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Robert de Langeac
VIRGO FIDELIS
Le prix de la
Vie cachée
Commentaire spirituel
du Cantique des Cantiques
P. LETHIELLEUX, LIBRAIRE-ÉDITEUR
10, RUE CASSETTE – PARIS (VIe) – 1936
Préface
Ces pages nous ont été remises sans qu’on nous ait dit le nom de
leur auteur ; après la lecture des premières nous n’avons pas tardé à
y reconnaître la spiritualité souvent très haute d’un prêtre, visité de-
puis longtemps par la souffrance, et qui tient à rester inconnu. Écri-
tes au jour le jour, pendant l’heure consacrée à la lecture de l’Écriture
sainte, elles constituent comme un commentaire spirituel du Cantique
des Cantiques. Elles rappellent l’interprétation allégorique qu’en ont
donnée saint Ambroise, saint Grégoire de Nysse et saint Basile, qui y
ont vu surtout l’union de l’âme avec le Verbe de Dieu. Leur mérite est
de s’élever très spontanément et tout de suite du symbole sensible à
l’amour spirituel, qui est l’unique objet dont veut parler ici l’Esprit-
Saint, auteur de ce livre inspiré. Sans difficulté aucune, l’interprète
nous conduit à la réalité surnaturelle figurée, sans s’arrêter à la fi-
gure. Rarement nous avons trouvé une explication si simple, si élevée
et si belle de ces textes sacrés, qui reviennent assez souvent dans la li-
turgie. C’est pour aider à mieux entendre ces parties de l’Office et des
Messes de la Sainte Vierge que nous avons demandé l’autorisation de
publier ce commentaire. Ceux qui le liront, comme il a été écrit, dans
la solitude, le recueillement et la prière, y trouveront sans doute l’ex-
pression d’une vie spirituelle profonde, qui suppose une grande puri-
fication par la souffrance généreusement acceptée par amour. Cette
lecture convient surtout à des âmes consacrées à Dieu, particulière-
ment à des âmes contemplatives, dont la vie spirituelle, déjà dégagée
du sensible, peut saisir, dans les symboles matériels dont s’est servi
l’Esprit-Saint, ce qu’il avait véritablement en vue.
L’amour humain n’intervient ici que pour prêter, non pas ses sen-
timents, mais ses expressions toujours très imparfaites ; et moins on
s’arrête à leur signification humaine, plus on s’élève vers le véritable
sens du livre. De ce point de vue, comme le dit saint Paul : « Omnia
munda mundis » (Tit., I, 15). L’œuvre de Dieu dans son ensemble ap-
paraît ainsi plus belle ; on en voit mieux l’harmonie, telle qu’elle exis-
tait sans dissonance aucune au jour de la Création, depuis les chœurs
des esprits purs jusqu’aux derniers vestiges de la divine sagesse et de
l’amour dans l’ordre sensible, tel qu’il a été fait par le Créateur, avant
d’être troublé par le péché.
*
Le titre qui a été donné à ces pages, Virgo fidelis, exprime l’idée
générale du livre, dont nous donnerons ici quelques extraits, pour en
faire saisir l’unité.
4 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
Ce qui invitera à lire ces pages, c’est ce qui s’y trouve, ibid., sur
l’apostolat de la vie intérieure et les conditions requises pour cet
apostolat :
« Il semble qu’elles se ramènent à deux : un désir ardent d’être soi-même
une âme de vie cachée, une parfaite docilité à la grâce, afin de lui servir
d’instrument auprès des autres, quand l’Esprit-Saint juge à propos de nous
employer. Pour parler aux âmes avec fruit des choses de la vie intérieure,
de ce qui la prépare, de ce qui la constitue, de ce qui la couronne et
l’achève, il faut plus qu’une connaissance scientifique de ces mystérieuses
réalités, telle que peut la donner une sérieuse étude des maîtres. En cette
matière, l’expérience personnelle ajoute beaucoup. Elle met au point la
doctrine, commune. Elle donne à la parole ce je ne sais quoi de persuasif,
qui vient de ce que l’âme qui parle est en contact immédiat avec la réalité
qu’elle décrit. Non seulement elle la connaît, cette réalité, mais elle la vit ;
en un sens, elle l’est et elle la fait passer sans peine dans les mots. Sous
l’action de la grâce, les mots deviennent lumière pour l’auditeur. Plus que
cela, ils portent avec eux la chaleur et la vie… C’est là un don de Dieu et
pour l’ordinaire une récompense, toujours non méritée, de longs et pa-
tients efforts personnels. Il faut savoir attendre l’heure de Dieu, l’automne
de l’âme. Agir trop tôt serait manger son blé en herbe, s’exposer à ne pas
nourrir les autres et peut-être, hélas ! à mourir de faim soi-même… Mais
aussi quand le moment est venu de le faire, refuser par fausse humilité ou
fausse prudence de donner de son bien aux autres, serait mettre la lumière
sous le boisseau, le feu sous la cendre, et laisser sans pain les enfants du
Père céleste, qui ont vraiment faim de lui… Voilà pourquoi la docilité à la
grâce est si nécessaire à l’apôtre de la vie cachée. Il ne doit rien faire de lui-
même et par son propre mouvement. Il n’est qu’un instrument entre les
mains du divin ouvrier… Ce n’est qu’à de certaines heures et dans certaines
rencontres que l’Esprit Saint le meut, sans qu’il ait pris l’initiative de son
action… Dans tous les autres cas, son unique souci doit être de se montrer
collaborateur désintéressé, intelligent et souple de la grâce. Dieu seul sait
ce qu’il attend de telle ou telle âme, ce qu’il veut faire d’elle… Rien ne sau-
rait prévaloir contre cette divine volonté… Mais aussi, ces deux conditions
loyalement posées, quelle belle mission que celle d’apôtre de la vie cachée !
Tout dans l’œuvre de la miséricorde de Dieu tend à cet unique but : ap-
prendre aux âmes ce que c’est que le ciel, le leur faire désirer, leur mettre
en mains les moyens de le conquérir ».
rent pas toujours, c’est vrai, mais lorsqu’elles cessent, l’âme n’est pas trou-
blée de leur départ. Elles reviendront quand le bon Dieu reviendra. En at-
tendant, la paix reste et c’est la paix du divin amour ».
Notons celle description de l’union à propos du verset 13 e du cha-
pitre V :
« Variété harmonieuse des couleurs d’un parterre de fleurs, charme unique
de leurs parfums fondus en un seul, voilà ce que trouve encore la sainte
Épouse pour exprimer la beauté de Dieu. C’est que les perfections divines
lui apparaissent sous un jour tout nouveau et dans leur admirable unité.
Elle sait un peu maintenant, par une sorte d’expérience intime et pour les
avoir comme goûtées, ce que sont la Bonté, la Miséricorde, la Beauté, la
Sagesse et la Simplicité de son Dieu. Auparavant, elle s’en formait quelque
idée, ses idées lui restent, elle n’en acquiert pas de nouvelles, réserve faite
de certaines grâces particulières. MAIS ELLE A ÉTÉ UNIE AU MOINS QUELQUES
INSTANTS À LA RÉALITÉ MÊME, DONT CES IDÉES LUI PARLAIENT. Voilà pourquoi
elle n’ose plus s’en sentir maintenant, tant elles lui paraissent déficientes.
Elle a comme savouré au plus intime d’elle-même ce « Bien qui contient
tous les biens ». Tout s’efface devant cette connaissance d’un genre très
spécial. Aucun mot ne peut la dire, et pourtant elle dit tout à qui la reçoit ».
Selon l’expression de saint Jean de la Croix, « ELLE A UNE SAVEUR
DE VIE ÉTERNELLE » qui dépasse considérablement toute considération
acquise, philosophique ou théologique : elle est vraiment le don de
Dieu. « Si scires donum Dei ! »
L’auteur n’ignore pas les grandes souffrances qui traversent, pour
certaines âmes, l’union divine ; il dit à propos du verset 6 du chap.
VII :
« Pour garder son peuple fidèle et le protéger contre ses ennemis, Dieu, a,
lui aussi, ses âmes fortes, qu’il place aux endroits à surveiller et par où
l’invasion serait possible. Elle doivent tout ensemble barrer la route à
l’envahisseur, servir de retraite assurée aux faibles et aux petits, jeter le cri
d’alarme à l’intérieur du pays, puis donner le temps aux troupes régulières
de se former et de se mettre en campagne. Les saints nous disent que les
démons font des efforts inouïs pour les renverser, mais ils nous disent aus-
si que le bon Dieu les protège d’une protection spéciale et qu’il se plaît à
contempler leur force tranquille et leur ardeur généreuse ».
Les prédilections divines sont délicatement notées ch. VI, 3, 9 :
« Sexaginta sunt reginae… Una est columba mea, perfecta mea, una
est matris suae, electa genitricis suae ».
« Assez nombreuses relativement sont les âmes individuellement appelées
à l’union divine, plus nombreuses celles qui reçoivent quelques grâces
mystiques, beaucoup plus nombreuses encore celles que Dieu détache du
monde, celles qu’il purifie, qu’il enrichit, qu’il prépare ainsi de loin et à des
degrés très divers aux ascensions mystérieuses de la charité. Mais une
8 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
Que ne donnerait-on pas, ô mon Dieu, pour ouvrir sur vous les
yeux, d’une seule âme et pour obtenir qu’ils ne se ferment plus ja-
mais ? Exciter le feu du profond amour dans un seul cœur, ô mon
Dieu, quel honneur et quelle joie ! Faire qu’il y ait sur la terre une
lampe de plus qui brûle nuit et jour, non pas au loin, mais tout près de
vous, ô Jésus, ô Trinité, et comme pour vous tout seul, quel bonheur !
C’est toute l’ambition de ces pauvres lignes écrites, vous le savez, ô
mon Dieu, avec tant de peine, mais aussi avec tant de reconnaissance
anticipée. Oui, ô mon Dieu, j’espère que quelque âme de bonne volon-
té s’éclairera à cette petite lumière, s’illuminera à ce petit rayon,
s’échauffera à ce foyer ou il me semble qu’un peu d’amour profond
brûle pour vous.
Amen. Amen.
Chapitre I
1 Cant. I, 9.
2 Pour moi, être uni à Dieu, c’est mon bonheur (Ps. LXXII, 28).
3 Celui qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui (I Cor., VI, 17).
14 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
lui qui est tout ; elle n’avait rien, elle se sait riche de son Bien-Aimé ;
elle ne pouvait rien, il lui semble que tout lui obéit, parce qu’elle obéît
à Celui qui gouverne tout. Voilà pourquoi elle est dans la joie. Et c’est
toi, ô Amour, et toi seul qui as fait cela. Tu es venu de Celui qui est
amour, tu t’es emparé de cette âme, tu l’as emportée dans tes bras
jusqu’à Celui d’où tu venais ; tu l’as déposée dans son cœur. Elle s’y
repose dans la paix, elle y vit dans l’abondance, elle s’y réjouit dans le
bonheur. « Ô Amour, je voudrais sans cesse redire ton nom ! 1 » Oui,
tu es meilleur que le vin, et combien de fois es-tu meilleur !
On dit que le vin fortifie, soit ! Au spirituel, cela est sûrement vrai
de votre amour, ô mon Dieu. Expliquez-moi, Esprit divin, vous qui
scrutez les profondeurs de Dieu 2, comment la sainte charité est la
force de mon âme.
Je me sens fort, ô Jésus, quand j’éprouve l’impression de posséder
une puissance d’action capable de dominer toutes les poussées de la
nature et de développer, en mon âme, toutes les énergies du bien,
toutes les vertus. La source de cette force mystérieuse, c’est votre
amour, ô mon Jésus. Comment cela ? Quand je vous aime, il me
semble que mon âme se dilate par le dedans. J’ai l’impression que,
sous l’influence de cette dilatation intérieure, elle s’éloigne des choses
de la terre, s’élève au-dessus de tout, se rapproche de vous et s’attache
à vous. Les réalités de ce monde lui paraissent des ombres sans consis-
tance, elles ne l’attirent plus, elles ne lui parlent plus, elles se dégagent
de leur étreinte comme sans effort. On dirait un charme qui cesse, des
liens qui se brisent, des chaînes qui se détachent et qui tombent.
L’âme respire, elle se dilate, elle est libre. Seulement, cette liberté, elle
ne la reçoit que pour la donner. Un joug suave, léger, s’impose aussitôt
sur elle : joug béni, aimé, auquel elle se soumet avec une joie indicible.
C’est le joug du divin Amour. Il est bien juste qu’elle se soumette à
l’Amour, puisque c’est lui qui l’a délivrée. Elle est sa conquête, elle
comprend qu’elle doit devenir sa proie. Tu as bien raison, ô Amour.
Achève ce que tu as commencé. Ne te contente pas de délivrer, mais
attache et enchaîne. Tes liens sont si forts et tes chaînes si douces ! Tu
es plus fort que la mort, et tu attaches à l’immuable Force. Tu fais
communier à Celui qui ne change pas. Tu fais trouver à l’âme que tu
pénètres la terre ferme de son repos et de sa paix. Oui, tu rends fort et
toi seul : Quis nos separabit a caritate Christi 3 ? Ô Amour, soleil de
lame, fais tout grandir en elle ! Rends-la forte.
À certaines heures, ô mon Jésus, votre amour enivre. On se sent
comme entouré d’une atmosphère ouatée, qui amortit les bruits du
1 Sainte Thérèse.
2 I Cor., II, 10.
3 Qui nous séparera de l’amour du Christ ? (Rom., VIII, 35).
16 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
Doux Jésus, c’est toujours de vous qu’il est question ici. Il nous y
est dit que « vos parfums ont une odeur suave ». Ne le gavons-nous
pas d’expérience ? N’est-il pas vrai que vous vous plaisez parfois à
nous faire respirer au plus intime de nous-mêmes la délicieuse odeur
de vos vertus ? À l’heure où l’on y pense le moins, voilà que l’âme ai-
mante éprouve un charme profond à se sentir devenue tout à coup
douce et humble. Plus de mouvements tumultueux et inquiets, plus
d’irritations sourdes ou d’emportements intérieurs violents et insen-
sés, non, plus cela, mais la paix, le calme, la possession de soi, une
harmonie qui s’établit dans l’âme tout entière. Et c’est une harmonie
qui chante. Et son chant est doux, paisible, mélodieux, simple, discret,
pénétrant. On dirait qu’une huile fine et subtile, suave et parfumée,
s’est glissée partout pour faire que tous les rouages de l’âme fonction-
nent sans peine et s’unissent sans effort.
Si l’on doit alors parler, la parole traduit la douceur que l’âme goûte
en secret. On dirait qu’elle en est imprégnée et qu’à son tour, elle va faire
pénétrer comme en se jouant la douceur dans l’âme des autres. De fait,
elle les calme, elle les apaise, elle les charme vraiment. Et à leur tour, ces
âmes respirent l’odeur suave du parfum de notre âme, comme nous
avons, nous, respiré celle du parfum de Jésus. Car c’est lui qui nous a
communiqué quelque chose de son ineffable douceur et qui nous per-
met à notre tour d’embaumer nos frères par ce mystérieux arôme. Alors
se réalise la parole de saint Paul : « Christi bonus odor sumus Deo » 1.
1 Nous sommes pour Dieu la bonne odeur du Christ (II Cor., II, 15.)
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 17
Comme c’est vrai, ô mon Jésus, que les âmes pures et par suite tou-
jours jeunes vous aiment ! On ne soupçonnerait pas à quel point vous
18 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
êtes aimé par les cœurs purs, si on ne l’avait vu maintes fois de ses
yeux. Et c’est justice. N’êtes-vous pas la Beauté, la Bonté, la Pureté, la
Grâce ? Quand une âme est simple, limpide, claire, est-ce qu’elle ne
devient pas votre miroir vivant ? Quoi de plus beau alors qu’une telle
âme ? N’a-t-on pas dit avec raison que « plus une parole ressemble à
une pensée, une pensée à une âme, et une âme à Dieu, plus tout cela
est beau » 1 ?
Quand on se ressemble de cette ressemblance d’âme, on ne peut
pas ne pas s’aimer vraiment. Et quand on s’aime de charité, on ne peut
pas ne pas se ressembler à s’y méprendre. Voilà pourquoi, ô mon Jé-
sus, vous aimez tant les cœurs purs, et pourquoi les cœurs purs vous
aiment tant. Entre eux et vous, l’amour établit une intimité dont on ne
saurait ni mesurer la profondeur, ni décrire le charme. Vous vivez en
eux, ils vivent en vous. En un sens très vrai, vous êtes eux et ils sont
vous. Et puisque « l’amour de soi est la racine et la forme de toute ami-
tié », on comprend que votre seul Nom les fasse tressaillir jusqu’au
plus profond de leur âme, comme le nom de Celui qui est la vie de leur
vie, le cœur de leur cœur, l’amour de leur amour, plus eux-mêmes
qu’eux-mêmes. Ce qu’ils éprouvent à votre nom, vous l’éprouvez au
leur. Lorsqu’on vous les nomme, ô Jésus, ces jeunes filles, ces cœurs
purs, ces âmes intérieures, car c’est tout un, c’est vous prendre, si ou
ose dire, par votre faible, c’est vous blesser au cœur, mais d’une bles-
sure qui ne fait qu’ouvrir sur ceux qui vous la font les trésors de votre
tendresse.
Ô Jésus, bénissez les âmes intérieures, consumez de votre amour
les cœurs purs.
1 Joubert.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 19
dans le monde et dans mon cœur. N’avez-vous pas dit : « Ego veni ut
vitam habeant et abundantius habeant » 1 ? La vie, la vraie vie, n’est-
elle pas ce mouvement d’amour qui vient du Père et qui, par vous,
nous entraîne vers le Père ? N’avez-vous pas dit encore : « Nemo venit
ad Patrem, nisi per me » 2 ? Jésus, je voudrais aller au Père : je vou-
drais le trouver, le voir, le contempler, le posséder. Et je sais qu’il est
tout près : In ipso vivimus 3… Détachez-moi donc de tout. Allégez le
poids que je suis pour moi-même. Soulevez-moi, aimant divin ! En-
trainez-moi, force divine, afin que je vous suive là où vous allez, et que
je parvienne là où vous êtes toujours : « in sinu Patris » 4. Mais Jésus,
comme le chemin paraît long ! comme j’y marche lentement au gré de
votre amour et du mien ! On dit que l’amour véritable donne des ailes,
qu’il vole, qu’à tout le moins il fait courir. Jésus, plus que moi, mille
fois plus que moi, vous désirez m’unir au Père, me rendre heureux. Ô
Jésus, mon bon Samaritain, portez-moi ; mon bon Pasteur, prenez-
moi sur vos divines épaules, emportez-moi vite, bien vite vers Celui
que vous aimez tant. C’est si facile pour vous ! Puis n’est-il pas là, ca-
ché au plus intime de moi-même ? Ô Jésus, excusez ma hardiesse,
mais je vous en prie : voulez-vous ? Courons…
1 Je suis venu pour qu’ils aient la vie, et qu’ils l’aient surabondante (Joan., X, 10).
2 Nul ne vient au Père que par moi (Joan., XIV, 6).
3 C’est en lui que nous avons la vie (Act. XVII, 28).
4 Au sein du Père (Joan., I, 8).
20 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
C’est peu à peu, pour l’ordinaire, que vous révélez à votre Épouse,
en l’y faisant entrer, ces délicieuses demeures qu’elle porte en elle-
même et où vous habitez. Vous aimez tout d’abord à la retirer du de-
hors et à la rappeler au dedans. Doucement, suavement, vous fixez sur
un objet intérieur, qui l’attire mystérieusement, toutes ses facultés.
Elle oublie tout ce qui l’occupait auparavant. Un charme presque in-
saisissable l’enveloppe et la pénètre. Elle goûte une joie très douce à se
sentir près de quelque chose qu’elle devine être très bon. Elle se trouve
toute proche d’un foyer lumineux et chaud, mais caché. Quelques
rayons tamisés filtrent au travers du voile, une chaleur discrète, prin-
tanière, la réjouit, la dilate doucement, sans qu’elle puisse trop savoir
d’où elle vient. C’est le début de l’envahissement divin. Bientôt la vo-
lonté sera prise, captive. Puis les autres facultés, d’abord étonnées,
s’accoutumeront, s’approcheront pour voir et goûter. Elles seront
prises à leur tour. Puis viendra l’union totale, rare et courte d’abord,
puis plus profonde et plus fréquente. Les grandes purifications sui-
vront. Enfin l’union parfaite, permanente, indissoluble, du fond de
l’âme avec son Dieu. C’est le plus secret des appartements, le sanc-
tuaire où Dieu et l’âme vivent ensemble dans la paix.
Pourquoi, mon doux Jésus, tant d’âmes, qui vous possèdent cepen-
dant, ignorent-elles ou presque que vous habitez toujours en elles en
tant que Verbe, avec votre Père et votre divin Esprit, et que votre
sainte Humanité leur communique toute grâce ? Combien qui ne con-
naissent pas l’existence en elles de vos appartements secrets ! Com-
bien peu nombreuses sont celles que l’enseignement de la foi a éclai-
rées sur cette vérité si importante : « Tu es intus » 1 ! Et, parmi elles,
en compte-t-on beaucoup qui soient entrées par votre grâce dans les
premiers de ces sanctuaires intérieurs ? Pardonnez mon indiscrétion,
ô Jésus, mais n’y a-t-il pas là de quoi étonner ? Ne pourriez-vous pas
nous faire redire en vérité : « Medius autem vestrum stetit quem vos
1 Saint Augustin.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 21
nescitis » 1 ? Vous êtes le Dieu caché, c’est vrai ; mais pourquoi, mon
Sauveur, êtes-vous le Dieu oublié, abandonné ou ignoré ? Ce n’est pas
à vous, mais à nous qu’il faut s’en prendre. Nous sommes superficiels,
étourdis, inconsidérés. Vous nous parlez, et nous n’écoutons pas. Vous
nous appelez, et nous ne répondons pas. Vous nous attirez dans la soli-
tude, et la solitude, celle du dedans plus encore que celle du dehors,
nous fait peur. Nous cherchons à lui échapper pour nous rejeter bien
vite dans l’agitation et le bruit. Si, parfois, charmés par votre grâce,
nous prenons envie de vous suivre et nous vous demandons : « Magis-
ter, ubi habitas ? » 2, effrayés de notre audace, nous n’attendons pas
votre réponse : « Venite et videte » 3, et nous fuyons loin de vous.
« Pauvre de vous, ô Jésus ! » Il n’y avait pas de place pour vous dans
l’hôtellerie au jour de votre naissance. Pendant votre vie apostolique,
vous n’aviez pas où reposer votre tête. Et voilà que maintenant encore
vous frappez à la porte des âmes, j’entends des bonnes âmes, et elles
ne vous ouvrent pas ! « Pauvres de nous, ô Jésus ». Faites cesser, ô
Sauveur, un état de choses si douloureux pour votre Cœur, si domma-
geable pour les âmes. Ouvrez nos yeux, dilatez nos cœurs, fortifiez nos
volontés. Soyez vraiment la Voie qui conduit au Père, la Vérité qui
nous le montre, là où il est, au plus intime de nous-mêmes. Éclairez et
le terme et la route. Soyez la Vie qui fait vraiment marcher sur le che-
min et avancer vers le but. Oui, ô mon Jésus, j’ose vous le demander,
augmentez le nombre des adorateurs du Père « en esprit et en vérité »,
et faites que leur amour s’enflamme de plus en plus. Tout ce que j’ai,
tout ce que je suis, tout ce que je puis faire ou souffrir, oui, tout, ô mon
Jésus, je vous le donne, par les mains de votre très sainte Mère et du
bien-aimé saint Joseph, afin qu’il y ait dans le monde quelques âmes
intérieures de plus, et que chacune d’elles vous aime davantage.
magique, ces ombres, ces fantômes, ces riens, ont pu lui faire illusion
si longtemps ! Ô mon Jésus, éclairez bien nos âmes sur cette vérité ca-
pitale. Puisque les choses de ce monde ainsi envisagées sont inca-
pables de nous donner la plus petite goutte de vrai bonheur, détachez-
nous donc d’elles à jamais ! Faites qu’elles n’exercent plus sur nous le
moindre empire ! Inspirez-nous-en le dégoût, qu’il soit profond, in-
surmontable, définitif ! Que votre divin Esprit, ô Jésus, par le moyen
du don de Science, nous apprenne cette précieuse leçon. Qu’il daigne
la graver dans nos esprits et dans nos cœurs de telle sorte que nous ne
puissions plus jamais l’oublier ! Qu’il daigne encore, dans chaque ren-
contre particulière, prévenir le jugement de notre esprit et le mouve-
ment de notre volonté si facilement influencés par l’apparence, mille
fois trompés, mille fois déçus, et cependant toujours favorables à ce
qui nous a éloignés de vous pour notre malheur ! Que la Vérité nous
délivre enfin ! qu’elle nous donne la vraie liberté, celle de vous aimer
et de ne plus aimer que vous. « Et veritas liberabit vos » 1.
Les créatures ont un autre aspect, qui se révèle à l’âme intérieure et
leur parle éloquemment de vous, ô mon Dieu. Elles sont vos œuvres,
en effet. On dirait que vous avez laissé en elles quelque chose de vous-
même. Leur beauté n’est-elle pas le très lointain mais réel reflet de
votre ineffable Beauté ? Ne doit-on pas en dire autant de leurs autres
qualités ? Les cieux comme les fleurs des champs ne racontent-ils pas
votre gloire, ô mon Dieu ? Heureux les yeux qui s’ouvrent et ne voient
plus dans toute créature qu’un « transparent du bon Dieu » ! Comme
il est facile, sous l’influence de cette douce lumière, de voir son Dieu
partout et de le trouver partout ! L’oreille de l’âme entend alors
l’harmonieux cantique des choses. Elle les écoute lui dire avec joie, se-
lon leur degré de participation à la perfection de leur auteur : « In Ipso
vivimus et movemur et sumus » 2. Et c’est dans les appartements se-
crets du Roi que les yeux et les oreilles s’ouvrent. Attirez-nous donc, ô
Jésus, dans votre mystérieuse retraite !
Plus encore que le monde sensible, votre parole, contenue dans les
Saintes Écritures, est pleine de divins secrets. C’est vous, ô divin
Maître, qui nous les révélez. Et c’est dans l’école intérieure que vous
instruisez l’âme attentive. Heureux disciples, recueillez-vous, écoutez
la douce voix de Jésus ! Il va vous dire ses « secrets ». Les autres en-
tendent et ne comprennent pas. Il veut, par pure bonté, que vous soyez
de ceux qui reçoivent ses explications et lisent dans sa pensée. Esprit
L’âme monte ainsi peu à peu dans la lumière. De son côté, l’amour
suit les progrès de la connaissance. Plus on vous connaît, ô mon Dieu,
plus on se sent incliné à vous aimer. Et plus on vous aime, plus aussi
on veut vous connaître. Il est si bon de vous connaître, il est si bon de
vous aimer. Comme on voudrait vous lire, ô mon Dieu, non plus dans
vos créatures, même les plus belles, non plus dans vos paroles à forme
humaine, si profondes pourtant, mais, en vous-même. Oui, notre au-
dace va jusque-là : vous scruter vous-même à fond, si cela se pouvait,
d’un regard plein d’admiration, de respect et d’affection. C’est que
vous nous avez faits, non seulement pour vous connaître, mais pour
vous contempler face à face. La foi nous le dit. Ce que l’âme sait de
vous par les créatures et par la révélation avive son désir. Elle veut
vous voir, et ne veut plus que cela.
N’est-ce pas du reste votre propre désir ? Pourquoi l’avez-vous dé-
tachée, recueillie, éclairée, embrasée ? Pourquoi l’avez-vous introduite
1 Matth., VI, 8.
2 Matth., VI, 33.
3 Luc, XVII, 21.
4 Joan., XIV, 23.
5 Apoc., III, 19.
6 Cant. II, 16.
24 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
Sa richesse.
Ce qui est bon pour moi, c’est ce qui m’enrichit, ce qui me perfec-
tionne, ce qui m’achève. Mais les hommes et les choses ne peuvent ac-
complir cette œuvre en moi que dans la mesure où ils sont riches, par-
faits, achevés, ce qui revient à dire dans la mesure où ils « sont » vrai-
ment. Or, c’est vous, ô mon Dieu, et vous seul qui les faites ce qu’ils sont.
C’est vous et vous seul qui leur imprimez cette inclination à se donner
qui les rend bienfaisants. Comme pour la vérité, ce qui est en eux à
l’état divisé et participé se trouve en vous par essence et dans la plus
parfaite unité. Vous êtes bon, la Bonté même, meilleur, si l’on ose dire,
que la bonté, parce que vous êtes riche de tout, sans mesure, par vous-
même, et que tout le poids de vos trésors, sans gêner votre liberté, vous
incline à donner, à donner encore, à vous donner vous-même enfin !
Puisque aimer c’est s’élancer vers tout ce qui est bien, comment
veux-tu, ô Bonté infinie, ô Richesse sans limites, ô Source de tout bien,
comment veux-tu que je ne me jette pas dans tes bras, que je ne t’aime
pas, et toi seule ? Comme je voudrais te chanter, ô bonté de mon Dieu,
ô Dieu de bonté ! Jour et nuit, aux heures de ténèbres comme aux
heures de lumière, quand tu te caches comme quand tu te donnes, là,
au fond du cœur, et que tu béatifies ta pauvre créature, oui, je voudrais
toujours redire à tous : « Confitemini Domino quoniam bonus, quo-
niam in saeculum misericordia ejus ! 1 »
Sa joie.
Sa pureté.
Et ce qui ravit au-delà de tout, c’est qu’elle est chaste. Oui, mille fois
oui, jamais la belle vertu n’avait paru si belle, si aimable, si attachante.
Tu la fais aimer comme jamais. Mieux encore, tu la verses en même
temps que ta joie. On dirait qu’elle envahit tout l’être pour le faire
semblable à elle. On comprend alors par expérience tout son prix,
toute sa richesse. Ô Pureté sainte, compagne de la joie divine, tu fais
naître Dieu dans les âmes et les âmes en Dieu. C’est toi qui as donné
Jésus à Marie ! C’est toi qui donnes Jésus aux âmes et les âmes à Jé-
sus ! Sans toi, il n’y a pas d’intimité possible avec Dieu. Dès que tu es
là, toi et l’humilité, l’Amour peut faire ce qu’il veut. Il a les mains
libres. Il peut suivre sa pente ; il peut envahir, consumer, rendre heu-
reux, et il le fait. Comme on a raison de vous aimer, ô aimable Bonté
divine, et de n’aimer que Vous !
1 Louez le Seigneur parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde est éternelle (Ps. CXVII, 1).
28 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
Sa force.
Sa beauté.
On aime ce qui est beau. Vous êtes la parfaite Beauté, ô mon Dieu,
et même l’unique Beauté. « On a donc bien raison de vous aimer » et
de n’aimer que vous !
1 Isaïe, IX, 5.
2 Celui qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui (I Cor., VI, 17).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 29
Ce qui nous fait dire qu’une chose est belle, c’est ce qui fait qu’elle
est agréable à connaître. Tout ce qui plaît légitimement à nos yeux, à
nos oreilles, à notre esprit, et dans la mesure même où il leur plaît,
tout cela est beau. Dans ces choses qui nous plaisent ainsi : paysage,
mélodie, génie, sainteté, on remarque toujours de l’ordre, de l’harmo-
nie, de l’unité, de la variété, de la puissance et de l’éclat. Le beau nous
plaît parce qu’il achève nos facultés de connaître, en les développant,
en les enrichissant. Il augmente leur portée, accroît leur activité, leur
permet d’atteindre plus de choses avec moins d’efforts, dans un acte
plus simple. Plus grande est la multiplicité et plus parfaite est l’unité,
plus profonde l’analyse du regard et plus puissante la synthèse du
coup d’œil, plus la connaissance est parfaite, plus l’âme est heureuse.
Vous êtes la Beauté parfaite, ô Jésus, divin Époux de mon âme ! Je
ne vois pas les traits harmonieux de votre visage. Je ne puis contem-
pler la simplicité et la beauté de votre regard. Le son de votre voix si
douce n’a jamais frappé mes oreilles. Mais tout cela n’est pas néces-
saire pour que je vous appelle « le plus beau des enfants des hom-
mes » 1. Votre sainte Mère ne pouvait se lasser de vous admirer, vous,
son Fils, virginalement conçu, et son Dieu. Ô heureux saint Joseph,
comme je me réjouis à la pensée de la joie si profonde que vous goûtiez
à contempler Jésus et Marie. Personne n’a été privilégié comme vous,
et tant mieux ! Vous y répondiez si bien, vous si pur, si discret, si dé-
voué, si aimant ! Mais, ô Jésus, je sais qu’au Thabor, vous avez permis
à Pierre, à Jacques et à Jean de lever les yeux un instant sur votre hu-
manité glorifiée. Ils ont été éblouis par sa beauté. Ne me permettrez-
vous donc jamais de vous entrevoir un peu ? Je dirais plus fort que
jamais : « Comme on a raison de vous aimer et de n’aimer les créa-
tures qu’en vous et pour vous ».
On a bien raison enfin, ô mon Dieu, de vous aimer de tout son cœur !
On le fait déjà quand on n’aime plus rien qu’en vous et pour vous. Mais
il y a quelque chose de plus ici : aimer de tout son cœur, cela veut dire,
semble-t-il, aimer d’un élan spontané et avec une plénitude qui épuise
tout notre pouvoir d’aimer. L’amour a tout pénétré, tout envahi, et il
emporte tout. Ce n’est pas seulement le cœur spirituel qui est pris,
c’est le cœur sensible lui-même qui est alors purifié, transformé,
comme spiritualisé et vivifié par l’Amour divin. À parler rigoureuse-
ment, il ne peut pas l’éprouver en lui-même, cet amour tout spirituel,
mais il peut, à raison de son harmonie devenue parfaite avec la volon-
1 Ps. XLIV, 2.
30 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
L’âme qui a souffert pour Jésus sait deux choses : que le feu de
l’épreuve l’a comme noircie et que pourtant ses traits sont devenus
plus beaux. Elle n’a plus cette beauté tendre, délicate, mais fragile des
premiers jours de la vie intérieure, où tout dans la piété lui souriait et
où elle souriait à tout. La tentation a fait son œuvre. Il a fallu lui tenir
tête, et au dehors et au dedans. Dans cette lutte, parfois longue et tou-
jours sans merci, l’âme a grandi, elle s’est fortifiée, elle s’est comme
mûrie. Sa beauté a pris quelque chose de vigoureux et de ferme. Elle
est devenue plus parfaite, plus achevée parce qu’elle est la beauté de la
vertu qui, dans son sens plein, dit : ordre, harmonie, puissance, éclat
discret, mais pénétrant. Ce n’est plus la fleur du printemps, c’est le
fruit mûr de l’automne.
dans l’homme devrait travailler au profit de l’âme ; tout dans l’âme de-
vrait s’employer au service de ce qui en elle ressemble le plus à Dieu,
doit vivre de Dieu et participer de plus en plus à Dieu. C’est la raison
d’être comme c’est le bien de tout dans l’homme. Pourquoi faut-il que
l’âme soit obligée d’avouer : Ma vigne à moi, je ne l’ai pas gardée,
mon bien à moi, je ne l’ai pas cherché ?
Il faut renverser les rôles, rentrer dans l’ordre, reconquérir sa liber-
té, garder sa vigne et ne plus faire désormais que cela. Les « autres »
de l’âme n’y trouveront pas leur compte, à leur avis. Tant pis pour
eux ! Du reste, ils se trompent. Eux-mêmes recevront au centuple,
mais tout autrement. En attendant, qu’ils se plaignent, qu’ils gémis-
sent, qu’ils murmurent, qu’ils essaient de tyranniser, ils n’en auront ni
plus, ni moins. Il leur faudra bien se taire, puis se cacher. Sans doute,
ils seront là, toujours, mais ils y seront toujours surveillés et toujours
domptés. À l’âme de dominer et de régner à son tour. À l’amour enfin
de tout gouverner dans l’âme. C’est l’ordre, c’est la paix, c’est la vie,
c’est la richesse, c’est la joie vraie, c’est le vrai bonheur.
INDICA MIHI, QUEM DILIGIT ANIMA MEA, UBI PASCAS, UBI CUBES IN ME-
RIDIE (CANT., I, 7).
Dis-moi, ô toi que mon cœur aime, où tu mènes paître tes brebis,
où tu les fais reposer à midi.
Brebis privilégiées.
L’âme qui vous aime, ô Jésus, devient audacieuse ; elle vous parle
familièrement, elle vous interroge même ; elle le fait parce qu’elle vous
a donné son cœur. C’est son amour qui la presse ; c’est lui qui la décide
à vous demander ce qu’elle désire savoir ; c’est lui qu’elle évoque ; c’est
par lui qu’elle espère vous émouvoir et vous porter à lui répondre.
Faut-il la blâmer ? Ne vaut-il pas mieux l’imiter ? Qui vous aime, vous
cherche. Comment se passer de vous, ô Jésus ! On ne vous cherche en
effet que pour vous trouver. On ne peut enfin vous trouver que si on
connaît le lieu de votre demeure et le chemin qui y conduit. Vous seul
découvrez ce grand secret à qui il vous plaît. À la question : « Magis-
ter, ubi habitas ? », vous seul pouvez répondre : « Veni et vide » 1. Voi-
là pourquoi l’âme tourmentée de votre amour ose vous poser une telle
question.
Vous êtes, ô mon Jésus, là où sont vos brebis. Vous ne les quittez
pas et elles ne vous quittent pas. Vous les conduisez et elles vous sui-
vent. Vous les appelez par leur nom et elles répondent à votre appel.
Le son de votre voix leur est bien connu. Elles n’en écoutent pas
d’autres. Oui, ô bon Pasteur, vous avez vos brebis à vous qui vous ap-
partiennent à un titre spécial, dont vous vous occupez si l’on peut dire
personnellement. Pendant votre vie mortelle, les Douze ne formaient-
ils pas un troupeau choisi ? Parmi eux, Pierre, Jacques et Jean ne vous
suivaient-ils pas de plus près ? Et enfin Jean n’était-il pas l’agneau
préféré, celui « que Jésus aimait » 1, dira-t-il lui-même de lui-même ?
Il en est encore ainsi. Vous avez des amis privilégiés, des brebis de
choix, ce sont les âmes vraiment intérieures, celles qui, ayant entendu
vôtre appel spécial, ont tout quitté, père et filets, se sont quittées elles-
mêmes à jamais pour vous suivre partout, toujours, au Thabor, au Cal-
vaire, au ciel. Oui, il y a dans le monde des âmes qui vous appartien-
nent en propre, et parmi elles il y en a qui sont réellement vos brebis
préférées, vos épouses. N’en est-il pas une même, à la fois plus belle,
plus parfaite, plus fidèle que les autres, et partant plus aimée que les
plus aimées ? Je le croirais, ô Jésus ! Votre Cœur ne change pas. Il est
aujourd’hui ce qu’il était hier, ce qu’il sera demain et toujours. J’ad-
mire donc cette âme inconnue, je me réjouis de sa perfection, je la féli-
cite de son privilège, je suis heureux, oui, très heureux de son bonheur.
Je prie pour elle de tout mon cœur. Qu’elle grandisse encore dans
votre amour ! Qu’elle soit de plus en plus la consolation de votre divin
Cœur !
Comme on comprend que cette âme, si vous vous êtes caché d’elle
pour un temps, comme il vous arrive de le faire, se mette à votre re-
cherche et vous demande, à « vous que son cœur aime », où vous me-
nez paître vos brebis et où vous les faites reposer à midi. Exaucez
cette légitime prière. Répondez à cette demande. Faites luire à cette
âme si aimante, comme autrefois aux mages, l’étoile mystérieuse qui la
conduira sûrement jusqu’à vous ! Indiquez-lui la route ! Donnez-lui un
guide pour les passages difficiles ! Que votre amour grandisse en elle !
Qu’il soit sa force, qu’il la soutienne jusqu’à ce qu’enfin elle vous
trouve, là où vous nourrissez vos brebis de vous-même, et où vous leur
permettez de prendre, dans vos bras, ce doux repos, leur seule occupa-
tion possible, à l’heure où votre amour les accable délicieusement de
sa consumante chaleur.
c’est vivre. Vous connaître, vous aimer, c’est vivre de vous, c’est se
nourrir de vous. Votre doctrine, votre vie, vos dispositions intimes, vos
deux natures, votre adorable personne inséparable du Père et de
l’Esprit, votre œuvre, la sainte Église, celle qui triomphe, celle qui
souffre, celle qui lutte, votre travail dans les âmes : voilà ce que vous
faites connaître sous un jour comme tout nouveau à l’âme qui vous
aime. C’est vraiment sa nourriture : elle vit de la vérité. Tous les jours,
des perspectives inattendues s’ouvrent à son regard. Le monde spiri-
tuel a ses secrets comme le monde matériel, et combien plus profonds
et plus nombreux ! C’est votre joie que de les révéler à votre Épouse.
Son étonnement vous ravit. Comme vous êtes bon !
L’amour suit la connaissance. Plus on vous connaît, vous et vos
œuvres, ô mon Dieu, plus on vous aime. Si vous révélez vos secrets à
votre Épouse, c’est sans doute pour lui témoigner votre confiance et
votre affection, mais c’est aussi pour qu’elle vous admire et pour quelle
vous aime de plus en plus. Toujours et partout, vous êtes « Verbum
spirans amorem ». L’amour grandit donc avec la connaissance. La
lumière devient chaleur et feu. L’âme s’embrase. Elle brûle ; elle se
consume ; elle vit de son amour ; elle en meurt à chaque instant, mais
c’est pour en vivre de nouveau avec plus d’ardeur que jamais. Quand la
chaleur devient trop forte, et comme accablante, l’âme éprouve le be-
soin de se reposer et de dormir. C’est midi. Toute activité cesse. Tout
s’arrête, tout dort. Le cœur seul continue à battre. Il vit alors pleine-
ment sa vie : il aime et il le sait.
