
Luc,xxi\, 3). C'était l'ange gardien du tombeau, tem-
ple véritable, tabernacle auguste, ciboire saint consacré
par la présence réelle du corps du Seigneur, uni à sa
divinité. Ainsi, il n'y a pas de doute, dit Cornélius à La-
pide, que plusieurs anges soient restés là, à la garde du
sépulcre, et que, pendant les trois jours que le corps
du Seigneur y est demeuré, ils y aient adoré ce corps
sacré, qui, tout séparé qu'il était de l'âme, n'en était
pas moins uni hypostatiquement à la divinité (In
Matth.).
Mais les autres circonstances de cette apparition de
l'ange que l'Evangéliste enregistre avec tant de soin,
ont, elles aussi, de mystérieuses significations.
Il est dit que cet ange était assis à la droite du tom-
beau; et savez-vous pourquoi? parce que la droite c'est
la vie éternelle, comme la gauche c'est la vie.du temps.
Puisque donc notre divin Rédempteur allait, par sa
.résurrection, changer sa vie mortelle pour la vie im-
mortelle, il était très-raisonnable, dit saint Grégoire,
que l'ange évangéliste de ce grand mystère apparût
tassis à la droite (1).
• —
(t) « Qilid per sinistram, nisi vita praesens? quid per dexteram,
« nisi vita perpétua designatur? Quia igitur Redemptor noster jam
84 HOMÉLIE IX. — LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

Il est dit encore que cet ange était revêtu d'une


robe resplendissante : In veste splendenii. C'est que
cette robe, dit Sévérien, n'éclatait pas par des couleurs
terrestres, mais par une lumière céleste dont un jour
éclateront les corps des justes; le prophète ayant dit :
« Il sera habillé de lumière comme d'un vêtement ( I ) . »
Enfin, l'ange n'apparaît pas avec la figure d'un vieil-
lard ou celle d'un enfant, mais avec la figure d'un jeune
homme au plus beau de l'âge, pour nous indiquer, dit le
même Père, que la résurrection ne connaît ni la fai-
blesse de l'enfance ni la caducité de la vieillesse (2). C'est
pour cela qu'il est dit aux justes dans les Livres saints :
Comme l'aigle, vous aussi, vous verrez votre jeunesse
renouvelée : Renovabitur velut aquila juventus tua. Et
saint Jérôme dit aussi que cet ange, apparaissant sous la
figure d'un jeune homme, est un sujet de consolation
pour les justes qui craignent la mort, parce qu'il leur
rappelle la beauté de la vie à laquelle ils doivent s'at-
tendre au jour de leur résurrection (3).
Mais poursuivons cette délicieuse narration. A la vue
de cet ange, les saintes femmes, consternées et trem-
blantes, abaissèrent leurs yeux par modestie mêlée au
respect, et semblèrent vouloir se retirer : Dura mente

« praesentis vitae eorruptionem transierat, recte angélus, qui nun-


« liare perennem ejus vitam venerat, in dextra sedebat. »
(1) « In veste fulgenti ccelesti luce, non colore terreno,-dicente
« propheta : Amie tus tontine sicut vestimento. »
(2) « Non senem, non infantem, sed jucundam vident aetatem, quia
o nescit resurrectio senectutem. »
(3) « Hic juvenis formam resurrectionis timentibus mortem os-
« tendil. »
OU LE BONHEUR DES PETITS. 85
consternais essent de isio, cum timerent et declinarent
vultum in ierram (Luc, 4 et 5) (1). Mais le héraut du
ciel les arrête et les rassure, car du ton de la plus
grande familiarité et de la plus grande douceur, il leur
parle ainsi : « N'ayez pas peur, vous dont je connais
les pures et saintes intentions qui vous amènent ici :
Respondens autem Angélus dixit illis : Nolite timere,
vos (Mattk., xxwn, S). Vous êtes venues chercher Jésus
le Nazaréen, qui a été crucifié, n'est-ce pas? Mais que
vous êtes simples de vouloir trouver Celui qui vit parmi
les morts! je vous dis qu'il n'est plus ici (2) ; il est res-
suscité, ainsi qu'il vous l'avait prédit lorsque vous étiez
encore en Galilée. Ne. vous avait-il pas dit qu'il fallait

(1) D'après le vénérable Bède, nous devons croire que les anges
assistent d'une manière toute particulière à la consécration du m y s -
tère du corps du Seigneur, à la Messe, comme ils environnaient jadis
ce même corps divin déposé au tombeau. Nous aussi, lorsque nous
nous disposons à célébrer les mystères célestes, nous devons donc,
à l'exemple de ces femmes de VËvangile, abaisser le front avec la
plus grande humilité, en nous rappelant que nous ne sommes que
terre et poussière ; et cela non-seulement à cause de la profonde
révérence qui est due à l'oblation sacrée du corps du Seigneur, mais
à cause des anges qui y sont présents. Quomodo^ posito in sepulcro
Corpore Vomini, Angeli astiterunt, ita etiam, tempore consecra-
tionis mysterii Corporis Christi, assistere sunt credendi. Nos ergo,
exemplo devotarum mulierum, quoties mysteriis cœlestibus appro-
pinquamus, tum propter angelicam prxsentiam, tum propter reve-
rentiam sacras oblationisf cum omni humilitate vultum in terrant
declinare debemus nos cinerem et terram esse
t recolentes.
(2) Il n'est pas ici, dit saint Grégoire, par la présence de son
corps, quoiqu'il soit partout par la présence de sa majesté divine.
Aon est hic per prœsentiam carnis qui tamen nusquam deest per
t

prxsentiam majestatis.
86 HOMÉLIE I X . — L E S SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

que le Fils de l'Homme lût livré entre les mains


d'hommes pécheurs, et qu'il fût crucifié et qu'il ressus-
citât le troisième jour? Vous devriez bien vous ressou-
venir de tout cela. » C'est vrai, répondirent les saintes
femmes; et nous nous souvenons bien de ces paroles
du Seigneur. Eh bien, reprit l'ange, il vient de tenir
sa parole, il vient d'accomplir sa promesse : Scio enim
quia Jesum Nazarenum, qui crucifixvs est, quœritis.
Quid quœritis viventem cùm mortuis? Non est hic, sed
surrexit, sicut dixit. Recordamini qualiter locuius est
vobis, cum adhuc in Galilœa esset, dicens : Quiaoportet
Filium hominis tradiin manibus hominum peccatorum,
et crucifigiy et die tertia resurgere. Et recordatce sunt
verborum ejus (Matth^ 6 ; Luc., 6, 7 et 8). Ne craignez
donc rien, poursuit l'ange; approchez et venez voir le
lieu où le Seigneur a été déposé; et puis hâtez-vous
d'aller dire à ses disciples, et particulièrement à Pierre,
qu'il est ressuscité. Voilà qu'il va vous précéder en
Galilée (1). Vous le verrez certainement là, je vous le
prédis; et d'ailleurs ne vous l'a-t-il pas prédit lui-
même? Nolite expavescere. Venite et videte locum ubi
positus erat Dominus. Et cito euntes dicite discipulis

(l) Par ce mot Galilée il ne faut pas entendre, dit un ancien com-
mentateur (JOARIUS Epis. Conimb. apud Barradium, DE A P P A R I T I O N E

CHRISTI IN MONTE G A U L ^ , cap. 6), la province de ce n o m ; mais la

montagne voisine du mont des Oliviers, où les Galîléens s'étaJent


bâti une ample habitation pour y demeurer quand leurs affaires les
appelaient à Jérusalem, et qui par cela même s'appelait la montagne
de Galilée. C'est donc là que Jésus-Christ fait annoncer à ses Apô-
tres qu'il se trouvera avant eux pour les rendre témoins de la vérité
de sa résurrection.
OU LE BONHEUR DES PETITS, 87
suis et Petro quia surrexit et ecce prœcedet vos in
Galilœam. Ibi eum videbitis. Ecce prœdixi vobis sicut
dixit vobis (MattL, 6, 7 5 Marc, 6 et 7).

0. Beau témoignage que les anges ont rendu à la divinité de Jésus-


Christ. L'ange sVntretenant avec les saintes femmes figure de la
bonté avec laquelle Dieu se révèle aux petits. Explication d'un
mot de l'ange consolante pour les vrais senileurs de Dieu : ils
n'ont rien à craindre; c'est aux méchants à trembler.

Cest avec cette touchante bonté qu'a parlé à nos


saintes femmes ce même ange de Dieu qui venait de
frapper de la majesté de son regard les gardiens du
tombeau. Mais que d'instructions, de consolations et
de charmes ne se trouvent pas dans ce discours du
Messager de Dieu! Arrêtons-nous-y quelques instants;
tâchons de le comprendre et d'en faire, nous aussi, nos
délices. Est-il possible d'abord qu'un ange, un des no-
bles habitants du ciel, ait voulu s'entretenir avec tant
de familiarité avec de simples femmes que les grands,
les sages de la terre ne daigneraient pas même honom
d'un regard? Et pourquoi pas? Cet ange est le ministre
de ce Dieu de bonté qui, ainsi que l'Ecriture sainte
l'atteste, aime de préférence à se révéler aux âmes
simples et à s'entretenir avec elles : Et cum simplici-
bussermocinalio ejus(Prov., m). Pourquoi donc l'ange
•urait-il dédaigné de s'entretenir avec de telles âmes,
lui serviteur, avec lequel, comme nous allons le voir
tdut à l'heure, n'a pas dédaigné de s'entretenir son
divin maître lui-même? Ainsi, jadis, ce furent les sim-
ples bergers de Bethléhem qui apprirent les premiers,
de la bouche de l'ange, la naissance du Sauveur; et
maintenant ce sont de simples femmes de Jérusalem
88 HOMÉLIE IX. — LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

qui apprennent les premières, de la bouche des anges,


elles aussi, sa résurrection. Les Apôtres verront, eux
aussi, Jésus-Christ ressuscité, afin de pouvoir, comme
témoins oculaires, attester au monde ce grand mys-
tère; mais, la première nouvelle de ce prodige accom-
pli, les Apôtres, les colonnes de l'Église, et Pierre lui-
même, le chef de l'Église, ne la recevront que de la
bouche des femmes, et les femmes seules ont le privi-
lège de l'apprendre de la bouche de l'ange : lté et di-
cite discipulis ejus et Petro quia surrexit. Oh î que cette
leçon est importante! Oh! qu'elle est consolante pour
tous ceux que le monde ne croit pas dignes de son
estime et de ses égards ! C'est que Dieu préfère toujours
la femme pieuse à l'homme puissant, l'homme simple
au philosophe, la docilité au talent, l'humilité à la
science, la droiture du cœur à l'élévation de l'esprit et
à la hauteur du rang et de la condition. C'est qu'à son
école celui qui prie profite plus que celui qui étudie,
celui qui désire voit mieux que celui qui raisonne,
celui qui aime comprend plus que celui qui discute, et
que ce que Dieu cache aux savants, aux prudents selon
la raison, il le révèle aux petits selon la foi : Abscon-
disti hœc a sapientibus et prudentibus, et revelasti ea
parvulis.
Remarquez aussi la manière toute particulière dont
l'ange du Seigneur rassure les saintes femmes, dissipe
leurs craintes et relève leur confiance. Il leur dit : Ne
craignez point, VOUS : Nolite iimere, VOS. Oh! que
ce mot VOUS, à la fin de la phrase, est beau, est ravis-
sant, est mystérieux! C'est comme si l'esprit céleste
eût dît ; »' Que les autres craignent, que les autres trem-
OU LE BONHEUR DES PETITS. 89
blent, rien de plus juste et de plus naturel ; mais quant
à vous, vous n'avez aucune raison de craindre et de
trembler : Noliie timere, vos. Oui, femmes, laissez
trembler ceux qui demeurent incrédules au mystère
qui vient de s'accomplir ( 1). Laissez trembler les princes
des prêtres, qui ont conspiré contre le Seigneur-, laissez
trembler Judas qui Ta trahi, Pilate qui l'a condamné,
les bourreaux qui l'ont crucifié, le peuple qui Ta renié,
tous ces esprits orgueilleux qui ont méconnu, en Jésus-
Christ crucifié, le grand et profond mystère de la sa-
gesse, de la puissance et de l'amour de Dieu. Mais vous,
âmes fidèles et dévouées à ce divin Sauveur, vous qui
l'avez accompagné au Calvaire, adoré sur sa croix ; vous
qui venez le chercher pour l'honorer dans son tombeau ;
vous qui n'avez jamais voulu vous séparer de lui; vous
pour qui Jésus le Nazaréen, Jésus crucifié, objet de
scandale pour les Juifs et de mépris pour les Gentils,
est le chef-d'œuvre de la vertu de Dieu ; vous qui, après
lui avoir vu subir une mort si ignominieuse et si cruelle,
ne le croyez pas moins, ne l'aimez pas moins, ne le cher-
chez pas moins comme votre Sauveur et votre Dieu,
vous auriez tort de craindre, tandis que vous avez, au
contraire, tout à espérer : Scio quia Jesum Nazare-
num, qui crucifixus est, quœritis ; nolite timere, VOS.
D'après saint Grégoire, ces mêmes mots de l'ange
peuvent se traduire ainsi : « Que ceux qui n'aiment
pas la présence de citoyens d'en haut, et qui, cloués à
la terre, par le poids de leurs désirs charnels, désespè-

( l ) « Illi timeant, in quibus remanet incredulitas (HIERON., in


« Matth.). »
90 HOMÉLIE IX. — LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

rent d'arriver à la société des habitants du ciel; que


ceux-là, dis-je, soient dans la crainte et la frayeur,
c'est juste, c'est raisonnable. Mais vous, pourquoi crai-
gnez-vous, vous qui avez le sort de voir, dès à présent,
vos concitoyens célestes, en compagnie desquels vous
vous trouverez un jour dans la même patrie (1)? »
Remarquez, enfin, ce mot si doux, si ravissant : « Je
sais que vous cherchez Jésus. » Jésus signifie Sauveur
C'est donc comme si l'ange avait dit : Vous cherchez,
je le sais bien, LE SAUVEUR. Or, puisqu'on ne peut pas
chercher sincèrement le Sauveur sans être sauvé, vous
le retrouverez certainement, ce bon Sauveur, vous sau-
vant; pourquoi et que craignez-vous donc, vous qui
allez certainement être sauvés?
Oh! dit encore Sévérien, que le langage de l'ange
est rassurant et instructif pour le vrai philosophe aussi
bien que pour le vrai chrétien! C'est avec une espèce
de complaisance que l'ange nomme Jésus-Christ, et
parle de sa croix et de sa passion, tout autant que de
sa résurrection ; et, bien loin d'en rougir, le messager
céleste s'honore d'appeler « le Seigneur » celui qui
venait de souffrir tant et de si ignominieux supplices,
qui avait été crucifié comme le plus criminel des hom-
mes, et enfermé dans Un sépulcre. Comment donc
l'homme ose-t-il dire que le Fils de Dieu se serait dé-
gradé en se faisant homme, ou que la Vertu de Dieu
aurait fait défaut dans la passion? Comment l'homme

(1) Proinde ac si dicat ; « Paveant illi qui non amant advcntum


« supernorum civium ; qui, carnalibus desideriis pressi, ad eorum
a societatem pertinere desperant; vos autem cur pertimescitis qu
« vestrus concivcs videtis? »
OU LE BONHEUR DES PETITS. 91
ose—t—il blasphémer en niant la divinité de ce Jésus-
Christ que les anges même reconnaissent et adorent
comme leur Dieu, leur Seigneur et leur maître (1)? Et
• Théophylacte dit aussi : « L'ange n'a pas honte de la
croix, car il sait bien que le salut des hommes et le prin-
cipe du bonheur des Élus n'est que dans la croix (2). »
Mais ces mêmes paroles de l'ange, prononcées une
fois sur le tombeau du Seigneur, retentissent toujours
dans le monde. C'est une espèce d'Évangile que l'ange
de Dieu, au nom du Dieu même qui l'envoie et l'inspire,
vient de promulguer pour tout le monde. Oui donc,
oui; que l'homme bouffi d'orgueil, que le philosophe
présomptueux, que l'incrédule insensé, que l'homme
d'État croyant se suffire à lui-même, que tout homme
qui dédaigne, qui combat Jésus-Christ crucifié et sa
religion, que tout hérétique qui défigure cette religion
sainte par la témérité de ses doctrines, que tout mau-
vais catholique qui la déshonore par la licence de ses
mœurs, que tous ces hommes-là craignent la colère du
ciel, tremblent à la voix de Dieu ; c'est bien juste, bien
naturel; et, en vérité, ils ont raison, grande raison de
craindre cette colère, de trembler au son de cette voix
divine. Mais quant à vous, âmes chrétiennes, âmes gé-
néreuses pour lesquelles Jésus-Christ crucifié est tou-
- 1
. . . . . .
(1) « Àngetuspraedicat nomen, crucem dicit, loquitorpassionem,
« sed mox resurrectionem. Domimim confltetur angélus ; fx>st lanta
• supplicia, post sepulerum agno*cit Dominnm suum. Cur homo
« aut minoratum Deum in carne judicat, aut in passione exiatimat
« Dei deetse virtutem? »
(2) « CRUCIFIXCMJ non enim erubescit crucem, in hac cnim est
aalus hominum et princlplum Beatorum. »
92 HOMÉLIE I X . — L E S SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

jours l'objet de tous vos désirs, de toutes vos affections ;


quant à vous qui ne vivez que de la gloire de le servir,
de la satisfaction de l'entendre, du bonheur de l'aimer,
de l'espérance de le posséder; quant à vous qui avez
toujours en vous et avec vous ce même Dieu crucifié,
que vous cherchez toujours; car vous l'avez dans votre
esprit par la foi, dans votre cœur par la charité, dans
tout votre être par la communion, dans votre corps
même par la sainteté de vos actions, par la pratique
de la mortification et de la pénitence; quant à vous,
dis-je, toutes les grâces de prédilection vous sont ré-
servées ; vous n'avez rien à craindre de sa justice; vous
avez lieu, au contraire, de vous attendre à toutes les
épreuves, à toutes les communications de sa tendresse
et de sa bonté ; Nolite timere, vos.
Si vous avez été pécheurs, n'importe, pourvu que
vous regrettiez de l'avoir été et que vous ne le soyez
plus. Ne venez-vous pas d'entendre le messager céleste
chargeant les saintes femmes d'aller apporter à Pierre
en particulier la nouvelle de la résurrection du Sei-
gneur : Dicite discipulis ejus ET PETRO quia surrexiti
Or, lange ne nomme Pierre, en particulier, dans cette
circonstance, dit saint Jérôme, que parce que cet Apô-
tre, ayant renié trois fois le divin Maître, se croyait
indigne d'appartenir désormais au nombre des disciples
de Jésus-Christ; et il ne se serait pas cru compris sous
la qualification de disciple de Jésus-Christ s'il n'avait
pas été nommé explicitement et en particulier (1). Ce

(1) « Dicit specialiter Petro, quia se indignum judicaverat disci-


* pulatu, cum ter Magistrum negaverit. »
OU LE BONHEUR DES PETITS. 93

fut donc, reprend saint Grégoire, envoyer à Pierre se


repentant de son reniement, pleurant son péché, un
gage d'espérance et de pardon (1); et nous aussi, dit
encore saint Jérôme, nous sommes assurés, par ce mot
de l'ange, que les péchés commis, mais qu'on n'aime
plus et qu'on regrette même d'avoir commis, ne nui-
sent pas et ne nous empêchent pas de voir Jésus-Christ
et d'avoir part à ses grâces et à son amour (2).
Rappelons-nous encore que le même ange, en par-
lant de Jésus-Christ, n'a pas dit votre Seigneur ou le
mten, mais il a dit : « le Seigneur, » le Seigneur au
sens général et absolu, Dominus; c'est comme s'il eût
dit : Jésus-Christ est mon Seigneur comme il est votre
Seigneur. 11 n'y a qu'un seul Seigneur, un Seigneur
unique, et c'est Jésus-Christ, le Seigneur de tous et de
tout. Moi, ange du ciel, je ne suis pas moins que vous,
hommes de la terre, son serviteur. C'est le plus grand
honneur pour nous, comme pour vous et pour tous,
que d'être les serviteurs de ce grand et affectueux Sei-
gneur, d'écouter ses paroles, d'accomplir ses volontés,
de propager avec zèle son culte et sa gloire : Domi-
nus, Dominus.
Sur cela, les saintes femmes sortirent du tombeau,
dit l'Evangile, l'âme remplie de crainte et de joie en
même temps : Exierunt cum timoré et gaudio magno.
Pleines de crainte, dit saint Jérôme, à cause de la
grandeur du prodige, pleines de joie à cause de l'as-
surance qu'elles venaient de recevoir de la résurrec-

(1) « Vocatur ex nomine, ne desperet ex negatione. »


( 2 ) « Peccata praeterita non nocent quœ non placent. »
94 HOMÉLIE I X . — L E S SA1HTI8 FBMMÏS AU TOMBEAU,

tion du Sauveur, qui comblait tous leurs désirs (I).


O femmes heureuses, femmes fortunées d'avoir été
honorées du colloque, de la conversation des anges,
d'avoir entendu de leur bouche un pareil langage,
d'en avoir reçu des révélations pareilles ! Mais là ne
s'est pas borné ce bonheur des petits; là ne se sont
pas bornés les traits de la bonté de Jésus-Christ envers
ces âmes simples, dociles, humbles, affectueuses, et
par cela même nobles et parfaites. Après leur avoir
fait voir les anges, il a daigné se laisser voir par elles
lui-même ; après leur avoir fait entendre la parole de
ses serviteurs, il leur a fait entendre sa propre parole,
il a daigné leur parler lui-même. C'est ce dont je vais
vous entretenir dans ma seconde partie.

SECONDE P A R T I E .

JÉSUS-CHRIST RESSUSCITÉ SE RÉVÉLANT AUX PETITS ET


CONVERSANT AVEC EUX.

7. Les Apôtres ne voulant pas croire au récit des femmes leur an-
nonçant la résurrection du Seigneur, qu'elles avaient apprise des
anges. Pierre et Jean se rendant au tombeau. Cachet de vérité des
Évangiles. L'amour de Madeleine récompensé. Son bonheur de
voir Jésus-Cbrist.

] \ o u s venons de voir qu'en revenant du monument,


qu'elle avait trouvé vide et ouvert de tous les côtés,
Madeleine était allée trouver Pierre et Jean, et leur
avait appris que le corps du Seigneur n'était plus au

( l ) « Aller de miraculi magmtudine, alter ex desiderio resur-


« gentis. »
OU LE BONHEUR DES PETITS. 95

tombeau. Or, pendant que ces deux Apôtres, tristes et


pensifs, réfléchissaient sur ce rapport que Madeleine
venait de leur faire, voilà les autres saintes femmes
revenant, elles aussi, du tombeau, et racontant à tous
les Apôtres ce qu'elles venaient de voir et d'entendre
de la bouche môme des anges et ce que ces anges les
avaient chargées de dire à tous et à Pierre en parti-
culier sur la résurrection du Seigneur : Et regressœ a
monumento, nuntiaverunt licec omnia ilîis undecim et
çœteris omnibus (Luc, v. 9.). C'était donc confir-
mer le récit que Madeleine avait fait la première ; et le
moyen de douter de la vérité de témoignages si nom-
breux et si réitérés. Cependant les Apôtres firent les
esprits forts; ils prirent tous ces récits d'apparitions
et de discours des anges pour des contes et des dé-
lires. Et « allons donc, se dirent-ils, avec toutes ces
visions et ces prodiges ! Ce sont des rêves d'imagina-
tion de femmes; nous ne croyons pas que le Maître
ioit ressuscité; » Et visa sunt ante illos sicut deli-
ramentum verba ista$ et non crediderunt illis (Luc 7

i l ) . Il n'y eut quePierre et Jean, parmi les Apôtres, qui


eurent l'air de penser qu'il pouvait y avoir du vrai dans
ce que les saintes femmes venaient de rapporter. Et
ils coururent au tombeau avant tous les autres, parce
que, dit saint Grégoire, ils aimaient le Seigneur plus
que tous les autres (1) ; Exiit ergo Petrus, et ille alius
discipuîus et venerunt ad monumentum. Çurrebant
autem duo simul (Joan., xx, 3 et 4). Ils entrent tous

\ \ ) « Petrus et Joannesprœ cœteris accurrerunt, quia pvœ crcteris


« amaverunL »
96 HOMÉLIE IX. — LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

les deux dans le monument, et voient posés à terre


les linges dont on avait enveloppé le corps du Sei-
gneur, et le suaire qui couvrait sa tête plié en un lieu
à part (Joan., ibid.). Ils s'étonnèrent en eux-mêmes
de ce qui était arrivé ; ils en crurent seulement
quelque chose -, car ils ne comprenaient pas encore
les saintes Écritures affirmant qu'il fallait que le Sei-
gneur ressuscitât d'entre les morts : Nondum.enim
sciebant Scripturam, quia oportebat eum a mortuis re-
surgere (Ibid., v. 9). Et ils s'en retournèrent chez
eux : Abierunt ergo iterum discipuli ad semetipsos

Mais c'est saint Jean qui nous rapporte tous ces


faits. Admirons donc, nous dit saint Chrysostôme,
l'humilité de cet Évangéliste. Il ne rougit pas d'ap-
prendre lui-même au monde que lui, homme, Apôtre
et Évangéliste, n'a, la première fois, appris que par
une femme la résurrection du Seigneur ; et de rendre
par là à cette femme la louange qui lui est due, même
aux dépens de sa propre réputation (1)! Ah! que
ces historiens sacrés, en écrivant l'Évangile, se sont,
autant que possible, éclipsés eux-mêmes, et n'ont
visé qu'à la gloire de Jésus-Christ et à l'exactitude des
faits. Ce n'est pas la même manière de se conduire
des historiens profanes : voilà donc une nouvelle
preuve qu'ils ont été sincères, que leur témoignage est
vrai, et que leurs récits sont la vérité !

(1) « Evangelista non privavit mulierem hac laude, nec verecun-


« dum exiètirnavit quod ab ea primum disceret Christi resurreciio-
« nem (UomiL 8 4 , in Joan.). »
OTJ LE BONHEUR DES PETITS. 97

Les saintes femmes, pleines de foi et d'amour, s'é-


taient associées aux deux Apôtres, et étaient revenues
avec eux au sépulcre dans respérance d'y voir le Sei-
gneur ressuscité. Mais n'y ayant rien vu de plus que ce
qu'y avaient vu les Apôtres eux-mêmes, elles reprirent,
elles aussi, le chemin de la ville.
Seule Madeleine, ne pouvant se consoler de ne plus
voir ni vivant ni mort son divin Maître chéri, ne put
se décider à quitter ce tombeau sacré, ce dépositaire
de toutes ses espérances et de toutes ses affections. La
voilà donc s'arrètant, tout en pleurs, en dehors du mo-
nument et y revenant à chaque instant, et s'y penchant
pour regarder dedans; Maria autem stabat ad monumen-
tum forts, plorans. Dum ergo fleret, inclinavil se, et
prospex.it in monumentum (Joan. xx, Ai). Car à un
cœur aimant il ne suffit pas, dit saint Grégoire, de re-
garder une seule fois là où il espère rencontrer celui
qu'il aime ; et plus son amour est fort, plus il renouvelle
et multiplie ses recherches (1). D'après Origène, elle
paraissait dire : « Je ne puis pas vivre sans lui. Si je ne
le vois plus, je veux mourir ici. Si je n'ai plus le bon-
heur de la présence de mon doux Seigneur, je serai
au moins enterrée tout prés de son tombeau (2). »
O amour! ô constance! Un amour aussi ardent qu'il
était pur, une constance aussi persévérante qu'elle
était généreuse ne pouvaient pas, dit saint Grégoire,

(1) « Amanti semel prospexisse non sufflcit. Vis amoris intentio-


« nem multiplicat inquisitionis. »
( 2 ) « Hic moriar, ut saltem juxta scpulcbvum Domini mei sepe-
* liar. »
98 HOMÉLIE IX. — LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

demeurer trompés (1) de la part de celui qui a dit :


« Cherchez, et vous trouverez ; celui qui ne se lassera
pas de chercher finira par trouver ; Quœrite, et inve-
nietis... Quiquœrit invenit (Matih., vu.). » En effet,
une fois entre autres que, pleurant plus que jamais,
elle se pencha et regarda avec plus d'empressement
dans le tombeau, elle y aperçut deux anges vêtus de
blanc, assis l'un à la tête, Vautre aux pieds, là où Ton
avait déposé le corps de Jésus-Christ : Dura ergo fleret,
inclinavit se, et prospexit in monumentum, et vidit duos
angelos in albis sedentes, unum ad caput, et unum ad
y

pedes, ubi positum fuerat corpus Jesu (Joan., xx,


11 et 1 2 ) .
« Femme, lui dirent-ils, pourquoi pleurez-vous
tant? » « Ah! leur répondit-elle, c'est parce qu'on a
enlevé d'ici mon doux Seigneur, et que je ne sais
où on l'a mis. Ainsi me voilà doublement désolée, et
de ce qu'il est mort, et de ce qu'on ne trouve plus son
corps : Dicunt ei illi : Mulier, quidploras ? Dicit eis :
Quia tuleruni Dominum meum, et nescio ubi posue-
runteum (Ibid., 13). » Pendant que Madeleine parlail
ainsi, les anges baissaient leur tête en signe de révé-
rence,comme s'ils eussent adoré quelqu'un. Madeleine
se retourna donc pour voir à qui les esprits célestes
adressaient leurs hommages, et elle vit derrière elle
Jésus-Christ debout : Hœc cum dixisset, conversa es/
reirorsum, et vidit Jesum stantem (Ibid., H).
L'amour de Madeleine était grand; mais sa foi n'é-
tait pas encore parfaite. La grandeur même de son

( l ) « Perseveravit ut quaereret, contigit ut itiveniret. »


OU LE BONHEUR DES PETITS. 99

qmpijr paraissait nuire à sa fçi. Dans l'impatience de


voir le Seigneur, elle oublie ce qu'on lui avait dit :
<pie le Seigneur n'avait pas été enlevé; mais que c'é-
tait lui-même qui était ressuscité. Cette imperfection
àe sa foi l'empêche de reconnaître tout d'abord le Sei-
gneur qui était là : Et nescicùat quia Jésus est (Ibid.).
C'est par la même raison de l'imperfection de leur
fpi que les deux disciples allant à Emmaûs ne recon-
nurent pas, eux non plus, tout d'abord, Jésus-Christ
ressuscité, qui leur apparut sur le chemin de ce vil-
lage. Et comme ils crurent que Jésus-Christ n'était
qu'un pèlerin, parce qu'ils le rencontrèrent dans la
foute, de même Madeleine, qyaut vu le Seigneur dans
Je jardin où était le tombeau, crut que c'était le jardi-
nier ou le seigneur et le maître du jardin ; Existimans
quia hortulanus esset (Ibid., 15). Cependant les deux
différentes formes sous lesquelles Jésus se montra
dans ces deux apparitions ont, elles aussi, leur mys-
t£fe. Jésus-Christ ressuscité, apparaissant aux yeux
dps disciples un pèlerin ayant l'air d'aller plus loin ;
fHnxii se longius ire (Luc, v. 28); et Jésus-Christ
HQus apprenant que tout chrétien, comme Va dit saint
Paul, ne doit se considérer sur cette terre que comme
un étranger, comme un pèlerin voyageant vers le
ciel : Dum sumus in corpore, peregrinamur a Domino
(f J Cor. v, 6). Non àabemus hic manentem civitatem,
sed futuram inquirimus (Hebr. xiu, 14). Or, de même
Jésus-Christ ressuscité paraissant un jardinier à Made-
leine est, dit Origène, Jésus-Christ nous apprenant que
c'est lui le véritable jardinier qui répand toute bonne
semence de foi et de vertu dans la terre de nos âmes,
100 HOMÉLIE I X . — L E S SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

dans le coeur de tous ses fidèles serviteurs, et l'y fait


fructifier (1).
Et voyez comment ce Jardinier divin fait germer et
parvenir à une maturité parfaite la semence de la foi
dans le cœur de Madeleine. « Femme, lui dit-il à son
tour, pourquoi pleurez-vous? Qui cherchez-vous avec
tant d'empressement? Dicit ei Jésus : Mulier, quid
pîoras? Quem quœris? » Seigneur, lui répond-elle, vous
venez d'entendre pourquoi je pleure et qui est celui
que je cherche. Ah! si c'est vous qui l'avez enlevé ce
doux objet de mes désirs, dites-moi où vous l'avez
mis. Je volerai le prendre, ce corps sacré. Je n'aurai
pas besoin que d'autres viennent à mon aide. Je me
chargerai moi-même de ce fardeau chéri. Après l'avoir
embaumé, je le vénérerai, je m'extasierai de délices à
ses pieds comme j'étais accoutumée de le faire pen-
dant sa vie : Dicit ei : Domine, si tu sustulisii eum y

dicito mihiubiposuisti eum; et ego eum tollam (Joan.,


xx, 15). Ce discours était, comme on voit, une nouvelle
prière chaleureuse, fervente de connaître Jésus-Christ.
Elle ne pouvait manquer son objet de la part de celui
qui avait dit : «Priez, et vous recevrez; quiconque
« prie obtient : Petite, et accipietis; omnis qui petit
« accipii(Matth., vm). » Jésus-Christ, avec cet accent
divin qui porte avec lui la lumière et la grâce, dit donc à
Madeleine : « Marie ! vDixit ei ejus : Maria (Joan. ,16)!
et ce fut comme s'il lui avait dit : « Marie, ma fille bien-
aimée, c'est moi! Comment ne me reconnaissez-vous

( l ) « Hortulanus, quia ipse seminat omne semen bonum in terra


a anima? tua;, et in cordibus fidelium servorum. »
OU LE BONHEUR DES PETITS. 101

pas encore? » A cet appel, prononcé avec tant de


bonté, le cœur de Madeleine éprouva, d'après Origène,
un sentiment d'ineffable douceur qui la fit tressaillir
de joie et lui fit reconnaître que c'était le Seigneur son
divin maître (1); et, hors d'elle-même par la surprise
et le bonheur : « Ah! c'est donc vous, s'écria-t-elle-,
c'est vraiment vous, mon maître et Seigneur : Con-
versa illa, dicit ei : RABBONI, quod dicilur Magister
(lôid.).» Ce fut lui dire : « O mon maître chéri, je vous
reconnais. Me voici, moi la dernière de vos disciples,
mais la plus dévouée de vos filles spirituelles. Ah !
vous vivez donc! Je vous retrouve enfin, je vous re-
vois ! Oh ! que je suis contente, que je suis heureuse ! »

8. Explication des paroles du Seigneur à Madeleine : <; Ne veuillez


pas me toucher. » Jésus-Christ appelant les Apôtres « ses frères. -
Profonds et consolants mystères de ses paroles pour tous les vrais
chrétiens. Dieu leur Dieu et leur Père.

Mais il ne lui suffit pas de le revoir, ce bon, ce doux,


ce divin Jésus, et de lui parler. Elle veut aussi, ajoute
Origène, le toucher, ce Jésus; car elle sait qu'une
vertu divine sort de tout son divin corps et porte par-
tout la santé, la consolation et la vie (2). La voilà donc
se jetant à ses pieds et s'empressant de les embrasser
et de les baiser. Mais le Seigneur lui dit : Ne veuillez
pas me toucher, car je ne suis pas encore monté vers

0 ) « Persensit in nomine quamdam singularem vocationisdulcc-


« dinem, et per eam cognovit ipsum esse magistrum suum. »
( 2 ) « Non sufliciebat illi videre Jesum, et loqui cum Jesu, nisi
* ctiam tangeret Jesum; sciebat enim quia virtus de illo exibat et
« sanabat omnes. »
102 HOMÉLIE IX. — LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

mon frère : Dicit ei Jésus : Noli me tangere, nondum


enim ascendi ad Patrem meum.
Saint Augustin pense que ces paroles de Jésus-Christ
à Marie furent un reproche de l'imperfection de sa foi,
et que ce fut comme s'il lui eût dit : Vous n'êtes pas en-
core digne de me toucher, car vous ne croyez pas en-
core parfaitement que je suis le Fils de Dieu et que je
suis uni àmon Père(l). Mais, d'après Cornélius àLapide,
s'apptlyant sur l'opinion d'autres docteurs et d'autres
Pères, le sens de ces paroles du Seigneur fut bien dif-
férent. Madeleine eut à peine reconnu le Seigneur res-
suscité, qu'elle se prosterna à ses pieds, les embrassa
avec un grand transport d'amour et de respect; et elle
ne se rassasiait pas de les baiser, et ne pouvait pas se ré-
soudre à quitter ces pieds divins dù elle avait jadis trouvé
son pardon, la paix de son âme et son bonheur, Jésus-
Christ, d'après le grand interprète que je viens de
citer, en disant donc à Marie : « Ne veuillez pas me
toucher; car je ne suis pas encore monté vers mon
Père, » à voulu lui dire : Ce n'est hi le lieu ni le mo-
ment de vous livrer aux délices de l'embrassement de
mes pieds. Vous aurez bien le temps de me voir et de
vous entretenir avec moi à votre aise, caf je ne monte
pas encore àu ciel, je fte tri'en vais pas encore à mon
Père.
Cette interprétation se lie bien à ces douces paroles
que le Seigneur ajoute à la sainte pénitente : « Mais,

(1) « Nondum digna es meo contactu; nondum enim in corde tuo


« ascendi ad Patrem meum, quia nondum perfecte credis me esse
« Filium Dei. »
OU LE BONHEUR DES PETITS. 4 03

allez à mes frères, et dites-leur que je vais m'en retour-


ner à mon Père, qui est aussi votre Père, à mon Dieu,
qui est aussi votre Dieu : Vade autem ad fratres meos, et
die eis : Ascendo ad Patrem meum et Patrem vestrum,
Deum meum et Devm vestrum (ibid., M). » C'était lui
dire : Marie, il ne convient pas que vous restiez ici
longtemps à vous réjouir de ma présence, tandis que
mes frères, les disciples, sont dans la tristesse et dans
la désolation à cause de ma mort. Ce n'est pas bien
que vous différiez de leur annoncer ma résurrection.
Allez donc vite leur faire part de la joie que vous
éprouvez vous-même (1).
En attendant, y a-t-il rien de plus instructif, de plus
aimable, de plus doux, de plus touchant que ces pa-
roles du Seigneur ? Elles nous apprennent d'abord, dit
le même interprète, qu'il est plus agréable au cœur de
notre divin Sauveur de nous voir occupés à répandre
le baume de la consolation dans le cœur de nos frères
noyé dans la tristesse, dans l'angoisse et dans la dou-
leur, que de nous voir nous entretenir avec lui-même ;
qu'il préfère la charité à la dévotion, la miséricorde
au sacrifice ; qu'il aime mieux être soulagé dans la

( l ) Magdalena Chrïsto addicta,cum videret eumresurrexisse, inef-


« fabili gaudio perfusa, cecidit ad pedes ejus, ibique hœrere vole-
« bat, nec ils deosculandis exsatiari poterat. Quare Christus eam
« prohibet, jubetque ne ibi haereat, sed mœstis Apostolis suam resur-
« rectionem renuntiet. Quasi dicens : « Noli in hoc contactu diutius
« immorari; saepius enim id tibi facere licebit, habebis tempus me
« tangendi et alloquendi : nondum enim ascendo ad Patrem meum.
« Sed gaudio quo frueris fac ut et Apostoli mei perfruantur (Corne-
« lins à lapide, in xx Joan.). »
104 HOMÉLIE I X . — L E S SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

personne de ses pauvres que d'être honoré dans sa


propre personne (1).
Que de charmes aussi ne se trouve-t-il pas dans ces
mots : « Allez dire à mes frères, » en parlant des
Apôtres. Ce fut dire à Madeleine : « Je vous charge,
Madeleine, de dire aux Apôlres toute mon affection;
assurez-les que j'ai compati à leur faiblesse et par-
donné à leur fuite; que, s'ils m'ont abandonné, je ne
les abandonne pas; que, s'ils m'ont oublié, je ne les
oublie pas; que, s'ils ont rougi de m'avoir pour maître,
je ne rougis pas de les avoir pour frères; et que c'est
comme mes frères que je les aime toujours : Vade ad
fvalves meos.
Admirons encore cet excès de bonté par lequel, lui,
Dieu, maître et Seigneur du monde, daigne appeler
les Apôtres, hommes de rien aux yeux du monde,
« SES FRÈRES; » Ad fratres meos ! En rappelant cette
délicieuse parole du Seigneur, saint Paul ne revenait
pas de son étonnement : Est-il possible, disait-il, que le
Fils de Dieu lui-même n'ait pas rougi, et se soit même
plu à appeler « ses frères » les fils des hommes : Non
confunditur fratres eos vocare (Hebr., n)! Ola belle et
imposante leçon que celle-ci pour ceux, soit hommes,
soit femmes, qui occupent des hauts rangs, des posi-
tions élevées dans la société! Ce fut leur prêcher
d'exemple, du plus sublime de tous les exemples, ce
qu'il leur avait déjà fait dire par son prophète ; à sa-

(\) « Disce hic gratius esse Chrïsto ut mœstïs, afflictis, in gravi


« tristitia et angore et dolore quis assistât quam sibi, juxla Ulud :
« Misericordiam volo, et non sacriûcium (Ibid.). »
OU t E BONHEUR DES PETITS. 105

voir, qu'autant on est grand, autant on doit s'humilier


en tout et avec tous; que les véritables caractères de la
grandeur, qui l'annoncent et la relèvent, ne sont pas
le faste, l'outrecuidance et l'orgueil, mais l'affabilité,
l'humilité, la modestie, le désintéressement; et que
ce n'est que par la pratique de ces vertus que les
grands peuvent aspirer aux hommages des hommes et
aux grâces de Dieu : Quanto magnus es, humilia te in
omnibus, et coram Deo inverties gratiam (Eccli., ni).
Mais ce n'est pas seulement aux Apôtres que le Fils
de Dieu fait aujourd'hui l'insigne honneur de les appe-
ler « ses frères ; » car il a dit encore à Madeleine : Je
vais m'en retourner à mon Père, qui est votre Père, à
mon Dieu, qui est votre Dieu. N'ayant donc pas dit :
« Leur Père et leur Dieu ; » mais « votre Père, votre
Dieu, » il est évident que cette touchante parole du
Seigneur n'a pas été adressée seulement aux Apôtres,
mais à Madeleine aussi, à toutes ses compagnes dans
la même foi, à tous les disciples, à tous les vrais chré-
tiens. Que nous sommes donc heureux d'entendre de
la bouche même du Fils de Dieu, de notre aimable Sau-
veur, que nous aussi, enfants de la vraie Église, nous
avons Dieu pour Père; nous sommes par cela même les
fils de Dieu, et par conséquent aussi les frères de Jésus-
Christ! Il est vrai que le Seigneur n'ayant pas dit :
« Je m'e'h vais à notre Père et à notre Dieu, » mais,
« Je m'en vais à mon Père et à votre père, à mon Dieu
et à votre Dieu, » il a voulu nous apprendre, comme le
remarque saint Augustin, que Dieu n'est pas au même
titre le Dieu et le Père de Jésus-Christ, et notre Dieu à
nous et notre Père. Il est vrai que, par cette admirable
106 HOMÉLIE IX. — LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

manière de s'exprimer, il a voulu dire que Dieu est


notre Père d'une manière différente de celle dont il
est le Père de Jésus-Christ ; qu'il est notre Père par
grâce, tandis qu'il est le Père du Seigneur par nature;
qu'il est le Dieu de Jésus-Christ en tant qu'il est
homme comme nous; mais en tant que Dieu il est lui-
même aussi bien notre Dieu que son Père; seulement,
étant homme-Dieu, il est le médiateur entre Dieu et
l'homme(l). Mais il n'en est pas moins vrai que, d'a-
près ces ineffables paroles, notre filiation vis-à-vis dë
Dieu, toute de grâce et d'adoption qu'elle soit, est une
filiation réelle, nous conférant des droits réels, pro-
pres aux enfants. C'est ainsi qu'argumentaient les
deux grands apôtres saint Jean et saint Paul; l'un
ayant dit : « Voyez jusqu'à quel point le Père céleste
nous a aimés ; il nous a aimés au point que nous n'a-
vons pas seulement le nom, mais la qualité aussi d'en-
fants de Dieu; Videte gualem charitatem dédit nobis
Pater, ni filii Dei nominemur et simus (I joan., m) ,* »
et l'autre, saint Paul, ayant dit : « Puisque nous
sommes des enfants, personne ne peut nous contester
le droit d'être héritiers. Nous sommes donc les héri-
tiers de Dieu et les cohéritiers de Jésus-Christ ; et si
nous partageons ses souffrances, nous partagerons
aussi sa gloire; Si filii et hœredes; hœredes quidem

( i ) « Non a i t : « P a t r e m nostrum, » sed : « Patrem menm et


« Patrem vestrum; » aliter enim meurn, aliter vestrum; meum
o gratia; natura vestrum. Neque dlxit : « l)eum nostrum, » sed :
« De uni meum, sub quo ego homo > et Deum vestrum, inter quos
« et ipsum mediator sum. »
OU LE BONHEUR DES PETITS. 107

Dei, cohœrcdes autem Christi ; si famen compatimur,


ut et congîorificemur (Rom., viu, 17).
Qtië les mystères de l'incarnation, de la passion, de
là mort et de la résurrection de notre Rédempteur
divin soient donc bénis! C'est par ces grands mystères
(jù'il nous a acquis, qu'il nous a conféré, à nous tous
qui avons le bonheur de croire en son nom, le pouvoir
de devenir les enfants de Dieu : Dédit eis polestatem
filios Dei fieri, his quicreduni in nomineejus (Joan.,i).
Voilà donc accompli et annoncé aujourd'hui au monde
le grand et délicieux mystère de l'Église, ne formant
qu'une société unique, une famille dans laquelle on
naît par la foi, on vit par la grâce, on est lié par
l'amour, et dont Jésus-Christ est le Frère aîné, et Dieu
lui-môme le Père à tous, le Père pour tous : Ascendo
ad Patrem meum et Patrem vestrum, Deum meum et
Deum vestrum.

9. Explication du mystère des anges et de Jésus-Christ apparais-


sant d'abord aux femmes. La femme évangéliste de l'homme pour
le bien, comme elle l'avait été pour le mal. La résurrection du
Seigneur, le mystère de la femme régénérée.

Ce n'est pas non plus sans une grande raison que


ce ne sont que les femmes qui voient les anges ; qui
apprennent de la bouche des anges la résurrection
du Seigneur; qui sont chargées de l'annoncer aux
hommes; que Jésus-Christ ressuscité lui-même n'appa-
raît d'abord qu'aux femmes, et que c'est aux femmes
;
qu'il fait ces grandes et consolantes révélations qui ré-
sument tout l'Evangile, tout le christianisme, et qui
fcont la base et la preuve de toute la religion. Ainsi les
frères de l'Église se sont arrêtés avec bonheur à méditer
108 HOMÉLIE I X . — LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

ces circonstances, et, à leur exemple, nous en devons


faire de même.
Rien d'abord, dit le grand saint Hilaire, n'est plus
conforme à l'ordre de la réparation que cette économie
de la Providence par laquelle c'est la femme qui entend,
qui voit la première le glorieux mystère de la résur-
rection, puisque ce fut par la femme qu'avait com-
mencé le mystère humiliant de la mort (4).
Selon la belle pensée d'un autre Père, les anges par-
lant aux femmes et les femmes s'entretenant avec les
anges nous disent que, par la résurrection du Seigneur,
se sont renouvelés ces ineffables rapports entre le ciel
et la terre qui existaient avant le péché, et que le péché
avait interrompus. Car voici la femme, qui jadis avait
entendu les funestes conseils de l'ange de l'enfer, s'en-
tretenant aujourd'hui des choses de la vie éternelle avec
l'ange du ciel (2). L'ange donc, poursuit le même Père,
qui dit aux femmes : « Allez vite annoncer aux disciples
« que le Seigneur est ressuscité, » c'est l'ange disant à
la femme : « Femme, te voilà enfin changée et guérie.
« Retourne donc à l'homme lui persuader la foi, toi
« qui jadis l'avais poussé à l'incrédulité. Rapporte à
« l'homme l'espérance de la résurrection, toi qui lui
« avais donné les conseils de la chute(3). » Voilà donc,

(1) « In contrarium ordo causa? principalis est redditus; ut quia


« a sexu muliebri cœpta mors esset, ipsi primum resurrectionis glo-
i riae et visus et nuntius redderetur {Comm. in Matth.). »
(2) « Surgente Domino, lerrenis redditur cœleste consortium; et
« mulieri, cui fuerat cum diabolo lethale consilium, fit cum angelo
« vitale colloquium (Severianns Gabalensis, in Caten. in Joan.).»
(3) « lté cito, dicite discipulis quia surrexit, est quasi dicat : « Re-
OU LE BONHEUR DES PETITS. 109

ajoute saint Grégoire, la faute du genre humain effacée


par le même moyen qui en avait été le principe. Car
c'est parce que, dans le jardin des délices, la mort avait
été inoculée à l'homme parla femme, que c'est la femme
qui, en revenant du jardin des souffrances, où était le
tombeau du Seigneur, annonce à l'homme la vie; et
c'est parce que la femme avait rapporté la première à
l'homme les paroles du serpent, qui le tuèrent, qu'elle
lui révèle, aussi la première, les paroles du Seigneur,
qui le vivifient (1).
Souvenons-nous aussi combien était malheureuse et
dégradante la condition de la femme après le péché.
Le péché ayant commencé par elle, c'était sur elle qu'en
pesait, d'une manière toute particulière, l'odieuse res-
ponsabilité; ce qui faisait d'elle un être déchu, abject,
un être voué à la servitude et à l'opprobre. Mais au-
jourd'hui, dit saint Cyrille, la femme, qui, ayant été
jadis le ministre de la mort, est la première à voir et à
annoncer l'auguste mystère de la résurrection, c'est
la femme relevée, réhabilitée, ennoblie ; car c'est la
femme choisie comme l'instrument du remède contre
la malédiction, comme l'instrument de l'absolution qui
efface l'ignominie (2).

« vertere ad virum, mulier jam sanata; suade fidem, quœ perfidiam


• fiuasisti; fer resurrectionis indicium cui ante consilium ruinae de-
« disti {Ibid.). »
(1) « Ecce humani generis culpa ibi absconditur unde processif.
« Quia enim in paradiso mulier viro propinavit mortem, a sepulchro
• mulier viris annunliat vitam; et dicta sui Vivilicatoris narrât quae
« mortiferi serpentis Yerba narraverat (ffomil. in Evang.). »
(2) « Fœmina quœ quonriam mortis fuit ministra, venerandum
'i\Q HOMÉLIE I X . — L E S SAUVES FEMMES Ap TOMBEAU,

Et le vénérable Bède dif, aussi : « D$ps les desseins


de la miséricorde de PJeu, la femme ne devait pas
supporter perpétuellement aux yeux de l'homfne l'op-
probre de sa faute perpétuelle; et c'est pour cel$ que
Jésus-Christ, pour répandre (Jans le cœur de l'homme
sa grâce, n'en charge que la femme, qui lui avffit ino-
culé le péché (1). »
« Ainsi, dit saint Jean Çfrrysostôme d'après Ori-
?

gène, le monde va apprendre (\axis quelqqps joyrs, p^p


les Évangélistes et les Apôtres, la résurrection du Sei-
gneur; mais les Apôtres et les Évangélistes ne l'ap-
prennent eux-mêmes pour la première fois que par
les femmes. Les Apôtres et les Évangélistes vont être
les apôtres et les évangélistes du monde, tandis que
les femmes sont les premiers évangélistes, les premiers
apôtres des évangélistes et des Apôtres eux-mêmes.
C'est ainsi qu'il a plu *m divin Sauveur d'honorer le
sexe que la séduction du serpent avait dégradé, en
convertissant en messager de la joie de l'homme ce
même sexe qui avait été la cause de sa tristesse, et de
sa douleur (2). »
Femmes, réjouissez-vous donc aujourd'hui en pré-
« resurrectionis mysterium prima percipit et nuntiat. Adeplum est
« igitur foemineum genus et ignominie absoïutionem et maledic-
« tionis remedium. »
(1) « Resurrectionem mulier prima videt, ne in pœiiam perpetui
« rcatus apud viros perpetuum opprobrium sustincret, et quœ \iro
« culpam translitérât transfundat et gratiam. »
(2) « Mulieribus pro Apostolis ad apostolos usus est : honorans
« genns quod ex serpentis seductione infâme factum fuerat; et quia
« mulier viro facta est causa mceroris, nuuc mulieres fiunt viris
a gaudii ministrce. »
OU LE BONHEUR DES PETITS. 111

sence de l'homme; et, saintement hères de la prédi-


lection du Dieu Sauveur pour vous, rehaussez votre
front fléïri parle stygmate de votre ancien péché et
comblé d'opprobre. Dans la personne des saintes
femmes au tombeau du Seigneur, votre sexe a fait
amende honorable de son ancien forfait, a réparé no-
blement tous ses torts. Oh! que les femmes doivent
aimer, doivent chérir le mystère de la résurrection de
Jésus-Christ! Car c'est particulièrement le mystère de
la réhabilitation de la femme déchue, c'est ce mystère
qui la rehausse plus qu'elle n'était tombée, qui la re-
place au rang qu'elle avait perdu, et qui lui rend toute
sa gloire, sa grandeur et sa dignité!

10. Jésus-Christ apparaissant rte nouveau aux femmes, et adoré par


elles comme Dieu. Leur bonheur. Bonté ineffable du Seigneur
appelant de nouveau les chrétiens « ses frères. »

Mais Madeleine n'est pas la seule à voir le Seigneur


ressuscité. Les autres saintes femmes, compagnes de
son pèlerinage au tombeau sacré, et partageant sa foi,
sa piété, son dévouement et son affection envers Jésus,
partagent aussi son bonheur.
Heureuse, ravie, hors d'elle-même de ce qu'elle
venait de voir, de ce qu'elle venait d'entendre, et em-
pressée de remplir la mission d'amour dont la bonté
du divin Maître l'avait chargée auprès des Apôtres,
Madeleine court vers Jérusalem ; mais ayant rencontré,
sur sa roule, la bande fortunée de ses compagnes, qui
l'avaient précédée, elle s'arrête pour leur raconter
comment le Seigneur venait de lui apparaître et de
s'entretenir avec elle, et leur faire part de sa félicité.
H 2 HOMÉLIE I X . — L E S SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

« Là où deux ou trois personnes, avait dit le Sei-


« gneur, sont réunies en mon nom et s'occupent de
« moi, je suis au milieu d'elles : Ubi enim sunt duo vel
« très congregati in nomine meo, ibi sum in medzo
n eorum (Malin, xvin, 20).» Or, les saintes femmes que
Madeleine venait de rejoindre ne s'occupaient que de
Jésus-Christ; c'est lui qui était le lien de leur société,
comme le sujet de leurs entretiens et l'objet de leurs
désirs et de leur amour. Il se trouvait donc certaine-
ment au milieu d'elles et en leur compagnie; mais il
n'y était que d'une manière cachée; il n'y était que
dans leur esprit et dans leur cœur et par rapport à sa
divinité. Et voilà que, pour les récompenser de leur foi
et de leur ferveur, il daigne se montrer aussi à leurs
yeux dans la gloire, dans la beautée de son humanité
ressuscitée. Car, lorsqu'elles s'y attendaient le moins,
Jésus vient visiblement à leur rencontre et leur dit :
«. Avete\ réjouissez-vous ; » ou : « Le salut soit sur
vous. » Et ecce Jésus occurrit illis, dicens : Avete
(Matth. xxvm, 9).
Ne vous étonnez pas, nous dit saint Jérôme, de ce
trait de bonté du divin Sauveur. Ces saintes femmes
couraient, par leurs désirs, qui étaient des prières, au-
devant du Seigneur; elles méritent pourtant que le
Seigneur, si bon pour l'àme qui le cherche, coure à
leur rencontre (1).

(I) « Quae ita currebant merebantur obviam habere currentcm


« Dominum. Bonus est Deus animse quaerenti illum {Thren. m). » Et
le docteur Rabbanus dit aussi que Jésus-Christ a montré par là que,
par le puissant secours de sa grâce, cet aimable Seigneur vient lui-
même à la rencontre de tous ceux qui s'engagent dans le chemin de
OU LE BONHEUR DES PETITS. 113

Remarquez aussi que le mot Avete, au singulier


Ave, c'est le mot Eva renversé. Par ce mot si doux
le Seigneur voulut leur faire entendre, dit encore saint
Jérôme que, dès ce moment, la femme n'est plus l'an-
cienne Eve; mais c'est une Eve nouvelle; c'est Eve ren-
versée, Eve régénérée, et que dans les femmes et par
les femmes la malédiction de la première femme venait
de se changer en hénédiction (1).
A la différence des souhaits, des salutations des
hommes, qui n'expriment que des désirs stériles, les
salutations de Dieu sont efficaces; elles réalisent ce
qu'elles annoncent. En disant donc à ces heureuses
femmes : « Réjouissez-vous, le salut soit sur vous, »
Jésus-Christ les met sur les voies du salut, il inonde
leur cœur d'une immense joie; et elles, tressaillant de
cette joie toute céleste et divine, hors d'elles-mêmes
par la surprise et le bonheur de revoir de leurs yeux
leur maître chéri ressuscité, se pressent autour de lui,
se prosternent à ses pieds, saisissent avec transport ses
pieds divins, comme voulant empêcher le Seigneur de
s'en aller. Mais elles firent encore mieux. Frappées par
la lumière subite que cette apparition lit rayonner dans
leur esprit, et voyant clair dans les mystères du Sei-
gneur, qu'elles croyaient bien sans les avoir encore
bien compris, elles reconnaissent que Jésus-Christ est

la vertu, afin de les aider.à achever leur salut éternel : Per hcc
ostendit se omnibus salutis iter inchoantïbus, ut ad salutcm per~
petuam pervenire qucant, adjuvando occurrere. »
( l ) « Merentur primum audire avete, ut maledictum Eva* mu-
« Ueris in mulieribus suhverteretur. »
114 HOMÉLIE IX.—LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

Dieu. Tout en baisant donc avec la plus vive affection,


avec la plus grande révérence ses pieds, elles F ADO-
RENT comme leur Sauveur et leur Dieu : Illœ autem
accesserunt, et tenuerunt pedes ejus, et ADORAVERUNT
EUM (Ibid.). Voilà donc le Fils de Dieu, après sa résur-
rection, ne recevant que par la femme le premier acte
de latrie, la première adoration due à sa divinité. Voilà
TÉglise commençant déjà dans les femmes, et appre-
nant d'elles que Jésus-Christ doit obtenir toute notre
confiance comme homme, et doit être adoré comme
Dieu.
Et que fait-il, que dit-il, cet aimable Sauveur ? Il se
laisse toucher, étreindre, baiser les pieds; et par là, dit
saint Chrysostôme, il leur donne, par la voie du tou-
cher, l'argument le plus frappant de la réalité de son
humanité, de la vérité de sa résurrection (1). Mais il
n'est pas possible que la majesté divine se manifeste à
l'homme, quoique sous les emblèmes de la plus grande
bonté, sans exciter en lui une certaine frayeur qui,
sans diminuer son bonheur, arrête la confiance et la
familiarité, que Jésus-Christ exige complètes et par-
faites de ses fidèles serviteurs, de ses amis. C'est pour
cela que, du ton dé la plus grande douceur, il dit aux
saintes femmes encore timides dans leur joie : N'ayez
pas peur, ne craignez rien ; Tune ait Mis Jésus : No-
lite timere (Ibid., 10). En nous apprenant par là que
la crainte et l'amour de Dieu est la source de la vraie
fermeté, du vrai courage, et que craindre et aimer

(l) « Tenuerunt eum. Per tactum resurrectionis documentum et


«c certitudinem acceperunt. »
OU LE BONHEUR DES PETITS. 115
Dieu, c'est le moyen de ne rien craindre de la part des
hommes.
Par cette consolante parole ayant élevé à son comble
la confiance et le bonheur dans le cœur de ses disciples
bien-aimés : Maintenant, leur dit encore le Seigneur,
allez, et dites à mes frères qu'ils aient à se rendre en Ga-
lilée, et que là ils auront tous, eux aussi, la consolation
de me voir : lie, nuntiate fratribus mets ut eani in
Galilteam; ibi me videbunt (Ibid.).
C'était, comme on le voit, leur répéter ce que leur
âtaient dit les anges ; et par là le Seigneur leur prouve,
dit Sévérien, que l'ange leur avait parlé au nom de son
divin Maître, et que l'apparition et le discours de l'ange
n'avaient pas été une illusion? C'est ainsi que Dieu,
par l'action secrète de sa grâce, confirme loujours da-
vantage dans la certitude de la foi les fidèles qui croient
à la prédication et à l'enseignement des anges terres-
tres, les ministres de l'Église que Dieu envoie pour
évangéliser le monde (1).
C'était aussi, comme on le voit encore, répéter aux
Saintes femmes réunies, par rapport aux Apôtres, le
même mot plein d'amour que l'aimable Sauveur avait
prononcé en parlant d'eux à Madeleine. 11 les appelle
encore ses frères. Ils sont pauvres, ignorants, timides,
ces disciples; et cependant le Roi de la gloire ne dé-
daigne pas de les nommer à plusieurs reprises « ses
frères; » c'est pour relever leur espérance, pour remon-
ter leur courage abattu et provoquer leur amour, en les

(1) « Quod dixerat angélus dicit Dominus, ut quos anselus Arma


* verat Christus redderet firmiores. »
116 HOMÉLIE IX.—LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

faisant assurer d'avance qu'ils ne retrouveront dans


leur Sauveur que leur frère. Oh! que cette répétition
du même mot « frères, » adressée aux fils de l'homme,
est délicieuse, ravissante dans la bouche du Fils de
Dieu! Nous apprenons par cette répétition que notre
aimable Seigneur non-seulement ne rougit pas de notre
fraternité, de notre parenté, mais qu'il en fait sa gloire
et son bonheur!

11. Incrédulité des apôtres aux témoignages de ceux qui avaient vu


Jésus-Christ ressuscité. Reproches que leur en fit le Seigneur.
Cette incrédulité a cependant rendu plus éclatante la vérité de la
résurrection. Stupidité de ceux qui ne croient pas ce dogme sur
le témoignage de l'Église. La femme incrédule est ridicule.

Impatientes d'accomplir cette mission d'amour, dont


la bonté du Sauveur les charge, elles aussi, les saintes
femmes, ne marchent pas, elles courent Yers la ville
apporter aux disciples la grande nouvelle de la résur-
rection du commun Maître : Currentes nuntiare disci-
pulis (Matth., 8). C'est Madeleine qui, en prenant la
première la parole, raconte dans les plus minutieux
détails, aux Apôtres réunis, comment elle venait de
voir le Seigneur ressuscité, et ce qu'il lui avait ordonné
de leur dire : Venit Maria Magdalena annuntians
discipulis ; Quia vidi Dominum et heee dixit mihi
%

(Joan., 18). Toute cette réunion d'hommes, Apôtres et


disciples du Seigneur, était au comble de l'affliction et
de la douleur*, ils ne faisaient que pleurer et gémir sur
la perte de leur Maître : Illa vadens nuntiavit his, qui
cum eo fuerant Jugeniibus etflentibus (Marc, 10). Il
paraît donc que l'annonce de Madeleine, que Jésus-
OU LE BONHEUR D E S PETITS. 117
Christ vivait, devait être reçue avec joie et avec assenti-
ment par des hommes qui en regrettaient si vivement la
mort. On croit vite ce qu'on aime à savoir et ce qui
console. Et pas du tout. Madeleine a beau affirmer et
constater qu'elle a vu le Seigneur plein de beauté et
de vie, les Apôtres et les disciples protestent qu'ils n'en
croient rien : Illi audientes quia viveret, et visus esset
a& ea, non crediderunt (Marc., 11).
Ce fut ensuite le tour des autres saintes femmes,
affirmant, elles aussi, qu'elles avaient vu toutes en-
semble le Seigneur, qu'elles lui avaient serré ses pieds
et l'avaient entendu leur répéter à elles ce qu'il avait
dit à Madeleine toute seule. Mais elles ne furent pas plus
heureuses. On ne voulut point croire non plus à leur
témoignage, qui cependant, par le nombre et la qualité
des témoins et par son uniformité parfaite, présentait
tous les caractères et le cachet de la vérité.
Ce n'est pas tout. Le témoignage des hommes n'est
pas mieux accueilli par les Apôtres et les disciples que
celui des femmes. Quelques heures après, le Seigneur
ressuscité apparaît aux deux disciples allant à Emmaûs,
qui n'ont rien de plus pressé que de revenir à l'instant
même à Jérusalem, et d'apporter cette grande et heu-
reuse nouvelle à leurs collègues et à leurs frères réunis :
Et surgentes eadem hora regressi sunt in Jérusalem ;
et invenerunt congregatos undecim et eos qui cum illis
9

erani (Luc., 33). Nous l'avons vu de nos yeux, disaient-


ils; nous avons été avec lui à la,même table; nous ne
l'avions pas reconnu d'abord, quoique notre cœur tres-
saillît d'une secrète joie, d'une mystérieuse ardeur, en
l'entendant parler : Cor nostrum ardens erat, dum lo~
118 HOMÉLIE I X . — L E S SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

queretur ; nous le croyions un pèlerin. Mais en Venten-


dant dérouler devant nous et nous expliquer tous les
passages des Écritures touchant sa résurrection -, en le
voyant consacrer et diviser le pain eucharistique, comme
il l'avait fait à la dernière cène, les yeux de notre esprit
se sont ouverts; nous nous sommes convaincus que
c'était lui, et que ce n'était que lui : El ipsi narrabanl
quce gesta erant in via, et quomodo coqnoverunt eum
in fractione panis (Ib., 35). Mais rien n'y fait. Même
ce témoignage si clair, si net, si précis, si circonstancié
est repoussé; on n'y croit point non plus : Nec illis
crediderunt (Marc, 13). O aveuglement! ô obstina-
tion des Apôtres! Jésus-Christ eut bien raison de les
appeler des gens stupides et d'un esprit difficile à croire :
O siulti et tardi corde ad credendum (Luc, 25). Il eut
bien raison de leur adresser de vifs reproches à cause
d'une telle dureté de cœur, d'une telle obstination d'es-
prit, refusant de se rendre à des témoignages si multi-
pliés de personnes qui venaient de le voir de leurs yeux
dans toute la plénitude de sa vie, dans toute la beauté
et la gloire de sa résurrection : Exprobravit increduli-
taiem eorum, et duritiam cordis, quia Us qui viderant
eum resurrezisse, non crediderunt (Marc, 14).
Mais que voulez-vous? Encore une fois, les Apôtres
et les disciples voulurent, dans cette circonstance,
jouer un peu à la prudence, à la sagesse de l'homme,
auxquelles sont cachés les mystères de Dieu ; et ils ne
furent pas dignes de connaître, de croire tout de suite
la résurrection du Seigneur, l'un de ces mêmes mys-
tères de Dieu qui ne sont révélés qu'aux petits, et ne
sont sentis, ne sont compris que par eux : Abscondisti
OU LE BONHEUR DES PETITS 119
kœc a sapientibus et prudenlibus, et revelasti ea par-
vulis.
Cependant, dit saint Grégoire, ce n'est pas seulement
pour punir leur petit orgueil et pour leur donner une
leçon pratique du prix de l'humilité, mais c'est encore
dans un dessein de miséricorde pour nous que Jésus-
Christ a permis que ses Apôtres et ses disciples eussent
tant de peine à croire sa résurrection. Cette faiblesse
de leur foi a fait la stabilité de la nôtre. Cette difficulté
qu'ils éprouvèrent à admettre tout d'abord le dogme
du Sauveur ressuscité nous a valu toutes ces appari-
tions, tous ces arguments de tout genre par lesquels
Jésus-Christ a bien voulu mettre hors de toute contes-
tation ce grand mystère. Et en lisant dans les saints
Évangiles toutes ces apparitions, tous ces arguments,
n'est-il pas vrai que notre foi devient d'autant plus
aisée et plus solide que la foi des Apôtres a été plus dif-
ficile et plus faible? Sous ce rapport, l'incrédulité de
saint Thomas nous a fait, à nous, plus de bien que la
foi de Pierre (1).
En effet, par cela même que les Apôtres et les Évan-
gélistes n'ont pas voulu croire à la résurrection du Sei-
gneur sur le témoignage des autres, mais sur leur
propre témoignage; par cela même que, comme l'a

(l) « Quod illi dominicam resurrectionem tarde crediderunt non


« tam îllorum inûrmitas quam nostra, ut ita dicam, futura firmitafc
• fuit. Ipsa namque resurrectio, illis dubitantibus per muita argu-
?

« menta monstrata est. Quze dum nos legentes aspicimus, quid aliud
« quam de eorum dulntatione solidamur (Loc. cit.) ? » « Plus
« Thomae infldelitas ad fldem quam fides credentium discipulorum
« profuit (Homil. 26J. »
120 HOMÉLIE I X . — L E S SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

remarqué saint Luc, Jésus-Christ, s'est plu à leur renou-


veler ce témoignage en une infinité de manières, se
montrant à eux plein de vie, conversant familièrement
avec eux, mangeant avec eux, se laissant toucher, pal-
per par eux, pendant quarante jours, et leur révélant
les mystères du royaume de Dieu : Quibus et prmbuit
seipsum vivum post passionem suant, in multis argu- *
merttis per dies quadraginta apparens eis et loquens
y

de regno Dei (Act. , 1 , 3 ) ; par cette môme répugnance


des Apôtres à croire à la vérité delà résurrection avant
de Tavoir bien examinée et vérifiée eux-mêmes, ce
grand mystère, qui est la preuve et le cachet divin de
tous les autres mystères de Jésus-Christ, de sa divinité
aussi bien que de son humanité, est un fait incontes-
table, environné de tous les caractères de l'évidence et
de la vérité; et en l'annonçant au monde, en nous l'ap-
prenant à nous par leur prédication et par leurs écrits,
ils n'ont pu tromper le monde, ils n'ont pu nous trom-
per, pas plus qu'ils n'ont pu s'y tromper eux-mêmes;
Quod vidimus quod audivimus quod manus nostrce
7 y

contrectaverunt de Verbo vitce, hoc annuntiamus vobis


(I Joan., \).
Madeleine donc, aussi bien que les saintes femmes
ses compagnes, prêchant la première aux Apôtres l'É-
vangile de la résurrection, n'est pas seulement une
femme historique; c'est aussi, selon la belle pensée des
Pères, une femme prophétique, représentant en elle-
même l'Église (1).

( i ) « Nuntiat apostolis Maria, non jam fœminam sed eccïesiam


« gestans [Severianus Gabal. in Cat. ) »
OU UE BONHEUR DES PETITS. 121

Saint Marc a noté que cette Marie-Madeleine, qui


eut le bonheur de voir la première le Sauveur ressus-
cité, et qui allai'annoncer aux disciples, estcettemême
femme que Jésus-Christ avait délivrée de sept démons :
Appwuit primo Mariœ Magdalene, de qixa ejeceratsep-
iem dœmonia(Marc.xv], 9.); ce qui, d'après les Pères,
signifie que Jésus-Christ avait délivré Madeleine de
sept vices capitaux, par lesquels les démons agissentsur
l'homme, c'est-à-dire de l'universalité des vices; et en
avait fait une sainte (1). C'est donc un vrai type de l'É-
glise des Gentils, de l'Église romaine, que Jésus-Christ,
parla prédication de ses Apôtres, a délivrée des sept dé-
mons, de tous les vices par lesquels elle était aussi le
jouet de toutes les erreurs, et en a fait une Église aussi
sainte que catholique et apostolique, une Église mère
de toutes les Églises, et l'a chargée d'annoncer, dans
la suite des siècles, son Évangile par tout le monde.
Dans la personne des apôtres et des premiers disci-
ples, au nombre de cinq cents, comme l'atteste saint
Paul (I Cor., xv), cette Église a bien réellement vu
de se$ yeux le Seigneur, Ta entendu parler; et elle ne
nous apprend que ce qu'elle a appris elle-même de sa
bouche divine. En sorte qu'elle peut nous répéter en
toute vérité les belles paroles de Madeleine : « Oui, j'ai
vraiment vu le Seigneur; et ce que je vous dis, je ne
vous le dis qu'en son nom,, et ce n'est que ce qu'il m'a
dit lui-même; Vidi Dominvm; et hizc dixit mihi.

(1) « Septem daemonia Maria habuit, quia universis vitiis plena


« fuit (Theophil.). Quid septem dœmonia ntsi universa vitia signifl-
« cant[Gregorius)? »
122 HOMÉLIE IX.—LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

Les Apôtres étaient donc, en quelque manière, ex-


cusables de ne pas avoir tout de suite ajouté foi au té-
moignage de Madeleine et des femmes qui, après tout,
n'était qu'un témoignage de femmes. Mais comment
peut-on excuser ceux qui, même de nos jours, re-
poussent le témoignage de l'Église, qui n'est au fond
que le témoignage des Apôtres et des premiers dis-
ciples; témoignage d'autant plus fort et plus solide
qu'ils ont été d'abord plus lents, plus rétifs, plus op-
posés à croire ; qu'ils n'ont cm qu'après avoir tout
vu et tout constaté ; et que par leur doute et par leur
incrédulité même ils ont fait l'affaire de l'Église,
l'affaire du monde, établissant sur des preuves iné-
branlables la foi du monde et de l'Église? Comment
peut-on excuser ceux qui, n'ayant vu que leur per-
sonne, n'ayant entendu que leurs pensées, osent se
roidir contre le témoignage de l'Église, qui a vu et
entendu Dieu lui-même : Vidi Dominum, et hœc dixit
mihi? Ah ! ils se croient, ils se disent, pour cela, des
esprits forts, tandis qu'ils ne sont, comme les appelle
Jésus-Christ, que des insensés et des cœurs faibles,
n'ayant pas la force et le courage de croire : O siulti
et iardi corde ad credendum ! Et si cette incrédulité
est impardonnable dans l'homme, dans la femme elle
est aussi révoltante et en même temps ridicule.
Eh ! oui, l'incrédulité, aussi bien que le blasphème
et l'ivrognerie, a quelque chose de plus insupportable,
de plus hideux, et en même temps de plus étrange
dans la femme que dans l'homme. Née pour croire,
puisqu'elle est née pour aimer et que l'amour pousse
à la foi, la femme ne peut pas avoir l'air de vouloir exa-
OU LE BONHEUR DES PETITS. 123

miner, de vouloir faire de la philosophie, du rationa-


lisme, de l'incrédulité, sans exciter en même temps,
dans ceux qui l'écoutent, le dégoût et l'hilarité. Lors-
qu'on lui entend dire : « Je ne puis pas admettre, je
ne puis pas croire tel ou tel autre dogme de la reli-
gion, on est sûr que ce n'est pas parce que tel ou tel
autre dogme trouve une opposition réfléchie et sé-
rieuse dans sa haute raison ; mais c'est parce qu'elle a
appris que ces dogmes trouvent de l'opposition dans
la raison de quelques hommes, et que, par un senti-
ment propre aux enfants, elle veut se donner de l'im-
portance, elle veut se faire valoir, en singeant l'homme,
ce qui, loin de l'élever, la rabaisse dans l'esprit même
de l'homme qui ne croit pas, et la lui rend odieuse.
Ordinairement, l'homme incrédule, tout en maudis-
dissant la femme sincèrement croyante, la respecte ;
tandis qu'au contraire, tout en flattant la femme phi-
losophe, il la méprise. Ce sont donc là les vraies
sourees de l'incrédulité. Pour un petit nombre d'in-
crédules que l'ignorance forme, on n'est incrédule que
par inconséquence, par bizarrerie, par légèreté d'es-
prit, par vanité et par corruption de cœur.

1%. Pourquoi l'incrédulité des Apôtres a été excusée et pardonner,


tandis que l'incrédulité des faux philosophes sera impitoyable-
ment punie. Nécessité d'accepter l'enseignement de l'Eglise et do
se faire petit pour bien connaître Dieu et ses mystères.

Mais l'incrédulité des Apôtres à l'annonce qu'ils re-


çurent par les femmes de la résurrection du Sauveur,
étrangère à toutes ces causes, fut moins une faute
qu'une erreur, moins de l'orgueil que de la timidité,
124 HOMÉLIE IX.—LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

moins de la méchanceté que de la faiblesse. Tout en


ne croyant pas encore que le Seigneur était ressuscité,
ils ne désiraient pas moins cette résurrection ; ils ne
pleuraient pas moins, ne gémissaient pas moins et n'é-
taient pas moins désolés de ce que ce grand événe-
ment, qui devait s'accomplir le troisième jour, ne leur
était encore bien connu ni bien constaté : Lugentibus
et flentibus (Marc). Sperabamus quod ipse esset re-
dempturus' Israël, et nunc iertia dies est hodie, quod
hœc facta sunt (Luc., xxiv). Il y avait au fond de ces
cœurs incrédules quelque chose de ressemblant à la foi,
à l'espérance, à l'amour. Ainsi l'aimable Sauveur, tout
en leur reprochant cette incrédulité : Exprobravit in~
credtiHtatem eorum; la leur pardonne; car, sur l'ordre
de saint Pierre, à la nuit tombante, s'étant tous réu-
nis sur la montagne de la Galilée, et s'y étant enfer-
mésdans une maison, Jésus-Christ y entra sans en ouvrir
les portes, comme il venait de sortir du tombeau sans
en ôter la pierre. Il se trouva au milieu d'eux ; il se
montra à tous, il leur donna à tous la paix. Il les exhorta
à ne pas avoir peur, il leur montra les cicatrices de ses
plaies ; il les invita à toucher ces chairs sacrées, il
mangea avec eux, il leur communiqua son Saint-
Esprit, il leur conféra le don de l'intelligence des Écri-
tures, il leur donna la mission d'évangéliser la péni-
tence, le pardon et le salut dans tout le monde (Luc,
v. 36-47; Joan. v. 19-31). Mais nos incrédules ne
y

refusent d'accepter le témoignage de l'Église, ne s'a-


veuglent volontairement en présence de l'immense
lumière qui environne l'enseignement de TÉglise, ne
repoussent la vérité que dans l'intérêt des plus hon-
OU LE BONHEUR DES PETITS. 125
teuses passions. Ils la repoussent non pas parce qu'elle
est incompréhensible, mais parce qu'elle leur est in-
supportable; non parce qu'ils ne la connaissent pas,
mais parce qu'ils ne l'aiment pas; et leur incrédulité
est un grand péché aussi bien qu'une grande erreur.
Ils ne rencontreront donc pas la vérité dont ils ne veu-
lent pas. Jésus-Christ, ainsi qu'il en a fait la menace,
se rendra inaccessible à l'orgueil de leurs raisonne-
ments, à la mauvaise foi de leurs recherches. Ils ne le ver-
ront pas, ne le reconnaîtront pas par la foi, et ils mour-
ront dans le péché de leur aveuglement volontaire et
de leur inguérissable obstination; Quœretis me, et non
invenietis, et in peccato vestro moriemini.
Mais Pierre n'avait point partagé l'incrédulité avec
laquelle ses collègues accueillirent la révélation des
femmes ; il avait môme été le premier et le seul, dit
saint Eusèbe, à admettre le témoignage de ces saintes
femmes affirmant d'avoir vu les anges ( 1 ) . Touché,
même ému, cet Apôtre, de ce que les anges au nom de
Jésus-Christ avaient dit aux saintes femmes d'apporter
nominativement À PIERRE la grande nouvelle de la résur-
rection du Seigneur, il croit lui seul cette résurrection,
et par là il mérita que leSeigneur,à peine ressuscité, lui
apparût à lui seul d'une manière toute particulière :
Surrexit Dominus vere et apparuit Simoni (Luc., 3 4 ) .
y

Ainsi, comme Madeleine la pécheresse a été la pre-


mière parmi les femmes qui vit le Sauveur ressuscité,
Pierre le parjure a été le premier parmi les hommes
qui eût le même bonheur , afin que les pécheurs

( i ) « Quia solus credidit fœmiuis dicentibus se angelos viùinàe. »


126 HOMÉLIE IX.—LES SAINTES FEMMES A l TOMBEAU,

sachent qu'en se repentant sincèrement de leurs fautes,


en marchant sans regarder en arrière dans la voie de
rhumilité et de la pénitence, ils peuvent aspirer aux
premières grâces-, ils peuvent s'attendre à se voir pré-
férer par Jésus-Christ môme aux âmes les plus inno-
centes, les plus pures et les plus parfaites.
En attendant, voici Pierre commençant à remplir la
mission spéciale dont le divin Maître l'avait chargé, de
confirmer ses confrères dans la foi, après avoir bien
cru lui-même: Et tu, aliquarido conversus, confirma
fratres tuos [Luc.,- ixii). Car; en leur faisant part de la
grâce de prédilection qu'il venait de recevoir, il réussit
à leur faire croire à la résurrection du Seigneur. Aussi,
lorsque les deux disciples, en revenant d'Emmaûs, se
prirent à raconter à tout le monde comment ils avaient
vu et reconnu le Sauveur ressuscité, et que quelques-
uns de ses disciples ne voulurent pas croire à la
réalité de cette apparition, les Apôtres, au contraire,
leur dirent : Nods savions déjà tout cela. Le Sei-
gneur est V R A I M E N T ressuscité, puisqu'il a apparu à Si-
mon : Surrexit Dominus V E R E , et apparuit Simon?.
(Luc, 34).
Remarquons aussi, mes chers frères, que les Apô-
tres et, sur leur exemple, les disciples aussi n'avaient
pas encore achevé ce bel acte de foi que le Seigneilr
se trouve subitement au milieu d'eux, leur annonçant
la paix. Ainsi; comme les saintes femmes elles-mêmes
n'avaient vu le Seigneur qu'après avoir cru à sa résur-
rection sur le témoignage des anges, et comme Pierre
ne l'a vu non plus qu'après avoir cru le même mystère
sur le témoignage des femmes, de même tous les Apô-
OU LE BONHEUR DES PETITS. 127
très et les disciples ensemble n ont vu, à leur ttiur,
Jésus-Christ ressuscité qu'après avoir cru cette même
vérité sur le témoignage de Pierre. Or, que signifie
tout cela, si ce n'est que la Providehce s'est fait cette
règle de conduite à l'égard de l'homme, de ne lui
donner l'intelligence claire, la connaissance complète,
je dirais presque la vision spirituelle des mystères de
le religion qu'après qu'il a fait acte d'humilité en
croyant ces mêmes mystères sur le témoignage de
l'Église. Ainsi, tandis que, à l'école des hommes on
ne croit qu'après qu'on a compris, et que l'intelligence
des choses précède la foi, à l'école de Dieu, au con-
traire, on ne comprend qu'après qu'on a cru, et c'est
la foi qui précède et qui est la condition sine qua non
de l'intelligence ; Nisi credideritis, non intelligetis.
Tandis que dans le môhde matériel on ne trouve qu'en
haut la lumière, dans le monde spirituel on ne la
trouve qu'en bas. Que voulez-vous que j'y fasse? di-
sait hautement saint Paul. C'est ainsi qu'il a plu à Dieu
de ne vouloir sauver que l'homme qui commence par
accepter l'apparente folie de la croix et par croire,
fifths les comprendre, les grands mystères de la reli-
gion ; Placuit Deo per stultitiam prcedicationis salvos
fàcere credenies (I Cor., 1). C'est que l'orgueil aveugle,
et que c'est l'humilité seule qui éclaire -, c'est que
l'homme n'étant tombé que parce qu'il voulut s'élever
jusqu'à Dieu, il ne peut être relevé qu'en s'abaissaut
au-dessous de lui-même. C'est que comme tout péché
, n'a commencé que par l'orgueil; Initium omnis pec-
• cati superbia est, de même la grâce n'est accordée
qu'à l'humilité; Humilibus dat gratiam. C'est que, en
128 HOMÉLIE IX.—LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

se faisant petit, on est grand devant Dieu *, que ce


n'est qu'en se réduisant à la simplicité des enfants
qu'on entre dans le royaume des cieux, et que le salut
n'est que la conquête, le prix de l'humilité; Reve-
lasti ea parvulis. Nisi quis se humiliaverit sicut par-
vulus non intrabit in regnum cœlorum.
y

C'est en eflet aux saintes femmes, c'est aussi aux


Apôtres, aux vrais disciples de Jésus-Christ que l'ange
a dit : Vous verrez dans la Galilée le Seigneur ressus-
cité; je vous le prédis, je vous le promets, comme il
vous l'a prédit et comme il vous l'a promis lui-même:
In Galilœa\ ibi eum videbitis sicut dixit. Ecce prœdixi
vobis. Or, le mot Galilée ou Transfiguration et transfor-
mation signifiant, d'après saint Augustin, cette trans-
y

figuration , cette transformation heureuse de l'hu-


manité du Sauveur, jadis souffrante et mortelle, et
devenue par la résurrection immortelle et glorieuse,
signifie aussi cette transformation, cette transfigura-
tion non moins heureuse que subira l'homme lui-
même qui s'est associé aux mystères de son Sauveur,
et dans laquelle il verra ce divin Sauveur dans toute sa
gloire, comme il est lui-même. Ce n^est donc qu'un
mot, reprend saint Jérôme, que l'ange a adressé aux
saintes femmes et aux saints Apôtres, en leur disant,
au nom de Jésus-Christ, qu'ils l'auraient tous vu dans
la Galilée; mais ce moi Galilée, si court par rapport
aux syllabes qui le composent, est immense par rapport
à la promesse qu'il contient. Par ce mot, l'ange leur a
indiqué que le prix du salut éternel leur était assuré ;
que la source de la vraie joie leur était ouverte dans la
vraie Galilée, au ciel, où ils auraient vu le Seigneur,
OU LE BON H EUH DES PETITS. 129

mais bien autrement qu'ils l'avaient vu sur cette


terre (1).
Remarquons aussi que Jésus-Christ ressuscité a ap-
paru six fois le jour de sa résurrection. La première
fois à sa divine Mère; la seconde à Marie-Madeleine ;
la troisième aux femmes réunies revenant du tom-
beau; la quatrième fois à saint Pierre ; la cinquième
aux deux disciples d'Emmaùs, et la sixième, le soir du
même jour, à tous les Apôtres et aux disciples réunis
sur la montagne de la Galilée. Mais vous le voyez,
mes frères, c'est aux femmes que Jésus-Christ s'est
montré avant de se montrer aux hommes. Ce sont les
femmes qui ont vu les anges et ont appris de leur
bouche la première nouvelle de la résurrection du Sei-
gneur. Ce sont les femmes qui les premières ont été
instruites, par le Seigneur lui-même, des plus grands
mystères de la religion, et qui ont été chargées par lui
de les annoncer, de les évangéliser aux hommes. Ce
sont les femmes qui, dans ce grand jour, ont été éclai-
rées les premières par la lumière divine, et comblées
d'espérance et de consolations, et, par surcroit, ont
été assurées de la possession de la grâce et de l'amour
du Sauveur du monde et de la promesse de jouir un
jour de la gloire éternelle.
Vous conviendrez donc, mes frères, que ces femmes
ont été bien heureuses, bien récompensées de la sim-
plicité de leur foi, de la ferveur de leur piété, de la

(0 « Brevis sententia in syllabis, sed ingens in quantitate pro-


; « missîo. Ibi est gaudii fons et salutis œlernir origo prîeparala. Ibi
1
t tximvidebitis, sed non sicut vidistis. »
ii. 9
130 HOMÉLIE IX.—LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

constance de leur affection, de la générosité de leur


dévouement ; et vous conviendrez aussi qu'à elles seules
les touchantes choses qui se sont passées aujourd'hui
à Jérusalem, et que je viens de vous exposer, sont la
preuve la plus lumineuse, la plus frappante de l'im-
mense mérite qu'ont auprès de Dieu l'humilité de l'es-
prit, la sincérité du désir, la droiture du cœur; et
qu'autant est pitoyable le sort des sages, des savants
selon le monde, autant est grand, riche, ineffable,
complet et parfait le bonheur des simples et des petits
selon l'Evangile : Confitebor Ubi, Pater, quia abscon-
disti hcec a sapientibus et prudent'ibus, et revelasii ea
parvulis.
Mais il me reste à vous dire encore quelques mots
sur la nature des pratiques que, toujours d'après le
même Evangile de la résurrection, nous devons suivre
pour avoir part aux fruits, aux grâces ineffables de ce
grand mystère. C'est le sujet de notre dernière partie.

TROISIÈME P A R T I E .

LES MYSTÈRES DU TOMBEAU,

13. La vraie Galilée c'est le ciel. Voyage mystique au tombeau du


Seigneur. Les azymes de la sincérité. La matinée. L'entrée dans
le sépulcre. La bonne odeur de Jésus et la mauvaise odeur de
Satan. Augures et promesses.

T J E mystère de la résurrection est celui de tous les


mystères de Jésus-Christ que l'Église célèbre avec les
plus vifs transports d'allégresse et qui répand une plus
grande joie dans tous les cœurs chrétiens. Et pour-
OU LE BONHEUR DES TEIITS. 131

quoi? Parce que ce mystère delà résurrection et de


l'immortalité de l'auguste humanité de notre Sauveur
est aussi le gage et le type de notre résurrection et de
notre immortalité.
Nous venons de voir que le mot Galilée, d'après
saint Augustin, signifie révélation et transmigration,
La vraie Galilée est donc cette révélation ineffable
que nous aurons dans le ciel, où, comme l'a dit saint
Jean, nous verrons Dieu comme il est en lui-même, et
que nous deviendrons semblables à lui. La vraie Galilée
est aussi notre heureuse transmigration de ce siècle à
notre patrie éternelle (1). Et c'est aussi par la même
raison, ajoute Rabbanus, que l'ange a dit aux saintes
femmes et a fait dire aux Apôtres que Jésus-Christ res-
suscité les aurait précédés dans la Galilée. Car Jésus-
Christ ressuscité, selon saint Paul, n'est que l'essai, les
prémices, le précurseur de notre résurrection (2).
Mais que devons-nous faire pour atteindre ce bon-
heur? Les saintes femmes viennent de nous l'appren-
dre par leur conduite. Nous devons, ainsi que nous en
avertit aujourd'hui même saint Paul, particulièrement
pendant ces jours des azymes de Pâques, devenir des
azymes nous-mêmes : Sicut estis azymi (I Cor., v. 7),
par les résolutions les plus saintes, par les intentions
les plus pures, par les sentiments de foi les plus hum-

(1) « Galilœa interprétatif revelatio. Illa erit revelatio, tam-


« quam vera Galilœa, cum similes ei erîmus, et videbimus eum si-
• cuti est (Joan.}. Ista etiam erit beata transmigratto ex isto saeculo
« in illam œternitatem. »
(2) « In Gatilœam procedit, quia Christus resurrexït primitix
« dormientium. »
132 HOMÉLIE IX.—LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

hles, les plus simples et les plus sincères : In azymis


sincentatis et veritatis. Nous devons aussi, à l'exemple
des saintes femmes, chercher Jésus-Christ dans son
tombeau, à savoir, selon l'interprétation de Bède,
l'imiter, l'aimer dans sa passion, et nous faire une
gloire de sa croix (1), Nous devons aussi aller à ce
tombeau mystique à la pointe du jour, au lever du
soleil, après les ténèbres de la nuit, c'est-à-dire en
renonçant à l'obscurité de nos préjugés et de nos er-
reurs, à tous les systèmes nébuleux des faux philoso-
phes, qui sont la cause de nos vices (2),
Jésus-Christ est entré mort dans le tombeau et en
est sorti ressuscité. Les saintes femmes aussi sont
entrées dans le même tombeau du Seigneur le cœur
navré, l'esprit aveuglé, n'ayant qu'une foi chance-
lante, grossière, imparfaite, et en sont sorties l'esprit
éclairé par la lumière céleste, le cœur comblé d'une
ineffable joie. Les voilà donc, dit Sévérien, ces heu-
reuses femmes, après s'être enterrées avec Jésus-
Christ, ressuscitant spirituellement avec lui (3). C'est
ce que nous devons faire encore. Il ne suffit pas que
nous croyions à la mort de Jésus-Christ. Par le bap-
tême, selon la profonde doctrine de saint Paul, nous
étions morts au monde; la vie de corruption et de pé-
ché du vieil homme s'était effacée et avait été rempla-
cée par la vie de la grâce de Jésus-Christ en Dieu. Par
le baptême nous avions été ensevelis en compagnie

(i) « Ad sepulchrumt id estpassionem imitemur. »


{'!) « Orto jam sole, id est discussis tenebris vitiorum. »
« Introierunt mulieres sepulchrum, ut, consepultse Chrïsto,
« Christo cmisurgerent de sepuichro. »
OU LE BONHEUR DES P E T I T S . 133

de Jésus dans son propre tombeau ; par nos péchés


actuels nous sommes sortis de ce mystérieux tom-
beau où seulement on est vivant aux yeux de Dieu.
II est donc nécessaire que nous y entrions de nouveau
après être morts par la pénitence, à tous nos péchés,
à tous nos vices, à toutes nos passions : Mortui enim
estis, et vita vestra est abscondita cum Christo in Deo
(Colos., m). Consepulii ei in baplismo in quo et con-
surrexislis (Ibid., n).
Mais il ne faut pas aller les mains vides à ce mysté-
rieux tombeau ; les saintes femmes n'y sont allées qu'en
apportant de précieux aromates avec elles ; et ce n'est
qu'à cette condition qu'elles ont eu le bonheur de voir
les anges. Elles nous apprennent donc par là que ce
ne sont pas les esprits savants qui s'évaporent et se
perdent en de vaines spéculations, mais que ce sont les
esprits simples, dit saint Grégoire, les esprits ne dési-
rant, ne cherchant le Seigneur que parla pratique des
saintes vertus et d'une sincère piété qui ont le bonheur
de voir les citoyens célestes, de pénétrer les vérités de
la religion et de s'élever à une grande hauteur dans la
science de Dieu(l).
Mais les saintes femmes, apportant des aromates, de
la myrrhe, de l'encens au tombeau du Seigneur, nous
apprennent encore autre chose, d'après le vénérable
Bède; elles nous disent que nous aussi devons nous
empresser d'apporter devant le Dieu des vertus la

(1) « Mulieres angelos vident, quas cum aromatibus venerunt :


« quia illae mentes supernos cives aspiciunt quœ cum virtutibus ad
« sancta desideiia veniunt. »
134 HOMÉLIE I X . — L E S SAINTES FEMMES AU TOMBEAU,

bonne odeur ae nos œuvres vertueuses, et lui offrir


l'encens si suave et si agréable de nos prières (1).
Saint Paul a dit : Nous sommes la bonne odeur de
Jésus-Christ ; Christi bonus odor sumus (II Cor., n).
En effet, la femme chrétienne, en particulier, porte
toujours avec elle et est elle-même la bonne odeur du
Seigneur, comme la femme mondaine porte avec elle
et est elle-même la puanteur du diable.
Si vous trouvez dans une maison qu'on y parle bien
de Dieu, qu'on y pratique la religion, qu'on y édifie le
prochain, soyez sûrs que la femme chrétienne est pas-
sée par là ou habite là. Partout où elle passe, la femme
chrétienne laisse après elle une trace odoriférante de
piété et de religion ; partout où elle habite, elle rem-
plit, comme l'Evangile Ta dit de la Madeleine, toute la
maison de l'odeur des saintes vertus, de la trace des
bons exemples : Et domus repleta est odore unguenti
(Joan.). Au contraire, si dans une maison vous voyez
que la religion n'est pas plus respectée que les mœurs,
que la piété n'y est pas plus pratiquée que la charité,
sachez bien qu'une femme légère, vaine et orgueil-
leuse, qu'une femme sans décence, sans dignité, sans
pudeur, ou une courtisane, est passée par là ou habite
là. Car de pareilles femmes, partout où elles passent,
laissent après elles une odeur nauséabonde d'irréli-
gion et d'impiété; partout où elles habitent, elles fi-
nissent par remplir toute la maison de l'ingrate odeur
de tous les vices, de l'impression funeste du scandale.

