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SAINT JEAN DE LA CROIX




« Que celui qui a soif de voir son Dieu, enlève


la poussière de son miroir et purifie son
esprit »

Richard de Saint-Victor

Essai de présentation de la doctrine mystique pour les frères et sœurs de S. Jean de la Croix de
S. Dominique

Blagnac, novembre 1998


c  

 
         p. 3


c           p. 3


§.1. Ce qu¶est la vie mystique p. 3
§.2. Les Ecrits de S. Jean de la Croix p. 4
§.3. L¶anthropologie « sanjuaniste » p. 5
§.4. Tableau récapitulatif de la doctrine de S. Jean de la Croix p.


           p. 5


1.1. Définition et justification (1MC 2,1) p. 5
1.2. Nuit ou Nuits p. 6
1.3. Comment entrer dans la Nuit ? p. 6


     c
      p. 6
 
2.1. Ce qu¶est la Nuit active des sens
(Purification active des sens) p. 6
2.2.Mortification partielle p. 7
2.3.Mortification totale du sensible p.7



2
    
 c  
    p. 8

Aperçu des différentes formes de prières p. 8
Ce qu¶est l¶oraison de contemplation active p. 8
Comment accueillir cet état p. 9


 
    c c
 

    c       p. 9

Pourquoi se priver du travail des facultés p. 9


Ce qu¶est la Nuit active de l¶esprit p. 10
Comment on la réalise p. 10

 c         p. 11

Les signes qui permettent de la subodorer p. 11


Comment vivre cette étape p. 11


 
 c  c  
 
  p. 12

!Les signes annonciateurs de cet état p. 12


!Pour correspondre à l¶œuvre de la grâce p. 12
!La période de transition p. 13


 c     c    p. 14

"Un trop plein de Lumière p. 14


"Comment la vivre p. 14

3

     c  #    p. 15

$Qu¶il me baise des baisers de sa bouche p. 15


$ Un double martyre p. 15


% 
  c     p. 15

&Le choix définitif p. 16


&L¶heure des cadeaux pour la mission p. 16


%    c    
           p. 16

'Ce qu¶est le Mariage Mystique p. 16


'Quelques fruits de cette expérience p. 17
'L¶Union Transformante p. 17


          p. 18


##  c(         p. 19

 %  




4



 
 

Les lignes qui vont suivre ne sauront être une présentation exhaustive de l¶œuvre
mystique de S. Jean de la Croix. Leur unique souci est de vouloir donner quelques portes
d¶entrée pour une lecture intelligente des oeuvres du « Docteur des Nuits ». Vous êtes donc en
présence d¶une simple introduction.
Certes, la popularité de Jean de la Croix enjambe les frontières de notre foi, mais on se
contente trop souvent, même dans les milieux religieux, de connaissances très approximatives
dont on use par ailleurs à tort et à travers. Jean de la Croix passe parfois pour un monstre
d¶ascèse, aux allures de moines bouddhistes, comme si la sainteté et la voie qu¶il nous dessine
étaient le résultat des efforts d¶un homme étranger aux joies de la vie humaine et insensibles à
toute souffrance, au pire masochiste.
Jean de la Croix est un familier des ascensions divines. C¶est à ce titre qu¶il se propose
de poser les balises sur l¶étroit chemin qui conduit à l¶union à Dieu. Poussé par le Saint -Esprit
et animé de compassion pour les âmes, il décrit avec finesse les méandres du coeur humain,
donne les moyens qui permettent de le disposer à la grâce (phase ascétique dite Nuit active).
Puis, il montre comment se manifeste la réponse de Dieu à cette invitation de l¶homme1(Nuit
passive ou phase passive). Déploiement de la vie théologale et détachement sont les deux
thèmes par lesquelles il déploie son enseignement lequel n¶a d¶autre objectif que de donner aux
contemplatifs des moyens concrets et clairs en vue la réalisation leur vocation. Cette œuvre est
sous-tendue par une anthropologie dont la compréhension est loin d¶être un détail inutile à
l¶étude du Maître des Nuits. Cette clé de lecture fera donc l¶objet d¶un rapide échange. C¶est
après cela seulement que nous survolerons cette œuvre inégalée2. Nous nous appuierons sur un
tableau emprunté à d¶autres et retravaillé par nous. Quelques textes illustreront notre propos.

c)*+,-,./,)0

1
Le chemin est le même pour tous mais on le vit de façon unique (VF 3, 39)
2
Ce travail est de beaucoup redevable à un autre : Collectif, ›vec Saint Jean de la Croix, doctrine de vie
spirituelle, Imprimerie Saint-Augustin, Fribourg, 1978, pp. 104

5

1
230+/4,-50,23 ‰

L¶union à Dieu est initiée avec le Baptême (Ga 3,27 ; Rm 6). Elle est « la participation
de l¶homme à la vie Trinitaire en Jésus-Christ ». Elle se déploie et devient plénière avec le plein
exercice des vertus théologales. Aussi la sainteté - autrement appelée vie mystique - n¶est rien
d¶autre que la vie chrétienne ou théologale portée à son plus haut point. C¶est la communion
des hommes aux «  » qui en fait des «  ».
C¶est tardivement, que le « mystique » (l¶individu) viendra à désigner un homme élevé
par Dieu à un haut degré d¶union avec lui . Quant à son qualificatif, il désigne un fait se
rapportant à cette expérience surnaturelle. Si dans la tradition, ses significations apparaissent
fort tard (XVIe s.), c¶est parce que dans un premier temps, l¶Eglise a davantage été consciente
que la              
           !    · Est mystique
tout homme qui vit des mystères du Christ par les sacrements. Le mystique est un chrétien
normal, un chrétien accompli parce qu¶il a réalisé l¶appel de son baptême.
Il importe d¶entendre cette parole. Elle peut éviter des quiproquos et nous éviter de
croire que nous sommes dispensés de désirer et de travailler à l¶accueil de ce don. Le mystique
chrétien n¶est pas un homme à l¶esprit élevé, un surhomme mais un chrétien ordinaire vivant de
la grâce de son baptême. Bref, la vie mystique est inhérente à la consécration de notre
baptême ou, si on préfère, le baptême nous consacre et nous engage à la vie mystique.

