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SEMINARIO INTERNACIONAL

NUESTRA SEÑORA CORREDENTORA

Robert de Langeac

VIRGO FIDELIS
Le prix de la
Vie cachée

Commentaire spirituel
du Cantique des Cantiques

P. LETHIELLEUX, LIBRAIRE-ÉDITEUR
10, RUE CASSETTE – PARIS (VIe) – 1936
Préface

Ces pages nous ont été remises sans qu’on nous ait dit le nom de
leur auteur ; après la lecture des premières nous n’avons pas tardé à
y reconnaître la spiritualité souvent très haute d’un prêtre, visité de-
puis longtemps par la souffrance, et qui tient à rester inconnu. Écri-
tes au jour le jour, pendant l’heure consacrée à la lecture de l’Écriture
sainte, elles constituent comme un commentaire spirituel du Cantique
des Cantiques. Elles rappellent l’interprétation allégorique qu’en ont
donnée saint Ambroise, saint Grégoire de Nysse et saint Basile, qui y
ont vu surtout l’union de l’âme avec le Verbe de Dieu. Leur mérite est
de s’élever très spontanément et tout de suite du symbole sensible à
l’amour spirituel, qui est l’unique objet dont veut parler ici l’Esprit-
Saint, auteur de ce livre inspiré. Sans difficulté aucune, l’interprète
nous conduit à la réalité surnaturelle figurée, sans s’arrêter à la fi-
gure. Rarement nous avons trouvé une explication si simple, si élevée
et si belle de ces textes sacrés, qui reviennent assez souvent dans la li-
turgie. C’est pour aider à mieux entendre ces parties de l’Office et des
Messes de la Sainte Vierge que nous avons demandé l’autorisation de
publier ce commentaire. Ceux qui le liront, comme il a été écrit, dans
la solitude, le recueillement et la prière, y trouveront sans doute l’ex-
pression d’une vie spirituelle profonde, qui suppose une grande puri-
fication par la souffrance généreusement acceptée par amour. Cette
lecture convient surtout à des âmes consacrées à Dieu, particulière-
ment à des âmes contemplatives, dont la vie spirituelle, déjà dégagée
du sensible, peut saisir, dans les symboles matériels dont s’est servi
l’Esprit-Saint, ce qu’il avait véritablement en vue.
L’amour humain n’intervient ici que pour prêter, non pas ses sen-
timents, mais ses expressions toujours très imparfaites ; et moins on
s’arrête à leur signification humaine, plus on s’élève vers le véritable
sens du livre. De ce point de vue, comme le dit saint Paul : « Omnia
munda mundis » (Tit., I, 15). L’œuvre de Dieu dans son ensemble ap-
paraît ainsi plus belle ; on en voit mieux l’harmonie, telle qu’elle exis-
tait sans dissonance aucune au jour de la Création, depuis les chœurs
des esprits purs jusqu’aux derniers vestiges de la divine sagesse et de
l’amour dans l’ordre sensible, tel qu’il a été fait par le Créateur, avant
d’être troublé par le péché.
*
Le titre qui a été donné à ces pages, Virgo fidelis, exprime l’idée
générale du livre, dont nous donnerons ici quelques extraits, pour en
faire saisir l’unité.
4 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

À propos du verset : « Aperi mihi, soror mea… immaculata », ch.


V,2, l’interprète, rapprochant ce dernier mot de l’invocation des Li-
tanies de Notre-Dame : « Virgo fidelis », écrit :
« Ce mot de FIDÉLITÉ a quelque chose d’attachant et de profond. Il parle au
cœur, il l’attire. C’est que la fidélité dans l’affection est tout ce qu’il y a de
plus précieux pour lui et dé plus difficile. Aimer toujours, toujours être ai-
mé, voilà sa raison d’être, sa loi, sa vie. Or, la triste expérience de sa fai-
blesse lui a révélé qu’il était capable de ne plus aimer son Dieu ou même
seulement de moins l’aimer, et, par suite, d’obliger Dieu, si bon pourtant,
ou à le rejeter ou à ne plus le regarder avec la même affection. Cette crainte
déchire le cœur comme une flèche aux dards aigus et recourbés. Elle lui
fait une blessure profonde que rien ne saurait guérir. Seule L’ASSURANCE de
rester TOUJOURS FIDÈLE AU SAINT AMOUR pourrait la cicatriser. Mais c’est là
une faveur à laquelle nul ne peut prétendre… Le seul moyen pratiqué que
nous ayons, ô mon Dieu, pour vous rester fidèle, c’est, avec la prière,
l’amour lui-même devenant chaque jour plus profond. Vous laissez en effet
notre âme subir deux influences, qui s’exercent sur elle en deux sens dia-
métralement opposés : celle des biens qui passent, celle du Bien qui ne
passe pas et qui est Vous-même. ELLE A LE DEVOIR DE SE LAISSER GAGNER,
ENTRAÎNER PAR LE CHARME DE VOTRE ADORABLE BONTÉ. Plus elle se soumet à
votre douce attraction et plus elle s’éloigne des choses d’ici-bas, moins elle
en subit l’influence. L’AMOUR, QUI LA REND DE PLUS EN PLUS CAPTIVE, LA REND
AUSSI DE PLUS EN PLUS LIBRE, de cette sainte et véritable « liberté des enfants
de Dieu ». Elle se détache et elle s’attache. Avec une accélération mysté-
rieuse à partir surtout d’un certain point de sa course, elle se rapproche de
vous, s’unit à vous, s’enfonce en vous, de manière à ne plus faire qu’un, en
un sens, avec vous. Son amour l’a entraînée dans les profondeurs de votre
Être. Elle s’y cache et s’y tient à l’abri des coups de ses ennemis ».

C’est cette ascension de la vierge fidèle que nous décrit ce livre en


redisant, sans se répéter, le prix de la vie cachée.
« Quand on rencontre une âme que l’on croit appelée par vous, ô mon
Dieu, à la vraie vie, on se sent poussé intérieurement à faire une auda-
cieuse prière : « Voilà une de vos enfants, ô Père ! Accordez-lui en ce mo-
ment une marque nouvelle de votre affection. Vous lui avez déjà tant don-
né ! S’il manque quelque chose à sa préparation, ajoutez ce qui lui manque,
afin qu’elle soit digne de vous ! Purifiez-la ; ornez-la ; embrasez-la de votre
amour. Puis prenez-la comme dans vos bras, prenez-la sur votre Cœur si
bon… J’ose vous le dire, ô Père, respectueusement, humblement… mais je
n’aurai pas de paix que vous n’ayez réalisé mon désir : il est juste, il est lé-
gitime, c’est pour votre gloire et pour le bonheur de cette âme que je vous
l’exprime. C’est aussi pour moi, ô mon Dieu ! Souvenez-vous, ô Jésus, de la
parole de votre saint Précurseur : « Qui habet sponsam sponsus est ; ami-
cus autem sponsi, qui stat et audit eum, gaudio gaudet propter vocem
sponsi » et faites que je puisse dire comme lui : « Hoc ergo gaudium meum
impletum est » (Joan., III, 29) ».
PRÉFACE 5

Ce qui invitera à lire ces pages, c’est ce qui s’y trouve, ibid., sur
l’apostolat de la vie intérieure et les conditions requises pour cet
apostolat :
« Il semble qu’elles se ramènent à deux : un désir ardent d’être soi-même
une âme de vie cachée, une parfaite docilité à la grâce, afin de lui servir
d’instrument auprès des autres, quand l’Esprit-Saint juge à propos de nous
employer. Pour parler aux âmes avec fruit des choses de la vie intérieure,
de ce qui la prépare, de ce qui la constitue, de ce qui la couronne et
l’achève, il faut plus qu’une connaissance scientifique de ces mystérieuses
réalités, telle que peut la donner une sérieuse étude des maîtres. En cette
matière, l’expérience personnelle ajoute beaucoup. Elle met au point la
doctrine, commune. Elle donne à la parole ce je ne sais quoi de persuasif,
qui vient de ce que l’âme qui parle est en contact immédiat avec la réalité
qu’elle décrit. Non seulement elle la connaît, cette réalité, mais elle la vit ;
en un sens, elle l’est et elle la fait passer sans peine dans les mots. Sous
l’action de la grâce, les mots deviennent lumière pour l’auditeur. Plus que
cela, ils portent avec eux la chaleur et la vie… C’est là un don de Dieu et
pour l’ordinaire une récompense, toujours non méritée, de longs et pa-
tients efforts personnels. Il faut savoir attendre l’heure de Dieu, l’automne
de l’âme. Agir trop tôt serait manger son blé en herbe, s’exposer à ne pas
nourrir les autres et peut-être, hélas ! à mourir de faim soi-même… Mais
aussi quand le moment est venu de le faire, refuser par fausse humilité ou
fausse prudence de donner de son bien aux autres, serait mettre la lumière
sous le boisseau, le feu sous la cendre, et laisser sans pain les enfants du
Père céleste, qui ont vraiment faim de lui… Voilà pourquoi la docilité à la
grâce est si nécessaire à l’apôtre de la vie cachée. Il ne doit rien faire de lui-
même et par son propre mouvement. Il n’est qu’un instrument entre les
mains du divin ouvrier… Ce n’est qu’à de certaines heures et dans certaines
rencontres que l’Esprit Saint le meut, sans qu’il ait pris l’initiative de son
action… Dans tous les autres cas, son unique souci doit être de se montrer
collaborateur désintéressé, intelligent et souple de la grâce. Dieu seul sait
ce qu’il attend de telle ou telle âme, ce qu’il veut faire d’elle… Rien ne sau-
rait prévaloir contre cette divine volonté… Mais aussi, ces deux conditions
loyalement posées, quelle belle mission que celle d’apôtre de la vie cachée !
Tout dans l’œuvre de la miséricorde de Dieu tend à cet unique but : ap-
prendre aux âmes ce que c’est que le ciel, le leur faire désirer, leur mettre
en mains les moyens de le conquérir ».

Nous n’avons pas résisté au désir de transcrire cette page, c’est


une de celles qui donne le mieux l’idée de ce livre, et qui montre pour
qui il est écrit.

Les ascensions spirituelles de la vierge fidèle y sont notées, depuis


la mortification des mouvements désordonnés de la sensibilité jusqu’à
l’union parfaite qui est le prélude de celle du ciel.
6 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

La mortification des moindres mouvements intérieurs déréglés est


notée à propos du verset 15 du ch. II : « Prenez-nous les renards, les
petits renards qui ravagent les vignes, car nos vignes sont en fleur ».
Les vertus sont décrites comme symbolisées par « les fleurs qui
paraissent sur la terre » (ch. II, 18), par la « broderie » qui orne le
siège du roi, « œuvre d’amour des filles de Jérusalem » (ch. III, 10).
L’appel à la contemplation, à la vie cachée, est souvent indiqué à
des degrés divers, au ch. II, 10 : « En dilectus meus loquitur mihi :
Surge, propera, amica mea… et veni » ; et plus loin à propos de « la
source fermée » de « la fontaine scellée » (ch. IV, 13).
Le passage de la méditation à la contemplation apparaît définiti-
vement lorsque la vierge fidèle s’écrie : « Inveni quem diligit anima
mea : tenui eum, nec dimittam » (ch. IV, 12).
Les joies de la contemplation, les absences du Seigneur, l’union
dans la souffrance, alternent constamment en cette ascension,
comme en montagne les gorges étroites et obscures et les sommets
ensoleillés.
Le sommeil spirituel est fort bien décrit au ch. V, 2 : « Ego dormio
et cor meum vigilat ».
Les délicatesses de l’affection à propos des moindres choses y ap-
paraissent comme la voie sûre qui conduit à l’union parfaite, celle à
laquelle le Seigneur invite, par les mots : « Aperi mihi, soror mea,
amica mea.., immaculata mea », ch. V, 2 :
« Pour que l’âme intérieure mérite de la part de Jésus la précieuse appella-
tion d’immaculée, il faut que son amour pour Dieu soit tout à fait pur.
L’âme ne doit aimer que Dieu. Tout ce qu’elle aime, y compris elle-même,
elle doit l’aimer en Dieu et pour Dieu. C’est à ce prix seulement que son
amour est pur… On devient d’une certaine manière ce que l’on aime. Celui
qui aime ne doit aimer que Dieu. Tout ce qu’elle aime, y compris unique-
ment la Pureté parfaite, la parfaite Sainteté, s’unit à elle et lui devient sem-
blable. C’est le lac aux eaux limpides, où le ciel se contemple ; c’est le mi-
roir sans défaut où Jésus se retrouve trait pour trait ; c’est le cristal trans-
parent que le soleil pénètre de ses rayons et de sa chaleur, c’est le fer sans
alliage que le feu envahit jusqu’au plus intime et qu’il rend tout brûlant
comme lui. « Beati mundo corde, quoniam ipsi Deum videbunt » (S.
Matth., VI, 8).
De même au ch. VII, v. 9 :
« Les caresses d’une mère à son petit enfant, si délicates, si affectueuses
qu’elles soient, ne sont qu’une image grossière de votre divine étreinte.
C’est d’un autre ordre, où la matière n’a plus de place. Oh ! les saintes
joies, pures, profondes, paisibles, naïves, sans inquiétude, sans amertume
et par ailleurs sans limites, au moment où elles se font goûter. Elles ne du-
PRÉFACE 7

rent pas toujours, c’est vrai, mais lorsqu’elles cessent, l’âme n’est pas trou-
blée de leur départ. Elles reviendront quand le bon Dieu reviendra. En at-
tendant, la paix reste et c’est la paix du divin amour ».
Notons celle description de l’union à propos du verset 13 e du cha-
pitre V :
« Variété harmonieuse des couleurs d’un parterre de fleurs, charme unique
de leurs parfums fondus en un seul, voilà ce que trouve encore la sainte
Épouse pour exprimer la beauté de Dieu. C’est que les perfections divines
lui apparaissent sous un jour tout nouveau et dans leur admirable unité.
Elle sait un peu maintenant, par une sorte d’expérience intime et pour les
avoir comme goûtées, ce que sont la Bonté, la Miséricorde, la Beauté, la
Sagesse et la Simplicité de son Dieu. Auparavant, elle s’en formait quelque
idée, ses idées lui restent, elle n’en acquiert pas de nouvelles, réserve faite
de certaines grâces particulières. MAIS ELLE A ÉTÉ UNIE AU MOINS QUELQUES
INSTANTS À LA RÉALITÉ MÊME, DONT CES IDÉES LUI PARLAIENT. Voilà pourquoi
elle n’ose plus s’en sentir maintenant, tant elles lui paraissent déficientes.
Elle a comme savouré au plus intime d’elle-même ce « Bien qui contient
tous les biens ». Tout s’efface devant cette connaissance d’un genre très
spécial. Aucun mot ne peut la dire, et pourtant elle dit tout à qui la reçoit ».
Selon l’expression de saint Jean de la Croix, « ELLE A UNE SAVEUR
DE VIE ÉTERNELLE » qui dépasse considérablement toute considération
acquise, philosophique ou théologique : elle est vraiment le don de
Dieu. « Si scires donum Dei ! »
L’auteur n’ignore pas les grandes souffrances qui traversent, pour
certaines âmes, l’union divine ; il dit à propos du verset 6 du chap.
VII :

« Pour garder son peuple fidèle et le protéger contre ses ennemis, Dieu, a,
lui aussi, ses âmes fortes, qu’il place aux endroits à surveiller et par où
l’invasion serait possible. Elle doivent tout ensemble barrer la route à
l’envahisseur, servir de retraite assurée aux faibles et aux petits, jeter le cri
d’alarme à l’intérieur du pays, puis donner le temps aux troupes régulières
de se former et de se mettre en campagne. Les saints nous disent que les
démons font des efforts inouïs pour les renverser, mais ils nous disent aus-
si que le bon Dieu les protège d’une protection spéciale et qu’il se plaît à
contempler leur force tranquille et leur ardeur généreuse ».
Les prédilections divines sont délicatement notées ch. VI, 3, 9 :
« Sexaginta sunt reginae… Una est columba mea, perfecta mea, una
est matris suae, electa genitricis suae ».
« Assez nombreuses relativement sont les âmes individuellement appelées
à l’union divine, plus nombreuses celles qui reçoivent quelques grâces
mystiques, beaucoup plus nombreuses encore celles que Dieu détache du
monde, celles qu’il purifie, qu’il enrichit, qu’il prépare ainsi de loin et à des
degrés très divers aux ascensions mystérieuses de la charité. Mais une
8 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

seule est vraiment « sa colombe », « son immaculée ». C’est, pour tou-


jours, Marie, la Vierge des vierges, la Reine des âmes intérieures, et, à un
degré bien inférieur, en chaque génération humaine, telle âme encore dans
le monde, ignorée, inconnue peut-être, qui est la légitime préférée de son
cœur… « Una est matris suae, electa genitricis suae ». L’Église se réjouit
quand elle peut offrir à son divin Époux une âme toute belle et toute pure.
Sans doute, elle aime tous ses enfants ; elle veille sur tous, elle prend soin
de tous. Mais cependant, comme Dieu, sans faire tort à aucun d’eux, elle a
ses légitimes préférences. Souvent, du reste, pour ne pas dire toujours, ce
n’est qu’après l’entrée au ciel de son enfant que l’Église proclame sa prédi-
lection. Elle le fait de manière à ne blesser personne et à n’établir aucune
comparaison pénible ou même désagréable… Ne pourrait-on pas dire avec
ces réserves qu’en ces derniers temps, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus est
l’unique de sa mère, la préférée de l’Église catholique qui lui a donné le
jour ? Elle l’était déjà dès ce monde, mais nul ne le savait alors. C’était la
perle précieuse cachée dans le champ de l’Église, mais qui dès lors réjouis-
sait les regards de Dieu ».
Ainsi en est-il dans les différentes générations humaines.
Après avoir médité ces pages, on comprendra mieux quel sens
avait en vue le Saint-Esprit en inspirant le Cantique des Cantiques,
et, lorsque reviendront les fêtes de la Sainte Vierge, au premier noc-
turne de l’Office et à la Messe, on saisira mieux pourquoi l’Église aime
à nous rappeler, à propos de sa pureté et de son union à Dieu, ces
beaux textes : « Quae est ista quae ascendit per desertum… Tota pul-
chra es, amica mea, et macula non est in te… Veni de Libano, sponsa
mea, veni, coronaberis ».

Sous le titre : CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON, nous avons ajouté à ce


COMMENTAIRE DU CANTIQUE DES CANTIQUES divers fragments, écrits
par le même auteur : ils ne sont pas moins beaux que le Commentaire
lui-même ; ils sont d’une splendide spontanéité surnaturelle, comme
par exemple ceux où il est parlé du Cœur très pur de Marie et de la
bravoure de Marie-Madeleine au pied de la Croix et au Sépulcre. Ils
sont surtout très pratiques pour les âmes d’oraison. Il est rare de
trouver tant d’enseignements si féconds en si peu de mots. Nous, au-
rions pu y conserver d’autres pages semblables d’une égale beauté ;
nous les publierons peut-être un jour. Nous recommandons dans ces
fragments les conseils relatifs à l’apostolat, à la direction des âmes
intérieures ; ce sont, on le verra, des conseils vécus, comme ceux con-
tenus dans le Commentaire, au chapitre intitulé L’APÔTRE DE LA VIE
CACHÉE.
Tout l’auteur est dans ces lignes de la fin de ces fragments :
PRÉFACE 9

« Se proposer la Croix comme moyen, la gloire de Dieu comme but pre-


mier, notre bonheur comme fin secondaire. On est ainsi dans l’ordre. On
ne recule pas devant la souffrance. Quand Dieu donne une goutte de joie,
on est tout surpris et reconnaissant… Comme il est bon de comprendre la
vérité et cette maxime : DIEU SEUL. Dire qu’il peut être tout à nous toujours
et de plus en plus ».
C’est vraiment là le fruit de la lecture profonde da Cantique chez
une vierge fidèle, parvenue par la docilité au Saint-Esprit, la prière et
la croix, à la contemplation et à l’amour de plus en plus pur et plus
fort de l’infinie Bonté de Dieu, qui l’attire toujours plus intimement.
Comme la pierre tombe d’autant plus vite qu’elle se rapproche de la
terre, les âmes doivent se porter d’autant plus vite vers Dieu, qu’elles
se rapprochent de Lui et sont plus attirées par Lui.

Fr. Réginald GARRIGOU-LAGRANGE, O. P.


Rome, Angelico, 7 mars 1929
Prologue

Que ne donnerait-on pas, ô mon Dieu, pour ouvrir sur vous les
yeux, d’une seule âme et pour obtenir qu’ils ne se ferment plus ja-
mais ? Exciter le feu du profond amour dans un seul cœur, ô mon
Dieu, quel honneur et quelle joie ! Faire qu’il y ait sur la terre une
lampe de plus qui brûle nuit et jour, non pas au loin, mais tout près de
vous, ô Jésus, ô Trinité, et comme pour vous tout seul, quel bonheur !
C’est toute l’ambition de ces pauvres lignes écrites, vous le savez, ô
mon Dieu, avec tant de peine, mais aussi avec tant de reconnaissance
anticipée. Oui, ô mon Dieu, j’espère que quelque âme de bonne volon-
té s’éclairera à cette petite lumière, s’illuminera à ce petit rayon,
s’échauffera à ce foyer ou il me semble qu’un peu d’amour profond
brûle pour vous.
Amen. Amen.
Chapitre I

OSCULETUR ME OSCULO ORIS SUI (CANT., I, 1).


Qu’Il me baise des baisers de sa bouche.

Bonheur de la sainte union, même transitoire.

Si l’on excepte l’union permanente et parfaite, rien n’est plus dési-


rable que ces moments d’intimité et d’union avec le bon Dieu dont parle
ici la sainte Épouse. Quoi de plus parfait, puisque c’est alors que l’âme
fait retour à son principe, à Celui qui seul peut achever, en se donnant,
l’œuvre de divinisation qu’il a bien voulu commencer en elle !
Quoi de plus profond, puisque cette rencontre a lieu au plus intime
de l’âme, loin du bruit, loin des sens, dans cette solitude intérieure,
dans ce sanctuaire secret, où Dieu se cache et où il fait entrer son en-
fant pour la combler !
Quoi de plus pur, puisque tout se passe d’esprit à esprit, presque à
l’insu des sens, entre la Sainteté même et l’esprit de l’âme devenu
transparent et limpide comme un pur cristal !
Enfin, quoi de plus précieux, puisque, dans ces heureux moments,
l’âme communie à la lumière, à la force, à la douceur et à la paix de
Dieu ! Ses yeux s’ouvrent, sa volonté s’affermit, son cœur se dilate, et
le bonheur, le vrai bonheur, commence à couler dans ses veines. D’un
mot, elle trouve tout dans Celui qui est Tout, et qui, au moins pour
quelques instants, est tout à elle.
Comme elle a bien raison, la sainte Épouse, de dire et de redire
sans cesse : « Osculetur me osculo oris sui » 1 ! Elle fait alors écho au
Psalmiste s’écriant : « Mihi autem adhaerere Deo bonum est » 2, et à
saint Paul nous donnant la raison et de cette demande et de cette af-
firmation quand il nous assure que celui qui s’attache au Seigneur ne
fait plus qu’un esprit avec lui : « Qui autem adhaeret Domino, unus
spiritus est » 3. Amen.

Effets de cette union et aspiration de l’âme à son divin Époux.

Quels sont ces mystérieux baisers que l’Épouse désire si ardem-


ment recevoir de son divin Époux ? Quand vous aimez une âme, ô mon

1 Cant. I, 9.
2 Pour moi, être uni à Dieu, c’est mon bonheur (Ps. LXXII, 28).
3 Celui qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui (I Cor., VI, 17).
14 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Dieu, vous ne vous contentez pas de la recueillir au dedans d’elle-


même, afin qu’elle puisse s’occuper doucement de vous dans un doux
silence ; il ne vous suffit pas de la tenir tout près de vous dans une paix
reposante et délicieuse ; votre amour n’est même pas satisfait des clar-
tés qu’il fait briller sur elle, ni des gouttes de bonheur qu’il lui verse
paisiblement pendant son apparent sommeil. Non, tout cela ne vous
suffit pas ; on dirait que par moments, tout épris d’amour pour votre
bien-aimée, vous l’arrachez à tout et à elle-même, pour l’unir à vous
sans intermédiaire. Son désir ardent se réalise et elle se sent alors
comme tendrement embrassée au fond d’elle-même et par vous !
Ô moments bénis et trop rares, et toujours trop courts, comme je
vous désire et comme je vous aime ! J’ai tant besoin de vous ! Vous sa-
vez bien, ô mon Jésus, que je souffre et toujours et de tout. Je n’ai que
vous et je ne vous ai qu’à ces doux moments. Attirez-moi plus souvent
à vous, ô mon Bien-Aimé ; pressez-moi plus longtemps chaque fois sur
votre divin Cœur. Si je pouvais m’attacher à vous, ô mon Dieu, pour
toujours ! Si mon âme pouvait vous étreindre tout entier, à jamais et
chaque jour plus fortement, de telle sorte que vous ne vous éloigniez
plus jamais et que je ne puisse plus vous quitter jamais… Quelle joie,
quel bonheur, quelle richesse ! Donnez-moi donc, ô mon Bien-Aimé,
ces ineffables baisers de votre bouche. Chaque contact intime avec
vous me purifie, me fortifie, me pacifie, m’éclaire, me réjouit, me béa-
tifie, me divinise, vous le savez bien !
Laissez-moi donc vous redire encore et toujours : « Osculetur me
osculo oris sui ». Amen.

MELIORA SUNT UBERA TUA VINO (CANT., I, 2).


Car ton amour est meilleur que le vin.

L’amour divin réjouit, fortifie, enivre.

On dit que le vin réjouit, fortifie et enivre, soit ! Qu’importe, au


reste ! Ce qui est vrai, mille fois vrai, c’est que votre amour, et lui seul,
ô mon Dieu, réjouit, fortifie et enivre l’âme. Comment cela se fait-il ?
Qu’importe ici encore, pourvu que cela soit ! Ô Amour, fais ton œuvre,
envahis tout, pénètre tout, transforme tout, divinise tout en mon âme,
et elle sera heureuse parce qu’elle sera dans l’ordre, dans la paix, dans
la vie, et qu’elle le saura. La joie n’est-elle pas cette conscience intime
de la vie divine pénétrant dans l’âme et la rendant tout autre qu’elle
n’était ? Elle était humaine, elle devient divine ; elle était obscure, elle
devient claire ; elle était froide, elle sent que la chaleur l’envahit et
l’agrandit ; elle ne voyait presque rien, maintenant elle contemple Ce-
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 15

lui qui est tout ; elle n’avait rien, elle se sait riche de son Bien-Aimé ;
elle ne pouvait rien, il lui semble que tout lui obéit, parce qu’elle obéît
à Celui qui gouverne tout. Voilà pourquoi elle est dans la joie. Et c’est
toi, ô Amour, et toi seul qui as fait cela. Tu es venu de Celui qui est
amour, tu t’es emparé de cette âme, tu l’as emportée dans tes bras
jusqu’à Celui d’où tu venais ; tu l’as déposée dans son cœur. Elle s’y
repose dans la paix, elle y vit dans l’abondance, elle s’y réjouit dans le
bonheur. « Ô Amour, je voudrais sans cesse redire ton nom ! 1 » Oui,
tu es meilleur que le vin, et combien de fois es-tu meilleur !
On dit que le vin fortifie, soit ! Au spirituel, cela est sûrement vrai
de votre amour, ô mon Dieu. Expliquez-moi, Esprit divin, vous qui
scrutez les profondeurs de Dieu 2, comment la sainte charité est la
force de mon âme.
Je me sens fort, ô Jésus, quand j’éprouve l’impression de posséder
une puissance d’action capable de dominer toutes les poussées de la
nature et de développer, en mon âme, toutes les énergies du bien,
toutes les vertus. La source de cette force mystérieuse, c’est votre
amour, ô mon Jésus. Comment cela ? Quand je vous aime, il me
semble que mon âme se dilate par le dedans. J’ai l’impression que,
sous l’influence de cette dilatation intérieure, elle s’éloigne des choses
de la terre, s’élève au-dessus de tout, se rapproche de vous et s’attache
à vous. Les réalités de ce monde lui paraissent des ombres sans consis-
tance, elles ne l’attirent plus, elles ne lui parlent plus, elles se dégagent
de leur étreinte comme sans effort. On dirait un charme qui cesse, des
liens qui se brisent, des chaînes qui se détachent et qui tombent.
L’âme respire, elle se dilate, elle est libre. Seulement, cette liberté, elle
ne la reçoit que pour la donner. Un joug suave, léger, s’impose aussitôt
sur elle : joug béni, aimé, auquel elle se soumet avec une joie indicible.
C’est le joug du divin Amour. Il est bien juste qu’elle se soumette à
l’Amour, puisque c’est lui qui l’a délivrée. Elle est sa conquête, elle
comprend qu’elle doit devenir sa proie. Tu as bien raison, ô Amour.
Achève ce que tu as commencé. Ne te contente pas de délivrer, mais
attache et enchaîne. Tes liens sont si forts et tes chaînes si douces ! Tu
es plus fort que la mort, et tu attaches à l’immuable Force. Tu fais
communier à Celui qui ne change pas. Tu fais trouver à l’âme que tu
pénètres la terre ferme de son repos et de sa paix. Oui, tu rends fort et
toi seul : Quis nos separabit a caritate Christi 3 ? Ô Amour, soleil de
lame, fais tout grandir en elle ! Rends-la forte.
À certaines heures, ô mon Jésus, votre amour enivre. On se sent
comme entouré d’une atmosphère ouatée, qui amortit les bruits du

1 Sainte Thérèse.
2 I Cor., II, 10.
3 Qui nous séparera de l’amour du Christ ? (Rom., VIII, 35).
16 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

dehors, enveloppe de silence, de paix, engourdit l’activité sensible, de


sorte qu’il devient difficile, pénible même, d’écouter, de parler, de rai-
sonner. On n’en a du reste pas le goût. Quelque chose d’ineffable oc-
cupe délicieusement le cœur. Le bonheur s’infiltre dans les plus petites
veines de l’âme. Elle en jouit sans réflexion. Par moments, elle vou-
drait balbutier quelques mots d’amour à Celui qui l’enivre et la rend si
heureuse ; mais, pour l’ordinaire, elle n’y peut parvenir. Alors elle se
remet à savourer son ivresse et à aimer. Boire, et boire encore jusqu’à
en mourir, est tout son désir, toute son occupation. Ô sainte ivresse,
gagne-moi tout entier. Ne permets pas que je m’éveille, ni que je me
libère de ton doux enveloppement. Tu n’es pas la mort, mais la vie. Qui
t’a une fois goûté, ne rêve plus que de toi. Saisis-moi pour toujours.

FRAGANTIA UNGUENTIS OPTIMI (CANT., I, 3).


Tes parfums ont une odeur suave.

Parfums de l’Époux : douceur, paix, bonne édification.

Doux Jésus, c’est toujours de vous qu’il est question ici. Il nous y
est dit que « vos parfums ont une odeur suave ». Ne le gavons-nous
pas d’expérience ? N’est-il pas vrai que vous vous plaisez parfois à
nous faire respirer au plus intime de nous-mêmes la délicieuse odeur
de vos vertus ? À l’heure où l’on y pense le moins, voilà que l’âme ai-
mante éprouve un charme profond à se sentir devenue tout à coup
douce et humble. Plus de mouvements tumultueux et inquiets, plus
d’irritations sourdes ou d’emportements intérieurs violents et insen-
sés, non, plus cela, mais la paix, le calme, la possession de soi, une
harmonie qui s’établit dans l’âme tout entière. Et c’est une harmonie
qui chante. Et son chant est doux, paisible, mélodieux, simple, discret,
pénétrant. On dirait qu’une huile fine et subtile, suave et parfumée,
s’est glissée partout pour faire que tous les rouages de l’âme fonction-
nent sans peine et s’unissent sans effort.
Si l’on doit alors parler, la parole traduit la douceur que l’âme goûte
en secret. On dirait qu’elle en est imprégnée et qu’à son tour, elle va faire
pénétrer comme en se jouant la douceur dans l’âme des autres. De fait,
elle les calme, elle les apaise, elle les charme vraiment. Et à leur tour, ces
âmes respirent l’odeur suave du parfum de notre âme, comme nous
avons, nous, respiré celle du parfum de Jésus. Car c’est lui qui nous a
communiqué quelque chose de son ineffable douceur et qui nous per-
met à notre tour d’embaumer nos frères par ce mystérieux arôme. Alors
se réalise la parole de saint Paul : « Christi bonus odor sumus Deo » 1.

1 Nous sommes pour Dieu la bonne odeur du Christ (II Cor., II, 15.)
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 17

Comme ou voudrait par là prendre les âmes et les donner à Dieu en


Jésus !

OLEUM EFFUSUM NOMEN TUUM (CANT., I, 3).


Ton nom est une huile épandue.

Élévation au Saint Nom de Jésus.

Comme il est doux à prononcer, votre Nom béni, ô Jésus ! Est-ce


que la bouche ne parle pas de l’abondance du cœur ? Et le cœur, lui,
n’est-il pas rempli de votre amour, ô Jésus ? Est-il étonnant que les
lèvres s’ouvrent d’elles-mêmes pour dire « Jésus », puisque le cœur à
chaque battement dit à sa manière ce nom qui le charme et qui le fait
vivre ? On voudrait trouver des mots, blancs comme la neige et brû-
lants comme le feu, pour te chanter, ô Nom adoré. Tu dis tant de
choses à celui qui te prononce, et tu les dis si bien ! Tu es le nom de
l’Ami fidèle qui ne délaisse jamais, jamais ! C’est vrai qu’il se cache
parfois, ce divin Ami, derrière son voile de ténèbres ou de douleur…
Mais c’est pour se faire désirer plus ardemment, chercher plus cons-
tamment et trouver plus délicieusement. Comme il part du cœur, ce
nom béni de Jésus, quand le Bien-Aimé se montre de nouveau, plus
aimable, plus beau, plus affectueux que jamais ! « Marie ! » —
« Maître ! Jésus ! »
Plus encore que les parfums de mon Maître, ô Nom béni, tu mérites
d’être comparé à l’huile qui s’épand doucement sur toute l’âme, la pé-
nètre peu à peu jusqu’au fond et lui apporte avec la douceur, la joie, la
lumière, la force et la vie. Oui, mille fois oui, ô Nom tant aimé, tu
chasses les ténèbres, tu triomphes du froid, tu changes la faiblesse en
force, la pauvreté en richesse, la tristesse en joie. Tu es la lumière de
mes yeux, la vie de mon âme, la jubilation de mes lèvres et de mon
cœur. Écoute, ô Nom ineffable, je t’aime, je t’aime. Je veux vivre pour
te redire et mourir pour te redire encore et toujours. Sois mon can-
tique, mon cri de joie et d’amour, ma vraie gloire, mon vrai bonheur.
Jésus ! Jésus ! Jésus !

IDEO ADOLESCENTULAE DILEXERUNT TE (CANT., I, 3).


C’est pourquoi les jeunes filles T’aiment.

L’âme pure, miroir vivant de Jésus.

Comme c’est vrai, ô mon Jésus, que les âmes pures et par suite tou-
jours jeunes vous aiment ! On ne soupçonnerait pas à quel point vous
18 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

êtes aimé par les cœurs purs, si on ne l’avait vu maintes fois de ses
yeux. Et c’est justice. N’êtes-vous pas la Beauté, la Bonté, la Pureté, la
Grâce ? Quand une âme est simple, limpide, claire, est-ce qu’elle ne
devient pas votre miroir vivant ? Quoi de plus beau alors qu’une telle
âme ? N’a-t-on pas dit avec raison que « plus une parole ressemble à
une pensée, une pensée à une âme, et une âme à Dieu, plus tout cela
est beau » 1 ?
Quand on se ressemble de cette ressemblance d’âme, on ne peut
pas ne pas s’aimer vraiment. Et quand on s’aime de charité, on ne peut
pas ne pas se ressembler à s’y méprendre. Voilà pourquoi, ô mon Jé-
sus, vous aimez tant les cœurs purs, et pourquoi les cœurs purs vous
aiment tant. Entre eux et vous, l’amour établit une intimité dont on ne
saurait ni mesurer la profondeur, ni décrire le charme. Vous vivez en
eux, ils vivent en vous. En un sens très vrai, vous êtes eux et ils sont
vous. Et puisque « l’amour de soi est la racine et la forme de toute ami-
tié », on comprend que votre seul Nom les fasse tressaillir jusqu’au
plus profond de leur âme, comme le nom de Celui qui est la vie de leur
vie, le cœur de leur cœur, l’amour de leur amour, plus eux-mêmes
qu’eux-mêmes. Ce qu’ils éprouvent à votre nom, vous l’éprouvez au
leur. Lorsqu’on vous les nomme, ô Jésus, ces jeunes filles, ces cœurs
purs, ces âmes intérieures, car c’est tout un, c’est vous prendre, si ou
ose dire, par votre faible, c’est vous blesser au cœur, mais d’une bles-
sure qui ne fait qu’ouvrir sur ceux qui vous la font les trésors de votre
tendresse.
Ô Jésus, bénissez les âmes intérieures, consumez de votre amour
les cœurs purs.

TRAHE ME POST TE ; CURREMUS IN ODOREM UNGUENTORUM TUORUM


(CANT., I, 4).
Entraîne-moi après toi ; courons.

Jésus entraîne l’âme vers le Père, lui seul le peut.

L’âme intérieure éprouve votre charme inexprimable, ô Jésus. Elle


sent votre amour qui la pénètre, la consume, la soulève et l’attire vers
votre Père. Mais elle comprend aussi que sans vous, ô Jésus, elle ne
peut rien. Elle vous demande secours, elle vous appelle à son aide :
Vous êtes la Voie, ô Jésus, vous êtes la Vie, vous êtes la Force, vous
êtes l’Amour. Prenez-moi comme par la main. Entraînez-moi là où
vous allez, à votre Père, puisque c’est pour cela que vous êtes venu

1 Joubert.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 19

dans le monde et dans mon cœur. N’avez-vous pas dit : « Ego veni ut
vitam habeant et abundantius habeant » 1 ? La vie, la vraie vie, n’est-
elle pas ce mouvement d’amour qui vient du Père et qui, par vous,
nous entraîne vers le Père ? N’avez-vous pas dit encore : « Nemo venit
ad Patrem, nisi per me » 2 ? Jésus, je voudrais aller au Père : je vou-
drais le trouver, le voir, le contempler, le posséder. Et je sais qu’il est
tout près : In ipso vivimus 3… Détachez-moi donc de tout. Allégez le
poids que je suis pour moi-même. Soulevez-moi, aimant divin ! En-
trainez-moi, force divine, afin que je vous suive là où vous allez, et que
je parvienne là où vous êtes toujours : « in sinu Patris » 4. Mais Jésus,
comme le chemin paraît long ! comme j’y marche lentement au gré de
votre amour et du mien ! On dit que l’amour véritable donne des ailes,
qu’il vole, qu’à tout le moins il fait courir. Jésus, plus que moi, mille
fois plus que moi, vous désirez m’unir au Père, me rendre heureux. Ô
Jésus, mon bon Samaritain, portez-moi ; mon bon Pasteur, prenez-
moi sur vos divines épaules, emportez-moi vite, bien vite vers Celui
que vous aimez tant. C’est si facile pour vous ! Puis n’est-il pas là, ca-
ché au plus intime de moi-même ? Ô Jésus, excusez ma hardiesse,
mais je vous en prie : voulez-vous ? Courons…

INTRODUXIT ME REX IN CELLARIA SUA (CANT., I, 4).


Le Roi m’a fait entrer dans ses appartements secrets.

Jésus Roi — entrée dans ses appartements secrets.

J’aime à vous appeler mon Roi, ô Jésus ! Vous l’êtes de droit, je


voudrais que vous le fussiez de fait. Quand donc régnerez-vous vrai-
ment sur mon âme ? Je le sais, ce sera quand vous, gouvernerez tout
en moi, à votre gré, à votre guise : quand tout en moi vous obéira sans
résistance, sans effort, spontanément, joyeusement ; quand enfin
corps et âme je serai entre vos mains et que vous pourrez me considé-
rer comme « une humanité de surcroît » pour vous, ô doux Jésus, ô
mon Roi.
Mais aussi, quelle récompense ! C’est alors que vous me ferez en-
trer dans vos appartements secrets, dans ces demeures intérieures
que vous vous êtes réservées en mon âme, où vous vivez avec votre
Père et votre Saint-Esprit d’Amour, où vous habitez tous Trois, mes
chers Trois, où vous m’appelez, où vous m’attirez, où vous voulez que

1 Je suis venu pour qu’ils aient la vie, et qu’ils l’aient surabondante (Joan., X, 10).
2 Nul ne vient au Père que par moi (Joan., XIV, 6).
3 C’est en lui que nous avons la vie (Act. XVII, 28).
4 Au sein du Père (Joan., I, 8).
20 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

j’établisse ma demeure, pour m’y faire vivre de votre vie et me rendre


heureux de votre propre bonheur. Ô Roi bien-aimé, vous ne régnez sur
nous que pour vous permettre de nous faire goûter vos joies ! Ô inef-
fable Bonté, qui pourra jamais assez vous bénir, vous louer et vous glo-
rifier ?

Envahissement progressif des facultés jusqu’à l’union parfaite.

C’est peu à peu, pour l’ordinaire, que vous révélez à votre Épouse,
en l’y faisant entrer, ces délicieuses demeures qu’elle porte en elle-
même et où vous habitez. Vous aimez tout d’abord à la retirer du de-
hors et à la rappeler au dedans. Doucement, suavement, vous fixez sur
un objet intérieur, qui l’attire mystérieusement, toutes ses facultés.
Elle oublie tout ce qui l’occupait auparavant. Un charme presque in-
saisissable l’enveloppe et la pénètre. Elle goûte une joie très douce à se
sentir près de quelque chose qu’elle devine être très bon. Elle se trouve
toute proche d’un foyer lumineux et chaud, mais caché. Quelques
rayons tamisés filtrent au travers du voile, une chaleur discrète, prin-
tanière, la réjouit, la dilate doucement, sans qu’elle puisse trop savoir
d’où elle vient. C’est le début de l’envahissement divin. Bientôt la vo-
lonté sera prise, captive. Puis les autres facultés, d’abord étonnées,
s’accoutumeront, s’approcheront pour voir et goûter. Elles seront
prises à leur tour. Puis viendra l’union totale, rare et courte d’abord,
puis plus profonde et plus fréquente. Les grandes purifications sui-
vront. Enfin l’union parfaite, permanente, indissoluble, du fond de
l’âme avec son Dieu. C’est le plus secret des appartements, le sanc-
tuaire où Dieu et l’âme vivent ensemble dans la paix.

Obstacles à cette révélation. Prière.

Pourquoi, mon doux Jésus, tant d’âmes, qui vous possèdent cepen-
dant, ignorent-elles ou presque que vous habitez toujours en elles en
tant que Verbe, avec votre Père et votre divin Esprit, et que votre
sainte Humanité leur communique toute grâce ? Combien qui ne con-
naissent pas l’existence en elles de vos appartements secrets ! Com-
bien peu nombreuses sont celles que l’enseignement de la foi a éclai-
rées sur cette vérité si importante : « Tu es intus » 1 ! Et, parmi elles,
en compte-t-on beaucoup qui soient entrées par votre grâce dans les
premiers de ces sanctuaires intérieurs ? Pardonnez mon indiscrétion,
ô Jésus, mais n’y a-t-il pas là de quoi étonner ? Ne pourriez-vous pas
nous faire redire en vérité : « Medius autem vestrum stetit quem vos

1 Saint Augustin.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 21

nescitis » 1 ? Vous êtes le Dieu caché, c’est vrai ; mais pourquoi, mon
Sauveur, êtes-vous le Dieu oublié, abandonné ou ignoré ? Ce n’est pas
à vous, mais à nous qu’il faut s’en prendre. Nous sommes superficiels,
étourdis, inconsidérés. Vous nous parlez, et nous n’écoutons pas. Vous
nous appelez, et nous ne répondons pas. Vous nous attirez dans la soli-
tude, et la solitude, celle du dedans plus encore que celle du dehors,
nous fait peur. Nous cherchons à lui échapper pour nous rejeter bien
vite dans l’agitation et le bruit. Si, parfois, charmés par votre grâce,
nous prenons envie de vous suivre et nous vous demandons : « Magis-
ter, ubi habitas ? » 2, effrayés de notre audace, nous n’attendons pas
votre réponse : « Venite et videte » 3, et nous fuyons loin de vous.
« Pauvre de vous, ô Jésus ! » Il n’y avait pas de place pour vous dans
l’hôtellerie au jour de votre naissance. Pendant votre vie apostolique,
vous n’aviez pas où reposer votre tête. Et voilà que maintenant encore
vous frappez à la porte des âmes, j’entends des bonnes âmes, et elles
ne vous ouvrent pas ! « Pauvres de nous, ô Jésus ». Faites cesser, ô
Sauveur, un état de choses si douloureux pour votre Cœur, si domma-
geable pour les âmes. Ouvrez nos yeux, dilatez nos cœurs, fortifiez nos
volontés. Soyez vraiment la Voie qui conduit au Père, la Vérité qui
nous le montre, là où il est, au plus intime de nous-mêmes. Éclairez et
le terme et la route. Soyez la Vie qui fait vraiment marcher sur le che-
min et avancer vers le but. Oui, ô mon Jésus, j’ose vous le demander,
augmentez le nombre des adorateurs du Père « en esprit et en vérité »,
et faites que leur amour s’enflamme de plus en plus. Tout ce que j’ai,
tout ce que je suis, tout ce que je puis faire ou souffrir, oui, tout, ô mon
Jésus, je vous le donne, par les mains de votre très sainte Mère et du
bien-aimé saint Joseph, afin qu’il y ait dans le monde quelques âmes
intérieures de plus, et que chacune d’elles vous aime davantage.

Les « Secrets ». — Néant des créatures. — Le don de Science y fait voir le


reflet du Créateur.

Vos appartements intêrieurs sont encore « secrets », ô mon Jésus,


en ce sens que c’est là que vous révélez à l’âme vos divins mystères. Au
fur et à mesure que vous la rapprochez de vous, vous lui ouvrez les
yeux et vous éclairez toutes choses pour elle de votre douce lumière.
Tout d’abord, vous lui montrez le vide profond de ce qui n’est pas
vous. Les créatures lui apparaissent ce qu’elles sont en elles-mêmes :
rien. Elle le voit, elle le comprend, elle le saisit avec une netteté qui la
surprend elle-même. Elle se demande alors par quel enchantement

1 Il y a au milieu de vous quelqu’un que vous ne connaisses point (Joan., I, 26).


2 Maître, où demeurez-vous ? (Joan., I, 38).
3 Venez et vous verrez (Joan., I, 39).
22 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

magique, ces ombres, ces fantômes, ces riens, ont pu lui faire illusion
si longtemps ! Ô mon Jésus, éclairez bien nos âmes sur cette vérité ca-
pitale. Puisque les choses de ce monde ainsi envisagées sont inca-
pables de nous donner la plus petite goutte de vrai bonheur, détachez-
nous donc d’elles à jamais ! Faites qu’elles n’exercent plus sur nous le
moindre empire ! Inspirez-nous-en le dégoût, qu’il soit profond, in-
surmontable, définitif ! Que votre divin Esprit, ô Jésus, par le moyen
du don de Science, nous apprenne cette précieuse leçon. Qu’il daigne
la graver dans nos esprits et dans nos cœurs de telle sorte que nous ne
puissions plus jamais l’oublier ! Qu’il daigne encore, dans chaque ren-
contre particulière, prévenir le jugement de notre esprit et le mouve-
ment de notre volonté si facilement influencés par l’apparence, mille
fois trompés, mille fois déçus, et cependant toujours favorables à ce
qui nous a éloignés de vous pour notre malheur ! Que la Vérité nous
délivre enfin ! qu’elle nous donne la vraie liberté, celle de vous aimer
et de ne plus aimer que vous. « Et veritas liberabit vos » 1.
Les créatures ont un autre aspect, qui se révèle à l’âme intérieure et
leur parle éloquemment de vous, ô mon Dieu. Elles sont vos œuvres,
en effet. On dirait que vous avez laissé en elles quelque chose de vous-
même. Leur beauté n’est-elle pas le très lointain mais réel reflet de
votre ineffable Beauté ? Ne doit-on pas en dire autant de leurs autres
qualités ? Les cieux comme les fleurs des champs ne racontent-ils pas
votre gloire, ô mon Dieu ? Heureux les yeux qui s’ouvrent et ne voient
plus dans toute créature qu’un « transparent du bon Dieu » ! Comme
il est facile, sous l’influence de cette douce lumière, de voir son Dieu
partout et de le trouver partout ! L’oreille de l’âme entend alors
l’harmonieux cantique des choses. Elle les écoute lui dire avec joie, se-
lon leur degré de participation à la perfection de leur auteur : « In Ipso
vivimus et movemur et sumus » 2. Et c’est dans les appartements se-
crets du Roi que les yeux et les oreilles s’ouvrent. Attirez-nous donc, ô
Jésus, dans votre mystérieuse retraite !

Le don d’intelligence pénètre les Saintes Écritures.

Plus encore que le monde sensible, votre parole, contenue dans les
Saintes Écritures, est pleine de divins secrets. C’est vous, ô divin
Maître, qui nous les révélez. Et c’est dans l’école intérieure que vous
instruisez l’âme attentive. Heureux disciples, recueillez-vous, écoutez
la douce voix de Jésus ! Il va vous dire ses « secrets ». Les autres en-
tendent et ne comprennent pas. Il veut, par pure bonté, que vous soyez
de ceux qui reçoivent ses explications et lisent dans sa pensée. Esprit

1 La vérité vous rendra libres (Joan., VIII, 32).


2 En lui nous avons la vie, le mouvement et l’être (Act., XVII, 28).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 23

de Jésus, accordez-nous le don d’intelligence ! Vous qui scrutez les


profondeurs mêmes de Dieu, faites-nous pénétrer au fond de sa pa-
role, afin que notre esprit participe à son tour aux secrets divins, pour
notre joie et pour notre bonheur. N’est-il pas vrai que sous votre lu-
mière les paroles de Jésus prennent un sens tout nouveau qu’on ne
leur connaissait pas ?… Il semble que le monde invisible s’ouvre tout à
coup aux regards. L’âme va comme d’un trait du mot à l’idée, de l’idée
à la réalité. Il lui semble même qu’elle vous saisit, ô mon Dieu, au
terme de son mouvement. Le voile reste, mais elle vous devine der-
rière le voile. La formule est devenue comme animée. Elle s’est ouverte
d’elle-même et elle a permis à l’âme émue d’aller jusqu’au Dieu vivant
qu’elle révèle et qu’elle cache tout ensemble. Éclair dans la nuit, mais
combien lumineux ! Moment trop court, mais combien délicieux,
combien précieux ! Faut-il noter quelques-unes de ces paroles illumi-
nées par l’Esprit de Jésus ? « Bienheureux les cœurs purs, ils verront
Dieu 1. — Cherchez avant tout le Royaume de Dieu 2. — Il est au-
dedans de vous 3. — Et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui
notre demeure 4. — Si quelqu’un m’ouvre 5… — Mon Bien-Aimé est à
moi… 6 »

L’amour suit, divine rencontre, ineffable et sainte union. — Don de Sa-


gesse.

L’âme monte ainsi peu à peu dans la lumière. De son côté, l’amour
suit les progrès de la connaissance. Plus on vous connaît, ô mon Dieu,
plus on se sent incliné à vous aimer. Et plus on vous aime, plus aussi
on veut vous connaître. Il est si bon de vous connaître, il est si bon de
vous aimer. Comme on voudrait vous lire, ô mon Dieu, non plus dans
vos créatures, même les plus belles, non plus dans vos paroles à forme
humaine, si profondes pourtant, mais, en vous-même. Oui, notre au-
dace va jusque-là : vous scruter vous-même à fond, si cela se pouvait,
d’un regard plein d’admiration, de respect et d’affection. C’est que
vous nous avez faits, non seulement pour vous connaître, mais pour
vous contempler face à face. La foi nous le dit. Ce que l’âme sait de
vous par les créatures et par la révélation avive son désir. Elle veut
vous voir, et ne veut plus que cela.
N’est-ce pas du reste votre propre désir ? Pourquoi l’avez-vous dé-
tachée, recueillie, éclairée, embrasée ? Pourquoi l’avez-vous introduite

1 Matth., VI, 8.
2 Matth., VI, 33.
3 Luc, XVII, 21.
4 Joan., XIV, 23.
5 Apoc., III, 19.
6 Cant. II, 16.
24 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

dans vos appartements secrets et rapprochée de vous peu à peu, sinon


pour qu’elle fixe désormais son regard sur vous seul, pour qu’elle vous
contemple de très près, pour qu’elle s’enflamme tout entière d’amour
et que, soulevée par lui, elle se jette dans vos bras et se perde en vous ?
C’est cette divine rencontre qu’elle désirait de tout son cœur. C’est ce
divin baiser qu’elle vous demandait avec impatience. Et c’est dans vos
appartements secrets, dans un des plus intérieurs même, qu’a lieu en-
fin cette douce rencontre, que s’échange ce mutuel baiser, que se fait
cette ineffable et sainte union. Heureuse, mille fois heureuse, l’âme
privilégiée que le Roi fait entrer dans cet appartement secret ! Qu’elle
y reste à jamais !

EXULTABIMUS ET LAETABIMUR IN TE (CANT., I, 4).


Nous tressaillirons et nous nous réjouirons en Toi.

L’âme conquise, possédée par Dieu, souhaite ardemment la même faveur


à beaucoup d’autres âmes.

Quand l’âme intérieure est introduite par le Roi dans l’appartement


secret où se contracte l’union, elle est surprise. Elle éprouve comme un
tressaillement mystérieux et profond. Malgré tout ce que son divin
Époux avait fait pour elle, malgré tout ce qu’il lui avait appris et fait
goûter dans les demeures précédentes, elle reste tout étonnée, toute
saisie par ce qui se passe alors au plus intime de son être. Elle tremble,
mais sans frayeur troublante. Elle tressaille d’étonnement d’abord,
puis de joie. C’est qu’un bonheur insoupçonné vient de l’envahir tout
entière. Elle se sent enveloppée, pénétrée, soulevée, engloutie par
quelque chose d’ineffablement bon, par quelque chose de divin. Elle
comprend qu’elle possède « un Bien qui contient tous les biens », et
elle se sait toute possédée par lui. Après la crainte, après l’étonnement,
après la surprise, c’est la joie qui, maintenant, domine tout. L’âme
s’affaisse sous le poids d’un tel bonheur, puis elle se relève, pour exul-
ter et chanter sa joie. De nouveau, le Bien divin l’écrase délicieuse-
ment, puis, de nouveau fortifiée, soulevée par lui, elle se répand en
douces paroles, en aimables « mercis », en désirs ardents de louer, de
bénir, de glorifier un Dieu si bon. Comme elle voudrait faire goûter
son bonheur à d’autres âmes !
Nullement jalouse, elle supplie son Bien-Aimé de se conquérir
d’autres épouses. Elle va même jusqu’à souhaiter que ces privilégiées
soient plus aimantes qu’elle. Tout, pourvu qu’il soit aimé ! Alors, en
union parfaite avec ces âmes, elle pourra redire de tout son cœur la
parole du Cantique : « Exultabimus et laetabimur in te ».
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 25

MEMORES UBERUM TUORUM SUPER VINUM (CANT., I, 4).


Nous célébrerons ton amour plus que te vin.

Chœur d’âmes intérieures célébrant à l’envi le saint amour de Dieu.

Rien au monde, ô Jésus, ne mérite d’être célébré comme l’amour


que vous avez pour les âmes intérieures et l’amour que les âmes inté-
rieures ont pour vous !
Il y a dans le monde des âmes toutes consumées de votre amour.
Elles vous aiment de tout elles-mêmes. Leur cœur est tout de feu, tout
de flammes pour vous. Si on prononce devant elles votre nom, elles
tressaillent. Si on insiste, elles ont peine à cacher leur émotion. On
sent que les larmes, de vraies larmes, sont prêtes à se montrer. Oui,
mon Jésus, vous êtes aimé. Et ce qui paraît n’est rien à côté de ce qui
est au fond. Et ceux qui vous aiment ainsi sont ce que l’humanité a de
plus pur, de plus délicat, de plus beau : sa fleur.
Quel spectacle, ô mon Dieu, que celui de tous ces encensoirs d’or,
d’où monte sans cesse vers vous un gracieux petit nuage, à la fois tiède
et parfumé, de toutes ces fleurs aux couleurs si riches, aux nuances in-
finies, à l’odeur du Christ Jésus, qui s’épanouissent pour vous plaire,
sous votre doux regard ; de tous ces diamants aux eaux si pures, aux
feux si vifs et si chauds, qui ne brillent qu’à votre lumière et ne scintil-
lent que pour vous ! On voudrait peindre un si merveilleux tableau,
chanter une si douce mélodie, fixer dans des vers harmonieux et pleins
le charme si profond d’une telle poésie. Et quand tous les génies
s’épuiseraient à l’entreprise, ils ne traduiraient presque rien de la su-
blime réalité.
Les deux chantent votre gloire, ô Dieu béni, mais le monde surna-
turel des âmes la chante aussi, et sur un mode combien plus élevé et
plus riche ! C’est que l’univers spirituel est votre œuvre de prédilec-
tion, votre chef-d’œuvre : Jésus, votre Fils bien-aimé, en est comme le
soleil. Les Saints, à commencer par la douce Mère de votre divin Fils,
en sont comme les étoiles. La beauté des âmes est un reflet immédiat
de votre beauté, leur amour une participation de votre amour ; vous
les avez faites tout ce qu’elles sont. Les voir, c’est vous voir ; les con-
templer, vous contempler ; les aimer, vous aimer ; les célébrer, vous
célébrer. Par sa couleur, sa douceur, sa chaleur, sa richesse, le vin, dit-
on, charme les hommes. Ils le chantent ; ils le célèbrent.
Pour nous, ô Jésus, nous célébrons votre amour, mille et mille fois
plus que le vin : Memores uberum tuorum super vinum.
26 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

RECTI DILIGUNT TE (CANT., I, 4).


Qu’on a raison de T’aimer.

Louanges de l’âme à la divine Bonté.

Comme on a raison de vous aimer, ô Jésus, de n’aimer que vous et


de vous aimer de tout son cœur ! On aime ce qui est aimable. Ce qui
est doux, affable, bienveillant, bienfaisant, bon, puissant, grand, beau
et fort ; tout cela est aimable. Vous êtes tout cela, ô mon Dieu ! Oui,
vous êtes aimable ! Oui, on a raison de vous aimer !
Ce qui permet à l’âme intérieure de parler ici avec tant d’assurance,
ce n’est pas seulement sa foi profonde, c’est la douce expérience qu’elle
a faite de votre divine amabilité. Le mot de l’Écriture s’est réalisé pour
elle : « Gustate et videte quoniam suavis est Dominus » 1. Elle sait
maintenant à quoi s’en tenir sur votre ineffable douceur. Voilà pour-
quoi elle affirme si nettement qu’ « on a raison de vous aimer ». On
lui avait parlé de votre incomparable beauté, de votre bonté sans li-
mites, du charme inexprimable de votre intimité, de la joie sans mé-
lange de l’union parfaite avec vous. Elle croyait à toutes ces choses, elle
en comprenait le prix, elle les aimait. Mais c’était là pour elle comme
un fruit décrit, désiré, non pas vu et goûté. Maintenant que le divin
Époux l’a introduite dans ses appartements secrets et lui a ouvert son
cœur, elle parle à son tour d’expérience avec un accent profond, per-
suasif, entraînant et tout nouveau. Elle proclame à qui veut l’entendre,
qu’on a bien raison de vous aimer. Elle voudrait ajouter qu’on a bien
raison de n’aimer que vous.
C’est qu’il n’y a rien d’aimable en dehors de vous. Ce qui est ai-
mable ne l’est que par vous. Choses et âmes ne sont belles que de votre
beauté et bonnes que de votre bonté. Vous, vous êtes la source, le foyer
de tout.

Sa richesse.

Ce qui est bon pour moi, c’est ce qui m’enrichit, ce qui me perfec-
tionne, ce qui m’achève. Mais les hommes et les choses ne peuvent ac-
complir cette œuvre en moi que dans la mesure où ils sont riches, par-
faits, achevés, ce qui revient à dire dans la mesure où ils « sont » vrai-
ment. Or, c’est vous, ô mon Dieu, et vous seul qui les faites ce qu’ils sont.
C’est vous et vous seul qui leur imprimez cette inclination à se donner

1 Goûtez et voyez combien le Seigneur est bon (Ps. XXXIII, 9).


CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 27

qui les rend bienfaisants. Comme pour la vérité, ce qui est en eux à
l’état divisé et participé se trouve en vous par essence et dans la plus
parfaite unité. Vous êtes bon, la Bonté même, meilleur, si l’on ose dire,
que la bonté, parce que vous êtes riche de tout, sans mesure, par vous-
même, et que tout le poids de vos trésors, sans gêner votre liberté, vous
incline à donner, à donner encore, à vous donner vous-même enfin !
Puisque aimer c’est s’élancer vers tout ce qui est bien, comment
veux-tu, ô Bonté infinie, ô Richesse sans limites, ô Source de tout bien,
comment veux-tu que je ne me jette pas dans tes bras, que je ne t’aime
pas, et toi seule ? Comme je voudrais te chanter, ô bonté de mon Dieu,
ô Dieu de bonté ! Jour et nuit, aux heures de ténèbres comme aux
heures de lumière, quand tu te caches comme quand tu te donnes, là,
au fond du cœur, et que tu béatifies ta pauvre créature, oui, je voudrais
toujours redire à tous : « Confitemini Domino quoniam bonus, quo-
niam in saeculum misericordia ejus ! 1 »

Sa joie.

Tu es si bonne, ô divine Bonté, que tu ne peux pas attendre le ciel


pour rendre heureuse ta pauvre enfant ! Tu l’isoles, tu l’attires à toi, tu
la presses tendrement comme ne peut pas faire la meilleure des
mères ; tu la caresses, tu la gâtes, tu la combles. On dirait que tu n’as
qu’elle au monde et que tout ton bonheur, à toi, c’est de la rendre heu-
reuse. Oh ! que tu es bonne, divine Bonté ! Pénètre mon âme tout en-
tière, jusqu’au fond. La joie que tu fais goûter est si pure, si paisible, si
douce, si bienfaisante !

Sa pureté.

Et ce qui ravit au-delà de tout, c’est qu’elle est chaste. Oui, mille fois
oui, jamais la belle vertu n’avait paru si belle, si aimable, si attachante.
Tu la fais aimer comme jamais. Mieux encore, tu la verses en même
temps que ta joie. On dirait qu’elle envahit tout l’être pour le faire
semblable à elle. On comprend alors par expérience tout son prix,
toute sa richesse. Ô Pureté sainte, compagne de la joie divine, tu fais
naître Dieu dans les âmes et les âmes en Dieu. C’est toi qui as donné
Jésus à Marie ! C’est toi qui donnes Jésus aux âmes et les âmes à Jé-
sus ! Sans toi, il n’y a pas d’intimité possible avec Dieu. Dès que tu es
là, toi et l’humilité, l’Amour peut faire ce qu’il veut. Il a les mains
libres. Il peut suivre sa pente ; il peut envahir, consumer, rendre heu-
reux, et il le fait. Comme on a raison de vous aimer, ô aimable Bonté
divine, et de n’aimer que Vous !

1 Louez le Seigneur parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde est éternelle (Ps. CXVII, 1).
28 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Sa force.

Vous n’êtes pas seulement la richesse, la joie, la pureté de mon âme.


Vous êtes aussi sa force, et vous seul, ô mon Dieu. Rien n’est faible
comme ma volonté laissée à elle-même. Cela ne se démontre pas, c’est
l’évidence. Mais rien n’est fort que par vous. Rien n’est fort comme
vous. Vous seul êtes fort : « Deus Fortis » 1. J’ai besoin de votre force
pour agir, comme de votre lumière pour voir, de votre chaleur pour
vivre, de votre joie pour être heureux. Communier à votre immuable
fermeté, voilà le besoin et le désir de mon âme.
Il faut en effet que je sois fort pour résister à l’attraction des choses
qui m’enveloppent et que le démon s’efforce de rendre irrésistible.
Mon devoir est de monter toujours. Je ne puis le remplir sans me déli-
vrer de l’emprise de tout ce qui ne tend qu’à m’arracher à votre bien-
faisante influence, et à me faire descendre. La perfection serait de ne
plus entretenir en moi aucune connivence avec l’ennemi, de faire dis-
paraître tout point d’attache à ses chaînes pour me livrer tout entier à
votre action et à votre charme, ô mon Jésus. Cela seul me rendra fort ;
mais cela ne peut se faire que si je communie à votre force infinie, que
si je m’unis à vous de la plus étroite, de la plus intime, de la plus par-
faite union. Vous êtes l’immuable, ô mon Dieu ! Qui s’unit à vous de-
vient un avec vous. Qui adheret Domino, unus spiritus est 2, et par
suite immuable et fort comme vous. Mais qui réalisera cette union si
précieuse ? L’amour. Ô Dieu bon, Dieu puissant et fort, prenez pitié de
ma faiblesse, donnez-moi votre saint amour ! Qu’il brise tous mes
liens, qu’il me délivre, qu’il me pénètre, qu’il me soulève ; qu’il m’at-
tache, qu’il m’unisse à vous seul, seul Immuable, et qu’il devienne, à
chaque battement de mon cœur, plus profond, plus doux et plus fort.
Alors, mais alors seulement, je serai fort, vraiment maître de tout,
parce que je ne serai plus qu’un avec vous et que vous serez vraiment
maître de moi. Et je pourrai redire encore mon cantique : « On a bien
raison de n’aimer que vous », puisque vous êtes le seul appui de ma
faiblesse, et que c’est l’amour qui fait communier à votre immuable et
tranquille fermeté.

Sa beauté.

On aime ce qui est beau. Vous êtes la parfaite Beauté, ô mon Dieu,
et même l’unique Beauté. « On a donc bien raison de vous aimer » et
de n’aimer que vous !

1 Isaïe, IX, 5.
2 Celui qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui (I Cor., VI, 17).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 29

Ce qui nous fait dire qu’une chose est belle, c’est ce qui fait qu’elle
est agréable à connaître. Tout ce qui plaît légitimement à nos yeux, à
nos oreilles, à notre esprit, et dans la mesure même où il leur plaît,
tout cela est beau. Dans ces choses qui nous plaisent ainsi : paysage,
mélodie, génie, sainteté, on remarque toujours de l’ordre, de l’harmo-
nie, de l’unité, de la variété, de la puissance et de l’éclat. Le beau nous
plaît parce qu’il achève nos facultés de connaître, en les développant,
en les enrichissant. Il augmente leur portée, accroît leur activité, leur
permet d’atteindre plus de choses avec moins d’efforts, dans un acte
plus simple. Plus grande est la multiplicité et plus parfaite est l’unité,
plus profonde l’analyse du regard et plus puissante la synthèse du
coup d’œil, plus la connaissance est parfaite, plus l’âme est heureuse.
Vous êtes la Beauté parfaite, ô Jésus, divin Époux de mon âme ! Je
ne vois pas les traits harmonieux de votre visage. Je ne puis contem-
pler la simplicité et la beauté de votre regard. Le son de votre voix si
douce n’a jamais frappé mes oreilles. Mais tout cela n’est pas néces-
saire pour que je vous appelle « le plus beau des enfants des hom-
mes » 1. Votre sainte Mère ne pouvait se lasser de vous admirer, vous,
son Fils, virginalement conçu, et son Dieu. Ô heureux saint Joseph,
comme je me réjouis à la pensée de la joie si profonde que vous goûtiez
à contempler Jésus et Marie. Personne n’a été privilégié comme vous,
et tant mieux ! Vous y répondiez si bien, vous si pur, si discret, si dé-
voué, si aimant ! Mais, ô Jésus, je sais qu’au Thabor, vous avez permis
à Pierre, à Jacques et à Jean de lever les yeux un instant sur votre hu-
manité glorifiée. Ils ont été éblouis par sa beauté. Ne me permettrez-
vous donc jamais de vous entrevoir un peu ? Je dirais plus fort que
jamais : « Comme on a raison de vous aimer et de n’aimer les créa-
tures qu’en vous et pour vous ».

Aimer de tout son cœur.

On a bien raison enfin, ô mon Dieu, de vous aimer de tout son cœur !
On le fait déjà quand on n’aime plus rien qu’en vous et pour vous. Mais
il y a quelque chose de plus ici : aimer de tout son cœur, cela veut dire,
semble-t-il, aimer d’un élan spontané et avec une plénitude qui épuise
tout notre pouvoir d’aimer. L’amour a tout pénétré, tout envahi, et il
emporte tout. Ce n’est pas seulement le cœur spirituel qui est pris,
c’est le cœur sensible lui-même qui est alors purifié, transformé,
comme spiritualisé et vivifié par l’Amour divin. À parler rigoureuse-
ment, il ne peut pas l’éprouver en lui-même, cet amour tout spirituel,
mais il peut, à raison de son harmonie devenue parfaite avec la volon-

1 Ps. XLIV, 2.
30 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

té, où vit et règne la sainte charité, exprimer, traduire en une langue


sensible cet amour qui le dépasse, et trouver sa joie à lui comme sa fin
dans cette manifestation concrète, on dirait humaine, de l’amitié di-
vine. On vous aime alors, ô mon Dieu, de tout son cœur, et puisque
notre cœur est fait pour vous, on a bien raison de vous aimer ainsi.

NIGRA SUM, SED FORMOSA, FILIAE JERUSALEM, SICUT TABERNACULA


CEDAR, SICUT PELLES SALOMONIS (CANT., I, 5).
Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem, comme les
tentes de Cédar, comme les pavillons de Salomon.

Maturité de l’âme par l’épreuve.

L’âme qui a souffert pour Jésus sait deux choses : que le feu de
l’épreuve l’a comme noircie et que pourtant ses traits sont devenus
plus beaux. Elle n’a plus cette beauté tendre, délicate, mais fragile des
premiers jours de la vie intérieure, où tout dans la piété lui souriait et
où elle souriait à tout. La tentation a fait son œuvre. Il a fallu lui tenir
tête, et au dehors et au dedans. Dans cette lutte, parfois longue et tou-
jours sans merci, l’âme a grandi, elle s’est fortifiée, elle s’est comme
mûrie. Sa beauté a pris quelque chose de vigoureux et de ferme. Elle
est devenue plus parfaite, plus achevée parce qu’elle est la beauté de la
vertu qui, dans son sens plein, dit : ordre, harmonie, puissance, éclat
discret, mais pénétrant. Ce n’est plus la fleur du printemps, c’est le
fruit mûr de l’automne.

NOLITE ME CONSIDERARE QUOD FUSCA SIM, QUIA DECOLORAVIT ME SOL.


FILII MATRIS ME PUGNAVERUNT CONTRA ME ; POSUERUNT ME CU-
STODEM IN VINEIS, VINEAM MEAM NON CUSTODIVI (CANT., I, 6).
Ne prenez pas garde à mon teint noir, c’est le soleil qui m’a brûlée.
Les fils de ma mère se sont irrités contre moi. Ils m’ont mise à
garder des vignes, ma vigne à moi, je ne l’ai pas gardée.

L’âme reconquiert sa liberté d’être toute à Dieu.

L’esprit « de l’âme », ce qu’il y a de plus élevé en elle, se plaint de


l’étât de servitude où l’ont réduit les autres facultés, ses « frères de
mère ». Au lieu de s’occuper de soi, de la conquête et de la garde de
son bien propre, à savoir le bon Dieu, il lui a fallu se dépenser au ser-
vice des autres, à leur détriment du reste et au sien. Quelle tyrannie !
quel esclavage, quelle déchéance, quel renversement de l’ordre! Tout
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 31

dans l’homme devrait travailler au profit de l’âme ; tout dans l’âme de-
vrait s’employer au service de ce qui en elle ressemble le plus à Dieu,
doit vivre de Dieu et participer de plus en plus à Dieu. C’est la raison
d’être comme c’est le bien de tout dans l’homme. Pourquoi faut-il que
l’âme soit obligée d’avouer : Ma vigne à moi, je ne l’ai pas gardée,
mon bien à moi, je ne l’ai pas cherché ?
Il faut renverser les rôles, rentrer dans l’ordre, reconquérir sa liber-
té, garder sa vigne et ne plus faire désormais que cela. Les « autres »
de l’âme n’y trouveront pas leur compte, à leur avis. Tant pis pour
eux ! Du reste, ils se trompent. Eux-mêmes recevront au centuple,
mais tout autrement. En attendant, qu’ils se plaignent, qu’ils gémis-
sent, qu’ils murmurent, qu’ils essaient de tyranniser, ils n’en auront ni
plus, ni moins. Il leur faudra bien se taire, puis se cacher. Sans doute,
ils seront là, toujours, mais ils y seront toujours surveillés et toujours
domptés. À l’âme de dominer et de régner à son tour. À l’amour enfin
de tout gouverner dans l’âme. C’est l’ordre, c’est la paix, c’est la vie,
c’est la richesse, c’est la joie vraie, c’est le vrai bonheur.

INDICA MIHI, QUEM DILIGIT ANIMA MEA, UBI PASCAS, UBI CUBES IN ME-
RIDIE (CANT., I, 7).
Dis-moi, ô toi que mon cœur aime, où tu mènes paître tes brebis,
où tu les fais reposer à midi.

Brebis privilégiées.

L’âme qui vous aime, ô Jésus, devient audacieuse ; elle vous parle
familièrement, elle vous interroge même ; elle le fait parce qu’elle vous
a donné son cœur. C’est son amour qui la presse ; c’est lui qui la décide
à vous demander ce qu’elle désire savoir ; c’est lui qu’elle évoque ; c’est
par lui qu’elle espère vous émouvoir et vous porter à lui répondre.
Faut-il la blâmer ? Ne vaut-il pas mieux l’imiter ? Qui vous aime, vous
cherche. Comment se passer de vous, ô Jésus ! On ne vous cherche en
effet que pour vous trouver. On ne peut enfin vous trouver que si on
connaît le lieu de votre demeure et le chemin qui y conduit. Vous seul
découvrez ce grand secret à qui il vous plaît. À la question : « Magis-
ter, ubi habitas ? », vous seul pouvez répondre : « Veni et vide » 1. Voi-
là pourquoi l’âme tourmentée de votre amour ose vous poser une telle
question.
Vous êtes, ô mon Jésus, là où sont vos brebis. Vous ne les quittez
pas et elles ne vous quittent pas. Vous les conduisez et elles vous sui-

1 Maître, ou habitez-vous ? Venez et voyez (Joan., I, 38).


32 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

vent. Vous les appelez par leur nom et elles répondent à votre appel.
Le son de votre voix leur est bien connu. Elles n’en écoutent pas
d’autres. Oui, ô bon Pasteur, vous avez vos brebis à vous qui vous ap-
partiennent à un titre spécial, dont vous vous occupez si l’on peut dire
personnellement. Pendant votre vie mortelle, les Douze ne formaient-
ils pas un troupeau choisi ? Parmi eux, Pierre, Jacques et Jean ne vous
suivaient-ils pas de plus près ? Et enfin Jean n’était-il pas l’agneau
préféré, celui « que Jésus aimait » 1, dira-t-il lui-même de lui-même ?
Il en est encore ainsi. Vous avez des amis privilégiés, des brebis de
choix, ce sont les âmes vraiment intérieures, celles qui, ayant entendu
vôtre appel spécial, ont tout quitté, père et filets, se sont quittées elles-
mêmes à jamais pour vous suivre partout, toujours, au Thabor, au Cal-
vaire, au ciel. Oui, il y a dans le monde des âmes qui vous appartien-
nent en propre, et parmi elles il y en a qui sont réellement vos brebis
préférées, vos épouses. N’en est-il pas une même, à la fois plus belle,
plus parfaite, plus fidèle que les autres, et partant plus aimée que les
plus aimées ? Je le croirais, ô Jésus ! Votre Cœur ne change pas. Il est
aujourd’hui ce qu’il était hier, ce qu’il sera demain et toujours. J’ad-
mire donc cette âme inconnue, je me réjouis de sa perfection, je la féli-
cite de son privilège, je suis heureux, oui, très heureux de son bonheur.
Je prie pour elle de tout mon cœur. Qu’elle grandisse encore dans
votre amour ! Qu’elle soit de plus en plus la consolation de votre divin
Cœur !
Comme on comprend que cette âme, si vous vous êtes caché d’elle
pour un temps, comme il vous arrive de le faire, se mette à votre re-
cherche et vous demande, à « vous que son cœur aime », où vous me-
nez paître vos brebis et où vous les faites reposer à midi. Exaucez
cette légitime prière. Répondez à cette demande. Faites luire à cette
âme si aimante, comme autrefois aux mages, l’étoile mystérieuse qui la
conduira sûrement jusqu’à vous ! Indiquez-lui la route ! Donnez-lui un
guide pour les passages difficiles ! Que votre amour grandisse en elle !
Qu’il soit sa force, qu’il la soutienne jusqu’à ce qu’enfin elle vous
trouve, là où vous nourrissez vos brebis de vous-même, et où vous leur
permettez de prendre, dans vos bras, ce doux repos, leur seule occupa-
tion possible, à l’heure où votre amour les accable délicieusement de
sa consumante chaleur.

Jésus lui-même, nourriture et lieu de repos de l’âme.

Le lieu de pâturage de vos brebis, ô Jésus, c’est vous-même. Vous


êtes aussi leur nourriture et le lieu de leur repos. Connaître, aimer,

1 Joan., XIII, 23.


CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 33

c’est vivre. Vous connaître, vous aimer, c’est vivre de vous, c’est se
nourrir de vous. Votre doctrine, votre vie, vos dispositions intimes, vos
deux natures, votre adorable personne inséparable du Père et de
l’Esprit, votre œuvre, la sainte Église, celle qui triomphe, celle qui
souffre, celle qui lutte, votre travail dans les âmes : voilà ce que vous
faites connaître sous un jour comme tout nouveau à l’âme qui vous
aime. C’est vraiment sa nourriture : elle vit de la vérité. Tous les jours,
des perspectives inattendues s’ouvrent à son regard. Le monde spiri-
tuel a ses secrets comme le monde matériel, et combien plus profonds
et plus nombreux ! C’est votre joie que de les révéler à votre Épouse.
Son étonnement vous ravit. Comme vous êtes bon !
L’amour suit la connaissance. Plus on vous connaît, vous et vos
œuvres, ô mon Dieu, plus on vous aime. Si vous révélez vos secrets à
votre Épouse, c’est sans doute pour lui témoigner votre confiance et
votre affection, mais c’est aussi pour qu’elle vous admire et pour quelle
vous aime de plus en plus. Toujours et partout, vous êtes « Verbum
spirans amorem ». L’amour grandit donc avec la connaissance. La
lumière devient chaleur et feu. L’âme s’embrase. Elle brûle ; elle se
consume ; elle vit de son amour ; elle en meurt à chaque instant, mais
c’est pour en vivre de nouveau avec plus d’ardeur que jamais. Quand la
chaleur devient trop forte, et comme accablante, l’âme éprouve le be-
soin de se reposer et de dormir. C’est midi. Toute activité cesse. Tout
s’arrête, tout dort. Le cœur seul continue à battre. Il vit alors pleine-
ment sa vie : il aime et il le sait.
Pour mieux reposer et pour mieux aimer encore, il ose s’appuyer
sur le Bien-Aimé. C’est sa vraie place. Il n’est bien, il n’est heureux que
là. Il voudrait y vivre toujours. Il voudrait y mourir dans une extase
d’amour. La mort, pour celui qui aime Jésus, n’est-elle pas une
« douce extase » ? C’est la prière que vous fait votre Épousé, ô Jésus :
brûler jour et nuit d’amour pour vous, ne plus faire que cela, reposer
humblement sur votre bon Cœur, établir en lui sa demeure et attendre
là le moment béni de la mort. Cette prière vous plaît, ô divin Ami.
Écoutez-la et, dès ce moment, exaucez-la.

NE VAGARI INCIPIAM (CANT., I, 7).


Pour que je n’erre pas comme une égarée.

Attitude et prière de l’âme dans l’obscurité et l’épreuve.

L’Époux se cache parfois. La lumière s’éteint. Le cœur devient


froid. C’est à peine s’il bat. C’est la nuit avec ses ténèbres, ses fan-
tômes, ses peurs. C’est l’hiver avec son engourdissement, sa mort ap-
34 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

parente. L’âme ne voit plus son chemin ; elle ne sait où mettre ses pas ;
rien n’est sûr. Il lui faut marcher pourtant, car l’amour sans se mon-
trer la presse toujours. Plus elle sent sa faiblesse, plus elle crie après
Celui qui seul est sa force : « Seigneur, je suis aveugle, faites que je
voie ! 1 » Seigneur, je suis sourde, faites que j’entende ! Seigneur, je
suis paralytique, faites que je marche ! Seigneur, je ne sais que deve-
nir, que voulez-vous de moi ? Jésus, à quel autre irai-je ? vous seul
avez les paroles de vie et d’éternité 2. Vous êtes la Vérité 3, éclairez-
moi ; vous êtes la Voie 4, conduisez-moi afin que je n’erre pas comme
une égarée en quête de son chemin et de son Dieu.

POST GREGES SODALIUM TUORUM (CANT., I, 7).


Autour des troupeaux de tes compagnons.

Pratique du saint détachement.

Ce ne sont pas les « compagnons » les amis de Jésus que la sainte


Épouse désire rencontrer, c’est Jésus lui-même. Comme elle a raison !
Les amis de l’Époux ne sont pas l’Époux. Ils l’accompagnent et ils lui
font cortège. Ils peuvent indiquer où est l’Époux et comment on le
trouve. Mais s’attacher à eux pour eux-mêmes, si peu que ce soit, se-
rait s’égarer. D’instinct, l’âme qui aime Jésus le comprend. Elle veut
bien être aidée dans sa recherche de l’Époux. Elle sait reconnaître les
bons offices des amis de Jésus. Elle y voit du reste, ce qui est très vrai,
un moyen dont le divin Maître se sert pour se faire trouver par elle.
Mais elle aime, et de tout son cœur. Or, l’amour va droit son chemin :
plus il est fort, plus il va droit. C’est que l’amour rend simple ; il ra-
mène tout à l’unité ; il dirige tout vers un même but : il ne sait plus, il
ne veut plus qu’une chose : le Bien-Aimé.

SI IGNORAS TE, O PULCHERRIMA INTER MULIERES (CANT., I, 8).


Si tu ne le sais pas, ô la plus belle des femmes.

Ce qu’est la vraie beauté spirituelle de l’âme.

Quand on rencontre une âme qui aime vraiment Jésus et qui le


cherche de tout son cœur, il est difficile de ne pas laisser échapper un

1 Luc, XVIII, 41.


2 Joan., VI, 68.
3 Joan., XIV, 6.
4 Joan., XIV, 6.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 35

cri d’admiration, tant on est saisi par sa beauté. Rien n’est beau
comme une belle âme. Rien ne rend une âme belle comme l’amour
vrai du bon Dieu. Là où il est, il éclaire tout, il élève tout, il sublime
tout, il transforme tout. Il n’est pas jusqu’aux traits extérieurs de la
physionomie qui n’en soient illuminés et harmonisés. La bouche ne
parle-t-elle pas de l’abondance du cœur ? Les yeux ne sont-ils pas le
miroir de l’âme ? L’âme n’est-elle pas chargée de pétrir à son image
l’argile de son corps ? Au ciel, après la résurrection, l’éclat du corps ne
sera-t-il pas le reflet de la gloire de l’âme béatifiée par la contempla-
tion et l’amour ? Oui, à bien juger des choses, rien dans l’ordre sen-
sible n’est beau comme une figure de saint, on ne se lasserait pas de
l’admirer, il suffit de la regarder pour se sentir devenir meilleur. C’est
un transparent de Jésus. Rappelons-nous la transfiguration des traits
de sainte Catherine de Sienne en ceux du divin Maître, sous les yeux
étonnés du bienheureux Raymond de Capoue. Quel respect Jeanne
d’Arc n’inspirait-elle pas aux soldats ! Saint François de Sales, rien
qu’à le voir, ne donnait-il pas envie de lui parler et de lui ouvrir son
âme ? L’amour ne transformait-il pas à l’heure de la prière du soir les
traits amaigris du saint curé d’Ars ? Quoi de plus beau à contempler
que l’aimable sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, telle qu’on la repré-
sente dormant son dernier sommeil ? On dirait un chef-d’œuvre de
paix, de grâce et de pureté. Ç’est le triomphe du pur amour de Dieu.
L’argile rayonne, elle parle, elle chante. Qui la contemple se sent porté
lui aussi à rayonner, à parler, à chanter. Oui, vous êtes belles, ô âmes
toutes consumées d’amour de Dieu ! La beauté, c’est l’ordre, l’harmo-
nie, la puissance, l’éclat. Tout cela est à vous et vous êtes tout cela,
parce que vous êtes tout amour, La beauté morale, la plus belle de
toutes les beautés, n’est-elle pas la vertu parfaite ? Mais qui dit vertu
au sens plein, ne dit-il pas ordre, puissance, éclat ? La vertu, c’est
l’ordre de l’amour, d’après saint Augustin. Quand donc l’amour est
ordonné, il ordonne tout dans l’âme, il y met tout à son rang et à sa
place : Dieu d’abord et au-dessus de tout, le reste selon son rapport
avec Dieu. Mais cela, dans le plan surnaturel, c’est la charité.
Amour parfait du bon Dieu égale ordre parfait, égale vertu parfaite
qui le constitue, le maintient, l’achève, égale beauté parfaite par con-
séquent.
La vraie beauté d’une âme lui vient en dernière analyse de sa chari-
té. Plus elle aime son Dieu, plus elle est belle et aux yeux de Dieu et
aux yeux des anges, et même aux yeux des hommes, quand leurs yeux
sont ouverts aux choses de la grâce.
*
Une chose m’étonne dans le texte sacré, c’est la hardiesse du com-
pliment. Il semble qu’on ne devrait pas révéler à une âme sa beauté,
36 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

même très réelle, de peur de lui inspirer de la vanité. L’orgueil de la


vertu n’est-il pas le pire de tous ?
Pour l’ordinaire, la règle est sage. Il faut savoir dominer ses im-
pressions et contenir ses sentiments d’admiration. Outre l’erreur d’un
premier jugement toujours possible, il y a temps pour tout et le temps
de parler peut n’être pas encore venu. Mais ce temps peut venir. Lais-
ser alors la lumière sous le boisseau de l’humilité serait mal entendre
les intérêts de la gloire de Dieu.
Marie était humble, certes, et pourtant elle n’hésite pas à proclamer
elle-même que le Tout-Puissant « a fait en elle de grandes choses » 1.
Quoi de plus grand pour une pure créature que d’être mère de Dieu et
de le savoir ? Marie est mère de Dieu et elle le sait. Elle connaît sa
grandeur, son incomparable beauté : « Tota pulchra es, amica mea,
tota pulchra es » 2. « Ave gratia plena » 3. « Benedicta tu in mulie-
ribus » 4. Elle admire en elle-même l’œuvre de la grâce. Loin d’en tirer
la moindre vanité, elle ne songe qu’à rendre grâces à Dieu et à lui ren-
voyer toute gloire : « Mon âme glorifie le Seigneur » 5.
Qui mieux que vous, ô Marie, ô mère de Jésus, a mérité et mérite
d’être appelée « la plus belle de toutes les femmes » ? À qui mieux qu’à
vous est-il permis d’adresser tout haut un tel éloge ? C’est que là où est
la vraie charité, là se trouve aussi la véritable humilité.

EGREDERE ET ABI POST VESTIGIA GREGUM (CANT., I, 8).


Sors sur les traces de ton troupeau.

L’âme sortie d’elle-même aspire aux divins pâturages.

Jésus s’est caché, l’âme le cherche. Mais comment orienter sa re-


cherche ? Pas de route, pas de guide, pas de lumière, pas d’étoile. Tout
lui manque à la fois et précisément à l’heure où elle aurait besoin
de tout.
Cependant le Bien-Aimé, sans qu’elle s’en rende compte, veille sûr
elle. Il ne l’abandonne pas. Il lui fait dire par une voix du dehors ou
une voix du dedans : « Sors sur les traces de ton troupeau ». Que vou-
lez-vous dire, ô Jésus, par cette parole mystérieuse ? — « Sors ». Ne
reste pas en toi-même, tout occupée de ta douleur et comme reployée

1 Luc, I, 49.
2 Cant., IV, 7.
3 Luc, I, 28.
4 Luc, I, 42.
5 Luc, I, 46.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 37

sur elle pour la mieux savourer. Ne pense plus à toi. Ne demeure plus
chez toi. Pourquoi occuper ton esprit d’un être si petit et si pauvre que
toi ? Pourquoi vouloir vivre là où tu es mal à l’aise au milieu de souve-
nirs et d’inquiétudes qui te tourmentent et te fatiguent ? Laisse-toi là
avec toutes tes peines et sors de toi pour entrer en moi, ton Dieu.
C’est un bien grand secret que vous me révélez, ô mon Dieu…
Oui, pour aller à vous, pour vous trouver, pour vous posséder, il
faut que je sorte de moi, que je ne me recherche plus en rien, que je me
perde tout à fait et pour toujours : « Que celui qui veut sauver son
âme la perde — Qui amat animam suam perdet eam » 1. C’est la loi
que vous avez posée, vous n’en dispensez personne. Mais, Seigneur,
vous connaissez ma faiblesse, mon ignorance, mon peu de générosité.
Donnez-moi la force de briser tous mes liens. Je tiens encore à tant de
choses ! Apprenez-moi à me détacher, à me quitter, à m’élancer vers
vous ! Je ne sais comment m’y prendre. Je vous désire de tout mon
cœur ; je voudrais vous aimer jour et nuit, je souhaite à chaque instant
l’heureuse possession de vous-même, ô mon trésor, ô ma joie, ô ma
vie, ô mon tout, et je ne parviens pas à sortir tout à fait de moi pour me
perdre en vous.
Vous savoir si près de soi, si au-dedans de soi, savoir ce que vous
êtes, ô mon Dieu, et ne pas pouvoir vous atteindre, pour vous aimer
cœur à cœur, esprit à esprit, loin du bruit, loin du monde, loin de soi —
parce qu’on ne sait pas sortir pleinement de soi —, quel tourment, quel
supplice ! Ô Dieu de mon cœur, ô mon amour, exaucez ma prière,
n’attendez pas la fin de ma vie pour vous donner à moi ! Je vous dé-
sire, je vous aime, je vous veux tout à moi dès maintenant, toujours. Je
ne sais comment vous exprimer ma faim et ma soif ; je voudrais trou-
ver des mots plus éloquents que l’éloquence pour plaider ma cause et
la gagner. Mais j’entends au fond de mon cœur votre réponse qui est
en même temps un doux reproche… Oui, mon Dieu, ce que vous me
dites est vrai, je ne vous aime pas assez. Mon amour pour vous est en-
core trop celui d’un enfant d’un jour. Malgré ses efforts, il ne parvient
pas à m’emporter jusqu’à vous. Il essaie souvent de le faire : par mo-
ments, c’est à croire qu’il va y réussir. On dirait que l’âme se soulève,
qu’elle bat des ailes comme pour prendre son vol vers vous. Mais ses
ailes sont trop tendres, la poussée du dedans trop faible et l’union tant
désirée ne se fait pas. L’âme retombe, non pas brisée, non pas décou-
ragée, mais humblement résignée à attendre des ailes plus fortes et la
victorieuse impulsion de l’amour. Quand sera-ce, ô mon Jésus ?
Quand viendra-t-il cet heureux moment du triomphe de votre amour ?
Quand me ferez-vous entendre l’appel mystérieux : « Ecce Sponsus

1 Joan., XII, 25.


38 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

venit, exi… obviam ei » 1 ? Quand prononcerez-vous cette parole libé-


ratrice : « Veni » 2 ? Vous être le Maître. Vous ne me devez rien. C’est
mille et mille fois vrai. Mais vous êtes bon. J’espère.
En attendant votre appel définitif, vous voulez que l’âme qui vous
aime sorte d’elle-même et se mette à votre recherche, marchant à la
suite de son « troupeau » et « suivant ses traces ». Voilà des paroles
bien mystérieuses, Maître, expliquez-les-moi ! L’âme humaine est
simple, elle est riche pourtant d’une réelle variété de facultés distinctes
d’elle-même et distinctes entre elles. Pénétrée par la grâce, elle ne perd
rien de sa simplicité, mais devient beaucoup plus riche encore et d’une
richesse qui ne se mesure pas à la première mise divine, qui ne se
compare même pas avec elle parce qu’elle est d’un autre ordre. C’est
qu’avec la grâce qui la rend participante de la vie même de Dieu, elle a
reçu et les vertus surnaturelles et les dons du Saint-Esprit.
« Une seule âme est un diocèse assez grand pour un évêque », di-
sait le bon saint François de Sales. Il avait bien raison. Une âme, sur-
tout une âme juste, est un petit « univers ». Cet univers a sa fin, sa loi,
sa force vive. Sa fin, c’est Dieu lui-même dans l’unité de sa nature et la
Trinité de ses Personnes. Sa loi, c’est la volonté sainte de ce Dieu béni,
quelque forme qu’elle prenne. Sa force vive, c’est la grâce qui éclaire et
qui meut tout ensemble. Dieu ne cesse d’attirer à lui cet univers qui
vient de lui et qui ne peut trouver son repos qu’en lui. Même quand
elle ne s’en rend pas compte, l’âme subit cet attrait mystérieux. Tout
en elle lui est soumis et tend à l’être de plus en plus. Si le bon Dieu
l’éclairait sur elle-même, elle verrait toutes ses facultés, toutes ses ver-
tus tournées vers Dieu, orientées vers lui et allant comme à sa ren-
contre. L’instinct naturel conduit le troupeau vers son pâturage ;
l’instinct surnaturel mène vers Dieu avec une sûreté merveilleuse, le
petit « troupeau » des facultés, des vertus et des dons.
Pour aller à Dieu, l’âme n’a qu’à marcher « sur les traces de son
troupeau ».