( l ) « Nobis datur exempium, ut odorem bonorum operum et ora-


« tionum suavitatem Domino offerre studeamus. »
OU LE BONHEUR DES PETITS. 135

Que voulez-vous? Elles ne peuvent répandre autour


d'elles que l'esprit du démon, dont elles sont remplies;
elles sont la mauvaise odeur du diable, comme les
femmes vraiment chrétiennes ne répandent autour
d'elles que l'esprit de Jésus-Christ qui les inonde, el
elles sont la bonne odeur de Jésus-Christ : Christ i
bonus odor sumus. Nous savons donc, dit saint Gré-
goire, qu'aller avec des aromates au tombeau du Sei-
gneur n'est que nous présenter à Dieu le cœur rempli
de l'odeur des vertus chrétiennes en laissant après
nous la trace de l'édification de nos bonnes œuvres(1).
Ainsi arrangés, ainsi disposés, allons, nous aussi,
pleins de courage et d'espérance, au sépulcre du Sei-
gneur. Que la grande pierre qui le fermait, figure de
la loi divine, écrite sur la pierre, ne nous effraye
pas. Cette pierre vient d'être renversée, écartée de
l'entrée du monument; c'est-à-dire que, par la résur-
rection du Seigneur, toutes les lois sont devenues
faciles, de même que tous les mystères révélés sont
devenus infiniment croyables. La grâce qui dès au-
jourd'hui a commencé à se répandre dans le monde a
rendu suave au cœur le poids des commandements de
Dieu, en même temps qu'elle a rendu léger pour l'es-
prit le joug de la foi. L'amour humble croit tout, l'a-
mour simple espère tout, l'amour efficace obéit à tout,
supporte tout, est à l'épreuve de tout : Charitas omnia
crédit, omnia sperat, omnia sustinet.
Heureux si, à l'exemple des saintes femmes, nous
(1) « Si, odore virtulum refeeti, cum opinione bonorum openim
« Dominum qucerimus, ad monumentum illius cum aromatibu» per-
« venimus. »
136 HOMÉLIE I X . — L E S SAINTES FEMMES AU TOMBEAU.

célébrons par ces pratiques le mystère de la résurrec-


tion de notre divin Sauveur ; et si nous y persévérons
jusqu'à la mort, nous aurons, n'en doutons pas, mes
frères, nous aurons tous, ainsi que je vous le souhaite
à tous, comme à moi-même, le bonheur de voir notre
aimable Sauveur dans la véritable Galilée, dans sa ma-
nifestation céleste et éternelle. Car c'est Jésus-Christ
qui a dit : « Celui qui m'aime sera aimé de mon divin
Père, et moi je l'aimerai et je me révélerai à lui, je
me manifesterai moi-même à lui : Qui diligit me dili-
getur a Pâtre meo, et ego diligam eum, et manifesiabo
ei meipsum (Joan., xiv, 21); et il est impossible que
cette touchante et délicieuse parole, que le Fils de
Dieu a laissé tomber de sa bouche, ne s'accomplisse
pas. Oui, oui, vous répétcrai-je avec l'ange du tom-
beau : Si vous cherchez Jésus dans le sépulcre, vous
le retrouverez dans la Galilée; si vous en partagez les
humiliations et les souffrances, vous en partagerez
aussi la joie. Vous le verrez, je vous l'assure, je vous
le certifie; vous le verrez dans toute sa magnificence,
dans toute sa grandeur, dans toute sa lumière, dans
toute sa gloire, dans toute sa beauté : In Galilœam;
ibi eum videbitis. Ecce prœdixi vobis-, et, éternelle-
ment heureux, en lui et avec lui, vous serez-vous
mêmes une nouvelle preuve du B O N H E U R D E S P E T I T S .
Ainsi soit-il.
RÉSURRECTION DE LAZARE 137

D I X I È M E H O M É L I E

MARTHE ET MADELEINE A LA RÉSURRECTION


DE LAZARE,
OU

LA RÉSURRECTION DES MORTS ( * ) .


(Saint Jean, chapitre x i , v. 1-45).

Venit kora in qua omne$,qui in monumenlis sunt audienty voeem Filii


D e i ; et procèdent qui hona fecerunt in rcsurnrtioncm rifcr; qui vero mala
e g e r u n t , in resurredionem judicii ;
L'heure est venue où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la
voix du Fils de Dieu, et s'en iront, ceux qui ont fait le bien, dans la résur-
rection de la v i e ; ceux qui ont fait le m a l , dans la résurrection du jugement
(Joan., V ) .

INTRODUCTION.

1. L'homme ne mourant qu'à cause du péché et pouvant ressusci-


ter par Jésus-Christ, comme Jésus-Christ lui-même. La résur-
rection do Lazare figure de ce mystère, et sujet do cette homélie.

AINSI que Dieu le lui avait prédit, l'homme, en deve-


nant pécheur, est devenu mortel, est entré sous l'em-

O Ce miracle du Dieu Sauveur est, dit saint Augustin, le plus


grand, le plus étonnant, le plus magnifique de tous ceux qu'il opéra
dans l'ordre corporel, durant sa vie mortelle : Inter omnia mira-
cula gumfecit Dominus Jésus, Lazari resurrectio prœcipue prœ-
dicatur (Tract. 4 9 , in Joan.). Ce miracle eut lieu à Béthanic, petite
"Ville de la Judée, à deux milles de Jérusalem, dans les premiers
ours du mois de mars, la dernière année de la vie et de la pré-
dication du Seigneur; c'est-à-dire vingt jours avant 6a mort pré-
138 HOMÉLIE X . — MARTHE ET MADELEINE,

pire de la mort, lui appartient de plein droit, est son


serf, sa victime et sa proie : Quacumque die comederis
ex ea, morte morieris (Gen., II). La mort n'est donc,
dit saint Paul, que le tribut nécessaire, l'amende hono-
rable que le péché doit à la justice de Dieu : Stipendia
peccatimors (Rom., vi).
Si Jésus-Christ, disait encore saint Paul, est en nous
par la foi et par la grâce sanctifiante qui nous unissent
intimement à lui, notre esprit, vivant de sa justifica-
tion et de son immortalité, ne mourra jamais : Si Chris-
ius in vobis est... spiritus vivil propter justificationem
(Rom., vin). Mais pas même cette condition heureuse,
cet état divin de notre âme ne peut délivrer notre corps
de l'affreuse nécessité d'être dû à la mort, de mourir à
tous les instants, d'être mort même pendant qu'il vit,
en punition d'être le repaire, l'asile de la concupiscence
et du péché ' Corpus quidem mortuum est propter pec-
catum (Ibid.). Mais ne désespérez pas, mes frères,
cieuse. Comme donc une lampe brille d'une plus grande splendeur
un instant avant de s'éteindre, de même le Rédempteur du monde,
prés de mourir, en tant qu'homme, pour le salut des hommes, s'est
plu à donner, par cet éblouissant prodige, la preuve la plus frap-
pante de sa divinité, afin de rendre inexcusables les Juifs alors pré-
sents de la mort qu'ils allaient lui donner, et afin de confondre les
absents qu'une telle mort aurait scandalisés. Parmi les Évangélistes,
c'est saint Jean seulement qui a rapporté ce prodige, parce qu'il
n'appartenait, dit VÉmissène, qu'au disciple vierge, au disciple le
plus chéri de Jésus-Christ, d'être le rapporteur de ce fait, unique
au monde, de ce fait si sublime et si merveilleux, de cette démons-
tration sensible de la divinité de Jésus-Cbmt : Nutlus alius Evan-
gelistarum hoc descripsit; solo Joanni reservatum est. Quia res
tant unica et taux egregia nullum alium quam dxleciissimum
Christi Vïrginem meruit habere rclalorem (ExposiU)»
RÉSURRECTION DE LAZARE. 139

ajoute encore saint Paul, ne désespérez pas pour cela


d'obtenir un jour, même par rapport au corps, l'im-
mortalité et la vie. Si vous avez le bonheur de posséder
en vous cet Esprit de Dieu qui a fait ressusciter Jésus-
Christ de la mort, ce même Esprit de Dieu, habitant en
vous, fera aussi ressusciter, un jour, vos corps mor-
tejs, vos corps morts. Car, vivifiés par le même Esprit
de Jésus-Christ, il est impossible que vous ne partagiez
pas le privilège de sa résurrection, de son immortalité et
de sa vie ; Quod si Spiritus ejus, qui suscitavit Jesum
a mortuis, habitat in vobis : qui suscitavit Jesum Chris-
tum a mortuis, vivificabit et mortalia corpora vesira,
propter inhabiiantem Spiritum ejus in vobis (Ibid.).
Oh! que ces paroles sont douces, sont consolantes!
Ainsi la résurrection de Jésus-ChrisCest en même temps
le modèle et la raison, l'exemple et le gage de notre
glorieuse résurrection; et si nous vivons de lui et pour
lui, nous ressusciterons un jour comme lui et par lui!
Mais cet aimable Sauveur n'a pas voulu attendre sa
résurrection pour nous donner l'espérance, la certitude
de la nôtre. En ressuscitant, parla puissance de sa pa-
role, par la vertu de sa divinité, son ami Lazare, mort
depuis plusieurs jours, il nous a fait voir comment,
nous aussi, quoique morts depuis plusieurs siècles, res-
susciterons un jour, par la puissance de cette même
parole, par la vertu de cette même divinité. Car c'est
lui-même qui, quelque temps avant de ressusciter La-
zare, prononça ces paroles : Le temps est arrivé où
tous les morts entendront, dans le silence de leurs
tombeaux, la voix toute-puissante du Fils de Dieu, et,
au même instant, ressusciteront tous de la mort. Et
140 HOMÉLIE X . — M A R T H E ET MADELEINE,

ceux qui auront fait de bonnes œuvres reprendront


une vie d'immortalité et de gloire, et ceux qui se se-
ront mal conduits ressusciteront pour subir un juge-
ment sévère dans une vie mille fois pire que toute mort :
Venit hora in qua omnes, qui in monumentis sunt,
audient vocem filii Dei; et procèdent qui bona fecerunt
in resurrectionem vitce; qui vero mala egerunt, in
resurrectionem judicii.
Or, il est évident que, par ces sublimes paroles,
Jésus-Christ a d'abord prédit le grand prodige qu'il
devait bientôt opérer, celui de faire entendre à Lazare
renfermé dans le sépulcre sa divine voix pour le rappeler
à la vie ; et il est évident encore qu'il n'a appelé le jour
de la résurrection de Lazare, l'heure de la résurrection
de tous les morts, que parce que cette résurrection par-
ticulière d'un seul homme a été la figure, l'essai, les
prémices de la résurrection universelle de tous les
hommes, et qu'une résurrection ne sera pas plus diffi-
cile que l'autre, puisque tous les hommes ne ressusci-
teront que par le même moyen qui a ressuscité Lazare,
par la voix toute-puissante du Fils de Dieu : Venit
hora in qua omnes, qui in monumentis sunt, audient
vocem Filii Dei.
Mais remarquons aussi, pour ne pas oublier aujour-
d'hui le sujet de nos homélies, L E S F E M M E S D E L ' É V A N -
G I L E , que ce grand prodige, renfermant à lui seul le

mystère et l'espérance d\uu prodige encore plus grand,


le Fils de Dieu ne l'a opéré que par les mérites el les
prières de Marthe et de Madeleine, qui sont, après la
sainte Vierge, les deux plus saintes femmes de l'Évan-
gile.
RÉSURRECTION DE LAZARE. 141

En considérant donc aujourd'hui, avec un vrai esprit


de foi, avec les sentiments de la reconnaissance et de
l'amour, le sublime prodige de la résurrection de La-
zare, ce chef-d'œuvre de la bonté et de la toute-puis-
sance de notre divin Sauveur, nous aurons un double
avantage. D'abord nous y apprendrons par quels moyens
nous devons nous préparer à cette résurrection finale de
tous les corps, afin qu'elle ne soit pas pour nous la ré-
surrection du jugement) mais la résurrection de la vie ;
et en même temps nous verrons combien est grande la
force du mérite et de la prière de la femme chrétienne,
pour obtenir à ses frères la résurrection de l'esprit.
C'est donc dans un de ses principaux effets, dans
une de ses plus douces espérances que nous allons con-
sidérer le mystère de la résurrection du Seigneur, qui
fait, dans ce temps pascal, toute notre joie; et c'est là
la plus belle manière, ce semble, de mettre fin à notre
station. Ave, Maria.

DEUXIEME PARTIE.

LES PRÉLIMINAIRES DE LA RÉSURRECTION DE LAZARE.

2. La famille de Lazare. Pourquoi elle était chère à Jésus-Christ.


Touchant message que Marthe et Madeleine lui envoient sur la
maladie de leur frère, et réponse du Seigneur.

I L y avait à Béthanie, dit l'Évangéliste en commençant


cet admirable récit, il y avait à Béthanie une famille
composée de trois membres, un frère et deux sœurs.
Le frère s'appelait L A Z A R E ; des deux sœurs, l'une se
nommait M A R T H E et l'autre M A R I E ; et cette Marie,
142 HOMÉLIE X. — MARTHE ET MADELEINE,

ajoute l'historien sacré, était cette même femme qui


avait oint de parfum le Seigneur et lui avait essuyé les
pieds avec ses cheveux : Erat autem quidam languens
Lazarus a Bethania, de Casteîlo, Marice et Marthœ,
sororis ejus. Maria autem erat, quœ unxit Dominum
unguento, et extersit pedes ejus capillis suis; cujus
frôler Lazarus infirmabatur (Joan. xi, 1 et 2). Il n'y
a donc pas de doute que Marie, la sœur de Marthe et
de Lazare, ne fût la Madeleine, dont nous avons déjà
raconté l'admirable conversion.
Or, cette heureuse famille, dit toujours l'Évangé-
liste, était la famille que le divin Sauveur aimait, ché-
rissait le plus sur cette terre : Diligebat Jésus Martham
et sororem ejus, Mariam, et Lazarum (v. 5). Et pour-
quoi?Est-ce peut-être parce que cette famille était noble
et riche? Eh non, ce ne sont pas là des titres qui don-
nent droit à la prédilection, à la tendresse du Fils de
Dieu. Mais c'est parce que ce Fils de Dieu trouvait clans
cette heureuse famille la noblesse modeste, la richesse
charitable, la sainteté formant son plus bel ornement;
c'est parce que Marthe étant le miroir de l'innocence,
Madeleine étant l'exemple de la pénitence, Lazare étant
le modèle de la charité, cette famille était, dirais-je, un
bouquet vivant des fleurs spirituelles les plus agréables
à l'odorat de Dieu, la personnification des vertus qui
sont les délices de son cœur et attirent sur elles les
regards de sa miséricorde et de sa bonté.
Mais comme les avantages de la terre ne nous assu-
rent pas l'amour du Dieu du ciel, de même l'amour du
Dieu du ciel, quelque grand qu'il soit, ne nous exempte
pas des misères et des maux de la terre. Ne vous éton-
RÉSURRECTION DE LAZARE. 143

nezdoncpas, mes frères, d'apprendre que Jésus-Christ,


tout en aimant tendrement la sainte famille de Lazare,
ait laissé surprendre Lazare par une grave maladie qui
plongea ses bonnes sœurs dans l'affliction et dans la dou-
leur : Erat languens Lazarus (v. 1). Jésus-Christ lais-
sant tomber malade et même mourir Lazare, son ami,
est Jésus-Christ, dit saint Chrysostôme, nous appre-
nant par là que si, malgré notre fidélité à Dieu et
notre amour pour Dieu, ce Dieu nous humilie et nous
afflige, nous ne devons pas nous en attrister, nous en
plaindre. Car ce n'est pas parce qu'il ne nous aime pas
qu'il nous traite ainsi -, mais c'est parce qu'il veut, par
les souffrances dans le temps, élever notre mérite et
nous préparer à une plus grande gloire pour l'éternité !
C'est ce qu'il a déclaré, dans les Livres saints, par ces
paroles : « Je traite plus sévèrement ceux que j'aime
le plus; et je ne leur pardonne rien sur la terre, afin
de les faire grands, heureux dans le ciel (1). »
Lazare et ses sœurs savaient bien cela; par consé-
quent, dit saint Augustin, quoique Lazare fût dans les
souffrances et ses sœurs dans l'affliction, ils n'en étaient
pas moins résignés tous, et, se connaissant tous aimés
par Jésus-Christ, ils n'avaient pas tous inoins de con-
fiance dans Celui qui est la santé des malades et la con-
solation de ceux qui sont dans la douleur (2).

(1) « Per hoc erudiens nos non tristari si qua infirmïtas facta fue-
« rit circabonos viros, et amicos Dei, juxta illud ; « Ego quos amo
« arguo etcastîgo (Homil. 6 2 , in Joan.). »
(2) a i l l e languens, istœ tristes, omnos dilecti; habebant ergo
« spem ab eo qui est consolatur dolentium, langueiitium sanator
i (Loc. cit.). »
144 HOMÉLIE X. — MARTHE ET MADELEINE,

C'est dans ces dispositions que les sœurs affectionnées


de Lazare envoient un messager à Jésus-Christ dans la
Galilée, chargé de ne lui rien dire que ces deux mots,
renfermant la plus sublime et la plus éloquente prière :
Seigneur, voilà que celui que vous aimez est malade :
Miserunt ergo ad Jesum sorores ejus qui diceret : Do-
mine, ecce quem amas infirmatur (v. 3).
Oh! que ce message, dit saint Augustin, est plein
d'intelligence et de charmes ! Marthe et Madeleine ne
mandent au Seigneur ni les souffrances de Lazare ni
leur propre douleur. Elles ne lui disent pas : « Venez
vite, » ou bien : « Commandez à la maladie qu'elle
s'en aille, et elle s'en ira. » Elles ne lui disent que ceci ;
a Seigneur, Lazare, votre Lazare, que vous chérissez
tant, est gravement malade. » C'est comme si elles lui
eussent dit : « Seigneur, nous ne faisons cfue vous ex-
poser l'état dangereux de notre frère. Cette exposition
suffit à elle seule pour vous qui aimez tant Lazare. Vous
n'avez pas besoin que nous vous disions ce que vous
devez faire. Votre cœur si bon, si indulgent pour nous
vous le dira assez. Nous savons bien que Jésus n'aban-
donne pas celui que Jésus aime (1). »>
Voyez, mes frères, comment ces saintes femmes
connaissent bien le cœur de Jésus et les moyens d'y
pénétrer, d'y faire une douce violence et en obtenir ce
qu'on lui demande! Ah! une prière faite dans un tel
esprit de foi, d'humilité, de résignation et de confiance

( l ) « Non dixerunt : Veni, jube, et sic fiet. Amanti tantummodo


« nuntiandum fuit, quasi dicerent : Sufficit tibi si noveris. Nequc
« enim amas et deseris. »
A LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 145

ne peut pas manquer son objet, et dés ce moment nous


pouvons être certains que quelque chose de grand s'en-
suivra, et que le prodige de telles vertus de la part de
ces belles âmes va être couronné par la vertu d'un
grand prodige de la part du Seigneur!
Cependant l'aimable Sauveur, en entendant que son
bien-aimé Lazare est malade, ne bouge pas. 11 se con-
tente de répondre d'un air d'indifférence par ces mots
à ceux qui lui avaient apporté cette nouvelle : « Cette
maladie n'est pas une maladie de mort; cette maladie
de Lazare n'est pas venue pour enlever Lazare de ce
monde, mais pour que Dieu soit glorifié et pour que le
Fils de Dieu soit dans elle reconnu dans le monde \Au-
diens autem Jésus dixit eis : Infirmitas hcee non est ad
mortem sed pro gîoria Dei : ut glorificetur Filius Dei
y

per eam. »
O la belle parole que celle-ci! s'écrie Théophylacte.
Vraiment cette maladie de Lazare n'était pas un sinistre
présage de mort, puisqu'elle devait au contraire donner
lieu à un grand prodige par lequel les hommes, en
croyant à la divinité de Jésus-Christ, éviteront la
mort (1)!
Du reste, sans montrer la moindre inquiétude, sans
se donner le moindre souci du sort de Lazare, le divin
Sauveur s'arrêta là où il était pendant deux jours
encore, en sorte que, en attendant, Lazare mourut et
son cadavre fut déposé au tombeau : Ut audivit guia

( 2 ) « Infirmitas haec non erat ad mortem, sed ad miraculum :


• quo facto crederent homines in Christum, et vitarent mortem
« (Bxpos.). »
n. 10
146 HOMÉLIE X. — MARTHE ET MADELEINE

infirmabatur, tune quidem mansit in eodem loco duobus


diebus (v. 6).

3. Dessein de miséricorde du Seigneur en permettant la mort de La-


zare. Jésus-Christ la lumière du monde, les Apôtres les heures
du jour. Confiance exagérée de Thomas dans son propre cou-
rage.

Je ne saurais vous dire la douleur et l'étonnement


que cette mort de Lazare causa à ses bonnes sœurs.
« Nous n'y comprenons rien, se disaient-elles. Il a su
« à temps la maladie de notre frère. Comment donc, en
« sachant Lazare à l'extrémité et nous autres désolées,
« n'est-il pas venu? Comment concilier tant d'affection
« pour notre famille avec tant d'indifférence dans un
« moment si douloureux? » De quoi vous plaignez-
vous donc, âmes simples? leur dit Àlcuin. Jésus n'a
différé d'aller guérir votre frère malade qu'afin d'avoir
l'occasion d'opérer un plus grand miracle, le miracle de
le ressusciter de la mort ( 1 ) . S'il a attendu, ajoute saint
Chrysostôme, que le corps de Lazare fût depuis quatre
jours enfermé dans son sépulcre, c'était afin que per-
sonne ne pût douter de la vérité de sa mort, ni, par
conséquent, de la vérité desa résurrection non plus (2).
Marthe, Madeleine, leur dit Théophylacte, comprenez
donc bien les desseins ineffables et pleins de bonté du
cœur de Jésus. Lorsqu'il semble oublier les âmes qui
lui sont chères et les laisser en proie à l'humiliation
et à la mort, c'est alors qu'il les prépare à la gloire et

(1) « Sanare distulit, ut vnirabiHus suscitaret. »


(2) « Exspectavit ut sepeliretur; ut nullus posset dicere quod
* nondum mortuum suscitasse! (Loc. cit.). »
A LA RÉSURRECTION D E LAZARE. 147

à la vie 1 Oh ! si vous saviez le grand honneur qu'il


ménage à votre famille! Ce frère chéri, que vous re-
grettez que Jésus-Christ ait laissé mourir, a été choisi
par Jésus-Christ pour être jusqu'à la fin du monde, la
preuve et l'apologie de sa divinité. Il va le ressusciter,
et par là il se servira de lui pour s'annoncer au monde
comme étant le seigneur et le maître de la mort et de
la vie (1). Et vous-mêmes, aurait-on pu leur dire
encore, et vous-mêmes, femmes fortunées, vous serez
associées, vous aussi, à cette insigne gloire de votre
frère. Votre nom se trouvera toujours mêlé à l'admi-
rable récit de ce prodige, par lequel le Fils de Dieu
s'est, de la manière la plus éclatante, révélé au monde.
Car il ne sera jamais question de la résurrection de
Lazare sans qu'il soit ditque ce prodige de la toute-
puissance et de la bonté du Sauveur des hommes a été
aussi l'œuvre de votre foi, de votre humilité, de votre
confiance et de vos prières Jésus va donc faire
pour vous plus que vous n'auriez su demander à sa
bonté. H va faire pour vous ce que ni vous ni per-
sonne au monde n'aurait su en attendre, n'aurait su
imaginer.
En effet, le voilà, mes frères, ce même Jésus, qui
vient de se montrer si indifférent à aller trouver Lazare
malade, se montrant impatient d'aller trouver Lazare
mort. Car, allons, dit-il à ses disciples, allons vite de
nouveau dans la Judée ; Post hœc dixit discipulis suis :
« Eamus in Judœam iterum (v. 7). » Comment? ro-

( I ) « Ideo mori perrnisit, ut, eum resuscitando, se vïtœ mortisque


« Dominum esse declararet (Expos.), »
148 HOMÉLIE X . — MARTHE ET MADELEINE

prennent à cette proposition les Apôtres, comment:*


vous voulez donc aller'de nouveau dans la Judée?
Mais, y pensez-vous, maître? avez-vous donc oublié
qu'il n'y a que quelques jours que les Juifs voulaient
vous lapider? Voulez-vous vous remettre de nouveau
dans leurs mains; Rabbi, nunc guœrebant le Judœi
lapidare; et iterum vadis illuc (v. 9)?
C'est ainsi que parlaient les Apôtres, ne sachant pas,
dans leur affection toute humaine, remarque saint
Augustin, ce qu'ils disaient. Car rien n'était plus
stupide, ni plus absurde que cette pensée des Apôtres,
de vouloir détourner de la mort ce divin Sauveur, qui
n'était venu au monde que pour y subir volontaire-
ment la mort, afin de délivrer de la mort non-seule-
ment eux-mêmes, mais tout le monde(1)! Et d'ail-
leurs, poursuit saint Augustin, si quelques jours aupa-
ravant, en agissant en homme et pour démontrer qu'il
était Yrai homme, le divin Maître avait fait semblant
de vouloir se dérober aux embûches des Juifs, à pré-
sent, en retournant de son plein gré dans la Judée,
sans que personne ose lui faire du mal, il veut prouver
qu'il peut, comment et quand cela lui plaît, dominer les
volontés perverses des hommes, les faire servir, avec
une indépendance absolue de sa part, à l'accomplisse-
ment de ses desseins, et qu'il est aussi vrai Dieu (2).
Et c'est ce dont il voulut instruire ses timides disciples
en leur disant : N'y a-t-il pas douze heures dans le

(1) « Voluerunt consilium dare Domino ne moreretur, qui mori


« venerat, ne et ipsi morerentur. »
(2) « Diccssit u t h o m o : sed in redeundo, quasi oblitus infirmita-
* tem, oslendit noteslatcm. »
A LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 149
jour? Si quelqu'un marche pendant le jour, il ne se
heurte point, parce qu'il voit LA LUMIÈRE DE CE
MONDE; mais s'il marche dans la nuit, il se heurte,
parce qu'il n'a point de lumière : Respondit Jésus :
Nonne duodecim sunt horce dieiî Si guis ambulaverit
in die, non offendit, quia L U C E M H U J U S M U N D I videt. Si
autem ambulaverit in nocte offendit, quia lux non est
y

in eo (v. 9 et 10).
Cette réponse de notre divin Maître paraît très-
simple. Rien cependant n'est plus important pour
nous, ni plus profond, ni plus mystérieux. L'Évangé-
liste saint Jean a dit que le Verbe divin est L A V R A I E
L U M I È R E Q U I É C L A I R E T O U T H O M M E V E N A N T D A N S CE MONDE .

Erat lux vera quœ illuminât omnem hominem venien-


tem in hune mundum (Joan., i); et quelques jours
auparavant Jésus-Christ lui-même avait dit : « Tant
que je suis dans ce monde, JE SUIS LA LUMIÈRE
DU MONDE; Quamdiu su?n in mondo, lux sum mundi
(Joan., ix). Cette L U M I È R E D U M O N D E dont il parle
aujourd'hui à ses disciples n'est donc que lui-même,
et les douze heures du jour ne sont, dit saint Augustin,
que ses douze Apôtres eux-mêmes ; car, comme, dans
le monde matériel, les heures du jour sont toutes éclai-
rées par la même lumière, de même, dans le monde
spirituel, les douze Apôtres ont reçu de Jésus-Christ,
VRAIE L U M I È R E D U M O N D E , la lumière dont chacun d'eux
a été éclairé, et dont il a, à son tour, éclairé le monde.
En disant donc : « Les heures du jour sont au nombre
« de douze. Celui qui marche pendant le jour ne
« bronche pas; car il jouit de la lumière du monde-,
« c'est en marchant pendant la nuit qu'on trébuche,
150 HOMÉLIE X, — M A R T H E ET MADELEINE

« parce qu'on n'a pas la vraie lumière, » le Fils de


Dieu a voulu dire, toujours d'après saint Augustin,
que ses douze Apôtres, éclairés par lui, auraient formé
le jour entier, le grand jour du monde; qu'en suivant
leurs doctrines, et en marchant sur leurs traces, on ne
peut pas se tromper, on ne peut pas tomber dans l'er-
reur; et que, en dehors de ce jour de renseignement
apostolique, la sagesse purement humaine n'est rien ;
par cette sagesse, l'homme n'a pas en lui la vraie
lumière du monde qui rayonne et rayonnera toujours
dans l'Église établie par les Apôtres; la nuit se fait;
tout est dans l'homme incertitude, obscurité, ténè-
bres, et de là tout est aussi chute, ruine et mort spiri-
tuelle (1). Voilà donc, en ces deux mots, révélé et
prédit le grand mystère de l'enseignement de l'Église,
de la nécessité de cet enseignement, de ses avantages,
de sa magnificence, de sa gloire.
Mais ces sublimes paroles mêmes du Seigneur si-
gnifient encore autre chose. Ayant dit déjà, comme
on vient de l'entendre : « Tant que je suis dans le
monde, J E S U I S L A L U M I È R E D U M O N D E , ) ) il nous avait
appris que le temps de sa vie mortelle, de sa vie pré-
cieuse dans ce monde était le jour, et que la nuit, nuit
affreuse, serait faite pendant sa Passion et à l'ins-
tant de sa mort. En disant donc aujourd'hui aux
apôtres, qui tremblaient pour lui et pour eux-mêmes
de la fureur des Juifs : « On ne court aucun risque

( l ) « Ut d i e m s e esse ostenâeret, duodecim Apobtolos elegit. Hora-


« Ulustrantur a die, et per Apostolorum pr#dicationem crevit mun-
« dus in diem (loc. cit.). »
A LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 151

pendant le jour; c'est pendant la nuit qu'on doit


craindre de tomber, » ce fut comme s'il eût dit â ces
Apôtres, d'après Théophylacte : En retournant en ma
compagnie dans la Judée, pendant que je suis encore
en vie, vous n'avez rien à craindre-, c'est lorsque je
me serai momentanément éclipsé, pendant ma passion
et ma mort, c'est alors, c'est pendant cette éclipse de
la vraie lumière, qui maintenant vous éclaire et vous dé-
fend, que vous avez tout à craindre, le scandale pour
vos âmes bien plus que la mort pour vos corps(1).
A ce discours, prononcé d'un ton d'autorité et de
majesté toute divine, les Apôtres se turent en cher-
chant à se l'expliquer dans le silence. Seul saint Tho-
mas, qui parut le comprendre mieux que les autres,
dit à ses collègues : Eh bien, allons ; et s'il le faut,
nous aussi nous mourrons pour lui et avec lui : Dixit
ergo Thomas ad condiscipulos : Eamus et nos, ut mo-
riamur cum eo (v. H ) .
Malheureux apôtre, dit, sur cette reprise si légère de
Thomas, le vénérable Bède; malheureux apôtre qui,
en parlant ainsi, compta sur la générosité de son cœur
sans songer à la fragilité de ses forces et sans se mettre
en demeure d'implorer le secours de cette L U M I È R E D I -
V I N E , à l'aide de laquelle seulement on pouvait éviter

toute chute. Comme Pierre, dans quelques jours d'ici,


ce même Thomas, qui fait aujourd'hui cette déclara-
tion, on dirait presque cette boutade de courage,

( l ; « Dies, tempus praecedens passionem; nox, ipsa passio. Dum


• dies est, dum passionis tempus nondum advenu, non oûendetis
« (Expos.). »
152 HOMÉLIE x.— MARTHE ET MADELEINE

n'aura de confiance qu'en lui-môme, se croira assez


fort par lui-même, et par conséquent, dans la nuit de
la Passion, comme Pierre, Thomas se heurtera lui
aussi, s'échappera comme les autres, et sera incrédule
plus que les autres (1). Ah ! mes frères, que l'homme
est peu de chose par lui-même! A l'ahri de toute
erreur, de tout péché tant qu'il marche à la lumière de
la parole de Dieu, à l'appui de la grâce de Dieu, il
n'est que le triste jouet de tout péché et de toute
erreur dès que, se retranchant en lui-même, il n'a
d'autre ressource quo ses propres forces et ses propres
lumières. Mais revenons à notre Évangile.

4. Jésus se prouvant Dieu en annonçant la mort île Lazare à ses


disciples. Le sommeil de la mort des amis de Jésus-Christ.

Lorsque, dans la personne de ses disciples, il nous


révélait ces importantes vérités, le divin Sauveur était
corporellement à trois jours de distance de Béthanie.
Les messagers que Marthe et Madeleine lui avaient en-
voyés ne lui avaient appris, comme le remarque saint
Augustin, que la maladie de Lazare. Humainement
parlant, il ne pouvait donc pas savoir que Lazare était
mort (2). Mais ce qu'à une pareille distance l'homme
ne pouvait pas connaître, pouvait-il être caché au Fils
de Dieu ? Ce Fils de Dieu, dans les mains duquel tom-
bent toutes les âmes de ceux qui meurent, pouvait-il

(l) « Sic loquebatur quasi faccre possit quae alios hortabatur,


« immemor fragilitatis suée, sicut et Petrus (Cat.). »
(t) « /Eger, non mortuus fuerat nuntialus. »
A LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 153

ignorer que Lazare venait d'exhaler la sienne (1)?


Le voilà donc, ce Fils de Dieu, au même instant où
Lazare expire en Béthanie, annonçant sa mort aux
disciples en Galilée, en leur disant : « Savez-vous ? La-
zare, notre ami, vient de s'endormir, et je vais le cher-
cher pour le réveiller de son sommeil; Lazarus ami-
cus noster dormit ; sed vado, ut a sumno excitem eum
(v. 12). » Oh! reprend ici encore saint Augustin, que
ces paroles du Dieu fait homme sont sublimes en
même temps que délicieuses, consolantes pour les vrais
chrétiens! Rien d'abord de plus exact que cette ex-
pression : « Lazare dort,» appliquée à Lazare qui ve-
nait de mourir. Aux yeux des hommes qui ne pou-
vaient pas le resssusciter, Lazare n'était qu'un mort;
mais pour Celui qui par sa puissante parole allait le
rappeler à la vie, Lazare n'était qu'un homme en-
dormi, pouvant se réveiller à tout instant ; et c'est de
ces paroles du Seigneur que saint Paul a appris à ap-
peler «dormants» les vrais fidèles qui, en mourant
dans le Seigneur, vont attendre dans leurs tombeaux
le moment de leur réveil à une vie glorieuse et im-
mortelle (2).
Remarquez aussi que le divin Sauveur n'a pas dit :
«Lazare mon ami, » mais « Lazare notre ami, à nous, »
et par là, en faisant allusion aux trois personnes de

(t) • Sed quid laterat eum ad cujus manus anima morientis exie-
« rat? »
( 2 ) * Verum dixit : Domino dormiebat, hominibus mortuus erat
* qui cum suscitare non poterant. Ergo, secundum potentiam suam,
« dixit « dormientem. » Sicut Apostolus « dormientes » appcilavït
• quos resuscitaturos pvaenuntiavit (Awj., toc. cit.). »
154 HOMÉLIE X . — MARTHE ET MADELEINE

l'auguste Trinité, il a voulu nous apprendre que


l'homme de bien, l'homme de foi et de charité, l'homme
à l'état de grâce, comme Lazare, est l'ami véritable
des divines Personnes, le Père, le Fils et le Saint-
Esprit-, qu'il a droit à leur intimité, à leur tendresse,
à leur amour, et que sa mort n'est qu'un sommeil, le
plus tranquille, le plus doux, le plus suave : Amiens
noster dormit. Entendez donc bien cette précieuse le-
çon, consolez-vous, et ne craignez pas les approches
de la mort, âmes chrétiennes, âmes fidèles, âmes aimant
sincèrement Jésus-Christ. Vous mourrez sans doute,
vous aussi, comme le reste des hommes-, mais en mou-
rant vous ne ferez que Y O U S endormir en compagnie
de Jésus-Christ, votre ami chéri, pour ressusciter un
jour par lui, comme lui : Lazarus amicus noster dor-
mit; sedvado, ut a somno excitem eum!
Mais les Apôtres, esprits simples et grossiers, ne
comprirent rien alors à un si doux et si mystérieux
langage; et ils pensèrent, dit l'Évangéliste, que Jésus-
Christ n'avait parlé que de l'assoupissement du som-
meil de Lazare, tandis que le Seigneur n'avait parlé
que de sa mort : Dixerat autem Jésus de morte ejus.
Illi autem putaverunt quia de dormitione somni di-
ceret(y. 13). Ainsi, les Apôtres lui firent cette naïve
réponse : Seigneur, si Lazare dort, il ne court aucun
risque ; on peut même le considérer comme guéri
déjà : Si dormit, salvus erit (v. 14). Et par là ils eurent
l'air de lui dire encore, d'après saint Chrysostôme, que
puisque Lazare n'était plus en danger (car un malade
qui dort bien est un malade guéri), il n'était pas néces-
saire de faire le voyage de la Judée pour aller le faire
A. LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 155

lever(l). Sur ce le Seigneur, sans altérer sa douceur,


leur dit : « Puisqu'il faut qu'on vous dise clairement
les choses, sachez qu'il ne s'agit pas de sommeil. La-
zare est mort. Et moi je me réjouis de cette circon-
stance, parce je n'étais pas là, mais je ne m'en ré-
jouis qu'à cause de vous, afin que vous puissiez mieux
croire : Tune ergo Jésus dixit eis manifeste : Lazarus
mortuus est\ et ego gaudeo propter vos, ut credatis;
guoniam non eram ibi (v. 15). »
En effet, dit saint Augustin, les Apôtres, en allant
dans la Judée et en apprenant que Lazare était mort
au moment même où le Seigneur, sans avoir ni vu ni
entendu cette mort, la leur avait annoncée dans les
termes les plus clairs, ne pouvaient plus douter que
Jésus-Christ voyait les choses éloignées, comme si
elles lui étaient présentes, et ils auraient cru encore
mieux à sa divinité (2).
D'après saint Pierre Chrysologue, ce fut comme si
Jésus-Christ leur eût dit ceci : « La résurrection de
Lazare, à laquelle vous allez assister, ne sera que la
figure de ma résurrection. On verra d'avance dans le
serviteur un essai de ce qui, dans quelques jours, arri-
vera au maître. Lors donc que je me présenterai à
vous comme étant ressuscité après ma mort; en vous
souvenant que Lazare est ressuscité quatre jours après,
vous n'aurez pas de peine à croire que je serai ressus-
cité quelques heures après ma mort -, en vous souve-

(0 « Solet esse somnus œgrotantium salutis indiciurn. Non igitur


« utile est quod tu vadas ad excitandum eum (/oc. cit.). »
(2) « Ut jam inciperent admirari quia Dominus poterat dicere
« mortuum, quod nec viderat, nec audiverat. »
156 HOMÉLIE X. — M A R T H E ET MADELEINE

nant que j'ai ressuscité Lazare par nia parole, vous ne


pourrez plus douter que j'aie pu me ressusciter moi-
même. Et la pensée de cette augmentation, de cet
affermissement que votre foi et la foi de tous les chré-
tiens dans ma résurrection vont recevoir par le pro-
dige de la résurrection de Lazare, fait tressaillir de joie
mon cœur. » Oh! que cette révélation, cet aveu sont
donc précieux pour nous ! Par ces touchantes paroles
de notre divin Sauveur, nous sommes assurés que
notre foi, humble, sincère, fervente, dans ses mys-
tères, fait la joie, le bonheur, les délices du cœur du
Seigneur : Gaudeo propter vos ut credatis! y

5. Marthe se plaignant au Seigneur d'avoir laissé mourir son frère.


Magnifique révélation que Jésus-Christ est la R É S U R R E C T I O N et la
V I E . Explication de ces sublimes paroles.

En instruisant ainsi ses Apôtres, et dans leurs per-


sonnes en instruisant tous ses fidèles, le Rédempteur
divin était déjà arrivé près du château de la famille
de Lazare. Ce château n'était qu'à une demi-lieue de
Jérusalem; les nobles Juifs de. cette ville s'y étaient
donc rendus en grand nombre pour consoler Marthe
et Madeleine de la perte de leur frère : Erat autem
Bethaniajuxta Jerosolymam quasi stadiis quindecim.
Mulii autem ex Judœis vénérant ad Martham et
Mariam, ut consolarentur eas de fratre suo (v. 19).
Marthe apprit par quelqu'un de ses domestiques que le
Seigneur allait arriver; et, impatiente de le voir et de
lui dire sa douleur, elle laissa à sa sœur le soin d'en-
tretenir à la maison le monde qui était venu les visiter,
et vola au-devant du divin Maître : Martlia, ut audi-
A LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 157

vit quia Jésus venit, ocrurrit illi. Maria autem domi


sedebat (v. 20). Et l'arrêtant sur la voie publique, elle
se jette à ses pieds ; et fondant en larmes et d'une voix
entrecoupée par les sanglots : « Ah ! Seigneur, lui dit-
elle, pourquoi n'étiez-vous pas ici il y a quatre jours?
mon frère ne serait pas mort. On ne meurt pas quand
on est auprès de Jésus ; Domine, si fuisses hic, frater
meus non fuisset morluus (v. 21). Mais je ne désespère
pas, ajouta-t-elle. Je sais que tout ce que vous deman-
dez à Dieu, Dieu vous l'accorde; et il vous accordera
même la vie de mon frère : Sed et nunc scio quia quœ-
cumquepoposceris a Deo, dabit tibi Deus (v. 22).
Il faut pardonner à Marthe, dit saint Pierre Chryso-
logue, cette ambiguïté dans les expressions, cette con-
fusion, cette contradiction même de sentiments et d'i-
dées par lesquels cette âme pleine de foi paraît croire
et ne pas croire en même temps à la divinité du Sau-
veur. La douleur qui lui navre le cœur confond son
esprit au point qu'elle ne se rend pas assez compte de
ce qu'elle dit (1).
C'est pour cela que l'aimable Seigneur ne la gour-
mande pas, ne lui fait pas de reproches ; au contraire,
il a pitié d'elle, il la relève, et d'un air d'extrême
bonté il lui dit : « Console-toi, Marthe, ton frère ressus-
citera; Dicit illi Jésus : Resurget frater iuus (v. 23). »
La foi à la résurrection des morts, au dernier jour
in monde, cette foi primitive, traditionnelle et uni-
verselle dans le monde, était très-vive chez les Juifs
',-..11.

(1) « Credulitatem incredulitas confondit; nimio dolore perhir-


« bata crédit et dubitat (Serm. 64). »
158 HOMÉLIE X. — MARTHK ET MADELEINE

qui lisaient Job et les prophètes, par lesquels Dieu


avait renouvelé dans les termes les plus clairs et les
plus formels la révélation d'un si grand mystère. Le
Seigneur n'ayant donc pas déterminé le temps où La-
zare devait ressusciter, Marthe crut qu'en lui disant :
« Ton frère ressuscitera ; » le Seigneur avait fait allu-
sion au temps de la résurrection universelle de tous
les hommes; et poussant un profond soupir : « Je le
sais bien, s'écria-t-elle, que mon frère ressuscitera lui
aussi, à l'époque de la résurrection universelle, au
dernier jour; Scio quia resurget, in resurrectione, in
novissimo die (v. 34). »
Jésus-Christ alors, prenant l'attitude, le maintien,
le ton de maître, de Seigneur, de Dieu, d'une voix
mystérieuse et solennelle, qui ébranla les cieux, qui
fit trembler la terre, et troubla les enfers, prononça
ces paroles qu'aucune langue n'avait jamais articulées,
qu'aucune oreille n'avait jamais ouïes, ces paroles les
plus étonnantes, les plus magnifiques, les plus su-
blimes de toutes les paroles étonnantes, magnifiques,
sublimes de l'Evangile : « Je suis la résurrection et la
« vie. Celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra, et qui-
« conque vit et croit en moi ne mourra jamais. Ego
« sum resurrectio et vita. Qui crédit in me, etiamsi
« mortuus fuerit, vîvet; et omnis qui vivit et crédit in
a me non morietur in eeternum (v. 25 et 26). »
O voix! ô paroles! l'historien sacré n'aurait pas pu
les inventer, ces grandes paroles, si Jésus-Christ ne
les avait pas vraiment prononcées. Il ne peut pas venir
à l'esprit de l'homme de mettre un pareil langage dans
la bouche de l'homme. Mais Jésus-Christ lui-même
A LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 159

n'aurait pas pu les prononcer s'il n'était pas vraiment


Dieu, Cette manière de parler est en dehors de tout
langage humain; aucun homme ne peut parler ainsi,
parce qu'aucun homme ne peut penser ainsi. Seule-
ment un Dieu pouvait s'exprimer de cette manière,
parce que Dieu seulement peut se former de pareilles
idées de lui-môme.
Ah ! en entendant Jésus-Christ parler d'une manière
si nouvelle, si singulière, si extraordinaire, si sublime,
si éloignée et si au-dessus de la manière de parler
propre des hommes, les Juifs avaient bien raison de
g'éerier : Depuis que le monde existe jamais homme
n'a ainsi parlé ; Nunquam sic locutus est homo
(Joan., vu). J'ose même affirmer que ces paroles de
notre aimable Sauveur sont plus divines que son œu-
vre ; que ce qu'il a dit de lui-même dans cette circon-
stance prouve bien mieux que ce qu'il a fait qu'il est
Dieu ; que le dogme de s$ divinité ressort plus clair,
plus évident, plus radieux de cette déclaration que du
pfpdige de la résurrection de Lazare. Car s'il est impos-
sible qu'un homme ait pu ressusciter un autre homme,
il pue parait encore plus impossible qu'un homme ait
pu parler ainsi de lui-même sans être Dieu. Ce lan-
gage sent le ciel. C'est ici, à ne pas s'y tromper, la
parole, la phraséologie, le style de Dieu. C'est la na-
ture divine se révélant dans tout l'éclat de sa magni-
ficence et de sa vérité ; et il n'y a que l'aveuglement
qui puisse ne pas voir, il n'y a que la stupidité qui
puisse ne pas comprendre, il n'y a que l'obstination
de l'impiété qui puisse ne pas reconnaître que Celui
qui parle ainsi est vraiment et infailliblement Dieu !
160 HOMÉLIE X . — MARTHE ET MADELEINE

Que nous devons donc être reconnaissants à cette


vierge fortunée, à sainte Marthe, dont la pureté du
cœur, la docilité de l'esprit, le désir sincère de mieux
connaître Jésus-Christ et l'humilité de la prière nous
ont valu de la part de ce Fils de Dieu une déclaration
de sa divinité si resplendissante de lumière, si majes-
tueuse de grandeur, si imposante d'autorité !
Marthe, dans sa foi encore mal affermie, encore im-
parfaite, avait dit au Seigneur ; « Je sais que tout ce
que vous demandez à Dieu, Dieu vous l'accorde; Scio
quiaquœcumquepoposceris aDeo, dabit tibi Deus;n et
Jésus-Christ, dit saint Chrysostôme, en répondant par
cette grande parole : « Je suis, moi, la résurrection et
la vie ; Ego sum resurrectio et vita, » a Y o u l u dire : En
moi, l'homme qui prie est intimement uni au Dieu qui
exauce. Je n'ai pas besoin du secours de personne, je
n'ai pas besoin de prier pour obtenir. Je suis l'arbitre
absolu, le dispensateur suprême, comme je suis la
source de tout bien; je ne donne pas une vie que je
dois demander, une résurrection que je dois recevoir ;
je donne la Yie et la résurrection dont je suis la source,
le principe, la raison, la cause, et que j'ai essentielle-
ment en moi-même, parce que je suis moi-même la
résurrection et la vie(l).
En second lieu, en disant « Je suis la résurrection
et la vie, » ce fut comme s'il avait dit, d'après Alcuin :
« Par cela même que je suis la vie, je suis la résurrec-
( l ) c Illa dixerat : Quœcumque poposceris, dabit Deus. Ipse di-
« cit : Ego sum resurrectio et vita : ostendens quod non indiget
a mljhtorio, et quod ipse est distributor bonorum (Hom. 6 2 , in
A LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 161

tion aussi. Étant moi-même la vie, toute vie se per-


sonnifiant, se trouvant essentiellement en moi, je vis
toujours; et c'est parce que je vis toujours que je
peux faire revivre ceux qui sont morts, et devenir leur
résurrection comme j'ai été leur vie. Ainsi, c'est par
moi que tous les hommes ressusciteront un jour. Pour-
quoi ne pourrai-je donc, dès aujourd'hui, ressusciter
un seul homme, puisque c'est par moi qu'un jour res-
susciteront tous les hommes ( 1 ) ? C'est ainsi que le
divin Maître, en instruisant une femme, a instruit toute
l'Église, a éclairé tout le monde, a confondu d'avance
le blasphème stupide que Satan lui-même ne partage
pas, l'erreur sacrilège qui conteste à Jésus-Christ sa
divinité!
6. Effet prodigieux de la révélation que Jésus-Christ vient de faire
ii Marthe. L'acte sublime de foi de cette femme figure du témoi-
gnage que l'Église rend à Jésus-Christ. Ronheur de croire à ce
témoignage.

Pendant que le Sauveur parlait ainsi aux oreilles de


Marthe, une immense lumière rayonnait dans son
esprit docile, une surabondance de grâce qui accom-
pagnait toujours la parole de l'Homme-Dieu inondait
et élevait son cœur pudique. Elle comprit donc tout
d'un coup la vérité, la sublimité, la magnificence de
cette révélation divine et en fut ravie et transportée
hors d'elle-même. Et élevant son regard et parcourant
en un instant l'abime qui sépare Dieu de l'homme, à
.travers l'homme elle vit en Jésus-Christ le Fils con-

(l) « Ideo resurrectio quia vita. Per quem tune cum aliis, p e r
« eumdem potest modo resurgere (Cat.). »
II. il
162 HOMÉLIE X. — M A R T H E ET MADELEINE

substantiel de Dieu, elle sentit, elle aima ce même


Dieu, et se trouva toute remplie, toute possédée de
lui, et en état de penser, de parler de Dieu comme
Dieu pense et parle de lui-même. Ainsi Jésus-Christ
lui ayant demandé si elle croyait la grande et impor-
tante vérité qu'il venait de lui faire entendre; Credis
hoc (v. 25)? Marthe n'hésita pas un instant à lui faire
cette confession publique de sa foi, en disant avec le
ton d'une conviction profonde, avec l'enthousiasme
d'un grand amour ; « Oui, oui, Seigneur, j'ai toujours
cru, et maintenant je crois plus que jamais que vous
êtes le Messie, le Fils du Dieu vivant, venu au monde
pour sauver le monde : Utique, Domine, ego credidi
quia tu es Christus, filius Dei vivi, qui in hune
mundum venisti(y. 27). »
Oh ! que cette confession est grande dans sa petitesse,
sublime dans sa simplicité! C'est l'unité de la nature
et la pluralité des personnes en Dieu. C'est la eonsub-
stantialité du Yerbe de Dieu. C'est le but de son incar-
nation, de sa vie et de sa mort. Ce sont les dogmes
fondamentaux du christianisme. C'est toute la religion
abrégée, renfermée dans trois mots. C'est l'acte de la
foi théologique le plus complet, le plus parfait qui se
trouve dans les Livres saints.
Venez tous ici, tristes élèves d'Arius, hérétiques
philosophes et philosophes hérétiques, qui ne savez
pas ouvrir la bouche sur l'adorable Jésus sans mécon-
naître sa mission, sans blasphémer sa personne, sans
maudire son nom, sans contester sa divinité; venez ici
entendre cette femme; apprenez à son école Q U E J É S U S -
C H R I S T E S T L E F I L S D U D I E U V I V A N T , et non du Dieu opé-
A LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 103

rant; c'est-à-dire qu'il est le rejeton ineffable de la


nature du Père, et non pas un effet de sa puissance;
qu'il est engendré, mais qu'il n'est pas créé; qu'il est
de la même substance, de la même nature que le Père;
et que dès lors il est Dieu vivant lui-même, ayant toutes
les perfections qui font l'être et la vie de Dieu. Ap-
prenez à l'école de cette femme que ce Fils de Dieu
n'est pas un philosophe apparu à l'homme pour se
faire admirer par l'homme, mais qu'il est le C H R I S T ,
c'est-à-dire le Messie promis à l'homme, attendu par
l'homme, comme pouvant seul éclairer l'homme,
mourir pour l'homme et le sauver. Et en voyant ces
trois mots prononcés par une femme contenir plus de
science et plus de philosophie qu'on n'en trouve dans
les livres de tous les savants, de tous les philosophes,
de tous les hommes, reconnaissez que les Livres saints,
où se trouvent de telles merveilles, ne sont pas, ne
peuvent pas être des compositions de l'homme, mais
des révélations de Dieu. Souvenez-vous aussi qu'à
Pierre, qui venait de faire une confession à peu près
semblable à celle de Marthe, Jésus-Christ dit ; « Tu es
« heureux, Pierre, car ce n'est pas à l'école de la chair
« et du sang, mais c'est à l'école de mon Père céleste, et
« par son inspiration, et par sa lumière que tu as appris
, « que je suis le Fils du Dieu vivant (Matth., xvn). » Il
est donc clair, par cette divine parole, que si Marthe a
.fait, elle aussi, la même confession, elle ne Fa apprise
qu'à la même école, qu'elle a partagé la même inspira-
tion, qu'elle a eu le même Père céleste, le même Dieu
pour maître ; et par conséquent qu'en écoutant Marthe,
en croyant à la vérité de sa confession, ce n'est pas à
164 HOMÉLIE X. — M A R T H E ET MADELEINE

une femme que vous ajoutez foi, mais c'est à l'Esprit-


Saint, c'est à Dieu lui-même parlant en elle et par elle.
Oh ! que ce dialogue, je dirai presque ce drame, entre
le Fils de Dieu et une petite femme, est mystérieux,
est sublime! A peine Jésus-Christ se révèle, se mani-
feste, que voilà Marthe le confessant vrai Fils de Dieu î
C'est donc une double révélation de la même vérité,
ou bien c'est la même vérité révélée d'une manière très-
élevée par la parole même de Dieu ou de Jésus-Christ,
et ensuite expliquée et traduite en termes plus clairs,
plus précis par l'inspiration de Dieu, dans la confession
de Marthe. C'est donc, mes frères, encore ici le grand
mystère de l'enseignement catholique. Dieu s'est ré-
vélé à l'Église; et c'est sur l'inspiration de Dieu que
l'Église confesse Dieu. En sorte que la foi de l'Église,
figurée par la foi de Marthe, est un enseignement
divin elle-même; la foi de l'Église nous rend plus
faciles, plus claires, les révélations divines. C'est la
révélation divine traduite dans la pratique, réalisée
par l'homme, mais toujours sur l'inspiration et l'assis-
tance de Dieu. C'est pour cela que la foi de l'Église est
aussi sûre, aussi infaillible que la révélation de Dieu,
et qu'en suivant ce qu'elle croit nous sommes autant
dans le vrai, nous écoutons autant Dieu qu'en croyant
ce qu'elle enseigne. Comme son enseignement est l'en-
seignement de Dieu, sa foi est la foi de Dieu.
Ce sont les mystères sublimes, les importantes
leçons que nous apprend la conversation de Marthe
avec Jésus-Christ. Sublime femme dont Jésus-Christ
a fait l'un des premiers confesseurs, des premiers
évangélistes de sa divinité!
A. LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 165

Or, c'est par une foi si noble, si éclairée, si vive, si


parfaite que Marthe prépare, oblient, je dirais presque
qu'elle arrache des mains du Seigneur le prodige de
la résurrection de son frère. Car la foi de Marthe est
cette foi que Jésus-Christ appelle L A . F O I D E D I E U
{Marc, xi), et qui dispose en reine des prodiges de
Dieu. D'autant plus qu'à la foi, aux prières de Marthe
vinrent se joindre la foi, les prières, les larmes de
Madeleine : comme nous allons le voir en abordant de
plus prés le récit de ce prodige.

DEUXIÈME P A R T I E .

LE PRODIGE DE LA RÉSURRECTION DE LAZARE ET SON


EXPLICATION ALLÉGORIQUE.

7. Madeleine pleurant aux pieds du Seigneur. Jésus-Christ frémis-


sant, se troublant et pleurant lui aussi. Explication de ces sen-
timents mystérieux du divin Sauveur. Ses larmes sont la joie du
monde.

AVERTIE, en secret, par sa sœur que le divin Maître


était là et avait demandé à la voir : Vocavit Mariant
sororem suam silentio, dicens ; Magister adest, et vocal
te (v. 28); la sainte pénitente Madeleine laisse là tout
son monde, et s'élance au-devant du Seigneur; Illa, ut
audivit, surgit cito; et venit ad eum (v. 29). On était
encore sur la voie publique, à l'endroit où Marthe avait
rencontré le Sauveur et où de si grandes choses venaient
d'être révélées, où de si grands exemples venaient
d'être donnés : Erat adhuc in illo loco ubi occurrerat
ei Martha (v. 30). Les nobles Juifs qui étaient autour
166 HOMÉLIE X. — M A R T H E ET MADELEINE

d'elle pour la consoler, en voyant Madeleine se lever


tout à coup et sortir, n'en sachant pas la cause :
Pauvre femme, se dirent-ils entre eux, elle va peut-
être chercher du soulagement à sa douleur en allant
pleurer sur le tombeau de son frère; il ne faut pas l'y
laisser aller seule, et, se levant à leur tour, ils la suivi-
rent ; Judcei ergo, gui étant cum ea in domo, et conso-
labaniur eam, cum vidissent Mariam quia cito surrexii
et exiit, secuti sunt eam dicentes : Quia vadit ad monu-
mentum, ut ploret ibi (v. 31). Tous ces petits détails,
que TÉvangéliste raconte avec tant de soin, ont leur
importance. Ils nous montrent d'abord l'intérêt que,
moins par sa noblesse que par ses vertus, la famille de
Lazare inspirait, la réputation dont elle jouissait auprès
de tout ce qu'il y avait de personnages distingués à
Jérusalem. En même temps nous apprenons, par ces
mêmes détails, que la mort de Lazare, aussi bien que
sa résurrection, qui allait avoir lieu, ont eu des témoins
en grand nombre et de la plus haute importance, et
qu'en disposant tout cela la Providence avait voulu
rendre impossible à la haine des Pharisiens de nier ou
de cacher, comme ils en ont eu la triste pensée, cet
étonnant prodige.
En voyant le Seigneur, l'humble Marie se prosterna,
comme Marthe venait de le faire, à ses pieds, à ces pieds
divins où elle avait trouvé la résurrection et la vie pour
son âme morte par le péché ; et au milieu des sanglots
et des larmes : Oh! Seigneur, lui dit-elle aussi, si vous
aviez été ici, je n'aurais pas perdu mon frère; Maria
ergo, cum venisset ubi erat Jésus, videns eum, cecidit ad
pedes ejus et dicit ei : Domine, si fuisses hic, non esset
y
A. LA. RÉSURRECTION DE LAZARE. 167

morluus frater meus (v. 32). Et en disant ces paroles elle


se met de nouveau à pleurer, et tous ceux qui étaient
présents firent de même. Toutes ces larmes sont de
nouvelles prières auprès du Seigneur, afin d'obtenir la
résurrection de Lazare, qu'on n'ose pas demander, mais
qu'on ne cesse pas d'espérer. À cette scène de douleur
des deux sœurs pleurantes, et de tout un peuple pleu-
rant avec elles et pour elles, ému, attendri, l'aimable
Sauveur frémit dans son esprit, se troubla lui-même;
Jésus ergo, ut vidit eam plorantem et Judœos, qui vé-
nérant cum ea, plorantes infremuit spiritu et turbavit
t

seipsum (v. 33). 0 frémissement! ô trouble du Dieu


de la douceur, de la mansuétude et de la paix! Que
signifie tout cela? En Jésus-Christ, l'esprit frémit, dit
saint Pierre Chrysologue, afin que la chair revive; la
vie frémit pour chasser la mort; Dieu frémit afin que
l'homme ressuscite (1).
En frémissant, Jésus se trouble; mais remarquez
bien, nous dit saint Augustin, cette manière de
s'exprimer de l'Évangéliste, disant que Jésus lui-même
se troubla; Turbavit seipsum. C'est dire que, maître
de tous ses sentiments, de toutes ses affections, le Fils
de Dieu ne peut se troubler sans le vouloir. 11 ne se
trouble donc maintenant que parce qu'il yeut se trou-
bler; comme dans quelques jours d'ici, il ne mourra
que parce qu'il voudra mourir (2).
Voulez-Yous vous convaincre, mes frères, que ce

(1) « Fremuit spiritus ut caro reviviscat; fremuit vita ut mors


« fugaretur ; frémit Deus ut resurgat homo. »
(2) « Turbavit seipsum; quis enim cum possetturbare? Turbatus
« est quia voluit, sicut mortuus est quia voluit. »
16$ HOMÉLIE X. MARTHE ET MADELEINE

trouble de Jésus-Christ n'est que le trouble de son


amour; que ce frémissement n'est que le frémisse-
ment de sa bonté, plus impatiente de nous faire du
bien que nous ne sommes impatients de le recevoir ;
voyez son attitude : il parait chercher des yeux le ca-
davre de Lazare, en môme temps qu'il le cherche par
sa parole en disant à ceux qui l'entourent : Où est mon
Lazare? où l'avez-vous déposé? Et dixit : Ubi po-
suistis eum (v. 34)? Seigneur, lui répond-on, venez,
on va vous le faire voir ; Dicunt ei : Domine, veni et
vide (Fb.) ; et on l'amène, et on le suit au monument
où le cadavre de Lazare se trouvait depuis quatre
jours ; Venit Jésus, et invenit eum quatuor dies jam
in monumento habentem (v. 17). Et que fait l'aimable
Seigneur en voyant ce monument? Au frémissement
et au trouble il unit les pleurs et fond en larmes, lui
aussi ; Et lacrymatus est Jésus (v. 35). O larmes pré-
cieuses de notre divin et aimable Sauveur !
Arrêtons-nous un instant, mes frères, à cette cir-
constance si touchante de cet admirable récit. Oh!
que de mystères et de charmes contient cette parole :
« Et Jésus pleura; Et lacrymatus est Jésus ! » Il paraît,
d'après saint Cyrille, que l'historien sacré n'a enregis-
tré cette particularité qu'avec un sentiment de stupé-
faction, en se souvenant d'avoir vu lui-même pleurer
la divine Nature, cette nature essentiellement heu-
reuse et inaccessible aux larmes aussi bien qu'à la dou-
leur (1). Mais Jésus ne pleura pas en tant qu'il était

(l) « Vidons Evangclista lacrymantcm inaccessibilem naturam,


« ( Iistupuit. »
A LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 169

Dieu, mais en tant qu'il était homme, et pour nous


prouver, dit Théophylacte, qu'il était de la même na-
ture que nous, accessible comme tout homme aux
sentiments de la pitié et de la compassion, et qu'il
était homme véritable, aussi bien qu'il était véritable
Dieu (4). C'est, en effet, la conséquence que les Juifs
tirèrent en voyant Jésus pleurant; car ils se dirent
entre eux : Voyez combien son cœur est tendre et
compatissant! Voyez combien il aimait Lazare ! Dixe-
runt ergo Judcei : Ecce quomodo amabat eum (v. 36).
Mais si Jésus pleure comme les autres et avec les
autres, il ne pleure pas, dit saint Bernard, par les
mêmes raisons que les autres (2).
Marthe et Madeleine pleurent parce qu'elles vien-
nent de perdre le plus affectionné, le plus vertueux
des frères. Les Juifs pleurent par compassion pour
deux sœurs au comble de la désolation et du chagrin.
Mais Jésus, dit saint Zenon, pleure par déplus grands
motifs ; ses larmes précieuses découlent d'une source
plus noble, plus élevée et plus digne d'un Dieu sau-
veur. Dans la personne de Lazare, mort depuis quatre
jours et enfermé dans l'obscurité du tombeau, le Fils
de Dieu voit la triste figure, l'histoire déchirante de
l'humanité depuis quatre mille ans morte à la grâce,
et plongée dans les ténèbres funestes de toutes les
erreurs, en proie à la corruption de tous les vices. Il
voit l'homme, son image, son portrait, en qui il avait,
en le créant, mis toutes ses complaisances, qu'il avait

(1) « Flevit ad probandam conditionem humanam. »


( 2 ) « Plorat sicut caeteri, sed non quare cœleri. »
170 HOMÉLIE X. — M A R T H E ET MADELEINE

enrichi de tous ses dons, qu'il avait destiné à une


double immortalité et par rapport à l'esprit et par rap-
port au corps, et que Satan avait captivé, dégradé, dé-
pouillé de tout et fait devenir la victime d'une double
mort spirituelle et corporelle, temporelle et éternelle.
En présence de cet emblème, de cette esquisse d'une
grande et si affreuse catastrophe arrivée à l'homme, le
cœur amoureux du Dieu auteur et sauveur de l'homme
ne put rester indifférent. On dirait qu'il en a été dé-
solé autant que touché. Il frémit par horreur, il se
trouble par compassion, il s'attriste par charité. C'est
Dieu dans une nature souffrante, sans être lui-même
dans la douleur (1) ; et en donnant une libre issue à
la commotion intérieure dont il sent son âme bénie bou-
leversée, ses saintes entrailles déchirées, il pleure, il
répand des larmes en abondance; Infremuit spiritu
turbavit seipsum, et lacrymatus est Jésus!
O hommes! quelle est donc l'ivresse, la déraison qui
vous ravissent à vous-mêmes? quelles sont les ténèbres
qui YOUS aveuglent, au point de commettre par plai-
santerie le péché, de vous faire un titre de gloire du pé-
ché, et de passer des jours tranquilles et heureux dans
le péché, dans cet état de dégradation morale, de mort
spirituelle dont la pensée arrache les larmes au Fils de
Dieu, et dans quelques jours, pendant sa prière au
jardin des Olives, le fera trembler de tous ses mem-
bres, comblera son âme d'un profond ennui, d'un cha-

( 1 ) C'est une distinction profonde du grand théologien 4e l'Incar-


carnation, saint Léon, disant : Divinitas erat in dolente, sed non
erat in dolore ( S e r a , de Pass.).
A LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 171

grin déchirant, d'une tristesse mortelle, et lui fera ré-r


pandre une sueur de sang (1) ?
Mais ce frémissement, ce trouble, ces pleurs du Dieu,
sauveur de l'homme, ne sont pas des mouvements sté-
riles, des manifestations inefficaces-, ce sont des mys-
tèrespuissantsdemiséricordeet d'amour pour l'homme.
Jésus pleure, dit saint Augustin, mais afin d'effacer par
ses larmes les péchés du monde, et afin de nous mé-
riter l'allégresse éternelle et de nous délivrer de l'éter-
nelle douleur. Les larmes du Seigneur sont la joie du
monde (2). C'est donc, ajoute l'Émissène, le frémisse-
ment, le trouble, la tristesse delà pitié. Car, comme
c'est de sa mort que nous vivons, comme c'est de ses
opprobres que ressort notre gloire, de même c'est de
son frémissement que nous vient notre sécurité, c'est
son trouble qui nous apporte le calme, et c'est de sa
tristesse que découle et se répand sur nous tout bon-
heur et toute joie de l'àme dans le temps et dans l'éter-
nité (3). A ces indices, reconnaissons, nous aussi, com-
bien il nous aime; Ecce quomodo amabat eum.

(1) « Cœpit pavere, taedere, et mœstus esse. Tristis est anima


« mea usque ad mortem (Matth., xxvn). Et factus est sudor ejus
« sicut guttœ sangulnis {Luc, xxin). »
( 2 ) « Flevit Dominus ut lacrymis suis mundi peccata deleret. Ideo
« iacrymas fudit ut nos gaudia aeterna mereremur. Lacrymal Do-
« mini gaudia sunt mundi. »
(3) « 0 fremitus pietatis ! o turbatio turbatorum sublatura mœsti-
« tiam, et setemam illatura laetitiam! »
172 HOMÉLIE X. — MARTHE ET MADELEINE

8. Jésus en demandant où l'on a mis Lazare, n'a manifesté que


son amour pour l'homme. L'infection qu'exhale l'homme déchu
peut bien éloigner de lui son tentateur, mais jamais son Créa-
teur.

C'est cet amour qui nous explique aussi cette parole


qu'il vient de prononcer : «Où l'avez-vous placé? Ubi
posuistis eumf» et qui, d'après saint Augustin, de
prime abord paraît inexplicable. Car comment expli-
quer en effet que le Dieu qui, à la distance de trois
jours de chemin, a connu et annoncé la mort de
Lazare au moment où elle est arrivée, ne sache pas le
lieu où on avait déposé son cadavre (1) ? Ah ! le Sei-
gneur sait bien où est Lazare ! En la personne de La-
zare, dit Grégoire (lib. îv, epist.42), Jésus-Christ n'en-
tendait parler que de l'homme. Et cette parole : « Où
l'avez-vous déposé?» se rapporte à Y état bien plus
qu'au lieu où se trouve l'homme après le péché. C'est
un reproche que le Seigneur fait aux esprits des té-
nèbres et à tous les maîtres de libertinage et d'impiété,
de superstition et d'erreurs, s'étant associés à la haine
de Satan pour l'homme, pour exploiter l'homme, pour
le corrompre, l'égarer, le dégrader et le perdre. C'est
comme s'il leur eût dit : Esprits pervers, dans quel état
avez-vous réduit l'homme! dans quel abîme l'avez-
vous fait tomber! Ah! vous en avez fait un cadavre,
vous l'avez enfermé dans la maison d'un mort, dans le
tombeau, figure de l'enfer. Rendez-moi compte de cet
horrible attentat de votre part, contre les desseins de

(\) « Quid est hoc? scisti quia mortuus ait; et ubi sit sepultus
i gnoras? •
A LA RÉSURRECTION. DE LAZARE. 173

ma providence et de mon amour pour l'homme; Ubi


posuistis eum ?
Oh! que ce trait de notre Évangile est donc admi-
rable! On ne voit ici que l'impatience de la charité du
Dieu sauveur de l'homme, voulant, par la résurrec-
tion du corps d'un seul homme, satisfaire le désir qui
le dévore d'accomplir au plus tôt le mystère de sa pi-
tié, de ressusciter les âmes et les corps de tous les
hommes !
Quelques-uns de ceux qui étaient là, témoins de ces
mouvements et de ces discours mystérieux du divin
Sauveur, ayant l'air de révoquer en doute le grand
prodige qu'il avait opéré quelques jours auparavant
en donnant à un aveugle-né la vue, se disaient entre
eux du ton d'un sérieux dérisoire, d'une croyance
ironique : A quoi bon ces marques de tristesse, ces
larmes de douleur? S'il aimait vraiment Lazare, pour-
quoi ne l'a-t-il pas plutôt empêché de mourir? Est-ce
que cela pouvait être difficile à celui qui a ouvert les
yeux à un aveugle-né ; Quidam autem ex ipsis dixe-
runt : Non poterat k?c qui aperuit oculos cœci nat?\
}

facere ut hic non moreretur (v. 37)? » O langues dia-


boliques, ô âmes perverses! s'écrie saint Augustin,
que dites-vous donc? Eh oui, Jésus aime vraiment
Lazare, et il ne lui a refusé ce qui était moins que pour
faire pour lui ce qui était plus. Il n'a refusé de guérir
Lazare malade que pour avoir l'occasion de le ressus-
citer mort, à votre plus grande confusion et à sa plus
grande gloire (1) !

( l ) • Plus est quod faclurus est, ut mortuus suscitetur! »


174 HOMÉLIE X. — MARTHE ET MADELEINE

Le voilà en effet, cet aimable Sauveur, frémissant


de nouveau, mais d'une colère sainte, en présence de
cet aveuglement volontaire, d'une si grande perver-
sité de la part des Juifs, le voilà, dis-je, marchant
d'un pas accéléré et arrivant au tombeau de Lazare,
qui n'était qu'une caverne dans un côté de la mon-
tagne, caverne couverte par une grande pierre,- Jésus
ergo rursus fremens in semetipso^ venit ad monumen-
%

tum. Erat autem spelunca, et lapis superpositus erat ei


(v. 38). Jésus ordonne donc qu'on ôte cette pierre :
Ait Jésus: Tollite lapidem (v. 3 9 ) , afin, dit saint
Chrysostôme, que tout le monde pût voir de ses yeux
le cadavre de Lazare en état de putréfaction, et que
personne ne pût contester le prodige du retour de
Lazare de la mort à la vie. Marthe croyait bien que celui
qu'elle venait de confesser Fils de Dieu et Dieu lui-
même pouvait lui rendre ce frère chéri, dont elle
regrettait si vivement la mort. Mais au moment où c e
grand et inouï prodige allait être opéré, elle parut
chanceler dans sa foi ; car, Seigneur, qu'allez-Yous
donc faire ? dit-elle au divin Maître. Souvenez-vous
que mon frère est mort depuis quatre jours \ il sent
déjà mauvais \ Dicit ei Martha : Domine, jam fœtet,
quatriduanus est enim (v. 39). Et qu'importe ? dit à
Marthe saint Pierre Chrysologue. O Marthe, vous n e
connaissez donc pas bien encore le cœur d e Jésus !
Vous n e savez pas combien il aime Lazare, combien
l'homme lui est cher. Cet homme, qui sent si mauvais
pour Satan qui l'a trompé e t réduit dans l'état où Y O U S
le voyez, cet homme n e sent cependant pas mauvais
pour Dieu, qui l'a créé et qui veut le restaurer. Objet de
A LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 175
dégoût, de haine et d'horreur pour Satan, qui a voulu
le perdre, parce qu'il ne lui appartient pas, l'homme,
môme dans la condition déplorable où il est tombé,
n'inspire que de la compassion au Dieu, qui voit en
lui la plus chère de ses œuvres (1).
Afin donc d'exciter encore davantage cette espé-
rance dans cette âme si simple : Marthe, lui répond le
Seigneur, rappelle-toi ce que je viens de te dire : que si
tu as foi, tu verras le prodige de la plus grande gloire de
Dieu, et que Dieu ne le refusera pas au mérite de ta foi ;
Dicit ei Jésus : Nonne dixi tibi quoniam, si credideris,
yidebisgloriamDei(vAQ)?Cè\.dÀt\ix\dire aussi : Parle
prodige que tu vas voir, et où le pouvoir et la divinité
de ton Maître vont rayonner dans tout leur éclat, tu te
convaincras encore davantage, ainsi que tous ceux
qui croiront comme toi, que ta foi ne t a pas trompée
en t'inspirant de me reconnaître, de me croire, de me
confesser L E Fus m D I E U V I V A N T et le Sauveur du
monde.

Ô. t a prière de Jésus-Christ nouvelle preuve de sa divinité. Magni-


ficence du prodige de la résurrection de Lazare. Hommage à
Jésus-Christ, Fils de Dieu et Sauveur du monde.

On avait, sur ces entrefaites, ôté la pierre qui cou-


vrait le tombeau; Tulerunt ergo lapidem (v. -41), et
une foule immense se pressait autour du monument,
les yeux fixés sur la caverne béante et sur le cadavre
de Lazare en putréfaction, et trahissant cette attitude

( l ) « Quod fœtet proditori non fœtet creatori; quod horret alieni


« operis eversor, amator sui operis non ahhorret. »
176 HOMÉLIE X. — MARTHE ET MADELEINE

d'empressement silencieux que le peuple prend dans


l'attente d'un grand événement.
Mais il n'est pas aussi facile de rappeler à la vie de
la grâce l'humanité déchue et morte par le péché qu'il
avait été facile de la créer. C'est ce qu'a voulu nous
apprendre notre divin Sauveur par la manière toute
nouvelle dont il s'y prend pour ressusciter Lazare, par
qui cette humanité déchue et morte était représentée.
Oh! que son front est pensif, que sa figure est grave,
que sa contenance est sublime ! Certainement qu'il va
faire une grande chose. Il élève et fixe sur le ciel ses
yeux divins; il prend l'attitude de l'humble prière;
Jésus autem, elevatis sursum oculis (v. 41). Ce n'est
pas, dit saint Hilaire, parce qu'il a besoin d'être aidé,
mais parce que nous avions besoin d'être instruits. Ce
n'est pas parce que la prière lui est nécessaire pour
faire des prodiges, mais parce qu'il faut que nous sa-
chions que, fils de l'homme, il est aussi le Fils de Dieu.
Il prie donc à haute voix pour corroborer notre foi, et
non pour augmenter son pouvoir (1). La voilà, en effet,
cette mystérieuse prière : a Mon Père, dit-il, je vous
remercie de m'avoir écouté déjà, comme étant votre
propre Fils. Je sais, moi, que vous m'écouterez en tout
et toujours-, je ne vous parle donc ainsi que pour l'in-
struction de ce peuple qui m'entoure, afin que tout le
monde sache que c'est vous qui m'avez envoyé ; Pater,
grattas ago tibi quoniam audisti me. Ego autem sciebam

(l) « Non ipse inops auxilii, sed nos inopes doctrinae. Non prece
a eguit, sed nobis oravit, ne filius ignoraretur ; ad profectum nostrjp
« fidei lonnebatur (Comment, lib. x). »
A 1A RÉSURRECTION DE LAZARE. 177

quia semper me audis ; sed propter populum qui cir-


cumstat, dixi : ut credant quia tu me misisti (v. 42).
Oh! que cette prière est donc précieuse! dit saint
Chrysostôme. Nous y apprenons que le Verbe éternel
en se faisant homme est toujours Dieu, et qu'en venant
du ciel il n'a point quitté le ciel (1). Rappelez-vous,
dit saint Augustin, que, lorsque ce divin Sauveurdonna
la vue à l'aveugle-né, les pharisiens voulurent persua-
der au peuple que celui qui venait d'opérer un si grand
prodige n'était qu'un homme, et, bien plus encore, un
homme ne venant pas de Dieu ; Non est hic homo a Deo
(Joan., îx, 16). Sa prière n'est donc qu'une réfutation
de ce double blasphème, puisque Jésus-Christ y déclare
qu'il ne va opérer qu'en vertu d'un pouvoir qui lui est
commun avec Dieu, et en conformité parfaite delà vo-
lonté de Dieu. Le voilà en effet, après de si grands et
si mystérieux préliminaires, criant haut, d'une voix de
maître et de Dieu : Lazare, Lazare, sortez dehors ! Hœc
cum dixisset^ voce magna clamavit : Lazare, veni fo-
ras (v. 43).
Ovoix! ô commandement! Quelle voix, s'écrie saint
Augustin, fut plus majestueuse? Quelles paroles furent
plus puissantes? Quel commandement eut plus d'auto-
rité (2)? Comment ne pas reconnaître, en Jésus-Christ
parlant ainsi, un homme qui en même temps est Dieu?
Comment ne pas le reconnnaître pour ce Verbe, pour
cette Parole éternelle qui parle au néant, et à laquelle
le néant répond docilement comme s'il était quel-

(1) « Ut sciant venisse de cœlo, non Tecessise de cœlo. »


(2) « Quid huic potestati par? »
178 HOMÉLIE X . — M A R T H E ET MADELEINE

que chose, et dont l'écho essentiellement efficace créa


en un instant le monde? Comment ne pas reconnaître
en lui ce roi des rois, au pouvoir sans bornes, par le-
quel tout ce qui est mort revit, comme c'est par lui que
tout ce qui est et qui vit a l'être et la vie? Regem eut
omnia. vivunt. Oh! gloire donc de notre aimable Sau-
veur! A cette voix, à ce tonnerre de majesté, de puis-
sance, de magnificence et de vertu, le sépulcre tremble,
tous les assistants tressaillent ; la mort, effrayée, comme
s'expriment les Pères (1 ), abandonne sa proie ; la chair
corrompue se renouvelle, la santé renaît au sein de la
pourriture, la vie plane sur les débris de la mort, l'àme
se réunit au corps, le mort revit; et tout cela n'est que
l'affaire d'un instant. Le serviteur obéit avant que le
maître ait achevé la parole de son commandement; et
voici Lazare s'élançant hors du tombeau et venant s'ar-
rêter au milieu de la foule étonnée, les mains et les pieds
liés de handes, la figure encore couverte du linceul fu-
nèbre-, Et statim prodiit qui fuerat mortuus, ligatus
pedes et manus institis, et faciès illius sudario erat
ligaia (v. 42) (2). En sorte que, dit saint Chrysostôme,
chacun peut s'approcher de lui, le toucher, le recon-
naître, et que personne ne peut dire que c'est un fan-

( ( ) « Deterrita mors est ad vocem tant» majestatis(4tf0..ser. 104,


« de Temp.). Virtutis plane et magnificentiae vox ista : ante enim
« anima cornori reddita quam Dominus sonum vocis emiserat (Cyril.
« Alex. Expos.). »
(2) Il était d'usage chez les Juifs, aussi bien que chez d'autres
peuples de l'Orient, de lier étroitement les cadavres par des bande-
lettes pliées en trois et imbues d'onguents et d'arômes, et d'envelop-
per la tête avec un linceul replié.
À LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 179

tome; mais il devient certain pour tout le monde que le


corps qui vient de sortir tout vivant du tombeau, c'est
le corps mort de Lazare qu'on y avait enfermé (1).
C'est par la même raison que Jésus ne touche pas à
ce corps, ne le délie pas lui-même, mais que ce sont les
spectateurs de ce grand drame qui, au commandement
que leur en fait le Seigneur, débarrassent Lazare de
tout le lugubre appareil de la mort; en sorte qu'on le
voit se redresser et marcher plein de santé et de vie;
Dizit eis Jésus : Solvite eum, et sinite abire (v. 44).
A la vue d'un si grand prodige, d'une manifestation
si sensible, si éclatante et si magnifique de la puissance
et de la majesté de Dieu en Jésus-Christ et par Jésus-
Christ, tout esprit s'humilie, tout orgueil se confond,
tout cœur palpite, toute langue se tait, toute figure
pâlit, tout corps frissonne, tout homme, stupéfait,
ému, consterné, ne sait qu'admirer et se rendre, croire
et adorer; tout, jusqu'à ces visages bouleversés, à ce
silence de Tétonnement, du respect et de la frayeur,
semble dire et répéter : IL EST DIEU, et une grande
multitude de Juifs reconnaît Jésus-Christ comme le
vrai Messie et le vrai Fils de Dieu ; Multi ergo ex Ju-
dœis, qui videront quce fecit Jésus, crediderunt in
tum (v. 45).
Et nous aussi, mes frères, spectateurs du même pro-
dige par les yeux de l'esprit, et le croyant bien mieux
que ceux qui en ont été spectateurs par les yeux du
corps, unissons-nous à ces Juifs fidèles dans la confes-

( l ) • Ligatus, ne putaretur pbantasma, ul appropinquantes et


« tangentes videant quia vere est ille. »
180 HOMÉLIE X . — M A R T H E ET MADELEINE

sion de la même foi. Nous devons à notre Sauveur cette


amende honorable au nom de la France, au nom de
l'Église, au nom de l'humanité tout entière, particu-
lièrement dans ces tristes jours où tant de belles intel-
ligences et de nobles coeurs, égarés par une science
orgueilleuse, au nom d'une raison ne raisonnant que
pour déraisonner, s'obstinent à blasphémer cet aimable
Sauveur, et à lui contester sa divinité, ce dogme fon-
damental de la religion, cette source de toute consola-
tion pour l'homme et de toutes ses espérances. Pros-
ternons-nous donc aux pieds de ce Fils de Dieu, en
compagnie de Marthe et de Madeleine; empruntons à
ces saintes femmes l'acte sublime de leur foi; et, en
présence du ciel et de la terre, disons à cet aimable
Rédempteur : Oui, oui, Seigneur, nous autres aussi,
avec toute la force de notre conviction, avec tout le
transport de notre amour, nous croyons vivement,
profondément, et nous nous faisons une gloire et un
bonheur de croire que vous êtes vraiment le Messie, le
Fils de Dieu vivant et le Sauveur du monde; Utique,
Domine, nos credimus quia tu es Christxis, Filius Dei
vivi, qui in hune mundum venisti.
Seigneur, cette foi à nous, aussi bien que celle de
Marthe et de Madeleine, est un don précieux de votre
bonté, un éclair de votre lumière. Achevez donc en
nous l'œuvre de votre miséricorde et de votre pitié; et
comme vous nous avez donné la vie de la foi, accordez-
nous aussi la vie de la grâce, qui est le gage de la gloire,
afin que nous soyons du nombre de ces heureux dont
vous avez dit qu'en croyant sincèrement en vous et vi-
vant en YOUS et avec vous ils ne mourront jamais;
A LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 181

Et omnis qui vivit et crédit in me non morietur in


œternum !
10. Explication du même prodige au sens allégorique. Comment se
fera la résurrection des morts au jour dernier.

Mais le prodige dont je viens de vous entretenir n'est


pas seulement, comme je l'ai dit en commençant, un
fait passé, mais c'est aussi la figure d'un mystère futur.
En ressuscitant Lazare, Jésus-Christ, dit saint Cyrille,
a voulu non-seulement nous prouver d'une manière
sensible qu'il était Dieu, mais nous donner aussi un
exemple, une esquisse de la résurrection universelle
des morts, qui sera l'un des plus grands et des plus
puissants effets de sa résurrection. Par la manière mi-
raculeuse dont il a aujourd'hui rappelé un seul homme
de la mort à la vie, il a daigné nous mettre sous les yeux
la preuve sensible, l'image fidèle de la manière plus
miraculeuse encore dont un jour il rappellera aussi de
la mort à la vie l'universalité des hommes (1).
En voyant le divin Sauveur pleurant sur le tombeau
de Lazare, les Juifs pensèrent qu'il ne pleurait que la
mort d'un ami, tandis qu'il ne pleurait, dit encore saint
Cyrille, que par compassion pour tout le genre humain.
Lazare mort lui présente à l'esprit tous les hommes qu'il
avait créés immortels et que le péché avait tous réduits
à la triste condition de mourir (2).

(1) • Velut exemplum quoddam universalis resurrectionis mortuo-


« rum fecit; et quod in uno implevit, veluti totius universalitatis
« imaginem statuit {Expos.). »
( 2 ) « Putabant Judaei eum propter mortem Lazari flercj sed ille
« totius generis humani miseratione flebat : non unum Lazarum l u -
182 HOMÉLIE X. — MARTHE ET MADELEINE

Jésus a accompagné ces pleurs d'une tendre com-


passion, par le frémissement et le trouble; et par ces
mouvements de son âme bénie et de son saint corps il
a annoncé, d'après le même Père, qu'il allait prendre
une éclatante revanche sur le démon et qu'il allait dé-
truire l'empire de la mort (1). Et saint Augustin a dit
aussi : Ce mouvement du Dieu qui frémit est l'espé-
rance de l'homme qui doit ressusciter (2).
Bénin, doux, pacifique, ce Dieu Sauveur n'était
pas dans l'usage, ajoute saint Cyrille, d'élever sa voix
et de crier haut (3). Si donc en rappelant aujourd'hui
un mort à la Yie il a émis un grand cri qui a fait trem-
bler tous ceux qui l'ont entendu, ce n'est que pour
nous donner l'idée, le signe sensible du cri sonore des
trompettes angéliques qui, le dernier jour du monde,
retentira, par son ordre, par tout le monde et dont le
puissant empire rappellera tous les morts à la vie (4),
Plusieurs des Saints ont ressuscité des morts ; mais
en leur ordonnant, au nom de Dieu, de retourner à la
vie. C'est ainsi que devaient parler ces Saints, et par là
ils nous ont appris qu'ils n'étaient que des hommes,
n'ayant pas par eux-mêmes la vertu des prodiges, mais
ne l'empruntant qu'à Dieu et ne l'obtenant que de Dieu.
En sorte que par les Saints et dans les Saints faisant d e s
« gens, sed quod olim acciderat, cogitans unîversum scilicet huma-
« num genus obnoxium morti (loc. cit.). »
(1) « Divinomotu demonstrat, evertendum imperium. »
(2) « In ipsa voce frementis apparet spes resurgentfs. »
(3) « Insolitum Christo elatavoce uti, »
(4) « ln voce praeludit jussio Domini, et resurrectionis tcssera,
« Dei scilicet tuba. Cogitemus mturum clangorem clangente tuba,
« cujus imperio qui in terra jacent excitentur. »
A LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 183

prodiges c'est toujours Dieu qui les opère, les miracles


n'étant que l'œuvre de Dieu, le fait de Dieu, le langage
de Dieu. Mais Jésus-Christ, remarque saint Augustin,
ne s'est pas exprimé comme les Saints. Il n'a pas dit :
« Lazare, je t'ordonne, au nom de Dieu, de ressusciter, »
il a dit simplement : « Lazare, sortez du tombeau. » lia
parlé au mort en son propre nom, par sa propre auto-
rité, comme si pour lui le mort était déjà vivant, tout
ce qu'il veut faire vivre ne pouvant que vivre (1). Et
le mort entend dans le silence, sent dans l'insensibilité
de la mort la voix du Seigneur. La corruption qui s'é-
tait emparée de lui ne le paralyse pas; le suaire qui
bandait ses yeux ne l'aveugle pas; les liens qui enla-
çaient ses mains et ses pieds ne l'arrêtent pas, et il court
quand et où le Seigneur l'appelle (2).
Or cette histoire d'un seul mort se répétera un jour
sur tous les morts. La même voix reproduira, en tous,
les mêmes prodiges qu'elle vient de produire aujour-
d'hui en un seul. Ni la pourriture de leurs corps, ni la
dispersion de leurs cendres, ni l'ancienneté de leur
mort ne seront un obstacle pour obéir à l'éternelle et
puissante parole de Dieu les appelant tous à une vie
nouvelle (3).
(1) « Non dixit : ln nomine Patris, surge; sed : « Veni foras. »
« Mortuum tanquam viventem compellat. »
(2) « Vultum sudario obductum videndi usum non negavit, vin-
« cula nihil cursum prohibent; nullo obstaculo agnita voce Domini
« ad vocantem currebat (Cyril., toc. cit.). »
(3) Nous avons exposé, dans nos Conférences, ce grand dogme
de la résurrection des morts. Ici nous n'en avons donné que les pré-
mices et la figure. C'est là qu'on en trouve les raisons, les preuves et
les réponses aux difficultés qu'on lai oppose.
184 HOMÉLIE X. — M A R T H E ET MADELEINE

Le commandement de Jésus-Christ touchant la ré-


surrection de Lazare fut exécuté aussitôt qu'il fut pro-
noncé. Le Sauveur n'avait pas encore fini de dire :
« Lazare, venez dehors, » que les membres de ce der-
nier, déjà à l'état de décomposition, se recomposent;
son sang corrompu et arrêté dans son cours reprend sa
pureté et sa circulation; sa peau recouvre sa couleur
naturelle et son émail, comme ses chairs leur intégrité,
et tous ses membres leur souplesse, leur usage et leur
mouvement. L'àme rentre dans son corps ; le mort sort
vivant de son sépulcre aussi vite qu'une flèche déco-
chée part de l'arc; et ce groupe de miracles n'est, on
vient de le voir, que l'affaire d'un instant. Voilà donc,
dans cette résurrection particulière, le type, la figure,
l'esquisse de la résurrection universelle. Alors aussi
toutes les pierres des sépulcres éclateront en l'air, tous
les tombeaux s'ouvriront, tous les débris de chairs et
des os humains se recomposeront en corps parfaite-
ment organisés, toutes les âmes se réuniront à leurs
corps, tous les corps reprendront leur taille, leur fi-
gure, leurs traits et leurs couleurs, et âmes et corps se
rendront tous au lieu que la voix angélique leur aura
indiqué; et tout cela se fera en un instant, en un clin
d'œil, dit saint Paul, au simple son de la dernière trom-
pette, et ce sera avec la même facilité que Lazare est
ressuscité que l'humanité entière se relèvera de ses
cendres et de la corruption de la mort; ln momento,
in ictu oculi, in novissima tuba : canet enim tuba, et
mortui résurgent incorrupti (I Corinth., xv).
Quelque grand que soit ce prodige, il ne présentera
aucune difficulté, parce que Jésus-Christ l'a dit ; Tous
A t A RÉSURRECTION DE LAZARE. 485

les morts ne feront alors qu'entendre et obéir à la voix


du Fils de Dieu ; Qui in monumentis sunt audient vo-
cem Filii Dei. Or, qu'est-ce qui peut résister à cette
voix de Dieu? et pourquoi cette même voix qui a fait
sortir le monde du néant ne pourrait-elle pas faire
sortir vivants les morts de leurs tombeaux?

I I . Autre commentaire des mots : « la Résurrection et la Vie. »


L'une n'est pas l'autre. Qu'est-ce que la « résurrection de la vie
et la résurrection du jugement, » et quelles en seront les consé-
' quences pour l'éternité. L'une ou l'autre de ces résurrections sera
notre ouvrage.

Le Seigneur a dit aussi : « Je suis la résurrection et


la vie; Ego sum resurrectio et vita. » Ce qui signifie
évidemment que Jésus-Christ, en tant que Fils de Dieu
et Dieu lui-même, a en lui-même le principe de la ré-
surrection et de la vie ; et que, comme il n'est pas seu-
lement sapient, mais qu'il est la sapience même, il n'est
pas seulement vivant toujours et toujours ressuscité;
mais qu'il est la résurrection même, la vie même; la
résurrection toujours ressuscitée, la vie toujours vi-
vante, l'existence toujours immortelle; l'existence, la
résurrection et la vie personnifiées en lui ; et même il
est l'existence, la résurrection et la vie à la manière
substantielle et absolue, infinie et parfaite. Rien n'est
donc plus naturel en lui que la vertu de partager avec
tous les hommes cette vie à lui qu* ne s'épuise jamais,
et qui en faisant vivre tout ce qui vit ne vit pas moins
^tout entière en elle-même; rien de plus naturel en lui
i que la vertu de faire revivre une autre fois tous ceux
- que sa puissante parole et sa vie infinie avaient fait
186 HOMÉLIE X. — MARTHE ET MADELEINE

vivre déjà en lui et par lui ; ln ipso vita erat. Ego sum
resurrectio et vita.
Mais pourquoi le Fils de Dieu ne s'est-il pas contenté
de dire : « Je suis la résurrection? » mais il ajouté
aussi : « Je suis la vie. » Puisqu'il n'est pas plus pos-
sible de ressusciter sans vivre que de revivre, lorsqu'on
est mort sans ressusciter, la résurrection et la vie ne
sont-elles pas la môme chose? Non, répond saint Cy-
rille d'Alexandrie, car la vie véritable, la vie parfaite,
n'est que la résurrection glorieuse pour jouir d'un bon-
heur immortel. Ressusciter pour souffrir, c'est ressus-
citer pour mourir toujours de la pire de toutes les
morts (1). La résurrection sera commune à tous les
hommes, la vie véritable ne sera partagée que par les
justes. Ainsi la vie véritable suppose la résurrection -,
mais la vraie résurrection ne suppose pas la vie. Jésus-
Christ a eu donc raison de distinguer la vie et la résur-
rection en disant : « Je suis la résurrection et la vie. »
C'est pour cela qu'il a dit encore : « Celui qui croit
en moi vit déjà; et celui qui vit et croit ne mourra
jamais. » C'est comme s'il avait dit, d'après saint Au-
gustin : « Je suis la vie de l'âme comme je suis la ré-
surrection du corps. Celui qui croit en moi et qui s'unit
à moi par une foi pure et parfaite partage en même
temps cette résurrection et cette vie. Son âme com-
mencera à vivre dès à présent, par la foi et par la grâce ;
et bien qu'il ne pui J e pas échapper à la mort du corps,

(I) « Una vera vita est, ut immortali beatitate vivamus : nihil


« enim a morte duTert in hoc solum resurgere ut crucieris (Joc.
« cit.). »
A LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 187

cependant son âme, vivant de ma vie divine, associera


un jour à cette vie même le corps. Son corps en res-
suscitant, comme les corps de tous les autres hommes,
jouira, en dehors de cette résurrection, de la vie heu-
reuse de Tâme à laquelle il sera de nouveau substan-
tiellement uni : en sorte que l'âme et le corps, tout
l'homme enfin triomphera pour toujours de la mort,
et sera, de toute part, immortel, réunissant en lui la
vie et la résurrection par son intime union à moi, qui
suis essentiellement la résurrection et la vie (1). »
Cette même distinction entre la résurrection et la vie,
Jésus-Christ Ta faite en des termes plus clairs encore
en disant que les morts entendront bien tous, un jour,
la voix du Fils de Dieu; mais que ceux-là seulement
qui auront fait le bien jouiront de la résurrection de la
vie; et que tous les autres qui auront fait le mal ne su-
biront que la résurrection du jugement; Omnes qui in
monumentis sunt audient vocem Filii Dei; et procèdent
qui ôona fecerunt, in resurrectionem vitœ; quivero mala
egerunt, in resurrectionem judicii. C'est-à-dire que les
réprouvés auront la résurrection sans la vie, ou la ré-
surrection avec la mort, car leur résurrection ne sera
qu'une résurrection de jugement et de peine; In re-
surrectionem judicii ; et que les justes seulement auront
la résurrection sans la mort, la résurrection avec la vie,
puisque leur résurrection est la résurrection de la vie;
In resurrectionem vitce.