1 0 6),07 8/.7+/


)9,:

Ils sont de plusieurs types, en majorité issus de son expérience intérieure. Ses oeuvres
telles qu¶ène Nuit obscure, le Cantique spirituel, La Source sont composés à la clarté d¶un
obscur cachot ! S¶étant enfui, il les partage à ses filles et à ses fils qui lui en demandent des
commentaires. Ainsi naîtront des oeuvres plus 7,7/6,230 : Cantique spirituel, Montée du
Mont Carmel et Vive Flamme d¶›mour qu¶il destine à Ana de Penalosa tandis qu¶il rédige

3
« Myste » est celui qu¶on initie au « musterion » i.e. aux cultes secrets par lesquels on accédait au salut. Au
III è s. le mot s¶est étendu aux sacrements parce qu¶ils rendent présent le Christ et parce qu¶ils réalisent cette
union mystérieuse entre les croyants et Dieu.
4
Jean-Pierre JOSSUA, Seul avec Dieu, L¶aventure mystique, Découvertes Gallimard, 1996, pp. 13 - 16

6
pour ›nne de Jésus (fondatrice des Carmels en France et en Belgique) le commentaire du
Cantique spirituel.
La persécution lui donnera l¶occasion de revoir et d¶affiner ses textes et d¶en écrire
d¶autres5. L¶ordre chronologique de rédaction des oeuvres didactiques entre 1579 et 1586
semble être le suivant :

"    abrégé ainsi : CS A6.


Le poème chante l¶indicible et « ›dmirabile commercium » entre Dieu et l¶âme.

   ou MC


C¶est un commentaire des 3 premières strophes des 8 que compte « Par une Nuit
profonde » !

 # $  ou NO
C¶est aussi un commentaire de « Par Une Nuit profonde »

% &  ou VF A
Le poème lui-même semble avoir été composé dans un moment de grande ferveur et
comporte 4 strophes. Le saint ne put le commenter en totalité tant il avait du mal à dire
les mystères de l¶union. Il préféra s¶arrêter...

le "   


ou CS B

% & 
ou VF B
Toutefois, pour savoir à qui Jean de la Croix adresse ses écrits, on lira les Prologues de
Montée du Carmel, Cantique spirituel et de Vives Flammes Les débutants auront intérêt à

5
On classe ses Ecrits en 4 :  ' (il n¶en commentera que 3) (1); Les (    : brefs et grands
traités(2). Les brefs traités (3) qui sont divisés en 4 ensembles (graphiques, Courts traités spirituels, avis et
Sentences...) et    (4). Les autres écrits sont des textes administratifs.
6
Exemple de lecture pour les renvois : 1 MC 6, 13 - 15. Signifiera Montée du Carmel, livre 1, chapitre 6,
paragraphes 13 à 15. Quant à CSA 5, 6 ce sera : Cantique Spirituel ›, strophe 5, paragraphe 6

7
fréquenter les petits traités qui offrent une rencontre directe avec le saint7, dépouillé des
artifices théologiques.

1 /.;)9<9+9=,> 0/.?3/.,0@

L¶homme est un être unifié constitué de trois principes : le corps, l¶âme et l¶esprit dont
le centre est en Dieu (CS 12, 3 ; VF B 1, 9- 11 et 4, 3)). L¶âme est sensible et spirituelle à la
fois. L¶homme est mû par sa sensibilité (5 sens externes et 2 sens internes). Il est dépendant de
ses facultés naturelles (CS B 20, 6), car les puissances de l¶âme et les sens fonctionnent en
synergie parce qu¶elles sont articulées entre elles (2 MC 8, 5). L¶esprit ne fonctionne qu¶à
partir des sens. Aussi, la sensibilité est la voie de l¶homme vers Dieu (1 MC 3, 2 et CS
B 18, 4), le chemin de son intériorisation. C¶est pourquoi la vie spirituelle est une
intériorisation progressive qui nécessite la connaissance de soi . Savoir le fonctionnement de
l¶esprit s¶avère utile.
L¶entendement désigne la capacité de compréhension et de réflexion. La mémoire
embrasse tout le champ possible du souvenir et de sa projection dans l¶immédiat et dans
l¶avenir. Quant à la volonté, elle est la reine des facultés et elle se présente comme l¶énergie du
désir. L¶homme doit apprendre à être maître de son émotivité qui dépend de ses passions
aveugles. Il doit aussi « dépouiller » ses facultés spirituelles en les soumettant aux vertus
théologales. Il ne s¶agit pas d¶une négation de la nature mais d¶un travail de purification et de
guérison pour que de celles-ci soient capables de Dieu (2 MC 6, 1), car «     
   »
Ce « travail » sur soi par soi, et de la grâce sur soi, entraîne des mutations profondes
dans la personne (CS B 18). L¶anthropologie « sanjuaniste » est une anthropologie évolutive .
Sa doctrine spirituelle respecte la nature (1NO 4, 3). Elle l¶épouse délicatement. C¶est une
thérapie pour la nature humaine blessée (1 MC 1, 1).

1/A+/3)*6/<,3+/,B7+/796),.7 8/.7+/6)9,:


7
Nous ne saurons trop conseiller « Quatre avis à un religieux pour atteindre la perfection ». 4 mots :
)*0,=./,9.,-9),B,6/,9., :)6,6704)30, et +/09+,377369)<07+C- synthétisent l¶ascèse
« sanjuaniste ».

8

Une bonne lecture de ce tableau offrira à tout lecteur une magnifique porte d¶entrée
dans les oeuvres de saint Jean de la Croix. Les chiffres qui s¶y trouve indiquent un ordre
logique de lecture.
 )/,09. c3),B,6/,9.
(c¶est le lieu où l¶on puise la force d¶entreprendre la ( refus de tout goût sensible et de toute complaisance en
montée du Carmel) soi ) :
1 MC 1 - 2
 *7,/,9. 700.0 3,
(considérations, affections, résolutions et silence amoureux. (imitation du Christ, purification des sens et des passions et amour Afoi,
9--.
Travailler au recueillement) DD>+/3,)*73<3,0 » de soi qui conduit à la liberté intérieure)
goût, E/.0
Dieu)
2 MC 12 1 MC  - 15 ( normes importantes pour la purification.
/ ou
des Sens)
6
1 NO 1 - 7
 voie
,

9.-<+/,9./6,4 7+0<), 4
(// L¶eau est tirée par une  >9),/ »: oraison de (enraciner les vertus théologales dans les facultés de l¶esprit.   c3
recueillement ou simplicité)
! conduite vs phén. extraordinaires)
 ),B,
2 MC 1 - 6
(F 6/
2 MC 13 - 15 2 MC 7 - 11 : intelligence
),6
3 MC 1 - 15 : mémoire
3 MC 16 - 45 : volonté
"
9.-<+/,9.</00,4 !700.0 3,
(Impossibilité de méditer. Pensée de Dieu devient (l¶ascèse plus spirituelle, les vices cachés ; perte de tt appui car (foi,
souffrance. Souffler délicatement sur la braise. DD l¶arrosage aridité, angoisse, pauvreté... : fuite ou A/.79., adoration ou
goût
se fait par des 6/./+,0/,9.0. Oraison de quiétude. La désespoir)
passivité) et c)9
Dieu) =)0
2 MC 13 6 15 1 NO 8 - 14 0/.0
c
/
$)/.0,,9.: 0 ou phase
(danger d¶illusion car extases, ravissements, visions, prophéties : 0
démon se revêt de lumière. Crainte de D., défiance v.s. extraord.)
, ++3
2 NO 1- 2