DIRECTION SPIRITUELLE

À toute heure donc, ô Esprit divin, vous exercez par votre grâce une
suave et forte attraction sur les facilités de mon âme. Vous avez même
versé en moi vos dons mystérieux. Ils sont là comme des voiles qui at-
tendent le vent favorable, comme des cordes de lyre au repos, atten-
dant elles aussi que vous leur fassiez rendre des sons divins. Mais vous
n’agissez que si nous vous confions sans conditions le gouvernail de

1 Matth., XXV, 6.
2 Cant., II, 10.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 39

notre petite barque. À vouloir alors nous mêler de la conduite, nous ne


ferions que vous gêner et y perdre. Vous ne nous demandez que la par-
faite, vivante et joyeuse docilité. Vous nous rendez, c’est vrai, sourds,
aveugles, paralytiques, mais c’est pour nous apprendre que nous ne
pouvons rien de nous-mêmes, et surtout pour nous faire entendre,
voir, marcher, agir en véritables enfants de Dieu : « Qui Spiritu Dei
aguntur, hi sunt filii Dei » 1.
Comme il est sage, ô divin Esprit, de se laisser conduire par vous !
Vous connaissez le but de ma vie. Vous en avez dressé le plan. Vous
travaillez sans relâche à son exécution. Si l’œuvre n’est pas plus avan-
cée, la faute n’en est pas à vous, certes, mais à moi. Tant de fois, enfant
capricieux, inconsidéré, et, disons le mot, coupable, j’ai détruit d’un
seul acte ce que vous aviez mis tant de patiente activité à édifier ! Si
encore, comprenant ma folie, je vous laissais maintenant construire en
toute liberté, vous aidant même au moins par ma parfaite docilité !
Hélas ! comme je dois vous demander pardon, comme je dois vous bé-
nir de ne pas vous être découragé. Comme je dois vous remercier de
tout ce que vous voulez bien encore faire pour moi ! Ô divin Esprit,
tout de sagesse, de miséricorde et d’amour, donnez-moi de découvrir
vos miséricordieux desseins sur moi et d’être désormais entre vos
mains bénies l’instrument intelligent, souple et docile que vous voulez
que je sois. C’est à ce prix seulement que je procurerai votre gloire et
que je goûterai le vrai bonheur.
Comment y parvenir ? En renonçant à me conduire moi-même ; en
suivant d’acte en acte, de minute en minute, les « directives » que vous
me donnez, soit du dehors, soit du dedans, en pratiquant ce qui
s’appelle dans le langage chrétien l’obéissance à la grâce. C’est elle qui
me dit aux heures d’obscurité et de froid quand Jésus-se cache :
« Mène paître tes chevreaux près des huttes des bergers — Et pasce
haedos tuos juxta tabernacula pastorum » 2. Les facultés ne peuvent
rester sans nourriture. Puisque Jésus paraît ne plus les nourrir lui-
même, il faut leur donner l’aliment dont elles ont besoin, et comme le
dit sainte Thérèse, « quand une eau vient à manquer, la remplacer par
une autre ». — L’âme doit alors diriger son troupeau « près des huttes
des bergers ».
Quels sont ces mystérieux bergers ? Entendons qu’il s’agit des vrais
directeurs d’âmes, et avec eux ou à leur défaut des ouvrages des saints.
Il y a des familles d’âmes. Chacune d’elles a son père, son chef, son
berger. Sauf exception, il n’est pas bon à une âme tendant à la vie par-
faite de rester seule ; il est mieux qu’elle se rattache à une famille spiri-

1 Car tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu (Rom., VIII, 14).
2 Cant., I, 8.
40 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

tuelle, au moins d’une façon large, en communiant à son esprit, à sa


manière d’envisager la perfection et d’y travailler. L’important pour
une âme n’est pas d’être unie à tel groupe plutôt qu’à tel autre, mais
bien à celui qui, pour elle, constitue un moyen providentiel de sainteté.
Et cette famille une fois trouvée, elle doit y chercher une direction po-
sitive, précise, personnelle et pratique.

Le vrai Directeur.

Comme on est heureux, ô mon Dieu, quand on découvre ce Direc-


teur, ce vrai Père dont on sentait si vivement le besoin ! Il faut le choi-
sir entre mille, c’est vrai. Mais quel bienfait de le rencontrer enfin ! Le
souvenir de sainte Chantal et de saint François de Sales vient de lui-
même à l’esprit. Comprend-on bien la nature du lien tout spirituel qui
unissait suaviter et fortiter 1 ces deux grandes âmes ? D’une façon gé-
nérale, il faut répondre « non ». Il en va ainsi du reste de tout ce qui
dépasse la mesure commune… Mais laissons… Quelle joie pour sainte
Chantal que de sentir son âme entre les mains d’un tel directeur !
Tout son devoir se ramène à obéir. Elle peut le faire en toute sécurité.
Elle le sait. De son côté, saint François de Sales comprend toute la va-
leur d’une telle âme. Il peut lui appliquera la lettre ce qu’il aime à
dire : « Qu’une seule âme est un diocèse assez grand pour un évê-
que ». Elle devient de sa part l’objet d’une sollicitude intelligente et af-
fectueuse, patiente et persévérante, douce et ferme. Il veut le bien de
cette âme, il le veut profondément et il ne veut que cela. Comme il y
travaille ! Il prie, il écrit, il parle, et toujours son seul but est d’unir
cette âme au bon Dieu. Voilà pourquoi tout ce qu’il fait pour elle tend
à l’embraser de plus en plus d’amour de Dieu ; il lui fait renverser tous
les obstacles un à un, en souriant, mais sans pitié : restes de manières
mondaines, goût pour les exercices réglés « ne varietur », affections
mêmes les plus légitimes, etc., etc. ; tout est sacrifié au pur et saint
amour de Dieu. Pour que celui-ci règne en maître, il n’hésitera pas à
écrire qu’il faut « nous mortifier jusqu’au fin fond ». Comme de tels
conseils honorent celui qui les donne et celle qui est digne de les rece-
voir ! Doit-on dire que saint François de Sales aime sainte Chantal ?
Oui, mais au sens le plus élevé, le plus profond, le plus chrétien de ce
mot. Aimer, c’est vouloir du bien. Le Bien unique d’une âme, c’est
Dieu. Aimer une âme, c’est donc vouloir que le bon Dieu soit tout à
cette âme et cette âme toute à Dieu. Saint François de Sales ne veut
que cela. Rien n’est pour lui dans cette affection pourtant si profonde.
Il est désintéressé au sens le plus absolu et le plus universel de ce mot.
Pas une fibre de son cœur qui ne soit toute détrempée d’amour de

1 Avec douceur et avec force (Sag., VIII, 1).


CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 41

Dieu, et, par suite, ignorante de tout ce qui ne serait pas cet amour. Il
est heureux, certes, mais son bonheur lui vient uniquement de ce qu’il
aime son Dieu et de ce qu’il peut le faire aimer par sa sainte dirigée.
Oui, heureuse sainte Chantal d’avoir enfin trouvé son pasteur et son
guide, heureux saint François de Sales d’avoir trouvé une véritable
amie de Dieu !

À l’école des Saints.

Pour compléter les conseils de son directeur, ou pour y suppléer


quand elle manque de guide, l’âme éprise de perfection doit se mettre
à l’école des Saints. Ici encore, un choix s’impose, bien que sans esprit
d’exclusion systématique. Le directeur, ou, à son défaut, l’attrait inté-
rieur, indiquera vers « quelles huiles de bergers » l’âme doit se diriger.
Si, du reste, elle s’est unie déjà de cœur et d’esprit à une famille spiri-
tuelle, le choix des maîtres se fera comme de lui-même. Il sera bon de
s’y tenir pour l’ordinaire, afin d’éviter la dispersion et de mieux se pé-
nétrer de leur esprit et de leur doctrine.
Quelle lumière ne trouve-t-on pas, par exemple, dans la méditation
des pages de saint Thomas d’Aquin, sur Dieu, sur la Trinité, sur la
Grâce, sur les Vertus et les Dons du Saint-Esprit, sur la vie active et la
vie contemplative, sur le Verbe Incarné et sa très sainte Mère, sur
l’Eucharistie, sur le Ciel ! — Quels doux moments ne passe-t-on pas
dans la compagnie d’une sainte Thérèse, d’un saint Jean de la Croix,
d’un saint François de Sales ! Quel entrain et quelle vie chez la réfor-
matrice du Carmel ! Quelle précision et quelle profondeur chez son
humble enfant, le Docteur mystique ! Quelle douceur et quel charme
chez l’aimable fondateur de la Visitation ! Pour ne parler que de ceux-
là, sans détriment pour tant d’autres. On ne se lasse pas de les lire, de
les relire, de les méditer. Il est si agréable de les comprendre, si bon
de les goûter, si précieux de les suivie et surtout selon la grâce de les
imiter. Ce sont de si bons maîtres, des amis si sincères, des bienfai-
teurs si accueillants, si riches, si généreux ! Au fond, ne peuvent-ils
pas devenir si nous le voulons, et si nous le leur demandons humble-
ment, les compagnons affectueux et discrets de notre vie intime ?
Pourquoi ne commencerions-nous pas à les aimer et à les fréquenter
eux-mêmes dès ce monde, comme nous espérons pouvoir le faire un
jour dans le ciel ?
Pourquoi s’étonner du reste que leurs écrits comme leurs exemples
éclairent, fortifient et réchauffent ? Sur terre ils vivaient tout près du
bon Dieu, dans sa douce familiarité. Mieux que d’autres, ils ont été
unis à Jésus et lui ont servi d’« humanité de surcroît ». Le front de
Moïse, revenant de s’entretenir avec Dieu, rayonnait de lumière et de
42 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

feu. Il en est ainsi de tous les saints. Leur regard a plongé plus avant
dans le mystère divin. Leur cœur s’est approché plus près du buisson
ardent de l’Amour. « Celui qui Est » 1 se les est unis plus profondé-
ment et leur a communiqué quelque chose de sa force immuable.
Pourquoi donc s’étonner que, redescendus des hauteurs de la contem-
plation, leur parole soit lumineuse, leur accent tout de feu, leur action
irrésistible et conquérante ? À l’exemple de saint Thomas, ils vou-
draient redire à tous la beauté du Dieu qu’ils ont contemplé : « Con-
templari et contemplata aliis tradere » 2 ; ou, comme une sainte Thé-
rèse, ils rêvent « de prendre les âmes aux charmes du Bien si divin »
qu’ils ont goûté. N’hésitons pas, suivons ces bergers.

EQUITATUI MEO IN CURRIBUS PHARAONIS ASSIMILAVI TE, AMICA MEA


(CANT., I, 9).
À ma cavale quand elle est attelée aux chars de Pharaon, je te
compare, ô mon amie.

Plaire à Dieu, seul bonheur à ambitionner.

Pendant que l’âme fidèle, dans son angoisse d’amour, cherche Jé-
sus, le demande à tous ceux qu’elle suppose capables de lui indiquer
où il se trouve, Jésus la contemple, il la trouve belle. Il est ravi par sa
beauté. Il ne peut plus ne pas le lui dire et il le lui dit. Quel moment
béni que celui où l’âme comprend qu’elle plaît, à son Dieu. « Plaire à
Dieu ! », que de choses dans ces trois mots ! Que leur manque-t-il ? Ne
contiennent-ils pas tout pour le présent et pour l’éternité ? Savoir que
Dieu est content, qu’il lui est doux de penser à nous, de nous regarder,
que ce regard qu’il daigne abaisser sur nous fait retour vers lui, tout
chargé de sourires et de joies, que dans ce retour, il va jusqu’au plus
intime de son cœur et qu’il nous y fait pénétrer avec lui afin que nous
puissions sourire au Bien-Aimé et l’aimer comme de plus près ! Vous
plaire, ô mon Dieu, que faut-il de plus â mon bonheur ? Rien. Pour-
quoi chercher autre chose ?
Non, vraiment, rien ne peut exprimer la joie de l’âme quand elle
entend son Dieu l’appeler « mon amie ». L’éloge qu’il fait d’elle passe
comme un éclair lumineux dans son ciel intérieur, mais le doux nom
d’amie pénètre comme une flèche jusqu’au fond de son cœur. Il lui fait
une délicieuse blessure qui la remplit d’aise et l’enivre de bonheur. Il y
a de quoi, les angoisses du passé, les nuits obscures, les déserts sans

1 Exode, III, 14.


2 IIa IIae, q. 188, a. 6.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 43

eau, les gouffres sans fond, les appels sans réponse, tout est loin, bien
loin. Tout est oublié. Le divin Époux a parlé. Il a prononcé le mot qui
dit tant de choses et avec un accent qui dit plus encore. Il semble que
son cœur si bon, si aimant, passe tout entier dans sa voix. Et c’est vrai.
L’âme le comprend. Elle est ravie à mourir. Elle n’aurait jamais pu
croire à un bonheur si doux, si profond, si divin ! Ô Jésus que vous
êtes bon !

PULCHRAE SUNT GENAE TUAE SICUT TURTURIS (CANT., I, 10).


Tes joues sont belles au milieu des colliers.

Les vertus gagnent en vigueur et en beauté en proportion de l’amour de


Dieu.

Jésus ne cesse de complimenter son Épouse. Ce qui fait la beauté


de l’âme, c’est la charité : amour du bon Dieu, amour des âmes pour le
bon Dieu pour lui-même. On dit que les affections vives du cœur se
traduisent, suivant les natures, par la pâleur ou la rougeur subite du
visage. Il semble que l’âme doive à sa manière, toute spirituelle, livrer
comme au dehors le secret de sa vie la plus intime. Mais cette vie pré-
cisément n’est-elle pas toute d’amour ? N’est-ce pas l’Esprit du Père et
du Fils, l’Esprit d’Amour qui la donne, l’augmente et la porte à sa per-
fection ? Est-ce que la charité, qui est une, puisque dans son fond elle
est une intime amitié entre Dieu et l’âme, ne s’étend pas, sans cesser
d’être une, jusqu’au prochain, jusqu’aux ennemis mêmes parce qu’ils
sont de Dieu ? Elle n’a toujours qu’un seul cœur, c’est vrai, mais elle a
deux yeux, elle a deux joues, l’une qu’elle tend aux baisers du Père,
l’autre aux baisers de ses frères. C’est ce qui ravit Jésus, lui le Dieu fait
homme pour réconcilier l’homme et Dieu dans l’amour.
Mais la charité ne va pas sans son cortège de vertus. Ces vertus sont
les colliers de l’Épouse. Elles protègent et elles embellissent. Ce sont
des forces et ce sont des joyaux. Elles ne sauraient porter ombrage à la
charité puisqu’au fond c’est d’elle qu’elles tirent toute leur valeur. Plus
l’amour de Dieu grandît dans une âme et plus les vertus gagnent en vi-
gueur et en beauté. Et si l’on veut connaître la richesse de ce royal cor-
tège, qu’on relise l’incomparable énumération qu’en fait saint Paul aux
Corinthiens et qui commence par ces mots : « Caritas patiens est, be-
nigna est » 1, etc. La vraie charité ne se conçoit pas sans cette magni-
fique efflorescence de vertus, et ces vertus puisent toute leur sève à la
source inépuisable et unique du divin amour. « Caritas est vinculum

1 La charité est patiente, elle est bonne (I Cor., XIII, 4).


44 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

perfectionis » 1. « Plenitudo legis est dilectio » 2. « Dilige et quod vis


fac » 3. Et le poète, parlant de la charité fraternelle, s’écrie :
Miséricordes infinies
Pour être au-dessus des génies
Il suffit de savoir aimer 4.
Comme le poète a raison !

COLLUM TUUM SICUT MONILIA (CANT., I, 10).


Ton cou est beau au milieu des rangées de perles.

L’âme aimante est belle parce qu’elle est forte.

Jésus ne se lasse pas de contempler l’âme fidèle, sa bien-aimée,


d’admirer sa beauté et de lui exprimer son admiration. Sa force en
particulier le ravit. Il est le Dieu fort, « Deus fortis » 5. Il aime ce qui
lui ressemble. « Vertu » veut dire force, énergie accumulée, courage
intrépide et persévérant. Ici cette force est symbolisée par le cou.
L’âme qui aime vraiment Jésus est une âme vertueuse, c’est une âme
forte. Quoi de plus fort que l’amour de Dieu ? « Fortis est ut mors di-
lectio » 6. Elle est forte comme une armée rangée en bataille. C’est
d’une main ferme qu’elle se gouverne elle-même. C’est d’une main ri-
goureuse qu’elle repousse les attaques de ses ennemis : le monde et le
démon. C’est d’une main puissante qu’elle les réduit au silence et
qu’elle les tient sous sa domination. Une âme aimante est belle parce
qu’elle est forte et que sa force excite l’admiration de Jésus. Il est venu
au monde pour établir le royaume de son Père sur les ruines du
royaume de Satan. C’est Lui, Jésus, qui triomphe dans l’âme victo-
rieuse. Alors il est heureux, il est fier.

MURENULAS AUREAS FACIEMUS TIBI, VERMICULATAS ARGENTO (I, 11).


Nous te ferons des colliers d’or, pointillés d’argent

Œuvre ineffable de la Trinité Sainte dans l’âme fidèle.

L’Époux veut concourir à la parure de son Épouse, afin qu’elle soit


plus belle encore et plus digne de lui. Il semble même que Jésus ne

1 La charité est le lien de la perfection (Col., III, 14).


2 L’amour est la plénitude de la loi (Rom., XIII, 10).
3 Aime et fais ce que tu veux (Saint Augustin).
4 Clovis Hugues.
5 Isaïe, IX, 5.
6 Cant., VIII, 6.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 45

soit pas seul à parler ici. Le Père et l’Esprit d’amour sont d’accord avec
lui. Ils se proposent tous trois d’enrichir la sainte Épouse « de colliers
d’or aux points d’argent ». Toutes les œuvres divines dites « ad ex-
tra » sont communes aux trois adorables Personnes de la très Sainte
Trinité. La perfection d’une âme est une de ces œuvres et des plus
belles. Mais l’usage attribue telle partie de cette œuvre au Père, telle
autre au Fils et telle autre au Saint-Esprit à raison des harmonies qui
existent entre ces effets et les caractères distinctifs de chacune des
trois Personnes de la très sainte Trinité. Voilà pourquoi on peut voir
ici tout ensemble une œuvre commune, mais frappée au coin person-
nel de chacune des trois adorables Personnes.
Le collier donné par le Père, c’est sa propre nature, sa vie. C’est en
cela qu’il est Père de l’âme et que l’âme est son enfant. Plus une filia-
tion, dit en substance saint Thomas, se rapproche de la filiation du
Verbe et y participe, plus elle est parfaite. Pour l’âme humaine, cette fi-
liation ne sera parfaite que dans le ciel. Mais entre le premier pas dans
la grâce et le premier pas dans la gloire, il y a de nombreux degrés
d’ascension. Quand Dieu parle à une âme comme il le fait à la sainte
Épouse du Cantique, c’est qu’elle est devenue son enfant à un degré
qui tient plus du terme que de la voie. Non seulement elle est l’enfant
aimée, chérie du bon Dieu, mais elle le sait en quelque façon. Elle a
comme une sorte de conscience sourde, mais très réelle, de vivre dans
le sein du Père, d’être portée par lui, nourrie par lui, de grandir mysté-
rieusement en lui jusqu’à la plénitude de l’âge du Christ. Dieu lui dit
dans un sens plénier la parole de saint Paul : « Filiola quam iterum
parturio donec formetur Christus in te » 1. À de certaines heures, elle
se rend mieux compte du progrès de la vie divine en elle-même. On di-
rait qu’il y a des crises de croissance dans la vie intérieure comme dans
la vie physique. C’est ce que, semble-t-il, saint Thomas appelle « mis-
sion divine invisible » dans l’âme. L’identification, autant qu’on en
peut parler ici, entre le Père et l’enfant devient plus parfaite, l’intimité
plus profonde, la communauté de vie et d’être plus étroite et plus
constante. Le Père semble ne plus vouloir garder pour lui que le doux
privilège de donner et de tout donner, et l’enfant celui bien doux aussi
de recevoir et de tout recevoir. Oui, saint Thomas a bien dit que plus
une filiation ressemble à celle du Verbe, plus elle est parfaite. Il a bien
parlé aussi, ô mon Dieu, celui qui a dit que nul n’était Père comme
vous. « Nemo tam Pater » 2.
Voilà le collier d’or aux points d’argent, donné par le Père à sa
chère enfant.

1 Cf. Galat., IV, 19 : Mes petits enfants pour qui j’éprouve les douleurs de l’enfantement jusqu’à ce

que le Christ soit formé en vous.


2 Tertullien.
46 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Au Verbe divin d’orner à son tour sa sainte Épouse. Il est la Parole


qui dit tout puisqu’il dit le Père et tout ce qui procède du Père. Il est la
Sagesse selon qui tout a été fait avec nombre, poids, mesure. Il est
l’Époux, l’Ami intime de l’âme. Entre époux et épouse, entre amis, les
secrets n’existent pas. Autant qu’il est en lui, le Verbe voudrait révéler
à sa sainte confidente tous les secrets divins : la vie intime de Dieu,
l’ordre et la raison des choses tant naturelles que surnaturelles, la fin
dernière de tout, cette douce gloire de Dieu et cette ineffable béatitude
des anges et des saints. Il veut de tout son cœur faire communier son
Épouse à la vraie Sagesse, à lui-même. Il lui ouvre peu à peu les yeux
pour lui faire contempler les divines réalités, pour lui faire juger de
toutes choses à la lumière de cette révélation qui lui apprend que tout
n’est rien et que Dieu seul est tout, pour lui faire ordonner toutes
choses en elle et autour d’elle en vue de l’éternelle contemplation, de
l’éternelle Beauté. Ce qui met le comble à la joie de cette connaissance,
c’est qu’elle n’est pas seulement une traduction tout à fait neuve de la
réalité divine, mais surtout parce qu’elle met l’âme, au moins par mo-
ments, comme en contact direct, immédiat avec celui qu’elle traduit, et
qu’elle le fait comme goûter d’une façon mystérieuse, profonde, pleine
de sécurité et de charme. Ce n’est plus l’idée de la réalité, c’est la réali-
té même qui se donne à constater, à expérimenter, à goûter. L’âme a
rencontré son Dieu. Dieu s’est dit et s’est donné à l’âme. Elle a désor-
mais pour juger de tout une mesure nouvelle. Si l’on ose dire, elle sait
un peu le goût qu’a le bon Dieu. Elle peut décider d’instinct de ce qui
participe à ce goût divin et de ce qui ne l’a pas. C’est la vraie Sagesse.
C’est le collier d’or aux points d’argent que son Époux le Verbe lui a
fait et lui a donné comme gage de son amour.
À l’Esprit d’amour d’achever ce que le Père et le Verbe ont si bien
commencé. Dans l’âme comme en Dieu, tout se repose dans l’amour.
La manifestation faite à l’âme de la douce beauté de Dieu lui en a révé-
lé tout le charme. Le goût de Dieu suppose l’amour et il y conduit. Plus
l’âme connaît Dieu de cette connaissance quasi-expérimentale, plus
elle l’aime. Sa charité grandit à chaque instant comme sans mesure.
L’âme communie de plus en plus à l’Esprit-Saint puisque la charité
créée est une participation à la charité personnelle en Dieu, à celui qui
procède du Père et du Fils et qui les unit si étroitement l’un à l’autre.
L’Esprit d’amour enflamme le cœur de celle qui est l’enfant bénie du
Père, l’Épouse chérie du Fils, sa demeure, son temple, son œuvre, son
autre lui-même, sa bien-aimée à lui aussi. Il la rend de plus en plus
semblable à cette adorable Trinité qu’il lui apprend à aimer. Il la meut
sans cesse vers elle. Il la pousse jusque dans ses bras, jusque dans son
cœur. Il n’est heureux que lorsqu’il la voit toute consumée d’amour,
prête à en mourir. Oh ! le beau collier d’or aux points d’argent que ce-
lui de l’amour, donné à l’Épouse par l’Amour.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 47

DUM ESSET REX IN ACCUBITO SUO, NARDUS MEA DEDIT ODOREM SUUM
(CANT., I, 12).
Tandis que le Roi est à son divan, mon nard exhale son parfum.

La vie de l’âme fidèle est pour Dieu comme un précieux parfum.

L’âme fidèle est toujours en adoration devant son Dieu. C’est une
lampe qui se consume, une mélodie qui se déroule gracieusement, une
fleur qui s’épanouit et répand son doux parfum. À certaines heures,
elle se rend compte qu’elle brûle, qu’elle chante, qu’elle embaume. Dieu
permet qu’elle sache que son ardeur lui plaît, que sa voix lui est agréa-
ble, que son parfum le réjouit. Il n’est plus aussi caché qu’autrefois : il
donne à entendre qu’il est là, tout près, à son divan, au fond du cœur
et que, s’il paraît reposer, il est cependant éveillé et attentif. Il fait sa-
voir, par un procédé qui n’est qu’à lui, que les mille marques d’affec-
tion que l’âme ne se lasse pas de lui donner, sont chères à son cœur.
C’est pour lui un encens d’agréable odeur. C’est le parfum caractéris-
tique de sa Bien-Aimée. Il le charme en lui parlant d’elle et de son
amour. Et la sainte Épouse le sait. Ô mon Dieu, quelle joie pour l’âme
que cette douce constatation ! Vous sentir là au-dedans de soi, vous, le
Dieu si bon, si puissant ! Comprendre que vous y êtes comme dans le
lieu agréable de votre repos ! Savoir d’une manière saisissante que
vous voulez bien vous plaire dans ce pauvre cœur dont le seul mérite
est d’être tout à vous ! Vous faire plaisir comme fait plaisir la vue d’une
belle fleur ! Vous charmer comme charme un parfum pénétrant et
sain ! Vous savoir heureux, surprendre la joie sur vos traits et jusque
dans vos yeux : comme tout cela est précieux pour l’âme ! Que sont
tous les sacrifices au prix de celle joie ? Que sont tous les bonheurs au-
près de ce bonheur ? Rien ! mon Dieu ! rien. C’est même leur faire la
part trop belle encore que de penser à eux. Ô mon Dieu, accordez-moi
cette grâce d’être pour vous un agréable et doux parfum.

FASCICULUS MYRRHAE DILECTUS MEUS MIHI ; INTER UBERA MEA COM-


MORABITUR (CANT., I, 13).
Mon Bien-Aimé est pour moi un sachet de myrrhe.

La souffrance est le parfum de Jésus pour l’âme intérieure.

L’Épouse, comme une autre Madeleine, a parfumé l’Époux du nard


précieux de ses vertus et de son amour. Jésus ne veut pas se laisser
48 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

vaincre dans cette aimable lutte. À son tour d’embaumer l’âme aimée
de son parfum à lui, voilà pourquoi il s’offre à elle comme un sachet de
myrrhe à placer tout près de son cœur, afin qu’elle puisse en respirer
l’arôme à chaque instant. Mais c’est Jésus flagellé, couronné d’épines,
crucifié, qui veut ainsi reposer sur le cœur de sa fidèle Épouse. Elle
comprend la nature du présent qui lui est fait ! Loin d’en être effrayée,
elle s’en réjouit. Oui, ô mon Dieu, quand on vous aime, on veut parta-
ger vos souffrances, boire à votre calice, porter votre croix, y être cloué
avec vous. Oh ! ces clous de la souffrance, qui attachent pour toujours
à la croix, de Jésus, qu’ils sont aimés de mon cœur ! Y a-t-il une joie au
monde comparable à celle de se sentir cloué à la croix avec Jésus ? Au-
cune extase n’est douce comme celle-là, parce qu’il n’y en a pas où
l’amour se sente plus vivant, plus profond et plus vrai… Merci mille et
mille fois, ô Bien-Aimé de mon cœur, du sachet de myrrhe que vous
m’avez donné à respirer. Vous ne pouviez pas me prouver plus claire-
ment votre affection. Que la souffrance pénètre tous les moments de
ma vie, tous et chacun de mes actes, comme un parfum sans prix !
Doux Jésus crucifié, restez là sous mes yeux, sur mon cœur, et donnez-
moi la grâce de sourire à toute souffrance comme à un rayon de soleil
tout embaumé de la plus suave odeur.

BOTRUS CYPRI DILECTUS MEUS MIHI IN VINEIS ENGADDI (CANT., I, 14).


Mon Bien-Aimé est pour moi une grappe de cypre des vignes d’En-
gaddi.

Le bonheur d’aimer Dieu est une participation au bonheur même de Dieu.

Les fleurs de cypre sont un peu couleur d’or ; elles répandent une
odeur semblable à celle du réséda ; elles aiment beaucoup la chaleur.
On les dit très recherchées des Orientaux.
Pour traduire le charme spirituel de son divin Époux, l’âme inté-
rieure se sert de cette image beaucoup plus riche dans la langue bi-
blique que dans la nôtre. Qui nous empêche d’y voir un symbole de
l’ardente charité de Jésus pour l’âme aimante, et de l’âme aimante
pour Jésus ? C’est que la souffrance, représentée par la myrrhe, n’est
pas une fin cherchée pour elle-même, elle n’est qu’un moyen. Elle sert
à manifester l’amour. Elle est l’occasion et comme la matière préférée
de la divine charité ; elle n’est la source même, ni du mérite, ni de la
beauté de l’âme. Il faut toujours en revenir au divin Amour. Jésus n’est
pas seulement la grappe de raisin des vignots d’Engaddi, il est aussi la
grappe de cypre aux fleurs jaune d’or. Tout cela parle de charité.
L’Épouse, qui ne sait plus qu’une chose, aimer, cherche à traduire de
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 49

mille manières sa profonde affection. Tout ce qui peut servir à son


pieux dessein, elle l’utilise. Voilà pourquoi elle emploie cette compa-
raison qui dit beaucoup à son cœur et à celui de son Dieu. C’est que
l’amour divin ne laisse aucun repos à l’âme, dont il s’est emparé, il la
meut sans cesse. Il est sa vie. Et cette vie devient à chaque instant plus
profonde, plus intense, plus active. Le pouvoir d’aimer grandit tou-
jours. D’autre part, Dieu, vers qui il porte l’âme tout entière, semble se
rapprocher de l’âme elle-même comme pour répondre à l’appel mysté-
rieux de cet amour que lui seul a fait naître et que lui seul peut satis-
faire. Or, ce bonheur de l’âme, qui sent se dilater en elle sa capacité
d’aimer Dieu à la manière d’un appétit, et qui se rend compte que Dieu
se donne à elle à la manière d’une nourriture, ce bonheur-là est une
réelle participation au bonheur de Dieu. L’âme voudrait toujours le
goûter. C’est ce qui lui arrive quand elle pense à son Bien-Aimé, quand
elle parle de lui, quand un rien, une fleur, un rayon de soleil, une
douce mélodie l’oblige à prendre de nouveau plus vivement conscience
d’elle-même et de son bonheur. Pour ceux qui ne savent pas le secret
de sa vie, son cri d’amour paraît monotone. Mais pour elle il est tou-
jours délicieux et toujours nouveau. « Ô Amour », disait sainte Thé-
rèse, « je voudrais sans cesse redire ton nom ! »

ECCE TU PULCHRA ES, AMICA MEA, ECCE TU PULCHRA ES (CANT. I, 15).


Oui, tu es belle, mon amie, oui, tu es belle.

Expérience que fait l’âme de l’amour de bienveillance de son Dieu.

À son tour, l’Époux proclame la beauté de l’Épouse : « Oui, tu es


belle ». Il semble qu’il réponde à une muette interrogation de l’âme.
Celle-ci fait tout ce qu’elle peut pour se rendre agréable aux regards de
son Jésus. Elle évite jusqu’aux moindres imperfections. La plus petite
tache morale lui fait horreur. Si ce malheur lui arrive, elle s’efforce
aussitôt de le réparer par les plus affectueux regrets. Elle n’a de paix
que lorsqu’elle entend son divin Ami la rassurer et lui dire : « Oui, ne
vous inquiétez plus, tout est oublié, tout est effacé, tout est de nouveau
dans l’ordre et l’harmonie. Vous êtes belle à mes yeux et vous savez
bien que je suis bon juge ». Quel baume sur le cœur que cette déli-
cieuse parole, venant d’une bouche si divine et si aimée ! C’est presque
à dire « felix culpa », tant on est heureux. Ô mon Jésus, faites que je
l’entende, et par deux fois, cette parole qui pacifie et qui béatifie.
Il est une autre circonstance où l’âme intérieure est heureuse de re-
cevoir les compliments de Jésus. C’est quand elle a surmonté un gros
obstacle ou pratiqué un devoir difficile en vue de plaire uniquement à
50 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

son Bien-Aimé. Jésus aime les âmes généreuses ; quand il en ren-


contre une, il se plaît à lui faire trouver mille occasions et parfois bien
déconcertantes de pratiquer l’amour généreux. Souvent même, il
ajoute à la difficulté en se cachant de l’âme et en la laissant seule en
apparence aux prises avec de grands travaux, de grandes peines, de
grandes souffrances. Mais aussi quand l’âme fidèle a bien prouvé par
sa constance et sa fermeté la force et le désintéressement de son affec-
tion, il se montre de nouveau. Il témoigne de sa joie de posséder une
Épouse si généreuse et si aimante. Il lui redit le mot qui la récompense
au centuple : « Ecce tu pulchra es, amica mea, ecce tu pulchra es ».
À mesure que l’âme progresse dans le divin amour, le titre d’« a-
mie » que Jésus lui donne prend un sens plus profond et plus vrai.
C’est que la charité est essentiellement une amitié entre Dieu et l’âme.
Elle est un amour de bienveillance de Dieu pour l’âme et de l’âme pour
Dieu. Cet amour est connu de l’âme et de plus en plus. Voilà ce qui lui
donne tant de charmes. L’âme se sait vraiment aimée de Dieu et per-
sonnellement. Elle se sent comme enveloppée par une Providence par-
ticulière, et c’est pour ainsi dire à chaque pas qu’elle se voit l’objet des
plus délicates prévenances. Rien n’est doux pour son cœur comme de
s’apercevoir après coup qu’elle a été éclairée, dirigée, fortifiée, proté-
gée par quelqu’un qui est tout près d’elle, au dedans même, et qui lui
témoigne incessamment et de mille manières sa profonde affection.

OCULI TUI COLUMBARUM (CANT., I, 15).


Tes yeux sont comme des yeux de colombe.

Le regard de l’âme intérieure est pur, il ne voit que Dieu, il le voit en tout
et voit tout en lui.

Le privilège du regard, c’est de manifester les sentiments de l’âme.


On dit volontiers que les yeux sont comme un miroir où l’âme se re-
flète et se peint. « Si oculus tuus fuerit simplex, totum corpus tuum
lucidum erit » 1.
L’Époux déclare que les yeux de l’Épouse ressemblent à des yeux
de colombe, ou même à des colombes. Il est entendu que la colombe
est le symbole de l’affection pure, fidèle, profonde, comme de la médi-
tation silencieuse et paisible.
Jésus est heureux quand il trouve une âme qui l’aime pour lui-
même, qui ne pense qu’à lui, ne vit et ne souffre que pour lui, qui ne se
recherche elle-même en rien, ne fait aucun retour intéressé sur elle-

1 Si ton œil est sain, tout ton corps sera dans la lumière (Matth., VI, 22).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 51

même et met toute sa joie à contempler, à louer, à glorifier, à aimer


son Dieu et son Tout. Son regard est pur. Aucun objet que le Bien-
Aimé ne s’y reflète, ou, du moins, il ne s’arrête volontairement sur au-
cun objet. Il ne voit que le Bien-Aimé, il le voit en tout et voit tout en
lui. La douce physionomie de Jésus se peignait dans les yeux de sa
sainte Mère pendant que le regard intérieur de Marie contemplait af-
fectueusement la Divinité de son cher Fils ! Ainsi faisait Marie-
Madeleine à Béthanie, toute proportion gardée. Ainsi faisait, mais
alors par miracle, sainte Thérèse jouissant à la fois de la vision imagi-
native de Jésus et de la vision intellectuelle du Verbe. Les yeux de son
imagination et ceux de son esprit ne voyaient plus que le Bien-Aimé.
Et la faveur passée, ils restaient longtemps comme incapables de voir
autre chose. Le ciel surnaturel se peint dans une âme pure comme le
ciel naturel dans une eau limpide. Dieu aime ces âmes aux yeux clairs
et couleur de ciel. C’est que les œuvres de Dieu lui plaisent dans la me-
sure où elles sont bonnes. Elles sont bonnes dans la mesure où elles le
participent et, partant, lui ressemblent. Pour des facultés de connaître,
sens et surtout intelligence, le moyen de ressembler, c’est de se laisser
informer pleinement par l’objet à connaître. Plus elles sont identifiées
en quelque sorte avec leur objet, mieux elles se l’assimilent, mieux
aussi elles le connaissent et plus aussi elles lui ressemblent. Com-
prendre une chose, c’est se saisir intellectuellement de cette chose, la
faire soi, la devenir sans devenir cependant sa nature à elle, puis se la
dire à soi-même. C’est ce que fera notre âme quand elle contemplera
face à face dans le ciel son Dieu bien-aimé. C’est ce qu’elle s’efforce de
réaliser sur la terre dans la lumière et dans les ombres de la foi. Plus
son regard spirituel est pur, plus elle communie par la foi simple à la
connaissance que Dieu a de lui-même, mieux elle le « comprend »,
mieux elle prend avec soi, le fait sien et est faite lui dans la mesure où
la terre supporte cette sublime transformation. Elle mérite alors que
Dieu loue la limpidité et la pureté de ce regard où il se contemple lui-
même. Ce que du reste l’âme intérieure contemple ainsi, et d’une façon
si constante, ce n’est pas quelque chose de vague, de lointain, non.
L’objet de sa douce contemplation, son Dieu, l’aimable Trinité, est là
tout près, même tout au dedans. Elle le sait pour ce qui est de la pré-
sence naturelle ; elle le croit et elle l’espère pour ce qui est de la pré-
sence surnaturelle. La paix de son cœur, le dégoût qu’elle éprouve
pour tout ce qui ne lui parle pas de Dieu, la joie qu’elle ressent à se
trouver seule à seul avec lui, des preuves plus intimes encore qui lui
persuadent et de plus en plus que la Très Sainte Trinité veut bien me-
ner sa vie en elle et l’y faire participer, tout cela lui donne la douce
confiance que son Dieu bien-aimé est bien là, au dedans, et qu’il y est
pour qu’elle l’adore, qu’elle l’aime, qu’elle lui parle, qu’elle le prie,
qu’elle le contemple enfin, sans le voir, c’est vrai, mais comme si elle le
52 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

voyait. Son Dieu, son trésor, est désormais comme sous ses yeux. Il lui
suffit de les ouvrir pour le contempler.

ECCE TU PULCHER ES, DILECTE MI, ET DECORUS (CANT., I, 16).


Oui tu es beau, mon Bien-Aimé, oui tu es charmant.

Cris d’admiration des Saints.

L’âme répond à Dieu, elle proclame son admiration pour la divine


Beauté, objet constant de son affectueuse contemplation. Tout senti-
ment profond veut s’exprimer. Il cherche à prendre corps. De là, le cri
d’admiration de l’Épouse, le « Dominus meus et Deus meus » 1 de
l’apôtre saint Thomas, le mot sublime de saint Augustin : « Ô Beauté
toujours ancienne et toujours nouvelle…, etc. », le « Deus et omnia » 2
de saint François d’Assise ; l’exclamation de sainte Thérèse : « Ô
Amour, je voudrais sans cesse redire ton nom », et ses Exclamations.
Du reste, on fait plaisir à Dieu en lui parlant ainsi parce qu’on pro-
clame la vérité. On excite son amour pour lui en l’exprimant dans une
formule brève, véritable flèche d’or à la pointe de feu qui part du cœur
et va droit au cœur du bon Dieu. On augmente en le reconnaissant le
charme infini et divin que la vue du Bien-Aimé exerce sur l’âme et qui
lui fait oublier toutes choses, tant son bonheur de contempler et aimer
un Dieu si bon et d’être aimée de lui, l’élève au-dessus d’elle-même
dans une sorte d’extase.

LECTULUS NOSTER FLORIDUS (CANT., I, 16).


Notre lit est un lit de verdure.

Le divin Époux instruit l’âme sur sa vie intime en la Trinité Sainte.

L’âme intérieure se tient auprès de Jésus comme autrefois Marie à


Béthanie. Ils parlent intimement, familièrement. Le beau ciel bleu
couvre leur tête ; l’horizon infini est ouvert devant leurs yeux ; la terre
s’est parée d’une agréable et douce verdure sur laquelle ils peuvent
s’entretenir paisiblement.
Mais toutes ces images doivent se transposer en langue spirituelle
pour traduire la vraie pensée de l’Épouse. C’est elle au fond qui est ce
lit de verdure où elle demeure avec son Dieu. Plus de pierres, plus de

1 Mon Seigneur et mon Dieu (Joan., XX, 28).


2 Mon Dieu et mon tout.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 53

ronces, plus d’épines, plus de reptiles venimeux : en elle l’amour a


chassé, détruit, arraché ou brûlé tout cela. Et l’âme, comme retournée,
labourée par les épreuves et la souffrance, est devenue une terre
meuble, homogène, fertile. Le divin Jardinier a jeté à pleines mains les
petites semences, et la douce verdure a fait son apparition printanière.
Jésus peut venir. L’humilité, la douceur, la grâce l’attendent pour le
recevoir et lui permettre de se reposer comme autrefois au soir de ses
journées de marche apostolique, où il se sentait « las de fatigue « fati-
gatus ex itinere » 1. « Veni, Domine Jesu, veni » 2.
Mon doux Jésus, venez dans mon âme, prenez-y votre repos et
permettez-moi de me tenir près de vous. Je désire beaucoup vous par-
ler. Je voudrais vous dire beaucoup de choses. Je voudrais surtout
vous redire mon amour, le besoin que j’ai de vous aimer de tout mon
cœur, combien je souffre de vous aimer si peu ! Vous êtes si bon pour-
tant, si aimable, si affectueux ! Mon doux Sauveur, restez là, près de
moi, ne me quittez pas, écoutez-moi ! Vous êtes toute ma force, toute
ma vie, toute ma joie. Si j’ai un conseil à demander, vous seul pouvez
me le donner. Si j’ai une obscurité dans l’esprit, vous seul pouvez la
chasser. Si j’ai une tristesse dans le cœur, vous seul pouvez la dissiper.
Si ma volonté souffre de son inconstance et de sa faiblesse, vous seul
pouvez la fortifier et la fixer. Restez donc, ô mon Jésus, restez tou-
jours, « Mane mecum, Domine » 3, et accordez-moi la grâce des
grâces, celle de rester toujours tout près de vous et de ne vous quitter
jamais, ne fût-ce qu’un instant.
Pourquoi, vous êtes-vous incarné, ô Verbe divin, ô mon Dieu, si ce
n’est pour que nous puissions vous traiter à la façon de l’homme ?
Vous restez Dieu, vous ne perdez rien ni de votre dignité, ni de votre
perfection, ni de votre beauté, et pourtant vous êtes en toutes choses,
sauf le péché, comme l’un de nous. On est ému par tant de bonté. On
est saisi par tant d’amour. Oui, on voudrait rester toujours là près de
vous pour vous témoigner un peu d’affection et un peu de gratitude.
Mais vous connaissez la mobilité inquiète de notre esprit, l’incons-
tance inexplicable de notre cœur. Pardonnez-nous, ô Jésus, nos oublis
involontaires au fond et nos froideurs plus apparentes que réelles.
Vous qui savez tout, vous savez bien que nous vous aimons. Nous souf-
frons au-delà de ce que l’on peut dire de cette mobilité et de cette in-
constance. Si nous leur connaissions un remède, nous irions le cher-
cher aux extrémités de la terre. Il existe pourtant ; ce remède c’est
votre amour. Donnez-nous, ô Jésus, de vous aimer pour tout de bon,
de tout de notre cœur et pour toujours.

1 Fatigué de la route (Joan., IV, 6).


2 Venez, Seigneur Jésus, venez (Apoc., XXII, 20).
3 Demeurez avec moi, Seigneur (Luc, XXIV, 29).
54 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Parlez-moi du Père, ô Jésus ! Vous l’aimez tant, vous le connaissez


si bien ! C’est votre mission de le révéler aux âmes. Mon Jésus, parlez-
moi de lui. Je voudrais tant le connaître comme vous, l’aimer comme
vous, je veux dire de la même manière. Ouvrez mes yeux, rendez mes
oreilles attentives, dilatez mon cœur ! N’est-ce pas, ô mon Jésus, qu’il
est beau votre Père très aimé, et qu’il est bon comme on ne peut pas
dire ! Que vous êtes heureux de le voir, de le contempler, de l’aimer, ô
mon Jésus ! Votre Âme sainte goûte cette joie sans mesure. Son bon-
heur me réjouit. C’est un peu le mien déjà, puisque vous voulez bien
vous faire mon Ami et me permettre de me tenir près de vous. Jésus,
je ne veux pas vous distraire de votre extase d’amour, je me tais de
bonheur et de joie. Coulez silencieusement, larmes de gratitude et
d’indicible paix ; dites ce que je ne peux pas dire, murmurez douce-
ment ce que je ne puis pas exprimer. Jésus, mon Jésus est heureux !
Parlez-moi de vous, ô Verbe divin, dites-moi ce que vous êtes pour
le Père et ce que le Père est pour vous. Vous êtes l’expression parfaite,
complète, vivante et consciente de ce Père bien-aimé. Quiconque
pense, conçoit au-dedans de lui quelque chose qui est la similitude de
la chose qu’il pense ; vous êtes, ô Verbe adoré, la similitude ineffable
du Père. Vous en êtes la copie, mais tellement ressemblante que cette
ressemblance va jusqu’à l’identité, il n’y a plus pour vous distinguer
l’un de l’autre que cela et uniquement, à savoir que vous êtes l’image et
qu’il est, lui, celui dont vous êtes l’image. Tout le reste vous est com-
mun de la plus absolue communauté, dans la plus parfaite indivision,
dans la plus profonde identité.
Ô Verbe, comme vous êtes heureux en vous-même de connaître à
fond votre Père, d’être sa connaissance à lui, d’être de lui, mais encore
une fois de le connaître en vous, lui et vous et l’Esprit d’amour qui pro-
cède de vous deux, et tout ce qui procède et peut procéder au dehors
de vous trois ! Quel spectacle pour vos yeux divins, quelle joie pour
votre cœur divin suivant notre pauvre manière de parler de vous !
Je viens encore près de vous, à votre école, ô Verbe Incarné, ô Jé-
sus, pour apprendre de vous ma leçon. Dites-moi ce qu’est l’Esprit
d’amour. Je voudrais tant le connaître, je voudrais tant l’aimer, je
voudrais tant le posséder et être possédé par lui ! C’est celui de vous
trois qui procède par voie de volonté. Il procède du Père et de vous, ô
Verbe, mais il en procède comme d’un seul et unique principe, par une
seule et unique spiration. Il est le terme substantiel, vivant, conscient,
personnel, suivant notre manière de parler, de ce mouvement, de cette
impulsion, qui existe en vous, ô mon Dieu, par cela seul que vous êtes
infiniment aimable, étant infiniment bon et infiniment parfait, et que
vous avez une connaissance infinie, elle aussi, de votre infinie amabili-
té. L’amour parfait suit à la connaissance parfaite du bien parfait. En
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 55

tant que vous, ô Père, et vous, ô Fils bien-aimé, ne constituez qu’un


seul principe, et n’avez qu’une seule impulsion, l’Esprit d’amour est le
troisième de votre adorable Trinité. En tant que vous êtes deux Per-
sonnes distinctes, il est le lien ineffable qui vous unit de la plus par-
faite union d’amour — ô Esprit-Saint !
Et je reviens vers votre Âme sainte, ô mon Bien-Aimé Jésus ! Elle
est une âme humaine comme la mienne, mais elle goûte et elle a tou-
jours goûté à un degré ineffable la joie de contempler sans voile, face à
face, immédiatement, la vie divine dans sa parfaite et constante activi-
té. Elle a communié et elle communie de tout son être à cette vie bien-
heureuse ; autant qu’il est possible à la nature créée, elle participe à la
puissance génératrice du Père et au mouvement d’amour du Père et du
Verbe d’où procède le divin Esprit. Elle connaît son Dieu comme il se
connaît, elle l’aime comme il s’aime. Elle est « divinisée » dans tout le
sens légitime et réel de ce mot. Elle trouve dans cette participation
consciente, immuable et parfaite de la vie divine un bonheur qui mé-
rite aussi et de la même manière le nom de « divin ». Ô heureuse Âme
de mon Jésus, comme votre joie nous réjouit, comme votre bonheur
nous rend heureux ! Ajoutez à notre joie en nous faisant vivre de votre
vie, dès maintenant et toujours. Amen. Amen !

TIGNA DOMORUM NOSTRARUM CEDRINA, LAQUEARIA NOSTRA CYPRES-


SINA (CANT., I, 17).
Les poutres de nos maisons sont des cèdres, nos lambris sont des
cyprès.

L’âme fermée à tous les bruits du monde vit avec Dieu dans une intimité
ineffable, prélude de la vie du Ciel.

Pour que l’intimité de Jésus et de sa sainte Épouse soit à l’abri de


toute inquiétude comme de toute indiscrétion, la divine Providence
étend sur eux comme une épaisse et forte ramure de branches de
cèdres, et les entoure de rangées de cyprès. Ni les puissances de l’air,
ni les forcés du monde ne peuvent troubler la paix dont jouissent en-
semble Dieu et l’âme. On dirait déjà l’inaltérable sécurité du ciel :
D’un cœur qui t’aime,
Mon Dieu, qui peut troubler la paix ?
Il cherche en tout ta Volonté suprême
Et ne se cherche jamais.
Sur la terre, dans le Ciel même
Est-il d’autre bonheur que la tranquille paix
D’un cœur qui t’aime ? 1

1 Athalie, III, 8.
56 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Non, rien ne peut troubler la paix que vous faites goûter à l’âme qui
vous aime, ô mon Dieu. Non timebo mala, quoniam tu mecum es 1.
Non seulement l’Époux défend à l’ennemi de tout bien de venir
troubler le repos de L’Épouse, mais de plus, il enseigne à sa Bien-
Aimée l’art de se mettre à l’abri des influences du démon. Elle sait se
retirer du monde sensible où elle n’a que trop vécu autrefois. Elle a dé-
couvert en elle-même une zone silencieuse, paisible, ignorée de tous,
longtemps ignorée d’elle-même, où nul n’a le droit d’entrer, si ce n’est
Jésus. Cette région bénie est un vrai sanctuaire. La très aimable Trini-
té y demeure. C’est là qu’elle attire l’âme fidèle pour lui parler cœur à
cœur et sans bruit, pour se donner à elle, lui faire partager sa vie et son
bonheur. C’est le cellier mystérieux du Cantique, où les bruits du
monde ne pénètrent pas et où le démon ne saurait plus atteindre l’âme
que Dieu veut bien y admettre. Il est possible qu’elle entende encore
un peu le tumulte du dehors, mais ce n’est plus qu’un son lointain et
sourd. Loin de la troubler, il l’endormirait plutôt.
La voûte de cèdre et les lambris de cyprès protègent l’âme contre les
attaques du démon et du monde, et en même temps ferment son hori-
zon comme une sorte de clôture, afin qu’elle n’ait pas envie, même par
premier mouvement, de s’occuper d’autre chose que de son Bien-Aimé.
Quand Dieu veut parler à une âme, il l’entraîne toujours dans la so-
litude. Il l’enveloppe de silence. Il ferme ses yeux et ses oreilles, il
l’endort à tout, sauf à lui. Et c’est alors qu’il se manifeste, qu’il dé-
couvre ses secrets, témoigne son amour, vit avec l’âme dans une inti-
mité délicieuse et vraiment ineffable : « Ducam eam in solitudinem et
loquar ad cor ejus » 2. « Manifestabo ei meipsum » 3. C’est la vie du
ciel qui commence pour l’âme. C’est plus que la paix, c’est la joie, c’est
le bonheur. Le Bien-Aimé ne se montre pas et pourtant il se donne dé-
jà : « O beata solitudo ! O sola beatitudo ! 4 »
Vous nous avez faits, ô mon Dieu, pour le bonheur du ciel ; il vous
tarde de nous le donner. Notre vie s’écoule trop lentement à votre gré.
Vous n’y tenez plus. Sans lever tous les voiles, vous laissez filtrer au
travers comme des rayons lumineux et chauds. Plus que cela, on dirait
que vous les traversez vous-même mystérieusement, sans les déchirer,
afin de vous unir directement à l’âme et de vous donner tout entier.
Oui, mon Dieu, je crois à cet excès d’amour de votre part. Tout est pos-
sible à celui qui aime, quand celui qui aime est Dieu. Je dois laisser à
de plus instruits le soin de décider s’il y a là miracle ou seulement

1 Je ne craindrai aucun mal car tu es avec moi (Ps. XXII, 4).


2 Je la conduirai dans la solitude et je lui parlerai au cœur (Osée, II, 14).
3 Je me manifesterai à lui (Joan., XIV, 21).
4 Ô bienheureuse solitude, ô seule béatitude.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 57

plein et parfait épanouissement de la vie surnaturelle normale. Mais le


fait reste. Il est certain. Il est ineffable. Vous et l’âme, ô mon Dieu, sans
mélange et sans confusion, ne faites plus qu’un. L’âme le sait ; elle le
comprend. Elle pourrait presque dire qu’elle le voit. En tout cas, elle
en vit. Elle veut en vivre de plus en plus. Elle voudrait en mourir. Par
moments, ce désir est si vif « qu’elle se meurt de ne pas mourir », sui-
vant la parole si profonde de sainte Thérèse.
Comment ne pas vous remercier, ô mon Dieu, d’une telle condes-
cendance ? L’éternité n’y suffira pas. Et le cri de sainte Thérèse monte
de lui-même du cœur aux lèvres : « Misericordias Domini in aeter-
num cantabo » 1. « Ô Amour, je voudrais sans cesse redire ton nom ».
Peut-être que le mieux est de se taire et de vous adorer en silence, ô
douce Trinité, en union avec Jésus. On souhaite alors d’être une fleur
parfumée, un encensoir brûlant, une lampe d’or à la blanche lumière,
un cantique ravissant, que sais-je encore ?
Merci, ô mon Dieu ; que les anges et les saints, la douce Mère de
Jésus, le dévoué saint Joseph, toutes les âmes aimantes du Purgatoire
et de la terre vous disent « merci » à jamais !

*
Ainsi donc, ô mon Dieu, afin que vous puissiez vous entretenir li-
brement avec l’âme que vous aimez, vous la séparez de tout, vous
l’isolez au-dedans d’elle-même, vous ne permettez plus aux bruits du
dehors, ceux que fait le monde et ceux que fait le démon, d’arriver
jusqu’à ses oreilles, vous arrêtez son activité naturelle qui la porterait
vers les créatures et l’éloignerait de vous ; en un mot, vous la cachez à
tout et vous lui cachez tout. Il faut bien alors, puisqu’elle ne peut rester
sans agir, qu’elle s’occupe de vous et de vous seul. C’est précisément ce
que vous voulez. Pour la faire vivre de votre vie et lui faire goûter dès
ce monde votre bonheur, il est nécessaire qu’elle supprime tout ce qui
ferait écran entre elle et vous, afin de se trouver face à face avec vous,
toujours dans l’obscurité de la foi, mais comme si cette obscurité
n’existait pas. Organisée par la grâce pour vous connaître et vous ai-
mer comme vous vous connaissez et vous vous aimez, elle peut alors
commencer à vivre sa vraie vie et à goûter son vrai bonheur.
Que ne donnerait-on pas, ô Jésus, pour obtenir la grâce de révéler
aux âmes de bonne volonté ce doux mystère de la vie cachée ! Com-
ment s’y prendre pour leur dire d’une manière efficace ce mot que
vous avez dit vous-même à la Samaritaine : Si scires donum Dei ! « Si
vous saviez le don de Dieu ! 2 » Quel moyen faut-il préférer, quelle tac-

1 Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur (Ps. LXXXVIII, 1).


2 Joan., IV, 10.
58 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

tique faut-il employer, de quelles paroles faut-il se servir pour éclairer


les âmes, leur ouvrir les yeux, exciter leur désir, aviver leur espérance,
soutenir leur courage, enflammer leur amour, les prendre enfin tout
entières « aux charmes d’un bien si divin » ? Quel bienfait pour elles !
Quelle joie pour celui qui le leur aura procuré ! Quelle gloire pour
vous, ô mon Dieu ! Qui nous dira le prix d’une âme vraiment inté-
rieure ? Que ne devrait-on pas tenter, pour que la terre en comptât
seulement une de plus ! Permettez-moi, ô mon Jésus, de me consacrer
corps et âme dans le silence et l’obscurité à cette œuvre qui vous est si
chère…

L’APÔTRE DE LA VIE CACHÉE

Quand on rencontre une âme que l’on croit appelée par vous, ô
mon Dieu, à la vraie vie, on se sent poussé intérieurement à faire une
audacieuse prière : « Voilà une de vos enfants, ô Père ! Accordez-lui en
ce moment une marque nouvelle de votre affection. Vous lui avez déjà
tant donné ! S’il manque quelque chose à sa préparation, ajoutez ce
qui lui manque, afin qu’elle soit digne de vous ! Purifiez-la ; ornez-la ;
embrasez-la de votre amour. Puis prenez-la comme dans vos bras,
pressez-la sur votre Cœur si bon. J’ose vous le dire, ô Père, respec-
tueusement, humblement, mais aussi ardemment, embrassez-la. Je
n’aurai pas de paix que vous n’ayez réalisé mon désir : il est juste, il est
légitime, c’est pour votre gloire, c’est pour le bonheur de cette âme que
je vous l’exprime. C’est aussi pour moi, ô Jésus ! Souvenez-vous de la
parole de votre saint Précurseur : « Qui habet sponsam, sponsus est ;
amicus autem sponsi, qui stat et audit eum, gaudio gaudet propter
vocem sponsi », et faites que je puisse dire comme lui : « Hoc ergo
gaudium meum impletum est » 1.
Mais à quelles conditions pouvez-vous faire un apôtre de la vie in-
térieure ? Il semble qu’elles se ramènent à deux : un désir ardent d’être
soi-même une âme de vie cachée, une parfaite docilité à la grâce, afin
de lui servir d’instrument auprès des autres, quand l’Esprit-Saint juge
à propos de nous employer. Pour parler aux âmes avec fruit des choses
de la vie intérieure, de ce qui la prépare, de ce qui la constitue, de ce
qui la couronne et l’achève, il faut plus qu’une connaissance scienti-
fique de ces mystérieuses réalités, telle que peut la donner une sé-
rieuse étude des maîtres. En cette matière, l’expérience personnelle
ajoute beaucoup. Elle met au point la doctrine commune. Elle donne à
la parole ce je ne sais quoi de persuasif qui vient de ce que l’âme qui
parle est en contact immédiat avec la réalité qu’elle décrit. Non seule-

1 Celui qui a l’épouse est l’époux, mais l’ami de l’époux, qui se tient là et qui l’écoute, est ravi de

joie à la voix de l’époux. Or cette joie qui est la mienne est pleinement réalisée (Joan., III, 29).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 59

ment elle la connaît cette réalité, mais elle la vit ; en un sens, elle l’est
et elle la fait passer sans peine dans les mots.
Sous l’action de la grâce, les mots deviennent lumière pour l’audi-
teur. Plus que cela, ils portent avec eux la chaleur et la vie. Il y a vrai-
ment du feu dans les expressions parce qu’il y en a dans l’âme, qui se
traduit et s’exprime telle qu’elle est dans son fond intime. C’est là un
don de Dieu et pour l’ordinaire une récompense, toujours non méritée,
de longs et patients efforts personnels.
On peut alors donner sans danger pour soi « des fruits de son jar-
din », selon l’expression de sainte Thérèse. Mais il faut savoir attendre
l’heure de Dieu, l’automne de l’âme. Agir trop tôt, serait manger son
blé en herbe, s’exposer à ne pas nourrir les autres et peut-être, hélas !
à mourir de faim soi-même.
Mais aussi quand le moment est venu de le faire, refuser par fausse
humilité ou fausse prudence de donner de son bien aux autres, serait
mettre la lumière sous le boisseau, le feu sous la cendre, et laisser sans
pain les enfants du Père céleste qui ont vraiment faim de lui.
Voilà pourquoi la docilité à la grâce est si nécessaire à l’apôtre de la
vie cachée. Il ne doit rien faire de lui-même et par propre mouvement.
Il n’est qu’un instrument entre les mains du divin Ouvrier. Sans doute,
il reste pour l’ordinaire libre et comme autonome. Ce n’est qu’à de cer-
taines heures et dans certaines rencontres que l’Esprit-Saint le meut
sans qu’il ait pris l’initiative de son action. Alors il n’a d’autre devoir
que de donner son plein et parfait acquiescement à tout ce que le
Maître veut qu’il dise ou qu’il fasse. Dans tous les autres cas, son
unique souci doit être de se montrer collaborateur désintéressé, intel-
ligent et souple de la grâce. Dieu seul sait ce qu’il attend de telle ou
telle âme, ce qu’il veut faire d’elle, le plan de vie qu’il lui a tracé, la
place qu’il lui destine dans l’édifice spirituel, le rôle qu’elle doit jouer
sur la scène du monde et de l’éternité. Rien ne saurait prévaloir contre
cette divine volonté.
Mais aussi, ces deux conditions loyalement posées, quelle belle
mission que celle d’Apôtre de la vie cachée ! Tout dans l’œuvre de la
miséricorde de Dieu tend à cet unique but : apprendre aux âmes ce
que c’est que le ciel, le leur faire désirer, leur mettre en mains les
moyens de le conquérir. Or, le ciel est-il autre chose qu’une participa-
tion parfaite à la vie intime de Dieu ? Et à son tour, la vie intérieure
est-elle autre chose que le commencement imparfait sans doute, mais
très réel de cette participation, « inchoatio vitae aeternae 1 et prae-
libatio beatitudinis » 2 ? Rien donc sur terre ne ressemble plus et ne

1 S. Thomas, IIa IIae, q. 24. a. 3, ad 2m.


2 De humanitate Christi.
60 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

prépare mieux à la vie éternelle que la vie d’intimité avec l’adorable


Trinité habitant à demeure dans l’âme. Encore une fois, quelle belle
tâche que celle d’enseigner aux âmes l’art de commencer leur ciel dès
ce monde ! Quoi de plus glorieux pour Dieu, de plus heureux pour
elles, de plus doux pour soi ?
Ô mon Jésus, puisque vous aimez tant les âmes intérieures, ces vé-
ritables « adoratrices du Père en esprit et en vérité », faites que leur
nombre soit plus grand ; que chacune d’elles soit aussi plus recueillie,
plus appliquée, plus généreuse et pour tout dire plus aimante ! Et
puisque vous avez voulu confier le soin de découvrir, de cultiver et
d’embellir ces âmes si chères à d’autres « vous-même », donnez à
ceux-ci, ô divin Maître, une abondante participation à votre grâce sa-
cerdotale, afin qu’ils se consument tout entiers à cette divine tâche.
Montrez-leur la beauté de ces âmes. Faites en sorte qu’ils en compren-
nent tout le prix. Éclairez-les de votre lumière. Embrasez-les de votre
amour. Soyez leur conseiller, leur guide dans une entreprise si impor-
tante et si difficile ! Rendez-les prudents, patients, dévoués, oublieux
d’eux-mêmes, uniquement occupés de vous faire connaître et de vous
faire aimer. Amen.
Chapitre II

EGO FLOS CAMPI ET LILIUM CONVALLIUM (CANT., II, 1).


Je suis le narcisse de Saron, le lis des vallées.

Toute la divine richesse du Cœur de Jésus appartient au cœur pur, ai-


mant et humble.

La Sainte Épouse ne craint pas de faire son propre éloge. Elle n’y
met aucune vanité. Elle sait trop bien d’où lui vient tout ce qu’elle a.
Mais elle veut plaire à Jésus. Elle cherche à le prendre par son faible.
Elle a bien compris ses goûts divins. Les cœurs purs, aimants et
humbles, voilà ce qu’il aime, ce qui l’attire, ce qui le charme, le captive
et le retient. Elle veut le conquérir, son cher Jésus, et le posséder bien
à elle. Aussi fait-elle valoir ingénument sa beauté. Elle a un cœur d’or,
couleur narcisse jaune, elle a un cœur pur, sans tache, tout blanc, tout
blanc, comme le plus blanc des lis ; elle a un cœur humble comme une
plaine discrètement cachée dans une petite vallée sans nom, loin du
bruit, loin des regards, et où il vit uniquement occupé à plaire à son
Dieu et à chanter doucement le cantique du saint Amour. Ce cœur est
tout à vous, ô Jésus !
Comme Jésus est heureux quand il trouve un cœur vraiment
humble, aimant et pur ! Il ne résiste pas au charme de ce bon cœur. À
son tour, il donne le sien. Oui, en toute réalité, le Cœur adorable de Jé-
sus devient comme le bien propre de l’âme aimante. Et quel trésor !
Car ce n’est pas seulement son cœur sensible, symbole de son amour,
que Jésus donne en toute propriété, c’est surtout son cœur spirituel,
son âme même, l’âme humaine du Verbe, où vit la très Sainte Trinité,
où se trouve la plénitude de la grâce créée, toutes les vertus surnatu-
relles compatibles avec la vision et la possession immédiate de Dieu,
tous les dons du divin Esprit, tous les mérites de la vie et de la mort de
Jésus, toute la science et toute la sainteté du Sauveur. Où trouver un
pareil trésor ? Qui en dira le prix ? Qui donc en comprendra toute la
valeur ? Qui en pourra dignement exprimer toute la beauté ? Toute
cette richesse appartient au cœur pur, aimant et humble. À mesure
qu’il grandit dans l’amour, il puise plus abondamment dans ce trésor.
Jésus, pour donner Dieu même à son Épouse — et c’est là tout son
désir —, n’a qu’à donner son Cœur. C’est ce qu’il fait par degrés. L’âme
aimante en a l’intuition. Il lui semble qu’elle est comme la petite fleur
cachée au fond d’une vallée et que le Cœur de Jésus, soleil divin,
62 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

daigne éclairer et réchauffer de ses rayons. Il sèche ses larmes, les


larmes de la nuit. Il tourne les regards de l’âme vers lui. Sous sa douce
influence, elle sent monter en elle la sève divine. Elle éprouve une im-
pression de vie et de force. Elle a conscience de grandir, de s’élever, à
certains moments même, d’atteindre Celui qu’elle aime tant, d’entrer
en lui et de comprendre qu’il entre en elle pour mieux se donner et
pour mieux la posséder.
Petite fleur aimante et pure, que tu es heureuse ! Reste bien cachée
au fond de la vallée de l’humilité. Jésus saura t’y découvrir. Il se pen-
chera vers toi et, sans te cueillir encore peut-être, il saura bien te por-
ter à ses lèvres, te presser sur son Cœur, t’y faire pénétrer et te le don-
ner comme si déjà tu n’étais plus de ce monde. Il t’aime, il est bon, il
est tout-puissant. Sois plus aimante, plus humble et plus pure que ja-
mais : il ne veut pas autre chose de toi.

SICUT LILIUM INTER SPINAS, SIC AMICA MEA INTER FILIAS (CANT., II, 2).
Comme un lis au milieu des épines, telle est ma Bien-Aimée parmi
les jeunes filles.

Plaire à Jésus, c’est beau et c’est charitable pour lui.

L’âme pure, aimante et humble est vraiment pour Jésus, au milieu


des autres âmes, comme un lis au milieu des épines. Pour le regard,
pour les mains, pour le cœur, la différence est la même. Les yeux, les
mains et le cœur de Jésus sont comme blessés par les âmes troubles,
froides et dures, sans amour et sans humilité, alors que son regard est
charmé par la blancheur, ses mains par la douceur, son cœur par
l’amour d’une âme. De même qu’il est agréable de découvrir une belle
fleur au milieu des buissons d’épines, ainsi est-il doux pour Jésus de
trouver une âme qui lui ressemble parmi tant d’autres âmes, hélas !
qui ne lui ont jamais ressemblé ou qui ne lui ressemblent plus. Si les
âmes comprenaient, comme elles travailleraient à devenir ce beau lis
qui fait la joie de Jésus et auquel il attache tant de prix ! Plaire ainsi à
Jésus, que c’est beau et que c’est charitable !
Comment se fait-il, ô Jésus, que nous soyons si avides de plaire aux
hommes et si peu soucieux de vous plaire à vous ? Nous savons pour-
tant ce que vaut le jugement des hommes et ce que vaut votre juge-
ment à vous ! Le moyen de vous plaire nous est bien connu aussi,
pourquoi ne le prenons-nous pas ? Pardonnez-nous, ô bon Jésus,
notre insouciance et nôtre aveuglement ! Ouvrez nos yeux, réchauffez
notre cœur. Faites de notre âme, par votre grâce, ce beau lis qui seul
peut vous plaire et vous faire sourire de bonheur. Écoutez notre prière,
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 63

ô Jésus, multipliez sur cette terre de ronces et d’épines ces fleurs si


blanches, joie de votre cœur, véritables fleurs du ciel. Que chacune
d’elles soit chaque jour plus belle et partant plus aimée ! Que rien ne
puisse les arrêter dans leur montée vers vous, ô divin Soleil, vous qui
êtes leur vie et toute leur espérance. Dites-leur, dites-leur cette parole
si douce et si encourageante :
Comme un lis au milieu, des épines,
Telle est ma Bien-Aimée parmi les jeunes filles.

SICUT MALUS INTER LIGNA SILVARUM, SIC DILECTUS MEUS INTER FILIOS
(CANT., II, 3).
Comme un pommier au milieu, des arbres de la forêt, tel est mon
Bien-Aimé parmi les jeunes hommes.

Jésus, arbre de vie, dont les fruits sont seuls capables de plaire à l’âme
aimante et de la nourrir.

C’est vous, ô Jésus, qui êtes cet arbre aux fruits délicieux, dont
parle ici la sainte Épouse. Les autres arbres ont une ramure imposante
peut-être, des feuilles on grand nombre, soit, mais ils n’ont pas de
fruits. Vous seul, oui, vous seul, ô Jésus, portez ces beaux et bons
fruits, seuls capables de plaire aux yeux de l’âme qui vous aime, seuls
capables aussi de nourrir son esprit et son cœur. Elle en a fait la douce
expérience. Elle sait que les fruits que vous portez sont toujours sains
et toujours bons. Et vous lui permettez de les cueillir quand il lui plaît.
C’est vous du reste qui lui en donnez le goût en même temps que vous
les lui présentez : fruits d’humilité et de douceur, de patience et de
bonté, de force et de grâce, de paix et de joie, de bonheur et d’amour.
Vous portez tous les fruits, ô Jésus Bien-Aimé, et vous les offrez tous à
votre bien-aimée. C’est bien de vous, ô Jésus !

SUB UMBRA ILLIUS QUEM DESIDERAVERAM SEDI, ET FRUCTUS EJUS DUL-


CIS GUTTURI MEO (CANT., II, 3).
J’ai désiré m’asseoir à son ombre, et son fruit est doux à mon pa-
lais.

La parole divine nourrit notre esprit de vérité ; l’amour de Dieu, vie de la


volonté et du cœur.

Il est impossible de vous voir sans vous aimer, ô Jésus, arbre divin,
planté sur notre pauvre terre pour nous donner et son ombre, et ses
64 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

fruits. Votre ombré protège, elle recueille, elle cache. L’âme qui vous
aime sent le besoin de cette protection, elle aspire à ce doux recueille-
ment, elle voudrait vivre cachée aux yeux de tous et connue de vous
seul. Voilà pourquoi elle désire tant s’asseoir à votre ombre, ô Jésus !
Du reste, dès que vous lui révélez l’existence de cette ombre bienfai-
sante, l’âme s’y sent attirée comme vers quelque chose de mystérieux,
de profond et de doux. Elle devine que c’est à la faveur de cette ombre
sainte que s’opéreront en elle de grandes choses : « Et virtus Altissimi
obumbrabit tibi » 1. C’est toujours vrai. Pour naître et grandir dans
une âme, il vous faut l’ombre silencieuse et sacrée d’un sanctuaire.
Quand vous voulez parler à une âme de cette parole qui réalise ce
qu’elle signifie, vous faites la nuit en elle, vous l’enveloppez d’ombres
et de ténèbres. Elle est cachée au monde et le monde lui est caché. Il
l’ignore comme telle et elle l’ignore comme tel. Heureuse ignorance,
saint aveuglement, qui permet à l’âme de se familiariser peu à peu
avec la lumière d’en haut et d’ouvrir les yeux sur l’éternelle Beauté !
Comme la colonne de nuée, cette ombre a un côté obscur et un côté
lumineux. Il est des rayons de lumière qui échappent à l’œil de
l’homme. Il en va de même ici. Combien ont des yeux et qui ne voient
pas ! Comme vous êtes bon, ô Jésus, d’avoir révélé l’existence de cette
« lumière noire », noire pour les regards fixés sur la terre, blanche et
rayonnante pour les yeux autrefois aveugles, mais que vous avez gué-
ris ! « Seigneur, faites que je voie ! 2 »
La sainte Épouse s’exprime bien quand elle manifeste le désir de
« s’asseoir » à votre ombre, ô Jésus ! C’est là qu’elle veut, non point
pénétrer pour un moment, mais s’établir à demeure et vivre. Elle veut
y prendre son repos, vous y contempler à loisir, y goûter la paix que
procurent votre présence, votre protection et votre amour. Partout ail-
leurs, elle souffre, elle est inquiète, elle tremble. Là seulement, elle est
heureuse, paisible et tranquille.
C’est là qu’elle se nourrit de vous spirituellement. Vous êtes venu à
elle. Vous l’avez attirée à vous pour qu’elle ait la vie et qu’elle l’ait en
plénitude : « Ego veni ut vitam habeant et abundantius habeant » 3.
« Ego sum Vita » 4. Votre parole nourrît son esprit de vérité, sa vraie
nourriture : « Ego sum Veritas » 5. Elle la fait communier dans les
ombres de la foi, mais réellement à la connaissance que le Père a de
lui-même et qui est vous-même. Si l’on osait dire, elle la rend pensée
de Dieu, et lui donne quelque chose de sa profondeur, de son étendue,
de sa fermeté, de son exactitude. Vraiment votre parole nourrit l’âme.

1 Et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre (Luc, I, 35).


2 Luc, XVIII, 41.
3 Je suis venu pour que mes brebis aient la vie et qu’elles soient dans l’abondance (Joan., X, 10).
4 Je suis la vie (Joan., XIV, 6).
5 Je suis la vérité (Joan., XIV, 6).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 65

Elle la fait grandir et se développer. Elle lui procure « la joie de la véri-


té » qui est tout le fond de la béatitude, d’après votre serviteur saint
Augustin : « Votre fruit est doux à son palais ».
Votre amour est la vie de sa volonté et de son cœur. C’est là que
vous le lui donnez. Ce que vous voulez, elle le veut. Ce que vous dési-
rez, elle le désire. Ce que vous aimez, elle l’aime. Ce que vous faites
pour la gloire du Père et le bien de vos frères, elle le fait aussi, à sa
manière, avec vous et par vous. Communier ainsi à vos vouloirs et à
votre amour, c’est son occupation constante, c’est sa nourriture, c’est
sa vie. Vous lui avez donné vos goûts. Elle ne trouve de bonheur que
là : « Votre fruit est doux à son palais ».

INTRODUXIT ME IN CELLAM VINARIAM ; ORDINAVIT IN ME CARITATEM


(CANT., II, 4).
Il m’a fait entrer dans son cellier, et la bannière qu’il lève sur moi,
c’est l’amour.

Dieu « vraie place » de l’âme tout ordonnée à l’aimer et à le faire aimer.

Il y a au fond de toute âme en état de grâce comme un appariement


réservé, comparable à la chambre aux vins des maisons antiques. C’est le
cellier mystérieux dont parle ici la sainte Épouse. N’y entre pas qui veut.
Beaucoup, hélas ! n’en soupçonnent pas même l’existence. Parmi
ceux qui la connaissent, il y en a peu, trop peu, qui désirent vraiment y
habiter. Mais ceux qui le souhaitent sincèrement savent que cet appar-
tement secret est dans l’âme comme la demeure personnelle et privée
de Dieu. La très sainte Trinité y habite réellement. Ceux-là seuls peu-
vent l’y trouver qu’elle daigne y introduire elle-même. C’est Jésus, le
divin Médiateur, qui pour l’ordinaire vient chercher l’âme fidèle pour
la faire pénétrer dans le cellier mystique. Quelle grâce ! Y a-t-il sur
terre quelque chose qui tienne plus de l’entrée au Ciel que cette entrée
dans la propre demeure terrestre de Dieu ?
L’âme intérieure dit que l’Époux l’a fait entrer dans le cellier. Elle
ne dit pas encore qu’elle a bu des vins qui s’y trouvent. Il semble que
pour le moment le bon Dieu se contente de lui révéler expérimentale-
ment l’existence de cet appartement secret, de l’y introduire, de lui
permettre d’y rester et de se rendre compte des richesses qu’il ren-
ferme, sans lui accorder encore la grâce d’y participer. D’ailleurs,
quand le bon Dieu en vient là, cette grâce ne saurait tarder. L’âme le
comprend, elle se tient en paix. Elle admire, elle loue, elle remercie et
elle attend. Le spectacle qui lui est offert la ravit. Toutes les perfections
de son Bien-Aimé, de son Dieu, lui apparaissent sous un jour tout
66 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

nouveau. Elles sont très distinctes à ses yeux et comme en plein relief,
et pourtant, elle se rend compte qu’elles se ramènent à une gracieuse
et ineffable simplicité. Elle goûte le charme de leur variété et le senti-
ment de repos et de plénitude que fait éprouver leur parfaite unité.
Elle a conscience de la faveur qui lui est faite. Elle comprend que
c’est pour la rendre heureuse du bonheur même de Dieu qu’elle a été
ainsi attirée dans ce cellier mystérieux. Elle s’y trouve à son aise. Il lui
semble qu’elle est un peu chez elle. Tout ce qui lui est montré est déjà
sien en quelque sorte, et pour toujours, lui semble-t-il. Heureux mo-
ments, tout remplis d’immenses et légitimes espérances ! Elle s’écrie :
« Seigneur, il est bon d’être ici » : « Domine, bonum est nos hic esse » 1.
Permettez-moi d’y établir ma demeure et d’y vivre à jamais. Pourquoi
retournerais-je d’où je viens ? J’y ai tant souffert ; je m’y suis trouvée si
malheureuse ! C’est la région des ténèbres, de la tristesse et de la mort.
Il y fait noir, il y fait froid. On y gémit et on y pleure. Que mon âme, pla-
cée par vous aux confins de deux mondes si opposés, oublie à jamais ce-
lui dont vous l’avez arrachée, pour vivre désormais et de plus en plus
dans celui où vous avez daigné la faire entrer. N’est-ce pas le pays de la
lumière et de la chaleur, de l’abondance et de la paix ? C’est vous-
même, ô mon Dieu, qui êtes pour l’âme la terre promise où coulent à
flots le lait et le miel. Seigneur, pardonnez-moi, mais comme on est
bien chez vous ! comme on repose doucement dans vos bras, comme
on s’endort paisiblement sur votre Cœur ! Oui, mille fois oui, vous êtes
la « vraie place » de l’âme. Nous venons de vous, et une secrète force
nous ramène vers vous. Il n’y a de repos et de paix pour nous qu’en
vous… « Fecisti nos ad te et irrequietum est cor nostrum donec re-
quiescat in te » 2. Faites donc entrer, ô mon Dieu, les âmes qui vous
cherchent sincèrement dans cet appartement secret, dans ce cellier in-
térieur où elles trouveront enfin ce qu’elles désirent avec tant d’ardeur,
puisqu’elles vous trouveront vous-même, vous le Dieu de leur cœur.
Prenant alors possession de vous, elles pourront vous dire en vérité :
« Deus cordis mei et pars mea, Deus in aeternum. Amen » 3.

*
Que veut dire cette mystérieuse parole de l’Épouse : « Et la ban-
nière qu’il élève sur moi, c’est l’amour » ? Veut-elle dire que tout pour
elle désormais se ramènera à l’amour ? Est-elle à la fois la conquête, le
héraut et l’apôtre de la sainte dilection ? Cette bannière est-elle le
symbole des victoires passées et le signe avant-coureur des victoires
futures ? Ne faut-il pas encore la considérer comme une marque de

1 Matth., XVII, 4.
2 Tu nous a faits pour toi et notre cœur est inquiet tant qu’il ne se repose pas en toi (S. Augustin).
3 Ô Dieu qui êtes le Dieu de mon cœur et mon partage pour l’éternité (Ps. LXXII, 26).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 67

votre puissance protectrice, ô mon Dieu ? Rien n’est fort comme votre
amour. Ce que votre amour garde est bien gardé. Ô Jésus, mon âme
est vraiment l’œuvre de votre amour. Tout ce qu’elle a, tout ce qu’elle
est lui vient de cette unique source. Il faut bien qu’elle le reconnaisse,
il ne lui en coûte pas de le faire. Ajoutez encore à vos bienfaits. Qu’elle
soit toute consumée d’amour pour vous. Accordez-lui en outre la grâce
de répandre votre amour autour d’elle. Il est si juste de vous faire ai-
mer. Ne lui refusez pas cette nouvelle joie, la plus douce après celle de
vous aimer vous-même.
On traduisait ainsi autrefois la même parole : « Il a ordonné en moi
l’amour ». Cela est vrai. Quand Dieu fait entrer une âme dans le centre
d’elle-même, là où il habite, lui, à demeure, il établit l’ordre parfait dans
cette âme, et pour cela règle selon les lois de sa divine Sagesse le pou-
voir d’aimer qu’elle porte en elle. Une âme est dans l’ordre quand son
pouvoir d’aimer est dans l’ordre ; elle est orientée vers sa fin. Elle s’y
porte de tout son poids : « Amor meus, pondus meum » 1, et c’est cela
l’ordre essentiel. C’est aussi toute la vertu : « Virtus est ordo amoris » 2.
Dès que la charité, amour de Dieu pour lui-même et par-dessus toutes
choses, amour ordonné par conséquent, s’établit dans une âme, l’ordre
s’y établit avec elle et dans la même mesure. Que dire de l’ordre qui
règne dans un cœur où règne la charité ? Que dire enfin de l’ordre com-
bien plus parfait encore, dans lequel se trouve comme fixée une âme en
qui Dieu lui-même, par une action tout intime, veut bien imprégner à
fond de Sagesse divine et l’amour, et le pouvoir même d’aimer ?

FULCITE ME FLORIBUS, STIPATE ME MALIS, QUIA AMORE LANGUEO (II, 5).


Soutenez-moi avec un peu de raisin, fortifiez-moi avec des pom-
mes, car je languis d’amour.

L’Eucharistie et la Croix, soutiens de l’âme consumée d’amour.

L’amour que le Bien-Aimé lui témoigne, l’amour qu’elle éprouve


dans son cœur pour son Bien-Aimé ont tous deux une telle force que
l’âme qui les ressent en quelque sorte tous deux à la fois, et à un très
haut degré, en est comme écrasée. Elle défaille. Ses forces la quittent.
C’est trop de bonheur pour un pauvre cœur humain. L’âme est tout
absorbée par cet amour. Elle ne peut plus s’occuper d’autre chose.
Mouvoir son corps et même simplement le faire vivre lui est à charge.
Elle éprouve comme l’impression d’une libération qui se fait, de liens

1 Mon amour est mon poids.


2 La vertu est l’ordre de l’amour (S. Augustin).
68 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

qui se détendent, mais qui ne se brisent pas encore. Ce doit être cela,
mourir. Et cet état nouveau, étrange, déconcertant, et toutefois si réel,
inspire une terreur naturelle. L’âme se sent faite pour vivifier le corps,
et cependant elle comprend que ce bonheur qu’elle éprouve en aimant
si fort, tend à la séparer de lui. Douloureuse et délicieuse langueur !
Et cette langueur croît avec l’amour. On dirait que l’âme émigre du
corps et va finir par le laisser. C’est qu’elle « est plus là où elle aime
que là où elle anime ». Là où elle anime, elle remplît une fonction
d’ordre inférieur ; là où elle aime, elle vit de sa propre vie d’esprit, en
soi, tout à fait distinct de la matière. Le papillon sent qu’il a des ailes :
il voudrait se libérer de sa chrysalide. Il est retenu comme de force.
L’âme se trouve tirée en deux sens. Elle est comme le champ de ba-
taille de deux énergies qui se la disputent elle-même. Elle a conscience
de cette lutte. « Reste, pars ; reste encore, pars, te dis-je » ; ô Amour
quand triompherez-vous ? « Fiat voluntas tua » 1. « Cupio dissolvi et
esse cum Christo » 2. « Je me meurs de ne pas mourir ». Comme tout
cela est profond, comme tout cela est vrai ! Heureux le cœur blessé de
cette blessure mortelle du saint amour ! Il ne peut plus vivre ici-bas
que d’une vie languissante. Il n’est déjà plus de ce monde.
L’âme épuisée de forces par son vif amour appelle à son aide. Elle
demande à ceux qui l’entourent de lui prêter secours. Elle indique par
quels moyens on peut la ranimer : « un peu de raisin… des pommes ».
Quels sont dans l’ordre surnaturel ces fruits agréables et fortifiants qui
rendent à l’âme un peu d’énergie et lui permettent de supporter l’exil
de la terre et la prison du corps ? L’Eucharistie, la Croix, voilà, semble-
t-il, les fruits du saint amour symbolisés par « les raisins et les pom-
mes ». Quelle force et quelle joie vivifiante l’âme « qui meurt de ne pas
mourir » ne trouve-telle pas dans la présence de Jésus au saint Taber-
nacle ? Elle vit sur une terre d’exil, c’est vrai, mais elle n’y est pas
seule. Son Bien-Aimé s’est fait le compagnon de sa route : « Non re-
linquam vos orphanos » 3. « Ego vobiscum sum » 4. « Qui manducat
meam carnem et bibit meum sanguinem, in me manet et ego in eo » 5.
Jésus va jusque-là. Il veut habiter substantiellement au moins quel-
ques instants chaque jour au plus intime de sa sainte Épouse, Aussi
comme elle l’attend ce moment béni de la communion, pendant lequel
Jésus, Corps et Âme, Homme et Dieu, est tout à elle, bien à elle avec
toutes ses vertus, tous ses mérites, toutes ses grâces, toute sa science,
toute sa sainteté, tout son bonheur. Car c’est un Jésus heureux, inalté-
rablement heureux qu’elle possède. Il est au terme, lui, d’une manière

1 Matth., XXVI, 42.


2 J’ai le désir de partir et d’être avec le Christ (Philipp., I, 23).
3 Je ne vous laisserai pas orphelins (Joan., XIV, 18).
4 Je suis avec vous (Matth., XXVIII, 20).
5 Qui mange ma chair et boit mon sang demeure on moi et moi en lui (Joan., VI, 57).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 69

encore plus achevée, sous certains rapports, qu’il ne l’était même du-
rant sa vie mortelle. Son âme sainte plonge tout droit son regard au
sein même de Dieu et son cœur brûle d’un amour dont rien ne peut
donner l’idée. Nulle souffrance ne peut plus l’atteindre. Nulle joie ne
peut plus lui être refusée. Et ce Jésus heureux est là, en soi, à soi, pour
consoler, encourager, fortifier, sécher les larmes et faire sourire de joie
à la seule vue de son bonheur à lui.
Un des meilleurs moyens après l’Eucharistie de réconforter l’âme
consumée d’amour, c’est la Croix. Méditer les souffrances de Jésus, y
communier de tout son cœur, souffrir à son tour quelque chose pour
lui et avec lui, voilà qui tempère les amertumes de l’exil et donne à
l’âme comme une sorte de raison de vivre. La perspective de supporter
quelques peines, quelques fatigues, quelques douleurs pour accomplir
« ce qui manque » en un sens « à la Passion du Christ » 1 afin qu’il soit
plus connu, plus aimé, mieux servi, cette perspective qui s’ouvre toute
grande devant elle, distrait un peu l’Épouse de sa peine. Elle lui per-
met d’exercer son amour, de le témoigner, et de l’affirmer en
l’exerçant, de l’augmenter aussi en le manifestant.
Le sacrifice devient une joie à cause de son lien avec la charité.
C’est une joie d’amour. C’est une joie possible pour elle. L’âme s’y
porte de toute sa force. Souffrir ainsi c’est aimer et c’est vivre. Alors,
elle souffrira : « Ou mourir, ou souffrir ! »

LAEVA EJUS SUB CAPITE MEO, ET DEXTERA ILLIUS AMPLEXABITUR ME


(CANT., II, 6).
Que sa main gauche soutienne ma tête, et que sa droite me tienne
embrassée.

Dieu seul, force de l’âme qui se remet entre ses mains.

Jésus est la force de l’âme. Elle le sait. Voilà pourquoi elle demande
le pain eucharistique, où se trouve Jésus. Voilà aussi pourquoi elle
souhaite d’être clouée à la Croix avec le Sauveur : « Christo confixus
sum Cruci » 2. Jésus se donne en effet aux âmes crucifiées avec lui.
Mais l’Eucharistie et la Croix ont fait grandir l’amour. Plus que jamais
l’âme se sent écrasée sous son poids. Elle a comme l’impression d’un
affaissement et d’une sorte d’évanouissement spirituel. Seul, Jésus en
personne peut lui venir en aide. Elle demande qu’il daigne le faire et
qu’il la prenne dans ses bras divins. Pour ne pas défaillir, il faut à
l’Épouse le secours spécial de la force même de Dieu. Elle dit alors

1 Col., I, 24.
2 Je suis fixé à la Croix avec le Christ (Gal., II, 19).
70 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

dans un sens très profond et très vrai la parole même de Jésus mou-
rant : « Pater, in manus tuas commendo spiritum meum » 1. C’est aux
mains de Dieu seul que l’Épouse se remet pour mourir à la mort et
vivre en paix à la vie de l’amour.
Vous êtes la force de l’âme, ô mon Dieu, et sa seule force. Elle ne
peut compter que sur vous, mais elle peut y compter. Qu’il s’agisse de
livrer combat au monde, au démon, à soi-même, vous êtes là. Qu’il
s’agisse encore de supporter les dures épreuves, qui purifient, qui for-
tifient et qui éclairent, c’est vous toujours et tout seul qui soutenez
l’âme du dedans, à son insu, et qui lui permettez de traverser coura-
geusement ces « nuits » si douloureuses et si nécessaires. Qu’il s’agisse
enfin et surtout de porter le « poids du jour et de la chaleur » 2 du
saint amour, poids si doux et si lourd tout ensemble, qu’il réduirait à
néant l’âme la mieux trempée, vous êtes là, ô mon Dieu, plus délicat,
plus prévenant, plus réconfortant que jamais, afin d’aider votre sainte
Épouse à soutenir les ardeurs de votre ineffable tendresse. Comme
vous êtes doux, comme vous êtes fort, ô mon Dieu ! Oui, c’est à ce
moment si précieux de la vie spirituelle, où l’âme découvre en elle-
même des cieux nouveaux et une terre nouvelle 3, que vous vous mon-
trez particulièrement secourable pour elle. Et vous exaucez sa de-
mande de secours avant même qu’elle ait eu le temps de la faire.
« Confitemini Domino, quoniam bonus » 4.

