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REVUE BIBLIQUE
Typorrraphie Firmin-Didot et C". — Paris.
NOUVELLE SERIE TREIZIEME ANNEE TOME \III

REVUE BIBLIQUE
PUBLIEE PAR

L'ECOLE PRATIQUE D'ÉTUDES BIBLIQUES

ETAr.LIE AU COUVENT DOMINICAIN S \INT-ETIENNE DE JERUSALEM

PARIS
LIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE
J. GABALDA, ÉDITEUR

RUE BONAPARTE, 90

1916
QIELQ[IES PROCÉDÉS LITTÉRATRES
DE SAINT >[ATTIIIi:i]

On connaît le but du premier évangéliste : montrer que Jésus est

bien le Messie annoncé par les prophètes, qu'il a fondé le royaume


promis au vrai Israël, et que, s'il n'a pas été reconnu par la majeure
partie de la nation et par ses chefs, c'est qu'obstinément renfermés
dans leurs préjugés et leur infidélilé aux avances divines, ils se sont
exclus eux-mêmes de ce royaume, en laissant la place aux Gentils
empressés d'y entrer. Pour développer cette thèse, et dans le milieu
même où s'étaient passés les événements, il pas besoin
n'était
d'insister sur le détail des faits et sur leur enchaînement réel, ni de
les replacer exactement dans les temps et les lieux de leur accomplis-

sement. La plupart des premiers auditeurs de la parole apostolique,


A Jérusalem et dans la Palestine, n'avaient-ils pas été témoins de ces
faits qui avaient eu un tel retentissement par tout le pays? Dans un
tel milieu,il importait davantage pour un évangile, écho fidèle de
la première prédication, de présenter de préférence les enseigne-
ments du Maître, et, afin d'en mieux faire saisir la portée, de les
réunir sous certaines idées principales, sans trop se préoccuper des
circonstances particulières de toutes les paroles.
Cette absence de préoccupation vraiment historique se révèle au
premier abord dans les grands discours et dans le groupement des faits

miraculeux. Voyez les cinq grands discours qui forment comme cinq
chapitres de la doctrine sur le royaume de Dieu L'esprit du nouveau
:

royaume et sa justice (ch. v-vii), l'apostolat du nouveau royaume


(ch, x\ la description du royaume lui-même dans ses origines, ses
conditions et ses progrès (ch. xiii), les relations des membres du
nouveau royaume (ch. xviii), enfin la consommation du royaume et
la fin de toutes clioses (ch. xxiv-xxvl. Chacun de ces discours, qui se

terminent par une formule semblable de transition avec la suite de


l'évangile, est construit d'après une même méthode. A un fond prin-
cipal qui forme l'essentiel du discours et se rapporte à une situation
(; HKVl r. illIiLIOli:.

«Irtorminée, sont ajoutés d'autres matériaux liiés d'enseignements du


.Maître, donnés en des temps et des lieux dillérents, mais se laissant

plus ou moins étroitement ratlachei' par Tanalogie des idées. Ainsi


dans le sermon sur la Montagne, l'évangéliste prétend bien donner
un vrai discours de Jésus-Christ prononcé en (ialilée, discours dans
lequel la justice intérieure et spirituelle du nouveau royaume est

mise en opposition avec la justice extérieure et légale des pharisiens.


Mais ;\ l'organisme primitif de ce discours il ajoute beaucoup d'élé-
ments étrangers, auxquels saint Luc, plus historien, assigne dans la
vie de .lésus-Christ une place différente, dans un contexte qui expli-
(]uc mieux le sens précis des paroles. Le premier évang-éliste fait
entrer dans le discours ces additions, sans indiquer qu'il les donne
comme telles; mais le caractère morcelé de certains passages, leur
lion assez lAche avec le fond du discours et surtout la comparaison
avec saint Luc, nous font apparaître le procédé littéraire de l'auteur.
Tout en donnant comme authentiques les paroles qu'il met dans la
bouche du Sauveur, ne prétend point que toutes ont été dites dans
il

cette circonstance particulière plusieurs ne viennent qu'à titre de


:

complément, d'explication ou de développement des premières.


il groupe les faits conmie les paroles Ainsi les dix miracles, men- :

tionnés par saint Matthieu api'ès le sermon sur la Montagne dans ses
chapitres viii et ix, sont réunis dans un dessein tout autre que la suite

chronologique des événements. Le récit de saint Luc nous montre


que cet ordre eût exig-é la répartition de ces miracles à des époques
très diverses de la vie de Notre-Seigneur. D'ailleurs saint Matthieu

n'a pas rattaché ces faits entre eux par des transitions ayant une
valeur de précision historique (1). On ne le voit pas non plus s'arrê-
ter d'ordinaire au détail des événements saint Marc ou saint comme
Luc : il se liAte d'arriver,ou à la parole de Jésus comme à la chose
essentielle qui dévoile le sens du fait, ou" à la prophétie qui rattache
le fait cité à l'idée principale de son évangile. Avec de telles préoc-

cupations la peinture détaillée des événements, leur place historique


<lans la suite de la vie n'ont évidenmient qu'une importance secon-
daire.
(>es consitlérations i:éin lalrs sur la méthode (li(lacti(|ue, j>arlicu-

lière ;\ noli'c auteur. e\pli(pieut (pichpu'S j)ni((''ilés |>arliculiers (juc

(I Les fiirimili^s vaRUCs cmnnx; c/i cr linips-hi, nltirs. voici (pie, <'k-. soiil |iluliil

< (tinme un ii lio do la |irA(lirntinii n|iiislnli<|iir |>riinitivc. dans l,i(|(i('llo on (oinnKMKail les

f«its vn ro|«irlanl la pensée des ainliteurs a ri|>o(|iie ^irnérale de l.i vie pulilique de
Jj'sus-Chrisl.
MUELuLi'S im;o(.kih:s i.iïTi:fiAmi:s df. saint MViTiiiiiii. 7

nous ronconti'ons dans la composition de son évangile, et sur lesquels


nous voudrions nous arrêter.
C'est d'abord le pluriel mis volontiers à la place du singulier, plu-
riel d'indétermination ou pluriel de catégorie. C'est aussi une sorte
de condensation de plusieursfaits ou des détails d'un même fait, telle

que leur ordre ou développement réel est négligé au profit d'un


enseignement à mettre plus en relief. ^Quelquefois ces deux procédés
sont unis ensemble. Voici quelques exemples.
Il des cas le pluriel a quelque chose de
est certain qu'en bien
plus indéterminé que le singulier. Comparez, par exemple, dans
le récit de la première tentation, la formule de saint Matthieu à celle

de saint Luc. D'après le premier évangéliste (iv, 3 le tentateur s'a- ,

dresse ainsi à Jésus-Christ Dis que ces pierres deviennent pains.


:

L'expression de saint Luc (iv, 8) est certainement plus précise et plus


pittoresque : Dis à cette pierre quelle devienne pain.
De même dans les conseils sur la prière : « Si vous, qui êtes mé-
chants, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus
votre Père céleste donnera-t-il à ceux qui le prient de bonnes choses,
2;xhx? » (Matth., VII, 11). L'expression est générale et assez vague. Celle
de saint Luc : « une bonne disposition, un esprit droit et saint, 7:vcj;Aa
y.yizy », est plus particulière et s'harmonise mieux avec la portée
élevée de l'oraison dominicale, qui est le point de départ de ces
développements sur la prière.
Après le récit d'un éclatant miracle, saint Matthieu (ix, 8) fait cette
remarque « Les foules glorifiaient Dieu qui a donné une telle puis-
:

sance aux hommes » il n'a cependant en vue, dans le cas présent,


:

que la puissance donnée à Jésus, au Fils de l'homme.


C'est avec la même indétermination qu'il dit après la mort
d'IIérode (11, 20) « Ceux qui cherchaient la vie de l'enfant sont
:

morts. » Il ne s'agit évidemment que de la mort d'Hérode seul.


Un autre exemple du pluriel mis pour le singulier se rencontre
probablement dans le récit du lestin de Béthanie (xxvi, 8). En voyant
une femme répandre des parfums de grand prix sur la tête de Jésus,
« les disciples dirent avec indignation : A quoi bon cette perte?
On aurait pu vendre ce parfum très cher et en donner le prix aux
pauvres (1) ». Saint Jean, qui nous rapporte le même metfait (xii, 5),

dans la bouche de Judas cette réflexion : « Pourquoi n'a-t-on pas vendu

(1) Le récit du second évangéliste (xiv, 4) est à peu de choses prés identif|ue. Cependant
au lieu de la formule générale ttoàXoj, « très cher », pour le prix du parfum, il donne une
appréciation précise : trois cents deniers.
8 HKVUE BIBLIQUE.

ce parfum trois cents deniers pour les donner aux pauvres? « Et


reconnaissant Je vrai motif de son apparent souci des indigents, il

ajoute : <( Il dit cela, non par souci des pauvres, mais parce qu'il était
voleur et qu'ayant la bourse, il dérobait ce qu'on y mettait. » Dans
ce lécit le quatrième évangéliste est beaucoup plus précis que le pre-
mier : il désigne le nom de la femme, Marie; le prix du parfum,
de la réflexion intéressée. Judas, le disci-
trois cents deniers; l'auteur
ple habitué à compter, qui, d'un simple coup d'œil, a su apprécier
la valeur du parfum. Eu regard, saint Matthieu parait bien imprécis;

il do formules générales.
se contente
Pour concilier les deux récits, nombre de commentateurs ont pensé
«juc Judas ayant exprimé à ses voisins de table le mécontentement
que lui causait la profusion faite sous ses yeux, plusieurs autres
disciples auraient fait écho à sa plainte. Saint Jean mentionnerait
spécialement Judas comme étant l'instigateur de ces murmures, et

.saint iMatlhieu comprendrait, sous le terme général les disciples, et

ceux qui conçurent en eu.x-mêmes


celui qui prit la parole. Judas, et
du mécontentement de cette profusion, et le manifestèrent plus ou
moins par leur attitude. Ce qui retient ces commentateurs et les
empêche de voir dans ce pluriel une simple généralisation selon les
habitudes de saint Matthieu, c'est l'expression parallèle de saint
Marc (XIV, h) « Quelques-uns de ceux qui étaient là en témoignaient
:

leur mécontentement. » Mais -vdz, ne veut pas dire ici quelques-uns


en opposition avec un seul ; il a le sens indéterminé de cci'tains.

C'est un pluriel de généralisation, aussi bien (jue l'expression, les


(lisriples, de saint Matthieu.
terme général, le pre-
D'ailleurs ce (|ui. porte à croire (juc, sous ce
mier évangéliste écho, comme le second, de la première prédication
a en vue Judas, c'est la place qu'il donne dans son récit au festin
de Béthaiiie. Cette place n'est point chronologique. Le fait devrait
venir six jours avant la PAque, comme dans saint Jean. 11 est inter-
calé entre la réunion du sanhédrin, où l'on cherche les moyens de se
saisir d«' Jésus, léiinion (jui eut lieu deux jours avant la Pc\(juc, et la

|)ropositi<»n que vient faire Judas aux princes des prêtres do leur
livror colui dont ils rh-siraiont tant se débarrasser. Va\ mettant le

icpas de liélhanie aussitôt avant le récit de la trahison, le premier


évangéliste voit une connexion morale entre les deux incidents. L'un
fut rfxcision de l'aulio : l'indignaliot) de cette «Ame avare en face de
Il piodiualilé de Mario et la réprimande du Maître décident enfin
Judas à so séparor do Ji'-sus et à se rangor parmi ses ennemis.
C'est aussi CMminr un piuriol dt- catégorie <pi on doit intci'préter
QUELQUES PROCÉDÉS LITTKRAIRKS DK SAINT MATTHIEU. 9

l'expression dont se sert saint Mattliicu dans le récit de la passion,


ch. xxvii, ïï. Après avoir montré, autour de la Croix, les passants qui
injuriaient Jésus, les princes des prêtres et les anciens du peuple qui
le raillaient, il ajoute : « Les brigands qui étaient en croix avec lui
l'insultaient de la même » Dans le récit plus détaillé de
manière.
saint Luc (xxni,
39), deux
il n'y a pas
malfaiteurs à insulter, mais
un seul. « Or, l'un des malfaiteurs pendus à la croix l'injuriait
disant N'es-tu pas le Christ? Sauve-toi toi-même et sauve-nous! Mais
:

l'autre le reprenait en ces termes Ne crains-tu pas Dieu, toi non


:

plus, condamné que tu es au même supplice? Pour nous, c'est jus-


tice; car nous recevons ce qu'ont mérité nos crimes. Mais lui, il n'a
rien fait de mal. » Et il dit à Jésus : « Seigneur, souviens-toi de moi
quand tu seras parvenu dans ton royaume. » Jésus lui répondit : « Je

te le dis, en vérité, aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis. »

admettre avec saint Matthieu que


Faut-il les deux larrons ont
blasphémé, ou dire avec saint Luc que ce lut le fait d'un seul? Il est

curieux de voir comment saint Jean Chrysostome {Homélie sur le

Paralytique, 3,i) cherche à établir qu'il n'y a pas contradiction entre


les deux évangélistes. <( Écoutez, dit-il à ses auditeurs, et suivez-moi
avec l'attention la plus sérieuse; la question présente n'est pas une
question futile, c'est une ([uestion qui vous servira beaucoup contre
les Grecs, les Juifs et un grand nombre d'hérétiques, lorsque nous
aurons donné la solution véritable. On reproche de tous côtés aux
évangélistes des divergences et des contradictions. Il n'en est assu-
rément rien; loin de là... On pourrait trouver dans les évangiles
plusieurs faits qui soulèvent au premier aspect une accusation de
contradiction et qui pourtant ne sont en aucune façon contradictoi-
res... Autre chose est de varier, autre chose est de se contredire; la
première de ces choses n'engendre ni lutte, ni discorde. »
Siint Jean Chrysostome admet donc, en principe qu'il n'y a pas
de contradiction véritable entre les évangélistes, qu'il ne saurait y
en avoir. En cela il s'accorde pleinement avec saint Augustin et tous
les Pères, pour qui l'inspiration de lÉcriture est incompatible avec
l'erreur.
Mais, admis ce principe incontestable, autre chose est le moyen
employé pour écarter le reproche de contradiction il est plus ou :

moins heureux. On peut en montrer l'insuffisance, sans pour cela


ébranler le principe. Nous voyons d'ailleurs ([ue les Pères qui admet-
tent tous le principe, ne s'accordent pas sur les explications destinées
à écarter les objections. Il peut même se faire que certains moyens
employés généralement par eux, qui pouvaient satisfaire l'apologie
iîi:vi;i: niui.inrr.

(le leur IciiipM. .soient reconnus maintenaiii impuissants en l'ace de


(liflicultés nouvelles. Ils cherchaient surtout à résoudre les cas parti-
culiers, à mesure qu'ils se présentaient à eux, dans leurs homélies ou
leurs commentaires. L'étude plus approfondie qui a été faite de nos
Jours de la nature de linspiration et du genre littéraire des divers
livres de la lîilile, permet souvent de trouver des principes de solu-
tion i)lus générau.x et plus solides.
Voici comment, dans le cas particulier qui nous occupe, le grand
orateur cherche à montrer que le fait, raconté diversement par saint
Matthieu et par saint Luc, n'est pas raconté contradictoirement. « Un
évangéliste dit que les deux larrons blasphémaient; un autre que l'un
fl'entre eux hlàmait avec énergie son compagnon. En cela rien de
I
ontradictoire. Et pourquoi? Parce que tous deux au commencement
Ne conduisirent d'une manière indigne. Mais ensuite quand les pro-
diges eurent éclaté, que la terre eut tremblé, que les rochers se furent
tendus, le soleil obscurci, l'un des brigands changea de sentiment et
revenant à une conduite plus sage, il reconnut l'innocence du crucifié
et confessa sa royauté. Afin que vous n'aperceviez pas en cette con-
lession reflet d'une sorte de nécessité et d'une violence s'exerçant sur
l'àmc du larron, et quç vous n'éprouviez en cet endroit aucun embar-
ras, on vous montre conservant d'abord sur la croix sa perversité
le

première, preuve manifeste de la sincérité et de la spontanéité de sa


conversion et de l'intervention de la grâce divine, à laquelle il fut
redeval)le de ce retour au bien. »
Saint .lean Chrysostome est un orateur. Rapprochant par la 'pensée
l'attitude des larrons à la Croix et les prodiges qui s'accomplirent au
moment de la mort de .lésus, il trouve dans la terre qui tremble et les
rochers qui se fendent un motif capable d'ébranler les Ames les plus
endurcies, d'arrêter les blasphèmes sur les lèvres d'un des larrons en
les remplaeant pai- des paroles de repentir et de confiance. Mais,

<mj)orté par le mouvement de son éloquence, il n'a pas rétléchi que

ces ]»hénomènes sont postérieurs au dernier soupir de Jésus-Christ et


|»ar conséquent à la conversion du larron. Si les féiu"'bres ont com-
mencé à s'étendre et à envelopper le Cal\.'iir<' dès la sixième heure,
les autres i)rodiges sont indi(jués par saint Matthieu séparément et
plaeès aiissit«M après la moi-f de .lésus. Puis, l'attitude <lu hon lari'on,
telle (jiK- la présente saint Luc, et les paroles <ju'il prouoiiee. ne s'har-
monisent uère avec le passag-^e subit du blasphème à la prière con-
Hans une telle hypothèse, il n'aurait pu dire sim})lement à .son
liante.
cr»mpagnon d'infortune Pourquoi blasphèmes-tu? » si hii-mènu^
: <-

quelques minutes auparavant s'était rendu «•on|)alile des mètues blas-


oiKi-UiEs i'iiU(;i;i)Ks Lirn-i'.AiRr.s de saint mattiiiki'. u
phrmes. Eli faisant des rcpi'ochcs à l'autre larron, il ne s'accuse en
aucune façon d'avoir lui-même injurié Jésus. Son langage suppose
donc une tout autre attitude dans les moments qui ont précédé sa
prière. Sans doute lorsqu'il fut associé au supplice de Jésus, qu'il le
vit souffrir et l'entendit parler, il dut sentir son Ame profondément

remuée et entrevoir quelque chose de surhumain dans cette patience


inaltérable. Ce brigand pouvait être un violent, un passionné; mais,
après des années de crimes, il gardait encore une certaine droiture
qui lui jiermettait do se laisser toucher et gagner par la vérité.
Comljien l'explication de saint Augustin n'est-elle pas plus natu-
relle et plus profonde que l'expédient proposé par saint Jean Chry-
sostome? Il la donne, non dans un discours, mais dans un livre com-
posé ex professo pour expliquer les contradictions apparentes des
Évangiles, dans le De consensu cvangelislarwn, 1. III, c. xvi. Voici
comment il s'exprime : " Saint Matthieu (1) dit : Les voleurs qui étaient
crucifiés avec lui, le blasphémaient. Comment se peut-il que saint Luc
nous dise qu'un seul des deux blasphémait et que l'autre gardait le
silence, et crut en lui? Ne devons-nous pas croire que saint Matthieu,
dans le but d' abréger le récit, emploie le pluriel pour le singulier?...
Quoi de plus ordinaire par exemple que d'entendre dire à quelqu'un :

Les paysans m'insultent, quand il n'y en a qu'un pour l'insulter?


L'usage a permis d'employer la forme plurielle, quoiqu'un seul ait
commis ce crime, »
En effet saint Matthieu groupe par catégories ceux qui insultent à la
Croix :peuple qui passait, les sanhédrites, les voleurs crucifiés. Il
le

ne prétend pas que tous dans la populace, que tous parmi les mem-
bres du sanhédrin insultaient le Sauveur mourant; il en est de même
pour les voleurs. Selon son habitude le premier évangéliste va au plus
court et, dans le dessein de rappeler seulement les injures subies par
Jésus dans son dernier supplice, il passe rapidement en revue et

d'une façon générale les catégories d'insulteurs. Saint Luc, qui entre
en plus de détails nous montre comment en réalité
et précise les faits,

les choses se sont passées. Le genre de composition de saint Matthieu,


ses procédés littéraires habituels fournissent donc encore la solution
de la difficulté.
La constatation du même procédé nous donne également la solu-
tion de la divergence des récits de saint Matthieu (vci, 5-13) et de
saint Luc vu, 1-10), dans le fait de la guérison du serviteur d'un

(1, Saint Marc parle ici comme saint Matthieu : son récit dépend étroitement de la

même prédication populaire primitive.


12 KEVl i: hlBI.IUI-^^-

ol'fîcicr à (..([(liariHiuiu. Le i)i'eniier évaiigrlistc va au plus court il :

supprime les deux mess.iges envoyés par le centurion, et met dans la


bouche de ce dernier ce que le troisième évangéliste fait dire par les
anciens de la cité et par les amis de cet ollicior.
Pour ('.\pli(juor cette contradiction, saint Clirysostomc [Homé-
lif XWI sur S. M(iiihieu) essaie de trouver un certain accord, plutôt
matériel, entre les deux récits. « Que iMatthieii, dil-il, mette ce lan-

iXR'^e bouche du centurion même, au lieu de l'aire parler des


dans la
messaiiers, c'est sans importance; on veut savoir si l'un et l'autre
évangélistes attestent la bonne vohmté de cet homme et la rectitude
de son jug-ement sur le Christ. Rien n'empêche, après cela, qu'il ne
soit venu hii-uièuic tenir le langage qu'il avait tenu par ses amis.
S. Luc n'a pas dit l'une de ces choses et saint Matthieu l'autre ; ce n'est
pas (ju'il y ait désaccord dans leurs narrations, c'est au contraire qu'ils
se eoniplétent mutuellement. »

Il va bien cependant quelque difficulté à ajouter le récit de saint


.Matthieu à la suite de celui de saint Luc, et à faire répéter exactement
par le centurion lui-même ce que ses amis ont déjà dit à Jésus de
sa part.
Saint Augustin est plus dans le \rai quand il reconnaît là une
ligure de langage employée par S. .Matthieu jiour ahrrgci'. «Si la chose
a eu lieu de la sorte (comme le rapporte S. Lucl, où est la vérité dans
ces mots (le S. Matthieu : Un centurion s'ajiproclia de lui, puis(|u'il

ne vint pas lui-même le tr(juver, mais lui envoya ses amis? Ne laut-il
pas (pi'unc observation attentive nous fasse comprendre que S. Mat-
thieu a employé
une figure de langage assez haltituclle?... Nous
ici

disons ordinairement qu'on est parvenu près de (piehjuun, l>ieu qu'on


ne le voie pas soi-même, quand on arrive par rintermédiaire d'un
ami j»rès de qnelipiun dont on rccherclu; la faveur... Le centurion
s'étant donc ajiproehé du Seign<ur pai- intermédiaire des anciens, 1

saint Matthieu a j)U i\\\'() jxjur ahri-f/er : In rfului'ion s'tipjiroclui df


lui. une façon de parler (pic tout le monde est capable d'cnten-
C'est
die... Huant à saint Luc, s'il a e\pii(|ué comment tout s'est passé,
c'est poui- nous faire comprendre dans <|uel sens saint Matthieu, éga-

lement infaillible, a dit (jue le centurion s'était aj)[)r()ché de .Jésus. »


lU-marcpions-le d'ailleurs 1
1 , saint Matthieu, qui. selon scshabiludes,
abrèg^e ainsi le récit du lait. alloni:e d'autre j)art les paroles pro-
noncées par le Christ en celle cir-conslance. Il lait dire au Sau-

[\) l^s Père-, un les coiiiiiirnl.il('iir> .iru iens qui sniM-nl l'oiiininn df s.iiiil Auniislin, scjnl
plus nornbri'iix (|tir Icn parli^aiis du sontiiiHtil dr- s.iinl Chryso^lniiM-.
QUl^LUUES PUOCliDKS l.ITTKHAIliKS l»K SAINT MATTHIEU. 13

veiir, qui vient de célébrci- la foi du centurion (foi si grande qu'il


n'en a pas trouvé de seml)Iablc en Israël;, ces autres paroles (viii,
11-12) : « Aussi, je vous dis que beaucoup viendront de l'Orient et
de l'Occident et auront place au festin, avec Abraham, Isaac et
Jacob, dans le royaume des cieux. Mais les fils du lovaume seront

jetés dans les ténèbres extérieures, où il y aura des pleurs et des


grincements de dents. » Or ces deux versets sont placés par saint
Luc dans une autre circonstance, à une époque plus avancée de la vie
de Jésus-Christ, et dans un contexte qui les explique d'une manière
beaucoup plus satisfaisante (Luc, xiii, 28, 29). C'est au cours dun
voyage à Jérusalem, que ne rapporte pas saint Matthieu, dans un mo-
ment où il était question du rejet d'Israël et de l'entrée des païens
dans le royaume. Conformément à son habitude, saint Matthieu, ne
voulant pas raconter ce fait de la vie de Jésus, en détache les paroles
pour les rattacher au récitde la guérison du serviteur du centurion.
Le parallèle entre la foi de ce païen et la foi d'Israël lui offre, grâce
à une certaine analogie d'idée, l'occasion d'y placer l'annonce du
rejet d'Israël et de l'entrée des païens dans le royaume. Cette trans-
position n'a rien que de conforme an plan de saint Matthieu et à ses
procédés ordinaires abréger les faits, compléter les paroles dites
:

dans une circonstance particulière par d'autres tirées d'ailleurs.


Nous trouvons dans le récit de la résurrection un exemple plus re-
marquableencore du pluriel pour le singulier, et duraccourci des faits.
Ces procédés habituels de S. Matthieu nous permettent de considérer
son récit de l'apparition de Jésus aux sùntes femmes comme n'étant
pas dillérent de l'apparition à Madeleine racontée par S. Jean.

Au matin du premier jour de la semaine, les saintes femmes se


rendent au sépulcre. Saint Matthieu se contente de nommer deux
d'entre elles, bien qu'il soit assez naturel d'y voir une partie des
saintes femmes, venues de Galilée, qui avaient assisté à la mort du
Christ sur la croix et avaient fait précipitamment le venrlredi soir
les premiers préparatifs de l'embaumement. D'ailleurs, saint Marc
et sa nt Luc en nomment quelques autres. Elles trouvent le tombeau
vide et voient des anges leur annonçant que le Christ est ressuscité

et qu'il donne rendez-vous en Galilée à ses disciples et au petit trou-


peau de fidèles dispersé par la tempête, ainsi qu'il l'avait prédit avant
sa mort. Les femmes sortent du sépulcre, l'âme partagée entre la
crainte et la joie, la crainte produite et par une apparition céleste
et par la perspective du ressentiment des Juifs à la nouvelle du tom-
beau trouvé vide; mais d'autre part la joie, joie inespérée de savoir
le lU-VLE BlBLIÛUt;.

Jésus r(>ssusc-ilt'. courent annoncer la nouvelle aux disciples


ïA\cs
réunis. ne nous dit pas expressément qu'elles aient
I/évan,t;éliste

accompli lour message la réunion des disciples en (ialiiée, racontée


:

plus loin. It' sui)pos<'. D'aill<'urs, pendant qu'elles sont encore en


route, saint .Matthieu xwiii. 8-10) nous les représente favorisées
d'une apparition du C-hrist lui-même. « VA voici que Jésus vint au-
devant d'elles en disant : Je vous salue. Elles s'avancèrent et lui
tinrent les pieds embrassés et elles l'adorèrent. Alors Jésus leurdit :

.Ne craignez point; allez annoncer à mes frères de partir en Galilée;


c'est là qu'ils me verront. »

En comparant ce récit avec celui de saint Jean on remarque la


coïncidence de tous les détails. Seulement il a perdu une partie de
son relief et pris une forme plus générale.
Dans saint Mattli.. Jésus ahorde les saintes femmes en les saluant.
:

Dans saint Jean, Jésus salue Marie en l'appelant par son nom.
Dans S. Mattli., Les saintes femmes iy.paTr^sav, saisirent les pieds
de Jésus, les tinrent embrassés. Dans S. Jean, Jésus, comme s'il invi-
tait .Madeleine, tenant ses pieds embrassés, à cesser de le retenir,

lui dit :[j.z'j xt.-z-j^ ne me touche pas ou plutôt noli adluurerCy


[j.Ti

amplecti (pedes), cesse de me tenir (1).


Dans saint Matth., Le Christ dit aux femmes « Allez et dites à mes :

frères )•, et dans saint Jean Va vers mes frères et dis-leur. :

Ce sont donc les mêmes traits de part et d'autre. Mais saint Jean
reproduit la scène dans toute sa netteté et fraîcheur primitive, tandis
<juc le récit de saint .Matthieu est comme un sommaire de cette
même apparition les contours particuliers se sont un peu efîacés
:

dans la prédication traditionnelle pour ne conserver que les lignes


générales, une simple esquisse, suffisante au but de son évangile.
Cette manière de raconter en traits généraux et ce procédé <[ui
consiste à appliquer à une catégorie, les saintes femmes, ce qui ne
«onvient ([u'à une seule d'entre elles, est bien dans les habitudes <lu
premier évangélistc.
Si l'on se refuse à admettre cette identification, on est amené né-
cessairement à supposer deux apparitions à Madeleine l'apparition à :

.Madeleine seule, (jue raconte saint Jean, et l'ajjparition en conqiagnie


des autres saintes femmes, dajU'ès le récit do saint .Matthieu. Car le

(\) Sflon la roiitume orientale, les saiiilps fi'inmcs sont rcpH-Ncnlcos |>roslerni'<'s disant
Jésus el Irnaiil sos pieds emhiassi'S. Cf. IV lien., iv. '.?:. SainI .Lan ^n|tp(^sn la inrim- altl-
liide rhtv. .Madeleine; tenant li-s |lied^ du divin Mailp' fml»ra>M^, eile clierdie à le relenir.
Mï; i-Tu/. ri' n «-si [Kis seulein» ni »ab>lenir de inclire la main mit une chose, mais aussi
retirer la main i|ui a déjà saiM
OLKLOLtS l>ROCi:i)i:S LlTTliliAlKES DE SAINT MATTHIEU. i:\

premier évangéliste au iombcau Madeleine avec les antres


fait allei-

femmes : nommément Madeleine et Marie,


ce sont elles ensemble, ou
qni reçoivent le message de Fange; ce sont elles également que le
Christ rencontre à lenr retour du sépulcre. Matthieu ne suppose
pas que Madeleine se soit séparée de Marie.
De plus, la concorde des quatre évangiles sur la résurrection se
heurte à de très graves difficultés, dans la supposition d'une appari-
tion aux saintes femmes distincte de celle dont .Madeleine fut favo-
risée. Elle est au contraire singulièrement facilitée par l'identification
des deux récits de saint Matthieu et de saint Jean. Si les saintes
femmes dans leur retour du sépulcre ont vu non seulement les
anges, mais le Christ lui-même, elles ont dû, en rejoignant le groupe
des disciples, ne pas leur porter simplement l'avertissement des
messagers célestes, mais leur dire qu'elles avaient vu Jésus lui-même
ressuscité. Or, d'après le récit des deux voyageurs d'Emmaiis, elles
n'ont parlé aux disciples que d'apparition d'anges. On a voulu, sans
raison et contrairement au texte, les faire venir dabord à Jérusalem,
après l'apparition des anges, pour avertir les apôtres, et ensuite les
faire retourner au tombeau, où se placerait alors la vision du Christ
ressuscité. Mais le texte de saint Matthieu, qu'on veut dans cette
hypothèse prendre à la lettre, s'y oppose car c'est pendant que les
:

saintes femmes sont en route pour porter aux disciples le message


des anges, que Jésus serait venu au-devant d'elles.
L'identification du récit général de saint Matthieu avec la narration
si vivante de saint Jean une fois admise, la concorde des Évangiles

dans cette première partie des récits sur la résurrection est singu-
lièrement facilitée. Les saintes femmes, dès l'aube du premier jour
de la semaine, s'empressent d'aller au tombeau pour compléter lem-
baumement et rendre les derniers devoirs au Maître bien-aimé. En
arrivant, elles constatent que la lourde pierre qui fermait le sépulcre
a été roulée, que l'entrée est libre et que le corps du Christ n'est
plus là. Madeleine, tout émue, croyant à un enlèvement, quitte
précipitamment ses compagnes et court avertir Pierre et Jean, qui
ne devaient pas alors se trouver avec les autres apôtres. Ces der-
niers, qui avaient fui dès l'arrestation de Jésus dans le jardin de
(retlisémani, s'étaient cachés ensemble dans une maison de Jérusalem,
celle où le Christ les trouvera réunis au soir de la résurrection, celle
sans doute où s'était célébrée la dernière cène. Mais Pierre, honteux
de son reniement et de sa lâcheté, s'était retiré daus la solitude,
loin de tous les regards, pleurant amèrement
Il pouvait sa faute.
s'être caché dans quelque maison connue de Jean, où celui-ci l'avait
iO HKVl !•: lUIJLInl L-

retrouve' apit-.s .sou ictour du Calvaire. Saint Luc (\\iii, 3ï) constate

que l'ierro notait pas avec les autres disciples, quand Jésus ressus-
cité lui apparut. .Mais Pierre et Jean étaient tous les deux ensemble,
lorsque Madeleine viut leur annoncer ce qu'elle avait constaté au
sépulcre.
De leur côté, femmes, restées au tombeau après le départ
les saintes

-le Madeleine, avaient reçu des aniies l'annonce que le Christ était

ressuscité et l'ordre d'avertir les apôtres. Précipitamment elles aussi,


.lies quittent le sépulcre et viennent trouver les disciples réunis
et leur dire simplement, d'après le récit des voyageurs d'Emmaiis,

(ju'elles ont vu des anges leur annonçant la résurreclion. lUen dans

le message entendu par nos deux pèlerins avant leur départ, ne


laisse supposer que les saintes femmes auraient vu elles-mêmes le
Christ.
Pendant quelles couraient porter aux disciples, réunis dans le
( énacle, le message angélique, Pierre et Jean, avertis de leur côté
j.'ar .Madeleine, s'étaient empressés de venir constater ce qu'elle leur

avait annoncé. Ils entrèrent dans le sépulcre, se rendirent compte


que le tombeau vide n'avait pas été violé, et qu'il n'y avait pas eu
d'enlèvement violent et précipité, ba foi commença à renaître dans
Itur Ame et ils revinrent en ville le cœur tout ému et ag-ité de sen-
timents divers.
Madeleine, arrivée peu après, les laissa repartir et ne put se
résomlre à (juitter le tombeau (pi'elle voyait vide, mais où son amour
espérait, malgré tout, retrouver le Maître bien-aimé. C'est alors qu'eut
lieu, pour elle seule et comme récompense de son amour, la première

apparition de Jésus, racontée par saint Jean d'une manière si tou-


clijinte. Uéconlortée par la vue et les paroles de Jésus, elle revint

(die aussi, mais plus tardivement que les autres saintes femmes,

avertir les disciples que le Christ ressuscité les invitait à se réunir


en Calilée.
On voit comment, dans ces [)remières pages des récits de la résur-
I ( ction, l'accord .se trouve facilité et éclairé par cette identification
d<' l'apparition aux saintes femmes avec ra|»parition à .Madch ine.
C«tte vue se trouve confirmée par la conqiaraison de la finale de
>aint Marc avec saint Matthieu. Le second évangéliste (Marc, xvi, 1-8)
commence son récit dune façon, à peu de clioses jnès. semblable
au premier 'Mattli., wmii, \-Hk Dans les dcu\ récits, les saintes
femmes ont au tombeau une vision d'anues (pii b-ui- donnent le même
ordre. Elles s'en vont préci[)itammenl pour le porter aux disciples.
Leur Ame est partagée entre la crainte et la joie selon saint Mat-
QUELQUES PROCKDKS UITTKR AIRES DE SAINT MATTHIEU. 17

thieu; saint Marc n'insiste que sur la crainto. Le premier évangé-


lis'e, pRS plus que le second, ne constate expressément que le mes-
sage des anges a été porté aux disciples. La réunion des disciples
en Galilée, racontée par saint Matthieu, le suppose seulement.
Jusqu'ici donc, saint Matthieu (xxviii, 1-8) et saint Marc (xvi, 1-8) se
renconlrent. Mais au moment de poursuivre son récit selon le même
plan (1), le second évangéliste paraîtavoireu une certaine hésitation.
S'il s"in*>pire d'une même prédication orale ou d'une même source,
après l'apparition des anges aux saintes femmes, il devrait placer
l'apparition de Jésus aux mêmes saintes femmes. Mais, comme s'il eût
été retenu par le scrupule de sa précision habituelle, il lui répugne
d'attribuer aux saintes femmes en général ce qui ne convient qu'à
une seule. Aussi place-t-il ici la simple mention de l'apparition de
Jésus à Madeleine, dont saint Jean nous donne le récit détaillé.
semble du reste ne rappeler cette apparition que pour constater
Il

l'incrédulité des disciples en face des affirmations de Madeleine. Même


constatation après l'allusion faite par lui à l'apparition de Jésus aux
pèlerins d'Emmaûs. De même, il ne semble mentionner l'apparition
aux onze, au moment du repas, le soir de la résurrection, que pour
placer les reproches du Christ à ses disciples sur leur incrédulité et la
dureté de leur cœur.
Ces trois constatations de l'incrédulité des disciples, qu'est-ce autre
chose sinon l'explication d'une remarque qui, dans le récit de saint
Matthieu, a passé inaperçue? Cette remarque du premier évangéliste
sur l'incrédulité des apôtres se trouve insérée dans le récit de l'ap-
parition sur la Montagne. Les saintes femmes, comme nous l'avons
vu, devaient transmettre aux disciples du Christ l'invitation faite
par les anges de se rendre en Galilée. « Or les onze disciples s'en
allèrent en Galilée sur la montagne que Jésus leur avait indiquée »
(Malth., xxvHi, 16). Le texte poursuit ainsi -/.a- -.sivTs; aj-bv Ttpoc-
:

cy.jvr,sav, zl lï io-TTasav. Ce que la Vulgate traduit par et videntes :

eum adoraverunt, quidam auiem dubitavcnint. Les commentateurs


traduisent d'ordinaire le grec conformément au sens de la Vulgate :

« Et le voyant ils l'adorèrent, cependant quelques-uns eurent des


doutes. » Mais ci ci n'est pas synonyme de tivéç, quelques-uns,
certains; il signifie : ceux-ci (2). Il faudrait traduire : « Et (les

(1) Bien entendu, le second évangéliste en suivant son dessein n'avait pas à relever,
jcomine le premier, ce qui concerne la garde du tombeau et la mauvaise foi des Juifs
xxvm, 2-4 et 11-15).
(2) S'il y avait ol [iév, ol os, il y aurait alors un partage, dans le sens de ceux-ci, ceux-là.
REVUE BIBLIQUE 1916. —
N. S., T. XIII. 2
18 l'.KVLK lUBI.lU'l^l-^-

onze; le voyant 1 adoiT-rent, mais ceux-ci étaient dans le doute )>.


Oiix-ci, c'est-à-dire les mêmes qui sont dits voyant et adorant. Mais,
s'ils adorent, ils croient : ils ne sont donc pas dans le doute. C'est
pour écarter cette contradiction que les traducteurs ont introduit
ici l'idée d'un partage parmi ceux qui virent le Christ sur la monta-
iL:ne : ils représentent les uns adorant, quelques-uns, certains, res-
tant dans le doute. Le texte grec ne saurait avoir ce sens.
Comment alors le traduire? On sait qu'il n'y a pas en hébreu de
plus-que-parfait; pour le rendre on se sert du parfait. Dans le grec
des Septante Nouveau Testament
et dansl'équivalentlede la forme
hébraïque ou araméennc est l'aoriste (1). Nous avons rencontré
l'aoriste dans le verset 16, ({ui précède celui que nous examinons,

et tout le monde le traduit par le plus-que-parfait : < Les onze dis-


ciples se rendirent en Galilée, à la montagne, cj t-yly.-.z xj-,z\z :

"Ir.jcj;, que Jésus leur avait indiquée, itbi constituerai illis Jésus. »
On ne traduit pas à la montagne que Jésus leur montra dans le
:

moment même (ce qui n'aurait pas de sens), mais à la montagne


(ju'il leur avait précédemment indiquée. Pourquoi ne pas traduire

de même l'aoriste de la phrase suivante? Et le voyant, ils (les onze)


l'adorèrent; ceux-ci avaient été dans le doute. C'est-à-dire ils la-
dorèrent, eux qui avaient été dans le doute. Par cette simple
remarque saint aux difl'érentes apparitions
iMatthieu ferait allusion
de Jérusalem, qui avaient eu pour but de réduire l'incrédulité ou
les hésitations des apôtres. Ce n'est qu'après avoir été convaincus
de sa résurrection, qu'ils pouvaient, retournant en Galilée, obéir à la
parole de Jésus et réunir sur la Montagne le petit troupeau dispersé.
Pour l'auteur du premier évangile aucune de ces apparitions de
Jérusalem n'est apparition principale, celle qu'avait annoncée
1

Jésus avant sa mort, durant laquelle devait se constituer le nou-


veau royaume elles ne .servaient i\u'h la préparer, à la rendre
:

possible en convainquant les (apôtres do la réalité de la résurrec-


tion.
Or, les trois i-écits sommaires de la hnahi de saint Maïc, que huit-ils
autre chose, sinon expliquer cette bi-eve et rapide remarque du
|)iemiei- évangtUiste? Ceci fait, le texte de saint Man- rejoint exac-
tement celui de saint Matthieu. Les versets is à 20 de celui-ci s«»nl
parallèles aux versets lô à ISdu second é\aui:ile. Ce dernier ne fait
pas. il est vi-ai, allusioji a la i-oyaulé souveraine, au nouveau royauuu'

(1) L'aorisl** avec la si;;ni(i<;ilion du i>liis-(|iie-|>arfail se iirociitc rri'<niciiiiiioiil dans le>

Ipxli's, l'iiiir no citer que Ur Nonvp.iii Tr^tanicnl un |»enl voir Lnr., xix. 1.".; wiv. 1; Jo;in.,

M. 'i-. >< \i, 30; Acl,, I, 2, etc


QUELQUES PROCÈDES LITTÉrUIUES DE SAINT MATTHIEU. l'j

universel qu'inaugure le Messie ressuscité, comme le premier évan-


géliste : ce n'était pas, comme pour celui-ci, essentiel au but de
son évangile. Mais la mission donnée aux disciples d'aller prêcher
dans le monde entier, de faire des croyants, de les baptiser, se
trouve également dans les deux évangiles. Si la linale do saint Marc
insiste sur les miracles, sur les œuvres de puissance et de domina-
tion de la nature et des démons, qui doivent accompagner la pré-
dication, c'est que cette remarque est conforme à l'idée générale du
second évangile.
La finale de saint Marc semble donc ne faire que suivre, en le
commentant, un récit de la résurrection semblable à celui de saint
Matthieu.
Le récit de ce dernier, conforme au but de son évangile que nous
avons indiqué plus haut, et à ses procédés habituels de composition,
donne les faits en raccourci et veut en arriver au plus vite à la parole
du Christ, essentielle à son dessein. Il se contente de dire d'une
façon générale, très brièvement, que les saintes femmes ont vu des
anges et le Christ lui-même ressuscité; qu'elles sont chargées de
porter aux apôtres l'ordre de se réunir en Galilée, selon la parole
du Christ avant sa passion. Les onze entourés du troupeau fidèle,
réuni de nouveau, voient le Christ ressuscité qui se met à leur tête,
Trpcâvc'., inaugure le nouveau royaume universel, et les envoie faire
la conquête du monde. Il est donc bien le Messie attendu qui fonde

le vrai royaume : avec ces deux idées qui forment le dessein de son
évangile, il n'oublie pas ici, comme dans le reste de son œuvre,
de montrer la mauvaise foi des juifs, qui par leur infidélité s'excluent
eux-mêmes de ce royaume.

Nous trouvons dans le récit de l'institution de l'Eucharistie un


autre exemple de simplification et de raccourci des faits par le pre-
mier évangéliste.
Saint Matthieu (x'xvi, 20 et 26-29) s'exprime ainsi : « -'M.e soir venu,
il se met à table avec les douze disciples (1). ~''0rpendant qu'ils man-
geaient, Jésus prenant du pain, le bénit, le rompit et le donna à ses
disciples en disant : Prenez et mangez, ceci est mon corps. "-'
Et pre-
nant la coupe il rendit grâce et la leur donna en disant Buvez-en
:

tous : -"^car ceci est mon sang, le sang de la [nouvelle^ alliance, qui
est répandu pour la multitude en rémission des péchés.
« -'•
Je vous le dis. je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne,

(1) Vient ici rallusioii à celui qui rievait le trahir (v. 21-25).
•20 MME 151IUJQUE.

jusqu'au jour ou je le boirai de nouveau avec vous dans le royaume


de mon l'ère. »

Il suflit ici d'indiquer qu'on trouve la même disposition et, à peu de


chose près, les mêmes expressions dans saint Marc : ces deux rédac-
tions proviennent évidemment d'une même source.
Le récit de saint Luc commence par des détails omis dans les deux
autres synoptiques (xxii, 14-20).
« 'Hvorsque l'heure fut venue, il se mit à table et les douze apôtres

avec lui. *' Et il leur dit : .l'ai vivement désiré de manger cette pàque
avec vous avant de soufTrir. ^^' Car je vous dis que je ne la niang-erai
jplus] (1) jusqu'à ce qu'elle soit accomplie dans le royaume de Dieu.
'^Et ayant reçu une coupe, après avoir rendu grâce il dit Prenez et :

distribuez-la entre vous. '^Car je vous dis que dès maintenant je ne


boirai plus de ce fruit de la vigne jusqu'à ce que vienne le royaume
.de Dieu.
< •''
un pain, après avoir rendu grâce, il le rompit et
Et ayant pris
le donna en disant Ceci est mon corps, donné pour vais, faites
leur :

ceci en mémoire de moi. '"Et de même il prit aussi la coupe aj>rês le i

souper en disant Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang,


:

répandu pour vous. »


Les deux parties du récit de saint Luc (14-18 et 19-20) s'enchaînent
très naturellement. En commençant le repas de cette dernière pàque
Jésus dit à ses disciples J'ai désiré vivement de manger ccffe pdr/iie :

avec vous. Pourquoi? parce que c est /a dernière, avant sa pleine


réalisation dans le royaume de Dieu. Et, ayant reçu une coupe de
vin vcis Je commencement du repas, il ajouta : je n'en boiiai [)lus

1 Les m»s. N A IJ C, e( f|tiel(|ucs aulns imporlanls, omeUpnl oùxeti devant oj (if, ^iyu).
On a dit t\ue les co|>isles laiiraifMil inséré pour (aire dire à .Ifsus <|iie celle pAciiic qu'il inan-
geail avec ses disciples scrail la dernière, tandis (|ue rox|irossion : je ne la mniigrrai /ms
ifitelle ne soif (iccnmplic ilrins le roiiaumc de DUti indique plutôt que Je-.us n'a [tas

alors iiianf;c la juique.


Il faut dire te|ipndant que ce mol si; trouve dans un lion nomlirc de inss. et d'excel-
lents; aussi Tischendorf ne l'a |ias (unis dans son texte «rilique. D'ailleurs il est dein;in<lé

j>ar le .lens de la phrase, sans quoi le mot y^P n'aur.iit j^lus de si;:nilication et on ferait
dire à .lesus une clirtse sin;!ulicre : J'ai viv<'ment désiré de manger celle j'Aque avec
vous, avant de soufTrir, rnr je ne la man^ierai pas... Au contraire a\cc o-jxeti tout se suit
Irei nalurelleinenl : " J'ai vivement désire^ de man;;er celte |âque avec vous a\ant de
soutirir,car je ne la mangerai plus ju.si|u'a <c qu elle soit accomplie »; c'est-à-dire : J'ai
vivement désiré de manger celle |)àque avec vous, car c'est la dernière ici-has. De plus
l'omission de oùxeTt se comprend aussi facilement que l'adililion, ('lanl donné la ressem-
Idance des deux finales ÔTi et o'Jy.ETt. Kniin le veisel 10 forme une sorte de p.tialléli-me avec
le verset \'.i, où on lit : Je ne boirai pas désormais ju.\(/ii'a etc., donc je ne Itoirai plus

après la circonstance présente. Comme nous montrons dans notre étudi-, par Icn paroles
le

des veL^et*. 10 et ly^ le Chrisl ne veut | as dire autre chose que c'est ma dernière pA(|ue,
c'esl mon dernier repas. Il prend donc ce repas.
OUPXQUKS PROCI-iDÉS I.ITTliUAlRKS DE SMM MATIIIIKI. 21

jusqu'à ce que vienne le royaume de Dieu. Après avoir dit : c'est

ma dernière pàque, il ajoute d.»nc ici : c'est mon dernier repas.


Cette expression, Je ne boirai p/us du [mil de la vigne, parait
bien 'aire allusion premièie coupe qui circulait au début du
A la

re[)as st-lon le rituel de la pâque, pendant que l'on disait « Béni :

soit le Seigneur qui a créé le fruit de la vigne ». Cette phrase rituelle,


au début du repas, amenait naturellement la réflexion du Sauveur :

je ne boirai plus de ce fruit de la vigne.


Mais cette dernièi e pàque, qui est son dernier repas, va être signalée
par une institution nouvelle, que ses disciples devront reproduire en
mémoire de lui. Vient .dors (19-20) le récit de l'institution de l'Eu-
charistie, qui,par certaines nuances d'expressions, diffère du récit des
deux premiers synoptiques pour se rapprocher de saint Paul. Mais
au fond il dit Ls même chose que les deux premiers synoptiques. Des
deux cjtés, c'est le même rite et substantiellement les mêmes paroles.
Mais ensuite la différence devient plus sensible : après le récit de
l'institution, saint Matthieu place la remarque donnée par saint Luc
au début du repas : « Je vous le dis en vérité (Matth., xxvi, 29) (1).

Je ne boirai plus désormais de ce finit de la vigne jusqu'au jour


où je le boirai de nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. »
De cette divergence on a voulu conclure que le verset 18 de saint
Luc était comme un récit anticipé de la cène, ou plutôt que les ver-
sets 15 à 18 étaient un autre récit de la cène, un doublet provenant
d'une autre source.
Ce serait, il faut l'avouer, un récit bien singulier; car il y manque-
rait l'essentiel, la mention du corps et du sang, pour avoir la véri-
table cène de la nouvelle alliance. Saint Luc ne nous a pas habitués
à un tel amalgame dans son évangile, aux récits si bien ordonnés.
Combien n'est-il pas plus naturel de voir dans ces versets 15 à 18
l'expression des sentiments qui débordent du cœur du divin Maître,
au moment de célébrer sa dernière pâque, de prendre son dernier
repas avec ses chers disciples? Comme nous l'avons vu, l'expression :

((je ne boirai plus du fruit de la vigne », semble bien faire allusion


à un rite du début du repas dans la célébration pascale.
Comment alors expliquer que saint Matthieu rejette cette parole du
Sauveur après l'institution de l'Eucharistie? C'est par le même pro-
cédé de simplification, dont saint Matthieu est coutumier quand il
s'agit de rapporter les faits il les donne en raccourci.
:

(1) Saint Marc, nous l'avons vu, a la même disposition et presque les mêmes expressions
que saint Matthieu.
:)-2 RKVUE l'.lBI.lL'Ll!:.

Apivs avoir dit que Jésus et ses disciples se mirent à table pour
niangei' la pàque, saint Matthieu ne fait allusjon à aucune partie du
repas pascal proprement dit. Il ne retient de la dernière pAque du
Sauveur, que le pain changé au corps du Seigneur, et le vin changé
en son sang. Ce rite nouveau, étant l'essentiel, résume pour lui tout
le repas. Comme il ne parle du vin (ju'à pro[)os de la coupe changée
«'11 sang, force lui est bien de rattacher h cet endroit la réflexion du

Sauveur, que nous trouvons plus naturellement placée par saint Luc
au début du repas, au moment où le rite pascal amenait la distribu-
tion de la première coupe et la bénédiction qui l'accompagnait.
I^e Sauveur annonçait à ses disciples que c'était la dernière fois

qu'il buvait du fruit de la vigne, que c'était son dernier repas, peu
d'instants après leur avoir dit en se mettant à table qu'il faisait
avec eux sa dernière pàque. Les deux réflexions se suivent naturel-
lement et n'ont leur place naturelle qu'au début du rej)as.
Saint iMatthieu nous a habitués à ces transpositions et à ces simpli-
fi<'a(ioiisdans le récit des faits; saint Luc au contraire nous a habitués
à une exposition plus détaillée, plus naturelle, ex ordine, selon la
promesse de son prologue.
Os procédés de saint Matthieu, que nous avons expliqués par ces
quelques exemples, répondent bien au plan de son évangile, plus
didactique qu historique. Il n'y a pas à en conclure qu en rappor-
tant les faits et les paroles du Christ, il ne tienne pas fermement k
leur vérité historique. Loin de là; il tient toujours à rauthenticité
de la parole ou du fait, mais obéissant aux nécessités de son plan
et de son but, il se préoccupe beaucoup moins des circonstances du
fait ou de la parole.

K. LF.vKSori:.
UNE PRÉTENDUE ANAPHORE APOSTOLIQUE

Lorsque parut ic mémoire de Doni Paul Cagiu intitulé ÏEucharisiia


canon primitif de la messe (1912), je lui consacrai dans le Bul-
letin d'ancienne littérature et d' archéologie chrétiennes, 1913, p. 228-
233, un compte rendu, par lequel j'exprimai, avec la déférence que
j'ai pour Fauteur, et qui est grande, les réserves qu'il me paraissait
prudent de présenter sur sa méthode et sur quelques-unes de ses
thèses, notamment sur la découverte qu'il croyait avoir faite du
canon de la messe apostolique (1).
Mes réserves n'ont pas dû émouvoir beaucoup Térudit bénédictin,
dont les études sont dos soliloques.
il lui est venu, d'ailleurs, des adhésions notables, et je m'en vou-

drais de ne pas rappeler celle que lui adressa Dom Germain Morin :

<• Je n'ai pu, écrivit-il dans la Revue bénédictine |1913, p. 118),


mempêcher de relire à haute voix, les yeux voilés par une émotion
impossible à contenir, le texte adorable ^de l'anaphore en question),
ce qu'il y a de plus sacré peut-être dans toute la littérature ecclésias-
tique, après les paroles de Jésus et de ses apôtres ». Il est venu à Dom
Casin une adhésion plus étudiée et non moins chaleureuse, celle de
M. Vigourel, dans son livre si attrayant, le Canon romain de la messe
et la critique moderne (1915). L'autorité de M. Vigourel est si persua-
sive, si sympathique, et j'aurais été si content d'être de son avis, quïl
m'en coûte infiniment de ne pas pouvoir lui dire que je me rends à
son sentiment, pas plus qu'à celui de Dom Morin.

(1, L'intérél de rana|)hore en question n'avait pas échappé


aux critiques ecclésiastiques
avant Dom Cagin. Vvordsworth, The miiiistry of grâce, sludies in early 'church
J.

iiistonj (19ul), p. 25, y voyait déjà « tiie earliest form of the old Eucharistie anaphora ».
Dans un livre assez confus, elle avait été étudiée par R. M. \A'olley, The liturgy of the
primitive Church (1910), où la Constitution ecclésiastique égyptienne est estimée un
peu antérieure à 2Ô0 ^p. 15;, et où l'anaphore qu'elle contient est tenue pour « the type of
liturgy generally acce(jted and in gênerai use throughout the Church » (p. 80;. Funk, dans
la Theologische Quartalschrift de Tùbingen, 1898, « Die Liturgie der .Vethiopischen

Kirchenordnung », p. 513-547, rapporte les vues antérieures, Bunsen (1853), Kônig (1865;,
Probst (1870;, Hammond 1878), Kleinert (1883), Brightman (1896), et s'applique à montrer
que la Coiist. eccl. égypt. dépend du VIIl' livre des Const. apost. C'est tout l'argument
de son article.
^24 REVUE lilBLIQUE.

Entre temps, un érudit catholique allemand, M. Schermann, abor-


dait d'un autic biais le mrmc problème que Dom Cagin. S'étant avisé
que, dans le document qui a donné à Dom Cagin son anaphore, se

rencontre un rituel d'ordination dos évoques, des prêtres, des dia-


cres, il a bravement entrepris de démontrer que ce rituel était romain,
et qu'il représentait « la tradition des soixante premières années qui
ont suivi la mort de Jésus ». C'est le sujet de sa brochure Ein Wri/ir-
rituale dcr rônmchcii Kirchc am Schlusse des erslcn Jahrhunderts
(1913). A Tanaphore, la miraculeuse ana-
cette occasion, rencontrant
phore, il texte contemporain du rituel de
est très tenté d'en faire un
l'ordination; mais il flaire dans cette anaphore une tendance anti-
gnostique, antidocète du moins; tout au plus, l'anaphore peut-ello
être antérieure à l'épître lU^ saint Barnabe. Elle ne sera donc pas du
premier siècle, mais il s'en faudra de bien peu. La théorie de Schcr-
uianu avait suscité en Allemagne des contradicteurs résolus 1).
Comme il n'y a pas de raison cependant pour que Ton ne renché-
risse pas encore, et que quelque autre érudit ne vienne pas nous dire
que l'anuphore de Dom Cagin est proprement celle dont se servait
Melchisédec, il ne paraîtra peut-être pas inopportun de revenir sur
le problème posé, et de montrer, par une simple application de la

méthode historique, que le texte adorable » de « lanaphore apos- <'

toli([ue » est un texte du iv" siècle. Et si, comme nous l'espérons,


nous en donnons une bonne preuve, peut-être serons-nous alors en
droit de déconseiller une méthode qui, sous couleur de faire de la
préhistoire liturgique, sacrifie aux procédés extralucides (2).
Commençons par inventorier nos textes.

Il un recueil de canons (3j


existe dont Toiiginal grec est perdu — —
mais (|ue l'on possède dans des traductions, copto, éthiopieimo, arabo,
ce qui indique déjà que ce texte cauoni(juc a été en usage en Égypto
et en Ethiopie exclusivement. Les 32 canons dont il se compose for-

ment un fout ([lie l'on pris habitude do désigner sous h^ nom i\v
;i 1

I C. Haï sciikn, dans lu Thcolofjisrhr Henie. V.H3. |». 32.S-330. Cf. liibliscfie /rilsclirif,
l'.n:;, p. 420.
''.) A. Vir.oiREL, |>. 22 : « fcrti'-i, il i
Dom Ca^^ini se ;;ar(li' jivcc soin de négligiT Ir moin-
dre. ri'nsci;;n»;menl, If f>liis l(''(j;ei' indice, fiminis par les doi mncnls datés, mais par unf
sorte dr si'conde vue il arrive a dé<:liilVrer la iiréhisloiri'. •

(3) Voyez pour l'histoire liltcraire de lActjijpt. hin/ipnonlniing, H,\hdi:mie\m:h, Palro-


logic (l'JlOy, p. 323-324, et dans la (Icsrliicfite der (jricrhischrn LHleratur iie W. (,'iiiiist;

.St*emi.i\. Die chrisUiche griechischc l.illcrnlur (i9rii, p. St87-'.t88.


UNE PRÉTENDUE ANAPHORE APOSTOLIQUE. 23

Constitution ecclésiastique égi/ptienne, ou, comme disent les critiques


allemands, Aegi/ptische Kirchenorclnung. Cettn Constitution ecclésias-
tique égyptienne m été publiée pour ia première fois, en copte, par

H. Tattam, en 18V8. —
que l'onginal ait été grec, on a
Nul d 'Ute

même retrouvé du grec un fragment très cnurt, découvfrt et publié


par F. X. Funk, en 1893. —
Plus récemment, on en a retiouvé une
portion en laliu, dans un manuscrit de la bibliothèque du chapitre
de Vérone, manusi-rit des Sentences de saint Isidore de Séville, ma-
nuscrit du viii" siècle, manuscrit de 99 feuillets dont 40 sont palim-
psestes. Ces feuil ets palimpsestes portent presque leur date, car sur
l'un d'eux (fol. 88) était écrit un catalogue des consuls de 439 à 486,
continué de seconde main jusqu'en 494. Le reste des feuillets récrits
contient des fragments d'une version latine de la Didascalia apostolo-
rum, des Canones apostoloruni (1), et de notre Constitution ecclésias-
tique égyptienne. Ces fragments latins ont été publiés par E. Hauler,
en 1900. — On s'est trop pressé de voir dans ces textes ecclésiastiques
du palimpseste de Vérone une traduction latine exécutée à Milan au
milieu du iv^ siècle ces précisions ne sont susceptibles d'aucune dé-
:

monstration. En ce qui concerne la Consiitution ecclésiastique égyp-


tienne, le palimpseste de Vérone prouve simplement ceci, que, anté-
rieurement à la fin du v" siècle, on a exécuté une traduction latine de
ce document grec né en terre grecque (2).
Quelle date fixer à ce document grec?
M. Bardenhewer estime que les onze premiers canons correspondent
aux chapitres 4-32 du VHP livre des Constitutions apostoliques, et que
quelques-uns de ceux qui suivent s'y retrouvent pareillement. Sur
d'autres points, ils s'écartent de ce VHP livre pour se rapprocher des
Constitutiones per Hi//polytiu)i{S). D'où l'on infère que notre Constitu-
tiu7i ecclésiastique égyptienne esi faite de pièces et de morceaux rap-
portés. Elle aurait pour base ces Constitutiones per Hippolytum, que
Funk date de 42.5 environ, rejetant ainsi la compilation de la Consti-
tution ecclésiastique égyptienne vers 450. iM. Bardenhewer résume là
les conclusions de Funk, auxquelles il paraît se rallier. — M. Slaehlin
(après Schwartz et Achelis), au contraire, estime que la Consiitution
ecclésiastique égyptienne est antérieure au VI II" livre des Constitu-

(t) Par Canones apostoloi-um, ^nims entendons les 85 canons qui se lisent à la fin du
livre VllI des Conslitulions apostoliques.

(2) Ou II cuvera la ConslUutioii ecclésiastique égyptienne dans Funk, Didascalia et


Constitutiones apostoloruni (l'JO.i), t. II, |i. 97-119.
(;!) Les Cotistituliones pu- Uipiiolylnm, autre pseudépigraphe, sont un remaniement
du VllI' livre des ConsL apostoliques. Vo}ez le texte dans Fumc, ibid., p. 72-96, Cf.
Barde.nhewer, Patrologie, p. 323-32Ï. Stakiiun, p 990-991.
•jr, Ri:\l K lîllJl.lnli:.

tioiis uposfo/tf/ues, loin qu'elle en dépeiidc. Comme ce Vlll' livre est

selon toute apparence du temps de Valeus (3GV-378), notre Comtihi-


tion eccli'>iiasliqiie est reportée ainsi au milieu du iv*^ siècle au plus
tard. On ne croit pas qu'elle puisse être antérieure à 300. — Nous
nous en tiendrons, par hypothèse, au verdict de Staehlin.
Notre ConstilKiicn a été remployée par l'auteur du Tcslamendnn
publié en syriaque) par 1. E. Rahmani, en 1809. On est una-
/^//////?/

nime à dater cet npocryphe, dont Toriginal (grec; est perdu, des
environs de V75 (1).
Ces explications sommaires sont indispensables à la discussion qui
va suivre on ne saurait argumente^' sur des documents qu'on invoque
:

comme on n'a pas au préalable déterminé la date et les


témoins, si

accointances de ces témoins. Nous pouvons maintenant en venir à


lanaphore de Dom Cagin.

Dans le canini I, de episcopis, de la Consiiiutiou ecclésiastique égi/p-


licnnc, est décrite l'ordination d'un évêque. Sitôt l'évêque ordonné, il

offre le saint sacrifice, et le canon 1 donne le texte de lanaphore pro-


noncée par lévèque. Pour pins de clarté, nous allons mettre sous les
yeux du lecteur le texte de cette anaphore tel qu il est édité par
Funk < ex versione aethiopica » Ci), en donnant en note les variantes
du latin de Vérone.

Post(iii;ini episcopus l'iictiis est, oinnes ci ore siio pacem dent, eum oscillantes.

iJiijconi autem ci obiationem adierant. Cumque mannm suam super oblatiouc posue-
rit et presbyteri. dieat L;ratias agens :

Doniinus ciiin oniiiihiis vobis. Kt universns populus dicat : Cluin spirilii tiio. Ki
<licat : Sursuni corda vestra. Kl popiilus dicat : llabemus ad Dominmn. Et nnsus
dicat : Gratias agamus Domino. Et universns populus dicat : Diguuni et iustuin lest/.

Et iteruni boc modo oret et sequenlia secundum institutioncm sanctae oblatio-


tionis dicat {'.V).

Dcindc dicunt orationem eucharisticam episcopuin praeeuntcin sequcntes :

'D BAiit»EMiKN\Kii, p. '.n'i-'.V>.U. St\i:mi.i>, p. '.t8«-0S'J. .ra\.iis exprimé un senliiiKMil roiifomie


sur la |iubli(-ation di; itaiiinani, o Le soi-disant Teslamenl tie .N.-S. J.-C. », liull. lilt. rrcl.
lie Toulouse», 19ii(i, p. carhi liislory of tlie lilurgii (lî)13i,
r.l-j/. Cf. J. II. Siia\vi,k\, Jlif

I'.
i'i-»7. —
Je ne inenlionne pas à lu suite les Caiioncs Hippoli/li, qui n'interessenl pas
nuire anapbore. l'unk est d'avis que tes Canones ne sont pas antérieurs au \' siècle,
loin qu'ils soient une source de la Consl. eccl. vfjypiienuf. Après les avoir crus jadis (à la
suile. lie M'' Duchesne romains et du ni" siècle, je me Miis laissé |)ersua(ler |»ar Funk, et ce
sentiment est aujourd'hui ;;énéral. Ciiiust-Stxkiilim. p. '.».ss.
(2 Kl \k. op. cit., p. 9;i lOo. Le texte de lanaphore iitamiue a la version copt»- de la

Consfitiilinn apostolique rfji/pticnne.


• 3. Tout le texte qui précède a été remployé dans les rminncs Hippnlijti, c;in : .d.
Rir.tiKi., p. 202;. Mais les Canones ne reproduisent pas noire anaphore.
UNE PRETENDUE ANAPHORE APOSTOLIQUE. 27

GiMtias agimus tihi ', Domine-, per dilectum lilium^ tuum lesum Christum, quem
in ultirais diebus '
misisti nobis salvatorein et redeiiiptorem, uunlimu consilii tui '.

Iste (est) verbimi, quod ex te est", per quod'omnia fecisti voluntate tua''. Et misisti
eum ^ de caelo in uterum "* virginis. Caro factus est et gestatus fuit iu ventre eiiis ".

Et filins tuns manil'estatus fuit '- a ' '


spiritu sancto '*, ut iinpieret voluntatem tuam '-^

et populum ''
tibi er(icer(»t
'"
expandendo '^ manus suas.
Passus est '", ut patientes -" iiberaret, (jui in te credunt-'. Oui traditiis est volun-
-^
tate sua ad passioneni --, ut mortera dissoheret -^ et vincula satanae-' ruinperet
et conculcaret infernum -" et sanctos educeret-' et statuta conderet -'^
et resurrectio-

uem patefaceret -'\

Accipiens ergo^" pauem gratias egit •'


et ^- dixit : Accipite, comedite '^ hoc est
corpus nieum, quod pro vobis frangitur ^'*.
Et similiter calicem quoque ^''
,et) dixit :

Hic est sanguis meus, qui pro vobis effunditur: cuni l'aeitis hoc ^'', in commemora-
'^'
tionem mei id facielis

Recordantes ^* igitur mortis eius *^ et resurrectionis eius, offerimus til)i hunc^'^


'-
panem et calicem, gratias agentes tibi, quod nos reddidisti dignos^' ut stemus
coram te et sacerdotio tibi fungamur *^.

Suppliciter oramus te '*, ut mittas spiritura tuum sanctum super oblationes huius
ecclesiae '% pariterque largiaris ''^
omnibus qui sumunt " de eis, (ut prosit eis ad)
sanctitatem^*, ut repleaniur spiritu sancto ^'',
et ad confirmationem fidei in veritate,
''''.
ut te célèbrent '^'^
et laudent '' in (ilio tuo ^- lesu Christo in quo^* tibi :sil) laus et
potentia *''
in sancta ecclesia •'''
et nuuc et semper ''
et in saecula saeculorum. Amen.

Dom Cagin a rendu le service d'imprimer cette anaphore (texte éthio-


pien) parallèlement à la version latine (palimpseste de Vérone) : les
deux textes sont conformes. Parallèlement encore Dom Cagin imprime
cette même anaphore telle qu'elle est remployée et paraphrasée dans
le Testamentum Domini. Parallèlement enfin Dom Cagin imprime le
texte de deux liturg-ies éthiopiennes la première (publiée par Ludolf) :

dépend du texte du Testamenlum Domini qu'elle remploie et para-

1. tibi referlraus. — 2. deiis. — ,j. puerum. — 4. tempoiibus. — J. n. c. t. cl angeliuii

voluntatis tuae. — 6. Iste-te eslj qui est verbuin tuum inseparabilem. — 7. quem. —
8. voluntate tua] et beaeplacituin libi fuit. — 9. eum] omiitit. — 10 matricem. — 11. Caro-
eius quique in utero Iiabitus incamatus es(. — 12. Et Et lilius tilii ostensus
filius-fuit]
est. — 13 a] ex. — 14. saactoj addit et virgine nalus. — 15. ul-tuamj qui voluntatem tuarn
conplens. — 16 populum] addit sanctum. — 17. adquirens. — 18. extendit. — 19. eum pate-
retur. — 20. patientes] a passione. — 21. qui-creduntj eos (|ui in te crediderunt. —
22. Qui-passionemj qui cumque traderetur voluntariae passioni. 23. solvat. — — 2i. dia-
boli. —
2.5. dirumpat. 26. et infernum calcet. —
27. et iuslos inluminet. — — 28. et
lerminum Ugat. — 29. manifestet. — 30. ergo] oni. — 31. egit] tibi agens. — 32. et] om.
— 33. raanducate. — 34. confiingetur. quoque] om. — —
36. quando boc facitis.
35. —
37. in-facietis] meam — —
commemoratitjnein facitis. —
38. memores. 39. eius] om.
40. hune] om. — 41. — redd. dignos habuisti. — 41. ut stemus] adstare. — 42. et sac.
d.]
t. et
f.] ministrare. — 44. S.
tibi Et petimus. — 45. in oblationem sanctae eccle-
o. t.]

siae.— 46. pariterque largiaris] in unum cougregans des. — 47. percipiunt. — 48. de iis
sanctitatemj sanctis. — 49. in repletionem spiritus sancli. — 50. laudemus. — 51. • glorifi-
cemus. — 52. per puerum tuum. — 53. lesum Christum. — 54. per quem. — 55. gloria
et honor patri et cuin sancto spiritu. — 56. ecclesia tua. —
filio et semper] om. 57.
28 ]\KME niHI.lOLE.

phrase à son toiii-; la seconde (publiée par Renaudot . abstraction


faite de Tépiclèse, ne connaît pas le Tcsiaiucnium Domini et doit avoir

pris Tanaphore qu'elle remploie paraphrase directement dans la et


Consiitution eccli'siastique ègf/ptienne. Cela ressoit avec une i;rand('
clarté de la publication de ces textes en colonnes parallèles et polychro-
mes si luxueusement exécutée par Dom Cagin. — Toutefois il convient
de ne pas se laisser fasciner par la polychromie. Les deux premiè-
res colonnes ne sont qu'un seul et même texte représentant l'original
grec perdu. La troisième est une paraphrase de ce texte premier,
laquelle est (nous l'avons dit) de la fin du v" siècle. Quant à la (|ua-
trième et à la cinquième colonne, ensemble, elles''appartiennent à la

liturgie éthiopienne que les anaphores de


médiévale, où l'on sait

rechange abondent (1). —


De toute cette polychromie il ne sort pas un
argument permettant de faire du texte premier un texte remontant
plus haut que la période déj<à circonscrite 300-350.
On davantage en droit de considérer l'anaphore de notre
n'est pas
CojistitiUion ecclésiastique égyptienne comme une anaphore qui dans
la liturgie du iv<^ siècle ait bénéficié d'une considération privilégiée.

Au iv" siècle, la liturgie, soil en Egypte, soit en Palestine, soit en


Syrie, ne semble pas avoir pour l'anaphore possédé de canon, je veux
dire de texte unique et immobilisé comme l'était à pareille époque le
Canon actionisàe messe romaine. Nous possédons, en ellet, le texte
la
de l'anaphore de Sérapion, évoque de Thmuis, contemporain et ami
de saint Athanase; nous possédons une anaphore de la même époijue,
tirée de fragments de papyrus trouvés à Dèr-Balyzeh, en Kgypte (*2V,
deux anaphores donc du même temps (|ue celle de notre Constitution.
De ces trois anaphores indépendantes, (pielle est la plus autorisée?
Nul doute que ce soit celle de Séi-apion. puisqu'elle a été remployée par

la liturgie dite de saint Marc, c'est-à-dire qu'elle s'est continuée


dans l'anaphore traditionnelle passé le iv" siècle i de l'Eglise

d'Alexandrie (3). Si l'anaphore de notre do/fifl/itlio/i ecclésiastique

(1) SiiANMKKp. 4'>. pailanl de 1 aiia|>lnire. dlle (|n elle est rejnésenléc |iar le laliii «le

V(^rone et l'élhiopieri de la anaphora conlained in


Consl. ccclcx. éfuipl.. éeril : « l'Iie

thèse lexls is llie fotmdaliDn of the normal annpiiora ot llie Elliio|iic Cliiinti. » A. H. Mkhi kh.
Tlie cHiinpic liturfjij. ils soiircrs, develo/tnifiit mid /ursenf /odii (Milwankee l'.U.'i), ne
m'est connu i|iie de litre.
(2) P. B. L l.uclinristie V.)\3). p. :ill-3i:. .•r':-:{:f;{.

f:^ SfiAWLEY, p. 47 "... lliere is no trace of Oie inlluence of


: Tanaplmre de la Cnval t

Pcrl. l'-ijypt) and 2 (celle du Tc.sinin. Domini) on Ihe liliirnies belon^fin^ lo llie région of
Alexandria (Sarapion and ï>l. Mark) luit... Iheir inllucnre found only in llie remote
is

région ol Kthiopia, i. r. llie Aliyssinian Cliurch. » — Tependaiil la gramle anaphore qui se


lit au livre NUI d'is ConslUulinus n/iosfntif/uex Un, t-.M reproduit plusieurs passades de
notre anaphore.
l NE PRUTENDLt: ANAPHUUE APOSTOFJQUE. 29

égyptienne avait été si vénérable que rimaginent M. Schermann el

\\<M\\ C.ig'in, comment se ferait-il qu'elle eût été évincée de la tradi-

tion liturgique alexandrine?


Ne perdons pas de vue que la Constilut/'on €cclé>iiastiqi(c égyptienne
n'est pas un recueil proprement canonique; elle n'est pas l'œuvre
d'un synode comme les canons du concile d'Elvire, par exemple; elle
n'est pas édictée par un évoque d'Alexandrie comme VEpistula cano-
nica de l'évoque Pierre en ÎÎOO. Elle prétend être une réglemen-
tation de l'usage ecclésiastique édictée par les apôtres mêmes. Elle
est donc un apocryphe. Elle appartient à la même famille à laquelle
appartient la Didascalia apostolorum du m'' siècle, et tant d'autres
tictions, œuvres de saintes gens qui entendaient régler ou corriger

l'usage de leur temps en faisant de leur idéal une loi promulguée


par l'autorité la plus haute que FEglise reconnût, l'autorité des
apôtres.
Est-ce à dire que l'anaphore donnée par Fauteur de la Constitu-
tion ecclésiastique égyptienne n'ait, telle quelle, jamais servi à l'usage
liturgique? J'en ai peur. L'auteur, décrivant une ordination d'évêque,
a prêté à l'évêque coasécrateur une préface accompagnant l'impo-
sition des mains à la suite, il prête au nouvel évèque une anaphore
:

pour la messe qu'il célèbre sitôt consacré il compose de sa propre :

inspiration une anaphore de circonstance, une anaphore où le nou-


vel évèque est supposé concélébrer avec
les évêques qui viennent de
l'ordonner composition est d'ailleurs habile et savante,
(1). Cette
mais ne sortons pas de la littérature de fiction.
xNous en sortons si peu, que l'auteur se permettra une licence
grave : il supprime le 5«;ic/«/5/ Nous imaginons, en effet, que la « pré-
face ') commence à Gratias aginnis, et qu'elle s'arrête à maniis suas,
répondant en cela au thème ordinaire qui est d'une « eucharistie à
Dieu le Père où est glorifié le Fi's avec le Saint-Esprit », comme dit
saint Cyrille d'Alexandrie (2). Puis, avec Passus est, nous avons la
commémoration de la mort, sur quoi s'amorcera le récit de la cène.
Mais, tandis que toute « préface » s'achève par le Sanctus, glorifica-
tion suprême de Dieu, Fauteur de notre anaphore veut ne penser
qu'au Fils, à sa préexistence, à son incarnation, et le Sanctus est omis.
Qu'on ne dise pas que c'est un indice d'antiquité, car le Sanctus

(1) Notez ce trait : Deinde dicunt orationein eucharislicam episcopum prae-


^episcopi)
euntem sequentes. » Et plus loin : » ... nos reddidistl dij^nos lît stemus coram te et sacer-
dolio tibi fungaiiiur )>.

(2) F. E. Brioiitman, Liturgies eastern and western (1896), p. 50i-509 ; The liturgv
from the writings of the egyplian fatheis.
1,, KKVLK 151l{LIni:i:.

est rélcincnt U' [>his anciennement attesté de la liturgie. « Ecclesiae


auh'iii omnes ab oriente iisque ad occidentem convenienter
('hrisli

Patiem (t Serapkim laudari profUentur in ministeriorimi célébra-


lione (1). » L'usage liturgique du Saiictus est attesté dès la Prima
Clrn/enfis (xxxiv, 6-7), au sentiment de litur^istes sérieux (2).
Ainsi, Tanaphore de la Constihiiion ecclésiastique égyptienne.
insérée dans une fiction littéraire, est elle-même une composition
littéraire. L'auteur a quelque prétention de style, il cherche des
antithèses : « Passus est itt patientes liberaret... « Notez bien ce petit
développement, qui est le plus littéraire on y trouve l'indice que :

l'auteur a probablement lu l'épitre de Barnabe :

xjzzz ci. '.'va 7,x-xp'rr,7r, -rbv Qui ut mortem dissolve r et... et

OxvaTsv, y.a'. -.'c;! ï/. vEv.pwv àvâcTa-'.v resurrectionem patefaceret.


ISvr,... {Barn. v, 6).

Le rapprochement a été signalé par M. Scliermann qui a vu là une


prouve que notre anaphore était connue de l'auteur de l'épitre de
Karnabé. L'inverse est seul textuellement vraisemblable. On pourrait
soupçonner pareillement dans notre anaphore des réminiscences du
Marti/ ri ujn Pah/carpi (3).

Le même voir dans des expressions comme


M. Schermann veut
« uterum virginis, caro /actus, gestatus in ventre... », une
... /«

insistance révélatiice de la tendance à combattre les Gnostiques qui


contestent que le Christ soit né dune vraie naissance. Si cette « ten-
dance » était réelle, l'auteur aurait insisté tout autant sur la vraie
passion et la vraie mort or il n'en fait rien. Voulez-vous savoir sur
:

(pioi il insiste de préférence? Pour ne rien perdre, donnons parallè-


lement le texte de Vérone et le texte traduit par Funk de l'èthio-
pioii :

l.ntin : Elliiopirn :

(Jiii nnniqiiei tniderctur voluntarine Qui Iraditiis est voliiiil.itc sua ad pas-
pnssioni, \\\ mortem solvnt. -- ut vincula sioiiem. nt mortem dissolvciel. — et vin-

dialtoli dirmnpat, et iiilt'niiim calcet, et cuia s;iiiiiiae rumperct. et roneulcaret

1 I'seii(l<)-Aiii\NAS. />r Tiiitiliilc ot Spirilii savrio. u; /'. G. t. XXVI, |>. r>ii8).

' !'. I)i;i:w>. arl. • .Messe i., de la Healeiicylilopardir de IIaick, 1. XII d'.io.i , j). 702 :

. In Hoin s< hon damais (also das Trisliagioii ans Jes. 6,3
Knde des 1 .lalirlninderls'

iicl.-l <len Einl<'iliin;;sformeln ans Da. 7,10 bei der Kiicliarisliefeier iii (lebraïuh war. » Cf:

jd. I iiii rsHilniiiijrn iibrr dir sog. rlemcntiiiisclic Lilinijie i lOOCi, p. i:{'». Tiiai.ihifeu-

KisiMi.Mi llandhuch I'.M:! . I. II, p. 13. C\iiiuii.-Li;r:r kuco, HcllUiniav (l'.tO!?), p. 5il.

Pour iMi' illusion au Sinutus liliirniqne dans la Pas.siu s. l'erpchuie, SnAwi.KV, p. t3H.

(3; Per .lil.iliiîii purntm liiuiii lesuiii Clirisluin : Martijr. Pohjcnrp. \\ (prière de
l'évdquc iiiartvr sur le hùclirr) : o toO àYaxrjoj -/.al iO)oYr,To-3 Traiôii; ffo-j 'Ir,*oj XpniTOÛ

raTTip. — Gralias a|?ente« libi (|uoJ nos reddidisli dif<nos iil slcimis coratn le et sacerdotio
r.M-: im{i;ti:m)Li-: anaimiouk apostolioi k . 31

iuslos inliiiuiiu't, et terminuin Ggat, iiifenium, et sanctos educeret, et sta-


et resurrectionem manifestet. tuta conderet, — et resurreclionein pate-
laceret.

Si nous exceptons deux mots statula


conderet., qui restent pour
les

nous obscurs suffisamment


(1). le reste est
clair il s'ag-it, dans trois :

des membres de phrase que nous avons isoles, de la descente du


Sauveur aux enfers (2). Le Christ brise les chaînes du diable, ilfoule aux
pieds l'enfer, il en ramène les saints ces termes ne peuvent s'enten- :

dre que de l'œuvre du Christ aux enfers et ils dépendent de la des-


cription qu'en Descensus Christi ad inferos de l'Évangile de
donne le
Nicodème. Mettons sous les yeux du lecteur les textes du Descensus (3) :

Vincula satanae rumperet = Eoang. Nicodemi , 21 Thilo. p. 721 : « Ad


inferum supervenit in forma hominis Dominus maiestatis, et aeternas tenebras illu-

stravit, et insoluta vincula disrupit» i/.aî o\ o£or,;j.£vo; -xvthç vsxpoi lÀ-jôr.jav t'ov oet^wv).
22 (p. 727) : « Quis ergo es tu, qui... de nostris vinculis omnes auferre conaris ».^
manque au grec). — 23 [p. 729) : « Eoce iani iste lesus... tirma ima carcerum con-
fregit et eiecit captivos, solvit vinctos » [le grec manque).
Conculcaret infernum ;— 22 p. 723) : « Haec videns inferus et mors... excla-
maverunt dicentes : Vieti sumus a te » (xai eùOùç ï6dr)a£v ô Aîo/iç- Èvt/.r]0/;;Acv, oja\ Tjaiv),
— ibid. I

p. 727) : « Tune rex gloriae maiestate sua conculcans


compre- mortem et
hendens Satan principem tradidit inferi potestati » rzô-t 5 ,3aa'.£liç t^; oo'^r;: y.c^y-r^nxç,
h. -ïjç •/oo'joïî; tÔv àpyiaa-oàzrjV Sa-av y.al zapaoob; auTOV tôt; àyyéXou...).

Sanctos educeret =: 22 (p. 727) « Et adtraxit Adam ad suam clariiatem » (le :

grec manque). — 24 (741) : « Et extendens Dominus manum suam dixit : Venite


ad me. sancti mei omnes... Statim omnes sancti sub manu Domini adunati sunt »
r... ïùr^ AeÙgo 'XI-'' hj.'j\t Tz-ÏM-.iz... Woôç Taûra iïsoaXsv àreavra; k'ç'o). — Ihid, '7-15 : " Et

(ibi fungamur = eO.oyw at ôtc rilîwcrâ; |j.£... to-j /agïîv ^z [xÉpo; bi àp'.6(A(';> twv [j.apTupwv,...
Èv ol; -poCTÔEyflîtrjV svwTtiov ao\> <Tri[jL£pov vi 6uc7ta... — Ut te célèbrent et laudent in puero
tuo les.li Christo, in quo tibi laus et potentia in sancta ecclesia et nunc et semper et in
saecula saeculorum. Amen = oè aîvw, <ji sOàoyôj, aï ooEâÇw, Ôtà to-j alwvCoy xal suoupavtou
àpyispÉci); 'Iy]<TOy XptcToO àyci.'!zr\xo\i ao-j na.iBô:, Si' o-j aol erùv aOTw xat Trveûjj.ati &yi'({) 9[ 86Ça

xxi vùv xal eî; xoù; [iéWovra; aiôva;. 'A[j.r,v. Cf. Cabrol-Leclerco, RelUqiiiae, p. X5\iv-
XXXVII.
(i; Peut-être y a-t-il là une réminiscence d'Isaïe, v, 14 : « Dilatavit infernus animam
suam et aperuit os suum absque ullo termino Mais le grec du texte disaïe ne suggère ».

ni tenniuum, ni statuta. Je conjecture que le grec perdu de l'anaphore devait porter

'jpoi ou opo-jç (= (erminum= régulas, d'où statuta). Le mot terminus du latin s'enten-

drait mieux que le mot statuta de l'éthiopien le Christ a mis fin à la captivité des justes :

dans l'Hadi'S. Mais tout cela diflicile.


(2, Constit. apostol. viii, 12, 33, remploie ce passage, entre autres, mais lui fait perdre
son relief : C'âçr) ô ïwotîO'.ô;. '.'va 7tà6o-j; À-jcrr, xat Ôavâtou £*£>,r,T!xi toOtou; S'.' ojç 7:ap£YévîT0,
xal pvi?r, Ta 6îcr(ià roC o'.xoolo-j xal pO-ïriTai -.0"j; àvQpwTto-j; r/. -rr;; àv:ixr\ç a-JTO-j.
Avec l'article de H. Quilliet, « Descente de Jésus aux enfers », du Dict. de Théol.
(3)

Cath. de Vacant, t. IV, p. 578-582, on pourra faire la contre-épreuve on y trouvera les :

textes patristiques des trois premiers siècles relatifs à la descente du Sauveur aux enfers,
t't on constatera qu'aucun tle ces textes ne s'adapte à celui de notre anaphore.
32 UEVLE IIIHLlgUE.

extendens Dominns maiiuni siiam fccit si^mirn crucis siippr Adam et super omnes
saartos siios, et teneiis dexteram Adae ascendtt ab inferis. et omnes sancti secuti

sunt eiim > ... ïjXovTJaa; ô atoTr,p tûv 'Aoàu. iv Toi orjtxeîio toj araupou, touio oï ^o'.j^aa;

y.7.\ r.r.'Ji toj: -a'p'.apya? /.ai -poarlTaç xa\ aâpTupa; xa\ j:poriTopai;, zal toÛto-jç Àa^jtov â/.

TOJ ioo'j àvi'Jop;^

La dépendance de latiaphorc à Tégard de la conception et des


traits concrets du Dcscensus Chr/s'i aU iiifcros n'est pas niable. Or le
ad in/evos, tel (pie nous le posédons, ne présente
Desce?isus C/iris/i
aucun élément que Ion puisse dire antérieur à Eus''he, aucun indice
de sources gnostiques c'est le jugement de Hnnack, auquel ou s'est
:

rallié généialement. Bardenliewer précise le niilieu du iv'' siècle :

est le moment de cette liltcr.iture (1). Ce moment est celui aussi où


le Descendit ad infenia fait son apparition dans les symboles de

foi m.

Est-ce à dire que, entre l'anaphore de la Constitulion ecclésiastique


égtiptiennc et le canon de la messe romaine allégé de ses interpo-
lations, il n'v ait p.ts de rappt'oclienient possible à instituer? Je ne
me prononce pas sur cette question subsidiaire. Mais je dis seulement,
et Je crois avoir prouvé, que lanaphore égyptienne n'est pas anté-
rieure au Descensus Chris fi ad Inferos, et c'est cela (jui importe pour
le moment au débat.
Pierre Hatiiiol.

(Il IIarnack, lebcrliefcrnng (18'J3 , p. 22. IUkoicniieweiî, Gesr/iicfife, t- 1 fl902), p. 410


("iiiust-Stakmun, p. 1001. Von Ddbsciiut/., art. « Mcodcinus, Gospel of » du DicHonarif
<>f llie filhle, [. m (1900), p. 5i<;.
(2i E. \\c\\nM\T, l'Uudes de critique cl. d'IiisL reVuj. (1905), p. 'iC :
.. lUidn note encore
daiiN le Crc<lo d'A(|iiilée la phrase Descendit ad infenia. CeUe foriniile est cararlérisfi-

que; en Occident nul autre symbole ne la lotilient; en revanche, on la rencontre dans


troisCredo orientaux du iv siècle les : sviidio!e> de Sinniuin de ;<.">V» |
IIamn, liiOtiot/iel,
der Symbole, 18'j7, p. 204], de Nicée de .ih'.i [entendez de NikcS en Thrace, Hahn, p. 206!,

et de Conslantinople de :{H0 Le syndiole de Sinnium, d'où dérivent les


[Uaun, p. 209].
•leux autres, est l'œuvre de Marc d'AréIhuse, qui s'est vrais. mblableinent inspire de
>ainl Cyrille d»* Jérusalem ». A. E. Bihn, An iiitrodnrtion lo Ihe creeds (1899), p. 203-
"l'i. La Cfitec/i. IV (le saint Cyrille est, comme tontes ses catéchèses, de l'année 348.

— —ty'f'i ^^
DIEU ET LE 310NDE
D'APRÈS LES CONCEPTIONS JUIVES AU TEMPS DE JÉSUS-CHRIST

Les relations de la divinité avec les êtres ^isibles avaient constitué


pour les philosophes de la Grèce un des problèmes les plus épineux.
Les uns identifiaient Dieu avec le monde, d'autres l'en séparaient si
bien qu'ils rendaient tout rapport impossible, d'autres enfin se crurent
dans la nécessité d'introduire une sorte de Dieu secondaire, l'àme du
monde. —
Le problème des origines n'était pas moins embarrassant.
Généralement on admettait l'éternité de la matière; si Dieu intervenait
dans la formation de l'univers, ce n'était qu'à titre de démiurge ou
de premier moteur.
Les Juifs ne connurent pas ces difficultés. Tout dépend de Dieu;
l'origine et la conservation de toutes choses sont dues à lui seul;
entre lui et le monde, d'étroits rapports continuent à exister. On
croyait même que Dieu s'était rattaché l'humanité par des liens d'une
nature toute spéciale, qui allaient au delà de ce que des êtres créés
pouvaient attendre de leur auteur. Nous examinerons, dans cet article,
la pensée des Juifs sur la création et sur les rapports naturels de Dieu
avec le monde.

1. LA CRÉATION (1).

La production de toutes choses par la puissance souveraine d'un


seul Dieu était enseignée dès la première page de la Bible, et tous les
écrits postérieurs font écho à cette doctrine (2),

(It Sur la création dans l A. T., cf. Owen C. Whitehouse, art. « Cosraogony », dans Has-
tings. D. B., vol. 1, 1898, p. 501-50J. — H. Zimmern et T. K. Chevne, art. « Création »,

dans l'E. B., vol. I, col. 1899, 938-954. — A. Vacant, art. Création « », dans Vigouroux,
D. B., vol. II, 1S99, col. 1101-1105. — Dans les Apocryphes, L.Gry, La créatioh en sept
jours, d après les Apocryphes de l'A. T.. dans la Revue des Sciences philosophiques et
théologi^ues, 1908, p. 277-293.
(2)Gen. 1; Ps. 8, 4-9; 19, 1-3: 24, 1-2; 33, 9; 104, 2-9; 148, 1-6; Job 12, 7-10; 38;
Is. 40, 20-28 etc.
revue bibliole 1916, — N. s., T. XllI. 3
3ï REVUE BIBLIQUE.

A l'époque de J.-<'-., tous les livres des .hiifs, canoniques et apo-


cryphes, palestiniens et hellénistiques, sapientiaux et historiques,
proclament cette foi et sen font les défenseurs. C'est en rappelant à
ses sept fils que leur Dieu est « le créateur du monde » et qu'il a
« présidé à l'origine de toutes choses », que la mère des Machabées

les encourage à subir vaillamment le martyre pour leur religion


(II Mach. 7, 23). L'auteur de la. Sagesse s'étonne que les hommes, en

considérant la grandeur et la beauté des créatures, n'aient pas pu


« celui qui les a appelées à l'existence »
arriver à la connaissance de
(^Sap.13, 1-5). Les exclamations à la louange du Dieu créateur sont
fréquentes (1). Les Jubiles (2, 1-10) et Hênoch slave (c. 24-30) dé-
crivent minutieusement l'œuvre des six jours. Philon consacre au
même sujet tout un traité (2) et recourt souvent à la preuve cosmo-
logique de l'existence de Dieu. Les livres sibyllins se font les hérauts
de cette foi dans le monde païen (3), pendant que dans les synagogues
la prière du .hiif pieux célèbre la gloire du Dieu créateur (4).
La formule quasi stéréotypée de l'Ancien Testament. Dieu qui a «

fait le ciel et la terre » (5), se retrouve à toutes les pages de la


littérature postérieure (6); elle sert à caractériser le vrai Dieu par
opposition aux idoles, car celles-ci ne sont que de « vaines divinités,
qui n'ont pas fait le ciel et la terre » (Ilén. si. 2, 2). Le ciel et la terre,
c'est-à-dire le monde d'en haut et le monde d'en bas, étaient consi-
dérés comme renfermant la totalité des êtres existants. Parfois,
cependant, un troisième membre, la mer, vient s'ajouter à l'énumé-
ration du ciel et de la terre. « Dieu, dit la Sibylle, a fait le ciel... et

vagues de la mer » ffragm. IIL 2 ss. cf. Joskpiik,


la terre fertile et les ;

C. Ap. Il, 10). Le plus souvent on emploie des formules encore pins
compréhensives," et on proclame Dieu le créateur du monde (7),
l'auteur ou le créateur de toutes choses 8). Dieu a fait « ce qui est

(1) Ilén. 84, 3; Ps. Sal. 18, 13 s. (11 s.,; cf. 8, 7; Pr. de Manassé 2, 3.

(2) De opificio mundi.


(3j Sili. III, .-..'.O. GO'i, 70'i; frafîrii. III, :!-lT.

(4) Cf. le Kaddicli, le Moumph, la prièn", / Dm.mw,


'Alrnnu Worlc Jcsit, p. 305, 30f,, 307.

(5)Gen. 1, I; Il R.-;;. 19, ir. ; II Chr. 2, \.>; 115. i:.: 123,8; 134.
Ps. :i 146. (.: Is. 37.
If.: 45, 18; 32, 17; \W\ et Dra};.
Jér. .%; Jmlith 13. 8 cf. Ti).
'6) III Em\t. 6. l.i; Jul). 22, r,; 25, U; 32. 1«; Sih. III, 786: les vers du Ps. -Sophocle
••1 du P.s.-()rph(:-e fS. .hislin, De Monnrch. III: .Mi«nr VI, col. 316): Ass. Mos. 12, 9. —
Uii'lquelois la formule s'élargit : « le ciel, la terre cl tout ce qu'ils contiennent •' (Ilén.

101. N .
le riel. la lorrc cl (ouïes choses » (Jub. 7. :{*; ; « le ciel, la terre cl toute leur

arni. I- Pr. de .Man. 2: cl. l'addition des Soplanic à Us. 13. ^).

Cl II .M.irh. 7, 23; 13, li (cod. V); Ass. .Mos. 1, 12; ArisK-c 16; IV Mach. 5, L':. ,
Tesl.

Nepbl. h'hr. 9, ."..

;8) Eccli. 43, 33; 24, 8; Sap. 1, I i; 9, 1 : Arisl. TM: II Mach. 1. !'. ;
III M.uh. 2, 3;
niKU ET LE MONDE IVAPIIÉS LES CONCEI'TIONS JUIVES. 3[)

petit et ce ([ui est grand » (^Sap. 6, "i; rien n'est excepté, car « celui
(jui vit éternellement, est, à titre égal, le créateur de toutes choses »

(Kccli. 18, 1) et « tout ce qui existe est l'œuvre de (ses) mains »

(Jub. 12, 19).

Vn indice révélateur du progrès des idées, c'est l'introduction de


nouveaux mots dans le vocabulaire théologique. L'héhreu n'avait
point de vocable qui exprimât l'idée abstraite de création (1); les
créatures, au concret, étaient désignées par le terme général
d' «œuvres » (c w"^2) ; on de recourir à des périphrases
était obligé
pour dire « le créateur ». Le Judaïsme postérieur a des expressions
techniques pour rendre ces différentes notions : y.-(7iq{2), 7,-:fuy,a(3),

•/.Tir:rj^(i) sont fréquemment employés depuis la traduction des Sep-


tante.
Conformément au récit de la Genèse, c'est pa?' sa parole que Dieu
a tout créé (Sap. 9, 1 ; Jub. 12, i). Il commanda et tout fut fait (Test.
Nepht. 9, 5; cf. Ps. 33, 9; 148, 5; Judith 16, IV); par sa parole,
toutes les créatures vinrent cà l'existence (Eccli. 42, 15). La parole
divine seule, sans aucun secours extérieur, a suffi à faire exister ce
qui auparavant n'était pas, car en Dieu « la parole est action » (Hén.
si. 33, i) et « vouloir » pour lui est « pouvoir « (Sap. 12, 18).
La création est donc avant tout un acte de la volonté ou du « bon
plaisir » de Dieu (Jub. 16. 26). L'intelligence n'en est évidemment —
pas absente. Le rôle que la Sagesse joue dans l'œuvre créatrice est
considérable; c'est elle qui présida à la formation des êtres, et c'est
d'après ses conseils que tout fut exécuté (Eccli. 24; Sap. 7-8: Hén.
si. 33, 3 s.; 48, ï; cf. aussi la théorie des Idées chez Philon). — La
création fut enfm une œuvre d'amour, car Dieu aime tous les êtres,
et il n'a rien eu en abomination de ce qu'il a fait; s'il avait haï
quoi que ce ne l'aurait pas créé (Sap. 11, 2i). Aussi toutes les
soit, il

créatures sont-elles bonnes et salutaires (Sap. 1, 14; Eccli. 39, 16,

IV Mach. 11, 5; Hén. 9. 5; 81, 3; 84, 3; Jub. 12, 4. 19; Hén. si. 33, 8; 66, 4 Rec. A,
cf.10, G: 65. 1.
(1) Dans Job 40, 19 et Prov. 8, 22, cette idée est rendue par « le début des voies ».

(2) -/.Tt(7i,', Septante : Ps. 73 (74), 18; 103 :104), 24; 104 (105;, 21 cod. A S; Prov. 1,
13 cod. A: — Tob. 8. 5. 15; Judith 9, 12; 16, 14; Eccli. 16, 17 43, 25; Sap. 2,
; <1; 5, 17:
16, 24:19,6; III Mach. 2, 2. 7; 6, 2;,Ps. Sal. 8, 7; Test. Rub. 2, 3. 9; Lévi 4, 1; N'epht.

2, 3; Hén. 15. 9; 18, 1. Cf. nNl"12. Doc. Sad. 7, 2.

(3) y.tJciia. Eccli. 36. 20(17); 38, 34; Sap. 9,2; 13, 5; 14, 11; III Mach. 5, 11; cf. Hén.
18, 1; 36, 4; 75, 1; 81, 3; 82, 7; 84, 2- 93, 10.

(4) y.T;(7Tr,ç, H Reg. 22, 32 (Sept.); JudiSi 9, 12; Eccli. 24, 8; II Mach. 1, 24; 7, 23:
13, 14 (cod. V); IV Mach. 5, 25; 11, 5; Arist. 16; Sib. III, 704; fragm. III, «7; cf. Jub.
10, 8; 22, 27; 2, 31; 11, 17. —
Les Sibylles emploient encore les expressions y^vétt,.-
(III, 604) et TravYîvÉr/î; flll, 550).
3G HEVLt BlBLigUE.

33), et toutes reçurent l'approbation divine ^Ass. Mos. 12, 9). La fin
qui leur est assii^née répond à la noblesse de leur origine elles n'ont :

d'autre raison d'être que de proclamer les perfections infinies de leur


Auteur « J'ai béni eu tout temps le Seigneur de gloire, dit Ilénoch,
:

et Je contiuuerai à le bénir, lui qui a accompli de grands et magni-


fiques prodiges pour montrer la grandeur de son œuvre à ses auges,
aux esprits aux hommes, afin (ju'ils louent son œuvre, sa création
et
tout entière; afin ([uils contemplent l'œuvre de sa puissance, qu'ils
louent l'œuvre grandiose de ses mains, et qu'ils le bénissent pendant
toute l'éternité » (Hén. 36, 'i- ; cf. Eccli. 42, 15-33).
L'activité créatrice de Dieu s'est étendue à tout ce qui existe en
dehors de lui; jamais aucune exception n'est faite. Généralement on
s'en tient à de simples déclarations; on ne se livre guère à des spé-
culations philosophiques sur la nature de l'acte créateur. Un te.vte,
cependant, affirme nettement la production des êtres c.r nihilo : « Je
t'en conjure, mon enfant, dit la mère des Machabées au plus jeune
de ses fils, regarde le ciel et la terre, vois tout ce qui est eu eux et
sache que Dieu du non-ôtre (1). les a faits »

Cette dernière affirmation semble contredite par l'auteur de la


Sagesse : il était facile, dit-il, à la main toute-puissante de Dieu, « qui
créa le monde d'une matière informe » ii y.': x -yt 7.iT[j,iv ïz à;j.ipç.s'j {-.',-

Jay;ç), d'envoyer contre les Égyptiens « une multitude d'ours ou de

lions féroces » (11, 17). On fait remarquer que ce livre se montre en


général très accueillant pour les conceptions philosophiques des Pla-
toniciens et des Stoïciens, et qu'en particulier l'expression JAr, iy.ip^cç
était alors courante dans écoles (2). Or, pour les philosophes
les

grecs, la matière est éternelle; dépourvue de formes par elle-même,


elle est capable de les recevoir toutes; elle constitue le subslralum
dont le démiurge tira le monde sensible. Aussi la plupart des com-
mtmtateurs protestants (3) voient-ils, dans ce passage, la négation de

1, Il MacL. 7. 'M : oùx i'^ ôvtwv £-o;r,aev aCxà ô 0:6;; version syria(|ue : « île ce <|ui n étail
pas >i
; version latine : « ex nihilo fecil illa Deus ». ui% i\ ôvxwv est identique, pour le sens,

a i\ ovx èvTwv que présente le texlus receplus, car on sait qu'en grec classique les parti-
cipes et li's ailji'ctifs précédés d'une préposition, aiment à avoir leuis detrrminntions
adverbiales avant la préposition (Bi.ass, drammntil, dis Neulcstaincnllic/irti Criecliiscli.
19oL», p. 2«)2; cf. aussi Héhr. 11. 3). — I.a création ci nihilo sera énalenieiit aflirmée par
l'Ap. syr. de l(aru<'li, 21, i :
•' Au coinmenceinent du monde lu as appelé ( i* rpii n'était pas
endtre »; cf. 48. N : k d'une parole tu fais surgir ce (|iii netail pas ».

(2) TiM. I.ocr. '.»'i a; Iii0(;. L\i:u(;i; III. 41; Pi.LTAnyi k, Dr amie. muU. c. '.); cf. I'i.vton.
Tiiiifr: 51 a, et Piiii.o.n, De fiiga '.>, M. I Ui' : Quis rer. div. harr. IVi, .M. I 492: De spec.
leg. I, a28. M. Il 261.
(M) GiiiMM, h'ii rzyefasslr.s cxcgctisclirs Uandbueh zu dcn Apn/.rj/plicn. VI, Leipzig, 1860,
p. ;!lt ss. ; rxiiHAii, Wisdinn. dans Wnce, Apocrypha, Lomlon. 188N; Hiticn, Wctsheilslehre
DIEU ET LE MONDE D'APRÈS LES CONCEPTIONS JUIVES. 37

la création proprement dite, l/autem' de la Sagesse, écrit Drummond,


« se sépare de la doctrine juive qui enseigne la création ex nihilo; il

la remplace par la croyance des Platoniciens ». Et qu'on ne dise pas


que l'auteur parle seulement de formation du monde, postérieure la.

à l'acte créateur, « premier de la création et


car il se réfère à l'acte
ne laisse aucune place à une création préalable de la matière ex
nihilo; cela ressort avec évidence du fait que la formation du monde
est donnée comme une garantie de la toute-puissance divine, et s'il
avait supposé que tout l'univers a été tiré du complet néant, il aurait
sûrement fait usage de cet argument beaucoup plus impression-
nant » {Philo, I, p. 188).
Tout d'abord il peut paraître étrange qu'on condamne un écrivain
sur une expression assez obscure, jetée en passant, au milieu d'un
développement sur le rôle de la Sagesse dans le châtiment des Égyp-
tiens. Un indice aussi léger suffira-t-il à faire croire que l'auteur a
rejeté « la doctrine juive de la création ex nihilo », et qu'il s'est ainsi
séparé de la croyance commune? —
L'auteur semble bien partager cette
croyance dans toutes les autres parties de son livre. Dieu « a fait
toutes choses par (sa) parole » (9, 1 5 ~zir,:;x: -x t.x'/tx sv Xsvw t^ou), « ce:

qui est petit aussi bien que ce qui est grand » (6, 7); « il a créé toutes
choses pour l'être » (1, li t r/.t'.Tsv ! 1
) yàp tl^ lo thxi -x r.h-x\ ;
sa sagesse
est « l'ouvrière de toutes choses » (7, 22 : y; vàp zâvTwv Tv/yX-iz) ; il aime
« tout ce qui existe » [-x h-x ~h-x), car s'il avait eu quelque être en
abomination, il ne l'aurait point fait (11, '2ï); tout lui appartient
(6, 7; 8, 3 : 5 -âvTwv oscr-iro?; cf. 11, 17. 23; 12, 16; — 11, 26 A i-i :

zx ijT'.v T.h-x)^ parce qu'il est l'auteur de tout : « Quel être pourrait
subsister, si vous ne le vouliez? être conservé, si vous ne l'aviez appelé
à l'existence? » (11. 25). au Sage d'employer ces ex-
Il était difficile

pressions, s'il avait cru la matière indépendante de Dieu dans son


orig ine
D'ailleurs, l'idée matière n'est que
qu'un philosophe se fait de la
le corollaire des conceptions qu'il a sur Dieu. S'il considère Dieu
comme l'Idée suprême du Bien en face de laquelle tous les êtres visi-
bles ne sont que des ombres sans consistance (Platon), ou comme

der Hebruer, Strasbourg, 1851, p. 353; Drumaiond, Philo Judaeus, London, 1888, I, p. 188;
Bois, Essai sur les origines de la philosophie judéo-alexamlrine, Paris, 1890, p. 264:
Zeller, Philosophie der Griechen, IIî, 2, p. 294; T. K. Cheyne, art. « Création », dans
l'E. B., voL I, 1899, coL 954.

(1) Nous ne voulons pas insister sur le sens du mot êxtkjev; dans les Sept, il répond le

plus souvent à N"12. Mais bien que les deux verbes soient employés de préférence quand il
s'agit de création proprement dite, ils n'ont pas nécessairement celte signification.
38 RKVUE BIBLIQUE.

un acie pur dont l'intelligence et la volonté ne peuvent avoir d'auti'C


objet <|ue lui-même (^.Vi'istote), ou enfin comme la force active qui
pénètre et contient le monde à l'instar de l'unie dans le corps (les

Stoïciens), il ne lui reste d'autre ressource que d'admettre l'rtcrnité


de la matière ou bien Dieu : et la matière sont deux principes oppo-
sés et indépendants, ou bien ils se confondent l'un avec l'autre. Dans
les deux cas, la matière doit être éternelle. — Ces systèmes sont
étrangers à l'auteur de la Sagesse. Tout en se distinguant du monde
comme l'ouvrier de son œuvre (11, ^l-'iô; 13-14, Dieu conserve avec
lui les relations les plus étroites : il le régit et le gouverne (11. 7 12. .

15. 18; 15, 1) et son « Esprit incorruptible est dans tous les êtres »

(12, Ij. Les conceptions générales du


livre ne cadrent ni avec le
monisme dualisme des pbilosophes grecs, et par suite la
ni avec le

matière doit dépendre de Dieu, dans son origine aussi bien que dans
sa conservation.
Ces considérations invitent à penser que le passage incriminé est
susceptible d'une autre explication.
Du fait que l'auteur se sert de l'expression « matière informe »,
on ne saurait encore conclure qu'il l'emploie dans le même sens (jue
les philosophes de la (irèce (1 ni surtout qu'il appron>e toutes les j,

théories cosmogoniques que ceux-ci y rattachaient. Kien ne l'em-


pêchait de donner un vêtement grec à une pensée spécifiquemeut
juive ; l'ensemble de son système était là pour empêcher toute méprise.
— 11 est très vraisemblable que le Sage, dont le livre contient de
fréquentes allusions aux premiers chapitres de la Genèse, ait eu dans
l'esprit le <' thohou vabohou » de Gen. 1, 2; Sept, r, cà ;•?; -^v xzpy.-zq
/.y.'. ày.7ta7/.£ jy. -Tc; [1) : la terre était « invisible )>, parce que la

lumière n'avait pas encore été créée; « sans organisation », puisijue


l'd'uvre des sLx jours n'avait point commencé. La tei rr ainsi décrite
]»eul très bien être appelée une
« matière informe ».

11 non de la création propiemcnt dite icreatio prima),


s'agit donc,
m;iis de la formation du monde, c'est-à-dire de l'organisation que
Dieu introduisit dans la matière chaoticjuc creatio secunda). Le texte
ne soustr-ait pas la matière à l'acte créateur; il exprime « une opi-
nion orthodoxe dans un langage platonicien » (Di;a>k. Thr lioo/c uf
W isilotn, p. 1(> .

'1 l.e contenu de ceUc expression «'liiil d'ailleurs loin diMn" !<• m^^nie dans les diflé-
rcnles «'•rôles.

(2) < cri iin> inaïuisrrils lalins tradui.s(^nt Sap. 11, 17 •


oinnipulens nianiH liia ipiac
rreavil orl> m Irrrarunt ex inalcria invisa » (alii iiifoniti . cl aicenluenl ainsi I allusion
aux Seplanli-, lii-n. 1. ?..
DIEr I:T le monde d'après les conceptions juives. 39

L'auteur, objecte-t-on, n'aurait pas manqué de parler de la création


ex nihilo, s'il l'avait admise, car son argument on aurait été singu-
lièrement fortilié. — L'intention du Sage était de montrer que les

Égyptiens, adorateurs d'animaux, furent justement punis par où ils

avaient péché (11, 16) Dieu leur envoya « des reptiles et de vils
:

animaux » (v. 15), des grenouilles, des moustiques, des scarabées,


(les sauterelles. Mais il aurait pu aussi bien leur envoyer des bêtes
plus grandes et plus féroces, « des ours ou des lions en grande quan-
tité » ; rien ne lui eût été plus facile, à lui dont « la main créa le
monde d'une matière informe » (v. 17). — Il suffisait au but de
l'écrivain de faire allusion à l'œuvre du sixième jour, où Dieu fit

sortir de la matière « les animaux domestiques, les reptiles et les


bêtes de la terre » (Gen. 1, 24). Dieu qui a façonné tous les êtres,
pouvait sans peine en utiliser une partie contre les Égyptiens; bien
plus, non content des espèces existantes, il pouvait lancer contre
«'ux « des bètes nouvellement formées » (v. 18). L'argument tiré de
la crealio seouida était amplement suffisant. Le recours à la création

proprement dite eût été même hors de propos, puisque l'auteur ne


voulait pas précisément prouver la puissance de Dieu, mais mettre
en relief sa haute sagesse qui lui a fait employer au châtiment des
Ég-yptiens les « vils animaux » qui étaient l'objet de leur culte, alors
qu'il lui eût été si facile de déchaîner contre eux des bêtes plus
grandes et plus redoutables.
La Sagesse accepta donc sans compromissions la croyance juive
au sujet de l'origine du monde.
En était-il de même partout? Il semble bien que Philon. et peut-
être aussi l'auteur d He'noc/i slave, aient rejeté la création ex nihilo. Il

vaut la peine d'étudier de plus près la doctrine de ces deux écrivains.


Philon (Il subit en cosmologie l'influence de Platon. Pour lui,
comme pour le fondateur de l'Académie, la matière est préexistante.
La cause efficiente n'entre en activité que y a un sujet sur lequel
s'il

elle puisse s'exercer. « Bien des choses, doivent concourir à


dit-il,

lagenèse d'une chose : ce par quoi, ce de quoi, ce par V intermédiaire


de quoi, ce en vue de quoi, c'est-à-dire la cause efficiente, la matière,
l'instrument, la cause finale ». Le philosophe montre l'application
de ce principe dans la construction d'une ville, puis il continue :

<•Or, passons maintenant de ces constructions partielles à la consi-

(1) Cf. Drummond, Pltilo Judaeus, I, p. 299-307; Zeller, Die Philosophie der Griechen,
III, 2, p. 386-393; Jules Martin, Philon, Paris, 1907, p. 68-75; Bréhier, Philo)i d'Alex.,
Paris, 1908, p. 80-82.
40 REVUE BIBLIQUE.

dération de la plus grande des maisons ou des villes, c'est-à-dire du


monde; on verra que la cause efficiente est Dieu, par lequel il fut
produit; la matière, les quatre éléments dont il est composé; Tinstru-
meut, le Logos divin par l'intermédiaire duquel il fut fait; enfin la
cause finale, la bonté du démiurge (1). Ailleurs, Philon déclare >^ —
que le démiurge employa à la confection du monde toute la matière
disponible (2). Tout ce qui est dans le monde sort d'une seule et

même racine, la matière, qui d'elle-même était désordonnée et con-


fuse mais;
le formateur du monde
« y introduisit l'ordre et la ->

distinction (3). La matière n'a par elle-même aucune qualité (a-rrocoç),


mais elle est capable de devenir toutes choses (i).
La création de la matière répugnerait à tout le système de Philon.
Dieu qui ne put même pas entrer en contact avec la matière pour
l'organiser et dut confier ce soin aux Idées ou Puissances (5), pouvait
moins encore l'appeler à l'existence. En effet, la matière, préalable-
ment à la formation des espèces, est considérée comme confuse (6; et
amorphe (7) elle n'a pas reçu la marque et comme l'estampille des
;

idées (8); il n'y a en elle aucun principe d'ordre ou de distinction,


puisque ce sera précisément là le rôle du Logos diviseur 9). En un
mot, il n'y a point eu encore de rapports entre elle et l'intelligonce.
Or, comment Dieu pourrait-il agir sinon par son intelligence? pour-
rait-il produire une matière qui ne répondît à aucune de ses Idées (10)?
L'impossibilité est d'autant plus grande que pour Philon la création
du monde intelligible précéda celle du monde sensible. — D'ailleurs,

la matière s'oppose à Dieu comme l'élément passif à l'élément actif,

— opinion stoïcienne que le philosophe met à couvert sous l'autorité


do Moïse; et ces deux éléments, ajoute-t-il, « sont absolument néces-
saires dans les- choses » (11). Si Dieu peut être appelé « le père » du
monde (12), la matière en sera <' la mère », car elle a engendré toutes

(t) De r/ierub. i2',-l21, M. 1 162; cf. De opif. m. 8, M. I 2.

(2) Dp opif. m. 171, M. I 'il ;


Quod dcl.pot. ins. \Ui, M. T 220; De plant. Xoe 5-7, M. I

330.
(3) De plcinl. .\oe 2-3, M. 329; De opif. m. ri, M.
I De spec. leg. 1, 828 s., M. II 2r.l.
I :. ;

(i) De opif. m. M. I 5,
21 s., —
Dans ces théories sur la maliî-rc on relroiivc sans peine
la doctrine de Platon; cf. Timée ''»9-52.
(5) De spec. ley. I, 329, M. II 201.
(G) De apec. leg. I. c. De opif. m. 22, M. 1 5.
;

(7) l>e fuga 9, M. I 5'i7; Quia rer. div. fiaeres 14(>. M. i')2. I

(8) De mut. nom. 135, M. I 598; De somn. Il, 4r., M. r,r,:,; De fuga 8. M. 547. I I

(9) 0"'^ rer. div. hacr. liO, M. I i92.

(10) Cf. De opif. m. 16, M. 4. I

(11) De opif m. 8 s., M. 2. I

(12) Dr spec. leg. I, 3'i. 41, M. Il 217-2jjU_ûêjnM/. 7iom. ?M. M. I 5H3 :


Dr opif. m. 21,
.M. I 5; cf. le Timée de Platon, 28 c.
DIEU ET LE MONDE D'APRÈS LES CONCEPTIONS JUIVES. 41

les choses sensibles (1). Aussi, quand il est dit : « Dieu vit tout ce

qu'il avait lait, et voicique tout était bien » (Gen. 1, 31), doit-on
sft garder d'étendre cette approbation à la matière sur laquelle le
démiurge avait travaillé, matière inanimée, désordonnée, dissolvable,
corruptible par sa nature, sans harmonie et inégale; il ne faut l'ap-
pliquer qu'aux productions de l'art divin (2). A Dieu « source de
vie » (Jérém. 2, 13), Philon oppose « la matière morte » (3). On —
voit ainsi qu'un dualisme latent est à la base de sa philosophie. La
matière e^t préexistante à l'activité divine, indépendante, éternelle.
Dieu apparaît uniquement comme démiurge, artiste, formateur du
monde, architecte de la grande cité, jardinier qui fait sortir toutes
les espèces d'une seule racine, en un mot comme l'organisateur de
la matière. Sans doute Philon ne dit jamais qu'elle est éternelle et

incréée; toutefois, cette conclusion s'impose en raison de sa théorie


sur la cause efficiente et de toutes les autres considérations qui
viennent d'être exposées. Il ne parle d'ailleurs jamais de la création

de la matière.
iMais d'autre part, Philon déclare que Dieu peut tout(i), possède
tout (5), a tout produit (6), et gouverne tout. Le monde n'existe pas
de toute éternité (contre Aristote) il a été f&it {-(éyo^vi) par Dieu (7), :

et « Dieu est antérieur à tout ce qui est fait (8), « Dieu se suffisait à
lui-même avant que le monde ne fût fait (9) >>. « Ceux qui nient que
le monde a été fait, font disparaître ce qu'il y a de plus utile et de

plus nécessaire, la Providence ; car ce qui n'a pas été fait, n'a point
de rapport avec celui qui ne l'a pas fait » [De op. m. 9 s., M. I 2).
— Dieu s'oppose nettement à tous les autres êtres, parce qu' « il n'est
pas devenu, mais a amené les autres choses à l'existence (10) ». lia
« amené les non-êtres à l'être (il) », il a « formé toutes choses du

non-être (12) », « il a fait ce qui n'était pas (13) », il « porte ce qui

(1) Qu. in Gen. iv, g 160: De ebriet. 61, M. I 366; cf. De Deo, g 3.

(2) Quis rer. div. Mer. 160, M. I 495.


(3) De fuga 198, M. 1 575.
(4) De opif. m. 14, M. I 10; De Josepho 244, M. II 75; De Vita Mos. I, 174, M. II 108.
(5) De spec. leg. I, 307, M. II 258 De mut. nom. 28, M. I 582.
;

(6) Ë6y;x£ Ta Tràvia, De mut. nom. 29-, M. I 583; ëôvr/.e xal ÈTrotïiTS -zh ;;âv, De Vita Mos.

II, 99, M. II 150.


(7) De Cherub. ni. M. I 162; De opif. m. 7. 12. 171, M. I 2. 3. 41.

(8) Leg. M. I
ail. III, 4, 88.

(9) De mut. nom. 46, M. I 585; Leg. ail. II, 2, M. I 66.


(10) Ta âXXa à^ayiov s?; y^vEsiv, Quod D. sit im. 56, M. I 281.
(11) xà uf, ôvTa tli yévetïiv (fiya^ev), De migr. Abr. 183, M. 1464; De opif. m. 81, M. I 19;
Vita Mos. II. 100, M. II 150.

(12) (Ty(iTr,'7aa8at Ta oXa ex (ir) ôvxwv, Leg. ail. III, 10, M. I 89.
(13) Ttoiwv Ta [iri ôvta, De mut. nom. 46, M. I 585.
42 lŒVUE HIBLIQUE.

n'est pas, vi il produit toutes choses (1) ><. En un mot, <' il a produit
au jour, du niju-être à l'être, l'd'uvre la plus parfaite, le monde (2) ».
Voilà des textes qui semblent bien aflirmer la création de toutes
choses ex niJiHo.
(Cependant im examen attentif diminue considérablement leur
portée. Notons d'abord que d'après l'enseignement de Piiilon, tout ne
sied pas cà Dieu, quoique tout lui soit possible (3). Sa providence
pourrait s'étendre sur le monde entier, même si l'on admettait qu'il
ne soit j)as l'auteur de la matière, car l'artiste prend soin de sa statue,
alors que cependant il n'a pas produit l'airain [Deprovidentia, II, § 48).
— L'expression la plus forte que Philon emploie en parlant de la
création, c'est le mot ';v/f:::. Or il a soin de nous dire lui-même ce
qu'il entend par -/Évs^.r : " Il y a une ';v/zzi:, déclare-t-il, c[ui est le
passage l'acheminement du non-rtre à ïé/re », et il ajoute que
et

cette définition se vérifie toujours, et par nécessité, dans les plantes


et dans les animaux; « mais il y en a une autre qui consiste à passer
d'une meilleure espèce à une inférieure » (Quod D. sit im. 119,
M. 290). C'est à peu de chose près la cjencratio (correspondant à la
l

corruptio) des Aristotéliciens, c'est-à-dire la production d'un être de


son non-être, mais dune matière préexistante. La plupart des pas-
sages cités peuvent donc s'entendre en ce sens que Dieu fit exister
des êtres qui auparavant n'étaient pas.
Même quand Philon dit que Dieu forma « le mond(^ » ou « toutes
choses » du non-être, on ne saurait y voir, sans plus, la création pro-
prement dite. Le parallèle qu'il établit entre les parents et Dieu est
très instructif sur ce point. « Les parents, dit-il, sont intermédiaires
entre la nature divine et la nature humaine, et participent aux deux :

à la natui'c humaine, cela est évident, puisqu'ils sont devenus et


subissent la corruption; à la nature divine, car ils ont engendré et
ont amené à l'existence ce qui n'était pas [-y: \).r, hny. v.z -l thx: r.xzr,-

-/aYiv) ;
il me semble en (ilfet (]ue les parents sont à leurs enfants ce
f/ue Ifieu est au inonde : de même que Dieu
donné rc.ristence à ce <i

tjni n'était pas, ainsi ceux-là, imitant dans la mesure du possible


sa vcitii, pourvoient à la perpétuité de la race " Jh- spec. lerj. II. ll't,

éd. (]ohn, V, ]>. 1 V I ^. .

D'ailleurs, pour Pliilon, la matière primordial)' est sans (jualité,

(I) ô xi iir, ô/ta çéfiwv xai xà r.iizx yEvvôiv. (jiiis vrr. div. fiiicr. '.U'>, M. I MH.
;2j i% To'j |;.f, 6vTo; el; to thon... àv^^rjv;, De Viln Mos. 11, 20", M. Il 170.
(3, Di' cnnf. liny. 180. .M. I 4:J2; De opif. mundi 7'». .M. I 17; De sac ri/'. Ab.cl Caiiiibl,
M. I 17.-J.
DIKL" ET l.t: MONDI-: 1) AI'HÈS LES COxNCEPTIONS Jl IVES. 43

sans forme, sans vie, sans détermination : ee n'est pas un ôtrc, et

par suite ou peut que les substances auxquelles elle a donné


])ien dire

uaissauce, ont été tirées du non-Hrc. Le texte suivant paraît décisif


à cet égard u Dieu a le pouvoir de faire le bien et le mal, cepen-
:

dant il ne veut que le bien. C'est ce que montrent la production


(yévîjic) et la conservation du monde. Il appela les non-êtres à l'exis-

tence, faisant naître l'ordre du désordre (1), les qualités de ce qui


n'en avait pas, les ressemblances de choses dissemblables, les iden-
tités des dillérences, les affinités et l'harmonie de choses sans rapport

et sans accord, l'égalité de l'inégalité, la lumière des ténèbres. Car


il a continuellement à cœur, lui et ses Puissances bienfaisantes, de

transformer et d'amener à un état meilleur le désaccord de la subs-


tance mauvaise » (c'est-à-dire do la matière) (2). La matière s'oppose
donc au monde organisé comme le mal au bien, comme les ténèbres
à la lumière, comme le non-être à On comprend ainsi l'expres-
l'être.

sion : Dieu u produisit au jour (àvé^-ovs), du non-être à l'être, le


monde (:i) » : Dieu le ht passer des ténèbres de la matière à la
lumière des êtres organisés.
11 reste à examiner deux passages qui semblent décidément favo-
rables à la création ex nihilo. A propos de la création de la lumière
et de sa séparation d'avec les ténèbres (Gen. 1, 30), Philon écrit :

« De même que le soleil distingue le jour et la nuit, ainsi, dit Moïse,


Dieu sépara la lumière et en d'autres termes, de même
les ténèbres...,
que le soleil, qui monte à l'horizon, révèle les choses cachées des
corps, ainsi Dieu qui a produit (vswïijar toutes choses, non seulement )

(les) amena à la lumière, mais fit {ï~zir,zvi] encore ce qui auparavant


n'était pas, étant non seulement démiurge, mais encore créateur »
(oj c-^'j.'.c'jpvb; ;j.:v5v àXXà y.ai -/.TisTr^ç, De somn. I, 76, M. I 632 « Dieu .

est un et créateur {-A-ic-r,:) et producteur (-zir-r,:) de toutes choses >;

[De spec. leg. I, 30, M. II 216).


Au sujet de ce dernier texte on peut faire remarquer que -/.Tijrr^ç,

ainsi que -/.tuo), ne se prend pas toujours au sens de création propre-


ment dite; on serait donc simplement en présence de deux syno-

(1) -rà yip (ir, ôvra Èxâ),îar£v e;; to l'.'x: ri^'.v s; àtalia;: Platon, Timée 30 a : sU Ti?iv
aO-rb r,Yay£v êx. t?,; aTa^ia;. Voir ib. 51 a, comment Platon conçoit la matière : [iriti yf,v (atitî

àépa u.r,T£ tz^ç, [Lr,xz -jotop, fi.r,Tc ô'ya. èv. toO-ïwv (JLr,Ts zç wv xaÙTa l'éyovev à).).' àvôpatov siSô; Tt

La matière ne participe en aucune façon aux idées, et comme selon


xai âixopiov, TiavoEx:';...
la doctrine de Platon les choses n'ont d être (jue dans la mesure ou elles participent aux

idées, la matière est pour lui un véritable non-ilre. Cf. aussi Parmémde 16"y.

(2) De spec. leg. lY, 187, M. II 367.

(3 De Vita Mos. II, 267, M. II 176.


ii REVUE BIBLIQUE.

uyines. — Cependant rette réponso ne peut suffire pour le premier


passage : une autre solution s'impose. Pliilon s'est-il souvenu, ici, de
la croyance commune de ses coreligionnaires, et s'est-il mis, sans
s'en apercevoir, en contradiction avec son système général? De la

part du Juif philosophe, ne faudrait pas s'en étonner outre mesure.


il

Toutefois, le contexte insinue une autre réponse Philon déclare que :

Dieu peut être appelé « soleil ». puisqu'il est hi source et l'arciiétypc

de toute lumière, ou plutôt, il est encore au-dessus de l'archétype,


car c'est son Logos qui est le « paradigme » (d'après Gen. 4,3). Suit
le passage cité. — Or, dans son commentaire de l'œuvre des six jours,

Philon interprète f.en. 4, 1-5 de la création de la lumière incorporelle


du monde des Idées, dont le Logos forme la synthèse {De opif. m-
26-35, M. I (')
s. . Il y distingue très nettement deux étapes : la créa-
tion du monde immatériel et la formation du monde sensible. D'autre
part, rien n'empêche Dieu d'être l'auteur immédiat et unique des
Idées, pures intelligences, sans aucun mélange avec la matière {Lfg.
ail. I, Vl, M. I 51 Ces êtres incorporels sont donc créés au sens strict
).

du mot, tandis que le monde sensible n'a reçu de Dieu que son orga-
nisation, par l'intermédiaire des Puissances. Par rapport au monde
visible. Dieu est démiiirrjf, à l'égard du monde intelligible, il est

créateur.
Nous pouvons donc conclure, avec la plupart des auteurs qui se
sont occupés de la question, que Philon a admis l'éternité de la

matière, et partant qu'il n'a pas cru en la création e.r ni/i/lo du


monde sensible. La faute en est aux idées platoniciennes, dont il était
entièrement pénétré. Mais il était aussi trop profondément juif pour
allerjusqu aux dernières conséquences qu'entraîne le dualisme. S'il
continue à dire que Dieu est le Seigneur et le Maître de toutes
choses, que l'univers entier lui obéit, que rien n'est soustrait à sa
souveraineté, c'est par suite d'une heureuse inconséquence. Il obéit
alors au\ inspirations d'une piété sincère, puisée aux sources révélées,
plutôt qu aux raisonnements de son système philosophicpie. Il faut
pourtant convenir que ce système penchait de tout son poids vers une
doctrine que h^ .hidaïsme répudiait, et à bon di'oit, |)iiis(pi'elle con-
tredisait la première page de ses Livres Saints et qu elle eidcvait au
Dieu Créateur le plus beau fleuron de sa couronne.

Les théories néo-platoniciennes de Philon n'exercèrent probable-


ment (pi'une influence très restreinte sur les Juifs de Palestine; les
scribes et les pharisiens étaient peu accessibles ce genre de spécu- ;\

lations. Klles pénétrèrent peut-être dans lun ou l'autre dos groupes


hellénistes étaitlis sur la terre judécnne; on ne voit pas <|u'ellcs aient
DIEL KT LK MOMU: I) APRÈS LES CONCEPTIONS JLIVES. 4o

modifié l'atmosphère théologique dans laquelle maquit le christia-

nisme
Il eu fut sans doute autrement dans la diaspora. Le livre des Secrets

d'Hénoch, qui lut, selon toute vraisemblance, composé en Egypte, à


l'époque de Philon, contient des déclarations assez étranges sur la
création (1). L'auteur semble mélanger à renseignement juif officiel
une doctrine ésotérique, qui rap[)elle de près colle des Orphiques.
Il l'annonce avec le plus grand mystère Dieu fait asseoir llénoch à sa :

gauche, et lui révèle les secrets de la création « Je vais l'apprendre :

tout ce que, avant le commencement, j'ai créé (en le faisant passer; du


nou-éti'e à l'être, de l'état invisible à l'état visible. Même à mes anges
je n'ai pas fait connaître les mystères de ma création... Avant que ne
fût aucune chose visible, je me mouvais seul parmi l'invisible... et je
n'avais aucun repos, car j'allais tout créer. Et je songeais à poser les
fondements et à produire la créature visible » (lléri. si. 24, 1-5 Rec.
AB). Dieu commanda alors à l'invisible de produire les choses visibles.
Adoël vint, éclata, et il en sortit une éblouissante lumière et « un
monde très grand ». La lumière devint le fondement de la création
par en-haut. Puis vint Archas; lui aussi éclata, et il en sortit « un
monde ténébreux très grand », qui devint la base inférieure (c. 25-26).
— Qu'est cet « invisible » au milieu duquel Dieu se meut avant la créa-
tion? et que sont ces deux êtres « invisibles » si mystérieux qui portent
en eux le monde visible.'' Il n'est point aisé de répondre à ces ques-
tions. Incontestablement ou est ici en présence d'éléments hétérogè-
nes, étrangers au véritable judaïsme, provenant peut-être de la
mythologie égyptienne. •

Mais est-on fondé pour autant à admettre que, dans l'esprit de l'au-
teur, la production des créatures « du non-être à l'être », n'est que
leur passage « de l'invisible au visible », c'est-à-dire la sortie des
êtres organisés d'une matière primordiale, incréée? Il ne le semble pas,
car l'auteur compte les choses invisibles, aussi bien que les choses visi-
bles, parmi les créatures de Dieu « Avant que ne fût créée aucune :

créature, le Seigneur fit tout ce qui est visible et tout ce qui est invi-
sible » (65. 1; cf. 47, i ; 51. ô; 64, » ; 65. 6) ; Dieu est le créateur de
toutes choses (24. 5 Rec. A: ; il a « béni toute (sa) création, la visible
et l'invisible » 31. 1 ;
cf. 51. 5). Les deux êtres mystérieux eux-mêmes
obéissent à l'ordre divin. Dieu a « tout médité et tout créé » par sa
sagesse; il s'oppose à tous les autres êtres comme l" « éternel » et
r « incréé » ; ses yeux « considèrent tout ce qui est, et tout tremble de

(1) Cf. l'arlicle, cité plus haut, de L. Gry, p. 285-293.