Pour mieux reposer et pour mieux aimer encore, il ose s’appuyer
sur le Bien-Aimé. C’est sa vraie place. Il n’est bien, il n’est heureux que
là. Il voudrait y vivre toujours. Il voudrait y mourir dans une extase
d’amour. La mort, pour celui qui aime Jésus, n’est-elle pas une
« douce extase » ? C’est la prière que vous fait votre Épousé, ô Jésus :
brûler jour et nuit d’amour pour vous, ne plus faire que cela, reposer
humblement sur votre bon Cœur, établir en lui sa demeure et attendre
là le moment béni de la mort. Cette prière vous plaît, ô divin Ami.
Écoutez-la et, dès ce moment, exaucez-la.
parente. L’âme ne voit plus son chemin ; elle ne sait où mettre ses pas ;
rien n’est sûr. Il lui faut marcher pourtant, car l’amour sans se mon-
trer la presse toujours. Plus elle sent sa faiblesse, plus elle crie après
Celui qui seul est sa force : « Seigneur, je suis aveugle, faites que je
voie ! 1 » Seigneur, je suis sourde, faites que j’entende ! Seigneur, je
suis paralytique, faites que je marche ! Seigneur, je ne sais que deve-
nir, que voulez-vous de moi ? Jésus, à quel autre irai-je ? vous seul
avez les paroles de vie et d’éternité 2. Vous êtes la Vérité 3, éclairez-
moi ; vous êtes la Voie 4, conduisez-moi afin que je n’erre pas comme
une égarée en quête de son chemin et de son Dieu.
cri d’admiration, tant on est saisi par sa beauté. Rien n’est beau
comme une belle âme. Rien ne rend une âme belle comme l’amour
vrai du bon Dieu. Là où il est, il éclaire tout, il élève tout, il sublime
tout, il transforme tout. Il n’est pas jusqu’aux traits extérieurs de la
physionomie qui n’en soient illuminés et harmonisés. La bouche ne
parle-t-elle pas de l’abondance du cœur ? Les yeux ne sont-ils pas le
miroir de l’âme ? L’âme n’est-elle pas chargée de pétrir à son image
l’argile de son corps ? Au ciel, après la résurrection, l’éclat du corps ne
sera-t-il pas le reflet de la gloire de l’âme béatifiée par la contempla-
tion et l’amour ? Oui, à bien juger des choses, rien dans l’ordre sen-
sible n’est beau comme une figure de saint, on ne se lasserait pas de
l’admirer, il suffit de la regarder pour se sentir devenir meilleur. C’est
un transparent de Jésus. Rappelons-nous la transfiguration des traits
de sainte Catherine de Sienne en ceux du divin Maître, sous les yeux
étonnés du bienheureux Raymond de Capoue. Quel respect Jeanne
d’Arc n’inspirait-elle pas aux soldats ! Saint François de Sales, rien
qu’à le voir, ne donnait-il pas envie de lui parler et de lui ouvrir son
âme ? L’amour ne transformait-il pas à l’heure de la prière du soir les
traits amaigris du saint curé d’Ars ? Quoi de plus beau à contempler
que l’aimable sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, telle qu’on la repré-
sente dormant son dernier sommeil ? On dirait un chef-d’œuvre de
paix, de grâce et de pureté. Ç’est le triomphe du pur amour de Dieu.
L’argile rayonne, elle parle, elle chante. Qui la contemple se sent porté
lui aussi à rayonner, à parler, à chanter. Oui, vous êtes belles, ô âmes
toutes consumées d’amour de Dieu ! La beauté, c’est l’ordre, l’harmo-
nie, la puissance, l’éclat. Tout cela est à vous et vous êtes tout cela,
parce que vous êtes tout amour, La beauté morale, la plus belle de
toutes les beautés, n’est-elle pas la vertu parfaite ? Mais qui dit vertu
au sens plein, ne dit-il pas ordre, puissance, éclat ? La vertu, c’est
l’ordre de l’amour, d’après saint Augustin. Quand donc l’amour est
ordonné, il ordonne tout dans l’âme, il y met tout à son rang et à sa
place : Dieu d’abord et au-dessus de tout, le reste selon son rapport
avec Dieu. Mais cela, dans le plan surnaturel, c’est la charité.
Amour parfait du bon Dieu égale ordre parfait, égale vertu parfaite
qui le constitue, le maintient, l’achève, égale beauté parfaite par con-
séquent.
La vraie beauté d’une âme lui vient en dernière analyse de sa chari-
té. Plus elle aime son Dieu, plus elle est belle et aux yeux de Dieu et
aux yeux des anges, et même aux yeux des hommes, quand leurs yeux
sont ouverts aux choses de la grâce.
*
Une chose m’étonne dans le texte sacré, c’est la hardiesse du com-
pliment. Il semble qu’on ne devrait pas révéler à une âme sa beauté,
36 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
1 Luc, I, 49.
2 Cant., IV, 7.
3 Luc, I, 28.
4 Luc, I, 42.
5 Luc, I, 46.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 37
sur elle pour la mieux savourer. Ne pense plus à toi. Ne demeure plus
chez toi. Pourquoi occuper ton esprit d’un être si petit et si pauvre que
toi ? Pourquoi vouloir vivre là où tu es mal à l’aise au milieu de souve-
nirs et d’inquiétudes qui te tourmentent et te fatiguent ? Laisse-toi là
avec toutes tes peines et sors de toi pour entrer en moi, ton Dieu.
C’est un bien grand secret que vous me révélez, ô mon Dieu…
Oui, pour aller à vous, pour vous trouver, pour vous posséder, il
faut que je sorte de moi, que je ne me recherche plus en rien, que je me
perde tout à fait et pour toujours : « Que celui qui veut sauver son
âme la perde — Qui amat animam suam perdet eam » 1. C’est la loi
que vous avez posée, vous n’en dispensez personne. Mais, Seigneur,
vous connaissez ma faiblesse, mon ignorance, mon peu de générosité.
Donnez-moi la force de briser tous mes liens. Je tiens encore à tant de
choses ! Apprenez-moi à me détacher, à me quitter, à m’élancer vers
vous ! Je ne sais comment m’y prendre. Je vous désire de tout mon
cœur ; je voudrais vous aimer jour et nuit, je souhaite à chaque instant
l’heureuse possession de vous-même, ô mon trésor, ô ma joie, ô ma
vie, ô mon tout, et je ne parviens pas à sortir tout à fait de moi pour me
perdre en vous.
Vous savoir si près de soi, si au-dedans de soi, savoir ce que vous
êtes, ô mon Dieu, et ne pas pouvoir vous atteindre, pour vous aimer
cœur à cœur, esprit à esprit, loin du bruit, loin du monde, loin de soi —
parce qu’on ne sait pas sortir pleinement de soi —, quel tourment, quel
supplice ! Ô Dieu de mon cœur, ô mon amour, exaucez ma prière,
n’attendez pas la fin de ma vie pour vous donner à moi ! Je vous dé-
sire, je vous aime, je vous veux tout à moi dès maintenant, toujours. Je
ne sais comment vous exprimer ma faim et ma soif ; je voudrais trou-
ver des mots plus éloquents que l’éloquence pour plaider ma cause et
la gagner. Mais j’entends au fond de mon cœur votre réponse qui est
en même temps un doux reproche… Oui, mon Dieu, ce que vous me
dites est vrai, je ne vous aime pas assez. Mon amour pour vous est en-
core trop celui d’un enfant d’un jour. Malgré ses efforts, il ne parvient
pas à m’emporter jusqu’à vous. Il essaie souvent de le faire : par mo-
ments, c’est à croire qu’il va y réussir. On dirait que l’âme se soulève,
qu’elle bat des ailes comme pour prendre son vol vers vous. Mais ses
ailes sont trop tendres, la poussée du dedans trop faible et l’union tant
désirée ne se fait pas. L’âme retombe, non pas brisée, non pas décou-
ragée, mais humblement résignée à attendre des ailes plus fortes et la
victorieuse impulsion de l’amour. Quand sera-ce, ô mon Jésus ?
Quand viendra-t-il cet heureux moment du triomphe de votre amour ?
Quand me ferez-vous entendre l’appel mystérieux : « Ecce Sponsus
DIRECTION SPIRITUELLE
À toute heure donc, ô Esprit divin, vous exercez par votre grâce une
suave et forte attraction sur les facilités de mon âme. Vous avez même
versé en moi vos dons mystérieux. Ils sont là comme des voiles qui at-
tendent le vent favorable, comme des cordes de lyre au repos, atten-
dant elles aussi que vous leur fassiez rendre des sons divins. Mais vous
n’agissez que si nous vous confions sans conditions le gouvernail de
1 Matth., XXV, 6.
2 Cant., II, 10.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 39
1 Car tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu (Rom., VIII, 14).
2 Cant., I, 8.
40 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
Le vrai Directeur.
Dieu, et, par suite, ignorante de tout ce qui ne serait pas cet amour. Il
est heureux, certes, mais son bonheur lui vient uniquement de ce qu’il
aime son Dieu et de ce qu’il peut le faire aimer par sa sainte dirigée.
Oui, heureuse sainte Chantal d’avoir enfin trouvé son pasteur et son
guide, heureux saint François de Sales d’avoir trouvé une véritable
amie de Dieu !
feu. Il en est ainsi de tous les saints. Leur regard a plongé plus avant
dans le mystère divin. Leur cœur s’est approché plus près du buisson
ardent de l’Amour. « Celui qui Est » 1 se les est unis plus profondé-
ment et leur a communiqué quelque chose de sa force immuable.
Pourquoi donc s’étonner que, redescendus des hauteurs de la contem-
plation, leur parole soit lumineuse, leur accent tout de feu, leur action
irrésistible et conquérante ? À l’exemple de saint Thomas, ils vou-
draient redire à tous la beauté du Dieu qu’ils ont contemplé : « Con-
templari et contemplata aliis tradere » 2 ; ou, comme une sainte Thé-
rèse, ils rêvent « de prendre les âmes aux charmes du Bien si divin »
qu’ils ont goûté. N’hésitons pas, suivons ces bergers.
Pendant que l’âme fidèle, dans son angoisse d’amour, cherche Jé-
sus, le demande à tous ceux qu’elle suppose capables de lui indiquer
où il se trouve, Jésus la contemple, il la trouve belle. Il est ravi par sa
beauté. Il ne peut plus ne pas le lui dire et il le lui dit. Quel moment
béni que celui où l’âme comprend qu’elle plaît, à son Dieu. « Plaire à
Dieu ! », que de choses dans ces trois mots ! Que leur manque-t-il ? Ne
contiennent-ils pas tout pour le présent et pour l’éternité ? Savoir que
Dieu est content, qu’il lui est doux de penser à nous, de nous regarder,
que ce regard qu’il daigne abaisser sur nous fait retour vers lui, tout
chargé de sourires et de joies, que dans ce retour, il va jusqu’au plus
intime de son cœur et qu’il nous y fait pénétrer avec lui afin que nous
puissions sourire au Bien-Aimé et l’aimer comme de plus près ! Vous
plaire, ô mon Dieu, que faut-il de plus â mon bonheur ? Rien. Pour-
quoi chercher autre chose ?
Non, vraiment, rien ne peut exprimer la joie de l’âme quand elle
entend son Dieu l’appeler « mon amie ». L’éloge qu’il fait d’elle passe
comme un éclair lumineux dans son ciel intérieur, mais le doux nom
d’amie pénètre comme une flèche jusqu’au fond de son cœur. Il lui fait
une délicieuse blessure qui la remplit d’aise et l’enivre de bonheur. Il y
a de quoi, les angoisses du passé, les nuits obscures, les déserts sans
eau, les gouffres sans fond, les appels sans réponse, tout est loin, bien
loin. Tout est oublié. Le divin Époux a parlé. Il a prononcé le mot qui
dit tant de choses et avec un accent qui dit plus encore. Il semble que
son cœur si bon, si aimant, passe tout entier dans sa voix. Et c’est vrai.
L’âme le comprend. Elle est ravie à mourir. Elle n’aurait jamais pu
croire à un bonheur si doux, si profond, si divin ! Ô Jésus que vous
êtes bon !
soit pas seul à parler ici. Le Père et l’Esprit d’amour sont d’accord avec
lui. Ils se proposent tous trois d’enrichir la sainte Épouse « de colliers
d’or aux points d’argent ». Toutes les œuvres divines dites « ad ex-
tra » sont communes aux trois adorables Personnes de la très Sainte
Trinité. La perfection d’une âme est une de ces œuvres et des plus
belles. Mais l’usage attribue telle partie de cette œuvre au Père, telle
autre au Fils et telle autre au Saint-Esprit à raison des harmonies qui
existent entre ces effets et les caractères distinctifs de chacune des
trois Personnes de la très sainte Trinité. Voilà pourquoi on peut voir
ici tout ensemble une œuvre commune, mais frappée au coin person-
nel de chacune des trois adorables Personnes.
Le collier donné par le Père, c’est sa propre nature, sa vie. C’est en
cela qu’il est Père de l’âme et que l’âme est son enfant. Plus une filia-
tion, dit en substance saint Thomas, se rapproche de la filiation du
Verbe et y participe, plus elle est parfaite. Pour l’âme humaine, cette fi-
liation ne sera parfaite que dans le ciel. Mais entre le premier pas dans
la grâce et le premier pas dans la gloire, il y a de nombreux degrés
d’ascension. Quand Dieu parle à une âme comme il le fait à la sainte
Épouse du Cantique, c’est qu’elle est devenue son enfant à un degré
qui tient plus du terme que de la voie. Non seulement elle est l’enfant
aimée, chérie du bon Dieu, mais elle le sait en quelque façon. Elle a
comme une sorte de conscience sourde, mais très réelle, de vivre dans
le sein du Père, d’être portée par lui, nourrie par lui, de grandir mysté-
rieusement en lui jusqu’à la plénitude de l’âge du Christ. Dieu lui dit
dans un sens plénier la parole de saint Paul : « Filiola quam iterum
parturio donec formetur Christus in te » 1. À de certaines heures, elle
se rend mieux compte du progrès de la vie divine en elle-même. On di-
rait qu’il y a des crises de croissance dans la vie intérieure comme dans
la vie physique. C’est ce que, semble-t-il, saint Thomas appelle « mis-
sion divine invisible » dans l’âme. L’identification, autant qu’on en
peut parler ici, entre le Père et l’enfant devient plus parfaite, l’intimité
plus profonde, la communauté de vie et d’être plus étroite et plus
constante. Le Père semble ne plus vouloir garder pour lui que le doux
privilège de donner et de tout donner, et l’enfant celui bien doux aussi
de recevoir et de tout recevoir. Oui, saint Thomas a bien dit que plus
une filiation ressemble à celle du Verbe, plus elle est parfaite. Il a bien
parlé aussi, ô mon Dieu, celui qui a dit que nul n’était Père comme
vous. « Nemo tam Pater » 2.
Voilà le collier d’or aux points d’argent, donné par le Père à sa
chère enfant.
1 Cf. Galat., IV, 19 : Mes petits enfants pour qui j’éprouve les douleurs de l’enfantement jusqu’à ce
DUM ESSET REX IN ACCUBITO SUO, NARDUS MEA DEDIT ODOREM SUUM
(CANT., I, 12).
Tandis que le Roi est à son divan, mon nard exhale son parfum.
L’âme fidèle est toujours en adoration devant son Dieu. C’est une
lampe qui se consume, une mélodie qui se déroule gracieusement, une
fleur qui s’épanouit et répand son doux parfum. À certaines heures,
elle se rend compte qu’elle brûle, qu’elle chante, qu’elle embaume. Dieu
permet qu’elle sache que son ardeur lui plaît, que sa voix lui est agréa-
ble, que son parfum le réjouit. Il n’est plus aussi caché qu’autrefois : il
donne à entendre qu’il est là, tout près, à son divan, au fond du cœur
et que, s’il paraît reposer, il est cependant éveillé et attentif. Il fait sa-
voir, par un procédé qui n’est qu’à lui, que les mille marques d’affec-
tion que l’âme ne se lasse pas de lui donner, sont chères à son cœur.
C’est pour lui un encens d’agréable odeur. C’est le parfum caractéris-
tique de sa Bien-Aimée. Il le charme en lui parlant d’elle et de son
amour. Et la sainte Épouse le sait. Ô mon Dieu, quelle joie pour l’âme
que cette douce constatation ! Vous sentir là au-dedans de soi, vous, le
Dieu si bon, si puissant ! Comprendre que vous y êtes comme dans le
lieu agréable de votre repos ! Savoir d’une manière saisissante que
vous voulez bien vous plaire dans ce pauvre cœur dont le seul mérite
est d’être tout à vous ! Vous faire plaisir comme fait plaisir la vue d’une
belle fleur ! Vous charmer comme charme un parfum pénétrant et
sain ! Vous savoir heureux, surprendre la joie sur vos traits et jusque
dans vos yeux : comme tout cela est précieux pour l’âme ! Que sont
tous les sacrifices au prix de celle joie ? Que sont tous les bonheurs au-
près de ce bonheur ? Rien ! mon Dieu ! rien. C’est même leur faire la
part trop belle encore que de penser à eux. Ô mon Dieu, accordez-moi
cette grâce d’être pour vous un agréable et doux parfum.
vaincre dans cette aimable lutte. À son tour d’embaumer l’âme aimée
de son parfum à lui, voilà pourquoi il s’offre à elle comme un sachet de
myrrhe à placer tout près de son cœur, afin qu’elle puisse en respirer
l’arôme à chaque instant. Mais c’est Jésus flagellé, couronné d’épines,
crucifié, qui veut ainsi reposer sur le cœur de sa fidèle Épouse. Elle
comprend la nature du présent qui lui est fait ! Loin d’en être effrayée,
elle s’en réjouit. Oui, ô mon Dieu, quand on vous aime, on veut parta-
ger vos souffrances, boire à votre calice, porter votre croix, y être cloué
avec vous. Oh ! ces clous de la souffrance, qui attachent pour toujours
à la croix, de Jésus, qu’ils sont aimés de mon cœur ! Y a-t-il une joie au
monde comparable à celle de se sentir cloué à la croix avec Jésus ? Au-
cune extase n’est douce comme celle-là, parce qu’il n’y en a pas où
l’amour se sente plus vivant, plus profond et plus vrai… Merci mille et
mille fois, ô Bien-Aimé de mon cœur, du sachet de myrrhe que vous
m’avez donné à respirer. Vous ne pouviez pas me prouver plus claire-
ment votre affection. Que la souffrance pénètre tous les moments de
ma vie, tous et chacun de mes actes, comme un parfum sans prix !
Doux Jésus crucifié, restez là sous mes yeux, sur mon cœur, et donnez-
moi la grâce de sourire à toute souffrance comme à un rayon de soleil
tout embaumé de la plus suave odeur.
Les fleurs de cypre sont un peu couleur d’or ; elles répandent une
odeur semblable à celle du réséda ; elles aiment beaucoup la chaleur.
On les dit très recherchées des Orientaux.
Pour traduire le charme spirituel de son divin Époux, l’âme inté-
rieure se sert de cette image beaucoup plus riche dans la langue bi-
blique que dans la nôtre. Qui nous empêche d’y voir un symbole de
l’ardente charité de Jésus pour l’âme aimante, et de l’âme aimante
pour Jésus ? C’est que la souffrance, représentée par la myrrhe, n’est
pas une fin cherchée pour elle-même, elle n’est qu’un moyen. Elle sert
à manifester l’amour. Elle est l’occasion et comme la matière préférée
de la divine charité ; elle n’est la source même, ni du mérite, ni de la
beauté de l’âme. Il faut toujours en revenir au divin Amour. Jésus n’est
pas seulement la grappe de raisin des vignots d’Engaddi, il est aussi la
grappe de cypre aux fleurs jaune d’or. Tout cela parle de charité.
L’Épouse, qui ne sait plus qu’une chose, aimer, cherche à traduire de
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 49
Le regard de l’âme intérieure est pur, il ne voit que Dieu, il le voit en tout
et voit tout en lui.
1 Si ton œil est sain, tout ton corps sera dans la lumière (Matth., VI, 22).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 51
voyait. Son Dieu, son trésor, est désormais comme sous ses yeux. Il lui
suffit de les ouvrir pour le contempler.
L’âme fermée à tous les bruits du monde vit avec Dieu dans une intimité
ineffable, prélude de la vie du Ciel.
1 Athalie, III, 8.
56 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
Non, rien ne peut troubler la paix que vous faites goûter à l’âme qui
vous aime, ô mon Dieu. Non timebo mala, quoniam tu mecum es 1.
Non seulement l’Époux défend à l’ennemi de tout bien de venir
troubler le repos de L’Épouse, mais de plus, il enseigne à sa Bien-
Aimée l’art de se mettre à l’abri des influences du démon. Elle sait se
retirer du monde sensible où elle n’a que trop vécu autrefois. Elle a dé-
couvert en elle-même une zone silencieuse, paisible, ignorée de tous,
longtemps ignorée d’elle-même, où nul n’a le droit d’entrer, si ce n’est
Jésus. Cette région bénie est un vrai sanctuaire. La très aimable Trini-
té y demeure. C’est là qu’elle attire l’âme fidèle pour lui parler cœur à
cœur et sans bruit, pour se donner à elle, lui faire partager sa vie et son
bonheur. C’est le cellier mystérieux du Cantique, où les bruits du
monde ne pénètrent pas et où le démon ne saurait plus atteindre l’âme
que Dieu veut bien y admettre. Il est possible qu’elle entende encore
un peu le tumulte du dehors, mais ce n’est plus qu’un son lointain et
sourd. Loin de la troubler, il l’endormirait plutôt.
La voûte de cèdre et les lambris de cyprès protègent l’âme contre les
attaques du démon et du monde, et en même temps ferment son hori-
zon comme une sorte de clôture, afin qu’elle n’ait pas envie, même par
premier mouvement, de s’occuper d’autre chose que de son Bien-Aimé.
Quand Dieu veut parler à une âme, il l’entraîne toujours dans la so-
litude. Il l’enveloppe de silence. Il ferme ses yeux et ses oreilles, il
l’endort à tout, sauf à lui. Et c’est alors qu’il se manifeste, qu’il dé-
couvre ses secrets, témoigne son amour, vit avec l’âme dans une inti-
mité délicieuse et vraiment ineffable : « Ducam eam in solitudinem et
loquar ad cor ejus » 2. « Manifestabo ei meipsum » 3. C’est la vie du
ciel qui commence pour l’âme. C’est plus que la paix, c’est la joie, c’est
le bonheur. Le Bien-Aimé ne se montre pas et pourtant il se donne dé-
jà : « O beata solitudo ! O sola beatitudo ! 4 »
Vous nous avez faits, ô mon Dieu, pour le bonheur du ciel ; il vous
tarde de nous le donner. Notre vie s’écoule trop lentement à votre gré.
Vous n’y tenez plus. Sans lever tous les voiles, vous laissez filtrer au
travers comme des rayons lumineux et chauds. Plus que cela, on dirait
que vous les traversez vous-même mystérieusement, sans les déchirer,
afin de vous unir directement à l’âme et de vous donner tout entier.
Oui, mon Dieu, je crois à cet excès d’amour de votre part. Tout est pos-
sible à celui qui aime, quand celui qui aime est Dieu. Je dois laisser à
de plus instruits le soin de décider s’il y a là miracle ou seulement
*
Ainsi donc, ô mon Dieu, afin que vous puissiez vous entretenir li-
brement avec l’âme que vous aimez, vous la séparez de tout, vous
l’isolez au-dedans d’elle-même, vous ne permettez plus aux bruits du
dehors, ceux que fait le monde et ceux que fait le démon, d’arriver
jusqu’à ses oreilles, vous arrêtez son activité naturelle qui la porterait
vers les créatures et l’éloignerait de vous ; en un mot, vous la cachez à
tout et vous lui cachez tout. Il faut bien alors, puisqu’elle ne peut rester
sans agir, qu’elle s’occupe de vous et de vous seul. C’est précisément ce
que vous voulez. Pour la faire vivre de votre vie et lui faire goûter dès
ce monde votre bonheur, il est nécessaire qu’elle supprime tout ce qui
ferait écran entre elle et vous, afin de se trouver face à face avec vous,
toujours dans l’obscurité de la foi, mais comme si cette obscurité
n’existait pas. Organisée par la grâce pour vous connaître et vous ai-
mer comme vous vous connaissez et vous vous aimez, elle peut alors
commencer à vivre sa vraie vie et à goûter son vrai bonheur.
Que ne donnerait-on pas, ô Jésus, pour obtenir la grâce de révéler
aux âmes de bonne volonté ce doux mystère de la vie cachée ! Com-
ment s’y prendre pour leur dire d’une manière efficace ce mot que
vous avez dit vous-même à la Samaritaine : Si scires donum Dei ! « Si
vous saviez le don de Dieu ! 2 » Quel moyen faut-il préférer, quelle tac-
Quand on rencontre une âme que l’on croit appelée par vous, ô
mon Dieu, à la vraie vie, on se sent poussé intérieurement à faire une
audacieuse prière : « Voilà une de vos enfants, ô Père ! Accordez-lui en
ce moment une marque nouvelle de votre affection. Vous lui avez déjà
tant donné ! S’il manque quelque chose à sa préparation, ajoutez ce
qui lui manque, afin qu’elle soit digne de vous ! Purifiez-la ; ornez-la ;
embrasez-la de votre amour. Puis prenez-la comme dans vos bras,
pressez-la sur votre Cœur si bon. J’ose vous le dire, ô Père, respec-
tueusement, humblement, mais aussi ardemment, embrassez-la. Je
n’aurai pas de paix que vous n’ayez réalisé mon désir : il est juste, il est
légitime, c’est pour votre gloire, c’est pour le bonheur de cette âme que
je vous l’exprime. C’est aussi pour moi, ô Jésus ! Souvenez-vous de la
parole de votre saint Précurseur : « Qui habet sponsam, sponsus est ;
amicus autem sponsi, qui stat et audit eum, gaudio gaudet propter
vocem sponsi », et faites que je puisse dire comme lui : « Hoc ergo
gaudium meum impletum est » 1.
Mais à quelles conditions pouvez-vous faire un apôtre de la vie in-
térieure ? Il semble qu’elles se ramènent à deux : un désir ardent d’être
soi-même une âme de vie cachée, une parfaite docilité à la grâce, afin
de lui servir d’instrument auprès des autres, quand l’Esprit-Saint juge
à propos de nous employer. Pour parler aux âmes avec fruit des choses
de la vie intérieure, de ce qui la prépare, de ce qui la constitue, de ce
qui la couronne et l’achève, il faut plus qu’une connaissance scienti-
fique de ces mystérieuses réalités, telle que peut la donner une sé-
rieuse étude des maîtres. En cette matière, l’expérience personnelle
ajoute beaucoup. Elle met au point la doctrine commune. Elle donne à
la parole ce je ne sais quoi de persuasif qui vient de ce que l’âme qui
parle est en contact immédiat avec la réalité qu’elle décrit. Non seule-
1 Celui qui a l’épouse est l’époux, mais l’ami de l’époux, qui se tient là et qui l’écoute, est ravi de
joie à la voix de l’époux. Or cette joie qui est la mienne est pleinement réalisée (Joan., III, 29).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE I 59
ment elle la connaît cette réalité, mais elle la vit ; en un sens, elle l’est
et elle la fait passer sans peine dans les mots.
Sous l’action de la grâce, les mots deviennent lumière pour l’audi-
teur. Plus que cela, ils portent avec eux la chaleur et la vie. Il y a vrai-
ment du feu dans les expressions parce qu’il y en a dans l’âme, qui se
traduit et s’exprime telle qu’elle est dans son fond intime. C’est là un
don de Dieu et pour l’ordinaire une récompense, toujours non méritée,
de longs et patients efforts personnels.
On peut alors donner sans danger pour soi « des fruits de son jar-
din », selon l’expression de sainte Thérèse. Mais il faut savoir attendre
l’heure de Dieu, l’automne de l’âme. Agir trop tôt, serait manger son
blé en herbe, s’exposer à ne pas nourrir les autres et peut-être, hélas !
à mourir de faim soi-même.
Mais aussi quand le moment est venu de le faire, refuser par fausse
humilité ou fausse prudence de donner de son bien aux autres, serait
mettre la lumière sous le boisseau, le feu sous la cendre, et laisser sans
pain les enfants du Père céleste qui ont vraiment faim de lui.
Voilà pourquoi la docilité à la grâce est si nécessaire à l’apôtre de la
vie cachée. Il ne doit rien faire de lui-même et par propre mouvement.
Il n’est qu’un instrument entre les mains du divin Ouvrier. Sans doute,
il reste pour l’ordinaire libre et comme autonome. Ce n’est qu’à de cer-
taines heures et dans certaines rencontres que l’Esprit-Saint le meut
sans qu’il ait pris l’initiative de son action. Alors il n’a d’autre devoir
que de donner son plein et parfait acquiescement à tout ce que le
Maître veut qu’il dise ou qu’il fasse. Dans tous les autres cas, son
unique souci doit être de se montrer collaborateur désintéressé, intel-
ligent et souple de la grâce. Dieu seul sait ce qu’il attend de telle ou
telle âme, ce qu’il veut faire d’elle, le plan de vie qu’il lui a tracé, la
place qu’il lui destine dans l’édifice spirituel, le rôle qu’elle doit jouer
sur la scène du monde et de l’éternité. Rien ne saurait prévaloir contre
cette divine volonté.
Mais aussi, ces deux conditions loyalement posées, quelle belle
mission que celle d’Apôtre de la vie cachée ! Tout dans l’œuvre de la
miséricorde de Dieu tend à cet unique but : apprendre aux âmes ce
que c’est que le ciel, le leur faire désirer, leur mettre en mains les
moyens de le conquérir. Or, le ciel est-il autre chose qu’une participa-
tion parfaite à la vie intime de Dieu ? Et à son tour, la vie intérieure
est-elle autre chose que le commencement imparfait sans doute, mais
très réel de cette participation, « inchoatio vitae aeternae 1 et prae-
libatio beatitudinis » 2 ? Rien donc sur terre ne ressemble plus et ne
La Sainte Épouse ne craint pas de faire son propre éloge. Elle n’y
met aucune vanité. Elle sait trop bien d’où lui vient tout ce qu’elle a.
Mais elle veut plaire à Jésus. Elle cherche à le prendre par son faible.
Elle a bien compris ses goûts divins. Les cœurs purs, aimants et
humbles, voilà ce qu’il aime, ce qui l’attire, ce qui le charme, le captive
et le retient. Elle veut le conquérir, son cher Jésus, et le posséder bien
à elle. Aussi fait-elle valoir ingénument sa beauté. Elle a un cœur d’or,
couleur narcisse jaune, elle a un cœur pur, sans tache, tout blanc, tout
blanc, comme le plus blanc des lis ; elle a un cœur humble comme une
plaine discrètement cachée dans une petite vallée sans nom, loin du
bruit, loin des regards, et où il vit uniquement occupé à plaire à son
Dieu et à chanter doucement le cantique du saint Amour. Ce cœur est
tout à vous, ô Jésus !
Comme Jésus est heureux quand il trouve un cœur vraiment
humble, aimant et pur ! Il ne résiste pas au charme de ce bon cœur. À
son tour, il donne le sien. Oui, en toute réalité, le Cœur adorable de Jé-
sus devient comme le bien propre de l’âme aimante. Et quel trésor !
Car ce n’est pas seulement son cœur sensible, symbole de son amour,
que Jésus donne en toute propriété, c’est surtout son cœur spirituel,
son âme même, l’âme humaine du Verbe, où vit la très Sainte Trinité,
où se trouve la plénitude de la grâce créée, toutes les vertus surnatu-
relles compatibles avec la vision et la possession immédiate de Dieu,
tous les dons du divin Esprit, tous les mérites de la vie et de la mort de
Jésus, toute la science et toute la sainteté du Sauveur. Où trouver un
pareil trésor ? Qui en dira le prix ? Qui donc en comprendra toute la
valeur ? Qui en pourra dignement exprimer toute la beauté ? Toute
cette richesse appartient au cœur pur, aimant et humble. À mesure
qu’il grandit dans l’amour, il puise plus abondamment dans ce trésor.
Jésus, pour donner Dieu même à son Épouse — et c’est là tout son
désir —, n’a qu’à donner son Cœur. C’est ce qu’il fait par degrés. L’âme
aimante en a l’intuition. Il lui semble qu’elle est comme la petite fleur
cachée au fond d’une vallée et que le Cœur de Jésus, soleil divin,
62 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
SICUT LILIUM INTER SPINAS, SIC AMICA MEA INTER FILIAS (CANT., II, 2).
Comme un lis au milieu des épines, telle est ma Bien-Aimée parmi
les jeunes filles.
SICUT MALUS INTER LIGNA SILVARUM, SIC DILECTUS MEUS INTER FILIOS
(CANT., II, 3).
Comme un pommier au milieu, des arbres de la forêt, tel est mon
Bien-Aimé parmi les jeunes hommes.
Jésus, arbre de vie, dont les fruits sont seuls capables de plaire à l’âme
aimante et de la nourrir.
C’est vous, ô Jésus, qui êtes cet arbre aux fruits délicieux, dont
parle ici la sainte Épouse. Les autres arbres ont une ramure imposante
peut-être, des feuilles on grand nombre, soit, mais ils n’ont pas de
fruits. Vous seul, oui, vous seul, ô Jésus, portez ces beaux et bons
fruits, seuls capables de plaire aux yeux de l’âme qui vous aime, seuls
capables aussi de nourrir son esprit et son cœur. Elle en a fait la douce
expérience. Elle sait que les fruits que vous portez sont toujours sains
et toujours bons. Et vous lui permettez de les cueillir quand il lui plaît.
C’est vous du reste qui lui en donnez le goût en même temps que vous
les lui présentez : fruits d’humilité et de douceur, de patience et de
bonté, de force et de grâce, de paix et de joie, de bonheur et d’amour.
Vous portez tous les fruits, ô Jésus Bien-Aimé, et vous les offrez tous à
votre bien-aimée. C’est bien de vous, ô Jésus !
Il est impossible de vous voir sans vous aimer, ô Jésus, arbre divin,
planté sur notre pauvre terre pour nous donner et son ombre, et ses
64 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
fruits. Votre ombré protège, elle recueille, elle cache. L’âme qui vous
aime sent le besoin de cette protection, elle aspire à ce doux recueille-
ment, elle voudrait vivre cachée aux yeux de tous et connue de vous
seul. Voilà pourquoi elle désire tant s’asseoir à votre ombre, ô Jésus !
Du reste, dès que vous lui révélez l’existence de cette ombre bienfai-
sante, l’âme s’y sent attirée comme vers quelque chose de mystérieux,
de profond et de doux. Elle devine que c’est à la faveur de cette ombre
sainte que s’opéreront en elle de grandes choses : « Et virtus Altissimi
obumbrabit tibi » 1. C’est toujours vrai. Pour naître et grandir dans
une âme, il vous faut l’ombre silencieuse et sacrée d’un sanctuaire.
Quand vous voulez parler à une âme de cette parole qui réalise ce
qu’elle signifie, vous faites la nuit en elle, vous l’enveloppez d’ombres
et de ténèbres. Elle est cachée au monde et le monde lui est caché. Il
l’ignore comme telle et elle l’ignore comme tel. Heureuse ignorance,
saint aveuglement, qui permet à l’âme de se familiariser peu à peu
avec la lumière d’en haut et d’ouvrir les yeux sur l’éternelle Beauté !
Comme la colonne de nuée, cette ombre a un côté obscur et un côté
lumineux. Il est des rayons de lumière qui échappent à l’œil de
l’homme. Il en va de même ici. Combien ont des yeux et qui ne voient
pas ! Comme vous êtes bon, ô Jésus, d’avoir révélé l’existence de cette
« lumière noire », noire pour les regards fixés sur la terre, blanche et
rayonnante pour les yeux autrefois aveugles, mais que vous avez gué-
ris ! « Seigneur, faites que je voie ! 2 »
La sainte Épouse s’exprime bien quand elle manifeste le désir de
« s’asseoir » à votre ombre, ô Jésus ! C’est là qu’elle veut, non point
pénétrer pour un moment, mais s’établir à demeure et vivre. Elle veut
y prendre son repos, vous y contempler à loisir, y goûter la paix que
procurent votre présence, votre protection et votre amour. Partout ail-
leurs, elle souffre, elle est inquiète, elle tremble. Là seulement, elle est
heureuse, paisible et tranquille.
C’est là qu’elle se nourrit de vous spirituellement. Vous êtes venu à
elle. Vous l’avez attirée à vous pour qu’elle ait la vie et qu’elle l’ait en
plénitude : « Ego veni ut vitam habeant et abundantius habeant » 3.
« Ego sum Vita » 4. Votre parole nourrît son esprit de vérité, sa vraie
nourriture : « Ego sum Veritas » 5. Elle la fait communier dans les
ombres de la foi, mais réellement à la connaissance que le Père a de
lui-même et qui est vous-même. Si l’on osait dire, elle la rend pensée
de Dieu, et lui donne quelque chose de sa profondeur, de son étendue,
de sa fermeté, de son exactitude. Vraiment votre parole nourrit l’âme.
nouveau. Elles sont très distinctes à ses yeux et comme en plein relief,
et pourtant, elle se rend compte qu’elles se ramènent à une gracieuse
et ineffable simplicité. Elle goûte le charme de leur variété et le senti-
ment de repos et de plénitude que fait éprouver leur parfaite unité.
Elle a conscience de la faveur qui lui est faite. Elle comprend que
c’est pour la rendre heureuse du bonheur même de Dieu qu’elle a été
ainsi attirée dans ce cellier mystérieux. Elle s’y trouve à son aise. Il lui
semble qu’elle est un peu chez elle. Tout ce qui lui est montré est déjà
sien en quelque sorte, et pour toujours, lui semble-t-il. Heureux mo-
ments, tout remplis d’immenses et légitimes espérances ! Elle s’écrie :
« Seigneur, il est bon d’être ici » : « Domine, bonum est nos hic esse » 1.
Permettez-moi d’y établir ma demeure et d’y vivre à jamais. Pourquoi
retournerais-je d’où je viens ? J’y ai tant souffert ; je m’y suis trouvée si
malheureuse ! C’est la région des ténèbres, de la tristesse et de la mort.
Il y fait noir, il y fait froid. On y gémit et on y pleure. Que mon âme, pla-
cée par vous aux confins de deux mondes si opposés, oublie à jamais ce-
lui dont vous l’avez arrachée, pour vivre désormais et de plus en plus
dans celui où vous avez daigné la faire entrer. N’est-ce pas le pays de la
lumière et de la chaleur, de l’abondance et de la paix ? C’est vous-
même, ô mon Dieu, qui êtes pour l’âme la terre promise où coulent à
flots le lait et le miel. Seigneur, pardonnez-moi, mais comme on est
bien chez vous ! comme on repose doucement dans vos bras, comme
on s’endort paisiblement sur votre Cœur ! Oui, mille fois oui, vous êtes
la « vraie place » de l’âme. Nous venons de vous, et une secrète force
nous ramène vers vous. Il n’y a de repos et de paix pour nous qu’en
vous… « Fecisti nos ad te et irrequietum est cor nostrum donec re-
quiescat in te » 2. Faites donc entrer, ô mon Dieu, les âmes qui vous
cherchent sincèrement dans cet appartement secret, dans ce cellier in-
térieur où elles trouveront enfin ce qu’elles désirent avec tant d’ardeur,
puisqu’elles vous trouveront vous-même, vous le Dieu de leur cœur.
Prenant alors possession de vous, elles pourront vous dire en vérité :
« Deus cordis mei et pars mea, Deus in aeternum. Amen » 3.
*
Que veut dire cette mystérieuse parole de l’Épouse : « Et la ban-
nière qu’il élève sur moi, c’est l’amour » ? Veut-elle dire que tout pour
elle désormais se ramènera à l’amour ? Est-elle à la fois la conquête, le
héraut et l’apôtre de la sainte dilection ? Cette bannière est-elle le
symbole des victoires passées et le signe avant-coureur des victoires
futures ? Ne faut-il pas encore la considérer comme une marque de
1 Matth., XVII, 4.
2 Tu nous a faits pour toi et notre cœur est inquiet tant qu’il ne se repose pas en toi (S. Augustin).
3 Ô Dieu qui êtes le Dieu de mon cœur et mon partage pour l’éternité (Ps. LXXII, 26).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 67
votre puissance protectrice, ô mon Dieu ? Rien n’est fort comme votre
amour. Ce que votre amour garde est bien gardé. Ô Jésus, mon âme
est vraiment l’œuvre de votre amour. Tout ce qu’elle a, tout ce qu’elle
est lui vient de cette unique source. Il faut bien qu’elle le reconnaisse,
il ne lui en coûte pas de le faire. Ajoutez encore à vos bienfaits. Qu’elle
soit toute consumée d’amour pour vous. Accordez-lui en outre la grâce
de répandre votre amour autour d’elle. Il est si juste de vous faire ai-
mer. Ne lui refusez pas cette nouvelle joie, la plus douce après celle de
vous aimer vous-même.