ADJURO VOS, FILIAE JERUSALEM, PER CAPREAS CERVOSQUE CAMPORUM,


NE SUSCITETIS, NEQUE EVIGILARE FACIATIS DILECTAM, QUOADUSQUE
IPSA VELIT (CANT., II, 7).
Je vous en conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles et les
biches des champs, ne réveillez pas, ne réveillez pas la Bien-
Aimée avant qu’elle le veuille.

Rien ne compte plus pour l’âme qui repose dans le sein de Dieu. Respect
dû à son sommeil.

Dans les bras de son Dieu, l’âme défaillante d’amour s’est comme
endormie d’un mystérieux sommeil. Elle y doit rester jusqu’au mo-
ment marqué par l’amour pour le réveil. C’est que pendant qu’elle dort
au monde et presque aussi à elle-même, selon sa manière ordinaire de
se connaître, l’âme aimante est très éveillée à son Dieu. Elle vit une vie
toute nouvelle et toute d’amour. Il lui semble qu’elle ne fait rien. Mais

1 Luc, XXIII, 46.


2 Matth., XX, 12.
3 II Petr., III, 13.
4 Louez le Seigneur parce qu’il est bon (Ps. CVI, 1).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 71

en réalité elle agit beaucoup, seulement son activité est très simple et
très profonde. Elle n’exige qu’un imperceptible concours, et encore,
des facultés inférieures. De là cette impression de non activité pour
une âme qui, restant la même âme, vit d’une vie si différente de sa vie
d’autrefois. Et il ne faut pas que les filles de Jérusalem, imagination,
mémoire, raisonnement même, viennent, sous prétexte d’action, trou-
bler son doux sommeil. « Non, ne réveillez pas la bien-aimée ! ».
Rien ne doit troubler le sommeil de l’âme en Dieu. Pourquoi lui en-
lever son bonheur ? Pourquoi interrompre le travail qui se fait en elle à
la faveur de ce mystérieux repos ? Oui, Dieu est à l’œuvre dans cette
âme. Il y accomplit de grandes choses. Il arrache et surtout il plante. Il
détruit et surtout il construit. Il est comparable à l’orfèvre qui cisèle
une pièce d’or massif. L’âme ne sent pas la main du divin Ouvrier. Elle
est distraite d’elle-même par un bonheur profond et doux qui la pé-
nètre tout entière. Elle n’a pas du reste à se mêler du travail qui se fait
en elle. Elle sait à qui elle s’est confiée. Elle a donné son plein consen-
tement à tout ce que voudra réaliser en elle son Dieu et son Seigneur.
Elle reste donc paisible, heureuse et confiante sur la douce et bienfai-
sante action de son adorable Tout. Jésus désire qu’il en soit ainsi, afin
que rien ne paralyse son bras. Il y veille. Il donne des ordres en consé-
quence, et ces ordres sont obéis.
Envoyez-moi, ô mon Dieu, ce doux et bienfaisant sommeil ! J’en ai
tant besoin ! C’est lui qui me rendra heureux. C’est lui qui renouvellera
mes forces et me permettra de travailler à votre gloire avec une âme
plus lumineuse et plus chaude. Je suis si fatigué de vivre ! Je voudrais
tant m’échapper de tout pour aller à vous et vous aimer dans le silence
et dans la paix ! Quand sera-ce, ô mon Dieu, que rien ne comptera plus
pour moi et que je ne compterai plus pour rien ? Ô liberté vraie de
l’âme, quand me seras-tu donnée ? Je te désire, je t’appelle. Écoute ma
voix. Réponds â mon désir et, au moins pour quelques instants, délie
mes chaînes ; porte-moi dans le sein de mon Dieu afin que je m’y re-
pose dans le bonheur et dans la paix. Je sais que le retour à la vie de
l’exil sera dur, mais les fruits de ces moments de doux repos restent, et
leur souvenir demeure aussi comme la plus précieuse des consolations
et la plus ferme des espérances.

VOX DILECTI MEI ; ECCE ISTE VENIT (CANT., II, 8).


C’est la voix de mon Bien-Aimé, Le voici qui vient.

Conditions pour entendre la voix de Jésus.

Tout est silencieux dans l’âme. Jésus l’a conduite dans cette soli-
tude intérieure où les bruits de la terre ne pénètrent pas. L’âme se tait,
72 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

elle attend que son Dieu « lui parle au cœur » ainsi qu’il l’a promis :
« Ducam eam in solitudinem et loquar ad cor ejus » 1. C’est vrai
d’Israël, c’est vrai de la sainte Église, c’est vrai, très vrai aussi de l’âme
fidèle. Dieu parle au plus intime du cœur. Il se plaît à entretenir une
douce conversation avec ceux qui l’aiment. La seule pensée de cet en-
tretien rend heureux. Le souvenir des causeries du passé remplit de
joie. Mais quel tressaillement d’allégresse quand l’âme toute recueillie
en elle-même croit entendre, dans un lointain mystérieux, le bruit des
pas du Bien-Aimé, et le son de sa voix bénie ! Dites-nous votre bon-
heur, ô Marie-Madeleine, quand vous deviniez de très loin, et bien
avant Marthe, l’approche du Maître ?
Comme Marie-Madeleine, l’âme est aux écoutes au fond d’elle-
même, là où elle finit en quelque sorte et où Dieu commence. Au
moindre murmure divin, elle devient tout attention. Il est si doux pour
elle d’entendre la voix de son Dieu. Est-ce que la voix n’exprime pas
mieux que le regard les plus légères vibrations du cœur ? La voix dit
tout, même ce que l’on veut taire et cacher. Elle est révélatrice au plus
haut point. La parole est faite aussi pour révéler, mais elle peut trom-
per volontairement ou involontairement. Les nuances infinies de la
voix laissent passer l’âme comme malgré elle. Même quand elle se tait,
la voix traduit encore le fond du cœur. S’il en est ainsi du souffle des
pauvres lèvres humaines, qu’en est-il de ce souffle divin si riche de
tons et de nuances ? S’il gronde, tout tremble à mourir ; s’il caresse,
tout est à la paix, à la joie, au bonheur. « O voix de mon Bien-Aimé,
fais-toi donc entendre ! »
Accordez-moi cette grâce, ô mon Dieu, de me tenir toujours re-
cueilli au fond de moi-même, l’oreille attentive au moindre souille de
votre voix. C’est là une très grande grâce. Elle en prépare d’autres plus
grandes, encore. Nul ne saurait la mériter. Mais vous êtes bon, ô mon
Dieu : votre miséricorde est sans limites. J’espère. Je voudrais tant
commencer dès maintenant ma vie éternelle. Il me semble que c’est
ainsi que je dois essayer de m’y prendre. « L’arbre tombe, dit-on, du
côté où il penche ». Si je veux être prêt, lorsque la voix mystérieuse
viendra dire : « Ecce Sponsus venit, exite obviam ei » 2, il faut que
mon âme soit de plus en plus attentive aux échos du ciel. Il faut qu’elle
s’exerce à écouter et à discerner les voix d’en haut et surtout la voix du
Bien-Aimé, la vôtre, ô mon Jésus ! Chants célestes des Anges et des
Saints, bruits silencieux du cortège de l’Agneau, je ne veux plus en-
tendre que vous et voilà pourquoi je ne veux plus écouter que vous, en
attendant que la voix de mon Dieu, que vous annoncez, daigne réjouir
mes oreilles et mon cœur.

1 Osée, II, 14.


2 Voici l’Époux qui vient, allez au-devant de lui (Matth., xxv, 6).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 73

Mais pour pouvoir vous écouter, ô Jésus, il faut faire taire toutes les
autres voix, celles du dehors comme celles du dedans. Enveloppez-moi
de silence, mieux encore, pénétrez-moi de silence. Il y a toujours trop
de bruit dans mon âme. À quoi bon ? Ce sont surtout les bruits du de-
dans qui me gênent. Les autres ne sont rien tant qu’ils n’ont pas péné-
tré, pris corps et place à l’intérieur. Calmez l’imagination, endormez la
mémoire, apaisez tous ces mouvements tumultueux qui s’élèvent et
s’abaissent, vont et viennent, se croisent et se compliquent entre eux à
l’infini et ne laissent ni paix ni repos à la pauvre âme qu’ils emportent
loin de vous, bien malgré elle. Ô Jésus, un mot de vos lèvres divines
suffit pour que tout rentre dans l’ordre et s’y tienne. Dites-le, ce mot
pacificateur et libérateur, afin que je puisse entendre votre parole inté-
rieure et n’entendre qu’elle. Vous avez tant de choses à me dire ! J’en
ai tant à apprendre de vous ! « In silentio et quiete proficit anima de-
vota » 1.
Entendre au fond de son âme toute pacifiée, recueillie, attentive, le
mystérieux murmure de votre voix, suffit déjà, ô mon Dieu, pour faire
tressaillir de bonheur. Mais votre voix vous annonce. Elle est votre
précurseur. Elle prépare l’âme à votre prochaine arrivée. Le bruit dis-
cret de vos pas se mêle à la douce mélodie qui sort de vos lèvres. Vous
entendre, c’est très bon, mais vous posséder presque, n’est-ce pas
meilleur encore ! L’âme rêve de cette possession. Il lui semble que dès
ce moment, son Dieu est tout à elle, comme elle est toute à son Dieu.
Elle ne vous cherche, ô Jésus, que pour vous trouver ; elle ne veut vous
trouver que pour vous posséder. Possession de Dieu, même seulement
espérée, qui dira ce que tu es déjà pour le cœur aimant ? Que seras-tu
donc dans ton ineffable réalité ? Avoir Dieu en soi et tout à soi ! « Veni
Domine Jesu » 2.

SALIENS IN MONTIBUS, TRANSILIENS COLLES (CANT., II, 8).


Bondissant sur les montagnes, franchissant les collines.

Hâte empressée de Dieu vers l’âme recueillie et pénétrée de silence.

Pour venir à nous dans l’Incarnation, ô Verbe divin, il vous a fallu


faire comme un long et pénible voyage. Il en va de même quand il
s’agit pour vous de venir jusqu’à notre âme. Mais rien n’est capable
d’arrêter votre amour. C’est lui qui vous presse, c’est lui qui vous fait
triompher de tous les obstacles. Ils sont nombreux pourtant. Pour tout

1 Imit., I, ch. xx, 6.


2 Venez, Seigneur Jésus (Apoc., XXII, 20).
74 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

autre que pour vous, ils seraient insurmontables. Vous en triomphez et


vous venez… Ô Jésus, depuis le moment où la première de vos grâces
luit dans une âme, que n’avez-vous pas fait pour l’arracher peut-être
au péché, en tout cas, pour la conduire d’étape en étape jusqu’au
sommet où elle se trouve maintenant ? Venir vers l’âme pour vous,
c’est la rapprocher ainsi de vous malgré toutes les difficultés, celles du
dehors et celles du dedans.

SIMILIS EST DILECTUS MEUS CAPREAE, HINNULOQUE CERVORUM (II, 9).


Mon Bien-Aimé est semblable à la gazelle ou au faon des biches.

Entre le moment où la voix de l’Époux se fait entendre, celui où


l’âme se rend compte qu’il franchit les derniers obstacles, et celui
qu’elle pressent comme tout proche où le Divin Maître l’aura rejointe,
il semble à l’Épouse qu’il n’y a pour ainsi dire pas d’intervalle. Jésus
vient à elle avec la rapidité de l’éclair. L’entendre venir et le sentir près
de soi, c’est presque tout un. Son amour est si puissant qu’il supprime
les distances. L’Épouse admire la grâce et la rapidité de sa marche. De
là ces expressions imagées et vives pour traduire ce qu’elle contemple.
Mais ce qu’elle admire plus que tout, sans le dire tout haut, c’est
l’amour de son Dieu, véritable raison de cette hâte si empressée. Voir
Dieu venir à soi avec tant de rapidité et tant d’amour, quelle douce joie
pour une âme qui sait déjà un peu combien il est doux de vivre dans la
société d’un ami si fidèle et si bon ! C’est la porte du bonheur qui
s’ouvre pour elle tout à coup et toute grande.

EN IPSE STAT POST PARIETEM NOSTRUM (CANT., II, 9).


Le voici, il est derrière notre mur.

Bonheur de l’âme regardée par Dieu.

Il vient enfin dans la vie intérieure, ce moment béni où Dieu fait


comprendre à l’âme qu’il est tout proche d’elle, qu’il est là derrière une
sorte de paroi très peu épaisse et que, si elle veut vivre dans sa douce
compagnie, elle n’a qu’à se tenir tout auprès de ce mur qui seul les sé-
pare encore. C’est là sa place. C’est là que Jésus veut qu’elle vive dé-
sormais. Que désire-t-elle depuis si longtemps, si ce n’est l’union par-
faite avec son Dieu, ou, à défaut de cette union, la présence en quelque
sorte consciente de son Bien-Aimé auprès d’elle ? Voilà précisément la
grâce qui vient de lui être accordée. Elle ne peut plus en douter. Oui,
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 75

son Dieu, son unique Bien-Aimé daigne se manifester à elle, au fond


d’elle-même, comme caché derrière une petite cloison, mais si mince,
si complaisante à laisser filtrer le bruit bien léger pourtant que fait la
respiration du divin Époux, qu’il lui semble que tout se passe presque
entre eux deux comme si cette séparation n’existait pas. On dirait que
l’âme saisît, comme tamisé, le rythme même du Cœur de Dieu.
Quel bonheur que cette proximité si certaine de celui qui est le
Bonheur ! Pourquoi vouloir dire ce qui ne peut pas se dire ? Ne vaut-il
pas mieux adorer, remercier, aimer et se taire ? D’autre part comment
ne pas vibrer jusqu’au fond en prenant conscience d’une pareille fa-
veur ?
Seigneur, mettez le comble à vos bienfaits. Vous savez que tout
conspire pour m’arracher à votre intimité et me rejeter dans le bruit,
l’agitation vaine, la multiplicité dissipante. Faites, ô Dieu si bon, que
ma vie extérieure, loin de contrarier ma vie intime, s’harmonise avec
elle et la favorise. Vous savez bien que je ne suis pas capable d’action.
Dispensez-en-moi, je vous en prie, mais pourtant, ô mon Dieu, vous
êtes le Maître et je vous dis du fond du cœur : « Non mea voluntas,
sed tua fiat » 1. Oui, mon Dieu, « fiat voluntas tua » 2. Amen.

RESPICIENS PER FENESTRAS, PROSPICIENS PER CANCELOS (CANT., II, 9).


Il regarde par la fenêtre, il regarde par le treillis.

Quand Jésus se tient tout proche de l’âme, « derrière le mur », il


exerce par moments son « droit de regard ». C’est un éclair, mais il
suffît pour tout illuminer. Et la lumière envahit l’âme tout entière. Les
moindres taches se montrent, mais aussi les progrès réalisés. Pour
l’ordinaire, en effet, le regard de Jésus est plein de joie et d’affection. Il
est content de l’âme, de sa fidélité, de sa générosité, et il lui témoigne
toute sa satisfaction.
Ô Jésus, rien de ce qui se passe dans mon âme ne vous échappe. En
réalité, vous la regardez toujours. Seulement vous ne lui permettez
qu’à certains moments de saisir ce doux et bienfaisant regard que vous
portez sur elle et qui la pénètre jusqu’au fond. Ô divin Ami, faites que
mon âme soit pour vous, à cause de sa ressemblance avec vous, le plus
agréable des spectacles ! Permettez-moi souvent de lever les yeux vers
vous et de lire dans les vôtres la joie que vous cause mon pauvre mais
bien fidèle amour.

1 Luc, XXII, 42.


2 Matth., XXVI, 42.
76 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

EN DILECTUS MEUS LOQUITUR MIHI : SURGE, PROPERA, AMICA MEA, CO-


LUMBA MEA, FORMOSA MEA, ET VENI (CANT., II, 10).
Mon Bien-Aimé prend la parole, Il me dit : « Lève-toi, mon amie,
ma belle, et viens ».

Appels directs du Bien-Aimé à l’intimité de l’union.

Rien ne peut exprimer la joie d’une âme qui, assidûment occupée à


louer et à aimer son Dieu caché en elle, et se sachant à peine séparée
de lui par quelque chose d’insaisissable, entend son Bien-Aimé lui dire
tout à coup ces mots pleins d’autorité et de grâce : « Lève-toi, mon
amie, ma belle, et viens ».
Elle était assise aux pieds de son Dieu. Elle levait ses regards vers
lui. Elle le contemplait à travers un voile ; elle sentait à chaque instant
son amour grandir ; elle en était consumée et par moments comme
soulevée. Pourtant elle restait là dans son humble attitude, n’ignorant
pas qu’à vouloir prévenir le moment fixé par l’Époux, elle n’aboutirait
qu’à le retarder. Mais quel tourment douloureux et délicieux que cette
attente ! Il n’y a pas d’angoisse qui approche de celle-là. C’est une vraie
mort, mais c’est une mort qui plaît parce qu’elle annonce et prépare
la vie.
*
Les paroles de Jésus opèrent ce qu’elles signifient. Quand il dit à
une âme troublée : « Pax tibi », aussitôt le vent tombe, les flots s’abais-
sent, le calme se fait, tout rentre dans l’ordre, et la tranquillité pénètre
l’âme entière, surface et fond, de sa bienfaisante douceur. Malgré ses
désirs, malgré ses efforts, l’âme aimante restait toujours immobile aux
pieds et tout près de son Dieu comme un paralytique. Jésus parle. Il
dit un mot : « Lève-toi » 1. Aussitôt l’âme sent les liens qui la rete-
naient se briser. Elle est libre. Elle est forte. Une puissance mystérieu-
se la saisit tout entière « suaviter et fortiter ». En un instant, elle est
debout, prête à marcher, impatiente de le faire pour rejoindre et suivre
partout son Bien-Aimé. Il lui semble qu’elle est toute changée. Il lui
faut faire effort pour se reconnaître. Le douloureux passé est si loin. Le
présent est si doux ; l’avenir si brillant et si beau ! « Dites seulement
une parole, ô Jésus, et mon âme sera transformée ». « Seigneur, faites
que je me lève et que je marche ! 2 »

1 Matth., IX, 6.
2 Matth., IX, 6.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 77

L’élan qui la soulève dès que Jésus a parlé est chose si étonnante, si
nouvelle, que l’âme privilégiée ose à peine y croire. Elle craint de se
tromper, elle redoute l’illusion. Il lui faut un secours qui la raffermisse
et la rassure. Elle a besoin d’être encouragée à marcher dans la voie
inconnue qui s’ouvre devant elle. Jésus voit sa crainte, son hésitation,
son embarras. Il lui vient en aide. Un mot suffit, Jésus le prononce : il
ajoute « mon amie ». Oui, vous êtes mon amie, pourquoi donc vous
troubler ? Ne suis-je pas le maître du monde des âmes comme de celui
des corps ? S’il me plaît de vous faire entrer dans ma joie, en vous fai-
sant participer à ma société et à ma vie, pourquoi vous étonner ? Je
vous ai choisie librement ; j’ai voulu que vous soyez mon amie. Vous
l’êtes, soyez-en persuadée. C’est pour cela que je vous veux près de
moi, avec moi. Parce que je vous ai aimée, vous êtes devenue mon
amie. Parce que vous êtes mon amie, je veux vous témoigner mon
amour. Ne craignez pas : je vous aime.
Ô Jésus, comme je voudrais vous entendre me dire en toute vérité :
« Mon ami, oui, vous êtes mon ami ». Vous êtes si peu aimé, ô Jésus, ô
mon Dieu ! Vous avez si peu de véritables amis que l’on n’ose pas se
croire du nombre. Ô Jésus, dites-moi ce qu’il faut que je fasse, non pas
pour mériter, mais pour obtenir de votre bonté cette grâce. Je le sais,
je dois n’avoir d’autres pensées, d’autres désirs, d’autres affections,
d’autres vouloirs que les vôtres : eadem velle, eadem nolle 1. C’est la loi
de toute amitié. Une seule âme dans deux corps. Mais il me semble
que votre amitié à vous exige quelque chose de plus profond, de plus
absolu, de plus total, un je ne sais quoi qu’il m’est impossible de saisir,
de définir, d’expliquer, à quoi cependant vous avez droit, ô mon Dieu,
et que je voudrais tant vous donner. Daignez le prendre vous-même, ô
Jésus, puisque je ne sais pas vous l’offrir.

*
Il semble que ce mot, pourtant si doux, d’ « amie » ne suffise pas
pour triompher des craintes et des timidités de l’Épouse. Tout est si
nouveau, tout est si profond, tout est si étonnant dans cette affection
de Jésus pour l’âme intérieure, que l’on comprend sa délicate inquié-
tude. Jésus s’en rend compte. Il l’approuve au fond. Mais il veut en
triompher et il ajoute ce mot irrésistible : « ma belle ». Il y a en vous
quelque chose qui m’attire et me plaît. C’est moi qui l’ai mis en vous,
c’est vrai, mais c’est à vous, bien à vous. Ne craignez donc pas. Vous
avez maintenant comme des droits à mon amour : vous êtes belle, il
n’y a plus de tache en vous ; vous êtes mienne, tout à fait mienne. Je

1 Eadem velle, eadem nolle, ea demum firma amicitia est. Vouloir de même, ne pas vouloir de

même, voilà, certes, la solide amitié (S. Jérôme).


78 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

vous veux à moi tout entière, pour toujours. C’est mon droit. C’est ma
volonté. C’est ma joie. Oui, vous ne pouvez pas me refuser le bonheur
de vous admirer, de vous aimer et de vous tenir près de moi comme
une âme bien à moi. Allons. Venez, ô âme tant aimée ! Oui, « venez ».
Le voilà enfin, cet appel divin, direct, immédiat, sans lequel nul n’a le
droit et nul ne peut du reste suivre réellement Jésus pour partager sa
vie et goûter vraiment son intimité. Aucune hésitation n’est plus per-
mise, aucune résistance même n’est possible en un sens. La grâce
d’union attire « suaviter et fortiter ». Elle obtient sans peine le con-
sentement plénier et joyeux de l’âme. Ici, plus qu’ailleurs encore, la
parole de Jésus est réalisatrice ! Elle opère ce qu’elle signifie. On lui
obéit comme à un ordre, on la ressent comme un charme, on la goûte
comme un bonheur. Elle est tout cela, plus que cela. Quand me la fe-
rez-vous entendre cette parole, ô mon Jésus ? Votre serviteur écoute, ô
mon Dieu. Il attend dans le silence, dans la paix, dans l’espérance, cet
heureux moment où vous lui direz au fond du cœur : « Viens, suis-
moi » 1. Ô Dieu de mon cœur, quand donc me sera-t-il donné de vous
suivre jusque chez vous ?

JAM ENIM HIEMS TRANSIIT, IMBER ABIIT ET RECESSIT (CANT., II, 11).
Car voici que l’hiver est fini, la pluie a cessé, elle a disparu.

Phases douloureuses qui préparent l’âme intérieure à de nouvelles grâces.

C’est donc bien vrai, ô Jésus, l’hiver, le sombre, le glacial hiver est
fini ? Vous lui avez donné l’ordre de partir. Il est parti. Et, je l’espère
de votre amour, il est parti pour toujours. C’est que vous êtes là dé-
sormais, ô lumière de mes yeux, ô chaleur de mon cœur, ô joie de mon
âme. Vous m’avez dit : « Viens, suis-moi ». Et je sais que celui qui vous
suit ne marche point dans les ténèbres : « Qui sequitur me, non am-
bulat in tenebris », parce que vous êtes la Lumière du monde : « Ego
sum lux mundi » 2, la Lumière vraie qui éclaire tout homme venant en
ce monde : « Erat lux vera quae illuminat omnem hominem venien-
tem in hunc mundum » 3. Il vous a plu, ô Dieu de mon cœur, de faire
luire votre douce lumière jusqu’au fond de mon âme. Vous l’avez éclai-
rée du dedans, elle vous a vu là réellement vivant en elle, elle oserait
presque dire pour elle. Quelle révélation, ô mon Dieu, et comment
vous en remercier ?

1 Matth., IX, 9.
2 Joan., VIII, 12.
3 Joan., I, 9.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 79

*
L’hiver, c’est aussi le froid. L’âme doit subir cette rude épreuve, en
sentir toute la rigueur. Elle dure plus ou moins selon les cas. Dieu se
cache. Non seulement il n’éclaire plus, mais il ne réchauffe plus, ou, ce
qui est plus exact, il paraît ne plus le faire. Il faut alors marcher dans
les ténèbres, comme à tâtons, à la recherche du Bien-Aimé. On avance
pas à pas, péniblement, il semble qu’on ne l’atteindra jamais. Ce qui
ajoute à la peine, c’est l’engourdissement intérieur. L’âme a froid. Elle
se sent comme sans ressort, paralysée en face de tout bien. Rien ne lui
plaît, rien ne lui parle, rien ne l’attire. Il faut pourtant qu’elle marche
ou du moins qu’elle essaie de marcher quand même. Et cela paraît de-
voir durer toujours. Quel tourment, quel supplice ! Et encore pourvu
que les vents glacés ne se mettent pas à la frapper au visage, la neige et
le brouillard à l’envelopper de leur linceul…
Maintenant, l’hiver est fini pour l’âme. Il pourra bien par moments
et même par journées, faire mine de vouloir revenir, mais ce sera
comme une vague passagère de froid. Le soleil divin restera là, der-
rière les nuages, faisant toujours sentir sa chaude et douce influence.
Oui, l’hiver est passé. Ce n’est pas encore sans doute le plein été, mais
c’est le printemps, un printemps ferme et plein de promesses. Ces
premiers rayons de lumière, ces premiers effluves de chaleur, appor-
tent à l’âme une joie profonde et toute nouvelle. Il lui semble qu’elle
comprend par expérience le mot du psalmiste : « Gustate et videte
quoniam suavis est Dominus » 1. La suavité de Dieu, voilà ce qu’elle
éprouve, ce qu’elle goûte, ce dont elle se sent comme pénétrée. Tout
cela se passe au plus intime d’elle-même. Parfois cependant, le cœur
sensible lui aussi est gagné. Elle en remercie son Bien-Aimé, mais elle
sait qu’il ne faut pas attacher grand prix à cette manifestation, bonne
en soi, toujours à contrôler. Le meilleur est tout au fond. C’est là
qu’elle se tient pour savourer sa joie.
Vers la fin de l’hiver, la pluie tombe souvent avec abondance. Tan-
tôt froide, tantôt un peu attiédie, elle est toujours monotone et grise.
Ce n’est plus l’hiver, ce n’est pas tout à fait le printemps. Des journées
entières ignorent le soleil. Parfois, au contraire, il se fait une agréable
éclaircie et le bleu du ciel reparaît. L’âme, dans sa vie intérieure, con-
naît aussi la période des pluies. Il ne fait pas froid chez elle, mais il n’y
fait pas vraiment chaud non plus. L’atmosphère où elle vit est grise.
Par moments, elle devient plus sombre, par moments aussi, elle
s’éclaire un peu. Mais rien n’est stable, ni la lumière, ni la chaleur. Ce
n’est pas la mort, ce n’est pas la vie, la vraie vie. Quand viendra-t-elle ?

1 Goûtez et voyez combien le Seigneur est bon (Ps. XXXIII, 9).


80 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Pluies monotones ne cesserez-vous pas bientôt ? N’avez-vous pas suf-


fisamment humilié, détrempé, pénétré, amolli, purifié la terre de mon
âme ? L’heure du soleil n’arrivera-t-elle donc jamais ? Quand donc en-
tendrai-je l’Époux me dire : « Lève-toi… viens, la pluie a cessé, elle a
disparu… » C’est alors seulement que je pourrai sortir de moi-même,
où je m’ennuie comme la colombe dans l’arche, pour m’élancer vers le
ciel et vers mon Dieu.
La période des pluies symbolise la période des larmes. Quelle est
l’âme intérieure qui n’a pas pleuré sur ses fautes, si légères soient-elles,
sur son impuissance à aimer et à faire aimer Jésus, sur l’exil qu’est
cette vie, sur l’absence du Bien-Aimé ? Avant d’en venir à l’intimité di-
vine, que de larmes, de vraies larmes du cœur, il faut verser ! Il est si
dur quand on aime Jésus de l’avoir fait souffrir par sa faute ! Et pour-
tant, c’est de la réalité vécue. Jésus a connu non seulement la pauvreté
et l’humiliation, mais aussi la souffrance à cause de moi. Pardonnez-
moi, ô Jésus, je ne savais pas ce que je faisais. Mais comme il y a de
quoi pleurer ! Et si encore quand j’ai entrevu la beauté de votre visage,
la bonté de votre Cœur, j’avais su vous aimer pour tout de bon, il y a
longtemps que je vous aimerais ! « O pulchritudo tam antiqua et tam
nova, sero te amavi, sero te amavi » 1. C’est fini, n’est-ce pas, ô mon
Dieu, je n’aime plus que vous et je vous aime de tout mon cœur.
Une source de larmes pour l’âme qui entrevoit par moments com-
bien vous êtes aimable et combien vous êtes digne d’être aimé, ô Jé-
sus, c’est précisément de se sentir si réellement impuissant à vous ai-
mer et à vous faire aimer. Son cœur est froid, ses lèvres sont muettes ;
si elles s’ouvrent pour parler de vous, ce qu’elle dit est douloureux au
possible, tant il y a disproportion entre ce qu’elle dit et ce quelle de-
vrait et voudrait dire. Parce que son cœur ne bat qu’à grand’peine, il
lui semble que celui des autres est comme le sien sans chaleur, et sans
vie. Y a-t-il, ô Jésus, une douleur comparable à cette douleur ? Comme
il est juste alors de pleurer ! Mais « la pluie a cessé », le cœur se re-
prend à battre et à vivre. Les lèvres s’ouvrent comme d’elles-mêmes.
Elles prononcent des mots de feu qui blessent d’amour. Vous avez dit
une seule parole, vous, ô Jésus ; vous avez lancé une étincelle, et tout
est en flammes. On vous aime et on se sent capable de vous faire ai-
mer. Après la tristesse, c’est la joie, et quelle joie !
Au souvenir de la patrie, l’exilé sent les larmes lui venir aux yeux.
L’âme intérieure a connu l’amertume de l’exil, elle a pleuré bien des
fois sur sa patrie absente. Elle a souvent éprouvé tout ce que la vie
d’ici-bas a de dur, de triste et de désolant. Ô beau ciel, je ne te verrai

1 Ô Beauté toujours ancienne et toujours nouvelle, trop tard je t’ai aimée, trop tard je t’ai aimée

(S. Augustin).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 81

donc jamais ? Elle a savouré dans toute son âpreté le dégoût spécial de
vivre : « Ita ut taederet nos etiam vivere » 1, réservé aux âmes qui ne
veulent plus rien demander à la terre menteuse et qui pourtant ne re-
çoivent pas encore les douces consolations du ciel. Cet état si doulou-
reux est peint au vif par sainte Thérèse lorsqu’elle explique, dans sa
Vie, le sens du verset du Psaume toi : « Vigilavi, et factus sum sicut
passer solitarius in tecto » 2. C’est la crucifixion entre ciel et terre :
l’âme pleure, non de regret pour ce qu’elle quitte, mais de tristesse
parce qu’elle ne possède pas encore ce qu’elle aime uniquement. Et il
lui semble qu’elle devra passer toute sa vie dans cet exil si douloureux.
Mais non, le temps des pluies cessera, l’exil prendra fin même avant la
mort ! Dès ce monde, le meilleur d’elle-même entrera dans la Patrie.
Dieu, son Père, lui ouvrira son Cœur. Il essuiera toutes les larmes, à
jamais… Et veni…
L’exil serait supportable, si le Bien-Aimé faisait sentir sa présence.
Ce ne serait plus le dur exil. Mais alors, Jésus se cache. Il laisse à l’âme
l’impression qu’il est loin, bien loin, et que peut-être il ne reviendra
plus jamais. Les larmes coulent discrètes, résignées, mais bien amères.
La tête est vide. Le cœur fait mal, très mal : on dirait que quelque
chose qui le remplissait et le faisait battre lui a été brusquement arra-
ché. Il souffre. Il saigne. Il ne sait où trouver ce qui lui manque tant, et
dont il vivait. La parole de saint Augustin prend alors pour l’âme un
sens profond et vécu qu’elle ne lui connaissait pas : « Irrequietum est
cor nostrum, donec requiescat in te » 3. Cette inquiétude mortelle du
cœur privé de son Dieu, qui en dira l’acuité et la profondeur ? Mais,
tout à coup, la pluie cesse, les larmes s’arrêtent, les yeux s’éclairent, le
cœur sent le bonheur l’envahir jusqu’au plus intime : Jésus est revenu.
Il a parlé, tout est oublié. C’est l’intimité qui se renoue plus douce, plus
simple, plus affectueuse et plus profonde que jamais. « Mane, Do-
mine, in aeternum » 4.

FLORES APPARUERUNT IN TERRA NOSTRA (CANT., II, 12).


Les fleurs paraissent sur la terre.

Épanouissement des vertus l’âme intérieure.

Avant l’hiver, le divin dans agriculteur avait ensemencé l’âme inté-


rieure de ses meilleures semences. Puis l’hiver est venu. Tout parais-

1 À tel point que nous désespérions même de la vie (II Cor., I, 8).
2 Je passe les nuits sans sommeil comme le passereau solitaire sur les toits (Ps. CI, 8).
3 Notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il se repose en toi (S. Augustin).
4 Restez, Seigneur, dans l’éternité.
82 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

sait mort. Tout semblait à jamais perdu. Qu’attendre d’une terre si


froide et si dure ? Les pluies sont venues aussi. On aurait dit que leur
tâche était d’achever de détruire, d’entraîner avec elles ce que l’hiver
avait épargné.
Mais non, ce n’étaient là que des apparences. La terre gardait son
trésor. La vie était cachée comme le feu sous la cendre, attendant l’heu-
re de Dieu. Cette heure est arrivée. L’hiver n’est plus qu’un souvenir. Il
ne reste de la pluie que ce qui est nécessaire pour le développement des
petites semences. La douce chaleur de l’amour fait son œuvre : elle
chasse l’excès d’humidité ; elle pénètre, à travers la terre détrempée et
meuble, jusqu’à l’humble graine ; elle la tire de son lourd sommeil, elle
l’éveille, elle la ranime : allons, sors du tombeau, montre-toi aux yeux,
révèle la beauté cachée en toi par Celui qui t’a semée. Plonge tes ra-
cines, pousse ta tige, viens t’épanouir au soleil du divin amour.
Pendant l’hiver, les arbres, eux aussi, paraissent morts. Au prin-
temps, la sève monte. Bientôt les fleurs et les fruits réjouissent les yeux.
Ainsi en est-il de l’âme. Jusqu’alors, ses vertus semblaient stériles.
Maintenant elles se mettent à pousser leurs actes comme l’arbre ses
feuilles. Tout est fleuri dans l’âme. C’est le printemps avec ses fleurs aux
formes inimitables, aux teintes variées, aux parfums tout célestes. C’est
l’humilité qui se cache, la modestie qui se fait toute gracieuse et toute
pure, la douceur qui repose, la force qui rassure, la bonté qui se donne,
la charité qui aime et qui s’oublie, la patience qui sourit aux croix,
l’amabilité qui sourit aux âmes, la compassion qui pleure avec ceux qui
pleurent, la joie qui s’épanouit au bonheur des autres, la paix qui
calme toute fièvre, que sais-je encore ! Belles fleurs du ciel, que vous
êtes belles, vous que l’amour de Jésus fait pousser dans l’âme et qui la
rendez si agréable aux regards des hommes et au regard de Dieu.

TEMPUS PUTATIONIS ADVENIT (CANT., II, 12).


Le temps des chants est arrivé.

La Sainte Église a pourvu l’âme intérieure de chants d’amour : Psaumes,


Hymnes.

Tout est à la joie, tout chante au printemps. Tout aussi dans l’âme
est à la joie et chante. Quand l’amour de Dieu dilate le cœur, les lèvres
s’ouvrent d’elles-mêmes. Comme il est doux, ô mon Dieu, de chanter
votre amour ! On sait bien qu’aucune mélodie n’est capable de
l’exprimer. Mais il est impossible de se taire, et parler ne suffît pas. Il
n’y a plus d’autre ressource que de chanter, et l’on chante. On le fait
d’abord dans son cœur, puis tout haut :
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 83

Jesu dulcis memoria


Dans vera cordis gaudia
Sed super mel et omnia
Ejus dulcis praesentia 1.
Oui, mille fois oui, ô Jésus, votre doux souvenir suffisait à lui seul
pour faire goûter à l’âme les joies les plus profondes et les plus vraies.
Il lui semblait que sa capacité de bonheur était toute remplie. Mais
non, vous vous rapprochez d’elle, vous lui faites sentir le charme divin
de votre présence. Alors, elle ne sait plus quelle comparaison trouver
pour traduire ce nouveau bonheur, plus doux que le miel, plus doux
que tout, et elle chante :
Sed super mel et omnia
Ejus dulcis praesentia.
Oh ! que ce chant est beau !
Puisque vous dites vous-même, ô mon Jésus, que le temps des
chants est arrivé, laissez-moi vous chanter le cantique de mon cœur :
Nil canitur suavius
Nil auditur jucundius
Nil cogitatur dulcius
Quam Jesus Dei Filius.
Que voulez-vous que je chante de plus suave, que j’écoute et que
j’entende de plus agréable, que je pense de plus doux que vous-même, ô
Jésus Bien-Aimé, vrai Fils de Dieu et vrai fils de Marie ? Comme on a
raison, ô Jésus, de vous chanter, vous qui êtes toute notre espérance à
nous pauvres pécheurs, vous qui êtes si bienveillant pour tous ceux qui
vous prient, vous qui attirez à votre recherche par le charme tout-puis-
sant de votre bonté, vous enfin qui comblez d’ineffables délices ceux qui
ont l’inexprimable bonheur de vous trouver et de vous posséder !
Jesu, spes poenitentibus,
Quam pius es petentibas !
Quam bonus Te quaerentibus !
Sed quid invenientibus 2 ?
Nec lingua valet dicere
Nec littera exprimere,

1 Doux est le souvenir de Jésus,


Il donne les vraies joies du cœur,
Mais plus que le miel ou toutes choses
Douce est sa présence.
2 Jésus, espoir des pénitents,

Que vous êtes tendre à ceux qui vous implorent,


Bon pour ceux qui vous cherchent,
Mais que n’êtes-vous pas pour ceux qui vous trouvent ?
84 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
Expertus potest credere
Quid sit Jesum diligere 1.
Et l’âme continue à chanter son bonheur…
Tous ceux qui ont goûté la joie de vous posséder et de vous aimer, ô
Jésus, un saint Paul, un saint Augustin, un saint François d’Assise, une
sainte Thérèse, un saint Jean de la Croix et tant d’autres, avant comme
après saint Bernard, se sont déclarés impuissants à traduire leur bon-
heur. Non, ni la langue ne saurait dire, ni la parole écrite ou parlée ne
saurait exprimer, et même celui-là seul qui l’expérimente peut croire,
ce que c’est que de vous aimer, ô Jésus…
Le cœur était tranquille, calme, paisible, il s’entretenait affectueu-
sement avec lui-même de son Bien-Aimé, et voilà qu’une douce cha-
leur l’a pénétré lentement, jusqu’au fond. Il s’est senti comme envahi
par quelqu’un de puissant, de doux et de fort, qui s’établissait à de-
meure en lui-même. Il est surpris, mais non troublé. Il se rend compte
que ce n’est pas lui qui agit, mais quelqu’un à qui rien ne peut résister.
Il n’a du reste aucune envie de le faire. Il ne songe qu’à son bonheur,
ou plutôt à celui qui le réchauffe ainsi de sa chaleur, le fortifie de sa
force, le rend heureux de sa béatitude. Oh ! si cette inexprimable péné-
tration du cœur de l’âme par mon Dieu Bien-Aimé pouvait durer tou-
jours ! Mais n’est-ce pas déjà une grâce incomparable que cette union,
même d’un instant ?…
Quant à faire passer dans les mots quelques rayons de cette joie,
encore une fois, c’est au-dessus des forces humaines. Seule l’âme qui
goûte ainsi le Seigneur peut s’en dire à elle-même quelque chose.
Expertus potest credere
Quid sit Jesum diligere…
Mais elle souhaite ardemment que d’autres reçoivent cette même
faveur, et elle leur dit : « Gustate et videte quoniam suavis est Domi-
nus » 2. Que votre vie s’écoule tout entière à chercher, puis à trouver,
puis enfin à posséder Celui qui seul est tout pour vous ! Alors vous
chanterez le cantique du divin amour !
Oui, soyez notre joie, ô Jésus, vous qui devez être notre récom-
pense et qu’à jamais nous prenions notre gloire en vous :
Sis Jesum nostrum gaudium
Qui es futurum praemium ;
Sit nostra in te gloria
Per cuncta semper saecula. Amen.

1 Ni la langue ne peut dire,


Ni l’écriture exprimer,
Ce qu’est aimer Jésus.
Celui-là peut le croire qui l’a éprouvé.
2 Goutez et voyez que le Seigneur est bon (Ps. XXXIII, 9).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 85

L’âme voudrait toujours chanter. Elle sait que sa mère, la sainte


Église, a composé pour elle des chants nombreux, variés, beaux com-
me la beauté, tout ensemble doux et forts, simples et riches, gracieux
et fermes, tristes parfois, mais pleins d’espérance, gais, joyeux même,
mais toujours mesurés et modestes. Elle n’a plus qu’à choisir. En ce
moment, elle est heureuse, son Dieu veut qu’elle vive dans son intimi-
té. Voilà pourquoi elle préfère le cantique où le nom de son Bien-Aimé
revient à chaque strophe. On dirait qu’elle ne peut pas assez se rassa-
sier de ce nom béni de Jésus :
Nil canitur suavius,
Nil auditur jucundius,
Nil cogitatur dulcius
Quam Jesus Dei Filius.
Qui oserait l’en blâmer ?

VOX TURTURIS AUDITA EST IN TERRA NOSTRA (CANT., II, 12).


La voix de la tourterelle se fait entendre dans nos campagnes.

Chant d’amour plus intime de l’âme.

La tourterelle est un oiseau migrateur. Son retour annonce la belle


saison : sa douce et monotone mélodie signale son retour. Quand il fait
beau et chaud dans l’âme, on y entend une mélodie semblable à celle
de la tourterelle. C’est l’âme même qui la compose et qui l’exécute. Elle
est très simple. Elle se contente de quelques notes à intervalles très
rapprochés et même diminués encore par des demi-tons. C’est l’ex-
pression aussi exacte que possible d’une joie profonde, d’un bonheur
intense, mais calme, paisible, à peine connu de la sensibilité, et lui
demandant dès lors très peu pour se traduire. En prêtant bien l’oreille,
on parviendrait à saisir un mot murmuré plutôt que chanté, mot qui
revient sans cesse, toujours le même et toujours suivi d’une courte
pause comme pour permettre à l’âme de le goûter encore en écho : « Ô
mon amour, ô amour ; ô mon amour, ô amour ! » Comme ce chant est
doux au cœur de Dieu !

FICUS PROTULIT GROSSOS SUOS (CANT., II, 13).


Le figuier développe ses fruits naissants.

Fruits du travail profond de la grâce dans l’âme fidèle.

Jésus maudit le figuier stérile. Ses feuilles vaniteuses se dessè-


chent. Il meurt. Jésus est patient pour le figuier trop lent à porter ses
86 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

fruits. Il consent à lui laisser occuper la terre, il attend. Jésus enfin est
heureux quand il trouve un figuier couvert de fruits. Il le contemple les
développant et les poussant jusqu’à parfaite maturité. Doux Jésus,
vous avez daigné ne pas maudire mon âme si longtemps stérile ; vous
en aviez pourtant bien le droit. Miséricordieux jusqu’à la limite, vous
m’avez permis d’occuper la terre sans qu’il vous en revînt aucun profit.
Divin agriculteur, il vous a plu de vous intéresser vous-même à ce
pauvre arbre sans valeur. Vous avez retourné le sol où il était planté.
L’humiliation et la souffrance ont pénétré cette terre ingrate. Et voilà
que vos labeurs patients reçoivent un commencement de récompense.
Quelques fruits se montrent. Il me semble par moments que je vous
aime un peu. C’est le seul fruit que vous attendez de moi. Oh ! faites
qu’il mûrisse !
Comme autrefois en Palestine, vous avez faim et soif, ô Jésus. Vous
cherchez, sur les arbres que vous avez plantés, des fruits qui vous
nourrissent et qui vous rafraîchissent. Quelle joie pour une âme que de
vous voir vous rapprocher d’elle pour y découvrir ces beaux et bons
actes d’humilité, de douceur, de générosité et d’amour qu’elle a pro-
duits par vous et pour vous ! Vous recevoir à sa table en quelque sorte,
vous y nourrir comme du meilleur d’elle-même, quelle félicité ! Elle a
tant reçu de vous que c’est justice qu’elle vous rende quelque chose à
son tour ! Vous l’avez nourrie de votre chair et de votre sang, de votre
grâce et de votre amour. À vous maintenant de vous reposer en goû-
tant les fruits de vos travaux et de vos peines. Faites, ô divin Maître,
que ces fruits qui sont bien à vous parviennent à la parfaite maturité
pour votre gloire et pour le vrai bonheur de votre sainte Épouse !
Mais Jésus aime à faire admirer et goûter à sa sainte Épouse les
fruits que portent les autres âmes. On voit clair dans le monde spiri-
tuel selon le degré d’intimité où l’on se trouve avec le bon Dieu. Plus
on lui est uni, et mieux on voit ce qu’il voit et comme il le voit. Ici, Jé-
sus veut faire contempler le spectacle des âmes qui lui appartiennent â
un titre tout spécial, et qui fructifient par lui et pour lui. Dans l’union
spirituelle entre l’Époux et l’Épouse, tous les biens sont communs. Les
fruits que produisent les autres arbres, plantés et cultivés par Jésus,
sont aussi à l’âme bien-aimée qui désormais le suit partout où il va,
goûte toutes ses joies, partage toutes ses espérances. Et c’est un déli-
cieux spectacle que celui de tant d’âmes ignorées, qui, dans le secret de
leur vie intime, produisent de si beaux actes d’humilité, de renonce-
ment, de bonté et d’amour ! Le monde spirituel se découvre de plus en
plus aux regards de l’âme. Et les beautés de la nature ne sont rien en
comparaison de sa beauté à lui !…
Comme Jésus est bon d’apprendre ainsi à lire les âmes ! On le fait
d’un regard discret, respectueux, religieux. Une âme, c’est un sanc-
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 87

tuaire. Il y faut entrer, même seulement du regard, avec une sainte re-
tenue et un profond recueillement. Mais aussi quand les yeux se sont
accoutumés à la demi-obscurité de ce sanctuaire, que de belles choses
on y découvre ! On voit la zone d’ombre peu à peu envahie par la lu-
mière de Dieu ; celle qui était froide se réchauffer au soleil du divin
amour, celle qui était encore un peu bourbeuse se dessécher et s’assai-
nir. C’est une âme au printemps d’abord. Ce sera bientôt une âme à
l’été et à l’automne. Ce ne sera plus jamais une âme en hiver. Merci,
mille fois, ô Jésus, pour tous ceux à qui vous faites l’honneur et à qui
vous procurez la joie de saisir comme avec leurs yeux le travail pro-
fond, lent pour l’ordinaire, mais sûr de votre grâce dans une âme que
vous aimez !

VINEAE FLORENTES DEDERUNT ODOREM SUUM (CANT., II, 13).


La vigne en fleur exhale son parfum.

Le parfum préféré de Jésus est celui du sacrifice et de l’amour.

Le fruit plaît au regàrd et au goût. Il nourrit. Il le fera du moins dès


qu’il sera mûr. La vigne en fleur n’offre rien de particulièrement
agréable aux yeux, mais elle annonce ses fruits, et en attendant, à titre
d’arrhes, elle embaume de son parfum. Entre la bonté du fruit à venir
et le charme du parfum de la fleur qui le promet, il y a un lien étroit,
une véritable harmonie. Ainsi en doit-il être de mon âme, ô Jésus !
C’est votre vigne. Vous l’avez plantée, entourée de murs. Vous l’avez
cultivée. Vous y avez construit un pressoir pour l’heure de la vendange,
et une tour pour la garder des voleurs. Vous attendez qu’elle porte ses
fruits, et en attendant vous lui demandez de vous réjouir par son
parfum.
Ô Jésus, comme je voudrais être pour vous une vigne toute en
fleur, faisant monter vers vous la suavité de son amour !
Oui, mon Jésus, que chacun des rameaux de ma vigne pousse de
nombreuses branches chargées déjà à ployer de fleurs embaumées et
de grappes naissantes. On est si heureux de vous causer un peu de joie
et de vous faire plaisir ! Daignez, ô mon Bien-Aimé, agréer l’hommage
que je vous fais du parfum de ma pauvre vigne. Je le voudrais doux et
pénétrant, fin et délicat, tout céleste, semblable à celui de l’encens qui
adore et qui loue, qui prie et qui chante. Je voudrais surtout qu’il ait
l’arôme incomparable et tout divin de la sainte charité. Vous aimez le
parfum de l’humilité et de la douceur, celui de la mansuétude et de la
bonté, mais vous leur préférez encore celui du sacrifice et celui de
88 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

l’amour. C’est celui delà « vigne » 1 dont les fruits ont été broyés un
jour afin de nous donner votre sang à boire. Et cela parce que vous
nous avez aimés « jusqu’à la fin » 2. Voilà, à mon tour, le parfum que
je voudrais vous offrir, parce que je vous aime.

SURGE AMICA MEA, SPECIOSA MEA, ET VENI (CANT., II, 13).


Lève-toi mon amie, ma belle, et viens.

Abîme de la Sagesse et de la Science de Dieu ; plus on vous aime et plus on


vous goûte, plus on vous goûte et plus on vous connaît.

Après avoir énuméré à l’âme intérieure toutes les raisons qu’elle a


de le suivre désormais de très près et sans crainte, puisque l’hiver a
fait place au printemps, Jésus lui renouvelle sa douce invitation :
« Lève-toi ». Il lui donne de nouveau le titre « d’amie ». Il proclame
une fois de plus sa beauté. Il la presse enfin de venir et de le suivre :
« Veni, sequere me ». Tout cela est redit par Jésus avec un accent plus
persuasif et plus doux que jamais. La vie d’intimité avec le bon Dieu
est ainsi faite qu’elle semble toujours la même et qu’elle est pourtant
toujours nouvelle : « O Pulchritudo tam antiqua et tam nova ». Ce
que saint Augustin disait de l’éternelle Beauté toujours jeune est vrai
de la solitude intérieure et de la vie cachée en Dieu. Les yeux de l’âme
voient toujours les mêmes choses, mais ils les voient mieux et comme
tout de nouveau. Le cœur aime toujours le même Dieu, et pourtant, à
chaque battement nouveau, il lui semble qu’il commence à goûter un
amour qu’il ne connaissait pas : « O altitudo divitiarum sapientiae et
scientiae Dei » 3 ! Oui, vous êtes inépuisable, insondable, ô abîme de la
sagesse et de la science de Dieu ! Plus on vous aime et plus on vous
goûte, plus on vous goûte et plus on vous connaît. Et il en va toujours
ainsi à chaque pas en avant. Vous posséder, vous savourer, ô mon
Dieu, si l’on ose dire, vous connaître d’une connaissance toute spé-
ciale, un peu à la manière, semble-t-il, d’un arbre qui goûterait lui-
même le fruit qu’il aurait porté. Ô âme, vivifiée jusqu’au fond par la
grâce, n’es-tu pas cet arbre mystérieux dont le fruit est Dieu même,
venant en quelque sorte se faire porter puis goûter par toi. Mainte-
nant, tu n’es plus un Dieu en fleur, tu es un Dieu en fruit, au sens où
cela est possible, et tu vis dans une conscience de plus en plus nette de
ton bonheur… Lève-toi…

1 Joan., XV, 1.
2 Joan., XIII, 1.
3 Ô profondeur inépuisable de la sagesse et de la science de Dieu (Rom., XI, 33).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 89

COLUMBA MEA, IN FORAMINIBUS PETRAE, IN CAVERNA MACERIAE


(CANT., II, 14).
Ma colombe qui te tiens dans les fentes des rochers, qui te caches
dans les parois escarpées.

Hauteur et solitude, demeure inaccessible de l’âme intérieure.

Dites-moi, ô Jésus, quelles sont ces « fentes des rochers » dans les-
quelles se tient l’âme intérieure, et ces « parois escarpées » dans les-
quelles elle se cache ! Oiseau timide et faible, la colombe semble avoir
besoin de s’appuyer sur la fermeté du roc, de se tenir loin de la portée
des hommes et tout près des retraites inaccessibles et sûres. Ainsi en
est-il de l’âme qui vous aime, ô mon Dieu. Elle s’éloigne du bruit, elle
fuit le monde, elle s’élève sur les hauteurs d’elle-même, elle y fait sa
demeure habituelle, elle s’y cache en quelque sorte. Il lui semble avec
raison que là seulement elle trouvera, avec le silence, la sécurité et la
paix. Elle sait que sur ces hauteurs, l’air est plus pur, « aër purior », le
ciel plus clair, plus transparent, plus lumineux, plus éclairant et
comme ouvert, « coelum apertius », et vous surtout, ô mon Dieu, plus
proche, plus confiant, plus affectueux, plus intime et plus familier,
« familiarior Deus ».

OSTENDE MIHI FACIEM TUAM, SONET VOX TUA IN AURIBUS MEIS (II, 14).
Montre-moi ton visage, fais-moi entendre ta voix.

Paisible et irrésistible mouvement entraînant l’âme vers son Dieu qui


l’appelle.

L’âme intérieure se cache le plus qu’elle peut aux créatures. Elle vit
seule et-sur les hauteurs. Elle y attend son Dieu. Il lui parle en ce mo-
ment. Il la félicite de son amour de la retraite. Mais il lui rappelle que
si elle doit se cacher à tous les regards, elle doit se montrer à son Sei-
gneur, à son Époux et à son Dieu. Il a le droit de la voir et de la con-
templer. Pour lui, point de retraite obscure, de cachette mystérieuse,
de voile impénétrable. Pour lui, point de silence à observer. Montre-
moi ton visage. Fais-moi entendre ta voix… Oh ! Seigneur Jésus, je
voudrais tant vous obéir et, à votre ordre, sortir de ma réserve, me
montrer à vous à visage découvert, faire entendre ma voix à vos
oreilles d’ami et de frère. Mais j’ai peur. Il me semble que mes traits
sont irréguliers, disgracieux, et que ma voix manque de force, de sou-
90 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

plesse et de grâce, aidez-moi. Par suite de ses habitudes de vie cachée,


et un peu craintive, l’âme intérieure hésite à répondre à l’appel de
Dieu. Elle redoute l’illusion. Est-ce bien Dieu qui lui parle et lui dit de
« montrer son visage et de faire entendre sa voix » ?… L’ange de té-
nèbres ne peut-il pas se transformer en ange de lumière pour la faire
tomber dans un piège ? Comme Samuel, elle ne connaît pas encore le
Seigneur. Mais non, ô âme aimée, ne crains pas. La voix de Celui qui
t’appelle est bien la voix de ton Dieu. Elle te surprend, tu ne l’avais pas
encore entendue de cette manière. Voilà pourquoi tu es surprise et tu
t’étonnes. Mais ne remarques-tu pas que cette voix qui te saisit ne te
trouble pas, qu’elle pénètre jusqu’au fond de toi-même, qu’elle y fait
naître un mouvement doux et fort, irrésistible et pourtant paisible, qui
soulève vers ton Dieu Bien-Aimé tout ce qu’il y a en toi de meilleur et
de saint ? Non, « ne crains pas, c’est Moi 1, Jésus ».

VOX ENIM TUA DULCIS ET FACIES TUA DECORA (CANT., II, 14).
Car ta voix est douce, et ton visage charmant.

L’âme pure et aimante attire sur elle le regard de Dieu.

Une fois de plus, Jésus prononce la parole qui triomphe de toutes


les timidités et de toutes les hésitations. Il a donné un ordre. Il daigne
en fournir les raisons. L’âme peut parler et chanter, sa voix est douce
aux oreilles du Bien-Aimé ; elle peut montrer son visage à découvert,
car il est plein de charme pour le regard de Dieu. Quand sera-ce, ô Jé-
sus, que vous me ferez un tel compliment ? Quand donc la voix de mon
âme sera-t-elle douce à vos oreilles ? Je le voudrais tant ! Oui, je vou-
drais toujours chanter intérieurement votre grandeur, votre miséri-
corde et votre amour. Les admirer silencieusement ne suffit pas. Un
sentiment profond cherche toujours à se traduire aussi parfaitement
qu’il le peut. Et c’est la voix, c’est le chant surtout qu’il emploie pour
cela. Mais il faut que la voix plaise à Celui vers qui elle monte. L’amour
seul peut lui donner du prix. Ô amour, quand donc, feras-tu vibrer les
cordes de ma pauvre lyre ? Oui, quand sera-ce, ô mon Dieu, que vous
vous plairez à écouter mon cantique intérieur.
Comme je serais heureux, ô Jésus, si je savais que mon âme vous
plaît, et qu’il vous est agréable d’arrêter sur elle votre divin regard.
Ceux dont le cœur était droit et qui vous regardaient étaient saisis par
le charme unique de votre douce physionomie, reflet sensible de
l’incomparable beauté de votre âme. Ceux dont le cœur était pur al-

1 Luc, XXIV, 36.


CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 91

laient jusqu’à cette âme si belle, l’âme humaine d’un Dieu et ils res-
taient comme ravis en extase. Vous-même, ô Jésus, vous ne résistiez
pas au charme de votre propre beauté que vous contempliez comme en
un miroir dans les traits de votre Mère bien-aimée et surtout dans son
âme toute pure, toute lumineuse, tout aimante. C’est surtout à votre
sainte Mère que vous pouviez dire : « Votre voix est douce, ô Marie, et
votre visage charmant ». Mère, faites que je vous ressemble !

CAPITE NOBIS VULPES PARVULAS QUAE DEMOLIUNTUR VINEAS ; NAM VI-


NEA NOSTRA FLORUIT (CANT., II, 15).
Prenez-nous les renards, les petits renards qui ravagent les
vignes, car nos vignes sont en fleur.

Graves dommages que les passions immortifiées peuvent causer à l’âme


peu recueillie.

Qui parle ici, ô Jésus ? Est-ce vous ? Est-ce votre Épouse ? Et si c’est
vous, à qui parlez-vous, ô divin Maître ? Quels sont ces renards encore
jeunes et qui pourtant sont assez forts pour ravager tes vignes en
fleur ? Il semble que nous puissions voir en ces renards dévastateurs
ou les manifestations subtiles de l’orgueil, ou les sourdes poussées de
l’humeur irascible, ou les insinuantes recherches de la nature en qui le
péché a introduit l’insubordination et le désordre, ou enfin toutes ces
causes réunies, sources d’agitations, d’inquiétudes et de troubles.
Quand l’âme commence à fleurir comme la vigne, les passions, l’or-
gueil et l’égoïsme non encore détruits parfaitement peuvent lui causer
de grands dommages. Ils peuvent par leur turbulente intervention em-
pêcher les fleurs de se transformer en fruits, en actes pleins, parfaits,
nombreux. Qui dira ce que c’est que la perte ou même l’imperfection
d’un seul acte d’amour de Dieu ?
Pour que l’âme intérieure puisse porter ses fruits d’amour, il faut
qu’elle soit délivrée des pensées vaines, des soucis fatigants, des inquié-
tudes vagues, des sourdes agitations, de tout ce qui peut la troubler
dans sa divine occupation. Elle ne doit perdre ni temps, ni forces. La
pleine et parfaite possession de tous ses moyens lui est nécessaire pour
ce grand œuvre. Et pourtant, il faut qu’elle vive sur cette terre du mou-
vement et du bruit, qu’elle traite avec les hommes, qu’elle compte avec
les choses elles-mêmes. Il est si difficile de s’isoler ! Comme le dit Bos-
suet, « nous avons beau fermer cent portes sur nous et mettre sur nous
cent serrures, cent murailles closes, cent grilles, le monde nous suit » 1.

1 Médit. sur la Cène, 54e jour.


92 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Heureuses les âmes de silence, celles où il n’y a pas de bruit et que


rien ne distrait de leur affectueuse contemplation ! Leur vigne n’est
plus ravagée et les raisins peuvent mûrir.

DILECTUS MEUS MIHI, ET EGO ILLI (CANT., II, 16).


Mon Bien-Aimé est à moi, et je suis à lui.

Totale donation de l’âme.

N’est-ce pas surtout à l’heure de la communion, que l’âme aimante


peut dire en vérité : « Mon Bien-Aimé est à moi et je suis à lui » ? Oui,
ô Jésus, vous vous donnez alors tout entier et de tout votre Cœur. Il
peut se faire que l’âme n’ait pas conscience de cette complète et totale
donation, mais cela ne nuit en rien à sa réalité. C’est le propre des
communications surnaturelles de ne pas être nécessairement manifes-
tées aux facultés ordinaires de connaître. Elles peuvent l’être, il est
vrai. Alors il semble que ce soit mieux, parce que l’âme tout entière et
le corps lui-même parfois sont comme saisis par l’action divine. Mais,
encore une fois, l’essentiel c’est ce qui est profond, tout spirituel et, en
soi, toujours plus ou moins caché.
Vous posséder, ô mon Dieu, et se savoir réellement possédé par
vous, quel bonheur, quelle joie, quelle richesse ! Comme l’âme se rend
compte qu’elle a bien fait de renoncer à tout autre bonheur, à toute
autre joie, à toute autre richesse. Il faut quitter tout, pour trouver tout.
La seule souffrance qui puisse encore atteindre l’âme, c’est de ne pas
pouvoir se donner à vous plus à fond. Il y a toujours quelque chose
qu’elle retient comme malgré elle. Sans doute, ni sa nature, ni sa per-
sonne, ne peuvent et ne doivent disparaître. Mais ce n’est pas cela qui
la fait souffrir ; non, c’est ce je ne sais quoi, qui devrait changer et qui
n’est pas encore changé, qui devrait mourir et qui n’est pas mort.
Quand donc mon âme pourra-t-elle dire qu’elle est tout à vous, tout en
vous et, réserves à faire étant faites, toute vous : « et ego illi ».
Je ne sais si je me trompe, ô mon Dieu, mais il me semble que je
suis plus heureux d’être possédé par vous que de vous posséder. Pour-
quoi cela ? Quand je me reploie sur vous vivant en moi pour goûter
mon trésor, je crains d’être égoïste, de trop m’occuper de moi, de vous
rapporter trop à moi. Tandis que j’éprouve une joie sans mélange lors-
que je me jette en vous, ou plutôt lorsque vous daignez me faire péné-
trer en vous. Alors mon âme s’épanouit, elle se dilate, elle se perd pour
se retrouver d’une manière qui la ravit. Elle a comme l’impression de
vous donner quelque chose à vous qui lui donnez tout. Il lui semble
que ce qu’elle vous donne vous rend (s’il était permis de parler ainsi)
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 93

plus riche et plus heureux. Du moins elle éprouve au vif l’impression


de vous donner comme du bonheur. Alors elle devient ivre de joie :
« Beatius est magis dare quam accipere » 1.
Pourquoi, ô mon Dieu, ne permettez-vous pas à l’âme que vous
enivrez de bonheur de traduire sa joie et d’exprimer aux autres ce
qu’elle éprouve ? C’est peut-être là un secret qui doit rester entre vous
et elle ? Tout au plus le guide spirituel a-t-il le droit d’être mis dans la
confidence. Il semble en effet qu’à dire ces choses, on les profane. Puis
il en coûte tant à l’âme vraiment favorisée de vos grâces de se mettre
en avant, si peu que ce soit. Vivre cachée avec son Dieu, voilà son dé-
sir, son attrait, sa loi. Et pourtant, il lui serait si doux de dire à d’autres
âmes combien votre intimité est délicieuse. Elle voudrait les prendre
toutes « aux charmes d’un bien si divin ». Comment ne pas éprouver le
besoin d’éclairer, quand on est soi-même envahi par la lumière, et
d’embraser du feu de l’amour divin, quand on est dévoré par sa flam-
me ? Comment ne pas crier aux âmes : « Il n’y a que Dieu », quand on
le sait ?
Il y a peut-être, ô mon Dieu, une autre raison qui fait que l’âme in-
térieure n’ose pas parler de ce qui se passe en elle, malgré le vif désir
qu’elle en a : c’est l’intuition qu’il existe une disproportion presque ab-
solue entre ce qu’elle voudrait dire et les moyens dont elle dispose
pour le dire. Ce n’est pas seulement chose intellectuelle, qu’il s’agit
d’exprimer par des mots empruntés, comme tous nos mots, au monde
sensible, mais c’est chose spirituelle, surnaturelle, intime, profonde,
simple, qui tient plus du ciel que de la terre. C’est d’un autre monde et
non pas seulement d’une autre langue. Traduire cela avec des mots
humains, c’est tenter l’impossible, c’est « trahir » ce que l’on veut
« traduire », c’est presque profaner. On s’expose à fixer l’esprit sur le
premier terme de la comparaison et à faire oublier, du moins à voiler,
le second, le seul qui compte. Dure alternative, ou se taire sur ce qui
mérite tant d’être dit, ou déformer, en le balbutiant, ce qui est si beau,
si bon, et si parfait !

QUI PASCITUR INTER LILIA (CANT., II, 16).


Il fait paître son troupeau parmi les lis.

Communication des richesses spirituelles.

Ô Jésus, quel soin ne prenez-vous pas des âmes que vous aimez !
Elles ont besoin de nourriture, vous êtes leur Pasteur et vous pour-

1 Il est meilleur de donner que de recevoir (Actes, xx, 35).


94 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

voyez à leur subsistance. Vous les faites paître « parmi les lis ». Non
seulement vous leur découvrez le sens profond de vos divines paroles,
afin que leur esprit puisse l’assimiler et s’en nourrir, mais vous leur
découvrez des âmes semblables à des lis par leur blancheur, leur par-
fum et leur grâce, pour qu’elles s’en nourrissent.
Dans l’ordre spirituel, les âmes se communiquent mutuellement
leurs richesses, elles s’alimentent les unes les autres. Pour l’ordinaire,
cette communication de biens n’est pas consciente, surtout du côté de
l’âme qui donne, mais elle peut le devenir. C’est alors une joie très pro-
fonde et toute divine que de pouvoir ainsi éclairer, réchauffer, dilater,
fortifier, nourrir en un mot une âme que Jésus veut rendre semblable
à lui : « Filioli, quos itemm parturio, donec formetur Christus in vo-
bis » 1. Oh ! les saintes joies que celles de la paternité spirituelle !

DONEC ASPIRET DIES, ET INCLINENTUR UMBRAE… REVERTERE, SIMILIS


ESTO, DILECTE MI, CAPREAE, HINNULOQUE CERVORUM SUPER MON-
TES BETHER (CANT., II, 17).
Avant que vienne la fraîcheur du jour et que les ombres fuient…
Reviens, sois semblable, mon Bien-Aimé, à la gazelle ou au
faon des biches sur les montagnes ravinées.

Ardents désirs du retour de l’Époux.

Jésus et l’âme intérieure restent toujours intimement unis. Mais


Jésus doit s’occuper de son petit troupeau. Il semble alors s’éloigner et
se distraire de son Épouse préférée. Elle souffre de cette sorte
d’absence si légitime pourtant. Ce n’est pas à dire toutefois qu’elle soit
jalouse du bien que Jésus fait à d’autres âmes. Non, mille fois non, ja-
mais il ne sera trop connu et trop aimé. Cependant on dirait qu’elle
appelle de ses vœux le moment qui marque la fin du pâturage et le re-
tour du divin Pasteur à la maison, c’est-à-dire le moment où la fraî-
cheur du soir se fait sentir et où les ombres s’allongent sur la terre
comme pour s’y reposer. La préoccupation de son cœur se traduit par
un seul mot, qui est un affectueux appel : « Reviens ». Comment votre
Épouse pourrait-elle vivre sans vous, ô Jésus !
Ô mon Jésus, l’âme qui vous a une fois goûté au plus intime d’elle-
même, ne peut plus souffrir votre absence. Son humble et profond dé-
sir est de vous posséder toujours. Elle rêve d’une intimité chaque jour
et même à chaque instant plus parfaite. Elle a raison. Vous êtes tout

1 Mes petits enfants pour qui j’éprouve de nouveau les douleurs de l’enfantement jusqu’à ce que

le Christ soit formé en vous (Galat., IV, 19).


CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 95

pour elle. Elle a faim, elle a soif de vous, ô mon Dieu. Elle voudrait
aussi se dilater en vous sans mesure. Ô mystérieuse union de deux es-
prits, le vôtre, ô mon Dieu et celui de l’âme, que vous appelez par pure
bonté à cette inestimable vie, comme on serait heureux de te goûter et
de te chanter ! Que c’est beau ce que vous faites là, ô mon Dieu ! Que
c’est bien de vous, cela. Plus c’est profond, plus c’est incompréhen-
sible : plus c’est vrai, plus c’est divin.
Oui, cher Bien-Aimé, « reviens ».
Le désir du retour de l’Époux est si vif, si profond, si ardent, que
l’âme trouve pour l’exprimer une comparaison pleine de charme, de
grâce et de vie. Elle conjure son Dieu Bien-Aimé de revenir à elle, non
point du pas tranquille et lent du pasteur qui ramène le soir son trou-
peau bien nourri au bercail protecteur, mais avec l’ardeur, l’élan, les
bonds audacieux « de la gazelle ou du faon des biches », sautant
comme par jeu d’une crête de ravin à l’autre.
La présence de Dieu est si douce, son absence, même courte, même
légitime, selon notre manière de parler, est si pénible au cœur aimant,
que les plus fortes paroles, les plus étonnantes images ne lui semblent
pas déplacées pour traduire le désir qui le brûle déposséder son Dieu
de nouveau.
Et c’est lui qui a raison.
Chapitre III

IN LECTULO MEO, PER NOCTES, QUAESIVI QUEM DILIGIT ANIMA MEA :


QUAESIVI ILLUM ET NON INVENI (CANT., III, 1).
Sur ma couche, durant la nuit, j’ai cherché Celui que mon cœur
aime. Je l’ai cherché et je ne l’ai point trouvé.

Vouloir profond, unique, impérieux, douloureux de l’âme à la recherche


vraie de son Dieu.

Au fond de l’âme intérieure, il y a comme un lit de repos, une


couche mystérieuse, où se fait la douce union avec le bon Dieu.
C’est là que l’Épouse a trouvé son Bien-Aimé, qu’elle s’est entre-
tenue familièrement avec lui, qu’elle lui a dit, à lui seul, tout l’amour
qu’il lui inspire, qu’elle a été vraiment comblée de caresses par son
Époux et qu’enfin s’est réalisée cette union tant désirée où l’âme,
endormie à toutes choses, mais saintement éveillée à l’amour, a goûté,
comme à plein cœur, sans pouvoir comprendre cependant, toute
l’étendue de son bonheur : « ce Bien qui contient tous les biens » 1,
et avec lequel elle a eu l’impression très vive, quoique sourde, de ne
faire plus qu’un au moins pendant quelques instants. Elle a compris
que c’est là, sur cette couche intérieure, que désormais elle trouverait
son Dieu.
Au moment où l’âme semble y penser le moins, elle se sent tout à
coup enveloppée de solitude et de silence. Dans cette nuit, un vif, un
irrésistible désir de Dieu s’éveille au plus intime d’elle-même. « Son
Dieu », « son Dieu », elle le veut d’un vouloir profond, unique, impé-
rieux, douloureux même.
Oh ! le désir vrai de Dieu, quel tourment pour l’âme, et comme il
est délicieux pourtant. Il est si fort par moments que l’âme en quitte-
rait le corps, si Dieu ne l’y retenait. Il est si légitime, ce désir, que l’âme
se demande pourquoi il n’est pas satisfait sur-le-champ. Mais non,
l’Époux a disparu, il se fait désirer, il se fait attendre, il veut se faire
chercher. Mais, en attendant, pour l’âme tourmentée du saint amour,
c’est la nuit noire dont tous les instants se ressemblent et qui paraît ne
jamais devoir finir. Elle se tourne et se retourne sur sa couche mysté-
rieuse, où elle a tant de fois trouvé son Dieu, et son Dieu paraît l’avoir
quittée. Oh ! douleur.

1 Ste. Thérèse.
98 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

SURGAM ET CIRCUIBO CIVITATEM ; PER VICOS ET PLATEAS QUAERAM


QUEM DILIGIT ANIMA MEA (CANT., III, 2).
Levons-nous, me suis-je dit, faisons le tour de la ville, parcourons
les rues et les places, cherchons Celui que mon cœur aime.

Ne pouvoir souffrir l’absence de Dieu et tout entreprendre pour le retrou-


ver.

Quand une âme se trouve sous l’influence du désir brûlant de Dieu,


véritable flèche de feu qui la tourmente nuit et jour, elle ne peut plus
tenir en place. Il faut qu’elle se lève et qu’elle cherche Celui qui est la
vie de sa vie, l’âme de son âme, le cœur de son cœur, son unique Tout.
Chercher Dieu, le trouver, le posséder, puis, quand on semble l’avoir
perdu, se mettre de nouveau à sa poursuite pour le rencontrer et le
posséder tout de nouveau, voilà bien le rythme profond de la vie inté-
rieure. Vous aimerait-on, ô mon Dieu, si, après vous avoir goûté, ne
fût-ce qu’un instant, on pouvait supporter votre absence et organiser
sans vous sa pauvre existence terrestre ? Non, mon Dieu. « Fecisti nos
ad te et irrequietum est cor nostrum donec requiescat in te » 1.
L’âme aimante part donc à la recherche de son Dieu. Elle fait le
tour de la ville, c’est-à-dire d’elle-même. Puisque mon Dieu n’est pas
au centre de moi-même, peut-être se tient-il à la périphérie, dans cette
zone frontière entre le monde extérieur et moi. C’est par la contempla-
tion des choses sensibles, reflet des perfections de son Bien-Aimé,
qu’elle a commencé sa vie intérieure. En y revenant, elle espère re-
trouver celui qu’elle cherche. Si elle échoue, elle rentrera à l’intérieur
de la ville et se mettra à la parcourir, rue par rue, place par place, car-
refour par carrefour. Le procédé lui a réussi autrefois. En mettant en
activité sa mémoire, son imagination, son intelligence, sa volonté, elle
s’était rapprochée d’étape en étape de ce Dieu, qui se révélait à elle peu
à peu, et qui parfois, au terme d’une longue oraison péniblement pour-
suivie, la conduisait dans une sorte de vaste place, où elle se sentait
plus à l’aise, environnée d’air et de lumière de toutes parts. Si elle pou-
vait, en reprenant le moyen, se rapprocher un peu de Celui qui est
toute sa lumière et toute sa vie !
Ce qui la soutient dans cette recherche si pénible, c’est son amour.
Loin de diminuer, il augmente. La conscience de l’absence du Bien-
Aimé, loin de l’éteindre, l’a, au contraire, excité et enflammé. Chaque
pas l’exerce et l’active. C’est vraiment aimer Dieu que de ne pouvoir

1 S. Augustin.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE III 99

souffrir son absence et que de tout entreprendre pour le retrouver.


Sans doute, la recherche peut être longue, mais plus elle dure et plus
l’amour s’enracine dans l’âme et la pénètre tout entière de sa bienfai-
sante flamme. Le tout est de chercher toujours, dût-on mourir en
chemin.

QUAESIVI ILLUM ET NON INVENI (CANT., III, 3).


Je l’ai cherché, et je ne l’ai point trouvé.

Dieu se donne quand il lui plaît ; et il ne doit rien même à l’âme la plus fi-
dèle.

Malgré ses efforts, l’emploi des moyens qui lui ont autrefois réussi
pour trouver son divin Époux, l’âme intérieure est obligée d’avouer
son douloureux insuccès. Elle le fait avec tristesse, mais sans dépit et
sans découragement. Dieu se donne, elle le sait, quand il lui plaît. C’est
son droit. Il ne doit rien à l’âme, même la plus fidèle. Nous sommes
toujours des serviteurs « inutiles » et, au fond, par nous-mêmes im-
puissants. Il est bon pour l’âme que Dieu proclame ainsi son absolue
liberté. Le don qu’il a fait et qu’il fera sans doute de lui-même à son
heure paraît ainsi bien plus grand, puisqu’il ne dépend pas à propre-
ment parler des dispositions de l’âme, si parfaites qu’on les suppose, et
que Dieu est seul, lui, à pouvoir le faire. Ainsi donc, le Bien-Aimé peut
se cacher, l’âme intérieure, elle, ne doit pas cesser pour cela de le cher-
cher. Son Dieu n’a pas besoin d’elle pour être heureux. Sans lui, au
contraire, nul bonheur n’est possible pour elle.
Si l’on songeait bien à la gratuité absolue de l’amitié divine et par
suite, de sa manifestation à l’âme privilégiée, jamais on n’oserait se
plaindre des divins délaissements. Il est vrai que l’amour rend exi-
geant et audacieux, et c’est lui qui mène tout ici. Il ne peut pas ne pas
souffrir, et il ne peut pas ne pas dire sa peine. Il est fait pour unir ; la
séparation, c’est la mort pour lui. Sans doute, il espère qu’elle n’est que
momentanée. Mais c’est encore trop. Ô amour, tu as raison. Cherche,
demande, appelle, crie au besoin. Qui cherche trouve ; qui demande
reçoit ; à qui appelle, on répond 1. Que chercher en dehors de vous, ô
mon Dieu ? Que demander si ce n’est vous encore, ô mon Dieu ? À qui
faire appel dans cette détresse, la seule vraie détresse, si ce n’est à vous
toujours, ô mon Dieu ?
Oui, mille fois oui, à vous qui êtes tout pour moi. Plutôt mourir que
de cesser de vous chercher.

1 Luc, XI, 9.
100 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

INVENERUNT ME VIGILES QUI CUSTODIUNT CIVITATEM. NUM QUEM


DILIGIT ANIMA MEA VIDISTIS ? (CANT., III, 3).
Les gardes qui font la ronde dans la ville m’ont rencontrée. Avez-
vous vu Celui que mon cœur aime ?

Nul ne peut donner Dieu à l’âme que Dieu même.

Pendant qu’elle parcourt les rues et les places pour retrouver son
Bien-Aimé, l’âme rencontre ceux qui sont chargés de garder la ville et
de veiller à ce que tout soit en sécurité. Ces gardes ne seraient-ils pas
ici les confesseurs et les directeurs de l’âme, l’ange qui la garde, les
saints qui la protègent ? C’est vers eux en effet que l’âme angoissée
d’amour divin se retourne, et c’est à eux qu’elle demande : « Avez-vous
vu Celui que mon cœur aime ? » Prêtre pieux et zélé, qui prenez soin
de moi, ne savez-vous pas où se trouve mon Dieu ? Ne l’avez-vous pas
rencontré et ne pouvez-vous pas me dire quel chemin je dois suivre
pour le rejoindre ? Vous devez l’avoir vu, vous qui avez le droit de
l’approcher, vous qui le tenez dans vos mains, vous qui êtes chargé de
le donner aux âmes. Ô Père, dites-moi où est Jésus ?
L’âme en quête de son Dieu le demande à son bon Ange : « Esprit
bienheureux, vous qui contemplez mon Sauveur face à face, ouvrez
mes yeux afin que je le voie comme vous, pour l’aimer comme vous ».
Elle continue : « Mes saints amis du ciel, je suis ravie de votre bon-
heur, mais je voudrais le goûter aussi autant du moins que la terre
peut le permettre. Obtenez-moi la grâce d’y participer en retrouvant
mon Dieu et mon Tout, qui est aussi votre Dieu et votre Tout ». Ainsi
parle et prie la pauvre délaissée. Puis elle relit les pages de ses chers
maîtres en vie spirituelle pour essayer de retrouver la lumière
et l’amour. Mais rien ne lui dit rien. Nul ne peut lui donner son Dieu.
Il faut qu’elle cherche encore, qu’elle dépasse et ses vigilants amis et
leurs œuvres les meilleures. Le Bien-Aimé est au-delà. « Va, va, conti-
nue ta douloureuse enquête jusqu’à ce que tu aies retrouvé ton Dieu ! »

PAULULUM CUM PEUTRANSISSEM EOS, INVENI QUEM DILIGIT ANIMA MEA


(CANT., III, 4).
À peine les avais-je dépassés, que j’ai trouvé Celui que mon cœur
aime.

Dépasser les créatures pour trouver Dieu.

Si parfaites que soient les créatures, si belles que soient leurs pa-
roles et leurs œuvres, il faut nécessairement les « dépasser » pour
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE III 101

trouver le bon Dieu. Il est au-delà. Leur rôle à elles, c’est d’attirer et de
mener à lui. Elles ne peuvent pas faîte plus. Vouloir leur demander da-
vantage, c’est leur demander l’impossible. Un temps vient pour l’âme
où pour trouver tout, elle doit tout quitter. C’est Dieu lui-même qui
fixe le moment de cette séparation mystique ; il y aurait dommage
pour l’âme intérieure à le devancer. Elle ne parviendrait, du reste, qu’à
se mettre dans le vide et n’y pourrait pas vivre. Aussi longtemps que
les créatures vues dans la lumière de Dieu, bien entendu, excitent son
amour et soutiennent ses pas, elle doit leur demander son Dieu.
Mais c’est un moment bienheureux pour l’âme que celui où, après
tant d’angoisses, elle trouve enfin son Bien-Aimé. Plus elle a souffert,
plus elle est heureuse. Pendant sa pénible et longue recherche, l’amour
véritable de Dieu a grandi. Il a pris possession de tout en elle. Il règne
en maître absolu. Tout s’inspire de lui. Tout lui obéit. Tout est jugé et
mesuré par lui. Il est assez fort maintenant pour se passer de l’aide des
créatures et agir par lui-même. Sous son action, devenue irrésistible,
l’âme les dépasse, elle se dépasse en quelque sorte elle-même. Elle
quitte cette région où l’on pense, où l’on parle, où l’on agit à la façon
humaine, pour entrer dans cette zone silencieuse, paisible, immense,
déconcertante au premier abord, où l’on pense, où l’on aime, où l’on
vit à la façon divine. Là, dans la solitude et la paix, elle rencontre son
Dieu, elle communie à lui. Elle peut dire en toute vérité qu’elle a trou-
vé « Celui que son cœur aime ».

TENUI EUM, NEC DIMITTAM, DONEC INTRODUCAM ILLUM IN DOMUM MA-


TRIS MEAE, ET IN CUBICULUM GENITRICIS MEAE (CANT., III, 4).
Je l’ai saisi et je ne le laisserai pas aller jusqu’à ce que je l’aie ame-
né dans la maison de ma mère, dans la chambre de celle qui
m’a donné le jour.

L’âme s’empare du Bien-Aimé de toutes les forces de son amour.

Audacieuse liberté de l’âme aimante ! Après avoir cherché son


Dieu, elle le trouve, et, sans hésiter, elle s’en empare comme d’un bien
à elle, elle le saisit, elle le prend, elle le fait prisonnier. Oh ! cette ren-
contre de l’âme avec Dieu, cette saisie de Dieu par l’âme et aussi de
l’âme par Dieu, qui peut la décrire ? Toutes les comparaisons sont im-
puissantes ici. Dieu n’est pas du même ordre que les autres biens. Le
« comment » de cette saisie de Dieu ne s’explique pas, et, les joies
qu’elle procure se goûtent dans le silence de l’adoration et de l’amour :
elles ne se traduisent pas. Les larmes coulent, mais la source d’où elles
102 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

viennent reste cachée. Elles sont imprégnées de bonheur, mais nul ne


le sait que celui qui les sent couler de ses yeux. Heureuse mille fois,
l’âme qui vous saisit enfin, ô mon Dieu !
Maintenant qu’elle vous possède bien à elle, sa résolution est prise,
« elle ne vous laissera plus aller ». Sans doute, elle sait bien que vous
êtes toujours libre de vous éloigner, mais, autant qu’il dépend d’elle,
vous resterez. Elle vous gardera. Elle s’attachera à vous de toute
l’énergie de son amour, et vous ne pourrez plus la quitter. Mieux que
jamais, en effet, elle comprend quel trésor vous êtes pour elle. Vous
êtes toute sa joie, tout son bonheur, toute sa vie. Mieux qu’elle ne
l’avait jamais fait dans les précédentes visites, elle se rend compte que
vous êtes un océan de bonheur qui la déborde de toutes parts. Ce
qu’elle saisit de vous et qui pourtant la rend ivre de joie n’est rien, lui
semble-t-il, en comparaison de ce qui lui reste encore à goûter en
vous. Cette espérance ajoute quelque chose d’infini à la conscience de
son bonheur. Voilà pourquoi elle ne veut plus vous laisser aller, et
s’empare de vous de toutes les forces de son amour.
Oh ! non, mon Dieu, ne vous éloignez plus jamais, jamais ! Restez,
restez. Il fait si bon vivre avec vous ! Laissez-moi, ô mon Dieu, en toute
liberté m’attacher à vous, m’unir à vous. Il me semble que chaque fois
que ma pauvre âme s’unit à vous, elle éprouve un bonheur nouveau,
une joie nouvelle. Elle est plus claire, plus pure, elle est plus chaude,
plus douce, elle se sent plus forte, elle aime plus à fond. Ô félicité di-
vine de la sainte union, tu enivres par ta douceur et tu écrases par ton
poids délicieux. L’âme croit parfois qu’elle va mourir de joie. Elle
éprouve les douleurs de la séparation d’avec le corps. On dirait que le
corps, sentant chacune de ses cellules abandonnée par l’âme, s’attache
comme de force à celle qui lui donne la vie, et lui fait éprouver à elle
son déchirement à lui. D’où ce mélange étrange dans l’âme d’une joie
ineffable et d’une réelle souffrance naturelle. Mais pour rien au
monde, l’âme ne voudrait « laisser aller son Bien-Aimé ».
L’âme était hors d’elle-même et comme « dehors » quand elle a
trouvé Jésus. Dès qu’elle le rencontre, elle le saisit. Elle goûte la joie de
son union avec lui. Mais il lui semble que pour mieux s’assurer qu’il ne
lui échappera plus, comme aussi pour lui témoigner plus librement
son amour, elle doit le conduire dans la maison, et jusque dans les ap-
partements privés de sa mère. Là, et là seulement, elle pourra goûter
en sécurité, tout à son aise, la douce joie d’aimer son Dieu et de le pos-
séder. Enfant de la grâce, c’est elle-même la maison de sa mère ; la
chambre de sa mère, c’est son fond le plus intime. Car c’est la grâce qui
lui donne la vie, et qui pour cela pénètre totalement sa substance
même. Et la charité qui s’épanouit dans la volonté, fait de cette faculté
comme le lit de repos de l’âme et de Dieu.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE III 103

ADIURO VOS, FILIAE JERUSALEM, PER CAPREAS CERVOSQUE CAMPORUM,


NE SUSCITETIS, NEQUE EVIGILARE FACIATIS DILECTAM DONEC IPSA
VELIT (CANT., III, 5).
Je vous en conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles et les
biches des champs, ne réveillez pas, ne réveillez pas la Bien-
Aimée, avant qu’elle le veuille.

Ne pas troubler l’amour solitaire de l’âme intérieure ; en elle et par elle, le


monde est comme rapproché de Dieu.

Après tant de souffrances, tant d’inquiétudes, tant de recherches,


l’âme qui possède enfin son Dieu, l’entraine en quelque sorte au plus
intime d’elle-même, afin de goûter en paix son bonheur. Il est si pro-
fond, si divin, si nouveau pour elle, ce bonheur, qu’elle en est comme
ivre, et qu’un mystérieux sommeil la saisit tout entière. Elle dort à
tout, au monde, aux sens intérieurs, à l’activité intellectuelle ordinaire
et jusqu’à elle-même. Son amour seul est actif. Elle dort d’amour sur le
cœur de son Dieu. Le Bien-Aimé est heureux de son bonheur. Il ne
veut pas qu’on la trouble dans son doux repos. Il conjure toutes les
créatures, toutes les facultés de l’âme, de faire silence, de se tenir en
repos, afin de ne pas éveiller sa Bien-Aimée. C’est, le grand silence, où
l’on n’entend plus que le battement discret du cœur aimant de
l’Épouse. Pax. Silentium.
Reste, reste là sur le cœur de ton Dieu, ô âme privilégiée. Dors en
paix ton sommeil affectueux. Pendant que tu reposes ainsi, il se fait en
toi de grandes choses. Tu ne les vois pas, ton bonheur t’occupe trop
pour que tu puisses t’apercevoir du travail de l’Amour, et pourtant
c’est un incomparable artiste que l’Amour divin. Il est éclairé par
l’infinie Sagesse. Sa Toute-Puissance est dans ses mains. Il veut te
rendre toute semblable au Bien parfait, à la Bonté sans mesure. Son
rêve serait, si c’était possible, de te rendre une si vivante image de ton
Dieu, que les Anges eux-mêmes y soient pris.
Dors ton mystérieux sommeil. Tout grandit en toi. À ton réveil, tu
t’en rendras compte. Tu ne verras plus les choses des mêmes yeux, et
surtout tu ne les aimeras plus du même cœur. Le Dieu d’amour t’aura
comme donné et ses yeux et son Cœur. Dors, dors encore !…
Quand l’Épouse dort de ce sommeil d’amour, nul ne doit la réveil-
ler. Ce serait interrompre le travail divin, nuire grandement à cette
âme et à l’Église. Cet « amour solitaire » est alors tout ce qu’il y a de
plus précieux pour le monde. Tout ce que le bon Dieu a attaché à cette
âme, et c’est en un sens le monde entier, tout cela est rapproché de
Dieu en elle et par elle : « Une âme qui s’élève, élève le monde ».
104 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

À ce moment, la sainte Épouse est aussi près de Dieu que possible.


Or, l’union à Dieu est la source de tous les biens, et pour elle, et pour
nous. Il faut donc la laisser boire à la source, s’enivrer même et dormir en
paix son fructueux sommeil. Quand elle ouvrira les yeux, quand elle
commencera à prendre contact avec la terre, alors on pourra s’approcher
d’elle, lui parler, l’interroger, afin d’apprendre ce qui peut s’apprendre du
mystérieux repos de l’âme en Dieu. Mais le faire plus tôt, ce serait nui-
sible à tous : « Ne réveillez pas la Bien-Aimée avant qu’elle le veuille ».

QUAE EST ISTA QUAE ASCENDIT PER DESERTUM SICUT VIRGULA FUMI EX
AROMATIBUS MYRRHAE, ET THURIS, ET UNIVERSI PULVERIS FIGMEN-
TARII ? (CANT., III, 6).
Quelle est celle-ci qui monte du désert, comme une colonne de fu-
mée, exhalant la myrrhe et l’encens, tous les aromates du par-
fumeur ?

Séparation du monde, de soi-même, de son âme.