46 REVUE BIBLIQUE.

crainte », mais s'il détourne son visage « tout est anéanti » (33, 3-V).
— Il de tenir un langage pareil, s'il avait
était difficile à l'auteur

admis que des êtres incréés aient coexisté avec Dieu de toute éternité.
On n"a pas de peine à constater combien les spéculations savantes
de Philon et d'Hénoch slave s'éloignaient de la simplicité des affirma-
tions bibliques, docilement acceptées par les foules. La doctrine révé-
lée se trouvait surchargée d'adjoncti(ms dualistes ou mythologiques
qui l'altéraient profondément et menaçaient de lui créer un péril
semblable à celui (pie les Gnostiques feront courir au christianisme
primitif.
Les descriptions (jui détaillent l'œuvre de la création ne sont géné-
ralmient qu'un commentaire du récit genésiaque (1 Cependant on .

use à l'égard du texte sacré de la plus grande liberté; on se permet


même de le modifier. Vn exemple intéressant est fourni par (ien. 2, 2.
Le texte original portait « et le septième jour Dieu acheva l'œu-
:

vre qu'il avait faite ». Dieu aurait-il donc encore travaillé le der-
nier jour de la grande semaine? Le passage pouvait donner à réflé-
chir, et les Juifs chez lesquels le repos sabbatique était devenu une
caractéristique nationale (cf. .Tub. 2, 17-33), eurent à cœur de pré-
venir tonte équivoque. Les Septante traduisent : « et Dieu acheva le

suièi/ie jour l'œuvre qu'il avait faite et il se reposa le septième ». La


même modification se trouve dans la version samaritaine. Les Jubilés
2, 19) accentuent encore la correction : « et il finit tous ses travaux
le si.rif'?7ie jour, tout ce qui e.viste au ciel et sur la terre et dans la mer
et dans les abîmes » (cf. Héu. si. 30, 8 32, 2).
;
— Philon {Leg. ail. 1, 2,
M. I VV) et .losèphe Ant. I, i, 1) acceptèrent naturellement la lecture

des Septante.
On peut se demander sous quelle image les Juifs se représentaient
le monde i'2). Le livre d'Ilénoch donne à ce sujet les renseignements
les plus complets. L'ensemble des êtres créés se répartit en deux
fractions bien distinctes : le ciel et la terre. La calotte céleste est
ti'udue au-dessus de nous par la violence des vents 18. 3 ; elle

1^ Jiib. 2, 2-25: Piiii.oN, Dr <>p>f- mnnrU: Ilt-n. si. c. 24-31. - Philon pourlmt n'adincl
pas que la dislinclion tics .six jours ro(ionde à la rcalili' ; loul fut rrt'é « en même temps » ;

mais il fallait bien i|ue la «lesrriplion mosaïi|ue suivit ini ordre d»'lermin(^, elle va du
moins parfait au plus parfait [Dp npif. m. fû, .M. I !.'>). Les deux écoles rivales de Ilillel —
et di- Schatnmaï disputaient cliaudcment sur la question de savoir si le ciel avait été créé
avant la terre. Pour les Schammaïtes, c'est le ciel «fui fut créé le premier, " car un roi
fal)rir[iie d'abord le tntne, et ensuite seulement l'escabeau ». Les lliilélltes au contraire

donnaient i.i iiréférence A la terre, « car un roi qui se construit un palais fait d'abord réla;;e
inférifur, et insuile Neuleinenl leselaRCS su|)érieMrs » {Bi'rrscli. linh., par. L i" '•<''>• 1- •)•

2] Cf. Tn. MuiTiN. /.'• I.irrc dlfr'iinrh. Paris, lOOC, p. \\ii-\\i\.


DIEU ET LE MONDE D'APRÈS LES CONCEPTIONS JUIVES. 47

parait suspendue (69, 16), mais en réalité elle repose sur la terre à
ses extrémités, là où le firmament touclie l'horizon (18, 1-5 La terre .

ello-mèmc est fondée sur l'eau '69, 17) et repose sur une pierre
angulaire (18, '2) ou sur une colonne ,57, :i,. D'ailleurs, les quatre
vents soutiennent la terre aussi bien que le firmament du ciel (18, 2).
Le ciel leur livre passage par douze portes aux extrémités de la terre
(34, 2; 35, 1; 36, 1 ss. 76, 1 ss. Au-dessus des portes des vents, ; .

également aux confins de l'horizon, se trouvent douze autres portes,


plus petites, six à l'Orient et six à l'Occident, par où sortent et ren-
trent le soleil, la lune et les étoiles (^33, 3; 36, 3; 72, 3; 75, 6). Tous
ces luminaires, ronds comme le ciel 1
73, 2), se meuvent sur des chars
poussés par vents (18, 4; 72, les s.; 75, 8). Le soleil est «tout 'i-

rempli d'un feu qui éclaire et qui embrase » (72, i).


Mais il serait sans intérêt d'insister sur ces spéculations cosmolo-
giques, qui n'ont qu'un rapport éloigné avec la théologie. Il sera
plus utile d'étudier maintenant les relations de Dieu avec le monde.

II. RAPPORTS NATURELS UE DIEU AVEC LE MONDE.

La première conséquence de la création est l'absolue souveraineté


de Dieu sur tous les êtres. En vertu de l'acte primordial par lequel il

a appelé le monde à l'existence, Dieu est le Roi et le Seigneur de tout


l'univers (III Mach. 2, 9). Les titres que les Juifs lui décernent, mettent
bien en rehef le pouvoir absolu de Dieu sur ses créatures.

Dieu est nommé grand Roi (1 , Roi saint (2), immortel (3), éter-
nel (4>, tout-puissant (5), Roi des rois (6), seul Roi (7 , Roi des
dieux (8), Roi du ciel (9), Roi du monde (10), Roi de toute la
création (11). Il est le Seigneur grand (12), le Seigneur des Sei-

(1) Grand Roi : Ps. Sal. 2, 36 [321; Sib. III, 499. 5G0 ; Hén. 84. 2. 5; 91, 13.

(2) Roi saint : III Mach. 2, 13.

(3) Roi immortel : Sib. III, 616. 717.

(4) Roi éternel ;= des siècles) Hén. 12, 3; 25, 3. 5. 7; 27, 3; cf. Tob. 13, 6. 10.
:

(5) Roi tout-puissant Mach. 6, 2. : III

(6) Roi des rois II Mach. 13, 4; III Mach. 5, 35; Hén. 9, 4; 84, 2; cf. 63, 4.
:

(7) Seul Roi Il Mach. 1, 24; cf. III Mach. 2, 2; Sib. HI, 70i.
:

(8) Roi des dieux Hén. 9, 4; cf. Esther 14, 12 (Add. C 23}.
:

(9) Roi du ciel III Esdr. 4, 46. 58; II Mach. 15, 23; III Mach. 2, 2; Ps. Sal. 2, 34
:
[30];
Test. Benj. 10, 7; Hén. 39, 8 cf. Tob. 13, 7. 11. 16 (x).
si. ;

(10) Roi du monde : II Mach. 7, 9: Dieu du monde ou de l'univers Hén. 1, 4; 84, : 2.

(11) Roi de toute la création III Mach. 2, 7: cf. .Judith 9, 12; Tob. 10. 3; Eccli. 50,
: 15
(izavêaci/.s'jç).

(12) Seigneur grand : Eccli. 46. 5.


48 lŒVUE BIBLIQUE.

gneurs Seigneur de toute puissance (2), le Seigneur du


(1), le

monde (3\ du de la terre (4), le Seigneur de toute créature (5),


ciel et

le 31aîtrc {zl'~z-r^:; (6), sjvâîTTYj; (7). Tout est soumis à la puis-

sance de Dieu, parce que tout a été crée par lui III Mach. 2, 3).
Cette domination souveraine continue à s'exercer par la conser-
valion et le gouvernement du monde.
De même qu'aucun être n'est venu à l'existence sans Dieu, ainsi
aucun ne peut se conserver sans lui. Car quel être pourrait demeu- ((

rer » si Dieu ne le voulait? (Sap. 11, 25). Dieu a le pouvoir d'anéantir


en un instant l'univers entier (II Mach. 8, 18); il lui suffirait de
retirer son assistance, et tout retournerait dans la poussière (cf. Ps.
104, 29-30). —
Mais Dieu « a créé toutes choses pour l'être » (Sap. 1,
14), et son Esprit incorruptible est dans toutes les créatures (Sap. 12.
1). Aussi a-t-il soin de tout ce qui existe (Sap. 6, 7); « car c'est une

loi de la nature que l'ouvrier veille à son o'uvrc » (Philon, De praem.


et poen. 'i-2, M. bien que les
II 415). Les luminaires du ciel aussi

fondements de la terre sont sous sa g-arde (Ass. Mos. 12, 9). Dieu est
le maître de la vie et de la mort (Eccli. 11, 14; Sap. 16, 13), et c'est

à lui que l'homme doit la conservation de son existence (Eccli. 23, 1 ;

II Mach. 3, 35). 11 fait descendre la pluie et la rosée sur la terre,

et y produit toute manifestation vitale i;Jub. 12, 4-18: Aristée 10:.


L'org-anisation du corps humain, l'adaptation de tous ses membres
à leur fin, le merveilleux fonctionnement des sens, manifestent sans
aucun doute la sagesse infinie qui les a créés; mais il faut aussi
songer« que tout cela est conservé par la puissance divine » et notre

(1) Seigneur «les Seigneurs : Ilén. 9, 4; Ass. Mos. 9, 6, cl des llois : lli-n. 63, 2. 4.

(2) Seigneur de toute puissance : Il Jlach. 3, 24; cf. Eslh. 14, 12 (Add. C 23).
(3) Seigneur du monde : Juli. 25, 23; Ilén. 81, Ki ; Ass. Mos. 1, 11 ; II Macli. 12, 15.

(4) Sei;;neur du ciel cl de la Icrre : Test. limj. 3. 1 ; Test, lnlir. Nephl. 9. 2; cf. Toi..

7, 16; Judith 9, 12.


(5) Seigneur de toute créature : Ass. Mos. 4, 2; Ilén. 82, 7; cf. 84. 2.

(6) Seanôrr,; : III Esdr. 4, 00; Tob. 3, 14 (X); 8, 17; Jud. 9, 12 (Maître du ciel et de la

terre); Sap. 6. 7 ; 8, 3 ; 11, 2G; 13,3. 9; Eccli. 23, 1 (.Maître de ma vicy ; 33(36), 1 (Seigneur
Dieu de toutes clicses) ; Dan. (L.\X) Sus. .^ ; 3, 37; 9, 8. 15. Ki. 17(bis). 19; — Tliéodot. Sus.
5; 3, 37; — Ep. .1er. 6; Il Macli. 5, 17. 20; 6, 14; 9, 13; 15, 22; III Madi. 2, 2 (Maitre de
toute la création ; 5, 12; 6, 5. 10; Test. Jos. 1, 5; — Piiii.on, De sprc. leg. II, 21!» (^^ De
f'csio Cophiiii 2; éd. Colin, vol. V. p. 140) ; Dr Clivruhim 119, M. I ICO '^Dieu est» Seigneur
«l Maitre de toutes choses »).

liinrjlivj : Sap. 12, 10. IS; Il Marli. 14, 'Ki Maitre di" la vie); 111 Mach. 7. '.) M.iitre dt>

toute |>ui8sanre .

cic-oTEJEiv : III .Ma(li. 5, (H Dieu niaitriM; toutes choses »). Cf C.istwk lUiiin, —
Ai7î:oTr,;, dans Ic^ llcr/irrr/ics de Scirnn; rclijjirusr, l'.MO |p. 373-379], p. 373 s.
(7) Ôuviarr,; : Eccli. 45. 5. C. If.; Il Mach. 3. 24; 12, 15. 28; 15. 4. 23. 29; III Mach. 2.

3; 5, 51 (K); 6, 39 R,.
r.,,^-.' ' 5 7
.

III Mach. 2. - 1 -ih 'I I'. 2| .
1)[I£L' ET l;l-: MU.NDt: I)A1MU:S LLS CONCEPTIONS JLT\ tS. 40

esprit doit « se souvenir sans cesse de Dieu, le dominateui' et con-


servateur » de toutes ces merveilles Aristée 155-157 .

La création et lamonde trouvent leur coutonnc-


conservation du
ment naturel dans Providence, par laquelle Dieu ordonne et dis-
la

pose toutes choses selon une fin déterminée. Dieu n'abandonne pas
ses créatures au jeu aveugle du hasard : une intelliaence infinie et
une volonté sans défaillance président à leur évolution. Les titres énu-
mérés plus haut, suffiraient déjà à le prouver; il y a aussi des textes
explicites. « Le gouvernement de l'univers, dit le Siracide, est entre les
mains de Dieu » P^ccli. 10, i^ Il est « le conducteur du monde » Sib.
.

fragm. I, 15 car « celui par qui tout a été créé, guide aussi et domine
,

toutes choses » (Arist. Id, Les honneurs mêmes qu'on lui rend doivent
être fondés sur la conviction qu'il a tout créé et qu'il dirige tout selon
sa volonté (Arist. SSi.cf. 13*2 Tout est dans sa main » Jub. 12, 18;,
. <<

et son gouvernement sétend sur toutes ses œuvres (Hén. 84, 3; Ass.
Mos. 4, 2; 11, 17). Il surveille et inspecte toutes choses iSib. fr. I, 3;
fr. III, i'2 , et il les mène toutes à leur fin Arist. "254). — Sa Provi-
dence n"a pas seulement pour objet les hommes, mais encore les
êtres sans raison. C'est lui qui nourrit les oiseaux et les poissons, et
qui procure des aliments à tous les animaux (Ps. Sal. 5, Ils. [9-10 i) :

il est le « créateur -x-m-zi-^zz » (Sib. fr. I, 5). Il règle le mouvement


des étoiles, la course des vents et tous les phénomènes atmosphériques
(Eccli. 42, 16; 43. 33 .

Toutefois, c'est à l'égard des hommes que sa Pro%'idence mani-


feste le plus de sollicitude. Le lot de chaque homme est déter-
miné par Dieu, et c'est en vain qu'on essaierait d'y ajouter quoi
(|ue ce soit (Ps. Sal. 5, 6 :4(). En toute hypothèse, c'est « la vo-
lonté du ciel » qui s'accomplit (I Mach. 3, 60 car « comme l'ar- .

gile est au pouvoir du potier qui le façonne selon son bon plaisir,
ainsi l'homme est au pouvoir de son créateur qui en dispose selon
son jugement » Eccli. 33 36(, 13 Dieu agit à l'égard du genre .

humain comme un berger envers son troupeau il reprend, corrige, :

instruit, miséricorde s'étend à toute chair (Eccli. 18, 13; cf.


et sa

Sap. 12, 2 Il a un soin égal des petits et des grands (Sap.


.
6, 7), et
personne ne peut échapper à sa vigilance ('Eccli. 16, 17). Il guide
tous les hommes selon son bon plaisir (Eccli. 50, 22; III Esdr. 1, 2i ss. ;

Arist. 195; Ps. Sal. 8, 19; Sib. III, 300 i, et règle le sort des nations
(Sap. 12, 12 s.; Eccli. 10, i. liss.). En un mot. Dieu a prévu tout

ce qui doit arriver, depuis le commencement de la création jusqu'à


la fin des âges, et tout se conforme à sa volonté (Ass. Mos. 12, i.
5. 13).
UEVLE EinUnUE 1916. — N. s., T. XIII. 4
;,0 REVLIi lUBLlQUE.

l'ne pi'oviiloiicc toute spéciale s'exerce en l'avciu' des justes. Dieu


les proti'ge et les g-ardc iJiiI). 31, 2'*; I*s. Sal. 12, [5]); c'est pour
eux (pie u les biens ont été créés dès lorigine •> Eccli. 39, 25), ixt
jamais Dieu ne laissera périr ceux qui espèrent en lui (I Mach. 2, 61 j.
I^a piété trouve sa récompense dans la prospérité « Parce que tu :

es pieux, disent les Juifs au roi Ptolémée Philadelphe, aucun malheur


ne vient sur toi » (Ârist. 2:{3). Au contraire, les pécheurs sont exposés
aux pires chAtiments : • la peste et le glaive. la nielle et la sécheresse,
les calamités et la destrucfiou, la famine et les autres tléaux » ont été
créés pour eux (Kccli. 40, 9-10). La création tout entière se soulève
contre les méchants, tandis ([uelle procure le l)ien de « ceux qui
mettent leur confiance » en Dieu (Sap. 16, '2Vi, car l'homme est
toujours puni par où il a péché (Test. Gad 5, H); Sap. 11, Ifi; cf.

.lub. 4, 31 s.).

La en la Providence était donc profondément enracinée au


foi

ca^ur des .ïuifs du temps de .l.-C. C'est même à cette époque quoii
les voit employer, pour la première fois, certains mots dans un sens

technique s'.îi/.sîv {rrgir : Sap. 8,


: 1; 12. 18; 15, 1 H), c'.a7.j6epvitv
[Cjouverncr: Sap. 14, 3; 111 Mach. 6, 2j, et surtout -pivca {providence :

Sap. 14. 3: 17, i; Dan. 6, 18 Sept.; III .Alach. 4, il 5. 30; IV Mach. ;

9, 13, 10; 17, 22) (1). Philon composa tout un ouvraiic sur
2'i.; la
Providence », pour exposer les raisons de cette croyance et réfuter
les objections des adversaires (2).
Eu effet, bien c[ue la chose i)uissc paraître surprenante, cette
doctrine rencontra des opposants au sein même du .ludaïsme. Au
rapport de Josèphe, les Sadduce'ens niaient l'existence de la Provi-
dence Dieu n'intervient pas dans le cours du monde et ne s'en
:

occupe pas; l'homme est abandonné à lui-même, en sorte que les


biens et les maux qu'il reçoit en partage n'ont d'autre cause que
\\\\-m(îme Bell. Jnd. il. vrii. l 'i ; An/. Mil, v, 0; cf. An/. \. \i, 7).
— au contraire des partisans décidés de
Les Essêniens étaient la

Providence, et dans tous les événements ils reconnaissaient son in-


tervention 'An/. Mil, v. !l: Wlll. 1,5^ 3.

(1) Il laiit noliT. loulefois. que ces expressions étaii'iiL déjii cmiiloyécs par les philoso-
phes Krecs, siirloul les Stoïciens, au sens de gouvcrnenn'iit divin, de Providence.
2) Cf. DiiLMMo.M), M, p. .5.")-(;2; J. Mautin, p. 88-li>'i.

3) On
peut se demander dans quelle ine.sure .loséphe lui-même accepinil la Providence.
Assurcmenl, il en parle parfois avec laccenl de la plus parlaile conviction {('. \p. II. il, vf.

22). ne faudrait point non plus se laisser tromper par le revëtcmeni urec qu'il donne le
Il

plus souvent h sa pensée, en app«lanl la Providence -'y/r,. //.em/, eljxapiwvr,. TtîTrpwiisvr, (cf.
liell. Ju<l. IV, \. 7). II n'en est pas moins vrai r|uc dans plusieurs fiassapcs il scmltle rap-
porter certains tvénements, non a Iiicii, mais au hasard Aut. \V, i\. l licll. Jml.
DIKL' ET l.l': MONDi: D'AIMIKS I.KS CO.NCEITIONS JUIVES. 51

A vrai dire cette croyance n'allait pas sans difficulté. Il y avait à


sauvegarder la liberté humaine. Il restait surtout à donner une
solution satisfaisante au problème du mal.
l)"où vient le mal? S'est-il introduit dans la création contre la
volonté du Créateur? Comment expliquer la présence de tant de
désordres physiques et moraux dans le monde, si uu Dieu infiniment
bon et puissant tient le gouvernail de l'univers? Pourquoi voit-on si

souvent des hommes justes accablés d'infortunes, tandis que les mé-
chants jouissent de la plus florissante prospérité? Enfin, pourquoi-
Israël, le peuple de Dieu, est-il foulé aux pieds par les impies Gen-

tils? — Plus ou moins confusément, toutes ces questions se posaient


à la conscience des Juifs.
Leur monothéisme rigoureux les préserva toujours de la solution
désespérée des dualistes proprement dits. Jamais ils ne songèrent à
placer, à côté de Dieu, un principe mauvais autonome. Rien ne
saurait exister indépendamment de Dieu, l'Ancien Testament propo-
sait cette doctrine de la manière la plus explicite :

C'est moi lalivé, et personne autre!


Hors moi il n'est point de Dieu.

Qu'on sache du Levant au Couchant


qu'il n'y a rien hors moi !

C'est moi lahvé, et personne autre!


Je forme la luniière et je crée les ténèbres :

Je fais la paix et je crée le malheur :

c'est moi lahvé qui lais tout cela. (Is. 45, ô-7. ïrad. Condamin.)

Le Juif qui se cache sous le nom d'Orphée, est l'écho de toute la


tradition quand il écrit : C'est Dieu « qui envoie aux hommes le
malheur, ainsi que les guerres funestes et les douleurs angois-
santes 1
1) ».
Tout, même le mal, doit donc relever en quelque façon du Créa-
teur.
Que Dieu put être l'auteur du mal physique , on le concédait en
général sans trop de difficulté. Philon pourtant ne s'y résoudra pas
(voir plus loin, p. 56 s.).

VI, IV. 8; cf. III. vni. 7 donne parfois au Destin une importance telle qu'il
; bien plus, il

le rend responsable de la perversité des mécliants, et


il va jusqu'à dire que sans lui rien

ne se fait {Ant. XVI, xi. 8}. La formation grecque de l'historien l'amena ainsi à des affir-
mations qu'un véritable Juif aurait dû désavouer.
(1) Ps. -.Justin, De Monarc/iia 2. Clément d'Alexandrie et Eusébe présenlent ici un texte

remanié.
!i2 lŒVLK UlHLInLt:.

Mais la ijiieslion prrscntait uii tout autre caractère de gravité,


quaud on considérait le mal moral, car la sainteté de Dieu se trouvait
ici directement engagée. Or, ce fut toujours pour les Juifs un dogme
incontesté ffu'entre Dieu et le péché il y a incompatibilité absolue
Impossible de concevoir lahvé pactisant avec le mal moral ou nn'me
gardant à son égard la simple neutralité. Il ne peut que le haïr et
le punir. Ce serait se méprendre grossièrement (]ue d'interpréter au
pied (le semblent attribuer à Dieu une
la lettre des expressions qui
•part de responsabilité dans certaines fautes (1) si les termes n'ont pas ;

toujours la précision scolasticpie des modernes 2i, le sens général


nen est pas moins clair la sainteté de Dieu ne peut soulfrir la plus
:

légère atteinte.
D'où vient alors le péché? Les Juifs en cherchèrent toujours l'ex-
plication immédiate dans la liberté de riiomme. Le premier couple
était tombé, parce qu'il avait enfreint librement un précepte

(1) Cf. i:>: 10. 20.:^; 14, 8; I San;. 16, 14. 15. :>3;n Sam. 24. 1 ss.
Kx. 7. :',: 9. I H. 22, ;

20-23; Is. 19, 14; .1er. 6. :>! K/écli. 3. 20; 20, 2."i.
6. 1» s. ; :

(2) P. ('o.M)AMi.N « La conceplion si;miti<|ue... cnn.sidore peu lescauses secondes, et rap-


:

porte volonliers tous les événements a Dieu, cause i)remière et principale. Celte concep-
tion est bien servie par la langue qui distingue mal les diverses sortes de causalité; ce que
Dieu permet, quand il le prévoit et pourrait l'empêcher, il est censé le faire : il endurcit
le cœur du Pharaon, etc. Maintenir partout le sens intentionnel strict de certaines locu-

tions (p*î2^ ou^E , en expliquant que, le bien étant un jour lire du mal, le mal entre
ainsi dans le plan providentiel et peut être, en quelque sorte, objet de l'intention divine
K>,vuEM!\Li:it, p. l'iO. au\ Sémites des temps anciens une
141), c'est attribuer, seinble-t-il,
métaphysique trop savante " (Le Livre, disaie. Paris. lîiOô, p. 46 P. Blzv « II est .
— :

cerlain <[ue les Sémites ne distinguaient pas avec notre application les diverses causes qui,
en vue d'un même eflet, peuvent se trouver subordonnées ou collatérales, non plus «jue
les divers niodes <|ui peuvent allecter une même causalité... I.a théologie sémitique néglige
avec la même tacililé les diverses altitude^ de la cause iiremiére dans le gouvernement du
monde. Pour nous, nous distinguons entre vouloir, désirer, permetire. commander, inviler.
conseiller, autoriser, ne |)as empêcher, donner occasion; ces expressions ont pénétre dans
le langage vulgaire où tout le monde les utilise, en respectant leurs nuances rospeclives...

La théologie îles Sémites est inliniinenl plus simpliste. Tout ce qui, île quelque manière,
relève du vouloir divin. Dieu le veut, simplement, enliéremenl. Tout ce qui se produil.
Dieu le fait » Inlrodnction aux Paraboles évanrjétiqiics. Paris, 1012, p. 330). P. Piivr — :

<' Les Sémiles ne distinguent pas comme nous les diverses modalités du vouloir divin et
de la causalité preniiere. Pour eux « vouloir, désirer, ordonner, permettre », quand il s'agit
de Dieu, s'expriment par le même mot; et de môme ( faire, faire faire, laisser faire, don-
ner occasion ». D après celle maniéru de parler, —
iuqiropre tant <|uon voudra, mais
fiiniiliere aux Hébreux, —
tout ce qui arrive, même l'abus de la volonlé humaine, est
lensé \oulu de Iiieu et causé par lui. puisque Dieu le permet quaud il pourrait l'empê-
cher ydlurr ri /lut des l'aralwles évungélit/ues. .1 propos d un oiirragr recrut, dans
)>

lltudis. M» avril l'.M3 p. i;»8-213'. p. 212 8.). —


Il importe cependant de noter quaux veux

des Juif-, celle manière de jiarler ne porte aucun préjudii e a la .sainteté du Tres-llaul.
Jamais il ne serait venu a leur pensi-e que le péché puisse être réellement voulu, désiré,
ordonn '
par le !»ieu trois fois saint.
Dll^r HT l.K MU.NDE DAPltKS LES CONCEmoNS JUIVES. li.}

divin (1). A vrai dire, cette première faute avait été commise sur
l'instigatiou d'un agent mystérieux, le serpent ou le diable, et le
mal physique lui-même n'apparaissait que comme une punition intli-
géc par Dieu à cette désobéissance. Aussi un grand nombre de docu-
ments font-ils remonter aux anges déchus la responsabilité dernière
des défaillances humaines (2). Mais ici, nouvelle question quelle — :

cause assigner à la chute des anges? La même réponse se présente :

c'est l'abus de la liberté dont Dieu leur avait fait don, qui les a
perdus. Du moment que Dieu donnait l'être à des créatures libres,
la possibilité de faire le mal existait. — Possibilité, mais non néces-
sité ! Qu'on se garde de rejeter sur Dieu les péchés des hommes :

iS'e dis pas : « Ma trangression vient de Dieu »,

car il ne t'ait pas ce qu'il hait.


Ne dis pas : « C'est lui qui m'a lait tomber ».

car il n'a nul besoin d'hommes pécheurs,


lahvé sait ce qui est mal et exécrable
et il ne laisse point succomber ceux qui le craignent.
Dès l'origine Dieu a créé Thomme
et il l'a remis au pouvoir de sou arbitre ("lyV

Si tu le veux, tu peux garder les commandements,


et c'est sagesse de faire ce qui lui (à Dieu) agrée.
Devant toi sont répandus le feu et l'eau,
vers ce que tu veux étends la main.
Devant l'homme sont la vie et la mort,
ce qu'il désire lui sera donné.
Grande est la sagesse de lahvé,
il est puissant en œuvres et il voit tout.
Les yeux de Dieu voient ce qu'il a fait

et il connaît toute action de l'homme.


11 n'a ordonné à personne de pécher,
et son aide n'est point avec les hommes de mensonge. i^Eccli. 15, !l-20.)

Le livre d'IIénoch est tout aussi formel «Je vous jure à vous, pécheurs, :

que péché n'a pas été envoyé sur la terre mais l'homme l'a fait de
le ;

lui-même, et ils seront en grande malédiction ceux qui l'auront com-


mis » (98, t; cf. 69, 11).

15, 11-20; 17, 7; 25, 24; Hén. si. 30, 15.


(1) Cf. Eccli. Qu'on nous permette de ren- —
voyer ici Létat originel et la chute de l'homme, d'après les conceptions
à notre article :

juives au temps de Jésus-Christ, publié dans la Revue des Sciences philosophiques et


théologiques, 1911, p. 507-54.5.
2) Sap. 2, 24, llénoch élh., les Jubilés, les Testaments des douze Patriarches. Hénocli
slave, la Vita Adae et Evae, r.\ssomption de Moïse (ap. Orig.) et l'.\pocalypse de Moïse. —
Pour plus de détails, voir notre étude sur l'angélologie et la démonologie juives au temps
de Jésus-Christ, dans la même Revue, 1911. p. 75-110.
:ji Ki:vt !•: IlllJLinl !•:.

(In ne s.iuiail îil'iirnicr plus (•at(''i;orit|iu'niciit la liberté complète de


riinnimc ni l'injustice monsti'Liouso (juil y aurait à faire partauor au
Créateur les écarts de ses créatures.
Les Juifs ne poussèrent [)as plus loin leurs investigations. Ils ne se
sont jamais deuiandé pounjuoi Dieu n'a |)as créé nu monde d'où le
péché eût été banni. Persuadés cpn' Dieu est inlininicnt puissant et (pn-
le monde actuel n"a pas épuisé sa fécondité, ils ne doutaient pas

davantage que l'état de choses présent, malgré ses misères nombreu-


ses, ne laissât pleiuemeut intacte la sainteté de Dieu.
Kn définitive, l'existence du mal moral ne créait pas à leurs yeux
d«'s objections insolubles contre la Providence. Dieu ne veut pas le

péché, il le hait et le punit sévèrement. Mais il ne pouvait doter cer-


tains êtres de la noble faculté de choisir entre le bien et le mal, sans
peruicttre la défaillance de la v(donté; le péché est la contre-partie
inévitable de la vertu et du mérite. .Mais ces fautes ne le prennent pas
au dépourvu; sa science infinie les a prévues (1 et sa sagesse saura les

utiliser pour des fins dignes de lui (2). Rien ne peut échapper au gou-
vernement de la Providence divine.
Si les châtiments n'eussent atteint que les i)écheurs, et seulement
dans la mesure de leur culpabilité, le problème du mal n'aurait g-uère
tourmenté les Juifs. Us admettaient .sans peine cpu' la justice divine

put s'exercer contre les impies; mais ils avaient aussi un sentiment très
aigu des droits que la pratique du bien conférait aux justes. Dieu se
doit de protéger et de garder les hommes pieux ['.i)\ c'est pour ces
derniers que « les biens ont été créés dès l'origine, de même que les

maux pour les méchants » V); c'est aussi contre les pécheurs qu'ont
été faits «< la peste et le glaive, la nielle et la sécheresse, les calamités
et la famine et les autres fléaux » (.V. Le bonheur est la
destinetion, la

juste ré(omi)en'<<' de la fidélité à Dieu « Parce (pio tu es pieux, :

disent les Juifs ,ui roi Ptolémée Pliiladelphe. aucun niallieur ne vient
sur toi (G Sous l'action de iTieu toutes les créatures concourent à
•' .

la félicité des Iîous. tandis quelles se soulèvent contre les méchants


pour venger l'ordre violé 7), car l'homme est i)uni par où il a

pécln'" H).

I llrn. -I. 42. ': 53. /. >.: I)0(. Silil. 2. !..

:>. Sap 8, 1; 10. 1-12. '27.

.; .lui». 31, 24: l'.s. Siil. 12, f. ;r. .

. Krrii. 39, J...


{-'I E(« II. 40, 9-10.
(«;, I>s.-Arist4e 233,

(7) Sap. 16, -M.


(8) Test. Cad S II, Sap. 11, Ui; d. ,liib. 4. ,11 s.
lilKl i:r \.E .MOMIE DAl'lJKS LES COM:t:PTlUNS .ILIVKS. liii

Mais la réalité ne répondait pas à pareil idéal de justice. N'avait-on


pas trop souvent sous les yeux le scandaleux spectacle de laprospérité
<les impies et du malheur des justes ^^1)? Comment accorder ces don-
nées évidentes de rexpérieuce avec la foi en la Providence? La cons-
cience juive soutirait de[)uis longtemps de cette antilogie. « Vous êtes
juste, Jalivé, s'écriait Jéréniie; pourquoi (alors) la voie des méchants
est-elle prospère? Pourquoi tous en paix? » les perfides vivent-ils

12, 1). Et l'on connaît la douloureuse plainte qui remplit tout le


livre de Job pourquoi linnocent souffre-t-il?
: C'est sous cet aspect —
concret que le problème du mal se posait généralement pour les Juifs.
Pour atténuer ce qu'il avait d'obscur et d'irritant, les auteurs, à
l'époque que nous étudions, font valoir diverses considérations. Pas-
sons en revue les plus caractéristiques d'entre elles.
Le Siracide se console à la pensée que le bonheur des méchants
n'est qu'apparent : les soucis empêchent le riche de dormir 1^34 ^31].
1 ss.j, l'avarice ne lui permet souvent même pas de jouir de ses biens

(14, V ss.). D'ailleurs, sa prospérité n'est pas durable; tôt ou tard il

verra s'évanouir ses richesses et il sera plongé dans la misère (5, 1-15 ;

10. 12-18; 11, 1V-2G: 12. 6; 39, 28-31). Enfm, l'infamie le poursui-
vra après sa mort, et même dans sa postérité il sera encore châtié ^10,
17 16, V-10 24-27: 41, 5-13).
: ;
Le juste, au contraire, ne doit pas —
perdre courage dans l'adversité; pour lui, le malheur n'est qu'une
épreuve qui passe (2, 1-11) ;
qu'il ait confiance, le Seigneurie tirera un
jour de son humble condition (11, 12-26) et lui donnera le bonheur
(10, li s. 11, 5 s. 36, 12 etc.). On n'est jamais à l'abri des coups de
; ;

la fortune, et il ne faut « estimer aucun homme heureux avant sa


mort » (11, 20). — Remarquons que l'Ecclésiastique ne recourt pas à
la pensée de l'au-delà pour justifier les épreuves de la vie présente.
L'auteur de l^ Sagesse pénètre plus au fond du problème. Dieu « ne
se complaît pas dans la perte des vivants, car il a créé toutes choses
pour du monde sont salutaires; et il n'y a
l'être: toutes les créatures
en aucun principe de destruction » 1, 12-1 'n. lia créé l'homme
elles
pour l'immortalité, et c'est par l'envie du diable que la mort est
entrée dans le monde (2, 23 s.). Dieu punit sévèrement le péché (1, 9) ;

le mal physique a précisément pour but d'exécuter le jugement divin

11. 5-12, 27 16-19 A l'égard des méchants, la douleur est un cliâ-


;
.

iiment, mais aussi une invitation à ^e corriger (12, 13-26) à l'égard ;

des justes, elle est une épreuve en même temps qu'un avertissement
po.ternel ;11, 9 s. Même la mort prématurée, si redoutée parles Juifs,
i.

;1) Eccli. 9. 11 s.; 11, 19 ss.; Hén. 96. i: 102, 5.


:i(; HLVUE lUIîIJOlE.

l'st un ellot de la miséricorde diviue pour ceux dont làmc est sans
tache i4. 9-1 V). Mais ce qui justifie surtout la Providence aux yeux du
Sage, cest la sanction de la vie future : alors la vertu sera enfin
récompensée, comme elle le mérite, tandis que la vengeance de Dieu
atteindra les pécheurs (2, 'il-3, 0; 5, 1 ss.).
Philon ne sépare pas, dans la solution de ce problème, le mal

moral du mal physi(juc. Le philosophe alexandrin ne veut voir en


lUeu cpie Fauteur du bien, et du bien le plus parfait; il ne consent
aucunement à lui attribuer une responsabilité quelconque dans la
production du mal, de quelque ordre qu'il soit. In texte biblique
i^heut. 32, :ii s.) semble-t-il enseigner le contraire? Voici comment il

s'en tire y a auprès de Dieu, dit-il, des réserves de biens et


: « Il

aussi de maux. Mais considère ici la bonté de FÉtre suprême il ouvre :

le trésor des biens, et ferme celui des maux, car il convient à Dieu

de nous accorder des biens et de nous prévenir de sa libérable, mais


de n'envoyer les maux que difficilement 1) ». Dieu pourrait donc, à
la rig-ueur, envoyer des maux, mais comme il ressort de tous les
autres textes, il ne peut le faire décemment. « Il peut les deux, mais
il ne veut que le bien (2) ». D'où vient alors le mal? —
Le mal est pour ainsi dire inhérent aux êtres qui ne sont pas pure-
ment spirituels; c'est pour cette raison que Dieu ne peut entrer en
contact direct avec la matière, principe de limitation et d'imperfec-
tion, et qu'il charge les Puissances de créer les parties inférieures

de l'homme. Le corps humain est donc la cause principale du péché :

il est la prison i^V, le tombeau (V) de Fàme; étant « naturellement

mauvais •', il complote contre elle (ô); c'est lui (jui donne naissance
aux passions et à toute la vie sensitive dont les tendances sont si sou-
vent contraires h la droite raison ((>). Quoique l'homme ait reçu de
Dieu le don incomparable de la liberté (7), il lui est bien difficile,
en raison des éléments dont il est composé, de ne |)as pécher iz-j[j.z'jï:
-z 'xi.y.z~.'j:t'.':t) '8).

Dieu ne pouvail-il pas empêcher- du moins mal pliysiijne?


le ('e —
lui était impossible, rt'pond l'Iiilon, s'il ne voulait changer constam-

\) l.i'j. (tli. III, lti.">, M. 1 uis.

2 De sper. leg. IV, 187. .M. II :5f.7.

:t^ De mifjr. A/ir. '.*. M. I 437.


| De spec. /nrj. IV, 188, M. Il 307.
;:>) Lc'j. ail. m. (•,y-7i, .M. 1 loo s.

(fi) Lerj. ail. Il, <.).ll, M. I 08; (Jiioil (Ici. pol. ins. KiO. M. I JKi, De spec. Irtj. IV, 7'.»,

M. Il 348.
7) Quoi! D. .lif iin. 'û-iH. M. I :>7'.» ; Dr l'roridnilin. l «0-84.
(8j De 1 idi Mus. Il, l'(7, M. II ir>7.
DIEU ET LE MOMIE U'APKÈS LES CONCEPTIONS .IIIVES. o7

ment le cours des lois naturelles. La pluie et les vents produisent les

effets les plus bienfaisants, et c'est ce bien que Dieu a en vue; cepen-
dant il produisent parfois quelque tort acciden-
est inévitable qu'ils
tel.La Providence considère le bien général. Dans la cité la mieux
ordonnée, les lois les plus sages peuvent avoir des inconvénients pour
tel particulier; mais s'il est raisonnable, il se réjouira des avan-

tages généraux qu'elles produisent. Ainsi en est-il dans le gouver-


nement du monde 1
1 . — Les calamités ont aussi pour but, dans
certains cas, de châtier les peuples de leurs crimes et de les amener
à résipiscence [2). — Philon n'admet pas la valeur de l'objection
tirée du bonheur des impies et du malheur des justes. De quel droil
déclarons-nous méchants ceux-ci et justes ceux-là? Connaissons-nou^
les secrets des cœurs (3)? D'ailleurs, le véritable bonheur n'est pas
toujours là où nous croyons i). Nous n'avons pas les éléments d'in-
i

formation suffisants pour nous ériger en juges de la Providence.


Il peut paraître singulier que Philon ne recoure jamais à la sanc-

tion de la vie future dans les deux livres qu'il a écrits sur la Provi-
dence. Dans ses autres ouvrages aussi, il parle très rarement de l'au-
delà, et sa pensée n'apparait jamais avec beaucoup de netteté. Il
semble toutefois avoir connu l'argument « Quant à moi et à mes :

amis, dit-il, il nous parait préférable de mourir avec les justes


plutôt que de vivre avec les impies la vie immortelle attend ceux-là :

après la mort, tandis que la mort éternelle attend ceux-ci après leur
vie (5) ».

Les auteurs à'apocalypses avaient pareillement leur réponse au


problème du mal; mais conformément à leur système général cette
solution est toute mécanique. Les souffrances des justes ne sont
guère envisagées sous leur aspect moral. Us se contentent de consta-
ter laprofondeur du mal, l'immensité du désastre national. C'est là
une déterminisme universel. Le monde
situation qui entre dans le
actuel est entièrement mauvais, et il faut se consoler des malheurs
présents par la pensée du monde à venir, qui ne tardera pas à se
*
réaliser (6).
Les solutions le plus généralement envisagées peuvent se ramener
aux suivantes :

(1) De Providenlia, l 9'J; De Praern. et poen. 33-35, M. II 413.

(2) De Provid. 11. ?,


31-33.

(3) De provid. II, g 102; cf. I, g 60.


(4) De provid. II, g 16.
*
(5) Depost. Caini 39, M. I 233.
'6) Cf. Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs. Paris, 1909, p. 37-59.
:i8 lŒVlt: IMBLIQL'E.

1" Le Ijoiilicur tics mécliaiits est supeiiieiel, incertain, peu dura-


ble iKccli. . s'ils sont réellement méchants ou
Savons-nous d'ailleurs
vraiment heureux? (Philou). Kn tout cas, ils ne sauraient échapj)er

an châtiment qui les attend dans l'autre vie i^Sap.).


•2' Les souffrances des Justes ne durent pas toute la vie; elles sont

une épreuve passagère destinée à les amender et à les corriiier (li;


•lies permettent à l'homme de manifester sa fidélité à Dieu et sa

constance dans la xcrtn 2 .

3" Knfin, ;i lépoque messiaui(jue sonnera l'heure des rétributions


nationales 3 , tandis que la sanction de la \ ie future rétablira l'équi-
lihre dans l'ordre individuel (V).
Une pensée plus haute apparaît rh et là les souil'rances des bons, :

particulièrement leur martyre, ont la vertu d'expier les péchés des


autres et d'attirer sur eux la miséricorde divine. Les sept fils de la
mère héroïque, dont parle le H' livre des Machabées, supportent
joyeusement tous les tourments, persuadés que leur sacrifice apaisera
la colère de Dieu déchaînée contre Israël et méritera à leur peuple

la paix reliiiieusc II Mach. 7, G. 37. 38). L'auteur du IV livre des —


.Machabées insiste sur ces idées, et met cette belle prière sur les lèvres
d'Éléazar mourant « Que mon sang leur serve de purilication, et
:

reçois mon Ame en échange (à/T'/Vj/ov) de la leur » IV Mach. 6, 29:


cf. 1, 11; 9. 23 s.; 12. 18; 17, 21 s.; 18, ï).
L'.'ime élevée de Philon s'ouvrait facilement à ces pensées. « Un prin-
cipe bien nécessaire, dit-il, c'est que tout homme sage est la ranc^^on
(AÛTfsv) du méchant. » L'impie ne pourrait même pas continuer à
en sa faveur. L'homme de bien se pen-
vivre, si le juste n'intervenait
che sur les vices des hommes pour les guérir, à l'instar du médecin
qui .s'oppose aux progrès de la maladie, la fait décroître et même
cesser complètement, à moins (jue la violence de la maladie ne soit
telle, qu'elle remp(^i-te sur t(His les remèdes <[u"on pounait lui o[)po-

(1) Voir, outre la Safjes.sf, Ps. Sal. 8, :il s.;2(;: 13. 4-11
; :,-i:>\ ; 16. 1-i; 18. 4 (sur lo

rôle de la souJlrancr d'aprts les l'saumi's de SaUnnoii. cf. Viti;\i . p. .5:{-.")8) ; II Macb.
8, 10; 7, is. :ii s.; IV Mach. 6. 2'.»; 10. !<•; lest. Kiili. 1, 7-lo; 4, '«
, Siin. 2. W'.-i'i;

C.ml 5, 8-11.
'2, Cf. I .Marli. 2. :{7. 52; Il Mach. 6, 30 7. 2. î» ; IV Mach. 9. s. 1.^. >;• ; 10, 2ii; .lui..

17 tr,-l8; 19, .•}-«; Ilén. 108. 'J; Test. .los. 2, 1-7.


; < r. Vf,. Sal. 17; Ilén. 91. 12; cf. 46,
Sih. Ill,r.0-(i0; r,53s. s.; 90. l'.i. -lui.. 23. 30;
; '«

10. 2-7; l'iili.oN, Hr prnciii. vt jincn. *.i'>, M. Il '123.


\s^. .Mo>.

V Cf. Il Mach. 7, 9. 13. 14; IV Mach. 9, « .s.; 16, 2.Î; 17, 12. 18; 12. l'i; 18. P>. :.

Sal. 3. 12-10 10-12 13,9-11 ill-12 14. 2-6 (3-10


;
15. 13-1.. 12-13 ;Hcn. 102-104.
; ;

Sur le problè lu mal dans le IV livrt; d'Ksdras. cf. L. V,v<.\naï, Le l'iohlnnr rsr/iu-
lologirpir dans le l\ lirn- il lis/Iras. Paris. l*.»(»t>, y. 4i-<.3. '.tl-ll'.».
DlEl' ET LK MONDK I) Al'UKS LES CONCEPTIONS JUIVES. :;0

ser. C'est que périt Sodoine


ainsi linnombrahlc niullitude des:

nirclmnts n'y tromait pas le contrepoids des bons et entraîna la


balance. Si cotte ville avait abrité cinquante justes, ou seulement dix,
nicu aurait accédé à la prière d'Abrabani et l'aurait épargnée. L'on
ddit laii'o tous les elforts possibles pour sauver même ceux que leur
mal lait courir à une perte certaine, à l'exemple des bons médecins
qui ap[)li(|uent les remèdes lors môme
que le cas est désespéré, afin
d'éviter tout reproche. Et moindre germe de santé, il faut
s'il reste le
le ranimer avec les plus grands soins, comme on ferait d'une étincelle

qui couve encore sous la cendre, car il y a espoir que si la vie est
prolongée, elle devienne meilleure. quand je vois un homme « Aussi
de bien habiter dans une maison ou dans une ^ille, je proclame cette
maison ou cotte Aille bienheureuse, car je suis persuadé qu'elle gar-
dera toujours la prospérité présente et qu'elle peut s'attendre à dos
biens plus grands encore; en effet, Dieu répand ses richesses immen-

ses sur les indignes eux-mêmes, par égard pour les dignes. Ne pou-
vant pas intercéder pour qu'ils ne vieillissent pas, je demande pour
eux une vie très longue, convaincu que les hommes se trouveront
bien aussi longtemps que durera la vie de ceux-là. C'est pourquoi,
lorsque j'apprends la mort d'un de ces justes, je suis rempli d'une
grande tristesse et d'une profonde douleur, et je pleure non pas tant
les disparus que les sur\ ivants. Car ceux-là, arrivés au terme naturel

ot nécessaire do leur existence, échangent une vie belle contre une

mort glorieuse; mais ceux-ci, privés de l'appui fort et puissant qui


les protégeait, sentiront bientôt le poids de leurs maux, à moins que
d'autres justes ne viennent prendre la place des premiers. » Une ville
n'a donc pas de meilleur rempart que les hommes vertueux qui
habitent au milieu d'elle; ils arrêtent le bras vengeur de Dieu ot atti-
rent ses bienfaits sur les méchants eux-mêmes (il.
On ne peut nier que ce ne soient là des conceptions très hautes.
Sans doute Pliilon ne parle pas d'une manière spéciale du rôle expia-
toire de la souffrance; sans doute encore il semble établir une corres-

(1) De Sacrif. Au. et Cainl 121-128, M. I i87 s. —


Des pensées semblables se rencontrent
dans l'Apocalypse syiiai|ue de Barucb « Vos œuvres, di( Dieu en parlant de Jérémie et
:

de Baruch, sont pour celte ville (.lérusalern) comine une colonne Inébranlable et vos prières
comme un mur puissant « Et si d'autres ont commis l'iniquité, déclare Baruch en
» (2, 2).
s'adressantà Dieu, il pardonner à Sion par égard pour ceux qui ont lait le bien, et
fallait

ne pas l'accabler à cause de ceux qui ont fait le mal » (14, 7). « Priez de tout cœur le Tout-
Puissant, dit-il en s'adressant au peuple, pour qu'il vous rende sa bienveillance, et qu'il
ne compte pas la multitude de vos pécbés, mais qu'il se souvienne de la rectitude de vos
pères « (84, 10]. — Cf. encore Test. Benj. 3, 8; mais ce passage a subi l'inlluence chré-
tienne.
00 KEVUt: lllltIJnl K.

pondancc trop étroite euti'o la valeur nioralo des hommes et Icuv


félicité temporelle. Toutefois en montrant que les justes sont pour
ainsi dire les paratonnerres qui protègent contre la foudre des ven-
geances divines leurs proches et leurs concitoyens, il a émoussé
considérahlement lohjection que la prospérité des méchants per-
mettait de formuler contre la l'rovidence et a mis en relief un des
aspects les plus touchants de la solidarité humaine, la réversibiliti!'
des mérites.
En résumé, malgré les difficultés (]ue pouvait présenter le pro-
blème du mal, les Juifs maintinrent en général avec la plus grande
fermeté leur foi en la Providence divine. Ils y étaient poussés, moins

par des raisonnements philosophiques que par des motifs très parti-
culiers, tirés des interventions surnaturelles de Dien dans le monde,
«'t spécialement dans l'histoire du peuple d'isrard.

Rome. Séminaire Franrais.


.I.-H. Fki:v.
LE TEXTE 1)1 PSAUTIER DE SAI>T IIIL VIRE
DE POITIERS ^)

raucicnne version latine de l'Écriture n'est pas encore


L'histoire de
nest probablement pas près de l'être. A l'heure actuelle,
faite et elle
on peut dire quelle pose plus de problèmes qu'elle n'en résout. Non
seulement nous sommes mal renseignés sur sa ditTasion et sur les
diverses modifications qu'elle a pu subir depuis son apparition jus-
qu'au moment où elle fut définitivement supplantée par la version
de saint Jérôme, mais nous ne savons presque rien de son origine.
Nous ne savons ni où, ni quand, ni par qui, ni sur quel texte grec
elle a été faite. Nous ignorons si toute l'Écriture a été traduite en
même temps, et nous ne pouvons même pas dire s'il y eut plusieurs
versions indépendantes ou bien si les textes que nous possédons ne
sont qu'une seule et même version plus ou moins retouchée et corri-
gée. Et pourtant il faudrait savoir à peu près tout cela pour utiliser
à coup sur les anciens textes latins pour la critique textuelle de l'An-
cien etdu Nouveau Testament.
Si nous ne sommes pas mieux informés, il ne faut s'en prendre
qu'à l'obscurité et à la difficulté du sujet, et ce n'est pas faute de
travaux et de recherches. Un coup d'œil jeté sur les indications liiblio-
graphiques de Corssen, Nestlé, Kennedy. Méchineau, suffit pour s'en
rendre compte 2i. L'histoire-de ces travaux a été faite trop souvent
;

pour qu'il soit utile de la recommencer ici. On n'a pas abouti encore,
pour le moment du moins, à reprendre les grandes synthèses de Saba-

(1) CeUe étude servira d'Introduction au texte du psautier de saint llilaireque M. Jean-
nette publiera prochainement (.\. D. L. R.}.
(2) Bericht iiber die lateiniscfien Bibelùberselziingcn, dans Jahresberichl
CoF,ssi:>,
liber die Forschritte de)- klassischen Alterlumsnissencliaft, Leipzig, 1899, t. CI, p. 183 ss.
Nestli.. Jiibeliibersetzunfjen [lateinische], dans Realencyklopadic fiir prolestanlische
Theolofjie und Kirche, 3 Auf.. t. Ken\edv, Latin versions (The old), dans Ilastings,
III.

Dictionary of the Bible, t. III. MTcnixtAi. Latines [versions] de la Bible, dans Vigou-
ROLx, Dictionnaire de la Bible, t. IV.
ca HKvi i: r.iBLiouE.

lier et lie lîianchiiii. On ne discute même plus sur lurigine africaine

ou non africaine de Vlhila, ou encore sur l'unité ou la pluralité des


anciennes versions latines. On a compris (ju'avant de proposer avec
quelque chance de vérité des réponses à ces questions complexes,
tout un travail préliminaire s'impose. Les solutions doivent être pré-
parées par un invenlaii'e méthodique et complet et par un classe-
ment préalable de tous les documents, ainsi (juc par des monogra-
phies sur quelques points de détail bien choisis, qui jalonnent la

route et permettent au futur historien de s'orienter, en lui fournis-


sant des points de repère sûrs et bien déterminés.
de ce côté qu'ont porté les plus récentes recherches des
C'est
savants. On s est vite aperçu (|u'il y avait intérêt à diviser la ([ues-
tion, à étudier séparément l.Vncien et le Nouveau Testament et î\
commencer par le Nouveau. Car il est iDlinimcnt probable que tous
les livres de l'Écriture n'ont pas été traduits en même temps et n'ont

pas eu la même circulation. .Vppliquer à tous un traitement uniforme


serait s'exposer à des mécomptes et à des confusions regrettables.
On s'est occupé presque exclusivement jusqu'ici du Nouveau Tes-
tament, Aussi faut-il bien se garder d"appli((uer à toute la Bible les
affirmations éparses qu'on rencontre cà et là sur les anciennes ver-
sions latines, car il ne s'agit la plupart du temps que du Nouveau
Testament, et même à vrai dire des seuls Evangiles sur lesquels nous
possédons les documents les plus nombreux et les mieux connus.
Le premier pas décisif vers une solution durable a été fait en 1881,
[)ar deux savants anglais, Westcott ef Hort, dans l'introduction à leur

édition criticjue du texte grec du Nou\eau Testament 1;. Les im-


menses données qu'ils avaient recueillies pendant vingt ans leur per-
mirent de tenter une classilicalion des anciens textes latins. La divi-
sion en textes africains, européens et italiens qu'ils ont proposée a
bien supporté le feu de la critique (2). Les études postérieures ont
confirmé la justesse de leur induction, au moins pour ce (jui concerne
h's textes africains. Un point parait être délinilivement a<((uis à l'his-
toire : l'Afrique avait une \ersion j>aiticnlièrc du Nouveau Testament.
Cette version ou recension, nous la connaissons p.iil'aitement. Le
texte en a été prcstpie entièrement reconstitué*, hejà Westcott et Hort
avaient signalé la parenté des manuscrits Hnhhirnsis (ki et Pa/atinu<

I W i.sM.iiTT and Uiiiii , I Im .\iii Tcsltiinrut in Crccl-. (';iinliri(l;;e. IS.SI, //(//vk/ , pp. T.s-

8i.
[2] (T. Mi:iiiiM.\i, /.ritinex [rersitnts) de la Hililr, dans Vinoi nm \, Dicl. de la Ilible.

\. IV, p|>. ir.i-12',». Voir les réserves de im»m i»e Hiit'VM., Hcv. fini., l'.UI, pp. l'J-Ho, au
sujet de lii division en lexles européens cl italiens.
LE TEXTIl nu PSAl TIKIl DE SAINT IIII.AIUE DE POITIERS. 0:j

(e) avec TertuUien et saint Cyprieii. Sanday en avait fait la démons-


tration dans la préface de son édition du Bobbiensis (1). Mais c'est à
Paul Monceaux que revient mérite d'avoir établi l'existence de la
le

reo(>nsi()n africaine et d'en avoir indiqué les principaux caractères f2!.


Enfin Hans von Soden nous en a donné une édition, précédée d'une
introduction très développée dans laquelleil reprend le travail de ses

devanciers avec un luxe de détails inouï. Cette minutieuse érudition


alourdit un peu mais elle a lavantage de rendre la démons-
la thèse,

tration sans réplique. Etnous pouvons croire que cette édition repré-
sente fidèlement le Nouveau Testament tel qu'on le lisait en Afrique
au milieu du troisième siècle, au temps de saint Cyprion.
Dans une thèse récente sur le psautier latin en Afrique, M. Capelle
vient de faire une démonstration analogue pour l'Ancien Testament.
11 n'a pas eu de peine à démontrer que l'Afrique avait aussi une ver-

sion du psautier olï'rant absolumoit les mêmes caractères que la


recension du Nouveau Testament. Il a eu la bonne fortune de recon-
naître et de nous signaler un manuscrit qui contient ce texte africain
tel qu'il était à l'époque de saint Augustin,
le Veronensis, auquel on

n'avait accordé jusqu'ici que peu d'attention et qu'on était plutôt


porté à classer parmi les textes européens ou italiens Il eût i
:î .

peut-être été préférable de nous donner simplement le texte de saint


Augustin et de remettre à plus tard une histoire qu'il peut être pré-
maturé d'écrire, avant que l'étude des autres textes ait été faite et
permette de se rendre compte des rapports et des réactions récipro-
ques.
Les textes africains, qui sont les mieux caractérisés et les plus fa-
ciles à reconnaître, devaient être les premiers étudiés. Mais il faut
maintenant que des recherches analogues soient entreprises dans une
autre direction, afin de continuer la vérification de l'hypothèse de
\Yestcott et Hort. On vient de voir tout
le parti qu'on a pu tirer de

Tétude des citations de saint Cyprien et de saint Augustin. Les cita-


tions de saint Hilaire de Poitiel^s ne sont pas moins importantes à étu-
dier. Nous espérons le montrer au cours de cet exposé, elles peuvent
et elles doivent jouer pour les textes européens le même rôle que
celles de saint Cyprien pour les textes africains. Le texte des Évan-
giles de saint Hilaire a déjà fait l'objet dune pul^lication spéciale (ii.

(1) Old-Latin biblical texts, II, Oxford, 1886. Introd., pp. 4.3-98.
(2) Monceaux, La Bible latine en Afrique, dan;^ la Hevue des éludes Juives, 1901. et
Histoire littéraire de l Afrique chrétienne, Paris, 1901, t. 1, pp. 97-177.
(3) Capelle, Le texte du Psautier latin en Afrique, Rome, 1913.

(4) BoNASsir.ux, Les Érangiles synoptiques de saint Hilaire de Poitiers, Lyon, 1906.
i;KVi i: nilil.lnl K.

Le texte du psautier, ([uil a longiicnieut commenté et avec lieaucoui»


de soin et d'érudition, mérite surtout une attention spéciale, et l'his-
toire de ancienne version latine ne peut (]ue protiter larg^ement
1

d'une édition soignée des citations nombreuses qu'il en a faites au


cours de son commentaire.
Nous allons d'abord montrer l'importance des citations du psautier
faites par saint Hilaire et le parti que nous pouvons en tirer pour

reconstituer le texte courant en (iaule au milieu du «quatrième siècle,


puis nous étudierons le caractère de ce texte.

ij !. — Tkmi: i>i i'sautikk i»k saim IIilaiiu; i>i; Poiiif.ks

DAPIlkS SKS CHATIONS.

(3n a dit que quand même tous les manuscrits de l'Kcriture seraient
perdus, encore possible d'en reconstituer le texte au moyen
il serait
des citations des anciens Pères. En supposant que tous les versets de
l'Écriture aient été cités, ce qui n'est guère vraisemblable, la tAche
de les réunir et de les ordonner ne serait assurément pas facile.
Klle lest davantage, quand il s'agit de tirer le texte d'un seul livre
très connu, comme le psautier, des (euvres d'un seul l*ère. et que
ce Père a commenté le psautier, en reproduisant à peu près in-

tégralement dans son commentaire le texte qu'il voulait expliquer.


Saint Hilaire de Poitiers a en etlet écrit vers SGÔ une volumineuse
exposition du psautier. Il y suit d'un bout à l'autre une méthode
uniforme. Cette méthode consiste à prendre à la suite chacun des
versets du psaume qu'il veut commenter et à en donner une inter-
prétation allégorique. Celte méthode d'exégèse a perdu pour nous
beaucorq) de son intérêt, mais elle nous a valu la citation textuelle

de tous les psaumes ainsi commentés. Kt il suffit de mettre à la lile

les versets successivement commentés pour i-econstituer le texte


inté^rral d'un psaume d<'puis le titre jusqu'au dernier verset. Si
saint Hilniie avait commenté les !.'>() psaumes, nous aurions le texte
com[)lel de son psautier. Mais il n'en a guère commenté que 55, ou
du moins nous n'avons le commentaire (juc de ces 55 psaumes (1).

1 II rsl ccriaiii «|m' saiiil llilniri' .1 eu l'iiitiMiliou de (.lirc un (•nmincntairt' di' loul le

|isauluT. Il est mi-me |ir<)l).ittln que le cominenlnin- de iiuelqurs |)sauii)es i|uil nous dit

.noir ( iiin|ios('. h'esl jiprdu. Dorn ( OusIanI, l'édileur iiriiédictin, es|MTail reirouvcr ces fraj;-

inenN au fond de <|uei(|ue l>il)liolli«'i|ue. Mais ses rechcrrhes sont restées .sans
im-dils
résultat, i-l rien na été découvert depuis. Il est possildc <|ue la luorl ait surpris saint
Hilaire avant «luil eût terminé son ouvrage, et il faut renoncer à espoir de jamais pos- I

séder le reste de son eoniinentaire.


LE TEXTE DU PSAUTIER DE SAINT llll.AllîE DE POITIEUS. Go

Cependant ce ne sont pas les seuls éléments dont nous puissions


disposer. Saint llilairo, comme tous les anciens Pères, cite avec
profusion tous les livres de l'Écriture et il a cité abondamment les
psaumes qu'il n'a pas commentés. Il n'y a que 29 psaumes dont il

n"a cité aucun verset. C'est surtout au cours de son exposition du


psautier, dans ses Tractatu-^ super psalnios, qu'il a cité les psaumes.
Mais on rencontre aussi quelques citations dans le De Truiitate et
ses autres ouvrages. En réunissant toutes ces citations, on constate
que saint Hilaire a cité textuellement dans ses œuvres les deux cin-
([uièmes de tout le psautier (1). Nous avons le texte à peu près complet
de 55 psaumes (il manque quelques versets aux psaumes cxxxv et
CL), soit "87 versets, et -215 versets provenant de 66 autres psaumes

i^environ 1/6 ou 17 ^é). Enfin il y a 29 psaumes dont rien n'a été


cité. Eti tout 1.002 versets sur 2.515 que comprend tout le psautier,

c'est-à-dire les 2/5 ou ïO % se lisent épars dans les œuvres de


,

saint Hilaire sous forme de citations. C'est largement suffisant pour


servir de base à une étude du texte du psautier latin, tel qu'on le
lisait en Gaiile au milieu du quatrième siècle, et pour mériter,
semble-t-il, une édition à part.
Ce ne sera toutefois qu'à la condition qu'il soit bien établi que
cette édition représente fidèlement le texte du quatrième siècle. Il
faut pour cela démontrer d'une part qu'elle représente bien le texte
que saint Hilaire a écrit, et d'autre part que le saint docteur a trans-
crit sans le modifier le texte du manuscrit dont il se servait et que

nous supposons être le texte courant en Gaule à cette époque. En


d'autres termes, il faut nous demander quelle est la valeur critique
de nos éditions actuelles de saint Hilaire au point de vue des citations
bibliques, et en second lieu avec quelle précision et quelle exactitude
saint Hilaire citait l'Écriture.
La plus grande partie, la presque totalité des citations du psautier
faites par saint Hilaire se trouvent dans les Tractatus super psalmos.
C'est surtout de cet ouvrage que nous devons nous occuper. La
dernière édition des Tractatus est celle de Zingerle dans le Corpus
de Vienne en 1891. Les principaux manuscrits collationnés sont : un

(t) Nous nous som.iies servi pour le relevé des citations des Tractatus super psalmos
de l'édition de Zingerle. qui est la dernière et la meilleure. Mais outre qu'elle manque
d'index l)iblique (l'index de l'édition de Vérone est incomplet et souvent fautif), on n'y
trouve que les références de l'édition bénédictine. Or <[uel iju'ait été le soin de l'éditeur
bénédictin, plusieurs citations, dont quelques-unes assez importantes, ont échappé à son
attention. Nous en avons retrouvé quelques-unes dans les psaumes. Il est regrettable que
le dernier éditeur, qui voulait faireœuvre durable, n'ait pas été plus vigilant.
REVL'E BIBLIQUE 1916. — N. S., T. XIII. 5
or,
REVUE BIBLIQUE.

nianustril de Saiiit-Gall, Sangallnu^is 'ûl (G), du \f ou vu'' siècle;


un manuscrit de Vérone, Veronensis: XII 11 ^v), du vi" siècle; et un
manuscrit du Vatican, Vaticanus lie (j inends 95 (U), du x' siècle.
Les autres manuscrits sont plus récents et de moindre valeur. Le
critique disposait donc en somme de moyens excellents. Un manuscrit
important du vi' siècle lui a malheureusement échappé, le Luijdu-
/irnsisi52 (1). S'il l'eût collationné, il eût sans doute eu moins de
confiance dans les leçons de ses manuscrits préférés, le Sangallcnsis
et le Veronensis. Les manuscrits qu'il a utilisés sont cependant
suffisammeni nombreux, anciens et corrects pour assurer une restau-
ration très satisfaisante du texte de saint Hilaire. Le ,i;ros n-uvre avait
d'ailleurs été déjà fait par le bénédictin dom Couslant dans une très
bonne édition en 1693, Cette édition, surtout la réimpression de
Vérone avec les leçons du Veronemis, garde toujours sa valeur et
c'estencore la meilleure et la {)lus utile édition desn-uvres complètes
de saint Ililaire.

Le cas des citations bibliques demande à être examiné à part. Car


les citations bibliques, celles surtout de l'ancienne version, ont été
tout p;»rficulièrement exposées à être corri,i;ées et harmonisées avec
le texte qui était familier aux copistes ou aux correcteurs. El il [>eut
se faire que les leeons de la Vulgate aient été substituées aux leçons
originales dans des manuscrits pai' ailleurs excellents. On sait l'aven-

ture qui est arrivée à Haricl dans l'édition des Teslimonia de saint
Cypri(;n du même Corpus ào, Vienne. Égaré par un manuscrit (ju'il
crovait de grande valeur, il a totalement défiguré le texte de saint
Cvpricn en mettant à la place des leçons les plus caractéristiques le

texte de la Vnlga/e. lîien de paieil n'est arrivé à Zingerlc. Il a très

bien reconnu cjue le manuscrit U, dont le texte est en général e.xccl-

lent. a été corrigé sur la Vnh/ate pour les citations bibliques, et il

a raison en règle générale de lui 2)référer les leçons de (i et de V.

Mais, comme nous l'avons déjA dit, il s'est peut-être attaché trop servi-
lement à ces deux manuscrits et il a fait tioj» peu de cas des autres.
Sans doute, il faut se mettre en garde, eu matière de crilicpie
textuelle, contre l'éclectisme, qui n'est souvent que de l'aibitrairc.
Mais d'iui antiM! c6té, il est absolument cci-tain que <r<'\ccllentes
leçons peuvent être conservées dans des miiiiusciils lardifs cl même

",
1 I iigtlunensis 4.j2 (381) rontienl le cominenlairc ilii l'x. i.i nu l's. r.wwi. Cf !»(•-

Ii>]c, .\('lirrs ri extraits des manuscrits, l.XXIX. .!' l'.nl., pp. :t(ii-3GH. g(ic|i|tirs («'iiillels

de ce maniis( ril se trouvent maintenant A la Hil>liolh<<|u<' Nationale a Paris 'Souv. acq.


lai., Xti'j'ij. Ils ronlicnnenl le rominf-nrcrnent ilu l's. iwiii jii.s(|ira la lettre (jirnel. {'.(. Oe-
lisle, Catalogue tics manuscrits Libii ri Ilnrroi.i, l'aris, IHH«, p. 1!».
I.E TKXTE DU PSxVUTIER DE SAINT IIII.AIHE DE 1>()IT1EUS. 67

incorrects, et qu'on no doit pas hésiter à les adopter contre le témoi-


gnage des meilleurs manuscrits. Xous croyons que c'est le cas de
U en particulier, qui a conservé un certain nombre de leçons qui
nous ont paru originales. Zingerle, qui préfère toujours a priori le
texte de V ou de G, ne nous donne pas alors le véritai3le texte de
saint Hilaire.
Zingerle no paraît pas non plus avoir attaché assez d'importance
au témoignage du commentaire lui-même. C'est un témoin de con-
trôlede premier ordre. Nous ne parlons pas uniquement des remar-
ques de critique textuelle, malheureusement trop peu nombreuses,
qu'on rencontre çà et là et qui mettent hors de doute le texte de
saint Hilaire. Il ne peut alors y avoir d'hésitation possible. Mais le
commentaire ordinaire permet la plupart du temps de contrôler les
mots les plus importants du texte. Saint Hilaire procède toujours do
la même manière : il reprend chacun des mots du texte, il les tourne
et les retourne, les compare avec d'autres passages de
analyse, les
rÉcriture, afin d'en découvrir le sens qu'il appelle « spirituel », de
telle sorte que les mots de valeur reviennent invariablement dans
l'exposition deux ou trois ou quatre fois avec un sens allégorique ou
sous forme d'application morale. Un peu d'attention fait tout de suite
découvrir le terme précis qu'il vise. L'examen du contexte est donc
un moyen de contrôle qui, pour être délicat dans l'application, n'en
est pas moins un des plus sûrs. Une leçon qui s'harmonise parfaite-
ment avec le contexte est excellente une leçon dont les mots sont
;

entièrement étrangers au commentaire devient immédiatement sus-


pecte, alors même qu'elle se trouverait dans tous les manuscrits.
Citons quelques exemples où l'édition de Zingerle parait être en
défaut. Zingerle a adopté pour Ps. ii, 3 la leçon de V, et proiciumus a
nobisiugiim ipsorum. Nous n'avons pas hésité un seul instant à reve-
nir à la leçon de K, jugée avec- raison meilleure par les éditeurs de
Vérone. En effet, il n'y a pas à craindre ici que R ait été corrigé sur
la Vulgate, puisque proiciamus est la leçon de la Vulgate. De plus
pour quiconque est au courant des habitudes de saint Hilaire, il n'est
pas douteux que le commentaire ne suppose abiciamus. De même
pour Ps. Lxxxviii, 28, cité bi Ps. cxxxi, 19. Zingerle a adopté la
leçon e./celsum prae reges terrae avec VGPT, mais la véritable leçon
nous a paru avoir été conservée par R excelsum super reges terrae.
Car il n'a pu être corrigé sur la Vulgate qui porte excelsum prae
regibus terrae, et c'est la leçon invariable de In Ps. lxix, 2 et de
/// Ps. cxLiir, 21, où le même texte est cité. Nous n'avons aucune
raison de mettre saint Hilaire en contradiction avec lui-même. Au
es lŒVUK BIBLIQUE.

Ps. cxMir, (), Zingcrle, d'accord avoc les meilleurs manuscrits L'VK.
retient la confundar cum respicio in mandata tua. Et
leçon no/i
pourtant il que la véritable leçon soit non confundar
semble bi<'n

cum respicio In oninia inandata tua. C'est en eil'et celle que le com-
mentaire exige impérieusement (1 Or cette leçon a été conservée .

seulement dans uq manuscrit de Cologne (G du ix'' siècle, et dans un '

manuscrit de Paris (p) du xr siccl(>. On ne peut donc poser en prin-


cipe absolu que les leçons de V ou de G doivent être toujours préférées
à celles de \\ <»u même de manuscrits de valeur secondaire. Ces quel-

ques réserves faites, nous croyons l'édition de Zingerle satisfaisante,


et nous pensons que les citations du psautier que nous en avons
tirées représentent le texte même de saint Hilaire. Au surplus, nous
nous sommes ellbrcé d'améliorer le texte de Zingerle quand nous
avons cru que cela était possible. Dans tous les cas, au nombre d'envi-
ron vingt-cinq, où nous avons cru devoir nous en écarter, nous en
avons indiqué en note les raisons et mis ainsi le lecteur à même de
jug'er par lui-même de leur valeur. Nous avons aussi la plupart du
temps donné en note la leçon des autres manuscrits, quand Zingerle
s'appuie sur V ou G seulement. Nous avons ég'alement signalé on note
les leçons divergentes que le commentaire sendjle supposer.
11 importerait peu de lire dans leur teneur originale les citations du

psautier faites par saint Hilaire, si nous n'étions certains (|u"elles

sont conformes au manuscrit qu'il avait entre les mains. En ellet, s'il

chang-e le texte, elles ne sont plus d'aucune valeur pour la connais-


sance de l'ancienne version. Mais si nous parvenons au contraire à
établir qu'il cite textuellement son manuscrit sans le corrig-er ou le
modifier en aucune manière, elles constituent un témoin de premier
ordre du texte du psautier au milieu du iv® siècle.

Hemarquons d'abord qu il ne s'agit pas de savoir si. oui ou non,


saint Hilaire citait de mémoire. Ea question est ainsi mal posée. (Mi
peut en ellet citer de mémoire et reproduire un texte avec la plus
grande exactitude, et on peut au contraire consulter un texte manus-
crit ou imprimé et le modifier arbitrairement. Ce qu'il nous faut
savoir, et ce que nous allons essayer de déteiininer, c'est si saint
Hilaire cite textuellement, ou, s'il se permet des libertés avec son
texte bibli([ue, s'il lr modifie pour le besoin de son argunu-ntation.
s'il le cori'ige sur le iirec, s'il cbange bs tciiiies vieillis ou peu com-

pris et les remplace pai- d'autres |>lus modcines, moins barbares. |>lus
clairs. Nous ne faisons d'ailleurs aucune dillicMllé de reconnaître (|uc

I //( /'<. t wiii. al<'i'h, 13. ZitiRerli' a (railleurs adopU' la it'i on omniu à rcl endroit.
\£ TEXTK or PS.VUTIRR DE SAINT IIII.ATKK DE POITIERS. 69

la citation faite les le manuscrit donne plus de garanties,


yeux sur
et que de mémoire ofl're plus de dangers. Avec les
la citation faite

meilleures intentions du monde, on peut être trahi par sa mémoire.


Quand on cite de mémoire, un mot est facilement remplacé, par un
synonyme, une expression par une autre équivalente, deux textes
semblables se fondent en un seul, en un mot la citation cesse d'être
littéral(\ bien que la pensée reste intacte. C'est ce (|ue nous ne devrons
pas perdre do vue, car un bon nombre des citations de saint liilaire
rentrent probablement dans cette catégorie.
Une première raison qui nous porte à croire que saint IHlaire citait
ri'xriture avec une très grande exactitude, c'est l'extrême importance
qu'il attache dans son commentaire à la lettre même et aux détails
en apparence les plus insignifiants du texte. Ainsi par exemple, com-
ment Ps. cxxxvii, 2, adurabo ad teniphun sanctum tuimi, il nous fait
remarquer que le texte porte ad templum et non in templo, ce qui
pourtant en soi ne donne pas une nuance de sens bien apprécia-
ble (11. Un peu plus loin dans commentaire du psaume cxxxviii,
le
il fait une autre observation du même
genre non de longe inlelligis, :

ait..., sed de longe infellexisn{'2). Il voit une grande différence entre

psalmus cantici et canticum psalmi (3), entre illius Dauid et illi


Dauid (4), entre super manum dexterain tuani et ^uper manmn dexte-
rae luae (5). Nous citons à dessein des exemples où les différences ne
sont que d'ordre textuel. On pourrait les multiplier. Voilà certaine-
ment quelqu'un qui ne plaisante pas avec l'exactitude. Nous devons
donc supposer chez saint Hilaire l'intention habituelle de reproduire
fidèlement avec la dernière précision la lettre même du texte qu'il
commente ou qu'il cite, surtout quand il a son manuscrit sous les
yeux.
Nous en conclurons tout d'abord que pour le texte des psaumes
qu'il a commentés et dont il reproduit intégralement le texte dans son
commentaire, il ne s'est pas écarté, même dans les moindres détails,
de son manuscrit. Car il n'y a, pas à se demander ici s'il cite de mé-
moire. Il est bien évident qu'il n'a pu écrire son commentaire qu'en
tenant pour ainsi dire constauiment les yeux sur son manuscrit. D'ail-
leurs nous avons en quelque sorte la preuve de sa scrupuleuse exac-

(1) In Ps. cxxxYii, 6.

(2) fn Ps. cxxxviii, 8.

(3) Itistruct., 17.

(4^ In eo tamen quam non illius Dauid, sed illi Dauid praescribitur... In Ps. lxvui, 1.

(5) Absoluta res esset, si dictum esset; super manum dexteram iiiam. At uero cuin
ila dicitur : super manum dexterae tuae... In Ps. cxx, H.
70 HE\1:K niBLlQUE.

titiulo dans les remai-qucs de critiqiio textuello cjiic la comparaison

de son manuscrit avec le grec ou avec d'autres manuscrits l'ont amené


à faire. Il signale les divergences, mais il ne se croit jamais autorisé
à changer son texte. Par exemple, il trouve ([ue praeciijita, Dominr,
f't diuide linguas eoriim, Ps. i.iv, 10, ne traduit pas avec assez de
piéoision le grec y.aTaziv-:'.?:;, (pi'il faudrait rendre d'après lui par
demei'fjv in profuiidiim, mais il conserve \\è3iXin\om^ praecipita dans
sou texte ( 1). Il sait qu'il y a des variantes dans les manuscrits latins.
Il nous avertit qu'il y a deux leeons pour le titre du psaume liv.
Iiymnis et rarminiôtts, ^olitudine et drso'lt, au \ . H) du môme psaume,
pmppamuerunl et fm.rerunl, Ps. r.xviu, 7:J, irplrhinitur et farina-
huntiir, Ps. cxxxviii, 16. Il constate que la plui)art des manuscrits
latins lisent et horbam seruituli hoiuhnim, Ps. cxlvi, 8. Mais il s'en
tient toujours au texte de son manuscrit et répond aux objections
(ju'on pourrait lui faire que ces divergences sont insignifiantes et

qu'on peut adopter indilTéremment l'une ou l'autre leçon (2i. Prin-


cipe de critique discutable, mais qui nous garantit que saint Ililaire
n'a pas modifié le texte dont il s'est servi. Nous pouvons donc re-
garder le texte des 55 psaumes qu'il a commentés comme ayant

presque la valeur d'un manuscrit contemporain.


Nous ne devons pas nous attendre A une aussi grande iidélité dans
les citations proprement dites, c'est-à-dire dans les versets des psaumes
apportés connue autorité pour éclairer ou confirmer l'exposition. Mais
elles ne sont pas sans valeur. Nous l'avons déjà fait remarquer, ces
eitaHons sont nombreuses, puisqu'elles ne comprennent pas
1res

moins de de (>(» psaumes dillërents. Ce serait assuré-


-215 versets tirés

ment se priver de précieux éléments (ju<- de les négliger. Essayons de


déterminer dans cjuelle mesure elles sont textuelles.
Il est très probable que saint Ililaire citait liabifuellcmcut de mémoire

comme tous les anciens. Comment aurait-il pu vérifier chaque fois


ses textes dans d'énormes manuscrits, où il n'y avait encore ni divi-
sions ni chapitres? Son procédé est d'ailleurs mnémotechnique. C'est

le mot qu'il e\[)li(pie (jui lui rappelle el lui suggère le texte ou les

textes ((uil cite. Toutefois ses citations ne sont cerlainrmml pas tontes
faites de mémoire, il y en a qui sont trlb-mcnt développées qu'il est
dilticib' d<' ri'oifc qu'elles out été laites nni(|iiemrnt de mémoire. La

I Propriclaleiii in-rlii siiu- lieltrairi siue ^.'rarci lalinila-.. ul in imillis. non elociila est.

In ps. LIV, U. V(tir daiilrt-s rpiiiar(|iii's du im^iiie nnirc : //* t's. r.xviii. larned. '.!, 14;

d.ili'lli. 12; i.XV, 3; etc.


•)., In i|uibusdain codii il»u,s ita If^iiinii-i .li.' fi.riiiiliiiiihii Nt-i imilluin dilVcrl n-plcri
el forrnari. fn l's. r.wxviu. .'{".
LK ÏEXTK DU PSAITIKIA l)K S\LNT I1II.AIIU-: DK POITIKUS. 71

citation de psaume lxwviii, par exemple, ne comprend pas moins


de dix-neuf versets, 20-.'}8 (1 ). Frappé [)ar le contexte, après avoir vé-

riti*' sa citation il se sera laissé entrainei' à transcrire tout le passage.


D'autres fois, il indique avec tant de précision le psaume qu'il cite
qu'ilnous invite à penser qu'il a alors consulté son manuscrit (2). En
connnenlant le psaume xci, il devait avoir sous les yeux le chapitre v
de l'Évangile de saint Jean, car tous les textes qu'il cite sont tirés de
ce chapitre. On voit que s'il n'a pas toujours pris la peine de se
reporter au manuscrit, il n'a pas toujours négligé de le faire.
Hors quelques cas que nous supposons assez rares, nous accordons
volontiers que les citations proprement dites de saint Hilaire ont été
faites là que nous devions leur refuser
de mémoire. S'ensuit-il de
toute valeur critique? Peu importe qu'une citation soit faite de mé-
moire ou non, pourvu qu'elle soit textuelle et littérale. Gela n'est pas
impossible. Les anciens, qui avaient moins à apprendre et à retenir
que nous, savaient mieux que nous. La Bible en particulier, qui était
pratiquement leur unique livre doctrinal, leur devenait rapidement
familière, et ils en savaient la majeure partie par cœur. Qui n'a connu
des personnes qui citent abondamment tous les livres de la Bible avec
une fidélité parfaite"? On ne saurait donc oppposer une fin de non-
recevoir à ces citations. Saint Hilaire a pu citer de mémoire et citer
textuellement.
Nous ne prétendons pas qu'il l'a toujours fait. Et il est même cer-
tain que c'est le contraire qui est vrai. Très souvent il n'a pas l'in-
tention de citer textuellement. Il procède par allusions. Il se contente
de rappeler le passage de l'Écriture qu'il allègue par quelques mots
principaux qu il incorpore à sa phrase, et il est impossible de dire
où commence et où se termine la citation. Quand il cite le même
texte sous deux formes différentes, il est bien certain que dans l'un
ou l'autre cas, ou peut-être même dans les deux, sa citation n'est
pas littérale. Le Ps. cm, 25-26, est cité deux fois, la première fois
textuellement Hoc mare mafjmwi et spatiosinn : i/Iic serpentes quo-
:

rum non numerus, animalia pusillh et magna. Illic naues per-


est

transibunt : clraco iste quem formasti ad inludendum ei [In Ps. li, 13];
la seconde fois, sous cette forme Hoc mare magnum et spatiosum; :

ibi reqiiiescet draco quem figurastl ad inludendum ei [In Ps. lxiv, 10).

(1) In Ps. cxxxi, 19. Dans le De Trialtate. il y a trois citations de / Cor. de neuf ver-
sets : Trin., m, 24; / Cor., i. 17-25; Trin., ii, 34: / Cor., xii, 3-11 : Trin., xi, 22; / Cor.,
XV, 20-28.
2 Sicut in eo psalino <[ui prirnus pro his qui inmutabuntur est scriptus, et il ajoute
après sa citation : et rursum in eodem... In Ps. lix, 2.
72 RKViK hiiu.inri-:.

Le /*>. i.xix. ô. l'Cjilt'bimur in honisi dunms tuao, est ainsi cité la


Ps. cxwviii, ;n : l'oplebhnur ah ubertalc dimius iiiae. Saint Hilairc a
été trahi par sa mémoire
ab ubertale vient de Ps. xxxv, 9 inebr'ia-
:

buniiir ab ubrriatc domus tuae. En commentant P.s. cxviii, iSljtabr-


sccrc mcfpcit zcliix luus, qinaoblil'i sunl ncrbnrum tuornminimici met
il s'ellorce de montrer que nos ennemis doivent être les seuls en-
nemis de Dieu, ri il rappelle à cette occasion re.xoraplc d'Abraliani.
Abraham qiioque Dominus dixit : Qui le. malcdixoril, nudcdictiis
eril, cl inimicus cru iniinicis luis cl aducrsantibus In aduersabor.
Si Abrahae inimici Deo inimici sunt, qualcs nobis esse oportet quos
Deo uidemus inimicos (11? » Il n'y a pas le moindre doute qu'il veut
citer Gcn.,\i\, 3, et la première partie dosa citation est en eilet tirée
de ce passage. Mais la seconde partie provient d'Ii.r., xxiii, 22, où
il n'est nullement question d'Abraham. C'est Moïse (|ui parle ici au
nom de hieu, et c'est La similitude des
du j)euple juif (|u"il s'agit.

expressions a engendré une confusion qui ne s'explique que par une


citation faite de mémoire. Un autre exemple caractéristique est celui
de Ps. L, connu est cité en tout ou en pai tie à cin([
19. Ce verset très
reprises différentes. La véritable leçon parait avoir été optnnum :

sacrificiiim Deo cor coniribulnlum; cor conlribulaluin cl Inuniliatum


Deus lion spcrnil. Mais hi Ps. «:xviii, gimcL IG, saint liilaire se fie à
sa mémoire et il brouille tout cor cnini liurniliulum Dcus non sprr/nl
:

et sncrijiciurn opliniuni cor coniribulaluui (2 .

A côté de ces citations où il est clair que saint liilaire reproduit


son texte avec une précision très relative, y en a d'autres, et nousil

pensons que c'est le grand nombre, qui sont absolument textuelles.


Ce qui nous permet de l'affirmer, c'est que la plupart des versets qui
ont été cités plusieurs fois n'offrent aucune variante. Il y a enxiron
250 citations qui portent sur 100 versets ou demi-versets, (jui appar-
tiennent aux p'iaumes commentés, ou bien qui (»nt été cités au moins
deux fois 3 Or sur ces 2.50 citations, il y en a l.jO. soif (10
.
dont ";,'
,

le texte est partout identi(|ue. Los 100 autres, ou VO %, ont des variantes.
La |)ropoilion de ces dernièi'cs parait à première \ ne consid<'r;ible.
Mais il faut letranclicr une dizaine de citations (jni n'etaicnf dans la

(Ij In l's. cwiii, sad»', i.

'7.) Comparer un cas analoniie «linlervcrsion des sli(|iios, Ps. \xi, '.!'.!, libéra nie de oie
leoni.% et de manu cnnis (nHiiiam meam. Ce verset est rilé ainsi trois fois : lu l's. i.vi. i;

i.viii, 7; f:xx. 11.


M Nous disons • environ WlO lilalions r, |)arrc que le iioinlne de 248 <|ue nous avons
trouvé ne serait pas plus précis, puisque la manière de f(>in|iter peut faire varier le Iota!
de quelques unités, et les nomlires « ronds » frappent dnvaiiliine imasinalion et rendent !

la pensée plus facile à saisir.


I.K TEXTK 1)1 l'SAlllKU l)K SAINT llllAlKK \)E I'(IHIE1{S. 73

ponsée de siint llilairc que de simples allusions, l'n certain nombre


d'autres, croyons-nous, sont attribuables non mais à
à saint llilaire,
ceux qui ont transcrit ses ceuvres au cours des siècles. pour le
Et
reste, il est possible et même souvent il n'est pas douteux, que l'une
des deux citations divergentes soit textuelle. C'est-à-dire qu'il n'y a
peut-être pas plus de VO ou 50 de ces citations qui ne sont pas litté-

rales.
exemples donneront une idée plus juste de la précision
Uui'ltjues
de saint dans ses citations. Il a cité quinze fois différents
llilaire

versets des psaumes et ii son texte est toujours identique. Le


i ;

psaume ii, 8 est cité avec la variante posce a me {Viilg. : postula


a nie)^ quatre fois ailleurs que dans le commentaire de ce passage.
Le psaume vu, i\ sagittas suas arsuris operaius est [Vulg. : arden-
l'ibu.< effccii] est cité à quatre endroits difierents de la même manière,
In Ps. II. 18: Li\, V; cix, 12; cxxvi, 19 (Ij. Le psaume lxviii, -23,

qui contient un doublet, fia/ mensa eorum corain ipsis in laqueum et

in caplionem et in scandaUun, est cité sous cette


retributionem et in

forme In Ps. cxxvii. 10. Ajoutons enfin un exemple qui nous parait
tout à fait remarquable. Il s'agit de Ps. lxxvh, 2, aperiam inpara-
bola os meum. Saint llilaire cite ce texte deux fois. In Ps. i, 3, et
In Ps. cxxxvi, 2 (à ce dernier endroit lire parabola avec R, et non
parabolani avec G suivi par Zingerle). On sait que ce verset est
aussi cité par saint Matthieu, Mt., xiii, 35, avec une légère variante,
aperiam in parabolis os meum. Saint llilaire ne l'ignore pas et quand
il cite ce passage de saint Matthieu, il cite toujours le texte avec
cette variante, In Ps. i, 3 et In Ps. cxviii, nun, 12. On remarquera
que dans le premier cas, il accole les deux textes différents sans se
préoccuper de les harmoniser et de les mettre d'accord. Voilà assu-
rément un bel exemple de sa précision.
Nous savions déjà que saint llilaire était consciencieux et qu'il
ne se permettait pas le moindre changement à son manuscrit, nous
pouvons affirmer maintenant qu'il n'était pas moins exact quand
il citait de mémoire. Ses citations sont habituellement textuelles et

littérales. Il est malheureusement impossible de donner une règle


générale pour distinguer celles qui ne Je sont pas. Il y a des cas
où il est évident que la citation n'a aucune prétention à la précision,
ils ont été signalés dans les notes. Les citations parallèles ont été

(1) Cf. Ps. Lsxxviii, 93 cl filius iniquitatis non adiciel nocere eum, cilé trois fois :

In J's. cxxxi, 10, au milieu dune citation de 19 versets; In Ps. cwxviii, 1, et In Ps.
cxxxix, 11.
RKVLK lilRLIQUE.

relevées avec soin et indiquées, et, dans le cas de divereences, les

variantes ont été citées en note aiin que le lecteur soit averti de
rincpi'Hlude du texte et puisse se faire une opinion personnelle sur
la leçon adoptée. Si Tcnsemble représente bien le texte de saint
Hilaii'o, il plane nécessairement sur les détails un certain doute et
on ne devra s'en servir qu'avec réserve.
Résumons nos conclusions, l^es nombreuses citations que saint
llilaire a faites du psautier, surtout dans ses Ti'acfalus super psalmos,

nous sont parvenues sans altérations considérables, et nous les lisons,


dans nos éditions critiques, si on a soin d'y apporter quelques cor-
rections opportunes, dans leur teneur originale. D'autre part, nous
avons constaté que saint llilaire est très attaché à la lettre du texte
lidèlement le texte de son manuscrit, au moins
et qu'il a suivi très
dans psaumes qu'il a commentés et dont il reproduit intégrale-
les
ment le texte dans son commentaire. (Juant aux citations isolées
des autres psaumes, bien quelles aient été faites généralement de
mémoire qu'un certain nombre manquent de précision, elles sont
et
loin d'être sans valeur et peuvent contribuer, quoique dans un
moindre degré, à nous faire connaître le texte de saint llilaire. Il
suffisait donc de réunir toutes ces difl'érentes citations et de les ordon-

ner, pour avoir sous les yenx une partie considérable dn texte du
psautier en usage en (iaule au milieu du quatrième siècle.
Nous avons essayé de le faire et nous avons l'espoir de mettre
sous les yeux du lecteur, qui voudra bien tenir compte des nuances
((ue supposent les leçons alternatives du bas des })ages, la physio-
nomie d'un texte ({ui ne s'écarte guère de celui du <|uatrième siècle.

:: 11. — (^\K.\( TiKi: m tcxtk im i'Smtiiu ih saint IIilaihk


i»i: l^oniKHS.

une version ou rccen-


Puisqjiil est bien établi (|ne l'Afrique avait
sion particulière du j)sautier, la première question que nous devons
nous poseï- est celle des rapports du texte de saint llilaire avec ce
psautier africain. Mais avant de commencer la comparaison des textes,
il ne sera pas .sans intérêt de résumer A, grands traits l'histoire du

psautier afiicain et de rappeler ce <pie les études récentes nous ont


aj)[)ris sur l'élat du psautier en Afri(pie A l'époque de saint llilaire.

I> origine de la version en Afrique est très obsmre et elle le

restera sans doute loni:lernj)S encore. Il parait assez eei'lain que


Terfullien vers la fin i\\\ ii' siècle utilisai! une version latine des
psaumes. M.iis plnsie\irs imliees nous font soupçonner <ju il existait
LE TKXTK nu PSÂUTIKll l)K SAINT IIII.AIUE DE POITIEKS. 75

déjà à cette époque ancienne plusieurs manuscrits ayant des leçons


ditierentes, et que le texte n'avait pas ce caractère d'invariable fixité

que nous lui connaissons chez saint Cyprien. Lorsqu'il est question
du proprement parler du texte de saint Cyprien
texte africain, c'est à
qu'il s'auit. Chez lui le texte présente une unité et une fixité
en ell'et

qui mettent hors de doute l'existence d'une version latine des psaumes
en Afrique au milieu du ni' siècle, version qui n'avait peut-être pas
de caractère officiel, mais qui n'en était pas moins communément
reçue et adoptée par tous. Cette version suivit nécessairement les
évolutions de la laniiue et le progrès des études exég-étiques et théo-
logiques, les corrections se faisant insensiblement de manuscrit à
manuscrit, sans l'iiitervenlion de l'autorité ecclésiastique. On peut
assez bien distinguer chez les écrivains africains postérieurs à saint
Cyprien les traces de cette lente transformation à côté de la persis-

tance apparemment inexplicable d'éléments anciens depuis long-


temps corrigés et abandonnés ailleurs. Tel était l'état de la version
des Psaumes au début du iv"^ siècle au moment où Lactance, vers 305-
.310, composait ses Divinae Institutiones. Les citations des Donatistes,

dont le schisme remonte à 330, nous mettent à même de constater


le même phénomène. Mais à la tin du iv'' siècle, le texte a subi de
profondes modifications. Ce texte nous est connu par les citations
des E/iarratio?ies de saint Augustin. Bien que ce grand ouvrage soit
postérieur aux deux recensions de saint Jérôme (383, psautier ro-
main; 392, sur les Hexaples d'Origène, psautier gallican), le texte
dont il se sert n'en est pas moins exempt de toute influence des
corrections hiéronymiennes. Ce texte, qui est substantiellement le
vieux texte africain, se retrouve également, et, à certains égards, mieux
conservé, dans un manuscrit du vi" siècle actuellement à Vérone.
Entre ce texte africain de la fin du iv'' siècle et celui de saint Cyprien
et même celui du commencement du ïv" siècle, il y a des diver-
gences trop grandes, trop importantes, trop caractéristiques pour
qu'on puisse les attribuer à la lente évolution dont nous avons parlé
plus haut. Nous sommes donc ainsi amené à admettre vers le milieu
du iv*" siècle une importante revision de la bible africaine, au moins
pour ce qui regarde le psautier.

Cette dernière conclusion de M. Capelle, dans son Histoire du Psau-


tier latin en Afrique, ne parait pas dépasser les bornes d'une hypo-
thèse plausible, mais dont la démonstration reste à faire. Nous ai-
merions mieux rapprocher la transformation réelle que subit le texte
africain, d'un fait considérable qu'on n'a peut-être pas assez mis en
lumière jusqu'ici. C'est précisément à cette époque, c'est-à-dire vers
76 lii:vi K liini.IQUE.

le début du iv' siècle, sous la poussée des circonstances et à la

suite du prestige ac({uis à l'IOglise par l'édit de Milan, (|uc la langue


latine remplace peu à peu la langue grectiue comme langue ofli-
ciellc et liturgique de l'Église d'Occident et <[ue d'importantes com-
munautés latines se multiplient partout, en Italie, en Gaule, en Ivs-

pagne, et dans l'ancien monde latin. Ces conditions nouvelles suflisent

pour expliquer l'évolution un peu plus accentuée du texte de la


version africaine, si on ne veut pas l'attribuer à l'activité de saint
Augustin lui-mënic.
S'il n'existait pas encore à cette époque de version latine en dehors
de l'Afrique, on ne tarda pas à en faire une, à moins qu'on ne se
soit contenté de corriger la latinité de la version africaine (1). Cette
nouvelle version ou recension européenne ou italienne dut aussi
exercer une certaine influence sur la bible africaine. Mais nous ne
connaissons pas encore assez les différents types de textes pour
déterminer cette intluence et pour en démêler les réactions réci-
proques.
C'est donc au moment où la version africaine évoluait dans le sens
d'une latinité plus classique, vers le milieu que saint du iv" siècle,

Hilaire insérait dans ses Traclalm le texte du manuscrit de son Église


de Poitiers, et nous conservait ainsi le texte du psautier en usage
dans les Caulcs à cette épo(|ue.
Uuel est le rapport du psautier gaulois au psautier africain? Est-ce
le psautier africain ancien, celui de saint Cyprien, ou celui du début

du w" siècle, ou bien est-ce celui de la lin du iV" siècle, celui que
nous révèlent les citations de saint Augustin et le manuscrit de
Vérone? Kt si c'est un texte dilférent, quelle est la nature de cette
différence? S'agit-il d'une version nouvelle ou d'une simple recen-
sion? A quel type de textes faut-il le rattacher? Voilà autant de
questions qui se posent naturellement et auxquelles nous allons
essayer de répondre.
C'est par l'étude de leurs traits particuliers ou de leurs diver-
gences avec un texte donné, que nous parvicndions à saisir leurs

I) (»n ne peut nu"'rc s'explir|uer I insistance (lu'oii a mise ;i nier Icxislonre d'uni' lati-

nité africaine. Il ne s'a^jit pas d'un dialecte latin. I.c latin de rAfrii|ue était celui <|u'on
jiarlait cl «ju'on écrivait dans tout le monde latin. .Mais ce nesl pas dans ce sens, à notre
a\is. (|u'il faut parler «le latinité africaine, (est dans le sens de provincialisme. L anglais
qu'on parle aux Klats-t framais qu'on jiarle au Canada, ne sont pas des dialectes
nis, le

dinv-renl^ de l'anulais d'AnKlelerrc, cl du français de l'ranif. Kl pourtant on ne s y trompe


jamais. Il y a dans l'emploi fa\ori de certains mots, dans lusaj'e fréquent île certaines
expressions, des signes infaillildes qui trahissent le pays d'ori;;ine. On comprend parf.iilc-

menl, on connaît ces mots, ces expressions, mais on ne s'en .sert plus.
LE TEXTl-: W PSAUTIER DK S.VIM UILAIIii: 1>K POITIERS. 77

relations intimes et leur degré de parentr. Nous allons donc comparer


le texte de saint Hilaire avec les textes do saint Cyprien et de saint
Aug-ustin, en nous servant des variantes groupôos et étudiées par
M. Capelle dans son Hisloire du Psautier latin en Afrique. Nous y
ajouterons la collation du psautier romain. Dans le tableau ([ui suit
la première colonne contient les le(;ons de la ViiUjale, c'est-à-dire
du psautier gallican ou de la seconde revision de saint .ïérôme la ;

deuxième, les variantes du psautier romain ou de la première revi-


sion de saint Jérôme, Migne, t. XXV. Les autres colonnes donnent
les variantes de saint Cyprien, de saint Augustin et de saint Hilaire.

'.v. Gai.

XXVI,
REVUE BIBLIQUE.

/
l.K TKXTI- 1)1 l'SAiriliR 1)1^ SAINT llIl.AlKi: DK POITIEUS.

l's. Cal. l's. Kom. Cijp. Au g. Hil.

Lxwi, cMelsi altissimi altissiini

L\x\iii. ''.
dilecla amabiiia diieclissimae dilectissima ainabilia
lal>ernacula sunt sunt sunt sunt
domine habitationes
concupistil deus
déficit concui'iuil desiderat
in atria properal
domini ad atria
dei

lAXXvui. 35 laciam irrita dcf. reprobabo


(.111, 26 draco iste def. draco hic
foriiiasti finxisti (figurasli //(

PS. LXIY, 10
r.ix, 1 dixit dicit
a deXtris ad dexteram
meis ineam
donec quoadusque
scabellum subpedaneum scamillum
:î genui gênera ui
5 et cm. et
poenitebit poenitebitur
cxv, 15 pretiosa pretiosa est
sanctorum iustorum
cxvui. 1 iieati felices qui
imiïiaculati immaculali sunt
qui et qui
lege uia
2 beali lelices
scrutantur perscrutantur scrutantes
leslimonia martyria
103 eloquia (ief. uerba
inel mel et fauum
oii meo mel et fauum in ore meo
120 confige conlige clauis confige clauis'
infise de de
timoré metu
139 tabescere def. tabefecit
fecit
zelusmeus z 6 1 us d mus zelus tuus
tuae
uerba uerborum uerborum
cxix, 5 heu inihi heu me def. heu me heu me
quia quod quod
prolongatus longinquus
est factus est
7 oderunt oderant def. oderant
impugna- debellabant
bant
cxxiii, 7 erepta est def. eruta est
laqueo muscipula
uenantium uenatorurn
cxxYi, 6 euntesibant ambulantes
ambulabant
80 RKVL'E BIBLIOLK.

/'.N
i.K Ti'Xri': DU l'SAiTiEi; m: saint iiii.miu-: dk I'Oitikiis. si

Lcxamcn des variantes de saint llilaii'c nous ap[)i'end qu'il y en a


11, ou IC» dans le premier cas, cest-à-dire environ un tiers qui lui
sont propres. Les autres lui sont communes avec les autres textes dans
la proportion suivante :

Variantes dllilaire. H IIC HCÂ HCAR HA IIAU IIK


:\ï 11 G V 2 il i(G)
'..-
(17)16 —(6) — (i) —(2) 6 2 8(10)

La conclusion la plus frappante qui paraît se dégager de ce tableau,


c'est que le texte de saint llilaire n'a aucun rapport avec le texte afri-
cain contemporain, ou du moins avec le texte africain de la fin du
iv" siècle représenté par saint Augustin, puisqu'il ne se rencontre

avec lui que onze fois sur 100 leçons. Les trois ou quatre variantes
communes aux seuls textes de saint llilaire et de saint Augustin sont
absolument insignifiantes in infcnium pour in inferno au Ps. xv, 10
:

(Cyp., ad infcrosw in deserto \)Owt in desertnm au Ps. lxvii. 8


Cyp., eremiun)\ frnstrabilur enm,\\\\.. et paenilebit eum, kug., au
Ps. cxxxi, 11, rencontre purement accidentelle; otnnes aies au
Ps. XXVI, i pour omnibus diebiis (Cyp., per omnes dies) est une va-
riante sérieuse, mais le texte de saint Hilaire n'est pas ici très sur.
Nous aurions une variante assez caractéristique au Ps. cxviii, 139,
obliti sunt nerbornni tuorum, mais nous ne savons pas si les deux textes
sont isolés, carie texte de saint Cyprien fait ici défaut (cf. Cypr.,
Ps. xLiv, 11, obliniscere populi tiii, manuscrit de Vérone,
et le

Ps. cxviu, 10, obliuiscebor uerborum tuorum). Ainsi donc quand


saint Hilaire se rencontre avec saint Augustin, c'est toujours sur des
variantes communes soit avec l'ancien texte de saint Cyprien, soit
avec le psautier Romain. Si le texte de saint Hilaire a quelques rap-
ports avec celui de saint Augustin, ce n'est donc que par l'intermé-
diaire d'un ancien fonds commun africain, ou de leçons conservées
par saint Jérôme dans sa recension romaine. Une comparaison avec le
Veronensis, qui paraît être aussi un témoin du texte africain de la tin
du iv" siècle, conduit à peu près aux mêmes résultats. Sur un total de
1.051 variantes de saint Hilaire et de 1.299 du Veronensis, nous n'a-
vons trouvé que 393 leçons communes, et encore faut-il retrancher de
ce nombre 253 variantes qui se lisent aussi dans le psautier de Saint-
Germain. En réalité, ce n'est que dans liO cas qu'il y aune concor-
dance qui pourrait être révélatrice. Ce nombre est insignifiant quand
on le met en regard des 1.957 leçons comparées. 11 serait encore moin-
dre s'il fallait s'en tenir aux seules variantes de valeur. Nous devons
en conclure qu'il n'y a entre les deux textes aucun lien de famille et
REVUE CICLIQUE 191G. — N. S., T. XIH. 6
82 liKVli: IllIUJnLE.

même aucune parcutr autre ([ue relie que peuvent avoir tous les an-
ciens textes latins, s'ils proviennent d'un aneèti-e couiniun.
Une seconde conclusion non moins intéressante, c'est que le texte
de saint llilaire contient une proportion [)lutùt considérable de leçons
africaines ou cyprianiijues, soit 11 leçons sur 109 examinées, dont la

moitié exclusivement communes à saint Cyprien et à saint llilaire. Ce


fait est d'autant plus digne de remarque que le texte de saint Augus-
tin, (]u'on nous donne comme africain, nen a gu«''re plus, soit H dont
une quinzaine lui sont exclusivement communes avec saint Cyprien.
Et encore ne faut-il pas oublier que ces variantes ont été choisies pour
montrer le caractère africain du texte de saint Augustin. Il est piquant
de voir (|ue saint Hilaire est souvent plus africain que ses contemjK)-
rains africains eux-mêmes.
Il y a certainement plusieurs leçons de saint llilaire que nous
sommes habitués de rencontrer surtout chez les auteurs de l'Afrique.
Nous citerons quelques-unes des principales. Telles sont par
exemple :

Alleuatio, Ps. cxl, 2, z-xp^i:: Vulg., eleuatio. Leçon de saint Cy-


prien. Aug., Ver,, Sanc/., Rom., owiXoxm e le uaiiu.

Anima tio. Ps. lxviii, ^ô; cxxim, 'i- (animus) (^ii, .">, indignatio),
O'jyir. un mot cyprianiqne. Cyj>r., Orat., xix. Cf.
\^o\iv furo)', ira, est

Ronsch, [lala und Vnlgaki, Ausg., Marburg, 1875, p. :J0.). '2

Cogitatio, Ps. liv, 23, '^.ipv^.^x, Vic/g., cura. Nous n'avons pas le
texte de saint Cyprien, mais le mot est africain d'après von Soden,
/>as hilcinische Neue Testanienl in Afrika, Lei})zig, 190i>, p. ;}3G, Cf.

Honsch, op. cit., p. 308. Sang, et liom. ont cogitât us.


Iiiauriri, /^v. lui, 'i ; i,iv, -2; cxxxix. 7, vH<)-.\:,i':hu.<.: \Klg., auribus
[)ercipere. Nous n'avons pas le texte de saint Cyprien, mais le mot est
employé [)ar Lactance, Epi:.. \lv, 2. (^f. Ilonsch, op. cit., p. 193.
lunior Ps. lxvii, 28, icxvm, IVI, adulescentiori, vc».')Tip:ç, se lit

également chez Cypr., Ps. wxvi. 2(), <l / Tini., v, 11, iiiniorrs

antein uiduas practcri.


l'oscere, Ps. ii, 8, -r.-.ivt: Vulg.. pnslularf. Leçon de saint Cyprien.
Tous les autres owi pas tnlarc.
Pro niliilo babrre, Ps. i,\iii, 9; i.xiii, 9. ïzzjivnv». avec IVv..
Sani/., limii., j»cut probablement être rajjpi'oclH- d<' nihil facrrc «le
Cypr., ps. i.ii, (1.

(^es (juel([ues leçons anx<iuelles on peut encore ajonler (bdositas,


ps. i.iv, 2'i, Ver. Aitg., cf. U<»nsch, op. (il., p. Ô2 ; machacra,
ps. i.vi, .'). \rr.. Sang., Itnni., \u)uv gladius : srrnin, P<. i.viii, 13,
Snnif., lio})i.. p<»ur ui'rliniii : I unes ijraui's, Ps. cwi. <i, pour ////w-s;
LE TKXTE DU PSAITIKU I»i: SAINT IIILAIUK I)K l'Ollll.US. 8:5

niiisclpulnni. Ps. cwxix,


pour laqueus, si elles suffisent
G, ]'•/•.,

poiu' J'air(> reconnaitre la présence dun élément africain, sont trop


peu nombreuses et trop jjeu cara(téristi([ues pour nous permettre de
conclure à l'existence d'une parenté un peu étroite avec saint Cy-
prien et l'ancien texte africain. Distinct du texte de saint Augustin,
le texte de saint llilaire ne lest donc pas moins de celui de saint Cy-

prien. et les quelques pâles resssemblances que nous avons pu réunir


à grandpeine n'ont absolument aucune signification en comparaison
des nombreuses divergences que nous avons constatées et qu'une
comparaison plus complète ne ferait qu'augmenter. Nous sommes
donc en mesure de conclure que le texte des Psaumes de saint llilaire

n'est pas celui des Africains ses contemporains, et qu'il s'écarte en-
core plus de l'ancien texte africain, dont il a conservé çà et là quel-
(]ueséléments qu'on ne retrouve pas ailleurs. Quelle est l'explication
qui rend le mieux raison de ces faits? S'il n'est pas nécessaire de re-
courir à un ancêtre commun, il semble qu'il faille au moins admet-
tre une influence ancienne du texte africain sur celui qui devint,
après une longue évolution indépendante, le texte de TÉglise de Poi-
tiers, et sans cloute aussi de toute la Gaule.

Enfin la proportion des concordances avec le psautier Romain peut


nous renseigner sur les rapports du texte de saint llilaire avec celui
qui élait en usage en Italie, et tout particulièrement à Rome. Car il
faut sans doute prendre très à la lettre ce que saint Jérôme nous dit
de sa première correction du psautier Psalterium Romae dudum :

/jositiis emendaram,
juxla Septuaginta interprètes,
et licet ciirsim,

magna illiid ex parte correxeram (1).


Cette recension ne parvint pas à supplanter, même à Rome, l'an-
cienne version, et saint Jérôme lui-même le constatait avec ses confi-
dentes romaines, Pauia et Eustocliium, quelques années à peine plus
tard, quand il se mit au travail pour faire une recension plus sérieuse
et plus complète sur les Hexaples d'Origène : Videtis pins antiquum
errorem quam novam emendationem valere (2).
Xous pouvons donc au moins provisoirement considérer le psautier
Romain comme représentant en gros le texte ordinaire de l'Eglise de
Rome, à une époc[ue pas de beaucoup postérieure à saint Hilaire, et
à ce titre son étude doit nous intéresser.
-Ees 25 variantes que nous avons relevées se partagent ainsi :

t) Ilicron.. l'raef. inlib. Psalnt.


''.) Hieron., iO.
Wn-ianic^ au Ps. Pw m. W lill lUIA HMAC liA

18 S ï (\ 1 2 1

25 9 8(10 -2 — 2
Les points de rencontre avec le texte de saint llilaire sont un peu
nidins nombreux qu'entre saint Augustin et saint llilaire, 8 ou 10
contre 11. Mais les concordances exclusives sont plus nombreuses et
surtout plus significatives et il n'y a pas de doute que saint llilaire

soit plus près du que de saint Augustin. Les con-


psautier ilonuiin
cordances avec les alricains sont rares et sans portée. Les deux seuls
ptjints de contact avec saint Cyprien sont absolument banals et en-

core sont-ils communs à saint llilaire et saint Augustin. H n'y a donc


plus rien de cyprianique dans le psautier italien ou romain. Et c'est
là le premier caractère par lequel il se distingue du texte de saint
llilaire qui en a conservé quelques vestiges.

Ce n'est pas le seul. Le texte de saint llilaire, tout en n'ollVant pas


un relief tiès puissant, parait cependant se distinguer nettement du
psautier romain. Sur 109 leçons on les anciennes versions présentent
des variantes, saint llilaire et le psautier Ilomain en ont à eux deux V.'L
Or ils n'ont que 'i variantes, pins deux douteuses, exclusivement
comnmnes. C'est bien peu. Par contre, ils ont 19 variantes (]ui leur
sont exclusivement propres. Traduit en formule générale, cela signi-
fie (ju'ils ne peuvent avoir qu'une parenté assez éloignée et qu'ils ont
de notables ditrérences.
Une comparaison des deux textes portant sur environ quatre cents
leeons prises dans toutes les parties du psautier, et dont il est inutile

de donner le fastidieux détail, a conduit aux mêmes conclusions. La


proportion deç \ariantes est à pi-n |)rès la même partout, ('/est saint

llilaire naturellement fjui en a le plus. La moitié des variantes du


psautier Ilomain se trouvent aussi dans saint llilaire. Les trois quarts
de toutes les variantes observées sont dans saint llilaire, et la moitié
seulement dans le psautier lîomain. ( n quart de ces variantes sont
communes aux deux textes. Saint llilaire a le double de variantes (\m
lui Sont propres.
Variantes propres à. saint llilaire :
."»0
%
Variantes communes aux deux textes : 25 % totales : 50 %
Variantes pro[)r(îS an psautier Ilomain ; 25 % totales : 50 %
Ces nous permettraient deconeinre. si nous ne le savions déjA,
faits

que première recension de saint .lérôuie n a pas été bien profonde,


la

piiisrpie tant de leçons ancienues ont été conservées, h'antre part,

même en tenant compte des corrections que saint .lérôme a pu lairi' à


l'ancienne version <'n nsaiic à Home, la [)nijtoition <|i's divi'rgences
LE TLXTK DU PS.VUTIKU DK SAINT illLAIIU-: DK POITIKUS. 8:;

est ti'op considérable pour que nous ne soyons pas invites à recon-
naître deux types de texte ditt'érents.
Nous savions déjà que le texte du psautier de saint llilaire n'est pas le
texte africain, nous venons de voir qu'il est aussi distinct du texte ita-
lien. La division en textes africains, européens et italiens, proposée
})arWestcott et llort, paraît donc devoir être appliqnéeaussià FAncien
Testament ou du moins au Psautier. Toutefois, en raison de l'affinité
des deux derniers i^i'oupes, on rendrait mieux compte des fails en ap-
pelant européens tous les textes qui ne sont pas africains. On pourrait
ensuite les diviser en textes italiens et gaulois. Le texte de saint llilaire
est en etlet gaulois par définition, et il a une physionomie assez distincte
et assez accusée pour que nous en fassions un type à part et un terme

de comparaison (1). Nous l'appellerons donc désormais gaulois.


Les constatations que nous venons de faire nous ont permis d'affir-
mer que le texte de saint llilaire n'est pas un texte africain ou italien
d'importation récente en Gaule. Devons-nous en conclure que la Gaule
avait un texte particulier, que tous les manuscrits gaulois avaient un
texte à peu près identique à celui de saint llilaire, sauf ces inévitables
divergences qu'introduisait sans cesse l'incurie des éditeurs, et que
saint Jérôme leur reprochait avec tant de mauvaise humeur? Nous
l'avons constamment supposé. Le moment est venu d'examiner la
chose d'un peu plus près.
Nous signalerons dans les notes accompagnant l'édition du texte de
saint Hilaire, un certain nombre de cas, une trentaine environ, où
saint Hilaire parait avoir eu en vue deux leçons divergentes. Quf^lque-
fois il parait simplement obsédé dans son commentaire par le souve-

nir de deux leçons qui reviennent alternativement sous sa plume, et


dans lesquelles nous reconnaissons les variantes familières des anciens
manuscrits (2). Y a-t-il là une pure coïncidence de hasard? C'est peu
probable. Ailleurs il est évident qu'il est préoccupé de concilier deux
leçons plus ou moins divergentes '3). Enfin il nous dit positivement
qu'il y a des manuscrits latins qui s'écartent du sien, et il nous en a
conservé les variantes. Étudions ces derniers cas qui sont les plus
instructifs.

(1) Une étude étendue de toutes les parties de la Bible de saint Hilaire nous a permis
de constater que son texte oflre à peu près partout les mêmes caractères, à l'exception
pourtant des Actes et des Epitres où l'accord avec le texte cyprianique, surtout dans les
citations du De Trinitate, est assez considérable.
i2) Voir par exemple In l*s. i, 13. 10, 17, où les deux variantes drcidet, Sang., Rom.,
et (le/luei. \'er., Vulg.. servent également a inspirer le commentaire.
3; Par exemple, casealos. Ver., et cnngiitalos, Vulg., l's. lxvii, 17; « utrumque id

unus ijraecitatis sermo compleclilur >. In l'.s. lwu. Ki.


86 REVUE lUMLlnli:.

nu. Sang. Ho m. Ver. ViiUj.

Ps. cwiii, 73 praepa- praeparaueruni


raiierunl
oui. man. :

(inxeriinl(l) |>la>iii<nH'niiil finxeiunt plasniaupriiiil

< wxviii, îr> replebunlur


(lut. Vian. :

fdniiabun-
lur (•>) (irmahuntiir rorinabiindir forinabunliii
cnalninl
cxi.vi, 09 oin. ol horbani
seiuiliililio-
minuin
aul. innn.
ad. et her-
bam... (3) ad. ad. ad.

S'il est facile de conclure de co précède qu'il y avait une cer-


(jdi

taine variété dans les manuscrits gaulois de l'époque de saint Hilaii'e,


il n'est pas aussi facile de dire jusqu'où elle s'étendait, et encore
moins de démêler les caractères et les affinités de ces manuscrits. A
la vérité, les renseignements que nous donne saint llilairc, tout pré-

cieux qu'ils sont, ne sont pas suffisants pour en tirer des conclusions
générales. Le fait ([uil signale si peu de divergences nous laisse
entendre (|ue les manuscrits avaient un texte à peu près identique, et
que les diilerences ne dépassaient pas celles que nous devons nous
attendre à rencontrer dans des manuscrits dun même type et d'une
même époque, alors que le texte n'avait pas la li\ité (|u"il a aujourd'hui.
A s'en tenir tout d'abord aux trois indications précises que nous
possédons, on distingue un second groupe de manuscrits se rappio-
cliant du Ver., du psautier Homain et de la Vulgalc, tandis f)ue saint
Uilaire est d'accord avec le Saiigrrmanen.^ifi. En réalité, nous n'avons
que deux exemples. (>ar il tant écarter le cas de P.v. cxxxviii. h».
Sans doute, roplehniilnr de ////., ai rrrahitnl de IVv., peuvent n'éti-e

que des vai-iantes particulières et accidentelles, suppusanl au fond \n\


même texte -'t:r,-'\-;z'.)-.x'. et ->.7.vr/Jr,7:vT7.'., [)our r.'ny.zhr^zvt-.y.'. mais cela ,

n'empèilir pas (|iie l'accord observé ailleurs ne se vérilie pas ici.

L'examen des autres leçons alternatives d(* saint Uilaire ne permet


pas d'arrivei- à des conclusions plus nettes. La leçon qu'il paiail
|)rérérer et ([ui doit être celle de son manuscrit est cell(> tanl«M de un 1

il. lu aliquiliiis (((tliribiis ila s<ripluiii (lr'|iri'ben<iiiiui-. : inaniis luao fcccuml nu- cl liiivr

nint Mil'. //) l's. cxMii, ioil, i.

(2; In ipiiliii.sdam codicibus ila If^iiniis die roriiiabuntur. hi l's. i \x\mii. :!7.

(:{; In pliiribiis roiliciltus inHi-rUiin liiinc. ii'T'<tiin (loprcln-ruliiiiiis il liiTiiatii .siriiiliili

lioininini In /'<. cm.m. K).


LE TEXTE DU PSAUTIER DE SAINT IllI.AIIU: DE POITIERS. 87

tantôt do l'n litre groupe. Les manuscrits de Gaule se ressemblaient


donc plus ou moins et contenaient des variantes de toute sorte et de
toute provenance, ('"est là le caractère des textes môles, recensés,

ayant sulù pendant plus ou moins longtemps des influences diverses.


Il donc nous résigner à comprendre sous le nom de textes gaulois
faut
quelque chose d'un peu complexe et d'assez mal défini.
Un point qui parait se dégager avec pJus de netteté, mérite de nous
retenir. Cest l'accord avec le Psautier de Saint-Germain [Sang.) main-
tenant à la Bibliothèque Nationale de Paris [fonds latin 1194-7).
Il y a longtemps que le fait a été observé. Dom Sabatier, qui a édité

ce manuscrit, la signalé et s'est appliqué à le démontrer. Si cet


accord était parfait, s'il était bien établi que le texte du Sang, est
celui de saint Ililaire, il serait daté par le fait même, et nous aurions
le texte complet du psautier gaulois du milieu du iv'' siècle.
Mais l'accord, pour être réel, est loin d'être parfait. Assurément,
pour établir la parenté des textes, l'accord sur quelques variantes
importantes est plus significatif que les divergences sur vingt leçons
secondaires. Il n'est cependant pas toujours décisif et peut être quel-
quefois trompeur. Il ne dispense pas d'un examen détaillé.
Remarquons que le texte du Sang, contient beaucoup de doublets,
qui trahissent un texte relativement postérieur et de seconde ligne.
On connaît le procédé. Au lieu de faire un choix entre deux leçons
alternatives, le copiste les garde toutes deux et les met à la suite
l'une de l'autre. On a alors le même mot, quelquefois le même verset,
traduit deux fois. de signes plus évidents d'un texte
Il n'y a pas
recensé. Capelle a cru voir dans ces doublets l'influence d'un texte
africain (1). met un peu en défiance contre la prétention
Cela nous
du Sang, à représenter le texte du milieu du ix" siècle. Aussi bien

ces doublets sont absents du texte de saint Hilaire. Malgré la ten-


dance de saint Hilaire à concilier facilement les leçons divergentes,
nous n'avons rencontré dans son texte qu'un seul doublet, qui d'ail-
leurs n'est pas dans le Sang. : fiât mensa eorum coram ipsis in
laqueum et in captionem et in reti^ibiitionem (2). Ps. lxviii, 23.
Nous avons vu plus haut que le texte gaulois du milieu du quatrième
siècle était plus ou moins composite, mais il n'avait certainement pas
le caractère de redondance du texte -du Sang.

Enfin, pour en avoir le cœur net. nous avons fait une comparaison

(1) Elle est très faible ou le texte était bien peu africain.
(2) Il faut [leul-ètre ajouter : ne corrumpas vel disperdas, /'s. r,vi, 1. Ne corrumpas
que semlile préférer saint Hilaire dans son commentaire est la leçon du Ver., ne disper-
das, celle du .S'fl??^.
88 RKVUE BIBLIQUE.

assez étendue des deux textes. Voici les résultats de cette enquête. Sur
environ 1.000 leçons examinées, nous n'avons trouve que 500 leçons
communes contre 1.100 leçons divergentes. Et encore la moitié de
ces 500 leçons se lisent-elles également dans le Te?-., et ne sauraient
par conséquent être comptées au même titre comme démontrant
la parenté intime du texte du Sang, avec celui de saint llilaire. ////.
et Sang, n'ont donc en réalité que 250 variantes exclusivement com-
munes contre l.j 00 leçons divergentes. C'est, semble-t-il, trop peu
pour conclure que les deux textes sont très étroitement liés.
Il faut d'ailleurs attendre l'édition du Sang, quo piojette la Com-
mission Jlrnédicti/ie pour la licrisio/i de /a Vulgalc et (juelîe a con-
fiéeaux doctes soins de dom de Bruyne, et nous nous abstiendrons de
préciser davantage le caractère de ce texte.

y a longtemps que tous les renseignements directs concernant


Il

l'histoire de la vci'siou latine de l'Ecriture avant saint .lérôme ont été


recueillis et discutés, et nous n'avons plus guère à espérer de
lumiéi-e nouvelle que de la patiente analyse des anciens textes eux-
inénies et de leur comparaison avec les citations des Pères latins
antérieurs auxrecensions liiéronymiennes. Un peu négligées jusqu'ici,
les citations de saint llilaire de Poitiers ne le cèdent pourtant en
inq)Oi tance à celles d'aucun autre Père, pas même à celles de saint
(iyprien.
Ce sont les citations du psautier, dont il a commenté une partie
considérable, qui sont les plus abondantes. A i)eu près les deux
cin([uièmes de tout peuvent être
le p.sautier reconstitués au moyen de
ces citations. Elles ont été faites avec une exactitude suflisante, et
elles ont été suffisamment préservées d'altérations dans la transmis-
sion manuscrite, pour <|ue nous les reu-ii-dions comme représentant
lidriement dont s'est servi saint llilairr et qui n'était autre
le texte

(juc le texte ordinaire de la (iaule au milieu du iV siècle.


Ce texte ,i:aulois n'a pas le relief rt les traits accusés du texte
africain. .Mais il a cpendant une physionomie assez caractéiistiipie
pour coDstifut'r un Lioupf à paît. Il se sépare très ncltcuHnl des
textes africains anciens et contcmpoiaiiis, il S(^ distingue moins nette-
ment des textes italiens. Il faut donc diviser les textes en africains et

européens, et c«'ux-ci en gaulois et italiens. Le type gaulois est le

plus rapproclu'' des deux, nu |»lns exacteuieiil le moins doiijni'', du


texte afiirain.
LE TliXTIi Dl' l'SAlTlEU DE SMM IIILAIUE IH: l'UlTIKKS. 89

Qu'est-ce que ce psautier gaulois du milieu du iv" siècle? D'où


vient-il? Est-ce une version indigène? Est-ce un texte importé
directement d'Afrique, et modifié lentement par les corrections des
recenseurs loc.iux? Est-ce un lexto italien, un texte africain émigTÔ
d'abord en Italie, qui a ensuite traversé les Alpes? Nous nous étions
promis, en commençant cette étude, de ne formuler aucune opinion
sur cette question d'origine et sur les rapports des différents textes.
Nous voulions simplement faire connaître le texte du psautier usité en
Gaule au milieu du i\' siècle. Au surplus, nous n'avons rien observé
de bien frappant qui nous engage à sortir de la réserve que nous
nous étions imposée.
Il cependant un point qui parait assez clair. Personne n'admet-
est
tra facilement que le psautier gaulois soit une version indigène. Du
moins, si c'est une version indigène, elle a été tellement modifiée et
harmonisée avec les autres textes quil nous est absolument impos-
sible de la reconnaître. D'ailleurs, l'unité remarquable de tous nos
anciens textes est un fait qui domine toute cette question, et c'est pré-
cisément ce qui constitue l'énigme de leurs rapports réciproques, et
nous laisse hésitant entre les deux hypothèses, de versions multiples
d'un même texte, ou plusieurs recensions de la même version, qui
rendent à peu près également bien compte des faits observés.
Version indépendante ou simple recension, le texte du psautier
gaulois du iv'^ nous intéresse à plus d'un titre, et nous devons
siècle
savoir gré à saint Hilaire de Poitiers de nous en avoir conservé une
partie si considérable, en l'incorporant à son commentaire sur les
psaumes.
Henri Jeannotte, p. S. S.
Prolesseur au Graml Séminaire de Montréal
(Canada).
LE COMMEMAIRE DE LUTHER
SI K LÉPITRK ACX ROMAINS

(avril lôlô — octobre i'yH'))

n'.VPRKS DKS PlULICATIONS RÉCENTES

.
{Fin) (1)

Il est très vrai de dire avec M. .lundt (2) que Luther avait la passion de
l'absolu. Mais quand il ajoute que, « comme 1 apôtre, il était un esprit
tout d'une pircc, dont le premier besoin était la logique », il confond
d un esprit formé par la discipline gréco-latine et ce don
les besoins
des Allemands d'unir les contradictoires dans le concept de l'absolu
que Luther a installé dans Tordre religieux, longtemps avant qu'il
eut paru dans la philosophie de Hegel et de Schelling. Non que cette
recherche de l'absolu exclue une certaine logique emportée qui va
au bout d'elle-même, mais <dle lui permet, arrivée à cette extrémité,
de s'y concilier avec des notions contraires sinon contradictoires. La
théologie; qui s'était assimilé peu à peu la philosophie d'Aristote s'é-

tait habituée à pratiquer cette distinction des concepts que Socrate


avait inaugurée. C'est, à vrai dire, le fond le plus solide du génie latin,
poui'vu que les concepts ne soient pas vides et répondent aux choses.
Il est vrai (jue les noniinalistes, ne les regardant plus que comme de
pures créations de l'esprit, les multipliant à plaisir, se complaisant
à les opposer et à b^s heurter, à tout analyser dans la rig-ucui" des
idées, selon ce qu<' Dieu aurait pu l'aire aussi bi(>n que selon l'ordre
(pi'il a établi, b'S noniinalistes, dis-je. s'c'taient écartés du Icirain
solide des réalités. Luther donne (''nergiqiK'incnt de la tête dans ces
toiles (l'araiL-iiéc entend retrouver l'honnne tel (pi'il est, espi'it ri
: il

chair, au lifn d'un tableau synopti(|in; dfs pudicanicnts. dans l'ordre


de la natiirr <•! d.ins loidrf «le la iirMcc

fl Voir In llrriic «If juillcl <'l u< loliif l'.Ur. |'. i.")<i.
l.K CO.M.'SIKNTAIIU: DE Ll TllEK SL U L'Kl'lTUK AUX HUMAINS. 'M

Ce fut, si Fon davoir compris les aspira-


veut, son trait do génie,
tions de son temps. La simplification, le rappel au sens commun, un
langage que tout le monde peut comprendre, voilà qui est toujours
sûr de réussir auprès des masses. Elles ne s'aperçoivent qu'après
qu'on a détruit au lieu de simplifier, et que cest se leurrer que de
supprimer le mystère quand on prétend sauvegarder la religion.
Mais, en attendant, le choc des antithèses ne leur déplaît pas, étoiles
applaudissent de tout cœur quand on s'attaque aux distinctions sub-
tiles qu'elles ne comprennent pas.

Si les interlocuteurs de Socrate, hardis et pratiques, armés de gros


bon sens et d'idées courantes, si les Thrasybule et les Calliclès pou-
vaient compter sur les sulTragos des Athéniens en préférant des réa-
lités solides à des concepts fondés sur des distinctions, Luther était
sûr de plaire à un public beaucoup moins fin, en s'attaquant aux sub-
tilités de la scolastique.

Dans Commentaire, aux tendances ultra-mystiques, on perçoit


le

très bien cette note, déjà rationaliste, qui voudrait seulement s'ins-
pirer du réel.
Le problème religieux ne sera point résolu en disputait des appé-
tits contraires ou des formes qui se succèdent dans les puissances :

l'homme est un, et c'est lui qui est malade. Le texte ne manque pas
de saveur Ex isiis palet metaphijsicorum theologorum frivolum et
:

delyriosuiH commentimi, quando disputant de appetitibus contrariis,


atipossinl in eodem esse subiecto, et fingunt spiritum se. rationem rem
seorsum velut absolutam et in génère suo integram atque perfectani,
similiter et sensualitatem seu carnem ex opposito aliam contrariam,
eqiie integram atque ab^ohitam, et stultis suis p/ianlasmatibus cogun-
tur ob/ivisci, quod caro sit ipsa infwtnitas velut vulnus totius hominis,
qui par gvatiani in ratione seu spiritu ceptus est sanari (1). De même
une maison qu'on restaure est une maison ruinée, et non une ruine
et une maison. Il y a quelque 'chose de très séduisant dans cet appel
aux notions courantes, dans cette vulgarité bon entant qui parait
irrésistible, la revanche de la raison commune contre les envahisse-
ments d'une dialectique artificielle Quocirca fictilis et noxia eorum
:

dum ex Aristotele virtuies et vitia velut albedinem inpa-


fihantasia,
riete, scriptura)!) in assere et formam in subiecto occidentissimis ver-
his et metaphoricis docueruni in anima hcrere f-2).

Qni niait la distinction de l'âme «4 de ses facultés était tout prêt à

A) F. 180.
(2) F. 183.
«»2 REVUE niBLIQLE.

nier lauràce cl la cliaritô que Dieu dépose en elles. Mais n'anticipons

pas.
Un esprit latin poui'rait épronvei' les mêmes tendances à la simpli-
fication; mais il resterait lixé dans la négation; il n'essaierait pas,
ayant détruit le surnaturel, de le reprendre en associant les contra-
dictoires. C'est à quoi Luther était tout disposé. Il est inutile de lui
objecter que, dans son système, Dieu veut et ne veut pas le mal, que
l'homme est à la fois juste et pécheur. Il en triomphe. C'est la doc-
trine profonde inaccessible aux sots. Il se grise positivement danti-
tlièscs (ju'il prétend résoudre à l'unité. Voici quelques exemples,
empruntés A sa doctrine reliiiieuse, mais qui témoignent des disposi-
tions de son esprit. Ce n'est pas son système qui l'a conduit malgré
lui à des contradictions; son penchant pour l'absolu, unissant les con-
tradictoires, le prédisposait au système, puisqu'il les accueille avec
joie : adluic nidiores sunt, qui voluntatem maU ideo removenl a DeOy
ne peccarc eum cogantur concedere (1)... Vcra csl isia : Dciis vull
maluni et peccata,siciit et illa : Deus intelln/il malum seu pcccata...
hec surit vcra: Deus ruU maJum, Dcum rull bonum; l>cus non vuit
nialinn, iJcus non rult bonum. Évidemment, quand il s'agit de Dieu,
notre pauvre petite intelligence est fort embarrassée. Elle ne se fait

pas d'illusions, si elle est sage, sur ce que ses alfirmations ont d'insuf-
mais enfin elle s'exerce de son mieux, non pour définir Dieu,
fisant,

mais pour ne pas se détruire elle-même par des contradictions. Pour


Luther c'est son suprême exercice.
Ce jeu, véritable batelage pour amuser les badauds, indigne
l'âme honnête du I*. Denifle. Quand il lit : ila rt vcra castitas est
in luxuria, et quo fUcdior luxuria, tanlo spccinsior casiitas i2), il
s'écrie ; .< C'est à faire dresser les cheveux sur la tête ». Non, cela fait
sourire. I^e maître étale sa virtuosité, (hi di-oit de son génie, de sa
passion j»our l'absolu, comme il disait déjà dans le (^oinment;iire :

h^rgo sibi ipsis cl in veritatc iniusli sunt, iJco autcni proplcr hanc con-
fcssioncm peccali co^ rejjutanti iusli;7'c vera porca tores, scil reput a-
lione miscrentis hri iasti: ignuranlcr iusli cl sric/t/cr iniusli : pccca-
lorrs in rc, lusti aulrm in site \'.\ . Le plus f<trl est (pi il appuie ses
contradictions sur Aristole < bien compris >. il lui parut sans doute
j)laisant d'accommoder sa théorie de la Jn•^tilic.•ltion à celle de la puis-
s.ince et l'acte. Seulement, clic/, lui. c'est l;i mènie (pialilé <|ni est en

(I I". -n.
\1j Kn 1518, Demili;-I'\ui iiii. II. im,. m. le 2.