&7+0<), 4
(Lire d¶abord 2 NO 19-20 car vision panoramique. perte de la  -,./
conscience de l¶amour de Dieu conduisant à l¶expérience du
 

9
purgatoire, des enfers. Destructions des racines du péché. G( ,
Destruction du moi pour une naissance du soi transparent et libre)
4

2 NO 3 - 8 : les épreuves
2 NO 14 - 20 : le chemin
2 NO 9 - 13 : les fruits
2 NO 21 - 25
'.,9. ,.,,/+
« la rosée »  (époque des baisers et des souffrances du délaissements, les c/)
souffrances disparaissent progressivement, les vertus se
B/,0
déploient...
 1 - 12
CS ou phase
  0<,),3++0
,/.E/,++0 (Union des volontés. La purification s¶achève ici. Dieu confie une 3.,
mission pour le monde : apôtre. 3 MC 2, 6)
~  ) ,
13 - 21
4
CS
 /),/= 0<,),3+(confirmation en grâce)
CS  22 - 40
.,9. )/.0B9)-/.
VF (en entier)
 Prol. 3 - 4

     




*B,.,,9.?30,B,6/,9.
H

Pour saint Jean de la Croix, la Nuit est le chemin de l¶âme dans son ascension, mieux
dans son assomption vers Dieu. Trois raisons justifient sa proposition :

1° Le point de départ : la privation de tout goût des choses créées


2° Le moyen de cette union : la foi laquelle est obscure pour l¶esprit humain
3° Le but : Dieu qui est pure Esprit et qui est au delà de toute réalité.

10
         "    ! A cause de la
faiblesse de la nature humaine, on ne communie à Dieu que par la Foi : dans la Nuit et au
moyen de la Nuit. C¶est plongée dans la Nuit, gardée et guidée par elle que l¶âme réalise son
but ! Il accorde donc une primauté totale à la foi, à l¶espérance et à la charité dans la vie
spirituelle. A côté de ces trois, tout est accessoire Les vertus théologales divinisent l¶homme
en le connectant directement sur Dieu et élevant notre vie et nos actions à la perfection du
Christ

3,933,0

Faudrait-il parler d¶une nuit ou des nuits ? Jean de la Croix répond lui-même. Il s¶agit
d¶une seule Nuit calquée sur le découpage d¶une nuit naturelle en 3 parties : la tombée du jour
ou crépuscule ( Nuit active), la Nuit obscure de minuit (Nuit passive) et l¶aurore : Union à
Dieu.
L¶action de l¶homme et de Dieu sont différentes en chacune de ses étapes. La nuit
active est caractérisée par la prédominance de l¶activité humaine sur celle de Dieu alors que
dans la Nuit Passive Dieu assure son empire dans l¶âme dont l¶activité est progressivement à un
abandon8 confiant et à un lâcher-prise de toutes ses capacités au profit de l¶agir divin.


9--..))7/.0+/3,

Quelques résolutions fermes suffisent au point de départ :

1° acquérir une volonté détachée de tout péché, fut-il « mignon ».


2° ferme détermination d¶aller jusqu¶au bout, « coûte que coûte, vaille que vaille »

mais aussi deux pieds pour monter le Mont de la sainteté :

1° L¶Oraison constante (d¶abord !) : lieu de l¶acquisition des forces nécessaires pour la marche
2° La purification active : apprentissage du détachement et de la liberté intérieure

8
L¶abandon et la passivité sont le sommet de la vie spirituelle. Ils sont signes de la docilité à l¶Esprit.

11
Ces deux réalités fonctionnent en synergie. Elles s¶influencent mutuellement et croissent
parallèlement si bien qu¶à chaque degré de purification correspond un type d¶oraison.
L¶atrophie de l¶un de ces pieds aura une incidence négative dans l¶ascension mystique, du
moins tant que l¶âme n¶est pas encore parvenue au but. Le maintien ferme de ces résolutions
disposent à l¶entrée dans la Nuit des Sens.

     c


    
H

C¶est la première partie de la Nuit qui correspond à la tombée du jour.


230+/3,/6,470 .0c3),B,6/,9. /6,470 .0

Elle consiste dans l¶acquisition du « refus de tout goût sensible et de toute


complaisance en soi ». Elle est un détachement par rapport au goût des réalités créées qui
nous font préférer la créature au Créateur. Ce qui nuit à l¶âme n¶est pas tant les choses (en elle-
même) que le désir et le goût que nous en avons. Il s¶agit de se détacher des choses de ce
monde et d¶en user sans qu¶elles nous possèdent selon l¶invitation de l¶apôtre Paul à user des
choses comme n¶en usant pas, à être dans l¶abondance et dans la gêne d¶un cœur semblable
plein d¶action de grâce. Quelques attitudes sont à cultiver avec pédagogie pour entrer dans cet
état d¶esprit.

 9),B,6/,9.</),++

D¶une manière générale, on sera attentif à une progression logique laquelle consistera à
élever progressivement des réalités matérielles aux réalités spirituelles. Au lieu d¶un sevrage
brusque plongeant dans un vide total, on substituera la faim et le goût des réalités matérielles à
ceux des réalités spirituelles par la prière, la pénitence, les lectures spirituelles, la vie
sacramentelle ( 3 MC 29, 1 et VF 3, 32). Quand l¶âme a découvert et pris goût aux joies

12
spirituelles, elle est prête à la purification des sens par « une mortification totale du goût
sensible 9».

 9),B,6/,9.9/+730.0,A+ 


Elle se réalise par :

1° L¶Imitation constante et persévérante du Christ (1 MC 13, 3) : désir habituel


d¶imiter le Christ en tout. Ce désir sera nourri par la méditation de sa vie et par la pratique
constante de sa présence, par la pratique des bouées, des oraisons jaculatoires, des plongées...
Le Christ doit devenir la référence de toute action, intérieure et extérieure.

2° Purification des Sens ( 1 MC 13, 4) : il s¶agit de renoncer totalement par amour


pour le Christ à tout plaisir sensible qui n¶est pas à la gloire de Dieu. Deux possibilités
s¶offriront à l¶âme : le refus de tout ce qui n¶est pas nécessaire pour le Royaume dans l¶ordre
de l¶audition, de la vue, de la possession (1). Quand on ne peut éviter ces choses pour des
raisons diverses (devoirs d¶état), on n¶évitera d¶en savourer le goût et de s¶en délecter (2).

3° Purification des passions (1 MC 13) : il convient d¶abord de ne pas satisfaire aux


requêtes des passions. Mais la purification des passions, à proprement parler, consiste à
orienter progressivement la volonté vers ce qui fait horreur à la nature tel S. François
embrassant le lépreux. Le refus des requêtes des passions ne suffit pas, il faut investir leur
dynamisme positivement ailleurs (sublimation dira la psychologie moderne).