On traduisait ainsi autrefois la même parole : « Il a ordonné en moi
l’amour ». Cela est vrai. Quand Dieu fait entrer une âme dans le centre
d’elle-même, là où il habite, lui, à demeure, il établit l’ordre parfait dans
cette âme, et pour cela règle selon les lois de sa divine Sagesse le pou-
voir d’aimer qu’elle porte en elle. Une âme est dans l’ordre quand son
pouvoir d’aimer est dans l’ordre ; elle est orientée vers sa fin. Elle s’y
porte de tout son poids : « Amor meus, pondus meum » 1, et c’est cela
l’ordre essentiel. C’est aussi toute la vertu : « Virtus est ordo amoris » 2.
Dès que la charité, amour de Dieu pour lui-même et par-dessus toutes
choses, amour ordonné par conséquent, s’établit dans une âme, l’ordre
s’y établit avec elle et dans la même mesure. Que dire de l’ordre qui
règne dans un cœur où règne la charité ? Que dire enfin de l’ordre com-
bien plus parfait encore, dans lequel se trouve comme fixée une âme en
qui Dieu lui-même, par une action tout intime, veut bien imprégner à
fond de Sagesse divine et l’amour, et le pouvoir même d’aimer ?
qui se détendent, mais qui ne se brisent pas encore. Ce doit être cela,
mourir. Et cet état nouveau, étrange, déconcertant, et toutefois si réel,
inspire une terreur naturelle. L’âme se sent faite pour vivifier le corps,
et cependant elle comprend que ce bonheur qu’elle éprouve en aimant
si fort, tend à la séparer de lui. Douloureuse et délicieuse langueur !
Et cette langueur croît avec l’amour. On dirait que l’âme émigre du
corps et va finir par le laisser. C’est qu’elle « est plus là où elle aime
que là où elle anime ». Là où elle anime, elle remplît une fonction
d’ordre inférieur ; là où elle aime, elle vit de sa propre vie d’esprit, en
soi, tout à fait distinct de la matière. Le papillon sent qu’il a des ailes :
il voudrait se libérer de sa chrysalide. Il est retenu comme de force.
L’âme se trouve tirée en deux sens. Elle est comme le champ de ba-
taille de deux énergies qui se la disputent elle-même. Elle a conscience
de cette lutte. « Reste, pars ; reste encore, pars, te dis-je » ; ô Amour
quand triompherez-vous ? « Fiat voluntas tua » 1. « Cupio dissolvi et
esse cum Christo » 2. « Je me meurs de ne pas mourir ». Comme tout
cela est profond, comme tout cela est vrai ! Heureux le cœur blessé de
cette blessure mortelle du saint amour ! Il ne peut plus vivre ici-bas
que d’une vie languissante. Il n’est déjà plus de ce monde.
L’âme épuisée de forces par son vif amour appelle à son aide. Elle
demande à ceux qui l’entourent de lui prêter secours. Elle indique par
quels moyens on peut la ranimer : « un peu de raisin… des pommes ».
Quels sont dans l’ordre surnaturel ces fruits agréables et fortifiants qui
rendent à l’âme un peu d’énergie et lui permettent de supporter l’exil
de la terre et la prison du corps ? L’Eucharistie, la Croix, voilà, semble-
t-il, les fruits du saint amour symbolisés par « les raisins et les pom-
mes ». Quelle force et quelle joie vivifiante l’âme « qui meurt de ne pas
mourir » ne trouve-telle pas dans la présence de Jésus au saint Taber-
nacle ? Elle vit sur une terre d’exil, c’est vrai, mais elle n’y est pas
seule. Son Bien-Aimé s’est fait le compagnon de sa route : « Non re-
linquam vos orphanos » 3. « Ego vobiscum sum » 4. « Qui manducat
meam carnem et bibit meum sanguinem, in me manet et ego in eo » 5.
Jésus va jusque-là. Il veut habiter substantiellement au moins quel-
ques instants chaque jour au plus intime de sa sainte Épouse, Aussi
comme elle l’attend ce moment béni de la communion, pendant lequel
Jésus, Corps et Âme, Homme et Dieu, est tout à elle, bien à elle avec
toutes ses vertus, tous ses mérites, toutes ses grâces, toute sa science,
toute sa sainteté, tout son bonheur. Car c’est un Jésus heureux, inalté-
rablement heureux qu’elle possède. Il est au terme, lui, d’une manière
encore plus achevée, sous certains rapports, qu’il ne l’était même du-
rant sa vie mortelle. Son âme sainte plonge tout droit son regard au
sein même de Dieu et son cœur brûle d’un amour dont rien ne peut
donner l’idée. Nulle souffrance ne peut plus l’atteindre. Nulle joie ne
peut plus lui être refusée. Et ce Jésus heureux est là, en soi, à soi, pour
consoler, encourager, fortifier, sécher les larmes et faire sourire de joie
à la seule vue de son bonheur à lui.
Un des meilleurs moyens après l’Eucharistie de réconforter l’âme
consumée d’amour, c’est la Croix. Méditer les souffrances de Jésus, y
communier de tout son cœur, souffrir à son tour quelque chose pour
lui et avec lui, voilà qui tempère les amertumes de l’exil et donne à
l’âme comme une sorte de raison de vivre. La perspective de supporter
quelques peines, quelques fatigues, quelques douleurs pour accomplir
« ce qui manque » en un sens « à la Passion du Christ » 1 afin qu’il soit
plus connu, plus aimé, mieux servi, cette perspective qui s’ouvre toute
grande devant elle, distrait un peu l’Épouse de sa peine. Elle lui per-
met d’exercer son amour, de le témoigner, et de l’affirmer en
l’exerçant, de l’augmenter aussi en le manifestant.
Le sacrifice devient une joie à cause de son lien avec la charité.
C’est une joie d’amour. C’est une joie possible pour elle. L’âme s’y
porte de toute sa force. Souffrir ainsi c’est aimer et c’est vivre. Alors,
elle souffrira : « Ou mourir, ou souffrir ! »
Jésus est la force de l’âme. Elle le sait. Voilà pourquoi elle demande
le pain eucharistique, où se trouve Jésus. Voilà aussi pourquoi elle
souhaite d’être clouée à la Croix avec le Sauveur : « Christo confixus
sum Cruci » 2. Jésus se donne en effet aux âmes crucifiées avec lui.
Mais l’Eucharistie et la Croix ont fait grandir l’amour. Plus que jamais
l’âme se sent écrasée sous son poids. Elle a comme l’impression d’un
affaissement et d’une sorte d’évanouissement spirituel. Seul, Jésus en
personne peut lui venir en aide. Elle demande qu’il daigne le faire et
qu’il la prenne dans ses bras divins. Pour ne pas défaillir, il faut à
l’Épouse le secours spécial de la force même de Dieu. Elle dit alors
1 Col., I, 24.
2 Je suis fixé à la Croix avec le Christ (Gal., II, 19).
70 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
dans un sens très profond et très vrai la parole même de Jésus mou-
rant : « Pater, in manus tuas commendo spiritum meum » 1. C’est aux
mains de Dieu seul que l’Épouse se remet pour mourir à la mort et
vivre en paix à la vie de l’amour.
Vous êtes la force de l’âme, ô mon Dieu, et sa seule force. Elle ne
peut compter que sur vous, mais elle peut y compter. Qu’il s’agisse de
livrer combat au monde, au démon, à soi-même, vous êtes là. Qu’il
s’agisse encore de supporter les dures épreuves, qui purifient, qui for-
tifient et qui éclairent, c’est vous toujours et tout seul qui soutenez
l’âme du dedans, à son insu, et qui lui permettez de traverser coura-
geusement ces « nuits » si douloureuses et si nécessaires. Qu’il s’agisse
enfin et surtout de porter le « poids du jour et de la chaleur » 2 du
saint amour, poids si doux et si lourd tout ensemble, qu’il réduirait à
néant l’âme la mieux trempée, vous êtes là, ô mon Dieu, plus délicat,
plus prévenant, plus réconfortant que jamais, afin d’aider votre sainte
Épouse à soutenir les ardeurs de votre ineffable tendresse. Comme
vous êtes doux, comme vous êtes fort, ô mon Dieu ! Oui, c’est à ce
moment si précieux de la vie spirituelle, où l’âme découvre en elle-
même des cieux nouveaux et une terre nouvelle 3, que vous vous mon-
trez particulièrement secourable pour elle. Et vous exaucez sa de-
mande de secours avant même qu’elle ait eu le temps de la faire.
« Confitemini Domino, quoniam bonus » 4.
Rien ne compte plus pour l’âme qui repose dans le sein de Dieu. Respect
dû à son sommeil.
Dans les bras de son Dieu, l’âme défaillante d’amour s’est comme
endormie d’un mystérieux sommeil. Elle y doit rester jusqu’au mo-
ment marqué par l’amour pour le réveil. C’est que pendant qu’elle dort
au monde et presque aussi à elle-même, selon sa manière ordinaire de
se connaître, l’âme aimante est très éveillée à son Dieu. Elle vit une vie
toute nouvelle et toute d’amour. Il lui semble qu’elle ne fait rien. Mais
en réalité elle agit beaucoup, seulement son activité est très simple et
très profonde. Elle n’exige qu’un imperceptible concours, et encore,
des facultés inférieures. De là cette impression de non activité pour
une âme qui, restant la même âme, vit d’une vie si différente de sa vie
d’autrefois. Et il ne faut pas que les filles de Jérusalem, imagination,
mémoire, raisonnement même, viennent, sous prétexte d’action, trou-
bler son doux sommeil. « Non, ne réveillez pas la bien-aimée ! ».
Rien ne doit troubler le sommeil de l’âme en Dieu. Pourquoi lui en-
lever son bonheur ? Pourquoi interrompre le travail qui se fait en elle à
la faveur de ce mystérieux repos ? Oui, Dieu est à l’œuvre dans cette
âme. Il y accomplit de grandes choses. Il arrache et surtout il plante. Il
détruit et surtout il construit. Il est comparable à l’orfèvre qui cisèle
une pièce d’or massif. L’âme ne sent pas la main du divin Ouvrier. Elle
est distraite d’elle-même par un bonheur profond et doux qui la pé-
nètre tout entière. Elle n’a pas du reste à se mêler du travail qui se fait
en elle. Elle sait à qui elle s’est confiée. Elle a donné son plein consen-
tement à tout ce que voudra réaliser en elle son Dieu et son Seigneur.
Elle reste donc paisible, heureuse et confiante sur la douce et bienfai-
sante action de son adorable Tout. Jésus désire qu’il en soit ainsi, afin
que rien ne paralyse son bras. Il y veille. Il donne des ordres en consé-
quence, et ces ordres sont obéis.
Envoyez-moi, ô mon Dieu, ce doux et bienfaisant sommeil ! J’en ai
tant besoin ! C’est lui qui me rendra heureux. C’est lui qui renouvellera
mes forces et me permettra de travailler à votre gloire avec une âme
plus lumineuse et plus chaude. Je suis si fatigué de vivre ! Je voudrais
tant m’échapper de tout pour aller à vous et vous aimer dans le silence
et dans la paix ! Quand sera-ce, ô mon Dieu, que rien ne comptera plus
pour moi et que je ne compterai plus pour rien ? Ô liberté vraie de
l’âme, quand me seras-tu donnée ? Je te désire, je t’appelle. Écoute ma
voix. Réponds â mon désir et, au moins pour quelques instants, délie
mes chaînes ; porte-moi dans le sein de mon Dieu afin que je m’y re-
pose dans le bonheur et dans la paix. Je sais que le retour à la vie de
l’exil sera dur, mais les fruits de ces moments de doux repos restent, et
leur souvenir demeure aussi comme la plus précieuse des consolations
et la plus ferme des espérances.
Tout est silencieux dans l’âme. Jésus l’a conduite dans cette soli-
tude intérieure où les bruits de la terre ne pénètrent pas. L’âme se tait,
72 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
elle attend que son Dieu « lui parle au cœur » ainsi qu’il l’a promis :
« Ducam eam in solitudinem et loquar ad cor ejus » 1. C’est vrai
d’Israël, c’est vrai de la sainte Église, c’est vrai, très vrai aussi de l’âme
fidèle. Dieu parle au plus intime du cœur. Il se plaît à entretenir une
douce conversation avec ceux qui l’aiment. La seule pensée de cet en-
tretien rend heureux. Le souvenir des causeries du passé remplit de
joie. Mais quel tressaillement d’allégresse quand l’âme toute recueillie
en elle-même croit entendre, dans un lointain mystérieux, le bruit des
pas du Bien-Aimé, et le son de sa voix bénie ! Dites-nous votre bon-
heur, ô Marie-Madeleine, quand vous deviniez de très loin, et bien
avant Marthe, l’approche du Maître ?
Comme Marie-Madeleine, l’âme est aux écoutes au fond d’elle-
même, là où elle finit en quelque sorte et où Dieu commence. Au
moindre murmure divin, elle devient tout attention. Il est si doux pour
elle d’entendre la voix de son Dieu. Est-ce que la voix n’exprime pas
mieux que le regard les plus légères vibrations du cœur ? La voix dit
tout, même ce que l’on veut taire et cacher. Elle est révélatrice au plus
haut point. La parole est faite aussi pour révéler, mais elle peut trom-
per volontairement ou involontairement. Les nuances infinies de la
voix laissent passer l’âme comme malgré elle. Même quand elle se tait,
la voix traduit encore le fond du cœur. S’il en est ainsi du souffle des
pauvres lèvres humaines, qu’en est-il de ce souffle divin si riche de
tons et de nuances ? S’il gronde, tout tremble à mourir ; s’il caresse,
tout est à la paix, à la joie, au bonheur. « O voix de mon Bien-Aimé,
fais-toi donc entendre ! »
Accordez-moi cette grâce, ô mon Dieu, de me tenir toujours re-
cueilli au fond de moi-même, l’oreille attentive au moindre souille de
votre voix. C’est là une très grande grâce. Elle en prépare d’autres plus
grandes, encore. Nul ne saurait la mériter. Mais vous êtes bon, ô mon
Dieu : votre miséricorde est sans limites. J’espère. Je voudrais tant
commencer dès maintenant ma vie éternelle. Il me semble que c’est
ainsi que je dois essayer de m’y prendre. « L’arbre tombe, dit-on, du
côté où il penche ». Si je veux être prêt, lorsque la voix mystérieuse
viendra dire : « Ecce Sponsus venit, exite obviam ei » 2, il faut que
mon âme soit de plus en plus attentive aux échos du ciel. Il faut qu’elle
s’exerce à écouter et à discerner les voix d’en haut et surtout la voix du
Bien-Aimé, la vôtre, ô mon Jésus ! Chants célestes des Anges et des
Saints, bruits silencieux du cortège de l’Agneau, je ne veux plus en-
tendre que vous et voilà pourquoi je ne veux plus écouter que vous, en
attendant que la voix de mon Dieu, que vous annoncez, daigne réjouir
mes oreilles et mon cœur.
Mais pour pouvoir vous écouter, ô Jésus, il faut faire taire toutes les
autres voix, celles du dehors comme celles du dedans. Enveloppez-moi
de silence, mieux encore, pénétrez-moi de silence. Il y a toujours trop
de bruit dans mon âme. À quoi bon ? Ce sont surtout les bruits du de-
dans qui me gênent. Les autres ne sont rien tant qu’ils n’ont pas péné-
tré, pris corps et place à l’intérieur. Calmez l’imagination, endormez la
mémoire, apaisez tous ces mouvements tumultueux qui s’élèvent et
s’abaissent, vont et viennent, se croisent et se compliquent entre eux à
l’infini et ne laissent ni paix ni repos à la pauvre âme qu’ils emportent
loin de vous, bien malgré elle. Ô Jésus, un mot de vos lèvres divines
suffit pour que tout rentre dans l’ordre et s’y tienne. Dites-le, ce mot
pacificateur et libérateur, afin que je puisse entendre votre parole inté-
rieure et n’entendre qu’elle. Vous avez tant de choses à me dire ! J’en
ai tant à apprendre de vous ! « In silentio et quiete proficit anima de-
vota » 1.
Entendre au fond de son âme toute pacifiée, recueillie, attentive, le
mystérieux murmure de votre voix, suffit déjà, ô mon Dieu, pour faire
tressaillir de bonheur. Mais votre voix vous annonce. Elle est votre
précurseur. Elle prépare l’âme à votre prochaine arrivée. Le bruit dis-
cret de vos pas se mêle à la douce mélodie qui sort de vos lèvres. Vous
entendre, c’est très bon, mais vous posséder presque, n’est-ce pas
meilleur encore ! L’âme rêve de cette possession. Il lui semble que dès
ce moment, son Dieu est tout à elle, comme elle est toute à son Dieu.
Elle ne vous cherche, ô Jésus, que pour vous trouver ; elle ne veut vous
trouver que pour vous posséder. Possession de Dieu, même seulement
espérée, qui dira ce que tu es déjà pour le cœur aimant ? Que seras-tu
donc dans ton ineffable réalité ? Avoir Dieu en soi et tout à soi ! « Veni
Domine Jesu » 2.
1 Matth., IX, 6.
2 Matth., IX, 6.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 77
L’élan qui la soulève dès que Jésus a parlé est chose si étonnante, si
nouvelle, que l’âme privilégiée ose à peine y croire. Elle craint de se
tromper, elle redoute l’illusion. Il lui faut un secours qui la raffermisse
et la rassure. Elle a besoin d’être encouragée à marcher dans la voie
inconnue qui s’ouvre devant elle. Jésus voit sa crainte, son hésitation,
son embarras. Il lui vient en aide. Un mot suffit, Jésus le prononce : il
ajoute « mon amie ». Oui, vous êtes mon amie, pourquoi donc vous
troubler ? Ne suis-je pas le maître du monde des âmes comme de celui
des corps ? S’il me plaît de vous faire entrer dans ma joie, en vous fai-
sant participer à ma société et à ma vie, pourquoi vous étonner ? Je
vous ai choisie librement ; j’ai voulu que vous soyez mon amie. Vous
l’êtes, soyez-en persuadée. C’est pour cela que je vous veux près de
moi, avec moi. Parce que je vous ai aimée, vous êtes devenue mon
amie. Parce que vous êtes mon amie, je veux vous témoigner mon
amour. Ne craignez pas : je vous aime.
Ô Jésus, comme je voudrais vous entendre me dire en toute vérité :
« Mon ami, oui, vous êtes mon ami ». Vous êtes si peu aimé, ô Jésus, ô
mon Dieu ! Vous avez si peu de véritables amis que l’on n’ose pas se
croire du nombre. Ô Jésus, dites-moi ce qu’il faut que je fasse, non pas
pour mériter, mais pour obtenir de votre bonté cette grâce. Je le sais,
je dois n’avoir d’autres pensées, d’autres désirs, d’autres affections,
d’autres vouloirs que les vôtres : eadem velle, eadem nolle 1. C’est la loi
de toute amitié. Une seule âme dans deux corps. Mais il me semble
que votre amitié à vous exige quelque chose de plus profond, de plus
absolu, de plus total, un je ne sais quoi qu’il m’est impossible de saisir,
de définir, d’expliquer, à quoi cependant vous avez droit, ô mon Dieu,
et que je voudrais tant vous donner. Daignez le prendre vous-même, ô
Jésus, puisque je ne sais pas vous l’offrir.
*
Il semble que ce mot, pourtant si doux, d’ « amie » ne suffise pas
pour triompher des craintes et des timidités de l’Épouse. Tout est si
nouveau, tout est si profond, tout est si étonnant dans cette affection
de Jésus pour l’âme intérieure, que l’on comprend sa délicate inquié-
tude. Jésus s’en rend compte. Il l’approuve au fond. Mais il veut en
triompher et il ajoute ce mot irrésistible : « ma belle ». Il y a en vous
quelque chose qui m’attire et me plaît. C’est moi qui l’ai mis en vous,
c’est vrai, mais c’est à vous, bien à vous. Ne craignez donc pas. Vous
avez maintenant comme des droits à mon amour : vous êtes belle, il
n’y a plus de tache en vous ; vous êtes mienne, tout à fait mienne. Je
1 Eadem velle, eadem nolle, ea demum firma amicitia est. Vouloir de même, ne pas vouloir de
vous veux à moi tout entière, pour toujours. C’est mon droit. C’est ma
volonté. C’est ma joie. Oui, vous ne pouvez pas me refuser le bonheur
de vous admirer, de vous aimer et de vous tenir près de moi comme
une âme bien à moi. Allons. Venez, ô âme tant aimée ! Oui, « venez ».
Le voilà enfin, cet appel divin, direct, immédiat, sans lequel nul n’a le
droit et nul ne peut du reste suivre réellement Jésus pour partager sa
vie et goûter vraiment son intimité. Aucune hésitation n’est plus per-
mise, aucune résistance même n’est possible en un sens. La grâce
d’union attire « suaviter et fortiter ». Elle obtient sans peine le con-
sentement plénier et joyeux de l’âme. Ici, plus qu’ailleurs encore, la
parole de Jésus est réalisatrice ! Elle opère ce qu’elle signifie. On lui
obéit comme à un ordre, on la ressent comme un charme, on la goûte
comme un bonheur. Elle est tout cela, plus que cela. Quand me la fe-
rez-vous entendre cette parole, ô mon Jésus ? Votre serviteur écoute, ô
mon Dieu. Il attend dans le silence, dans la paix, dans l’espérance, cet
heureux moment où vous lui direz au fond du cœur : « Viens, suis-
moi » 1. Ô Dieu de mon cœur, quand donc me sera-t-il donné de vous
suivre jusque chez vous ?
JAM ENIM HIEMS TRANSIIT, IMBER ABIIT ET RECESSIT (CANT., II, 11).
Car voici que l’hiver est fini, la pluie a cessé, elle a disparu.
C’est donc bien vrai, ô Jésus, l’hiver, le sombre, le glacial hiver est
fini ? Vous lui avez donné l’ordre de partir. Il est parti. Et, je l’espère
de votre amour, il est parti pour toujours. C’est que vous êtes là dé-
sormais, ô lumière de mes yeux, ô chaleur de mon cœur, ô joie de mon
âme. Vous m’avez dit : « Viens, suis-moi ». Et je sais que celui qui vous
suit ne marche point dans les ténèbres : « Qui sequitur me, non am-
bulat in tenebris », parce que vous êtes la Lumière du monde : « Ego
sum lux mundi » 2, la Lumière vraie qui éclaire tout homme venant en
ce monde : « Erat lux vera quae illuminat omnem hominem venien-
tem in hunc mundum » 3. Il vous a plu, ô Dieu de mon cœur, de faire
luire votre douce lumière jusqu’au fond de mon âme. Vous l’avez éclai-
rée du dedans, elle vous a vu là réellement vivant en elle, elle oserait
presque dire pour elle. Quelle révélation, ô mon Dieu, et comment
vous en remercier ?
1 Matth., IX, 9.
2 Joan., VIII, 12.
3 Joan., I, 9.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 79
*
L’hiver, c’est aussi le froid. L’âme doit subir cette rude épreuve, en
sentir toute la rigueur. Elle dure plus ou moins selon les cas. Dieu se
cache. Non seulement il n’éclaire plus, mais il ne réchauffe plus, ou, ce
qui est plus exact, il paraît ne plus le faire. Il faut alors marcher dans
les ténèbres, comme à tâtons, à la recherche du Bien-Aimé. On avance
pas à pas, péniblement, il semble qu’on ne l’atteindra jamais. Ce qui
ajoute à la peine, c’est l’engourdissement intérieur. L’âme a froid. Elle
se sent comme sans ressort, paralysée en face de tout bien. Rien ne lui
plaît, rien ne lui parle, rien ne l’attire. Il faut pourtant qu’elle marche
ou du moins qu’elle essaie de marcher quand même. Et cela paraît de-
voir durer toujours. Quel tourment, quel supplice ! Et encore pourvu
que les vents glacés ne se mettent pas à la frapper au visage, la neige et
le brouillard à l’envelopper de leur linceul…
Maintenant, l’hiver est fini pour l’âme. Il pourra bien par moments
et même par journées, faire mine de vouloir revenir, mais ce sera
comme une vague passagère de froid. Le soleil divin restera là, der-
rière les nuages, faisant toujours sentir sa chaude et douce influence.
Oui, l’hiver est passé. Ce n’est pas encore sans doute le plein été, mais
c’est le printemps, un printemps ferme et plein de promesses. Ces
premiers rayons de lumière, ces premiers effluves de chaleur, appor-
tent à l’âme une joie profonde et toute nouvelle. Il lui semble qu’elle
comprend par expérience le mot du psalmiste : « Gustate et videte
quoniam suavis est Dominus » 1. La suavité de Dieu, voilà ce qu’elle
éprouve, ce qu’elle goûte, ce dont elle se sent comme pénétrée. Tout
cela se passe au plus intime d’elle-même. Parfois cependant, le cœur
sensible lui aussi est gagné. Elle en remercie son Bien-Aimé, mais elle
sait qu’il ne faut pas attacher grand prix à cette manifestation, bonne
en soi, toujours à contrôler. Le meilleur est tout au fond. C’est là
qu’elle se tient pour savourer sa joie.
Vers la fin de l’hiver, la pluie tombe souvent avec abondance. Tan-
tôt froide, tantôt un peu attiédie, elle est toujours monotone et grise.
Ce n’est plus l’hiver, ce n’est pas tout à fait le printemps. Des journées
entières ignorent le soleil. Parfois, au contraire, il se fait une agréable
éclaircie et le bleu du ciel reparaît. L’âme, dans sa vie intérieure, con-
naît aussi la période des pluies. Il ne fait pas froid chez elle, mais il n’y
fait pas vraiment chaud non plus. L’atmosphère où elle vit est grise.
Par moments, elle devient plus sombre, par moments aussi, elle
s’éclaire un peu. Mais rien n’est stable, ni la lumière, ni la chaleur. Ce
n’est pas la mort, ce n’est pas la vie, la vraie vie. Quand viendra-t-elle ?
1 Ô Beauté toujours ancienne et toujours nouvelle, trop tard je t’ai aimée, trop tard je t’ai aimée
(S. Augustin).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 81
donc jamais ? Elle a savouré dans toute son âpreté le dégoût spécial de
vivre : « Ita ut taederet nos etiam vivere » 1, réservé aux âmes qui ne
veulent plus rien demander à la terre menteuse et qui pourtant ne re-
çoivent pas encore les douces consolations du ciel. Cet état si doulou-
reux est peint au vif par sainte Thérèse lorsqu’elle explique, dans sa
Vie, le sens du verset du Psaume toi : « Vigilavi, et factus sum sicut
passer solitarius in tecto » 2. C’est la crucifixion entre ciel et terre :
l’âme pleure, non de regret pour ce qu’elle quitte, mais de tristesse
parce qu’elle ne possède pas encore ce qu’elle aime uniquement. Et il
lui semble qu’elle devra passer toute sa vie dans cet exil si douloureux.
Mais non, le temps des pluies cessera, l’exil prendra fin même avant la
mort ! Dès ce monde, le meilleur d’elle-même entrera dans la Patrie.
Dieu, son Père, lui ouvrira son Cœur. Il essuiera toutes les larmes, à
jamais… Et veni…
L’exil serait supportable, si le Bien-Aimé faisait sentir sa présence.
Ce ne serait plus le dur exil. Mais alors, Jésus se cache. Il laisse à l’âme
l’impression qu’il est loin, bien loin, et que peut-être il ne reviendra
plus jamais. Les larmes coulent discrètes, résignées, mais bien amères.
La tête est vide. Le cœur fait mal, très mal : on dirait que quelque
chose qui le remplissait et le faisait battre lui a été brusquement arra-
ché. Il souffre. Il saigne. Il ne sait où trouver ce qui lui manque tant, et
dont il vivait. La parole de saint Augustin prend alors pour l’âme un
sens profond et vécu qu’elle ne lui connaissait pas : « Irrequietum est
cor nostrum, donec requiescat in te » 3. Cette inquiétude mortelle du
cœur privé de son Dieu, qui en dira l’acuité et la profondeur ? Mais,
tout à coup, la pluie cesse, les larmes s’arrêtent, les yeux s’éclairent, le
cœur sent le bonheur l’envahir jusqu’au plus intime : Jésus est revenu.
Il a parlé, tout est oublié. C’est l’intimité qui se renoue plus douce, plus
simple, plus affectueuse et plus profonde que jamais. « Mane, Do-
mine, in aeternum » 4.
1 À tel point que nous désespérions même de la vie (II Cor., I, 8).
2 Je passe les nuits sans sommeil comme le passereau solitaire sur les toits (Ps. CI, 8).
3 Notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il se repose en toi (S. Augustin).
4 Restez, Seigneur, dans l’éternité.
82 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
Tout est à la joie, tout chante au printemps. Tout aussi dans l’âme
est à la joie et chante. Quand l’amour de Dieu dilate le cœur, les lèvres
s’ouvrent d’elles-mêmes. Comme il est doux, ô mon Dieu, de chanter
votre amour ! On sait bien qu’aucune mélodie n’est capable de
l’exprimer. Mais il est impossible de se taire, et parler ne suffît pas. Il
n’y a plus d’autre ressource que de chanter, et l’on chante. On le fait
d’abord dans son cœur, puis tout haut :
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 83
fruits. Il consent à lui laisser occuper la terre, il attend. Jésus enfin est
heureux quand il trouve un figuier couvert de fruits. Il le contemple les
développant et les poussant jusqu’à parfaite maturité. Doux Jésus,
vous avez daigné ne pas maudire mon âme si longtemps stérile ; vous
en aviez pourtant bien le droit. Miséricordieux jusqu’à la limite, vous
m’avez permis d’occuper la terre sans qu’il vous en revînt aucun profit.
Divin agriculteur, il vous a plu de vous intéresser vous-même à ce
pauvre arbre sans valeur. Vous avez retourné le sol où il était planté.
L’humiliation et la souffrance ont pénétré cette terre ingrate. Et voilà
que vos labeurs patients reçoivent un commencement de récompense.
Quelques fruits se montrent. Il me semble par moments que je vous
aime un peu. C’est le seul fruit que vous attendez de moi. Oh ! faites
qu’il mûrisse !
Comme autrefois en Palestine, vous avez faim et soif, ô Jésus. Vous
cherchez, sur les arbres que vous avez plantés, des fruits qui vous
nourrissent et qui vous rafraîchissent. Quelle joie pour une âme que de
vous voir vous rapprocher d’elle pour y découvrir ces beaux et bons
actes d’humilité, de douceur, de générosité et d’amour qu’elle a pro-
duits par vous et pour vous ! Vous recevoir à sa table en quelque sorte,
vous y nourrir comme du meilleur d’elle-même, quelle félicité ! Elle a
tant reçu de vous que c’est justice qu’elle vous rende quelque chose à
son tour ! Vous l’avez nourrie de votre chair et de votre sang, de votre
grâce et de votre amour. À vous maintenant de vous reposer en goû-
tant les fruits de vos travaux et de vos peines. Faites, ô divin Maître,
que ces fruits qui sont bien à vous parviennent à la parfaite maturité
pour votre gloire et pour le vrai bonheur de votre sainte Épouse !
Mais Jésus aime à faire admirer et goûter à sa sainte Épouse les
fruits que portent les autres âmes. On voit clair dans le monde spiri-
tuel selon le degré d’intimité où l’on se trouve avec le bon Dieu. Plus
on lui est uni, et mieux on voit ce qu’il voit et comme il le voit. Ici, Jé-
sus veut faire contempler le spectacle des âmes qui lui appartiennent â
un titre tout spécial, et qui fructifient par lui et pour lui. Dans l’union
spirituelle entre l’Époux et l’Épouse, tous les biens sont communs. Les
fruits que produisent les autres arbres, plantés et cultivés par Jésus,
sont aussi à l’âme bien-aimée qui désormais le suit partout où il va,
goûte toutes ses joies, partage toutes ses espérances. Et c’est un déli-
cieux spectacle que celui de tant d’âmes ignorées, qui, dans le secret de
leur vie intime, produisent de si beaux actes d’humilité, de renonce-
ment, de bonté et d’amour ! Le monde spirituel se découvre de plus en
plus aux regards de l’âme. Et les beautés de la nature ne sont rien en
comparaison de sa beauté à lui !…
Comme Jésus est bon d’apprendre ainsi à lire les âmes ! On le fait
d’un regard discret, respectueux, religieux. Une âme, c’est un sanc-
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 87
tuaire. Il y faut entrer, même seulement du regard, avec une sainte re-
tenue et un profond recueillement. Mais aussi quand les yeux se sont
accoutumés à la demi-obscurité de ce sanctuaire, que de belles choses
on y découvre ! On voit la zone d’ombre peu à peu envahie par la lu-
mière de Dieu ; celle qui était froide se réchauffer au soleil du divin
amour, celle qui était encore un peu bourbeuse se dessécher et s’assai-
nir. C’est une âme au printemps d’abord. Ce sera bientôt une âme à
l’été et à l’automne. Ce ne sera plus jamais une âme en hiver. Merci,
mille fois, ô Jésus, pour tous ceux à qui vous faites l’honneur et à qui
vous procurez la joie de saisir comme avec leurs yeux le travail pro-
fond, lent pour l’ordinaire, mais sûr de votre grâce dans une âme que
vous aimez !
l’amour. C’est celui delà « vigne » 1 dont les fruits ont été broyés un
jour afin de nous donner votre sang à boire. Et cela parce que vous
nous avez aimés « jusqu’à la fin » 2. Voilà, à mon tour, le parfum que
je voudrais vous offrir, parce que je vous aime.
1 Joan., XV, 1.
2 Joan., XIII, 1.
3 Ô profondeur inépuisable de la sagesse et de la science de Dieu (Rom., XI, 33).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE II 89
Dites-moi, ô Jésus, quelles sont ces « fentes des rochers » dans les-
quelles se tient l’âme intérieure, et ces « parois escarpées » dans les-
quelles elle se cache ! Oiseau timide et faible, la colombe semble avoir
besoin de s’appuyer sur la fermeté du roc, de se tenir loin de la portée
des hommes et tout près des retraites inaccessibles et sûres. Ainsi en
est-il de l’âme qui vous aime, ô mon Dieu. Elle s’éloigne du bruit, elle
fuit le monde, elle s’élève sur les hauteurs d’elle-même, elle y fait sa
demeure habituelle, elle s’y cache en quelque sorte. Il lui semble avec
raison que là seulement elle trouvera, avec le silence, la sécurité et la
paix. Elle sait que sur ces hauteurs, l’air est plus pur, « aër purior », le
ciel plus clair, plus transparent, plus lumineux, plus éclairant et
comme ouvert, « coelum apertius », et vous surtout, ô mon Dieu, plus
proche, plus confiant, plus affectueux, plus intime et plus familier,
« familiarior Deus ».
OSTENDE MIHI FACIEM TUAM, SONET VOX TUA IN AURIBUS MEIS (II, 14).
Montre-moi ton visage, fais-moi entendre ta voix.
L’âme intérieure se cache le plus qu’elle peut aux créatures. Elle vit
seule et-sur les hauteurs. Elle y attend son Dieu. Il lui parle en ce mo-
ment. Il la félicite de son amour de la retraite. Mais il lui rappelle que
si elle doit se cacher à tous les regards, elle doit se montrer à son Sei-
gneur, à son Époux et à son Dieu. Il a le droit de la voir et de la con-
templer. Pour lui, point de retraite obscure, de cachette mystérieuse,
de voile impénétrable. Pour lui, point de silence à observer. Montre-
moi ton visage. Fais-moi entendre ta voix… Oh ! Seigneur Jésus, je
voudrais tant vous obéir et, à votre ordre, sortir de ma réserve, me
montrer à vous à visage découvert, faire entendre ma voix à vos
oreilles d’ami et de frère. Mais j’ai peur. Il me semble que mes traits
sont irréguliers, disgracieux, et que ma voix manque de force, de sou-
90 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
VOX ENIM TUA DULCIS ET FACIES TUA DECORA (CANT., II, 14).
Car ta voix est douce, et ton visage charmant.
laient jusqu’à cette âme si belle, l’âme humaine d’un Dieu et ils res-
taient comme ravis en extase. Vous-même, ô Jésus, vous ne résistiez
pas au charme de votre propre beauté que vous contempliez comme en
un miroir dans les traits de votre Mère bien-aimée et surtout dans son
âme toute pure, toute lumineuse, tout aimante. C’est surtout à votre
sainte Mère que vous pouviez dire : « Votre voix est douce, ô Marie, et
votre visage charmant ». Mère, faites que je vous ressemble !
Qui parle ici, ô Jésus ? Est-ce vous ? Est-ce votre Épouse ? Et si c’est
vous, à qui parlez-vous, ô divin Maître ? Quels sont ces renards encore
jeunes et qui pourtant sont assez forts pour ravager tes vignes en
fleur ? Il semble que nous puissions voir en ces renards dévastateurs
ou les manifestations subtiles de l’orgueil, ou les sourdes poussées de
l’humeur irascible, ou les insinuantes recherches de la nature en qui le
péché a introduit l’insubordination et le désordre, ou enfin toutes ces
causes réunies, sources d’agitations, d’inquiétudes et de troubles.
Quand l’âme commence à fleurir comme la vigne, les passions, l’or-
gueil et l’égoïsme non encore détruits parfaitement peuvent lui causer
de grands dommages. Ils peuvent par leur turbulente intervention em-
pêcher les fleurs de se transformer en fruits, en actes pleins, parfaits,
nombreux. Qui dira ce que c’est que la perte ou même l’imperfection
d’un seul acte d’amour de Dieu ?
Pour que l’âme intérieure puisse porter ses fruits d’amour, il faut
qu’elle soit délivrée des pensées vaines, des soucis fatigants, des inquié-
tudes vagues, des sourdes agitations, de tout ce qui peut la troubler
dans sa divine occupation. Elle ne doit perdre ni temps, ni forces. La
pleine et parfaite possession de tous ses moyens lui est nécessaire pour
ce grand œuvre. Et pourtant, il faut qu’elle vive sur cette terre du mou-
vement et du bruit, qu’elle traite avec les hommes, qu’elle compte avec
les choses elles-mêmes. Il est si difficile de s’isoler ! Comme le dit Bos-
suet, « nous avons beau fermer cent portes sur nous et mettre sur nous
cent serrures, cent murailles closes, cent grilles, le monde nous suit » 1.
Ô Jésus, quel soin ne prenez-vous pas des âmes que vous aimez !
Elles ont besoin de nourriture, vous êtes leur Pasteur et vous pour-
voyez à leur subsistance. Vous les faites paître « parmi les lis ». Non
seulement vous leur découvrez le sens profond de vos divines paroles,
afin que leur esprit puisse l’assimiler et s’en nourrir, mais vous leur
découvrez des âmes semblables à des lis par leur blancheur, leur par-
fum et leur grâce, pour qu’elles s’en nourrissent.
Dans l’ordre spirituel, les âmes se communiquent mutuellement
leurs richesses, elles s’alimentent les unes les autres. Pour l’ordinaire,
cette communication de biens n’est pas consciente, surtout du côté de
l’âme qui donne, mais elle peut le devenir. C’est alors une joie très pro-
fonde et toute divine que de pouvoir ainsi éclairer, réchauffer, dilater,
fortifier, nourrir en un mot une âme que Jésus veut rendre semblable
à lui : « Filioli, quos itemm parturio, donec formetur Christus in vo-
bis » 1. Oh ! les saintes joies que celles de la paternité spirituelle !
1 Mes petits enfants pour qui j’éprouve de nouveau les douleurs de l’enfantement jusqu’à ce que
pour elle. Elle a faim, elle a soif de vous, ô mon Dieu. Elle voudrait
aussi se dilater en vous sans mesure. Ô mystérieuse union de deux es-
prits, le vôtre, ô mon Dieu et celui de l’âme, que vous appelez par pure
bonté à cette inestimable vie, comme on serait heureux de te goûter et
de te chanter ! Que c’est beau ce que vous faites là, ô mon Dieu ! Que
c’est bien de vous, cela. Plus c’est profond, plus c’est incompréhen-
sible : plus c’est vrai, plus c’est divin.
Oui, cher Bien-Aimé, « reviens ».
Le désir du retour de l’Époux est si vif, si profond, si ardent, que
l’âme trouve pour l’exprimer une comparaison pleine de charme, de
grâce et de vie. Elle conjure son Dieu Bien-Aimé de revenir à elle, non
point du pas tranquille et lent du pasteur qui ramène le soir son trou-
peau bien nourri au bercail protecteur, mais avec l’ardeur, l’élan, les
bonds audacieux « de la gazelle ou du faon des biches », sautant
comme par jeu d’une crête de ravin à l’autre.
La présence de Dieu est si douce, son absence, même courte, même
légitime, selon notre manière de parler, est si pénible au cœur aimant,
que les plus fortes paroles, les plus étonnantes images ne lui semblent
pas déplacées pour traduire le désir qui le brûle déposséder son Dieu
de nouveau.
Et c’est lui qui a raison.
Chapitre III
1 Ste. Thérèse.
98 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
1 S. Augustin.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE III 99
Dieu se donne quand il lui plaît ; et il ne doit rien même à l’âme la plus fi-
dèle.
Malgré ses efforts, l’emploi des moyens qui lui ont autrefois réussi
pour trouver son divin Époux, l’âme intérieure est obligée d’avouer
son douloureux insuccès. Elle le fait avec tristesse, mais sans dépit et
sans découragement. Dieu se donne, elle le sait, quand il lui plaît. C’est
son droit. Il ne doit rien à l’âme, même la plus fidèle. Nous sommes
toujours des serviteurs « inutiles » et, au fond, par nous-mêmes im-
puissants. Il est bon pour l’âme que Dieu proclame ainsi son absolue
liberté. Le don qu’il a fait et qu’il fera sans doute de lui-même à son
heure paraît ainsi bien plus grand, puisqu’il ne dépend pas à propre-
ment parler des dispositions de l’âme, si parfaites qu’on les suppose, et
que Dieu est seul, lui, à pouvoir le faire. Ainsi donc, le Bien-Aimé peut
se cacher, l’âme intérieure, elle, ne doit pas cesser pour cela de le cher-
cher. Son Dieu n’a pas besoin d’elle pour être heureux. Sans lui, au
contraire, nul bonheur n’est possible pour elle.