Ce n’est pas une fois seulement que l’âme intérieure s’est endormie
du sommeil de l’amour sur le Cœur même de Dieu. Cette grâce, d’abord
rare et fugitive, s’est faite plus fréquente et a prolongé de plus en plus son
action. L’âme est devenue toute belle. L’heure des grandes faveurs arrive
pour elle. Elle est en quelque sorte digne de son Époux divin. L’amour
l’attire de plus en plus vers lui. Il est comme sa force ascensionnelle. Elle
monte. Les Anges qui la contemplent admirent sa beauté. Ils se réjouis-
sent de son élévation. Ils expriment leur joie en se demandant les uns
aux autres : « Quelle est celle privilégiée de l’amour ? D’où vient-elle ?
Quel est son nom ? »
Le désert d’où monte l’âme intérieure, c’est le monde qu’elle quitte
sans retour. Il n’est à ses yeux qu’un désert sans eau et sans chemin. Pour
elle, en effet, le monde n’existe plus qu’à la manière d’une chose informe,
sans couleur, sans figure. Elle l’habite encore, puisqu’il le faut ; elle n’y
vit pas. Elle l’ignore ; son grand désir serait de le quitter pour jamais, ré-
ellement, par la mort. Son corps irait à la terre ; son âme du moins pour-
rait aller là où est son cœur : à Dieu. Elle s’élève déjà vers lui de toute
l’ardeur de son amour. Qui la contemplerait, la verrait vraiment comme
montant d’une région ténébreuse vers la lumière qui ne s’éteint pas.
Ce désert est aussi, en un sens très réel et plus profond, l’âme elle-
même par opposition à ce que les saints, par exemple sainte Thérèse,
appellent l’esprit de l’âme. Pour s’unir à Dieu, l’âme intérieure doit,
non seulement quitter moralement le monde, mais encore se quitter
elle-même : « Abneget semetipsum » 1. Ce qu’il y a dans l’âme de plus

1 Qu’il se renonce lui-même (Matth., XXVI, 24).


CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE III 105

haut, de plus profond, de plus divin si l’on peut dire, l’esprit de l’âme,
doit se séparer de tout le reste pour mener sa vie à lui. L’âme doit re-
noncer à penser, à imaginer, à sentir à sa manière ordinaire, même les
choses spirituelles. Il lui faut arracher à ses facultés les objets (à
l’exception de la Très Sainte Humanité du Sauveur) qui les occupent et
les informent. Parvenue à ce stade de la vie intérieure, l’âme se sent at-
tirée comme dans une zone de silence dont la solitude absolue
l’étonne, l’effraye même un peu d’abord, mais ne la trouble pas. Elle
s’habitue vite à cette solitude. Elle comprend que c’est là désormais
qu’elle doit se tenir, autant du moins qu’il dépend d’elle, parce que
c’est de là qu’elle doit partir pour s’élever à Dieu.

L’âme intérieure embaume et la terre et le ciel.

L’amour fait son œuvre. Il pénètre l’âme jusqu’au fond. Il la con-


sume. Il la transforme. Aux yeux des Anges, l’âme paraît lancer sans
cesse vers le ciel comme une colonne de blanche fumée. Cette fumée
embaume. Elle exhale l’odeur de la myrrhe, de l’encens, de tous les
parfums fondus ensemble. Et c’est l’œuvre de l’amour : mortifications,
humiliations, souffrances, prières, tout lui est matière à brûler, à con-
sumer, à transformer et à offrir. Le feu divin, et lui seul au fond, donne
du prix à tout. Sans lui les meilleures œuvres n’ont pas leur valeur aux
yeux de Dieu. Avec lui les moindres sacrifices ont, outre leur parfum
propre, la « bonne odeur du Christ » 1, seul parfum qui plaise par lui-
même à la Très Sainte Trinité.
Or ici, l’âme intérieure est tout amour. Elle brûle vraiment. Elle em-
baume et la terre et le ciel. Rien n’égale, le charme de son divin parfum.

EN LECTULUM SALOMONIS : SEXAGINTA FORTES AMBIUNT EX FORTISSI-


MIS ISRAËL, OMNES TENENTES GLADIOS ET AD BELLA DOCTISSIMI ;
UNIUSCUJUSQUE ENSIS SUPER FEMUR SUUM, PROPTER TIMORES
NOCTURNOS (CANT., III, 7-8).
Voici le palanquin de Salomon, soixante braves l’entourent d’entre
les vaillants d’Israël ; tous sont armés de l’épée, exercés au
combat, chacun porte l’épée sur sa hanche, pour écarter les
alarmes de la nuit.

Avances divines à l’âme intérieure que rien n’arrêtera ni ne troublera dé-


sormais.

Jésus ne veut pas que l’âme intérieure se fatigue désormais pour


venir à lui. Il donne des ordres pour qu’elle soit portée comme en

1 II Cor., II, 15.


106 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

triomphe et en toute sécurité. Il lui envoie son propre palanquin et sa


garde. La montée de l’âme vers lui se fera donc sans peine. Rien ne
l’arrêtera, ni la troublera ; l’ennemi, s’il se présente, à la faveur de la
nuit, sera repoussé victorieusement. Tout est prévu par Celui qui voit
tout et qui peut tout. Et l’âme se sent à l’intérieur vraiment portée vers
Dieu. Elle éprouve l’impression d’une parfaite sécurité. Le démon
pourra bien chercher à inquiéter sa marche, elle n’aura pour ainsi dire
pas à s’en occuper. Les Anges qui la gardent sauront écarter tout dan-
ger. Quel délicieux voyage ! Quelle ascension glorieuse ! Quelle douce
espérance !

FERCULUM FECIT SIBI REX SALOMON DE LIGNIS LIBANI. COLUMNAS EJUS


FECIT ARGENTEAS, RECLINATORIUM AUREUM, ASCENSUM PURPU-
REUM ; MEDIA CARITATE CONSTRAVIT, PROPTER FILIAS JERUSALEM
(CANT., III, 9-1O).
Le roi Salomon s’est fait une litière de bois du Liban. Il en a fait les
colonnes d’argent, le dossier d’or, le siège de pourpre ; au mi-
lieu est mie broderie, œuvre d’amour des filles de Jérusalem.

La foi, fondement et racine de la vie intérieure, est aussi fruit de l’Esprit-


Saint.

Le lit de Jésus, c’est l’âme intérieure. Il lui laisse sa nature, cèdre


ou sapin, avec ses notes individualités propres, sensibles, intellec-
tuelles, volontaires, plus ou moins harmonieusement tempérées. Mais
quelle que soit cette nature, il la purifie, il l’affermit, il la travaille, afin
que cette âme puisse devenir son véritable lit de repos. Or, ici-bas, tout
l’édifice spirituel repose sur la foi. Cette vertu ne détruit pas la raison.
Elle la suppose au contraire.
Mais elle est d’un autre ordre, tout surnaturel. Elle rend l’intelli-
gence capable d’adhérer à ce que Dieu révèle de sa vie intime. Elle fait
communier, dans l’obscurité, c’est vrai, mais réellement, à la connais-
sance que Dieu a de lui-même. Elle supplée à la vision et elle la prépare.
Les colonnes d’argent du lit de Salomon la symbolisent, semble-t-il.
Cette foi de l’Épouse, œuvre de Jésus, n’est pas la simple adhésion
aux vérités révélées, c’est la foi parfaite d’un esprit délivré de toute er-
reur et de toute imagination inexacte au sujet des choses divines. C’est
la foi ayant à son service, d’abord le don de science, qui l’éclaire sur le
néant des choses et en même temps sur leur aspect divin, puis le don
d’intelligence, qui, écartant toute objection, lui découvre, autant qu’il
est possible, le sens profond des paroles divines, apaise l’inquiétude
normale de l’intelligence adhérant sans voir, alors qu’elle est faite pour
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE III 107

voir, et met l’âme face à face avec la réalité divine exprimée et cachée
tout ensemble par les mots. C’est la foi ferme, inébranlable, fondement
et racine de tout dans l’âme intérieure, et aussi véritable fruit de l’Es-
prit-Saint, d’un goût céleste et d’une puissance nutritive incomparable.

Triomphe de la charité. L’immolation le prépare, l’accompagne et le suit.

Le dossier d’or figure assez bien la charité de l’Épouse, alors dans


toute sa force. Jésus peut compter sur la pureté et sur la fermeté de
cette affection. Il n’y a plus rien dans le cœur de l’Épouse à côté de
Dieu. Elle l’aime son Dieu béni uniquement, exclusivement, totale-
ment. C’est qu’elle lui est devenue semblable. Sa volonté, son pouvoir
spirituel d’aimer, ne fait plus qu’un en quelque sorte avec la volonté de
Dieu. Or cette adorable volonté se porte tout entière, selon notre ma-
nière de parler, vers son objet qui n’est autre que Dieu lui-même. Elle
ne veut que lui, elle le veut tel qu’il est, infini, au sens absolu du mot.
En notre Dieu Bien-Aimé, le pouvoir d’aimer, l’objet à aimer et
l’amour de cet objet divin ne font qu’un absolument. Il n’y a place que
pour la distinction réelle des Personnes entre elles. Le Père et le Fils
d’un côté, de l’autre le terme subsistant et personnel de leur mutuelle
affection : l’Esprit-Saint.
Or, l’âme intérieure participe vraiment à la vie de Dieu. Elle dit le
Verbe à sa manière, elle spire l’Esprit. Puis, toujours mue par la chari-
té, elle fait retour avec le divin Esprit au Père et au Fils et recommence
ainsi sans relâche sa vie intime, toute de contemplation et d’amour.
C’est déjà la vie du ciel dans les ombres lumineuses de la foi parfaite et
sous la motion de la parfaite charité. Comme Jésus est heureux de
trouver une âme qui l’aime de la sorte, lui, le Verbe Incarné, et qui
communie à ce degré à l’amour, dont son âme humaine est remplie
pour l’adorable et si aimable Trinité ! Il peut venir et se reposer en elle
sans inquiétude et dans la plus parfaite sécurité. Encore une fois,
l’amour a fait son œuvre toute de douceur et de force, de richesse et de
grâce, de joie et de paix.
Mais sur cette terre, l’amour ne va jamais sans le sacrifice.
L’immolation, celle du cœur comme celle du corps, prépare, accom-
pagne et suit le triomphe de la charité. L’amour de Dieu détruit
l’amour égoïste de soi, et cela ne se fait pas sans de grandes souf-
frances. Puis quand il règne en maître dans une âme, l’amour divin la
presse de se donner en s’immolant tout entière et toujours. Le sacri-
fice, c’est le pain de l’âme qui aime, plus encore que celui de celle qui
apprend à aimer. Voyez les saints tant de fois appelés en témoignage
sur ce point : saint Paul, saint François d’Assise, sainte Catherine de
Sienne, sainte Thérèse, saint Jean de la Croix, sainte Madeleine de
108 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Pazzi, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, etc. Tous, tous, au lieu de fuir
la souffrance, ils la cherchent ; au lieu de la craindre, ils l’espèrent.
C’est une amie pour eux, c’est leur compagne de tous les jours, de tous
les instants. Pour eux, vivre, aimer, souffrir, c’est tout un.
Le siège de l’Époux et de l’Épouse doit être de pourpre.

Toutes les vertus se prodiguent au service de l’amour.

Toutes les facultés de l’âme, toutes les vertus qui les ornent, contri-
buent à former cette « broderie, œuvre d’amour des filles de Jérusa-
lem ». Rien n’est trop beau pour Dieu. Sans relâche, toutes les activités
de l’ame, naturelles et surnaturelles, sous l’influence et la direction de
la charité, se déploient dans l’unité et la variété. Elles brodent l’âme
même de leurs mille desseins et de leurs mille couleurs. Jamais plei-
nement satisfaites de leur travail, elles le reprennent et l’embellissent
sans cesse. Peut-être aussi est-il permis de voir dans ces ouvrières
d’amour, les âmes pieuses qui prient et souffrent pour que Jésus soit
plus aimé, qui rêvent de lui trouver, et si elles le peuvent de lui former,
des épouses parfaites, vraiment dignes de lui, capables par leur surna-
turelle beauté de charmer et de ravir son divin Cœur. Une belle âme de
plus dans le monde, c’est si beau !

EGREDIMINI ET VIDETE, FILIAE SION, REGEM SALOMONEM IN DIADEMA-


TE QUO CORONAVIT ILLUM MATER SUA IN DIE DESPONSATIONIS IL-
LIUS ET IN DIE LAETITIAE CORDIS EJUS (CANT., III, 11).
Sortez, filles de Sion, et voyez le Roi Salomon avec la couronne
dont sa mère l’a couronné, le jour de ses épousailles, le jour de
la joie de son cœur.

L’union de l’âme avec Dieu fait la joie de Marie qui l’a préparée.

Protégée, soutenue, soulevée par l’amour, l’âme intérieure monte


vers son Dieu. De son côté, Dieu vient à elle. Sans doute, Dieu ne
change pas, mais il semble qu’il le fasse, et tout se passe comme si Jé-
sus s’avançait vers sa Bien-Aimée. Il vient à elle avec toute sa majesté,
mais aussi toute sa tendresse. C’est son triomphe et c’est sa joie. Il
règne vraiment sur cette âme toute sienne. La Très Sainte Vierge Ma-
rie, sa douce Mère, a bien raison de lui mettre au front la couronne
royale. Elle triomphe, elle aussi. Elle est heureuse et du bonheur de
son cher Fils et du bonheur de celle qu’elle peut appeler à un titre nou-
veau « mon enfant, ma fille ». Que n’a-t-elle pas fait, cette Mère si
bonne, pour préparer et conclure l’union de l’Épouse avec l’Époux ?
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE III 109

Bonheur de l’apôtre « Précurseur » de l’union.

Tous ceux qui de près ou de loin ont pu contribuer à cette heureuse


union se réjouissent, eux aussi du fond du cœur. Ils aiment à redire les
paroles du saint Précurseur : « Je ne suis point le Christ, mais j’ai été
envoyé devant lui. Celui qui a l’Épouse est l’Époux, mais l’Ami de
l’Époux, qui se tient là et qui l’écoute, est ravi de joie à la voix de
l’Époux. Or cette joie, qui est la mienne, est pleinement réalisée. Il
faut qu’il croisse et que je diminue » 1. La joie de saint Jean-Baptiste
est la joie propre de l’apôtre. Dieu l’envoie. Dieu l’emploie. Il lui donne
mission de gagner des âmes à son amour. Il lui en fournit les moyens.
Et l’apôtre va. Il prie, il souffre, il parle ; Dieu bénit ses efforts. L’âme
passe de la mort à la vie ; de la vie tiède à la vie fervente ; de la vie fer-
vente à la vie parfaite. Elle arrive enfin, toujours conduite par l’apôtre,
jusqu’à l’union définitive avec le bon Dieu. Quelle gloire pour Jésus,
quel bonheur pour l’âme, quelle joie pour le précurseur !
Mais oui ! Quoi de plus doux que de faire des heureux ! Est-il
d’autre bonheur que celui de Dieu même ? Et c’est ce bonheur que
l’âme, unie à Dieu, goûte en plénitude. Elle est vraiment heureuse.
Dieu aussi est heureux et de sa propre félicité et en quelque sorte de la
félicité de l’âme, qui lui est unie et qu’il béatifie. Mais qui donc a été le
médiateur de cette sainte union et par suite l’instrument providentiel
du bonheur de l’époux et de l’Épouse, sinon le précurseur, l’apôtre ?
Comme il est heureux à son tour ! Comme il est « ravi de joie à la voix
de l’Époux » ! Et puisqu’il s’agit ici de la plus haute union qui puisse
exister en ce monde entre une âme et Dieu, comme il a raison de dire
que sa joie à lui est pleinement réalisée ! Il ne lui reste plus qu’à
s’effacer, pour laisser « Dieu seul et l’âme jouir l’un de l’autre dans un
très profond silence ».
Et il s’efface, goûtant pour récompense sa sainte joie.

1 Joan., III, 29.


Chapitre IV

QUAM PULCHRA ES, AMICA MEA, QUAM PULCHRA ES (CANT., IV, 1).
Oui, tu es belle, mon amie, oui, tu es belle.

Une belle âme charme et attire Jésus. Ardents désirs. Prière.

Quelle n’est pas l’admiration de Jésus pour la beauté de l’âme inté-


rieure au moment où, la jugeant digne de lui, Il s’avance vers elle pour
l’épouser. Oui, elle est plus belle que jamais ! Ses vertus ont atteint
leur parfait développement. Aucune d’elles ne manque à sa parure. La
charité, portée à son plus haut degré, les unit fortement et harmonieu-
sement entre elles.
Quoi de plus doux, de plus humble, de plus simple, de plus pur, de
plus aimant, qu’une telle âme ! Dès lors, quoi de plus beau et de plus
digne d’admiration ! Imaginons, si nous le pouvons, ce que devait être
la beauté de Marie au jour de sa très sainte Assomption, ou même
simplement celle d’une Catherine de Sienne, d’une Thérèse de Jésus,
au jour terrestre de leur union définitive avec le Sauveur. Il faut tou-
jours redire : Oui, rien n’est beau en ce monde comme une belle âme !
Il y a certainement dans le monde, ô mon Dieu, des âmes que vous
avez rendues dignes d’entendre tomber de vos lèvres ces paroles si
élogieuses et pourtant si justes.
Vous savez mes désirs, ô Jésus, vous avez souvent entendu ma
prière : « Que le nombre de ces âmes augmente chaque jour s’il se
peut, et que chacune d’elles soit chaque jour aussi plus parfaite et plus
belle ». On ne comprendra jamais assez combien de telles âmes vous
sont chères, combien grande est la joie qu’elles font goûter à votre bon
Cœur, et de quelle gloire elles vous illuminent par la pureté et la fidéli-
té de leur amour !
Faut-il maintenant songer à une telle grâce pour soi-même ? Mal-
gré mes désirs si ardents, j’allais dire si douloureux, je n’ose pas… Et
pourtant, j’en ai un tel besoin ! Sans cet espoir, je ne puis goûter ni un
jour de paix, ni un moment de vrai bonheur. Que faire, ô mon Dieu,
pour vous plaire, vous charmer, vous posséder et vous garder ?
Oui, mon Jésus, c’est une grande souffrance, pour le cœur, que de
ne pas savoir avec certitude si on a le bonheur de vous plaire. On goû-
terait tant de joie à lire dans vos yeux que vous êtes content ! On serait
si heureux de vous entendre nous dire : « Cela est bien ; vous m’avez
112 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

compris ; vous êtes mon vrai disciple, mon fidèle ami. Continuez ainsi,
je ne vous quitte pas des yeux. Mon cœur est toujours avec vous. Mais
soyez encore plus humble au dehors comme au dedans ; plus recueilli
afin de mieux entendre ma voix ; plus docile afin de mieux me suivre ;
plus oublieux de vous-même afin de mieux penser à moi ; plus détaché
de tout, afin que je puisse, à mon gré, vous élever jusqu’à moi et vous
unir à moi. Courage donc, mon ami, tout ce que vous faites me plaît,
parce que je vois que vous agissez toujours par amour. « Dilige et quod
vis, fac » 1.
Quand me parlerez-vous ainsi, ô Jésus ?
Mais, ô mon doux Sauveur, est-ce que j’ai raison de me plaindre ?
Ne me parlez-vous pas très souvent de la sorte ? C’est vrai, je
n’entends pas de son articulé, mais en avez-vous besoin pour me faire
comprendre votre pensée ? Non, certes ! Vous avez tant de moyens de
nous parler et de nous éclairer… Encore faut-il que nous sachions en-
tendre et que nous sachions voir. Seigneur, faites que j’entende, mes
oreilles sont dures ; faites que je voie, mes yeux sont clos ; faites en-
suite que je marche à votre voix et à votre lumière, car je suis un
pauvre paralytique. Jésus, Fils de David, Jésus, Fils de Marie, ayez pi-
tié de moi ! Vous suivre, comme votre ombre, ô Jésus, partout, à la
Crèche, en Égypte, à Nazareth, au Thabor, à la Croix, au ciel enfin.
Voilà mon unique désir, mon unique ambition, mon unique raison de
vivre et de souffrir. « Veni, sequere me ».

OCULI TUI COLUMBARUM, ABSQUE EO QUOD INTRINSECUS LATET (IV, 1).


Tes yeux sont des yeux de colombes derrière ton voile.

Voiles qu’il peut y avoir entre l’âme et Dieu.

Entre l’âme et Dieu il peut y avoir trois sortes de voiles : celui des
créatures, celui des représentations intérieures des choses de la terre
comme du ciel, enfin le voile de la foi toute pure qui renonce de se
faire une idée de l’infinie perfection de Dieu tant elle est persuadée de
l’inutilité de cet effort. Mais qui dit croire dit ne pas voir. L’âme qui
renonce aux créatures, aux pauvres conceptions de son intelligence,
pour vivre face à face avec son Dieu, garde toujours sur ses yeux, sauf
miracle très rare, un voile, celui de la foi. Seulement Dieu la regarde à
travers son voile, ou, pour mieux dire, le voile n’existe pas pour lui. Il
saisit donc en perfection tout ce qu’il y a de simplicité, de pureté, de

1 Aime et fais ce que tu veux (S. Augustin).


CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE IV 113

profonde affection dans le regard de cette âme qui l’aime et qui n’aime
que lui. Ce regard lui plaît. Il le charme. Il le captive ; ô doux regard,
que tu es puissant sur le Cœur de Dieu !

Prière pour obtenir une foi vive et lumineuse.

Ô mon Dieu, accordez-moi donc ce regard purifié et simplifié de la


foi vive. Détournez mes yeux de toute créature, faites-moi comprendre
l’impuissance de mes pauvres idées à vous saisir vraiment vous-même,
permettez-moi de vous regarder sans vous voir, mais comme si je vous
voyais. Vous êtes toujours le même. La connaissance que l’on a de
vous peut changer ; vous, vous ne changez pas. Vous êtes toujours plus
que bon, plus qu’aimable, « mon Dieu et mon Tout ». Charmez donc
tellement les yeux de mon âme qu’elle ne puisse plus les détacher de
vous, ô mon Dieu. Vous regarder toujours, afin de vous aimer tou-
jours. Vous regarder vous seul, afin de vous aimer vous seul. Sentir à
chaque regard son admiration pour vous grandir sans mesure ;
l’admiration devenir amour nouveau, et cet amour porter l’âme à vous
fixer avec une force toute nouvelle aussi, et cela sans fin, quelle joie,
quelle ivresse, ô mon Dieu !

CAPILLI TUI SICUT GREGES CAPRARUM QUAE ASCENDERUNT DE MONTE


GALAAD (CANT., IV, 1).
Tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres suspendues aux
flancs de la montagne de Galaad.

L’âme aimante s’efforce de multiplier les actes méritoires et de leur don-


ner une exécution achevée.

Tout plaît à Jésus dans l’âme intérieure, non seulement ce qui


constitue essentiellement sa beauté spirituelle, mais encore chacun
des traits de sa physionomie morale, chacun des ornements qui la font
ressortir. Tout à l’heure, il louait le regard clair, limpide, affectueux de
sa sainte Épouse ; maintenant, c’est la multitude ordonnée de ses
bonnes actions, figurée par la forme gracieuse et la teinte ferme de la
chevelure. L’âme qui aime Dieu multiplie tant qu’elle peut les actes
méritoires. Si humble qu’en soit la matière, elle s’efforce de leur don-
ner toute la perfection dont elle est capable. Elle les dirige tous vers
Dieu seul par l’intention, et fait tout ce qui dépend d’elle pour qu’ils
soient d’une exécution achevée. La charité les pénètre de sa teinte et
les dispose de manière à composer de leur multitude un tout ordonné
et gracieux. C’est un beau spectacle pour le regard de Dieu.
114 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

DENTES TUI SICUT GREGES TONSARUM QUAE ASCENDERUNT DE LA-


VACRO ; OMNES GEMELLIS FOETIBUS ET STERILIS NON EST INTER EAS
(CANT., IV, 2).
Tes dents sont comme un troupeau de brebis tondues qui remon-
tent du lavoir. Chacune porte deux jumeaux. Aucune d’elles
n’est stérile.

Les vertus, ornement de nos facultés, agissent par paires et transforment


tout en aliment de l’âme.

Ornement, par leur régularité et leur émail, les dents ont un rôle
important à jouer dans la vie physique de l’homme. Que peuvent-elles
représenter par analogie dans la vie intérieure ? Les facultés, les ver-
tus, ornements des facultés, et qui au dire des théologiens sont au
nombre d’une trentaine ? Peut-être. Supposons-le. Elles sont au com-
plet. Elles ont atteint leur parfait développement. Elles sont en pleine
activité. Elles vont par paires qui doivent agir ensemble pour que leur
acte soit achevé : douceur et force, humilité et magnanimité, justice et
miséricorde, bonté et fermeté, etc. Tout événement est saisi par elles et
transformé en aliment de l’âme. Tout acte de vertu dans le cas est mé-
ritoire et le mérite augmente la grâce et la gloire, c’est-à-dire la vie.

SICUT VITTA COCCINEA LABIA TUA ET ELOQUIUM TUUM DULCE (IV, 3).
Tes lèvres sont comme un fil de pourpre, et ta bouche est char-
mante.

Un seul discours : « Je vous aime ».

Au spirituel, les lèvres et la bouche figurent la volonté. La


teinte rouge pourpre indique qu’elles sont pleines de vie et toutes dis-
posées à se sacrifier pour Dieu. La bouche est au repos ordinairement,
mais dans un repos vivant. Elle attend pour s’ouvrir l’ordre de son
Dieu. Elle ne parle, elle n’agit que pour lui plaire. Au reste, tout son
discours se ramène à un seul mot : « Je vous aime », comme son acti-
vité à une seule opération : Aimer. Voilà pourquoi elle a tant de
charmes pour le Bien-Aimé. Aussi quand le divin Époux voudra rendre
heureuse sa sainte amie, il lui permettra d’approcher ses lèvres si
pures de son Cœur à lui. Il lui dira d’ouvrir sa bouche et il la nourrira
d’amour comme ne pourrait le faire de son lait pour son enfant la mère
la plus tendre et la plus dévouée. C’est par la volonté que Dieu se
communique à l’âme pour la nourrir et la réjouir.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE IV 115

SICUT FRAGMEN MALI PUNICI, ITA GENAS TUAS, ABSQUE EO QUOD IN-
TRINSECUS LATET (CANT., IV, 3).
Ta joue, est comme une moitié de grenade derrière ton voile.

Amour généreux, humble et pur.

Mélange harmonieux de rouge et de blanc, la moitié de la grenade


figure l’aspect de l’âme aux yeux de Dieu. Elle aime, et son amour
s’entretient par le sacrifice. De là cette multitude de points rouges re-
présentés par les grains du fruit. Mais cet amour généreux jusqu’à
l’immolation constante et totale de soi, s’enveloppe d’humilité et de
pureté. Il se cache sous un voile, et ce voile est blanc comme l’écorce
de la grenade. Plus l’âme intérieure se sacrifie, et plus elle se cache.
Plus elle se cache, et plus son amour est pur, désintéressé, délicat.
Mais aussi plus elle plaît à son Dieu, plus elle est aimée dé lui. Qui dira
tout ce que peut obtenir de Jésus l’âme qui se consume ainsi dans le
plus profond secret et par pur amour !

SICUT TURRIS DAVID COLLUM TUUM QUAE AEDIFICATA EST CUM PRO-
PUGNACULIS ; MILLE CLYPEI PENDENT EX EA, OMNIS ARMATURA FOR-
TIUM (CANT., IV, 4).
Ton cou est comme la tour de David, bâtie pour servir d’arsenal.
Mille boucliers y sont suspendus, tous les boucliers des braves.

Puissance de l’âme intérieure ; elle communique à son tour force et con-


fiance.

La sainte Église de Jésus peut se comparer à la tour de David. Elle


est bâtie sur le roc. Elle est ferme, immuable. Les saints de tous les
siècles lui ont demandé des armes pour combattre le bon combat. Ils
lui ont fait hommage de ces armes après la victoire. Elle les met au-
jourd’hui comme autrefois à la disposition de ses enfants. À nous de
puiser dans cet arsenal, à nous de combattre, à nous de vaincre avec le
secours de Dieu.
L’âme intérieure, elle aussi, peut être comparée à cette tour de
Sion. Elle s’appuie sur le fondement de la foi vive en son divin Époux.
Elle est forte de son amour. Comme elle a lutté pour lui rester fidèle,
elle sait comment il faut s’y prendre pour triompher. À son tour, elle
donne confiance à ceux qui l’approchent, leur fournit des armes, les
soutient dans la mêlée et se réjouit avec eux de leur pleine victoire.
116 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

DUO UBERA TUA SICUT DUO HINNULI CAPREAE GEMELLI QUI PASCUNTUR
IN LILIIS (CANT., IV, 5).
Tes deux seins sont comme deux jumeaux de gazelle, qui paissent
au milieu des lis.

Maternité spirituelle.

Comme l’Église, l’âme vraiment intérieure est mère. Dieu lui confie
des âmes, qui sont ses enfants dans l’ordre spirituel. Elle doit les nour-
rir jusqu’à ce que le Christ Jésus soit parfaitement formé en elles,
« donec formetur Christus in vobis » 1. C’est Dieu encore qui donne à
cette âme, épouse et mère, le lait spirituel qui fera grandir ses enfants.
Et, d’autre part, c’est lui qui leur inspire d’aller demander à cette âme
la nourriture divine dont ils ont besoin. Un instinct secret les pousse
vers elle. Sans trop s’en rendre compte, ils comprennent que là, et là
seulement, ils trouveront ce qu’ils cherchent. Si on les pressait de
donner la raison de leur démarche spontanée, ils réfléchiraient et fini-
raient par dire : « Je vais à cette âme avec confiance, parce que je sais
qu’elle pratique de tout son cœur, et dans leur parfaite pureté les deux
préceptes jumeaux de la loi : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout
ton cœur, etc., et ton prochain comme toi-même 2. Elle aime son pro-
chain, elle ne me repoussera pas. Elle aime son Dieu, elle me le donne-
ra. D’un mot, elle me nourrira de ses deux affections, et c’est ce que je
désire tant. Voilà pourquoi je vais à elle ».

DONEC ASPIRET DIES, ET INCLINENTUR UMBRAE, VADAM AD MONTEM


MYRRHAE ET AD COLLEM THURIS (CANT., IV, 6).
Avant que vienne la fraîcheur du jour et que les ombres fuient,
j’irai à la montagne de la myrrhe et à la colline de l’encens.

L’âme intérieure, séparée d’elle-même, se retire dans le secret pour mieux


aimer.

Des commentateurs nous disent que c’est probablement la sainte


Épouse qui parle ici. Elle exprimerait le désir de se retirer avec son
Dieu dans un lieu solitaire, tout embaumé des plus doux parfums, afin
d’y goûter dans la paix, la joie d’aimer et d’être aimée. Il est bien vrai
que ce désir de vivre seule à seul avec Jésus traverse souvent le cœur

1 Galal., IV, 19.


2 Matth., XXII, 37-39.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE IV 117

de l’âme intérieure à la manière d’une flèche aiguë, qui vient elle ne


sait d’où, et qui la pénètre brusquement, jusqu’au fond, au point
qu’elle croit en mourir. C’est une vraie séparation qui se fait en elle. En
tant que séparation, elle est douloureuse comme la mort. Et pourtant
l’âme éprouve une joie indicible. Il lui semble qu’elle est libre d’aimer
à plein cœur, et que rien ne l’arrête plus dans son élan vers Dieu. C’est
alors qu’elle exprime le désir de se cacher en lui pour mieux le goûter
et mieux le posséder.
Comme vous êtes bon, ô mon Dieu, d’opérer dans l’âme cette sépa-
ration d’elle-même avec elle-même, sans laquelle l’union parfaite avec
vous ne serait pas possible, et en même temps d’exciter son amour,
afin qu’il la soulève jusqu’à vous par le désir. Oui, mon Dieu, personne
ne pourra jamais comprendre à quel point vous êtes bon pour votre
pauvre créature. Elle en est émue jusqu’aux larmes. Ce qui la ravit et la
désole tout ensemble, c’est qu’elle ne puisse pas exprimer ce qu’il y a
d’infiniment doux et bon dans votre amour. Quand une âme ne veut
plus, au monde, qu’une seule chose, votre bon plaisir ; quand elle n’a
plus dans l’esprit qu’une seule pensée, la vôtre, ô mon Dieu ; c’est alors
que vous lui faites éprouver les élans d’amour qui la purifient, la déta-
chent tout à fait, la soulèvent jusqu’à vous, la font entrer en vous,
l’unissent à vous, pour la faire vivre de vous comme vous. Il lui semble
que votre infinie Beauté se révèle un peu à ses yeux, dans une lumière
pleine de douceur et de charme. C’est un horizon sans limites qu’il lui
est donné de contempler. En même temps, son cœur goûté une joie
toute nouvelle, la vôtre, ô mon Dieu. Elle comprend que c’est comme
une goutte du vrai et de l’éternel bonheur. Elle est heureuse jusqu’à
une sorte d’ivresse. Et ce qui ajoute encore à sa joie, c’est qu’elle sait
que tout cela vient de vous par pure bonté. Tenir son bonheur de vous
et de vous seul, voilà peut-être ce qui la ravit le plus et la fait sortir ir-
résistiblement d’elle-même. « Confitemini Domino quoniam bonus ;
quoniam in saeculum misericordia ejus » 1. Oui, que toutes les âmes
favorisées de cette même grâce se joignent à elle pour chanter les mi-
séricordes infinies de ce Dieu si bon. Continuez, ô mon Dieu, à béati-
fier ainsi des âmes. C’est une œuvre si digne de vous !

*
On pourrait peut-être interpréter librement ces paroles de l’Épouse
et se demander quelle est « cette montagne de la myrrhe et cette col-
line de l’encens », où elle désire tant se retirer « avant que vienne la
fraîcheur du jour, et avant que les ombres fuient », c’est-à-dire avant
la fin de sa vie terrestre.

1 Louez le Seigneur parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde est éternelle (Ps. CXVII, 1).
118 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

On pourrait voir alors dans la montagne, le Calvaire, et dans la col-


line, l’autel et le Tabernacle. C’est bien là en effet que l’âme aimante se
plaît à chercher son Dieu, et c’est bien là qu’elle le trouve. Quoi de plus
efficace pour exciter l’amour de Dieu, et par suite rapprocher de lui,
que la silencieuse méditation des mystères de la Croix et de
l’Eucharistie ?
Jésus, qui s’immole par amour, Jésus qui se donne tout entier par
amour ! Tout un monde d’idées et de sentiments gravite autour de ces
deux preuves d’affection du divin Époux. Ne faudrait-il pas vraiment
des pages et des pages pour décrire même brièvement quelques-unes
de ces idées ou quelques-uns de ces sentiments ?
Qu’il suffise d’assurer que la Croix et l’Eucharistie sont des sources
inépuisables de charité. Communier en esprit et en vérité à ces deux
mystères, c’est prendre la voie la plus sûre et on peut dire la plus ra-
pide pour trouver Dieu et s’unir à lui.
La Croix purifie, détache, et même fait mourir de cette mort à tout
égoïsme, condition nécessaire du règne de l’amour. L’Eucharistie
nourrit l’âme. Elle lui communique des forces nouvelles. Elle déve-
loppe tout l’organisme surnaturel. Elle donne Jésus et elle nous donne
à Jésus. C’est lui qui nous assimile à lui et nous fait vivre d’une vie
toute d’amour. L’Épouse a donc bien raison de se retirer, pour mieux
aimer, dans le secret de ces deux mystères.

TOTA PULCHRA ES, AMICA MEA, ET MACULA NON EST IN TE (CANT., IV, 7).
Tu es toute belle, mon amie, et il n-y a pas de tache en toi.

Jésus adresse cet éloge à Marie.

L’amour a inspiré à l’Épouse le désir de la plus intime union avec


son Dieu. Elle l’a cherché partout, à la Croix, au Tabernacle, en elle-
même, où elle sait que son Bien-Aimé habite et se cache. Cette re-
cherche lui a fait pratiquer à un très haut degré les vertus chères au
Cœur de Jésus, l’humilité, la patience, la générosité, la confiance et
l’abandon. Elle a surtout montré la fidélité, la simplicité et la profon-
deur de son amour. Spirituellement elle est plus belle que jamais. Jé-
sus le constate avec bonheur et il le lui dit sans détour. Il ajoute même
qu’au feu de son désir, l’Épouse s’est pleinement purifiée. Plus rien en
elle qui puisse déplaire si peu que ce soit aux regards du Bien-Aimé.
Plus aucune tache dans celle âme, si petite qu’on la suppose.
Toutefois, c’est à vous seule, ô Marie, modèle parfait dès le principe
des âmes intérieures, que cet éloge convient sans réserves. Nous
sommes ravis d’entendre Jésus vous l’adresser avec tant d’amour.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE IV 119

VENI DE LIBANO, SPONSA MEA, VENI DE LIBANO ; VENI, CORONABERIS ;


DE CAPITE AMANA, DE VERTICE SANIR ET HERMON, DE CUBILIBUS
LEONUM, DE MONTIBUS PARDORUM (CANT., IV, 8).
Viens avec moi du Liban, ma fiancée, viens avec moi du Liban !
Regarde du sommet de l’Amana, du sommet du Sanir et de
l’Hermon, des tanières des lions des montagnes qu’habitent les
léopards.

Jésus appelle l’âme à l’union définitive.

Quand une âme plaît à Jésus, par sa beauté toute spirituelle et sa


parfaite pureté, il l’appelle à l’union définitive avec lui. Elle habite sur
les hauteurs d’elle-même, loin du bruit, loin du monde, loin de tout,
près du ciel. C’est de ce sommet que Dieu lui ordonne affectueusement
de s’élancer, pour venir jusqu’à lui. Appel mystérieux, délicieux, irrésis-
tible, que celui de Jésus à sa sainte fiancée. Il est parfois si puissant, que
l’âme paraît sur le point de se séparer du corps, pour mieux y répondre.
Il exerce sur elle à d’autres moments une telle attraction que le corps
lui-même en est soulevé. La terre n’est plus assez forte pour le retenir. Il
s’arrache pour quelques instants à son emprise et suit l’âme dans son
élan vers Dieu. Ô Amour, que tu es puissant ! Par une lente et pénible
ascension, l’âme s’est élevée au-dessus de tout. Elle a triomphé de tous
les obstacles. Elle a vaincu tous ses ennemis, eue a dompte ses passions,
elle les a soumises au joug de la vérité et de la vertu ; elle les domine,
elle les contraint à lui servir comme d’échelon et de marchepied. Elle vit
sur les sommets d’elle-même dans la paix de la victoire. Là, elle attend
la visite de son Dieu. Il vient quand il lui plaît. Il reste le temps qu’il
veut. Il s’éloigne, ou plutôt parait s’éloigner, quand il le juge à propos.
Mais quand il veut revenir, il prévient délicatement son Épouse ; une
douce lumière éclaire son esprit, une force mystérieuse pénètre sa vo-
lonté, une bienfaisante chaleur dilate son cœur. Elle entend une voix
qui lui dit : « Regarde ». C’est la voix du Bien-Aimé qui l’appelle.

VULNERASTI COR MEUM, SOROR MEA SPONSA, VULNERASTI COR MEUM, IN


UNO OCULORUM TUORUM ET IN UNO CRINE COLLI TUI (CANT., IV, 9).
Tu m’as ravi le cœur, ma sœur fiancée, tu m’as ravi le cœur, par un
de tes regards, par une des boucles (qui pendent) sur ton cou.

Pour conquérir le Cœur de Dieu, il suffit de l’aimer tout à fait.

Jésus a éveillé l’attention de l’âme, il lui a dit : « Regarde », ce qui


signifie aussi : « Écoute ». Il a quelque chose de grave à lui dire. Ce
120 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

quelque chose, c’est son amour : « Tu m’as ravi le cœur, ma sœur


fiancée ».
L’âme intérieure, devenue semblable à celle de Jésus par un long
travail de transformation, peut être appelée à juste titre sa sœur spiri-
tuellement : elles ont toutes deux la Trinité sainte pour Père et, à des
titres tout à fait différents, mais réels, Marie pour Mère. La sainte Âme
de Jésus et l’âme vraiment pénétrée par l’amour divin sont deux âmes
sœurs et dans l’ordre de la nature et dans l’ordre de la grâce habituelle
proprement dite. C’est même cette similitude presque achevée du côté
de l’âme intérieure, qui lui vaut le doux titre de « sœur fiancée ». C’est
elle qui va rendre possible et prochaine l’union parfaite avec le Verbe
Incarné. Plus une âme ressemble à l’Âme sainte du Sauveur, plus elle
attire à elle le Verbe divin. On dirait qu’il brûle du désir de s’incarner
de nouveau, d’une façon accidentelle il est vrai, mais pourtant très ré-
elle. Lui offrir une « humanité de surcroît » pas trop indigne de sa
sainteté, c’est le prendre en quelque sorte par son faible et l’obliger à
revivre sa vie terrestre !
Est-ce que cela ne s’est pas pleinement réalisé pour Marie, lors de
l’Incarnation ? Outre son privilège tout spécial de Mère de Dieu, n’a-t-
elle pas été pour le Verbe, tout en gardant sa personnalité pleinement
distincte, la plus parfaite et la plus chère de ses « humanités de sur-
croît » ? Pourquoi donc, sinon parce que son âme et même son corps
étaient aussi semblables que possible à l’âme et au corps de Jésus ?
L’amour de Dieu pour Marie et l’amour de Marie pour Dieu avaient
produit cette parfaite harmonie et cette parfaite ressemblance. Pour
conquérir le cœur de Dieu, il suffit d’aimer tout à fait.
Ravir le cœur de Dieu, le savoir et le savoir par lui, quelle joie !
C’est la joie de l’âme préparée à l’union divine par l’amour divin. Oui,
si étonnant que cela puisse paraître, l’âme qui a donné son cœur à
Dieu jusqu’au fond et à jamais, reçoit en retour, comme un trésor bien
à elle, le cœur même de Dieu. Elle le possède en toute propriété, elle
en dispose à son gré. Sans le perdre, elle le donne à qui il lui plaît.
Comme elle a fait la volonté de Dieu, en pratiquant dans toute sa per-
fection le premier précepte de la Loi, Dieu, à son tour, fait toutes ses
volontés ; ou, pour mieux dire, les deux volontés, les deux cœurs sont
tellement semblables, qu’ils ne se distinguent plus dans l’ordre pra-
tique. Sous ce rapport, le cœur de Dieu est devenu le cœur de l’Épouse,
et le cœur de l’Épouse, le cœur de Dieu. Ils ont fait comme un échange
de droit de propriété. Et c’est l’amour qui, en créant la similitude pro-
fonde, a rendu possible et a réalisé cet échange bienheureux.
L’ambition de l’âme intérieure est donc réalisée : elle a ravi le cœur
de son Dieu ; elle le sait à n’en pouvoir plus douter. C’est son Bien-Aimé
lui-même qui le lui a dit. Comment ? Par une parole extérieure, peut-
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE IV 121

être ; par une parole intérieure, souvent ; au moins par une action in-
time, profonde, qu’il opère dans l’âme sans que celle-ci y résiste jamais,
et qui, à sa manière, est une parole, une manifestation très claire des
dispositions de Dieu à son égard. La parole extérieure comme la parole
intérieure, quand elles se font entendre, traduisent en langue humaine
cette action mystérieuse de Dieu, par laquelle il fait connaître, expéri-
menter à l’Épouse le transport de joie de son cœur à lui, quand il se
voit vraiment aimé. Comme l’âme est alors bien récompensée de tout
ce qu’elle a souffert pour conquérir ce cœur si bon ! Cette parole ferait
mourir de bonheur, si Dieu la laissait agir dans toute sa force.
Elle est un baume, un parfum, une mélodie, une liqueur, une lu-
mière, une force, quoi donc encore ? Elle est tout cela ensemble et plus
que cela. C’est le ciel déjà. Et que faut-il pour que Dieu la prononce ?
Un seul regard, un seul sourire, un seul mot, un seul soupir, un seul
battement du cœur de l’âme qui l’aime vraiment. Quand donc, ô mon
Dieu, comprendrons-nous la puissance du saint Amour ?
Quand nous déciderons-nous à vous aimer, et à n’aimer que vous et
de toute notre âme ? Répandez cet amour dans nos cœurs, ô Esprit di-
vin ! Vous seul pouvez nous le donner. Hâtez-vous. Alors nous lance-
rons sans cesse vers notre Dieu bien-aimé, vers vous, ô Trinité ado-
rable, ces regards, ces cris, ces flèches d’amour, qui vous blessent si
profondément, ouvrent tout grand votre cœur et en font jaillir des flots
de bonheur et d’amour.

QUAM PULCHRAE SUNT MAMMAE TUAE, SOROR MEA SPONSA ! PUL-


CHRIORA SUNT UBERA TUA VINO, ET ODOR UNGUENTORUM TUORUM
SUPER OMNIA AROMATA (CANT., IV, 10).
Que ton amour a de charmes, ma sœur fiancée, que ton amour est
délectable. Il vaut mieux que le vin ; l’odeur de tes parfums
vaut mieux que fous les aromates.

Puissance du véritable amour sur le Cœur de Dieu.

Vos paroles, ô mon Dieu, sont pleines de vérité. Elles nous éton-
nent sans doute. Mais il suffît qu’elles soient « vos paroles » pour que
nous y adhérions sans réserve. Ainsi donc, ô mon Dieu, nous croyons
de toute notre âme que l’amour sincère et pur d’un cœur vraiment
épris de vous fait votre joie, qu’il est plein de charme pour votre cœur,
qu’il vous enchante et vous ravit, qu’il est pour vous comme une déli-
cieuse nourriture et comme le plus délicat des parfums. Le vin le plus
riche, les aromates les plus exquis ne sont rien, quand vous les compa-
rez à l’amour si délicat et si profond de votre « sœur fiancée ». Et c’est
122 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

vous, ô mon Dieu, qui n’avez besoin de rien ni de personne pour être
pleinement, parfaitement, immuablement heureux, c’est vous qui par-
lez ainsi à une pauvre âme humaine, qui vous doit tout, jusqu’à
l’amour qu’elle vous porte et qui vous charme. Ô Amour, que tu es
puissant ! Ô mon Dieu, que vous êtes bon !
Vous charmer, ô mon Dieu, quelle grâce, quel bonheur ! Quand on
est sous le charme, on ne se possède plus, on est pris tout entier. Vous
seul avez le droit de nous charmer ainsi. Mais aussi, l’amour d’un cœur
pur exerce sur vous la même domination. Vous nous le dites, vous le
voulez ainsi. Il vous plaît de vous faire le libre captif de l’amour. C’est
certain. Pourquoi cela, ô mon Dieu ? Vous n’avez pas de secrets pour
qui vous aime. Faites comme si je vous aimais. Dites-moi : Pourquoi le
véritable amour a tant d’empire sur vous ? Quand on aime d’un légi-
time et profond amour, on se sent porté à inspirer à d’autres l’affection
dont on est tout rempli. Comme on voudrait, ô mon Dieu, vous faire
aimer de tous les hommes ! À votre manière toute divine, vous éprou-
vez vous-même en quelque sorte ce que nous ressentons, nous, dans
notre pauvre cœur. Vous ne pouvez aimer que vous. Vous vous aimez
autant que vous êtes aimable, sans mesure, infiniment. Votre amour
fait votre bonheur, et votre bonheur est parfait, infini, comme votre
beauté et comme votre amour. Mais dans votre ineffable bonté, sans
aucune nécessité de votre part, vous avez voulu créer des êtres capables
de communier à votre bonheur en communiant à votre amour. Vous
avez fait les Anges dans le ciel et les hommes sur la terre. Vous leur avez
dit : « Contemplez-moi. Aimez-moi. J’ai le droit d’être aimé ; je yeux
être aimé. Mais je veux être aimé librement. Aimez-moi donc. Partagez
mon amour pour moi-même. Vous me ferez plaisir, je vous rendrai
heureux. Vivez de ma vie, imparfaitement d’abord, ensuite, et comme
récompense, je vous en ferai vivre pleinement et pour l’éternité ».

FAVUS DISTILLANS LABIA TUA, SPONSA ; MEL ET LAC SUB LINGUA TUA, ET
ODOR VESTIMENTORUM TUORUM SICUT ODOR THURIS (CANT., IV, 11).
Tes lèvres distillent le miel, ma fiancée ; le miel et le lait se cachent
sous ta langue, et l’odeur de tes vêtements est comme l’odeur
du Liban.

Tout dans l’âme intérieure ravit le Cœur de l’Époux divin.

Pour le divin Époux, la parole de sa sainte fiancée a quelque chose


de plus doux que le miel, de plus agréable et de plus rafraîchissant que
le lait. Les lèvres parlent de l’abondance du cœur. Le cœur est tout
amour : rien n’est doux comme le saint amour. Pour qui brûle d’amour
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE IV 123

comme Dieu, rien n’est rafraîchissant comme une parole d’amour. Et


l’heureuse fiancée ne sait plus dire que des paroles de vraie tendresse,
d’affection, de dévouement, d’admiration, d’amour en un mot.
Puis il se dégage de tout elle-même un parfum délicat, pénétrant,
qui charme, lui aussi, à sa manière, le cœur de Dieu. L’air qu’elle res-
pire en est tout embaumé. Ce qui paraît d’elle au dehors et forme
comme son vêtement en est tout imprégné. Les âmes intérieures le
sentent. Combien plus Dieu à qui rien n’échappe.

HORTUS CONCLUSUS, SOROR MEA SPONSA, HORTUS CONCLUSUS, FONS


SIGNATUS (CANT., IV, 12).
C’est un jardin fermé que ma sœur fiancée, une source fermée, une
fontaine scellée.

Richesse et charme de ce jardin fermé.

Jésus continue à faire l’éloge de l’âme intérieure, sa sœur fiancée,


bientôt son Épouse. Il la compare à un jardin, mais à un jardin fermé.
Qu’est-ce à dire ? Un jardin est une terre de choix dont on fait dispa-
raître, avec le plus grand soin, et les pierres et les ronces et les épines
et les herbes folles. On lui donne ensuite une forme gracieuse, dessi-
née avec art. Enfin, on lui confie des plantes délicates, des fleurs de
prix, des arbres aux essences variées. Pour le protéger, le maître
l’entoure d’une haie vive. Personne n’y peut entrer sans sa permission,
le regard même n’y peut pénétrer. La haie seule et les parfums qui la
franchissent font soupçonner la richesse et le charme de ce jardin fer-
mé. N’est-ce point l’image fidèle de la fiancée du Sauveur ? Elle a été
choisie entre mille. Jésus s’est occupé d’elle avec un soin assidu. Il a
fait d’elle un véritable jardin fermé, riche de fleurs et de fruits, et où il
a seul le droit d’entrer. Il use de ce droit, il vient souvent. Il sait bien
que là, tout est de lui, tout est pour lui, tout est à lui. Par une délica-
tesse d’Époux, il permet à l’âme d’admirer les fleurs et de goûter les
fruits qu’elle porte elle-même. On dirait alors qu’unis par la plus par-
faite harmonie de vues, de volontés et de sentiments, Jésus et sa douce
fiancée se promènent paisiblement ensemble, au travers de ce beau
verger. Ils s’entretiennent de l’unique chose qui les intéresse : leur mu-
tuel amour. Par moments, ils se taisent pour mieux savourer leur bon-
heur, ils s’arrêtent, ils se reposent comme à l’ombre de quelque bos-
quet. Puis ils reprennent doucement leur promenade et leur divine
conversation. Quels moments pour l’âme que ceux où Jésus daigne
ainsi l’honorer de son aimable présence et s’entretenir cœur à cœur
avec elle ! Ô Jésus, il n’y a que vous qui sachiez aimer !
124 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Quand sera-ce, ô Jésus, que vous pourrez comparer mon âme à un


jardin, et à un jardin fermé ? C’est votre désir pourtant. C’est mon
bonheur aussi. Mais, hélas ! je n’ai pas su répondre à votre désir, ni
travailler à mon bonheur comme vous l’auriez voulu. Pardonnez-moi,
ô Jésus ! Puisque vous voulez bien m’ouvrir les yeux et me montrer la
tâche qui me reste à accomplir, donnez-moi, je vous en prie, par votre
très sainte Mère, le courage de l’entreprendre et de ne plus jamais
l’abandonner.
Mon premier effort doit porter sur la clôture de mon jardin. Elle
doit être parfaite : point de passages dans la haie, une seule porte
d’entrée, dont vous posséderez seul la clef. Il faut que mon âme soit
inexorablement fermée à tout ce qui n’est pas vous, et qu’elle ne
s’ouvre qu’à vous et à ceux que vous voulez faire entrer avec vous. Elle
ne m’appartient pas. Elle est à vous, je n’ai donc pas le droit d’y ad-
mettre et d’y garder qui que ce soit, et quoi que ce soit de moi-même.
À quelque moment que vous daigniez la visiter, il faut que vous la
trouviez vide de toute créature, seule, tout occupée du désir de votre
aimable visite et du soin de s’y préparer. Si je pouvais enlever les pe-
tites pierres (j’espère qu’il n’y en a pas de trop grosses !) qui blessent
vos pas, les ronces qui déchirent vos mains, les herbes inutiles qui dé-
plaisent à vos regards, comme je serais heureux !
Puisque mon jardin est pauvre, qu’il soit au moins bien tenu ! Ce
doit être là mon grand souci pendant votre absence. C’est le seul
moyen que j’aie de vous attirer de nouveau. Je souffre quand vous me
quittez, mais je n’ai pas le droit de me plaindre. Il y a tant de jardins
plus riches et plus beaux que le mien ! N’est-il pas juste que vous leur
donniez la préférence ?
*

Vous comparez encore, ô Jésus, votre sainte fiancée à une source


fermée, à une fontaine scellée. L’eau a partout son prix. Mais dans les
pays de soleil, elle est à la fois plus rare et plus utile. D’autre part, il y a
des eaux plus fraîches, plus pures et plus limpides que d’autres. Heu-
reux celui qui possède en propre une de ces sources, une de ces fon-
taines. Il peut y puiser à son gré, et nul n’a le droit de s’y désaltérer
sans sa permission.
Votre amour pour les âmes intérieures vous consume, ô Jésus.
C’est un feu brûlant, qui vous altère. Vous avez soif d’amour. L’amour
seul peut rafraîchir votre Cœur. Mais il vous faut un amour pur, lim-
pide, désintéressé. Vous ne le trouvez qu’au plus intime des âmes de
vie profonde, qui sont vraiment à cet égard des « sources », mais fer-
mées, des « fontaines », mais scellées pour tout autre que pour vous.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE IV 125

Pourquoi donc, ô Jésus, le nombre de ces « jardins fermés », de ces


« fontaines scellées » est-il si petit, du moins â ce qu’il nous semble ?
On souffre, ô mon Dieu, c’est vrai, à la pensée de tant de pécheurs qui
vous offensent, mais on souffre bien aussi à la pensée de tant de cœurs
qui ne vous aiment pas assez. Diminuez le nombre et des uns et des
autres. Augmentez celui de ceux qui vous aiment tout à fait. Vous avez
le droit d’être aimé sans mesure. Faites donc que ce droit soit pleine-
ment reconnu. Illuminez les âmes. Montrez-leur quelque rayon de
votre ineffable Beauté. Prenez possession des volontés. Gagnez les
cœurs à votre amour. Alors, vous trouverez sur cette pauvre terre de
vrais jardins de délices, où vous pourrez vous plaire à venir et à repo-
ser ; de pures sources d’eau fraîche, où vous pourrez calmer un peu la
soif d’amour qui tourmente, si l’on ose dire, votre adorable Cœur.
Accende lumen sensibus,
Infunde amorem cordibus,
Infirma nostri corporis
Virtute firmans perpeti.

EMISSIONES TUAE PARADISUS MALORUM PUNICORUM CUM POMORUM


FRUCTIBUS, CYPRI CUM NARDO, NARDUS ET CROCUS, FISTULA ET
CINNAMOMUM, CUM UNIVERSIS LIGNIS LIBANI, MYRRHA ET ALOË
CUM OMNIBUS PRIMIS UNGUENTIS (CANT., IV, 13-14).
Un bosquet ou croissent les grenadiers avec les fruits les plus ex-
quis, le cypre avec le nard, le nard et le safran, la cannelle et le
cinnamome avec tous les arbres qui donnent l’encens, la
myrrhe et l’aloès, et toutes les plantes embaumées.

Les fruits du Saint-Esprit.

À cause de la fraîcheur de son feuillage, de l’éclat de ses fleurs, de la


grâce et du goût agréable de ses fruits, le grenadier est un des arbres
préférés des Orientaux. On comprend que l’Époux divin, voulant faire
l’éloge de sa sainte fiancée, l’ait comparée à un bosquet composé de
grenadiers et d’autres arbres « aux fruits les plus exquis ». Pour l’âme
intérieure, en effet, le temps des fruits est venu. Le fruit est comme le
terme du travail de certains arbres ; pour l’ordinaire, il est agréable à
la vue et au goût ; pour l’ordinaire aussi, il est nourrissant.
Dans l’ordre spirituel, les fruits sont des actes surnaturels, résultant
de l’activité de l’âme mue par l’Esprit d’amour et leur procurant à tous
deux une véritable joie. On les appelle les fruits du Saint-Esprit.
D’après saint Paul, selon la Vulgate, il y en aurait douze : « Charité, joie,
paix, patience, bénignité, bonté, longanimité, mansuétude, fidélité,
126 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

modestie, continence et chasteté » 1. Toutefois, dans le texte grec, on ne


trouve que neuf fruits énumérés : « la charité, la joie, la paix, la pa-
tience, la mansuétude, la bonté, la fidélité, la douceur, la tempérance ».
Il importe peu, au reste. Saint Paul ne se proposait pas de dresser
une liste complète. Ce qu’il faut retenir, surtout, c’est le soin que doit
avoir l’âme intérieure de porter de tels fruits. Jésus en fait comme sa
nourriture. Plus les fruits sont nombreux, plus ils sont beaux et plus il
est content. Une des marques de sa joie, c’est l’invitation qu’il adresse
à l’âme elle-même de goûter des fruits de son propre jardin.

Charité.

Il n’y a pas de vertu qui produise plus volontiers son acte et dont
l’acte donne plus de bonheur que la charité véritable. Multipliez les
actes d’amour de Dieu et du prochain. Que chacun d’eux soit plus par-
fait que celui qui le précède et en prépare un autre encore plus achevé
que lui, et vous aurez au dedans de vous une source de bonheur
chaque jour plus abondante et plus délicieuse.
Aimer ainsi, c’est vivre, et pleinement. Mais vivre, c’est se dévelop-
per, s’épanouir, se fortifier, s’enrichir de la vraie richesse ; toutes
choses qui sont agréables au goût de l’âme et peuvent être appelés des
« fruits spirituels ».

Joie.

De l’amour procède la joie. C’est le sentiment habituel de l’âme in-


térieure. On a dit de la joie qu’elle était « le reflet psychologique du
bien en nous ». C’est un je ne sais quoi d’agréable et de doux qui saisit
lame tout entière, l’enveloppe et la pénètre, dès qu’elle prend cons-
cience d’un bien qui lui arrive et qu’elle possède en plénitude. Or la
joie de l’âme qui aime Dieu et se sait aimée de lui coule en elle comme
de deux sources qui uniraient leurs eaux. Elle se réjouit du bien de
Dieu en lui-même, puis du bien de Dieu en tant que participé par elle-
même et devenant ainsi son propre bien à elle.
Le bien de l’âme, c’est Dieu. Plus elle le possède, par l’amour, plus
elle a conscience de cette possession, et plus aussi elle est heureuse,
plus sa joie est grande. Si Dieu ne la tempérait parfois, la mort ne tar-
derait pas à se produire. Mais cette joie personnelle est limitée, le
cœur est si petit, Dieu est si grand ! Elle est aussi, souvent du moins,
mélangée d’un peu de crainte, ne serait-ce que celle de la voir finir…
La terre n’est pas le Ciel. Au-dessus de cette joie, il en est une autre,

1 Galat., V, 22.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE IV 127

plus profonde, plus parfaite, presque immuable, celle qui vient à l’âme
du bonheur même de Dieu. Ce Dieu qu’elle possède, qui est tout à elle
et comme tout en elle, ce Dieu béni, adoré, aimé, est heureux, lui, d’un
bonheur sans mélange, sans limite, sans fin, et qui ne saurait ni croître
ni diminuer, parce qu’il est infini. Ce bonheur, Dieu, son Bien-Aimé, le
goûte en paix et toujours. Nul ne peut le lui ravir.
Prendre un peu conscience de cette béatitude propre à Dieu, et qui
est au fond Dieu lui-même, c’est, pour l’âme aimante, la joie des joies.
La sienne propre ne compte plus auprès de celle-là. Et pourtant, celle-
là est bien aussi la sienne. Qui dira ces choses ?
Quelle joie encore pour l’âme intérieure que de se dire au moment
de la communion et pendant son action de grâces, qu’elle possède en
elle, bien à elle, l’Âme sainte du Verbe Incarné, de Jésus. Cette Âme
aimée, qui nous unit à elle, nous transforme en elle, est heureuse
comme il n’est pas possible de l’être. Elle voit la Trinité Sainte face à
face, elle la possède, elle l’aime à un degré et avec une perfection inac-
cessible à toute autre âme si généreuse soit-elle, et à tout ange. Elle est
donc heureuse d’un bonheur qui ne se mesure pas. La joie divine
s’épanche dans cette Âme d’une manière ineffable. Elle reste une Âme
humaine, c’est vrai, mais tellement divinisée par son union person-
nelle avec le Verbe et par sa possession si parfaite de l’essence divine,
qu’on ne sait plus quel terme employer pour exprimer et sa perfection
et sa richesse et sa joie. Et dire cependant que cette Âme aimée est à
nous, alors, et qu’elle vit sa vie en nous ! Comment ne pas se réjouir de
sa joie et être heureux de son bonheur !

Paix.

Un autre fruit du saint amour que Jésus et l’âme goûtent ensemble,


c’est la paix.
À de certaines heures, la joie est si vive qu’elle fait oublier la paix.
Mais celle-ci compense par sa douce constance ce qui paraît lui man-
quer par ailleurs. Quand la joie tombe, ce qui arrive au moins par
moments, la paix demeure. Elle a un charme qui lui est propre. C’est le
charme de l’ordre, de la tranquillité, de la sécurité, de l’activité silen-
cieuse, calme et bien réglée. Comme ce fruit est doux ! Comme on le
goûte avec bonheur ! Comme on s’étonne de le trouver toujours
agréable et toujours nouveau ! On ne se lasse pas de lui, pas plus qu’on
ne se lasse du saint amour, dont il est bien réellement le fruit. En effet,
quand l’Esprit-Saint règne dans une âme, il y met de l’ordre. Il la met
aussi dans l’ordre et par rapport à Dieu et par rapport au prochain et
par rapport aux événements et aux choses. Or, nous le savons, la paix,
128 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

c’est la tranquillité de l’ordre 1. Voilà pourquoi l’âme-intérieure est si


paisible.
Une âme paisible est une âme pacifiante. Elle est établie dans
l’ordre ; elle y établit les autres. L’ordre consiste dans la parfaite adap-
tation des moyens à la fin, Mais la fin de l’homme, c’est Dieu connu,
aimé, possédé en lui-même et par suite glorifié. Celui qui connaît le
mieux cette fin dès ce monde est aussi celui qui peut le mieux juger de
tout, et tout ordonner au mieux en vue de cette fin à atteindre ; cela,
pour lui d’abord, puis pour les autres, si le bon Dieu lui en donne la
charge et lui en fait la grâce. C’est le sage au sens plénier et surnaturel
du mot. C’est celui qui met la paix partout, d’abord en lui, puis hors de
lui. C’est le « pacifique » que Jésus proclame bienheureux. Bienheu-
reux, il l’est à un double titre. Il « mérite » excellemment le bonheur
du séjour de la paix. Il le « goûte » déjà par une sorte d’anticipation
réelle. Comme dit saint Thomas, l’homme, par le don de Sagesse,
« participe la similitude du Fils unique et par nature…, lequel est pré-
cisément la Sagesse engendrée…, et parvient ainsi à la filiation divine :
Beati pacifici quoniam filii Dei vocabuntur » 2.

Patience.

Dans les conditions actuelles de la vie, la charité, la joie et la paix


ne suppriment point la souffrance. Jésus, le modèle et l’Époux de
l’âme intérieure, était tout à la fois l’Homme de la vision bienheureuse
et l’Homme de douleurs : « Tota vita Christi fuit crux et martyrium 3.
Plus une âme suit Jésus de près, plus elle s’abreuve au torrent des dé-
lices, et aussi plus elle trempe ses lèvres au calice d’amertume. C’est
mystérieux, mais c’est très réel. Voyez Marie, Reine des Martyrs, voyez
saint Paul, voyez saint Ignace d’Antioche, etc., etc. La patience, cet art
de souffrir avec Jésus, comme Jésus, pour Jésus, doit se trouver dans
toute âme vraiment conduite par l’Esprit de Jésus.
Suivant le mot de sainte Thérèse, souffrir est son « métier ». Et il
s’agit évidemment de souffrir par amour, c’est-à-dire de pratiquer en
perfection la vertu de patience, de lui faire porter de beaux et de bons
fruits pour l’éternité. « Que la patience soit accompagnée d’œuvres
parfaites » 4, nous dit saint Jacques. Malgré toutes les épreuves qui
peuvent fondre sur elle, épreuves du dehors, épreuves du dedans,
l’âme intérieure ne doit pas se laisser abattre un seul moment par la
tristesse. Elle sent la douleur, elle souffre réellement, mais au milieu

1 S. Augustin.
2 Bienheureux les pacifiques parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu (Matt., V, 9).
3 Toute la vie du Christ fut croix et martyre (Imit., II, XII, 7).
4 Jacob, I, 4.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE IV 129

de cette amertume, elle reste calme. Non seulement elle dit : « Fiat vo-
luntas tua », du fond du cœur, mais encore elle ajoute, sous l’influence
du don de Conseil, qui lui montre le prix du sacrifice : « Deo gratias !
Merci, ô mon Dieu ! » Elle peut même s’élever plus haut et s’écrier
comme saint Paul : « Superabundo gaudio in omni tribulatione nos-
tra » 1. Les Apôtres, et après eux tous les Saints, n’étaient-ils pas heu-
reux de souffrir pour Jésus ? « Ibant gaudentes a conspectu concilii,
quoniam digni habiti sunt pro nomine Jesu contumeliam pati » 2.
Rien ne pouvait arrêter leur amour. Il portait ses fruits dans la pa-
tience. Les Saints savent souffrir, parce qu’ils savent aimer.
Et leur patience est persévérante. Ils ne se laissent abattre ni par la
longueur du chemin, ni par la monotonie de la marche, ni par les obs-
tacles qu’ils rencontrent sur leur route. Ils vont comme Jésus, portant
leur croix jusqu’au sommet du Calvaire. Et tout le long du trajet, ils
s’oublient pour penser aux autres. Ils consolent, ils encouragent
comme si eux-mêmes n’étaient pas accablés de souffrances. Quel fruit
qu’une telle patience !
Quel amour ne faut-il pas porter au cœur pour qu’un tel fruit puisse
se développer et mûrir ! L’art de souffrir ainsi entendu n’est-il pas la
moitié au moins de la perfection ? Quelle joie pour Jésus que de trou-
ver une âme qui a si bien profité de ses leçons, de ses exemples et de sa
grâce ! Comme il est heureux de voir son Épouse lui ressembler à ce
point et porter si visiblement ses divins stigmates : « Stigmata Domini
Jesu in corpore meo porto » 3.

Mansuétude et douceur.

L’Esprit d’amour est un esprit de mansuétude et de douceur.


Comment l’Hôte de l’âme, qu’il lui est si doux de posséder, « dulcis
Hospes animae », ne la porterait-il pas à pratiquer cette vertu si chère
au Cœur de Jésus ! « Discite a me quia mitis sum » 4. L’âme vraiment
possédée par l’Esprit de Jésus ne se contente pas de modérer les mou-
vements d’une colère légitime en elle-même, afin qu’ils n’excèdent en
rien, ni quant à leur naissance, ni quant à leur force, ni quant à leur
durée, ni quant à leur manière, les justes limites de la raison, mais elle
s’efforce de les supprimer autant qu’il lui est possible.
La parole de Jésus toujours présenté à son esprit lui sert de règle :
« Et moi, je vous dis de ne pas tenir tête au méchant, mais si quel-

1 Je surabonde de joie au milieu de mes tribulations (Col., I, 24).


2 Les apôtres sortirent du sanhédrin joyeux d’avoir été jugés dignes de souffrir des opprobres
pour le nom de Jésus (Act., V, 41).
3 Je porte sur mon corps les stigmates du Seigneur Jésus (Galat., VI, 17).
4 Apprenez de Moi que je suis doux (Matth., XI, 29).
130 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

qu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui encore l’autre. Et à ce-


lui qui veut l’appeler en justice pour avoir ta tunique, abandonne en-
core ton manteau » 1.
Mais la douceur n’exclut pas la force. Elle la suppose et lui fait ap-
pel. Elle suppose aussi l’humilité comme sa source.
L’âme intérieure porte des fruits exquis et en même temps, comme
un beau jardin, elle répand un parfum qui renferme dans sa simplicité
le charme de tous les autres parfums, ceux du nard et du cypre, du sa-
fran, de la cannelle et du cinnamome, de la myrrhe et de l’aloès. Une
odeur d’encens monte d’elle sans cesse vers son Dieu. Elle est vraiment
agréable pour lui. Il aime à le lui dire, afin de l’encourager à toujours
mieux fleurir pour sa gloire. Elle ne désire du reste pas autre chose.
Toute son ambition est de plaire à son Bien-Aimé ; si elle savait
quelque plante rare qui pût causer quelque nouvelle joie à son divin
Époux, elle irait la chercher jusqu’au sommet des plus hautes mon-
tagnes, jusqu’aux extrémités de la terre. Elle l’achèterait au prix de
tous ses biens et s’efforcerait de l’acclimater dans son petit jardin. Elle
voudrait posséder « toutes les plantes embaumées » afin de charmer
le Cœur si bon de son Dieu.

FONS HORTORUM, PUTEUS AQUARUM VIVENTIUM, QUAE FLUUNT IMPETU


DE LIBANO (CANT., IV, 15).
Une fontaine dans un jardin, une source d’eaux vives. Un ruisseau
qui coule du Liban.

L’âme contemplative vivant dans les hauteurs de la vie même de Dieu y


attire les âmes.

Pour peindre les charmes de l’âme fidèle, l’Époux réunit en une


seule les deux comparaisons du « jardin » et de la « source ». Sa sainte
fiancée lui apparaît comme une fontaine aux eaux fraîches dans un
beau jardin bien clos. Il semble que l’union de ces deux traits ajoute
quelque chose à l’idée que nous nous formions de cette âme privilé-
giée. Les fleurs réjouissent le regard, les fruits apaisent la faim, l’eau
calme la soif ; on est heureux de trouver toutes ces choses réunies et
comme à portée de la main. C’est ce que veut nous dire Jésus. Une
âme vraiment intérieure est cela pour lui ; elle l’est aussi pour tous
ceux à qui le bon Maître veut bien permettre d’entrer dans ce jardin
fermé. Avec lui, ils admirent les fleurs, ils goûtent les fruits, ils se dé-
saltèrent à la fontaine d’eau fraîche. Puis, ils vont à leur tâche quoti-

1 Matt., V, 39-40.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE IV 131

dienne avec plus de lumière dans les yeux, plus de force dans la volon-
té, plus de joie dans le cœur.
L’eau vive a quelque chose de gracieux, d’agile, d’entraînant. Elle
est aussi pour l’ordinaire limpide et claire. Le soleil la colore de mille
teintes ; on se plaît à la contempler ; on passerait des heures à la voir
sourdre, sans se lasser, du sein de la terre. L’âme intérieure est active à
sa manière. Elle est vivante, elle s’élance vers son Dieu d’un mouve-
ment que rien ne ralentit ; elle ravit qui la regarde monter ; elle sou-
lève vers Dieu, il faut la suivre. Avec elle, on fait du chemin en hauteur
presque sans s’en apercevoir. Elle murmure doucement à l’oreille. Elle
parle de Dieu, elle dit toujours la même chose, et pourtant elle ne se
répète pas. On ne se lasse pas de l’entendre, on souffre quand il faut
s’éloigner, on se propose de revenir dès que le bon Dieu voudra bien le
permettre et, en attendant, on vit du souvenir des doux moments pas-
sés près d’elle ; on se sentait vraiment élevé et rapproché de Dieu.
Après l’image de la source, celle du ruisseau qui descend, rapide,
des hauteurs du Liban.
Tout à l’heure, c’était la contemplation de l’âme intérieure s’élevant
sans cesse vers Dieu par la force de son amour et soulevant vers lui
ceux qui la regardaient vivre ; maintenant c’est toujours la même âme,
mais s’épanchant au dehors et portant partout où son Dieu veut qu’elle
aille, la limpidité, la fraîcheur et la fécondité de ses eaux. Si on lui de-
mandait : « D’où venez-vous ? Où prenez-vous votre source, gracieux
et vivant petit ruisseau ? », on l’entendrait répondre : « Je viens des
hauteurs de Dieu ; je puise mes eaux vivifiantes au sein même de Celui
qui est la Vie. Remontez mon cours et vous verrez que c’est de là que je
descends vers vous. Buvez de mes eaux afin qu’elles fassent naître en
vous l’ardent désir de vous désaltérer à la source unique de la vie et de
l’amour ».

SURGE AQUILO, ET VENI, AUSTER ; PERFLA HORTUM MEUM, ET FLUANT


AROMATA ILLIUS (CANT., IV, 16).
Levez-vous aquilons, venez autans, soufflez sur mon jardin et que
ses parfums s’exhalent.

Humble prière de l’âme pressée de tout rapporter à Dieu de ses libéralités


en elle.

C’est pour plaire à Jésus que l’âme intérieure prend tant de soin
d’elle-même. Elle se réjouit à la vue des fleurs qui s’épanouissent en
elle : roses de la charité, lys de la pureté, violettes de l’humilité. Elle
132 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

pense à son divin Époux, elle voudrait lui faire respirer le parfum de
ses fleurs, qui sont ses fleurs à lui. Mais il se cache, il paraît loin.
Comment lui faire parvenir les senteurs si douces de son bien-aimé
jardin ? Levez-vous donc, vents violents du Nord, puissants aquilons ;
venez vous aussi, souffles du Midi, impétueux autans ; passez sur mon
jardin, emportez sur vos ailes, de tous côtés, les parfums de mes fleurs.
Vous saurez bien trouver mon Dieu béni, où qu’il se cache. Vous lui fe-
rez respirer l’odeur des vertus de sa chère Épouse. Il sera heureux, il se
réjouira, il comprendra le sens mystérieux du message que je vous
confie, et il viendra : « Veni Domine Jesu » 1.

VENIAT DILECTUS MEUS IN HORTUM SUUM, ET COMEDAT FRUCTUM


POMORUM SUORUM (CANT., IV, 16).
Que mon Bien-Aimé entre dans son jardin, et qu’il mange de ses
beaux fruits..

C’est pour vous seul, ô mon Dieu, que l’âme intérieure s’est cultivée
elle-même. Vous l’avez aidée puissamment du reste. Avec votre grâce,
elle a arraché, et vous, vous avez planté ; elle a détruit, et vous, vous
avez construit. Votre jardin, car il est bien vôtre, est maintenant dans
toute sa beauté. Venez donc l’admirer, venez le visiter, venez vous y
reposer comme dans un petit paradis. Votre Épouse sera tout heu-
reuse de vous y recevoir, elle rêve toujours et uniquement de vous faire
plaisir. Elle sait que sa vue vous réjouira ; elle goûte par avance votre
bonheur. Venez donc, encore une fois, ô Jésus ! Entrez dans votre jar-
din. Cueillez ses fleurs, mangez ses fruits, vos beaux fruits. Permettez à
votre sainte Épouse de vous les offrir. Vous nourrir spirituellement
comme du meilleur d’elle-même, quelle joie, quelle récompense pour
elle ! Faites-lui goûter cette joie, donnez-lui cette récompense, elle
n’en veut pas d’autre.

1 Venez Seigneur Jésus (Apoc., XXII, 20).


Chapitre V

VENI IN HORTUM MEUM, SOROR MEA SPONSA (CANT., V, 1).


Je suis entré dans mon jardin, ma sœur fiancée.

Prière exaucée.

La prière d’une âme vraiment intérieure perce les nuages, elle


monte jusqu’au ciel. Elle va droit au cœur du bon Dieu. Elle le blesse
d’une sainte blessure d’où s’échappe presque aussitôt la grâce deman-
dée. La sainte Épouse sollicitait une visite de son Bien-Aimé ; elle
l’obtient. Elle le suppliait d’entrer de plus en plus en sa vie, dans le se-
cret de son cœur comme dans un jardin bien à lui ; il y entre et il le lui
dit : « Je suis entré dans mon jardin, ma sœur fiancée ».
Qui pourrait exprimer la joie d’une âme qui sait, à n’en pouvoir
douter, puisqu’elle le tient de la bouche même de celui qui est la Véri-
té, que son Dieu est entré tout heureux en sa vie profonde comme dans
un jardin de délices ? Recevoir ainsi le bon Dieu, lui faire plaisir à ce
point, le posséder en soi, chez soi, comme un Hôte, comme un Ami,
comme un Frère, comme un Fiancé, qui rend visite à sa sainte fiancée
pour la récompenser de sa fidélité et la préparer à l’union parfaite et
permanente, quel ravissement, quelle ivresse !
Comment se fait-il, ô mon Dieu, que tout notre bonheur consiste
dans cette douce visite, et que nous la désirions si peu ? Nous nous
plaignons sans cesse de n’être pas heureux et nous oublions Celui qui
seul peut satisfaire notre soif de bonheur !
Il est bien vrai, ô mon Dieu, que vous êtes libre de vous communi-
quer à qui il vous plaît ; nul n’a de droits sur vous. Mais n’est-il pas
vrai aussi que vous vous donnez de préférence à qui vous cherche ?
N’est-il pas permis d’entendre en ce sens vos encourageantes paroles :
« Cherchez et vous trouverez ; demandez et vous recevrez ; frappez et
il vous sera ouvert » 1 ?
À supposer même que, dans votre sagesse, vous ne jugiez pas à
propos de réaliser notre désir, sommes-nous dispensés pour cela de
vous l’exprimer ? Le plus impérieux et le plus doux de nos devoirs,
n’est-il pas de proclamer, en vous cherchant sans relâche, que vous
êtes le Bien Souverain et l’unique trésor de nos cœurs ? Oui, pourquoi
l’amour n’est-il pas aimé ?

1 Luc, XI, 19.


134 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

MESSUI MYRRHAM MEAM CUM AROMATIBUS MEIS (CANT., V, 1).


J’ai cueilli ma myrrhe et mon baume.

Dieu daigne venir prendre ses délices son dans jardin fermé.

Jésus est entré dans son jardin. Il y est entré en maître, en posses-
seur légitime à qui tout appartient, qui peut user et disposer de tout à
son gré. C’est son droit absolu. L’âme intérieure est ravie de voir qu’il
en agit ainsi librement avec elle.
« Oui, ô Jésus, tout est bien à vous dans ce jardin. Cueillez-en les
fleurs tout à votre aise ; formez-en un bouquet agréable à vos yeux et à
votre cœur. Votre main bénie ne détruit pas ce qu’elle touche. D’autres
fleurs, roses, lys ou violettes pousseront comme à l’envi pour rempla-
cer celles que vous daignez cueillir. Elles seront plus belles encore s’il
se peut, plus riches, plus parfumées, plus variées ».
L’âme aimante voudrait aussi que d’elle-même, sous l’incision du
saint Amour, s’écoulât comme une myrrhe et un baume de suave
odeur, formés du plus pur de sa substance, et qui seraient la preuve
évidente du désir qui la consume de donner sa vie pour vous.

COMEDI FAVUM CUM MELLE MEO (CANT., V, 1).


J’ai mangé le rayon avec le miel.

Pour se soutenir, la vie a besoin de nourriture et de breuvage. Il


appartient à la sainte Épouse de nourrir d’abord, puis de désaltérer
son divin Époux. Elle s’offre donc à lui comme un rayon plein de miel,
et Jésus prend son repas mystérieux composé de l’un et de l’autre.
L’abeille a construit méthodiquement les petits alvéoles. Puis elle
est allée ici et là butiner sur les fleurs, pour en tirer son doux miel.
Serait-il permis de voir dans le rayon l’âme elle-même avec ses fa-
cultés naturelles ramenées à l’ordre parfait, puis, dans le miel, le fruit
du travail de cette même âme enrichie et transformée par la grâce, les
vertus infuses et les dons du Saint-Esprit, et produisant des actes hu-
mains devenus méritoires ? L’acte humain serait comme l’alvéole, le
miel serait comme le mérite, mais l’intime union des deux éléments
dans l’âme serait beaucoup plus profonde et plus indissoluble, ce qui
expliquerait pourquoi Jésus se nourrit de l’un et de l’autre.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE V 135

BIBI VINUM MEUM CUM LACTE MEO (CANT., V, 1),


J’ai bu mon vin et mon lait.

Après la nourriture qui soutient, le breuvage qui désaltère. L’Époux


parle de « vin » et de « lait ». Il trouve l’un et l’autre dans son jardin
fermé. C’est la sainte Épouse qui les lui offre. Quel est ce vin, quel est
ce lait mystérieux ? Ces deux breuvages n’ont point le même aspect, ni
la même nature. Ils ne produisent point les mêmes effets. L’un réjouit,
exalte, enivre même. L’autre rafraîchit et apaise. L’un est plus fort,
l’autre est plus doux. L’amour de l’âme intérieure participe de l’un et
de l’autre. Il réjouit et enivre le cœur de l’Époux par sa force, il le ra-
fraîchit et il le charme par sa douceur. C’est que l’Épouse aime son
Dieu « suaviter et fortiter » tout à la fois, au point qu’on ne saurait
dire ce qui l’emporte dans son amour, de la douceur ou de la force, de
la suavité ou de la fermeté, de la délicatesse ou de la générosité, tant
tout en elle est si bien ordonné !

COMEDITE, AMICI, ET BIBITE, ET INEBRIAMINI, CARISSIMI (CANT., V, 1).


Mangez, mes amis ; buvez, enivrez-vous, mes bien-aimés.

Jésus invite ses amis.

Jésus ne veut pas être seul à goûter son bonheur. Il appelle tous ses
« amis », ses « bien-aimés » à le partager. Dieu a ses amis dans le
monde, il les connaît et ils le connaissent. Dieu permet parfois aussi
qu’ils se connaissent entre eux. À mesure que les âmes montent vers
Dieu, elles se rapprochent les unes des autres spirituellement. Quand
les circonstances extérieures s’y prêtent, soit d’elles-mêmes, soit par
suite d’une volonté spéciale de la divine Providence, elles découvrent
parfois le lien qui les unit. C’est à Dieu seul qu’il appartient d’établir ce
lien et de ménager ces rencontres, il poursuit un dessein de miséri-
corde. Il veut que ces âmes s’entr’aident à l’aimer, et s’encouragent à le
servir. Il attend souvent de leur collaboration une œuvre, qui réclame
pour s’établir leurs efforts réunis. N’en a-t-il pas été ainsi de sainte
Thérèse et de saint Jean de la Croix, de saint François de Sales et de
sainte Chantal, de saint Vincent de Paul et de sainte Louise de Maril-
lac, de la Vénérable Mère Agnès et de M. Olier, de sainte Marguerite-
Marie et du Bienheureux Père de la Colombière ?
Le bon Dieu établit entre ces âmes choisies et préparées par lui une
sainte union toute spirituelle, qui rappelle de loin celle de Marie et de
136 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Joseph. Faut-il voir un signe de cette union dans les deux globes de
feu, l’un venant du ciel [saint François de Sales], l’autre montant de la
terre [sainte Chantal], s’unissant en un seul et allant se perdre en
Dieu, ainsi qu’il fut montré à saint Vincent de Paul, à la mort de sainte
Chantal ? Ou encore dans ce que raconte d’elle-même sainte Margue-
rite-Marie, à qui Jésus montra son divin Cœur, dans lequel étaient
unis celui de la sainte et celui du Bienheureux Père de la Colombière ?
« Une fois qu’il [le R. P.] vint dire la sainte Messe à notre église, Notre-
Seigneur lui fit de très grandes grâces et à moi aussi. Car lorsque je
m’approchai pour le recevoir par la Sainte Communion, il me montra
son Sacré-Cœur comme une ardente fournaise, et deux autres cœurs,
qui s’y allaient unir et abîmer, me disant : C’est ainsi que mon pur
amour unit ces trois cœurs pour toujours ». Union toute pour la gloire
du Sacré-Cœur, lui fut-il révélé.
Avec quel religieux respect, ô mon Dieu, nous devons parler de ce
que vous faites dans le cœur des saints !
Cette union, tout à fait intime, n’est réservée qu’à quelques âmes
relativement rares. Elle dépend de Dieu seul. Elle exige la parfaite pu-
reté du cœur. Mais à côté de ces amis privilégiés de Jésus, il en est
beaucoup d’autres à qui le bon Maître donne cependant ce doux nom
d’ « ami » Ce sont ceux qu’il invite, chacun selon son rang, à partager
sa joie : « mangez », « buvez », « enivrez-vous », leur dit-il. « Venez
auprès de cette âme qui m’est si chère. Je l’ai comblée de faveurs : elle
est un vrai trésor. Ce trésor est à vous ; venez et puisez à pleines
mains. Vous avez besoin de lumières sur moi, sur vous, sur le monde :
elle vous les donnera. La force vous manque pour gravir les pentes du
Calvaire : elle possède des réservés inépuisables de vigueur et d’éner-
gie. Elle vous nourrira du meilleur d’elle-même. Vous reprendrez votre
tâche avec un élan et un espoir nouveau. Votre cœur rêve de bonheur
vrai, solide, immuable ; l’amour divin a fait d’elle une source de joie.
Buvez, enivrez-vous. Loin de troubler votre raison et d’inquiéter votre
âme, cette sainte ivresse ouvrira vos yeux sur le ciel et vous en fera
comme par avance goûter la paix ».

EGO DORMIO ET COR MEUM VIGILAT (CANT., V, 2).


Je dors, mais mon cœur veille.

Désir d’aimer Dieu sans interruption et sans mesure.

De quel sommeil et de quelle veille, l’âme intérieure veut-elle par-


ler ? C’est le désir de tout cœur qui aime Dieu de ne jamais cesser de
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE V 137

l’aimer. Ce qui interrompt ou paraît interrompre son amour lui est à


charge. Dormir, en particulier, lui coûte beaucoup. Il faut donner tant
d’heures au sommeil ! Et pendant ce temps si long, il semble qu’on ne
vive pas, puisque l’on n’aime pas ! Sans doute, avant de prendre son
repos, l’âme aimante dit bien à son Dieu le regret qu’elle éprouve de ne
pouvoir pas s’occuper de lui durant son sommeil ; sans doute encore,
elle lui offre bien tous les battements affaiblis de son cœur comme au-
tant de témoignages de son affection toujours vivante. Mais, malgré
tout, elle souffre. Aimer actuellement, pleinement, c’est toute sa raison
d’être. Et voilà que la nature lui impose le dur sacrifice d’endormir son
cœur. Une seule consolation lui reste, c’est de se dire qu’elle fait en ce-
la la volonté de son Bien-Aimé ; puis, que le sommeil ne durera pas
toujours.
Mais Jésus ne pourrait-il pas exaucer le désir si légitime de sa
sainte Épouse et lui permettre tout ensemble de prendre le repos phy-
sique, dont elle a besoin, et de rester pourtant par le cœur très éveillée
et très aimante ? Oui, certes, il le peut. Il l’a fait plusieurs fois déjà,
souvent même peut-être dans le cours des siècles. Il y a des saints qui
nous assurent que le sommeil naturel n’entravait pas l’exercice de leur
amour.
Heureux privilégiés ! Nous n’avons pas le droit, ô Jésus, de vous
demander de telles faveurs. Et cependant nous les désirons d’une cer-
taine manière, avec soumission parfaite et plénière à votre très sainte
volonté. Il nous semble que si nous ne vous exprimions pas un tel dé-
sir, nous ne vous aimerions pas assez. Non, mon Jésus, ce n’est-pas
pour goûter la joie, si sainte pourtant, de votre amour, que nous vous
adressons une telle prière, mais bien pour proclamer votre droit à être
aimé jour et nuit, sans fin comme sans mesure.

Mystérieux et profond sommeil de l’amour.

Quand il lui plaît, enfin, le bon Dieu fait entrer l’âme intérieure,
souvent même au moment où elle y pense le moins, dans un mysté-
rieux et profond sommeil. Elle constate que son activité ordinaire
s’arrête comme par ordre. Elle se sent sous l’influence d’un charme
bienfaisant et doucement irrésistible, qui l’endort. Elle est isolée de
tout et elle le comprend. Cependant, elle n’est pas seule. Elle semble
ne plus agir, et pourtant elle vit d’une manière intense, mais toute
simple. Elle aime. Elle aime. Elle aime. Et rien dans cette solitude ne
trouble son amour. Elle ne voit pas son Dieu, mais elle est avertie inté-
rieurement qu’il est là. Elle se rend compte qu’il est tout près, tout au-
tour, tout au dedans. Par moments même, l’amour la saisit à ce point
qu’elle ne songe plus à rien, afin de pouvoir aimer plus encore. Elle
138 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

dort, oui, mais son cœur veille. Il mène sa vraie vie. Il aime et il est uni
par son amour à Celui qu’il aime. C’est presque le Ciel.

VOX DILECTI MEI PULSANTIS : APERI MIHI, SOROR MEA, AMICA MEA, CO-
LUMBA MEA, IMMACULATA MEA (CANT., V, 2).
C’est la voix de mon Bien-Aimé, il frappe : Ouvre-moi, ma sœur,
mon amie, ma colombe, mon immaculée.

Délicates industries de l’amour de Jésus pour se faire aimer.

Dieu n’endort une âme aux bruits de la terre que pour la rendre
plus attentive aux voix du Ciel. C’est dans le silence intérieur que Dieu
parle. En même temps, il frappe à la porte. L’âme le reconnaît à sa
manière. Elle devine que c’est lui qui émeut doucement sa volonté par
ces coups mystérieux : « Ecce sto ad ostium et pulso : Voilà que je me
tiens à la porte et que je frappe » 1. Encore une fois, l’âme recueillie ne
s’y trompe pas. Elle tressaille de joie. Il lui est si doux d’entendre la
voix de son Dieu Bien-Aimé ! Il est si bon pour elle de le savoir là, tout
près, et venu évidemment par amour pour sa sainte Épouse ! Les pré-
venances divines sont étonnantes ! Qu’un Maître tel que Dieu daigne
demander à être reçu dans une âme qui lui appartient à tant de titres,
que cela est digne d’admiration et de gratitude !
Seigneur Jésus, pourquoi demandez-vous à votre sainte Épouse
comme une grâce de vous ouvrir la porte de son cœur ? Ne savez-vous
pas, vous qui lisez si clairement au fond des âmes, que son cœur vous
appartient sans réserves ? Ne vous a-t-elle pas dit mille et mille fois
qu’elle voulait ce que vous vouliez, qu’elle ne voulait pas ce que vous
ne vouliez pas ? Son plus grand, son unique désir, ô Jésus, n’est-il pas
de vous recevoir « à cœur ouvert », puis de refermer sur vous les
portes de ce cœur afin de pouvoir vous aimer tout à son aise, vous, le
Dieu d’amour, vous son Bien-Aimé, vous son unique, vous « son Dieu
et son tout » ? Pourquoi donc encore une fois implorez-vous si hum-
blement, oserait-on dire, la faveur d’être reçu dans un cœur qui vous
aime tant et qui vous désire tant ? Ah ! nous ne connaissons pas les dé-
licatesses et les miséricordieuses industries de votre amour !
La voix de Jésus, la grâce, sollicite l’âme « suaviter et fortiter ».
Elle met en mouvement la liberté, elle l’accompagne tout le long de sa
route ; mais elle lui laisse le mérite de l’acte qu’elle lui fait faire sans la
contraindre. Dieu veut être aimé librement : ce choix, que l’on fait de

1 Apoc., III, 20.


CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE V 139

lui, auquel il a du reste un droit absolu, l’honore et le glorifie. Il le ré-


jouit aussi. Dieu est comme ravi de voir que l’âme goûte le charme de
son infinie bonté et qu’elle se laisse entraîner de tout cœur là où il la
mène, c’est-à-dire vers lui. Plus il a été bon pour elle, plus il attend
d’elle cet élan spontané, cordial, joyeux, au premier son de sa voix, à la
première inspiration de sa grâce. Il sait bien d’ailleurs qu’il sera exaucé
et qu’il pourra récompenser, par de nouvelles faveurs, la réponse em-
pressée de sa sainte Épouse.
Qui n’admirerait encore une fois les délicatesses de l’amour divin !

Ce qui attire Jésus dans une âme c’est la simplicité, la fidélité, la profon-
deur, la délicatesse, la pureté de son amour pour lui.