4° Purification de l¶amour -propre (1 MC 13) : l¶amour propre est une subtile


complaisance de soi-même, un secret orgueil qui rend impossible l¶Union à Dieu car il est
fondamentalement indépendance à Dieu.
Trois moyens pratiques permettront d¶en venir lentement à bout : Tâcher d¶être
méprisé et désirer être méprisé des autres (1), toujours parler en «désavantage » de soi et
désirer que les autres le fassent de nous (2), chercher une basse estime de soi et que les
autres... (3).

9
C¶est ici que commence la Nuit des sens

13
La pratique généreuse de ces 4 points conduira rapidement à la Nuit des sens
( 1 MC 13, 7 - 8). La Purification des Sens est réalisée quand l¶âme est devenue indifférente
à tous les goûts (1 MC 15). Ses sources de joie ne la satisfont plus et la laissent vide. L¶âme
est enfin libre pour voler. Cette étape est accessible à tous.

    


 c  
 
H


Comme entrevu, cette purification des sens a une répercussion sur la prière.

<)E3707,BB*).0B9)-07<),I)

Il existe trois grandes façons de prier relevant soit de l¶avancement spirituel, soit
de la situation en groupe. Ces trois formes sont les suivantes :

1° la prière vocale : Le Seigneur a donné cette forme de prière aux siens (Pater). Cette
forme de prière convient mieux à la prière commune. Par ailleurs, il semble que jusqu¶au III è
s. la prière vocale ait été la seule manière chrétienne de prier ensemble.

2° la méditation mentale ou oraison mentale : La méditation consiste en l¶application


de toutes les facultés -- sens intérieurs et facultés spirituelles -- à la recherche de Dieu. Elle est
le lieu de la connaissance et de l¶amour de Dieu (2 MC 14, 2). Trois grands moments font une
méditation : les considérations, les affections (dialogue : questions et réponses), les résolutions.
Progressivement ce colloque va souffrir une impossibilité, puis être remplacé par une
autre forme de prière.

3° la contemplation : elle comporte des degrés, chacun révélant un état d¶union à Dieu.
C¶est aussi le plus haut degré de la prière.

14

230+9)/,09.769.-<+/,9./6,4 

La pratique de la purification des sens alliée à l¶oraison enflamme l¶esprit d¶amour et


conduit à un premier état de contemplation appelé l¶oraison de contemplation active . Cet état
s¶inaugure par une difficulté imprévue et agaçante : l¶âme n¶arrive plus à appliquer son esprit à
un thème particulier tout en ayant très discrètement un autre goût de Dieu ! L¶âme vient de
passer d¶une attention particulière à Dieu à une attention générale, silencieuse et amoureuse
pour Dieu. A peine commence-t-elle la prière qu¶aussitôt elle rentre dans cette présence
mystérieuse et savoureuse, douce et paisible. Elle n¶a plus besoin de se fatiguer pour se nourrir,
elle n¶a plus qu¶à tendre la main et à boire ce que lui offre le Père des âmes. Mais elle se doit
de l¶entretenir en l¶arrosant par des élans et des « soupirs » affectueux que des larmes peuvent
parfois accompagner.
C¶est encore une oraison à mi-chemin entre la méditation mentale ou discursive et la
contemplation passive. Tout le monde peut accéder à cet état.


9--./663,++,)6*/


Si beaucoup de personnes arrivent à cet état d¶oraison, très peu savent comment s¶y
maintenir ! Ne comprenant plus ce qui leur arrive, ces personnes essayent à tout prix de
continuer la méditation mentale alors que le Seigneur commence lui-même à mettre leurs
facultés au repos. Il nourrit l¶âme « comme par perfusion » en lui donnant une nourriture
spirituelle presque sans effort. L¶eau est désormais à sa portée.
Ici, l¶âme n¶emploiera que très peu de temps à la lecture et à la réflexion sur des
sujets particuliers ou même y renoncera totalement ou momentané ment Elle apprendra à se
taire et à rester amoureusement en présence de son Seigneur. Surtout, elle restera ferme dans
le détachement des réalités humaines.

 
    c c
 
    c

15
L¶analyse de cet état de prière montre que le Seigneur pousse l¶âme vers un autre
détachement, celui de ses capacités spirituelles ! L¶âme est prête à une purification active de
l¶esprit, plus précisément de l¶intelligence, de la volonté et de la mémoire.

c93)239,0<),4)73)/4/,+70B/63+*0

La réponse se ramène à quelques raisons forts simples (


$H) !

1° Par docilité au Saint -Esprit :


L ¶agir de Dieu dans l¶oraison de contemplation active nous montre que c¶est Dieu lui-même
qui nous y pousse. Mais pourquoi ce détachement s¶impose-t-il alors que ces facultés sont un
don du Seigneur ?

2° La nature et le fonctionnement de l¶esprit à partir des sens (2 MC 8, 3 et 5) :


Il est facile de comprendre l¶exigence du détachement aux sens. L¶expérience nous convainc
qu¶ils sont grossiers, limités et aveugles depuis la blessure du péché originel. Leurs perceptions
ne se limitent d¶ailleurs qu¶aux réalités matérielles. Les sens n¶ont pas accès aux réalités
spirituelles et invisibles.

3° La transcendance absolue de Dieu ( 2 MC 8, 3) :


Pour ce qui est des facultés de l¶esprit humain, elles n¶ont été que partiellement touchées par la
blessure originelle. Ce qui oblige à cette purification c¶est la nature même de l¶esprit humain et
celle de Dieu. Tout d¶abord, l¶esprit humain fonctionne à partir du sensible. Il n¶acquiert
lamentablement quelques connaissances qu¶au prix de grands efforts. Les sens lui fournissent
des renseignement limités et en partie erronés. Etant lui-même limité, l¶esprit humain n¶est pas
capable de connaître directement Dieu (2 MC 8, 5), tel qu¶il est. Il n¶a accès qu¶à l¶existence
de Dieu et à ses perfections ou attributs (bonté, beauté), mais pas à son essence. Il n¶a accès à
Lui qu¶à travers ses empreintes dans la création comme on aurait accès à une personne dont on
ne verrait que les traces sur du sable. L¶homme ne peut de ses propres capacités s¶unir à Dieu.

4° Les sens intérieurs et extérieurs sont « le port et le marché du diable » (2 MC 16 ) :

16
Les soumettre à la foi revient à se soustraire, en très grande partie, à l¶influence du Tentateur.
« Toutes les grandes tromperies du diable, et les plus grands maux qu¶il fait à l¶âme, entrent
par les notices et les discours de la mémoire »10 (3 MC 4). Avis aux amateurs de télévision
laquelle excite les deux pulsions fondamentales de l¶homme (;/./90 et )90) en injectant
toutes sortes de convoitises dans la mémoire11.