(t) « Nam vita animée fides est; et omnis qui vivit in carne,
« etiamsi moriatur ad tempus propter carnem, vivet in anima, donec
« resurgat et caro nunquam moritura propter vitam spiritus ; et non
« morieturin aeternum.»
188 HOMÉLIE X. — M A R T H E ET MADELEINE

C'est aussi ce que saint Paul nous rappelle par ces


mots : J'ai un grand mystère à vous annoncer : nous
ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous trans-
formés en une vie immortelle; Ecce mysterium vobts
dico : Omnes quidem resurgemus ; sed non omnes im-
muiabimur (I Corinth., xv). Ah! que ce mystère est
redoutable!
Voilà deux espèces de résurrection bien constatées :
la résurrection de la vie et la résurrection du jugement.
La résurrection pour vivre toujours, en compagnie de
la divine miséricorde et de l'amour divin, et la résur-
rection pour subir toujours la justice divine. La résur-
rection pour jouir toujours, et la résurrection pour
souffrir toujours; In resuireciionem vitœ, et in resur-
rectionem judicii : Tune sera la récompense des justes,
Qui bona fecerunt; l'autre sera la punition des méchants,
Qui vero mata egerunt. C'est ainsi que la résurrection
sera commune à tous ; la transformation ou le passage
à une Yie immortelle ne sera le partage que d'un cer-
tain nombre; Omnes quidem resurgemus ; sed non om-
nes immutabimur.
Courage donc, âmes vraiment chrétiennes, qui ne
cherchez d'autre bien que Dieu, d'autre richesse que
sa grâce, d'autre trésor que son amour, d'autre para-
dis que son royaume des cieux; et qui, partagées entre
les pratiques de l'abnégation de vous-mêmes et des
œuvres de la charité pour soulager vos frères et du
zèle pour la gloire de Dieu ; par la pureté de vos inten-
tions, par la sainteté de vos désirs, par la noblesse, la
générosité, l'héroïsme de vos sentiments que Dieu seul
connaît; en comblant, sans vous en douter, tous vos
A LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 189

jours, toutes vos heures même, du mérite de toutes les


vertus ; qui bona egerunt; allez, pleines d'espérance,
à la rencontre de la mort*, abandonnez sans regret
votre corps à la corruption du tombeau. Ah! vous
appartenez au vrai peuple de Dieu, au peuple en qui
Dieu se complaît, en qui Dieu s'honore et que Dieu
aime. Le jour viendra donc où ce Dieu de bonté, que
vous servez avec tant de fidélité et tant d'amour, ré-
pandra, ainsi qu'il l'a promis, son Esprit divin sur les
restes de votre mortalité, ranimera vos cendres, rap-
pellera vos corps à la vie et vous fera sortir de vos
sépulcres, ornées de l'éclat de la gloire et des roses de
la bienheureuse immortalité; Hœc dicit Dominus :
Ecce ego intromittam in vos spiritum meum, et vive-
tis; aperiam tumulos vestros, et educam vos de sepul-
chris vestris, popule meus (Ezech., xxxvu). Vous res-
susciterez donc à la vie même de Dieu, et vous serez
dans cette vie, par rapport à l'âme et par rapport au
corps, dédommagées de tout ce que vous aurez souf-
fert de privations, d'injustices, de douleurs, dans le
temps, par la jouissance de l'éternité; Et procèdent
qui bona egerunt in resurrectionem vitœ.
Quant à ceux qui, occupés à se contenter eux-
mêmes dans leurs plus ignobles sentiments, dans leurs
instincts les plus abjects et les plus brutaux, et qui,
indulgents jusqu'à la lâcheté avec eux-mêmes, sont
insolents à l'égard de Dieu jusqu'à l'impiété, durs en-
vers le prochain jusqu'à la barbarie ; quant à ceux qui
passent leurs années en accumulant péchés sur péchés,
et dont la vie entière n'est qu'un horrible tissu d'oeu-
vres de crimes et de ténèbres, qui vero mala egerunt,
190 HOMÉLIE X . — MARTHE ET MADELEINE

je n'ai rien d'agréable à leur prédire s'ils ont le mal-


heur de finir, dans cet horrible état de leur âme, la vie
de leur corps. Ils ressusciteront un jour, eux aussi,
lorsque la voix redoutable du Fils de Dieu retentira
dans leur tombeau $ Omnes qui in monumentis sunt
audient vocem Filii Dei. Mais leur résurrection n'aura
d'autre but que celui de les obliger à rendre, en pré-
sence de l'univers entier, un compte sévère de leur
vie • d'entendre un redoutable arrêt, de subir les peines
d'un jugement éternel ; Qui veto mala egerunt procè-
dent in resurrectionem judiciL Ils ressusciteront, mais
non pas comme Lazare à l'amour de la famille des
saints, mais à la compagnie de Satan et des réprouvés.
Ils ressusciteront, non pour rester, comme Lazare,
libres et déliés, mais pour être, même par rapport au
corps, entortillés des ceps ténébreux de la nuit éter-
nelle; Vinculis tenebrarum et long& noctis compediii
(Sap., xvn). Car la même bouche divine qui a dit de
Lazare : «. Déliez-le et laissez-le s'en aller-, Solmte
eum et sinite abire » dira d'eux, au contraire, ainsi
y

qu'elle l'a menacé dans l'Évangile : « Liez à ce mé-


chant serviteur les mains et les pieds; et jetez-le dans
le gouffre du feu, où il n'aura que le grincement des
dents pour son occupation et le désespoir pour son
confort; Serve nequam... Ligaiis manibus et pedibus
ejus, mittile eum in tenebras exteriores; ibi erit fletus
et stridor dentium (MaMh. XXII). »
y

Enfin autant l'oracle du Seigneur est redoutable


pour l'avenir des pécheurs, autant il est consolant
pour tous dans le présent. Le Fils de Dieu Fa dit; la
Sagesse de Dieu ne peut pas se tromper; la Vérité de
A hk RÉSURRECTION DE LAZARE. 491

Dieu ne peut pas tromper les hommes : « Celui qui


maintenant vit bien ressuscitera à la vie -, celui qui vit
mal ressuscitera au jugement. >* Dieu a donc laissé à
notre choix la bénédiction et la malédiction, la vie et
la mort. Nous n'avons pas besoin de nous casser la tête
our savoir si nous sommes, oui ou non, prédestinés,
Ï le que nous savons certainement et qu'il nous suffit
de savoir, c'est que, si nous vivons bien, nous nous
sauverons, et que si nous vivons mal, nous nous per-
drons. Notre sort est donc dans nos mains. Nous ne
$erons au dernier jour du monde que ce que nous au-
rons voulu être. Nous y rencontrerons ou la vie ou le
jugement que nous aurons, pendant la vie, choisi et
fabriqué nous-mêmes.
Faisons donc le bien tant que Dieu nous en accorde
le temps et la grâce. Vivons comme ce jour-là nous
voudrons avoir vécu. Assurons-nous dès à présent, par
nos bonnes œuvres, une petite place parmi les élus
et les saints. Croyons comme il faut croire, opérons
comme il faut opérer, et nous vivrons toujours et ne
pourrons jamais ; Et omnis qui vivit et crédit in me,
V&n morietur in œternum.
C'est, mes frères, la signification allégorique du
grand prodige de la résurrection de Lazare. Mais le
m^me prodige a aussi une signification tropologique
çrç morale que je dois vous expliquer. C'est ce que je
vais faire maintenant en peu de mots.
192 HOMÉLIE X. — MARTHE ET MADELEINE

TROISIÈME PARTIE»

LA RÉSURRECTION DE LAZARE AU SENS TROPOLO-


GIQUE.

12. Lazare au tombeau figure du pécheur. Les vraies Marthes et


les vraies Madeleines qui peuvent le faire ressusciter. Bien des
conversions ne se font que par la prière. La femme être priant.
Efficacité de la prière de la femme chrétienne.

Du cadavre de Lazare il est dit qu'enseveli depuis


quatre jours dans une obscure caverne et sous une
énorme pierre, froid, insensible et en proie à la cor-
ruption, il exhalait une insupportable odeur; Erat
spelunca, et lapis superposilus erat ei, Quatriduanus
est... jam fœtet. Or c'est là, dit saint Augustin, l'image
fidèle des pécheurs de longue date. Renfermés dans le
sombre caveau de leur conscience infecte, où pas un
seul rayon de la lumière divine ne pénètre ; écrasés
par l'horrible pierre des mauvaises habitudes qu'ils
ont contractées, et en proie à une corruption complète
par rapport môme à tous les instincts de l'homme
aussi bien que par rapport à tous les sentiments du
chrétien, ils répandent autour d'eux et à une grande
distance d'eux, une odeur nauséabonde, l'odeur de
leurs vices et de leurs impiétés, et n'opposent à tout
ce qui pourrait les convertir que le froid glacial et l'in-
sensibilité de la mort (1).

(l) « Qui peccare consuevit sepultus est, et bene de illo dicitur :


« fœtet. » « Incipit enim habere teterrimam famam, tanquam odo-
« rem teterrimum (Tract, in Joan.). Moles sepuicro imposita est
A LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 193

Hélas! il y a un état moral auquel l'homme arrive à


force de se familiariser avec le mal, et dans lequel,
pouvant faire quelque chose, il ne fait rien. Réduit à
l'affreuse impuissance d'un cadavre, il ne pense pas
plus à sa résurrection à la vie spirituelle qu'un cadavre
ne pense à la vie corporelle. Oh! qu'il est lamentable
cet état d'un être intelligent, d'une àme chrétienne!
C'est le comble de la misère que de ne pas connaître,
que de ne pas sentir sa misère.
• Heureux Lazare, qui a eu ses sœurs Marthe et Made-
leine qui se sont intéressées à lui, qui ont prié et
pleuré pour lui, et qui ont obtenu la résurrection de
ce frère chéri, pour laquelle lui, devenu cadavre, ne
pouvait plus rien faire lui-même!
Or, dans l'Église, nos Lazares spirituels ont le même
bonheur. D'abord, Marthe était le type de l'innocence;
1
Madeleine était celui de la pénitence. Ces deux fortunées
sœurs ont donc figuré dans les membres vivants de
l'Église; car les membres vivants de l'Église ne sont
que des innocents ou des pénitents. En second lieu,
par le mystère consolant de LA COMMUNION DES SAINTS,
tous les membres de l'Église ne forment qu'une seule
famille, la famille chérie de Jésus-Christ. Nous sommes
tous des frères et des sœurs pouvant nous aider mu-
tuellement par rapport au salut éternel, qui est l'uni-
que but de cette famille, de cette société. Marthe et
Madeleine obtenant, par le mérite de leur foi, de leurs
• larmes et de leurs supplications, la résurrection de

« Ipsa vis diras consueludinis qua prcmitur a n i m a , nec resurgere,


« nec respirare permittitur (Senn. 11 i , de Verb. Domin.). »
il. 13
194 HOMÉLIE X. — MARTHE ET MADELEINE

Lazare, leur frère, à la vie du corps, nous apprennent


donc, d'après l'opinion unanime des Pères, que nous
aussi, par le mérite de notre foi, de nos larmes et de
nos supplications, nous pouvons obtenir la résurrec-
tion de nos frères morts par l'incrédulité ou le péché
et les faire revenir à la vie de l'âme.
U est vrai que c'est la PAROLE DE D I E U , plus péné-
trante qu'un glaive à deux tranchants, comme parle
saint Paul, et atteignant jusqu'à la division de l'âme et
de Vesprit (Hebr., îv), qui fait les grandes conversions.
Mais il est vrai aussi, d'après le même saint Paul, que
la prédication apostolique n'est puissante et féconde
Qu'autant que la rosée de la grâce et de la bénédiction
de Dieu l'accompagne ( / Cor., ni); et cette rosée
céleste ne tombe sur les travaux des Apôtres qu'autant
qu'elle y est attirée par les prières de l'Église. Eh!
combien de conversions, dont on fait honneur à l'élo-
quence éblouissante d'un prédicateur, qui ne s'accom-
plissent que par les prières, les pleurs, les sacrifices
que des âmes pures et ferventes offrent en secret aux
pieds du Seigneur I C'est pour cela que saint Paul lui-
même, toutes les fois qu'il avait un peuple difficile à
évangéli«er, se recommandait aux prières des fidèles ;
et que c'est de ce secours, bien plus que de la fer-
veur de son zèle et de la puissance de sa parole, qu'il
attendait le succès de son apostolat.
Prier donc, prier aux pieds de Jésus-Christ pour la
conversion de nos frères dans la foi, c'est, femmes chré-
tiennes, spécialement votre tâche.
Il est évident que Dieu vous a donné, à vous, fem-
mes, un instinct, une aptitude particulière pour la
A LA RÉSURRECTION DE IAZARE. 195

prière, au point que la femme prie plus volontiers que


l'homme, et qu'elle s'entend mieux que l'homme à la
prière. Or il est évident aussi que Dieu ne vous a faites
des êtres naturellement priants, des êtres faisant tout
servir à la prière, des êtres connaissant tous les arti-
fices de la prière, des êtres ayant pour la prière un at-
trait que vous seules possédez, des êtres doués en sur-
abondance de l'esprit de prière, qu'afin que vous priiez
non-seulement pour vous-mêmes, mais aussi pour les
autres. Mais si Dieu exige principalement de vous la
prière, il est aussi évident enfin qu'il est tout disposé
à faire honneur à la prière que vous lui adressez, que
la prière de la femme lui est plus agréable et qu'elle a
une puissance toute particulière sur son cœur. Comme
donc, en ressuscitant le fils de la veuve de Naïm, Jésus-
Christ nous a appris, ainsi que nous l'avons vu, com-
bien sont efficaces les prières que lui adresse la mère
pour la conversion de ses enfants, de même Jésus-
Christ ressuscitant Lazare aux prières de Marthe et de
Madeleine, ses sœurs selon la chair, nous apprend
combien sont efficaces les prières que toute femme
innocente ou pénitente lui adresse pour la conversion
de ses frères selon l'esprit.

13. Exhortations aux femmes chrétiennes à coopérer à la résurrec-


tion des pécheurs par la prière. La femme parisienne. La prière
dans le travail, et le travail dans la prière. Exemple de Jésus-
Christ. Récompense. Les femmes de l'Évangile. Souhaits à l'au-
ditoire et bénédiction.

Priez donc, femmes vertueuses et fidèles, ne vous


lassez jamais de prier, de répandre des larmes pour
obtenir la résurrection spirituelle de tous ces malheu-
196 HOMÉLIE X. — M A R T H E ET MADELEINE

reux Lazares qui vous entourent de toutes parts et qui


vous affligent par l'horrible spectacle de leur corrup-
tion ; et à la longue, YOUS finirez par obtenir le retour
à la vie des cadavres spirituels.
De tout ce que votre Paris offre de grandiose à l'ad-
miration de l'étranger, savez-vous ce qui m'a frappé le
plus? c'est ce phénomène, qui ne se voit pas ailleurs,
au moins au même degré, c'est le phénomène de la
dame parisienne donnant toujours et ne se lassant
jamais de donner pour soulager la misère et le mal-
heur. C'est beau, c'est admirable, c'est édifiant, c'est
rieux ; et ce dévouement de votre part à la cause du
pauvre épargne à votre Paris bien des fléaux, et lui fait
pardonner bien des péchés. Mais vous ne devez pas
vous contenter de cela; vous devez avoir au moins
autant de zèle pour le bien spirituel de vos frères que
vous en avez pour leur bien temporel.
Lorsqu'on n'entreprend le travail qu'au nom de
Dieu, qu'on l'offre à Dieu, lorsqu'en travaillant on
élève souvent vers Dieu l'esprit et le cœur et qu'on
s'y entretient avec Dieu, alors il est certain qu'on sanc-
tifie le travail, qu'on fait prier le travail, qu'on le con-
vertit en prière; et c'est ce qui en théologie ascétique
s'appelle la prière par le travail; car travailler ainsi,
c'est vraiment prier. De même, lorsqu'on dirige toutes
ses prières, toutes ses œuvres de piété, de pénitence
et de charité à un but particulier, afin d'obtenir de la
bonté de Dieu la conversion d'une personne, d'une
famille, d'une paroisse, d'une ville, d'un pays, alors
on fait travailler la prière, on convertit la prière en
travail ; et c'est ce qui en théologie ascétique s'ap-
À LA RÉSURRECTION DE LAZARE. 197

pelle le travail par la jirière. Car prier ainsi, c'est vrai-


ment travailler dans la vigne du Seigneur.
Or, ce saint, ce mystérieux travail, dont on s'oc-
cupe auprès de Dieu en lui demandant incessamment
la conversion et le salut de certaines âmes, est prodi-
gieusement fécond.
D'après saint Paul, c'est en s'offrant toujours pour
le salut du monde, en demandant toujours à son divin
Père le salut du monde, que Jésus-Christ même, pen-
dant les trente années de sa vie cachée, travailla toujours
au salut du monde; et ce travail de son esprit et de
son cœur fit notre sanctification, notre rédemption et
notre salut autant que les affreuses souffrances qu'il a
endurées dans son corps. In qua voluntate sanctificati
sumus (Hebr., x). S'offrir donc à Dieu, prier conti-
nuellement Dieu pour la conversion, pour le salut par-
ticulier de quelqu'un, c'est pratiquer le même moyen
par lequel le Rédempteur divin accomplit le salut de
tous ; c'est s'associer à son divin travail; c'est en par-
tager le mérite infini, et par conséquent c'est en par-
tager aussi l'efficacité du résultat. Ah! si les nouvelles
Marthes ou les âmes pures et innocentes, si les nou-
velles Madeleines ou les âmes vraiment pénitentes ne
pouvaient pas concourir, par leurs prières, au salut
$es autres, Jésus-Christ ne nous aurait pas exhortés,
dans la personne de ses disciples, à nous associer à sa
prière pour la conversion du monde; il ne nous aurait
pas dit : «Et vous aussi suppliez le maître de la mois-
son afin qu'il envoie des ouvriers dans sa moisson ;
Rogate ergo dominum messis ut miltat operarios m
messem suam (Matth., ix)
103 HOMÉLIE X. — MARTHE ET MADELEINE

Ne vous contentez donc pas, femmes chrétiennes,


de faire prier votre travail, faites aussi travailler votre
prière ; ne vous contentez pas d'être Marthe ou Made-
leine pour vous-mêmes*, mais, en tâchant d'assurer à
vous-mêmes le mérite et la grâce de l'innocence ou de
la pénitence, soyez aussi Marthe et Madeleine en priant
le divin Sauveur, en pleurant à ses pieds pour la ré-
surrection spirituelle de vos frères-, et vous obtiendrez,
vous aussi, de voir ces malheureux Lazares, auxquels
Vous vous intéresserez, surgir de leur corruption, et
passer de la mort du péché et de la perdition à la vie de
la grâce et du salut. »
Par cemoyen, Vous réunirez en vous le DOUBLE ESPRIT,
duplicem spiritum, dont parlent les Livres saints (IV
Reg., n), le double mérite delà vie d'oraison et d'action
de Jésus-Christet de ses Apôtres. Vous ne serez pas seu-
lementdesMadeleinesen contemplation aux pieds de Jé-
sus-Christ, vous serez aussi des Marthes en action pour
Jésus-Christ! Sans sortir de votre rang et de votre con-
dition, vous serez aussi, d'une manière invisible, mais
réelle, devrais prédicateurs, devrais missionnaires, de
vrais évangélistes, coopérant avec Dieu même au salut
des âmes : ce qui, d'après saint Denis l'Aréopagite, EST
LA PLtiS BlVffitt fcE TOUTES LES OEUVRES DIVINES (1). Et
en concourant ainsi à détruire, à effacer les péchés des
autres, vous détruirez, vous effacerez devant Dieu vos
propres péchés (Jiac., v) ; et en coopérant avec Dieu au

( i ) « Omnium divinorum divinissimum est coopérai"! Deo in salu-


u tem animarum. »
A LA RÉSURRECTION DE LAZARE* 490

salut des autres, vous ferez, vous assurerez votre pro-


pre salut (Eccli., xxiv).
C'est ainsi qu'en ont agi les SAINTES FEMMES DE L ' É -
VANGILE, dont je vous ai exposé les vertus, les méri-
tes et les récompenses, dans le cours de cette station.
Vous les avez vues, ces admirables femmes, par la
simplicité de leur foi, par le charme de leur piété, par
la pureté de leurs mœurs, par l'élévation de leurs sen-
timents et par la générosité de leur cœur, s'élevant
au-dessus des hommes, dans le mérite de la sainteté,
«t ayant part, plus que les hommes, aux révélations,
aux grâces, aux éloges, à l'amour, à la tendresse de
Dieu. Femmes chrétiennes, voilà vos maîtresses et vos
modèles, étudiez-les toujours, ces prodiges vivants
de vertu ; ayez-les toujours devant vos yeux et ne les
oubliez jamais. Soyez FEMMES DE L'ÉVANGILE, femmes
selon l'Évangile ; et vous atteindrez la grandeur, la di-
gnité auxquelles l'Évangile, et l'Évangile seul a élevé
la femme.
Mais, femmes chrétiennes qui m'écoutez ici, je n'ai
pas besoin d'insister davantage sur ce sujet auprès de
vous. L'empressement toujours croissant avec lequel
vous avez suivi cette prédication que je vous avais par-
ticulièrement destinée, et que ni l'accent, ni le lan-
gage, ni le style du prédicateur n'ont pu vous recom-
mander; le bonheur avec lequel vous avez assisté aux
explications toutes simples que je vous ai faites des his-
. toires si admirables et si touchantes des FEMMES DE
L'EVANGILE me disent assez que vous avez l'esprit, le sen-
timent des FEMMES DE L'ÉVANGILE, et que vous voudrez
bien imiter leur vie afin de partager leurs récom-
200 HOMÉLIE X . — MARTHE ET MADELEINE.

penses. Restez donc dans ces saintes dispositions, et


tâchez de les réaliser; restez ce que vous êtes, FEMMES
DE L'ÉVANGILE. En terminant aujourd'hui cette prédica-
tion évangélique auprès de YOUS, c'est, mes très-chères
sœurs, le seul avertissement que je vous donne, la seule
prière que je vous adresse, le seul augure que je vous
fais, et que Dieu, dans sa miséricorde, voudra bien, je
l'espère, vous confirmer par la béjiédiction que je vais
vous donner en son nom, avec le même zèle et avec
la même affection avec lesquels je vous ai prêché.
Benedictio Dei omnipotentis, Pairis et Filii, et Spiri-
tus Sancti, descendat super vos et maneat semper.
Amen.

FIN DES HOMÉLIES DE LA PREMIÈRE ÉDITION SUR

LES FEMMES DE L'ÉVANGILE.


APPENDICE

ONZIÈME HOMÉLIE.
LES TROIS MORTS RESSUSCITES (*)
ou

LE RETOUR A LA GRACE DES TROIS CLASSES DE PÉCHEURS.


« Qui crédit in me, etîamsi mortuus fueritj rivet.
« Qui croit en moi, fût-il mort, vivra {Joan., xi). »

L E S Évangélistes, ainsi que saint Jean nous l'a appris,


ne nous ont pas transmis tous les miracles que le Fils
de Dieu fait homme a opérés pendant sa vie mortelle
au milieu de l'humanité qu'il était venu sauver; Multa
quidem, et alia signa fecit Jésus, quœ non sunt scripta
in libro hoc (Joan., xx). Les Évangélistes, dit saint
Augustin, ne nous ont raconté de ces divins pro-

(*) Le grand saint Augustin, non content d'avoir, en plusieurs


endroits de ses ouvrages, parlé séparément des trois morts que Jésus-
Christ a rappelés à la vie, a voulu traiter de tous les trois ensemble,
au point de vue moral, dans son quarante-quatrième sermon sur les
Paroles du Seigneur. C'est ce sermon qui a suggéré à l'illustre au-»
teur de ces Homélies l'heureuse idée et fourni, en grande partie, la
matière de cette Homélie-ci. Elle complète les trois Homélies sur
la Fille de Jaïre, sur la Veuve de Naïm et sur la Résurrection de
Lazare, contenues dans cet ouvrage. Nos lecteurs nous sauront gré,
nous l'espérons, d'avoir sollicité et obtenu de son auteur, cet impor-
tant petit traité de morale, ainsi que les intéressantes Explications
évangéliqnes qui le suivent, de les avoir édités pour la première
foie, et d'en avoir enrichi cette nouvelle édition des FEMMES D E L ' É -
V A N G I L E (Sole de Vc'dtlcur).
202 HOMÉLIE XI. — LES TROIS MORTS RESSUSCITES

diges, que le petit nombre qui était suffisant à l'in-


struction des fidèles pour faire leur salut (1). Car, le
même saint Jean a ajouté ces graves et douces pa-
roles à celles que je viens de citer : « Ceux des prodi-
« ges du Seigneur qu'on trouvera ici n'y ont été en-
« registres qu'afin que vous croyiez que Jésus est le
« Messie et le Fils de Dieu, et que, en croyant cette
« vérité, YOUS obteniez, en son nom, la vie éternelle;
a Hcbc autem scripta sunt ut credatis quia Jésus est
« Christus Filius Dei ; et ut credentes vitam habeaiis
« m nomine ejus {Ibid.). »
Il est donc bien certain, dit encore saint Augustin,
que le divin Sauveur, dans son passage sur cette terre,
ressuscita un grand nombre de morts; mais ce n'est
pas sans une grande raison que nous ne trouvons indi-
quées dans l'Évangile que trois de ces résurrections (2).
Cette raison, continue le même docteur, la voici : C'est
parce que ces trois défunts, et par la durée plus ou
moins longue de leur mort, et par les circonstances
toutes particulières de leur résurrection, suffisent, à
eux seuls, à nous représenter les trois classes diffé-
rentes des pécheurs (3).
En eflfet, saint Grégoire le Grand, en suivant et en
expliquant saint Augustin, nous a dit : « La Fille de
Jaïre, gisant encore dans son lit, dans sa chambre,

( 1 ) « Etecta sunt mue scrlberentux, quœ saluti credentium suf-


« ficere credebantur (Tract. 49 in Joan.). »
(2) « Multi sunt, sine dubio, suscitati; sed non frustra très com-
t memorati (Serm. 44, de Verbis Domini). »
(3) « Istu tria gênera mortuorum, sunt tria gênera peccatorum
« (Ibid.). >
OU LE RETOUR A. LA GRACE, ETC. 203

dans la maison paternelle, lorsque l'aimable Sauveur


Ta rappelée à la vie, a signifié la classe des pêcheurs
secrets dont personne ne sait ou dont, tout au plus,
les parents, les connaissances, les domestiques seuls
savent, ou soupçonnent qu'ils sont morts à la grâce et
demeurent dans le péché. Le fils de la Veuve de Naïm,
dont il est dit « qu'on le portait hors des portes de la
ville, » indique les pécheurs publics qui, en déposant
toute réserve et toute vêrécondie, font connaître à
tout le monde le désordre de leur vie, et scandalisent
aussi tout le monde par le spectacle de leurs turpi-
tudes. Lazare, enfin, dont le corps, enterré depuis
quatre jours, avait commencé à se corrompre, et déjà
répandait une odeur cadavérique, malgré la grosse
pierre qui recouvrait sa tombe, exprime les pécheurs
de longue date et endurcis, croupissant dans leurs pé-
chés, et qui, se sentant comme écrasés sous le poids de
leurs habitudes coupables, et devenus en exécration, en
dégoût au public, en haine à eux-mêmes, ne pensent
même pas qu'ils ont besoin de conversion (1).
Puisque donc tout pécheur appartient de toute né-
cessité à l'une ou l'autre de ces trois classes, les trois
morts de l'Evangile représentent tous les pécheurs, et
dès lors leur manière différente de vivre dans leurs pé-
chés, Tria gênera mortuorum^ sunt tria gênera pecca-
torum*

(1) * Adhuc quippe quasi mortuus jacet in domo, qui jacet in


« peeoato. Quasi extra portam ducitur eujus iniquités usque ad i n -
« verecundiam publicai perpetrationis operatur. Sepulturae vero
• aggere premitux qui in perpetratione nequitiœ etiam usu consue-
t tudiais presMis, gravatur (Moralium lib. IV, 2 8 ) . »
204 HOMÉLIE X I . — L E S TROIS MORTS RESSUSCITES

Mais comme les trois morts corporels dont parle


TÉvangile signifient les trois différents degrés de la
mort spirituelle des âmes; de même la différente ma-
nière dont le Seigneur les a fait revenir à la vie, nous
apprennent les différents moyens par lesquels les trois
classes différentes des pécheurs peuvent être ressusci-
tes à la grâce, et par lesquels le Dieu-Sauveur accom-
plit sa grande et consolante parole : Que qui croit en lui,
quels que soient le nombre et la gravité des péchés
qui lui auront enlevé la vie de l'esprit, peut reconqué-
rir cette vie précieuse qui est la vraie vie de l'homme.
Qui crédit in me, etiamsi mortuus fuerit, vivet.
C'est cette importante leçon que nous tâcherons de
faire ressortir de l'explication, au sens moral, des trois
résurrections racontées par les Historiens inspirés de
la vie du Seigneur : afin que, comme le disait toujours
saint Augustin en expliquant, dans ce même sens,
ces trois prodiges, ceux qui sont morts par le péché,
quelle que soit la classe des pécheurs à laquelle ils
appartiennent, sachent ce qu'ils doivent faire pour
ressusciter au plus tôt (1). C'est le sujet de cette ho-
mélie. Ave Maria.
PREMIÈRE P A R T I E .

LA FILLE DE JA1RE, OU LES PÊCHEURS DE FRAICHE


DATE.

DANS notre homélie sur la Fille morte de Jaïre


(Hom. in, tom. I ) , nous avons vu que le Seigneur, en

(l) « U t qnicumque mortui s u n t , in quacumque horum trium


« morte se invencrint, agant, ut celerlter resurgant (foc. cit.) »
OU LE RETOUR A LA GRACE, ETC. 205

entrant dans la chambre mortuaire, et en voyant son


cadavre entouré par des musiciens funèbres qui en
lamentaient le trépas prématuré, commença par chasser
cette foule de ministres et d'organes de la douleur, et
en se jouant, en quelque sorte : Pourquoi, dit-il, cet
apparat funéraire, puisque l'enfant n'est pas morte,
mais qu'elle dort? Et, la prenant par la main et lui
commandant de se lever, la ressuscita à l'instant même,
et la fit marcher et manger.
Or, pourquoi notre aimable Seigneur a-t-il opéré ce
prodige avec ce ton d'indifférence et de gaieté, qui
donna à cette résurrection l'air d'un jeu de sa bonté
plutôt que d'un acte de sa puissance ? Est-ce parce que
l'enfant venait d'expirer tout à l'heure, et que son
petit corps était encore chaud ? Non, assurément
non. Car, de même que pour l'homme il est impossible,
de même, au contraire, pour le Fils de Dieu il est aussi
facile de ressusciter celui qui est mort depuis une année
que de ressusciter celui qui est mort depuis une heure.
Jésus-Christ donc, en agissant ainsi, a voulu, dit saint
Augustin, nous révéler un mystère. C'est que, quoique
pécher ce soit mourir ] cependant autre chose est pé-
cher, et autre chose est s'habituer au péché (1 ). Or l'en-
fant qui venait seulement de mourir, et dont les restes
inanimés étaient encore dans la maison où elle avait
vécu, signifie, dit encore saint Augustin, le pécheur
qui n'a pas converti en habitude son péché, qui n'est
pas sorti de la maison de son cœur, n'ayant pas encore

(l) « AUud est peccarcj aliud peccaticonsuctudincin faccre (toc,


« cit.). »
206 HOMÉLIE XI. — LES TROIS MORTS RESSUSCITES

fait parade de sa mort spirituelle, ni fait connaître au


public les désordres de son âme (1),
JÉSUS-CHRIST donc,, opérant cette résurrection d'une
manière si facile et si prompte, est Jésus-Christ nous
apprenant que le pécheur de fraîche date, le pécheur
qui, à peine tombé, cherche à se relever, le pécheur
qui n'a pas fait du scandale, qui n'a pas commencé à
pourrir dans le tombeau de ses habitudes coupables,
ressuscite facilement et promptement à la grâce (2).
O malheureux jeune homme sans expérience! qu'un
mauvais compagnon, un traître, sous les apparences
d'ami, a initié, commefitLucifer avecÀdam,àlafuneste
science du mal, et a entraîné dans la voie du désordre ;
ô jeune fille infortunée ! qu'une servante invéréconde
ou une cruelle amie ont encouragée à faire outrage à
votre propre innocence, à votre propre pudeur-, ô
pauvre jeune épouse ! que les imprudences ou les in-
justices d'un mari tracassier et jaloux, ou des insi-
dieuses flatteries, ou des sympathies fatales, ou des
sollicitations importunes ont poussée à immoler le
devoir à la vanité, l'honneur au plaisir 5 entendez donc
bien cette importante leçon. Votre cœur vous a-t-il
trahi ? avez-vous fait épreuve de votre faiblesse ? avez-
vous oublié les promesses que vous aviez faites à votre
époux céleste la première fois que vous vous êtes ap-
prochée de la sainte table ? avez-vous perdu l'inno-

(1) « Est peccator qui non habet in consuetudine peccatum, nec


a ad multos exemplum malum protulit (Ibid.). »
(2) « Qui peccat, et continuo corrigitur, cito reviviscit; quia
* nondum ex consuetudine impiicatus, nondum est 8epultus(De
• Verb. Dom.).»
OU LE RETOUR À. LA GRACE, ETC. 207

cence et la grâce ? avez-Yous foulé a u x pieds la loi de


Dieu, méprisé ses inspirations, abusé d e s e s grâces et
4e ses bienfaits? Eh bien, rougissez-en, confondez-
vous en repentir. Regrettez l'excès de votre légèreté, de
votre confiance, de votre aveuglement, de votre ingrati-
tude. Répandez aux pieds du Seigneur votre cœur amolli
par les larmes, transpercé par la douleur. En un mot,
êtes-vous tombés? relevez-vous tout de suite \ ne mettez
pas de longs intervalles entre le péché et la pénitence;
ne différez pas, YOUS dit saint Augustin, n'ajournez pas
à l'âge mûr, à la prochaine Pâques, votre conversion,
au risque de vous enfoncer, et en ajoutant péchés sur
péchés, dans le tombeau du vice, n'attendez pas que,
sous la lourde pierre de l'habitude, vous finissiez par la
corruption complète de votre être moral (1) ! Oui, oui,
faites vite, pendant que vous êtes encore chauds de la
ferveur de vos premières communions, encore près
de cet état d'innocence et de grâce d'où vous venez de
déchoir. Faites vite, pendant que vous n'avez pas en-
core commencé à vous ennuyer de la prière, à abhor-
rer les sacrements, à vous défaire de toute pratique de
religion. Faites vite, pendant qu'en vous le sentiment
de la pudeur est encore dans s a force, les principes re-
ligieux sont encore debout, le remords est encore vif et
cuisant. Faites vite enfin, pendant que les voies du
désordre vous sont encore difficiles, que le péché vous
"répugne, YOUS humilie à vos propres yeux, et que le
chagrin que vous sentez, après avoir commis le mal, est
plus grand que le plaisir éprouvé, plus sensible que le

(i) « Pœnitcat te facti de proximo; non eas in profundum sepul-


< turœ, non accipios consueludinis modem {toc. cit.). »
208 HOMÉLIE XI. — L E S TK0IS MORTS RESSUSCITES

bonheur auquel vous vous attendiez en commettant


l'iniquité. Pour l'amour de Dieu, ne laissez pas, je vous
en conjure, s'affaiblir, se dissiper, périr en YOUS ces
ressources précieuses que vous avez encore pour res-
susciter. Tirez profit de la condition heureuse où vous
êtes encore de retourner plus facilement au Seigneur,
et de regagner le sentier du salut que vous avez aban-
donné, condition que vous regretteriez plus tard, si
vous la négligiez!
À présent votre conversion serait l'affaire d'un in-
stant. Recourez donc à Jésus-Christ ; priez-le d'aller
chez vous. Dites-lui vous aussi, avec l'esprit d'humilité
et de confiance de Jaire : « Seigneur, mon âme, mon
unique fille, mon trésor, vient de tomber dans le pé-
ché, vient de mourir. Daignez donc venir, dans la
maison de mon cœur, toucher de votre main, aussi
miséricordieuse que puissante, cette pauvre àme morte,
et elle reviendra certainement à la vie ; Domine, filia
mea modo defuncia est; sed veni, impone manum
tuam^ et vivet. L'aimable, le tendre Jésus ne se refuse
jamais à une pareille prière. Celui qui n'a pas dédai-
gné de venir en personne du ciel sur la terre, du sein
de Dieu son Père, au milieu des hommes, ne peut pas
dédaigner de venir dans votre coeur par sa grâce.
Soutenus par la force que vous inspirera cette visite,
chassez, vous dit saintGrégoire, chassez de cette maison
de votre cœur la foule importune de vos penchants dés-
ordonnés, débarrassez-vous de vos traîtres amis, dont
les félicitations perfides qu'ils vous adressent, pour
avoir eu le triste courage de braver la honte du péché,
ne sont que les hymnes lugubres de votre mort spiri-
OU LE RETOUR A LA GRACE, ETC. 209

tuelle. Éloignez de vous ces occasions dont vous ne soup-


çonniez pas le danger, et où vous avez fait un essai si
déplorable de votre faiblesse : ce sont les préliminaires
indispensables pour obtenir que votre âme morte re-
vive (1). Tâchez surtout de ranimer en vous cette foi
dans la puissance de votre divin Sauveur, qui est,
comme il l'a dit, la première condition du prodige que
vous attendez de sa miséricorde; Qui crédit in me,
etiamsimortuvs fuerit, vivet. C'est alors que sa grâce,
ne trouvant pas en vous des entraves, des empêche-
ments, vous prendra par la main et vous ressuscitera
avec la même facilité qu'on éveille un homme venant
de s'endormir j Et tenuit manum ejus; et surrexit
puella.
Mais souvenez-vous que la jeune fille, à peine res-
suscitée, commença à marcher-, Surrexit puella, et
ambulabat. On a voulu vous apprendre par là, dit le
vénérable Bède, que vous aussi, âmes pécheresses, à
peine revenues à la vie de la grâce, vous devez, en
preuve de la vérité de votre conversion et de votre
repentir, non-seulement quitter le lit mortuaire de
votre état de désordre, mais que vous devez reprendre
haleine, entrer dans le chemin du salut avec une plus
vive ardeur, et marcher avec une plus grande ferveur
qu'auparavant dans les voies des bonnes œuvres et
des vertus chrétiennes (2).

(1) « Turba foras ejicitur, quia, nisi prius secretioribus cordis e \ -


,« pellatur sœcularium multitudo curarum, anima, quae intrinsecus
• jacet mortua, non rcsurget (/oc. cit.). »
(2) « Quia anima, a peccatis resuscitata, non solum a scelerum
n. M
210 nOMÉLIE XI. LES TROIS MORTS RESSUSCITES

Enfin, Jésus-Christ voulut qu on donnât, tout de


suite à manger à la jeune fille ressuscitée; Et dixit
dari illi manducare. Il a daigné vous indiquer par
cette circonstance la condition heureuse du pécheur
qui n'a pas vieilli, qui ne s'est pas enfoncé dans le
péché, de pouvoir, aussitôt qu'il s'est réconcilié avec
Dieu et qu'il est revenu à Dieu par le sacrement de
la Pénitence, se nourrir de Dieu, se rassasier de Dieu,
dans le sacrement de l'Eucharistie.
Selon le docteur Haymon, le divin Sauveur, par ce
commandement dont il a fait suivre son prodige, a
voulu nous apprendre encore que se nourrir de ses
saintes Chairs immaculées, de l'aliment propre du cœur
aussi bien que de sa sainte parole, l'aliment propre
de l'esprit, est non-seulement l'indice que le pé-
cheur est vraiment ressuscité, mais la condition néces-
saire pour ne pas mourir de nouveau (1).
Mais, hélas l le nombre des pécheurs figurés par la
Fille de Jaïre, c'est-à-dire des pécheurs qui, ainsi que
nous l'avons vu, ne pèchent que dans le secret de leur
cœur ou dans les ténèbres et la solitude de leurs habi-
tations ; le nombre des pécheurs ne péchant que très-
rarement et avec frayeur, avec regret, avec remords,
et je dirais presque disputant à eux-mêmes les joies
empoisonnées du péché, le nombre de tels pécheurs
n'est pas grand !

« sordibus resurgere débet, sed et in bonis operibus proficere (Corn-


« ntentar. in Marc). »
( i ) « Spiritualiter omnis, qui resuscitatur a D e o de morte animœ
« ad -vitam, manducare débet, id est vesci de Verbo Dei et de cor-
« pore Christian Matth.). »
OU LE RETOUR A LA GRACE, ETC. 2i1

Au commencement, tout pécheur pèche de cette


manière-là. Au commencement, tout pécheur est hon-
teux de lui-même aux yeux des autres comme à ses
propres yeux. Il lui semble que ce qu'il a commis eu
secret est deviné et connu par le public. Il n'ose se
présenter devant ses parents et ses amis, qu'avec
•un air d'embarras, de confusion et d'humilité. Il lui
semble que tout regard l'indique, que toute voix le
nomme, que toute figure d'homme le condamne. Mais
avec le temps ces sentiments précieux s'affaiblissent,
*t finissent par s'éteindre tout à fait et se perdre! Au
fur et à mesure qu'en se répétant souvent le péché
ne paraît plus à l'esprit du pécheur si difforme, il
éprouve moins de peine de passer pour pécheur dans
l'esprit des autres.
Et d'ailleurs, à la longue, les précautions qu'il faut
prendre pour se cacher deviennent trop fatigantes, le
frein de la pudeur trop incommode. Et d'ailleurs en-
core, ce n'est pas chose facile de couvrir longtemps sous
le voile d'une pureté affectée une âme corrompue. Ce
voile est moins épais et plus transparent qu'on ne
pense, souvent même les plus simples devinent les
honteux secrets qu'il cache. Le pécheur lui-même
' sent bien tout cela, et s'encourage en disant : « D'ail-
leurs, on le sait déjà 5 et que m'importe ce qu'on
dit, pourvu que je ne sois pas empêché dans ce que je
' veux faire? »
C'est ainsi que tout pécheur, homme ou femme,
ne s'empressant pas de sortir au plus tôt de l'état du
péché, en persévérant dans le péché, de timide qu'il
était, devient indifférent; d'indifférent, franc-, de
212 HOMÉLIE XI. — L E S TROIS MORTS RESSUSCITES

franc, hardi; de hardi, invêrécond, se glorifiant,


triomphant de son péché! Mais alors c'est le pécheur
figuré dans le fils de la Veuve de Naïm. C'est sous cet
emblème que nous allons maintenant étudier la se-
conde classe des pécheurs, les pécheurs licencieux et
publics, pour voir de plus près la misère de leur état,
et connaître la difficulté et trouver les moyens effica-
ces de leur résurrection.

DEUXIÈME P A R T I E .

LE FILS DE LA. VEUVE DE NAM OU LE PÉCHEUR DISSOLU


ET ÉHONTÉ.

L E cadavre du jeune homme de Naïm, lorsque le


Fils de Dieu s'en approcha pour le ressusciter, était
porté s u r une bière hors de la ville, était exposé à la
Y u e du public, en sorte q u e t o u t un peuple pouvait le
reconnaître et le regretter.
Or c e cadavre, dans ces conditions, signifie précisé-
ment, dit le vénérable Bède, le pécheur qui, endormi
dans le sommeil mortel de ses fautes, ne cache plus
dans le secret de son cœur, dans le sanctuaire de sa
famille la mort de son âme, mais l'ébruité lui-même
par toute une ville, par l'impudence de ses discours,
par la licence de ses œ u v r e s ( I ) . Il signifie, ajoute
aussi Ericius, les pécheurs publics, et partant scan-
daleux, dont Isaïe a dit : « A l'exemple desSodomites,

( l ) « Muttis intuentibus elatus, significat peccatorem génère cri-


« minum soporatum, et animae mortem non cordis cubili tegentem,
« sed per locutionis operisque indicium, ad multorum notiam, quasi
« per civilatis ostia, propalantem (îoc. cit.), »
OU LE RETOUR A LA GRACE, ETC. 213

« ils n'ont pas caché, mais ont prêché partout aux au-
« très leurs péchés (1). »
< Ah! il n'est que trop vrai que tout pécheur, toute
pécheresse, laissant connaître leurs péchés, sont des
scandaleux; car, selon Tertullien, tout exemple d'une
mauvaise action , ou toute mauvaise action qui se fait
deviner, est un scandale (2).
0 pères de famille, 6 maîtres d'école, ô chefs d'ad-
. ministration, pour lesquels il n'y a d'important que les
plaisirs et les affaires, oh ! si vous saviez le mal que
Vous faites aux jeunes gens qui vous voient et qui vous
écoutent! O malheureuses mères, ô maîtresses cruelles
d'institutions, si vous pouviez vous douter des horri-
bles ravages que votre légèreté et ce que vous appe-
lez vos galanteries font aux jeunes filles qui en sont
témoins !
En effet, tout péché connu tend par lui-même à di-
minuer, dans ceux qui le connaissent, la honte, l'hor-
reur, le remords du péché. Tout péché connu est un
terrible coup, un coup faisant brèche aux sentiments
de pudeur des esprits faibles, des consciences délicates
qui le connaissent. Même les âmes fortes et ferventes,
pour lesquelles l'observance exacte des Lois de Dieu est
devenue un bonheur, l'état de grâce une seconde na-
ture, la vertu un besoin, la sainteté un attrait; même
4© telles âmes, comme David l'avouait par rapport à
* I •• • r . ——• . . . . . . »

' (1) « De talibus propheta dicit (Isa. u) : Peccatum suitm, quasi


'* Sodoma , preedicaverunt , nec absconderunt ( Comment, in
« Matth.). »
(2) « Scandalum, exemplum rei malœ. »
214 HOMÉLIE XI. — LES TROIS MORTS RESSUSCITES

lui-même, en voyant tant de chrétiens qui pèchent avec


tant de facilité, d'indifférence, de calme et de félicité,
en sont déconcertées, ébranlées, bouleversées, et elles
ont besoin d'avoir promptement recours à Dieu, afin
que leurs pas ne chancellent point, et que leurs pieds ne
glissent pas dans la voie du mal; Mei autem pêne moti
suntpedes... pacem peccatorum videns (PsaL LXXII).

Comme toute action vertueuse que l'on connaît est


une leçon tacite, un encouragement, un aiguillon
pour la vertu; de même toute action vicieuse est une
leçon tacite , un encouragement, un aiguillon pour le
vice. Comme toute bonne action que l'on connaît est une
grâce extérieure, une voix de Dieu appelant l'homme
à la pratique du bien, de même toute action mauvaise
est une tentation extérieure, une voix de Satan entraî-
nant l'homme à la pratique du mal.
Vous comprendrez p a r l a , mes frères, ce qu'il y a
de philosophie et de grâce dans le mot ÉDIFICATION,
dans ce trope charmant, heureux, tout propre au lan-
gage chrétien, et dont nous faisons usage pour dire le
bon exemple. Car, par la connaissance des actes ver-
tueux, les vertus des vrais chrétiens se multiplient, se
lient ensemble, grandissent, s'élèvent, et forment, en
quelque sorte, un édifice spirituel, que saint Paul ap-
pelle le corps mystique de Jésus-Christ; Crescite in tem-
plum Dei, in Adificationem corporis Christi (Ephes. n).
Or il en est de même par rapport aux actes vicieux
que l'on arrive à découvrir; les péchés des mauvais
chrétiens y trouvent une excuse, un appui, une dé-
fense, un entraînement mutuel; et par là ils se mul-
tiplient, eux aussi, grandissent, s'élèvent, et forment
OU LE RETOUR A LA GRACE, ETC. 215

ce qu'on pourrait appeler rédifice du crime, la mai-


son du démon, l'antichambre de l'enfer. Tout scan-
dale est certainement un grand péché ; et tout péché
• qui se laisse deviner, qui se traduit effrontément en
public est un scandale, une semence de péché; Scan-
dalum exemplum rei rnalœ.
Doublement coupables donc les pécheurs publics,
parce qu'ils sont coupables non-seulement des pé-
chés qu'ils commettent, mais encore des péchés qu'ils
font commettre aux autres. Ils ne peuvent ressusciter
à Dieu, à moins qu'ils ne réparent, d'une main, le
Scandale qu'ils ont donné, tandis que, de l'autre main,
ils doivent appliquer tous leurs efforts pour détruire
leurs propres péchés ; de là une difficulté de plus de
se convertir sincèrement à Dieu.
C'est, dit saint Augustin, ce que le divin Sauveur a
voulu nous apprendre, quand il voulut paraître éprou-
ver de la difficulté, de la peine à ressusciter le fils de la
matrone de Naïm • tandis que rien ne coûte, rien n'est
difficile pour Celui qui a, par un seul mot, créé l'uni-
yers (1).
' En effet, Celui qui avait, presque en se jouant, res-
suscité la fille de Jaïre, lorsqu'il a ressuscité le jeune
•homme de Naïm, s'est en quelque sorte fait voir triste
«et pleurant, en compagnie de sa mère désolée et du
'peuple, partageant ses larmes et sa douleur; il s'est
•approché du cercueil, il en a arrêté les porteurs, il l'a
Wuché; il a saisi de sa main divine le cadavre, il l'a

(1) « Dominus, cui facilia erant omnia, quamdam ibi didiculta-


« teni ostendit {De Vtrb. Domin.). »
216 HOMÉLIE X I . — L E S TROIS MORTS RESSUSCITES

soulevé, il a fait résonner à ses oreilles sa voix toute-


puissante. A cette voix le jeune homme revit; mais il
ne se tient pas sur ses jambes; il parle avec ceux qui
V entourent, mais il demeure encore assis sur sa bière.
Il a été nécessaire que le bon et aimable Jésus le prit
par le bras, l'aidât à descendre, le soutint dans les
premiers pas de sa vie nouvelle; et ce n'est qu'après
tout cela qu'il le rend enfin parfaitement sain à l'a-
mour de sa mère; Et dédit illum matrisuœ.
Or, voilà, dans l'ensemble de toutes ces circon-
stances qui ont accompagné ce beau prodige, expri-
mée la grande mais triste vérité : Que la résurrection
spirituelle des pécheurs publics, des pécheurs effrontés,
n'est pas aussi facile que la résurrection spirituelle des
pécheurs récents et qui n'ont pas mis le public dans
le secret de leur péché.
Autant est donc heureuse la condition du chrétien
qui édifie, autant est triste celle du chrétien qui scan-
dalise. Hommes, femmes, chrétiens, qui, par la force
de votre exemple, par la sainteté de votre langage,
par l'activité et l'industrie de votre zèle, retirez les
pauvres pécheurs de leurs égarements, réjouissez-
vous; car c'est de vous que saint Jacques a dit que,
en sauvant l'âme des autres de la mort éternelle, vous
méritez que Dieu oublie, cache, efface, pardonne vos
propres péchés; Qui converti fecerit peccatorem ab
errore viœ suœ^ salvabit animam ejus et operiet mul-
y

titudinem peccatorum (JAC. V , Versionis Syriacce (1).

(1) C'est ainsi que, depuiB Origène, les Pères et les Interprètes
ont expliqué ce passage.
• OU LE RETOUR A LA GRACE, ETC. 217

Il parait qu'en s'exprimant ainsi, l'apôtre saint


Jacques ait fait allusion aux mots d'Isaïe : « Il est re-
vêtu du manteau du zèle; Opertus quasi pallio zeli. n
(ISA. LIX). Car, en effet, dit le prince des modernes in-
terprètes de l'Écriture sainte, tout chrétien zélé, toute
àme zélée, soit homme ou femme, soit religieuse ou
laïque, père ou mère, jeune homme ou jeune fille,
tout chrétien qui édifie, qui ramène son prochain à la
religion, à la pratique du bien, attire sur lui-même le
manteau de la miséricorde de Dieu et s'y enveloppe,
ets'en revêtit, et y cache dessous, et fait disparaître ses
propres péchés des yeux de Dieu, puisqu'il en obtient
facilement grâce et pardon (1). Et c'est de ces hommes
d'édification et d'ordre que David a dit : « Heureux
ceux dont les péchés ont été couverts, et dont les ini-
quités ont été remises; Beati quorum remisses sunt
iniquitates et quorum tecia suntpeccata (Psal. xxxi). »
Par la raison opposée, les hommes, les femmes de
scandale, qui, ou par leurs conseils, ou par leurs dis-
cours, ou par leurs exemples, ou par leurs œuvres
inspirent aux autres le péché ou les attirent au péché,
restent dans l'état d'une nudité affreuse aux yeux de
Dieu. Les péchés qu'ils ont fait commettre aux autres,
qui s'augmentent, qui se perpétuent, et sont toujours
vivants, font rester à découvert les péchés qu'ils ont
commis eux-mêmes, attirent sur eux la juste colère de
Dieu. En sorte qu'au lieu d'être enveloppés du manteau
de la divine miséricorde, ils se trouvent couverts de

( l ) « Zelus ejus est quasi paliium, quo velat sua peccata, coram
« oculis Dei, ut in iis gratiam inveniat (A LAPJDE, in v JACOBI). »
218 HOMÉLIE X I . — LES TROIS MORTS RESSUSCITES

l'affreux vêtement de la malédiction divine, qui, en les


déparant dans le temps, en fait un objet horriblement
grotesque et difforme pour toute l'éternité; Incluet
maledictionem sicut vestimentum ÇPsaL xvm).
Mais, est-ce qu'il n'y a pas de remède, est-ce qu'il
n'y a pas de grâce, est-ce qu'il n'y a pas de pardon, se
demande saint Augustin, pour cette classe de pécheurs
qui ont traduit en public leurs désordres, qui ont scan-
dalisé leurs familles, leurs enfants, le public même, en
portant en triomphe leurs péchés? Non, non, ce n'en
est pas ainsi, répond le même grand docteur. Jésus-
Christ ayant dit au jeune homme de Naïm ; « Je te dis :
Lève-toi, » nous a appris que, même les pécheurs pu-
blics, figurés par ce jeune homme, peuvent ressusciter
à la grâce, et qu'il y a espérance de pardon et de
salut même pour eux (1).
O malheureux pécheurs qui avez été une pierre
d'achoppement pour les autres ; qui vous êtes faits les
conseillers, les instigateurs, les maîtres des iniquités
des autres, votre culpabilité, je ne vous le dissimule
pas, est très-grande, votre responsabilité est énorme,
votre condition est affreuse. Cependant vous pouvez,
vous aussi, faire déchirer l'horrible chirographe que
vous vous êtes octroyé, et avez signé vous-même : le
chirographe, la sentence de la perte de votre âme, en
punition d'avoir perdu celles des autres ; vous pouvez
ressusciter, vous aussi, à la vie. Mais comment? Faites,

( l ) c Numquid isti, qui tantum processerunt, ut quod habebant


• in secreto, appareret in pubiicu, deàperati sunt? Nonne illi Ju-
« veui dictum est : Tibi dico ; Sur ne (toc. cit.)?*
• OU LE RETOUR À LA. GRACE, ETC. 219

avant tout, que votre mère, le p e u p l e pleure à cause


de vous, c'est-à-dire que l'Église, les âmes pures et
ferventes prient pour vous. Les prières, les larmes,
pour votre salut, de ces mêmes âmes que vous avez
tant attristées par le spectacle de vos désordres, sont,
comme nous l'avons vu (HomêL ni et x), d'une effi-
cacité immense auprès de Dieu.
En second lieu, rendez-vous vite et entièrement à
la voix du Seigneur, qui vous appelle, qui YOUS presse
à ressusciter de l'état de votre mort spirituelle que
vos scandales ont rendue publique; Adolescens, tibi
dico : Surye. Recourez au ministre de Jésus-Christ, qui,
revêtu par lui-même de son pouvoir souverain, arrê-
tera la marche de vos coupables passions, étendra sel
main thaumaturge sur la bière funeste de votre con-
science, et en fera sortir, en fera bondir dehors le corps
du péché (Rome), le corps de mort qu'elle porte en elle-
même. Yous ouvrirez les yeux de l'esprit à la lumière
de Dieu ; votre cœur commencera à palpiter de nou-
veau du mouvement vital de la grâce. Vous ne pourrez
pas, il est vrai, marcher tout de suite. N'importe. 11
Suffit d'abord que vous vous leviez et restiez assis sur
Votre cercueil, c'est-à-dire que vous vous leviez dans
votre conscience au-dessus de vous-même et cessiez de
*nal faire.
1
Mais, à l'exemple de l'enfant de la Veuve, qui com-
mença à parler de sa résurrection au peuple qui l'en-
vironnait, comme témoin de sa mort, vous devez e n -
c o r e , vous dit l e vénérable Bède, faire connaître votre
changement, votre conversion à ceux que vous avez
scandalisés, attristés par YOtre vie d e désordre, et qui
220 HOMÉLIE XI. — L E S TROIS MORTS RESSUSCITES

ont été les témoins ou les complices, ou les victimes


de vos péchés (1).
Il est vrai qu'attendu la corruption de l'homme, la
force des passions, les infernales sympathies que le
péché trouve au fond du cœur, il est plus facile de
scandaliser que d'édifier, de pervertir que de conver-
tir, d'entraîner les hommes au vice que de les rame-
ner à la vertu. Mais ne désespérez pas. Imitez le zèle
que mettait David à réparer le scandale de son péché.
Ne rougissez pas de votre retour au bien; n'ayez pas
honte de paraître pénitent, puisque vous n'avez pas
eu honte de paraître pécheur. Ne cachez pas votre re-
pentir, puisque vous n'avez pas caché vos fautes. Ne
faites pas attention aux sarcasmes malins, aux railleries
stupides du libertin et de l'impie. Vous ne devez pas
vous laisser imposer par des hommes qui ne vous
valent pas. Elevez-vous au-dessus des préjugés ridicules
du respect humain. Soyez homme, tel que Dieu vous a
fait, homme libre et maître de vous-même ; Esio vi?\
Parlez souvent en présence des pécheurs, parlez avec la
sincérité et laferveur propres au zèle chrétien, de la loi
de Dieu, de ses obligations et de ses récompenses;
Docebo iniquos vias suas (Psal. L). Parlez-en surtout
bien plus par vos exemples que par vos paroles, et vous
serez plus heureux que vous n'auriez su l'espérer, plus
heureux à faire des conquêtes à la vertu, que vous
n'avez été habile à lui faire des apostats; Et iin[Ai ad te
converientur\

(X) « Iucipit loqui, cum reducis vitœ indicia cunctis, qui eum pce-
« cantem luxerunt, ostendit (loc. cit.). »
OU LE RETOUR A LA GRACE, ETC. 221

. Édifier c'est une obligation pour tout le monde. Le


divin Maître ayant dit : « Vous devez vous conduire de
manière à ce que la lumière de vos bonnes œuvres
rayonne aux yeux de tout le monde, et que le monde,
attiré par vos exemples, revienne à Dieu et glorifie
votre Père, qui est au ciel ; Sic luceat lux vestra
coram hominibus, ut videant opéra vestra bona, et glo-
rificent Patrem vestrum qui in cœlis est (Matth. v).
Malheur à vous si vous affectez au dehors une piété
que YOUS n'avez pas dans votre cœur! Malheur à vous
si vous ne fréquentez, les églises, ne parlez religion,
ne faites des aumônes que pour aitircr sur vous les
regards et l'estime du monde, pour passer aux yeux
du monde pour une personne pieuse et charitable!
Ce serait de l'hypocrisie, le crime des Pharisiens, qui
ne vous vaudrait que les anathèmes et les châtiments
de Dieu, et les sarcasmes et le mépris du monde. Mais
si, en laissant voir vos bonnes œuvres, vous n'avez
d'autre intention que l'édification de vos enfants, de
;VOS domestiques, de vos subordonnés, de vos égaux*,
vous n'avez rien à craindre; vous aurez au contraire à
vous attendre aux récompenses éternelles qui ont été
; promises à ceux qui honorent et font honorer Dieu
par la sainteté et la sagesse de leur conduite ; Qui élu-
, cidant me, vitam œternam habebunt (Eccli. xxiv).
Mais rappelez-vous toujours que l'édification du pro-
;Chain, qui n'est, pour tout chrétien, qu'un devoir de
, charité, pour vous, qui avez eu le malheur de donner
du scandale, est un devoir de justice. 11 faut que vous
rendiez à Dieu, par votre zèle, autant d'âmes que vous
lui en avez enlevées par vos mauvais exemples; et, ne
222 HOMÉLIE XI. — L E S TROIS MORTS RESSUSCITES

pouvant pas faire cela parla prédication, vous devez


tâcher de l'obtenir par l'édification. Oui, qu'on vous
voie évitant le monde, assidu aux pratiques religieuses,
généreux dans l'exercice de la charité, prudent dans
vos discours, humble dans la grandeur, patient dans la
tribulation, sage dans toute votre conduite, et ne crai-
gnez rien. La grâce de Dieu fera le reste; et je vous
le redis, vous aurez peut-être le bonheur de ramener
à Dieu, par vos bons exemples, un plus grand nombre
d'âmes que vous n'en avez éloigné de lui par vos scan-
dales ; Docebo iniquos vias tuas et impii ad te conver-
tentur. Souvent les bons exemples du laïque, et surtout
de la femme, font plus de bien que les prédications du
prêtre. Vous pourrez même rendre à Dieu bien plus
que vous ne lui avez volé ; vous pourrez mettre en règle
vos comptes avec sa justice, et vous assurer sa miséri-
corde.
Pleins de santé et de vie, vous pourrez aussi être
rendus, comme des enfants de consolation et de gloire,
à votre mère l'Eglise, qui vous pleurait morts, et qui
vous regardait comme des enfants d'ignominie et
de douleur; Et dédit iilum mairi svœ. Et, enfin,
vous pourrez être de ces morts spirituels qu'une foi
vive, efficace dans la puissance de leur divin Sau-
veur, fait revivre; Qui crédit in me, etiamsi mortuus
fuerit) vivet.
Mais il y a une troisième classe de pécheurs qui
attend aussi nos instructions et nos consolations. Ce
sont les habitués au mal depuis de longues années, et
pourtant en pleine décomposition de leur être moral,
et dont l'état de Lazare mort nous présente la figure
OU LE RETOUR A LA GRACE, ETC. 223

Ja plus expressive, l'image la plus fidèle. Occupons-


nous donc d'eux aussi, et de la possibilité et des
movens de leur résurrection à la vie de l'esprit. Ah!
ce sont, hélas! les plus malheureux parmi les pé-
cheurs, comme les pécheurs sont les plus malheureux
parmi les hommes! C'est le sujet de notre dernière
partie.

TROISIEME PARTIE.

LAZARE MORT, OU LES CONSUÉTUD1NÀIRES ET LES


VIEUX PÉCHEURS.

I L est dit du cadavre de Lazare, qu'enseveli, renfermé


depuis quatre jours, il avait commencé à se corrom-
pre et exhalait déjà une odeur insupportable; Quatri-
duanus est, jam fœtet.
Or il en est de même, dit saint Augustin, dans l'ordre
moral, par rapport aux pécheurs de longue date, plon-
gés depuis un grand nombre d'années dans leurs vices,
en proie à la corruption du cœur, bien plus dégoûtante
que la corruption du corps. Indiqués par tous les doigts
Comme des hommes dépravés jusqu'à la moelle des os,
ils sont la triste odeur de Satan, comme les bons chré-
tiens sont, d'après saint Paul, la bonne odeur, l'odeur
Agréable et délicieuse de Jésus-Christ (1).
Du corps éteint de Lazare il est dit encore qu'il

(0 « Qui peccare consuevit, sepnltus est; et bene de illo dicitur:


n Fœtet; incipit enim habere pessimam famatn, tamquam odoretn
« tcterrimum (Tract . 4 9 in Joan.). »
224 HOMÉLIE XI. — LES TROIS MORTS RESSUSCITES

était renfermé dans une grotte et qu'une grosse pierre


était posée dessus; Erat autem spelunca, et lapis super-
positus erat ei. Or c'est aussi, dit saint Augustin,
l'image du pécheur ayant vieilli dans le péché. Il se
trouve resserré dans l'antre obscur et profond de sa
conscience, où le rayon de la lumière divine ne pénètre
que difficilement ; il se trouve sous l'énorme pierre de
sa mauvaise habitude, qui écrase son âme et l'empêche
de se lever et de respirer (1).
Dans la voie du désordre, la première faute, hélas!
n'est presque jamais la dernière, et il est très-rare que
ceux qui y glissent, reviennent, sans désemparer, sur
leurs pas! Ordinairement, une fois qu'on s'y est en-
gagé, on parcourt jusqu'au bout cette voie funeste ; car
comme tout acte de vertu devient une disposition, une
raison, un moyen de plus de pratiquer de nouveaux
actes de vertu; toute action mauvaise devient une dis-
position, une raison, un moyen de plus de commettre
d'autres mauvaises actions. Comme grâceproduitgràce,
péché produit péché. Comme la grâce sanctifiante, ainsi
que Jésus-Christ Ta dit, devient dans l'âme une source
vivante de nouvelles grâces; Fiel in eo fons aquœ sa-
lientis, tout péché établit dans l'âme un jet puissant de
nouveaux péchés. Comme les Justes, en montant tou-
jours de vertus en vertus (Ibunt de virtute in virtutem)^
s'élèvent à une telle hauteur dans le chemin du ciel,
qu'il leur devient presque impossible de retomber; de

(1) « Moles sepulcro imposita, est ipsa vis dirae consuetudinis,


« qua premitur anima ; nec resurgere, nec respirare permittitur
« (Serm. 4 4 deVerb.Domin.). »
OU LE RETOUR A LA GRACE, ETC. 225

même les pécheurs, en descendant de péché en péché


dans le chemin des enfers, arrivent à une telle pro-
fondeur qu'ordinairement il leur est presque impos-
sible de remonter. Malheur, criait saint Bernard,
malheur à l'homme qui hante le péché, qui se familia-
rise avec le péché! Ce qui, au commencement, lui
faisait horreur, avec le temps se change pour lui en
une indifférence habituelle, en une seconde nature.
Funeste nature! qui fait une espèce de nécessité du
péché : en sorte que, comme les âmes accoutumées à la
vertu ne peuvent vivre sans faire le bien-, de même
les âmes habituées au mal ne peuvent pas vivre sans
pécher! Cette horrible nécessité de pécher produit une
espèce d'impossibilité de se corriger; cette impossibi-
lité dégénère en désespoir du salut; et ce désespoir
achève et consomme l'affreux mystère de la damna-
tion éternelle (1).
Ne nous étonnons donc pas si Jésus-Christ, allant
ressusciter Lazare, s'y est laissé voir troublé lui-
même, frémissantdans son esprit béni, pleurant, priant,
et poussant un grand cri. Par ces démonstrations de
tristesse et de douleur, notre aimable Sauveur a voulu,
dit toujours saint Augustin, nous apprendre, d'une
manière sensible, combien est malheureuse, déplo-
rable, la condition des pécheurs qui ont vieilli dans leurs
péchés, et combien il est difficile que ressuscite à la
vie de la grâce une âme que la lourde pierre des mau-

, « (!) « Habitus crebro peccandi consuetudinem parit ; consuetudo


. 1 quasi agendi necessitatem ; nécessitas impossibilitatem ; impossi-
t bilitas desperationem ; desperatio damnationem. »
226 HOMÉLIE XI. — LES TROIS MORTS RESSUSCITES

vaises habitudes du péché accable de tout son mys-


térieux poids (1).
Considérez-les de près ces malheureux pécheurs. En
entendant raconter la mon affreuse d'un impie, en écou-
tant un sermon, en lisant quelque livre sur les dernières
fins de l'homme, en se sentant frappés ou menacés des
fléaux de Dieu, ou même aux approches des grandes
solennités de la religion, à moins que les vices n'aient
entamé et détruit tout à fait en e u x la foi, il est très-
rare qu'ils ne se sentent pas attirés, poussés par un
mouvement intérieur à se convertir. Mais ils n'ont pas
plutôt conçu la pensée de cette conversion, qu'ils se
sentent arrêtés, effrayés parla pensée du long chemin en
arrière qu'ils doivent faire, des péchés qu'ils ont à ex-
pier, des scandales qu'ils ont à réparer, des habitudes
qu'ils ont à détruire, de la pratique des grands devoirs
qu'il leur faut reprendre, du changement total de leur
Yie qu'ils doivent opérer, A c e t t e pensée ils se découra-
gent, ils s'abattent. Ils voudraient bien n'avoir jamais
commencé; mais ils ne savent pas se décider à en finir.
Ils maudissent chaque pas de leur funeste carrière, et ils
la suivent toujours. Us mouillent de leurs larmes leurs
chaînes; mais ils ne les brisent pas. « Je verrai cela à
la mort, » se disent-ils. « Alors quelque Saint viendra
peut-être a mon aidel » Et toutes leurs velléités de
conversiou s'évanouissent devant cet horrible mot :
v. Maintenant, je m le puis pas. » Consuetudo parti
quasi agendi necessitatem; nécessitas impossibilitatem !

(l) • Fremuit spiritu, turbavit seipsum, lacrymatus esty voce


Q magna clawavit, quia DtrueiLK surgit quem moles prav» con-
* suoUuHnis prenait (Tract. 49 in Joan,}. •
OU LE RETOUR A LA GRACE, ETC. 227

Qu'elle est donc grande, qu'elle est funeste Terreur de


ces chrétiens qui se disent : « Lorsqu'on va à confesse
autant vaut-il y apporter cent péchés qu'en apporter
un seul; autant vaut-il se convertir après dix ans,
qu'après quelques mois d'une mauvaise vie. » Ah! il
n'en est pas ainsi ! On ne guérit pas avec la même facilité
d'une vieille maladie que d'une indisposition qu'on
souffre depuis quelques jours! Plus le temps qu'on
passe en état de péché se prolonge, plus la volonté
'devient faible, plus les secours de Dieu se font rares,
£lus toutes les grâces extérieures perdent de leur effi-
cacité, plus les passions acquièrent de force, plus
enfin l'esprit s'aveugle, le sentiment religieux s'éteint,
le cœur s'endurcit, l'homme spirituel, l'homme chré-
tien est écrasé par l'homme corporel, par l'homme
animal. Insensible alors aux remords du passé et
aux appréhensions de la damnation future, on va
froidement à sa rencontre, comme le condamné mar-
che au supplice, auquel il ne peut pas échapper ;
Impossibilitas desperationem parti, desperado dam-
nationem (1).
Oh! qu'il est grand, mes frères, au centre même du

(l) Nous nous souvenons d'un tel, parmi tant d'autres de ces p é -
cheurs endurcis, qui disait : « Je crois aux enfers j mais je crois aussi
que je ne puis pas y échapper. Me convertir, c'est impossible. Aussi
J'ai pris mon parti. Seulement je voudrais finir ma vie d'une mort
ittbite, afin d'éviter les angoisses du dernier moment. Ce serait là
«ne belle mon pour moi; et je tâche de me la procurer par l'usage
\ que je fais de l'opium. » Le malheureux a été exaucé dans ce désir
Infernal. 11 est mort d'une attaque d'apopitxie foudroyante au
" ipectacle !
228 HOMÉLIE XI. — LES TROIS MORTS RESSUSCITES

catholicisme, le nombre de ces infortunés qui, la figure


rayonnante d'une joie fausse et affectée, sont, dans
l'intérieur de leur âme, rongés par ce désespoir froid,
paisible et indifférent qui méprise tout, qui ne se soucie
de rien; et qui est par cela même le désespoir le plus
inguérissable et le plus désespéré; Cum in profundum
venerit^contemnit (Prov. xvm, 3)! Oh! qu'il est grand
le nombre de ces malheureux qui, extérieurement
pleins de grâce, de santé et de vie, ne sont, dans l'in-
térieur de leur âme, que des Lazares cadavéreux par
leurs vices, et, comme les appelle Jésus-Christ dans
l'Évangile, des sépulcres blanchis et ornés au dehors,
mais remplis au dedans de chairs corrompues, d'osse-
ments pourris, exhalant une odeur d'enfer, insuppor-
table à la terre comme au ciel; Sepulchra dealbata,
plena ossibus mortuorumÇMatih. XXIH, 27). Etpeut-être
que dans cet auditoire même, ainsi que le disait de
son auditoire saint Augustin, peut-être que dans ce
même auditoire à qui je parle, j'ai ici en ma présence
de ces morts de quatre jours, de ces Lazares puants,
cadavres spirituels, qui depuis de longues années sont,
en quelque sorte, ensevelis sous la pierre écrasante de
leurs mauvaises habitudes! Oh! s'il en est ainsi, ne
désespérez pas, pécheurs, mes frères; je leur dirai :
Ne désespérez pas (1).
Par ce que Jésus-Christ a fait dans la figure, il a
montré ce qu'il peut, ce qu'il veut faire dans ceux qui

( l ) « Sed forte jam illi alloquor, qui jam duro consuetudinis la-
« pide premitur, qui jam quatriduanus fœtet. Sed nec ipse desperet
« (De Verb. Domini), »
OU LE RETOUR A LA GRACE, ETC. 229

y sont si bien figurés. Le même Seigneur, qui a rap-


pelé Lazare à la vie corporelle, peut et veut bien vous
rendre, vous aussi, à la vie spirituelle. On peut arriver
par la grâce là où Ton désespère arriver par la nature;
ce qui n'est presque plus possible à l'homme est pos-
sible à Dieu. Oui, ce Dieu de miséricorde et de bonté
peut et veut bien, par la voix de son secours intérieur,
vous délivrer de l'horrible poids dont vous vous êtes
chargés vous-mêmes, puisque vous ne vous sentez plus
la force de le secouer; il le peut et le veut bien, à la
condition que vous le vouliez sincèrement et efficace-
ment par une pénitence sincère et efficace de votre
part (1). Et l'histoire de la résurrection de Lazare est,
en cela, votre modèle, votre instruction, votre guide
et votre espérance.
En allant ressusciter Lazare, le Fils de Dieu com-
mença, comme nous l'avons vu, par dire : « Je suis la
résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, fût-il
mort, vivra; Ego sum resurrectio et vita. Qui crédit
in me, etiamsi mortuus fuerit, vivet. » Et en s'adressant
ensuite à sainte Marthe, il lui dit : Crois-tu, Marthe,
cette vérité; Credis hocî Or, qu'est-ce que cela signi-
fie? sinon que pour le pécheur mort et pourri dans ses
vices, la première condition de son retour à la vie de
la grâce, c'est la foi. Et, en effet, c'est la foi de Marthe
et de Madeleine qui, comme nous l'avons vu aussi, a
provoqué et obtenu de Jésus-Christ le grand prodige
de la résurrection de Lazare, leur frère. Foi donc,

(l) « Novit Christus clamando, terrena opéra abrumpere, intrin-


« secua viviflcare. Agant et Uti pœnitenUam ((bid ). »
t
230 HOMÉLIE X I . — L E S TROIS MORTS RESSUSCITES

pécheurs, mes frères, excitez en vous, par la médita-


tion et la prière, cette foi languissante et presque
éteinte, la foi dans la vérité de la Parole du Seigneur,
dans la puissance de sa grâce, dans la grandeur de son
amour,
Lazare était mort, cependant il était encore aimé par
Jésus-Christ; Ecce quomodo amabat eum. Et vous aussi,
poursuit saint Augustin, vous aussi, pauvres pécheurs,
quoique morts depuis si longtemps à la Yie de l'âme,
vous êtes toujours l'objet delà miséricorde et de la com-
passion du Dieu Sauveur. Ah ! s'il n'avait pas aimé les
pécheurs, ce Dieu de bonté, il ne serait pas venu du
ciel sur la terre pour les chercher et les sauver (1).
Dans cette même famille de Lazare—cette remarque
appartient encore à saint Augustin—Jésus-Christ avait
déjà, non pas en figure, mais en réalité, opéré en
un instant le grand prodige de ressusciter à une vie
sainte et parfaite une âme égarée depuis sa plus tendre
jeunesse, plongée dans le désordre, esclave des plus
mauvaises habitudes, des plus violentes passions. Ce
fut en convertissant Madeleine; et ce prodige a été
encore plus grand et plus étonnant que celui par le-
quel il ressuscita plus tard Lazare, son frère (2).
Or, nous savons, nous voyons, dit encore le grand
évêque d'Hippone, que la divine miséricorde de notre
aimable Sauveur renouvelle tous les jours ces mira-

(1) « Lazarus mortuus erat, et tamen Lazarum Chrislus amabat.


• Si enim peccatores non amaret, de cœlo ad terram non descenderet
« (Tract, in Joan.). »
(2) < Haec ipsa soror Lazari Maria melius suscîtata est quam fra-
« ter ejus : de magna mole consuetudinis liberata est (Ibid.). »
OU LE RETOUR A LA GRACE, ETC. 231

cles de sa puissance, non pas en tous les grands pé-


cheurs, afin que personne ne présume, mais dans un
grand nombre de ces êtres infortunés, afin que per-
sonne ne désespère de sa bonté (1).
Nous connaissons même, dit encore le grand Doc-
teur africain, plusieurs de ces vieux pécheurs, pour-
ris dans le désordre, qui, semblables à Madeleine,
non-seulement se sont convertis, mais qui, depuis leur
Conversion, mènent une vie bien plus édifiante, plus
Sftinte et plus parfaite que les nouveaux pharisiens,
leurs censeurs, qui s'enorgueillissent d'une probité
apparente et menteuse (2).
En second lieu, le Fils de Dieu, en allant ressus-
citer Lazare à la vie du corps, frémit en lui-même. Et
vous aussi, pécheur invétéré, vous dit le même doc-
, teur, à la vue de votre obstination et de votre aveu-
glement, vous devez aussi frémir d'indignation en
vous-même et contre vous-même, si vous voulez vous
bien disposer à la résurrection, à la vie de l'âme (3).
Jésus-Christ ajouta le trouble au frémissement; et,
par là, il vous a appris que vous devez saintement vous
troubler aussi, vous confondre, vous attrister, vous
repentir à la considération de l'état de haute misère
©t de corruption profonde où YOUS êtes réduit (4); et,

. (1) « Videmus multos, novimus multos : nemo praesumat, nemo


« desperet (Ibid.). »
( 2 ) « Videmus quotidie homines, peuima consuetudine permu-
« tata, meiius vivere quam ii vivunt qui eos depretiendunt {Ibid.). »
• ( 3 ) « Fremas in te, si disponis reviviscere (Tract, in Joan,). »
(4) « Turbavit seipsum : ut signifleet quomodo lurbari debeas,
. « cum tanta peccatimole graveria [Ibid.). »
232 HOMÉLIE XI. — LES TROIS MORTS RESSUSCITES

à l'exemple de Jésus-Christ, accompagnez votre fré-


missement et votre trouble des larmes du cœur, des
larmes du repentir par lesquelles, quelque dure
qu'elle soit, la pierre de vos mauvaises habitudes finira
par se briser et disparaître (1).
On dit à Jésus-Christ, par rapport à Lazare : « Sei-
gneur, venez et voyez*, Domine, veni et vide. » C'est
ce que vous devez aussi répéter à votre divin Sauveur.
Prosterné à ses pieds, vous devez le solliciter qu'il
daigne venir jusqu'à vous, s'attendrir sur vous, avoir
pitié, compassion de vous; car venir et voir, de la
part du Rédempteur divin, n'est, dit saint Augustin,
n'est que cela; et c'est pour cela que le prophète disait
à Dieu, et vous devez lui dire aussi comme le prophète :
a Voyez, Seigneur, l'état d'avilissement et de dégra-
dation où je suis tombé; voyez ma confusion, mon
repentir et ma douleur, et daignez me pardonner tous
mes péchés (2). »
Malgré tous ces préparatifs, Lazare ne ressuscita
pas avant qu'on eût ôté de son tombeau la pierre qui
le couvrait. De môme, sachez-le bien, pécheurs qui
aspirez sincèrement à vous convertir, toutes vos
belles dispositions, vos prières, vos larmes ne peuvent
rien pour votre résurrection spirituelle, si vous n'ôtez
toute pierre d'achoppement qui se trouve sur votre
chemin, c'est-à-dire toutes les occasions du péché.

(1) « Ut vielentiae pœnitentis , cedat consuetudo peccandi


a (Ibid.). »
(2) « Veni et vide. Videt Dominus quando miseretur; unde dici-
« tur : Vide, Domine, humiUtatem meam et dolorem meum, et
« dimitte omnia peccata mea ((bid.}. »
OU I E RETOUR A LA GRACE, ETC. 233

Tolliie lapidem, ôtez la pierre, vous dit, à vous aussi,


le Seigneur. Rompez avec cet ami, débarrassez-vous
de cette personne, renoncez à ces pratiques, brûlez
ces livres, détruisez ces souvenirs, éloignez de vous,
en un mot, toutes ces pierres de scandale et de ruine
spirituelle qui ont été si funestes à votre faiblesse, et
où toutes vos résolutions de faire le bien se sont si
souvent brisées, où votre innocence, votre pudeur et
peut-être même votre foi ont succombé ; Tollite lapi-
dem; tollite lapidem.
Il faut encore, malheureux Lazares, que vous obéis-
siez à la voix du Seigneur, qui vous crie plus haut
encore qu'elle ne le fit au cadavre du jeune homme de
Naïm, et qui vous intime, qui vous ordonne de sortir
de votre tombeau-, Clamavit voce magna : « Lazare,
veni foras, n
Ah ! mes frères, quoi qu'en disent le monde et les
hommes qui ne s'inspirent que des maximes, des pré-
jugés du monde, il n'est malheureusement que trop
certain que les sociétés profanes du monde, les spec-
tacles, les réunions de ce qu'on appelle le beau monde,
et où un si grand nombre de chrétiens, en honte du
christianisme, dissipe en de vains amusements, en
de folles jouissances, en des plaisirs corrupteurs, en
des amusements aussi ruineux pour l'âme que pour le
corps, pour l'honneur que pour la fortune, la meilleure
portion de la vie, le temps précieux que la bonté de
Dieu ne nous accorde qu'afin de nous assurer un bon-
heur éternel; il n'est que trop certain que ces réunions
scandaleuses, funestes débris du matérialisme païen
que le christianisme avait détruit et que l'hérésie, le
234 HOMÉLIE IX. — LES TROIS MORTS RESSUSCITES

paganisme littéraire et artistique, l'indifférence re-


ligieuse, l'incrédulité des trois derniers siècles ont
ressuscité au nom, sous l'inspiration et dans l'intérêt
de Satan; il n'est que trop certain, dis-je, que ces réu-
nions ne sont, aux yeux de la foi, que de vrais tom-
beaux des âmes, où l'âme fascinée s'aveugle, s'oublie
et perd peu à peu, sans s'en douter, les idées, les
principes, les maximes chrétiennes. Où le cœur aussi
se ramollit insensiblement, s'énerve, se dégrade. Où
ce qu'on veut faire passer pour un soulagement inno-
cent finit toujours par le culte de la chair, par l'ido-
lâtrie du plaisir. Où, enfin, sous les apparences insi-
dieuses de l'élégance, de la politesse et de la grâce,
tout est corruption, pourriture et mort. Or, c'est de
ces tombeaux où vous, pauvres Lazares, vivez en mou-
rant et mourez en vivant, et où vous pourrissez de-
puis si longtemps, c'est de ces tombeaux que vous
devez sortir. Il faut divorcer avec le monde corrupteur
et corrompu, si Ton veut revivre à la grâce; Lazare,
veni foras. Tant que vous resterez dans ces cavernes
obscures, dans ces repaires de la mort, il n'y a pas
moyen de revenir à la vie. Mais, en sortant de ces
affreux sépulcres du monde, il est nécessaire, vous dit
saint Grégoire, que, par une confession sincère de
toutes vos fautes, vous sortiez aussi de vous-mêmes,
de votre cœur où ces fautes vous retiennent enfermés
et ensevelis comme dans un affreux tombeau ( i ).
Remarquons encore que Jésus-Christ, ayant fait

(I) a Ut qui intra conscientiam suam abscondltus jacet per m a -


• liiiam, a scmctipso e i e a t p e r confessionern (loc. cit.). »
OU LE RETOUR A LA GRACE, ETC. 235

sortir tout vivant Lazare du tombeau, ne Ta pas fait


sortir libre et délié, mais les mains et les pieds resser-
rés par des bandelettes et le visage caché sous le suaire
dans lequel on l'avait enveloppé ; Prodiit qui fuerat
mortuus, ligatus manus et pedes institis, et faciès illius
sudario erat ligata; et que ce furent ses disciples , là
présents, qui, par l'ordre formel que leur en donna
le Seigneur, débarrassèrent Lazare de ses liens, le
découvrirent et le laissèrent aller ; Solvite eum 9

et sinite abire. Et par là, disent les Pères, il nous a


confirmé, par un fait sensible, cette grande révélation
qu'il nous avait faite ailleurs : Que, comme ce fut sa
voix qui fit revivre Lazare, c'est aussi sa grâce qui
intérieurement fait revivre l'àme se repentant de ses
fautes; et que cependant il n'appartient qu'à ses minis-
tres, à ses prêtres de délier, par l'absolution sacramen-
telle, les pécheurs des liens du péché, et de les aider
à marcher dans les voies du salut. Car ce n'est qu'aux
ministres sacrés, aux prêtres qu'il a dit, dans la per-
sonne des Apôtres : « Tout ce que vous délierez sur la
terre sera aussi délié dans le ciel (1). »
Lazare, sortant corporellement lié de son tombeau,
n'est, dit Haymon, que le pécheur demeurant spiri-

(l) « Reviierunt quibus displicet quod fecerlnt; sed ambulare


« non possunt. Haec sunt vincula ipsius reatus. Opus est ergo ut
• qui revhit solvatur. Hoc oflicium discipulis dédit, quibus ait :
« Quodcumque selveritis super terram, erit solutum et in cœlis
« (August.y loc. cîï.).»«Christus suscitât,quia interius per seipsum
« vmficftt. Solvunt discipuli, quia per ministeriuin sacerdolum ab-
« solvuntur viviûcati ( A L G U I N U S , in Caten.). »
236 HOMÉLIE XI. — LES TROIS MORTS RESSUSCITES

tuellement lié, même après sa confession, jusqu'au


moment où il reçoit l'absolution du prêtre(1).
Voilà donc établie la nécessité du ministère du prêtre,
et par conséquent de la confession, pour la justification
complète, entière et parfaite du pécheur, établie, je le
répète, d'une manière sensible; et voilà le protestan-
tisme, qui n'est au fond que la négation de la nécessité
du ministère ecclésiastique entre F homme et Dieu, ré-
futé d'avance de la manière la plus lumineuse, la plus
éclatante par l'un des faits les plus merveilleux aussi
bien que par les paroles les plus formelles de l'Évan-
gile.
Mais, si le ministère sacerdotal est si nécessaire
pour tout pécheur, il Test encore davantage pour vous,
vieux pécheurs, auxquels je parle dans ce moment. Je
ne vous dissimule pas que, même après votre première
confession, vous vous trouverez encore pour quelque
temps enveloppé du funeste suaire des préjugés du
monde, qui encombrent votre esprit, resserré par les
liens de vos coupables habitudes, qui tiennent empri-
sonné votre cœur : ces insignes lugubres de votre
mort et de votre enterrement spirituels. Mais ne vous
découragez pas; revenez toujours, à de courts inter-
valles, au sacrement de la délivrance et du pardon.
L'expérience dans le ministère sacré m'a appris qu'il
n'y a pas d'habitude si ancienne qui tienne ; qu'il n'y a
pas d'inclination si violente qui dure ; qu'il n'y a pas de
lien si fort qui résiste; qu'il n'y a pas de préjugés ni

(1) « Mortuus aUbucligatus, est confitens adbucreus (Comment.


« in Joan.), »
OU LE RETOUR A LÀ GRACE, ETC. 237

de maximes si enracinés qui ne cèdent devant l'usage


de la confession fréquente. Par ce remède tout-puis-
sant, parce qu'il est divin, les chutes deviennent tou-
jours plus rares, les passions plus faibles, le cœur plus
libre, l'esprit plus net, les inclinations plus pures, les
bonnes œuvres plus faciles, la volonté plus forte ; au
• point qu'en vous comparant alors avec vous-mêmes,
en comparant ce que vous serez devenus avec ce que
vous étiez, vous vous étonnerez de vous voir changés
en de tout autres hommes, de vous voir entièrement
délivrés de liens qui vous paraissaient insolubles et
éternels.
Il vous en fcoûtera un peu de suivre ce traitement,
d'avaler ces remèdes ; mais y a-t-il de traitement, dit
saint Augustin, qui puisse paraître long ou difficile, y
a-t-il de remède qui puisse paraître amer pour recou-
vrer la vie éternelle de l'âme, pour des hommes qui
s'assujettissent avec tant de facilité à subir le fer et le
feu, à suivre les plus longs et les plus incommodes trai-
tements rien que pour prolonger de quelques jours la
vie du corps, qui tôt ou tard doit finir(l)?
Le tout dépend d'une résolution ferme et sincère ;
le tout dépend du mot : « Je veux. » Dans les choses
humaines, on a beau dire : « Je veux parvenir, » on
ne parvient pas toujours pour cela. Mais, dans les
choses divines, il suffit de vouloir, de vouloir sincère-
ment, efficacement, subitement; car vouloir de cette
manière, c'est agir; et agir, c'est réussir. C'est que,

(l) « Laborat ne moriatur homo moriturus; et non laborat ne


« peccethomo in œternumvicturus [DeVerb. Domini). »
238 HOMÉLIE XI. — LES TROIS MORTS RESSUSCITES

dans la grande affaire du salut, le tout dépend de la


volonté de l'homme et du concours de la grâce de
Dieu. Or, d'après les principes de la vraie théologie,
ce concours ne fait jamais défaut à l'homme qui le de-
mande, à l'homme qui veut, qui fait tout ce qu'il peut
faire, tout ce qui dépend de lui ; et avec ce secours
tout-puissant, môme l'homme faible, même l'homme
malade, peut tout. Je ne puis rien par moi-même,
disait saint Paul -, mais, en Jésus-Christ qui me corro-
bore, je puis tout, je suis à l'épreuve de tout; Omnia
possum in Eo qui me confortât (Philip, iv, 13).
Voilà donc le temps, voici l'heure précieuse où le
Fils de Dieu vous appelle à la vie de la grâce ; c'est ce
moment où je vous parle en son nom, où je remplis
avec vous la légation d'amour, comme s'exprime saint
Paul, dont ce Dieu de miséricorde m'a chargé auprès
de vous, la légation de vous supplier, de vous conjurer
de vouloir bien vous réconcilier avec votre Dieu ; Pro
Christo legatione fungimur obsecrantes vos : Reconci-
liamini Deo (II Cor. v, 20). Écoutez docilement, écou-
tez promptement cette voix d'empire et de miséricorde
en même temps, qui, pour vous arriver par l'organe
de l'homme, n'en est pas moins la voix du Fils de Dieu :
Lazare, venez dehors; et répondez : « Oui, je veux bien
sortir du tombeau de ma corruption et résurgir du
péché; je veux bien me convertir, changer ma vie et
me sauver; Venit hora, et nuncest quando mortui au-
dient vocem Eilii Dei. » Et soyez sûrs que YOUS serez
mille fois dédommagés des privations que vous YOUS
imposerez en renonçant aux jouissances sensibles, par
le charme ineffable de la paix du cœur, par les délices
OU LE RETOUR A LA GRACE, ETC. 239

immaculées des saintes vertus. Soyez sûrs que le vide


produit dans votre cœur par l'éloignement du monde
et de ses plaisirs sera complètement rempli par l'abon-
dance des miséricordes de Dieu. Soyez sûrs que les
peines, les sacrifices auxquels vous vous assujettirez
dans le temps auront un immense prix dans l'éternité.
Car, en ressuscitant à la grâce, vous ressusciterez en-
suite et vivrez aussi à la gloire; Qui crédit in me,
etiamsi mortuus fuerit, vivet; et omnis qui vivit et
crédit in me, non morietur in œternum. Ainsi soit-il.
240 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

DOUZIÈME HOMÉLIE (*)


JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE ET MADELEINE
ou

L'UN NÉCESSAIRE

ET LES CONDITIONS, LA NÉCESSITÉ ET LA RÉCOMPENSE


DU SERVICE DE DIEU.

(Saint Luc , chap. x).