Si l’on songeait bien à la gratuité absolue de l’amitié divine et par
suite, de sa manifestation à l’âme privilégiée, jamais on n’oserait se
plaindre des divins délaissements. Il est vrai que l’amour rend exi-
geant et audacieux, et c’est lui qui mène tout ici. Il ne peut pas ne pas
souffrir, et il ne peut pas ne pas dire sa peine. Il est fait pour unir ; la
séparation, c’est la mort pour lui. Sans doute, il espère qu’elle n’est que
momentanée. Mais c’est encore trop. Ô amour, tu as raison. Cherche,
demande, appelle, crie au besoin. Qui cherche trouve ; qui demande
reçoit ; à qui appelle, on répond 1. Que chercher en dehors de vous, ô
mon Dieu ? Que demander si ce n’est vous encore, ô mon Dieu ? À qui
faire appel dans cette détresse, la seule vraie détresse, si ce n’est à vous
toujours, ô mon Dieu ?
Oui, mille fois oui, à vous qui êtes tout pour moi. Plutôt mourir que
de cesser de vous chercher.
1 Luc, XI, 9.
100 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
Pendant qu’elle parcourt les rues et les places pour retrouver son
Bien-Aimé, l’âme rencontre ceux qui sont chargés de garder la ville et
de veiller à ce que tout soit en sécurité. Ces gardes ne seraient-ils pas
ici les confesseurs et les directeurs de l’âme, l’ange qui la garde, les
saints qui la protègent ? C’est vers eux en effet que l’âme angoissée
d’amour divin se retourne, et c’est à eux qu’elle demande : « Avez-vous
vu Celui que mon cœur aime ? » Prêtre pieux et zélé, qui prenez soin
de moi, ne savez-vous pas où se trouve mon Dieu ? Ne l’avez-vous pas
rencontré et ne pouvez-vous pas me dire quel chemin je dois suivre
pour le rejoindre ? Vous devez l’avoir vu, vous qui avez le droit de
l’approcher, vous qui le tenez dans vos mains, vous qui êtes chargé de
le donner aux âmes. Ô Père, dites-moi où est Jésus ?
L’âme en quête de son Dieu le demande à son bon Ange : « Esprit
bienheureux, vous qui contemplez mon Sauveur face à face, ouvrez
mes yeux afin que je le voie comme vous, pour l’aimer comme vous ».
Elle continue : « Mes saints amis du ciel, je suis ravie de votre bon-
heur, mais je voudrais le goûter aussi autant du moins que la terre
peut le permettre. Obtenez-moi la grâce d’y participer en retrouvant
mon Dieu et mon Tout, qui est aussi votre Dieu et votre Tout ». Ainsi
parle et prie la pauvre délaissée. Puis elle relit les pages de ses chers
maîtres en vie spirituelle pour essayer de retrouver la lumière
et l’amour. Mais rien ne lui dit rien. Nul ne peut lui donner son Dieu.
Il faut qu’elle cherche encore, qu’elle dépasse et ses vigilants amis et
leurs œuvres les meilleures. Le Bien-Aimé est au-delà. « Va, va, conti-
nue ta douloureuse enquête jusqu’à ce que tu aies retrouvé ton Dieu ! »
Si parfaites que soient les créatures, si belles que soient leurs pa-
roles et leurs œuvres, il faut nécessairement les « dépasser » pour
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE III 101
trouver le bon Dieu. Il est au-delà. Leur rôle à elles, c’est d’attirer et de
mener à lui. Elles ne peuvent pas faîte plus. Vouloir leur demander da-
vantage, c’est leur demander l’impossible. Un temps vient pour l’âme
où pour trouver tout, elle doit tout quitter. C’est Dieu lui-même qui
fixe le moment de cette séparation mystique ; il y aurait dommage
pour l’âme intérieure à le devancer. Elle ne parviendrait, du reste, qu’à
se mettre dans le vide et n’y pourrait pas vivre. Aussi longtemps que
les créatures vues dans la lumière de Dieu, bien entendu, excitent son
amour et soutiennent ses pas, elle doit leur demander son Dieu.
Mais c’est un moment bienheureux pour l’âme que celui où, après
tant d’angoisses, elle trouve enfin son Bien-Aimé. Plus elle a souffert,
plus elle est heureuse. Pendant sa pénible et longue recherche, l’amour
véritable de Dieu a grandi. Il a pris possession de tout en elle. Il règne
en maître absolu. Tout s’inspire de lui. Tout lui obéit. Tout est jugé et
mesuré par lui. Il est assez fort maintenant pour se passer de l’aide des
créatures et agir par lui-même. Sous son action, devenue irrésistible,
l’âme les dépasse, elle se dépasse en quelque sorte elle-même. Elle
quitte cette région où l’on pense, où l’on parle, où l’on agit à la façon
humaine, pour entrer dans cette zone silencieuse, paisible, immense,
déconcertante au premier abord, où l’on pense, où l’on aime, où l’on
vit à la façon divine. Là, dans la solitude et la paix, elle rencontre son
Dieu, elle communie à lui. Elle peut dire en toute vérité qu’elle a trou-
vé « Celui que son cœur aime ».
QUAE EST ISTA QUAE ASCENDIT PER DESERTUM SICUT VIRGULA FUMI EX
AROMATIBUS MYRRHAE, ET THURIS, ET UNIVERSI PULVERIS FIGMEN-
TARII ? (CANT., III, 6).
Quelle est celle-ci qui monte du désert, comme une colonne de fu-
mée, exhalant la myrrhe et l’encens, tous les aromates du par-
fumeur ?
Ce n’est pas une fois seulement que l’âme intérieure s’est endormie
du sommeil de l’amour sur le Cœur même de Dieu. Cette grâce, d’abord
rare et fugitive, s’est faite plus fréquente et a prolongé de plus en plus son
action. L’âme est devenue toute belle. L’heure des grandes faveurs arrive
pour elle. Elle est en quelque sorte digne de son Époux divin. L’amour
l’attire de plus en plus vers lui. Il est comme sa force ascensionnelle. Elle
monte. Les Anges qui la contemplent admirent sa beauté. Ils se réjouis-
sent de son élévation. Ils expriment leur joie en se demandant les uns
aux autres : « Quelle est celle privilégiée de l’amour ? D’où vient-elle ?
Quel est son nom ? »
Le désert d’où monte l’âme intérieure, c’est le monde qu’elle quitte
sans retour. Il n’est à ses yeux qu’un désert sans eau et sans chemin. Pour
elle, en effet, le monde n’existe plus qu’à la manière d’une chose informe,
sans couleur, sans figure. Elle l’habite encore, puisqu’il le faut ; elle n’y
vit pas. Elle l’ignore ; son grand désir serait de le quitter pour jamais, ré-
ellement, par la mort. Son corps irait à la terre ; son âme du moins pour-
rait aller là où est son cœur : à Dieu. Elle s’élève déjà vers lui de toute
l’ardeur de son amour. Qui la contemplerait, la verrait vraiment comme
montant d’une région ténébreuse vers la lumière qui ne s’éteint pas.
Ce désert est aussi, en un sens très réel et plus profond, l’âme elle-
même par opposition à ce que les saints, par exemple sainte Thérèse,
appellent l’esprit de l’âme. Pour s’unir à Dieu, l’âme intérieure doit,
non seulement quitter moralement le monde, mais encore se quitter
elle-même : « Abneget semetipsum » 1. Ce qu’il y a dans l’âme de plus
haut, de plus profond, de plus divin si l’on peut dire, l’esprit de l’âme,
doit se séparer de tout le reste pour mener sa vie à lui. L’âme doit re-
noncer à penser, à imaginer, à sentir à sa manière ordinaire, même les
choses spirituelles. Il lui faut arracher à ses facultés les objets (à
l’exception de la Très Sainte Humanité du Sauveur) qui les occupent et
les informent. Parvenue à ce stade de la vie intérieure, l’âme se sent at-
tirée comme dans une zone de silence dont la solitude absolue
l’étonne, l’effraye même un peu d’abord, mais ne la trouble pas. Elle
s’habitue vite à cette solitude. Elle comprend que c’est là désormais
qu’elle doit se tenir, autant du moins qu’il dépend d’elle, parce que
c’est de là qu’elle doit partir pour s’élever à Dieu.
voir, et met l’âme face à face avec la réalité divine exprimée et cachée
tout ensemble par les mots. C’est la foi ferme, inébranlable, fondement
et racine de tout dans l’âme intérieure, et aussi véritable fruit de l’Es-
prit-Saint, d’un goût céleste et d’une puissance nutritive incomparable.
Pazzi, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, etc. Tous, tous, au lieu de fuir
la souffrance, ils la cherchent ; au lieu de la craindre, ils l’espèrent.
C’est une amie pour eux, c’est leur compagne de tous les jours, de tous
les instants. Pour eux, vivre, aimer, souffrir, c’est tout un.
Le siège de l’Époux et de l’Épouse doit être de pourpre.
Toutes les facultés de l’âme, toutes les vertus qui les ornent, contri-
buent à former cette « broderie, œuvre d’amour des filles de Jérusa-
lem ». Rien n’est trop beau pour Dieu. Sans relâche, toutes les activités
de l’ame, naturelles et surnaturelles, sous l’influence et la direction de
la charité, se déploient dans l’unité et la variété. Elles brodent l’âme
même de leurs mille desseins et de leurs mille couleurs. Jamais plei-
nement satisfaites de leur travail, elles le reprennent et l’embellissent
sans cesse. Peut-être aussi est-il permis de voir dans ces ouvrières
d’amour, les âmes pieuses qui prient et souffrent pour que Jésus soit
plus aimé, qui rêvent de lui trouver, et si elles le peuvent de lui former,
des épouses parfaites, vraiment dignes de lui, capables par leur surna-
turelle beauté de charmer et de ravir son divin Cœur. Une belle âme de
plus dans le monde, c’est si beau !
L’union de l’âme avec Dieu fait la joie de Marie qui l’a préparée.
QUAM PULCHRA ES, AMICA MEA, QUAM PULCHRA ES (CANT., IV, 1).
Oui, tu es belle, mon amie, oui, tu es belle.
compris ; vous êtes mon vrai disciple, mon fidèle ami. Continuez ainsi,
je ne vous quitte pas des yeux. Mon cœur est toujours avec vous. Mais
soyez encore plus humble au dehors comme au dedans ; plus recueilli
afin de mieux entendre ma voix ; plus docile afin de mieux me suivre ;
plus oublieux de vous-même afin de mieux penser à moi ; plus détaché
de tout, afin que je puisse, à mon gré, vous élever jusqu’à moi et vous
unir à moi. Courage donc, mon ami, tout ce que vous faites me plaît,
parce que je vois que vous agissez toujours par amour. « Dilige et quod
vis, fac » 1.
Quand me parlerez-vous ainsi, ô Jésus ?
Mais, ô mon doux Sauveur, est-ce que j’ai raison de me plaindre ?
Ne me parlez-vous pas très souvent de la sorte ? C’est vrai, je
n’entends pas de son articulé, mais en avez-vous besoin pour me faire
comprendre votre pensée ? Non, certes ! Vous avez tant de moyens de
nous parler et de nous éclairer… Encore faut-il que nous sachions en-
tendre et que nous sachions voir. Seigneur, faites que j’entende, mes
oreilles sont dures ; faites que je voie, mes yeux sont clos ; faites en-
suite que je marche à votre voix et à votre lumière, car je suis un
pauvre paralytique. Jésus, Fils de David, Jésus, Fils de Marie, ayez pi-
tié de moi ! Vous suivre, comme votre ombre, ô Jésus, partout, à la
Crèche, en Égypte, à Nazareth, au Thabor, à la Croix, au ciel enfin.
Voilà mon unique désir, mon unique ambition, mon unique raison de
vivre et de souffrir. « Veni, sequere me ».
Entre l’âme et Dieu il peut y avoir trois sortes de voiles : celui des
créatures, celui des représentations intérieures des choses de la terre
comme du ciel, enfin le voile de la foi toute pure qui renonce de se
faire une idée de l’infinie perfection de Dieu tant elle est persuadée de
l’inutilité de cet effort. Mais qui dit croire dit ne pas voir. L’âme qui
renonce aux créatures, aux pauvres conceptions de son intelligence,
pour vivre face à face avec son Dieu, garde toujours sur ses yeux, sauf
miracle très rare, un voile, celui de la foi. Seulement Dieu la regarde à
travers son voile, ou, pour mieux dire, le voile n’existe pas pour lui. Il
saisit donc en perfection tout ce qu’il y a de simplicité, de pureté, de
profonde affection dans le regard de cette âme qui l’aime et qui n’aime
que lui. Ce regard lui plaît. Il le charme. Il le captive ; ô doux regard,
que tu es puissant sur le Cœur de Dieu !
Ornement, par leur régularité et leur émail, les dents ont un rôle
important à jouer dans la vie physique de l’homme. Que peuvent-elles
représenter par analogie dans la vie intérieure ? Les facultés, les ver-
tus, ornements des facultés, et qui au dire des théologiens sont au
nombre d’une trentaine ? Peut-être. Supposons-le. Elles sont au com-
plet. Elles ont atteint leur parfait développement. Elles sont en pleine
activité. Elles vont par paires qui doivent agir ensemble pour que leur
acte soit achevé : douceur et force, humilité et magnanimité, justice et
miséricorde, bonté et fermeté, etc. Tout événement est saisi par elles et
transformé en aliment de l’âme. Tout acte de vertu dans le cas est mé-
ritoire et le mérite augmente la grâce et la gloire, c’est-à-dire la vie.
SICUT VITTA COCCINEA LABIA TUA ET ELOQUIUM TUUM DULCE (IV, 3).
Tes lèvres sont comme un fil de pourpre, et ta bouche est char-
mante.
SICUT FRAGMEN MALI PUNICI, ITA GENAS TUAS, ABSQUE EO QUOD IN-
TRINSECUS LATET (CANT., IV, 3).
Ta joue, est comme une moitié de grenade derrière ton voile.
SICUT TURRIS DAVID COLLUM TUUM QUAE AEDIFICATA EST CUM PRO-
PUGNACULIS ; MILLE CLYPEI PENDENT EX EA, OMNIS ARMATURA FOR-
TIUM (CANT., IV, 4).
Ton cou est comme la tour de David, bâtie pour servir d’arsenal.
Mille boucliers y sont suspendus, tous les boucliers des braves.
DUO UBERA TUA SICUT DUO HINNULI CAPREAE GEMELLI QUI PASCUNTUR
IN LILIIS (CANT., IV, 5).
Tes deux seins sont comme deux jumeaux de gazelle, qui paissent
au milieu des lis.
Maternité spirituelle.
Comme l’Église, l’âme vraiment intérieure est mère. Dieu lui confie
des âmes, qui sont ses enfants dans l’ordre spirituel. Elle doit les nour-
rir jusqu’à ce que le Christ Jésus soit parfaitement formé en elles,
« donec formetur Christus in vobis » 1. C’est Dieu encore qui donne à
cette âme, épouse et mère, le lait spirituel qui fera grandir ses enfants.
Et, d’autre part, c’est lui qui leur inspire d’aller demander à cette âme
la nourriture divine dont ils ont besoin. Un instinct secret les pousse
vers elle. Sans trop s’en rendre compte, ils comprennent que là, et là
seulement, ils trouveront ce qu’ils cherchent. Si on les pressait de
donner la raison de leur démarche spontanée, ils réfléchiraient et fini-
raient par dire : « Je vais à cette âme avec confiance, parce que je sais
qu’elle pratique de tout son cœur, et dans leur parfaite pureté les deux
préceptes jumeaux de la loi : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout
ton cœur, etc., et ton prochain comme toi-même 2. Elle aime son pro-
chain, elle ne me repoussera pas. Elle aime son Dieu, elle me le donne-
ra. D’un mot, elle me nourrira de ses deux affections, et c’est ce que je
désire tant. Voilà pourquoi je vais à elle ».
*
On pourrait peut-être interpréter librement ces paroles de l’Épouse
et se demander quelle est « cette montagne de la myrrhe et cette col-
line de l’encens », où elle désire tant se retirer « avant que vienne la
fraîcheur du jour, et avant que les ombres fuient », c’est-à-dire avant
la fin de sa vie terrestre.
1 Louez le Seigneur parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde est éternelle (Ps. CXVII, 1).
118 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
TOTA PULCHRA ES, AMICA MEA, ET MACULA NON EST IN TE (CANT., IV, 7).
Tu es toute belle, mon amie, et il n-y a pas de tache en toi.
être ; par une parole intérieure, souvent ; au moins par une action in-
time, profonde, qu’il opère dans l’âme sans que celle-ci y résiste jamais,
et qui, à sa manière, est une parole, une manifestation très claire des
dispositions de Dieu à son égard. La parole extérieure comme la parole
intérieure, quand elles se font entendre, traduisent en langue humaine
cette action mystérieuse de Dieu, par laquelle il fait connaître, expéri-
menter à l’Épouse le transport de joie de son cœur à lui, quand il se
voit vraiment aimé. Comme l’âme est alors bien récompensée de tout
ce qu’elle a souffert pour conquérir ce cœur si bon ! Cette parole ferait
mourir de bonheur, si Dieu la laissait agir dans toute sa force.
Elle est un baume, un parfum, une mélodie, une liqueur, une lu-
mière, une force, quoi donc encore ? Elle est tout cela ensemble et plus
que cela. C’est le ciel déjà. Et que faut-il pour que Dieu la prononce ?
Un seul regard, un seul sourire, un seul mot, un seul soupir, un seul
battement du cœur de l’âme qui l’aime vraiment. Quand donc, ô mon
Dieu, comprendrons-nous la puissance du saint Amour ?
Quand nous déciderons-nous à vous aimer, et à n’aimer que vous et
de toute notre âme ? Répandez cet amour dans nos cœurs, ô Esprit di-
vin ! Vous seul pouvez nous le donner. Hâtez-vous. Alors nous lance-
rons sans cesse vers notre Dieu bien-aimé, vers vous, ô Trinité ado-
rable, ces regards, ces cris, ces flèches d’amour, qui vous blessent si
profondément, ouvrent tout grand votre cœur et en font jaillir des flots
de bonheur et d’amour.
Vos paroles, ô mon Dieu, sont pleines de vérité. Elles nous éton-
nent sans doute. Mais il suffît qu’elles soient « vos paroles » pour que
nous y adhérions sans réserve. Ainsi donc, ô mon Dieu, nous croyons
de toute notre âme que l’amour sincère et pur d’un cœur vraiment
épris de vous fait votre joie, qu’il est plein de charme pour votre cœur,
qu’il vous enchante et vous ravit, qu’il est pour vous comme une déli-
cieuse nourriture et comme le plus délicat des parfums. Le vin le plus
riche, les aromates les plus exquis ne sont rien, quand vous les compa-
rez à l’amour si délicat et si profond de votre « sœur fiancée ». Et c’est
122 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
vous, ô mon Dieu, qui n’avez besoin de rien ni de personne pour être
pleinement, parfaitement, immuablement heureux, c’est vous qui par-
lez ainsi à une pauvre âme humaine, qui vous doit tout, jusqu’à
l’amour qu’elle vous porte et qui vous charme. Ô Amour, que tu es
puissant ! Ô mon Dieu, que vous êtes bon !
Vous charmer, ô mon Dieu, quelle grâce, quel bonheur ! Quand on
est sous le charme, on ne se possède plus, on est pris tout entier. Vous
seul avez le droit de nous charmer ainsi. Mais aussi, l’amour d’un cœur
pur exerce sur vous la même domination. Vous nous le dites, vous le
voulez ainsi. Il vous plaît de vous faire le libre captif de l’amour. C’est
certain. Pourquoi cela, ô mon Dieu ? Vous n’avez pas de secrets pour
qui vous aime. Faites comme si je vous aimais. Dites-moi : Pourquoi le
véritable amour a tant d’empire sur vous ? Quand on aime d’un légi-
time et profond amour, on se sent porté à inspirer à d’autres l’affection
dont on est tout rempli. Comme on voudrait, ô mon Dieu, vous faire
aimer de tous les hommes ! À votre manière toute divine, vous éprou-
vez vous-même en quelque sorte ce que nous ressentons, nous, dans
notre pauvre cœur. Vous ne pouvez aimer que vous. Vous vous aimez
autant que vous êtes aimable, sans mesure, infiniment. Votre amour
fait votre bonheur, et votre bonheur est parfait, infini, comme votre
beauté et comme votre amour. Mais dans votre ineffable bonté, sans
aucune nécessité de votre part, vous avez voulu créer des êtres capables
de communier à votre bonheur en communiant à votre amour. Vous
avez fait les Anges dans le ciel et les hommes sur la terre. Vous leur avez
dit : « Contemplez-moi. Aimez-moi. J’ai le droit d’être aimé ; je yeux
être aimé. Mais je veux être aimé librement. Aimez-moi donc. Partagez
mon amour pour moi-même. Vous me ferez plaisir, je vous rendrai
heureux. Vivez de ma vie, imparfaitement d’abord, ensuite, et comme
récompense, je vous en ferai vivre pleinement et pour l’éternité ».
FAVUS DISTILLANS LABIA TUA, SPONSA ; MEL ET LAC SUB LINGUA TUA, ET
ODOR VESTIMENTORUM TUORUM SICUT ODOR THURIS (CANT., IV, 11).
Tes lèvres distillent le miel, ma fiancée ; le miel et le lait se cachent
sous ta langue, et l’odeur de tes vêtements est comme l’odeur
du Liban.
Charité.
Il n’y a pas de vertu qui produise plus volontiers son acte et dont
l’acte donne plus de bonheur que la charité véritable. Multipliez les
actes d’amour de Dieu et du prochain. Que chacun d’eux soit plus par-
fait que celui qui le précède et en prépare un autre encore plus achevé
que lui, et vous aurez au dedans de vous une source de bonheur
chaque jour plus abondante et plus délicieuse.
Aimer ainsi, c’est vivre, et pleinement. Mais vivre, c’est se dévelop-
per, s’épanouir, se fortifier, s’enrichir de la vraie richesse ; toutes
choses qui sont agréables au goût de l’âme et peuvent être appelés des
« fruits spirituels ».
Joie.
1 Galat., V, 22.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE IV 127
plus profonde, plus parfaite, presque immuable, celle qui vient à l’âme
du bonheur même de Dieu. Ce Dieu qu’elle possède, qui est tout à elle
et comme tout en elle, ce Dieu béni, adoré, aimé, est heureux, lui, d’un
bonheur sans mélange, sans limite, sans fin, et qui ne saurait ni croître
ni diminuer, parce qu’il est infini. Ce bonheur, Dieu, son Bien-Aimé, le
goûte en paix et toujours. Nul ne peut le lui ravir.
Prendre un peu conscience de cette béatitude propre à Dieu, et qui
est au fond Dieu lui-même, c’est, pour l’âme aimante, la joie des joies.
La sienne propre ne compte plus auprès de celle-là. Et pourtant, celle-
là est bien aussi la sienne. Qui dira ces choses ?
Quelle joie encore pour l’âme intérieure que de se dire au moment
de la communion et pendant son action de grâces, qu’elle possède en
elle, bien à elle, l’Âme sainte du Verbe Incarné, de Jésus. Cette Âme
aimée, qui nous unit à elle, nous transforme en elle, est heureuse
comme il n’est pas possible de l’être. Elle voit la Trinité Sainte face à
face, elle la possède, elle l’aime à un degré et avec une perfection inac-
cessible à toute autre âme si généreuse soit-elle, et à tout ange. Elle est
donc heureuse d’un bonheur qui ne se mesure pas. La joie divine
s’épanche dans cette Âme d’une manière ineffable. Elle reste une Âme
humaine, c’est vrai, mais tellement divinisée par son union person-
nelle avec le Verbe et par sa possession si parfaite de l’essence divine,
qu’on ne sait plus quel terme employer pour exprimer et sa perfection
et sa richesse et sa joie. Et dire cependant que cette Âme aimée est à
nous, alors, et qu’elle vit sa vie en nous ! Comment ne pas se réjouir de
sa joie et être heureux de son bonheur !
Paix.
Patience.
1 S. Augustin.
2 Bienheureux les pacifiques parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu (Matt., V, 9).
3 Toute la vie du Christ fut croix et martyre (Imit., II, XII, 7).
4 Jacob, I, 4.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE IV 129
de cette amertume, elle reste calme. Non seulement elle dit : « Fiat vo-
luntas tua », du fond du cœur, mais encore elle ajoute, sous l’influence
du don de Conseil, qui lui montre le prix du sacrifice : « Deo gratias !
Merci, ô mon Dieu ! » Elle peut même s’élever plus haut et s’écrier
comme saint Paul : « Superabundo gaudio in omni tribulatione nos-
tra » 1. Les Apôtres, et après eux tous les Saints, n’étaient-ils pas heu-
reux de souffrir pour Jésus ? « Ibant gaudentes a conspectu concilii,
quoniam digni habiti sunt pro nomine Jesu contumeliam pati » 2.
Rien ne pouvait arrêter leur amour. Il portait ses fruits dans la pa-
tience. Les Saints savent souffrir, parce qu’ils savent aimer.
Et leur patience est persévérante. Ils ne se laissent abattre ni par la
longueur du chemin, ni par la monotonie de la marche, ni par les obs-
tacles qu’ils rencontrent sur leur route. Ils vont comme Jésus, portant
leur croix jusqu’au sommet du Calvaire. Et tout le long du trajet, ils
s’oublient pour penser aux autres. Ils consolent, ils encouragent
comme si eux-mêmes n’étaient pas accablés de souffrances. Quel fruit
qu’une telle patience !
Quel amour ne faut-il pas porter au cœur pour qu’un tel fruit puisse
se développer et mûrir ! L’art de souffrir ainsi entendu n’est-il pas la
moitié au moins de la perfection ? Quelle joie pour Jésus que de trou-
ver une âme qui a si bien profité de ses leçons, de ses exemples et de sa
grâce ! Comme il est heureux de voir son Épouse lui ressembler à ce
point et porter si visiblement ses divins stigmates : « Stigmata Domini
Jesu in corpore meo porto » 3.
Mansuétude et douceur.
1 Matt., V, 39-40.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE IV 131
dienne avec plus de lumière dans les yeux, plus de force dans la volon-
té, plus de joie dans le cœur.
L’eau vive a quelque chose de gracieux, d’agile, d’entraînant. Elle
est aussi pour l’ordinaire limpide et claire. Le soleil la colore de mille
teintes ; on se plaît à la contempler ; on passerait des heures à la voir
sourdre, sans se lasser, du sein de la terre. L’âme intérieure est active à
sa manière. Elle est vivante, elle s’élance vers son Dieu d’un mouve-
ment que rien ne ralentit ; elle ravit qui la regarde monter ; elle sou-
lève vers Dieu, il faut la suivre. Avec elle, on fait du chemin en hauteur
presque sans s’en apercevoir. Elle murmure doucement à l’oreille. Elle
parle de Dieu, elle dit toujours la même chose, et pourtant elle ne se
répète pas. On ne se lasse pas de l’entendre, on souffre quand il faut
s’éloigner, on se propose de revenir dès que le bon Dieu voudra bien le
permettre et, en attendant, on vit du souvenir des doux moments pas-
sés près d’elle ; on se sentait vraiment élevé et rapproché de Dieu.
Après l’image de la source, celle du ruisseau qui descend, rapide,
des hauteurs du Liban.
Tout à l’heure, c’était la contemplation de l’âme intérieure s’élevant
sans cesse vers Dieu par la force de son amour et soulevant vers lui
ceux qui la regardaient vivre ; maintenant c’est toujours la même âme,
mais s’épanchant au dehors et portant partout où son Dieu veut qu’elle
aille, la limpidité, la fraîcheur et la fécondité de ses eaux. Si on lui de-
mandait : « D’où venez-vous ? Où prenez-vous votre source, gracieux
et vivant petit ruisseau ? », on l’entendrait répondre : « Je viens des
hauteurs de Dieu ; je puise mes eaux vivifiantes au sein même de Celui
qui est la Vie. Remontez mon cours et vous verrez que c’est de là que je
descends vers vous. Buvez de mes eaux afin qu’elles fassent naître en
vous l’ardent désir de vous désaltérer à la source unique de la vie et de
l’amour ».
C’est pour plaire à Jésus que l’âme intérieure prend tant de soin
d’elle-même. Elle se réjouit à la vue des fleurs qui s’épanouissent en
elle : roses de la charité, lys de la pureté, violettes de l’humilité. Elle
132 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
pense à son divin Époux, elle voudrait lui faire respirer le parfum de
ses fleurs, qui sont ses fleurs à lui. Mais il se cache, il paraît loin.
Comment lui faire parvenir les senteurs si douces de son bien-aimé
jardin ? Levez-vous donc, vents violents du Nord, puissants aquilons ;
venez vous aussi, souffles du Midi, impétueux autans ; passez sur mon
jardin, emportez sur vos ailes, de tous côtés, les parfums de mes fleurs.
Vous saurez bien trouver mon Dieu béni, où qu’il se cache. Vous lui fe-
rez respirer l’odeur des vertus de sa chère Épouse. Il sera heureux, il se
réjouira, il comprendra le sens mystérieux du message que je vous
confie, et il viendra : « Veni Domine Jesu » 1.
C’est pour vous seul, ô mon Dieu, que l’âme intérieure s’est cultivée
elle-même. Vous l’avez aidée puissamment du reste. Avec votre grâce,
elle a arraché, et vous, vous avez planté ; elle a détruit, et vous, vous
avez construit. Votre jardin, car il est bien vôtre, est maintenant dans
toute sa beauté. Venez donc l’admirer, venez le visiter, venez vous y
reposer comme dans un petit paradis. Votre Épouse sera tout heu-
reuse de vous y recevoir, elle rêve toujours et uniquement de vous faire
plaisir. Elle sait que sa vue vous réjouira ; elle goûte par avance votre
bonheur. Venez donc, encore une fois, ô Jésus ! Entrez dans votre jar-
din. Cueillez ses fleurs, mangez ses fruits, vos beaux fruits. Permettez à
votre sainte Épouse de vous les offrir. Vous nourrir spirituellement
comme du meilleur d’elle-même, quelle joie, quelle récompense pour
elle ! Faites-lui goûter cette joie, donnez-lui cette récompense, elle
n’en veut pas d’autre.
Prière exaucée.
Dieu daigne venir prendre ses délices son dans jardin fermé.
Jésus est entré dans son jardin. Il y est entré en maître, en posses-
seur légitime à qui tout appartient, qui peut user et disposer de tout à
son gré. C’est son droit absolu. L’âme intérieure est ravie de voir qu’il
en agit ainsi librement avec elle.
« Oui, ô Jésus, tout est bien à vous dans ce jardin. Cueillez-en les
fleurs tout à votre aise ; formez-en un bouquet agréable à vos yeux et à
votre cœur. Votre main bénie ne détruit pas ce qu’elle touche. D’autres
fleurs, roses, lys ou violettes pousseront comme à l’envi pour rempla-
cer celles que vous daignez cueillir. Elles seront plus belles encore s’il
se peut, plus riches, plus parfumées, plus variées ».
L’âme aimante voudrait aussi que d’elle-même, sous l’incision du
saint Amour, s’écoulât comme une myrrhe et un baume de suave
odeur, formés du plus pur de sa substance, et qui seraient la preuve
évidente du désir qui la consume de donner sa vie pour vous.
Jésus ne veut pas être seul à goûter son bonheur. Il appelle tous ses
« amis », ses « bien-aimés » à le partager. Dieu a ses amis dans le
monde, il les connaît et ils le connaissent. Dieu permet parfois aussi
qu’ils se connaissent entre eux. À mesure que les âmes montent vers
Dieu, elles se rapprochent les unes des autres spirituellement. Quand
les circonstances extérieures s’y prêtent, soit d’elles-mêmes, soit par
suite d’une volonté spéciale de la divine Providence, elles découvrent
parfois le lien qui les unit. C’est à Dieu seul qu’il appartient d’établir ce
lien et de ménager ces rencontres, il poursuit un dessein de miséri-
corde. Il veut que ces âmes s’entr’aident à l’aimer, et s’encouragent à le
servir. Il attend souvent de leur collaboration une œuvre, qui réclame
pour s’établir leurs efforts réunis. N’en a-t-il pas été ainsi de sainte
Thérèse et de saint Jean de la Croix, de saint François de Sales et de
sainte Chantal, de saint Vincent de Paul et de sainte Louise de Maril-
lac, de la Vénérable Mère Agnès et de M. Olier, de sainte Marguerite-
Marie et du Bienheureux Père de la Colombière ?
Le bon Dieu établit entre ces âmes choisies et préparées par lui une
sainte union toute spirituelle, qui rappelle de loin celle de Marie et de
136 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
Joseph. Faut-il voir un signe de cette union dans les deux globes de
feu, l’un venant du ciel [saint François de Sales], l’autre montant de la
terre [sainte Chantal], s’unissant en un seul et allant se perdre en
Dieu, ainsi qu’il fut montré à saint Vincent de Paul, à la mort de sainte
Chantal ? Ou encore dans ce que raconte d’elle-même sainte Margue-
rite-Marie, à qui Jésus montra son divin Cœur, dans lequel étaient
unis celui de la sainte et celui du Bienheureux Père de la Colombière ?
« Une fois qu’il [le R. P.] vint dire la sainte Messe à notre église, Notre-
Seigneur lui fit de très grandes grâces et à moi aussi. Car lorsque je
m’approchai pour le recevoir par la Sainte Communion, il me montra
son Sacré-Cœur comme une ardente fournaise, et deux autres cœurs,
qui s’y allaient unir et abîmer, me disant : C’est ainsi que mon pur
amour unit ces trois cœurs pour toujours ». Union toute pour la gloire
du Sacré-Cœur, lui fut-il révélé.
Avec quel religieux respect, ô mon Dieu, nous devons parler de ce
que vous faites dans le cœur des saints !
Cette union, tout à fait intime, n’est réservée qu’à quelques âmes
relativement rares. Elle dépend de Dieu seul. Elle exige la parfaite pu-
reté du cœur. Mais à côté de ces amis privilégiés de Jésus, il en est
beaucoup d’autres à qui le bon Maître donne cependant ce doux nom
d’ « ami » Ce sont ceux qu’il invite, chacun selon son rang, à partager
sa joie : « mangez », « buvez », « enivrez-vous », leur dit-il. « Venez
auprès de cette âme qui m’est si chère. Je l’ai comblée de faveurs : elle
est un vrai trésor. Ce trésor est à vous ; venez et puisez à pleines
mains. Vous avez besoin de lumières sur moi, sur vous, sur le monde :
elle vous les donnera. La force vous manque pour gravir les pentes du
Calvaire : elle possède des réservés inépuisables de vigueur et d’éner-
gie. Elle vous nourrira du meilleur d’elle-même. Vous reprendrez votre
tâche avec un élan et un espoir nouveau. Votre cœur rêve de bonheur
vrai, solide, immuable ; l’amour divin a fait d’elle une source de joie.
Buvez, enivrez-vous. Loin de troubler votre raison et d’inquiéter votre
âme, cette sainte ivresse ouvrira vos yeux sur le ciel et vous en fera
comme par avance goûter la paix ».
Quand il lui plaît, enfin, le bon Dieu fait entrer l’âme intérieure,
souvent même au moment où elle y pense le moins, dans un mysté-
rieux et profond sommeil. Elle constate que son activité ordinaire
s’arrête comme par ordre. Elle se sent sous l’influence d’un charme
bienfaisant et doucement irrésistible, qui l’endort. Elle est isolée de
tout et elle le comprend. Cependant, elle n’est pas seule. Elle semble
ne plus agir, et pourtant elle vit d’une manière intense, mais toute
simple. Elle aime. Elle aime. Elle aime. Et rien dans cette solitude ne
trouble son amour. Elle ne voit pas son Dieu, mais elle est avertie inté-
rieurement qu’il est là. Elle se rend compte qu’il est tout près, tout au-
tour, tout au dedans. Par moments même, l’amour la saisit à ce point
qu’elle ne songe plus à rien, afin de pouvoir aimer plus encore. Elle
138 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
dort, oui, mais son cœur veille. Il mène sa vraie vie. Il aime et il est uni
par son amour à Celui qu’il aime. C’est presque le Ciel.
VOX DILECTI MEI PULSANTIS : APERI MIHI, SOROR MEA, AMICA MEA, CO-
LUMBA MEA, IMMACULATA MEA (CANT., V, 2).
C’est la voix de mon Bien-Aimé, il frappe : Ouvre-moi, ma sœur,
mon amie, ma colombe, mon immaculée.
Dieu n’endort une âme aux bruits de la terre que pour la rendre
plus attentive aux voix du Ciel. C’est dans le silence intérieur que Dieu
parle. En même temps, il frappe à la porte. L’âme le reconnaît à sa
manière. Elle devine que c’est lui qui émeut doucement sa volonté par
ces coups mystérieux : « Ecce sto ad ostium et pulso : Voilà que je me
tiens à la porte et que je frappe » 1. Encore une fois, l’âme recueillie ne
s’y trompe pas. Elle tressaille de joie. Il lui est si doux d’entendre la
voix de son Dieu Bien-Aimé ! Il est si bon pour elle de le savoir là, tout
près, et venu évidemment par amour pour sa sainte Épouse ! Les pré-
venances divines sont étonnantes ! Qu’un Maître tel que Dieu daigne
demander à être reçu dans une âme qui lui appartient à tant de titres,
que cela est digne d’admiration et de gratitude !
Seigneur Jésus, pourquoi demandez-vous à votre sainte Épouse
comme une grâce de vous ouvrir la porte de son cœur ? Ne savez-vous
pas, vous qui lisez si clairement au fond des âmes, que son cœur vous
appartient sans réserves ? Ne vous a-t-elle pas dit mille et mille fois
qu’elle voulait ce que vous vouliez, qu’elle ne voulait pas ce que vous
ne vouliez pas ? Son plus grand, son unique désir, ô Jésus, n’est-il pas
de vous recevoir « à cœur ouvert », puis de refermer sur vous les
portes de ce cœur afin de pouvoir vous aimer tout à son aise, vous, le
Dieu d’amour, vous son Bien-Aimé, vous son unique, vous « son Dieu
et son tout » ? Pourquoi donc encore une fois implorez-vous si hum-
blement, oserait-on dire, la faveur d’être reçu dans un cœur qui vous
aime tant et qui vous désire tant ? Ah ! nous ne connaissons pas les dé-
licatesses et les miséricordieuses industries de votre amour !
La voix de Jésus, la grâce, sollicite l’âme « suaviter et fortiter ».
Elle met en mouvement la liberté, elle l’accompagne tout le long de sa
route ; mais elle lui laisse le mérite de l’acte qu’elle lui fait faire sans la
contraindre. Dieu veut être aimé librement : ce choix, que l’on fait de
Ce qui attire Jésus dans une âme c’est la simplicité, la fidélité, la profon-
deur, la délicatesse, la pureté de son amour pour lui.
Jésus donne à l’âme intérieure les noms les plus capables d’exciter
sa confiance et d’augmenter son amour. Il lui indique aussi par là
comment elle est parvenue à lui plaire. Elle n’aura, pour lui plaire en-
core davantage, qu’à faire croître encore plus en elle les vertus qui ont
charmé son divin Époux : « Ouvre-moi, ma sœur ». Plus une âme
communie à l’amour filial, confiant, tendre et fort de la sainte âme de
Jésus pour le Père qui est dans les cieux, pour la douce et adorable
Trinité, plus elle est vraiment sa « sœur ». Il y a entre elles deux, simi-
litude, ressemblance, harmonie, communauté de sang et de vie.
L’attrait de Jésus pour cette âme, l’attrait de celle âme pour Jésus,
augmentent chaque jour. Les deux sœurs ne peuvent vivre séparées. Il
leur faut même toit, même table, même conversation, parce qu’elles
ont un même Père et pour lui un même amour. C’est la vraie fraterni-
té, celle que la mort ne fera que rendre plus parfaite.
C’est la charité qui unit l’Époux à l’Épouse, Dieu à l’âme. Mais la
charité est un amour de bienveillance mutuelle, connu comme tel des
deux côtés, et dont la base d’entente constituée par un bien à partici-
per en commun n’est autre que Dieu lui-même. C’est dire que la chari-
té est une amitié, la plus haute, la plus parfaite, sans comparaison la
plus inespérée de toutes. Oui, la miséricorde divine en vient jusque-là,
que de contracter une véritable amitié avec toute âme de bonne volon-
té. Sans doute, entre l’âme et Dieu il y a une inégalité qui ne se mesure
pas. Cependant, d’une certaine manière, Dieu, dans sa bonté, la sup-
prime. La grâce sanctifiante met les deux termes comme de niveau,
bien que l’un reste infini en soi, et que l’autre demeure toujours stric-
tement fini. L’âme, par la grâce, participe vraiment, réellement à la vie
divine. Elle communie, dans les ombres de la foi, à la connaissance et
à l’amour que Dieu a de lui-même et pour lui-même, c’est-à-dire à sa
vie intime : « Amicitia pares invenit aut facit ».