 230 +/ 3, /6,4 7 +0<), 93 c3),B,6/,9. /6,4 7 +0<),

!H!

Elle consiste à contraindre l¶esprit à ne vivre et à ne s¶appuyer que sur les trois vertus
théologales. Ces trois vertus, à cause de leur origine et de leur finalité, sont le seul moyen que
nous offre la Providence divine pour nous unir à Dieu. Il s¶avère donc indispensable de réduire
les trois facultés de l¶esprit à chercher Dieu par le truchement des vertus théologales. Cette
opération établit une autre nuit en l¶âme, la Nuit active de l¶esprit.


9--.9.+/)*/+,0

1° La Nuit de l¶intelligence ( 2 MC 29 et CS 3) :

On la réalise en mettant de côté tout savoir humain, toute la science naturelle pour ne
plus s¶appuyer que sur la foi en Dieu, en ce que sa parole nous révèle. C¶est un détachement
complet ou une purification de l¶esprit que réalise cet abandon. La foi peut se déployer parce
qu¶elle n¶est plus investie en soi . Pour cela l¶âme devra tout interpréter à la lumière de la foi
(CS 14), surtout le « difficultueux » les tentations, les épreuves, les souffrances... La prière
réalise aussi cette nuit à sa manière, en ce qu¶elle oblige à des actes de foi de plus en plus
grands. C¶est donc la foi qui réalise cette Nuit.

2° La Nuit de la mémoire (3 MC 2 -3) :

10
art. « Le démon dans l¶œuvre de Saint jean de la Croix », in : Collectif, S››N, DDB et Cie, Bar -le-Duc,
1948, p. 49

17
C¶est l¶espérance qui étend cette nuit à la mémoire. Pour cela un vide total sauf
nécessité d¶état, est de rigueur. L¶âme ne doit conserver le souvenir de rien de ce qu¶elle a
goûté, sentie... (3 MC 2). Nous pouvons déduire que la télévision est un poison pour la vie
d¶union. Ce vide de la mémoire doit être entretenu pour l¶oraison. On fera taire la mémoire
pendant l¶oraison (3 MC 3).

3° La Nuit de la Volonté :

Elle se réalise par l¶exercice de la charité en aimant Dieu en nous du même amour dont
il nous aime en l¶aimant pour ce qu¶il est. L¶aimer sans consolation et faire sa volonté quel
qu¶en soit le prix. L¶âme sera particulièrement à l¶amour des créatures qui essayera d¶anémier
cet amour et d¶en voler l¶exclusivité à Dieu. Mais elle veillera aussi à ne pas réfréner sa
générosité et sa joie à se donner.

 c       

Dieu ne peut être vaincu par tant de générosité. Il ne tardera pas à le prouver. Il le
manifeste en faisant entrer l¶âme dans la Nuit Passive des Sens. Dans cet état, il purifiera lui-
même l¶âme de ce qui la tient loin de Lui. Ñ               
      

 00,=.023,<)-.7+/03A979))

1° l¶aridité de la prière malgré une volonté et un zèle évident


2° le spectacle de ses péchés : l¶âme se découvre misérable, pécheresse
3° La découverte de son incapacité : ce qu¶elle faisait autrefois lui devient impossible,
ses talents semblent s¶être évanouies !

11
Les trois grands remèdes contre le tentateur que nous donne saint Jean de la Croix sont : +0<),7B9,,
+;3-,+,* et +9A*,00/.6 (VF 2, 5 et Opuscules)

18
Dieu opère ce retournement intérieur par le moyen d¶événements : des pertes, des
maladies, des chocs affectifs. C¶est un temps de crise12. La personne prend douloureusement
conscience que Dieu seul compte. Elle affrontent ses premières angoisses spirituelles C¶est un
passage difficile où beaucoup retournent à leur ancienne vie Les tentations y sont très
nombreuses : 6++07+/6;/,)H+006)3<3+0H+063+</A,+,*0-J-+A+/0<;I- ce qui
en augmente la souffrance. Les doutes font jour.         
    . Dieu met la main à la pâte en portant un grand coup aux péchés
et aux vices de l¶âme. Cependant, les racines des péchés ne seront extirpées que dans la
Terrible Nuit de l¶esprit.
La preuve qui authentifie la Nuit passive des sens, c¶est le désir et la recherche
angoissée, son anxiété et son assiduité, et son ardeur malgré tout à aimer Dieu et à servir ses
frères.


9--.4,4)6*/<

Il faut se garder de tout retour en arrière quelques soient les raisons et les évidences. Le
diable est le Prince du mensonge, il a l¶art de faire passer les ténèbres en lumière. Il est de règle
de ne jamais prendre de décision dans la Nuit . Il faut se garder de retourner à l¶amour des
créatures, se maintenir fervent dans la prière en redoublant de « tendresse quand le ciel semble
se fermer ». Il faut rester fidèle au devoir d¶état et à la volonté de Dieu. En résumé, il faut
accueillir et bénir la main divine qui s¶appesantit sur nous et espérer contre toute espérance.

Progressivement en s¶abandonnant, l¶âme est introduite dans la contemplation passive


(1 NO 9). La pratique des « actes anagogiques » est particulièrement conseillée en ces états.

 
 c  c  
 
  '


12
La crise est un temps de passage douloureux. Elle est faite pour approfondir ses motivations profondes et
surtout pour les ajuster par des choix fidèles au passé mais en leur donnant des appuis nouveaux.

19
Elle est un pas plus en avant que la contemplation active. C¶est la Nuit passive des sens
qui conduit à cet état d¶oraison. La contemplation active n¶est pas précédée et accompagnée
d¶une aridité mais d¶une difficulté à appliquer son esprit sur une sujet particulier de
méditation. ›u contraire, la contemplation passive naît d¶une véritable impossibilité à la
méditation Elle naît et croît dans l¶aridité la plus profonde, au cœur même d¶une Nuit
passive, d¶un état où l¶on est privé de toute co nsolation sensible. Elle est une œuvre
exclusivement divine. On prie sans effort !

! 00,=.0/..9.6,/3)076*/

La contemplation passive est reconnaissable par l¶existence simultanée de trois


« difficultés » :

1° L¶âme ne peut absolument plus méditer : impossibilité d¶enchaîner le discours et le


raisonnement dans sa prière. Cependant, il ne faudra pas abandonner la méditation tant qu¶on
sera capable d¶en tirer quelques fruits.

2° L¶âme n¶a plus aucun désir de penser ou de prendre goût à d¶autres choses créées.
Toutefois, l¶imagination arrive encore à vagabonder, mais indépendamment de sa volonté.