'J F. 10.").
Li: COMMEMAIUI:: DE l.LTIlKll SIR LlilMllU-: AL\ r.UMAl.NS. '.)3

même temps en puissance et en acte dans aemprr


le môme sujet :

peccator, semper pcnitens, souper que Heuan,


iusius (1). On sait
grand admirateur de la philosophie allemande, se complut toujours
davantage à associer l'afTirmation et la négation dans des proposi-
tions en apparence édifiantes, mais propres « à faire dresser les che-
veux sur la tête >. Mais Renan était le premier à se gausser de ses
doctrines et de lui-même; du moins, il l'atrectait par déférence pour
l'esprit gaulois. Luther était terriblement sérieux.
Étrangère et même brutalement hostile à la distinction des con-
cepts, son intelligence manquait absolument de mesure. La mesure
et le tact seraient encore parmi les dons que nous tenons des Grecs,

s'ils n'étaient on même temps connaturels au génie français. Luther

développe toute sa passion de l'absolu dans les jugements pratiques.


Point de demi-mesure, point de tempérament, point d'indulgence.
Ici encore, nous procéderons par des exemples.

Le libre examen est le résultat le plus net d'une réforme qui, à ses
débuts, exagéra notablement le domaine et le caractère de Tobéis-
sance. Cette surprise est assurément la plus piquante de celles que
réservait la découverte du Commentaire. Excessif en tout, Luther a
commencé par exiger l'obéissance envers tous les prélats, envers
tout le monde, et à donner à cette obéissance le caractère de la foi
théologique. Il faut voir cela de ses yeux pour y croire. La théologie
refuse la foi aux hérétiques parce qu'ils choisissent ce qu'il faut
croire. Eh bien, il en est de même des orgueilleux : Ita et siiperbus
quisque in suo seiuu semper opponit se vel precepto vel consilio recte
monentis ad saliUem. Cui cum non crédit, similiter niJiil crédit et
periit tota fuies propter unius sensus pertinaciata (2). Voilà donc
la foi perdue pour un refus d'obéissance, même à un conseil, et Luther
allait bâtir tout l'édifice de la Réforme sur la foi seule! Ce n'est
point une exagération qui lui a échappé; il insiste, et précisément
pour montrer qu'on ne peut être sauvé que par la foi. Les hérétiques
prétendent croire en le Christ, mais ils ne croient pas en ce qui est
de lui. Que sunt illa? c'est-à-dire, quel est l'objet de la foi? Ecclesia,
se. et omne verbum, quod ex ore [jrelati Ecclesie procedit vel boni et

sancti viri Christ i verbum est, qui dicit : « Qui vos audit, me audit ».
Qui ergo a prelatis se subtrahunt, verbum eorum nolunt audire, suutn
autem sensum sequuntur, quero, quomodo in Christian credant (3).

(1)F. 266 S.
^2) F. 86.
(3; F. 83.
<»'t
HKviK r.iiu.ioi 1-:.

Kn un mol : " Uircsl-ce ({uc l.i houdie de Dieu? Celle du prêtre et

du su})érieui' » (1 i !

V a plus, la loi s'étend au\ illuminations intérieures. Après cela,


Il

(lui peut être certain d'avoir la foi? Il faut se jeter éperdument dans
riiumilité (Jnc ciim ila si/if, in immensum nos oporlcl humilitiri.
:

Oiiia (Uni no)i [lossimus scire, an in ont ni verho Ik'i viiuunns nul nuJ-

lum nojemus [cum multa a prrlato, mulla a fratribus, \


nnilla in
ovnnfjclio fit apostolis, \
niulta inlrrnc nobis a Dco dicaniur) nunquani
scire posswnus, an iustiftcati simus, an credatnus (2). Et voilà com-
ment a commencé le joyeux messag-e de Luther, le second évangile
(fui a donné aux ùmes chrétiennes « la foi vivante en un Dieu qui, :

])ar le Christ, crie à là me malheureuse : « Je suis ton salut », la

ferme confiance que Ton peut se reposer en Dieu » (3) !

Luther ne s'arrête pas à un doute confiant; l'excès de cette obéis-


sance, sous peine de perdre la foi, doit nécessairement conduire au
désespoir, et c'est en effet ce qu'il exige comme la condition indis-
i)ensahle du saluf. Pour être sauvé, il faut d'ahord avoir renoncé au
bien et à son salut même. Ce n'est point ici un de ces abandons à la

volonté de Dieu qui accepte même les souffrances de l'enfer, si Dieu


l'a ainsi décrété. A ce point, déjà bien avancé, et où l'on risque le
vertige, l'Église catholique s'arrête. Luther va bien au delà. Le véri-
table amour de Dieu veut qu'on se résigne à le j)erdre, non d'une

velléité hypothétique, mais très réellement et de tout cœur Idco :

oporif'l f ufjero bona cl assumcro main et lior ipsiun non voce lanlum
et ticlo corde, sed pleno afjeclu con/ileri el oplare, nos pterdi et datn-
nari i'v\... Ce n'est ({u'imiter le Cluist, Luther blasphème déj;"i à un
moment où il se croit encore le lils le plus soumis de l'Kglise : Oui,
il dit du Clirist :' r/nod realUer et vere se in eterna^n thunnutionern
obtulit Dco pniri pro nobis ,5). C'en est fait, il a hasardé le saut péril-

leux dans l'abime. Mais il se réservait d'en sortir. Le voilà (jui a


rebondi et (jui rapporte la confiance, (^e désir sincèi-e de la damna-
tion est le meilleur moyen de l'éviter : hamnanlur polius, <jm
fufjiunt damnari Oj. Alors coiiiiik'mI ce désir était-il sincère? Nous
ne com[>renons pas, nous nous i-écrions, nous laccusons de mau-
le

vaise foi et d'escamotage. Non. «'rsl la jtliilosophie de l'absolu. Nous

(1) F. «8.
!•. HÎJ.
,ï)

(3) llAiiNAïk. cilP par lti;Mi i.' -I*a<.>lii.h, 11, :{(;•.•.

(4) F. 220.

(5) F. '^1H.

(6) F. 21 H.
l.K CnMMtMAlKK DE LL THt:i5 SI |{ I/KPITRE Al \ liOMALNS. 9o

sommes mauvais, nous n'avons qu'une chose à faire, nous enfoncer


dans notre mal: nous y trouvons la l)onté de Dieu.
In amour de Dieu si désintéressé se contente mal des atermoie-
ments. Luther a confessé, nous l'avons vu, des distractions dans la
récitation de l'olfice. Est-on damné pour cela? Les canonistes avaient
rassuré les consciences en exigeant seulement l'intention virtuelle,
lion prétexte pour la paresse pulcrum pigritie et nequilie opercu- :

lum (11.

Et avec une verve vraiment amusante, met en scène les cha-


il

noines ou les religieux rassurés par canon on doit « dire »


le droit :

ou « lire y> l'office,mais il n'est nulle part ordonné de le « prier »


;

et alors ils ronflent en paix (2) !

Ce ne sont là que des plaisanteries. Mais chez Luther elles laissent


un g-oùt d'amertume. Emporté par le zèle du pur amour, il ne peut
supporter qu'on parle encore de ses droits et de la justice. Que les
princes la fassent respecter de leurs sujets, c'est leur devoir, mais
chacun, même les princes, devrait être prêt à céder de son droit; le
mot même de justice lui donne la nausée Inde [ut de me loquar) :

vocabuhim l'stnd « mstilia » tanta est mihi nausea audïre, ut non tam
dolerem, si qnis rapiitcun mihi faceret. Et tamen sonat iuristis seniper
in ore. Naturellement; c'est l'office des juristes! Mais aussi quelle
race! Non est gens in mundo in hac re indoctior quant iuriste et
boneintentionarii seu sublimale rationis... Universalis ergo institia
est humilitas (3)... Puisque tout le monde a tort devant Dieu, on ne

peut faire de tort à personne ;


personne n'a tort et personne n'a
raison; qu'on s'en rende compte, et voilà la paix rétahlie : ideo
oiblata est causa contentionis om/tibus hominibus Évidemment!
(V)...

On comprend qu'un pareil emportement ne pouvait être arrêté


par un texte, fût-ce un texte de l'Écriture. On ne devrait pas s'aimer
du cependant l'Écriture estime que c'est déjà bien d'aimer le
tout, et
prochain comme soi-même; elle en fait un devoir. Qu'est-ce à dire? —
qu'il faut cesser de s'aimer pour aimer le prochain! C'est en propres
termes Igitur credo, quod isto précepte « sicut te ipsum » non pre-
:

cipiatur homo diligere se, sed ostendatur vitiosus amor, quo diligit se

(1) F. 28S.
2} F. 288. Sed liabent mmc iurisle pnlcram glosam, quia orationes liorarias orare
lion est prcceplum, sed « légère » seu «diccre ». Sic enim pondérant canonem in ver-
bis ac sic sccuri strrtunt. Certaines plaisanteries ont la vie dure. Celle-ci rappelle le pro-
pos d'un doyen pendant un orage « Ce n'esl plus le moment de dire l'office, mais de
:

prier Dieu ».
(3) F. 273.
('ii F. 273.
.10 IU-:VIE BIBLIQUE.

(le facio, II. (l. c/n'vt(s ts loi un iii te cl versas in lui umore?n, u ijuo non
reclificaberis, nisi penilus cesses le diligere et oblitus lui solum pro.i i-
nium (liligas (1). Exagération, siil)tilité, conti'oseiis... Que pouvait-on
attendre d'un esprit dél)ridc, qui se Jouait dans le paradoxe coninic
dans son élément?
11 n'avait que du mépris en passant pour les simples, rudiores, in-

sensibles aux beautés de l'absolu, un sobriquet pour les bien intcu-


lionnés [boneiulentionarii , des plaisanteries pour les chanoines qui
ronflaient si paisiblement.
Mais ses attaques les plus violentes sont pour les philosophes et les
iusiiliarii, qui sont, je pense, les représentants de la théologie spécu-
lative et morale. A cet enseignement fondé sur la raison humaine, et
qui vise à établir une justice humaine, il a résolu d'opposer une doc-
trine toute divine, fondée sur la parole de Dieu. Il a une mission,
quoique, étant encore dans l'Église, il prétende que cette mission est

régulière.
Nous avons déjà rencontré des preuves de sou hostilité contre les

philosophes, et spécialement contre .\ristote. La condamnation est


sans appel, car Luther s'appuie, pour la prononcer, sur nue connais-
sance approfondie /l'yo cfiiideui credo me debere Domino hoc obse-
:

quiîim latrandi conlra philosophiam et suademli ad sacram Scriplu-


ram. Xam alius forte si faceret, qui ea non vidisset, vel tiincrel vel
non crederelur ei. Ego autem in illis détritus mullis ium annis et

mullos itidem e.rperlus ri audiens, video rjuod sit sludium vanitatis et

porditionis. A-t-il tant étudié? Personne ne le croira après avoir lu le


l*. Dcnilie. Mais qu on note le motif de la condamnation. S'il rejette

Aristotc, ce n'est pas (ju'il lui préfère iMaton, comme certains huma-
nistes, et il ne Soupçonne pas du tout qu'il renxerse l'édilice de la

théologie chrétienne au profit d'une étude expérimentale. Kicn n'est


plus étran,i:cr à son esprit que les préoccupations scientifiques. Cela
aussi lui donne en appelle aux choses elles-mêmes, dans
la nausée. Il

un passaiie d'une beauté apocalyptique Ecce nos s( ien/iam de rssen- :

//is et oprrulionilnis et jiassioniltus rrruni prcliosc rstnnuinus^ et rrs

ipse essentiels suas et oprrationes et passioncs fnslidiunl et geun(nl 2).

Les choses, dans saint Paul llom. viii, 1!)\ iiémissent en atten-
dant l.i liln-i'té (les enfants <lc Dieu. I.ntiiri' l'ait {\i' cette \ni\ uiu^

coiulamnalion de la science. Hardie et s[)lendi«le proso[)opée, mais


combien in(piiétante pour la laison. et cpii sonne si étrangement

(I, F. 3:<7.

^2) F. lîn».
I.E r.OM.MENTAIlîl-: Dl- I.ITIII'R SIU I/KPITHI-: AIX ROMAINS. '.t7

dans le monde moderne qui se réclame le plus de Luther! Et ce ne


sont pas seulement les choses qui prolestent contre l'étude à laquelle
on les soumet; ce qui est décisif, c'est que l'Apôtre a condamné la
philosophie d'une façon absolue. Toujours l'al^solu! Sane si aliquam

apostoliis iitilem et bonam voluisset intcUlgi pliilosophiam, no7i iiti-

qiie absolute eani damnasset[i).


Et pourtant Luther n'espérait pas transformer les écoles en un jour.
Le conseil qu'il donne à ses étudiants n'est pas d'une droiture irré-
prochable. Qu'ils étudient donc la philosophie, mais comme une
erreur, afin de la réfuter, pour n'être pas étrangers au langage du
temps : Idcirco omnes vos moneo, quantum possum, ut ea studia cito
faciatis et id solum queratis, non ut ea staliiatis et defendatis, sed
potins sicut artes matas discimus, tit destruamus, et errores, ut re-
vincamus. Ita et hoc, ut reprobemus, aut saltem ut modum loquendi
ipsorum, cum quibus conversari necesse est, accipiamus. Tempus est
enim, ut alils studiis )nancipemur et Ihesum Christian discamus, et
hune crucifixum (2). C'est donc la doctrine de Paul qui remplacera la
spéculation théologique, trop imbue de philosophie. Elle devra sur-
tout porter le coup mortel à l'enseignement pernicieux des iustitia-
rii. Ceux-ci ne sont point des religieux observants qui auraient, par
leur zèle indiscret, dégoûté Luther des bonnes œuvres. Je ne rencon-
tre qu'une mot (\! observantes. Luther leur fait le reproche,
fois ce
encouru
qu'ils ont toujours et quelquefois mérité —
de la part des —
tièdes, plus ou moins relâchés Item observantes invicem propter
:

Deum pugnant, sed dilectionis preceptum nihil attendunt (3'). Il sem-


ble bien qu'il n'a montré aucune sympathie pour les tentatives de
réforme dans son ordre, mais elles n'étaient pas non plus de taille à
provoquer des attaques aussi générales et aussi véhémentes. Non, il
ne s'agit pas d'une querelle de moines, c'est toute l'Église qui est
presque détruite. Elle est menacée sans s'en douter, et par des doc-
teurs qui eux-mêmes ne s'en doutent pas, d'un pélagianisme latent.
Même les maux de l'administration ecclésiastique viennent de là :

Huius autem erroris tota substantia est Pelagiana opinio. Nam etsi
nunc nulli sunt Pelagiani professione et titulo, plurimi tamen sunt
re vera et opinione, licet ignoranter [k)... Et encore : Ideo absurdis-
sima est et Pfdagiani errori vehementer patrona sententia usitata,
qua dicitur : « Facienti quod in se est infallibiliter Deus infundit

(1) F. 200. Sur le texle Col. ii, 8.

(2) F. 199.

(3) F. 305.
(4) F. 322.
r.lîVUE BIBLIOl c 1916. — N. s., T. xiir. 7
<J8 RLVLE BIBLIQUE.

cjratniiii », ttitelligendo pcr « facere quod in se fsl » alirjuid faccre

vcl passe. Inde enim tota Ecclesia pêne subversa est, videlicet Imius
vei'bi fidiicia (1).

Sur le célèbre axiome : « A celui qui fait ce qu'il peut, Dieu donne
inlailliblenieut sa grâce », le P. Dcnifle a dit le nécessaire. Il a rap-
pelé que, dans son sens vrai, suppose l'action de la grAce dite il

actuelle, c'est-à-dire un concours spécial de Dieu, conduisant à la


yrAce sanctifiante:. Luther admettait encore le principe en 1514, donc
immédiatement avant la composition du commentaire (2). Mais ce qui
est plus piquant, c'est qu'il l'admettaitdans un sens nominaliste. Or
les nominalistes confondaient trop souventle concours général de

Dieu et ce concours spécial qu'on nomme la grâce actuelle (3), au


point de ne pas assez mettre en relief l'action salutaire de Dieu dans
le salut. Luther, qui avait d'ahord. nous l'avons vu, trop compte sur
ses propres forces, s'en aperçut plus ou moins soudainement à la
lumière de la théologie paulinienne, interprétée par saint Augustin.
La réaction fut violente, il ne vit partout que pélagianisme latent. Et
c'estprécisément d'après un autre principe nominaliste qu'il cher-
cha le remède. Gela paraît bien étrange, en vérité, mais n'est-ce pas
une des conditions de notre esprit d'employer les ressources (|u'il a
sous la main (Vj? Et peut-être peut-on signaler une explication [)lus

topicjuc.
Luther, formé par la théologie nominaliste, n'éprouvait le besoin
de s'en détacher que lors([u"elle paraissait accorder trop ù, la nature.
Qu'on puisse aimer Dieu par-dessus tout avec les seules forces de la
nature, c'est un blasphème pour le néophyte de l'augustinisme, pour
celui qui a mesuré — et exagéré — le danger de la concupiscence.

Mais il y a\ait dans la théologie d'Occam un principe qui semblait


donner tout à Dieu, c'est celui <{ui rendait la vérité elle-même dépen-
dante du bon plaisir de Dieu, qui permettait de fair^ coexister les con-
traires, le bien et le mal. et qui ne reconnaissait au bien, à la charité
elle-même, d'autre valeur méritoire <[ue la libre acceptation de Dieu.
Oceam n'a-t-il pas dit formellement qu'on peut être agréable à Dieu,
agréé de lui, et aimé, sans aucune forme surnaturelle inhérent*^ à
l'Orne? Sans doute ces «juestions étaient traitées, selon la coutume de

1 F. :{23.
(2) Dkmi i.i;-P\<.»uiKR, II, W'. citant édition <if Wciinar. IV. M.J. i.

.1 D.-P. m. p. IfiC, 170. 171. 183 el isi.


»lii nomi-
il Fkki II. p. i.xi • " Dans la lerininolo^jio el 1 nrRiiincnl.iliim il e.sl le (li.sci|>l<'

nalisriie o<(aiiiien; il j avait \k licaiironp de choses qui correspondaient .'i sa maniera de


concevoir pénétrante, à son ;;onl pour les pointes, les anlillK'ses. les paradoxes t>.
LL CU.MMIATAIIIK DK LUTIII-R SIR I/KI'ITIU". AlX ROMAINS. 99

la scolasti({iie, d'une façon abstraite, dans un ordre possible à la


toute-puissance de Dieu, et en respectant Tordre établi, selon lequel
Dieu donne réellement sa grâce. Mais cependant Occam notait, et
combien ce point est caractéristique que cette opinion est la plus !

éloignée de Terreur de Pelage 1). Et en effet Dieu n'est-il pas ainsi


plus libre et le salut plus gratuit? qu'on soit revêtu de la grâce, il

peut encore refuser d'accepter vos dispositions! Et s'il lui plaît, il les
acceptera quoique vous soyez dépourvu de tout don surnaturel ! Ainsi
tout dépend uniquement de sa libre volonté. Pour un esprit épris
d'absolu comme était Luther, ce qui était possible absolument ne
deviendrait-il pas le fait? La grâce infuse n'ayant plus sa raison
d't'tre, fallait-il la conserver?
Arrêtons-nous, nous entrerions déjà dans la discussion de son sys-
tème, et nous ne cherchons que les dispositions qui devaient y con-

duire. Nous concluons seulement que c'est une mauvaise disposition


pour réagir contie une doctrine que de connaître cette doctrine
seule, surtout si ses principes fondamentaux sont faux; comment en
effet se déprendre des principes? Et c'était encore un inconvénient,
surtout pour un" esprit si porté aux extrêmes, de ne s'attacher qu'à un
seul Docteur, fùt-il le plus grand de tous.
Nous touchons ici à un point fort délicat. Saint Augustin est le doc-
teur de la grâce. Son système est assurément le système de TÉglise
catholique. Mais il est incontestable que plus d'une fois l'expression
est trop forte, même qu'Augustin a frappé trop fort, et que dans son
désir très louable d'écraser une hérésie dangereuse, il a pris dans un
sens peu naturel certains textes de TÉpitre aux Romains. 31. G. Bois-
sier s'est demandé quelque part si vraiment les écrivains africains
avaient un tempérament particulier, et quel il était? Il semble que
ïertullien. saint Gyprien et Augustin ont soutenu ce qu'ils croyaient
être la vérité avec une certaine fougue de logique, qui a conduit les
deux premiers trop loin, et même Tertullien jusqu'à l'hérésie. Encore
une fois, le sens de la tradition ecclésiastique, une étude très appro-
fondie de TÉcriture, tous les dons de la nature et de la grâce, ont fait
d'Augustin un docteur incomparable, mais précisément à cause de son
génie unique, il exerce sur ceux qui ne lisent que lui une sorte de
fascination, et s'ils sont naturellement enclins à exagérer, ils seront
tentés d'ériger toutes ses formules en système, toute son exégèse en

(1, Or.CAM, sur I Se7it., dist. 17. qu. 1, M, cité par DENiFLF.-PAoïir.u, I!I, 198 : Et ilaista
opinio maxime recedit ab errore Pelagii, que ponit Deum
non posse necessitari
sic et

non macjis graluitam et liberam Dci acceptationem esse necessariam cuicumque.


100 lŒVUi: lUlJIJOlE.

vérité tic loi. Très souvent, avec un tact merveilleux, Ancustin adoucit
lui-raènie par une nuance ou une distinction ce qu'une expression a
de trop dur. Peine perdue pour les esprits absolus qui font profes-
sion, comme Luther, de mépriser les distinctions. Après Luther, .lan-
sénius, Baïus et tant de jansénistes ont mal compris la pensée augus-
tiiiienne. parce qu'ils se sont butés à des expressions, sans tenir
compte du sens général. Le P. Denifle reconnaît très nettement que
Luther s'est ai>puyé sur une exéùèse inexacte de saint Autrustin, et
qu'il s'y est cramponné comme si saint Aui^ustin était l'Kiilise, et
<•

que chacune de ses explications fût infaillible » (1).


Après tout, la réaction augustinicnne en faveur de la ,i;ràce contre
lestendances naturalistes des occamistes existait déjà toute faite, —
dans le passé. Saint Thomas avait adopté et l'on peut dire coordonné
la doctrine au,i:ustiniennc, en adoucissant un peu les angles, par le

fait luème d'employer ces pierres précieuses dans sa constiuction


théologique. Dans les temps modernes, plusieurs se sont plaints <jue
saint Thomas était un trop fidèle disciple du docteur de la grâce...

Or Luther ne regardait les thomistes, comme les scotistes, que


comme des sectes où l'on défendait le maître par passion (-2), avec
une vénération excessive, se portant plus sur les mots que sur l'esprit.
Mais lui-même, sa préférence pour saint Augustin n'était-elle pas
plus exclusive, parce qu'il était ermite de saint Augustin? La gloire
du fondateur prétendu se confondait avec celle de son ordre. Quand
Wimpfeling avait avancé en 1509 que saint Augustin n'avait pas 1

porté l'habit des Ermites et révoqué en doute l'authenticité de deux


sermons, le jeune moine, ressentant personnellement iouti-age fait
tï son ordre, accable Wimpfeling des pires invectiv<'s " Je voudrais :

que Wimpfeling. ce discoureur, ce zoïle de la gloire des Augnstins.


lût ces deux sermons, mais il faudrait qu'il rappehVt d'abord à lui sa
raison qui est partie bien loin par l'eiret de son entêtement et de sa
jalousie, et (ju'il mît une paire de lunettes (3) devant ses yeux de
taupe '
V ... Pourquoi donc toi, un vieillard, larve frénétique, accuses-
tu Uniques.' l'ourquoi te mèles-tu de corriger l'Église d«' Dieu (ô ? .

I i).-r., IM. \<. lur,.

2, Simili (iiiK rilule aginihn Thomislr, Scnlixlr cl alic série, i/ui srripta et vcrhn
suoruiti aulhorum iln drfenfliinl, ul spiriluiii n<in snlnm rohlevinanf (/urrrrc, srd cliniii
nimio vciieralioiiis zrlo crlitKjutnil, satis firbilifiH. \i vciIki ttiiilnni Irnituil, >iifnii sine
spirilii. F. IG.").

(3) Les liinoUcs (talent bonnes


i4) Ji >r>T, I. I.. p. (m.
:>,l t'f. Jll.MI l.l -Pxol IKIl. II. 42.'i.
LK COM.MLMAllU-: Di: Ll IIIKU SUR LKPITIU-: AIX HUMAINS. 101

Voilà donc l'Église de Dieu engagée dans cette petite querelle !

Hac stultitia digladiantur professores reUgionum de suis palriar-


c/iis, écrira plus tard Luther dans le Commentaire (1). On peut donc
croire que saint Augustin lui fut spécialement cher
« fonda- comme
teur » de son ordre. La doctrine de saint Thomas, cela regardait les
thomistes.
Et si Luther l'avait coimue,
leùt jugée beau-
il est pr()])able qu'il
coup trop rationaliste, car elle se préoccupait d'accorder la raison
avec la foi, alors qu'il était en train de dresser la foi contre la raison.
Quoique les circonstances de cette passion pour la mystique, poussée
jusqu'au mépris de la théologie scolastique, soient encore obscures,
il une part à l'influence de Tauler. Le P. Denifle,
faut certainement faire
qui connaît si mystiques allemands, n'a point été empêché
bien les

par l'esprit fraternel de montrer combien ce grand mystique de


l'Ordre de Saint-Dominique était peu constant avec lui-même (2).
Tauler plut certainement à Luther comme allemand, il le crut l'au-
teur de la théologie -allemande qu'il allait publier (3). Nous pouvons
bien dire, ce que le P. Denifle n'a sûrement pas soupçonné, qu'il y a
beaucoup d'esprit allemand dans cette afiaire.
L'âge d'or du moyen âge avait conscience de s'éclairer par la théo-
logie spéculative et par la mystique; mais la mystique reflétait la
théologie, comme la lune reflète le soleil. Peut-être cette comparaison
ne rendait-elle pas justice aux lumières propres très réelles et très
précieuses de la mystique. Quoi qu'il en soit, le divorce partiel du
XV'' siècle fut un grand malheur. Avec Luther, c'est la mystique seule,

et une fausse mystique, une mystique de quiétisme qui se dresse


contre la théologie. Nous ne citerons qu'un texte, tiré du Commen-
taire Capaces aiitem tune sumus operum et consiliorum eius, quando
:

iiostra consilia cessant et opéra qiiiescunt et efficimur pure passivi


respecta Dei, tant quoadinteriores quam exteriores actus (V). Presque

aussitôt après, Luther cite Tauler : De ista patientia Dei et sufferentia

vide Taulerum, qui pre ceteris hanc maieriam preclare ad lucem dédit
in lingua teutonica (5).
C'est bien la théologie allemande qui entrait en scène.

(1) F. g. 83.

(2) Demfle-Paolier, III, 128 ss.


(3) En 1516, cf. Demi lf.-Paol'ier, III, 128 et noie 2.

(4) F. 203.
(5) F. 205.
102 REVUE BIBLIQUE.

jll. — Lv XOUVKLLK DOCIIUNK KT K El'JTUE ATK IIOMAINS.

Luther ne le premier moine qui revendiquât les droits do la


lut pas
grâce contre empiétements de la nature, qui attaqu.U la philo-
les

sophie au nom do la simplicité de la foi, qui tînt en suspicion le sens


propre, qui déiionçAt le péril do la conlianee en soi. S'il s'en était
toiiu là, il eût sans doute, avec son emportement et la confusion de
son esprit, franchi les limites de l'orthodoxie, il eût essayé de con-
duire les âmes dans los voies dune mystique quiétiste. L'Kulise
serait-elle intervenue"? eùt-il cédé? questions oiseuses. Ce qui est cer-
tain, c'est que sa doctrine serait demeurée dans le vague d'une mys-
tique allomande; il lui aurait manqué une doctrine théologique nette-
ment aflirmée et en môme temps un point d'appui pour la résistance,
car il prétendit fonder son système sur l'Écriture, et opposer la parole
de Dieu à une tradition dévoyée par les disciples d'Aristote. Ainsi il
devenait, en même temps que le champion de la grâce, le héraut
de la vérité et de Dieu.
C'est le commontaiie de l'Epître aux Uomains qui est son point de
départ et son point d'appui. Le vague instinct d'une conciii)iscence
péché originel qui habite
invitjcible devient l'aflirmation qu'elle est le
en nous, malgré le baptême. Du morne coup, la grj\cc n'est plus une
réalité, mais, pour éviter le désespoir, Luther croit trouver dans I*aul
la justice imputée. Comme mystique, il prêcliait désespérément l'hu-
milité, qui suffit à tout, qui est le meilleur gage du salut. A cotte
notion trop négative, il substitue celle de la foi, prin(i[n' do vie. «[ui
est ccrtainomeut dans Paul, et qu il ne sait d'abord trop comment
entendre. Le dernier terme de son développement sera la cerlilude do
la justilication et môme du salut. .Mais sa notion de foi est encore
trop vague pour servir de base à la certitudt;. Le Commentaii-e est
donc indécis, penchant davantage vers l'incortitudo, que le mystique
avait surfout pour- but d'inculquor. C'immcnt Luther a-t-il \u tout
cela dans saint l*.uil
.'

Il est malliciireuscmout très dillirilc de le diir, puisipii! chortho.


(pi il tàloinir, (pi il 11 ai ri\c (pio prii ;i peu a (les expressions nollos et
loimos. Et c<'S hésitations elles-niènies sont la {U'ouvo (jn il ne [)art

pas d'un système arrêté, à retrouver bon gré mal gré dans saint
F*aul. Mais il n'hésite pas de nn-me manière sur tous los points.
la

Quoirpi il ait do plus en plus, mêmeau cours du (Commentaire, insisté


sur l'inoaparité et sur les mainaisos inclinati(Uis de la nature, c'est
l.E COMMENTAKU: DE I.UÏHEU SLll L'EPITRE AUX ROMAINS. 103

sur ce point qu'on trouve le moins de contradictions. Son idée domi-


nante est que la corrompt toujours, quoi qu'on
concupiscence la

fasse. Après le sacrement de pénitence, il n'y a rien de changé.


Après le baptême, il n'y avait rien eu de changé non plus. Autant
dire que la nature est toujours viciée par le péché originel. L'iiomme
est pécheur, il f.iut qu'il se le dise.

Telles sont, croyons-nous, les pensées fondamentales dont vit Luther


quand il aborde FÉpitre aux Romains. Elles peuvent se résumer dans
ce mot il est impossible de parvenir à la justice il n"y a qu'à recon-
: ;

naître sou impuissance, admettre qu'on vit dans le péché, et solliciter


la miséricorde par cet aveu, ("omment concilier cette doctrine déso-
lante avec celle de l'Apôtre?
Ce n'est rien moins qu'une antithèse, si l'on va au fond des choses,
car d'après l'Apotre, le chrétien est transformé par le baptême.
S'il condamne d'une façon si absolue le judaïsme et le paganisme,

non sans tenir compte des exceptions, c'est pour mettre dans une
opposition plus complète les temps anciens et l'Évangile, la tolérance
patiente de Dieu et sa justice accordée. A prendre la situation an-
cienne sous son aspect le plus favorable, le judaïsme, elle était encore
profondément triste. Le péché d'Adam s'était répandu dans toute
l'humanité; loin que la Loi ait été un remède, elle n'avait fait qu'aug-
menter le nombre des transgressions en multipliant les commande-
ments. La volonté n'y trouvait aucune ressource, se révoltant plutôt
contre le précepte, de sorte qu'elle se laissait aller au mal. Mais avec
transformé. A cause de son sang versé pour nous.
le Christ, tout est
Dieu pardonne à ceux qui croient en lui. Par la foi, par le baptême
qui en est la démarche extérieure, on est uni au Christ. Si par la
faute d'Adam les hommes ont été constitués pécheurs, par la grâce
du Christ ils sont constitués justes. Le changement qui s'opère dans
l'âme est si profond comparé
mort suivie de la vie. Il y a
qu'il est à la
donc chez un réef principe de vie, qui est la charité que
les chrétiens
Dieu a pour nous, répandue en nous par l'Esprit-Saint qui nous est
donné. Assurément Paul ne se sert pas des termes d'Aristote; il ne
distingue pas Tàme de ses puissances, ni la charité, vertu infuse dans
la volonté, de la grâce sanctitîante qui se greiîe sur l'âme. Mais il

aftirme que le chrétien est désormais mort au péché, et par suite affran-
chi de la Loi de Moïse. Et par la Loi. Paul n'entend pas seulement la
loi cérémonielle; non, il s'agit bien de toute la loi, même morale, en
tant quelle constituait un régime distinct. Bossuet l'avait très bien
compris : « C'est donc donnée à Moïse, cette loi si
cette loi sainte du
Décalogue, que l'Apôtre appelle ministère de mort, et par conséquent
104 REVLE BIBLIQUE.

la lettre qui tue (1). - .M;iis r.Vpr)tro n'avait pas, pour autant, renoncé
à la morale éternelle. Il l'envisageait désormais comme une loi nou-
velle, la loi (le la nouvelle alliance, la loi de la charité. Ses exii;ences
ne pouvaient que dépasser celles de la loi ancienne, mais désormais
le chrétien savait y satisfaire en obéissant à l'Ksprit dont il était
animé, (alertes le péché n'avait point renoncé à la lutte. Il semble
même, à lire J*aul, qu'il avait encore cpielque point d'appui dans la
chair luttant contre l'esprit; mais il n'était plus le maître, il ne domi-
nait pas. (hi était en somme délivré du péché, pour passer au ser-
vice de la justice (Kom. vi, 18).
Comment Luther a-t-il pu aboutir, en se servant de saint Paul, à
un résultat diamétralement opposé?
Le vice radical de son argumentation est le défaut de sens histo-
ri({ue. 11 n'a pas tenu compte de la situation concrète dans laquelle
l'Apùtre s'était placé. Toutes ses paroles s'adressent à lui, Luther,
moine augustin, profondément pénétré du danger et de la puissance
de la chair. Tout ce que Paul dit de l'impuissance des «euvres pour
parvenir à la justice, le moine le sent intimement; il n'est (pie trop
convaincu par son expérience personnelle. Cette lutte tragique de la
volonté avec le péché qui habite dans la chair, combien de fois ne
l'a-t-il pas éprouvée? C'est donc bien le péché (|ui liabite en nous.

Uu on ne lui dise pas que Paul a parlé de l'homme avant qu'il


ait été régénéré par la grAce. Non, saint Augustin a fini par renoncer
à cette explication. Il s'agit bien des fidèles, des chrétiens baptisés.
(^est ici, à n'en pas douter, un point capital pour Luther. Aussit(M
que sa doctrine apparaît clairement, il renvoie au ch. vu ri). Quand
il arrive à cet endroit (vu. 7 ss.), il pose nettement que, d'après
Augustin, r.\p(')tre parle ici in porsona sua rt spirilintlis Ikdhiuis, et
nequaquwn in persona tanttim ((irnalis. Or ce n'était pas poser la
(juestion sui' le tei-rain historique, c'était la transposi'r. Luther se
donnait beau jeu. .Manifestemr'nt l'Ajx'ttre ne [)arle pas comme un
homme absolument abandonné au péché, (xnix-là ne se préoccupent
pas d'observer la loi. Ceux qui sentent en eux-mêmes la lutte entre

le bien et le mal, (pii s'affligent de céder au mal, ont ([uelque peu de

borme volonté. L'opposition est entre la raison et la chair, dans


l'ordre natiiirl. L'argument qui abaisse l'oi'dre de la naluic devant
celui de la grAcc ne pouvait étie s(''iieu\ d efficace (ju en rendant
justice ,'iil\ birilières rie \,\ faison, (pi en liii.iiil cornple d(* I.i voiv de

(1) Premier sermon pom \o jour ilr l.i PenledMc, d .i|iri'^ Il (or. m. T.
'•'
F. l'>r, s.
LE COM.MENTAlKi: lit: Ll TIIKR Sl'll I.IilMTIΠAUX ROMAINS. \0o

laconscience s'inspii'aiit de la raison. Lutliei' l'avait fait au début du


Commentaire, et plus d'une fois il avait parlé de la syndérèse (1),
qui signifie pour lui le diclamcn de la conscience naturelle. Mais à
mesure ([uil avamjait, il était davantage persuadé de la corruption
absolue de la nature, qui pèche même dans les bonnes œuvres. A
plus forte raison, l'homme qui n'a pas l'esprit de Dieu est-il profon-
ilément enfoncé dans la cliair; il n'y a pas de milieu entre l'homme
spirituel etFlionnue charnel, ou plutôt l'homme spirituel est des-
cendu d'un degré, c'est lui qui éprouve cette impuissance de la
volonté, qui, d'après l'Apùtre, était le fait de la nature non régé-
nérée.
C'est ainsi que Luther accumule pour prouver sa thèse douze argu-
ments qui supposent tous le même principe. Us ne seraient démons-
tratifs que s'il fallait opter entre l'homme spirituel et l'homme com-

plètement asservi au péché qui ne lutte même plus.


Voici le premier argument Prinuim quod totus ille textus expresse
:

indicdt gemitum et odiiim contra carnem et dilectionem adhonum et


ad Icgem, Hoc auletii carnali hornini nullo modo convenit, qui polius
odil legem et ridet ac sequitur carnem per prona (2). Avec beaucoup
de hardiesse, et non sans clairvoyance psychologique, il affirme qu'il
est spirituel celui qui s'écrie : Ego autem carnalis stun (vu, l't): car
ce cri n'est pas le fait de celui qui s'abandonne au péché.
Mais il y avait des objections. Et d'abord comment l'homme spiri-
tuel peut-il avouer qu'il fait le mal qu'il ne voudrait pas faire? Non
enim quod bonum, hoc ago, sed quod odi malum, illud facio
volo
(vu, 15). Le texte est formel Sic enim humano sensui verba et us so-
:

nant (3 Mais un sens littéral qui n'est qu'un sens humain ne saurait
i.

arrêter un exégète qui se prévaut de l'esprit! Le spirituel n'agit pas


aussi facilement qu'il le voudrait, et surtout il ne peut pas agir aussi
bien, rien de plus. La distinction d'Augustin entre facere et perficere
vient fort à propos pour résoudre la difficulté (i).

Et si l'on objecte encore que l'homme spirituel ne peut être en


même temps juste et pécheur, ce n'est point une difficulté pour
Luther: il s'appuie au contraire sur ce texte où Paul parle du pécheur,
et qu'il entend de l'homme spirituel, pour établir victorieusement
son antinomie :Sic enim fit communicatio idiomalum, quod idem

(1) F. 19, 75, lli; cf. 184. 11 a même avec raison rejeté comme violenta l'explication
de saint Augustin qui entend le naturalitcr de ii. 14, des gentils convertis, F. 41 s.

;2) F. 169.
(3) F. 171.
(4) Nous avons vu plus haut qu'elle se Iieurte au texte grec.
lOG lŒVUE BIBLIQUt:.

homo est sp'nitualis et earnalù, lustits et peccalor, bonus ei malus.


SicKt eadem persona Clwisti siinnl mortua et riva (Ij...

Et, en ciret, Lutliei' tient enfin sa preuve, (]ue la <()ncii[>iscence est


bien le péché qui demeure comme péché dans le chrétien /m/ir aif- :

teni iam non rgo operor illitd, set/ t/uod habitat in me peccalnm
,Mi, 17). Voilà qui est clair. Et les théologiens ne s'y seraient pas

trompés s'ils n'avaient été entraînés en préférant Aristote à saint


Paul : Nonne ergo fallax Aristotelis metkapliijsica et philosophia se-
cumhiui traditionem htimanam decepit nostros Theologos? Ut t/tda

peccatnni in baptismate l'el penitentia aholeri noriint, absurdum ar-


bitral i siint Apostohim dicere : sed <juod habitat in me peccatwn...
hfitur peccatum est in spirituali Iiomine relictiini ad exereitiiun <jra-
tie, ad hamililateni superbie, ad repressionem presnmptionis; (/uod
«/ui non sedule studuerit expugnare, sine dnbio iam habet., eliamsi
nihil ampliîis peccaverit, unde damnetur (2). L'opposition à saint
Paul est flagrante : le chrétien baptisé est encore, d'après Luther,
exposé à la damnation. Or le chapitre viii de l'Épitre commence par
ces mots : Nihil ergo nunc damnationis est iis qui snnt in Christ
lesii. Dans les scholies, — si abondantes sur vu, 7 ss., — pas un mot sur
ce ])assa,ee. Dans la glose marginale, rien ; dans la glose inlerlinéaire :

Nihil ergo nunc damnationis Hcel non nihil ppccati, ut dictnm est,

fjiiia " carne serriunt legi peccati », ce (|ui maintient la doctrine nou-
V(dle, en évitant une opposition trop ci'iante.

Nous avons tenu à placer dans son contexte le texte qui a l'ait une
si grande impression sur Luther. Peut-être, selon son expérience, était-il

seulement enclin à conjecturer que le péché demeure et a-t-il été


fixé dans son oi)inion par le texte; peut-être était-il déjà convaincu

de la [persistance du péché, où il n'aurait pas reconnu, sans ce texte,


le j)éché originel. Quoi (ju'il en soit, c'est bien à ces paroles <ju il

renvoi*' d'avance au moment de préciser sa théorie, après avoir


expliqué les sept premiers versets du ch. \\ : Non tuntnni hic locjuitnr
de peccatis in opère, vcrbo et cogitationc faclis^ sed et do fomite, ut
infra 7 : « no/t rgo, sed guod habitat in mr peccatum ». Kt ibidem
appeUat ipsum « passiones pcccatorum » i. e. dcsgdcria, a/fectionrs
ri inilinationrs ad peccata, t/uas dicil operari fructum morti. Krgn
fil iiiali' sicul (I ihcologis vocatur) rmus est jtrrc<ilum, i. c itpus

fi fructus percati, peccatum aulrm ipsu passif/ fomes et concupi-


scentia sive jironilas ad maluni et fli/ficultas ud lunium, sicut infrti :

« Concupiscentiam nesciebam esse peccatum. »

(1) V. 17?
(2) r. I-
LE CO.MMENTAIRi: DE LLTIIEU SLR L'EIUTRE AUX ROM\L\S. 107

Il beaucoup d'aplomb ou de légèreté pour résumer le ch. vu,


fallait

7 ss. par ces mots


« concupiscentiam nesciebam esse peccatum ». Mais
:

il l'aut avouer que le texte qui a tant fra[)pé Luther était emliar-

rassant pour ceux qui rinterprétaient de l'iionime régénéré. Selon la


grande manière des exégètes catholiques, de ne point sacrifier une
vérité reconnue à ce qu'on croit personnellement être le sens d'un
texte, Augustin avait maintenu énergiquement le principe que le péché
originel est remis par le baptême. Quant au texte, il l'avait résolu
par à 23eu près, concédant que Paul nomme la concupiscence péché,
([uoique dans un sens impropre Concupiscentiam car/iis cohiberi :

apostoluspraecipit, nec regnare permittil, eamque peccciti nomine ap~


pellal, quia et\de primo peccato originem ducit, et quisquis eius
motibus ad illicita consenserii, peccat (1). Ailleurs, il s'était efforcé

de préciser autem quaeratur , quomodo ista concupiscentia carnis


: Si
maneat in regenerato, in quo iinicersorum facta est remissio pecca-
torum... ad haec respondetur, dimitti concupiscentiam carnis in Bap-
tismo, non ut non sit, sed ut in peccatum non impulelur (-2 C'est .

d un génie corapréhensif, qui ne perd pas de vue les points essentiels,


<'t qui refuse de se laisser entraîner trop loin par une vue person-
nelle, comme l'identification de la concupiscence avec le péché qui
perce encore trop ici, puisque, en définitive, ce nest pas la concu-
piscence qui est remise dans le Baptême. Luther au contraire tombe
du coté où il penche, il ne voit plus que l'identification du péché
originel et de la concupiscence, et puisque la concupiscence reste, le
péché reste aussi. Par une falsitication hardie, il prête cette opinion
à saint Augustin : Sed S. Augustinus preclarissime dixit (<. peccatum
1
concupiscentiam \
in baptismate remitti, non ut non sit, sed ut
non imputetur » i
:V.

(1) Opus imperf. contra Julian. (429-430^, II, C, 226. cité dans Demile-Paquier. III, 30.

(2) De nupt. cl concupisc. i, c. 25. n. 28, D.-P., III, 11 ss.


(3) F. 109. On voit l'énorme importance de ce fait. Denifle 'D.-P., III, il ss.) a niontré
admirablement 1° que Luther a pris, sous des termes analogues, le contrepied de la
:

pensée d'Augustin; 2-; qu'il connaissait parfaitement le vrai texte qu'il a commenté comme
tout le monde dans ses gloses de Pierre Lombard (1510-1511); .3"; qu'il s'est obstiné en
citant désormais toujours à faux; 4°) que Mélanchton a complété la falsification. Mais
Denifle, citant d'après le ms. du Vatican, n'a pas écrit concupiscentiam que ce ms. n'a-
vait pas. le copiste ayant omis de transcrire ce mot ajouté en marge. Ficker (I, p. xli) a
osé dire que ce petit mot fait tomber en pièces l'attaque passionnée de Denifle. M. Pa-
quier a très bien répondu qu'il ne change rien (III, p. 17!. Je pense que la correction de
Luther prouve qu'il a relu Augustin. Un ne peut donc pas l'excuser sur une erreur de mé-
moire. La falsitication demeure et parait ainsi plus volontaire. S il laisse les deux mots,
c'est que peccatum =
concupiscentia. Aurait-il donc cité Augustin contre son propre
svstème .'
lOS REVUR lilHl.lnl E.

Si le haptème, est-ce donc ([ii'il ny a lieii


péché (Iciueure après le

de changé? I.uther n'ose le soutenir, au jiioiiiciil où il commente h^s


textes paulinitMis, mais il a trouvé une échappatoire des plus iiig-é-
nieuses, ou plutôt, il pose le fondement de toute sa doctrine morale :

le péché n'a pas été enlevé, c'est dans l'ànie que le cliangement doit

se produire, non pas, comme le veulent les scolastiques, par une


mystérieuse transformation, mais par une résolution plus énergique
de combattre la concupiscence. Ainsi, sans paraître s'en douter,
ayant l'air de combattre les doctrines trop humaines des philoso-
phes, Luther fait disparaître l'effet surnaturel, la réalité divine pro-
duite dans VCnne l)aptisée dans le Christ pour renaître avec lui. Tout
cela est censé l'exégèse cet important ch. vu, où Paul
du début de
ex[)lique comment mort à la Loi. Notez bien, dit Luther
le fidèle est

avec insistance, que ce n'est point le péché quiest remis c'est l'homme ;

qui est mort. Et pour le mieux faire comprendre, il ne recule devant


aucune subtilité. Ce passage est décisif pour avoir une idée de son
exégèse : Corollarium : Modits lof/ue/tdi Apostoli et modus metlia-
phijsicus scumoralis suni conlrarii. Quia apo.'<tolus loquitur, lUsigni-
ficet I
sonct \
rémanente
Iiominem potins relut aitfci'ri peccato \

relicto et lioniinein e.rpjurcjari a pwccato


I
potiusquam o contra. \ \

Humanus aiitetn sc/isus c contra peccatum auferri hornine manente et


lionnnem potius purgari loquitur. Sed Apostoli sensus optime pro-
prius et per/ecte divinus est. Sic enim et Scripturaps. 80 : « Divertit
ah onerihus dorsum eiiis ». Xon ait : divertit ancra a dorso eius (1).
Passons sur ce littéralisme puéril. Luther ne se considère pas moins
comme arui»' dune machine très puissante contre les lusliliari Et il .

avait raison.
Avec son bon' sens latinisé, le P. Denille a fait remarquer ([u'en
réalité lAme ne meurt pas dans la justification, et que c'est précisé-
ment dans le système de Luther qu'elle n'est point réellement chan-
gée (2;. Qu'importerait à Luther? Il se moquait des contradictions,
nous le savons; il y voyait le sceau divin de sa doctrine (3). Et, sur le
point qui nous occupe, il eut sûrement conscience d'avoir trouvé un
principe nouveau, celui que les protestants opposent aujourd'hui
encore aux cathoLuiues, la réforme morale de la volonté, substituée

à l'action qu'ils disent magique de la L:rAce. Quel intense pclagianisnie


devait sortir de cette doctrine, Luthei* ct;i)endant ne s'en doutait pas.

1 r. l'.'i.

2) \) I'.. ni, 319 ss.


(3) D.-P.. III, 22.1. 305.
LE CôMMKMAlRK {Mi LLTlIKll SIH L i;iMTl\i: ALX llOMMNS. 109

qui croyait combattre le sens humain et des arguties métaphysiques :

Quare patet, t/uod >ipiritualiter peccalutn auferri i. e.vohintatem pec-


candi niord/icari inlclligit Apostoliis, illi autem molliaphysice opéra
peccali ot coiuupiscenlias voliint auferri, sicut a jiariete albedincm et

ah aqua caliditatem (1). Quel théologien prétendait que la grâce sanc-


tifiante faisait disparaître les concupiscences comme avec la main?
Mais quand il rencontre un terme philosophique, il voit rouge et
sVmporte, au lieu de chercher à le comprendre. 11 s'imagine que
l'iufusion de la charité fait tort à ce changement moral qu'il a mille
fois raison d'exiger, mais qui sera plus aisé et plus complet sous
l'influence de la grâce, et il s'écrie Maledictum vocahulum istud
:

« forinatum », quod cogil intelligcre cniimam esse velut eandem post

et ante charilatem ac velut accedente forma in actu operari, cum sit

necesse ipsam totam morti/icari et aliam fieri, anlequam charilatem


iiiduat et opereturi (2)
Dans mots il y a un trompe-l'œil. Daprès la nouvelle
les derniers
doctrine la mortification ne devait être complète quà la mort. Si bien
qu'il n'était pas aisé d'en voiler l'opposition avec la doctrine de Paul.
Le ch. VI qui décrivait incontestablement le nouvel état, offrait plus
duQ endroit scabreux pour la nouvelle exégèse. Quand Paul dit que
les chrétiens sont baptisés in mortem, unis dans le baptême à la mort
du Christ, Luther explique /. e. ad mortem, leur propre mort; cest
une manière de reculer Téchéance hoc est, inceperunt agere, ut
:

mortem istam assequantur et hanc metam suam attingant (3\


En réalité, la mort au péché est renvoyée au moment de la mort.
Comment donc entendre qu'on est mort au péché, qu'on vit pour
Dieu? Il faut nécessairement atténuer les expressions pauliniennes :

Quia omnes isie propositiof/es : mortuum esse pecato ; 2. vivere aiite)n


Deo; 3. servire mente legi Dei et carne legi peccati (vu, 25), non est
aliud quam non consent ire concupiscentiis et peccato, licet peccqtum
maneat. Idem est j, peccatum non dominari, non regnare, sed 5.
iustitiam regnare, etc.
Pour ces deux derniers cas, Luther semble avoir un fondement plus
solide dans le texte de l'Apôtre. Si le péché ne doit plus dominer,
régner vi, 12. iii, si nous ne devons plus le servir (vi, 6), il existe
donc encore? Il n'est plus le maître, il est vrai, mais il est là. Pour
dire ici toute ma pensée, il serait plus conforme au concept de Paul

(Il F. 164
(2; F. 167.

;3; F. 155.
110 KEVUE niBLlOLE.

de ne point dt'signer spécialement ici le péché originel. Je suis bien


que les tliéologiens n'auront garde de parler après le baptême du
péché originel. Ils diront qu'il ne subsiste que comme concupiscence.
Mais si Paul emploie le terme de péché, pourquoi ne pas l'entendre au
sens propre? Luther s'est obstiné à refuser toute distinction. Il n'au-
rait pas même une
apparence de raison, si l'on ne disait pas que le
péché habite encore dans l'homme sous une fonction quelconque. Et
il n "y a aucune raison de le dire si l'on entend vu, 7 ss. de l'homme

non régénéré. Il y aurait grand intérêt, pour une exégèse tout à fait
exacte, à ne pas préciser ce que l'Apùtre a laissé dans un certain
vague.
Le péché, d'après lui, est quelquefois le péché originel, d'autres
fois le péché actuel ; mais, quand il est question comme ici de régner,
de dominer, de commander, il est personnifié comme un être qui
aurait son existence propre; c'est presque un principe du mal, un
démon qui chercherait à établir sur nous son empire, en se servant
naturellement de ce qui reste encore de charnel, mais non de pecca-
mineux en nous. Le péché est toujours présent, et menaçant, mais du
dehors.
Tandis que pour Luther, c'est bien le péché originel qui demeure,
et il a conscience de s'écarter sur ce point de l'opinion des théologiens :

(lue ciim lia siiit, ant erjo nwitpiam inlelle i i^ aut non benc sntis de
peccato et rfratia thcologi scolastic? sufi/ loculi, qui originale talion
auferri somniani sicnt et actuale, quasi sint quedani aniovibilia in
iclu oculi, siciil ténèbre per luceni, cuni, antiqui sancti patres Aurju-
stiniis, Anibrosius mullum aliter sint locuti ad moduni Scripture, illi

aulem ad modum Aristotelis in Etldcorwn, qui peccata et iustitiam


collocavit in opéra et eorum pnsilionem et privalioneni simililer {i).
La confusion ne pouvait guère être poussée plus loin. Que vient
faire ici Aristote et où dit-il que les péchés disparaissent en un clin
d'œil? mais Luther tenait à son contraste : d'un coté l'Écriture et les

Pères, de l'autre Aristote et les théologiens I

Aussi, pour pénétré qu'il soit personnellcuKMit du s(^ntimont du


péché, quoiqu'il fasse aussi appel à l'expérience, Luther affecte de
regarder l'exisfenco du péché originel en nous comme une vérité de
prouvée par l'Écriture, et qu'il faut croire, même contre le témoi-
foi.

gnage de la conscience. Cela est dit dès le dehut i'Jsi ims nulluin :

pfrralum in nobis agiioscjunus, credere larnen oporlet, quod sumus


!»<•( I ntnic^. . . soin fidr ( rcdriiduni est /los rssr prccdtorrs. quia non est

(1) F. ION.
LE COMMIlMAIUE de LUTHER SUR LÉPITRE AUX RO.NLVINS. lit

nûliis manifestum, immo sephis non vidennir nobis conseil {{). Et il

(loniie pour preuve (juelques textes scripturaires. Ce point lui tient


tellement à cœur qu'il y revient à propos du péché originel. Ideo
omnes in iniquitale i. e. iniustitia nasciniKt', jnorimur... et il ramasse
les autorités de iKcriture qui prouvent que tous sont dans le péché.
Il est inutile d'indiquer ces douze arguments. Pas un seul n'a trait
au péché originel. Et que l'homme doive se confesser pécheur, per-
sonne ne le niait.
Quoi qu'il en soit, Luther est hien persuadé que sa thèse principale
sappuie sur l'Ecriture et sur les Pères, représentés par saint Augus-
tin dont il a mal cité le texte principal.
Mais le péché est corrélatif de la justice. Si l'homme est pécheur, si
le péché originel demeure en lui, il n'est pas réellement juste. La
conciliation des contradictoires ne peut aller jusque-là. Luther avoue
que ce point préoccupa beaucoup. Comment pouvait -il se croire
le
pécheur, lorsque la confession avait enlevé son péché? Si le péché
demeurait, comment était-il justifié? La solution rendrait jaloux le
plus subtil scolastique le péché était remis » sans être « enlevé »,
: *<

si ce n'est en espérance, et pour employer un autre terme, il n'était

pas tenu pour péché, il n'était pas imputé : Ita mecum piignavi,
nesciens, quod re?7îissio quideni vera sit, sedlamen non sit ablatio pec-
cati, nisi in spe, i. e. auferenda et data gratta, que aiiferre incipit, ut
non imputetur ammodo pro peccato. Le péché n'est pas imputé! For-
mule importante, car elle est biblique Beatus vir oui non imputavit :

Dominus peccatwn (Ps. xxxii, 2 Il tient donc, avec un texte scriptu-


.

raire, le principe qui le distingue de ses adversaires, les iustitiarii :

Illorum vo.r et doctrina est : iustus est, qui hec et hec fecerit ; istoruni
(c'est de lui qu'il s'agit) auteni hoc : iustus est, « cui Dominus non
imputât peCcatmn La conséquence avait de quoi faire frémir le
» (2).

plus intrépide il fallait donc que Dieu tint pour justes ceux qui ne
:

le sont pas? Luther ne recule pas devant ce paradoxe Sancti intrin- :

sece sunt peccatores semper, ideo extrinsece iustificantur semper, Hi-.


porrile autem intrinsece sunt iusti semper, ideo extrinsece sunt pec-
catores semper (3).
Pour voir une vue géniale, il faut mettre carrément le génie
ici

hors des règles du bon sens. Rien de pénible comme de voir Luther
s'embrouiller dans ces notions d'intrinsèque et d'extrinsèque. Intrin-

(1) F. 69.
(2) F. 104.

(3) F. 104.
il2 HEVUE iJlBLIQUE.

sèque devrait sigailîcr la réalité qui est à liatérieur de riiomme mais ;

puisque tous ont eu eux le péché? alors le mol est pris dans un dou-
ble sens; il signifie 1° en réalité, 2° à nos propres yeux Intrinsece dico :

i. c. quomndo in nobis, in jiostris ocft/i<, in nostra cstinialione sunius.


Et cet cunemi de la scolastique fait appel pour prouver sa thèse à la
naturel relalivor^on, à la vis et nécessitas l'claiionis! Pour ceux qui
sont justifiés, cela va encore; ils sout pécheurs intrinsèquement, jus-
tifiés apud Dcum et in reputaliune eiiis. Mais pourquoi pas tout le

monde? Parce que les hypocrites — entendez ses adversaires, les

iustitiarii — sout justes à leurs propres yeux, donc intrinsece [!) iusti,

et alors pcr vim et necessilateni relalionis siint exirinsccc ininsli


{i. e. repulalione Dei) (1).

Si l'on fait abstraction de celte logique de mauvais aloi, on a que


les pécheurs sont justifiés lorsqu'ils reconnaissent leur péché, c'est-
à-dire que l'humilité est la cause de la justification. Or, comme Luther
ne parle pas de grâce actuelle, ce défenseur de la grâce aboutit à
une justification pélagienne. Il est vrai qu'elle manque de réalité.
La contradiction avec saint Paul est entière. L'évangile c'est la
manifestation de la justice de Dieu, et, comme Luther prétendit plus
tard lavoir reconnu le premier, non pas de l'attribut de justice vindi-
cative, mais d'une jusiice donnée aux hommes pour les justifier. Sur
ce point, l'accord de la tradition était absolu. L'exégèse de saint
Augustin ne fournissait même pas l'apparence d'un prétexte pour seu
écarter. Aussi Luther demeura-t-il longtemps fidèle aux formules
catholiques. l*ersonnc ne lui aurait reproché d'opposer la justice de
saint Paul à celle d'Aristote. La justice de Dieu est gratuite, elle vient
d'en haut, elle n'est point acquise i)ar les œuvres.
Rien de plus contraire évidemment à la doctrine d Aristofe, qui
admet que la justice, comme les autres vertus, s'acquiert par les actes.
Les théologiens scolastiques avaient aisément résolu la contradiction.

La justice que nous tenons de Dieu, c'est la justice surnaturelle, celle


qui nous ouvre les portes du ciel. Sans cette justice, on ne j)cut tou-
jours pratiquer la justice huin.iinc. surinul dans les occasions dilli-
«iles, mais enfin, en faisant des Jictes de justice, l'homme acquiert une

certaine habitude de la justice qui laide ;"i la ]M'ati(|uer. Lorstpie les


deux vertus sont réunies, ce qui est le cas normal du chrétien bap-
tisé, la vertu surnaturelle de justice s'exerce plus aisément grAcc à
Ihahilude iialurclle ])ris(;, ou hien cette habitude est plus facile ;"i jiren-
dre. Ilien en cela de contraire à Paul (|ui regarde le haptènie ci>mme

(1) F. lO'é el \()h.


LE COMMENTAIRE DE LUTHER SLR L'EPITRE AUX ROMAINS. 113

mettant l'homme au service de la justice en vue de la sanctification


{Rom. VI, 18 ss.). Mais Luther affecte de ranger les théologiens dans
le camp d'Aristote, comme s'ils n'avaient rien soupçonné de la jus-

tice venue de Dieu. C'est sa première grande découverte. L'opposition


entre la justice de Dieu et celle d'Aristote est posée à propos de i, 17 :

Et dicilur ad diff'erentiam lustitie hominum, que ex operibiis fit.


Sicut Aristoteles S. Ethicorum manifeste déterminât, secundum quem
iiistitia sequitur et fit ex actions. Sed secundum Deutn precedit opéra et

opéra fiunt ex ipsa (1). Les théologiens ne s'exprimaient pas autre-


ment.
A ce moment, Luther semblait encore dire que la justice de Dieu
était donnée à l'homme, puisqu'il fait des œuvres qui procèdent
d'elle [ex ipsa). C'était la doctrine catholique, trop claire, alors
comme aujourd'hui, pour qu'il soit opportun d'insister; si claire que
Luther lui-même en conservera longtemps les termes. Aussi est-il
difiicile de marquer le point du Commentaire où il serait passé de la
justice réelle à la justice réputée telle. D'une part, dès la deuxième
page des scholies il invite le véritable humble à nudam misericor-
diam Dei expectare eum pro iusto et sapiente reputantis , ce qui est
bien la justice réputée telle; d'autre part, même après le Commen-
taire du ch. IV, il se sert encore de la terminologie catholique,
par
exemple quia licet ex Deo iiistificemur et gratiam accipiamus, eam
:

tamen gratiam non merito nostro accipimus, sed est donum (2). Tou-
tefois c'est bien à la fin du chap. m
et au courant du chap. iv qu'il
établit sa doctrine de la justice réputée. Si le terme parait aupara-
vant c'est que déjà sa conviction s'était formée d'après un pre-
mier aperçu. Et lorsqu'il continue à parler comme la théologie
catholique, il faut souvent l'entendre dans son sens à lui. Je ne
crois pas qu'il rende témoignage à la vérité par une contradiction (3),
quand il dit à la fin du chap. iv Mors Christi et mors peccati et
:

mortem suam satisfecit pro


resurrectio eius est vita iustitie, quia j)er
peccato per resurrectionem suam contulit nobis iustitiam. Et sic
et

mors eius non solum significat, sed etiam facit remissionem peccati
tanquam satisfactio sufficientissima Et resurrectio eius non tantum .

estsacramentum iustitie nostre, sed etiam efficit eam in nobis, si eam


credimus, et est causa. De quibus infra latins. Hoc totum scholastici
theologi unam dicunt mutationem : expulsionem peccati et infusio-

(1) F. 14.
(2) F. 149.

(3) Demfle-Paqlier, III, 92.


REVUE BIBLIQUE 1916. — N. S.
114 REVUE BIBLIQUE.

nnn gralic 1). On voit qu'il n'a pas perdu de vue ses adversaires, et
il n'a pas voulu étaler pour ainsi dire sous leurs yeux une contradic-
tion aussi grossière. Ou bien il a ainsi fixé par une note la pensée des
scolastiques, opposée à la sienne, ou, comme je le crois plutôt, il faut
supposer son système à lui, qui n'exclut ni la rémission des péchés, ni
le don véritable de la justice, mais qui les diffère jusqu'au moment de

la mort. Dans le passage que nous avons cité, Luther ne renvoie pas à
une comme le pense M. Ficker (2), mais à une
citation d'Augustin,
théorie où il explique qu'on ne
fort étudiée (3), meurt au péché
qu'une fois, parce qu'on meurt ainsi au seuil de la vie éternelle [k).

Luther a ou la prudence de se réserver cette explication, autrement


il faudrait supposer qu'il n'avait pas conscience de la nouveauté de

sa doctrine.
nous ne pouvons savoir à quel moment précis il
Si est arrivé à la
justice imputée, du moins nous pouvons apprécier les arguments
scripturaires qui l'ont décidé.
Us ne manquent pas d'habileté, et la façon dont il a commenté

saint Paul fait encore loi pour un grand nombre d'exéuètes pro-
testants.
Au lieu d'entendre justifier dans le sens de rendre juste, il le

prend au sens de déclarer juste. Ce n'était qu'un premier pas, car


on devait penser que Dieu ne déclare juste que celui qui est juste.
Mais déjà il avait déterminé un état intermédiaire dans lequel Dieu
n'impute pas le péché. Pourquoi, de la même façon, n'imputerait-il
pas la justice? La première que le mot iustificari se présente
fois

(il, 13), il l'entend : « être reconnu juste », et c'est avec raison.


De même la deuxième fois
U\\, V) où il s'agit de Dieu. Mais déjà il

s'écarte notablement du sens lorsqu'il entend la justice do Dieu de


III, 5 comme la justice (jua inslus est cl nos ins/i/icat. Dans cet
endroit, c'est incontestablement la justice rétributive de Dieu. Et ce
contresens n'est pas sans conséquence, parce que l'acte par lequel
nous reconnaissons la justice de Dieu devient l'acte par lequel il nous

justifie, d;iiis le même sens, c'est-à-dire en nous tenant pour justes :

Illam cnini nos/ra i/ihtsti/ia, si far la fiieril noslra [i. c. agnita et

confessa) eo^nnicmlal, nos en'nn humilid/ et iJco proslernil et eius iu-


stiliam postulat, <jua nccepta Uritm largitorcm glorificamur (.')). Ces

(1) F. 129 s. sur iv, 25.

(2) F. 130, noie 2, renvoyant à p. i;.2. Ii;;ii(' fs.

(3) Appuyée sur un contresens qu'il préfère .i li Viili^alc; voir ci-dessus.

(4) F. 157 s.

(5) F. 55.
LE COMMENTAIRE DE LUTHER SUR L'ÉPITRE AUX ROMAfNS. lir,

derniers termes sounent assez bien. On voit combien, à la dilierence


de la permanence du péché, Luther
embarrassé pour s'écarter est
de la doctrine catholique sur le point de la grâce reçue. Mais il ne
tarde pas à s'exprimer plus clairement sur l'identité des deux jus-
tifications, l'une active, l'autre passive : Per hoc autem « iustificari
Deum » 710S iustificamw'. Et iustiftcatio illa Dei passiva, qua a nobis
iiistificatuv, est ipsa mstificatio nos tri active a Deo. Quia illam fideiii,
que suos sermones iustificat, reputat iustitiam, ut c. 4 dicit (1), Cette
fois nous sommes éclairés. Luther se serait épargné ces développe-

ments à contresens sur la justification active et passive, s'il n'avait


déjà en vue la justice réputée, telle qu'il l'établira au ch. iv.
En attendant, il de reculer sous la pression des textes.
lui arrive
Quand il se fait l'objection de l'Épilre de saint Jacques, ii, de Gai.,
VI, de Rom., ii, il donne la bonne explication des textes de Paul.
13,
En condamnant œuvres, incapables de procurer la justice, l'Apôtre
les

distinguait entre le régime de la loi et celui de la grâce. Il en est


du fidèle et de l'infidèle comme du prêtre et du laïc. Le second a
beau se servir des formules du premier, il ne fait rien de valide.
Au contraire le prêtre, et de même celui qui a la foi, qua iiistificatur
et velut ordinatur, ut sit iustiis ad facienda opéra iustitie (2). De
même si un singe devenait homme, la transformation serait évi-
dente ; la comparaison y a donc encore une
est certes assez forte ! Il

justice réelle, et des opéra iustitie. Le n'était pas venu où moment


l'Épitre de saint Jacques serait tenue pour une épître de paille, et
certains textes de saint Paul étaient encore correctement compris.
Mais au ch. iv la nouvelle doctrine s'affirme dès la glose inter-
linéaire reputatum est illi a Deo ad iusticiam ut per hoc iiistus
:

sit apud Deum. Et ita non est operantis, sed Dei acceptantis fidem
eius ad iustitiam. Et encore qui i\ist\^OQ.t per gratiain. Impium,
:

i. e. qui ex se non nisi i?7ipius est, coram Deo reputatur se. a Deo

gratis fides eius talis credulitas ad iusticiam ut sit iustus coram


Deo (3) C'est ici que se placent les développements dont nous avons déjà
.

parlé sur la justice qui n'est qu'extrinsèque à l'homme. Rien de plus


contraire à la doctrine de Paul. On concède que le sens de justifier,
être justifié, n'est pas toujours le même dans ses textes, mais il n'est
pas douteux qu'il regarde le baptême comme le début d'une vie

(1) F. 65.

(2) F. 85.
(3) F. g. 37. Nous n'insistons pas ici sur l'exégèse du ch. iv dont nous avons parlé dans un
article précédent de la Revue, 191i, p. 494 ss.
Iir, REVUE BIBLIQUE.

réellement sainte. La sainteté n'est autre chose que la justice; toutes


deux naissent et disparaissent en même temps.
Mais c'est ici qu'il faut placer le trait de génie de Luther. Dans
ce vide de la justice extrinsèque il a jeté le Christ. Il est en dehors
de nous, mais il est : notre bien; bien plus il habite ea nous, et voilà
notre justice remplacée : Ideo recte dixi, quod extrinsecum nobis est

omne honwn nostnim, quod est Christm. Sicut apostolus dicit : Qui
nobis faclus est a Deo sapientia et iustitia et sanciificatio et redem-
ptio ». Que oninia in nobis su/tt non nisi per fidem et spetn in
ipsum (1).
Peut-être Luther a-t-il cru de bonne foi ù cette époque qu'il rem-
plaçait un prédicament d'Aristote par la présence vivante et agis-
sante du Christ (2). Oiiclle émotion dans cette expression intime :

Ergo dicanius Deo : quam libenter sumus vacui, ut tu plenus sis


in nobis! Libenter infirmus, ut tua virtiis in me habite! ; libenter pec-
cator, ut tu iusti/iceris in me; libenter insipiens, ut tu niea sapientia
sis; libenter iniusius, ut tu sis iustitia meal (3).
Combien d'àmes religieuses, au sein du protestantisme,
se sont

épanchées de la sorte auprès de Dieu! Encore est-il que ces paroles


ne sont qu'un écho de l'ancienne mystique chrétienne, il faut être
vide de soi pour attirer Dieu, l'humilité est cause à sa l'aroii de la
grHCc. Que Luther y ajoute pour sa part cette exagération qui fait
si

habiter le Christ dans une âme souillée par le péché, cette innovation
est loin de rehausser le Christ comme il le prétend. Sans parler des
raisons de convenance, lEsprit du Christ est vraiment agissant dans
l'Ame fidèle, sa grâce est un don qui la constitue juste : Sicut etiimper
inobedienliam unius hominis peccatores constituti sunt multi, ita et
per unius obedientiam iusti conslituenlur multi (v, 17). Luther trans-
crit ce verset sans l'honorer d'un mot, même d'une glose. Son siège
est fait. Il est t;n possession d'une doctrine : péché non imputé, justice
réputée.
Mais pourquoi la justice est-elle réputée â quelques-uns? A s'en
tenir â ses préoccupations antérieures, la réponse était fournir par
la mysti(|ue. Dieu justifie, c'cst-A-dire répute justes, ceux (jui se re-
connaissent pécheurs. Cette solution vient souvent, et nous en avons
rencontré l'expression très nette. De même Dieu sauve ceux qui s'a-

bandonnent à lui complètement par l'amour h' |tlus pur.

(1) F. \Vi.

(2) lienide lui a reprot lu- un peu lourdfiinonl tic faire du ^hri^l unr i/ii(ilili\ ce «jui

est monstrueux en Ibéolo^ic sculasliquc. Mais l.uUicr s'en moquait.


(3) F. .VJ.
LE COMMENTAIRE DE LUTHER SUR L'ÉPITRE AUX ROMAINS. U7

Mais cet amour si pur ne risquait-il pas de ressembler à la charité,


dont il parle encore avec éloges dans le Commentaire, mais qui pou-
vait facilement devenir suspecte, comme une œuvre et une œuvre
cminente (1)?
VA l'humilité, si elle creusait trôs profondément Tahlme où s'en-
fonce la fausse sécurité, ne risquait-elle pas d'afl'aiblir l'àme par le
découragement? Or il prétendait avoir trouvé une voie royale entre
la fausse sécurité et le désespoir. Il lui fallait indiquer dans l'homme,
en dehors de l'humilité et de la charité, une disposition qui inclinât
Dieu à la justification. Il la trouve dans la foi. C'est le principal
service aux Romains ait rendu au protestantisme, bien
que l'Épître
malgré elle assurément, mais enfin la foi y est certainement donnée
comme la disposition humaine à laquelle Dieu accorde gratuitement
la justification. Cette foi, on peut la définir de plusieurs manières.

Toutefois l'exégèse catholique et aussi l'exégèse indépendante y voient


l'adhésion sincère au christianisme. C'était, à sa façon, une notion
historique; un acte intérieur et qui doit être de tous les temps, mais
qui cependant dans Paul s'appliquait à la manifestation du divin qui
avait été la passion et la résurrection de Jésus. Elle comprenait un
icto intellectuel, l'adhésion de l'esprit à la vérité proposée, et un
acte de en Jésus.
la volonté, l'adhésion à la vie nouvelle
Il que les théologiens, pour plus de précision, avaient
est vrai
distingué ces deux aspects, selon l'exemple de Paul lui-même, dans
l'épitre aux Corinthiens, où tl distingue si clairement la foi et la

charité (I Cor. xiii). Mais entendre la foi comme Paul, c'était la pren-
dre avec la charité, ce que Luther ne voulait pas. L'entendre avec
la précision théologique, ce n'était pas distinguer les chrétiens jus-
tifiés etceux qui ne le sont pas.
Cependant il y a toujours de la ressource quand on prend les con-
cepts dans un sens vague et mal défini. Nous avons vu que Luther
confondait la foi et l'obéissance, étendant le domaine de la foi même
lux conseils d'un supérieur. Et si l'on devait tenir par la foi qu'on
3st pécheur, pourquoi ne tiendrait-on pas par la foi qu'on est jus-

tifié? Ce pas si important dans l'histoire du protestantisme est franchi

dans le Commentaire. Nous y trouvons une première* esquisse de


la foi-confiance.
C'est saint Bernard qui devra servir d'intermédiaire par rapport au

(1) F. 138 : Igitur « Charitas Dei » que est purissima affectio in Veum, que sola
facit rectos corde, sola aufert iniquitatem, sola extinguit fruitionem proprie iustitie.
Elle en faisait tropl il a fallu la réduire.
118 REVUE BIBLIQUE.

texte de saint Paul. Après la glose interlinéaire (vni, 16) : Ipse enim
spiritus sanctus, datas nobis testimonium reddit confortando
fiduciam in Deum..., Luther note en glose marginale Quia qui con- :

fidil forti fide et spe se esse filimn Dei, ipse est filius Dei, quod sine
spiritu nemo potest. Unde b. liernardus ser. i de anniinciatione Domi-
nica (1). Le text^ de saint Bernard est reproduit tout au long dans
les scholies, pour montrer comment le témoignage de l'esprit est
bien la confiance du cœur. Cependant saint Hernard parle d'un triple
témoignage de la foi : tu dois croire que tu ne peux tenir la rémis-
sion des péchés que de l'indulgence de Dieu que tu ne peux avoir ;

à toi absolument aucune œuvre bonne, s'il ne la donne; que tu ne


peux mériter la vie éternelle par aucune œuvre, s'il ne la donne
gratis (2). Certes ces expressions sont assez fortes dans le sens de
la grâce. Mais, tout en étant formulées pour une seule personne,
elles donnent à la foi un objet général. Et c'est pourquoi Luther les

Juge insuffisantes; ce n'est que iniiiutn quoddam et velul funda-


:

mentiim fîdei, de la foi qui sera la sienne, qui n'est complète que
lorsqu'elle est en même temps confiance personnelle, partiiipant à
la nature de la foi necesse est ut spiritus facial te hoc credere, quia
:

per ipsum peccata tibi donantur...


Et cela se soude à la doctrine de l'Apôtre : Sic enim arbitratur
ApO!<tolus hominem iustifcari per fidom [assertive de te ipso etiam,
non tantum de electis credere quod Christus pro peccatis tuis mor-
tuus sit et satisfecit).

Le second point de Bernard est développé de la môme façon non :

siifficil, donec testimonium perhibeat spiritus veritatis, quia habes ea


(les mérites) per ipsum. Et enfin il ne sufiit pas de croire que Dieu

donne la vie éternelle gratis scd testimonium spiritus habeas necesse


:

est, quod ad eam divino munere sis perventurus. Il faut avoir foi

qu'on est prédestiné.


Où est la preuve qui autorise Luther à transporter les paroles de
Bernard du registre de la foi objective dans celui de l'assurance
personnelle, conservant la fermeté de la foi, fermeté due h la parole
de Dieu? Dans saint Paul : Ilec tria clare in Apostolo patent in textu.
Quia dicit : « Quis accusahit adversus electos Dei? » q. d. certi
sumus, quod jteccata nuUa nos accusabunt. Item de merilis : « Sci-

(1) F. g. 73.

(2) Necesse est enim primo omnium credere, i/itod remissionem pccratorum hnbere
non possis nisi per imlulgcnlinm Dei. Deinde, quod nihil prorsus hahere queas boni
opi'.ris, 7n.si et
| hor dedr.rit
| ipse. Posiremo, quod ctcrnam vilam )iuttis potes operibus
promereri, nisi gratis detur et ilta.
F.E COMMENTAIRE DE LUTHER SUR L'ÉPITRE AUX ROMAINS. 119

)nus, quoniayn diligentibus Deum omnia cooperalnr in bonwn >k Item


de gloria eterna : « Certus sum, qiiod nec instantia neque fulura etc.
poterit nos separarea charitate Dei, que est in Christo » (1).
Tout cela, il est vrai, est encore intimement mélangé à l'iclée que
c'est riiuniiiilé qui nous rend agréables à Dieu; elle est donc en
somme le dernier fondement de la foi-confiance. Mais une nouvelle
notion était posée qui devait plus tard agrandir toujours son
domaine. Luther prétendait lappuyer sur saint Paul. C'était, encore
cette fois, par défaut de sens historique. Paul avait en vue la com-
munauté des chrétiens dont Dieu avait préparé le salut, et dont il
était l'organe. Du côté de Dieu, ce salut était assuré; mais l'Apôtre
n'ignorait pas qu'on pouvait perdre l'esprit du Christ (viii, 9). Luther
s'applique à lui-même les paroles dites pour les fidèles, il reven-
dique l'assurance qui leur est donnée et ajoute à la confiance légi-
time du chrétien la fermeté de la foi.

A cette confiance il a donné une expression étrange et qui est


peut-être un trait de race : il faut se ruer audacieusement sur la

vérité de Dieu qui a promis le salut (2).

Toutefois il ne pouvait oublier que son but principal était d'atta-


quer la fausse sécurité même qu'il main-
des juristes. C'est pour cela
tenait le péché. donc à une cote mal taillée. Il faut crain-
Il s'arrêta
dre, mais afin de trouver l'assurance dans cette crainte même. C'est
tout à fait à la fin du Commentaire qu'il se déchaîne encore une
fois contre ceux qui sont en sûreté et confiance, ad qiiod tamen

omnes anhelant miro furore. Sic eni?n per timorem gratia invenitur
et per gratiam voluntarius homo efficitur ad opéra bona. sine qua

invitiis est (3).

Tel est, répétons-le, le message de confiance que Luther réser-


vait à la chrétienté. Mais quand sa doctrine fut attaquée, et qu'il
lui fallut faire front, rua audacieusement sur la confiance'; la
il se
certitude qu'on était justifié était la meilleure preuve qu'on croyait
à la justification luthérienne. Dès lors le mot de foi, qui était celui
de Paul, reprenait tous ses avantages; la foi, et la foi seule devenait
le sentiment fondamental de l'homme en vue du salut.

Le Commentaire offre encore beaucoup de traits intéressants. Dans

(1) F. 197 s.

(2) F. 214 : Ergo in veritatem promittentis J)ei audacter ruât | se transférât \


de
prescientia terrentis Dei \
et salvus et electus erit \
.

(3) F. 324.
1-20 REVUE BIBLIQUE.

la partie morale surtout, à partir du ch. xii, les paroles de TApô-


trc ne sont guère qu'un prétexte à déclamation contre les abus.
On sent que Luther était prêt à les attaquer et à les réformer à sa
manière. Il était conscient de posséder une nouvelle doctrine reli-
gieuse, qu'il se faisait fort d'appuyer sur l'Écriture, en particulier
sur l'autorité de saint Paul. Nous avons essayé de montrer comment
il était arrivé à cette conviction, et que ce n'était pas sans avoir
dénaturé la pensée de l'Apôtre.

Fr. M.-J. Lagrange.


MÉLANGES

REBORDS DE BASSINS CHRÉTIENS ORNÉS DE RELIEFS

{Fin) (1)

Chypre.

[20] Fragment du rebord d'une table ou bassin circulaire.


Fig. (2). Marbre blanc. Larg.
16 du rebord sculpté 0"^16; long.
0'"30 à 0™48. Les reliefs sont limités intérieurement par un listel, au

delà duquel subsiste un morceau du fond qui s'y rattache par une
gorge, extérieurement par un filet suivi d'un cordon de longues
perles et de doubles petites perles alternant.

Sac7'i/ice d'Abraham.

Abraham, vêtu suivant l'usage le plus fréquent et comme sur le


rebord [16] d'une longue tunique talaire et d'un manteau, se diri-
geant à droite, le corps de face. Il pose la main gauche sur la tête
dTsaac, qu'il s'apprête à immoler avec le glaive tenu dans sa main
droite. Isaac, drapé, est agenouillé, les mains liées derrière le dos,
— « ciimque alligasset Isaac filium suiim (3) », — de profil à droite,

(1) Voir la Revue de juillet et octobre 1915, p. 485.

(2)D'après une photographie que je dois à l'obligeance de M. Markides, conservateur du


Cyprus Muséum à Nicosie, que je tiens à remercier également pour les renseignements
qu'il a bien voulu me communiquer.
(3) Le dessin reproduit dans mes Rebords de tables byzantins, p. 8, a
Gen., xxn, 9.

mal rendu sur ce point la photographie communiquée à M. Héron de Villefosse par M. le


major Tankerville Chamberlayne de Chypre seule la main droite d'Isaac y est figurée
:
122 REVUE BIBLIQUE.

devant un arbre, de l'autre cùté duquel est un autel rectangulaire,


mouluré haut et bas (1).
La main du Très-Haut, figurée de grandes dimensions près du bord
supérieur, arrête le patriarche. Il retourne la tète, mais cette fois du
cùté de la main divine, et aperçoit derrière lui, « Vidilgue post —

Kig. IfJ. — Rebord orné de reliefs prcjvenant de Lampousa.


Musée de Chypre à Nicosie.

teryuiii arietem{2) », — la victime destinée à être substituée à son


fils. Le bélier, énorme, le museau levé, marche vers lui, la jambe
gauche de devant en Tair. Il porte des cornes recourbées, alors
que le plus souvent, note Le Blant (3), les sculpteurs, malgré le livre
saint, lorsqu'ils introduisent la victime de rem[))acement, en font une
victime sans cornes, une brebis plutôt qu'un bélier. Fidèle sur ce
point, l'auteur de notre bas-relief ne l'a pas été en revanche juscpià
indiquer, non plus que d ordinaire, que le bélier est arrêté dans des
ronces, —
« Inter vêpres haerentem coriiibus (4) », détail qu'au —
contraire ont voulu rendre pieusement les auteurs d'un sarcophage
d'.Vrles ['i) et du sarco[)hagc déjà cité de Saint-.Vmbroise de Milan (6),

derrière son dos, la f^auclie i)endant ni avanl. Le texte cependant iMdi<|ue justement (p. 7)

" les mains liées derrière le dos ».

(Il Ici encore, l'aulei formé dun l»loc. l)rul du dessin donné dans mes Kcbords de tables
byzantins était inexact.

(2j Gen., xxii, 13.


(3) Étude sur les sarcophages rhrétirm d Arles, Introduction, p. mi.

(4) Gen.. \\\i, 13.


(5) Étude sur les sarcophages chrétiens d Arles, pi. ,\XI et p. 3.">.
(6) Garkucu, Sloria de.ll artc cristiana, t. V, pi. CCCX.WIII, 3 et p. Wl.
MÉLANGKS. \ 23

en montrant ce bélier suspendu par les cornes à un arbre, conlormé-


raent au commentaire qui fait du buisson le symbole de la croix (1) :

« Vois le bélier suspendu à la plante comme le Christ le fut à la

croix, "Opa to -pcoaTov wç k-l tcU sTa'jpoy Toy ç'jtoj •/,p£;jLX[j.£Vov (2) », et

de même rinfluencc des Pères, insistant sur le rapprochement de cet


endroit de la Genèse avec la Passion et le Couronnement d'épines (3),

a pu conduire Tauteur du sarcophage plusieurs fois cité déjà de Lucq


de Béarn (4) à placer ce même' bélier, figure du Christ, dans un
édicule qui rappellerait le Saint-Sépulcre (5).

Un dernier personnage, à gauche près de la cassure, est constitué


par un homme
en tunique courte, sans doute un serviteur, qui
buste penché en avant, paraissant
s'avance derrière le bélier, le
porter une charge sur son épaule. Il semblerait d'abord qu'il dût
appartenir à une autre scène, puisque, au moins au moment du
sacrifice, Abraham était seul avec Isaac, sur les propres épaules
de qui avait été apporté le bois de l'holocauste, — « Die autem tertio,

elevatis oculis, vidit lociim procul, dixitque ad pueros siios : Exjjec-


tate hic cum asino : ego et puer illuc usque properantes, postquam
adoraverimus , revertemur ad quoque ligna holocausti, et
vos. Tidit
imposait super Isaac filium suum
en remarquant qu'on
(6) », — mais,
s'expliquait mal la présence d'un ou deux autres personnages (7), Le
Blant la constatait sur divers sarcophages, un sarcophage d'Arles
où sont deux assistants (8), un autre où des deux personnages l'un
est barbu et l'autre peut être un ange (9, et surtout le sarcophage de

Lucq de Béarn (10). Sur ce dernier, derrière Abraham et tournés de


son côté sont quatre personnages, qui le regardent prêt à sacrifier son
fils, personnages dont, si l'un peut être l'ange qu'entendit Abraham,

(1) Le Blant, Les sarcophages chrétiens de la Gaule, p. 101.


(2) S. Basil. Seleuc, Orat. VII m Abrahanmm, 2 (Migne, Patrol. graeca, t. LXXXV,
p. 112).
(3) Voy. les références données par Le Blant, Étude sur les sarcophages chrétiens
d'Arles, Introduction, p. xi, n. 10.
(4) Ibid., p. xm-ïiv: Les sarcophages chrétiens de la Gaule, pi. XXVII, 1, p. 101-103.

(5) « 11 ne faut pas non plus négliger la raison de symétrie, évidemment cherchée par
le sculpteur, qui lui a fait placer aux deux extrémités de son marbre un édicule sem-
blable, l'autre étant l'édicule de Lazare » [Ibid., 1. c).
(6) Gen., XXII. 4-6.
(7) Étude sur les sarcophages chrétiens d Arles, Introduction, p. x. Le Dictionnaire

d archéologie chrétienne et de liturgie (111-127), s. v. « Abraham », répète (p. 115) « un :

type resté sans explication satisfaisante, Abraham est accompagné de deux assistants ».
(8) Ibid., pi. III et p. 5.
(9) Ibid., pi. V et p. 10.
Les sarcophages chrétiens de la Gaule, pi. XXVII, 1
(10) el p. 100-102. Voy. aussi
Garrucci, Storia dell' arte cristiana, t. V, pl. CCCLXVII, l et p. 100.
124 REVUE Rim.loLL:.

les (rois autres qui tiennent un volumcn n'ont leur présence en rien
justifiée par le texte des livres saints; et, en outre, devant Abraham,
entre Abraham et le bélier, sont encore un homme et une femme (1),
le premier, visible seulement en buste, peut-être encore simple assis-
tant (2), mais la femme, dont le geste de la main gauche, sur laquelle

elle appuie son visag'e, est celui qui sur les monuments anciens, païens
ou clirétiens, exprime l'aftliction. sans doute la mère d'isaac, « figure
introduite abusivement, comme l'ont souvent fait les sculpteurs, dans
une scène où elle n'aurait pas dû paraître (3) ».
Trouvé en 1909 par des habitants du village de Karava à Lampousa
près de Lapethos, province de Kerynia, sur la côte nord de Chypre (4).
Jadis au château de Kerynia. Musée de Chypre à Nicosie.

[21] Fragment du rebord d'une table ou bassin rectangulaire.


Fig-. 17 (5). Marbre blanc. Larg. du rebord sculpté 0"'16; long.
0"'14

à O'^ID. Le rebord est limité intérieu-


rement par un listel, au delà duquel
subsiste un morceau du fond uni, exté-
rieurement, comme sur les rebords
18\ '22 et 34], par un filet suivi
d'une rangée, non de longues perles
etde doubles petites perles alternant,
mais de petites perles seulement.
Daniel dans la fusse ans lions.

ne reste rien de Daniel et la scène,


Il

Fig. 1". —
nebord orné de reliefs pro- au premier abord, paraît ditlérente.
venant de Lampousa. Musée de Chypre trouvé
Daniel en elfet se .serait à
à Nicosie.
droite (0) et le lion qu'on voit sur
la partie conservée, assis sur le train de derrière, la patte droite
de devant levée, est assis à gauche. Le lion retourne toutefois

(1; Le même groupe un sarcophajie d'Aucli (Jbid., pi. XXV).


se relrouve sur

(2) Un (le j). 101), semés au hasard par les .sculpteurs


ces assistants, écrit Le Blanl (/ftù/.,
dans le second plan de leurs compositions avec autant de ])rofusion <|uc d'insouciance du
vrai 11, et il a soin de noter {Étude sur les sarcop/iayes chrétiens d'Arles, Introduction,
p. X; <|ue « l'initiative individuelle, avec ses fautes, ses fantaisies, a eu jdus de part (iiiOii

ne le pense dans l'exécution des lias-relicfs chrétiens ».

(:{j /.es sarcophages chn-liciis de la Gaule, p. 102.


l'i) llchords de tahles byzantins, p. 7-8.
(5) D'aiirés une photographie fournir |>ar M. Markides, con-servaleur du (.'yprus Muséum
à Nicosie.
r,; Il est flair, et je rindii|uais (/^ ^o/y/.v de tables byzantins, p. 1»), «1'"-' '*• personnage
conservé ne peut être Daniel, mais je n'avais pas alors trouve Icxplication qui ma été
suggérée par M. .Mendel {Catalogue du Musée de Constantinople, l. 11, p. 427j.
MÉLANGES. 12;;

la tête, la gueule ouverte, et cela déjà suggère la présence d'un


personnage de ce coté. Y a-t-il sur des sarcophages des exemples des
lions de Daniel ainsi disposés, non pas prêts à fondre sur lui, mais
en quelque sorte dos à dos, avec le prophète entre eux, il ne semble
pas; mais, cette disposition, nous l'avons déjà signalée plus haut, à
propos du rebord [13], sur deux bois du Musée de Berlin, une
console de Baoïiit et un peigne à'Achmim, et sur ce môme rebord
l'interprétationdonnée par M. Mendel de Daniel dans la fosse aux
lions est corroboréepar la présence à'Habacuc.
Ici aussi le personnage à gauche du fragment est significatif. Il

ne me semble pas contestable qu'il faille de même y voir Habacuc.


Vêtu de Yexomis, qui laisse à découvert l'épaule droite, son geste
du bras droit abaissé reste douteux, quoiqu'il y porte sans doute
quelque chose, mais l'objet indistinct de grandes dimensions, qu'il
tient, disais-je, de la main gauche ramenée vers son épaule
(1),
convient bien à la corbeille dans laquelle l'envoyé de Dieu apporte
à Daniel sa nourriture : « Erat autem Habacuc propheta in Judaea;
et ipse coxerat pulmentum, et intriverat panes in alveolo, et ibat

in campum ut ferret messoribus (2). » Le détail est intéressant, car,


si fréquente est la présence à^ Habacuc auprès de Daniel, le plus
souvent, comme sur deux sarcophages d'Arles par exemple (3;,
il se borne, drapé et tantôt imberbe, tantôt barbu, à tenir dans
ses mains du pain, maintes fois marqué d'une croLx (4). Il est plus
rare qu'on reconnaisse nettement la corbeille, comme sur un sar-
cophage du cimetière de Lucine au Musée du Latran (5) et un autre,
provenant de la confession de Saint-Paul-hors-les-Murs, aujourd'hui
également au Musée du Latran (6), où Habacuc est précisément
figuré sous les traits d'un jeune homme en tunique courte, comme
mieux encore sur un sarcophage de Brescia (7), où sa tunique, de
même que sur notre rebord, ceinte à la taille, dégage et laisse
nue l'épaule droite. L'adjonction dans la corbeille, sur ce dernier
exemplaire, d'un poisson, à côté du pain avec la croix, souliene

(1) Rebords de tables byzantins, p. 9.

(2) Dan., xiv, 32.


(3) Étude SU7- les sarcophages chrétiens d Arles, pi. VI et p. 11. et pi. XX, 2 et p. 35.

(4) Voy. entre autres Garrucci, Storia dell arte cristiana, t. V, pi. CCCXVIII. 3;
CCCXLVIII, 1 ; CCCLXVI, 2 et 3 ; CCCLXVII, t 2 et 3; CCCLXVIII, 2 ; CCCLXXXIV, 3 et 5 ;

CCCXCVIII, 4.

{ô)Ibid., pi. CCCLVIII, 3 et p. 86.


(6) Ibid., pi. CCCLXV, 2 et p. 96.

(7) Ibid., pi. CCCXXIII, 2 et p. 44.


12G REVUE BIBLIQUE.

l'allusion à l'Eucharistie (1), mais toujours le récipient est dans les


deux mains d'Habacuc, devant lui. Ilabacuc, au contraire, sur une
seille mérovingienne en cuivre repoussé trouvée au cimetière de
Miannay non loin d'Abbevillc dans la Somme, ne le tient plus que
d'une seule main et à l'autre main, symétriquement étendue, l'avant-
bras replié au coude, est suspendu un gros poisson (2). Il ne serait
peut-être pas impossible que, sur notre rebord aussi, l'objet mal
reconnaissable de la main droite à'Habacnr fût un poiss(m. Au
chaudron à anse qu'il porte de l'autre côté sur la seille correspon-
drait la corbeille portée ;'i plat sur la main gauche élevée et que
nous retrouverons plus caractérisée encore sur le rebord |35].
Trouvé avec le précédent, en 1909, par des habitants du village de
Karava, à Lampousa, près I.apethos (Chypre) (3). Jadis au chAtcau
de Kerynia. Musée de Chypre à Nicosie.

Fragment du rebord d'une table ou bassin rectangulaire.


[22j
Kig. 18 ('*). Marbre blanc. Larg. du rebord sculpté 0'"14; long. 0"'09
à 0"'12. Les reliefs sont limités intérieurement par un listel, au delà
duquel le fond est brisé, extérieurement par un filet suivi d'un
cordon, non de longues perles et de doubles petites perles alternant

(1) Voy. Le Bi.ant, Les commentaires des livres saiyils et les artistes chrétiens des
premiers siècles, Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, t. XXXVI,
2" partie, 190t, p. 15-16, VI, Habacuc et Daniel.

(2) Van Rouais, Notice sur une en bois recouverte de cuivre repoussé
petite seille
trouvée dans le de Miannay, Bulletin de la Société des
cimetière mérovingien
Antiquaires de Picardie, t. XI, p. 139-147 et planche, et t. XII, p. 279-288; Le Blant,
Note sur quelques représentations antiques de Daniel dans la fosse au.r lions, Mé-
moires de la Société des Antiquaires, t. XXXV, 1874, p. 77-78 e( pi. III, et Nouveau
recueil des inscriptions chrétiennes de la Gaule (Documents inf'-dils sur l'histoire de
France), p. Gi-dC, n- /|5.

(3) Rebords de tables byzantins, 8-9. Lapethos don vit-nnonl les deux fragments
p.

[201 cl 21 , est aussi, on le sait, pro\enance de rincomparahlc ticsor d'ar;;entcrie


la

hy/antine ayant ai)|)arlenu an monastère de l'Achcropitie, aujnurd liui partage entre le


Uritish Mu.seum, le Must-c dr Chypre à Nicosie et surtout la collerlion Pierponl Morgan
Vny. noiamment, sur cette argenterie, Dai.tom, Catalogue of carly Christian antiquities
in thc /iritish Muséum, n 3îi7-4!4 et pi. XXIV; Sambon, Trésor d'orfèvrerie et d ar-
'

genterie trouvé à Chypre, dans Le Musée, t. lil. 1900, p. 121-129 et pi. XIX-XXI, et
l. IV, 1907, p. 156-160 et pi. Byzantine art and archacolngy, p. 572-576
XXIV; Dai-ton,
et fig. 57-62, 3."»!, 355, 357-361). il y a encore an Louvre, provenant de Lapethos, du
village de Karava, donnée en 190| par M. Hoysset, ancien consul de France a Larnaca,
une curieuse inscription chrétienne, que j'ai jadis fait connaître, qui, destinée à <^lre
placée au-dessus de la porte d'une maison à titre de protection et de sauvegarde, repro-
duit le texte du Psaume xv « K(ûpi£) tî; napoixT^aei <v tm
: <Txr,vii)|AaT( oou f,
Tt; xa-anaûaei év ôp(ei) àYto) «rou u (liullrtin de la Société des Antiquaires, 1901.
p. 18:)-l!i2, cl tirage à part, Communications de t'.iDl, \\. 0-13).

(4) D'après une photographie fournie par M. .Markides, conservateur du ( >|iru.s .Mu-
séum À Nicosie.
.MKfANGES. 127

comme d'ordinaire, mais, comme sur les rebords |8l, [21 et [34],
de perles mii formes (1).
Sacrifice d Abraham.
Le fragment dans le Catalogue du Musrn de Chypre :
est ainsi décrit

« Fraement dune de marbre avec ornement de perles en bas.


frise

Homme drapé se dirigeant à droite, en retournant la tête vers un


grand ({uadrupède dont la tète et une patte de devant sont seules con-
servées. Vers le bord droit, dos et bras droit
d'une ligure agenouillée tournée à droite. Mé- -r^ ^ — j^.

diocre travail de basse époque, assez usé. Beau \


marbre blanc (2). « La photographie que, en ré-
ponse à une demande de renseignements de ma
part, a bien voulu m'envoyer M. Markides, con-
servateur du Cyprus Muséum à Nicosie, ne laisse t

guère de doute que la scène représentée soit le


Sacrifice d'Abraham. Le patriarche est, comme Fig. -is. —
Rebord orné de
d'ordinaire, debout, vêtu de la tunique et du provenant de saïa-
reliefs

manteau, tenant
,
le couteau dans la
,
, ...
mam
droite
mine. Musée de Chvpre
à Nicosie.

et ayant devant lui ne re-


Isaac agenouillé. Il

tourne pas la tète, pourtant, mais regarde de face. La raison en est


sans doute que, comme sur les rebords [16] et [27^, la main divine se
trouvait en avant et que son mouvement n'a pour but que de dé-
tourner son regard du sacrifice qu'il est près d'accomplir.
L'animal, dont la tête subsistante a peu à première vue l'apparence
d'un bélier et dont la grandeur, quoique sans doute hors de propor-
tions avec celle donnée à Abraham, ne surpasse pas la taille du bélier
sur le rebord [20], serait ici aussi le bélier, représenté, autant qu'on
peut en juger d'après la photographie, sans cornes, comme sur la
majorité des exemples.
Tr. en 1890 à Salamine (3). Musée de Chypre à Nicosie.

[23] Fragment du rebord d'une table ou bassin rectangulaire.


Fig. 19 (i). Marbre blanc. Haut. O^iig; larg. du rebord sculpté 0'°158;

(1) Il semblerait en outre, d'après la photographie, (jne la tête du personnage, comme


sur les rebords [8], [18], [24] et [36], empiétât aussi sur le listel.
(2) John L. Myres et Max Ohîvefalsch-Richter, A catalogue of the Cyprus Muséum,
p. 162, n° 5876.

(3) Il semble bien que ce doive être ce rebord, plutôt qu'un des précédents, que dans ma
communication à la Société des Antiquaires du 4 avril 1900 [Bulletin de la Société des
Antiquaires, 1900, p. 15!» et tirage à part. Communications de 1900. p. 17), j'indiquais,
d'après des renseignements d'ailleurs très vagues, comme recueilli à Salamine de Chypre.
(4) Les clichés des figures 19, 25, 31, 33 et 34 nous ont été prêtés par la Société natio-

nale des Antiquaires de France, que nous en remercions.


1-28 lîlJVllE niBI.TQUE.

un listel, <au
lonç. 0"'ll. Les reliefs sout limités intérieurement par
delà duquel subsiste fragment du fond uni qui s'y rattache
un étroit
par une gorge, extérieurement par un filet suivi d'un cordon de
perles (1).

David et Goliath.

A gauche, extrémité d'une ou dos pattes et peut-être de la tête


d'un animal étendu et, au-dessus, restes d'un attribut indistinct
auprès d'un arbre au tronc contourné, couronne d'un quadruple bou-
quet de feuillage. ne peut, écrivais-je en 1908, même si l'on y
« Il

reconnaissait de Daniel dans la fosse, le lion serait


un lion, s'agir
tourné en sens inverse (2). » Le rebord [21 1, pourtant, dont le sujet
se réfère certainement à Daniel, nous venons de
le voir, et de même le rebord [131 montrent le
lion dirigé, non point vers le prophète, mais

l^MN'O^^^T^^ dans la direction opposée ;


mais du moins iau-

\\^f^ /7^5b dans cette hypothèse, que la tète lût re-


drait-il,
tournée. « Ici encore il se pourrait, ajoutais-
je (3), que David fût le héros de la scène choisie. »

David se vante d'avoir vaincu les ours et les lions


qui s'attaquaient à son troupeau : « Dixitquc
David ad SaiU : Pascebat servus tnns palris sut
Kig. 11».- iiebi.r.i ..rno de (/i'Cf/cm, et vcniebat Ico vcl nrsiis, eltollcbal arie-
leiieis provenant (le chy-
^^^^^ ^^^ medio qi'eqis'^et perseoiiebar fos, et ncr-
|iie. Miiscc du I.DUvrc. •#;•
i i
culiebam, eruebanique de ore eorum; et ilii con,"

surgcbaiit adversum me et apprehendebam îiientum eorum, et suffoca-


bam, intevficiebamque eos. Nam et leonem et ursum interfeci ego
servus tuus (i). » Il est, en tout cas, curieux de noter que, non seule-
ment y Histoire de David forme presque à elle scidc la décoration du
fameux trésor d'argenterie découvert à (Chypre à Lapethos, où elle
se retrouve sur neuf plats, mais que sur deux d'entre eux, précisé-
ment, est figuré David, le genou, soit sur un ours, soit sur un lion.
<[u'il se pré[)are à assommer, l'un et l'autre animal ayant devant lui

un arbre limitant le tableau (5). Les restes visibles, pour peu qu'ils
le paraissent à première vue, pourraient donc à la rigueur s'accom-
moder à un(! de ces scènes de combat.

(ly La 1res pclile t'-lendiK' suli.sislantc ilr la ranK''C nt- iicrrnci pas de ((tiislaler si les perles

allernenl. grandes et peliles.


(2) Hvhordx de tables hijziinliiis. p. Ki.

(:<) Ibid., I. c.

(4) I He;;., XVII, wa-m;.


(5) /,« Musée, t. m, pi. X\, :{, Dmton, /iijznnlinc art nnd arcliacolu'/ii, p. '.»8-ir.i,

lig. 57-58.
iMh'LANCKS. 120

A droite le jeune Davifl, — « El ait Said ad David : Non raies rrsi-


stcrc P/iilistaco is/i, ncc pugiiarc advcrsus cion, quiapuer es... Cnmque
inspexissel Philistacus, et vidisset David, despexit eum ; erat enim
adolescem, mfus, et pulchcv aspcctu (1) », — dont le bas du corps et

le bras gauche manquent, drapé, mais « El induit sans armure, —


Saul David vestimentis suis, et imposuit galeam aeream super caput
ejus, et vestivit eum loinca. Accinctus ergo David gladio ejiis super
vestem suam, coepit tcntare si armatus posset incedere : non enim
habcbat consueludinem. Di.ritque David ad Saul : Non possum sic
incede7'e, quia non usum hahco. Et deposuit ea ("2) », debout, le —
corps de face, la tête de j)rofil à droite, le bras gauche écarté du corps
et abaissé, tenant dans sa main la fronde chargée de la pierre qui
doit abattre Goliath.
La fronde, comme celle du rebord [4> à vrai dire n'est pas brandie,
ainsi que la décrit M. Mendel dans l'exemplaire [38] (3), et l'attitude
serait plutôt celle du moment où le récit sacré dit de David que,
ayant ramassé cinq cailloux dans le torrent et les ayant mis dans
sa panetière de berger, il prit la fronde et marcha contre le Philistin,
— " Et quinque limpidissimos lapides de torrcnle, et
elegit sibi

misit habebat secum, et fundam


eos in perani pastoralem, quani
manu tulit, et processit adversus Philistaeum (4) », que celle du —
moment où, le combat engagé, il prend l'un des cailloux et le lance
et frappe au front le géant, —
« Et cucurrit ad pugnam ex adverso

Philistaei. Et misit manum suam in peram, tulitque unum lapi-


dem, funda jecit, et circumducens percussit Philistaeum in
et

f'ronte (5) », —
mais, ces deux moments, Ton ne s'étonnera pas que
la représentation les montre plus ou moins combinés.

Le Combat de David et de Goliath est signalé par Le Blantsur


plusieurs sarcophages, à Reims, à Marseille, malheureusement détruits
aujourd'hui et qui ne nous sont plus connus que par des dessins
insuffisants (6), et à Vienne en Dauphiné, mais, des deux sarcophages
de Vienne seuls subsistants, du premier, assez mutilé, le personnage

en vêtement long s'accorde mal avec la représentation de David (7),


d'ordinaireen tunique courte, et, du second, la partie gauche

(1) I Reg., xvK, 34, 42.


(2) Ibid., 38-39.
(3) Catalogue du Musée de Constant inople, t. H, p. 169. La description de M. Mendel
est d'ailleurs peut-êtreun peu forcée.
(4) IReg., xTii, 40.
(5) Ibid., 48.
(6) Les sarcophages chrétiens de la Gaule, p. 17 et 35.
(1) Ibid., pi. V, (! et p. 2t.
REVUE BIBLIyUE 1916. — N. S., T. XJII 9
i:to REVUE miujniiE.

comprenant David est précisément mas(|nce par une boiserie (1).


La scène de David et Goliath s'est déjà rencontrée sur le rebord !4|
et nous la retrouverons encore sur les rebords |28| et [38,1.

Il faut enfin noter que la scène de David s'apprrta/it à comhatlrv

(ioliatlt, figurée de mémo au moins pour le pei'sonnage de David,

se voit sur l'un des plats du trésor de Lapclhos (2) et que, (juoi(jue
nous n'ayons [)as d'indication sur le lieu exact où fut mis au jour A
Chypre notre fragment, il n'y aurait rien que de naturel à ce qu'il
eût été trouvé, comme le fragment |21J, à Lapethos, à la rigueur
même qu'il eût appartenu au même monument.
llti/pt'f (.3). Kappoité en 19()() par M. Couchaud, boursier de voyage

autour du monde (4). Musée du Louvre (.'jj.

[24| Fragment du re-


bord d'une table ou bas-
sin circulaire en deux ,

morceaux, dont le rap-


prochement, sans (ju'ils
se rajustent exacte-
ment (()) , est assuré
par la représentation.
Fig. 20 (7). Marbre pen-
télique. Haut. 0"'20.'». Le

rebord est limité inté-


rieurement pai- un lis-

tel, au(juel le fond, dont

Kig. 'lu. — Ruhunl orné do reliefs provenant de


il subsiste une bande,
Giseli.
.Mus«';ede l'empereur Irederle à lierliii. se rattachepar une gor-
ge, extérieurement pai'
un lihjt suivi d'un cordon do grandes perles allongées et de doublos
I)etites perles alternant. Los reliefs, assez bas. au li<'U d'être, oommo
dans la |)luparl des autres oxcmplaiics, confinés dans l.i bande r(.ni-
prise entre les deux moulures, par une pai licularilé dont nous avons
{\j Ibid.. |)1. V. 5 el p. -n.
(2) Le Mustie, I. IV, p|. \\IV.
(3) llcboifts lir fahlrs hijzanlins, p. 9-11, n" 1.

(4) IIkiion dk Vii.t.i'KossK cl MrciioN. Mitsi-r ilu Laurrr. ni-itnrlrmrul des {iiilufiiilcs
rjreci/iirs et romniiifs, Ar(/iiisilioiis ilr Innnrc f.Kir,. w t.\.
f.'.j Inventaire M.M). 7'«:{.
(*>; .M. NVuinr. llrsrltnihniKj ticr (ilfrlirt.sHirfirn /{ildwrrl.r. p. 11. ilil :« zirei ziisam-
mrnprissrnile llnirtisliirl.rn mais un
», la plniirlie pi. III) miinlrr rarronl <lan moins
nn leiiliiiit'lre dans la j.tinlic ijii personna;;o.
Ij Dessin de M'- E. M. dnpres un croquis pri- imi l'in'i .m Mns.r .1.' IU'iImi .! la |i|io-
lo>ya\urr dr la pi. II! du ralalonue du .Musée.
MEI.ANCKS. iru

d(\)i\ noté ici et là des exemples partiels [l), empirtenl régulière-


ment, par la tète des personnages, sur le listel intérieur.
A gauche, personnage imberbe, nu, de face marchant à droite,
les jambes violemment écartées. Il se retourne, la tête de prolil à

gauche, et sa jambe droite arc-boutée indique qu'il fait un effort,

auquel correspondrait la pose donnée au bras du môme coté, plié au


coude et le poing appuyé sur la hanche l'objet indistinct qu'il :

tient dans la main a été expliqué comme une corde (2), par laquelle il
tirerait une panthère, ou du moins un félin, dont les pattes antérieu-
res subsistent dans l'angle en bas ; l'aspect pourtant ressemble peu à
une corde. De main gauche, appuyée elle aussi sur la cuisse, il
la
porte debout, appuyé contre son épaule, un gros bâton recourbé (3).
A droite, haut du corps dune femme dansant, la tête inclinée entou-
rée de ses bras ramenés, les mains jointes,
au-dessus d'elle (i) : son buste est entière-

ment drapé et, sur le côté, flottent et s'en-


lèvent les pans de sa draperie. La pose et
les attributs sont ceux d'un Satyre et d'une
Mé/mde.
Giseh. Acquis en 1902 en Egypte par
M. Strzygowski. Musée de l'empereur Fré-
déric à Berlin ^5).

'i25 Fragment du rebord d'une table ou Fig--^i- —


Kebord orné de reiieis
, • • 1 •
T-- -k4 n\ If 1 X' provenant d'Achmim. Musée de
bassin circulaire. Fig. 21 (G). Marbre pente- \.^^,^^,^,,, Frédéric à Berlin,

lique. Haut. 0™li5. Les reliefs sont limités


intérieurement par un listel, au delà duquel est une étroite bande du
fond qui par une gorge, extérieurement par un filet suivi
s'y rattachait
d'un cordon de longues perles et de doubles petites perles alternant.
Ane sauvage, au galop à gauche, retournant la tête; manqué la
jambe postérieure gauche. Devant, jambe de derrière et sabot d'un
second animal s'enfuyant dans le môme sens.

(1) Voy. les rebords [8], [18]. peut-être [22] el [36].

(2) Wli-kf, Besclireibung der altchristlicheii Bildwerke, p. 12, avec un point d'inter-
rogation.
(3) M. Wulff (1. c.) dit une massue.
(4) Les cymbales qu'indique dans le texte M. Wulff (1. c.) ne sont pas reconnaissables
sur la photographie.
(5) Besritreibutuj der altchristlidien Bildwerlie. n" 22 (Inv. 4140) [Strzygowski. 794]
et pi. III.

(6) Dessin de M""= E. M. d'après un eroquis pris en iyo9 au Musée de Berlin et la pho-
togravure de la |il. III du catalogue du Musée.
13-2 UEVUE BlBLlQri:.

Acinnint. Acquis en 1902 en Egypte par M. Slrzygovvski. Musée de


l'ompereur Frédéric à Berlin (1).

Fragment comprenant langle antérieur gauche du rebord


|26j
d'une table ou bassin rectangulaire, avec partie triangulaire du fond.
Kig. n (-2). Marbre blanc. Haut. ()'"2'i ; larg. 0"30. Le bord extérieur
présente le lilet accoutunu'- suivi d'un cordon de longues perles et de
doubles petites perles alternant, mais, à l'intérieur, au lieu du
simple listel suivi d'une gorge assez profonde, le fond, moins en dé-
pression (|ue de coutume, se rattache au rebord par une double mou-
lure plate i'ormant en-
cadrement. Le fond est

uni, 1(^ î-elicf bas.


Dans l'angle, verti-
calement, buste im-
berbe, de profil à
droite, drapé, les che-
veux bouclés étages
en diadème. Au-des-
sus de lui un poisson,
la tête touchant au
buste.
i^. 'i-.i. — Kra^nienl (i'uiii" (able ou bassin a n'bin'd inné de
horizon-
reliefs, provenant du Caire. Musée du l'empereur Frédéric,
Sur le côté

à Berlin. tal, gazelle au galop


fuyant vers la gau-
che, poursuivie à toute vitesse par un chien, dont la sépare une plante
à triple tige de feuillage.
I.e Caire. Ac(|uis en 1908. Musée de renipereur Frédéric à lierlin (3j.

27 Fragment du rebord d'une table ou bassin rectangulaire, brisé


de toutes i)arts. Fig. !23 \\'). Marbre blanc. Haut. ()"'13r>; long. (>"'-i-i ;

épai.sseur 0"'025 à O^OVr*. Sur h; bord intérieur, reshîs du listel au-


<|nf'l (levait succéder la goi'.i:e par où se rattachai! le fond ',.")). I..e

(1) /iesrhri-iOuufj der aUchrislIiclien liildtierhr, n. 'iW (Invenlairc 'il'il) |Slrz)gow8ki,


7y."»] et pi. III. Voy. aussi 'Kjrijitpi; àp/.ato> oyi/T,, 11(14, p. 7."> cl li^;. 11.

{:>) Dessin ilc M"" E. M. d'après la (if^iire tlu calalof^ue du Musrc.


3) licsrUrcihutuj iler aUrfiristliiheu liiUlwerkc. Aac/ilrag, p. :M(i-.'ll I, n° 1137 (Itnni-
laireH(;o)cl lij;. H',7. Voy. aussi 'K^T)|AEpt« àpxaioYo/, ixt), 1914, p. 7.^ cl li);. 10.

ti) I>(;s.sin d<; .M"" K. M. d après la n-piodiK lion donmi' dans STii/.M.n\N>hi. I\i>idische
h inisl, p. 10().

h Du bord uriKinal, <•( ril M. SlrzynoxNski Jlud., p. 10(ij, il lU" rrsle qui- la baiulf
MipHrifiire mutilée. » Il faiil adineiln*, dans notre hypothèse, «jue de ce rûlé se prolongeait,
non pîis le relmrd lui imMne, mais le fitrid du bassin.
MELANGES. 133

revpi's, qui prrscnfe un prolil corouifoi-uio ''!), une moulure et au-des-


sous un quart de cercle aplati, semJtlc bien prouver qu s'agit, non
il

d'un fragment de bas-relief quelconque (*2), mais d'un rebord du


genre de ceux qui nous occupent (.'V).
Au centre, haac, dont le torse seul subsiste (V), le l)uste de face, la
tête de profil à droite, les cheveux longs bouclés, à genoux (5i. Der-
rière lui, Abraham, vêtu, dit M. Strzygowski, d'une tunique à manches
courtes reconnaissable sur le bras droit et d'un manteau passé en
écharpe de lépaule gauche sous ce
bras. La tunique, à vrai dire, n'ap-
parait pas sur la photogravure. Il

existe, d'autre part, des représenta-


tions, et Le Blant les signale (6), où
Abraham, au lieu d'être revêtu de ce
qu'ilappelle le pallium, le grand
manteau des rebords [16], [20] et [22]
— Rebord
— si caractérisé sur le rebord [20] en
ii. orné de
d'Egypte. Musée du Caire.
reliels pro\eDant

particulier où, de même que sur un


sarcophage d'Aix par exemple (7), il couvre jusqu'à l'avant-bras
posé sur la tête à'isaac, — n'a que la « tunique exomide ». Le bas du
personnage Abraham ici, malheureusement, manque. Il
ai' est donc
difficile de dire comment il était vêtu et si réellement il y porte le
manteau, qui supposerait en effet au-dessous de lui une tunique sur
l'épaule dégagée, ou si cette draperie, regardée comme un manteau,
ne serait pas elle-même au contraire une tunique laissant l'épaule
nue et, comme sur les exemples que nous venons de citer, s'arrêtant
plus ou moins haut sur les jambes.

(1) Les termes dont se sert M. Strzygowski (1. c), « eln kronendes Profil », ne sont peut-
être pas aussi clairs qu'on pourrait le désirer.
(2) Il n'est désigné au catalogue (p. 105) que sous ce titre : « relief avec la représentation
du sacrifice d'Abraham )>, sans aucune indication sur le genre de monument d'où il pour-
rait provenir.
(3) Le fait que, comme dans tous les exemplaires, la face i|ui porte les reliefs est polie,
tandis que la face inférieure est simplement dressée, corrobore cette opinion.
(4) M. Strzygowski ^p. 106) le déclare nu et remarque que la nudité à'Isaac caractérise les
représentations de ce qu'il appelle « le groupe syro-égyptien )^, en opposition avec les repré-
sentations romaines, et en conclut que, si le marbre doit être du marbre importé, la sculp-
ture du moins a été exécutée en Egypte. La nudité d'Isaac, d'après la photographie, ne me
parait pas certaine.
(5) « L'objet visible à droite derrière Isaac, écrit M. Strzygowski (1. c), pourrait bien re-
présenter l'autel, non genou de l'enfant. »
le

(6) Étude sur les sarcophages chrétiens d'Arles, pi. III et p. 5, pi. VI cl j). 10, p. 54;
Les sarcophages chrétiens de la Gaule, pi. XVII, 1 et p. G3, pi. XXVII, 1 et p. 101.

(7) Les sarcophages chrétiens de la Gaule, pi. LU, 1 et p. 146.


i.r. ni:vi-E mni.iniiK.

La main droik' posi-e sur la lùle d'/.^aar, Alwahani tient de la main


gauche un couteau pointu. Sa tète est mulilcc, mais laisse reconnaUrc
néanmoins que son visage barbu, de profd à gauche, comme sur le
rebord 22', se détourne du fils qu'il va immoler (1). Devant celui-ci,
en haut, la main du Seigneur grande ouverte. A rextrémité gauche,
sommet d'un arbre.
Egypte. Musée du Caire (2).

[28] Fragment durebord d'une table ou plat rectangulaire.


Fig-. 24 (3)

Marbre blanc. Haut. 0"'2(i2; long. 0"'335. Les reliefs sont limités inté-
rieurement par un listel, au delà duquel subsiste une étroite bande du
fond, extérieurement par un
cordon de perles allongées et
de doubles petites perles al-
ternant . Le fond a reçu une
ins(i'i[)tion copte, dont on re-
connaît le début de douze li-

gnes commençant au rebord,


à gauche.
Deux arcades portées par
des colonnes à chapiteau et
pied moulurés, avec base, dont
Kif,'. i'i. — orne de reliefs |>ioven;inl
llolxinl les semblables se retrouvent
d"i;i;yplc. Musée de rErmitage à l'etrosrad.
sur le rebord [351 ('*)•

La première, dont le coin inférieur avec le support gauche est enlevé


par une cassure oblique, a toute sa partie supérieure, cintrée, ornée
en forme do cocjuille et abrite une figure debout drapée, d'aspect
hiératique, dont la reproduction laisse mal reconnaître la nature.
Sous la sccf)nde, en forme de fronton triangulaire (.')), pei-sonnage
juvénile imberbe, \ètu d'une tunicpie courte seri-ée par une ceinture,

(I; I.a «lin-rlioii du visant". iVAlirn/i(ini luc |ii\r,iil s (.\|ili(|uiT loiil iiMluii'ili'iiinit par ce
srnliincnl. M. Slrzyf-ONNski |>ourlant insisir à deux reprises (l.r.) sur If lait seul qu'il

rcK^rilf' a nauclir, « ( esl-à-diri' dans la dire» liou o|i|k)S(^(' h la grande main île l>ieu n, « il

esl exceplionnel ((u Aliraliam Icturnc la Iclc vers la i;aui lie laiidis ([uc la iii.iin se luonlre

à droite ».

f;^ J. Stiiz><.o«8m. hoplisdic Kimsl ^Cataln^uc i^cneral des anlii|uiles (•;;ypticnnes du


Musée du Caire), n" 8759.
(;t) Hessin de M"" K. M. d'après la liRure pi. Wlll, 5 du I. Il des Complrs rnidus
iJnidy) du M' congrès nrrhéologùiuc à Kicf in IS'.i'J (.Moscou, l'.io'^;.
('», Voy. aussi les arcades du marbre de Salonr i5i.
La ni^ine allernance île voùles cintri^es et de frontons lrian;^iilaires (•\i^lc sur Ir
:>

relicid 35 .
MKI.ANfiES. 135

iiKirclKint l'upitleincut ;i droite : la tèlc est de trois ({uarts de face,


le bras gauche avance s'appuie sur un bâton, pendant porte
le droit

suspendu un petit sac, qui doit être la peva pastoraiis de David dont
parle iKcriture ^1). 11 s'agit, comme sur les rebords (4], |23] et sur-
tout 38 arec lequel la similitude est grande (-i), de David s'apprêtant
à attaquer Goliath : « E/ lidil bnculum suum, quem seniper habebat
in manibits (3 . »

Egypte. Mission de Bock. Musée impérial de l'Ermitage à Petro-


grad (V).

[29J Fragment du rebord d'une table ou bassin rectangulaire (5).


Fig. 25 (6). Marbre blanc. Haut. 0"013 ; larg. de la zone sculptée 0™097 ;

long. 0'"12. Les reliefs sont limités intérieurement par un listel, au


delà duquel subsiste une bande du fond qui
s'y rattachait par une gorge, extérieurement
par un filet d'un cordon de longues
suivi
perles et de doubles petites perles alternant.
Tète barbue, de profil à droite, avec le
bord d'un manteau autour du cou les che- :

veux sont ramenés en arrière sur l'occiput,


dégageant un front haut, et forment un chi- Fig. — Rebord orné de -2^.

reliefs provenant d'Egypte.


gnon court sur la nuque une barbe en pointe ;

Musée du Louvre.
garnit le menton. A droite, tronc d'arbre vo-
lumineux, portant l'amorce d'une grosse branche coupée et une se-
conde tige couronnée d'un triple bouquet de feuillage. Entre la tête
et l'arbre, objet indistinct, semblant une sorte de coupe pro-
fonde ou de corbeille. Traces d'une représentation à droite de
l'arbre.

(1) 1 Reg., wii, 40, 48.


(2) Il ne semble pas cependant que l'objet tenu dans la main droite puisse, comme sur
ce rebord, être la fronde.
(3) I Reg., XVII, 40.
(4) TiRAJEF, Textes copies provenant de l'expcdilion de Bock en Egypte, Comptes ren-
dus [Trudy) du XI" Congrès archéologique à Kief en 1899 (t. II, Rapports hislo-
rii|ues et philologiques, p. 225-246 et pi. XXII-WIII), II, Inscriptions, p. 243, n° 46. L'au-
teur, malheureusement, donne seulement la transcription de l'inscription, sans rien dire des
bas-reliefs pour lesquels il se borne à renvoyer en note (p. 21) à un de ses articles paru
dans les Mémoires {Zapiski) de la section orientale de la Société archéologique im-
périale russe, t. X, 1897, p. 79-83, qui est consacré à une stèle sépulcrale copte du Musée
du Caire sur laquelle nous aurons à revenir.
(5) Le listel intérieur est légèrement cintré, mais le bord extérieur parfaitement rec-

tiligne ne peut provenir que d'un bassin rectangulaire.

(6) Cliché de la Société nationale des Antiquaires de France.


136 REVUE BIBLIOLIE.

Egypte {\). Rapporté en 1906 par M. Seyiiiour de Kicci (2j. Musée


du Louvre (3).

(30i Fra.muent du rebord d une table ou bassin circulaire. Fig. 20.


Marbre blanc à surface très lisse. Haut. 0"'14; larg. du rebord sculpté
0"'l-23 long. 0"'20. Les reliefs sont limités intérieurement par un listel,
;

au del;\ duquel subsiste Tamorce du fond qui s'y rattache par une
gorg-e profonde, extérieurement par un filet suivi d'un cordon de
perles allongées et de doubles petites perles alternant. Le revers,
sinqdement dressé, montre net-
tement le fond du bassinet le
profil du rebord allant s'amincis-
saut suivant la courbe.
Quadrupède, dont la croupe
manque, terrassant un Ane. Le
fauve, que ses formes trapues, sa
tète aux joues portant un collier
de poil, ses oreilles épaisses sem-
blent caractériser comme un
— ours, fortement appuyé sur ses
Kig. 20. Rebord orné de reliefs provenant
d'Egypte.Musée du Louvre. pattes de derrière et tourné à
droite, enfonce ses gritfes, l'une

sur le garrot, l'autre sous le cou, dans la chair de sa victime qu il

a embrassée et, la gueule ouverte, s'apprête à lui entamer l'échiné.

Sur son dos, au niveau des épaules, une sorte de bosse, où sont mar-
qués trois trous, difficilement explicable serait-ce une indication de :

l'épaisseur de la fourrure ? L'Ane, dont la moitié antérieure seule


subsiste, est tombé sur les genoux, les pattes repliées sous lui; sa
tète porte à terre à la fois par les naseaux et par les oreilles, fort
longues, ramenées en avant (4).
Ei/i/plc. Collection Alexandre Max de Zogheb, d'Alexandrie (5).

A((|uis à la v(mte des 9-10 mai 1912 (0). .Musée du Louvre ").

(!) Hebords de laides byzantins, p. 12-13, n" i.

{').) HÉRON IIE VlM.KKOSSK cl MlCIlUN, MUSCC dll /.OIH'IC, Dc/Xirli liiriil ili\ iniliijiiHeS

grrrf/iics el romaines, iaïuisitions dr I année lUOCi, n"24.


M) Invenlaire MND. 7r.K.
l'ij Voy. un âne analoj'ui' sur Irs rebords [8j et [31 .

(5 Collcclion Mcrandrc Mai dr Zoglirh, Antir/uitrs rij


y plie nui s il i/ncqurs, Vcnfe
des U ri m mai lUIJ. n" .^Oi.

(6) lliitoN iiK Vit.iKKOssK cl Mir.iKtN, Muséc dll Louvre, pr/iarlrinrnl drs anfii/uilés
grecquis ri romaines, Arquisilions de l année lUI'J, n° 15.

(7) Invcninirc MM». Îl3«.


MÉI.ÂNGES. 137

[31 1 Fiagnients du rohord d'une tal)lc ou l)iissiii circulaire, en trois


morceaux ne se rajustant pas. Kig. 27 (1). Marl)re grec. Les rcliels
sont limités intérieurement par un au delà duquel, sur l'un des listel,

fragments, un morceau du fond qui s'y rattachait par


sulisiste
une gorge, extérieurement par un tilet suivi d'un cordon de grandes
[)erles très allongées et de doubles petites perles alternant.
1" Animal courant à droite.
2" Train de deri'iérc d'un animal tourné vers la gauche, arbre et

l-ig. '27. - f'ragiuents d'un rebord orné de reliefs provenant d'Égyple. Institut archéolosiMuo
de l'Université de Tubingue. ('Eïr.^tefU àf/aw/.oYr/:/., 1!H4, p. "U, l'ig. 1^2.)

lion, à droite, la tête de face, dévorant un âne tombé sur les genoux,
le museau touchant terre, semblable à l'une des figures des rebords

[8j et [30], dont il déchire le cou.


3" Animal, sans doute un ours, dont il ne reste que la tête, à droite,
déchirant une gazelle étendue sur le dos en l'air.
(2), les pattes
Egypte. Institut archéologique de l'Université de Tubingue (3).

[32J Fragments du rebord d'une table ou bassin circulaire, en


quatre morceaux, dont deux seulement se rajustent exactement, les

deux autres étant seulement voisins. Fig. 28 et 29(4.). Marbre grec (5).
Les reliefs sont limités intérieurement par un listel , au delà du-
quel, sur le premier
quatrième fragments, subsistent des
et le

parties du fond, ailleurs brisé presque aussitôt la gorge par laquelle


il se rattachait, extérieurement par un filet suivi d'un cordon de

(1) D'après 1"E 9/;


!J.£pi; àpx*'O^OY'>'^> l^li, fig. 12, p. 76.

(2) M. Xyngopoulo 1. c.) dit, ici encore, une 8opy.â;, mais ici l'animal, avec ses cornes,
est nettement reconnaissable sur la ligure.

(3) 'AjNAPEAI SriTOIIOrAOI, 'EçTit^spU àp-/aioXoYi/.^, 1914, p. 75, d'après une


communication de M. le D' Pagenstecher de Heidelberg.
(4J D'après 1'
'Eipr,ij.£pi; àpxa lo ) OYi/--)l, 1914, fig. 13-1 !(, p. 76-77.

(5) Ibid., p. 82.


138 ui;\i i: MiiJijnL'R.

grandes perles allongées et de doubles petites perles alternant.


I. Tùte de Mi/irrrr, coitlee d'un casque à haut cimier, le cou orné

lig. d». — Fragments d'iiii rebord orné de reliefs proveiiaiil d'Ésypte. Musée des anlic|uilés
nationales à Stuttgart. (*Est,;ji:'/i; àfyta.v.oY.xr,, lOU, p. 7(i-77, fig. 13.)

dun collier, de profil à droite (1). Devant elle, un arbre, puis lion
tourné t\ gauche, saisissant dans sa eueule un animal fuvaut.

Kig. Ht. — i'iUn'inciit.s d'un rflmid orne de irlicls |ir(iM-Manl «IKgyiiic. Musée des anlii|uil('s
nalionaies à Stuttgart. CV-r'/MiU ifn^t'-Vovi,,, HiM. p. 7(J-7-, fig. l».i

II. I.inii, ;i gauchi', l.i Iric de face, d<''\<traiil un aiiiiii.il couchr siu-

le dos, dont la |».ulir antérieure ni;iM(|ii<'. .\ <lii»ilc, tête d'aspect

t; Ihiil.. p. 2(11.
MELANGES. 139

juvénile, sans doute Apollon (1), de profil à gauche, la clicvelure


entourée de ])an(lelettes.

m. ¥a\ deux morceaux se rejoignant. Hommes ou enfants nus, mar-


chant à droite, portant sur leurs épaules les extrémités d'une grande
perche à laquelle est suspendu par les pattes nouées un sanglier. A
droite, femme agenouillée tenant une écuelle dans lacpiellc boit un
animal, ours ou panthère, tourné à gauche; puis, dans le même
sens, lièvre courant, portant sur son dos un aigle aux ailes déployées.
Vers la cassure, arrière-train d'un animal en sens inverse.
Égijptc. Musée des antiquités nationales à Stuttgart (2).

[33j Fragment du rebord d'une table ou bassin circulaire. Fig. 30.


Grès. Larg. du rebord sculpté O'"!^; long. 0"'i7.j. Le rebord est limité
intérieurement par un listel, au delà
duquel le fond est brisé, extérieure- .-«8a^^_ _ v,..^*—«*^
ment par un filet suivi d'une rangée
àe perles allongées et de doubles ,, ;

*^

petites perles alternant en grande \\


partie détruites. Le revers laisse
reconnaître le fond du bassin, puis /

un rebord de moindre épaisseur,


mais celui-ci réduit à presque rien J ^
^.,^- —
'^'"'"
"-''
^""""
et le premier se prolongeant beau-
I, . Fig. 30. — Rebord orné de reliefs provenant
coup plus que d ordinaire près- ,
'
d'Egypte. Musée du Louvre.

que jusqu'au bord lui-même.