140 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
L’âme intérieure mérite donc bien d’être appelée par Jésus « mon
amie ». Tout est commun entre eux. Jésus donne, l’âme reçoit, puis
elle fait tout remonter, par l’amour, à Celui qui lui donne tout. Peu à
peu, en effet, l’Époux communique ses biens à sa sainte Épouse : sa
science des choses divines et humaines, sa grâce, ses vertus et ses
dons, parfois même, sans que pourtant cela soit nécessaire, jusqu’à ses
charismes prophétiques. Mais surtout, il lui donne comme sans me-
sure l’amour de son divin Cœur pour son Père qui est dans les cieux,
pour ses frères qui luttent et souffrent sur la terre. « C’est un ami si
bon et si fidèle que Jésus » 1, disait sainte Thérèse.
Au ciel seulement, nous comprendrons tout ce que signifie ce mot
« d’amie », que Jésus daigne adresser à l’âme aimante, sincère,
humble, paisible, tout entière recueillie par le saint amour.
Ce qui attire Jésus dans une âme, c’est la simplicité, la fidélité, la
profondeur, la délicatesse et la pureté de son affection pour lui. Rien
n’est caché aux regards de Jésus. Il lit sans peine au fond des cœurs.
Les plus vives protestations d’amour ne lui en imposent pas ; elles va-
lent ce que vaut le cœur qui les inspire. Il entend le silence respectueux
d’une âme aimante, ce sont les qualités réelles de son affection qui le
charment. Or, quand le cœur ne s’analyse pas, ne se reploie pas sur
lui-même, mais s’ouvre tout entier, s’épanouit au seul nom de Jésus
comme la fleur au soleil, va tout droit, tout entier, tout de suite,
comme d’un bond, vers le Bien-Aimé pour s’unir autant qu’il le peut
au Cœur de son Dieu et s’y perdre, il est simple.
Ô ravissante simplicité du cœur, comme tu es désirable, comme tu
es chère au Cœur si parfaitement simple de Jésus !
VIRGO FIDELIS
affliger, vous restez toujours notre Dieu et notre Tout. Notre amour
pour vous doit donc, non seulement demeurer intact, mais encore se
développer et grandir. Être vraiment fidèle, c’est cela pour lui.
Virgo fidelis, ora pro nobis.
Ce mot de fidélité a quelque chose d’attachant et de profond. Il
parle au cœur, il l’attire. C’est que la fidélité dans l’affection est tout ce
qu’il y a de plus précieux pour lui et de plus difficile. Aimer toujours,
toujours être aimé, voilà sa raison d’être, sa loi, sa vie. Or, la triste ex-
périence de sa faiblesse lui a révélé qu’il était capable de ne plus aimer
son Dieu ou même seulement de moins l’aimer, et, par suite, d’obliger
Dieu, si bon pourtant, ou à le rejeter ou à ne plus le regarder avec la
même affection. Cette crainte déchire le cœur comme une flèche aux
dards aigus et recourbés. Elle lui fait une blessure profonde que rien
ne saurait guérir. Seule l’assurance de rester toujours fidèle au saint
amour pourrait la cicatriser. Mais c’est là une faveur à laquelle nul ne
peut prétendre. Ah ! Seigneur, faites-moi mourir plutôt que de per-
mettre que je vous sois délibérément infidèle, fût-ce même en ce que
nous appelons matière légère.
Le seul moyen pratique que nous ayons, ô mon Dieu, pour vous
rester fidèle, c’est, avec la prière, l’amour lui-même devenant chaque
jour plus profond. Vous laissez en effet notre âme subir deux in-
fluences, qui s’exercent sur elle en deux sens diamétralement oppo-
sés : celle des biens qui passent, celle du Bien qui ne passe pas et qui
est vous-même. Elle a le devoir de se laisser gagner, entraîner par le
charme de votre adorable bonté. Plus elle se soumet à votre douce at-
traction et plus elle s’éloigne des choses d’ici-bas, moins elle en subit
l’influence. L’amour, qui la rend de plus en plus captive, la rend aussi
de plus en plus libre, de cette sainte et véritable « liberté des enfants
de Dieu » 1. Elle se détache et elle s’attache. Avec une accélération
mystérieuse, à partir surtout d’un certain point de sa course, elle se
rapproche de vous, s’unit à vous, s’enfonce en vous, de manière à ne
plus faire qu’un, en un sens, avec vous. Son amour l’a entraînée dans
les profondeurs de votre Être, elle s’y cache et s’y tient à l’abri des
coups de ses ennemis.
L’amour que nous vous devons, ô Jésus, doit être non seulement
simple, fidèle, profond, mais encore très délicat. La délicatesse dans
l’affection lui ajoute beaucoup de charme. Elle en est comme la fleur et
le parfum. C’est un besoin de l’amour qu’on vous porte, ô mon Dieu,
que de se manifester de mille manières. Les grandes occasions de s’af-
firmer ne lui suffisent pas, elles sont rares, du reste. Il lui faut donc se
QUIA CAPUT MEUM PLENUM EST RORE, ET CINCINNI MEI GUTTIS NOC-
TIUM (CANT., V, 3).
Car ma tête est couverte de rosée, les boucles de mes cheveux sont
trempées des gouttes de la nuit.
1 Bienheureux les cœurs purs, ils verront Dieu et le posséderont (Matth,, V, 8).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE V 143
L’Épouse dort, mais son cœur veille. Elle reconnaît la voix de son
Bien-Aimé ; elle l’entend, qui frappe à la porte et lui dit : « Ouvre-moi,
ma sœur, mon amie ». Elle voudrait bien ouvrir, mais comment le
faire ? Pour prendre spirituellement son repos, elle a quitté son vête-
ment qui lui permet d’aller et de venir dans sa maison et hors de sa
maison. En effet, pour agir dans le train ordinaire de la vie, l’âme est
obligée d’employer ses sens intérieurs et extérieurs, de revêtir sa pen-
sée et sa volonté de couleurs, de formes, d’images sensibles, toutes
choses qui lui sont indispensables alors, mais qu’elle a quittées, un peu
à la manière dont on quitte un vêtement inutile, gênant même, pour
mener cette vie toute de silence et de repos en Dieu qu’elle veut vivre
désormais. Et voilà, semble-t-il, que Jésus lui demande de revêtir de
nouveau cette sensibilité qui faisait obstacle à son amour, et de revenir
aux moyens ordinaires d’aller à lui, dont elle usait autrefois, aux pre-
miers temps de sa vie spirituelle.
Mais parvenue à ce doux repos en Dieu qu’elle a tant désiré, tant
cherché, pour lequel elle a tout quitté, afin de le goûter loin du bruit,
dans le silence de ses facultés sensibles péniblement dégagées de leurs
objets naturels et presque réduites à l’inaction, il semble à l’âme que
remettre en mouvement tout ce monde de la sensibilité, c’est revenir
en arrière. On travaille pour se reposer, on se détache pour s’unir, on
se purifie pour être admis au divin banquet, on s’isole pour mieux
trouver Dieu, et voilà que l’Époux réveille de ce doux sommeil. Il de-
mande, croit-on, que l’on reprenne tout ce que l’on a quitté, qu’on se
mette en marche vers lui, au risque de contracter quelques souillures
par suite de la faiblesse de l’âme et du mauvais état des routes humai-
nes, ou tout au moins du sol qu’il faut de nouveau fouler de ses pas.
Jésus trouve que son Épouse tarde á s’éveiller et à lui ouvrir. Les
raisons qu’elle donne de son hésitation ne valent pas ; ce sont des pré-
textes, des illusions au fond. Le cœur reste bien tout à Jésus, mais il ne
sait à quoi se résoudre. Alors le divin Maître fait mine de vouloir ou-
vrir lui-même la porte. Il est assez puissant pour cela. L’âme se sent
Quand Jésus veut parler à une âme, il lui envoie un sommeil mysté-
rieux, qui la recueille comme malgré elle, la fait entrer comme au-
dedans d’une profonde solitude : « Ducam eam in solitudinem » 1. Il
est alors impossible à l’âme pratiquement de ne pas entendre ce que lui
dit le bon Maître au plus intime du cœur : « Et loquar ad cor ejus » 2. Il
est le Verbe, la Parole substantielle. Il agit comme tel, et sa parole réa-
lise ce qu’elle signifie. L’âme comprend qu’elle devient à un tout nou-
veau titre « sa sœur », « son amie, sa colombe », « son immaculée ».
Elle tremble d’une douce frayeur, elle est ravie en extase. Dès les pre-
miers mots de son divin Époux, l’extase s’est produite, et c’est alors que,
tout à fait étrangère à ses sens, elle entend la parole divine et qu’elle
goûte l’ineffable bonheur de sa réalisation. Elle veut parler à son tour,
mais elle est trop hors d’elle-même pour savoir ce qu’elle dit.
QUAESIVI ET NON INVENI ILLUM, VOCAVI ET NON RESPONDIT MIHI (V, 6).
Je sors pour le chercher et ne le trouve pas ; je l’appelle, il ne me
répond pas.
La souffrance règne.
Vivre sans Dieu présent, n’est pas possible pour une âme aimante.
Le chercher, le trouver, le posséder enfin, voilà sa raison d’être, son
ambition, sa loi. Elle se croyait sur le point de l’atteindre, ce Dieu béni ;
il lui échappe. Elle sort pour le chercher ; elle va à droite, à gauche ; elle
regarde de tous côtés, elle ne le trouve pas. Peut-être que sa voix, por-
tant plus loin que ses regards, parviendra jusqu’au Bien-Aimé et lui fera
donner au moins signe de vie. Elle l’appelle donc, mais il ne lui répond
Prière instante pour obtenir la grâce de répandre l’amour divin dans les
cœurs.
1 Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? (Ps. XXI, 1).
148 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
été vains, elle conjurera les autres âmes pieuses de lui prêter leur con-
cours. Plus tôt qu’elle, peut-être, elles auront la joie de trouver le Bien-
Aimé. Dans ce cas, elle les charge d’une commission pour lui, et quelle
commission ! Celle de lui dire que sa sainte Épouse est malade
d’amour. Parvenu à un certain degré, l’amour divin rend mystérieu-
sement malade l’âme qu’il consume. Plus il est ardent, plus la maladie
est grave. Si Dieu n’intervenait, la mort naturelle ne tarderait pas à se
produire. Les saints ont souffert de ce mal. Rappelons-nous le cri de
sainte Thérèse : « Je me meurs de ne pas mourir », et le diagnostic du
médecin de sainte Chantal : « Madame est malade d’amour de Dieu ».
On peut même dire que les saints meurent d’amour. C’est un élan
d’amour qui brise leurs derniers liens.
Sont-elles nombreuses en ce moment, dans le monde, les âmes
vraiment malades de votre amour, ô mon Dieu ? Vous seul pourriez
répondre à cette question. Pour nous, à en juger du dehors, nous se-
rions portés à dire : il y en a peu.
Faites, ô Jésus, que ce nombre augmente. Faites aussi que chacune
d’elle sente sa maladie s’aggraver de jour en jour. Dans ce genre
d’affection, plus on est malade, mieux on se porte, et les plus atteints
sont les plus valides. Accordez-moi la grâce d’être de ceux que ce mal
divin a touchés. Puis, si vous le trouvez bon pour votre gloire, ouvrez
mes yeux afin que je reconnaisse d’un diagnostic sûr les âmes tour-
mentées par votre amour. Allez plus loin encore, et donnez-moi, mal-
gré ma pauvreté, d’exciter le feu qui les brûle, afin de l’allumer, ce feu
mystérieux, dans toutes les âmes que je rencontrerai sur ma route.
Oui, ô Jésus, vous qui êtes venu sur cette terre pour répandre l’amour
divin dans les cœurs, servez-vous de moi, je vous en prie, pour réaliser
votre dessein de miséricorde. Il me semble que si je vous faisais un
peu aimer, je n’aurais plus rien à craindre de votre justice, et j’aurais
tout à espérer de votre bonté.
elles dire, comme vous le bon Dieu, et cependant, nous ne nous lais-
sons pas emporter à de tels excès d’enthousiasme. Calmez-vous ; te-
nez-vous en repos ; ne nous troublez pas de vos cris. Dieu serait-il
pour vous plus aimable que pour nous ?
Il est d’autres âmes plus intelligentes des secrets de la vie intérieure
qui soupçonnent une cause profonde aux élans d’amour de l’Épouse.
Elles sont frappées par sa beauté spirituelle, elles se disent qu’une telle
âme a dû voir le ciel de plus près, qu’elle a dû plonger plus avant son
regard dans le Cœur du bon Dieu. Elles voudraient participer à sa lu-
mière, afin de communier à son amour. Voilà pourquoi elles pressent
la privilégiée du bon Dieu de leur dire quelque chose de ce qu’elle a
découvert en lui.
Ce qu’il a de plus que les autres, Jésus, le Bien-Aimé des âmes inté-
rieures ? Mais tout ! Pourquoi est-il plus aimé, ce n’est pas assez dire,
pourquoi est-il seul aimé ? Parce que seul il est vraiment aimable en
lui-même et pour lui-même.
Pressée de donner les raisons de son amour, la sainte Épouse com-
mence un cantique, qu’elle voudrait ne jamais cesser de chanter. Heu-
reux les yeux qui voient ainsi la beauté de Jésus, heureuse, mille fois
heureuse l’âme qui le possède, ce divin trésor ! Heureux à jamais le cœur
qui l’aime de toutes ses forces, ce doux Sauveur ; heureuses, oui bien-
heureuses les lèvres qui le chantent et les mains qui le servent, cet ado-
rable Dieu fait homme par amour ! Ô Vierge Marie, mère de Dieu et
notre mère, qui donc a mieux connu, possédé, aimé, loué, servi que vous
le Verbe Incarné, votre Fils béni, et qui donc peut mieux que vous, nous
apprendre à l’admirer, à le garder, à l’aimer, à le chanter, à le donner ?
Comme il était beau à voir, ô Marie, votre cher petit Jésus dans vos
bras après sa naissance, le teint tout blanc de pureté, gracieusement
coloré de vermeil par le saint amour ! Vous passiez des heures à le
contempler. Vous ne pouviez assez admirer l’infinie bonté du Père qui
vous donnait, et nous donnait par vous, un tel trésor. Quel amour dans
votre cœur pour ce Dieu, votre enfant ! Tout ce que l’amour des
vierges, l’amour des mères et l’amour des saints a de plus délicat et de
plus profond, se trouvait porté dans votre cœur de Vierge, de Mère et
150 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
pas encore le ciel, mais c’en est le gage et l’aurore. Vos yeux ravis ne
peuvent s’habituer à ce doux spectacle. Quand Jésus vous quitte pour
aller se montrer à Madeleine, à Pierre, aux Apôtres, vous restez comme
en extase au seul souvenir de ce que vos regards viennent de contem-
pler. Votre cœur bat plus doucement et plus fort que jamais.
vous créiez l’ange le plus beau qui soit dans le ciel, ou le plus humble
des insectes sur la terre : dans un cas comme dans l’autre, vous agissez
toujours avec une suavité et une maîtrise incomparables : « Nec major
in illis, nec minor in istis » 1, a dit de vous à ce sujet avec raison saint
Augustin. Or, il en est de votre action dans l’ordre de la grâce comme
dans l’ordre de la nature. Vos bienfaits se répandent sur les âmes les
plus humbles comme sur les plus belles, avec une richesse, une délica-
tesse, une convenance dont nous ne pouvons pas nous faire une idée.
C’est la tendresse d’une mère, unie à la force d’un père, qui nous vient à
l’esprit lorsque nous voulons essayer d’exprimer en langue humaine le
caractère ineffable de votre surnaturelle Providence. Soyez toujours li-
béral, ô Père, et faites que nous soyons, nous, toujours affectueux et re-
connaissants.
Les richesses du Bien-Aimé sont inépuisables. Le mystère de leur
libérale distribution est insondable, il donne à qui il lui plaît, quand il
lui plaît et dans la mesure où il lui plaît. Ce que nous savons, c’est que
tout ce qu’il fait, il le fait par amour et par miséricorde. Voilà peut-être
ce que symbolise cette couleur noire dont il est parlé ici. Mais, quoi
qu’il en soft, la chose reste vraie.
Comme elles doivent vous bénir, ô Jésus, les âmes que vous avez
appelées à contempler dès ce monde quelque chose de votre inexpri-
mable beauté ! Heureuses sont-elles, lorsque vous daignez vous révé-
ler à elles par cette manifestation intime, voilée sans doute, et qui
pourtant donne la certitude que c’est bien vous qui êtes là au centre de
l’âme, comme la vie de sa vie, la source abondante et paisible de sa
force, de sa paix et de sa joie. « Et manifestabo ei meipsum » 2. Tous
les voiles ne tombent pas, l’obscurité reste toujours. C’est la loi de la
terre. Au Ciel seulement, la manifestation de votre beauté sera par-
faite : « Videbimus eum sicuti est » 3.
1 Il n’est pas plus grand dans ceux-ci, ni plus petit dans ceux-là.
2 Et je me manifesterai à lui (Joan., XIV, 2).
3 Nous le verrons tel qu’il est (I Joan., III, 2).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE V 153
tendre. Il a tant d’amour dans le Cœur que sa voix en est comme tout
imprégnée. Et quoi de plus doux que l’amour divin !
Enfin, pour résumer d’un mot l’incomparable portrait de son Dieu,
qu’elle vient de tracer, elle déclare que « toute sa Personne est pleine
de charme ». Ceux qui vous Contemplent, ô Jésus, même à travers les
ombres de la foi, pensent et parlent comme votre sainte Épouse. Votre
Beauté les saisit, les charme et les ravit. Ils oublient tout ; ils ne voient
que vous, ils ne désirent que vous, ils ne veulent que vous. Ils souhai-
tent que tous les regards se tournent vers vous, que tous les cœurs se
donnent à vous.
Chapitre VI
L’Église, les Institutions, les âmes, jardin de l’Époux où toute fleur de ver-
tu s’épanouit exclusivement pour lui.
Sainte union.
1 Dieu qui êtes le Dieu de mon cœur et mon partage pour l’éternité (Ps. LXXII, 26).
2 Pour moi, être uni à Dieu, c’est mon bonheur (Ps. LXXII, 28).
3 Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur (Ps. LXXXVIII, 1).
162 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
Jésus connaît ses brebis, il les aime, il leur veut du bien, il leur en
fait toujours autant qu’il le peut, il veille sur elles d’une vigilance cons-
tante et comme jalouse. Il les protège, il les garde, surtout il les nour-
rit. Chacune d’elles peut dire en vérité : « Jésus est mon Pasteur, je ne
manquerai de rien. Il me fait reposer dans de verts pâturages, il me
mène près des eaux rafraîchissantes, il restaure mon âme… Je ne
crains aucun mal car tu es avec moi : ta houlette et ton bâton me ras-
surent. Ma coupe déborde. Oui, le bonheur et la grâce m’accompa-
gneront tous les jours de ma vie » 1.
Lis de la vérité, lis de la charité, lis de la pureté, voilà les fleurs au-
près desquelles le bon Pasteur veut que les âmes intérieures passent
leur vie, trouvent leur nourriture, leur repos et leur joie. Vous êtes
vraiment le bon Pasteur, ô Jésus : « Ego sum Pastor bonus » 2.
1 Ps. XXII.
2 Je suis le bon Pasteur (Joan., X, 11).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VI 163
SICUT CORTEX MALI PUNICI, SIC GENAE TUAE, ABSQUE OCCULTIS TUIS
(CANT., VI, 7).
Ta joue est comme une moitié de grenade derrière ton voile.
Ainsi en est-il encore. Heureuse l’âme qui mérite une telle préfé-
rence !
Son bonheur n’excite point de jalousie. Ceux qui contemplent sa
beauté, à quelque degré de perfection qu’ils se trouvent eux-mêmes, se
réjouissent. On peut même dire que plus ils sont près de Dieu, plus ils
sont contents. Ils voient mieux, ils comprennent mieux, ils goûtent da-
vantage les effets de la grâce dans l’âme devenue l’Épouse bien-aimée
de Jésus. À ce beau spectacle, leur cœur se dilate. Ils éprouvent le be-
soin de chanter la gloire de cette heureuse privilégiée. Y a-t-il au
monde, en effet, un bonheur comparable à celui d’une âme élevée à
l’union parfaite, permanente, indissoluble avec Dieu lui-même ?
Comment, pour peu qu’on aime le bon Dieu, ne pas se réjouir de le sa-
voir aimé à ce point ? Comment, pour peu qu’on aime son prochain, ne
pas être ravi de le voir entrer dès ce monde dans le bonheur même de
Dieu ? « Amicus autem Sponsi, qui stat et audit eum, gaudis gaudet
propter vocem Sponsi » 1.
1 L’ami de l’Époux, qui se tient là et qui écoute, est ravi de joie à la voix de l’Époux (Joan.,
III, 29).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VI 167
Passage obscur que celui-là, nous disent, les interprètes. Sans rien
préjuger, entendons-le de l’Épouse tout occupée du soin de son jardin
et brusquement saisie par un élan d’amour. D’où vient-il ? Comment
opère-t-il ? Elle ne sait. Mais elle se sent tout à coup arrachée, sans
qu’elle puisse résister, à sa douce occupation. Elle quitte tout, elle ou-
blie tout, elle est emportée comme sur un char jusque sur les hauteurs
d’elle-même, puis jusqu’en Dieu. C’est l’Amour qui a fait cela. Il pa-
raissait endormi. Il se donnait le change à lui-même en s’occupant
pelle et qu’il attire l’âme aimée. C’est là qu’il attend pour lui imprimer
ce mouvement circulaire parfait autour de lui-même et en lui-même
qui se nomme la vie éternelle.
Dans une âme intérieure, l’ordre est partout. Les moindres facultés
gardent leur place et jouent leur rôle. Elles sont comme imprégnées de
raison et plus encore de foi.
La sagesse, qui règne au sommet, gouverne tout. C’est à elle qu’il
appartient d’ordonner et l’ensemble et les détails. Elle juge de tout, elle
compare les moyens, petits ou grands, avec la fin. Elle les met à leur
rang. Elle les emploie selon leur valeur. La règle de son jugement, c’est
la vue de plus en plus nette de cette fin, c’est le goût mystérieux de
Dieu qui lui permet d’apprécier, comme d’instinct, ce qui est de Dieu
et mène à Dieu, ce qui n’est pas de Dieu et détourne de lui. Et cette ap-
préciation « informe » les facultés inférieures de l’âme. C’est ce qui fait
leur beauté et les rend admirables à travers l’enveloppe du corps.
La force, la souplesse, la grâce, voilà quelques-unes des qualités,
des vertus de la sainte Épouse qui nous sont rappelées ici. C’est
l’Esprit-Saint qui est le divin Ouvrier de ce chef-d’œuvre. Tout ce qui
sort de ses mains porte sa marque. Elle est inimitable, elle s’exprime
en deux mots : « suaviter et fortiter ». La douceur sans la force serait
fadeur, mièvrerie, faiblesse. La force sans la douceur tournerait à
l’intransigeance hautaine et à la dureté. Il faut les deux, et il les faut
harmonieusement unies et comme fondues au point de ne pouvoir dire
s’il en est une qui domine dans le mélange. Or, c’est là une œuvre qui
dépasse, et sans mesure, le pouvoir de l’homme. La grâce, et elle seule,
peut réaliser une telle harmonie, résoudre un tel problème, triompher
d’une telle difficulté. « Aux fruits, on connaît l’arbre » 1, à l’œuvre on
connaît l’ouvrier. Dieu est là.
La coupe est le cœur, son vin l’amour. Tant vaut le cœur, tant vaut
l’amour.
VENTER TUUS SICUT ACERVUS TRITICI VALLATUS LILIIS (CANT., VII, 3).
Ton corps est un monceau de froment entouré de lis.
DUO UBERA TUA SICUT DUO HINNULI GEMELLI CAPREAE (CANT., VII, 4).
Tes deux seins sont comme deux faons jumeaux d’une gazelle.
Plus une âme est pure, plus elle est digne de devenir Épouse de l’Esprit-
Saint et mère spirituelle.
L’âme intérieure est vraiment mère dans l’ordre spirituel, Dieu lui
donne des âmes qui sont comme ses enfants. Elle doit les nourrir, et
du lait le plus pur. Il y a là un mystère dont la beauté ne sera pleine-
ment révélée que dans le Ciel. Ce qui frappe, même dès ce monde, c’est
la condition posée par Dieu à cette maternité spirituelle. Il en est en
effet de l’âme intérieure comme de là Très Sainte Vierge, tout privilège
gardé. Loin d’être un obstacle à sa maternité divine, la sainte virginité
de Marie en est, au contraire, la condition essentielle. De même, plus,
une âme est pure, et plus elle est digne de devenir Épouse du Saint-
Esprit et mère spirituelle. L’amour de Dieu et l’amour des âmes s’unis-
sent comme en une seule affection. Au fond, la charité est une : Dieu
aimé pour lui-même, tout le reste aimé pour Dieu. C’est de cette divine
charité que l’âme intérieure nourrit ceux qui lui sont confiés.
1 Matth., V, 8.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VII 173
le lui dire et à le lui redire. C’est un besoin de son cœur. Il veut qu’elle
sache combien elle lui est agréable, la joie qu’elle lui cause et la raison
de cette joie. L’Épouse à son tour trouve dans cette louange comme un
bonheur nouveau. Pour elle, la félicité suprême c’est de rendre heu-
reux, s’il se peut, son Dieu mille et mille fois aimé. Elle ne désire la
vraie beauté, elle ne travaille à acquérir la force, la pureté, la grâce
symbolisées par le « cou semblable à une tour d’ivoire », que pour lui
plaire et pour le réjouir. Aussi les compliments affectueux de son Bien-
Aimé sont-ils pour elle tout à la fois et une récompense des efforts pas-
sés et un encouragement pour les efforts à venir.
votre amour. Nous les admirons, nous les louons, nous prions même
pour elles, afin qu’elles vous aiment encore davantage, mais nous nous
en tenons là et nous ne nous décidons pas à les imiter vraiment.
Pauvres de nous, ô Jésus ; ayez pitié de nous, ô Jésus !
Force de certaines âmes choisies par Dieu pour garder son peuple fidèle.
plus de complaisance, qui est comme son jardin à lui, où il est heureux
de venir prendre ses délices ainsi qu’en « un petit paradis ».
Parmi les nuances de la pourpre chez les Anciens, celle dont il est
ici question serait le violet sombre, se rapprochant du noir. Le Roi, en
pleine puissance, s’est laissé charmer et comme lier par les boucles
gracieuses des cheveux de sa Reine. Rien n’est plus doux que de tels
liens, rien n’est plus fort que de telles chaînes. Ce sont les liens de la
divine charité, ce sont les chaînes du saint amour : « Fortis est ut mors
dilectio ».
C’est en toute connaissance de cause et en parfaite liberté que le
Roi Jésus s’est rendu captif de sa sainte Épouse ! Elle l’aime tant son
Dieu ! Elle le lui dit de tant de manières ! Elle lui lance tant de mots af-
fectueux, elle lui offre tant d’actes de générosité tout le long de ses
jours, que le divin Époux se laisse gagner. Il se fait le prisonnier de
cette âme qui l’aime si profondément. Mais, tout captif qu’il est, il
reste roi, le Roi. Il règne en elle plus que jamais. Elle est son véritable
royaume. Mystérieuse captivité, mystérieuse royauté !
Quel bonheur pour une âme aimante, ô Jésus, que de vous faire pri-
sonnier ! Vous captiver, ô Jésus, vous posséder tout entier comme un
bien tout à soi, quelle joie et quelle richesse ! Il n’y a pas d’âme plus
heureuse au monde, sans aucune comparaison possible, que celle qui
vous a ainsi enchaîné par son affection. Il n’y en a pas de plus riche.
Bien que vous soyez son prisonnier, vous ne perdez rien, en effet, pour
cela, ni de votre liberté, ni de votre puissance, pas plus que vous n’avez
rien perdu de votre nature divine en vous incarnant. Seulement tout ce
que vous avez, vous le mettez à la disposition de votre sainte Épouse.
Vous connaissez son cœur, vous savez qu’elle n’usera de ce droit que
pour votre gloire. Mais, encore une fois, ce qui fait surtout son bonheur,
c’est de vous tenir vous-même en douce captivité. Elle est comme assu-
rée que vous ne la pourrez plus quitter, et que vous voulez qu’elle vive
pour toujours dans votre ineffable intimité. C’est le bonheur sans fin.
Une fois de plus, ô mon Dieu, on constate l’impuissance du langage
humain à traduire les réalités divines. Les mots sont trop petits pour
176 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
L’âme intérieure est avide d’être elle aussi l’esclave du divin amour.
Ô douce captivité !
Enchaînez aussi et surtout ma volonté, ô Jésus ! Qu’elle soit toute à
vous, à jamais. Elle est faite pour le bien, et vous êtes, vous, ô mon
Dieu, le Bien parfait. Elle aspire sans cesse au vrai bonheur, et le Bon-
heur, l’unique bonheur, c’est vous encore et vous seul. Même s’il ne
devait rien lui revenir de sa donation, elle serait encore tenue de vous
la faire. Le Bien absolu n’a-t-il pas le droit de voir toutes les volontés
qui n’ont d’autre cause et d’autre raison d’agir que lui, s’orienter, se
soulever vers lui de toutes leurs forces et de toutes leurs énergies ?
Puisqu’elles sont faites par lui et pour lui, elles ne peuvent trouver leur
vraie fin et leur vrai repos qu’en lui. Si elles sont libres, c’est unique-
ment pour pouvoir choisir, sans y être déterminées en vertu même de
leur constitution intime, les moyens qui les conduiront le mieux à
cette douce et parfaite captivité, source de tout bonheur, et lieu de leur
complet repos.
Que ma volonté soit captive de la vôtre, ô Jésus, qu’elle ne puisse plus
rien désirer, rien vouloir, rien réaliser, qu’en union parfaite avec vous.
La charité est une amitié. Elle suppose donc l’harmonie complète
des volontés, les mêmes vouloirs et les mêmes non-vouloirs. Qu’il en
soit ainsi désormais, ô mon Dieu ! Que ma volonté devienne en un
sens très réel votre volonté, et qu’il vous soit possible de la mouvoir à
votre gré. Cette absolue docilité, cette fusion, fera sa grandeur, sa no-
blesse, sa puissance, sa sécurité, son bonheur. « Servir Dieu, c’est ré-
gner ». Quelle liberté que cet esclavage, quelle domination que cette
servitude, quel enrichissement que ce dépouillement ! Qui pourra dire
ces choses comme elles méritent d’être dites, qui pourra les apprécier
à leur vraie valeur ? Dissipez nos ténèbres, ô Esprit de Vérité, éclairez
nos regards, afin que nous comprenions un peu ce que c’est pour notre
volonté que d’être l’esclave du divin Amour.
La voir, c’est presque le voir lui-même : ils ont mêmes idées, mêmes
sentiments, mêmes goûts, mêmes vouloirs, même but et mêmes mo-
yens. C’est l’harmonie vraie, profonde, parfaite, constante, à peu près
immuable entre eux. Mais Jésus, c’est la Beauté incarnée, son Épouse le
reflète comme un miroir sans tache et vivant, et cela parce qu’elle lui
est intimement unie, ne faisant plus en quelque sorte qu’un avec lui.
Dieu aime vraiment une âme ainsi unie à Jésus et transformée en
lui. Rien ne saurait donner une idée de la profondeur et de la délica-
tesse de cette affection. Tous les biens de Dieu sont à l’âme, elle s’en
rend compte de plus en plus. Elle les goûte en parfaite sécurité, elle en
disposé aussi en pleine liberté, mais toujours pour la plus grande
gloire de son Dieu et la plus grande perfection des âmes qu’elle peut
enrichir. Au milieu de sa joie d’aimer et de donner, elle ne songe pres-
que pas à elle. Elle s’oublie. Dieu, lui, ne l’oublie pas. Il lui redit d’une
manière toujours nouvelle la joie qu’il éprouve à la voir si bonne et si
belle. On dirait que son Cœur adorable en est tout épris, et, au fond,
c’est vrai. Quelle grâce que d’être aimé de la sorte par le bon Dieu ! Si
on savait… comme on quitterait tout pour obtenir un tel bonheur !
STATURA TUA ASSIMILATA EST PALMAE, ET UBERA TUA BOTRIS (VII, 8).
Ta taille ressemble au palmier, et tes seins à ses grappes.
L’âme intérieure, ferme sur sa base, droite dans son attitude, riche dans
ses fruits, est un beau spectacle pour le regard de Dieu.
ET ERUNT UBERA TUA SICUT BOTRI VINEÆ, ET ODOR ORIS TUI SICUT MA-
LORUM ; GUTTUR TUUM SICUT VINUM OPTIMUM (CANT., VII, 9).
Que tes seins soient comme les grappes de la vigne, le parfum de
ton souffle comme celui des pommes, et ta bouche comme un
vin exquis.
L’âme intérieure n’est jamais trop belle au gré de Jésus. Il lui veut
toujours plus de grâce, il lui souhaite toujours plus de bien. Richesse
180 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
des grappes de la vigne aux grains dorés prêts à éclater, parfum délicat
des pommes mûries au soleil d’automne, charme du vin le plus ex-
quis : voilà ce que l’Époux divin désire, au spirituel, pour cette âme
privilégiée.
C’est que l’heure des fruits est venue.
Ils sont nombreux, ils sont beaux. Ils sont mûrs. Rien ne peut don-
ner une idée de cette multitude pressée et ordonnée d’actes d’amour,
que l’âme intérieure produit alors avec une aisance, une facilité, une
grâce et une perfection étonnantes. Tous les regards de ses yeux lim-
pides, toutes les paroles de ses lèvres si pures, toutes les respirations
de sa poitrine si délicate, tous les battements de son cœur brillant, tout
cela est amour.
Mais les véritables dispositions de l’âme, si cachées qu’on veuille
les tenir, se manifestent toujours, tôt ou tard, au dehors. Elles répan-
dent comme une sorte de senteur subtile qui les révèle, même aux plus
inattentifs. L’âme intérieure n’échappe pas à cette loi.
De tout elle-même, mais surtout de sa bouche, c’est-à-dire de sa vo-
lonté, émane un doux parfum qui est comme « la bonne odeur du
Christ » 1 dont parle l’Apôtre. Dès qu’elle entr’ouvre les lèvres, dès
qu’elle parle, ce parfum se répand comme ferait celui qui aurait été en-
fermé dans un vase clos, qu’on viendrait tout à coup à ouvrir. Il est dé-
licat, pénétrant, bienfaisant ; il charme, il dilate, il réconforte, il élève.
À le respirer on se sent devenir meilleur. L’intelligence s’éveille, la vo-
lonté se décide : aimer pour tout de bon le bon Dieu, aller vers lui
coûte que coûte : voilà la résolution ferme qui se prend sous sa douce
influence. Il n’a rien brisé, il a tout conquis.
De plus, d’après la manière de parler des auteurs spirituels, la
bouche de l’âme, c’est sa volonté. C’est par l’intermédiaire de cette fa-
culté où se trouve la charité que l’union avec Dieu se réalise. L’amour
est un vin exquis qui s’échappe alors de ses lèvres comme d’un pres-
soir mystérieux.
Voilà pourquoi l’Époux compare la volonté elle-même a la déli-
cieuse liqueur dont elle est la source. Il ne veut de son Épouse que
cette seule chose, l’amour. C’est l’amour seul qui l’honore, le glorifie, le
réjouit. Les qualités du vin le plus chaud, le plus coloré et le plus fin,
ne sont qu’une grossière image de tout ce que renferme de perfections
l’amour si profond, si pur et si tendre de l’âme intérieure pour son
Dieu. Il le sait bien. Il savoure en quelque sorte cette joie d’être aimé,
non qu’il en ait besoin certes pour être heureux, mais pour réjouir à
son tour par son air de bonheur le cœur aimant de sa très fidèle
Épouse.
Être à Dieu ! Être l’objet des désirs de Dieu, quelle grâce et quelle
joie ! C’est la grâce et c’est la joie que Dieu réserve à l’âme fidèle.
Elle est bien toute à son Bien-Aimé, puisqu’elle se change tout en-
tière en amour pour étancher la soif qui le consume.
Elle sait cela ; elle se rend compte de l’honneur qui lui est fait par
son Dieu lorsque celui-ci veut bien accepter de boire le vin exquis
qu’elle lui a préparé. Plus elle se donne à lui, plus il se penche vers elle.
Elle a gagné le cœur de Dieu, elle comprend qu’elle exerce sur lui
182 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
Puisque vos délices vous attirent vers moi, semble dire ici l’âme in-
térieure, suivez-les, ô mon Dieu ; venez. Et pour que notre intimité ne
soit pas troublée par le bruit ou par des visites importunes, sortons, al-
lons dans les champs. Là, nous serons plus seuls, plus, tranquilles,
plus l’un à l’autre.
Oh ! ce besoin de solitude profonde, de silence absolu, d’isolement
complet, comme il est mystérieux alors ! L’âme éprise d’amour vou-
drait tout quitter, même son corps, pour mieux goûter son Dieu bien-
aimé. Tout ce qui l’arrête dans son élan, tout ce qui gêne si peu que ce
soit son cœur à cœur avec Dieu, lui est à charge. Se libérer, s’affran-
chir, puis sortir avec lui et s’enfoncer toujours avec lui dans cette zone
de silence que rien ne limite, condition du bonheur sans mesure
qu’elle goûte déjà et qu’elle veut goûter sans fin, voilà le désir qui la
presse et la fait parler ainsi.
Quand l’âme intérieure se sépare de tout pour s’unir à Dieu, elle
entre dans une sorte de nuit spirituelle. Ses facultés naturelles de con-
naître ne fonctionnent plus selon leur mode ordinaire. À cet égard,
elles s’éteignent. Mais c’est pour permettre à une lumière toute diffé-
rente d’éclairer l’âme afin de lui faire connaître Dieu et les choses tout
autrement et beaucoup mieux.
Dans cette nuit, qu’il conviendrait d’appeler un jour tout nouveau,
certaines vérités, certains attributs de Dieu prennent un air et un relief
vraiment insoupçonnés jusqu’alors. L’âme s’arrête pour les contem-
pler à l’aise. Elle s’y repose comme dans un « village ». Puis, toujours
sous le charme de cette lumière cendrée, mille fois plus belle que le
jour, constamment unie à son Dieu, elle reprend sa douce marche
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VII 183
1 Pour moi, être uni à Dieu, c’est mon bonheur (Ps. LXXII, 28).
Chapitre VIII
Plaintes de l’âme aimante qui ne peut donner à son Dieu des marques ex-
térieures de son amour.
Toute âme intérieure est enfant de lu très sainte Vierge ; elle a Ma-
rie pour mère. Elle s’est donnée à cette mère si bonne en toute pro-
priété. Elle est devenue comme la demeure de Marie ; elle est ainsi,
sous cet aspect, la maison de sa mère.
Et c’est là, dans cette maison bénie, qu’elle voudrait amener et in-
troduire son bien-aimé Jésus. Là, en effet, loin de la foule des curieux
inintelligents ou indiscrets, dans la compagnie et sous le regard de sa
sainte Mère, la douce Vierge Marie, elle se fera l’élève attentive et do-
cile du Sauveur.
Elle a tant et de si belles choses à apprendre de lui ! Il les a dites au
monde, c’est vrai, aux jours de sa vie mortelle, mais ne faut-il pas qu’il
les redise à chaque âme en particulier, dans de délicieux entretiens
pendant lesquels l’esprit s’illumine et le cœur s’échauffe !… Mais, oui !
et voilà pourquoi l’Épouse désire tant que Jésus vienne dans la maison
de sa mère, c’est-à-dire dans son cœur à elle.
La lumière n’est pas tout, mais elle est le commencement de tout.
Pour aimer, il faut connaître ; pour agir, il faut voir. Normalement,
plus on connaît et mieux on voit, plus on aime et mieux on agit.
Vous êtes, ô Jésus, le Verbe éternel de Dieu fait homme, la lumière
du monde. Qui ne vous suit pas, marche dans les ténèbres ; mais qui
vous suit, monte peu à peu vers les régions de l’éternelle clarté.
Comme il est bon de se faire votre disciple et de vous écouter !
Parlez, ô Sauveur, parlez à mon âme, elle est tout attentive à vos di-
vines leçons. Montrez-lui, dans une lumière toujours grandissante,
l’inépuisable, l’incomparable richesse du « don de Dieu ».
Si elle pouvait, grâce à vous, mieux comprendre le mystère de votre
sainte présence en elle, comme Verbe, toujours uni au Père et à
l’Esprit d’amour, et menant là, tous trois, dans le plus profond silence,
votre vie bienheureuse, comme elle serait heureuse à son tour et
comme elle vous bénirait !
Parlez.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VIII 187
La prise de possession d’une âme humaine par l’amour divin est une vraie
mission divine.
1 Seigneur, je remets mon esprit entre vos mains (Ps. XXX, 6).
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VIII 189
Les âmes parvenues à l’union divine font l’admiration des anges et des
saints.
Une des joies réservées aux anges et aux saints doit être de con-
naître et d’admirer les âmes parvenues à l’union divine dès ce monde.
Ne sont-ce pas déjà des âmes célestes ? Ne vivent-elles pas sur la terre
de la vie du ciel ? Ne doivent-elles pas faire partie du peuple élu et y
occuper un rang d’honneur ? Si donc il est donné aux heureux habi-
tants du Paradis de contempler ces épouses privilégiées du Christ Jé-
sus, ils doivent grandement se réjouir et se communiquer leur joie à la
vue d’un si beau spectacle : Jésus permettant à une pauvre petite créa-
ture, comblée de ses faveurs, humble et fière tout ensemble, aimante
et pure, riche et simple, belle et modeste, gracieuse et forte, douce et
vaillante, de s’appuyer sur lui avec confiance, avec affection et de
s’avancer ainsi vers le Ciel !