Jésus donne à l’âme intérieure les noms les plus capables d’exciter
sa confiance et d’augmenter son amour. Il lui indique aussi par là
comment elle est parvenue à lui plaire. Elle n’aura, pour lui plaire en-
core davantage, qu’à faire croître encore plus en elle les vertus qui ont
charmé son divin Époux : « Ouvre-moi, ma sœur ». Plus une âme
communie à l’amour filial, confiant, tendre et fort de la sainte âme de
Jésus pour le Père qui est dans les cieux, pour la douce et adorable
Trinité, plus elle est vraiment sa « sœur ». Il y a entre elles deux, simi-
litude, ressemblance, harmonie, communauté de sang et de vie.
L’attrait de Jésus pour cette âme, l’attrait de celle âme pour Jésus,
augmentent chaque jour. Les deux sœurs ne peuvent vivre séparées. Il
leur faut même toit, même table, même conversation, parce qu’elles
ont un même Père et pour lui un même amour. C’est la vraie fraterni-
té, celle que la mort ne fera que rendre plus parfaite.
C’est la charité qui unit l’Époux à l’Épouse, Dieu à l’âme. Mais la
charité est un amour de bienveillance mutuelle, connu comme tel des
deux côtés, et dont la base d’entente constituée par un bien à partici-
per en commun n’est autre que Dieu lui-même. C’est dire que la chari-
té est une amitié, la plus haute, la plus parfaite, sans comparaison la
plus inespérée de toutes. Oui, la miséricorde divine en vient jusque-là,
que de contracter une véritable amitié avec toute âme de bonne volon-
té. Sans doute, entre l’âme et Dieu il y a une inégalité qui ne se mesure
pas. Cependant, d’une certaine manière, Dieu, dans sa bonté, la sup-
prime. La grâce sanctifiante met les deux termes comme de niveau,
bien que l’un reste infini en soi, et que l’autre demeure toujours stric-
tement fini. L’âme, par la grâce, participe vraiment, réellement à la vie
divine. Elle communie, dans les ombres de la foi, à la connaissance et
à l’amour que Dieu a de lui-même et pour lui-même, c’est-à-dire à sa
vie intime : « Amicitia pares invenit aut facit ».
140 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

L’âme intérieure mérite donc bien d’être appelée par Jésus « mon
amie ». Tout est commun entre eux. Jésus donne, l’âme reçoit, puis
elle fait tout remonter, par l’amour, à Celui qui lui donne tout. Peu à
peu, en effet, l’Époux communique ses biens à sa sainte Épouse : sa
science des choses divines et humaines, sa grâce, ses vertus et ses
dons, parfois même, sans que pourtant cela soit nécessaire, jusqu’à ses
charismes prophétiques. Mais surtout, il lui donne comme sans me-
sure l’amour de son divin Cœur pour son Père qui est dans les cieux,
pour ses frères qui luttent et souffrent sur la terre. « C’est un ami si
bon et si fidèle que Jésus » 1, disait sainte Thérèse.
Au ciel seulement, nous comprendrons tout ce que signifie ce mot
« d’amie », que Jésus daigne adresser à l’âme aimante, sincère,
humble, paisible, tout entière recueillie par le saint amour.
Ce qui attire Jésus dans une âme, c’est la simplicité, la fidélité, la
profondeur, la délicatesse et la pureté de son affection pour lui. Rien
n’est caché aux regards de Jésus. Il lit sans peine au fond des cœurs.
Les plus vives protestations d’amour ne lui en imposent pas ; elles va-
lent ce que vaut le cœur qui les inspire. Il entend le silence respectueux
d’une âme aimante, ce sont les qualités réelles de son affection qui le
charment. Or, quand le cœur ne s’analyse pas, ne se reploie pas sur
lui-même, mais s’ouvre tout entier, s’épanouit au seul nom de Jésus
comme la fleur au soleil, va tout droit, tout entier, tout de suite,
comme d’un bond, vers le Bien-Aimé pour s’unir autant qu’il le peut
au Cœur de son Dieu et s’y perdre, il est simple.
Ô ravissante simplicité du cœur, comme tu es désirable, comme tu
es chère au Cœur si parfaitement simple de Jésus !

VIRGO FIDELIS

Mais hélas ! l’inconstance est le mal de notre cœur. Ô mon Dieu !


on se donne à vous parfois avec un tel enthousiasme, que la seule pen-
sée d’une reprise possible, si légère soit-elle, fait horreur et paraît in-
vraisemblable. Et pourtant, qu’ils sont rares les cœurs vraiment fi-
dèles ! Quoi de plus légitime cependant que cette fidélité dans votre
amour ! Quelle que soit l’atmosphère de l’âme, limpide ou nuageuse,
lumineuse ou sombre, paisible ou orageuse, vous, son véritable soleil,
son Bien unique, vous ne changez pas. Les raisons de vous aimer ne
changent donc pas non plus. Vous pourriez nous délaisser, ô mon
Dieu ; vous en auriez cent fois le droit. Nous, nous ne le pouvons pas.
Qu’il vous plaise de ne plus nous consoler, mais au contraire de nous

1 Vie par elle-même, ch. XX.


CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE V 141

affliger, vous restez toujours notre Dieu et notre Tout. Notre amour
pour vous doit donc, non seulement demeurer intact, mais encore se
développer et grandir. Être vraiment fidèle, c’est cela pour lui.
Virgo fidelis, ora pro nobis.
Ce mot de fidélité a quelque chose d’attachant et de profond. Il
parle au cœur, il l’attire. C’est que la fidélité dans l’affection est tout ce
qu’il y a de plus précieux pour lui et de plus difficile. Aimer toujours,
toujours être aimé, voilà sa raison d’être, sa loi, sa vie. Or, la triste ex-
périence de sa faiblesse lui a révélé qu’il était capable de ne plus aimer
son Dieu ou même seulement de moins l’aimer, et, par suite, d’obliger
Dieu, si bon pourtant, ou à le rejeter ou à ne plus le regarder avec la
même affection. Cette crainte déchire le cœur comme une flèche aux
dards aigus et recourbés. Elle lui fait une blessure profonde que rien
ne saurait guérir. Seule l’assurance de rester toujours fidèle au saint
amour pourrait la cicatriser. Mais c’est là une faveur à laquelle nul ne
peut prétendre. Ah ! Seigneur, faites-moi mourir plutôt que de per-
mettre que je vous sois délibérément infidèle, fût-ce même en ce que
nous appelons matière légère.
Le seul moyen pratique que nous ayons, ô mon Dieu, pour vous
rester fidèle, c’est, avec la prière, l’amour lui-même devenant chaque
jour plus profond. Vous laissez en effet notre âme subir deux in-
fluences, qui s’exercent sur elle en deux sens diamétralement oppo-
sés : celle des biens qui passent, celle du Bien qui ne passe pas et qui
est vous-même. Elle a le devoir de se laisser gagner, entraîner par le
charme de votre adorable bonté. Plus elle se soumet à votre douce at-
traction et plus elle s’éloigne des choses d’ici-bas, moins elle en subit
l’influence. L’amour, qui la rend de plus en plus captive, la rend aussi
de plus en plus libre, de cette sainte et véritable « liberté des enfants
de Dieu » 1. Elle se détache et elle s’attache. Avec une accélération
mystérieuse, à partir surtout d’un certain point de sa course, elle se
rapproche de vous, s’unit à vous, s’enfonce en vous, de manière à ne
plus faire qu’un, en un sens, avec vous. Son amour l’a entraînée dans
les profondeurs de votre Être, elle s’y cache et s’y tient à l’abri des
coups de ses ennemis.
L’amour que nous vous devons, ô Jésus, doit être non seulement
simple, fidèle, profond, mais encore très délicat. La délicatesse dans
l’affection lui ajoute beaucoup de charme. Elle en est comme la fleur et
le parfum. C’est un besoin de l’amour qu’on vous porte, ô mon Dieu,
que de se manifester de mille manières. Les grandes occasions de s’af-
firmer ne lui suffisent pas, elles sont rares, du reste. Il lui faut donc se

1 Rom., VIII, 21.


142 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

tourner du côté des petites. Comme il est aveugle, il presse l’intelligence


de se mettre à son service et de rechercher avec soin tout ce qui peut
déplaire si peu que ce soit à son Bien-Aimé, afin de l’éviter ; tout ce qui
peut au contraire lui être agréable, afin de le réaliser aussitôt. Tout lui
est bon dès lors qu’il peut en faire un moyen de se dire à son Dieu. Le
petit enfant qui offre à sa mère une humble pâquerette, mais avec tout
son cœur, voilà ce qu’il rêve d’imiter à chaque instant du jour.
Ô Jésus, faites qu’il y ait dans le monde beaucoup de cœurs délicats
pour vous.
Enfin, pour que l’âme intérieure mérite, de la part de Jésus, la pré-
cieuse appellation d’immaculée, il faut que son amour pour Dieu soit
tout à fait pur. L’âme ne doit aimer que Dieu. Tout ce qu’elle aime, y
compris elle-même, elle doit l’aimer en Dieu et pour Dieu. C’est à ce
prix seulement que son amour est pur et qu’elle-même est vraiment
« immaculée ».
On devient d’une certaine manière ce que l’on aime ; Celui qui aime
uniquement la Pureté parfaite, la parfaite Sainteté, s’unit à elle et lui
devient semblable. C’est le lac aux eaux limpides où le ciel se con-
temple ; c’est le miroir sans défauts où Jésus se retrouve trait pour
trait ; c’est le cristal transparent que le soleil pénètre de ses rayons et
de sa chaleur ; c’est le fer sans alliage que le feu envahit jusqu’au plus
intime et qu’il rend tout brûlant comme lui : « Beati mundo corde,
quoniam ipsi Deum videbunt et possidebunt » 1.

QUIA CAPUT MEUM PLENUM EST RORE, ET CINCINNI MEI GUTTIS NOC-
TIUM (CANT., V, 3).
Car ma tête est couverte de rosée, les boucles de mes cheveux sont
trempées des gouttes de la nuit.

Jésus sollicite nos retours d’amour.

Comme il vous en a coûté cher, ô mon Sauveur, pour venir jusqu’à


nous ! Il vous a fallu passer par la nuit de Gethsémani et du Calvaire.
Vos cheveux sont trempés de sueur et de sang. Le froid de la mort vous
a glacé. Et vous avez souffert cela et tant d’autres choses encore afin de
pouvoir entrer dans nos âmes et leur porter le salut.
Pourquoi donc aurions-nous peur de vous recevoir avec vôtre front
couronné d’épines et votre visage couvert de sang ? Ne nous avez-vous
pas donné ainsi la preuve évidente de votre amour ? Il est vrai que vous

1 Bienheureux les cœurs purs, ils verront Dieu et le posséderont (Matth,, V, 8).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE V 143

nous demandez en retour de porter votre Croix et de partager vos souf-


frances… mais n’est-ce pas pour notre plus grand bien et notre plus
grand honneur ? Quoi de plus précieux, quoi de plus beau que de vous
aider par nos sacrifices à sauver les âmes ? « Veni Domine Jesu » 1.

EXPOLIAVI ME TUNICA MEA, QUOMODO INDUAR ILLA ? LAVI PEDES


MEOS, QUOMODO INQUINABO ILLOS ? (CANT., V, 3).
J’ai ôté ma tunique, comment veux-tu que je la remette ? J’ai lavé
mes pieds, comment les salirais-je ?

Après les dépouillements successifs, préparatoires à l’union, l’âme craint de


retourner au monde sensible, mais c’est à Jésus de tout régler en elle.

L’Épouse dort, mais son cœur veille. Elle reconnaît la voix de son
Bien-Aimé ; elle l’entend, qui frappe à la porte et lui dit : « Ouvre-moi,
ma sœur, mon amie ». Elle voudrait bien ouvrir, mais comment le
faire ? Pour prendre spirituellement son repos, elle a quitté son vête-
ment qui lui permet d’aller et de venir dans sa maison et hors de sa
maison. En effet, pour agir dans le train ordinaire de la vie, l’âme est
obligée d’employer ses sens intérieurs et extérieurs, de revêtir sa pen-
sée et sa volonté de couleurs, de formes, d’images sensibles, toutes
choses qui lui sont indispensables alors, mais qu’elle a quittées, un peu
à la manière dont on quitte un vêtement inutile, gênant même, pour
mener cette vie toute de silence et de repos en Dieu qu’elle veut vivre
désormais. Et voilà, semble-t-il, que Jésus lui demande de revêtir de
nouveau cette sensibilité qui faisait obstacle à son amour, et de revenir
aux moyens ordinaires d’aller à lui, dont elle usait autrefois, aux pre-
miers temps de sa vie spirituelle.
Mais parvenue à ce doux repos en Dieu qu’elle a tant désiré, tant
cherché, pour lequel elle a tout quitté, afin de le goûter loin du bruit,
dans le silence de ses facultés sensibles péniblement dégagées de leurs
objets naturels et presque réduites à l’inaction, il semble à l’âme que
remettre en mouvement tout ce monde de la sensibilité, c’est revenir
en arrière. On travaille pour se reposer, on se détache pour s’unir, on
se purifie pour être admis au divin banquet, on s’isole pour mieux
trouver Dieu, et voilà que l’Époux réveille de ce doux sommeil. Il de-
mande, croit-on, que l’on reprenne tout ce que l’on a quitté, qu’on se
mette en marche vers lui, au risque de contracter quelques souillures
par suite de la faiblesse de l’âme et du mauvais état des routes humai-
nes, ou tout au moins du sol qu’il faut de nouveau fouler de ses pas.

1 Apoc., XXII, 20.


144 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Ainsi donc, ce qui arrête l’âme intérieure et l’empêche de répondre


aussitôt à l’appel de Jésus, c’est non seulement le doux sommeil qui
l’engourdit, la joie qu’elle y goûte et qu’elle redoute de perdre, mais
encore la crainte de revenir dans le monde sensible et d’y trouver avec
des obstacles à sa vie d’amour, des occasions d’offenser, ne fût-ce que
légèrement, Celui qu’elle aime.
C’est là un mauvais calcul. Il pourrait donner à entendre que l’âme
se recherche encore un peu elle-même et manque à quelque degré de
la véritable confiance en Dieu.
Pour l’âme intérieure, dans ce point de vue, deux écueils sont à évi-
ter : donner trop tôt ou donner trop tard des fruits de son jardin. En
cela, comme en toutes choses, c’est à Jésus qu’il appartient de tout ré-
gler en elle : l’heure du repos et l’heure du travail. Quand Jésus parle,
il faut toujours lui répondre : « Domine, quid me vis facere ? 1 »
Tous les saints s’accordent à nous dire qu’il faut savoir quitter le re-
pos de la contemplation pour le travail de l’action, quand Jésus le de-
mande. Loin d’y perdre, l’âme y gagne. Elle offre tout d’abord à son Dieu-
Époux un vrai sacrifice, le plus dur de tous, en un sens. Elle pratique la
charité envers Dieu, qu’elle fait connaître, aimer et servir, et envers le
prochain, dont elle ouvre les yeux et dilate le cœur. Pourvu qu’elle soit
prudente, toujours défiante d’elle-même et très confiante en Dieu, non
seulement elle ne subira aucun dommage de cette expansion au dehors,
mais y gagnera, outre le mérite de son sacrifice et de sa charité, une faim
dévorante et une soif brulante de celle vie d’intimité avec son Dieu
qu’elle a paru interrompre, et que pourtant elle n’a cessé de mener au
fond de son cœur, même au plus fort de son action. Son regard intérieur
sera plus clair, son âme plus haute, son amour plus vif et plus profond.
C’est l’expérience de tous les Saints : il nous faut les croire et les imiter.

DILECTUS MEUS MISIT MANUM SUAM PER FORAMEN, ET VENTER MEUS


INTREMUIT AD TACTUM EJUS (CANT., V, 4).
Mon ; Bien-Aimé a passé la main par le trou de la serrure et mes
entrailles se sont émues sur lui.

L’âme comprend son devoir ; elle doit se lever et ouvrir.

Jésus trouve que son Épouse tarde á s’éveiller et à lui ouvrir. Les
raisons qu’elle donne de son hésitation ne valent pas ; ce sont des pré-
textes, des illusions au fond. Le cœur reste bien tout à Jésus, mais il ne
sait à quoi se résoudre. Alors le divin Maître fait mine de vouloir ou-
vrir lui-même la porte. Il est assez puissant pour cela. L’âme se sent

1 Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? (Act. Ap., IX, 6).


CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE V 145

tout à coup comme touchée par la grâce au plus intime d’elle-même.


C’est un mystérieux contact avec Dieu qui ne dure peut-être qu’un
éclair, mais qui l’émeut vraiment jusqu’au fond. Elle s’éveille tout à
fait, elle comprend son devoir, son cœur la presse. Non, il n’est pas
possible de faire attendre plus longtemps Celui qui est tout à la fois si
puissant et si bon. Quoi qu’il en coûte, quoi qu’il demande, peu im-
porte, il faut écouter son appel, se lever et lui ouvrir.

SURREXI UT APERIREM DILECTO MEO ; MANUS MEA STILLAVERUNT MYR-


RHAM, ET DIGITI MEI PLENI MYRRHA PROBATISSIMA (CANT., V, 5).
Je me sais levée pour ouvrir à mon Bien-Aimé ; et de mes mains a
dégoutté la myrrhe, de mes doigts la myrrhe, répandue sur la
poignée du verrou.

L’onction de Dieu est douce, suave, forte, délicieuse.

Sous l’action de la grâce devenue comme irrésistible, l’âme déjà


pleinement éveillée se lève. Rien ne peut plus l’empêcher de répondre à
Jésus et de lui ouvrir. Elle se rapproche de la porte, elle vient en quel-
que sorte à l’endroit d’elle-même où elle a senti l’action de Dieu. Il lui
est aisé de constater que c’est bien l’Époux tant aimé qui s’est approché
d’elle, lui a parlé, lui a demandé d’ouvrir pendant qu’elle dormait du
mystérieux sommeil de l’amour. Pour ouvrir lui-même la porte sans
clef, l’Époux a trempé ses doigts dans la myrrhe à la manière du pays.
L’âme à son tour, voulant ouvrir à son Bien-Aimé, ne peut le faire sans
que la myrrhe restée au verrou s’attache à-ses mains. L’action de Dieu
dans l’âme est douce, suave, forte, délicieuse, paisible. L’âme pleine-
ment éveillée la reconnaît sans peine et la goûte avec bonheur. Il ne lui
reste plus qu’à s’ouvrir tout entière à un Dieu si bon.

PESSULUM OSTII MEI APERUI DILECTO MEO ; AT ILLE DECLINAVERAT,


ATQUE TRANSIERAT (CANT., V, 6).
J’ouvre à mon, Bien-Aimé ; mais mon Bien-Aimé avait disparu, il
avait fui.

Dans la vie intérieure appel et fuite du Bien-Aimé sont choses fréquentes.

L’âme intérieure croit enfin venu le moment de la possession par-


faite de son Bien-Aimé. Il est là, derrière la porte, elle n’en peut dou-
ter. Il lui suffira d’ouvrir, pense-t-elle, pour que, le dernier obstacle dis-
paraissant, la rencontre définitive et tant désirée se fasse. Hélas ! elle
ouvre, le Bien-Aimé n’est plus là, il a disparu ; il a fui ! Quelle douleur,
146 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

quelle déception ! Le retard à lui ouvrir est-il la raison de cette dispari-


tion soudaine ? Jésus veut-il exciter l’amour de sa sainte Épouse, com-
me par une industrie de son cœur ? Les deux, peut-être ! Mais dans la
vie intérieure, cet appel et cette fuite du Bien-Aimé sont choses fré-
quences. Il semble à l’âme que Dieu est là, tout proche, qu’un rien la sé-
pare de lui, et que ce rien va disparaître, pour qu’elle puisse entrer enfin
en possession de son Tout. Mais non. L’heure de l’union parfaite n’a pas
sonné. L’exil se prolonge, plus douloureux et plus délicieux que jamais.

ANIMA MEA LIQUEFACTA EST, UT LOCUTUS EST (CANT., V, 6).


J’étais hors de moi quand il me parlait.

Quand Jésus veut parler à une âme, il lui envoie un sommeil mysté-
rieux, qui la recueille comme malgré elle, la fait entrer comme au-
dedans d’une profonde solitude : « Ducam eam in solitudinem » 1. Il
est alors impossible à l’âme pratiquement de ne pas entendre ce que lui
dit le bon Maître au plus intime du cœur : « Et loquar ad cor ejus » 2. Il
est le Verbe, la Parole substantielle. Il agit comme tel, et sa parole réa-
lise ce qu’elle signifie. L’âme comprend qu’elle devient à un tout nou-
veau titre « sa sœur », « son amie, sa colombe », « son immaculée ».
Elle tremble d’une douce frayeur, elle est ravie en extase. Dès les pre-
miers mots de son divin Époux, l’extase s’est produite, et c’est alors que,
tout à fait étrangère à ses sens, elle entend la parole divine et qu’elle
goûte l’ineffable bonheur de sa réalisation. Elle veut parler à son tour,
mais elle est trop hors d’elle-même pour savoir ce qu’elle dit.

QUAESIVI ET NON INVENI ILLUM, VOCAVI ET NON RESPONDIT MIHI (V, 6).
Je sors pour le chercher et ne le trouve pas ; je l’appelle, il ne me
répond pas.

La souffrance règne.

Vivre sans Dieu présent, n’est pas possible pour une âme aimante.
Le chercher, le trouver, le posséder enfin, voilà sa raison d’être, son
ambition, sa loi. Elle se croyait sur le point de l’atteindre, ce Dieu béni ;
il lui échappe. Elle sort pour le chercher ; elle va à droite, à gauche ; elle
regarde de tous côtés, elle ne le trouve pas. Peut-être que sa voix, por-
tant plus loin que ses regards, parviendra jusqu’au Bien-Aimé et lui fera
donner au moins signe de vie. Elle l’appelle donc, mais il ne lui répond

1 Je la conduirai dans la solitude (Osée, II, 14).


2 Et je lui parlerai au cœur (Osée, II, 14).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE V 147

pas. Douloureux moment ! C’est la solitude impressionnante, loin de


tout le créé, surtout loin de Dieu. C’est une véritable crucifixion entre
ciel et terre. L’âme fuit le monde pour mieux trouver son Dieu, et Dieu
paraît fuir l’âme, qui a tout quitté pour le chercher et le posséder :
« Deus meus, Deus meus, ut quid dereliquisti me ? 1 » L’espoir reste au
fond du cœur, mais caché. La souffrance règne, on dirait le Purgatoire.

INVENERUNT ME CUSTODES QUI CIRCUMEUNT CIVITATEM ; PERCUSSE-


RUNT ME, ET VULNAVERUNT ME. TULERUNT PALLIUM MEUM MIHI
CUSTODES MURORUM (CANT., V, 7).
Les gardes qui font la ronde dans la ville me rencontrent. Ils me
frappent, ils me meurtrissent. Les gardiens de la muraille
m’enlèvent mort manteau.

L’âme est incomprise dans la recherche de son Dieu.

L’Époux ne répond pas, il est donc bien loin. L’Épouse se décide à


le chercher partout dans la ville. Il est nuit ; elle est seule ; qu’importe !
Rien ne lui fait peur, rien ne l’arrête. Mieux vaut mourir que de vivre
sans Dieu. Elle se dirige d’abord vers le centre de la ville. Les gardes la
prennent pour une insensée, ils la frappent, ils la meurtrissent même,
afin de l’obliger à regagner sa demeure. Elle souffre tout sans se
plaindre, son amour la rend comme insensible. L’âme éprise de Dieu,
ne le trouvant pas dans son cœur, le cherche partout. À ceux qui ne sa-
vent pas le secret de sa douleur, elle paraît une illuminée, une égarée
qu’il faut ramener à la raison et au bon sens par de bonnes vérités
dites bien en face, accompagnées au besoin de railleries et même de
moqueries, autant de coups qui la frappent, la meurtrissent, mais ne
l’irritent pas et ne la découragent pas.

ADJURO VOS, FILIAE JERUSALEM, SI INVENERITIS DILECTUM MEUM, UT


NUNTIETIS EI QUIA AMORE LANGUEO (CANT., V, 8).
Je vous en conjure, filles, de Jérusalem, si vous trouvez mon Bien-
Aimé, que lui direz-vous ? Que je suis malade d’amour.

Prière instante pour obtenir la grâce de répandre l’amour divin dans les
cœurs.

Loin de l’arrêter dans sa recherche de Dieu, la difficulté excite


l’âme aimante. Elle veut son Dieu à tout prix. Puisque ses efforts ont

1 Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? (Ps. XXI, 1).
148 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

été vains, elle conjurera les autres âmes pieuses de lui prêter leur con-
cours. Plus tôt qu’elle, peut-être, elles auront la joie de trouver le Bien-
Aimé. Dans ce cas, elle les charge d’une commission pour lui, et quelle
commission ! Celle de lui dire que sa sainte Épouse est malade
d’amour. Parvenu à un certain degré, l’amour divin rend mystérieu-
sement malade l’âme qu’il consume. Plus il est ardent, plus la maladie
est grave. Si Dieu n’intervenait, la mort naturelle ne tarderait pas à se
produire. Les saints ont souffert de ce mal. Rappelons-nous le cri de
sainte Thérèse : « Je me meurs de ne pas mourir », et le diagnostic du
médecin de sainte Chantal : « Madame est malade d’amour de Dieu ».
On peut même dire que les saints meurent d’amour. C’est un élan
d’amour qui brise leurs derniers liens.
Sont-elles nombreuses en ce moment, dans le monde, les âmes
vraiment malades de votre amour, ô mon Dieu ? Vous seul pourriez
répondre à cette question. Pour nous, à en juger du dehors, nous se-
rions portés à dire : il y en a peu.
Faites, ô Jésus, que ce nombre augmente. Faites aussi que chacune
d’elle sente sa maladie s’aggraver de jour en jour. Dans ce genre
d’affection, plus on est malade, mieux on se porte, et les plus atteints
sont les plus valides. Accordez-moi la grâce d’être de ceux que ce mal
divin a touchés. Puis, si vous le trouvez bon pour votre gloire, ouvrez
mes yeux afin que je reconnaisse d’un diagnostic sûr les âmes tour-
mentées par votre amour. Allez plus loin encore, et donnez-moi, mal-
gré ma pauvreté, d’exciter le feu qui les brûle, afin de l’allumer, ce feu
mystérieux, dans toutes les âmes que je rencontrerai sur ma route.
Oui, ô Jésus, vous qui êtes venu sur cette terre pour répandre l’amour
divin dans les cœurs, servez-vous de moi, je vous en prie, pour réaliser
votre dessein de miséricorde. Il me semble que si je vous faisais un
peu aimer, je n’aurais plus rien à craindre de votre justice, et j’aurais
tout à espérer de votre bonté.

QUALIS EST DILECTUS TUUS EX DILECTO, O PULCHERRIMA MULIERUM ?


QUALIS EST DILECTUS TUUS EX DILECTO, QUIA SIC ADJURASTI NOS ?
(CANT., V, 9).
Qu’a donc ton Bien-Aimé de plus que les autres, ô la plus belle des
femmes ? Qu’a donc ton Bien-Aimé de plus que les autres, pour
que tu nous conjures de la sorte ?

Incomprise de certaines âmes, la sainte Épouse excite la sainte curiosité


des autres.

Les âmes qui ne souffrent pas d’amour ne comprennent pas celles


que ce mal mystérieux tourmente. Nous aimons, nous aussi, semblent-
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE V 149

elles dire, comme vous le bon Dieu, et cependant, nous ne nous lais-
sons pas emporter à de tels excès d’enthousiasme. Calmez-vous ; te-
nez-vous en repos ; ne nous troublez pas de vos cris. Dieu serait-il
pour vous plus aimable que pour nous ?
Il est d’autres âmes plus intelligentes des secrets de la vie intérieure
qui soupçonnent une cause profonde aux élans d’amour de l’Épouse.
Elles sont frappées par sa beauté spirituelle, elles se disent qu’une telle
âme a dû voir le ciel de plus près, qu’elle a dû plonger plus avant son
regard dans le Cœur du bon Dieu. Elles voudraient participer à sa lu-
mière, afin de communier à son amour. Voilà pourquoi elles pressent
la privilégiée du bon Dieu de leur dire quelque chose de ce qu’elle a
découvert en lui.

DILECTUS MEUS CANDIDUS ET RUBICUNDUS, ELECTUS EX MILLIBUS


(CANT., V, 10).
Mon Bien-Aimé est blanc et vermeil, il se distingue entre dix mille.

Beauté de Jésus ! Nul ne la connaît comme la sainte Vierge ; nous adres-


ser à elle pour apprendre à le garder, l’aimer, le chanter, le donner.

Ce qu’il a de plus que les autres, Jésus, le Bien-Aimé des âmes inté-
rieures ? Mais tout ! Pourquoi est-il plus aimé, ce n’est pas assez dire,
pourquoi est-il seul aimé ? Parce que seul il est vraiment aimable en
lui-même et pour lui-même.
Pressée de donner les raisons de son amour, la sainte Épouse com-
mence un cantique, qu’elle voudrait ne jamais cesser de chanter. Heu-
reux les yeux qui voient ainsi la beauté de Jésus, heureuse, mille fois
heureuse l’âme qui le possède, ce divin trésor ! Heureux à jamais le cœur
qui l’aime de toutes ses forces, ce doux Sauveur ; heureuses, oui bien-
heureuses les lèvres qui le chantent et les mains qui le servent, cet ado-
rable Dieu fait homme par amour ! Ô Vierge Marie, mère de Dieu et
notre mère, qui donc a mieux connu, possédé, aimé, loué, servi que vous
le Verbe Incarné, votre Fils béni, et qui donc peut mieux que vous, nous
apprendre à l’admirer, à le garder, à l’aimer, à le chanter, à le donner ?
Comme il était beau à voir, ô Marie, votre cher petit Jésus dans vos
bras après sa naissance, le teint tout blanc de pureté, gracieusement
coloré de vermeil par le saint amour ! Vous passiez des heures à le
contempler. Vous ne pouviez assez admirer l’infinie bonté du Père qui
vous donnait, et nous donnait par vous, un tel trésor. Quel amour dans
votre cœur pour ce Dieu, votre enfant ! Tout ce que l’amour des
vierges, l’amour des mères et l’amour des saints a de plus délicat et de
plus profond, se trouvait porté dans votre cœur de Vierge, de Mère et
150 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

de Sainte, à un degré que nul ne peut mesurer. Aussi, quel dévoue-


ment dès lors surtout pour ce frêle enfant, qui s’en remettait de tout à
votre tendresse et à celle du bienheureux Joseph, votre Époux et aussi
son père par la mission, l’affection et la continuelle sollicitude !
Quels doux moments, ô Marie, vous avez passés à Nazareth, dans la
contemplation de votre Jésus grandissant en âge, en sagesse, en beau-
té devant Dieu son Père et devant les hommes ses frères ! Que ne don-
nerait-on pas pour voir, ne fût-ce qu’un instant, Jésus adolescent, et
pour s’entretenir paisiblement avec lui de tout ce qui fait battre son
Cœur. Ce n’est plus l’enfant silencieux, ce n’est pas encore l’homme
fait qui remue les foules, excite l’enthousiasme et la haine. Non, c’est le
plus beau jeune homme qui fût jamais, à la voix douce, au regard pro-
fond, limpide, affectueux, au cœur tout débordant de divine charité.
Comme on voudrait vivre près de lui, partager ses travaux, ses repas,
ses délassements, ses continuelles aspirations d’amour !
Il n’y a que vous, ô Marie, et votre très cher compagnon saint Jo-
seph, qui ayez goûté ce bonheur. Dieu vous a réservé cette grâce
comme une récompense de votre dévouement pour son Fils bien-aimé.
Il était beau, plus beau que jamais, votre divin Fils, ô Reine des
martyrs, au jour de sa sainte Passion ! On l’avait meurtri de coups,
percé d’épines, couvert de crachats et de honte, et malgré tout, sous ce
voile hideux, les traits de son visage gardaient un je ne sais quoi de
pur, de majestueux et de divin. Il était plus blanc et plus vermeil que
jamais, blanc comme une hostie, vermeil couleur de sang, de son
propre sang. Et vous avez tenu à ce spectacle d’horreur et de beauté,
tant votre regard était ferme, tant votre amour était fort !
Merci, ô Mère, d’être restée là, presque seule, pour admirer, pour
communier et pour aimer ! Merci d’avoir couvert de vos saints baisers
ce corps sans vie, descendu de la Croix et confié à vos bras accablés de
leur douloureux fardeau ! C’était toujours votre Bien-Aimé, votre tré-
sor, votre tout. Heureux saint Jean, heureux Joseph d’Arimathie, heu-
reuse Marie-Madeleine, heureuse Marie de Cléophas, vous qui avez
contemplé le Fils dans les bras de la Mère, vous qui avez dû garder
jusqu’au dernier de vos jours cette vision unique et dans vos yeux et
dans votre cœur ! Oui, heureux êtes-vous !
Nous pouvons bien croire, ô Marié, que c’est vous qui avez reçu la
première visite de Jésus ressuscité ! Il semble qu’il la devait à votre af-
fection. Son cœur l’y portait du reste de tout son poids. Quelle joie pour
vous de revoir, triomphant de la mort et tout radieux de ce triomphe, ce
Fils tant humilié par ses ennemis et toujours tant aimé par sa Mère !
C’est vrai que ses pieds, ses mains, son côté, sa tête portent les traces de
son supplice, mais elles n’ont rien que de glorieux pour lui et de déli-
cieux pour vous. Votre Jésus, ô Mère, est plus beau que jamais ! Ce n’est
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE V 151

pas encore le ciel, mais c’en est le gage et l’aurore. Vos yeux ravis ne
peuvent s’habituer à ce doux spectacle. Quand Jésus vous quitte pour
aller se montrer à Madeleine, à Pierre, aux Apôtres, vous restez comme
en extase au seul souvenir de ce que vos regards viennent de contem-
pler. Votre cœur bat plus doucement et plus fort que jamais.

CAPUT EJUS AURUM OPTIMUM. COMAE EJUS SICUT ELATAE PALMARUM ;


NIGRAE QUASI CORVUS (CANT., V, 11).
Sa tête est de l’or pur, ses boucles de cheveux sont flexibles comme
des palmes et noires comme le corbeau.

Infinie beauté et inépuisable richesse du divin époux.

Finesse des traits, pureté des lignes, éclat du visage, souplesse et


teinte magnifique des cheveux, voilà ce qui frappe les regards de la
sainte Épouse, quand elle contemple son Dieu bien-aimé. Tout est fin,
délicat, pur, gracieux et riche chez vous, ô mon Dieu ! Vous êtes la vraie
Beauté, l’unique Beauté, toujours ancienne et toujours nouvelle, dont
la contemplation ne lasse pas, dont l’admiration ne fatigue pas, dont la
possession ne déçoit pas. C’est un charme bien mystérieux, que vous
exercez sur l’âme éprise de vous. Elle ne peut pas vous comprendre,
elle ne le pourra même jamais, vous êtes l’infinie Beauté ; elle ne vous
voit pas, la terre est le pays de l’ombre ; et pourtant vous l’attirez, vous
ne lui permettez même pas à certaines heures de se distraire de vous.
Vous voulez qu’elle vous regarde comme si elle vous voyait, qu’elle
vous aime et qu’elle soit heureuse, comme si elle vous possédait.
C’est que, de fait, vous lui appartenez en vertu de celle donation mu-
tuelle, consciente, libre, cordiale, par laquelle vous vous êtes donnés l’un
à l’autre, sans réserves et pour toujours. Vous êtes son trésor, voilà
pourquoi lorsqu’elle vous regarde, elle pense à l’éclat, à la pureté, à la fi-
nesse de l’or le plus dégagé de tout alliage. Et ce trésor est un trésor de
charité. Il y a en vous pour elle un amour sans mélange. Vous lui voulez
un bien infini, sans limite aucune. Tout votre désir est de vous donner à
elle, vous, son Dieu. Plus elle vous possédera ici-bas par l’amour, au Ciel
par la vision, plus votre désir sera satisfait. Et ce n’est pas pour vous que
vous l’aimez ainsi. Sans doute, votre gloire en sera augmentée, mais elle
n’ajoutera rien, au fond, ni à votre richesse, ni à votre bonheur. C’est
elle, votre Épouse, qui reçoit tout de vous, jusqu’à cet amour qu’elle vous
porte et qui vous permet de l’aimer comme un autre vous-même. Et cet
amour elle le sent grandir dans son cœur, rien qu’à vous regarder.
Vous êtes riche, ô mon Dieu, et-votre richesse se répand avec une
abondance et une souplesse d’adaptation admirables. Qu’importe que
152 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

vous créiez l’ange le plus beau qui soit dans le ciel, ou le plus humble
des insectes sur la terre : dans un cas comme dans l’autre, vous agissez
toujours avec une suavité et une maîtrise incomparables : « Nec major
in illis, nec minor in istis » 1, a dit de vous à ce sujet avec raison saint
Augustin. Or, il en est de votre action dans l’ordre de la grâce comme
dans l’ordre de la nature. Vos bienfaits se répandent sur les âmes les
plus humbles comme sur les plus belles, avec une richesse, une délica-
tesse, une convenance dont nous ne pouvons pas nous faire une idée.
C’est la tendresse d’une mère, unie à la force d’un père, qui nous vient à
l’esprit lorsque nous voulons essayer d’exprimer en langue humaine le
caractère ineffable de votre surnaturelle Providence. Soyez toujours li-
béral, ô Père, et faites que nous soyons, nous, toujours affectueux et re-
connaissants.
Les richesses du Bien-Aimé sont inépuisables. Le mystère de leur
libérale distribution est insondable, il donne à qui il lui plaît, quand il
lui plaît et dans la mesure où il lui plaît. Ce que nous savons, c’est que
tout ce qu’il fait, il le fait par amour et par miséricorde. Voilà peut-être
ce que symbolise cette couleur noire dont il est parlé ici. Mais, quoi
qu’il en soft, la chose reste vraie.
Comme elles doivent vous bénir, ô Jésus, les âmes que vous avez
appelées à contempler dès ce monde quelque chose de votre inexpri-
mable beauté ! Heureuses sont-elles, lorsque vous daignez vous révé-
ler à elles par cette manifestation intime, voilée sans doute, et qui
pourtant donne la certitude que c’est bien vous qui êtes là au centre de
l’âme, comme la vie de sa vie, la source abondante et paisible de sa
force, de sa paix et de sa joie. « Et manifestabo ei meipsum » 2. Tous
les voiles ne tombent pas, l’obscurité reste toujours. C’est la loi de la
terre. Au Ciel seulement, la manifestation de votre beauté sera par-
faite : « Videbimus eum sicuti est » 3.

OCULI EJUS SICUT COLUMBAE SUPER RIVULOS AQUARUM, QUAE LACTE


SUNT LOTAE, ET RESIDENT JUXTA FLUENTA PLENISSIMA (CANT., V, 12).
Ses yeux sont comme des colombes au bord des ruisseaux, se bai-
gnant dans du lait, posées sur des rives pleines.

Ravissement de l’âme s’apercevant que Dieu s’occupe de sa petitesse.

Vos yeux seraient, nous dit-on, ô mon Dieu, comparables à de pe-


tites piscines aux eaux pures ou remplies de lait et où viendraient se

1 Il n’est pas plus grand dans ceux-ci, ni plus petit dans ceux-là.
2 Et je me manifesterai à lui (Joan., XIV, 2).
3 Nous le verrons tel qu’il est (I Joan., III, 2).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE V 153

baigner de gracieuses petites colombes… Pour l’âme que vous aimez et


qui vous aime, votre regard est très doux. Elle se plaît à vous regarder,
et vous vous plaisez à la regarder. Vous êtes si bon ! Vos yeux expriment
si bien l’amour dont votre cœur est rempli pour votre sainte Épouse ! Il
est si précieux pour elle d’imprimer son image dans vos yeux, et de sen-
tir votre regard l’envelopper de tendresse et de force. Quelle joie pour
une âme que de s’apercevoir que vous vous occupez ainsi de sa peti-
tesse ! Comme elle est heureuse de pouvoir lever les yeux vers vous sans
trop de crainte. Rien ne semble plus vous séparer l’un de l’autre. Par ce
regard mutuel, vous vous donnez déjà l’un à l’autre autant qu’il est
possible. Elle ne voit que vous, et vous paraissez ne plus voir qu’elle.

GENAE ILLIUS SICUT AREOLAE AROMATUM CONSITAE A PIGMENTARIIS


(CANT., V, 13).
Ses joues sont comme un parterre de baume, un carré de plantes
odorantes.

Contemplation des perfections divines dans leur admirable unité.

Variété harmonieuse des couleurs d’un parterre de fleurs, charme


unique de leurs parfums fondus en un seul, voilà ce que trouve encore
la sainte Épouse pour exprimer la beauté de son Dieu. C’est que les
perfections divines lui apparaissent sous un jour tout nouveau et dans
leur admirable unité. Elle sait un peu maintenant, par une sorte
d’expérience intime et pour les avoir comme goûtées, ce que sont la
bonté, la miséricorde, la beauté, la sagesse et la simplicité de son Dieu.
Auparavant, elle s’en formait quelque idée, ses idées lui restent, elle
n’en acquiert pas de nouvelles, réserve faite de certaines grâces parti-
culières. Mais elle a été unie au moins quelques instants à la Réalité
même dont ces idées lui parlaient. Voilà pourquoi elle n’ose plus s’en
servir maintenant, tant elles lui paraissent déficientes. Elle a comme
savouré au plus intime d’elle-même ce « Bien qui contient tous les
biens » : tout s’efface devant cette connaissance d’un genre très spé-
cial. Aucun mot ne peut la dire, et pourtant elle dit tout à qui la reçoit.

LABIA EJUS LILIA DISTILANTIA MYRRHAM PRIMAM (CANT., V, 13).


Ses lèvres sont des lis, d’où découle la myrrhe la plus pure.

Vérité et beauté de sa doctrine.

Comme il devait être bon de vous écouter parler, ô Jésus ! Vos


lèvres ne laissaient entendre que des paroles de pure vérité. Vérité
154 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

austère parfois de l’austérité de la Croix, mais toujours enveloppée de


tant de charité pour ceux qui vous prêtaient l’oreille de leur cœur et ne
trouvaient pas vos enseignements trop durs ! Ils comprenaient, ceux-
là, que vous disiez des paroles de vie éternelle. Ils ne voulaient pas
écouter d’autres maîtres que vous. Ils acceptaient votre joug si doux et
votre fardeau si léger. Votre silence même parlait à leur âme. Ils
éprouvaient alors, comme votre sainte Mère, le besoin de méditer dans
leur cœur ce qu’on leur avait dit de vous, et surtout ce que vous-même
leur en aviez dit. Bonnes terres qui portaient trente, soixante et jusqu’à
cent pour un !…
Aujourd’hui comme autrefois, ô Jésus, vos lèvres ont forme et cou-
leur de lis, lis blancs, lis rouges, symboles de la vérité et de la beauté
de votre doctrine d’amour. Vos paroles sont « esprit et vie » 1. Quand
serons-nous vos vrais disciples, avides de vous écouter, soucieux de
méditer, de savourer votre enseignement, résolus à le pratiquer afin de
le mieux comprendre et de le mieux vivre, encore et toujours ? Attirez-
nous à vous, ô Maître des maîtres, ô Verbe Incarné ! Gardez-nous près
de vous ! Faites taire toute autre parole que la vôtre. Rendez notre âme
semblable à ce champ fertile, qui porte de beaux et de nombreux épis.
Apprenez-nous à imprégner, à informer notre pensée, notre affection,
notre action, de vérité. C’est alors que nous vous rendrons témoignage
partout et toujours comme votre saint Précurseur, comme vos chers
Apôtres, puisqu’il est reconnu « que l’on rend témoignage à la vérité
dans la mesure où on la participe ».

MANUS ILLIUS TORNATILES, AUREAE PLENAE HYACINTHIS (CANT., V, 14).


Ses mains sont comme des cylindres d’or, émaillés de pierres de
Tharsis.

Hommage d’admiration et d’amour aux mains divines et sacerdotales de


Jésus.

Que ne donnerai-t-on pas, ô Jésus, pour contempler, ne fût-ce qu’un


instant, vos mains bénies, violettes de froid à Bethléem, de souffrance
au Calvaire, rayonnantes de lumière au Thabor et maintenant au Ciel !
Jusqu’au séjour de votre gloire, vous voulez qu’elles gardent les cica-
trices des plaies profondes que les clous leur ont faites, vraies topazes
aux teintes merveilleuses et aux reflets éblouissants. Mains divines,
qui avez fait tant de miracles, pardonné tant de fautes, béni tant de pe-
tits enfants. Mains sacerdotales qui avez célébré la première messe,

1 Joan., VI, 63.


CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE V 155

conféré la première ordination, donné la première mission apostoli-


que ; mains toujours pleines de grâces que vous répandez sans compter
sur toutes les âmes ; mains toujours occupées à faire du bien sur la
terre, étendez-vous sur moi, pour me bénir, me sanctifier, me garder.
Prenez-moi et placez-moi tout près du cœur de mon Jésus. Amen.

VENTER EJUS EBURNEUS, DISTINCTUS SAPPHIRIS (CANT., V, 14).


Son sein est un chef-d’œuvre d’ivoire couvert de saphirs.

Divin tourment des âmes qui désirent pénétrer dans le Sacré-Cœur.

Toutes les âmes, tourmentées par votre amour, désirent humble-


ment, mais ardemment, reposer sur votre poitrine, ô Jésus. L’apôtre
saint Jean, celui que vous aimiez d’un amour spécial, leur en a donné
l’exemple. Il est leur modèle. Elles s’efforcent de l’imiter dans la pureté et
la ferveur de son affection pour vous, afin que vous puissiez, si tel est
votre bon plaisir, les presser spirituellement comme lui sur votre divin
Cœur. Il leur semble avec, raison que là elles seront plus près de la source
de toute vérité, de toute charité, de tout bonheur, qu’elles pourront alors
y boire tout à leur aise, s’enivrer même au point de tout oublier, afin de
goûter en pleine conscience la joie toute pure de vous aimer. Oui, ô Jé-
sus, reposer doucement sur votre adorable sein, endormi aux choses qui
passent, très éveillé à votre amour qui ne passe pas, quelle grâce !
Mais, ô Jésus, ceux qui vous aiment veulent vous connaître à fond et
vous posséder en plénitude. C’est vous-même qui leur donnez ce désir.
Du reste, leur amour serait-il sincère, s’ils ne l’éprouvaient pas ? Si
grande que soit la faveur de reposer sur votre divin Cœur, elle ne leur
suffît plus. Votre charité les presse de demander à entrer dans ce Cœur
lui-même, pour y établir leur demeure à jamais. C’est là seulement qu’ils
se sentiront délivrés des sollicitudes de la terre, et vraiment à l’abri des
coups de leurs ennemis. C’est là seulement qu’ils trouveront leur véri-
table repos. Comme il vous sera facile alors de leur révéler la profondeur
de votre amour pour votre Père céleste et pour vos frères. Il leur semble
qu’ils verront sans peine comme du dedans les admirables sentiments de
votre âme, la richesse de votre grâce, la beauté et l’harmonie de vos ver-
tus ; en un mot, tout ce que renferme de trésors votre sainte Humanité.
Montrer vos richesses, ô mon Dieu, les faire admirer d’une admira-
tion déjà toute céleste, n’est pas encore assez pour votre amour. Il vous
presse d’aller plus loin et de vous donner vous-même en donnant réel-
lement votre cœur. Et c’est jusqu’à cet excès que votre générosité vous
a porté parfois. Quelques âmes privilégiées, au cours des siècles, se
sont senties tout à coup privées de leur propre cœur et ont compris
156 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

que vous mettiez le vôtre à la place, pour un temps du moins. Ne


l’auriez-vous fait qu’une fois que cela nous jetterait dans la stupeur.
Pouvez-vous donner actuellement à une pauvre créature une plus
grande marque d’amour ? Il ne semble pas ! Que doit être, à partir de
cet inoubliable instant et aussi longtemps que dure un tel miracle, la
vie de l’âme ainsi favorisée ! Elle-même ne saurait le dire. La seule pa-
role qui puisse exprimer ce qu’elle éprouve paraît bien être celle de
saint Paul entendue dans son sens le plus profond : « Je vis, non ce
n’est plus moi qui vis, c’est Jésus qui vit en moi » 1.

CRURA ILLIUS COLUMNAE MARMOREAE QUAE FUNDATAE SUNT SUPER


BASES AUREAS (CANT., V, 15).
Ses jambes sont de blanches colonnes de marbre posées sur des
bases d’or pur.

Divines Perfections du Verbe Incarné, appui immuable de l’âme inté-


rieure.

Pour exprimer tout ce qu’il y a de solidité, de fermeté, de grâce, de


richesse et de beauté en vous, ô mon Dieu, la sainte Épouse parle de
« blanches colonnes de marbre », fortement assises « sur des bases
d’or pur ». Oui, ô Jésus, ceux qui vous aiment peuvent s’appuyer sur
vous en toute confiance. Vous êtes l’immuable, votre force ne diminue
pas, votre amour ne change pas, votre beauté ne passe pas. Elle est la
Beauté « toujours ancienne, et toujours nouvelle » qu’on regrette
d’avoir connue si tard et d’aimer encore si peu.
Trouver un point d’appui immuable, c’est le désir ardent de toute
âme humaine, combien plus de toute âme chrétienne et plus encore de
toute âme intérieure. Vous êtes seul, ô mon Dieu, ce solide point
d’appui, cette terre ferme vers laquelle soupire le passager que les
vagues de la vie soulèvent nuit et jour sans trêve ni repos.
Qui nous donnera, ô mon Dieu, de nous tenir si étroitement unis à
vous que notre âme participe déjà à votre immuable sérénité ?
Rien ne rassure notre âme au milieu de ses peines comme la certi-
tude de vous rester fidèle, ô mon Dieu. Voilà pourquoi la plus dure de
toutes les épreuves, la seule qui compte en réalité, c’est de ne pas sa-
voir si l’on vous aime vraiment par dessus tout, c’est de se croire, de se
sentir, d’une façon mystérieuse et crucifiante, comme rejeté par vous.
Si votre grâce ne soutenait l’âme en secret, la vie ne lui serait plus pos-
sible. Mais, ô mon Dieu, dans votre miséricorde, vous limitez cette

1 Gal., II, 20.


CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE V 157

douloureuse agonie. Quand elle a fait son œuvre purificatrice, la con-


fiance en votre indéfectible amour revient au cœur et, avec elle, la
paix, la force et la joie. Oh ! alors, tenir en ses mains les preuves pres-
que évidentes que l’on est aimé de vous, quelle consolation ! Si l’on
avait l’assurance de vous rester à jamais fidèle et, par suite, de devenir
chaque jour plus agréable à vos yeux, plus cher à votre cœur, ce serait
vraiment le Ciel commencé. Rien désormais ne pourrait troubler une
âme sûre de votre amour. « Quis nos separabit a caritate Christi ? » 1.

SPECIES EJUS UT LIBANI, ELECTUS UT CEDRI (CANT., V, 15).


Son aspect est celui du Liban, élégant comme le cèdre.

Puissance tranquille, grâce infinie de l’Époux divin.

Après la vue admirative des détails, celle de l’ensemble ; après


l’analyse délicate des traits de l’Époux divin, la synthèse qui les ré-
sume, en les unissant : voilà ce que s’efforce de réaliser la sainte
Épouse. Vu d’un seul regard, son Bien-Aimé lui apparaît majestueux,
imposant et ferme comme le mont Liban. À la force, il joint la grâce, et
ç’est alors l’élégance du cèdre qui sert à peindre ces deux qualités
harmonieusement fondues. Puissance tranquille, grâce infinie ; voilà
encore une fois les deux traits, saillants de la beauté de l’Époux consi-
déré d’un seul regard.
Ce sont bien là, ô mon Dieu, les, deux signes auxquels on reconnaît
votre action, et, par suite, votre Être même. Vous accomplissez toutes
choses, vous menez les âmes et le monde « suaviter et fortiter ». C’est ce
qui frappe les yeux d’une âme à qui vous daignez découvrir quelque
chose de la « manière » de votre paternelle Providence. Et l’ouvrier se
révèle dans son œuvre. Il est doux de vous contempler ainsi, ô mon Dieu.

GUTTUR ILLIUS SUAVISSIMUM ET TOTUS DESIDERABILIS. TALIS EST DILE-


CTUS MEUS, ET IPSE EST AMICUS MEUS, FILIAE JERUSALEM (V, 16).
Son palais n’est que douceur, et toute sa personne est pleine de
charme. Tel est mon Bien-Aimé, tel est mon Ami, filles de Jéru-
salem.

L’Épouse achève l’éloge de son saint Époux.

Quand il parle, dit-elle, il ne prononce que des paroles pleines de


douceur. On ne se lasse pas de l’écouter ; on voudrait toujours l’en-

1 Qui nous séparera de l’amour du Christ ? (Rom. VIII, 35).


158 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

tendre. Il a tant d’amour dans le Cœur que sa voix en est comme tout
imprégnée. Et quoi de plus doux que l’amour divin !
Enfin, pour résumer d’un mot l’incomparable portrait de son Dieu,
qu’elle vient de tracer, elle déclare que « toute sa Personne est pleine
de charme ». Ceux qui vous Contemplent, ô Jésus, même à travers les
ombres de la foi, pensent et parlent comme votre sainte Épouse. Votre
Beauté les saisit, les charme et les ravit. Ils oublient tout ; ils ne voient
que vous, ils ne désirent que vous, ils ne veulent que vous. Ils souhai-
tent que tous les regards se tournent vers vous, que tous les cœurs se
donnent à vous.
Chapitre VI

QUO ABIIT DILECTUS TUUS, O PULCHERRIMA MULIERUM ? QUO DECLI-


NAVIT DILECTUS TUUS ? ET QUAEREMUS EUM TECUM (CANT., VI, 1).
De quel côté est allé ton Bien-Aimé, ô la plus belle des femmes ? De
quel côté ton Bien-Aimé s’est-il tourné, pour que nous le cher-
chions avec toi ?

Saint tourment de l’âme déjà transformée par le divin Amour.

On ne peut pas rencontrer une âme tourmentée par l’amour de


Dieu sans être ému.
Tout d’abord, on ne comprend pas la nature du mal mystérieux qui
la fait souffrir. L’illusion, l’exagération du moins est facile, semble-t-il,
en pareille matière. Mais qu’elle vienne à décrire les charmes de son
Bien-Aimé ainsi que l’a fait la sainte Épouse, alors les dispositions
changent.
Il n’est plus possible de douter de la réalité et de la légitimité de
cette affection jugée au premier moment insolite. On se rend compte
qu’entre savoir par la raison, croire par la foi, que Dieu est souverai-
nement aimable, et l’expérimenter comme l’âme blessée d’amour l’ex-
périmente au plus profond d’elle-même, il n’y a pour ainsi dire pas de
comparaison possible. Il ne reste plus qu’à louer Dieu et féliciter l’âme
privilégiée, à se ranger à son avis et à l’aider, s’il se peut, dans sa re-
cherche de Jésus.
Mais ce n’est pas seulement parce qu’elle souffre d’un tel mal, que
la sainte Épouse excite les âmes de bonne volonté à lui venir en aide,
c’est encore parce que son amour l’a rendue vraiment belle de la beau-
té de celui qu’elle aime. Elle est devenue comme un miroir vivant de
Dieu ; à la voir, à l’écouter, on croirait voir et entendre Jésus lui-
même. Elle traçait un peu son propre portrait en dessinant celui de
son Bien-Aimé. L’amour unît ; mais pour unir, il rend semblable.
Cette similitude éclate aux yeux de ceux que l’âme intérieure a pris
pour confidents de ses peines mystérieuses et auprès de qui elle
cherche secours.
Pour la gloire de Dieu d’abord, pour sa gloire et son bonheur à elle,
on voudrait pouvoir l’aider dans sa recherche de Jésus. Mais où est-il ?
Comment orienter ses efforts, quels moyens prendre pour avancer, ne
fût-ce que d’un instant, leur divine rencontre ?
160 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

DILECTUS MEUS DESCENDIT IN HORTUM SUUM AD AREOLAM AROMA-


TUM, UT PASCATUR IN HORTIS, ET LILIA COLLIGAT (CANT., VI, 2).
Mon Bien-Aimé est descendu dans son jardin, au parterre de
baume, pour faire paître son troupeau dans les jardins et pour
cueillir les lis.

L’Église, les Institutions, les âmes, jardin de l’Époux où toute fleur de ver-
tu s’épanouit exclusivement pour lui.

L’Épouse répond elle-même aux âmes qui veulent l’aider à trouver


son Dieu. Elle sait maintenant où il est.
Il est descendu dans son jardin, l’Église, parterre de baume ; l’âme
aussi, riche des fleurs les plus variées et les plus parfumées. C’est là
qu’il se trouve. Il y est descendu attiré par l’amour, semble-t-il, mais
en réalité comme cause de cette amour. Il y demeure.
L’Épouse le comprend, elle goûte la joie de sa présence, elle le
possède chez elle, bien à elle. Elle est son jardin, il est son Bien-Aimé
plus que jamais, et il est là plus intime à elle qu’elle-même, comme
la lumière et l’amour incréés, principe de toute lumière et de tout
amour vrai.
Il vit en elle en toute liberté. Tout y est à lui, tout y est pour lui, la
moindre fleur de vertu lui dit : « C’est pour vous que j’ai été cultivée, je
m’épanouis pour vous plaire, je répands mon parfum pour vous char-
mer ; vous pouvez me cueillir tout à votre gré. Je serais trop heureuse,
si vous vouliez bien me tenir dans vos mains, me porter à vos lèvres et
me placer sur votre cœur ».
Quels sont maintenant ces « amis » où Jésus fait paître son trou-
peau et où il cueille des lis ? On aime à penser que ce sont les maisons
bénies où se groupent et se cachent tout ensemble des âmes éprises
d’amour de Dieu, afin de s’entraider à mieux aimer Celui qui mérite
seul d’être aimé. Le nom, l’habit et les lois diffèrent ; le but reste le
même : aimer Jésus, et d’une manière ou d’une autre le faire aimer.
C’est là que le bon Pasteur fait paître son troupeau. Il connaît par
son nom éternel chacune de ses brebis. Il sait la nourriture qui lui con-
vient, la vérité dont elle a besoin pour vivre, la force qui lui est néces-
saire pour grandir, l’épreuve qui lui convient pour monter, l’amour
dont elle a soif pour se désaltérer.
Puis quand la brebis est riche d’une belle toison de mérites, il
l’emporte sur ses épaules jusque dans son Paradis. Quand le lis est
pleinement épanoui, il le cueille pour le Ciel.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VI 161

EGO DILECTO MEO, ET DILECTUS MEUS MIHI (CANT., VI, 3).


Je suis à mon Bien-Aimé et mon Bien-Aimé est à moi.

Sainte union.

Le Bien-Aimé ne s’est pas contenté de descendre dans son jardin, il


en a pris possession.
L’âme intérieure sait alors que ses plus ardents désirs sont réalisés.
Elle est à son Dieu de droit et de fait. Elle comprend que ce Dieu si bon
l’a prise tout entière, jusqu’au fond, pour toujours. Elle goûte une joie
indicible, paisible, constante, à se sentir spirituellement et surnaturel-
lement pénétrée et possédée par son Bien-Aimé.
Il l’envahit comme l’eau envahit l’éponge ; il est non seulement au-
tour d’elle, mais en elle et en tout ce qu’elle est.
La comparaison qui vient à l’esprit de l’Épouse, pour essayer de se
dire à elle-même cette ineffable opération de Dieu, est celle d’un feu
très doux, très bienfaisant, très pénétrant qui s’insinue en tout elle-
même, la transforme et fait qu’elle oublie ce qu’il y avait de froid, de
dur et d’obscur en elle et ne lui laisse que l’impression vive qu’elle est
devenue souple, lumineuse et brûlante. Elle est toute à son Dieu.
Son Dieu, lui aussi, est tout à elle. Il lui appartient, elle le possède,
elle le goûte, elle se nourrit de lui mystérieusement. Elle vit de lui.
Comment cela se peut-il ? Comment, sans perdre sa nature, l’âme
humaine parvient-elle à ne plus faire qu’un avec Dieu et à vivre de sa
vie à lui ?
L’explication nous sera donnée dans le ciel. Ici-bas, nous ne pou-
vons qu’admirer, louer, bénir et remercier. Mais on comprend un peu
le cri de joie du Psalmiste : « Deus cordis mei et pars mea, Deus, in
aeternum » 1, et celle affirmation si vraie : « Mihi autem adhaerere
Deo bonum est » 2.
L’union véritable, profonde, permanente avec son Dieu, voilà le
terme de tous ses désirs, de tous ses efforts, de tous ses sacrifices.
Puisque malgré tous leurs soins, les âmes élevées jusqu’à cette union
se déclarent impuissantes à en donner une idée, respectons leur sainte
réserve et chantons avec elles les miséricordes infinies de noire Dieu :
« Misericordias Domini in aeternum cantabo » 3.

1 Dieu qui êtes le Dieu de mon cœur et mon partage pour l’éternité (Ps. LXXII, 26).
2 Pour moi, être uni à Dieu, c’est mon bonheur (Ps. LXXII, 28).
3 Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur (Ps. LXXXVIII, 1).
162 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

QUI PASCITUR INTER LILIA (CANT., VI, 3).


Il fait paître son troupeau parmi les lis.

Jésus, bon Pasteur.

Jésus connaît ses brebis, il les aime, il leur veut du bien, il leur en
fait toujours autant qu’il le peut, il veille sur elles d’une vigilance cons-
tante et comme jalouse. Il les protège, il les garde, surtout il les nour-
rit. Chacune d’elles peut dire en vérité : « Jésus est mon Pasteur, je ne
manquerai de rien. Il me fait reposer dans de verts pâturages, il me
mène près des eaux rafraîchissantes, il restaure mon âme… Je ne
crains aucun mal car tu es avec moi : ta houlette et ton bâton me ras-
surent. Ma coupe déborde. Oui, le bonheur et la grâce m’accompa-
gneront tous les jours de ma vie » 1.
Lis de la vérité, lis de la charité, lis de la pureté, voilà les fleurs au-
près desquelles le bon Pasteur veut que les âmes intérieures passent
leur vie, trouvent leur nourriture, leur repos et leur joie. Vous êtes
vraiment le bon Pasteur, ô Jésus : « Ego sum Pastor bonus » 2.

PULCHRA ES, AMICA MEA, SUAVIS ET DECORA SICUT JERUSALEM, TERRI-


BILIS UT CASTRORUM ACIES ORDINATA (CANT., VI, 4).
Tu es belle, mon amie, comme Thirsa, charmante comme Jérusa-
lem, mais terrible comme une armée rangée en bataille.

Une âme vraiment intérieure est une puissance.

Aux yeux de Jésus, l’âme intérieure apparaît tout ensemble belle,


gracieuse et forte, belle comme Thirsa, gracieuse et charmante comme
Jérusalem, terrible comme une armée en pleine bataillé. Sa beauté est
un reflet fidèle et vivant de la beauté de Dieu. Sa grâce lui vient de
l’harmonie parfaite, ravissante à contempler, des perfections divines
participées à un rare degré et comme fondues en une délicieuse sim-
plicité. Sa force, conséquence de son amour et de son intime union
avec le Dieu fort, la rend redoutable et comme invincible : « Quis ut
Deus ? » Les démons le savent. Les ennemis de Dieu le devinent. Une
âme vraiment intérieure est une puissance. Amis, ennemis, tous
comptent avec elle. Heureux ceux qui peuvent compter sur elle !

1 Ps. XXII.
2 Je suis le bon Pasteur (Joan., X, 11).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VI 163

AVERTE OCULOS TUOS A ME, QUIA IPSI ME AVOLARE FECERUNT (CANT.,


VI, 5).
Détourne de moi tes yeux, car ils me troublent.

Puissance d’une âme aimante sur le Cœur de Dieu.

Quelle n’est pas la puissance d’une âme aimante sur le Cœur de


Dieu ! Nous n’oserions y croire, s’il ne nous le disait lui-même. Cette
âme a un regard si profond, si pur, si affectueux qu’il ne peut en
quelque sorte le soutenir. Il lui demande comme une grâce de le dé-
tourner de lui au moins un instant. On dirait qu’il craint d’être obligé,
par un tel amour, d’appeler à lui cette Épouse si belle, avant l’heure
marquée par sa divine Sagesse.
Bienheureux les cœurs purs ! Ils voient Dieu et Dieu les voit, Dieu
les admire, Dieu les aime, Dieu est attiré par eux. Il voudrait les pren-
dre avec lui, se les unir pour jamais. Attendre lui coûte. Il a besoin de
toute sa Sagesse pour s’y résigner. Oh ! si nous savions ce que c’est que
d’aimer Dieu !

CAPILLI TUI SICUT GREX CAPRARUM QUAE APPARUERUNT DE GALAAD


(CANT., VI, 5).
Tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres suspendues aux
flancs de la montagne de Galaad.

Vifs désirs et bonnes œuvres, témoignages certains de la vérité de son


amour.

Au dire des pèlerins de terre Sainte, c’est un gracieux spectacle que


celui d’un troupeau de chèvres suspendues aux flancs d’une blanche
montagne de Palestine. Tout de suite, la comparaison de l’auteur sacré
vient à l’esprit. On la trouve d’une parfaite exactitude.
Nous pouvons y voir aussi l’image des désirs nombreux et vifs de
l’âme intérieure, puis de ses bonnes œuvres, témoignage certain de la
vérité et de la ferveur de son amour. Ses mérites la parent. Ils la ren-
dent digne, en quelque sorte, d’attirer et de ravir les regards de Dieu.
Ils sont nombreux, variés, ordonnés. L’amour les unit harmonieuse-
ment ; c’est lui qui leur a donné naissance, c’est lui qui les a rendus si
riches. C’est lui encore qui les offre comme un hommage au Maître de
toutes choses, à celui de qui toutes choses procèdent et à qui toutes
doivent faire retour.
164 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

DENTES TUI SICUT GREX OVIUM QUAE ASCENDERUNT DE LAVACRO ; OM-


NES GEMELLIS FAETIBUS ET STERILIS NON EST IN EIS (CANT., VI, 6).
Tes dents sont comme un troupeau de brebis qui remontent du la-
voir. Chacune porte deux jumeaux. Aucune d’elles n’est stérile.

Fécondité des vertus morales guidées par la raison et par la grâce.

Pour lutter contre ses ennemis et en triompher, l’âme intérieure


dispose de vertus morales nombreuses et fortes. Elles sont parvenues
à leur perfection. Chacune d’elles est en pleine activité. Pour l’ordi-
naire, il leur faut éviter deux excès et dès lors, remporter comme une
double victoire. Elles ont à tenir, quant au lieu, au temps, à la manière,
un juste milieu marqué par la droite raison d’abord, puis par la foi et
souvent aussi par l’Esprit-Saint lui-même.
Cette ligne médiane est une ligne montante. C’est en se laissant
conduire par la raison et par la grâce que les vertus rendent leur
maximum et se dépassent pour ainsi dire à chaque pas elles-mêmes.
La charité peut alors compter sur elles pour assurer son triomphe et
l’exécution parfaite de ses ordres. Et c’est un beau spectacle à contem-
pler que celui d’une âme riche de tant et de si belles vertus.

SICUT CORTEX MALI PUNICI, SIC GENAE TUAE, ABSQUE OCCULTIS TUIS
(CANT., VI, 7).
Ta joue est comme une moitié de grenade derrière ton voile.

Le charme inexprimable de la vie intérieure est un perpétuel renouveau


d’amour divin.

Quand le bon Dieu aime une âme d’un amour de prédilection, il ne


se lasse pas de le lui dire souvent. Il emploie les mêmes formules, il lui
donne les mêmes marques d’affection, les mêmes grâces d’intimité, et
pourtant, à chaque fois, il y a quelque chose de nouveau. La voix est
plus pénétrante, la tendresse plus vive, l’union plus paisible et plus
profonde. C’est le charme inexprimable de la vie intérieure que ce per-
pétuel renouveau. On dirait qu’à chaque battement du cœur, l’âme
goûte avec toutes les joies anciennes qui revivent, une joie toute nou-
velle qui ajoute encore à son bonheur. Il n’y a que vous, ô mon Dieu,
qui puissiez réaliser de si grandes choses ! Vous êtes l’Océan infini de
la béatitude. Heureuse l’âme que vous plongez de plus en plus dans
votre joie sans limite. Elle passera son éternité à vous dire : merci !
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VI 165

SEXAGINTA SUNT REGINAE ET OCTOGINTA CONCUBINAE, ET ADOLESCEN-


TULARUM NON EST NUMERUS. UNA EST COLUMBA MEA, PERFECTA
MEA ; UNA EST MATRIS SUAE, ELECTA GENITRICIS SUAE. VIDERUNT
EAM FILIAE ET BEATISSIMAM PRAEDICAVERUNT ; REGINAE ET CON-
CUBINAE ET LAUDAVERUNT EAM (CANT., VI, 8-9).
Il y a soixante reines, quatre-vingts femmes de second rang et des
jeunes filles sans nombre. Une seule est ma colombe, mon im-
maculée, l’unique de sa Mère, la préférée de celle qui lui donna
le four. Les jeunes filles l’ont vue et l’ont proclamée bienheu-
reuse. Les reines et les autres femmes l’ont louée.

Légitime préférence de Dieu, de la sainte Église pour une âme ; elle


n’excite pas la jalousie.

Assez nombreuses relativement sont les âmes individuellement ap-


pelées à l’union divine, plus nombreuses celles qui reçoivent quelques
grâces mystiques, beaucoup plus nombreuses encore celles que Dieu
détache du monde, celles qu’il purifie, qu’il enrichit, qu’il prépare ainsi
de loin et à des degrés très divers aux ascensions mystérieuses de la
charité. Mais une seule est vraiment « sa colombe », « son immacu-
lée ». C’est, pour toujours, Marie, la Vierge des vierges, la Reine des
âmes intérieures, et à un degré bien inférieur, en chaque génération
humaine, telle âme encore dans le monde, ignorée, inconnue peut-
être, qui est la légitime préférée de son cœur. Parmi tant d’âmes que
Jésus attire, qu’il rapproche sans cesse de lui, à qui il donna des
marques de plus en plus évidentes de son affection, il en est une, en ef-
fet, qui lui est unie avec une perfection plus complète et pour qui la
terre n’est plus la terre. Dieu en soit béni, à jamais !
L’Église se réjouit quand elle peut offrir à son divin Époux une âme
toute belle et toute pure. Sans doute, elle aime tous ses enfants ; elle
veille sur tous, elle prend soin de tous. Mais cependant, comme Dieu,
sans faire tort à aucun d’eux, elle a ses légitimes préférences. Souvent
du reste, pour ne pas dire toujours, ce n’est qu’après l’entrée au Ciel de
son enfant que l’Église proclame sa prédilection. Elle le fait de manière
à ne blesser personne et à n’établir aucune comparaison pénible ou
même désagréable. Ne pourrait-on pas dire, avec ces réserves, qu’en
ces derniers temps sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus est l’unique de sa
Mère, la préférée de l’Église catholique qui lui a donné le jour ? Elle
l’était déjà dès ce monde, mais nul ne le savait alors. C’était la perle
précieuse cachée dans le champ de l’Église, mais qui dès lors réjouis-
sait les regards de Dieu.
166 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Ainsi en est-il encore. Heureuse l’âme qui mérite une telle préfé-
rence !
Son bonheur n’excite point de jalousie. Ceux qui contemplent sa
beauté, à quelque degré de perfection qu’ils se trouvent eux-mêmes, se
réjouissent. On peut même dire que plus ils sont près de Dieu, plus ils
sont contents. Ils voient mieux, ils comprennent mieux, ils goûtent da-
vantage les effets de la grâce dans l’âme devenue l’Épouse bien-aimée
de Jésus. À ce beau spectacle, leur cœur se dilate. Ils éprouvent le be-
soin de chanter la gloire de cette heureuse privilégiée. Y a-t-il au
monde, en effet, un bonheur comparable à celui d’une âme élevée à
l’union parfaite, permanente, indissoluble avec Dieu lui-même ?
Comment, pour peu qu’on aime le bon Dieu, ne pas se réjouir de le sa-
voir aimé à ce point ? Comment, pour peu qu’on aime son prochain, ne
pas être ravi de le voir entrer dès ce monde dans le bonheur même de
Dieu ? « Amicus autem Sponsi, qui stat et audit eum, gaudis gaudet
propter vocem Sponsi » 1.

QUAE EST ISTA QUAE PROGREDITUR QUASI AURORA CONSURGENS, PUL-


CHRA UT LUNA, ELECTA UT SOL, TERRIBILIS UT CASTRORUM ACIES OR-
DINATA (CANT., VI, 10).
Quelle est celle-ci qui apparaît comme l’aurore, belle comme la
lune, pure comme le soleil, terrible comme une armée rangée
en bataille ?

Incomparable beauté de l’âme unie à Dieu.

On ne se lasse pas d’admirer la beauté d’une âme unie à Dieu, pas


plus qu’on ne se lasse d’admirer la beauté de Dieu lui-même, Elle y
participe en effet à un tel point qu’elle en paraît tout imprégnée et
comme envahie. Ce que la nature offre de plus beau peut à peine don-
ner une idée de cette beauté toute spirituelle. L’aurore avec ses rayons
pleins d’espoirs, la lune avec sa douce et blanche lumière, le soleil avec
sa flamme ardente et pure, l’homme uni à d’autres hommes et dé-
ployant sa force dans une terrible bataille : voilà quelques-uns des
traits qui servent à peindre l’incomparable beauté de l’âme unie à
Dieu. C’est une gracieuse espérance qui se lève sur le monde ; c’est une
lumière qui luit paisiblement aux jeux ; c’est un foyer tout brûlant
d’amour, qui réchauffe et vivifie les âmes, c’est une force invincible à
qui tout est possible, même le miracle. Comment ne pas admirer ?

1 L’ami de l’Époux, qui se tient là et qui écoute, est ravi de joie à la voix de l’Époux (Joan.,

III, 29).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VI 167

DESCENDI IN HORTUM NUCUM UT VIDEREM POMA CONVALLIUM, ET


INSPICEREM SI FLORUISSET VINEA, ET GERMINASSENT MALA PUNICA
(CANT., VI, 11).
J’étais descendue au jardin des noyers pour voir les herbes de la
vallée, pour voir si la vigne pousse, si les grenadiers sont en
fleur.

Souci de l’âme intérieure de veiller toujours au bon état de son mystérieux


jardin.

L’âme n’oublie pas, au milieu de ses délices, le soin qu’elle doit


prendre d’elle-même. Les vertus morales qui disposent à l’union di-
vine doivent recevoir de celle-ci un surcroît de vigueur et de fécondité.
S’il n’en était pas ainsi, l’âme devrait douter de la réalité de cette grâce,
ou du moins se demander sérieusement si elle en a bien profité : « Aux
fruits, on connaît l’arbre » 1. Puis la contemplation ne dure pas tou-
jours. Dès que l’activité redevient normale, elle doit se dépenser tout
entière dans la paix, soit à la culture du jardin intérieur, soit à celle des
âmes de bonne volonté dont le bon Dieu veut que l’on s’occupe. De là,
le souci de l’âme intérieure de veiller toujours au bon état de ce mysté-
rieux jardin et d’en suivre le progrès avec la plus grande sollicitude.

NESCIVI ; ANIMA MEA CONTURBAVIT ME PROPTER QUADRIGAS AMINA-


DAB (CANT., VI, 12).
Je ne sais, mais mon amour m’a fait monter sur les chars de mon
noble peuple.

La loi de l’amour est de revenir à sa source, d’y ramener l’âme et parfois


même le corps.

Passage obscur que celui-là, nous disent, les interprètes. Sans rien
préjuger, entendons-le de l’Épouse tout occupée du soin de son jardin
et brusquement saisie par un élan d’amour. D’où vient-il ? Comment
opère-t-il ? Elle ne sait. Mais elle se sent tout à coup arrachée, sans
qu’elle puisse résister, à sa douce occupation. Elle quitte tout, elle ou-
blie tout, elle est emportée comme sur un char jusque sur les hauteurs
d’elle-même, puis jusqu’en Dieu. C’est l’Amour qui a fait cela. Il pa-
raissait endormi. Il se donnait le change à lui-même en s’occupant

1 Matth., VII, 16.


168 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

pour le Bien-Aimé. Mais sa loi est de revenir à sa source, d’y ramener


l’âme et parfois même le corps avec lui. Et voilà que, surgissant du
plus intime du cœur comme une lame de fond, il a tout emporté avec
lui pour le plus grand bonheur de l’Épouse.
Chapitre VII

REVERTERE, REVERTERE, SULAMITIS, REVERTERE, REVERTERE, UT IN-


TUEAMUR TE (CANT., VII, 1).
Reviens, reviens, Sulamite. Reviens, reviens, afin que nous te re-
gardions.

Douleur paisible, mais profonde que cause la mort des Saints.

L’extase se manifeste parfois au dehors. Les témoins sont surpris.


Ils ont l’impression que l’âme pourrait bien abandonner tout à fait son
corps, quitter définitivement la terre et rester pour jamais entre les
bras de Dieu. Ils craignent ce départ. Ils le considèrent comme un
malheur pour eux. C’est que, s’il est vrai que personne ne sait aimer
comme une âme sainte, personne aussi n’inspire une affection aussi
profonde et aussi légitime qu’elle. Relisons le récit des derniers mo-
ments d’une sainte Thérèse, par exemple, et nous comprendrons
quelle douleur paisible sans doute, mais profonde aussi, une telle mort
fait éprouver. Ne plus la voir, ne plus l’entendre, ne plus lui parler, ne
plus la contempler vivant en Jésus et Jésus en elle, quelle privation,
quel sacrifice ! Et si la mort est une douce extase, l’extase paraît
comme une douce mort, mais une mort tout de même.

QUID VIDETIS IN SULAMITE NISI CHOROS CASTRORUM ? (CANT., VII, 1).


Que voulez-vous voir dans la Sulamite ? Comme une danse de Ma-
chanaïm.

Beauté vivante de l’âme évoluant autour de la volonté de Dieu.

Jacob, revenant en Chanaan, rencontra une troupe d’anges qu’il


appela « le Camp de Dieu ». C’est aux gracieux mouvements de cette
troupe d’esprits célestes qu’il est fait ici allusion. Les mouvements in-
térieurs d’une âme unie à Dieu sont ravissants de perfection, de sim-
plicité et de grâce. C’est la beauté surnaturelle vivante et en acte. Il n’y
a pas au monde de spectacle plus beau à voir que celui d’une âme qui
évolue ainsi avec une aisance parfaite autour de la sainte volonté de
Dieu, décrivant autour de cet axe comme des spirales qui vont mon-
tant toujours et se resserrant toujours de plus en plus. Tout au som-
met de cette courbe ascendante, Dieu se trouve. C’est de là qu’il ap-
170 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

pelle et qu’il attire l’âme aimée. C’est là qu’il attend pour lui imprimer
ce mouvement circulaire parfait autour de lui-même et en lui-même
qui se nomme la vie éternelle.

QUAM PULCHRI SUNT GRESSUS TUI IN CALCEAMENTIS, FILIA PRINCIPIS !


JUNCTURAE FEMORUM TUORUM SICUT MONILIA, QUAE FABRICATA
SUNT MANU ARTIFICIS (CANT., VII, 2).
Que tes pieds sont beaux dans tes sandales, fille de prince ! La
courbure de tes reins est comme un collier, œuvre de mains
habiles.

La Sagesse qui règne au sommet de l’âme intérieure rend admirables les


qualités inférieures à travers l’enveloppe du corps.

Dans une âme intérieure, l’ordre est partout. Les moindres facultés
gardent leur place et jouent leur rôle. Elles sont comme imprégnées de
raison et plus encore de foi.
La sagesse, qui règne au sommet, gouverne tout. C’est à elle qu’il
appartient d’ordonner et l’ensemble et les détails. Elle juge de tout, elle
compare les moyens, petits ou grands, avec la fin. Elle les met à leur
rang. Elle les emploie selon leur valeur. La règle de son jugement, c’est
la vue de plus en plus nette de cette fin, c’est le goût mystérieux de
Dieu qui lui permet d’apprécier, comme d’instinct, ce qui est de Dieu
et mène à Dieu, ce qui n’est pas de Dieu et détourne de lui. Et cette ap-
préciation « informe » les facultés inférieures de l’âme. C’est ce qui fait
leur beauté et les rend admirables à travers l’enveloppe du corps.
La force, la souplesse, la grâce, voilà quelques-unes des qualités,
des vertus de la sainte Épouse qui nous sont rappelées ici. C’est
l’Esprit-Saint qui est le divin Ouvrier de ce chef-d’œuvre. Tout ce qui
sort de ses mains porte sa marque. Elle est inimitable, elle s’exprime
en deux mots : « suaviter et fortiter ». La douceur sans la force serait
fadeur, mièvrerie, faiblesse. La force sans la douceur tournerait à
l’intransigeance hautaine et à la dureté. Il faut les deux, et il les faut
harmonieusement unies et comme fondues au point de ne pouvoir dire
s’il en est une qui domine dans le mélange. Or, c’est là une œuvre qui
dépasse, et sans mesure, le pouvoir de l’homme. La grâce, et elle seule,
peut réaliser une telle harmonie, résoudre un tel problème, triompher
d’une telle difficulté. « Aux fruits, on connaît l’arbre » 1, à l’œuvre on
connaît l’ouvrier. Dieu est là.

1 Matth., VII, 16.


CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VII 171

UMBILICUS TUUS CRATER TORNATILIS NUNQUAM INDIGENS POCULIS


(CANT., VII, 3).
Ton sein est une coupe arrondie remplie d’un vin aromatisé.

La coupe est le cœur, son vin l’amour. Tant vaut le cœur, tant vaut
l’amour.

Sur les lèvres des âmes intérieures, le « vin aromatisé » signifie


l’amour de Dieu imprégné du parfum et de la saveur de toutes les ver-
tus. Le vin se présente dans une coupe. Plus le vin a de prix, plus la
coupe est riche. C’est parfois une véritable œuvre d’art.
Au spirituel, la coupe s’appelle le cœur. C’est le pouvoir d’aimer de-
venu parfait, l’amour est son vin mystérieux. Plus le cœur est fort, plus
il est pur, plus il est comme ciselé par le divin Artiste, plus l’amour qui
sort de lui et qui le remplit tout ensemble a de prix aux yeux de Dieu.
Ces choses-là vont de pair au point que, dans l’ordre spirituel, la
coupe et le vin qu’elle contient ne sauraient être séparés. Tant vaut le
cœur, tant vaut l’amour ; on pourrait ajouter : tant vaut l’âme tout en-
tière. La bonté de l’Aimé fait la bonté et de l’acte, et de la faculté, et de
l’âme, et de l’homme enfin.
Qu’elle est belle, l’âme toute remplie d’amour de Dieu !

VENTER TUUS SICUT ACERVUS TRITICI VALLATUS LILIIS (CANT., VII, 3).
Ton corps est un monceau de froment entouré de lis.

L’âme intérieure est une ressource inépuisable.

Un « monceau de froment » est beau à voir. Il plaît aux regards, il


fait éprouver de plus une impression de richesse et de sécurité. C’est la
vie assurée pour de longs jours : l’hiver peut venir, on ne le redoute
plus ; le pauvre peut se présenter, il y aura toujours du pain pour lui.
On comprend la joie du laboureur et du moissonneur à la vue de ce
trésor véritable.
L’âme intérieure est, elle aussi, un trésor véritable, mais d’un ordre
combien supérieur ! On aime à la contempler, elle plaît aux regards,
elle donne à un haut degré l’impression de richesse et de sécurité, elle
est une ressource inépuisable, elle réjouit et elle nourrit. Savoir qu’elle
est là tout près, et qu’on peut aller à toute heure, comme un pauvre, lui
demander le pain spirituel dont on a tant besoin pour vivre, cela tran-
quillise. On ne peut assez remercier le bon Dieu d’une telle faveur.
172 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Mais il faut se souvenir que le « monceau de froment » est « entou-


ré de lis », il est comme serti de pureté. Sans cette vertu, il ne serait
pas. L’âme intérieure ne se conçoit pas sans elle. Même si, ce qui ar-
rive parfois, cette âme est engagée dans les liens du mariage, pour se
communiquer à elle Dieu lui demande quelque chose de spécial sur ce
point, sans déroger toutefois aux devoirs de son état. C’est du reste
ainsi qu’elle le comprend, elle sait être délicate, et son cœur, au fond,
n’est pas divisé. Si l’âme intérieure s’entoure de pureté, ceux-là seuls
qui aiment cette belle vertu sont les vrais bénéficiaires de ses trésors.
« Bienheureux les cœurs purs, parce qu’ils verront Dieu » 1. Ils le
voient un peu déjà dès ce monde, vivant et régnant en ses amis. Il y a
dans l’ordre surnaturel quelque chose comme des rayons X. Heureux
ceux à qui il est donné de s’en servir ! Et ce sont les cœurs purs.

DUO UBERA TUA SICUT DUO HINNULI GEMELLI CAPREAE (CANT., VII, 4).
Tes deux seins sont comme deux faons jumeaux d’une gazelle.

Plus une âme est pure, plus elle est digne de devenir Épouse de l’Esprit-
Saint et mère spirituelle.

L’âme intérieure est vraiment mère dans l’ordre spirituel, Dieu lui
donne des âmes qui sont comme ses enfants. Elle doit les nourrir, et
du lait le plus pur. Il y a là un mystère dont la beauté ne sera pleine-
ment révélée que dans le Ciel. Ce qui frappe, même dès ce monde, c’est
la condition posée par Dieu à cette maternité spirituelle. Il en est en
effet de l’âme intérieure comme de là Très Sainte Vierge, tout privilège
gardé. Loin d’être un obstacle à sa maternité divine, la sainte virginité
de Marie en est, au contraire, la condition essentielle. De même, plus,
une âme est pure, et plus elle est digne de devenir Épouse du Saint-
Esprit et mère spirituelle. L’amour de Dieu et l’amour des âmes s’unis-
sent comme en une seule affection. Au fond, la charité est une : Dieu
aimé pour lui-même, tout le reste aimé pour Dieu. C’est de cette divine
charité que l’âme intérieure nourrit ceux qui lui sont confiés.

COLLUM TUUM SICUT TURRIS EBURNEA (CANT., VII, 5).


Ton cou est comme une tour d’ivoire.

La sainte Épouse ne désire la vraie beauté que pour plaire à Jésus.

L’admiration de l’Époux pour sa sainte Épouse est inlassable. Plus


il l’aime, plus il l’admire ; plus il l’admire, et plus il l’aime. Il se plaît à

1 Matth., V, 8.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VII 173

le lui dire et à le lui redire. C’est un besoin de son cœur. Il veut qu’elle
sache combien elle lui est agréable, la joie qu’elle lui cause et la raison
de cette joie. L’Épouse à son tour trouve dans cette louange comme un
bonheur nouveau. Pour elle, la félicité suprême c’est de rendre heu-
reux, s’il se peut, son Dieu mille et mille fois aimé. Elle ne désire la
vraie beauté, elle ne travaille à acquérir la force, la pureté, la grâce
symbolisées par le « cou semblable à une tour d’ivoire », que pour lui
plaire et pour le réjouir. Aussi les compliments affectueux de son Bien-
Aimé sont-ils pour elle tout à la fois et une récompense des efforts pas-
sés et un encouragement pour les efforts à venir.

OCULI TUI SICUT PISCINAE IN HESEBON, QUAE SUNT IN PORTA FILIAE


MULTITUDINIS (CANT., VII, 5).
Tes yeux sont comme les piscines d’Hésébon, près de la porte de
cette ville populeuse.

Joie de Jésus quand il rencontre une âme vraiment intérieure.

Comme il devait être agréable au voyageur venant du désert et arri-


vant à la porte d’Hésébon, de contempler les piscines profondes, tail-
lées dans le roc, près de la porte de la ville. L’eau en était si claire, le
ciel s’y reflétait si bien !
C’est là une image de la joie de Jésus rencontrant enfin, après de
pénibles et stériles courses, les regards affectueux et limpides d’une
âme qui n’aime que lui. Elle passe tout entière dans ce regard. Elle y
met tout son cœur et tout son amour. Jésus, « fatigatus ex itinere » 1,
s’arrête comme autrefois au puits de Jacob. Il a trouvé l’eau qui le ra-
fraîchit. Il est ravi par le charme de ces yeux à la fois si purs, si pro-
fonds et si beaux. Il sait bien du reste qu’ils ne veulent voir au monde
que lui, lui seul, lui toujours, lui toujours mieux, lui toujours plus à
fond, pour l’aimer toujours plus.
Autant qu’il peut dépendre de nous, ô Jésus, nous vous demandons
de multiplier dans le monde le nombre de ces âmes au regard limpide
et profond. Il est si juste que vous soyez aimé ! Il est si douloureux de
penser que vous l’êtes si peu ! Sans doute, vous pourriez nous adresser
à nous, qui nous plaignons du petit nombre des âmes intérieures, de
durs et de légitimes reproches. Qu’avons-nous fait pour que vous soyez
plus aimé ? Quel soin avons-nous pris de vous aimer pour notre
compte autant que nous le pouvions et que vous le désiriez ? Nous
trouvons tout naturel que d’autres âmes se dévouent tout entières à

1 Fatigué de la route (Joan., IV, 10).


174 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

votre amour. Nous les admirons, nous les louons, nous prions même
pour elles, afin qu’elles vous aiment encore davantage, mais nous nous
en tenons là et nous ne nous décidons pas à les imiter vraiment.
Pauvres de nous, ô Jésus ; ayez pitié de nous, ô Jésus !

NASUS TUUS SICUT TURRIS LIBANI, QUAE RESPICIT CONTRA DAMASCUM


(CANT., VII, 5).
Ton nez est comme la tour du Liban, qui surveille le côté de Da-
mas.

Force de certaines âmes choisies par Dieu pour garder son peuple fidèle.

L’auteur sacré doit faire ici allusion à une tour particulièrement


connue des Hébreux à cause de sa situation et de sa force. Imposante
tout à la fois et gracieuse, cette tour lui sert à peindre un des traits de
la physionomie de la sainte Épouse. Pour garder son peuple fidèle et le
protéger contre ses ennemis, Dieu a, lui aussi, ses âmes fortes, qu’il
place aux endroits à surveiller et par où l’invasion serait possible. Elles
doivent tout ensemble barrer la route à l’envahisseur, servir de retraite
assurée aux faibles et aux petits, jeter le cri d’alarme à l’intérieur du
pays, puis donner le temps aux troupes régulières de se former et de se
mettre en campagne. Les Saints nous disent que le démon fait des ef-
forts inouïs pour les renverser, mais ils nous disent aussi que le bon
Dieu les protège d’une protection spéciale, et qu’il se plaît à contem-
pler leur force tranquille et leur ardeur généreuse.

CAPUT TUUM UT CARMELUS (CANT., VII, 6).


Ta tête s’élève comme le Carmel.

L’âme intérieure est an sommet d’où elle domine tout.

Au-dessus de la plaine, au-dessus de la mer, le Carmel aux coteaux


fleuris, plantés de beaux jardins, s’élève comme une tête majestueuse et
gracieuse tout ensemble. Ainsi en va-t-il de l’âme intérieure. Elle ha-
bile les sommets, elle est elle-même un sommet. Elle domine, mais sa
majesté douce et ferme attire au lieu d’éloigner. On la contemple, on
l’admire ; il semble, et c’est bien vrai, que si on pouvait s’élever jusqu’à
elle, on verrait les choses de plus haut et on verrait beaucoup plus loin.
En un autre sens, la tête de l’Épouse représente les hautes cimes de
l’âme elle-même, ce qui en elle est plus loin de la terre, plus près du
ciel, ce qui domine, gouverne et vivifie, ce que Dieu regarde avec le
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VII 175

plus de complaisance, qui est comme son jardin à lui, où il est heureux
de venir prendre ses délices ainsi qu’en « un petit paradis ».

ET COMAE CAPITIS TUI SICUT PURPURA REGIS, VINGTA CANALIBUS


(CANT., VII, 6).
Les cheveux de ta tête sont comme la pourpre, un Roi est enchaîné
à leurs boucles.

Jésus se fait le captif de l’âme aimante.