Animal monstrueux, à la tête allongée surmontée de hautes
oreilles pointées en avant, à l'avant-train de quadrupède, au corps
serpcntiformc terminé par une longue queue charnue, tourné à
gauche. L'avant-train se réunit au corps comme par une triple
nageoire. Deux longues ailes pointues s'insèrent sur le dos.
La description, on le voit, ne s'écarte pas en réalité beaucoup de
celle de l'animal qui, sur le rebord [15], engloutit Jonas. Il est vrai
que la manière est très différente et assez particulière et que, de
Jonas lui-même, il n'y a pas de trace, mais serait-il néanmoins
impossible que nous eussions affaire au monstre de Jonas?

(1) Ibid., 1. c. Les têtes de Minerve et d'Àpolloti, d'après M. Xyngopoulo (p. 79, n. 1),

seraient copiées sur des monnaies ou des pierres gravées.


(2) 'AiNAPEAl £ïrrOFIOÏA01, 'E cpr,iJ.£plç à px a loXoy i xr; , 1914, p. 76-77, d'après
une communication de M. le D' Pagenstecher de Heidelberg.
140 UKVl'E Rim.lOLlK.

Égifptc. Rapporté en in()î> par M. Scymour de Hicci (1). Musée du


I.ouviT (2).

Provenance inconnue.

Fragment du rebord d'une tal>le ou bassin circulaire, de giand


[34|
diamètre. Fig. 31 (3). Marbre l)lanc. Larg. du rebord sculpté 0'"18;
long. O^SO. Les reliefs sont limités intérieurement par un listel, au
delà ducjuel le fond est J)risé, extérieurement par un filet suivi d'un
cordon, non de longues perles et de doubles perles alternant, mais,
comme sur les rebords [8|, !21| et |22], de perles égales. Le
marbre a été Iongtemj)S recouveif
d'une couche de peinture, dont il

n'a pu être entièrement débarrassé.


Jeune berger, les cheveux re-
levés, en tunique courte qui dégage
toute l'épaule et le bras, assis de
profd à droite sur un rocher, la
jamlte droite ramenée sous lui, oc-

cupé à traire une chèvre. La chèvre,


la tête, en partie détruite, levée
l'ig. 31. — Kebdid orné de reliels. Don du
D' Capital). Musée du Louvi'C.
comme si elle tondait une toulfe de
feuillage, ses longues cornes effi-

lées rabattues en arrière, est placée comme le son! les chèvres


ou brebis dans les scènes analogues figurées sur i)lusieurs sarco-
[)liages ih), devant le pAtre, (|ui la traif par deri-ière.
Était conservé li\é sur un mur dans une coUeclion à Paris 5). Donné

(1} IIkiion itK Viu.KPossF. cl MiiiiioN, Mnséc du Lnuvrr, héparlcmcxi des tnili'piUés
grecques et romaines, Arquisilions de iannrc l'.KI'.i, n° 7. I.c Louvre a acquis en im^ine
temps par les Sfdns de M. Seyinour de Hicri un fraurnenl de rebord de forme sensililemenl
analo|{ue (fhid., n" 8), mais qui ne saurait |>rendre pla( e dans la série i|ui nous o(( ii|ie. Il
est rouvert de earactércs arabes el d'autres earaet»>res ocrupeni encore ïr |)eu <|ui subsiste
du b)nd. L'époque est donc tout autre, il n'y a en outre |>as trace de reliefs, ni listel
a l'intérieur, ni cordon de perles à l'extérieur, il sapit, h vrai dire, d un fragment d'une
de CCS stèles funéraires arabes d'un type parti< ulier dont il sera question plus loin.
(;>j inventaire .MNU. Ht\>..

'3) Cliché de la Société nationale des Antiquaires de Irance.


(4) (MiiRiJcci, Storia deW arle crisliana, t. V, pi. C( rLXIII, t, ?. et ;» et pi.

CCCLXVI, 1.

(5j L'expression « trouvé à Paris >, quoique précédée des mots « provenance inconnue »,

employée par M. Mendel [Calaloijuc du Musée de Conslatilinoplc, t. II. p. pourrait i'.î


,

induire en erreur. Le fragment aurait été, croit M. le D' ('a|>ilan, rapporté d'Italie.
MKI.ANGES. 141

pai' M. le D"" C;ipitan, memln'c de rAcadéiuic de médecine, professeur


au Collège de France, en 1903 [\}. Musée du Louvre (2).

Fragment du rebord d'une table ou bassin circulaire. Fig-. 32.


[351
Marbre blanc. Larg. du rebord sculpté 0'"V5 long. O'^âOS. Les ;

reliefs sont limites intérieurement par un listel, au delà duquel le

fond est brisé, extérieurement par un filet suivi d'un cordon de


grandes perles allongées et de doubles petites perles alternant. Le
revers laisse reconnaître nettement le fond du bassin, d'une part, et,
d'autre part, le rebord d'épaisseur moindre.
Daniel dans la fosse aux lions.
Daniel se trouvait représenté à l'extrémité gauche : il ne reste
rien de lui, sinon
peut-être sa main
gauche élevée
en prière ,
que
pourrait figurer
le relief indistinct
/
visible en haut
près de la cas-
sure. Sous une
archivolte, por-
tée par deux co-
lonnes avec base Fis. 3-2. — Rebord orné de reliefs. Musée du Louvre.
et pied mouluré
et mince chapiteau plat, analogues à celles qui se voient sur le re-
bord [28j (3), un énorme lion, à la formidable crinière, non pas
assis, ainsi que le sont le plus souvent les lions des sarcophages

représentant Daniel et que l'est celui de notre rebord [21], mais les
pattes antérieures en avant, les pattes de derrière ramassées et la
croupe haute, comme sur le point de bondir, la queue ballante
passant sur la colonne, tourne vers lui sa gueule grande ouverte. A
droite, personnage vêtu d'une tunique courte et, seinble-t-il, de
pantalons, encore en marche, le corps penché en avant, la tête de
profil à gauche, apporte au prophète une corbeille oblongue sur
laquelle sont posés quatre pains ronds, qu'il tend de la main

(1) HÉRON DE ViLLEFOssE et MiciioN, Muséc (lu Louvre. Département des antiquités
grecques et romaines. Acquisitions de l'année 1903, n" 10; Rebords de tables byzan-
tins, p. 13-14, n" 5.

(2) Inventaire MND. 618.

(3) Voy. aussi les arcades du marbre de Salone [S].


142 UKVllE l?IBI,IQUE.

droite. La pose du l)i'as î^auchc est confuse ainsi que l'objet qu'il

paraît tenir.
Il pourrait aussi, au premier abord, y avoir doute sur ce que re-
présente le relief visible sur le fond derrière le personnajïe. L'appa-
rence vaguement triangulaire sinmlerait assez bien celle d'une grande
aile attachée à son épaule. Les anges, toutefois, rappclons-lc, s'ils

peuvent i)rendre cet aspect de personnages drapés, sont rarement sur


les monuments chrétiens primitifs pourvus d'ailes, surtout d'ailes ainsi
rendues. Le rôle de pourvoyeur de la nourriture destinée à Daniel,
en outre, revient non à l'ange, mais à llabacuc. L'ange est seulement
chargé par le Seigneur de transporter Habacuc à lîabylone, —
« Et apprehrndit eu/n angclus Dom'uii in vertice ejus, ol portavit cwn

capillo capitis sui, posuitque eum in Babylone, aupra lacuin, in in/-


pctu spiritus sui (1) », — et c'est ainsi, pour citer un exemple, que,
sur le bas-cote du sarcophage de Brescia où figure Daniel entre les
lions, une main, surmontée de sept étoiles pour indiquer qu'elle
sort au ciel, la main de l'ange, tient Habacuc par sa chevelure (-2).
L'explication, en réalité, me paraît tout autre. Il semble que, alter-
nativement, de même que sur le rebord 28], au-dessus des colonnes,
régnaient une voûte cintrée et un fronton. Le départ d'un rampant
obli(iue se rccoimait nettement, à gauche, dans rcntre-colonncnient
où était Daniel et c'est par devant ce rampant que passerait sa main
levée. L'entrc-colonnement occupé par Habacuc, d'après cette symé-
trie, devait lui aussi comporter un fronton c'est le départ de ce :

fronton ({ui serait ligure à gauche entre le chapiteau et le bras tV Ha-


bacuc; il se continuerait, quoiqu'il soit ellacé, entre le bras et le

visage; le sommet s'en trouverait Juste derrière la tête du messager


de Dieu et c'ost l'autre rampant qui constituerait le coté de ce que
nous avons signalé comme un triangle. La base horizontale devrait de
n'être pas absolument rectiligne une maladresse de l'ouvrier,
soit à

soit à la confusion produite pai' lebord de la funi([ue.


.Vcquis dans le commerce à Paris en 1!HV (.'{). Musée du
Louvre i't).

(I) Dan., \iv, :j."..

('>.) GAiiuir.ci. Slnria ilcii urir crisliana. l. V, pi. (('( Wlll, '
cl |(. 'l'i. Vo\. aussi la

seilln inérovinnionnf «le Miuminn, |irfs Al)l>e\illi', Lk Hi snt, Mémoirrs <lr la Sucii-lë na-
tionale des 4iili(/unircs de France, I. XXXV, lH7i. |)l. III el p. ('•".» cl Nonrcau licrueil
dex inscri/ilions clirétiennt's dr In Caulc, p. Gl -<>(;, ii" 1."».

f:{) llmoN i)K Vii.i.KH)ssE cl MiciioN, Musie du /.nurrr, hiparlnninl dis aiiliiiuHis
fjrrri/iics ri rnmnitirs, Acqiiisilious dr l'aiiiirr lUI'i. ii" t.. Il se poiirr.iit. d .iprts des
iiidicalions intcrtainrs, i|ue li- rcliil \iiit d llalir.
(4) Inventaire MND. loll.
MlilANGES. d43

[36 Kragaiont du rebord dune table on bassin rectangulaire.


V\g. 33 (1 ). Marbre blanc. Haut. 0"'17
du rebord sculpté 0'"155;
; laru.
loni^-. 0'"2V. Les reliefs sont limités intérieurement par un listel, au

del;^ duquel seule subsiste la gorge par laquelle se rattachait le fond,

extérieurement par un filet suivi d'un cordon de grandes perles al-


longées et de doubles petites perles alternant. Le bonnet de Daniel,
de môme que sur les rebords [8], [18], peut-être [22] et [24], empiète
sur le listel.

Daniel dans la foasc aux lions.


Daniel en costume oriental, comme sur le rebord de Djemila [3],
coill'é du bonnet phrygien et

vêtu d'un vêtement à man-


ches serré par une ceinture,
qui prend l'aspect d'une sorte
de caleçon avec pans retom-
bant en arrière et sur les co-
tés (2), debout de face, la tête
de profil à droite, les bras
étendus et levés, les mains ou-
vertes en prière. A sa droite,
Rohord orné de reliefs. Colleclion Parent.
un lion, à l'épaisse crinière Musée du Louvi'e.
se précipite vers lui, la queue
De
levée, la tête basse. l'autre côté, restes de la tête mutilée du lion
formant pendant.
Donné en 18G9 par M. Parent (3). Musée du Louvre (4).

[37] Fragment du rebord d'une table ou bassin rectangulaire.


Fig. 34 (5). Marbre blanc. Haut. 0"'12; long. 0'"13. Le bord, brisé

(1) Cliché de la Société nationale des Antiquaires de France.


Le Daniel dun peigne en bois d'Achmim, que nous avons déjà eu l'occasion de
(2) citer
(WuLFF, Beschreibung dcr cliristlichen Bildwerke, n" 288j, est à ce point de vue très
analogue.
(3) Rebords de tables byzantins, p. 11-12, n° 2. Il est très vraisemblable que ce fragment
et le suivant, comme presque tous les objets ayant formé
Musée Parent, ont une prove-
le
nance orientale, peut-être Chypre ou la Syrie. L'affirmation de M. L. Bréhier qui, sans
connaître mon travail de 1908, d'après les quelques mots que je leur avais consacrés en
1900 [Bulletin de la Société des Antiquaires, 1900, p. 159j, a mentionné ce rebord et le
suivant dans ses Études sur l'histoire de la sculpture byzantine {Nouvelles archives
des missions scientifiques et littéraires, nouv. série, fasc. 3, 1911, p. 25-105 et pi. I-XXIII),
p. 99, repose sur une confusion « Le même sujet, Daniel dans la fosse aux lions, se trouve
:

au Musée du Louvre sur une plaque de la collection Pavent qui fut rapportée de Crimée,
en 1856. Une plaque analogue bordée d'oves et de perles montre Jouas vomi par la ba-
leine. »

(4) Catalogue sommaire des marbres antiques, r," 304G.


(5) Cliché de la Société nationale des Antiquaires de France.
144 UEVIJE KIIÎI.iniJK.

(le toutos parts sauf cxlci-icuroiucnt, esl liinilr do ce côté par un


lilct suivi d'une rangée de grandes perles allongées et de doubles
petites perles alternant (1).
Jouas vomi par la baleine.
I.e corps du prophète sort de la gueule grande ouverte du uions-
tre, armée de deux formidables crocs. Il est, non pas nu, comme on
drvrait s'y attendre, mais vêtu et enveloppé d'un manteau qui ne laisse

que le buste et les bras à découvert. Jonas


nous était déjà apparu drapé, dormant sous
la courge, sur le rebord |15| et de même, di-

sions-nous, le représente dans la môme scène


un sarcophage La pénétration qui
d'Arles (^2).

s'est faite et que nous avons signalée des deux

scènes de Jonas sortant de là baleine et du


Kig. 3'é. - Hebord orné de Sommeil (le Jonas peut expliquer, sans le jus-
reliofs, collection Parent,
^-p^^^. |g sculptcur
i
ait douné à Jouas UU
Musée «lu Louvre. ' ^
vêtement jusque dans l'intérieur du monstre.
En bas, localisant la scène, énorme dauphin nageant à droite (3).
Vers le bord, amorce d'un relief indistinct.
Donné en 18()î) par M. Parent (V). Musée du Louvre (5).

|38 Fragment du rebord dune table ou bassin ;6). Fig. 35 (7).

Mariire blanc. Haut. 0'"15; larg. 0"'165; épaisseur, au bord extérieur


0"'02:J, au bord intérieur 0'"05. Les reliefs sont limités intérieurement
par un listel, au delà du(juel la cassure s'est produite au niveau de la

gorge par laquelle se rattachait le fond, extérieurement par un filet


suivi d'un cordon de perh^s allongées et de doubles petites perles
alternant. La face inférieure est simplement dressée, non polie.

Ifarifl s'ajjprêtaîit à combattre Goliath.


(' David s'avance dun pas résolu vers la droite, le buste de face,
la tète de profil, imberbe et aux ch<'veu\ courts. la jambe droite en

(1) Le niel extérieur ne seinl)lc pas al)SolMinenl rcdili^nc, mais il ne pciil saf^ir il Un
reltonl eirculaire. Voy. les rebords 29 el 38', el aussi le rebord |2 .

(2) GMiiifcci, Sloria delV nrle rristiaiia, I. V. pi. ('('('LXWIV, 2 et p. l'2:>.

(3) Voy. de iiiéme les dauphins du rebord |15j.


(i) Hrbords dr Inhles Injzaiitnis, |). V\, n° 3.
(5) Cntalofjuc sommaire dos marbres anliijuex, n" :U)'j7.
(ft) M. Mendel {Calaloijuc du Musée de Conslanlinopir, t. II. p. ir.î») dit -i circulaire •>.

mais la pliolo«raphie donne l'iniiiression d'un rebord, sinon absoluinenl. bien peu s'en
faut, reetilinne el il faudrait, pour adrnetlre un nionuinenl rirculaire. su|>p(tser un diamè-
tre lU'tnesuri' (voy. de infime le fra^nienl firérédml .

<1) I)'a|ires la photonrapliie n° MI.m; du Musre de Conslanlinnple. obli^ieaninienl fournie

en l'Jia par M. Mrndel. tonservateur îles .Musées impériaux.


MÉLANGES. i4a

arrière et fortement tendue; il est vctu d'une tuni(juc courte, serrée


à 1h taille, et porte des chaussures montantes (1) ;
de la main gauche
à demi tendue en avant, il s'appuie sur un bAton et de la droite,
violemment rejetée en arrière et baissée, le coude à la hauteur de
lépaule, il brandit la fronde dans laquelle on voit encore la pierre
qui va trai)[)er Goliath (2) une petite masse do marbre triangulaire,
;

conservée à droite près de la cas-


sure, appartient sans doute à

larme du géant (3i. »

Acquis en 1910. Musée de Gons-


tantinople {^).

39] Fragment du rebord d'une


table ou bassin circulaire. Marbre
blanc.
<' A gaucho, reste le bas dune
jambe humaine; personnage en
tunique étendu sur au pied
le dos,

d'un arbre (5). » M. Mendel songe, Fig. 3"j. —


Rebord orné de reliefs.
sans raison suftisante, il me sem- Musée de Constantinople.

ble, à la scène du déluge figurée sur


le rebord de Djemila
[3] et aussi sur celui de Sbeitla [4]. Le personnage
en tunique, couché, ne saurait être, comme les corps nus de ces
fragments, un des cadavres sur lequel se pose le corbeau de l'arche.
Jo7ias, au contraire, nous venons d'en voir un exemple, est parfois
figuré drapé. Mais la disposition par rapport à l'arbre peut-elle lui
convenir et que serait la jambe voisine? Il est snperflu d'émettre
des hypothèses en dehors de la vue et de toute image du monument.
Gollections de l'Institut impérial archéologique russe de Gonstanti-
nople (6;.

(1) Le détail n'est pas très visible sur la reproduction.

(2) Il est incontestable que David ici


« brandit » sa fronde plus que dans les exemplaires

[4] et [23], mais je ne suis pas sur ([ue le coude levé à la hauteur de l'épaule ne soit pas
dû surtout à une maladresse du sculpteur et l'on ne peut vraiment dire avec M. Ebersolt
(Revue archéologique, 1913, 1, p. 336) « On est saisi par cette attitude si naturelle [il
:

dit aussi : « «]. Le marbrier qui a sculpté ce petit relief avait


ce type sémite si accentué
évidemment observé la nature. »
(3) Catalogue du Musée de Constantinople, t. II, p. 169. Voy. aussi Ebersolt, Revue
archéologique, 1913, I, p. 336 et fig. 2.

(4) Ibid., n" 485 (2160).


[h)Ibid., t. II, p. 428.
r, Ibid., 1. c. Il est bien certain que le fragment ne peut être que de provenance
orientale.
REVUE BIBLIQUE 1916. — ^. S., T. XIII. 10
140 iu:vi E lîiniJOLE.

[^40' Fragment de rebord. Marbre l)lanc.


Tète juvriiilo aux chcvoux l^ouclrs, coille»^ d'un bonnet (1).

Il doit entin se trouver encore un ou pkisieurs fragments analogues


à TAthos. ainsi que l'indique M. Mendcl dans le Catalogue des scii!/j-

du Musée de Constantinople.
lures grecques, romaines et byzantines
d'après une note d'une étude de M. Pantchenko insérée dans le
lUdlctin de l'Institut impérial archrolorjir/ue russe de Constantinople (2 ,

mais en ajoutant que nous manquons sur ce point de renseignements


précis (3).

m
Il ressort du corpus ainsi établi des tahles ou l.tassins à rebords
ornés de reliefs qu'il y a lieu, d'après la nature même des sujets
auxquels ces reliefs sont empruntés, d'en distinguer trois groupes V).
Il est d'abord quelques exemplaires, en très petit nombre, dont les
reliefs sont « païens ». Le plus caractéristique k ce point de vue est
sans doute l'exemplaire du Musée de Vienne [7j, où, — négligeant
même la tète tourelée placée dans l'angle et le personnage nu tenant
nn peduni i\o lune dos faces, (pii peuvent n'avoir pas au point de vue
que nous signalons pour l'instant de signilication drlinie, il n'i'U —
reste pas moins que le sculpteur a donné la place principale à une
divinité, porteuse du sceptre, assise dans un char que traînent deux
Centaures. Le rebord du Musée de Herlin 24 y sera joint, sur lequel
se voient un Sati/re et une llucchante ou Ménade (5). Viennent en-
suite le rebord du Musée d'Athènes provenant de Xauplir 10 orné ,

(1) A>i(if,e und Oi/zantiiiisc/ic h'icin/iinist (uis auslihidisc/icm mid Miindioirr l'rirnt-
hexilz, (lias, Kcramili, /{ronzen, Arbrileii in Slein. ncfjyplisc/ic hliufinule. Au/Uion ht
Miinrfieit in (1er daleric JfeUiing von •JS-.'iO orlahcr 191.:, n' 58. La description, en ell<"-

môine insiidisanlc pour classer le fragiiiont dans la si'rie <|ui nous ocnipe, fait suilc à cflle

du rebord [19 aver. l'indicalion » Desi/fcirlicn <>. F,e D' P. ArndI, dans le court avis dont
il a fait prect-der le catalogue, indiquant en outre (\i\>' les olijets |)ro\iennent pour la |du-
parl de la collection d'un élraniicr de distinction, «pii par des vo\a;;es eti Asie Mineure a
eu l'occasion de les ac<|U(Tii' sur place, il est vraisemldaltle ipie le rehord, s'il ne vient pas
lui-im^Mic, comme ce dernier, de Tiirse, doit du moins provenir d Asie Mineure.
(2) Trois reliefs trouvés dinis la hasilif/ue <lc stondios ii ('(ntsitinlinople, /liillchn
(Izvjeslija), XVI (p. 1-:{5λ et pi. I-III), p. .\^,
I. n. t.

(3) Catalntjur du Musée de Constantinople, I. Il, p. i^s.

(i) Voy. le.s reinar«|ues r|ue fait dcjà ;\ ce sujet .M. Xynuopoulo et le parallélisme (pi'il

étaldit sur ce [loint avec certaines autres cal(*}j;ories de sculptures on dohjets. c(Mnme
notamment les sarco|ihnnes dits d'Asie Mimure "i; ;pr, |iepi ; àp-/at'<) o y' >^ r. l!M4,
p. 2Gt-2r,.!;.
{Uj '<
Fragment païen i- , dit M. Mendel (Cnlnlnijur du Musrv dr (iinslanlinuplr. t. II,

p. '127).
MÉLANGES. 147

do Centaures marins et d'une tète qu'on a cru être celle d'un Nep-
tune, et celui du Musée de (lonstanf inople 14 ontiôrement occupé par ,

des AVmV/^.s- chevauchant des monstres marins, sous cette réserve ce-
pendant ([uc, |)liis encore que les motifs du cycle bachique dont quel-
ques-uns même ont pu se g-lisser dans les représentations de l'ait
chrétien primitif, les motifs du cycle marin n'y sont pas rares ri),
La Néréide, en particulier, rappelle avec raison M. Mendel (2), « ap-
paraît très semblable au type qu'elle y revêt sur le célèbre bénitier
de plomb de Cartilage », Il faut ajouter encore le rebord de Stuttgart
[32 en ce qui concerne les tètes de Minerve et éC Apollon qui y figu-
i,

rent. Ici aussi, toutefois, on jjeut alléguer, avec M. Xyngopoulo, la


présence d'une tète de Mi/irrir sur un verre du Vatican appartenant
à la série dos verres dorés chrétiens 3 et, au surplus, le rôle des tètes
1

de divinités n'y est que très accessoire et ne consiste qu'à séparer


les poursuites danimaux qui constituent l'élément principal du
décor (4).
L'exemplaire de Suttgart par là se relie aux rebords du second
groupe, dont les reliefs consistent précisément en ces poursuites ou
luttes d'animaux, soit avec adjonction de tètes encore (5), mais n'ayant
qu'une valeur décorative exclusivement <1).
:6i, soit

L'épithète de païen » ne convient déjà plus à ceux-ci :8) et tout


><

au plus peut-on les qualifier de « neuires » Sans vouloir même y cher- .

cher, conmie on pourrait le faire, un sens symbolique ou allégorique,


il faut dire du moins que de telles représentations étaient librement

(1) Voy. Kk.vis, Heal-Encyfdopddie der chrisllichen AUerthilmer, s. v. « Mylliolo-


(jle », t. II (p. 462-485), p. 463-4G4.
Catalogue du Musée de Constantinoplc, t. II, p. 429.
(2)
M. Xyngopoulo, pour ce verre avec Je nom de Der/fl/«».<t. renvoie ('Eif ruiEcî; àpya-.o-
(3)
'io-^\/.r„ 191't, p. 262) à la (ig. 252 de la V édition du Handbuch der christlic/ien Archéo-

logie de Kaufinann.
(4) Sur le rebord [32 sont encore des enfants portant un sanglier suspendu à une
perche et une femme agenouillée donnant à boire à une panthère.
(5) Exemplaires Q\ [H], ^12 26). 11 faut ajouter
, le fragment )40j avec une lèfe
seule et le fragment du Louvre 29), où il ne reste qu'une tête et un arbre.
6) Il est faux de dire, avec M. .Xyngopoulo )'Eçr,(X£pl; àp-/aio),oY'.7.r,, 1914, p. 77), que
ces têtes ne se rencontrent que sur les bas-reliefs représentant des poursuites d'animaux,
— nous avons mentionné, outre la prétendue tête de Neptune du rebord [10], la tète tou-
rclée de celui du Musée de Vienne 7), où les animaux n'interviennent pas. et jamais sur —
aucun de ceux inspirés par des scènes bibliques sur le marbre du Musée d'Agram [5], entre
:

le Jonas de la face antérieure et les Apôtres du pourtour, une tête. Saison ou Vent, est,

on se le rappelle, placée dans l'angle.


)7) Exemplaires [8], avec la figure d'un jeune pâtre assis, [17], [19], [25], [30], [31].

(8j II est abusif, nous l'avons noté, de qualifier, comme le fait M. Sticolti (Die romi-
scfie Stadt Doclea, représentation du rebord de Doclea [6] par exemple, au(|uel
p. 152), la il

attribue un caractère votif, de « scène bachiijue ».


148 iu:m !•: lîiiujouh:.

admises et sur les objets servant aux (idrlcset dans les édifices coiisa-
ci'és. Les cudiers faisant partie du trésor de Chypre dont nous avons
parlé, par exemple, portent nombreuses, dans leur cavité, soit des
bêtes féroces, soit d'autres animaux au galop (1) et il suffira de citer,

dans second ordre d'idées, la fameuse mosaïque de Téglise de


le

Kabr-Hiram près de Tyr, rapportée au Louvre par la mission Ke-


nan(-2). avec ses huit cadres d'entre-colonnements (3) représentant
lion et lionne poursuivant un cerf ou un sanglier, panthère et tau-

reau, ours et cheval, chien et lièvre [h).

en est de même des scènes de chasse des rebords de Pérouse[l) et


Il

(lu Louvre [18 et à plus forte raison des scènes pastorales, comme
j

celle du rebord ;34i, dont en passant nous avons indiqué des analo-
gues sur des sarcophages chrétiens (5).
Le troisième groupe, enfin, puise sa décoration dans les récits des
livres saints et c'est la majorité, puisque, de quarante exem})laires
énumérés, à eux seuls les sujets bibliques ne se rencontreiil pas sur

moins de vingt (G).


Inspiré à des sources diverses, le décor n'en garde pas moins des
caractères frappants d'unité, unité de disposition, unité aussi dans la
présence constante de certains détails, comme par exemple le cordon
de perles qui frange le pourtour extérieur (7). S'ajoutant à l'identité
intrinsèque, il y a bien là. semble-t-il, l'indice qu'il s'agit d'ob;cls
d'une seule et même nature, dont il n'y a pas à disti-aire tels ou tels.
Exception pourrait être faite tout au plus pour les marbres de Sa-
lotie '5] et de W/ddi/i 7]. Le premier se distingue par deux siniiidarités
sur lesquelles nous aurons à revenir : à la dill'érence de tous les autres
exemplaires, qui sont ou rectangulaires ou circulaires (8), il est droit

(1) Dai.ton, Calalof/iic of cfirli/ chrisUnn (inliiiuUies, n"> 414-424 c\ \\\. \\\
(2) E. Renan. Mission de l'Iirnicie, pi. XLIX et |». fi(t7-02r), SiO, 86y-870.

(3) Calnbujuc soiiiDiairr des tnnrhres fintii/ues, n"" 2233 et 2234.


(4) Le <arucl«Ti^ neiiire ili' ces repri-s^nlations, et aussi le fail (|U(' des lictails païens se
rencontrent sur des n-uvres |)r(i|irenient rlinliennes, est justiineiil noié par M. X.vnfiopoiili»
qui fail remarquer (juc, <'n appelant le marbre du Musée d.Athènes 11 une plaque chré-
tienne, il a enlenihi ilire qu'elle appartenait a répo(|ii(' chréliemie, pluliït (|u'ariirmer (|nel!e
était fait chrétienne 'KqprjiAe pi; àf-yaio) o yn'-r,. l'U i, p. .>G2-2(;;{).
en
5y Le jeune paire assis du relionl ;18 n'est (|ui' seeinidaire; quant au berf;er nardanl sun
troupeau du rebord de hjrmila 3]. il si-rait. d'nprcs le (' Uelainare {Revue anhcologii/ue.
I. VI. 1. 18i0. ji. l'jr.-l'jT un Hnii J'asirur. ,

r, exemplaires 2|. l3|, i4j, \5], 9j. ;13 . 15 . 16 ,


20i, |21], [22 23 |27|.
,28. [35 , i36;, 137 , [381, [39 et peul-élr<- 33 .

(7) Voy. la réserve indiquée pour les exemplaires [5] et (10 .

(8 M. Merlin, par un lapsus, dit circulaires ou lrian^;ulaircs (BuIIcHh nrcliéoloijiqne du


Comité. 11M3. Procès- verl)aux, |>. cxc).
MELANGES. 140

;\ rime de ses extrémités, arrondi à rautre. avec l'aspect d'un grand


fer à cheval, rebord qui limite le fond se rétrécit
et, de plus, le

en avant sur nu point de manière à ménager une avancée à ce fond.


Le second, beaucoup moins com[)let et dont il ne subsiste qu'un angle,
présente de même, non seulement un rétrécissement, mais une inter-
ruption complète flu rebord et, sur une étendue qui demeure indé-
terminée, rien n'y venait clore le fond sur la partie médiane anté-
rieure : son état ne permet pas de constater si la forme générale, en
outre, en était particulière et si par exemple, quoique la chose soit

probable, il aurait été cintré dans sa partie détruite comme le

précédent, dont il était loin d'atteindre les dimensions.


L'unité reconnue, à son tour, entraine, pensons-nous, pour l'en-
semble l'admission d'un usage religieux (1), auquel, quoi qu'en dise
M. Wulfï", pour qui les exemplaires 24] et [25| suffiraient à attester
à l'origine un usage profane (2), n'auraient pas répugné essentiel-
lement, nous avons essayé d'indiquer brièvement comment et pour-
quoi, même les sujets que nous qualifiions tout à l'heure de païens
et qui justifierait seul la prédominance marquée des sujets sacrés.
Il est en effet difficile de rendre compte de cette unité en suppo-
sant, comme en serait pour M. Mendcl un exemple très précis le rebord
portant des Nén'ide^ sur des Centaures maririh l^^j^ " un objet de
culte païen adopté parle culte chrétien » (3).

La Bible et l'Evangile, objecte M. Xyngopoulo (i), étaient un réper-


toire courant d'images et, à côté d'un passage de Théodoret parlant
dune manière générale « des étoffes de laine ou de soie où sont
représentés des animaux de toutes sortes, et des personnages, les
uns chassant, les autres en prières, et des arbres, et mille autres
choses (5) j», le texte qu'il cite de S. Asterius d'Amasie se peut en effet
par bien des points juxtaposer pour ainsi dire aux diverses séries de
DOS reliefs, dont il forme comme la contre-partie à peu près confempo-

(1) Voy. Mendei., Catalofjue du Musée de Conslanlinople, t. II, p. 429 « Ces frag- :

menls proviennent, soit de tables, qui devaient servir à quelque cérémonie du culte,
soit de bassins circulaires, plats et sans [irofondeur. qui devaieni avoir aussi un rôle
dans la lilurjiie. »

['1) Beschreibuiig der aUchristllchen Bildner/œ, p. 11 : >< Uie )i. 22 und 23 beveist,
enslamtnrn dièse Gerdte ursprunglich deni profanen debrauch. »

(3) Catalogue du Musée de Conslanlinople, t. II. p. 429.

(4) 'E5y)'j.cpl; àp/.a-.oÀoY'./.ii, 1914, p. 8i et surtout p. 262-263. M. Xyngopoulo reste


d'ailleurs dans une grande réserve.
l'ô; TnÉoDORET, De Providentia oralio, IV (Migne, Palrol. graeca, t. L.WXIII, p. 617) :

« II w ; £ V i 7_ cô (1 a T t ôj v ~ o y. î à v w v è p w v 9; a r, o i y.
•. •/ v v |a â - w v
'. li. t: a v t o ô a tî wî <;> •/; .
^

Ç w o) V è v.( 3 a { V V T a t v r: o y. a à v 6 p w t: w v î v 5 â À u. a t a
i t ,t (3 v
t à / 6 r, o î 'j 6 v- oj v tw , ij. , v

5 à t: po T = -j
y_ tj. £ V wV , y. a •
o £ v ô p to v s • y. 6 v £ : . /.ai ; t £ p a a ). ). a [Ji y p ; a . «
loO HKVUli: BIBLini K.

raine. L'évc(|Uo commence par reprocher aux riches hi vanité de


leurs vètemeiils historiés. « Lorsqu'ils s'en montrent revêtus, écrit-
il, ils apparaissent au.\ passants comme des murs couverts de sujets...
il y a (les lions, des panthères, des ours, des taureaux, des chiens,
des forêts, des rochers, des chasseurs et toute limitutiou ,!;raphique
de la nature, il ne sul'lit plus, comme on pouvail le ci'oire, d'i rner
les parois de leurs demeures, il faut en faire autant des tuniques
et des manteaux qu'ils portent sur eux. » Mais ce n'est pas tout.
« Les plus religieux de ces riches, lioiiimcs et femmes, contient aux
tisserands toute l'histoire évangéli(jue, je dis le Christ lui-même

avec tous ses disciples et chacun de ses miracles, tel qu'il est rap-
porté (1) », les noces de Cana, le paralytique enq)ortant son grabat,
l'aveugle guéri, l'hémorrhoïsse, la femme adultère, Lazare. Et
S. Asterins un tel étalage sans valeur morale la véritable
oppose à
mise en pratique des enseignements di\ ins.
L habitude existait donc, à supposer que le prédicateur ne force
l)as la note pour mieux agir sur ses auditeurs, de faire reprc'senter

les plus connues des scènes de TÉvangile jusque sur des vêtements

de luxe qui n'avaient nul caractère liturgi(|ue de ce qui se faisait :

sur des étoiles est-il défendu de conclure â ce (jui aurait pu se


faire sur des marbres sculptés?
L'homélie de S. Asterius, toutefois, quelque portée ([non veuille
lui donner, dénierait tout au })lns le di'oit d'écarter [) w la ipiesliou

préalable l'hyijothèse d'un enqiloi pi'oran(\ Théoriipiemeut possible,


un tel emploi, dont on serait bien embarrassé, étant donné la matière
et les dimensions (-2), de montrer où il se placerait dans la vie domes-

(l) Amasems, llomil. de divitc el Lazaro (Mi{^ne, l'nlrol. f/raeca, t. XL,


s. AsTi;iiiL.s I

p. 1G5, 168) "Otav o'j V èvS-jaâ |xevo'. çavôxriv lô; Toï/_ot if£Yf,a|i|i.£vo: îtapàTo. v
: " ,

(jjvT-^Y/avô/Twv opûvxai... l'.y.iï Éovxe; xat TtapSàXcii;" àox To;y. ai TaOfo;, ' /.

xai x-jve;" -j'/.x'., xa: TrÉTpai xal àv5pï; OrjpoxTÔvot, xal 7tâ<7a t?,; y.r, , r, t( ç, t. ^^ i i;

£«'. Tr,oeui7'. ç (Al ii.o'j|X£VTi TTiv yûiTiv. "K5e yàp toù; Toîyou; a-JTtûv (X(5vov, cl); |jlt,

£ 1 X£V , Xa l T a; '.
X t a ; X ij (X i T rj af à ) > à r, ôn xa i toy ; / 1 t ôi v a; xa i tà é v è xe { v o t ;

'.(AaTta. '0(30'. Ô£ xai oay.: -ôtt r/ outo-J vc wv [iv -Jixîvj eO) a^iatepoi, àva-
>. £ $ â |j. £V 1 T T, V e V «YY £ '/
'.
X r, •/ l oTop ta •; t o î ; -j
^avta î ; ;î ap é 5 wx«v aùt ov ), é y o) tov
XptijTov r, |i(ôv lAîtà -zG)'! |iaOr, T'ôv à7;avTwv' xaî tû v Oau(x.aiTi wv ExaTTov, on
r, 5 1 r,
Y Tj <j i ; i/t:. ••

''ij La inalijrre <rl les (liin(;nsioris, à linviTsc, soni prtM iscnifiit !<;> raismis i|ni ('iii|>(( liPiil

lie croire destinée à «les usages iiUirf;i<Hies une «oniie de |il(iml), • piriola coppa di pioinbo ><.

acbeléc par M. Dressel a Home el (|iii, |iiirliinl an ri'titre un niédailloii avee le Socri/icc
d'Aliialiiiin, sur le |ioiirl()ui, enlre deux rangs de i>erles. Jonas, ixniiel. des dauphins,
poissons el aulres animaux, sérail A ces litres à rn|i|>r(i(lier de nos rehords Menoi:!., Crtta-
lorjiir ilit Miisvr (le Coiislfinfinnplr, I. II, p. i'.l'.t, : fondue sans aucun «loule à plusieurs
exemplaires, une telle coupe de vil métal • probnbUincnlc servi conie ustensile délia
iiieiisn uelle pnreli doniestiche n iielle aijnpi erislinne » Ihilleltino di (irehenlogin
MELANGES. 151

tique et journalière, — M. Wiiltl" dit, d'après les représentations hachi-


(|ues du rebord dans les repas (1), mais vraiment le
(24j et la fornie.
mar])ro y serait bien mal approprié (2), a contre lui que, du seul —
exemplaire dont le lieu de trouvaille soit connu d'une manière assu-
rée, l'exemplaire de Sbeltla [4], M. Merlin, directeur des antiquités et
des arts de la Régence de Tunis, précise que ses fouilles l'ont recueilli
« au-dessus du mur circulaire du baptistère » adjacent au chevet
d'une des basiliques de la ville (3).

Il y a Va une circonstance de fait (jui, venant à l'appui des argu-

ments de raison, si elle ne le démontre pas, rend du moins à mon


scii'^ vraisemblable le caractère sacré des monuments que nous
étudions. Mais, ainsi ([ue j'en convenais, l'usage même au(|uel ser-
vaient ces monuments est moins aisé à déterminer. « Il est sur, écri-
vais-je, que ce sont les rebords, brisés à cause de leur moindre
épai!?seur, de dalles ou rectangulaires ou circulaires, qui, — par la
présence même de ces rebords moins épais, mais pourtant en saillie

de quelques centimètres sur le dessus, formaient cuvettes et que —


l'on peut par là appeler à volonté tables ou grands plats (i) » et, dans
ce travail-ci même, nous avons à dessein conservé jusqu'ici la double
dénomination de tables, qui est celle que préfère M. Xyngopoulo, et de
bassins (5j, qu'il trouve injustifiée à cause du peu de profondeur (C).
Les auteurs presque tous observent la même indétermination. Table,
plat, vase, bassin, dit M. Wulff de l'exemplaire [1] (7), et il fait suivre

cristiana, 1879, p. 133-134 et pi. XI, 4). Il n'y a pas, en revanche, je crois, à tenir compte

du rapprochement indiqué aussi, mais dubitativement, par M. Mrndel {\). 488) avec une
petite frise en terre cuite du Musée de Constantine (Doup.i.et et Galckler, Musée de Cons-
tantine. Musées et collections archéologiques de l'Algérie et de la Tunisie, pi. XII, 7 et 8,
voy. aussi p. 111 « Ce sont, écrivent MM. Doublet et Gauckler, en en parlant (p. 64), des
:

appliques portant en relief des sujets moulés et (luelciuet'ois retouchés ensuite à l'ébau-
choir, d"un travail assez délicat. Les [fragments] les plus importants, composés d'une série
de morceaux maladroitement rejoints avec de la colle forte, semblent représenter un cer-
tain nombre d'épisodes de l'éducation d'Achille au milieu des Centaures. »

(1) Besclireibung dcr alldirisllichen Bildicerlie, p. 11 « Dièse Gerate... dicnten mohl,


:

nncli den bacchischen Darstcllungen und Formen derselben zu schliessen,... den Zwec-
hen des Mali les. »
(2) Tbid., I. c. : « sei es als TiscJiplatlen, sei es als Scliiisseln ».

(3) Biilletin archéologique du Comité, 1913, Procès-verbaux, p. clxxxviii.


Rebords de tables bi'zantins, p. 14.
(4)
M. Slicotti, à propos du fragment de Doctea [6], se sert du rnot de « labrum n
(5)
{Die romische Stadt Doclea, p. 152). L' Uebersiclit der hunsthislorischen Sammlungen
des allerhochsfen Kaiserhauses mentionne (p. 78) l'exemplaire de Widdin [7] comme
« Bruchsliicli eines scichlen Brunnenbeckens », fragment d'un bassin plat de fontaine.

(6) 'E?riiJ.£p'i; àp/at oXoy ixi^, 1914, p. 84.

(7) Beschreibung der altcliristlichcn Bildwerhe, p. 11 a Tisc/t \oder Gefiiss?]rand...,


:

RandstUcIi eines Beckens oder ciner Flatte. »


{"ii REVUE BIBLIQUE.

d'un point d'interrogation l'épithète « horizontal » donnée au rebord (1),


vase ou bassin de l'exemplaire [24] (2), vase de l'exemplaire i25j (3 ,

dessus de table de l'exemplaire [26] du mémo Musée i\) table ou bas- ;

sin les catalogues de ventes de Munich de l'exemplaire [9] (5) et


bassins des exemplaires [19] et [40] (6); plateau de fontaine avec un
point d'interrogation Kckule do l'exemplairo jlOi, mais aussitôt avec
l'altornativo de dessus de table pour l'excmphiiro ;llj (7); table
L. V. Sybel du eux (8) et M, Xyngopoulo du
premier d'entre
second (0); table ou bassin M. Mendel des exemplaires [14], 15],
16] et [38] (10) et plat ou vase M. Ebersolt du deuxième et du
([uatrième (11): plats, tables ou bassins M. Merlin, d'après mon étude
de 1908 (12), et, nous l'avons dit, Delamare (13), cjue ne fait que
répéter Dom Leclorcq (IV), vase, bassin de fontaine, margelle do
puits ou laratorinm de l'exemplaire [3i.

Il importe pourtant d'essayer de serrer le problème de plus


près.
La table, tout d'abord, pourrait-elle être une table d'autel? < l/o-
pinion aurait été émise, disais-je d'après des données assez vagues
dans mon premier travail pour le titre duquel j'avais adopté la quali-
fication de Rebords de tables, notamment pour un fragment de prove-
nance égyptienne qaalilié de fragment d'un autel co|>te, qu'il s'agirait
d*autels(15) », et j'objectais que quelques autels coptes en particulier,
figurant au volume do V Ait Copte do M. Strzygowski dans le Cata-
logue yriiéral du Mttsrr du Caire, sont d'un modèle entièrement

(1; Ibid., I. c. : « Dieinnen pnlicrle Wolbunfj erhcbt sich iiber dm {liorizonlaly) ab-
stehenden Handstiicken in cinen nach ausseu abgeschragten Stffj. »
(2) Ibid. : « Geffissrand..., RandslUdi eines flac/if/ewolblcn Bec.ens. »

(3) Ibid., p. l'i « Gcfnssrund. »


:

(4) Ibid., p. 310 : « Tiscfiplntfe. »


(5) Griecliische Ausr/rnbungcn, Aulilion in Miinchen in der Galerie llclbing den 21
und den 2>i Juni l'.IIO, y. 30 « Fragment eines Tisr/ies mil Reliefddrslellung »;
:

Sammluny Kirchnei'-Sc/iirartz, Auhtion in Miinclien in der Galerie llelbiiig am J'J


und j:{ Juni l'.il'i, p. 29 « Fragment von Kande eines Marinnrbeckens. »
:

(6) AnlUie und byzantin ische h'iein/iunst. Auhliou in Miinchcn in der Gairrie llel-
bing von 2S-:iO oclober [>. 4 « Fragment ran Itande eines grossen Mnrmor-
/.'//.',', :

beclien.^. »

(7) Die antilien liildwcrlic. in Theseinn zu Atliai. \>. «.

(8) h'atalng der Sculplnren zu Atlien, y. \M\.

(9) 'E5r,|X£pîç àp/aio/.oy.y.Ti, I9l'i. p. 70 : " IDàE TpaTi^sTiÇ /ot tt t avix r,î. «

(10) Calaloguc du Minier de Cnnslantinoplr, |. Il, |i. v^5, 430,433 cl H">'.<.

(11) /{rriie arrln'ologit/iir. 1913, I, p. 33<).

(12) li'illetin arrliénln'iiijne iln Comité, 1913, Pror('>-vciltnux, p. cxc.


(13) Kevue arcfit;ologir/ue, l. VI, 1, »8i9, p. t9fi.

li; fticfionnaire d'arclirolngic r/irrtienm- ri dp liturgie, I. I, p. 2719


(15, Rebords de tables bi/zantins, p. 14.
MEL.VNGES. 153

dillcreiit [l<. Mais, par ailleurs, le même M. Strzygo\vski, dans un


articledu Bulle tiino di archeologia c storia dalmata consacré pour la
majeure partie au marbre de Salone [5] (2), attire Fattentiou sur un
certain nombre de tables demi-rondes, à la superficie creusée en
son milieu, qui se trouvent employées jusque de nos jours dans les
églises copies comme tables d'autel. « J'en ai vu moi-même, rap-
porto-t-il, ou quatre au Caire même, puis h. Deir Moharag
trois

et en d'autres lieux (3). » La forme lui en paraît, et il a raison à coup


sûr sur ce premier point, tout à fait identique à celle du monument de
Salone, jusque dans la particularité notamment du fond en creux
coupant la marge antérieure. D'autre part, note-t-il, quoique tout
autres soient d'ordinaire les stèles sépulcrales coptes, simples dalles
oblongues parfois surmontées d'un fronton (4), il en est aussi qui pré-
sentent même forme générale et où se remarque le même détail (5) :

telles une stèle du Musée du Caire avec une longue inscription


datée de l'année 502 de l'ère des Martyrs ou 786 ap. J.-G. (6), une
autre du Musée gréco-romain d'Alexandrie de dix ans postérieure (7).

Il eût certainement ajouté, s'il avait été alors publié, le fragment


de l'Ermitage [28], qui a été utilisé comme stèle de ce genre, ainsi
qu'en témoignent les restes de l'inscription copte gravée sur le peu

([ui a été conservé du fond. Mais telle n'a pas dû être sa destination
primitive et l'épitaphe y aura été g'ravée après coup (8j. La coupe, en
effet, paraît tout à fait celle de nos rebords, assez différente, par la

mince plaque qui les constitue, de celle des encadrements des stèles
dos Musées du Caire et d'Alexandrie et de plus, sur ces encadre-
ments en saillie de stèles, dont tout le décor est une guirlande de
tige de vigne au trait plus ou moins stylisée, jamais n'apparaît comme
sur le marbre de l'Ermitage de scène figurée en bas-relief.
Les Arabes mêmes ont gardé la tradition et aux stèles coptes peu-

(1) Koptische Kimst, p. 101-102, n°= 8752-8756.


(2) Le relazioni di Salonu coll ErjHto, t. X\IV, 1901, p. 58-65 et pi. Il-IV.
{^)Ibid., p. 63 et figure.
(4) Voy.
^'. E. Crlm, Coptic monuments (Catalogue général dps antiquités égjptiennes
(lu Musée du Caire).
(5) BuUetllno di archeologia c storia dnimata. p. x\iv, 1901, |>. 60-61 et pi. III, 1 et
2. Voy. aussi Ttiujer, Mémoires {Zapiski) de la section orientale de la Société impériale

archéologique russe, t. \, 1897, p. 79-83, et BuxLEn. The ancient churches of Egypt,


t. II, p. 8.

(6} CnuM, Coplic monuments, p. 144-145. n" 870C) et pi. LV.


(7) Recueil de travaux publiés par l'Institut français du
Caire, t. V, p. 67, n° 16.
M. Panlchenko émet le même
(8 avis, Bulletin de V Institut impérial archéologique
russe de Conslantinople (Izvjestija), t. XVI, 1912. p. 33, n. 1.
l.i'» REVUK BIBLIQUK.

vent «'tre comparées trois stèles aralies couvertes d'inscriptions des


x", m" et vu" siècles de rilégire (1).
L'autorité de M. Strzysowski a entraîné M. Brunsniid, «jui, dans son
Calchgue da anlif/tiitrs du Miisri; dWgraui, décrit le monument de
Salone [5] sous le titre de monuiiiciit funéraire chrétien (2). Non seule-

ment il répète à sa suite : « d'une époque un peu plus basse nous


connaissons plusieurs monuments funéraires de forme correspondante
et la seconde moitié du vui' siècle en Egypte,
avec inscriptions de
(pii ont modèles aux monuments arabes postérieurs
servi de
tout pareils en Egypte, dont on connaît trois exemplaires datés
des xi'-xiii' siècles » mais il ajoute encore « il paraît que des monu-
; :

ments funéraires semblables étaient en usage en Syrmie (Mitroviça) :

le .Musée national en possède deux frae:ments, mais qui n'ont pas un

cadre en relief orné autour du champ creux destiné à i'épitaphe, et


un fragment d'une pierre avec inscription qui a eu, à ce que l'on voit,
un cadre arrondi en relief i^3) ». Le seul, toutefois, des deux pre-
miers (i dont nous ayons une ima,i:e ne consiste, à vrai dire, qu'en
un frasment mouluré curviligne sans caractère spécial et qui ne
porte ni texte ni représentation et, quant l'inscription (ô rien non ;i .

plus dans rimai:e n'indique le prétendu cadre.


L'explication, selon .M. Strzygowski, serait la suivante : « Comment
est-il possible que les pierres sépulcrales aient la forme de plaques
d'autel et réciproquement ces plaques la l'orme de pierres sépulcrales?
Il est possible que dans les marli/ria, c'est-à-dire dans les églises ou

chapelles érigées sur le sépulcre d'un martyr ou de ses reliques,


l'autel (jui se trouvait au-dessus du sépulcre ait jxiit»' des tables de ce
yenre. Dans ce cas elles étaient en même temps et tables d'autel et
pierres sépulcrales, comme aujourd'hui eiicoi-e stèle d' une cer- l.i

taine Febronia sur l'autel d'une chapelle à droite du chuur de

llulleltiiio ili urrlicolorjin r sloria dulmahi, I. WIN, I'.mh, |). fij cl pi. IV. i,
(1) et '..'

:j.Voy. aussi deux slék's de Damas, M. V. Bi:Rciir:M. Insi /iiifleu nus Sijririi, Mesopoln-
mien uiid hlrinasipti goaninmcll. im Jalirr ISs:> von M. von Oppciilieiin, I. Arabisc/ie
Inschriffeu Deut^cii cl P. IIaipt, Dcitrdgc ziir Assyiiologie inid seinitisclie Sprarh-
wissensr/iaft, VII, t, lîiOO;, p. ir)0-l.">l, fifj. 25-2(;, rilt'cs jiar M. Mendel, Catalogur du
Musée de Cotislantinnplc, l. II, p. 428. Le fra^;iiicnl ra|i|iorh' ati Louvre par M. Seyinnur
de Hicci (IIkik» de Vii.lrkossk et .Mi<;iio\, Dépnrlrnienf drs nnlir/tiités r/rrci/iics et
romiiiiics, Arf/uisilinns dr iinniér i'KtO. n' S), iiieiitionné inridcinininl plus liaul. ap|iai-
Uenl k une sli-io de ce \f,enrc.
(2; VjesnUi, t. .\, 1908 9, p. 213.
(3) Ihid., p. 214.

(4) Ihid., n" Ulù el 517, p. 222.


". Ihid., n* 4'«0, p. 203.
MÉLANGES. 45:

I'»''glise do Deir Abu La forme se pourrait alors expliquer


lltiinis (1 .

par labside semi-circulaire ou par la uicho d'autel des petites memo-

riae de ce genre, que dans la suite on élevait aussi sur les tombes
des simples mortels disposées dans la muraille horizontalement,
:

elles se terminaient avec la niche arrondie et servaient avant tout


comme pierre sépulcrale; cependant elles furent à de certains jours
employées aussi comme une sorte dautel pour sacrifier au mort (^ » .

Il était nécessaire de reproduire dans son intégrité le raisonnement

de M. Strzygowski afin de laisser juger sur pièces si, tout eu arguant


d'une similitude réelle, il n'en force pas les conséquences en appelant
le marbre de Salone une table d'autel iS) : « les fragments de la table
d'autel de Salone sont sans doute le plus ancien des exemples à moi
connus Trancher de la sorte est, répétons-le, comme nous le
(ii ».

disions à f instant à propos du fragment de l'Krmitagc 28 compter .

pour rien et le décor de bas-reliefs, dont on ne saurait fournir aucun


exemple dans les stèles ou les tables d'autels, et même le mode de cons-
truction de celles-ci, qui, d'après les ligures reproduites par M. Strzy-
gowski loi, et que nous donnons ici fig\ 36) 6 feraient partie inté- ,

||^4'/^V//// / ^; '>7//^ v;;-'/////////. ////>,^^

lii,'. .{';. -- Tables cl'aulel d'églises coptes.

garante de tout un massif de constrnction, pour s'en tenir à l'existence


d'une surface creusée et à la forme en fer à cheval. L'arg-ument, en

(1) Environ^ d'Antinoë, stèle datée de fan 406 de l'ère des Martyrs ou 750 ap. J.-C.
{Biilletlino cli arcfieologia e sloria dalinala. t. WIV, 1901, p. 62).

(2 Ibid., p. 63-64.
(3 M. Briinsmid, nous venons de le dire, d'après le même point de départ, en fait un
monument funéraire.
(4) BuUetlino di archeologia e storia dalmata. t. XXIV, 1901, p. 6i.
(5) Ibid., p. 63.
(6) Dessin de M'"" E. M. d après lafig., p. 63, du Bullellinodi archeologia e storia dalmata.
loG HI'VLK HIBLIOIE.

tout cas, tombe pour tous les autres exemplaires, dès (juc, précisé-
meut, l'on constate que par cette forme rcxemplairc de Salone est
isolé.Sans vouloir d'ailleurs nier les relations de Salone avec l'Egypte,
(jui servent de titre à l'article de M. Strzygowski, et même en faisant

aussi large qu'on le souhaitera cette influence égyptienne, dont —


il cite eu passant comme Menas sur
indice la présence du nom de S.

une inscription de Khcrbcl el-Ma el-Abiod en Algérie aujourd'hui au


Louvre (1), —
il serait sans doute excessif de juger de tous les exem-

plaires dont nous connaissons maintenant l'existence, de provenances


si diverses, en partant d'une paiticularité relevée dans ([uelques cha-
pelles coptes (2).
La découverte en revanche a été faite, il y a une quinzaine d'années,
dans les fouilles de la basilique dont on voit les substrnctions sur la
Piazza dclla Corte à Grado, d'une table d'autel dont on ne peut s'em-
pêcher de faire le rapprochement. " L'autel lui-même, écrivent dans
leur rapport MM. II. Swoboda et W. Wilberg (3), était de maçonnerie
massive... Il formait un l)loc de r"08 de long et 0"'90 de large sur
environ mètre de hauteur. La mcnsa elle-même, brisée, mais sufli-
i

samment conservée, y a été retrouvée... Sa longueur et largeur


1"'03 X 0"'85 correspond approximativement aux dimensions des
murs, de telle sorte qu'il s'agissait d'un autel assez élancé, dont la
iiiensa est un rectangle se ra[)|irochant beaucoup du carré, comme
c'est aussi du i-este le cas dans les plus anciens autels chrétiens. Cette

forme concorde aussi tout à fait avec les représentations d'autels du


vr siècle de H.ivenne, S. -Apollinaire in Classe et S. -Vital. Onelques
tables (l'autel de marbre de la lianle «'pocjue chrétienne nous ont été
eonservées, mais l'on n'aurait pu signaler une un mcnsa appartenant à

autel massif avant les fouilles de Crado. Le fait que la phuiue a un


bord en saillie est sans doute en désaccord avec la prati((ue moderne,
mais concorde bien avec les quekjues exemplaires de haute anticpiité
<hrêtienne comme le montrent \ç^mrnsnf ùc lîaccono, .Vnriol et S.-Elic
l)res .Nepi. Même la |tlaf[ue, lemontant au haut moyen-.-Vge, du maître

autel d"\(|nilee a uu liord en >aillie. La seule parlicularitt' est la pré-


^eneedaiis nu ani:le d'un Irnu ma ni l'estenient (»ni;in(d, (|iii \a à 0"'1()

(1) Bulletin archéologique du Comilr, is'.».".. y. .Tl'.i: (ri hmom-Canmiai , Hmieil din-
c/iéologii- orirntnlc, I. II, |>. 1H(I-I81.
'?.} M. Slrzy;'()\v>ki lui-mèiiif (cri>nil en Icnniii.inl [liuUedino ili iirr/H'uloi/in e storia
dfihiHtln. I. ,\XIV, 1901, p. G.î) « Oni fv <iurstn foi nui dclle tniolc dnllorr in uso
:

nnr/ir in ftrcidentc f la la cono.sco, corne ho drlln fin oia sollanio in h'yiflo: almeno
neli Oriinfc non ho iiicontralo niciitc di consiinilv. »
(:i) /iriichf iiher Aiisornbiingrn ni (irndo, Jaincshcfic dcr ristcircichischen archdolo-

ijisclii',1 Instihiirs in MVfH, l'.Kir,, linhlatl. y. I-'M.


MÉLANGES. 15:

du bord. Sur la mensa mentionnée d.Vquilée a été ménagée une


ouverture semblable comme orilice d'écoulement de l'eau répandue
dans Yabliilio dltai^is, mais elle conduit à l'extérieur. Y avait-il ici
une dérivation ménagée vers Tintérieur (1)? » La table d'autel de
Gvado. qui A cette date, en 1901. se trouvait, reconstituée par M. le

professeur Majouica, au Musée d'Acjuilée y est-elle restée? Elle n'y


a pas attiré mon attention en 1913 et l'image ci-dessous qu'en don-
nent iQiJalirf'shcfle de l'Institat archéologique de Vienne (fig. 37) (2)
ne répond pas à tout ce qu'on en aimerait savoir. Le peu d'épaisseur
de la plaque, la surface
en dépression rappellent
évidemment nos marbres,
mais(l'autre part la mou-
lure du pourtour est toute
difie rente de la gorge par
où s'y fait la réunion avec
lefond (3) et il n'y a point
de rebord analogue au
rebord de ceux-ci, mais
une simple bordure de
quelques centimètres à
peine de large, sur la-
Table d'autel découverte dans la basilique
quelle ne pourraient trou- de Grade.
ver place ni listel, ni cor-
don de perles, ni à plus forte raison de bas-reliefs.
Il faut dire encore que. en ce qui concerne les autres tables d'autel
anciennes auxquelles se réfèrent MM. Swoboda et Willierg et qui. du
moins. celle d'Auriol, sont d'un autre type, — table d'Auriol (i) et,
avec elle, tables de Saint-Victor au Musée Borély de Marseille ^5),
de Saint-Martin de Crussol conservée au Musée de Saint-Germain
en-Lave (6), de Saint-Quenin de Vaison Vaucluse) (7), ou encore de '

(1) 'Ibid., p. 22-23.

(2) Dessin de M""= E. M. d'après la fig. 13, p. 21-22.


(3) La ressemblance n existerait partiellement que pour l'exemplaire [26] du Musée de
Berlin.
(4) RoHAULT DE Fleurv, La Messe, t.I, pi. XLVII et p. 125.

(5) Ibid., t. I, pi. XLVI et p. 124; Le Blant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule,


t. II, p. 303, n° 547 et pi. 79, n° 408 et Catalogue des monuments chrétiens du Musée de
Marseille, p. 65, n° 32.
(6) Ibid., t. I, pi. XLVIII, p. 127; S. Reinacu. Le Musée chrétien dans la chapelle de
Saint-Louis au château de Saint-Germain-en-Laye [Revue archéologique, 1903, II,
p. 265-301), p. 294 et p. 295, fig. 30.
7) Ibid., t. I, pi. XLI.\, p. 127.
io8 ui:viK luni.ioiE.

liriouv, [)Ius rrccmniout sisnalre ; 1 1, et de Siircièros 2) tlaos le mrme


département, qui elles ont leurs bords oinés de sujets en relief. —
aucune parenté véritable ne saurait pourtant être allés^uée. S'ils «

sont bien constitués par une table entourée d'un rebord formant
légèrement saillie, les autels en question montrent une disposition
toute ditlcrente de ce rebord, qui fait corps avec la niasse et dont les
sujets se présentent au regard non borizontalement comme sur nos
rebords, mais verticalement (3 .
»

Il convient en outre de ne pas oublier qu'un certain nombre de


rebords sont circulaires, disposition dont je ne sais pas d'exemple
pour un autel.
Tables d'autel écartées, seraient-ce du moins des tables, des tables
par exemple sur lesquelles auraient pu être déposées les oblations?
Mais, outre que nous n'avons aucun renseignement sur de telles
tables (i), la difficulté subsiste que plut(M les iuiagiuorait-on comme
devant être mobiles et que nos marbres sont bien pou résistants pour
recevoir un fardeau, même modéré, à moins de poser sur tout leur
fond 5).

Le ternie de plat, tlont nous nous étions aussi servi, à cause de ce


peu d'épaisseur, est mieux approprié. Il parait être celui auquel se

(1) Bulletin archéologique du Comilé, l'JlO, p. 17 fl pi. I, 1 el 2.

(2) M. Prou, Ibid.. 1911, Procès-verbaux, pi. I.LX-LXIV, avec la Itibliogiapliic

(3) liebords de tables byzantins, p. 15.

(i) Mauticw. Dirlionnaire des anlif/uités ctircfieuni's, .3' éd.. s. v. Olilations »,

p. 5.34 : <
Les oblations n'étaient point flé()Osées iininédiatenient entre les mains des jirélres,

ni à l'autel, ni confusément. Les liommesles portaient lour a tour dans un


et les lemmes
lieu destiné à cet usa^e, el gazop/n/lncium et jmr les latins ohln-
appelé par les jurées

tionarium. C'étaient des espèces d'armoires, probablement mobiles, jilacées prés du dia-
conicum où se recevait d'abord tout le pain et le vin offerts par le.s hommes entre les
mains du diacre, par les femmes entre les mains de la diaconesse. Les indications don-
nées au mol " Oblntionarium » par Kriej; dans la Heal-hnrtjclopiidie der c/instlic/icn
Alterlliiimer de Kraus (I. Il, p. 510-017) sont un peu difTérenles . Oblalionariuin, :

dans l'éjilise d'Occident, lable, aulel portatif ou armoire dans le voisinage de l'autfl ou «lu
diaconirum, ou les oblala étaient apportés et les éléments du pain et du vin pnur l'Eu-
cliarislic étaient pris |)armi eux el préparés. Le nnm d Oldalionarium, côié duipiel int( r i\

vient au>si celui de paralorium fcrédencc ou dressoir,, a la ihême si^nilicalion que lappel-
lalinn grecipH- piolliesis, qui a également passé dans le langage liturgique de l'neciilent
(Oriln roin. II. 9 : dcinde arrhidinmiius suscipit (dylnlas diins de oblalionario el dnl
liDutiftci. >• Voy. aussi Ihid.. t. Il, p. (tC,\-G(V.i, s. v. « J'nd/iesis n (helleslieimi ;

Prollic-
sis T.yj'iti'.;, Par prolhesis on entend dans l'F-iilise orientale d'abord la place
credenlia .

attenante au trône de l'cvéque ou se fait la ri'<eplion des oblalions du (leuple. mais aussi
la pelile laide dis|iosée rfiiilre l'aulel sur b' mur de li (oiiclia sur la |uelli' ••laient déposés

les oblala jusr|u a l'olTerloire. ..

(5) La seub- donnée que nous ayons à ce point de vue est la plira«e relative à l'exem-
plaire de Wiildiii 7 ; rs stnnd inif riitrr Si'lulr
'I l ( rlirrfiirhl drr l;iinsl/ii\l<)risclirn

Summhinijen des alterfioc/isfeii haisrrlinuKi-s, p. 7h .


MEI.ANGES. ro9

rallierait M. Mendel (1), qui, — reprenant une idée déjà émise par
M. SVuIll' : « l'adoption du décor séi)ulcral chrétien indique peut-
être leur emploi dans les agapes ii) énoncée d'une manière moins » et

nette par M. Ebcrsolt « ils sont très pro])ablement les bords d'un
:

plat ayant servi à la célébration de la liturgie ou des agapes chré-


tiennes », .'î! —
écrit à son tour « il se pourrait que ces plats eussent :

été employés principalement dans les cérémonies des morts (4) ».


L'un des plus grands services rendus par Le Blant à l'étude des sar-
cophages chrétiens a bien été de montrer le rapport intime qu'of-
frent les scènes qu'on y voit avec les mentions contenues dans les
liturgies funéraires (5) « Ce qui me semble dominer dans le cycle
:

des représentations figurées sur les tombes, disait-il pour résumer


d'une façon saisissante sa pensée, c'est l'idée même dont s'inspirent
[ces liturgies et qui fît mettre aux lèvres du preux Roland ce cri
suprême : « notre vrai Père, toi qui ressuscitas saint Lazaie d'entre
« les morts et qui défendis Daniel contre les lions, sauve mon âme et
« protège-la contre tous les périls (6). » Les invocations que prononce
l'Église dans YOrdo commendationis animac au chevet des agoni-
sants : —
» Suscipe, Domine, se?'i'um tuiim in locum sperandae sibi

salvatiojiis a misericordia tua. Libéra, Domine, animam ejus ex —


omnibus pcriculis inferni, et de laqueis poenarum et ex omnibus
tribulationibus. —
Libéra, Domine, animam ejus,sicut liberasti Enoch
et Eliam de communi morte mundi. Libéra, Domine, animam —
ejus, sicut liberasti Noe de diluvio... Libéra, Domine, animam —
ejus, sicut liberasti Isaac de hostia, et de manu patris sui Abrahae...
— Libéra, Domine, animam sicut ejus, liberasti Danielem de lacu
leonum. — Libéra, Domine, animam ejus, sicut liberasti très pueros
de camino ignis ardentis et de manu régis iniqui... — Libéra, -Do-
mine, animam ejus, sicut liberasti David de manu régis Saul et de
manu Goliath » — et il y faut ajouter dans un Ordo du xi® siècle et de
même dans des Actes des martyrs : « Libéra eutn, Do?nine, sicut libe-
rare dignatus es... Jonam de ventre ceti », et encore le lype le plus
frappant de la résurrection attendue, la résurrection de Lazare :

(1) La description des différents exemplaires, pourtant, est dans son Catalogue précédée
des mots « bord de bassin ou de table » et l'en-téte des pages y correspondant porte « bord
de bassin ».

(2) Beschreibung dcr allchristhchen Bildii-erke, p. 11.

(3) Revue archéologique, 1913, I, p. 336.


(4) Catalogue du Musée de Conslaiilinople, t. 4, p. 430.
[H) Étude sur les sarcophages chrétiôis d'Arles, Introduction. 5, p. \\i-\\mx; Revue
archéologique, 1879, 1, p. :?23-241 et 276-292 ot pi. \.\IV.

(6) Ibid., p. XXXIX et 292.


160 lŒVUE BIBLIQUE.

« Qui Lazarum resitscitasli de monumcnto foct'idum, lu cis, hoi/iinr,


dona requiem », —
au même titre qu'au-dessous des reliefs des sar-
cophages pourraient être inscrites comme légendes au-dessous
de ceux do nos rebords (1). i.a concordance ne peut pas ne pas frap-
per.
Il n'existe cependant, à ma connaissance du moins, aucun indice
de l'usage de plats de ce genre et la relation entre les sujets choisis

par les sculpteurs et les prières pour les morts ne pourrait-elle pas
être cherchée dans une autre voie?
Les anciens explorateurs des catacombes, et de Rossi après eux',
déclarent y avoir rencontré plus d'une fois « des fragments de grandes
tasses de marbre, minces, diaphanes, à fond plat, de forme circulaire
et à rel>ord assez bas (-2) ». « Des fragments considérables d'une tasse
de ce genre, dit de Rossi, ont été retrouvés dans la basilique de Saint-
Alexandre sur la voie .\omentane; et moi-même je les ai vus de mes
veux au moment de l'excavation posés à terre à côté du tombeau
et de l'autel des SS. Alexandre et Evcntius. Enfin, dans l'insigne

crvpte découverte par Holdetti dont à côté du tombeau j'ai parlé,

principal, un une de ce genre. Par là


tronçon de colonne portait
tasse

me semble démontré l'usage de placer de grands vases de celte forme


à côté des tombeaux les plus insignes. Souvent les vases auront été
déposés dans les niches semi-circulaires que nous voyons creusées
dans le tuf; et je me souviens d'en avoir vu des fragments encore
adhérents au sol d'une niche de cette sorte dans les premières années
où je fréquentais le cimetière de Sainte-Agnès. Dans quel dessein
auront été phu es ces vases Il ne me semble pas qu'on doive encore
.^

penser à de l'eau bénite. C'étaient des fontaines d'eau vive, non des
vases d'eau stagnante qui aux premiers siècles de la paix ornaient
les atria des basili(|ues; et les fidèles s'y purifiaient les mains avant
d'entrer dans le temple. Que de cette eau sacrée on mît des récipients
près des tombeaux nul témoignage, nul indice n'apparaît dans l'an-
ti({uité. Il est vrai (jue (iuillaume Durand dans son linlional {)V\ et

Sicard de Crémone dans son Mitra/ V) mentionnent le vase d'eau

M) Voy. Memiki,, Cofalof/iir du Mvxér de Constantinoplr. t. Il, p. 430. M. Elx-rsoll

rcinaniui' aussi [Iteruv iirrlirnlogh/iir. V.)t:t, t. I. \>. :{;{S-:{3Î>), mais sans s'allachcr a la
raison, «juc " Uavid maniant la fronde, le péché d'Adam et d'Kvc. le sacrifiée dAhraliam,
riiisloire de Jonas » ont «'té .souvent sculptés sur les sarcoplianes du w' >ii'ilc <l constale
seulement (jue, en raison de la miiireur des reiiords, les sculptures n'onl pas le modelé
de celles (|ui deeoreni les marbres des lombes •.

(2j Cm. h. i>k Itossi. /.'/ Homn sollrnaiica rrisffana. I. I. p. 28'^.

(3; Hiitionalc divinorinit of/iridinm, Vil. 3."i.

(4) M il raie seu de of/iriis irr lésine. 1\, 'l'J.


MKLANf.KS. 161

bénite parmi les ustensiles de la sépulture chrétienne. Mais ce sont


des auteurs du du xiii' et xii* siècles, et ils parlent des rites funèbres
en usage de leur temps; pouvons-nous d'après leurs seuls
aussi ne
(lires raisonner des usages des temps primitifs. En outre ils parlent

de vases placés dans les tombes, non en dehors d'elles, il me parait


plus conforme à l'esprit de l'antiquité de croire ces grands et amples
vases destinés à un autre genre de liquides. Les poètes chrétiens
nous attestent le grand usage que faisaient les fidèles de baumes pour
honorer les tombeaux des défunts qui leur étaient chers et des mar-
tyrs. Ce n'était pas seulement au moment de reusevelissement qu'ils
répandaient de grandes quantités d'arômes et de baumes, mais aux

jours anniversaires chaque occasion d'honorer les tombes ils


et à
renouvelaient sur le sépulcre cette profusion de « liquides odeurs »,
comme les appelle Prudence litulumque et frigida saxa : liquido —
spargemus odore (1). C'est à recueillir une grande quantité de
liquides de ce genre qu'il me semble qu'ont été destinés ces larges
récipients placés à côté des tombeaux les plus illustres et les plus
vénérés (2). » Il ajoute que les fidèles avaient la coutume très con-
nue u de conserver comme des reliques sacrées, dans de petits réci-
pients, les huiles et les baumes recueillis aux tombeaux des saints,
et que, si beaucoup répandaient ces baumes sur le tombeau lui-

même et, les ayant fait pénétrer jusqu'aux ossements, en recueil-


laient les gouttes sortant des joints des marbres ou de quelque
ouverture pratiquée à dessein dans la niche sépulcrale, là où cela
ne pouvait se faire, on prenait les huiles des lampes ou les liqueurs
mises dans tout récipient au contact du tombeau, de sorte qu'il me
semble donc que c'est de ces grands vases que les pieux visiteurs
des tombeaux des martyrs ont recueilli les quelques gouttes d'huile
ou de nard qu'ils emportaient comme des reliques sacrées. Il n'en
résulte pas que le liquide dans ces vases ne servait pas encore à
alimenter la pieuse flamme des lumières allumées en l'honneur du
martyr. Prudence décrit les plats ou vases diaphanes dans lesquels
les petites lumières fixées à un papyrus nageaient sur un lac d'huile
ou de nard (3), comme dans nos lumières nocturnes que les Français
appellent veilleuses. Tout donc concourt à me faire croire que les
vasques... contenaient du nard et des huiles odoriférantes, dont,
quand ces vasques se trouvaient à côté de la tombe d'un martyr,

(1) Calhemerinon, X, v. 171-172.


(2) La Roma sotterranea cristiana, t. I, p. 282-283.
(3) Cathemerinon, V, v. 137 : De langiiidulis fotu na/alilnis. Lurem perspicuo
flamma jacit vilro.
RF.VLE BIBLIQUE 191fi. — N. S., T. Mil. 11
162 REVUK BlIiLIQUE.

la piété (les fidèles recueillait les gouttelettes coiiinie de précieuses


reliques (1) ».

L'assimilation de nos monuments aux récipients auxquels se réfère


de Rossi, ([uoique eux aussi puissent être dits des « tasses de marbre
minces à fond plat et à rebord assez bas », ici encore, semble plus
apparente que réelle. Il n'est nulle part fait allusion sur les vasques
(les catacombes à la présence d'aucun bas-relief et réciproquement
aucun de nos rebords ne pi'ovient des catacombes, un seul vient
de Rome. Tandis enfin que « les fragments de vasques ou de grands

plats diaplianes ([ue jai trouvés, dit de Rossi, parmi les matériaux

de la crypte de Saint-Corneille paraissaient imbus d'une substance


huileuse (2) », jamais aucune tache d'huile, dont la présence en
l'hypothèse aurait à coup sûr laissé des traces, n'existe sur nos mar-
bres.
Le Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie, aussi bien,
après avoir analysé le passage de la home souterraine et loué de
Rossi, justement plus difficile que Rosio, Lupi et Cavedoni, d'avoir
trouvé à bon droit insuftisantc l'affirmation, si formelle qu'on l'ima-
gine, d'un Durand de Mende ou d'un Sicard de Crémone, non sur
l'ancienneté de l'eau bénite, mais sur celle des bénitiers, continue en
ces termes : " Si les catacombes ont possédé des bénitiers de genre
(|ue leur masse rendait peu maniables et difllciles à déplacer, on
peut supposer que, même à l'époque où le cantharus de l'atrium
existait à peu près partout, on les plaçait de pi-éfércnce non l<»in de
l'entrée des basiliques. Ce qui nous porterait à le croire, c'est que deux
textes nous montrent l'usage de l'aspersion d'eau à l'entrée du tem-
ple. Sozomène rapporte que Valentinien, capitaine des gardes de
Julien, pour remplir les devoirs de sa charge, accompagnait l'empe-
reur au temple de la Fortune. A la porte, le prêtre, selon sa coutume,
aspergea les assistants d'eau lustrale; quel([ues gouttes tombèrent
sur les vêtements de Valentinien cl celui-ci indigné donna au prêtre
un violent coup de poing; puis il se hAta d'arracher la partie de son
vêlement que l'eau lustrale avait souillée (3). Une lettre de Synesius,
au début du v° .siècle, contient ce renseignement : si ra(lministralif)n

de la république regardait les évêques, ils devraient être les vengeurs


des ci'imes, car le glaive public ne seil pas moins à purifier la cité
<|ue l'eau lustrale placée dans le vestibule du temple (V). A cette caté-

(I; /,« Homa soUenanca rrisliaufi. l. 1. |). 2SA-:>.s', . Voy. aussi l. III, |>. .^O-'i-iOfi «'1(117.

(2) ]l>td.. l. I, p. 283.

(3) tliu. ecclcsiast., VI, G (Mi^nc, l'atrol. yiarca, I. XLVII, |), 130j.

(4) J-:pisl. ad Anastasium C.XXI [Ibid., l. XLVI, p. ir,()l-l502).


MELANGES. 103

gorle de vases ont pu apparteiiii' deux iirnos trouvées à Djomila


(Cuicul"» en Algérie, et dont il ne subsiste (jue des fragments (1). »
II y a, dira-t-on peut-être, dans la suite du raisonnement, où l'on
éprouve uu peu île surprise, quelque contradiction en ce qui concerne
les catacombes en l'occurrence, peu nous importe, nos monuments
:

n'ayant rien à faire avec elles; sur le fond môme de ce qui touclie aux

bénitiers, l'accord ne serait pas forcement impossible avec de Rossi,


qui. dans une note sur le seau en plomb connu sous le nom de béni--
lier de Cartilage insérée en 1807 dans son Bulletin cCarchéologit' chré-
tienne (2), reconnaissait que ^ ce n'étaient pas seulement des fon-
taines d'eau vive qui se trouvaient dans les atria; il y avait aussi
parfois des puits et des citernes, et par suite, dans le mobilier des
églises, non moins que dans le mobilier domestique, devaient exis-
ter des seaux et autres vases à puiser l'eau ornés d'images sa-
crées (3) ». Non seulement des seaux, mais d'autres vases, dit de
Rossi. L'extension peut- elle aller jusqu'à nos récipients?
L'objection que fait M. Mendel, que l'hypothèse de bénitiers paraît
peu vraisemblable « parce qu'un vase profond muni d'un si large
rebord eût été d'une extrême fragilité (i) », est partiellement inexacte,
puisque le propre de ces soi-disant vases, — nonobstant le mot
d'(( urne » dont nous venons de voir se servir bien à tort Dom Le-
clercq pour les fragments de Bjemila [3], — est de n'être au contraire
aucunement profonds, mais de cela même ne naitrait-il pas une
autre objection? Malgré la remarque encore de Dom Leclercq sur un
monument dont il sera question tout à l'heure (5), que « le peu
de profondeur de la cuvette incline à croire qu'elle ne servait pas
aux ablutions, mais plutôt à l'eau bénite », il devait être préférable,
pour conserver cette eau sans altération et sans que l'évaporation
la fit rapidement disparaître, d'avoir plus de creux et moins de sur-
face et c'est pour ce motif que les rares bénitiers vraiment anciens
que Ion peut citer sont tous des sortes d'urnes (0) vase de marbre :

(1) Dictionnaire d'archéologie clirétienne et de liturgie, t. II, 1" partie, p. 762-763.


(2) Bollettino di archeologia cristiana, 1867, p. 77-87 et planche.
(3) Ibid., p. 79 : « £ poiclie non solo di fonti d'acqua vivu, ma anche di pozzi e di
cisterne quegli alrii furono talvolta forniti, nella supeUettile dette chiese non nieno che
nella domestica debbono essere stale te secchie ed oltre vasi da attingere acqua adorni
di immagine sacre. » Il ajoute encore (1, c), relativement au seau de Carthage qu'il
pense dater du iv^-v* siècle et provenir de Tripolitaine à cause de son inscription grecque :

« del rémanente anche di profane immagini furono ornate le secchie di bronzo ».

(4) Catalogue du Musée de Constantinople, t. II, p. 429.


(5j Monument des Tourettes près Apt, mentionné ci-dessous.
(6) Voy. Dictionnaire darcfiéologie chrétienne et de liturgie, t. II, p. 763-76G et
fig. 1496-1502.
lOi REVUE BIBLIQUE.

noir (lu Miiséi^ Kircher, sur lequel sont figurés au-dessus do tiges
d'acanthe et le Christ accompagné
de masques de divinités marines
des Douze Apôtres et la Vierge avec l'Enfant visité par les Rois

Mages (1), et, pour se borner à l'exclusion de la terre cuite et du


métal aux héniliers de j)ierrc, vase jadis vu à Vérone par Mabilloo (2),
vase de provenance dite conslantinopolitaine qu'on conservait en
l'église des SS. Marc et André à Murano (3), ou encore vase de la
cathédrale de Bath en Angleterre ii;.

Le mot de bénitier, étant donnée la terminologie actuelle, serait


donc trop spécial. Mais il faut ])rendre garde à la manière dont,
selon l'auteur de l'article « Uénifiei- >> du Dictionnaire (5) et au moins
par conjecture, se serait faite la substitution au caniharus primitif de
Yatrium des basiliques d'un récipient de dimensions moindres. « Il
paraît vraisemblable, écrit-il, que l'eau du caniharus n'avait reçu
aucune bénédiction liturgique et sa destination eût comporté diffici-
lement cette bénédiction. Au reste, nous croyons que toutes les fois
où c'était possible le canthanis était approvisionné d'eau courante, ou

du moins fréquemment renouvelée. L'habitude prise par les fidèles


de se laver le mains continua lorsque le récipient fut
visage et les

ramené sous le porche. Il est probable que l'incommodité et l'étroi-


tesse du porche auront contribué à faire renoncer à un usag-e dont il
devenait malaisé de s'acquitter par suite d'encombrement ou pour
toute autre raison. Le caniharus se trouva iùusi délaissé et sa desti-
nation changea. Peu à peu on dut réduire le récipient devenu trop
vaste depuis (|u'ii ne servait plus; en s'atrophiant de la sorte, il per-
dit son caractère et même
temps sa destination. On ne le su})-
en
prima pas, mais ce fut à condition de subir une transforinaiion nou-
velle. Il n'était plus question d'ablutions, mais soit routine, soit
scrupule, on continuait à simuler l'ablution en mouillant l'extrémité
des doigts, les uns se signaient, les autres prononçaient ce faisant
(juel(]ue formule. L'habitude étant prise, on y attacha l'idée d'un acte
de dévotion. L'Kglise pour donnera cette croyance un fondenienl réel
attacha une bénédiction à l'eau contenue dans le réci[)iei\t (jni porta
justement dès lors le nom (ju'il a conseivé (6 » L<' bénitier piopre- .

Mient dit serait de la sorte à l'nboutissement d'un jUNtcessus où le geste

(1) (iAniH(.';i. Shtnn drll tnir crislimui I. NI. |il. ( DWVII, ."i t, cl |>. 3.t.

(2) Ibid.. |)1. IDXXVII, A cl y. .3.!.


(.3) Ihid., f)l. Cn.XXVIl, 1 cl p. .'}.{.

(4) The nrrliaeologiral Jniirnnl, 18i«, 1. III, p. ;{.">(i.

(h) Diclionmiirc. U'arcliéolor/ic chrétienne cl île lilunjiv, l. Il, 1" partie, p. 7.58-771.
(r.) Vnd., p. 758-759.
MKLA.NtiKS. 16;J

de prendre de leau pi'éalaljleinent sanctifiée aurait remplacé ce qui


était dabord uue ablation. Les récipients qui nous occupent pour-
raient peut-être alors correspoadre à la transition et pour cette rai-
son seraient difficiles à nommer d un nom qui leur convienne pleine-
ment.
Ils ne sont plus, certainement, tout à fait ces « réservoirs d'eau
appelés fontes eicanthari par les Latins, dit Garrucci, et /.pyjvz'., XcJ-:p:i,

a:jt-^:£;, çiâXa-. par les Grecs, [que' l'on avait coutume do mettre
devant les basiliques afin qu'ils servissent à se laver les mains aux:
fidèles qui entraient à l'église pour prier et communier en recevant
dans leur main le pain consacré (1) ». Mais c'est néanmoins sous cette
rubrique qu'il publie les rebords de Djemila |3| ("i), disant même que
« délie font! o siano cantari decorati di bassirilievi », il en connaît
trois, sans qu'on voie d'ailleurs quels sont au juste ces trois, la même
planche réunissant deux fragments algériens, le vase de Vérone,
les
celui de Murano, celui du Musée Kirclier et un marbre découvert aux
Tourettes, hameau dépendant de la ville d'Apt (3). Le monument des
Tourettes, quoique par bien des points différents, n'en mérite pas
moins, en effet, le rapprochement. C'est un marbre à moulures, dont
la face antérieure porte, coupée en deux par un monogramme flan-
qué de l'a et de l'co, l'inscription NIM'AMeNOC nPOCGYXOY, v'/!/â-
•j.vizz -pc7£J7Cj, et « dont le plan supérieur, écrit LeBlant, formant

table, est légèrement concave (i) ». « L'inscription « fais ta prière


'(après t'être lavé », continue-t-il, montre que notre marbre faisait par-
tie d'une de ces fontaines ou vasques placées à l'entrée des lieux saints

pour qu'on s'y lavât les mains et le visage avant de se mettre en


prière (5 » De l'inscription résulte aussi pour Garrucci que « cette
.

base formait le pied de l'urne d'eau qui servait de lave-mains (6) ».


Le P. Garrucci et Edni. Le Blant, dit d'autre part Dom Leclercq (7),

(1, Gaiîkucci, Storia delV arte cristiana, t. VI, p. 32. Voy. aussi Dictionnaire d'ar-
chéologie chrétienne et de liturgie, s. v. >< Àblutioas » (t. I, p. 103-111), S. Petuides,
Ablutions dans l'Éulise grecque, p. 109 : x Dès le iv" siècle le peuple se lavait les
mains avant de pénétrer dans l'église à une fontaine placée dans latrium, xp^vat, yspvt-
oo-/, plus tard 5ià),Yi. Cet usage a disparu, sans doute d'assez bonne heure, même là où
la z,\ily\ subsiste encore. Il est probable que le clergé agissait comme le peuple. »

^2) Ibid., p. 32-33.


(3) T. VI, pi. CDXXVII, 1-2, 3, 4, 5-6 et 7.
(4) Le Blant, Nouveau recueil des inscriptions clirétiennes de la Gaule, p. 373-375,
n" 326.

(5) Ibid., p. 374.


(6) Storia delV arte cristiana^ t. VI, p. 33.
(7) Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie, t. Il, 1" partie, p. 76i.
166 REVIIK HfBLIQlE.

ont publié un monument trouvé aux Tourettes près d'Apt, et bien


que tous doux aient pensé devoir le ranger dans la catégorie des
canthari, nous nous montrerons moins affîrmatif », et c'est à l'ar-
ticle « Bénitier », qu'il le signale (1). La conclusion à tirer, au
fond, ne serait pas très éloignée de celle qu'indiquait ma première
étude sur les Rebords, où, après avoir concédé que l'hypothèse de
tables sur lesquelles étaient déposées les offrandes pourrait être
admise, je finissais par ces mots « ou peut-être mieux encore s'agi- :

lait-il de bassins pour recueillir l'eau d'ablutions liturgiques (2) »,

et sans doute, plutôt que Rebords de tables, ou de plats, la qualitica-


tion la plus adéquate, sans être trop étroite, est-elle celle (jue nous
adoptons de Rebords de bassins.
La nature des sujets des de nos rebords, analogue dans reliefs
l'ensemble à ceux des sarcophages, aurait vraisemblablement, s'il
en était ainsi, son explication, non pas directement dans l'appel
adressé par les prières funèbres à ces types de l'assistance divine,
mais indirectement dans le fait que, par la pratique des sarcophages
précisément, ce genre de sujets était liabituel aux sculpteurs chrétiens.
11 reste à iixer, autant que faire se peut, la date des rebords.
Le G' Delamare, au sujet de celui de Djemila [3J, s'exprimait en
ces termes nous ne nous abusons, le marbre dont nous venons
: « Si

de tenter une explication, malgré une médiocre exécution, conserve


encore un reste de style antique que l'on ne retrouve plus dans
les peintures et sculptures religieusesde Rome, surtout quand elles
du Nouveau Testament les figures
traitent les sujets de l'Ancien et :

sont ici mieux campées, mieux drapées; le lion, surtout, nous parai!
d'une exécution supérieure aux animaux qui accompagnent Daniel
dans les représentations des catacombes, à ces animaux presque fan-
tastiques qui rappellent ceux (fui, plus tard, figurèrent sur les armoi-
ries: IViut-il attribuer celte supériorité du sculpteur d'une petite ville
de province au hasard (jui aura conduit là un artiste moins médio-
cre, ou admettre, avec (|uel(|ues personnes, que l'Kglise d'Afrique
fit exécuter des sujets religieux ])eiuts et sculptés anlérieurcmcul à
l'Église d'Occident, avant l'entière corruption du goût, et qu'ainsi

elle employa des artistes plus habiles? Ce deinier fait reçu, accepté,
on [)ourrait aussi admettre que les légères différences d'exécution
<l de manièi-e de traiter le même sujet, tiennent à ce que le bas-
rclid' de h'jemilah fut sculpté avant l'adoption générale des types

(1 Ibid.. p. 76i-7'l.-) •'l lin H'.i'.t. |i. 763-7»)'i.

(2) Hi;borih de tnbks byzanltus. |i, 16.


MELANGES. 167

presque invariables que Ton trouve dans les catacombes (l). » De


ce jugement tout subjectif il n'y a guère à retenir que le fait de la
qualité du bas-relief, supérieure à celle de la plupart des sculptures
chrétiennes, mais non l'argumentation chronologique. Les plus
anciens rebords pourraient à la rigueur ctvo, du iii° siècle « Les :

formes et le travail du relief, écrit M. Mendel du rebord de Hiéronda


orné àe Néréides et de Centaures mainns [14|, sont encore tout clas-
siques; seules la manière dont estemployé le trépan et la forme des
perles au bord extérieur dénoncent une époque assez avancée, pro-
bablement le m" siècle (2). » Le m" siècle ou le iv^, d'après M. Wultï",
réclamerait aussi les morceaux de Giseh et cVAc/wiim du Musée de
Berlin, l'un portant un Sah/re et une Ménade [24], l'autre un âne sau-
vage !25| (3). Il faudrait enfin, selon M. Mendel (4), dater encore « du
MI'', au plus tard du iv^ siècle » l'exemplaire du Musée de Constan-

tinople avec l'histoire de Jouas [i6\, dont « le travail est soigné, [les]
formes et draperies antiques » et que M. Ebersolt aussi considère,
ainsi que le fragment avec Dau^V/ du même Musée [38], comme « d'in-
téressants spécimens de l'art du iv* siècle (5) » mais la date proposée ;

est assurément pour ce rebord [15] trop haute établir d'après le seul :

caractère donné à la plante abritant Jonas toute la chronologique des


bas-reliefs où figure cette scène de l'Écriture ne se peut certes pas (6)
et, si la courge est purement une courge sur un sarcophage prove-

nant du Vatican (7) qui doit être compté parmi les plus anciens, il
ne s'ensuit pas forcément que les quelques-uns où il en est de même
soient antérieurs à Tapparition de la version de S. Jérôme mais, ;

inversement, l'adoption du lierre, et il en est exclusivement ainsi sur


le rebord, peut fournir un terminus post quem, qui ne saurait être

antérieur à la fin du iv'' siècle. L'opinion est plus fondée qui attribue
au iv" siècle le marbre du Musée d'Athènes [10 aux têtes qui y 1 :

figurent son récent éditeur trouve des ressemblances dans les mon-
naies de cette époque (8), à l'une en particulier la coiflure d'un
buste de femme du Musée du Capitole (9), d'un buste de la Glypto-

(1) Revue archéologique, t. VI, I, 1849, p, 197.


(2) Catalogue du Musée de Constantinople, t. II. p. 430. •

(3) Beschreibung der altchristlichen Bildiverke, p. 11-12.


(4) Catalogue du Musée de Constantinople, t. II, p. 433.
(5^ Revue archéologique, 1913, I, p. 339. Il trouve pourtant (p. 338) que « les personnages
ne se distinguent ni par la finesse des traits ni par la souplesse de leurs draperies ».

(6) Voy. 0. MiTRS, Jonas aufden Denkmalern des christlichen Altertums, p. 47.

(7) Garrucci, Storia dell' arte cristiana, t. V, pi. CCCLXXVII, 1 et p. 114.

(8) 'EyYi(x,£pi; àpy,aio).oYiitiÔ) P- 78 et fig. 17, p. 79.

(9) SruART JOiNKs, The sculptures of the Museo Capitolino, Salone, n° 57, p. 304 et
168 REVUK BIliLiOyt:.

thèqiie de (I) et d'un médaillon d'Hélène du liritish


Ny-Carlsbcrg
MusL'Lim ['2), une autre les traits de Crispus (3), à une autre ceux de
à
Fausta (4), à une autre enfin ceux de Constantin lui-même (5), rame-
nant toujours ainsi au premier quart du iv" siècle (0).
Les premiers en date des rebords, comme on devait s'y attendre,
seraient donc ceux dont les sujets sont profanes et eux seuls pour-
raient atteindre les m* et iv*' siècles, sans d'ailieurs être tous aussi

anciens :
fragment d'angle du Musée de
pour prendre un exemple, le

Berlin [26 est attiibiié par iv" ou au v'" siè-


M. AViilff seulemeot au
cle (7). Les rebords à sujets bibliques ne remonteraient pas plus haut
que ce dernier siècle, car c'est simplement parce que le travail est
semblable à celui des fragments de Y Histoire de Jouas 115 (jue 1

M. Mendel donne même antiquité à celui du Musée de Constanti-


nople avecle Sacrifice d'Abraham [16) (8) et sans doute n'a-t-il pas
non plus de raison particulière pour placer au iv* siècle le frag-
ment 38) i9). L'observation de M. Wultf sur celui de Berlin avec les
Trois jeunes Hébreur [2J, que « le type des têtes et la technique témoi-
gnent de la plus étroite parenté de style avec les sarcophages ;"i

arcades (10) », peut garder sa justesse (11) sans conduire nécessaire-


ment à l'assigner au iv"' siècle (12). Les autres exemplaires pour les-
quels il a été proposé une date ne sont : celui du Musée d'Agram [5|,

|)1. 75; DELitntECk. Romisclie Mitlheilunrjen, 1913, ji. :{28-;rjy, fig. 7 a-c. La tôle à conipa-
rer serait celle première scène, dont I,. v. Sybel décrivait la coifTure comme formant
de la

une sorte de bonnet phrygien (h'atalog der Sculpluren zn Allien, p. 12(;).


(1) Arndt-Brucrmann,
Griechische und romische Porlriils, pi. 58; Hekleu, l'orlrnils
grecs et romains, pi. 309 a.

(2) J. Maurice, Numismatique constantiniennc, t. I. |)l. VIII, -1.

(3) fbid., I. I, pi," XI, 1-9.

(4) Ibid., t. I, pi. XI, 10-11.

(5) Ihid., 1. I, pi. VIII, 8-15.

(6) 'Eçr,(i.epi; àoyato) oyiv-ri, lOli.p. 265-264.

(7) lipschreihung der altclnisllichcn /iUd'ierhe, p. 310.


(8) Cdlulofjitr du Musée de Conslanlinople, t. II, p. hVt.

(9) Ibid., p. 161».

CIO) Besefireibung der allrh) isllirhni lUhhrprl.r. ji. si.


11) Il y a lieu en i-IVet di' constater la préseme de <cs arcades sur les exemplaires 5 ,

28J et [35^.

12y II subsiste toujours dans ce genre de conclusions une certaine latituiie et le marbre
de Satone [5] décoré d'arcades n'est placé M. lirunsmid Vjesni/i. uou\
par ,sér., .

I, \, 1908, 9, p. 214,1 qu'au iv->" siècle. Le rapprochement que fail M. NVuIfT, à propos
du lype de l'ange a>cc un collrel de Saint-Nazaire de .Milan {Monumenls l'iol, t. VII, l'.ioo,

pi. IX), conduirait même à de.sci'iidre jusiiu.i la fin de ce siècle, puisque le coflret aurait été
l'xécuté j)our recevoir les reliiiues des Apuires que le pape Damase avait adressées de
Horne a S. Ambroisc en 3«".! par l'archidiacre Simplicianus. envoyé par archc\é(pie auprès
I

du Ponlife pour aplanir les discussions qui selaieni élevées dans l'H^lise de Milan Ibid.,

p. 69 et 73-75,.
mrlam;|':s. i69

de l'avis de M. Rrunsmid, que des fragment du iv'-v'" siècles (h; le

Musée du Caire i27J et lexemplaire de Sbeitla |4j, de lavis de


MM. Strzygowski (-2) et Merlin (3), que des v^-vi", époque dont l'ima-
gerie religieuse, dit ce dernier, att'ectionnc les sujets que nous
rencontrons sur « tous ces objets... sortis d'une môme fabiique
qui était en Orient et qui les a répandus dans tout le monde byzan-
tin (i) ».

L'affirmation tranche du même coup, on le voit, la provenance et


peut-être serait-elle un peu téméraire à s'en tenir aux arguments
indiqués par M. Merlin (5), que « les fragments connus viennent de
Bulgarie, de Grèce, d'Egypte, de Chypre et de l'Afrique Mineure » et

qu'il faut « rapprocher de ce fait ce que dit M. Bréhier (6) de certains


chapiteaux exécutés à Gonstantinople au vi" siècle et qui ont été
exportés dans toutes les parties de l'empire ». Mais singulièrement
grande est la fréquence des rebords provenant d'Egypte ou de
Chypre. Du nombre des rebords égyptiens, rebords [24J et 25j les 1

sont en marbre pentélique (7), le rebord [32| en marbre grec (8), et


donc la nature du marbre, qui était importé, M. Strzygowski le —
note pour fragment [27] (9),
le ne crée point d'obstacle (10). —
M. Xyngopoulo, de plus, au moins en ce qui a trait aux exemplaires
décorés de poursuites d'animaux, rappelle (11) l'argenterie égyptienne
étudiée par M. Drexel(12), —
coupes avecbord où se voient le plus sou-
vent des animaux alternant avec des masques, ici remplacés par des

tètes dont plusieurs seraient copiées de monnaies alexandrines, et —


l'allégorie des saisons chère à l'art d'Alexandrie et encore, sur le
fragment d'Amphissa [12|, la chèvre se grattantavec sa patte, quia sa
pareille dans les miniatures de la Topographie de Cosmas Indico-

(1) Vjesnik, nouv. série, t. X, 1908, 9, p. 214.

(2) Koptischc Kunst, p. 106.


(3) Bulletin archéologique du Comilé, 1913, p. cxci.

(4) Ibid., 1. c.

(5) Ibid., 1. c.

(6) Nouvelles archives des missions scientifiques et littéraires, nouv. série, fasc. 3,
p. 37.

(7) Beschreibung der altchristlichen Bitdwerke, p. 11-12.

(8) 'EçyitJ.ep t; àpxaioXoy txi^, 1914, p. 82. •

(9)Koptische Kunst, p. 106 « es scheint also dass das Stuck erst in Aegypten in den
:

importierter Marmor gearbeitel wurde ».


(10) 'E ç ï) (x
£p l ; àp/a to),OYixYi, 1914, p. 22, 263. M. Xyngopoulo en conséquence croi-
rait donc volontiers le monument du Musée d'Athènes [11], quoique trouvé dans les
Cyclades, égyptien.
(11) Ibid., p. 75, n. 3, 77-78, 80-81, 261.

(12J Fr. Drexel, Alexandrinische Silbergefasse der Kaiserzeit (Bonner Jahrbucher,


Heft 118, 1909, p. 176-235 et p. VI-IX).
170 REVUE BIBLIQUE.

pleustes du Sinaï et de VÉvanr/ile syriaque du moine Kal)ula dr Flo-


rence, sur le fragment de Stuttgart |32' l'aigle aux ailes déployées
chevauchant le lièvre, qui se retrouve en Syrie. Toute la série se
rattacherait donc à Tart syriaque, — M. Wulff parle aussi hypothé-
tiquement propos du fragment
à |2] de type antiochien (1) et M. Eher-
solt déclare des exemplaires 115' et 18] du Musée de Constantinople
qu'ils « laissent entrevoir la place importante qui doit être assignée
dans l'histoire de la sculpture cli rétienne aux ateliers d'Asie
Mineure (*2) » — ou à l'art d'Alexandrie (3). Il note enfin que les ani-
maux courant sont d'ordinaire à l'allure appelée par M. S. Reinach le

cabré allongé, non au galop volant, qui, inconnu ;\ l'antiquité classi-


(jue, mais conservé après la chute de la civilisation mycénienne dans
les régions du nord et du nord-est du Pout-Euxin, reparait à l'époque
byzantine par la filière de l'art sassanide et arabe (4). Les rebords,
par là, seraient à distinguer de l'art byzantin proprement dit posté-
rieur, se rattachant par le style comme par la teclini(|ue à la tra-

dition antique (5), Mendel déclare en ell'ot, de son côté, le


et M.
rebord 15! « sans aucune trace de byzantinisme (tii ».
Il n'était pas possible, en terminant cette trop longue étude, de
passer sous silence ces considérations de M. Xyngopoulo, mais pré-
tendre traiter à fond la question soulevée, qui n'est qu'un point par-
ticulier d'un cas beaucoup plus général, serait hors de lieu. Il nous
suffit, poui- nous, d'avoir réuni, commenté et expliqué de notre mieux

toute une classe de monuments (jui, faut pour les comparaisons qu'ils
sug^gèrenl que pour les problèmes qu'ils soulèvent, ne sont pas dénués
d'intérêt.

Etienne MiciioiN.

(1) Beschreibung der allr/iristlichen Bildwerhr, p. II.

(2) Revue arckéologir/ue, 1913, I, ji. 33;>.

(3) Le fait i\ulsnac serail vôlu sur le rebord |26J indi<|UPi;iit rualenicnt, ira])rrs
M. Slrzygowski {hoptisclic hunsf, p. 106;. un type syro-égyplieii.
4j 'Eçr.iiEf,!; àf/a 10/ oy i x'ô . lîMi, p. "'.(.

.5) Ihirl., p. 70-80.

'6) Catalogue du Mu.sre de Consliiiilinoph:, l. Il, p. \'.V.\. Il dil aus*i, nous l'avons noie,
" lorines rt drappri<'s*^nnt anli(|nes ».
MELANGES. 171

II

A PKOPOSITO ni SEMITISMl NEL N. T. (Ij

La questiono degli ebraismi, o diciamo meg'lio semitismi, del Niiovo


Testaniento è diventata una questione di viva attualità, specialmente
dopo gli scritti battaglieri dal Deissmann, e ciô a causa dello studio
più ampio e profonde che si è fatto délia Kctvv^ in seguito alla gran
messe di documenti nuovi scoperti e pubblicati negli ultimi tempi.
E mentre gli antichi grammatici fiutavano par solito ebraismi dap-
pertutto, e vedevano nel greco biblico una lingua a se, i filologi re-
centissimi délia scuola Deissmanniana, se pur non osano in teoria
negare ogni influsso semitico sulla grecità del Nuovo Testamento (2),
di fatto aiTicciano il naso ogni quai volta sentono parlare di ebraismi
di aramaismi, e sudano quattro camicie per eliminare l'un dopo
laltro i pretesi semitismi.
Vediamo se è possibile sgombrare il campo da malintesi ed esage-
razioni.
Bisogna anzitutto distinguere nettamente due cose : // faiio délia
presenza o meno di semitismi nel N. T., e la spiegazione del fatto.
Gli antichi filologi erano persuasi delF esistenza d'una lingua o dia-
letto giudaico- greco, nettamente distinto e profondamente diverso

(,1) Dalla introiluzione ad una futura seconda edizione délie « Lellure scelle dal N. T. y
(1906^. Questa edizione è giàpronta; ansi a quesl' ora, se fosse dipeso da me solo, sarebbe
liell' e pubblicata. Più che una seconda edizione è un rifaciinento totale di un lavoro
intrapreso troppo alla leggera, senza i necessari sussidi, e troppo afl'rettato.
(2) Thlmb, Die griechische Sprache im Zeitalter des Hellenismus, 1901, p. 121
Cf. :

Nessuno naturalmente voira sostenere che la grecità biblica sia afl'atto immune da
ebraismi [von hebrinscher Àusdrucksform) ... Ma ciô .si mostra più nello stile e nella
mentalità, che nella lingua propriamenle detta ; non greco è il parallelismo délie frasi nei
Settanta e l'uso délie parabole nel Nuovo Testamento, non greco parjmenti lo stile e la
mentalità del bilingue Paolo; ma greco nell' insieme [im grossen und ganzen) il lessico
e anche la grammatica di quel testi ». Che se a pag. 181 sembra rimangiarsi in parte
quanto ha detto dello stile, a p. 131 per contrario allarga alquanto, e giustanienle, la con-
fessione « Naturalmente non mi passa neppure per il capo di negare ogni influsso délia
:

Nuovo Testamento ». È vero che sift'atti ebraismi sintat-


s»iias5« semitica sulla grecità del
tici il Thumb génère come servile imitazione di esemplari semitici
vuole splegarli in
{Ueberselzergriechisch); ma quest' è per noi, come vedremo. una questione molto secon-
daria.
172 UKVIE IJIBLlnl K.

délia lini;ua comiiiK' degli altri popoli ellonici, e vedevano ap[)unlo


nci LXX c nel Nuovo Testaniento i nionuinenti di sifTatto idioma.
I filologi iiioderni, invece, negano in génère Tcsistenza di urio spé-
ciale dialetto giudaico-greco, c contestano, ad ogni modo, che i lAX
e il N. T. possano essere legittimamente considerati come rappresen-
tanti di un taie dialetto. I LXX — una traduzioiie
essi dicono — sono
servile dall' ebraico, cd è évidente che una traduzione siliatta non
piio considerarsi come speccliio fedele délia lingua parlata nel-
l'ambiente in cui vissero gli autori; il N. T. si trova in huona parte
nelle stesse condizioni, e gli altri semitismi che possano nolarsi nelle
parti originali, sono l'elFotto o délia faniiliarità coi LXX o evontual-
niente délia poca cultura degli autori che, come il Copto del-
Tiscrizione di Silko, non riescono ad esprinicre grecamente ciô che
hannct pensato in aramaico : sono cioè fenonieni individuali, non
tracce di un uso parlato costituente un dialetto. — Qucsta quostione,
importantissinia per lo storico délia riguarda davvicino,
Kcivr,, non ci

ne vog-liamo entrarci (l). Ma è ha molta parte nel-


un fatto clfessa
l'accanimento con cui si vuole ridurrc scmpre più le tracce del-
linfiiisso scmitico nclla giecih'i del N. T.,siuo quasi a farle scomparire
del tutto (in pratica almeno). È invero una reazione — psicologica-
mente spiegabilissima — contre l'uso che di tali tracce facevano a
loro vantaggio i fautori del dialetto giudaico-greco.
Iq secondo luogo, ail' atteg-giamento esagerato di alcuni filologi
recenti ha contribuito, se non andiamo errali, une certa incsattezza
e conlusiono d'idée.
E per cominciaro, non ha tutli i torti lo Swcte, ([uando osscrva
che il fonfronto tra i Papiri e gli scritti del N. T. deve osser fatto
cum «jrano salis. Tra una lettera [)rivata dairari. buttata giù alla

peggio, che dopo letta dovrà linire nel cestino, e un docunieijto


destinato alla pubblicità, e scritto quindi con una certa accuratezza,
lanto (la non disdegnare ail' occasione l'uso dei sussidi rettorici, c'c

(1) OssiTS i'irno hillavia che il (oiitraslu Ira ;:li aiitii lii c i iiiiovi liloliii^i non c cr^si raili-

rale, come si polrchhe crederc, e che in parle si ridnce ad una i|ucslion<' di parole. Si rive
per es. il TnuMit. /. c, p. 17.'» : n ("he i Giudei, servendosi del greco come di iina lin^na
nalurale;ma non è quesla una ragione jirr
slraniera, facessero setilire d'csserc- slranieri,è
ereare on ramo spéciale délia Koiv^, come nessuno ha mai pensalo, perche il ledesr o e pin
o meno stro|ipialo da i-rancesi o Inglesi, di stahilire due spécial! dialelli ledesihi. il frnn-
crse-tedesco e \'inglesc-fe(/f:ir(i » K per «[uello che ri;;narda i (iiudei dell" Kuitto, inleramen-
to elieni/./ali, si contenta d'afTermare che l'csisten/a d'un dialetto nindeo-^reco non é prn-
ratfi. E l'alTerma/iime e prudente. L'analogia infalti dei Giudei vivcnti in altri paesi (si

ricordi per esem(iio il rjUrlln di fioma e il suo (çergo cosi caralteristico, e si trattava di Hiu-
dei ch' erano ilaliani ormai da secoli!) fa apparire non improbahile rhe anche la plein*

giudaica di Alessnndria si distinguessc ne! parlarc degli altri.


MÉF.ANGES. 473

iiiia (litlerenza notevolo : sviste, neg-ligenze, sgramm.iticature son


cosa ovvia in quelle, fenomenale in questo, « e se vi si risconlrano,
possono essere solo attribuiti ad un inveterato abito mentale (1) ».

1/osservazione è specialraente importante, ci sembra, per il fatto che


la sintassi ebraica (aramaica) non tanto persi allontana dalla ureca
costrutti speciticamento divers!,quanto per una infinilamente mag-
giore semplicità onde l'influsso sintattico dell' ebraico doveva spes-
:

sissinw coincidere col semplicismo sintattico dei docu menti di ca-


rattere popolare, alieni da ogni pretesa letteraria (cf. il nomioativo
assoluto e l'iiso del y,xK invece délia subordinazione) ; ma di ciù più
sotto (2).
Inoltre si supponc forse con troppa facilita, che tutto quanto si

legge ne' Papiri d'Egitto e nelle iscrizioni delF Asia Minore rispecchi
il puro nso ellenico. E' un
che vaste colonie giu-
fatto incontestabile
daiclie fiorirono in Egitto, sin dagli antichi tempi, e il fatto mérita
una qualche considerazione. Il Thumb osserva assennatamente,
contro chi fosse tentato descludere ogni influsso grammatico délie
lingue semitiche nello sviluppo délia Kcivr, : « Cio sarebbe senza
dubbio eccessivo per l'Âsia e per FEgitto. La Ki-.vy; volgare di quelle
regioni non resté certo immune da infiltrazioni straniere c[uanto
al colorito sintattico : solo è assai malagevole sin c[ui constatarle e
metterle in luce nei testi a noi giunti. E ciô in gran parte, perché
non è punto facile, salvo in casi speciali, sceverare nettamente cio
elle spontcineo sviluppoda ciô ch'è in/lusso straniero (3) ».
Queste ultime parole m'aprono la via ad una terza e importantis-
sima osservazione, con la quale vorrei togliere di mezzo una con-
fusione didee, che mi sembra comune a molti dei recenti filologi.
Il dire cioè che in una data costruzione, la quale uscendo più o

meno dalF ordinario è fréquente nel greco biblico, appare l'influsso


semitico, e lasserire ch'essa non possa spiegarsi altrimenti in nes-

'1) The Apocalypse of St. John, 3 eJiz., London, 1909, p. cxxv, n. 1. Ho parlato di una
certa accuratezza, perché ii terzo vangelo, ad esempio, ci raostra cbe non sarebbe pru-
denlesupporre negli scrittori delX. T. massima accuratezza di cui erano capaci. L'uorao
la —
osscFva giuslamente il Xorden — che ha scriUo il proemio del terzo vangelo, pofeva scrivere

il resto del vangelo coa la stessa classicità di forma se non 1 ha fatto, vuol dire che non
:

ha voluto, perché non lo riteneva opporluno. Ma inlanto basta confronlare i passi paralleli
dei Sinottici, per constatare corne Sfjesso Luca non rifugga dal ritoccare e rilinire, dal
punto di vista délia forma, le fonti che trascrive.

(2) Cbe roaravigiia quindi che molti semitismi, corae osserva il Deissmann [Expositor,
lan. 1908), siano in realtà « international vulgarisms »?
(3) Op. cit., p. 132 sq. L'Autore aggiunge : >< Non si sarà mai abbastanza prudenti nel-
l'ammeltere che una data espressione è di provenienza straniera >. E corne principio géné-
rale, siamo perfettamente d'accordo.
174 REVUE BIBLIQUE.

suii caso, soDo (lue cose ben diverse. iNè basta pertanto scovarc in
qualche iscrizione o in qualche papiro (che si ritenga estraneo a taie
influsso), anche in qualche antico scrittore greco, una costruzione
casualmente identica o sempliceinente analoga (1), per potor negarf
scnz' aitro, negii scritlori biblici, ogni traccia di seniitismo. Ilo

spesso occasione di parlare con un amico roniagnolo, che vive già


da alciini aiini a Firenze, e non di rado il raio orecchio resta poco
gradevolmente colpito da qualche espressionc, che suoiia strana :
«''

l'uso d'un vocabolo, la costruzione dun verbo, l'accoppiamento di


certe parole o che so io. Lamico se n'avvede, sorride, e mi ripete
la frase romagnola, che ha trasportato in italiano ad Ihlcram. Chi
volesse ora farsi ad analizzarla pezzo per pezzo, con quella cura
nieticolosa con cui sono esaminati gli ebraismi del N. T., non sten-
terebbe, credo, le più volte a riscontrare sia in altri dialetti, sia nello
stesso toscano, qualcosa di parzialmente identico, qualche uso e co-
struzione analoga. Ma ciô non toglic, che nel mio amico siano roma-
gnolismi belli e buoni! il Thumb a p. 133 cita un case che fa molto
a proposito. Nel dialetti del Ponto, in quello almeno parlato nel
villaggio di Tserakman presso Samsun, egli ha notato cosi nel voca-
bolario corne nella grammatica una dipendenza évidente dal Turco.
Tra altro è usuale la perifrasi mediante il verbo èsTcifo) (:= faccio) e
un sostantivo, per es. qj.Trp è^-âo) = io comaiido, l7[j.àp iffTio) =
accenno, imitazioni servili di espressioni turche. Il Thumb osserva
che una perifrasi analoga con tcciso) appartiene già ail' uso volgare
dei Papiri e anclie, in cerle locuzioni, alla lingua lettcraria, certo
indipendentcniente dal Turco. E nondimeno, egli dice, « non ho il

menomo dubbio che Tespressione pontica sia. un turchismo •>. Il

buon senso vuole che non .si dimentichi tutto questo, quando si parla
di ebraismi nci LX\ c nel N. T.
Ho accennato più sopra ail' abuso del /.t. nel .N. T. l'n' o.sservazione
simile pu6 ripetersi a proposito di molti fatti. É évidente, ad csempio,
corne l'uso di certe costruzioni /j/'c/josiziona/l, in luogo del som-
plice genitivo o dativo, furoiio suggcritc in molti casi allô scrittoir
biblico da analoghe costruzioni dcU' originale scmitico, da cui di-
|)i'nde, dcll.i sua lin^ua iialiv.i. h'allra parle, non nicno évidente

(\} Non sara forsi; iniilile avverlin- f|uanla prudcnza sia nccessaria iicl inancgK'a'C l'argo-

mento deir analogia. Se >(rivo iiiio padre e mia rnadre rni vo^liono liene ", losprcs-iioni'
«i

" preUarnonlc italiana; non cosl, se scrivo » iniei |.;cnilori mi voRliono bcne », e chi ha

tradollo il lilolo d'un ronianzu francise « }fon oncle et mon curé » per o Mio zio e mio
curato » ha coininesso un brulto sUipido francesismo. Similmcnte si possono. italiana-
<*

inente, risciacquare i cenci in Arno. ma non in Tt-verc; si possono visitare le ciUà di Fran-
cia. d Ej^itto vr.c, ma non di Beinio o di Hrasilo ccv..
MKLANGES. 175

è nella Kcvr, la tendcnza générale a sostituire i casi raediaiite le

preposizioni, la qiiale aiidù l'acendosi senipre più viva e fini con la


scomparsa del dativo nel greco moderno, corne una tendenza simile,
nel moiulo latiiio, condusse alla soppressioue compléta de' casi nelle
liiiiiue neo-latiue. xNiuiia maraviglia pertanto, se auche indipenden-
temente da ogui influsso ebraico noi troviamo talora una sostituzione
analoga (o persino identica) di preposizioni a casi, quale vediamo
in moite costruzioui ebraizzantl dei LXX e del x\. T. Dovremo conclu-
(lerne cli'è un errore battezzare queste costruzioni (non normali in
greco) per ebraizzanti, e chc l'influsso seniitico in realtà non ci ha
nuUa che vedere, pur essendo la traduzione letterale d'una frase
ebraica o aramaica? No; ma piattosto, che sifiatto intlusso fii favorito
e facilitato negliscritti biblici dalla tendenza générale délia Kotvr, (1).
La lotta vigorosamente sostenuta del Deissmann e dai soi seguaci
è stata una salutare reazione contro pregiudizi falsi per quanto anti-
chi. Se talvolta s'è passata la misura, poco maie; dirù anzi, è stato
un bene. Giacchè ogni reazione, per essere efficace, ha bisogno in
génère d'essere eccessiva. Ma stabilita ormai una volta per sempre
la tesi fondamentale che il greco del N. T. non è una lingua a parte,

autonoma, ma la lingua che tutti parlavano a quel tempo; la persis-


tente tendenza a voler ridurre ai niinimi termini per fas et nefas
linilusso s'emitico negli scrittori del N. T. è, ci si perdoni la fran-
chezza, irragionevole e antiscientitica. — Questi scrittori hanno scritto
in greco, ma non eran Greci
(salvo forse Luca) erano Giudei e, i :

più, Giudei di Palestina, la cui lingua materna era l'aramaico (2).


Tutti poi avevano lorecchio avvezzo per lunga consuetudine al greco
dei LXX, di regola servilmente calcato suU' ebraico per quasi tutti, :

anzi, la versione dei LXX era Vunlco libro greco che avessero letto,
tanto eran lungi dalF aver fatto del greco uqo studio assiduo e pro-
fondo, corne ad esempio Giuseppe Flavio. Più ancora, questi Giudei
che scrivevano in greco in tali condizioni (3), per buona parte

(1) Cf. Radermacher, Neufestamentliche Grammatik, Tùbingen, 1911, p. 107 sgg.


(2) Fino a che punto la lingua greca fosse diffusa nella Palestina, è difficile precisare :

certo rimaneva una lingua si raniera, imparata per le utililàcommercio, ma è probabile


del
che una qualche conoscenza délie niedesima fosse penetrata anche nelle classi popoiari. Ad
ogni modo, per ciô che riguarda gli scrittori palestinesi del N. T., è chiaro ch' essi parla-
vano greco, come gente che da tempo s'era farailiarizzata con quella lingua. Paolo poi lo
già
parlava correntemente corne tutti i Giudei ellenisti, benchè parlasse anche l'aramaico e
leggesse l'ebraico.
(3) Si pensi agli stranieri che, pur essendo da anni tra noi e parlando giornalmente la
nostra lingua, non di rado si lasciano sfuggire espressi^ni e idiotismi che tradiscono chia-
ramente la loro nazionalilà. E ciè non è vero dei soli stranieri, ma degli Italiani altresi
del seltentrione e del mezzodi, la cui vera lingua materna non è l'italiano, ma il dialetto,
benché fin da piccini abbiano studiato l'italiano, e vivano in mezzo a gente che parla ita-
4 76 REVUI-: lîIBLlQL'E.

tlel N. T. non hanno scritto di qctto espriniciido le propric idée c i

propri sentimenti, ma hanno riprodotto pensieri forniulati già e

tramandati in semitico, dipendono da fonti semitiche (1). Non c'è da


maravigliarsi pertanlo — sarebbe invero maraviglioso il contrario !

che ncgli scrittori del N. T. l'inllusso semitico appaia évidente. Lo,i:i-

camente anzi dovremmo esser })ortati ad esagerar piuttosto (sempre


con la preg-iudiziale fîssata più sopra, c tenendo conto délia natura
degli scritti e délia varia cultura degli scrittori) che a scemare sill'atto

inllusso, a scovarlo anche la' dove si nasconde e si maschera sotto


frasi e costruzioni prettamente greche, piuttosto che negarlo dove si
mostra ail' aperto. Si friighino pure papiri e iscrizioni, ma non con
la smania di abbattero ad ogni costo ruu dopo laltro gli ebra'ismi

del N. T., si bene per mostrare come, anche quando lo .scrittore bi-
blico subisce l'inthisso délia lingua naliva e di fonti seniiticlie, non
si sottrae intieramente ail' inllusso delgreco che sente parlare intorno
onde assai di rado i suoi semitismi son
a se e parla egli stesso, tali da
non avère alcun addentellato col greco comune (i2).

G. BONACCORSI.

liano, e lc}î;iano del conlinuo libri italiani, e scrivano per i loro afl'ari in ilaliano. Per farsi
un' idea poi ilel grandissiiiio inllusso che dovetlero avère i LXX sugli scrittori del N. T.,
si reciirdi ad esempio l'italiano infranciosato ûe<,i\\ autori noslri del sec. xviii. ^;ran letlori
di opère francesi. Ed erano italiani !

(1) K supcrlluo ricordare ijuel che sono, dal punio di visla linguistico, tante e tante tra-
duzioni dal francese, che infeslano il rnercato liltrario. — Un caso lipico ci è olFerto dai-
l'iscrizione di Silko'Nubia) ricordala |iiù sopra : lo scrittore. un Coplo, si aflanna a tradurre
alla meglio il suo pensiero con parole greche, e non dubita tra altio « di fabbricare, con-
forme al suo imper/cclmn fiiluri, un è-yi).ovixr,-jou(n = rixaturi erant, e cainbia i tenipi
dopo il -/ai corne in copto, ovvero usa prorniscuamenle el (xr, e àÀXâ perché in copto esisle
un solo corrispondenle per enlrambi » (TiitMn, op. cit.. p. 124). Leggi anche l'accurato stu-
dio di P. ViERECR, Sernio graecus f/uo senalus popuhisque Hoinanus magislraliisqne
pupuli Homani vxf/iti' ad Tib. Cacs. oelatem in scriptis pul)licis uni sinif. (loltingen,
188«.

(2) Di qui il « passible but nnidioiiintic Greeh » cui accenna spesso il .Moulton e I' « v.i

tension of a vernacular usage under the encourngemeut of a similar idiom in He-


breir ». 11 quale Moullon, a proposilo degli ebraisini dci l..\\, osserva aculamente conie
spesso il traduttore. |>ur volendo rii)rodurrc alla lellera la frase dcll" originale, si sia dalo
cura di scegliere l'espressione che nirno slonava in greco, e che aveva nell' uso greco un
parallelo, sia pure seinpliremente rnaleriale. Cosi linlinilo assoluto ebraico, usato a raf-
tbrzarc un verbo (inilo. non é reso in greco con un inlinilo, ma col parlicipio o i ol dalivo
del nome adine : non àxol^tv à/oiit-i o [iXéuEiv {j'/v\>i.ii (cf. tiiilavia Jos. xvii, l.'l È'o)eOp£y-
aai Zi aOToJ; oj/. i^wAÉOpEuuav), ma àxoTj ixoCnt^z e Pàéttovte; p)ii}/£Te. perché esistevano in
greco espre>8ioni apparentemente simili, come Yâ|iti) vaiieiv (= celebrar noz/c Irgittime),
çuv^ çïvYEiv (= fuggire a gnmhe Icvale), menlre per es. op^ivTa; p.T, ipâv xal àxojovta; (if,
pre8c^za in alcuno dei sentti délia vista e
àxo-^Eiv ^a significare l'inutile dell' udiloj era do[io
Aksch^l, Prom., 447 sq., passalo in proverbio cf. (Dkm.] 797. :
MKL.VNGKS.

III

OHACILA HELLENICA

A Hlansieiir Paul (iirard, meinbre


de l Académie des Inscripdotis.

Tous les Iraits sont intéressants qui peuvent éclairer l'évolution


(lu paganisme gréco-romniu à travers le syncrétisme vers le mono-
théisme. Cette évolution, décrite par Jean Réville, plus récemment
par M. Franz Cumont. est un retentissement du christianisme dans
la religiosité païenne : elle rentre ainsi dans l'histoire des orig-ines
chrétiennes.
Je voudrais recueillir quelques éléments, nouveaux, je crois, et
dont je dois la première indication à un bref mémoire de M. Jules
Toutain sur quatre inscriptions romaines, mentionnant toutes quatre
l'oracle de l'Apollon de Claros (1), et relevées la première en Grande-
Bretagne, la seconde eu Dalmatie, la troisième en Numidie, la qua-
trième en Thrace. La formule des trois premières est la même Dis :

deabiisque secundwn interpretationem [oracidi] Clarii Apollinis. La


formule de la quatrième quatre femmes de la ville
est dilîerente :

d'Anchialos ont offert desimages des dieux selon les oracles du


«

Seigneur Apollon de Colophon » (Oswv àviXjj.a-ra xa-rà ypr^7\j.z-jz tcj


7.jp''sj 'A-iXXo)vcr KiXi^tovicj), l'Apollon de Colcjphon étant celui de
Claros. M. Toutaiu estime que ces dédicaces font allusion, non
à un oracle occasionnel, mais à « un ensemble d'oracles exprimant
une doctrine, ou. si le mot doctrine est trop ambitieux, une opinion
générale sur quelque problème assez grave », D'autre part, comme
l'a très bien vu M. Toutain, les (lii deaeque et tout de même les Occi

auxquels s'adressent les dédicaces « attestent une tendance très nette


au syncrétisme » l'oracle de Claros avait dû parler dans le sens de
:

ce syncrétisme. M. Toutain incline à croire que les quatre inscrip-


tions qu'il commente ne peuvent être antérieures au temps de Tra-
jan. c'est dire qu'elles seront au plus tôt du début du second siècle.
Rien n'empêcherait de les croire de cent ans plus récentes.
On sait par ailleurs que Cornélius Labeo, qui a été une des sources

(î) Biillelin de la Société iia(. des Antiquaires de France, 1915. p. 1 il-148.


REViE r.ir.UQUE 1916. — n. s., t. \iii. 12
178 REVUR Hll51.ini i;.

du m' sircle, axait écrit un livre intitiilr hc oraculo


<rArii»)l)e à la lin

ApullinU Clarii, dans lequel il citait et commentait an moins un


oracle (en grec et en vers) de l'Apollon dp (Maros. Nous le savons
i:rAce à Macrobe, f[iii rapporte que (juolfju'nn .lyant interrogé le dieu
(le Glaros sur la véritable nature de la divinité appelée lao, reçut en

réponse l'oracle suivant : « Consultus Aiiollo Clariiis fpd (Icoruni


liabendiis sif qui vocalnr lato, ifa ojfatus csi :

Et o' aca TOI TTotûpr, (tuveoi; xat to'j; àÀotTtaSvoç,

'^poc^EO tÔv TrâvTtDv utt^tov Oeov ew-uev law,


yEtULOlTl uÉv t' "AÎor,V, Ali o ElOtpO; àpyOJJLEVO'.O,

Hé/.iov ô£ ÔÉcEOç, ijLETOTTiôpoi» àÊpov law.

// /^r«/^ aprhs avoir été initié dans les mystèrfs, les tenir secrets ;

mais dans Saclw


l'erreur, l'esprit se rétrécit et F intelligence s'égare.
donc que le premier de tous les dieu.r est lao, qui s'appelle Adès pen-
dant l'hiver, Zeus au printemps, le Soleil l'été, et lao à Vautomnc
itrad. Panckoucke;. Et Macrobe ajoute « Uuius oraculi vim numinis :

nominisque 'intei'pretationem ... e.rsecutus est Cornélius Labeo in


libro cui litulus est de oraculo Apollinis Clarii » (1). Cornélius Labco.
sur l'âge duquel on a longtemps bésité, est tenu aujourd'lmi pour
un écrivain de la seconde moitié du iir siècle (2), Où Ton voit que.
à celte époque, l'utilisation des oracles tendancieux de Claros était
d'actualité.
On en a un autir indice grAce à Lactancc. ([ui cite, en eilct, un
autre oracle de l'Apollon de Claros « Apollo enim, quem praeter :

ceteros divinum ma:iimeque fatidicum e ristimant, Cohiphone resi-


dens, ... quaereïiticuidam quis aut quid esset omnino deus, respondit
viqinti et uno versibus, quorum hoc principium est :

AÙTO'iViV]; ioîootx.xos otur,T(op otortuïiÉÀi/'.To;.

ouvoua uiïiSi X^yw "/ojioijijlevo;, ev TTupi vaiwv,

to'jto OeÔ;. aix;à i$è Osoî» Lispii; OL^yeloi f,u£Îi; ('.ij. »

Lactance a cité d'autres oi-acles de ce mrme Apollon de Glaios. Il

écrit: « lirnii/iir in olii^ rrspnnsis Apollo i dmimnirni sr esse conjes-

(1) Machoii. sati.rii. i. 18.

^2) M. ScHAN/, Crsrli. iler rom. I.ilt. l. III l'Jn.. . |i. 1''.;. Nii:(.i.i;tii.i. hr (nriulm
l.nhcDiir (UtdS). penso avoir prouve que Lalii-o un disciple romain de l'orpliyre.
est

sinon (I un disriple de Por[>livre, cl qu'il couvicnl de faire de lui un conlempornin d'Ainohe


qui la ((jiiiliaitu : Laheo est ainsi à r(illoi|uer eulri- 'î.Mi cl 3'iG. Op. lil, p. :t'i-:J7.

.,3) LvrxwT. f)iv. inst. i, 7 éd. HhaM)T. p. J'»).


MÉLANGES. '
I7<i

m est. Nam cam mtcrrogarrtur (luomodo siln supplicari vellcl, il<i

-espondit :

Ilâvcrosî TtavTOûtoaxTE TroXutTTpotos xskÀ'jOi oaTuov.

« Item ritrsns cum precem in ApolUnem Sminthium (toujours l'A-


)<)llon de Clarosi rogalus expromerct, ab hoc versii cxorsus est :

'ApULOVlV, XOCULOIO, cox£<7cpdp£, nâvffo'^E oaîuLov

« Qiiid ergo supcrest nisl ut sua confessions vei'beribus Dei reri ac


loenae subiaceat sempiternan? Nam et in alio responso ita di.cit :

Aai'uLOve; oi cooittoni tteci yOova xai ttsci tcovtov

à>ca_ut.iTOii JajjLvwvxai (nral aaicTtyi Oeoîo (1). )>

Ces oracles de l'Apollon de Claros ont été pris par Lactance dans
e traité (perdu i
de Porphyre Ilsp- tï;; è/. Xcvuov çiacjosîxç. Les frag-
nents conservés de ce traité ont été réunis par G. WolfF, qui inven-
torie à ce propos les recueils d'oracles connus de Porphyre, ou signa-
lés ailleurs dans l'histoire littéraire (2).

En appendice à son étude sur Klaros (1889 K, Buresch (3) a publié 1,

intégralement pour la première fois un texte grec, tiré d'un manus-

crit de Tiibingen, et qui a pour titre Oracles des dieux helléniques

(X_cr,7;j,o'. Twv Ce texte avait été signalé par K. .1. Neu-


èAA-r;v'.-/.ojv Oswvi.
mann Ci-). (p. 89-l>i), Buresch résume le jugement
Dans son Klaros
de Neumann sur le texte grec. Ces y pr,':[j.zi sont extraits d'un ouvrage
étendu qui portait le titre de Bscac^^a et dont G. Wolff s'est occupé
dans ses recherches sur le llspl --q: kv. /.cyiiov siaoucçu; de Porphyre.
L'auteur, pour nous anonyme, avait composé un premier ouvrage en

(1) Ibid. (p. J"). Rapprochez deux oracles de l'Apollon de Milet, cités par Lactance
[d'après Porphyre), Bir. inst. iv, 13 (p. 319), et vu. 13 (p. (>25-()2rO.
(2) G. Wolff, l'orpliyrii de philosoplua ex oraculis Iiaiiriemla librorum reliquiae
(Berlin 1856).

(3) K. BcREscii, Klaros. L'alersuchungen zum Ora/.clircscii des spaeteren AUertums


nebst einem Anliange, das Anecdoton Xpïiajjioi tôjv é/.Xïiviv.wv ôewv entlialtend. (Leipzig
1889}. —Le texte de Tiibingen est une copie prise en 1580 par Bernhard Haus pour
Martin Crusius. sur le célèbre manuscrit de Justin de la bibliothè([ue de Strasbourg (incen-
dié en 1870). Sur ce ms. voyez Flnk, Patres apostoUci 1901), p. cxix-cwi, à propos
de lépitre à Diognète qui! contient aussi.
(4) ZcUsclirift fiir Kirvhengeschichle, IS^^O, p. 284 et suiv.
180 lŒVUE BIBLIÛUl^.

sept livres Uzp\-?,; bpfif,; -^-im;, que suivaient quatre livres Ihsî t/Jç

(ho^zçix; dû écrire au temps de lempereur Zenon V7V-''91),


: il a ;

car 1" il mentionne le néoplatonicien Syrianos contemporain de


Zenon et de son prédécesseur Léon, et 2" il annonce la fin du monde
(daprès un calcul bien connu) pour le septième jour du monde,
lequel, comme on sait, commence l'an GOOO de la création, soit en
V92 de l'ère chrétienne.
Le texte du manuscrit de Tiibingen puidié par liurescli n'est
qu'un extrait ou résumé de la Siz7oz,ix, résumé dans la manière
chère aux compilateurs byzantins, celle de la Bibliothèque de Photius
par exemple. Dans les premières lignes, l'auteur de cet fpifome
nous apprend que Qizzz^ix est le titre de l'ouvrage qu'il décrit, et
dont prologue mentionne les sept premiers livres Ihp- -f,: opfif,ç
le

r.ii-nùq, la précédaient. La ©scjisb a pour dessein de montrer


qui
l'accord de la sainte Écriture et soit des oracles des dieux helléni-
ques, soit des « théologies des sages de chez les (irecs et les
Égyptiens », soit des sibylles, en ce que ces oracles, théologies,
proclament le dieu cause et souverain de l'univers et décou-
sibylles,
vrent la sainte trinité dans la divinité une.