3° L¶âme a le goût de demeurer avec Dieu : dans un long silence et une attention simple et
amoureuse à Dieu, sans considération et sans passage par la pensée d¶une chose à l¶autre.

0+0,=.+<+306)/,..

!c93)69))0<9.7)K+L34)7+/=)C6 


20
L¶attitude en ces « régions » est la passivité et l¶abandon à travers le silence et
l¶amour. On se contentera de souffler brièvement sur la braise pour que jaillisse la flamme.
Souffler fortement reviendrait à souffler sur une flamme (2 MC 15 et 1 NO 10). Le résultat se
devine... On tiendra aussi l¶intelligence en bride car il ne faut « pas interposer d¶autres
lumières de connaissances et de raisonnements ». L¶âme ne doit pas s¶épuiser à essayer de
sentir ou de voir autre chose que ce que la Providence a préparé pour elle. En étant fidèle au
Saint-Esprit, cette âme parviendra à un temps de repos et de consolation assez long, la
préparant à d¶autres aventures plus périlleuses. On comprend la réponse de la Petite Thérèse :
« Je ne lui dis rien, je l¶aime ».

! /c*),977)/.0,,9.    



a  Comment elle se manifeste

C¶est une période de bénédiction sensible. Elle dure assez longtemps, parfois des
années. Dieu se « goûte » physiquement13 ! Parce que la purification de l¶âme n¶est pas
achevée, cette lumière est susceptible de se mêler à quelques ténèbres. A cette étape, beaucoup
ont des visions, des prophéties, des extases, des ravissements (2 NO 2). Ces manifestation
sont dues aux fatigues de l¶esprit et à d¶autres faiblesses de la chair encore mal ajustée à Dieu
(ce sont des accidents).
La tentation de se croire saint connaît son apogée ici. Le démon profitant des faiblesses
de la personne se pare de lumière. Ces fausses lumières conduiront à l¶arrogance, à un étalage
en actes extérieurs : orgueil spirituel. Les personnes prises dans les filets du démon seront
reconnaissable à une assurance excessive, hardis envers Dieu jusqu'à perdre la crainte filiale.
C¶est la présomption, péché grave.

Les imperfections à ce niveau sont : les distractions multiples dans la prière et une
tendance à l¶épanchement vers le dehors

13
A proprement parler il n¶y a pas encore union. Dieu n¶a fait que de déblayer le terrain...

21
Mais si l¶âme se garde de tout mal, elle va commencer à expérimenter des /.=9,000
)I0<)9B9.70 qui ne dureront parfois que quelques heures. Celles -ci pointeront discrètement
l¶apparition de la Nuit de l¶esprit ( 2 NO 1). Mais elles ne seront d¶abord que très brèves.

b.  Comment on doit s¶y tenir


 :

Il faut se garder de faire attention aux grâces qu¶on reçoit. Ne rechercher que la charité
et se souvenir que tout est balayures à côté du don de Dieu. On ne manquera pas de se
rappeler que le seul guide infaillible vers l¶ènion reste la NèI ! Ce que l¶on n¶a jamais fini
de comprendre. C¶est pourquoi on accordera le c),-/ K +/  . Celle-ci nous ramène à la
volonté dont nous savons maintenant l¶importance. On pourra aussi refuser ces consolations
sensibles, même si elles peuvent être authentiques. En tout cas, il faut cerner l¶effet qu¶elles
produisent en nous, pas seulement dans l¶immédiat, mais aussi à long terme 
). Ce
qui vient du Malin finit toujours par engendrer de l¶orgueil, l¶estime de soi, le sentiment de
supériorité : toutes sortes de choses qui manquent à l¶;3-,+,* et tuent la charité par le B)9,7
et le -.09.=e. Le discernement des esprits s¶impose. Tout don de Dieu doit nous conduire à
la crainte filiale et à l¶humilité. Ñ                    
    

Le rôle du directeur spirituel sera de rappeler cette primauté de la foi et de la volonté


par le détachement des biens spirituels mais aussi comme étant ce que Dieu considère en nous
et qui échappe à l¶empire du démon.
Cette attitude préparera et fera entrer l¶âme dans la Nuit de l¶esprit mieux aguerrie.

   c      c >  *(&+#,( - % .( c * (


c+,Ñ(*)A #+/012


Dans la Nuit passive des sens l¶âme est plongée dans l¶aridité dans sa partie
sensible mais garde son esprit en paix. C¶est qu¶elle a la certitude d¶être aimée de Dieu La

22
Nuit de l¶Esprit va déraciner ce sentiment qui était encore une dernière consolation sensible !
Elle jette l¶âme dans une épouvante dont tous les mystiques disent qu¶elle est indescriptible. Le
chemin parcouru visait à cette étape. Elle est le lieu de la transformation définitive et véritable
de l¶âme. Qu¶est-ce qui s¶y vit ? Comment la reconnaît-on ? Il est difficile d¶en parler en peu
de mots. Retenons ces quelques indications :

"~-    ' @



 En fait, le Seigneur expose l¶âme à une lumière si vive qu¶elle en mourrait s¶il ne la
ménageait. Il infuse en l¶âme une contemplation de sa sainteté qui par contraste permet à
l¶âme de saisir sa laideur et son péché . Elle voit son indignité absolue ; la vue de la multitudes
de ses péchés la fait croire à sa damnation (2 NO 6). Bref c¶est un    mais qui jette
d¶abord dans la désespérance car l¶âme souffre la peine du purgatoire. Elle se sent infiniment
loin de Dieu et se trouve abandonné des hommes, surtout de ceux qui ont été jusqu¶ici ses
alliés( 2 NO 6). Cette contemplation échappe à l¶âme (2 NO 5) et porte le nom de
« Contemplation obscure » ou « Sagesse amoureuse de Dieu ». Selon les spirituels, elle est la
même que celle des bienheureux dans le Ciel. La tristesse de l¶âme est profonde, son aridité
extrême. Elle ne peut même plus prier. Elle perd le goût de tout. De plus, elle connaît des
moments d¶absences avec des pertes de mémoire, des distractions (2 NO 8). Cependant, Dieu
permet des moments de répit pour que l¶âme souffle ( 2 NO 18). La Nuit de l¶esprit dure
parfois des années14 ! Elle cessera quand elle aura consumé les racines du mal en l¶homme et
finit d¶embraser ce qui était froid en elle. Si pendant tout ce temps, l¶âme connaît encore
quelques chutes que le Seigneur permet, 3          . L¶âme est devenue
imprenable. Elle vole déjà trop haut pour le démon et elle va entraîner à sa suite un grand
nombre.
La Nuit de l¶esprit cesse lentement comme s¶en va la nuit naturelle laissant un visage
nouveau, plein de lumière et grâce. Alors l¶âme commence à recevoir les caresses du Bien-
Aimé dont chaque « toucher » l¶enrichit de toutes sortes de grâces et de vertus ( 2 NO 23 ;
24). Elle court vers les fiançailles mystiques.