• Aune vero ïiberati a peecafo, servi autem facti Deo, kabetis fruclum
» vestrum in sanctificationem, finem vero vilam œternam.
« Mais maintenant, affranchis du péché, et devenus les serviteurs de Pieu,
• vous recueillez votre fruit pour la sanctification, et atteignez votre fin, la
« vie éternelle {Rom, v i , 22). •

VOILA, dans ces simples, mais sublimes paroles de


l'Apôtre, l'histoire entière de l'homme régénéré. Aussi-
tôt que, par la grâce du Baptême et de la Pénitence,

(*) Nous avons cédé d'autant plus volontiers aux instances de


notre honorable Éditeur d'insérer, dans ce recueil, celte Homélie,
qui n'a jamais été publiée, qu'elle suffirait, à elle seule, pour don-
ner au lecteur chrétien une grande idée de la fécondité, de la ri-
chesse infinie des faits et des paroles les plus simples de l'Évangile;
et du secours qu'on trouve dans les Pères de l'Église pour découvrir
cette richesse et cette fécondité. Car si nous avons tiré le parti qu'on
va voir d'un si court récit de l'Évangile, c'est à eux que nous le
devons. Le simple fidèle y apprendra toujours mieux, nous l'espérons,
qu'en lisant l'Évangile , il ne faut pas s'arrêter seulement à la lettre
de ce Livre divin, mais il faut chercher à comprendre les grands et
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 241

l'homme s'est débarrassé du joug du péché originel et


de ses péchés actuels, il entre dans la condition heu-
reuse des vrais serviteurs de son Dieu, et en persévé-
rant dans cet état, il recueille le fruit précieux de la
sainteté, dans le temps, et il s'assure le bonheur dans
l'éternité.
Mais avant de nous apprendre cette importante doc-
trine par l'organe de saint Paul, l'Évangile nous l'avait
présentée comme en action, dans le récit de ce qui
s'est passé dans la sainte maison de Marthe et de
Madeleine, lorsque le Fils de Dieu daigna visiter chez
elles ces sublimes femmes pour la première fois.
Ce récit, que saint Luc seul, parmi les Évangélistes,
nous a transmis, est bien court; mais il renferme de
grands mystères et des leçons d'autant plus utiles
qu'elles sont d'une pratique plus journalière pour
les âmes vraiment chrétiennes. Cependant il est peu
connu, parce que généralement il est peu expliqué.
Tâchons de combler cette lacune qui se trouve dans

délicieux mystères qu'il renferme; que c'est ainsi qu'ont lu l'Évan-


gile les Pères et les Saints qui en ont fait le sujet de leurs études,
de leurs méditations et leurs délices; que c'est ainsi que le ca-
tholique trouve à chaque page de l'Évangile l'Église que le protes-
tant n'y trouve pas : comme le chrétien voit à chaque page de l'An-
cien Testament Jésus-Christ que le Juif n'y voit p a s ; et enfin que
c'est ce que Jésus-Christ lui-même a voulu nous apprendre en disant,
à nous aussi, qu'il faut scruter les Écritures; Scrutamini scripturas
(Joan. v ) . Quant aux jeunes prêtres, ils verront dans cette Homélie^
nous osons l'espérer, une nouvelle preuve de l'importance de la
méthode sur laquelle nous avons tant insisté, dans la Préface de cet
ouvrage, et ils en feront, eux aussi, leur profit (note de Vauteur).
n. K;
242 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

les modernes explications de l'Évangile, et expo-


sons-le, selon notre méthode, d'après les pensées et
les doctrines des saints Pères. Nous y apprendrons la
grande et sublime doctrine de l'UN NECESSAIRE,
c'est-à-dire : 4* les conditions et les œuvres ; 2° la
nécessité et l'importance 5 3° la récompense du ser-
vice de Dieu; nous y trouverons, en un mot, le plus
beau et le plus instructif commentaire de ces déli-
cieuses paroles de saint Paul : Nunc veto libérâti a
peccato, servi autem facti Deo, kabetis frttctum vestrum
i n sanctificationem, finem vero vilam œiernam.
Puisque déjà nous nous sommes, à pareil jour,
entretenus de la grandeur et de la magnificence de
l'Assomption de Marie, trouvez bon qu'aujourd'hui
nous cherchions à comprendre, dans tous ses détails,
ce même Évangile que l'Église fait lire à la Messe de
cette grande solennité. Implorons la lumière divine
par l'intercession de cette Reine des anges. Ave Maria.

PREMIÈRE PARTIE.
LES CONDITIONS ET I E S OEUVRES DU SERVICE DE DIEU.

§ \ . t e s femmes ont été, pl*is que les hommes, généreuses et con-


stamment 4évou,ées au Seigneur, durant sa vie mortelle. — Mar-
the et Madeleine l'ont été plus que toutes les autres femmes, la
divine Mère exceptée. — Jésus-Christ n'acceptait volontiers l'hos-
pitalité qu'elles lui donnaient chez elles, que parce qu'il trouvait
leur maison n c h e du seul ornement digue de la maison de Dieu,
l a SAWTETK.

C'EST un fait bien singulier et bien honorable pour


le sexe : Qu'avant même la descente du Saint-Esprit
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 243

sur la terre, la femme comprit, mieux que l'homme,


Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait homme. Ce fut, peut-
être, dans un dessein de sagesse et de miséricorde que
ce Fils de Dieu permit que même ses Apôtres eussent
tant de peine à croire en lui pendant sa vie, afin que
le monde crût plus facilement au témoignage éclatant,
uniforme, qu'ils lui rendirent après sa mort. Mais,
quelle qu'en soit la cause, c'est, je le répète, un fait
incontestable et qui saute aux yeux à la lecture des
quatre Evangélistes : Que jamais ce divin Sauveur
a*eut à se plaindre de la femme : car jamais il ne lui
«dressa aucun de ses durs reproches qu'ont provoqués
même les plus affectionnés de ses disciples. C'est un
fait que ce ne fut pas la femme qui le trahit, qui l'a-
bandonna, qui le renia, qui refusa de croire à sa ré-
surrection; mais qu'au contraire, la femme fut pro-
fondément dévouée à sa personne, docile à sa parole,
fidèle à sa doctrine, constante à le suivre jusqu'à sa
mort, généreuse, héroïque même à croire, à confes-
ser tout haut sa divinité.
Saint Luc a dit : « Jésus, ensuite, allait de ville en
* ville, de village en village, prêchant et annonçant le
* royaume de Dieu, et les Douze étaient avec lui et
« beaucoup de femmes*.. qui l'assistaient de leurs
« biens (1), » Saint Matthieu, de son côté, a dit aussi ;
« Il y avait là, loin de la croix, plusieurs femmes qui

0) « Deincepa et ipse iter faciebat per civitates et casteiïa, PT&-


« dicans et evangelizans regnum Dei, et Duodecim cum i l l o . . . et
* Mulieres... multse qux ministrabant ei de facultalibus suis
t (Luc. vm). »
244 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

« de la Galilée avaient suivi Jésus-Christ pour le ser-


vi vir ( i ) . »

Il est donc clair, par ces passages de l'Evangile, que


c'étaient les femmes qui fournissaient tout ce qui était
nécessaire pour la nourriture du divin Sauveur et de
ses Apôtres ; et que non contentes de l'assister de leurs
biens, elles le suivaient partout, de province en pro-
vince, de ville en ville; veillant à ce que rien ne
lui manquât, et afin d'avoir le bonheur de le servir
elles-mêmes.
C'est, nous dit Euthymius, d'après l'Évangile et la
tradition, que ces âmes d'élite avaient formé, sous la
présidence de la sainte Vierge, la divine Mère, une
espèce d'association religieuse, dans le but de consacrer
toute leur fortune et tous leurs soins au service du
Seigneur (2), en sorte que l'on peut affirmer que les
femmes ont été non-seulement la première conquête
de la grâce du Christ sur le péché, mais aussi les pre-
mières à servir vraiment Dieu, dans la personne de
son Fils unique fait homme; Liberatœ a peccaio,
ancillœ jactœ Deo : à l'imitation et en compagnie de
Celle qui, exemptée de tout péché, a été la première à
se glorifier de n'être que la servante du Seigneur :
Ecce ancilla Domini, au même moment où l'Ange la
proclamait la mère du Seigneur!
Parmi ces saintes femmes, Marie et Marthe, double-

(1) « Erant autem ibi multm mulieres a longe quxsecutse erant


a Jesum a GaliUea, ministrantes ei (Matth. xxvu). »
(2) « Chorus discipularum apud Dei Matrem conjunctarum et
« ex pensas de facultatibus suppeditantium (Apud A Lap.). »
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 245

ment sœurs, dit saint Augustin, et par le sang et par


la conformité de leurs sentiments de religion (1), lui
furent plus fidèlement attachées. Dans les deux pas-
sages des Évangélistes que je viens de citer, comme
ailleurs, Marie-Madeleine est toujours nommée la pre-
mière parmi ces ferventes disciples de Jésus-Christ qui
prenaient soin de lui.
Saint Matthieu vient de nous dire que Madeleine
était de celles qui avaient suivi le Seigneur de la Ga-
lilée (2), et saint Jean, en rapportant le dernier souper
que Jésus-Christ reçut, en Béthanie, chez Simon le
lépreux, six jours avant sa mort, et dont saint Matthieu
et saint Marc ont fait, eux aussi, mention, a ajouté
une circonstance que ces Évangélistes avaient omise,
savoir : que môme ce souper lui fut préparé par la fa-
mille de Lazare-, que Marie oignit alors, pour la se-
conde et dernière fois, les pieds du Seigneur, que
Marthe servait à table et que Lazare était lui-même
l'un des convives (3).
Ainsi, ces saintes sœurs ne perdaient jamais de vue
le Seigneur-, elles ne le servaient pas seulement chez

(1) « Ambae non solutn carne, sed et religione germanœ (Serm.


« 2 6 , de Verb. Domini). »
(2) « Mulieres quae secutae fuerant Jesum a Galilœa, inter quas
« Maria Magdalene. »
(3) » Cum esset in Bethania in domo Simonis Leprosi, accessit
« ad eum mulier habens alabastrum unguenli preliosi, etc. (Matth.
« xxvi). Jésus ergo ante sex dies Pasquœ venit in Bethaniam ubi
« Lazarus fuerat mortuus. Fecerunt ei cœnam ibi, et Martha m'tnis-
« trabat. Lazarus vero unus erat ex discumbentibus cum eo. Ma-
« ria ergo accepit libram unguenti pisticl pretiosi, et unxit pedes
« Jesu (Joan. xn). »
246 HOMÉLIE X H . — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

elles, mais encore elles allaient lui prodiguer leurs


hommages et leurs soins partout où il se trouvait.
Elles firent encore plus. Elles étaient de la Galilée;
elles résidaient au château de Magdalum, ce qui fit
donner à Marie, la plus célèbre des deux sœurs, le
surnom de Magdaleine. Mais après la conversion de
cette dernière, qui eut lieu dans la ville de Naïm, en
Galilée, toute la famille vint s'établir à une demi-lieue
de Jérusalem, à Béthanie, qui, du n o m de ces nobles
hôtesses, s'appelait le village de Marthe et de Made-
leine (1). Et ce fut afin d'être mieux à la portée de
soigner leurSeigneur bien-aimé, dans ses fréquentes ex-
cursions dans la capitale de la Judée et de tenir tout prêt,
pour lui e t pour ses Apôtres, un logement à proximité
de cette ville, toutes les fois qu'il s'y serait rendu. On
n'avait jamais vu On dévouement pareil. Vraiment,
dans sa vie, le Fils de Dieu ne trouva nulle part des
servantes plus fidèles et plus affectionnées ! Aussi e n
allant à Jérusalem, l'aimable Sauveur faisait toujours
halte, en Béthanie, chez Manhe et Madeleine, et nul
logement n'était plus agréable à son cœur divin.
C'est que l'ornement propre de la maison où Dieu
puisse résider convenablement ce n'est pas l'or ou le
marbre, mais c'est la sainteté; Domum tuant decel sanc-
titudo(Psal. xcu). Or, outre sa sainte Mère, ce temple
vivant de toutes les vertus, qui, selon toutes les appa-
rences, y était toujours, le Fils de Dieu fait homme trou-
vait dans la maison que la profonde piété de toute une

(i) K Lazarus a Betuania, dû caslello Mari* et Marthse sororis


ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 247

famille avait mise à sa disposition, en Béthanie, l'in-


nocence dont Lazare était le type, la pénitence dont
Marie était le modèle, la virginité dont Marthe était le
miroir. Il y trouvait la foi la plus vive, l'humilité la
plus profonde, l'amour de Dieu et de son Fils le plus
fervent, la charité envers le prochain la plus géné-
reuse et la plus parfaite. Il y trouvait toutes les vertus
que les membres de cette famille de Saints rivalisaient
de pratiquer. Là donc ce Fils de Dieu se trouvait à son
aise. Là il pouvait se reposer au milieu des splendeurs
des vrais Saints, des anges de la terre, lui tenant lieu
des splendeurs des Saints et des anges qui l'entourent
dans le ciel. Là il lui était toujours réservé un loge-
ment digne de lui, un logement richement drapé de
l'ornement le plus précieux aux yeux de Dieu* et le
seul convenable à sa dignité, la sainteté-, Domum
tuam decet sanctitudo.
Nous savons maintenant ce qui a mérité aux mem-
bres de cette famille cette particulière affection, cette
sainte amitié de la part du Sauveur, que saint Jean
nous a révélées par ces simples mots, les plus hono-
rables pour des pures créatures : « Jésus aimait tendre-
« ment Marthe, Marie sa sœur et Lazare; Diligebat
« Jésus Martham et Mariam sororem ejus et Laza-
« rum. » Et nous savons aussi ce qui attirait son cœur
vers cette maison ; ce qui la lui faisait préférer à toutes
les plus nobles et plus riches maisons de la terre, et ce
qui l'engageait à s'y arrêter pour y prendre ses repas
et s'y reposer aussi souvent qu'il venait à Jérusalem (1).

(f) Il faut remarquer que les Scribes, les Pharisiens et toute la


248 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

§ 2. Exposition littérale du récit évangélique de Jè*u$-Chri$t chez


Marthe et Madeleine.

L'Évangile n e rapporte qu'une seule, la première


de ces visites d u Fils d e Dieu, à ce sanctuaire de la
vraie piété, à c e t asile d e la pureté, à cette école de
la ferveur; mais par c e q u e saint Luc nous dit s'y être
passé c e t t e fois, il nous a appris ce qui se passait dans
cette maison toutes les fois qu'elle avait le bonheur
déposséder Jésus-Christ. C'étaient toujoursdenouveaux
actes de vertus que les saints personnages qui l'habi-
taient y offraient au Seigneur. C'étaient des grâces tou-
jours nouvelles que le Seigneur y répandait, et par
lesquelles il payait de la monnaie d'une valeur infinie
l'hospitalité généreuse qu'il y recevait. Voici donc
comment l'historien sacré rapporte cette visite que je
dois vous expliquer aujourd'hui.

haute et basse prêtraille des Juifs qui, dans leur haine satanique
contre le Seigneur, ont toujours cherché à abaisser, à dénigrer, à
calomnier tout ce qui tenait à lui : sa patrie, sa divine mère, ses
parents, ses apôtres et ses disciples; ils n'ont jamais osé se per-
mettre un seul mot injurieux, élever le plus léger soupçon contre
Marthe, Marie et Lazare ; et qu'à la mort de ce dernier non-seule-
ment le peuple prit une large part à la douleur de ses sœurs déso-
lées (Joan. xi, 33), mais les personnages les plus distingués de Jé-
rusalem se rendirent en foule à leur habitation, en Béthanie, pour les
consoler (Ibid. v, 19 et 4 5 ) . Preuve évidente que la pureté des
mœurs de ces femmes était au-dessus de toute atteinte, et que cette
famille tout entière, en parfaite odeur de sainteté auprès de tout
le monde, faisait honneur à rattachement tout particulier que Jésus
avait pour elle, et était, selon la charmante expression de saint
Paul, la bonne odeur du Christ.
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 249

C'était au mois de novembre de la troisième année


de la prédication du Sauveur (A Lapid. Me); il venait
de passer la journée, évangélisant, en compagnie de
ses Apôtres, les villages et les bourgs des environs de
Jérusalem, lorsque, se trouvant près de Béthanie, il y
entra, et une femme, nommée Marthe, le reçut dans
sa maison; Faction est autem, dum iret^ et Ipse in-
travit in quoddam casiellum; et mulier quœdam, Mar-
tha nomine, excepit illum in domum suam (Luc. x,
v. 38.)
Marthe avait une sœur appelée Marie, Et huic erat
soror, nomine Maria (v. 39). Marthe, après avoir
témoigné au Seigneur sa vénération et la vive joie
qu'elle éprouvait de le voir chez elle, s'empressa
d'aller préparer le repas et la table pour ses hôtes.
Mais Marie, après avoir exprimé, elle aussi, au Sei-
gneur, son bonheur et sa reconnaissance pour cette
visite dont il daignait l'honorer, à peine se fut-il assis,
vint s'asseoir elle-même, non pas à son côté, mais à
terre, à ses pieds; Quee eiiam sedens secus pedes Do-
mini (Ibid.); pour témoigner, dit saint Chrysostôme,
de son humilité et de sa grande vénération envers le
Seigneur (1).
Mais cette même circonstance se rapporte évidem-
ment à cette pécheresse que, dans un de ses précé-
dents chapitres (chap. vu), le même Évangéliste nous
a représentée comme étant allée se prosterner aux

(l) a Non simpliciter dicitur quod se&etet prope Jesum, sed secus
« pedes illius : ut ostendat multam reverentiam quam habebat ad
t Dominum (In Caten.). »
250 HOMÉLIE III. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

pieds du Seigneur, les ayant lavés des larmes de son


repentir, les ayant essuyés de ses cheveux, et y ayant
imprimé les baisers les plus respectueux. C'a été dire :
« Marie alla aussitôt s'asseoir près de ces mêmes pieds
divins où elle avait déjà retrouvé son espérance, son
pardon, sa consolation et son bonheur. » C'a été dire
que cette Marie, qui aujourd'hui reçoit le Fils de Dieu
dans sa maison, c'est la même femme dont il avait été
dit plus haut que, chez Simon le Pharisien, ce Fils de
Dieu avait déjà, lui, le premier, reçue dans son cœur,
etf que cette Marie, sœur de Marthe, est la même que
la Pécheresse de l'Évangile,
Il parait que, lorsque le Seigneur y arriva avec ses
Apôtres, la maison de Marthe et de Madeleine était
remplie d'étrangers, de ces bons et vrais Israélites
qui, se rendant, eux aussi, à Jérusalem pour quel-
que solennité prochaine, en passant par Béthanie,
étaient venus rendre visite à cette famille que ses
vertus et son attachement pour le Christ avaient ren-
due célèbre. En voyant donc tout ce monde réuni au-
tour de lui, le divin Sauveur lui adressa, selon sa cou-
tume, des paroles de salut. Car dans toutes les maisons
où il entrait, il entamait aussitôt des discours sur le
royaume de Dieu, sur les points les plus importants de
la morale et de la religion. C'est ainsi que l'aimable et
miséricordieux Seigneur s'empressait de récompenser
et de nourrir du pain divin de sa parole ceux qui lui
otfraient des aliments matériels pour son corps. Et
e'est ainsi, dit saint Chrysostôme, qu'il a appris, par
son exemple, à ses disciples, aux ecclésiastiques, ses
ministres qu'en allant dans les maisons des laïques,
?
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 251

ils ne doivent pas faire la moindre démarche noncha-


lante, ni perdre leur temps dans des discours mon-
dains et futiles, mais ils doivent édifier ceux qui les
reçoivent, par la gravité de leur contenance, par la
Sainteté de leurs paroles, et les éclairer par leurs di-
vines doctrines (1).
Or, ce sont ces divines paroles de salut que Marie,
en oubliant tout et s'oubliant elle-même, se mit à
écouter avec une attention suivie, avec un recueille-
ment profond, jalouse de n'en perdre pas une seule;
tAudiebat verbum illius (v. 39).
Ainsi Marthe étant restée seule chargée de l'oné-
reuse besogne de servir tant d'hôtes à la fois, se don-
nait toutes les peines du monde, afin de pourvoir à tous
et de les soigner tous, et avant tous Jésus-Christ ; Mar-
the, satagebat circa frequens ministerium (v. 40). Mais
croyant ne pouvoir pas suffire, elle vient trouver Jésus,
et, d'un ton un peu vif, lui dit : « Seigneur, ne voyez-
vous pas que ma sœur me laisse faire seule tout le ser-
vice? Ordonnez-lui donc de venir m'aider; Quœ stetit
et ait : Domine, non est tibi curœ,quod soror meareli-
quit me solam ministraref Die ergo illi ut me adjuvet
Itbid.).
i Le Verbe Incarné profitait toujours des incidents
i^s plus simples, des circonstances les plus communes
pour élever l'esprit et le cœur de ceux qui l'entou-
raient» de la terre au ciel, de l'homme à Dieu, et pour
( l ) « Exemplo suo docuit diacipulos qualiter se gerere debeant,
« In domibus eorutn qui eos suscipiunt, ut, scilicet, non resupini
* quiescant, sed aaeris et divinis doctrinis repleant suscipientes ( / »
« Oaten.). »
252 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

donner, dans leur personne, les plus importantes


instructions au monde qu'il était venu sauver.
« Marthe, Marthe, répondit donc cet aimable Sauveur,
vous vous préoccupez et vous vous inquiétez, en pour-
suivant plusieurs choses. Sachez donc qu'il n'y a
que la chose qui est une qui soit nécessaire. Marie
a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point ôtée;
Respondens, dixit iîliDominus : Mariha, Martha, sol-
licita es, et turbaris erga plurima. Porro unum est
necessarium. Maria optimam partem elegit, quœ non
auferetur ab ea(y. 41). » C'est, mes frères, le court
récit de cette visite de Jésus-Christ à la maison de
Marthe et de Madeleine. Tout y est simple, en appa-
rence, les paroles du Seigneur aussi bien que les cir-
constances où elles ont été prononcées. Mais que ces
circonstances, je le répète, sont mystérieuses ! que ces
paroles sont profondes, importantes, immenses ! Tâ-
chons de les bien comprendre, ces circonstances et ces
paroles : elles nous révèlent d'abord les conditions et
les œuvres du service de Dieu.

§ 3. Marthe et Madeleine ayant reçu Jésus-Christ dans leur esprit


par la foi; et dans leur cœur, par l'amour; avant de le recevoir
dans leur maison par la charité, apprennent au chrétien les vraies
conditions et les œuvres du service de Dieu» — Plus heureux qu'elles,
le chrétien peuf recevoir réellement et corporellement Jésus-Christ
en lui, par la communion eucharistique. — Exposition de la doc-
trine de saint Paul sur la dignité du corps de l'homme baptisé.

Il est vrai que, d'après l'Évangile, c'est Marthe qui


aurait reçu le Seigneur dans sa maison : Mariha rece-
pit eum in domum suam. Mais l'Évangéliste ayant inv
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 253

médiatement ajouté ces paroles ; « Et Marthe avait une


sœur nommée Marie; » il a assez clairement fait com-
prendre que ces deux saintes femmes, bien plus sœurs,
comme vient de nous le dire saint Augustin, par l'uni-
formité parfaite de leurs sentiments de piété que par
le sang, avaient accueilli le Verbe de Dieu fait homme
avec le même empressement, avec la même religion,
avec le même amour.
Oh! fortunées sœurs, s'écrie donc encore saint Au-
gustin, d'avoir reçu chez elles, pures, créatures, leur
Créateur; humbles servantes, leur divin Maître; pau-
vres malades, leur Médecin céleste et leurSauveur(l)!
Mais, ne nous y trompons pas. Comme il a été dit de
la sainte Vierge, « que sa véritable grandeur, c'est
d'avoir conçu spirituellement le Verbe éternel dans son
âme, avant de le concevoir corporellement dans son
sein (2) ; » de même il faut reconnaître que le véritable
bonheur de ces angéliques sœurs a été d'avoir reçu
invisiblement en elles-mêmes ce même Verbe de Dieu
fait homme, avant de le recevoir visiblement dans
leur maison.
D'abord, Marthe par le prodige de son innocence et
de sa pureté, Marie par le prodige encore plus grand
de sa pénitence, elles avaient, toutes les deux, complè-
tement rompu avec le monde et avec le péché. Et c'est,
je le répète, parce que leur maison ne conservait pas
la moindre trace, la plus légère ombre du péché; c'est

(1) « Suscepit creatura Creatorem, famula Dominum, Fgra Sal-


« valorem ! »
(2) « YerbumDei prius concepit mente quam corpore (.s\ Léo).*
254 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

parce qu'elle n'était que le sanctuaire de l'amour inno-


cent et de l'amour pénitent, que Jésus-Christ, le nou-
vel Adam, s y rendait si volontiers, s'y plaisait tant,
et la regardait, en quelque sorte, comme son paradis
terrestre et comme le lieu des délices propres de Dieu.
Car Dieu, je le répète encore, ne saurait demeurer un
seul instant en compagnie du péché dans la même
maison, dans le même cœur, ni séjourner là où manque
l'ornement de la sainteté. Non habiiabit in corpore
subdito peccatis (Sap. i,4). Domum tuam decet sancti-
tudo.
Ensuite, Jésus-Christ lui-même a rendu ce beau té-
moignage à Marie : Que c'est sa grande foi en Lui qui
l'a sauvée-, Fides sva te saham fecit. Quant à Marthe,
nous l'avons entendue déjà (Hom. x) protester haute-
ment qu'elle avait, dès le commencement, cru que
Jésus-Christ était le Messie et le Fils de Dieu vivant
venu dans ce monde pour le sauver ; Utique, Domine,
ego CREDIDI ; Quia tu es Christus filius Dei vivi, qui
in Aune mundum venisti. Les deux sœurs possédaient
donc déjà, par la foi, le Verbe divin dans leur esprit.
11 est dit : Que Jésus affectionnait grandement Marthe
et Madeleine; Diligebat Jésus Mariam et Mariham
sororem ejus. Or, s'il les aimait, c'est qu'elles l'ai-
maient à leur tour de l'amour le plus pur, le plus ar-
dent et le plus parfait. Car, ainsi que cette divine
Sagesse l'a déclaré elle-même, elle n'aime que ceux
qui l'aiment; Ego diligentes me diligo (Sap. vin, 17).
Ainsi donc, Marthe et Madeleine possédaient aussi déjà,
par l'amour, le même Fils de Dieu dans leur cœur*
Cet amour de leur part n'en était pas resté aux
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 2a5

mots de la langue et aux discours d'un sentimentalisme


oisif et stérile, mais, comme c'est le propre du vrai
amour de Dieu, il s'était traduit par la vérité des œu-
vres; Diiigamus non verbo et lingua, sed opère et veri-
iate (I Joan. ni, 18). Car, ainsi qu'on vient de le voir,
ces grandes âmes avaient été les premières et les plus
généreuses à mettre à la disposition du Seigneur leur
fortune, leur propre habitation, à le servir elles-mêmes
et à l'environner des soins les plus affectueux et les
plus délicats. Elles possédaient donc le Seigneur comme
héritier de leur héritage; Dominus pars hœreditatis
meee {PsaU xv, 5), comme le souverain maître de tout
leur bien et même de leur vie.
Enfin, elles le reçoivent dans leur propre maison,
et elles lui prodiguent tous les hommages qui lui sont
dus comme Fils de Dieu, et toutes les attentions et tout
le dévouement dont il peut avoir besoin comme Fils de
l'homme.
Voilà les conditions, les œuvres par lesquelles elles
sont devenues les servantes fidèles, les saintes amies
du Seigneur..Et voilà aussi, mes frères, les vraies con-
ditions, les vraies œuvres du service de Dieu bien pré-
cisées.
D'abord, il n'y a que deux maîtres dans ce monde :
l'un bon, juste, légitime, Dieu; l'autre usurpateur,
tyran, injuste et cruel, Satan. L'homme ne peut pas
les servir tous les deux en même temps; Nemo potest
duobus dominis servire... Non potestis Deo servire et
Mammonœ (Matth., v ) . Mais comme en repoussant
Satan, et se débarrassant de la domination dégradante
de Satan, il se trouve dans les bras de Dieu, parmi ses
256 HOMÉLIE XII.—JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

serviteurs et ses amis-, de même, en s'éloignant de


Dieu, il se trouve de toute nécessité dans la servitude
de Satan, parmi ses esclaves et sous son empire.
Or, c'est par le péché qu'on est à Satan, comme
c'est par la grâce qu'on est à Dieu. La première condi-
tion donc pour entrer au service de Dieu, c'est de re-
noncer au péché. Et c'est pour cela qu'au baptême,
cette grande et sublime initiation de l'homme au
service et à la filiation de Dieu, l'Église exige, avant
tout, qu'on renonce au démon et à ses oeuvres, c'est-
à-dire au péché qui est, par antonomasie, l'œuvre du
démon, comme la grâce est par excellence l'œuvre de
Dieu. On n'est serviteur de Dieu, notre vrai, unique
et légitime Seigneur, qu'autant qu'on n'adore que lui,
qu'on ne sert que lui ; Dominum Deum tuum adorabis,
f

et illi soli servies (Matth., iv).


Mais en quoi consiste ce service de Dieu? Notre
Évangile nous l'indique par cette seule circonstance,
nous l'apprend par cette seule parole : « Marthe reçut
chez elle le Seigneur; Et recepit Eum in domum
suam. » C'est-à-dire que nous devons recevoir chez
nous le Seigneur de la même manière que Marthe et
Madeleine l'ont reçu chez elles.
Saint Jean nous apprend que, comme ne pas croire
en Jésus-Christ c'est le rejeter, de même croire dans
son saint et auguste nom, c'est le recevoir; Sut Eum
non receperunt. Quotquot autem receperunt Eum
iis qui credunt in nomine ejus (Joan. i). Car si, d'a-
près saint Thomas, toute chose connue d'une ma-
nière humaine se répète dans l'homme qui la connaît;
Omne cogniium est in cognoscente, à plus forte raison
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 257

Jésus-Christ, connu par la foi divine, se répète, comme


Verbe de Dieu éclairant l'homme, dans l'esprit du
chrétien qui croit en lui.
A l'exemple donc de Marthe et de Madeleine, après
avoir fait divorce complet, absolu avec Satan par la
haine du péché, nous devons ranimer en nous-mêmes
cette foi en Jésus-Christ que nous avons failli tuer en
nous-mêmes en la séparant des œuvres qui la font
vivre (1), Nous devons croire en lui tout entier, et par
conséquent à son Église qui, étant son épouse et le
corps mystique dont il est le chef, est une même chose
avec lui, est lui-même. Par conséquent encore nous
devons croire, sans exception, toutes les doctrines
de l'Église, les enseignements de l'Église, les sacre-
ments de l'Église qui, n'étant que la propre lumière,
la propre parole, l'œuvre propre du Verbe, sont encore
lui-même. C'est recevoir Jésus-Christ dans notre esprit
d'une manière intentionnelle, par la foi; c'est le re-
connaître pour maître souverain de notre intelligence,
et c'est le servir par l'hommage de la foi qui est l'obéis-
sance de la raison, comme l'obéissance n'est que la foi
du cœur.
En second lieu, Jésus-Christ a dit : «Si quelqu'un
« m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, et
« nous viendrons à lui et nous demeurerons en lui (2). »
Il est donc certain, d'après ces délicieuses et conso-

(1) « FMes sine operibus, mortua est ( / a c ) . »


(2) « Si quis diligit me, sermonem meum servabit ; et Pater meus
« diliget eum ; et ad eum veniemus, et mansionem apud eum fa-
* ciemus (Joan. xiv). »
258 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

lantes paroles, que le Fils de Dieu habite d'une manière


particulière dans toute àme justifiée par sa grâce, qui
n'est que Tépanchement de son amour. Car, pour saint
Thomas encore, c'est le propre de l'amour de repro-
duire l'objet aimé dans le cœur de celui qui l'aime;
Omne amaium est in amante.
À l'exemple donc de Marthe et de Madeleine, nous
ne devons pas nous contenter de croire en Jésus-Christ,
nous devons l'aimer, et lui prouver notre amour par
l'accomplissement de toutes ses volontés, par l'obser-
vance exacte de tous ses commandements. C'est rece-
voir ce divin Seigneur dans notre àme, d'une ma-
nière sentimentale, par la grâce. C'est le reconnaître
comme maître souverain de nos sentiments, c'est le
servir par l'hommage de l'amour, par l'obéissance du
cœur.
Nous avons un immense avantage sur Marthe et
Madeleine. Elles avaient bien reçu Jésus-Christ d'une
manière intentionnelle dans leur esprit, par la foi;
d'une manière sentimentale dans leur cœur, par l'a-
mour; et même d'une manière visible dans leur mai-
son par l'hospitalité qu'elles lui ont donnée. Mais
elles n'ont pu le recevoir tout entier d'une manière
réelle et corporelle en elles-mêmes. Tandis que, par
le grand sacrement de l'Eucharistie, nous pouvons re-
cevoir en nous Jésus-Chri6t, même à cette dernière
manière.
Remarquons bien ici cette parole de l'Évangéliste :
Et Marthe le reçut dans SA maison. Par cette touchante
parole, l'historien sacré a voulu évidemment exprimer
en même temps et l'insigne honneur que le Fils de
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 259

Dieu, le Messie, le Sauveur du monde accordait à Marthe


en se rendant personnellement chez elle, et les trans-
ports, l'ivresse, l'extase de la joie avec laquelle cette
heureuse femme reçut son Hôte divin, son aimable Sei-
gneur, son Dieu. Quelle ne doit donc pas être notre joie,
à notre tour, lorsque ce même Jésus-Christ, qui honora
tant de fois de sa divine personne la maison de Marthe,
daigne, par la Communion eucharistique, nous donner
p manger son corps, à boire son sang, et partager, en
quelque sorte, avec nous son âme et sa divinité? Et
.quel ne doit pas être notre désir, notre empressement
•d'approcher de la sainte Table?
Ici je ne puis m'empêcher de vous rappeler la su-
blime et magnifique exhortation de saint Paul, tou-
chant le respect religieux que nous devons avoir même
pour notre corps.
« Le corps, disait-il aux chrétiens de Corinthe, ne
« nous a pas été donné pour nous procurer, par son
« moyen, de coupables plaisirs; mais pour le faire ser-
« vir à la gloire du Seigneur. Notre corps est donc au
« Seigneur, et le Seigneur à notre corps. S'il en est
« ainsi, le Dieu qui a ressuscité le corps de notre Sei-
•u gneur Jésus-Christ ressuscitera nos corps aussi. Ne
u savez-vous pas que vos membres sont devenus (par
« le baptême) les membres du corps de Jésus-Christ?
« Comment donc oserai-je arracher les membres de
« Jésus-Christ, pour en faire les membres d'une prosti-
« tuée? Qu'ainsi ne soit ! Ne savez-vous pas encore que
ÏC qui se livre à une prostituée devient un même corps
« avec elle? Car, est-il dit : Ils seront deux en une
« seule chair. A plus forte raison, qui se joint à Dieu
260 HOMÉLIE XII. —JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

« devient un même esprit avec lui. Fuyez donc le


« péché charnel. Tout péché, quel qu'il soit, que fait
« l'homme, est hors de son corps; mais qui se livre
« au péché charnel, profane son propre corps. Ne sa-
« vez-vous pas, enfin, que vos corps sont le temple du
<c Saint-Esprit qui est en nous; car vous l'avez reçu
« de Dieu, et vous n'êtes point à vous, mais à celui qui
« vous a rachetés à grand prix? Tâchez donc de glori-
« fier et de porter Dieu dans votre propre corps (1). »
Or, c'est principalement par la fréquente participa-
tion du Corps et du Sang du Seigneur que nous pou-
vons accomplir dans toute sa perfection, ce que Dieu
exige de l'homme régénéré par le baptême, dans cette
belle instruction qu'il nous adresse par l'organe du
plus grand de ses Apôtres. D'abord, par les dispositions
que la Communion^eucharistique demande, nous dé-
truisons, comme nous y exhorte encore saint Paul, le
règne du péché dans notre corps mortel (2), et nous l'y

(1) « Corpus non fornicalioni, sed Domino, et Dominus corpori;


« Deus vero et Dominum suscitavit, et nos suscitabit per virtutem
« suam. Nescitis quia corpora vestra membra sunt Christi? Tullens
« ergo membra Christi, faciam membra meretricis? Absit. An nescitis
« quoniam qui adhœret meretrici unum corpus efficitur? Erunt enim
« duo in carne una. Qui autem adhœret Domino, unus spiritus est
« Fugite fornicationem. Omne peccatum quodcumque fecerit honio,
u extra corpus e s t ; qui autem fornicatur, in corpus suum peccat.
« An nescitis quoniam membra vestra te m plu m sunt Spiritus sancti,
« qui in vobis est, quem habetis a Deo, et non estis vestri? Empti
« enim estis pretio magno. Glorificate et portate Deum in corpore
« vestro (I Corintn. vi). »
(2) « Non ergo regnet peccatum in vestro mortali corpore
« (Rom. vi). »
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 261

remplaçons parle règne de la Grâce. Ensuite, par cette


Communion, le même Verbe de Dieu fait chair, qui
habita jadis au milieu de notre humanité, converti en
une nourriture et en une boisson célestes, vient habiter
réellement dans chacun de nous plein de grâce et de
vérité. Il s'unit de la manière la plus intime à notre
corps, aussi bien qu'à notre âme. Il élève, il sanctifie, il
divinise tout notre être. En sorte que c'est particulière-
ment par ce moyen que notre corps est au Seigneur,
comme le Seigneur est à notre corps, et que nous nous
joignons à lui de manière à devenir un même esprit, un
même corps, un même tout avec lui. C'est particulière-
ment par ce moyen que ce corps, cette maison d'argile
se change en temple véritable du Saint-Esprit, que,
par concomitance, nous recevons avec la personne du
Verbe et celle du Père; et c'est encore particulière-
ment par ce moyen que nous glorifions et portons vrai-
ment et réellement Dieu dans noire corps. C'est donc
par la fréquente Communion que nous le constituons,
de notre plein gré, aussi ce qu'il est par les droits de
sa puissance et de son domaine, le vrai Maître et Sei-
gneur de notre corps autant que de notre àme, et que
nous le servons aussi par le sacrifice de notre chair,
par l'hommage complet de nous-mêmes.
Enfin, « que personne parmi nous, dit saint Augus-
tin, ne pense à porter envie à Marthe et Madeleine d'a-
voir pu accueillir le Fils de Dieu fait homme dans leur
propre maison ; que personne ne s'afflige de ne pouvoir
partager ce bonheur. Car ce même Fils de Dieu n'a-t-il
pas dit : Tout ce que vous ferez à un seul des plus petits
parmi mes pauvres à moi, vous l'aurez fait à moi-
262 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHBIST CHEZ MARTHE

même (1)? Ainsi, ayant daigné mettre le pauvre à sa


place, se faire représenter par le pauvre, se person-
nifier lui-même dans la personne du pauvre; indépen-
damment du bonheur, que les anges nous envient, de
pouvoir le recevoir réellement, personnellement en
nous-mêmes, sous les accidents eucharisliques, nous
pouvons le recevoir encore d'une manière figurative
dans nos maisons, dans la personne du pauvre; nous
pouvons partager avec le pauvre le bien que nous te-
nons de la divine bonté. Et c'est ce qu'il demande avec
tant d'insistance à ses serviteurs fidèles; et c'est ce
dont il promet de les récompenser si largement, à cha-
que page de son Évangile.
Recevoir donc Jésus-Christ intentionnellement dans
son esprit en croyant en lui, c'est lui faire hommage de
la raison par la foi; le recevoir moralement dans le
cœur, gardant sa grâce sanctifiante, c'est lui faire l'hom-
mage de l'âme par l'amour; le recevoir réellement
dans le corps en communiant à sa sainte Table, c'est lui
faire l'hommage de la chair par la chasteté et par la
mortification; le recevoir enfin figurativementdans la
maison, en soignant les pauvres, c'est lui faire hom-
mage des biens par la charité.
Voilà ce que doit à Dieu quiconque aspire à l'hon-
neur et au bonheur de servir ce Dieu qui l'a racheté de
l'esclavage du péché ; Liberati a peccafo, servi fadi
Deo. Voilà les conditions et les œuvres de tout vrai ser-

(1) « Ne quis autem dlcat : O beati qui Ghristum suscipere in


t domum suam meruerunt! Noli dolere, cum inquit : Quod enim
« uni ex minimis mets fccistis, mini fecistis (loc, citât.). »
ov L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 263

yiteur de Dieu, de tout vrai chrétien, dont l'Évangile


de Jésus-Christ, chez Marthe et Madeleine, nous pré-
sente la leçon et l'exemple.

§ 4. Par sa réponse à Marthe, le Seigneur ne lui a pas fait un i e -


proche de sa charité. — Toute interprétation édifiante d'un pas-
sage de l'Ecriture est vraie. — Première interprétation que les
Pères ont donnée de la réponse de Jésus-Christ à Marthe. — Le
Seigneur a, au contraire, loué son œuvre, mais il a préféré celle
de Madeleine. — Cas unique où l'on est dispensé d'exercer la cha-
riié. — Jésus-Christ déclarant que les œuvres de la miséricorde
spirituelle l'emportent sur celles de la miséricorde corporelle.

Mais, comment, dira-t-on, Marthe, dont le Fils d e


Dieu a blâmé la conduite, serait-elle un exemple d e
vertu, autant que Madeleine qui seule a mérité les
éloges du divin Maître? Martha, iurbaris erga plu-
rima... Maria optimampartentelegit.
« Non, non, il n'en est pas ainsi, » répond le grand
évêque d'Hippone. D'abord, en adressant à Marthe la
parole, le Fils de Dieu l'appelle deux fois par son nom,
il lui dit : « Marthe, Marthe.» Or, en répétant ainsi, avec
la plus grande douceur, le nom de cette heureuse
créature, Jésus-Christ, dit saint Augustin, lui a té-
moigné la plus vive affection, et a indiqué que, par
sa répartie, il a voulu moins la reprendre que l'in-
struire (1).
En second lieu, le Seigneur, poursuit le même grand
Docteur, était venu chez soz, et les siens ne Vont point
reçu. Il n'a été accueilli par sainte Marthe que comme

(t) « Repetitio nominis « Marina » est iudicium dilectionis,


« cerise movendae attentionis (toc. cit.). »
264 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

un hôte, comme un pèlerin n'ayant pas de maison à


lui (1). Il est donc inadmissible que Jésus-Christ ait,
par sa réponse, voulu blâmer le ministère de Marthe,
qui n'était que l'œuvre d'une vraie hospitalité chari-
table que, vu la dignité et la grandeur de son Hôte
divin, Marthe accomplissait avec la plus grande foi (2).
Autant vaudrait-il affirmer, dit toujours saint Augustin,
qu'en vertu de cette réponse de la Sagesse incarnée,
le chrétien doit mettre de côté le service des pauvres
pour ne s'occuper que de la méditation de la Parole
divine, et de son propre salut; qu'il ne doit prendre
aucun soin de ceux qui sont abandonnés sur la voie
publique ou se meurent de faim et de misère ; qu'il doit
oublier les œuvres de la miséricorde envers l'homme
pour s'appliquer à l'étude de la science de Dieu; et,
qu'en un mot, le Fils de Dieu ait donné ici un démenti
solennel à toutes ses exhortations si pressantes, si cha-
leureuses touchant l'exercice de la charité, et se soit
mis en contradiction avec lui-même (3).
Or, comme cette interprétation de la réponse du
Seigneur est absurde, il faut penser que par cette ré-

(1) « Dominus qui in propria venit et sut eum non receperunt,


« su?ceptus est tamquam h o s p e s , sicut soient suscipi peregrini
« (ibid.)*»
(2) « Quid ergo? putamus reprehensum esse ministerium Marthœ,
« quam vera hospitalitas occupaverat; quae tanto hospite laetaba-
« tur (Ibid.)? »
(3) « Hoc si verum est, dimittant homines quod ministrent egen-
« tibus. Vacent Verbo; occupentur circa scientiam salutarem ; nihil
« sit eis cuiae quis peregriuus in vico sit, quis egeat pane; vacent
« opera misericordiœ ; uni instatur scientiae (Ibid.). »
OTJ L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 265

ponse le divin Maître n'a blâmé aucune dos œuvres


des deux sœurs, mais les a distinguées et en a indiqué
la plus parfaite. Le vrai sens de cette réponse est donc
celui-ci : « Votre œuvre, Marthe, n'est pas mauvaise;
elle est même bonne; mais celle de Marie est encore
meilleure ( 1 ) . »
Or, quelles sont ces œuvres que le divin Seigneur
a approuvées dans cette circonstance, mais dont il a
préféré l'une à l'autre? afin que nous sachions ce qui,
dans le service de Dieu, est plus agréable à ses yeux,
plus méritoire et plus parfait.
Les Pères de l'Eglise ont donné trois interprétations
à cette même réponse de Jésus-Christ à sainte Marthe.
Et comme elles sont différentes, mais non opposées,
elles sont vraies toutes les trois. Car, d'après Tune des
règles pour l'intelligence des Livres saints, telle est la
fécondité et la richesse de la Parole de Dieu que ces
Livres renferment, que les différents sens qu'on donne
à un même passage de l'Ecriture, pourvu qu'ils soient
tous édifiants et qu'ils ne soient pas contradictoires,
sont tous vrais, et on peut les admettre comme ayant
été tous inspirés et renfermés dans les mêmes mots par
le Saint-Esprit. Les voici donc, ces trois interpréta-
tions :
La première est historique et littérale. « Marthe,

(1) « Non opus reprehendit, sed mu nus distinxit. Non tu malam ;


« sed illa meliorem (Ibid.). » Saint Ambroise s'exprime de la même
manière: « Nec Marina, dit-il, in bono ministerio deprehendttur,
« sed Maria, quod meltoremparttm sibi elegerat antefertur. » Et
le vénérable Bède a dit lui aussi : « Ecce pars Marthx non repre-
« henditur, sed Mariai laudatur. »
266 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

dit Théophilacle, était occupée de la nourriture maté-


rielle et humaine des hôtes qui remplissaient sa mai-
son. Mais Marie, par l'exemple de l'humble attitude,
du recueillement, de l'attention et du bonheur avec
lesquels elle écoutait la parole du Seigneur, engageait
les mômes hôtes à en faire autant. Elle engageait le
Seigneur lui-même à continuer à les instruire, et par
là elle leur procurait une nourriture spirituelle et di-
vine. Ainsi, Marthe leur préparait le pain terrestre
qui nourrit le corps; mais Marie coopérait à ce que le
Seigneur leur distribuât en plus grande abondance ce
pain céleste, de TOUTE PAROLE SORTANT D E LA BOUCHE
DE DIEU, qui, d'après l'Évangile, est l'aliment de l'in-
telligence, et complète la vraie NOURRITURE DE L'HOMME ;
Non in solo pane vivit homo; sed in omni verbo quod
procedit ex ore Dei (iïîatth., iv) (1).
Cela posé, la pensée du Seigneur, continue le même
Interprète, devient claire. Tant que Marthe s'occupa,
elle, du repas corporel de ses hôtes, le Seigneur ne lui
dit rien. Mais lorsque, en demandant que sa sœur vînt
à son aide, Marthe eut l'air de vouloir déranger, et in-
terrompre le repas spirituel de la divine Parole que le
Seigneur dispensait à Marie et à tous ceux qui se trou-
vaient dans la maison, c'est alors qu'il lui dit : « Marthe,
Marthe, vous vous donnez trop de sollicitude, vous vous
agitez trop pour soigner le corps de vos hôtes. C'est
au point de les détourner de la pensée de nourrir leur
âme, la seule chose qui est absolument nécessaire.

( 1 ) « Peralterum corpus pascitur; per alterum anima vivificatur


« (THEOPHIL., Explan, in Luc). »
OU i/uN NÉCESSAIRE, ETC. 267

Marie, voulant avant tout procurer à elle-même et aux


autres cette nourriture céleste, fait mieux que vous-,
Martha, Martha, sollicita es, et turbavis ergaplurima.
Porto unum est necessarium. Maria optimam partem
elegit. »
Par ces paroles, si pleines de sagesse et de charmes,
le Seigneur n'a donc blâmé, il s'en faut, l'hospita-
lité ni les œuvres de la charité. Il a même dit qu'elles
sont bonnes; mais il nous a appris qu'elles cessent de
l'être dès l'instant où nous y mettons trop d'empresse-
ment, dès l'instant qu'elles nous absorbent de manière
à nous faire oublier, ce qui est plus nécessaire, le soin
que nous devons avoir de notre salut et de celui des
autres. Il nous a appris que les œuvres de la charité
sont bonnes autant qu'en soulageant corporellement
les malheureux, elles les engagent à bénir la Provi-
dence, et concourent à l'amélioration de leur àme ;
mais qu'elles cessent de l'être dès l'instant où elles ne
servent qu'à fomenter leur paresse et à leur fournir
les moyens de croupir dans la corruption et dans le
crime; et que dans ce cas, dans ce cas seul, où le mal
que nous leur faisons est plus grand que le bien que
nous voulons leur procurer, il vaut mieux employer
notre temps à écouter et à méditer la parole de Dieu (i).

(l) « Non ergo Dominus hospitalitatem prohibet, sed plurimorum


« turbationem seu abstractionem et tumultum. Et vide coneilium
« Domini : quod prius nihil dixcrat Marthie ; sed postquam illa soro-
« rem ab auUilu voluit avellere, tune, occasione habita, increpavit
« eam. Usque enim adeo honeratur hospitalités , donec ad n e -
« cessariora nos attrahit. Cum vero incipit ab utilioribus impe-
268 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

Il nous a appris encore que la charité qui nourrit les


faméliques, qui désaltère ceux qui ont soif, qui habille
les nus, qui soigne les malades, qui accueille les pè-
lerins, qui visite les prisonniers et enterre les morts,
est, sans aucun doute, très-agréable à Dieu; mais que
le charité qui instruit l'ignorant, qui convertit les pé-
cheurs, qui vient au secours de ceux qui sont tentés,
qui donne des conseils de sagesse à ceux qui en ont
besoin, qui console les affligés, qui soutient les faibles,
et, dans l'absence de tout autre moyen, prie pour la
conversion des vivants et pour le soulagement des
morts : que cette charité, dis-je, lui est plus agréable
encore; que les œuvres de la miséricorde spirituelle, et
le ministère d'améliorer la condition des âmes l'em-
porte sur les œuvres de la miséricorde corporelle, d'au-
tant plus que l'âme est plus noble que le corps, et que
les avantages qu'on ménage à l'homme dans le temps
ne sont rien en comparaison des avantages qu'on lui
assure dans l'éternité; et qu'en un mot, si le mi-
nistère de s'associer à la providence du Dieu créa-
teur, en soignant, en soulageant nos frères par rap-
port au corps, est un ministère tout à fait divin, le
ministère qui s'associe à l'action réparatrice du Dieu
rédempteur pour la conversion de leurs âmes, est,
comme l'a dit saint Denis, la chose la plus divine parmi
toutes les choses divines (1).

« dire, manifestum est quia honorabilior est divinorum auditus (In


« Luc). »
(i) « Omnium divinorum divinissimum est cooperari Deo in salu-
« tem animarum. »
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC 269

g 5. Deuxième interprétation de la réponse du Seigneur à Marthe :


En livrant toute son âme à Jésus-Christ, pour qu'il la sanctifiât
toujours davantage, Marie lui ménageait un repas plus agréable à
son cœur. — La meilleure offrande que nous puissions faire à
Dieu, est celle de nous-mêmes.

La seconde interprétation que les Pères ont donnée


aux paroles que le Seigneur a adressées à sainte
Marthe, est ascétique.
Marthe, dit saint Augustin, servait le Seigneur au-
tant qu'il s'était volontairement assujetti au besoin
d'une nourriture humaine; Marie l'écoutait autant
que, Verbe de Dieu fait homme, il pouvait lui donner
une nourriture divine. Marthe était occupée à le nour-
rir comme homme ; Marie était attentive à être nourrie
par lui comme Dieu (1). Or, autant que Verbe de Dieu
fait homme pour l'amour de l'homme, Jésus-Christ est
plus empressé de nous sauver que nous ne le sommes
d'être sauvés. Il est, dirais-je, plus impatient de ré-
pandre sur nous l'abondance de ses grâces que nous
ne le sommes de les recevoir. C'est son désir le plus
ardent, c'est son occupation chérie; et comme nous
l'avons entendu de sa propre bouche lorsqu'il a con-
verti la Samaritaine : Convertir les âmes, et les élever
à la plus haute perfection, c'est la volonté de Dieu,
c'est l'œuvre de Dieu par excellence, et, par consé-

(1) « Martha circa corporalcm Domini necessitatem vel volunta-


« tem, minislrabat quasi mortali. Sed in carne mortali, In principio
« erat verbuin : ecce quod Maria audiebat. Intenia erat Martha quo-
« modo pasceret Dominum ; intenta erat Maria quomodo pasceretur
« a Domino. »
270 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

quent c'était la vraie nourriture de son cœur. Ego


alium cibum habeo manducare, quem vos nescitis.
Meus cibus est utfaciam voluntatem ejus qui misii me
ut perficiam opus ejus (Joan. iv, 32 et 34).
Marie s'étant placée dans les dispositions les plus
aptes à être sanctifiée par la parole du Seigneur,
et à recevoir en abondance ses grâces et ses lumières,
lui offrait elle-même ce repas si propre à lui et si déli-
cieux pour son âme. Marie offrait donc au Seigneur
un aliment plus noble, plus digne de lui que celui que
les soins empressés de Marthe lui procuraient. Celle-
ci était occupée à nourrir son corps. Marie ne pensait
qu'à rassasier son cœur. Marthe n'apprêtait le dîner
qu'au fils de l'homme ; Marie l'apprêtait au Fils de Dieu.
Voilà pourquoi le Seigneur trouve bonne l'occupation
de Marthe, mais déclare que celle de Marie est la
meilleure : Maria opiimam pariem elegil.
Par là le divin Maître a voulu nous apprendre aussi,
que lui faire l'aumône, le soulager, le nourrir dans la
personne du pauvre, c'est lui faire une bonne et belle
offrande; mais que lui offrir, lui consacrer notre es-
prit captivé en l'hommage de la foi, notre cœur purifié
par l'amour, notre corps sanctifié par la pureté et par
la pénitence, est la meilleure de toutes les offrandes
que nous puissions lui faire; et que, tant que nous
nous contenterons de lui donner une petite portion de
notre bien, de nos soins, dans la personne de ses pe-
tits, et que nous refuserons de nous donner à lui nous-
mêmes; tant que nous ne ferons que soulager le corps
de nos frères et que nous négligerons ou oublierons de
faire le salut de notre âme, nous n'aurons presque rien
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 271

fait pour contenter son cœur de SAUVEUR. Par con-


séquent, l'aliment le plus propre et le plus exquis,
l'aliment dont il a le plus besoin, et qui seul peut le
satisfaire, est le salut de l'homme; Meus cibus est ut
faciamvoluntatem ejus quimisii me, ut perficiam opus
ejus.
Nous avons entendu autrefois saint Augustin, saint
Ambroise, saint Cyprien, nous disant que la soif que
notre aimable Sauveur a témoignée à la Samaritaine,
aussi bien que la soif qu'il a manifestée, demeurant
sur sa croix, a été une soif mystérieuse; que cette soif
était moins reflet de l'ardeur qu'il éprouvait dans son
corps, que celle de l'amour qui brûlait dans son cœur ;
la soif, non de notre boisson, mais de notre foi, dç notre
amour, la soif du salut de tous ceux pour qui il a ré-
pandu tout son sang.
Ah ! ce Dieu de miséricorde et de bonté dont, d'après
saint Paul, l'intercession pour nous auprès de son Père
forme au ciel son incessante occupation, ses délices,
son bonheur, sa vie ; Semper vivens, ad interpellandum
pro nobis, agrée bien le sacrifice que nous lui offrons
d'une portion de notre fortune, de notre temps, de
nos sollicitudes pour le soulagement du malheur;
mais le meilleur des sacrifices que nous puissions lui
offrir, le sacrifice qui lui est le plus agréable, c'est le
sacrifice de nous-mêmes, c'est le sacrifice par lequel,
à l'imitation de Marie-Madeleine, nous nous donnons
entièrement à lui, nous ne voulons entendre que sa
divine parole, nous ne voulons accomplir que ses vo-
lontés, nous ne voulons vivre qu'en lui, pour lui, afin
qu'il vive en nous et pour nous, et qu'il puisse partager
272 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

avec nous les richesses de sa grâce sur cette terre et


nous comblera de sa gloire dans le ciel. Et c'est là la
meilleure part que nous puissions choisir, et qui sera
toujours à nous, et qui ne nous sera jamais enlevée;
Opiimam parlera elegit quœ non auferetur ab ea.

§ 6. Troisième interprétation des paroles de Jésus-Christ à Marthe :


Dans leur réalité historique, Marthe et Madeleine sont, en même
temps, deux personnages allégoriques, figurant l'une la vie active;
l'autre, la vie contemplative. — Absorbée dans la contemplation de
la parole de Jésus-Christ, Madeleine exerçait, elle aussi, mieux
que Marthe, la charité. — Ainsi, en déclarant l'occupation de Ma-
deleine meilleure que celle de Marthe, le Seigneur n'a pas donné
la préférence à la vie purement contemplative sur la vie de zèle et
de dévouement; mais il a exalté le mérite de l'union de ces deux
vies.

Enfin la troisième interprétation est allégorique.


Je vous ai fait remarquer plusieurs fois, vous devez
vous en souvenir, que les faits racontés dans les livres
des hommes, s'ils sont des faits historiques, ne sont
pas allégoriques, et s'ils sont allégoriques, ils ne sont
pas des faits historiques; mais que les seuls faits enre-
gistrés dans les Livres saints sont en même temps his-
toriquement vrais et mystérieusement prophétiques,
en tant que ce sont des faits qui ont eu vraiment lieu ;
et des faits que le Dieu, qui en a disposé toutes les
circonstances, a voulu faire servir à tigurer les plus
grands mystères, à représenter d'une manière, je dirai
presque dramatique, les plus importantes doctrines;
et que c'est là l'un des caractères exclusivement
propres et tout à fait divins de la Bible.
Or, en appliquant au court récit que nous exposons
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 273

dans ce moment, cette règle fondamentale, touchant le


sens et la portée de l'Écriture sainte, il est incontes-
table que Marthe et Madeleine, dans leur réalité de
personnages historiques, sont aussi des personnages
allégoriques, prophétiques, dont les actes représentent
des doctrines, et sont des leçons; et que c'est à ce
titre que la petite anecdote que je viens de raconter,
en apparence peu intéressante en elle-même, a eu
l'honneur de prendre place à côté des ineffables et su-
blimes mystères de l'Évangile.
Remarquez d'abord, nous dit le vénérable Bède, que
l'entrée du Seigneur dans la maison de Marthe et de
Madeleine et tout ce qui s'ensuivit, sont arrivés immé-
diatement après la grande instruction qu'il avait faite
au peuple, lorsque l'un des docteurs de la loi l'avait
interrogé sur ce qu'il faut faire pour posséder la vie
éternelle (Luc. x, 2 5 ) . Dans cette instruction, le
divin Maître avait déclaré que l'unique condition, la
condition indispensable, et aussi la condition infaillible
pour assurer l'éternel bonheur, c'est d'aimer Dieu au-
dessus de toute chose et notre prochain comme nous-
mêmes (v. 28). Et c'est à cette occasion aussi que,
dans l'admirable parabole du céleste Samaritain (v. 30
et suiv.), le Fils de Dieu fait homme avait peint, avec
les plus vives et les plus touchantes couleurs, les
soins de sa charité infinie pour rendre à la santé et à
la vie notre pauvre humanité dépouillée et blessée à
mort par les brigands de l'enfer. Or, ayant immédiate-
ment après ce sublime et délicieux discours, disposé
lui-même les circonstances mystérieuses qui ont ac-
compagné sa visite à Marthe et à Madeleine, Jésus-
274 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

Christ, dit le célèbre interprète que je viens de citer,


a voulu nous faire voir, mise en action et réalisée par la
vérité des faits, l'importance des grands préceptes de
l'amour de Dieu et du prochain, qu'il venait d'incul-
quer par sa parabole et ses paroles (1).
D'après cette remarque, Marthe serait le modèle
de l'amour que nous devons avoir pour notre pro-
chain-, Madeleine, de l'amour que nous devons avoir
pour Dieu. Et, selon saint Grégoire et d'autres célè-
bres interprètes, Marthe a exprimé en elle-même la
vie active, avec toutes ses sollicitudes, Madeleine la
vie contemplative dans toute sa perfection. Ainsi, re-
prend saint Grégoire, nous voyons que le Seigneur ne
blâme pas l'occupation de Marthe, mais il exalte
celle de Madeleine; pour nous apprendre que les
mérites de la vie active sont vraiment grands, mais
que ceux de la vie contemplative sont plus grands
encore (2).
Mais, comment donc? me dira-t-on, la vie d'un
chrétien qui oublie ses frères, pour ne s'occuper que
de lui-même, serait-elle plus méritoire que la vie du
chrétien qui s'oublie lui-même au point de se consacrer
tout au bonheur spirituel ou temporel de ses frères?
La vie du solitaire, qui, séparé du monde, ne s'occupe

(1) « Dilectio Dei et proximi, qua? superius, verbis et parabolia,


« continebantur, bicjpsis rébus et veriîate desïgnatur (BEDA, Comm.
« in Luc). »
(2) « Per Mariam contemplativa vita exprimitur ; per Martham
« activa vita signiflcatur. Sed Marlhrc cura non reprehendftur ; Ma-
« ri<-p vero laudatur. Quia magna sunt activa? v i t a mérita; sed con-
t tcmplativae potiora (Moral*, lib. VI, c. 28). »
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 275

que de son salut, dans l'oisiveté tranquille de la con-


templation et de la prière, serait-elle plus agréable à
Dieu que la vie de l'apôtre qui, se plaçant au milieu
du monde, soutient les rudes combats du Seigneur,
brave tous les dangers et les persécutions du monde
pour sauver le monde? Comment? l'esprit de prière
vaudrait-il mieux, auprès de Dieu, que l'esprit de zèle,
et un saint égoïsme mieux que l'héroïsme du dévoue-
ment? Non , non, mes frères , il n'en est pas ainsi, et
vous auriez bien mal compris notre Évangile, et le
commentaire qu'en ont donné les Pères, si vous n'en
tiriez que de pareilles conclusions.
Ne croyez pas, nous dit le savant et pieux inter-
prète Richard de Saint-Victor, ne croyez pas que le
Seigneur n'ait préféré l'occupation de Marie à celle de
Marthe que parce que Marie, absorbée entièrement
dans la contemplation de la parole de Dieu, pour en
faire son profit, était devenue étrangère aux occupa-
tions de Marthe; mais, au contraire, parce que, tout
en demeurant immobile aux pieds du Seigneur à
l'écouter; Audiebat verbum illius, Marie n'en suivait
pas moins, avec son esprit et son cœur, sa sainte sœur
dans les peines qu'elle se donnait pour accomplir les
devoirs de la sainte hospitalité. Marie ne s'intéressait
pas moins à ses sollicitudes, n'y prenait pas moins
part, ne les en soutenait pas moins par ses prières.
Associée donc aux œuvres de Marthe avec la même
charité, elle en a obtenu le même mérite, et a aug-
menté, par la récompense et la couronne de la vie ac-
tive, le trésor des grâces de la vie contemplative (1).
(l) « Oplimam partem elegit Magdalcna qi:te gratiaui exerce!
276 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

Encore. Nous avons vu déjà ÇHotn. vu, § 3) que,


très-probablement, Marie ne s'était convertie qu'en
assistant à ce sublime discours que le Seigneur ter-
mina par cette sentence : « Heureux ceux qui ENTEN-
« DENT LA PAROLE D E DIEU et la gardent; Beati qui
« audiunt verbum Dei et cusiodiunt ilhid (Luc. xi). »
Cette profonde sentence s'était, depuis lors, profondé-
ment gravée dans l'esprit de Madeleine. Ainsi, en nous
disant que Marie, assise aux pieds du Seigneur, écou-
tait SA PAROLE ; Audiebat verbum illius, l'Evangéliste
a voulu nous dire, d'après un autre interprète, que
Marie écoutait LA PAROLE du Dieu fait homme de la
manière dont, d'après la sentence du Seigneur, toute
parole de Dieu doit être écoutée. C'est-à-dire qu'elle
ne se contentait pas d'écouter très-attentivement cette
divine parole par ses oreilles, elle la déposait, la gar-
dait fidèlement dans son cœur, afin d'y obéir, d'y con-
former toute sa conduite, et de l'accomplir par toutes
les œuvres de la charité aussi bien que par celles de
l'humilité et de la pénitence, qu'elle a exercées pen-
dant toute sa vie (1).
Mais entendons encore les belles et importantes ob-
servations que Richard de Saint-Victor a ajoutées à
celles que nous venons de citer. « Pendant que Marthe,
dit-il, n'était que dans un lieu par son corps, Marie

a contemplationis, et tamen occupatur in parte sororis, ut etiam


a activas vitae prœmio coronatur, in qua, pari charitate par pra>
« mium meretur (In cantic. 8).
(1) « Ita verbum Domini audiebat, ut auditis obediret, iliaque
« exequeretur per opéra charitatis, humilitatis et pœnitentiae et ex
« tota deinceps ejus vita (A LAHDE, hic). »
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 277

se trouvait partout par sa charité. Dans l'extase de la


contemplation à laquelle elle s'est livrée, elle voyait
tout, comprenait tout, et s'intéressait à tout. En sorte
qu'en comparaison de ce que faisait Madeleine, par sa
prévoyance et par ses prières, ce que faisait Marthe
était peu de chose. La chose vraiment nécessaire, et
dont le mérite est complet et parfait, et doit être pré-
féré à tout, n'est donc que la vie dans laquelle l'âme
chrétienne, s'abandonnant à Dieu, se concentrant en
Dieu, par l'amour, s'épanche aussi sur les hommes, et
étend à tous leurs besoins la sollicitude de son dévoue-
ment (1). »
Ainsi donc, l'occupation de Marthe n'embrassait pas
celle de Madeleine, tandis que l'occupation de Made-
leine embrassait aussi celle de Marthe. Il en est de
même de deux espèces de vie, dont ces deux femmes
ont été le type et la figure. La vie active ne comprend
pas nécessairement, ne comprend pas toujours, les
fonctions de la vie ascétique, de la vie contemplative;
mais la vie ascétique, la vie contemplative, comprend
nécessairement, comprend toujours, au moins d'une
manière inaperçue et cachée, les fonctions de la vie
active.

(I) « Martha in uno loco corpore laborat circa aliqua, Maria in


* multis Iocis charitate circa multa. In Dei enim contemplatione
* vldet omnia, dilatatur ad omnia, comprehendit et complectitur
t omnia, ita ut in ejus comparatione Martha? sollicita erat circa
« pauca. Valde ergo hoc unum est necessarium et merito praeferen-
« dum in quo et Deo per amorem anima inhaeret, et omnibus cha-
« ritatem et sollicitudinem exhibet (ïoc. citât.). »

~™ * *«

. „ ... i
278 HOMÉLIE XH. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

S 7. Explication du mystère de la vie contemplative. — En aimant,


plus que les autres, le Dieu qu'elles contemplent, les âmes adon-
nées à la contemplation, aiment aussi, plus que les autres ,
l'homme, image de Dieu. — Stupidité du monde de regarder
comme inutile la vie des solitaires. — Bien immense qu'ils font
au monde dans Tordre spirituel aussi bien que dans l'ordre tem-
porel. — La vie contemplative est active, elle aussi.

C'est qu'on ne peut aimer quelqu'un sans aimer ses


enfants, ses œuvres de prédilection, son portrait. Or,
l'homme est l'enfant de Dieu, son œuvre de prédilec-
tion , ses délices (1), son portrait, son image. On
ne peut donc aimer Dieu sans aimer l'homme. On
peut quelquefois aimer quelques hommes et s'in-
téresser à leur bonheur, par un sentiment pure-
ment naturel, par inclination , par sympathie , par
séduction, par calcul, par vanité, et, comme il arrive
bien souvent, même par folie, sans bien connaître,
sans aimer Dieu ; mais on ne peut bien connaître Dieu,
aimer beaucoup Dieu sans s'intéresser au bonheur, au
sort de l'homme, sans aimer l'homme, et sans vouloir
lui faire du bien, par rapport à l'âme et par rapport au
corps.
Or, les contemplatifs s'occupant incessamment de la
méditation des perfections, des grandeurs, de la bonté
et de la beauté de Dieu, s'élèvent à une grande con-
naissance de Dieu, et à un amour de Dieu au niveau
de cette connaissance; car on ne peut bien connaître
Dieu sans l'aimer. Mais ce Dieu qu'ils aiment, invisible,
quant à présent, en lui-même, n'est visible que dans

( l ) « Deliciœ meaees?ecum rdiishominum (Sap.). »


ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 279

l'homme. Et de là, dans ces âmes d'élite, un grand


amour pour l'homme, en proportion de leur amour de
Dieu.
Cela vous explique le fait que les âmes les plus sen-
sibles, les plus compatissantes pour toutes les misères
humaines, et enflammées d'un plus ardent désir d'y
porter remède, les âmes les plus zélées de la venue du
règne de Dieu parmi les hommes, les âmes qui res-
sentent plus vivement leurs dangers, leurs maux, leur
perte, et qui s'intéressent le plus au sort de l'humanité
et de l'Eglise, on ne les trouve nulle part en plus grand
nombre que parmi les solitaires et les contemplatifs.
Oh! que le monde est stupide d'en vouloir à ces
chrétiens héroïques qui se séparent de lui pour aller
servir Dieu dans la solitude par la vie la plus pure et la
plus austère! Oh! que le monde est insensé d'appeler
institutions parasites les ordres monastiques, et éta-
blissements inutiles leurs maisons, ces asiles de l'inno-
cence, ce théâtre de la pénitence, ces temples de la
prière !
Ne comptons pour rien que c'est dans ces établis-
sements que les sciences et les letlres, fuyant devant
la persécution des barbares, ont trouvé un refuge, et
que c'est de leur sein qu'est sortie la science moderne.
Ne comptons pour rien qu'à peine une communauté
de ces âmes généreuses s'établissait quelque part, de
vastes landes étaient rendues à la culture, des écoles
s'y formaient, des églises, des hôpitaux, et même des
villes, surgissaient comme par enchantement, et que
c'est ainsi qu'en grande partie s'est civilisée l'Europe.
Ne comptous pour rien que, même à présent, là ou se
280 HOMÉLIE XIU — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

trouve un de ces établissements, il n'y a pas de pau-


vres qui ne soient secourus, il n'y a pas de malades qui
ne soient assistés : c'est une école de travail en même
temps qu'un sanctuaire de prière-, c'est une source de
moralité et de bien-être matériel pour toute la contrée.
Remarquons seulement que, d'après l'Écriture, So-
dome et Gomorre auraient été épargnées par le feu du
ciel s'il se fût trouvé dans ces villes pas plus que dix
Justes(tren. xix). Ah! combien de Sodomes et de Go-
morres échappent, à chaque instant, à d'horribles
châtiments à cause du grand nombre de ces Justes so-
litaires qu'elles renferment, qui, pour être ignorés,
méprisés même par le monde, n'en font pas moins,
n'en plaident pas moins la cause du monde auprès de
Dieu, en s'offrant à lui, victimes pures, toujours vi-
vantes et toujours immolées, par des rigueurs qui font
frémir notre délicatesse, en expiation des péchés du
monde, et, nouveaux Onias, arrêtant le cours de la
colère céleste par leurs larmes et par leurs supplica-
tions! Ah! les impies, les pécheurs ne seraient pas
tolérés, ne vivraient pas, si les Justes ne consentaient à
prier pour eux, à se faire leurs avocats, et ne se con-
damnaient volontairement même à mourir pour eux de
la main de la pénitence !
Bien plus encore : Jésus-Christ disait un jour à ses
Apôtres : « La moisson est abondante, mais les ouvriers
« sont en petit nombre. Priez donc le maître de la
« moisson afin qu'il envoie des ouvriers en sa moisson
« (Matth. ix). » 11 est donc évident que si c'est l'es-
prit de Dieu qui forme les bons évoques, les bons
prêtres, les missionnaires, les apôtres qui cultivent les
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 281

âmes, qui les moissonnent dans les vastes champs du .


monde, et les déposent dans les greniers de l'Église,
c'est la prière qui les obtient. Or, cette prière qui
multiplie le nombre des ouvriers évangéliques, et at-
tire sur leurs travaux les bénédictions célestes, qui
les font fructifier, c'est particulièrement la prière éle-
vée par la ferveur et rendue plus efficace par la péni-
tence, c'est particulièrement la prière des âmes adon-
nées à la contemplation, chez lesquelles tout prie,
même l'étude, même le travail, et dont la vie entière
n'est qu'une prière et un sacrifice jamais interrompus
. qui s'élève au ciel en odeur de suavité et en attire tous
les secours, toutes les grâces qui diminuent les misères
et les scandales de la terre! Ainsi, si ces grandes âmes
ne parlent pas beaucoup de Dieu aux hommes, elles
parlent beaucoup des hommes à Dieu. Séparées des
hommes par le corps, mais toujours avec eux par l'es-
prit, elles traitent sans relâche leur cause auprès de
Dieu; elles leur procurent bien plus des avantages de
tout genre et font mieux leurs affaires que si elles
étaient au milieu d'eux. Et par conséquent, comme
Madeleine (1), elles cumulent le mérite de leur con-

(1) Dans l'oraison du jour de la fête de la Madeleine, l'Église dit


à Dieu ; « Nous vous demandons, Seigneur, d'être aidés par l'inter-
« cession de la bienheureuse Marie-Madeleine, dont les prières vous
« ont touché au point que vous lui avez rendu vivant son frère
« Lazare, mort depuis quatre jours. » Ce prodige se répète invisi-
blement, à chaque instant, dans l'ordre spirituel. Oh ! combien de
Lazare, nos frères, morts depuis longtemps par le péché, doivent
leur résurrection à la vie de la grâce, moins au zèle d'une Marthe
active ou d'un prédicateur, qu'aux prières de quelque Madeleine
282 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

templation par le mérite de la vie active-, et ce mérite


est d'autant plus grand qu'il est plus général, d'autant
plus sûr et plus solide qu'il est plus ignoré.
Voilà donc, dit saint Ambroise, la vie dont Marie-
Madeleine a été la sublime figure. C'est la vie vrai-
ment sage et parfaite : parce que c'est une vie qui,
toute en Dieu, n'oublie pas les hommes, et qui,
toute de charité pour les hommes, ne perd pas un in-
stant les avantages de la méditation de la Parole de
Dieu. C'est la vie qui réunit le mérite de la vie active
au mérite de la vie contemplative. Cherchez donc à
imiter, au lieu de les appeler des fainéants, les chré-
tiens courageux qui s'y adonnent (1).

§ 8. Suite du même sujet. — La vie contemplative peut être pratiquée


même au milieu du monde. — Les hommes de zèle et de charité
ne sont tels que parce qu'ils sont contemplatif*. — Jésus-Christ et
sa divine Mère, vrais modèles de cette vie parfaite d'oraison et
d'action, que d'abord les Apôtres, et ensuite tous les P è r e s , les
Docteurs et les Saints de l'Église ont suivie.

Mais n'allez pas croire que les contemplatifs et les


solitaires ne se trouvent que hors du monde, dans les
solitudes, dans les Thébaïdes, dans les déserts, dans les
couvents séparés de tout contact, de tout commerce
avec le monde. Il y en a, et en plus grand nombre

contemplative ou de pieux solitaires? Voyez ce que. nous avons dit


dans ce même ouvrage, Homélie i, § 7 ; et Homélie x, § 1 2 , sur le
même sujet.
(l) « Agat ergo t e , sicut Mariam, desiderium sapientiae; hoc
« enim perfectius o p u s , ne ministerii cura cognitionem verni c œ -
« lettis avertat, nec eos otiosos judices, quos videas sapienliœ
« sludere (In Luc). »
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 283

qu'on ne pense, même dans le monde. Ce sont ces


grands chrétiens qui, au défaut de solitudes et d'er-
mitages matériels, se bâtissent à eux-mêmes, en
eux-mêmes, d'après l'expression des Livres saints,
des solitudes et des ermitages spirituels; Qui cedifc-
canf sibisolitudines (Job. in, 1 i),et qui, tout en restant
corporellement au milieu du monde, pour sauver le
monde, et pourvoir à toutes les misères du monde,
n'en sont pas moins séparés du monde, hors du monde
par l'esprit et par le cœur; n'en sont pas moins de
vrais solitaires, de vrais contemplatifs.
Ce sont ces nouveaux apôtres, ces nouveaux crieurs
de la Bonne Nouvelle, ces hommes si au-dessus de
l'humanité, dontl'humanité profite, enlesadmirantsans
pouvoir se les expliquer, qui parcourent le monde en
l'évangélisant, et dans lesquels se renouvellent, à cha-
que instant, se manifestent, se perpétuent l'esprit, la
vie, les travaux, les miracles, les succès des anciens
apôtres pour le salut des âmes. Ce sont ces sublimes
religieuses, ces Sœurs de la Charité, la plus grande et
la plus pure des gloires de la France, l'honneur éter-
nel du catholicisme, l'objet de l'envie, du respect, du
culte de tout ce qui n'est pas catholique, le beau idéal
de la perfection de la femme régénérée; la fleur, le
parfum céleste de l'humanité, qui étonnent le monde
autant qu'elles le soulagent par leurs œuvres, l'édi-
fient par leurs exemples et le sanctifient par l'héroïsme
de leur abnégation, par la gloire de leurs sacrifices et
par le prodige incompréhensible de leur dévouement.
Or, c'est dans la considération incessante des mys-
tères de Dieu; c'est dans la fréquente participation
284 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

aux sacrements du Christ que ces grandes âmes pui-


sent ces transports si vifs, ces sentiments si exquis de
charité et de tendresse pour les hommes qu'elles
traduisent par les immenses et rudes travaux qu'elles
s'imposent pour guérir et sauver leurs âmes, pour
les soulager, les consoler dans toutes les misères,
dans toutes les douleurs de leurs corps, pour amé-
liorer leur condition dans la vie du temps, et leur
assurer le bonheur de l'éternité.
Voilà donc encore des hommes tout à Dieu par l'a-
mour, et en même temps tout au prochain par le zèle
et la charité. Voilà des hommes harmonisant en eux-
mêmes le prodige d'une vie profondément intérieure,
d'une vie de repos et d'oraison, avec le prodige d'une
vie tout extérieure, d'une vie de mouvement et d'ac-
tion. Voilà des hommes à la double vertu ^ au double
esprit d'Élie, qu'Elisée hérita en figure et en prophé-
tie (iv, Reg. H, 9), que plus tard Jean-Baptiste reçut en
plus grande abondance, et qui enfin reparut en Jésus-
Christ, et par Jésus-Christ dans toute sa réalité, dans
tout son éclat, dans toute sa perfection.
Car, d'abord, la vie de ce divin Sauveur a été à moi-
tié cachée et à moitié publique. Même pendant sa vie
publique, il passait ses nuits dans la prière de Dieu;
Pernoctans in oratione Dei (Luc. vi, 12), et ses jours
en enseignant les peuples et répandant partout les pro-
diges de sa puissance et de sa bonté ; Pertransiens be-
nefaciendo et sanando omnes (Act., x, 3 8 ) . Le divin
Sauveur a donc été le vrai modèle de la vie active et de
la vie contemplative.
Après lui> sa divine Mère a été l'exemplaire le plus
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 285

parfait de la même Yie. Infiniment plus heureuse que


Marthe, qui reçut le Seigneur dans sa maison, la sainte
Vierge reçut le Verbe divin et lui donna une hospita-
lité digne de lui dans son sein dont la pureté éclipsa
celle des anges, et drapé de tous les ornements de la
sainteté. Infiniment plus recueillie et plus méditative
que Marie, sœur de Marthe, la Mère de Dieu conservait
sans partage la Parole divine dans son esprit, tenait
fixe son àme dans la contemplation sublime, et jamais
interrompue de cette Parole sainte et en faisait les dé-
lices de son cœur ; Conservabat omnia Verba hœc, con-
ferens in corde suo (Luc, u). Infiniment plus jalouse
que les deux sœurs de faire fructifier la grâce dont elle
était remplie, après l'ascension du Seigneur la Reine
des Apôtres partageait sa vie divine entre la méditation
des choses célestes et les œuvres du zèle et de la cha-
rité, en consolant les fidèles, en dictant l'Évangile et
aidant les Apôtres , par ses encouragements, par ses
conseils, par ses prières dans l'œuvre immense de la
fondation de l'Église (V. Homélie vin, Append.). Enfin,
personne, parmi les Anges môme, n'ayant mieux que
la Reine des Anges compris et réalisé la doctrine de
Vunique chose nécessaire; car elle s'éleva au-dessus de
sa grandeur môme, en préférant à la dignité môme de
Mère de Dieu le bonheur d'être la servante fidèle de
Dieu (Luc, n); Marie a réuni tous les mérites, et par
conséquent c'est elle qui a choisi la meilleure part, ra-
massé les plus riches trésors de la grâce et obtenu le
comble de la gloire, qui ne peut lui être ôté. C'est
donc dans la Mère du Sauveur que s'est accomplie, dans
toute la rigueur et dans toute la plénitude de la lettre,
286 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

la vie sublime et parfaite dont Marthe et Madeleine ont


présenté l'allégorie et la figure. Et par là vous com-
prendrez, nous dit un grand Interprète, avec combien
de sagesse et d'à-propos l'Église fait lire à la messe de la
fête de l'Assomption de Marie ce court, mais sublime
Évangile de Jésus chez Marthe et Madeleine (1).
Formés à l'école du Fils de Dieu fait homme et de sa
divine Mère, les Apôtres ont, eux aussi, joint toutes
les œuvres du zèle et de la charité de la vie active aux
occupations de la vie contemplative. Il en a été de même
de tous les Pères, de tous les Docteurs, de tous les
Saints de l'Église. Pas un, parmi ces prodiges vivants
de la science divine, qui n'ait été aussi un prodige de
dévouement, prenant le plus vif intérêt à toutes les mi-
sères humaines. Et parmi ceux mêmes qui n'ont paru
s'appliquer qu'à faire leur salut par l'étude de la con-
templation, par la pénitence et par la prière, pas un qui
n'ait aussi travaillé, à sa manière, au salut des autres;
pas un qui ait été étranger aux soins de la charité pour
l'amélioration de la condition de l'humanité. En sorte
qu'on peut dire que l'homme de prière est aussi l'homme
de charité; que l'homme qui commence par réaliser la
vie de méditation figurée dans l'attitude de Marie aux
pieds du Seigneur, finit par avoir aussi le mérite de la
Yie d'action représentée dans la sollicitude de Marthe
pour recevoir le Seigneur; que la vie contemplative

(1) « Ecclesia recte et apposite haec Iegit, in festo Assumptionis


m B. V. tum quia B. V. officiosissima fuit Christi hospita ; tum quia
« ipsa utrumque officium, Marthae, scilicet, et Magdalenœ, perfecte
« obivit; tum quia ipsa optimam partent elegit, qita non aufere-
« tur ab ca (A LAPIDE, Aie). »
OU L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 287

comprend aussi le mérite et les œuvres de la vie active,


et qui par cela même lui est préférable. Car c'est la
vie sainte au grand complet; c'est le service de Dieu
dans toute sa perfection ; c'est la vraie étude de l'unique
chose nécessaire; c'est la meilleure part que le chré-
tien, qui n'est pas appelé à l'apostolat, puisse choisir,
dont le mérite est impérissable et la récompense n'est
peut-être pas perdue; Maria optimam parlera elegit,
quœ non auferetur ab ea.

§ 8. La maison de Marthe et de Madeleine, figure aussi de l'Église.


— La vérité pure et la sainteté parfaite ne se trouvent qu'en elle.
— On ne peut servir Dieu et faire son salut que dans l'Église.

Enfin, c'est encore ici le grand et délicieux mystère


de l'Eglise. Car les deux sœurs, recevant et gardant chez
elles le Seigneur, signifient, dit saint Grégoire, la vraie
Eglise ayant, elle aussi, reçu le même Seigneur et le
gardant dans son cœur (1). Et Marie écoutant, dans
l'attitude la plus humble et la plus respectueuse, la
parole de Jésus-Christ, etMarthes'occupantdele nour-
rir, avec le plus grand empressement, avec la sollici-
tude la plus affectueuse, représentent, dit le vénérable
Bède, les deux grandes occupations, les deux vies de
l'Église (2).
Yoici encore le beau passage d'un grand et pieux
Interprète sur le même sujet. « Toutes les œuvres de

(1) « Mystice, quod Martha excepit illum in domum suam, si-


« gnificat Ecclesiam quœ excepît Dominum in cor suum (toc. cit.). »
(2) « Sorores istœ duas Ecelesiœ vitas signiflcarunt (Comment.
« in Luc). »
288 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

notre Sauveur, dit-il, sont pleines de mystères; tout


ce qu'il a fait, et le lieu même où il l'a fait, a une signi-
fication sacramentelle et importante. Ainsi, ce qu'il a
accomplit corporellement dans le château de Marthe
et de Madeleine, il le renouvelle toujours spirituelle-
ment dans la sainte Église. Cette Église est un château,
elle aussi ; et non un château quelconque, mais un châ-
teau fort et inexpugnable ; car il est bâti sur une mon-
tagne, est entouré d'un mur, fortifié par des tours et
gardé par une armée d'Anges et par la garnison de
toutes les vertus. Le Seigneur Jésus entre tous les
jours dans ce mystérieux château, et daigne le visiter
souvent. Dans ce que font les deux sœurs consiste
rÉglise. Toutes les deux signifient quelque chose de
grand. Marie paraît n'avoir pas cle maison, parce que
la Vie contemplative ne veut rien posséder dans ce
siècle. Il lui suffit de s'asseoir aux pieds du Seigneur,
c'est-à-dire de lire et de prier, dene s'appliquer qu'à la
contemplation de Dieu, d'écouter toujours sa parole, de
s'empresser de nourrir l'esprit plutôt que le ventre. Il
n'y a que les bons chrétiens qui puissent pratiquer une
telle vie; tandis que la vie active, représentée par
Marthe, peut être suivie par les mauvais chrétiens, aussi
bien que par les bons (1). »

(l) « Omnia opéra Salvatoris nostri plena sunt sacramentis ; quid-


« quid ubique agit, significatio est. Quod in quodam castello cor-
« poraliter esit, quotidie in sancta Ecclesia sp'tritualiter operatur.
a Nam hœc Ecclesia castellum est, et non qualecumque, sed forte
« et insuperabile utpote supra montem positum, muro circumda-
« tum, lurribus munitum, Angelorum exercitu et vlrtutum prse-
« sidits armatum. In hoc castellum Dominus Jésus quotidie ingrc-
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 289

Une fois accueilli par l'Église dans son sein, le Verbe


de Dieu fait chair, plein de grâce et de vérité, s'y est
assis, s'y est établi pour demeurer en elle et avec elle,
comme il l'a déclaré lui-même, jusqu'à la fin des siècles ;
Ecce ego vobiscum sum usque ad consummalionem
smculi (Matth.y xxvm). Et l'Eglise est toujours atten-
tive à écouter sa vérité par la docilité de la foi, et à
faire fructifier sa grâce par la sainteté de ses œuvres.
Voilà ce qui arrive, voilà ce qui se fait dans l'Église et
ce qui constitue la vie de l'Église.
Hors de l'Église, il n'y a que de pâles et incertaines
lueurs de la vérité, que des veines rares et cachées delà
grâce. Hors de l'Église, la vérité se trouve ou obscurcie
par les fables extravagantes de la superstition, ou mu-
tilée par les protestations de l'hérésie; et l'action de la
grâce y est neutralisée, contrariée par le désordre et la
licence des passions. Hors de l'Église, où la foi n'est
pas réalisée dans les bonnes œuvres, où les bonnes
œuvres ne sont pas inspirées ni animées par la foi; on
peut y trouver de l'honnêteté; mais la SAINTETÉ y est
inconnue : elle y est même impossible. Que ne donne-
rait-on pas, hors de l'Église, pour avoir un seul de nos
Saints, un seul de nos missionnaires, une seule de nos

« ditur, hoc assidue visitare dignatur. In his duobus sororilius


n Ecclesia consistit; ut raque magnum aliquid significat. Maria non
« habet domum ; quia Vita contemplativa omnem hujus sœcuii sper-
« nit habere possessionem. Sufficit ad pedes Domini sedere, id est,
« légère, orare et Dei contemplationi vacare, verbum Dei semper
« audire; mentem potius quam ventrem nulrire. lllain vitam non
« habent nisi boni ; activam vero habent simul boni et mali (THEO-
« PHÏL,, Comment, in Lwc). »
290 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARI HE

Sœurs de la Charité! Ainsi, bien des fois on a essayé


de singer ces merveilles du catholicisme; mais on n'a
réussi qu'à en faire une imitation grossière, une cari-
cature, et tout cela a fini par le ridicule.
Oh ! que nous sommes heureux, mes frères, de nous
trouver dans l'Église catholique dont rien que ce ca-
ractère, ce signe extérieur et visible de la sainteté,
qui frappe tous les yeux, qui lui est propre et qui n'ap-
partient qu'à elle, suffirait pour nous convaincre que
c'est la vraie Église, la vraie maison de Marthe et de
Madeleine, où le Fils de Dieu fait homme éclaire de la
lumière de sa vérité, soutient du secours de sa grâce
tous ceux qui s'y trouvent réunis !
C'est que le Verbe fait chair et plein de grâce et de
vérité ne résidant que dans l'Église, c'est dans cette
sainte maison seulement que le soleil de la vérité
rayonne dans toute sa splendeur, et les fontaines du
Sauveur (Isaîe) répandent la grâce dans toute son abon-
dance. C'est dans cette maison seulement que tout ce
qu'on croit est vrai, et tout ce qu'on y fait est saint.
S'il s'y fait du mal, il ne se fait que par ceux qui, ap-
partenant extérieurement au corps de l'Église, se sont
séparés de son esprit. Comme s'il se fait du vrai bien,
du bien qui achève l'œuvre du salut, hors de l'Église,
il ne se fait que par ceux qui, séparés extérieurement
du corps de l'Église, appartiennent intérieurement à
son esprit. En sorte que même ce bien n'est que le
fruit de la vérité et de la grâce de l'Église, et le salut
se fait toujours par l'Église et dans l'Église.
C'est dans cette maison seulement que la foi féconde
les bonnes œuvres, et les bonnes œuvres sont l'huile
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 294

mystérieuse qui alimente la lampe de la foi (Matin.,


xxv). C'est dans cette maison que l'amour de l'homme
n'est que le reflet, la floraison de l'amour de Dieu, et
l'amour de Dieu croît, grandit par la pratique de l'amour
de l'homme. C'est, enfin, dans l'Église que Dieu, étant
connu pour ce qu'il est, reçoit les hommages qui lui
Sont dus; il est adoré et servi comme il demande à
être servi et adoré; et c'est ici que se forment, que se
trouvent les vrais adorateurs de Dieu, en esprit et en
vérité (Joan.), les vrais domestiques de Dieu ( I Co-
rzîiM.), qui, affranchis du péché, n'aspirent qu'à l'hon-
ïtëur de servir Dieu et ne vivent que de l'espérance de
le posséder; Liberati apeccato, servi facti Deo.
Ce sont, mes frères, les conditions, les œuvres, les
degrés de la perfection du service de Dieu que l'Évan-
gile de Jésus-Christ chez Marthe et Madeleine nous a
révélés. Voyons maintenant combien, d'après le même
Évangile, il importe, il est nécessaire de nous y atta-
fcher.
292 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

DEUXIÈME PARTIE»

L'IMPORTANCE ET LA NÉCESSITÉ DU SERVICE DE DIEU.

§ 9. L'UN NÉCESSAIRE, au sens absolu et au sens relatif, n'est que


Dieu, seul absolument un einéces$aire en lui-même, et par rapport
au Tout.—La sollicitude vertueuse de Marthe a rappelé au Seigneur
la sollicitude coupable des chrétiens pour les doctrines et les biens
de la terre.—Le discours de Jésus à Marthe les regarde.— Comme
le Dieu créateur s'était défini lui-même dans l'Ancien Testament,
le Dieu rédempteur s'est, dans ce discours, défini lui-môme dans
cette qualité particulière.