Le quatrième livre de la HsiTCiîx, continue notre epitomator^ cite


des oracles d'Hystaspe, roi des I*erses et des Cdialdéens, « très pieux
et pour cela honoré d'une apocalypse des divins mystères au sujet
de l'incarnation du Sauveur ». On sait, en ellct, que le nom d'Hys-
taspe était j)orté par un écrit de fabrication juive hellénistique,
croit-on, — on y soup(:onne des retouches chrétiennes, — qui est cité

par saint Justin, par Clément d'Alexandrie et par Lactance ^1 i. L'au-


teur de la <-)izzz'J.% mentionnait aussi certains livres subreptices
("asÉYYpaTZTS'.), à savoir une A'.aOv/.r, -gj y.jpicj, des AaTiçeu tôjv aYÛov
àTC7T6X(.)v, une Vvrn,z<.: /.y.'. ivâAr/V.ç -f,; i:-/pivT:j Itz-ti-n^z (^•^.li)-/ Os:-

Ts/.cj. Par Yvr/r,z::, il iaut entendre le Protévangile de Jacques. Par


'AvâXf/V.;, le Transiliis Mariac Pai- A-aOr.y.r, t. /... le Tcshuncntum
homini que Uahmani a retrouvé et i)ul)lié en syriaque. Par A-.xTihi;,
les Coii-<titHli))ns njiosfoliqucs. Ces identifications ne font pas dif-
firulté.

« Me recueillant en nmi-mènif, souvent j'ai pensé que la théoso-


phie qui est sans rnvie, jaillissant comme dune source intarissable,
a versé la gnose aux (irccs et aux bai-barcs d n'a jalousé h> salut à
aucune des nations >> de la t:<'ulilil<'' Il ne Iaut d(Uic pas rejeter les

fl) llAii.Nvr.K, l rhrrlirfi'nniri fl8'.i:{ . p. «('.3. (T. Km i;«kii. arl. n>>las|>f'> • de la

RcalcncyUopncdir d»- ll\" • k. I. VIII I'.kio . |'. .-.mT-Sii'.!.


MELANGES. 181

témoigiiaîies sur Dieu des saines d'entre les Grecs, car celui qui rejette
ces témoienages rejette Dieu qui les a suggérés. Ces considérations
formaient apparemment le prologue de notre Hectcsîx anonyme, dont

elles exposent le dessein. A la suite, des extraits de l'ouvrage ce :

sont tantôt des notices très brèves qui résument le texte lu, tantôt
des citations textuelles de morceaux en vers. Ces derniers constituent
ainsi une petite anthologie. Si nous laissons de côté les morceaux
pris aux Oi'acuhf sihyllina, aux Orphica, etc. (li,il nous reste une
série d'oracl«'S des dieux grecs, sur lesquels nous voudrions appeler
l'attention.

Parmi ces oracles, nous relèverons d'abord ceux qui affirment une
conception à laquelle nous avons naguère consacré une brève étude,
la conception d'un paganisme rallié à un Summus deus, souverain,
ineffable, inaccessible, dont les dieux ne seront plus que les subor-
donnés ;2j.

I (= BuiŒSCH 13). Un certain Théophile a demandé à Apollon :

« Es-tu Dieu, ou (est-ce) un autre (qui est Dieu)? Apollon répond


»

par l'oracle suivant, — celui-là même dont Lactance a cité les trois
derniers vers, en les disant pris à un oracle de vingt et un vers : il

manquerait donc cinq vers à la pièce que nous fait connaître notre
epitomator (3) :

"KoÔ", uTTEpoupaviou xÛteoç xaÔuTTspÇlE XsXoY/wî (4),


cpXoYjAo; aTretpésioi;, xivouuisvoç, dtTrXgToç aîtov

elffi ô' £vt {xaxàpeffdtv àar^yavoç, si ixy; Éautôv

(1) Aux SibyUiiia sont pris les oracles figurant aux paragraplies de Burescli. 80-83. Aux
Orphica, 8, 56, 61. Puis, des sentences de Pindare, Sociale, Platon, Heraclite, Simonide,
Antisthène, Aristobule, Diogéne, Timon de Pliliasos, etc.; des vers de poètes, Euripide,
Ménandre. Nous ne nous occuperons que des oracles proprement dits. Dans ses Mélanges —
d'histoire religieuse {\915), p. 120, le P. Lagrange observe que « les fragments de Ménan-
dre se sont enrichis, à l'époque romaine, de belles sentences où il est assez souvent ques-
tion de Dieu ». Il conviendrait d'en dire autant d'Eschyle, de Sophocle, d'autres encore.
Ces fragments pseudo-classiijues sont attribués de préférence à la littérature juive hellé-
nistique, cette littérature n'est peut-être pas la seule à mettre en ligne.
(2j Dans notre livre I.a paix cotistantinienne [l^lk], l'excursus « Summus deus, le mo-
nothéisme dans le paganisme «, p. 188-201.
(3) W OLFF, p. 232.

(4) Pour tous les oracles à citer, nous nous tenons au texte tel qu'il est donné par
Buresch, par qui il a été très soigneusement édité et non sans de judicieuses corrections
182 UKVLli lilBLIQLE.

ouTE c£Àr;vatr, ).iyu-x>£YY£ti<; alwpeTTat,


où OeÔç àvTiâsi xxT aTapTiiTov, oôS" eyi») «Oto;
otXTtdiv (JuvÉyfDv £7Tf/.i8vai/.ai atÛspooivy^ç.

àXXi TTî'Xet TTupcToVo Osô; -îpty./^xeTOÇ aùÀo'jv,

â'pTCwv EiXiYOYiv, poi!^oû.u£vo;. ou /.£v e/.eÎvoi»

à']<âiji£voi; Ttupôç aîOEpt'ou ooticEiÉ ti; rjxop'

où Y«? V.^i oatViV. à!^riy£Î o' èv u.£À£or|6aô'>

aîojv ato)V£(î^" iTriatYvuxai èx. ôîoïï aÙTOu. —


aùxo'i/uvîç, àoîoa/.TOç, à(x-/^To)p, dtCTTUcpe)ay.TOi;,

ouvojAa [XYios XoYW yo)pouui.£vo;, £v ttuoI vxi'ojv,

TOÙTO Oso';* uLtxpà 0£ Oeou [Ji£p!ç i'fyeXoi r^it-Biç.

Il est, aff-dessus de la conque superciHeste, flamme infinie, mon--


vante, inaccessible éon. Il va parmi les bienheureux , insaisissable,
sinoîi quand il veut (dans) ses desseins, (lui le) père auguste, se
manifester lui-même (V\. Là, Jii l'éther ne porte d'astres éclatants de
lumière, ni la clarté de ta lune brillante ne s'épanche, ni il ne se ren-
runtre de dieu sur le sentier, et moi-nuhne, qui me meus dans l'éther,
je ne disperse pas h) mes rai/ons. Cependant Dieu est un fleuve pro-
fond de feu, il coule coutme un torrent impétueux. Aucune dme n'est
consumée qui touche au feu éthéré, car ce feu ne consume pas, mais
dans une perpétuité (ce feu) de Dieu même se mêle éon aux éons.
Né de soi, sans mai tiu' (pour 1" instruire), sans mère, immuable, ayant
pour nom Celui qui n'est pas compris par la 7'aison, habitant dans
le feu, voilà Dieu. Et ?ious a?if/es nous sommes une ptctite part de Dieu.

N"oul)lions pas que ce discours est prêté à Apollon, (jui donne ainsi
aii\ dieux se^ congénères le prédicat d'anges et de portion de Dieu (2 j :

<• Cst la subordination que nous signalions des dieux à un Dieu su-
[)rémc. L'oracle s'essaie à une définition de ce dieu suprême, inac-
cessilile, immuable, incompréhensible, résidant au-dessus du ciel.

jusliliécs dans ra|i|);ir<'il ( rilii|Ui' de Ifdilidn. N<iii> avons ris(|iic une traduclioii Iran-
< aise de <t'S oracles, nnivre i-pineiist» pour la iiielle noii^ ri'claiiioii^ 1 indul^'cncr «le nos
lecteurs.
(1) Ces deux vers sont |iarliculièreiiient diflirilos. Nous comprenons î-ti -• il ta, à
moins qu'il ne veuille les volontés, m; éa^rov £i<îi3£uOai = pour vire soi-même vu. Ce
sens est celui de Icpi/oinator : Kai [AïiSà tai; oùsaviat; ô-jva|i£Ti ÛïwpriTÔv, el |iTi

ÉauTo/6 Tit-zY.r, Kixr.oiGy.vA'jr, oi'jr,/»'.. \.'epitot)intor a dû penser aux Ihéophanies de l'Ancien


Testament.
'', Atf.rsTiN. Dr cir. l)ei, ix. 19 éd. Hoiim\>.\, p. i't' : >< ... notmidli istoruin. ut ila

dixi-rim, daemonicolarum. in quilius et Lalteo est, eosdem ab aliis an;ielos diei. (|u<ts ipsi
daeiiiones nimnipanl... » Siir lelte doctrine de Lalti-o. Nikocf.tiict. p. .«i.
MKLVNCES. 18:^

dans une flamme éternelle avec laquelle il sr coufoiul : conception


ilorii^ine stoïcienne (1 .

II \^=z= BuRKSCH. 15). Autre oracle sui- le môme sujet ('2) :

"KfJÔ" 'JTîspo'Jcavto'j Tcupoç àoOiTO; aiô'juisvr, ï^Ào;.

^wOYo'voç, TrotvTtov ~'f\'(y\ TTotvTwv Se xai àpyr,,

•JÎtc O'Jci u-ihy. ~âvTa '^ûoucrâ tî tt^vt' àvaXusi,

// est une incorruptible et brûlante flamme du feu supercéleste : elle

engendre la vie, elle est la source de tout et le principe de tout, c'est


sûrement elle qui engendre tout, et qui consume tout en l'engendrant.
jjbis
(|__ BuRESGH, 21). On a demandé à Apollon ce qu'est Dieu, il

répond par l'oracle suivant, que Ruresch estime avec raison faire

corps avec celui que nous venons de rapporter (3) :

AÙTO'iav/ç, àXôys'jTo;, àatouiaxo; r^^i ~ à'JÀo;.

/.sTÔEV O" £X (jÉÀa £l(7t TTEpi; aCpXip'/lOOV 'OX^UTTOU.

£v6îv û" au TUTOr, otaeîoîTai aîftspo; aùy/î,


VJî'Àiov, uL"/;v/]v /.al TEtoea ïiwTtCo'jira.

"caî!-:" £oir|V luLaOo'v te vdio, xà oÈ Àot/ra (JiojtcÔj

<l>oîSo; Ècov ffù oÈ TTaÙE xà ar, Oe'ijm; £;Ep££'.vo)v

y" Eivs/.a cty;; iu-ixr,; (Toïïi-/;; xâo ÔTTE'pxspa vwu.tôv.

// (ce feu supercéleste) tire sa clarté de lui-même, il n'est pas né,


il est incorporel, immatériel. Les splendeurs viennent de lui qui
enveloppent VOlympe de leur sphère. La splendeur atténuée de l'éther

gît là, qui illumine le soleil, la lune, les astres. J'ai appris ces choses,
je les sais par {mon) entendement, tout le reste je le tais, [mo'i) Phoibos
que) je suis. Pour toi, cesse de question/ter sur ce qu'il n'est pas
permis (de dire), et cesse de chercher ce qui dépasse ta science phy-
sique. —
Apollon confesse qu'il doit se taire sur la nature du Dieu
suprême identifié au feu supercéleste ce Dieu suprême est donc :

autre et plus sublime qu'Apollon (i).


m
(=: BuRESCH, 25). Sérapis, interrogé sur le dernier mot de la
sagesse, répond (5) :

flj AiGisTiN. Contra Academicos, m, 38 « (Zeno dicebat aniniam) esse inortalem, nec
:

quidquam esse praeter hune sensibilem muaduiii, nihilque in eo agi nisi corpore, nam et
Deuin ipsum igaern putabat ». Id. De vera religions, 96 « Alii Deum esse non posse :

nisi corpus igneuin putaverunt >>.

(2] WoLiT, p. 23 4.
(3) WoLKF, p. 238.
'4} Nous laissons de côté les oracles 18. 19, 22, 24, de Buresch.
(5) WoLFF, p. 239-240.
If<4. REVLE BIBLlQLt:.

"Oaaov èsÀoovTai •/ pusoû ttoXutijxe'o; avope;,

TOffdov aavTOffûv/)!; ttoOseii; ts'Xo;. (x).Àà too' tffOf

OîvTo'v TOI ôvTQToTffi xopoç / puaoio TcotpsaTat,

•?, coïtr,; TSÂoç eùcù xaxa^rjtwv ÈCTaOp/jTEK;.

Tdffffrj aTrcipYiTOç TSTatai padiÀ^o; £it' oùoôj

àOavâtou- xEÎvoç oî oiooî xat oôjpov ô-â^si.

Autant les hommes convoitent for prf'cieux, autant tu aspires au


dernier mot de la mantique. Sachr bien ceci : Plus tôt aux mortels
sera donnée la satiété de Cor, que lu n'obtiendras le dernier mot pro-
fond de que tu cherches, tant (la sagesse] est inexplorée
la sagesse
sur le seuil du roi immortel. C'est lui qui la donne, et qui la donne
en présent. —
Peut-être y a-t-il une lacune entre le vers \ et le vers ô.
IV (= Blrescii, 26). Oracle d'Apollon (1) :

Y^ Ti; iXâdcjatTO Osôv asyav rfiï


l'.ï izoLoirs/oi

(îcoix' àya^ov, toûS' exXue xat oi xapt' £t:Év£U3£v.

Celui qui inroque If dieu grand et lui présente un corps honnête,

celui-là (le dieu ^vnwà l'entend, et certainement lui accorde (ce 'il

qu'il demande).
V (:= BuRKSCH, 27). L'oraclc que voici est cité d'après Porphyre, au
livre second de sa Philosophie des oracles, notre epitomator qui nous
l'apprend oublie de noter de quel dieu est l'oracle (2).

'AOavotTWv apcr,T£ Tzaxr^p, atwviE, u-Cg-ol,


xôirawv àiji,.6i5pô|jLC>)v jTToyoviaEve. oiffTZOTa, vojtoi;

ot'.Oîsi'oi;, àÀxr,; tva loi iaevo; èaTz-pixTat,

TTfxvT' ÈTrioEpxouévd) xat àxoûovt' ouaffi xaXoîç'

xàÏjOi Teôiv Ttaîocijv, oîi; r^poaa^ aùiôî £v wpaiç.

•7/; '(7.Z UTTÈp XOffUOV TE XKl OUpavÔv (XffTEpOEVTa

/z\»nrt OrrE'pxeiTai ttoXat, atiovio; olXxr^"

?,(: 'jTTEp y,w;r,7ai, ô^ivcov «it»m (jeotuTOv,

dtEVOtOlÇ O/ETOlffl TlTaîvO)V VOÎiv àTttXaVTOV,

o; ^x xÛei tooe ttîv, te/viÔuevo; oisOitov uXy,v,

r,; Oioôxrjoti, ô'ti c^e TjTronjtv soriOaç.


Y-'''£<ï'î

ïvOtv iTTEiapeîou'îi vovx'i àywov aiv àvoîxTiov

2) NNoïKK, |i. l'i'i-l'n;. \.r<. (r-dis df-rniiis mois ilii .Icrniri vers soiil parliculiiTemeiil
(litlifilos. J'ai maintenu dans le urec la lo<<in .le Murt-M-li qui est aussi celle de WolIT). i|iic

loQ pourra chaulent à I intérieur


Irailiiire : ils mais ItiTiô: est liien mauvais, el â;
'
.

<r.ôs ni- vaudrait pas inieux. WolIT mentionne une rorrertion in;;i'nieuse de Hoissonade :

ùd StâyojTi ô' I; <l.za. M. Paul Gii.ird. i|ui a liien voulu examiner di- 1res près |>our moi
re vers et nninlue danlres). a\ait pensé à : ài: Stdtv'-'W'î' £ ^^ '•>2T'-
mela.m;i:s. i85

àjxi' ci, TravTOxpaTo: SasiXEoraTE xai _t/.dv£ 6vy,Twv

àOavâttOV TE TtoÎTEp (AïxâpO)V. aï 5' ElOtV (XTEsOev

£/. (T=o |/.èv "^i-iixMGai, Ctt' «YY^Àiaici S' s'xaaTa

TrpsffêuyEvsî ôifltvouct vdcj xat xâptei' Toi crio.

"poç ô' £Ti xat TiiTOv àXXo Y^voç TTOiriCaç avàxTWv,


01 <î£ xaO' r,u.aû ayouTiv àvuavetovTs; àoioatç
8ou).du.£vdv p' ÈOÉXovie;, àoioiy.ouît o' {«rwSs.

P^vr ineffable des immortels, éternel, initiateur, ma\lre porté sur


les mondes qui tournent dans les espaces éthérés, et qui servent de
piédestal à ta puissance ; loi qui vois tout, toi qui entends tout de tes
oreilles augustes : écoute tes enfants^ ceux dont toi-même tu as jeté
la semence au cours des saisons. Car ati-dessns du monde et du ciel
étoile se dressedans son ratjonnant éclat ta puissance éternelle. C'est
par elle que tu planes, te mouvant dans la lumière, épandant ton
esprit semblable à d'intarissables ruisseaur, qui féconde ce tout et
façonne l'incorruptible matière, laquelle naît à la vie dès que tu Vas
attachée à des formes (déterminées). De là s'épanchent les généra-
tions des princes saints, autour de toi, tout-puissant, souverain roi,
seul père des mortels et des immortels bienheureux. Elles sont nées
de toi comme un groupe à part, et , sous tes ordres, administrent
tout, guidées par ton antique sagesse, soutenues par ta force. Tu as
formé en outre une troisième race de princes, qui passent leur vie à
t exaller chaque jour dans leurs chants : voulant ce que tu veux, en
ta présence éternellement ils chantent (1).
V'* BiRESCH, 29). Fait partie de l'oracle précédent, au dire de
[z=z

Vepitomator (2) ;

'l"'jvr, Iqq\ TraxT;: xai ar,Tspoi; àvAaov e'tâo;

xai Tîxf'wv Tc'psv (y'vOoç. £v eioesiv ikZoc, 'j-Kap/Mv

X7i 'i/uy/, xoà —vïojjia xai àpaovi'r, xai àpiOud;.

Tu es forme hrillante d'une mère et tendre fleur des en-


père pt

fants : forme dans les formes, âme, esprit, harmonie et nombre


tu es la
Ce galimatias veut être une description du grand dieu. Vepitomator

(1) Cf. A'rnob. h. 30 (éd. Reufersciieii), p. 70) : « Sed immortales perhibentur dii
esse. Non ergo nalura, sed volunlate dei palris ac inunere ». .\i«:. Civit. Dei, x, 3 éd.
Hoffmann, I. 419) : « ... si Platonici, vel quicumque alii ista senserunt, cognoscentes
Deum sicut Deum filorificarent,... nec populorum errorilms parlim auctorcs lièrent, par-
lim resislere non auderent, profecto conliterentur et illis immortalibus ac bealis et nobis
niortalibus ac miseris, ut immortales ac beali esse possimus, iinum Deum deoruni colen-
dum, qui et noster est et illorum. »
(2) WoLFF. p.li6-147.
186 UEVLi: BlHLlULt:.

a compris quo Dieu est pour nous pèi-e et juèie, et que Dieu se l'ait

honinie et comme une créature. Cette interprétation est sans fon-


dement.
VI [^= Hi ui.scM, M) . Autre oracle pris à Porphyre. Réponse à quel-
(]u"un qui a demandé (|uel dieu on doit invoquer :

Nouv xeov ei; [iaaiX-^a Oeov Tp5TC£, ij.rfi im yatr,?

TtveÛlJLafft |XlXpOTïpOt<TlV ÔUIÀEI* TOUTO (TOI ElTCOV.

Tourne ton esj}rit vers le souverain dieu, et sîtr terre nr t^/idressr


jjas à des esprits moindres, je te le dis (1 ).

VII BuRESCu, 31). Oracle d'Hermès, non


(= le Trismégiste, observe
notre epitomator.

Eîç ÔEo; oùpotvioç Y£V£r/;<, yo'îo'v oiaTotTciov,

oupotvio'v TE TToXov xaT£yo)v oîvac Te ôaXâaar,;,


xeÎvc) TrâvTK TsÀet rs* >cai tXocs/.ou cppsva xstwou.

/// est le dieu céleste père, gouvernant la terre, retenant Vorhc


télesle et l'abîme de la mer. A lui tout se rapporte. Invoque son intrl-

ligence.
VIII (= BiRESCH, 32). Oracle d'Hermès encore :

oîT |7.ocxc(pac, r,v u. r^ Tt Ocôv xaxà (;ô)[ji.a [ji9;Tai.

Par Ir dieu f//// est /e puissant, il ne faut pas rjur les biodu'urru.i
le révidfiit parmi les mortels, à moins quf (jHch/nr (orps ;;./;
-<. z(W).y..

quelque vivant) w fasse violence [/.y.-'Avr-.xi) au dirti. — \.'e/jit(i-

malor a compris : k moins que incarné il ne nous force à le recon


naître Dieu, ce qui n'est certainement pas dans le texte.
I\ =: BiRKsr.n, .'{:{ . .\[)()ll(>ii rép<jnd à quelcpiun <pu lui a (Irmandt'
où il faut rondre un culte an dieu incll'ahle.

Zr,vôç 7r5(ia ttÔXi;, Travx' oiîpea, Ttîda OotXaaaa,

TTotvtr) c' àv9p(.')7rot<; veûei - ïtotvTT] , te '{iyabvj

£Ù(7£o£tov Ovrjiov ôaîai; Tia«Î5t X7.i Epyoi;.

.1 /.eus apport irni Inutc ritr. Inutr miiiila(/nr. loiitf mer, parlmil il

Il AiiNOB. Il, 3 'p. 49) : « Miiiiiiiltu> su|i|'ii( arc diis lioiniiirs \cliiil. Dii i-iiim iiiiiiu-

re> (|ui sini aiit ulii sinl scilis. ..


MKLANGliS. 187

rcoutf les hommes, partoul il se rr/ouil des hommaj/es et des œuvres


des mortels pieux. — Le dieu iiietlablc peut porter le nom de Zeus
ou de Zên ou d'Adonai ou d'Amoun, etc. : le nom est indifférent,

enseigne le païen Celse cité par Ongène (1 :.

X (= BiRKsc.H, "'W). Oracle d'Apollon. \' epitomalor note qu'Apollon


parle là au nom de tous les dieux ses pareils.

liÙTséistv u.£ûdiî£a(jiv ôrpv,|j.ovî; t^asv apwyo'.,

01 Xâ/ouisv Trîpi y.duaov àXr^aova vaiéjjiîv alei'

ûi'|Ji'.j)a S' etc' àvôcwTcotffi -ovEioaévoicrt 7t£ptou.£v,

•7r£i6ôui.£voi -rra-rpô; rjaETc'pou TroAuapxÉct (ïou).aïi;.

Kous sommes des protecleurs alertes pour les hommes pieux, nous
dont la mission est d'habiter perpétuellement autour de ce monde
changeant : rapides nous allons vers les hommes qui souffrent, obéis-
sant aux volontés multiples de notre père. — Il s'agit \k des dieux
moindres considérés comme anges du dieu suprême : conception qui
se retrouve chez Celse 2i.

XI (z= Bdresch, 35). Autre oracle d'Apollon :

rFavTa Ôiou uEyotÀoto voou Otto vîûaaai xEÏxar


àpyv; TTVîYr^ zi i^w^; xai {jTzîi^oyo^ ^^'/.''^

xoà xpaTO; r|Ô£ St'r, xai layyoq a-i/ôixo; àÀxr,

xat oûvaaiç xpaTEpr; xai aa-itOaxTO? àvâyi^'^i-

t\)/zo xoiyy.3ZO'. aaxapcov liaîtÀrjt ueyiaxco.

Tout est soumis à l'action de l'intelligence du dieu grand. Il est le

commencement et la source de la vie, il est le suprême désirable, la

/juissance, la force, l'indéfectible effort de la force, la force qui pré-


vaut, la nécessité enveloppante. Adresse donc ta prière au grand roi

des bienheureux
XII [= BuRESCH, 36 . Autre oracle d'Apollon :

"ApTi jjlÎv à(TT£pd£VTa xax' o'jpavov tuTTOTt:; Hto;

â'Àxet vûxxa (xi'Xaivav* ETreiydaEvoç oï xEÀaivri;

ULYjxpoç utc' %'(y.o[-*r^(n Ô£6t uECOTir^io; utcvoç.

xat [xaxotpwv crûu.TCaç crxpaxo; airXsxoç dfX'^t ixÉytcxov

TTcwxov oaou axXa TravxEç àoÀÀ££ç £axr,ôJX£(;

oiÏ^o'ijieO' w; xday.010 0£i;.£(Àiov aii;-/;(7(o[ji£v.

(i; Orioen. Contra Celsuin, v, 41 (éd. Koetschau, p. 45 . Cf. Pair constantiniennc,


p. 190.

(2) Contra Celsum, vu, G8 ([i. 217).


1S8 lŒVlK BlULlOLlî.

Maintenant, dans le ciel plein (Castres, menant ses coursiers, l'Ati^


rore entraîne la noire nuit, et hâtivement sur le sein de sa sombre
mi-re fuit le sommeil des huimnes. Des bioihriircu.r toute l armée
terrible, autour du plus tjrand et du premier, nous tous ensemble
réunis et debout, nous cherchons à fortifier le fondement du monde.
XIII [z=z BiRESCn, 37 , Oracle (r.Vpollon, à quelqu'un qui a demandé
si l'Ame survit à la mort :

^'^/Ji, u-ï/pi [Jiîv oO oeffixot; 7rjô<; gwj.'x xcaTEÏTat


cpOapTo'v, loùu' aTTaOr.; TOtî; touo' à'AY'loojiv eÏxei"

r)vi'xa o' oÙTS Xûctv Sio'xeov aerà sôiiji.a uapavOiv


wxi'dTViv eupYjT*, £iî aïOï'sa Traaa cpopsiTat

aUv ày^^-'^Oî oOca, [jie'vei 8' e; Trocuniav otTEtprîf.

toUto Se TtpojTOYo'vo; Oîi'a oiExaçE Trpdvoia.

L'dme, tant ijuelle est soumise au corps périssable, auquel elle est
liée, subit les souffrances (de ce corps) tout en étant impassible Mais
.

sitôt ffu'elle est déliée de ce corps mortel et flétri, elle est portée dans
l'éther, imntortelle, et elle demeure pour toujours à l'abri (de la dou-
leur). La providence divine premii're-née en a ordonné ainsi (1),
XIV (=r: Bi HKsr.ii, 38). Oracle d'Apollon, à quelqu'un qui a demandé
si Dieu est inell'ahle :

Kî; £v TravTt tteXei xoctuco OecÎç, 5; xûxXa 5i'vr;;

oOpaviTi^ 6£5u.ot(iiv ôpîaaaTo xat oiÉxpivEv

(ôpati; xai xotipoî; i7ot,\j'iio'iTx TctÀavra,

vEi'uictç iXkriAoZyx TpoTiat; '^iXoTr,ffia ôEffuâ.

Ov Aîa xixXr^!7xo'j(Ti, Si' Ôv ptoxr'aio; aîojv,

Z^vâ TE Tray/EVETriV, -rauiTriv ^toacxE'a Ttvoi^;,

«ÙtÔv Èv aijT(T) Eo'vta xat i; Évô; eÎ; ev tdvia.

I) Bi iiuscii, |i. 10*;, rapproche fort à |)ropos un oracle que Pliiloslrale allrilmc à Apol-
lonius (le Tyarie apros sa mort. Un do ses disciples doutait de iiiiinurlalitf de l'jiine, 1

Apollonius lui en révèle la vérité par l'oracle suivant ( Pim.osTit. ]'i/ii A/iof/onii. VIII. :{l,

éd. Co.NïiiKAitE, t. Il, p. 'lOi :

'\6avaTr); 'J-uy-r, xoù "/piilia aov, à/.)à np.ovo:a;,


r, (leta Twiia (lapavOJv, ot' èx oît|X(Î)v 6oo; Iittio;.

^rj'.Siù); ïTp'jfiof.oOija x:pâvvuTai Tjsp'. xo-jjfi),

ôeivr,v xai tîo) ÙT).r,Tov àttoTTÉpÇaaa yarpEiTiv


<ioi 5e T! tùivô' 2^e>.o;, o tiot' oOxEt' â('.)v tote So^ci;,
•/
Tl [LS.-C7. CWOITIV £(i)V TSîpl T(d'<6£ [HTÎ'JEi; ,

immortelle: elle n'est pas à vous, elle ett a la l'rDvidciire. (jikiikI le eor/fi
L'iiiiie est

est i'jiiiisé. semhlnhle <i ini coursier rapide qui franchit In hurrii-re. l'ùme s élance ci
se précipite au milieu des espaces éthérés. pleine de mépris pour le triste et rude escla-
vage '/u'elle a souffert. Mais i/ue nous importent ces choses Vous les connaîtrez quand 'f

vous ne serez plus. Tant que vous êtes parmi les vivants, pourquoi chercher à percer
ces mi/sterrs ' Trad. ( ii\ss\m;.)
MÉLANGES. 18*>

/ n '/ans le monde entier est Dieu, qui a fixé des lois à l'orbe du
branle crlcsle, et qui a établi l'équilibre des heures et des saisons, en
imposant à leurs révolutions des liens iV harmonie et de connexion.
On l'appelle Xcus, par qui est le te7nps et la vie, (on l'appelle) Zén
père df tout, dispensateur du souffle vital : il est lui-même en lui-
inème et va de l'un à l'un.
XV {=z Bi'RESCH, 39). A quelqu'un qui a demandé à Apollon s'il

existe un dieu plus grand que lui, Apollon fait répondre :

'I^7Ti 6i(ov ao(y.oîp(>)v u-xtoç Ôsôç, o; y^Jova Traaav


i'X'^ii £/£t xai xZiiy. b àXo; xai (XTrîiciTOv oloij.a.

loxsavo'j' "âvTr os yA><./^r,Gx.zx<x'. sùpuOTra Zsij;.

T(o yàp uTrst'xouCTiv aâxacs;, tov ypr, ÀtTavîuïiv.

// est un dieu souverain des dieux heureux, qui a autour de lui la


terre entière et les flots de la jner et l'onde infinie de l'océan. Partout
il est appelé Zeus qui voit au loin. A lui obéissent les ( dieux heureux,
i

c'est lui qu'il faut invoquer.


XYI [= BiRESCH, il). Apollon décrit la fonction des dieux ses
congénères :

'AÔavaToiaiv arcaciv eysiv ot£V£tu.c<TO TiLtà;


ui/ia£ocov Y=v£Tr,i;' <I>oîoco _aavTr,YOpov oacs/^v,

xat Ar,oT xapTroùç xai riaÀÀâot Trtap IXaiViÇ,


xai Bâx/M vXïUxripôv avaî^iov àvfJo; 0TZM3r^<i,

irapÔEvtou T£ yâuLOio v£oi^uY£wv 6' utjL£vaîojv

xotpav££tv 'i'.AÔ-r.To; àu-uar^TV) y' 'A'&pootVr;.

Ze ^è/'e ç-?// règne très haut a réparti les charges entre tous les

immortels. A Apollon la vaticination des oracles, à Cérès les fruits,


à Pallas la graisse de l'huile, à Bacchus le moût chaleureux fleur de
l'automne, à l'irréprochable Aphrodite de présider à l'amour dans le

mariage des vierges et les jeunes hyménées.


XVII (= BuRESCH, i2). Oracle d'Apollon, répondant à quelqu'un qui
lui a demandé si le très-haut (6 j^it-cc) est seul sans commencement :

Auto; àva; —avTwv, aoTo'ffTTopoi;, aÙTOyc'vE^Ào^.

lôuvcov Ta arrofvTa g'jv aspacTw tivi tc^vy^,

oOpavôv àuL'iioxÀtov, xsTaffaç yOovoc, ttovtov iXotcaç,


a{;a; uSaTi Tîup, -/ôo'va t' r,3'pi xai -upt yaîav,
y£taa, 6£po;, oôivoTCtopov, lap xottà xai;ov dustêwv
£t; 'jiâo; r^vEv à-avTa xat àcu.ov(ot; — dpî u.£TpOK.

Roi de l'univers, ne devant qu'à lui-même son être et sa génération,


190 Ri:\rR iMm.K^n'K.

gouvernant l'univers invisihlemenl, il a disposé le ciel (au-dessus de


la terre), // a rtendii la terre (sous le ciel il a repoussé la mer (dans ,

ses limites), il a mêlé le feu à Veau, la terre à l'air et au feu, il a fait


se succéder l'hiver, l'été, l'automne, le printemps, dans leurs saisons,
il a tout amené éi la lumière et (tout ordonné par des mesures har-
monieuses.
XVIII (= BuRESCH, V.'î A quelqu'un qui a demandé si l'homme qui
.

commet une faute échappe au regard de Dieu, Torade répond (1) :

Ojoetç av XrjÔot toÎo; Oeov oOoî (io'i>oÏ7i

xepôîfftv oùôâ ÀôyoKTiv 'utzzy.'-ù\)^Q\. aXxtuov oaoïa.


Ttâvra Ôsoîi TrXv^prj, Trâvtïi 6eÔç IffTe'i-îtvtoTat.

Aucun criminel nest ignoré de Dieu. Ni par de prudentes astuces,


ni par des discours, il ne trompera, l'auguste regard. Dieu remplit
tout, Dieu est partout enveloppé, il vivifie tout ce qui respire et se

meut.
On pourra rapj)roch<'r de cet oracle un autre oracle (Birescii, 50)
que notre cpilomator dit être cité par Syrianos {'i-\ c ï!jp'.avbr 'vt -z\z

'^Kv xi^To;, £.; ooLuxoyj. y£V£Tv;ç Y-'y^'>' ^?'/^\ otTravitov,

£v os oéuot; fJaaîXeiov, sv (o x-iôe TrdvTa y.u/.Àûîitai,

Trtii y.où uôwp /.ai Y«îa ^-^i «iQ-^c, vu; t£ xai v;u.3(s

/.xl Mr,Ti<;, ^TpwT-/) Y£V£Tti;, xai Epo); TTOÀuTspTrvi;,.

TTavta yào £v Zrivôç {AEYaXio t(xo£ (TtôtxaTi xelxai,

Trâvxa ijiôvo; oî vo£Î, irâvTojv zpQvoEÏ te Oeooowç'

TroîvTy; .oi Zrjvô; xai ev o|Au.a<Ti Trarpcx; àvaxTo;

vat'ouc' àdotvatTot -e 6£ot 6vr,To{ t' àvÔptoTTOt.

OyjpÉ; t' oio)voî ô', ÔTTo'aa 7rvct-:i te xa'i spnEi.

OÙOÈ â'TTOU Xr,0ou(7tv iï,r^u£pa sjX' àvôpOJTttOV,

Ô'^a' àû'.XWÇ pÉÎ^Ouat TTEC oCiO EIV OUpECl 6^ CE;

«Y^'oi, TEToaTTocEç, XocaioTC)i/£;. ôu.épii/.oOtjaoi.

Puissaîiff uniqur, démon unique, père grand, maître de loul,


lorps roi/al /m/que, dans lequel l'unirrrs est i/ttlus, le feu et l'eau, la

/e/re f'/ l'élher, lu nuil >/ Ir piur, el /'' ((uiseil (jéiiéralioii première,
et r Amour délectable. Car tout cela est du us. le grand eorps de Zeu^,
seul il pense tout, il prévoit tout divinenwul . l'arlout sous le reganl
lie Zeus père et prince vivent les dieux imumrlrts et le^ hnmtnes uuir-
tels, lis liéles, les niseuur. tout re qui respire et se rueiil. \i à lui

1 Wiiin .
I».
2iO.
MKI. ANGES. 101

nrchappe le genre humain éphémère, ni tout ce <jui si/ commet d'in-


juste, pas plus que dans les montagnes les bries sauvages^ quadru-
pèdes, hirsutes, farouches.
XIX (=: BiRESCH, ïï). A quelqu'un qui a demandé si par une vie
vertueuse on i)eut approcher de Dieu, Apollon répond :

'lad^sov ci^ri y^paç Eups'asv. ou ffoi sï/ixtov,

Aly^XTOu TooE [xoîivoç à'Xsv


Y-'.-*î
aivETOi; Kptxyiç,

*E6paîo)v MoJOTÎ; xai MaÇaxiwv (JOï^oç àvv^p,

ov TtOTE ôr, yôcov 6p£'!/£v àptvvo'jTOio Tur^vaç.

fJvr,-oT; yàp yaÀETtôv a-u'jiv àa&poTOv oaOaXoLoTotv


Etcioî'êiv, y;v ur, Tt; È/y^ G'jv6r,ui.a OÉeiov.

Tu cherches à obtenir un honneur rgal à Dieu, cela est au-dessus


de tes forces. Cet honneur un seul Va obtenu, le louable Hermès
d'Egypte, et Moïse des Hébreux, et le sage d'entre les Masaciens,
que nourrit Jadis de Villustre Tyane. Car il est difficile aux
la terre

regards mortels de coruempler la nature immortelle, à moins d'avoir


un sceau divin. —
Masaca est le nom primitif de Césarée de Cappa-
doce (11, Tyane est en Cappadoce. Le sage des iMasaciens est donc
Apollonius de Tyane. Hermès est sans hésitation possible le Trismé-
§-iste(2).
XX (= Blresch. 52). V epilomatur donne cet oracle comme un
oracle d'Apollon qui s'adresserait à des Juifs interrogeant le dieu
sur « la fin » du monde il y a là un manifeste contre-seûs de Vepi-
:

tomator, et point n'est question des Juifs,

'12 <J.v{ ivaioie;, co /.a/.o-jpâoaovcç <^àvôp£ç > a/ixpoi.


tÎttte tcûo; •?iaiT£pov oo'aov r^L^iit; tiwç o £u.ov oùoai;

àvôpoJTToiç :fQc'Y^3ti6" olc, ar, ^\.oc, opÔôç oSeûet,

01 vo'txov £x — poYovcov Y^wT^Topo; ripvr|(Javro;

Toùci OLTZ dvToXir;c xaxov sp/ETai àTTpoaâaiCTOv.

oavK[jii tÔv xaT£"/ovTa 6pdvouî ùttÔ '(olI-x^j aTrotaav

x.al Twv OLppavtwv aaxocpojv Y£vvr,TOpa xeIvov,


3? xa-£y£t TrdvTOv -oÀiov vÀauxr^v t£ Ôa'Àaatjav

TTOtvTa yotjxoti ttsctÉei xal -5; 6" î'va Hfifyj'j àsisii.

impudence grande! hommes impies et de mauvais dessein!


Pourquoi étes-vous venus à notre temple? Et comment mon sanctuaire

(1) Philostoiu;. ix, 12 (éd. Bidez, p. 120) : oti Malaxa -zh ^rptLTov ixaXîlTo Tj KaiTocpsta à-6

Moffox T^'J Ka-itaoQy.wv yz'jipyvj c),y.-j'ja[J.îvr, tô ôvoixa.

(2 .\vec Kroll, on ne croira pas l'œuvre du Trismégiste antérieure au iir siècle, art.
- Hermès Trismegistos », p. 821, t. VIII 19131. de la Reai-Enojclopaedie de Paul\-Wis-
sow \.
192 iu:\ii: liiiiLinii:.

parirrnil-i/ à des hommes dont la vie ne marche pas droit, et tjiii


ont renie la loi du père de/mis leurs ancêtres? Sur eux de l'orient un
mal vient, implacahle Je jure par . celui tjui siège sous la (erre entière,
père des bienheureu.r du ciel, et tjui contient la blanche mer, la
glauque mer tout tombera par terre, et tout poussera un unitjue
:

gémissement.

Les oracles que nous venons de citer sont à rapprocher d'un


oracle cité par l^orphyre aussi dans sa Philosopliie des oracles et
reproduit d';iprès Porphyre par Eusèl)e :

aOLivoi XaXoaiot co.&îr,v '/A/O'^ r,o' àp 'KêpaTot,


aÙTOyê'vrjTOv àvaxta ffsCai^ôu.evot 6îôv iy'^'^'î-

Ce distique a lavantaue d'avoir attiré l'attention des critiques.


Harnack a voulu hii attribuer une origine « christlich-jûdische »,
en conformité avec une théorie (]ui lui est chère, qu<' uîaints écrits
apocryphes juifs ont été adoptés et retouchés à leur usage par les
chrétiens (1). Pour ce qui est du présent distique, Gefi'cken a judi-
cieusement objecté qu'un chrétien n'aurait pas fait de la sagesse le
partage des (îhaldéens et des Hébreux à l'exclusion des chrétiens (2i.
On peut ajouter qu'un juif n'aurait pas rais les Chaldéenssur le même
pied que les Hébreux (3). Nous conjecturons que nous avons affaire
dans ce distique à une composition syncrétistc, pas antérieure donc au
temps des Sévères, antérieure à l'orphyre })ar qui eWe est citée dans
sa Philosophie des oracles, cest-à-dire dans une œuvre de jeu-
nesse (ij.

Un passage de (^else, cité par Urigène, contient une apologie des


oracles et à cette occasion une énuniération des divers genres d'o-
racles. On y voit que tous les oracles sont des réponses données

par le dieu sur des cas particuliers qui hii ont été ])roposés, notam-
ment en vue d'obtenir des guèrisons Il ne semble donc pas (jue, .") .

(1) H\RNVCR. ClironoloQir. t. Il lîMi'i). |>. \:',. (T. NV<»i.Fr. p. 141.

(2) (iEFKr.KEN. Zwei grievhische Apologilin (l'JOT), p. 208.


^:}i Si par Chaldécns on eiili'iul Ifs Oracula rlialdmra. apocryphes, que Lalu-i) a nin-
nus, ftquc l'on .siip|iosc avdir paru vt-rs l'an 2(K> »1o notre vrt\ Nii.(.i.kiikt. p. M), noire indur-
lion n l'n st-ra qiip plus forte.
4 Porphyre élanl né en '2:i.> ou 23;{ Hinf./. !/<• d<- l'orpln/re [VJ\'i]. p. •"•
et l'> \ on
pourra dater son livre de^ environs de 2ri0.

(5, Oiui.EN. Contra Ccisum, viii, 'i.'. (éd. Km i>. mm i II y. •'.•.'.(.Mlii . Vuu-/ les oraelcs

de ce ^-cnro rollinés par Wolu-, |i. '.<0-'.t'.».


MÉLANGES. 193

à l'i'poque de Celse, soit eu 180 ou quelque peu plus tôt, sous Marc
Aurèle, on connut les oracles professeurs de théologie. en était Il

tout autrement au temps de Porphyre, qui en fait lui-même l'obser-


vation (11, et qui a entendu tirer de tels oracles une « philoso-
phie » (2). On inférera de là que cette littérature d'oracles dogma-
tisants est à placer entre Celse et Porphyre, autant dire dans la
première moitié du m" siècle.

Cette littérature, exploitée par Porphyre, était de fabrication


païenne syncrétiste : on comprend que l'auteur chrétien du v' siècle,

qui nous la fait connaître dans sa T/ieosophia, n'ait recueilli que les
oracles qui revenaient à sa thèse, à savoir que les païens avaient
connu le vrai Dieu. On ne peut douter cependant que cette littérature
d'oracles n'ait eu une pointe tournée contre le christianisme. Quand
loracle cité par Porphyre, déclare que seuls les Chaldéens et les
Hébreux ont connu la sagesse et adoré purement le Dieu souverain
et qui s'est engendré lui-même, il est ditficile de ne pas soupçonner

là une critique à l'adresse des Chrétiens. Pareille intention peut être

soupçonnée dans un autre oracle cité par Porphyre et reproduit par


saint Augustin, qui le traduit du grec en latin :

luterroganti. inquit .Porphyriiis^, quem deum placaiido revocare possit uxoreni


suam, a Clnistianismo, haec ait versibus ApoUo :

Forte magk poteris tu aqua impressis litteris scribere, aut adinflans levés pimias
per aéra avis volare, quam pollaUic revoces inpiae uxoris soisuin. Pergat quomodo
xult inanibus fallaciis mortiium deum rantans, quem iudicibus recta sentientibus
perditiim pessima in speciosis ferro vincta mors intcrfecit.
Deinde post hos versus AppoUiuis.... subiunxit adque ait i Porphyrlus) : a lu lus
quidem inremediabile sententiae eorum iiianifestavit Apollo) dicens. quoniain
ludaei susjipiuiu deum magis quaiii isti » (3i.

L'oracle en réponse à Ihomme qui lui demande


d'Apollon,
comment pourra retirer sa femme de l'erreur chrétienne, est un
il

oracle qui ne dissimule pas la haine et le mépris du christianisme,


la religion qui adore comme un Dieu mort l'homme qu'une juste
condamnation a condamné au dernier supplice. Et Porphyre, faisant
un oracle différent, mais du même esprit, ajou-
allusion peut-être à

(1) Geffcken, p. 297, note 4. Bidez, p. 19-20. —


Cf. Arnob. h, 21 (p. t;5) « ... horum :

alicuius, qui acuminis perhibentur fuisse divin!, aut ex deum responsis sapientissimi
nuncupati. i>

(2i Alglstln. Civ. Bei, xix, 22 (p. 411) : « Postrenio ipse est Deus. quern doctissimus
|)hilosoplioruni, quainvis Cliristianorura acerrinius inimicus, cliam per ooruin oracula,
quos deos putat, deum magnum Porpliyrius confitetur. »

(3) AiGUSTiN. Civ. dei, xix, 23 (p. 411-412).


RF.VDE BIBLIQUE 1916. — N. S., T. XIII. 13
V^'^ nEVLK BIBLIOLE.

tait : Dieu mieux (juc les Clirétieiis. Au,L:usliii


les Juifs l'croivent
trouve Apollon animé là contre le christianisme, qu'il se demande
si

si Poiphyie n"a pas lui-même fabriqué roracle qu'il prête à Apol-

lon, Le soup(;on d'Augustin n'est pas fondé. .Mais, «lès là que cette
littérature d'oracle est capable d'une pareille offensive contre le

christianisme, on i>ourra conjpcturer qu'il y a ailleurs des traces


de cette même animosité. Ainsi, l'oracle \x, cité plus haut, avec
d'Hermès Trismégiste, de Moïse, d'Apollonius de
l'éloge qu'il contient
Tyane, pT2ut avoir sa pointe tournée contre le Christ: l'oracle xx
peut viser, non pas les Juifs, comme l'a cru Vepilomator, mais les
Chrétiens (1 i.

une autre série d'oracles mêlés aux premicMs par notre cpi-
Voici
tmiie, mais dont l'inspiration est très différente :

1 ^yz=. Bi UKSCH. Ki). Le ])rêtre d'Apollon a questionné le dieu sur la

religion qui doit dans l'avenir prédominer, et l'oracle répond ('2] :

oûffT/iVe TTpo7rôXo)v, irepi Oectteuiou yîv£t9;coî,

àtji.{p[' T£ Tr,XuY£Toio 7ravou.'.&o(iou [iaaiXvjo;

xoti uvoiviç, r, Ttâvxa Ttepi; fioxpuoôv £ic^£t,

oupea, "fty^ TTOTafAoûç, aXa, Taptapov, %ki^'x xat Ttùp-

V- (xe xott oùx ÈÔÉXovra od[JLOJv à::o tÔjvos ouô;£i

aÙTi'x", £p-/;t/.ato; 0£ XeXEt'l/îxai ouoôi; à'pr'TOjp,

otoLOi Èyw, Tpi7roS£<; CTOvayr^ffaxE, oi/et AttoÀÀwv


<''
o?/£T , Èrsi çiXoyosi; us _- piâ^exat oùpâvio; cpoK.

liiiilUc (le III iiilfiitxjer, moi Ir dentier ei I iiltnin\ il nuilheureui


néohore, sur le divin Père, et sur le Fila du roi auteur d'orut les, et
sur l'Esjiril qui presse de toute part Cunivers comme une e/rappe de
raisin, monlaqnes, terre, fleuves, mers, tartare. air et feu, rt (jui
eontre ma volonté me chassera bientôt de ce temple, dont le seuil
qui hnuc (des oracles seni laissr ih'sert. Malhi'ureu.r ijur /r suis', (iè-

(1; Cf. Am.i>ii\. Civ. tJci. \i\. ':! |>. ii:{ . cilanl l'<ii|pliyri', an tlin- ilf <|ui li-s «nacles
ont (larli- en bons ItTiiiis du Clirisl •• riiristiiiii eniiii di piissiiniiin iiroiiiinliaveruiit <>t

iniiiDrlaleiii rurlurn cl riitn Iton.t iHacdirationf l'iiis incinineriinl, Chri.slianoN veio |>(»lliilos,

iur(iiit, cl coiitnininatos cl ciiorc inpiicalos csso diciiiil et iiiiillis laliltiis advcrsiig c<is

l>las|>hcmiis utiintiir. » Poridivrc < ilc à ra|ipui un oracle dllccalc ... Viri [liclalc prae-
Atantissimi e>\. illa anima iiam coliinl aliéna a se vcrilale. »
.\ii;la.n(.i:s. 19:;

tni.sscz, ti'cpiciU, Apul/un s'en ra! Il s'en va, car an homme ce leste
ardent lin fait violenre.
Apollon s'avoue vaincu, et prédit qu'il sera chassé de son tem-
ple (l .Si cette prédiction est une prédiction post cventiim, l'oracle
prétendu serait de fabrication chrétienne et pourrait dater de l'époque
de Constance II et des premières lois prohibitives du paganisme (2),
sinon de l'époque de Théodose.
II 1^=::= BuRESCu, 51 ,. Artémis dolente conhe à son prêtre l'oracle que
voici :

Ilsttç lêpato; xé/.staî u.£ Osoç tJi.axâp£a7iv avot(7!7t».v

oûpavoÔEv xŒTaÇâç, jjpoTsov oé[/.aç àfxj&nro^euojv,

SûuEvai ci; A'.oao xai à; Xâoç vÛv àoixî'aÔai.


xeÎvio o' oOx sffT'.v tÔ oîooyusvov £;aX£'a(76af
^â^oaai, w; îOÉXîi. ti vvv ii.-/;coaai, oataovî; aA/.oi ;

tVi enfant hébreu, dieu commandant aux bienheureux, descendu


du ciel, revêtu d'un corps mortel, m! ordonne de descendre à l'Ades et

d'aller désonnais au chaos. Il n'est pas possible de se soustraire à sa


sentence. Je m'en vais, comme il le veut. Que vaticinerais-je main-
tenant, ô (vous) les autres démons?
Cet oracle prêté i\ Artémis est dans le même sentiment que le pré-
cédent, et doit dater du même moment où le culte des dieux est sup-
primé. L'expression z-jp-xyzhi/ y.y.-y/ii:. qui est purement chrétienne (3),
complète l'expression cjoiv,;; sojç de l'oracle précédent.
III (= BuREScir. 12 Quelqu'un a demandé à Apollon de lui dire
.

quel est le créateur de l'univers. Réponse de l'oracle :

Baoaî, oi Ttipi fji'.xçwv r'xeiç.

-ôv oupavoîî Ttjpavvov ÈxjxaOeïv ^O.st;,

ôv ouo if(') xotTOioa, TrÀ7;v csêoj vcaov.

X^yo; vac £3TI xa; Àoyou 7TaTr,p y^Y''-''

Tov O'jpavov ciÉTa;E xa\ t/^iV y^v o/.r,v.

Certes, tu viens ( minterroger) sitr un sujet) fio/i médiocre. Tu veux

[Ij Rapprochez Augustin, lie iHvinalione daemonum, l « Cum ergo de divinatione :

daernonum quaereretur, et affirrnaretur pracdixisse nescio quern eversionem terapli Serapis


quae in Alexandria lacta est. re>pondi non esse inirandum si istani eversionem teinpli et
sirnulacri sui imrninere daeinones et scire et praedicere potuerunt. sicut alia niulta quan-
tum eis nosse et praenunliare perinittitur. « Le Serapeum d Alexandrie fut dcinoli à l'ins-
tigation de l'évêque Théophile, en 390, sous Tliéodose.
'2) La paix Constantin un ne. p. 458.
3 Joan., m. 1.3 : ovoe;; àvaoE'Sr./.îv £.: tov ov^sxvov il ar, ô ïv. -z'/j ovça-.oC y.%-ioiz.
100 RKVIK HIHI.IQUE.

connaître le roi du ciel, que (nul), pas même moi, ne contemple, je


vénère seulement (sa) loi. (\ir il est logos, et devenu père du logos il
a ordonné le ciel et la terre entière.

IV (z= BuRESCH, V5). Oracle qui se Jisait à Ouibroi, ville éjiyptieune

(lu nome de Thèbes :

ïôv Xdyov uia Oso'io Oeov t£ Xo-^o^ xaÀÉo'jci

0/i appelle le logos fils de dieu et dieu-logos : une commune divi-


nité est dans le /ils et le père.
V (= BcRESCn,46). Oracle (jui se lisait à « Koptos, ville d'Ég-ypte » :

Oùpavoç a'jTOÀo^suTOi;, sa' <^oijpa^v£ Toû'to otâaçov.

àÀXâ y.01 EvveTre tovÎto* xîç eç yOova oîav '.xavwv


aDcr,TO(; coït'yjv 3poic'r,v £Ôtûa;£ y£v£ÔAr,v ;

— 'E/. TrpoOuptov vEvSTYJpo;,


à-" o'Jpavttov xopu'i^tov,

u'iÔ; oXr,V XOdULTiCE Spoxôiv TtO^DTEipÉa '^IJXÀVIV.

àXÀ' a'jTov '' l;.£v"> eteu^e Àoyo;, Ào'yov i»ia çiUTEuîaç.

0'. oûo o' otO El; Eiai, Trotxrip xat xuoiao; utdç.

xotî uiv £oî(c' a'/pavxoç àixEipriXr, 6' G;jL£vaîojv

TtapOEVixr, EÀd/Euac tiÔvojv àxEp l'LtÀriÔuî"/]?.

/y<? engendré de lui-même, ciel, enseigne-moi cela. El dis-moi


c/(?/

ceci : Quel est linefjahle qui, venant sur la terre divine, a enseigné
la sagesse au genre humain? —
De Fatriuin du père, des sommets céles-
tes, le fils a mis ordre à tout le genre humain lassé, et lui \e lilsi le

logos l'a fait, en engendrant un logos fils. Les deux sont un, le père
et le fils illustre. Et lui {le fils) une (mère) l'enfanta pure, sans expé-
rience de l'hyménée, virginale, sans l'aide dllglhie (la déesse qui
préside aux accmichemcnts).
VI (^ BiRKSCM, \~ . Oracle qui se lisait à « Élépliantine, ville
d'Egypte '• :

rivEÔua 0£dpp7,xov iu-ïtî^oov EÎxdva Txaxpcx;

à;x'jt(; EyEf v£V£xy;p ô' ÊXa/' uîÉa, 7r«î; oÈ xox^oc


ot x;£!;, 0'. 5' av eIîi aîa •^v'îtî, «Oxoi ev aùxoTç.

Il uîan(|ue pfMit-rhf un ou j)liisi(Mirs v<'rs en léte. pinir imliqiH r

le sujet de i/y.-. un esprit dit par dieu, engen-


ïl a autour ^dc luij
drant la vie, image du père. Le père a un fils, le fils a un père. Us
sont trois, et ils sont une zjz'.;^ étant eux-mêmes en eux-mêmes.
VII (:=z BiRKSCii, V8). Autres oracles, l'aisaut suit»' au précN-dcnt :

Tdv Ôeôv aÙToyE.EOAov «Et'vaov aJoâ;avTO


MELANGES. 197

xai Xôyov dcY^KOv uia Travoijisai'oio Ôsoio.

Trv£U[jia o' èv à[7.3)OT£poiatv àxr,c(xaiov i^âOîiov.

eiffî oé Tt; Tptà; àvvf, iv (xX).-/;Xoi(tiv edvTg;.

L^^s• hommes qui oui rtiidii' la sagesse ont dit de Dieu quil ne doit
son être qu'à lui-inême, qu'il est éternel, qiiil est logos pur, et que le
logos splendidc est fils du i:>cre auteur d'oracles. Dans les deux est
l'esprit, pur, divin. Ils sont une triade pure, en étant les uns dans
les autres.

VIII (= BuREscH, \^]. Un oracle qui se lisait « en Egypte >. au lieu


appelé les -YjpxYYcç :

'Hv voÙç £Îç, TrâvTOJv voEpo'iTcpoç, axiOiTo; apy/^.

TOÙS' aTTO iraYYévîV/;; vosco; \o-^o:„ a^fitTOî aisi

uîôç, aTraoY^i tou vospou TraTpoç, sic aaa iraxci',

£v UI.SV STTcovufj.tr,
Y£ oiccTTjXwç aîTO TraTpô;,
sic oà rs'Àwv (îùv TTaxpi xat 1^ Ivoç eî;* ixi'a qo':,'u.

TcaTpô; oîou xai TTvsuaaTOi; àsOi-zo?, ahv ioZcx.

L'intelligence était une, plus intelligente que tout, incorruptible


principe. D'elle le logos intelligent, pjère de tout, incorruptible fils

toujours, splendeur dît père intelligent,un avec le père, distinct du


père par le nom (qui lui est donné), ynais étant un avec le père et un
de Vun, une étant éternellement la gloire incorruptible du père, du
fils et de l'esprit.

Ces oracles forment un groupe que l'on peut dire homogène. Il n'est
d'abord plus question de dieux moindres, Apollon proclame lui-même
qu'il est vaincu et qu'il s'en va avec ses trépieds. Il n'est pas davan-
tage question de donner au dieu unique le nom de Zeus. Nous sommes
ici en plein monothéisme chrétien trinitaire. Dieu est qualifié de
h-.z-izizz 7£V£rf,p, de zav;;j,3aî:; 33:7'-'a£jç (allusion aux oracles de l'An-
cien Testament), de instamment de y^vôty^p,
cjpavij -Jsaw;;. plus
autant de vocables chrétiens. ajTcy^'vsOAcr, de à£''va:;,
Il est qualifié de
de i-M—z 'y-zyr^. vocables chrétiens encore. Notons au passage que
l'auteur des Constitutions apostoliques reproche à un de ses contem-
porains de qualifier Dieu de y.-j-z-;vnh'Kzz, comme si ce mot était

malsonnant 1). Dieu est une intelligence, vcjç, on ne parle plus de


fairede Dieu un feu supercéleste. Le Dieu intelligence a engendré le
Logos, par lequel il a fait l'univers, et qui est son fils car le yvn-r,p :

a un fils, et le fils a un père. Le logos est -kzzzz comme le père est

(1) Consiit. apostol. VI. x, 1 (éd. Flnk, ]>. 323) : ... -.'vi [ièv uxvTozpiTopa Ôebv '^IxGvr-
(x.£ïv, âyvwoTov ôoÇireiv.... a/extov, appYjtov, àzarovôjxacTov, aytOYÉvïfrÀov... Ibid. xi, 1

>{). 325) : Éva iiôvov hzvi 7.aTaYYé).>.0[i£v... oJx aOtaiTiov -/.ai a-JTOYÉve^Xov, to; Èxsïvot otovToi.
f'.is lŒVLiE HIHLini E.

v:Dç, il est éternellement fils, il est la splendeur du père, \\ est un


avec le prre. (les articles sont de bonne doctrine nicéennc. Il est vrai

que notre oracle VII ajoute un trait moins orthodoxe :

£v fAsv sTTWvuoLi'y, ys ouaTr,x(o; y-'o TtaTpôç,

£1; 05 tteXcov (tÙv Traxpi /.ai =; h'oç v.ç...

Le fils est iimis ex uno et iinus ciun paire, \\ est cependant distinct
du j)ère Vf è-(.)vj'j.''y;, par l'appellation, le nom l'expression est faible :

pour marquer la distinction nicéenne du père et du lils, cependant il


n'est pas dit que la distinction du père et du fils soit purement nomi-
nale, et nous n'avons pas pour autant le droit d'accuser notre oracle
de sabellianisnie. De môme pour l'expression :

Xdyo; ^'^io sitt, xal Àdyou 7ro!T/|p ycywi;

tôv oùpavôv Siétof^e xai Ty,v yr;/ 6Àr,v.

Dieu est Logos et devient père du Logos : il n'y a pas là identité de


Dieu et de son Log-os, mais plutôt peut-être un écho de la théorie qui
distingue en Dieu le Logos intérieur et le Logos proféré ("Asyc; svi'.âOs-

Tiç, Xiycç -pzoopiy^bç),, théorie stoïcienne que les apolog-istes chrétiens


ont tenté d'adapter à la dogmatique (
1). Le Logos proféré est l'instru-
ment qui sert à Dieu à ordonner le monde, idée philonienne ins-
pirée par le récit de la (icnèse. Plus dillicile à reconnaître est la

du Logos et du P'ils, dans notre oracle V, où l'on voit


distinction
premièrement le Père (YcVETr,p), puis le Fils, enfin le Logos comme
intermédiaire entre le Père et le Fils :

7.XÀ' «OtÔv ulÈv £T£uçe Xôyoi;. Xôyov uîa juteùcki;.

C'est bien étrange! Ce n'est pas le moins difficile, car il reste


que le Fils serait une ~i\)v.^ [fabruaiio]^ un sjTiv igcrmen, proies).
Ces expressions, teintées d'arianisme, trahissent peut-être surtout la

gaucherie de l'auteur. Ailleurs, en effet, il identifie incontestable-


ment le Logos et le Fils, notamment dans notre oracle III, où Logos
=: Fils de Dieu = Dieu.
xa\ Oeoiv); xoivti rt; £v '/tw /.al yevETÎjpi.

D ailleuis dans l'oracle V, apiès avoir écrit ï-vj'zi. çjtxJjjzç, au

Les «Idclrinain's (|iic vise IVcrivain ne sont («as aiiIrenuMil dcsinnr.s. ( omiiie le Icxlc lui
fst |>ro|ir<' il ne (li'|>end [)as de la Didascnlin du ni* sirrl(0, on pourra voir dans res doc-
trinaires des ^ens de son temps, c est-i'i-dire de la .secr)nde moitié du iV sieele.
(I) J. Lf.iihkton, l.ea origines du dogme de In Trimlé l'.UO), p. 87. J. Tixeiiont. His-
toire des dofjmes, l. I ,'lîlii.-,V p. •>3't-rM\. A. IIvi!Na<;k, not/inrnf/esrlnrhlr, I. I i)0(»!t.

p. y.ii.
MÉÎ.ANGES. 109

sujet de la génération du Fils, l'auleur énonce, gauchomeut encore,


que le Pèro et le Fils sont à la fois deux et un :

oî oûo o' «ù El; t'iTi, TtaTïjp x«i xijoiao; uiô;.

I.a génération du Fils est d'ailleurs éternelle {xh\ j'.i;', et par cette
expression nous écha]>pons à larianisme.
L'Esprit (-vi'y;, TTViiy.a) est image du Père comme le Fils est splen-
deur du Père. L'Esprit fait la cohésion de l'univers idée stoïcienne :

connue, d'après laquelle les êtres, n'ayant d'eux-mêmes aucune cou-


sistance, s'éparpilleraient à l'intini si l'Esprit n'était pas là pour les
maintenir (juvr/sivl (1;.

Le Père, le Fils, l'Esprit constituent une Tc-.iç âvvr,, une trinité pure.

Le Fils est 7Jv -x-pi. l'Esprit est dans le Père et le Fils, h x[j.zz-ipy.:::-/

Ils sont trois, mais ils sont en même temps [j.ix oùz'.:. \i.\y. cira, expres-
sions nettement nicéennes, et cette gloire n'a pas eu de commence-
ment ayant toujours été, r.àv Èsj^a.

L'incarnation, après la trinité Apollon déclare être chassé par un


:

brillant honmie çtôr. dans lequel on peut


céleste, saoyôîi; z'^zt>\zz
reconnaître le Christ ressuscité et giorienx. Le Fils, qui est un avec le
Père éternellement, a été enfanté (dans le temps) par une vierge pure.
Il est à ce titre fds d'Hébreux, -yXz iSpaTîç, et, en même temps, des-

cendu du ciel, cjpaviOsv v.y.-y.zy.z, revêtu d'un corps mortel, formules


élémentaires, mais correctes, du dogme de l'incarnation.
On peut émettre l'hypothèse que ces oracles de fabrication chré-
tienne ont été composés vers le milieu ou dans la seconde moitié du
iv'' siècle, avec l'intention de justifier la suppression du culte païen
au moyen d'oracles par lesquels les dieux eux-mêmes annonçaient
leur défaite et prophétisaient l'avènement de la religion chrétienne '1 .

Pierre B.^^tiffol.

(I) Lebreton, p. 78-79.


(!>)Rapprochez Augustin. Contra Fauslum, \ui, 1» (éd. Zyciia. p. 394) « Sibylla porro :

vel Sibyllae et Orpheuset nescio quis IIeiiiie.s et si qui alii vates vel llieologi vel sapientes
vel plillosoptii genlium de lilio Dei aut de pâtre Deo vera praedixisse sen dixisse perhi-
bentur, valet quidein aliquid ad paganorum vanitatein revincendam, non tainen ad isto-
rum aucloritatem amplectendarn... » Ce disant. Augustin réfute le manichéen Faustus, qui
professait au contraire que les témoignages pris aux Sibylles, à Orphée, à Hermès Tris-
mégiste, sont plus capables de toucher un païen que les prophéties des prophètes hébreux.
Voici le texte de Faustus « Ita nihil, ut dix!, ecclesiae christianae Hebraeorum testirno-
:

nia conferunt, quae magis constet ex genlibus quam ex ludaeis. Sane si sunt aliqua. ut
lama est, Sibyllae de Christo praesagia. aut Hermelis quem dicunt Trisraegistum, aut Or-
phei aliorumque in genlilitate vatum, haec nos aliquanto ad fidem iuvare poterunt qui ex
gentibus efBcimur christiani... » Ibid. 1 'p. 378-379 .
ÎOO REVUE BIBLIQUE.

IV

I.K COMMKNTAIKE DK SAINT .lÉKOMP: Sl'U ISAIE

1. — r.AIUC.TKHES r.KNKUAlX.

Le commentaire de saint Jérôme sur Isaïe est une des œuvres où


se manifeste le mieux, à notre avis, la manière exégéliquc du savant
solitaire de Bethléem. Le lyrisme du prophète excite sa verve et con-
trihue à conserver au style de l'interprétation une vivacité et un
coloris qui paraîtraient déplacés dans un commentaire s'ils n'étaient
alliés à des qualités positives incontestahles. Ce tour impétueux qui

atteint fréquemment le ton oratoire n'exclut point en eilet un singu-


lier déploiement d'érudition, et ce n'est pas sans étonnement ([ue

Ion voit rouler dans ce courant dont l'ampleur du début se main-


bout une quantité d'annotations textuelles, de re-
tient jus(|u';ui
marques personnelles, de l'approchements scripturaires, de citations
profanes, d'allusions à des usages et à des systèmes contemporains,
d'interprétations qu'il critique, adopte ou rejette. Il est vrai (jue saint

Jérôme s'est main en exi>liquaut les douze petits pro-


déjà l'ait la

phètes ainsi que Daniel. IVéanmoins sous un style facile et entraînant


il existe un travail considérable que le commentateur ne cherche

pris à dissimuler. (iros labeur, écrit-il dans la préface du premier


livre, ([ue de vouloir exposer tout le livre d'Isaïe, sur lequel ont sué
les génies de nos devanciers. » Et encore la ran'té de ces pionniers
lerul-elle la tTiche plus ardue. Il n'y .1 Génère ([ne les Grecs cpii comp-
tent (les écrivains ayant tenté de défricher ce terrain inexploré.
" Uuant aux Latins, il règne là-dessus un grand silence, si l'on met
.1 part Victorinus le martyr de sainte mémoire (jui pouv;iit dire avec
r.\l)6tre : Je manque de style mais non de science. » Les (irecs, d ail-
leurs, qu'ils s'appellent niigéne, Eusèbe, Didyme ou Apollinaire, ont
laissé beain <»np ;i f.ure. Leurs explications sont ou trop unilatérales,
on troj) concises,ou seulement fragmentaires Enlin c'est à des Latins
({ue s'adresse .lérôme, à ces Latins aux oreilles dédaigneusivs, <|ui
<<

se (bijoùlent (le comprendre les saintes Lri'itnres et ne se plaisent


(pi à aj.|)laMdii' rél()(piçn((i . nn'iin tel [»nldie ne se soit jtas mis m
i^ MELANGES. 201

peine de recourir aux lumières des Pères grecs, il est aisé de se l'ima-
ijiner. Aussi bienlœuvre de Jérôme portera-t-elle remède à cette in-
curie, et nous pensons que ce n'est pas sans dessein quelle a revêtu
cette forme vivante et dégagée bien propre à soutenir l'attention d'un
lecteur exiueaut. Ne fallait-il pas émoustiller d'un grain de sénevé le
palais diflicile de ces Occidentaux auxquels il s'adressait derrière Kus-
tochiuui au désir de qui le saint avait accédé en composant ce volu-
mineux commentaire?
En dehors des diverses introductions qui émaillent son œuvre l'au-
teur ne parle qu'une seule fois directement à la fille de sainte Paule.
C'est à propos de lx, 6, qui amène Jérôme à parler du chameau pas-
sant par le chas d'une aiguille, et à faire l'éloge du désintéressement
de Paule et de Pammachiiis. Juste hommage rendu à des êtres chers
dont le nom devait se perpétuer avec commentaire puisque ce tra-
le

vail leur avait été promis. Outre la grâce du style, le rôle important
que l'interprète accorde aux Romains dans la réalisation des prophé-
ties isaïennes était de nature à piquer leur intérêt et à flatter leur
amour-propre. Il ne néglige pas davantage de rappeler à l'occasion
certains traits de la poésie profane et quelques allégations de philo-
sophes connues de son public. Il arrive aisément à égaler les plus
habiles en lart de manier la phrase. Le distingué orateur grec qu'il
cite à propos de la brièveté de la vie est bien froid à côté de cette
considération tirée des profondeurs de sa pensée : « Si Ion regarde
combien la chair est fragile, que nous croissons et décroissons sui-
vant le cours des heures, sans demeurer dans le même état, que le
moment où nous parlons, dictons et écrivons est déjà loin de nous, on
trouvera juste de comparer la chair à du foin et sa vigueur à la fleur
du foin ou de l'herbe des prés (xl, 6). A peine sortis des langes nous
voilà enfants, enfant l'on est tout à coup jeune homme et jusqu'à la
vieillesse l'on change selon des intervalles indéterminés; on se voit
vieux avant de constater avec stupeur qu'on n'est plus jeune. Une belle
femme qui trainait après elle des troupes d'enfants se ratatine et
prend un front sillonné de rides : faite naguère pour l'amour, elle
devient un objet de dégoût. » Saint Jérôme cependant se défend par-
fois de mettre en œuvre la rhétorique et la dialectique. La crainte de
passer pour pédant lui fait choisir des exemples à la portée du vul-
gaire, comme celui de la relation d'un père et de son fils, d'un cen-
turion et d'un tribun lx, 17). C'est pourquoi on lui pardonne de se
montrer si érudit. Nous lui savons gré de même d'avouer qu'il a fait
erreur dans certaines traductions. Ne vaut-il pas mieux, comme il dit
(xix, IG). revenir sur sa propre erreur que d'y persister, en rougis-
202 lŒVUE BIHLIQUE.

sant de confesser son impéritie? On sent bien là, n«»n un artifice de


langage, mais un trait de cette grande franchise qui fait le fond de
son caractère. Ce n'est point non plus chez lui procédé de rhéteur que
d'affirmer son embarras en face des difficultés. Le passage \xii, 0-8
lui parait obscur tant au point de vue historique qu'au sens mys-
tique. Si Ion refuse d'admettre son interprétation, un avis proposé
par un autre sera le bienvenu, reconnu vrai. Ailleurs la dif-
s'il est
ficulté d'établir une corrélation entre un verset et un fait historique

le contraint à se réfugier dans divers commentaires anagogiques.

Ainsi en est-il pour xxi, 11. Mais il est nécessaire de dire que ces cas
d'extrême réserve sont de rares exceptions, .lérùine lui-même ne se
fait pas faute de reprendre « ceux qui ne suivent que le sens mys-

ti(jiie et (jui dans les endroits très difficiles fuient les «{uestions issues

au cours dune libre discussion ><. 11 reconnaît néanmoins dans la


gracieuse métaphore qui constitue son prologue au livre XIII qu'on
ne saurait s'embarquer sur la vaste mer d'Isaïe sans courir le risque
d'être ballotté Ces oracles, d(';clare-t-il dans son prologue au
1

livre VIII, sont environnés de telles obscurités que, en raison de l'am-


pleur de la matière, j'estimais Ijrève une e\])lication qui par elle-
même est longue. Tant pis pour les lecteurs cpii peidraient patience
ou seraient déçus, ayant entrepris de suivre le commentaire dans l'es-
poir d'y goûter une agi'éable litti-rature Aussi revient-il à ses Latins
!

de la première introduction et, loin de les enjôler, il leur fait cette


déclaration catégorique « Nous écrivons pour les studieux, pour
:

ceux qui désirent savoir la Sainte Kcriture et non pour les dégoûtés,
j»our ceux qui font la grimace à eha([ue verset. Désirent-ils un fleuve
d'éloquence et d'élégantes déclamations? U» ils lisent Tullius. Callion,
(iabinianus, ou. pour parler des nôtres, Tertullicn. Cyprien. Minutius,
Arnobe, Lactanec, llilaire. Notre but à nous est de iaire comprendre

Isaïe nullement d'attirer des éloges sur nos paroles à pi-opos


et

d'Isaïe. » Jérôme était-il sans se douter qu'il pouvait prendre rang i\

côté de ces illusties écrivains même pour la beauté du style? En tout


cas il les dépassait de beaucoup par ICtendue de ses connaissances
linguistiques et de son éruditi(m.
Bien plus, son commentaire le range également parmi les apcdo-
gistes. Nous verrons (jn'il ne perd aucune occasion de rompre des
lances avec les exé::ètes juifs et judaisants, avec les savants du paga-
nisme, avec les tenants «h; la su[)ciNtiti()n. -.wvr les millénaristes,
les .i:nosti(pies et les hércticpies en général. Kn édiii.mt la vérité
du christianisme sur les bases de la prophéti»'. il ne perd |»as de vue
ses adversaires, semblable au\ i-eslaur.iteurs du Sanctuaire qui
MÉLANGES. 20:î

maniaient la truelle dune main tandis que de l'autre ils tenaient


le glaive. Son interprétation, comme on sait, ne se borne pas à
extraire des textes un sens mystique ou une leçon morale. L'adap-
tation aux faits historiques y trouve une large part. Elle l'ait la
charpente du commentaire et en soutient l'intérêt. Le sens spirituel
lui est subordonné. Quand on nous parle de Mèdes, de Ghaldéens,

de Babylone, il n'y a pas à chercher à côté; ce n'est pas qu'il réprouve


l'interprétation morale, mais l'exégèse spirituelle doit suivre l'ordre
de l'histoire, sous tomber dans des erreurs de vision-
peine de
naire (1). Mais comme
comprend plusieurs plans qui se
l'histoire
succèdent .selon la suite chronologique des faits, c'est au génie du
commentateur qu'il appartient de discerner les événements auxquels
se réfèrent les oracles prophétiques. Ainsi, lorsqu'il s'agit d'une
menace adressée au roi d'Assur, Jérôme demande à rester dans le
domaine de l'histoire ancienne « Du contexte, écrit-il sur x, 12,
:

il ressort que ce texte comminatoire concerne Sennachérib, roi des


Assyriens. » Tant que ce terrain lui parait assez solide, il consent
difficilement à le quitter pour descendre à des époques moins loin-
taines. Certains pensaient que xvii, 7, qui appartient à l'oracle contre
Damas, avait reçu sa réalisation au temps du Christ, quand le règne
du Sauveur succéda au royaume détruit des Damascènes. « Pieuse
intention des interprètes, s'écrie saint .lérôme, mais qui ne garde pas
l'ordre historique (-2 V » Et il poursuit dans ce sens l'explication du
chapitre en dépit de l'exégèse adverse, voulant élever sur des bases
historiques une toiture historique qui les protège (3). Ailleurs, rejetant
une interprétation qui vise Zorobabel et Esdras, il se maintient dans
la période assyrienne (x, 20). Mais, si le tableau des événements
prédits l'invite à envisager le temps du retour de la captivité, il

n'hésite pas à descendre le cours de l'histoire (ij, sans toutefois


atteindre les âges chrétiens, à moins d'y être autorisé par une inter-
prétation canonique. Eusèbe est pris à partie pour quitter trop aisé-
ment les bornes de l'histoire d'Israël et dépasser à la moindre diffi-

culté sur la voie de l'allégorie, et Jérôme tient à faire savoir qu'il


ne lui a rien emprunté.

(1) In XIII, 19 Et huec dicimris, non (jvod tropologicam intelligentiam condem-


:

nemus, scd quod spiritnalis interpretalio sequi debeat ordinem liislorix, quod plerique
ignorantes, liimphnllco in srripturis vagnntur errore.
(2) Pia quidem oolmitas intei'prctantiuni, sed non servans historin: ordinem.

(3) In xvii, 12 Nos auletu cirplmn sequinmr ordinem, et hislorica fundamenia,


:

liistorico culmine prolegimus.


(4) Ainsi xviii, 7 Hoc aulem sub Zorobabel... faclum intelligimus.
:
20t REVUE BIlîLinii:.

On aurait tort de croire néanmoins (jue notre conimeiitateiu' s'est

forgé une règle dinterprétation absolument rigide et incapable de


s'adapter à la diversité que présentent les recueils d'oracles compris
dans le livre d'Isaïe. Il sait aussi bien ([ue tout autre mettre en relief
les passages messianiques, depuis celui de la Vierge jus(ju"à ceux du
Serviteur de Jahveh soulîrant pour son peuple, sautorisant de toutes
les citations puisées dans ces prophéties par les auteurs du Nouveau
Testament. Que dire du retour du petit nombre d'Israélites sauvés
de la destruction (x, 22) après ce qu'en a écrit saint Paul dans
rÉpitrc aux Komains (ix, 27)? Là où l'on est précédé par l'autorité
d'un tel homme, toute autre interprétation doit cesser. Outre le
(Uirist .lésus, Jérôme reconnaît dans les oracles d'Isaïe le rôle du
Précurseur, les Apôtres, l'Église, la fuite des premiers fidèles, la
vengeance divine s'exerçant sur Jérusalem et le peuple juif par le
bras des Romains. Son messianisme est, pour ainsi dire, avant tout
ecclésiologique, et, par contre-coup, fort peu eschatologique. Il ne
lui plaît pas de voir dans le fameux tableau de l'âge d'or du chap. xi

une description do la béatitude dont les justes jouiraient k la fin


des temps sous la houlette du Messie ce sont là des rêves de Juifs :

et de Judaïsants aux conceptions terre à terre. Or tout cela se trouve


réalisé dans l'Eglise. Quod quotidic ceruimus m ecc/esia. S'il lui
arrive de tendre jusqu'au second avènement du Sauveur, ce n'est pas
sans s'arrêter quelque peu au premier. Quelle difliculté éprouve-
rait-ildonc à contempler l'allégresse et la gloire de l'Église dans les
superbes strophes du chapitre lx? Ces rois ({ui marchent à la lumière
de la nouvelle Jérusalem sont bien ces princes qui acceptent la loi
chrétienne, après avoir abjuré leurs erreurs (1). L'ensemble de la
prophétie dont la réalisation se déroule entre la premièi-e venue du
Sauveur et la lin du monde s'est donc accompli en partie. 11 en est
cependant qui en reculent l'accomplissement dans b's siècles futurs
jusfju'au moment où les nations entièrement converties verront Isra«'l
rentrer au bercail. Opinion nullement répréhensible, pourvu qu'on
entende les choses sjniitucUomrnt et non selon la chair. Nous retrou-
vons à j)eu près inème concession à propos de i.\. 22
l;i « Uien que :

Ion vf)ie chafjue jourde tels faits se vérifier dans TKglise. ils recevront
eependant leur pleine réalisation lors de la consoniinalion du monde
et au second avènement du Sauveur. »

L histoire tnutefois n arri\e pas foujtiui'S à rompre les sceaux «lu

II) Quod (/uoliilir. riilriiiKs nplrii : Quand» idnlolntri.i crinir siililn<n, et pcrse-
rutionix rnbic, ad fidein cl tranf/uHlitnleiii Cfinsli. lunnani principes (ransennt.
MELANGES. 20o

secret prophctiijue. Aussi voyons-nous parfois notre commentateur


piovoquer les partisans exclusils du sens littéral. « Interrogeons donc
ceux qui se contentent de suivre la pure histoire... Les arbres applau-
dissent-ils avec leurs branches et les fleuves avec leurs mains 1 » 1
)
.^

Et ailleurs « Qu'ils répondent les Juifs et les amis de la simple


:

histoire, qui cherchent dans 1 arbre non les fruits, mais les feuilles
seulement et lombre des mots qui sèche vite et dépérit... comment
le Carmel se changera en forêt et en verger, etc. (2i. » C'est alors

que Jérôme se réfugie dans le sens allégorique. Il le fait sans trop


d'etlbrts, quoique assez rarement, ses devanciers ayant largement
pratiqué ce mode dexégèse jusqu'à en faire un vérital>le abus. Notre
commentateur a le goût assez sûr pour se garder de mettre de l'allé-

gorie partout, dans les passages historiques surtout. Pour la curiosité


des faits il se laisse aller à quelques citations d'esprits mystiques ou
d'interprètes allégoriques (3) à la suite de son exposition historique.
Quant au sens tropologique ou moral, à l'enseignement qui a pour
but Fédification du lecteur, Jérôme y revient plus fréquemment. Il
le fait aller généralement de pair avec le sens littéral. Pour les

chapitres des Visions (de xiii à xxiii), il sépare les deux commentaires.
L'interprétation littérale historique comprend les livres IV et V;
elle avait été exécutée jadis à part sur la demande de l'évêque
Amabilis. Ajoutée à la précédente pour ne pas rompre l'unité de
méthode (car Jérôme a promis à Eustochium de suivre tout le long-

ée double fil exégétique), l'interprétation spirituelle forme la matière


des livres VI et VII ; V . C'est en comparant ces explications parallèles
que Ion prendra une juste idée de l'extraction du sens tropologique
et anagogique chez notre interprète. On y remarquera en particulier
ces digressions sur l'étymologie des noms géographiques mises à la
mode par Origèue et dont Jérôme fait un large emploi dans sa lettré
sur les stations des Hébreux dans le désert.
Tels sont les traits essentiels de ce commentaire disaïe que nous
avons jugé à propos de reproduire sommairement au préalable avant
de passer en revue les procédés spéciaux de l'exégèse hiéronymienne

(1) In Lv, 12 Interrogemus eos qui simplicem tanium .'ii'(/uunfiir historiam.


:

(2) In ïxiv, 17.


(3) Cap. XXII Quidam iuxla mijsticoa intelleclus, pisciiiam Veterem, legis unibrnm
:

intelligunt.... Putant allcgorici interprètes de pnssione Chrisli esse jirxdictum.


(4i In VI Proœmio Quod in pra'cedenti vofumine pollicilus sum, ut super fun-
:

damenta historicv... exlrnerem œdificium, et imposito culmine, perfectw


spirituelle
ecclesix ornamenla monslrarem... hoc in sequentibus duobus libris facere conabor.
200 REVLK BIBLIUUE.

qui nous ont frappé au cours de la lectiue que nous avons laite de
cette o'uvre.

11. — UBSKHVAÏIOXS l'AUTlCULIKUKS.

Critique Icxtnelle. — L'utilisation des Hexaples ofl'rait à saint

Jérôme la facilité de mettre en évidence les divergences existant entre


le texte hébreu et les Septante et de grossir ses annotations d'hypo-

thèses fondées sur les leçons d'Aquila, de Symmaque et de Théodo-


tion. Il a fort à faire en effet pour démêler le véritable texte au milieu
de ces discordances. Ses préférences vont à Ihébreu, c'est un fait

certain. Il ne peut pourtant


l'appelle Veritas, c'est assez dire. Mais il

délaisser la version alexandrine. L'autorité dont elle jouit en Occident


lui impose non seulement de la citer, mais aussi de l'interpréter au

cours de son commentaire. Donnons pour exemple cette explication


de XXX, 20 : « En cet endroit l'édition des LXX et l'hébreu sont en
désaccord. Nous traiterons en premier lieu de l'édition ordinaire [de
vuhjata ediliune), et nous suivrons ensuite l'ordre de la vérité [ordi-
îiem veritatis)... Porro iiuta Hebraicum, et facilis et vera explanatio
est. Or d'après l'hébreu l'explication est facile et vraie. » Ainsi la
diffusion de la version latine du texte des Septante le forçait à eu
tenir compte en dépit de la faveur qu'il accordait au texte hébraïque.
C'est ce qu'il avoue implicitement lorsqu'il mentionne l'importance
de celle-là. « Nous avons dit, ajoute-t-il à l'exposé de i.xv, 20, nous
av(ms dit cela d'après les LXX, dont l'édition est répandue dans le
monde entier, de crainte de paraître dans un passage si fameux nous
retrancher dans la citadelle de la langue des Hébreux » 1). C'est donc 1

un sentiment de condescendance qui le meut à prendre ici comme


base la version alexandrine, qui est aussi très vénérable du fait
qu'elle est lue dans les églises (2j. Une telle C(»nc<'ssiou était comman-
dée })ar l'exigence d'un grand nombre de ses lecteurs (pii taxaient
d'œuvre imparfaite un commentaire fondé sur un texte autre que celui
des LXX (3).
Kn revanche iiotio philologue ne laisse |>;is fuir l'occasion de signa-

(Ij Hoc iuxld L\\ iitlerjjiclei dixiiiiii>> : (/nurtmi cditio loto orbe nihjala est...

(21 /h wviii y : Sijmmacinis. Theodolio, et /, VA de lioc loro divcrsa senseruiil. et

(/uia loiigum est de oinnilms diccre. L\.\ interprètes (fiii leguntiir in ecclesiis lireviler
transcvrramus.
C-i) In \\\, 30 ; l'otirnnt iiirtii lleliraiciim qiiid mihi ridrrriur ciirrens leçiiitlilnis

indicarr : sed i/uontndain studiis. qui uisi /. \ \ nilerpn


i/iiid fficiuiii titni iililio/irni

disseri'cro. imprrfeetum n/ius nu- /inliiturnni me e.sse denuncionl.


MÉLANGES. 207

1er les passages à retranclioi' des L\X cl à les iii<u(|uei' par conséquent
«kl sig-ne hcxaplairc, ol)èle ou broclie. Voici une addition propre aux
exemplaires alexandrins, absente de Fliébreu et rarme de l'édition
amendée des L.W (lviii, 11 A noter d'une obèle. l'n<lc obelo prxno-
:

hindum rst. Cette mesure n'est pas sans avoir une influence sur la
signilication de tout un passage, comme au chapitre lx « Or le nom :

de Jérusalem et des nations qu'offrent les LXX


ne se trouve pas ici

dans l'hébreu. Il faut le stigmatiser d'une obèle, contre ceux qui


prétendent que tout ce qui est dit s'adresse à Jérusalem. » Même opé-
ration à exécuter vis-à-vis du nom de Jérusalem au chap.
que li (9),
ni l'hébreani aucun des trois autres interprètes n'ont mis. Inde obelo
priiniotanduin est. Jérôme se montre non moins impitoyable et pres-
([ue féroce au début du chap. lu « De nouveau le mot de Sion est
:

ajouté ici LXX, et


dans les c'est pourquoi il est transpercé d'une
broche, idcirco iugulalum veru. » Ailleurs (lx. 13 i il rappelle qu'il a
[)lacé dans les Septante plusieurs choses dont ils manquaient et qui
se trouvaient dans 1 hébreu, en les marquant d'astérisques; « mais
ce qu'ils ont en plus je l'ai noté d'une obèle ».

Aquila, Syramaque et Théodotion reviennent souvent sous la plume


du commentateur qui fait ressortir les points où il s'accorde avec eux
et ceux où il dilière. A propos de xlix, 5, Théodotion et Symmaque
présentent la même interprétation que Jérôme. « Quant à Aquila,
ajoute ce dernier, je ne m'étonne pas qu'un homme aussi versé dans
la langue hébraïque et traduisant mot à mot, en cet endroit, ou bien

ait simulé l'impéritie. ou bien ait été induit en erreur par une expli-

cation perverse des Pharisiens. »

Le commentateur constate enfin que les passages du Nouveau Testa-


ment empruntés à ne sont pas rendus littéralement, mais qu'ils
Isaïe
conservent leurs vrais sens, servant à corroborer l'augmentation d«s
Apôtres. Ou lira avec intérêt les deux réflexions relatives à ce sujet
que nous mettons en note ,1).

(1) In Lxiv, 4 : Jlcl/r.i us ex Hebrœis assumit


l'aropiirasin liuius testimonii. (jiiasi

Apostoliis Panlus de aiitlienUcis lihris qiiam scrihil ad Corinthios : non


in epislola
verliuin cjc verùo reddens, quod facere ornnino contemnlt : srd sensuum exprimens
vcrilatem, quiOus utitnr ad id quod vohicrit roborandum.
In \\i\. 16 In quilnis cunctis illa scmper ohscrvanda est régula : Evamjelistas et
:

\l>ostolos ahsquc damno sfnsunm interpretatos in Grœcv.m ex Hehrxo. ut sibi visuni


f'ucrit. Pour les passages difficiles et où les divergences entre l'hébreu et le grec sont
trop considt'rables. saint Jérôme met la traduction des LXX en regard de sa traduction du
texte massorétique, par exemple au chap. ix //; obscuris locis ntramque editionein poni-
:

mus, ut quantum a cxteris editionibus cl ab Jlebraico veritate distet viilgata trans-


Iniio. diligens lector agnoscaf.
208 REVUE BIBLIQUE.

Interprétation concernant la prise de Jrru.saleni par les Romains


et la dispersion des Juifs. — Une particularité qui s'impose à tou
lecteur de ce commentaire est rinsistancc que met saint Jérôme à
retrouver dans certaines parties du livre d'isaïe et surtout dans les

six premiers chapitres l'annonce des événements tragiques qui se dé-


roulèrent en Judée sous Titus et sous Hadrien. Aux menaces touchant
la cité forte qui sera désolée au point de servir de pâturage au bo'ul'
(xxvii, 10) est ajoutée cette glose le bo'uf c'est l'armée romaine
:

comparée ailleurs à un sanglier. Par le moyen de cette troupe assié-


geant de toutes parts les Juifs, le Seigneur combattait lui-même contre
son peuple (lix, 17). Notre exégète n'ignore pas certes que la ville

sainte et la Judée ont subi à travers les âges d'autres sièges et


d'autres calamités que celles-lA, mais les dernières épreuves dont
les suites sont encore sous ses yeux lui paraissent devoir remplir plus
parfaitement les prédictions énergiques du Voyant. « Votre terre est
déserte, vos villes sont brûlées », lit-on au chapitre i, 7. Ceci s'est réa-
lisé en partie sous les Babyloniens, mais combien plus pleinement
lors de l'expédition romaine, « quand l'armée des Romains dévasta
toute la Judée, que les cités furent incendiées, et que maintenant en-
core des étrangers dévorent leur pays ». La défense de fouler jamais
les parvis du Sanctuaire et de sacrifier de nouveau que l'on re-
marque un peu i)lus loin n'a pas eu d'effet après la captivité puisque
Zorobabel releva la maison de Dieu donc ici de la dernière
: il s'agit

destruction du Temple sous Vcspasien et Titus, (jui demeurera jusqu'à


la consommation du monde. Ailleurs cependant comme sur ii, 11,
le commentateur amène sans distinction contre Jérusalem le glaive
babylonien et l'épée i-omaine. Josèphe lui sert à donner plus de relief
à SCS explications des oracles isaïens. Aux luttes intestines par exemple
annoncées dans m, 5, répondent fort bien les trois factions qui, an

dire de l'histoiien juif, se partageaient la ville assiégée, Tune retran-


chée dans le Temple, tandis deux autres tenaient le (piaiticr
(pie les

haut et le quartier inférieur. Les corps entassés comme de l'ordure au


milieu des places publiques de v, '2.'), lui ajîparaissent encore comme
un des traits du dernier siège. Ce détail peut send)ler hy[)erboli({ue
et pourtant il s'est vérilié après la passion sous Vcspasien et sous
Hadrien, (^est dans la prophétie suf Aricl \\i\ cpie Jérôme donne
un plein essor à sa jjensée : « Si nombreuse, ô .\riel, sei-a l'armée do
romaine (jui t'assiéi^cra
la j)uissance <|u <'lle est comparée aux g'"rains

innombrables de la poussière et de la cendre qui \n\v d.uis laii'...

Et cela arrivera soudain. sid)ilement. au point (ju'en pleine paix les


guerres refrénées par Néron se réveilleront, et que le Seigneur des
MÉLANGES. 20<J

armées visitera Jérusalem avec le tonnciTc, les tremblements de terre,


le tourbillon des tempêtes et la flamme d'un feu dévorant qui in-
dique l'incendie du Temple. Or les Romains qui, après avoir dompté
les Juifs et renversé Jérusalem sous ïitus et Vespasien, oilrircnt au Ca-
pitole les vases de Dieu emportés comme butin, pensèrent, comme
des gens qui dorment, avoir agi de leur propre puissance et non
comme instruments de la colère de Dieu; ils posséderont toutes ces
richesses dans une vision nocturne. »
Au delà de la ruine de la ville sainte, Jérôme découvre encore dans
le prophète la captivité des Juifs, les misères qu'elle entraîne et lins-
tallation en Palestine des colons étrangers. Non est in eo sanitas
(i, quand, après Titus et Vespa-
6) se rapporte à la dernière captivité,
sien et le dernier bouleversement de Jérusalem sous .Klius Hadrien
jusqu'au temps présent, il n'existe plus de remède. Cette captivité,
qui dure encore au v'' siècle, est rappelée à la fin du chapitre l, et
la détresse morale qu'elle comporte est affirmée par le verset 13 du
chapitre v Hœc iiixta lileram accidisse populo Judœo sub Vespa-
:

siano et Tito Romanis principibiis tam Grieca qiiam Latina narrât


historia.Le comble de la calamité pour des bannis ne consiste-t-il pas
à voirtomber le pays natal et les biens de famille aux mains de vain-
queurs insolents! Darbarus has segeles! Il n'est pas éparg-né aux Juifs,
selon qu'ils pouvaient déjà le pressentir eu lisant leur prophète
V, 17 i : « Les étrangers viendront se nourrir dans les déserts devenus
par Jérôme en veine de vérifier le sens histo-
fertiles », ainsi giosé
rique : « Venue de tout
l'univers, une foule de gens peuple la Judée
après en avoir chassé les premiers habitants. » Ces gens qui s'em-
parent de la Terre Promise sont les colons implantés par Titus, Ves-
pasien, Hadrien et par d'autres princes iii, 8), à moins que, de l'avis

de certains auteurs, l'on doive reporter ceci avant l'incursion babylo-


nienne. Moyennant une interprétation tropologique, ces étrangers
reparaîtraient sous la figure des bêtes qui viennent nicher dans les
décombres de la ville ruinée du chap. xxxiv. Comment désigner au-
trement ces colonies amenées à Jérusalem de pays divers et prati-
quant, suivant le rite de chacune de leurs provinces, le culte des dé-
mons! Cependant le peuple juif se disperse parmi les nations, laissant
nom même se perd. Ses malheurs sont tels
des cités dévastées dont le
au dixième de son total et, ses faibles restes se trou-
qu'il est réduit
vant de nouveau passés au crible environ cinquante ans plus tard
lorsque Hadrien arrive et saccage la terre de Judée, on le compare
à bon droit au térébinthe et au chêne dont les glands sont tom-
bés. Enfin au bout de cette chaîne de calamités les lois intervien-
REVUE BIBLIQUE 1916. — IV. S., T. XIII. li
210 REVUE BIBLIQUE.

lient pour interdire aux proscrits l'accès de leur patrie (fin du


chap. Ml.
La vue directe des vestiges de cette terrible époque rend plus
saisissante l'iiarmonie entre les textes et les événements. Quels
témoins plus authentiques que les portes de Sien encore plongées
dans le deuil et les larmes et que les statues d'Hadrien et de Jupi-
ter érigées sur l'emplacement du Temple de Dieu (1)? Jérôme néan-
moins ne se croit pas esclave de cette interprétation qui n'est pas
d'ailleurs toujours très heureuse, par exemple lorsqu'il regarde la
fumée emplissant le sanctuaire dans la vision des Séraphins (vi

comme le présage de rincendic du Temple en 70. Bien préférable


est l'explication des Juifs qui, au dire de notre commentateur lui-
même, y voient le signe de la présence de la majesté divine. Il cite

parfois des auteurs qui suivent la môme ligne d'exégèse sans se


prononcer sur la justesse de leur point de vue, optant finalement
pour le sens troptdogique. Ainsi à propos de ii, 15. Nous lisons au
début du chapitre m « Ce qui suit traite de la captivité future que
:

ceux-ci rapportent aux Babyloniens, ceux-là aux Romains; mais il


vaut mieux, comme nous l'avons dit plus haut, tout rapporter à la
passion du Sauveur. » Là où le contexte ramène le lecteur à des
périodes bien définies de l'histoire ancienne, Jérôme abandonne
ses Romains sans regret. Ainsi xxii, 1, lui suggère cette réflexion :

" Xous pouvons parler de la captivité de fiabylone, bien qu'Kusèbe

rapporte tout à l'avènement du Christ et pense aux temps de Ves-


pasien et de Titus. »

L'exemple d'Eusèbe, nous serions porté ;\ l'inférer à la suite de


cette déclaration, a peut-être contribué beaucoup à pousser dans
maintes circonstances le commentateur latin à adopter l'application
des oracles isaïens aux temps romains. Nonobstant, nous savons
par SOS lettres que ce genre d'exégèse plaisait à saint Jérôme ([ui

devait d'autant plus en user ici qu'il lui fouinissail un ap[>oint nota-
ble dans sa controverse avec les Juifs. Ceux-ci pouvaient-ils douter
de la réalisation de cette lugubre prédiction : " Sion est désorte; Jéru-
salem est désolée. Le temple de notre sanctification et de notre
gloire où nos pères avaient chanté vos louanges a été réduit en
cendres et tous nos bâtiments les plus .somptueux ne sont que
ruines », quand le solitaire do Bétliléom les ])riait de reliio le lUp-
i>.'.)7i(.)ç de Josèj)he, leur montrait le fameux Temple devenu la voi-
rie d'une ville nonxellc appelée .Klia e( le séjoui- des oiseaux noctur-

(1 In m, 'X, cl II S.
MÉLANGES. 211

nés, leur faisait constater enlln que Dieu restait sourd aux lamen-
tations dont retentissaient leurs synag-ogues (1)?
Controverse avec les Juifs. — Ce n'est pas seulement sur leur
châtiment et leur déchéance que Jérôme entreprend les fils d'Is-

raël ne cesse, au cours do son ouvrage, d'argumenter contre eux


: il

à tout propos et de les convaincre d'erreur avec cette énergie d'ex-


pression qu'on lui connaît. D'abord il leur reproche d'avoir suscité
mainte persécution à l'endroit des fidèles du Christ, à commencer
par l'aveugle-né, et de persévérer dans leurs blasphèmes en mau-
dissant trois fois par jour dans toutes leurs synagogues le nom chré-
tien sous l'appellation de Nazaréens (2). Quant à leur aveuglement,
il est plutôt un signe de la miséricorde que de la rigueur de Dieu

qui permet la perte d'une nation pour assurer le salut des autres
(vi, 10). La façon dont ils interprètent les passages relatifs au Messie

souffrant est un indice de cette cécité mentale. En appliquant le

chapitre l à la personne même d'Isaïe, n'est-ce pas vouloir détourner


du Christ les prophéties et les témoignages les plus clairs? Us s'ef-
forcent de mettre prophète en vedette pour s'autoriser ensuite
ici le

à supprimer ailleurs toute allusion à la mission du Christ Jésus.


.lérùme avait-il en main quelques commentaires composés par des
Juifs ou avait-il consulté des rabbins sur la façon d'expliquer Isaïe?
Il ne s'en explique pas ici, mais il est évident qu'il possède à fond

l'exégèse juive ainsi qu'il ressort des allusions fréquentes consignées


dans son œuvre. Les Hébreux interprètent le chap. xxxiii de Senna-
chérib, ce qui est assez plausible. Entraîné par son ardeur d'apo-
logiste, notre docteur souligne cette exégèse historique de ce repro-
che Ils disent tout cela suivant l'histoire, cherchant de toutes
: >'

façons à renverser les mystères du Christ et des Apôtres. » Les Juifs


rapportent au temps de Cyrus xxx, 19) (
« le peuple de Sion habitera
à Jérusalem ». Jérôme préfère reporter jusqu'au temps messianique
des promesses qui excèdent la médiocrité de la période postexilique.
Il se garde cependant d'être impitoyable pour la première opinion,

car nous lisons quelques lignes après « Si nous appliquons ceci :

Il A la fin du livre XVII supei'fluum est ea sermone disserere qux oculis pateant,
:

cmn omnia desiderabilia eorum versa sint in ruinas, et tcmplum toto orbe célébra-
tion, iii sterquiliiiium urbis novae, qux a conditore appellabatur Helia et in habita-
culum transierit noctuarum. frustraque quotidie dicunt in synagogis suis : Super
his omnibus, Domine, sustinebis et affliges nos, alque humiliabis vehemenfer.
[2, Il revient en trois circonstances sur cet anathème, au livre II : « ter per singulos
dies in omnibus synagogis sub nomine Nazarenorum anathemotizent vocabulum
C hristianum >>, aux livres XIIT et XIV^ :« Et sub nomine, ut sxpe dixi, Nazarenorum

ter in die in Christianos congerunt maledicta. »


212 UEVUK BIBLIQUE.

au temps de Zorobabel, linlerpréiation est facile. » Mais c'est avec


il note une explication analogue au cliap. xlv 1).
plus de sévérité qu
Il nous serait fastidieux de relever ici toutes les assertions auxquelles

Jérôme fixe l'étiquette de stulta conlentio, frivola persuasio, fahuUe


Judaicr, ou les passages qu'il interprète de la même fa<;on que les
Juifs (2).
Nous ne voulons pas cependant passer sous silence la résistance
que Jérùnie oppose et les coups (piil porte au système juif consis-
tant à lancer contre Rome et FEnipire les oracles menaçants et les
prédictions de mauvais augure contenus dans le livre d'Isaïe. Ven-
geance des écrasés et des proscrits Mais lexégète chrétien s'ingénie
I

à leur renvoyer la balle à chaque coup par des réponses du tac au


tac. Où ceux-là disent Rome, celui-ci répli({ue Jérusalem. Les anciens

documents du chap. xxi;


suflisent à éclaircir l'oracle sur l'Idumée
il est donc inutile de le pour une menace à
tenir avec les Juifs
l'égard des Romains. Seulement, dit saint Jérôme, ils se persuadent
sottement que tout ce qui est à l'adresse de l'Idumée atteint les
Romains, se fondant sur une confusion entre les lettres i et -. Et ce
texte consolant de xiv, 2 « la maison d'Israël aura ces peuples [>oup
:

serviteurs... elle s'assujettira ceux qui l'avaient dominée », les Juifs


pouvaient-ils le comprendre autrement que carnaliter? Leur ima-
gination fabuleuse y voit l'empire romain qui, une fois terrassé, leur
laissera la domination univei'ScUe. « Or, note saint Jérôme, s'ils sui-
vent la lettre, ils se bercent d'un es[)oir trompeur. Qui leur concé-
dera en effet que Home s'appelle Rabylone et Nabuchodonosor, roi
de l'empire romain? » Ue même c'est en vain que les maîtres en
Israël considèrent la chute de la Rome e.xécrée dans le tableau som-
bre du jour de la vengeance (xxxiv, 8), rejoints par un bon nom-
bre de chrétiens influencés par les peintures de l'Apocalypse. Pour
Jérôme il s'agit au contraire df la désohition dans lac(uelle sera
plongée Jérusalem la suite du sièi;e de Titus. A ses yeux la ville
.i

forte réduite en ruines et Iransl'oi'mée en tombeau de \\v, 2, c'est

Jérusalem et non Rome comme le prétendent les Juifs avides de se


libérer de la persécution ainsi que d'une chaleur accablante et dune
soif ardente. Kt plus loin, xxvi. .")
: < Il humiliera la ville superbe,
Piome suivant les Juifs, Jérusalem plus exactement comme nous
1 avons montré, Jérusalem qui tue les pro])hètes... Il l'humilia d'abord

llcbrui shiUa cou lent tonc iiiluntiir u.sMTci'f, us(/iir luI ciim lociiiii ubi leyifur :
1 I

Tniitum in le Deus, vel ad llieiusalem, vcl eliam ad Cyrum dici.


l'iir exemple au début du rliap. \xvii
['.'.': « In die illa : Eusehitis priori inngit ea-
:

pili... Ilebr.vi aiiUm ri rxteri explanatorcs sequuntur qxiod ntinr proposituri suinus.n
.MEI.ANGI-:S. 213

sous les Btibylonicus ([uand Temple fut détruit, ensuite sous Titus
le

et Vespasieu, et sa ruine demeure éternelle. » L'exégèse hébraïque


amène encore Rome au chap. xxx, 25. Là notre commentateur se
borne à passer au sens allégorique sans présenter de réfutation. Il
tente parfois d'évoquer à son tour le peuple de Rome, mais non sans
ajouter que les fils d'Israël conviennent encore mieux au texte. Les
Romains n'ont pas adoré celui qui leur avait donné la victoire,
dcclare-t-il sur ii, 9. Quod si de liomanis intelliginius, verior inter-
pretatio est... Sin autem de Judans, prophetœ truculenia sententia
est. Mais ils ne sont pas inexcusables, de sorte que la malédiction
par laquelle débute le chap. xviii ne s'applique pas à eux suivant
l'opinion de certains. Il ne s'accorde pas avec notre foi que le Sei-
gneur menace la souveraineté romaine pour avoir renversé une
nation impie. Un jour sans doute ils boiront eux aussi à la coupe de

l'amertume. Les terres cultivées seront foulées par les troupeaux,


lit-on à la findu chap. vu; c'est ce qui arrive d'ordinaire après une
captivité. « Plût à Dieuque nous l'ignorions! » et Jérôme voit passer
devant ses yeux le spectre des Barbares. « Une grande partie du
monde romain est devenue semblable à la Judée de jadis, ce qui
n'est pas arrivé sans la colère de Dieu qui venge le mépris dont il
est l'objet non plus par les Assyriens et les Chaldéens mais par des
nations sauvages et naguère inconnues de nous, dont le visage et la
langue sont terribles, offrant des faces féminines et balafrées. »
En dehors du point de vue exégétique, le virulent apologiste atta-
que également les traditions pharisaïques, celles qu'on appelle
sEJTspwcTî'-ç, entre autres les prescriptions outrées qui rendent la loi
du sabbat impraticable. Les Juifs sont de nouveau pris à partie
chaque fois qu'il touche à la question du millénarisme, mais comme
les Judaisants reçoivent en ces occasions les mêmes coups, c'est au
paragraphe suivant que le sujet sera abordé.
Controverse avec les hérétiques. —
En dégageant le sens anagogi-
que au cours de son commentaire, saint Jérôme évoque souvent les
hérésies en général et le mal qu'elles créent dans l'Église. Qu'on
parcoure par exemple le livre IV. Mais parmi ces dissidences il vise
d'une façon toute spéciale le millénarisme ou chiliasme qui étayait
de plusieurs passages d'Isaie, et l'on peut présumer que
ses rêves d'or
larépugnance qu'il éprouve devant ce système est une des raisons qui
ont éloigné Jérôme du sens eschatologique. Les demi-Juifs, semi-
du chap. lxii de la fin des
ludcei, interprètent les derniers versets
temps. Mes serviteurs mangeront et vous souffrirez la faim etc. »
«

(lxv, 13). Ce texte provoque sous la plume de l'interprète cette


2[t REVUE BIBUQUE.

réflexion: « Qi(<i' omnia'/ÙAy.Q-.-j.'. iu mille annis putant esse complen-


da. » Les Hébreux se forgent une félicité millénaire analogue à pro-
pos de Lxv, 20. Les conceptions de ces intelligences puériles ont le don
d'exciter la verve railleuse de notre écrivain. Juifs, demi-Juifs ({ui
judaïscnt sous le nom de chrétiens, Ébionites, ainsi appelés pour la
pauvreté de leur esprit, ne soupirent qu'après une Jérusalem d'or et
de pierres précieuses, espérant que toutes les nations seront un jour
les humbles servantes d Israël, que les chameaux de Madian, de Saba
et d'Épha lui apporteront l'or et l'encens, que les troupeaux des
Nabatéens et de Cédar viendront encombrer les parvis du sanctuaire.
La flotte de Tharsis amènera des trésors, les gentils subjugués bâtiront
la ville le pin, le cyprès et le cèdre du Liban entreront dans la cons-
;

truction du temple. Les princes régneront dans une paix éternelle et


les évêques gouverneront leurs ouailles dans la justice. Le Christ
remplacera le soleil et la lune (livre XVII).
L'eschatologie des Chiliastes manque d'un idéal relevé abondance :

de richesses, embonpoint, nourriture délicate, faisans et tourterelles


farcies, vin miellé, belles femmes, essaims d'enfants. Lorsque le Christ
reviendra à Jérusalem pour régner et que le Temple sera restauré,
les fils d'Israrl seront ramenés des quatre coins du monde qui sur une
charrette gauloise, qui sur un char de guerre, qui sur des chevaux
de Cappadoce et d'Espagne, qui sur des véhicules italiens. Leurs
matrones seront portées sur des litières et des palanquins installés
non certes sur des chevaux mais sur des mulets de iNumidie, Ceux
qui ont été honorés de la dignité sénatoriale ou du principal, vien-
dront de Bretagne, d'Espagne, de l'extrémité des Gaules, de la contrée
où le Rhin se divise, montés en carrosse et salués par toutes les

nations disposées à vivre sous leur tutelle (liv. XV et XVIII). Ces nou-
veaux sujets, afin de réaliser lxvi, 23, viendr<»nt périodiquement à
Jérusalem, chaque semaine, tous les mois ou toutes les années une
fois, suivant leur éloignement plus ou moins grnnd de la ville sainte.

Et ut ))iaiore)n risum jir.i'hcanl f/ut/irn/ibi/.s-, il n'y aura [)Ius de négo-


ciants pendant !<• niillt-nairc paicc (|ii(' les épices, amome et poivre
croîtront en tout liou.
Le texte LXiv, ï inspire à Jéi-ùmc une \ iolcnle apostrophe à 1 en-
droit des (inostiques, car c'est A l'occasion de ce passage reproduit dans
l'Ascension d'Isaïe et l'Apocalypse d'Élie et d'autres de ce genre (|ue
de misérables et prétentieuses petites femmes d'Espagne et de Lusi-
taiiie ont été induites en erreur au point de recevoir les élucubrations

der»asili<Ie, de Halsamnsel de suivie la docti-ine fabuleuse et pervc-rse

de Marc l'Egyptien et rlr |..iis ces l'autr-iirs d'hérésies dont traite le


MÉLANGES. 2i:;

martyr Irénée évoque de Lyon. A propos du chap. l\v. il s'élève de


nouveau contre les Guostiques. Marcion, Valentin, Kunomius et contre
ces hérétiques qui naguère pullulaient dans les (iaules, désertant les
basiliques des martyrs et fuyant comme des êtres immondes les fidèles
qui y priaient (1).
C'est d'un ton plus modéré qu'il reprend ceux de ces amis qui croient
devoir s'autoriser de la fin du chap. xxiv pour affirmer qu'avant la
fin des temps il sera donné à Satan et aux démons de se repentir.

Ailleurs il relève contre eux les premiers mots du chap. xxvii : que
ceux qui prétendent que diable fera pénitence et obtiendra son par-
le

don interprètent donc ce qui est écrit il tuera le dragon qui est :

dans la mer.
Les païens auxquels .luifs et hérétiques empruntaient un certain
nombre de rites superstitieux ne sont pas moins malmenés. Le j)ro-
phète reproche (ii, 6) à la maison de Jacob de s'être attachée à des
enfants étrangers. Le commentateur en profite pour flétrir la pédé-
rastie chez les philosophes grecs et chez un souverain comme Hadrien
qui eut l'audace de diviniser Antinous. Il fait également chorus avec
Isaïe pour condamner bosquets qui favorisent la
les bois sacrés et les
luxure, pour stigmatiser l'usage, adopté même par Israël, de dormir
dans les temples des idoles et notamment d'Esculape, couché sur la
toison des victimes afin d'obtenir en songe la vision de l'avenir. De
même les Juifs auraient pris part à ces festins divinatoires dont les
Égyptiens étaient coutumiers au dernier jour de l'année pour y décou-
vrir le présage de l'abondance ou de la disette des saisons prochaines.
Chez eux encore avaient pénétré ces divinités domestiques, véritable
plaie des villes de beaucoup de provinces. Chaque quartier, chaque
maison de cette maîtresse de l'univers qu'est Rome possède un dieu
tutélaire devant lequel brûlent des cierges ou des lampes. Jérôme
n'ignore pas non plus que les rêveries des millénaristes ont des points
de contact avec l'âge d'or de Saturne chanté par les poètes, où l'on
verra couler des ruisseaux de lait et les feuilles des arbres distiller un
miel très pur. Ceux qui se créent de telles imaginations sont tout
prêts à admettre la fable des mille années et le règne terrestre du
Sauveur conformément à l'erreur judaïque, ne comprenant pas que
sous l'écorce de la lettre l'Apocalypse de Jean élabore la moelle des

(1) .Vu chap. II, Jérôme fait allusion aux Manichéens qui ne reçoivent pas l'Ancien Testa-
ment : ut recipiamus cetus instrumentuni et non secundum Manichxum aliam extra
domum Dei Jacob quxi-amus donuim. Au chap. lxv, il stigmatise l'erreur des Ariens qui
restreignent seulement à la personne du Père la partie d'un verset.
2\& REVUE BIBLIQUE.

sacrements de l'Église (1). L'apologiste qui se cache en Jérôme con-


naît le secret d'extraire ce sens intérieur des Ecritures grâce à l'inter-
prétation iii./ta anagogen, qui le conduit ù établir par les prophé-
ties d'Isaïe non seulement la déchéance et le châtiment d'Israél, mais
aussi la victoire du christianisme sur les cultes païens qui se pour-
suivait encore de son temps. L'évangile s'édifie sur les ruines de l'ido-
l;\trie. Les villes d'Aroer seront abandonnées aux troupeaux du Christ
qui s'y reposeront sans qu'il y ait personne qui les chasse. Damas
deviendra comme un monceau de pierres d'une maison ruinée
XVII, 1 et 2). Des églises ne se sont-elles pas élevées sur les ruines
du Serapeum d'Alexandrie et du Marneum de Gaza?
Érudilion. —
Dominus dédit mihi linguam eruditam (l, i). Il est
de la vraie et grande science d'instruire ses compagnons de ser-
vitude aux moments propices et de conformer parfois son langage
au génie des gens à qui l'on s'adresse. Suivant les desseins de sa
profonde sagesse le Christ a parlé ou a gardé le silence. Mais celui
qui s'est tu dans sa passion parle maintenant au monde entier par les
Apôtres et les hommes apostoliques. Saint Paul n'a pas craint d'op-
poser à ceux qui récusaient les prophéties les témoignages tirés de
leurs propres écrivains. Il cite Aratus, Epiménide et un comique (2).

Fort de cet exemple, le commentateur ne néglige aucune occasion


de mettre en œuvre les richesses de sa vaste érudition. Aussi pour-
rions-nous avec les éléments épars dans son œuvre esquisser un
chapitre de sa controverse avec les païens. Néanmoins derrière les
païens qui ne .sont pas sans excuse, il ne peut s'empêcher de viser
les hérétiques auxquels il a voué une guerre implacable. " Par leur

impiété les hérétiques l'emportent sur tous. Pai' cxcnq)lc : Epicure


dit qu'il n'y a pas de providence et que la volupté est le souverain
bien. Par rapport à lui, il se trouve plus de scélératesse dans Marcion
et tous les hérétiques qui déchirent le Vieux Testament (3). » Le
crime des dessidents n'eil'ace point cependant les erreurs des philo-

sophes. Aussi ces derniers sont-ils pris à partie en plusieurs circons-


tances. A l'occasion ô'Isa'/f i.xv, 16 : « Les anciennes afflictions

seront mises en oubli », .lérnme rappelle d'abord cette pensée de


l'Ecclésiaste (ju'niie lienre d'affliction l'ait oublier de longues délices,
})our remai'(pn'r ensuite <(ue les iiens angoissés ne goûtent nullement
dans leur esprit les voluptés passées suivant le système erroné
d'Épicuie. Il oppose ailleurs contre ce même système le passage du

\j lin <lii livrr l.\.

(2j Di'liut du livre \IV.


f3) //( \MII. 1.
MLl.A.\(ii:S. 217

cantique (IKy-échias : « Je repasserai toutes mes années dans l'amer-


tunie de mou àrae. » Rien de ce qui est passé ne peut aider celui
qui se trouve présentement dans la tribulation. Donc c'est une sottise
d'affirmei' avec Epicure que le souvenir des biens écoulés soulage nos
maux actuels. Le verset xl, 15 donne lieu à une simple note érudite
sans polémique. Devant Dieu les îles sont comme nne poussière
ténue. Symmaquo et Théodotion ont traduit p" par salive, Aquila
par 'ki--z') ,'iaAAi;j,3v:v. Les Hébreux en efl'et prétendent donner à ce
mot la signification de poussière impalpable, ce que sans doute
Démocrite avec son Épicure appellent atomes. Le commentateur
constate au début du chap. xlvii que les crudités de langage de
l'Ecriture ne point déplacées. Les Stoïciens, ajoute-t-il, discutent
sur la mauvaise habitude qu'ont les hommes de désig^ner des choses
honteuses sous des mots honnêtes, tels que parricide, adultère,
inceste, tandis que des actes honnêtes paraissent honteux par leur
seul énoncé, « ut liberos procreare, inflationem ventris crepitu di-
gerere, almim relevarc stercore, vesicain urime effusionc laxare
». Le

prophète a donc raison d'user contre Babylone de termes irrespec-


tueux. Jérôme sait aussi que les physiciens et ceux dont l'étude con-
cerne les phénomènes célestes disent que la lune n'a pas de lumière
propre mais qu'elle est éclairée par les rayons du soleil, la terre
n'arrivant pas à obscurcir la partie de la planète plus rapprochée de
l'astre du jour. A xiii. 10, les Septante ont ajouté Orion à la mention
des étoiles du ciel et cela de leur propre gré, ce qui mérite une obèle.
.Mais puisque Orion est nommé, pourquoi ne pas dire ce qu'on en sait
d'après les fables païennes? Cette constellation compte ving-t-deux
étoiles, dont quatre de troisième grandeur, neuf de quatrième, et
neuf autres de cinquième qu'on appelle Bootes.
Pour les faits historiques Jérôme est également très averti. Au
sujet des Assyriens (xxxvii), il renvoie à Hérodote et à Bérose, et à
Xénophon à propos de Cyrus L'histoire romaine et Joséphe
(xlv).
n'ont guère de secrets pour Nous admirons, écrit-il sur xxiii,
lui. «

ce que l'envoyé de Pyrrhus dit de la ville de Rome J'ai vu une cité :

de rois. Voici que bien avant cette époque les négociants et les arma-
teurs de Tyr sont appelés princes et illustres. » Le mensonge dans les
oracles païens est toujours tempéré de vérité. Les prédictions am-
phibologiques faites à Pyrrhus et à Crésus en sont une preuve (1).

(1)Aiote j£acida Romanos vincere posse.


Crœsus transgressus Halim majima régna penlel.
Nolons aussi cette similitude de situations de Jérusalem et de Rome assiégées (chap. xxii) :

quando Sobna pontifex inagaam partem prodidit civitalis, et lantum Sion, id est arx
218 REVUE BIBLIQUE.

Les transformations opérées par l'hellénisme dans les villes d'Orient,


Antioche, Laodicée, Apamée, Damas, ne lui sont pas inconnues, pas
moins que la fondation de Séleucie et de Ctésiphon, cités illustres dos
Perses.
Les citations des poètes viennent aussi à leur tour sous la plume
du commentateur qui n'a pas autant qu'il le prétend dans une de
ses épitres dit adieu définitivement à la culture classique. Mais Dieu
lui a donné une langue érudite et saint Paul lui a donné l'exemple.
Son démon le pousse à citer Aristophane : hpoox-o) 7.y.\ zî^ispivo) Tbv
v^Aicv, « je gravis les airs et méprise le soleil », ou ce poète qui se
joue si bien dEncelade dans la gigantomachie : « Qno /u(/is Ence-
lade? quasciimqiie accesseris oras, sub love semper eris (1). La rosée
du Seigneur selon la fiction poétique l'emporte sur toutes les herlx's
de Pa^onie pour vivifier le corps des morts (2). Quant au nec mediri
suscitabiint, il condamne les fables des poètes qui vantent la résur-
rection de Virbius par Ksculape (3).
Saint JérAme est assez modéré dans l'emploi du symbolisme des
nombres. Nous n'avons rencontré au cours de son commentaire que
quatre considérations sur ce thème, dont trois dans son second livre.
11 relève on passant l'ox-cellcnce des nombres 7, rJO, 50 et 100. Par

contre, il préfère émailler son exégèse de notes linguistiques qui lui


semblent un travail plus sérieux et autrement solide. Il serait fasti-
dieux de les énumérer ici; contentons-nous de citer sa remarque sur
le -yr/'tpT/ LXX à traduire le "la hébreu de xiv, 1, signi-
qui sert aux
fiant le prosélyte ou rétrangcr. Gioras n'est donc pas un mot grec,
mais un nom hébreu décliné à la grecque, quoique certains, ignorant
l'hébreu, ont essayé de rexpli(|uer par une étymologie grectjue. Pour
eux ce nom désigne un honuiie attaché à la culture de la terre, car
\'f, signifie la terre, et /opa la sollicitude! En commentant le chap. xxx,

Jérôme reprend Porphyre sur une mauvaise intelligence de l'hébreu.


Celui-ci voulait retrouver la bourgade de Modin dans un terme indi-
quant la force do hiou 'V). Ce que nous avons dit de la controverse

cf tctnphiui, fie iiobilcs i riiuniscriuil . ni l'.mii/ihi m rniiKHi.i inhis, (/ii;i\ iriitrnfilius


Callis. palririos et /lorem inventufi.'< in arre scrravil.

(1; Début «le XXVII.


(2) Jn xwi, 19.
!'.i) In \xvi. 14. Virgile fst «ilé au v\\n\>. mm à propos du rullo des animaux (lorissanl
en K^yple : Dp (/iiiliiis cf \'ir(jilius : OiiDiu/r/iiiiiu/iif Diinu iiioiislrn rt Inlintar Ami-
liis.

'/t. Au <liap. M. .Icrôiiie (omlial les éruilits irinliti Ih lir.inruin qui |nrisciil (|iic li-

texte 'II' S. Mallliieu Quonimn \(iziir,riis voinhilnr esl tiré du ?'»;•</« de radier Jcssr.
en 8C plai anl au jioinl de vue lin;;ui>lique : >ird scitndiim (/uod liir "ly;. prr y litlernin
MKLANGES. 219

de l'apologiste chrétien avec les Juifs a mis suffisaminent en lumière


sa connaissance de la littérature hébraïque de basse époque et des tra-
ditions propres aux scribes et aux zfj-zpi',)~x'. dont il trouve la con-
damnation dans les oracles prophétiques. Au dire des Nazaréens, qui
admettent le Christ sans renoncer aux prescriptions de la Loi, les
deux familles dont il est c[uestion dans viii, IV, seraient celles de
Chanimaï et de HilleL d'où sont sortis les scribes et les pharisiens.
De leur école sort Akiba qu'on pense avoir été le maître d'Aquila le.
prosélyte. Après lui vient Méir auquel succéda Jochanan ben Zacchaï,
puis Éliézer, Dclphon, Joseph le Galiléen et Josué jusqu'à la captivité
de Jérusalem. Chammaï et Ilillel ne sont guère antérieurs à la nais-
sance du Seigneur. Nés en Judée, ils ont des noms qui signifient
« dissipateur » et « profane », de ce que, moyennant leurs traditions

profané les préceptes de la Loi. Deux


et cfj-zpMzt'.:, ils (mt dissipé et
maisons qui ont trouvé ruine et scandale dans le Sauveur qu'ils ont
repoussé. La tradition hébraïque suivant laquelle les trois jeunes
gens de la fournaise étaient eunuques et dont la mention se voit
dans le commentaire sur Daniel est de nouveau introduite dans l'exé-
gèse du chap. XXXIX, au verset 7 qui est d'ailleurs la source même
de cette opinion (1). En parlant de la tristesse de Jonas, Jérôme se
garde de soulever la question du kikajon, et laissant le lierre pour la
courge, se contente de noter ut cucurbita sive kikajon aruerit (2).
Il n'y a pas à douter que chez les Hébreux le Saint-Esprit soit désigné
par un nom féminin, lisons-nous au chap. xl; pour eux par exemple
la servante représente l'àme et la maîtresse l'Esprit-Saint dans ce
passage d'un psaume : Comme les yeux de la servante sont fixés sur
lesmains de sa maîtresse. L'évangile selon les Hébreux que lisent les
Nazaréens ne met-il pas dans la bouche du Seigneur ces mots Ma :

mère l'Esprit-Saint vient de m'enlever (3)? Et pourquoi se scanda-


liserait-on de voir l'Esprit du genre féminin en hébreu, quand notre

scrihalur : cums proprietatem et sonum inter z et s Latinus sermo non exprimit. Est
enim stridiilus, dentibus vix limjux impressione profertur, ex qua etiam
et strictis
Sion urbs scribitur. Porro Xazarm, quos LXX scuicii/icatos Symmac/ius separatos
transtulerunt, per 7 semper scribuntur elementum.
(1) Cf. RB., 1915, p. 492. Les Hébreux, note S. Jérôme au chap. i, prétendent que le

prophète Isaïe a été exécuté pour deux motifs, d'abord pour avoir traité les Juifs de
princes de Sodome et de peuple de Gomorrhe. ensuite pour avoir dit « J'ai vu le Seigneur :

assis surun trône élevé )\ en dépit de cette déclaration de l'Exode « Tu ne pourras voir :

ma face. » Une autre preuve que l'exégète consulte les Juifs est dans cette phrase sur le
chap. xxn « Referchat mihi HeOrœus prœsentem visionem non pertinere etc. »
:

(2) Cf. RB.. 191.5, p. 527.


(3) L'évangile selon les Hébreux revient encore à propos du début du chap. xi avec la
citation : Descendet snper eum omnis fons Spiritus sancti.
220 REVl K UlULinUK.

langue le lait masculin et le grec neutre? Il n'existe aucun sexe dans


la divinité.
Inutile de faire ressortir que la science du commentateur com-
prend non seulement toute la Bible dont les textes se pressent en
foule sous son calame, servant à d'innombrables rapprochements,
mais encore la littérature chrétienne. Il cite Clément Romain. Le
saphir et le jaspe de liv, 12, lui fournissent l'occasion de mentionner,
avant le très bel ouvrage de Pline le Jeune sur l'histoire naturelle, le

traité Utp\ >.{0(.)v de l'évêque Épiphane de sainte et vénérable mémoire.


Eusèbe et Origène ne sont pas négligés, comme on l'a vu plus haut.
H ne ménage pas non plus les éloges à Cyprien, le saint et très élo-
quent martyr, ni au confesseur Hilaire, arbres géants entrés dans la
construction de l'Église.
Renseifjnemcjits personnels et couleur locale. — Ce serait faire
injure à notre commentateur que de lui accorder une science pure-
ment livresque. Si nous l'entendons déclarer à plusieurs reprises qu'il
se rappelle avoir lu telle ou telle interprétation, legisse me novi, nous
constatons également qu'il de sa langue, de ses oreilles et
s'est servi

de ses yeux en chercheur avisé et indépendant. Une difficulté sur


XIX, 6 le conduit à consulter des érudits sur le roseau, le jonc et le
papyrus et ce sont des Égyptiens qui lui donnent une réponse satis-
faisante]). Décrire Babylone d'après Hérodote et d'autres anciens
auteurs ne le contente pas pleinement. Aussi bien questionnc-t-il sur
l'état actuel des ruines de la fameuse cité un moine de Jérusalem
originaire de l'Élam. Celui-ci lui raconte que l'endroit est devenu
une des grandes chasses du roi de Perse et que l'enceinte est si vaste
qu'elle renferme une quantité de bétes de tout genre (2). Ar-Moab a
été dévastée pendant la nuit (xv, 1). Il s'agit d'Aréopolis dont le nom
comprend un élément hébreu et une finale grecque. « Un Aréopolite
m'a appris, ajoute 1 exégète, et d'ailleurs toute la ville en est témoin,
que tous les murs de cette localité furent renversés la nuit du grand
tremblement de terre qui eut lieu <lans mon enfance et (|u'acconi-
pagna un raz de marée (3). »
La descri[)tion de la taupe et de la chauve-souris vers la lin du I"
livre, que ne désavouerait pas un bon naturaliste, semble bien le lé-
sultat de son observation personnelle, de môme (jue sa digression .sur

1 Cunii/ite ni) crudiUs rjui reiem, quid hic serino sigiii/icarct, audiri aO .l.ijijjitns...

i'I) l'in Un cliap. Mil : fratre Elamita, qui de illis finihus


Didicimiis a (fiiodani
eijrc'lirns nunc Hieriixoltiinis rihim rrigit inonacliorum... Voir an dinj'. wii le Icxtc
déjà cile livfrrebal viihi llebrrus...
(3) Audiri qurindfiin Arropolilrin . sed il uitinis vivilas tcsiia rst...
Mlil.ANGliS. 221

les diverses uuancos du jaspe et les qualités du Ijois de s'uiitn. Celui-ci

est une sorte de bois naissant au désert, assez semblable à Taubé-


pine. Il servit à construire larclic et le tabernacle. Incorruptible et
léger, il leniporte sur tous les bois de la mémo espèce en solidité et
en éclat. Parlo-t-il des ouvrages composant la défense avancée dun
camp, des demeures aux lambris somptueux, aux revêtements de
marbre qui insultent à Tindigence des pauvres mourant faute d'abri,
des miséreux qui grappillent dans les vignes après la vendange ou que
les traites de l'usurier dévorent, autant de détails que saint Jérôme
n"a pas puisés dans les livres. Nous aimons à retrouver dans plusieurs
de ses notes le palestinien d'adoption. Ici cest l'àne qui porte les far-
deaux et tempère en marchant la fatigue de l'homme. Là ce sont les
gardiens des vergers ou des vignes avec leurs modestes abris de
branchage d'où, garantis des ardeurs du soleil, ils guettent les ma-
raudeurs et les bestioles c{ui menacent les fruits naissants. La récolte
faite, les g-ardiens se retirent, ne laissant plus qu'une cabane de

branches desséchées et vide. Pour peu que l'on ait vécu en Palestine,
on sentira toute la vérité de ce petit tableau ainsi que celle des
usages suivants. La rareté des prairies et du foin oblige les Pales-
tiniens et beaucoup d'Orientaux à préparer la paille pour en faire
l'aliment des animaux (1. Ils la brisent au moyen d'un traîneau
muni de roues chaume et l'émiettent. Le
dentelées qui broient le
fellah de nos jours use du même
procédé quoique l'instrument dont
il se sert soit souvent plus rudimentaire. Tandis que le gith et le cumin,

plantes plus fragiles, sont battus au fléau, la paille de froment est


brisée par le broyeur traîné sur les g-erbes déliées. Mais, dira quel-
qu'un, puisqu question du sabot des chevaux fxxviii, 27), le
il est
prophète ne ferait-il pas allusion aux troupeaux de juments qu'on
lâche sur les aires pour piétiner le blé? Non, réplique saint Jérôme,
l'Écriture ne pouvait dire une pareille chose, le pays de .Judée étant
dépourvu de quadrupèdes (2). Lorsque l'interprète est
cette sorte de
amené par son costume des filles de Sion au
texte à détailler le
chap. III. il relève que de son temps encore les femmes d'Arabie et
de Mésopotamie se couvrent du voile appelé theristnim, bien fait
pour garantir de la forte chaleur de l'été 3).
L'homme d'Occident reparaît de temps à autre pour protester
contre une injuste accusation ou mentionner en passant un usage de

(1) Jn x\v, 10 : Hoc iiixta ritum loquitur Palestine, et multarum Orlentis provin-
ciarum, qux ob pratorum et fœni penuriam, paleas préparant esxti animantium.
(2) .Serf non pote rat scriptura dicere, quod Judica provincia non liabebat.
[Z] Et hodie quoque Arabix et Mesopotami.i operiuntur feminn...
2-22 REVLt: lîllîLlOLE.

l'Église latine. «Prenons garde, écrit-il à propos de m, 12, drtre


des exacteiirs parmi le peuple, de laisser un sénat de matrones et de
femmes dominer les églises, comme nous le reproche l'impie Por-
phyre, de permettre à l'élémcut féminin de se prononcer en ma-
et
tière de dignité sacerdotale. » La mention du viii et du lait dans lv, 1,
ofl're au commentateur l'occasion de rappeler le rite observé dans

les églises d'Occident jusqu'à son époque de donuer à boire aux nou-
veaux baptisés le vin et le lait qui symbolise l'innocence. Ailleurs
nous apprenons les diverses acceptions du mot /y.'^z-zily. dans le
monde ecclésiastique et l'usage de fléchir le genou devant le Christ.
Les notices géographiques de saint Jérôme ne sont pas toutes de
premièie main. Bien qu'il ait parcouru l'Lgyptc et une partie de
l'Orient, on ne saurait exiger de lui une connaissance directe de tous
Sans parler du tableau ethnologicjue esquissé
les lieux qu'il décrit.
au livre XVIII, on est en droit de douter qu'il ait visité l'Arménie
quand il raconte que l'Ararat est une plaine d'une incroyable fertilité,
arrosée par l'Araxes, au pied du Taurus. D'où il conclut que l'arche
s'est arrêtée non pas sur les monts de l'Arménie, mais sur les plus
hauts sommets du Taurus qui surplombent les campagnes d'Ararat (1).
iMais nous pouvons affirmer que .lérome a vu lorsqu'il nous dit que

Tyr, cmporium de l'univers, tire ses ressources de son commerce ma-


ritime plutôt que du sol de son territoire qui est fort restreint, limité
par la (ialilée et le pays de Damas (2), et lorsqu'il nous parle des
sept branches du Nil et du lac Mareotis.
Iléliopolis est, comme il ressort clairement de xix, lî», une des
la langue de Ca7iaan. Les autres sont à cher-
cinq villes qui parlent
cber près de Rhinocorure et du mont Casius. On y parlait encore
aramèon au temps de saint Jérôme qui rapporte en outre que les
populations voisines pensaient que des Arabes et des Syriens y avaient
été transplantés par Nabuchodonosor 3). C'est dans ce sens (jue l'on f

peut admettre que la langue de Canaan tient le milieu entre l'hébreu

et l'égyptien, ce qui ne se soutient pas avec les |»rin(ipes de l'étude

(1) //) wvMi. ArarnI nutem rcgio in Armenin campeatris esl prr quam Ara.rrs
3« :

rndires Tauri ?nontis, qui usf/ue illuc rxtenditvr.


finit incrrdibilis iihrrlads. ail
(2) In xMii, 2 Tyrum ner/atinfione gaudere. cl lolius orbis cmporium et pr.Tsendn
:

lenipora probant... Nemo rst i/ui dubitel. ncr latilas fiabcl opes ipsa urbs de terra
rerjiouis su.i qu.i vnlde augusta rst, et GalUe.i Damasci /inibus premitur. quantas
.

de sulivectione navium.
(3; la XI M, Jérôme Jonin' un aperçu de ()iioiii.i>li(|iie
I t'^^yiilicnne : yam et /ilerai/ue

oppiilii eorum ex bestiis et in mentis habent nomma a cane, Xewv n leone.