14
C¶est la Bonté de Dieu qui en décide mais en fonction de la collaboration de l¶âme et de son projet glorieux
sur elle.

23
"
9--.+/4,4)

L¶âme devra pratiquer +/A/.79. et 6)9,) </)6 23++ 43 6)9,)H selon
l¶expression de la petite Thérèse. Prenant son mal en patience, elle vivra dans l¶obéissance à
son directeur spirituel dans une ouverture du cœur qui sera de plus en plus difficile. /
<)/,23 70 /60 7 B9,H 70<*)/.6  7 6;/),* .4)0 93 0 7 ),=33). L¶âme a
aussi besoin de courage.
Le père spirituel sera l¶icône de la miséricorde, l¶accoucheur qui aidera le bébé à naître.
Il l¶entourera de tendresse et de miséricorde, de compassion et de prière. Mais il arrive que
l¶incompréhension du Père spirituel fasse partie de l¶épreuve de la Nuit !

   > (,(c.(.


Ñ.(*.@ 

Notons que c¶est ici que se dégage ce que l¶on appelle « l¶odeur de sainteté ».


$>• $  $    $  @
H  

C¶est l¶état de celui qui sort encore des langes. L¶âme ne vit plus que pour le Bien-
Aimé : sa Faim, son Désir, sa Soif... Elle expérimente de façon constante la présence de Dieu.
Sa recherche est joyeuse car c¶est le temps des « $  15», l¶hivers est passé et sa vigne est
en fleurs (CS 1 - 12). Ces « $  » la blessent d¶un amour encore plus grand qui la rend
folle d¶amour. Elle meurt de ne pas mourir parce qu¶elle a le désir d¶être réunie pour toujours
et de façon parfaite à son Ami. Elle le cherche en pleurant mais d¶une douloureuse joie ( CS 1).
Cette quête l¶aspire en elle-même ( CS 1, 6).

$.793A+-/)5)


15
Les « touches » correspondent aussi aux « caresse », aux « baiser » et aux « rayon » chez les mystiques.
Elles provoques des blessures d¶amour, des extases, des ravissements, des vols d¶âme ou Rapt. Leurs
conséquences est une dilatation du cœur et un amour plus grand.

24
Ces baisers annoncent les Fiançailles spirituelles lesquelles préparent au Mariage
mystique. Si l¶âme est toujours fidèle, persévérant dans l¶exclusivité de son amour à Dieu, elle
reçoit des «       » qui consistent en une «    » très brève de
la présence de Dieu en elle ( CS 7, 4). Dieu semble jouer à cache-cache ! Ces « touches »
consolent et plongent dans la désolation. Il se montre et disparaît comme pour se faire plus
désirer. Et, c¶est ce qui arrive. C-093BB)/+9)03.793A+-/)5) : celui des  !
(1) qui la dévorent et celui de $    (2) de son cœur. Ce temps est un temps de
grandes souffrances et de grandes joies à la fois. Nous sommes au seuil des Fiançailles.
Mais elle souffre aussi un troisième martyre pour la cause de Dieu car le mal l¶atteint en
plein cœur.

%  
  c         

H&



Très peu d¶âmes y parviennent parce qu¶elles restent « $ " » dans la Nuit de
l¶esprit en retardant leur purification par leur plainte et leur manque de docilité à l¶Esprit
Saint ! La plupart d¶ailleurs se sont «  » dans la contemplation passive. Quant à celles
qui ont passées la Nuit de l¶esprit, elles sont restées dans l¶Union initiale parce qu¶elles n¶ont
pas su garder leur liberté intérieure au milieu des nombreuses consolations que leur avait
accordée la Bonté divine.

& 6;9,:7*B,.,,B

C¶est un état aussi appelé ènion des volontés puisque qu¶il réalise entre Dieu et
l¶homme une parfaite union des volontés qui fait que l¶homme n¶a plus d¶autres désirs que
celui de Dieu. Sa seule Nourriture est la Volonté de Dieu. Ainsi les fiançailles annoncent-elles
le choix définitif de Dieu sur l¶âme et de l¶âme pour Dieu. Les deux volontés sont à jamais
unies.

25
& ;3)706/7/3:<93)+/-,00,9. 

Comme il convient, c¶est l¶heure des cadeaux. Les dernières anxiétés et plaintes
disparaissent. Dieu revêt sa Bien-Aimée de vertus et de Charismes pour la mission qu¶il lui
confie au service de l¶Eglise universelle et de l¶histoire. Enfin, l¶âme goûte à la paix et aux
délices du monde à venir. ++ 0-A)/0 7 MI+ <93) +0 C-0 et voudrait souffrir mille
peines pour leur salut. Le souvenir de ses péchés a été balayé par l¶Amour. Elle ne craint plus
pour ses péchés car elle sait que Dieu est Miséricorde infinie.

Le Seigneur peut encore permettre des désagréments ( CS 14 ; 15 ; 30) mais l¶âme est
déjà en sécurité. Il convient qu¶elle étende son oraison à tout et s¶attache de façon parfaite à la
volonté divine, qu¶elle qu¶en soit le sacrifice. En réalité, déjà elle vit de Lc 18, 1 : « Priez sans
cesse »

%    N         



Hc)9+ H


De toutesles personnes qui arrivent aux Fiançailles, peu arrivent au Mariage Spirituel (
CS 26, 4) ! Pour le définir, il faudrait parcourir tout Vive Flamme d¶›mour.



'
230+ /),/= 50,23 !

Le Mariage spirituel est un dépassement de l¶union des volontés. C¶est une union totale
qui absorbe et unit tout en Dieu : les sens et l¶esprit D¶après saint Jean de la Croix, on arrive

16
Vive Flamme d¶›mour décrit le Mariage Mystique

26
à cette étape que si on est confirmé en grâce, c¶est-à-dire quand elle reçoit la grâce de ne plus
être capable de pécher.
Dans cette Union le Saint-Esprit, le divin artisan de cette union, devient le Maître de
l¶âme, « le seul maître à bord ». L¶âme est comblée de toutes sortes de grâces, Dieu l¶infusant
de toutes sortes de bénédictions spirituelles (CS 23, 6). L¶âme expérimente Dieu qui devient
plus réel pour elle que la réalité (CS 26,4). C¶est l¶union la plus parfaite sur cette terre.

'3+230B)3,076:<*),.6


Ils sont bien entendu forts nombreux. Nous n¶en relevons que quelques uns.