Comme l'un des caractères propres de la parole hu-


maine, c'est de dire peu de choses, ou des choses
insignifiantes et ineptes dans beaucoup de mots-, l'un
des caractères propres de la Parole divine c'est, au
contraire, de dire, en peu de mots, beaucoup de choses
et les choses les plus sérieuses, les plus importantes et
les plus sublimes.
Jésus-Christ n'a dit à Marthe que ce peu de mots
bien simples et bien courts : « Marthe, vous vous préoc-
« cupez, vous vous troublez de plusieurs choses. La
« chose unique est nécessaire. Marie a choisi la meil-
« leure part qui ne lui sera point ôtée. » Mais qui pour-
rait jamais dire le nombre, le mystère, la gravité,
l'importance des choses que ces courtes paroles ren-
ferment? Tâchons d'en expliquer, d'en comprendre au
moins quelques-unes.
Faites attention d'abord, nous dit saint Augustin,
au contraste de ces locutions : « Vous vous inquiétez
de plusieurs choses, une seule chose est nécessaire.
l'urbaris ergaphtrima. Unum est necessarium. Le mot
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 293

PLUSIEURS est ici mis en opposition du mot UN. »


Or, quelles sont ces choses essentiellement plusieurs
dont, dans la personne de Marthe, le Fils de Dieu veut
nous détourner, et quelle est cette chose essentielle-
ment une dont, dans la personne de Marie, il nous or-
donne de nous occuper uniquement? Le même grand
docteur va nous rapprendre.
Ce qui est temporel, dit-il, a une fin-, ce qui finit
manque de quelque chose*, ce qui manque de quelque
chose n'est pas un tout, ce qui n'est pas un tout suppose
d'autres choses ayant ce qui lui manque; ce qui sup-
pose autre chose n'est pas seul; ce qui n'est pas seul,
n'est pas absolument un. Ainsi, ce qui est tem-
porel est nécessairement réparti en plusieurs choses,
est nécessairement multiple est nécessairement va-
x

riable. Les CHOSES PLUSIEURS, plurima, de notre Evan-


gile, sont donc les choses temporelles et sensibles, qui,
par cela même qu'elles sont sensibles et temporelles,
sont diverses, sont plusieurs, et lors même qu'on veut
les appeler « des biens, » ce ne sont que des biens
transitoires et fugaces (1),
Au contraire, ce qui est éternel, est infini; ce qui
est infini, est nécessairement un tout; ce qui est un
tout, est essentiellement UN. Or, Dieu est l'être éternel,
l'être infini, l'être tout, l'être un. Car Dieu, poursui
saint Augustin, est cette première et essentielle unité,
cette unité sacrée, l'origine, la source de toutes les
unités, et dont tout ce qui est simple et un est le

(l) t Multa sunt, diyersa sunt, quia carnalia sunt, quia tempora-
*lia sunt; et si bona, transitoria sunt [loc. cit.). »
294 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

signe, Vemblème, le vestige qui l'indique et l'image


qui le représente. Donc l'UN mystérieux que Jésus-
Christ a rappelé à Marthe c'est Dieu (1).
Il est vrai qu'il y a. trois personnes en Dieu, le
Père, le Verbe et le Saint-Esprit, que saint Jean ap-
pelle la Trinité du ciel; Très sunt qui iestimonium dant
in cœlo : Pater, Verbum et Spiritus sancttis (I Joan.).
Mais qomme une môme nature divine se répète
tout entière dans chacune des divines personnes, ces
augustes personnes, ajoute le môme Evangéliste, se
rapportent l'une à l'autre, s'unissent entre elles dans
l'unité la plus magnifique et la plus parfaite, et ne font
qu'uN; Et Ai très unum sunt (ibid.). Ainsi donc, re-
prend saint Augustin, I'UN nécessaire de notre Évan-
gile est cette céleste et ineffable Unité divine où le
Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu'UN, l'un
infini et parfait (2).
Mais pourquoi notre aimable Sauveur a-t-il appelé
ce Dieu TRINE et UN « l'Un nécessaire? » Et quelle est
la signification de cette profonde et mystérieuse pa-
role? C'est ce que, maintenant, je dois vous expliquer.
Et vous serez, en même temps, étonnés et édifiés de la
portée de cette parole de notre Évangile.
Dieu est le seul être essentiellement nécessaire,
d'abord, A'une manière absolue. Car Dieu est le seul
être qui EST parla nécessité même de sa nature. Dieu

(1) «Unitas seu simplicitas est vestigium Dei, qui est prima,
« cssentialis et iucreata Unitas, omnium unitatum fons et origo. Unum,
« Deus {Ibid.). » *
(2) « Unum, illud supernum ubi Pater, Verbum et Spiritus sanc-
T tus unum sunt (toc. ci*.). »
OU t'uN NÉCESSAIRE, ETC. 295

est le seul être pour qui il est impossible qu'il ne soit


pas, et dont la non-existence serait VÉtre n'étant pas ;
ce qui est une contradiction dans les termes, une
impossibilité. L'être et l'existence ne sont pas deux
choses distinctes en Dieu. Il est son propre être, sa
propre existence; et son existence et son être sont
tout lui. Il n'a jamais été à l'état de simple possibilité.
H n'est point passé de l'état de la puissance à être, à
l'état de l'existence. Il a été toujours ce qu'il est; il
$era toujours ce qu'il a été; il a été, il est, il sera ce
qu'il est, dans toute la plénitude et la puissance de
l'être.
Dieu est, en second lieu, le seul être nécessaire
d'une manière relative, par rapport à tout ce qui n'est
pas lui. Car rien n'est et ne saurait être hors de lui,
que par lui, qui seul est par lui-même. Rien n'est et
ne saurait être que par lui qui, ayant seul tout l'être,
seul peut faire que ce qui n'est pas, soit. Rien n'est et
ne saurait être qu'en recevant l'être par lui, qui seul
possède tout l'être, et qui seul peut le donner hors de
lui, par la seule puissance de cette parole qui appelle à
l'existence ce qui n'est pas comme ce qui est (I Cor.),
et sans toucher à sa propre substance, et sans la moin-
dre altération ou diminution de son être,—l'Immuable
ne pouvant pas être altéré, ni l'Infini s'amoindrir, —
mais restant toujours dans l'identité éternelle, dans
l'intégrité de son propre être.
En même temps que seul il est la raison, la cause,
la source unique de tout ce qui est, Dieu en est aussi
l'unique base et l'unique support. Comme rien n'est
que par lui (ex ipso omnia), rien n'est qu'en lui (in
29<J HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

ipso omnia). Il n'a qu'à retirer l'être qu'il a donné,


pour que ce qui est ne soit plus. Si, par une hypothèse
impossible, il venait un seul instant à manquer, rien
de ce qui est ne lui survivrait. Tout s'affaisserait,
tomberait en défaillance et finirait avec lui. Rien ne
serait plus. Car comment la moindre chose pourrait-
elle conserver son être, si l'Être universel, à qui seul
tout ce qui est emprunte son être, venait à cesser
d'être? Et comment, rien ne conservant plus son être,
la moindre chose pourrait-elle exister encore? Tout
donc s'abîmerait et disparaîtrait dans un gouffre sans
fond. Le néant remplacerait l'Être absolu; le néant
infini trônerait sur les débris de l'Être infini.
Ainsi donc, en attribuant à Dieu cette grande qua-
lité d UN NÉCESSAIRE, sans aucune détermination, sans
7

aucune limitation, par rapport à sa nature, par rap-


port aux choses qui sont hors de lui ; nous ayant parlé
de Dieu comme de I'UN NÉCESSAIRE au sens absolu et uni-
versel, Jésus-Christ son Fils nous a appris que le Dieu
TRINE et UN est l'unique être absolument nécessaire en
lui-même, et universellement nécessaire par rapport
au Tout.
Mais il n'a pas suffi à son amour de nous donner une
idée si neuve et si sublime de Dieu.
Dans son voyage au Calvaire, les saintes femmes
qui l'accompagnaient en le regrettant, et fondant en
larmes sur ses ignominies et sur ses douleurs; Mulie-
res multœplangebant et lamentabantur eum (Luc. xxm);
elles n accomplissaient envers lui qu'un pieux et reli-
gieux devoir. Cependant leur désolation profonde rap-
pela à sa pensée la désolation plus profonde encore de
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 297

toutes les femmes de Jérusalem, lorsque cette ville


aurait été assiégée et détruite pour avoir renié et
crucifié le Messie; et il se mit à haranguer, pour la
dernière fois, ce peuple apostat pour le convertir, en
le menaçant des plus affreux supplices dans celte vie,
et de supplices bien plus affreux encore dans l'autre,
après le jugement dernier (Ibid.).
De même, dans la circonstance dont il s'agit dans ce
moment, Marthe n'était préoccupée que de la pensée
de traiter, le plus convenablement que possible, le
Seigneur, et ne faisait qu'une belle et vertueuse ac-
tion. Cependant sa demande que Marie renonçât à
l'audition de la parole de Dieu pour aller partager ses
soins domestiques, ses sollicitudes, son empressement
exagérés pour l'ordre de sa maison, quoique inspirés
par l'intention la plus sainte et la plus pure, rappelèrent
à son Hôte divin cette foule de malheureux chrétiens
qui, dans la suite des siècles, auraient abandonné Lui,
Fils de Dieu, la VOIE, la VÉRITÉ et la VIE, pour se
livrer au péché et à l'erreur: ou qui se seraient laissés
absorber par les soins des choses temporelles, de ma-
nière à oublier les choses éternelles, et ne se seraient
occupés que de se créer une situation heureuse sur
cette terre, au prix de la perte du ciel. Et c'est cette
pensée, si pénible, si cuisante à son cœur de Sauveur,
qui lui arracha ces paroles si douces, si touchantes, et
en même temps si plaintives et si graves : « Marthe,
«Marthe, pourquoi donc vous donnez-vous tant de
« sollicitudes et tant de peines pour des choses qui ne
« les méritent pas? Souvenez-vous qu'il n'y a qu'une
« seule chose qui soit vraiment nécessaire à l'homme,
298 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

« c'est de s'attacher à la vie que Marie a choisie


« pour elle, et dont les avantages ne peuvent lui être
« ravis. »
C'est donc moins à Marthe qu'à nous tous, — q u e la
conduite de Marthe rappelait à son esprit et à son cœur,
— que le divin Maître a adressé ce court mais impor-
tant discours.
C'est ici, il est vrai, Tune des définitions de Dieu,
tout à fait propres et dignes de Dieu, que le Fils
de Dieu, Dieu lui aussi, autant que son Père, a donnée,
et que Dieu seul pouvait donner de lui-même. Car lui
seul se connaît parfaitement, et par conséquent c'est
lui seul qui peut se définir et nous dire ce qu'il est.
Dans l'Ancien Testament, Dieu s'était défini CELUI
QUI EST; Qui est, c'est-à-dire I'ÊTRE par lui-même,
I'ÉTRE en lui-même, I'ÊTRE par essence, I'ÊTRE par
excellence, I'ÊTRE complet, I'ÊTRE absolu, I Ê T R E éter-
nel, I'ÉTRE parfait; en un mot I'ÊTRE; Qui est. Mais
cette magnifique et sublime définition ne paraît se
rapporter qu'à la perfection infinie de la Nature Di-
vine, à son Asêitè, à son éternité, à son indépendance,
à sa grandeur, à sa majesté. C'est donc particulière-
ment la définition du Dieu créateur et maître de l'u-
nivers.
Or, la nouvelle définition que Jésus-Christ a donnée
de Dieu dans notre Évangile, en l'appelant TUN
NÉCESSAIRE, d'un côté a tout le sens profond et la
haute portée de l'ancienne définition; car l'UN, au
sens absolu, n'est lui aussi que 1ÉTRE absolu. Mais de
l'autre côté, cette nouvelle définition nous étant, dans
la personne de Marthe, particulièrement adressée, cet
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 299

UN absolu nous étant présenté comme la seule chose


qui nous est nécessaire, le seul objet que nous devons
chercher, que nous devons poursuivre, pour atteindre
notre but et faire notre salut; elle exprime d'une ma-
nière toute particulière la miséricorde, la bonté de
Dieu, sa sollicitude, son amour, sa tendresse pour
l'homme-, elle est spécialement la définition du Dieu
rédempteur qui s'est fait homme pour sauver l'homme.
Tâchons donc de la bien comprendre sous ce dernier
rapport, d'un si grand intérêt pour nous.

§ 10. Explication de la grande doctrine de i'UN NÉCESSAIRE. —


L'homme a un besoin essentiel de la Vérité infinie pour son esprit,
du Bien infini pour son cœur, de la Perfection infinie pour son
corps et pour tout son être, pendant la vie et après la mort. — Le
Dieu trine et u n , et l'Homme-Dieu étant tout cela pour l'homme,
le Dieu trine et un et l'Homme-Dieu est seulement son UN NÉCES-
SAIRE. — C'est sous tous ces rapports que Jésus-Christ a indiqué
Dieu et s'est indiqué lui-même à l'homme, dans sa réponse à
Marthe.

On vient de voir que Dieu, seul ÊTRE NÉCESSAIRE


d'une manière absolue par rapporta lui-même, est aussi
le seul ÊTRE NÉCESSAIRE d'une manière relative, par
rapport au Tout. Mais de cette dernière manière, il est
tout particulièrement le seul ÊTRE NÉCESSAIRE par rap-
port à l'homme.
Selon une profonde parole de saint Thomas, à la
différence près que Tintellect divin est en acte à
tout parce qu'il connaît tout actuellement et par un
acte unique, et que l'intellect humain est seule-
ment en puissance à tout parce qu'il ne peut con-
naître que successivement, et par différents actes, ce
300 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

qui est cognoscible; ce dernier intellect est cepen-


dant apte à recevoir en lui toute connaissance (1),
et aucune vérité ne lui est absolument inaccessible,
étrangère; Intellectus est ad omnia. II a donc une
capacité infinie, — autant qu'une qualité infinie
peut se trouver dans un être fini. — Or, une capa-
cité infinie de connaître ne peut pas être remplie par
des connaissances finies, quels que soient leur nombre,
leur variété et leur importance. C'est pourquoi l'homme,
au fur et à mesure qu'il obtient des connaissances,
s'applique avec un nouveau transport à acquérir des
connaissances toujours nouvelles. Il n'est jamais con-
tent de ce qu'il sait; il aspire toujours à savoir davan-
tage, et ne dit jamais : « C'est assez. » Ce qu'il sait
l'entretient, le flatte, pour quelques moments, sans le
satisfaire. Il veut tout connaître, tout savoir; il veut,
en un mot, le Vrai absolu, le Vrai infini. Et il ne dé-
daigne les vérités connues, et il ne cherche, au prix
des plus grands et obstinés travaux, à deviner la vérité
inconnue, que parce que l'inconnu se présente à sa

(1) Qu'on fasse bien attention qu'il n'est question ici que de
connaissance et non pas de compréhension. De ce que, comme il n'y
a pas d'objet sensible qui ne puisse être vu par l'œil corporel, il n'y
a pas d'objet intellectuel qui ne puisse être connu par l'esprit, il n'en
suit pas que l'esprit humain puisse tout comprendre. Car, même au
ciel, où les bienheureux verront l'Essence divine, la Trinité des per-
sonnes et tous les attributs de D i e u , cependant ils ne verront pas
tous les degrés éternels de ces attributs, parce qu'ils sont infinis. Ils
verront donc clairement Dieu, sans jamais le comprendre totaliter
et adéquate^ parce qu'il n'y a pas d'équation possible entre une
intellection finie et la cognoscibilité intrinsèque de D i e u , qui est
infinie.
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 301

pensée comme quelque chose d'infini et d'absolu. Mais


le Vrai Infini, le Vrai Absolu, c'est Dieu. La seule con-
naissance de Dieu peut donc satisfaire la soif dont
- l'intellect humain est dévoré, la soif de tout savoir.
Dieu est donc I'ÊTRE ARSOLUMENT NÉCESSAIRE pour l'es-
prit de l'homme.
Il en est de même de son cœur. Ce cœur aussi EST A
T O U T ; Voluntas est ad omnia. Sa capacité, par rapport
à tout Bien, est autant infinie que la capacité de l'in-
tellect par rapport à tout Vrai. Or, une capacité
infinie de recevoir le Bien ne peut être remplie par des
biens finis, quels que soient leur nombre, leur variété
et leur importance. C'est pourquoi aussi l'homme, au
fur et à mesure qu'il acquiert des biens, s'élance avec
une nouvelle ardeur, et même avec une espèce de
fureur, à la poursuite de nouveaux biens; il n'est ja-
mais content de ce qu'il possède; il aspire à posséder
toujours davantage; il ne dit jamais : «C'est assez. » Ce
qu'il a déjà, l'amuse, le distrait pour quelques instants,
sans le rassasier. Il veut tout posséder, jouir de tout.
Il veut, en un mot, le Bien absolu, le Bien infini. Et il
n'est indifférent au bien présent, et il ne dirige son
activité à saisir, au prix des plus grands sacrifices, le
bien éloigné, que parce qu'il envisage le futur comme
quelque chose d'infini et d'absolu. Mais le Bien infini,
le Bien absolu, c'est encore Dieu. La seule possession,
la seule jouissance de Dieu, peut donc apaiser la faim
qui le tourmente de tout avoir, de jouir de tout. Dieu
est donc I'ÊTRE ARSOLUMENT NÉCESSAIRE AU COEUR H U -
MAIN.

En troisième lieu, comme Dieu est trine dans les


302 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEÉ MARTHE

personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, notre âme


est trine, elle aussi, dans ses facultés : la faculté de se
former les idées—ou d'engendrer elle-même, dans les
profondeurs de son être, sa parole intérieure, son
propre yerbe ;—la faculté de raisonner, et la faculté de
vouloir. Mais, être spirituel, être sans composition et
sans parties, être purement et essentiellement simple,
le Dieu, trine dans les personnes, est le Dieu essen-
tiellement un dans sa nature. Et de même, être spiri-
tuel être sans composition et sans parties, être simple,
s

notre âme, trine dans ses facultés, est essentiellement


une dans son être. En sorte que le grand et incompré-
hensible mystère de I'UNITÉ ET OE LA TRINITÉ DE DIÉTJ,
qui, d'après saint Thomas, se trouve même dans les
créatures irrationnelles par mode de trace ou de tes-
tige, se trouve dans notre âme par mode de ressem-
b l a n c e ^ ) . Vraie image de Dieu donc, autant que
l'être tini peut l'être de l'Être infini, et la créature du
Créateur, notre âme est en quelque sorte Dieu en mi-
niature, Dieu en relief, Dieu en effigie, Dieu, fen petit;
(Ego dizi : DU estis). Et dès lors elle h'a de rapport
qu'avec Dieu. Una uni, disait un grand serviteur de
Dieu. C est-à-dire que l'âme, qui, trine dans ses puis-
sances, est essentiellement une dans son être, ne peut
appartenir aux choses temporelles, créées, finies, sen-
sibles, qui sont plusieurs; elle ne peut appartenir
qu'au Dieu qui, trine datts les personnes, est essentiel-
lement U N dans sâ nature.

( I ) « Mysterium Trinitatis invenitur in creaturis irrationalibus


« per moilum vcstigii; in creaturis rationalibus per modum simili-
« tndfnis. »
OU t'UN NÉCESSAIRE, ETC. 303

Encore, comme Jésus-Christ est double, par rapport


à ses deux natures, la nature divine et la nature hu-
maine; l'homme aussi est double par rapport à ses
deux substances, la substance de l'âme et celle du
corps. Mais la nature divine étant, en Jéâus-Christ,
substantiellement unie à la nature humaine, dans
l'unité de la personne du Verbe, ce Christ, réellement
double, quant aux natures, est absolument UN quant
à la personne; et, de môme, l'âme et le corps étant
dans l'homme substantiellement unis dans l'unité de
l'être de l'âme, l'homme, réellement double, quant
aux substances, est absolument UN quant à l'être. Vraie
image du Christ, Dieu et homme, comme il est àme et
corps, l'homme est donc, en quelque sorte, Jésus-»
Christ en petit, Jésus-Christ en miniature, Jésus-Christ
en relief, Jésus-Christ en figure, comme l'a dit saint
Paul (Adam primus, forma Fuiurï). Il n'a donc des
rapports essentiels qu'avec l'Homme-Dieu. Il tend à lui
comme à l'unique objet qui peut relever, perfectionner
tout son être. Car, comme l'a dit encore saint Paul, ce
n'est qu'en Jésus-Christ et par Jésus-Christ que nous
pouvons devenir la justice même, la sainteté même de
Dieu ; Ut inveniamur jusiitia Dei in Illo. Ce n'est qu'en
Jésus-Christ et par Jésus-Christ que nous pouvons de-
venir l'homme complet, l'homme parfait, par rapport
à l'âme et par rapport au corps-. In virum perfectum,
in mensuram œtatis plenitudinis Christi.
C'est pourquoi l'homme cherche toujours et partout
Dieu, mais sous des formes sensibles ; Dieu qu'il puisse
non-seulement connaître par son intelligence, et aimer
de tout son cœur, mais aussi voir, toucher par ses
304 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

sens, se l'approcher, se l'approprier, le porter en lui-


m ê m e (Portate Deum in corpore vestro), et s'unir à
lui de la manière la plus intime, au moyen de la man-
ducation corporelle, pour n e vivre que par lui, avec lui
et en lui (Qui manducat me et ipse vivet propter me).
C'est pourquoi, à la simple pensée, au simple nom de
ce Dieu, de ce Seigneur vivant dans l'humanité qu'il a
assumée, tout homme que l'orgueil de la raison n'a
pas rendu insensé et que le vice n'a pas abruti, se sent
attiré Yers lui, et, comme l'a dit le Prophète, en enten-
dant prononcer le nom de cet HOMME-DIEU, non-seu-
lement son esprit et son cœur, mais ses sens aussi, sa
chair, ses os, humiliés par l'héritage du péché, pal-
pitent d'amour, tressaillent d'un mouvement invo-
lontaire de joie secrète, d'ineffable bonheur; Caro
mea et cor meum exultaverunt in Deum vivum. Exuî-
labunt Domino ossa humiliata. C'est pourquoi, lorsqu'il
ne connaît pas ce DIEU-HOMME, ce Christ véritable, il se
fabrique des hommes-dieux faux, des faux Christs, des
idoles, et vénère leurs images, et se plaît à tout ce qui
leur a appartenu, et mange des victimes qui leur ont
été immolées. En sorte que comme, par son intelli-
gence, il cherche la Vérité infinie, même dans l'erreur
qui le trompe; comme, par son cœur, il cherche le
Bien infini, même dans le mal qui le fait malheureux ;
de même il cherche par son corps aussi, en un mot,
partout son être, I'HOMME-DIEU, OU laPerfection infinie,
même dans les faux cultes qui le dégradent. Dieu,
Trine et Un, et l'Homme-Dieu, est donc nécessaire à
l'homme, non-seulement comme cause unique de son
être, mais aussi comme condition unique de son bien-
OU i/UN NÉCESSAIRE, ETC. 305

être et de sa perfection; non-seulement comme son


principe, mais aussi comme son centre, son but, sa iin.
Mais, né dans le temps, l'homme n'est pas destiné à
finir avec le temps. La mort n'est qu'une phase, un chan-
gement, une vicissitude dans l'existence de l'homme :
elle n'est pas sa destruction : Vita mniatxn\ non tol-
litur (Litur. Rom.). Être simple, spirituel, étranger
à toute espèce de composition, comme les Anges,
comme Dieu lui-môme, l'àme humaine partage par sa
nature même leur incorruptibilité. Et comment en se-
rait-il autrement?
Tout être n'EST qu'aux mêmes conditions aux-
quelles il OPÈRE; Operalio sequitur esse. L'àme hu-
maine P E N S E , RAISONNE, VEUT par sa propre vertu, et
non par la vertu du corps. Elle raisonne, veut, QUOI-
QUE elle soit unie au corps, et non PARCE QUE elle
est unie au corps.
Différemment de l'âme sensitive de la brute et de
l'âme végétative de la plante, dont toute opération,
toute vie et par conséquent tout Y être encore dépen-
dent du corps et qui doivent elles encore cesser d'être,
disparaître avec le corps; l'âme humaine, au contraire,
vivant de sa propre vie dans le corps, mais sans le
corps, ne peut être atteinte par la corruption du corps;
elle survit au corps, elle est immortelle.
Encore, dans ce sublime composé qui s'appelle
TIIOMME, l'âme est la forme substantielle, le corps
en est la matière. Il est propre à la Sagesse infinie,
qui a créé l'univers, d'harmoniser la matière des êtres
composés avec-leur forme. Or la forme de l'homme,
l'âme, étant une forme par elle-même immortelle, il
307 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

était très-convenable, dit saint Thomas, que Dieu lui


donnât une matière digne d'elle, en harmonie avec
elle, c'est-à-dire un corps immortel comme elle, Donc,
par un privilège tout particulier accordé à la mature,
à laquelle il a uni l'âme humaine, dans la création de
l'homme, Dieu donna au corps humain une espèce
^incorruptibilité, afin qu'il fût une matière propre
d'une telle forme qui est incorruptible, et afin que,
comme l'âme vit toujours, le corps vive toujours, lui
aussi, par la vertu et l'énergie de Vaine (1).
Dieu a donc créé l'homme inexterminable(2). La
mort n'est pas son œuvre (3). Elle n'est entrée dans le
monde qu'à la suite du péché (-4). La mort n'est donc
qu'un accident survenu à la nature humaine par le
péché (5).
C'est par son essence encore que l'âme humaine est
la forme du corps. Il est contre la nature qu'une forme
toujours subsistante soit toujours séparée de sa ma-
tière. Il est donc contre la nature que l'àme humaine
soit séparée de son corps ; mais rien de ce qui est contre
la nature ne peut être perpétuel. Il n'est donc pas pos-

(1) « In institutione Lumanae naturœ Deus aliquid corpori liu-


« mano attribuit supra id quod ei ex naturalibus principiis debebatur,
« scilicet, incorruptibilitatem quamdam, per quam convenienter
« suœ îbnnffi cooptaretur : ut sicut anime vita perpétua est, ita
« corpus, per animam, perpetuo yiveret (Contr. Gentil., lib. IV,
« c. 81). »
(2) « Creavit Deus bominem inexterminabilera (Sap. ni, 23). »
(3) « Deus mortem non fecit (Sap. m, 13). »
(4) « Per peccatum mors(JJom. v, 12). »
(6) « Est igitur mors quasi acoidens, superveuiene homini per
« pcccatum(D. THOMAS, loc. cit.). »
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 307

sible que l'àme humaine soit toujours sans le corps (1).


Elle doit donc reprendre son corps et être réunie au
corps. Les corps humains ressusciteront un jour. Et
cette résurrection, surnaturelle quant à son exécu-
tion, — car elle n'aura lieu que par la puissance infi-
nie de Dieu, — sera la chose la plus naturelle quant à
son but(2). Ce sera la recomposition nécessaire de l'or-
dre primitif naturel, car il ne peut pas être dit que la
créature ait, par sa méchanceté', éludé pour toujours
le dessein du Créateur. Ainsi l'homme primitif,
l'homme de la création, que, par sa rédemption,
Jésus-Christ a restauré {Insiaurare omnia in Christo),
sera tout entier, àme et corps, rendu à la vie immor-
telle, et vivra dans l'éternité.
Nous venons de voir que dans ce monde, où, ce-
pendant, il y a tant d'objets qui l'arrêtent, qui le
distraient, qui l'entretiennent et l'amusent, l'homme
ne peut cependant se passer de Dieu; et que Dieu
est la seule chose nécessaire pour contenter son esprit,
pour remplir son cœur, pour relever et perfectionner
son corps même et tout son être. Donc à plus forte
raison, ne pourra-t-il guère se passer de Dieu, à plus
forte raison Dieu sera pour lui la seule chose nécessaire^

( 1 ) « Anima, secundum suam essentiam, est forma corporis. Est


« igitur contra naturam absque corpore esse. Nihil autem, quod est
« oontra naturam, potest esse perpetuuiii. Non Igitur perpetuo
« anima absque corpore erit (S. THOM., ibid.}. »
(2) « Resurrectio, quantum ad finero, HATURALIS EST, in quan-
ti tum naturale est anima? esse corpori unitam ; sed principium ejus
• activum n o n eBt naturale, sed soladivina virtute causa tu i- (IDEM.,

« Ibid.). »
308 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

sous ce triple rapport, dans l'autre monde, où il n'y a


d'autre objet que Dieu ; où Dieu n'est pas seulement le
souverain Bien, mais aussi le bien unique; où Dieu
n'est pas seulement le bien essentiel de l'homme, par
sa nature, mais aussi son bien absolu par nécessité.
Car comment se passer de Dieu, là où Ton ne trouve
d'autre bien que Dieu?C'est ce qui faisait dire au Pro-
phète : « Dans l'autre vie, bien plus que dans cette vie
ici; au ciel bien plus que sur cette terre, je ne puis vou-
loir, je ne puis chercher que le Dieu de mon cœur ; et
seul le Dieu qui est ma vraie part, mon héritage dans
le temps peut l'être aussi dans l'éternité (1). L'unique
chose donc que je lui demande toujours, que je pour-
suis toujours de toute l'ardeur de mes désirs, c'est lui-
même, c'est d'habiter toujours dans sa propre maison,
en sa compagnie (2). »
Ainsi donc, Dieu est l'UN absolument NÉCESSAIRE
à l'esprit de l'homme comme Vérité infinie; au cœur
de l'homme, comme Bien infini; au corps et à tout
l'être de l'homme, comme Perfection infinie, non-
seulement pendant cette vie, mais aussi après la mort;
or, c'est sous ces différents rapports que notre aimable
Sauveur a, dans notre Évangile, recommandé de la
manière la plus énergique, Dieu à notre étude, à nos
recherches, à nos sollicitudes, à notre foi, à notre es-
pérance, à notre amour.
Car, d'abord, par cela même qu'il nous a présenté

(1) c Quid mihi est In cœlo, et a te quid volui super terrain?


« Deus cordis mei, et pars mea Deus, in œternum [Psal. LXXII, 2G). »
(2) « Unam petii a Domino, hanc requiram : ut Inhabitem in dorao
« Doniiui omnibus diebus vitœ meœ (Psal. xxvi, 4). »
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 309

Dieu comme notre unique chose nécessaire, dans un


sens indéterminé et absolu, et sans préciser aucun
rapport particulier sous lequel ce Dieu nous est néces-
saire, il nous a évidemment déclaré que Dieu nous est
nécessaire dans tous les sens et sous tous les rapports
par rapport à l'àme, par rapport au corps, en un mot
par rapport à tout notre être. Et par cela même qu'il
n'a pas circonscrit non plus cette nécessité à aucune
époque, à aucun temps en particulier, il nous a aussi
avertis de la manière la plus claire que ce besoin impé-
rieux que nous avons de Dieu, est pour nous de toutes
les époques, de tous les temps, et que Dieu est notre UN
NÉCESSAIRE non-seulement dans le présent, mais en-
core dans l'avenir.

§ . 11. Commentaire que Jcsus-Christ lui-même a fait, dans le même


Évangile, de la doctrine surl'UN NÉCESSAIRE. —On ne possède la
vérité de Dieu que par l'humilité et la docilité de la foi. — Cette
vérité est autant nécessaire à la vie de l'intelligence que le pain
l'est à la vie du corps. — Dans ses égarements, l'humanité n'a
jamais perdu entièrement cette vérité; et c'est de quoi elle a
vécu. — L'Église catholique seule est la vraie maison de Marthe,
où se trouve Jésus-Christ enseignant. — Il n'y a qu'une seule re-
ligion : celle que le Dieu créateur a révélée, que le Dieu rédemp-
teur a perfectionnée, que le paganisme a corrompue, que l'hérésie
a mutilée et que l'Église catholique seule conserve dans sa pureté
et dans son intégrité.— A quoi sert la raison?—Nécessité de croire
à l'Église pour faire son salut.

Ce commentaire de I'UN NÉCESSAIRE, de cette parole


si simple et si sublime, si courte et si immense, pro-
noncée dans le temps comme un écho solennel de l'é-
ternité, c'est Jésus-Christ lui-même qui nous l'a donné.
Dès l'instant où il est entré dans la maison de
310 HOMÉLIE XII. —JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

Marthe, Marie s'était empressée d'aller s'asseoir à ses


pieds; elle était demeurée là immobile, et comme in-
sensible à tout le bruit qui se faisait autour d'elle; elle
était restée là absorbée dans un recueillement pro-
fond, écoutant, avec une foi aussi vive que son humi-
lité était parfaite, la parole du Verbe qui, après avoir
retenti dans celte maison fortunée, se répétait du son
le plus harmonieux et le plus doux dans son cœur;
Audiebat verbum illius. Cela lui a valu l'éloge le plus
grand et le plus sublime qu'aucune créature humaine,
— la sainte Vierge exceptée — ait jamais reçu de la
bouche de Dieu lui-même, l'éloge D'AVOIR E L L E , POUR
SON COMPTE, RÉALISÉ LA GRANDE DOCTRINE DE L'UN NÉ-
CESSAIRE par la manière dont elle a écouté LA DIVINE
PAROLE; Unum est necessarium; Maria optimam par*
tem elegit* Audiebat verbum illius. Or, un tel éloge,
d:ms de telles circonstances et par de tels motifs, n'est
autre chose qu'une leçon poyr tous. C'est la leçon :
Que Dieu est I'UN NÉCESSAIRE pour Y esprit de l'homme,
et que l'homme ne le partage par son esprit qu'en
écoutant avec une humilité profonde, avec une foi vive,
la parole de Dieu.
Ailleurs il avait dit : « Vhomme ne vit pas seule-
ment de pain, mais de toute parole qui procède de la
bouche de Dieu (1). » C'est-à-dire que la parole de
Dieu ou la Vérité — car toute parole de Dieu est vé-
rité — est aussi nécessaire à l'homme pour vivre de la
vie de l'intelligence que le pain lui est nécessaire pour

(i) • Non in solo panevlvit Uomo, sed in omni verbo quod pro-
« e^dit deore Dei (Wattfy.. iv, 4). »
OU L'UN NECESSAIRE, E t C . 311

vivre de la vie du corps. Mais c'est particulièrement


dans l'Évangile que nous expliquons que le divin
Maître a révélé cette même doctrine dans tout l'éclat
de son importance, en disant d'une manière tranchante
et absolue que l'humble audition de la parole de Dieu
est l'Un nécessaire pour l'esprit de l'homme. Car c'a été
nous dire que toute étude, tout raisonnement, tout
enseignement, toute science, venant simplement de
l'homme, n'est rien, n'aboutit à rien,- et que l'homme
peut s'en passer sans éprouver pour cela le moindre
dommage pour son âme, ni dans ce monde ni dans
l'autre-, mais qu'au contraire la foi dans la parole de
Dieu est tout pour son intelligence, est sa vraie nour-
riture, sa nourriture unique, sa vie, et que renoncer à
cette foi c'est périr, dans l'ordre intellectuel, et par
contre-coup, c'est se corrompre, se dégrader, s'abrutir
et périr encore dans l'ordre physique.
Et qu'on n'oppose pas que le genre humain entier
avait, avant la venue du divin Sauveur sur la terre,
abjuré la vérité de Dieu pour ne suivre que les er-
reurs, les extravagances, les folies, les fausses reli-
gions , tristes créations de l'orgueil et du sensualisme
de l'homme, et que cependant le genre humain n'en a
pas moins subsisté pendant quarante siècles. Car, au
milieu de ses égarements dans les voies de l'idolâtrie
et de la superstition, le genre humain n'a jamais et
nulle part cessé de croire à l'existence d'un Dieu uni-
que, éternel, ayant tout fait par sa toute-puissance et
gouvernant tout par sa providence. Les croyances et
le culte des faux dieux, qu'il s'est fabriqués dans l'inté-
rêt de ses passions (dieux subalternes pour lui et que
312 HOMÉLIE XII. — JEStS-CHRIST CHEZ MARTHE

le Dieu suprême aurait créés comme tout le res(e),


lui ont fait oublier le vrai et unique Dieu, créateur et
maître de l'univers. L'idolâtrie n'a été que l'abus du
dogme de l'existence des bons et des mauvais esprits,
qui est lui-même une vérité. Le genre humain n'a ja-
mais et nulle part cessé de croire à la spiritualité et à
l'immortalité de l'âme, à l'efficacité du suffrage des
vivants pour le soulagement des âmes des morts, à
Féternité des peines et des récompenses de l'autre vie,
à l'existence d'une loi morale descendue d'en haut,
dont l'observation ou la violation font l'homme de bien
ou le scélérat, à la vertu du repentir et de la péni-
tence pour la destruction du péché. Le genre humain
n'a enfin jamais et nulle part cessé de croire à la chute
originelle et à un Médiateur divin qui devait la répa-
rer-, à la nécessité du sacrifice, du culte, de la prière,
du jeûne, des sacrements ou de certains rites expia-
toires, purifiants et sanctifiants l'âme, au moyen de
signes sensibles appliqués au corps. Il a bien altéré,
ou, selon l'expression du Prophète, il a bien amoin-
dri (1) ces grandes vérités qui constituent la vraie reli-
gion, quant aux interprétations et aux formes qu'il
leur a données et à l'application qu'il en a faite; mais
il ne les a jamais niées quant à leur essence, à leurs
principes, à leur origine divine et à leur vérité. La
même Providence qui n'a jamais laissé manquer à
l'humanité sa nourriture corporelle, le pain, ne lui
a jamais laissé manquer non plus la nourriture de l'in-

(t) « Quoniam DIMINUTiE sunt veritates à ûliis hominum (Psal.


« xi, 2). •
OU*l/UN NECESSAIRE, ETC. 313

telligence, la vérité. Au moyen des traditions univer-


selles et constantes, fidèles échos de la révélation que
Dieu fit à l'homme en le créant, et qui par le langage
se sont répandues et établies dans toute l'humanité, le
Verbe divin a toujours enseigné l'homme, a été la
vraie lumière éclairant tout homme venant dans ce
monde. Comme donc, avec des aliments sains en eux-
mêmes, mais corrompus, mais altérés, on vit mal,
mais enfin on vit, de même par sa foi aux vérités
divines, seuls aliments sains et propres de l'intelli-
gence, mais corrompus, altérés par la licence de la
raison particulière, l'humanité païenne a mal vécu,
mais enfin elle a vécu et vit encore ; et elle n'a vécu et
ne vit que de cette nourriture divine, quoique mal pré-
parée et mêlée à l'élément humain. En sorte que si le
genre humain avait jamais pu perdre tout à fait ces
vérités, il y a déjà longtemps qu'il aurait péri par
l'anthropophagie et le suicide. Tellement la vérité de
Dieu est TUN NÉCESSAIRE à la vie de l'esprit, et consé-
quernment encore à la vie corporelle de l'homme;
Unum est necessarium.
Nous venons de voir que la maison de Marthe et de
Madeleine, où Jésus-Christ faisait entendre sa parole,
que les saintes sœurs réalisaient par leurs vertus et
leurs œuvres, était le vrai sanctuaire de Dieu sur la
terre, la figure fidèle, sensible de l'Eglise. Car l'Eglise
n'est qu'une société d'hommes réunis au nom de Jésus-
Christ, ayant Jésus-Christ au milieu d'eux (1), écou-

( l ) « Ubi sunt duo vel très congregati in nomine meo9 ibi sum
m ego in medio eorum (Hfatth. xvw). » Remarquez ici qu'il est in-
314 HOMÉLIE XII. —JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

tant la parole qu'il leur fait entendre par l'organe de


ses ministres, et la traduisant en action. L'Église n'est
que la vraie Sion, la montagne du Seigneur, où Jésus-
Christ se trouve assis en vrai roi, prêchant la vérité de
Dieu, l'imposant comme une loi, et entouré de sujets
fidèles, heureux de l'écouter et de lui obéir (1).
Donc Jésus-Christ prêchant dans la maison de Mar-
the et de Madeleine la grande doctrine de la vérité
divine comme la seule absolument nécessaire à l'in-
telligence humaine, c'est Jésus-Christ nous appre-
nant que cette vérité divine, dépouillée de tout mé-
lange humain, et aussi pure et entière qu'elle l'a
été en sortant la première fois de la bouche de Dieu :
et qui avant sa venue au monde ne se trouvait que
dans la Synagogue, après cette venue elle ne se trouve
que dans l'Église.
Qu'est-ce, en effet, que la doctrine de l'Église? C'est
la doctrine de la révélation que Dieu fit au monde
au commencement "du monde; qui, propagée dans le

contestable que les associations religieuses existant en dehors du


catholicisme, ne se sont formées qu'au nom de Mahomet, ou de
Photius, ou de Luther, ou de Calvin, ou d'Henri V1IÏ, etc., et qu'il
n'y a que l'Église catholique dont il est impossible d'indiquer un
homme au nom duquel elle se serait réunie. Preuve évidente qu'elle
seule est réunie au nom de Jésus-Christ; qu'elle seule possède
Jésus-Chri3t au milieu d'elle; qu'elle seule est la vraie Église, la
vraie société de Dieu, le vrai tabernacle de Dieu au milieu des
flammes, oà Dieu habite avec l'homme (Apoc). Tandis que les
autres prétendues Églises ne sont que des associations purement h u -
maines...
(l) « Ego autem constitntus sum rex ab eo super Sion, montem
« sanctum ejus, praedicans prœceptum ejus (Psal. n). »
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 318

monde par la tradition, s'y est toujours maintenue


dans l'ensemble de ses principes-, qui, renouvelée par
les patriarches et les prophètes au peuple juif, s'est
conservée chez lui dans toute la pureté de ses formes ;
qui, complétée et perfectionnée par Jésus-Christ, sub-
siste toujours chez le peuple catholique dans toute
l'intégrité de son complément, dans tout l'éclat de sa
perfection. En sorte que comme il n'y a qu'un Dieu,
une humanité, il n'y a qu'une seule expression vraie
des rapports entre l'humanité et Dieu, que Dieu a
fixée et révélée lui-même. Et comme l'ensemble, l'ex-
pression de ces rapports constitue la religion, il n'y
a, il n'y a eu, il n'y aura jamais qu'une seule religion
vraie. Ce qu'on appelle les différentes religions ne sont
pas au fond des religions diverses; ce ne sont que des
altérations, des mutilations plus ou moins profondes,
plus ou moins absurdes, plus ou moins sacrilèges de
l'unique vraie religion. Et la religion catholique n'est,
à elle seule, cette unique et vraie religion , que parce
qu'elle est la religion de tous les temps, de tous les
lieux, la religion universelle de l'humanité, la religion
révélée et promise par le Dieu créateur et accomplie
et perfectionnée par le Dieu rédempteur; la religion
divine, moins les altérations et les superstitions dont
le paganisme l'a défigurée, et moins les mutilations
que lui a fait subir l'hérésie.
En prêchant dans la maison de Marthe et de Made-
leine la doctrine de la vérité divine comme le seul ali-
ment absolument nécessaire pour l'esprit humain, le
Fils de Dieu déclara Madeleine seule très-heureuse
d'ayoir écouté avec docilité et accompli avec fidélité
316 HOMÉLIE XII. —JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

cette vérité divine ; Maria optimam partem elegit. Et


par là, tout en nous apprenant d'une manière pratique
et sensible que l'homme ne trouve pas en lui-même,
mais doit recevoir du dehors cette vérité divine ; Fides
ex auditu (Rom. 1); qu'il ne doit pas aller la cher-
cher dans les académies, mais dans les assemblées
des fidèles réunis dans les églises -, qu'il ne doit pas
la recevoir des philosophes, mais des Apôtres et de
leurs successeurs, que le Fils de Dieu a chargés seuls
d'instruire toutes les nations, leur enseignant tout
ce qu'il leur avait Commandé; Docete omnes gén-
ies... docentes eos servare omnia queecumque man-
davi vobis (Mattk. xxvm); tout en nous apprenant,
dis-je, ces grandes et importantes doctrines, il nous
a appris aussi que la réflexion et le raisonnement
ne servent à autre chose qu'à nous faire distinguer,
au moyen de ce qu'on appelle les motifs de crédi-
bilité , ces Yrais Envoyés de Dieu de ceux qui ne
le sont pas; la vraie Église resplendissante du grand
caractère de la sainteté, de toutes ces associations soi-
disant des Églises, et qui, — leur histoire est là pour
l'attester, — ne doivent qu'à l'orgueil, ou à l'ava-
rice , ou à la sensualité, ou à toutes ces passions
ensemble, leur naissance et leur durée. Il nous a
appris que la réflexion et le raisonnement ne sont
bons qu'à nous amener aux portes de la vraie maison
de Marthe et de Madeleine, aux portes de l'Église ; et
qu'une fois l'ayant trouvée cette heureuse maison, où
est la chaire de Jésus enseignant, il ne s'agit plus de
raisonner, mais de croire; il ne s'agit plus de discuter,
mais d'obéir ; il ne s'agit plus de soumettre la foi à la
OU L'UN NECESSAIRE, ETC. 317

lumière de la raison, mais de captiver la raison en


hommage de la foi. Il nous a appris enfin que le salut
ne se fait qu'à ces conditions; Qui crediderii.*, sahus
erit (Marc, xvi); et qu'en dehors de ces conditions il
n'y a pas de lumière divine, de vérité divine ; il n'y a
que condamnation et mort ; Qui vero non crediderit
condemnabitur (Ibid.)

§ 12. Continuation du même sujet. — La nécessité où est l'homme


de recevoir la vérité par mode de foi, prouvée par l'expérience des
philosophes anciens et modernes qui n'ayant voulu trouver la
vérité que par leur raison, n'ont rencontré que le doute et l'erreur.
Le Testament du désespoir et du scepticisme tracé dernièrement par
un philosophe incrédule.

Voyez en effet ce qui arrive à l'homme qui ne veut


pas recevoir la vérité divine du dehors, mais la trouver
en lui-même; en d'autres termes, à l'homme qui ne
veut croire qu'à lui-même. C'est la situation où se pla-
cèrent les anciens philosophes de la Grèce et de l'Ita-
lie. Or quel a été le résultat de leurs recherches, de
leurs raisonnements, de leurs discours?
Ce qu'il y avait d'universel et de constant dans les
croyances de l'humanité était vérité. L'erreur, la su-
perstition, Tidolâtrie, n'étaient que dans les applica-
tions différentes que les différents peuples avaient faites
de ces mêmes dogmes, de ces mêmes vérités divines.
L'erreur, la superstition, l'idolâtrie, étaient donc des
crimes locaux, particuliers. Il était donc très-facile de
connaître, rien qu'à ce signe, que c'étaient des créa-
tions humaines. Au lieu de faire cette distinction, les
prétendus sages d'Athènes et de Rome rejetèrent en
globe toutes les traditions de l'humanité; ils ne voulu-
318 HOMÉLIE XII. —• JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

rent croire qu'à ce qu'ils auraient découvert en eux-


mêmes et par eux-mêmes; ils voulurent se créer la
vérité au lieu de la recevoir; ils se moquèrent de
toutes les croyances des autres pour se complaire,
s'extasier et s'évanouir, comme l'a dit saint Paul, dans
leurs propres pensées; Evanuerunt in cogitationibus
suis (Rom. H.) Mais aussi, loin d'avoir jamais retrouvé
une seule vérité qu'on ne connaissait pas, ils ne firent
que renverser successivement toutes les vérités que l'on
connaissait déjà. Au lieu d'être des constructeurs, ils
n'ont été que de vrais démolisseurs de toute vérité.
Car il n'y a pas une seule vérité de celles qui forment
le patrimoine inaliénable et impérissable de l'humanité,
qui n'ait trouvé une secte de philosophe toute prête à
la nier et à la combattre. Après avoir donc écrit quel*
ques belles pages sur Dieu, sur l'âme et sur les devoirs
qu'ils avaient appris à connaître, non par leur raison-
nement, mais par la tradition, ils finirent par douter
et même par nier Dieu, l'âme et les devoirs. En y re-
gardant de prés, comme l'a fait saint Paul, on ne sur-
prend en eux que des hommes chargés de tous les
vices, coupables de tous les crimes (Ibid.) ; on ne sur-
prend en eux que de vains blagueurs et de vrais maté-
rialistes, de vrais sceptiques et de vrais athées(l). Toute
vérité leur échappa. Le prince de la philosophie grec-
que, Socrate, avoua que Vunique chose qu'il était par-
venu à savoir, c'était QU'IL NE SAVAIT RIEN (2),

(1) \oyez V£ssai sur la philosophie ancienne dans le IX* volume


e
de nos Conférences et tout le v chapitre de notre dernier ouvrage
sur la Tradition et le Semi-rationalisme.
(2) « Hoc unum scio menihil scire. *
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 319

et ne laissa à ses disciples que le doute universel en


héritage. Le prince de la philosophie romaine, Cicé-
ron, finit par dire à son tour : Tout est obscur dans la
nature; tout a*ètè rendu incertain par les dissensions
et les disputes interminables et inconcluantes des plus
grands hommes de la science Je vois donc que je liai
rien de mieux à faire que de m en tenir à la doctrine
QU'ON NE PEUT RIEN SAVOIR (1), Voilà donc ces
grands raisonneurs, n'ayant voulu de la foi pour ne
suivre que la raison, reniant eux-mêmes la raison et
perdant toute raison et toute foi. Saint Paul nous a donc
donné leur vraie histoire, leur histoire complète dans
ces deux mots : « Ils ont passé leur yie à apprendre,
et ils n'ont rien appris; et, se disant les plus sages, ils
n'ont été au fond que les plus insensés de tous les
hommes (2). »
Quant aux philosophes modernes, qui ont répudié
toutes les traditions et toutes les croyances de l'Eglise,
comme les anciens, leurs pères, avaient rejeté toutes
les traditions et toutes les croyances de l'humanité, il
nous suffit de regarder autour de nous pour savoir ce
qu'ils ont été capables de faire, en ne prenant que la
raison pour guide, et où ils ont conduit les peuples à
qui ils ont fait part des trouvailles de la raison. Ils
n'ont rien édifié, eux non plus ; sur leurs traces on ne

(1) « In tanta obscuritate naturae, dissensionibus tantis summo-


« rum virorum, qui de contrariis rébus tantopere disputant, asseu-
« tior tiuic sententiœ : JSihit percipl passe (Acc. u). *»
(2) « Semper dUcentcs, et nunquam ad seientiam veritatis per-
« \enientes (II Tim. m, 7). Dicentea se esse sapientes, stulti facti
« sunt (Rom. H ) . »
320 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

rencontre que des débris ensanglantés. Partout où ils


sont passés, l'incrédulité les a suivis; l'incrédulité,
accompagnée elle, à son tour, du hideux cortège de
tous les malheurs publics. En sorte que partout où
l'on rencontre des sociétés bouleversées, des peuples
ayant fait bon marché de la foi, de la religion, du vrai
patriotisme, de l'honnêteté, de tout sens moral, aussi
bien que de leurs anciennes institutions, et même de
leur caractère, on peut dire, sans se tromper : « Les
philosophes incrédules sont passés par là. » Ils n'ont
pas même su inventer de nouvelles erreurs, et ils ont
méconnu les anciennes vérités qu'ils avaient trouvées
autour de leur berceau dans la société chrétienne où
ils ont vu le jour. Après avoir tout nié, ils ont fini par
se nier eux-mêmes. Leur intelligence a tout perdu en
perdant la foi ; elle n'est plus qu'un édifice converti en
ruines, ou un cadavre en proie à la corruption. Ecou-
tons l'un d'eux. C'est ce prêtre apostat qui, par la
froide impiété de sa mort, vient d'effrayer le monde
religieux autant qu'il l'avait étonné par son génie. Per-
sonne mieux que lui ne pouvait dire ce que devient
l'esprit humain quand la boussole de la foi ne le dirige
pas, et qui prétend saisir, par l'orgueil de la raison, la
Vérité infinie, qui a solennellement déclaré ne vouloir
se laisser trouver que par l'humilité de la foi (1). Voici
donc ce qu'il a dit de lui-même et de tous ses tristes
complices dans la guerre sacrilège qu'il a faite à la vé-
rité, dans un ouvrage posthume qu'on peut appeler

( l ) n Abscondisti hœc a sapientibus et prudenlibus, et revela&ti ca


« parvulis (Maiih. xi), »
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 321

LE TESTAMENT DU SCEPTICISME ET DU DÉSESPOIR : « Qui


« ne se sent aujourd'hui troublé en soi-même? Un
« voile livide enveloppe toutes les vérités; elles NOUS
« apparaissent comme le soleil pendant la tempête, à
« travers des vapeurs blafardes. Le cœur, inquiet,
« cherche sa foi, et il trouve je ne sais quoi d'obscur et
« de vacillant qui augmente ses anxiétés, une sorte de
« nuage aux contours vagues, aux formes indécises,
« qui fuit dans le vide de l'âme. Les désirs errent au
« hasard comme l'amour. Tout est terne, aride, sans
« parfum. Posez la main sur la poitrine de ces ombres
« qui passent, rien n'y bat. La volonté languit triste-
« ment faute d'un but qui tattire. On ne sait à quoi se
« prendre dans ce monde de fantômes... Quelque chose
« est : il y a donc quelque chose de vrai. Mais où trou-
« ver la vérité? Comment la reconnaîtreî Elle se joue
« dans les ténèbres de NOTRE esprit comme les rayons
« du soleil couchant dans les nuages qu'il colore de
« nuances infinies qui se mêlent et changent perpétuel-
« lement et s'affaiblissent jusqu'à ce qu'elles se pcr-
« dexit dans une nuit profonde,... Le philosophe, en ce
« moment, RÊVE qu'il sait, et le moment après, il ne
« sait pas même qu'il rêve. DÉRISION QUE TOUT
« CELA ET RAILLERIE AMÈRE! Et puis, comptez
« les larmes, les douleurs, les désespoirs, les crimes.
« Voulez-vous que je vous dise ce que c'est que le
« monde (pour des incrédules)? Une ombre de ce qui
« n'est pas, un son qui ne vient de nulle part et qui
« n'a pas d'écho, un ricanement de Satan dans le
u vide! O Dieu! il y a des temps où la pensée tue
« Vhomme (sans foi), et l'un de ces temps est venu
322 HOMÉLIE XII. — JÉSUSK1HRIST CHEZ MARTHE

« pour nous. C'EST VRAIMENT ICI L'ÈRE DE LÀ


« GRANDE TENTATION. »
Comparez, mes frères, cette horrible situation des
âmes tombées dans le vide que l'incrédulité leur a
créé, à la situation heureuse des âmes, comme la vôtre,
riches de la Vérité infinie dont la foi les a mises en
possession, et vous verrez si la doctrine de Jésus-
Christ : Que la parole de Dieu est / ' U N NÉCESSAIRE
pour l'esprit de l'homme, n'est pas une doctrine divine !

g 13. Par les mêmes paroles, le divin Sauveur nous a présenté Dieu
comme l'un N É C E S S A I R E pour le bonheur du cœur, pour la per-
fection du corps et de tout notre être, pendant la vie et après la
mort. — La parabole du richard, frappé de mort au moment où
il se complaisait dans les grands biens qu'il avait amassés. —
Qu'est-ce que thésauriser pour «ot, et ne se soucier aucunement
d'Hre riche *en Dieu. — Tout pécheur engage son âme au démon
qui la lui redemandera dans l'autre monde. — A quoi sert-il ga-
gner le monde si l'on perd son âme ?

Mais, en même temps, l'aimable Sauveur nous a


présenté aussi la possession de Dieu par la grâce ou
par l'amour, comme I'UN NÉCESSAIRE pour notre cœur.
Car il a dit à Marthe : Pourquoi vous donnez-vous tant
de sollicitudes, et vous troublez-vous tant au sujet de
plusieurs choses, tandis qu'il n'y a que ce dont Marie
se préoccupe qui soit nécessaire et parfait? Sollicita es
et iurbaris erga plurima. Porrounum est necessarium.
Maria optimam partem elegit.
Oh! que tout cela est instructif! Chaque mot ren-
ferme un grand sens. En effet, tout cœur qui se pas-
sionne des choses plusieurs ou des choses charnelles,
temporelles et terrestres, tant qu'il ne les possède pas,
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 323

est tourmenté par le désir, l'avidité, la rage de se les


procurer; Sollicita es. Lorsqu'il les possède, dés-
appointé de ne pas y trouver le bonheur qu'il s'en
promettait, il devient la proie d'ennuis, de mécon-
tentements, de regrets, d'angoisses, de remords sans
fin qui le bouleversent de fond en comble; 7 W -
baris; qui lui apprennent qu'il n'y a que ce qui est
éternellement et absolument UN, le Bien infini, Dieu,
qui lui soit homogène, qui lui soit nécessaire; Porto
UNUM EST NECESSARIUM, et que c'est ce qu'il
doit choisir de préférence et s'y attacher, pour être
heureux ; Optimam pariem elegit. Mais tant que
l'homme cherche hors de là sa félicité, il a beau mul-
tiplier ses occupations, ses amusements et ses plaisirs;
il a beau les changer, les varier dans tous les sens; il
trouve tout dur, insuffisant, abject, méprisable; tout
son être moral en est toujours en souffrance ; ses solli-
citudes ne cessent que pour faire place au trouble; le
trouble ne fait trêve qu'en présence de soucis inquiets
et de sollicitudes nouvelles; et, dans ce flux et reflux
de sollicitudes et de troubles, il n'a de repos qu'en
revenant au Dieu qu'il a abandonné (1). C'est ainsi
que, dans ces trois mots, SOLLICITUDE, TROUBLE, un
NÉCESSAIRE; Sollicita es, Turbans, Unum necessarium,
notre divin Maître nous a tracé l'histoire lugubre du
cœur humain.
Donc, Jésus-Christ disant à Marthe : Les PLUSIEURS
choses dont vous vous préoccupez voxts jettent dans T in-

( l ) « Versa et reversa, dura sunt omnia j et Tu solus requies


a (Saint Augustin). »
324 HOMÉLIE XII. —JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

quiétude et dans le trouble; tandis que Marie a bien


y
fait son choix, ne s attachant qu'à ^UNIQUE chose néces-
saire, c'est le Dieu Sauveur peiné, affligé, désolé de
voir tant d'hommes, tant de chrétiens qui, oubliant la
grandeur de leur origine et de leur destinée, poursui-
vent avec tant d'ardeur les choses périssables, les jouis-
sances matérielles, s'y enfoncent et s'y perdent. C'est
le Dieu Sauveur nous reprochant cet abus sacrilège que
nous faisons de toutes nos facultés, et tâchant de nous
en éloigner par la pensée du châtiment que cet abus
porte en lui-même. C'est le Dieu Sauveur nous aver-
tissant que, séparé de Dieu, notre cœur est hors de sa
condition naturelle, hors de Tordre nécessaire. Et tout
cœur hors de Tordre est son propre juge qui le con-
damne, son propre bourreau qui l'exécute (1). C'est le
Dieu Sauveur nous rappelant qu'en dehors de la voie
qui nous conduit à Dieu, au lieu du repos de la paix,
le vrai bonheur de l'âme, nous ne rencontrerons sur
notre chemin, comme Ta dit ailleurs l'Écriture, que la
douleur, la torture du cœur bien plus cruelles et plus
insupportables que toutes les douleurs et toutes les tor-
tures du corps, et le sentier de la paix nous sera tou-
jours fermé (2). C'est, en un mot, le Dieu Sauveur
nous indiquant que Dieu est le Bien infini, le Bien né-
cessaire, Yunique bien pouvant remplir, contenter
notre cœur et le rendre heureux.

(1) « Jussisti, Domine, et sic est, ut poena sua sibi sit omnis ani-
« musinordinatus (Saint Augustin). »
(2) « Contritio et infelicitas in viis eorum, et viara pacis non co-
a gnorcrunt (Psaî. xni, 3). »
OU i/UN NÉCESSAIRE, ETC. 325

En troisième lieu, il est dit dans l'Évangile que toutes


les fois que notre divin Sauveur se trouvait au milieu
de la foule que sa douceur et sa bonté attiraient auprès
de lui, tout le monde s'empressait de le toucher. Et sa-
vez-YOus pourquoi? Parce qu'une vertu divine, dit l'É-
vangéliste, sortait de son corps divin, se communiquait,
par le simple attouchement môme de ses vêtements,
à tous ceux qui, avec un sentiment de foi, posaient
leur main respectueuse sur lui, et guérissait toutes les
maladies du corps et portait la paix et le bonheur dans
l'âme; Et omnis turba quœrebai eum tangere, quia vir-
tus de Illo exibat, et sanabat omnes (Luc. vi). Que
t

voulez-vous? Il était Dieu. Sa divinité débordait donc


au dehors de son humanité, et formait autour de lui
une atmosphère divine dans laquelle on ne pouvait
entrer, et on ne pouvait respirer sans devenir meilleur
et heureux. Cela YOUS explique pourquoi Madeleine ne
s'est pas contentée d'écouter de loin la voix du Sei-
gneur, mais a voulu s'approcher de lui le plus possible,
et se tenait tout près de ses pieds divins. Ah! elle con-
naissait bien, par sa propre expérience, la vertu sancti-
ficatrice des influences divines qui jaillissaient de ce
divin corps et émanaient de cette humanité sainte!
Or, par le retour de ce divin Seigneur au ciel, cette
source de consolation et de grâce, à laquelle a puisé
Madeleine, ne s'est pas tarie dans notre terre.
Comme dans la sainte Eucharistie, qui fait la richesse,
la gloire, le bonheur de nos Églises, c'est le même Dieu
fait homme qui jadis s'est trouvé au milieu des Juifs,
q u i , sous les espèces sacramentelles, se trouve toujours
au milieu du peuple chrétien; il est certain q u e de
326 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

son divin corps glorieux et immortel sort, au moins,


la même vertu divine qui, comme on vient de le voir,
sortait jadis de son corps passible et mortel. Il est cer-
tain qu'il se forme aussi autour du Tabernacle, qui ren-
ferme le Pain divin descendu du ciel, une atmosphère
divine qui remplit, dirai-je, d'un parfum divin toute
l'église. Vous comprenez par là pourquoi, non-seule-
ment en approchant de la sainte Table avec les dispo-
sitions que cet acte sublime demande, mais en entrant
simplement dans une église et en y demeurant avec les
sentiments de foi et de respect que le lieu saint exige,
on se trouve meilleur et plus heureux que lorsqu'on
y est entré.
Jésus-Christ louant donc encore comme très-sage et
très-heureuse la pensée de Madeleine d'être allée s'éta-
blir si près de lui ; Maria optimam partent elegit ; c'est
Jésus-Christ nous apprenant combien il nous importe,
à nous aussi, de nous approcher même corporellement
de lui par la fréquentation de ses sacrements, par les
visites que nous pouvons lui rendre dans les églises et
par les exercices du culte. C'est Jésus-Christ nous ré-
pétant ce qu'il nous avait dit ailleurs : « Venez à moi,
« vous tous qui êtes en travail, qui ployez sous le poids
« des misères de la vie, et je vous ranimerai. Prenez
« sur vous le joug de ma religion, de ma loi, de mon
« culte, et apprenez de moi, que je suis doux et
« humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos
u âmes. Car mon joug est doux, et mon fardeau est
a léger (1). » C'est Jésus-Christ nous avertissant qu'en

( l ) « Venite ad me omnes qui laboratis, et oneraU estis, et ego


ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 327

nous livrant au monde et à nos passions, en nous ren-


dant malheureux, nous profanons notre corps aussi
hien que notre âme, nous dégradons l'un et l'autre,
nous leur préparons l'ignominie, la corruption et la
mort; et que Dieu, la sainteté infinie, est le seul objet
nécessaire, le seul objet où nous pourrons trouver la
sanctification, la perfection, l'incorruptibilité, la vie
de notre àme, de notre corps, de tout notre être.
Enfin, le Fils de Dieu n'a loué la part queMadeleine
avait eu la sagesse de choisir, que parce que cette part
ne pouvait lui être ôtée; Optimam partem elegit, quœ
non auferetur ab ea. Mais ç a été évidemment blâmer,
flétrir l'erreur de ceux qui, au contraire, choisis-
sent des parts qui peuvent leur être ôtées; c'est-à-dire
qui s'attachent à la Yie et aux choses de ce monde, qui
plus tard leur seront enlevées par la main inexorable-
ment rapace de la mort.
Une autre fois, ce divin Sauveur avait raconté au
peuple cette parabole : « Il y avait un richard dont le
champ avait rapporté beaucoup de fruits ; et il se disait à
lui-même : « Mon âme, tu as des biens immenses amassés
pour de longues années; repose-toi donc, mange, bois,
fais bonne chère. » Mais, pendant qu'il faisait ces cal-
culs, Dieu lui fit entendre une voix qui lui dit : Insensé,
cette nuit même on te redemandera ton àme ; et ce que
tu as amassé, à qui sera-t-il?S7ufte, hac nocte, ani-
mam tuam répètent a te; quœ autem parasti } cujus

« reficiam vos. Tollite Jagum meum super vos, et discite a me, quia
* mitis sum et humills corde, et invenietis requiem animabus vestris.
< Jugum enim meum suave est, et onus meum levé {Matth. n). »
328 HOMÉLIE XII, — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

erunt (Luc., xn) ? Et en effet, étant mort la nuit même,


il se trouva dans un instant dépouillé de tout, et tous
ses biens ne lui servirent à rien. « Ainsi en sera-t-il,
« ajouta le Seigneur, ainsi en sera-t-il de quiconque
« thésaurise pour soi, et qui ne se soucie point d'être
« riche pour Dieu; Sic est qui sibi thésaurisât et non
te est in Deum dives (Ibid.). »
Or, c'est, en termes différents, ce même avertisse-
ment que oous a répété notre divin Maître, en louant
Madeleine de s'être procuré ce qui ne peut pas lui être
ravi. C'a été nous dire : Vous tous qui suivez avec tant
d'ardeur les choses de ce monde, sachez bien que, lors-
que vous vous y attendrez le moins, elles YOUS seront
arrachées des mains. De vos richesses, vous n'empor-
terez pas un liard dans l'autre monde. Vos distinc-
tions et vos titres seront enterrés dans votre tombeau;
de vos plaisirs, il ne vous restera que d'inutiles regrets
et de cuisants remords. Thésauriser pour soi, c'est donc
ne se ménager aucun trésor, c'est travailler à sa propre
misère. Il n'y a que le mérite des bonnes œuvres, si
vous en avez fait, dont vous ne pourrez jamais être
dépouillés. C'est la seule richesse que la main de la
mort respecte. Tâchez donc, à l'exemple de Madeleine,
de vous la procurer. C'est être riche de Dieu et pour
Dieu; c'est être riche, de la richesse qui ne périt ja-
mais; Optimam partem elegit, quœnon auferetur ab ea.
Mais remarquez encore, mes frères, que, dans la pa-
rabole que je viens de rappeler, il a été dit au riche
voluptueux : On te redemandera ton âme. Oh! que la
signification de cette parole est grande, affreuse! Elle
signifie qu'en nous livrant au péché, qui est l'œuvre
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 329

de Satan, nous accomplissons les désirs de Satan, et


par cela même nous devenons, sans nous en douter,
— Jésus-Christ Ta dit, — les enfants de Satan; nous
engageons notre âme à Satan (1)-, nous lui créons de
vrais droits, des droits légitimes sur elle. Ainsi, il nous
l'aurait demandée pendant notre vie, et cédant à ses sug-
gestions, parla perpétration du mal, nous la lui aurions
destinée, nous la lui aurions promise. A notre mort, c'est
donc lui qui nous la redemandera, qui la réclamera,
au divin tribunal, comme sa propriété, et le moyen,
hélas! qu'elle puisse lui être refusée. Si la mort nous
surprend donc avant que nous ayons rescindé, par la
pénitence, cet ignoble, cet affreux contrat, nous serons
dépouillés non-seulement de tous nos biens terrestres,
mais encore de notre âme ; Animam tuam répètent a te.
Elle ne nous appartiendra plus; elle sera adjugée à
Satan ; elle nous sera ôtée, et nous l'aurons perdue
comme tout le reste et avec tout le reste.
Jésus-Christ exaltant Madeleine d'avoir choisi ce qui
ne lui sera ôtè, est donc encore Jésus-Christ nous
exhortant à ne pas nous exposera ce qu'un jour Satan
puisse réclamer notre àme comme ne nous appartenant
plus, comme n'appartenant qu'à lui, et comme une
chose que nous aurons irréparablement perdue! C'est
Jésus-Christ nous répétant cette grande sentence qu'il
nous a prèchée ailleurs : A quoi sert-il à l'homme de
gagner le monde entier, s'il perd son àme? et quelle
chose l'homme peut-il donner en échange pour racheter

(i) « Vos ex pâtre diabolo estis : desidcria ejus vultis perficere


« {Joan vin, 44). »
330 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

son âme perdue (1)? C'est Jésus-Christ n o u 6 engageant


à vivre de manière à ce que nous puissions, selon l'ex-
pression du Prophète, garder toujours notre âme dans
nos mains (2), en disposer en maîtres, et la déposer
un jour dans le sein du Dieu où seulement elle sera en
sûreté, où seulement elle sera libre de la liberté de Dieu
et heureuse de sa félicité; Optimam partem elegit, quœ
non auferetur ab ea. C'est Jésus-Christ enfin nous indi-
quant Dieu comme notre unique objet nécessaire non-
seulement pendant la vie, mais, à plus forte raison,
après la mort.
Mais, comme nous venons de le voir, posséder Dieu,
Vérité infinie, par la foi ; posséder Dieu, Bien infini,
par l'amour de Dieu et du prochain ; posséder Dieu,
Perfection et Sainteté infinies, par la pratique du culte
et des sacrements, afin de pouvoir posséder Dieu, Bien
éternel par la vie éternelle, ce sont les œuvres, c'est
la condition de tout vrai serviteur de Dieu ; Liberaii
a peccato, servi facti Deo, habetis fructum vestrum in
sanctificationem, finem vero vitam œternam* Donc,
en nous prêchant, par son admirable discours chez
Marthe et Madeleine, la nécessité, l'importance d'une
telle condition, de telles œuvres, Jésus-Christ nous a
montré la nécessité et l'importance du service de
Dieu. Mais ce n'est pas tout : il nous en a, dans le
même discours * montré la récompense aussi qui est

(1) « Quid prodest homini si mundum universum lucretur, ani-


« mse vero suse detrirhentum patiatur ? Aut quam dabit bomo com-
i mutationem pro anima sua (Matth* xvi) ? »
(2) « Anima mea in manibus meis semper (Psal. c x v m , 81). »
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 331

Dieu LUI-même. Et c'est ce qui nous reste enfin AVOIR.


Mais je ne serai pas long sur ce dernier point.

TROISIÈME PARTIE.

LA RÉCOMPENSE DU SERVICE DE DIEU.

g L4. Toute la vie de la Madeleine, après sa conversion, se résume


dans cette parole du Cantique des cantique : Mon bien aimé est à
mot*, et mut je suis à lui. —Grâces et constations par lesquelles
Jésus-Christ récompensa le dévouement de Madeleine. — Ce divin
Sauveur n'acceptait l'hospitalité de ses serviteurs que pour a p -
porter chez eux le salut. — L a Madeleine assise aux pieds du S e i -
gneur; ce qu'elle a gagné par son humilité.

L E mystère de la vie spirituelle est tout entier dans


cette parole de l'Epouse des Cantiques : « Mon Bien-
Aimé est à moi, et moi je suis à lui-, Dilecius meus
mihi, et ego illi (Cant.u, 16). » Dès l'instant où, attirée,
conquise par la grâce, l'àme humaine se donne toute
à Dieu, Dieu se communique, se donne tout à elle : et,
comme Ta dit saint Paul, Dieu et l'àme s'unissent
d'une manière si intime et si parfaite que ce ne sont
plus deux esprits, mais un seul; Qui adhœret Do-
mino, unit s spiritus est ÇLCor. vi, 17,).
De Marie-Madeleine, à peine convertie, le Seigneur
lui-même a dit tout haut : « Elle a aimé beaucoup,
Dilexit multum (Luc. vu). » Ce qui, dans le style
des Livres saints, signifie : « Elle a aimé sans division,
« sans partage de son cœur purifié et sanctifié par la
« pénitence ; elle a aimé intimement, uniquement, so-
« lennellement Dieu ; elle s'est livrée toute à Dieu. En
332 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

« sorte qu'elle put dire dès lors en toute vérité avec


« l'Epouse sacrée : « Je suis à mon Bien-Aimé; Ego
« Dilecto meo (Caniic. vi, 2). » Mais en même temps
le Dieu qui ne se laissa certainement pas vaincre, en
libéralité, par sa créature, se communiqua à son esprit
et à son cœur avec une telle abondance de lumières
et de grâces, que de ce moment même elle put ajou-
ter aussi : « Et mon Bien-Aimé est à moi; Et ad me
conversio ejus (Ibid.). » Et cet échange d'un dévoue-
ment toujours plus héroïque de sa part, et de récom-
penses toujours plus larges de la part du chaste Epoux
des âmes pures et parfaites, se continua toujours dans
le cœur de Madeleine ; de manière que la mystérieuse
parole : Mon Bien-Aimé esta moi, et moi je suis à
lui; Dilectus meus mihi, et ego illi, c'est l'histoire
complète de sa vie (1).

( i ) On ferait un beau panégyrique de sainte Marie-Madeleine,


en choisissant ce texte, et en exploitant cette pensée. On en trouve-
rait les matériaux tout prêts, dans ce même ouvrage, dans l'Homé-
lie sur Y Amour pénitent (tom. I, pag. 36 i ) , et dans celle du Bon-
heur des Petits (tom. Il, pag. 6 5 ) . Car il est certain, d'après la
tradition toute vivante encore dans le midi de la France, et surtout
d'après la croyance de l'Église, qui ne se trompe pas, et qui a ex-
primé cette croyance dans la liturgie de la fête de cette Sainte :
Que la Pécheresse de l'Évangile, Marie sœur de Marthe et de La-
zare, et enfin, Marie-Madeleine, dont il est si souvent question dans
le récit de la Passion et de la Résurrection du Seigneur, ne sont pas
trois Saintes différentes, mais ce sont cette unique et même S A I N T E
M A R I E - M A D E L E I N E P É N I T E N T E , dont on célèbre la féte le 22 du mois de

juillet. Quant à l'objection qu'on fait que le Fils de Dieu n'aurait


jamais consenti à être reçu dans la maison d'une femme, jadis
si fameuse par le désordre de ses mœurs, ce n'en est pas une ; puis-
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 333

Vous comprenez donc ce qui se passait invisible-


ment dans la maison de Marthe, pendant que visible*
ment Jésus-Christ parlait, et que Madeleine, humble-
ment assise à ses pieds, écoutait sa divine parole. Elle
était là, lui renouvelant avec des transports toujours
plus ardents l'offre de son cœur embrasé de la flamme
du céleste amour, et le Seigneur l'en récompensait, en
répandant sur elle d'une manière plus abondante ses
ineffables faveurs. Car notre aimable Sauveur donnait
à tous ceux qui lui étaient dévoués infiniment plus
qu'il n'en recevait.
D'abord, le Fils de Dieu, dit saint Augustin, ayant
volontairement pris par son Incarnation la forme du
serf, comme s'exprime saint Paul, a eu besoin, dans
cette forme, d'un aliment terrestre et s'est laissé nourrir
par ses propres serviteurs. Mais c'était moins par néces-
sité de sa nouvelle condition que par une expansion de
sa bonté; car, assujetti à avoir faim et soif parce qu'il
avait un corps vraiment humain, c'était toujours le
même Jésus que les Anges se firent une gloire de ser-
vir lorsqu'il eut faim dans le désert; et, étant Dieu,
c'était lui-même qui fournissait à ces âmes choisies, à
ces serviteurs heureux de le nourrir, ce dont il voulait
être nourri. En sorte qu'au fond ils ne le nourrissaient
que de ses propres dons(l).

que cette même femme était devenue plus célèbre encore par la
sincérité et l'éclat de sa conversion.
(O « Accepta forma servi, in illa pasci voluit, dignatione, non
« conditione. Habebat carnem in qua esuriret et sitiretj s e d , in
« eremo, esurienti Angeli ministrabant. Ergo, quo pasci voluit, pas-
« centi prœstitit (loc. cit.). »
334 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

En second lieu, il rémunérait par des grâces spiri-


tuelles, valant autant que Dieu lui-même, la bonne
volonté avec laquelle ses serviteurs mettaient à sa dis-
position leurs biens temporels. Ainsi, s'il acceptait
volontiers l'invitation à se rendre dans quelques mai-
sons; si quelquefois il y allait sans y avoir été invité, et
même en s'y invitant lui-même, c'était, d'après une
excellente expression de saint Ambroise, parce qu'il
savait bien qu'il avait de quoi payer largement l'hospi-
talité qu'il y recevait (1) ; c'était parce que son cœur
de Sauveur éprouvait le besoin de porter dans ces mai-
sons les grâces du salut (2). Ce qui arrivait en effet :
témoin Zachée le Puhlicain, qui devint un saint (3), et
Matthieu l'Usurier, qui sechangea en Apôtre {Matih.w),
immédiatement après avoir reçu dans leurs maisons le
Dieu Sauveur.
Ainsi donc, si Jésus-Christ a daigné accepter d'être
reçu chez Madeleine, c'est moins, dit saint Augustin,
pour recevoir d'elle une nourriture corporelle que

( 1 ) « Sciebat enim uberem hospitii sui esse mercedem {In


« cap. x i i ; lue., lib. vin). »
(2) Le divin Sauveur avait à peine mis le pied dans la maison de
Zachée, chez qui il s'était invité lui-même, que cet homme se dé-
clara converti; et le Seigneur put dire : « Cette maison a R E Ç U A U -
« JOURD'HUI L E S A L U T . . . Car le FILS D E L'HOMME est venu chercher et

« sauver ce qui avait péri ; Bodïe talus domui huic fada est... Ve-
« nit enim Filius Hominis quœrere et salvum facere quod perie-
« rat [Luc. xix). »
(3) Ce Zachée, après l'Ascension du Seigneur, fut sacré évéque
de Céèarée par l'apôtre saint Pierre. Son nom se trouve au Martyro-
loge, parmi les noms des Saints.
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 335

pourlui donner lui-même une nourriture spirituelle (4 ).


Et c'est ce qui a eu lieu véritablement, poursuit le
même Père. C'est pourquoi pendant que Marthe était
occupée à préparer un repas humain au Seigneur, Marie
goûtait déjà les délices du repas divin du Seigneur (2).
Nous venons de voir que, par le renouvellement de
toutes ses promesses d'être toujours au Seigneur,
Marie lui offrait un mystérieux repas, le repas le plus
agréable à son divin cœur, dont l'aliment propre est. la
sanctification et le salut des âmes. Or, pour l'en ré-
compenser, Jésus-Christ rendit à Marie repas pour
repas. Et elle y participait, dit encore saint Augustin,
d'autant plus largement que son attitude était plus
humble. Car elle était assise aux pieds du divin Maî-
tre, et les faveurs célestes ne descendent en abondance
qu'au sein de l'humilité, et sont refusées à l'orgueil :
comme les eaux ne confluent que dans les vallées et
laissent arides les montagnes (3). C'était, dit toujours
le grand évêque d'Hippone, la même position que,
dans un sentiment profond de sa bassesse et de son
indignité, avait choisie la Chananéenne (Voy. Hom. i).
Marie, demeurant assise, comme nous la présente l'É-
vangéliste, tout près des pieds du Seigneur et écou-
tant en silence sa parole; Sedebat secus pedes ejus, et
audiebat verbum illius, c'est Marie se tenant, comme

(1) « Suscepit spiritu pascenda in carne pascendum {toc. cit.). »


(2) « A Martha convivium Domino parabatur, in cujus convivio
« Maria jucundabatur {Ibid.). »
(3) « Quanto hic m e l i u s a d pedes sedebat, tanto amplius capie-
« bat; coniluit enim aqua ad humilitatem convallis, denatat de tu-
« moribus collis {Ibid.). »
336 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHHIST CHEZ MARTHE

une petite chienne, sous la table mystérieuse que le


Fils de Dieu avait dressée à son tour dans cette maison
fortunée, table si riche de mets célestes; c'est Marie
heureuse de pouvoir ramasser les plus petites miettes
de la parole divine (1).
Mais sa profonde humilité valut à la Chananéenne,
de la part du Fils de Dieu, le grand honneur d'être
appelée sa « fille »; Confias, filia, et de s'asseoir,
comme sa fille chérie, à la môme table que le Seigneur,
elle qui se croyait à peine digne de rester, comme une
pauvre petite chienne, sous la table du Seigneur! Il
en a été de même de Madeleine. Pour la récompenser
d'avoir choisi pour elle la position la plus humble, le
divin Sauveur réleva à la place la plus distinguée ; Opti-
mam pariera elegit] il la fit asseoir à sa table divine, à
son côté, comme sa fille bien-airnée, elle qui à peine
se croyait digne de rester à ses pieds comme la der-
nière de ses servantes.
Là, dit saint Augustin, pendant que Marthe, sa
sœur, était dans la sollicitude et dans le trouble, elle
était dans le calme, dans une extase de joie, dans le
bonheur d'un festin céleste avec son Dieu. La divine
parole, aussi douce que sublime, qu'elle écoutait de
ses oreilles, mais qu'elle était avide de recueillir dans
son cœur, remplissait ce cœur, le rassasiait de cette
suavité céleste que l'âme seule est capable de goûter,
et dont la saveur spirituelle fait oublier toutes les jouis-
sances du corps (2).

(1) c De illa mensa Domini opulenta, de verbo Domini mic;ts


c colligebat {Ibid.). »
(2) Comme Madeleine, ainsi qu'on -vient de le voir, tout on
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 337

Mais ce bonheur de Madeleine ne cessa pas avec la


visite que le Fils de Dieu lui fit chez elle. Cette grande
pécheresse, que Y amour pénitent avait transformée en
fille bien-aimée de Dieu, continua pendant toute sa
vie à s'asseoir à la table de son céleste Père. Rien ne
put lui ravir ce bonheur sur cette terre, et rien ne
pourra jamais le lui faire perdre depuis qu'elle en est
en possession dans le ciel; Optimam partem elegit,
quœ non auferetur ab ea(l).

a p p l i q u a n t à écouter la parole du Seigneur, a partagé le mérite de


l'activité de Marthe, de même Marthe, tout occupée de préparer une
nourriture corporelle au Seigneur, n'en voyait pas moins en lui celui
qu'elle avait proclamé le Messie et le Fils du Dieu vivant, venu
au monde pour le salut du monde. Son œuvre n'en était pas moins
un acte de fol et de religion sublime rendu à Dieu, et conséqurm-
ment Marthe n'en a pas moins partagé le mérite de la contempla-
tion de Madeleine. Ayant donc participé au même mérite, les deux
sœur3 ont obtenu la même récompense. Marthe aussi, après avoir
goûté ici-bas, comme sa sœur, les ineffables délices de l'àme unie à
son Dieu par la grâce, est allée jouir, elle aussi, en compagnie
de sa sœur, du bonheur de l'àme possédant Dieu par la gloire. Dans
une Vie très-ancienne de sainte Marthe, il est raconté que Jésus-
Christ, lui ayant apparu au moment de sa mort, lui d i t : « Venez,
mon hôtesse bien-aimée, venez avec moi; vous méritez bien, vous
qui m'avez reçu dans votre maison terrestre, que je vous reçoive, à
mon tour, dans ma maison du ciel ; Veni, hospita mea dilectissima;
quia, sicut tu me in domum tuam recepisti, sic ego te in cœlum
meum recipiam. » Voyez aussi ce que, dans notre ouvrage sur la
Femme catholique (tom. I, partie n«, § 4), nous avons dit de l'apos*
tolat exercé par sainte Marthe dans le midi de la France.
(1) « Illa turbabatur, ista epulabatur. Suaviter audiebat verbum
c dulcissimum, et corde intensissimo pascebatur. Mira suavitate
« tenebatur, quaeprofecto major est mentis quam ventris (Ibid.) »

n. 22
338 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

g 15. Les récompenses de Madeleine sont la figuïe des récompenses


auxquelles doivent s'attendre les fidèles serviteurs de Dieu. — Le
mot PART de l'Évangile signifie qua Dieu est l'héritage de
l'homme JUSTE. — Paix Intérieure dont Dieu lui fait don. — II
excite l'envie dès mondains. — Le bonheur de la conscience inno*
cente préférable à toutes les richesses de la terre.

Or, dans sa vérité historique, tout cela est mysté-


rieusement prophétique. C'est la figure de la récom-
pense à laquelle doit s'attendre l'homme juste uni-
quement jaloux d'écouter la parole de Dieu et de
l'accomplir. Il n'aspire qu'à l'honneur d'être le plus
humble de ses serviteurs, et Dieu en fait son ami (1),
Bon enfant (2) et son frère (3), le traite et le chérit
comme tel.
Et c'est cette récompense du service de Dieu, que
Jésus-Christ nous a montrée aussi par ces deux mots :
« Marie a choisi la meilleure part qui ne lui sera point
« ôtée. » Car, « la meilleure part, Optimam parlent, »
signifie non-seulement ce qu'il y a de plus parfait dans
l'ordre des actions, mais aussi ce qu'il y a de plus riche
dans l'ordre des avantages, des profits et de la récom-
pense.
Remarquez, mes frères, que le mot «part, partent*»
dans les Livres saints, se rapporte à Dieu comme étant
l'héritage de l'homme juste. Car le Prophète a dit ;
« Le Seigneur est la PART de mon héritage ; Dominus
PARS hœreditaiis mea* (PsaL xv, 5) ; » et encore : a Et

(1) « Jam non dïcam vos servos, sedamicos(./ban. xv, 15). »


(2) « Dedlteis potestatem Ûlios Del tleri ( J o a n . !, 12). »
(3) « lté. nuntiate fratribus meis (Matth. xxviu, 10). >
oc L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 339

ma PART c'est Dieu pour toute l'éternité \ Et mea


PARS
Deus in (Sternum (Psal. xxn, 26). » En disant donc que
l'homme qui s'attache au service de Dieu, comme Made-
leine, choisit la meilleure part, le divin Maître a voulu
dire que la récompense de tout vrai serviteur de Dieu
c'est de posséder en héritage Dieu lui-même. Or, qui
pourrait jamais dire la richesse, le bonheur d'un pareil
héritage qui, d'après l'expression du Seigneur, indéter-
miné quant au temps, et s'accomplissant dans tous les
temps, commence ici-bas? Qui pourrait jamais dire les
délices ineffables que Dieu répand dans l'àme juste
qui le possède ici parla grâce, en attendant de pouvoir
le posséder au ciel par la gloire, et que le divin Sau-
veur nous a promis par cette grande parole : Marie a
choisi la meilleure pari ? C'est, mes frères, cette manne
cachée dont, d'après l'Écriture, la douceur ne peut être
expliquée par des mots, ni être comprise que par ceux
qui la goûtent ; Manna absconditum, quod nemo scit
nisi qui accipit (Apoc. n, 17). Essayons cependant
d'en dire au moins quelque chose.
Tout est dans un ordre parfait dans l'homme possé-
dant Dieu et que Dieu possède. La raison est en lui
subordonnée à la foi, le sentiment au devoir, les pas-
sions à la raison, l'àme au corps, la nature à la grâce,
les exigences du monde aux lois de Dieu ; et dès lors il
jouit de la paix. Car la paix n'est, dit saint Augustin,
que la tranquillité de l'ordre ; mais cette paix de Dieu,
dit saint Paul, est infiniment au-dessus de toutes les
jouissances sensibles ; Pax Dei exusperat omnem sen-
sum (Philip, iv, 7), C'est aussi cette paix dont le Pro-
phète dit : Oh! qu'elle est grande, Seigneur, la paix
340 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

qu'éprouvent ceux qui aiment votre loi ! Il n'y a pas de


pierre d'achoppement qui puisse la leur faire perdre ;
Paz muliadiligentibus legem iuam\ et non est illisscan-
dalum (Psal. cxvm, 165). Et, en effet, l'injustice des
hommes a beau attenter à la fortune, à la santé, à la li-
berté, à la réputation, à la vie du vrai chrétien, elle ne
peut pas le dépouiller de cet ineffable don de Dieu, la
paix de l'âme. C'est donc vraiment le meilleur des biens
du ciel, optima pars, que rien de terrestre ne peut
atteindre; quœ non auferetur ab eo.
Comme les hérétiques envient bien souvent le sort
des humbles enfants de l'Église, les pécheurs envient
bien plus souvent encore celui des justes. Rien qu'à
les voir, ils en sont étonnés, humiliés , confondus , et
sentent que quelque chose d'essentiel à l'homme leur
manque. Le calme habituel, la sérénité inaltérable, la
joie naïve et ce je ne sais quoi de puretde doux qui, du
cœur du vrai chrétien, se traduisent sur sa figure; qui
lui donnent un air, une expression qui n'a rien de ter-
restre et d'humain, et sont le rayonnement, l'auréole
sensible de la Grâce et de la vertu ; toutes ces choses-
là, dis-je, frappent le mondain et lui arrachent de pro-
fonds regrets, d'involontaires soupirs. «Oh! quelle
âme, dit-il, que celle-là! Pourquoi ne suis-je pas
comme elle? Oh! qu'elle est heureuse la condition de
l'homme, dont Dieu est le seul Seigneur, le seul maître,
le seul Dieu; Beata gens cujus est Dominus, Deus
ejus (Psal. XXXIJ, 12)! »
Cependant qu'est-ce que l'œil grossier, l'œil ma-
lade de l'homme du péché découvre dans l'homme
juste, pour le lui faire regarder avec ces sentiments
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 341

d'admiration et d'envie? C'est à peine un pâle reflet,


un faible indice de ce qu'il est dans son intérieur. Oh!
s'il pouvait pénétrer dans le sanctuaire d'une con-
science pure, où la foi et la justice du chrétien reçoivent
déjà les prémices de leur récompense, dans le calme
intérieur qu'elles lui procurent, dans le contentement
secret qu'elles lui inspirent !
Oh! hommes du monde, qui ne parlez que des plai-
sirs que le monde vous offre , que vous êtes insensés!
Y a-t-il des plaisirs sur cette terre qui ne soient que de
la boue en comparaison des plaisirs de l'innocence ?
L'àme en état de grâce avec son Dieu n'est-elle pas,
l'Écriture nous l'a dit, dans un festin continuel; Secura
mens quasi juge convivium(Prov. xv, 15)? Les larmes
même du repentir, disait saint Augustin, qui en avait
fait l'expérience, ne l'emportent-elles pas en douceur
sur toutes les jouissances du péché? Et les épines
mêmes d e k pénitence ne cachent-elles pas d'ineffa-
bles délices (1)? La vie de mortification et de sacri-
fice du vrai chrétien , son éloignement du monde, son
recueillement, son silence, sa modestie, sa réserve,
ne sont-ils pas plus féconds en vraies consolations que
tous les amusements du monde ? Sa vie , aux apparen-
ces mélancoliques et sérieuses, n'est-elle pas au fond
une vie vraiment heureuse? N'est-il pas mille fois plus
satisfait des privations auxquelles il se condamne pour
l'amour de Jésus-Christ, que les hommes du siècle
ne le sont de toutes les jouissances coupables aux-

( l ) « Dulciores mihi lacrymœ pœnitentiae quam gaudia theatro-


« rum (Con/w.). »
342 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

quelles ils s'abandonnent? Ah! est-ce un petit avan-


tage que celui de se conserver humble dans la grandeur,
maître de soi-même dans la prospérité, résigné dans
les tribulations, pur au milieu du contact du siècle ?
Est-ce une félicité insignifiante que celle de pouvoir
dire : J'espère être en grâce avec mon Dieu ? Ma con-
science ne me fait aucun reproche. Aidé par la grâce,
je suis en règle avec mes devoirs. Me confiant toujours
en Dieu, dont j'implore sans cesse le secours par la
prière, dont je reçois des grâces toujours nouvelles
dans les sacrements , si je vis , je ne pèche pas; si je
meurs, je me sauve. Ma vie, si Dieu me la prolonge en-
core, ce n'est qu'un accroissement de mérite ; ma mort,
s'il veut me l'envoyer dans l'instant même, ne fera
que m'ouvrir les portes de l'éternel bonheur.

§ 16. Récompense que les serviteurs de Dieu obtiennent après leur


mort. — I l s possèdent Dieu, et comme la séparation de Dieu c'est
l'enfer, la possession de Dieu est le paradis. — Le bonheur du
ciel n'est complet que parce qu'il est éternel. — Ce que le chré-
tien doit répondre au monde cherchant à l'éloigner du service de
Dieu. — Exhortation à servir Dieu avec confiance et fidélité.

Je ne reproduirai pas ici le tableau que je vous ai


tracé autrefois (i?omé/. III, § 13-14) des charmes, des
douceurs de la mort des Justes, que notre divin Sauveur
lui-même a comparée au sommeil si calme, si heureux
de l'enfant s'endorraant au sein de sa mère, de l'inno-
cence dans les bras de l'amour. Je dirai seulement que
comme la mort ae change pas, mais empire au su-
prême degré et rend irrévocable la situation du pé-
cheur; de même elle ne change pas, mais améliore
infiniment et rend définitive la situation du Juste. L'âme
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 343

vivant dans le désordre du péché, n'appartient pas à


Dieu, est séparée de Dieu (1) ; elle ne fait point partie
du peuple de Dieu (2), et, en un mot, elle est morte
pour. Dieu (3) ; car, comme le corps ne vit que par son
union avec l'àme, l'àme elle-même ne vit que par
son union avec Dieu. Or, si le pécheur néglige pen-
dant cette vie de ressusciter à Dieu par son retour à la
grâce; s'il se laisse surprendre par la mort dans cet
état où il s'est placé lui-même, en dehors de la société
de Dieu, il y reste pour toujours ; et de là il est éter-
nellement damné : car la damnation n'est autre chose
que la séparation, la perte éternelle de Dieu. De même
l'âme juste est l'àme toute à Dieu par l'amour» comme
Dieu est tout à elle par la grâce (4) *, est l'âme unie inti-
mement à Dieu et im faisant qu'un avec l'esprit de
Dieu (5), est l'âme disant partie de la famille des en-
fants de Dieu (6), est l'âme, en un mot, vivaut à Dieu
et en Dieu par Jésus-Christ (7). La mort donc la trou-
vant dans cet état de société avec Pieu, l'y laisse ; car
elle n'a pas la puissance de briser les liens de la cha-
rité qui unissent cette âme à Dieu (8). Et de Jà elle est

( I ) « IniquHatesvcÊtrsediviserunt inter me et vos (Isal. i â k , 2). »


« Vos non populus meus et ego non ero vester (Oseei, 10). »
(3) « Anima quze peceaverit, ipsa morietur (Levlt* vi, 2). »
(4) « Dilectus meus mini et ego 111,1, (Cant. n, 16),
(5) * Qui adhaeret Domino, unns spiritus est. (I Cor. vi, 17).
(6) « Jam non dicam vos servos, sed amicos (Joan* xv, J5).
« Cum sint filii Dei (Ibid.). »
(7) « Viventes autem Dco, in Christo Jesu (Rom. vi, « ) . »
(8) « .Neg#e œor$ poterit nos separare a charitate Dei (Rom* v m ,
35) «
344 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

éternellement sauvée : car le salut n'est autre chose


que l'union, la possession éternelle de Dieu (1).
Ainsi, en mourant, le juste ne fait que passer de la foi
à la vision, de l'espérance à la possession, de la charité
aux noces éternelles de Dieu. Elle verra face à face ce
même Dieu qu'ici-bas elle ne voyait que dans le miroir
des créatures, enveloppé dans l'énigme d'un incompré-
hensible mystère (2). Elle contemplera à face décou-
verte la gloire du Seigneur, et par là elle se trouvera
transformée en une image parfaite du Dieu qu'elle con-
temple (3). Car il n'est pas possible, dit saint Jean, de
voir Dieu comme il est vraiment en lui-même, sans lui
devenir parfaitement ressemblants (4), sans le recevoir
en nous, sans nous identifier à lui, en conservant dans
toute sa perfection l'individualité de notre être.
Hors de ce monde il n'y a, je le répète, d'autre bien
que Dieu, il n'y a de bien qu'en Dieu et avec Dieu. En
perdant Dieu, l'âme qui part de ce monde défigurée par
le stigmate du péché et que le péché empêche de s'unir
à Dieu, perd aussi tout bien*, elle n'a plus de bien
d'aucune sorte. Par contre-coup elle se trouve en
proie à toutes les privations, à tous les maux-, la priva-
tion de Dieu et le mal qu'elle a choisi par le désordre de

(1) « Et sic semper cum Domino erimua (I Thess, iv, 16). »


(2) * Videmus nunc per spéculum in enigmate, tune autem
« facie ad faciem(I Cor. x m , 12). »
(3) • Nos autem, revelata facie, gloriam Domini spéculantes, in
« eamdem imaginem transformamur (II Cor. m, 18). »
(4) « Cum apparuerit, similes ei erimus, quia videbimus eum si-
« cuti est ( I Joan, m, 2). »
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 345

sa volonté sera son châtiment et deviendra son partage;


et c'est l'enfer. Au contraire l'âme, sortant de ce monde
le front orné du THAU (1) mytérieux de l'Agneau divin,
revêtue de la robe nuptiale de la grâce, qui lui donne
un titre à la filiation, à l'héritage, à la possession de
Dieu, en possédant Dieu évite tout mal ; car il n'y a
pas de mal possible avec Dieu; elle possède tout bien;
car tout bien est en Dieu. Il n'y a pas de mal qui
puisse l'atteindre, il n'y a pas de bien qui puisse lui
manquer. Elle se trouve remplie, selon la belle ex-
pression de saint Paul, de toute la plénitude de Dieu
même (2). Elle se trouve dans un état parfait, parce
que c'est l'état de la réunion de tous les biens (3);
et c'est le Paradis.
Dans le temps, passer une portion de la vie dans la
douleur ou dans la joie est une peine, ou une récom-

(1) On fait allusion ici à la vision d'Ëzéchiel, dans laquelle il fut


dit aux Anges ministres de la vengeance céleste : « Épargnez tous
ceux sur le front de qui vous verrez le THAU ; Omnem autem super
guem vtdehtis THAU, ne occidatis (Ezecn. ix, 6). Ce Thau n'est que
le signe de la Croix, le signe du Sauveur. Cette vision est donc la
figure et la prophétie de ce qui arrivera au jugement dernier, où les
Élus qui auront, sur leur front, le signe de la Croix, seront les seuls
sauvés du châtiment universel. C'est à quoi se rapporte aussi cette
voix prophétique qu'entendit saint Jean dans son Apocalypse : € Ne
« nuisez point à la terre ni à la m e r . . . . jusqu'à ce que nous ayons
« empreint le SCEAU sur le front des serviteurs de notre Dieu ; Nolite
« nocere terra et mari... quoad usquesignemus servos Deinostri
« in frontibus eorum (Âpoc. vu, 3). »
(2) « UtimpleaminiinomnemplenitudinemDei(£^AM. îv, 19). »
(3) « Status bonorum omnium aggregatione perfectus (Theologi
a passim). »
346 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

pense. Mais dans l'éternité, ce qui finit, ce qui n'est


pas éternel, n'est rien ( i ) . Comme donc aucune peine
temporelle n'est pas une peine véritable, de même
aucune récompense temporelle n'est pas une véritable
récompense pour l'àme éternelle. Par conséquent,
comme les damnés seraient heureux s'ils pouvaient
espérer la fin de leur peine-, les.Élus seraient malheu-
reux s'ils pouvaient craindre la fin de leur récom-
pense. Ainsi Jésus-Christ, en promettant aux apôtres
que le gaudivm du ciel les aurait bien dédommagés de
la tristesse dont ils allaient être abreuvés sur cette
terre, a eu soin de les prévenir que ce yaudium non-
seulement serait PLEIN (parole profonde et immense),
mais aussi interminable, éternel ; en tant qu'aucune
vicissitude n'en pourrait jamais diminuer le comble,
aucun ennemi n'en pourrait jamais contester la pos-
session, aucun temps ne pourrait jamais en abréger la
durée (2). C'est aussi ce dont il a voulu nous assurer
par ces grandes paroles de notre Évangile : « Marie a
choisi la meilleure part qui ne lui sera jamais ôlée. »
Car en appelant « LA m e i l l e u r e PART » la Béatitude du
ciel ; Optimapars, il nous a dit que cette Béatitude est
tout ce qu'on peut désirer, tout ce qu'on peut recevoir
de plus complet et de plus parfait; et en ajoutant
« QU'ELLE NE SERA JAMAIS ÔTÉE, non auferetur > » il nous
a dit aussi que cette Béatitude n'aura jamais de fin. En
un mot, dit saint Augustin, jl nous a appris que la dou-

( l ) « Quod sternum non est, nihtf e*T,(*L Augustin). •


V?) « Ut gaudiom VEETRAM «U plénum (t Joan.x, 4). Tristitia ves-
« tra couverte*» in ç&wlfam, «T gaudinm vestuira aemo toîlet a
c vobis (Joan. x\i, 22). »
ou L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 347

ceur étemelle de la vérité de Dieu s'augmente dans


cette vie, se perfectionne dans Vautre, et ne pourra
jamais nous être ravie (1).
Voilà comment notre divin Maître nous a, dans le
même Evangile, montré la condition et les œuvres,
l'importance et la nécessité, et enfin le prix et la ré-
compense du service de Dieu.
Profitons donc, mes frères, de ces sublimes et pré-
cieuses leçons. Comprenons, d'abord, nous dit saint
Augustin, que nous n'avons été créés que pour con-
naître Dieu; et en le connaissant, l'aimer; et en l'ai-
mant, le posséder; et en le possédant, jouir de lui, et
être heureux de sa propre félicité (2). Comprenons que
nous n'avons pas été placés momentanément sur cette
terre, pour nous créer une situation heureuse selon le
monde, pour servir le monde, la chair, nos intérêts
temporels et nos passions ; mais pour nous attacher à
Dieu, pour adorer Dieu, pour servir Dieu, et ne servir
que lui; Dominum Deum tuumadorabis, et illisoliser-
vies. Comprenons que dans l'immense variété de con-
ditions, de professions et de charges qui distinguent
les hommes dans la hiérarchie sociale, il n'y en a pas
une seule qui soit la (in de l'homme ; qu'aucun homme
n'existe pour être ce qu'il est aux yeux des hommes;
mais que la fin commune à tous, la fin propre de tous,

(1) « jEterna dulcedo veritatis, in fcac *v*ta «rageter, In altéra


• perficietur, numquam auferetur (loc. cit.) »
(2) c Crealus est honw, ut Deum intelligeret, inteUigendo ama-
« rei, amando possideret, possideodo irueretur. ••>
348 HOMÉLIE XII. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE

est de servir Dieu comme leur maître, afin de possé-


der Dieu comme leur rémunérateur; et que, comme le
dit l'Ecriture, « Craindre Dieu et observer ses com-
mandements, c'est là tout l'homme, c'est là être vrai
homme; Deum time, et mandata ejus observa, hoc est
omnis homo (Eccli. XII, 13). »
Pénétrés de cette vérité, de cette pensée capitale,
prenons en second lieu pour règle de notre conduite
ces paroles que Jésus-Christ adressa à ses parents qui
se plaignaient parce qu'il s'était écarté de leur com-
pagnie : « Pourquoi me cherchiez-vous? Ne saviez-
« vous pas qu'il faut que je sois aux choses qui sont
« de mon Père(l)? »
C'est ce que nous devons répéter à nos passions,
aux choses créées, au monde, aux hommes, lorsqu'ils
nous cherchent pour nous arracher des bras de Dieu,
et nous attirer à eux : « Que voulez-vous de moi? Je
ne vous appartiens pas. Je suis à Dieu, mon maître et
mon père; et il faut qu'avant tout et au-dessus tout, je
m'occupe de ce qui le regarde : que je m'occupe de lui
rendre le culte que je lui dois et de remplir ses volon-
tés ; In his quœ Patris mei sunt, oportet me esse. »
Un serviteur fidèle et exact dans l'accomplissement de
ses devoirs, envoyé quelque part par son maître, se
débarrasse par un mot de ceux qui veulent l'arrêter dans
son chemin et parler de choses futiles. « Laissez-moi
aller, leur dit-il ; je suis pressé ; j'ai à exécuter une com-
mission importante de mon maître. » De même en tra-

(1) • Quid est quod me quœrebatis? Nesciebatis quia in his qua;


« Patris mei sunt oportet me esse (Luc. H ) ? »
OU L'UN NÉCESSAIRE, ETC. 349

versant la voie de ce siècle, nous ne devons donner au


inonde que des moments fugitifs; nous ne devons lui
donner que le temps et l'attention que nous ne pouvons
lui refuser sans manquer à la justice et à la charité que
nous nous devons à nous-mêmes et aux autres. Nous
devons nous en débarrasser au plus tôt lorsqu'il pré-
tend nous arrêter à nous amuser de lui avec lui. Nous
devons lui dire : « Laisse-moi, je ne puis pas m'entre-
teniravectoi. J'ai à remplir la grande affaire, l'impor-
tant négoce (1) dont Dieu qui, étant mon souverain
Maître, est aussi mon tendre Père, m'a exclusivement
chargé pendant cette vie : la grande affaire, l'important
négoce de la sanctification, du salut de mon âme, et
d'aller le rejoindre au ciel où il m'attend après mon
court voyage sur cette terre. C'est son désir, c'est sa
volonté(2), ce sont ses ordres précis, formels, dont rien
ne saurait me dispenser. Mon bonheur, aussi bien que
sa gloire, en dépend. Yoilà donc ce dont je dois m'oc-
cuper*, In his quœ Patris mei sunt oportet me esse. »
Oh! que nous serons heureux, mes frères, si nous
en agissons ainsi! Oh! que nous serons heureux si,
lorsque le divin Maître viendra nous chercher, au mo-
ment de notre mort, il nous trouvera veillant sur ses
intérêts, qui sont aussi les nôtres, occupés de lui, et de
nous-mêmes, mais par rapport à lui ; Beaii servi illi quos
cum vénerie Dominus invenerit vigilantes (Luc. xn) /

(1) « Fratres, rogamus vos ut negolium vestrum agatis (Tfiess. iv,


11). »
( 2 ) « Haec est voluntas Dei, sanctiûcatio vestra [Thess* iv, 3), »
350 HOMÉLIE XI!. — JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE, ETC.