: xuvoV/
O(xovt; linfjua Aegi/ptia, ab hirro. /-Jxwv a lupo, ut taceam de formidoloso et liorribile
cèpe et rre/iitu vrniris in/lati, i/u.i l'elusiaca retigio est.
MEI,AN(;ES. 223

des langues. Nous aurions foit tFarger sur un thème développé


d'ailleurs par l'cxégète suivant les règles de l'interprétation mysti-
que. Le même point de vue le guide dans l'explication de cette locu-
tiou : descendre en Egypte : Descendre en Egypte c'est quitter la
haute Jérusalem pour les bas-fonds; aller à Jéricho (|ui est une autre
Egypte, c'est s'exposer aux attaques des brigands. Il faut avouer que
cette tropologie repose sur des réalités géographiques. D'un côté la
Judée a pour limite un vrai fleuve, de l'autre un torrent ([iii coule
des eaux troubles et temporaires. Les Septante, exprimant le sens plutôt
que les mots de l'Ecriture, remplacent le torrent par Rhinocorure,
bourg situé sur les confins de la Palestine et de l'Egypte. Jérôme
connaît aussi le Garmel sur la limite de la Palestine et de la Phénicie,
dominant Ptolémaïs, et couvert de bois. Il connait Saron aux abords
de Joppé et de Lydda, région où s'étendent des plaines vastes et
fertiles fournissant aux troupeaux une riche pâture. Il refuse de
reconnaître au cliap, xlix la Jérusalem de Palestine, parce que « cette
région est la pire de toute la province. Elle est hérissée de monta-
gnes rocheuses, elle souffre de la sécheresse au point; qu'on use de
l'eau des pluies et la rareté des sources est compensée par la construc-
tion des citernes ». Voilà qui est d'un homme accoutumé à vivre en
Terre Promise. La description classique de Siloé le manifeste égale-
ment. Que la fontaine de Siloé est au pied du mont Sion cette source
«

qui jaillit par intermittence à certaines heures et à certains jours et


arrive avec un grand bruit par des souterrains et des cavernes d'un
roc très dur, c'est ce dont nous ne pouvons douter, nous surtout qui
habitons cette province (1). » Sion se présente dans ce commentaire
avec les gloses que saint Jérôme lui applique partout ailleurs. C'est le
mont sur lequel la ville de Jérusalem est fondée avec son Temple.
Il y a peu de chose à tirer des considérations de l'exégète sur Bahan

et Ophel, sur les piscines inférieure et supérieure, sur l'application


eusébienne de la vallée des gras d'Ephraïm à Gethsémani.

Nous n'avons pas à revenir sur ce que nous avons marqué dans
l'historique du Saint-Sépulcre touchant la substitution de sepulchrum
à requies dans xi, 10. En vertu des droits de l'allégorie, saint Jérôme
ne craint pas de rapporter au tombeau du Sauveur la métaphore du
roc taillé et de la carrière du chapitre li. Mais on aurait tort de con-
fondre le sens mystique avec la crédulité. Les degrés de la maison
d'Ézéchias que les montreurs de lieux saints indiquaient dans l'en-
ceinte du Temple et dont pouvait s'émerveiller le Pèlerin de Bor-

(1) In VIII, (i.


224 KLVIE Bini.KjUE.

deaiix, notre commentateur se refuse à en admettre rauthciiticitr. 11

se plait en revanche à reconnaître Icilet de cette l)én(''(liction do \i\,


25 sur l'Egypte et l'Assyrie « Mon peuple d'Egypte est béni, l'Assy-
:

rien est l'ouvrage de mes mains ». dans les légions de moiues vivant

dans ces contrées et dont Éthérie voyait un grand nombre accourir


à Jérusalem pour prendre part aux fêtes de la Dédicace de la basili(jue
constantinienne. Cette aftluence est le résultat de la bénédiction parti-
culière d'Israël à qui le Christ a laissé en héritage les lieux de la Nati-
vité, de la Croix, de la Hésurrection et de l'Ascension aux(|uels on
se rend de toutes les parties du monde. La vie des nomades qui
avaient l'audace d'inquiéter parfois la paisible Bethléem est bien
saisie par le solitaire dont la vie laborieuse s'écoulait à l'ombre du
sanctuaire de la Nativité. Le Sarrasin habite sous la tente et campe au
lieu oîi la nuit le surprend; le bétail, les moutons, les troupeaux de
chameaux font sa richesse; il n'a ni porte, ni verrou, ne fréquente
pas les villes, mais vit au désert.
Ces quelques considérations (jue nous a suggérées la lecture de ce
commentaire sont loin d'épuiser le sujet. Elles suffiront cependant à
accuser le caractère de cette œuvre, ses défauts comme ses qualités.
L'exégèse historique y man(juo de cette pi-écisiou qu'elle a acquise
surtout en ces derniers temps giAce aux découvertes faites sur divers
points de l'Orient. Les problèmes de linguistique ne sont pas toujours
résolus suivant des principes bien sûrs, et la suite de l'interprétation
littérale souffre d'êtreinterrompue si fréquemment par des digres-
sions qui nous éloignent du sujet. Néanmoins nous excusons d'autant
plus volontiers lenchevètrement qui en résulte que ces excursions
hors du sujet rapportent une foule de renseignements, butin apprécié
des historiens et des archéologues. Pour être juste d'ailleurs, pla(M»ns-
410US en face des diflicultés avec lesquelles saint Jérôme était aux
prises et au point de vue qu'il envisageait en faisant omvrc de sco-
liaste chrétien. Il avait d'une part <ï se dégager des influences de
l'exégèse ullra-allég-orique des Alexandrins qui furent ses maîtres,
sans abandonner cf)mplètcraeDt ce domaine sons jteine d indisposer
son public. Tout le monde sans doute m- <h!'s;iiiM( la |)as devant de
telles concessions. Il le sait, .\ussi commence-t-il le prolo::ue ilu

\r livre par* cette [)hr.'ise : « ïtijj'n ilr, iiwt im/iossibilc rst plnrirr
(iinnibiis ; ticc huila rii/liiiini (jiumtfi st'nlciil\(iiiini ilivrrs'ild^ csl . » Kii

inclinant plus résolument du côt('' de l'exégèse littérale, en améliorant


son texte d'après les travaux criti(iues de rêcolc (h; (>ésarée. en justi-
fiant sa traduction à lui, Jérôme
un prc'curseur. Il a tracé la voic^
est
au\ commentateurs inodcnirs. Mais pcrdi-e de \ur- le rôle d'apoio,::iste
MLiLANGliS. 2->;

et de moraliste dont se doublait alors tout excgôtc, il ne le pouvait sans


se mettre en contradiction avec les principes exposés dans ses pré-
faces et avec le but poursuivi par tout interprète chrétien. Il nous
serait plus facile de développer ces conclusions s'il nous était possi-
ble de consulter les études excellentes que nous savons avoir été
publiées sur saint Jérôme. Faute d'une bibliothèque, nous sommes
obligé de nous restreindre à ces observations toutes personnelles. On
voudra bien excuser la pauvreté de notre information en attendant
les jours plus sereins où les peuples « forgeront de leurs épées des
socs de charrue et feront des faux do leurs lances », /.s\ n, ï.

25 mars 1916.

F. -M. Abel.

LA VULGATE LATINE DE L'ÉPITRE AUX ROMAINS


ET LE TEXTE GREC

Le Commentaire de lÉpître aux Romains qui vient de paraître dans


lesÉtudes bibliques était terminé avant la guerre. Je n'avais point à
prendre parti sur la question des origines de la Vulgate latine. Mais
jetais naturellement obligé d'étudier les relations de cette traduction
avec l'original grec. Ce que je présen'e ici n'est guère qu'un tableau
synoptique des faits; j'ai choisi les plus importants pour que la phy-
sionomie s'en dégage mieux.
L'authenticité de notre version ecclésiastique, décrétée par le Con-
cile de Trente, suppose que cette version rend bien pour la substance
le texte original. Mais cette fidélité substantielle n'exclut pas de nom-
breuses divergences dans le détail. Ces divergences ont été mises
dans le relief le plus saisissant par le R. P. Cornely, dans son Com-
mentaire de l'Épitre aux Romains, ouvrage vraiment classique, et où
personne n'a jamais noté des tendances trop larges ou des libertés
suspectes. Le docte professeur Grégorienne s'est
d^^ l'université
en latin tout le texte grec,
astreint au devoir délicat de retra luire
si bien qu'on pourrait très aisément extraire de son ouvrage une

traduction nouvelle. Loin de le dépisser dans sa critique du texte


de la Vulgate, notre propre commentaire reviendrait plutôt sur cer-
tains jugements trop sévères.
REVUE BIBLIQUE 1916. — N. S., T. XIII. 15
22G m-viiK BiiM.inn:.

Or, depuis qu'a paru le travail du P. Cornolx il scst produit dans


,

le domaine de la critique des événements très importants qui font


entrer la question dans une voie nouvelle.
Les nouveautés no se sont pas produites du coté du texte grec.
Mais c'est tout de même un résultat fort appréciable que la confirma-
tion du texte critique qui était en train de prévaloir au temps du
V. Cornelv. Après les travaux de von Soden, on peut estimer que ce
texte est solidement établi. Ces travaux, en eil'et, du moins pour ce qui
concerne saint Paul, ne font que ratifier l'état des choses que les édi-
si largement connaître. Si, pour le texte de
tions de iNestle avaient fait
l'Épitre aux Uomains, il reste encore quelques points douteux, il y
aura lieu de les réserver dans l'attitude à prendi-e par rapport à la
Vulgate latine, mais, cette réserve faite, on pourra, sans doute raison-
nable, tenir pour assuré le texte original. Nous possédons donc le
texte auquel il est désirable que la traduction latine ressemble le

plus possible.
Du côté du texte latin l'apparition d'une édition critique M) inau-
gure une phase nouvelle. A ne juger de cette édition <|ue par sa rela-
tion avec le texte grec, elle constitue une amélioration considérable.
Que l'on repasse les critiques du P. Gornely contre la Vulgate Clé-
mentine, on s'apercevra que, dans des cas très nombreux, elles ne
porteraient pas contre le texte de MM. Wordsworth et White, Est-ce
à dire que ce texte soit parfait?
La question peut être envisagée de deux façons. L'édition critique
peut encore être perfectionnée, soit en mettant en œuvre des manus-
crits plus nombreux, soit en les collationnant plus complètement et
plus judicieusement.
Les éditeurs anglais ont eu l'intention de ])ublier la revision qu'ils
croyaient être celle de saint Jérôme, d'après les manuscrits <{ui la
contenaient et qu'ils nomment donc hiéronymiens. La commission
bénédictine nommée par le Saint-Siège a eu plus libre accès auprès
de certaine.^ bii>liothèques: eUe a l'avantage de se servir d'un travail
déjà excellent; et c'est ici surtout (pic dirs dicni docc.l. Tout fait donc

espérer <jue le résultat critique obtenu sera encore suj>érieur.


Cependant les variations possibles sont contenues dans certaines
limites assez étroites. Il est impossible d'imaginer (ju'unc nouvelle
'dilion laite (l'après le même groupe de manuscrits puisse rapprocher

1, \\'oRns\\<>RTii cl NN iiiTK, .\oriim Tcsiamcnhim Doinini nastn Ir.iit Chrisli hiliitr


secundnin cdilinnein saiirti Uirronifini, l'arlis srcuiidac fasciculu^ priiniis, L/iisliila nd
Komanos, Oxonii, 19i:j. — V.tlilio nniior' lUi .N.T., par While.
Mb:i,ANGKS. 227

la Viilgato latine ôa gvec ])eaucoiii) plus que rédition de Words-


^vo^th-^Vhite.
En tout cas on peut dès à présent, et pour le stage où nous sommes,
mesurer le point où en sont les diverj^ences entre le latin et le grec.
hautant que si l'édition anglaise marque un rapprochement consi-
dérable, elle se trouve, j'ose le dire, en recul dans certains cas, quant
il lexactitude de la traduction. Et c'est la seconde manière d'envi-
sager cette édition, un point fort important pour lusage ecclé-
siastique et théologique. De sorte que la question se pose inélucta-
blement d'une re vision de la Vulgate qui serait autre chose qu'une
simple édition critique d'après un groupe de manuscrits.
La Reviif biblique a déjà indiqué très nettement ce point de vue 1 ). (

Quel que soit l'intérêt des travaux^ critiques auxquels se livrent des
savants consciencieux sous la direction de Son Éminence le cardinal
Gasquet, il y a encore pour l'Eglise un intérêt supérieur, c'est que la
version officielle de l'Eglise latine soit aussi parfaite que le permet
l'humaine fragilité. Une retouche dans ce sens est-elle dans les pou-
voirs de la Commission créée par Pie X? Cela n'a point été dit encore.
Mais elle est certainement dans les attributions du Siège .\postolique.
Nous n'avons d'autre prétention ici que de marquer où en sont les
faits.

Il va sans dire que les changements en question ne touchent en


rien aux principes du dogme et de la morale. Le conflit ne se pose
nulle part entre le texte grec authentique inspiré et l'enseignement
catholique. Et nous ne prétendons pas non plus trancher des problè-
mes fort délicats —
peu importants
et —
d'orthographe latine. Les
notes qui suivent sont uniquement relatives au sens. Ce que l'Église a
déclaré authentique, ce n'est point l'œuvre de tel ou tel traducteur,
la revision de tel ou tel éditeur c'est une version consacrée par
;

l'usage ecclésiastique. S'il était difficile de la déterminer exactement


au temps du Concile de Trente, il est évident aujourd'hui que la
Yulgate Clémentine contient bien cette version. L'édition projetée des
Bénédictins lui fera subir d'importantes modifications. Sera-t-ii à pro-
pos, pour se conformer à l'autorité d'un groupe de manuscrits, de
s'écarter d'une leçon clémentine plus conforme au grec? Oui, si l'on
fait l'édition critique d'une revision. Mais quel serait l'avantage pour
les théologiens et les lecteurs de la Bible de s'écarter du sens origi-
nal? Que si l'on préfère dans ce cas suivre le texte original, on a posé
un principe fécond en conséquences. Pourquoi ne pas renoncer à la

(1) RB., 1908, p. Iu2 ss.


228 RKVUE BIBLIQL'K.

révision dite hicronyniieiine, même sans l'appui do la Vulgate Clé-


mentine, lorsqu'il est critiquement certain qu'elle s'écarte du sens
précis de saint Paul?
Ce sont ces cas quil faudra discuter, sous l'autorité compétente.
Les faits nouveaux que nous venons de citer, l'impulsion donnée par
le Saint-Siège aux études sur la Vulgate rendent cet examen encore

plus opportun qu'au temps du P. Cornely.

N'ayant en vue que les différences de sens, nous ne noterons pas


les variantes dans l'ordre des mots, ni les corrections possibles à cet

égard.
Nous ne noterons pas davantage les divergences dans l'orthogra-
phe praescivit, exivit {y^.-ÇXém.) ou praesciit, exiit (WW.); dimi-
:

nulio, pinr/uedinis fVg.-Clém.), demimitio, pingiddinis (WW.).


Nous ne relevons même pas iis ou his, eorum ou il/oriim, quod pour
quia, ni le verbe est que la Vulgate Clémentine ajoute souvent pour
la clarté, ni ce qui toucherait seulement à l'élégance latine.

Une première comprend tous les cas où Wordsworth-White


liste

(ïl'ïr.)se sont rapprochés du grec, c'est-à-dire tous les cas où la


Vulgate Clémentine [Clém.) est améliorée comme traduction par un
simple procédé di|)lomatique qui reconstitue l'état primitif do la

revision (jui est devenue la Vulgate.


Une seconde liste comprend les cas où l'édition anglaise, plus
parfaite peut-être comme éditiou critique, cest-à-dire plus sembla-
ble au type suggéré par les manuscrits, ce que nous ne voulons ni ne
pouvons discuter, s'écarte cependant du texte grec ou du sens qu'il
suggère avec plus ou moins de certitude.
La troisième lisle comj)rend les cas où la Vulgate (Vg.), dans son
état commun
A l'édition Clémentine et à l'édition anglaise, paraît
s'écarter plusou moins du sens du texte primitif. Si nous indiquons
ces cas en suggérant un autie texte, parfois avec saint .léiônie lui-
même, ce n'est pas sans garder le sentiment très vif de notie inciun-
pétence en pai'eille matière. Aussi bien nous ne pioposous aucune
solution vi'aiment personnelle: il ne saisit (jue de grouper ce qui a
été fl«''jà dit.

Ahrêiialions et sifjles. Om. sii;nifi<' que H'II'. omettent tel ou Ids


mots: dcl. (jue tel ou tels mots seraient à raxei-dans la Vuluate (\\r-
MKr.ANT.ES. 229

mentinc; add. que tel mot est en plus dans WW. ou serait à ajouter
à la Vulgate. Le mot placé devant 1. iloco) est celui que WW.
mettent
i\ la place de celui qui suitl. Le mot de la Vulgate placé devant un
trait ( — )
pourrait être remplacé par celui qui suit ce signe; a., ante;
p., post. 1" pour primo loco, etc.

Première liste.

Cas où le texte de Wordsworlh et White se rapproche du texte


grec critique et, à ce qiiil semble, du sens de l'original.
1, 18 om. Dei après veritatem.
— 25 mendacio 1. mendaciiun.
— 28 om. ea.
— 32 om. et om. qui 3° et 4°; mettre et 1. etiam, de sorte que
1*',

le latin rend fidèlement le grec certain non solum ea :

faciunt sed et consentiunt facientibus, 1. non solum qui ea


faciunt, sed etiam qui consentiunt facientibus.
n, 1 qui 1. quae {iudicas).
— V ignorans 1. ignoras, qui nécessite une autre coupure.
— T quaerentibus 1. quaeimnt, mais alors supprimer qui a. secun-
dum.
— 12 add. et a. peribunt.
— 21 et 22 add. des points d'interrogation.
— 2i om. la parenthèse.
— 27 om. id. et le point d'interrogation à la fin.

m, G om. Inmc.
— 8 om. la parenthèse et add. un point d'interrogation après
bona.
— 9 igitur 1. ergo.
— 22 om. in eum.
— 26 om. Christi.
— 30 iustificabit 1. iustificat.
IV, 5 om. secundum proiiositum gratiae Dei.
— 8 imputabit 1. imputavit.
— 9 om. tantum manet.
— 16 ut secundum gratiam, ut jirnia sit, 1. ut secundum gratiam
firma sit.

— 17 om. ea p. vocat.
— 18 om. ei.

— 19 om. est, nec, par conséquent : et non infirmaïus fide con-


sideravitiam ; om. iam.
230 REVUK BIBLIQUE.

IV, *23 om. ad iits/i/ l'an).

— 'Ih C/iristum.
V, 1 ir/ilur 1. erfjo.
— 2 fuie 1. pcr fidem : om. f'ilioriuii

— 8 in nos 1. m nobis ; om.. secimdum teuqnis.


— 13 impulafurX. imputabatur ; est J. esset.
— 16 po' unum peccantem 1. per iimun peccalum.
— 21 m morte 1. in mortem.
VI, 6 ?// 1. et.

— 10 Ponctuer quud mini niortuus


: est, peccato mortuus est semel.
— Il om. Domino nosiro.
— 21 om. /// IIUh.
VII, (i a lege, morientes in quo delinebamur 1. a leije niortis in
qiia delinebamur.
— 15 om. bonum et malum.
VIII, 7 ininiicitia est in Deum 1. inimica est Deo.
— 10 vita 1. vivit.
— 16 om. enim.
— 20 om. eam; in spem 1. in spe.
— 23 om. Dci.
— 32 donahit 1. donavit.
— 35 om. ergo ; om. persecutio.
— 3() om. les parenthèses.
— 38 om. nefjiie virtutes; fortitudinesX. fort itndo.
i\, i test amen ta 1. testament um.
— 7 neqae quia 1. neque qui.
— 10 om. illaj ex uno eoncubilnni 1. e.r inio concuhilu: [Isaac)
pâtre nostro pat ris nostri.
1.

— 31 secta/is 1. sectando.
— 32 om. enim.
\, 7 e.r 1. a.
— 8 om. Scripiura.
10 iti salutem 1. ad salaient.
— 16 oboedieruni I. nhcHunl.
XI, \ om. a nie i\. l'uni I.

— 5 om. salrae.
2(» (ivertel 1. arertal : inpietates 1. i)npietatrm.
Ml. 1 placens [. benejilacrn.s.
— r» om. vos p. perseqnenlibus; le texte ,L;Tec est douteux.
XIII, 5 et 1. etiam.
— 7 om. erqo.
MKLANGKS. 231

xm. om. nuit faisum testimoniimi dices.


\iv, 2 OUI. se a. nianducart'.
— 10 /V/ 1. Christi.
— Il fh'clet 1. flectetnr.
— 21 off'endit 1. nffemlilur.
\v, 9 propicr hoc \. proptcrca: oin. domine.
— 12 //? eo 1. in cuni.
— 10 om. et a. sanctificata.
— 18 effecit 1. e/^cvV
— 22 om. et prohibitus sum usque adhiic.
— 29 om. evangclii.
— 30 0111. sancti et vestris.
\vi, i om. la parenthèse.
— 9 om. Jesu
— 10 om. do))io.
— 11 om. domo.
— 14 Hermen et Hermam 1. Hermam et Hermen.
— 20 conteret 1. conterai.
— 23 Gains 1. Caius; universae ecclesiae 1. wiiversa ecclesia.
— 2V om. le serset.

Deuxième liste.

Cas où le texte de Wordsworth- Wliite rend moins bien le sens du


grec que celui de la Vulgate Clémentine.
I, 28 in notitiani 1. in notifia.
II, 15 Cogitationutn accusantium aut etiam defendenlium semble
plus rapproché du grec, mais le génitif n'est qu'un calque
maladroit qui ne vaut pas la leçon : cogitationihus accu-
santibus aut etiam dcfenclentibus.
in. 9 L'editio minor ne met qu'un point d'interrogation, après
eos; Glém. en met deux, avec raison.
— 22 om. in omnes et ; la vraie correction consisterait à omettre
et super omnes.
V, 15 in gratiani 1. in gratia.
— 16 om. quidem qui répond à ;j.£v.

— 17 Dans in uni us delicto, l'addition de in s'éloigne du grec et


du sens.
VI, 15 peccavimus 1. peccabinius (à[j.aprf,7a);x3v), qu'on pourrait
remplacer par pcccemiis, mais peccavimus est un contre-
sens.
032 REVUE BIBLIQUE.

VI, H» om. ad mortrm, qui est certain d'après le grec, et exigé


pour le parallélisme.
— 17 in qua 1. in qua)n.
— 2.'î eniin 1. autcm.
vu, \ fructificaremus n'améliore pas fructiflcemiis.
— 13 W éd. minor ponctue Quod ergo bonum est mi/ii, factum
:

est mors?, ce (jui est moins bon que quod orgo honiim :

est, ynilii...

— 17 om. iatii (|ui avec non rend assez bien 'Jjy.i-<..

— 20 Même cas.

VIII, 3 legis 1. legi est en apparence plus littéral, mais ne va guère


avec impossibile ; il faudrait choisir entre invalidwn legis
ou impossihilf legi iCléni.).
— ii suni fdii Dei 1. fdii siinl Dei.
— -29 eins 1. sui.
— 32 om. proprio, qui figure avec raison dans Clém., seulement
il faudrait y supprimer suo.
i\, 22 aptata 1. (ifla est contestable
— 25 om. et non dilectam dilectam, qui répond au grec; ce qui
est à supprimer c'est plutôt et non niisei'icordiam consecu-
tam, misericordiani consecutam, avec Fuldensis secunda
manu.
X, G ascendit 1. ascendet introduit un contresens.
— 7 descendit \. descende! mivoàxùi un contresens.
— 9 e.Tcitavitl. suscilavit n'a pas grand inb'ivt.
— 20 om. a p. inronlus siim au détriment de la clarté.
XI, om. iani 1", alors qu'aussitôt après -Jy/.i-.i est rrndn iain
non.
— 19 dicis 1. dices.
— 2V OUI. y?// a. s7?c?mrf?/m Wû!////*f7;«, au détriment de la clarté.
XII, 10 rarilalrm 1. raritatc.

xiv, \ indices 1. indiens est plus élégant mais moins littéral.


— .")
OUI. (inlnii
— (> qui iiiniidiiKil honiino, niandncnl ,
ponctuation pins (ju'é-

trange.
— 9 add. et a. inortnns.
— 17 om. enini.

XVI, 2r) rf 27 coqniln, solo, (jni nr pont s'aj>pli(jM('i' (|n ;i Ihcn, crée
un conti'csi'us.
— 28 om. f't (florin, tandis ijn'il l;ui(li;iit snppiiiiicr //'/;jo/* ^/.

On voit «juc cett«^ liste («iiiticnt nn iritnin nonibrr de contresens


MKLANiJES. 233

évidents. Quel intérêt y aurait-il à en ^l'atifior l'édition ecclésiastique,


sous prétexte qu'ils tout partie d'une cerlaiue tradition diplomati([ue,
même s'il était constant qu'ils ont été insérés par un réviseur dont
l'œuvre a prévalu? Mais si l'on se refuse ù bon droit aune pareille opé-
ration, c'est donc qu'on met l'intérêt du sens au-dessus de ia repro-
duction critique d'une certaine tradition, fût-elle la plus autorisée. Et
dès lors, pouniuoi l'Ég-lise n'userait-elle pas de son droit pour préciser
le vrai sens dans d'autres cas où il n'est pas moins évident?

Troisième listk.

Cas où le texte de la Viilgate, commun à la Valgate Clémentine

4't à l'édition de Wordsworth-White, ne semble pas répondre assez


exactement au texte yrec.
I, 3 del. ei.

— i praedestinatus qu'on pourrait remplacer par defmitus, tra-


duction littérale qui laisserait le choix entre les idées de

constitutus et declaratus.
— lesu Christi Domini
i qui clairement pour lesu
nostri, est
Christo Domino nostro.
— 22 enim. del.
— desideria — in
2i. in desideriis.
— 29 repletos — repleti; àe\. fornicatione.
— 31 absque foedere.
del.
II,2 enim — autem, avec un certain doute..
— an — aut.
ï
— 8 non acquiescunt — non oboediunt, nuance; mais credunt
— oboediunt
— 19 add. et a. confidis.
— 2i per vos — propter vos.
— add. nam circutncisio
2.5 a. 1°.

m, illorum.
3 del.
— 7 suppose
ey<z;?z beaucoup moins probable que
--âp, ce.
— 9 del. eos.
— 22 Mettre une virgule non un point avant et iustitia.
— ±\ De même avant iustificati.
— 27 tua.
del.
— 29 an — aut.
IV, 3 reputatum est illi ad iustitiam est moins bon que deputa-
tum est eiiîi iustitiam de Tertullien [Monoy. vi).
— i imputalur — deputatur.
-2^'^ REVUK I51BLIOLE.

IV, 5 repiitalur — <lej)Utatur.


— 6 Mettre une virgule et non un point avant .sicul; accepta
fert — députât.
— 8 Au lieu de iinputavit (Clcm.) ou imputahit (AVW) — impu-
tarct ou députa re t.
— 1 1 qune est — çitae fucrcil ; ut repuletur et iUis ad tustitiain
— ut deputetur et illis in iustitiani.
— 1*2 sed et iis est une traduction littérale d'une erreur de co-
piste; il faudrait lire soit sed et ipsi, en supposant /.r.

ajTS'.ç, ou vennn etiam


en retranchant xz^z. ipsi,
— Hi non ci tjui... sed et ei qui —
non ei quod... sed et ei quod;
tanquant ea quae sunt —
tanquam sint ou ac si essent.
— 18 m spem in spe. —
— -20 /// reproniissione etiam ad promissionem autan. —
— 21 quaecumque — quae.
V, G utquid enim, comme s'il y avait v.z -.{ ",yz... — adhuc enim

— J l gloriamur — gloriantes.
— 12 del. hune n.. nnmdum.
— 15 plures — multos ; cï.w IG.
— 17 del. et a. iustitiae, important; < le don de la justice ».


-
20 delictum — peccatuni. 2"

VI, permanebimus — pernianoamus.


1

— An — aut:
;J Christo Jesu — Christ u/n Jesum; in morte
in in
— in morteni
— enim — igitur'
i. — suscitât as sitrrexit est
— ô simul — ita.

— 8 simul: cum
del. — cum VJiristo illo.

— dominabitur
1) — dominatur; resnrcjens ex morluis [CIrm.)
surgens a mortuis (WW) — suscitatus ex mortuis.
ov\

— 19 servire — serva ibis) (bis).

VII. 2 vive n alUgata


te viro, — viccnti rira gâta est legi ail i est

lege.
— 3 del. viri p. lege.
— 7 nesciebam est trop littéral — nescirem.
— 8 occasione antem accepta, pecralnm prr manda/um firra-

sione autem accepta prr mnnditlam pn ratum : cf. v. 11.


— 1.'{ appareat — apparerrt.
— 18 àQ\. invenio: prr/icerr nprrari.
— ±\\ repugnanicni Irgi — nulilanlrm adrcrsns Irgrm
— 2") gratia — gralia
1)ri rqo ipsr — rqo.
fteo: ipsc
'^'''>
MKI.ANCES.

Mil, 1 del. r/iii non secunduni carncni amhulant.


— 5 del. scntiunt.
— 10 proptcr iuslificalioiirni — propter iustitiam.
— 13 carnis — corporis.
— lô tinwre — t'imorem.
/?? in
— IG sph'itui nos/ro — una cum spiritu nostro.
— -2:] del. i/la.
— pro nobis.
-2() del.
— deA.sajicd cooperafi/iir moins ^vohohle que cooperatur.
:>8 ; est
— 20 nam — quoniam.
— qui 'l\ — qui
et resiirrexit sitsci/atiis est.

— 37 pi'opter eiim — per euin.


i\. optabam — optarcm.
3
— 8 insémine — semen. in
— add. -20 et a. ut.
— 2V mettre une virgule au lieu d'un point avant quos.
— add. 2.5 et a. sicut.
— Supprimer deux points après
2() les et erit.

— 27 — super. pi'u
— 28 in aequitate quia verbum breviatwn.
del. :

— .31 del. iustitiae '^°

— :}8 del. omnis.


X. l fit, ajouté pour la clarté, ne devrait pas séparer «c? Deum
de pro mis.
— 5 scripsit — se ri bit.
— 8 add. p. prope. te
— IV quomodo — quomodo aulem.
aiit
— 15 evangelizantium pacem.
del.
— 19 in irant vos mittam — exacerbabo vos.
— 21 ad — quod attinet ad; non credenteni — inoboedientetn.

XI, an — aut.
-2

— quaorebal — quaerit; excaecati — plutôt obtusi;


7 Cor. cf. II

m, li.
— del 1 1 SIC.
— 13 enim — autem; qnamdiu — quatenus; honorificabo —
honorifico.
— 15 amissio — abiectio.
— 10 delibatio — primiliae, selon l'usage ordinaire de Vg.
— 20 propter incredulitatem — incrcduUtate.
— 21 ne forte nec jjarcat — plus probablement nec
tibi tibt

parcet {Aug.) eu refusant •j.r, r.Mz.


236 HEVUE BIBLIQUE.

XI, '22 severitatem 2" — scveritas bonilah'ni — bonitas;[est); ai

pcrmanseris — prrmancas si on (si lit àiv è7ct;j.£VY;ç).

— 23 siperrnanserint — permaneant si on (si lit èàv i-iij.fvwsiv).


— 24 suac — propriae (F-).

— 25 caccitas — ohtusio (?); cl", xi, 7.


— 26 fierrt— del.
fiet; avertat. et a.
— 30 non credidistis — inoboedicntes fuistis; propter incredu-
litalem — inoboedientiam.
2)er
— 31 non credidenmt — inoboedicntes facti sunt; in vestram
misericordiam — per m.; add. niinc misericoi-
v. a.

diam.
— 32 omnia — omncs; in incrèdulitate [incredulitalem WW) —
in inoboedientiam.
— 33 add. et a. sapientiae.
— 30 m ipso — in ipsum.
XII, 1 ratioiiabile obsequium — ratio nabiiem cidtum.
— 2 del. vestri; bona, et beneplacens, et perfecta — plus pro-
bablement : Quod bonuni est, et placens et perfectum.
— 3 del. l't a. nnicuique
— 6 rationem — mensiirain.
— 17 del. non tantiim coram Deo sed etiam.
XIII, 2 acquirunt — acquirent.
— 3 boni operis, sed — bono operi sed malo.
tnali
— 5 necessitate subditi — necesse subditos
estote est esse.
— 6 servientes — persévérantes [Aiig.].
— 9 instauratur — rccapitidatur.
— 10 proximi — proximo.
— nos — vos plus probablement; propior
11 nostra sains — est

propius est /cdjis salu.s.


— 12 praecessit — abiiciaînus — deponamus.
pjrocessit ;
— 14 in desideriis — in desideria.
XIV, 1 in disceptationibus — in disceptalionrs.
— 2 manducet — manducat.
— 5 diem inter dicni — dieni plus quant dietn in suo sensu :

abundrt — in suo sensu rrrfus si t.

— î» — revixit.
resurrc.ril
— 12 reddet — du {Ct/pr).
bit
— IV confido — sum prr ipsum — per ipsum, important.
certtis ;
se
— U> nostrum — vestrtim.
— 19 secteynur — plutôt seclamur; del. custodiannis.
— 20 jicroffendinilum — cnm scandalo.
MKLAMiKS. 237

\iv, 23 i/isccrnif — hacsilat.


XV, 2 vesl.ru m — noslrum.
— 3 ete/iim — fia?)i et.

— 4. add. jtcr a. consolationem.


— 7 ItonorciH — fjloriani.
— 8 del. Jesuin.
— 9 super m/scricordia — pro muer cardia. i

— 12 e.rurget — cxurgit.
— 13 del. et a. virtute.

— 14 ego ipse — ipse ego: dilectione — bonitate; add. etiam a.


alterutrum.
— 15 del. fratres, plus probablement.
— 16 in genlibus — in génies.
— 17 gloriani — gloriationem; ad Dcum — in quae sunt Dei. vis

— 18 uudeo — ausim.
— 19 per circuitum — hoc per circuitum. et
— 20 hoc
del. evangelium; aedi/icarem — aedificem.
p.
— 23 ex multis iam praecedentibus awi's — a multis annis.
— 2i add. enim p. spero. On comprend cependant qu'une tra-
duction évite une anacoluthe aussi embarrassée.
— — autem; proficiscar — proficiscor.
25 igitur
— — communicationem.
26 collationem
— 30 ergo [Clém.) ou igitur (WW) — autem.
— 31 obsequii mei oblatio — ministerium meum [Fiddensis) in ;

lenisalem — guod Rierosoigmam defertur.


'— 32 ut veniam réfrigérer — ut veniens et réfrigérer. ....

XVI, 6 in vobis — in vos.


— 8 dilectissimum — dilectum [Fuldensis).
— 19 divulgata — permanavit; in vobis — de vobis; in bono
est
— inbonum; in malo — in malum.
— 26 eflacer parentlièse ciuod nunc patefactum — mani-
la ; est
autem nunc; add.
fesiati per Script uras; in cunctiset a.

genlibus — in omnes gentes; cogniti — patefacti.


— 27 honor gloria — gloria. et
On remarquera, d'aprèscette liste, que l'édition anglaise, qui a
retranché tantdinterpoIatioDS, en a laissé encore un certain nombre.
Beaucoup de cas sont relatifs à l'usage des prépositions; in avec
l'accusatif ou avec l'ablalif, souvent à tort. Ces erreurs ont peut-être
pour cause l'état de au temps du traducteur, mais
la langue latine
il est vraisemblable que beaucoup se sont produites dans la tradition
latine. Il en est de même du temps des verbes.
238 KEVl E BIBLIQUE.

On napcrroit comme traductions préférées systématiquement que


celles d'après lesquelles le Christ est ressuscité, au lieu cl avoir été
ressuscité.
Dans certains cas, la traduction latine rend un texte i;rcc qui n'était
pas le meilleur, du moins d'après les principes de critique qui ont
prévalu.
Les cas où, le texte étant le même, la traduction s'en écarle ne
sont pas très nombreux; quelques-uns sont fort importants pour le

sens, et ne pourraient être améliorés, semble-t-il, d'après les

seuls manuscrits.

Appkndice.

Les remarques f[iu précèdent l'ont complètement abstraction de


l'auteur du texte de la Vulgate latine. Elles ne touchent donc en
aucune façon la thèse de dom de liruyne, exposée dans le dernier numéro
de la lieriie. On ne peut nier cependant ({ue, s'il était avéré que
notre traduction latine de TÉpitre aux Romains n'est point l'œuvre
de saint .lérùme, on serait peut-être plus disposé à la corriger, ne
fût-ce que dans le sens indi(jué par saint Jérôme lui-même, sans
cependant s'en rapporter aveuglément à lui.
Dom de Bruyne n'a cité qu'un passage oii saint Jérôme s'est écarté
(le la leçon de la Vulgate; il est vrai que c'est le plus caractéristique,

puisque sa condamnation est formelle sans être bien motivée. —


C'est sur Rom. xii, 3 (1).

Voici d'autres passages. On regarde provisoirement comme le texte

de la tiadition manuscrite celui de Wordswortli-Whitc. Les textes


de saint Jérôme sont cités d'après la grande édition anglaise.
m, lî) snbdilus [Cli-m.) — Jér. II, 73() : oO/io.riits.

vil, ï fruclificaremus — Jér. II, 290 : fruclificcmns [Clnn.).


vil, G a loge, morientes in (/uo detinebamiir. — Jér. II, 29r) :

a Ic'f/e )no/'//s in qaa {CUhn.)


i\, i'I (ipLatd — Jér. I, 83."); VI, 11 : aitla \Clr)ii.j.
\i. l.> (ii/iissio — 98 abicctio.
[C/rm.) Jér. IV, :

\i. 28 carissimi — (Clfhjî.) Jér. : dilccti.

\ii, (»raliouoa — C. Jov.


ÎClf'm.) Dicn^nirani.
Jér., ii :

Mil, 9 instaura [Clém.) — Jér.: recapitnhilur.


liir

\iv, 2 )nanducet iCUhn.) — C. Jov. iï mandiical.


Jér., Ji, :

\iv, .")dion dion [Clnn.) —


intci' C. Jov. dicni Jér., ii, 1(» : piii^

fjKfnn diru}»

(1 /./;.. l'.Hô, |.. :!tl:!.


MKLA.NGES. 23'.»

XIV, IV pcr ipsii//) [Clcm.) — .lôr. C. Joe, ii, 1(1 :/>«"/• se ipstim.
XVI, 7 Iifiiiam [Clém.) — .1er. VII, 703 : Iuliayn.
Sauf ce dernier cas, qui est un nom propre, le cas de xii, 3 que
nous n'avons pas reproduit, et vir, 6, les traductions de saint Jérôme
sont supérieures à celles de la Vulgate, le doute n'étant possible (jui*

pour vil. \ et îx, ^i. Si Ion regarde la Vulgatede comme Fœuvre


saint .lérùme, pourqu(ti ne pas y accueillir celles de ses traductions
(jue la criti({ue jui:e plus conformes au sens du grec? Et si la Vulgate
était plus on moins l'œuvre de Pelage, pourquoi ne pas y introduire
de bonnes leçons empruntées à saint Jérôme?
Paris.
Fr. M.-J. LaG RANGE.

VI

LE NOUVEAU TESTAMENT ET LES DÉCOUVERTES MODERNES

De divers côtés se multiplient les découvertes archéologiques,


monuments, inscriptions, papyrus, qui A'iennent confirmer ou expli-
quer certains passages du Nouveau Testament. Les critiques emploient
avec bonheur ces découvertes pour faire ressortir la réalité histori-
que des faits jacontés. Parmi eux sest distingué Sir W. Ramsay qui.
par ses voyages en Asie Mineure, au cours desquels il a relevé de
nombreuses inscriptions, puis par ses ouvrages, où il a mis en œuvre
ses propres découvertes et celles dautrui, s'est placé au premier rana-
des savants qui se sont appliqués à tirer de ces documents des éclair-
cissements faisant mieux comprendre les écrits néotestamentaires.
Nous n'avons pas à raconter les voyages de Ramsay en Asie Mi-
neure, qui se sont poursuivis pendant vingt ans; il suffira de rap-

peler les ouvrages où il a consigné les études qu'ils lui ont suggé-
rées : The Cities and Bislioprics of PJirijgia, 1895-1897; St Patil the
Travellcr and the roman Citizen, 1895 ; The C.hurch in the Roman
Empire before A. D. I/O, 1893; A Commentani on St historical
Paid's Epistle ta the Galatiam, 1899; The Letters to the seven Chiir-
ches of Asia, 190i; Pauline and olher Studies in the lùstory of Reli-
gion, 1906; The Cities of St Paul, 1908; Luke, the phijsician and
other Studies, 1909; Was Christ born at Bethléem, 1898; Studies in
the History and Art of the eastern Roman Provinces, 1908; Pictures
aU) REVUE l^RLinLi:.

of (lie Àpostolic CImrch, lîMO; Thr firsl ChrUùan Cenlury, 19M ; The
Trachint/ of Paul in lenns of tlie présent dû)/, llM-2; Historical Coni-
menlani on the fwsl Epistle to Timothy dans The Exposifnr, 1909,
1910, 1911; Lukes Authoritiesin Ihe Acis, même revue, 1909; The
Ihought of Paul, même revue, 1911; Suggestions on the History and
Letters of St Paul, même revue, 1913.
Dans un nouvel ouvra.se sur rinfluenco des découvertes récentes
sur la valeur historique du Nouveau Testament, Sir W. Ramsay (1 )
résume ce qu'il avait déjà dit sur le sujet et présente de nouveaux
aperçus. Nous allons recueillir dans ce travail ce qui nous a paru
important, sans essayer de donner aux considérations de l'auteur
plus de cohésion qu'il n'en a établi lui-même
Uamsay étudie d'abord les Actes des .Vpotres. H rappelle le jug-e-

ment que portaient les critiques rationalistes du siècle dernier sur


ce livre. Le but de celui-ci n'était pas, soutenait-on, de retracer
fidèlement les événements et de présenter un tableau exact de la

situation historique et e-éographique telle qu'elle l'tait aux environs


de l'an 50, mais d'exercer, au profit de certaines idées, une influence
sur les chrétiens contemporains de l'auteur, vers 160-180, par une
description imagrinidrc de la vie de l'Eglise primitive. Ramsay, (jui

avait accep'é tout d'abord ce jug^ement, voulut le mettre à l'épreuve


des faits et voir si vraiment l'auteur des Actes n'avait pas reproduit
exactement l'état des choses vers l'an 50.
Il fut attiré tout d'abord par ce passage des Actes, xiv, V, 5 :

< Mais le peuple de la ville (Iconium) l'ut divisé; les uns étaient pour
les .luifs et les autres pour les ap6lres. Kt comme il se lit une émeute
des païens et des Juifs, avec leurs magistrats, })our les oulrai:er et les

lapider, ceux-ci, l'ayant appris, s enfuirent vers les villes de la Lycao-


nie, Lystre et Derbe et le pays d'alentour, /.aT^çjYsv s-.; Tic :rôX£tç

Ajy.aivix;. Aj^t^zv /.y}. AîpSfjV /.y}. ty;v r.tpiyMpz'f. » Il Suit de ce texte


qu'Iconiiim n'était pas une ville de la Lycaonie, mais de la Phrygie,
d'où venaient hs apôtres. Or, c'était une opinion attestée par les Irai-
tés modernes de g-éographic de Asie Mineure (pi'Iconiniii était une1

ville de la Lycaonie. Xénophon, il est vrai, dans sou Anabasr, dit

très claiienuMit (jii'après avoir (|nilté Iconium, ils traversèrent la


frontière pour entrer rn Lycaonie. M.iis ce (nii él.iil viai <'n r.m 'lOO

encore en l'an V7?


l'était-il Il send>lc (pie non. (licéron déclare (pi Ico-

nium était en Lycaonie -1 il a dû se i)lacer au point de vue admi-

(I Tlic liearhKj of rrrml <Us(orrnj on the /'rnt/niorlliinrss of the Pfeu: Teslamcnt,


in-8, \iv-i27 pp.. Lomlon, llodiler and Slouj'Iiloii. I'.M5; 15 fr.

[1) tnni.. XV, IV. •'.


MKLANlilîS. 2H
nistratif et non géograpliiquc. leonium était en réalité phrygienne.
In des esclaves. Hierax, qui fut jugé à Rome, avec Justin martyr,
en 1 au 103, déclare qu'il a été pris à leonium de Phrygie. Pline (1)
mentionne Coniuni (Feonium) comme une des plus anciennes et des
[)lus remarquables cités de Phrygie. Les écrivains du temps ne sont

pas très nets dans leur attribution dlconium à la Lycaonie.


Pour trancher la question il faudrait déterminer quelle était la
langue parlée par le peuple à leonium. Les hautes classes parlaient
surtout le grec et ceci nous explique que les inscriptions trouvées

dans cette ville étaient toutes grecques. C'est en 1910 seulement que
Kamsay découvrit à Konieh deux inscriptions en langue phrygienne.
La plus longue de celle-ci a été publiée par le professeur Calder (-2)
et est reproduite par Ramsay. Elle est écrite dans un mélange de pa-
tois de grec vulgaire. Dans un autre de ses ouvrages
phrygien et

Ramsay a montré que la mythologie locale à leonium était phry-

gienne. Ses héros étaient Nannakos, le vieux roi phrygien et Persée,


signe de l'influence grecque en Asie Mineure. Les déesses du pays
"

étaient une forme de la Grande Mère phrygienne, Môtêr Zizimmene,


variété dialectale de Diudymene. leonium est donc bien, ainsi que
l'atteste saint Luc,une ville phrygienne. Ramsay conclut que l'auteur
des Actes connaissait bien la géographie de l'Asie Mineure et que sur
ce point il a représenté exactement l'état des choses.
De cette exactitude il tire une présomption générale en faveur de
la valeur historique des Actes. Dans le cours de son œuvre de mis-

sionnaire, Paul a été en rapport avec des personnes de tout rang et


de toute condition rois, gouverneurs romains, Asiarques, les mem-
:

bres du conseil de l'Aréopage à Athènes, les prêtres des dieux locaux


à Lystre, des citoyens romains tels que Titius Justus à Corinthe, des
femmes de haut rang, les unes adversaires, les autres favorables,

des marchands, des magiciens, des sorciers, des diseurs de bonne


aventure, des exorcistes et toujours ce qui est raconté dans les Actes
sur ces personnages est conforme à ce que nous savons sur eux par
les documents de l'époque. « Vous pouvez, dit Ramsay, scruter les
paroles de Luc plus qu'on ne le fait même pour tout historien et vous
constaterez quelles soutiennent l'examen le plus strict et le plus dur
traitement sans être trouvées en faute pourvu que les critiques con-
naissent bien l'état des choses et n'aillent pas au delà des limites de
la science et de la justice » (p. 89).

(1) Hùl. nat., V, 41.


(2; Corpus Iiiscriplionum Neophrygiarum, dans The Journal of hellenic Sludies, 1911,
p. 188 s.

REVUE BICLIQLE 1916. — N. S., T. XIII. 16


m RKM'li IU15LI0UK.

llaiiisay véiilie ce jugeiuenl pai' lexaiiicn des circonstances qui se


Sont déroulées dans les divers procès qu'a eu à subir l'apùtre Paul.
Il examine d'abord ce qui s'est passé à Jérusalem lors de la confron-
ta fion de Paul avec ceux de sa nation, Ad. xxiii, 2 ss. Le centurion

romain convoque les grands prêtres et tout le sanhédrin pour con-


naître ce que les Juifs reprochent à Paul. Celui-ci déclare que c'est
en toute bonne conscience qu'il s'est conduit devant Dieu. Le grand
prêtre ordonne de le frapper sur la bouche. Paul le traite alors de
muraille blanchie et sur l'observation qu'on lui fait qu'il injurie le

grand prêtre, il répond qu'il ne savait pas qu'il fût grand prêtre.
Cette répon'=;e de l'apôtre a beaucoup exercé la sagacité des criti-

ques. Les vêtements du grand prêtre et la place qu'il occupait dans


le conseil devaient faire connaître son rang à Paul. Ramsay fait obser-
ver qu'il ne s'agit pas là d'une séance ordinaire du Sanhédrin; les
niendjres y sont convoqués à titre individuel, et ce n'est pas le grand
prêtre qui préside, mais l'officier romain. C'est à lui (jue l'apùtre
s'adresse plutôt qu'aux Juifs, lorsqu'il déclare : J'aivécu la vie d'un
citoyen, r.zzz'/J-fj[xyi\, expression non hébraïque mais hellénique.
Paul est placé en face de ses accusateurs et rien ne lui indiquait que
l'un d'eux était le grand prêtre. Dans lepours de la séance, la position
des assistants changea; les pharisiens qui approuvaient les déclara,
lions de l'apôtre se rangèrent derrière lui, comme c'était l'usage, et
il au milieu des deux partis du conseil, les pharisiens et
se trouva
les saddncécns, ce qu'indique le texte Le centurion, craignant que
:

Paul ne fût mis en pièces par eux, ordonna à la troupe de descendre


pour Irnlever du milieu d'eux, iv. •j.izoj 3cJt(ov.
Le procès devant le conseil de l'Aréopage est d'un tout autre ton.
En Palestine, le style de Luc est de type hébraïque; à Athènes, il a
une saveur attique. La description de ce qui s'y passa répond bien à
l'ambiance du lieu. Comme un autre Socrate, Paul discute des ques-
tions philosophi(jues sur la place du marché avec tout venant; des
auditeurs disi-nent par un terme de l'argot attique, 7-zp\j.z'/.ô-;zq.
le

VA l'on rcmarqueia ({u'ici la procédure romaine n'est pas observée


parce (ju Athènes était une cit(i libre qui se gouvernait selon ses pro-
pres lois. L'apôtre fui donc traduit devant l'Aréopage, la cour de
justice de l'ancienne Athènes. Les choses y étaient conduites d'une
fa«;on plus largeque devant les tribunaux romains, et cela nous expli-
(pie la manière dont se déroula le i)rocès, lequel a une tournure de
discussion philosophique plutôt (pie de [)rocédure réirulièrr.
C'est, en ellet, d'après llamsay, dtîvant le conseil de I Aiéopaye
que fut conduit l'apôlir et non sur la colline apprdée A;:-.:: -y.-;zz,
Mh^LANC.KS. 243

comme le pensent quelques cxégètes. Ce terme désignait en effet le


conseil de l'Aréopage d'après les documents de l'épocjue (1). S'il est
nommé seulement « l'Aréopage », c'est par abréviation; « le conseil
de l'Aréopage » était un terme trop long- pour les Athéniens, Aux
témoignages cités on peut ajouter ce texte de Sénèque 2). Parlant
d'Athènes, il la qualifie ainsi : In qua civitate crat Areos j^agos, reli-
giosissimum iudicium.
Les autres procès de Paul sont conduits d'après les formes de la
procédure romaine; les accusations sont différentes dans chaque cas,
mais elles sont toujours conformes à la législation criminelle de
l'époque. L'apôtre n'est pas traduit devant les tribunaux pour ses
doctrines ou ses enseignements ; la loi romaine ne s'occupait pas de
ces questions. L'accusateur devait formuler un acte criminel qu'il
attribuait à celui qu'il appelait devant le mag-istrat. Ainsi, à Philip-
pes, Paul était intervenu dans l'exercice d'un commerce privé à ;

Éphèse, dans celui d'une puissante corporation; à Thessalonique, il


avait, dit-on, prêché un autre souverain et était, par conséquent, cou
pable de trahison; à Corinthe, il avait touché aux lois juives; à Athè-
nes, il avait usurpé sur les privilèges de la corporation reconnue des
professeurs de philosophie; chaque cas est différent et chacun d'eux
est bien dans la suite des événements et en plein accord avec la so-
ciété où se déroule le procès.
Ce qui est caractéristique dans ces procès, c'est que, dans aucun
d'eux, le délit n'est religieux. A dater de la période flavienne, être
chrétien fut tenu pour un crime et il n'était pas nécessaire qu'on
relevât d'autres charges pour la condamnation de l'accusé. Cette
constatation établit que les Actes ont été écrits avant le temps où le
christianisme fut persécuté comme tel; un auteur du it siècle, insuf-
fisamment au courant de la situation, aurait introduit l'accusation de
christianisme dans les procès de Paul.
Ramsay faitremarquer en passant que Luc tient compte des nuan-
ces les plus minimes de la langue. A Antioche de Pisidie, colonie
romaine, le peuple est désigné sous le terme de H'/z-cr, plehs^ tandis
qu'à Iconium, cité grecque, il est appelé Hellène. — Cette observa^
tion est exactepour les deux villes citées, mais il n'y a pas lieu d'en
tirer des conséquences exagérées, car, parlant du peuple à Lystre,
qui n'était pas, croyons-nous, une colonie romaine, Luc le qualifie
d'H/Acç, XIV, 11, 13, l'+, 18.

(1) Cawadias, Fouilles d'Epidauros, I, p. 68, n'' 206. Ciceron, AU., I, XIV, 5.

(2) De tranquilUtate animi, v.


o'^i lii: VLi: lUiiLiniE.

Kam^^ay est mieux dans le vrai quand il remarque que les accusa-
tions portées contre Paul ressortaient bien des circonstances et sont
caractéristiques de l'état de la société gréco-romaine en Orient. Dans
l'îlede Chypre, le magicien Elymas Barjesus craint que Paul ne
détruise son inthicncc sur le gouverneur romain; à Pliilippes, les
maîtres de la jeune esclave, possédée d'un esprit de Python et pré-
disant l'avenir, voient leur fortune ruinée par l'apùlre qui ordonne
à l'esprit de l'ython de sortir de la jeune fille; à Athènes, les profes-

seursde philosophie sont jaloux de Paul quileur enlève leurs auditeurs,


épreuve très cuisante pour des professeurs. Dans plusieurs villes, les

Juifs sont furieux contre Paul, parce qu'il plaçait les païens sur le
même pied qu'eux au point de vue religieux et qu'il détournait d'eux
leurs prosélytes, cl çc5oj;j.cv:i O^iv, et de ce fait les privait de leurs
contributions, source de revenus pour la synagogue et d'influence
pour la nation des Juifs.
Ramsay nous parle ensuite des magiciens dans les Actes des
Apôtres. Ils étaient très noml^reux à cette époque; on leur attribuait
le pouvoir de changer l'ordre de la nature, de prévoir l'avenir et l'on
s'adressait à eux pour obtenir ce que les moyens naturels ne pou-
vaient donner. Il est probable que Paul, en disant aux Athéniens
qu'ils étaient plus religieux que d'autres, wç $E'.7t$ai;j.cv£s-:Épojç. a pu
vouloir faire aussi allusion à leur superstition; liiz'.zy.<.\j.i<r) signifie

aussi bien superstitieux que religieux.


ne faudrait pas croire cependant que tous les magiciens étaient
Il

des imposteurs. Il y en avait qui possédaient une certaine connais-


sance (les secrets de la nature; c'étaient les savants de l'époque; d'au-
tres étaient en pos.session de ces connaissances traditionnelles en
Orient, et avaient certains pouvoirs (jue, de nos joui's, (m désigne
sous le nom d'intluencc psychique, lecture des pensées, hypnotisme,
(l'est un de ceux-là qu'était Elymas Barjesus, et l'on comprend l'in-

iluence qu'il exerçait sur res])rit de SergiusPuulus, qui probablement


aux recherches physiques.
s'intéressait
Nous en rencontrons de tout genre mentionnés dans les Actes, en
Samarie, à Paphos, à Pliilippes, à Éphèse, et cha<jue fois ils sont pré-
sentés sous un aspect dillérent. Les circonstances dans lesquelles ils
se montrent sont variées, parce qu'elles sont conformes à la \ie; c'est
là ce qui ressort de l'exposé que f.iil ISamsay.
Parmi ces magiciens, Simon, de la vilh; de (iitta en .Samarie, est
un des plus tyjjiques. < Il exerçait, nous disent les .\ctes. viii. î)-ll, la
maL-'ie et frappait d'étonnement le peuple de Samarie. se donnant
poui' quelqn MU de grand. Tous s'attachaient à lui, depuis le plus
.MKI ANGKS. 245

petit jusqu'au plus grand, et ils disaient : Celui-ci est la puissance de


Dieu appelée la grande. Ils s'attachaient donc à lui parce que, depuis
assez longtemps, il les avait charmés par ses actes de magie. » Simon
était pour lepeuple de Samarie une sorte dépiphanie de la suprême
puissance, et on lui donnait les titres de cjvay.-.ç t:u Ossj '/Sko-j[j.éYq y; r,

lj.i';xKr,. titre que Ion trouve attribué au dieu des cieux dans une ins-

cri})tion lydienne (1) : Il est dieu dans les cieux, grand Mên le cé-
leste, lagrande puissance du dieu toujours vivant, '^.z-^xK-r, oûva;j.iç -rcj
àOavaTCj Szzu. Le terme cjyy.iv.: était un mot technique dans la langue
de la religion, de la superstition et do la magie et l'un des termes
les plus communs et les plus caractéristiques dans le langage de la

dévotion païenne. Les prodiges qu'exécutait Simon étaient une mani-


festation de puissance et, dans l'opinion des Samaritains, il était la
manifestation de la puissance suprême de Dieu.
Simon, à son tour, fut frappé d'étonnement à la vue des signes et
des grands miracles qu'opérait Philippe. Atln de posséder les mêmes
pouvoirs que le diacre chrétien, il se lit baptiser, et lorsque Pierre et
Jean eurent imposé les mains aux nouveaux baptisés et fait descen-
dre sur eux le Saint-Esprit, il voulut obtenir des apôtres, à prix d'ar-
gent, qu'ils lui donnassent le pouvoir de communiquer le Saint-Esprit
à ceux sur lesquels il imposerait les mains. Il croyait que Pierre et
Jean étaient des magiciens comme lui, possédant un pouvoir supé-
rieur au sien, pouvoir qui produisait ses effets par l'imposition des
mains, et il ï'ço-jGia. Ce terme est souvent em-
veut acheter ce pouvoir,
ployé dans documents magiques et Simon l'emploie comme un ma-
les
gicien l'aurait fait et l'entend au sens magique. Il ne comprit pas la
réponse des apôtres, mais il eut peur de l'effet de leurs paroles et il
leur demanda de prier le Seigneur pour lui, pensant que leurs prières
étaient de même nature et de même effet que ses propres incantations,
qu'il ne pouvait employer pour apaiser le dieu des apôtres; c'est
pourquoi il demandait à Pierre et à Jean de faire eux-mêmes les
prières pour lui. Tout se tient bien, on le voit, dans ce récit et répond
à la réalité des événements, tels qu'ils ont dû se passer.
Paul eut aussi souvent aflaire aux magiciens et, dans sa première
rencontre avec eux, à Paphos, où il eut à lutter contre Elymas
Barjesus, il établit victorieusement la supériorité de son pouvoir spi-
rituel sur les artifices magiques de son compétiteur. Il le dompta
en fixant les yeux sur lui, à-vnixç s'.ç aj-rcv. Le Saint-Esprit dont il

était plein se traduisait par la puissance de ses yeux, Ac/. xiii, 9. A

'1 Keil et PiiEMF.iiSTEiN. TI, Rcise iii Lydien, p. 110.


2Hi REVUE BIBLIQUE.

diverses reprises, Iaic fait allusion à ce phénomène, dont le souvenir,

dit Ranisay, s'est perpétué en Asie Mineure.


A une jeune esclave d'un esprit de Py-
Philippes, Fapùtre délivra
thon, c'est-à-dire de divination, et celle-ci suivait Paul et ses compa-

enons en criant Ces hommes sont des serviteurs du Dieu très-haut


:

qui vous annoncent une voie de salut, ;;;v crtor^piaç. On peut se de-

mander par quelle inspiration elle prononi.ait ces paroles. Nous n'en
saurons jamais rien.
Ramsay remarquer en passant que l'on croit ordinairement que
fait

les maîtres de cette jeune esclave étaient un homme et sa femme.

Cette interprétation n'est pas en accord avec le contexte. Ces exploi-


teurs traduisent Paul et Silas devant les préteurs et les accusent d'en-
seigner des coutumes qu'il ne leur est pas permis à eux Uomains,
'Pa);j,a(:tç ;j7'., de recevoir et de suivre. Cette action devant les tribu-

naux ne pouvait être exercée par une femme et il est à supposer que
nous avons allaire ici à une petite association qui avait mis de Tar-
g-ent en commun pour exploiter le don de la jeune esclave.
Ramsay nous parle encore du proconsul de Chypre, Sergius Paullus,
dont le nom, assure-t-il, doit être ainsi orthographié, comme il res-

sort dune inscription qu'il a découverte en 1912, à Saliz, un des fau-


bourgs d'Antioche de Pisidie. Elle mentionne un fils de Sergius Paul-
lus, le proconsul de Chypre : L. Sergio, L(uci) F(ilio) Paullo Kilio,
quattuorvir(o; v(iarum) c(urandarum) tri^b(uno)j mil'itum legiiouis)
vi Ferr(atae) de Sergius Paullus devait avoir oc-
quaest(ori). Ce fils

cupé une charge officielle à Antioche. Dessau reconnaît que le per-


sonnage mentionné ici est bien le tils du proconsul de Chyi>re, mais il
aflirmc qu'aucun membre de la famille des Paullus n'a été chrétien,
ce (jui [taïaît infirmer ce passage des Actes, xiii. lu : Alors le procon-
sul, voyant ce qui était arrivé, crut. iz'jTEJTsv, étant frappé de la doc-
trine du Soigneur, ï/.r.'/.TiZzi'^j.vKç ï-l -f, 'i'.oy.yf, -zj /.jcîcj. Kst-il possible

(|ue Sergius Paullusdevenu chrétien sans qu'aucun de ses enfants


soit

ou de sa parenté l'ait été, et que sa con\ crsion n'ait laissé aucune


trace dans l'histoire? Ramsay fait remanjurr que le lils de Sergius
Paullus n'était pas avec lui à Chypre et par conséquent n'a pu être
influencé par la convci^sion de son père; en second lieu, un noble
romain jjouvait être chrétien, sans que les membres de sa famille
h; soient; nous avons de cela des ('\em|iles bien connus. Kniin, à

iionio, à cette épo(|iic. on était très tnlii-.iiil sin- les croNanccs reli-

gieuses on |)hiloso[)hiqn('s; on s'iiKjuiétail pou de co cpic pouvait


penser chacun on son })arti< ulier. Co n'est quo vers la lin du T' siècle
que la qualité de chrétien devint susi>ecle. Sergius Paullus a donc pu
MEI.ANGES. 247

adhérer aux croyances chrétiennes sans que personne de son monde


s'en fût i)réoccup('\ Il reste à savoir si les Actes affirment qu'il est
dr\ onu chrétien.
Pour résoudre cotte ([uestion, il faut déterminer le sens exact du
•\erl)c croire, zi-tsjo).dans les Actes. Il sy trouve plusieurs fois et de
son emploi il semble résulter que Luc regarde la croyance comme
une première phase; la seconde était le baptême, xi, 21, ïrJ.u-rjz-i
/.-A i6a--{wCVTo. XI, 21 xviii, 6; la troisième était constituée par la vie
;

chrétienne du croyant baptisé, xxi, 25; xix, 18, etc. Les croyants de
cette troisième catégorie sont désignés par le parfait TrszwTEjyi-eç.
qui indique la permanence de l'état. Quelquefois cependant ce seul
terme désigne les chrétiens définitifs, xviii. 28. Il est possible cepen-
dant que celui qui a cru s'en soit tenu à une adhésion de l'esprit et
n'ait pas scellé cette croyance par le baptême. Or, Luc ne nous dit
pas que Sergius Paullus ait été baptisé et lui, qui est si attentif à si-
gnaler l'attitude des autorités romaines en face du christianisme,
l'aurait certainement consigné dans son récit si le fait s'était produit.
Sergius Paullus aurait donc cru à la doctrine du Seigneur qui l'avait
frappé d'admiration, ïv-'i.r,zz'z\j.v/zz. Il s'en serait tenu à cette adhésion
de de Ramsay nous savons que plusieurs
l'esprit. Telle est l'opinion ;

critiques modernes, Renan en tète, n'ont pas cru à la conversion de


Sergius Paullus, mais nous pensons avec la majorité des exégètes
qu'il est bien réellement devenu chrétien, ce qu'indique le terme
ÈTTi-TSjjsv qui, quoi qu'en dise Ramsay, désigne dans les Actes l'acte

d'adhésion à la nouvelle foi et la vie chrétienne, ii, ii ; iv. 32; v,


IV; XI, 21, etc.
riamsay examine ensuite ce que signifie ce passage des Actes, xiv,
9 : « A Lystre, l'impotent écoutait parler Paul, qui, ayant arrêté les
yeux sur lui et voyant qu'il avait la foi pour être sauvé, l-i 'iyzi rJ.a-vi

Tij 7oj0?;va'., dit d'une voix forte : Lève-toi. » On traduit souvent -ou
C7w0r,vai par « pour être guéri » ; ce quine répond pas au contexte. L'im-
potent écoutait Paul et celui-ci ayant arrêté les yeux sur lui vit, à

l'expression de sa physionomie, que ses paroles avaient fait impres-


sion sur lui. Or, l'apôtre prêchait le salut. Donc l'impotent traduisait
sur sa figure son désir d'être sauvé et non celui d'être guéri, car il ne
savait pas que Paul pouvait opérer ce miracle. Mais quel était le salut
qu'il était capable de concevoir et de recevoir? L'idée de salut,

:70JTY;c(a, était très connue chez les païens; elle signifiait pour eux salut,
prospérité, santé. que pouvait désirer l'impotent.
(>'est là le salut

M. Uamsay remarquer que ce terme awT-r.pîa était bien appro-


fait

prié à la prédication chrétienne, en ce sens que le salut, demandé


2i8 REVUE BIBLIQUE.

par les païens, pour leur assurer le bonheur, la prospérité, leur était

présenté par Paul sous une forme plus spirituelle et leur promettait
un bonheur qui ne devait pas consister en biens matériels mais dans
la connaissance et la jouissance de Dieu. Le salut chez les païens
devait être atteint par des rites et des cérémonies tout extérieurs, par
des prati(jues magiques, ce qui le différenciait profondément du salut
chrétien, fruit de la foi et produit par des actes moraux. Dans sa pré-
dication. Paul adopta les termes connus, car il devait parler dans le

langage de ses auditeurs s'il voulait être compris. Mais il donna à ces
termes un sens plus riche, plus spirituel, tout en les laissant com-
préhensibles à un certain deg-ré à ses auditeurs, mais non tout à fait,
car qui a parfaitement compris les doctrines de Tapotre? Quel païen
et même quel théologien chrétien a compris, dans tous ses dévelop-
pements, dans tous ses détails, l'Epltre aux Romains?
Nous n'avons pas à reproduire ici les inscriptions païennes où se
trouve terme zM-r^piT. et que cite Ramsay; elles sont déjà connues
le :

en voici seulement une très caractéristique, car le vœu de salut com-


prend celui qui Ta fait et toute sa famille, les fruits dans ses champs et
son village . ^Ir-.pzz^O.z: LV?^ yJ.r-.-xz ajv y^vaixt A;xy.',a r.izi îxuimw y,t twv
'.0'.(i)v •/.£ T(i)v 7.apT:o)v y.£ Tr,r y.o);;./,; a(j}f/;ptaç [A'jjBp:;vT(ovT'. î^y/r^vj. Nous
laisserons aussi de côté les réflexions de Ramsay sur la valeur histo-
rique des douze premiers chapitres des Actes; nous les avons déjà re-
levées dans un précédent article 1); il y affirme, une fois do plus,
que ce livre est parfaitement un et que l'auteur, témoin oculaire
d'une partie des faits racontés, a reproduit pour ceux (ju'il n'avait pas
vus les témoig-nages de personnes autorisées.
Ramsay rev.ient sur le au conmience-
recensement dont Iaic parle
ment de son évangile, question qu'il avait traitée dans son ouvrage :

Was Chnsi hom at Bethléem, 1808. Il justifie complètement l'évan-


géliste et affirme que le recensemeni fut bien le premier de ceux dont
on a constaté l'existence en divers lieux, notaniiuciit en Egypte, qu'il
eut lieu vers 8-7 a\ant .I.-C, cf lut exécuté d'après les usaiics orien-
taux, auxquels s'adaptait l'administration romaine. 11 exj)lique com-
ment Tertullien a \m dire (jue le recensement a été fait par Senlius
Saturniniis. Il est possible que (Juirinius ait gouverné la Syrie une
partie de l'année et ait eu ])Our successeur Senlius Saturniiuis, mais
il probable que Quirinius et Sentius Salurninus aient été en
est [)lus

même temps légats de rem[)ereiir, avec des offices difiéi-enls. On a


d'autres exemples de ce fait. Ramsay, dans le cours de l'exposé, cite

[\) La ifilcur liis(ori</iic des Acirs ilcs apùirrs, dans |;i Herue f>itili<iiir, juin liMJ.
MÉLANGES. 249

une inscription trouvée Antioche de Pisidie en 1012, où est men-


à
tionné P. Sulpicius Ouii-iiiius duuiuvir et une autre trouvée au villa.ue
de Hissa r-ardi près d' Antioche, où l'on relève aussi le nom de P. Sul-
picius Quirinius,
Nous aurions encore à glaner dans d'autres chapitres du travail de
Ramsay : arrctons-nous seulement à son étude sur le nom de Luc. Le
nom de Loukas est un de ces noms familiers qui sont un diminutif
d'un nom original plus long, tel qu'Apollo d'Apolionios. Mais ce
nom original est-il Lucanus, comme on le trouve dans quelques ma-
nuscrits vieux latins, ou bien Lucius? L'on n'avait jusqu'à présent
aucun document attestant cette équivalence de Lucius Loukas. Ram-
say cite une inscription, trouvée à Antioche de Pisidie. en 1912, où
un citoyen romain. Loukas Tillios Kriton, fait un vœu au dieu Men;
son nom latin devait être Lucius, Deux autres inscriptions, trouvées
aussi à Antioche. prouvent cette équivalence. Danslune estmentionné
Loukios. fils de Gamos, fils d'Abaskantos, et dans l'autre le même fils
de Gamos est appelé Loukas. Il en ressort très nettement que Loukas
<'tait la forme familière de Loukios, en latin Lucius. Faut-il en con-
clure que Lucius était le pramomen de Luc, citoyen romain, lequel
avait été affranchi, et avait alors reçu ce prœnomen, ou bien Loukios
était- il simplement un nom latin cju'avait adopté le grec Luc et dans

ce sens il n'indiquerait pas que Luc fût citoyen romain? Ramsay ne


tranche pas la question.
Ce nouvel ouvrage du savant écossais contient, comme les précé-
dents qu'il a donnés, de nombreuses suggestions qui éclairent divers
passages du Nouveau Testament et l'on ne perdra pas son temps à
les étudier. Il est à regretter cependant que les renseignements posi-
tifs soient quelquefois noyés dans des considérations qui n'apportent
rien de nouveau à l'explication des textes en question.

E. Jacquier.
RECENSIONS

Alfred Loisy. — f.'Kji'itre aux (ialales, in 12 de 201 pp., Paris. Nourrv, lOHi.
L'étude de M. Loisy sur l'Epître ;iux Galates « n'a pas la prétention d'être un
commentaire complet, mais comme une esquisse préliminaire de l'évangélisatioD
chrétienne en ses débuts, d'après sa source la plus authentique, en attendant que
l'on se risque à en entreprendre le tableau tant de l'ois déjà l'ait et toujours à refaire »

(p. -4).

Et c'est Lien en effet une esquisse qu'a tracée le Professeur du Collèu;e de France,
en traits fortement appuyés, selon sa manière, avec des contrastes énergiques. Cette
fois la lumière de l'histoire vient de l'Épître aux Galates, et cette lumière se projette
de la façon la plus défavorable sur les Actes des Apôtres, malmenés de
la façon que

l'on peut supposer, quand l'auteur est en train, fia personnede Paul n'y gagne rien;
c'est un visionnaire qui « a poussé jusqu'aux dernières limites possibles le génie du
contresens » (p. 4ô).

Le caractère propre de l'esquisse se retrouve encore en ceci que l'auteur a évité

de nommer personne, ni comme représentant de la tradition ancienne, ni comme


représentant de la critique. A la manière de NVellhausen dans ses études sur les
évangiles, il se met seul en présence des textes. .Seulement, tandis (|ue le vieux
maître allemand fixe çà et là quelque point de philologie araméenne, M. Loisy
raisonne sur les textes qu'il a traduits, très correctement, mais sans attirer l'atten-
tion sur les originaux. Son but est évidemment d'introduire un public très large dans
la discussion des problèmes littéraires et historiques des origines du christianisme,
sans le rebuter par aucun attirail scientifique.
On dira peul-ètre aussi qu'il n'a pas essayé de le séduire, comme faisait lîenan
par le charme de son style et par les équivo(|ues nuancées de sa pensée, ni surtout
par des tableaux historiques d'une véritable beauté. I\L Loisy senible toujours faire
appel au bon sens pour juger la valeur des sources écrites du christianisme et les
raisons qui ont procuré son succès. Et la conclusion suggérée, c'est (|ue les sources
coujuie les doctrines sont un tissu de contradictions. Ceux aux()uels s'adressent ces
petits livres ne sont sûrement pas grand nombre eu éiat de contrôler
ptjiir le [)lus

cette argumentation. Ils sont pourtant nombreux ceux (|ui se rendent compte (|ue
les hardiesses de l'aflirniation ne répondent pas toujmirs à la solidité des raisonne-

ments.
Mais d'abord (|ui sont les Calâtes.' Des drux lheori«'S (pii partagent les criliciues,
.M. Loisy a préféré celle que nous croyons la plus solide, celle (|ni tient \v> (ialates
piiur des (ialates et non pour des l'isidiens ou des i.ycaonicns. I.a thèse est établie
solidement, et ;i vrai dire ne saurait l'être (|ue \i:ir l'antorilé des Ic/c.s. admise
dans certains cas.
RECENSIONS. 251

Nous ne songeons pas à nier la pénétration de l'auteur dans bien des passages dif-

ficiles. 11 a réduit à sa valeur cette psychologie expérimentale progressive dont le

protestantisme allemand a alourdi la pensée de l'Apotre. D'après l'auteur, Paul a eu


dès le jour de sa conversion conscience de ce qui lut son évangile. Mais il ne laisse

pas pour cela d'attribuer une grande importance à la lormatioa de son esprit. C'est
l'intérêt de cette nouvelle vie de saint Paul, dont la nouveauté n'est pas sans fan-
taisie.

Comme le veulent les Actes, Paul est né à Tarse en Cilicie, dans une ville hellé-
nisée. Cela n'a l'air de rien, mais cela explique comment Paul a pu être, plus ou
moins consciemment, imbu de la doctrine des mystères païens. Le nom de Paul,
prénom [sic" romain, aurait toujours été le sien, en rapport avec la condition de son
père, en même temps qye le nom hébreu de Saul p. 49).

Le petit Paul « a pu entendre des rabbins » — et vraiment le contraire serait


bien étrange — , mais il n'a jamais été docteur de la Loi. « Le rédacteur des Actes
a le parti pris de présenter Paul comme parfait en judaïsme, et ce doit être pour ce
motif qu'il lui attribue la » p. fiS). Ce rédacteur a donc
meilleure éducation juive
imaginé qu'il avait été M. Loisy sait encore pourquoi, et
disciple de Gamaliel. Et
pourquoi il a imaginé au surplus que Paul a participé au meurtre d'Etienne. « Croyant
d'ailleurs que Paul n'avait pu persécuter qu'à Jérusalem le christianisme naissant, il
le fait participer au martyre d'Etienne; c'est aussi pour l'amener à Jérusalem qu'il

le fait d'abord disciple de Gamaliel » (p. 69). Mais pourquoi l'auteur — ou le

rédacteur — des Actes a-t-il cru que Paul n'avait pu persécuter le christianisme
naissant qu'à Jérusalem, puisqu'il supposait l'existence d'une communauté à Damas,
communauté que Saul voulait détruire? Car cela se fit très vite : vc du jour au
lendemain, le » jeune garçon » devient un terrible persécuteur, investi de la con-
fiance du grand prêtre. Toutes ces indications sentent l'artifice et paraissent être de
pures inventions » (p. 69].
Sévère, mais peu justifié. Et comment l'auteur des Actes aurait-il osé charger
Saul d'une odieuse complicité dans le meurtre d'Etienne, s'il n'avait pas même
jusqu'alors mis les pieds à Jérusalem?
D'après M. Loisy, il était d'abord à Damas, et c'est là qu'il eut sa vision. Il faut la
tenir pour un fait certain, attesté par Paul lui-même. Et pourquoi ne pas admettre
ce fait? H Ce qu'il dit n'a rien de si incroyable : par la vision qui l'a converti, c'-est-

à-dire quand il a vu clair eu lui-même, qu'il a eu repris possession de son esprit et


acquis la conscience réfléchie de sa foi nouvelle, il s'est trouvé croyant au Christ
mort et ressuscité en Sauveur des hommes, et il s'est cru appelé à prêcher parmi les
païens ce mystère de salut » (p. 6.5).
Ce n'est cependant pas si simple d'acquérir une foi nouvelle en perdant possession
de son esprit, et quelle foi, source de quelle vie!
M. Loisy admet une vision imaginaire : « Sa pensée s'était remplie malgré lui de ce
Christ qu'il combattait, et la même suggestion inconsciente, qui suscitait dans son
imagination surchauffée l'image de Jésus, lui disait que cette apparition était Jésus

lui-même >
(p. 78;.
.lusqu'ici nous n'avons que le mécanisme bien connu de l'explication naturaliste.
Mais puisque la psychologie de Paul ne s'est pas développée après, il faut qu'elle ait
été préparée auparavant pour obtenir, par une seule vision, un résultat aussi
complet. M. Loisy se devait de remplacer la psychologie allemande reconnue inac-
Il lui" suffit que l'intuition du nouvel évangile ait été « préparée en quelque
ceptable.
manière dans son esprit; et elle aura été préparée si Paul a pu avoir la pensée,
.232 REVUE BinLIOCE.

quand même ce n'aurait été (|ue pour l'écarter, (|ue ce crucHié dont on faisait un
Seiiîneur divin, roi immortel des élus, aurait donc sauvé les hommes par sa nxirt,
comme on le racontait de certains dieux païens, et aurait été un médiateur de salut
éternel (p. 7î)). Tout coup vaille, et les idées qu'on entretient, et les idées qu'on écarte.
Et certes cette psychologie vaut celle du protestantisme. Une idée, même écartée,
peut se présenter avec plus de force dans une hallucination. IMais pourquoi l'halluci-
nation a-t-elle eu plus d'empire sur l'esprit de Paul que le sens rassis? Pourquoi,
après avoir « repris possession de son esprit », n'a-t-il pas écarté le fantôiue? C'est
l'énigme toujours nouvelle; n'admet d'autre solution que celle que Paul lui a
elle

donnée, celle d'une révélation du Seigneur .lésus. Quant aux dieux païens qui ont
sauvé les hommes par leur mort, nous attendons toujours la preuve de cette auda-
cieuse aflîrmation pour le V siècle de notre ère.
Et maintenant toutefois nous comprenons pourquoi il ne Tallait pas que 1\tuI ait

été trop imbu de rabbiuisme : « Une part d'expérience intime, un manque d'assu-
rance en la Loi, qui n'aurait pas été ressenti par un .luif d'éducation rabbinique.
mais qui s'explique chez un homme élevé dans un milieu hellénisé dont il a subi
compter dans les causes qui ont préparé la con-
l'influence sans s'en apercevoir, est à
version » (p. 79). Mais cette explication, empruntée à l'a histoire des relijiions ».
serait une gageure trop elfrontée comme commentaire du texte « vous avez :

entendu dire ce que fut ma conduite autrefois dans le judaïsme: (]ue je persécu-
tais, etc. et que je l'emportais dans le judaïsme sur la plupart de ceux de mon âge
dans ma extrêmement zélateur des traditions de mes pères » (Gai. 1,
nation, étant
1.3 s., trad. Loisy). Aussi M. Loisy se décide à entraîner saint Paul dans une sorte

de saut périlleux qui aboutirait à un total renversement des idées, non moins nettes,
non moins précises après qu'avant, mais en sens contraire La foi de Paul ne s'est :

pas formée dans des expériences attentives, mais dans des discussions passionnées; à
un moment donné, elle fait un bond qui n'est pas la conclusion logique d'observa-
tions faites par le principal intéressé, mais une révolution, un saut de la foi mysti-
que, occasionné par l'état cérébral du sujet et relevant de la psychiatrie non moins
que de la psychologie ralionnclle et morale » (p. 80). >'ous voilà donc, pour
échapper aux tisanes libérales, ramenés à la Salpètrière. Le texte dit : la révéla-
tion du Fils de Dieu.
Une illusion en amené une autre. Paul (|ui s'est imaginé avoir vu .h-sus, s'est

imaginé avoir reçu de lui sa mission d'Apôtre. C'est ce qu'il a surtout voulu mettre
en relief dans la partie historique de l'épître. Il tient sa mission de .Icsus-C.hrist. non
des hommes. C'est son premier mut, à la première li;ine : * i'aul, apôtre, non de la

part d'hommes, ni par homme, mais par .lésus Christ et Dieu le Père » (1, 1. trad.
r.,oisy). .Si l'épître a quelque valeur historique et on lui en accorde beaucoup —
quand il s'agit de l'opposer aux Actes —
et si par ailleurs une théorie quelconque
,

empêche d'admettre la réalité de la vision, il resterait que Paul, s'étant imaginé de-
voir sa mission au (Christ, n'a cru devoir demander l'investitiu'e à personne autre.
M. Loisy ne s'en tient pas là. .Si Paid a été si aflirmatif, « c'est que selon le point de
vue hiéro.solymitain et judaïsant qu'il combat, il était apôtre par mission de la

première communauté. Ce point de vue pouvait bien être en rapport avec les faits

réels et primitifs et avoir une portée générale. Paul expose à sa manière les faits qui
le concernent, et l'on dirait, à l'entendre, que ses adversaires ignoraient son histoire,
ainsi que la véritable notion de l'apostolat. Ils savaient mieux (jue lui comment
étaient nées la foi au Chris! et l,i prédication chrétienne » |). ;j3). VA l'auteur nous
expliijiie (|ii(lle Mil la véritable notion de l'apostolat. C'est une théorie bien étrange
RECENSIONS. 2\^

et encore plus Irauile; |>oiir tout dire c'est une série de conjectures qui s'appuient
sur un contresens.
La notion traditionnelle de l'apostolat est connue. Jésus a choisi des apôtres et les
a envoyés. D'après M. Loisy. a jamais Paul ne laisse entendre que les anciens
apôtres aient été appelés du vivant de Jésus au ministère qu'ils exercent, et eux-
mêmes ne se prévalaient |)oint sans doute d'une telle vocation, qui n'avait pas eu
lieu 1)
(p. ô-i). Il n'est pas le premier à nier la mission des apôtres, mais alors d'oîi
vient ce nom? M. llarnack a supposé que le nom d'apôtres vient d'une comparaison
des apôtres chrétiens avec les envoyés du patriarcat juif, chargés de porter les
lettres du patriarche et de recueillir les cotisations. Ce système n'est du moins pas
contraire à la notion essentielle de l'apôtre, qui est un envoyé. Il soulîre des dif-
ficultés, car rien ne prouve que ces envoyés juifs aient porté dès le i' siècle le nom
d'apôtres. AI. Loisy ajoute une objection de son cru : la qualité d'apôtre appartient
aussi bien et « semble même avoir appartenu originairement aux chefs de lacom-
munauté de Jérusalem, qui n'étaient point « envoyés » au dehors » (p. 51). Ce qui
revient à dire que le terme d'apôtre ne signifia point d'abord un envoyé. « Serait-ce
une conjecture trop hardie que de les faire qualifier < apôtres » en tant que délé-
gués à la recette et à l'administration des dons fournis par les fidèles hiéro-
solymitains? » une hypothèse commode, et qui dis-
(p. ôl). Ce serait en tout cas
penserait de se demander qui donc a envoyé les Apôtres car la communauté ne .?

pouvait guère les envoyer, n'ayant pas autorité sur eux, étant recrutée par eux,
mais bien les prier de tenir la caisse. « L'apôtre paraît bien avoir été qualifié ainsi
d'abord à raison d'une délégation de la communauté, et cette délégation ne concer-
nait pas directement, du moins pas exclusivement la prédication évangélique; mais
les délégués étant prédicateurs, et la prédication étant le principal de leur ministère,
au moins pour le plus grand nombre, l'idée de la délégation par le Christ pour la
prédication de l'Evangile se fit jour et prévalut » (p. 52).
Mais oui, toute cette conjecture est beaucoup trop hardie. Elle ne tient nul
compte du sens du mot x-ôn-oloç, que l'hypothèse de Harnack respectait du moins.
Je demande pardon à M. Loisy de mon pédantisme. Je cite du grec parce que,
jusqu'à présent, la seule manière de déterminer le sens d'un mot est de recourir à
l'usage de ce mot et à celui des mots de même racine. On savait très bien alors;
que à-67ToXo; signifiait « envoyé » et que la prédication supposait précisément
;

cet envoi : « Comment prêcheront-ils, s'ils n'ont été envoyés (1)? » là-oaTaÀwi-.v)
(Rom. 10, 15}. La prédication était nécessaire à la foi et supposait la mission. Si
donc, comme l'admet M. Loisy, les chefs de la communauté de Jérusalem se nom-
maient apôtres, c'est qu'ils avaient été envoyés. Et pour cela il n'était pas néces-
envoyés au dehors, pas plus qu'Isaie (Is. 6, 8) n'était envoyé
saire qu'ils aient été
hors de Jérusalem. Comment
veut-ou qu'un mot. détourné de son sens par la com-
munauté de Jérusalem, y soit si vite revenu dans les lettres de saint Paul? Il n'a
certes pas dissimulé qu'il ait été délégué à la recette pour la communauté de Jéru-
salem, mais cela n'avait rien de commun avec l'apostolat, et c'est pour cela qu'il a
pu dire si énergiquement qu'il n'était pas apôtre « par homme «.

Au surplus si les Apôtres prêchent ce que Jésus a enseigné, ils sont vraiment ses
envoyés, ils parlent en son nom. D'après M. Loisy. Paul ne s'en est pas douté.:
« Paul n'a pas l'idée d'un enseignement donné par Jésus vivant et qui se perpé-
tuerait dans la prédication de ses apôtres » (p. 57j. Voilà qui est net. On tourne

(1, cf. le sens de à-07-o/.r,, Rom. 1, 5; Gai. 2. S.


2;;4 UKVl'E lUBIJQLE.

quelques pa^es, et on lit : « L'Apôtre alfirme solennellement que son Évangile n'est
point chose humaine, il ne Ta « reçu » d'aucun homme, et ne l'a point « appris »

comme on sinstruit à l'école des rabbins, en recueillant et répétant les dits des vieux
maîtres, —
méthode qui était celle des apôtres judaïsants par rapport à l'enseigne-
ment de Jésus, — (p. 02 La con-
mais par une révélation de Jésus-Christ », etc. .

tradiction est llagrante. mot «judaïsants •>.


Le dernier passage est juste, sauf le

Puisque Paul a exposé son évangile aux notables (Gai. 2, 2), il a dû s'informer du
leur! et si leur évangile consistait à répéter l'enseignement de Jésus, Paul avait donc
l'idée d'un enseignement donné par Jésus vivant. Ou bien les Apôtres de Jérusalem
enseignaient-ils autrement que les apôtres judaïsants?
Est-il même certain que les judaïsants présentaient Paul comme investi d'une
mission de la première communauté? C'eût été lui reconnaître une autorité
officielle. Il fallait ensuite prouver qu'il avait prévariqué. Le plus simple pour les

judaïsants était de nier qu'il fût un apôtre. ]Mais eux, les judaïsants. devaient se dire
apôtres ou envoyés de la communauté de Jérusalem. C'est pour cela que Paul met
son apostolat au-dessus du leur et qu'il tient tant à dire qu'il n'a reçu mission
d'aucun homme, pas même de Pierre, pas même de Jacques. xNJais si en revanche il
reconnaît que l'évangile de la circoncision conûé à Pierre n'est pas inférieur au

sien, c'estdonc qu'il lui attribue une origine divine et non la délégation de la com-
munauté pour remplir la caisse et la conserver, « car Celui qui a procuré (ti à
Pierre l'apostolat de la circoncision m'a procuré aussi les gentils . (Gai. 2. s, trad.
Loisy). Si Celui-là est le même, qui est-ce, sinon le Christ et Dieu le Père? Sans doute
Paul ne parle pas du Christ vivant, c'est-à-dire avant sa mort, mais les Apôtres ne
prétendaient-ils pas tenir leur dernier et capital ordre de mission du Christ res-
suscité ?

Voilà donc Paul apôtre : La vocation coïncide avec la vision, et Paul est entré
sans aucun délai dans l'exercice de sa vocation » (p. 75). Je ne me crois pas autorisé

par les textes à chercher chicane à M. Loisy sur ce point. L'idée d'un novicint de
saint Paul, encore proposée par M. Brassac, applique à saint Paul une méthode qui
ne fut pas toujours celle des convertis, même laïcs. Le P. Lemonnyer traduit : « Je
me retirai en Arabie » 1, 17i, comme si Paul avait fait une retraite, et ne voit rien
dans le texte qui indique que l'apôtre se soit consacré au ministère actif. Mais le

texte ne dit rien de plus à propos de la Syrie et de la Cilicie. Il faut traduire avec

M. Loisy :
' Je nl'eu allai (2j en Arabie», et conmie l'Arabie n'est pas partout
déserte comme aux environs du Sinaï, le caractère de Paul, l'intensité de son zèle,
indiquent assez ce qu'il se mit à faire. Il y a plus. Dieu lui avait révélé son Fils pour

qu'il le prêchât '1. in;, et la lumière était assez parfaite pour ne point nécessiter
de plus amples réflexions. Paul obéit donc et prêcha aussitôt, comme le dit assez

clairement le livre des .Vctes (9. 20). S'il avuit assez de lumières pour prêcher à

Damas, pourquoi ce noviciat en Arabie ?

Ensuite Paul vint à Jérusalem pour voir Pierre. Excellente formule de M. Loisy :

" Toujours est-il que p.ir ses entreliens avec I*ierre et Jacques il avait lié de façon
quelconque sa conversion et son apostolat à la source de révangélisation chré-
tienne .
(p. 89).
Les trois ans de 1, is sont interprétés comme datant de la conversion de P.nd, et
de même les quatorze ans de 2, I. Cela est fort soutenable, non pas cependant

'I rr;i(lu(lioii laililo do tvïpvrj^a; lU-pco eî; à-OTTO/rjv, '/K' i^j><-ra(u.i rsl l'ilvi in ni-nutoln-
tum.
RECENSIONS. 2oo

d'après le amiif donne par Tauteiir, que Jean, lils de Zébédée, aurait péri victime
des Juifs comme sou frère Jacques au coumiencement de l'an -14 1). Peut-être, sans
adhérer à toutes les insinuations de M. Loisy sur le désir qu'avait Paul de se glori-
fier lui-même, doit-on accepter ce jugement : « Il ne tardera pas à mentionner
Barnabe; mais, s'il avait écrit un résumé historique de sa carrière et non un plaidoyer
contre les judaisants, il aurait dû le nommer plus tôt {'2) » (p. 9G Une exégèse .

catholique sagement large ne refuse pas d'admettre l'aspect spécial que revêtent les
faits selon la préoccupation de l'auteur. Le P. Lemonnyer en a fourni un exemple :

« Dans les Actes comme dans l'Épître aux Galates, :;ies faits) sont choisis et inter-
prétés en vue d'une impression à produire. Cela est surtout visible dans l'Kpître aux
Galates. La réalité fut sans doute plus complexe, et cette complexité même sauve-
garde pleinement la vérité des deux narrations ». Mais cette méthode, vraiment
historique, quand il s'agit dune source aussi sérieuse que les Actes, demanderait
une étude spéciale. M. Loisy immole ordinairement les Actes sauf à les exploiter
contre Paul. C'est un sujet en marge. Tenons-nous-en à la thèse principale de l'épître,
qui n'est guère jugée plus favorablement.
Notons d'abord un point d'une grande importance pour tout le système de
M. Loisy. Dans ses ouvrages précédents, nous l'avons souvent entendu attribuer à
saint Paul l'idée première du salut par la mort du Christ. Si Marc y fait allusion

10. -l.jj, Marc Mais voici maintenant, semble-t-il, du nouveau. Quand


paulinise.
il collaborait avec Barnabe, demeuré le personnage le plus considérable des deux
jusqu'au moment de la réunion de Jérusalem, Paul « ne revendiquait pas davantage
pour son Evangile une liberté ((ui n'était point menacée, et sans doute ne se flattait-
il point d'avoir un Evangile propre. Barnabe et les autres chefs de la communauté
antiochienne étaient d'accord avec lui pour lessentiel : le Christ est mort et res-
suscité pour le salut des païens comme pour celui des Juifs, et il n'y a pas lieu d'im-
poser aux païens convertis le joug des observances légales «. Vraiment c'est avec
plaisir qu'on lit ces lignes. L'essentiel de la doctrine chrétienne, que le Christ est
mort pour des hommes, ce n'est donc pas Paul qui Fa introduit dans le
le salut

christianisme. Nous nous en doutions, mais nous sommes heureux de l'entendre dire
à M. Loisy. Comme il n'y a aucune raison de transporter l'honneur à Barnabe, c'était
donc la foi de tout le monde, dès les origines. Était-ce la foi de Jacques? Il semble
que oui, car « personne, pas même Jacques, ne contestait que les païens pussent
arriver au salut par la seule foi au Christ » (p. 132), et « Jacques admettait, tout
comme Paul, que le païen était sauvé par la
foi sans la Loi » (p, 133). Et en effet

M. Loisy ne dit au Christ, Jacques, à la difTérence de


nulle part que par la foi

Barnabe, entendait la simple reconnaissance de Jésus comme Messie, sans que sa


mort fût pour rien dans le salut. Si Jacques en avait été là, certes il y avait un
abîme entre Paul et lui, et M. Loisy atténue plutôt la divergence réelle, que Paul aurait
grossie à plaisir. Mais, quoi qu'il eu soit de Jacques, ce n'est donc pas Paul qui a
appris aux chrétiens que le Christ est mort pour leur salut, en d'autres termes, les
a délivrés par sa mort, en d'autres termes, a donné sa vie pour leur salut, équiva-
lences qui paraissent évidentes.
Ce point ûxé. que le chrétien était sauvé par la foi au Christ mort pour lui, sur

M Surcette « donnée île Pa|)ias ••, « confirmée en quelque façon par l'iivanyile n (cf. M.vnc,
X. ;«• Loisy. p. 99 on peut voir notre commentaire de saint Marc à cet endroit.
, < On peut —
soupçonner même que le martyre de Jean était mentionné avec celui de Jacques dans la source
qu'a utilisée le rédacteur des Actes » (xii, i-'2) (p. 99 . —
On peut toujours soupçonner, mais il
faut se garder des soupçons téméraires.
(2 C'est naturellement jiar les Actes qu'on peut s'en convaincre.
256 REVUE BIBLIQUE.

quoi portiiit la controverse eutre Paul et les judaïsauts? Pour les deux partis, la Loi

eût dû être à tout le uioins subordonnée au Christ. D'après Paul, elle n'était plus
obligatoire pour personne, ce qui, avéré dune loi. signifie qu'elle était abrogée.
D'après le Jacques de M. Loisy, « obligatoire pour le Juif, la Loi était, en quelque
manière, une condition de son salut, mais elle n'en était pas le principe. Quoi qu'en
dise Paul, le principe du salut pour le Juif, même non chrétien, n'était pas la

Loi, mais la grâce de Dieu, dont la Loi pouvait être comprise comme un moyen »

(p. 133). — Par parenthèses, je voudrais bien que M. Loisy prouvât son assertion,
en ce (jui regarde le Judaisme pharisaïque, qui était alors régulateur de la doctrine,
— mais, quoi qu'il en soit de ce point, n'oublions pas que pour tous les chrétiens,
même la foi au Christ était le principe du salut. Voici maintenant l'objec-
Jacques,
tion capitale de M. Loisy contre l'argumentation de Paul. Il aurait raisonné comme un
esprit absolu, incapable d'envisager une autre alternative que celle de tout ou rien.
Car la Loi, sans être principe de salut, pouvait être condition de salut pour le Juif
et servir à la perfection du gentil. A supposer qu'elle soit inutile, on était du moins

libre de l'observer, ce que Paul a fait à l'occasion. 11 a donc complètement manqué


de logique. Qu'on puisse suivre la Loi sans la tenir pour la condition essentielle
«

du une idée que Paul ne prend pas la peine de regarder » (p. 140).
salut, c'est
— Mais pardon, puisqu'il se permet lui-même d'observer à l'occasion cette Loi inutile,
comme il est dit dans la même page? Faut-il donc admettre qu'il a été emporté par
« sa logique imperturbable et capricieuse » ? —A ce degré d'oublier sa propre pra-
tique? une autre logique qui nest peut-être pas exempte de caprice. C'est celle
Il est

qui écrit (p. 132) « Personne, pas même Jacques, ne contestait que les païens pus-
:

sent arriver au salut par la seule foi au Christ », et qui écrit bientôt après (p. 148) :

« aussi bien sa propre thèse du salut par la foi seule n'a-t-elle dû être professée en
ce temps-là que par lui ».

C'est trop réduire le conflit que de l'établir entre la foi et la Loi, comme si on
n'eût pu observer la Loi avec un sentiment de foi. et comme si l'existence d'une loi

empêchait l'exercice de la foi. Dans ces termes, Paul eût soutenu une absurdité,

car nous-mêmes constatons très bien la coexistence de la foi et de la loi dans la vie

chrétienne, l'observance de la loi étant une condition, et une condition essen-


tielle du salut, ([uoique la justification s'opère par la foi seule, la foi telle (jue l'enten-

dait saint Paul, l'adhésion totale de l'homme au christianisme (1). .Mais il ne faut
pas oublier que Paul ne raisonne pas en philosophe, ni même en théologien spé-
culatiL Les idées se présentent à lui sous une forme concrète, pour ne pas dire
incarnées dans les personnes. Il n'est que juste d'essayer de pénétrer une pensée
dont la porlre fut si salutaire au christianisme, et (|ui fui du moins géniale comme

instinct, à supposer qu'il ne l'ait pas déduite selon les règles de la logi(|ue. Mais
je prétends que son r.iisonnement est excellent, s'adressant, comme c'était le cas.

a des chrétiens qui concédaient le principe. Quoi(jue, à certains moments, Paul ait

fixé son attentir)n sur l'opposition entre la foi et les œuvres, pour soutenir, ce qui
est parfaitement exact, (jue la loi uv. donne pas la grâce pour accuinplir les œuvres
qu'elle commande, (juand il s'en prend à la Loi de Moïse, il la prend pour ce (|u'elle

était, un système religieux. Par la circoncision surtout, qui remonlail ii Abr.ili.im,

mais qui était pratiquement l'initiation à bi religion juive, on professait sa foi a

un ensemble d'institutions dont on attendait le salut.

(1) Je lie erois pas que ee |)<ilnl suit contesté p;ir M. I,iii.s> <|iii ne parail .ilisolii ni p.is faM
ri«pi l-i II,,-... ii,tiii.ri.-ini"'-
RECENSIONS. 2:.7

Après avoir reçu le baptême, qui initiait à la religion du Christ, accepter d'être
circoncis c'était supposer qu'on n'était pas dans la voie du salut, c'éiait une sorte
de doute sur l'elTicacité du baptême. Et
il en était nalurellemenl de même des Juifs
baptisés. Pratiquer !a pour y trouver le salut, c'était revenir sur le baptême.
loi

<< Car si c'est par la Loi que vient la justice. Christ sera donc mort pour rien »
<Gal. 2, 21, trad. Loisy). Ce que ;\I. Loisy j^lose : « Et Paul dit toujours la même
chose, et ce qu'il dit n'est consistant que pour lui; si l'on nadmet pas siwi principe,
qui n'est qu'une assertion de sa loi, toute sa discussion n'est que mirage lantastique
et de mots ;>
(p. 14-2). Oui, mais le principe de Paul, l'assertion de sa loi, c'est
le principe et la foi des chrétiens, même de Jacques, nous le savons par M. Loisy.
Paul a' donc raisonné en toute rigueur. Si, comme paraît le supposer M. Loisy, les
adversaires de Paul ne cherchaient pas la justice dans la Loi, système religieux par-
faitement délimité, cela prouverait que tout comme lui. Son seul le monde raisonnait
torte ût été, dans TÉpître aux Calâtes, de se battre contre des moulifis à vent. Mais
qui oserait nier ce qu'il affirme si nettement de ses adversaires, et ce qui est d'ail-
leurs vraisemblable, que beaucoup ne comprenaient pas l'importance et l'efflcacité
si

de mort du Christ pour le salut, et subordonnaient le Christ à la Loi?


la

De sorte que la vraie difficulté n'est pas de montrer le bien-fondé des déductions
de Paul, étant admis son principe de foi, mais de savoir quels étaient ses adversaires
et dans quelle mesure ils pouvaient s'appuyer sur l'autorité des anciens apôire.x.' Plus

précisément, comment semêmes termes pour blâmer


fait-il ([ue Paid emploie les
Pierre qui ne reconnaissait pas dans la Loi un principe de salut, et ceux qui sont
venus troubler les Calâtes? Si ces derniers ne faisaient que prôner la circoncision sans
la tenir pour nécessaire, les arguments de Paul dépassent le point. D autre part il est

clair que les exigences des judaïsauts ont été très pressantes et on s'étonne que Pierre
ait été mis dans la catégorie.
La difficulté est telle que d'après le P. Lemonnyer «:On peut même trouver que
saint Paul est trop dur pour saint Pierre et que ses remontrances, en ce qui coucerne
du moins les sentiments personnels de celui-ci, tombent à faux. >

Mais encore fallait-il expliquer comment


sentiments personnels de Pierre sont
les

ici hors de cause; la solution de ^L Loisy est fort juste, et je ne sais si elle a été
expliquée avec la même clarté par les exégètes catholiques : « L'apostrophe : « Si toi
-< qui es juif, tu vis en païen », parait viser Pierre personnellement... cependant... on
pourrait se demander si ce trait même
ne serait pas personnel qu'en apparence... Le
mieux peut-être serait d'admettre que l'Apôtre traite
la question de son point de vue

actuel, et de ne pas rechercher en quoi le bon Céphas a pu mériter spéciaL-ment


qu'on l'inculpât de vivre en païen... Pierre devient le type du jtidaïsant. incapable
d'observer la Loi qu'il prône, et qui veut l'imposer aux païens, soit en le b-ur conseil-
lant directement, soit en leur représentant la vie selon la Lii comme un état de per-
fection supérieure à la vie selon la foi du Christ en dehors de la Loi. Paul v(jit là une
inconséquence essentielle, et qui n'est point le fait personnel de Céphas » (p. 137 s.).
Ces formules sont excellentes. Mais le bon Céphas une fois mis hors de cause, il n'y a
aucune raison de ne pas attribuer aux adversaires de Paul les opinions que l'Apôtre
combat en leur personne. Ils veulent imposer la Loi, dit M. Loisy. Or on n'impose
pas une perfection supérieure. Ces judaïsauts croyaient la circoncision nécessaire ils
n'avaient pas compris comme Barnabe et les autres chefs de la communauté antio-
chienne qu'il n'y a pas lieu d'imposer aux païens convertis
joug des observances le
légales. M. Loisy a parfaitement raison de dire que « la question peut se ré-oudre
par oui ou par non selon la signification que l'on attache aux observances » (p. 180).
REVUE BIBLIQUE 1916. N. S., T. XUI. — j;
2:;8 REVUE BIBLIQUE.

Mais il n>st pas autorisé à dire que Paul roisonue dans le vide, comnio s'il n'avait
pas su quelle signification ses adversaires attachaient aux observances. Lui donner un
démenti sur ce point de fait, c'est passer les bornes. Ce n'est pas la même chose que
la circoncision soit inutile ou bien qu'elle soit incompatible avec la foi salutaire et la
vie dans le Christ (p. 181), nous le voyons bien, mais si Paul dit qu'elle est inutile,
c'est que ses adversaires la jugeaient nécessaire et lui donnaient un sens incompatible
avec la loi chrétienne. M. Loisy croit savoir que les judaisants ne mettaient pas dans
la circoncision le principe du salut ^p. 184). et cependant il soutient aussi qu'il existe
dans judaïsme un principe de foi ;p. 190). Comment personne n'aurait-il songé à
le

unir ces deux principes de foi, le juif et le chrétien, et comment quelques-uns n'au-
raient-ils pas mis au-dessus de l'autre le principe de foi légal? Saint Paul s'attaque à
ceux qui prétendaient mettre en action les deux principes. Quelle raison a-t-ou d'affir-
mer qu'il s'est trompé aussi grossièrement, et que la controverse la plus importante
peut-être du christianisme ait roulé sur un pur malentendu ? C'est ainsi que Constan-
tin estimait larianisme une question de mots!
Très dur, et sans raison, pour la façon dont Paul établit sa thèse principale contre
des adversaires qu'il connaissait bien. M. I^oisy a donné libre cours à sa verve sati-
rique à propos des arguments que l'Apôtre tire de la Loi elle-même. Assurément ils

ne sont point toujours concluants selon les règles de notre logi(|ue. précisément
parce que Paul avait été imbu de cette éducation rabbinique développée que le savant
critique lui refuse. On sait que l'Epître aux Romains, oij le système est plus mûri et
établi d'une façon plus suivie, n'a point fait autant usage de l'allégorie. S'il y avait
dès lors des rabbins pour soutenir que " tous ceux qui se convertissent dans le

monde... sont de ceux qui ont été allaités du lait de Sara (1) », ils ne se seraient
pas étonnés qu'on comparât entre eux les enfants d'\gar et de Sara. Mais, lorg
même qu'on ferait très large la part d'une argumentation ad homincm. on ne sera
pas tenté de s'associer aux critiques acerbes de M. Loisy. Paul ne raisonne pas contre
des Juifs, mais contre des judaisants, et il suppose toujours ce qu'ils devraient con-
céder, ce que croient certainement les Calâtes, que les chrétiens attendent leur salut
du Christ. Paul ne prétend pas qu'il n'y avait dans l'ancienne économie aucune foi

qui justiflât; il prétend seulement que cette foi ne justifiait pas par les œuvres de
la Loi, et si la Loi donnait une liuuière utile, cette lumière n'était toujours pas le
pardon des péchés, pardon déjà acquis et assuré par cet Esprit nouveau que connais-
saient bien les Galates.
Mais nous n'avons pas à poursuivre dans le détail une recension déjà trop longue.
En présence d'un homme comme saint Paul, y avait autre chose à faire qu'un ré-
il

quisitoire. On sait très bien, et c'est l'iniperfection inhérente à sa méthode, toujours


engagée dans l'action, <]ue Paul est tellement saisi par un des aspects de son objet
prochain qu'il ne songe pas à en faire le tour. Il le voit sous cet aspect, et c'est cet
aspect (|u'il Ce nest point une raison pour dire qu'il uïéeonnaissait
décrit fortement.
tout le reste. Quand oppose la Loi h la grâce, il la montre vide de toute énergie
il

divine en vue du bien. Ce qui ne l'empêcher.! pas de regarder la législation connue


un bienfait de Dieu pour Israël Rom. 9. Au lieu de tenir compte de tous ces I .

aperçus successifs, nullement contradictoires, décisifs selon les circonstances données,


M. Loisy voit dans chacun d eux un système complet : n Paul invente I.i philosophie
et la psychologie qui conviennent aux besoins de sa thèse» (p. 15!»;. Et cela lui

parait à certains moments « d'une enfantine absurdité » p. lô!»), le « vague d'une

(1 tf. /.' M'-snianismc. p. i»\i.


RECENSIONS. 259

pensée enfantine » à laquelle se joint « la fièvre (jui a^iite l'esprit du visionnaire et


multiplie en luîte les raisonnements sans en disenter le point de départ )^
(p. 101).
Voilà bien des injures. Heureusement on nous dit aussi : « L'argument se tient
si cette unité mvsri(iue des croyants dans le Christ est autre chose qu'un pieux rêve
et la prome-sse autre chose (|u'ime illusion de la foi » ^p. ICI). Le « visionnaire »

savait à quoi s'en tenir.

Paris, 7 janvier 1!»16 (1).

Fr M.-J. Lagb.4Xgi:.

1. Universitv of Pennsylvania. The


Muséum. Publications of the babv-
l'niversity
lonian section, vol. I\'. u" 1. by Arno Poebkl,
.1 new création aiid
Ili.'itorical te.rts,

déluge text, p. 7-70. Fac-similés dans le vol. V. Philadelphie. 19U.


IL Même publication. Vol. X. n" 1. Sumerinii epic of Paradlse, the flood and lin-
fall of Mnn, by Stephen L.a.\gdon, in-4» de 98 pp. Planches de fac-similés et de
photographies, Philadelphie, 1915.

I. Le texte publié par xM. Poebel, relatif à la création et au déluge, a déjà été signalé
dans la Revue (1915, p. 278). Le P. Dhorme l'a caractérisé très justement comme
n'ayant ni Tallure ni l'ampleur du poème babylonien de la création ou du récit du
déluge dans l'épopée de Gilgamès. Cependant tout ce qui regarde les légendes sur les
temps primitifs est si important, que nous croyons devoir en donner ici une analyse.
Le texte est, d'après M. Poebel, en sumérien déjà corrompu; il en fixe la date
approximativement à la dernière moitié de la grande première dynastie de Babylone.
C'était, avant la découverte de M. Langdou, le seul texte sumérien relatif au
déluge. _\'ayant pas la compétence nécessaire pour traiter question philologique, la

je note seulement ici que, en dépit de quelques divergences, dont on trouverait


l'équivalent entre les textes sémitiques babyloniens, nous sommes ici absolument
dans le courant des traditions connues jusqu'à présent comme babvloniennes et
sémitiques. Si les Sumériens sont, comme le prétendent les Sumérologues, un peu-
ple plus ancien que les Sémites, il faut décidément qu'ils leur aient tout appris. Li-
dentité est complète dans les traditions et dans la forme poétique comme dans les
arts. Quel peuple que ces Sumériens pour avoir dominé complètement tout le si

monde sémitique! Et qu'il est étrange, après cela, qu'il y ait si peu de preuves de
leur existence! Si l'existence d'une langue sumérienne est établie, qu'on cesse du
moins de nous parler des Sumériens: nous dirons simplement que les Sémites
ont chanté leurs propres traditions dans une langue morte comme les anciens Scan-
dinaves ont écrit l'Edda en latin '2).

La M. Poebel a reconstituée en 1912 parmi les fragments du Musée


tablette que
de Philadelphie provient de Mppour où elle a été trouvée durant la troisième cam-
pagne de fouilles de l'Université de Pensylvanie.
Celte tablette comprend six colonnes. Dans l'état assez fâcheux où elle se trouve,
M. Poebel hésite à prononcer si elle traitait de la création et du déluge, comme une
manière d'histoire des temps primitifs, ou si elle ne parlait de la création que pour

(1; Il ue serait sùremonl |)as de hou goût de renvoyer i)Our quelques-uns de ces points à mon
comnienlaire de l'Épitre auv Roiiiains. mais il ne sera pas hors de propos de dire ([ue ce com-
mentaire. —
et je le regrette, —
était en plein tirage quand j'ai eu connaissance du commentaire
de l'Épitre aux Galates L.;.
(2) M. Poebel note une ressemblance assez particulière avec la poésie hébraïque; la
liaison :

« en ce leraps-l;'i », « en ce jour >. revient souvent comme 7X dans le cantique de


Débora
(.Jud. 5, 8. 11.13.-22.
2C,0 REVUE BIBLIQUE.

Hl)OUtir an déiiifie. La seconde hypothèse parail plus vraisemblablf. puisque, dès le

début, il est question de destruction.

La colonne i en est à la création. LTne personne a la parole qui est probablement


yin-ljarsai/, la déesse des monlaijnes, en sémitique lielit-ili, la dame des dieux. Ou
ne sait si elle veut détruire la race hum-tine ou la préserver d'une catastrophe: en
tout cas elle lui indique son devoir de bâtir des villes dans des lieux purs, c'est-à-
dire consacrés, et d'observer certaines règles de morale. Avec cette déesse les créa-
teurs sont Anou. Enlil (Bel) et Enki (Ea). M. Poebel admet sans hésiter que, à l'ori-
uine, « Anou, le dieu du ciel, le plus élevé des dieux, était adoré conmie le seul
maître suprême de l'univers » (p. '2d). Dans la ville de Nippour. cité d'Eiilil, ce dieu
était comme investi du pouvoir d'Anou, si du moins il l'aut expliquer ainsi (|uc Anou

Enlil ne forment qu'un sujet pour un verbe au sin;îulier (col. vi, 8. 9). C'est la pre-
mière fois qu'Anou et Enlil sont nommés cré.iteurs de l'humanité. Après la création
de l'homme vient Cf-Ue des animaux, comme dans un des récits de la Genèse (1).
Col. 11. Un dieu qui doit être Anou Eulil se propose d'établir la monarchie et cela
est en effet exécuté. Cinij villes .sont fou lées Kriilou, donnée à Noudimmout, le même :

qu'Enki; une seconde ville dont le nom et le patron demeurent inconnus; Larak,
dont le dieu Pabilhirsai,' est inconnu: c'est iVapay/a, de la Chronique d'Eusèbc; Sip-
par, qui a pour dieu Chamach. le Soleil; .Sourouppak, qui a pour patron Sourroup-
pak c'est la ville du déluge dans l'épopée de Gilg miès.
:

M. Poebel avance très i;ratuitement (ju'il faut supposer antérieurement la présence


des villes d'Ourouk et de Nippour. consacrées à Anou et à Enlil, qui lii^urent ici en
tête des dieux créateurs.
Mais la pli-ce fait défaut et le contexte est contraire. Anou et Enlil, peut-être les
deux pour une seule divinité, (ignrent ou figure ici comme dieux suprêmes, ou comme
un seul dieu suprême. C'est lui qui nomme les cités et leur assigne des patrons. Le
thème du déluge est un thème d'Éridou en l'honneur d'Enki. A supposer que la tra-
dition de Nippour l'ait transporté, elle a dii cependant le respecter dans ses lignes
principales. Il est certain que déjà, à Eridoii, Anou était le dieu suprême, comme le
prouve le mythe d'Adapa. La tradition de Nippour se sera contentée de lui adjoindre
Enlil, mais sans lui assigner une ville particulière, pas plus qu'à Anou. M. Poebel
peu»>e qu'à la lin de la colonne ii figurait ror:;anisHliou îles canaux; ce serait un
trait de ressemblance avec la tablette de M. Langdon.

Col. III. Il est question de la pluie, à ce qu'il semble, dans un conseil des dieux.
Aussitôt jS'mtoii pousse des cris. Iclitar se lamenie sur son peuple. M. Poebel note
(jue dans Gilgamès, \i (la tablette du déluge), 117 s., l'ordre est inverse : la dame des
dieux est |)l.icée après Ichtar. Cet ordre lui [)arait meilleur. Dans le nouveau texte,
Tordre aurait été changé par erreur, puisijue c'est Nuitou qui, étant la créatrice.
de\rait dire « mon peuple ". M.iis il semble bien (]ue dans (îilgauies il n'y ait qu'iuie
personne :

Elle crie, Iilil;ir, coniinc iino fenniic cm lr;iv;iil,

Klle vociierc, la souveraiiu" des dit-ux, u la liellu voix (3 .

Et il pourrait bien en être de même dans le texte de M. Poebel. Ce savant fait de

I (.1-11. Dieu roiist.ilc <|iii- l'Iioiiiiiic <'si s<miI, il \ii lui ilniiiirr une aide. Il crée lesani-
M. t!t.

maux, mais ne surii^eiit |>as. un sait <|iic les i'rilii|u<-.s (','itli<>lii|ucs ne refUM'iil |iar« <lc milcr
ils
la dillcr i.'ni'.c des (iriiiUs de vue <l;iiis les dtMix premiers elia|iitrrs de la liciK'sc. (iiiancs de deux
sourres diirercnrus. Dans le raccord drliniiif riin|iai'lalt ennsccutil ^jf^T pouvait passer pour
un plns-(|Ui'-parrait. La Vulgate s'en est liree par un participe aliS'du : formath.
i Dii'ii.Mi. Cliiiix de le. ries religieux ttssyrohabtiloniftn. |). 111.
RECENSIONS. 201

"Vintou et de Mn-Inrsas l;» même personne, m;iis il tient à la distinguer d'Iclit.ir.

Aux oriiiifies, soit, mais dans un texte où Anoii et Eulil, si distincts, sont presque
confondus!
Il faut d'ailleurs reconnaître la supériorité littéraire du poème de Gilgamès lors-
qu'il ne met en scène la le commencement du déluge.
déesse et ses fureurs qu'après
De plus il lui prête un discours. Le nouveau texte serait-il une esquisse, ou serait-il
un résumé? D'après ce seul trait il serait milaisé de se prononcer. Mais lorsqu'il dit
en un vers qu'Enki conçut un plan, sans dire lequel « Enki dans son cœur tint con- :

seil », le lecteur ne pouvait comprendre que s'il savait déjà le rôle sauveur d'Enki.

Donc le texte est un abrégé (1).

A la fin de la colonne iir, nous voyons paraître le héros du déluge : « en ce


temps », Zhigiddu était roi, humblement prosterné, se tenant avec respect (devant
les dieux?), attentif aux songes, invoquant le nom du ciel et de la terre. Il est donc

roi, comme Xisnuthros de Bérose, et pieux comme Noé (Gen. 6, 10; 7, 1). Son nom.
que M. Landgon lit Ziudsuddu, renferme en tout cas des éléments qui indiquent le

souille de vie. comme Uta-napichtiin, le héros du déluge babylonien.


La colonne iv contient la révélation faite à Ziugidla de la décision prise dans
l'assemblée des dieux par Anou-Eniil de détruire la race humaine par un déluge.
Celte révélation ne peut émaner que d'Enki.
Dans la colonne v. le bateau est construit. Le déluge commence, il est causé par l'ou-

ragan et l'averse, comme dans Gilgamès, et comme dans la Genèse (7, 4 et 12; J ;

dans la Genèse, la pluie tombe quarante jours et quarante nuits, les textes cunéi-
formes se ressemblent beaucoup plus; dans celui de Nippour, la pluie dure sept
jours et sept nuits, tandis que dans Gilgamès elle cesse le septième jour au matin.
On sait que la Genèse y ajoute les sources du grand abîme et les cataractes descieux
Gen. 7, 12; P).
L'apparition de Charaach, le soleil, marque la fin du cataclysme. Le héros aperçoit
le dieu par une ouverture qu'il avait faite au bateau. Il se prosterne devant Cha

mach et lui offre en sacrifice un bœuf, une brebis. M. Poebel pense que ce sacrifice
a eu lieu sur (,2). avant le débar(juement. Le texte est si c^airt qu'il prête
le bateau
à cette perspective, mais déjà nous l'avons trouvé trop concis. Je pense (jne cette
fois encore il faut suppléer à ce qu'il ne dit pas par la tradition bien connue. Noé et
Outa napichtim ont offert le sacrifice sur le sol, en action de grâces de leur salut que
le débarquement constatait (3). Le récit biblique et le poème babylonien ont d'ail--

leurs en plus l'envoi des oiseaux, omis par le texte de iNippour, décidément très suc-
cinct.

(1) Ce n'est pas d'ailleurs que le poème de Gilgamès ait le


caractère d'un premier jet. Il sem-
ble hien, au contraire, qu'il ait fondu des traditions préexistantes et qui ne concordaient que
sur le tliéme principal. C'est ainsi que M. Poebel a très ingénieusement distingué trois modes
dans la révélation d'Enki. D'après Gll. xi, ii-t?, il aurait parlé ouvertement au Iitos du déluge ;

d'après xi. 193 s., il lui aurait envoyé un songe; d'après xi, 19--2-2, il aurait parlé à un mur. Malheu-
reusement l'état de la tablette de Nippour ne permet pas de dire comment se fit la révélation-
A la Gn de la col. m, il est question de songes, et dans la col. iv, il est question d'un mur.
(-2) En plus de l'apparence du texte, M. Poebel croit retrouver un indice d'une tradition sem-
blable sous-jacente dans Gilgamès. Les signes Y^K-ki^-su-vb-lim qui signifient littéralement . bai-
ser le sol répondent au sémitique uk-tam-mi-is, employé de Ula-napichtim dans le bateau
».

Poebel traduit ce mot • je me prosternai », mais, dans le contexte, le sens parait


(Gil. XI, t37). :

être . je m'affalai comme a traduit Dliorme, l. /., p. II3. Poebel insiste sur ce que dans Gil. xi,
...

198 ss. Enlil entre dans le bateau, ce qui n'a plus de raison d'être après le sacrilice; il y a donc
,

là une autre tradition. Mais on comprend que le sacrifice ayant été opéré par le
héros seul,
Enlil entre dans le bateau pour associer sa femme à son immortalité.
(3) Dans Bérose TCprj^xuvïiTavTa Tr,v yr|V. Le geste est très naturel. Ceux qui échappent à un
:

péril de mer embrassent la terre.


2G2 REVUI-: lUIiLloiE.

Col. M. Quelqivim dit ;iux surviviints d'invoiiiier Anou Eiilii par l'àme du ciel et

de la terre. sauvé du déluf^e se prosterne devant Anou-Knlil (|iii lui donne


Le roi

une vie éternelle comme aux dieux. Il n'est question de personne autre. Ziui/iddu est
pla( é dans un lieu qui paraît être Dilmoun. Cependant M. Poebel constate que le

nom de ce lieu est incertain -, ce qui est bien à noter, car M. Langdon semble re-
garder ce point comme acquis.
Comment le salut d'un seul iiomme. tr;insportc dans un séjour plus ou moins
divin, peut-il assurer la conservation de riuuiianité? C'est ce qu'on ne nous dit pas
Cependant c'était bien le but de préservation du héros, puisque le bateau reçoit
la

le nom de : « celui qui préserve la semence de l'humanité (Ij ».


II. L'intérêt tout à fait exceptionnel du document publié par M. Langdon est
précisément (pi'il a trait aux destinées de l'immanité après le déluge. Tn premier
fragment l'ut découvert par ce savant l'autonme de 1912 parmi les tablettes pro-
;i

venant des fouilles l'Université de Pensylvanie. Depuis


de Nippour au Muséum de
deux autres fragments ont été rapprochés, de sorte qu'on possède à peu près toute
une tablette, trois colonnes sur le recto, et trois autres sur le vcno; malheureusement
il y a plus d'une cassure. Lu langue est encore le « sumérien »; la date, le temps de
la dynastie d'Isin. En voici l'analyse, avec plusieurs passages traduits de l'anglais de
M. Langdon.
Recto. Col. Le début nous conduit ex abrupto au pays de Dilmoun, l'heureux
I.

pays, montagne où Enki repose avec son épouse. La situation de Dilmoun,


et cité,

île ou rivage, est toujours recherchée; il est du moins certain qu'il se trouvait sur

le golfe Persique, plus ou moins loin de l'embouchure du Tigre et de l'Euphrate.

M. Langdon a de nouveau lixé l'état des docimients sur ce point. Le nom de Para-
dis qu'il lui donne, en souvenir de la Genèse, est justifié par la description enthou-
siaste que fait le poète de ce lieu :

1. M Où Knki repose avec hi pui-e l'cine divine,


ii Cette i>lace est pure, coUc place est nette,
la Dans uilinouii le corbeau ne cmassait pas,
14 l,c milan ne criait pas comme fait le milan,
l.'i Le lion ne tuait pas.
10 Le loup n'einporlail |)as les agncauv...
•2\ Les colomlics n'etaieni [las mises en Inile.

Ce dernier trdit n'est-il pas ravissant:' On était avant le moment ou, d'après notre
fabuliste : « les tourterelles se fuyaient ».

Et en effet le mal physique épargnait les hommes :

:!-i On ne disait pas : • oh! mkiI des >cu\. tu es l'uil mkiImiIi' >:
fi On ne disait pas ; • oh mal de Icte, tu es le mnl
1 i\f ti'lr •.

Les hommes étaient toujours jeunes, en dcpii des amures :

'24 (.tuant a la vieille fenmie, on ne disait pas • lu es une vieille frnimo


: ;
i:> guanl au vieillar<l. on ne disait pas : « lu os un vieillard '.

Il n'y avait pas non plus d'inju.stic(' parmi les hommes :

•m On ne disait pas : • un honune a déloui-m- un canal "...

i'i On ne disait pas : - un trompeur trompe ".

C'était donc le Paradis si Ion veut, mais m .somme, si l'on cherche une analogie

(1 Dans le fraKiinnl llilpnchl, /;/;.. Iftio, p. tiiH, la IIkup " est traduite maintenant par l'oebel :

• Le liaienu sera un hHte.iugéant et son nom sera rpn sauve la vie. • : ;


llECIiNSIONS. 20:3

dans les traditions anciennes, elle est plus complète dans les ShIudiùi rc;/)vt, carie
propre du Paradis des Hébreux, c'est (|ue l'iioninie y est placé seul avec la femme,
dès la création, et qu'il n'y demeura qu'un temps très court, tandis que, dans le texte
de M. Laniidon, il s'agit d'iuie cité. Il seuible cependant, d'après la lin de la pre-
mière colonne, qu'à cette cité il manquait un canal. C'est probablement ce que la

déesse Mnella l'ait remarquer à son père Enki.


Col. II. Elle (?) demande donc que Dilmoun soit bien arrosé, que les piscines d'eau
anière soient changées en piscines d'eau douce, pour que le pays soit le lieu de ras-
semblement, la ciritiis du pays de Sumer. On dirait que cela l'ut exécuté (1).

Puis aussitôt, sans aucune lacune, sans explication, sans qu'il y ait eu faute de
personne, au moment où tout est pour le mieux, Enki se décide à faire périr les
hommes :

I. ^0 Lui. l'auteur de la décision, le possesseur de la sagesse.


21 à Nintoud la nicre du pays de Sumer,
2-2 Enki, le possesseur de la sagesse, ,

•Xi à Nintoud
2i révéla son dessein dans le temple.

On est d'autant plus surpris de cette mesure. qu'Enki. dans tous les autres récits
du déluge, est au contraire le dieu sauveur. Mais puisque M. Langdon ne peut douter
un seul instant du sens relativement à Enki, il est étrange qu'il refuse d'accepter
la traduction : « Niuharsag dévaste les champs » (1. 32), sous prétexte que la déesse
n'est nulle part hostile. Elle a pu changer d'idée, ou de dispositions selon les per-
sonnes. Pourquoi le dieu a-t-il résolu le déluge dont la déesse se fait complice? Rien
ne l'indique. Serait-ce simplement que la demande des eaux était indiscrète? Proba-
blement l'eau ne manquait pas tout à fait d'abord à Dilmoun-, mais on a voulu da-
vantage, et changer les eaux amères en eaux douces. — Vous voulez un miracle,
vous voidez de l'eau? vous en aurez plus que vous n'en voulez! — Cette péripétie
serait peut-être assez dans le goût des légendes semblables.
Quoi qu'il en nous nous trouvons, quant à la composition littéraire, en
soit,

présence d'un phénomène étrange, qui ne parait pas avoir frappé suffisamment le
traducteur : le déluge est raconté trois fois. Une première fois se trouve à la fin de
la colonne ii. Il se produit non plus par la pluie, mais :

I. 33 Les cliamps reçurent les eaux d'Enki.

qui sont probablement les eaux de la mer.

.^4 Ce fut le premier jour du premier mois.


3o Ce l'ut le second jour du deuxième mois etc..
i"2 Ce fut le neuvième jour du neuvième mois mois de : la cessation des eaux.

On voit que ce déluge


est beaucoup plus long que les autres déluges babyloniens.
Dans eaux montent durant cent cinquante jours, et le déluge dure
la Genèse, les

€n tout, jusqu'au débarquement de Noé, im an et dix jours. Le déluge de Dilmoun


semble durer en tout huit mois et huit jours.
Col. III. Cette première esquisse du déluge est suivie d'un second récit nécessaire
pour raconter comment il y eut des hommes sauvés. Mais l'étonnant c'est que ce
récit de vingt lignes soit repris aussitôt textuellement (1. 21-38), sauf une petite abré-
viation à la fin. Cette répétition dépasse tout ce que s'est jamais permis l'épopée, où

(Ij 1. 19 : « vraiment il en fut ainsi », que L. compare à ^3 "in"!!.


iOi REVUE BIBLIQUE.
l'on répète seulement ce (in'on a été chargé dédire, Il faut doni; (|ue la récitation
elle-même eu une certaine efficacité, comme l'a très bien vu M. Poebel
ait « On :

croyait que la récitation de traditions relatives aux événements des temps les plus
anciens donnait à l'exorciste un pouvoir surnatiu'el (1) ».
Les iiiiues répétées mettent en scène Ninioud. Elle s'adresse à Enki pour reven-
diquer certaines personnes. Elle u'('tait pas irritée contre les gens pieux... (elle pou-
vait donc l'avoir été contre d'autres... il y avait donc des gens sans piété à Dil-
moun?). Le héros sauvé parait enfin. Le poète le nomme « mon roi ». :

1. '.) mon roi, qui étail rempli de crainte, oui, <|ui élait rempli ilc crainle,
10 mit son pied seul sur le bateau, et plaça deux hommes de garde pour garder.