SUB ARBORE MALO SUSCITAVI TE ; IBI CORRUPTA EST MATER TUA, IBI
VIOLATA EST GENITRIX TUA (CANT., VIII, 5).
Je t’ai réveillée, sous le pommier. Voilà l’endroit où ta mère t’a en-
fantée, c’est là qu’elle t’a enfantée, qu’elle t’a donné le jour.
tique, sous lequel les âmes prennent naissance, soit à la vie surnatu-
relle ordinaire, soit à la vie intérieure proprement dite. C’est l’arbre de
Vie, et c’est vous, ô Jésus, qui en êtes le fruit mille fois béni.
C’est au pied de la Croix que la Très Sainte Vierge Marie nous a tous
adoptés comme ses enfants dans la personne de l’Apôtre bien-aimé.
Cependant, parmi ses fils d’adoption, il en est que Marie enveloppe
d’une affection toute spéciale, ce sont ceux qui suivent de plus près son
divin Jésus, ceux qui lui sont unis par une amitié plus profonde, ceux
en qui elle le retrouve presque trait pour trait. Pour eux, elle est mère
comme en plénitude. Ils sont ses « fils » préférés. Et comme sa mater-
nité date de la Croix, il est bien juste que Jésus rappelle à ses privilé-
giés que c’est là, dans la souffrance du plus dur des martyres, que leur
mère très douloureuse leur a vraiment donné le jour éternel. « Sancta
Mater istud agas, crucifixi fige plaças cordi meo valide » 1.
Comment ne pas aimer d’un amour immuable Celui qui nous aime
tant ? Au souvenir de tout ce que Jésus a souffert pour elle, de la Mère
incomparable qu’il lui a donnée à la Croix, l’âme intérieure bouillonne
d’amour. Elle est soulevée tout entière vers son Bien-Aimé. Dans son
élan, elle va droit au cœur. C’est là qu’elle veut s’imprimer à jamais
comme un sceau, afin que son Dieu ne puisse plus ne pas la voir, et par
suite ne puisse plus ne pas l’aimer. L’indissolubilité, l’éternité de
l’union d’amour, voilà ce que la sainte Épouse désire, demande, espère,
attend de la bonté du Dieu de son cœur. Être comme un sceau vivant
et indélébile sur le cœur même du Dieu vivant : quel honneur, quelle
joie, et on peut bien le dire, quelle sainte ivresse ! Mettre son cachet sur
une chose, n’est-ce pas en prendre possession ? Le « chiffre » n’est-il
pas une marque et une preuve de propriété ? Si donc, ô mon Dieu, vous
permettez à votre sainte Épouse de vous marquer à son chiffre, c’est
que vous consentez à lui appartenir à un titre tout spécial et d’une ma-
nière plus profonde que jamais. C’est vous au fond qui vous imprimez
librement sur le cœur le sceau de votre bien-aimée. Pour bien montrer
1 Liturgie, Stabat.
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VIII 191
L’amour divin est un feu dévorant. Il pénètre l’âme jusque dans son
fond. Il la brûle, il la consume, il ne la détruit pas. Il la transforme en
lui-même. Le feu matériel qui pénètre le bois jusqu’à ses dernières
fibres et le fer jusqu’à la plus cachée de ses molécules, voilà son image,
mais combien imparfaite !
Par moments, sous l’influence d’une grâce plus forte, l’âme embra-
sée d’amour divin lance des flammes. Elles montent droit vers Dieu. Il
est leur principe comme il est leur fin, c’est pour lui en effet que l’âme
se consume, c’est lui qui la consume.
La charité qui soulève l’âme est une participation créée, finie, ana-
logique, c’est vrai, de la charité incréée, mais c’est une participation
réelle, positive, formelle de cette flamme substantielle de Jéhovah.
Pour les anges et les saints du Ciel, les âmes intérieures, même les
plus parfaites, sont encore des enfants à certains égards. Eux, les aînés,
en pleine possession de leur gloire, éclairés par la lumière de Dieu,
voient clairement ce qui peut manquer encore à leur « petite sœur »,
pour qu’elle soit digne de contracter l’alliance éternelle avec le Bien-
Aimé. Ils espèrent que cette enfant grandira vite et que le jour où son
Dieu « la recherchera » viendra bientôt. Ils s’en préoccupent, ils se de-
mandent dans leur sollicitude fraternelle ce qu’ils pourraient bien faire
pour elle. Quel beau et consolant mystère que celui de la communion
des saints ! Comme il est bon de penser que nos aînés ne nous oublient
pas, et qu’ils mettent leur bonheur à nous enrichir pour le ciel !
Tout ce qui embellit une âme tourne au profit des autres âmes.
EGO MURUS, ET UBERA MEA SICUT TURRIS, EX QUO FACTA SUM CORAM
EO QUASI PACEM REPERIENS (CANT., VIII, 10).
Je suis un mur et mes seins sont comme des tours, aussi ai-je été à
ses yeux comme celle qui trouve la paix.
Les prières des saints ont été exaucées. L’âme fidèle a grandi, elle
est devenue spirituellement forte et belle. Les regards du bon Dieu se
CANTIQUE DES CANTIQUES – CHAPITRE VIII 195
sont arrêtés sur elle avec une affectueuse complaisance. Il a jugé que
l’heure de l’union parfaite était venue. Il l’a prise pour Épouse, à jamais.
Elle le sait, elle le comprend, elle peut dire d’elle-même qu’aux yeux de
Dieu comme à ses propres yeux, elle est celle qui a trouvé la paix, « pax
Dei quae exsuperat omnem sensum » 1. Les ennemis sont en déroute,
les amis, ceux du ciel et ceux de la terre, louent et admirent. L’amour
triomphe, il règne, tout est dans l’ordre, tout est dans la paix.
Tout est au bonheur vrai, profond, immuable, inépuisable. Et ce
n’est qu’un commencement, parfait déjà, qui se continuera toujours :
« Interminabilis vitae totae simul et perfecta possessio ». Oui, elle est
bien « celle qui a trouvé la paix ».
VINEA MEA CORAM ME EST. MILLE TUI PACIFICI ET DUCENTI IIS QUI CU-
STODIUNT FRUCTUS EJUS (CANT., VIII, 12).
La vigne qui est à moi, j’en dispose. À toi Salomon les mille sicles,
et deux cents aux gardiens de ses fruits.
Dernier et doux appel de Jésus à l’âme intérieure qui a passé sa vie à cul-
tiver le jardin de son âme.
sainte Épouse a passé toute sa vie, soit à cultiver le jardin de son âme,
soit à aider les autres à cultiver le leur. Elle habite vraiment au milieu
des fleurs et des fruits. Mais l’œuvre divine est achevée, l’heure de la
récompense éternelle est venue : Jésus annonce la bonne nouvelle à
l’heureuse Épouse, d’une manière indirecte, mais très claire. Il est au
Ciel, les Anges et les Saints lui font cortège, ils sont ses chers compa-
gnons de gloire, ils souhaitent de tout leur cœur l’arrivée de l’Épouse
parmi eux. Ils tendent l’oreille comme pour entendre le bruit de ses
pas et le son de sa voix. Avec un désir beaucoup plus vif et beaucoup
plus profond, Jésus veut lui aussi, lui surtout, entendre, et de très près,
le son de cette voix bien-aimée. Il manifeste son saint désir avec toute
la délicatesse de son Cœur : « Sonet vox tua in auribus meis ». « Vox
enim tua dulcis ».
La sainte Épouse réalise enfin le désir de l’Époux : mourir, c’est vous voir,
ô mon Dieu.
La sainte Épouse réalise enfin le désir de l’Époux divin. Elle fait en-
tendre sa voix : « Ô Dieu de mon cœur, vous ne voulez plus que je vive
sur cette terre, vous m’appelez à la béatitude sans fin dans l’union in-
time avec vous. Rien ne me retient ici-bas. Mon unique désir est de
vivre avec vous dans le ciel. Vous le savez bien. Venez donc me cher-
cher, emportez-moi avec vous d’une course rapide, semblable à celle
de la « gazelle ou du faon des biches », jusque sur les hauteurs du Pa-
radis où l’on respire le parfum des vertus de vos Saints. Je n’ai vécu
jusqu’ici que pour cet heureux moment, il achève tout et il commence
tout pour moi. Sans doute, pour vous suivre, ô Jésus, il me faudra
mourir. Mais quoi de plus doux pour mon cœur, puisqu’enfin mourir,
c’est vous voir, ô mon Dieu.
Amen. Amen. Amen.
Psaume XXII
1 Cant., I, 4.
2 Je meurs de faim (Luc., XV, 17).
3 Mou âme a soif de toi (Ps. LXII, 2).
PSAUME XXII 201
1 Ps. LXII, 2.
202 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
1 Ps. XLI, 3.
2 Ps. XLV, 5.
3 Joan., IV, 15.
4 Luc., IX, 23.
PSAUME XXII 203
*
Le pasteur oriental marche à la tête de son troupeau, il le conduit
vraiment. Le divin Pasteur prend lui-même la direction de l’âme inté-
rieure. Il marche constamment devant elle.
Elle n’a qu’à le regarder et à le suivre. Elle sait qu’il la fait marcher
par les « droits sentiers », ceux qui mènent directement au but, parce
qu’ils sont les chemins de la volonté de Dieu. Et ce n’est pas seulement
d’une manière générale ou à titre de modèle et d’exemple que Jésus
dirige ainsi son Épouse, c’est d’une façon spéciale et dans tous les dé-
tails de la vie qu’il se fait son conducteur et son guide. Au fur et à me-
sure qu’elle avance, la lumière de Dieu l’éclaire sur ce qu’elle doit faire,
dire ou souffrir. Et après coup, l’âme docile se rend compte que c’était
bien le pas à faire, le chemin à suivre pour se rapprocher de Dieu. Au
moment même, elle en avait l’intuition ; après elle en a comme
l’évidence et elle redit toute reconnaissante : « Mon Dieu me conduit
dans les droits sentiers ».
Et tout cela, vous le faites, ô mon Dieu, pour la gloire de votre nom.
Vous ne vous contentez pas d’affirmer que vous êtes le bon Pasteur,
vous le prouvez jusqu’à l’évidence par votre, conduite à l’égard de vos
brebis. Les faits parlent tout haut, leur éloquence est irrésistible.
L’âme intérieure en est toute saisie. En vous voyant prendre soin d’elle
avec tant de sollicitude, veiller à tous ses besoins, même d’ordre tem-
porel, la faire reposer délicieusement en vous, ouvrir en son cœur une
source intarissable de bonheur, lui infuser votre vie, la mener comme
par la main au milieu de tous les obstacles jusqu’à vous, son Dieu et
son Tout, elle est obligée, par la force même des choses, à laquelle du
reste elle cède très volontiers, de glorifier votre nom, résumé de vos in-
finies perfections, et de proclamer que vous avez vraiment et seul le
droit de le porter, ô Bon Pasteur.
204 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
que je brûle de dire aux âmes que je rencontre sur ma route et qui me
demandent l’aumône, j’entends l’aumône spirituelle. Ah ! communier
ainsi les âmes, quelle charité et quelle joie ! Ô mon Dieu, vous seul savez
ce que je souffre à certaines heures de ne pas savoir comment vous don-
ner, faites que ma prière au moins vous porte à toutes les âmes qui vous
sont chères, à celles surtout qui s’efforcent de vivre d’une vie intérieure
et cachée. Qu’elles vous reçoivent en ce moment et qu’il leur soit permis
de vous dire en toute vérité : « Tu es avec moi », ô le Dieu de mon cœur !
Laissez-moi vous redire encore, ô mon Dieu, combien il est doux
pour mon cœur de constater que vous êtes toujours avec moi. Sans
doute, aux heures de souffrance, cette douceur paraît s’affaiblir. L’at-
tention et les forces de l’âme sont comme divisées. Mais même alors
votre présence se fait reconnaître. Elle enlève à la souffrance ce je ne
sais quoi d’amer et d’irritant qui la rendrait intolérable. Puis à la pre-
mière éclaircie, vous réapparaissez plus aimable et plus affectueux que
jamais. Ce qui est vrai de la souffrance physique l’est plus encore peut-
être de l’épreuve morale. Je vous connais maintenant, ô mon Dieu !
Quand vous permettez qu’une petite tempête s’élève dans mon âme,
c’est que vous voulez me donner une marque nouvelle de votre vigi-
lance et de votre tendresse. Vous ne me demandez qu’une seule chose,
la foi en votre amour. Bientôt tout s’apaise, tout revit, tout chante
« Vous êtes avec moi », ô mon Dieu !
vent ensemble, tout près l’un de l’autre. Ils participent au même repas.
Comme c’est Dieu qui reçoit, c’est lui aussi qui fait tous les frais de
cette nouvelle cène. À quoi faut-il la comparer ? Au repas d’Emmaüs ?
Oui, mais avec quelque chose de plus intime et de plus conscient.
L’âme intérieure n’hésite pas à reconnaître l’Hôte qu’elle reçoit et qui
la reçoit. Son esprit est éclairé ; son cœur brûle. Mais elle sait d’où lui
vient et la lumière et la chaleur. Puis, à Emmaüs, au moment de la
fraction du pain, Jésus disparaît. Là, au contraire, Dieu reste long-
temps, très longtemps parfois. On dirait qu’il s’attarde comme à plai-
sir, ne pouvant se décider à rompre une si douce conversation et à
quitter une âme si tendrement aimée. Et le souper se prolonge très
avant dans la nuit. Comme vous êtes bon, ô mon Dieu !
L’âme favorisée de cette grâce voudrait rester sans cesse à table avec
son Dieu. Ce n’est guère possible. Mais quand Dieu s’éloigne, le souvenir
de sa visite demeure très vivant et très bienfaisant. Il excite la reconnais-
sance. Il porte à l’humilité. Il pousse à proclamer que Dieu est le maître
de ses grâces, qu’il les donne comme il lui plaît et quand il lui plaît. Il se
transforme en prière, et en prière ardente : « Vous ne me devez rien, ô
Jésus ; tout ce que vous m’accordez, c’est par pure bonté que vous le
faites. Mais c’est là ce qui me donne confiance et me rend audacieux.
Moins j’ai de droits, et plus j’espère. Mon espoir est infini, presque com-
me votre miséricorde. Revenez, Seigneur ! Dressez de nouveau une table
dans mon âme. Prenez-y place. Je me tiendrai à vos pieds et je me rassa-
sierai des miettes de votre divin repas : « Veni, Domine Jesu, veni » 1.
Il peut cependant arriver qu’après ces heures de douce intimité,
une vague de souffrance s’abatte sur l’âme. C’est l’occasion pour celle-
ci de prouver à Dieu la sincérité de son amour. Quelle que soit la ma-
nière dont il nous traite, Dieu reste toujours aimable, il ne change pas.
L’âme aussi ne doit pas changer. Le pain alors est amer, mais c’est tou-
jours le pain de Dieu. Qui sait même s’il n’est pas plus nourrissant et
dès lors meilleur ? Tout porte à l’affirmer. L’essentiel est de rester là,
fidèle, aimant, reconnaissant, acceptant avec une égale gratitude le
pain de la souffrance comme celui de la consolation, disant à Dieu du
fond du cœur : « Panem quotidianum da mihi hodie » 2. Puis, faites,
que je sois transformé par lui en Jésus, votre Fils Bien-Aimé, afin que
vous puissiez m’admettre un jour à la table du Ciel.
Continuons. L’huile parfumée répandue sur la tête figure les onc-
tions de l’Esprit-Saint. Pour admettre à sa table, Dieu ne se contente
pas de revêtir de la robe nuptiale, il verse dans l’âme de son hôte des
grâces de choix. Ces faveurs de Dieu non seulement réjouissent l’âme,
mais encore l’ornent, l’embellissent et la fortifient. L’âme éprouve en
fonde. Elle a de plus l’impression que c’est une paix stable, solide,
permanente. Est-elle confirmée en grâce ? En tout cas, les règles de la
prudence étant toujours observées, les choses se passent en elle
« comme si ». Dieu lui a donné de telles preuves de son affection, il se
l’est unie si intimement, qu’elle ne peut douter, semble-t-il, de la per-
pétuité de sa protection. Elle est donc heureuse. Elle se sent comme
remplie de grâce, et la vérité l’oblige à dire que « ce bonheur et cette
grâce l’accompagneront tous les jours de sa vie ». Il lui paraît même
qu’ils iront grandissant de plus en plus jusqu’au jour de son éternité
bienheureuse. Non seulement Dieu la protège et la nourrit, mais il la
fait habiter dans sa propre maison. Dieu s’est réservé au fond de l’âme
une demeure où l’âme elle-même ne peut entrer sans une permission
spéciale de sa part. Et c’est là précisément que celle-ci a été introduite,
non pas pour quelques instants, mais pour toujours, lui semble-t-il.
Dieu lui a d’abord révélé l’existence de cette demeure. Puis il a fait
naître en elle le désir ardent d’y entrer. Ce désir a grandi. Après de
dures épreuves, il a été enfin réalisé. L’âme est entrée dans la maison
de son Père. Elle a l’impression d’y habiter et pour toujours. Mais il y a
plus : la maison de Dieu, c’est Dieu même. C’est donc en lui qu’il fait
entrer et habiter son enfant. Le mot de saint Paul devient pour l’âme
une réalité expérimentée, on pourrait dire vécue : « In ipso enim vivi-
mus, movemur et sumus : C’est en lui que nous avons le mouvement,
la vie et l’être » 1.
Vivre en Dieu, voilà désormais son partage. Ah ! elle peut bien dire
qu’elle ne manquera de rien, que Dieu la restaure, qu’il la protège
contre tout mal, qu’il est avec elle, que sa coupe déborde et que son
bonheur durera toujours. Rien n’est plus vrai.
*
La vie intérieure proprement dite peut se concevoir comme une vé-
ritable interpénétration chaque jour plus parfaite et plus consciente de
l’âme par Dieu et de Dieu par l’âme. Dieu au plus intime de l’âme,
l’âme au plus intime de Dieu. Dieu et l’âme se connaissant l’un l’autre,
comme du dedans. Dieu et l’âme s’aimant à fond l’un l’autre, se le di-
sant sans cesse de mille manières et se le prouvant de même. Dieu et
l’âme ne se quittant pour ainsi dire jamais et s’entretenant toujours
l’un avec l’autre, l’un de l’autre. Dieu et l’âme se possédant pleinement
l’un l’autre, se goûtant l’un l’autre d’une manière ineffable, l’âme de-
venant le paradis de Dieu, Dieu se faisant dès ce monde le Paradis de
l’âme. Et tout cela, encore une fois, augmentant chaque jour et sans
mesure. Voilà bien, semble-t-il, la vraie vie intérieure. « Si scires do-
num Dei !… 1 »
La distinction entre Dieu et l’âme existe toujours ; l’âme vit comme
si elle n’existait pas.
*
L’Humanité sacrée de Notre-Seigneur, qu’il ne faut jamais séparer
de sa divinité, est la voie. Aller à elle par la Sainte Vierge : quand l’âme
ne peut pas se maintenir sur les sommets de la divinité, redescendre à
la sainte Humanité et à la Sainte Vierge, et recommencer sans cesse.
Jésus comme Dieu est cause efficiente de la grâce. Comme
Homme-Dieu, il est cause méritoire et aussi cause instrumentale phy-
sique. Ces derniers mots veulent dire que toute grâce nous est com-
muniquée par l’Humanité sainte de Notre-Seigneur. En ce sens, bien
que l’humanité du Sauveur n’habite pas en nous comme le Verbe, elle
ne cesse d’exercer une influence sur nous, elle nous communique
toutes les grâces que nous recevons. Le Christ est la tête d’un corps
mystique dont nous sommes les membres. Il est le cep dont nous
sommes les rameaux. À ce titre, il possède pour nous la grâce en pléni-
tude : « Et de plenitudine ejus, omnes nos accepimus » 2.
Le Christ a pu mériter sa glorification et l’exaltation de son nom.
Mais il n’a pu aucunement mériter l’union hypostatique, ni les grâces
qui en découlent immédiatement.
La vie spirituelle est une communion constante à la Sainte Trinité.
Cette communion se fait par Jésus qui est la Voie en tant qu’Homme
uni personnellement au Verbe. C’est la loi au ciel et sur la terre. La
*
Celui-là seul dont la volonté est identique à la loi est impeccable
par nature. Or Dieu est le seul dont la volonté soit une même réalité
avec la loi morale.
Dès qu’une volonté n’est pas identique à cette loi, elle peut suc-
comber.
On peut dire que cette identité de la volonté et de la loi morale est
le propre de Dieu, et de Dieu seul. Ce fait de ne pouvoir faillir, c’est le
privilège de Dieu. Il peut le communiquer. Il le communique d’une fa-
çon rigoureuse à la sainte Humanité de Notre-Seigneur, et par grâce à
la très sainte Vierge.
Ce privilège était dû à la sainte Humanité unie au Verbe, car tous
ses actes sont imputables au Verbe, d’après ce principe : toutes les ac-
212 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
L’homme vaut ce que valent ses joies. La joie est le reflet du bien.
Ne prendre aucune joie en dehors du Bien véritable qui est Dieu. Mais
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 213
*
Pour les thomistes, la foi consiste essentiellement dans l’adhésion à
la parole du témoin. La foi est nécessairement obscure. La parole de
Dieu révèle la vérité, mais elle n’éclaire pas la vérité révélée. Plus il y a
en apparence de raisons tirées du côté de l’objet pour ne pas croire,
plus l’adhésion à la seule parole du témoin est glorieuse pour lui et
méritoire pour nous. — Je crois, parce que vous l’avez dit.
La foi vive est fondement et racine ; fondement de tout l’édifice, ra-
cine de l’arbre spirituel. Creuser le fondement, laisser à la racine le
214 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
moyen de s’enfoncer très avant dans le sol. Les fleurs viendront, les
fruits suivront en leur temps. Quand le bon Dieu nous permettra de les
goûter, nous dirons alors : Magnificat… Misericordias Domini…
La foi est le fondement de tout l’édifice spirituel. On peut dire que
c’est la racine de l’arbre, et la comparaison est meilleure comme tout
ce qui appartient au monde vivant. La foi est nécessairement obscure :
le seul appui de notre foi, c’est la parole de Dieu. Rien ne nous honore,
nous autres hommes, comme la confiance que l’on donne à notre pa-
role, et pourtant nous n’y avons pas droit, nous pouvons nous trom-
per. La foi et la raison ne peuvent se contredire en fait : elles peuvent
être contraires en apparence.
Quand l’eau courbe un bâton, ma raison le redresse.
Le bâton parait brisé, c’est une illusion d’optique. De même la pa-
role de Dieu semble contraire au bon sens. « Marche ! », dit Dieu. « Le
bâton n’est pas brisé, il paraît brisé ». Le don d’intelligence n’enlève
pas cette obscurité de la foi, mais il en éclaire les alentours, il fait pé-
nétrer les termes, et surtout quand il est uni au don de Sagesse, il fait
aller jusqu’à Dieu même.
Par la foi nous communions d’une façon très réelle à la science
même de Dieu. Il s’agit du même objet. Dieu voit ; moi je crois, et je
verrai parce que j’aurai cru.
Dans la foi un seul motif, la parole de Dieu ; dans l’espérance un
seul motif, l’aide de Dieu, la main secourable de Dieu, en dépit de
toutes les imaginations et tentations. Il faut aimer Dieu a priori pour
sa perfection infinie, puis on l’aime a posteriori pour sa bonté mani-
festée par tous les bienfaits reçus de lui. Éternellement nous chante-
rons ainsi sa miséricorde.
*
Aimer beaucoup la vertu d’espérance. Comme c’est bon de penser
que nous ne pouvons aller au bon Dieu qu’en mettant notre main
d’enfant dans sa main de Père. Douce et forte, fidèle et sûre, elle nous
conduit au but. Le motif de l’espérance, c’est Dieu lui-même, mettant
sa force à notre service pour le conquérir. Si un seul rayon de la divine
Bonté pénétrait dans notre âme, c’en serait fait, je crois, pour toujours.
Laisser tout aux mains du bon Dieu, ne s’occuper que de lui, il
s’occupera de nous et très bien.
Le bon Dieu inspire aux âmes de lui demander ce qu’il a l’intention
d’accorder. Il veut ainsi que nous l’aidions à sauver les âmes. Une âme
est d’autant plus puissante auprès de Dieu, qu’elle lui est plus unie et
qu’elle est plus conforme à Notre-Seigneur. Quel puissant stimulant
pour ne rien lui refuser de ce qu’il nous demande.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 215
*
Saint Thomas dit que la prière est un acte de la raison, puis il se
demande comment elle se rattache à la charité qui est vertu de la vo-
lonté. 1º Parce que dans la prière tout doit se ramener à demander
l’amour. 2º Parce que la prière étant une élévation de notre âme vers
Dieu, celle-ci se rapproche ainsi de lui et sa charité augmente.
On ne peut aimer Dieu qu’en lui demandant son saint amour. Il est
absolument impossible de l’obtenir par nos propres forces. « Deman-
dez et vous recevrez » 1. Vous recevrez immanquablement.
Le désir est la profondeur du cœur. Il vaut mieux ne pas insister en
demandant à Dieu des choses déterminées qu’il n’a peut-être pas
l’intention d’accorder sous telle forme. Il faut commencer par aimer le
bon Dieu par devoir. Nous sommes si loin de lui, si plongés dans les
sens, que pour nous en détacher, il est obligé de nous donner d’abord
des consolations sensibles, puis généralement il nous les retire pour
nous faire passer à l’amour spirituel. C’est alors qu’il faut se dire que
puisque ses consolations sont si grandes qu’elles font volontiers re-
noncer au monde et à ses attraits, son véritable amour surpasse éga-
lement tout amour-propre, tout autre amour. Mais a priori, il faut ai-
mer Dieu parce que lui-même nous en fait l’obligation. Ce n’est pas
qu’il ne demande pas plus, surtout de certaines âmes, mais on peut
dire qu’il leur fait chèrement payer leurs élans enflammés, les faveurs
spirituelles qu’elles reçoivent. Il ne faut pas se décourager de ne pas
éprouver les mêmes sentiments.
*
Le but de la vie intérieure, c’est l’union profonde d’esprit à esprit
avec le bon Dieu. Cette union se fait par la charité. De là, l’importance
capitale de cette vertu et le soin qu’il faut prendre de détruire tout ce
qui s’oppose à son plein épanouissement.
On peut atteindre Dieu directement, immédiatement, dès ce
monde. C’est l’œuvre de la charité qui unit. Ne pas oublier que nous ne
pouvons que nous préparer à cette union intime et consciente, mais
« que c’est un grand point que cette préparation » 2.
Elle consiste à isoler l’âme intérieurement, à la pacifier en étouffant
tout mouvement d’orgueil, de susceptibilité, d’humeur, etc., et tout de
suite. Puis à regarder simplement Dieu, à le désirer, à attendre sa vi-
site, à s’appliquer humblement et affectueusement à lui, mais sans
1 Luc, XI, 9.
2 Ste. Thérèse.
216 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
*
La charité est une vertu une.
La charité est une disposition permanente, surnaturelle, reçue au
baptême, qui fait que l’âme aime Dieu comme il s’aime lui-même en
lui-même. Cette disposition est une création nouvelle, physique, au
sens de réelle ; par la charité les trois Personnes divines sont aussi ré-
ellement présentes en nous, mais notre union avec elle n’est que mo-
rale, tandis que l’union de l’humanité de Jésus au Verbe est réelle,
physique, substantielle.
L’amour de charité est une grâce créée qui modifie réellement la
substance de l’âme. Ce n’est pas seulement une harmonie morale de vo-
lonté, mais quelque chose de physique (pas matériel). Les Personnes
divines sont dans l’intime de l’âme, comme Hôte, Ami, Époux ; intimité
beaucoup plus grande que toutes celles des comparaisons de la terre.
Dieu fait comprendre qu’il est là. Il veut nous faire participer à son Bien
propre, à sa vie intime, comme il se connaît par son Verbe, comme il
s’aime par son Esprit. Notre rôle actif : dépouillement de tout souvenir,
de toute image en dehors de l’Humanité sacrée de Notre-Seigneur.
Dieu peut prendre l’âme en lui communiquant quelque chose de son
bonheur, en lui infiltrant quelques-unes de ses joies. L’âme devient
simple capacité de connaître et d’aimer. Elle connaît et regarde sans
voir dans l’obscurité de la foi. On ne désire plus cette communication
de Dieu en tant que jouissance d’avarice, mais on veut faire à Dieu
l’offrande, la consécration, l’immolation la plus parfaite de ses facultés.
La préparation personnelle d’ailleurs est un long et véritable martyre.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 217
*
La grâce la plus élevée, décrite par saint Jean de la Croix, est une
véritable pénétration de l’âme par Dieu.
La cloison étanche qui séparait l’âme de Dieu est tombée. L’âme
s’est évadée de la zone sensible, puis de la zone intellectuelle elle-
même ; elle vit au-dessus. Elle est en Dieu. Elle a d’abord eu
l’impression d’être ramenée à la source même de sa vie et, là, de ren-
contrer Dieu comme tout occupé à la lui donner. Elle vit la vie de Dieu.
Elle comprend qu’il en est ainsi.
*
Pour obtenir la dévotion au Saint-Esprit, la lui demander. Mortifier
l’activité naturelle, faire tout le bien que l’on voit.
Prier beaucoup l’Esprit-Saint. Toute âme en état de grâce possède
l’Esprit-Saint en elle comme un hôte, un ami, un conseiller, un protec-
teur. Avoir à soi, pour soi, comme tout seul en soi l’Esprit-Saint qui est
l’Esprit même de Dieu, quelle richesse ! Être mus par lui, tout est là
pour nous. Il sait le plan de notre vie, la mesure selon laquelle nous
devons être transformés en Jésus. Il travaille sans cesse à cette trans-
formation. Comme nous devrions l’aimer ! Comme nous devrions lui
dire : « Esprit d’amour, éclairez-moi ; réchauffez-moi ; conduisez-moi ;
transformez-moi ; embrasez-moi ; consumez-moi. Faites-moi entrer
dans le sein de mon Père, dans cette place où il me veut, près de son
Cœur, de plus en plus près. Faites que je reste là toujours, que je
souffre, que je parle ou que je prie. C’est le lieu de mon repos et de
mon bonheur ».
Les dons du Saint-Esprit sont supérieurs aux vertus morales, mais
inférieurs aux théologales car il n’y a rien au-dessus des vertus théolo-
gales. Ils les complètent, les perfectionnent, mais en dépendent, ils
sont informés par elles, enracinés en elles.
On peut désirer les dons du Saint-Esprit puisqu’ils font partie de
notre organisme spirituel. Ne pas désirer les grâces dites extraordi-
naires qui ont un but social, mais ne rien refuser au bon Dieu.
*
Le don de Sagesse a aussi un côté pratique : sa règle n’est pas la
même que celle du don de Science. Il juge de plus haut par la partici-
pation à la pensée de Dieu sur les choses, à son plan divin sur le
monde : « Dominus est » 1. C’est l’intuition des cœurs purs. Le don de
Science juge des choses en elles-mêmes dans leur harmonie avec Dieu
— par exemple, valeur de la souffrance. Le don de Conseil nous dirige
dans l’usage des choses.
Le don de Sagesse fait participer à la filiation divine dans le Verbe,
La béatitude qui y correspond est celle des pacifiques qui seront dits
enfants de Dieu 1, justement parce que le don de Sagesse fait goûter
Dieu et l’harmonie des moyens qu’il a établis. Il met dans l’ordre, la
paix. C’est « la tranquillité de l’ordre ». Les pacifiques donnent la paix,
parce qu’ils la possèdent, parce qu’ils sont dans l’ordre.
Le don de Science ou la science des Saints, c’est la même chose :
« Justum deduxit Dominus per vias rectas, et edit illi scientiam sanc-
torum » 2.
Quand on y regarde de près, on s’aperçoit que tout renouveau dans
la vie intérieure, tout progrès réel dans le même ordre, commence par
un jugement pratique sur le bon Dieu. « Dieu est tout pour moi ». Le
but de mes efforts, de ma vie, c’est de m’unir à lui. « Mihi autem adhe-
rere Deo bonum est » 3. Dieu n’est pas loin de moi. Il est en moi. Il y
est pour moi. Il veut se donner à moi. Il veut me faire goûter à son
bonheur à lui. Ce qu’il est ce bonheur ? « L’œil de l’homme n’a pas
vu » 4. Si je le goûtais même un peu, j’en serais enivré d’une façon dont
rien ne peut me donner l’idée. Mais je sais que sans la grâce, ce serait à
en mourir… « Que faire, mon Dieu, pour m’unir à vous autant que cela
dépend de moi ? »
Pour m’unir à Dieu, pour me nourrir de lui spirituellement, il faut
que je vide mes facultés supérieures, intelligence et volonté, de tout,
absolument de tout : images, idées, affections créées ; puis, que je les
tourne vers mon Dieu, que je les lui présente afin qu’il les illumine et
qu’il les embrase, chacune suivant sa nature. Il faut que je me tienne
là, dans cette attitude intérieure le plus souvent, le plus longtemps, le
plus parfaitement possible. Sans parler. Dieu m’entendra. Il compren-
dra que j’ai faim et que j’ai soif de lui. Il aura pitié, et un jour… il
m’exaucera. Je le sentirai au plus intime de mon âme, je le goûterai, je
l’adorerai, je l’aimerai comme je n’ai jamais fait. Je m’oublierai tant je
serai heureux de le savoir, de le sentir si heureux, lui. « Deus cordis
mei ». Oh ! si j’étais sage, je serais fou de Dieu.
Ce jugement pratique, point de départ de tous les renoncements, de
tous les sacrifices, est porté par le don de Conseil. Plaise à Dieu que ce
1 Matth., V, 9.
2 Le Seigneur conduit le juste par des voies droites. Il lui a donné la science des saints (Office des
Conf. non Pontifes).
3 Psal. LXXII, 28.
4 I Cor. II, 9.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 219
*
Aimer la solitude : celle de l’esprit et celle du cœur. C’est là que Jé-
sus vient chercher pour l’ordinaire.
Ne pas témoigner la peur de l’isolement. Aimer la solitude par es-
prit de foi : Jésus y parle aux âmes. O beata solitudo, o sola beatitudo.
Chercher le bon Dieu au dedans. Tâcher donc d’avoir pour cela de
petits moments de vraie solitude. Seul à seul avec Jésus, demander le
saint amour : on ne peut pas se le donner, mais on peut avec la grâce
ordinaire lui faire place en mortifiant l’égoïsme dans toutes ses mani-
festations et prier là le bon Dieu de nous donner, lui, son amour. Ne
pas attendre un amour senti, mais espérer l’amour vrai, celui qui pé-
nètre la volonté jusque dans son fond, la purifie, la détache, l’assouplit,
la fortifie, la dilate, la soulève et avec elle toute l’âme vers ce Dieu si
aimant, si bon, si doux et si fort. « Il faut toujours porter les bras du
désir vers la Plénitude adorée » 1. Quand je voudrai, Dieu voudra.
*
Être impitoyable pour la tristesse ; ne la supporter à aucun prix :
Dieu est toujours là. Être triste volontairement, c’est dire à Dieu, à Jé-
1 Ruysbroeck.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 221
sus, qu’il ne suffît pas à notre bonheur, que nous avons besoin de quel-
que chose autre que lui pour être heureux. Nous n’y pensons pas ; au-
trement, comment expliquer notre attitude ? Pardonnez-nous, ô mon
Dieu. Faites-nous comprendre la parole de saint Augustin : « Fecisti
nos ad te ». Qu’une seule tristesse pénètre dans notre âme, celle de ne
pas vous aimer assez. Encore voulez-vous qu’elle soit douce, modérée,
confiante.
*
La solitude est la condition sine qua non de toute vie intérieure vé-
ritable. Le bon Dieu a le droit de tout exiger, tout absolument. Il faut
réaliser l’isolement du cœur. Les affections même y gagnent, car on est
plus désintéressé pour aller aux âmes. Lutter doucement, mais fer-
mement et impitoyablement : insister courageusement sur cette peur
de l’isolement. Une âme qui aime Dieu ou simplement veut l’aimer
n’est pas seule, pas du tout. Le vide ne fait souffrir que pendant qu’il se
fait, et aussi longtemps qu’il n’est pas fait : cette souffrance doit cesser
ou à peu près. Elle n’est pas le but, mais la conséquence du détache-
ment qui s’impose pour que l’âme s’attache à son Dieu, et à lui seul.
Quand l’âme ne tient plus à rien qu’à la volonté de Dieu, elle ne sent
plus cette souffrance. Elle en éprouve une autre très différente, celle de
ne pas aimer son Dieu et de ne pas le posséder pleinement. Mais cette
souffrance-là est un « martyre délicieux », d’après sainte Thérèse.
Demander à Jésus la grâce de comprendre que la solitude, quand il
y pousse lui-même, est comme un sacrement pour l’âme : Dieu s’y
cache et s’y donne. Combattre toute tristesse. Cela fait de la peine au
divin Maître.
« Pour de telles faveurs, Dieu veut une âme seule, pure et enflam-
mée du désir de les recevoir » 1. Demander sans cesse l’amour de la so-
litude, celle du corps (sauf charité), celle de l’esprit, celle du cœur.
S’exercer sans relâche et avec une douce patience à les acquérir. Le
bon Maître nous récompensera un jour en nous introduisant dans
cette solitude supérieure de l’âme, où il lui parle cœur à cœur, où il
l’éclaire, la nourrit et se donne à elle dans une union que les sens et
l’intelligence ne comprennent pas. Ne pas craindre de détruire tout ce
qui détourne de cette solitude de l’esprit et du cœur.
*
Aller à Jésus, au Tabernacle, sur la Croix, dans notre cœur ; aimer
beaucoup à nous tenir aux pieds du divin Maître présent en nous,
même d’une certaine façon par sa Sainte Humanité. Lui parler, l’écou-
ter, le regarder humblement et s’il se peut toujours, qu’il daigne nous
entraîner dans cette solitude intérieure, loin du bruit, loin de nous-
mêmes, tout près de lui, et nous parler de cette parole qui ne s’entend
pas des oreilles du corps, mais qui produit dans l’âme ce qu’elle signi-
fie. Pour le moment et pour toujours, tout souffrir pour pouvoir aimer
plus simplement, plus humblement, plus profondément, plus cons-
tamment.
Chasser toute tristesse d’exil ; la vraie Patrie, c’est Dieu : « Trop est
avare à qui Dieu ne suffît ». Ne pas redouter l’isolement, le désirer ab-
solu, ne jamais céder à la nature sur ce point : Dieu seul. Pratiquer cela
de toute son âme, s’assurer de sa fidélité.
Revenir souvent vers le sanctuaire intérieur : Dieu dans ce sanc-
tuaire et l’âme en adoration affectueuse et vivante devant sort Dieu.
Qui a cela, a tout. Qui ne l’a pas et ne cherche pas à l’avoir dans la me-
sure où il peut (sans s’imposer à Dieu toutefois), n’a rien.
*
Quand on souffre, il semble que le bon Dieu est loin et qu’il n’agit
plus dans l’âme. C’est une pure impression. Jamais, peut-être, il n’est
plus près et n’agit plus à fond, mais la pauvre âme n’en sait rien ; c’est
ce qui la porte à s’inquiéter, à se désoler, à se plaindre ; trois choses
qu’il faut éviter au contraire plus que jamais. « Dieu sait tout, Dieu
peut tout, Dieu m’aime » 1. Que voulons-nous de plus ?
*
Pour recevoir de Dieu, il faut se donner. Plus le don de soi est in-
time, constant, généreux, détaillé, réel surtout, plus on peut espérer.
Faire ce don, ces dons incessants par Marie.
Dieu ne fait connaître sa volonté qu’aux âmes qui se sont données à
lui. Ma volonté est-elle donnée ? Lui appartient-elle ? Peut-il en faire
ce qu’il lui plaît, et cela sans résistance, mieux encore avec joie de sa
part à elle ? Est-elle sa volonté ? Suis-je sien jusqu’à la dernière fibre
du cœur ? Est-ce que je ne veux que lui, rien que lui, lui tout seul ?
Quand il aura entendu le véritable : « Ecce ancilla Domini », il par-
lera, je l’entendrai, je le posséderai, alors j’aurai tout, je ne chercherai
plus rien.
Tant que nous tenons à quelque chose pour nous, si peu que ce soit,
le bon Dieu ne pourra pas nous accorder son intimité. N’y comptons
pas. Mais en revanche, si nous brisons net, dès que nous avons cons-
cience de la moindre recherche personnelle, nous ne savons ce qu’il fe-
ra, mais nous savons qu’il pourra faire ce qu’il voudra. À nous de poser
la condition sine qua non : c’est vraiment grave.
Pour la vie d’oraison, rien n’est profitable comme le don complet de
notre volonté, don constamment renouvelé. C’est ce que le bon Dieu
attend, tant qu’il n’est pas encore maître chez lui.
*
Quand nous aurons obtenu la charité, nous n’aurons que peu de
difficultés pour regarder le bon Dieu intérieurement, et les moindres
attaches à quoi que ce soit nous feront horreur. N’hésitons pas à briser
toutes les résistances de notre nature augmentées à certaines heures
par la malice du démon. Plus elles nous détournent de Dieu, plus nous
devons les combattre. Les joies qui suivront la victoire nous paieront
plus qu’au centuple de nos efforts. Croyons-le de toute notre âme.
1 Ste. Thérèse.
224 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
*
Le grand obstacle entre Dieu et l’âme, c’est l’âme elle-même qui ne
sait pas et ne veut pas s’oublier.