Beatus servus quem cum venerit Dominus invenerit sic


facientem (Ibid.) Il nous Ta affirmé avec serment ;
Amen dico vobis (Ibid.); il dira à chacun de nous :
« Bien, mon bon et fidèle serviteur*, parce que vous
avez été fidèle dans le peu de choses que je vous ai
commandées, je vous mettrai au-dessus de toutes les
immenses choses que je possède. Entrez donc dans la
joie de votre Maître ; Euge, serve bone et fidelis; quia
super pauca fuisti fidelis, supfa multa te constituant ;
intra in gaudium Domini tui (Mat/h. xxv). » C'est
ainsi qu'en nous consacrant au service de Dieu par
devoir naturel et par reconnaissance de nous avoir déli-
vrés du péché, nous recueillerons le fruit de nos bonnes
œuvres dans ce monde en nous sanctifiant, et nous
atteindrons notre lin, la vie éternelle dans l'autre;
Liberati a peccato, servi facti Deo kabetis fructum
}

vestrum in sanctificationem, finemvero vitam œternam.


Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XIII. SAINTE MARIE SALOMÉ, ETC. 351

TREIZIÈME H O M É L I E

SAINTE MARIE SALOMÉ

ou

uK BONHEUR DES MÈRES ÉLEVANT SAINTEMENT LEURS


ENFANTS.

« Mulier salvabitur per filiorum génération em, $i p e r m a n t t r i t in fide,


« m dilcctionej et sanclificalione cum sobrietate,
« La femme sera sauvée, par la génération des enfants, si elle demeure dans
* la fui et la charité et ia sainteté d'une conduite bien réglée (I JYm. », i 5). *

A i n s i , pour saint Paul, avoir des enfants n'est pour


la femme un moyen de salut, qu'autant qu'elle aura
rehaussé sa dignité de mère par la vivacité de sa foi,
par la générosité de son dévouement, par la sainteté de
ses actions, et par une conduite irréprochable ; en un
mot, par la pratique des vertus d'une vraie chrétienne.
C'est-à-dire qu'il ne suffit pas à la femme mariée d'ex-
pier en elle-même la faute d'Eve parles douleurs de l'en-
fantement; il ne lui suffit pas de mettre au jour des en-
fants, il faut encore que, par la sainteté de ses exemples,
autant que par la sagesse de ses enseignements, elle
lesélèvedans la crainte du Seigneur; ce n'est qu'à cette
condition qu'en sauvant ses iils elle se sauvera elle-
même ; et c'est ainsi que les peines et les sollicitudes de
la maternité deviennent pour elle une source deconso-
352 . HOMÉLIE XIII. — SAINTE MARIE SALOMÉ

lation et de bonheur dans ce monde et dans l'autre ;


Mulier salvabitur per filiorum generationem, si per*
manserit in fide, in dileciione, et sanctifications cum
sobrietate.
Nous sommes heureux, mes frères, de trouver cette
importante et belle doctrine, avant même qu'elle eût
été prêchée par saint Paul, devinée, suivie, réalisée,
par une des plus illustres FEMMES DE L'EVANGILE : par
rapport aux récompenses que cette doctrine promet
aussi bien que par rapport aux obligations qu'elle
impose.
C'est sainte Marie Salomé, iille de Cléophas, le frère
de saint Joseph, et par conséquent nièce de la sainte
Vierge et petite-cousine du Seigneur-, et qu'on ne peut
oublier dans un cours d'instructions puisées aux su-
blimes et touchantes histoires DES FEMMES D E L ' É V A N -
GILE.

Occupons-nous donc aujourd'hui de cette sainte et


intéressante Matrone. Les mères chrétiennes y trouve-
ront un modèle parfait de la conduite qu'elles doivent
suivre à l'égard de leurs enfants, et un grand encoura-
gement à se dévouer à leur sainte éducation. Et puisque
nous serons obligé de rappeler, à cette occasion, un
grand nombre de faits et de détails de l'Évangile, il y
aura, dans cette Homélie, sujet d'instruction et d'édifi-
cation pour tout le monde (1). Ave Maria.

(1) Celte Homélie peut servir aussi de lecture spirituelle le mer-


E
credi du II dimanche du Carême, et le jour de la féte de saint Jac-
ques le Majeur, le 26 de juillet; car on y trouve l'explication du trait
de l'Évangile de saint Matthieu qui se lit à la Messe ces jours-là.
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 353

PREMIÈRE PARTIE.

LES VERTUS ET LE MÉRITE D'UNE MÈRE VRAIMENT


RELIGIEUSE.

§ 1. Éducation parfaite donnée par sainte Salomé à Jacques et Jean


ses enfants, se manifestant par la manière dont ces derniers répon-
dirent à l'appel du Seigneur à l'apostolat. — Sainte Salomé quittant
tout, elle aussi, pour suivre le divin Sauveur. — Sa foi en la divi-
nité du Christ. — Son zèle pour que ses fils se dévouassent entiè-
rement à lui.

H e u r e u x l'homme, dit l'Écriture sainte, à qui aurait


échu une bonne et vertueuse femme ! C'est une grande
grâce par laquelle le Seigneur récompense, même dans
ce monde, l'homme de bien pour ses bonnes œuvres;
Mulieris bonce beatus vir.... dabitur viro pro factis
bonis (Eccli. xxvi, 1 et 3).
C'a été le bonheur que Dieu accorda à Zébédée,
homme de mœurs simples, mais d'une foi et d'une
vertu antiques, en disposant qu'il eût sainte Marie Sa-
lomé pour sa femme. Dieu bénit ce mariage, contracté
moins par sympathie d'humeurs que par une attraction
mutuelle de sainteté ; et deux enfants, Jacques et Jean,
furent le fruit de cette alliance : enfants que, d'accord
avec son saint époux, sainte Salomé éleva avec un soin
tout particulier, dans la vraie piété, dans la crainte de
Dieu, propre aux Saints, dans l'innocence des mœurs,
dans l'observation de la loi et dans la foi du Messie.
Ainsi s'étant trouvés, en compagnie de Pierre et
d'André, aux noces de Cana, où le Fils de Dieu opéra
354 " HOMÉLIE XIII. — S A I N T E MARIE SALOMÉ

le premier de ses prodiges, ils ne tardèrent pas un in-


• stant à croire en lui (1 ) .
C'est que l'éducation toute sainte qu'ils avaient re-
çue de leur bonne et pieuse mère avait formé et déve-
loppé en eux cet instinct religieux qui, aidé de la
grâce céleste, sent Dieu de loin et le distingue môme
sous l'enveloppe de l'homme.
Ils étaient tous les deux pêcheurs, ainsi que leur
père. Ils exerçaient leur profession, ainsi que Pierre
et André, pêcheurs eux aussi, sur le lac de Gépésar,
appelé anciennement « la mer de Galilée, » et depuis
quelques années seulement « la mer de Tibériade. » Ce
lac baignait la ville de Capharnaùm, capitale de la
Galilée. Jésus-Christ venait d'appeler à l'apostolat
Pierre et André. Or, s'étant avancé, en leur com-
pagnie, toujours sur le bord du même lac, et ayant
aperçu Jacques et Jean dans leur barque avec leur
père, occupés à raccommoder leurs filets, il les ap-
pela (2), et il leur dit à eux aussi : « Venez et suivez-
« moi ; et, de pêcheurs de poissons, je vous ferai pé-
« cheurs d'hommes (3). »
Jacques et Jean, ainsi que Pierre, André, Philippe
et Nathanael ou Barthélemi he s'étaient pas encore at-
tachés au diviu Maître de manière à ne pas s'en éloi-
gner. Et parce qu'ils étaient au nombre de ses audi-

( i ) « Crediderunt in Eum discipuli ejus (Joan. u, i l ) . »


(tr) « Etprocedens inde, vidUaUosduosfratres.JacobumZebedffi,
« et Joannem fratrcm ejus» in navi cum Zebedaeo pâtre eorum, refi-
« cientes retia sua, et vocavit eos (Matth. îv, 21). »
(3) « Venue poat m e , et faciam \ o s fieri piscatores hominum
« (Ibid,, v. 19). »
OU LE BONHEUR, DES MÈRES, ETC. 355

teursles plus assidus et que, sur le témoignage que


lui avait rendu Jean-Baptiste, ils croyaient que Jésus-
Christ était le Messie (Joan. i, 37-51), l'Évangile
les appelle ses Disciples: mais ils n'étaient pas encore
ses Apôtres. Cette vocation sublime leur imposait
donc de nouvelles charges et de nouveaux devoirs.
Cependant la grâce de cette vocation ne rencontra pas
dans les fils de Marie Salomé la moindre opposition ;
elle trouva, au contraire, les dispositions les plus heu-
reuses dans le cœur de ces jeunes gens, aussi élevé
qu'il était pur. Ils cédèrent aux attraits secrets de
cette voix divine qui, en se faisant entendre à leurs
oreilles, s'était répétée puissamment au fond de leur
àme, et y avait allumé le feu sacré de l'amour le plus
tendre et le plus généreux pour le Messie. Ils ne déli-
bérèrent pas 5 ils furent même heureux de pouvoir se
soumettre à tous les sacrifices que la nouvelle qualité
d'Apôtres du Messie demandait à leur foi et à leur dé-
vouement* Et à l'instant même ils laissèrent dans la
barque leur père avec ses gens et avec ses filets, et se
mirent à la suite du divin Sauveur(1).
Ces sentiments généreux furent partagés par leur
sainte mère, dont, en quelque sorte, ils étaient l'œu-
vre. Ainsi, lorsque ses enfants lui firent part de leur
résolution de s'associer au Seigneur qui venait de les
appeler, elle tressaillit d'une joie ineffable qu'elle ne
sut pas alors s'expliquer à elle-même. Dieu donne à la
mère vraiment religieuse une espèce d'instinct prophé-

( 1 ) « Illi autem statim, relictis retibus et Pâtre, secuti sunt eum


« (/ôitf., v. 2 2 ) . »
356 HOMÉLIE XIII, — SAINTE MARIE SALOMÉ

tique par lequel elle devine par son cœur, bien plus que
par son esprit, l'avenir de ses enfants. Marie Salomé
pressentit donc tout d'un trait quelque chose de grand
et de divin dans cette vocation ; et, loin de s'y opposer,
elle fut enchantée d'entendre delabouchede ses enfants
qu'ils y avaientpromptement répondu, et qu'ils étaient
décidés à y rester fidèles. Elle compta comme le jour
le plus heureux de sa vie, ce jour où le Messie d'Israël
lui faisait l'insigne honneur, à faire envie aux Anges,
de prendre tout ce qu'elle avait de plus cher au monde,
ses deux fils, à son école et à sa suite, pour en faire
deux de ses coadjuteurs et de ses ministres (saint Paul)
dans son œuvre divine.
Saint Matthieu et saint Marc ont dit : « Il y avait là
« aussi (sur le Calvaire), à quelque distance de la croix,
« plusieurs femmes qui, de la Galilée, avaient suivi
« Jésus pour le servir; parmi lesquelles était Marie-
« Madeleine, Marie mère de Joseph (Marie de Cléo-
« phas) et SALOMÉ , LA MÈRE DES FILS DE ZÉBÉDÉE
« (Matth. XXVII ; Marc. xv). » Il est donc certain que
sainte Marie Salomé était une de ces saintes femmes
qui, comme on vient de le voir dans la précédente Ho-
mélie, avait formé, sous la présidence de la sainte
Vierge, une association pieuse dont le but était d'as-
sister de leurs biens le divin Sauveur et ses Apôtres,
de les suivre partout, pour leur rendre les servi-
ces nécessaires à des voyageurs de Dieu qui, toujours
en mouvement et en course pour évangéliser les peu-
ples, n'avaient point de demeure fixe sur la terre.
Ainsi sainte Marie Salomé, non-seulement se garda
bien d'entraver la résolution qu'avaient prise ses en-
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 357

fants, de tout quitter pour suivre le Seigneur (1); elle


imita leur exemple. Elle aussi quitta sa maison, son
époux, et, en compagnie des autres saintes femmes,
elle suivit toujours et partout le divin Sauveur de ville
en ville, de province en province (2); l'accompagna au
Calvaire, assista à sa mort, à son ensevelissement et
sa mise au tombeau ; elle acheta des parfums, et se
rendit à son sépulcre pour embaumer le saint corps de
Jésus. Ce qui lui valut le bonheur de le voir avant les
Apôtres eux-mêmes, le jour de sa résurrection, de re-
cevoir son salut, d'embrasser et de baiser ses pieds di-
vins, et d'être envoyée comme apôtre aux Apôtres, pour

(1) « Ecce nos reliquimus omnia, et secuti sumus te [Mat(h.


« xix,21). »
( 2 ) Qu'on écoute là - dessus saint Chrysostôme : « Oh! femme
« admirable, dit-il, et digne des plus grands éloges! Nous appre-
« nons, par l'Évangile, que nous expliquons, que non-seulement ses
« enfants quittèrent leur père, mais qu'elle-même quitta son époux
« et suivit Jésus-Christ. C'est que son époux pouvait vivre sans elle;
m mais elle ne pouvait pas se passer du Seigneur qui seul pouvait la
« sauver. Il a pu se faire aussi que Zébédée soit mort peu de temps
a après la vocation de ses fils à l'apostolat ; et par conséquent, leur
« mère se trouvant libre de tous les devoirs domestiques, a pu suivre
« partout le Seigneur, quoique fragile par le sexe et brisée par l'âge ;
« parce que la foi ne vieillit jamais et que la religion ne sent pas la
« fatigue Magna laus mulieris ex hoc loco colligitur : quia non
« solum filii reliquerunt patrem, sed ipsa virum suurn, et secuta
• fuerat Christum : quia ille (Zebedxus) sine illa vivere poterat ;
« Uta, sine Christo, salvari non poterat. Nisi forte quis dicat
« quia infra tempus vocationis Apostolorum et Christi passionem,
« mortuus est Zebedxus ; et sic \lla sexu t fragilis, xtate defecta,
« Christi vestigia sequebatur; quia F I P E S NUNQCAM S E N E S C I T , et
« REUG10 FATIGATIOMEM N O N S E N T I T (Homil. ill CXX Matth.). »
358 HOMÉLIE XIII. — SAINTE MARIE SALOMÉ

leur annoncer que le Christ était vraiment ressuscité (1).


Nous avons vu (ffoméL x, § 5) qu'interrogée par
le Seigneur si elle le croyait vraiment Yauteur de la
Résurrection et de la Vie, sainte Marthe avait ré-
pondu : « Oui, Seigneur, je crois, depuis longtemps,
« que vous êtes le Messie, le Fils du Dieu vivant,
« venu dans ce monde pour le sauver; Utique, Do~
(t mine, ego credidi qui tu es Ckristus filius Dei
« vint, qui in hune mundum venistL » Or, sainte
Marthe appartenait, comme nous l'apprend l'Évan-
gile (voyez l'Homélie qui précède), à la société des
saintes femmes dont nous venons de parler et dont
Marie Salomé faisait partie. Comme ces grandes et
belles âmes n'étaient unies que par les sentiments de
la même foi et du même amour pour Jésus-Christ, il
n'est pas douteux que la croyance à la divinité et à la
vérité de sa mission, que Marthe avait exprimée par un
si sublime et si bel acte de foi, était la croyance com-
mune à toute cette communauté d'anges en membres
humains.
C'est que la sainte Vierge qui y présidait n'avait
certainement pas manqué d'instruire ces âmes d'élite,
si dévouées à sa personne et à celle de son Fils, de
tous les mystères de ce Fils divin, qui s'étaient accom-
plis en elle et par elle : comme elle le fît plus tard
avec les Évangélistes et les Apôtres qui, d'après saint
Luc(chap. i, Y. 2 ) , n'apprirent et ne purent apprendre
que par elle les mystères de l'Incarnation du Verbe, de

(1) Saint Matthieu, c. xxvui; saint Marc, c. xvi; saint Luc, c. xxiv.
Voyez aussi la IX* homélie, ci-dessus, §§ 3-9.
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 359

l'Annonciation et de la sainte enfance de Jésus-Christ;


et c'est pourquoi Elle a le nom de REINE D E S PROPHÈTES
E T DES APÔTRES (Voy. l'appendice à l'Homélie vin).
C'est encore que les apôtres Jacques le Majeur et
Jean, les fils de Solomé, ainsi que Jacques le Mineur
et JudasThaddée, les fils de Marie de Cléophas, en allant
rejoindre leurs saintes mères qui étaient à leur suite,
les tenaient au courant, jour par jour, heure par heure,
des instructions que le divin Maître adressait aux douze
Apôtres en particulier, des merveilles qu'ils entendaient
de sa bouche, des prodiges qu'ils lui voyaient opérer. Et
les saintes femmes, édifiées, ravies de tous ces récits,
en faisaient l'unique sujet de leurs entretiens. En
sorte qu'il n'était question entre elles que de ce Fils
de Dieu fait homme, de son auguste Personne, de ses
mystères, de ses doctrines, de sa vertu, de ses mira-
cles, et du miracle, encore plus grand, de son humilité,
de sa douceur, de sa miséricorde, de sa bonté, de
toutes ses vertus. Ce qui augmentait leur foi en lui,
leur amour pour lui, leur dévouement envers lui et
leur empressement de le servir5 ce qui leur faisait
sentir de plus en plus le bonheur d'être si près de lui,
et les affermissait toujours davantage dans leur réso-
lution de le suivre continuellement et de ne point le
quitter un seul instant.
Mais en dehors de ces saints attraits, qui étaient
communs à toutes ces sublimes femmes, la gloire de
leur sexe, sainte Marie Salomé, ainsi que sainte Marie
de Cléophas, étaient engagées à suivre le Seigneur par
la circonstance toute particulière que Jacques et Jean,
ses fils, faisaient partie des douze Apôtres que l'aimable
360 HOMÉLIE XIII. — S A I N T E MARIE SALOMÉ

Jésus s'était choisis. Jalouse uniquement que ses fils


chéris s'attachassent toujours plus à la personne divine
du Messie, lui fussent plus fidèles, l'aimassent plus que
tous les autres, afin d'être en retour plus aimés de lui
que tous les autres; elle les encourageait de sa pré-
sence, les excitait par ses exhortations à remplir les
devoirs de leur vocation, et leur prêchait d'exemple
la reconnaissance, le dévouement, le respect, le culte
qu'ils devaient témoigner à leur divin Maître. Et c'est
ainsi qu'elle fit d'eux, saint Pierre excepté, les plus
grands, les plus zélés et les plus favorisés de ses Apô-
tres; comme elle-même, Marie-Madeleine exceptée,
était la plus fidèle et la plus dévouée de ses servantes.
Voilà donc, par exemple, dans cette pieuse et ver-
tueuse mère, pour les mères chrétiennes, un excellent
modèle à étudier, à suivre, à recopier en elles-mêmes,
dans la manière d'élever leurs enfants. Voilà quel doit
être leur zèle et leur sollicitude pour les consacrer au
Seigneur, pour les assurer au Seigneur, et leur assurer
le Seigneur.

§ 2. État de misère et d'humiliation du Fils de Dieu durant sa vie


mortelle. — Sainte Salomé, aussi bien que les autres saintes
F E M M E S D E L ' É V A N G I L E , avaient besoin d'une plus grande foi pour
croire à la divinité du Christ qu'on n'en a besoin aujourd'hui que
la vérité de ce dogme resplendit des plus éclatantes lumières. —
Sainte Salomé condamnant par sa conduite le préjugé de certaines
mères soi-disant chrétiennes, qui regardent comme un malheur la
vocation de leurs fils au service du Seigneur. — D e u x portraits de
semblables mères. — Comment Dieu punit des parents qui se ren-
dent coupables d'un tel péché.

Et qu'on ne dise pas que sainte Salomé, aussi bien


que les autres saintes femmes, partageant son sublime
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 361

dévouement au divin Sauveur, avaient le bonheur


qu'on n'a pas à présent, de le voir de leurs yeux, de
l'entendre de leurs oreilles, de profiter de la société
divine de ce Verbe de Dieu fait homme. Car, que
voyaient-elles en Jésus-Christ? Elles voyaient en lui,
il est vrai, un personnage à la vie sainte, à la doctrine
céleste, au pouvoir immense; mais en même temps
elles le voyaient sous la forme d'un serf, n'ayant rien,
ni feu ni lieu, assujetti à toutes les misères, à toutes
les épreuves de la nature humaine, à l'exception du
péché (1); soumis à tous, ayant besoin de tous, dédai-
gné par tous. Pour quelques populations qui, à la vue
de quelques-uns de ses prodiges, dans le moment d'un
enthousiasme passager, le proclamaient « Un grand
prophète, un homme de Dieu, faisant bien tout ce qu'il
faisait, et même le Sauveur du monde; les autorités
politiques le jalousaient comme un chef de parti et le
surveillaient comme un révolutionnaire (2). Les chefs
de la religion, les pontifes l'indiquaient au peuple
comme un possédé, un blasphémateur, un pécheur
public et un excommunié. Les grands de la nation le
méprisaient profondément, au point de se vanter
qu'aucun d'eux n'avait cru en lui, et qu'il n'avait trouvé
des partisans que parmi le rebut de la société et dans la
foule ignorante, qu'ils disaient « mauditedeDieu (Joan.
vu, 49). )> On dénigrait tout ce qui lui appartenait, sa
patrie, sa famille, ses parents, ses amis, ses disciples,

(1) « Tentatusper omnia, absquepeccato [Hébr. v, 15}. »


(2) « Seducit t u r b a s ( / o a n . v n , 12). Huncinvenimusprohibentem
« tributum dare Cœsari et dicentem se regem esse (lue. xxin, 2). »
362 HOMÉLIE M I . — SAINTE MARIE SALOMÉ

sa condition. On ne laissait passer sans critique aucune


de ses doctrines, on n'épargnait aucune de ses vertus,
on ne lui pardonnait aucun de ses miracles. C'était le
signe de la contradiction la plus universelle, la plus
acharnée. Tout conspirait contre lui. On lui tendait
partout des embûches pour le surprendre, pour le ca-
lomnier et le perdre. Ne fallait-il donc pas avoir une
foi bien robuste et bien héroïque ; ne fallait-il pas faire
le sacrifice le plus complet de la raison pour croire
qu'un tel personnage, dans une telle position, ignoré
de la terre, à l'exception d'un petit coin de la Judée,
était vraiment le Fils de Dieu, le Messie et le Rédemp-
teur du monde?
Il n'en est pas de môme aujourd'hui que l'énigme
impénétrable de ces contradictions de sa condition
mortelle, que l'astuce de Satan n'avait pu déchiffrer,
a été dévoilée-, que le plan divin de la Rédemption du
monde a été connu; que toutes les prédictions se sont
accomplies et que ce personnage, mort sur une croix,
a attiré tant de monde à ses pieds et a conquis l'univers
4
non pai l'épée mais par le bois. Il n'en est pas de
même aujourd'hui que dix-huit siècles et la conspira-
tion permanente de tous les pouvoirs de la terre, de
toutes les sciences et de toutes les passions sont passés
sur la religion qui ^>orte son nom, sans avoir pu la
détruire. Il n'en est pas de même aujourd'hui que du
haut du ciel il règne visihlement sur la terre, par sa
doctrine triomphant toujours de toutes les erreurs,
par sa grâce domptant toujours tous les vices, par sa
parole toujours puissante, par sa mission toujours effi-
cace, par son Église toujours immortelle, par trois ou
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 363

quatre cents millions d'hommes reconnaissant sa divi-


nité. Il n'en est pas de même, enfin, aujourd'hui qu'il
est constaté que tous les peuples qui l'adorent comme
leur Dieu, possèdent la vérité pure, la vérité certaine,
la vérité sainte, la science, la civilisation, la force qui
les rendent les arbitres des destinées terrestres de
l'humanité et les maîtres du monde. Aujourd'hui
donc non - seulement il ne coûte rien à la raison
droite, à la véritable raison de croire que Jésus-Christ
est Dieu, mais il faut s'aveugler, se révolter contre l'évi-
dencede la raison, il faut renoncer àlaraison même pour
nier ce dogme fondamental de la religion dont la vérité
est prouvée même par les ignobles qualités de ceux
qui la combattent; dont la beauté est attestée par les
prodiges de sainteté et de civilisation qu'il produit, et
dont l'éclat acquiert avec le temps des splendeurs et
des grâces toujours nouvelles. En sorte qu'en ne voyant
que le corps du Christ, son Église qui est partout, sans
voir son Chef, nous sommes plus heureux, dit saint
Augustin, que ceux qui, ayant conversé avec lui, pen-
dant son passage sur cette terre, ont vu ce divin Chef
sans voir son corps, sans voir la propagation de son
Évangile* l'établissement, le développement, la durée,
la grandeur, la puissance, les triomphes de l'Église.
Et par conséquent les saintes FEMMES D E L'ÉVANGILE
ont dû faire de plus rudes efforts, ont dû surmonter
de plus grandes difficultés pour croire à la divinité
d'un personnage placé dans la condition du dernier des
hommes ; pour espérer qu'il aurait accompli une œuvre
divine contredite d'avance par toutes les probabilités
humaines; pour se dévouer à lui d'une manière si coin-
364 HOMÉLIE XIII. — S A I N T E MARIE SALOMÉ

plète et si parfaite ; et, comme Ta fait sainte Marie


Salomé, lui livrer et associer à son sort, si précaire et si
malheureux, aux yeux du monde, leurs propres en-
fants.
Quelle honte donc pour ces mères prétendues chré-
tiennes, si empressées de donner leurs fils au monde
et si tristement courageuses de les refuser à Dieu, lors-
qu'il daigne les appeler à l'état ecclésiastique ou à la
vie religieuse!
Dans ce temps où la foi est si rare dans la jeunesse,
les mœurs si corrompues, le luxe si effréné, les res-
sources pour vivre si étroites, les moyens de parvenir
si difficiles, l'état de gêne et de misère si universel;
dans ce temps, dis-je, sur cent mariages qui se con-
tractent, c'est à peine s'il y en a cinq d'heureux. En
sorte qu'il y a, pour les parents, quatre-vingt-quinze
degrés de probabilité contre cinq, qu'en établissant
leurs enfants dans le monde, ils les dévouent au mal-
heur. Au contraire, sur cent vrais chrétiens qui, de
leur plein gré et par des motifs purement surnaturels,
se consacrent au couvent ou à l'autel, on n'en compte
pas même cinq qui plus tard se trouvent malheureux
de leur état, et qui oublient les engagements et les
devoirs de leurs vocation. En sorte qu'il y a aussi pour
les parents quatre-vingt-quinze degrés de probabilité
contre cinq qu'en consentant que leurs enfants embras-
sent le service de Dieu et de l'Église, ils font leur bon-
heur. Et cependant, qu'est-ce qui arrive? Il arrive
qu'enchantés que leurs enfants suivent l'état du monde,
les parents se désolent s'ils les voient y préférer l'état
du sanctuaire. Pour la grande majorité des parents, le
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 365

jour des noces de leur fils, qui, très-probablemeut,


commence pour eux une série de souffrances et de
martyres qui ne finiront qu'avec la vie, est un jour de
fête et de joie; et au contraire, le jour de l'ordination
ou de la profession religieuse de quelqu'un de leurs
fils est un jour de tristesse et de deuil. Ils regret-
tent cette âme généreuse, triomphant de ses propres
parents, du monde et d'elle-même. Ils la pleurent
comme l'ayant perdue. Ils en veulent en quelque sorte
à Dieu de l'avoir enlevée à leur tendresse ; et ils ne se
doutent pas de la grandeur de la grâce qu'il fait à une
famille lorsqu'il daigne choisir dans ses membres quel-
qu'un qui fera ses affaires auprès de Lui ; qui se
dévoue pour elle, et qui, par ses prières et par son
sacrifice, éloigne d'elle les fléaux et attire sur elle les
bénédictions du ciel !
Il n'y a pas longtemps, une dame fort respectable
s'est présentée à nous fondant en larmes et nous con-
jurant de vouloir bien l'assister dans son malheur. Quel
était ce malheur? C'était que la dernière de ses trois
filles venait de lui déclarer vouloir se faire Sœur de
la charité! Et cependant cette mère est bien loin d'être
heureuse du sort de ses deux autres filles ! Et cependant
cette excellente femme est pleine de foi, elle est assez
instruite sur la religion et très-exacte à en suivre les
pratiques et en remplir les lois. Si grand est l'empire
des préjugés du monde sur les meilleurs esprits!
Une autre dame distinguée nous en veut, dans ce
moment, parce que nous aurions, à ce qu'elle suppose,
engagé à se faire prêtre son unique fils que nous n'a-
vons YU qu'une seule fois, et qui, loin de nous avoir
366 HOMÉLIE XIII. — SAINTE MARIE SALOMÉ

inspiré la pensée de pouvoir en faire un prêtre, ne


nous a laissé qu'une espérance bien faible d'en faire
un chrétien ! Ainsi cette mère insensée aime mieux voir
son fils demeurer dans son état actuel, qui n'est ni la
foi ni l'incrédulité, plutôt que le voir quitter le monde,
qui ne le fait pas heureux, pour aller consacrer son
beau talent à la gloire dfr Dieu et à la conversion des
âmes! Aussi nous sommes désolé de devoir lui appren-
dre par notre parole, si jamais elle parvient à ses
oreilles : — Que ce malheur qu'elle craint tant pour
elle, très-probablement ne lui arrivera pas; mais que
ce ne sera pas pour sa plus grande satisfaction, ni
pour son bonheur.
Il y a douze ans, une dame, pénitente d'un ecclé-
siastique de notre intime connaissance, à Rome, après
avoir fait sa confession, lui dit ; « Père, je vous ai
amené ici mon unique fille, qui vient d'achever son
éducation dans rétablissement français de Saint-Denis,
pour la placer sous votre direction. Seulement je vous
préviens que je n'entends pas en faire une religieuse.
Je vous dis cela, parce qu'on vous croit très-zélé et
très-habile à attirer les jeunes filles dans les cou-
vents. »
—« Tranquillisez-vous, madame, lui répondit le con-
fesseur. D'abord, je n'ai pas l'habitude de prendre la
place du Saint-Esprit pour donner à mes pénitents
une vocation qu'ils n'ont pas, et qu'il n'appartient
qu'au Saint-Esprit de donner. Ensuite, à la manière
dont vous venez de vous exprimer, je suis affligé de
voir que vous n'êtes pas digne que le Fils de Dieu vous
accorde l'ineffable grâce, l'insigne honneur d'appeler
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 367

votre fille hors du monde pour en faire son épouse,


Ainsi ce malheur ne vous arrivera pas. Seulement je
ne puis pas vous garantir que vous jouirez de votre
fille comme YOUS l'entendez, »
Cinq jours après ce dialogue, le feu d'une chaufferette
s'étant mis à la robe de la jeune demoiselle pendant
qu'elle était au piano, ce prodige de bonté et de beauté
disparut par une mort, affreuse aux yeux des hommes,
mais précieuse aux yeux de Dieu (Psal. cxv, l a ) .
Car, tranquille dans son àme, delà tranquillité de l'iu-
nocence, au milieu des souffrances de son eprps vir>
ginal, elle demanda elle-même et reçut avec la plus
grande ferveur les secours et les consolations de la
religion, et s'en alla célébrer au ciel les noces mysté-
rieuses avec le divin Agneau (Apoc. xix) que sa mère
ne voulait pas qu'elle célébrât sur cette terre.
Mais cette mère était chrétienne. Dans l'état de stu-
péfaction et d'idiotisme où la jeta cette immense perte
et que produisent ordinairement les grandes douleurs,
elle conserva donc assez de raison pour comprendre
d'où lui venait ce terrible coup, et ce qui avait attiré
sur elle un tel malheur. Car elle n'interrompait sou
morne silence que pour s'écrier de temps en temps i
« Je la LUI ai refusée 5 il me l'a ôtée I C'est dur, mais
« je l'ai mérité; c'est moi qui ai tué ma fille I »
De pareils exemples se répètent tous les jours; car
Dieu est extrêmement jaloux des parents qui lui dis-
putent le cœur de leurs enfants qu'il ne leur a pas don-
nés pour en faire l'objet d'une sotte vanité ou de com-
plaisances voluptueuses ( 1 ) , mais pour en faire de ses
(\) c Luxuriar.tur in flliis et ûliabus suis. •
368 HOMÉLIE XIII. — SAINTE MARIE SALOMÉ

serviteurs fidèles dans ce monde et les héritiers


de sa gloire dans l'autre. II est donc très-rare qu'il
ne punisse sur cette terre ce crime des parents, le
plus grand que des parents chrétiens puissent com-
mettre. Ou il les leur enlève brusquement, ou il ne
les leur laisse que pour devenir pour eux une source
de chagrins et d'insupportables douleurs. En sorte
qu'en les voyant périr à la fleur de l'âge, ou plongés
dans le malheur, ils peuvent en toute vérité répéter,
eux aussi : « C'est nous qui avons tué ou fait malheu-
reux nos fils. »

§ 3. Sainte Salomé priant le Seigneur, à l'instigation de ses pro-


pres enfants, de les faire asseoir à ses côtés dans son royaume.
— Étrange en apparence et imparfaite, dans l'intention des Fils qui
ne comprenaient pas encore le vrai régne du Messie, cette prière a
été parfaite dans les intentions de la Mère- — Exemple à imiter
par les mères chrétiennes.

Mais revenons à sainte Marie Salomé, et expliquons


la prière que, saintement hardie, elle adressa au divin
Sauveur, au sujet de ses enfants, et qui fait le sujet
principal de l'Évangile du deuxième mercredi de ca-
rême.
En montant à Jérusalem, est-il dit dans cet Évan-
gile, quelques jours avant sa mort, Jésus-Christ avait
pris à part ses douze Apôtres, et il leur avait dit :
« Nous voilà près de Jérusalem. C'est là que le FILS
D E L'HOMME sera livré aux Princes des prêtres et aux
scribes qui le condamneront à mort, le livreront aux
gentils pour être moqué, flagellé, crucifié; mais il
ressuscitera le troisième jour ; Ascendens Jésus lero-
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 369

solymam, assumpsit duodecim discipulos secreto, et ait


illis : Ecce ascendimus lerosolymam et Filius hominis
tradetur principibus sacerdotum et scribis, et condem-
nabant eum morte, et tradent eum geniibus ad illuden-
dum, et flageîlandum et crucifigendum et teriia die
resurget (Matth. xx) (1). »
Mais, d'après saint Luc, les Apôtres ne comprirent
rien à ce discours ; il fut pour eux une lettre cachetée,
et ils n'en pénétrèrent pas le sens véritable (2).
Ce n'est pas qu'ils doutèrent un seul moment que
la peinture, aussi bien circonstanciée que le divin Maître
venait de mettre sous leurs yeux, de ses supplices, de
sa mort et de sa résurrection, se serait réalisée-, mais
c'est que, le divin Maître leur ayant souvent parlé du
royaume qu'il aurait fondé, ils crurent que le Messie
ressuscité aurait rétabli dans toute sa splendeur le
royaume politique d'Israël; tandis que le vrai royaume
d'Israël que, d'après les prophètes, le Messie devait
reconstituer par sa passion, par sa mort et par sa

(1) Saint Marc a ajouté que le FILS DE DIEU prédit alors même
la circonstance qu'on VAURAIT CONSPUÉ ; et conspuent eum (v. 34). Et
saint Luc parait indiquer que Jésus-Christ rappela alors toutes les
prédictions que les prophètes avaient faites sur la mort du Messie et
qu'il dit aux Apôtres que tout cela allait littéralement s'accomplir ; Et
consumabuntur omnia qum scripta sunt per prophetas de Filio
Hominis. Voilà donc une nouvelle preuve éclatante que Jésus-Christ
a donnée, par cette prédiction si détaillée, de tout ce qui allait lui
arriver : que le passé et l'avenir lui étaient présents ; qu'il était le
Messie, et qu'il était Dieu.
(2) t Et ipsi nihil horum intellexerunt, et erat verbum istud
« absconditum ab eis, et non intelligebant quœ dicebantur (Luc.
« XVIIÏ, 34). »

n. 24
370 HOMÉLIE XIII. — S A I N T S MARIE SALOMÉ

résurrection, était un royaume tout à fait spirituel, et


même qui n'aurait eu rien de semblable aux royaumes
de ce monde (1). Voilà ce que les Apôtres ne com-
prirent jamais avant que le Seigneur, ressuscité, n'eût
ouvert leur intelligence pour comprendre le vrai sens
des Écritures (2), et avant que le Saint-Esprit ne les
eût instruits de toute vérité (3). Ils envisageaient donc
ce royaume comme quelque chose de temporel et
d'humain.
Un jour, saint Pierre ayant dit au Seigneur : « Voilà
que nous avons tout quitté pour YOUS suivre. Que nous
sera-t-il donc donné ?» Le divin Maître avait répondu :
« Je vous le dis en vérité, que lorsque, au temps de la
régénération, LE FILS DE L'HOMME sera assis sur le trône
de sa gloire, vous qui m'avez suivi, vous siégerez, vous
aussi, sur douze trônes pour juger les douze tribus
d'Israël (4). » Or en se trompant de date les Apôtres
pensaient que cette promesse du Seigneur, qui ne
devait s'accomplir qu'au jugement dernier, se serait
réalisée aussitôt après sa résurrection, et qu'eux tous
seraient les grands juges ou les ministres du nouveau
royaume qu'il aurait établi. Dans, un sentiment de

(1) t Regnum meum non est de hoc mundo (Joan. xvui. 36). »
(2) % Aperu.it illis s e n s u m , ut intelligerent Scripturas (£wc,
« xxiv, 35). »
(3) n Spiritus veritatis, ipse docebit vos omnem veritatem (Joan.
« xvi, 13). »
(4) c Amen dico vobis : quod vos qui secuti estis me, in regeno-
« ratione, cum Filius hominis sederit in sede majestatis sus, sedc-
« bitis et vos super sedei duodecim, judieantes duodecirn tribus
« Israël (Matth, x\x). »
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 371

petite vanité, bien naturel dans des âmes si simples et


si imparfaites, avant que le feu sacré du Saint-Esprit
ne les eût transformés en d'autres hommes, ils rêvaient
donc déjà avec bonheur les places qui leur seraient
échouées et dont chacun aspirait à occuper la première.
C'est dans ce sentiment de prétention de jeunes gens
que les fils de Zébédée engagèrent leur bonne mère
dans la démarche qu'on va voir, auprès du Seigneur.
Et ils la pressèrent à faire vite; car, d'après les der-
nières paroles que le divin Sauveur venait d'adresser
en secret à tous les douze Apôtres, la grande catas-
trophe approchait, et il n'y avait pas de temps à perdre
pour obtenir de lui de leur destiner d'avance les places
les plus élevées dans son nouvel empire.
Entourée donc de ses deux fils, Salomé se présenta
devant le Seigneur, et, prosternée à ses pieds, l'ayant
profondément adoré, elle lui fit entendre qu'elle avait
quelque chose d'important à lui demander, mais qu'elle
n'osait pas lui être importune; Tune accessit ad eum
mater filiorum Zebedeei, cum filiis suis, adorans, et
petens aliquid ab eo (MattL xx, 2 0 ) (1). L'aimable
Seigneur eut compassion de son embarras, et du ton
de la plus grande bonté, l'encouragea à parler, en lui
disant : Eh bien, que voulez-vous que je vous fasse?

(1) Selon saint Marc, H parait qu'encouragée par sa qualité de


cousine du Seigneur, et bien plus encore par l'affection que le Sei-
gneur lui témoignait à cause de sa grande piété et de son dévoue-
ment, elle ait fait précéder sa prière par cet exorde : « Maître, Je
désire qua vous me disiez: : Oui, avant da vous exprimer ma prière,
quoi que ce soit que je vous demanderai ; Magister, volumus ut
quodeutnçue petierimusfacias nobis (Marc, x, 33). »
372 HOMÉLIE XIII. — SAINTE MARIE SALOMÉ

Qui dixit ei : Quid vis ( v. 21 ) ? Alors Marie Salomé,


d'une voix hésitante, répondit : La grâce que je vous
demande, Seigneur, c'est que vous disiez que mes
deux fils, que voici, aient un jour le sort de s'asseoir,
l'un à votre droite, l'autre à votre gauche dans votre
royaume; Qui dixit Illi : Die ut sedeani hi duo filii
mei unus ad dexteram tuam^ et unus ad sinistram in
regno tuo. (Ibid.)
Voilà une bien singulière demande, s'écrie ici saint
Jérôme. Apparemment cette mère partageait les désirs
ambitieux de ses enfants ; et, ayant appris par eux
que le Seigneur, ainsi qu'il venait de le leur dire, allait
mourir, mais pour ressusciter le troisième jour, elle
pensa que le rétablissement du royaume d'Israël aurait
lieu immédiatement après cette résurrection; et, pous-
sée par un sentiment exagéré de vanité de femme, et
oubliant tout à fait le ciel, c'est dans le royaume ter-
restre du Messie qu'elle voulut assurer les premières
dignités à ses enfants (1).
Mais un pareil jugement du docteur MAXIME, tou-
chant une si sainte et si auguste matrone, nous paraît
trop sévère, et peu en harmonie avec l'opinion que
l'Évangile nous a donnée d'elle. Nous y préférerons
donc le jugement de saint Jean Chrysostôme que
voici : « La mère des fils de Zébédée, dit-il, n'était
pas une de ces mères mondaines qui, jalouses des avan-

(l) c Quiapost omnia dixerat Dominus : Et tertiadie resurget;


M putavit mulier, post resurrectionem continuo regnaturum ; et avi-
» ditate fœmînaea,praesentia cupit, immemor futurorum [Comment.
« in Matth.)* »
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 373

tages matériels de leurs enfants, ne se soucient guère


de leurs avantages spirituels; qui, très-zélées de les
voir riches et puissants dans ce siècle, ne pensent pas
le moins du monde au triste sort qu'elles leur prépa-
rent dans le siècle futur, et qui donnent à voir par là
que, mères de leurs enfants par rapport au corps, elles
ne sont que leurs marâtres par rapport à l'âme. Marie
Salomé veut, au contraire, dans la prière qu'elle a
adressée au Seigneur, au sujet de ses fils, ne demander
pour eux que les biens du ciel et nullement les biens
de la terre (1). » C'est que, comme nous venons de le
remarquer dans l'Homélie qui précède, LES FEMMES
DE L'ÉVANGILE ayant mieux compris le Messie que les
hommes de l'Évangile, saint Pierre excepté. Jésus-
Christ, tout étant, pour Marie Salomé, vrai homme,
était donc, en môme temps, Yrai Dieu.
C'est comme son Dieu qu'avant de le prier, elle
commença par l'adorer; Adorans^ et c'est en le re-
connaissant le Dieu tout-puissant qui n'a qu'à dire
pour que tout ce qu'il dit soit fait à l'instant, qu'elle
fit usage de cette singulière expression : « DITES,
Seigneur. »
Elle croyait donc qu'après sa résurrection, le divin
Maître aurait régné moins en homme sur cette terre
qu'en Dieu au plus haut des cieux; et c'est dans ce
royaume céleste ; In regno cœlorum, dont Jésus-Christ

(1) « Non sentit sicut caeterae matres, quœ corpora natorom suo-
• rum ornant, animas autem contemnunt; desiderant UIos ralere
« in hoc saeculo, et non curant quid sint passuri in alio : ut osten-
• dant quod corporum sint parentes, non animarum. Ita non ter-
« rena sed cœlestia ÛUis suis optabat (liom. inMatth*)* >
374 HOMÉLIE XIII. — SAINTE MARIE SALOMÉ

avait tant de fois parlé à ses disciples et au peuple,


qu'elle demande à voir ses enfants placés aux côtés du
Roi IMMORTEL DES SIÈCLES.

Ah ! se disait à elle-même cette admirable mère,


cet humble et pauvre Jésus, si méconnu, si méprisé, si
persécuté sur cette terre, qu'il sera grand, qu'il sera
puissant et majestueux dans le ciel, le jour où, assis à
la droite de son divin Père, il régnera sur tout l'uni-
vers ! Et qu'ils seront heureux tous ceux qui auront
le sort d'être près de lui dans ce règne t
Il est certain que Salomé ne fit sa prière au Sei-
gneur qu'à l'instigation de ses fils qui, nous le répétons
ici avec saint Chrysostôme, ne rêvant qu'un règne
temporel et de temporelles grandeurs pour Jésus-
Christ après sa mort, aspiraient à figurer dans ce
royaume au-dessus de tous leurs collègues (1), et que,
n'osant pas faire eux-mêmes cette demande tant soit
peu ambitieuse, se flattèrent, dit encore saint Chry-
sostôme, qu'elle aurait moins choqué les oreilles du
Seigneur et serait mieux accueillie si elle était pro-
noncée par leur mère -, car rien n'est plus touchant
qu'une mère priant pour ses enfants (2). Et c'est parce
que Salomé n'a été, dans cette occasion, que l'inter-
prète et l'organe des desseins de ses fils que, comme
l'a remarqué saint Augustin, saint Marc a rapporté
comme ayant été dites par Jacques et Jean ces mêmes

(t) • Nibïl spirituals petebant, née intelligentiam superroris regnt


« habebant (/oc. cit.). »
(2) « Existimantes qnod facillus impetraret mater, proflliissuis
« rogans (/oc. c i t , ) *
OU LE BONHEUR DES MÈRES, E T C . 375

paroles, que saint Matthieu a rapportées comme ayant


été prononcées par Salomé (t).
Mais en passant par l'esprit, par le cœur et par la
bouche de leur sainte mère, qui l'avait redressée,
cette prière des fils perdit ce que, dans leur intention,
elle avait de matériel et d'imparfait. La mère demanda
bien la même chose que désiraient ses enfants; mais,
d'après la pensée de saint Chrysostôme, elle ne la d e -
manda pas de la même manière. Dans la profonde
Sagesse de sa foi, elle sollicita dans un sens tout spiri-
tuel et céleste ce que dans leur étourderie ses enfantt
ne sollicitaient que dans un sens matériel et terrestre;
Non terrena, sed cœlesiia filiis suis optabat.
C'est, l'esprit rempli des plus hautes idées sur Iâgran*
deur future du Messie, qu'elle lui adressa la prière que
YOUS venez d'entendre, et que, par conséquent, on
peut traduire ainsi : « Seigneur, je ne viens vous de-
mander rien de terrestre, rien de temporel et d'humain
pour mes fils; je ne viens demander pour eux qu'une
grâce toute spirituelle, céleste et divine; c'est que
m'en étant privée pour vous les offrir, pour vous les

(1) « Marcus ipsos filios Zebedaei perhibet dixisse, quod hic per
« matrem Mathœus expressit, cum illa illorum voluntatem attulisset
« [In Caten.). » Saint Marc a mis sur les lèvres des fils la prière
que saint Matthieu attribue à la mère, non-seulement pour indiquer
qae c'étaient les fils qui l'avaient suggérée j mais encore parce que
ces fils se trouvant là à côté de leur mère, pendant que celle-ci por-
tait la parole, ils étaient censés parler avec elle. C'est donc très-
régulier que cet Évangéliste ait mis au pluriel un discours que saint
Matthieu a mis au singulier. Il a désigné, au moral, les auteurs de
ce discours que saint Matthieu a désignés au physique ; et les histo-
riens sacrés ont été tons les deux dans le vrai.
376 HOMÉLIE XIII. — SAINTE MARIE SALOMÉ

donner, ces enfants chéris, pendant votre vie, vous ne


les laissiez pas ici, mais que YOUS les preniez avec vous
après votre mort, que vous les placiez à YOS côtés de
manière à ce qu'ils n'aient jamais à se séparer de vous.
Oh! si vous m'accordez cette faveur, je serai la plus
heureuse de toutes les mères; je n'ai plus rien à dé-
sirer pour ces fils bien-aimés, car auprès de YOUS, sous
vos yeux, et sous la protection de votre amour pour
eux, ils seront riches de tous vos propres biens, glo-
rieux de votre propre gloire, heureux de votre propre
félicité. Tout cela dépend de vous. Il ne vous en coû-
tera qu'un mot; vous n'avez qu'à dire : Die, et la chose
sera faite. Et le sort de mes enfants sera assuré pour
toute l'éternité ; Die, ut sedeant hi duo filii mei unus
ad dexleram tuam et unus ad sinistram, in regno tuo !
y

Voilà, mères chrétiennes qui m'écoutez ici, voilà le


bel exemple que YOUS devez imiter. Répandez, vous
aussi, des larmes, comme le faisait saint Bernard, sur
la conduite scandaleuse de cette, foule de mères rem-
plies de l'esprit et des préjugés du monde, qui se
donnent tant de sollicitudes et de peines pour procu-
rer à leurs enfants les biens de la terre, et parmi les-
quelles on n'en trouve pas une qui fasse rien pour
leur procurer Dieu (1). Et, ne vous inspirant que de
votre foi, tâchez, avant tout, d'élever les fruits de vos
entrailles, de manière qu'après leur mort ils puissent
se rencontrer avec Dieu, entrer dans son royaume cé-
leste, et, à côté de lui, vivre de lui et en lui. Que
chacune de vous apprenne par cœur cette belle prière

(l) « Omnes divitias, nemo finis suis providet Deum. »


OU LE BON HEU H DES MÈRES, ETC. 377

de sainte Marie Salomé, et qu'elle l'ait toujours dans


son cœur et sur ses lèvres, pour dire toujours à Jésus-
Christ: «Seigneur, je ne vous demande qu'une chose
pour mes fils : c'est qu'ils aient le sort de s'asseoir un
jour à vos côtés, dans votre royaume du ciel; Die, ut
sedeant filii mei ad dexteram et ad sinistram tuam in
regno tuo. » Et en priant, comme Marie Salomé, vous
serez, vous aussi, exaucées comme elle. C'est ce que
maintenant nous allons voir.

DEUXIEME PARTIE.

SUCCÈS DES SOLLICITUDES ET DES PRIÈRES DE LA BONNE


MÈRE POUR LE SALUT DE SES ENFANTS.

§ 4. Explication de la réponse du Seigneur à la prière que sainte


Salomé lui fit pour ses fils. — Pourquoi cette réponse n'a pas été
adressée à leur mère. — C'est dans les intentions de ses fils que
cette prière était imparfaite. — Le calice et le baptême du Seigneur
sont sa passion. — Partager cette passion est une condition i n d i s -
pensable du salut.

La réponse que notre divin Sauveur fit à la prière


que lui présenta sainte Marie Salomé eut l'air d'un re-
proche ; car, en s'adressant à Jacques et à Jean, le divin
Maître leur dit : Vous ne savez ce que vous deman-
dez; Respondens autem Jésus dixit : Nescitis quid pe-
tatis (v. 22). Mais n'est-ce pas la mère qui a fait la
demande? Pourquoi donc le Seigneur répond-il aux
fils? Pour deux raisons, ce nous semble. La première,
pour leur faire comprendre que, Fils de Dieu et vrai
Dieu lui-même, et rien ne pouvant lui être caché, il
savait bien que, comme nous venons de le remarquer,
378 HOMÉLIE XIII. —< SAINTE MARIE SALOMÉ

la mère n'avait parlé qu'à l'instigation de ses enfants,


qu'elle n'avait été que leur organe complaisant et
fidèle, ne répétant que ce que ses fils l'avaient chargée
de dire. Or, la demande n'élant faite en réalité que
par ses fils* c'est à eux que devait être adressée la
réponse ( 1 ) .
La seconde raison, pour laquelle ayant mis la mère
de côté, ce n'est qu'à ses fils que le divin Sauveur
dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez ; Nés-
« cilis quid petatis ; » c'est, pour nous faire com-
prendre, à nous, que, comme on vient de le voir aussi,
pure, sainte et parfaite à cause du sens tout spirituel
et céleste qu'elle avait dans la bouche de la mère,
cette prière ne méritait des reproches qu'à cause du
sens matériel et terrestre qu'elle avait dans l'esprit
des fils. C'est donc comme si Jésus-Christ eût dit :
Quant à vous, femme, dont les intentions me sont
connues, je n'ai, il s'en faut, aucun reproche à vous
faire. Mais quant à vous, Jacques et Jean, m'ayantfait
par votre mère présenter une telle demande dans des
intentions bien différentes que je connais aussi, je YOUS
dis, à vous, que vous ne savez pas, vous, ce que vous
demandez ; Nescitis quid petatis.
Mais Jacques et Jean étaient les fils de Marie Sa-
lomé; ils avaient puisé dans le cœur et dans la con-
duite de leur sainte mère un grand amour, un atta-
chement à toute épreuve, un dévouement sans bornes

( i) « Tum Dominus, occultorum cognitor, non ad verba interce-


« dentis mulieris, sed ad consillum suggerentium filiorum respondit
* (CHRYS&ST., ht. cW.). »
OU U BONHEUR DES MÈRES, ETC. 379

pour leur divin Maître. Tout imparfaite qu'elle était,


dit donc saint Chrysostôme, leur demande avait sa
source dans leur affection pour le Seigneur. Ils dési-
raient non-seulement d'être toujours en sa compa-
gnie, mais encore d'être le plus près que possible de
sa personne. Leur demande était peu réfléchie, mais
elle n'était pas coupable. Dans les termes dans les-
quels elle lui était présentée, cette demande ne pou-
vait pas être admise; mais la simplicité qui l'avait
inspirée ne méritait pas d'être confondue par une
dure réprimande. Ainsi l'aimable Seigneur ne leur
reproche que leur ignorance ; Nescitis quid peta-
tis; et par là il a donné à comprendre que, quant à
leurs sentiments, il ne trouvait rien à leur repro-
cher (1).
Mais en quoi la pétition de ces Apôtres a-t-elle mé-
rité d'être taxée d'ignorance? L'Évangile va nous
donner l'explication de ce passage de l'Évangile.
Lorsque, par sa Transfiguration sur le mont Thabor,
le Fils de Dieu donna à trois de ses Apôtres un petit
essai de la gloire de sa divinité et de la félicité du
ciel, saint Pierre, ravi des merveilles, du bonheur et
des délices ineffables de cette vision divine, pria le
Seigneur de rester toujours en sa compagnie dans la
même situation, sur la même montagne; Dixit ad
Jesum : Domine, bonum est nos hic esse (Matih., XVH).

(1) « Bonum quidem erat eorum desiderinm, sed inconsiderata


« petitio. ldeo, et si impetrari non debebat, simplicitas tamen p e -
t Utionis confundi non merebatur, quia de amore Domini talis p e -
• titio naacebatur. P r o p t e m solam ignoranUam in eis Dominus
c reprôheadit (fer. citai.). »
380 HOMÉLIE XIII. — SAINTE MARIE SALOMÉ

Or, saint Marc, en rapportant cette prière du prince


des Apôtres a ajouté que Pierre, s'exprimant ainsi,
NE SAVAIT PAS CE QU'IL DISAIT ; Non enim sciebat quid
diceret (Marc, ix). Et pourquoi? parce que faire une
telle prière, c'était ignorer, disent les interprètes, que
la félicité n'a pas été promise aux Saints sur cette
terre, mais au ciel (1) ; et qu'on ne peut atteindre le
bonheur de régner avec Jésus-Christ qu'après avoir
beaucoup souffert pour l'amour de Jésus-Christ (2).
Or, c'est par la même raison, dit le savant interprète
Rabanus, que Jésus-Chrit a fait aux fils de Zébédée le
même reproche qui avait été fait à saint Pierre, de ne
savoir pas ce qu'ils disaient -, c'est-à-dire qu'ils ont
voulu obtenir du Seigneur le siège de sa gloire avant
de l'avoir mérité, et atteindre ce comble du bonheur
sans avoir parcouru la voie du travail par laquelle seu-
lement on peut y arriver (3).
Cette explication est fondée, elle aussi, sur le texte
de l'Évangile-, car, après les avoir avertis de leur igno-
rance, le Seigneur leur a fait, à son tour, cette de-
mande : P O U V E Z - V O U S BOIRE LE CALICE QUE JE DOIS
BOIRE ; Potestis bibere calicem quem ego bibiiurus sum
(v. 22)? et selon saint Marc, il a ajouté encore : « Pou-
vez-vous être baptisés du baptême dont je serai baptisé;

(1) « Quia Petrus oblitus tuerai, Sanctis a Deo in cœlis regnum


« non in terra promissum (DRVTHXAIUÏS, Comment, in Matth.).*
(2) « Quia tempora patiendi non potest félicitas praevenire re-
« gnandi (S. L É O , Serm. de Transfig*). »
(3) « Nesciebant quid peterent, quia sedem gloriae a Domino,
« quam nondum merebantur, inquirebant. Delectabat eos culmen
c gloriae; sed prius debebant calcare viamlaboris (tn Matin.). »
O U LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 381

Et baptismo quo ego baptizor^ baptizari (Marc, x, 38)?


Ce qui a été poser la circonstance de boire son propre
calice, comme une condition nécessaire d'avoir des
places dans son royaume ; car dire, par exemple, à
qui veut marchander une chose : Pouvez-vous dépen-
ser mille louis? c'est poser le payement d'une telle
somme comme une condition indispensable pour ac-
quérir une telle chose. Or, le mot « calice » dans les
Livres saints ne signifie autre chose que la Passion
du Seigneur (1); car au Jardin des Oliviers, pour
donner une preuve sensible de la réalité de son huma-
nité, ayant, au milieu de la plus douloureuse agonie
et de sa sueur de sang, prié le divin Père de détourner
de lui le calice qui allait lui être présenté-, Transeat
a me calix iste, il ne fit allusion qu'à sa passion, qui
allait commencer. Et le baptême dont le Seigneur
aurait aussi fait mention ici, selon saint Marc, n'est
que ce baptême dont il avait dit ailleurs : « J'ai encore
« un baptême à soutenir, et quelle angoisse j'éprouve
«jusqu'à ce qu'il s'accomplisse (2)! » c'est-à-dire, le
baptême de son propre sang qui aurait inondé tout
son saint corps dans le cours de sa passion.
Demander donc à Jacques et Jean s'ils pouvaient
boire son calice, ce fut leur dire, d'après saint Chry-
sostôme : Vous me parlez de partager ma gloire et
ma félicité *, mais avant tout il faut que vous partagiez

(1) « Calicem,in Scripturis divinis passionem intelligimus (S. H I E -


« RON., in Matth.), »
( 2 ) « Baptismo habeo baptizari; et quomodo coarctor usque dum
« perficiatur (Luc. xu, 50) ! »
382 HOMÉLIE XIII. — SAINTE MARIE SALOMÉ

mon agonie et mes sueurs; car le temps de la ré-


compense ne peut précéder le temps du mérite ( 1 ) !
Mais le Dieu qui avait connu et mis au grand jour
le secret de la démarche qu'ils avaient engagé leur
mère à faire auprès de Lui, ne pouvait pas ignorer les
dispositions de leur cœur. Ce n'est donc pas à fin de
savoir, Lui, ce qu'il aurait ignoré, qu'il les interroge s'ils
sont disposés à boire à sa même coupe la liqueur amère
de sa passion ; mais c'est, dit saint Chrysostôme, afin
que, par cette interrogation mystérieuse et publique,
nous entendissions, nous aussi, d'une manière solen-
nelle, de ses propres lèvres, ce que nous ne savions
pas et que nous aimons si peu à savoir, c'est-à-dire :
que personne ne peut suivre Jésus-Christ dans son
royaume^ à moins qu'il ne l'ait imité et suivi dans
sa passion, et que le trésor de la béatitude éternelle,
dont la valeur est infinie, ne peut être acquis qu'au
prix des plus grands sacrifices (2).
Ailleurs le divin Sauveur avait dit : « Le royaume
« des cieux n'est point le partage des esprits peu cou-
« rageux, mais la conquête des forts ; il n'est que le prix
« de la violence que l'homme se sera faite à lui-même;
« Regnum cmlorum vim patitur, et violenti rapiunt
« illud (Matth. xi, 12). » Or, Jésus-Christ disant tout
haut aux fils de Zébédée, qui lui demandent des places

(1) « Perinde ac si dicat :Vos de honore et coronls loquimini; ego


« autem de agone et sudoribus. Non enim hoc est prœmiorum tern-
it pus (/oc. c i / . ) . »
(2) « Ideo interrogat ut omnes audiamus : Quia n«mo potest cum
« Christo regnare, nisi Passionem Christi fuerit imitatns. Res enim
« pretiosa non nisi pretloso pretio comparatur (foc. cit.). *
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 383

dans son royaume : Pouvez -vous boire le calice que je


doit boire moi-même? c'est Jésus-Christ, poursuit saint
Chrysostôme, nous rappelant cette même grande doc-
trine de son Évangile. Car, les motsPamon du Seigneur
signifient ici non-seulement les tourments et même la
mort que tout chrétien doit être prêt à subir pour la foi ;
mais aussi toute espèce d'efforts qu'il doit faire pour
combattre et vaincre le péché (1). C'est Jésus-Christ,
ajoutons-nous, répétant ici au monde, avec l'imposante
autorité de Maître, de Seigneur et de Dieu, ce qu'il lui
a dit ailleurs et lui a fait dire par son Apôtre : Que si,
comme Homme et chef des Prédestinés, il a dû passer
par la souffrance, pour entrer dans la gloire du Ciel
qui, par tant de titres, était à Lui, (2) à plus forte raison
ne pouvons-nous entrer qu'à la même condition dans
cette même gloire qui nous est étrangère et pour la-
quelle nous n'avons d'autre titre que sa miséricorde
et sa bonté (3); qu'on ne parvient pas au Paradis par
le chemin semé de fleurs du Thabor, mais par la voie
escarpée du Calvaire, en marchant sur ses traces en-
sanglantées, notre croix sur les épaules et l'abnégation
dans le cœur (4); qu'on n'est prédestiné qu'à la con-
dition de recopier en soi-même l'image de I'HOMME-DIEU

( 1 ) « Per passionem Domini intelligimus non solum passionem


a gentilium, sed omnem violentiam quam patimur, contra peccata
« certantes (Ibid.). »
(2) « Nonne oportuit Christum pati, et ita intrare in gloriam
• $uam(Luc. xitv)?
(3) « Non currentis sed nriserentis est Dei (Rom. ne, 18). »
(4) « Quid vult venire post me, abneget semetipsum, et tolïat
« erucem suara etsequaturme (Matin, xvi, 24). »
384 HOMÉLIE XIII. — SAINTE MARIE SALOMÉ

CRUCIFIÉ (1), et que nous ne serons glorifiés avec lui


qu'autant que nous aurons souffert en sa compa-
gnie (2).
Voilà ce que notre divin Sauveur a voulu dire par
son interrogation qu'il fit à Jacques et à Jean : Pouve -
vous boire le calice que je dois boire ? Elle était grave
et effrayante, comme on le voit; elle exigeait d'eux
qu'ils s'engageassent à leur tour à partager ses igno-
minies, ses douleurs, sa mort, dont il venait de mettre
sous leurs yeux l'affreux tableau. Eh bien, nous re-
trouvons encore ici les enfants de Marie Salomé, ces
grandes et belles âmes auxquelles leur sainte mère
avait su inspirer un attachement à toute épreuve à la
personne et à la société du Messie. Ils ne balancent
donc pas; et avec l'accent d'un parti pris, d'une réso-
lution bien arrêtée depuis longtemps dans leur cœur :
« Oui, répondent-ils au divin Maître, nous le pouvons;
« Dicunt Ei : Possumus (v, 22). » Ce qui fut dire,
d'après les interprètes : « Oui, nous le voulons bien, et
nous sommes prêts à tout souffrir pour vous, même
la mort (3). »— Car lorsqu'il s'agit de choses ardues
qui demandent un grand effort de volonté et une
grande énergie d'âme, dire :Je le puis, c'est dire : Je le
veux (A). — Jésus-Christ reprit alors : Et moi je vous

(1) * Quos prœscmt et pTsedestinavit conformes vult fierl imagini


« Filii sui (Rom. v m , 29). »
(2) « Si compatimur, et conglorifîcemur (Rom* v m , 1 7 ) . »
(3) c Possumus, id est : Volumus, et parati sumus pro te mor-
« tem oppetere (MALDONATCS, hic). »
(4) « Posse subinde sumitur pro velle ; prœsertim ubi res est
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 385

dis que vous boirez en effet mon calice; vous serez


baptisés de mon baptême ; mais d'être assis à ma droite
ou à ma gauche, il ne m'appartient pas de vous le
^donner, mais ce sera le partage de ceux à qui mon
Père l'a préparé; Ait illis : Calicem quidem meum
bibetis- et baptismo quo ego baplizor, baptizabimini;
sedere autem ad dexteram meam vel ad sinist?'am, non
est meum dare vobis, sed quibus paratum est a Pâtre
meo (v. 23). »

§ 5. Jésus-Christ n'a dit aux fils de sainte Salomé : R ne m'appar-


tient pas de disposer des places du ciel, crue comme homme, et eu
égard aux conditions tout humaines auxquelles ces jeunes gens
les demandaient.—Le royaume du ciel ne se donne pas à la faveur,
mats à la vertu. — Cette doctrine est une source de consolations
pour les bons chrétiens pauvres, et mal rétribués dans ce monde.

Mais est-il possible que le Fils de Dieu ait prononcé


ces dernières paroles? N'a-t-il pas dit lui-même à ses
disciples : « C'est moi qui dispose du règne céleste pour
« vous, comme mon Père en a disposé pour moi; Ego
« dispono vobis sicut disposuit mihi Pater meus^regnum
y

« (Luc, XXII, 29)? » Comment donc, leur dit-il ici :


<i Qu'il ne lui appartient pas de disposer de ce règne-,
« Non estmeum dare vobis?» LaVéritépar essence s'est-
elle donc contredite? Marie Salomé s'est donc exagéré
outre mesure la puissance du Seigneur, en lui disant :
Seigneur, vous n'avez qu'à prononcer un seul mot,
et la place que je demande pour mes enfants dans

« ardua, quae magno voluntatis conatu et robore indiget (A LAPIDE,

« hic), »
n. 2i
386 HOMÉLIE xm. — S A I N T E MARIE SALOMÉ

votre règne leur sera assurée; DIC ut sedeani hi duo y

filii mei unus ad dexteram et unus ad sinistram


y in
regno tuo? Et nous aussi, nous trompons-nous donc
dans notre foi, en mettant en Lui toute notre confiance
d'être sauvés? Non, non, mes frères, il n'y a rien de
tout cela; mais voici la vraie portée de cette déclara-
tion de notre divin Rédempteur.
Jacques et Jean étant, comme nous l'avons dit,
parents du Seigneur par leur mère, dans leur simpli-
cité et dans leur ignorance que Jésus-Christ leur a
reprochée ; Nescitis quid petatis , s'étaient imaginé
qu'à ce titre le divin Maître aurait bien voulu les pré-
férer à tous leurs compagnons dans la distribution des
places de son règne. Ils demandaient donc, dit Corné-
lius à Lapide, à leur parent, à l'homme, et ils n'atten-
daient que de l'homme la grâce qu'ils sollicitaient (I).
Mais donner une place quelconque dans le royaume des
cieux, nous dit saint Augustin, n'est pas du pouvoir
de l'homme, mais du pouvoir de Dieu (2). Ne pouvant
donc faire, comme homme, ce qu'ils demandaient,
Jésus-Christ a eu bien raison de dire : Ce n'est pas à
moi à vous destiner la place que vous désirez.
Les mêmes paroles qu'il a ajoutées : Mais à ceux à
qui mon Père l'a préparé, nous indiquent assez qu'ici
le FILS DE DIEU n'a parlé qu'en Fils de l'homme-, car
toutes les fois, poursuit le grand Interprète que je

(1) « Praeeminentiam in Regno Joannes et Jacobus, ratione c o -


« gnationis et familiaritatis cum Christo, ambiebant (In Matth.
« xx). »
(2) « Cœlum dare non est potestatia humanae sed dlvinœ ( De
« Trimtate, lib. Il, c. i). »
OU LE BONHEUR D E S MÈRES, ETC. 387

viens de citer, que ce Fils de Dieu se déclare, dans


l'Évangile, inférieur au Père et son sujet, toutes les
fois qu'il rapporte tout à ce Père divin, et qu'il lui
attribue tout ce qu'il a reçu, il ne fait cela que dans
sa qualité de Fils de l'homme (1). Mais tout en disant
ici, reprend saint Augustin, qu'il ne peut pas disposer
du ciel dans la forme de serf, Jésus-Christ n'en a
pas moins dit, ici même, qu'il dispose, lui aussi, du
ciel dans sa qualité de Fils de Dieu ; car, dans cette
qualité, n'étant, comme il l'a dit lui-même, qu'une
seule et même chose avec son Père, ce qui est préparé
par le Père F est aussi par lui (2).
Ainsi donc, en nous disant : « Ce n'est pas à moi
« à vous donner le ciel ; Non est meum dare vobis,
il a parlé de lui comme homme; et en disant : « C'est
« moi qui dispose du ciel pour vous ; Ego dispono
« vobis regnum, » il a parlé de lui comme Dieu. Et,
sous ces différents rapports, ces deux déclarations
étant toutes les deux d'une exacte vérité, il n'y a pas
de contradiction entre elles, mais il y a raison, jus-
tesse et harmonie..
C'est celle distinction qu'il faut avoir toujours de-
vant les yeux en lisant l'Évangile; et alors, dans tous
les discours, dans tous les faits de notre divin Sau-
veur, on n'aperçoit que sa touchante sollicitude de nous

(1) « Quia Christus, ut horno, semper se Patri subjicit; omnia


« in ipsum r é s i g n â t , ipsique accepta refert ( A LAPIDE , loc.
« cit.). n
(2) « Secundum formam servi dixit : Aon est meum dare vobis.
r. Quod autem paratum est a Pâtre ejus, et ab Jpso paratum est.
« Quia ipse et Pater unum sunt {loc. cit.). t
388 HOMÉLIE XIII. — SAINTE MARIE SALOMÉ

prouver la réalité de ces deux natures, la nature divine


et la nature humaine, cette doctrine fondamentale du
mystère de l'Incarnation et de toute la religion. Alors,
dans ces discours et dans ces faits, tout s'explique,
tout se coordonne et s'harmonise, tout devient clair ;
et la lecture de ce Livre divin devient une source inef-
fable de lumières pour l'esprit et de consolations pour
le cœur.
Mais remarquez bien, nous dit saint Chrysos-
tôme, qu'afin de prévenir toute objection que l'hé-
résie aurait pu tirer un jour de ce passage, contre
l'étendue de la puissance du Christ et les droits de sa
royauté, en un mot contre sa divinité, Jésus-Christ
n'a point parlé ici dans un sens absolu, mais dans un
sens relatif; car il n'a pas dit : Je ne puis pas disposer
du ciel-, mais il a dit : Je ne puis pas disposer du ciel
pour VOUS DEUX, et pour les raisons pour lesquelles
vous me les demandez (1). Et ce fut leur dire, d'après
saint Jérôme : Vous prétendez que je vous accorde les
deux premières places dans mon royaume, parce que
vous êtes mes parents. Vous m'avez fait adresser la de-
mande de cette grande distinction par votre mère que
j'affectionne tant à cause de sa vertu. Vous croyez donc
que je veuille disposer des places de mon royaume,
comme le font les rois de la terre, par considération
pour les rapports du sang et de la parenté, par inclina-
tion naturelle, par sympathie, par sollicitations et par
faveur. Or, à ces conditions et par ces moyens, vous

(1) « Ut non infîrmusesse ostendatur, non dixit S1MPLIC1TER :


« NON EST MEUM DARE, Bed : NON EST MEUM DARE V06IS (loc* Cit.). *
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 389

n'obtiendrez jamais ce que vous sollicitez, et il ne


m appartient pas de vous l'accorder ; car il n'y a pas
acception de personnes auprès de Dieu. L'acquisition
des places du céleste royaume ne dépend pas seule-
ment de la volonté de Celui qui les donne, mais aussi
des dispositions de ceux qui doivent les recevoir. Elles
ne se donnent pas à la faveur, mais au mérite; elles
ne sont pas distribuées d'après les qualités des per-
sonnes, mais d'après leur vie ; et celui-là seul doit en
être investi qui en sera trouvé digne. C'est l'économie
divine du mystère du royaume du ciel (1).
Pour saint Chrysostôme aussi ces divines paroles :
Vous boirez, en effet, mon calice \ mais ce ri est pas à
moi à vous donner les places auxquelles vous aspirez,
peuvent se traduire ainsi : « Vous partagerez ma
passion ; vous mourrez même pour fnoi, je vous le
prédis; mais lors même que vous aurez rempli cette
première condition indispensable pour vous trou-
ver au ciel en ma compagnie, n'allez pas croire
pour cela que les sièges les plus élevés vous soient
assurés. Car si quelque autre se présente à moi ayant
passé par le martyre comme vous, mais ayant plus de
vertu et plus de mérite que vous, l'amour que j'ai pour
vous comme mes parents, ne me fera jamais exclure
celui-là du premier rang pour vous le réserver. Car la

(i) « Aon est meum dare vobis, id est : Regnum cœlorum non
« est tantum dantis sed et accipientis. Non est personarum acceptio
« apud Deum ; sed quicumque talcm se prœbuerit ut Regno cuslo-
• rum dignus flat, hoc accipiet, non ex favore sed ex merito, quod
* non persona? sed vilae paratum est (Comment, in Matth.). »
390 HOMÉLIE XIII. — SAINTE MARIE SALOMÉ

primauté dans le royaume du ciel n'appartient qu'à


ceux qui, par leurs œuvres, sont devenus les pre-
miers (1).
Enfin, imaginez, nous dit Théophilacte, un roi juste
qui, ayant institué une joute, dont le prix ne doit être
décerné qu'au mérite de la valeur, soit abordé par
ses parents et par ses amis lui demandant d'être pré-
féré à tous les autres dans la distribution des prix et
des couronnes; n'aurait-il pas le droit de leur ré-
pondre : Qu'il ne lui appartient plus de disposer, par
des considérations personnelles, de ces prix et de ces
couronnes, après avoir décrété qu'ils ne seront em-
portés que par ceux qui seront restés vainqueurs dans
la lutte? C'est le cas précis de notre Évangile. Jésus-
Christ ne pouvait donc, ne devait répondre à Jacques
et à Jean que comme il l'a fait (2). Ainsi donc, con-
clut saint Ambroise, Jésus-Christ n'ayant pas dit : Je
ne puis pas donner; mais : Je ne puis pas donner à
VOUS les premières places du ciel, affirme, non pas
qu'il lui manquait le pouvoir de les accorder, mais

(1) * Quaerebant, prae aliis stare apud Ipsum. Sed Christiis, Mo-
« riemini quidem, inquit, propter m e , non tamen hoc suflicit vos
n facere primum ordlnem obtinere. Si enim aliquis alius venerit,
« cum martyrio, ampliorem virtutem possidens; non quia vos amo,
« illum expellam et vobis dabo primatum. His enim paraïur prima-
« tus qui per opéra possunt fieri primi (loc. cit.). »
(2) « Sic justus rex agoni a se instituto praesidens, accedentibus
« cognatis et amicis,dicenUbusque : Da nobis bravium e t e o r o n a m ;
« jure, meritoque responderet : Non est meum vobis dare bravium,
« sed quibus illud paratum est et decretum est, scilicet in agonecer-
<t tantibus et vincentibus (In x Marci)
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 391

qu'il manquait aux solliciteurs les dispositions et le


mérite de les obtenir (1).
Oh! que cette doctrine est consolante pour les pau-
vres, les petits, les malheureux selon le monde ! Cette
divine doctrine les assure que, non pas la noblesse de la
naissance, la richesse de la fortune, la supériorité du
rang, l'étendue du savoir, mais la pureté de l'âme, la
droiture du cœur, l'innocence des mœurs et la sainteté
de la vie, l'humilité et la prière sont les seuls titres de
recommandation auprès de Dieu. Cette divine doctrine
les assure que, pour être le rebut de la terre, ils n'en
peuvent pas moins espérer les premières places dans le
ciel ; et, pour être méconnus, méprisés, persécutés par
les hommes, ils n'en peuvent pas moins devenir les
plus grands amis de Dieu. Cette divine doctrine les
assure enfin que la justice de Dieu saura bien les dédom-
mager un jour de toutes les injustices du monde !
Que nous devons donc être reconnaissants aux fils
de sainte Marie Salomé de nous avoir procuré, par
l'imperfection même de leur prière, une pareille leçon
de la part de notre divin Maître! C'est ainsi, dit saint
Chrysostôme, que souvent le Seigneur a permis que
ses disciples pensassent, dissent ou fissent des choses
irraisonnables, inexactes, imparfaites, afin d'avoir
parla l'occasion, en corrigeant leurs défauts, de don-
ner à tout le monde les règles de la vraie piété. Car il
savait bien que sa doctrine était une source d'édifica-

( l ) « Non dixit : Aon est meum dare; sed : Non est meum dare
« VOBIS : non sibi potestatem déesse asserens, sed meritum crea-
« turi$(Ap.a Lap.). »
392 HOMÉLIE X M . — SAINTE MARIE SALOMÉ

tion non-seulement pour le présent, mais aussi pour


l'avenir (1).

§ 6. Sainte Salomé a obtenu tout ce qu'elle a demandé au Seigneur


pour ses fils. — Ils furent les plus distingués par lui, parmi les
apôtres, et partagèrent sa passion. — Gloires toutes particulières
à saint Jean, le fils chéri de sainte Salomé.

Mais, si imparfaite, dans les intentions des fils, la


demande qui a provoqué des explications si précieuses,
ne l'était pas, comme nous l'avons vu, dans les inten-
tions de la mère. Elle méritait donc d'être exaucée, et
elle le fut, en effet, dans toute la plénitude de la lettre.
Il est vrai que, par sa réponse, la Sagesse incarnée
ne dit clairement ni Oui, ni Non. D'après saint Jérôme,
Elle ne dit pas Oui pour ne pas froisser les autres Apô-
tres \ Elle ne dit pas Non non plus, pour ne pas décou-
rager et confondre les deux frères qui ne le méritaient
pas (2). Mais il n'en est pas moins vrai que le Seigneur
a accompli tout ce que sainte Salomé lui avait demandé
pour ses fils.
En disant à ces fortunés jeunes gens : « Vous boirez,
« en effet, au môme calice auquel je boirai moi-même ;
« vous serez, vous aussi, baptisés du même baptême
« dont je serai baptisé moi-même; » Calicem quidem

(1) c Fréquenter patitur Dominus discipulos suos aliquid non


« recte aut dicere aut agere aut cogitare : ut ex illorum culpa occa-
v, sioricm. habeat exponendi regulam pietatis : sciens quia non solum
« in prœsenti sed etiamin futuro doctrina Ejus œdificat {loc. cit.).>•
(2) c Non dixit : Non sedebitis, ne duos confunderet; neque etiam
« dixit : Sedcbitis, ne cseteros irritaret (loc, cit.). »
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 393

quem ego bibo, bibetis, et baptismo quo ego baptizor,


èaptizabiminiy le Fils de Dieu rendit, d'abord, selon
saint Hilaire, un éclatant témoignage à la pureté et à
la générosité de leur foi qui leur avait inspiré la belle
déclaration d'être prêts à partager ses souffrances et
ses opprobres (1).
En second lieu, par les mômes paroles, satisfait de
leurs dispositions, au dire de saint Chrysostôme, le
divin Seigneur leur prédit qu'ils auraient l'insigne
bonheur de lui être associés dans sa passion (2); et
enfin par les mêmes paroles, il fit d'avance, d'après
Origène, leur panégyrique, et prophétisa leur vraie
grandeur et leur perfection (3).
En effet, après avoir évangélisé l'Espagne, revenu
à Jérusalem et décapité par Hérode Agrippa (Act. xn),
à cause de son zèle dans la prédication et la confes-
sion de la foi chrétienne, saint Jacques fut le pre-
mier des Apôtres à répandre son sang, à donner sa vie
pour Jésus-Christ. Saint Jean, son frère, but, lui aussi,
au même calice et fut baptisé du même baptême. Car
quoiqu'il soit mort de vieillesse, à l'âge de presque
quatre-vingt-dix ans, cependant, dit saint Jérôme, en
citant Tertullien, sous le féroce Donatien, saint Jean
fut, à cause de la confession de Jésus-Christ, plongé
dans une chaudière d'huile bouillante; et, Dieu l'ayant

(1) « Collaudans eorum fidem ait : Martyrium quidem eos secum


* compati posse (in Matth.). »
(2) « Dominus autem prophetat eis magna bona, id est, marty-
« rio eos dignos efficiendos (loc. cit.). »
(3) « Ad futuram eorum perfectïonem respiciens dixit : Calicem
i quidem, etc. {in Caten.). »
394 HOMÉLIE XIII. — SAINTE MARIE SALOMÉ

miraculeusement conservé en vie au milieu de cet


affreux supplice (1), il fut exilé dans l'île de Pathmos,
où il écrivit son Apocalypse. Prochorus, son disciple, et
saint Isidore de Séville, attestent que le tyran, voulant,
toujours pour la même cause, s'en débarrasser, sans
bruit, lui fit boire une boisson empoisonnée, dont il ne
reçut aucun mal : Dieu l'ayant encore cette fois miracu-
leusement sauvé (2). Qu'importe donc, reprend saint
Jérôme, que le persécuteur n'ait pas répandu son sang?
Saint Jean n'en a pas moins passé par les plus grandes
privations et toutes les douleurs de l'exil, par le poison
et par le feu. Il a bu au calice de la confession auquel
burent les trois jeunes enfants de Babylone, au milieu
des flammes de la fournaise où ils furent jetés-, et les
prodiges par lesquels Dieu le conserva n'ont rien ôté à
son mérite d'avoir plusieurs fois confessé Jésus-Christ
au milieu des plus atroces supplices, ni à la réalité, ni
à la gloire de son martyre (3).

(1) Ce prodige est arrivé près de la porte Latine à Rome. Les


chrétiens en perpétuèrent le souvenir, en érigeant, au même e n -
droit, une église qui y existe encore, sous la dénomination de saint
Jeandevant la porte Latine; et l'Église romaine célèbre la mémoire
de ce martyre couronné par un si grand miracle, par une féte p a r -
ticulière, le 6 du mois de mai.
(2) La tradition nous a conservé le souvenir de ce fait en peignant
saint Jean toujours avec un calice à la main.
(3) « Si ecclesiasticas historias legamus, in quibus fertur quod
« et ipse, propter martyrium (confessionem), sit missus in ferventis
« olei dolium, et inde, ad suscipiendam coronam Christi Athleta pro-
« cesserit, statimque in Pathmos insulam relegatus sit ; videbimus
« martyrio animum non defuisse, et blbisse Joannem calicem c o n -
• fessionis qnem et très pueri in camino ignis bibemnt; llcet perse-
« cutor non fudciit sanguincm (Comment, in Mattk.) »
OTJ LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 395

Sainte Marie Salomé n'a pas été moins heureuse par


rapport à ce qu'elle a demandé pour ses fils, durant
la vie mortelle du Seigneur. A l'exception de saint
Pierre que le Fils de Dieu avait choisi pour chef de son
Eglise, et qu'il plaça dans une catégorie tout exception-
nelle, les deux enfants de sainte Marie Salomé eurent
toujours le premier rang parmi les Apôtres. Jésus-
Christ les eut toujours à ses côtés; il les honora d'une
affection toute particulière; il en fit les seuls confi-
dents intimes de ses secrets et les seuls témoins ocu-
laires de ses grands mystères. Car Jacques et Jean fu-
rent les seuls, parmi les Apôtres, que, conjointement
avec saint Pierre, le Seigneur fit assister au sublime sa-
crement de sa Transfiguration sur le Thabor (Matth.,
xvn), au grand prodige de la résurrection de la fille de
Jaïre (Ibid. îx), et à sa prière et à ses douloureuses
agonies du Getsemani (Ibid. xxvn).
Mais voici des gloires toutes particulières à saint Jean,
l'enfant chéri de Marie Salomé, et que personne n'a
partagées parmi les douze, pas même saint Pierre. C'est
celui des Apôtres que l'Évangile appelle « Le disciple
que Jésus aimait au-dessus de tous les autres; » c'est le
seul des Apôtres qui, à la dernière Cène, eut l'ineffable
bonheur de s'endormir sur la poitrine du Seigneur
(Joan., xm, 23), d'écouter les palpitations de son cœur
divin, et d'y puiser les plus sublimes secrets du ciel.
C'est le seul des Apôtres qui, à la dispersion de tous ses
collègues, après l'emprisonnement du Seigneur, ne
l'ayant pas quitté un seul instant, mais l'ayant accom-
pagné au Calvaire, et, debout à côté de sa croix, ayant
assisté à sa mort, recueillit, d'après la belle pensée de
396 HOMÉLIE XIII, — SAINTE MARIE SALOMÉ

saint Ambroise, en vrai chancelier de l'Église, les der-


nières paroles du Rédempteur mourant, le Testament
de son amour-, et, qui enfin, l'ayant fidèlement consigné
dansrÉvangile,etl'ayantsigné,comme témoin oculaire
de tout ce qu'il atteste, et l'ayant environné de tous
les caractères d'une authenticité divine, l'a transmis à
l'Église, et Ta conservé à l'espérance, à la consolation
et à l'édification du monde. C'est enfin le seul parmi les
Apôtres qui, à cause du prodige de son innocence et
de sa virginité, mérita l'insigne honneur que le Fils de
Dieu lui donnât pour mère la sainte Vierge, sa propre
Mère, et qu'il confiât à ses soins affectueux cette au-
guste Mère, ce temple vivant de sa divinité, et ce qu'il
laissait de plus cher sur cette terre : la plus pure de
toutes les femmes ne devant être confiée qu'à la garde
du plus pur de tous les hommes.

§ 7. Réalisation du nom prophétique du FILS DU TONNERRE , quo


J'ésus-Christ imposa aux enfants do sainte Salomé. — Sublimité
de l'Évangile de saint Jean.— A quelle occasion fut-il écrit.—Par
cet Évangile saint Jean a tonné et tonnera toujours dans le monde.
— Exhortation aux mères chrétiennes à la pratique de la priera
pour leurs fils.