Vient e:isuitele délu2;e, racontécomme la première fois, puis la répétition du tout.


A la ligne 39 apparaît un personnage qui est qualifié dieu. M. Langdon nommele
ïagtoug, le regarde comme le rescapé, et propose d'interpréter ce nom comme
celui de ?»oé, par une racine qui indi |ue le repos.
Mais, à vrai dire, rien ne prouve (|ue Tagtouir, qui est un dieu, soit • mon roi ». Les
instructions que lui adresse Nintoud sont plus qu'obscures.
Verso. Col. i. Avec le verso, la scène change, nous nous trouvons dans un jar-
din, avec un jardinier et deux esclaves qui le cultivent.
Enki s'adresse à Tagtoug et lui commande d'ouvrir la porte du temple. Tagtnug
obéit et ncoit une révélation.
Col. II. Quoi (ju'il en soit de Tagtoug, nous revoyons ici les rescapés du déluge.
Nous sommes toujours dans le jardin, et nous retrouvons « mon roi ». Des ordres
lui sont donnes relativement à certains arbres. De tels et tels, il cueillera, il man-
gera. Il est probable que la contre-partie se trouve dans une lacune : de tel il ne
cueillera pas, il ne mangera pas. Car nous lisons :

1. 34 [mon roil approiha de la cassia.


'Vi il cueillit, il mangea.
36 ... la plante, [ellt;| avait détermine son destin...
37 Ninharsag au nom d'Knki. prod-ra )ine malcdictinn.
38 Jusqu'à ce qu'il meure, il ne verra pas la face de la vie.

Nous sommes au point détisif que M. Langdon a bien nommé : « la Chute . Mon
roi, échappé au déluge, et par conséquent seul espoir de l'hiunaiiité future, s'est vu
intimer la défense de manger du fruit d"un arbre. Il a transgressé le précepte; il

est aussitôt maudit et puni. Le châtiment, c'est, d'après Langdon. (|u'il ne sera pltis

désormais à l'abri des maladies. La mort élait déji dans le monde. Ouoi(|ue ccl;i
n'ait pas été dit de I époque heureuse de Diimoun, le déluge en tout cas le prouvait
assez. Mais jus(]u'à ce moment les hotnmcs n'avaient pas été atteints par la mala-
die, pas même par les infirmités de la vieillesse. Ce que le poète — ou l'incantateur
— a en vue. c'est l'origini', des maladies. A-t-il pensé (|ue la maladie élait purement
et sim,ilement la peine de la désobéissance, comme pense M. f/uiglon, ou bien
le

l'arbre y hil-il poiw qticlque cho.se? il est malaisf* de tr.mclier l;i question. L'auteur
n'imagin.iil certainement p.is que la cassia avait naturellement le pouvoir d'engen-
drer des maladies, et c'est la force de l'opinion de M. Langdon. Mais ce pouvoir
a pu lui être donné par un charme, et c'est peut être ce qu'insinuait la ligne 3(5,

malheureusement lacuneusc.
Le mal est d'ailleurs irréparable. Les Anounnaki s'assirent dans la poussière,

Il l'i'iiin. o/i. Imol.. p. u'{.


RKCENSIONS. 2615

sûrement pour pleurer sur le mallieur des hommes, comme ils font dans le déluge

de riiiganiès (\i, 12ôi (1 ).

La déesse s'irrite contre Enlil. Mais que vient faire Enlil en cette affaire, à moias
que ce ne soit lui qui a mis « mon roi » à une épreuve trop sévère?

1. '<0 Irritée elle dit à Enlil :

41 "Moi Ninliarsas. je t'ai donné des enfants, et (juclle est ma récompense? »

i-l Enlil le père répondit avec colère :

i'S •>Tu as entante des enfants, Ninliarsaj;.


'»'»
ton nom sera dans ma cité je veux faire pour toi deux créatures •.
:

La colonne se termine par trois li::?nes fort obscures. On dirait que la déesse sert
de modèle à ces deux créatures qu'Kniil lui promet de l'aire.

De somme, il se pourrait bien que la malédiction portée contre « mon


sorte (|u'en
roi menace de nouveau la conservation du genre humain. Le texte pDurrait bien
>

signifier }. 38) qu'il sera malade et non seulement exposé à la maladie jusqu'à sa
mort. C'est pour cela que Ninharsag se désole; il ne lui sert à rien d'avoir créé les
hommes qu'elle a donnés à Enlil comme ses enfants. Enlil, pour la consoler, crée
deux autres créatures, qui seront probablement un couple dotiné à renouveler
l'humanité(comme les pierres de Deucalion), d'autant que « mon roi » était seul, sans
épouse, avec ses deux gardes devenus probablement ses jardiniers. La nouvelle hu-
manité sera naturellement exposée aux maladies; mais si leur origine est fixée à la

manducation de la cassia, les maladies ne sont pas comme un héritage transmis à la

descendat'Ce du roi sauvé du déluge.


Col. III. Cette colonne est fort lacuneuse, surtout au début. D'après l'analyse de
j\L Langdon (p. 7\ après que l'homme est tombé dans la souffrance, les dieux lui
envoient des patrons de diverses sortes pour le soutenir dans sa lutte pour l'exis-
tence. La scène serait donc encore dans le jardin, comme pour la Genèse, et rap-
pellerait l'annonce de la lutte entre le fils de la femme et le serpent. Mais il est

peu plausible que toutes les maladies aient accablé dès ce moment l'homuîe, ses
pâturages et ses troupeaux. Il semble bien plutôt que le poète tire une morale
générale de cette histoire. L'humanité étant exposée à ces maux, la déesse lui a
donné des auxiliaires. Elle s'adresse à un homme quelconque, qu'elle nom;ne mon
frère; le poème aurait une sorte d'épilogue adressé au public olutôt qu'une con-
clusion historique

-2i • Mon frère, de quoi soulTres-tu ? — •

^.'i • Mes pâturages sont en mauvais état •. —


2G t.
.l'ai créé pour loi AUou (le dieu Tammouz),
••

27 • Mon frère, de quoi souffres-tu • ? —
iS « Mes troupeaux sont en mauvais état ». —
29 • J'ai créé pour toi la reine des troupeaux - ... —
S^ " Mon frère, de quoi soulTres-tu;' • « Ma huuche est en mauvais état •. -

^S « .l'ai créé iiour toi la reine <|u! remplit la bouche « Ja déesse du vin...

Il y a huit sortes d'afflictions, auxquelles il est remédié par huit dieux, qui sont
ensuite créés par huit décrets nominatifs. Le dernier est :

1. 50 Que Eniagme (2) soit Seigneur de Dilmoun !

SI Louange.

Et tout est terminé.

(1) D'après l-angdon qui prend su-ul au sens de id est,


(•J) Le dieu qui donne l'intelligence.
il seniltle bien (]ue cet épilogue est le moment c;ipit;il du poème ou de l'incanta-
tion. Il importait surtout de savoir quel dieu portait remède à tel désordre. Tel est
le but très pratique de la récitation iiui avait aussi en elle-même son efficacité. On
comprend ainsi que le souci de l'auteur, ce n'était point l'origine du mal moral,
mais celle des maladies. Le mal moral existait avant le déluge, et eut du moins pour
résultat que ceux qui en étaient coupables ne lurent pas préservés des eaux. Mais
l'auteur ne songe nullement à mettre ce point en relief. L'humanité antédiluvienne,
dans son ensemble, ne connaissait pas les maladies, ni les infirmités; moins heu-
reu.v est le sort de l'humanité nouvelle; manducation de la on l'expliquait par la

cassia prohibée. 11 n'est nullement question d'im changement dans la science de


l'homme, il doit savoir cependant (|u'aux maux qiii le menacent les dieux ont
opposé des auxiliaires divins auxquels il peut avoir recours.
Ou voit aisément quels sont et les divergences du nouveau
les rapprochements
récit avec la Bible. « beaucoup plus à INoé qu'à Adam puisqu'il
Mon roi » ressemble
survit au déluge, et que ses laits et gestes n'ont aucune portée sur l'humanité anté-
diluvienne. Dans l'ensemble on dirait que la chute morale est reportée après le dé-
luge; et cependant elle est présupposée dans le déluge. Les poètes « sumériens » ne
se sont pas souciés de traiter le thème moral avec logique. II ne faut pas d'ailleurs
oublier que Noé, lui aussi, fut un cultivateur, et goûta, non sans un grave inconvé-
nient, à ce fruit d'une plante qui est la vigne, transformé en vin. Alors aussi fut prn-
noncée une malédiction, mais sur le (ils coupable de Noé, Canaan. De sorte qu'il
serait plus aisé d'assimiler " mon roi » à Noé qu'au premier honime. Les documents
se multiplient, et aucun n'est très semblable à la chute dans le Paradis. Il est peu
vraisemblable qu'on la trouve jamais, car elle est en opposition avec la tradition
si bien établie d'une humanité considérable vivant dans les délices de l'âge d'or, dont
le texte de M. Langdon otlVe un tableau si remarquable.
Ce savant a essayé d'étayer sa thèse du dogme de la chute en pays de Soumer par
un rapprochement de son texte avec le mythe d'Adapa. C'est, selon nous, la partie
la plus contestable de son élude, et on nous permettra de le suivre sur ce terrain, en

maiuten.mt cette position, qui a toujours été la nôtre, que le mythe d'Adapa (init par
la glorification du héros (1).

Les quatre documents qui contiennent le mythe sont transcrits et traduits dans
l'ouvrage du 1>. Dhorme(2;. Il y a, comme on sait, des laciuies. Le premier fragment
dit comment Ivi Knki sumérien) donna à Adapa la sagesse, mais non lininiortalité.
Le héros montait sur son bateau pour aller à la pèche, lorsque (Fragment II) le vent
du sud le fit chavirer. Irrité, Adapa lui brisa les ailes par une véritable malédiction (3)
qui suppose un pouvoir magique. Oa le dénonce à Anou, le dieu suprême, qui mande
le coupable à son tribunal. Ea, inquiet pour son protégé, lui donne des instructions

qui portent sur deux points prendre des babils de deuil, pmir se concilier deux pro-
:

lecteurs faramouz et Oiszida dont riuuuiuilé pleure la mort; ensuite éviter de


prendre l'aliment et l'eau de mort qu'Anou essayera de lui faire prendre.
Adapa obéit exactement, et tout réussit si bien qu'Anou oITrc à Adapa une nourri-
ture et une eau de vie. Adapa, ne connaissant que sa consigne, refuse, et Anou
s'écrie qu'il a m:ui(|ué l'iiinnortalilé.
Le troisième fragment n'est que la variante assyrienne dun passage du second,

I l.ttiihs sur lis rrlifiKins \ii/) itujurs, -J' 6il.. |i. :\'.>i.

•J I iKiix lie tcrles reli(jii<u.i .... \i. liK-ltil. M. I.:ii)f{diiii en iMili<|ii<' un (-inc|iiirnii-. : |>la<'Cr tout
:iu ili-liut, i|ui ne change rien au Uienic.
(;») Allazar, reconnu par le I'. Dlmmic i|i. l.'»-'>) cl accepté par l.auKdon.
KECENSIONS. :Î67

venu tlii [).)ys de Canaan à el-Aniarna. Nous n'insistons pas sur les diverj^ences. inté-
ressantes, mais en somme le quatrième fragment contient
sans grande portée. Mais
certainement la (in de une histoire qui finit hien, comme toutes
l'histoire, et c'est

les histoires. 11 f.mt seulement reconnaître qu'il y a un intervalle entre le fragment 2


et le dernier. Au premier abord on dirait qu'il y a soudure, puisque Adapa s'oint
d'huile et revêt levêtement que lui offre Anou. Mais au dernier fragment Anou ne
déclare plus qu'Adapa a manqué l'immortalité, et au lieu qu'il soit ramené à terre, on
le voit monter au ciel. La scène des propositions d'Auou est donc recommencée, mais

dans d'autres conditions. Il est impossible qu'Adapa soit puni pour avoir ubci à son
dieu, au dieu Ka. Seigneiu" d'Eridou, d'où sortent plus ou moins directement tous ces
poèmes. D'ailleurs Éa. comme l'a reconnu le P. Dhorme, était certainement de bonne
foi. Je suppose simplement qu'Adapa, renvoyé chez lui absous mais non immortel, a

été trouver Éa, qui lui a donné cette fois la bonne recette. D'abord il l'avait fait échap-
per à la condamnation. Désormais, par la faveur d'Annu et surtout grâce à la sagesse
d'Ea, le succès sera complet. Ce qui ressort de la traduction de .M. Langdon, plus
encore que de celle du P. Dhorme, c'est que cette fois Anou est stupéfait du procédé
d'Éa. Il fait monter Adapa jusqu'au Zénith du ciel, et institue des droits sacerdo-
taux pour lui dans qu'on institue un sacerdoce en son
la cité d'Ea. ]\'est-ce pas dire
honneur (1)? ^I. Langdon rencontre un mot intraduisible. Son système lui suggère
de lire h la mort ». comme si la faute dAdapa avait amené la mort pour les hommes-
et il ne met rien. Mais enfin voici la conclusion
Sa conscience scientifique l'emporte, :

« Au temps où Adapa, semence de l'humanité, avec son... brisa en tyran les ailes du
vent du Sud et monta au ciel, ce fut ce qui arriva » (p. 47). C'est-à-dire ainsi flnit :

l'histoire d'Adapa. C'est un homme, mais il unit par monter au ciel. Il serait plus

juste de le comparer à llénoch qu'à Adam.


Le P. Dhorme a parfaitement compris que le morceau se termine par une sorte

d'amen. Il a noté pour ce qui suit : « Le morceau se termine en incantation » (2).


J'avais proposéde même une conjuration contre les maladies » (3). Croirait-on
:

que M. Langdon a vu dans cette suite les résultats funestes pour l'humanité de la
faute d'Adapa?
Il traduit : « Et toutes les sortes de maux que cet homme a amenés sur les

hommes, et les maladies qu'il a amenées sur le corps des hommes, la déesse >'inkar-
rak le soulagera. Que la soulfrance s'en aille; que la maladie s'en aille. Que son hor-
reur tombe sur cet homme!... il ne goUtera pas le doux sommeil. »

Mais de qui parle-t-on? Faui-il qu'Adapa, outre qu'il a manqué l'immortalité, soit
la cause de tous les maux? Comment cela decoule-t-il du poème? quelle est cette
énigme? —
C'est beaucoup plus simple. Cette fois j'ose proposer une traduction, car
ne s'agit plus de « sumérien », mais de babylonien « Et quiconque opère mécham-
il :

ment sur les hommes et amène la maladie dans le corps des liommes », et l'on de-
mande à la déesse de guérir le malade en reportant la maladie sur le méchant
sorcier.
L'histoire d'Adapa n'a pas. il est vrai, un rapport direct avec cette conclusion,
mais cela n'est pas exigé dans notre système, puisqu'il y a solution de continuité,
non conclusion; elle devait agir comme un charme, selon la remarque citée plus haut
de y\. Poebel.

(1) M. Langdon ne paraît pas faire état des textes ( ités par Sclioil où Adapa a le prédicat divin
<SCHEIL, Recueil de travaux..., XX, p. 1:24 ss.).
(2) Op. laud., p. 159.
(3) Éludes sur les religions sémitiques, -2" éd., p. 344.
•26K RKVUK HIRLIOUE.

M. IxTiigdon. toujours désireux de nipprocher Adapa d'Adani, n'a pas moins forcé
le sens des ternies lorsqu'il qualifie la connaissance acquise par Adapa de connais-
sauce du bien et du mai (p. 44). Anou ne se préoccupe nullement de savoir si Adapa
possède a the consciousncss of indecency » (p. 44), mais il trouve mauvais qu'il
exerce un pouvoir iiia:;ique au détriment des éléments naturels. Il dirait volontiers
comme le saiut Jean de Victor Hui;o :

Nouveaux venus, laissez la iiaUire tranquille:

Il est certes très ingrat de notre part de proliter de l'admirable publication de


M. i^angdon, pour lui chercher chicane, et nous tenons avant tout à le remercier
d'avoir donné si tôt et si bien au public un morceau d'un intérêt aussi capital. Lui-
même se réserve sans doute de compléter son étude. Son volume, si plein de choses,
contient encore un petit fragment où Zi-udsuddu le héros du texte Poebel sur- — —
vit au déluge et reçoit des instructions sur les sacrifices et sur la vie morale (1).

Paris, a janvier.
Fr. M.-J. Lagranoe.

The "Wilderness
of Zin (Archaeologieal Report) by C. Léonard VVooli.ky and
1". Lawhknck. With a Chapterontlie Greek Inscriptions by M. N. Ton. Volume
K.
double, comprenant VAnnual du Palestine Exploration Fiiml pour I9I4-191.>.
Publié par ordre du Comité, en vente à l'office dn Fund, 2, Hinde Street. Manches-
ter Stiuare. London W. — In-4'' de xvi-1.54 pages, avec .38 planches, 2 cartes, et de
nombreuses figures dans le texte. Prix 45 sh.

Ce beau volume présente les résultats d'un voyage entrepris pir MM. >N oolley et
Lawrence surtout dans la région située au nord de la péninsule sinaïti(|ue, et que
l'Kcriture désigne comme le désert de Sin. Les deux explor.iteiirs ont été absorbés à
la tin de 1!)14 par leurs devoirs milit;iires. si bien que la publication a été confiée à
M. Ilogarth.
Le point de départ du voyage était Gaza, d'où les voyageurs sont partis le 7 jan-
vier 1014. Ils ont visité successivement Bersabée. Khalasa. Sbaïta. Aoudjeh, et sont
arrivés ensemble à 'Ain K.edeis. Après plusieiu's jours passés dans cette intéressante
région, ils se sr-parèrent le x février, M. Lawren(;e se dirigeant sur A(|aba, et

M. Woolley vers le nord, pour visiter Abdeh et Qouriioul). Les lieux que nous avons
nommés sont les points principaux de l'exploration.
Qu'il nous
soit permis de reproduire ici une appréciation trop ll.itteuse pour cpie

nous n'en soyons pas reconnaissants. Parlant de leurs devanciers, les auteurs s'expri-
ment ainsi : « Kn somme. l'iruvre des Pères français r2\ dans ce pays et [)ubliée par
eux de temps à autre dans la Rrrw biblique nous semble à l;i fois très saine, très

intéressante et très exacte. Leurs notes sur Ai)da, aussi loin qu'elles vont, sont admi-
rables. Leur discription de la course de Nakbel a Kedeis, et par le wady Djerafeh à
F'étra n'a pu être prise ru défaut, et sur des [)(»ints plus particuliers, comme dans

1) l'.-S. On lit dans les Ih-lmis sous la rnlirlipic Arudrinic des liitcri/itioDsi-i ficUes-
<lii ti {«'vrier,
l.etlrrs, séance «lu '» Scheil conniuninuc à l'Acadcmic une (Ickouverlc faite par
Ir-vrior ; l.c P.
M. l.aiigiloii, (inilesseur à l'iniversilé d'Oxford. Il s'agit d'nne rédaction sumérienne du pufme de
la Dc^i'efUc d Islar aux Knicis •.
'î> Autre rcmarriuo .-liiii.-ilile, p. 'i'» (no4e), sur les lii'nrilirihis frnnçaix de la lU'vnr hihliijue.
Nou» nr pouv()n<< ipTelrc llatle-,, puis(|uc heni'ili'iin est ilevcnu synonyme de travailleur acharné
et consi icncieux. D'ailleurs la direction du Fuml sait Ires l>i«'n <|ue l'tcole l)ildii|uc de Jt'rusa
lem est dominicaine. puWipie deux de ses membres <>nl l'honneur de faire partie du comité.
RECENSIONS. 2(.',>

It'iir description de Grave i


Djeziret Faraiin) ou dans leurs notes historiques et antliro-
pologi(]ues sur les tribus arabes, ils montrent l'érudition de spécialistes tempérée par
un sentiment humain i?) mi'rci/). De Musil, leur rival autrichien », on nous dit
« qu'il a fcùt d'admirables coliectious de chants arabes, surtout du district de Kérak,
et qu'il a parcouru toute la contrée, explorant (surveying) et photographiant; mais
ses notes prises sur place sont parfois en même temps vagues et lourdes {hcavi/) >

(p. XIII).
L'hommage rendu à Ed. Palmer, notre prédécesseur à tous, est bien mérité. Les
restrictions des auteurs anglais sont même plus expresses. Il est certain que Palmer
H trop directement cherché la trace des Israélites chez les Bédouins de nos jours.
D.ins la partie nord de la péninsule, ce qui frappe surtout, ce sont les ruines byzan-
tines, auxquelles Palmer ne s'intéressait pas. Il faut féliciter MM. Woolley et
Lawrence de leur avoir donné l'attention qu'elles méritent. C'est certainement par
les Byzantins qu'il faut passer pour siuvre la tradition; mais ils ont pu aussi l'altérer.
Et nous-mêmes avons prouvé, par un exemple irrécusable, qu'un nom de lieu parti-
culier peut se conserver jusqu'à nos jours chez les Arabes; je fais allusion à la grotte
del-Madras à Pétra {CIS., II, 443). Nos auteurs pourraient hien avoir exagéré le
sceptiL'isme. Assurément nous pensons comme eux que l'immuable Orient « est un
cliché des plus trompeurs, mais les noms de lieux sont précisément un des points sur
lesiiuelslOrient est immuable. Que les tribus de Bédouins se transportent d'un lieu à
un autre, ce n'est point une raison suffisante pour empêcher la continuité des noms.
Et ces changements sont-ils aussi comm;in5, puisque les Arabes de la Péninsule savent
encore distinguer les tribus qui ont été mélangées d'éléments non sémitiques? On
nous dit « les recherches de nomenclature locale sont aujourd'hui très difficiles
:

parmi les tribus; et il n'est pas vraisemblable que Moïse ait été plus patient et plus

appliqué qu'un explorateur moderne. Probablement, dans la moitié environ des cas.
les Israélites ont nommé eux-mêmes leurs propres camps, ou confondu inconsciemment
un nom ancien dans leur insouciance » (p. 69 . Et en effet la guerre à laquelle nous
assistons prouve que l'imag'inalion des soldats n'est jamais à court pour donner un
nom à un ouvrage militaire. D'autres fois, le nom original est singulièrement déformé,
comme pour le cas si bizarre du Vieil-Armand {Hai timinnsiviller). Qu'on tienne
compte de ces possibilités. La Bible elle-même mentionne des cas où les Israélites
ont créé des noms, comme Tabeéra ,j\um. 11, 3), Qiljroth-hattaiva (Xum. 11, 34),
noms entièrement nouveaux, ou Khorma, nom qui aurait remplacé Sephat (Jud. 1,
17). Mais il est fort hasardé de dire « attendre une continuité de noms comme dans
:

les districts cultivés de Syrie, c'est vanité » (p. 69). Nous avons toujours trouvé chez

les Bédouins beaucoup plus d'attention pour le monde extérieur que chez les fellahin,
absorbés dans les travaux du sol. Demandez à un fellah le nom d'une plante, il vous
répondra que c'est une plante. Les Bédouins du Sinaï savaient le nom arabe de
chaque herbe. Quand nous revenions d'Aqaba à Gaza, un homme des Alawin était
chargé de me dire le nom de tous les lieux; il eut stimulé ma curiosité plutôt que
refusé de répondre aux questions. Il serait fort étrange que le guide des Israélites
dans le désert ne se soit pas informé du nom des lieux où ils campaient. Puisque
nous avons retrouvé le site de Fenân, on a chance d'en trouver d'autres.
MM. WooUev et Lawrence se demandent si les Israélites étaient de vrais nomades,
dispersés dans tous les coins du désert par groupes de deux ou trois tentes. Cette
conception, à vrai dire, ferait disparaître le problème. Mais elle fait trop peu de
cas de la tradition des Hébreux. Dans l'autre hypothèse que nous tenons pour la —
réalité — d'un groupement plus compact se transportant d'un district à un autre, nos
:>7,) UliVlK BlULIglK.

auteurs reconnaissent que le désert de Sin et par conséquent Cades doit être oherclié
aux environs de 'Ain Kedeis. Ils posent le problème exactement comme nous l'avons
l'ait, flierciiant le principal argument moins dans la ressemblance des noms (|ue dans
la situation unique de cette partie du déscrl. au moment où il n'est plus tout à fait
le désert. « Dans cette seconde vue {tribal ///oHp), c'est délinitivement notre opinion
(|u*on ne peut trouver que dans le district de Kossaima assez d'eau et de pâturages
pour maintenir aussi longtemps une tribu aussi considérable, et que par conséquent
le désert de Sin et Cadès-Barné doit être le pays de 'Ain (aiderai. Kossaima,
Muweilleb cl 'Ain Kadeis J) » (p. 70 .

Mais cela pose, on ne voit pas bien pourquoi les ruines de Sbaïla ne représente-
raient pas Khormal), l'ancienne Sepbat, puisque c'est précisément le point par lequel

les Israélites ont attaqué le pays de Canaan. Un exégète consentira diflicilemeut à

distinguer Khormah de Xum. 14, 4.5 et Kbormah de IVum. 21, 3. Eu tout cas le
Khormali de Nura. 21, 3, à proximité de 'Arad, est le même que Kborma de
.lud. 1, 17, aussi en connexion avec 'Arad. Or, ce dernier endniii, où Kbormali
remplace l'ancien Srji/i'il, n'est point, comme le veulent nos auteurs, plus loin que
Sbaïla vers le nord. Les Juges notent que Juda est venu avec Siméon, c'est-à-dire
pour aider Siméon dans son domaine, qui était au point le plus méridional de la
'Jerre promise. Nous reconnaissons cependant volontiers que l'identification de Sba'ila
et de Sepbat n'est point absolument certaine. MM. AVoolley et Lawrence ont décrit
avec soin les ruines byzantines de Sbaïla. C'est une excellente monograpbie. Ils

n'ont rien vu que de byzantin dans ce lieu et à Michral'a; mais est-ce une raison
suffisante pour affirmer que ni l'une ni l'autre cité n'ont existé avant l'ère cbré-

tienne p. 1)1 ?

On voit d'ailleurs qu'ils ont été préoccupés de trouver dans les débris byzantins

des traces plus anciennes. C'est ce qui a réussi pour 'Abdeb à M. >N oolley, demeuré
seul. Il déplore de n'avoir point connu auparavant le compte rendu publié par le

P. Vincent d'une exploration entreprise en compagnie des Pères Jaussen et Savi-

gnac (2). En effet, il n'a reconnu ni le camp romain, ni le haut-lieu. jN'ous aurions

attaché le plus grand prix à ce qu'il contrôlât sur place les intéressantes découvertes

de nos amis. En revanche, il a déctjuvert sous les ruines du monastère les restes d'un
grand temple nabaléen, au(juel il ne donne pas moins de ciiHpiaute mètres de lar-
"eur sur le front, avec un portique de vingt-trois mètres de largeur. Ce temple gran-
diose lui a paru certainement antérieur à (:>l. Les maisons la domination romaine
situées aux environs s(Mit du ii" ou m" siècle av. .L-C. A
datées par de la poterie

cette épo(|ue, Abdeh devait appartenir aux Nabatéeus de Pétra, mais les Grecs
l'avaient occupé auparavant. Détruit à l'époqtu' romaine, ce poste avancé aurait été
reconstruit de limles pièces au temps de Justinien. Les llomains n'auraient donc pas
occupé Abdeb. M. ^\oolley est obligé d'en conclure que le camp romain est d'épo(iue

tardive.
C'était bien l'avis du !'. Mncent, puis(|u'il l'a compris dans sa description de la

(I) Cf. //>.. IWi. 1». '<''' Kedeis est encon! le «lésert, niiiis elle csl arrosée.
: ' l-a ré;<i"in île —
r:iU intiui (bns Ui l'i^iiinsiile. dans un rayon d'une pclile journe<'
- p.ir <|ii;ilre sinircis l'ouest : .i

.Mn Moiielleli cl Ain-Keseimeli, a l'csl VuiKodeirat el Ain kedeis .. Doue e\aileinenl le même
radre pour le séjour des l.sraelilcs • Cacln-s dans les replis du Dj. .Mai|rali. ils pouvaient atten-
:

dre l'oecasion favorahle pour s'emparer des contrées plus riches on les Chananéens s'ittaient for-
l.inent établi» • [l. c.].
»-i llncoie ne cite-t-il p. '*!> <|ue Kit.. 1iK)j, pi». iO.t-lii.Ce premier article, ipil ni' portait point:
ft siiirrr, a été suivi cependant d<; dcu\ autres eiudi-s.
llli. lîx»:. p. "ï 8!»; p. JCi-iiT.

w't l.es rcsles anti<|ue8 doivent être amorces au l>as (ouesl) du plan du P. Vincent, planche
iv-v, après la p. ili, comnicncatU à la petite l'Klise marquée N. sur ce plan [liù.. Itiot).
KKCENSIO.NS. 271

ville byzantine d}; mais ce uest certainement pas à la légère que. en dépit de sa
première impression, il a constaté des l'ondements de murs régulièrement bâtis, et a
conclu à une destruction systématique du camp dont lesmatériaux ont été employés
ailleurs. Toutelois, depuis que M. ^^ oolley a découvert un temple ant('rieur à
répoque romaine, on peut se demander si les l'ondements du camp ap|);u'tienQent
bien à un camp et à l'époque romaine, ou s'ils n'appartiendraient pas aux temps
i^recsou nabatéeus.
'Abdeh qui a Fourni la plus intéressante des inscriptions grecques inédites
C'est
de l'ouvrage. Les auteurs voudront bien nous permettre de la re|)roduire en entier :

4" 'Av3::âr, 6 |xa/.âpio; Zayap:x; 'Epajivoj £v uiïîv't nxvÉaoj ôcxaTr,, îvôf './.t'.ôjvo;) to', r^aépx
Kjciazr;, lopav Tpi':ïi(v) t^; vuxtôg, /.XTîTsOr] ôè ivradOx tt) toîtit, tou ii^i.6x-o; wpav (!iyo6r\v

Ilavétito BtoozjcxTï], îvÔ(i-/.TtGvo;) tô', È'to-j; -ax-ol 'U]Xo'ja(io'j:) -joa'. K('Joi)c <Ca>> ivà-a'jaov
TTjv yviyr,'/ auTO'j aSTz twv iyif-)'/ aov). 'A;j.r[v.

Voilà donc pour la première fois l'ère d'Élousa mentionnée expressément. M. ïod
veut bien rappeler que pour des textes de Khaiasa-Elousa, la licme avait proposé
l'ère d'Arabie. En l'employant ici, il obtient pour son inscription la date des 29 juin et
1" juillet ôS], qui coïncide bien avec la 14' indiction, commencée le sept. 580. 1'^^'"

Mais iM. Woolley n'accorde t-il pas trop peu de temps à la^ville byzantine d'Eboda
en plaçant sa construction au temps de Justinien (p. 104) ? Alors nous ne sommes guère
éloignés de l'invasion arabe après laquelle toute prospérité s'éteignit.
Les ruines de Khalasa ont fourni une inscription fort curieuse, et l'on peut dire
unique dans son genre, car c'est une inscription araméenne consacrée à un roi naba-

téen. L'écriture est araméenne, avant le moment de prendre les formes spécifiques
nabatéenues, la langue est purement araméenne. M. Cowley lit : Ti'j "i? Kinx njT
TC2j ~pi2 nn[1jn n Heu {de mile) que fit Noutairou pour
'^r\'\'^r[ Si? TM^:. Ceci est le

le salut d'Arétas, roi des Nabatéens. Il fait remarquer que les Nabatéens écrivaient
*~ et 'n 'Tî. Cependant on trouve ^' dans une inscription de Pétra
N*:~ et découverte
par M. Dalman ri), et dont le Père Savignac a donné un fac-similé soigné ^.3). Or
précisément cette inscription se rapproche pour l'écriture de l'inscription de Khalasa,
quoique plus spécifiquement nabatéenue. Elle date, d'après le P. Savignac, de l'an 90
av. J.-C; ^L Dalman la croyait plus jeune d'une trentaine d'années. D'après
M. Cowley, l'inscription de Khalasa se rapporterait à Arétas 11, vers 96 av. J.-C. En
présence de l'évolution constatée maintenant de l'alphabet nabatéen, on se demande
s'il ne vaudrait pas mieux remonter plus haut. Toutefois Arétas !'', vers l'an
la faire

169 environ, est qualifié de xjpxwoç des Arabes (II Macch. 5, 8); il n'avait donc pas

le titre de roi (Cowley). Le tout s'arrange plus probablement mieux si l'on date Kha-
lasa d'environ 96 et Pétra d'environ 60 av. J.-C. Seulement on dira avec M. Cowley
que les particularités de la nouvelle inscription s'expliquent par l'éloignement des
centres nabatéens; à Khalasa ou écrivait et l'on parlait araméen.
L'exploration de M.M. Woolley et Lawrence nous fait encore pénétrer dans le

désert de Sin par de très belles vues. Leurs photographies ont été admirablement
reproduites. Des lieux longtemps si mystérieux sont, grâce à eux, accessibles à tout
le monde.
D'ailleurs ils sont entrés dans le domaine des questions actuelle En parcourant
des ruines aussi abandonnées, il était de style de déplorer la chute des empires et

(1) Cf. RB., loo:;, p. 214 . Mais : c'est seulement a l'cpociuc byzantine, après la cliristianisation
de l'Empire, qu'Éboda deviiit une ville ».

(2) Neue Pelra-Forschungen. n" !X).

(3) RB., 1913, p. iil.


272 REVUK BIBLIQUE

renvaliissemcnt du désert sur la On ne s'y intéressait que pour de loin-


civilisation.

tains souvenirs. Mais ces ruines sont au moment d'être occupées de nouveau. Les États-
Majors s'inquiètent des sources pour tracer des itinéraires. Des voies ferrées prépa-
rent la ruce de l'Asie sur l'Kpypte. Cela n'aura qu'un temps, et les voies construites
pour la destruction contribueront sans doute plus tard à rendre la vie à un pays qui
fut prospère. Nous souhaitons que MM. AVoolley et La\\ renée soient les premiers à
faire cette route :dans le même sens que les Hébreux !

Paris.
Vr. M.-J. Laokanoe.
BULLETIN

Généralités. — Du Dictionnaire apologétique de la Foi catholique, par le Pi. P.


d'Alès, a paru le fascicule XI, Jt'suik's-Jiufs [l. L'article Jésus-Christ, dont nous avons
parle ailleurs [-2), y tient la plus grande place. Mais il faut noter les articles bibliques

Job, Jonas, Judith. Le premier, par ^i. labbé Chauvin, ne ressemble guère anx
deux autres. Il n'est pas écrit dans le même esprit, ce souci, louable chez un
apologiste, de ne point imposer aux tidèles des opinions qui ne sont point certaines.
M. Chauvin cite le doute de Renan — partagé par tant d'autres — sur lunité
littéraire, à propos du discours dElihou. « Aux exégètes de répondre ». déclare-t-il.

Passe pour ce point. M. Chauvin sait que l'auteur ne fut pas Job en personne, ni aucun
de ses amis. * Line seule chose paraît démontrée, c'est que l'auteur — Israélite —
vivait à l'époque la plus florissante de la littérature hébraïque. » La démonstration
engendre la certitude ; une chose est démontrée ou ne lest pas. Mais comment
démontrer que Job appartient à une époque aussi indéterminée que l'apogée de la

littérature des Hébreux? M. Chauvin aflirme que Job a réellement existé. Soit!
mais les preuves qu'il en donne ne paraîtraient pas décisives au P. Condamin.
Ézéchiel (xiv, 14, 20) et saint Jacques (v, 11) ont pu se référer à l'idéal d'un juste
tel qu'il existait dans la Bible. Eufln l'auteur donne sou avis sur Vhistoi'lcilc du

poème. « iN'ous tenons le fond de cette composition littéraire pour historique .»

Soit encore, mais si ce n'est là qu'une opinion personnelle, qu'importe à l'apolo-


gétique? D'après l'auteur, la théophauie aussi est historique, « pourtant le doute
est permis ». Qu'est-ce à dire historique? que le discours attribué à Dieu est

historique quant au fond, c'est-à-dire quant à l'ensemble des doctrines et au mou-


vement des idées? Mais si le doute est permis sur l'historicité de ce discours qui
contient des paroles divines, pour(]uoi le même doute ne serait-il pas permis à propos
des autres discours? Si, comme le suppose admissible saint Thomas, le discours de
Dieu est une expression métaphorique pour désigner une inspiration intérieure
dans l'âme de Job [in Job. c. xxviii, Lect. I), on pourra sans doute entendre dans
un sens assez large l'authenticité historique du reste. Du point de vue de l'apolo-
gétique, on aurait pu qualifier l'admirable poème théologique de Job autrement que
comme « un des plus curieux et le plus original peut-être de l'Ancien Testameut ».

L'apologie de notre religion serait peut-être plus solide si l'on insistait sur la
splendide lumière de l'enseignement biblique au milieu des ténèbres de la pensée
religieuse antique, plutôt que de tenir mordicus à des points qu'on n'ose même pas
proposer comme certains.
Autrement décisif est l'article Jonas du R. P. Condamin, puisqu'il n'avait pas tant

I Deaucliesne, Paris. 191.">.

1-2) KD., 1915, pp. .j-e ss.

REVUE BIBLIQUE 1916. — N. S., T. XIII. 18


274 REVUE BIBLlgLE.

à révéler sa propre pensée quà marquer les lignes dans lesquelles peut se mouvoir
la liberté d'appréciation d'un catholique. L'histoire de Jonas est connue, et, plus
encore (jue le texte de cette histoire, les difficultés auxquelles elle a donné lieu. Le
P. Condamin les expose et place en regard les réponses de l'exégèse dite traditionnelle.
Mais il existe une autre solution que les « réponses » péniblement échalaudées sur
des récits de marins trop souvent coiitrouvés. C'est celle que l'auteur nomme « hy-
pothèse d'un écrit didactique ». Il était visiblement satisfait de s'appuyer sur l'au-
torité de M. van Hoonackcr. dans son commentaire si distingué des douze petits
Prophètes.
D'ailleurs l'argumentation du savant jésuite est plus approfondie et nouvelle sur
certains points. Par exemple il a cité Théophylacte : « il ne faut pas l'ignorer, plu-
sieurs ont admis que la désobéissance de Jonas, sa fuite, et le reste ne sont pas his-
tori(iues » {P. G.\. CXXVl, col. 9G0-9G4). Mais quand bien même l'exégèse an-
cienne serait unanime, le P. Condamin n'a garde de la confondre avec la tradition
dogmatique. Sans doute « i! ne faut pas abandonner sans de fortes raisons une inter-
prétation commune dans l'Église catholique. Mais on peut considérer que dans les
siècles passés les questions historiques et littéraires relatives aux Livres saints n'ont
pas été étudiéescomme de nos jours. On ne connaissait pas Ninive, les Assyriens, les
rois d'Assyrie, comme d'abondantes inscriptions nous les représentent. On n'avait
donc pas les même difficultés, les mêmes problèmes à résoudre » (vol. 15.58).
Nos lecteurs .seront heureux de lire ces idées qui leur sont familières dans le

dictionnaire du R. P. d'Alès.
Le même critérium est appliqué à l'histoire de Judith. Ou regrette cependant que

l'auteur n'ait pas discuté l'hypothèse d'un écrit parénétique au temps des Maccha-
bées, que reflète un texte hébreu de Judith qu'il connaît certainement. Son opinion
parait êlre que le fond de l'histoire est authentiiiue, du moins il déclare ' l'histo-

ricité substantielle du livre de .ludith — parfaitement admissible ». L'événement


se serait passé sous Ochiis. « Quant à l'historicité stricte, jusque dans les détails,

c'est autre chose » {col. 1564). — Mais il ne s'agit pas ici de détails. Le nom de
Nabuchodonosor et tant d'autres points que le R. P. ne croit pas historiques ne sont
point des détails. De l'histoire écrite de cette façon n'est plus de l'histoire. H serait

moins contraire à une saine doctrine de l'inspiration d'admettre qu'im auteur sacré a
librement mis en scène des personnes de convention pour enseigner ce qu'il avait à
cœur, que d'imaginer qu'il a entendu faire de l'histoire en habillant un fond histo-
rique vrai de traits ramassés au hasard dans des histoires étrangères à son sujet. Au
surplus Condamin, comme apologiste, conclut « Si l'on apportait des preuves
le P. :

vraiment pour démontrer le caractère fictif de tout le récit, cela ne compro-


.so/z'/cs

mettrait en rien l'inspiration du livre; il appartiendrait à un i:enre littéraire diiïérenl,


voilà tout ce serait luic parabole, une fiction parénétique, un récit édifiant » (col.
:

15G3 .

La maison .Sandron a pris à tache d'inilier le public italien à ce (|u'elle rinmme


Vindaginn modrrtw, la recherche moderne. Parmi les valûmes (|ui s'y emploient,
sous le numéro XIX figure la Iiil>lc (Ij. Cette étude tient le milieu entre les simples
traductir)us et les ouvrai^es originaux. Vers la fin de son travail. M. le Professeur
;iu pidilie de com-
l.uigi Salvatiirelli s'est aperçu qu'il eiU été jdus aisé et plus utile

po^rr luie œuvre entièrement personnelle, mais il s't-tait all(dé à l'adaptation ita-

il !.. Sai.\atoiuili cd K. UiiiN. Lu liibbiu. lianniu/iiUK' :ill' Antiro e :il Niinvo Tcslamcnto, iii-H'

«le NMii •".»* pp., Kcma, Sandron. cdilore, Milano-Palermo->apoli-i;cno\ii Uoi.igiui.


151 LIJ-.riN. 275

lienne d'im ouvrage allemand, le Uilfsbwh zum Vcrslandnis iler Uibi-l. de E. Hulin
(1904-190."1), et il s'est contenté de développer à sa faron ce qui regarde le Penta-

teuque. les Kvangiles et les Actes. Le reste est traduit, non sans de nombreuses et
siguilicatives additions.
Nous regrettons cette demi-mesure, car M. Salvatorelli est aussi capable que
Hùhn de traiter son thème, et il semble moins possédé que lui de cette conscience
de sa supériorité qui empêche le plus souvent un professeur allemand de regarder
en dehors de son pays, je veux dire d'abaisser son regard sur un autre horizon. Mais
il faut reconnaître que la critique du savant italien n'est pas moins hardie ni moius

émancipée de la tradition. Elle n'attaque pas le catholicisme directement et brutale-


ment, mais elle est complètement indépendante de ses doctrines. Et elle ne fait pas
suffisamment à son système de défense la part que lui accorderait un écrivain indifférent
et impartial. S. nous dit (|ue l'exposition de Hiihn, « outre (|u'elle est souvent très
concise, est rigidement dogmatique, affirmant les opinions qu'il estime justes, pres-
(lue sans discussion, sans rapporter les opinions différentes (1), et, moins encore, le
développement historique des questions elles-mêmes » (p. viiV C'est pour ces rai-
sons qu'il a refait entièrement quelques parties. Or, pour l'hospitalité sereine offerte
aux opinions, même avec une certaine courtoisie pour l'opinion adverse, son exposé
complet à l'égard de ses adversaires que celui par exemple de
est loin d'être aussi
M. Mangenot, dans la question littéraire du Pentateuque, quoiqu'on soit si porté
à reprocher aux catholiques leur dogmatisme. D'ailleurs il est vrai de dire avec
1 auteur que le P. Lagrange n'a pas pu développer son point de vue. que la législa-
tion mosaïque est « dérivée des institutions posées par
Mais M, Salvatorelli Moïse ».

prétend que, « en vérité, on ne peut soutenir d'une façon suffisamment fondée


qutuie seule des lois du Pentateuque remonte à Moise » (p. 131). Or on peut au
contraire le soutenir de tout l'ensemble des lois mosaïques, pour cette raison, très
fondée en histoire, que les coutumes d'un peuple remontent ordinairement à une
haute antiquité lorsqu'il commence à les analyser et même à les écrire. Prétend-on
que les Israélites ont abandonné leurs anciennes coutumes au pays de Canaan? Mais
alors pourquoi ont-ils conservé un sentiment si vif de l'opposition de leurs usages
avec ceux du pays de Canaan, surtout dans Tordre religieux? La religion de lahvé
aurait-elle prévalu, si elle n'avait pris corps dans un ensemble d'institutions cul-
tuelles? Religion, culte, coutumes sociales sont antérieurs à la conquête pour l'en-
semble. Tout cela date donc de Moïse, ou plutôt lui est bien antérieur. Mais il n'y
avait pas alors, d'après M. Salvatorelli. de législation vraie et proprement dite. Sûre-
ment il est trop bon historien pour entendre par là une législation à la moderne,
promulguée à nouveau, à la façon de nos constitutions depuis 1789. En quoi cette
législation, souvent aussitôt périmée que produite, serait elle plus vraie que le droit
couturaier? Encore moins aura-t-il voulu dire que le droit couturaier n'existe pas comme
Sur quoi porte donc son aftlrmation? Entend-il
législation tant qu'il n'est pas écrit.
seulement que rien n'était encore écrit à la mort de Moïse? Alors il est permis de
trouver sa proposition trop hardie, parce que la tradition ne peut s'être trompée sur
ce fait capital de Moïse législateur, inspirant même un concept nouveau à la législa-
tion antérieure. L'analyse littéraire ne peut rien contre ce solide fondement, et les
découvertes modernes montrent à quel degré un peuple qui avait accès auprès de la
culture babylonienne devait se sentir poussé à mettre de l'ordre dans ses coutumes.

(I Sur la question d'antériorité entre Esdras et Néliémie, ni HiJIin ni Salvatorelli n'ont nommé
M. Nan Hoonacker qui le premier a proposé ex professa l'antériorité de Néliémie.
276 IIEVLI-: lilMI.lOl'K.

Un peu d'Iiistoire. un peu plus de religion,un immense développement de jurisnie,


c'est toute la littérature babylonienne. Le monJe sémitique placé sous la mouvance
de Biib\lone a été pénétré de cet esprit. Ou y a sans nul doute composé des textes

législatifs. Pourquoi ceux que les Hébreux nous ont transmis ne seraient-ils pas la
reproduction de ces textes antiques, en tout cas de textes antérieurs à la conquête? Les
ressemblances formelles du Code de llammourabi et du Code de l'Alliance ne sont-
elles pas très frappantes? Et pour répondre à la position extrême de M. Salvatorelii
par un argumentiez homiiiem. (juand aucune des lois du Pentateuque n'aurait reçu sa
Formule de Moïse, — d'autant (|ue nous ignorons (juel était alors l'état précis de la

langue, — on pourrait encore faire remonter jusqu'à lui une législation vraie et pro-
prement dite.
Tenons cependant compte à l'auteur de la légère et timide restriction qui tempère
son admiration pour la théorie Graf-Wellhausen. Mais il est à regretter que, lorsqu'il
s'agit des Évangiles, il ait fait siennes les conclusions les plus hasardées sur leur com-

position littéraire. Ce qu'il dit par exemple des diverses stratifications de s. Marc, de
trois à cinq dans le ch. 13, est vraiment excessif, et sans discussion sérieuse des
opinions dilï'érentes.
Ce n'est que justice de reconnaître les qualités de M. Salvatorelii. Il connaît parfai-
tement les syslènit^s qu'il expose et les expose clairement, en entrant dans le détail (1).

Sa bibliographie est rudimcntaire, mais n'exclut pas les ouvrages catholiques. On


s'étonne qu'il n'ail pas donné son opinion sur les systèmes de critique textuelle. Ses
étudiants auraient plus d'avantage à savoir ce que vaut, par exemple, l'édition de
von Soden, qu'à connaître les titres des versions publiées en diverses langues.
L'auteur n'ignore pas l'ambiance historique, les découvertes de l'épigraphie, par
exemple, mais il ne les met pas suflisamment en valeur. On sent qu'il est hypno-
tisé |)ar les combinaisons de l'analyse littéraire, auxquelles il fait beaucoup trop cré-

dit, de sorte que la critique allemande pénètre grâce à lui en Italie sous une forme
déjà dépassée.
Quoi qu'il en soit, on ne saurait méconnaître l'importance d'un fait aussi considé-

rable que cette pénétration. Jusqu'à présent c'était chez nos voisins un article étran-

ger. La voila désormais proposée à tout le monde. Nos amis auront à coeur de
répondre sur ce terrain de la critique qu'on chercherait en vain à éviter. Les âmes
très dociles seront toujours à l'abri en ne lisant pas. Mais ne faut-il |)as se préoccu-
per aussi des autres?

Le volume XI des papyrus d'Oxyrhynque (2) est consacré presque exclusivement


aux textes littéraires. C'est dire qu'on n'y rencontre pas ces lettres familières ou
ces contrats (pii nous font pénétrer dans l'intimité de la vie égyptienne depuis l'é-

|)Oque hellénistique jusqu'auxtemps byzantins. Mais il n'en renferme |)as moins des
choses bien curieuses. La lillératine grecque s'enrichit surtout d'une sorte d'air de
bravoure du Sophiste Antiphon qui oppose vigoureusement la loi de nature à la loi
civile. Des fragments moins longs sont d'Hésiode, d'Alcée, de l$acchylide, de Calli-

maqne... Le Bible n'est représentée (|ue par de très petits débris du Léviti(pic 27
(iv'' sièclej, d(! la I
'
l'clri 5 (i\' s. , de it-pitie aux INtmains 1 \i' ou \ii' s.)

1 La révision usl A la paKC a-i), l.i IcUre an\ llcinalns est ilalrc (rcininin laii i>(>.
iiisulli>:iiik-,
III. lis. d'aprcs la p. arrivé à JiTiisalcm en mai .'>:..
•4-i7, Paul i-si

i riii: O.iyrhynihus l''ij)i/)i, l'art XI, cdiUîd willi lraii>laUi)iis aud notes, liy 11. I'. (.ui.nh;i,i,
l>. l.iii. eir.. aii<l A. S. IIUM, l>. I.jlt. Ole, wilh scv(mi PlaU's, in '•' dr; \n -JTH pp., Miiii-nanl Ir-; i

M •
n.l lidi. I.ondun, 1915.
RUIJ.KTI.N. 277

et 8 (iir' s.\ flune feuille mieux conservep contenant des morceaux tk- Psaumes 82,
«i-14 et 83, 1-J IV s.).

Ce cieiuier texte est déjà — au iv siècle! — ce que les critiques modernes


nomment un texte niélangé. Le ms. le plus ancien. (|ui contient quelques mots de
Rom. 8. 12-27; 33-3!>; 9, '>-!), est vraiment une confirmation du texte de B (Vatica-
/iu.s!; en tout cas il est très distant des textes gr(:'co-latins (l)EFG), avec lesquels il

ne s'accorde guère que par les conjectures des éditeurs dans les lacunes.
Philon ligure dans le recueil pour une page inédite. Il y tient compte de l'inspi-

ration de la Pvthie de Delphes : a Lr devin véridique n'est point à dédaigner qui,


assure-ton, étant sous rinfluence inspiratrice du trépied de Delphes, prophétisa à

Crésus qui passait pour l'homme le plus heureux de son temps qu'il fallait voir la
fin d'une longue vie ».

On trouvera dans la Revue d'autres allusions à ce précieux recueil.

Nouveau Testament. — Le R. M. Bover, de la Compagnie de Jésus, présente


P. J.
un de saint Paul (1) comme une série de confé-
^e.\.\\.\o\y\mQ%ux\di doi-tri ne ascétique

rences de théologie hihlitpie, données aux théologiens du Grand Collège du Jésus, à Tor-
tosa. C'est la contribution de l'auteur à la fête commémorative du rétablissement de la
Compagnie de Jésus (1814-1914). Et vraiment il faut féliciter les jeunes théologiens qui
ont entendu ce solide enseignement pour leur.* vacances de Pâques. Le nom de
conférences pourrait être mal compris en France. Si l'auteur a évité un déploiement
d'érudition qui n'eût pas été ici à sa place, il n'y a dans ces leçons sévères et nour-
ries de doctrine aucune concession à la littérature, et les auditeurs y sont moins
fréquemment interpellés que ceux que saint Paul a en vue ou qu'il imagine lui fai-

sant des objections. Une introduction donne l'idée générale de l'ascétisme chrétien.
Viennent ensuite cinq chapitres : Le péché et la grâce; Essence de la perfection
morale selon saint Paul; La foi, l'espérance et la charité; La vie morale en exercice;
Doctrine ascétique de l'Épitre aux Hébreux. En appendices, deux articles de Revue
réimprimés : La foi selon l'Epitre aux Hébreux; La charité selon saint Paul.
Le R. P. Bover nous explique pourquoi il a traité séparément de l'Épitre aux
Hébreux : « Saint Paul, s'il en est en définitive l'auteur, n'en fut pas cependant le

rédacteur. Si la lettre fut écrite au nom de Paul et sous sa responsabilité; si la

pensée dominante et toute la substance doctrinale de l'Épitre et son approbation


dernière appartiennent à saint Paul : on doit probablement à un autre, connu de
Dieu seul, sa rédaction, ou plus exactement, comme dit Origène, sa composition et
sa diction. Evidemment cette collaboration assez ample du rédacteur, si elle n'a pas
varié substantiellement la doctrine, ne pouvait ne pas modifier la conception »

(p. 126). Si l'auteur a cru devoir insérer ce passage dans un livre daté du 26 février
1915. c'est qu'il ne lui a pas paru en opposition avec la décision de la Commission
biblique. Mais il ne s'accorde pas très bien avec une note de l'article publié dans la

Eeseùa eclesiastioi. où saint Paul n'est toujjurs pas le rédacteur, mais oîi « il a déter-

miné non seulement la matière, mais encore la rédaction » (p. 143, note 1). Déter-
miner la rédaction, cela ressemble bien à dicter une lettre, et alors on ne voit plus
guère de dilTérence entre l'Epitre aux Hébreux et l'Épitre aux Romains, écrite maté-
riellement par Tertius.
Le R. P, Bover déplore que l'Espagne ne lui ait fourni aucun travail sur l'ascèse
paulinienne. Il a eu recours surtout, semble-t-il, à la remarquable Th<'ologie de

(1) p. José M. Bover, S. J.. La ascética de san Pablo, in-lG de âOO pp., ïipografia Calôlica. calle
del Pino, o, Barcelona, lOls.
278 REVUl- HIIJLIÔLi:.

saint Paul, par le R. ï\ VrM. saus oublier Cornely, ni surtout saint Thomas. I.cs

ouvrages allemands lui sont familiers (1).

Même il utilise l'édition de von Soden. Par exemple ou se demande comment les

lecteurs s'y reconnaîtront quand ils liront, à propos du codex Vaticmnis, et entre
parenthèses (B, H o l). B, c'est le sigle traditionnel; o 1, c'est la notation de Sodcn.
Mais que vient l'aire 11, sinon comme la notation d'un des trois grands groupes de
Soden, qui déborde naturellement le ms. du Vatican?
Les textes de saint Paul sont cités en latin (sauf quelques textes grecs dans les

notes); cependant le conférencier n'hésite pas à modifier la Vulgate dans un cas où


il lit : lit })robelis qune sit volmilas Bel : bonuin, benepl(icen><, pe/feclum (Rom. 12,2).
Il avertit seulement dans une note que c'est pour se conformer au grec. Ailleurs la

traduction (en espagnol) : [Dieu] fait tourner toutes choses à |leur| bien i^Rbiu. 8,

28) suppose une correction de la Vulgate d'après une intelligence du grec qu'on ne
peut qu'approuver. Mais on ne sait comment il fonde lui-même sa traduction de
Rom. y ejecuiando varones con varones lorpezas infâmes, recihieron mios de
1, 27 :

olros elpago debido de su estravio (p. 40). Rien, ni dans la Vulgate, ni dans le grec,
n'autorise l'insertion de de otros, car àvTia-.aOîx marciue le châtiment de la première
erreur. L'auteur ne paraît pas non plus avoir été bien inspiré en entendant la Cnrifai'

Dei (Rom. 5,5) directement (p. 158) de l'amour des hommes pour Dieu. Evidemment
la charité de Dieu pour nous fait naître en nous la charité envers lui, comme sa jus-

tice tious rend justes, mais dans les deux cas saint Paul envisage d'abord la source qui

est en Dieu, Or, le terme du raisonnement théologique ne doit point prendre la

place de l'analyse du contexte. Et l'opinion de saint Augustin sur ce point ne peut se


dire traditionnelle (2). Le R. P. Bover est d'ordinaire beaucoup plus réservé dans
ses affirmations, étant visiblement soucieux do pratiquer une exégèse irréprochable
du point de vue scientifique.
Aussi faut-il le féliciter d'avoir comblé si heureusement la lacune qu'il a constatée
et d'avoir écrit dans la langue de sainte Thérèse un ouvrage de théologie ascétique
qui louche de si près à la mystique. Peut-on même distinguer la théorie ascétique
de saint Paul de sa mystique, puisque tout y est fondé sur l'union au Christ?

Combien d'entre nous n'aiment pas se mettre en route sans leur Nouveau Tes-
tament! Et il peut arriver à plus d'un de regretter l'absence d'un dictionnaire. On
n'aura désormais qu'à se procurer le dictionuairr de /tochc du grec du X T. (grec-

anglais) par M. Alexandre Soûler (3). Naturellement on ne saurait exiger dans un


si petit espace ni les références au complet, ni des discussions en forme sur le sens

des mots. La référence nest indiquée que si le mut a un sens spécial dans un
cas donne, par exemple irÉx">, dans Me. 14, pour lequel ^L Souter propose 11, :

« il est payé, il a touché », en parlant de Judas, ce (|ui est d'ailleurs peu vraisem

blable. Pour les prépositions, même pratique; par exemple le sens consécutif de
ïva est prouvé comme ('•chantillon par Rom. 11, 11. M. Souter est au courant des
plus récentes découvertes touchant la langue grecque li'>i)ir dans les papyrus, ins-

(•ri|ttious, etc. Il n'est nullement rivé à telle interprétation qu'on pourrait dire

traditionnelle dans l'anglicanisme. On le (•(tnslate avec une vive satisfaction lors-

qu'on lr<tuve les sens de w.xwm rangés dans l'ordre suivant « : .le rends o;/atoç

I) Cependant il n'.i pas cilc Heu/, hic lUhik d''s Aposlrls P-iulus. dans les lUhlisrlic Sludieu
Il .illiiiliqucs) di; lîMi.
i, l,a intfTprclacion «jup pudriamos llamar Iradicinnal, p. Ii>7.

(;» .1 jifickrt Lrxicon In Ihn (irceli Scw Tvslauirnt, li> Alexander Soi:tk.ii, M. A., in tci de
\iii-2X!t pp.. oxiord. lit Uii-(.laiciid«in l'rcss, HHii.
BULLETIN. 270

ri'/hii'vKsi, Je défends la cause de, plaide la justice (rinnocence) de, J'absous,


justifie; ile là : Je regarde comme ôî/.xioç {ri;/JUeoi(s) ». Où pour nous otV.aioç

doit être reudu « juste i» puisque nous n'avous |)as comme les Anglais just et
ritjhtrous. M. Souter suggère modestement qu'il a scuieuient voulu faire un livre

bon marché. Mais ce n'est pas pour autant un abrégé anonyme; c'est une œuvre
personnelle qui tire sa valeur propre de la compétence reconnue de son auteur.
Ou voudrait n'avoir qu'à le suivre aveuglement quand il attribue sans hésiter deux
recensements à Quirinius, l'un en 8, 7, ou C av. J.-C. (et c'est celui de Luc, 2, 2),
comme plénipotentiaire de l'empereur, l'autre comme legotus pro -pi^ietore en
Tan 7 ap. J.-C. t^et c'est celui de Act. 5, 37). Le petit volume a cet aspect de netteté
élégante dont les presses des Universités anglaises ont le secret.

Ancien Testament. — (Jokcletli, c'est le titre d'une conférence de M. Paul


liumbert (1) lue successivement à la séance de la Société des pasteurs indépendants
neuchàtelois (3 mars) et à la séance de rentrée de la Faculté libre de théologie de
Lausanne (20 octobre 191.5}. L'Ecclésiaste, plus qu'aucun auteur biblique, a excité la

curiosité des critiques. Renan trouvait très amusant de rencontrer dans la Bibleun
petit traité qui lui rappelait Voltaire. M. Humbert serait plutôt attristé de la « mélan-
colique apparition » de « cet Ecclésiaste qui. élevé dans la bonne Chokma ortho-
doxe, perdit la foi et renia la vie! » p. 26). Les hellénistes sont plutôt attentifs à
cette première action de l'esprit grec sur les Sémites, de cette intrusion de Japhet
dans les tentes de Sem. Les philologues font leurs délices de cette langue en déca-
dence et en progrès, qui renonce aux images pour s'essayer aux abstractions. Et un
critique catholique, comme M. Podechard, a vu là une bonne occasion de mettre les

choses au point.
Après M. Gautier, M. Paul Humbert a rendu hommage aux analyses pénétrantes
de notre docte collaborateur : « L'hypothèse de l'exégète catholique, plus simple et
limpide que d'autres », nous dit-il, » me semble rendre très bien compte des diverses
diflicultés du problème '
(p. -5, note 2;.

Cela doit s'entendre de la composition littéraire de l'Ecclésiaste. Les lecteurs de la

Revue se souviennent que M. Podechard distingue quatre mains dans le livre :.le
Qohéleth lui-même, qui a écrit le livre de la vanité; sou disciple qui a publié ce livre
en ;;ijoutaiit l'épilogue; un sententiaire ou hakam auteur de nombreuses sentences,
enfin un hasid ou pieux correcteur qui aurait adouci ou plutôt retouché ce que
l'Ecclésiaste disait du défaut de sanction dans le monde, en maintenant au contraire
la rétribution divine temporelle (2, 26='''; 3. 17; 7, 26''; 8, 5-8. 12-13; 11,0';

12, 1«; 13 s. .

C'est donc à cette analyse — sauf quelques détails — que se rattache M. Humbert.
Mais tout en faisant grand cas aussi de la discussion philosophique et ihéologique
de M. Podechard. il est plus disposé à reconnaître l'influence des Grecs sur Qohéleth,
déserteur de Son point de vue n'a rien d'étroit et de judaïque, c'est
la foi juive. «

déjà un citoyen du monde gréco-romain » p. 7i. Ce sont des influences étrangères


qui l'ont entraîné « sans espoir de retour sur un chemin si diflférent de celui de ses
pères » (p. 20). Cependant M. Humbert s'en tient à une influence vague, celle de la
philosophie populaire et éclectique p. 20).
Ce système est en apparence le moins compromettant, parce qu'il ne précise rien,
ne met le doigt sur aucun emprunt. Mais peut-être dira-t-on sans paradoxe qu'il est
le moins plausible de tous. Il y a dans Qohéleth une dépréciation de l'effort humain

,1) Evtiait de la Revue de Théologie et de Philosophie, -2'


pp., Lausanne.
2H() REVUE BIBLIQUE.

t't de toute reclierclie savante. Peut-être trouverait-on quelque chose de sem-


blable en Grèce à l'état sporadique. Alors on discutera les emprunts. Mais si l'on

parle des tendances générales de l'esprit grec, elles sont aux antipodes. Sans une
certaine connaissance des Grecs, dit-on. Qohéleth n'aurait pas écrit son livre. Sans
doute, parce qu'il n'aurait pas éprouvé le besoin de protester. Le mouvement grec a

déterminé simplemeut chez lui une réaction du tempérament oriental beaucoup plus
passif, en même temps que de l'instinct religieux qui sent dans le monde et dans

l'action divine un mystère que l'homme ne peut sonder. Le Grec dit action éner-
gique, recherclie scientifique passionnée, spéculation que rien n'arrête, essor de
l'esprit humain, et, si la vaillance échoue, à défaut du succès, il reste la gloire-
L'Ecclésiaste répond à tout cela : « Vanité des vanités! » On s'est perdu en conjec-
tures pour souder à la foi de son peuple, à son milieu, à sa race une pensée qu'on
croyait hardie, novatrice, étrangère. Le Qohéleth serait une sorte de Titan dépaysé,
avec l'auréole du libre-penseur. C'est beaucoup naoins scandaleux, et c'est beaucoup

plus simple.
Osera-t-on dire ici que .M. Podechard lui-même a peut-être exagéré la portée
logique des constatations du Qohéleth quand il y a vu des arguments tendant à une
conclusion? D'après le savant maître : « s'il est une doctrine formulée par Qohéleth

etune conclusion répétée, c'est que l'homme doit cueillir ici-bas les joies que Dieu
met à sa disposition, précisément parce qu'il n'existe apparemment aucune dilTérence
entre le sort des bons et celui des méchants. Qohéleth allirme à plusieurs reprises
que la sanction morale ne se réalise point en ce munde, et c'est là le principal motif
pour lequel il déclare que la vie est vaine et ne mérite pas d'être vécue » p. 101).

Mais où Qohéleth déclare-t-il que ne mérite pas d'être vécue? Il a constaté que
la vie

la sanction divine ne s'exerce pas dans cette vie: mais ce n'est qu'une des raisons
pour lesquelles il ne faut pas trop s'appliquer à sonder ce qui est insondable, ni
s'agiter en vain. S'il a emprunté une pensée à la Grèce, c'est le « rien de trop qui

est l'âme de son livre, mais sous une forme religieuse, commune aux Sémites -
depuis l'épopée de Gilgamès —aux auteurs grecs pénétrés de religion, relevée ici
et

par la foi au Dieu uniqije : l'homme est très peu de chose, et ne doit pas empiéter sur
le 'domaine de Dieu. La quintessence de sa modération un peu bourgeoise, c'est :

« Ne sois pas juste à l'extrême et ne te montre pas sage à l'excès pourquoi te :

rendrais-tu stupide? Ne sois pas méchant à l'extrême et ne sois pas insensé; pour-
quoi mourrais-tu avant ton temps? » (7, Ki s. trad. Podechard , .

J.a vie vaut donc d'être vécue, mais il faut y prendre ce qu'elle oUVe et qui est un

don de Dieu, les jouissances normales qu'apprécient tous les hommes et qui sont
compatibles avec le bien moral, dont Qohéleth se montre soucieux. C'est la morale
que le B. .lacnpone di Todi renfermait, dit-on, en deux points : sine res vaderr prout

rolnntvu'trn\ et : (t;/iiin ri's nicas ttllfcr 'inalilrr. C'est anuivint et paradoxal; mais
ce n'est point dépourvu de sagesse, et compatible, si on l'entend bien, avec un réel
sentiment religieux.
Q'ion reprenne l'analyse du livre, on se rendra compte aist'ment du thème loiida-
luental posé dès le début ne pas prendre trop de peine 1.
:
Le reste exprime la :} .

même idée avec les variations qu'exige la considération des choses. Il ne faut point
s't'puiser a chercher du nouveau 1. !» ss.). ne pas trop cherciier la sagesse qui serait

étude scienti(i(pie 1, 12 ss.j, ne pas non plus s'adonner aux plaisirs 2, I ss.), non
|)lus d'ailleurs à un travail excessif ''2, 18 ss. Il faut plutôt prendre.
les choses
comme elles sont (3, 9 ss, . Comment l'esprit humain serait-il qualifié pour tout
sonder, (piaïul il est incapable de déterminer en quoi il se distiuiiue de la bête?
Hll.l.ETlN. IHl

3, 18 ss. . II ne sait comment expliquer le miillieur des opprimés 4, 1-3 . et l'excès

de travail est lui-même un défaut (4, -i-7\ Que de sottises dans l'ordre social
(4, 13-16), ou politique 5, 7-8)! Quelle vanité que les richesses (5, î)-16), surtout
quand on songe au vieillard riche (jui n'a pas joui de la vie (6, 1-7) !

Il ne faut donc pas se buter à l'œuvre de Dieu, prétendre tout expliquer, et la


preuve que nous sommes à court de raisons, c'est que Dieu donne le bonheur et le
malheur sans tenir compte de la vertu (7, 13-17 Tout ce que l'homme peut .savoir, .

c'est que le mal est une erreur, une sottise, et spécialement rincouduitc où l'homme

se laisse entraîner par la femme [7, 23-29). Une des causes de ce mal moral, c'est la
prospérité des méchants (8, 9-14), où il est sous-entendu que l'homme ne se scanda-
liserait pas, s'il ne prétendait tout soumettre à son arbitrage, au lieu de prendre la

vie comme elle est 8, 15), car Dieu s'est réservé son secret. Il est impossible d'ex-

pliquer le train du monde comme un tissu de peines et de récompenses (8, 16-9, 2):
le malheur est que les hommes s'en scandalisent [8, 3-6). Mieux vaut ne pas y
songer, et prendre la vie comme elle est avec ses jouissances permises (9, 7-10).
D'ailleurs si le bonheur n'est pas toujours la récompense de la vertu, il n'est pas
non plus toujours le lot des vaillants, ni des sages, ni des doctes..., la mort vient tout
interrompre '9, 11-12), et même le salut d'une ville peut n'être pas récompensé
9, 13-16).Tout va de travers, les précautions les mieux prises échouent 10, 5 8);
et en effet on ne peut prévoir l'avenir (10. 14'^), ni scruter à fond l'œuvre de Dieu

(11, 5). Il faut donc prendre la vie comme elle est, joyeuse dans la jeunesse, sans
omettre la crainte de Dieu (11, 7-12, 8 et 12, 12-14).
Dans cette analyse, nous avons omis les sentences qui interrompent le 01 du
discours du Qohéleth. L'analyse de M. Podechard nous paraît définitive sur ce point,
et nous ne faisons que l'enregistrer en attribuant à son Sage : 4,9-12; 17-5,6:
7, 1-12. 18-22; 8, 1-8; 9, 17-10, 4. lO-U''. 15-11, 4; 11, 6.
Mais peut-être pourrait-on douter de la personnalité distincte du hasid. D'après
M. Humbert. ce re viseur avait à corriger à fond le Qohéleth qui s'était écarté nette-

ment de la foi d'Israël. Mais en accusant dans ce sens les retouches discrètes
qu'admettait M. Podechard, M. Humbert tombe, selon nous, dans l'invraisemblance.
Il écrit : » Le passage 8. 11-13 est une glose renfermant la protestation indignée
d'un chasid contre l'affirmation scandaleuse de Qohéleth aux versets 10 et 14 : aux
faits troublants invoqués par Qohéleth il ajoute l'interprétation orthodoxe de ces.

faits. C'est la réponse de la foi à la solution du négateur " p. 17, note 2. Ce sont là

de bien gros mots. Si le correcteur regardait l'œuvre de Qohéleth comme scanda-


leuse, pourquoi la reproduire dans un remaniement à fond? Pourtant l'analyse de
M. Podechard ne paraît pas non plus très satisfaisante. Voici le texte :

8,11 Parce que la sentence concernant l'œuvre du mal ne s'exécute pas promptenient, pour ce
motif le cœur des Tils de lliomme s'emplit en eux (du désir) de faire le mal, 1-2 parce que le
pécheur fait le mal cent fois; et prolonge ses (jours), bien que Je sache que le bonheur sera pour
ceux qui craignent Dieu, parce qu'ils le craignent, 13 et le bonheur ne sera pas pour le niécliant.
et pareil à l'ombre il ne prolongera pas ses jours [larce qu'il ne craint pas Dieu.

Tout ce passage appartiendrait au hasid. qui aurait emprunté 11'' à Qoh. 9, 3,


pour le corriger aussitôt. iXe serait-ce pas plus naturel de reconnaître le vrai Qohé-

leth dans 11 et 12», la glose commençant assez nettement à « bien que je sache » etc. ? :

Dans ce cas. en effet, la glose n'est guère conforme à l'affirmation du texte. Mais il
semble que ce soit le seul cas où la rétribution temporelle soit maintenue à rencon-
tre des constatations du Qohéleth. En effet, dans les autres passages attribués au
hasid, ou bien il n"afûrme pas nettement rétribution 2. 26: 7, 26), ou bien cette
l;i
•282 HEVLF. BIBLIQUE.

rétribution est renvoyée à l'avenir (3, 17-, 11.9; 12, I4i. Dans le premier de ces
deux cas on n'a plus de base sufQsante pour enlever le texte au Qohéleth. Reste le
second. M. Podecliard entend la rétribution future d'une rétribution temporelle
parce que le Ijasid doit avoir une doctrine uniforme; mais si 8, I2''-13 est une
simple glose de copiste.^ L'individualité du Jjasid n'apparaît que si Qobéleth niait
explicitement ou implicitement toute rétribution future. Or ce n'est pas le cas,
puisqu'il admet la crainte de Dieu. Très justement, quoique M. Ilurabert
lui en

fasse un reproclie, M. Podecliard maintient la foi de Qcbéleth à un plan divin


ayant pour terme la crainte de Dieu Dieu agit de façon qu'on le craigne » (3, 14)
: i<

sont des pamles autlientiques de Qolu'letli. Mais alors ou ne voit pas pourquoi il
n'aurait pas écrit 12, 13 : « crains Dieu et garde ses commandements », ni 11, 9,
appel à la joie de vivre, tempérée par la perspective du jugement. La crainte de
Dieu ne suppose-t-elïe pas que Dieu interviendra pour punir? L'Ecclésiaite constate
que ce n'est point le cas normal dans le monde; il ne parie pas du moment où s'exer-
cera ce jugement, mais sa foi lui enseigne qu'il aura lieu malgré tout. Ce qu'il dil de
l'existence qu'on mène au scbéol n'est point contraire, car il ne dit nulle part que le

schéol est éternel. Dire que les jours de ténèbres seront nombreux (11, 8, c'est

admettre qu'ils ne dureront pas toujours (1).

Nous avons noté celles des appréciations de M. Ilumbert qui sont trop inspirées
par l'étude des critiques radicaux. Nous devons relever aussi un jugement plus sain,
et qui d'ailleurs ne concorde peui-cire pas très bien avec les autres. « Qoliéletb ne
prétend pas que nos appréciations embrassent tous les éléments du prohlème. A trois
reprises il affirme que r« œuvre de Dieu » dépasse notre intelligence » (3, 11:
8, 17; 11, 5).., Et, après la critique de l'opinion de M. Podechard : « Cependant il
réserve tout au moins la possibilité que l'imperfection s'évanouisse si l'on se place au
point de vue de Dieu )> (p. 1!)). On ajouterait seulement que l'Ecclésiaste suggère
que cette (ciivre s'exercera par un jugement. Quand on songe à l'inunense portée
de l'idée du jugement dans toute l'bistoire d'Israël, au développement de cette idée
avant même la persécution d'Anliochus dans les parties les plus anciennes du livre
dliénocli, et puis(ju'on la rencontre dans le livre de Qoliéletb associée à la crainte
de Dieu, on ne sera pas porté à la lui En tout cas des raisons décisives font
refuser.
défaut. Les divagations sur le Qnliélelb semblent d(mc désormais faire place à des
appréciations plus inodérées. L "étude si consciencieuse, si précise, si pénétrante de
M. Podechard sera pour beaucoup dans ce bon résultat.

Manifestement l'attention des catlioliques se porte aujourd'hui volontiers sur les

textes bibliques latins. C'est une conséquence du mouvement


en grande partie
imprimé par le Saint-Siège pour la correction de la Vulgate. Le R. P. .loseph Ronac
corsi s'attache aux l'stiuinrs (2'. mais le plan ipi'il a choisi exige un trav:iil considé-
rable, et il ne faut rien moins que sa compétence d'hébraisant cl d'humaniste pour
le remplir.
Deux fascicules ont déjà paru, comprenant les vingt-cin(| premiers p.saumes, et i|ui

permettent de juger de la méthode de l'auteur. Son (l'iivre oITre un double inti-rct,

textuel et exégétique. Les pages de son in-quarto sont partagées en (piatre cobnines.

I On combien loriiîteiiips. mcmo dans !<• clirislianismc. on a cru à la iicrsisirinro du


sait
exemple l.aclance Nom omnpn in iina '•ommuniquo ciislndin ilclinenlur, doncc (cm-
Clii'iil. l'ar :

pusarlvi-nial, quo mrtximus iitilo.r meriinrum fucint ejrnmcn Jh- iliv. Jns(. vu, i\ .

(il PsnUTtinn Inlinum cum ffrurro et hehrueo com/inritlum, c*\|)lanavit, annoi:ilionil)us gram-
malicis inslrii\it.losi'[i|ius »oNA(;«;oiisi, M. s. Premier rnsiiculc. <'.. in i<lc 11-2 |)|i.. (Ml.; Ilenxi^nie
fasc, de lia à 57-2. ims. Klorf^nre, l.ibrcrin cdllrirc liorenlinn.
BULLETIN. 283

Dans la première, le texte s;rec de Swete, avec quelques variantes en notes. Dans la

seconde, le texte du ins. lalin de Vérone, représentant l'ancienne latine, soit le texte

commenté par s. Augustin. L'édition de Bianchini a été collationnée sur le manus-


crit par M. Spaiïuolo, préfet de la bibliothèque du chapitre de Vérone, ce qui a déjà
un très notable intérêt. Dans cette colonne les mots écrits avec les caractères espacés
sont ceux qui ne concordent point avec notre Vuli^ate. Ici encore quelques notes au
bas des pages. Le i*. Honaccorsi promet dans sa préface de tenir compte du ms. du
P. Amelli, mais il n'en est guère question. La troisiènae colonne contient la \ ulgate,
autrement dit l'ancien psautier gallican, d'après l'édition du P. Hetzenhauer. Dans
cette colonne ou vise à la fois les divergences avec le grec (mots soulignés) et avec
le psautier romain (mots en italiques pour les divergences, à caractères espacés pour
les transpusilions). Les variantes du psautier romain se trouvent en note. Enliu la-
dernière colonne a la traduction de s. Jérôme d'après Thébreu, édition de T/agarde.
Ce qui parait s'éloigner de notre édition de l'hébreu massorétique, tel qu'on le com-
prend généralement, est imprimé en italiques.

Cette simple confrontation des textes a déjà son éloquence pour qui connaît les
questions soulevées. Lorsqu'on a récité bien souvent, non peut-être sans un peu
d'humeur, certains textes qu'on n'est jamais parvenu à comprendre, avec cette con-
solation fournie par les commentateurs, qu'ils sont inintelligibles ou ne répondent
pas au texte inspiré, on jette un regard d'envie sur cette quatrième colonne qui n'est
pas moins supérieure à l'ancienne latine, même corrigée, que le reste de la traduc-
tion de s. Jérôme. L'usage a prévalu. Mais il ne s'impose pas à l'Eglise romaine.
Quelle belle pensée au Ps. 15. 2 Dominus meus es tu, bene mihi non est sine te, et
:

combien plus claire que celle-ci Deus meus es tu, quoniam bononim meorum non
:

eges. Ou encore Deus deus meus, quare dereliquisti me? longe a sainte mêaverba
: .

rugitus met {21, 2), s'expliquent sans trop de peine, mais que faire de longe a sainte
mea vcrba delictorum meorum? Par quelle voie : nec est silcntium mihi (v. 3) est-il
devenu : et non ad insipientiam mihi? Comment ne pas préférer, même sans savoir
l'hébreu : Levate, po)-tae,caplta vestra. et elevamini etc..' h Atlollite portai, jirincipes,
vestras et elevamini (23, 7)?
En pareil cas on pourrait se croire autorisé à renoncer au commentaire de textes
qu'on ne peut regarder que comme des contresens. Aucun cathoUque n'hésite à
préférer le i-este de la Vulgate aux Septante et à qualiûer leurs contresens pour ce-
qu'ils sont. Le fait que l'ancien psautier a mieux résisté à cause des habitudes prises

ne saurait changer son caractère ni sa valeur.


Le P. Bouaccorsi le reconnaît, et il lui arrive d'avouer que le latin est parfois

inintelligible.Cependant son but principal est bien d'expliquer quel est le sens de la
Vulgate latine. C'est donc le thème traditionnel de l'exégèse latine, mais il l'aborde
avec toutes les ressources de l'érudition moderne. La Renaissance, éprise des clas-
siques, fronçait les sourcils devant certaines expressions, sans se soucier de savoir
comment elles avaient été chose vivante. On risquait ainsi de passer devant le vrai
Le P. Bouaccorsi est parfaitement au courant des sources où il faudra cher-
sens.
cher l'intelligence d'un latin qui a vécu. Naturellement il s'informe aussi auprès du
texte grec, qui est l'original pour les textes latins, et auprès des Pères anciens qui
étaient familiers avec cette langue. Mais fallait-il, avec une tâche déjà si compliquée,
charger pages de passages des Pères pour faire remarquer qu'ils ont manqué le
les

sens? Cela a son intérêt historique et philologique, mais il y en a trop qui n'ap-
portent aucune lumière à l'interprétation. Et quelle interprétation? Quelquefois
celle d'un non-sens. Eu pareil cas, les Pères font les derniers efforts pour trouver uu
28i IŒVLF: I{I|{LI0UK.

sens, ce qui ne peut aboutir qu'à force de subtilités. Sur non ad insipientiinn mihi
(21, 3 . ex qui//us verbis vix probabilis endtur senientia. Et il nous Faut
l'auteur note :

entendre Sa, puis Genebrard, puis s. Augustin, puis s. Jérôme, pour arriver à celte
conclusion : hebraka vcro plana simf. Ce qui nous intéresserait beaucoup |)lus, ce
serait de savoir comment et pourcjuoi les Septante se sont trompés. C'est aussi ce
qu'on nous dit lors(iue cela est possible et sui"(isamment établi. Mais ce n'est pas
toujours le cas, et alors le P. Bonaccorsi évite des discussions trop ardues.
Il ne s'est pas non plus engagé à expliquer à fond le texte hébreu. Il connaît les
commentaires et il a peut-être sa conviction dans chaque cas, mais il ne se soucie
pas de la faire prévaloir. Il se contente d'expliquer la traduction de s. Jérôme.
Or, quoique beaucoup mieux arme que le traducteur grec, Jérôme s'est trouvé
parfois, comme lui, et peut-être plus que lui, en présence d'un texte altéré. Il fau-
drait, pour aboutir à un sens, recourir à des conjectures. Le P. Bonaccorsi le sait,

et il indique l'une ou l'autre hypothèse, mais manifestement son ellort principal ne


s'est pas porté de ce côté. On ne pouvait lui demander do transformer ses pages,
déjà si chargées d'explications, eu une tour de Babel.
Il suffit une œuvre très utile, et qu'il l'ait bien exécutée. Celte
qu'il ait entrepris

utilité est permanente, puisque personne ne peut songer à rayer des siècles d'his-
toire, et que toute histoire a sa portée. C'est peut-être aussi une utilité de circons-
tances pour faire comprendre à tous quel serait l'intérêt d'une revision qui rendrait
une partie de la parole de Dieu, devemie la principale prière des prêtres, plus chiire.
et surtout plus exactement ce qu'elle est. la parole de Dieu.
On lit en marge du premier fascicule que l'édition ne sera continuée que si l'on

est assuré d'un certain nombre de souscripteurs. L'apparition du second fascicide


nous rassure, car il serait extrêmement fdcheux et même humiliant qu'un travail de
cette valeur ne fut pas hautement encouragé. iNous espérons que la mort du direc-
teur de la l.ibrcria éditrice ftorcnlimi ne sera pas un obstacle, et que nous verrons
bientôt les fascicules se succéder pour l'honneur des bonnes études ecclésiastiques
en Italie.

Ce sont naturellement les places de guerre les plus fortes qui sont assiégées le plus
souvent. On entre dans les autres sans les prendre. Jérusalem, avec ses vingt sièges
datés jusqu'à Saladin — sans compter les autres — olfre peut-être ce qu'on nomme
aujourd'hui un record. Ce sujet a tenté le P. Beilly. qui a résolu de les passer en
revue 1). Il a eu l'idée plus heureuse etjcore de rattachera ces sièges tel ou tel

monument de la littérature des prophètes ou des psaumes. C'est ainsi qu'il met le

|)saume 110 (\'g. 109; dans une certaine relation avec la prise de Jébus et l'in-

tronisation de David. Il faut avouer que le sujet est particulièrement délicat. Le


psaume 110 est incontestablement messiani(|ue. les Apôtres l'ont entendu comme tel

\<t. 2, :M; I Cor. 15, 2.5: Kph. 1, 20-22: ilel). 1. 3; 5, (i etc. . Mais ce sens
messianique est-il un sens direct ou un sens lypi(|ue:' Kn général un sens typi(|ue
n'en est pas moins très réellement messianique. I*ar exemple le ps. 89, 27 ss. doit
certainement s'entendre de David, et cependant celui qui dit à Dieu : « Tu es mon
père •', est plus naturellement le Messie (|ue le roi de Juda.
Cependant, à propos du ps. 1 10, ••ette^solution se heurte à une difficulté insur-

montable. Le sens nalmel des termes est [)()nr un messianisme direct, et c'est aussi

ce qui semble résulter de l'argumentation du Sauveur. piiis(iue le héros du psaume


est le Messie. [»lus élevé en dignité (|u'Mn simple (ils de Divid, et (jue r,iiileiir du

I Sierics of .Irrusnlem. Tlir ftrsl hm, il.nis Thr rrrlfsiastiral Rcvirw. I" j;invicr ini.'i.
BULl.KTIN. 283

psaume, David dans lopinion des scribes, nomme « Mon Seigneur > Me. 12, 35 ss.

et parallèles^
Cela n'a pas empêché l'exégète catholique Rickell, professeur à l'Université de
Vienne, de soutenir que le psaume avait été composé lors de l'intronisation de
Simon, comme grand-prétre chef de la nation, et eu son honneur. Rickell préten-
dait même retrouver le nom de Simon en acrostiche aux demi-vers du début, et
nous ne sachons pas qu'il ait été censuré.
Le V. Reilly est beaucoup plus traditionnel et conservateur. Pour tout dire ce-
pendant, les termes qu'il emploie ne sont pas tout à fait clairs. Au premier abord
on dirait que comme certaines personnes il n'admet que deux hypotiièses ou un :

sens messianique direct, ou un sens messianique typique. La réalité n'est point


aussi simple. un certain mélange dans l'expression d'une idée aussi
Il y a toujours
difficile à embrasser, de loin, avec
la clarté que lui a donnée la réalisation divine. On

sait que les promesses de gloire temporelle qui abondent dans les passages messia-
niques ont été entendues par les Pères au sens spirituel. Dernièrement encore, un
nouveau millénarisme qui attendait leur réalisation littérale a été condamné. Il v a
donc toujours un certain élément typique ou spirituel même dans les oracles mes-
sianiques directs, et c'est certainement le cas de la fm du psaume, lorsqu'il dit du
Messie «Il exerce son jugement parmi les nations; tout est rempli de cadavres;
:

il brise les têtes sur la terre entière » etc.

La raison l'ondamentale de ce que l'avenir n'était point révélé au voyant


fait, c'est

avec ses modalités historiques; il y entrait nécessairement pour une part son imagina-
tion propre dont l'inspiration ne le dépouillait pas. De sorte ([u'on pourrait très bien
supposer le cas d'un psaume décrivant directement le règne du Messie, mais le con-
cevant à la lumière de faits récents qui seraient encore reconuaissables quoique
projetés dans un avenir plus
glorieux. Ces sortes d'oracles n'en demeureraient pas
moins de descriptions qui auraient pour objets directs des faits accomplis
distincts
ou des personnages historiques ayant déjà vécu, types des faits et des personnes
messianiques.
Ces principes posés, il est malaisé d'abord de discerner à quoi s'est arrêté le

P. Reilly. Cependant un point est décisif. Il regarde David comme l'auteur du


psaume. Dès lors il ne pouvait regarder le psaume comme consacré directement ;i

David. David qui nomme l'élu de Dieu < mon Seigneur » ne peut être lui-même ce
Seigneur. Mais il se pourrait que les faits réalisés en sa personne lui aient fourni les
traits dont il a peint le Messie prophète, roi et prêtre selon l'ordre de Melchisédec.
C'est la démonstration que le P. Reilly a tentée très licitement, — puisque David,
d'après les Pères, est la figure du Messie, — qu'il a poursuivie ingénieusement,
mais où il ne nous semble pas avoir réussi.
On dirait bien que ce qui l'a orienté tout d'abord vers la recherche de circons-
tances historiques qui auraient donné leur couleur au messianisme de l'avenir, ce sont
les derniers versets eux-mêmes. Si David avait décrit directement la mission de Jésus,

vue directement en Esprit, il ne lui aurait pas donné le caractère sanglant de la der-
nière strophe. Reilly note qu'au temps de David, c'était l'idéal d'un roi oint par
Jahvé, comme le prouvent certains événements de son règne, et que ses contempo-
rains auraient regardé la mansuétude des Béatitudes comme un excès de scrupules.
Mais ce trait est fré(|uent dans l'Ancien Testament, et n'a rien qui caractérise une
expédition particulière comme la prise de Jébus-Jérusalem. Quand lahvé dit à son
élu : « Asseyez-vous à ma droite », ce serait une allusion à la situation du palais roya^
à la droite (en regardant l'Orient) du lieu déjà choisi par David pour être plus tard la
286 REVUE BIBLIQUE.

place du Temple. — Donc eu tout cas Dieu n'y était pas encore, et l'expression s'en-

tend beaucoup plus naturellement de deux sièges placés à côté l'un de l'autre. David
fut reconnu roi à Hébron. dans la région des montagnes, et le souvenir de la pompe
amener sur ses lèvres le trait du verset 3,
royale alors déployée a pu qui attribuerait
au Messie une pompe triomphale du même ordre. Mais, outre que la mention des
montagnes (1) n'est pas suffisamment certaine, ce trait encore n'aurait rien de très
caractéristique.
La démonstration nous paraît donc manquée. Si nous y avons insisté, c'est que
l'occasion nous a paru bonne de distinguer ce que l'auteur a laissé dans un certain
vague, quoique sa pensée ne paraisse pas douteuse. Autre chose est de décrire direc-
tement un événement dans un poème où les contemporains peuvent très bien ne pas
soupçonner qu'il est, dans la pensée de Dieu, le type d'un événement messianique;
autre chose de chanter d'avance le messianisme tel qu'un grand événement provi-
dentiel, politique mais aussi religieux, inclinait à le concevoir. Est-il possible en
pareil cas de nommer cet événement? C'est ce que le P. Reilly n'a pas prouvé à
propos du psaume 110 et du second siège de Jérusalem.

Le livre de M. Vandervorst sur Isrinl et r.incien Orient [2) est le fruit de lectures
attentives et de voyages soigneusement préparés, entrepris avec
une résolution plus
qu'ordinaire. Il était le compagnon du R. P. Ubach. de l'ordre de S. Benoît, dans
cette hardie exploration du sud de la Terre Sainte sans parler du Sina'i — —
dont le P. Ubach a tiré un si bon parti pour son ouvrage écrit en catalan. El
Sinai (3).

M. Vandervorst, lui, a préféré somme foute l'étude des documents fécondée par
la visite des lieux. Son ambition, très haute, a été de présenter un tableau de
l'histoire d'Israël dans le cadre nouveau de l'histoire orientale. Ou plutôt l'ouvrage
pourrait s'intituler d'abord : le cadre oriental de l'histoire d'Israël, et ensuite,
depuis la période hellénistique. Israël et le monde gréco-romain. Cette remarque
n'est pas encore une critique, car le changement d'horizon était en somme justiOé.
L'histoire ancienne de l'Orient est aujourd'hui complètement transformée ; elle est

même encore en passe d'être fixée. C'est surtout sur elle que l'étudiant désire
être informé; la part d'Israël, il la connaît par la Bible. L'époque hellénistique
au contraire est presque au même point qu'autrefois, et précisément la Bible n'olTre
plus alors la même suite, étant muette sur les événements entre Ksdras et les
Macchabées, entre les premiers Macchabées et l'I^vangile. De sorte que, dans le

livre de M. Vandervorst, s'il est plus souvent question d'Israël dans la seconde
moitié de l'ouvrage, on peut dire que la Bible est toujours sinon à l'arrière-plan,
du moins supposée connue. Il s'agit de l'éclairer par l'ambi.mce des documents
nouveaux, plutôt que d'en faire un commentaire détaillé. Par exemple les Ih'breux
ne paraissent, en la personne d'Abraham, (pi'à propos de ILuiunourabi ; l'Kxode.
d'après l'echo probable (juil a laissé sur la stèle de Ménéphtah.
L'auteur est d'ailleurs si cordialement sympathique à toutes les études publiées
par l'Kcole biblique et iirché(»logi(|ue de Jérusalem, qu'on éprouve ici quel(|ue

I, l,c 1*. Ri'illy la tr'iiivc iI;iih tr:iil:ictir)n ilii v. :i par M. Itiiijus.


I.'i lidiiicllc il d'>imi' l;i pré- ,t

fiTcnrc. Ces! une ^.'lriallto iiarinilciiient admissilile. I):iiis la liihir <l<- <:niiiipiin la Uailiiclion
ilu v..'l csl fallc aussi «rapri-is le lixlc massoréliquo, le stii.s de la VuIk^Ic «lant rejeté i-ii iiolo.
.i) Israël cl l'Ancien Orient, par M. VAM»KnvoiisT, doi leur tlu-oloKic, ancien élève de l'Éeole m
bililique de Jérusalem, prole^seiir au grand 8('niinairc de Malines. avec une |iréface de S. V.m.
le Cardiii.-il Mercier. 8» de xiv-i-i'» pp., avec des illuslraliuns et neuf planches. I. "ouvrage est
acconip;iHii(^ d'une carie de l'Ancien <»rient. Druxellcs. Aibcrl Dcwlt, \'.H'i.
I • ' ' ' i''i:<. pp. <i3t s.
1îLI.I.1:TIN. 287

embarras à dire tout le bien qu'on pense de son œuvre. Cependant c'est bien lui
qu'il faut louer du tact avec lequel les faits et les personnages sont groupés, de la

critique avisée des sources, de cette qualité maîtresse de l'historien qui consiste
à mettre en lumière les points importants, au lieu de se perdre dans un détail inlini.
Sur de nouveaux sentiers, l'érudit éprouve un vif plaisir à s'éloigner des chemins
battus, sûr de les retrouver quand il voudra; l'étudiant s'y perdrait, ou, meurtri
aux épines des buissons, il retournerait en arrière. M. Vandervorst, qui est un
professeur, a su comme écrivain se priver des excursions en pays inconnu, pour
guider ses élèves sur la grande route. Ils lui en seront reconnaissants. Pour nous,
le traitant comme un des nôtres, nous regrettons qu'il ait peut-être trop retranché
de ce qui éveille puissamment de nos jours lu curiosité des jeunes intelligences.
si

Ainsi pourquoi ne pas mentionner linscription publiée par M. Pognon, ou Zakir


'ou Zakkonr) raconte ses victoires (1).^ Elle touche de près à l'histoire d'Israël,
mettant en scène une ancienne connaissance, Bar-Hadad ou Benhadad, fils de
Hazaël. Les papyrus d'Éléphantine sont l'objet d'une note (p. 139), Mais est-ce
assez pour donner une idée de ce fait révélateur d'une colonie juive en Egypte, dont
la vie nous est maintenant plus présente que celle des Juifs contemporains à
Jérusalem.3 Dautant que, à l'époque grecque, nous lisons : « A cette centralisation
rigoureuse du culte juif, il fut néanmoins dérogé en Egypte, par un fait d'ailleurs

unique dans la dispersion, à savoir, l'érection d'un temple juif à Léontopolis »

(p. asS"). Le lecteur, même prévenu aux addenda et corrigendu, ne saura peut-être
pas comment concilier ce temple unique avec le papyrus d'Éléphantine cité en
appendice, où il est question du sanctuaire de lalivé. Et à propos de cette pièce,
citée d'après la traduction du P. Lagrange [Revue biblique, 1908, pp. 326-327),

je dois faire une rétractation. Lorsque eût paru la grande publication de M. Sachau,
j'indiquai (RB., 1912, pp. 127 ss.) quelques points sur lesquels la première traduction
devait être modifiée ou pouvait être contestée. Le principal est aux lignes 27-28,
dont le vrai sens a été trouvé par M. Bruston « et ce sera un mérite pour toi :

devant lahvé, le dieu du ciel, plus grand que celui d'un homme qui lui ollrirait
un holocauste et des sacrilices équivalant à la valeur en argent de mille talents ».
De plus on sait aujourd'hui que la vraie prononciation du chef ou Fartarac (et non
Parthadac' des Perses (1. -5) était Widarnag plutôt que Widrang.
A propos du recensement de Quirinius (p. 29G), l'autorité de Cassiodore et de
Suidas est toujours bonne à citer; mais combien plus suggestif est le fait des'
ànoyox-jat périodiques que les papyrus d'Egypte font maintenant connaître dans
le détail. La copie incomplète de Pococke conserve un grand intérêt pour le cas

de Lysanias (p. 320); mais cet intérêt n'a-t-il pas été renouvelé par la description
des lieux où a été trouvée la nouvelle inscription, commentée par le P. Savignac {'2)?

Nous n'avons pas à entrer ici dans une discussion des faits. L'auteur a exclu
systématiquement toute allusion au développement des idées religieuses d'Israël.
Pour ce sujet il renvoie (p. 123) à la monographie si distinguée de M. Touzard,
dans « Oit en est l'histoire des l'eligions ». Aujourd'hui il renverrait sans doute
à la remarquable étude du même maître dans le Dictioimaire apoloyétiqxe du
11. P. d'Alès sur le peuple juif. Cependant les prophètes apportent leurs renseigne-
ments à l'histoire. M. V. a pensé que l'oracle d'Isaïe 14, 4-21 devait s'entendre
de Sargon (p. 80). Or nous le trouvons encadré dans une prophétie relative à

:i) RB., 1908, pp. 59G ss.


(2) RB., 191-2, pp. o3S SS.
•288 revu: IJIBLIQUE.

Bahvlone, et si Sar;;on fut en ellVt roi de IJahvlone, pour Isaïe (20, i) il est le rcii

d'Assur. Kn revancho on ne peut quappronver la distinction des deux campagnes


de Sennaclicrib. Le désastre de i'arnice envahissante est attribué à une invasion
de rats qui auraient communiqué à l'armée une contagion comme la peste bubo-
nique. L'auteur note « L'événement prédit par Isaïe n'est pas moins surnaturel,
:

et l'expression de 1' « ange de Jabvé « est habituelle pour signilier des causes
secondaires ([ui. surtout miraculeusement, amènent un désastre » (p. 94).
M. Vandervorst s'éciirte ici de M. van Hoonacker, partisan d'une seule expédition,
mais il rend hommage à sa brillante découverte de l'antériorité de INéliémie |)ar

rapport à Esdras. Sur la topograpiiie de .lérusalem, le P. Vincent est l'autorité


préférée, ou plutôt le raisonnement développé sur les lieux a conduit l'auteur

aux mêmes conclusions.


Nous pouvions sans inconvénient insister sur les critiques plus que sur les éloges.

M. Vandervorst a reçu une approbation qui le console d'avance de nos petites


réclamations.
Son ouvrage a été honoré d'une préface de S. E. le Cardinal Mercier. Venant
d'un tel homme — dont l'admiration de la chrétienté a seulement constaté la gran-
deur — un encouragement ne pouvait être banal. Il s'exprime ainsi : « Les gens du
monde eux-mêmes s'attachent avec un intérêt croissant aux problèmes qui louchent
à l'origine de notre Sainte Religion, et je crois que tout homme attentif au mou-
vement de pensée religieuse souscrira volontiers à cette parole qu'écrivait, il y a
la

plus de dix ans déjà, le marquis de Vogiié qui eut le premier, paraît-il. l'idée d'une
école biblique à Jérusalem « Il est temps que le grand public soit saisi de l'évo-
:

« lution qui se fait dans la critique des sources religieuses que, pour ma part, je con-

« sidère comme nécessaire au maintien de la foi dans les régions intellectuelles. »

Critique des sources, mais en vue du maintien de la foi, c'est bien le programme
que M. Vandervorst a voulu remplir.
Nous indiquerons quelques-unes de ces solutions qui paraîtront les plus intéres-

santes et qui seront sans doute discutées.


A propos des difficultés chronologiques de la Bible, après plusieurs autres solu-
tions « De plus, les écrivains sacrés recouraient, comme ils en témoignent fré-
:

quemment eux-mêmes, à des annales existantes. Enregistrant celles-ci telles {ju'elles


se présentaient. il§ en conservaient également les inexactitudes » (p. 06, note de la
page '.):>].

•' D'Akkaron, Sennachérib suit la roule i\c l'Ouest pour monter contre Jérusalem
(Is., X, '2H-.\2 imagine un itinéraire du Nord au Sud pour symboliser la rapidité
de l'invasion I » (p. H4,.

En fait, Babvlone ne sera pas dévastée, ni ses dieux profanés, ainsi que le

voulaient Jérémie et Isaïe ». Et après avoir cité le l'ère Condamin S. J. dans son
connnenlaire tl'lsaïe, p. 281 s. « Quant au mode, à la façon dont lempiro chal-
:

déen prendra fin, le jjrophète semble laissé à ses propres conjectures, et il s'en
tient aux vraisemblances « (p. Hi2 .

Sur le livre de la Loi découvert (1 la di\ huitième année de Josias len r.i»l av.

ili 11 cliiil al)s<iluiiieiii certains crilique?. (luc ceUe «Jecoiivcrle diiit irmaisi-m-
reçu |iarnii
liUtlilc et (lissinmlail or voici ce qu*'iii pouvait lire dans les Ui'lmis du IJ Itvrier
une Im tion.

l'ilfi. sur une oinmunicalioii de M. oniont. au nom de M. r.iii«ue, anliivisle du lllione. à j'Aca-
<

- Au murs de reparalions a i.i Idiluic de lune


d< mie dcslnRcri|ilion.s i-l Ilelles l.eltre» (11 fcvr.) :

des ili.ipclles de la <atli<drali' de l.yon, des «luvricis oui mis au jour. ra<lifs avic <les ditiiis
«le liiule sorle. ipiatre caisses ri'iilrrm.'uil de iiomliiruses liasses de
paielii-niins ci papiers pr<i-
venant des arrhivrs de laucien rliapiire inélropolitain. l'arti" i''^ .l.,.inni nis :uiisi .i,, .imrK
nil.LKTIN. 289

.l.-C). M. V. roppelle que, d'iiprès s. .leioiiie et s. Clirysostorae, ce fut le Deu-


teronome. « Nous touchons ici à la (]iiestion diflicile et épineuse des sources du
l'entateuque. Mais quel que soit le jusement des critiques qu'on adopte sur la

date de rédaction du document deutcronomiste (Deut., v-\xvi + wviii .,


nous
jugeons devoir admettre l'opinion de Gautier, qu' « on ne songea pas à inventer
u quelque chose de nouveau, d'inconnu jusqu'alors. Ou recourut au.x faits les mieux
« établis de l'histoire nationale, aux lois déjà proniulguces et codifiées, et au souvenir
de la grande personnalité de Moïse: avec ces éléments appartenant au passé,
« mais rassemblés en un faisceau homogène, on forma un livre à la fois très antique
« et très neuf, et on lui donna une forme impressive en y insérant d'incessantes et
« chaleureuses exhortations Nous croyons ne pas présumer en disant cette expli-
».

cation permise par la (lonmiission biblique du 27 juin 1906. répondant


le décret de
au 4°, qu'on peut admettre des additamenta post Moijsis mortem vel ab auctore
inspirafo apposita, vef glossas et expliaitiones textui adiectas » (p. 125).
Quant au IP livre des Macchabées : « On sait d'ailleurs que l'auteur inspiré de
cet écrit s'est mis entièrement à couvert, rendant responsable des faits racontés
Jdson de Cyrène, dont résume les cin(] livres, « laissant à celui-ci le soin de
il

« traiter exactement chaque chose » (ii. 29). Tout ce qu'il se proposait, c'était de

résumer fidèlement une chronique plus étendue dont il ne garantit pas autrement
l'exactitude » (p. 228, note 1\
L'illustration de l'ouvrage montre les rapides progrès réalisés par le Musée
biblique de Louvain. Hélas! mais qui pourrait dompter l'activité scientifique du
clergé belge, que l'œuvre de M. Vandervorst, menée à terme dans de telles cir-
constances, manifeste si vivace.'

Il serait très malséant d'appliquer à M. Maurice Vernes le proverbe français


qu'en vieillissant le diable se fait ermite. Contentons-nous de prendre acte de la
rétractation qu'il insère modestement dans une note : « Nous avons soutenu pré-
cédenuuent la rédaction post-exilienne de l'ensemble des écrits bibliques. Des con-
sidérations archéologiques et la vue des inconvénients qu'entraînent des solutions
d'ordre purement littéraire nous ont amené à apporter de sérieux tempéraments à

cette thèse ».
Cela est dit 1) dans une étude intitulée : Shiaï contre Kadès, les grands sanc-
tuaires de l'exode israélite et les routes du désert, étude archéologique et géogra-
phique (2). Ce titre suggère déjà qu'une bataille est engagée entre le Sinaï et Kadès.
On a prétendu transporter à Kadès le lieu où les Israéhtes se sont groupés autour
de Moïse près de la montagne de Dieu, pour autant qu'on admet cette tradition.
M. R. Weill s'est fait en Francs le représentant de ces vues nouvelles (^3 . C'est à

lui surtout que s'en prend M. Vernes, qui soutient avec fermeté la tradition
ancienne désignant le Djebel Mouça pour la montagne de Dieu. Horeb ou Sinaï.
Et assurément l'appui donné à la tradition par un professeur de l'École pratique
des hautes études serait le très bien venu, si l'argumentation n'était de nature à
compromettre une thèse juste, mais qu'il faut prouver autrement. M. AVeiU qui est

il faut signaler le grand carlulaire de 13.">0 que l'on considérait comme perdu, etc. Le plus
ancien de ces documents est un diplôme original, le seul connu, avec un sceau, admirablement
conservé, du roi de Provence Charles, fils de l'empereur Lotliaire I" » (861 .

1) P. G<J.
Annuaire 1913-1910 de l'École prati((ue dos hautes études, Section des sciences religieuses,
;2^

Imprimerie nationale, I9i:i,


p. 1-89, Paris,
(3) Principalement dans le mémoire inséré auv turaes LVII et LVIH (1909) de la Revue des
Études juives.
REVUE LIBLIQLE 1916. — N. S., T. XIII. 19
290 15KVLE BlIîLiyLb:.

allé dans la péninsule sinaïtique n'ignorait pas que d'autres y étaient allés avant
lui et le disait. M. Vernes qui n'est pas sorti de chez lui aurait pu du moins con-
sulter les études qui apportaient des faits nouveaux, ne lut-ce que celui de Pliou-
non, retrouvé au Kh. Fcwiti. Il s'est contenté en somme de la table de Peutinj^er.
^ oyons comment il en use.
l/opinion nouvelle conduit les Israélites d'un point quelconque au delà du canal
actuel de Suez jusqu'à Kadès directement, c'est-à-dire en trois ou quatre jours,
au lieu de faire le contour vers le sud jusqu'au Dj. iMouça. La bonne réponse à

cette conjecture, c'est qu'elle est contraire à la tradition hébraïque. M. Vernes vou-
drait couper au plus court. Il prétend qu'il n'y avait pas là de route dans l'anti-

quité et que, la route de Philistie étant écartée, la seule route d'Kgypte en Pales-
tine, indi(|uée par la carte de Peutinger, passait précisément par l'oasis de Feiràn
et le Sinaï traditionnel. Or on ne peut refuser la possibilité en soi de l'itinéraire
direct, et c'est —
comme M. Weill l'avait noté précisément celui de la carte de —
Peutinger. Pour le nier, M. Vernes est oblige d'abord de supposer (|ue les chid'res
ont éié altérés par les copistes, et ensuite de placer l'bara ou Pharan à l'on. Feiràn.
Mais la situation du désert de Pharan dans la Bible est certainement plus au nord,
comme M. Vernes d'ailleurs le reconnaît expressément en disant que c'est le Tih
actuel des Arabes (p. 83). Si les chilH-es de la carte de Peutinger pour la route
qui passe par Pharan correspondent à peu de choses prés à un itinéraire moderne
par Nakliel de Suez à Aqaba, quelle raison a-t-on de les déclarer suspects?
Et M. Vernes se permet bien d'autres opérations philologiques! Dans le texte
de Ptolémée, au lieu de —apax/ivr] il lit i]ojx/.r,vr;, qu'il retrouve dans Soucis (Suez)!
La Mojv'j/ làTtç est l'arabe Makoudn; PJhoda, si évidemment identique à 'Abdeh, est
el-Aowljeh... On nous dispensera de discuter le reste de ces élucubrations. Ce
même fascicule contient de nobles revendications de la science française. Kst-clle
donc représentée de cette façon.' Et (juclles raisons de mettre en train pour cela
notre Imprimerie nationale?

Peuples voisins. — Bahtjlonic.


M. Ungnad a publié pour le compte de l'Université de Pensylvanie des lettres

babyloniennes appartenant à la période de Hammourapi (1). Elles figurent en fac-


similé avec quelques planches photographiques. La traduction est réservée pour une
autre publication. Opendant quelques-unes sont traduites comme échantilldus.
Parmi elles une inscription — qui n'est point une lettre — émanant du roi H.uii-
mourapi en personne. C'est le seul document officiel du grand roi qui soit antérieur
à sa victoire sur Rim-Sin. M. Ungnad le conclut de ce qu'il ne prend pas encore le

titre de roi des quatre points du monde. Le roi raconte comment il a construit un
mur à Sippar. Un index des noms propres et un index des noms de dieux sont uue
.lulre concession aux lecteurs qui ne sont point spécialistes.

Noter dans le W'^ tome des Oxi/rliynchus papi/ri un texte fort inieressanl pour
l'histoire des religions. Le n" 1380, relativement loni:, puisqu'il coiUient i>!»s lignes,
plus ou moins bien conservées, date du commencement du second siècle. Il «ontienl
une invocation a la déesse Isis, qui vraisemblablement a ele composée au |)lus tard
au r"" siècle. L'auteur connaissait bien rEi;\|)te et était naturellement iullueucé par
• ertaines façons égyptiennes, mais était sûrement un Grec, initié aux mystères. Il

rnivnrsity or Pennsylvania, The Lniversity Muscum, l'iililications nr tho lialivlonian Section,


(I,
Vol. vil, liaby loninn Lctlcrs of tlic IJanunurapi l'crioil, by Arthur 1'n<;>vd, iiii' de "'O pp. et
CIV planches, Philadelphie, 1!M6.
BULLETLN. 291

manque probableiiKMU peu de choses à l;i (io du papyrus, mais le début était peut-
être beaucoup plus long, racontant — si Von s"en rapporte à l'analogie avec un autre
papvrus (1381) — comment le fidèle a été amené îi composer ou à traduire son
(vuvre. Les premières lignes jusqu'à la ligne 119 indiquent les noms que portç
Isis dans les divers lieux où elle est adorée -, le reste est consacré à ses louanges,
c'est-à-dire à la mention de ses hauts faits, qui sont sm-toul des hieul'aits
pour le
genre humain. Le catalogue de ses vocables est très intéressant, mais on ne saurait
V voir une énumération de lieux consacrés au culte d'isis. Car l'auteur était per-
suadé que sa déesse est la seule et unique déesse, adorée partout quoique sous
d'autres noms. Il est donc bien évident qu'on ne peut conclure de son texte à l'exis-
tence très répandue des mystères d'isis, qui, d'après lui, serait honorée sous le nom
dliéra, Dictvnnis Ces identifications syncrétistes étaient déjà connues, mais
etc.

n'avaient pas été poussées aussi loin. Les éditeurs citent comme nouvelle la fusion
avec Artémis, Hélène, llestia, Leto, Maia, Praxidice et Thémis. A ces équivalents
on en ajouterait volontiers d'autres dissimulés sous la traduction grecque d'un mot
sémitique. Isis en Arabie se nomme grande, déesse iv t?; 'Apx6;a [xsyâXrjv, Oeûv :

(1. 76 s.). C'est dire quisis se nomme là Babbat, Allath, noms de la déesse sémi-
tique, qui n'étaient point hellénisés comme Atargatis (1). Les éditeurs rapprochent
l'Inscription de los (1.5-16) âyoî siat Osoç xaÀouuLÉvr], mais dans ce cas G^ciç
t) napà -^-yja'Xi-

est bien évidemment un nom commun.


ne se retrouve dans notre papyrus qu'à la Il

ligne 107. et c'est encore eu pays sémitique h «l'o'v./.i S-jp^fa; dsôç, donc encore :

Allât II, ou plutôt Eldt qui était bien une divinité phénicienne (2). Ce n'est pas par
hasard que 630c se trouve deux fois en pays sémitique et pas ailleurs. D'ailleurs l'au-
teur était parfaitement au courant des centres de culte. Citons seulement pour les pays
sémitiques à partir de la côte d'Egypte 1. 93-101) : èv TstvoxopoûXoiç -avT6-[-iv ou
ravTo-opov ? ), donc : « à Rhlnocorure, Voyant tout » ;
h/ Awpot; çtXfav, « à Dor amitié» » ;

h ilTpâTcovo; (lecture rétablie) -ôpyo) 'EXÀdoa, àyaO^^v, la tour de Straton, comme


dans Strabon, et donc pas encore Césarée, nom qu'Hérode donna à la ville nouvelle
qu'il construisit en l'honneur d'Auguste. Qu'une divinité égyptienne ait pu être con-
fondue avec Hellas. personniflcation de la Grèce, cela prouve le parti pris de com-
prendre toutes les divinités féminines dans la seule Isis. 'Ev "Aay.aXw /.paTbTr,v, terme
vague. Après Sinope, ville de Paphlagonie, nous avons : èv 'Pasia SjvâaTiv, « à Rha-
phia. dame ». maratJt; iv Ty.rS/.ii opOojaîav, ce dernier nom est suggéré peut-être
par la proximité d'Orthosia, entre Ti'ipoli de Syrie et TEleuthère (3); Iv fa^r) sÙTÙ.ix
(pour £j-Ào'.av? . « à Gaza, déesse de l'abondance » (ou de la navigation?}. Puis,
après Delphes, iv Bxvoû/.r,, "ATâpyaTi;, « à Bambyce, Atargatis », la célèbre déesse
syrienne. Plus loin,l. 116 ss., âv Bïjpu-S) Msav, sans doute Maia; âv SEtSGvt 'AcrrapTrjv,
l'Astarté de Sidon est bien connue-, âv n-roÀEaafSi Gpovttj.r,v (mot restauré}. « la pru-
dente à Ptoléma'is » ou Acre.
La simple énumération des titres d'isis contient déjà toute une théologie. Elle est
awTstpa (11. 91 et 293 , àvopoawTctpx (1. .5.5), awrojia (1. 76), cependant rien n'indique
({u'ellc sauve en donnant une vie immortelle. Elle ne l'a fait que pour Osiris, son
époux et pour Horus, son fils (11. 242-247). Si elle est réellement saluée à la 1. 13
(texte douteux) comme donnant l'immortalité, cela doit sans doute s'entendre des

(Il Cf. une inscription néopunique (phén. 149) 011 les deux noms sont réunis ; D'IN'!? 713*1(1^
Éludes sii.7- les religions sémitiques, 2» éd., p. 73;. La même association eût pu se trouver en
Arabie, c'est-à-dire chez les Nabatéens.
'2; CI. note précédente.
;;{ Cependant il figure déjà i. 3!>.
292 REVLK IMBLIOIK.

mêmes personnes [biodore, i. 25). Malheureusement les textes (|ui regardent Osiris
sont assez lacuneux. De toute façon le deuil d'Isis ne devait pas être mentionné. On
lit qu'elle seule ayant bien tenu le gouvernail a ramené son frère Osiris, et
qu'elle lui a fait des funérailles convenables : au tÔv iZilzôv ao[j i-oi]'n,\'y]7.^E; aôvr;

/.j'ôiç/rl'jX'jT. -/.aÀfo; zai £Jap!j.ôjTw; Oâ!/aaa (II. 18G-1S9), et ensuite qu'elle lui a donné
l'immortalité (I. 242 s.) en assurant sa succession à Ilorus. L'action bieulaisante de
la déesse sexerce dans le domaine de la nature et dans celui des institutions; la

première elle a interprété « les quinze commandements ». qu'on voudrait bien con-
naître autrement que par cette allusion énigmatique. Bref elle est pour les hommes
la bienfaitrice par excellence, mais il n'est pas fnit allusion ;uix avantages de son
culte pour une autre vie. Peut-être ce point était-il réservé aux initiés.
Le papyrus 1381, aussi du ii<^ siècle, est consacre à la gloire du dieu éj^yptien
Imhotep assimilé à Asklépios- Le thème est plus foncièrement égyptien que le pré-
cédent. L'auteur racontait d'abord longuement par quelles séries de prodiges il
avait été amené un ouvrage égyptien trouvé dans un temple; le texte
à traduire
s'arrête au moment où commençait l'histoire des bienfaits du dieu et de son
culte.

il est entendu que le grand public ne s'intéresse qu'aux synthèses et aux décou-
vertes sensationnelles. Mais quelle satisfaction pour les hommes d'étude (juand ils

peuvent assister, pour ainsi dire, aux recherches et aux découvertes qui l'onl la

science au jour le jour! C'est l'intérêt qu'ils trouveront à la très belle publication
contenant tout ce qu'a laissé Paul Gauckler sur ses fouilles dans
la grande nécro-

pole punique de Carthage Rien n'a été épargné pour placer sous les yeux du
(1).

lecteur les pièces où il pourra s'instruire et se convaincre. La première partie se


compose d'une double série de photographies, et de carnets de fouilles. Les photo-
graphies représentent les chantiers, puis les objets découverts dans les tombes. Les
carnets sont reproduits en partie directement sur un grand nombre de planches.
Tout ce qui en est conservé a été transcrit en caractères d'imprimerie, sauf les

détails qui n'étaient pas relatifs au sujet. P. (iaucklor tenait son journal avec beau-
coup de précision, au jour le jour, sur des feuilles quadrillées, inscrivant à l'angle
droit le temps qu'il faisait, le surveillant, la paye des ouvriers, mais surtout notant
tout ce qui sortait de terre, avec des esquisses bien venues des monuments et des
objets qu'ils renfermaient. Plus d'un chercheur s'informera dans ces carnets de la

bonne méthode, moins fréquenle que ne se l'imaginent les non initiés à ces sortes
de travaux. Comme nous l'avons dit, tout ce matériel est relatif à la grande ni-cro-
pole de Carthage avec ses chantiers de Derinech. où les fouilles counneiicèrent en
189!i, de rodeon et de Dhar-Morali. Les planches 1 et I'"" fournissent deux plans

d'ensemble. Un appendice (à la iin de la seconde partie) comprend des photogra-


phies et des feuilles de carnet mon transcrites), relatives aux fouilles de Gunuu;us
(I890-I8!)i;.
A mémoires déjà parus,
cette première partie, inédite, les éditeurs ont joint des
illustrés par une (|uinzaine de planches, une ciwiosité un peu moins
("est la part faite à
spéciale, et comme un commentaire des trouvailles. Très au courant de tout ce que
possède l'Afrique, Paul (lauckler ne cherchait pas uni(|uement dans ses propres

(1) l'Miil jimni/itm île Cart/iiir/e. Prcrnii-re partie


(iMCKi.K.n. Nrcroitoles C.arnols de fnuillcs :

a^t•( une A>/ivm: Deuxième parlio. i-liides iliNeise.s, l'ari.s, l'iciird. HH.'i. I,es
iiilrodiirtion |>ar 0.
d«.'U\ paitie.t sont reparties en dun^i miIiiiiich aNec une seule nuiiiiTiitalimi des paKos (XLiii-<i03)
et des plaiH'Ilcs (CCCM. Sur une piililn atioii anl<'re<leiile des lra\au\ de P. Cauekier au Jani-
.

rulR, if. un., 1!>I3, p. <i3(» 9.


nrij.rriN. 293

fouilles le seeret de leur interprétation. Aussi les articles reproduits sont-ils relatifs
à d';uitres découvertes, et notomnient aux objets conservés dans les Musées de Cons-
tantine et de Cliercholl.
D'après tous ces travaux il avait esquissé l'histoire de la nécropole punique, sim-
ple plan que la main amie de M. D. Anziani a développé dans une introduction
magistrale. On y suit toute l'histoire des abris préparés pour les morts à Carthage,
depuis le vtii'" siècle jusqu'à la ruine de la ville.

Ce ne sont d'abord que des fosses sans murs et sans dalles, sans puits d'accès. J^e
mobilier consiste en poteries locales. Point de mobilier rituel, dit M. Anziani. « Les

seules amulettes sont des masques grimaçants en terre cuite, destinés apparemment
à épouvanter les violateurs » (p. wiii . Mais pourquoi violer des tombes qu'on ne
songeait pas à dissimuler parce qu'elles ne contenaient rien de précieux? Ne fallait-il

pas plutôt mettre en fuite les démons qui auraient essayé de troubler le repos du
mort.^ C'est vers la lin du vii'^' siècle que la tombe |)unique prend son type classique :

la chambre funéraire est pourvue d'un puits d'accès à section rectanguUiire, parfois
assez profond. Pourquoi ce changement? M. Anziani ne se pose pas la question. Ne
serait-ce pas la preuve à Carthage d'une recrudescence d'esprit sémitique? car on
sait que ces puits sont la caractéristique de l'ancienne tombe phénicienne. Quelle
déception pour tel des explorateurs de la nécropole sidonienne que nous avons vu
arriver au fond d'un puits de plus de trente mètres sans rien trouver ! Désormais,
ajoute M. Anziani, « le mobilier rituel est fixé : il comprend la lampe sur sa patère,
deux jarres ou amphores, deux œnochoés » (p. xxi). En quoi ce mobilier est-il plus
rituel que le précédent, c'est ce qu'on ne s'explique guère. Non plus que cette
réflexion sur les fosses du iv siècle, qu' « elles ne contiennent plus de mobilier
rituel » (p. XXXI Au iir' siècle commence l'incinération, les tombes deviennent
.

collectives; évidemment le respect dii aux morts est en baisse.


Qui douterait de l'intérêt de ces recherches peu glorieuses, mais solides et pré-
cises, pour la grande histoire, n'aura qu'à lire la fin de l'introduction de M. Anziani.

P.ien n'est plus célèbre que la prodigieuse richesse de Carthage, et Flaubert préten-

dait que les trésors éblouissants d'Hamilcar avaient été décrits d'après les sources
les plus dignes de foi. Voici maintenant ce qui ressort de l'examen, par centaines,

des tombes les plus riches Cette exagération n'est pas seulement imputable à la
: «

fantaisie des auieurs anciens. Elle s'explique dans une bonne mesure par l'isolement
dans lequel le monde punique s'est enfermé. Avant l'époque hellénique, l'importa-
tion grecque à Carthage est presque nulle; et même dans les derniers temps, elle se
limite à des produits de second ordre... Les objets d'origine grecque qu'on a trouvés
dans leurs tombeaux n'ont aucun caractère artistique... Cette ignorance de l'hellé-
nisme n'était pas compensée par de larges emprunts aux civilisations orientales. Les
artistes de Carthage — si tant est qu'il y eût à Carthage autre chose que des arti-
sans — se sont contentés de reproduire sans cesse les mêmes modèles de bagues,
de pendants d'oreille, de scarabées, d'amulettes empruntées à
mythologie égyp- la

tienne ou syrienne. Presque tous ces modèles étaient connus dès les premiers temps
de Carthage, et c'est bien un des traits caractéristiques du génie punique, que de
n'avoir jamais senti le besoin de la nouveauté » (p. xl s.).

Par ce traitdominant, par beaucoup de détails, Carthage resta fidèle au génie sémi-
tique; c'est l'intérêt de la nécropole punique pour ceux qui étudient l'Orient ancien.

On n'allègue plus l'antiquité de l'homme comme une objection fatale à la Bible


depuis que les exégètes ont renoncé à y voir une chronologie historique sans lacunes.
204 REVUE BIBLIQUE.
Mais on a continué d'opposer au récit de la Genèse sur la création de riioiiime et
l'unité de l'espèce Inimaine les découvertes de S(iuelettes où les ancêtres des races
humaines étaient présentés comme des intermédiaires entre le singe et riionimc. Il
semble que cette opinion perde du terrain, même dans les cercles purement scienti-
fiques, si nous en jugeons par cette analyse, empruntée aux D'7/r//.s- du l'6 février 19l(i.
« Dans un ouvrage remarquable, publié par MM.AVilliams et Norgate. et qui a pour

titreThr Antiiiiiiti/ of Mail, M. Arthur Iveith, un anatomiste éminent. vient d'opérer


une mise au point des plus intéressantes du problème des origines humaines. Il n'y
a pas si longtemps, quelques années à peine, dès que l'on découvrait une forme

humaine ou humanoïde fossile, on ne manquait pas de l'enregistrer comme une des


étapes par où avait dû passer le candidat à l'humanité. C'est ainsi (|ue le Pithécan-
thrope et rKoanthrope furent l'un et l'autre considérés comme des ancêtres de
Ihomme moderne. Il en fut de même pour les types de Néanderthal et de lleidel-
berg. Mais ce point de vue n'a pu subsister. Car si, à l'exemple de l'anatomiste anglais,
on fait l'étude critique approfondie de toutes les trouvailles anthropologiques, si l'on
note soigneusement du gisement, on arrive à luie conclusion tout
les caractères
autre, et on constate en particulier que l'homme moderne européen existait déjà du
temps du néanderlhalien ou de l'homme d'IIeidelberg; il était représenté par les
types de Galley liill et de Combe Capelle en particulier.

(• Il n'a donc pas résulté de la transformation des types primitifs. Peut-être même
existait-il en même temps que l'Koanthrope et le Pithécanthrope. En tout cas, il ne
sort pas de ces types inférieurs et brutaux, et il se présente constitué de toutes pièces
à l'époque où existaient ces types (jui, du reste, ont disparu, ont été éliminés.
L'homme moderne européen n'a nullement ces formes pour ancêtres.
« A quelle époque cette espèce Ot-elle son apparition? ^'ous la connaissons au Pléis-

tocène •
mais peut-être la connaîtrons-nous aussi à une époque plus reculée. De
nouvelles recherches nous renseigneront. Ce qu'il faut retenir, c'est le changement
d'orientation considérable qui s'est produit dans la façon d'envisager les rapports
entre races humaines et pseudo-humaines.
« M. Iveith résume graphiijuement dans un tableau géologique ou d'une souche
les

dite humaine il la fois l'Eoanthrope qui disparaît au début du Pléisto-


fait sortir à

cène, le type Ileidelberg Néanderthal qui sid)siste pendant une partie de celte
période, et enfinla souche commune d'où sortent l'Européen, le Mongolien. l'Aus-
tralien et Le Pithécanthrope, lui, sortirait d'une souche hmnanoïde
l'Africain.

'Comme la souche humaine) et aurait vécu au pliocène pour mourir au début du


Pélistocène, lui aussi. «

Les .luifs Yéménites, étrangers à toute culture moderne, isolés même des Arabes
dans une contrée séparée du monde, n'ayant pour aliment religieux et intellectuel
que la Bible hébraïque, sont demeurés plus fidèles que d'autres à ce qu'on a nommé
les deux pôles de la religion juive, le légalisme se tournant en casiùslique. les espé-

rances messianiques les plus déconcertantes. Leiu' situation est dépeinte d'une façon
qui paraît impartiale, malgré l'ardente sympathie de l'auteur pour ses frères, d;ius le
récit dime mission de IMiiance israélite universelle au léraen. par M. "^ oml«»b
Sémacli (1,.

Le but d(; cette en(|uete était de préparer l'installation d'écoles Israélites destinées
.1 améliorer h; sort de cette populatiou, 1res misérable, mais qui se maintient obsti-

l\i In H <lc 1-22 pp.. Pari», Sicifc de la société, i!», nie de l.i ltru>tTe. l.v vovukc a en liiMi dans
l'IliVtT de l!t|0.
I5LLLET1N. 29-)

nément par l'attachement à sa Loi reliiïieuse. Ces pauvres j^ens. miséreux, méprisés,
maltraités, insoucieux de tout ce qui intéresse l'homme moderne, et même leurs
voisins, se passionnent pour des <'as de pureté ou d'impureté lé^nle avec autant de
subtilité que les disciples de lliilel ou de Schammaï. Voici un exemple cité par
-M. Sémacii. On est un samedi dans la synagogue, où la commencé dès
lecture a
deux heures du matin : « une question à poser;
INIoré. j'ai ma lemme en cuisinant
hier a mis par mégarde la marmite à soupe dans une
cuiller qu'elle retirait de la
terrine de maign' et, s'en apercevant, elle replongea machinalement la cuiller dans
la soupe; que fallait-il faire? » Tous ceux qui sommeillaient se redressent, les

conversations particulières s'arrêtent, la question est passionnante. Il faut briser les


deux ustensiles, dit l'un; il faut verser la soupe et briser l'ustensile maigre, propose
un autre. Le iMoré prend à son tour la parole et fait une enquête de juge
d'instruction; il s'informe des dimensions des marmites, du nombre des gouttes de
soupe que la cuiller avait pu laisser tomber et, après avoir compulsé plusieurs
ouvrages, il prononce sa sentence la soupe peut être mangée, la marmite qui la
:

contenait est toujours kascher, la deuxième marmite ne peut servir ni pour le gras
ni pour ie mrngre, on peut y garder des légumes secs » (p. 60). Béni soit ce maître
tolérant, qui épargne la vaisselle, mais béni soit surtout l'apôtre saint Paul!
Voici maintenant pour le messianisme, qu'on est bien un peu surpris de trouver si

vivant dans ces ghettos formalistes : < Il est impossi!)le de dresser la liste, même
approximative, de tous ceux qui se sont fait passer pour les envoyés de Dieu, depuis
ce rabbin qui, au xii® siècle, demandait à ses ouailles de se convertir à l'islamisme
sous prétexte que la Bible prédisait Mahomet, jusqu'à Joseph Abdallah, mort il y a

quelques années à Chibam et qui avait adopté comme cri de ralliement de ses parti-
sans le braiment de l'âne. Cependant Chukri Cohaif, qui a révolutionné le Yémen il

y a seulement quarante-trois ans. est une ligure curieuse. C'était un ouvrier cor-
royeur; il connaissait bien la Loi et portait le titre de More; on l'aimait pour son
honnêteté, sa piété. Zohar et s'occupait de cabbale. Un matin,
Il lisait assidûment le

en se levant, il il abandonne sa femme et


déclare qu'il est le Messie: ses enfants et,
prenant sou bâton, il s'en va de ville eu ville, de village eu village annoncer la
bonne nouvelle. Les populations juives et arabes l'accueillent avec enthousiasme, on
s'adresse à lui pour guérir toutes sortes de maux; il fait, dit-on, des miracles.
L'Imam, ému de sa popularité chaque jour plus grande, le fait assassinera Ténara.
Quelque temps après, un de ses disciples se fait passer pour le Messie ressuscité; il
mande à Ténam la femme de Cohaïl, qui reconnaît en lui son mari; la communauté
de Sanaa est menacée de massacre; le tribunal rabbinique démasque l'imposture du
second Cohaïl, et celui-ci, pourchassé, va se cacher dans les déserts de l'est » (p. 98).

D'après M. Sémach, la population juive du Yémen, sans compter Aden, serait de


15 à 16.000 âmes.

Palestine. — En novembre 1!)15, l'École pratique d'Études bibliques aurait dû


célébrer à Jérusalem le vingt-cinquième anniversaire de sa fondation. La société
anglaise Palestine Exploration Fiutd comptait déjà le double en années d'existence;
c'est vraiment un jubilé qu'elle a atteint en mai 191-5. De temps à autre elle a eu soin
de résumer son œuvre. Un
compte rendu s'imposait bien plus cette année.
pareil
Il a paru par les soins du Colonel Sir C. M. ^Vatson, K. C. M. G., C. B., M. A. (1).
C'est le 12 mai 186.5, qu'une réunion tenue à Westminster, dans la « Jérusalem

(1) Fifty years' IVorA- in Ihe Holy Land, a rccrd and a summary, 186;>-l!>i:i. 8" de 100 pp.
avec une caite. Pul)lié par le comité, -2, Hinde SIreet. I.ondon W., lOl.i.
29G REVUE BIULIQL'E.

Clianiber », décida la fondation d'une société pour l'investigation de la Palestine :

archéologie, géographie, géologie, histoire naturelle. Ce n'était point une tentative


en l'air. Déjà Tannée précédente l'exploration avait été commencée par le capitaine
^Vilson, feu le Major-Général Sir C. W. Wilson, qui demeura durant sa vie entière
râmc de l'entreprise. On s'était rendu compte en fait des ciiances qu'on avait de
réussir.
La société fondée, le capitaine "W il son se remit à l'oeuvre et procéda à une
reconnaissance moins sommaire. Pour donner satisfaction au public anglais, et
pour lancer la société, on s'attaqua au point le plus important de l'archéologie
biblique, l'emplacement et les restes du Temple de Salomon. Ce fut l'époque
héroïque des travaux dont on attendait des résultats sensationnels (de 1<S()7 à 1S70).
Il que ces résultats, assurément très appréciables, n'aient été présen-
est fâcheux
tés au public qiie peu à peu. Il faut les chercher dans les comptes rendus du
Quarlcrh/ Slalemcnt, qui commença en 1.SG9, dans T//e Hecovpri/ of Jérusalem, de
M. \\'alter Morrison, ouvrage qui donne beaucoup moins que sou titre ne promet,
dans rndertji'ound Jenisahnii, dé M. Warren, enlin et surtout dans le volume des
Memoirs of the Survey of Western Palestine, consacré à Jérusalem, qui ne parut
qu'en 1884, avec un album de cinquante planches. Cet album est la base nécessaire
de toute élude sur l'ancien Temple et son emplacement: malheureusement il est
devenu introuvable.
La période qui suivit fut consacrée à l'exploration systématique du désert de
l'Exode et de la Palestine. Le Survey de la Palestine occidentale 1871-1S77' et de
la Palestine orientale ^1881-1882) aboutit à rétablissement d'excellentes cartes,
guides indispensables du voyageur, et qui remplacent pour plus d'un exégète la

connaissance des lieux.