Les circonstances nous placent très souvent entre deux volontés di-
vines qui semblent se contredire, mais au lieu de se révolter ou de se
décourager, il faut accepter l’incompréhensible, et c’est dans cet état
déconcertant que le travail se fait. Les deux volontés divines sont très
claires l’une et l’autre, mais ce qui est tout à fait obscur, c’est leur ren-
contre au même moment. C’est un conflit d’obligations, de devoirs.
L’âme est comme saisie, tenaillée — comme un objet pincé entre les
deux branches d’une tenaille pour être retordu, rectifié. Évidemment
on souffre. C’est un état des plus douloureux, mais à mon avis presque
constant, et si on accepte bien la volonté du bon Dieu, les fruits se
montrent, naissent de là. Il faut se soumettre sans comprendre.
Me voici, Seigneur, avec votre grâce, je boirai votre calice, je porte-
rai votre croix ; je vous ferai connaître et aimer, je vous aimerai sur-
tout et je vous prouverai mon amour en renonçant à mes idées, à mes
goûts, à mes volontés. Plus je sentirai de répugnance à le faire, et plus
je me dirai : le devoir est là, la volonté de Dieu est là, mon Dieu est là.
Je le cherche, je ne le trouverai que là. — Suivre les conseils, passer
par les chemins qu’on me montre, les préférer ; j’arriverai beaucoup
plus vite et plus sûrement.
*
En principe, le don de soi se fait en un moment ; en fait, c’est à cha-
que instant qu’il se réalise. Ce qui aide le plus dans la pratique avec la
grâce du bon Dieu, c’est la vue constante de la volonté de Dieu en tout.
Pour s’unir à Dieu, il faut le rencontrer ; or Dieu ne se rencontre
que sur les chemins de sa divine et adorable volonté. C’est dans ce
chemin qu’il faut donc marcher toujours. Sous une autre forme, s’unir
à Dieu, c’est communier à lui. Il se cache sous les espèces du petit de-
voir présent, du petit sacrifice actuel, du petit renoncement du mo-
ment. C’est là qu’il faut le voir, le contempler, l’adorer, l’aimer et le
prendre.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 225
*
On ne va pas à Dieu par un autre chemin que celui de la Croix.
Comme c’est difficile à comprendre pratiquement ! Dieu est la réalité
suprême, en haut : comment l’atteindre sans tout laisser loin de soi ?
Dieu est au plus intime de l’âme : comment aller jusqu’à lui et le trouver
sans se détacher de cœur de tout ce qui n’est pas lui, sans tout perdre ?
(Le cœur est là où il aime). « Qui perdiderit animam suam » 1. Il est
notre fin unique, dernière. Notre mouvement d’âme ne doit pas s’arrê-
ter, qu’il ne l’ait obtenue, cette fin. Une fois atteinte, il s’arrête, l’âme
se fixe. Elle devient en quelque sorte immuable de l’immutabilité de
Celui auquel elle s’attache et en qui elle se repose.
L’abnégation est la loi de notre vie en ce monde. « Si quis vult ve-
nire post me » 2. Elle est la condition rigoureuse de tout progrès, elle
en est le fruit le plus révélateur. Mais il y a des formes d’abnégation
qui peuvent ne pas convenir à telle ou telle âme. Ce qui importe, c’est
de trouver la sienne, sa croix, et de la porter de toute son âme.
*
La vertu purificatrice de la tentation vient uniquement de la
promptitude et de l’énergie avec lesquelles nous la repoussons ; de la
détestation, de l’horreur de la volonté pour la chose proposée. Avoir
conscience de cette résistance est presque nécessaire : on ne pèche pas
sans le savoir, donc il faut se rendre compte qu’on résiste. L’âme sent
la puissance de la grâce qui la fait résister comme si quelqu’un de très
fort la tenait pendant qu’un autre agent extérieur la tenaille.
*
Vouloir faiblement ce que l’on veut lorsqu’il ne s’agit pas de Dieu
ou d’un moyen nécessaire d’aller à lui.
*
Rien ne coûte comme le don parfait de notre volonté, rien pourtant
ne nous est plus utile. Une âme qui veut glorifier le bon Dieu en re-
connaissant opere et veritate son souverain domaine, son droit absolu
de nous commander, n’a pas de meilleur moyen que celui-là. Comme
c’est la volonté qui dispose de tout ce qui lui appartient au dehors et au
dedans, la donner, c’est vraiment tout donner. Voilà pourquoi saint
*
Comme il est précieux pour une âme d’être une âme qui plaît à
Dieu ! En un sens très vrai, il n’y a rien de meilleur au monde, alors
même que l’âme ne goûterait pas la joie que l’on goûte quand on sent
que Dieu est content.
Plaire à Dieu, c’est lui ressembler. Il ne sourit qu’à sa propre Beau-
té. — C’est imiter Jésus : « Quae placita sunt facio semper », c’est de-
venir Jésus, c’est posséder Jésus, même si on ne sent rien. Dieu ne se
plaît qu’à regarder Jésus.
Conclusion : chercher toujours et partout à plaire à Dieu sans re-
tour vers soi. Avoir cette seule intention dans tout ce qu’on fait,
s’ingénier pour découvrir ce qui peut le plus plaire à Dieu. Tout sacri-
*
Dieu se donne où il veut et quand il veut. Le meilleur moyen de le
rencontrer, c’est de se tenir toujours sur le chemin de sa sainte volon-
té. Le reste dépend de lui seul. Il faut donc avoir faim et soif de cette
adorable volonté, chercher à la connaître, puis s’efforcer humblement
de la réaliser coûte que coûte en vue de le glorifier, de lui témoigner
son amour et de lui plaire.
Ne pas oublier que le plus souvent notre volonté n’étant pas en
harmonie parfaite avec le bon Dieu, il y aura nécessairement souf-
france, immolation, sacrifice. Mais cela doit plutôt rassurer, c’est bon
signe, on est sur le chemin du Calvaire.
*
Si l’âme doit désirer l’union à Dieu, c’est surtout afin de pouvoir
prendre sur elle une part plus grande de la Croix de Jésus et la mieux
porter. Ceci est très important et n’entre pas aisément dans l’âme. La
Croix fait peur et pourtant !
Demander au bon Dieu la grâce de ne pas vouloir que les minutes
d’obscurité et de souffrance passent plus vite que les autres, elles sont
si précieuses. Étouffer tout mouvement naturel dès que nous en avons
conscience. Renoncer à nos goûts personnels, à nos idées. Prier Jésus
de nous donner à la place ses goûts et ses idées. Il faut croire le mys-
tère de la Croix avant de le comprendre et de le goûter.
*
Ne pas regarder ce que font les autres. Observer le règlement avec
ponctualité. Interrompre ce que nous faisons assez tôt pour arriver à
l’heure, dussions-nous attendre. Donnons-nous ainsi l’occasion : 1º de
nous détacher de ce que nous faisons ; 2º d’aller doucement et de pou-
voir ainsi penser au bon Dieu, 3º de pratiquer la patience si on nous
fait attendre, et d’utiliser encore ces moments perdus en faisant des
retours vers Dieu. La sainte volonté de Dieu est là, et alors elle n’est
que là.
Le bon Dieu sait le but, les moyens, la voie. L’écouter, lui obéir, ne
lui refuser aucun de ces sacrifices que nous sentons qu’il demande.
228 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
*
Le divin Maître veut le détachement du cœur complet, absolu, mais
c’est chose du dedans surtout. C’est nous qui devons en souffrir. Il ne
faut en faire souffrir les autres que si cela est nécessaire.
Pour la mortification intérieure, champ libre : pas une pensée, pas
un regard pour se satisfaire. Renoncer à tout, même à ce qui serait lé-
gitime. Regarder plus haut.
Ne pas craindre la mortification du cœur : il semble qu’on s’arrache
le pain de la bouche, c’est une mort, mais le bon Dieu demande ce sa-
crifice ; un jour il rendra au centuple.
Ne pas se lasser de recommencer sans cesse, c’est dans l’ordre. Re-
nouveler l’énergie de la volonté, lorsqu’elle fléchit dans la surveillance
sur soi-même et le travail qu’elle impose. Prier surtout : c’est par la
prière que l’on arrive à se reprendre sans cesse, car le grand point,
c’est la persévérance.
*
Être généreux pour la mortification, mais prudent. Réfléchir, de-
mander à Notre-Seigneur si cela lui fait vraiment plaisir. Il éclairera de
quelque façon, mais viser à la persévérance dans les petites souf-
frances qui n’en ont pas l’air.
Préférer les petites mortifications aux grandes. Les aimer et les pra-
tiquer. Elles préparent très efficacement à la vie intérieure. Mortifier
surtout le jugement et la volonté.
Il y a toujours attache quand nous changeons sans raison une or-
ganisation donnée.
En matière de mortification, quand on a une fois sagement fixé ce
que l’on peut supporter, il faut y tenir avec fidélité. Voilà pourquoi il
convient d’aller pas à pas et de bien s’éprouver avant d’ajouter à sa
charge. Toutefois la santé, la charité, les circonstances, etc., peuvent
obliger à des modifications transitoires. Il faut alors les accepter sim-
plement, comprimer la nature impatiente du joug et portée à se réjouir
quand il est allégé, revenir enfin dès qu’il est possible à son petit pro-
gramme.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 229
*
Ne pas tendre son esprit vers la mortification héroïque et par trop
dure. On s’accable. Cela enlève la douce liberté de l’âme. Donner sin-
cèrement sa volonté au bon Dieu. Lui dire que nous voulons tout ce
qu’il veut et comme il le veut. Puis prendre de sa main tout ce qu’il
nous envoie. De nous-mêmes, n’allons qu’à de petites mortifications,
mais soutenues autant que possible. Insister surtout sur les renonce-
ments intérieurs : jugement, volonté.
Par dessus tout, nous oublier le plus possible pour songer à Jésus,
le contempler dans la paix et l’aimer simplement, très simplement.
Compenser par la mortification des yeux, des oreilles, de la mé-
moire, de l’imagination, du jugement, de la volonté. Quel champ ! Ne
pas céder sur la mortification de la tenue : la nature cherche ses aises
partout. Ne pas avoir peur du sacrifice : s’appuyer sur Jésus.
Communier bien par amour pour Dieu aux petites souffrances de
chaque instant : c’est du réel, du solide, de l’actuel, et, avec-la grâce,
du possible. Puis quand la piqûre d’épingle paraît trop sensible, s’unir
à Dieu au dedans, la force sera donnée.
1 J’accomplis dans ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ (Colos., I, 24).
2 Je suis cloué à la Croix avec le Christ (Galat., II, 19).
3 Si le grain de froment ne meurt (Joan., XII, 24).
4 Qu’il se renonce lui-même (Luc, IX, 23).
230 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
*
Il faut une grâce puissante pour aimer vraiment la souffrance, pour
en comprendre le prix, pour en venir aux actes.
Porter sa croix simplement avec beaucoup d’amour : « Être sur la
croix vaut mieux que la contempler ». C’est le seul chemin pour qui
veut suivre le Sauveur. Il l’a pris, le premier, innocent, et nous avons
tant à nous faire pardonner !
Le bon Dieu me fait la grâce d’aimer de plus en plus mes chères
souffrances (providentielles). Dès lors qu’il les permet, je les reçois
avec bonheur. Il me semble qu’elles me rapprochent de lui. C’est par
moment seulement que la lumière se fait dans l’esprit sur la souf-
france. J’ai tout à fait l’impression de n’avoir rien compris jusqu’ici
pratiquement au sacrifice. La volonté n’est pas gagnée, mais j’espère.
Dieu est si bon !
Oh ! quel trésor que la souffrance. Mais voilà, on ne sait pas au sens
vrai du mot et on passe à côté d’elle sans en soupçonner le prix.
Humilité.
pense. C’est par la charité qu’on arrive à cette vertu bien qu’elle soit à
la base dans l’ordre des conditions.
La perfection s’obtient lentement ; il ne faut pas songer à une per-
fection toute faite et reçue tout de suite et une fois pour toutes. Savoir
supporter ses défauts dans la patience, c’est la moitié de l’art de les
corriger.
Il faut des examens sérieux pour connaître les idoles du dedans.
C’est l’amour vrai du bon Dieu qui rend humble. Quand on vit de
lui et pour lui, on ne vit plus de soi et pour soi. Dans les tentations de
vanité, penser à Jésus.
Travailler à détruire l’habitude de passer toujours en premier,
avant la grâce, avant Jésus.
Plus je resterai en bas sur moi-même, moins je verrai clair : plus je
monterai vers le bon Dieu et le regarderai, plus tontes les choses s’illu-
mineront. La clarté se fait en tout quand on ne tient plus qu’à Dieu.
La simplicité consiste à n’avoir qu’une pensée, un désir, une affec-
tion : Jésus, et ceci toujours. On n’est simple qu’en s’oubliant cons-
tamment, autrement il y a toujours double courant.
*
Noter les critiques, cela éclaire, cela humilie, c’est donc précieux.
Répondre avec charité aux compliments, mais n’en rien croire (très
pratique). Chaque fois regarder Jésus couronné d’épines et bafoué par
les soldats.
On ne sait pas se défendre devant un compliment, cela gonfle : c’est
une sottise ! La même chose pour un reproche, cela torture : on vou-
drait s’en débarrasser, y échapper. Ne pas s’étonner de sa faiblesse,
mais ne pactiser jamais.
Renvoyer les compliments à Notre-Seigneur par un acte intérieur ;
puis passer, ne pas trop s’inquiéter des retours sur soi.
*
Le bon Dieu peut faire toucher ce que c’est qu’être pauvre. C’est
une grâce alors d’avoir la joie de dépendre de lui, d’attendre tout de lui
pour le matériel. Le bel évangile que celui du XIV e dimanche après la
Pentecôte ! Comme je voudrais le comprendre et le vivre… Au point de
vue spirituel, c’est la même chose. C’est si bon de se sentir misérable,
de tout lui devoir. Aimer ses impuissances, accepter d’être pauvre. Il
ne s’agît pas de renoncer à ceci ou cela — laisser faire le bon Dieu avec
une confiance filiale.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 233
*
D’une façon générale, travailler à s’effacer. Aimer le bon Dieu de
plus en plus, le faire aimer autant qu’il est possible, puis se faire ou-
blier ou du moins désirer qu’il en soit ainsi : voilà qui est bon pour
Dieu, pour le prochain et pour nous. On trouve de grandes grâces et de
grandes joies dans cet effacement. Mais l’occupation de soi ne dispa-
raît que lentement. C’est à force de se tourner vers Jésus et de le con-
templer qu’on finit par s’oublier soi-même. Rien ne rend humble
comme de connaître un peu le bon Dieu. À force de contempler
l’infinie Beauté, on en vient à trouver insupportable le moindre retour
vaniteux sur soi-même. Joindre les deux méthodes : combattre toute
pensée, tout jugement, toute parole qui sentent l’orgueil ; mais croire
que la charité, fruit de l’adoration, sera plus efficace et de beaucoup.
On peut souffrir de son inutilité jusqu’à en pleurer, mais en restant
soumis à la volonté de Dieu, sans aucune consolation, sauf le senti-
ment très profond qui se trouve dans la preuve qu’on aime alors sans
aucun retour d’intérêt. « Ama nesciri » 1. C’est sur le premier mot qu’il
faut insister, c’est-à-dire sur les dispositions delà volonté à l’égard de
l’estime, des louanges et de leur contraire. Prendre au dedans (à
l’intérieur, on a le champ libre) et même au dehors (la prudence pose
des limites à l’extérieur) une attitude et user d’expressions en harmo-
nie avec la petite idée qu’on se fait de nous. Par volonté, aimer à être
traité ainsi.
Parler peu de soi, très peu, pas du tout s’il était possible. Rien n’est
bon comme de s’oublier pour mieux s’occuper de Dieu et des autres
pour Dieu. Quand il y a lieu de parler de soi, le faire très simplement
en termes toujours vrais et discrets.
Réfléchir avant de parler. Le vrai frein de la langue, c’est le vif sen-
timent que Dieu est là, qu’il écoute et qu’il juge. Notre parole lui ap-
partient. Les vrais humbles parlent bas d’instinct.
*
Disposition d’une âme visant au sourire et acceptant humblement
la manifestation involontaire ou la répugnance produite par l’humilia-
tion et le sacrifice, quand cette manifestation se remarque. Achever
d’un sourire le premier mouvement de douleur.
C’est le don de Science qui fait trouver le trésor caché dans l’humi-
liation, la pauvreté, le sacrifice, l’obéissance, tout ce qu’on appelle la
croix. Les mondains, tous ceux qui n’ont pas reçu ce don, n’y compren-
nent rien, tout cela est si contraire à la nature ! Mais le Saint-Esprit en
fait découvrir le prix, il en donne le goût caché dans l’intime de l’âme ;
quelquefois il le fait transparaître un peu, très peu, jusqu’à l’extérieur.
Obéissance.
Rien n’est utile comme l’obéissance, rien n’est difficile comme elle.
Le mauvais esprit la rend presque impossible en prévenant contre
l’autorité, en dénaturant les intentions de celui qui commande, en lui
en prêtant qu’il n’a jamais eues. Il est permis et même louable de cher-
cher à pénétrer les raisons du commandement quand on le fait pour
soumettre son jugement à la Vérité. Dans ce cas, le mérite de l’obéis-
sance vient de l’hommage rendu à la Vérité.
Comprendre autant que possible le conseil donné, mais pour mieux
le suivre.
Tenir ferme à ce principe si sage : Praesumptio stat pro superiore.
Dans les cas douteux, le supérieur est supposé avoir raison.
*
Plus l’obéissance immole, plus elle est précieuse, plus on doit l’es-
timer. On donne à Dieu sa volonté, c’est cette faculté qu’il veut : quand
il la possède, tout suit : « Meus est cibus, ut faciam voluntaiem ejus
qui misit me » 1. « Quae placita sunt ei, facio semper » 2.
Apostolat.
Contempler avec quelle facilité la sainte Vierge donne son petit Jé-
sus. C’est son geste habituel, familier. Un bon vieillard le désire,
comme elle le lui remet volontiers. Elle est toujours disposée à le don-
ner. Faire comme elle : donner Jésus par la prière, le sacrifice, le bon
exemple, une bonne parole, le désir intérieur.
Quand nous sommes en rapport avec le prochain, prier intérieure-
ment, demander à Jésus de se donner : que cette âme à qui je parle
l’aime davantage, le serve plus généreusement…
Il n’y a qu’un moyen d’aimer les âmes, c’est de leur vouloir du bien,
leur seul Bien, en leur donnant Jésus. Pour cela, communier aux ver-
tus de la sainte Vierge, amour, dévouement, oubli de soi : se priver
pour donner Jésus.
Avant d’apprendre aux autres à aimer Dieu, il faut commencer par
l’aimer soi-même. Comment le donner aux autres, si on ne le possède
pas ? Nous faisons du bien dans la mesure de notre union à Jésus.
Nous ne le voyons pas toujours, mais cela est toujours vrai.
1 Ma nourriture est de faire la volonté de mon qui m’a envoyé (Joan., IV, 34).
2 Je fais toujours ce qui lui plaît (Joan., VIII, 29).
238 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
Quand nous sommes brusques et durs, ce n’est pas Jésus qui agit
en nous. Il nous reprend au contraire : « Vous ne savez pas de quel es-
prit vous êtes » 1. — « Qui Spiritu Dei aguntur hi sunt filii Dei » 2.
Ne nous impatienter jamais, jamais. Nous avons toujours tort de le
faire.
*
Pour faire du bien aux âmes, tenir son cœur spirituel intimement et
continuellement uni à Dieu. Plus on est instrument attaché, serré par
un mouvement volontaire à l’agent principal, plus on fait de bien, plus
on le fait bien et plus on en fait à soi-même. L’action est alors une con-
templation continue. On voit l’œuvre, on voit l’Ouvrier, on se voit
entre les deux, heureux du bien qui passe pour nous, heureux surtout
de se sentir entre les mains de Celui qui seul est bon et nous fait alors
communier à sa bonté.
Songer que l’on remplit un devoir, le premier de tous après celui
d’aimer Dieu, et le remplir par amour, puisque c’est l’amour qui donne
du prix à tout, au verre d’eau froide comme au sacrifice de la vie.
*
Ceux qui sont doués d’une certaine force de pensée ou d’imagina-
tion sont exposés à vouloir faire entrer de gré ou de force les hommes,
les idées, les choses dans les cadres rigides de leurs concepts ou de
leurs images. Ils doivent tout d’abord se demander si ces cadres sont
bien conformes à la réalité, puis surtout s’assurer que les hommes sont
bien préparés à les accepter.
*
Toute vérité n’est pas bonne à dire… sans préparation. Il y a tout un
art d’amener les âmes à la Vérité. C’est la charité qui enseigne à le pra-
tiquer : elle fait pénétrer les dispositions de celui à qui l’on parle et
porte l’intelligence à chercher par où la Vérité pourra se faire jour dans
son âme. L’amour apprend à sortir de soi ; il rend semblable à ceux
que l’on aime ; il permet ainsi à l’intelligence de les connaître comme
du dedans. Une fois à l’intérieur de la place, on voit mieux comment
s’y prendre pour y faire entrer la Vérité, et « c’est la Vérité qui dé-
livre » 3. Comme on a su gagner par sa bonté les sympathies de l’âme,
on la tourne peu à peu, doucement, vers la Vérité ; elle accoutume par
degrés ses pauvres yeux à cette bienfaisante lumière et finit par deve-
nir capable de la regarder en face et d’en soutenir tout l’éclat.
« Caritas patiens est » 1. — « Facientes veritatem in caritate » 2.
Le mieux en soi-n’est pas le mieux toujours pour telle ou telle âme.
Dieu veut des âmes qui prient et des âmes qui souffrent, des spécialis-
tes de la prière et de la souffrance, mais il veut aussi des spécialistes de
l’apostolat. Le tout pour un sujet est de savoir ce que Dieu veut de lui.
*
Il faut s’établir fortement dans la vie intérieure, en comprendre la
nécessité, le mécanisme, la richesse. Alors on pourra revenir à l’action
car on la voit avec d’autres yeux, on la veut pour des motifs plus purs,
on la réalise sans quitter l’intime union avec Dieu. C’est alors la vie
mixte, la vraie.
Ne pas arrêter son esprit sur le mal qui est dans le monde ; semer,
semer toujours ; prières, œuvres, sacrifices. Laisser tout autre soin
au bon Dieu. Si nous étions meilleurs, nous, le monde serait moins
mauvais.
La manière de répondre aux confidences suffit pour faire com-
prendre qu’on a l’expérience personnelle de la souffrance : en faire soi-
même diminue souvent aux yeux du prochain et ne lui fait pas de bien,
au contraire.
*
Ne pas parler de soi, ce n’est pas utile, au contraire ; viser toujours
à s’effacer. Les âmes qui souffrent ont besoin surtout qu’on leur parle
d’elles et plus encore, dans la mesure possible, du bon Dieu. Notre
apostolat sera d’autant plus fructueux que nous pratiquerons mieux le
recueillement et le détachement ; renoncement constant dans les pe-
tites choses : « Nisi granum frumenti » 3… Nous voulons toujours pas-
ser à côté des chemins tracés par le Maître.
Quand nous aimerons bien le bon Dieu, nous serons l’indulgence
même pour les autres, mais pas avant. Si Notre-Seigneur nous traitait
selon nôtre valeur, nous serions bien malheureux !
Répondre avec impersonnalité à la confiance des âmes ; leur parler
surtout d’elles et du bon Dieu.
1 I Cor., XIII, 4.
2 Faisant la vérité dans la charité (Ephes., IV, 15).
3 Joan., XII, 24.
240 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
Les âmes n’ont pas toutes la même vocation ; pour que deux sensi-
bilités soient parfaitement à l’unisson, il faudrait, outre une harmonie
naturelle très rare, une harmonie d’âme plus rare encore : Jésus et
Marie. Que cela nous explique les reproches injustes des gens du
monde (ils n’ont pas les mêmes biens en vue). Que cela nous explique
aussi comment la vraie charité, victorieuse de tout égoïsme, sait vrai-
ment et seule parler le langage du cœur.
Attendre, pour parler du bon Dieu d’une façon un peu profonde,
d’y être autorisé du dedans par une sorte d’indication de la grâce. Voir
aussi à qui l’on parle, il n’y a pas deux âmes identiques. Il faut être
apôtre quand le bon Dieu le veut et comme il le veut. L’être alors sim-
plement.
Semer dans les âmes de son mieux ; c’est tout ce que Jésus de-
mande. Il enverra la pluie et fera luire son soleil quand il le jugera bon.
Jésus n’a pas converti tous ses contemporains de Judée et de Samarie,
tant s’en faut ! Semer dans la paix et dans l’espérance. Pour la con-
quête des âmes, être un instrument souple, docile, désintéressé,
n’agissant jamais pour lui-même, ni par lui-même.
L’action vaut ce que vaut l’âme : « Qui manet in me et ego in eo, hic
fert fructum multum » 1.
1 Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruits (Joan., XV, 5).
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 241
*
Après aimer le bon Dieu, il n’y a rien de meilleur que de le faire ai-
mer. On peut le faire par la prière et la souffrance, mais aussi par
l’apostolat.
C’est possible, mais difficile, d’avoir de l’emprise sur les âmes. Pour
pouvoir faire du bien, il convient d’amener une âme comme par un
mouvement tournant, sans la buter, de l’endroit où elle est à celui où
elle doit aller. C’est difficile. Avant tout, enraciner en soi la vie inté-
rieure et ensuite on fait plus de bien par quelques mots que par de
longues lettres.
Peu à peu, la charité rend « intelligent ». Quand on comprend
mieux, on supporte beaucoup mieux aussi et ses défauts et ceux des
autres.
Se défier de la sévérité dans le jugement ; elle peut provenir d’une
vue inexacte de la réalité à laquelle il faut appliquer les principes.
Remarquer comme il y a peu de personnes qui entrent dans les
idées des autres : chacun suit les siennes propres.
*
Sauf les cas urgents, attendre pour faire une monition de n’éprou-
ver aucun contentement naturel à la faire.
Quand on a la responsabilité de quelqu’un, ne jamais lui montrer
qu’on le méprise, même après une faute.
Diriger la reconnaissance et l’admiration plus haut que la per-
sonne ; remonter à la Cause première.
Rechercher les conversations qui élèvent, tolérer celles qui sont
utiles vraiment, fuir habilement les autres.
Remarquer comme cela élève les âmes de leur témoigner estime et
confiance, et comme les critiques, non seulement font de la peine, mais
rétrécissent et découragent. Être bien convaincu qu’on a beaucoup à
apprendre des autres, et manifester volontiers cette disposition.
C’est un grand art de se rendre compte du retentissement de nos
paroles dans l’âme des autres.
*
Pourquoi l’insuccès ? Parce que le disciple n’est pas au-dessus du
Maître. Jésus n’a pas converti tous ses auditeurs. Il a connu la trahison
242 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
*
Quand j’aimerai vraiment le bon Dieu, que je serai un seul esprit
avec Lui, alors j’aimerai aussi le prochain. Je voudrai lui donner Dieu
(c’est la vraie charité, la seule vraie). Je me ferai tout à tous, pour les
gagner tous à Jésus. J’agirai avec ma sensibilité, mais je n’agirai plus
pour elle. Le bonheur de Dieu devenu le mien, et passant quelque fois
jusqu’à elle sera ma seule joie ; et encore je ne m’y attacherai pas. Je
trouverai la note juste dans mes manifestations d’amitié, ou mieux, Jé-
sus, dont je serai possédé, me la fera trouver tout naturellement. Toutes
mes difficultés viennent de ce que je n’aime pas assez le bon Dieu.
*
Les distractions inévitables dans l’oraison, à la suite des travaux
d’apostolat, ne nuisent pas à une âme vraiment détachée, dont la vo-
lonté est tout à Dieu. Une âme qui s’occupe des autres pour Dieu seul,
selon Dieu et suivant les indications qui précèdent, trouvera Dieu tout
de suite ou presque dans l’oraison, et l’union sera beaucoup plus pro-
fonde, solide et fructueuse, je ne dis pas agréable ! La vertu de charité
est une. Elle unit selon sa force et elle grandit par le véritable aposto-
lat. Ce qui dissipe dans les œuvres (entendons celles qui sont voulues
de Dieu et sagement organisées), c’est la manière dont on s’en occupe.
Si on les fait par goût naturel, désir humain de réussir, manque de
mortification dans le déploiement de son activité, etc., on s’éloigne de
Jésus, parce qu’on s’attache à quelque chose et à soi-même. Une âme
détachée à fond est une âme libre, elle trouve Dieu partout.
1 Ne fallait-il pas que le Christ souffrit toutes ces choses pour entrer dans sa gloire ? (Luc, XXIV, 26).
2 Joan., XII, 24.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 243
Rien ne distrait de Dieu une âme qui n’aime que Dieu et ne goûte
ou ne veut goûter d’autre joie que Dieu (détachement à rendre tou-
jours plus profond et plus universel). Sans doute, ses facultés, pour un
moment, s’occupent de choses qui ne sont pas Dieu, mais l’âme ne
quitte pas son centre, et au premier moment libre ramène à elle toutes
ses puissances (tout son monde) et par suite à son Dieu.
*
Oui, nous ne sommes que des instruments, mais Jésus a décidé de
se servir de nous comme s’il en avait besoin. Plus tard, Notre-Seigneur
fait comprendre comment tout le bien, qui est en nous, ou passe par
nous, vient de lui, et comment, en ce sens, c’est lui qui fait tout dans
les âmes.
*
Ne pas se détourner de l’action, quand elle est voulue par le bon
Dieu, à cause des distractions qu’elle apporte à l’oraison. Ce serait un
très mauvais calcul. Ne prendre de contentement qu’en lui seul et re-
noncer au contentement personnel de l’oraison comme à celui de l’ac-
tion. C’est ce que le bon Dieu attend d’une âme pour se donner à elle…
Un temps viendra où nous trouverons le bon Dieu partout, où rien
ne nous distraira de lui.
C’est le bon Dieu qui nous manque ! Quand il sera chez nous
comme chez lui, tout s’illuminera, nous verrons mieux nos défauts,
nous aurons plus de courage pour les corriger, nous le porterons dans
le monde comme dans un ostensoir. Tout en nous le révélera, le re-
gard, l’attitude, le ton, le geste. Nous devons le demander sans cesse, y
revenir à tout instant.
Prions-le instamment, il ne demande qu’à se donner à nous, mais il
faut que nous nous donnions à lui non pas d’un don verbal, mais réel.
Il faut nous oublier ; nous apprendrons à connaître sa volonté et à l’ai-
mer sous les apparences diverses quelque désagréables qu’elles soient.
*
Sauf indication précise et sûre de la grâce, s’occuper de Dieu tout
seul dans l’oraison. Il s’occupera de nos affaires dans l’action (Règle
d’or).
*
Prier Nôtre-Seigneur d’agir surtout dans l’intime de l’âme. C’est
son domaine ; là tout est spirituel. Avoir le zèle de cette maison de
244 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
Dieu. C’est sur les hauteurs de l’âme que le bon Dieu a établi sa vraie
demeure. Ces hauteurs doivent être silencieuses, solitaires même.
C’est là qu’il faut apprendre à se retirer, à se tenir et à revenir. On peut
dire en vérité de ce lieu béni : « Aer purior, coelum apertius, familia-
rior Deus » 1. La foi y contemple son Dieu sans le voir encore, elle y
communie à la connaissance qu’il a de lui-même. L’espérance, forte de
la force même de Dieu, travaille à conquérir son vrai et unique trésor.
La charité rapproche, soulève, porte la volonté et avec elle toute l’âme
vers ce Dieu, qui lui est si intime, et auquel elle s’unit autant qu’il lui
est possible. C’est le Thabor, c’est le Calvaire, c’est parfois simultané-
ment les deux. C’est toujours la vraie vie.
Maison à orner par toutes les bonnes petites vertus : humilité, mor-
tification, recueillement, renoncement. Prima sibi caritas 2, mais le
zèle vient à son tour. La maison de Dieu, c’est alors l’âme des autres.
Avec prudence et en suivant les indications de la grâce, faire naître le
zèle dans l’âme de nos frères, leur apprendre à connaître, à aimer leur
âme, cette demeure de Dieu en eux et à y vivre.
*
Le meilleur moyen de réparer, c’est de bien faire l’action actuelle
avec tous les sacrifices qui s’y rencontrent. C’est par là qu’il faut com-
mencer, continuer et finir ; mais le programme peut devenir plus com-
plet ; c’est le bon Dieu qui le trace.
*
Les grâces que Dieu fait à une âme ne lui appartiennent pas ; elle
ne doit pas les étouffer sous prétexte de discrétion, mais les utiliser
pour la plus grande gloire de Dieu et par conséquent les faire contrô-
ler. Saint Jean de la Croix permet de se rappeler les grâces de fond,
afin de s’en servir plus efficacement.
Grave écueil que les retours sur soi et l’appropriation des grâces.
Quand une fois on a exposé ses peines intérieures, il ne faut pas y
revenir sans cesse. S’occuper de soi dans la mesure nécessaire pour se
conduire et se faire conduire, pas davantage. Agir avec confiance et
simplicité, mais avec mortification. Il y a plus de recherche à se faire
consoler que d’orgueil à ne pas le faire. Voir au résultat, au profit
qu’on en retire.
Parler des grâces reçues avec le même désintéressement que la
Sainte Vierge, comme s’il s’agissait d’un autre. Parler comme on parle-
1 L’air est plus pur, le ciel plus ouvert, Dieu plus intime (S. Bernard).
2 Charité bien ordonnée commencé par soi-même.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 245
Oraison.
pendant ces petites pauses de l’âme. Se tenir aux pieds de Jésus, le re-
garder, lui parler, l’écouter, l’aimer. S’unir à lui au-dedans humble-
ment, sans s’occuper de savoir si l’on sent quelque chose.
*
Faire de petits retours distincts sous forme de communion spiri-
tuelle : se recueillir à fond, une ou deux minutes, se pacifier ; appeler
Jésus-Eucharistie avec humilité et amour, le recevoir des mains de
Marie. Quand on le possède, l’adorer, le prier d’infuser à notre âme ses
vertus, douceur, humilité, etc., surtout sa charité. Laisser quelques
instants à Jésus pour faire son œuvre ; silence, puis soulever douce-
ment notre âme vers sa Divinité, l’aimer, l’aimer encore avec son cœur
devenu nôtre. Rester ainsi le plus longtemps possible, allant et reve-
nant, dans la mesure nécessaire, de son Humanité, ici spécialement de
son Cœur, qui est la voie, à sa Divinité, qui est le terme. Il n’y a que ces
actes d’amour « Jésus-nous », qui plaisent à Dieu, et Dieu ne visite, au
sens profond du mot, que ceux qui sont Jésus pour lui. Il ne peut em-
brasser que son Fils bien-aimé.
Seulement on peut être Jésus sans en avoir conscience, sans savoir
qu’on l’est intérieurement. Mais qu’importe, pourvu qu’on le soit ?
Dans ceci, peu d’imagination.
*
C’est surtout après la communion qu’il faut faire des actes de foi,
d’espérance et de charité. Désirer ardemment cette vertu. La deman-
der sans cesse, lui faire produire des fruits. Quand elle sera devenue
reine de fait, elle tournera sans cesse notre âme vers le bon Dieu. Elle
excitera en nous la faim et la soif de ce Bien, si doux, si aimable, si pré-
cieux. Nous vivrons sans cesse au-dedans de nous-mêmes, devant lui,
à ses pieds. Un jour viendra, je l’espère vraiment, où je vivrai en lui
presque continuellement. Mais dès maintenant, faire comme si j’avais
un grand amour de Dieu. Que doit faire, que fait une âme qui aime
Dieu ? Elle se plaît dans sa divine société, elle ne se plaît que là. Elle
parle doucement à son Dieu, elle l’écoute, elle le regarde longuement,
elle l’aime ; elle se brûle devant lui et pour lui ; elle passe sa vie avec
lui au dedans sans que presque personne ne le sache ; elle est heureuse
de se tenir ainsi, cachée en Dieu. Son Dieu, c’est tout pour elle : c’est
l’atmosphère où elle vit, le soleil qui l’éclaire et la réchauffe, la réjouit
et la fortifie, elle se laisse pénétrer par ses divins rayons. L’infini bon-
heur de son Dieu la met hors d’elle-même, elle le goûte, elle ne peut
assez le goûter. Sa joie, c’est que son Bien-Aimé soit si heureux, lui, si
parfait, si beau. Elle lui dit sa joie par ses paroles, par son silence plus
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 247
*
La Sainte Messe est mystère de répartition, comme la Croix a été
mystère d’acquisition. Il est très vrai qu’avant tout, le saint Sacrifice
est acte de religion, et l’acte de religion par excellence ; louange et ac-
tion de grâces, il exalte le souverain domaine de Dieu et remercie de
toutes grâces. Mais aussi la Sainte Messe met à notre portée tous les
mérites, toutes les satisfactions, les expiations de Jésus. Il nous appar-
tient d’y puiser à pleines mains, pour distribuer ensuite au monde tous
les trésors de la Croix. À ce moment-là notre charité doit se faire uni-
verselle et nous pouvons dire à Jésus : « Souvenez-vous que vous avez
versé votre sang pour tous, quels que soient leur état d’abaissement et
leur misère ; il n’y a pas de crimes qui ne puissent être pardonnés ;
votre Rédemption, ô mon Dieu, les dépasse tous et sans limites. Allez
donc, ô mon Jésus, toucher ce pécheur au bord de la tombe, rappelez-
vous qu’il a une âme immortelle faite pour contempler Dieu face à face
et que, par votre grâce, il se souvienne qu’il a le ciel à gagner ; fermez
l’enfer prêt à s’ouvrir pour lui. — Allez trouver, ô mon Jésus, cette âme
qui n’est pas en état de péché grave, mais qui se traîne dans la vie spi-
rituelle. Faites-lui comprendre que ce bonheur qu’elle cherche partout
autour d’elle, elle ne le trouvera qu’en vous. Faites-lui comprendre que
la vraie liberté consiste à se faire votre esclave, parce que quand on
vous sert, on domine tout, comme vous le faites vous-même. Délivrez-
la de l’obscurité de son esprit, des liens de sa volonté ; éclairez-la sur le
danger de son état, donnez-lui le courage de faire ces tout premiers
pas vers le mieux, si difficiles et si nécessaires. — Et puis encore, ô Jé-
sus, que vos grâces de lumière, d’amour et de force aillent vers ces
âmes qui vous aiment déjà beaucoup et pourraient vous aimer sans
mesure si elles voulaient consentir à tout quitter. Il s’en faut peut-être
d’un rien pour que ce soient des âmes tout à vous, toutes consacrées à
votre amour, transformées en vous en plénitude de sorte qu’elles puis-
sent dire comme saint Paul : « Vivo, jam non ego… Ce n’est plus moi
qui vis, cest Jésus qui vit en moi » 1. Brisez leurs derniers liens, faites-
les monter dans vos bras et sur votre Cœur. Amen ».
*
En se préparant à la confession, songer que c’est le sang de Jésus
qui va purifier, enrichir et embraser notre âme. Prier beaucoup avant
pour connaître nos fautes, les détester, les accuser, les expier comme
Jésus le veut. Plus l’accusation sera simple, mieux cela vaudra. Consi-
dérer le sacrement plus comme une communion au sang divin que
pour effacer les péchés.
*
S’attacher au Rosaire. Méditer les mystères en appliquant à la vie
intérieure. Après les joies, les grandes douleurs, puis l’âme qui se
transforme peu à peu en Dieu, monte vers lui, reçoit les motions de la
divine charité et, morte à tout ce qui n’est pas lui, commence dès ici-
bas la vie des élus.
Aimons à dire l’Ave Maria avec les Saints qui ont eu une si grande
dévotion à la Sainte Vierge. Pourquoi ne pas leur demander de nous
aider ? Disons-leur : « Faites donc passer dans mon âme quelques-uns
des sentiments que vous aviez alors. Adressons-nous à saint Bernard,
au Bx Grignion de Montfort… Demandons à notre Ange gardien ou à
l’Archange Gabriel de le dire avec nous ; avec quel respect ne la sa-
luait-il pas au jour de l’Annonciation, avec quelle affection, quelle ad-
miration, quelle confiance que le monde serait sauvé grâce à elle ! Di-
sons-le avec saint Joseph. Imaginons un peu ce qu’il y avait de délica-
tesse, d’affectueux respect et aussi de félicité en ce grand et bon saint
Joseph quand il prononçait ce nom béni.
Disons-en le début avec Jésus, mais il faudrait une autre langue,
nous bégayons… C’est tout un monde que cette intimité de Marie et de
Jésus !…
*
Il y a la liturgie du dedans, celle qui donne du prix à la liturgie du
dehors ; adorer le bon Dieu en esprit et en vérité, par amour : en es-
prit, dans le sanctuaire intérieur ; en vérité, toutes les facultés à ge-
noux, soumises à Dieu et souples à tous, ses vouloirs ; par amour,
l’amour est dans la volonté.
*
Renoncer aux goûts sensibles dans la récitation du bréviaire et à la
joie intellectuelle de tout comprendre. S’appliquer à prononcer maté-
riellement le mot : « Mon Dieu, je vous dis ce mot, parce que je vous
aime. Je vous le dis en lui donnant, autant qu’il m’est possible, la plé-
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 249
*
Étudier saint Thomas…, le traité de la sainte Trinité. N’est-ce pas
rendre gloire à Dieu que de lui consacrer notre intelligence en cher-
chant humblement à pénétrer le mystère de sa vie intime ? Nous sa-
vons bien qu’il n’y a aucune proportion entre ce que nous comprenons
par nos efforts et la réalité. Le bon Dieu peut donner directement bien
d’autres lumières, s’il le juge bon.