Rappelons encore que les deux fils de sainte Marie


Salomé ont été les deux seuls Apôtres auxquels, le
jour même où il donna à Simon le nom de P I E R R E ,
le divin Sauveur imposa le nom particulier de BOA-
NERGES, mot qui signifie LES FILS DU TONNERRE OU LES
TONNANTS (1). Et, en effet, les fils de cette mère aussi

( i ) « Et imposait Simoni nomen PETRUS; et Jacobum Zebedœi et


OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 397

douce, aussi pacifique par les sentiments que par le


n o m ( l ) , et aussi pacifiques, eux aussi, autant que
leur sainte mère, transformés en d'autres hommes par
le feu du Saint-Esprit, sont devenus les vrais FILS DU
TONNERRE ou LES TONNANTS : l'un, saint Jacques, par
sa prédication; l'autre, saint Jean, par son Evangile.
Car saint Jacques, ayant implanté le christianisme en
Espagne, d'où, plus tard, la foi chrétienne est passée
aux Indes orientales et au nouveau monde ; c'est l'A-
pôtre dont, saint Pierre toujours excepté, le tonnerre
de la prédication du christianisme a eu dans les deux
mondes le retentissement le plus étendu et le plus
prolongé.
Quant à saint Jean, c'est le seul Evangéliste qui
nous ait tracé la vie éternelle, la vie divine du Verbe r

avant de se faire homme; tandis que les autres Evan-


gélistes ne nous ont raconté que la vie de ce même
Fils de Dieu après qu'il s'est fait homme. Dans son
Évangile, le grand dogme de la divinité de Jésus-
Christ perce et éclate, tout pur, de tous ses discours, de
toutes ses actions, comme le premier rayon du soleil
levant. C'est l'Évangile où ce dogme fondamental de
toute la religion nous apparaît brillant de lumières
plus resplendissantes, et environné de grâces plus
attrayantes que dans les autres Évangiles.
C'était le temps où, par l'organe des hérétiques
Ébion et Cérinthe, et d'autres monstres semblables,

« Joannem îratrem Jacobi, et imposuit eis nomina Boanerges, quod


• est, Filii lonitrui (Marc, m, 17). »
( I ) Le mot Salomc signifie pacifique.
398 HOMÉLIE XIII. — SAINTE MARIE SALOMÉ

Satan venait de formuler, pour la première fois, le


blasphème que Jésus-Christ n'était pas Dieu. De toutes
les parties de la chrétienté, et particulièrement de
toutes les Églises d'Asie, que saint Jean avait fondées,
les plus vives instances furent faites au grand Apôtre,
afin qu'il voulût écrire quelque chose de plus haut sur
le Verbe de Dieu, capable d'imposer silence aux blas-
phémateurs de la divinité du Sauveur et d'affermir les
chrétiens dans la foi de cette grande vérité. « Je le
veux bien, répondit-il, pour l'honneur de mon divin
Maître et pour l'édification et la consolation de l'É-
glise. Mais j'ai besoin, pour cela, de la lumière du
ciel, qu'on n'obtient que par la prière. Je prendrai
la plume pour écrire sur ce grand sujet le tel jour du
tel mois. Que tous les fidèles fassent donc un carême
de jeûnes et de prières avant ce jour; et que ce jour-
là ils demeurent tous en prières, alin que le Fils de
Dieu daigne suggérer lui-même ce qu'il veut qu'écrive
de Lui le dernier de ses disciples. » C'est ce qui eut
vraiment lieu, d'après la tradition que saint Jérôme
nous a conservée. Ainsi, ce fut pendant que toute
rÉglise était en prière, que le DISCIPLE BIEN-AIMÉ,
s'étant mis en prière lui-même; s'éleva en esprit,
par la contemplation, au plus haut de la Lumière
inaccessible à toute intelligence rampante encore sur
la terre; s'approcha le plus près que possible d e l à
majesté de Dieu, non pour la sonder, au risque d'en
être écrasé par sa gloire (1), mais pour la révéler aux
autres et la faire glorifier; et se trouva, selon l'ex-

(l) -t Scrutator Majestatis opprimetur a gtoria (Prou, xxv, 27). *


OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 399

pression de saint Jérôme, rassasié de la révélation de


Dieu. Il vit la Lumière de Dieu dans la lumière de
Dieu (1). L'aigle des Évangélistes plongea son regard,
pur de toute souillure et rassuré par l'humilité de son
élan et par la sainteté de ses intentions, dans le vrai
SOLEIL DE JUSTICE, et en recueillit un rayon ineffable
qui lui découvrit le Verbe tel qu'il est, dans les pro-
fondeurs de l'énigme incompréhensible de sa géné-
ration éternelle au sein de Dieu son Père, et "dans
tous les charmes de sa charité pour les hommes ; et
revenant du ciel, d'une main ferme, parce que le
Saint-Esprit la guidait, il traça ces grandes paroles
si au-dessus de toute pensée humaine, si en dehors
de tout langage terrestre, et qui ne purent être que
l'écho d'une voix céleste, le prolongement d'un
souffle divin $ ces paroles qui étonnèrent le ciel, qui
consternèrent l'enfer, qui firent tressaillir de joie la
terre, qui ébranlèrent toute la création : Au COMMEN-
CEMENT ÉTAIT LE V E R B E , E T LE VERBE ÉTAIT EN DIEU,
ET LE VERBE ÉTAIT DIEU. IL ÉTAIT AU COMMENCEMENT
AUPRÈS DE DIEU. TOUT A ÉTÉ FAIT PAR LUI, E T RIEN D E
CE QUI A ÉTÉ FAIT N'A É T É FAIT SANS LUI. E N LUI ÉTAIT
LA V I E , E T LA VIE ÉTAIT LA LUMIÈRE DES HOMMES (2),

(1) « In lumine tuo vîdebimus lumen (Psal. xxxv, 10). »


(2) « Cum jam hœreticorum semina pullularent Cerinthi, Ebio-
« nis et cœterorum qui negant Christum in carne venisse
« Coactus est ab omnibus pœne tune Asiae episcopiî), et multarum
« Ecclesiarum legationibus de DIVINITATE SALVATORIS altius scribere,
a et ad ipsum Dei verbum, non tam audaci, sed felici temeritale pro-
« rumpere. Unde et Ecclesiastica narrât historia, cum a fratribus
« cogeretur ut scriberet, ita facturum se respondisse, si, indicto j e -
400 HOMÉLIE XIII. — SAINTE MARIE SALOMÉ

D'après Métaphraste et d'autres auteurs anciens, ci-


tés et suivis par Baronius, comme les paroles : J E SUIS
CELUI QUI SUIS, qui ont révélé ce que Dieu est, ne furent
prononcées au Sinaï qu'au milieu des éclairs et des
tonnerres; de même, pendant que saint Jean écrivait
ces paroles de son Évangile, qui nous ont révélé ce
qu'est le Fils de Dieu, on vit la foudre sillonnant le
ciel, on entendit le tonnerre grondant autour de sa
modeste habitation ; et c'est ainsi que le nom pro-
phétique de TONNANT OU de FILS DU TONNERRE , que
Jésus-Christ avait imposé à saint Jean, s'accomplit
même dans sa réalité physique.
Mais, quoi qu'il en soit de cette belle tradition, qui
n'a rien qui ne soit très-plausible, il n'en est pas
moins vrai que l'Évangile de saint Jean est un éclair
permanent qui du beau ciel de l'Eglise se reflète dans
tout le monde et s'y reflétera jusqu'à la fin des siè-
cles : pour y confondre tous les blasphèmes des hé-
rétiques; pour déchirer les ténèbres de toutes les
erreurs; pour maintenir un phare de lumières, d'es-
pérance et de consolation au sein de l'humanité. Il
n'en est pas moins vrai que, par cet Évangile, ce fils
de Salomé, si doux, si affectueux pour l'homme, cet
ange de la pureté, ce séraphin de l'amour, cet évan-
géliste de la compassion et de la charité, a vraiment

c junio, in commune omnes Deum deprecarentur : quo expleto, re-


i velatione saturatus, Ulud proœmium, e cœlo veniens, eructavit ;
« IN PRINCIPIO ERAT VERBUM; ET VERBUM ERAT APUD ÛEUM ET DE1IS
f ERAT VERBUM : HOC ERAT IN PRINCJPIO APUD DEUM (HIERONYMUS,
t Proœm. in Matth.). »
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 401

tonné dans le monde bien plus que tout autre apôtre,


que c'est le VRAI FIES DU TONNERRE , le VRAI TONNANT,
mais d'un tonnerre qui ne gronde que pour éveiller;
qui n'étincelle que pour éclairer; qui ne terrasse que
pour relever; qui n'atteint que pour guérir; qui ne
frappe que pour rappeler à une vie nouvelle, à la vie
de la grâce et de la vérité.
Oh ! combien donc fut heureuse sainte Marie Salomé
d'avoir été la mère de tels enfants! Après la sainte
Vierge, qui est au-dessus de tout, pour avoir engen-
dré le Fils de Dieu lui-même, les mères les plus heu-
reuses de l'Évangile ont été sainte Elisabeth, qui a
enfanté le grand précurseur du Messie, saint Jean-
Baptiste; sainte Marie de Cléophas, dont il sera ques-
tion dans l'homélie suivante, qui a fourni des frères
et des sœurs à ce Fils de Dieu, et sainte Marie Salomé,
qui a été mère de saint Jacques, le premier martyr de
ses Apôtres, et de saint Jean, son disciple bien-aimé
et le plus grand de ses Evangélistes!
Oh! qu'elle a été heureuse d'avoir vu sa prière
exaucée et au delà de tous ses désirs. Car il n'y a pas
de doute que comme ses enfants ont toujours é t é ,
après saint Pierre, les plus distingués par le Rédemp-
teur divin parmi ses Apôtres et se sont trouvés tou-
jours à ses côtés sur cette terre, il en soit de même
dans le ciel. Voilà ce qui a valu à cette mère fortunée
d'avoir ennobli sa maternité par les sentiments de la
foi la plus vive, par la constance du dévouement le
plus généreux pour Jésus-Christ, et d'avoir, par ses
sublimes exemples et par sa conduite toute sainte,
transmis ces mêmes sentiments à ses fils ; elle a pré-
402 HOMÉLIE XIII. — SAINTE MARIE SALOMÉ

venu et accompli à la lettre l'oracle de saint Paul : Mu-


lier salvabitur per generationem filiorum^ si perman-
serit in fide in charitate, in sanctitate, cum sobrietate.
y

Couragedonc, mères chrétiennes ; édifiez,parvotrefoi,


par votre piété, par votre amour du prochain et par
une conduite toute pure, vos enfants; priez surtout et
ne vous lassez jamais de prier pour leur âme. Et le
Dieu qui a rempli votre cœur de tant de commiséra-
tion, de tant d'intérêt pour les fruits de YOS entrailles,
est tout prêt, vous dit saint Chrysostôme, à écouter
favorablement tout ce que votre affection maternelle
Vous inspirera de lui demander pour leurs véritables
avantages et pour leur salut (1).
Maintenant deux mots-encore sur les cinq derniers
versets du même Évangile, afin qu'il vous soit expliqué
tout entier.

TROISIÈME PARTIE.

LA LOI ET LES RÉCOMPENSES DU DÉVOUEMENT.


§ 8 . Explication do la doctrine du dévouement prèchée par Jésus-
Christ, à l'occasion de l'altercation qu'excita parmi les Apôtres la
prière de sainte Saiome. — Cette doctrine est la hase des sociétés
chrétiennes et la-\ raie C H A R T E de l'humanité. — Obligation des
parents de se dévouer pour leurs enfants, afin de les sauver et se
sauver eux-mêmes.

P a r sa réponse à la prière que, par l'organe de leur


bonne mère, les fils de Zébédée avaient adressée à

(i) « Ipse Dominus, qui maternos animos filiorum miseratione


* mipievit, facilius audiet maternum affeelum {loc, cit.), »
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 403

Jésus-Christ, cet aimable Seigneur, tout ayant l'air


de ne rien leur accorder, au fond, comme on l'a vu,
ne leur a rien refusé. Il n'en fallait pas davantage
pour exciter la jalousie ombrageuse de dix autres
Apôtres, dont, à ce qu'il paraît, pas un seul ne croyait
avoir le même droit que Jacques et Jean aux places
que les deux frères venaient de solliciter pour eux.
Le Seigneur n'avait donc pas fini de parler, poursuit
l'Evangéliste, que les voilà tous les dix tombant sur
les deux, leur cherchant querelle au sujet de la dé-
marche qu'ils avaient ourdie, et exhalant contre eux
par force invectives l'indignation de leur petite vanité
froissée ; Et audientes decem, indignait sunt de duobus
fratribus (Matth., xx, 24). « Comment? leur disaient-
ils, d'après saint Luc; croyez-vous donc avoir un mé-
rite supérieur à celui de nous tous? Passe pour Pierre,
que le Maitre a établi et que nous avons accepté pour
chef. Mais vous, quels titres particuliers avez-vous
pour aspirer aux charges de premiers ministres dans
le nouveau règne du Messie? Est-ce parce que vous
êtes ses parents? Mais, dans ce cas, le lot écherrait
aux frères Jacques et Thaddée qui, fils de Cléophas,
sont des parents à lui plus proches que vous, car on
les appelle ses frères (1). Vous ne pouvez invoquer non
plus le titre de l'ancienneté de la vocation, car André
a été appelé avant vous. Vous ne pouvez enfin allé-
guer pour vous, ni l'excellence de la vertu qui, au
témoignage du Seigneur lui-même, appartient à Bar-

(1) Voyez la table des généalogies du Seigneur, à la fin de ce


volume.
404 HOMÉLIE XIII. — S A I N T E MARIE SALOMÉ

thélemy (1), ni la prééminence du savoir qui est le


partage de Thomas, ni la maturité de Vàge, car vous
êtes les plus jeunes parmi nous. De quel droit préten-
dez-vous donc qu'on vous place au-dessus de nous
tous, dont chacun, par une raison ou par une autre,
vous est supérieur? Facto, est autem ei contentio inter
eos , quis eorum videretur esse major [Luc, xxn, 24). »
Que personne, nous dit ici saint Chrysostôme, ne
se scandalise de voir les Apôtres si petits, si vaniteux,
si égoïstes et si imparfaits avant que le grand mystère
de la régénération de l'homme par la Croix fût con-
sommé et avant qu'ils aient reçu la grâce du Saint-
Esprit. C'est par un trait singulier de la Providence
que toutes leurs misères, leurs faiblesses et leurs dé-
fauts, antérieurs à cette grande époque, se trouvent
consignés dans l'Évangile ; car ils sont la preuve la plus
splendide que leur changement en hommes à qui on
ne put plus reprocher le moindre sentiment d'amour-
propre, en hommes de toutes les vertus, et de Yertus
dont la terre n'avait jamais rien vu de plus héroïque,
de plus sublime, de plus éclatant et de plus parfait, a
été l'œuvre de la puissance du Très-Haut, et le chris-
tianisme et l'Église qu'ils ont fondés, aussi (2).

(1) Barthélémy était Nathanael dont le Seigneur avait dit : Ecce


vere Israelita in quo dolus non est (Joan. i).
(2) « Non turbetur quisquam, si adeo imperfectos dicimus Apos-
« tolos fuisse. Nondum enim mysterium Crucis erat consummatum,
<T nondum gratia Spiritus sancti in corda eorum infusa. Post datam
« graliam eos considéra, et videbisomnem turbationem animi abil-
< lis fuisse separatam. Hac enim de causa illorum modo imperfectio
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 405

Mais cette querelle de petite ambition, qui eut lieu


à cette occasion parmi les Apôtres, nous a été avan-
tageuse sous un autre rapport; car, afin d'y mettre un
terme, les ayant appelés autour de lui, le divin Maître
iit alors à ses disciples, et en eux il fit à tous les chré-
tiens, la grande, la sublime et importante leçon que
voici :
« Vous savez, leur dit-il, que les princes des gentils
« LES DOMINENT et que les Grands leur font sentir
« le poids de leur puissance. IL N'EN SERA PAS
« AINSI PARMI VOUS; mais que celui qui voudra
« être le plus grand parmi vous soit votre serviteur,
« et que celui qui voudra être le premier parmi vous
« soit votre esclave. Comme le Fils de l'homme n'est
« point venu pour être servi, mais pour servir et
« donner sa vie pour la rédemption de tous (1). »
O leçon ! ô paroles ! l'homme n'avait jamais parlé, la
terre n'avait jamais entendu un pareil langage. Aussi,
c'est Dieu et ne peut être que Dieu celui qui a parlé
ainsi; et ce langage est descendu du ciel. On le voit,
le Fils de Dieu a par ces mots clairement distingué et

• revelatur, ut aperte possis perclpere quales subito per gratiam


« fuerint effecti (loc. cit.). »
(1) « Jésus autem vocavit eos ad se et ait : Scitis quia principes
« gentium dominantur eorum, et qui majores sunt potestatem exer-
« cent in eos. Non ita erit inter vos-, sed quicumque voluerit inter
« vos major fieri, sit vester minister; et qui voluerit inter vos pri-
« mus esse, erit vester servus; sicut Filius hominis non venit ini-
« nistrari sed ministrare, et dare animam suam redemptionem
m pro multis £ le mot multis est ici, comme en d'autres endroits de
« l'Écriture, synonyme de tous) (Matth. x x , 25-28). »
406 HOMÉLIE XIII. — SAINTE MARIE SALOMÉ

nettement posé le principe du droit public, qui était


suivi chez les païens, Principes geniium, du principe
du droit public qu'il était venu établir parmi les chré-
tiens; Vos autem non sic. Il nous a dit que si, chez
les païens, tout pouvoir DOMINE ses sujets en maître,
Dominantur eorum ; chez les chrétiens, au contraire,
tout pouvoir doit assister ses sujets comme s'il était leur
serviteur; Sit vester minister. Il nous a dit que si,
chez les païens, les sujets sont exploités dans l'intérêt et
selon le bon plaisir du pouvoir, Potestatem exercent
in eos; chez les chrétiens, au contraire, le pouvoir
doit se consacrer en esclave au bonheur des sujets ;
Erit vester servus. Il nous a dit enfin que comme
toute la science sociale, toute la législation des peu-
ples païens se résumaient dans le mot DOMINATION,
Dominantur ; au contraire, toute la science sociale,
toute la législation des peuples chrétiens doivent se
résumer dans le mot DÉVOUEMENT; Dare animam
suam. Et afin de sanctionner cette nouvelle et sublime
doctrine par l'exemple de la plus grande, de la plus
légitime, de la plus essentielle de toutes les autorités,
l'autorité de l'Homme-Dieu, créateur, maître et sei-
gneur de l'homme ; il a dit que ce Fils de Dieu fait
homme, au lieu de dominer l'homme par sa supério-
rité, au lieu de dompter l'homme par sa puissance, s'est
fait lui-même le serviteur de l'homme ; Sicut Filius
hominis non venit ministrari sed ministrare; qu'au
lieu d'exploiter l'homme , il a donné lui-même sa vie
pour la rédemption de l'homme; Et dare animam
suam redemptionempro multis ; et que c'est là le miroir
que tout pouvoir chrétien doit toujours avoir devant
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 407

les yeux, et que c'est là le modèle et l'exemple qu'il


doit suivre.
Ce n'est donc pas ici une exhortation pieuse à la
pratique de l'humilité, mais c'est la grande loi du DÉ-
VOUEMENT établie comme la base et le caractère pro-
pre delà constitution de la société chrétienne. C'est la
GRANDE CHARTE que le Dieu, auteur et maître su-
prême de toute société, a octroyée, a publiée et impo sée
lui-même, comme la vraie charte constitutionnelle de
l'humanité, et qui seule peut lui donner l'ordre et la
vraie liberté.
C'est à ce sublime et magnifique passage de l'Évan-
gile que le pouvoir ecclésiastique de l'Église a appris
à se dévouer au bien des fidèles : le souverain pontife
a appris à se donner la qualification de SERVITEUR DES
SERVITEURS DE DIEU; Servus servorumDei, et les bons
évèques et les vrais pasteurs des âmes ont appris à
consacrer tout ce qu'ils ont, tout ce qu'ils sont, même
leur vie, au salut de leur troupeau.
C'est à la lumière de ce passage de l'Évangile que les
princes chrétiens ont envisagé l'exercice du pouvoir
politique moins comme un droit que comme un grand
devoir; moins comme un avantage que comme un im-
mense fardeau; qu'ils se sont,eux aussi,dévoués entiè-
rement au bonheur de leurs peuples, et ont donné au
monde le spectacle nouveau des monarchies chré-
- tiennes ne puisant leur force et leur stabilité que dans
le dévouement du pouvoir public aux intérêts publics.
C'est enfin par ce passage de l'Évangile que les
pères de famille chrétiens ont compris qu'ils ne peu-
vent disposer de leurs enfants à la manière des païens,
408 HOMÉLIE XIII. — SAINTE MARIE SALOMÉ

commo d'une chose que son possesseur peut aliéner ou


détruire selon son intérêt ou selon son plaisir; mais
qu'ils se doivent tous appliquer à les bien élever, à
leur assurer, au prix des plus rudes sacrifices, le plus
grand bien-être dans ce monde, et la vie éternelle dans
l'autre.
C'est, enfin, de ce passage de l'Évangile qu'a jailli
cette admirable législation religieuse, politique, civile,
domestique des nations chrétiennes qui fait l'admira-
tion et excite l'envie des nations païennes ; qui, fondée
sur le principe du dévouement de l'être fort à l'être
faible, a amélioré le sort du simple fidèle, du peuple,
de la femme, de l'enfant, du pauvre, du débiteur, du
prisonnier; et qui, s'inspirant du respect et de l'amour
de l'être humain, a civilisé le monde. Car la civili-
sation n'est que le respect, et l'amour de l'homme
pour l'homme-, comme l'exploitation de l'homme
par l'homme, et le mépris et la haine de l'homme
pour l'homme, c'est la barbarie.
Ce n'est pas ici le lieu de développer cette grande
doctrine qu'une FAUTE HEUREUSE (Félix culpa) des
Apôtres a donné à notre divin Sauveur l'occasion de
nous révéler. Nous nous bornerons donc à exhorter
les mères chrétiennes à se pénétrer toujours davan-
tage des grands devoirs que cette doctrine leur impose.
Non-seulement elle leur impose l'obligation de l'écono-
mie, du travail, de l'emploi des moyens honnêtes pour
donner un état à leurs enfants, mais bien plus l'obli-
gation de s'interdire le luxe, les spectacles, les plaisirs,
de fuir des sociétés toutes mondaines, afin de sauver
leurs enfants de la contagion du monde 5 et bien plus
OU LE BONHEUR DES MÈRES, ETC. 409

encore l'obligation de les élever moins par des leçons


que par l'exemple d'une conduite toute chrétienne,
dans la crainte de Dieu, dans l'innocence des mœurs,
dans les pratiques de la religion et de tous les devoirs
du christianisme-, Mulier salvabitur per filiorumgene-
raiionem, sipermanserit in fide, inckariiate, in sancti-
tate, cum sobrietate. Oh! que la société serait heureuse
si les mères étaient des Marie Salomé-, car au moral
comme au physique les enfants ne sont que ce que la
mère les a faits. Et elles-mêmes, ces nouvelles Salomés,
qu'elles seraient heureuses, si, en recopiant un si beau
modèle, elles se dévouaient entièrement, comme Marie
Salomé et comme l'Évangile leur en fait une obligation,
à leurs enfants! Qu'elles seraient heureuses, si encore
comme Marie Salomé, elles tâchaient par l'instruction,
l'exemple et la prière incessante à Dieu, d'assurer
avant tout Dieu et le ciel à leurs fils et de leur laisser
un patrimoine de sainteté et de vertus ! Doublement
leurs mères, pour les avoir engendrés en même temps
à la vie de l'âme et à la vie du corps, en faisant le vrai
bonheur et le salut de leurs fils, elles feraient, d'après
saint Paul, leur propre bonheur et leur propre salut,
pour le temps et pour l'éternité. Ainsi soit-il.
410 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

QUATOR HOMÉLIE.

LES PARENTS DU SEIGNEUR

00

DIEU JALOUX DE TROUVER DANS L'HOMME LA SAINTETÉ.

« Sanclieslolt, quia sanctut SUM Ego DOMINUS;


« Soyez SAINTS, parce que moi, le Seigneur, je suis saiut (Levitic. xi). »

§ 1. Essentiellement saint en lui-même, Dieu exige quo ses servi-


teurs le soient aussi.—Sujet de cette Homélie.—Indication d'uno
foule de choses qui y seront traitées. — C'est le Paralipomèm aux
Homélies précédentes sur LES FEMMES DE L'ÉVANGILE.

D i e u n'est Dieu qu'en tant qu'il est saint. S'il était


possible qu'il fût privé du grand attribut de la sain-
teté, il ne serait qu'une de ces fausses divinités du
paganisme qui n'ont droit qu'au mépris et non pas au
culte de l'humanité.
Saint donc par essence, il ne peut pas faire bon
visage à la créature intelligente d'^ouiUée de la sain-
teté. « Vos yeux sont purs, lui disait le Prophète, et
vous ne pouvez arrêter un seul instant yotre regard
sur le péché sans le punir; Mundi sunt oculi tui et
respicere ad iniquitatem non potes (Habac. i, 13). » Et
ailleurs, un autre prophète Lui a dit : « Vous ne pou-
vez pas souffrir que la méchanceté s'asseoie à vos côtés 5
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 411

et l'injustice ne peut se présenter sous vos yeux sans en


être écrasée à l'instant même; Neque habitabit juxia
te malignus 7 neque permanebunt injusii ante ocuîos
tuos (Psal. v, 6). » « Malheur à la prière, dit de son
côté le Sage, s'il s'y mêle la voix du péché ! elle n'est
plus qu'un blasphème, un sacrilège, capable de provo-
quer la foudre de Dieu, au lieu d'attirer sa miséricorde;
Oratio ejus erit execrabilis (Prov. xxvm, 9). »
C'est encore parce que Dieu est essentiellement
saint, que a SAINT, TROIS FOIS SAINT EST LE SEIGNEUR
DIEU DES ARMÉES; Sanctus, sanctus, sanctus Dominus
Deus Sabaotà, » estl'hvmne dont retentissent incessam-
ment les voûtes sacrées de la Jérusalem céleste. Cest
parce que Dieu est essentiellement saint, que personne
n'est admis à habiter dans son tabernacle, à moins
qu'il ne soit pur de toute tache, et orné du mérite
des oeuvres de la justice et de la sainteté; Domine, quis
habitabit in tabernaculo tuof... Qui ingreditur sine
macula et operatur justitiam (Psal. xiv, 1 et2).C'est en-
fin parce que notre Dieu et Seigneur est essentiellement
saint, qu'il a dit : Que, même sur cette terre, il ne veut
que des Saints autour de lui pour lui offrir des sacri-
fices, pour l'adorer et le servir; Sancti estote, quia
sanctus sum ego Dominus»
Mais ce Dieu saint ne s'est pas contenté de ces décla-
rations si solennelles pour nous apprendre combien il
est jaloux de la sainteté, il y a ajouté un fait le plus
significatif et le plus éclatant : c'est le choix des
personnes qui ont eu l'honneur d'appartenir, par des
rapports du sang, au VERRE FAIT CHAIR, de l'entou-
rer, de le servir dans son passage sur cette terre, et
412 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

des personnes qui ont le sort de former sa parenté


spirituelle et sa société au ciel.
C'est à l'explication de ce fait que je veux consacrer
cette homélie, et y passer en revue les parents du
Seigneur.
Je consacrerai ma première partie à vous rappeler
les parents dont notre Sauveur a voulu se faire précé-
der, avant sa naissance. Dans ma deuxième partie, je
traiterai des parents dont il s'est plu à s'entourer pen-
dant sa vie; et je réserverai ma troisième partie à vous
instruire sur les parents qu'il s'est choisis pour le suivre
après sa mort.
Cet important sujet me fournira d'abord l'occasion
de vous parler ici des trois généalogies de notre Sau-
veur que nous ont faites les Evangélistes. J e vous en
exposerai les mystères, l'économie, la grandeur, la
manière admirable dont elles s'harmonisent entre elles
et avec les dogmes fondamentaux de la religion; et je
les accompagnerai de remarques bien nécessaires pour
comprendre certains passages de l'Evangile.
Je serai encore amené par mon sujet à vous dire
quelques mots sur Anne laprophêtesse, sur sainte Eli-
sabeth et sur sainte MARIE DE CLÉOPHAS, autres
FEMMES illustres DE L'ÉVANGILE : mots très-utiles pour
Vous prémunir contre d'anciennes erreurs qu'on a ex-
humées et que l'on colporte aujourd'hui pour outrager
la divine Mère et son Fils divin. Je vous parlerai aussi
des saintes personnes indiquées dans l'Evangile sous
les noms defrères et de sœurs de Jésus. Ceux qui aiment
vraiment Jésus-Christ, et pour qui tout ce qui regarde
sa divine Personne a un intérêt, un attrait, un charme
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 4-13

tout particuliers, seront heureux d'apprendre, à cette


occasion, une infinité de détails sur sa sainte Parenté,
qu'ils ignorent peut-être, et s'en réjouiront autant
qu'ils en seront édifiés.
Ainsi, cette homélie sera le PARALIPOMÈNE des choses
oubliées ou le supplément des homélies précédentes,
qui complétera notre revue sur LES FEMMES DE L'EVAN-
GILE.
Mais en apprenant dans cette homélie quels ont
été les parents du Seigneur, nous apprendrons aussi
comment nous le pourrons devenir nous-mêmes; et
combien nous devons être jaloux de la sainteté, que le
Dieu saint, notre seigneur et maître, exige de nous;
Sancti esiote, quia sanctus sum ego Dominus. En voilà
assez, j'espère, pour intéresser toute votre attention.
Ave Maria.

PREMIÈRE PARTIE.

LES PARENTS DU SEIGNEUR AVANT SA NAISSANCE.

§ 2 . Les trois généalogies du Seigneur par les Évangélistes. — La


vie du Verbe avant son incarnation. — Particularités de la généa-
logie de Jésus-Christ par saint Luc.

INous avons dans l'Évangile trois généalogies de


notre divin Sauveur : la première par saint Matthieu,
la seconde par saint Luc, la troisième par saint Jean.
Mais, comme nous l'avons vu, dans la précédente
homélie, c'est cette dernière généalogie qui est, plus
que les deux autres, magnifique, sublime, et au-dessus
414 HOMÉLIE XIV. — L E S PARENTS DU SEIGNEUR

de toute idée et de toute conception humaine. C'est par


elle que nous savons de la manière la plus précise et
la plus claire que Dieu a un fils qu'il engendre de sa
substance de toute éternité; que ce fils est le Verbe,
et que ce Verbe, sans commencement, et avant tout
commencement, est en Dieu, il est Dieu lui-môme; In
principio erat Verbum, et Verbum erat apud Deum et
Deus erat Verbum,
C'est par elle que nous connaissons que lui seul, le
Verbe, étant vrai Dieu du Dieu vrai, et n'étant que
de Dieu, tout ce qui n'est pas Dieu, tout ce qui est sans
être Dieu, Lui doit son être, n'est que de Lui : en tant
que tout a été fait par Lui, et rien de ce qui a été fait,
n'a été fait sans Lui ; Omnia per ipsum facta sunt et
sine ipso factum est nihil, quod factum est.
Nous apprenons par elle que comme tout ce qui est
Lui doit son être; de même tout ce qui vit Lui doit sa
vie, et tout ce qui voit Lui doit sa lumière : tandis que
lui seul vit de sa propre vie ayant la vie en lui-même,
voit par sa propre lumière, parce qu'il est la vraie lu-
mière lui-même qui éclaire tout homme venant dans
ce monde, et que comme la lumière qu'il reflète est vie,
ainsi sa vie même est la lumière des hommes, luisant
au milieu des ténèbres, triomphant des ténèbres, lors
même que les ténèbres ne la comprennent pas ;
Erat lux vera quee illuminât omnem hominem venien-
tem in hune mundum. In ipso vita erat, et vita erat lux
hominum, et lux in tenebris lucet et tenebree eam non
comprehenderunt.
C'est par elle que nous sommes instruits que pour
ne pas avoir été connu, compris par le monde, ce Verbe
OU DïEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 415

divin n'en était pas moins dans le monde fait par Lui
et réglant, Lui, le sort du monde; et qui, après avoir
été rejeté même par les siens, à qui il s'était mani-
festé d'une manière toute particulière, n'en était pas
moins leur maître, et le maître de tout, disposant de
tout, même du plus grand de tous les biens, la filia-
tion divine, en faveur de ceux qui ont voulu le rece-
voir en eux-mêmes en croyant en son nom; et dont,
d'êtres qu'ils étaient, nés de la corruption du sang, des
convoitises de la chair et de la volonté de l'homme, il
a fait des êtres ne devant leur naissance qu'à Dieu $
In mundo erat, et mundxis pei* ipsum factus est, et
mundus eum non cognovit. In propria venit et sui
eum non receperunt* Quotquot autem receperunt eum,
dédit eis potesiatem filios Dei fieri; his qui credunt
in nomine Ejus : qui non ex sanguinibus, neque ex vo-
luniate carnis^ neque ex voluniate viri sed ex Deo
p

naii sunt.
Nous sommes enseignés par elle que les prophètes
que Dieu a envoyés pendant quatre mille ans, depuis
le premier jusqu'au dernier, Jean-Baptiste, le plus
grand de tous, n'étaient pas eux, la vraie lumière,
mais qu'ils étaient éclairés par la lumière du Verbe,
et qu'ils n'ont eu d'autre mission que de rendre té-
moignage à cette lumière qu'ils recevaient de lui, et
d'attirer tout le monde à croire en lui ; Fuit Homo
missus a Deo cui nomen erat Joannes* Hic venit in
testimonium, ut testimonium perhiberet de lumine.
Non erat ille lux.
Nous sommes enfin assurés par elle que c'esteemême
VERBE de Dieu quiS'EST FAIT CHAIR et a habité en
416 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

nous; mais que, s'étant donné des parents sur cette


terre, il n'a pas quitté le sein du Père, qui l'engendre
dans le ciel; qu'ayant commencé à être le Fils de
l'homme dans le temps, il n'en est pas moins resté ce
qu'il était, le vrai Fils du Dieu Père, de toute réter-
ni té; le Fils de Dieu qui ne nous a manifesté sa gran-
deur et sa gloire de Fils de Dieu qu'en répandant
sur nous les richesses de sa grâce et de sa vérité; Et
VERBUM CARO FACTUM EST, et habitavit in nobis ;
et vidimus gloriam Ejus,gloriam quasi Unigeniti a
Pâtre, plénum grattai ei veritaiis.
C'est, mes frères, la sublime et ineffable généalogie
de Notre-Seigneur Jésus-Christ par saint Jean (1).
11 avait été solennellement promis à Abraham
(Gen. xxii, 1 8 ) et à David (Psal. H, 7 ) que le Messie, le
Sauveur du monde, dont la venue au monde avait été
annoncée dès l'origine du monde (Gen. i n ) , devait
naître de leur sang ou de leur descendance et de leur
race. C'est donc principalement afin de nous mon-
trer que cette promesse s'était accomplie en Jésus-
Christ, et que, même à ce titre, il a été le vrai Messie
et le vrai Sauveur du monde, que saint Matthieu a
fait la généalogie de Notre-Seigneur. C'est évident
par ces paroles par lesquelles il l'a commencée :
« Voici le livre de la génération de J É S U S - C H R I S T , fils
« de David et fils d'Abraham ; Liber generationis
« JESU CHRISTI, filii David, filii Abraham (Maith.
« i, 1 ) (2). „

(1) Voyez, à la table généalogique, la généalogie ( i ) .


(2) Voyez, à la même table, la généalogie (3).
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 417

Saint Luc, dans la même intention, en a fait de


même. Seulement, comme la Royauté s'était trans-
mise dans la ligne de SALOMON, fils de David, le Sacer-
doce s'était spécialement perpétué dans la ligne de
NATHAN (autre Nathan que le prophète de ce nom),
frère germain de Salomon et fils de David, lui aussi.
Jésus-Christ est descendu de David par les deux lignes
en môme temps. Par la mère de sa mère, sainte Anne,
il est issu de David par la ligne de Salomon ; par le
père de sa mère, saint Joachim, il est encore issu de
David, mais par la ligne de Nathan. Or, saint Matthieu
ayant fait la généalogie du Seigneur de David par la
ligne de Salomon, saint Luc a cru devoir la faire par
la ligne de Nathan : tantôt afin de constater que
Jésus-Christ a été le fils de David, et, par David,
d'Abraham, dans tous les sens et par tous les côtés,
et tantôt pour nous apprendre que le sang des plus
grands rois et des plus saints pontifes circulait dans
ses veines; que la dignité royale et la dignité sacer-
dotale de ses ancêtres, selon la chair, se sont réunies
en lui ; qu'il a hérité de toutes leurs gloires, de toutes
leurs grandeurs, de toutes leurs dignités; et que,
comme Ta dit saint Paul, il a été constitué, même en
tant qu'homme, l'héritier de tout ; Quem consiituit
hœredem universorum {Hebr. i) (1).
Mais la généalogie du Sauveur par saint Luc pré-
sente une singularité bien frappante. Se conformant à
l'usage reçu, saint Matthieu a fait la sienne en com-
mençant par Abraham, et, descendant de père en fils,

(l) Voyez la généalogie (4)


u. 27
418 HOMÉLIE XIV. — L E S PARENTS DU SEIGNEUR

est arrivé jusqu'à saint Joseph et à la sainte Vierge,


mère du Seigneur. Saint Luc s'y est pris d'une façon
toute différente : par une innovation heureuse dans la
manière |de faire les généalogies, il a tracé celle de
Jésus-Christ en marchant à rebours, en remontant
de fils en père, de saint Joseph à Héli, de Héli à
Mathat, de Mathat à Lévi; et ainsi de suite, jusqu'à
David par Nathan, et de David jusqu'à Jacob par Judas,
de Jacob à Isaac, et d'isaac à Abraham.
Encore, tandis que saint Matthieu a commencé sa
généalogie descendante du Christ, par Abraham, saint
Luc, dans sa généalogie ascendante du môme Sau-
veur, ne s'est pas arrêté à Abraham; il a monté plus
haut. Par Abraham, il est venu jusqu'à Noé par Sem.
Et de Noé, en montant toujours, il a continué ainsi :
« Noé QUI fut de Lamech, QUI fut de Mathusalé, QUI
« fut d'Hénoc, QUI fut de Jared, QUI fut de Mala-
« léel, QUI fut de Caïnan, QUI fut d'Hénos, QUI fut
« de Seth, QUI fut d'AiuM, QUI fut de DIEU (Luc. m,
« 35-38). » Ainsi, dans cette généalogie, saint Luc a
établi ce qu'aucun autre Évangéliste n'a fait, la des-
cendance du Christ en ligne droite d'Adam, et a ren-
fermé entre les augustes noms de JÉSUS-CHRIST et
de DIEU les soixante-dix-sept générations qui la com-
posent (1).

(I) Vûyei à la Table indiquée la généalogie ( 3 .


OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 419

g 3. Allusions et mystères que renferme la généalogie du Seigneur,


par saint Luc. — Pourquoi Jésus-Christ s'est donné le titre de
F I L S DE L'HOMME. — Ses grandeurs avant sa naissance sont consi-
gnées dans cette généalogie de saint Luc.

C'est la généalogie du Seigneur, par saint Luc.


Oh! que cette manière nouvelle dont cet Évan-
géliste a tissu la généalogie de notre Sauveur est gra-
cieuse et en même temps éloquente, et pleine d'al-
lusions et de mystères! Les Pères de l'Église et les
interprètes de l'Évangile ne reviennent pas de l'admi-
ration et de la satisfaction qu'elle leur inspire!
Saint Luc, dit saint Athanase, a pris son point de
départ du Fils de Dieu fait homme, et de lui il a poussé
sa marche ascensionnelle jusqu'à Adam, afin de nous
apprendre que le corps humain, que le Verbe divin a
assumé par son Incarnation, n'est pas un corps fantas-
tique, un corps aérien, un corps céleste, mais un corps
solide, un corps terrestre, un corps de la même nature,
on dirait presque de la même pâte que le corps que
Dieu donna à Adam en le créant (1).
Ainsi, en jetant les yeux sur cette généalogie,
nous comprenons que Jésus-Christ n'est pas un être
mystique, un être étranger à la nature humaine, mais
qu'il est homme de notre même humanité, parce qu'il
est, lui aussi, comme tous les hommes, le vrai fils du
premier homme lui-même, le fils d'Adam. Et nous

(1) « A Filio Dei eiorsus, usque ad Adam recurrit : ut ostenderet,


c corpus, quod Jésus assumpsit, ab Adam originem trahere qui a
« Deoformatus fuit (Oratio in illud ; OMNIA TRADITA SONT mm, etc.).»
4lO HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

comprenons aussi pourquoi, parmi les titres que ce


Fils de Dieu s'est donnés lui-môme, celui qu'il répétait
le plus souvent et avec plus de satisfaction,, plus de
goût et de délices, c'est le titre de : LE FILS DE L'HOMME,
au sens absolu, c'est-à-dire : le Fils d'Adam, le Chef
et le Père de toute l'humanité (1), afin que nous puis-
sions conclure qu'il est notre véritable frère, — les fils
du môme père étant des frères, — et puissions avoir
plus de confiance dans sa bonté !
Oh! qu'elle est pleine de convenance et de beauté
cette pensée de rËvangéliste saint Luc, dit, de son
côté, saint Ambroise, d'avoir placé aux deux bouts de
la généalogie sacrée du divin Sauveur les noms d'A-
DAM et de J É S U S - C H R I S T ! Nous savons, par saint Paul,
que le premier Adam était le type, la figure, le mo-
dèle en petit du second Adam, le Rédempteur des hom-
mes; Adam primus qui est forma futuri (Rom. v, 11).
Et voilà saint Luc nous mettant sous les yeux, dans
cette généalogie, les ineffables rapports qui lient les
deux Adam dans la môme pensée divine, comme dans
la môme génération humaine, le Fils de Dieu en figure
au FILS DE DIEU FIGURÉ, la prophétie à la réalité, et
CELUI QUI A É T É CRÉÉ à L'IMAGE DE DIEU (Gen. n) à
CELUI par lequel la vraie image de Dieu est descen-
due du ciel sur notre terre (2).

(1) « FILIUS HOMINIS, id est, Adee (A LAPIDE, ex Patribus). »


(2) « Jam de ipso Adam qui, juxta Apostolum, figuram accepit
« Christi, quid pulchrius potuit convenire quam ut sacro3ancta g e -
« neratio a Dei filio inciperet et usque ad Dei filium deduceretur?
a Creatusque praecederet in figura, ut nalus in veritate sequeretuc
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 421

Mais remarquez, reprend à son tour saint Irénée,


que saint Luc n'a pas mis en tète de cette généalogie
Adam pour finir à JÉSUS-CHRIST, mais qu'il a com-
mencé par JÉSUS-CHRIST pour terminer à Adam. Et
par là il nous a montré que, comme la mort est descen-
cendue d'Adam jusqu'à Jésus-Christ, la vie a com-
mencé par Jésus-Christ pour remonter jusqu'à Adam ;
que tous les justes anciens jusqu'à Adam, et y compris
Adam lui-même, ont participé à cette vie, qui, pour
s'être manifestée à la fin des temps, n'en a pas moins
exercé sa vertu rétroactive dès le commencement des
temps (1).
C'est aussi la pensée de saint Léon sur cette admira-
ble généalogie, commençant à la naissance du Sei-
gneur, et remontant à l'origine, à la source du genre
humain. Nous y voyons, dit-il, le second Adam répa-
rant, avant même qu'il eût paru sur cette terre, la
faute du premier Adam. Nous y voyons les temps de
la Loi qui avaient précédé sa venue, et même les siè-
cles antérieurs au déluge, renfermés d'avance dans
son action réparatrice. Nous y voyons les Justes de
l'ancien temps se sauvant par la foi dans Celui qui
devait venir, comme nous nous sauvons par la foi de
Celui qui est venu. Nous y voyons toutes les| géné-

* ad imaginem Dei factus prseîret propter quem Dei imago descen-


« deret ( 4 p . Cornelium a Lapid.}. •
(l) « Sic Christ us initium viventium factus, quoniam Adam ini-
« tium morientium factus est : propter hoc et Lucas initium gene-
• rationis a Domino inchoans, in Adam retulit : significans quo-
« niain non ilie hune, sed Hic illos in Evangelium vita? regeneravlt
« (Lit). H l , c , xxxm). »
422 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

rations comprises dans le même sacrement, dans le


même mystère de la grâce de Jésus-Christ, comme elles
avaient été comprises dans le même mystère du péché
d'Adam. Nous y voyons quarante siècles d'événements
les plus extraordinaires, et soixante-dix-sept généra-
tions, se succédant sans interruption jusqu'au CHRIST,
lui servant de PRÉPARATION ÉVANGÉLIQUE, attestant que
même ce qui est arrivé avant lui n'a servi qu'à lui, et
qu'il est le principe et la fin, l'Alpha et l'Oméga de
tout, le centre et la source de toute foi, de toute espé-
rance, de toute justification, de tout salut (1). Nous
y voyons enfin la succession, l'harmonie, la perpé-
tuité, l'universalité, l'identité, l'unité de la vraie
religion.
Pour Euthymius, en commençant la généalogie du
Christ par son humanité et en la terminant au Dieu
éternel, c'est-à-dire au Verbe lui-même, saint Luc a
insinué que ce Jésus qui a eu un commencement
comme homme n'a pas eu de commencement comme
Dieu ; parce qu'AU COMMENCEMENT était le Verbe et le
Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (2).
Oh! qu'il est beau, dit un autre Interprète, de voir,
dans cette généalogie, les soixante-dix-sept généra-

(1) o Lucas ab ipso Domini ortu seriem generis sursum versus


« retexuit, ut etiam illa ssecula, qua? ante diluvium vénérant, huic Sa-
« c rainent o doceret esse connexa, omnesque ab initio successionum
« gradus ad Eum, in Quo uno erat salus omnium, retendisse (Serm.
« 10 de Nativit.) »
(2) « A Christi inchoans humanilate, sermonem reducit ad Ejus
f divinitatem ; ostendens guidera Christum ut hominem incœpisse,
« ut Deum vero carere principio (Apud Comelium a Lap.). »
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 423

tions qui se sont déroulées d'Adam jusqu'à Jésus-


Christ, et qui représentent toute l'humanité, reprises
en amont, et, revenant sur elles-mêmes remonter de
Jésus jusqu'à Adam, et toute l'humanité, renfermée
entre le Dieu créateur et le Dieu rédempteur! C'a été
nous tracer l'histoire de l'humanité, qui se résume
dans ces deux mots : Venant de Dieu, et arraché
du sein de Dieu par la faute d'Adam, l'homme a été
rendu au Dieu qui l'avait créé par la grâce du Dieu
qui l'a racheté (1).
A ces interprétations si belles et si magnifiques de
ces grands hommes, nous osons en ajouter une autre.
11 n'y a au monde que quatre dignités : la dignité pa-
triarcale, la dignité royale, la dignité sacerdotale et la
dxgmtàprophêtique ou scientifique, ou doctorale; toute
autre dignité n'est qu'une participation plus ou moins
directe, plus ou moins étendue à l'une de ces dignités et
se résume en elle. Or saint Matthieu, en traçant la des-
cendance de Jésus-Christ en ligne droite, d'une longue
série de Patriarches, de Rois, de Pontifes et de Pro-
phètes, nous l'a présentée, comme nous venons de le
remarquer, héritant et réunissant en lui-même toutes
les dignités, toutes les grandeurs, toutes les gloires de
ses ancêtres. Mais saint Luc, en commençant par Lui
pour en venir à ses ancêtres, au lieu de commencer,
comme l'a fait saint Matthieu, par ses ancêtres pour en
venir à Lui, rien que par cet ordre inverse qu'il a

( 1 ) «Utper Jesum hommes ad Deum reducendos esse ostenderet,


« qui per Adam a Deo fuerant abducti (FRANC. LUCAS, Apud Cor-
« nelium a Lap.). »
424 HOMÉLIE XIV. LES PARENTS DU SEIGNEUR

donné à sa généalogie du Christ, nous apprend non-


seulement que ces dignités, ces grandeurs et ces
gloires de ses ancêtres se sont réunies en Jésus-Christ,
mais encore que c'est de Lui qu'elles se sont reflétées
sur ses ancêtres*, qu'il en aéténon-seulementl'héritier,
mais encore la source; et que ce n'est pas Jésus-
Christ qui a été grand pour avoir eu de tels ancêtres,
mais que ce sont ses ancêtres qui ont été grands pour
avoir eu un Tel Descendant,
En commençant son arbre généalogique du Christ
par le dernier de ses bourgeons, par où il devait le
finir; et en le finissant par ses racines, par où il devait
le commencer, saint Luc nous apprend que, dans cet
arbre mystérieux, ce n'est pas le fruit qui a été heu-
reux d'avoir eu de telles racines, mais que ce sont les
racines qui ont été heureuses d'avoir produit un Tel
Fruit ; et que ce ne sont pas les racines qui ont fait le prix
et la gloire de ce fruit, mais que c'est ce fruit qui a fait
le prix et la gloire de ces racines.
En commençant par le dernier-né de cette race bé-
nie, au lieu de commencer par le plus ancien de ses
pères, saint Luc nous apprend enfin que ce n'est pas
Jésus-Christ qui doit sa naissance à tant de patriarches,
de rois, de pontifes et de prophètes, mais que ce sont ces
patriarches, ces rois, ces pontifes, ces prophètes qui
doivent à Jésus-Christ la leur; qu'ils n'ont été que pour
lui frayer le chemin, pour lui préparer les voies, pour
le servir avant même qu'il fût né ; qu'il était avant toutes
ces générations qui ont précédé sa venue; qu'il a dis-
posé en maître de tous ses pères, les subordonnant à
ses desseins, avant même d'être leur enfant; qu'il est
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 425

le seul né de femme dont la grandeur a précédé les


actions et la vie a été écrite avant la naissance; qu'il
est I'ÊTRE SINGULIER et unique, dont avaient parlé les
Prophètes, qui s'est trouvé au ciel avant de passer
par cette terre (1); que né dans le temps, il a com-
mandé à l'éternité, et que, vrai Fils de l'homme, il a
été en même temps le vrai Fils de Dieu. Voilà ce qui
ressort de la généalogie en ordre inverse de Notre-Sei-
gneur, par saint Luc.

§ 4. Dans leurs généalogies du Sauveur, les Évangélistes ont visé à


établir qu'il est vrai Homme et vrai Dieu. — Toute hérésie n'est
que la négation de sa divinité ou de son humanité. — Tous les
hérétiques réfutés d'avance par les Évangélistes.

C'est, du reste, la même pensée céleste qui a inspiré


tous les Evangélistes, au moment où ils nous ont tracé
la généalogie du Sauveur, de bien établir que ce Sau-
veur a été vraiment Dieu-Homme et Homme-Dieu.
On vient d'entendre saint Jean annonçant que le
Verbe était en Dieu avant tout commencement, et qu'il
était Dieu de toute éternité, avant de nous dire qu'il
s'est fait chair, qu'il a pris un corps humain, et qu'il a
habité, en vrai homme, au milieu des hommes. Ce qui
a été dire que Jésus-Christ n'est que le VERBE-CHAIR
ou le DIEU-HOMME.
Saint Matthieu aussi n'a terminé la généalogie et la
naissance du Fils de Marie que par ces paroles : « Tout
« cela advint, afin que fût accomplie cette prédiction
« que Dieu avait fait faire par le Prophète : UNE VIERGE

(1) « Singulariter sum Ego, donec transeam (Psal. C.XL, 10). »


426 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUH

« CONCEVRA ET ENFANTERA UN FILS QU'ON NOMMERA


« EMMANUEL, c'est-à-dire DIEU AVEC NOUS [Matth., i,
« 22 et 23). » Ainsi, pour saint Matthieu, ce Fils de
Marie n'a été que le Dieu avec l'homme, le Dieu uni à
ïhomme, habitant dans l'homme, sans cesser d'être
Dieu, en un mot, il n'a été que I'HOMME-DIEU.
Enfin, saint Marc lui-même, dont l'Évangile n'est
qu'un commentaire abrégé de celui de saint Matthieu,
a débuté par.ces mots : « Commencement de l'Evangile
« de JÉSUS-CHRIST, FILS DE DIEU; Initium Evangelii
« JESU CHRISTI FILII DEI {Marc, i, 1). » Le mot Jésus
signifie Sauveur, et le mot Christ,û\s de David et Messie.
Ainsi, même pour saint Marc, Jésus-Christ n'a été que
le fils de David, le vrai Messie, le vrai Sauveur et le
FILS DE DIEU, OU I'HOMME-DIEU. C'est, comme on le
voit, la généalogie du Christ par saint Matthieu résu-
mée en trois mots, par lesquels saint Marc a YOUIU, lui
aussi, nous donner la généalogie du Seigneur.
11 faut donc en convenir : les Évangélistes ne pou-
vaient mieux s'y prendre, dans les généalogies qu'ils
nous ont tracées de notre divin Maître, pour condam-
ner, pour flétrir d'avance les deux grandes hérésies
par lesquelles Jésus-Christ au ciel aurait continué à
être blasphémé par deux sectes contraires d'hérétiques ;
comme, étant sur la croix, il a été blasphémé par deux
larrons de deux côtés opposés : hérésies dont l'une
affirme que Jésus-Christ n'a été qu'un homme, ayant
reçu dans le temps une filiation divine nominale ou
d'adoption ; et par conséquent elle nie la vérité de son
origine éternelle, de sa divinité; et l'autre soutient que
Jésus-Christ n'a été que le Verbe ayant pris dans le
OXJ DIEU JALOUX DE TBOUVEB, ETC. 427

temps une humanité factice, aérienne, fantastique,


n'appartenant pas à la race d'Adam; et par conséquent
elle nie la réalité de son humanité.
Dans ces deux hérésies, les Évangélistes ont détruit
d'avance toutes les hérésies; car toute hérésie n'est
que la négation plus ou moins explicite de la Divinité
ou de l'Humanité du Christ.
Comme tous les faux philosophes anciens et mo-
dernes se réduisent à Tune de ces deux grandes sectes :
la secte des Idéalistes, qui n'admet pas que l'homme
ait un corps réel; et la secte des Matérialistes, qui lui
refuse l'àme; de même tous les faux chrétiens, ou les
hérétiques anciens ou modernes, appartiennent à l'une
de ces deux grandes sectes : la secte des Humanitaires
qui ne reconnaît pas Jésus-Christ comme Dieu, et la
secte des Phaniasiaques qui ne croit pas que Jésus-
Christ soit homme (1).
Ah! rien n'est plus important que cette vérité, qui
jaillit de tous les Évangiles comme la lumière du soleil,
avec la plus vive clarté et la plus exacte précision pos-
sibles : Que Jésus-Christ est vrai Dieu, de la même na-

(j) Qu'on n'oppose pas que les protestants sont des hérétiques,
et cependant ils ne nient ni la divinité, ni l'humanité du Christi
car en niant ses sacrements et son Église, c'est-à-dire les œuvres
de sa Divinité, Us nient implicitement cette divinité elle-même. Et,
en effet, les bons logiciens, parmi les protestants, ont fini par
nier même explicitement la divinité de Jésus-Christ. Sur cent pas-
teurs protestants, en Allemagne en particulier, ce foyer du pro-
testantisme, à peine on en trouve cinq admettant cette grande
vérité. C'est que le protestantisme en renferme t n lui-même, en
principe et en germe, la négation.
428 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

iure de Dieu, et vrai homme, de la même nature de


Vhomme. Car, si Jésus-Christ n'est pas Yrai Dieu, n'ayant
rien de commun avec Dieu, il n'a pu donner à son
sacrifice une valeur infinie et satisfaire à Dieu. Et s'il
n'est pas vrai homme, de la même nature, de la même
race que l'homme, n'ayant eu rien de commun avec
l'homme, il n'a pu représenter en lui-même l'homme,
il n'a pu appliquera l'homme le mérite infini de son
sacrifice et satisfaire pour l'homme. Et dans l'un ou
l'autre des deux cas, l'homme n'a pas été racheté par
le Christ \ il n'y a plus de rédemption pour l'homme, il
n'y a plus de christianisme!

§ 5. Clarté, précision, force, soins et phrases heureuses, avec l e s -


quelles les Evangélistes ont, dans leurs généalogies de Christ,
établi la virginité de sa Mère. — Comment cette parole de saint
Jean : E T L E V E R B E S ' E S T F A I T C H A I R , prouve que Jésus-Christ,
vrai homme, n'a pas été conçu à la manière du reste des hommes.

Mais voici encore quelque chose de plus remarquable


et de plus frappant dans ces généalogies de notre divin
Sauveur, que nous ont laissées les Évangélistes : c'est
le zèle, la sollicitude, l'exactitude, la précision, la
clarté avec lesquels tous les quatre, avec un parfait
accord, y ont établi le grand dogme de la sainte virgi-
nité de Marie et de l'Incarnation du Verbe par l'opéra-
tion du Saint-Esprit.
Saint Matthieu s'est ainsi exprimé : « Abraham
« ENGENDRA Isaac \ Isaac ENGENDRA Jacob ; Jacob EN-
« GENDRA Judas. » Et, en faisant toujours usage de la
même phrase, il continue : « Éliud ENGENDRA Éléazar;
« Éléazar ENGENDRA Mathan ; Mathan ENGENDRA Jacob ;
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 429

« Jacob ENGENDRA Joseph, époux de Marie, DE LA-


« QUELLE EST NÉ JÉSUS, qui s'appelle le CHRIST;
« Eliud GENUIT Eleazar; Eleazar GENUIT Mathan;
« Mathan GENUIT Jacob; Jacob GENUIT Joseph, virum
« Mariœ, DE QUA NATUS EST JÉSUS qui vocatur
« CHRISTUS (Matth., i, 1 6 ) . » Ainsi, on le voit, le mot
ENGENDRA, que cet Évangéliste avait répété QUA-
RANTE-DEUX FOIS dans I'énuméralion des qua-
rante-deux générations qui ont séparé Abraham de
saint Joseph, disparaît tout d'un trait sous sa plume
inspirée, lorsqu'il s'agit de saint Joseph lui-même. Car
il n'est pas dit qu'il ait engendré Jésus-Christ comme
il est dit qu'il avait été engendré par Jacob son père, et
que tous les autres patriarches, qui l'ont précédé, ont
été, à leur tour, engendrés par le leur. Il est dit simple-
ment : Jacob engendra Joseph, époux de Marie,
DE LAQUELLE est né Jésus-Christ. La génération
charnelle expire en saint Joseph. Engendré lui-même
par Jacob, il n'a pas engendré Jésus-Christ. Les qua-
rante - deux générations, depuis Abraham jusqu'à
Joseph, ne se rattachent pas à Jésus-Christ par la gé-
nération charnelle de Joseph, mais seulement par son
mariage avec Marie; Jacob genuit Joseph, virum Ma-
riée. Ce mariage est resté virginal, est resté pur. Toute
génération humaine en a été exclue. Jésus-Christ n'a
été engendré que de Marie seule, sans aucun concours
humain. Il n'est pas le fils de Joseph, mais unique-
ment le fils de Marie, épouse de Joseph ; virum Mariée,
DE QUA NATUS EST JÉSUS.
Saint Matthieu ne s'est pas contenté de signaler par
ce tour d'élocution si précis et en même temps si heu-
430 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

reux, si charmant, la virginité de la Mère de Dieu;


car il a continué en disant : « Donc d'Abraham jus-
te qu'à David, quatorze générations*, de David jusqu'à la
« transmigration de Babylone, quatorze générations ;
« et de la transmigration de Babylone jusqu'au Christ,
« quatorze générations. Mais la génération du Christ
« arriva ainsi ; Christi autem generaiio sic erat
« (v. 48). » Ce qui a été nous avertir que la généra-
tion du Christ seule n'avait eu rien de semblable aux
quarante-deux générations qui l'avaient précédée, et
qu'elle a été une génération tout à fait exceptionnelle.
Puis le saint Évangéliste nous apprend comment et en
quoi cette génération a été tout à fait en dehors des
lois communes, a été prodigieuse et divine. Car il nous
raconte la frayeur religieuse dont le vierge époux de
l'épouse vierge fut saisi en voyant enceinte celle qu'il
avait la conscience d'avoir respectée, et dont il ne
pouvait, — tant il la voyait pure,—soupçonner la fidé-
lité. 11 nous fait connaître le sage parti que, dans ses
perplexités et dans ses craintes, Joseph adopta de s'é-
loigner en silence de sa sainte épouse, dont la gros-
sesse n'était point pour lui une faute qu'il devait punir,
mais un profond mystère qu'il devait adorer sans cher-
cher à l'approfondir (1). Il nous dit que ce fut l'Ange du
Seigneur qui calma les anxiétés du saint époux par ces
simples et sublimes paroles ; « Joseph, fils de David,

( l ) Celât silentio, cujus mysterium nesciebat, a dit saint Jé-


lôme (In ïMatth.), précédé par Origène et suivi par un grand nom-
bre des Pères et des interprètes, dans cette appréciation de la con-
duite de saint Joseph dans une circonstance si délicate.
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 431

« ne crains point de rester auprès de ton épouse. Car


a ce qu'elle porte dans son sein est l'œuvre miracu-
ic leuse du Saint-Esprit. Elle enfantera un fils, auquel
« tu imposeras le nom de JÉSUS (ou de Sauveur), parce
« qu'il sauvera son peuple de ses péchés ; Joseph, fili
« David, noîiiimere accipere Mariam conjugem tuam*
« Quod enim in ea naium est de Spiritu sancto est. Pa-
« riet autem filium, et vocabis nomen ejus Jesum : Ipse
« enim salvum faciet populum suum a peccaiis eorum
« (Matth. i, 20 et 21). » Et enfin le même Évangéliste
a ajouté cette belle parole, que j'ai citée plus haut :
« Tout cela advint afin que s'accomplit cette prédic-
u tion que le Seigneur avait fait faire par son Pro
« phète : Voilà qu'une vierge concevra et enfantera
« un fils qu'on appellera Emmanuel (1), c'est-à-dire :
« DIEU AVEC NOUS. »
Voici, dans ce peu de mots de la généalogie du Sei-
gneur, la révélation claire, précise, magnifique que le

(1) Qu'on remarque bien ici que rien n'est plus fréquent dans le
style de l'Écriture que la figure dite métonymie, par laquelle on
dit : Telle chose S'APPELLERA pour signifier que telle chose
SERA, car dans le langage de la vérité la chose est vraiment ce
qu'on Y appelle. Ainsi donc, en disant que le Messie S'APPELLE-
RAIT Emmanuel, le prophète a voulu dire qu'il SERAIT Emma-
nuel. De même, chez saint Luc, l'Ange en disant à Marie ; « Celui
* que vous concevrez sera appelé le fils de Dieu, » a voulu diie
« qu'il serait le fils de Dieu. » Comme en lui disant, en parlant d'E-
lisabeth : a C'est le sixième mois de la grossesse de celle qui S'AJJ-
« pela stérile, » il voulut dire : « C'est le sixième mois de la gru. -
« sesse de celle qui était stérile. » Car on ne Y appelait stérile que
parce qu'elle l'était en effet. C ' c a t ainsi que Jésus-Christ n'est ap-
pelé HOMME-DIEU ET FILS DE DIEU, que parce qu'il est réellement tel.
432 HOMELIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

premier des Évangélistes nous a faite de l'accomplisse-


ment, dans la personne de Marie, du grand prodige
annoncé depuis tant de siècles par Isaïe, de la Vierge
concevant et enfantant un fils sans cesser d'être vierge-,
et de la vérité que Jésus, le fils de cette Vierge, est le
vrai Messie, le Sauveur du monde, né d'une mère sans
père dans Je temps, comme il était né d'un père sans
mère dès toute éternité, n'ayant que Marie seule
pour principe de sa génération humaine, comme il
n'a que le Père éternel pour principe de sa génération
divine.
Saint Luc a été encore plus explicite. Dans son
sublime et délicieux récit de l'Annonciation de Marie,
non-seulement il a confirmé sur tous les points la ré-
vélation de saint Matthieu sur la virginité de la Mère
et la divinité du Fils, mais il nous a, en quelque sorte,
fait assister à l'accomplissement du grand sacrement
de l'Incarnation, le secret de Dieu, l'énigme des
Anges, la stupeur des siècles, le salut de l'univers. II
nous a représenté le même Ange de Dieu qui a éclairé
Joseph sur la grossesse mystérieuse de sa vierge épouse,
apprenant à cette créature privilégiée qu'elle allait
concevoir dans son sein le Fils unique de Dieu, la Sain-
teté par essence. Il nous a représenté le Saint-Esprit
descendant sur Marie, et la Vertu divine du Très-Haut
l'enveloppant en elle-même et lui conférant le privi-
lège unique, qui n'appartient qu'à Dieu, d'engendrer
un (ils uniquement de sa propre substance. Il nous
a représenté la conception humaine du VERBE, de
la PAROLE éternelle, se réalisant par une parole de
la Mère abîmée dans le sentiment de sa profonde
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 433

humilité: comme la conception divine du même Verbe


se fait par une parole intérieure du Père se considérant
lui-même dans ses perfections (Luc. n).
Mais non content, lui non plus, de nous avoir
ainsi éclairés, instruits et édifiés sur l'immaculée
virginité de Marie, le même Evangéliste est revenu
plus loin sur le même sujet; et, par un tour de
phrase différent de celui de saint Matthieu, il a pro-
clamé avec la même évidence, mais d'une manière
encore plus touchante, la même vérité. En commen-
çant, comme je vous l'ai dit, par saint Joseph ; re-
montant de fils en père par soixante-dix-sept géné-
rations jusqu'à Adam, saint Luc a toujours indiqué,
par la phrase : «Qui fut de 5 Qui fuit, » chacun des
personnages de cette longue généalogie par rapport à
son père. Mais en parlant de Jésus, par rapport à saint
Joseph, non-seulement il n'a pas fait usage de la même
expression \ non-seulement il n'a pas dit : JÉSUS QUI
FUT DE JOSEPH, comme il a dit : « Joseph fut
r/'Héli, Héli fut de Mathat, Mathat fut de Lévi, » et
ainsi des autres jusqu'à Adam, dont il dit aussi « qu'il
fut de Dieu, » mais il a dit formellement : Jésus,
COMME ON LE CROYAIT ,/* fils de Joseph, qui le fut
rf'Héli, etc. Ainsi, on le voit encore, Joseph fut fils
d'Hélî, Héli fut fils de Mathat, etc. Mais quant à Jésus,
saint Luc dit qu'il ne fut pas réellement, mais qu'il
était seulement CRU le fils de Joseph-, UT PUTABA-
TUR filius Joseph. Rien donc dans cette généalogie
du Christ par saint Luc n'est plus précis et plus clair
que ce changement d'élocution par rapport à la per-
sonne seule de ce même Christ. C'est ainsi que cet Evan-
11. 28
434 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

géliste a, lui aussi, établi que saint Joseph n'a été pour
rien dans la génération temporelle du Verhe, et qu'en
tant qu'homme, ce Verbe n'est que de la seule substance
de la Mère : comme il n'est que de la seule substance
du Père, en tant qu'il est Dieu,
Saint Marc, dans les trois mots dans lesquels il nous
a donné la généalogie abrégée du Sauveur, a évidem-
ment rendu hommage à ce môme dogme. Car dire :
« Commencement de l'Évangile de Jésus-Christ, FILS
DE DIEU, » c'est dire : « Je vais écrire l'Évangile du
Messie sauveur, dont toute la généalogie est renfermée
dans ces paroles : « Descendant de David, il a eu vrai-
ment une mère, mais il n'a d'autre vrai père que
Dieu. »
Il en est, enfin, de même de saint Jean. Après nous
avoir tracé la généalogie divine du Verbe, il n'a dit, il
est vrai, que cette seule parole, touchant sa généalogie
humaine ; « Et le Verbe s'est fait chair ; Et Verbum
caro factum est ; » mais cette parole est immense. On
n'a jamais, ni avant ni après saint Jean, exprimé d'une
pareille manière la conception et la naissance de
l'homme. On n'a jamais dit d'aucun homme : Et son
âme s*est fait corps.
C'est, dira-t-on, parce qu'aucun homme n'a été LE
VERBE FAIT HOMME. C'est que le Verbe existait avant de
se faire homme-, tandis que Tâme humaine n'existe
pas avant le corps. C'est, enfin, que dans l'homme
l'âme seule n'est pas la personne, et que la personna-
lité humaine résulte de l'union de l'âme avec le corps ;
tandis qu'en Jésus-Christ le Verbe seul était déjà une
subsistance parfaite, une personne, avant l'Incarnation,
OH DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 435
et que cette personne divine du Verbe a été aussi la
personne de l'homme servant de support à son huma-
nité. En sorte que, d'après la vraie théologie et la vraie
foi de l'Incarnation, il y avait deux volontés parfaites
en Jésus-Christ, et une seule personne. C'est cette pro-
fonde et magnifique doctrine que l'Evangéliste a ren-
fermée dans cette étonnante parole qu'aucune langue
n'avait jamais articulée, qu'aucune maia n'avait jamais
écrite : ET LE VERRE S'EST FAIT CHAIR.
Tout cela est vrai. Mais n'est-il pas vrai aussi, et
même évident que, par cette même phrase, l'Évangé-
liste a voulu dire que le Verbe, grande et ineffable
SINGULARITÉ divine (singulariter sum Ego) par rapport à
sa substance et à sa génération éternelles, l'a été aussi
par rapport à sa substance et à sa génération tempo-r
relies? N'est-il pas évident qu'en résumant avec tant
de philosophie, dans ce peu de mots : ET LE VERBB
S'EST FAIT CHAIR, l'histoire divine de l'Incarnation, que
les autres Évangélistes nous avaient racontée tout au
l o n g , saint Jean a voulu nous dire que c'est ici une
chose aussi singulière et aussi nouvelle que la phrase
qui l'exprime? N'est-il pas évident qu'en nous repré-
sentant par cette même phrase, si en dehors du lan-
gage humain, le Verbe comme préexistant à son Incar-
nation et comme s'étant lui-même revêtu de l'habit,
lui-mêmecachésousl'enveloppederhumanité(l),afor-
mellement exclu tout procédé ordinaire de l'accom-
plissement de ce mystère? ET LE VERRE S'EST FAIT CHAIR

( l ) « Et habitu inventus ut homo (Philip, u, 7). » « Conscidisti


« saceummeum et circumdedisti me IgeUtia (Psal. xxix, 12}. *
43*3 HOMÉLIE X I V . — LES PARENTS D U SEIGNEUR

signifie donc que le mélange de deux sangs différents,


la concupiscence de la chair et la volonté de l'homme,
dont le même Évangéliste avait, dans le verset précé-
dent, indiqué la misère et le désordre, n'ont eu au-
cune part à la nouvelle naissance par laquelle le Verbe
est devenu homme et a habité parmi les hommes. Le
VERBE S'EST FAIT CHAIR signifie qu'ayant vraiment pris
la chair et le sang de l'homme, parce que les enfants
qu'il est venu sauver étaient des hommes ayant de la
chair et du s a n g ( l ) , cependant il n'a pas é t é , même
en tant qu'homme, engendré par l'homme, à la ma-
nière de tous les hommes. Et LE VERBE S'EST FAIT CHAIR
signifie, enfin, que cette chair qu'il a assumée, il l'a
bien empruntée au même limon dont il avait jadis
formé lui-même l'homme, afin d'être vrai homme
comme il était vrai Dieu, mais que c'est lui-même qui
l'a organisée en un corps humain ; en d'autres termes,
qu'elle ne lui a pas été fournie d'après les lois de la
génération humaine, mais d'après un prodige de la puis-
sance divine. Par cette parole ; ET LE VERBE S'EST FAIT
CHAIR, saint Jean a donc dit en termes différents ce
qu'avait déjà dit saint Matthieu : que Jésus-Christ est
né dans le sein de Marie par l'opération ineffable du
Saint-Esprit ; Quod in ea natum est de Spiriiu sancto
est; et ce qu'avait dit saint Luc : que l'Incarnation
du Verbe a été l'œuvre de la vertu de Dieu, cette seule
manière de naître étant digne du SAINT par excel-
lence, du Fils de Dieu; Virtus Altissimi obumbrabit

(t) « Quia ergo pueri communicaverunt carni et ^anguini, et Ipse


« participavit eisdem (tfebr. u , 14). »
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 437

tibi. Quod ENIM nascetur ex te SÀNCTUM, vocabitur


FILIUS DEI (Luc. II).
C'est ainsi que les Évangélistes ont tous également
établi, dans les termes les plus clairs, les plus énergi-
ques et les plus frappants, le beau et délicieux dogme,
le dogme sublime et important de la conception pure
et sainte du Verbe incarné, le dogme dans lequel,
comme l'a remarqué saint Bernard, la virginité de la
Mère est une preuve sans réplique de la divinité du
Fils. Car un fils Dieu ne pouvait avoir qu'une vierge
pour mère, et une mère toujours vierge ne pouvait
avoir qu'un Dieu pour son enfant (1) : afin qu'il y eût
conformité, ressemblance, harmonie entre la généra-
tion divine et la génération humaine du Verbe; afin
que celle-là fût le type et le modèle, celle-ci l'imitation
et le portrait, et qu'on pût appliquer indistinctement à
l'une et à l'autre la grande parole du Prophète : Que la
génération du Messie serait inénarrable, parce qu'elle
serait inconcevable, et ne pourrait être exprimée par
la parole, parce qu elle n'aurait pu être comprise par
l'esprit de l'homme; Generationem Ejus quis enarra-
bit (haï. LUI, 8)?

( I ) « Talts partus congruebat Virgini ut non pararet nisi D e u m ;


M et tnlis nativilas decebat Deum, ut nonnisi de Virg'me nasceretur
« (Serm. a de adv.). »
438 HOMÉLIE xiv. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

§ 6. On répond à cette objection : Puisque ce n'est que par Marie que


Jésus-Christ descend de David, selon la chair, pourquoi donc les
Évangélistes nous ont-ils donné la généalogie de saint Joseph plutôt que
celle de Marie ? — La généalogie de la sainte Vierge se trouve tracée
dans celle de saint Joseph. — I l y est même établi que Marie, des-
cendue des deux lignes de David, par son père et par sa mère,
elle est la m i e Ellô de David dans tous les sens, et Jésus-Christ
aussi.

Mais tout cela donne lieu à une grande objection,


au sujet de ces généalogies que les Évangélistes nous
ont faites de notre divin Sauveur. Si, comme il est cer-
tain, d'après les Évangélistes eux-mêmes, que saint Jo-
seph n'a été pour rien dans la génération humaine du
Verbe; si, selon la belle expression de saint Matthieu,
la naissance de Jésus dans le sein de Marie n'a été
qu'un prodige du Saint-Esprit ; Quod in ea natum est
de Spiritu sancto est; si Marie seule a fourni au Verbe
son humanité et en est en quelque sorte le père et la
mère en même temps; il est évident que Jésus n'est
le fils de David, et, par David, le fils d'Abraham, selon
la chair, qu'en tant que la sainte Vierge a été elle-
même la descendante, la fille de David; car ce n'est
que par elle que le sang d'Abraham et de David a pu
être transmis à Jésus-Christ pour en faire, ainsi qu'il
avait été formellement prédit ( I ) , leur vrai descen-
dant, leur vrai fils. Si donc Marie n'a pas été la des-
cendante de David, Jésus-Christ ne l'a pas été non
plus, et par conséquent il n'a pas été le vrai Messie.

(1) « Dixit Deus ad Abraham : Benedicentur in semine tuo omnes


« gcntes terre (Gen. xxu, 18). Juravit Dominus David veritatem : De
« fructu ventris lui ponam super sedem tuam (Psal. cxxxi, 11). *
OU DIEU 3A.L0UX DE TROUVER, ETC. 439

Car Tune des qualités distinctives du Messie, d'après la


foi (1) des Juifs, fondée sur les prophéties, était que le
Messie devait descendre de David. Telle était l'impor-
tance de constater que Marie était de la race de David.
Pourquoi donc les Évangélistes nous ont-ils donné
la généalogie de saint Joseph, et nullement celle de
Marie ?
C'est, répondent les Pères et les Interprètes résu-
més par le vénérable Bède, c'est que, d'un côté, il n'é-
tait pas d'usage chez les Juifs de faire la généalogie
des femmes ; mais comme, de l'autre côté, d'après la loi
qui veillait à la conservation et à la distinction des
familles, les Juifs ne prenaient leurs femmes que dans
leur tribu et dans leur même parenté, il suffisait de
dire qu'une telle femme était l'épouse d'un tel homme
pour en conclure qu'elle était de sa même tribu, de sa
même race, de sa même famille-, car ce n'était qu'à
cette condition qu'elle pouvait être son épouse. La
généalogie de l'homme était donc en même temps la
généalogie de sa femme. Ainsi, en nous donnant saint
Joseph comme le vrai descendant, le vrai fils de David
par Salomon ; Joseph filii David, et en n'ajoutant que
ce mot : « Joseph fut l'époux de Marie, de laquelle
« est né Jésus; Joseph virum Mariœ, de qua natus est

(l) Un jour le divin Sauveur ayant interrogé, en présence du


peuple, les Scribes et les Pharisiens sur ce qu'ils pensaient du Mes-
sie, et de qui ils croyaient que le Messie devait être le fils, il en
reçut cette réponse : L E CHBIST DOIT ÊTRE LE FILS DE DAVID; Quid
vobis videtur de Chrïsto? Cujus filius esti Dicunt ei : DAVID
(Matth. XXII, 4 2 ) . Tellement cette croyance était, universelle chez
les Juifs*
440 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

« Jésus, » saint Matthieu nous a donné aussi la vraie


généalogie de Marie; il a établi d'une manière claire
et incontestable que Marie a été, elle aussi, de la race
de David, et que par conséquent Jésus-Christ, son fils,
l'a été aussi (1).
Tout cela est encore plus clair chez saint Luc. D'a-
près cet Évangéliste, qui a fait la généalogie du Sau-
veur, de David par Nathan, Joseph aurait été le fils
d'Héli; Joseph, qui fuit Héli. Mais si Joseph a été,
d'après saint Matthieu, le vrai fils naturel de Jacob;
Jacob autem genuit Joseph, il n'a pu être en même
temps et dans le même sens le fils d'Héli ; et il n'a pu
être le lils d'Héli que dans un sens légal, en tant qu'il
a été son gendre et qu'Héli a été son beau-père. Mais
en nous disant que Joseph a été le f\\s-gendre d'Héli,
saint Luc nous a dit que c'est l'épouse de Joseph, la
sainte Yierge, qui a été la vraie fille naturelle d'Héli ;
et par conséquent il nous,a dit aussi que par Héli, son
vrai père, Marie descendait en ligne droite de David
par Nathan. Le mot Héli, comme l'a si bien prouvé
l'Alapide, d'après saint Hilaire et les rabbins juifs eux-
mêmes, n'est que le nom d'Éliachim ou de Joachim
syncopé (2). Par ce mot de saint Luc : Joseph fut
( 1 ) « De domo David. Non solum ad Joseph, sed et ad Virginem
« hoc est référendum : Legis enim erat pr&ceptum ut de sua quis-
K que tribu et famiiia nxorem duceret (UEDA, Comm. in Luc.). »
(2) « Heli, per apocopen, idem est qui Eliachim sive Joachim.
« Sic Joachim ex Juda vocatur Eliachim (IV Reg. xxui, 3-i ; et II Pa-
« ralip. xxxvi, 4 ) ; ac. Eliachim pontife* vacatur Joachim (Judith.
« îv, M )• Sicut enim Jehova vel Jo in Joachim est nomen Dei ; sic
« et El est nomeu Dei in nomme Eliachim. Ita Rabbini et Hilaiiu>
a (A LAPIDE, in III Luc). »
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 441

d'Héli, nous apprenons donc que la sainte Vierge était


fille de saint Joachim, et que par lui elle descendait en
ligne droite de David par Nathan.
Il est certain aussi, par la tradition que des écri-
vains contemporains et disciples des Apôtres nous ont
conservée (1), que sainte Anne, la mère de la sainte
Vierge, était, elle aussi, sœur de Jacob, que saint Mat-
thieu donne pour père à saint Joseph. Conséquem-
ment, sainte Anne était la tante de saint Joseph ; saint
Joseph était le cousin germain de la sainte Vierge, et
c'est à ce titre d'être son parent qu'il est devenu son
époux. Mais en même temps, saint Joseph, par Jacob
son père; et Marie, par sainte Anne sa mère, étant
tous les deux petits-fils de Mathan, descendaientégale-
ment en ligne droite de David par Salomon (2). Donc
saint Joseph ne descendait de David que par Jacob
son père; tandis que la sainte Vierge, tout en des-
cendant de David, comme saint Joseph, par sainte
Anne sa mère, descendait aussi de David par saint Joa-
chim son père. Ce n'est donc que dans la sainte Vierge
que, par le mariage de sainte Anne descendant de Da-
vid par Salomon avec saint Joachim descendant aussi
de David par Nathan, se sont réunies et se sont termi-
nées les deux grandes lignes de la race de David, la
ligne par Salomon et la ligne par Nathan. C'est la sainte
Vierge qui a été, à un double titre, du côté maternel
aussi bien que du côté paternel, la vraie descendante,
la vraie fille de David.

( 1 ) Voyez Cornélius a Lapide sur le m* chapitre de saint L u c


(2) Voyez la table des généalogies, la généalogie (4).
442 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

Mais, nous le répétons, cette auguste Vierge a été elle


seule la mere et, en quelque Sorte, même le père de
Jésus-Christ. Nous apprenons donc par ces généalogies
que Jésus-Christ est le vrai descendant, le vrai fils de
David selon i'humaïlité ; que c'est en lui aussi que se
sont concentrées les deux lignes de David, qui avait
perpétué la race d'Abraham ; que c'est en lui que cette
race, qui n'a existé que par lui, s'est terminée, sous
les rapports du sang, mais pour renaître en Lui et
par Lui, sous les rapports de l'esprit, de la foi et de la
grâce; et renouvelée ainsi, ennoblie et divinisée eu
Lui et par Lui, se propager comme il avait été pré-
dit à Abraham, par tout te monde, pour ne finir
qu'avec le monde.
Par là nous voyons clair, comme l'a remarqué saint
Augustin, dans la pensée des Évangélistes. Saint Mat-
thieu ayant formellement déclaré que saint Joseph n'a
pas engendré le Christ, et saint Luc ayant, de son
côté, affirmé que Joseph n'en était que le père puta-
tif, ce qu'il importait, c'était de nous donner la généa-
logie de Marie, la vraie mère de Jésus, et non pas
Celle de Joseph, qui n'en était pas le père. Et c'est ce
qu'ont fait les historiens sacrés. Ayant l'air de ne nous
faire que la généalogie de Joseph, pour s'accommoder
aux usages reçus du temps, ils ne nous ont donné et
n'ont voulu ïious donner que la généalogie de la sainte
Vierge, et par cette généalogie de la mère, celle du
Fils de Dieu fait chair. Leurs généalogies n'ont pu
avoir et n'ont eu en effet d'autre b u t ( l ) .

( t ) • Cum praemisisset Joseph non essft rernm Patrem ChrisU,


OU DIfcU JALOUX DE TROUVER, ETC. 443

§ 7. Moralité à tirer du choix, que Dieu a fait des hommes qui de-
vaient être les ancêtres de Jésus-Christ. — Sainteté des Patriar-
ches antédiluviens et de ceux des temps moyens, aïeuls du S e i -
gneur.— Éloge qu'en a fait I'ËCCLESIÀSTIQUE. — Sainteté de saint
Joachim et de sainte Anne. — Les parents de la sainte Yierge, mère
de Dieu.

Mais n'allez pas croire, mes frères, que les hautes


et importantes explications que j'ai dû vous donner
sur les généalogies du Seigneur m'aient fait oublier le
but moral que je me suis proposé dans cette Homélie,
d'exciter en vous l'estime et l'amour de la sainteté,
dont Dieu réclame de ses serviteurs la pratique con-
stante et sévère ; Sancti estote, quia Ego sanclus sum
(Levit. xi, 44 etlPetr. i, 16). Tout ce que vous venez
d'entendre n'est, au contraire, qu'une belle et élo-
quente exhortation à la sainteté.
Quels sont en effet les personnages que, d'après l'É-
vangile, Dieu a donnés pour aïeuls à son Fils unique
devant se faire homme pour sauver l'homme? Pour ce
qui regarde les temps antédiluviens, nous sommes
avertis que notre Sauveur n'est pas descendu de la
race maudite de Caïn, race dont le chef avait trempé
ses mains dans le sang de son frère, race qui, en pour-
suivant avec un empressement aveugle les avantages

« sed tantum putativum, non erat ratio cur Josephi genealo-


« gia statim subjungeret, sed potius prosapiam B. Virginis, et
« Christi, secundum carnem, hanc enim scribere intendit Lucas,
« geque ac Matthams ; atque hic est finis et scopus genealogiae utrius-
« que (Question. Vet. et Nov. Testant., 11b. I, quœst. 56 et lib. H,
« quast. 6). »
444 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

de la vie matérielle, finit par corrompre la vérité du


dogme, la pureté de la morale, s'enfonça dans les
jouissances de la chair, établit le règne de l'homme-
chair sur les ruines de l'homme-esprit (1), et se rendit
coupable de ces monstruosités du crime qui n'ont pu
être effacées que par les eaux vengeresses du déluge.
Nous sommes avertis que le divin Sauveur est des-
cendu de la race bénite de Seth(2); race par laquelle
a été pour la première fois fixé sur la terre le culte
public du Seigneur (3) ; race à laquelle la ferveur de la
foi et la pureté des mœurs mérita le surnom de la
race des enfants de Diew, race chez laquelle se con-
serva toujours intact le précieux dépôt de la révéla-
tion primitive, de la vraie loi de justice, dont les huit
grands Patriarches qui se la transmirent jusqu'à Noé,
et qui tous sont indiqués comme les ancêtres du Mes-
sie, furent les crieurs zélés (4), c'est-à-dire les pon-
tifes, les apôtres, les docteurs et même les martyrs;
race enfin qui, dans la personne de ce même Noé,
l'homme juste et parfait par excellence, marchant tou-
jours avec Dieu, a donné au genre humain un nouvel
Adam qui l'a relevé de sa destruction, un archiviste
fidèle de ses titres primordiaux, de son origine divine,
de ses malheurs et de ses espérances, et un dépositaire

Non permanebit spiritus meus in homine, quia CARO est


9 Gen. VJ). »
(2) Voyez à la table généalogique la généalogie (2).
( 3 ) Seth natus est filius, quera vocavit Enos : iste cœpit invo-
« carenomen Domini (Gen. iv, 26). »
(4) « Octavum, Noé Justitiae praeconem custodivit(H Petr. v f 5).»
Or DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 445

infaillible de son plus riche patrimoine, le patrimoine


de la religion-vérité (1). En un mot. nous sommes
avertis par l'Évangile que notre divin Sauveur n'a eu
pour ses aïeuls particuliers, dans ces premiers temps,
que Seth et Sem, les plus saints parmi les fils des deux
pères de la race humaine, et qui, d'après l'Ecriture,
se sont élevés au-dessue de toute la race d'Adam par la
gloire de la sainteté (2).
Pour ce qui regarde les temps moyens, les Évangé-
listes ont eu soin de nous apprendre que notre Ré-
dempteur n'a eu pour ses pères qu'Abraham et David,
les chefs de la race choisie, chez laquelle seulement la
connaissance et le culte du vrai Dieu et l'héritage de
la foi, de la justice et de la sainteté se sont conservés
toujours purs au milieu des ténèbres de l'idolâtrie et de
la corruption épouvantable des mœurs, qui avaient
enveloppé presque toute la terre. Les Évangélistes ont
eu soin de nous apprendre que, à quelques exceptions
près(3), la généalogie de notre Seigneur ne s'est com-
posée que de tout ce que, pendant vingt siècles, il
y eut au monde de plus saint et de plus vertueux. Ce
sont ces vénérables Patriarches, ces chefs si saints du

{1 j « Noé vir justus atque perfectus cum Deo ambulavit (Gen. vi).
« Ideo dimissum est reliquum terrae, cum factum estdiluvium. Tes-
• tamenta sœculi posita sunt apud illum (Eccli. XLIV, 18 et 19). »
(2) « Seth et Sem apud hommes glorvam adepti sunt. et super
« omnem animam in origine Adam (Eccli. x u x , 19). *
(3) Jésus-Christ, dit saint Augustin, n'a voulu admettre même
des pécheurs (qui pour la plupart se sont convertis), parmi ses Pères,
qu'afin de faire savoir d'avance au monde qu'il serait venu non-
seulement pour les Justes, mats encore pour les pécheurs.
446 HOMÉLIE XIV. — L E S PARANTS DU SEIGNEUR

peuple de Dieu, ces grands pontifes, ces pieux rois et


ces prophètes si zélés dont l'auteur sacré de I'ECCLÉ-
SIASTIQUE, avant de tracer le panégyrique le p|us bril-
lant de chacun d'eux eu particulier dans les huit der-
niers chapitres de son livre (cap. XLIV-JJ), a chanté
dans ces magnifiques termes les grandeurs et les
gloires communes à tous :
« Louons les hommes glorieux, nos pères, dans leur
« descendance, dont la gloire n'a été qu'un grand
« éclat de la magnificence de Dieu. Ils ont été à la tète
« des peuples, mais ils les ont dominés moins par la
« force que par la grandeur de la vertu et de la pru-
« dence, en exerçant le beau rôle d'être leurs institu-
« teurs, et apparaissant dans toute la dignité des pro-
« phètes. En effet, le premier usage qu'ils ont fait de
« leur autorité sur les nations a été de les édifier par
« leur prudence et par leur vertu, et de leur prêcher
A les parçles très-saintes. Ils ont mis aussi une grande
« habjleté 3 donner des tours harmonieux à leurs paroles
« dans l'exposition des oracles des Écritures, Ils ont
(( fait consister leur principale richesse dans la posses-
« sion de la vertu, et leur amour du beau en introduis
« sant l'ordre et la paix dans leurs familles. Il n'est
« donc pas étonnant qu'après avoir été tant loués
« pendant leur vie, la gloire les ait toujours suivis
« dans leurs générations, et qu'ils soient restés, après
« leur mpft, les vraies gloires de leur nation dans
« leur race. Ceux qui sont nés d'eux leur ont ressem-
<( blé, et ont laissé eux aussi après eux des titres légi-
« times à la louange. Et tandis que tant d'autres per-
« sonnages n'ont laissé d'eux aucun souvenir, mais
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 447

« sont nés comme s'ils ne fussent pas nés, sont morts


« comme s'ils n'eussent jamais vécu et leurs fils ont
« été enveloppés dans le même oubli, nos grands hom-
« mes, au contraire, ayant été avant tout des hommes
« de miséricorde, leur piété leur a survécu. Le bien
« qu'ils ont fait s'est perpétué par leurs entants. Leurs
« neveux sont un saint héritage -, car leur race est de-
<( meurée attachée aux croyances traditionnelles, leurs
« fils restent éternellement à cause d'eux*, leur gloire
« et leur descendance ne s'effaceront jamais. Leurs
« corps dorment dans la paix du tombeau, mais leurs
« noms toujours vivants passent de génération en gé-
« nération. Que les peuples ne cessent donc de se ra-
« conter, en l'admirant, leur sagesse, et que l'Église
<c répète toujours leur éloge (Eccli. XLY, 1-13). »
Enfin, dans les derniers temps, qui ont été les Pères
du Seigneur? Son grand-père a été saint Joachim,
rhomme, d'après les traditions de l'Église, le plus
pieux, le plus pur, le plus charitable, le père des pau-
vres de son temps (1). Sa grand'mère a été sainte
Anus* cette femme incomparable dont l'ancienne
Anne, la mère de Samuel, ne fut que la prophétie et
la figure, et qui, héritière de sa foi et de son dévoue-
ment comme de son nom, se hâta, aussitôt qu'elle l'eut
reçue, d'amener* §u temple, d'offrir son unique enfant,
cette enfant de prières, de grâce et de bénédiction que
Dieu lui avait accordée dans sa vieillesse; de l'offrir,

(I) Voyez la liturgie du jour de la fête de saint Joachim, qui se


célèbre le dimanche entre Voctave de l'Assomption de son auguste
Fille.
448 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

de la consacrer, ou, selon la belle expression de l'Ecri-


ture, de prêter au Seigneur cette fille du prodige (1),
afin qu'il accomplît sur Elle les desseins de sa miséri-
corde pour le salut du monde (2).

§ 8 . Continuation du même sujet. — Les femmes du Temple. —


Sainteté d'ANNS I.À PROPHÉTESSE et de Siméon, tuteurs et gardiens
de la sainte Vierge. — Sainteté de Marie elle-même et de son
vierge époux Joseph.—Dieu ne pouvait mieux signaler son amour
pour la sainteté qu'en donnant de tels ancêtres et de tels parents
à son Fils.

Mais il paraît que, par sa présentation au Temple,


l'auguste petite Marie ne fit que passer des mains de
sainte Anne dans les mains d'une autre sainte Anne, et
qu'elle ne perdit rien au change.
Il y avait tout près du temple, et même faisant par-
tie des grands et nombreux édifices qui y étaient atta-
chés, des habitations destinées aux femmes. C'étaient

(1) « Adduxit eum secum ad Domum Domini in Silo. Puer autem


« erat adhuc infantulusj et ait Anna : Pro puero isto oravi, et
n dédit mini Dominus petitionem meam ; idcirco et ego commo-
« davi cum Domino, omnibus diebus (I Reg. i). »
(2) Il faut dire qu'après sa mort le nom de sainte Anne soit resté
en grande vénération à Jérusalem, car il est certain que les pre-
miers chrétiens lui érigèrent une chapelle. C'était sa propre maison,
où était née la sainte Vierge, que les chrétiens changèrent en
église. C'est aussi cette Église de sainte Anne, à Jérusalem, dont le
sultan Saladin avait fait une mosquée et que le sultan actuel, pour
faire plaisir à la France, vient de rendre aux catholiques. N'est-il
donc pas singulier que cette maison sacrée, où s'était accompli le
mystère de I'IHHACULÉE CONCEPTION, soit rendu au culte, immédia-
tement après que cette constante et universelle croyance de l'Église
a été convertie en dogme pour tous les chrétiens?
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 449

des vierges ou des jeunes veuves qui avaient été con-


sacrées par leurs pieux parents ou qui s'étaient consa-
crées elles-mêmes à Dieu pour le servir dans sa Maison
sainte. Elles étaient chargées de la prière perpétuelle,
comme nos Adoratrices perpétuelles, pendant la nuit
et pendant le jour (1); elles accueillaient et assistaient
les femmes du dehors qui se rendaient au temple pour
y accomplir les prescriptions de la loi ; c'était donc à
peu près ce qu'ont été les diaconesses chrétiennes de
la primitive Église (2).
Anne était de ce nombre, et même, à ce qu'il paraît,
leur supérieure, à cause de son grand âge, de ses ver-
tus et des dons extraordinaires dont Dieu l'avait com-
blée. C'était, d'après saint Luc, une femme distinguée,
fille de Phanuel, de la tribu d'Aser, qui, restée veuve à
vingt-deux ans, refusant tout autre engagement, s'é-
tait, dans la fleur de l'âge, adonnée au service du Sei-
gneur dans le temple. La pratique du jeûne lui était
habituelle, la prière était ses continuelles délices, toute
sa vie n'était qu'un sacrifice ; jour et nuit elle n'était
occupée que de la louange et du service de Dieu, elle ne
sortait jamais du temple. Il n'est donc pas extraordi-
naire que le Seigneur, pour la récompenser d'une vie
si fervente et si pure, lui ait accordé, entre autres
dons, celui de la prophétie, qui l'avait rendue célèbre
parmi les Juifs au point qu'on l'appelait ANNE LA PRO-
PHÉTESSE (3).