 L¶âme sent et jouit de Dieu en permanence. Elle est totalement embrasée ( VF 4, 15


et CS 22, 6)

 Elle repose en Lui comme une épouse entre les bras de son époux (CS 22, 6)

 Elle a une connaissance surnaturelle, intime et profonde de Dieu ( CS 23,1)

 Elle vit de la vie trinitaire dans un bonheur indicible. Elle a une œuvre d¶intelligence
merveilleuse (CS 39, 4 et 39, 6)

 Ses sens sont totalement spiritualisés, d¶où toute sa chair goûte Dieu. L¶esprit règne
à nouveau en souverain sur le corps (CS 40, 5). Cela ne signifie pas que la
souffrance n¶existe plus.

 Elle connaît des embrasements pour le ciel et ne vit plus que pour lui (CS 40, 7)

' .,9.)/.0B9)-/.H 



27

Contrairement à tous les autres auteurs spirituels S. Jean de la Croix a distingué un
autre état d¶union à Dieu situé au delà du Mariage Mystique ! Qu¶est il au juste ? Après
quelques balbutiements le Maître des Nuits a dû s¶arrêter, incapable d¶en rendre compte.
Substantiellement, il le présente comme « un stade de développement extrême, suprême
du mariage spirituel » Dans cet état, l¶âme est enflammée et incandescente jusqu'à jeter des
flammes et des étincelles. La caractéristique de l¶union transformante est une activité d¶amour
extrême du Saint-Esprit qui assimile de plus en plus l¶âme à la Très Sainte Trinité ( VF 4,
16). C¶est pourquoi, écrit -il, ses actes sont plus précieux à toute l¶Eglise que tout ce qu¶on
peut faire et imaginer (VF 1, 3). L¶âme est totalement divinisée, aussi possible que cela l¶est
sur la terre.
C¶est l¶extrême limite à laquelle une âme puisse arriver. Après, c¶est la vie éternelle où
la grâce s¶épanouit en Gloire.


  


La doctrine spirituelle que saint Jean de la Croix trace n¶est rien d¶autre que
l¶Evangile, expliquée, distillée systématiquement pour les aveugles que nous sommes à la
lumière de son expérience intérieure. Il serait intéressant d¶essayer de retrouver dans les textes
sacrés chacun des conseils qu¶il nous livre. Son enseignement n¶a qu¶un but : nous aider à
devenir ce que le Baptême a fait de nous en germe sur la terre. Qui a, un tant soit peu, lu S.
Jean de la Croix sait que, contrairement à son siècle et à tant d¶autres mystiques, s¶il est un
passable philosophe, il est incontestablement un parfait exégète mais à la manière des spirituels

28
et des Pères. Il est aussi l¶un des plus grands poètes espagnols de tous les temps. Il a su dire les
vérités éternelles avec une romance délicieusement belle que malheureusement le Français ne
sait pas rendre.
Plutôt que d¶oublier Jean de la Croix au profit de Thérèse de l¶Enfant -Jésus, il est sans
doute plus profitable d¶aller à la sainte de Lisieux avec une mémoire « sanjuaniste ». Sans cela,
la petite Thérèse court le risque, il nous semble, d¶être digérée de travers. Elle n¶a pas inventé
une autre spiritualité carmélitaine. Sa petite voie nous enseigne comment déployer sur la
Montée du Carmel la vertu théologale de Foi sans laquelle l¶ascèse est inutile et la sainteté
impossible. Dans l¶imagerie de la sainte de Lisieux, la phase active correspond « au pas » que
lève l¶enfant pour essayer de gravir « l¶escalier de la sainteté » tandis que l¶ascenseur
représente la phase passive où Dieu élève à Lui son petit enfant.
Jean de la Croix nous dit que la foi nous conduit à un troc ü     , ,
c¶est-à-dire à la béatitude : «
   !          » ( Mt 5). C¶est
l¶admirable échange que chante la Liturgie. Il montre comment la Montée vers l¶union à Dieu
appelle un dépouillement radical de l¶être pour une nécessaire liberté intérieure, condition
d¶adhésion à Dieu dans la foi. Et la petite Thérèse nous rappelle la primauté de la Foi dans une
vie tentée par le pélagianisme ou teintée de jansénisme. La petite Thérèse, elle, nous dit que
nous n¶avons pas à nous effrayer car « *    !" $ !
 ». Ainsi affirme-t-elle que La Montée du Carmel est pour tous ! Elle est surtout pour
les enfants, c¶est-à-dire pour ceux qui croient à l¶amour fou de Dieu, qui s¶abandonnent à cet
amour plus fort que la mort dans la certitude que Dieu saura lui-même comment les élever à
Lui. Ce sont deux accents différents du même mystère. Dans un cas comme dans l¶autre, ce
n¶est que l¶Evangile dans toute sa radicalité. Les deux saints nous ramènent à notre vocation
chrétienne qui est d¶être des « copies vivantes » du Christ, mort et ressuscité. La foi nous
dépouille toujours de nous mêmes pour nous donner à nous mêmes tel que Dieu nous désire
dans le Christ. Cela n¶est possible qu¶en consentant à prendre sa croix. Ni Jean de la Croix, ni
Thérèse ne nous en dispensent. Jean de la Croix et Thérèse se rejoignent. On ne peut être saint
à moitié. Aucune sainteté n¶est possible sans le passage par la Pâques du Seigneur, sans
purification : sans larmes. Telle est la voie évangélique qui proclame : « Bienheureux ceux qui
pleurent car ils seront consolés. »
Peut-être, le génie de la petite Thérèse serait-il de donner à « La Montée du Carmel »
des apparences plus accessibles, et donc finalement de nous faire croire à la sainteté pour nous

29
et pour tous. Mais on ne pourrait reprocher à Jean de la Croix d¶être de son siècle. Que serait
Thérèse Martin sans Jean de la Croix ?

30
##  c( 

OEèVRES COMPLEES de Jean de la Croix, Cerf, Paris, 1997

Collectif, S››N, DDB et Cie, Bar Le Duc, 1948

Florient L. O.C.D., Jean de la Croix POEMES MYSIQèES , coll. Méditations, DDB,


Clamecy, 1975

Constant Tonnelier, Prier 15 Jours avec JE›N DE L› CROIX, Nouvelle cité, 1990

C. H., ›BREGE DE L› DOCRINE MYSIQèE DE S›IN JE›N DE L› CROIX , Editions


de La Vie Spirituelle, Saint-Maximin, 1925

JOSSUA Jean-Pierre, Seul avec Dieu, L¶aventure mystique, Gallimard, 1996

GOBRY Ivan, L¶Expérience mystique, Je sais - Je crois, Arthème Fayard, Paris, 1964

31
P. CRISOGONO, VIE DE S›IN JE›N DE L› CROIX, Editorial de Espiritualidad, Madrid,
1987

Collectif, ›vec Saint Jean de la Croix, doctrine de vie spirituelle , Imprimerie Saint-Augustin,
Fribourg, 1978

PELLEE-DOUEL Y., S JE›N DE L› CROIX et la nuit mystique , coll. Maîtres Spirituels, Bourges, 1960




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