*
Viser toujours à méditer plus qu’à lire ; si dès le début de la lecture,
le bon Dieu occupe l’âme, il faut cesser de lire et obéir à la grâce sans
hésitation et sans aucun regret.
Lire peu, mais lire profond. Ce qui donne de la profondeur à l’es-
prit, c’est l’union à Dieu. On voit les choses des hauteurs de Dieu. On
les juge, on les aime comme lui. Le regard de l’homme devient, dans le
sens où cela est possible, regard de Dieu. Dieu seul connaît à fond ces
choses, et ceux qu’il prend avec lui et auxquels il donne ses yeux les
connaissent aussi en lui et par lui.
Tenir à la formation du jugement en examinant à fond et en faisant
le tour des questions qui touchent « l’unique nécessaire ». Pas d’admi-
ration pour l’intelligence en elle-même. Se méfier des sympathies in-
tellectuelles spontanées. L’intelligence n’augmente pas le mérite. Si
elle est mise au service de la mauvaise volonté, elle fait d’autant plus
de mal. N’estimer que d’après la vertu.
*
Pour lire sans danger et avec profit saint Jean de la Croix (comme
beaucoup d’autres auteurs de premier ordre), il faut une préparation
d’esprit et de cœur. Au directeur de juger si elle est suffisante. Sans
elle, on s’exposerait à ne pas comprendre ou à comprendre mal. La
langue des mystiques est matériellement sensible (et il le faut bien,
puisqu’elle est humaine), formellement spirituelle. Elle demande donc
250 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
*
Il faut toujours agir quand on n’est pas agi. Ne jamais chercher à
suspendre de soi-même l’entendement, chose impossible ou nuisible,
mais simplifier son travail : quelques vues peuvent suffire ; il faut utili-
ser ses propres difficultés. Nous n’avons pas sur l’imagination un pou-
voir absolu ; la calmer, la nourrir de la vie et de la Passion de Noire-
Seigneur ; ne pas prendre de décision quand elle veut dominer malgré
la foi et la raison. Quand c’est la sensibilité qui est en jeu, fixer le re-
gard sur Dieu seul : « Vous êtes là, ô mon Dieu, je le sais… je vous re-
garde sans vous voir ; je vous aime, je vous loue ; je vous prends res-
pectueusement et affectueusement comme la nourriture de mon âme.
Autant qu’il est en moi, je m’unis à vous, je me presse spirituellement
contre vous. Quand serai-je en vous ? »
Garder cette attitude, héroïquement, si c’est nécessaire. La re-
prendre sans cesse pendant toute l’oraison. Louer, bénir, adorer, ai-
mer simplement ainsi, Dieu sera content ; il saura bien le témoigner.
*
Être très fidèle quand Jésus se cache, ce sont les heures les plus
précieuses.
Quand on éprouve comme une sorte d’impuissance à trouver une
idée, rester ainsi sous le regard de Dieu, à ses pieds et lui dire douce-
ment : « J’attends ; je vous attends… je reste là quand même, au moins
pour vous consacrer mon temps ». Redire simplement, doucement,
assez souvent ces simples mots : « Pour vous, pour vous. Je me con-
sume là, pour vous, pour vous ». Ces humiliations de l’oraison sont
très précieuses ; elles font comprendre le prix de la grâce, le néant de
notre être et de notre action. Rien n’est meilleur.
Croire fermement à l’action de Jésus dans l’âme, action souvent ca-
chée à l’âme elle-même ; qu’importe pourvu que l’œuvre de Dieu se
fasse.
Quand on est las, ne pas craindre de se reposer près du bon Dieu,
avec respect et beaucoup de simplicité. On n’a pas le droit de faire tra-
vailler la tête quand elle n’est pas en état. Le bon Dieu veut alors le re-
pos, mais près de lui, sinon en lui. Il peut tant donner à ces moments
où nous donnons si peu… Qui sait si ce ne sont pas ses moments à lui ?
Comme recherche du sensible proprement dit, tout désapprouver.
Mais distinguer sensible et conscient. Le spirituel peut être conscient
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 253
*
Dieu seul fait l’union immédiate ; il suffit alors de suivre son mou-
vement, mais sans tenter cette union impossible si Dieu n’y porte. On
peut la demander doucement, tout bas au bon Dieu, s’y préparer
même, en excluant de l’âme tout ce qui n’est pas Dieu et en s’appli-
quant à lui d’une façon très réelle, bien que cette application ne soit
pas proprement l’union. Puis, attendre ce que Dieu voudra bien don-
ner. Même infructueuse en ce dernier sens, cette attitude est la meil-
leure qui soit.
Quand ce que l’on éprouve se passe dans les facultés supérieures de
l’âme et au plus intime de l’âme, c’est bien alors Dieu qui agit. Tout le
devoir est d’accepter, de s’unir et d’aimer, car c’est aimer cela, vrai-
ment.
Viser toujours à l’union intime avec le bon Dieu, il est notre Tout…
La demander humblement. S’y préparer dans la patience et la con-
fiance. L’essentiel ici, c’est d’être en chemin toujours, en tant que cela
dépend de soi et cela en dépend. Le reste, il faut le laisser à la sagesse
et à la bonté de Celui qui est si sage et si bon. Le Seigneur nous aime.
Travailler toujours, mais paisiblement à se recueillir pour mieux s’ap-
1 Ps. L, 12.
2 Ephes., I, 18.
3 Matth., V, 8.
254 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
*
L’action de Dieu dans la contemplation, se produisant dans le fond
même de l’âme, bien que toujours par l’intermédiaire des puissances,
dans cette partie supérieure où les images et les idées (que nous déga-
geons des images par l’abstraction) n’ont plus cours, il n’est pas éton-
nant que l’âme, considérée en tant qu’elle agit à sa manière ordinaire,
« ignore » ce qui se passe en elle, que tout se produise en ce sens « à
son insu », surtout au début. Et pourtant, elle connaît et elle aime,
mais d’une façon qui ne s’analyse pas. La connaissance est ordinaire-
ment confuse, générale. Elle peut aussi, dans certains cas, être précise,
mais pour plusieurs auteurs cette connaissance par mode angélique
n’est pas requise pour la contemplation.
Tenir son âme aux écoutes, au dedans, sur les confins du royaume
de Dieu. Revenir là sans cesse, comme les vierges sages. Il n’y a pas, je
crois, d’attitude spirituelle plus favorable à la fois à la contemplation,
quand Dieu voudra bien la donner, et à l’action vraie, quand le bon
Maître invite à s’y appliquer.
Ne pas oublier que plus l’âme se simplifie, pour se concentrer dans
un regard affectueux et relativement continu sur l’Hôte intérieur, plus
aussi elle s’oublie elle-même, et plus son activité très réelle lui
échappe. Par rapport à ce qu’elle faisait autrefois, à ce qu’elle sentait, il
lui semble qu’elle ne fait rien et ne sent plus rien. Ce n’est pas exact, au
moins pour le premier point.
*
Se remettre entre les mains de la sainte Vierge, dans ses bras, pour
qu’elle nous unisse à son Jésus. Elle connaît les degrés les plus élevés
de l’union divine pour les avoir expérimentés. Elle désire ardemment y
faire participer les âmes parce qu’il y va de la gloire de son Jésus. Elle
connaît son divin Fils, elle nous connaît aussi, mieux que personne
après lui. Elle sait donc les conditions qui nous seront imposées.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 255
*
Après le Cœur de Dieu et le Cœur de Jésus Eucharistie, la troisième
source de la charité, c’est le Cœur de Marie : enfant privilégiée de ce
Père qui est tout charité, Mère de ce Jésus qui est venu apporter le feu
sur la terre, Épouse de l’Esprit d’amour. Il s’est développé, enrichi ; au
Temple : amour silencieux ; à Nazareth : amour laborieux ; au Cal-
vaire : amour douloureux ; près de saint Jean : amour délicieux, qui
faisait vivre Marie et qui l’a fait mourir. Quel trésor ! Et ce trésor est à
nous, il est pour nous. Elle veut nous y faire puiser à pleines mains
pour glorifier la Trinité sainte, son Jésus, et nous rendre heureux en
nous rendant de plus en plus ses enfants semblables à elle.
Nous tenir unis à Marie et considérer son amour comme l’incom-
parable supplément du nôtre.
Mater pulchrae dilectionis, ora pro nobis.
*
Ce qui me plaît le plus en Marie-Madeleine, c’est sa fidélité. Je suis
saisi de la miséricorde de Notre-Seigneur pour elle chez Simon ; le bon
256 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
*
Quand nous aimerons davantage, nous songerons moins à nous.
Nous comprendrons que c’est par le chemin du Calvaire qu’il faut pas-
ser pour aller à la joie très légitime de la possession de Dieu (disciples
d’Emmaüs). Se proposer la Croix comme moyen, la gloire de Dieu
comme but premier, notre bonheur comme fin secondaire. On est ain-
si dans l’ordre. On ne recule pas devant la souffrance. Quand Dieu
donne une goutte de joie, on est tout surpris et tout reconnaissant.
Renoncer une bonne fois à tout ce qui ne nous conduit pas au bon
Dieu. À quoi auraient servi aux enfants caressés par Notre-Seigneur
ces marques extérieures de tendresse, s’il ne leur avait donné sa grâce
au-dedans ? Les créatures, comme telles, ne peuvent pas nous donner
ce dont nous avons uniquement besoin, l’amour du bon Dieu. Comme
il est bon de comprendre la vérité de cette maxime : « Dieu seul ». Dire
qu’il peut être tout à nous, toujours et de plus en plus !
*
Pardonnez-nous, mon Dieu, de vous préférer tant de fois des riens,
moins que des riens, et de vous laisser là, de côté, vous, notre trésor,
notre Tout. Comme il faut que vous soyez bon, patient, miséricor-
dieux ! Vous nous regardez et vous dites : « Ils ne savent ce qu’ils
font » 2. « Si scires donum Dei » 3. Mon Dieu, je vous aime.
Ce qui nous manque toujours et qui explique pourquoi nous
sommes si peu généreux dans la mortification, et si facilement dis-
traits de notre Dieu pour des riens, c’est l’amour. Nous n’aimons pas.
Que faire ?
*
Offrir tout l’amour des âmes qui aiment le plus ou qui ont ici-bas le
plus aimé Notre-Seigneur avant de lui être unies pour toujours dans le
ciel. Convenir que nous renouvelons cette offrande à chaque batte-
ment de cœur.
Toute notre vie devrait être un merci souriant au bon Dieu. Si nous
savions notre bonheur d’être à lui, de pouvoir l’aimer à plein cœur…
Quand on ouvre toutes les portes, il entre.
Si l’on pouvait aimer Notre-Seigneur autant qu’il est aimable, ou du
moins d’un amour qui s’approchât de sa grandeur ! Pourquoi pas ?
Oui, tout donner à Jésus dans la simplicité de son cœur, c’est bien cela
puisque c’est la charité. Donner son esprit pour contempler et admi-
rer, sa volonté pour obéir, son cœur pour aimer, son corps pour tra-
vailler, pour servir, pour souffrir, Donner tout, et l’âme et les facultés
et les actes : la terre, l’arbre et les fruits. Donner tous les jours, donner
toujours, donner toujours mieux, avec plus de plénitude, plus de
promptitude, plus d’élan, plus d’amour ; donner sans rien attendre en
retour de déterminé, de choisi pour soi, mais donner pour la seule joie
de lui donner, de lui faire plaisir, avec la seule espérance et le seul dé-
sir de pouvoir lui donner plus encore. Voilà qui est bien ; à qui se
donne ainsi, Dieu se donnera tôt ou tard en plénitude et sans retour.
1 Matth., VII, 7.
2 Je suis venu apporter le feu sur la terre et que désiré-je sinon qu’il s’allume (Luc, XIV, 49).
258 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
*
Penser que l’amour de Dieu que nous avons reçu au baptême est
surnaturel, c’est-à-dire au-dessus de toutes les exigences de la nature
créée et même de toute nature créable. Donc, ne pas s’étonner si par-
fois nous ne le sentons pas en nous ; il est très supérieur à notre sensi-
bilité. Offrir à Jésus l’amour des âmes qui lui sont chères. Lui dire : Je
ne puis vous aimer comme je le voudrais : daignez m’attirer. Tant que
nous ne sommes pas complètement à Dieu, nous l’oublions si vite !
C’est pourquoi la tentation vient nous rappeler combien nous avons
besoin de lui. En soi, cela ne devrait pas être. Ayons recours à lui pour
qu’il nous aide, mais disons-lui : Je voudrais ne venir à vous que pour
vous. Quand n’irai-je à vous que pour vous ?
*
En cherchant à acquérir la charité, nous faisons tout ce que le bon
Dieu veut de nous. À lui de faire ce qu’il jugera bon pour sa gloire. Que
tous les efforts tendent donc à développer en l’âme le saint amour de
Jésus. Ne pas oublier que : « Probatio amoris est exhibitio operis » 3.
Considérer toute observance religieuse, tout acte d’obéissance comme
un moyen de frayer la voie à la charité en détruisant l’égoïsme.
Dieu est toujours là ; il est notre Bien. Il nous aime. Nous pouvons
communier à lui quand nous voulons. Il est tout, absolument tout
pour nous. Ne rien chercher en dehors de lui : « Fecisti nos ad te ».
Quand nous aimerons-vous de bon cœur, à plein cœur et vous seul ?
Vivre seul avec Dieu seul, tout est là. Dieu est en nous ; il y est pour
nous ; il vent être à nous pour que nous soyons à lui. Désirons paisi-
blement, mais ardemment cette rencontre et cette transformation. Ne
nous lassons jamais, jamais. Toutes nos difficultés viennent de ce que
nous n’aimons pas assez le bon Dieu.
Aimons vraiment, simplement, de plus en plus le bon Dieu. Lais-
sons-nous transformer par Notre-Seigneur. Il le fera. Prions dans ce
sens, beaucoup, mais paisiblement. Que notre effort constant soit de
nous tenir tournés intérieurement vers lui. Unissons-nous humble-
1 Dieu de mon cœur et mon partage pour l’éternité (Ps. LXXII, 26).
2 Si vous ne devenez comme de petits enfants (Matth., XVIII, 3).
3 L’amour se prouve par les œuvres (S. Grégoire).
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 259
ment ou mieux offrons-nous pour être unis s’il lui plaît de le faire.
Demandons la docilité intérieure, prompte et joyeuse à l’Esprit-Saint,
nous l’obtiendrons.
Il fera alors ce qui lui plaira. Ne pas s’inquiéter du tout de l’avenir,
faire réellement confiance au bon Dieu qui voit les vraies dispositions.
Ne parler, n’agir jamais sans Dieu en dedans. Demander sans cesse
l’amour de Dieu. Quand notre volonté aura compris que Dieu seul est
son bien, quand elle ne s’aimera plus elle-même, mais qu’elle épuisera
toute sa puissance d’aimer en aimant Dieu, les biens particuliers ne
l’attireront plus et elle saura trouver son bien à elle partout.
*
Aller toujours à la très sainte Trinité par Jésus, et à Jésus par Ma-
rie. C’est elle qui nous unit à son Fils. Lui, à son tour, nous assimile en
quelque sorte, et c’est alors que nous pouvons regarder le bon Dieu et
l’aimer. Il n’y a que le regard de Jésus et son amour qui puissent plaire
à Dieu.
*
Me recueillir le plus possible : le bon Dieu me donnera peut-être un
tel désir de lui que j’aurai le courage de me détacher intérieurement de
tout afin d’être plus tôt et plus complètement à lui.
Il faut toujours aviver son désir d’aimer le bon Dieu. Ce désir n’est
pas tout, mais il est le commencement de tout. Puis, n’est-ce pas un
acte d’amour très réel ? À mesure que l’on se rapproche du bon Dieu,
est-ce que ce désir ne devient pas à la fois plus satisfait et plus ardent ?
Est-ce que la perfection ne serait pas que notre âme ne soit plus qu’un
désir vivant, ardent et calme de notre Bien-Aimé ? Sans doute, au fond
de ce désir, il y a une douleur, puisque son existence même prouve que
nous ne possédons pas encore pleinement notre trésor, mais que cette
douleur est bonne et comme on voudrait toujours l’éprouver et la sen-
tir plus vive : « Fame pereo ; surgam et ibo ad Patrem » 1. Cela n’est-il
pas vrai de toute âme qui a été blessée par le saint amour ? Nous ne
saurions trop nous oublier pour ne penser qu’à Jésus. Comme il
s’occupera de nous, lui, et comme il le fera bien et à propos !
*
Amour simple, confiant, généreux et souriant du bon Dieu. Ce n’est
pas affaire d’imagination, de sensibilité, c’est affaire de bonne volonté
et de grâce.
C’est Dieu qui donne son amour. C’est lui qui le fait croître en nous.
À lui seul appartient de modifier le fond même de notre volonté et de
la rendre semblable à la sienne par une participation à l’Esprit-Saint.
« Demandez et vous recevrez » 1. « L’amour contient toutes les voca-
tions » 2. Quand nous le posséderons, tout changera d’aspect pour
nous. Ne pas séparer la souffrance de la charité.
*
« Nul, s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit-Saint ne peut entrer dans
le royaume de Dieu » 3. Littéralement, ce texte s’applique au baptême
et à la vie de la grâce, la charité. Il peut s’adapter à la vie intérieure qui
est une vraie vie, vie nouvelle comme la grâce. Il faut renaître dans les
larmes, larmes de la pénitence, des tribulations, des épreuves de
toutes sortes. C’est, inévitable, absolument nécessaire.
Ne pas chercher un amour senti ; se contenter d’un amour contrôlé.
Le contrôle, c’est l’acceptation de tout pour Dieu, pour lui plaire et à
lui seul. « Probaiio amoris est exhibitio operis » 4. « Non diligamus
verbo et lingua, sed opere et veritate » 5. Quand on constate, sinon
des résultats, du moins un effort réel dans ce sens, il faut se tenir en
paix.
L’âme peut être tout à Dieu et la sensibilité ne pas le savoir.
*
Comment ne pas se plaindre, quand on aime le bon Dieu, qu’on le
désire et qu’on ne le possède pas ! Pourvu qu’elle soit douce, abandon-
née, respectueuse, cette plainte du cœur est la meilleure preuve de son
amour. Elle est très agréable au bon Dieu.
Quand on aime, on croit tout ce qu’il dit, à fond ; on espère tout ce
qu’il promet, c’est-à-dire lui-même et la force intime nécessaire pour
monter vers lui en se détachant de tout et de soi. On souffre et on est
heureux. On souffre, parce qu’on ne l’aime pas de tout son être, parce
qu’on ne le possède pas ; mais on est heureux, oui, heureux à pleurer,
parce que cette souffrance vient de lui et mène à lui. On sait bien qu’il
n’y a que lui qui puisse guérir la blessure qu’il a faite et qui fait si déli-
cieusement souffrir. On lui dit « merci » mille fois le jour.
Quand on aime le bon Dieu, on sent grandir son cœur ; on se
trouve une profondeur, une délicatesse et une pureté d’affection qu’on
1 Matth., VII, 7.
2 Ste. Thérèse de l’Enfant Jésus.
3 Joan., III, 5.
4 L’amour se prouve par les œuvres (S. Grégoire).
5 N’aimons pas de parole el de langue, mais en action et en vérité (I Joan., III, 18).
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON 261
ne se connaissait pas. C’est lui qui fait passer son amour pour les
autres dans notre cœur à nous. Comme c’est bon d’aimer les autres
avec un amour qui est de lui et non de soi ! On le sait, on le voit, on le
sent, et on bénit celui qui peut faire aimer ainsi le cœur de sa pauvre
créature.
Avoir horreur de l’amour mercenaire ; laisser les mains libres à la
générosité de l’Époux. Demander sans cesse la faim et la soif de Dieu
seul. Renoncer à toute joie qui n’est pas lui, et lui répéter souvent avec
une humble présomption : « Je ne veux que vous, Seigneur, mais je
vous veux tout entier et toujours ». Tous les sacrifices ne sont rien
quand on les compare à un seul instant de véritable amour. Je vou-
drais alors jeter les âmes dans le bon Dieu comme dans un océan de
bonheur. Dieu est bon au-delà de tout. L’appeler « Père ».
*
Vie toute nouvelle, vie toute d’amour de Dieu. Il s’agit de la charité,
qui est infusée par Dieu lui-même dans la volonté, et qui passe à l’acte
sous l’influence de grâces actuelles qu’il faut toujours demander. « La
charité a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a
été donné » 1. Elle nous fait communier d’une façon créée à l’amour
que le bon Dieu se porte à lui-même. Dieu seul est beau. L’amour, c’est
le mouvement du cœur spirituel vers cette infinie Beauté. Plus ce
mouvement est profond, puissant, constant, plus l’âme se rapproche
de son Tout, plus elle s’unit à lui et plus elle trouve dans cette union le
« centuple de ce qu’elle a quitté ». Aimer, demander la charité, l’es-
pérer, la pratiquer.
Présenter souvent son âme au bon Dieu. Le prier doucement de la
pénétrer jusqu’au fond de son amour. Peu à peu l’œuvre divine se fe-
ra ; le saint amour purifiera, rectifiera, fortifiera tout. Il deviendra lu-
mière et force, paix et joie. Chercher Dieu dans le calme. Il est au fond
de notre cœur ; se cacher là, le plus souvent, le plus profondément pos-
sible. Sans bruit de parole, sans éveiller même la zone sensible de l’âme,
il instruit, il transforme. Lui offrir une âme humble, docile, généreuse,
attentive. Il comblera mes désirs. Je puis communier tout le jour…
*
Il faut aimer pour comprendre les Stigmates, pour les goûter sur-
tout.
1 Rom., V, 5.
262 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
Une seule chose suffit pour tout : aimer Dieu de tout son cœur ; se
renoncer à chaque instant en faisant sa sainte volonté ; être occupé de
lui ou pour lui ; rejeter toute joie qui n’est pas Dieu ; se tenir en adora-
tion au dedans devant lui ; au dehors être occupé pour lui seul en se te-
nant uni à lui par le fond de l’âme. La vie intérieure est simple, très
simple.
*
Signes de charité : Se plaire avec Dieu, au fond, ne se plaire que là.
Y revenir dès qu’on le peut et autant que possible y rester toujours,
même est agissant. Chercher à connaître la volonté de Di au, la faire
dès qu’on la connaît et de bon cœur.
Dire mille fois par jour à Jésus qu’on l’aime. Lui prouver son amour
en ne cherchant qu’à lui faire plaisir. L’amour effectif est le seul qui
soit toujours conscient ; l’amour affectif peut ne pas l’être, mais Dieu
le veut aussi. Le cultiver surtout dans l’oraison. On ne peut jamais dire
au bon Dieu qu’on l’aime de tout son cœur tant qu’on ne se possède
pas entièrement, tant qu’on constate encore des attaches, des défail-
lances de volonté, mais lui montrer au moins son désir profond, in-
tense de l’aimer, incomparablement plus que tout autre bien, et de
n’aimer rien qu’en lui et pour lui.
*
Puisqu’il n’y a qu’un moyen de mourir d’amour de Dieu, c’est d’en
vivre. Prier Jésus notre divin Sauveur de répandre dès maintenant ce
saint amour dans nos âmes. Qu’il détruise, qu’il brûle, ce feu divin,
tout ce qui pourrait lui être contraire ; qu’il consume tout, qu’il nous
consume nous-même. Y a-t-il une plus grande grâce que de se brûler
ainsi, par moments à grandes flammes, le plus souvent à petit feu, à la
gloire de Celui qui est la Bonté et l’Amour ? Non, il n’y en a pas. Qu’il
daigne nous l’accorder. Amen.
Peu penser à ce que l’on souffre, mais penser au Dieu caché que
l’on aime.
Ne restons pas chez nous, allons chez notre Père ; là seulement
nous serons bien et même de mieux en mieux. Cachons-nous en lui, il
se cachera en nous ; mais il ne se cachera plus de nous, au contraire :
« Manifestabo ei meipsum » 1.
*
La pensée du ciel m’occupe beaucoup ces jours-ci. Je voudrais le
mieux connaître et y vivre déjà comme par avance. N’est-ce pas ce que
le bon Dieu attend de nous ? Je lui demande de m’éclairer sur cette vie
éternelle qui consiste à le voir, à le posséder, à l’aimer, lui, dans l’unité
de sa nature et la Trinité de ses adorables Personnes, et son Fils bien-
aimé Jésus. Je lis ce que je puis trouver sur ce beau sujet, mais je ne
cache pas que cela ne me suffît pas. Heureux ceux qui lisent ces choses
dans ce livre vivant qui est le bon Dieu lui-même. Il doit cependant
trouver bon que l’on cherche à connaître ce beau ciel, à travers ce que
Jésus et les Saints ont bien voulu nous en dire. — Oui, mon Dieu,
comment vous aimer si peu que ce soit, sans désirer vous voir, vous
posséder, vous louer, vous aimer à jamais ! — Daigne Jésus nous don-
ner mille fois plus vif encore cet amour et ce désir. Amen.
Chemin de Croix
I
Jésus est condamné à mort
II
Jésus est chargé de sa Croix
III
Jésus tombe pour la première fois
IV
Jésus rencontre sa Très Sainte Mère
V
Simon le Cyrénéen aide Jésus à porter sa Croix
Il est impossible que je porte la Croix tout seul, mais il la portera pour
moi. S’il vient un sacrifice, penser que j’ai demandé la souffrance. Je
peux faire cette demande sans présomption en ne comptant que sur lui.
VI
Une femme pieuse essuie la face de Jésus
Pour réparer, il semble que le mieux soit d’aimer ; de faire qu’il n’y
ait pas une fibre de notre cœur qui ne soit à Jésus. S’en assurer en
harmonisant sa volonté à celle du divin Maître jusque dans les plus pe-
tits détails.
VII
Jésus tombe pour la deuxième fois
Une, âme orgueilleuse est laide à repousser aux yeux de Dieu. Jésus
a été humilié au-delà de toute mesure. Jésus est doux et humble de
cœur : c’est lui la source de toute humilité. Il faut boire à longs traits, à
deux genoux à cette source bénie. Sans humilité, il n’y a pas d’amour
possible.
Persévérance, persévérance… Ce mot, il faudrait le dire mille fois.
Ne se lasser jamais de Dieu et de son intimité avec toutes ses néces-
saires exigences.
VIII
Jésus console les filles de Jérusalem qui le suivent
IX
Jésus tombe pour la troisième fois
X
Jésus est dépouillé de ses vêtements
XI
Jésus est attaché à la Croix
XII
Jésus meurt sur la Croix
Jésus est toujours crucifie : vie de croix, pour ceux que Jésus ap-
pelle, mais aussi de joies profondes… La volonté de Dieu, ce sera la
268 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
XIII
Jésus est déposé de la Croix et remis à sa Mère
XIV
Jésus est mis dans le sépulcre
Préface ................................................................................................................ 3
Prologue ............................................................................................................ 11
Chapitre I .......................................................................................................... 13
Chapitre II ........................................................................................................ 61
IN LECTULO MEO, PER NOCTES, QUAESIVI QUEM DILIGIT ANIMA MEA : QUAESIVI IL-
LUM ET NON INVENI (III, 1) ........................................................................................... 97
Vouloir profond, unique, impérieux, douloureux de l’âme à la recherche
vraie de son Dieu, 97.
SURGAM ET CIRCUIBO CIVITATEM ; PER VICOS ET PLATEAS QUAERAM QUEM DILIGIT
ANIMA MEA (III, 2) ........................................................................................................ 98
Ne pouvoir souffrir l’absence de Dieu et tout entreprendre pour le
retrouver, 98.
QUAESIVI ILLUM ET NON INVENI (III, 3) ........................................................................ 99
Dieu se donne quand il lui plaît ; et il ne doit rien même à l’âme la plus
fidèle, 99.
INVENERUNT ME VIGILES QUI CUSTODIUNT CIVITATEM. NUM QUEM DILIGIT ANIMA
MEA VIDISTIS ? (III, 3) ................................................................................................ 100
Nul ne peut donner Dieu à l’âme que Dieu même, 100.
PAULULUM CUM PEUTRANSISSEM EOS, INVENI QUEM DILIGIT ANIMA MEA (III, 4) ........ 100
Dépasser les créatures pour trouver Dieu, 100.
TENUI EUM, NEC DIMITTAM, DONEC INTRODUCAM ILLUM IN DOMUM MATRIS MEAE,
ET IN CUBICULUM GENITRICIS MEAE (III, 4).................................................................. 101
L’âme s’empare du Bien-Aimé de toutes les forces de son amour, 101.
ADIURO VOS, FILIAE JERUSALEM, PER CAPREAS CERVOSQUE CAMPORUM, NE SUSCITE-
TIS, NEQUE EVIGILARE FACIATIS DILECTAM DONEC IPSA VELIT (III, 5) .......................... 103
Ne pas troubler l’amour solitaire de l’âme intérieure ; en elle et par elle,
le monde est comme rapproché de Dieu, 103.
TABLE DES MATIÈRES 273
QUAE EST ISTA QUAE ASCENDIT PER DESERTUM SICUT VIRGULA FUMI EX AROMATIBUS
MYRRHAE, ET THURIS, ET UNIVERSI PULVERIS FIGMENTARII ? (III, 6) .......................... 104
Séparation du monde, de soi-même, de son âme, 104. — L’âme inté-
rieure embaume et la terre et le ciel, 105.
EN LECTULUM SALOMONIS : SEXAGINTA FORTES AMBIUNT EX FORTISSIMIS ISRAËL,
OMNES TENENTES GLADIOS ET AD BELLA DOCTISSIMI ; UNIUSCUJUSQUE ENSIS SUPER
FEMUR SUUM, PROPTER TIMORES NOCTURNOS (III, 7-8) .............................................. 105
Avances divines à l’âme intérieure que rien n’arrêtera ni ne troublera
désormais, 105.
FERCULUM FECIT SIBI REX SALOMON DE LIGNIS LIBANI. COLUMNAS EJUS FECIT
ARGENTEAS, RECLINATORIUM AUREUM, ASCENSUM PURPUREUM ; MEDIA CARITATE
CONSTRAVIT, PROPTER FILIAS JERUSALEM (III, 9-1o) ................................................... 106
La foi, fondement et racine de la vie intérieure, est aussi fruit de l’Es-
prit-Saint, 106. — Triomphe de la charité. L’immolation le prépare, l’ac-
compagne et le suit, 107. — Toutes les vertus se prodiguent au service de
l’amour, 108.
EGREDIMINI ET VIDETE, FILIAE SION, REGEM SALOMONEM IN DIADEMATE QUO
CORONAVIT ILLUM MATER SUA IN DIE DESPONSATIONIS ILLIUS ET IN DIE LAETITIAE
CORDIS EJUS (III, 11) ....................................................................................................108
L’union de l’âme avec Dieu fait la joie de Marie qui l’a préparée, 108. —
Bonheur de l’apôtre « Précurseur » de l’union, 109.
Chapitre IV ......................................................................................................111
QUAM PULCHRA ES, AMICA MEA, QUAM PULCHRA ES (IV, 1) ........................................... 111
Une belle âme charme et attire Jésus. Ardents désirs. Prière, 111.
OCULI TUI COLUMBARUM, ABSQUE EO QUOD INTRINSECUS LATET (IV, 1) ...................... 112
Voiles qu’il peut y avoir entre l’âme et Dieu, 112. — Prière pour obtenir
une foi vive et lumineuse, 113.
CAPILLI TUI SICUT GREGES CAPRARUM QUAE ASCENDERUNT DE MONTE GALAAD (IV, 1) ... 113
L’âme aimante s’efforce de multiplier les actes méritoires et de leur don-
ner une exécution achevée, 113.
DENTES TUI SICUT GREGES TONSARUM QUAE ASCENDERUNT DE LAVACRO ; OMNES
GEMELLIS FOETIBUS ET STERILIS NON EST INTER EAS (IV, 2) ........................................ 114
Les vertus, ornement de nos facultés, agissent par paires et transfor-
ment tout en aliment de l’âme, 114.
SICUT VITTA COCCINEA LABIA TUA ET ELOQUIUM TUUM DULCE (IV, 3) .......................... 114
Un seul discours : « Je vous aime », 114.
SICUT FRAGMEN MALI PUNICI, ITA GENAS TUAS, ABSQUE EO QUOD INTRINSECUS LA-
TET (IV, 3) ................................................................................................................... 115
Amour généreux, humble et pur, 115.
SICUT TURRIS DAVID COLLUM TUUM QUAE AEDIFICATA EST CUM PROPUGNACULIS ;
MILLE CLYPEI PENDENT EX EA, OMNIS ARMATURA FORTIUM (IV, 4) .............................. 115
Puissance de l’âme intérieure ; elle communique à son tour force et con-
fiance, 115.
DUO UBERA TUA SICUT DUO HINNULI CAPREAE GEMELLI QUI PASCUNTUR IN LILIIS (IV, 5) .. 116
Maternité spirituelle, 116.
274 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE
DONEC ASPIRET DIES, ET INCLINENTUR UMBRAE, VADAM AD MONTEM MYRRHAE ET
AD COLLEM THURIS (IV, 6) ........................................................................................... 116
L’âme intérieure, séparée d’elle-même, se retire dans le secret pour
mieux aimer, 116.
TOTA PULCHRA ES, AMICA MEA, ET MACULA NON EST IN TE (IV, 7) ................................ 118
Jésus adresse cet éloge à Marie, 118.
VENI DE LIBANO, SPONSA MEA, VENI DE LIBANO ; VENI, CORONABERIS ; DE CAPITE
AMANA, DE VERTICE SANIR ET HERMON, DE CUBILIBUS LEONUM, DE MONTIBUS PAR-
DORUM (IV, 8) ............................................................................................................. 119
Jésus appelle l’âme à l’union définitive, 119.
VULNERASTI COR MEUM, SOROR MEA SPONSA, VULNERASTI COR MEUM, IN UNO OCU-
LORUM TUORUM ET IN UNO CRINE COLLI TUI (IV, 9) ..................................................... 119
Pour conquérir le Cœur de Dieu, il suffit de l’aimer tout à fait, 119.
QUAM PULCHRAE SUNT MAMMAE TUAE, SOROR MEA SPONSA ! PULCHRIORA SUNT UBE-
RA TUA VINO, ET ODOR UNGUENTORUM TUORUM SUPER OMNIA AROMATA (IV, 10) ....... 121
Puissance du véritable amour sur le Cœur de Dieu, 121.
FAVUS DISTILLANS LABIA TUA, SPONSA ; MEL ET LAC SUB LINGUA TUA, ET ODOR VESTI-
MENTORUM TUORUM SICUT ODOR THURIS (IV, 11)........................................................122
Tout dans l’âme intérieure ravit le Cœur de l’Époux divin, 122.
HORTUS CONCLUSUS, SOROR MEA SPONSA, HORTUS CONCLUSUS, FONS SIGNATUS (IV, 12) ..123
Richesse et charme de ce jardin fermé, 123.
EMISSIONES TUAE PARADISUS MALORUM PUNICORUM CUM POMORUM FRUCTIBUS,
CYPRI CUM NARDO, NARDUS ET CROCUS, FISTULA ET CINNAMOMUM, CUM UNIVERSIS
LIGNIS LIBANI, MYRRHA ET ALOË CUM OMNIBUS PRIMIS UNGUENTIS (IV, 13-14) ........... 125
Les fruits du Saint-Esprit, 125. — Charité, 126. — Joie, 126. — Paix, 127.
— Patience, 128. — Mansuétude et douceur, 129.
FONS HORTORUM, PUTEUS AQUARUM VIVENTIUM, QUAE FLUUNT IMPETU DE LIBANO
(IV, 15) ....................................................................................................................... 130
L’âme contemplative vivant dans les hauteurs de la vie même de Dieu y
attire les âmes, 130.
SURGE AQUILO, ET VENI, AUSTER ; PERFLA HORTUM MEUM, ET FLUANT AROMATA IL-
LIUS (IV, 16) ................................................................................................................ 131
Humble prière de l’âme pressée de tout rapporter à Dieu de ses libé-
ralités en elle, 131.
VENIAT DILECTUS MEUS IN HORTUM SUUM, ET COMEDAT FRUCTUM POMORUM SUO-
RUM (IV, 16) ................................................................................................................132
Chapitre VII....................................................................................................169
QUIS MIHI DET TE FRATREM MEUM, SUGENTEM UBERA MATRIS MEAE, UT INVENIAM
TE FORIS ET DEOSCULER TE, ET JAM ME NEMO DESPICIAT ? (VIII, 1) ............................. 185
Plaintes de l’âme aimante qui ne peut donner à son Dieu des marques
extérieures de son amour, 185.
APPREHENDAM TE ET DUCAM IN DOMUM MATRIS MEAE, IBI ME DOCEBIS (VIII, 2) ........ 186
L’âme intérieure, enfant de la sainte Vierge et sa propriété, aspire à re-
cevoir sous ses yeux les enseignements divins, 186.
ET DABO TIBI POCULUM EX VINO CONDITO ET MUSTUM MALORUM GRANATORUM
MEORUM (VIII, 2) ........................................................................................................187
LAEVA EJUS SUB CAPITE MEO, ET DEXTERA ILLIUS AMPLEXABITUR ME (VIII, 3) .............187
Mystérieux échange de témoignages d’affection, 187.
ADJURO VOS, FILIAE JERUSALEM, NE SUSCITETIS, NEQUE EVIGILARE FACIATIS DILE-
CTAM, DONEC IPSA VELIT (VIII, 4) ............................................................................... 188
La prise de possession d’une âme humaine par l’amour divin est une
vraie mission divine, 188.
TABLE DES MATIÈRES 279
QUAE EST ISTA QUAE ASCENDIT DE DESERTO, DELICIIS AFFLUENS, INNIXA SUPER DI-
LECTUM SUUM ? (VIII, 5) ............................................................................................. 189
Les âmes parvenues à l’union divine font l’admiration des anges et des
saints, 189.
SUB ARBORE MALO SUSCITAVI TE ; IBI CORRUPTA EST MATER TUA, IBI VIOLATA EST
GENITRIX TUA (VIII, 5) ................................................................................................ 189
Au pied de la Croix, Marie a enveloppé d’une affection spéciale ceux qui
devaient suivre Jésus de plus près, 189.
PONE ME UT SIGNACULUM SUPER COR TUUM, UT SIGNACULUM SUPER BRACHIUM
TUUM (VIII, 6) ............................................................................................................. 190
À la prière de l’âme fidèle, le Tout-Puissant semble se mettre à la dispo-
sition de la toute faiblesse, 190.
QUIA FORTIS EST UT MORS DILECTIO ; DURA SICUT INFERNUS AEMULATIO (VIII, 6) ...... 191
LAMPADES EJUS, LAMPADES IGNIS ATQUE FLAMMARUM (VIII, 6).................................. 192
L’amour divin, feu dévorant, ne détruit pas ; il transforme, 192.
AQUAE MULTAE NON POTUERUNT EXTINGUERE CARITATEM, NEC FLUMINA OBRUENT
ILLAM (VIII, 7) ............................................................................................................. 192
Les épreuves excitent et développent l’amour, 192.
SI DEDERIT HOMO OMNEM SUBSTANTIAM DOMUS SUAE PRO DILECTIONE, QUASI NIHIL
DESPICIET EAM (VIII, 7) ............................................................................................... 193
Pour que le cœur se remplisse de la divine charité, il faut qu’il se vide de
tout ce qui n’est pas Dieu, 193.
SOROR NOSTRA PARVA ET UBERA NON HABET ; QUID FACIEMUS SORORI NOSTRAE IN
DIE QUANDO ALLOQUENDA EST ? (VIII, 8) .................................................................... 193
Sollicitude des anges et des saints du Ciel pour notre perfection, 193.
SI MURUS EST, AEDIFICEMUS SUPER EUM PROPUGNACULA ARGENTEA ; SI OSTIUM EST,
COMPINGAMUS ILLUD TABULIS CEDRINIS (VIII, 9) ......................................................... 194
Tout ce qui embellit une âme tourne au profit des autres âmes, 194.
EGO MURUS, ET UBERA MEA SICUT TURRIS, EX QUO FACTA SUM CORAM EO QUASI PA-
CEM REPERIENS (VIII, 10) ............................................................................................ 194
L’amour triomphe, il règne, 194.
VINEA FUIT PACIFICO IN EA QUAE HABET POPULOS ; TRADIDIT EAM CUSTODIBUS ; VIR
AFFERT PRO FRUCTU EJUS MILLE ARGENTEOS (VIII, 11) ................................................ 195
Riche redevance que le Maître attend du gardien spirituel de la vigne
mystique, 195.
VINEA MEA CORAM ME EST. MILLE TUI PACIFICI ET DUCENTI IIS QUI CUSTODIUNT
FRUCTUS EJUS (VIII, 12) .............................................................................................. 196
La sainte Épouse rend toute la gloire de sa vigne à son Maître, et solli-
cite pour ses gardiens la plus riche récompense, 196.
QUI HABITAS IN HORTIS, AMICI AUSCULTANT ; FAC ME AUDIRE VOCEM TUAM (VIII, 13) .... 196
Dernier et doux appel de Jésus à l’âme intérieure qui a passé sa vie à
cultiver le jardin de son âme, 196.
FUGE, DILECTE MI, ET ASSIMILARE CAPREAE HINNULOQUE CERVORUM SUPER MON-
TES AROMATUM (VIII, 14) ............................................................................................ 197
La sainte Épouse réalise enfin le désir de l’Époux : mourir, c’est vous
voir, ô mon Dieu, 197.
280 VIRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA VIE CACHÉE