(1) C'est à quoi paraît faire allusion saint Luc parles mots : Ser~
viens nocte ac die,
(2) Voyez l'Alapide sur le chap. u de saint Luc.
(3) « Erat autem ANNA PROPHETISSA, filia Phanuel, de tribu Aser.
n. 29
450 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

C'est cette femme heureuse et sainte qui, d'après


saintLuc, à l'heure qui lui était destinée pour y remplir
ses fonctions au temple, s'y rencontra avec la sainte
Vierge, le jour et à l'heure même où cette Mère de Dieu
s'y était rendue, en compagnie de saint Joseph, pour y
offrir à Dieu son divin Fils, et, avec une humilité toute
nouvelle jusque-là, y accomplir la loi de la purifica-
tion (1), qui n'était pas instituée pour elle, la Pureté
même n'ayant aucun besoin d'être purifiée !
Siméon, ce saint prêtre, le modèle le plus parfait
de la justice et de la crainte de Dieu; ce vieillard véné-
rable à qui le Saint-Esprit, qui résidait en lui, avait
prédit qu'il ne mourrait pas qu'il n'eût vu I'OLYT DU
SEIGNEUR, le Messie, et qui ne tenait plus à la vie que
par le désir de voir l'accomplissement de cette pro-
phétie et par l'attente de voir la Consolation d'Israël (2),
Siméon, dis-je, s'étant trouvé, lui aussi, par une inspi-
ration divine, ce jour-là, dans le temple, y avait reconnu
le Christ dans les bras de la sainte Vierge *, l'avait pris

« Hsec processerat in dîebus multis, et vixerat eum viro suo septem


a annos a virginitate sua; et h<xc vidua usque ad annos octoginta
« quatuor; quœ non discedebat de templo, jejuniis et obsecrationi-
« busserviens nocte a c d i e (Luc. n, 3G et 37). »
(1) « Cum inducerent puerum Jesum (in templum) parentes ejus,
n ut facerent secundum consuetudinem legis pro e o . . . Hœc (Anna),
« ipsa hora superveniens, confitebatur Domino (Ibid. n 27 et 38).»
t

(2) « Et ecce homo erat in Jérusalem, cui nomen Siméon et homo


a iste JLISIUS et limoratus, expectans consolationem Israël ; et Spiritus
« sancLus erat in eo. Et responsum acceperat a Spiritu sancto non
« visurum se mortem nisi prius videret Christum Domini (Ibid.
« 2 5 , 26). »
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 451

dans les siens ; avait, par son court et sublime cantique,


remercié Dieu de l'avoir fait digne de serrer sur son
cœur ce Messie ( 1 ) , dont les plus grands patriarches,
Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, David, n'avaient pu
que saluer et adorer de loin la venue (2). Il l'avait pro-
clamé tout haut et indiqué au peuple comme l'objet
de sa longue attente et de ses dernières espérances,
comme la lumière des nations, la gloire d'Israël et le
salut du monde (3). Et en se tournant vers Marie, en
vrai prophète de Dieu, lisant dans l'avenir comme s'il
lui eût été présent, il avait fait d'avance, en quelques
mots, l'histoire complète de la vie mystérieuse de ce
divin Enfant et du martyre de sa Mère (4).
Eh bien, Siméon n'avait pas terminé sa prophétie,
qu'Anne pressant, à ce qu'il paraît, elle aussi, dans
ses bras défaillants le Fils de Marie, et faisant écho aux
paroles de Siméon, se mit à prophétiser à son tour et
à prêcher le Messie déjà venu pour tous ceux qui atten-
daient la rédemption d'Israël. Dans ce tendre Enfant,
enveloppé en de pauvres langes et assujetti aux mi-
sères de l'humanité, elle reconnut et annonça LE SEI-
GNEUR, le Fils de Dieu, et exhorta tout le monde à

(1) « Et venit, in Spiritu in templum... Et ipse accepit eum in


« ulnas suas et benedixit Deum [Luc. n, 28). »
(2) « Defuncti sunt... non acceptls repromissionibus, sed a longe
'( eas aspicientes et salutantes (Hebr. xi, 13). »
(3) « Et dixit : Nunc dimittis, etc. (Luc. n, 29). »
(4) « Et dixit ad Mariam matrem ejus : Ecce positus est Hic in
x ruinam et resurrectionem multorum in Israël : et in signum cui
« contradicetur ; et tuam ipsius animam pertransibit gladius (Ibid.
« 3 4 , 35). »
452 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

croire en lui (1). Oh ! qu'il a été beau, ce témoignage


public, éclatant, sortant du cœur d'une femme, sur la
divinité de Jésus-Christ encore enfant!
Anne avait environ soixante-huit ans, lorsque la
sainte Vierge fut, par ses saints parents, déposée au
temple et consacrée au Seigneur. D'après un interprète
(F. Lucas), Anne était aussi à la tête des veuves qui
demeuraient dans le temple et étaient chargées d'in-
struire dans la loi de Dieu les jeunes filles qu'on y éle-
vait, et de les former dans la vraie piété. C'est donc à
cette admirable femme, si sainte et si remplie de Dieu,
que, très-probablement, fut confiée la sainte Vierge;
c'est elle qui, avec les sentiments de la plus tendre
mère et de la servante la plus respectueuse et la plus
dévouée, l'assista tout le temps que la Vierge imma-
culée passa au temple.
Il est aussi très-raisonnable de croire que Siméon,
le plus saint des prêtres, comme Anne a été la plus
sainte des femmes attachées au sanctuaire, ait partagé
ses soins pieux dans la garde et l'assistance de la fu-
ture Mère de Dieu, comme plus tard il partagea le zèle
d'Anne à reconnaître et à annoncer le Fils de Dieu.
Voilà donc les parents, les tuteurs, les gardiens que
Dieu avait ménagés à la Mère de son Fils.
Et cette divine Mère elle-même, comment a-t-elle
été préparée pour être un jour à la hauteur de sa
dignité? Par une exception unique à la loi du péché
originel, qui a souillé toute la race d'Adam, Dieu en a

( l ) « Anna prophetissa... confitebaïur Domino, et loquebatur de


« illo omnibus expeclantibus redemptionem Israël {Ibid. 38). »
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 453
préservé Celle qui devait porter dans son sein le Verbe
incarné, afin qu'il n'y eût la moindre tache même pas-
sagère dans cet auguste tabernacle vivant du TRÈS-
HAUT. Non-seulement il la sanctifia avant sa naissance,
mais il l'enrichit dès son premier instant de toute la
magnificence de la sainteté (1). II la combla de grâce
autant qu'une pure créature est capable d'en recevoir 5
il la convertit en une chose toute sainte, toute à lui,
ne vivant que de lui et avec lui (2). Il en fit le prodige
de toutes les perfections, le chef-d'œuvre de sa puis-
sance et de sa bonté, n'ayant au-dessus de lui que son
propre Auteur (3).
Choisie pour être l'épouse du Saint-Esprit, et n'ayant
pas besoin du concours de l'homme pour devenir la
mère auguste de Dieu, Marie avait cependant besoin
d'un époux homme, vierge lui aussi comme elle, qui
l'assistât dans ses besoins, qui soignât comme un père
le Fruit béni de ses entrailles, et qui fut en même temps
le voile de sa maternité miraculeuse, et le témoin et le
gardien de sa virginité. Or, qui a été l'homme sur
lequel Dieu fit tomber son choix pour en faire son
représentant terrestre, sa providence visible à l'égard
de son propre Fils et de sa divine Mère? Est-ce un
grand et puissant prince? est-ce l'empereur romain, le
maître du monde? Pas du tout; mais un pauvre ar-
tisan que, quoique l'héritier légitime du sceptre de

(1) « Sanctiûcavit tabcrnaculum suum Àltissimus(Psaf. XLV, 6).


« Magnificeutia in sanctiGcatione ejus(P$flJ. xcv, G). »
(2) « Gratiaplcna; Dominus tecum ( l u e . i;). »
(3) «< Opusquod solus Opifex supergreditur (S, fier.).»
45 i HOMÉLIE XIV. — L E S PARENTS DU SEIGNEUR

David, les vicissitudes politiques du peuple de Dieu


avaient réduit à vivre du travail de ses mains. Mais cet
homme, si au-dessous de tous les hommes par la mo-
destie de sa condition, tenait le premier rang aux yeux
de Dieu par la sublimité de sa vertu. Dans un temps
o ù , par l'ambition de concourir à la naissance du
Messie, le célibat volontaire avait chez les Juifs quel-
que chose de honteux, spécialement pour les hommes,
Joseph, selon saint Jérôme {Conir.Hehidium), s'était,
par un vœu solennel, engagé à vivre dans la virginité.
C'était un prodige de justice, de piété et de religion ;
c'était l'homme le plus pur, le plus saint qu'il y avait
sur la terre; c'était en quelque sorte moins un homme
qu'un ange revêtu de membres humains, afin de réa-
liser le prodige qu'Isaïe avait annoncé comme devant
s'accomplir au temps du Messie, le prodige du JEUNE
HOMME HARITANT AVEC LA VIERGE, sans que leur virgi-
nité courût aucun risque : Habitabit enimjuvenis cum
Virgine (haïe, LXH, 5). C'est l'homme que Dieu choisit
pour en faire le père putatif du Verbe incarné.
Voilà ce qu'ont été les parents du Seigneur en ligne
ascendante. On le voit, ceux-ci n'ont eu l'insigne
privilège de former l'arbre généalogique du divin
Sauveur, selon l'humanité, que parce qu'ils ont été
des Saints; ils n'ont eu le Saint-Esprit pour panégy-
riste, qu'au titre de la sainteté; ils forment moins une
série de générations humaines, qu'une génération di-
vine, dans laquelle et par laquelle s'est toujours repro-
duite et perpétuée la vraie foi et la vraie vertu. On le
Yoit, dans ceux même dont Dieu fait les plus proches
parents de son Fils, dans Marie et Joseph, Dieu a tout
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 455

permis, excepté le péché. Il a permis que les nobles


filles de Sion aient rougi de Celle que le Messie devait
avoir pour sa mère, à cause de sa pauvreté. Il a permis
qu'elle fût appelée avec une sorte de dédain la petite
Marie, la femme du charpentier. Il a permis que l'hu-
miliation, la pauvreté, la douleur fussent le partage
de ces deux âmes sublimes qu'il aimait au-dessus de
toutes les autres créatures. Ce qu'il n'a pas permis,
c'est qu'ils fussent un seul instant privés de l'apanage
de l'innocence et de la sainteté. L'unique précaution
qu'il a prise à leur égard a été d'en faire des Saints, et
même les plus grands Saints qu'il était possible d'en
faire ; et par cela seulement il a cru en avoir fait assez
pour les rendre dignes de lui. L'unique soin qu'il a eu,
c'est qu'ils fussent tous les deux purs d'une pureté à
éclipser la pureté des anges ; qu'ils fussent tous les deux
vierges, afin de former, par les lis entrelacés de leur
virginité et entourés des fleurs de toutes les autres
vertus, le berceau où la FLEUR NAZARÉENNE devait se
reposer; et encore, par cela seulement il a cru avoir
assez pourvu à la dignité de son Fils et lui avoir pré-
paré une habitation en harmonie avec le sein éternel
où il l'engendre, de toute éternité, au milieu des
splendeurs des Saints*
Or, je vous le demande, pouvait-il, notre Dieu, si-
gnaler d'une manière plus éclatante son indifférence
ou son mépris pour ce qui n'est pas saint, et le prix
qu'il attache à la sainteté? pouvait-il se montrer plus
jaloux de l'ornement et du mérite de la sainteté?
pouvait-il nous dire d'une manière plus éloquente
qu'on ne peut plaire au Dieu saint que par la sain-
456 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

teté; Sancti estote, quia sanctus sum ego Dominus?


C'est la grande leçon que notre Sauveur nous a don-
née par les parents qu'il s'est donnés avant sa nais-
sance. Mais c'est aussi la leçon qu'il nous répète par les
parents dont il s'est plu à s'entourer pendant sa vie,
et c'est ce que nous allons voir dans notre seconde
partie.

DEUXIEME PARTIE.

LES PARENTS DU SEIGNEUR PENDANT SA VIE.

§ 9. Les oncles, les cousins, les frères et les sœurs de Jésus-Christ.


— Sainteté de Zacharie. — Le cantique Benedictus. — Sain-
teté d'Elisabeth, sa foi. — Elle a été la première a connaître et
à proclamer la maternité divine de Marie. — Saint Jean-Baptislo
et ses grandeurs.

VOULEZ-VOUS savoir, dit l'Écriture sainte, ce que sont


de bons parents? Regardez ce que sont leurs enfants;
In filiis suis agnoscitur vir (Eccli. xi, 30). La sagesse et
la sainteté des fils est le vrai éloge de leurs pères; Fi-
lius sapiens, docrina patris (Prov. xm, 1 ). D'après cette
règle, nous devons conclure que Matban, l'avant-der-
nier rejeton de la race de David par Salomon, a été,
saint Joachim et saint Joseph exceptés, le plus saint et
le plus heureux de tous les pères. Outre Jacob, le père
de saint Joseph, et sainte Anne, l'épouse d'Héli et la
mère de la sainte Vierge, ce Mathan eut encore une
fille appelée Sobé(l), qui engendra sainte Elisabeth, la

(l) Voyez à la Table des généalogies, la généalogie (4).


OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 457

femme de Zacharie et la mère de Jean-Baptiste le Pré-


curseur.
Outre saint Joseph, Jacob eut à son tour un autre
lils du nom de Cléophas ou Alphée.
Ce Cléophas prit pour sa femme celle que l'Évangile
appelle Marie de Cléophas; et les fruits de ce mariage
furent deux filles, Salomé et Marie, surnommées,
d'après d'autres auteurs, Esther et Tbamar, et quatre
fils : Jacques, Joseph, Juda-Thaddée et Siméon.
Enfin Salomé, mariée à Zébédée, eut, comme nous
l'avons vu déjà, Jacques et Jean l'Évangéliste pour ses
enfants.
Ainsi, fille de Sobé la sœur de sainte Anne, sainte
Elisabeth a été la cousine germaine de la mère de
Dieu et la tante du Seigneur. Son fils, Jean-Baptiste,
a été le petit-cousin du même Seigneur. Et par alliance
Zacharie, l'époux d'Elisabeth, a été, lui aussi, le cou-
sin de la sainte Vierge et l'oncle du Sauveur.
La sainte Vierge eut encore une parente, c'est
Marie de Cléophas, que, d'après l'usage commun chez
les Juifs, l'Évangile appelle « la sœur de la mère de
« Jésus; Et soror matris Ejus Maria Cleopkœ (Joan,
« xix, 25); » tandis qu'elle n'en était que la belle-sœur
par alliance, en tant que femme de Cléophas le frère
de saint Joseph, et par conséquent l'oncle lui encore
de Jésus-Christ. Car, en vertu de son vrai et légitime
mariage avec la sainte Vierge, sans être le père du
Seigneur, saint Joseph, Dieu l'ayant ainsi voulu, n'en
avait pas moins, à l'égard de ce Fruit béni qui avait,
même sans son concours, germé dans une terre vierge
de sa propriété, les droits, les devoirs et les rap-
458 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

ports de parenté résultant d'une paternité véritable.


Par conséquent encore, les six enfants de Cléophas,
le frère de son père putatif, étaient de Yrais cousins
germains du Sauveur, et ce sont ceux qui dans l'Evan-
gile sont dits ses frères et ses sœurs (Luc. vin, 20 et
alibi), parce que les Juifs appelaient ainsi les cousins
germains fils de deux frères (1).
Voilà quels ont été les plus proches parents de notre
divin Sauveur selon la chair. Mais les avoir nommés,
c'est en avoir fait réloge. Et en effet, est-ce que le
nom de Zacharie, le père fortuné du Précurseur et

(\) Nous faisons ici cette remarque, pour prémunir ceux de nos
lecteurs qui pourraient en avoir besoin, contre le blasphème des
modernes incrédules qui, l'Évangile à la main, enseignent que la
sainte Vierge a eu de 9aint Joseph d'autres enfants et ce sont ceux
que l'Évangile nomme les frères et les sœttrs du Seigneur. Oui,
blasphème horrible, nous le répétons, que l'incrédulité ne puise que
dans son ignorance de l'Écriture, dans la platitude et la corruption
des pensées qui lui sonthabituelles, et dans sa haine satanique contre
les grandeurs de la Mère de Dieu et de son divin Fils lui-même. Car
il est de foi que, vierge avant «on enfantement miraculeux, cette
divine Mère est restée vierge dans cet enfantement et après cet en-
fantement; Virgo ante partum, virgo in partu f virgo post par-
fum; et que ce Temple vivant de l'intacte pudeur où le Seigneur a
daigné séjourner corporellement n'a pas souffert la moindre alté-
ration dans sa mystérieuse intégrité ; Post partum virgo inviolata
permansisti. Ce blasphème, du r e s t e , n'est pas nouveau. Un
nommé Helvidius, dont l'ignorance des choses saintes était à la hau-
teur de la témérité de ses doctrines et de la honte de ses moeurs,
au quatrième siècle, l'avait articulé à Rome même. Ce qui nous a
valu le savant et vigoureux opuscule par lequel le grand Docteur
saint Jérôme (Hier, contr. Helvid.) a fait justice de cette abomina-
ble hérésie, et Va anéantie par des arguments sans réplique et par
le ridicule.
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 459

l'oncle du Seigneur, ne rappelle pas le vrai prêtre, le


prêtre parfait que Dieu aimait, que le ciel comblait de
ses faveurs, à qui les Anges faisaient part des plus
grands desseins de Dieu, et que le peuple environnait
des sentiments et des témoignages du plus grand inté-
rêt et de la plus profonde vénération (Luc. i)? Sa lon-
gue vie, à laquelle il avait été impossible de faire le
moindre reproche ou d'y apercevoir la plus petite ta-
che (Ibid.), ne s'était passée que dans la pratique de
la justice la plus exacte, de tous les grands devoirs et
de toutes les vertus exceptionnelles de son saint état.
II avait réalisé d'avance le mystère de cette vie inté-
rieure dont plus tard saint Paul a peint à grands traits
la perfection, la beauté, le charme, et par laquelle,
encore pèlerin de Dieu sur la terre, l'homme est initié
à la conversation et aux secrets du cieI(PAz72p.ni,20).Il
nous a laissé du reste un beau document de l'élévation
de son esprit, de la tendresse de son cœur, de la subli-
mité de son inspiration prophétique de la connaissance
intime que Dieu lui avait donnée de ses mystères, dans
ce magnifique cantique (le Benedicius Dominus Deus
Israël) où, le jour de la naissance miraculeuse de Jean
son fils, ravi, saisi d'admiration et rempli du Saint-
Esprit qui l'inspirait (Luc. i), il a résumé en douze
versets toutes les anciennes prophéties-, il a chanté
dans le style de la plus haute poésie les grandeurs et
les tendresses de la miséricorde de Dieu pour l'homme,
et, six mois avant que Gabriel en fit la manifestation à
Marie,'ila présenté comme accompli le mystère de
l'Incarnation. Oh! qu'il est beau, qu'il est sublime et
touchant ce cantique par lequel ce dernier des Pro-
460 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

phètes a clos l'Ancien Testament, et a fait en quelque


sorte la préface du Nouveau. C'est pourquoi l'Église le
chante tous les jours à l'heure où elle offre à Dieu le
premier tribut de ses louanges, de ses bénédictions et
de ses prières (aux Laudes) ; c'est pour cela aussi que
l'Église le répète à toutes les occasions, pour répandre
les consolations de l'espérance dans le cœur des vi-
vants et pour soulager les âmes des morts 5 c'est pour-
quoi enfin l'Église en fait ses délices, aussi bien que
du cantique encore plus sublime et plus touchant de
la sainte Vierge (le Magnificat).
Il paraîtrait que personne plus que Zacharie (la
divine Marie toujours exceptée) n'ait eu à cette époque
fortunée une connaissance plus claire des mystères de
Dieu. Eh bien, il n'en est pas ainsi. Encore plus pure,
plus humble, plus pieuse, plus fervente et plus par-
faite, Elisabeth, son épouse, cette autre tante du
Sauveur, a, mieux que son saint époux Zacharie, lu
dans le livre incompréhensible des secrets de Dieu.
D'abord, c'est elle qui, par le prodige que Dieu
opéra en elle de lui donner un enfant, malgré sa sté-
rilité et sa vieillesse, a préludé au prodige encore plus
grand de la Vierge, sa cousine, devenue mère sans
cesser d'être vierge \ c'est elle qui a servi à rendre plus
croyable ce prodige unique dans l'histoire de l'huma-
nité, et à prouver que rien n'est impossible à la puis-
sance de Dieu (1). Son époux hésita quelques instants

(1) « Et ecce Elisabeth cognata tua, et ipsa concepit filium in


« senectule sua, et hic mensis sextus est illi quae vocatur sterilis :
« quia non erit impossibile apud Deum omne verbum {Luc* 1, 36). »
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 461

à croire à la parole de l'Ange, lui annonçant qu'il


allait devenir père du précurseur du Messie ; et la
perte passagère de l'usage de la parole avait été le
châtiment de sa défiance et du délai de sa foi. Mais
Elisabeth, sa femme, n'hésita pas. Comme donc
elle avait été plus docile à croire et plus fervente à
espérer, Dieu l'a gratifiée du don de mieux com-
prendre, et de la haute mission de publier, elle la
première, le mystère du Fils de Dieu fait homme.
Aussi voyez-la, écoutez-la au moment où la sainte
Vierge, venant de concevoir et portant dans son sein
ce Fils de Dieu, alla la visiter. A peine l'auguste Marie
fait résonner sa voix céleste aux oreilles d'Elisabeth,
par une salutation affectueuse, que l'enfant que celle-
ci avait conçu depuis six mois tressaillit de joie,
parut sentir la présence du Messie, et parut vouloir
l'indiquer déjà et l'adorer. Ce fut un moment solennel
où d'ineffables choses se passèrent dans l'âme de cette
fortunée mère. Elle fut saisie du Saint-Esprit (Luc. i,
41). Un rayon lumineux d'en haut lui révéla la grandeur
des personnages qui l'honoraient de leur visite, et dont
la majesté toute divine remplissait sa modeste habita-
tion. Elle connut avec la plus grande distinction les
vertus, les grandeurs de Marie, les merveilles que
Dieu avait opérées en elle, et la divinité du Fils dont
elle était devenue la mère. Etonnée donc, et ravie en
une extase de contemplation et d'une joie inexpri-
mable, à la vue de si grands et si délicieux mystères,
dans l'enthousiasme de la plus vive foi, mêlée à la plus
profonde humilité, elle s'écria à haute voix : « O
« Marie! ô la femme heureuse, la femme bénie au-
462 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

« dessus de toutes les femmes ! car quel genre de


« grâces et de bénédictions pourrait vous manquer à
« YOUS qui portez dans votre sein un fruit de béné-
« diction et de grâce, et la source de toutes grâces et
« de toutes bénédictions! Mais, qui suis-je, moi, et
« qu'ai-je fait pour avoir mérité ce comble d'honneur
« et de bonheur, que la Mère DU SEIGNEUR daigne
« me visiter, moi la dernière de ses servantes (1)? »
Or, LE SEIGNEUR n'est que Dieu.
Ainsi sainte Elisabeth a été la première créature
humaine qui ait reconnu et adoré, dans le fils de Marie,
le Fils de Dieu, même avant sa naissance. Elle a été
le premier théologien qui ait formulé, et le premier
évangéliste qui ait annoncé le dogme de la divinité
de Jésus-Christ et de la maternité divine de Marie. O
admirable femme ! quelle a donc dû être la pureté de
son âme, la ferveur de son cœur, l'intimité de ses
communications avec Dieu, l'énergie du regard de
son intelligence, la solidité de sa foi, pour avoir si
promptement deviné et manifesté avec une telle pré-
cision le mystère du Messie ?
Voilà ce qu'ont été Zacharie et Elisabeth, parents
du Seigneur et de sa divine Mère. Ils leur apparte-
naient moins par les rapports du sang que par les
rapports de la foi, de la grâce et de la vertu.

(1) « Ut audivit salutationem Mariœ, Elisabeth, exultavit infans


« in utero ejus; et repleta estSnîritu saneto Elisabeth j et exelamavit
« voce magna et dixit : « Benedicta tu inter mulieres, et henedictus
« fructus ventris t u i ! . . . Et unde hoc mihi, ut yeniat mater Domini
« ad me ( C u c . i, 4 1 , 43)? »
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 463

Le iils de si grands Saints ne pouvait être qu'un


grand Saint lui-même. En effet, placé au milieu des
deux Testaments, Jean-Baptiste a résumé en lui toutes
les gloires des Saints de l'Ancien Pacte. Il a été conçu
miraculeusement par une mère stérile, comme les
Isaac, les Jacob, les Joseph, les Samuel. Il a été sanc-
tifié, étant encore au sein de sa mère, comme Jérémie.
11 a la perfection de la foi d'Abraham, de la mansué-
tude d'Isaac, du zèle d'Élie. Et, en même temps, il a
réuni en lui tous les caractères de sainteté de6 Saints
du Pacte Nouveau. Il a été un proâige d'innocence et
un prodige de pénitence; il a été patriarche et pro*
phète, homme d'oraison et homme d'action, vivant
dans les déserts et s'occupant de la conversion du
peuple. Il a été apôtre et évangéliste, vierge et martyr,
homme et ange; on dirait presque, comme de Jésus*
Christ a été homme et Dieu. Car, si dans toutes les
Ecritures anciennes et nouvelles il est appelé ANGE,
l'Ange préparateur des voies du Seigneur, l'Ange du
Témoignage, c'est autant à cause du miracle de sa
pureté, de sa contemplation et de son amour de Dieu,
qu'à cause de la sublimité de sa mission d'annoncer
Jésus-Christ.
Mais quel besoin avons-nous de relever la sainteté
de cet Ange terrestre, dont Gabriel, un Ange du ciel,
a décrit la vie avant sa naissance, et a dicté l'éloge
dans les termes les plus splendides(£wc,i,13-17)?Quel
besoin avons-nous de mentionner une à une les vertus
d'un homme dont le Fils de Dieu lui-même a daigné
se faire le panégyriste, en le proclamant L'HOMME LE
PLUS GRAND (aux yeux de Dieu, cela s'entend) qui SOIT
464 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DTJ SEIGNEUR

NÉ D'UNE FEMME; Non surrexit inter naios Mulierum y

major JoanneBaptista (Matih. xi, 14)? Mais pouvait-il


en être autrement? Jean-Baptiste a dit de lui-même :
JE NE suis QU'UNE VOIX; Egovox. Définition sublime
et charmante ! car comme la voix est le véhicule de la
pensée intérieure, du verbe de l'homme, Jean a été le
véhicule de la Pensée intérieure, du Verbe de Dieu, la
voix qui l'a révélé et l'a fait connaître. Cela nous dit
assez que, première conquête de la grâce de ce Verbe
de Dieu fait Homme, il a été formé exprès pour Y usage,
pour le ministère, pour la gloire du Verbe ; et par cela
même qu'il a été mis en harmonie avec le Verbe, qu'il
a eu des traits particuliers de ressemblance au Verbe.
Et dès lors on conçoit à quelle hauteur il a dû être
élevé dans les montagnes de la sainteté (In montibus
sanctis). Tel a été le petit-cousin du Seigneur, l'ami,
le compagnon et les délices de sa sainte enfance.

§ 10. Sainteté et martyre de saint Cléophas, le frère de saint Joseph.


— Sainteté et dévouement de Marie, femme de Cléophas, pour la
sainte Vierge.

Sans avoir atteint une pareille hauteur de sainteté,


les autres parents, dont le Verbe de Dieu a voulu s'en-
tourer dans son passage sur cette terre, n'en ont pas
moins été des Saints et de grands Saints, eux aussi.
Nous ne savons rien de particulier sur la jeunesse
de Cléophas, le frère de saint Joseph, et, lui encore,
beau-frère de la sainte Vierge et oncle du Seigneur ;
mais nous savons bien ce qu'il a été dans la maturité
de son âge et dans sa vieillesse. Nous savons que, non
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 465

content de lui avoir donné tous ses fils, il se donna


lui-môme au Seigneur ; qu'il se mit à sa suite-, qu'il
fut l'un de ses soixante-douze disciples; et que,
parmi ces disciples, il fut le plus fervent et le plus zélé
de la gloire du divin Maître. Car c'est ce Cléophas qui,
d'après saint Luc (Luc, xxiv), se rendant de Jérusalem
au château d'Emmaûs, le jour de la résurrection du
Christ, pendant la route ne s'entretint avec son com-
pagnon que de la vie et des mystères du Seigneur,
et qui, au comble de la tristesse J, cause de sa mort,
brûlait d'une sainte impatience d'en apprendre la ré-
surrection. « Il nous a promis, disait-il, qu'il serait
ressuscité le troisième jour. C'est donc aujourd'hui
qu'il a dû accomplir cette promesse ; car il est certain
qu'il n'a pas plus voulu nous tromper qu'il n'a pu se
tromper lui-même. En effet, des femmes, qui sont al-
lées ce matin même à son tombeau, et ne l'y ont pas
retrouvé, assurent qu'il est revenu à la vie. Nous le
croyons donc vraiment ressuscité; mais nous ne le
voyons pas encore ; nous ne savons pas où le rencon-
trer; nous le cherchons partout. Oh! qu'il nous tarde
de le revoir (làid.)l »
Une pareille foi, un pareil amour ne pouvaient pas
manquer d'obtenir leur prompte et riche récompense
de la part du Dieu de bonté. Aussi ce Pèlerin, qui s'é-
tait associée ces heureux disciples dans leur chemin et
avec qui ils avaient épanché tout leur cœur, c'était
Jésus-Christ ressuscité lui-même. Ils le reconnurent au
souper, où l'aimable Seigneur daigna leur donner à
manger son corps sous les accidents du pain consacré
(Luc, loc, cit.). C'est donc Cléophas qui, parmi les dis-
30
466 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

ciples bien-aimés du Christ, reçut l'insigne faveur de


voir le premier ce Christ venant de triompher de la
mort. C'est à lui que le Seigneur ressuscité se révéla
avant même de se révéler aux Apôtres; et c'est de
lui qu'il s'est servi comme d'un évangéliste de sa ré-
surrection auprès des Apôtres (Ibid.).
II parait que, depuis ce jour fortuné, il ne fut plus pos-
sible à Cléophas d'oublier ce château d'Emmaûs et cette
auberge où il avait eu rimmensehonheurde voir le Sei-
gneur à peine sorti de son tombeau et de recommunier
de sa main. Il paraît qu'il choisitcet endroit même pour
être le théâtre de sa prédication sur la divinité de Jésus-
Christ. Car, d'après la tradition de l'Église, c'est dans
cette même maison qu'un jour, comme il y évangélisait
les Juifs, il fut mis à mort par eux en haine de la con-
fession du Seigneur, et qu'il termina la vie glorieuse
d'un saint par la mort héroïque d'un martyr; et c'est
de cette même maison, où il avait jadis préparé un
banquet terrestre à son divin Maître, qu'il fut appelé
par lui au banquet du ciel. L'Église célèbre sa fête le
25 septembre (1).
Maintenant nous avons à parler de la femme d'un si
saint personnage, tante, elle aussi, de notre divin Sau-
veur : de sainte Marie de Cléophas, l'uue des plus illus-
tres FEMMES DE I'ÉVANGILE. Elle mérite donc que nous
fassions d'elle ici une mention toute particulière.

(i) « I n castello Emmaus, natalis B. Cleophm Christi disci-


« puli qucni tradunt in eadeni d o m o in qua mensam D o m i n o pa-
ît raverat, pro Confessione illius a Judxis occisum, e t glorwsa
« memoria sepullum (MARTYR, ROM. 2 5 septem.}. •
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 467

L'Évangile l'appelle « Marie de Cléophas, » du nom


de son saint époux. Mais comme, d'après l'usage des
Juifs d'avoir plusieurs noms, Cléophas était encore
surnommé Alphèe, saint Matthieu (cap. x) et saint Luc
(Act. i ) , appellent aussi Jacques d'AlpAée l'apôtre
saint Jacques fils de cette Marie et de Cléophas : afin
de le distinguer de l'autre apôtre saint Jacques, frère
de saint Jean et fils de Marie Salomé et de Zébédée.
Sainte Elisabeth, la mère du Précurseur, tout ayant,
elle, la première reconnu, comme on vient de le voir,
l'auguste Mère de Dieu, dans l'humble mère de Jésus,
n'en était pas moins sa cousine et sa plus proche pa-
rente , puisqu'elle était, comme on l'a vu aussi, la
fille de Sobé, sœur de sainte Anne, la mère de la sainte
Vierge. Tout en vénérant donc cette mère du Seigneur
et l'assistant avec le respect religieux et la dévotion
d'une humble servante, sainte Elisabeth ne la chéris-
sait pas moins, ne la soignait pas moins avec la ten-
dresse d'une mère. La mort de cette vieille et incom-
parable femme fit donc un grand vide autour de la
sainte Vierge et de son Fils divin. Eh bien, ce vide,
Dieu en ayant ainsi disposé, pour la consolation de la
Mère de son Fils, fut rempli et bien rempli aussitôt par
sainte Marie de Cléophas. En sorte que saint Jean, en
l'appelant LA SOEUR DE LA MERS DE JÉSCS (Joan. xrx, 2 5 ) ,
tandis qu'elle n'en était que la belle-sœur, a voulu évi-
demment nous l'indiquer moins par son degré de pa-
renté avec la sainte Vierge que par sa dévotion, son
affection, son dévouement pour cette Mère du Seigneur.
En effet, Marie de Cléophas ne la quitta jamais un seul
instant, ne s'en éloigna jamais d'un seul pas. Elle la
468 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

soignait comme sa fille et la servait comme sa maî-


tresse. Elle fut la première à l'accompagner au Cal-
vaire. Elle se tint constamment à son côté au pied de
la croix, pour s'édifier de sa constance et partager sa
douleur.
Dans cette intimité avec la Mère de Dieu, elle avait
puisé de grandes lumières sur les mystères et un
dévouement sans bornes pour l'auguste personne de
Jésus-Christ. Après la sainte Vierge, Marie de Cléo-
phas était l'âme de l'association pieuse de ces saintes
et sublimes femmes qui, comme on vient de le voir,
suivaient partout le Seigneur et les Apôtres, les assis-
taient de leurs biens et leur rendaient les plus humbles
services. Après la sainte Vierge, elle est nommée la
première, par les Évangélistes, parmi les femmes qui,
dans la fuite honteuse des Apôtres, avaient eu le cou-
rage de braver la haine des Juifs et de protester contre
l'injustice des magistrats et la fureur du peuple, en se
laissant voir pleurant sur les souffrances et les oppro-
bres du divin Maître, et assistant à sa mort. Après l'en-
sevelissement du divin Corps du Seigneur, c'est elle,
cette autre Marie qui, d'après saint Matthieu, est restée
assise, en compagnie de Madeleine, vis-à-vis du tom-
beau sacré, pour garder, même mort, son Maître chéri,
et ne voulant point se séparer de lui \ Erat autem ibi
Maria Magdalena et altéra Maria sedentes contra se-
pulckrum (Matth. xxvn, 61). C'est elle enfin qui est en-
core indiquée comme aussi empressée que Madeleine
et que sa propre fille, sainte Salomé, d'acheter des par-
fums, de revenir au sépulcre du Seigneur à la pointe
du jour, la fête du Sabbat à peine expirée, pour rendre
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 469

au saint Corps du Fils de Dieu les honneurs d'une der-


nière onction. Ce sont ces heureuses femmes dont,
comme vous l'avez vu déjà (Homèl. ix), le Sauveur
ressuscité a si largement récompensé la foi et la dévo-
tion en leur apparaissant à elles les premières, sur le
chemin de Jérusalem, dans la beauté et la splendeur
de son corps glorifié, en les saluant du ton le plus
affectueux, en leur permettant d'embrasser, de baiser
ses pieds, en les comblant de bénédictions, et en en
faisant, auprès des Apôtres, les premiers évangélistes
et les premiers hérauts de sa résurrection.
Sainte Marie de Cléophas, peu de temps après l'as-
cension du Seigneur, mourut saintement comme elle
avait vécu, dans la Judée, le 9 du mois d'avril ; mais
sa fête se célèbre le 25 mai. C'est le jour où son saint
corps, transporté de la Judée en Italie, arriva à Veroli,
petite ville épiscopale des États de l'Église, à douze
lieues de Rome. Les Verulans ont choisi sainte Marie de
Cléophas pour PATRONNE particulière de leur ville au-
près de Dieu; ils l'invoquent avec beaucoup de con-
fiance et honorent sa mémoire et ses reliques avec la
plus grande dévotion (Cornélius à Lapide, in \i\Luc.)>
Voilà donc quels ont été les oncles et les tantes du
Fils de Dieu fait homme : des Saints et toujours des
Saints. Il en a été de même des enfants de sainte Marie
de Cléophas, les neveux de saint Joseph et les cousins
du Seigneur, que, d'après l'Évangile, les Juifs appe-
laient les sœurs et les frères de Jésus,
470 HOMÉLIE XlV. — LES PARENTS DTJ SEIGNEUR

§ 11. Sainteté des six enfants de Marie de Cléophas. — Leur vie


et leur mort* —Cette femme a donné quatre apôtres au Seigneur.
— Preuve résultant de cette exposition, de l'intérêt que Dieu at-
tache à la sainteté.

Sainte Marie de Cléophas eut six enfants de son


mariage : deux filles : Salomé et Marie, et quatre fils :
Jacques, Joseph, Judas-Thaddée et Siméon. Or tous
ces enfants renouvelèrent les grands exemples de vertu
et de sainteté de leurs parents et de leurs aïeux.
C'est que, secondée par son saint et vénérable époux
Cléophas, Marie leur mère les éleva avec un soin tout
particulier dans les sentiments de la vraie foi et de la
vraie piété, dans la pratique de la prière, dans la pu-
reté des mœurs, dans l'observation de la loi, dans la
crainte de Dieu qui fait les saints.
Vous savez déjà comment Marie Salomé, l'aînée de
tous les enfants de Marie de Cléophas, éleva les siens
e
(xni Homél.). Eh bien, sainte Salomé n'avait appris
qu'à l'école de sa mère les sentiments de religion et de
pureté qu'elle sut inspirer à Jacques et à Jean. Ainsi,
toute la gloire des vertus et des mérites de sainte Sa-
lomé revient de droit à sainte Marie de Cléophas, sa
mère.
Nous ne trouvons rien de particulier, dans l'Evan-
gile, sur la deuxième des filles de sainte Marie de Cléo-
phas. Elle y est à peine indiquée comme l'une de ces
saintes femmes qui, pendant la Passion du Seigneur,
lui donnèrent de si belles preuves de leur dévouement
courageux j ce qui est assez pour que nous la croyions
une Sainte.
OtJ DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 471

Le premier des fils de sainte Marie de Cléophas fut


l'un des Apôtres de Jésus-Christ. C'est celui qu'on ap-
pelle saint Jacques LE MINEUR, pour le distinguer
de l'apôtre saint Jacques, fils de Salomé, qui est dit
saint Jacques LE MAJEUR, parce que celui-ci a été
appelé le premier à l'apostolat; car, quant à l'âge, Jac-
ques d'Àlphée lui était supérieur, étant le frère de sa
mère, sainte Salomé, et par conséquent son oncle.
Pour être appelé le Mineur, saint Jacques, le fils de
Marie de Cléophas, n'en a pas moins été un grand
Apôtre. C'était même le plus vénérable, le plus univer-
sellement estimé comme le plus âgé des Apôtres.
A cause de l'austérité de ses mœurs et de son esprit
de pénitence et de prière, il était en odeur de sainteté
même auprès des Juifs. C'était au point qu'on lui avait
accordé le privilège unique et sans exemple, celui qui
n'appartenait qu'au souverain pontife, le privilège
d'entrer dans le Sancta sanctorum du temple. C'est
pour cela que ses collègues, les Apôtres, après l'Ascen-
sion du Seigneur, lui confièrent le siège difficile de
Jérusalem. Premier évêque de cette ville, il y fonda
cette première chrétienté si sainte et si parfaite, dont
les Actes des Apôtres et saint Paul nous ont transmis
les gloires, et qui a été le modèle de toutes les chré-
tientés du monde.
Saint Paul énumère, parmi ses bonheurs, d'avoir
connu ce saint Jacques, le frère du Seigneur (Galat. i,
19). Au premier concile de Jérusalem, où s'agita la
grande question touchant l'obligation de la loi mosaïque
et de la circoncision pour les convertis au christianisme;
c'est saint Jacques qui appuya et fit prévaloir l'opinion
472 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

du prince des Apôtres saint Pierre : Qu'il ne fallait pas


imposer aux Gentils, qui se seraient faits chrétiens, le
joug du mosaïsme et des rites judaïques. Les gens
du peuple l'avaient en telle considération qu'ils s'esti-
maient heureux de pouvoir toucher les extrémités de
sa robe. Enfin, un jour qu'il prêchait avec plus de zèle
et de ferveur qu'à l'ordinaire la divinité de Jésus-Christ,
les scribes et les pharisiens voulurent le faire taire à
coups de pierres*, puis, ils le firent monter au sommet
du temple et l'en précipitèrent. 11 ne mourut pas tout de
suite de cette chute; mais, les jambes cassées, et à demi
mort, il put encore, à l'exemple de son divin Maître, éle-
ver au ciel ses mains pures, et dire à Dieu : « Seigneur,
« pardonnez-leur; car ils ne savent ce qu'ils font. » Et
c'est pendant qu'il répétait ces sublimes et touchantes
paroles, qu'accablé de coups de bâton, il rendit son
âme au Seigneur à l'âge de quatre-vingt-dix ans, après
avoirsaintement gouverné, pendant trente ans, l'église
de Jérusalem (Brev. rom., i. Mai.). Enfin, ce saint Jac-
ques est l'auteur d'une des sept Epîtres canoniques;
admirable épître, car c'est un résumé fidèle de la mo-
rale de l'Évangile, et en quelque sorte un petit Ëvan-
gile de l'Evangile, qui lui donne le droit de prendre
place parmi les évangélistes. L'Église célèbre la fête
er
de ce grand Apôtre le 1 du mois de mai.
Le deuxième fils de sainte Marie de Cléophas s'ap-
pelait Joseph. C'est pourquoi cette sainte est appelée,
dans l'Évangile, du nom de ses deux premiers fils, la
mère de Jacques et de Joseph. Ce Joseph, surnommé LE
JUSTE parexcellence, ainsi que son oncle Joseph, Té-
poux de la sainte Vierge, était réputé, à l'égal de saint
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 473

Mathias, le plus saint parmi les soixante-douze disciples


du Seigneur, et le plus digne d'occuper la douzième
place dans le collège apostolique, restée vacante par
l'apostasie et la mort affreuse de Judas. Aussi, ce furent
les deux disciples sur lesquels les Apôtres jetèrent les
sorts pour choisir le successeur de l'apôtre traître
(Act. u). Le sort étant tombé sur Mathias, Joseph
n'en resta pas moins l'un des plus zélés propagateurs
du christianisme. Créé évêque d'Éleuthéropole, il y
fonda une église très-florissante. Il est inscrit au nom-
bre des Saints, et sa fête se célèbre le 22 juillet.
Plus heureux, le troisième des fils de sainte Marie
de Cléophas fut appelé à l'apostolat par Jésus-Christ
lui-même. C'est l'apôtre saint Judas Thaddée, l'auteur
d'une des Épîtres canoniques, formant partie du Nou-
veau Testament. Il a, en compagnie de l'apôtre saint
Simon le Cananéen, évangélisé la Mésopotamie, la Perse
et l'extrême partie de l'Egypte; et après avoir converti
des peuples innombrables à la foi, il illustra le nom de
Jésus-Christ par le plus glorieux martyre. Sa fête re-
vient le 28 du mois d'octobre (Brev. rom.).
Enfin, le dernier des fils de notre Sainte a été saint
Siméon, qui succéda à l'apôtre saint Jacques, son frère,
dans l'épiscopat de Jérusalem, et qui fut martyrisé sous
l'empereur Trajan. Sa mort est célèbre dans l'histoire
des martyrs. C'est parce que crucifié, en haine du
Christ, qu'il ne cessait de prêcher, quoique à l'âge dé-
crépit de cent vingt ans, il remplit de stupeur ses bour-
reaux, et étonna tout le monde par la constance hé-
roïque de sa confession.
Voilà ce qu'ont été les enfanls de sainte Marie de
474 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

Cléophas : des Apôtres, des Martyrs et des Saints. Et


puisque sainte Marie Salomé, sa fille, a été la mère des
apôtres saint Jacques et saint Jean, sainte Marie de
Cléophas, la plus heureuse de toutes les mères de
l'Évangile, aurait à elle seule donné, dans ses fils et
ses petits-fils, quatre Apôtres au Seigneur, et par eux
elle aurait été pour un tiers dans l'œuvre précieuse de
la fondation et de la propagation de l'Église.
Mais ce sont là les sœurs et les frères du Seigneur
qui ont complété sa parenté. Quelle parenté donc
que celle-ci ! Quels Saints qu'un Zacharie, une Elisa-
beth, un Jean-Baptiste, un Cléophas, une Marie, sa
femme ; et ses fils : un Jacques, un Joseph, un Thaddée,
un Siméon, une Salomé et les fils de sa fille, un Jac-
ques encore et un Jean l'Évangéliste! Pauvres des
biens de la terre, ils ont été riches des trésors du ciel,
la grâce et la vertu. C'est la famille que le Fils de Dieu
fait homme s'est donnée pendant sa vie mortelle. C'est
de tels personnages qu'il a voulu s'entourer; c'est
au milieu de cette atmosphère de vertus, si héroïques
et si variées, qu'il a voulu vivre, comme si ce ne fût
que là qu'il pût respirer à son aise. Il ne s'est pas sou-
cié de les mettre à l'abri de la pauvreté, de l'humilia-
tion, de la douleur. Ce que son amour pour eux n'a
pu souffrir en eux, c'est qu'ils fussent des hommes de
péché ; ce que son amour pour eux l'a engagé de faire,
ce fut de les sanctifier, et que ceux qui étaient si près
de lui par les liens du sang, se rapprochassent encore
plus de lui par la sainteté. Preuve éclatante celle-ci
encore que ce Dieu saint n'apprécie que la sainteté, ne
se plaît que dans la sainteté, et qu'on ne peut lui être
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 475

agréable que par la sainteté ; Sandi estâtquia sanctus


sum ego Dominus.
C'est, enfin, cette même leçon qu'il nous a donnée
par la condition qu'il a établie pour ceux qui aspirent
à faire partie de sa parenté après sa mort. C'est le
sujet de notre dernière partie.

TROISIÈME PARTIE.

LES PARENTS DU SEIGNEUR APRÈS SA MORT.

S VI. Jésus-Christ est venu se former une famille sur cette terre,
qui doit le suivre au ciel. — A quelle condition peut-on devenir
son frère, sa sœur et même sa mère. — Explication d'un passage
de l'Évangile sur ce sujet.

L'UNE des plus consolantes vérités qu'on rencontre


presque à chaque page dans l'Evangile et dans les Epî-
tres de saint Paul, c'est qu'en se faisant lefils de l'homme
et le frère de l'homme, le Verbe divin a voulu faire
des hommes les fils de Dieu et ses propres frères (1).
Jésus-Christ s'est donc formé une famille sur cette
terre- il s'est donné des frères qui doivent le suivre au
ciel, qui doivent former sa céleste parenté, partageant
tous ses biens dans leur qualité de vrais héritiers de
Dieu et de vrais cohéritiers du Christ (2),
Mais à quelle condition pouvons-nous aspirer à faire

(1) « Dédit eis potes tatem filios Dei fitri (Joan* i, 12).Utadop-
« tionemfiliorumDeireciperemus(Galat. iv, 5), Non confunditur
« fratres eos vocare (Hebr. H , H ) , »
(2) « Si autem filil> et hmrettes : ksereâes qu'idem Dei, cohxredes
« autem Christi (Rom. v m , n). »
476 HOMÉLIB XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

partie de cette race, de cette famille, de cette parenté


divine, et recevoir l'investiture des biens qui y sont
annexés ? Jésus-Christ lui-même nous l'a dit, dans les
termes les plus clairs et les plus explicites, dans son
Evangile. Allons consulter ce code divin de nos de-
voirs, mais aussi de nos droits et de nos espérances.
Nous avons souvent remarqué, dans le cours de ces
Homélies sur les femmes de T Évangile, que les femmes
ont plutôt et mieux que les hommes compris Jésus-
Christ comme étant le Fils de Dieu et le Messie. Ce
fait a eu lieu même dans la famille du Seigneur. Pen-
dant que Marie de Cléophas, aussi bien que Salomé sa
fille donnaient les preuves les plus éclatantes de leur
croyance en la divinité du Christ, ses fils Jacques,
Joseph, Thaddée et Siméon, partageant ses vertus, ne
partageaient pas tout à fait sa foi. Pour eux, Jésus,
le fils de Marie, leur cousin, et qu'on appelait leur
frère, n'était qu'un grand prophète, mais non pas le
divin Messie. Ils lui étaient très-dévoués 5 ils l'aimaient
tendrement, mais, d'après saint Jean, ils ne croyaient
pas encore en sa divinité ; Neque enim fratres ejus
credebant in eum (Joan., vu, 5). Un jour donc, ayant
appris que Jésus, leur frère bien-aimé, se laissant em-
porter par son zèle d'évangéliser la foule, allait jusqu'à
oublier de prendre la plus petite nourriture (1), et
que par surcroît les Juifs voulaient le tuer-, dans le
transport d'une émotion toute humaine, ils se mirent
à dire : « Hélas ! il va se perdre- il est hors de lui-
y

(1) « Convenit iterum turba ita ut non possent neque panem raan-
« ducare (Marc, m, 20). »
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 477

même; il faut aller le chercher, et l'arracher de vive


force des mains de ses ennemis, et l'amener ici où il
sera plus en sûreté (1). » Ils firent partager à sa sainte
mère leurs craintes et leurs anxiétés, et ils se ren-
dirent à Capharnaùm, où le Seigneur se trouvait
alors, dans l'intention de l'enlever et de le reconduire
avec eux.
La synagogue où Jésus-Christ prêchait était si rem-
plie de monde, que sa mère et ses frères ne purent
y pénétrer pour arriver jusqu'à lui. Ils chargèrent
quelques personnes de lui faire savoir qu'ils arrivaient
de Nazareth et demandaient à le voir. On vint donc
lui dire en présence de toute l'assemblée : « Voilà que
votre mère et vos frères, qui n'ont pu percer la foule,
vous attendent au dehors et souhaitent de vous par-
ler (2). »
Le divin Maître profitait de tout pour instruire ses
auditeurs, et pour élever leur esprit des choses de
l'ordre matériel et humain, aux choses de l'ordre spi-
rituel et divin. Il répondit donc : « Qui croyez-vous
être ceux que j'aime avec l'affection qu'on a pour ses
frères et pour sa mère ? » Et étendant la main vers
ses disciples: « Voilà, ajouta-t-il en les montrant,
voilà ma mère à moi et mes frères; car quiconque

(1) « Cum audissent sui, exierunt tenere eum, dicebant enim


« quia in furorem versus est (Ibid. v, 21). » Grœce, Exoste, id est,
Extra se est.
(2) « Et venerunt ad lllum mater et fratres ejus ; et non poterant
« adiré eum prae turba (Luc. vin, 19). Et foris stantes, miserunt ad
« eum vocantes eum (Marc, ni, 31). Dixit autem quidam : « Ecee
« mater tua, et fratres tuv foris sunt, quœrentes te [fdatth. m , VI).
478 HOMÉLIE XIV. — - LES PARENTS DU SEIGNEUR

fait la volonté de mon Père, qui est dans les cieux,


celui-là est vraiment mon frère, ma sœur et ma mère
aussi (4). »
Mais est-il possible que notre divin Maître se soit
ainsi exprimé, et que de telles paroles soient tombées
de ses lèvres? Celui qui était venu nous enseigner le
respect filial, l'amour filial, la piété filiale envers nos
parents, et qui avait placé ce devoir de l'homme im-
médiatement après ses devoirs envers Dieu, aurait-il
commencé par renier lui-même ainsi ses propres
parents et sa propre mère ?
Non, non, mes frères, il n'a rien fait de tout cela.
Jésus aimait avec tendresse sa divine mère, comme il
l'a donné à voir par la sollicitude avec laquelle, sur la
croix de ses douleurs, il Ta recommandée aux soins
et au dévouement de son disciple bien-aimé (Joan.,
xx). Mais en lui la nature humaine étant parfaitement
subordonnée à la nature divine, son amour pour sa
mère, en tant qu'homme, était soumis à l'amour qu'il
avait pour elle en tant que Dieu. K a donc voulu dire
qu'aimant sa mère comme étant son fils, il l'aimait
bien davantage comme étant son Dieu. Cest-à-dirê
que Marie ayant toujours et en tout cherché à faire la
volonté du Père céleste, à ce titre Jésus-Christ la re-
gardait et l'aimait bien davantage comme sa mère
qu'au titre d'avoir été engendré d'elle.

(1) « At ipse respondens ait : « Qua? est mater m e a ? et qui sunt


« fratres mei ? » Et extendens manum in discipulos suos dicit :
• Ecce mater mca, et fratres mei, Qulcumque enim fecerlt volun-
« tatem Patris mei qui in cœlis est, ipse meus frater, et aoror et
« mater est (Matth. x n , 4 8 , 50), »
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 479

Par cette réponse du Seigneur, nous sommes aver-


tis que notre divin Sauveur préfère à la parenté char~
nelle la parenté spirituelle, dans laquelle on ne fait
attention ni au sexe ni aux différents degrés de proxi-
mité, et par laquelle les Saints lui appartiennent de
très-près, et lui sont intimement unis commes'ils étaient
ses frères et sa mère(l). Nous sommes avertis que les
vrais parents, la vraie mère du Seigneur sont ceux qui
accomplissent la volonté de Dieu. Et comme c'est dans
l'accomplissemeut de cette volonté divine que consiste
la vertu, la perfection, la sainteté humaine, nous
sommes avertis encore que la sainteté est la condition
nécessaire, la condition indispensable de faire partie
de la famille qu'il est venu se former sur cette terre,
et qui, après sa mort, doit le suivre dans le ciel. Rien
n'est plus clair.
Mais voici une autre difficulté. Ou conçoit bien
qu'en obéissant fidèlement à Dieu l'on devient le fils
adoptif de Dieu par la grâce, et par cela même, tout
homme devient le frère, toute femme devient la sœur
de Jésus-Christ. Mais on ne conçoit pas comment on
peut devenir aussi sa mère.
Saint Augustin a répondu à cette difficulté. Rappe-
lez-vous, nous dit-il, ces touchantes paroles de saint
Paul aux païens qu'il venait de convertir : Vous êtes
mes enfants à qui je donne une naissance nouvelle jus-

( i ) f Cognationem spirïtnalem carnali praefert, in qua non est


« sexus, nec ordo : sed omnes proxime et omnimode contingunt
a Christum, quasi frater, soror, et mater (A LAPIDE hic, ejc Patri-
« bus). »
480 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR
qu'à ce que Jésus-Christ SOIT FORMÉ ET NAISSE EN VOUS-
MÊMES (1), Vous le voyez donc, l'amour de Dieu et du
prochain est très-fécond, il peut faire naître vraiment
Jésus-Christ dans ceux qu'il engendre à la foi et à la
vertu 5 et par cela, toute âme fidèle et sainte devient
la vraie mère de Jésus-Christ (2). Et saint Grégoire
a dit à son tour : Lorsque, par notre parole, nous
parvenons à faire connaître Jésus-Christ, à inspirer
l'amour de Jésus-Christ aux autres, nous l'engendrons
vraiment en eux. Et c'est ainsi que nous, qui sommes
les frères du Seigneur par la grâce de la foi, nous de-
venons vraiment sa mère aussi par l'exercice de la pré-
dication, de l'exhortation, de l'instruction et de la
prière (3).
C'est que toute chose connue se produit d'une ma-
nière intentionnelle dans l'esprit qui la connaît, et toute
chose aimée se produit, naît, d'une manière sentimen-
tale, dans le cœur qui l'aime ( 4 ) . Ainsi donc notre pa-
role a une vertu génératrice 5 et lorsqu'elle fait connaî-
tre, lorsqu'elle fait aimer Jésus-Christ, elle l'enfante

(1) « Filioli mei, quos iterum parturio donec in vobis efformetur


t Christus (Galat. tv, 19). »
(2) « Mater Christi est omnis anima faciens volunlatem Patris
«t ejus, fœcundissîma charitate, in iis quos parturit, donec in eis Jésus
« formetur (AUG. de S. Virginit.). »
(3) t Sciendum nobis est quia qui Christi frater et soror cre-
a dendo, mater efficitur praedicando. Quasi enim parit DonVnum,
« quem cordi audientis infuderit, et mater ^jus afficitur, si, per ejus
« vocem, amor Domini in proximi mente generetur (Homil. m in
n Evang.). »
(4) » Omne cognitum est in cognoscente; omne amatum est in
« amante (S. Thomas). »
OU DIEU JÀ.LOUX DE TROUVER, ETC. 481

dans l'esprit et le cœur de ceux qui nous écoutent.


Cette doctrine est consolante non-seulement pour
nous qui exerçons le ministère de la Parole sainte,
mais pour vous aussi, mères pieuses, qui faites con-
naître Jésus-Christ à vos enfants et qui le leur faites
aimer. Vous formez ainsi, vous engendrez Jésus-Christ
dans leur àme, et, en accomplissant ce grand devoir,
cette volonté de Dieu, humbles servantes, sœurs et
filles chéries du Seigneur, vous devenez aussi ses véri-
tables mères ; et il vous doit cette génération spiri-
tuelle, qui fait le bonheur de son cœur de Sauveur,
par laquelle il naît, il vit dans l'esprit et dans le cœur
de l'homme.

§ 13. Explication d'un autre passage de l'Évangile sur le même sujet.


— Résumé de l'Homélie. — On ne peut plaire à Dieu que par la
sainteté. — La sainteté est facile. —Exhortation à s'y dévouer.

C'est cette môme doctrine que notre aimable Sei-


gneur a confirmée d'une manière plus éclatante encore,
lorsque cette femme courageuse, dont parle saint
Luc (1), enchantée du charme de sa divine parole, s'é-

(l) On croit que cette femme a été sainte Marcelle. Voyez ce que
e
nous avons dit d'elle dans la VII homélie, § 3 . Lors de la visite de
la sainte Vierge à sainte Elisabeth, celle-ci, après l'avoir proclamée
Bénie entre toutes tes femmes, lui dit encore : Que vous êtes heu-
reuse d'avoir cru ! car tout ce que le Seigneur vous a révélé s'ac-
complira en vous [Luc. î). C'est-à-dire que sainte Elisabeth fit cllc-
méme le commentaire de reloge qu'elle avait adressé à la sainte
Vierge ; tandis qu'ici sainte Marcelle aurait prononcé l'éloge de la
Mère de Dieu, et le commentaire en aurait été fait par Jésus-Christ.
Mais, dans les deux endroits, la doctrine est exactement la même,
n. 31
482 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

cria au milieu de la foule : Heureux le ventre qui tous


sucé; et qu'il lui répon-
a porté ei le sein que vous avez
dit : « Heureux PLUTÔT tous ceux qui écoutent la parole
a de Dieu et là gardent ( i ) ». Par cette grande et
sublime parole, il n'a pas nié, non plus, comme le
remarque saint Augustin, que la sainte Vierge a été
bien heureuse d'avoir été sa mère ; mais il a déclaré
que cette auguste Vierge a cependant été plus heureuse
encore d'avoir conçu le Verbe de Dieu par la foi que
de l'avoir conçu par la chair \ et que sa maternité divine
ne lui aurait servi à rien, si elle n'avait porté plus
heureusement Jésus-Christ dans son cœur que dans
son sein (2).
La raison de cela, ajoute un grand interprète,
c'est qu'être la mère de Dieu est Tune de ces grâces
que, dans le langage théologique, on appelle grâces in-
térieures et données gratuitement 5 mais écouter et gar-
der la parole de Dieu est une de ces grâces que, dans le
même langage, on appelle grâces intérieures qui ren-
dent agréaJblq à Dieu l'âme qui la possède. C'est-à-dire
que la parenté la plus intime, selon la chair, avec Jé-
sus-Christ, ne donne pas à l'homme le droit à la féli-

Voyez comment tout est uniforme, tout s'harmonise dans l'Évan-


gile.
(1) « Loquente Jesu ad turbas, cxtollens vocem, quaedam mulier
« de turba dixit illi : < Beatus venter qui te portavit, et ubera
« quw succsistu » At Rie dixit : « QUINJMO, Beati qui audhint
« verbum Dei, et custodiunt illud (Luc.xi, 28). »
(2) « Materna propinquitas nihil Maria profuisset, nisi felicius
« Christum corde quam carne gestasset. Beatior ergo Maria perci-
« piendo fidem quam concipiendo carnem Christi [De $. Virgtnït.,
« c. 111 et Tract, x in Joan.). »
OU DIEU JALOUX DS TROUVEE, ETC. 483

cité du ciel ; mais que c'est la docilité à entendre la


parole de Dieu et la fidélité à l'accomplir constamment
jusqu'à la fin de la vie qui donne le droit à la vision
béatifique et à la gloire éternelle (1). Ainsi, la sainte
Vierge aurait été élevée au premier rang dans les cieux
moins par la sublimité de sa dignité de mère de Dieu
que par la sublimité de ses vertus.
Jésus-Christ aurait donc déclaré ici encore qu'il re-
garde, qu'il aime Marie comme sa mère, bien plus à
cause de sa docilité et de sa fidélité à la parole de Dieu,
que pour avoir fourni son sang au Fils de Dieu. Par
conséquent, il aurait déclaré en même temps que tous
ceux que l'Evangile appelle LES DOCILES DE DIEU, OU
tous ceux qui se soumettent par leur esprit aux révé-
lations divines et les accomplissent par leurs œuvres,
— car écouter la parole de Dieu et la garder n'est que
cela, — peuvent, eux aussi, être regardés, aimés du
Seigneur comme des parents, comme des mères.
Mais, par cette même réponse, Jésus-Christ aurait
établi aussi que bien croire, et opérer comme on croit,
c'est le comble de la vertu, c'est la perfection de la
sainteté; et par conséquent il aurait établi, en même
temps, que la sainteté est la condition unique, néces-
saire, indispensable pour devenir membre de cette

(?) « JSsse matrem Dei est gratia externa^ gratis data ; ALDIRE ET
.( custooiaE VLRBUM DEI et gratta interna grafum faciens, E^se
« matrem Dei précise non facit matrem beatam ut fruatur Dei vi-
« sione et gloria œterna; at custodire verbum Dei perseveranter
« usque ad finem vita? perduclt hominem ad visionem et gloriam
« œternam ( A LAPIDE, hic). >>
484 HOMÉLIE XIV. — LES PARENTS DU SEIGNEUR

parenté, de cette famille spirituelle qu'il est venu se


former sur cette terre pour raccompagner dans le ciel.
Voilà comment, 1° par les parents qu'il s'est donnés
avant sa naissance 5 2° par les parents dont il s'est en-
vironné pendant sa vie, et 3° par les parents qu'il s'est
formés pour le suivre après sa mort, il nous a prêché
l'obligation que nous avons tous d'être saints : Sa?icti
estote, quia sanctus sum ego Dominus.
« Mais, être saints, m ' o p p o s e r e z - Y o u s , c'est facile à
dire, mais ce n'est pas facile à faire. » Et moi je vous
réponds : D'abord, oui, ce n'est pas facile d'être
saint; mais est-ce qu'il est facile d'être scélérat? Le
chemin de la sainteté est parsemé d'épines; mais est-ce
que le chemin du vice est parsemé de roses? et ceux
qui le suivent ne sont-ils pas forcés, bien des fois,
d'avouer, comme ces anciens pécheurs dont parle l'É-
criture ; Qu'ils-marchent dans des sentiers difficiles;
Ambulavimus vias difficiles {Sap. v, 7)? Il faut se faire
violence pour obtenir le bonheur du ciel ; mais est-ce
qu'on ne doit pas se faire bien plus de violence encore,
et s'assujettir à toute espèce de travail, de chagrins,
de remords, d'humiliations, de douleurs, de sacrifices,
pour goûter des délices fugitives de la terre? Dieu a
mis à un grand prix les trésors de la grâce ; mais est-ce
que le monde accorde gratis ses faveurs? Pour plaire
à Dieu, l'homme doit immoler toutes ses passions;
mais pour plaire à une seule passion ne doit-il pas, bien
souvent, immoler son bien, sa santé, sa dignité, son
honneur et même sa vie? Ah ! tout bien calculé, il est
vrai, il est certain que si Dieu est un maître sévère,
le monde est un maître cruel ;jque la vie de la vertu
OU DIEU JALOUX DE TROUVER, ETC. 485

est infiniment plus facile, plus agréable, plus heureuse


que la vie du péché, et qu'il en coûte infiniment moins
au chrétien de se sauver que de se perdre.
En second lieu, est-ce que, pour être saint, il est
nécessaire de quitter le siècle, de se condamner à toutes
les rigueurs d'une vie solitaire, pénitente et austère?
Non. Est-ce qu'être saint ce n'est pas sentir les mi-
sères, les défaillances de la nature humaine, ou bien
c'est avoir des révélations, être ravi en extase, et
opérer des prodiges? Non, non, la sainteté n'est pas
cela et ne demande rien de tout cela. La sainteté, c'est
la haine, la fuite du mal et la pratique du bien ; ce qui,
avec les secours d'en haut, qui ne manquent jamais,
et par l'usage fréquent des sacrements, est non-seule-
ment possible, mais facile. La sainteté, c'est la vie en
état de grâce. Tout chrétien en état de grâce est saint,
et s'il éprouve des répugnances dans la pratique du
devoir, de la sécheresse dans ses prières, cela, loin de
rien ôter à sa sainteté, en augmente le mérite. Enfin,
la sainteté n'est que la justice. Dans les Livres saints,
les mots juste et saint sont synonymes. Soyez donc
justes envers Dieu, envers le prochain, envers vous-
mêmes, et vous serez saints; et après vous être enri-
chis des grâces de la sainteté dans le temps, vous en
aurez pour récompense d'être heureux pour toute
l'éternité. Ainsi soit-ilî
GÉNÉALOGIES DU S A U V E U R DIVIN
PAR LES ÉVANGÉLISTES.

DIEU
LE vWe.
Le Verbe en Dieu de toute éternité.
Le Verbe créateur.
(1). Le Verbe vivificateur.
Le Verbe illuminateur.
Le Verbe prêché avant de paraître.
. Le Verbe accepté et rejeté.
Le Verbe dispensant la filiation divine.
LE VERBE FAIT CHAIR.
DIEU
EXPLICATION DES SIGNES. Adam. REMARQUES.
(•) Ce signe \ indigue paternité et filia-
Seth. core de David par Nathan, autre fils de Da-
tion véritable entre ceux dont il unit les vid, selon saint Luc.
noms. Henos. (6) Fils légitime et naturel de Jacob,
(**) Ces points signifient suppres-
Caïnan. saint Joseph n'a été indiqué par saint Luc
sion de plusieurs générations, faite à que comme fils légal d'Héli ; Qui fuit Heli :
dessein, pour ne pas trop allonger cette
Mala'léel. c'est-à-dire, en tant qu'époux de l a s a i n t e
table. V i e r g b jM.ajue,filled'Héli, il était son gendre.
(***) L'individu dont le nom n'a pas ce
Hénoch.
i (7) Ce Cléophas,, frère de saint Joseph,
signe \ dessus, n'est pas le fils de celui Mathusalé. avait pour femme Marie d'Alphée, dite, dans
dont le nom précède. l'Evangile, la s o e u r d e l a h b r b d e J é s u s ,
(2) Lantech. selon l'usage des Juifs : tandis qu'elle n'en
REMARQUES. _. 1, était que la belle- soeur.
Noe.
(1) Généalogie et vie du Verbe avant son I (8) Ces sii enfants de Cléophas étaient
Incarnation, selon saint Jean. Sem. appelés l e s f r è r e s e t l e s s o e d r s d e J é s u s ,
(2) Ancêtres, depuis Adam, da Verbe fait Arxaphad (**) toujours selon la coutume juive : tandis
homme, selon saint Luc. Héber. (***) qu'ils n'étaient que ses cousins germains
p u t a t i f s . Parmi ces frères, Jacques et Thad-
(3) Descendance du Verbe fait homme .1 dée furent du nombre des apôtres.
d'Abraham, selon saint Matthieu et saintLuc. Phaleg. (9) Ce Jacques est saint Jacques, apôtre,
(4) Jésus-Christ, de la part de la mère de Nachor. lui aussi, dit le majeur, parce qu'il fut ap-
sa mère, sainte Anne, descendant de David pelé avant lefilsde Cléophas, du même
par Salomon, selon saint Matthieu, et la Tharé. nom, à l'apostolat ; et qui, pour cela, est sur-
tradition. nommé le mineur. Ce Jean est saint Jean
(5) Jésus-Christ, de la part du père de sa Abraham. l'Évangéliste. Ce sont les enfants de Zé-
mère, saint Joachim ou Héli, descendant en- l
Isaac. bedée, du nom de leur père.
Jacob,
l
Judas.
(3), Phares...,
Salmon.
1
Booz.
Ob'ed.
I
Jessé.
„I
David.
I
Salomon. Nathan.
I
Roboam. Menna.
Abias. Éliakim.
l
Asa. Jona.
I t
Josaphat. Joseph.
I
Joran. Juda.
l,
Joatham. Siméon.
Achaz. Lé'vi.
I
Ézéchias. Mathat.
Manassés. Ëliézer.
l
Aroon. Jésu.
I
Josias Her
Zorobabel... Janné.
Ëliud. l
Ëléazar. Melchi.
l Lévi.
Mathan.
Mathat.
So!bé, Jacob, sainte Anne (épouse de) saint Joachim ou Héli.
l 1 I
J.
Elisabeth, Cléophas (7), Joseph (époux de) LA S. VIERGE, MÈRE DE DIEU. S. Joseph (6)
Jean-Baptiste. |
Salomé, Marie, Jacques, Joseph, Thaddée. Siméon (8) J £ S U S " G H R I S T
\ 1
Jacques, Jean(9).
TABLE ANALYTIQUE

HUITIÈME HOMÉLIE.

MARIE AU PIED DE LA CROIX ou LA MÈRE DE L'ÉGLISE, 1


Introduction. — 1. Explication (tu mystère d'Adam appelant sa
femme « La mère des vivants. » Ce fut une magnifique prophétie
du mystère de Marie devenant, au Calvaire, la Mère de l'Église;
et c'est ce mystère qu'on propose pour sujet de cette homélie. îb.
p r e m i è r e p a r t i e . L E S TITRES DE LA MATERNITÉ DE MARIE A L'ÉGARD
DE L'ÉGLISE. — 2. La femme dont Dieu a parlé dès l'origine du
monde. Les mystères du Calvaire ayant leur raison dans la catas-
trophe de l'Ëden. Pourquoi Jésus-Christ, sur la croix, a appelé
Marie « FEMME, J> et non pas « MÈRE. » Grandeur et magnificence
du mot « FEMME » adressé à Marie 5
3. Pourquoi Jésus-Christ n'a pas appelé non plus Jean par son nom.
La maternité de Marie à l'égard de l'Église résultant de la cir-
constance que Marie a été la Mère de J é s u s - C h r i s t , au même
titre que Dieu en est le Père 12
4. C'est sur le Calvaire que Marie suhit la peine infligée à Eve ,
« d'enfanter dans la douleur. » Grandeurs des douleurs de Marie
sur le Calvaire. Elle y souffre dans son cœur tout ce que Jésus
souffre dans son corps. Attitude sublime dans laquelle elle toléra
ce martyre 15
5 . Fécondité des douleurs de Marie. Elle nous a engendrés par
ses douleurs, en même temps que Jésus-Christ nous engendrait
par son sang 23
6. Rébecca figure de Marie. Amour de Marie pour les hommes lui
ayant fait sacrifier son fils, pour leur salut. Générosité sublime
de ce sacrifice 28
*ï. À l'exemple du Père éternel, en livrant son Fils pour le salut
des hommes, Marie e s t devenue leur m è r e au même titre que Dieu
est devenu leur père. La mère des Machabées. Paraphrase des
mots : FEMME, VOICI VOTRE FILS 33
l » o n x l è m « p a r t i * . SENTIMENTS Dfe MARIE A L'ÉGARD DE L'ÉGLISE,
ET DC L'ÉGLISE A L'ÉGARD DE M A R I E . — 8 . Jésus-Christ faisant son
488 TABLE ANALYTIQUE

testament sur la croix, et nous laissant, à titre de legs, Marie pour


Mère, aussi bien que Dieu pour Père 40
9. Efficacité des paroles adressées par le Seigneur à Marie et à Jean ;
et sentiments qu'elles créèrent dans le cœur de la Mère et du Disci-
ple. Amour de l'Église pour Marie. Il n'a sa source que dans ces
paroles de Jésus-Christ 44
10. Les mêmes paroles de Jésus-Christ sont une loi. Tout vrai chré-
tien est et doit être l'enfant dévoué de Marie. Stupidité des héré-
siarques qui blâment le culte que l'Église rend à Marie. Misère de
leur prétendue religion 49
11. On n'est enfant de Marie qu'autant qu'on est vrai disciple de
Jésus-Christ, semblable à saint Jean, par la pureté des mœurs et
le courage de la foi. Nécessité de ne pas séparer la dévotion à
Marie de l'imitation de ses vertus et de l'accomplissement de tous
les devoirs du chrétien 56
A p p e n d l x à l'Homélie précédente. L E S SOINS DE MARIE POUR L ' É -
GLISE NAISSANTE 60

NEUVIÈME HOMÉLIE.

LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU DU SEIGNEUR RESSUSCITÉ


OU LE BONHEUR DES PETITS 65

i n t r o d u c t i o n . — 1. Les PETITS selon l'Évangile; les révélations d i -


vines leur sont exclusivement réservées. Les saintes femmes au
tombeau du Seigneur preuve de cette vérité. Sujet et importance
de cette homélie Ib.
P r e m i è r e p a r t i e . L E BONHEUR DES SAINTES FEMMES VOYANT LES A N -
GES. •— 2. Dévouement de la femme au Seigneur pendant sa
passion. La femme de Pilate proclamant Jésus-Christ JUSTE.
Courage des femmes l'accompagnant au Calvaire et assistant à sa
mort 68
3. Le corps du Seigneur incorruptible, même après la mort. Pieuse
intention des saintes femmes de parfumer encore ce corps divin.
Pourquoi la sainte Vierge ne s'est pas associée à elles dans la v i -
site du tombeau 73
4. La Madeleine allant au tombeau. Les prodiges qui avaient ac-
compagné ta résurrection du Seigneur. L'attitude de l'ange, con-
solante pour les justes, effrayante pour les méchants 77
5. Les autres saintes femmes allant au tombeau du Seigneur. V i -
sion de l'ange et explication des ciiconstances de cette apparition.
Son discours aux femmes 82
6. Beau témoignage que les anges ont rendu à la divinité de Jésus-
Christ. L'ange s'entretenant avec les saintes femmes, figure de Ja
bonté avec laquelle Dieu se révèle aux petits. Explication d'un
mot de l'ange consolante pour les vrais serviteurs de Dieu : ils
n'ont rien à craindre; c'est aux méchants à trembler 87
TABLE ANALYTIQUE. 489
S e c o n d e partie» JÉSUS-CHRIST RESSUSCITÉ SE RÉVÉLANT AUX PETITS
ET CONVERSANT AVEC EUX. — 7 . Les Apôtres ne voulant pas croire
au récit des femmes leur annonçant la résurrection du Seigneur,
qu'elles avaient apprise des anges. Pierre et Jean se rendant au
tombeau. Cachet de vérité des Evangiles. L'amour de Madeleine
récompensé. Son bonheur de voir Jésus-Christ 94
8 . Explication des paroles du Seigneur à Madeleine : « Ne veuillez
pas me toucher. » Jésus-Christ appelant les Apôtres ses frères. •»
Profonds et consolants mystères de ses paroles pour tous les vrais
chrétiens. Dieu leur Dieu et leur Père 101
9 . Explication du mystère des anges et de Jésus-Christ apparais-
sant d'abord aux femmes. La femme évangéliste de l'homme pour
le bien, comme elle l'avait été pour le mal. La résurrection du
Seigneur, le mystère de la femme régénérée 107
1 0 . Jésus-Christ apparaissant de nouveau aux femmes, et adoré par
elles comme Dieu. Leur bonheur. Bonté ineffable du Seigneur
appelant de nouveau les chrétiens « ses frères. » 111
1 1 . Incrédulité des apôtres aux témoignages de ceux qui avaient vu
Jésus-Christ ressuscité. Reproches que leur en fit le Seigneur.
Cette incrédulité a cependant rendu plus éclatante la vérité de la
résurrection. Stupidité de ceux qui ne croient pas ce dogme sur
le témoignage de l'Église. La femme incrédule est ridicule.. 1 1 6
1 2 . Pourquoi l'incrédulité des Apôtres a été excusée et pardonnée,
tandis que l'incrédulité des faux philosophes sera impitoyable-
ment punie. Nécessité d'accepter l'enseignement de l'Église et de
se faire petit pour bien connaître Dieu et ses mystères 123
T r o i s i è m e p a r t i e . LES MYSTÈRES DU TOMBEAU. — 1 3 . La vraie
Galilée c'est le ciel. Voyage mystique au tombeau du Seigneur.
Les azymes de la sincérité. La matinée. L'entrée dans le sépul-
cre. La bonne odeur de Jésus et la mauvaise odeur de Satan.
Augures et promesses . 130

DIXIÈME HOMÉLIE.
MARTHE ET MADELEINE A LA RÉSURRECTION DE LAZARE ou
LA RESURRECTION DES MORTS 137
i n t r o d u c t i o n . — 1 . L'homme ne mourant qu'à cause du péché et
pouvant ressusciter par Jésus-Christ, comme Jésus-Christ l u i -
même. La résurrection de Lazare figure de ce mystère, et sujet
de cette homélie Ib.
p r e m i è r e p a r t i e . L E S PRÉLIMINAIRES DE LA RÉSURRECTION DE L A -
ZARE. — 2 . La famille de Lazare. Pourquoi elle était chère â J é -
sus-Christ. Touchant message que Marthe et Madeleine lui envoient
sur la maladie de leur frère, et réponse du Seigneur 141
3 . Dessein de miséricorde du Seigneur en permettant la mort de La-
zare. Jésus-Christ la lumière du monde, les Apôtres les heures du
jour. Confiance exagérée de Thomas dans son propre courage. 1 4 6
490 TABLE ANALYTIQUE.

4 . Jésus se prouvant Dieu en annonçant la mort de Lazare à ses


disciples. Le sommeil de la mort des amis de Jésus-Christ. 152
5 . Marthe se plaignant au Seigneur d'avoir laissé mourir son frère.
Magnifique révélation que Jésus-Christ est la RÉSURRECTION et la
VIE. Explication de ces sublimes paroles 156
6. Effet prodigieux de la révélation que Jésus-Christ vient de faire
à Marthe. L'acte sublime de foi de cette femme figure du témoi-
gnage que l'Église rend à Jésus-Christ. Bonheur de croire à ce
témoignage r 161
D e u x i è m e partie.
L E PRODIGE DE LA RÉSURRECTION DE LAZARE ET
SON EXPLICATION ALLÉGORIQUE. — 7. Madeleine pleurant aux pieds
du Seigneur. Jésus-Christ frémissant, se troublant et pleurant lui
aussi. Explication de ces sentiments mystérieux du divin Sauveur.
Ses larmes sont la joie du monde 165
8. Jésus en demandant où l'on a mis Lazare, n'a manifesté que son
amour pour l'homme. L'infection qu'exhale l'homme déchu peut
bien éloigner de lui son tentateur, mais jamais son Créateur. 172
9. La prière de Jésus-Christ nouvelle preuve de sa divinité. Magni-
ficence du prodige de la résurrection de Lazare. Hommage à
Jésus-Christ, Fils de Dieu et Sauveur du monde 175
10. Explication du même prodige au sens allégorique. Comment se
fera la résurrection des morts au jour dernier 181
11. Autre commentaire des mots ; « la Résurrection et la Vie. »
L'une n'est pas l'autre. Qu'est-ce que la « résurrection de la vie
et la résurrection du jugement, et quelles en seront les consé-
quences pour l'éternité. L'une ou l'autre de ces résurrections sera
notre ouvrage 185

Troisième p a r t i e . L A RÉSURRECTION DE LAZARE AU SENS TROPOLO-


eiQUK. — 12. Lazare au tombeau figure du pécheur. Les vraies
Marthes et les vraies Madeleines qui peuvent le faire ressusciter.
Bien des conversions ne se font que par la prière. La femme être
priant. Efficacité de la prière de la femme chrétienne 10-2
13. Exhortations aux femmes chrétiennes à coopérer à la résurrec-
tion des pécheurs par la prière. La femme parisienne. La prière
dans le travail, et le travail dans la prière. Exemple de Jésus-
Christ. Récompense. Les femmes de l'Evangile. Souhaits à l'au-
ditoire et bénédiction 105

ONZIÈME HOMÉLIE.

LES TROIS MORTS RESSUSCITES ou LE RETOUR A LA GRACE


DES TROIS CLASSES DÉ PÉCHEURS 201
Première partie. L A FILLE DE JAIRE, OC LES PÉCHEURS DE FRAÎCHE
DATE 204
Troisième partie. LAZARE MORT, ou LES CONSUÉTUDINAIRES ET LES
VIEUX PÉCHEURS 223

DOUZIÈME HOMÉLIE.

JÉSUS-CHRIST CHEZ MARTHE ET MADELEINE ou L'UN NÉCES-


SAIRE ET LES CONDITIONS, LA NÉCESSITÉ ET LA RÉCOM-
PENSE DU SERVICE DE DIEU 239
P r e m l è r e p a r t i e . L E S CONDITIONS ET LES OEUVRES DU SERVICE DE
DIEU. — 1 . Les femmes ont été, plus que les hommes, généreu-
ses et constamment dévouées au Seigneur, durant sa vie mortelle.
Marthe et Madeleine l'ont été plus que toutes les autres femmes,
la divine Mère exceptée. Jésus-Christ n'acceptait volontiers l'hos-
pitalité qu'elles lui donnaient chez elles, que parce qu'il trouvait
leur maison* riche du seul ornement digne de la maison de Dieu,
la SAINTETÉ 242

2. Exposition littérale du récit évangélique de Jésus-Christ chez


Marthe et Madeleine 248
3. Marthe et Madeleine ayant reçu Jésus-Christ dans leur esprit
par la foi ; et dans leur cœur, par l'amoUr; avant de le recevoir
dans leur maison par la charité, apprennent au chrétien les vraies
conditions et tes œuvres du service de Dieu. Plus heureux qu'elles,
le chrétien peut recevoir réellement et corporellement Jésus-Christ
en lui, par la communion eucharistique. Exposition delà doctrine
de saint Paul sur la dignité du corps de l'homme baptisé.. 252
4. Par sa réponse à Marthe, le Seigneur ne lui a pas fait un r e -
proche de sa charité. Toute interprétation édifiante d'un passage
de l'Écriture est vraie. Première interprétation que les Pères ont
donnée de la réponse de Jésus-Christ à Marthe. Le Seigneur a,
au contraire, loué son œuvre, mais il a préféré celle de Made-
leine. Cas unique où l'on est dispensé d'exercer la charité. Jésus-
Christ déclarant que les œuvres de la miséricorde spirituelle l'em-
portent sur celles de la miséricorde corporelle 263
5. Deuxième interprétation de la réponse du Seigneur à Marthe :
En livrant toute son àme à Jésus-Christ, pour qu'il la sanctifiât
toujours davantage, Marie lui ménageait un repas plus agréable à
son cœur. La meilleure offrande que nous puissions faire à Dieu,
est celle de nous-mêmes 269
6. Troisième interprétation des paroles de Jésus-Christ à Marthe :
Dans leur réalité historique, Marthe et Madeleine sont, en même
temps, deux personnages allégoriques, figurant l'une la vie active;
l'autre, te vie contemplative. Absorbée dans la contemplation de
la parole de Jésus-Christ, Madeleine exerçait, elle aussi, mieux
Ue Marthe, la charité. Ainsi, en déclarant l'occupation de Ma-
3eleine meilleure que celle de Marthe, le Seigneur n'a pas donné
492 TABLE ANALYTIQUE.
la préférence à la vie purement contemplative sur la vie de zele et
de dévouement; mais il a exalté le mérite de l'union de ces deux
vies 272
7. Explication du mystère de la vie contemplative. En aimant, plus
que les autres, le Dieu qu'elles contemplent, les âmes adonnées à
la contemplation , aiment aussi, plus que les autres, l'homme,
image de Dieu. Stupidité du monde de regarder comme inutile la
vie des Solitaires. Bien immense qu'ils font au monde dans l'or-
dre spirituel aussi bien que dans Tordre temporel. — L A vie con-
templative est active, elle aussi 278
8. Suite du même sujet. La vie contemplative peut être pratiquée
même au milieu du monde. Les hommes de zèle et de charité
ne sont tels que parce qu'ils sont contemplatifs. Jésus-Christ et
sa divine Mère, vrais modèles de cette vie parfaite d'oraison et
d'action, que d'abord les Apôtres, et ensuite tous les Pères, les
Docteurs et les Saints de l'Eglise ont suivie 282
8 b i s . La maison de Marthe et de Madeleine, figure aussi de l'Eglise.
La vérité pure et la sainteté parfaite ne se trouvent qu'en elle. On
ne peut servir Dieu et faire son salut que dans l'Église 287
D e u x i è m e p a r t i e . L'IMPORTANCE ET LA NÉCESSITÉ DU SERVICE DE
DIEU. — 9. L'UN NÉCESSAIRE, au sens absolu et au sens relatif,
n'est que Dieu, seul absolument un et nécessaire en lui-même, et
par rapport au Tout. La sollicitude vertueuse de Marthe a rappelé
au Seigneur la sollicitude coupable des chrétiens pour les doctri-
nes et les biens de la terre. Le discours de Jésus à Marthe les re-
garde. Comme le Dieu créateur s'était défini lui-même dans l'An-
cien Testament, le Dieu rédempteur s'est, dans ce discours, défini
lui-même dans cette qualité particulière 292

10. Explication de la grande doctrine de l'UN NÉCESSAIRE.


L'homme a un besoin essentiel de la Vérité infinie pour son esprit,
du Bien infini pour son cœur, de la Perfection infinie pour son
corps et pour tout son être, pendant la vie et après la mort. Le
Dieu trine et u n , et I'Homme-Dieu étant tout cela pour l'homme,
le Dieu trine et un et I'Homme-Dieu est seulement son UN NÉCES-
SAIRE. C'est sous tous ces rapports que Jésus-Christ a indiqué
Dieu et s'est indiqué lui-même à l'homme, dans sa réponse à
Marthe 299
11. Commentaire que Jésus-Christ lui-même a fait, dans le même
Évangile, de la doctrine sur l'UN NÉCESSAIRE. On ne possède la
vérité de Dieu que par l'humilité et la docilité de la foi. Cette
vérité est autant nécessaire à la vie de l'intelligence que le pain
l'est à la vie du corps. Dans ses égarements , l'humanité n'a
jamais perdu entièrement cette vérité; et c'est de quoi elle a
vécu. L'Église catholique seule est la vraie maison de Marthe,
où se trouve Jésus-Christ enseignant. Il n'y a qu'une seule r e -
ligion : celle que le Dieu créateur a révélée, que le Dieu rédemp-
teur a perfectionnée, que le paganisme a corrompue, que l'hérésie
a mutilée et que l'Église catholique seule conserve dans sa pureté
TABLE ANALYTIQUE 493
et dans son intégrité. A quoi sert la raison? Nécessité de croire
à l'Eglise pour faire son salut 309
12. Continuation du même sujet. La nécessité où est l'homme de
recevoir la vérité par mode de foi, prouvée par l'expérience des
philosophes anciens et modernes qui n'ayant voulu trouver la
vérité que par leur raison, n'ont rencontré que le doute et l'erreur.
Le Testament du désespoir et du scepticisme tracé dernièrement par
un philosophe incrédule 317
13. Par les mêmes paroles, le divin Sauveur nous a présenté Dieu
comme I'UN NÉCESSAIRE pour le bonheur du cueur, pour la p e r -
fection du corps et de tout notre être, pendant la vie et après la
mort. La parabole du richard, frappé de mort au moment où
il se complaisait dans les grands biens qu'il avait amassés.
Qu'est-ce que thésauriser pour soi, et ne se soucier aucunement
d'élre riche en Dieu. Tout pécheur engage son âme au démon qui
la lui redemandera dans l'autre inonde. A quoi sert-il gagner lo
monde si l'on perd son àme ? 322
T r o i s i è m e p a r t i e . L A RÉCOMPENSE DU SERVICE DE D I E U . — 14. Toute
la vie de la Madeleine, après sa conversion, se résume dans cette
parole du Cantique des cantiques : Mon bien aimé est à m o t , et moi
je suis à lui. Grâces et consolations par lesquelles Jésus - Christ
récompensa le dévouement de Madeleine. Ce divin Sauveur n'ac-
ceptait l'hospitalité de ses serviteurs que pour apporter chez eux
le salut. La Madeleine assise aux pieds du Seigneur; ce qu'elle a
gagné par son humilité 331
15. Les récompenses de Madeleine sont la figure des récompenses
auxquelles doivent s'attendre les fidèles serviteurs de Dieu. Le
mot PART de l'Evangile signifie que Dieu est l'héritage de
l'homme Juste. Paix intérieure dont Dieu lui fait don. Il excite
l'envie des mondains. Le bonheur de la conscience innocente pré-
férable à toutes les richesses de la terre 338
16. Récompense quo les serviteurs de Dieu obtiennent après leur
mort. Ils possèdent Dieu, et comme la séparation de Dieu c'est
l'enfer, la possession de Dieu est le paradis. Le bonheur du ciel
n'est complet que parce qu'il est éternel. Ce que le chrétien doit
répondre au monde cherchant à l'éloigner du service de Dieu.
Exhortation à servir Dieu avec constance et fidélité 342

TREIZIEME HOMÉLIE.

SAINTE MARIE SALOMÉ ou LE BONHEUR DES MÈRES ÉLEVANT


SAINTEMENT LEURS ENFANTS 351
p r e m i è r e p a r t i e . L E S VERTUS ET LE MÉRITE D'UNE MÈRE VRAIMENT
RELIGIEUSE. — 1 . Éducation parfaite donnée par sainte Salomé à
Jacques et Jean ses enfants, se manifestant par la manière dont
ces derniers répondirent à l'appel du Seigneur à l'apostolat. Sainte
Salomé quittant tout, elle aussi, pour suivre le divin Sauveur. Sa
494 TABLE ANALYTIQUE,
foi en la, divinité du Christ. Son zélé pour que sas fîjs «e dévouas-
sent entièrement à lui , 353
2. État de misère et d'humiliation du Fils de Dieu durant sa vie
mortelle. Sainte Salomé, aussi bien que les autres saintes FEMMES
DE L'ÉVANGILE, avaient besoin d'une plus grande foi pour croire
à la divinité du Christ qu'on n'en a besoin aujourd'hui que
la vérité de ce dogme resplendit des plus éclatantes lumières.
Sainte Salumé condamnant par sa conduite le préjugé de certaines
mères soi-disant chrétiennes, qui regardent comme un malheur la
vocation dq leurs fils au service du Seigneur. Deux portraits de
semblables mères. Comment Dieu punit des parents qui se ren-
dent coupables d'un tel péché 300
3. Sainte Salomé priant le Seigneur, à l'instigation de ses pro-
pres enfants, de les faire asseoir à ses cotés dans son royaume.
Etrange en apparence et imparfaite, dans l'intention des Fils qui
ne comprenaient pas encore le vrai règno du Messie, cette prière a
été parfaite dans les intentions de la Mère. Exemple à imiter par
les mères chrétiennes 368

D e u x i è m e partie*
SUCCÈS DES SOLLICITUDES ET DES PRIÈRES DE LA
BONNE MÈRE POUR LE SALUT DE SES ENPANTS. — 4 . Explication de
. la réponse du Seigneur à la prière que sainte Salomé fui lit pour
ses iils. Pourquoi cette réponse n'a pas été adressée à leur mère.
C'est dans les intentions de ses fils que cette prière était impar-
faite. Le calice et le baptême du Seigneur sont sa passion. Partager
cette passion est une condition indispensable du salut 377
6. Jésus-Christ n'a dit aux fils de sainte Salomé : Il ne m'appar-
tient pa$ de disposer des places du ciel, que comme homme, et eu
égard aux conditions tout humaines auxquelles ces jeunes gens
les demandaient. Le royaume du ciel ne se donne pas à la faveur,
mais à la vertu. Cette doctrine est une source de consolations pour
les bons chrétiens pauvres, et mal rétribués dans ce monde. 385
6. Sainte Salomé a obtenu tout ce qu'elle a demandé au Seigneur
pour ses iils. Ils furent les plus distingués par lui, parmi les
Apôtres, et partagèrent sa passion. Gloires tontes particulières à
saint Jean, le fils chéri de sainte Salomé 392
7. Réalisation du nom prophétique de F I L S DU TONNERRE , que
Jésus-Christ imposa aux enfants de sainte Salome. Sublimité dii
l'Evangile de saint Jean. A quelle occasion fut-il écrit. Par cet
Évangile saint Jean a lonnè et tonnera toujours dans le monde. Ex-
hortation aux mères chrétiennes u la pratique de la prière pour
leurs iils 402

T r o i s i è m e p a r t i e . L A LOI ET LES RÉCOMPENSES ÛU DÉVOUEMENT.


-— 8. Explication de la doctrine du dévouement prèchée pai Jésus-
Christ, à l'occasion de l'altercation qu'exeila parmi les Apôtres la
prière de sainte Salomé. Cette doctrine est la base des sociétés
chrétiennes et la \ raie CHARTE de l'humanité. Obligation des pa-
rents de se dévouer pour leurs enfants, afin de les sau\er et se
sauver eux-mêmes.
TABLE ANALYTIQUE. 495

QUATORZIEME HOMELIE.

LES PARENTS DU SEIGNEUR ou DIEU JALOUX DE TROUVER


D A N S L'HOMME L A S A I N T E T É 410

• n t r * d u c U < m . — 1. Essentiellement saint en lui-même, Dieu exige


que ses serviteurs le soient aussi. Sujet de celle Homélie. Indica-
tion d'une foule de choses qui y seronrjraitées. C'est le Pwalipo-
mène aux Homélies précédentes sur LES FEMMES DE L'EVANGILE, ibid.
P r e m i è r e p a r t i e . L E S PARENTS nu SEIGNEUR AVANT SA NAISSANCE.
2- Les trois généalogies du Seigneur par les Ëvangelistes. La vie
du Verbe avant son incarnation. Particularités de la généalogie de
Jésus-Christ par saint Luc 413
3. Allusions et mystères que renferme la généalogie du Seigneur
par saint Luc. Pourquoi Jésus-^Chxist s'est donné le titre de F I L S
DE L'HOMME. Ses grandeurs avant sa naissance sont consignées
dans cette généalogie de saint Luc 419
4. Dans leurs généalogies du Sauveur, les Ëvangelistes ont visé à
établir qu'il est vrai Homme et vrai Dieu. Toute hérésie n'est que
la négation de sa divinité ou de son humanité. Tous les héréti-
ques réfutés d'avance par les Ëvangelistes 425
5. Clarté, précision, force, soins et phrases heureuses, avec les-
quelles les Ëvangelistes ont, dans leurs généalogies de Christ, éta-
bli la virginité de sa Mère. Comment cette parole de saint Jean :
E T LE VERBE S'EST FAIT CHAIR, prouve que Jésus-Christ, vrai
homme, n'a pas été conçu à la manière du reste des hommes. 4-28
b". On répond à cette objection : Puisque ce n'est que par Marie que
Jésus-Christ descend de David, selon la chair, pourquoi donc les Ëvan-
gelistes nous ont-Us donné la généalogie de saint Joseph plutôt que celle
de Marie? La généalogie de la sainte Vierge se trouve tracée dans
celle de saint Joseph. 11 y est même établi que Marie, descendue
des deux, lignes de David, par son père et par sa mère, elle est la
vraie fille de David dans tous les sens, et Jesus-Christ aussi. 438
7. Moralité à tirer du choix que Dieu a fait des hommes qui d e -
vaient être les ancêtres de Jésus-Christ. Sainteté des Patriarches
antédiluviens et de ceux des temps moyens, aïeuls du Seigneur.
Eloge qu'en a fait I'ECCLÉSIASTKJUE. Sainteté de saint Joachim et
de sainte Anne. Les parents de la sainte Vierge, mère de Dieu. 443
8 , Continuation du même sujet. Les femmes du Temple. Sainteté
d'ÀNNE LA PROPHÉTESSE et de Siméon, tuteurs et gardiens de la
sainte Vierge. Sainteté de Marie elle-même et de son vierge époux
Joseph, Dieu ne pouvait mieux signaler son amour pour la sainteté
qu'en donnant de tels ancêtres et de tels parents à son Fils. 448
D e u x i è m e p a r t i e * LES PARENTS DU SEIGNEUR PENDANT SA VIE. —
9. Les oncles, les cousins, les frères et les sœurs de Jésus-Christ.
Sainteté de Zacharie. L Ô cantique Benedklus. Sainteté d'Elisabeth,
496 TABLE ANALYTIQUE.

sa foi. Elle a été la première à connaître et à proclamer la mater-


nité divine de Marie. Saint Jean-Baptiste et ses grandeurs.. 456
10. Sainteté et martyre de saint Cléophas, le frère de saint Joseph.
Sainteté et dévouement de Marie, femme de Cléophas, pour la
sainte Vierge 464
11. Sainteté des six enfants de Marie de Cléophas. Leur vie et leur
mort. Cette femme a donné quatre Apôtres au Seigneur. Preuve
résultant de cette exposition, de l'intérêt que Dieu attache à la
sainteté 470
T r o i s i è m e p a r t i e . L E S PARENTS DU SEIGNEUR APRÈS SA MORT. —
12. Jésus-Christ est venu se former une famille sur cette terre,
qui doit le suivre au ciel. A quelle condition peut-on devenir son
frère, sa soeur et même sa mère. Explication d'un passage de l'E-
vangile sur ce sujet 475
13. Explication d'un autre passage de l'Évangile sur le même sujet.
Résumé de l'Homélie. On ne peut plaire à Dieu que par la sain-
teté. La sainteté est facile. Exhortation à s'y dévouer 481
GÉNÉALOGIES DU SAUVEUR DIVIN PAR LES ÉVANGÉLISTES.

FIN DE LA TABLE.

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