Parmi les nuances de la pourpre chez les Anciens, celle dont il est
ici question serait le violet sombre, se rapprochant du noir. Le Roi, en
pleine puissance, s’est laissé charmer et comme lier par les boucles
gracieuses des cheveux de sa Reine. Rien n’est plus doux que de tels
liens, rien n’est plus fort que de telles chaînes. Ce sont les liens de la
divine charité, ce sont les chaînes du saint amour : « Fortis est ut mors
dilectio ».
C’est en toute connaissance de cause et en parfaite liberté que le
Roi Jésus s’est rendu captif de sa sainte Épouse ! Elle l’aime tant son
Dieu ! Elle le lui dit de tant de manières ! Elle lui lance tant de mots af-
fectueux, elle lui offre tant d’actes de générosité tout le long de ses
jours, que le divin Époux se laisse gagner. Il se fait le prisonnier de
cette âme qui l’aime si profondément. Mais, tout captif qu’il est, il
reste roi, le Roi. Il règne en elle plus que jamais. Elle est son véritable
royaume. Mystérieuse captivité, mystérieuse royauté !
Quel bonheur pour une âme aimante, ô Jésus, que de vous faire pri-
sonnier ! Vous captiver, ô Jésus, vous posséder tout entier comme un
bien tout à soi, quelle joie et quelle richesse ! Il n’y a pas d’âme plus
heureuse au monde, sans aucune comparaison possible, que celle qui
vous a ainsi enchaîné par son affection. Il n’y en a pas de plus riche.
Bien que vous soyez son prisonnier, vous ne perdez rien, en effet, pour
cela, ni de votre liberté, ni de votre puissance, pas plus que vous n’avez
rien perdu de votre nature divine en vous incarnant. Seulement tout ce
que vous avez, vous le mettez à la disposition de votre sainte Épouse.
Vous connaissez son cœur, vous savez qu’elle n’usera de ce droit que
pour votre gloire. Mais, encore une fois, ce qui fait surtout son bonheur,
c’est de vous tenir vous-même en douce captivité. Elle est comme assu-
rée que vous ne la pourrez plus quitter, et que vous voulez qu’elle vive
pour toujours dans votre ineffable intimité. C’est le bonheur sans fin.
Une fois de plus, ô mon Dieu, on constate l’impuissance du langage
humain à traduire les réalités divines. Les mots sont trop petits pour
176 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

de si grandes choses ; ils ne peuvent les contenir. Si on veut les forcer,


ils éclatent. Ils sont trop faibles aussi, et le poids de bonheur qu’on es-
saie de leur faire porter les écrase. Mais leur impuissance est plus élo-
quente qu’ils ne le seraient eux-mêmes. Elle dit que le Dieu infiniment
bon est là. On n’impose pas de mesure à l’infini. Les paroles man-
quent, mais le silence reste. Volontairement silencieuse, l’âme privilé-
giée qui a su faire de Jésus son doux prisonnier, adore, admire, loue,
bénit, prie, aime par le seul mouvement de son cœur. Puis, par mo-
ments, sans bruit, elle chante tout bas le cantique de la reconnaissance
et du bonheur : « Mon Bien-Aimé est à moi », mon Jésus est à moi,
mon Dieu est tout à moi ! À jamais !

L’âme intérieure est avide d’être elle aussi l’esclave du divin amour.

D’autre part, l’âme intérieure parvenue à cette heureuse posses-


sion, à cette union intime avec vous, ô mon Dieu, se sent autorisée à
redire sans cesse : « Je suis à mon Bien-Aimé ». Oui, ô mon Dieu, dit-
elle, je suis à vous, non pas seulement de droit, non pas seulement de
désir, mais de fait et en toute vérité. Vous êtes mon Bien-Aimé, mon
seul aimé, mon tout aimé, mon toujours aimé ; et moi je suis à vous,
tout à vous et rien qu’à vous. Je le comprends, je le sais. Ma mémoire
ne m’appartient plus, elle est devenue comme votre mémoire. Elle ou-
blie ce que vous voulez qu’elle oublie, elle fait revivre ce que vous lui
ordonnez de faire revivre, elle est toute remplie du souvenir de vos mi-
séricordes. Vos paroles la nourrissent ; votre histoire, ô Jésus, repasse
sans cesse sous ses yeux avec un charme toujours nouveau. Mais ce
qui l’occupe le plus, ô mon Dieu, c’est vous-même, vivant là, présent
au fond du cœur. Elle voudrait ne jamais vous oublier, ne fût-ce qu’un
instant. Accordez-lui cette grâce. Elle sera vraiment alors tout à vous !
Vous enchaînez doucement aussi, mais fortement, mon intelli-
gence, ô Jésus ! Non seulement elle adhère de tout elle-même à la
moindre de vos paroles pour la faire sienne et la déclarer vraie à la face
du monde, mais elle voudrait s’épuiser à en découvrir le sens profond
pour s’en mieux pénétrer et en vivre uniquement. Ce que surtout elle
cherche à connaître, c’est vous, ô Jésus, votre Père bien-aimé et
l’Esprit d’amour qui procède de vous deux et vous tient unis dans un
ineffable embrassement. Vous l’avez créée, cette intelligence, ô mon
Dieu, pour vous-contempler sans voile dans un éternel et délicieux
face à face. Elle l’espère de vôtre infinie miséricorde. Elle l’attend, non
parfois sans une sainte et douloureuse impatience. Mais en attendant
l’heure de la bienheureuse vision, elle s’efforce de vous deviner à tra-
vers les ombres nécessaires de la foi. Elle tâche de vous contempler
comme si elle vous voyait, et comme si la lumière de gloire la tenait
déjà définitivement captive de votre incomparable Beauté.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VII 177

Ô douce captivité !
Enchaînez aussi et surtout ma volonté, ô Jésus ! Qu’elle soit toute à
vous, à jamais. Elle est faite pour le bien, et vous êtes, vous, ô mon
Dieu, le Bien parfait. Elle aspire sans cesse au vrai bonheur, et le Bon-
heur, l’unique bonheur, c’est vous encore et vous seul. Même s’il ne
devait rien lui revenir de sa donation, elle serait encore tenue de vous
la faire. Le Bien absolu n’a-t-il pas le droit de voir toutes les volontés
qui n’ont d’autre cause et d’autre raison d’agir que lui, s’orienter, se
soulever vers lui de toutes leurs forces et de toutes leurs énergies ?
Puisqu’elles sont faites par lui et pour lui, elles ne peuvent trouver leur
vraie fin et leur vrai repos qu’en lui. Si elles sont libres, c’est unique-
ment pour pouvoir choisir, sans y être déterminées en vertu même de
leur constitution intime, les moyens qui les conduiront le mieux à
cette douce et parfaite captivité, source de tout bonheur, et lieu de leur
complet repos.
Que ma volonté soit captive de la vôtre, ô Jésus, qu’elle ne puisse plus
rien désirer, rien vouloir, rien réaliser, qu’en union parfaite avec vous.
La charité est une amitié. Elle suppose donc l’harmonie complète
des volontés, les mêmes vouloirs et les mêmes non-vouloirs. Qu’il en
soit ainsi désormais, ô mon Dieu ! Que ma volonté devienne en un
sens très réel votre volonté, et qu’il vous soit possible de la mouvoir à
votre gré. Cette absolue docilité, cette fusion, fera sa grandeur, sa no-
blesse, sa puissance, sa sécurité, son bonheur. « Servir Dieu, c’est ré-
gner ». Quelle liberté que cet esclavage, quelle domination que cette
servitude, quel enrichissement que ce dépouillement ! Qui pourra dire
ces choses comme elles méritent d’être dites, qui pourra les apprécier
à leur vraie valeur ? Dissipez nos ténèbres, ô Esprit de Vérité, éclairez
nos regards, afin que nous comprenions un peu ce que c’est pour notre
volonté que d’être l’esclave du divin Amour.

QUAM PULCHRA ES ET QUAM DECORA, CARISSIMA, IN DELICIIS (VII, 7).


Que tu es belle, que tu es charmante, mon amour, au milieu des
délices.

Beauté de l’âme transformée en Jésus dont elle est le miroir vivant.

Cette donation totale et pratique de l’Épouse à l’Époux, en retour de


la captivité volontaire où celui-ci a bien voulu se réduire, rend la sainte
Épouse plus belle et plus charmante que jamais. On dirait que Jésus,
après avoir décrit une à une les perfections de l’âme fidèle, s’arrête pour
la contempler comme d’un seul regard. Et il est ravi ; elle lui apparaît
plus belle que jamais, ce qui est vrai ; elle lui ressemble trait pour trait.
178 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

La voir, c’est presque le voir lui-même : ils ont mêmes idées, mêmes
sentiments, mêmes goûts, mêmes vouloirs, même but et mêmes mo-
yens. C’est l’harmonie vraie, profonde, parfaite, constante, à peu près
immuable entre eux. Mais Jésus, c’est la Beauté incarnée, son Épouse le
reflète comme un miroir sans tache et vivant, et cela parce qu’elle lui
est intimement unie, ne faisant plus en quelque sorte qu’un avec lui.
Dieu aime vraiment une âme ainsi unie à Jésus et transformée en
lui. Rien ne saurait donner une idée de la profondeur et de la délica-
tesse de cette affection. Tous les biens de Dieu sont à l’âme, elle s’en
rend compte de plus en plus. Elle les goûte en parfaite sécurité, elle en
disposé aussi en pleine liberté, mais toujours pour la plus grande
gloire de son Dieu et la plus grande perfection des âmes qu’elle peut
enrichir. Au milieu de sa joie d’aimer et de donner, elle ne songe pres-
que pas à elle. Elle s’oublie. Dieu, lui, ne l’oublie pas. Il lui redit d’une
manière toujours nouvelle la joie qu’il éprouve à la voir si bonne et si
belle. On dirait que son Cœur adorable en est tout épris, et, au fond,
c’est vrai. Quelle grâce que d’être aimé de la sorte par le bon Dieu ! Si
on savait… comme on quitterait tout pour obtenir un tel bonheur !

STATURA TUA ASSIMILATA EST PALMAE, ET UBERA TUA BOTRIS (VII, 8).
Ta taille ressemble au palmier, et tes seins à ses grappes.

L’âme intérieure, ferme sur sa base, droite dans son attitude, riche dans
ses fruits, est un beau spectacle pour le regard de Dieu.

Après un moment d’admiration, l’Époux reprend tout haut l’éloge


de sa sainte Épouse. Il veut achever le portrait qu’il a commencé. L’âme
intérieure, dès ses premiers élans dans la vie spirituelle, a subi l’irrésis-
tible et doux attrait des hauteurs. De victoire en victoire, elle a poussé
sa tige tout droit, comme le palmier, aussi près du Ciel et de Dieu qu’il
lui a été possible. Un secret instinct lui disait que, là-haut, l’air serait
plus pur, l’horizon plus étendu, les choses spirituelles plus à portée,
que son Dieu surtout serait mieux vu d’elle, plus aisément contemplé,
plus constamment et plus silencieusement aimé. Puis, tout en se sou-
levant vers lui, elle mettait ses feuilles larges, souples, gracieuses, voile
discret des fruits qu’elle commençait à porter et qu’elle voulait offrir à
son Dieu Bien-Aimé, comme les prémices de sa tendresse.
À chaque nouveau printemps spirituel, l’âme s’est élevée plus haut,
a poussé des feuilles plus abondantes et plus larges, et a porté de plus
beaux fruits. Son ascension s’est faite, malgré les apparences, suivant
une droite dont le point d’arrêt final est l’union parfaite avec Dieu. À
mesure qu’elle montait vers le ciel, elle enfonçait plus avant ses racines
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VII 179

dans le sol de l’humilité, de l’obéissance, du renoncement. Ferme sur


sa base, droite dans son attitude, riche dans ses fruits, elle est un beau
spectacle pour les regards de Dieu.
Ceux qui la connaissent, l’admirent. Ils sont frappés surtout par
cette droiture, cette simplicité inimitable que donne à une âme hu-
maine éprise de Dieu l’habitude de ne voir que lui, de ne vouloir que
lui et de n’aimer que lui.
Et maintenant, elle ne désire plus qu’une chose, c’est que le Bien-
Aimé daigne cueillir des fruits qui n’ont été portés que pour lui.

DIXI : ASCENDAM IN PALMAM, ET APPREHENDAM FRUCTUS EJUS (VII, 9).


J’ai dit : Je monterai au palmier, j’en saisirai les rameaux.

Joies saintes de l’âme fidèle sous l’étreinte du divin amour.

Réalisez votre parole, ô mon Dieu ! Puisque ce palmier ne vit que


pour vous, daignez venir jusqu’à lui pour en saisir les rameaux et en
cueillir les fruits. Tout est à vous. Quelle joie pour une âme que de sen-
tir que vous vous rapprochez d’elle et que votre main paternelle, douce
et forte tout ensemble, la saisit d’une manière mystérieuse, toute spiri-
tuelle, vraiment délicieuse !
Les caresses d’une mère à son petit enfant, si délicates et si affec-
tueuses qu’elles soient, ne sont qu’une imagé grossière de votre divine
étreinte. C’est d’un autre ordre, où la matière n’a plus de place. Oh ! les
saintes joies, pures, profondes, paisibles, naïves, sans inquiétude, sans
amertume et par ailleurs sans limites, au moment où elles se font goû-
ter ! Elles ne durent pas toujours, c’est vrai, mais lorsqu’elles cessent
l’âme n’est pas troublée de leur départ. Elles reviendront quand le bon
Dieu reviendra. En attendant, la paix reste, et c’est la paix du divin
amour.

ET ERUNT UBERA TUA SICUT BOTRI VINEÆ, ET ODOR ORIS TUI SICUT MA-
LORUM ; GUTTUR TUUM SICUT VINUM OPTIMUM (CANT., VII, 9).
Que tes seins soient comme les grappes de la vigne, le parfum de
ton souffle comme celui des pommes, et ta bouche comme un
vin exquis.

La grâce et les richesses de l’âme intérieure vont croissant chaque jour.

L’âme intérieure n’est jamais trop belle au gré de Jésus. Il lui veut
toujours plus de grâce, il lui souhaite toujours plus de bien. Richesse
180 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

des grappes de la vigne aux grains dorés prêts à éclater, parfum délicat
des pommes mûries au soleil d’automne, charme du vin le plus ex-
quis : voilà ce que l’Époux divin désire, au spirituel, pour cette âme
privilégiée.
C’est que l’heure des fruits est venue.
Ils sont nombreux, ils sont beaux. Ils sont mûrs. Rien ne peut don-
ner une idée de cette multitude pressée et ordonnée d’actes d’amour,
que l’âme intérieure produit alors avec une aisance, une facilité, une
grâce et une perfection étonnantes. Tous les regards de ses yeux lim-
pides, toutes les paroles de ses lèvres si pures, toutes les respirations
de sa poitrine si délicate, tous les battements de son cœur brillant, tout
cela est amour.
Mais les véritables dispositions de l’âme, si cachées qu’on veuille
les tenir, se manifestent toujours, tôt ou tard, au dehors. Elles répan-
dent comme une sorte de senteur subtile qui les révèle, même aux plus
inattentifs. L’âme intérieure n’échappe pas à cette loi.
De tout elle-même, mais surtout de sa bouche, c’est-à-dire de sa vo-
lonté, émane un doux parfum qui est comme « la bonne odeur du
Christ » 1 dont parle l’Apôtre. Dès qu’elle entr’ouvre les lèvres, dès
qu’elle parle, ce parfum se répand comme ferait celui qui aurait été en-
fermé dans un vase clos, qu’on viendrait tout à coup à ouvrir. Il est dé-
licat, pénétrant, bienfaisant ; il charme, il dilate, il réconforte, il élève.
À le respirer on se sent devenir meilleur. L’intelligence s’éveille, la vo-
lonté se décide : aimer pour tout de bon le bon Dieu, aller vers lui
coûte que coûte : voilà la résolution ferme qui se prend sous sa douce
influence. Il n’a rien brisé, il a tout conquis.
De plus, d’après la manière de parler des auteurs spirituels, la
bouche de l’âme, c’est sa volonté. C’est par l’intermédiaire de cette fa-
culté où se trouve la charité que l’union avec Dieu se réalise. L’amour
est un vin exquis qui s’échappe alors de ses lèvres comme d’un pres-
soir mystérieux.
Voilà pourquoi l’Époux compare la volonté elle-même a la déli-
cieuse liqueur dont elle est la source. Il ne veut de son Épouse que
cette seule chose, l’amour. C’est l’amour seul qui l’honore, le glorifie, le
réjouit. Les qualités du vin le plus chaud, le plus coloré et le plus fin,
ne sont qu’une grossière image de tout ce que renferme de perfections
l’amour si profond, si pur et si tendre de l’âme intérieure pour son
Dieu. Il le sait bien. Il savoure en quelque sorte cette joie d’être aimé,
non qu’il en ait besoin certes pour être heureux, mais pour réjouir à

1 II Cor., II, 15.


CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VII 181

son tour par son air de bonheur le cœur aimant de sa très fidèle
Épouse.

DIGNUM DILECTO MEO AD POTANDUM, LABIISQUE ET DENTIBUS ILLIUS


AD RUMINANDUM (CANT., VII, 10).
Qui coule aisément pour mon Bien-Aimé, qui glisse sur les lèvres
de ceux qui s’endorment.

Ce vin exquis sera réservé pour Jésus seul.

Vous souhaitiez de nouvelles perfections à votre sainte Épouse, ô


mon Dieu, et voilà que, tout heureuse, elle vous fait don de ce que vous
lui aviez souhaité. Elle est ravie de savoir que sa bouche va distiller un
vin exquis. Elle vous demande qu’il coule pour vous, son Bien-Aimé,
qu’il coule aisément et comme tout seul.
Vous avez soif de notre amour, ô mon Dieu ! Puisque c’est vous qui
nous le donnez, il est bien juste qu’il vous soit réservé. Étanchez votre
soif, ô Dieu de miséricorde et de bonté ! Buvez cet amour si pur, si
riche, si fort, si délicat qui sort du cœur spirituel de votre bien-aimée.
Elle est ravie de vous désaltérer, elle voudrait toujours le faire. Son
ambition serait même que, sous la douce influence de ce vin mysté-
rieux, vous daigniez vous endormir paisiblement au dedans d’elle-
même, sur son cœur.
C’est la faveur que vous accordez aux âmes vraiment affranchies
des servitudes de la matière, et qui vous aiment à mourir.

EGO DILECTO MEO, ET AD ME CONVERSIO EJUS (CANT., VII, 11).


Je suis à mon Bien-Aimé, et c’est vers moi qu’il porte ses désirs.

L’âme fidèle est la désirée du Cœur divin.

Être à Dieu ! Être l’objet des désirs de Dieu, quelle grâce et quelle
joie ! C’est la grâce et c’est la joie que Dieu réserve à l’âme fidèle.
Elle est bien toute à son Bien-Aimé, puisqu’elle se change tout en-
tière en amour pour étancher la soif qui le consume.
Elle sait cela ; elle se rend compte de l’honneur qui lui est fait par
son Dieu lorsque celui-ci veut bien accepter de boire le vin exquis
qu’elle lui a préparé. Plus elle se donne à lui, plus il se penche vers elle.
Elle a gagné le cœur de Dieu, elle comprend qu’elle exerce sur lui
182 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

comme une sorte de charme irrésistible. Elle est la préférée du Cœur


divin ; elle est sa désirée.
Qu’elle est douce pour votre Épouse, ô Jésus, cette constatation
évidente : qu’elle est vraiment et définitivement tout à vous et que,
d’autre part, elle est arrivée, par la pureté et la simplicité de son
amour, à se faire désirer de vous comme si elle était votre unique bien
et votre seule joie.

VENI, DILECTE MI, EGREDIAMUR IN AGRUM, COMMOREMUR IN VILLIS


(CANT., VII, 12).
Viens, mon Bien-Aimé, sortons dans les champs, passons la nuit
dans les villages.

Impérieux besoin de solitude ; lumière sur les perfections divines.

Puisque vos délices vous attirent vers moi, semble dire ici l’âme in-
térieure, suivez-les, ô mon Dieu ; venez. Et pour que notre intimité ne
soit pas troublée par le bruit ou par des visites importunes, sortons, al-
lons dans les champs. Là, nous serons plus seuls, plus, tranquilles,
plus l’un à l’autre.
Oh ! ce besoin de solitude profonde, de silence absolu, d’isolement
complet, comme il est mystérieux alors ! L’âme éprise d’amour vou-
drait tout quitter, même son corps, pour mieux goûter son Dieu bien-
aimé. Tout ce qui l’arrête dans son élan, tout ce qui gêne si peu que ce
soit son cœur à cœur avec Dieu, lui est à charge. Se libérer, s’affran-
chir, puis sortir avec lui et s’enfoncer toujours avec lui dans cette zone
de silence que rien ne limite, condition du bonheur sans mesure
qu’elle goûte déjà et qu’elle veut goûter sans fin, voilà le désir qui la
presse et la fait parler ainsi.
Quand l’âme intérieure se sépare de tout pour s’unir à Dieu, elle
entre dans une sorte de nuit spirituelle. Ses facultés naturelles de con-
naître ne fonctionnent plus selon leur mode ordinaire. À cet égard,
elles s’éteignent. Mais c’est pour permettre à une lumière toute diffé-
rente d’éclairer l’âme afin de lui faire connaître Dieu et les choses tout
autrement et beaucoup mieux.
Dans cette nuit, qu’il conviendrait d’appeler un jour tout nouveau,
certaines vérités, certains attributs de Dieu prennent un air et un relief
vraiment insoupçonnés jusqu’alors. L’âme s’arrête pour les contem-
pler à l’aise. Elle s’y repose comme dans un « village ». Puis, toujours
sous le charme de cette lumière cendrée, mille fois plus belle que le
jour, constamment unie à son Dieu, elle reprend sa douce marche
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VII 183

jusqu’à ce qu’elle rencontre d’autres vérités à contempler et d’autres


aspects des choses divines à admirer.

MANE SURGAMUS AD VINEAS ; VIDEAMUS SI FLORUIT VINEA, SI FLORES


FRUCTUS PARTURIUNT, SI FLORUERUNT MALA PUNICA ; IBI DABO TIBI
UBERA MEA (CANT., VII, 13).
Dès le matin, nous irons aux vignes. Nous verrons si la vigne
bourgeonne, si ses bourgeons se sont ouverts, si les grenadiers
sont en fleurs. Là, je te donnerai mon amour.

Preuves de l’action divine ; aux fruits on connaît l’arbre. L’amour enfin


atteint son terme et unit à jamais l’Époux à l’Épouse.

La nuit mystérieuse où l’âme vit en silence dans la contemplation


paisible de son Dieu ne dure pas toujours. Il faut revenir au mode or-
dinaire de vivre. Mais outre que l’âme, en revenant dans ce monde in-
térieur, qu’elle avait quitté pour suivre Dieu jusqu’en Dieu même, n’y
revient pas telle qu’elle était à son départ, la vie d’amour l’ayant trans-
formée profondément, il se trouve que cette même intimité divine a
exercé la plus heureuse des influences sur les facultés et sur les vertus
de l’âme. Là aussi, il y a du nouveau, c’est le printemps, la vigne bour-
geonne, les bourgeons s’ouvrent ou vont s’ouvrir, les grenadiers pous-
sent leurs feuilles et leurs fleurs. À l’heure où elle parle, la sainte
Épouse ne contemple pas encore ce beau spectacle, mais elle se pro-
pose de le faire dès les premières lueurs de l’aube.
Bien qu’aux moments bénis de l’union, en effet, l’âme intérieure ne
puisse pas douter que ce qui se passe au plus intime d’elle-même ne soit
l’œuvre de Dieu, il lui arrive cependant après, quand elle est revenue à
la vie courante, de se demander avec un peu d’inquiétude, mais toute-
fois sans trouble, si, dans son cas, l’illusion n’a point quelque part. Elle
voudrait une sorte de preuve, facile à saisir et tout à fait indiscutable.
Elle sait qu’il n’y a pas à attendre une révélation miraculeuse. Alors,
elle se souvient de la parole de Jésus : « Aux fruits on connaît l’ar-
bre » 1, et elle se l’applique à elle-même. Avec le plus grand soin, elle
examine si les vertus ont grandi en elle, si elles portent des fruits d’hu-
milité, de douceur, de patience, de bonté, de charité, de renoncement,
de sacrifice, etc., ou si, du moins, elles promettent d’en porter, et bien-
tôt. Alors, mais alors seulement, elle se rassure tout à fait.
Et c’est alors aussi qu’elle donne définitivement son amour. La di-
vine charité est une réalité mystérieuse, surnaturelle, qui modifie,

1 Matth., VII, 16.


184 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

transforme la volonté sans en changer la nature, la rend comme parti-


cipante de la volonté de Dieu, et fait d’elle une sorte d’appétit spirituel
du divin. Cette modification profonde de la volonté devient le principe
d’un mouvement dont Dieu pleinement possédé est le terme. Ce je ne
sais quoi de divin qui a été infusé par la volonté est un commence-
ment, il appelle un achèvement. Il le fait avec d’autant plus de force
qu’il est lui-même plus développé. Parvenu au point de perfection où il
se trouve dans la sainte Épouse, sûr de sa divine origine par les fruits
qu’il porte ou qu’il annonce, il peut maintenant, en parfaite sécurité, se
précipiter vers son divin objet et s’unir à lui tout à fait. C’est vraiment
l’heure de la donation définitive. L’amour atteint enfin son terme. Il
unit pour jamais ces deux cœurs. « Mihi autem adhaerere Deo, bo-
num est » 1.

MANDRAGORAE DEDERUNT ODOREM. IN PORTIS NOSTRIS OMNIA POMA :


NOVA ET VETERA, DILECTE MI, SERVAVI TIBI (CANT., VII, 14).
Les mandragores font sentir leur parfum. Et nous avons à nos
portes tous les meilleurs fruits. Nouveaux et vieux, mon Bien-
Aimé, je les ai gardés pour toi.

L’âme multiplie pour son Bien-Aimé ses amoureuses délicatesses.

Quand le Bien-Aimé s’absente, l’âme intérieure ne l’oublie pas. Elle


ne cesse au contraire de penser à lui. Elle vit de souvenirs et
d’espérance : souvenir de la douceur de sa présence, du charme de son
intimité, du bonheur de sa possession ; espérance de son prochain re-
tour, des cadeaux qu’il ne manquera pas de rapporter à sa fidèle
Épouse, car il ne revient jamais les mains vides, et aussi de la joie
qu’elle goûtera à lui offrir les fruits « nouveaux et vieux » du jardin de
son cœur. Elle les tient en réserve, exprès pour cet heureux moment.
Quel bonheur de pouvoir lui dire alors : « J’ai pensé à vous jour et
nuit, ô mon Jésus, ô mon Dieu, j’ai travaillé pour vous. Voici les fruits
de mon amour ! Respirez leur parfum plus doux que celui des man-
dragores. Je les mets dans vos mains, ils sont à vous, mangez-les tous,
ô mon Bien-Aimé ».

1 Pour moi, être uni à Dieu, c’est mon bonheur (Ps. LXXII, 28).
Chapitre VIII

QUIS MIHI DET TE FRATREM MEUM, SUGENTEM UBERA MATRIS MEAE, UT


INVENIAM TE FORIS ET DEOSCULER TE, ET JAM ME NEMO DESPICIAT ?
(CANT., VIII, 1).
Oh ! que n’es-tu mon frère, que n’as-tu sucé le sein de ma mère ! Te
rencontrant dehors, je t’embrasserais sans m’attirer le mépris.

Plaintes de l’âme aimante qui ne peut donner à son Dieu des marques ex-
térieures de son amour.

Une des souffrances, et non des moindres, de la sainte Épouse,


c’est de ne pas pouvoir donner à son Dieu, du moins autant qu’elle le
voudrait, des marques extérieures de son amour.
Il faut qu’elle arrête les élans de son cœur et qu’elle étouffe le cri
toujours prêt à jaillir de ses lèvres. On ne la comprendrait pas, ou, ce
qui est pire, on la comprendrait mal. On ne verrait que les ressem-
blances superficielles de son amour avec l’amour humain. On ne saisi-
rait pas les différences profondes, irréductibles, de ces deux sortes
d’affection. Elle passerait pour une égarée, une folle même, ou du
moins une malade. Elle éveillerait la pitié au sourire dédaigneux. Il lui
semble qu’elle serait comme enveloppée de mépris.
Elle craint surtout que Celui qu’elle aime tant en reçoive quelque
atteinte, et elle presse alors son cœur pour qu’il n’éclate pas. Elle
ferme ses lèvres, elle se tait.
Il lui reste cependant une ressource, celle de se plaindre doucement
a son Dieu. Elle en use. Elle exprime ses regrets et témoigne ainsi de
nouveau son amour : « Si au vu et au su de tous, ô Jésus, j’étais votre
sœur, j’aurais toute liberté pour vous manifester mon affection au de-
hors. Nul ne s’en étonnerait, nul n’en serait surpris, nul n’en serait
scandalisé. Et je serais bien heureuse. Ce n’est pas que j’attache de
l’importance aux signes sensibles. Ils ne valent point par eux-mêmes,
ils ne sont pas de même ordre que mon amour. Mais, à certaines
heures, quand le cœur est brûlant, il se sent pressé de jeter des
flammes, il fait jaillir des larmes sous les paupières, il ouvre les lèvres
comme malgré elles ». À tout prix, il faut qu’il se dise, où que l’on soit
et sous quelque forme que ce soit. Quel supplice de ne pouvoir alors le
faire pleinement à son gré !
Ô Jésus, que n’êtes-vous tout à fait notre frère !
186 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

APPREHENDAM TE ET DUCAM IN DOMUM MATRIS MEAE, IBI ME DOCEBIS


(CANT., VIII, 2).
Je voudrais t’amener, t’introduire dans la maison de ma mère,
pour y recevoir tes leçons.

L’âme intérieure, enfant de la sainte Vierge et sa propriété, aspire à rece-


voir sous ses yeux les enseignements divins.

Toute âme intérieure est enfant de lu très sainte Vierge ; elle a Ma-
rie pour mère. Elle s’est donnée à cette mère si bonne en toute pro-
priété. Elle est devenue comme la demeure de Marie ; elle est ainsi,
sous cet aspect, la maison de sa mère.
Et c’est là, dans cette maison bénie, qu’elle voudrait amener et in-
troduire son bien-aimé Jésus. Là, en effet, loin de la foule des curieux
inintelligents ou indiscrets, dans la compagnie et sous le regard de sa
sainte Mère, la douce Vierge Marie, elle se fera l’élève attentive et do-
cile du Sauveur.
Elle a tant et de si belles choses à apprendre de lui ! Il les a dites au
monde, c’est vrai, aux jours de sa vie mortelle, mais ne faut-il pas qu’il
les redise à chaque âme en particulier, dans de délicieux entretiens
pendant lesquels l’esprit s’illumine et le cœur s’échauffe !… Mais, oui !
et voilà pourquoi l’Épouse désire tant que Jésus vienne dans la maison
de sa mère, c’est-à-dire dans son cœur à elle.
La lumière n’est pas tout, mais elle est le commencement de tout.
Pour aimer, il faut connaître ; pour agir, il faut voir. Normalement,
plus on connaît et mieux on voit, plus on aime et mieux on agit.
Vous êtes, ô Jésus, le Verbe éternel de Dieu fait homme, la lumière
du monde. Qui ne vous suit pas, marche dans les ténèbres ; mais qui
vous suit, monte peu à peu vers les régions de l’éternelle clarté.
Comme il est bon de se faire votre disciple et de vous écouter !
Parlez, ô Sauveur, parlez à mon âme, elle est tout attentive à vos di-
vines leçons. Montrez-lui, dans une lumière toujours grandissante,
l’inépuisable, l’incomparable richesse du « don de Dieu ».
Si elle pouvait, grâce à vous, mieux comprendre le mystère de votre
sainte présence en elle, comme Verbe, toujours uni au Père et à
l’Esprit d’amour, et menant là, tous trois, dans le plus profond silence,
votre vie bienheureuse, comme elle serait heureuse à son tour et
comme elle vous bénirait !
Parlez.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VIII 187

ET DABO TIBI POCULUM EX VINO CONDITO ET MUSTUM MALORUM GRA-


NATORUM MEORUM (CANT., VIII, 2).
Et je te ferai boire le vin aromatisé, le jus de mes grenades.

Recevoir, puis donner, voilà les deux mouvements qui constituent


comme le fond ou la matière du rythme de l’âme aimante. Quel est le
plus doux ? Donner, semble-t-il, d’après la parole même de Jésus rap-
portée par saint Paul : « Beatus est magis dare quam accipere » 1.
La sainte Épouse a reçu les leçons de son Bien-Aimé. Elle s’en est
nourrie. Sous l’influence de cette parole qui opère ce qu’elle signifie,
l’amour divin s’est enflammé dans son cœur. Il a excité puissamment
toutes les vertus à porter leurs fruits. De ces fruits, l’âme intérieure a
extrait comme une liqueur, où a passé le meilleur d’eux-mêmes, leur
saveur, leur parfum, leur essence.
Et c’est ce « vin aromatisé », « ce jus de grenades » qu’elle offre
maintenant à son Dieu comme un hommage de reconnaissance, un ré-
confort, une sorte de récompense de la peine qu’il a bien voulu se don-
ner pour l’instruire des mystères de la divine charité.

LAEVA EJUS SUB CAPITE MEO, ET DEXTERA ILLIUS AMPLEXABITUR ME


(CANT., VIII, 3).
Sa main gauche soutient ma tête, et sa droite me tient embrassée.

Mystérieux échange de témoignages d’affection.

Jésus éclaire et embrase l’âme intérieure.


Celle-ci lui prépare et lui donne à boire le délicieux breuvage de son
amour. Il daigne l’accepter.
En retour, il envoie un sommeil profond à sa bien-aimée. Elle
s’endort.
Mais en s’endormant de ce sommeil de l’amour divin, elle se rend
compte de ce qui se passe en elle. Elle se sent entre les mains de son
Dieu. Sa tête repose doucement sur la main gauche du Bien-Aimé, et
celui-ci, de sa main droite, la tient fortement embrassée. Elle n’a rien à
craindre, elle peut se laisser gagner de plus en plus par le doux sommeil
qui l’envahit. Dieu lui-même la garde, Dieu la protège, Dieu la soutient.
Elle peut dormir à tout pour mieux vivre à Dieu.

1 Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir (Act., XX, 35).


188 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Sur ses lèvres, avant de s’endormir, remonte la prière de la con-


fiance et de l’amour. Elle la redit en lui découvrant un sens profond
qu’elle ne connaissait pas. « In manus tuas, Domine, commendo spiri-
tum meum » 1.

ADJURO VOS, FILIAE JERUSALEM, NE SUSCITETIS, NEQUE EVIGILARE FA-


CIATIS DILECTAM, DONEC IPSA VELIT (CANT., VIII, 4).
Je vous en conjure, filles de Jérusalem, ne réveillez pas, ne réveil-
lez pas la bien-aimée avant qu’elle le veuille.

La prise de possession d’une âme humaine par l’amour divin est une vraie
mission divine.

Quand l’âme intérieure dort en Dieu, il faut à tout prix respecter


son mystérieux sommeil. Elle paraît inactive et comme morte : elle
agit au contraire plus que jamais, elle vit de la vraie vie, de la vie même
de Dieu.
Quel honneur pour la terre que cette prise de possession d’une âme
humaine par l’amour divin ! C’est une vraie visite de Dieu au monde.
C’est une vraie « mission divine » avec tout ce qu’elle apporte de lu-
mière, de force, de paix, de bonheur à cette âme privilégiée et, par elle,
à toutes les âmes de bonne volonté, et même aux malheureux pro-
digues qui soutirent de la faim, loin du toit paternel.
« Ô Esprit d’Amour, envoyez à beaucoup d’âmes ce bienfaisant
sommeil. Vous y trouverez votre gloire. Nous y trouverons le gage
d’une espérance qui ne trompe pas ».
À nous de respecter ce repos sacré de l’Épouse.
Il y a temps pour tout dans la vie spirituelle. Il est des heures que le
bon Dieu veut voir employées à l’apostolat. C’est le moment pour l’âme
intérieure d’essayer de traduire l’intraduisible et de dire aux autres
quelque chose de ce qu’elle a entrevu de la beauté de Dieu, de ce
qu’elle a goûté de son ineffable douceur.
Mais il est d’autres heures, plus nombreuses peut-être, qui sont ré-
servées à Dieu tout seul. L’âme laisse là toutes choses pour s’occuper
exclusivement du Bien-Aimé. Elle adore, elle aime « en esprit et en vé-
rité ». Parfois, c’est elle qui commence cette silencieuse adoration ;
parfois c’est Dieu lui-même qui l’appelle comme il sait le faire et à
l’heure choisie par lui. Il endort cette âme aimante, afin qu’elle puisse
aimer tout à son aise.

1 Seigneur, je remets mon esprit entre vos mains (Ps. XXX, 6).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VIII 189

Nul n’a le droit de venir interrompre ce mystérieux sommeil ; nul


ne le pourrait, au reste, que sur permission de Dieu.

QUAE EST ISTA QUAE ASCENDIT DE DESERTO, DELICIIS AFFLUENS, INNIXA


SUPER DILECTUM SUUM ? (CANT., VIII, 5).
Quelle est celle-ci qui monte du désert, appuyée sur son Bien-
Aimé ?

Les âmes parvenues à l’union divine font l’admiration des anges et des
saints.

Une des joies réservées aux anges et aux saints doit être de con-
naître et d’admirer les âmes parvenues à l’union divine dès ce monde.
Ne sont-ce pas déjà des âmes célestes ? Ne vivent-elles pas sur la terre
de la vie du ciel ? Ne doivent-elles pas faire partie du peuple élu et y
occuper un rang d’honneur ? Si donc il est donné aux heureux habi-
tants du Paradis de contempler ces épouses privilégiées du Christ Jé-
sus, ils doivent grandement se réjouir et se communiquer leur joie à la
vue d’un si beau spectacle : Jésus permettant à une pauvre petite créa-
ture, comblée de ses faveurs, humble et fière tout ensemble, aimante
et pure, riche et simple, belle et modeste, gracieuse et forte, douce et
vaillante, de s’appuyer sur lui avec confiance, avec affection et de
s’avancer ainsi vers le Ciel !

SUB ARBORE MALO SUSCITAVI TE ; IBI CORRUPTA EST MATER TUA, IBI
VIOLATA EST GENITRIX TUA (CANT., VIII, 5).
Je t’ai réveillée, sous le pommier. Voilà l’endroit où ta mère t’a en-
fantée, c’est là qu’elle t’a enfantée, qu’elle t’a donné le jour.

Au pied de la Croix, Marie a enveloppé d’une affection spéciale ceux qui


devaient suivre Jésus de plus près.

C’est au pied de la Croix que l’âme intérieure a senti s’éveiller en


son cœur, pour la première fois, l’amour profond de Dieu. Il était le
fruit des souffrances de Jésus, il était comme une étincelle tombée de
son divin Cœur dans le cœur de celle dont il voulait faire son Épouse.
Elle méditait peut-être, tout près de l’autel et du tabernacle, le grand
mystère d’amour de la Passion rédemptrice, lorsqu’elle a éprouvé les
premières atteintes de ce feu intérieur qui devait tout d’abord la tour-
menter pour la purifier, puis la fondre et la liquéfier tout entière pour
la mieux transformer. Oui, la Croix de Jésus est bien ce pommier mys-
190 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

tique, sous lequel les âmes prennent naissance, soit à la vie surnatu-
relle ordinaire, soit à la vie intérieure proprement dite. C’est l’arbre de
Vie, et c’est vous, ô Jésus, qui en êtes le fruit mille fois béni.
C’est au pied de la Croix que la Très Sainte Vierge Marie nous a tous
adoptés comme ses enfants dans la personne de l’Apôtre bien-aimé.
Cependant, parmi ses fils d’adoption, il en est que Marie enveloppe
d’une affection toute spéciale, ce sont ceux qui suivent de plus près son
divin Jésus, ceux qui lui sont unis par une amitié plus profonde, ceux
en qui elle le retrouve presque trait pour trait. Pour eux, elle est mère
comme en plénitude. Ils sont ses « fils » préférés. Et comme sa mater-
nité date de la Croix, il est bien juste que Jésus rappelle à ses privilé-
giés que c’est là, dans la souffrance du plus dur des martyres, que leur
mère très douloureuse leur a vraiment donné le jour éternel. « Sancta
Mater istud agas, crucifixi fige plaças cordi meo valide » 1.

PONE ME UT SIGNACULUM SUPER COR TUUM, UT SIGNACULUM SUPER


BRACHIUM TUUM (CANT., VIII, 6).
Mets-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton
bras.

À la prière de l’âme fidèle, le Tout-Puissant semble se mettre à la disposi-


tion de la toute faiblesse.

Comment ne pas aimer d’un amour immuable Celui qui nous aime
tant ? Au souvenir de tout ce que Jésus a souffert pour elle, de la Mère
incomparable qu’il lui a donnée à la Croix, l’âme intérieure bouillonne
d’amour. Elle est soulevée tout entière vers son Bien-Aimé. Dans son
élan, elle va droit au cœur. C’est là qu’elle veut s’imprimer à jamais
comme un sceau, afin que son Dieu ne puisse plus ne pas la voir, et par
suite ne puisse plus ne pas l’aimer. L’indissolubilité, l’éternité de
l’union d’amour, voilà ce que la sainte Épouse désire, demande, espère,
attend de la bonté du Dieu de son cœur. Être comme un sceau vivant
et indélébile sur le cœur même du Dieu vivant : quel honneur, quelle
joie, et on peut bien le dire, quelle sainte ivresse ! Mettre son cachet sur
une chose, n’est-ce pas en prendre possession ? Le « chiffre » n’est-il
pas une marque et une preuve de propriété ? Si donc, ô mon Dieu, vous
permettez à votre sainte Épouse de vous marquer à son chiffre, c’est
que vous consentez à lui appartenir à un titre tout spécial et d’une ma-
nière plus profonde que jamais. C’est vous au fond qui vous imprimez
librement sur le cœur le sceau de votre bien-aimée. Pour bien montrer

1 Liturgie, Stabat.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VIII 191

qu’elle vous apparietenait pour toujours, une sainte Chantal n’hésitait


pas à tracer au fer rouge sur son cœur votre nom béni, ô Jésus ! Elle de-
vait en le faisant vous supplier de mettre son âme comme un sceau sur
votre Cœur. Et vous avez certainement exaucé sa prière qui est celle de
tous les saints. Elle vous appartenait, ô mon Dieu, mais vous lui appar-
teniez aussi et à jamais.
Dès qu’on a gagné le cœur de Dieu, on dispose de sa toute-puissan-
ce. S’il veut bien placer l’âme fidèle comme un sceau sur son cœur, il la
pose aussi au même titre sur son bras. C’est un fait constant dans la
vie des saints que cette mise à leur service de la force toute-puissante
de Dieu. Si l’on osait, on ferait dire par Dieu lui-même, parlant de sa
sainte Épouse, la parole de Jésus parlant de son Père : « Quae placita
sunt ei facio semper » 1. Elle serait, ainsi entendue, tout à fait vraie.
Le bras de Dieu soutient l’âme vraiment intérieure, il la protège,
par moments il la porte ; souvent il la sert comme ferait un instrument
aux aptitudes universelles tout à la fois puissant, intelligent et docile.
Le Maître semble se faire esclave, et la Toute-Puissance se mettre à la
disposition de la toute faiblesse. C’est que l’Amour, de deux volontés,
n’en a plus fait en quelque façon qu’une seule.
Seigneur, quand me mettrez-vous comme un sceau sur votre bras ?

QUIA FORTIS EST UT MORS DILECTIO ; DURA SICUT INFERNUS AEMULA-


TIO (CANT., VIII, 6).
Car l’amour est fort comme la mort, sa jalousie est inflexible
comme le séjour des morts.

La sainte Épouse semble répondre ici à une question qui pourrait


lui être adressée en ces termes : « Pourquoi désirez-vous tant que
votre divin Époux vous mette comme un sceau sur son bras ? — Pour
me témoigner son amour. — Mais l’amour est-il donc quelque chose de
puissant, capable de vous défendre et de vous protéger ? — L’amour,
mais il est fort comme la mort, on ne lui arrache pas plus ceux qu’il
garde que l’on n’arrache les morts à leur séjour. Ne doutez donc pas de
la puissance du divin amour. Ce qu’il garde est bien gardé, ce qu’il pro-
tège est bien protégé, ce qu’il tient en ses mains ne saurait lui être en-
levé. La mort est forte, mais pour détruire. L’amour est fort, mais pour
édifier, vivifier, béatifier. Heureux mille fois celui que l’amour con-
sume, il vit de la vie même de Dieu, il est en Dieu ». « Deus caritas est,
et qui manet in caritate in Deo manet et Deus in eo… » 2.

1 Je fais toujours ce qui plaît à mon Père (Joan., VIII, 29).


2 Celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui (I Joan., IV, 16).
192 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

LAMPADES EJUS, LAMPADES IGNIS ATQUE FLAMMARUM (CANT., VIII, 6).


Ses ardeurs sont des ardeurs de jeu, une flamme de Jéhovah.

L’amour divin, feu dévorant, ne détruit pas ; il transforme.

L’amour divin est un feu dévorant. Il pénètre l’âme jusque dans son
fond. Il la brûle, il la consume, il ne la détruit pas. Il la transforme en
lui-même. Le feu matériel qui pénètre le bois jusqu’à ses dernières
fibres et le fer jusqu’à la plus cachée de ses molécules, voilà son image,
mais combien imparfaite !
Par moments, sous l’influence d’une grâce plus forte, l’âme embra-
sée d’amour divin lance des flammes. Elles montent droit vers Dieu. Il
est leur principe comme il est leur fin, c’est pour lui en effet que l’âme
se consume, c’est lui qui la consume.
La charité qui soulève l’âme est une participation créée, finie, ana-
logique, c’est vrai, de la charité incréée, mais c’est une participation
réelle, positive, formelle de cette flamme substantielle de Jéhovah.

AQUAE MULTAE NON POTUERUNT EXTINGUERE CARITATEM, NEC FLUMI-


NA OBRUENT ILLAM (CANT., VIII, 7).
Les grandes eaux ne sauraient éteindre l’amour, ni les fleuves le
submerger.

Les épreuves excitent et développent l’amour.

Les épreuves, loin de paralyser ou de diminuer, s’il était possible,


l’amour qui consume l’âme intérieure, l’excitent au contraire et l’obli-
gent à se développer.
On dirait qu’il en est de l’âme aimante comme d’un feu de forge sur
lequel on jette de l’eau. Pendant un instant, la flamme s’éteint, le feu
disparaît, mais c’est pour reparaître de nouveau plus ardent que ja-
mais. Que s’est-il donc passé ? Le feu a triomphé de l’eau et même il
s’en est comme nourri, il a pénétré jusqu’au sein de son adversaire, l’a
divisé, a saisi l’oxygène et s’en est servi pour renouveler ses forces. Ce
qui devait l’éteindre le rallume, ce qui devait lui donner la mort lui ap-
porte comme une vie nouvelle.
Ainsi en va-t-il de l’âme embrasée du feu de l’amour divin. Dans
l’épreuve, elle va chercher la volonté de son Dieu qui s’y cache : elle la
saisit de toutes ses forces, s’en nourrit véritablement. La souffrance est
le pain quotidien du saint amour.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VIII 193

SI DEDERIT HOMO OMNEM SUBSTANTIAM DOMUS SUAE PRO DILECTIONE,


QUASI NIHIL DESPICIET EAM (CANT., VIII, 7).
Qu’un homme veuille acheter l’amour au prix de toutes les ri-
chesses de sa maison, il ne recueillera que la confusion.

Pour que le cœur se remplisse de la divine charité, il faut qu’il se vide de


tout ce qui n’est pas Dieu.

Fort, brûlant, inextinguible, l’amour divin ne saurait enfin être ac-


quis à prix d’or. Les richesses de la terre ne sont rien auprès de lui. Il
en est de même des richesses de l’esprit. Croire qu’on peut l’obtenir
par le moyen de ces biens naturels, c’est ne pas comprendre ce qu’il
est. À vouloir faire un pareil-marché, on ne recueille que la confusion.
Dieu donne son cœur et son amour aux simples, aux petits, aux
humbles, aux pauvres en esprit.
C’est en se faisant pauvre que l’on acquiert ce trésor si précieux,
c’est en devenant ignorant que l’on obtient la science du divin amour.
Pour que le cœur se remplisse de la sainte charité, il faut qu’il soit vide
de tout ce qui n’est pas Dieu : « Je vous bénis, Père, Seigneur du ciel et
de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux
prudents et les avez révélées aux petits. Oui Père [je vous bénis] de ce
qu’il vous a plu ainsi » 1.

SOROR NOSTRA PARVA ET UBERA NON HABET ; QUID FACIEMUS SORORI


NOSTRAE IN DIE QUANDO ALLOQUENDA EST ? (CANT., VIII, 8).
Nous avons une petite sœur, qui n’a pas encore de mamelles. Que
ferons-nous à notre sœur le jour où on la recherchera ?

Sollicitude des anges et des saints du Ciel pour notre perfection.

Pour les anges et les saints du Ciel, les âmes intérieures, même les
plus parfaites, sont encore des enfants à certains égards. Eux, les aînés,
en pleine possession de leur gloire, éclairés par la lumière de Dieu,
voient clairement ce qui peut manquer encore à leur « petite sœur »,
pour qu’elle soit digne de contracter l’alliance éternelle avec le Bien-
Aimé. Ils espèrent que cette enfant grandira vite et que le jour où son
Dieu « la recherchera » viendra bientôt. Ils s’en préoccupent, ils se de-
mandent dans leur sollicitude fraternelle ce qu’ils pourraient bien faire
pour elle. Quel beau et consolant mystère que celui de la communion

1 Matth., XI, 26.


194 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

des saints ! Comme il est bon de penser que nos aînés ne nous oublient
pas, et qu’ils mettent leur bonheur à nous enrichir pour le ciel !

SI MURUS EST, AEDIFICEMUS SUPER EUM PROPUGNACULA ARGENTEA ; SI


OSTIUM EST, COMPINGAMUS ILLUD TABULIS CEDRINIS (CANT., VIII, 9).
Si elle est un mur, nous lui ferons des créneaux d’argent ; si elle est
une porte, nous la fermerons avec des ais de cèdres.

Tout ce qui embellit une âme tourne au profit des autres âmes.

On peut comparer l’âme intérieure à un mur établi autour d’une


ville pour la protéger et l’orner. Les âmes vraiment unies à Dieu sont la
force et la parure de l’Église. Mais si elles sont enrichies des dons par-
ticuliers de l’Esprit-Saint, elles deviennent plus belles et plus utiles en-
core. Des créneaux ornent les murailles et permettent aux défenseurs
de la cité de mieux voir l’ennemi, d’être plus à couvert de ses coups et
de l’atteindre, lui, plus facilement. Ainsi en va-t-il dans l’ordre spiri-
tuel : tout ce qui fortifie et embellit une âme intérieure tourne au profit
des autres âmes. Elle les protège mieux, elle les défend mieux, elle leur
permet de vivre dans une plus grande sécurité et comme dans la paix.
Mais l’âme intérieure est aussi une porte par laquelle on entre dans
le royaume de Dieu. En vertu d’une grâce spéciale, elle attire à elle. Les
âmes de bonne volonté ont comme l’intuition que, par son intermé-
diaire, elles se réconcilieront avec Dieu, si elles l’ont offensé ; elles fe-
ront des progrès rapides dans l’amitié divine si elles la possèdent déjà.
Plus cette âme intérieure est belle, plus elle rayonne autour d’elle la
charité. Cependant, il faut aussi qu’elle soit forte, car l’ennemi de tout
bien, directement ou indirectement, l’attaque. Il sait tout le mal qu’elle
empêche, tout le bien qu’elle fait, tout celui qu’elle fait faire. Il est ja-
loux, il est parfois furieux, il met tout en œuvre pour la renverser. Mais
les anges et les saints de Dieu sont là. Ils veillent. À l’heure marquée,
ils la ferment avec des ais de cèdre, et le démon fuit, tout honteux.

EGO MURUS, ET UBERA MEA SICUT TURRIS, EX QUO FACTA SUM CORAM
EO QUASI PACEM REPERIENS (CANT., VIII, 10).
Je suis un mur et mes seins sont comme des tours, aussi ai-je été à
ses yeux comme celle qui trouve la paix.

L’amour triomphe, il règne.

Les prières des saints ont été exaucées. L’âme fidèle a grandi, elle
est devenue spirituellement forte et belle. Les regards du bon Dieu se
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VIII 195

sont arrêtés sur elle avec une affectueuse complaisance. Il a jugé que
l’heure de l’union parfaite était venue. Il l’a prise pour Épouse, à jamais.
Elle le sait, elle le comprend, elle peut dire d’elle-même qu’aux yeux de
Dieu comme à ses propres yeux, elle est celle qui a trouvé la paix, « pax
Dei quae exsuperat omnem sensum » 1. Les ennemis sont en déroute,
les amis, ceux du ciel et ceux de la terre, louent et admirent. L’amour
triomphe, il règne, tout est dans l’ordre, tout est dans la paix.
Tout est au bonheur vrai, profond, immuable, inépuisable. Et ce
n’est qu’un commencement, parfait déjà, qui se continuera toujours :
« Interminabilis vitae totae simul et perfecta possessio ». Oui, elle est
bien « celle qui a trouvé la paix ».

VINEA FUIT PACIFICO IN EA QUAE HABET POPULOS ; TRADIDIT EAM CU-


STODIBUS ; VIR AFFERT PRO FRUCTU EJUS MILLE ARGENTEOS (CANT.,
VIII, 11).
Salomon avait une vigne à Baal Hamon. Il remit la vigne à des
gardiens, et pour son fruit chacun doit lui payer mille sicles
d’argent.

Riche redevance que le Maître attend du gardien spirituel de la vigne


mystique.

La vigne dont il est ici question peut représenter l’Église confiée


aux Apôtres et à leurs légitimes successeurs. On peut aussi la considé-
rer comme l’image de l’âme intérieure devenue l’Épouse mystique de
Jésus. Elle est confiée pendant la durée de son pèlerinage ici-bas à des
gardiens choisis par le divin Maître, lesquels sont tenus de lui payer,
en échange des fruits qu’il leur laisse, une forte somme d’argent. C’est
qu’en effet l’âme intimement unie à Dieu, fait goûter à ceux qui veil-
lent sur elle au nom et par ordre du Seigneur, de vraies joies, de
saintes et spirituelles consolations. Il est si doux et si bienfaisant de
voir une âme Épouse brûler, se consumer d’amour de Dieu ! Elle
éclaire, elle réchauffe, elle encourage, elle réjouit, et cela d’autant plus
qu’on la voit de plus près, ce que fait légitimement et discrètement son
providentiel gardien.
Mais le gardien spirituel de la vigne mystique doit employer tous
ses soins à lui faire porter de beaux, nombreux et bons fruits. Sans
doute, c’est Dieu seul qui plante et qui donne l’accroissement, toute-
fois il reste au gardien à veiller pour écarter les voleurs et prévenir de
leur approche ; à maintenir la haie du silence, du recueillement et du

1 La paix de Dieu qui surpasse toute intelligence (Phil., IV, 7).


196 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

renoncement bien close ; à arracher les herbes inutiles ; à bêcher la


terre, à sarcler, etc., à obtenir surtout par ses prières que la pluie
vienne à son heure et aussi le soleil.
De plus, son admiration, par laquelle il prend comme sa part des
fruits, ne doit pas être stérile pour lui. Tout en tenant compte des des-
seins de Dieu et de la diversité des grâces, ses efforts doivent tendre à
imiter ce qui est vraiment imitable, et qui est, du reste, le meilleur du
beau spectacle qu’il lui est donné de contempler. C’est là cette riche
redevance que le Maître de la vigne attend de lui.

VINEA MEA CORAM ME EST. MILLE TUI PACIFICI ET DUCENTI IIS QUI CU-
STODIUNT FRUCTUS EJUS (CANT., VIII, 12).
La vigne qui est à moi, j’en dispose. À toi Salomon les mille sicles,
et deux cents aux gardiens de ses fruits.

La sainte Épouse rend toute la gloire de sa vigne à son Maître, et sollicite


pour ses gardiens la plus riche récompense.

Qui parle ici ? L’Époux ou l’Épouse ? Supposons que c’est l’Épouse.


La vigne dont elle dispose, c’est elle-même, l’union à Dieu n’enlève pas
la liberté. Elle la porte au contraire à son plus haut point. La volonté
participe plus que jamais à la liberté même de Dieu. De cette liberté, la
sainte Épouse fait le plus noble usage. À Jésus, toute la gloire représen-
tée par les mille sicles d’argent ; aux gardiens fidèles, le mérite, fruit de
leur vigilance et de leur dévouement. Il est figuré par les deux cents
sicles d’argent. L’Épouse, si c’est elle qui parle, s’oublie elle-même, ou
si elle pense à elle, c’est pour se donner. Mais Jésus ne l’oubliera pas.
Et si nous le faisons parler lui-même, il semble qu’il dise alors : « À
moi, ma fidèle et sainte Épouse, mais à vous, ô mon Père, tous ses
fruits ; à ceux qui ont veillé sur elle, riche récompense, je vous en prie ».

QUI HABITAS IN HORTIS, AMICI AUSCULTANT ; FAC ME AUDIRE VOCEM


TUAM (CANT., VIII, 13).
Toi qui habites les jardins, les compagnons prêtent l’oreille à ta
voix, daigne me la faire entendre.

Dernier et doux appel de Jésus à l’âme intérieure qui a passé sa vie à cul-
tiver le jardin de son âme.

C’est ici le dernier et doux appel de Jésus à l’âme intérieure. Il lui


parle directement, il la nomme « celle qui habite les jardins ». La
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VIII 197

sainte Épouse a passé toute sa vie, soit à cultiver le jardin de son âme,
soit à aider les autres à cultiver le leur. Elle habite vraiment au milieu
des fleurs et des fruits. Mais l’œuvre divine est achevée, l’heure de la
récompense éternelle est venue : Jésus annonce la bonne nouvelle à
l’heureuse Épouse, d’une manière indirecte, mais très claire. Il est au
Ciel, les Anges et les Saints lui font cortège, ils sont ses chers compa-
gnons de gloire, ils souhaitent de tout leur cœur l’arrivée de l’Épouse
parmi eux. Ils tendent l’oreille comme pour entendre le bruit de ses
pas et le son de sa voix. Avec un désir beaucoup plus vif et beaucoup
plus profond, Jésus veut lui aussi, lui surtout, entendre, et de très près,
le son de cette voix bien-aimée. Il manifeste son saint désir avec toute
la délicatesse de son Cœur : « Sonet vox tua in auribus meis ». « Vox
enim tua dulcis ».

FUGE, DILECTE MI, ET ASSIMILARE CAPREAE HINNULOQUE CERVORUM


SUPER MONTES AROMATUM (CANT., VIII, 14).
Cours, mon Bien-Aimé, et sois semblable à la gazelle ou au faon
des biches, sur les montagnes des aromates.

La sainte Épouse réalise enfin le désir de l’Époux : mourir, c’est vous voir,
ô mon Dieu.

La sainte Épouse réalise enfin le désir de l’Époux divin. Elle fait en-
tendre sa voix : « Ô Dieu de mon cœur, vous ne voulez plus que je vive
sur cette terre, vous m’appelez à la béatitude sans fin dans l’union in-
time avec vous. Rien ne me retient ici-bas. Mon unique désir est de
vivre avec vous dans le ciel. Vous le savez bien. Venez donc me cher-
cher, emportez-moi avec vous d’une course rapide, semblable à celle
de la « gazelle ou du faon des biches », jusque sur les hauteurs du Pa-
radis où l’on respire le parfum des vertus de vos Saints. Je n’ai vécu
jusqu’ici que pour cet heureux moment, il achève tout et il commence
tout pour moi. Sans doute, pour vous suivre, ô Jésus, il me faudra
mourir. Mais quoi de plus doux pour mon cœur, puisqu’enfin mourir,
c’est vous voir, ô mon Dieu.
Amen. Amen. Amen.
Psaume XXII

Jéhovah est mon Pasteur, je ne manquerai de rien (1).

Connaissance toute nouvelle des divines Perfections en l’âme entièrement


livrée à Dieu. Rien ne lui manque. Le royaume de Dieu est tout à elle.

Quand une âme a reçu de vous, ô mon Dieu, l’insigne faveur de


l’union permanente, elle se rend compte d’une manière très nette que
vous la conduisez, que vous la gouvernez, que vous la possédez comme
du dedans. Elle éprouve le sentiment tout spirituel d’une sécurité par-
faite. Naguère, elle vivait encore dans l’inquiétude. La faiblesse cons-
ciente de ses lumières comme de ses moyens était la source toujours
coulante de son malaise intérieur. Cette source est tarie. Le fond mou-
vant de son cœur est devenu ferme et stable. Mais surtout elle comprend
que vous vivez en elle et que vous y agissez sans cesse pour son bien.
C’est vous qui êtes sa lumière et sa force, vous lui montrez vous-même
le chemin et vous lui donnez l’énergie nécessaire pour y marcher. Elle
saisit très bien, votre douce et continuelle influence. Voilà pourquoi elle
s’écrie tout heureuse : « Dominus regit me, et nihil mihi deerit ».
Oui, c’est bien vous, ô Seigneur, Maître tout-puissant dit ciel et de la
terre, vous qui tenez toutes choses dans vos mains, oui, c’est vous qui
daignez non seulement vous occuper avec soin de cette âme, mais qui
voulez encore qu’elle prenne comme une sorte de conscience de votre
continuelle intervention dans sa vie. Vous lui faites expérimenter quel-
que chose de votre sagesse, de votre puissance et de votre bonté. Elle se
rend compte qu’elle vit sous leur influence constante et, si on ose dire,
combinée. Il y a là, pour elle, une raison permanente de se rassurer et
de se réjouir. Mais ce qui surtout la ravit de bonheur, c’est moins
l’assurance qu’elle goûte pour le présent et pour l’avenir que la connais-
sance toute nouvelle qu’elle reçoit alors de vos admirables perfections.
Jamais vous ne lui aviez paru si beau et si aimable en vous-même. Pour
elle désormais, ce mot, le Seigneur, a un sens nouveau, précis, profond,
concret, délicieux. Elle sait un peu par expérience ce qu’il signifie.
Parmi les impressions de l’âme que le bon Dieu gouverne d’une fa-
çon toute spéciale, il en est une qui se fait sentir fréquemment et par-
fois pendant des jours entiers, celle d’être tenue. Il lui semble tout
d’abord que sa liberté est diminuée, le champ de son activité lui paraît
moins grand. Elle ne peut plus tourner ni à droite, ni à gauche ; elle ne
peut surtout pas regarder la terre. Il lui faut fixer sans cesse les hau-
teurs, le Ciel. Elle se rend compte qu’une force mystérieuse l’enveloppe
200 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

de tous côtés et la soulève vers Dieu. Elle s’abandonne alors de tout


son cœur à cette motion bénie. Ce qu’elle a paru perdre de sa liberté se
retrouve ici et comme décuplé. Est-ce que la liberté ne consiste pas
dans le pouvoir de s’attacher au bien de toutes ses forces, en pleine
conscience, sachant ce que l’on fait et renonçant de toute son âme au
pouvoir que l’on a toujours de ne pas le faire ? Comme il est doux pour
l’âme, ô mon Dieu, d’user ainsi de sa liberté et de vous dire de toutes
ses forces : « Trahe me, Domine » 1.
À une âme ainsi tenue par Dieu, rien ne manque pour le présent,
rien ne saurait manquer pour l’avenir. « Qui a Dieu, a tout ». Or, elle a
Dieu. Il s’est donné à elle comme elle s’est donnée à lui. Dieu la pos-
sède, mais elle aussi le possède. Il est son Bien et il est tout : lumière,
chaleur, force, joie et paix, nourriture et repos. Les biens de la terre et
les biens du ciel sont à lui. Il les met à la disposition de son enfant
dans toute la mesure des besoins du moment. Ce qu’il fait pour elle au-
jourd’hui, elle sait qu’il le fera demain et avec plus de libéralité encore.
Comme elle a donc bien raison, cette âme, de s’abandonner sans la
moindre inquiétude aux soins d’un si bon Père ! Il la tient dans ses
mains. Il l’entoure en quelque sorte de ses bras, il daigne la presser sur
son Cœur ; qu’a-t-elle à craindre ? et que peut-il lui manquer ? Ne sait-
elle pas que celui qui a trouvé le royaume de Dieu et sa justice reçoit
tout le reste en surcroît ? Et le royaume de Dieu est « tout à elle ».

Il me fait reposer dans de verts pâturages (2).

Entrée de l’âme intérieure dans la Terre promise de l’union divine.

Pour se convertir, qu’il s’agisse de la conversion proprement dite


par laquelle on passe des ténèbres à la lumière, du mal au bien, de la
mort à la vie, ou de la conversion improprement dite, passage du bien
au mieux, puis du mieux au parfait, un effort s’impose et parfois très
douloureux. Mais la récompense vient aussitôt : l’âme est introduite
dans une région toute nouvelle où elle se repose à loisir. Elle a souffert
de la faim : « fame pereo » 2, et voilà que son Dieu met à sa portée une
abondante et délicieuse nourriture. Elle a souffert de la soif : « sitivit
in te anima mea » 3, et voilà que son Dieu la conduit près des eaux ra-
fraîchissantes de sa vérité et de son amour. Son étonnement est grand,
sa joie est plus grande encore, et sa reconnaissance d’autant plus vive
qu’elle a plus souffert. Mais cela est vrai surtout de l’âme que Dieu fait

1 Cant., I, 4.
2 Je meurs de faim (Luc., XV, 17).
3 Mou âme a soif de toi (Ps. LXII, 2).
PSAUME XXII 201

reposer en lui par la grâce de l’union qui est la conversion parfaite.


Mieux que toute autre, elle peut dire : « Dieu la fait entrer dans de
verts pâturages ».
Ainsi donc, après les dures épreuves des purifications de l’esprit et
du cœur, après les angoisses de l’amour à la recherche de son Dieu,
l’âme intérieure entre enfin et pour toujours, semble-t-il, dans cette
terre promise de l’union. Dieu se manifeste mystérieusement à elle. Il
lui découvre quelque chose de la richesse infinie et de la simplicité dé-
licieuse de sa nature. Il lui fait comprendre que tout cela est à elle,
qu’elle peut en jouir à son gré dans la plus parfaite sécurité. L’âme
éprouve alors une impression de quiétude profonde, de joie paisible,
inaltérable et inépuisable. Dieu ne change pas, Dieu ne lasse pas. Plus
on le connaît, plus on l’aime. Aucune connaissance créée ne peut épui-
ser les richesses de sa nature, et en ce monde, un cœur qui l’aime peut
toujours l’aimer davantage. Oui, ô mon Dieu, vous êtes bien ces pâtu-
rages toujours verts où se repose désormais l’âme dont vous avez bien
voulu faire votre Épouse. Soyez-en à jamais béni !
Ô Seigneur, mon Dieu et mon Tout, si je ne suis pas dans cette ré-
gion bénie de l’union, daignez m’y faire entrer. Et si j’y suis, par votre
infinie miséricorde, ne permettez pas que j’en sorte jamais. Il n’y aurait
pas pour moi d’exil comparable à celui-là. Oui, ô mon Dieu, je préfère
mille et mille fois mourir, je ne dis pas que de vous offenser même vé-
niellement d’une façon volontaire, mais que de sortir par ma faute de
ce délicieux pâturage. Souvenez-vous que vous vous êtes fait mon Pas-
teur, que vous êtes le Bon Pasteur, veillez sur moi, gardez-moi, proté-
gez-moi, tenez-moi pressé sur votre bon Cœur afin que je ne puisse
plus vous quitter ! Puisque vous êtes aussi mon pâturage toujours vert,
faîtes que je vous contemple toujours ; que je vous admire toujours,
que je vous aime toujours et que je ne cherche jamais, ni pour mon es-
prit, ni pour mon cœur, la moindre nourriture hors de vous.

Il me mène près des eaux rafraîchissantes.

Soif ardente de l’eau vive « qui a le goût du bonheur éternel ».

Le tourment de la soif représente bien celui de l’âme éprise de


Dieu, le cherchant partout, toujours et ne le trouvant jamais. Son
amour est comme un feu qui la dessèche. Plus il est vif, plus elle
souffre. Elle redit sans cesse la parole du psaume : « Sitivit in te anima
mea » 1. « Sitivit anima mea ad Deum fortem vivum : Mon âme a soif

1 Ps. LXII, 2.
202 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

de Dieu, du Dieu vivant » 1. Un moment vient où Dieu s’émeut d’une


telle souffrance. Il prend cette âme en pitié. Et tout d’un coup, sans sa-
voir comment, celle-ci se trouve « près des eaux rafraîchissantes ».
Une source mystérieuse s’est ouverte en elle et pour elle. À longs traits,
tout à loisir, elle boit de cette eau tant désirée. Elle en est tout à la fois
rafraîchie, réjouie et fortifiée : « Fluminis impetus laetificat civitatem
Dei » 2. Elle se sent tout entière vivifiée par cette eau si bonne que
Dieu fait couler si abondamment dans son cœur.
Il semble, ô Jésus, que toute âme intérieure devrait vous dire
comme autrefois la Samaritaine : « Seigneur, donnez-moi de cette eau
afin que je n’aie plus soif : Domine, da mihi hanc aquam ut non si-
tiam » 3. « Faites couler sans cesse dans mon cœur, ô mon Dieu, cette
eau vive qui a le goût du bonheur éternel ». Mais aussi, en retour, je
vous promets de ne plus boire même une seule goutte des joies de la
terre. J’y renonce à jamais. C’est la condition rigoureuse et nécessaire
que vous m’imposez, je le sais. Je l’accepte, ô mon Dieu, de tout mon
cœur, cet « abneget semetipsum » 4. On ne peut pas servir deux
maîtres. Je ne veux servir et je ne veux aimer que vous. Rendez donc, ô
mon Dieu, chaque jour plus abondante cette source aux eaux rafraî-
chissantes que vous avez daigné ouvrir en mon âme. Et comme je se-
rais heureux si vous me permettiez de donner de cette eau à d’autres
âmes altérées de votre amour.

Il restaure mon âme, il me conduit dans les droits sentiers à cause


de son nom (3).

Jésus est vraiment bon Pasteur, seul il a le droit de porter ce nom.

Dans sa recherche douloureuse de Dieu, l’âme intérieure s’épuise.


Les forces lui manquent. Il lui semble qu’elle est sur le point de défail-
lir. Mais le bon Pasteur est là qui veille. À l’heure où tout paraît perdu,
il intervient, il ranime l’âme épuisée. Il refait ses forces. Il la nourrit
d’une nourriture mystérieuse qui n’est autre que lui-même. Il lui rend
la vie. Comment se fait cette restauration de l’âme ? Celle-ci ne le sait
pas bien. Elle comprend seulement que Dieu lui communique sa vie,
que cette vie circule dans ses veines, si on peut dire, comme un sang
nouveau. Elle éprouve une impression de bien-être spirituel qui
l’étonne et la ravit. Elle est heureuse d’un bonheur inconnu pour elle

1 Ps. XLI, 3.
2 Ps. XLV, 5.
3 Joan., IV, 15.
4 Luc., IX, 23.
PSAUME XXII 203

jusqu’alors. Il lui est doux de proclamer qu’elle le doit à son Dieu :


« Jéhovah est mon Pasteur. Il restaure mon âme ».
Dans ses luttes purificatrices, l’âme a épuisé ses forces. Les souf-
frances de la faim divine ont achevé de l’affaiblir. Mais voilà que Dieu
la fait entrer dans cette prairie toujours verte de l’union. Elle s’y re-
pose, elle s’y rafraîchit, elle s’y nourrit. Or, son repos, son rafraîchis-
sement, sa nourriture, c’est Dieu lui-même. Elle sent que des forces
nouvelles lui sont données, la vie, la vie divine circule en elle et à flots.
Il lui semble, non sans raison, que son Dieu l’a conduite jusqu’au plus
intime d’elle-même et qu’elle le saisit, lui, à cet endroit mystérieux où
le fini et l’infini se rejoignent, tout occupé comme la plus tendre des
mères à donner la vie, la force, la paix, la joie à son enfant. Elle s’écrie
alors tout heureuse : « Dieu lui-même restaure mon âme ».

*
Le pasteur oriental marche à la tête de son troupeau, il le conduit
vraiment. Le divin Pasteur prend lui-même la direction de l’âme inté-
rieure. Il marche constamment devant elle.
Elle n’a qu’à le regarder et à le suivre. Elle sait qu’il la fait marcher
par les « droits sentiers », ceux qui mènent directement au but, parce
qu’ils sont les chemins de la volonté de Dieu. Et ce n’est pas seulement
d’une manière générale ou à titre de modèle et d’exemple que Jésus
dirige ainsi son Épouse, c’est d’une façon spéciale et dans tous les dé-
tails de la vie qu’il se fait son conducteur et son guide. Au fur et à me-
sure qu’elle avance, la lumière de Dieu l’éclaire sur ce qu’elle doit faire,
dire ou souffrir. Et après coup, l’âme docile se rend compte que c’était
bien le pas à faire, le chemin à suivre pour se rapprocher de Dieu. Au
moment même, elle en avait l’intuition ; après elle en a comme
l’évidence et elle redit toute reconnaissante : « Mon Dieu me conduit
dans les droits sentiers ».
Et tout cela, vous le faites, ô mon Dieu, pour la gloire de votre nom.
Vous ne vous contentez pas d’affirmer que vous êtes le bon Pasteur,
vous le prouvez jusqu’à l’évidence par votre, conduite à l’égard de vos
brebis. Les faits parlent tout haut, leur éloquence est irrésistible.
L’âme intérieure en est toute saisie. En vous voyant prendre soin d’elle
avec tant de sollicitude, veiller à tous ses besoins, même d’ordre tem-
porel, la faire reposer délicieusement en vous, ouvrir en son cœur une
source intarissable de bonheur, lui infuser votre vie, la mener comme
par la main au milieu de tous les obstacles jusqu’à vous, son Dieu et
son Tout, elle est obligée, par la force même des choses, à laquelle du
reste elle cède très volontiers, de glorifier votre nom, résumé de vos in-
finies perfections, et de proclamer que vous avez vraiment et seul le
droit de le porter, ô Bon Pasteur.
204 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Même quand je marche dans une vallée d’ombre et de mort, je ne


crains aucun mal car tu es avec moi ; ta houlette et ton bâton
me rassurent (4).

Sécurité dans les épreuves de la nuit obscure. L’Apôtre de la vie cachée,


rempli de Dieu, brûle de communier spirituellement les âmes.

La vie intérieure a ses épreuves. La lumière de Dieu n’éclaire pas


toujours la route. Il fait nuit parfois, il fait froid. L’âme se rend bien
compte de ce changement d’état, elle en souffre. Elle ne sait pas au
surplus ce que cache cette nuit obscure et froide. Mais quand elle a re-
çu de Dieu la grâce de l’union, elle chasse sans peine toute crainte, elle
reste calme. Le fond d’elle-même n’est point troublé par l’épreuve ; la
surface est seule agitée. C’est que son Dieu est là, avec elle au dedans.
Elle sait que tout obéit à sa voix et que rien ne peut prévaloir contre
lui. Pourquoi craindrait-elle ? « Lorsque le fort armé garde sa mai-
son, ses biens ne sont-ils pas en sureté ? 1 » Dieu n’est-il pas le Dieu
fort ? Et n’est-elle pas son bien ? Un regard jeté sur la croix de son Jé-
sus suffît à la rassurer : « Ta houlette et ton bâton me rassurent ».
Malgré la nuit donc, l’âme se tient en paix. Elle sait qu’elle est en sé-
curité, Dieu est là. Quelle force, ô mon Dieu, pour une pauvre âme hu-
maine naturellement si faible et à cause de cela si inquiète, que de vous
savoir au-dedans d’elle-même, et de le savoir, non point seulement par
la raison et par la foi, mais par une expérience intime, mystérieuse sans
doute, très réelle pourtant ! « Vous êtes avec moi, vous êtes en moi,
vous y êtes pour moi, ô mon Dieu ». Vous vivez dans mon cœur, et mon
cœur vit en vous. À chaque battement, je vous attire en moi et je me
perds en vous. Ma vie est une aspiration et une respiration d’amour.
Bien que je ne pense pas toujours clairement à vous, je vous sens tou-
jours là, au dedans, et je vous aime toujours. Il me semble même par
moments que si on ouvrait mon cœur, on vous y trouverait caché. Mer-
ci, ô mon Dieu, de ces joies si profondes que votre douce présence me
fait goûter ! Merci de la paix qu’elle m’apporte et de la sécurité qu’elle
me donne ! Rien ne peut rendre de telles émotions. Mieux vaut se taire.
« Tu es avec moi » toujours.
Ô mon Dieu, quand je sens ainsi mon cœur tout rempli de vous, je
cherche comme malgré moi à qui vous donner. Oui, je voudrais vous
donner, puis vous donner encore et vous donner toujours : « Je n’ai ni
or, ni argent, mais ce que j’ai, je vous le donne » 2. Ouvrez votre cœur
tout grand, Dieu veut y vivre et y régner. « Je vous le donne », voilà ce

1 Luc., XI, 21.


2 Act., III, 6.
PSAUME XXII 205

que je brûle de dire aux âmes que je rencontre sur ma route et qui me
demandent l’aumône, j’entends l’aumône spirituelle. Ah ! communier
ainsi les âmes, quelle charité et quelle joie ! Ô mon Dieu, vous seul savez
ce que je souffre à certaines heures de ne pas savoir comment vous don-
ner, faites que ma prière au moins vous porte à toutes les âmes qui vous
sont chères, à celles surtout qui s’efforcent de vivre d’une vie intérieure
et cachée. Qu’elles vous reçoivent en ce moment et qu’il leur soit permis
de vous dire en toute vérité : « Tu es avec moi », ô le Dieu de mon cœur !
Laissez-moi vous redire encore, ô mon Dieu, combien il est doux
pour mon cœur de constater que vous êtes toujours avec moi. Sans
doute, aux heures de souffrance, cette douceur paraît s’affaiblir. L’at-
tention et les forces de l’âme sont comme divisées. Mais même alors
votre présence se fait reconnaître. Elle enlève à la souffrance ce je ne
sais quoi d’amer et d’irritant qui la rendrait intolérable. Puis à la pre-
mière éclaircie, vous réapparaissez plus aimable et plus affectueux que
jamais. Ce qui est vrai de la souffrance physique l’est plus encore peut-
être de l’épreuve morale. Je vous connais maintenant, ô mon Dieu !
Quand vous permettez qu’une petite tempête s’élève dans mon âme,
c’est que vous voulez me donner une marque nouvelle de votre vigi-
lance et de votre tendresse. Vous ne me demandez qu’une seule chose,
la foi en votre amour. Bientôt tout s’apaise, tout revit, tout chante
« Vous êtes avec moi », ô mon Dieu !

Tu dresses devant moi une table en face de mes ennemis, tu ré-


pands l’huile sur ma tête, ma coupe déborde (5).

Cène béatifiante. Onction de l’Esprit-Saint sur les hauteurs de l’âme in-


troduite comme dans sa vraie Patrie. Coupe débordante.

Ces paroles pourraient s’entendre de la table eucharistique dressée


par Jésus devant le chrétien et surtout devant le prêtre. Mais nous les
entendrons du repas mystérieux que Dieu fait prendre à l’âme inté-
rieure. En face de ses ennemis, le démon, le monde, ses propres pas-
sions, tenus en respect et à distance par la présence de Dieu, une table
se dresse dans l’âme elle-même. Celle-ci est invitée à s’y asseoir sans
crainte. La parole de Jésus se réalise : « Si quelqu’un entend ma voix
et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je souperai avec lui et lui avec
moi » 1. Tout est paisible, tout est silencieux dans l’âme. Un recueille-
ment profond l’enveloppe. Et voilà que Dieu lui-même se manifeste
dans une demi-obscurité. Il est là devant elle, comme à table avec elle.
Il la contemple et elle le contemple. Il lui parle et elle lui parle. Ils vi-

1 Apoc. III, 20.


206 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

vent ensemble, tout près l’un de l’autre. Ils participent au même repas.
Comme c’est Dieu qui reçoit, c’est lui aussi qui fait tous les frais de
cette nouvelle cène. À quoi faut-il la comparer ? Au repas d’Emmaüs ?
Oui, mais avec quelque chose de plus intime et de plus conscient.
L’âme intérieure n’hésite pas à reconnaître l’Hôte qu’elle reçoit et qui
la reçoit. Son esprit est éclairé ; son cœur brûle. Mais elle sait d’où lui
vient et la lumière et la chaleur. Puis, à Emmaüs, au moment de la
fraction du pain, Jésus disparaît. Là, au contraire, Dieu reste long-
temps, très longtemps parfois. On dirait qu’il s’attarde comme à plai-
sir, ne pouvant se décider à rompre une si douce conversation et à
quitter une âme si tendrement aimée. Et le souper se prolonge très
avant dans la nuit. Comme vous êtes bon, ô mon Dieu !
L’âme favorisée de cette grâce voudrait rester sans cesse à table avec
son Dieu. Ce n’est guère possible. Mais quand Dieu s’éloigne, le souvenir
de sa visite demeure très vivant et très bienfaisant. Il excite la reconnais-
sance. Il porte à l’humilité. Il pousse à proclamer que Dieu est le maître
de ses grâces, qu’il les donne comme il lui plaît et quand il lui plaît. Il se
transforme en prière, et en prière ardente : « Vous ne me devez rien, ô
Jésus ; tout ce que vous m’accordez, c’est par pure bonté que vous le
faites. Mais c’est là ce qui me donne confiance et me rend audacieux.
Moins j’ai de droits, et plus j’espère. Mon espoir est infini, presque com-
me votre miséricorde. Revenez, Seigneur ! Dressez de nouveau une table
dans mon âme. Prenez-y place. Je me tiendrai à vos pieds et je me rassa-
sierai des miettes de votre divin repas : « Veni, Domine Jesu, veni » 1.
Il peut cependant arriver qu’après ces heures de douce intimité,
une vague de souffrance s’abatte sur l’âme. C’est l’occasion pour celle-
ci de prouver à Dieu la sincérité de son amour. Quelle que soit la ma-
nière dont il nous traite, Dieu reste toujours aimable, il ne change pas.
L’âme aussi ne doit pas changer. Le pain alors est amer, mais c’est tou-
jours le pain de Dieu. Qui sait même s’il n’est pas plus nourrissant et
dès lors meilleur ? Tout porte à l’affirmer. L’essentiel est de rester là,
fidèle, aimant, reconnaissant, acceptant avec une égale gratitude le
pain de la souffrance comme celui de la consolation, disant à Dieu du
fond du cœur : « Panem quotidianum da mihi hodie » 2. Puis, faites,
que je sois transformé par lui en Jésus, votre Fils Bien-Aimé, afin que
vous puissiez m’admettre un jour à la table du Ciel.
Continuons. L’huile parfumée répandue sur la tête figure les onc-
tions de l’Esprit-Saint. Pour admettre à sa table, Dieu ne se contente
pas de revêtir de la robe nuptiale, il verse dans l’âme de son hôte des
grâces de choix. Ces faveurs de Dieu non seulement réjouissent l’âme,
mais encore l’ornent, l’embellissent et la fortifient. L’âme éprouve en

1 Venez, Seigneur Jésus, venez (Apoc., XXII, 20).


2 Luc., XI, 3.
PSAUME XXII 207

effet au spirituel l’impression qu’elle est comme pénétrée jusque dans


ses derniers replis par une substance mystérieuse qui l’adoucit, la di-
late et la réjouit. Elle se sent devenir tout à la fois plus souple et plus
forte, plus aimable et plus gracieuse. Tout se range, tout s’harmonise
en elle, en même temps que tout s’agrandit et s’exalte, mais dans
l’ordre et dans la paix. L’onction divine se fait comme sur les hauteurs
de l’âme, puis sa douceur la gagne peu à peu tout entière. C’est pour-
quoi celle-ci dit : « Tu répands l’huile sur ma tête ».
Dieu ne veut pas seulement nourrir, fortifier et orner l’âme inté-
rieure. Il désire encore lui donner un breuvage qui la rafraîchisse et
l’enivre tout ensemble. Il verse à l’âme un vin mystérieux. Elle boit à
cette coupe débordante que Dieu lui présente. Et l’ivresse, une ivresse
toute spirituelle, l’envahit peu à peu, parfois aussi tout à coup, mais
toujours délicieusement. Ce qui est du monde disparaît à ses yeux.
Elle ne voit, elle n’entend, elle ne comprend plus rien des choses de
la terre. Elle est comme séparée intérieurement de ce qui la mettait en
communication avec le dehors. Elle est isolée d’abord, puis elle est in-
troduite dans une région toute différente de celle où elle habite ordi-
nairement. Il lui faut un certain temps pour revenir de sa surprise et
s’accoutumer à cette manière d’être et de vivre toute nouvelle. Elle
comprend toutefois que ce pays est sa vraie patrie et que cette vie nou-
velle est sa vraie vie. Des horizons de bonheur infinis s’ouvrent devant
ses yeux étonnés. Une joie toute céleste l’envahit alors. Elle s’écrie
dans son ravissement : « Ma coupe déborde ». Je ne puis soutenir tant
de bonheur à la fois. Mon cœur est trop faible pour porter un tel poids.
Cette joie va me faire mourir, c’est-à-dire me séparer de mon corps. Je
ne puis plus en même temps m’occuper et de lui et de vous, ô mon
Dieu. Cette division d’attention et de forces m’épuise : ou séparez-moi
tout à fait de lui, ou fortifiez ma faiblesse afin que je puisse lui donner
ce dont il a besoin sans rien vous enlever pourtant à vous, mon amour
et mon tout. Prenez vous-même soin de lui, et moi je serai tout entière
à vous. C’est alors que, devenue moi-même tout amour, je pourrai
vous dire et dire à tous en parfaite vérité : « Ma coupe déborde ».

Oui, le bonheur et la grâce m’accompagneront tous les jours de


ma vie, et j’habiterai dans la maison de Jéhovah pour de longs
jours (6).

Paix stable, permanente de l’âme entrée pour toujours dans la maison de


son Père céleste qui est Dieu même.

L’âme intérieure, élevée par Dieu à l’union parfaite, éprouve un


sentiment de sécurité tout nouveau pour elle. Elle goûte une paix pro-
208 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

fonde. Elle a de plus l’impression que c’est une paix stable, solide,
permanente. Est-elle confirmée en grâce ? En tout cas, les règles de la
prudence étant toujours observées, les choses se passent en elle
« comme si ». Dieu lui a donné de telles preuves de son affection, il se
l’est unie si intimement, qu’elle ne peut douter, semble-t-il, de la per-
pétuité de sa protection. Elle est donc heureuse. Elle se sent comme
remplie de grâce, et la vérité l’oblige à dire que « ce bonheur et cette
grâce l’accompagneront tous les jours de sa vie ». Il lui paraît même
qu’ils iront grandissant de plus en plus jusqu’au jour de son éternité
bienheureuse. Non seulement Dieu la protège et la nourrit, mais il la
fait habiter dans sa propre maison. Dieu s’est réservé au fond de l’âme
une demeure où l’âme elle-même ne peut entrer sans une permission
spéciale de sa part. Et c’est là précisément que celle-ci a été introduite,
non pas pour quelques instants, mais pour toujours, lui semble-t-il.
Dieu lui a d’abord révélé l’existence de cette demeure. Puis il a fait
naître en elle le désir ardent d’y entrer. Ce désir a grandi. Après de
dures épreuves, il a été enfin réalisé. L’âme est entrée dans la maison
de son Père. Elle a l’impression d’y habiter et pour toujours. Mais il y a
plus : la maison de Dieu, c’est Dieu même. C’est donc en lui qu’il fait
entrer et habiter son enfant. Le mot de saint Paul devient pour l’âme
une réalité expérimentée, on pourrait dire vécue : « In ipso enim vivi-
mus, movemur et sumus : C’est en lui que nous avons le mouvement,
la vie et l’être » 1.
Vivre en Dieu, voilà désormais son partage. Ah ! elle peut bien dire
qu’elle ne manquera de rien, que Dieu la restaure, qu’il la protège
contre tout mal, qu’il est avec elle, que sa coupe déborde et que son
bonheur durera toujours. Rien n’est plus vrai.

1 Act., XVII, 28.


Conseils aux âmes d’oraison

Principes de vie intérieure.

La vie intérieure est une communion consciente et constante à


l’acte par lequel Dieu se connaît et s’aime. C’est une participation au
bonheur même de Dieu, qui en donne comme un reflet soit dans
toutes les facultés, ou seulement dans les facultés supérieures, ou
même uniquement dans la cime de l’âme (fine pointe de l’esprit).
Mon Dieu, vous êtes là, vous êtes au fond de mon âme. Si je savais
aller jusque-là, je vous trouverais. Au fond de moi, c’est vous. Quand
sera-ce ? Détachez-moi, recueillez-moi, isolez-moi, attirez-moi, appli-
quez-moi, prenez-moi. Faites-moi entrer en vous ; voir avec vos yeux,
vous voir ; aimer avec votre amour, vous aimer ; goûter votre bonheur,
vous goûter ; rester là en vous, à vous voir, à vous aimer, à vous goû-
ter, à vous bénir, à vous louer, toujours, toujours, toujours.
La vie intérieure est un mouvement constant et conscient de l’âme
faisant retour à Dieu présent en elle par Jésus-Christ Notre-Seigneur,
faisant effort pour s’unir à Dieu, le posséder et jouir de lui.
Elle consiste à être gouverné par le dedans, à être nourri de Dieu
par Dieu lui-même et toujours au plus intime de l’âme. Mais il faut
toujours, quand on le peut, se laisser gouverner et nourrir aussi par le
dehors.
*

Tendre à l’union divine, sans y prétendre.


Rester bien souple entre les mains du bon Dieu, pour cela ne tenir à
rien, mais à rien en dehors de lui. Ne s’occuper des choses que parce
qu’il le veut, dans la mesure où il le veut. Son bon plaisir en tout, par-
tout, toujours et tout de suite. C’est la vraie liberté, c’est aussi la joie et
la paix. C’est encore et surtout le véritable amour. On peut tendre à
cette union. Sainte Thérèse l’a définie « une disposition pure et déga-
gée de toutes les choses de la terre, où il ne se trouve plus aucune ten-
dance contraire à la volonté de Dieu, où l’esprit et le cœur sont con-
formes à cette divine volonté, détachés de tout, totalement occupés de
Dieu, où il n’y a plus trace de l’amour de soi, ni d’aucune chose créée ».
Quel programme ! Pourquoi ne pas le prendre ? Pourquoi ne pas
tendre humblement, mais résolument, à le réaliser ? Il est vrai que
c’est au-dessus de nos forces, mais Dieu est si bon qu’il aura pitié de
notre faiblesse, sera touché de nos efforts et nous tendra la main. Ad-
veniat regnum tuum.
210 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

*
La vie intérieure proprement dite peut se concevoir comme une vé-
ritable interpénétration chaque jour plus parfaite et plus consciente de
l’âme par Dieu et de Dieu par l’âme. Dieu au plus intime de l’âme,
l’âme au plus intime de Dieu. Dieu et l’âme se connaissant l’un l’autre,
comme du dedans. Dieu et l’âme s’aimant à fond l’un l’autre, se le di-
sant sans cesse de mille manières et se le prouvant de même. Dieu et
l’âme ne se quittant pour ainsi dire jamais et s’entretenant toujours
l’un avec l’autre, l’un de l’autre. Dieu et l’âme se possédant pleinement
l’un l’autre, se goûtant l’un l’autre d’une manière ineffable, l’âme de-
venant le paradis de Dieu, Dieu se faisant dès ce monde le Paradis de
l’âme. Et tout cela, encore une fois, augmentant chaque jour et sans
mesure. Voilà bien, semble-t-il, la vraie vie intérieure. « Si scires do-
num Dei !… 1 »
La distinction entre Dieu et l’âme existe toujours ; l’âme vit comme
si elle n’existait pas.

*
L’Humanité sacrée de Notre-Seigneur, qu’il ne faut jamais séparer
de sa divinité, est la voie. Aller à elle par la Sainte Vierge : quand l’âme
ne peut pas se maintenir sur les sommets de la divinité, redescendre à
la sainte Humanité et à la Sainte Vierge, et recommencer sans cesse.
Jésus comme Dieu est cause efficiente de la grâce. Comme
Homme-Dieu, il est cause méritoire et aussi cause instrumentale phy-
sique. Ces derniers mots veulent dire que toute grâce nous est com-
muniquée par l’Humanité sainte de Notre-Seigneur. En ce sens, bien
que l’humanité du Sauveur n’habite pas en nous comme le Verbe, elle
ne cesse d’exercer une influence sur nous, elle nous communique
toutes les grâces que nous recevons. Le Christ est la tête d’un corps
mystique dont nous sommes les membres. Il est le cep dont nous
sommes les rameaux. À ce titre, il possède pour nous la grâce en pléni-
tude : « Et de plenitudine ejus, omnes nos accepimus » 2.
Le Christ a pu mériter sa glorification et l’exaltation de son nom.
Mais il n’a pu aucunement mériter l’union hypostatique, ni les grâces
qui en découlent immédiatement.
La vie spirituelle est une communion constante à la Sainte Trinité.
Cette communion se fait par Jésus qui est la Voie en tant qu’Homme
uni personnellement au Verbe. C’est la loi au ciel et sur la terre. La

1 Si tu savais le don de Dieu (Joan., IV, 10).


2 De sa plénitude, nous avons tous reçu (Joan., I, 16).
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 211

Sainte Eucharistie nous rappelle cette loi et nous la fait accomplir :


communion sacramentelle et spirituelle. — L’âme s’unit à Dieu en Jé-
sus, par Jésus, pour Jésus et dans la mesure de sa transformation en
Jésus. Faire d’humbles et affectueux (volonté) actes de foi. Plus tard,
quand nous comprendrons, nous serons interdits de tant de Sagesse et
de tant d’Amour.
C’est par son Humanité adorable que Jésus est la Voie. Le plus
simple est de prendre Jésus tout entier : Verbe incarné : corps, âme,
nature divine. Distinguer en lui ce qui doit être distingué, mais ne sé-
parer rien de ce que la Sainte Trinité a si parfaitement uni. Aller du
corps à l’âme et de l’âme à Dieu. Rester uni à Dieu aussi longtemps
que cette grâce est faite. Puis, quand l’usage régulier des facultés est
rendu, revenir à la sainte Humanité : sein de Marie ; Crèche ; Temple ;
Nazareth ; Puits de Jacob ; Béthanie ; Passion ; Croix ; enfin Eucharis-
tie. Mais que le désir soumis de l’âme soit toujours d’aller de
l’extérieur à l’intérieur, et de l’intérieur de Jésus au Dieu qui s’est fait
homme par amour, enfin à la très adorable Trinité. Et ainsi de suite ;
Jésus est donc tout.
Il faut éviter deux excès : 1º s’arrêter au sensible de la Sainte Hu-
manité ; 2º écarter de soi-même ce sensible considéré comme un obs-
tacle à l’union. Ce sont deux erreurs très dommageables. Enfin garder
comme principe que nous ne pouvons plaire à Dieu que dans la me-
sure où nous sommes comme assimilés à la sainte Humanité (corps et
âme). Pour que nous puissions monter vers Dieu, pour que Dieu
puisse descendre jusqu’à nous, afin de réaliser la sainte union que
nous désirons tant, il n’y a pas d’autre voie, d’autre moyen que
l’incorporation au Christ Jésus. C’est Marie qui la fait, que nous en
ayons conscience ou non.

*
Celui-là seul dont la volonté est identique à la loi est impeccable
par nature. Or Dieu est le seul dont la volonté soit une même réalité
avec la loi morale.
Dès qu’une volonté n’est pas identique à cette loi, elle peut suc-
comber.
On peut dire que cette identité de la volonté et de la loi morale est
le propre de Dieu, et de Dieu seul. Ce fait de ne pouvoir faillir, c’est le
privilège de Dieu. Il peut le communiquer. Il le communique d’une fa-
çon rigoureuse à la sainte Humanité de Notre-Seigneur, et par grâce à
la très sainte Vierge.
Ce privilège était dû à la sainte Humanité unie au Verbe, car tous
ses actes sont imputables au Verbe, d’après ce principe : toutes les ac-
212 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

tions et les passions sont attribuables à la personne. Malgré cette en-


tière impeccabilité, le Christ reste libre, c’est un mystère. Dix-neuf sys-
tèmes ont essayé de l’expliquer autant que possible ; plusieurs man-
quent d’intérêt.
La difficulté vient en partie de ce que nous avons une fausse notion
de la liberté. Pour plusieurs, la liberté consiste à faire tout ce qui plaît,
comme si le pire bandit ou débauché était l’être le plus libre. Il n’en est
rien. En réalité, on est d’autant plus libre qu’on est plus attaché au
bien. Plus l’âme est dégagée des entraves qui l’empêchent de se fixer
dans le vrai bien, plus elle est libre. La liberté, c’est le pouvoir de se
fixer dans le bien, en y étant attiré comme du dedans, sans y être forcé
ou nécessité autrement que par une loi qui s’impose suavement à
l’intérieur.
En ce monde, nous ne sommes en face que de biens finis, biens
crées et périssables qui ne peuvent remplir notre volonté. Même Dieu
ne peut nous attirer invinciblement parce que nous ne le voyons pas,
et qu’ainsi il peut toujours être en conflit avec tel ou tel bien apparent.
On sait, on voir, on sent qu’on le choisit librement.
Il ne faudrait pas considérer la liberté comme le pouvoir de faillir,
de faire le mal ; mais au contraire, comme le pouvoir de s’affranchir
des obstacles qui s’opposent ou bien ; pouvoir d’être attiré vers le bien,
de s’attacher, de se fixer au bien. Il faut voir le côté positif et non le cô-
té négatif. C’est comme si l’on disait : l’intelligence, c’est le pouvoir de
se tromper ; non, l’intelligence, c’est le pouvoir de connaître. Marcher,
c’est le pouvoir de tomber ; non, c’est le pouvoir de se tenir droit et
d’avancer. Seulement à cause de la faiblesse humaine, celui qui mar-
che peut tomber ; celui qui fait usage de son intelligence peut errer ;
celui qui jouit de la liberté peut faire le mal, et malheureusement on ne
s’en sert le plus souvent que pour le mal. C’est ce qui frappe et ce qui
explique, hélas ! cette fausse conception de la liberté. D’ailleurs, le mal
seul peut lui être attribué : le bien que nous faisons ne vient jamais de
nous seuls, mais aussi de Dieu, auteur de tout bien. Là encore, profond
mystère, que toutes les controverses ne sauraient éclaircir.
Pratiquement nous devrons : 1º être attentifs à n’user de notre li-
berté que selon la loi établie par Dieu, ne nous en servant que pour ac-
complir sa sainte volonté ; 2º dès que nous nous en sommes écartés,
recourir à sa miséricorde. J’attends tout de sa bonté, parce qu’il est la
miséricorde infinie.
*

L’homme vaut ce que valent ses joies. La joie est le reflet du bien.
Ne prendre aucune joie en dehors du Bien véritable qui est Dieu. Mais
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 213

se dire qu’on y arrivera très difficilement, peut-être jamais. Ne s’ar-


rêter volontairement à aucune autre joie et à aucune tristesse autre
que celle de penser que Dieu est si peu aimé, qu’on l’aime si peu, qu’on
l’a autrefois si peu aimé.
Monter toujours de la joie, même spirituelle, à la Cause de la joie,
c’est-à-dire Dieu. Tout ce qui n’est pas Dieu est moyen : il faut l’utiliser
et ne pas s’y reposer.
La joie est le retentissement du bien. La charité a son bonheur
qu’elle porte avec elle. Dieu est infiniment heureux. Se réjouir de son
bonheur, de le savoir aimé. Être impitoyable pour toute autre joie. Ne
pas analyser ni séparer cette joie dans l’acte d’amour, cela va de soi ;
on n’y pense pas, on pense à Dieu. Renoncement total à toute autre
consolation dans les exercices de piété ; renoncer même à cette satis-
faction de constater que Dieu travaille l’âme. La vie intérieure pro-
fonde est insaisissable.
La vie intérieure a ses joies, elles sont légitimes, elles sont une par-
ticipation aux joies mêmes de Dieu. On les goûte et d’autant plus pour
l’ordinaire (et sauf aux heures d’abandon apparent) qu’on est plus dé-
taché, plus désintéressé, plus intimement uni au bon Dieu et occupé
de lui seul. Il n’y a pas à rechercher ces joies de façon explicite, il suffît
de rechercher le bon Dieu, la joie vraie, la joie spirituelle, surnaturelle
n’étant pas autre chose que la conséquence normale de la possession
du Bien de Dieu. C’est le repos dans le bien possédé, mais ici dans une
sorte de connaissance de cette possession même.
Par prudence, mettre toujours l’accent sur Dieu lui-même. Ici-bas,
possession de Dieu et joie de cette possession peuvent à la rigueur être
séparées.
Une âme généreuse doit être dans la disposition de ne pas goûter
Dieu, si cela plaît à son Dieu, pourvu, bien entendu, qu’elle le possède.
C’est peut-être le plus héroïque des sacrifices quand il est sincère. Le
fait de la séparation dépend de Dieu seul, je crois qu’il est rare. Dieu
désire tant nous béatifier et le plus tôt possible !

*
Pour les thomistes, la foi consiste essentiellement dans l’adhésion à
la parole du témoin. La foi est nécessairement obscure. La parole de
Dieu révèle la vérité, mais elle n’éclaire pas la vérité révélée. Plus il y a
en apparence de raisons tirées du côté de l’objet pour ne pas croire,
plus l’adhésion à la seule parole du témoin est glorieuse pour lui et
méritoire pour nous. — Je crois, parce que vous l’avez dit.
La foi vive est fondement et racine ; fondement de tout l’édifice, ra-
cine de l’arbre spirituel. Creuser le fondement, laisser à la racine le
214 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

moyen de s’enfoncer très avant dans le sol. Les fleurs viendront, les
fruits suivront en leur temps. Quand le bon Dieu nous permettra de les
goûter, nous dirons alors : Magnificat… Misericordias Domini…
La foi est le fondement de tout l’édifice spirituel. On peut dire que
c’est la racine de l’arbre, et la comparaison est meilleure comme tout
ce qui appartient au monde vivant. La foi est nécessairement obscure :
le seul appui de notre foi, c’est la parole de Dieu. Rien ne nous honore,
nous autres hommes, comme la confiance que l’on donne à notre pa-
role, et pourtant nous n’y avons pas droit, nous pouvons nous trom-
per. La foi et la raison ne peuvent se contredire en fait : elles peuvent
être contraires en apparence.
Quand l’eau courbe un bâton, ma raison le redresse.
Le bâton parait brisé, c’est une illusion d’optique. De même la pa-
role de Dieu semble contraire au bon sens. « Marche ! », dit Dieu. « Le
bâton n’est pas brisé, il paraît brisé ». Le don d’intelligence n’enlève
pas cette obscurité de la foi, mais il en éclaire les alentours, il fait pé-
nétrer les termes, et surtout quand il est uni au don de Sagesse, il fait
aller jusqu’à Dieu même.
Par la foi nous communions d’une façon très réelle à la science
même de Dieu. Il s’agit du même objet. Dieu voit ; moi je crois, et je
verrai parce que j’aurai cru.
Dans la foi un seul motif, la parole de Dieu ; dans l’espérance un
seul motif, l’aide de Dieu, la main secourable de Dieu, en dépit de
toutes les imaginations et tentations. Il faut aimer Dieu a priori pour
sa perfection infinie, puis on l’aime a posteriori pour sa bonté mani-
festée par tous les bienfaits reçus de lui. Éternellement nous chante-
rons ainsi sa miséricorde.
*
Aimer beaucoup la vertu d’espérance. Comme c’est bon de penser
que nous ne pouvons aller au bon Dieu qu’en mettant notre main
d’enfant dans sa main de Père. Douce et forte, fidèle et sûre, elle nous
conduit au but. Le motif de l’espérance, c’est Dieu lui-même, mettant
sa force à notre service pour le conquérir. Si un seul rayon de la divine
Bonté pénétrait dans notre âme, c’en serait fait, je crois, pour toujours.
Laisser tout aux mains du bon Dieu, ne s’occuper que de lui, il
s’occupera de nous et très bien.
Le bon Dieu inspire aux âmes de lui demander ce qu’il a l’intention
d’accorder. Il veut ainsi que nous l’aidions à sauver les âmes. Une âme
est d’autant plus puissante auprès de Dieu, qu’elle lui est plus unie et
qu’elle est plus conforme à Notre-Seigneur. Quel puissant stimulant
pour ne rien lui refuser de ce qu’il nous demande.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 215

*
Saint Thomas dit que la prière est un acte de la raison, puis il se
demande comment elle se rattache à la charité qui est vertu de la vo-
lonté. 1º Parce que dans la prière tout doit se ramener à demander
l’amour. 2º Parce que la prière étant une élévation de notre âme vers
Dieu, celle-ci se rapproche ainsi de lui et sa charité augmente.
On ne peut aimer Dieu qu’en lui demandant son saint amour. Il est
absolument impossible de l’obtenir par nos propres forces. « Deman-
dez et vous recevrez » 1. Vous recevrez immanquablement.
Le désir est la profondeur du cœur. Il vaut mieux ne pas insister en
demandant à Dieu des choses déterminées qu’il n’a peut-être pas
l’intention d’accorder sous telle forme. Il faut commencer par aimer le
bon Dieu par devoir. Nous sommes si loin de lui, si plongés dans les
sens, que pour nous en détacher, il est obligé de nous donner d’abord
des consolations sensibles, puis généralement il nous les retire pour
nous faire passer à l’amour spirituel. C’est alors qu’il faut se dire que
puisque ses consolations sont si grandes qu’elles font volontiers re-
noncer au monde et à ses attraits, son véritable amour surpasse éga-
lement tout amour-propre, tout autre amour. Mais a priori, il faut ai-
mer Dieu parce que lui-même nous en fait l’obligation. Ce n’est pas
qu’il ne demande pas plus, surtout de certaines âmes, mais on peut
dire qu’il leur fait chèrement payer leurs élans enflammés, les faveurs
spirituelles qu’elles reçoivent. Il ne faut pas se décourager de ne pas
éprouver les mêmes sentiments.

*
Le but de la vie intérieure, c’est l’union profonde d’esprit à esprit
avec le bon Dieu. Cette union se fait par la charité. De là, l’importance
capitale de cette vertu et le soin qu’il faut prendre de détruire tout ce
qui s’oppose à son plein épanouissement.
On peut atteindre Dieu directement, immédiatement, dès ce
monde. C’est l’œuvre de la charité qui unit. Ne pas oublier que nous ne
pouvons que nous préparer à cette union intime et consciente, mais
« que c’est un grand point que cette préparation » 2.
Elle consiste à isoler l’âme intérieurement, à la pacifier en étouffant
tout mouvement d’orgueil, de susceptibilité, d’humeur, etc., et tout de
suite. Puis à regarder simplement Dieu, à le désirer, à attendre sa vi-
site, à s’appliquer humblement et affectueusement à lui, mais sans

1 Luc, XI, 9.
2 Ste. Thérèse.
216 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

vouloir s’imposer à son amour. Ce dernier point, est très important. Le


bon Dieu veut rester libre de se donner. Il faut respecter sa liberté,
mais compter beaucoup, uniquement sur sa miséricorde. C’est si en-
courageant de penser qu’on devra tout à cette miséricorde, qui ne de-
mande qu’à se pencher vers nous. Ce regard intérieur relève de la foi :
celle-ci est obscure. Sauf miracle, la vision béatifique n’a pas lieu ici-
bas. Mais la foi peut devenir de moins en moins obscure. Dieu peut
éclairer l’intelligence et donner aux vérités surnaturelles un grand re-
lief, une influence très pénétrante, on dirait presque un sens tout nou-
veau, pratiquement. (Quelle différence entre voir un lion en peinture
et un lion vivant, libre ; appliquer en transposant dans l’ordre intellec-
tuel et surnaturel).
Dans une oraison profonde, tantôt c’est la lumière qui domine, tan-
tôt l’amour. Mais toujours la lumière doit finir par exciter l’amour.
S’attacher à Dieu seul, puis, par amour pour lui, pratiquer la chari-
té envers tous.

*
La charité est une vertu une.
La charité est une disposition permanente, surnaturelle, reçue au
baptême, qui fait que l’âme aime Dieu comme il s’aime lui-même en
lui-même. Cette disposition est une création nouvelle, physique, au
sens de réelle ; par la charité les trois Personnes divines sont aussi ré-
ellement présentes en nous, mais notre union avec elle n’est que mo-
rale, tandis que l’union de l’humanité de Jésus au Verbe est réelle,
physique, substantielle.
L’amour de charité est une grâce créée qui modifie réellement la
substance de l’âme. Ce n’est pas seulement une harmonie morale de vo-
lonté, mais quelque chose de physique (pas matériel). Les Personnes
divines sont dans l’intime de l’âme, comme Hôte, Ami, Époux ; intimité
beaucoup plus grande que toutes celles des comparaisons de la terre.
Dieu fait comprendre qu’il est là. Il veut nous faire participer à son Bien
propre, à sa vie intime, comme il se connaît par son Verbe, comme il
s’aime par son Esprit. Notre rôle actif : dépouillement de tout souvenir,
de toute image en dehors de l’Humanité sacrée de Notre-Seigneur.
Dieu peut prendre l’âme en lui communiquant quelque chose de son
bonheur, en lui infiltrant quelques-unes de ses joies. L’âme devient
simple capacité de connaître et d’aimer. Elle connaît et regarde sans
voir dans l’obscurité de la foi. On ne désire plus cette communication
de Dieu en tant que jouissance d’avarice, mais on veut faire à Dieu
l’offrande, la consécration, l’immolation la plus parfaite de ses facultés.
La préparation personnelle d’ailleurs est un long et véritable martyre.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 217

*
La grâce la plus élevée, décrite par saint Jean de la Croix, est une
véritable pénétration de l’âme par Dieu.
La cloison étanche qui séparait l’âme de Dieu est tombée. L’âme
s’est évadée de la zone sensible, puis de la zone intellectuelle elle-
même ; elle vit au-dessus. Elle est en Dieu. Elle a d’abord eu
l’impression d’être ramenée à la source même de sa vie et, là, de ren-
contrer Dieu comme tout occupé à la lui donner. Elle vit la vie de Dieu.
Elle comprend qu’il en est ainsi.

*
Pour obtenir la dévotion au Saint-Esprit, la lui demander. Mortifier
l’activité naturelle, faire tout le bien que l’on voit.
Prier beaucoup l’Esprit-Saint. Toute âme en état de grâce possède
l’Esprit-Saint en elle comme un hôte, un ami, un conseiller, un protec-
teur. Avoir à soi, pour soi, comme tout seul en soi l’Esprit-Saint qui est
l’Esprit même de Dieu, quelle richesse ! Être mus par lui, tout est là
pour nous. Il sait le plan de notre vie, la mesure selon laquelle nous
devons être transformés en Jésus. Il travaille sans cesse à cette trans-
formation. Comme nous devrions l’aimer ! Comme nous devrions lui
dire : « Esprit d’amour, éclairez-moi ; réchauffez-moi ; conduisez-moi ;
transformez-moi ; embrasez-moi ; consumez-moi. Faites-moi entrer
dans le sein de mon Père, dans cette place où il me veut, près de son
Cœur, de plus en plus près. Faites que je reste là toujours, que je
souffre, que je parle ou que je prie. C’est le lieu de mon repos et de
mon bonheur ».
Les dons du Saint-Esprit sont supérieurs aux vertus morales, mais
inférieurs aux théologales car il n’y a rien au-dessus des vertus théolo-
gales. Ils les complètent, les perfectionnent, mais en dépendent, ils
sont informés par elles, enracinés en elles.
On peut désirer les dons du Saint-Esprit puisqu’ils font partie de
notre organisme spirituel. Ne pas désirer les grâces dites extraordi-
naires qui ont un but social, mais ne rien refuser au bon Dieu.

*
Le don de Sagesse a aussi un côté pratique : sa règle n’est pas la
même que celle du don de Science. Il juge de plus haut par la partici-
pation à la pensée de Dieu sur les choses, à son plan divin sur le
monde : « Dominus est » 1. C’est l’intuition des cœurs purs. Le don de

1 C’est le Seigneur (Joan., XXI, 7).


218 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Science juge des choses en elles-mêmes dans leur harmonie avec Dieu
— par exemple, valeur de la souffrance. Le don de Conseil nous dirige
dans l’usage des choses.
Le don de Sagesse fait participer à la filiation divine dans le Verbe,
La béatitude qui y correspond est celle des pacifiques qui seront dits
enfants de Dieu 1, justement parce que le don de Sagesse fait goûter
Dieu et l’harmonie des moyens qu’il a établis. Il met dans l’ordre, la
paix. C’est « la tranquillité de l’ordre ». Les pacifiques donnent la paix,
parce qu’ils la possèdent, parce qu’ils sont dans l’ordre.
Le don de Science ou la science des Saints, c’est la même chose :
« Justum deduxit Dominus per vias rectas, et edit illi scientiam sanc-
torum » 2.
Quand on y regarde de près, on s’aperçoit que tout renouveau dans
la vie intérieure, tout progrès réel dans le même ordre, commence par
un jugement pratique sur le bon Dieu. « Dieu est tout pour moi ». Le
but de mes efforts, de ma vie, c’est de m’unir à lui. « Mihi autem adhe-
rere Deo bonum est » 3. Dieu n’est pas loin de moi. Il est en moi. Il y
est pour moi. Il veut se donner à moi. Il veut me faire goûter à son
bonheur à lui. Ce qu’il est ce bonheur ? « L’œil de l’homme n’a pas
vu » 4. Si je le goûtais même un peu, j’en serais enivré d’une façon dont
rien ne peut me donner l’idée. Mais je sais que sans la grâce, ce serait à
en mourir… « Que faire, mon Dieu, pour m’unir à vous autant que cela
dépend de moi ? »
Pour m’unir à Dieu, pour me nourrir de lui spirituellement, il faut
que je vide mes facultés supérieures, intelligence et volonté, de tout,
absolument de tout : images, idées, affections créées ; puis, que je les
tourne vers mon Dieu, que je les lui présente afin qu’il les illumine et
qu’il les embrase, chacune suivant sa nature. Il faut que je me tienne
là, dans cette attitude intérieure le plus souvent, le plus longtemps, le
plus parfaitement possible. Sans parler. Dieu m’entendra. Il compren-
dra que j’ai faim et que j’ai soif de lui. Il aura pitié, et un jour… il
m’exaucera. Je le sentirai au plus intime de mon âme, je le goûterai, je
l’adorerai, je l’aimerai comme je n’ai jamais fait. Je m’oublierai tant je
serai heureux de le savoir, de le sentir si heureux, lui. « Deus cordis
mei ». Oh ! si j’étais sage, je serais fou de Dieu.
Ce jugement pratique, point de départ de tous les renoncements, de
tous les sacrifices, est porté par le don de Conseil. Plaise à Dieu que ce

1 Matth., V, 9.
2 Le Seigneur conduit le juste par des voies droites. Il lui a donné la science des saints (Office des
Conf. non Pontifes).
3 Psal. LXXII, 28.
4 I Cor. II, 9.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 219

don béni, et mieux, sa mise en activité puissante nous soient accordés.


Amen ! Amen !
*
Il faudrait revenir à la docilité parfaite au Saint-Esprit. C’est
l’amour de Dieu qui rend docile. C’est lui aussi qui recueille l’âme et la
tient solitaire. Demander beaucoup ce divin amour, Jésus ne le refuse
pas. Quand je l’aurai, il consumera mes défauts et mon apostolat de-
viendra fructueux.
Le meilleur moyen de savoir quand et comment il faut agir, quand
il n’est pas possible de prendre conseil au dehors, est de se tourner
vers Notre-Seigneur et de lui exposer son embarras. La réponse, sans
qu’il y ait miracle, sera pour l’ordinaire d’autant plus prompte et plus
claire que l’âme se tient plus habituellement recueillie en elle-même et
autant que cela dépend de son activité propre, doucement unie au bon
Dieu. Qui donc connaît mieux le plan divin en ce qui regarde telle ou
telle âme que le bon Dieu lui-même ? Quelle est l’âme qui a le plus de
chances de le découvrir, de voir les choses comme Dieu les voit, de les
aimer comme il les aime, de les réaliser comme il les veut, si ce n’est
celle qui, autant qu’il lui appartient, ne fait pour ainsi dire qu’un seul
et même esprit avec ce Dieu béni ? Voilà pourquoi une âme qui veut
vraiment agir d’une action qui demeure et porte jusqu’à l’éternité, doit
se tenir toujours étroitement unie au Sauveur Jésus. Elle ne pense
plus, en un sens, mais c’est lui qui pense par elle, avec elle ; elle n’agit
plus, en un sens, mais c’est lui qui agit en elle et par elle.
Quelle dignité, quelle richesse de vie connue ou cachée, mais réelle.
Il ne faut pour cela qu’une condition, mais il la faut absolument : re-
noncer à toute joie autre qu’à la joie de Jésus ; ne vouloir d’autre gloire
que la sienne, ne chercher d’autre bonheur que le sien, lui laissant, à
lui qui est si bon, le soin de nous donner le meilleur pour le bien de
notre âme ; consolations ou sécheresses, qu’importe, pourvu qu’il soit
aimé ! Il y a du reste une joie si profonde à renoncer à toute joie pour
Jésus quand on l’aime, que l’on n’ose pas dire que ce renoncement soit
un sacrifice.
*
Quand j’agis seul, je fais une indélicatesse à Notre-Seigneur.
Être ferme et rester intérieurement le plus possible avec le bon
Dieu. Il désire que l’âme demeure avec lui seul. Surmonter l’effroi na-
turel de l’âme au moment d’entrer dans cette solitude. Triompher par
des essais répétés de cette peur du vide. C’est une fausse peur : Dieu
habite cette solitude. Il la remplit de sa douce présence.
220 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Quelques instants de silence, le matin ; recueillement de tout l’être


dans le dégagement absolu des facultés. On n’y arrive pas seul : y tendre
constamment. Y revenir sans cesse malgré les distractions : vrai mar-
tyre. Renouveler de plus en plus ces moments le long de la journée.
Revenir sans cesse aux arrêts avant l’action, si dur et si difficile que
cela paraisse. Le bon Dieu a droit à ce regard humble, affectueux et
franc ; l’âme en a grand besoin. C’est toute la vie intérieure en raccour-
ci. Il n’y a plus qu’à étendre. L’idéal serait d’en venir à tenir toujours
les facultés supérieures ainsi appliquées à Dieu sans agitation, mais
simplement et pleinement. On se donne ainsi tout entier, et on permet
à Dieu de se donner si telle est son adorable volonté. L’habitude du re-
cueillement acquise par la courageuse répétition des actes est capitale.
Elle permet d’écouter l’Esprit-Saint, de lui obéir. Elle rend maître de
soi jusque dans l’action, elle facilite beaucoup l’oraison. — Prier et
s’exercer longtemps. — Dieu est au terme, et, s’il lui plaît, la joie de le
goûter ; mais c’est Dieu pour lui-même qu’il faut chercher.
Dans tous les moments de solitude, revenir aussitôt au bon Dieu
comme à mon unique Bien. Tous mes instants libres lui appartien-
nent, pour rester seul en sa présence. Que ma chambre soit un sanc-
tuaire. M’habituer à y trouver Dieu. Penser qu’il m’y attend.

*
Aimer la solitude : celle de l’esprit et celle du cœur. C’est là que Jé-
sus vient chercher pour l’ordinaire.
Ne pas témoigner la peur de l’isolement. Aimer la solitude par es-
prit de foi : Jésus y parle aux âmes. O beata solitudo, o sola beatitudo.
Chercher le bon Dieu au dedans. Tâcher donc d’avoir pour cela de
petits moments de vraie solitude. Seul à seul avec Jésus, demander le
saint amour : on ne peut pas se le donner, mais on peut avec la grâce
ordinaire lui faire place en mortifiant l’égoïsme dans toutes ses mani-
festations et prier là le bon Dieu de nous donner, lui, son amour. Ne
pas attendre un amour senti, mais espérer l’amour vrai, celui qui pé-
nètre la volonté jusque dans son fond, la purifie, la détache, l’assouplit,
la fortifie, la dilate, la soulève et avec elle toute l’âme vers ce Dieu si
aimant, si bon, si doux et si fort. « Il faut toujours porter les bras du
désir vers la Plénitude adorée » 1. Quand je voudrai, Dieu voudra.

*
Être impitoyable pour la tristesse ; ne la supporter à aucun prix :
Dieu est toujours là. Être triste volontairement, c’est dire à Dieu, à Jé-

1 Ruysbroeck.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 221

sus, qu’il ne suffît pas à notre bonheur, que nous avons besoin de quel-
que chose autre que lui pour être heureux. Nous n’y pensons pas ; au-
trement, comment expliquer notre attitude ? Pardonnez-nous, ô mon
Dieu. Faites-nous comprendre la parole de saint Augustin : « Fecisti
nos ad te ». Qu’une seule tristesse pénètre dans notre âme, celle de ne
pas vous aimer assez. Encore voulez-vous qu’elle soit douce, modérée,
confiante.
*

La solitude est la condition sine qua non de toute vie intérieure vé-
ritable. Le bon Dieu a le droit de tout exiger, tout absolument. Il faut
réaliser l’isolement du cœur. Les affections même y gagnent, car on est
plus désintéressé pour aller aux âmes. Lutter doucement, mais fer-
mement et impitoyablement : insister courageusement sur cette peur
de l’isolement. Une âme qui aime Dieu ou simplement veut l’aimer
n’est pas seule, pas du tout. Le vide ne fait souffrir que pendant qu’il se
fait, et aussi longtemps qu’il n’est pas fait : cette souffrance doit cesser
ou à peu près. Elle n’est pas le but, mais la conséquence du détache-
ment qui s’impose pour que l’âme s’attache à son Dieu, et à lui seul.
Quand l’âme ne tient plus à rien qu’à la volonté de Dieu, elle ne sent
plus cette souffrance. Elle en éprouve une autre très différente, celle de
ne pas aimer son Dieu et de ne pas le posséder pleinement. Mais cette
souffrance-là est un « martyre délicieux », d’après sainte Thérèse.
Demander à Jésus la grâce de comprendre que la solitude, quand il
y pousse lui-même, est comme un sacrement pour l’âme : Dieu s’y
cache et s’y donne. Combattre toute tristesse. Cela fait de la peine au
divin Maître.
« Pour de telles faveurs, Dieu veut une âme seule, pure et enflam-
mée du désir de les recevoir » 1. Demander sans cesse l’amour de la so-
litude, celle du corps (sauf charité), celle de l’esprit, celle du cœur.
S’exercer sans relâche et avec une douce patience à les acquérir. Le
bon Maître nous récompensera un jour en nous introduisant dans
cette solitude supérieure de l’âme, où il lui parle cœur à cœur, où il
l’éclaire, la nourrit et se donne à elle dans une union que les sens et
l’intelligence ne comprennent pas. Ne pas craindre de détruire tout ce
qui détourne de cette solitude de l’esprit et du cœur.

*
Aller à Jésus, au Tabernacle, sur la Croix, dans notre cœur ; aimer
beaucoup à nous tenir aux pieds du divin Maître présent en nous,

1 Ste. Thérèse, Vie par elle-même, ch. VIII.


222 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

même d’une certaine façon par sa Sainte Humanité. Lui parler, l’écou-
ter, le regarder humblement et s’il se peut toujours, qu’il daigne nous
entraîner dans cette solitude intérieure, loin du bruit, loin de nous-
mêmes, tout près de lui, et nous parler de cette parole qui ne s’entend
pas des oreilles du corps, mais qui produit dans l’âme ce qu’elle signi-
fie. Pour le moment et pour toujours, tout souffrir pour pouvoir aimer
plus simplement, plus humblement, plus profondément, plus cons-
tamment.
Chasser toute tristesse d’exil ; la vraie Patrie, c’est Dieu : « Trop est
avare à qui Dieu ne suffît ». Ne pas redouter l’isolement, le désirer ab-
solu, ne jamais céder à la nature sur ce point : Dieu seul. Pratiquer cela
de toute son âme, s’assurer de sa fidélité.
Revenir souvent vers le sanctuaire intérieur : Dieu dans ce sanc-
tuaire et l’âme en adoration affectueuse et vivante devant sort Dieu.
Qui a cela, a tout. Qui ne l’a pas et ne cherche pas à l’avoir dans la me-
sure où il peut (sans s’imposer à Dieu toutefois), n’a rien.

Renoncement. Don de soi.

Répéter souvent ces mots si profonds et si beaux de la très sainte


Vierge : Ecce ancilla. Fiat mihi… Demander à Jésus une réelle et abon-
dante participation aux dispositions intérieures de sa sainte Mère lors-
qu’elle prononçait ce Fiat qui lui a tout donné, parce qu’en le disant,
elle avait tout donné. « Mater Dei et nostra, Mater mea, ora pro me ».
Me donner comme tout de nouveau à Jésus, corps et âme, facultés et
actes, biens extérieurs même ; que ce don soit total, absolu, irrévocable.
Que dès maintenant toutes mes pensées, toutes mes actions, toutes
mes souffrances soient pour lui. Lui donner tout particulièrement ma
volonté, de façon qu’elle ne m’appartienne plus. M’exercer à ne rien
vouloir que ce qu’il veut, comme il veut et quand il veut. M’assurer
avant l’action qu’il en est bien ainsi, m’examiner après l’action pour la
même raison. Enfin, pendant l’action même, être toujours souple aux
vouloirs divins, quelque forme qu’ils prennent pour m’arriver. Que
notre bonne Mère m’apprenne l’art si précieux de me donner à Dieu.
Dieu me manifestera sa volonté le jour où je me serai vraiment
donné à lui. S’il attend, c’est par miséricorde. Il craint que je ne prête
pas attention à sa parole, occupé que je suis de mes volontés et de leur
réalisation, ou que ma volonté, trop jalouse de son indépendance,
manque de courage pour exécuter son plan à lui. Il n’y a qu’un remède
à cela : se donner, se mettre totalement à son service, ne plus dé-
pendre que de lui. Chez saint Paul, volonté rendue à merci, accent qui
ne trompe pas. Prier beaucoup pour que la volonté se rende.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 223

*
Quand on souffre, il semble que le bon Dieu est loin et qu’il n’agit
plus dans l’âme. C’est une pure impression. Jamais, peut-être, il n’est
plus près et n’agit plus à fond, mais la pauvre âme n’en sait rien ; c’est
ce qui la porte à s’inquiéter, à se désoler, à se plaindre ; trois choses
qu’il faut éviter au contraire plus que jamais. « Dieu sait tout, Dieu
peut tout, Dieu m’aime » 1. Que voulons-nous de plus ?

*
Pour recevoir de Dieu, il faut se donner. Plus le don de soi est in-
time, constant, généreux, détaillé, réel surtout, plus on peut espérer.
Faire ce don, ces dons incessants par Marie.
Dieu ne fait connaître sa volonté qu’aux âmes qui se sont données à
lui. Ma volonté est-elle donnée ? Lui appartient-elle ? Peut-il en faire
ce qu’il lui plaît, et cela sans résistance, mieux encore avec joie de sa
part à elle ? Est-elle sa volonté ? Suis-je sien jusqu’à la dernière fibre
du cœur ? Est-ce que je ne veux que lui, rien que lui, lui tout seul ?
Quand il aura entendu le véritable : « Ecce ancilla Domini », il par-
lera, je l’entendrai, je le posséderai, alors j’aurai tout, je ne chercherai
plus rien.
Tant que nous tenons à quelque chose pour nous, si peu que ce soit,
le bon Dieu ne pourra pas nous accorder son intimité. N’y comptons
pas. Mais en revanche, si nous brisons net, dès que nous avons cons-
cience de la moindre recherche personnelle, nous ne savons ce qu’il fe-
ra, mais nous savons qu’il pourra faire ce qu’il voudra. À nous de poser
la condition sine qua non : c’est vraiment grave.
Pour la vie d’oraison, rien n’est profitable comme le don complet de
notre volonté, don constamment renouvelé. C’est ce que le bon Dieu
attend, tant qu’il n’est pas encore maître chez lui.

*
Quand nous aurons obtenu la charité, nous n’aurons que peu de
difficultés pour regarder le bon Dieu intérieurement, et les moindres
attaches à quoi que ce soit nous feront horreur. N’hésitons pas à briser
toutes les résistances de notre nature augmentées à certaines heures
par la malice du démon. Plus elles nous détournent de Dieu, plus nous
devons les combattre. Les joies qui suivront la victoire nous paieront
plus qu’au centuple de nos efforts. Croyons-le de toute notre âme.

1 Ste. Thérèse.
224 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Ne reculer devant aucun sacrifice pour atteindre le but. Détruire


sans pitié tous les obstacles. Les détruire encore jusqu’à ce qu’enfin
nous ayons trouvé le bon Dieu au fond de nous-mêmes, là où il nous at-
tend, là où il nous appelle, là où il veut nous voir venir, rester et vivre.
S’exercer à l’amour de Dieu. Prier, ne faire jamais notre volonté si
c’est possible. Voilà ce qui conduit à l’union, s’il plaît à Dieu.

*
Le grand obstacle entre Dieu et l’âme, c’est l’âme elle-même qui ne
sait pas et ne veut pas s’oublier.
Les circonstances nous placent très souvent entre deux volontés di-
vines qui semblent se contredire, mais au lieu de se révolter ou de se
décourager, il faut accepter l’incompréhensible, et c’est dans cet état
déconcertant que le travail se fait. Les deux volontés divines sont très
claires l’une et l’autre, mais ce qui est tout à fait obscur, c’est leur ren-
contre au même moment. C’est un conflit d’obligations, de devoirs.
L’âme est comme saisie, tenaillée — comme un objet pincé entre les
deux branches d’une tenaille pour être retordu, rectifié. Évidemment
on souffre. C’est un état des plus douloureux, mais à mon avis presque
constant, et si on accepte bien la volonté du bon Dieu, les fruits se
montrent, naissent de là. Il faut se soumettre sans comprendre.
Me voici, Seigneur, avec votre grâce, je boirai votre calice, je porte-
rai votre croix ; je vous ferai connaître et aimer, je vous aimerai sur-
tout et je vous prouverai mon amour en renonçant à mes idées, à mes
goûts, à mes volontés. Plus je sentirai de répugnance à le faire, et plus
je me dirai : le devoir est là, la volonté de Dieu est là, mon Dieu est là.
Je le cherche, je ne le trouverai que là. — Suivre les conseils, passer
par les chemins qu’on me montre, les préférer ; j’arriverai beaucoup
plus vite et plus sûrement.

*
En principe, le don de soi se fait en un moment ; en fait, c’est à cha-
que instant qu’il se réalise. Ce qui aide le plus dans la pratique avec la
grâce du bon Dieu, c’est la vue constante de la volonté de Dieu en tout.
Pour s’unir à Dieu, il faut le rencontrer ; or Dieu ne se rencontre
que sur les chemins de sa divine et adorable volonté. C’est dans ce
chemin qu’il faut donc marcher toujours. Sous une autre forme, s’unir
à Dieu, c’est communier à lui. Il se cache sous les espèces du petit de-
voir présent, du petit sacrifice actuel, du petit renoncement du mo-
ment. C’est là qu’il faut le voir, le contempler, l’adorer, l’aimer et le
prendre.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 225

*
On ne va pas à Dieu par un autre chemin que celui de la Croix.
Comme c’est difficile à comprendre pratiquement ! Dieu est la réalité
suprême, en haut : comment l’atteindre sans tout laisser loin de soi ?
Dieu est au plus intime de l’âme : comment aller jusqu’à lui et le trouver
sans se détacher de cœur de tout ce qui n’est pas lui, sans tout perdre ?
(Le cœur est là où il aime). « Qui perdiderit animam suam » 1. Il est
notre fin unique, dernière. Notre mouvement d’âme ne doit pas s’arrê-
ter, qu’il ne l’ait obtenue, cette fin. Une fois atteinte, il s’arrête, l’âme
se fixe. Elle devient en quelque sorte immuable de l’immutabilité de
Celui auquel elle s’attache et en qui elle se repose.
L’abnégation est la loi de notre vie en ce monde. « Si quis vult ve-
nire post me » 2. Elle est la condition rigoureuse de tout progrès, elle
en est le fruit le plus révélateur. Mais il y a des formes d’abnégation
qui peuvent ne pas convenir à telle ou telle âme. Ce qui importe, c’est
de trouver la sienne, sa croix, et de la porter de toute son âme.

*
La vertu purificatrice de la tentation vient uniquement de la
promptitude et de l’énergie avec lesquelles nous la repoussons ; de la
détestation, de l’horreur de la volonté pour la chose proposée. Avoir
conscience de cette résistance est presque nécessaire : on ne pèche pas
sans le savoir, donc il faut se rendre compte qu’on résiste. L’âme sent
la puissance de la grâce qui la fait résister comme si quelqu’un de très
fort la tenait pendant qu’un autre agent extérieur la tenaille.

*
Vouloir faiblement ce que l’on veut lorsqu’il ne s’agit pas de Dieu
ou d’un moyen nécessaire d’aller à lui.

*
Rien ne coûte comme le don parfait de notre volonté, rien pourtant
ne nous est plus utile. Une âme qui veut glorifier le bon Dieu en re-
connaissant opere et veritate son souverain domaine, son droit absolu
de nous commander, n’a pas de meilleur moyen que celui-là. Comme
c’est la volonté qui dispose de tout ce qui lui appartient au dehors et au
dedans, la donner, c’est vraiment tout donner. Voilà pourquoi saint

1 Luc, IX, 24.


2 Si quelqu’un veut venir après moi (Luc, IX, 23).
226 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

François de Sales dit, parlant de nos facultés : « La volonté est la seule


que Dieu veut ».
Nous n’avons pas non plus de meilleur moyen de nous sanctifier.
Quand la volonté est devenue autant que possible volonté de Dieu, elle
évite non seulement presque tout péché, mais même presque toute
imperfection, elle pratique en même temps toute vertu, parce que par-
tout et toujours elle est docile à Dieu. Or Dieu est l’infatigable Ouvrier
de notre perfection. Il travaille sans cesse à nous rendre semblables à
Jésus, son Fils Bien-Aimé.
Nous n’avons pas non plus de meilleur moyen de nous rendre heu-
reux. Une volonté unie à la volonté de Dieu par l’obéissance est dans
l’ordre et par suite dans la paix. Elle goûte aussi la joie la plus parfaite,
parce qu’elle donne la preuve évidente de son amour, et que la divine
charité rend heureux puisqu’elle unit à Dieu, le Bonheur même.
On pourrait ajouter que c’est la meilleure préparation aux plus
hautes faveurs de Dieu s’il plaît à sa miséricorde de les accorder. Sainte
Thérèse a des pages encourageantes au possible sur le don de la volon-
té 1. Mais tout cela est aux mains de Dieu. Lui dire souvent ce mot qu’il
aime tant et qui dit tant de choses : Père. « Nemo tam Pater » 2…
Comme cela est vrai, mille et mille fois vrai. « Adveniat regnum
tuum… Fiat voluntas tua… in me… semper ». Si l’on savait dire
« Père » au bon Dieu, comme on serait heureux, joyeux et forts !
Mon Dieu, quand serons-nous vos enfants ?
Vous êtes Père, ô mon Dieu, choisissez vous-même ma voie exté-
rieure et intérieure, je veux vous plaire et non me plaire.

*
Comme il est précieux pour une âme d’être une âme qui plaît à
Dieu ! En un sens très vrai, il n’y a rien de meilleur au monde, alors
même que l’âme ne goûterait pas la joie que l’on goûte quand on sent
que Dieu est content.
Plaire à Dieu, c’est lui ressembler. Il ne sourit qu’à sa propre Beau-
té. — C’est imiter Jésus : « Quae placita sunt facio semper », c’est de-
venir Jésus, c’est posséder Jésus, même si on ne sent rien. Dieu ne se
plaît qu’à regarder Jésus.
Conclusion : chercher toujours et partout à plaire à Dieu sans re-
tour vers soi. Avoir cette seule intention dans tout ce qu’on fait,
s’ingénier pour découvrir ce qui peut le plus plaire à Dieu. Tout sacri-

1 Chemin de la perfection, ch. XXXII.


2 Nul n’est Père comme Dieu (Tertullien).
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 227

fier pour atteindre ce but, même et surtout sa volonté propre. Travail-


ler à embellir son âme sans désirer connaître, contempler et goûter
cette beauté pourvu que lui la contemple et la goûte.
Un moyen très sûr de plaire à Dieu, c’est de ne se plaire qu’à le con-
templer et à le servir : miroir qui reflète, statue vivante qui reproduit.

*
Dieu se donne où il veut et quand il veut. Le meilleur moyen de le
rencontrer, c’est de se tenir toujours sur le chemin de sa sainte volon-
té. Le reste dépend de lui seul. Il faut donc avoir faim et soif de cette
adorable volonté, chercher à la connaître, puis s’efforcer humblement
de la réaliser coûte que coûte en vue de le glorifier, de lui témoigner
son amour et de lui plaire.
Ne pas oublier que le plus souvent notre volonté n’étant pas en
harmonie parfaite avec le bon Dieu, il y aura nécessairement souf-
france, immolation, sacrifice. Mais cela doit plutôt rassurer, c’est bon
signe, on est sur le chemin du Calvaire.

*
Si l’âme doit désirer l’union à Dieu, c’est surtout afin de pouvoir
prendre sur elle une part plus grande de la Croix de Jésus et la mieux
porter. Ceci est très important et n’entre pas aisément dans l’âme. La
Croix fait peur et pourtant !
Demander au bon Dieu la grâce de ne pas vouloir que les minutes
d’obscurité et de souffrance passent plus vite que les autres, elles sont
si précieuses. Étouffer tout mouvement naturel dès que nous en avons
conscience. Renoncer à nos goûts personnels, à nos idées. Prier Jésus
de nous donner à la place ses goûts et ses idées. Il faut croire le mys-
tère de la Croix avant de le comprendre et de le goûter.

*
Ne pas regarder ce que font les autres. Observer le règlement avec
ponctualité. Interrompre ce que nous faisons assez tôt pour arriver à
l’heure, dussions-nous attendre. Donnons-nous ainsi l’occasion : 1º de
nous détacher de ce que nous faisons ; 2º d’aller doucement et de pou-
voir ainsi penser au bon Dieu, 3º de pratiquer la patience si on nous
fait attendre, et d’utiliser encore ces moments perdus en faisant des
retours vers Dieu. La sainte volonté de Dieu est là, et alors elle n’est
que là.
Le bon Dieu sait le but, les moyens, la voie. L’écouter, lui obéir, ne
lui refuser aucun de ces sacrifices que nous sentons qu’il demande.
228 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

S’appuyer sur lui tout seul. Faire de petits efforts humblement, il le


veut, mais lui en laisser toute la gloire. Il aime tant que l’on recon-
naisse que tout vient de lui, qu’il est tout. C’est la vérité et il est la Véri-
té. Nous avons besoin de bonheur profond, nous le cherchons : il est
là, dans l’amour de Dieu, dans l’union à Dieu, dans la vie toujours plus
intime avec ce Dieu mille fois béni.

*
Le divin Maître veut le détachement du cœur complet, absolu, mais
c’est chose du dedans surtout. C’est nous qui devons en souffrir. Il ne
faut en faire souffrir les autres que si cela est nécessaire.
Pour la mortification intérieure, champ libre : pas une pensée, pas
un regard pour se satisfaire. Renoncer à tout, même à ce qui serait lé-
gitime. Regarder plus haut.
Ne pas craindre la mortification du cœur : il semble qu’on s’arrache
le pain de la bouche, c’est une mort, mais le bon Dieu demande ce sa-
crifice ; un jour il rendra au centuple.
Ne pas se lasser de recommencer sans cesse, c’est dans l’ordre. Re-
nouveler l’énergie de la volonté, lorsqu’elle fléchit dans la surveillance
sur soi-même et le travail qu’elle impose. Prier surtout : c’est par la
prière que l’on arrive à se reprendre sans cesse, car le grand point,
c’est la persévérance.

*
Être généreux pour la mortification, mais prudent. Réfléchir, de-
mander à Notre-Seigneur si cela lui fait vraiment plaisir. Il éclairera de
quelque façon, mais viser à la persévérance dans les petites souf-
frances qui n’en ont pas l’air.
Préférer les petites mortifications aux grandes. Les aimer et les pra-
tiquer. Elles préparent très efficacement à la vie intérieure. Mortifier
surtout le jugement et la volonté.
Il y a toujours attache quand nous changeons sans raison une or-
ganisation donnée.
En matière de mortification, quand on a une fois sagement fixé ce
que l’on peut supporter, il faut y tenir avec fidélité. Voilà pourquoi il
convient d’aller pas à pas et de bien s’éprouver avant d’ajouter à sa
charge. Toutefois la santé, la charité, les circonstances, etc., peuvent
obliger à des modifications transitoires. Il faut alors les accepter sim-
plement, comprimer la nature impatiente du joug et portée à se réjouir
quand il est allégé, revenir enfin dès qu’il est possible à son petit pro-
gramme.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 229

Ainsi comprises, les mortifications produisent les plus heureux


fruits, elles assurent notre éternité en nous faisant éviter le péché, elles
enrichissent notre éternité, mieux aimer Dieu à jamais ! Elles hâtent
notre éternité : purgatoire sur terre et même souvent le ciel dès ce
monde. Puis, pour une âme qui veut être apôtre, c’est par là qu’elle ob-
tiendra les grâces de conversion pour les pécheurs, d’ascension pour
les justes, et d’union pour les privilégiés de Jésus.
Quelle belle moisson : « Adimpleo quae desunt » 1… « Christo con-
fixus sum cruci » 2… « Nisi granum frumenti » 3… « Abneget semetip-
sum » 4. La souffrance affectueuse est la plus efficace des prières. De-
mander à Dieu l’amour profond, inlassable, des petites souffrances,
des petites humiliations, des petites contrariétés, des petits renonce-
ments même dans la piété. Être sur le chemin du Calvaire (sinon sur la
Croix), y marcher avec un amour grandissant, voilà le secret des plus
intimes faveurs du bon Sauveur. « Si nous savions te don de Dieu !… »
1º Ne pas se charger sans beaucoup de prudence et d’essais. 2º Mais,
ceci fait, tenir. 3º Causes d’exceptions : santé, charité, circonstances
mais pas inconstance, absence de ferveur sensible…, etc.

*
Ne pas tendre son esprit vers la mortification héroïque et par trop
dure. On s’accable. Cela enlève la douce liberté de l’âme. Donner sin-
cèrement sa volonté au bon Dieu. Lui dire que nous voulons tout ce
qu’il veut et comme il le veut. Puis prendre de sa main tout ce qu’il
nous envoie. De nous-mêmes, n’allons qu’à de petites mortifications,
mais soutenues autant que possible. Insister surtout sur les renonce-
ments intérieurs : jugement, volonté.
Par dessus tout, nous oublier le plus possible pour songer à Jésus,
le contempler dans la paix et l’aimer simplement, très simplement.
Compenser par la mortification des yeux, des oreilles, de la mé-
moire, de l’imagination, du jugement, de la volonté. Quel champ ! Ne
pas céder sur la mortification de la tenue : la nature cherche ses aises
partout. Ne pas avoir peur du sacrifice : s’appuyer sur Jésus.
Communier bien par amour pour Dieu aux petites souffrances de
chaque instant : c’est du réel, du solide, de l’actuel, et, avec-la grâce,
du possible. Puis quand la piqûre d’épingle paraît trop sensible, s’unir
à Dieu au dedans, la force sera donnée.

1 J’accomplis dans ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ (Colos., I, 24).
2 Je suis cloué à la Croix avec le Christ (Galat., II, 19).
3 Si le grain de froment ne meurt (Joan., XII, 24).
4 Qu’il se renonce lui-même (Luc, IX, 23).
230 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Aller petitement d’abord, les grandes croix ne se portent pas sans


un grand amour. C’est toujours au désir de la charité qu’il faut en re-
venir. Demander pendant quelque temps l’amour du sacrifice. Puis on
en viendra à demander la souffrance même, mais selon la volonté de
Dieu et toujours en sollicitant la grâce nécessaire pour porter la croix.
*
Il y a bien des manières de faire jeûner la sensibilité ; il faut qu’elle
entre tout entière et peu à peu dans la nuit.
Supprimer parfois la mortification les jours de fête, non pas tant
pour se donner relâche que pour s’unir à la joie de l’Église.
*
« Nonne haec oportuit pati Christum ? Ne fallait-il pas que le
Christ souffrit ces choses ? 1 »
Pour entrer dans sa gloire le Christ Jésus a dû souffrir. Ce qu’il a
souffert, nous le savons un peu seulement. Et ce peu que nous savons
nous effraie. Mystérieuse mais bienfaisante loi pourtant que celle qui
unit ainsi comme en une même réalité la souffrance et la gloire. Nous
ne voyons qu’une des faces de la réalité ; elle nous fait peur. L’autre ne
nous est connue que par la foi. À mesure, il est vrai, que la foi grandit
dans une âme, elle lui montre dans une plus vive lumière l’aspect glo-
rieux et éternel de l’immolation. Alors par une sorte de réflexion des
rayons lumineux de la foi sur le côté douloureux et humiliant du sacri-
fice, celui-ci change de teinte. Il perd de son pouvoir sur la nature. Il
devient d’abord tolérable, puis désirable, enfin aimable. L’âme com-
prend, on dirait même qu’elle voit que toute souffrance acceptée par
amour est un vrai trésor, et que la loi à laquelle Jésus s’est soumis est
aussi sa loi à elle. Elle s’y soumet dès lors avec joie.
« Mortui enim estis, et vita vestra est abscondita cum Christo in
Deo : Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en
Dieu » 2.
Mourir à tout ce qui est de la terre, s’unir à Jésus, l’unique voie et
l’unique vie, puis se cacher en Dieu, et là, inconnu de tous, vivre déjà
de la vie du ciel toute de contemplation et d’amour, quel beau pro-
gramme ! Y en a-t-il même un autre au fond ? Oui, mon Dieu, je vou-
drais le faire mien en toute vérité et le réaliser point par point chaque
jour plus parfaitement. Mourir pour devenir Jésus autant que cela est
possible. Devenir Jésus afin de vivre de sa vie profonde qui n’est autre
que la vision face à face et l’amour qui suit cette bienheureuse vision.

1 Luc, XXIV, 26.


2 Colos., III, 3.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 231

« Jésus, divin Médiateur, faites votre œuvre en moi. Détruisez tout


ce qui ne peut pas être pris en compte par vous et dans l’esprit, et dans
la volonté, et dans le cœur. Tout est à vous, tout doit être transformé
en vous autant que cela est possible. Bien que restant distincts
puisqu’il le faut, faites que nous ne soyons qu’un, vous et moi par la
pensée et par le cœur. Soyez à la fois le principe, le modèle et la nour-
riture de ma vie ».
*
Pour voir Dieu, même dès ce monde, il faut avoir le cœur pur, c’est-
à-dire une volonté qui ne soit attachée qu’à Dieu et non à soi et à quoi
que ce puisse être. Supprimer absolument toute jouissance qui ne re-
garde que soi ; abstraction du créé. Quand je suis seul en jeu, pencher
toujours du côté du sacrifice ; en dehors de Dieu, rien, absolument
rien. Quand d’autres sont en cause, pencher toujours du côté de la
charité, en désavouant tout plaisir par la volonté.

*
Il faut une grâce puissante pour aimer vraiment la souffrance, pour
en comprendre le prix, pour en venir aux actes.
Porter sa croix simplement avec beaucoup d’amour : « Être sur la
croix vaut mieux que la contempler ». C’est le seul chemin pour qui
veut suivre le Sauveur. Il l’a pris, le premier, innocent, et nous avons
tant à nous faire pardonner !
Le bon Dieu me fait la grâce d’aimer de plus en plus mes chères
souffrances (providentielles). Dès lors qu’il les permet, je les reçois
avec bonheur. Il me semble qu’elles me rapprochent de lui. C’est par
moment seulement que la lumière se fait dans l’esprit sur la souf-
france. J’ai tout à fait l’impression de n’avoir rien compris jusqu’ici
pratiquement au sacrifice. La volonté n’est pas gagnée, mais j’espère.
Dieu est si bon !
Oh ! quel trésor que la souffrance. Mais voilà, on ne sait pas au sens
vrai du mot et on passe à côté d’elle sans en soupçonner le prix.

Humilité.

Méditer l’humilité de Marie avant l’Incarnation, à Bethléem, à Na-


zareth, pendant la vie publique, à la Croix, après la Résurrection.
L’humilité, l’obéissance, disposent à la vraie contemplation, et la
meilleure préparation à l’union comme aussi la meilleure preuve de sa
réalité, c’est précisément le goût de plus en plus vif de ces vertus. Tout
ce qu’on fait dans ce sens rapproche du bon Dieu plus qu’on ne le
232 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

pense. C’est par la charité qu’on arrive à cette vertu bien qu’elle soit à
la base dans l’ordre des conditions.
La perfection s’obtient lentement ; il ne faut pas songer à une per-
fection toute faite et reçue tout de suite et une fois pour toutes. Savoir
supporter ses défauts dans la patience, c’est la moitié de l’art de les
corriger.
Il faut des examens sérieux pour connaître les idoles du dedans.
C’est l’amour vrai du bon Dieu qui rend humble. Quand on vit de
lui et pour lui, on ne vit plus de soi et pour soi. Dans les tentations de
vanité, penser à Jésus.
Travailler à détruire l’habitude de passer toujours en premier,
avant la grâce, avant Jésus.
Plus je resterai en bas sur moi-même, moins je verrai clair : plus je
monterai vers le bon Dieu et le regarderai, plus tontes les choses s’illu-
mineront. La clarté se fait en tout quand on ne tient plus qu’à Dieu.
La simplicité consiste à n’avoir qu’une pensée, un désir, une affec-
tion : Jésus, et ceci toujours. On n’est simple qu’en s’oubliant cons-
tamment, autrement il y a toujours double courant.

*
Noter les critiques, cela éclaire, cela humilie, c’est donc précieux.
Répondre avec charité aux compliments, mais n’en rien croire (très
pratique). Chaque fois regarder Jésus couronné d’épines et bafoué par
les soldats.
On ne sait pas se défendre devant un compliment, cela gonfle : c’est
une sottise ! La même chose pour un reproche, cela torture : on vou-
drait s’en débarrasser, y échapper. Ne pas s’étonner de sa faiblesse,
mais ne pactiser jamais.
Renvoyer les compliments à Notre-Seigneur par un acte intérieur ;
puis passer, ne pas trop s’inquiéter des retours sur soi.

*
Le bon Dieu peut faire toucher ce que c’est qu’être pauvre. C’est
une grâce alors d’avoir la joie de dépendre de lui, d’attendre tout de lui
pour le matériel. Le bel évangile que celui du XIV e dimanche après la
Pentecôte ! Comme je voudrais le comprendre et le vivre… Au point de
vue spirituel, c’est la même chose. C’est si bon de se sentir misérable,
de tout lui devoir. Aimer ses impuissances, accepter d’être pauvre. Il
ne s’agît pas de renoncer à ceci ou cela — laisser faire le bon Dieu avec
une confiance filiale.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 233

Rien n’est bon comme de constater sa faiblesse pourvu que, tout de


suite, on se tourne vers Celui en qui seul on a mis sa confiance. Par
contraste, son adorable et infinie Beauté grandit à nos yeux quand la
réalité nous oblige à prendre conscience de notre infirmité et de notre
laideur. On conclut : « Comme il est bon de nous aimer quand même !
Comme il faut à son exemple être miséricordieux pour les autres,
puisqu’il l’est à ce point pour nous ! »

*
D’une façon générale, travailler à s’effacer. Aimer le bon Dieu de
plus en plus, le faire aimer autant qu’il est possible, puis se faire ou-
blier ou du moins désirer qu’il en soit ainsi : voilà qui est bon pour
Dieu, pour le prochain et pour nous. On trouve de grandes grâces et de
grandes joies dans cet effacement. Mais l’occupation de soi ne dispa-
raît que lentement. C’est à force de se tourner vers Jésus et de le con-
templer qu’on finit par s’oublier soi-même. Rien ne rend humble
comme de connaître un peu le bon Dieu. À force de contempler
l’infinie Beauté, on en vient à trouver insupportable le moindre retour
vaniteux sur soi-même. Joindre les deux méthodes : combattre toute
pensée, tout jugement, toute parole qui sentent l’orgueil ; mais croire
que la charité, fruit de l’adoration, sera plus efficace et de beaucoup.
On peut souffrir de son inutilité jusqu’à en pleurer, mais en restant
soumis à la volonté de Dieu, sans aucune consolation, sauf le senti-
ment très profond qui se trouve dans la preuve qu’on aime alors sans
aucun retour d’intérêt. « Ama nesciri » 1. C’est sur le premier mot qu’il
faut insister, c’est-à-dire sur les dispositions delà volonté à l’égard de
l’estime, des louanges et de leur contraire. Prendre au dedans (à
l’intérieur, on a le champ libre) et même au dehors (la prudence pose
des limites à l’extérieur) une attitude et user d’expressions en harmo-
nie avec la petite idée qu’on se fait de nous. Par volonté, aimer à être
traité ainsi.
Parler peu de soi, très peu, pas du tout s’il était possible. Rien n’est
bon comme de s’oublier pour mieux s’occuper de Dieu et des autres
pour Dieu. Quand il y a lieu de parler de soi, le faire très simplement
en termes toujours vrais et discrets.
Réfléchir avant de parler. Le vrai frein de la langue, c’est le vif sen-
timent que Dieu est là, qu’il écoute et qu’il juge. Notre parole lui ap-
partient. Les vrais humbles parlent bas d’instinct.

1 Aimer à être ignoré…. ou compté pour rien (Imit., I, ch. II).


234 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

La douceur ordonne les mouvements de notre âme par rapport au


prochain, l’humilité par rapport à Dieu et ce qu’il y’a de lui dans les
autres. L’humilité rend l’homme capable de Dieu. La seconde béati-
tude, celle des doux, s’harmonise avec le don de Piété, car ceux-là sont
doux qui se comportent comme des enfants de Dieu, et ceux-là
s’irritent à proprement parler qui ne s’élèvent pas à la pensée de ce
que Dieu veut ou de ca qu’il permet pour un plus grand bien.
Demander les vertus du Cœur de Jésus : la douceur avec tout le
monde ; l’humilité : à la dernière place on ne dérange personne, il faut
qu’on vienne vous y chercher ; la patience pour accepter toutes les vo-
lontés du Seigneur, même quand elles semblent se contredire ; la cha-
rité : pour faire un peu aimer le bon Dieu, il faut beaucoup l’aimer.
Parfois, plus on demande ces vertus, moins on les a, semble-t-il.
C’est bon signe ; cela prouve combien on en a besoin ; le démon aurait
voulu nous endormir sur ce point.
Le grand ennemi, c’est l’orgueil, lui faire une guerre implacable
dans toutes ses manifestations : jugement, parole, attitude, démarche.
On ne saurait trop demander l’humilité.
Plus on aime Dieu, plus on a d’attrait pour l’humiliation vraie et le
sacrifice. L’union à Jésus, la contemplation habituelle de Dieu sont les
meilleurs moyens de vaincre l’orgueil.
*
Il y a des tempéraments résonateurs : il suffit d’une petite idée,
grossie, amplifiée par l’imagination (orateurs) et l’on croit qu’on pos-
sède une grande vertu. Chez d’autres, la volonté forte et réelle
s’exprime difficilement en effets. C’est aux actes qu’il faut juger : les
uns sont portés à la présomption, les autres au découragement. Saint
Augustin a de très belles réflexions sur la présomption de saint Pierre
qui confondait ses désirs avec ses réels moyens d’action.
Renoncer à la satisfaction même inconsciente que procurent les
imaginations forgées par la vanité : histoires dont on est le centre, le
héros, retours sur ce que les autres pensent, etc. L’orgueil est toujours
à base de jugement faux : on vit trop près de soi, cela fausse la pers-
pective. Ne chercher jamais à savoir ce que l’on dit de nous : si c’est du
mal, penser qu’on en mérite beaucoup plus ; si c’est du bien, qu’on a
peut-être exagéré, et qu’en tout cas, tout vient de Dieu. Tout mouve-
ment de vanité volontaire est un véritable larcin. Dans les fautes,
s’humilier d’abord intérieurement, paisiblement : « Mon Dieu, j’ai eu
tort, pardonnez-moi, donnez-moi plus d’amour ». Se blâmer, même
après coup, habitude à prendre, très précieuse.
Demander l’humilité qui rend heureux.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 235

Ne pas séparer la connaissance de soi de la connaissance de Dieu.


Peu à peu, l’âme en vient à s’oublier et à se mépriser, à ne plus songer
qu’à la gloire et au bon plaisir de Dieu.
Travailler l’humilité ; voir ce qui domine le plus en nous : recherche
de l’estime des autres ou attache à sa propre estime — reproches —
compliments — ouvrage manqué… Contempler Jésus doux et humble.
Comprendre que cette vertu amère à la nature est douce et que la des-
truction qui s’opère est bonne.
*
J’ai beaucoup souffert de la vue indiscutable de mon impuissance à
faire aimer le bon Dieu. Je ne puis radicalement rien. Alors, j’ai de-
mandé au bon Dieu de ne pas détruire par mon incapacité le bien que
l’enseignement peut faire par lui-même, et je lui ai dit : « Puisque je ne
puis rien pour vous, je vais me mettre à vous aimer, à vous aimer ! Ré-
duit à rien à l’extérieur, je vais m’appliquer à votre saint Amour, afin
qu’en considération de ce désir, vous attiriez vous-même ces âmes ».
Être bien convaincu que nous sommes un monde de pauvreté ! de
tout petits ouvriers, si incapables, si misérables !… Les vues de notre
esprit sont absolues et nous les avons en un moment ; la réalisation est
longue, coûteuse, difficile ; elle n’atteint jamais l’idéal entrevu ; l’unité
ne se fera que Là-Haut. Chez les Saints, cette souffrance est encore
plus vive, car ils se sentent plus loin de Dieu : plus on monte, plus on
constate la distance qui sépare du sommet. Mais cette souffrance est
paisible. Elle explique les actes d’humilité d’un saint Vincent de Paul,
d’un Curé d’Ars, de tous les Saints.
*
Les âmes (non pas toutes, mais la plupart) passent généralement
par trois phases : période d’illusion — puis d’irritation — enfin de rési-
gnation.
C’est si bon de connaître ses limites, de les sentir si vite atteintes,
d’expérimenter sa dépendance.
*
La douceur est la vertu des vertus, en ce sens qu’elle en est la fleur.
C’est l’union habituelle à Dieu qui rend fort ; la douceur est une vertu
forte. Pour être doux, toujours, toujours, il faut être fort de la force
même de Dieu. Il est très difficile de souffrir et d’être doux.
*
Trembler quand on ne se sent pas dans la main de Dieu et qu’on ne
cherche pas à s’y remettre.
236 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

*
Disposition d’une âme visant au sourire et acceptant humblement
la manifestation involontaire ou la répugnance produite par l’humilia-
tion et le sacrifice, quand cette manifestation se remarque. Achever
d’un sourire le premier mouvement de douleur.
C’est le don de Science qui fait trouver le trésor caché dans l’humi-
liation, la pauvreté, le sacrifice, l’obéissance, tout ce qu’on appelle la
croix. Les mondains, tous ceux qui n’ont pas reçu ce don, n’y compren-
nent rien, tout cela est si contraire à la nature ! Mais le Saint-Esprit en
fait découvrir le prix, il en donne le goût caché dans l’intime de l’âme ;
quelquefois il le fait transparaître un peu, très peu, jusqu’à l’extérieur.

Obéissance.

Il n’y a que l’intime, profond, spirituel contact de l’âme avec Dieu,


senti ou non, qui sanctifie. De là, soit dit en passant, le prix de l’obéis-
sance, qui oblige souvent pour être vraiment observée à renouveler
cette prise de contact avec Dieu.
Pour qu’il y ait mission morale, il faut que celui qui envoie soit su-
périeur sous un rapport quelconque : ainsi celui que le roi consulte
avant de faire la guerre. C’est le conseiller qui l’y envoie, il lui est supé-
rieur sous le rapport de la sagesse.
Dans l’obéissance, notre intelligence peut regarder un supérieur,
commandant dans les conditions voulues, comme éclairé directement
par Dieu, et reflétant la lumière divine, comme les anges s’illuminant
les uns les autres jusqu’à la dernière hiérarchie. Ne pas obéir pour la
supériorité reconnue de la personne qui ordonne, mais à cause de ce
reflet de Dieu, parce que cette personne a charge et autorité.
Dieu ne se trouve que sur le chemin de son adorable volonté. Le
grand avantage, de l’obéissance est d’harmoniser notre volonté avec la
volonté du bon Dieu, alors même qu’il y aurait erreur du côté de celui
qui commande. L’union transformante suppose toujours réalisée
l’union de conformité : celle-ci est le plus court chemin pour atteindre
celle-là.
*
Il ne faut pas ramener la règle à sa mesure, mais s’adapter à la me-
sure de la règle, c’est le seul moyen de se former.
Docilité humble faisant tout de suite le sacrifice de volonté ou de
jugement demandé ; intelligente, pénétrant la pensée du Supérieur
pour la prendre à son compte et la mieux exécuter ; affectueuse enfin,
toute détrempée d’amour de Dieu, de ce Dieu si bon auquel on obéit.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 237

Rien n’est utile comme l’obéissance, rien n’est difficile comme elle.
Le mauvais esprit la rend presque impossible en prévenant contre
l’autorité, en dénaturant les intentions de celui qui commande, en lui
en prêtant qu’il n’a jamais eues. Il est permis et même louable de cher-
cher à pénétrer les raisons du commandement quand on le fait pour
soumettre son jugement à la Vérité. Dans ce cas, le mérite de l’obéis-
sance vient de l’hommage rendu à la Vérité.
Comprendre autant que possible le conseil donné, mais pour mieux
le suivre.
Tenir ferme à ce principe si sage : Praesumptio stat pro superiore.
Dans les cas douteux, le supérieur est supposé avoir raison.

*
Plus l’obéissance immole, plus elle est précieuse, plus on doit l’es-
timer. On donne à Dieu sa volonté, c’est cette faculté qu’il veut : quand
il la possède, tout suit : « Meus est cibus, ut faciam voluntaiem ejus
qui misit me » 1. « Quae placita sunt ei, facio semper » 2.

Apostolat.

Contempler avec quelle facilité la sainte Vierge donne son petit Jé-
sus. C’est son geste habituel, familier. Un bon vieillard le désire,
comme elle le lui remet volontiers. Elle est toujours disposée à le don-
ner. Faire comme elle : donner Jésus par la prière, le sacrifice, le bon
exemple, une bonne parole, le désir intérieur.
Quand nous sommes en rapport avec le prochain, prier intérieure-
ment, demander à Jésus de se donner : que cette âme à qui je parle
l’aime davantage, le serve plus généreusement…
Il n’y a qu’un moyen d’aimer les âmes, c’est de leur vouloir du bien,
leur seul Bien, en leur donnant Jésus. Pour cela, communier aux ver-
tus de la sainte Vierge, amour, dévouement, oubli de soi : se priver
pour donner Jésus.
Avant d’apprendre aux autres à aimer Dieu, il faut commencer par
l’aimer soi-même. Comment le donner aux autres, si on ne le possède
pas ? Nous faisons du bien dans la mesure de notre union à Jésus.
Nous ne le voyons pas toujours, mais cela est toujours vrai.

1 Ma nourriture est de faire la volonté de mon qui m’a envoyé (Joan., IV, 34).
2 Je fais toujours ce qui lui plaît (Joan., VIII, 29).
238 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Quand nous sommes brusques et durs, ce n’est pas Jésus qui agit
en nous. Il nous reprend au contraire : « Vous ne savez pas de quel es-
prit vous êtes » 1. — « Qui Spiritu Dei aguntur hi sunt filii Dei » 2.
Ne nous impatienter jamais, jamais. Nous avons toujours tort de le
faire.
*
Pour faire du bien aux âmes, tenir son cœur spirituel intimement et
continuellement uni à Dieu. Plus on est instrument attaché, serré par
un mouvement volontaire à l’agent principal, plus on fait de bien, plus
on le fait bien et plus on en fait à soi-même. L’action est alors une con-
templation continue. On voit l’œuvre, on voit l’Ouvrier, on se voit
entre les deux, heureux du bien qui passe pour nous, heureux surtout
de se sentir entre les mains de Celui qui seul est bon et nous fait alors
communier à sa bonté.
Songer que l’on remplit un devoir, le premier de tous après celui
d’aimer Dieu, et le remplir par amour, puisque c’est l’amour qui donne
du prix à tout, au verre d’eau froide comme au sacrifice de la vie.

*
Ceux qui sont doués d’une certaine force de pensée ou d’imagina-
tion sont exposés à vouloir faire entrer de gré ou de force les hommes,
les idées, les choses dans les cadres rigides de leurs concepts ou de
leurs images. Ils doivent tout d’abord se demander si ces cadres sont
bien conformes à la réalité, puis surtout s’assurer que les hommes sont
bien préparés à les accepter.

*
Toute vérité n’est pas bonne à dire… sans préparation. Il y a tout un
art d’amener les âmes à la Vérité. C’est la charité qui enseigne à le pra-
tiquer : elle fait pénétrer les dispositions de celui à qui l’on parle et
porte l’intelligence à chercher par où la Vérité pourra se faire jour dans
son âme. L’amour apprend à sortir de soi ; il rend semblable à ceux
que l’on aime ; il permet ainsi à l’intelligence de les connaître comme
du dedans. Une fois à l’intérieur de la place, on voit mieux comment
s’y prendre pour y faire entrer la Vérité, et « c’est la Vérité qui dé-
livre » 3. Comme on a su gagner par sa bonté les sympathies de l’âme,
on la tourne peu à peu, doucement, vers la Vérité ; elle accoutume par

1 Luc, IX, 55.


2 Ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu (Rom., VIII, 14).
3 Joan., VIII, 32.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 239

degrés ses pauvres yeux à cette bienfaisante lumière et finit par deve-
nir capable de la regarder en face et d’en soutenir tout l’éclat.
« Caritas patiens est » 1. — « Facientes veritatem in caritate » 2.
Le mieux en soi-n’est pas le mieux toujours pour telle ou telle âme.
Dieu veut des âmes qui prient et des âmes qui souffrent, des spécialis-
tes de la prière et de la souffrance, mais il veut aussi des spécialistes de
l’apostolat. Le tout pour un sujet est de savoir ce que Dieu veut de lui.

*
Il faut s’établir fortement dans la vie intérieure, en comprendre la
nécessité, le mécanisme, la richesse. Alors on pourra revenir à l’action
car on la voit avec d’autres yeux, on la veut pour des motifs plus purs,
on la réalise sans quitter l’intime union avec Dieu. C’est alors la vie
mixte, la vraie.
Ne pas arrêter son esprit sur le mal qui est dans le monde ; semer,
semer toujours ; prières, œuvres, sacrifices. Laisser tout autre soin
au bon Dieu. Si nous étions meilleurs, nous, le monde serait moins
mauvais.
La manière de répondre aux confidences suffit pour faire com-
prendre qu’on a l’expérience personnelle de la souffrance : en faire soi-
même diminue souvent aux yeux du prochain et ne lui fait pas de bien,
au contraire.
*
Ne pas parler de soi, ce n’est pas utile, au contraire ; viser toujours
à s’effacer. Les âmes qui souffrent ont besoin surtout qu’on leur parle
d’elles et plus encore, dans la mesure possible, du bon Dieu. Notre
apostolat sera d’autant plus fructueux que nous pratiquerons mieux le
recueillement et le détachement ; renoncement constant dans les pe-
tites choses : « Nisi granum frumenti » 3… Nous voulons toujours pas-
ser à côté des chemins tracés par le Maître.
Quand nous aimerons bien le bon Dieu, nous serons l’indulgence
même pour les autres, mais pas avant. Si Notre-Seigneur nous traitait
selon nôtre valeur, nous serions bien malheureux !
Répondre avec impersonnalité à la confiance des âmes ; leur parler
surtout d’elles et du bon Dieu.

1 I Cor., XIII, 4.
2 Faisant la vérité dans la charité (Ephes., IV, 15).
3 Joan., XII, 24.
240 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Les âmes n’ont pas toutes la même vocation ; pour que deux sensi-
bilités soient parfaitement à l’unisson, il faudrait, outre une harmonie
naturelle très rare, une harmonie d’âme plus rare encore : Jésus et
Marie. Que cela nous explique les reproches injustes des gens du
monde (ils n’ont pas les mêmes biens en vue). Que cela nous explique
aussi comment la vraie charité, victorieuse de tout égoïsme, sait vrai-
ment et seule parler le langage du cœur.
Attendre, pour parler du bon Dieu d’une façon un peu profonde,
d’y être autorisé du dedans par une sorte d’indication de la grâce. Voir
aussi à qui l’on parle, il n’y a pas deux âmes identiques. Il faut être
apôtre quand le bon Dieu le veut et comme il le veut. L’être alors sim-
plement.

Semer dans les âmes de son mieux ; c’est tout ce que Jésus de-
mande. Il enverra la pluie et fera luire son soleil quand il le jugera bon.
Jésus n’a pas converti tous ses contemporains de Judée et de Samarie,
tant s’en faut ! Semer dans la paix et dans l’espérance. Pour la con-
quête des âmes, être un instrument souple, docile, désintéressé,
n’agissant jamais pour lui-même, ni par lui-même.
L’action vaut ce que vaut l’âme : « Qui manet in me et ego in eo, hic
fert fructum multum » 1.

L’âme de la vie intérieure, c’est la charité. Or la charité est une.


Quand on aime le prochain par la charité, c’est pour Dieu, à cause de
Dieu et de Dieu seul. C’est donc Dieu que l’on aime ! Il faut savoir quit-
ter Dieu pour Dieu et ne pas craindre quand on a agi de la sorte pour
lui plaire. Ce qui est fait par véritable obéissance et par amour n’éloi-
gne jamais de Dieu, non, jamais. Il peut sembler qu’il n’en est pas ain-
si, mais c’est une illusion, ou, si cela est vrai, c’est que l’on a recherché
sa propre satisfaction au lieu de rechercher la volonté du bon Dieu.

Il faut toujours essayer de travailler les âmes en profondeur ; mais


jusqu’où peut aller ce travail pour telle ou telle âme ? C’est très difficile
à déterminer. En tout cas, on doit procéder par degrés, faire faire les
progrès possibles actuellement, puis pousser un peu plus avant, mais
toujours en suivant la grâce pas à pas.

1 Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruits (Joan., XV, 5).
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 241

Quand on aime davantage le bon Dieu, on pénètre mieux les âmes,


on les comprend mieux. Sans fausser les principes, on arrive à les ap-
pliquer aux cas individuels avec sagesse et avec fruit.

*
Après aimer le bon Dieu, il n’y a rien de meilleur que de le faire ai-
mer. On peut le faire par la prière et la souffrance, mais aussi par
l’apostolat.
C’est possible, mais difficile, d’avoir de l’emprise sur les âmes. Pour
pouvoir faire du bien, il convient d’amener une âme comme par un
mouvement tournant, sans la buter, de l’endroit où elle est à celui où
elle doit aller. C’est difficile. Avant tout, enraciner en soi la vie inté-
rieure et ensuite on fait plus de bien par quelques mots que par de
longues lettres.
Peu à peu, la charité rend « intelligent ». Quand on comprend
mieux, on supporte beaucoup mieux aussi et ses défauts et ceux des
autres.
Se défier de la sévérité dans le jugement ; elle peut provenir d’une
vue inexacte de la réalité à laquelle il faut appliquer les principes.
Remarquer comme il y a peu de personnes qui entrent dans les
idées des autres : chacun suit les siennes propres.

*
Sauf les cas urgents, attendre pour faire une monition de n’éprou-
ver aucun contentement naturel à la faire.
Quand on a la responsabilité de quelqu’un, ne jamais lui montrer
qu’on le méprise, même après une faute.
Diriger la reconnaissance et l’admiration plus haut que la per-
sonne ; remonter à la Cause première.
Rechercher les conversations qui élèvent, tolérer celles qui sont
utiles vraiment, fuir habilement les autres.
Remarquer comme cela élève les âmes de leur témoigner estime et
confiance, et comme les critiques, non seulement font de la peine, mais
rétrécissent et découragent. Être bien convaincu qu’on a beaucoup à
apprendre des autres, et manifester volontiers cette disposition.
C’est un grand art de se rendre compte du retentissement de nos
paroles dans l’âme des autres.
*
Pourquoi l’insuccès ? Parce que le disciple n’est pas au-dessus du
Maître. Jésus n’a pas converti tous ses auditeurs. Il a connu la trahison
242 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

d’un de ses apôtres, le reniement de Pierre, l’abandon de presque tous.


Dans son âme la douleur et la joie s’interpénétraient sans cesse, mais
dans la paix.
Vouloir goûter les joies du Sauveur sans boire à son calice, c’est
l’impossible. Les âmes généreuses préfèrent lui demander la couronne
d’épines et la Croix ; elles sont dans le vrai. Pour entrer véritablement
dans les joies divines, il faut passer par le chemin du Calvaire : « Non-
ne haec oportuit pati Christum et ita intrare in gloriam suam » 1.
« Nisi granum frumenti » 2, etc.
Puis il est très bon que nous constations notre impuissance quand
Jésus n’est pas là ou paraît ne pas y être. Nous finirions par croire, si le
succès était constant, que ce succès vient de nous. Ce serait le pire
malheur. Dieu est bon, infiniment bon.

*
Quand j’aimerai vraiment le bon Dieu, que je serai un seul esprit
avec Lui, alors j’aimerai aussi le prochain. Je voudrai lui donner Dieu
(c’est la vraie charité, la seule vraie). Je me ferai tout à tous, pour les
gagner tous à Jésus. J’agirai avec ma sensibilité, mais je n’agirai plus
pour elle. Le bonheur de Dieu devenu le mien, et passant quelque fois
jusqu’à elle sera ma seule joie ; et encore je ne m’y attacherai pas. Je
trouverai la note juste dans mes manifestations d’amitié, ou mieux, Jé-
sus, dont je serai possédé, me la fera trouver tout naturellement. Toutes
mes difficultés viennent de ce que je n’aime pas assez le bon Dieu.

*
Les distractions inévitables dans l’oraison, à la suite des travaux
d’apostolat, ne nuisent pas à une âme vraiment détachée, dont la vo-
lonté est tout à Dieu. Une âme qui s’occupe des autres pour Dieu seul,
selon Dieu et suivant les indications qui précèdent, trouvera Dieu tout
de suite ou presque dans l’oraison, et l’union sera beaucoup plus pro-
fonde, solide et fructueuse, je ne dis pas agréable ! La vertu de charité
est une. Elle unit selon sa force et elle grandit par le véritable aposto-
lat. Ce qui dissipe dans les œuvres (entendons celles qui sont voulues
de Dieu et sagement organisées), c’est la manière dont on s’en occupe.
Si on les fait par goût naturel, désir humain de réussir, manque de
mortification dans le déploiement de son activité, etc., on s’éloigne de
Jésus, parce qu’on s’attache à quelque chose et à soi-même. Une âme
détachée à fond est une âme libre, elle trouve Dieu partout.

1 Ne fallait-il pas que le Christ souffrit toutes ces choses pour entrer dans sa gloire ? (Luc, XXIV, 26).
2 Joan., XII, 24.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 243

Rien ne distrait de Dieu une âme qui n’aime que Dieu et ne goûte
ou ne veut goûter d’autre joie que Dieu (détachement à rendre tou-
jours plus profond et plus universel). Sans doute, ses facultés, pour un
moment, s’occupent de choses qui ne sont pas Dieu, mais l’âme ne
quitte pas son centre, et au premier moment libre ramène à elle toutes
ses puissances (tout son monde) et par suite à son Dieu.

*
Oui, nous ne sommes que des instruments, mais Jésus a décidé de
se servir de nous comme s’il en avait besoin. Plus tard, Notre-Seigneur
fait comprendre comment tout le bien, qui est en nous, ou passe par
nous, vient de lui, et comment, en ce sens, c’est lui qui fait tout dans
les âmes.

*
Ne pas se détourner de l’action, quand elle est voulue par le bon
Dieu, à cause des distractions qu’elle apporte à l’oraison. Ce serait un
très mauvais calcul. Ne prendre de contentement qu’en lui seul et re-
noncer au contentement personnel de l’oraison comme à celui de l’ac-
tion. C’est ce que le bon Dieu attend d’une âme pour se donner à elle…
Un temps viendra où nous trouverons le bon Dieu partout, où rien
ne nous distraira de lui.
C’est le bon Dieu qui nous manque ! Quand il sera chez nous
comme chez lui, tout s’illuminera, nous verrons mieux nos défauts,
nous aurons plus de courage pour les corriger, nous le porterons dans
le monde comme dans un ostensoir. Tout en nous le révélera, le re-
gard, l’attitude, le ton, le geste. Nous devons le demander sans cesse, y
revenir à tout instant.
Prions-le instamment, il ne demande qu’à se donner à nous, mais il
faut que nous nous donnions à lui non pas d’un don verbal, mais réel.
Il faut nous oublier ; nous apprendrons à connaître sa volonté et à l’ai-
mer sous les apparences diverses quelque désagréables qu’elles soient.

*
Sauf indication précise et sûre de la grâce, s’occuper de Dieu tout
seul dans l’oraison. Il s’occupera de nos affaires dans l’action (Règle
d’or).

*
Prier Nôtre-Seigneur d’agir surtout dans l’intime de l’âme. C’est
son domaine ; là tout est spirituel. Avoir le zèle de cette maison de
244 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Dieu. C’est sur les hauteurs de l’âme que le bon Dieu a établi sa vraie
demeure. Ces hauteurs doivent être silencieuses, solitaires même.
C’est là qu’il faut apprendre à se retirer, à se tenir et à revenir. On peut
dire en vérité de ce lieu béni : « Aer purior, coelum apertius, familia-
rior Deus » 1. La foi y contemple son Dieu sans le voir encore, elle y
communie à la connaissance qu’il a de lui-même. L’espérance, forte de
la force même de Dieu, travaille à conquérir son vrai et unique trésor.
La charité rapproche, soulève, porte la volonté et avec elle toute l’âme
vers ce Dieu, qui lui est si intime, et auquel elle s’unit autant qu’il lui
est possible. C’est le Thabor, c’est le Calvaire, c’est parfois simultané-
ment les deux. C’est toujours la vraie vie.
Maison à orner par toutes les bonnes petites vertus : humilité, mor-
tification, recueillement, renoncement. Prima sibi caritas 2, mais le
zèle vient à son tour. La maison de Dieu, c’est alors l’âme des autres.
Avec prudence et en suivant les indications de la grâce, faire naître le
zèle dans l’âme de nos frères, leur apprendre à connaître, à aimer leur
âme, cette demeure de Dieu en eux et à y vivre.

*
Le meilleur moyen de réparer, c’est de bien faire l’action actuelle
avec tous les sacrifices qui s’y rencontrent. C’est par là qu’il faut com-
mencer, continuer et finir ; mais le programme peut devenir plus com-
plet ; c’est le bon Dieu qui le trace.

*
Les grâces que Dieu fait à une âme ne lui appartiennent pas ; elle
ne doit pas les étouffer sous prétexte de discrétion, mais les utiliser
pour la plus grande gloire de Dieu et par conséquent les faire contrô-
ler. Saint Jean de la Croix permet de se rappeler les grâces de fond,
afin de s’en servir plus efficacement.
Grave écueil que les retours sur soi et l’appropriation des grâces.
Quand une fois on a exposé ses peines intérieures, il ne faut pas y
revenir sans cesse. S’occuper de soi dans la mesure nécessaire pour se
conduire et se faire conduire, pas davantage. Agir avec confiance et
simplicité, mais avec mortification. Il y a plus de recherche à se faire
consoler que d’orgueil à ne pas le faire. Voir au résultat, au profit
qu’on en retire.
Parler des grâces reçues avec le même désintéressement que la
Sainte Vierge, comme s’il s’agissait d’un autre. Parler comme on parle-

1 L’air est plus pur, le ciel plus ouvert, Dieu plus intime (S. Bernard).
2 Charité bien ordonnée commencé par soi-même.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 245

rait à la Sainte Vierge, même confiance, même respect, même simplici-


té, même docilité surnaturelle pour trouver lumière et force, encoura-
gement et paix.
Pour que la direction ne dégénère pas en occupation de soi, vraie
pureté d’intention, franche humilité qui ne s’occupe de soi que dans la
mesure où c’est nécessaire, pour répondre aux dons de Dieu, par la
pensée qu’il faudra rendre compte de tous ces dons et de la manière
dont on les aura fait fructifier.

Oraison.

« Domina, doce nos orare » 1.


C’est vrai que nous ne connaissons pas Jésus. Tous, nous devons
faire cette constatation. C’est une question de degrés. Et jusqu’à un cer-
tain point, sans connaissance préalable, il n’y a pas d’amour. Que faire ?
De notre côté, faire tout ce qui dépend de nous, pour le connaître par
l’étude (Traité du Verbe Incarné), la méditation de l’Évangile. Mais le
plus souvent nous n’en tirons qu’une connaissance intellectuelle,
sèche, comme du dehors… Adressons-nous à la Sainte Vierge. Toutes
les mères aiment à parler de leurs enfants qu’elles trouvent parfaits.
Mais quand c’est vraiment vrai ! Cela lui fera plaisir. Demandons-lui
ce qu’elle lui disait à son Jésus quand elle le portait dans son sein,
quand elle le serrait tout petit enfant dans ses bras, le soir à Nazareth.
Elle devait être à Béthanie… Nous croyons qu’après la Résurrection, la
première apparition a été pour elle… Ce qu’elle lui dit maintenant dans
le ciel… Demandons-lui de nous dire comment il réunit toutes les
beautés, comment il aime toutes les âmes : Madeleine, le bon Larron…
la mienne… les âmes qui lui sont chères. S’il aime tant les âmes claires
et limpides, c’est parce qu’elles ressemblent à sa Mère ! Revenir sou-
vent, avec persévérance (la persévérance est ce qui nous coûte le plus)
et faire la même prière : « Mère, nous voudrions connaître Jésus ! » Ce
n’est pas une connaissance qui s’acquiert en un jour. Pour cela, il faut
que l’âme se fasse écoutante, attentive, oublieuse de tout.
Visite au Saint-Sacrement avec Marie et Joseph, comme si nous
étions le soir à Nazareth, nous contentant d’offrir leurs sentiments.
« Mon Jésus, je vous offre l’affection, la bonté, le dévouement, la ten-
dresse de ces cœurs si aimants et si parfaits ». Recommencer douce-
ment ; ne faire que cela.
Faire son possible pour obtenir le silence intérieur, même incom-
plet. Laissez à Notre-Seigneur le soin d’aimer en nous et avec nous

1 Cf. Luc, XI, 1.


246 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

pendant ces petites pauses de l’âme. Se tenir aux pieds de Jésus, le re-
garder, lui parler, l’écouter, l’aimer. S’unir à lui au-dedans humble-
ment, sans s’occuper de savoir si l’on sent quelque chose.

*
Faire de petits retours distincts sous forme de communion spiri-
tuelle : se recueillir à fond, une ou deux minutes, se pacifier ; appeler
Jésus-Eucharistie avec humilité et amour, le recevoir des mains de
Marie. Quand on le possède, l’adorer, le prier d’infuser à notre âme ses
vertus, douceur, humilité, etc., surtout sa charité. Laisser quelques
instants à Jésus pour faire son œuvre ; silence, puis soulever douce-
ment notre âme vers sa Divinité, l’aimer, l’aimer encore avec son cœur
devenu nôtre. Rester ainsi le plus longtemps possible, allant et reve-
nant, dans la mesure nécessaire, de son Humanité, ici spécialement de
son Cœur, qui est la voie, à sa Divinité, qui est le terme. Il n’y a que ces
actes d’amour « Jésus-nous », qui plaisent à Dieu, et Dieu ne visite, au
sens profond du mot, que ceux qui sont Jésus pour lui. Il ne peut em-
brasser que son Fils bien-aimé.
Seulement on peut être Jésus sans en avoir conscience, sans savoir
qu’on l’est intérieurement. Mais qu’importe, pourvu qu’on le soit ?
Dans ceci, peu d’imagination.

*
C’est surtout après la communion qu’il faut faire des actes de foi,
d’espérance et de charité. Désirer ardemment cette vertu. La deman-
der sans cesse, lui faire produire des fruits. Quand elle sera devenue
reine de fait, elle tournera sans cesse notre âme vers le bon Dieu. Elle
excitera en nous la faim et la soif de ce Bien, si doux, si aimable, si pré-
cieux. Nous vivrons sans cesse au-dedans de nous-mêmes, devant lui,
à ses pieds. Un jour viendra, je l’espère vraiment, où je vivrai en lui
presque continuellement. Mais dès maintenant, faire comme si j’avais
un grand amour de Dieu. Que doit faire, que fait une âme qui aime
Dieu ? Elle se plaît dans sa divine société, elle ne se plaît que là. Elle
parle doucement à son Dieu, elle l’écoute, elle le regarde longuement,
elle l’aime ; elle se brûle devant lui et pour lui ; elle passe sa vie avec
lui au dedans sans que presque personne ne le sache ; elle est heureuse
de se tenir ainsi, cachée en Dieu. Son Dieu, c’est tout pour elle : c’est
l’atmosphère où elle vit, le soleil qui l’éclaire et la réchauffe, la réjouit
et la fortifie, elle se laisse pénétrer par ses divins rayons. L’infini bon-
heur de son Dieu la met hors d’elle-même, elle le goûte, elle ne peut
assez le goûter. Sa joie, c’est que son Bien-Aimé soit si heureux, lui, si
parfait, si beau. Elle lui dit sa joie par ses paroles, par son silence plus
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 247

encore. Elle prolonge ce silence plein de signification le plus qu’elle


peut. Plus elle contemple, plus elle aime, plus elle est heureuse et pour-
tant aussi plus elle s’oublie. L’oubli de soi devient chaque jour plus pro-
fond ; l’extase intérieure plus fréquente, plus prolongée, plus intime.
Prolonger l’action de grâces quand on le peut, même si l’on ne fait
rien en apparence. Nul moment n’est meilleur que celui-là pour faire
oraison. Notre-Seigneur nous pénètre à notre insu, il nous transforme,
nous donne ses goûts, ses sentiments.

*
La Sainte Messe est mystère de répartition, comme la Croix a été
mystère d’acquisition. Il est très vrai qu’avant tout, le saint Sacrifice
est acte de religion, et l’acte de religion par excellence ; louange et ac-
tion de grâces, il exalte le souverain domaine de Dieu et remercie de
toutes grâces. Mais aussi la Sainte Messe met à notre portée tous les
mérites, toutes les satisfactions, les expiations de Jésus. Il nous appar-
tient d’y puiser à pleines mains, pour distribuer ensuite au monde tous
les trésors de la Croix. À ce moment-là notre charité doit se faire uni-
verselle et nous pouvons dire à Jésus : « Souvenez-vous que vous avez
versé votre sang pour tous, quels que soient leur état d’abaissement et
leur misère ; il n’y a pas de crimes qui ne puissent être pardonnés ;
votre Rédemption, ô mon Dieu, les dépasse tous et sans limites. Allez
donc, ô mon Jésus, toucher ce pécheur au bord de la tombe, rappelez-
vous qu’il a une âme immortelle faite pour contempler Dieu face à face
et que, par votre grâce, il se souvienne qu’il a le ciel à gagner ; fermez
l’enfer prêt à s’ouvrir pour lui. — Allez trouver, ô mon Jésus, cette âme
qui n’est pas en état de péché grave, mais qui se traîne dans la vie spi-
rituelle. Faites-lui comprendre que ce bonheur qu’elle cherche partout
autour d’elle, elle ne le trouvera qu’en vous. Faites-lui comprendre que
la vraie liberté consiste à se faire votre esclave, parce que quand on
vous sert, on domine tout, comme vous le faites vous-même. Délivrez-
la de l’obscurité de son esprit, des liens de sa volonté ; éclairez-la sur le
danger de son état, donnez-lui le courage de faire ces tout premiers
pas vers le mieux, si difficiles et si nécessaires. — Et puis encore, ô Jé-
sus, que vos grâces de lumière, d’amour et de force aillent vers ces
âmes qui vous aiment déjà beaucoup et pourraient vous aimer sans
mesure si elles voulaient consentir à tout quitter. Il s’en faut peut-être
d’un rien pour que ce soient des âmes tout à vous, toutes consacrées à
votre amour, transformées en vous en plénitude de sorte qu’elles puis-
sent dire comme saint Paul : « Vivo, jam non ego… Ce n’est plus moi
qui vis, cest Jésus qui vit en moi » 1. Brisez leurs derniers liens, faites-
les monter dans vos bras et sur votre Cœur. Amen ».

1 Galat., II, 20.


248 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

*
En se préparant à la confession, songer que c’est le sang de Jésus
qui va purifier, enrichir et embraser notre âme. Prier beaucoup avant
pour connaître nos fautes, les détester, les accuser, les expier comme
Jésus le veut. Plus l’accusation sera simple, mieux cela vaudra. Consi-
dérer le sacrement plus comme une communion au sang divin que
pour effacer les péchés.

*
S’attacher au Rosaire. Méditer les mystères en appliquant à la vie
intérieure. Après les joies, les grandes douleurs, puis l’âme qui se
transforme peu à peu en Dieu, monte vers lui, reçoit les motions de la
divine charité et, morte à tout ce qui n’est pas lui, commence dès ici-
bas la vie des élus.
Aimons à dire l’Ave Maria avec les Saints qui ont eu une si grande
dévotion à la Sainte Vierge. Pourquoi ne pas leur demander de nous
aider ? Disons-leur : « Faites donc passer dans mon âme quelques-uns
des sentiments que vous aviez alors. Adressons-nous à saint Bernard,
au Bx Grignion de Montfort… Demandons à notre Ange gardien ou à
l’Archange Gabriel de le dire avec nous ; avec quel respect ne la sa-
luait-il pas au jour de l’Annonciation, avec quelle affection, quelle ad-
miration, quelle confiance que le monde serait sauvé grâce à elle ! Di-
sons-le avec saint Joseph. Imaginons un peu ce qu’il y avait de délica-
tesse, d’affectueux respect et aussi de félicité en ce grand et bon saint
Joseph quand il prononçait ce nom béni.
Disons-en le début avec Jésus, mais il faudrait une autre langue,
nous bégayons… C’est tout un monde que cette intimité de Marie et de
Jésus !…
*
Il y a la liturgie du dedans, celle qui donne du prix à la liturgie du
dehors ; adorer le bon Dieu en esprit et en vérité, par amour : en es-
prit, dans le sanctuaire intérieur ; en vérité, toutes les facultés à ge-
noux, soumises à Dieu et souples à tous, ses vouloirs ; par amour,
l’amour est dans la volonté.

*
Renoncer aux goûts sensibles dans la récitation du bréviaire et à la
joie intellectuelle de tout comprendre. S’appliquer à prononcer maté-
riellement le mot : « Mon Dieu, je vous dis ce mot, parce que je vous
aime. Je vous le dis en lui donnant, autant qu’il m’est possible, la plé-
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 249

nitude de sens que lui donnait le Saint-Esprit en l’inspirant à l’écrivain


sacré ».
*
Concevoir l’exercice d’Écriture Sainte comme une réfection de
l’âme par une parole de Dieu. Chercher à pénétrer le sens de la sainte
Écriture. Saint Augustin avait une grande dévotion à Jésus-Christ ca-
ché sous l’écorce de la sainte Écriture. Notre-Seigneur a dit ces paroles
pour nous.

*
Étudier saint Thomas…, le traité de la sainte Trinité. N’est-ce pas
rendre gloire à Dieu que de lui consacrer notre intelligence en cher-
chant humblement à pénétrer le mystère de sa vie intime ? Nous sa-
vons bien qu’il n’y a aucune proportion entre ce que nous comprenons
par nos efforts et la réalité. Le bon Dieu peut donner directement bien
d’autres lumières, s’il le juge bon.

*
Viser toujours à méditer plus qu’à lire ; si dès le début de la lecture,
le bon Dieu occupe l’âme, il faut cesser de lire et obéir à la grâce sans
hésitation et sans aucun regret.
Lire peu, mais lire profond. Ce qui donne de la profondeur à l’es-
prit, c’est l’union à Dieu. On voit les choses des hauteurs de Dieu. On
les juge, on les aime comme lui. Le regard de l’homme devient, dans le
sens où cela est possible, regard de Dieu. Dieu seul connaît à fond ces
choses, et ceux qu’il prend avec lui et auxquels il donne ses yeux les
connaissent aussi en lui et par lui.
Tenir à la formation du jugement en examinant à fond et en faisant
le tour des questions qui touchent « l’unique nécessaire ». Pas d’admi-
ration pour l’intelligence en elle-même. Se méfier des sympathies in-
tellectuelles spontanées. L’intelligence n’augmente pas le mérite. Si
elle est mise au service de la mauvaise volonté, elle fait d’autant plus
de mal. N’estimer que d’après la vertu.

*
Pour lire sans danger et avec profit saint Jean de la Croix (comme
beaucoup d’autres auteurs de premier ordre), il faut une préparation
d’esprit et de cœur. Au directeur de juger si elle est suffisante. Sans
elle, on s’exposerait à ne pas comprendre ou à comprendre mal. La
langue des mystiques est matériellement sensible (et il le faut bien,
puisqu’elle est humaine), formellement spirituelle. Elle demande donc
250 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

au lecteur un perpétuel effort de transposition. C’est alors seulement


qu’elle livre son secret. Il n’y a pas, avec saint Thomas, d’auteur plus
éclairant. Il décrit le travail de l’âme sur elle-même et le travail de Dieu
dans l’âme avec une précision, une sûreté, une profondeur incompa-
rables. On comprend que l’Église ait fait de lui un de ses Docteurs.
Pour goûter de plus en plus saint Jean de la Croix, il faut se morti-
fier intérieurement, se tenir dans la paix, prier avec humilité et surtout
aimer Dieu seul de plus en plus.
C’est pour comprendre la nécessité du renoncement à toute jouis-
sance intellectuelle, étrangère au fond de notre vie surnaturelle, que
saint Jean de la Croix est si précieux.
Lire lentement, relire, comparer ; il faut beaucoup de temps pour
faire le tour d’une idée et la pénétrer, surtout dans l’ordre des choses
spirituelles.
*
Il y a un sens caché dans l’Évangile, les âmes intérieures le décou-
vrent et s’en nourrissent. C’est la manne cachée ; comme elle, il a tous
les goûts.
*
À l’oraison, prendre un livre déjà lu pour que le travail de déblaie-
ment intellectuel soit fait. Revenir toujours aux mêmes livres. User se-
lon le besoin, de livres modernes mieux adaptés : bien des auteurs an-
ciens exigent une culture philosophique préalable, qui manque à la
plupart des âmes.
*
On peut d’une certaine façon faire son Chemin de Croix en dedans.
Une station peut occuper ainsi de longs moments. C’est même la porte
de la contemplation pour certaines âmes.
Faire le Chemin de la Croix avec une seule pensée : par exemple,
communier pendant quelques instants, à chaque station, à toutes les
dispositions du Cœur de Jésus. Une autre fois à sa charité, à son humi-
lité, où, pour varier, sentiments d’adoration du Cœur de Jésus, la pro-
chaine fois reconnaissance, etc… Renouveler doucement, quand cela
est nécessaire. Laisser l’âme se nourrir, ou mieux, laisser Dieu la nour-
rir alors.
À chaque station du Chemin de la Croix, prier Notre-Seigneur de
nous mettre dans l’âme la pensée qu’il veut nous voir méditer. Rester
quelques instants en paix. Si rien ne se présente, se servir de formules
connues.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 251

S’humilier au commencement de l’oraison ; prier Jésus de nous


appliquer les mérites de sa sainte Passion, en particulier de son agonie
au Jardin des Oliviers ; puis se tenir en paix quelques instants et
suivre alors les mouvements de la grâce. On peut aussi se tenir en es-
prit aux pieds du Sauveur comme Marie-Madeleine au jour du repas
chez Simon et attendre en paix la parole et le regard du divin Maître.
Jamais de découragement : il faut savoir ramer seul (en apparence)
dans la nuit, contre la marée et même au milieu de la tempête. Jésus
est toujours là. S’offrir à lui tel que l’on est.
Ne jamais diminuer le temps des entretiens avec le bon Dieu sous
prétexte que l’on ne fait rien, mais plutôt agere contra. Comment ?
Plus on se sent porté à fuir Notre-Seigneur, plus il faut réagir. « À quel
autre irais-je ? 1 » Il veut voir si nous l’aimons d’un amour désintéres-
sé pour lui-même ou encore beaucoup trop pour nous.
Revenir sans cesse à l’oraison de simple présence ; commencer par
demander à la sainte Vierge de nous unir à son Fils afin qu’il nous
prenne et nous amène à la Divinité. On sait qu’on ne verra pas, mais
on regarde comme un enfant aveugle qui détournerait sa pensée de
tout autre objet pour se tourner seulement vers sa mère. Deux atti-
tudes seules possibles : celle-là ou dans les bras de Dieu quand il nous
prend : 1º Je veux vous fixer toujours. 2º Fascinez-moi.

*
Il faut toujours agir quand on n’est pas agi. Ne jamais chercher à
suspendre de soi-même l’entendement, chose impossible ou nuisible,
mais simplifier son travail : quelques vues peuvent suffire ; il faut utili-
ser ses propres difficultés. Nous n’avons pas sur l’imagination un pou-
voir absolu ; la calmer, la nourrir de la vie et de la Passion de Noire-
Seigneur ; ne pas prendre de décision quand elle veut dominer malgré
la foi et la raison. Quand c’est la sensibilité qui est en jeu, fixer le re-
gard sur Dieu seul : « Vous êtes là, ô mon Dieu, je le sais… je vous re-
garde sans vous voir ; je vous aime, je vous loue ; je vous prends res-
pectueusement et affectueusement comme la nourriture de mon âme.
Autant qu’il est en moi, je m’unis à vous, je me presse spirituellement
contre vous. Quand serai-je en vous ? »
Garder cette attitude, héroïquement, si c’est nécessaire. La re-
prendre sans cesse pendant toute l’oraison. Louer, bénir, adorer, ai-
mer simplement ainsi, Dieu sera content ; il saura bien le témoigner.

1 Joan., VI, 69.


252 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Ne pas chercher les consolations. Le bon Dieu nous donnera celles


dont nous aurons besoin pour nous soutenir. Même alors, il ne faudra
pas s’y attacher, mais aimer et servir Notre-Seigneur pour lui-même.
C’est son « droit ». Rien ne lui fait plaisir comme la reconnaissance
pratique et franche de ce droit. Dieu peut nous délaisser (il ne le fera
pas), mais nous, nous ne le pouvons pas. Il ne nous doit rien, et lors-
qu’il couronne nos mérites, ce sont ses dons qu’il couronne. Nous lui
devons tout et surtout lui-même. Le désirer humblement, l’attendre
constamment, l’aimer totalement et uniquement, voilà notre part. À
lui tout le reste. Ne craignons rien, il est la Bonté, la Miséricorde et
l’Amour.
Dans la prière, avoir cette fidélité d’être là pour le bon Dieu tout
seul. Après avoir recommandé les âmes pour lesquelles nous devons
prier, celles que nous aimons, celles qui nous aiment, être uniquement
à lui. Convenir une fois pour toutes qu’il paiera nos dettes.
Rechercher Dieu même uniquement ; se tenir très tranquille à ses
pieds à l’intérieur de l’âme. Le regarder, l’aimer, comme un enfant son
père, occupé à de sérieux travaux et en apparence oublieux de son en-
fant. Se pacifier, oublier ses distractions, s’oublier soi-même. Regar-
der, aimer, recevoir simplement ce qu’il donne.

*
Être très fidèle quand Jésus se cache, ce sont les heures les plus
précieuses.
Quand on éprouve comme une sorte d’impuissance à trouver une
idée, rester ainsi sous le regard de Dieu, à ses pieds et lui dire douce-
ment : « J’attends ; je vous attends… je reste là quand même, au moins
pour vous consacrer mon temps ». Redire simplement, doucement,
assez souvent ces simples mots : « Pour vous, pour vous. Je me con-
sume là, pour vous, pour vous ». Ces humiliations de l’oraison sont
très précieuses ; elles font comprendre le prix de la grâce, le néant de
notre être et de notre action. Rien n’est meilleur.
Croire fermement à l’action de Jésus dans l’âme, action souvent ca-
chée à l’âme elle-même ; qu’importe pourvu que l’œuvre de Dieu se
fasse.
Quand on est las, ne pas craindre de se reposer près du bon Dieu,
avec respect et beaucoup de simplicité. On n’a pas le droit de faire tra-
vailler la tête quand elle n’est pas en état. Le bon Dieu veut alors le re-
pos, mais près de lui, sinon en lui. Il peut tant donner à ces moments
où nous donnons si peu… Qui sait si ce ne sont pas ses moments à lui ?
Comme recherche du sensible proprement dit, tout désapprouver.
Mais distinguer sensible et conscient. Le spirituel peut être conscient
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 253

presque sans être sensible. Il peut même échapper presque complète-


ment aux facultés de connaissance laissées à elles-mêmes.
Oraison de présence de Dieu au dedans. Dieu est si seul dans les
âmes ! Comme il y en a peu qui consentent à ne pas s’ennuyer à lui te-
nir compagnie.
*
« Cor mundum crea in me, Deus » 1. La parfaite pureté de cœur
ouvre les yeux et fait voir le bon Dieu partout. Donnez-moi, ô mon
Dieu, votre véritable amour. Je saurai alors ce que c’est que ces yeux
illuminés du cœur 2 dont parle votre Apôtre. Je vous verrai toujours, je
vous goûterai en tout, même dans l’amertume ; vous vous éveillerez
mystérieusement en moi, ou mieux vous m’éveillerez à vous, à votre
présence, à votre action, à votre vie en moi. Vous me permettrez de
vous saisir sans vous voir, mais réellement comme tout occupé à me
donner votre vie de contemplation et d’amour de vous-même pour me
donner votre bonheur. Vous pourrez m’unir à vous pleinement, me
posséder, me faire comprendre que vous me possédez et que moi aus-
si, je vous possède. « Beati mundo corde » 3…

*
Dieu seul fait l’union immédiate ; il suffit alors de suivre son mou-
vement, mais sans tenter cette union impossible si Dieu n’y porte. On
peut la demander doucement, tout bas au bon Dieu, s’y préparer
même, en excluant de l’âme tout ce qui n’est pas Dieu et en s’appli-
quant à lui d’une façon très réelle, bien que cette application ne soit
pas proprement l’union. Puis, attendre ce que Dieu voudra bien don-
ner. Même infructueuse en ce dernier sens, cette attitude est la meil-
leure qui soit.
Quand ce que l’on éprouve se passe dans les facultés supérieures de
l’âme et au plus intime de l’âme, c’est bien alors Dieu qui agit. Tout le
devoir est d’accepter, de s’unir et d’aimer, car c’est aimer cela, vrai-
ment.
Viser toujours à l’union intime avec le bon Dieu, il est notre Tout…
La demander humblement. S’y préparer dans la patience et la con-
fiance. L’essentiel ici, c’est d’être en chemin toujours, en tant que cela
dépend de soi et cela en dépend. Le reste, il faut le laisser à la sagesse
et à la bonté de Celui qui est si sage et si bon. Le Seigneur nous aime.
Travailler toujours, mais paisiblement à se recueillir pour mieux s’ap-

1 Ps. L, 12.
2 Ephes., I, 18.
3 Matth., V, 8.
254 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

pliquer au bon Dieu, dans la mesure où cette application est possible.


Ce doit être une résolution constamment renouvelée : Dieu est là, au
dedans ; c’est là qu’il faut le chercher toujours, mais dans la patience
et dans la paix. La fièvre ne donne pas le bon Dieu. Il se donne aux
âmes qui l’aiment profondément, à en mourir même, mais pourtant
sans agitation.
Ne pas attendre une vue intérieure de Dieu, mais faire comme si je
le voyais intérieurement et spirituellement sans image sensible nette.
Lui répéter que je lui consacre mes facultés et que je les oriente vers
lui (grâce à demander d’ailleurs).

*
L’action de Dieu dans la contemplation, se produisant dans le fond
même de l’âme, bien que toujours par l’intermédiaire des puissances,
dans cette partie supérieure où les images et les idées (que nous déga-
geons des images par l’abstraction) n’ont plus cours, il n’est pas éton-
nant que l’âme, considérée en tant qu’elle agit à sa manière ordinaire,
« ignore » ce qui se passe en elle, que tout se produise en ce sens « à
son insu », surtout au début. Et pourtant, elle connaît et elle aime,
mais d’une façon qui ne s’analyse pas. La connaissance est ordinaire-
ment confuse, générale. Elle peut aussi, dans certains cas, être précise,
mais pour plusieurs auteurs cette connaissance par mode angélique
n’est pas requise pour la contemplation.
Tenir son âme aux écoutes, au dedans, sur les confins du royaume
de Dieu. Revenir là sans cesse, comme les vierges sages. Il n’y a pas, je
crois, d’attitude spirituelle plus favorable à la fois à la contemplation,
quand Dieu voudra bien la donner, et à l’action vraie, quand le bon
Maître invite à s’y appliquer.
Ne pas oublier que plus l’âme se simplifie, pour se concentrer dans
un regard affectueux et relativement continu sur l’Hôte intérieur, plus
aussi elle s’oublie elle-même, et plus son activité très réelle lui
échappe. Par rapport à ce qu’elle faisait autrefois, à ce qu’elle sentait, il
lui semble qu’elle ne fait rien et ne sent plus rien. Ce n’est pas exact, au
moins pour le premier point.

*
Se remettre entre les mains de la sainte Vierge, dans ses bras, pour
qu’elle nous unisse à son Jésus. Elle connaît les degrés les plus élevés
de l’union divine pour les avoir expérimentés. Elle désire ardemment y
faire participer les âmes parce qu’il y va de la gloire de son Jésus. Elle
connaît son divin Fils, elle nous connaît aussi, mieux que personne
après lui. Elle sait donc les conditions qui nous seront imposées.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 255

Notre-Seigneur nous veut détachés de tout, humbles, d’une simple et


profonde humilité, mais surtout il demande l’amour. Plus nous serons
détachés et humbles, plus l’amour croîtra, et alors l’union se réalisera.
C’est la sainte Vierge qui nous l’obtiendra.
Dire à la sainte Vierge : « Je ne sais pas m’arranger pour trouver
votre Jésus, faites-le pour moi ».
Bonne sainte Vierge, donnez-moi votre Petit Jésus dans mes bras,
et votre cœur pour l’aimer.
Vivre avec la sainte Vierge et le bon saint Joseph, Jésus sera bien
forcé de venir. Il ne pourra faire autrement.
Attention de la sainte Vierge à conserver et à accroître la grâce de
l’immaculée Conception en se sanctifiant toujours davantage. Deman-
dons-lui de participer à sa pureté. La pureté consiste à se déprendre,
de plus en plus, de ce qui est inférieur, pour s’attarder à ce qui est su-
périeur, ici à Dieu.
C’est pour être restée fidèle, même en face de l’offre de la maternité
divine et de tout ce qu’elle demande, que Marie a été Mère de Jésus.
Ce qui semblait un obstacle, était la condition rigoureuse de
l’exécution du plan divin. Pour être Mère de Jésus, il faut être fidèle
comme Marie. Plus le cristal est pur, mieux le rayon l’éclaire et le rend
lumineux ; plus la condition est remplie, plus l’âme est vierge, plus elle
est épouse, plus elle est mère et plus sa fécondité est grande.

*
Après le Cœur de Dieu et le Cœur de Jésus Eucharistie, la troisième
source de la charité, c’est le Cœur de Marie : enfant privilégiée de ce
Père qui est tout charité, Mère de ce Jésus qui est venu apporter le feu
sur la terre, Épouse de l’Esprit d’amour. Il s’est développé, enrichi ; au
Temple : amour silencieux ; à Nazareth : amour laborieux ; au Cal-
vaire : amour douloureux ; près de saint Jean : amour délicieux, qui
faisait vivre Marie et qui l’a fait mourir. Quel trésor ! Et ce trésor est à
nous, il est pour nous. Elle veut nous y faire puiser à pleines mains
pour glorifier la Trinité sainte, son Jésus, et nous rendre heureux en
nous rendant de plus en plus ses enfants semblables à elle.
Nous tenir unis à Marie et considérer son amour comme l’incom-
parable supplément du nôtre.
Mater pulchrae dilectionis, ora pro nobis.

*
Ce qui me plaît le plus en Marie-Madeleine, c’est sa fidélité. Je suis
saisi de la miséricorde de Notre-Seigneur pour elle chez Simon ; le bon
256 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Dieu a complètement transformé son cœur, mais comme elle a su s’en


servir, et le montrer à la Passion, au tombeau !… Il y a chez elle quel-
que chose de crâne, de fier et de brave. Elle ne quitte pas Jésus ; elle
semble dire : « Vous l’insultez, vous le torturez, mais je resterai là, je
serai là avec lui. Jésus est toujours Jésus. Je ne le lâche pas ». Et après
la Résurrection : « Je l’emporterai » 1. Je ne puis dire combien je lui
suis reconnaissant de ce qu’elle a fait pour Notre-Seigneur. Elle a tenu
notre place ; nous ne pouvions pas y être ; mais comme elle l’a tenue
spontanément, admirablement, quelle ardeur ! Elle aurait fait comme
elle, disait. C’est vraiment beau ; voilà ce qui s’appelle aimer. Aussi
comme Notre-Seigneur la récompense : Il lui apparaît à elle seule,
l’appelle de son nom… d’un mot profond…

*
Quand nous aimerons davantage, nous songerons moins à nous.
Nous comprendrons que c’est par le chemin du Calvaire qu’il faut pas-
ser pour aller à la joie très légitime de la possession de Dieu (disciples
d’Emmaüs). Se proposer la Croix comme moyen, la gloire de Dieu
comme but premier, notre bonheur comme fin secondaire. On est ain-
si dans l’ordre. On ne recule pas devant la souffrance. Quand Dieu
donne une goutte de joie, on est tout surpris et tout reconnaissant.
Renoncer une bonne fois à tout ce qui ne nous conduit pas au bon
Dieu. À quoi auraient servi aux enfants caressés par Notre-Seigneur
ces marques extérieures de tendresse, s’il ne leur avait donné sa grâce
au-dedans ? Les créatures, comme telles, ne peuvent pas nous donner
ce dont nous avons uniquement besoin, l’amour du bon Dieu. Comme
il est bon de comprendre la vérité de cette maxime : « Dieu seul ». Dire
qu’il peut être tout à nous, toujours et de plus en plus !

*
Pardonnez-nous, mon Dieu, de vous préférer tant de fois des riens,
moins que des riens, et de vous laisser là, de côté, vous, notre trésor,
notre Tout. Comme il faut que vous soyez bon, patient, miséricor-
dieux ! Vous nous regardez et vous dites : « Ils ne savent ce qu’ils
font » 2. « Si scires donum Dei » 3. Mon Dieu, je vous aime.
Ce qui nous manque toujours et qui explique pourquoi nous
sommes si peu généreux dans la mortification, et si facilement dis-
traits de notre Dieu pour des riens, c’est l’amour. Nous n’aimons pas.
Que faire ?

1 Joan., XX, 15.


2 Luc, XXII, 34.
3 Joan., IV, 16.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 257

a) Prier beaucoup du fond du cœur. « Demandez et vous rece-


vrez » 1. La parole de Jésus est vraie, mille fois vraie. Que veut-il don-
ner ? La charité. « Ignem veni mittere in terram, et quid volo, nisi ut
accendatur » 2. N’ayons pas peur de l’importuner, il aime ces impor-
tunités-là.
b) S’exercer à la charité en faisant de fréquents actes de cette vertu,
oraisons jaculatoires, désirs du cœur, sans parler, mais simples, con-
fiants, prolongés. Aimer à rester près de Jésus comme une plante aux
rayons du soleil, longtemps, longtemps, toujours.
c) Si nous manquons d’entrain, offrons-lui notre désir de l’aimer.
Demandons-lui la grâce de ne pas le quitter un instant du regard et de
revenir vers lui dès qu’il nous est possible de le faire. Il nous est tou-
jours possible d’avoir au moins le désir de faire ce retour. Notre prière
sera exaucée, nos efforts seront bénis, l’amour grandira dans notre
âme, et c’est lui qui nous détachera de tout, c’est lui qui nous recueille-
ra à fond, à son heure. De notre côté, facilitons sa tâche sur ces deux
points autant qu’il est en nous.

*
Offrir tout l’amour des âmes qui aiment le plus ou qui ont ici-bas le
plus aimé Notre-Seigneur avant de lui être unies pour toujours dans le
ciel. Convenir que nous renouvelons cette offrande à chaque batte-
ment de cœur.
Toute notre vie devrait être un merci souriant au bon Dieu. Si nous
savions notre bonheur d’être à lui, de pouvoir l’aimer à plein cœur…
Quand on ouvre toutes les portes, il entre.
Si l’on pouvait aimer Notre-Seigneur autant qu’il est aimable, ou du
moins d’un amour qui s’approchât de sa grandeur ! Pourquoi pas ?
Oui, tout donner à Jésus dans la simplicité de son cœur, c’est bien cela
puisque c’est la charité. Donner son esprit pour contempler et admi-
rer, sa volonté pour obéir, son cœur pour aimer, son corps pour tra-
vailler, pour servir, pour souffrir, Donner tout, et l’âme et les facultés
et les actes : la terre, l’arbre et les fruits. Donner tous les jours, donner
toujours, donner toujours mieux, avec plus de plénitude, plus de
promptitude, plus d’élan, plus d’amour ; donner sans rien attendre en
retour de déterminé, de choisi pour soi, mais donner pour la seule joie
de lui donner, de lui faire plaisir, avec la seule espérance et le seul dé-
sir de pouvoir lui donner plus encore. Voilà qui est bien ; à qui se
donne ainsi, Dieu se donnera tôt ou tard en plénitude et sans retour.

1 Matth., VII, 7.
2 Je suis venu apporter le feu sur la terre et que désiré-je sinon qu’il s’allume (Luc, XIV, 49).
258 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

On pourra dire alors, comprenant et goûtant ce que l’on dit : « Deus


cordis mei et pars mea, Deus in aeternum » 1. Seigneur, donnez-nous
un cœur simple, généreux, affectueux, un cœur d’enfant, puisque c’est
la condition pour entrer dans le royaume des cieux, même dès ce
monde : « Nisi efficiamini sicut parvuli » 2…

*
Penser que l’amour de Dieu que nous avons reçu au baptême est
surnaturel, c’est-à-dire au-dessus de toutes les exigences de la nature
créée et même de toute nature créable. Donc, ne pas s’étonner si par-
fois nous ne le sentons pas en nous ; il est très supérieur à notre sensi-
bilité. Offrir à Jésus l’amour des âmes qui lui sont chères. Lui dire : Je
ne puis vous aimer comme je le voudrais : daignez m’attirer. Tant que
nous ne sommes pas complètement à Dieu, nous l’oublions si vite !
C’est pourquoi la tentation vient nous rappeler combien nous avons
besoin de lui. En soi, cela ne devrait pas être. Ayons recours à lui pour
qu’il nous aide, mais disons-lui : Je voudrais ne venir à vous que pour
vous. Quand n’irai-je à vous que pour vous ?

*
En cherchant à acquérir la charité, nous faisons tout ce que le bon
Dieu veut de nous. À lui de faire ce qu’il jugera bon pour sa gloire. Que
tous les efforts tendent donc à développer en l’âme le saint amour de
Jésus. Ne pas oublier que : « Probatio amoris est exhibitio operis » 3.
Considérer toute observance religieuse, tout acte d’obéissance comme
un moyen de frayer la voie à la charité en détruisant l’égoïsme.
Dieu est toujours là ; il est notre Bien. Il nous aime. Nous pouvons
communier à lui quand nous voulons. Il est tout, absolument tout
pour nous. Ne rien chercher en dehors de lui : « Fecisti nos ad te ».
Quand nous aimerons-vous de bon cœur, à plein cœur et vous seul ?
Vivre seul avec Dieu seul, tout est là. Dieu est en nous ; il y est pour
nous ; il vent être à nous pour que nous soyons à lui. Désirons paisi-
blement, mais ardemment cette rencontre et cette transformation. Ne
nous lassons jamais, jamais. Toutes nos difficultés viennent de ce que
nous n’aimons pas assez le bon Dieu.
Aimons vraiment, simplement, de plus en plus le bon Dieu. Lais-
sons-nous transformer par Notre-Seigneur. Il le fera. Prions dans ce
sens, beaucoup, mais paisiblement. Que notre effort constant soit de
nous tenir tournés intérieurement vers lui. Unissons-nous humble-

1 Dieu de mon cœur et mon partage pour l’éternité (Ps. LXXII, 26).
2 Si vous ne devenez comme de petits enfants (Matth., XVIII, 3).
3 L’amour se prouve par les œuvres (S. Grégoire).
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 259

ment ou mieux offrons-nous pour être unis s’il lui plaît de le faire.
Demandons la docilité intérieure, prompte et joyeuse à l’Esprit-Saint,
nous l’obtiendrons.
Il fera alors ce qui lui plaira. Ne pas s’inquiéter du tout de l’avenir,
faire réellement confiance au bon Dieu qui voit les vraies dispositions.
Ne parler, n’agir jamais sans Dieu en dedans. Demander sans cesse
l’amour de Dieu. Quand notre volonté aura compris que Dieu seul est
son bien, quand elle ne s’aimera plus elle-même, mais qu’elle épuisera
toute sa puissance d’aimer en aimant Dieu, les biens particuliers ne
l’attireront plus et elle saura trouver son bien à elle partout.

*
Aller toujours à la très sainte Trinité par Jésus, et à Jésus par Ma-
rie. C’est elle qui nous unit à son Fils. Lui, à son tour, nous assimile en
quelque sorte, et c’est alors que nous pouvons regarder le bon Dieu et
l’aimer. Il n’y a que le regard de Jésus et son amour qui puissent plaire
à Dieu.
*
Me recueillir le plus possible : le bon Dieu me donnera peut-être un
tel désir de lui que j’aurai le courage de me détacher intérieurement de
tout afin d’être plus tôt et plus complètement à lui.
Il faut toujours aviver son désir d’aimer le bon Dieu. Ce désir n’est
pas tout, mais il est le commencement de tout. Puis, n’est-ce pas un
acte d’amour très réel ? À mesure que l’on se rapproche du bon Dieu,
est-ce que ce désir ne devient pas à la fois plus satisfait et plus ardent ?
Est-ce que la perfection ne serait pas que notre âme ne soit plus qu’un
désir vivant, ardent et calme de notre Bien-Aimé ? Sans doute, au fond
de ce désir, il y a une douleur, puisque son existence même prouve que
nous ne possédons pas encore pleinement notre trésor, mais que cette
douleur est bonne et comme on voudrait toujours l’éprouver et la sen-
tir plus vive : « Fame pereo ; surgam et ibo ad Patrem » 1. Cela n’est-il
pas vrai de toute âme qui a été blessée par le saint amour ? Nous ne
saurions trop nous oublier pour ne penser qu’à Jésus. Comme il
s’occupera de nous, lui, et comme il le fera bien et à propos !

*
Amour simple, confiant, généreux et souriant du bon Dieu. Ce n’est
pas affaire d’imagination, de sensibilité, c’est affaire de bonne volonté
et de grâce.

1 Je meurs de faim… Je me lèverai et j’irai à mon Père (Luc, XV, 18).


260 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

C’est Dieu qui donne son amour. C’est lui qui le fait croître en nous.
À lui seul appartient de modifier le fond même de notre volonté et de
la rendre semblable à la sienne par une participation à l’Esprit-Saint.
« Demandez et vous recevrez » 1. « L’amour contient toutes les voca-
tions » 2. Quand nous le posséderons, tout changera d’aspect pour
nous. Ne pas séparer la souffrance de la charité.

*
« Nul, s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit-Saint ne peut entrer dans
le royaume de Dieu » 3. Littéralement, ce texte s’applique au baptême
et à la vie de la grâce, la charité. Il peut s’adapter à la vie intérieure qui
est une vraie vie, vie nouvelle comme la grâce. Il faut renaître dans les
larmes, larmes de la pénitence, des tribulations, des épreuves de
toutes sortes. C’est, inévitable, absolument nécessaire.
Ne pas chercher un amour senti ; se contenter d’un amour contrôlé.
Le contrôle, c’est l’acceptation de tout pour Dieu, pour lui plaire et à
lui seul. « Probaiio amoris est exhibitio operis » 4. « Non diligamus
verbo et lingua, sed opere et veritate » 5. Quand on constate, sinon
des résultats, du moins un effort réel dans ce sens, il faut se tenir en
paix.
L’âme peut être tout à Dieu et la sensibilité ne pas le savoir.

*
Comment ne pas se plaindre, quand on aime le bon Dieu, qu’on le
désire et qu’on ne le possède pas ! Pourvu qu’elle soit douce, abandon-
née, respectueuse, cette plainte du cœur est la meilleure preuve de son
amour. Elle est très agréable au bon Dieu.
Quand on aime, on croit tout ce qu’il dit, à fond ; on espère tout ce
qu’il promet, c’est-à-dire lui-même et la force intime nécessaire pour
monter vers lui en se détachant de tout et de soi. On souffre et on est
heureux. On souffre, parce qu’on ne l’aime pas de tout son être, parce
qu’on ne le possède pas ; mais on est heureux, oui, heureux à pleurer,
parce que cette souffrance vient de lui et mène à lui. On sait bien qu’il
n’y a que lui qui puisse guérir la blessure qu’il a faite et qui fait si déli-
cieusement souffrir. On lui dit « merci » mille fois le jour.
Quand on aime le bon Dieu, on sent grandir son cœur ; on se
trouve une profondeur, une délicatesse et une pureté d’affection qu’on

1 Matth., VII, 7.
2 Ste. Thérèse de l’Enfant Jésus.
3 Joan., III, 5.
4 L’amour se prouve par les œuvres (S. Grégoire).
5 N’aimons pas de parole el de langue, mais en action et en vérité (I Joan., III, 18).
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 261

ne se connaissait pas. C’est lui qui fait passer son amour pour les
autres dans notre cœur à nous. Comme c’est bon d’aimer les autres
avec un amour qui est de lui et non de soi ! On le sait, on le voit, on le
sent, et on bénit celui qui peut faire aimer ainsi le cœur de sa pauvre
créature.
Avoir horreur de l’amour mercenaire ; laisser les mains libres à la
générosité de l’Époux. Demander sans cesse la faim et la soif de Dieu
seul. Renoncer à toute joie qui n’est pas lui, et lui répéter souvent avec
une humble présomption : « Je ne veux que vous, Seigneur, mais je
vous veux tout entier et toujours ». Tous les sacrifices ne sont rien
quand on les compare à un seul instant de véritable amour. Je vou-
drais alors jeter les âmes dans le bon Dieu comme dans un océan de
bonheur. Dieu est bon au-delà de tout. L’appeler « Père ».

*
Vie toute nouvelle, vie toute d’amour de Dieu. Il s’agit de la charité,
qui est infusée par Dieu lui-même dans la volonté, et qui passe à l’acte
sous l’influence de grâces actuelles qu’il faut toujours demander. « La
charité a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a
été donné » 1. Elle nous fait communier d’une façon créée à l’amour
que le bon Dieu se porte à lui-même. Dieu seul est beau. L’amour, c’est
le mouvement du cœur spirituel vers cette infinie Beauté. Plus ce
mouvement est profond, puissant, constant, plus l’âme se rapproche
de son Tout, plus elle s’unit à lui et plus elle trouve dans cette union le
« centuple de ce qu’elle a quitté ». Aimer, demander la charité, l’es-
pérer, la pratiquer.
Présenter souvent son âme au bon Dieu. Le prier doucement de la
pénétrer jusqu’au fond de son amour. Peu à peu l’œuvre divine se fe-
ra ; le saint amour purifiera, rectifiera, fortifiera tout. Il deviendra lu-
mière et force, paix et joie. Chercher Dieu dans le calme. Il est au fond
de notre cœur ; se cacher là, le plus souvent, le plus profondément pos-
sible. Sans bruit de parole, sans éveiller même la zone sensible de l’âme,
il instruit, il transforme. Lui offrir une âme humble, docile, généreuse,
attentive. Il comblera mes désirs. Je puis communier tout le jour…

*
Il faut aimer pour comprendre les Stigmates, pour les goûter sur-
tout.

1 Rom., V, 5.
262 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Une seule chose suffit pour tout : aimer Dieu de tout son cœur ; se
renoncer à chaque instant en faisant sa sainte volonté ; être occupé de
lui ou pour lui ; rejeter toute joie qui n’est pas Dieu ; se tenir en adora-
tion au dedans devant lui ; au dehors être occupé pour lui seul en se te-
nant uni à lui par le fond de l’âme. La vie intérieure est simple, très
simple.
*
Signes de charité : Se plaire avec Dieu, au fond, ne se plaire que là.
Y revenir dès qu’on le peut et autant que possible y rester toujours,
même est agissant. Chercher à connaître la volonté de Di au, la faire
dès qu’on la connaît et de bon cœur.
Dire mille fois par jour à Jésus qu’on l’aime. Lui prouver son amour
en ne cherchant qu’à lui faire plaisir. L’amour effectif est le seul qui
soit toujours conscient ; l’amour affectif peut ne pas l’être, mais Dieu
le veut aussi. Le cultiver surtout dans l’oraison. On ne peut jamais dire
au bon Dieu qu’on l’aime de tout son cœur tant qu’on ne se possède
pas entièrement, tant qu’on constate encore des attaches, des défail-
lances de volonté, mais lui montrer au moins son désir profond, in-
tense de l’aimer, incomparablement plus que tout autre bien, et de
n’aimer rien qu’en lui et pour lui.

*
Puisqu’il n’y a qu’un moyen de mourir d’amour de Dieu, c’est d’en
vivre. Prier Jésus notre divin Sauveur de répandre dès maintenant ce
saint amour dans nos âmes. Qu’il détruise, qu’il brûle, ce feu divin,
tout ce qui pourrait lui être contraire ; qu’il consume tout, qu’il nous
consume nous-même. Y a-t-il une plus grande grâce que de se brûler
ainsi, par moments à grandes flammes, le plus souvent à petit feu, à la
gloire de Celui qui est la Bonté et l’Amour ? Non, il n’y en a pas. Qu’il
daigne nous l’accorder. Amen.
Peu penser à ce que l’on souffre, mais penser au Dieu caché que
l’on aime.
Ne restons pas chez nous, allons chez notre Père ; là seulement
nous serons bien et même de mieux en mieux. Cachons-nous en lui, il
se cachera en nous ; mais il ne se cachera plus de nous, au contraire :
« Manifestabo ei meipsum » 1.
*
La pensée du ciel m’occupe beaucoup ces jours-ci. Je voudrais le
mieux connaître et y vivre déjà comme par avance. N’est-ce pas ce que

1 Joan., XIV, 21.


CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 263

le bon Dieu attend de nous ? Je lui demande de m’éclairer sur cette vie
éternelle qui consiste à le voir, à le posséder, à l’aimer, lui, dans l’unité
de sa nature et la Trinité de ses adorables Personnes, et son Fils bien-
aimé Jésus. Je lis ce que je puis trouver sur ce beau sujet, mais je ne
cache pas que cela ne me suffît pas. Heureux ceux qui lisent ces choses
dans ce livre vivant qui est le bon Dieu lui-même. Il doit cependant
trouver bon que l’on cherche à connaître ce beau ciel, à travers ce que
Jésus et les Saints ont bien voulu nous en dire. — Oui, mon Dieu,
comment vous aimer si peu que ce soit, sans désirer vous voir, vous
posséder, vous louer, vous aimer à jamais ! — Daigne Jésus nous don-
ner mille fois plus vif encore cet amour et ce désir. Amen.
Chemin de Croix

I
Jésus est condamné à mort

Ici, vivre pour l’Homme-Dieu, c’est mourir. Je dois endurer une


vraie mort, mais c’est une mort qui mène à la vraie vie. On ne meurt
pas sans souffrir, il est bon d’aller à la Croix du Sauveur par celle qu’il
nous dorme à porter.

II
Jésus est chargé de sa Croix

Il importe que je souffre d’une souffrance que je n’ai pas choisie. Je


ne m’habituerai pas à cette souffrance-là. Ce qu’il y a de manque de
conformité à la volonté du bon Dieu devra disparaître. Il est obligé de
me l’imposer, mais si c’est une dure nécessité, elle doit être passagère.

III
Jésus tombe pour la première fois

Oh ! que la rencontre serait facile, si elle se faisait en descendant !…


Se faire des convictions fortes sur l’orgueil ; l’orgueil provient d’un dé-
faut de jugement ; l’orgueil aveugle… je ne suis pas tel que je me crois.
Par mon orgueil, je déplais souverainement à Notre-Seigneur et lui
mets obstacle.

IV
Jésus rencontre sa Très Sainte Mère

Penser aux douleurs inénarrables de Notre-Seigneur et de la Très


Sainte Vierge pour expier le moindre péché. Toute âme intérieure
porte la Croix et monte au Calvaire ; elle a besoin pour faire l’un et
l’autre de s’appuyer sur l’affection maternelle de la Très Sainte Vierge.
Prier la sainte Vierge de nous apprendre combien son Jésus est ai-
mable ; et pourtant, comme il l’a fait souffrir cet Enfant !
266 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

V
Simon le Cyrénéen aide Jésus à porter sa Croix

Il est impossible que je porte la Croix tout seul, mais il la portera pour
moi. S’il vient un sacrifice, penser que j’ai demandé la souffrance. Je
peux faire cette demande sans présomption en ne comptant que sur lui.

VI
Une femme pieuse essuie la face de Jésus

Pour réparer, il semble que le mieux soit d’aimer ; de faire qu’il n’y
ait pas une fibre de notre cœur qui ne soit à Jésus. S’en assurer en
harmonisant sa volonté à celle du divin Maître jusque dans les plus pe-
tits détails.

VII
Jésus tombe pour la deuxième fois

Une, âme orgueilleuse est laide à repousser aux yeux de Dieu. Jésus
a été humilié au-delà de toute mesure. Jésus est doux et humble de
cœur : c’est lui la source de toute humilité. Il faut boire à longs traits, à
deux genoux à cette source bénie. Sans humilité, il n’y a pas d’amour
possible.
Persévérance, persévérance… Ce mot, il faudrait le dire mille fois.
Ne se lasser jamais de Dieu et de son intimité avec toutes ses néces-
saires exigences.

VIII
Jésus console les filles de Jérusalem qui le suivent

Jésus console. Quand on souffre, dans les moments de décourage-


ment, montrer son âme à Notre-Seigneur, simplement, paisiblement,
humblement… Confiance absolue. Il faut souffrir bonnement, simple-
ment, sans regarder en arrière. Ne pas en parler aux autres, sauf à qui
de droit…, pas au bon Dieu. Mais lui demander sa grâce quand la pi-
qûre d’épingle semble trop forte. S’oublier de plus en plus. Aller à Jé-
sus sans passer par soi-même. Penser à Jésus en s’oubliant pour lui.
Désir de communier aux dispositions de Jésus, de Marie, des
saintes femmes.
CHEMIN DE CROIX 267

IX
Jésus tombe pour la troisième fois

Jésus a porté le poids des péchés du monde, ne devons-nous pas


supporter les effets du péché, les conséquences de nos péchés ? De-
mander sincèrement l’amour de l’humiliation pour Jésus. Il faut être
sévère pour soi, oui ; pais doux et patient aussi. Si l’on était bien
humble, on ne s’étonnerait pas tant de sa faiblesse. Nous nous en vou-
lons trop de ne pas être parfaits. Aimons notre impuissance. Rien ne
fait mieux comprendre le prix de la grâce, le néant de notre être et de
notre action.

X
Jésus est dépouillé de ses vêtements

Renoncer à ses goûts personnels, à ses idées. Prier Jésus de nous


donner à la place ses goûts et ses idées. C’est quand nous serons déta-
chés que Jésus nous parlera. Plus la volonté est vide, plus elle est ca-
pable d’être attirée par son divin objet. Se détacher, s’unir ou être uni ;
se transformer, ou, mieux, être transformé, tout est là. Nous ne sau-
rions faire trop de sacrifices intérieurs pour rendre notre âme digne
d’être une véritable épouse de Jésus-Christ.

XI
Jésus est attaché à la Croix

Obéir. Ramener tout là pour le moment. Plus l’obéissance nous


immole, plus elle est précieuse pour nous ; plus nous devons l’estimer.
Nous donnons à Dieu notre volonté ; c’est cette faculté qu’il veut ;
quand il la possède, tout suit. Le sacrifice de la liberté n’est pas incom-
patible avec la vie intérieure intense. Il en est toujours et partout la
condition nécessaire. « Abneget »… Ma volonté tient à trop de choses,
et elle y tient trop.

XII
Jésus meurt sur la Croix

Jésus est toujours crucifie : vie de croix, pour ceux que Jésus ap-
pelle, mais aussi de joies profondes… La volonté de Dieu, ce sera la
268 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

croix ; mais par la croix, l’amour et par l’amour l’union. S’oublier. On


ne peut être au bon Dieu que si on est complètement donné. Tant qu’il
y a attache, il y a souffrance. Elle disparaît quand le don est total, ou, si
elle subsiste, c’est tout à fait différent, tant il s’y mêle de joie.
Suivre les mouvements qui nous porteraient à répandre le sang de
Jésus dans les âmes.

XIII
Jésus est déposé de la Croix et remis à sa Mère

Pour vivre de la vie de Dieu, il faut mourir à tout et à soi-même,


puis s’abandonner avec une docilité affectueuse et souple à Marie. Elle
nous fera passer de la mort à la vie. Elle est notre Mère. « Filioli quos
parturiit ».
Demander les vraies larmes de la pénitence â la Mère des Douleurs
en union avec sa compassion si pure et si désintéressée.

XIV
Jésus est mis dans le sépulcre

Nous ensevelir avec Jésus en oubliant tout le reste, même quand


nous semblons le quitter en apparence. Dans l’oraison, que ce soit
notre fidélité d’être là pour le bon Dieu tout seul… Seul à seul avec
Notre-Seigneur. Supprimer toutes les créatures. Amour solitaire. De
moi, par moi, pour moi, rien : donc anéantissement. L’âme se simplifie
et devient alors pure capacité de connaître et d’aimer. L’âme dans sa
pureté primitive, mais développée par les dons du Saint-Esprit et le
mérite. Se laisser transformer par Notre-Seigneur. Il le fera. Le jour où
nous n’agirons plus par poussée naturelle, mais uniquement pour
Dieu, sera un beau jour.
Table des matières

Préface ................................................................................................................ 3

Prologue ............................................................................................................ 11

Chapitre I .......................................................................................................... 13

OSCULETUR ME OSCULO ORIS SUI (I, 1) .......................................................................... 13


Bonheur de la sainte union, même transitoire, 13. — Effets de cette
union et aspiration de l’âme à son divin Époux, 13.
MELIORA SUNT UBERA TUA VINO (I, 2) .......................................................................... 14
L’amour divin réjouit, fortifie, enivre, 14.
FRAGANTIA UNGUENTIS OPTIMI (I, 3) ............................................................................ 16
Parfums de l’Époux : douceur, paix, bonne édification, 16.
OLEUM EFFUSUM NOMEN TUUM (I, 3) ........................................................................... 17
Élévation au Saint Nom de Jésus, 17.
IDEO ADOLESCENTULAE DILEXERUNT TE (I, 3) .............................................................. 17
L’âme pure, miroir vivant de Jésus, 17.
TRAHE ME POST TE ; CURREMUS IN ODOREM UNGUENTORUM TUORUM (I, 4) ................. 18
Jésus entraîne l’âme vers le Père, lui seul le peut, 18.
INTRODUXIT ME REX IN CELLARIA SUA (I, 4) ................................................................. 19
Jésus Roi : entrée dans ses appartements secrets, 19. — Envahissement
progressif des facultés jusqu’à l’union parfaite, 20. — Obstacles à cette
révélation. Prière, 20. — Les « Secrets ». Néant des créatures. Le don de
Science y fait voir le reflet du Créateur. 21. — Le don d’intelligence pé-
nètre les Saintes Écritures, 22. — L’amour suit, divine rencontre, ineffa-
ble et sainte union. Don de Sagesse, 23.
EXULTABIMUS ET LAETABIMUR IN TE (I, 4)................................................................... 24
L’âme conquise, possédée par Dieu, souhaite ardemment la même fa-
veur à beaucoup d’autres âmes, 24.
MEMORES UBERUM TUORUM SUPER VINUM (I, 4) ..........................................................25
Chœur d’âmes intérieures célébrant à l’envi le saint amour de Dieu, 25.
RECTI DILIGUNT TE (I, 4) ............................................................................................. 26
Louanges de l’âme à la divine Bonté, 26. — Sa richesse, 26. — Sa joie, 27.
— Sa pureté, 27. — Sa force, 28. — Sa beauté, 28. — Aimer de tout son
cœur, 29.
NIGRA SUM, SED FORMOSA, FILIAE JERUSALEM, SICUT TABERNACULA CEDAR, SICUT
PELLES SALOMONIS (I, 5) .............................................................................................. 30
Maturité de l’âme par l’épreuve, 30.
NOLITE ME CONSIDERARE QUOD FUSCA SIM, QUIA DECOLORAVIT ME SOL. FILII MA-
TRIS ME PUGNAVERUNT CONTRA ME ; POSUERUNT ME CUSTODEM IN VINEIS, VINEAM
MEAM NON CUSTODIVI (I, 6) ......................................................................................... 30
L’âme reconquiert sa liberté d’être toute à Dieu, 30.
270 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
INDICA MIHI, QUEM DILIGIT ANIMA MEA, UBI PASCAS, UBI CUBES IN MERIDIE (I, 7).........31
Brebis privilégiées, 31. — Jésus lui-même, nourriture et lieu de repos de
l’âme, 32.
NE VAGARI INCIPIAM (I, 7) ............................................................................................ 33
Attitude et prière de l’âme dans l’obscurité et l’épreuve, 33.
POST GREGES SODALIUM TUORUM (I, 7) ........................................................................ 34
Pratique du saint détachement, 34.
SI IGNORAS TE, O PULCHERRIMA INTER MULIERES (I, 8) ................................................ 34
Ce qu’est la vraie beauté spirituelle de l’âme, 34.
EGREDERE ET ABI POST VESTIGIA GREGUM (I, 8) ........................................................... 36
L’âme sortie d’elle-même aspire aux divins pâturages, 36. — Le vrai Di-
recteur, 40. — À l’école des Saints, 41.
EQUITATUI MEO IN CURRIBUS PHARAONIS ASSIMILAVI TE, AMICA MEA (I, 9) ................. 42
Plaire à Dieu, seul bonheur à ambitionner, 42.
PULCHRAE SUNT GENAE TUAE SICUT TURTURIS (I, 10) ................................................... 43
Les vertus gagnent en vigueur et en beauté en proportion de l’amour de
Dieu, 43.
COLLUM TUUM SICUT MONILIA (I, 10) ........................................................................... 44
L’âme aimante est belle parce qu’elle est forte, 44.
MURENULAS AUREAS FACIEMUS TIBI, VERMICULATAS ARGENTO (I, 11) .......................... 44
Œuvre ineffable de la Trinité Sainte dans l’âme fidèle, 44.
DUM ESSET REX IN ACCUBITO SUO, NARDUS MEA DEDIT ODOREM SUUM (I, 12) .............. 47
La vie de l’âme fidèle est pour Dieu comme un précieux parfum, 47.
FASCICULUS MYRRHAE DILECTUS MEUS MIHI ; INTER UBERA MEA COMMORABITUR (I, 13) .. 47
La souffrance est le parfum de Jésus pour l’âme intérieure, 47.
BOTRUS CYPRI DILECTUS MEUS MIHI IN VINEIS ENGADDI (I, 14) .................................... 48
Le bonheur d’aimer Dieu est une participation au bonheur même de
Dieu, 48.
ECCE TU PULCHRA ES, AMICA MEA, ECCE TU PULCHRA ES (I, 15) ..................................... 49
Expérience que fait l’âme de l’amour de bienveillance de son Dieu, 49.
OCULI TUI COLUMBARUM (I, 15) ................................................................................... 50
Le regard de l’âme intérieure est pur, il ne voit que Dieu, il le voit en
tout et voit tout en lui, 50.
ECCE TU PULCHER ES, DILECTE MI, ET DECORUS (I, 16) .................................................. 52
Cris d’admiration des Saints, 52.
LECTULUS NOSTER FLORIDUS (I, 16) ............................................................................. 52
Le divin Époux instruit l’âme sur sa vie intime en la Trinité Sainte, 52.
TIGNA DOMORUM NOSTRARUM CEDRINA, LAQUEARIA NOSTRA CYPRESSINA (I, 17) ......... 55
L’âme fermée à tous les bruits du monde vit avec Dieu dans une intimité
ineffable, prélude de la vie du Ciel, 55.

Chapitre II ........................................................................................................ 61

EGO FLOS CAMPI ET LILIUM CONVALLIUM (II, 1) .............................................................61


Toute la divine richesse du Cœur de Jésus appartient au cœur pur,
aimant et humble, 61.
TABLE DES MATIÈRES 271
SICUT LILIUM INTER SPINAS, SIC AMICA MEA INTER FILIAS (II, 2) .................................. 62
Plaire à Jésus, c’est beau et c’est charitable pour lui, 62.
SICUT MALUS INTER LIGNA SILVARUM, SIC DILECTUS MEUS INTER FILIOS (II, 3) ............ 63
Jésus, arbre de vie, dont les fruits sont seuls capables de plaire à l’âme
aimante et de la nourrir, 63.
SUB UMBRA ILLIUS QUEM DESIDERAVERAM SEDI, ET FRUCTUS EJUS DULCIS GUTTURI
MEO (II, 3) ................................................................................................................... 63
La parole divine nourrit notre esprit de vérité ; l’amour de Dieu, vie de
la volonté et du cœur, 63.
INTRODUXIT ME IN CELLAM VINARIAM ; ORDINAVIT IN ME CARITATEM (II, 4).................65
Dieu « vraie place » de l’âme tout ordonnée à l’aimer et à le faire aimer, 65.
FULCITE ME FLORIBUS, STIPATE ME MALIS, QUIA AMORE LANGUEO (II, 5) ......................67
L’Eucharistie et la Croix, soutiens de l’âme consumée d’amour, 67.
LAEVA EJUS SUB CAPITE MEO, ET DEXTERA ILLIUS AMPLEXABITUR ME (II, 6)................. 69
Dieu seul, force de l’âme qui se remet entre ses mains, 69.
ADJURO VOS, FILIAE JERUSALEM, PER CAPREAS CERVOSQUE CAMPORUM, NE SUSCITE-
TIS, NEQUE EVIGILARE FACIATIS DILECTAM, QUOADUSQUE IPSA VELIT (II, 7) ................. 70
Rien ne compte plus pour l’âme qui repose dans le sein de Dieu. Respect
dû à son sommeil, 70.
VOX DILECTI MEI ; ECCE ISTE VENIT (II, 8) ..................................................................... 71
Conditions pour entendre la voix de Jésus, 71.
SALIENS IN MONTIBUS, TRANSILIENS COLLES (II, 8) ....................................................... 73
Hâte empressée de Dieu vers l’âme recueillie et pénétrée de silence, 73.
SIMILIS EST DILECTUS MEUS CAPREAE, HINNULOQUE CERVORUM (II, 9) ......................... 74
EN IPSE STAT POST PARIETEM NOSTRUM (II, 9) .............................................................. 74
Bonheur de l’âme regardée par Dieu, 74.
RESPICIENS PER FENESTRAS, PROSPICIENS PER CANCELOS (II, 9) ................................... 75
EN DILECTUS MEUS LOQUITUR MIHI : SURGE, PROPERA, AMICA MEA, COLUMBA MEA,
FORMOSA MEA, ET VENI (II, 10)...................................................................................... 76
Appels directs du Bien-Aimé à l’intimité de l’union, 76.
JAM ENIM HIEMS TRANSIIT, IMBER ABIIT ET RECESSIT (II, 11) .........................................78
Phases douloureuses qui préparent l’âme intérieure à de nouvelles
grâces, 78.
FLORES APPARUERUNT IN TERRA NOSTRA (II, 12)........................................................... 81
Épanouissement des vertus l’âme intérieure, 81.
TEMPUS PUTATIONIS ADVENIT (II, 12)........................................................................... 82
La Sainte Église a pourvu l’âme intérieure de chants d’amour : Psaumes,
Hymnes, 82.
VOX TURTURIS AUDITA EST IN TERRA NOSTRA (II, 12) ................................................... 85
Chant d’amour plus intime de l’âme, 85.
FICUS PROTULIT GROSSOS SUOS (II, 13)......................................................................... 85
Fruits du travail profond de la grâce dans l’âme fidèle, 85.
VINEAE FLORENTES DEDERUNT ODOREM SUUM (II, 13) ..................................................87
Le parfum préféré de Jésus est celui du sacrifice et de l’amour, 87.
272 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
SURGE AMICA MEA, SPECIOSA MEA, ET VENI (II, 13) ....................................................... 88
Abîme de la Sagesse et de la Science de Dieu ; plus on vous aime et plus
on vous goûte, plus on vous goûte et plus on vous connaît, 88.
COLUMBA MEA, IN FORAMINIBUS PETRAE, IN CAVERNA MACERIAE (II, 14) ..................... 89
Hauteur et solitude, demeure inaccessible de l’âme intérieure, 89.
OSTENDE MIHI FACIEM TUAM, SONET VOX TUA IN AURIBUS MEIS (II, 14) ....................... 89
Paisible et irrésistible mouvement entraînant l’âme vers son Dieu qui
l’appelle, 89.
VOX ENIM TUA DULCIS ET FACIES TUA DECORA (II, 14)................................................... 90
L’âme pure et aimante attire sur elle le regard de Dieu, 90.
CAPITE NOBIS VULPES PARVULAS QUAE DEMOLIUNTUR VINEAS ; NAM VINEA NOSTRA
FLORUIT (II, 15) .............................................................................................................91
Graves dommages que les passions immortifiées peuvent causer à l’âme
peu recueillie, 91.
DILECTUS MEUS MIHI, ET EGO ILLI (II, 16) .................................................................... 92
Totale donation de l’âme, 92.
QUI PASCITUR INTER LILIA (II, 16) ................................................................................ 93
Communication des richesses spirituelles. 93
DONEC ASPIRET DIES, ET INCLINENTUR UMBRAE… REVERTERE, SIMILIS ESTO, DILEC-
TE MI, CAPREAE, HINNULOQUE CERVORUM SUPER MONTES BETHER (II, 17) ................... 94
Ardents désirs du retour de l’Époux, 94.

Chapitre III .......................................................................................................97

IN LECTULO MEO, PER NOCTES, QUAESIVI QUEM DILIGIT ANIMA MEA : QUAESIVI IL-
LUM ET NON INVENI (III, 1) ........................................................................................... 97
Vouloir profond, unique, impérieux, douloureux de l’âme à la recherche
vraie de son Dieu, 97.
SURGAM ET CIRCUIBO CIVITATEM ; PER VICOS ET PLATEAS QUAERAM QUEM DILIGIT
ANIMA MEA (III, 2) ........................................................................................................ 98
Ne pouvoir souffrir l’absence de Dieu et tout entreprendre pour le
retrouver, 98.
QUAESIVI ILLUM ET NON INVENI (III, 3) ........................................................................ 99
Dieu se donne quand il lui plaît ; et il ne doit rien même à l’âme la plus
fidèle, 99.
INVENERUNT ME VIGILES QUI CUSTODIUNT CIVITATEM. NUM QUEM DILIGIT ANIMA
MEA VIDISTIS ? (III, 3) ................................................................................................ 100
Nul ne peut donner Dieu à l’âme que Dieu même, 100.
PAULULUM CUM PEUTRANSISSEM EOS, INVENI QUEM DILIGIT ANIMA MEA (III, 4) ........ 100
Dépasser les créatures pour trouver Dieu, 100.
TENUI EUM, NEC DIMITTAM, DONEC INTRODUCAM ILLUM IN DOMUM MATRIS MEAE,
ET IN CUBICULUM GENITRICIS MEAE (III, 4).................................................................. 101
L’âme s’empare du Bien-Aimé de toutes les forces de son amour, 101.
ADIURO VOS, FILIAE JERUSALEM, PER CAPREAS CERVOSQUE CAMPORUM, NE SUSCITE-
TIS, NEQUE EVIGILARE FACIATIS DILECTAM DONEC IPSA VELIT (III, 5) .......................... 103
Ne pas troubler l’amour solitaire de l’âme intérieure ; en elle et par elle,
le monde est comme rapproché de Dieu, 103.
TABLE DES MATIÈRES 273
QUAE EST ISTA QUAE ASCENDIT PER DESERTUM SICUT VIRGULA FUMI EX AROMATIBUS
MYRRHAE, ET THURIS, ET UNIVERSI PULVERIS FIGMENTARII ? (III, 6) .......................... 104
Séparation du monde, de soi-même, de son âme, 104. — L’âme inté-
rieure embaume et la terre et le ciel, 105.
EN LECTULUM SALOMONIS : SEXAGINTA FORTES AMBIUNT EX FORTISSIMIS ISRAËL,
OMNES TENENTES GLADIOS ET AD BELLA DOCTISSIMI ; UNIUSCUJUSQUE ENSIS SUPER
FEMUR SUUM, PROPTER TIMORES NOCTURNOS (III, 7-8) .............................................. 105
Avances divines à l’âme intérieure que rien n’arrêtera ni ne troublera
désormais, 105.
FERCULUM FECIT SIBI REX SALOMON DE LIGNIS LIBANI. COLUMNAS EJUS FECIT
ARGENTEAS, RECLINATORIUM AUREUM, ASCENSUM PURPUREUM ; MEDIA CARITATE
CONSTRAVIT, PROPTER FILIAS JERUSALEM (III, 9-1o) ................................................... 106
La foi, fondement et racine de la vie intérieure, est aussi fruit de l’Es-
prit-Saint, 106. — Triomphe de la charité. L’immolation le prépare, l’ac-
compagne et le suit, 107. — Toutes les vertus se prodiguent au service de
l’amour, 108.
EGREDIMINI ET VIDETE, FILIAE SION, REGEM SALOMONEM IN DIADEMATE QUO
CORONAVIT ILLUM MATER SUA IN DIE DESPONSATIONIS ILLIUS ET IN DIE LAETITIAE
CORDIS EJUS (III, 11) ....................................................................................................108
L’union de l’âme avec Dieu fait la joie de Marie qui l’a préparée, 108. —
Bonheur de l’apôtre « Précurseur » de l’union, 109.

Chapitre IV ......................................................................................................111

QUAM PULCHRA ES, AMICA MEA, QUAM PULCHRA ES (IV, 1) ........................................... 111
Une belle âme charme et attire Jésus. Ardents désirs. Prière, 111.
OCULI TUI COLUMBARUM, ABSQUE EO QUOD INTRINSECUS LATET (IV, 1) ...................... 112
Voiles qu’il peut y avoir entre l’âme et Dieu, 112. — Prière pour obtenir
une foi vive et lumineuse, 113.
CAPILLI TUI SICUT GREGES CAPRARUM QUAE ASCENDERUNT DE MONTE GALAAD (IV, 1) ... 113
L’âme aimante s’efforce de multiplier les actes méritoires et de leur don-
ner une exécution achevée, 113.
DENTES TUI SICUT GREGES TONSARUM QUAE ASCENDERUNT DE LAVACRO ; OMNES
GEMELLIS FOETIBUS ET STERILIS NON EST INTER EAS (IV, 2) ........................................ 114
Les vertus, ornement de nos facultés, agissent par paires et transfor-
ment tout en aliment de l’âme, 114.
SICUT VITTA COCCINEA LABIA TUA ET ELOQUIUM TUUM DULCE (IV, 3) .......................... 114
Un seul discours : « Je vous aime », 114.
SICUT FRAGMEN MALI PUNICI, ITA GENAS TUAS, ABSQUE EO QUOD INTRINSECUS LA-
TET (IV, 3) ................................................................................................................... 115
Amour généreux, humble et pur, 115.
SICUT TURRIS DAVID COLLUM TUUM QUAE AEDIFICATA EST CUM PROPUGNACULIS ;
MILLE CLYPEI PENDENT EX EA, OMNIS ARMATURA FORTIUM (IV, 4) .............................. 115
Puissance de l’âme intérieure ; elle communique à son tour force et con-
fiance, 115.
DUO UBERA TUA SICUT DUO HINNULI CAPREAE GEMELLI QUI PASCUNTUR IN LILIIS (IV, 5) .. 116
Maternité spirituelle, 116.
274 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
DONEC ASPIRET DIES, ET INCLINENTUR UMBRAE, VADAM AD MONTEM MYRRHAE ET
AD COLLEM THURIS (IV, 6) ........................................................................................... 116
L’âme intérieure, séparée d’elle-même, se retire dans le secret pour
mieux aimer, 116.
TOTA PULCHRA ES, AMICA MEA, ET MACULA NON EST IN TE (IV, 7) ................................ 118
Jésus adresse cet éloge à Marie, 118.
VENI DE LIBANO, SPONSA MEA, VENI DE LIBANO ; VENI, CORONABERIS ; DE CAPITE
AMANA, DE VERTICE SANIR ET HERMON, DE CUBILIBUS LEONUM, DE MONTIBUS PAR-
DORUM (IV, 8) ............................................................................................................. 119
Jésus appelle l’âme à l’union définitive, 119.
VULNERASTI COR MEUM, SOROR MEA SPONSA, VULNERASTI COR MEUM, IN UNO OCU-
LORUM TUORUM ET IN UNO CRINE COLLI TUI (IV, 9) ..................................................... 119
Pour conquérir le Cœur de Dieu, il suffit de l’aimer tout à fait, 119.
QUAM PULCHRAE SUNT MAMMAE TUAE, SOROR MEA SPONSA ! PULCHRIORA SUNT UBE-
RA TUA VINO, ET ODOR UNGUENTORUM TUORUM SUPER OMNIA AROMATA (IV, 10) ....... 121
Puissance du véritable amour sur le Cœur de Dieu, 121.
FAVUS DISTILLANS LABIA TUA, SPONSA ; MEL ET LAC SUB LINGUA TUA, ET ODOR VESTI-
MENTORUM TUORUM SICUT ODOR THURIS (IV, 11)........................................................122
Tout dans l’âme intérieure ravit le Cœur de l’Époux divin, 122.
HORTUS CONCLUSUS, SOROR MEA SPONSA, HORTUS CONCLUSUS, FONS SIGNATUS (IV, 12) ..123
Richesse et charme de ce jardin fermé, 123.
EMISSIONES TUAE PARADISUS MALORUM PUNICORUM CUM POMORUM FRUCTIBUS,
CYPRI CUM NARDO, NARDUS ET CROCUS, FISTULA ET CINNAMOMUM, CUM UNIVERSIS
LIGNIS LIBANI, MYRRHA ET ALOË CUM OMNIBUS PRIMIS UNGUENTIS (IV, 13-14) ........... 125
Les fruits du Saint-Esprit, 125. — Charité, 126. — Joie, 126. — Paix, 127.
— Patience, 128. — Mansuétude et douceur, 129.
FONS HORTORUM, PUTEUS AQUARUM VIVENTIUM, QUAE FLUUNT IMPETU DE LIBANO
(IV, 15) ....................................................................................................................... 130
L’âme contemplative vivant dans les hauteurs de la vie même de Dieu y
attire les âmes, 130.
SURGE AQUILO, ET VENI, AUSTER ; PERFLA HORTUM MEUM, ET FLUANT AROMATA IL-
LIUS (IV, 16) ................................................................................................................ 131
Humble prière de l’âme pressée de tout rapporter à Dieu de ses libé-
ralités en elle, 131.
VENIAT DILECTUS MEUS IN HORTUM SUUM, ET COMEDAT FRUCTUM POMORUM SUO-
RUM (IV, 16) ................................................................................................................132

Chapitre V ....................................................................................................... 133

VENI IN HORTUM MEUM, SOROR MEA SPONSA (V, 1)......................................................133


Prière exaucée, 133.
MESSUI MYRRHAM MEAM CUM AROMATIBUS MEIS (V, 1) ..............................................134
Dieu daigne venir prendre ses délices son dans jardin fermé, 134.
COMEDI FAVUM CUM MELLE MEO (V, 1)........................................................................134
BIBI VINUM MEUM CUM LACTE MEO (V, 1) ....................................................................135
COMEDITE, AMICI, ET BIBITE, ET INEBRIAMINI, CARISSIMI (V, 1) ...................................135
Jésus invite ses amis, 135.
TABLE DES MATIÈRES 275
EGO DORMIO ET COR MEUM VIGILAT (V, 2) .................................................................. 136
Désir d’aimer Dieu sans interruption et sans mesure, 136. — Mystérieux
et profond sommeil de l’amour, 137.
VOX DILECTI MEI PULSANTIS : APERI MIHI, SOROR MEA, AMICA MEA, COLUMBA MEA,
IMMACULATA MEA (V, 2) ............................................................................................. 138
Délicates industries de l’amour de Jésus pour se faire aimer, 138. — Ce
qui attire Jésus dans une âme c’est la simplicité, la fidélité, la profon-
deur, la délicatesse, la pureté de son amour pour lui, 139.
QUIA CAPUT MEUM PLENUM EST RORE, ET CINCINNI MEI GUTTIS NOCTIUM (V, 3) ......... 142
Jésus sollicite nos retours d’amour, 142.
EXPOLIAVI ME TUNICA MEA, QUOMODO INDUAR ILLA ? LAVI PEDES MEOS, QUOMODO
INQUINABO ILLOS ? (V, 3) ........................................................................................... 143
Après les dépouillements successifs, préparatoires à l’union, l’âme craint de
retourner au monde sensible, mais c’est à Jésus de tout régler en elle, 143.
DILECTUS MEUS MISIT MANUM SUAM PER FORAMEN, ET VENTER MEUS INTREMUIT AD
TACTUM EJUS (V, 4) ..................................................................................................... 144
L’âme comprend son devoir ; elle doit se lever et ouvrir, 144.
SURREXI UT APERIREM DILECTO MEO ; MANUS MEA STILLAVERUNT MYRRHAM, ET DI-
GITI MEI PLENI MYRRHA PROBATISSIMA (V, 5) .............................................................. 145
L’onction de Dieu est douce, suave, forte, délicieuse, 145.
PESSULUM OSTII MEI APERUI DILECTO MEO ; AT ILLE DECLINAVERAT, ATQUE TRANS-
IERAT (V, 6)................................................................................................................. 145
Dans la vie intérieure appel et fuite du Bien-Aimé sont choses fréquen-
tes, 145.
ANIMA MEA LIQUEFACTA EST, UT LOCUTUS EST (V, 6) .................................................. 146
QUAESIVI ET NON INVENI ILLUM, VOCAVI ET NON RESPONDIT MIHI (V, 6) .................... 146
La souffrance règne, 146.
INVENERUNT ME CUSTODES QUI CIRCUMEUNT CIVITATEM ; PERCUSSERUNT ME, ET
VULNAVERUNT ME. TULERUNT PALLIUM MEUM MIHI CUSTODES MURORUM (V, 7)........ 147
L’âme est incomprise dans la recherche de son Dieu, 147.
ADJURO VOS, FILIAE JERUSALEM, SI INVENERITIS DILECTUM MEUM, UT NUNTIETIS EI
QUIA AMORE LANGUEO (V, 8) ...................................................................................... 147
Prière instante pour obtenir la grâce de répandre l’amour divin dans les
cœurs, 147.
QUALIS EST DILECTUS TUUS EX DILECTO, O PULCHERRIMA MULIERUM ? QUALIS EST
DILECTUS TUUS EX DILECTO, QUIA SIC ADJURASTI NOS ? (V, 9) ..................................... 148
Incomprise de certaines âmes, la sainte Épouse excite la sainte curiosité
des autres, 148.
DILECTUS MEUS CANDIDUS ET RUBICUNDUS, ELECTUS EX MILLIBUS (V, 10) ................. 149
Beauté de Jésus ! Nul ne la connaît comme la sainte Vierge ; nous adres-
ser à elle pour apprendre à le garder, l’aimer, le chanter, le donner, 149.
CAPUT EJUS AURUM OPTIMUM. COMAE EJUS SICUT ELATAE PALMARUM ; NIGRAE
QUASI CORVUS (V, 11) .................................................................................................. 151
Infinie beauté et inépuisable richesse du divin époux, 151.
OCULI EJUS SICUT COLUMBAE SUPER RIVULOS AQUARUM, QUAE LACTE SUNT LOTAE,
ET RESIDENT JUXTA FLUENTA PLENISSIMA (V, 12) ......................................................... 152
Ravissement de l’âme s’apercevant que Dieu s’occupe de sa petitesse, 152.
276 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
GENAE ILLIUS SICUT AREOLAE AROMATUM CONSITAE A PIGMENTARIIS (V, 13) ..............153
Contemplation des perfections divines dans leur admirable unité, 153.
LABIA EJUS LILIA DISTILANTIA MYRRHAM PRIMAM (V, 13) ............................................153
Vérité et beauté de sa doctrine, 153.
MANUS ILLIUS TORNATILES, AUREAE PLENAE HYACINTHIS (V, 14) ................................154
Hommage d’admiration et d’amour aux mains divines et sacerdotales de
Jésus, 154.
VENTER EJUS EBURNEUS, DISTINCTUS SAPPHIRIS (V, 14).............................................. 155
Divin tourment des âmes qui désirent pénétrer dans le Sacré-Cœur, 155.
CRURA ILLIUS COLUMNAE MARMOREAE QUAE FUNDATAE SUNT SUPER BASES AUREAS
(V, 15) .........................................................................................................................156
Divines Perfections du Verbe Incarné, appui immuable de l’âme inté-
rieure, 156.
SPECIES EJUS UT LIBANI, ELECTUS UT CEDRI (V, 15) ..................................................... 157
Puissance tranquille, grâce infinie de l’Époux divin, 157.
GUTTUR ILLIUS SUAVISSIMUM ET TOTUS DESIDERABILIS. TALIS EST DILECTUS MEUS,
ET IPSE EST AMICUS MEUS, FILIAE JERUSALEM (V, 16) .................................................. 157
L’Épouse achève l’éloge de son saint Époux, 157.

Chapitre VI ..................................................................................................... 159

QUO ABIIT DILECTUS TUUS, O PULCHERRIMA MULIERUM ? QUO DECLINAVIT DILE-


CTUS TUUS ? ET QUAEREMUS EUM TECUM (VI, 1) ..........................................................159
Saint tourment de l’âme déjà transformée par le divin Amour, 159.
DILECTUS MEUS DESCENDIT IN HORTUM SUUM AD AREOLAM AROMATUM, UT PASCA-
TUR IN HORTIS, ET LILIA COLLIGAT (VI, 2) ................................................................... 160
L’Église, les Institutions, les âmes, jardin de l’Époux où toute fleur de
vertu s’épanouit exclusivement pour lui, 160.
EGO DILECTO MEO, ET DILECTUS MEUS MIHI (VI, 3) ..................................................... 161
Sainte union, 161.
QUI PASCITUR INTER LILIA (VI, 3) ............................................................................... 162
Jésus, bon Pasteur, 162.
PULCHRA ES, AMICA MEA, SUAVIS ET DECORA SICUT JERUSALEM, TERRIBILIS UT CA-
STRORUM ACIES ORDINATA (VI, 4)............................................................................... 162
Une âme vraiment intérieure est une puissance, 162.
AVERTE OCULOS TUOS A ME, QUIA IPSI ME AVOLARE FECERUNT (VI, 5) .........................163
Puissance d’une âme aimante sur le Cœur de Dieu, 163.
CAPILLI TUI SICUT GREX CAPRARUM QUAE APPARUERUNT DE GALAAD (VI, 5) ...............163
Vifs désirs et bonnes œuvres, témoignages certains de la vérité de son
amour, 163.
DENTES TUI SICUT GREX OVIUM QUAE ASCENDERUNT DE LAVACRO ; OMNES GEMELLIS
FAETIBUS ET STERILIS NON EST IN EIS (VI, 6) ............................................................... 164
Fécondité des vertus morales guidées par la raison et par la grâce, 164.
SICUT CORTEX MALI PUNICI, SIC GENAE TUAE, ABSQUE OCCULTIS TUIS (VI, 7) .............. 164
Le charme inexprimable de la vie intérieure est un perpétuel renouveau
d’amour divin, 164.
TABLE DES MATIÈRES 277
SEXAGINTA SUNT REGINAE ET OCTOGINTA CONCUBINAE, ET ADOLESCENTULARUM
NON EST NUMERUS. UNA EST COLUMBA MEA, PERFECTA MEA ; UNA EST MATRIS SUAE,
ELECTA GENITRICIS SUAE. VIDERUNT EAM FILIAE ET BEATISSIMAM PRAEDICAVE-
RUNT ; REGINAE ET CONCUBINAE ET LAUDAVERUNT EAM (VI, 8-9) ............................... 165
Légitime préférence de Dieu, de la sainte Église pour une âme ; elle
n’excite pas la jalousie, 165.
QUAE EST ISTA QUAE PROGREDITUR QUASI AURORA CONSURGENS, PULCHRA UT LUNA,
ELECTA UT SOL, TERRIBILIS UT CASTRORUM ACIES ORDINATA (VI, 10) .......................... 166
Incomparable beauté de l’âme unie à Dieu, 166.
DESCENDI IN HORTUM NUCUM UT VIDEREM POMA CONVALLIUM, ET INSPICEREM SI
FLORUISSET VINEA, ET GERMINASSENT MALA PUNICA (VI, 11)....................................... 167
Souci de l’âme intérieure de veiller toujours au bon état de son mysté-
rieux jardin, 167.
NESCIVI ; ANIMA MEA CONTURBAVIT ME PROPTER QUADRIGAS AMINADAB (VI, 12) ...... 167
La loi de l’amour est de revenir à sa source, d’y ramener l’âme et parfois
même le corps, 167.

Chapitre VII....................................................................................................169

REVERTERE, REVERTERE, SULAMITIS, REVERTERE, REVERTERE, UT INTUEAMUR TE


(VII, 1) ......................................................................................................................... 169
Douleur paisible, mais profonde que cause la mort des Saints, 169.
QUID VIDETIS IN SULAMITE NISI CHOROS CASTRORUM ? (VII, 1) ................................... 169
Beauté vivante de l’âme évoluant autour de la volonté de Dieu, 169.
QUAM PULCHRI SUNT GRESSUS TUI IN CALCEAMENTIS, FILIA PRINCIPIS ! JUNCTURAE FE-
MORUM TUORUM SICUT MONILIA, QUAE FABRICATA SUNT MANU ARTIFICIS (VII, 2) ...... 170
La Sagesse qui règne au sommet de l’âme intérieure rend admirables les
qualités inférieures à travers l’enveloppe du corps, 170.
UMBILICUS TUUS CRATER TORNATILIS NUNQUAM INDIGENS POCULIS (VII, 3) ................171
La coupe est le cœur, son vin l’amour. Tant vaut le cœur, tant vaut
l’amour, 171.
VENTER TUUS SICUT ACERVUS TRITICI VALLATUS LILIIS (VII, 3) .....................................171
L’âme intérieure est une ressource inépuisable, 171.
DUO UBERA TUA SICUT DUO HINNULI GEMELLI CAPREAE (VII, 4) .................................. 172
Plus une âme est pure, plus elle est digne de devenir Épouse de l’Esprit-
Saint et mère spirituelle, 172.
COLLUM TUUM SICUT TURRIS EBURNEA (VII, 5) ........................................................... 172
La sainte Épouse ne désire la vraie beauté que pour plaire à Jésus, 172.
OCULI TUI SICUT PISCINAE IN HESEBON, QUAE SUNT IN PORTA FILIAE MULTITUDINIS
(VII, 5) ........................................................................................................................ 173
Joie de Jésus quand il rencontre une âme vraiment intérieure, 173.
NASUS TUUS SICUT TURRIS LIBANI, QUAE RESPICIT CONTRA DAMASCUM (VII, 5) .......... 174
Force de certaines âmes choisies par Dieu pour garder son peuple fidèle,
174.
CAPUT TUUM UT CARMELUS (VII, 6) ............................................................................ 174
L’âme intérieure est an sommet d’où elle domine tout, 174.
278 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
ET COMAE CAPITIS TUI SICUT PURPURA REGIS, VINGTA CANALIBUS (VII, 6) ................... 175
Jésus se fait le captif de l’âme aimante, 175. — L’âme intérieure est avide
d’être elle aussi l’esclave du divin amour, 176.
QUAM PULCHRA ES ET QUAM DECORA, CARISSIMA, IN DELICIIS (VII, 7) ......................... 177
Beauté de l’âme transformée en Jésus dont elle est le miroir vivant, 177.
STATURA TUA ASSIMILATA EST PALMAE, ET UBERA TUA BOTRIS (VII, 8) .........................178
L’âme intérieure, ferme sur sa base, droite dans son attitude, riche dans
ses fruits, est un beau spectacle pour le regard de Dieu, 178.
DIXI : ASCENDAM IN PALMAM, ET APPREHENDAM FRUCTUS EJUS (VII, 9) ..................... 179
Joies saintes de l’âme fidèle sous l’étreinte du divin amour, 179.
ET ERUNT UBERA TUA SICUT BOTRI VINEÆ, ET ODOR ORIS TUI SICUT MALORUM ;
GUTTUR TUUM SICUT VINUM OPTIMUM (VII, 9)............................................................. 179
La grâce et les richesses de l’âme intérieure vont croissant chaque jour,
179.
DIGNUM DILECTO MEO AD POTANDUM, LABIISQUE ET DENTIBUS ILLIUS AD RUMI-
NANDUM (VII, 10) ........................................................................................................ 181
Ce vin exquis sera réservé pour Jésus seul, 181.
EGO DILECTO MEO, ET AD ME CONVERSIO EJUS (VII, 11) ............................................... 181
L’âme fidèle est la désirée du Cœur divin, 181.
VENI, DILECTE MI, EGREDIAMUR IN AGRUM, COMMOREMUR IN VILLIS (VII, 12) ........... 182
Impérieux besoin de solitude ; lumière sur les perfections divines, 182.
MANE SURGAMUS AD VINEAS ; VIDEAMUS SI FLORUIT VINEA, SI FLORES FRUCTUS PAR-
TURIUNT, SI FLORUERUNT MALA PUNICA ; IBI DABO TIBI UBERA MEA (VII, 13) .............. 183
Preuves de l’action divine ; aux fruits on connaît l’arbre. L’amour enfin
atteint son terme et unit à jamais l’Époux à l’Épouse, 183.
MANDRAGORAE DEDERUNT ODOREM. IN PORTIS NOSTRIS OMNIA POMA : NOVA ET
VETERA, DILECTE MI, SERVAVI TIBI (VII, 14) ................................................................ 184
L’âme multiplie pour son Bien-Aimé ses amoureuses délicatesses, 184.

Chapitre VIII .................................................................................................. 185

QUIS MIHI DET TE FRATREM MEUM, SUGENTEM UBERA MATRIS MEAE, UT INVENIAM
TE FORIS ET DEOSCULER TE, ET JAM ME NEMO DESPICIAT ? (VIII, 1) ............................. 185
Plaintes de l’âme aimante qui ne peut donner à son Dieu des marques
extérieures de son amour, 185.
APPREHENDAM TE ET DUCAM IN DOMUM MATRIS MEAE, IBI ME DOCEBIS (VIII, 2) ........ 186
L’âme intérieure, enfant de la sainte Vierge et sa propriété, aspire à re-
cevoir sous ses yeux les enseignements divins, 186.
ET DABO TIBI POCULUM EX VINO CONDITO ET MUSTUM MALORUM GRANATORUM
MEORUM (VIII, 2) ........................................................................................................187
LAEVA EJUS SUB CAPITE MEO, ET DEXTERA ILLIUS AMPLEXABITUR ME (VIII, 3) .............187
Mystérieux échange de témoignages d’affection, 187.
ADJURO VOS, FILIAE JERUSALEM, NE SUSCITETIS, NEQUE EVIGILARE FACIATIS DILE-
CTAM, DONEC IPSA VELIT (VIII, 4) ............................................................................... 188
La prise de possession d’une âme humaine par l’amour divin est une
vraie mission divine, 188.
TABLE DES MATIÈRES 279
QUAE EST ISTA QUAE ASCENDIT DE DESERTO, DELICIIS AFFLUENS, INNIXA SUPER DI-
LECTUM SUUM ? (VIII, 5) ............................................................................................. 189
Les âmes parvenues à l’union divine font l’admiration des anges et des
saints, 189.
SUB ARBORE MALO SUSCITAVI TE ; IBI CORRUPTA EST MATER TUA, IBI VIOLATA EST
GENITRIX TUA (VIII, 5) ................................................................................................ 189
Au pied de la Croix, Marie a enveloppé d’une affection spéciale ceux qui
devaient suivre Jésus de plus près, 189.
PONE ME UT SIGNACULUM SUPER COR TUUM, UT SIGNACULUM SUPER BRACHIUM
TUUM (VIII, 6) ............................................................................................................. 190
À la prière de l’âme fidèle, le Tout-Puissant semble se mettre à la dispo-
sition de la toute faiblesse, 190.
QUIA FORTIS EST UT MORS DILECTIO ; DURA SICUT INFERNUS AEMULATIO (VIII, 6) ...... 191
LAMPADES EJUS, LAMPADES IGNIS ATQUE FLAMMARUM (VIII, 6).................................. 192
L’amour divin, feu dévorant, ne détruit pas ; il transforme, 192.
AQUAE MULTAE NON POTUERUNT EXTINGUERE CARITATEM, NEC FLUMINA OBRUENT
ILLAM (VIII, 7) ............................................................................................................. 192
Les épreuves excitent et développent l’amour, 192.
SI DEDERIT HOMO OMNEM SUBSTANTIAM DOMUS SUAE PRO DILECTIONE, QUASI NIHIL
DESPICIET EAM (VIII, 7) ............................................................................................... 193
Pour que le cœur se remplisse de la divine charité, il faut qu’il se vide de
tout ce qui n’est pas Dieu, 193.
SOROR NOSTRA PARVA ET UBERA NON HABET ; QUID FACIEMUS SORORI NOSTRAE IN
DIE QUANDO ALLOQUENDA EST ? (VIII, 8) .................................................................... 193
Sollicitude des anges et des saints du Ciel pour notre perfection, 193.
SI MURUS EST, AEDIFICEMUS SUPER EUM PROPUGNACULA ARGENTEA ; SI OSTIUM EST,
COMPINGAMUS ILLUD TABULIS CEDRINIS (VIII, 9) ......................................................... 194
Tout ce qui embellit une âme tourne au profit des autres âmes, 194.
EGO MURUS, ET UBERA MEA SICUT TURRIS, EX QUO FACTA SUM CORAM EO QUASI PA-
CEM REPERIENS (VIII, 10) ............................................................................................ 194
L’amour triomphe, il règne, 194.
VINEA FUIT PACIFICO IN EA QUAE HABET POPULOS ; TRADIDIT EAM CUSTODIBUS ; VIR
AFFERT PRO FRUCTU EJUS MILLE ARGENTEOS (VIII, 11) ................................................ 195
Riche redevance que le Maître attend du gardien spirituel de la vigne
mystique, 195.
VINEA MEA CORAM ME EST. MILLE TUI PACIFICI ET DUCENTI IIS QUI CUSTODIUNT
FRUCTUS EJUS (VIII, 12) .............................................................................................. 196
La sainte Épouse rend toute la gloire de sa vigne à son Maître, et solli-
cite pour ses gardiens la plus riche récompense, 196.
QUI HABITAS IN HORTIS, AMICI AUSCULTANT ; FAC ME AUDIRE VOCEM TUAM (VIII, 13) .... 196
Dernier et doux appel de Jésus à l’âme intérieure qui a passé sa vie à
cultiver le jardin de son âme, 196.
FUGE, DILECTE MI, ET ASSIMILARE CAPREAE HINNULOQUE CERVORUM SUPER MON-
TES AROMATUM (VIII, 14) ............................................................................................ 197
La sainte Épouse réalise enfin le désir de l’Époux : mourir, c’est vous
voir, ô mon Dieu, 197.
280 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE

Psaume XXII .................................................................................................. 199

Connaissance toute nouvelle des divines Perfections en l’âme entière-


ment livrée à Dieu. Rien ne lui manque. Le royaume de Dieu est tout à
elle, 199. — Entrée de l’âme intérieure dans la Terre promise de l’union
divine, 200. — Soif ardente de l’eau vive « qui a le goût du bonheur
éternel », 201. — Jésus est vraiment bon Pasteur, seul il a le droit de
porter ce nom, 202. — Sécurité dans les épreuves de la nuit obscure.
L’Apôtre de la vie cachée, rempli de Dieu, brûle de communier spiri-
tuellement les âmes, 204. — Cène béatifiante. Onction de l’Esprit-Saint
sur les hauteurs de l’âme introduite comme dans sa vraie Patrie. Coupe
débordante, 205. — Paix stable, permanente de l’âme entrée pour tou-
jours dans la maison de son Père céleste qui est Dieu même, 207.

Conseils aux âmes d’oraison .................................................................... 209

PRINCIPES DE VIE INTÉRIEURE ............................................................................. 209


RENONCEMENT. DON DE SOI ................................................................................ 222
HUMILITÉ .............................................................................................................231
OBÉISSANCE ......................................................................................................... 236
APOSTOLAT .......................................................................................................... 237
ORAISON .............................................................................................................. 245

Chemin de Croix .......................................................................................... 265

Table des matières ...................................................................................... 269

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