Les fouilles reprennent à Tell el-ilesy en 18!)0, et à Jérusalem pendant trois ans
(18!M-18',)7;. Depuis cette époque, la lierue en a rendu compte très copieusement,
aussitôt après que le résultat en était communiqué au public par leurs auteurs. La
gratitude nous un devoir de dire que les comptes rendus étaient facilités par la
fait

connaissance des travaux au jour le jour. Nous rappelons une lois de plus avec
quelle bonne grâce et quelle ouverture sympathique M.M. lîliss, iMacalister, .Macken-
zie ont reçu dans leurs chantiers les professeurs et les élèves de l'école biblique.

La dernière campagne de fouilles lut celle de Ain Chems. Avec elle la société inau-

gura la publication d'un Annual.


Puis on revint au genre du Survey, avec une étrange opportunité, car c'est en
1013 et 1!H4 que fut entreprise et menée à terme l'exécution d'une carte du sud de

la Palestine. Le capitaine Ncwcombe et le lieutenant («reig venaient de terminer


leurs travaux quand la guerre éclata. On comprend que le l'uml ne se soit pas
soucié de mettre aux mains des Turcs, moins encore aux mains de ceux qui les
emploient à leur service, un très utile insinunent pour les opérations militaires.
Mais l'expédition était en même temps archéologique, et il n'y avait auciui inciui-
vénient à décrire des ruines. Ctit ce qu'ont fait MM. W oolley et Lawrence, con)me
uiius le disons ailleurs.
En somme, la société anglaise a fait, durant ces cinquante années, des travaux
pénibles, mais utiles, et qui lui font le plus grand honneur. Ils sont maintenant
interrompus, mais ils reprendront, et avec plus de liberté. Un nom se détache entre
tous eeux qui «»nt si bien mérité de la science et de l'exégèse, c'est celui de
II. II. kiteliciur. Il débute dans le Survri/ en 187 1 connue lieutenant, et il organise
en ce niduienl. poiu- la part di- l'Angleterre, la lutte (ralfr.inchissenient qui .s'étend
BULI.LTIN. 297

(le la mer du Nord à ces coufins de la Palestine et de l'Kgypte où il a commencé


à connaître TOrient. S'il eut alors le pressentiment de l'illustration que cet Orient
donnerait à son nom, il est fort heureux que les commissaires ottom ms n'aient pas
soupçonné dans le modeste travailleur un futur ministre de la guerre, libérateur
du Soudan, et, nous l'espérons, de quelques autres contrées encore.
• Tous les biblistes français diront avec nous du P'ileM'nin l-'.rplnr.itinn f'unil :

vivat, crescat, /loreat.

P.E. Fioid, Quart. >'^y/.. juillet 1910. — Notes et nouvelles. — liéunion annuelle
plus importante que d'ordinaire à cause du jubilé de la société. — Éfji/pte et Pales-
tine, par le Colonel Watson. L'auteur dégage de toute l'histoire ce lait si important à

considérer aujourd'hui que le désert qui sépare l'Egypte de la Palestine n'a jamais
:

été un sérieux obstacle pour une année bien équipée et bien conduite, dans l'une ou
l'autre direction. —
/.es Piipi/ru-< d'Elrpluintinc, comme illustration de IW. T., par

M. J. Ollord. L'auteur pense, comme M. van Hoonacker, qu'un bon nombre des
colons d'Eléphantioe étaient Samaritains. Dans le fait que le Pentateuque ne date
jamais d'après les mois babyloniens, il voit une preuve qu'il était écrit avant la
captivité. — INouvelle note de Î\L Trumper sur la route de l'Exode.
Octobre 1915. — Notes et nouvelles. — Suite de l'Orient immuable, de
M. Philippe Haldensperger : habits et modes. — Notes de circonstance sur habi- les

tants modernes de la Palestine, par MM. Masterman et Macalister : Ouélvs, dervi-


ches, pèlerinages. — • Mesures de distance en Palestine, par le Colonel Watson. —
Le sicle du Sanctuaire, par M. Pilcher. Il assimile le beqa' a la drachme d'Égine ;

le «icle du sanctuaire était le double, soit un stater d'Egine. Note sur — les graffites

de la citerne du ouady el-Djoz (suite), par 1\L Max van Berchem. Le très docte
épigraphiste n'ose rien affirmer sur la date de ces graffites. Peut-être dès les pre-
miers temps de la conquête musulmane (c'est bien haut!), peut-être durant les
croisades. Les inscriptions ontun caractère religieux populaire qui se rattache sûre-
ment à l'Islam, mais sans aucune influence érudite du Coran. Dieu y est considéré
comme un ami puissant, auquel on désire plaire. Notes àrchi'ologi'jucs, par —
J. OlTord. Une nouvelle tombe à inscriptions a été découverte près de Beit-Djebria

par M. Warren J. Moulton. et publiée dans le numéro de mars 1915 de VAmericati


Journal of Archaeologij. Cet hypogée appartient au même temps et au même groupe
social que celui qui a été publié par MM. Peters et Thiersch, dans The painted
Tombs al Marissa. Les dates sont l'an 117. l'an 115 et l'an 201, les noms sont Sabo.
lille d'Apollodoros, Antiphilos, fils de Dionysios. Dositheos. Antiochos, Diudotos,
Heliodora, fille d'Aeneas, une femme sidonienne, Apollodoros. D'après les Notizie
degli Scavi, 1914, nous apprenons le nom d'un des derniers procurateurs de Judée
avant la révolte sous Hadrien; il se nommait Bassus. Ce titre était le couronnement
d'une longue carrière. Voici le cursus honoram du personnage, le gentilice de
Bassus étant elTacé :

M^arci) Fal(erna) Bassus praefectus cohorlis pr'unae Antiochensi um, prae-


filius

fectus cohortisprimas Brittotium : praefectus alae Moesicae, Procurator Imper a-


toris Caesaris Traiani Hadriani Aurjusti, ad f/uadragesimum Galliarum : item ad

censum agendum Ponto Bithi/niae, epistratego Pelasio, item Tliebaidis. Procurator


provinciae Judaeae : Testamento poni iussit.

Est-ce parce que la section orientale de l'Université de Columbia publie des his-
toires, comme l'histoire de Sidon, de Gaza et de Tyr 1).que les recherches de
(1 Cf.. RB., HI15 p. 5!»S.
-298 REVUE BIBLIQUE.

M. Dalil sur Dor sont modestement intitulées : Matériaux puur ridstoirc de


Do?-(l)? Si l'opposition est voulue, elle n'est pas sans ironie, car M. J)alil est im
philolo:;ue parfaitement maitre de son sujet. Il ne semble pas s'être rendu sur les
lieux, mais il a dépouillé avec soin toute la littérature, depuis le papyrus Goleni-
sc'hefr jusqu'au Chevalier d'Arvieux etaux exphtrateurs modernes. C'est d'après ces
derniers, surtout Guérin et le Sui-vei/ anglais, (ju'est es(]uissée la topographie. Le
nom de Dor, le même que le babylonien Iniru. indiquerait une forteresse entourée
d'un remparl ou d'un mur, et cela est très plausible. Plus difficile à explijuer est le

nom de Kaphat Dor qui se trouve dans l'Ecriture dos. 11, 2; 1 Reg. 4, 11). 11 fau-
drait l'appliquer à une hauteur voisine de la ville, probablement transformée en for-
teresse. Quant à rénigmati(iue PZ:~ T^'ù'-'XL' de Jos. 17, 11. M. Dabi y voit une

glose qui aurait pénétré dans le texte. Sa ionne première était np: nnuSïJ, et le

glossateur voulait dire, en marge du texte, que la Iroiaicmc ville de la liste, qui était
Dor, devait être entendue de Naphat Dor. Ëzéchiel (21, 19) fournirait un cas tout à

fait semblable. C'est fort ingénieux, et en somme satisfaisant.

On sait (|ue le nom de Dor paraît dans la grande inscription phénicienne


d'Echmounazar. M. Dabi traduit à la ligne 19 : « Dor et Yoppa, les glorieux pays
de Dagon. Le sens de « froment
« » nous parait plus probable que celui de
« Dagon ».

D'ailleurs on ne peut qu'approuver l'auteur d'accepter pour l'inscription l'é-

poque du Temple d'Echmoun '2) lui paraissent une confumation


persane-, les ruines
de la date plus haute. Les textes grecs ne sont pas analysés avec moins de soin que
les textes sémitiques. Et en somme, que peut-on dire de plus pour faire l'histoire

de Dor? La véritable manière de traiter ces monographies ne peut être qu'un


ré^iertoire de textes bien compris, \olons cependant <iue la tradition hébraïque

aurait mérité plus d'égards; n'ayant point dissimulé léchée des tribus, elle n'est
pas suspecte de partialité quand elle avance un fait précis pour le règne de Salo-
mon(I Reg. 4, 11).

(l> The Maleriiils for Ihc llislory of Dor, hy George Uaiii.. Pli. D. Assistant Professor of old
Testament Liierature, School of lleligion, Vale University, in-8" de 131 pp., New Haven, Connec-
ticut, l'Ji:;.

[i] .M. Dalil ignorc-til que le rapport de Macri<ly-I'.ey a eié pul)lio dans la RcMue hiblique"

Le (ii'rnnt : .1. Ciammda.

r>po;^r!tpliip Kirniin Didnt ei C". — l'ariR.


L'AME JllVE AL TEMPS DES PERSES

A maintes reprises, au cours de notre étude sur Les Juifs 'pendant


la période persane, nous avons fait appel à la foi religieuse des exilés

et des rapatriés. C'est cette foi qui nous a fourni l'explication de la


volonté de vivre qui a empêché Israël de s'abîmer dans le malheur
comme le faisaierit autour de lui un si grand nombre des nations
subjuguées par Nabuchodonosor. C'est cette foi qui nous est apparue
comme l'inspiratrice et le soutien des efforts que, revenus
en terre de
Palestine, les rapatriés ont, plusieurs siècles durant et malgré les
difficultés les plus capables de les décourager, multipliés en vue de
rétablir et de restaurer, en même temps que le culte de Yahweli,
quelque chose de l'antique vie nationale.
Mais, si nous avons parlé fréquemment de cette foi religieuse, nous
mode d'allusion ou en nous bornant tout au
l'avons fait surtout par
plus aux brèves indications jugées indispensables. Aussi nous
très
parait-il opportun de revenir sur ce sujet pour lui consacrer .une
étude plus directe et plus abondamment documentée.
C'est surtout, en par ce qu'elle nous apprend du développe-
effet,

ment de sa foi religieuse que l'histoire du peuple d'Israël nous inté-


resse et nous touche. C'est l'âme même de la nation choisie que nous
aimons à voir en mouvement et en progrès; n'avons-nous pas cons-
cience, que de cette âme nous tenons, à titre de précieux héritage,
une part de ce qui fait la vie de notre âme à nous-mêmes? L'intérêt
s'accroît encore du
que, chez les Israélites, la pensée religieuse
fait

perpétuellement en travail, sans cesse en voie de


est toujours in fieri,
se débarrasser des imperfections qu'elle tient du passé et de son milieu
d'origine, en même temps que de s'enrichir des apports chaque jour
renouvelés de la révélation de ce chef, aucune autre histoire reli-
;

gieuse n'est aussi féconde en intérêt.


Remarquons-le enfin : nous parlons de l'âme juive. Ce terme n'est
pas indifférent et l'on sait depuis longtemps que, dans le domaine de
REVLE BIBLIQUE 1916. — N. S., T. XIII. 20
300 lŒVUt: BIBLIQUE.

l'histoire des croyances et des pratiques cultuelles, Israélite et Juif ne


sont pas synonymes. Or c'est précisément au cours de la période per-
sane (|ue s'élaboreet se fixe cette forme suprême de la religion d'Israël

quest le Judaïsme. Le changement est immense, presque radical, le


plus important en tout cas p.umi ceux qui se sont produits depuis
Moïse. L'intérêt s'augmente encore de ce que c'est sous cette forme
que la religion du peuple élu se présentera à Jésus. C'est en présence
du Judaïsme que le Maître dira Ne pensez pas que je sois venu; ((

abolir la Loi ou les prophètes je ne suis pas venu abolir, mais accom-
;

plir ( r . » C'est Judaïsme que l'apôtre saint Paul entrera en


avec le

conflit, également désireux de le débarrasser de ses éléments transi-


toires, de ses minuties, de ses superstitions, et de nous léguer le
dépôt de vérité éternelle qu'il contient.
La division de cotte étude ne peut être que trè.s simple. Il nous faut
d'abord remonter aux origines mêmes de l'àme juive, à cette période
de l'exil durant laquelle elle prend quebjues-uns de ses traits les plus

fondamentaux et les plus caractéristiques. Il nous faut ensuite en


suivre le progrès et le développement jusqu'à l'heure où, au déclin
do la période persane et à partir de la promulgation de la Loi par
Esdras, elle va se fixer dans le légalisme. Mais ces deux. parties fon-
damentales ne sauraient se poursuivre sans heurts ni digressions, si

un article préliminaire nénumérait et ne classait les documents prin-


cipaux sur lesquels elles s'appuieront.

Li;S IMHirMEXTS.

Ce n'est pas chose si simple que de dresser le tableau des écrits


bibliques qui ont pu e.xercor une influence sur la formation de l'Ame
jui\e ou qui ont servi il'expiossion à ses premièros manifestations.
D'uue part, en elfot, on pourrait dire que tous les livres qui furent
aux mains dos exilés, tous les livres autt-rieurs à la captivité par on- «

sé(juent, exercèrent une action sui- leur vie. Lu tei're étrangère, en


ell'et, les déportés attachés à leur religion recueillirent soigneuse-
ment tous les textes ({ui s'y rapportaient. Ils les recueillirent, ils les
< Oj)iêreul, ils los méditèrent. Au milieu d'eux se forma un ,i:roupc
d hommes (jui tirent pi'ofession, selon (ju'il est dit d'Ksdras, d<' appli-
quer leur C(jcur à étudier et <\ tueltro en pratique la loi de Yahweh,

(1, .Matlli., \. 17.


L'AME JUIVE AU TEMPS DES PEUSES. 301

in môme temps que d'enseigner en Israël les lois et les ordonnan-


;es (1) »; ils devinrent, eux aussi, des « scribes versés dans la loi de
iloïse qu'a donnée Yaliwch, le Dieu d'israt^l (2) ». Mais ce serait une er-
eur d'estimer que le Pentateuquc, sous une forme ou sous une autre,
i\t le seul objet de ces éludes. La place faite aux citations explicites
)u implicites des anciens voyants dans les discours et les écrits des
H'ophètes postérieurs à d'Aggée par exemple oudeZacharie (3),
l'exil,

noutre qu'on lisait avec soin ce que l'on possédait d'Amos, d'Osée,
i'isaïe, de Michée, d'autres encore. Que s'il faut se borner dans le

îhoix des documents à invoquer, on est, d'autre part, fort embarrassé,


roudrait-on s'en tenir, par exemple, aux seuls livres qui auraient été
îcrits durant l'exil ou depuis les premiers retours jusqu'à la venue

l'Esdras? On se trouverait immédiatement en devoir de prendre parti


în des questions fort controversées et fort délicates. Personne
l'ignore, en etl'et, les nombreux problèmes que la haute critique a
30sés et prétendu résoudre en ces derniers temps, personne n'ignore
ion plus qu'il s'agit de sujets aussi graves que l'authenticité du Pen-
iateuque ou de tel livre prophétique considérable. Or ce n'est pas
ici le lieu d'aborder des discussions que l'on ne peut conduire qu'en

Les étudiant e-x professa et avec les développements voulus.

Force nous est donc de limiter et de restreindre notre point de


départ ahn de le rendre aussi net et aussi ferme que possible. Pour
Dpérer sur un terrain d'une solidité à toute épreuve, nous nous atta-
cherons exclusivement, d'abord aux documents datés et partout reçus
comme du temps de l'exil ou de l'époque qui le suivit, à ceux-là
ensuite dont les destinataires évidents furent les victimes de la grande
catastrophe et ceux qui travaillèrent à réparer les ruines qu'elle
ivait causées. Le premier avantage de cette sélection sera, nous
venons de le dire, de faire nos premiers pas sur un terrain tout à fait
sûr. Il y en aura un autre. Le moment venu de dépouiller ces pages
qui ont contribué à façonner l'ànie juive ou qui en portent le reflet,
nous pourrons saisir sans trop de dilficulté d'autres écrits qui présen-
tent avec elles des points de contact frappants; sans préjuger la ques-
tion de leur origine, il nous sera possible de dire quelle fut leur
intluence sur cette époque si mouvementée. Il va de soi que, dans la

(1) Esdr.. VII, 10.

(2) Esdr., VII, 6.

(3) Cf, Asg., II, 17 et Am., iv, 9; — Zacli., 16' (Vulg.,


ii, 12') et Os., ix, 3'; — m, 2''
et
Am., IV, 11 : — m. S** et Is., vm, 18 ;
— et Am., vu, 8;
iv, 2 viii, 2 : — vu, 9^ et Ain., v, 24;
Os., IV, 1, 2; XII, 7; Is., l, 17; v, 23 : —vu, 9'' et Os., vi, 6; —vil, 10 et Is., I, 17; Mich.,
Il, 9; — VII, 11'' et Os., IV, 16; Is., VI, 10; etc.
302 REVUE BIBLIQUE.

littérature sacrée, nous attacherons une importance exceptionnelle


aux écrits des prophètes ce sont ceux-ci, en effet, qui ont voulu exer-
:

cer et qui de fait ont exercé sur rame juive l'action la plus efficace.

1° Jêrêmie (1).

Les événements qui s'étaient déroulés en Palestine en 72-2 consti-


tuaient, pour ce qui restait du peuple de Dieu, le plus éloquent des
avertissements. Désormais le langage des prophètes du royaume du
Nord. d"un Ânios (2) ou d'un Osée (3), auxquels Isaïe (V) et Michée (5)
avaient fait écho en Juda, était parfaitement clair et justifié. On avait
eu de la peine à se figurer qu'une partie de la race élue, fùt-elle
schismatique et aux trois quarts ennemie, pût disparaître de la face
de la terre, être atteinte jusque dans son existence. Mais la prise de
Samarie par Sargon (6), couronnant les répressions par lesquelles
Téglath-Pha.lazar et Salmanasar avaient tenté de réduire l'obstination
d'Israël, avait été la pleine réalisation du Périsse Samarie d'Osée (7).
Ce n'est pas tout. Non seulement on avait appris d'expérience
qu'une partie de la nation pouvait périr, mais on avait vu aussi com-
ment elle devait finir. Ce n'était pas la première fois, au viii'' siècle,
que la Palestine et l'Asie antérieure avaient à souffrir des invasions
assyriennes; déjà, pendant les âges précédents, les armées d'Assur-
nasirapal et d'un autre Salmanasar (8) avaient porté la désolation
dans le pays. Mais leurs razzias avdient été passagères. 11 avait fallu
se cacher jusqu'à ce que la colère eût passé; mais, l'ouragan calmé,
tous ceux qu'il n'avait pas emportés n'avaient qu'à sortir de leurs
retraites et à se remettre à vivre; tout au plus restait-il à donner par
un tribut satisfaction au conquérant. Tout autres allaient être les
procédés des monarques qui, à partir de Ïéglath-Phalazar III et du
milieu du viii siècle, entreprirent de relever la puissance assyrienne
quelque temps amoindrie, puis de l'agrandir. Il s'agissait désormais,

'1) Noire l)ut n'est |tas dt'ludier cliacun de cns livres ni de disciilor les questions qui sy
riiUaciienl. Il s'a^iit plulol ilc voir (juel usage on en |teul faire, vu l'elal actuel des (fucs-

lions, pour le sujet qui nous occupe.


(2) Am., Il, 13-16; III, 13-1.5; IV, 3; V, 27: vi, 1 i : VU, 9, 17, et(.
Os., II, 13-15 (Vulg., 11-13); v, 8, 9, 14; vu, \2. 13. Kl: \iii, 8-tO; i\, 3-9: \, 5-8,
(3)

li; XI, 5-7; XIII, 3, 7, 8; XIV, 1.

(4) Is., IX, 7-x, 4 \- V, •>r,-30: wviii. 1-'i.

(5) Mich., I, 2-9.

(6) Cf. II We'^., XVII.

(7j Os., XIV, 1.

(8) Le roi Jéliu avait dû lui pajcr un Irilnit.


L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 303

lans les conquêtes, d'annexions durables, méthodiques, systéma-


iques. Si les nations défaites se résignaient sans trop de peine aux
loups de la mauvaise fortune, leur sort était assez vite réglé et parfois
Lvcc une clémence relative. Mais s'obstinaient-elles dans la résis-
ance? Cherchaient-elles surtout à secouer le joug? Persévéraient-elles
lans l'insubordination? Le châtiment était tierrible, les procédés de
•épression étaient des plus radicaux. On ne visait à rien moins alors
ju'à la destruction de la nationaUté elle-même et l'on avait trouvé
es moyens les plus efficaces de la réaliser (1). Le principal consistait
!n une substitution d'habitants dans le territoire occupé. La partie

a plus importante de la population vaincue, celle-là surtout dont


'action avait été la plus intluente pour l'entretien de l'esprit national
— race royale, noblesse, armée, clergé, partie la plus fortunée de
'élément agricole —
était déportée loin de ses frontières 2), en des

lerritoires où, sans être absolument impossibles, les relations avec


a patrie ne pouvaient qu'être rares et sans résultat. Le mal était
îrandement augmenté par l'introduction d'éléments nouveaux. Pris
i'un peu partout (3), incapables de former entre eux une cohésion
ant soit peu ferme, ces immigrés ne pouvaient être qu'un dissolvant
lu milieu de ce qui restait de race indigène. .Tamais ils ne constitue-
raient une unité nationale avec les anciens habitants; le plus souvent
même ils s'opposeraient à tout essai tenté en vue de faire revivre le
3assé; avec le gouverneur nommé par le monarque vainqueur, ils
surveilleraient et bien vite dénonceraient toute manifestation tendant
i montrer que la résignation à disparaître n'était pas absolue (4).
Tel fut le régime appliqué au royaume du Nord par Sargon; telle
la condition faite, par toute l'Asie, aux États qui ne prenaient pas

Rssez vite parti de la perte de leur indépendance. Telle la méthode


de conquête à laquelle se montrèrent fidèles les derniers rois assy-
riens avant de la léguer à leurs successeurs, les Chaldéens de Nabo-
polassar et de Nabuchodonosor.
Si ces remarques sont justes, une conséquence en découle c'est :

que l'exil ne dut pas prendre les .ludéens de Jérusalem à l'impro-


viste. Lorsqu'il proclamait que Yahweh n'avait pas besoin du peuple

(1) Les procédés en question avaient été déjà employés aux époques précédentes; mais
ils allaient devenir une méthode dun usage constant et régulier.
(2) Cf. II Reg., xvii, 6.
(3) Cf. II Reg., XVII, 24.

(4) Bien qu'il s'agisse d'une tout autre époque, les dénonciations dont furent victimes les
Juifs qui voulaient rebâtir leur temple et leur capitale après l'exil sont instructives à cet
égard: cf. Esdr., iv, 4-5, 6-24; v, 3-17; ^'eh., vi, 5-7.
304 REVUE BIBLIQUE.

qu'il s't'tait choisi, (jue, sans ('gard pour ses privilèges, il le châtie-
rait avec la même
rigueur que les autres Dations pour les infractions
aux lois fondameutales de la morale, lorsqu'enfin il laissait entre-
voir la ruine d'Israël, Amos n'établissait aucune distinction entre
groupe et groupe des enfants de Jacob. Le jour par consé(iuent où
les prophètes de Juda, héritiers de ces enseignements, constateraient
autour d'eux la présence dos mômes désordres que dans la nation
sœur, le jour surtout où ils auraient à proclamer .lérnsalcm plu?
coupable que Samarie, toute hésitation devrait disparaître, celle-l;t

même qu'aurait inspirée le patriotisme le plus dévoué et le plus


enthousiaste : Isaïe(l) et iMichée (2) annonceraient que les désastres

les plus décisifs menaçaient leur pays, que le royaume de David


serait traité comme
celui de Jéroboam, fils de Nabat. Nul doute non
plus sur le mode du châtiment. On pourrait éviter les précisions à une
date où Ninive serait à son déclin et où Nahum chanterait sa ruine
avec une superbe ironie. Mais, du moment où les Chaldéens se pré-
senteraient comme ses successeurs par la puissance et comme les
héritiers de ses procédés de conquête, les projihètes sexplicjueraient
de la manière la plus claire et la plus convaincue; ils l'eussent même
fait, peut-ou dire, à défaut de toute révélation nouvelle do Dieu à
ce sujet. C'est ainsi qu'à partir de 7-22 et surtout après GOO, date
de la chute de Ninive, l'idée d'exil et de déportation devint corré-
lative de l'idée de châtiment. Les prophètes de Juda, par conséquent,
leurs disciples et tous ceux qui, sans vouloir les suivre, ne pouvaient
manquer de les entendre, so trouvèrent préparés aux torriblos réa-
lisations qui allaient se succéder avec une si foudroyante rapidité.
Kt l'on voit à quel point manque do nuances la criti(jue (jui fait ariju-

ment tie la menace de l'exil pour reculer jusque vers 580, sinon
au delà, les documents dans lesquels elle s'exprime avec clarté.
Lors de la ruine de Ninive, le royaume de Juda était, nominale-

mont au moins, dépendance remontait au


vassal de l'Assyrie. Cette
temps d'Achaz. L'ap[)arilion dos Assyriens à l'horizon du monde
méditerranéen avait fortement excité les esprits. En Juda l'on ne comp-
tait pas moins do trois opinions au sujet do ce danuor, pas moins

de trois partis. groupes qui avaient rintolliL:once et lo souci


Dans les

de la dignité en même temps


que de la sécurité nationales, on com-
prenait (juo la seule attitude ipii convint, au milieu do tant d'agita-
tions et de courants divers, était l'abstention, la noutralilt'. Juda ('tait

1, Is.. VI, M-13-, ir. :.-iii. 1.'.: \, l-'.>4; elc.

2i .Midi., I, il II. ;{-5. III. i:>-, etc.


LAMK JllVE AU TEMPS DES PERSES. 30a

Irop infime pour se lancer dans lo tourbillon de la grande politique


sans »'trc cni^iorlé par lui. ne pouvaient
D'autre part, les .\ssyriens

que traiter avec égards un petit peuple qui s'était tenu à Tccart de
toutes les machinations dirigées contre leur autorité. Et puis il serait
toujours temps de savoir quel accueil taire à leurs exig-ences si, un
jour ou lantre, ne savaient gré de la réserve observée. Les pro-
ils

phètes fout nirent toujours à ce parti son appui le plus précieux. Non
qu'ils prissent directement intérêt aux choses de la politique. Mais
c'était la position qui répondait le mieux à leurs convictions religieu-

ses. A leurs yeux, en eti'et, se mêler aux intrigues des cours, c'était
témoigner de la défiance à Yahweh dont la seule protection suffisait
t\préserver son peuple 1 C'était en outre mettre en péril la pureté
'
).

de sa foi comment, en effet, traiter avec des peuples étrangers sans


:

rendre quelque hommage à leurs dieux (2;? Les idées du temps ne suppo-
saient-elles pas que tout ce qui se passait sur la terre, alliances, rup-
tures, guerres, avait sa contrepartie ou son prototype dans les cieux,
entre les divinités protectrices des diverses nations? Et ces idées n'en-
I raînaient-elles pas des conséquences pratiques incompatibles avec les
exigences d'un monothéisme nécessairement intransigeant? Aussi le

mot d'ordre était-il : Confiance en Yahweh ; s'en remettre à sa seule


intervention et s'en rendre digne par une conduite morale irrépro-
chable. A ces conditions les voyants annonçaient la paix et la prospé-
rité; ils étaient prêts à déclarer que les menées des nations même les
plus puissantes contre .luda étaient vouées à l'insuccès et à un échec
i-ertain (3). Mais le plus souvent ces directions étaient loin de rallier
la majorité des suffrages. Deux autres tendances se partageaient les
esprits. Les uns, effrayéspar le danger assyrien et voulant à tout prix
sauvegarder l'indépendance du peuple, rêvaient d'une coalition géné-
rale de tous ceux qu'inquiétait l'ennemi commun. Ce parti aurait pu
s'appeler le « parti égyptien » ; en Juda, en effet, et chez les petits
peuples voisins, les propagateurs de cette idée avaient le regard tendu
du côté de l'Egypte et déclaraient souverainement opportun de s'as-
surer le concours des pharaons (i). A l'opposé, on s'inclinait devant
le fait accompli; on jugeait que le mieux à faire était de réclamer
l'appui du peuple auquel on était incapable de résister (5).
Au temps d'Achaz, le prophète Isaïe ne réussit pas à empêcher le roi

(1) Os., VII, 11, 12; Is.. \\\, 1. 2, 6-7: \x\l. 1.

(2) Cf. la conduite d Acliaz, II Ueg., xvi, 10-18.


(3) Is., VII, 9''; XXII, 11'', 12; xxviii, 16; \\\, 15.
(4) Os., VII, 11, 12: Is., XXX, 1, 2, 6-7; xxxi, 1.

(5) Os., vu, 11. 12 : II Reg., XVI, 7-9.


306 REVUE BIBLIQUE.

et son entourage de se laisser entraîner dans ce dernier mouvement (1 ).


Épouvanté par une invasion combinée des Israélites de Samarie et des
Syriens de Damas, le roi de Juda appela Tégiath-Phaiazar à son
secours. Celui-ci se hâta d'intervenir, trop heureux de compter un
vassal de plus au\' extrêmes limites de son empire, trop heureux de
poser un point d'appui pour la satisfaction des visées que lui ou ses
successeurs pourraient avoir un jour sur i'Kgyptc (2). Mais Isaïe l'avait
dit Juda aurait beaucoup plus à souil'rir de ses alliés d'aujourd'hui
:

que de ses ennemis d'hier (3). Dès le règne d'Ézéchias on supportait


le joug avec peine et l'on ne savait plus se résigner à payer les

tributs. Le parti égyptien g-agnaitde nombreux adeptes et multipliait


ses intrigues auprès des pharaons en vue d'assurer à une rupture
toutes les chances de succès ('•-). Isaïe ne ménageait pas à ces procédés .

les marques de sa désapprobation. Il demeurait toujours fidèle à ses


principes: « Si vous ne croyez, vous ne pourrez tenir!... Qui s'ap-
puiera sur la pierre angulaire de Sion n'aura pas à fuir (5). » Mais un
fait nouveau était intervenu, dont ni lui ni ses successeurs ne pour-
raient méconnaître l'importance. Des engagements de vassahté avaient
été pris, scellés sans doute par des serments dans lesquels on avait
prononcé le nom de Yahweh. Il ne s'agissait plus, comme au premier
jour, de so maintenir en dehors de tous les mouvements de hi poli-
tique humaine; il fallait demeurer lidèle à une attitude- si solen-
nellement consacrée; toute pensée de révolte était une grossière
imprudence et une très g-rave faute. On sait ce qui advint. Bien que
généralement docile aux directions prophétiques, Ezéchias ne sut pas
résister aux menées des politiciens qui l'entouraient. Le fils d'Amos
eut beau dénoncer, de la façon la plus éloquente, sous le règne de Sar-
gon et celui de Sennachérii), la vanité des espérances que l'on fondait
sur l'Egypte 'Yn. 11 eut beau, au temps du premier de ces rois (7),

recourir aux actions symboliques les plus capables de frapper la foule,


pour annoncer les catastrophes et les déportations dent l'Egypte et
l'Kthiopie seraient les victimes avec tous ceux qui mettraient en elles
leur confiance. Hien n'y fit. A plusieurs reprises le faible roi se laissa
emporter dans hs entrfqtrises de lévoltc. Il fallut un retour subit el
en même tein])s une conversion sincère du peujjle j»our (ju'au temps

(1) is.. MI, i-ii;.

(2) 11 R('{;., wi, 7-9.

(.3) 1»., VII, 17-20; VIII. .'i-lO.

(i) Is., XX; XXX, 1-.'., 6-7; xxxi, l-:<.

(h) ÎS., VII, î»''; xxviii, ir,.

;ri) Is., XXX, l-.-., 0-7; xxxi, 1-3.


(7] Ks.. XX.
I.'AME JUIVE Al^ TEMPS DES PERSES. 307

de Sennachcrib, Juda n'eût pas à porter les conséquences extrêmes de


l'imprudence de ses chefs (l). Le successeur d'Ezéchias, Manassé,
brisa entièrement avec le mouvement d'orthodoxie yahwiste que les
prophètes avaient provoqué au prix même de violences extrêmes,
et,

imposa silence à ces derniers. Il put suivre dès lors, sans entendre la
moin(h'e protestation, les vues de ses politiciens. D'ordinaire elles
furent on ne peut plus favorables aux Assyriens. Tne fois pourtant un
mouvement contraire semble avoir prévalu. C'est sans doute, en effet,
aune révolte contre Assarhaddon ou au moins à un refus de payer le
tribut que se rattache celte captivité dont le livre des Chroniques est
d'ailleurs seul à parler (2).
Quoi qu'il en soit, les monarques de Ninive ne manquaient pas de
maintenir leurs prétentions à la suzeraineté sur l'Asie antérieure et la

Palestine. Mais un jour vint où Ninive n'eut plus la force de faire


prévaloir ses exigences. Déjàau temps d'Assurbanipal, l'Ég-ypte reje-
que lui avait imposé Assarhaddon, et personne ne venait
tait le joug"

la ramener à l'obéissance. On était pourtant encore au temps d'un


grand monarque. Ce fut bien antre chose après sa mort. Non seule-
ment les provinces annexées se détachèrent, mais, au cœur même de
l'empire, se propageaient les ferments les plus efficaces de dissolution.
D'autre part, des nuages chaque jour plus épais s'amoncelaient de tous
côtés. Des hordes de barbares, des Scythes, forçaient les frontières.
Plus redoutables encore, parce que mieux organisés, les Mèdes
essavaient à plusieurs reprises de pénétrer jusqu'à la capitale. Bien
plus, l'ennemi héréditaire, la Babylonie, s'était réorganisée sous un
prince challéen, Nabopolassar, qui, depuis 62.5, se faisait appeler roi
et affectait la plus complète indépendance. Les jours de Ninive étaient
comptés et Nahum pouvait faire entendre ses triomphantes mena-
ces S). Le moment était venu, pour tous ceux qui voulaient avoir part
au butin, de faire valoir leurs droits. En 608,1e pharaon Néchao II, qui
avait repris à son compte les visées ambitieuses des grands pharaons
sur l'Asie, quittait la vallée du Nil, longeait la côte philistine, suivait
ensuite la voie montagneuse qui, au sud-est du Carmel, menait dans
la plaine d'Esdrelon. Il fut sans doute grandement surpris, au moment
où il débouchait à Megiddo (4), de voir le roitelet de Juda marchera sa
rencontre et lui barrer le passage (5). Quel motif avait pu déterminer

(1) Is., I, 1-17; X, 5-34; xiv. 24-27: x\ii, 1-14: xxxvi-xxxvii (cf. II Reg., xvin-xix;
II Chron., xxxii, 1-23).
(2) II Chron., xxxiii, 11-13.
^ {3) Nah., i-iii.

(4) Aujourd'hui Ll-Leddjoun.


(5) II Reg., xxin, 29,30»; II Chron., xxxv, 20-22.
:i08 REVUE BIBÏJQUE.

Josias, le pieux disciple des jn^ophètes, à tenter pareille aventure ? Les


Livres Saints ne nous fournissent à cet égard aucune réponse directe.
Faut-il croire que le monarque ait jusque-là poussé le respect des
.traiti's et des anciennes vassalités, qu'il ait pris fait et cause pour l'As-
syrie agonisante contre le pharaon? L'hypothèse a paru séduisante à
plusieurs. D'autres ont prêté attention à cette donnée de II Hctr., wiii,
15-20 (cf, II Ghron., xxxiv, 6, 7) d'après laquelle .losias étendit sa
réforme jusqu'à l'autel de Béthel et aux villes de Saraarie. Ce faisant,
il sortait des frontières de son petit Etat; pareille démarche^ au len-
demain de la mort d'Assarbanipal, ne serait-elle pas un indice qu'à
l'instar des autres vassaux de l'empire,
il avait secoué le joug- et, se

considérant comme
indépendant, avait soumis à son autorité une part
au moins de cet ancien royaume du Nord sur lequel personne n'était
en mesure de l'aire valoir des droits? L'Assyrie avait laissé faire, cou-
vrant peut-être son impuissance du voile de la bienveillance. Dès lors
n'est-il pas à penser que, voyant arriver l'Égyptien, le roi ait voulu
défendre une autonomie qu'il prétendait garder pour lui et pour ses
successeurs? En tout cas, nous n'avons aucune indication touchant les
sentiments des pro[)hètes au sujet de cette démarche.
pu aboutir que par un miracle. Le miracle ne se
Elle n'aurait
produisit pas. Josias fut défait; grièvement l)lessé, il succomba à
Jérusalem au milieu des lamentations unanimes (1), A partir de sa
mort, les événements se préci[)itèront. Tout d'abord, le « peuple
du pays », c'est-à-dire probablement de la campagne, donna un
successeur au défunt. Le fils aîné n'offrait pas les garanties voulues
au parti national et prophétique; comme la suite le montrera, il
était porté à prêter l'oreille à l'Egypte et aux étrangers. On lui pré-
féra le cadet, Sallum-Joachaz.(2), D'après le livre des Kois, on eut à
regretter la faveur témoignée à ce dernier (3) peut-être se crut-il ;

obligé de tenir un trop grand compte des circonstances. En tout


cas. il ne gagna rien du cAté de l'Egypte. Le pharaon, poursui\ant
son expédition, ('tait arri\é à liibla sur l'Oronte; il y manda Joa-
chaz et, loin de le reconnaître, h^ chargea de chaînes et l'envoya dans
du Ml, en une prison d'où il ne sortit jamais; il avait régné
la vallée
trois mois (608). A sa place, l'alné, Éliakim, lut |)roclamé roi, et
son nom changé en celui de Joakim, en signe de vassalité. En même
temj)S, une lourde rontiibution de cent talents d'argent et d'un talent

Mi II RrR., XMII, 29'', ."ÎO" : Il Cliron., ww. 2:i-2:..

'2j II Rffi., wiii, 3(»''; Il ( linin., x\\\i. 1.

''
Il Re«., \xiii, 32.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 309

d'or imposée au pays (1). Le peuple pouvait voir à quel degré


ôt;iil

parvenus ceux (|ui attendaient le salut des pharaons.


d'illusion étaient
La suprématie de Néchao H ne fut pas de longue durée. Les
Égyptiens arrivèrent trop tard dans la rég-ion de l'Euphrate. Mcdes
et fait cause commune pour porter à Ninive
Babyloniens avaient déjà
le coup fatal. Leur expédition eut un parfait succès (60()); on con-
naît peu d'exemples de villes aussi complètement ruinées. Les vain-
queurs se partagèrent alors l'empire à la Chaldée de Nabopo- :

lassar revinrent la Mésopotamie et l'Asie antérieure. Néchao II ne


fut pas admis à faire valoir ses droits sur les pays qu'il avait con-
quis.. Bien plus, le lils du roi de Babylone, Nabuchodonosor, lui
infligea une complète déroute à Carchémis, sur les bords de l'Eu-
phrate (-2); l'Égyptien fut réduit à une fuite précipitée et dut se
désister de ses prétentions. De nouveau l'Asie antérieure changeait
de maîtres; Juda se retrouvait en mouvance d'un grand empire
asiatique.
Le devoir de Joachim était tout tracé il n'avait qu'à se résigner :

aux vicissitudes de la politique, quitte à y voir, à la façon des pro-


phètes, le châtiment des fautes de la nation et des siennes propres,
les consé'juences des forfaits inexpiables du règne de Manassé (3).
A un pareil moment toute idée de politique personnelle était une
folie. Mais le parti ég-yptien était incapable de désillusion et les exac-
tions du pharaon n'y pouvaient rien faire. D'autre part, le roi était au
service de ce parti. Dès G05, profitant de ce que Nabuchodonosor avait
été obligé de rendre à Babylone pour s'assurer la succession de
se
.son père, il afiicha des attitudes d'indépendance. Nous ne savons

pas jusqu'où l'entraîna l'esprit de révolte. Mais* quand le monarque


revint faire valoir ses droits sur l'Asie occidentale,il chargea Joa-

chim de chaînes l'amena à Babylone. En même temps


d'airain et
le vainqueur faisait main basse sur une partie des trésors du temple,

et c'est sans doute à cette occasion que les premiers convois de


captifs prenaient le chemin des rives de l'Euphrate. Tel est du moins
le cadre le plus naturel du récit des Chroniques (1), auquel les cri-

tiques eux-mêmes ne se refusent plus aussi unanimement à accorder


quelque crédit (5).

(1) II Reg., xxiii. 31-35; II (hron., \xxyi, 2-4.


(2) Cf. Jer., XLvi, 2 et 3-12.

(3) II Reg., xxjii, 37; xxiv, 3, 4; II Cliron., \xxvi, 5''; Jer., \v, 't.

(4) II Chron., xxxvi, 6, 7. Le texte dit, à la Térité, que


(Nabuchodonosor) le (Joachim)«

lia avec des chaînes dairain pour le faire aller à Babylone'». On a généralement com-

pris que celte formule visait une réalisation complète de captivité.


(5) Cf. Erich Klamkoth, Die jildischen Exulanlen in Babijlo7iien, p. 8 sv.
310 REVUE BIBLIQLE.

Le souverain de Rahylone n'avait pas les instincts tyranniqucs des


monarques de Ninive il ne prenait pas plaisir à liumilicr sans raison
;

les vaincus. Croyant la leçon suffisante, il relâcha son royal captif


au bout de peu de temps et le rétablit dans ses fonctions. Malheu-
reusement, pas plus que par le passé, Joachim ne sut résist.er au
parti qui avait ses faveurs. Il tint bon trois ans (1). Puis « il se

révolta de nouveau ^^ ("i ici" 211* il), dit le texte des Rois (2), qui pour-
tant n'a pas mentionné la première révolte. Il ne semble pas qu'il
ait attendu l'occasion favorable d'un soulèvement général. Lorsqu'on
effet Nabuchodonosor, sans doute occupé par ailleurs, se borna
d'abord à envoyer contre Jérusalem des bandes de Chaldéens,
celles-ci trouvèrent un appui précieux chez les Syriens, les Moabites,
les Ammonites (3), c'est-à-dire chpz les voisins de Juda, On ne sait
au juste à quel résultat précis ce premier acte de répression put
aboutir. Bientôt le monarque chaldéen partit lui-môme pour l'Oc-
cident. Lors de son arrivée en Palestine, .loakim était mort, en des
circonstances qui ne sont pas autrement connues, mais qui n'eurent
rien de glorieux (ii. Depuis trois mois, son fils Joacliin, dont le nom
est plus connu sous la forme de Jéchonias, était roi de .Jérusalem (5).
On ne sait pas au juste quelle fut la durée du siège de la capitale.
Il ne pouvait manquer d'aboutir au triomphe de Nabuchodonosor :

Alors Joachin sortit auprès du roi de Babylone, avec sa mère, ses


serviteurs, ses chefs et ses eunuques » (6). Non seulement le roi de
,hida fut emmené prisonnier en Chaldée, mais une nouvelle déporta-
tion engloba, avec la mère de Jéchonias, ses femmes et ses eunuques,
les grands du pays, tous les guerriers, les artisans et les forgerons (7).
La caravane fut assez considérable pour pernieltre à l'auteur du
deuxième livre dps Hois de Babylone " emmenade dire ([ue le roi
captif tout Jérusalem » (8). La vérité est que le pays fut atteint
dans ses forces vives, dans les représentants les plus en vue de sa

'A) Il Hcf;., wiv, lij-' : « Et Joacliiin lui (a Nabuchodonosor) fui serviteur (esclave?
'éb^'itd}') trois ans. » On place celle soumission iiiiintMlialement avant la révolle dont il

est [lariô inunédialeinent après. Klainrolh (o/j. cil.) idcnlilicrait volonliers les trois ans

dtirant lesfpiels .loacbiin fui "^^V. esclave, du roi de Babylone avec la durée de l'exil

dont parlent les Chroniques; celle idenlilii alion ne s'impose pas.


(2j II lleg., XXIV, liv..

(3) II RPR., wiv, -X.

i^) Cf. .1er., XXII, 17-19.


'5) Il Heu., XMV, 8-11; II Cliroti., wwi, \).

(6) II Hcg., XXIV, 12^


(7) II Heg., XXIV, 12'-16.
(8) Il Ren., WIN, H".
i;ame juive au temps des perses. 3H
noblesse et de sou gouveriicineut, dans ceux qui pouvaieut le plus
efticaccuieut coutribuer à la prospérité de la natiou et à sa défense;
<( il ne demeurait que le peuple pauvre du pays » (1). Nabucho-
donosor ordonnait entre temps un pillage en règle du trésor du
temple et du trésor du palais; il faisait charger sur ses montures
les débris des vases d'or que Salomon avait consacrés à Yahweh.
(irand était le châtiment. Le conquérant toutefois consentait à ce
que Juda continuât de vivre dans l'obéissance et l'humilité. Il lui
donna pour gouverneur un membre de la famille royale, Mattha-
nias, oncle de Jéchonias et frère de Joachim ; comme le pharaon
l'avait fait pour ce dernier, il changea le nom du vice-roi en celui
de Sédécias (2). Des garanties de subordination et de fidélité furent
exigées (3) et appuyées sur des serments dans lesquels on prenait
Yahweh lui-même à témoin (597).
La conduite que devait tenir le vice-roi était des plus simples :

rejeton planté par le grand aigle à la large envergure, il n'avait


qu'à diriger vers lui ses rameaux (4). Mais Sédécias était un faible.
Volontiers il eût été docile aux conseils de sagesse ; volontiers même
il les eût recherchés (5) , incapable absolument de les suivre dès
qu'il lui fallait affronter un parti politique (6). Or les partisans allaient
afficher d'autant plus d'audace que leur incompétence était plus
complète. En remplacement des
emmenés en exil, il avait fallu
chefs
faire appel, pour les affaires de l'État, à des gens de rien ou au
moins à des hommes tout à fait inexpérimentés. Rien de téméraire
comme ces parvenus, qui au surplus n'avaient rien à ]Derdre. Dès la
première heure ils ne parlèrent que de rébellion et d'insubordination.
N'avaient-ils pas, pour les encourager, les déclarations des prophètes
de profession? Le joug de Babylone allait être brisé sous peu, et
avant deux ans les ustensiles pris au temple y seraient ramenés (7).
Et des propos analogues, ne les tenait-on pas aussi dans les pays
voisins, en Édom, en Moab, en Ammon, à Tyr, à Sidon (8)'? Sédécias
parait avoir résisté assez longtemps à cette coalition. On le voit en
sa quatrième année qui fait le voyage de Babylone, sans doute pour

(1) II Reg., XXIV, t4''.

(2) II Reg., XXIV, 17; II Cliron,, wwi, 10''.

(3) Ez., XVII, 13, 15, 16, 18, 19.


(4) Ez., XVII, 2-6.

(5) Cf. Jer., XXI, 1, 2; xxxvii, 16; xvwiii, 14-lJ

(6) Cf. Jer., xxxviii, 24-26.

(7) Cf. Jer., XXVII, 12-22; xxvin, 1-4.

(8) Cf. Jer., XXVII, 1-11.


:J12 REVUE BIBLIQUE.

renouveler ses engagements de vassalité (1). Peut-être toutefois faut-il


placer avant cette date et assez près de 597 un mouvement que
l'on situerait assez difficilement plus tard; il aboutit à une nouvelle
déportation. On ne signalait parmi les compagnons de Jéchonias au-
cun membre du clergé. Or un texte historique du livre de Jérémie
précise celui des lioi.^ ; il nous parle « du reste des anciens, des
prêtres, des prophètes, de tout le peuple (?) » qui prirent le chemin
de l'exil « après que fuient sortis de .lérusalem le roi Jéchonias, la
reine-mère, les officiers de la cour, les princes de .luda et de Jéru-
salem, les charpentiers et les serruriers » (2).. Ce texte indiquerait
bien, à ce qu'il semble, un nouveau prélèvement sur la partie la
plus saine de la population {l^).

Quelle qu'ait été l'importance de l'acte de rébellion qui avait .

motivé cette mesure, ce n'était qu'une échauffourée. On fut bientôt


à la veille d'événements autrement décisifs. La vigne allait tendre
ses racines et ses rameaux vers un autre grand aigle aux grandes
ailes, au plumage touffu (i). C'est en ces termes qu'Kzéchiel carac-
térisait le pharaon nouvellement monté sur le trône (589j, Uhabra.
plus connu sous les noms d'Ophra ou Apriès. D'un caractère remuant
et audacieux, le petit -fils de Néchao II voulait reprendre à son
compte les projets que son grand-père n'avait pu mener à bonne
fin; il voulait disputer à Babylone la prépondérance en Asie. De
pareilles prétentions lui acquirent de nombreuses sympathies. Le
parti égyptiende .lérusalem prit un nouvel élan. Plus de doute pos-
sible : le moyen de hâter la délivrance. Cette fois
on avait trouvé
Sédécias ne put tenir tête à l'orage. Des messagers furent en^oyés
en Egypte pour obtenir des chevaux et beaucoup d'hommes (5),
autrement dit pour solliciter des alliances et des appuis. Uhabra lit

des promesses, la rupture avec Nabuchodonosor fut consommée 588).


Combien de ses voisins le vice-roi de Jérusalem entraina-t-il dans sa
défection? On ne saurait dire seuls Tyr et Ammon sont mentionnés
:

dans les textes .sacrés li;.

Le châtiment ne se lit pas attendre et il fut aussi définitif que

I (1. .Ii-r., i.i. :>'J.

•>; .1er., \xi\, 1, 2.

('i, Sur celte inlerprélalion «le .1er., \\i\, l, :;. r{, Er'uU ki.AMiiorii. op. cit., p. 12-18.
Ce «rilique, il cA vrai, jilace wlle déporlalien en .V.»."ï-.'»94. Il in\nqiie à ee sujet des
données <lironolo^i<[ues du livre <l Kzécliiel sur leM|ii<'|les nou> aurons à revenir.
(4, Kz.. wii. 7, K.

(5) Ez., wii, 1.').

(0) Cf. au sujet de Tyr, Ez., wvi-wvm et \\i\, 17-21; au sujet «lAinnion, Ez.. \\i,
33-:J7.
LAME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 3i:i

possible. Nabuchodonosor se hâta de prendre le chemin de rOccident.


Négligeant momentanément le pays d'Aninion (1), il alla s'établira
Ribla sur l'Oroutc (-2 . Une de
charge de réduire la ses aiMnécs eut
citadelle m.u'itiine de Tyr. L'autre se dirigea vers Juda. Le 10 du
dixième mois de Fan i) de Sédécias (janvier 587), les Chaldéens étaient
devant Jérusalem 3 En vain le pharaon, tidèle à ses engagements,
.

mit-il en branle une force imposante elle ne put supporter le choc ;

des troupes babyloniennes ('i.). Un instant interrompu, le siège reprit


avec vigueur. Il fallut quand même dix-huit mois pour vaincre le
courage que la perspective des suprêmes infortunes donnait aux assié-
gés. Nul doute que l'entreprise n'eût encore traîné en longueur si la
famine n'eût fait son œuvre (.j); il suftisait désormais d'un blocus
rigoureusement surveille pour avoir raison des dernières résistances.
Le 1) du quatrième mois de l'an 11 (juillet 586 , la ville était forcée.
Entre temps Sédécias, avec des hommes de guerre, s'échappait dans
la direction du Jourdain. Mais les Chaldéens l'atteignirent dans la
plaine do Jéricho et se saisirent de la petite troupe. Ils conduisirent
devant Nabuciiodonosor à Ribla. Le châtiment fut sévère.
les fugitifs
Sous le regard du roi vaincu, furent égorgés ses enfants et les grands
qui l'accompagnaient on lui creva à lui-même les yeux, on le lia de
;

doubles chaînes d'airain et on l'envoya mourir dans un cachot de


Babylone (6). Pendant ce temps l'armée victorieuse attendait à Jérusa-
lem des ordres sur le sort à faire à la cité rebelle; ils arrivèrent enfln.
Le 7 du cinquième mois (août), Nabuzardan, capitaine des gardes,
entrait dans la Ville Sainte pour présider à l'incendie du temple, du
palais, de toutes
grandes maisons, ainsi qu'à la démolition des
les

murailles. Il avait auparavant pris soin de s'emparer de tout ce qui


restait de précieux à la maison de Yahweh, de le briser pour en
expédier les morceaux en Chaldée. Deux nouvelles colonnes de pri-
sonniers étaient organisées. L'une, qui comptait « le reste du peuple
qui était demeuré dans la ville, ceux qui s'étaient rendus au roi de
Babylone et le reste de la multitude », prit le chemin de l'exil.
L'autre était beaucoup moins nombreuse, mais ne renfermait que des
personnages de marque, autant que cette expression peut trouver
place en ce contexte, le grand prêtre entre autres. Elle fut dirigée

Cl) Cf. Ez., x\l, 25-27.

(2) Cf. II Reg., \xv, 6, 20; Jer., wxix, ô; ur, 9.


(3) II Reg., XXV, 1; Jer., xxxix, 1 ; ui, 4.
(4) Jer., xxxvii, 4''-10.

(5) Il Reg., XXV, 3; Jer., lu, 6.


(6) II Reg., XXV, 4-7; Jer., xxxix, 2, 4-7; m, 7-11.
314 REVUE BIBLIQUE.

sur Hibla : tous ceux qui la composaient furent mis à mort (1).
Jérusalem s'était montrée aussi obstinée dans ses insubordinations
que l'avait été jadis Samarie, Mais Nabuchodonosor ignorait les pro-
cédés brutaux de Sargon. Sans doute il se montrait impitoyable
envers les chefs de la révolte quand ceux-ci avaient poussé à bout sa
patience. Sans doute encore il usait du procédé des déportations. Mais
il n'allait pas jusqu'à épuiser le pays. Après que tant de groupes de
prisonniers avaient été tirés de .luda, il restait encore assez d'habi-
tants pour qu'on ne jugeât pas utile d'introduire des colons étrangers,
])Our qu'une nouvelle déportation fût possible cinq ans plus tard en des
circonstances que nous dirons plus loin (2). Il en restait assez pour
que le roi de Babylone songeât à leur abandonner la culture du pays
sous la conduite d'un chef de leur race, Godolias, fils d'Aliicam (3).

De une population relativement assez importante se reconstitua sur


fait

place. Le peuple de la campagne n'avait ressenti que le contre-coup


de la catastrophe. Beaucoup de Judéens qui s'étaient terrés dans les
nombreuses cavernes de la région sortirent de leurs cachettes; d'autres
revinrent, qui s'étaient enfuis précipitamment dans les pays de Moab
et d'Ammon, dans l'Idumée, peut-être en Egypte. Us se rendirent en
grand nombre auprès de (iodolias qui siégeait, comme en son chef-
lieu, à Maspha {Nisbeh), à quelque deux lieues au nord de Jérusalem.
« Ils récoltèrent du vin et des fruits en abondance » ('i-).

11 diflicile, nous l'avons dit, de se représenter quelle


n'est pas
allait être, en ces conjonctures, l'attitude des hommes de Dieu. Ils
ne pouvaient parler autrement (ju'au temps d'isaïe, d'Achaz et d'Kzé-
chias. Juda avait au milieu des nations une situation privilégiée qui
lui créait des'devoirs. L idéal était de demeurer aussi étranger que
possible aux combinaisons tout humaines de la politique. Mais que.
par suite des circonstances, par suite même des fausses démarches du
peuple choisi, une situation particulière se trouvât créée, il fallait la
respecter. L'obligation était spécialement stricte de rester lidèlc aux
engagements contractés, plus encore à la foi jurée (5). Au temps de
Joachim. par conséquent, et davantage encore au tcnq)s de Sédécias,
aucun doute n'était possible. Le mot d'ordre allait être se soumet- :

tre aux Clialdéens. Les conspirations, les alliances suspectes seraient


mises au rang des fautes qui entraînent nécessairement les châtiments

(1) Il IW-A-. xw. fS-21 cf. M Cliroii., xwM, I7.i1); .)er., \\xi\, 3, S. '.»
; m, V.>.-.>.:>, 17-27.

(2j Cf. Jer, i.ii, 30.

(3; Il Rog.. XXV, 12, 22: Jer.. \\\\x, lO; m., 5; mi, Kl.
(4) II Reg., XXV, 22-24; Jer., xr,, 7-12.

{:>) Cf. Ez., XVII, r»-ir,, 18-1'.).


I. AME JlIVE AU TEMPS DES PERSES. 315

divins; une commune réprobation les associerait aux infractions reli-


gieuses et aux prévarications morales. Sur la nature do la })unition
on n'hésiterait [)as davantage; ce serait l'exil, la déportation en
niasse, la iin de la vie nationale. Les ménagements de Nabucliodo-
nosor ne devaient pas être sans causer quelque surprise.
Or, précisément à l'époque qui nous occupe, .luda comptait un pro-
phète dans son sein, et l'un de ceux dont le souvenir devait tenir le
plus de place en son histoire. C'était Jérémie. Il était dans les condi-
tions les plus favorables pour suivre de près les événements et les
apprécier. Membre d'une famille sacerdotale (1), il appartenait à l'un
des éléments les plus cultivés du peuple, à l'un des milieux où l'on
s'intéressait davantage aux vicissitudes de la vie nationale et où plus
volontiers on en critiquait les directions. Originaire d'Anathoth
(aujourd'hui Anata), à une demi-heure de Jérusalem, il avait pu dès
sa première jeunesse être le témoin des mouvements dont la capitale
était le centre et le point de départ. Il se trouvait ainsi préparé à
tenir le rôle qui allait lui échoir dans la grande crise qui aboutit à la
ruine. Le « fils d'IIelcias » vit le jour dans les dernières années du
règne de Manâssé; en l'an 13 de Josias (626), il était encore un jeune
homme ("IV;?)- Timide par nature et très impressionnable, il avait fallu
les promesses les plus encourageantes de l'assistance divine pour le

déterminer à recevoir l'investiture prophétique (2). Les cinq pre-


mières années de son ministère furent absorbées par la dénonciation
des désordres qui s'étaient propagés pendant les règnes de Manassé et
d'Amon (3), et contre lesquels le nouveau roi, si dévoué qu'il fût aux
idées orthodoxes, n'avait eu ni le temps, ni la force de réagir (4). Il

put croire son œuvre accomplie lorsque Josias entreprit sa réforme


(622) et une guerre si acharnée aux hauts-lieux et à toutes les for-
fit

mes de du syncrétisme religieux (5). On pense souvent


l'idolâtrie et
qu'il rentra alors dans la vie privée, qu'il quitta Jérusalem pour re-
trouver le calme du village natal. On n'a pas d'indice précis qu'à partir
de cette date et jusqu'aux règnes de Joachaz et de Joachim, il soit

sorti de sa réserve un seul chapitre de son livre pourrait porter le


;

reflet de la prédication qu'il aurait fait entendre aux environs de 622,

en vue d'appuyer l'autorité royale, et que peut-être il aurait répétée

(1) Jer., I, 1.

(2) Jer., I, 6-8.

(3) Il Reg., \xi: II Chron., xxxin.


(4) On peut attribuer à cette époque les oracles de Jer., ii-v.

(.")) II Reg., xxn, 1-xxiii, 27; II Chron., xxxiv, 1-xxxv, 19.


REVLE ISlBUylE 1916. — i\. S., T. ilU. 21
316 REVUE BIBLIQUE.

dans la suite (1). Il lui fallut reparaître sur la scène dès le commence-
ment de la période tragique qui devait aboutir à la grande catastro-
phe. Combien il eût préféré demeurer tranquille en son humble
demeure! Combien il lui en coûtait de braver les injures, les sobri-
quets, les attentats mêmes auxquels il allait se voir en butte (2) ! Mais
quand il voulait se taire, il y avait comme un feu dévorant en ses os ;
il

se sentait vaincu, subjugué; force était de parler (3). De fait il parla;


peu à peu il se trouva mêlé à tous les événements qui se déroulaient,
oblig-é de donner sur chacun d'eux un jugement, le plus souvent à
1 encontre de la multitude qui Tentourait. Il poursuivit son œuvre au
prix de persécutions sans trêve; à certaines heures, ses jours furent
en suprême danger. Il la poursuivit au temps de Joachim et de Sédé-

cias (4),au temps du siège de Jérusalem (5) il la poursuivit après ;

la prise de la capitale et jusque sur la terre d'Egypte où, déjà fort


avancé en âge, on l'emmena après le meurtre de Godolias (6). Sa
vie futsi intimement mêlée à celle de la nation que sa carrière pro-

phétique serait inintelligible sans l'esquisse historique qui précède.


On entrevoit facilement dès lors que Jérémie doit être compté
parmi les prophètes de l'exil. A partir de 597 au moins, il mérite
ce titre sans qu'on puisse le lui discuter. C'est en Palestine qu'il
prêche, il est vrai. Mais, outre qu'à l'occasion il écrit aux exilés (7), on
peut dire que, d'une manière ou d'une autre, à une date ou à une autre,
ses discours prennent le chemin de la Chaldée. D'autre part, ses
enseignements constituent la meilleure part du bagage religieux que
les caravanes de 597, de 586, de 583 emportent sur la terre étran-
gère. Mais il faut aller plus loin : depuis le début du règne de
Joachim, au moins depuis les premiers raids de Nabuchodonosor
en Asie occidentale (005), ses oracles vont se remplissant progres-
sivement de la pensée du châtiment et de l'exil, ses exposés abou-
tissent à former comme une théologie de l'exil, qui aura une grande
influence sur les captifs, qui contribuera ainsi grandement à la pre-
mière formation de ce que nous appelons l'Ame juive.
Le livre de Jérémie est ainsi le premier qui doive fournir des maté-
riaux à notre étude. L'histoire en est mouvementée. Ici du moins

(1) Jer., XI. 1-17.

(2) Jer., XI, 18-XlI, (i; .wiii, 18-23; XX, 1-3, 10; XWI, 7-11 ; XXXVII, 10-20; XXXVIII, 1-13, 28.
(3) Jer., XX, 7-9.
(4) La plus grande |iarlic des oracles de Jérémie se rai>porlent À ces deux rè;;nes, sans
qu'à propos d'un cerlain iiuinbro d'entre eux, on puisse indii|iier la date avec précision.
(5) Jer., XXI, xxxii-wxiii (|ieul-élrc xxx-xxm, au moins en partie); xxxiv, xxx\ii-xi,.
(«) Jer., XLi-xLiv.
(7J Jer., XXIX; u, 59-G4.
i;.VME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 317

nous avons des points de repère, et des plus précieux. Le premier


nous est fourni par le récit de Jer. xxxvi. Il renlerme une première
indication chronologique, la quatrième année de Joachim. Seule-
ment la question de computation des années et des mois est fort
délicate; elle l'est spécialement dans la période qui nous occupe et
au cours de laquelle .luda subit, dans ce domaine, les influences
étrangères. D'une pas toujours facile d'identifier le
part, il n'est
système adopté dans chaque document. D'autre part, là où divers
documents sont groupés, v. g-, dans le livre des Rois, il y a lieu de
croire que les rédacteurs ont souvent tenté, non sans quelques la-
cunes, des conciliations et des synchronismes qui compliquent les
difficultés.De là des divergences irréductibles. Qu'on en juge par un
exemple qui touche à notre sujet. Dans II Reg., xxiv, 12, la captivité
de Jéchonias prend place en la huitième année de Nabuchodonosor ;

Jer., LU, 28, c'est en l'an 7. De même, II Reg., xxv, 8, la déportation


qui suit l'entrée de Nabuzardan à Jérusalem a lieu la dix-neuvième
année du monarque babylonien; Jer., lu, 29, c'est en l'an 18.
On est évidemment en présence de deux synchronismes. Il semble
que d'ordinaire, quand il s'agit des choses judéennes, le livre de
Jérémie retient encore, pour les années, le comput agricole qui va
d'un automne à l'autre. Quand il s'agit des mois, il en est, semble-t-il,
autrement. Les rédacteurs ont abandonné les anciens noms propres
d'origine israélite ou cananéenne ils indiquent les rangs des mois
;

dans l'année. Ce faisant, ils suivent une influence babylonienne, et


ils semblent la suivre jusqu'au bout en faisant commencer l'année

avec le printemps. Ils harmonisent ainsi l'année civile avec l'année


religieuse, dont le début coïncide avec le mois de la Pàque (mars-
avril). L'événement que Jer. xxxvi, 1 place en l'an 4 de Joachim est
ainsi à situer de septembre 60i à septembre 603. Le prophète reçoit
de Dieu l'ordre d'écrire sur un volume « toutes les paroles » qui
lui ont été révélées contre Israël, contre Juda et contre toutes les
nations, depuis sa vocation, depuis les jours de Josias. Il s'agit d'im-
pressionner le peuple peut-être sera-t-il plus sensible à la lecture
:

de l'ensemble des oracles qu'il ne l'a été à chacun des discours du


voyant (1)! Jérémie se met à l'œuvre. Il fait venir Raruch et lui dicte
toutes les paroles que Yahweh lui avait dites jusqu'alors (2). Il est
probable que cette dictée dure à peu près jusqu'au moment où, em-
pêché de se rendre lui-même au temple, craignant peut-être d'af-

^1) Jer., XXXVI, 2, 3.

(2) Jer., XXXVI, 4.


318 REVUE BIBLIQUE.

fronter l'indignation populaire, il charge Baruch d'aller y lire le


document (1). Or cette lecture prend place « en l'an 5 de Joachim,
au neuvième mois », au jour du jeune (-2). L'an 5 va de septembre G03
à septembre 602; quant au neuvième mois, c'est, à ce qu'il semble,
décembre 603. La rédaction du rouleau aura commencé assez tard
clans l'année 603, sans doute vers la fin de l'an 4; elle aura pu
durer quelque trois ou quatre mois au plus (3).
Cette première partie du récit suggère une remarque. Il semble
que ce soit la première fois que Jérémie compose un livre de ses
prophéties. S'il en avait déjà existé un de quelque importance, il
ne se fùl agi que de le compléter et de le mettre à jour. Or, à côté
d'oracles tout récents, le rouleau en renfermait qui remontaient à
vingt ans et au delà. Que l'on admette, comme il est assez naturel,
que Jérémie eût consigné par écrit, sur des feuilles volantes, quel-
ques-unes de ses prophéties, même convenir queil faut tout de
beaucoup d'autres furent reproduites de mémoire. On ne saurait,
en conséquence, s'attendre à une répétition verbale des discours,
tels qu'ils avaient été prononcés. L'inspiration garantit sans doute
que rien d'essentiel ne changé aux enseignements du prophète.
fut
Il néanmoins que, reconstituant en 603 des
est difficile d'admettre
oracles prêches en 626-62*2, Jérémie n'ait pas, consciemment ou
inconsciemment, subi l'influence des circonstances dans lesquelles il

se trouvait maintenant.
Ce livre ne contenait, à ce qu'il semble, que des discours, suscep-
tibles à la vérité d'être accompagnés de quelques indications tou-
chant les circonstances dans lesquelles ils avaient été proférés. Sous
sa forme propre, il n'eut qu'une existence des plus éphémères.
Pendant que Baruch le lisait au temple, Michéc, lils de Ccmariah,
informa les chefs qui désirèrent en avoir connaissance; Baruch alla
le leur lire. A leur tour ils en parlèrent au roi qui, lui aussi, voulut
se le faire ai)porter. l/inq)ression fut mauvaise. Joachim saisit le
rouleau, le déchira et en jeta les morceaux au feu. Il ordonna ensuite
qu'on mît la main sur Jérémie et son secrétaire; mais Yahweh les
cacha (k). Bientôt après même (au cours de 602), il ordonna au pro-
l»hcte de prendre un nouveau volume et « d'y écrire tuulcs les prc-

(1) Jer., xxxM, 5-7.

(2) Jer., \xxvi, G, 9, M.


On ne saurail songer
Ci) h une ('om|)osition (|ui auniil duré dix à douze mois au moins,
comme on serait l'orcé de l'admclllrc si le sy-sU-me de compulation des mois coïncidait
exiiclemrnt avec le système de computation des années.
('i; JtT.. x\x\i, 10-26.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 319

mièrcs paroles qui étaient dans le premier volume, que Joachim, roi
de Juda, a brûlé « (1). Ce qui fut fait. Obscrvons-le toutefois. Sur le

premier rouleau, Jcrémie avait déjà reçu l'ordre d'écrire toutes les
paroles qu'il avait entendues depuis Josias; sur le deuxième rouleau,
le prophète devait écrire toutes les premières paroles. Il semble donc
que le deuxième volume dût être d'abord de tout point semblable
au premier. Or il n'en est rien, et c'est l'auteur sacré qui nous en
informe Jérémie prit donc un autre volume et le donna à Baruch,
: ((

fils de Nérias, le secrétaire; et Baruch y écrivit, sous la dictée de

Jérémie, toutes les paroles du livre que Joachim, roi de Juda, avait
brûlé, et beaucoup d'autres paroles pareilles à celles-là y furent
ajoutées » que cette indication peut s'appliquer
(2). Il est évident
aux oracles postérieurs à 602 et qui vinrent dans la suite grossir
le recueil prophétique. Mais elles ont une autre portée qui est pri-

mitive : elles veulent dire que la seconde édition des discours pro-
noncés avant la quatrième année de Joachim fut plus développée que
la première. D'où il appert que, dès l'origine, le contenu du livre
prophétique apparaît comme
dilatable. Et cela se comprend sans
peine dès qu'il non d'une reproduction littérale des oracles,
s'agit,

mais plutôt du résumé de la mission prophétique. Des discours ont


pu être d'abord négligés qu'on juge bon de recueillir ensuite; dans
chaque discours, des idées, des développements ont pu être simple-
ment indiqués, que plus tard on estimera utile de souligner. Dès
maintenant il est à propos de pousser cette observation. Il s'agit,

dans le cas concret que nous étudions, de deux éditions successives,


l'une et l'autre sous la direction de Jérémie. Mais rien
publiées
n'exclut l'hypothèse de deux éditions en quelque sorte parallèks,
faites par des auditeurs ou des disciples du prophète, sans que lui-

même les ait contrôlées; rien n'empêche en soi que, même après la
mort du prophète, ces éditions reçoivent des compléments faits de
matériaux provenant du voyant et jusque-là négligés. Il suffira,
pour que l'une de ces éditions ou même toutes les deux prennent
place au canon, que le concours de l'inspiration ait assuré cette
exactitude et cette intégrité générales qui n'excluent pas les diver-
gences de détail. Nous verrons bientôt toute l'opportunité de cette
considération.
La plupart des critiques sont d'avis que le contenu du second rou-
leau constitue le noyau de notre livre actuel. Malheureusement les

(1) Jer., XXXVI, 27-31.


(2) Jer., XXXVI, 32.
320 REVUE BIBLIQUE.

éléments n'ont pas gardé leur cohésion primitive, et il est difficile


de les reconnaître dans le désordre de notre texte. M. Steuernagel (1)
s'y essaie, non sans avoir préalablement établi les principes qui
dirigent sa sélection. Ces règles ne sont pas dénuées de prudence.
Elles convergent autour de deux questions principales. Il s'agit, d'a-
bord et d'une manière générale, de discerner ce qui, dans Tensemble
du livre actuel,remonte à Jérémie lui-môme. Le docte critique sépare
avec soin les sections dans lesquelles on nous présente le prophète
s'exprimant à la première personne du singulier et celles dans les-
quelles on parle de lui à la troisième personne {Ichst'ùcke et Er-
stiicke) (2). Il arrive, surtout dans les récits, que l'emploi de la troi-

sième personne est constant (.1er., xxvi, xxviii, xxxvi-xuv) ce sont ;

des sections dont la rédaction ne saurait être attribuée au prophète.


Ailleurs, on ne relève Temploi de la troisième personne que dans
un titre (Jer., i, xi, xiv, xviii, xxv, xxvii (?), xxxiii, xxxv),ou encore
dans une courte notice historique (Jer., vu, xix, 14-xx, 4-, xxi, xxix,
1-3, 2V, 29-32, XXX, xxxiv, 1-2, C-7, 8-12). Ces éléments seuls seront
secondaires; le discours ou le récit qu'ils précèdent ou qu'ils enca-
drent pourra, s'il est à la première personne, être mis à l'actif de
.lérémie. On tirera une conclusion contraire lorsque seul le titre
emploie la première personne (xv, 1); dans ce cas, il sera logique
d'attribuer au prophète le discours qui suit immédiatement cette ins-
cription (xv, 2-9), mais on ne saurait sans plus étendre cette attribu-
tion aux éléments qui viennent après (xv, 10 sv.). Là où l'emploi de
ce critère ne, lève pas toute indécision, M. Steuernagel suggère une
attitude très modérée qu'on traite comme provenant de Jérémie tous
:

les cléments contre l'authenticité desquels on n'a pas d'argumenis


décisifs à invoquer. Ce dernier principe a une force particulière
quand on l'applique aux oracles antérieurs à 603; les rédacteurs
manquaient de données pour compléter ce qui leur était légué. Il en
allait un peu autrement pour les discours j)<)stérieurs ;\ cette <latr ;

Haruch ou un autre disciple de Jérémie pouvaient facilement avoir


laissé des matériaux à insérer dans ce que le voyant avait lui-même

dicté. — l'ne fois établie la liste de ce qui, dans le livre actuel,


remonte sûrement au prophète, il ne reste plus (]u'à déterminer ce

fl) Lclirhuc/i dcr Einlcilnng in fins Altr TrstniiiciU mil eincin Atiliang nher dir Apti-
hrijplien und l'scudepigraphcn, Altschnitl II, hie Pvophclen, Kapile! ii, Ihis lluch. Jc-
rcmifi, surtout p. U'iO-Ui'l, .%(l'i 507.
(2) Il est A propos de noifr (|u'.'i ret éHard l'acrord n'est pas conslan! entre le texte
massor<^liquc et les Septante et (|ue, pour dresser des listes complètes, étude critique des
1

difliércnce« est indispensable.


L'AMb: JllVE AU TEMPS DES PERSES. 321

qui figurait sur le premier rouleau. Pour être encore délicate, Topé-
ration est néanmoins plus facile. Voici la liste de iM. Steucrnagel Jer., :

i; II, m, 1-13, 10-25; iv, 1-ix, 21; x, 17-22 ; xi; xii, 1-13; xiii, 1-17,
20-27; xiv; xv, 1-6, 10-21; xvii, 12-18; xviii; xix, 1, 2% 10, 11%
12" (?); XX, 7-18; xxi, U-U; xxii, 1-23; xxv; xlm, 1-12; peut-être
XVI, 1-13, 16-17; xvn, 9-10; xxiii, 9-VO; xxxi, 2-9, 15-22; xLvn;
XLVin*i XLix, 1-22*, 28-33 (1). La liste de Driver (2) est un peu plus
courte : Jer., i, 1-2, '^-19; ii-vi; vu, 1-ix, 26; x, 17-25; xi, 1-8; xi,

9-xii, 6; XXI, 11-xxii, 19; xxv; xlvi, 1-xlix, 33; peut-être xiv-xvii,
xviii-xx. Il est possible néanmoins de parler d'un accord général (3).
Comme le livre de Jérémie demeurait ouvert et susceptible de
recevoir de nouveaux accroissements, on put y ajouter, et môme sous
la dictée du prophète, les oracles que celui-ci prononça depuis l'an-

née 602 jusqu'à la prise de Jérusalem (586); c'est ce qu'indique assez


clairement le titre général du livre (i). On aurait ainsi vraisemblable-
ment inséré, d'après M. Steuernagel : xii, li; xiii, 18, 19; xv, 7-9;
xxii, 24-30; xxiii, xxx, 12-19; xxxi, 23-28,
1-2, 5-6; xxiv; xxvii;
31-37; XXXII*; xxxiii, V-17, 23-26*; xxxiv*; xxxv; xlvi, 13-25; xlix,
23-25, 3i-38, et peut-être un noyau des chapitres l-li. D'après Driver
(mais seulement à titre d'exemples) : xiii; xxi, 1-10; xxii, 20-xxiii,

8; XXIII, 9-40; xxiv; xxx-xxxiii (lignes essentielles) ; xlix, 34-39; li,

59-64".
Nous sommes loin d'avoir signalé toutes les particularités du livre
de Jérémie. C'en est encore une très saillante que la présence de
récits historiques plus nombreux qu'en tout aptre écrit prophétique.
Plusieurs voyants nous ont conservé l'histoire de leur vocation, ainsi
que l'a fait Jérémie lui-même; tels Osée, Isaïe, Ézéchiel (5). Plusieurs
de leurs livres consacrent par une narration plus détaillée les épisodes
les plus saillants de leur ministère (6). Mais nulle part on ne trouve
autant de textes historiques que dans l'ouvrage qui nous occupe. Le
plus souvent sans doute les récits servent de cadre à uq oracle du

(1) L'astérisque indique une section composite.


(2) An
Introduction to the Literature of the Old Testament, chap. iv, Jeremiah.
(3) Si nous mentionnons spécialement les opinions de Driver et de M. Steuernagel, c'est
à raison de l'autorité dont le premier jouit dans le monde des critiques anglais et parce
que louvrage du second est lune des dernières manifestations de la critique allemande.
On relèverait au moins des variantes de détail en consultant les diverses Introductions,
les articles de Dictionnaires, les commentaires tels, par exemple, que ceux de Duhm et de
Giesebrecht.
(4) Jer., I, 2, 3.

(5) Cf. Jer., i; Os., I-, Is., vi; Ez., i, 1-ni, 11.

(6) Cf. Am., vu, 1-vui, 3; Is,, ^TI; XXXVI-XXXIX.


322 REVUE BIBLIQUE.

voyant (1); mais le discours est loin parfois d'occuper la part la plus
étendue de la péricope. Il arrive même, comme dans le chapitic
final, que le nom de Jérémie soit absent de la section; il s'agit seu-

lement d'un fait autour duquel ont convei'g-é nombre ou la plupart


de ses prédications. Sur les seize chapitres proprement historiques (2),
il est quelques passages dans lesquels le prophète lui-même est le nar-

rateur (3). Bien plus souvent toutefois le narrateur est un tiers. On

admet encore assez communément que ce tiers est Baruch ou du moins


que Baruch a eu sa part d'activité dans la rédaction de ces fragments.
La position de M. Steuernagel est nette. A ses yeux l'introduction de
ces récits se rattache à une édition des œuvres de Jérémie par son
disciple et secrétaire. Celui-ci aurait entrepris ce travail peu de temps
après la mort du prophète (vers 580). Nul doute qu'il ne Tait con-
duit avec beaucoup de respect et de piété filiale et se soit appliqué à
sauver tout ce qui restait des paroles de son maître. IVIais ces senti-
ments ne l'ont pas empêché de se comporter comme, en OO.'Î et 002,
Jérémie lui-même lui avait enseigné à le faire. Il ne s'est pas interdit,
ici de l'aire des abréviations, là d'ajouter des compléments, ailleurs

d'adoucir les textes ou d'en modifier Tordre. Ce qu'il faut particu-


lièrement lui attribuer, ce sont la plupart des titres et inscriptions à
la troisième personne, des datations, de courtes notices historiques.
Mais ce sont surtout les sections biographiques plus étendues : xix,
lV-x\, 6; xxvi; xxviii-xxix; xxxvi-xlu ,
ainsi que l'oracle à lui

adressé (xlv). Il aurait placé la plus grande partie de ces matériaux


en une sorte d'appendice à la fin du livre des discours, sans toutefois

s'interdire d'introduire parmi ces derniers certaines des notices qui


pouvaient s'y rapporter. Comme Baruch accompagna le prophète
en Egypte, c'est dans la vallée du Nil qu'il a accompli ce travail.
Mais il chercha sans aucun doute et trouva le moyen de faire par-
venir son univre aux exilés de liabylonie. Kllc avait eu ell'ct, pour eux,
— et cette remarque est à souligner pour le sujet qui nous occupe,
— une signification très particulière; c'est sur eux, et non sur les

Juifs d'Egypte, que le prophète et son disciple faisaient reposer les

espérances d'avenir (i).

Comme on le voit, M. Steuernagel fait très grande la part de Baruch


dans la rédaction du livre de Jérèuiie; nous ne pouvons (jue le cons-
titer avec plaisir, car ;ivec Harucli on nr (piitte |>as le pmphète. Uri-

(1^ .Irr., I; xiri, 1-h; \\i, l-l"; \\i\, 1-i; \\\, l-2'.t; xx\il, 1-lC; elc.

(2) Jer., XXVI, xwii, xxviii, xxix, xxxiv-xliv, i.ii.

(3) Jer., xwii, 2-22; xjviii, l-i; elc.


(4) Cf. Jer., XXIV cl xMv.
I;AME JLIVE AU TKMPS DES PERSES. 323

ver est plus réserve, sans donner des raisons qui forcent à le suivre.

11 met tout à fait à part les récits qui concernent la période posté-
rieure à 586 : xxxix,3, 14; xl-xliv. Leur insertion
xxxviii, 28'';

constitue comme un stage dans l'histoire de notre livre; mais il est


douteux que cette phase se soit aciievée avant la fin de l'exil, (juant
aux autres notices biographiques (xxvi; xxxv; xxxvi; xlv [époque de
Joachinii; xxvii-xxix; xxxiv; xxxvii, 1-xxxviii, 28^; xxxix, 15-18
[époque de Sédécias]\ on ne saurait dire à quelle étape il com-icnt
de les rattacher. Quelques-unes peuvent remonter à Raruch, mais le

désordre de la chronologie pourrait faire croire qu'elles ne sont pas


toutes de la même date. En tout cas ce désordre ne saurait être im-
j)uté au disciple de Jérémie.
Ceci nous conduit à une constatation nouvelle celle des différences :

si frappantes que l'on remarque entre le texte massorétique et la ver-

sion des Septante. Elles sont plus nombreuses sans doute, sinon plus
importantes, que pour n'importe quel autre livre. On peut négliger
les quelque cent mots que le grec atteste et que le texte massoré-
tique ignore; ce sont des éléments sans portée au point de vue
critique. Il en va tout autrement des parties qui ne fig-urent que dans
le texte massorétique. 11 ne s'agit plus seulement de mots, mais de
parties de versets, de versets entiers, de passages plus ou moins éten-
dus; en les additionnant on n'aboutirait pas à "moins de deux mille
sept cents mots, soit en^^ron à la huitième partie du texte. Signalons
un peu au hasard: viii, 10*"-12; x, 6-8, 10; xi, 7, 8*; xvii, 1-5"";
xxiii, 7, 8; XXIX, 16-20; xxxiii, lV-26; xxxix, 4-13; li, ii^-iO^; etc.
Il peut se faire qu'un certain nombre de ces divergences soient à
expliquer par des omissions dues à l'incurie du traducteur. Mais, pour
la plupart, elles remontent à l'original qu'il avait sous la main à
Alexandrie nous en avons pour garant ce que nous pouvons consta-
;

ter de sa fidélité relative dans le reste du livre. La question qui se


pose est donc la suivante Le texte alexandrin représente-t-il une
:

abréviation constante de celui que la Massore a consacré? Ou bien


faut-il le considérer comme un témoin d'un texte plus ancien et plus
sobre, dont la Massore représenterait une phase plus récente, caracté-
riséepar de nombreuses additions? Pour quelques cas individuels, les
hésitations restent possibles; mais, pour l'ensembledu livre, il semble
bien qu'il faille se ranger à la deuxième hypothèse. La première rai-
son que l'on peut alléguer dans le sens de cette conclusion est l'im-
portance même de certaines des péricopes qui font défaut dans les
Septante (1); leur suppression intentionnelle serait véritablement
(1) Cf. V. g. Jer., XVII, 1-5"; xxix, 16-20; surtout xxxiii, 14-26.
324 REVUE BIBLIQUE.

inexplicable. [)'autrc part, il est peu probable rpiun abréviatcur eût


laissé subsister les doublets que Ton rencontre dans le grec lui-

même (1).
H existe entre les deux textes une autre difFérence; elle ne concerne
que D'abord l'ordre des prophéties
les oracles contre les nations.
dans elle-même est variable. Dans le texte massorétique,
la collection
il est successivement question de l'Egypte, de la Philistie, de Moab,

d'Ammon, d'Kdom, de Damas, des Arabes, d'Élam et de Babylone.


La série est, en revanche, dans le grec Élani, Egypte, Babylone, :

Philistie, Édom, Ammon, Arabes, Damas, Moab. En général, les cri-


tiques s'abstiennent, et de donner leurs préférences à un ordre plutôt
qu'à l'autre, et même de tenter une explication des divergences; on
ne saurait apporter trop de réserves dans la discussion de ces ques-
tions fort minutieuses et fort délicates. La même rémarque s'impose
quand il s'agit de la place faite à cette série d'oracles dans la dis-
tribution générale du livre. Dans l'hébreu ils sont relégués à la lin
du volume (xlvi-li), juste avant l'appendice du chap. lu; dans le
grec au contraire, ils viennent (xxv, 14-xxxi) immédiatement après
l'oracle de xxv, 1-13 qui leur sert comme d'introduction. Beaucoup
de critiques pensent, à la suite de Schwally (2), que l'ordre j)rimitir
est purement et simplement celui des Septante un plus grand nom- ;

bre admet, avecKuenen(3), que les oracles contre los nations venaient
d'abord après le chap. xxv tout entier, inutile d'énumérer les raisons
que l'on peut faire valoir en un sens et en l'autre. Remarquons même
que, d'après M. Steuernagel, l'opinion inverse pourrait invoquer des
motifs tout aussi solides. A ses yeux, il est probable que les oracles
contre les nations constituaient une collection priiuitivoment indé-
pendante ; des considérations diverses lui auront fait attribuer une
place diirérente lorsqu'elle a été insérée dans les deux recensions du
livre de Jérémie.
Les différences que nous avons constatées entre le texte massoré-
tique et le grec dépassent, en efTet, l'ensemble des variations que
peut comporter la transmission textuelle d'un même éciit. Il faut ici

parler de deux recensions ou, si l'on préfère (Kuenen), d'une même


reccnsion à deux étapes dilTcrentes de son histoire. Cette remarque

(1) Cf. V. g. Jcr., VI, 22-2i et i., 41-43; x, 12-10 et i,i, 1.5-1!»; \xiii. H», 20 cl xx\, 23,
2i; ctr,.

(2) Kedcn des Ruches Jrremia gegcn die llriden (xxv, xi.vi-ii), dans Zeilschrifl
Die.

fiir die aUlrstamendir/ie Wissenscha fl 1H8K, p. 177-217.,

(3) /lisforisch-critisch Ondcrzneli nnnr hcl nntslaan en de verzamcling van de Boc-

kcn des nuden Ver bonds, 2" éd., S 57 sv.


L'AME JUIVK AU TEMPS DES PERSES. 325

éclaire d'autres constatations que Ton peut faire dans l'intérieur de


chacun des deux textes. — Il s'ai^'it d'abord des doublets. Ils sont nom-
breux, même si l'on s'en tient aux sections tant soit peu notables. On
peut relever, à titre d'exemples, à la fois dans le texte massorétique
elles Septante : vi, -2-2-2i et l, il-'i.3; vu, 1-1 i et xxvi ; x, 12-1() et
Li, 15-19; XVI, li, 15 et xxiii, 7, 8; xxiii, 19, 20 et xxx, 2:i, 2V; etc.
De même, dans le seul texte massorétique : vi, 12-15 et viii, 10-12; xv,

13, li et XVII, 3, 4; etc. — Il faut prêter aussi attention aux particula-


rités que présente la disposition môme des oracles. L'ordre chrono-
logique est parfois enfreint de la façon la plus violente. Les chapi-
tres xxiv-xxix, par exemple, présentent successivement des oracles
du temps de Sédécias (xxiv), de l'an ï de .loachim (xxv), du début du
règne de Joachini (xxvi), du début du règne de Sédécias (xxvii [cf.
le syriaque et le contexte]; xxviii), du temps de Sédécias (xxix). De

même, les chap. xxxv et xxxvi, datés du temps de Joachim, sont placés
entre deux chapitres concernant le règne de Sédécias. Un tel chaos ne
saurait exister dans un ouvrage rédigé tout d'un trait, et il ne saurait
être mis au compte de Baruch. L'explication est à chercher ailleurs.
Le livre de Jérémie édité par Baruch a été fréquemment copié, soit
pendant l'exil, soit au cours de la période qui a suivi la captivité. Il
a été copié à la façon des livres antiques, c'est-à-dire avec une assez
grande liberté.Souvent aussi on n'en a reproduit qu'une partie, en
se laissant guider par un but particulier, et il est arrivé que des
recueils partiels renfermaient, à côté des sections qui leur étaient pro-
pres, des péricopes communes. La juxtaposition de ces petits livrets
explique à la fois les doublets et les anomalies de l'ordre adopté. La
liberté avec laquelle on copiait explique les surcharges que peut
renfermer un texte comparé à l'autre. Peu à peu l'uniformité a été
établie entre les diverses recensions. Le texte qui est à la base des
Septante marque une étape dans ce sens Adopté à Alexan-
(m*' siècle).

drie, il n'a pas pris place dans le canon de la synagogue. Un texte à


la fois plus complet et plus tardif lui a été préféré.
Il est évident qu'un exégète catholique ne saurait hésiter touchant
l'inspiration de toutes les « parties » du texte officiel, tel que le

présente notre Vulgate, écho fidèle de la Massore. Mais l'on peut se


demander si tous les éléments de ce texte remontent jusqu'à Jérémie,
si, par exemple, les passages qui font défaut dans les Septante ne pro-
viennent pas d'une autre source. Les critiques ne se font pas faute de
signaler des additions d'origines diverses. M. Steuernagel, qui garde à
une réelle modération, en admet un assez grand nombre com-
ce sujet :

pléments destinés à accentuer la condamnation de l'idolâtrie (xvi, 18,


326 REVUE BIBLIQUE.
2''
19; XVII, 1-4; xix, 13; xxii, 8, 9; xxxii, 28-35); complé-
-9, 12",

ments destinés à donner plus de relief aux espérances de salut, soit


en tempérant les menaces (i, 10''; iv, 27''; v, 10"^ 18), même relati-
vement aux païens (xii, 15-17; XL VI, 26; xlviii, M; xlix, 6, 39), soit
en assignant aux châtiments des limites temporaires (xxv, 12;
xxvii, 7), soit en insistant sur le jugement de Babylone (l, li), soit
surtout en multipliant les promesses faites à Juda (m, 14-18; xvi,
14, 15 = xxiii, 7, 8; xxiu, 3, 4 ; xxix, 11-14 xxx, 1-11, 20-24 xxxi,
; ;

1, 10-14, 29, 30, 38-40; xlvi, 27, 28 = xxx, 10, 11); compléments
ayant un intérêt cultuel (xvii, 19-27; xxxviii, 18-22; cf. xxxi, 14);
compléments au caractère liturgique (xx, 13 xxxiii, 2, 3, 11"?; cf. x, ;

1-16; XVII, 5-8; xxxii, 17-23); compléments historiques (xxvi, 20-23;


xxxviii, 1-13; XXXIX, 1, 2, 4-13; xl, 7-xli, 18; lu, 1-34). Sans doute
on pourrait et on devrait étudier avec soin chacun de ces passages
avant de se prononcer contre leur authenticité (1). Mais si nous en avons
dressé la liste, c'est afin de montrer que, pour les critiques modérés, les

interpolations sont somme toute limitées. Le livre de Jérémie cons-


titue un document auquel son authenticité générale donne une valeur
exceptionnelle pour l'étude à laquelle nous voulons le faire servir.

2° Les Lamentations.

Le nom de Jérémie est intimement lié à celui des Laniontations


les liturgies de la Semaine Sainte non moins que Ticonographie,
sculpture et peinture, ont concouru à vulgariser à nos regards le
prophète d'AnAthoth sous les traits d'un homme de douleurs, dont los

lèvres ne semblent murmurer que plaintes et chants de deuil. Cette


donnée mérite à la vérité le nom de traditionnelle. VWc nous est
fournie directement par notre traduction officielle de la Vulgate. On
sait, en effet, que la petite collection élégiaque y fait immédiatement
suite au livre de Jérémie (^t porte ce titre : Tlirènes, c'esl-à-diir
Lamentations d\\ IMophète Jérémie. Il y a plus; r(>|)uscule début*» ])ar
cette petite intrixluction : « Il arriva, après f[u'Israr'l fut réduit en
captivité et que Jérusalem fut déserte, le prophète Jérémie s'assit

[)leurant; il rem-
proféra cette lamentation sur Jérusalem et, l'/ime
plied'amertume, soupirant et gémissant, il dit... » Môme la version
hiéroiiymienne n'est pas la première à s'cxprimor en ce sens. La petite
préface se retrouve en termes identiques ou simplement équivalents

fl) II fonviiMidrail jiarlicuIiiTPincnt <h' faire «les rési'rves sur li^ jujçeincn! porté an sujet
des passages inc.ssiani<iucs 'HH' lOn Irailo < omino compléiiu-nlnires.
L'AME;JUIVE au temps des PEIiSES. 32-

dans la vieille Vulgatc, Targum, dans les Septante (1). Les


dans le

titres, eux aussi, sont semblables,bien que certains manuscrits de la


Irailuction alexandrinc portent simplement Op-^voi, sans désignation
d'auteur (2). Entin, dans ces éditions, et en plus dans la Peschitto, le

petit volume suit le livre de Jércmie, tout comme dans notre Vul-
gate. Il ne faut donc pas être surpris si les Pères de TEglise, toutes
les fois qu'ils ont Toccasion de s'exprimer à ce sujet, attribuent les
Lamentations au fils d'IIelcias. Le ïalmud témoig^ne dans le même

sens, puisqu'on lit au traité Baba BatJira, 15' « Jérémie écrivit son :

livre et les Lamentations. » Il semble môme que l'on puisse remonter


plus haut encore et alléguer à l'appui de cette tradition un texte
explicite du Livre des Chroniques (3),
Il n'est pas difficile d'ailleurs de trouver à cette opinion des appuis
dans les textes eux-mêmes. Les exégètes ont depuis longtemps relevé
des points de contact, des similitudes entre le petit recueil et la grande

collection jérémieune. Ils ont signalé : des ressemblances d'expres-


sion, dont quelques-unes vraiment frappantes (4); des analogies
étroites entre les métaphores, représentations allégoriques et fi-
gures (5); les mêmes perspectives dans l'indication des causes du
terrible châtiment (6). Mais plus encore qu'en ces détails, les rappro-

(1) En réalité, cette introduction ne paraît pas primitive dans la Vulgate hiéronymienne.
Elle ne figure pas dans les anciens témoins et c'est de la Vieille Vulgate que, selon toute
probabilité, elle a été introduite dans la nôtre. Le grec porte : Kal i^hzio [istà tô al^fia-
Xw-icfô^vat Tov 'lorpariX y.at 'l£po'j(ja),r,!x £pYi[jiw6rivai ÈxdtÔt'Jcv 'Uçt\s.ia:, xAaiwv, xai £6pvîvy)(7£v

Tov ôpfivov ToùTov £7ti 'l£pou(>a),f|(ji xal £Î7i£v. — Lc Targum porte une indication plus simple :

Dit Jérémie le prophète et grand prêtre. Le syriaque n'a aucune noie de ce genre.

(2) Gprjvot B*A, Opîjvoi 'Icpe^i'ou B'' KQT (Ispe^..), d'après Swetë. — Le Targum n'a pas
de litre distinct de la petite introduction. Dans le syriaque on a pJu tXio'»)i oik-o;:o/

(3) II Chron., xxxv, 25. Voir plus loin.


(4) Cf. Lam., i, 2 (délaissement des amants) et Jer., xxx, 14; — Lam., i, 8'', 9 (nudité
découverte, honte apparente) et Jer., xiii, 22\26; — Lam., i, 16' (yeux se fondant en larmes;

cf. II, ir, 18b; iii_ 48, 49) et Jer., ix, 1, 18''; xni, 17'"; xiv, 17; — Lam., ii, 11 (la brèche
de la fille de mon peuple; cf. m, 48; iv, 10 et aussi ii, 13; ni, 47) et Jer., vi, 14; viii. II,

21, etc.; — Lam., n, 14; iv, 13 (fautes des prophètes et des prêtres) et Jer., ii, 8; v, 31 ;

xiv. 13 sv., etc.; — Lam., ii, 20 (femmes mangeant la chair de leurs enfants; cf. iv, 10)

et Jer., xix, 9; — Lam., ii, 22 (terreurs tout autour) et Jer., vi, 25; xx, 4; — Lam., m, 14
(je suis devenu une dérision) et Jer., xx, 7; — Lam., m, 15, 19 (absinthe et fiel) et Jer., ix, 15;

sxiii, 15; —
Lam., m, 47 (crainte et piège) et Jer., xlviii, 43; — m, 52 (ils m'ont chassé) et
Jer., XVI, le*"; —IV, 21'' (la coupe) et Jer., xxv, 15;xlix, 12; — Lain., v, 16 et Jer., xin, IS"*

(d'après Driver, An Introduction...).


(5) La plupart de ces analogies d'idées coïncident avec des similitudes d'expression sou-
lignées par la note précédente.
(6) Péché national, Lam., i, 5, 8, 14, 18 m, 42; iv, 6, 22 v, 7, 16 et Jer., xiv,
; ; 7; xvi, 10-

12 ; x\ii, 1-3 etc. ;



Péché des prêtres et des prophètes, Lam., ii, 14 iv, 13-15 et ; Jer., ii, 7,

8 ; V, 31 xiv, 13, etc. Confiance dans les alliés, Lam., i, 2, 19; iv, 17 et Jer.,
;
ii, 18, 36;

xxx, 14; xxxvn, 5-10.


328 REVIE BlRLIOrE.

chements sont frappants quand on considère l'allure générale des


deux documents. La grande prophétie parait, de prime aljord au
moins, rendre la même note, refléter la même nuance, respirer le
même esprit que les cinq délicieux petits poèmes.
Malg'ré tout, les critiques ont soulevé, à propos de ce jDetit volume,
la question d'authenticité. Elle n'a pas eu, dans les écoles catl»oli(|ucs,

le même retentissement que tels autres prohlèmes analogues, celui

du Pentateuque, par exemple, ou encore celui d'Is., xi.-lxvi si, en :

eflet, le livre des Lamentations tient une grande place dans la litur-

gie et sert grandement à l'alimentation de la piété, il occupe un rang


plus secondaire dans les études scripturaires proprement dites (1).
Quant aux critiques étrangers à l'Église, ils ont abordé le problème
avec décision et certains d'entre eux sont arrivés à des conclusions
assez radicales.
On a d'abord soumis à un examen attentif le texte des Chroni-
ques (2), regardé, par plusieurs auteurs, comme le point de départ ou
au moins comme l'un des points de départ les plus importants de l'opi-
nion traditionnelle. Or voici ce qu'on lit dans ce texte : « Et Jérémie
composa une lamentation [ou : des lamentations] sur Josias, et tous les

chanteurs et les chanteuses parlèrent dans leurs lamentations au sujet


de Josias jusqu'à ce jour, en [sans doute
et ils du chant de ces :

lamentations firent |ouj


:une loi pour Israël, et voici queux
on en fîtj

[les poèmes] sont écrits sur les Lamentations. » Le contenu de ce texte

se laisse assez facilement analyser On y apprend d'abord que Jérémie


:

a conq^osé des lamentations sur Josias, après le drame terrible de


Megiddo. En second lieu, on nous dit (|ue l'usage de faire une place à
Josias dans les lamentations s'est perpétué jusqu'au temps du Chroni-
queur, soit jusqu'aux abords du troisième siècle on insiste même en ;

déclarant que cet usage a pour Israël force de loi ou de précepte


[cérémonielj. Nul doute «[ue, dans ces rites, on n'ait recours aux com-
positions de Jérémie; le lien de la seconde partie du verset avec la
première l'indique suffisamment. Quant à la finale, elle nous révèle
que les formules dont on se sert, celles de Jérémie par conséquent,
sont renfermées dans un recueil f[ui porte lui-même le titre de La-
mentations. —
La première pensée qui vient ;\ l'esprit est d'identifier
ce recueil avec celui qui figure dans le Canon. Mais il est facile de se
rendre compte qu'il ne se peut agir d'une identification pure et

(1) Cf. toutefois los liilrodnctinns des aulcurs catlioli<|iies, notninincnt Uud. CoitNKr.>,S. J..
tlislorica cl crilica Introdiiclio in /'. 7'. I.ibros Sacros. II, 2, Jnlroducliu spicialis in
didacticos cl prophelicos \clcris Tcstamcnli Libros, \k 402-411.

(2; II Gbron., xxxv, 25.


L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 329

simple : nulle part, en ell'et, dans nos Lamentations il n'est fait men-
tion de Josias. Kaut-il, dès lors, regaider les deu.\ recueils comme
absolument étrangers l'un à absolument indépendants l'un de
l'autre,
l'autre? On a peine à s'imaginer qu'un livre revêtu d'un caractère
officiel vers l'an 300 ait disparu sans laisser de traces. Aussi est-on

amené à faire, au sujet du texte des Chroniques, des hypothèses diver-


ses, mais sans qu'aucuae d'elles aboutisse à faire sortir de ce passage

un témoignage décisif en faveur de l'attribution à Jérémie des Lamen-


tations qui nous ont été conservées. Si, en ell'et, il s'agit d'un recueil
absolument distinct du nôtre, on est amené à conclure que l'indica-
tion donnée à propos de quelques-unes des poésies qui s'y trouvaient
renfermées a été étendue, non seulement à toutes les autres, mais
encore à notre collection actuelle; or il est évident que cette extension
ne saurait être justifiée ni retenue. Si, au contraire, le Chroniqueur a
visé notre livre canonique, son renseignement est erroné puisque ce
livre ne contient rien au sujet de Josias; l'adhésion traditionnelle ne
peut remédier à ce vice d'origine. D'aucuns regardent comme plus
probable l'hypothèse en vertu de laquelle il s'agissait, dans les Chro-
niques, d'un recueil qui aurait contenu nos Lamentations à côté de
celles sur Josias mais alors, comme le texte n'attribue à Jérémie qu'une
;

partie du recueil et très spécialement les poèmes où il est question du


malheureux roi, il faut conclure encore que ce texte n'apporte aucun
appui direct à l'opinion traditionnelle. Il témoigne seulement de
l'aptitude du prophète à composer des élégies.
Deux faits en revanche méritent d'attirer l'attention. D'une part,
le titre hébreu du livre ne renferme pas la moindre allusion au

prophète d'Anathoth. Non seulement on ne trouve pas au début la


petite introduction qu'on peut lire dans les versions, mais le titre
est des plus banals. C'est tout simplement le premier mot n^ix,

« Comment... » du premier poème ; les anciens catalogues toutefois


désignaient l'ouvrage par le mot ni:ijD, thrènes. N'a-t-on pas ici

une preuve que la plus ancienne tradition juive ignorait que ces élé-
gies proviennent de Jérémie? Une autre observation produit une im-
pression analogue. Tandis que le grand livre du fils d'Helcias figure

parmi les « Prophètes », le petit recueil est rejeté dans la section des
i^iriD: la chose est d'autant plus frappante que le grand livre groupe
des éléments très disparates et que, de ce chef, il était plus apte que
beaucoup d'autres à recevoir ces poèmes, au moins à titre de supplé-
ment et d'appendice, sien les avait tenus comme émanant de Jérémie.
On ne saurait donc être surpris de voir les critiques chercher dans
le texte même les bases de leurs conclusions. Ils se demandent par
330 REVUE BIBLIQUE.

exemple si un auteur dont le style, autant qu'on peut juger par les
oracles les plus universellement tenus pour authentiques, suit les
impulsions d'une nature très priniesautière, aurait pu s'astreindre à
des règles poétiques aussi artilicielles que celles de l'alphabétisme.
Us relèvent comme plus caractéristiques que les ressemblances géné-
rales, les dilTércnces de phraséologie que découvrent l'examen atten-
tif et la comparaison de la Prophétie et des Lamentations (1). Ils

signalent dans ces dernières des particularités qui rendent difficile,

sinon impossible, leur attribution au grand voyant contemporain


des derniers rois de Juda (2).
Les conclusions varient selon les auteurs. Driver se borne à dire
qu'à tout prendre, les données de l'étude interne du texte paraissent
devoir faire pencher la balance dans un sens contraire à l'authenticité
jérémienne des Lamentations; c'est un des cas où les diil'érences ont
plus de poids que les ressemblances. M. Steuernagel est du môme avis,
mais avec beaucoup plus de décision. Et alors, à quel auteur attri- —
buer ces délicieux poèmes? Driver tient, ici encore, une opinion mo-
dérée « liien que les poèmes ne soient pas l'œuvre de Jérémie, on
:

ne saurait douter qu'ils soient l'œuvre d'un contemporain (ou de con-


temporains) les ressemblances, même y compris celles de la phra-
;

séologie, ne sont pas trop grandes pour qu'on ne puisse en rendre


compte parla similitude des situations historiques. Beaucoup, en ces
temps de trouble, ont dû être touchés par l'expérience des calamités
nationales comme Jérémie l'avait été par leur prévision un disciple ;

du prophète, ou au moins un auteur au courant de ses écrits, qui, tout


en adoptant pour quelques détails le point de vue général de la nation,
demeurait (juand même à d'autres égards en accord avec le prophète,
pouvait tout naturellement entremêler ses propres pensées de souve-
nirs puisés dans les prophéties de Jérémie. »

Le chanoine de Christ Churcli parle " d'un contemporain (ou de

(1) Les Lamentations renferment un très graïul nombre de mots que l'on ne retrouve
pas dans le volume prophétique. On reconnaît sans que l'absence de plusieurs de
dillicullé

ces termes ne lire pas à conséquence l't s'explique, par exemple, par la diversité m<^mc des
sujets; mais quand il s'agit de termes exprimant des idées communes aux deux ouvrages,
les critiques en question estiment que la remarque a beaucoup plus île poids.
(2) On signale des diflérences de points de vue. Jérémie revient fréquemment, dans ses
oracles, sur cette pensée cpie les Chaldéens sont les exécuteurs des desseins de Dieu sur
Juda : comment invoqiicrail-il contre eux la vengeance de Vahweb (Larn., i, 21-22; m, .^a-

fj6)r D'autre part, un voyanl tel que Jérémie |)ourrait-il dire que « ses fdc Jérusalem) pro-
phètes ne reçoivent plus de visions de y.iln\eh (Lam., ii, 'J')? Après avoir déclaré
(Jer., xxvvii, 5-yj que l'on ne pouvait attendre h' salul «le l'intervention du Pharaon, Jéré-
mie aurait-il écrit : « Du haut de nos tours, nous regardions vers une nation (|ui ne pou-
vait noxj sauver n (Lam., iv, 17)? (voir Driver, An Introduction...).
i;ame JunK au temps des perses. :}3i

conteiuporaiiis) de Jéréniie ». Il sait, en cfFct, que divers critiques


(Theiiius, Budde, Stade, etc.) répartissent les cinq élégies en plusieurs
groupes et entre divers auteurs. C'est une question qui, à ses yeux,
ne peut être résolue avec certitude; néanmoins il estime que l'opinion
d'après laquelle l'auteur serait unique peut avoir en somme des pro-
babilités en sa faveur. Telle n'est pas la thèse de M. Steuernagel. Pour
lui les dillerences de caractère sont telles qu'il faut placer ces poèmes
à diverses époques. Il que l'ordre des lettres
insiste aussi sur ce fait
de l'alphabet, c'est-à-dire des lettres et s, dont la situation respective •;•

paraît être demeurée variable, n'est pas le même dans le chap. i


et dans les chap. ii-iv dans le chap. i, y précède S comme dans l'al-
:

phabet actuel [D; dans les chap. ii-iv au contraire, £ précède:;; (2).
Nous savons que, pendant l'exil, on perpétua le souvenir des événe-
ments les plus néfastes de 588-586 par des jours de pénitence et de
deuil (3). M. Steuernagel estime qu'en ces circonstances on devait
chanter des lamentations et il n'est pas loin de croire que nos élégies
furent composées pour cette destination d'ordre liturgique. Le chap. ii

aurait été rédigé en Babylonie vers 570; le chap. iv peut-être un peu


plus tôt, mais pareillement en Chaldée. Ces deux poèmes ont exercé
une influence sur celui du chap. i, qu'il faut en conséquence regarder
comme plus récent, bien qu'antérieur à la fin de l'exil. La. même date
esta assigner au chap. v, sans que d'ailleurs on puisse dire s'il a été
composé par un déporté ou par un Juif demeuré au pays. Le ton
général du poème, certains traits de détail laissant entrevoir que
l'exil est achevé, la complication extrême de l'alphabétisme, les affi-

nités avec divers Psaumes de date récente (4), tout inviterait à consi-
dérer le chap. m comme postérieur à l'exil et à en reporter la com-
position vers 325, sinon un peu plus tard. De la sorte, il ne faut

pas moins de cinq auteurs pour nos cinq élégies.


Il permis d'émettre des doutes et des doutes sérieux sur la
est
solidité des arguments qui servent de base au système de M. Steuer-
nagel (5); la date attribuée au chap. paraîtra notamment invrai- m
semblable à quiconque remarquera les points de contact qui unissent
ce poème aux autres. A l'occasion, lorsque plus tard nous utilise-

(1) Lam., I, 16, 17.

(2; Lara., ii, 16, 17; m, 4r,-51 ; iv, 16, 17.

(3) Cf. Zach., vu, 3, 5; viii, 1«J.

(4) On a remarqué, il'ailleurs, que les cinq poèmes présentent de nombreuses affinités
avec lesPsaumes, notamment avec les psaumes de complainte: il n'y a pas à en être sur-
pris. On a pareillement relevé des ressemblances entre Lam., ii fet, à un moindre degré, iv)
et Ézéchiel.

(5) Cf. CoRNELY, op. laud.


REVUE lilBLIQUE 1916. — N. S., T. XIII. 22
332 REVUE BIBLIQUE.

roûs CCS <locuni<*nts, nous discuterons quelques points spéciaux de


la théorie, en particulier pour ce qui concerne le lieu d'origine des
tlirènes. Mais, nous le rappelons, notre but n'est pas
ici de résoudre

ces problèmes. seulement de noter quelles lumières les La-


Il s'agit
mentations peuvent projeter sur l'état d'esprit des Juifs après la ruine
de Jérusalem, quelle iniluencc elles ont pu exercer sur la formation de
cette mentalité. Or, même d'après M. Steuernagel, les chap. ii et iv,
rédi::és peu de temps après 586, nous traduisent l'impression que
produisit sur leurs auteurs le dérouleaient des lugubres événements
qui aboutirent à de Jérusalem ou qui raccompagnèrent; les
la prise

chap. I nous dépeignent les suites de cet épouvan-


et V, d'autre part,

table dranie et les sentiments qu'elles éveillèrent dans les âmes. Nous
avons donc à nouveau des documents de premier ordre pour le sujet
qui" nous occupe, et nul doute qu'il ne faille rapproclier le chap. m
des ciiap. i et v. — Il est juste de souligner une conséquence des dif-

férences qui existent entre ces élégies et les prophéties de Jérémie.


Ici le sentiment du voyant se trahit d'une façon trH vive et tr«*s
abrupte; il en résulte que, sous cette manifestation primesautière,
nous n'avons pour ainsi dire qu'une impression partielle et, en tout
cas, assez exclusivement personnelle. Les longs développements des
Lamentations, au contraire, constituent comme une analyse de l'état
dame produit par le spectacle de tant d'infortune et. quelle que
soit la puissance de la personnalité de l'auteur, il est impossible que,
dans ce tableau où il s'applique pour ainsi dire à n'omettre aucun
trait, il j>as écho aux sentiments des âmes qui l'entourent.
ne fasse
I>e témoignage des Lamentations a une portée plus géné-
ce chef, le
rale que celui du livre même des prophéties de Jénémie.

3° Bar t( fil.

Le tei'i-ain est beaucoup moins solide lorsqu'on al)ord(' le livre

de IJaruch. C'est, on le sait, un deutérocanoniqu*'; il nt' nous est par-


venu <|ue dans la traduction grec<(ue des Septante et daus les ver-
sions qui en dérivent.
Son contenu mérite d'attirer notre attention. In lilre nous pré-
sente le document comme écrit A Habylone par IJarucli, fils de Néréias
- on rec<mnaît à cette désignation !e secrétaire de Jérémie le ^—
1" (hi mois (? l'an au temj)s où les ChaUléens avaient pris et
, .'i,

brùl<' la ville (i, Lu au\ oreilb's du roi Jéchonias et de ceux


1, 1 .

<|ui étaient venus pour entendre, ce lixre j)ro(luil une grande iMq)res-
sion. Le premier résultat est une eollccte «pie l"<»n envoie à Jérusa-
I.A.MK .11 l\l-: AU TKMPS DES PKUSKS. 333

loin pi)iu' qu'on achète des victimes et que Ton prie pour Nabu-
chodonosor et Baltass(U', à l'ombre desquels les exiles doivent vivre
de long"S jours; que Ton intercède aussi pour les captifs, parce
([u'ils ont péché contre le Seigneur
pas encore trouvé grâce
et n'ont
à ses yeux. Entre temps Baruch a recouvré pour les renvover au
pays de Juda les ustensiles en argent que Sédécias, fils de Josias,
avait faire pour le
fait temple. Kn plus de la collecte, l'ambassade
emporte aussi le livre de Barucli pour qu'on en fasse la lecture
à la maison du Seig-neur les jours dé fête et d'assemblée (i, 3-14).
On s'en rend facilement compte ce récit en prose n'est autre chose
:

([u'une longue introduction au livre lui-même. Celui-ci se divise —


en deux parties. La première (i, 15-ui, 8) consiste en un psaume
de pénitence. Il débute ii. J5-ii, 10) par une confession des péchés :

c'est à cause des fautes de la nation que se sont abattus sur elle
les maux terribles que Dieu avait pris soin d'annoncer par Moïse;

c'est parce que l'endurcissement continue que ces maux persévèrent.


Ces aveux aboutissent à une prière (ii, ll-iii, 8i le psalmiste :

sollicite le pardon en alléguant la gloire qui en reviendra à Dieu,

les promesses qu'il a lui-même faites à la conversion, en faisant

valoir que c'est pour les péchés de leurs pères que soutirent les
captifs. —
La seconde partie (m, 9-v, 9) renferme aussi deux sec-
tions. On y lit d'abord (iii, 9-iv, 4) une exhortation qu'Israël, cons- :

tatant que ses malheurs proviennent de ce qu'il n'a pas marché


dans la voie de Dieu, se livre à la recherche de la vraie sagesse;
il ne la trouvera nulle part ailleurs qu'auprès de Dieu et que dans
sa loi. La deuxième section (iv, 5-v, 9) est pleine d'encouragements
et de promesses. Le peuple de Dieu a excité sa colère par ses

crimes; il a pareillement contristé Jérusalem, sa nourrice iv, .5-9).

La Ville Sainte prend la parole. Elle s'adresse d'abord aux capitales


\ oisines pour leur expliquer la raison d'être de ses malheurs et de
ceux de ses fds(iv, 10-17). Elle parle ensuite à ces derniers pour les

encourager, leur déclarant qu'elle prie pour eux, qu'elle a confiance


in leur délivrance, les invitant à porter avec patience la colère de
Dieu qui se souviendra d'eux (iv, 18-29). La finale du livre est une
adresse pathétique à Jérusalem : le prophète maudit ceux qui l'ont
maltraitée et lui annonce, avec le retour de ses fils, une splendeur
sans égale (iv, '30-v, 9).

Une impression générale se dégage de la lecture de ce docu-


ment rimpression de quelque chose que l'on a vu ailleurs, j'allais
:

dire l'impression de lieux communs de la littérature biblique. Il

s'agit avant tout de la section poétique, c'est-à-dire de la partie de


334 REVUE BIBLIQUE.

beaucoup la priucipalc. Le psaume de i, 15-iii, 8 présente avec la


prière de Dauicl ix, 4-19 des affinités si exeeptionnelles que des
critiques, sans trop aller contre les vraisemblances, pourront regar-
der le premier comme une recension parallèle et plus développée
de la seconde. On ne manquera pas de noter aussi les citations expli-
cites de II, 20-23 et 28-3o qui rappellent le procédé de certains
prophètes postexiliens, de Zacharie par exemple (1). Dans l'exhortation
au culte de la Sagesse, ce qui est dit des lieux où on la recherche,
de celui où on la trouve, est apparenté, par l'idée générale et même
par plusieurs traits spéciaux, avec le beau chap. xxviii de Job.
En revanche le lien établi entre la Sagesse et la Loi l'ait involon-
tairement songer à Quant aux paroles de
la finale dEccli., xxiv.
consolation, on serait tenté de les traiter comme l'écho d'une foule
de passages prophétiques, notamment de nombreux tfextes d'Is., xl-
Lxvi (2). Ceux enfin qui sont familiarisés avec la littérature apocryphe
n'ont pas mancjué de signaler des rapprochements frappants avec
le Ps. XI de SalomonfS). On serait facilement amené à regarder le

livre de Baruch comme une sorte de confluent dans lequel se ren-


contrent des apports divers provenant de sources littéraires de dates
plus ou moins tardives.
C'est la première difficulté avec laquelle doivent se mesurer ceux
qui veulent maintenir l'authenticité de cet opuscule. Il en une
est
autre et elle naît de la préface historique. Si, en efiet, l'écrit remonte
à l'époque à la(|uelle les événements se sont déroulés, on doit s'at-

tendre à ce qu'il en parle avec précision. Or il a semblé à plusieurs


critiques que la préface présente à cet égard diverses incohérences.
La lettre est datée (i, 2) de l'an 5 de la prise et de Vincendic de .)éru-
salem, c'est-à-dire du siège et de la ruine de 586. Or cette date sou-
lève une première difficulté provenant de ce que, d'après .Fer., xliii,

Haruch ne fut ])as emmené en Chaldée, mais accomj)agna son maître


sur le chomin de l'Egypte ai)rès le meurtre de Godolias. De plus le

(1) Cf. Agg., II, 17; Zach., i, 4; vu, 7-11, 13, 14.

(2) Cf. Bar., iv, 30-32 cl Jer., xxv, 20; Zach., ii, 12, 13 i Vulg., 8, 9; ;
— Bar., iv, 33-3:i el
Is., xLvii; — Bar., IV, 35 cl Is., XIII, 21 ; xxxiv, l'i: — Bar., iv, 36 et Is., xliii, 6; i.ix. H»;
— Bar., V, 1 el Is., lu, 1, 2; — Bar., v, 4 ri Is., \xxii, 17; Liv, 10, 13. 14; lx. 17. 18: —
Bar., V, 5 cl Is., lx, 4,.-); —Bar., v, Gel Is., xlix, 22, 23;— Bar., v, 7 Pt Is., xi., 3-.^. — elc.
On [lourrail inulli[)lipr les rapprocliPincnls et relever ries analogies non seiilcinent (pianl
.lUX iJécs, mais quant aux expressions elles-inAines.

3) Cf. Bar., IV, 36, 37 et Ps. Sal. xi, 3,4,7; — Bar., >, 1-3 el Ps. Sa!. \i, «;— Bar., v, 4
et Ps. Sal. XI, 8, 9; — Bar., v, 5 et Ps. Sal. xi, 3, 4; — Bar., n, C el Ps. ShI. xi, 7; —
Bar., \, 7 el Ps. Sal. xi, .'>, c, 7; — Bar., v, 8, el Ps. Sal. xi, r>, 7; — Itar., v, 9 el Ps.
Sal. XI. 8.
|;A.MI£ juive au temps des perses. •
335

restedu chapitre ne semble pas s'accorder avec la donnée en question.


On signale notamment les particularités suivantes lecture de la :

lettre devant Jéchonias et de tout le peuple habitant à Habylone


(i, 3), comme si pareille réunion eût été possible en terre d'exil;

acquisition par Baruch et envoi à Jérusalem d'une partie au moins


des ustensiles du temple, ceux en argent (i, 8), alors que, d'après
Esdr.. I, c'est Sesbassar qui, au temple de Cyrus, parait avoir le pre-
mier obtenu un pareil résultat, alors que d'après Jer., xxvii-xxix, les
perspectives d'une telle restitution paraissaient être d'une réalisation
beaucoup plus lointaine; l'attribution de la fabrication de ces vases
sacrés à Sédécias (i, que les livres historiques (II Reg., xxv;
8), alors
II Chron., xxxvi) sont absolument muets à ce sujet: l'offrande d'holo-

caustes, de sacrifices expiatoires, d'oblations, autrement dit l'exécution


presque complète du rituel (i, 10) à Jérusalem, bien plus, la hiention
expresse de la maison du Seigneur (i, 14), alors que tout récemment,
cinq ans seulement auparavant, le temple a été détruit, ruiné de fond
en comble. On signale aussi l'étrangeté de la demande que font les
captifs de prières pour Nabuchodonosor et son fds; etc.
Ces difficultés n'ont pas paru insurmontables à des exégètes catho-
liques de grande autorité (1) qui, par ailleurs, s'appliquent à montrer
que la langue originale de Baruch était sémitique, hébraïque. La
plupart des critiques étrangers à FÉglise ont adopté une tout autre
attitude; plusieurs d'entre eux ont même usé envers notre opuscule
de la désinvolture dont trop souvent ils font preuve quand il s'agit
des écrits deutérocanoniqu^s (on sait qu'ils les nomment apocryphes).
L'un des auteurs qui font spéciale autorité dans l'étude des livres
extérieurs au canon hébreu, le Docteur Otto Fridolin Fritzsche (2), com-
mence par établir une distinction très tranchée entre les deux parties
constituées par Bar., i, l-iii, 8 et Bar., m, 9-v, 9. Abordant ensuite
la question d'authenticité, il constate que les catholiques et même
quelques protestants attribuent ouvrage au disciple de Jéré-
le petit

mie; mais, déclare-t-il, aucun critique impartial ne peut échappera


la thèse négative. Il reprend, à l'appui de cette dernière, les diffi-
cultés que nous avons exposées plus haut. Il signale en outre quelques
textes difficiles à expliquer cinq ans après la prise de Jérusalem :

« Tu as langui sur une terre étrangère » (m, 10); « La joie me (c'est

(1) Cf., en particulier, Ruil. Cornel-^, S. J., op. laud., p. 416-427.


(2) Otto Fridolin Fritzsche, Buch Esra, die Zusûtze zum Buch Eslher tind
Das drilte
Daniel, das Gebet des Manasse, das Buch Baruch und der Brief des Jeremia, dans
Kurzgefasstes exegelisches Handbuch zu den Apokryphen des Alten Testamentes,
Ersle Lieferung, 1851.
336 RKVUE BIBLIQUE.

Jérusalem qui parle) vient de la part du Saint pour la miséricorde


que vous enverra bientôt V Éternel, votre Sauveur » (iv, -22); « Gomme
les voisines de Sion ont vu votre captivité, elles verront bientôt votre
délivrance » (iv, Si); « Votre ennemi vous a persécutés, mais bientôt
vous verrez sa ruine » (iv, 25). L'insistance sur la durée de l'épreuve
et sur la proximité du salut semblent trans[)orter le lecteur bien loin
des événements de Ô8G la justesse de cette remarque serait grande-
:

ment confirmée par comparaison de Baruch avec d'autres écrits qui


la

sont datés avec certitude du début de l'exil ou de la fin de l'épreuve.


M. Fritzsche reprend alors cette distinction entre les deux parties qu'il
a précédemment soulignée avec tant de soin. La première lui apjia-
raît nettement comme la traduction d'un original sémitique; mais il

estime beaucoup plus vraisemblable que la deuxième a été ]>rimitive-


ment rédigée en grec. Dès lors, et pour d'autres motifs qu'il serait tro[)
long d'indiquer ici, Bar., i, l-iii, 8 serait « un produit propbétique »
en lang-ue hébraïque et de date tardive. Il serait venu aux mains du
traducteur alexandrin de .lérémie, qui l'aurait rendu en grec et lui
aurait adjoint, vraiseudjlablement de son ])ropre fonds, la deuxième
partie. J)u moins, il semble tout à fait inutile de faire intervenir un
autre auteur grec; la langue est pannlle d'un bouta l'autre, bien que
l'on puisse sans difiiculté distinguer la section traduite de la |)artie
originale. On n'a pas les données voulues pour articuler une date
précise. Mais, si Rariieh^ utilisé Dante! (1), on est conduit à la pério<le
maccliabéenne l()"-()3) divers indices invitent inrnif à descendre
( ;

jusqu'aux années tardives de cette époque.


Les conclusions de M. Fritzsche paraîtront suspectes à un certain
nombre de nos- lecteurs; on reconnaîtra pourtant que S(m étude veut
demeurer vraiment objective. En est-il de même de celle de .M. Stcuer-
nagel et peut-on se défendre de prononcer le mot de désinvolture,
même s'il se réclame de pré<lécesseurs tfds (jue llitzig, Kneucker et
Scliiircr, s'il se prétend d accord avec la [)hipart des cr-ilifjucs l«sj)lus
j'éccnts? An point de vue de la date, il émet une opinion à première
vue slu|)éliante si le document s'intéresse à la distruction de Jéi'U-
:

salem et du Temple, c'est qu'il a été composé après la catastrophe de


70 après Jésus-Christ. Rien n'impose, cela va sans dire, une semblable
solution. Admettons, à titre de sirn|)lc hypothèse, le caractère
pscndf'pig-raphifpie de l'opusculi'", il n'est nullement nécessaire, j)our
e\|»li(|uer la fiction, de lui Irouxer un milieu d'origine absolument

(1; On sait, on ffl'et. fjiie. pour le {{ranil nornlirc tl(»s criliques étrangers à l'KRlise, Daniel
a été roiii|i<ivi. nu ii< l.nl des leinps ninrriiabôens.
L'A.Mt: JLIVE M TK.MPS DKS PERSKS. 33-

pareil à celui aïKjuel rauteur se réfère. On sait que, dans la littérature


pseudonyme des temps de l'ère ancienne, l'exploitation des
derniei-s
thèmes fournis parles livres canoniques devint l'un des traits les plus
caractéristi(}ues; cette note générale suftirait, à elle seule, à expliquer
la donnée fondamentale du livre deBaruch. On n'ignore pas, non plus,
que cette littérature, lorsqu'elle ne se lance pas à perte de \'ue dans
l'eschatolog-ie, revient assez souvent sur la ruine de Jérusalem et de la
nation, la présentant comme le châtiment du ])éché d'Israël ne four- :

nit-elle pas ainsi un cadre auquel les redites de notre opuscule sadap-
teraient sans trop de difficulté? Et puis M. Steuernagel ne semble pas
tenir compte d'une autre objection qui vient spontanément à l'esprit
et que d'ailleurs on pourrait formuler en d'autres cas analogues si :

le livre de Haruch est d'une date si tardive, comment expliquer la


place qu'il a prise dans le canon, même dans le canon alexandrin? —
Les arguments de détail ne sont pas d'ailleurs d'une rigueur à toute
épreuve. On signale naturellement les imitations que l'on relève à
chaque ligne de l'ouvrage, on insiste spécialement sur les rapproche-
ments avec Dan., ix, 4-19 (1) et avec le Ps. xi de Salomon. Comme on
date de l'époque de Pompée (69-47; la collection à laquelle appartient
ce dernier cantique, on voit dans le plagiat de Baruck'une preuve nou-
vellede l'origine très tardive de ce petit livre. Il serait juste pourtant
de remarquer que la plupart des Psaumes de Salomon sont remplis
de réminiscences de l'ancienne littérature hébraïque, de telle sorte
que la prudence la plus élémentaire simpose quand il s'agit de dé-
terminer, dans les cas analogues au nôtre, à quel document l'imitation
doit être imputée [2]. Plus étranges les rapprochements que l'on veut
établir entre divers traits de l'opuscule et les incidents de la révolte
suprême des Juifs contre les Romains. Si, par exemple, l'ambassade
envoyée à Jérusalem demande des prières pour les monarques étran-
gers (Bar., I, 10), c'est que l'auteur écrit au moment où le parti in-
transigeant a fait supprimer les sacrifices pour les empereurs romains
(06 av. J.-G. ne serait-il pas plus naturel pourtant de voir à cet
;

endroit une influence de Jer., xxix, 7, ou même, si Ion veut,


d'Esdr., VI, 10; vu, 23? Des influences analogues ne rendent-eUes pas

(1) Steuernajiel, il n'est pas douteux que la prière île Baruch soit une iniilation
Pour M.
lie de Daniel. Cette dernière n'est pourtant pas d'une oriiiinalilé telle quon ne puisse
celle
entrevoir une autre hypothèse l'utilisation dans les deux documents d'une source com-
:

mune, V. g. d'un formulaire liturgique quelconque.


(21 II faut ajouter qu ici encore, l'hypothèse d'une source commune pourrait être très
naturellement invoquée. Cf. J. Viteau, Les Psaumes de Salamon, Introduction, Texte
grec et Traduction, p. 314 (note du vers. 9).
338 REVUE BIBLIQUE.

suffisamment' compte de la citation de liar., ii, 21-23, sans qu'il l'aille

invoquer la rébellion contre les autorités romaines censées imposées


par Dieu à Israél? Il semble donc que l'on aurait au moins les appa-
rences en sa faveur si, à propos des opinions de M. Steuernagel, on
osait risquer l'épithète de fantaisistes. Notons qu'à son sens la partie
originale de l'd'uvre est, non pas i, l-iii, 8, mais m, 9-v, 9 volontiers ;

il verrait dans cette section un développement du thème indiqué dans


l'Apocalypse syrienne (pseudépigraphe) de Baruch, lxxvii, 12 sv.,
une indication nouvelle de date tardive (1). De ce chef et
et ce serait
conformément à la donnée de l'apocryphe, la partie fondamentale
de notre petit livre aurait été une lettre envoyée à Babylone. A cette
section principale, rédigée en un grec passablement pur (2), et dans
laquelle on pourrait peut-être découvrir des fragments plus anciens,
on aurait ensuite ajouté 15-iii, 8, qui postule un original hébreu;
i,

cet original remonterait à une date relativement ancienne, puisque ii,


17 on ne fait encore aucune allusion à la résurrection des morts (3).
L'addition de la section historique i, 3-li qui, elle aussi, est une
traduction de l'hébreu, aurait eu lieu à une époque plus tardive en-
core; c'est alors et sous l'influence de ce récit que le verset i, aurait 1

été modifié et notre livre transformé en une lettre envoyée de liaby-


ione. —
On voit ainsi à quelles conséquences on peut aboutir en pre-
nant pour point de départ une idée purement a priori.
L'impression qui se dégage de ces exposés est que la question
du livre de Baruch est singulièrement compliquée; ce ne seront
point les postulats de M. Steuernagel qui contribueront ii la résoudre

ou à ne semble pas d'ailleurs qu'on puisse en l'es-


la simplifier. Il

pèce faire état d'une opinion qui serait vraiment traditionnelle; la


tradition chrétienne ne s'est que très peu occupée de l'auteur de ce
deutèrocanonique (4). Aussi bien, la nature même de son contenu fait
que nous n'auions guère à lui drmaiider des renseignements (ju'on

1) ('(iinmc A|). Bar., xwii, :! iinîiilioniu- l.i ilrslnirtion du Tciii|il»' par Tilus, force est «le

la dater des temps postérieurs à 7o di- noire crp.


(?.) Tout en faisant cftlo consl.ilalion. M. Sli'uerna^;i'l n'cvclul pas alisoliimeni lliypotiièse
d'un original s(';inili(|ue pour cette partie de lianirli ; il parait inèine rej-arder eeltc liypo-

thèse coMiine vraisenildahie.


';{) Serail-il plus ancien (jue Dniticli On sait que, dune paît. Dan., \ii enseigne d'une

façon très nette la rf^surrerlion des morts, et «|ue. il'aulre |)art. Har., i, l.'i-iii. 8 serait un
pastiche de Dan., ix, il*.». On semble rt-pondre à celle ditlirullé en parlant île « in Dan., i\. i-

1',) eingesclialleten débet ».

Ci) Les l'eres des cinq premiers siècles cilcnl assez souvent Kuntcli ; mais en dehors des
cas «il ils produisent des textes de Inpuscule comme autorité srripluraire sans en préciser
l'auteur, ils en mettent ilaulres tantôt au (ompte du secrétaire de .lérémie. tantôt au
compte de ce dernier prophète lui-même.
|;AME juive au temps des perses. 339

peut t ton ver ailleurs sous une forme plus originale. Il nous demeu-
rera toutefois comme un témoin précieux de données traditionnelles
relatives à l'exil.

k" La Lettre de Jérémie.

Plusieurs de nos lecteurs seront peut-être surpris de nous enten-


dre dire que le cliap. viBaruch ne tient par aucun lien
du livre de
avec ce qui précède. C'est,un deutérocanoniqufî tout à
en réalité,
fait indépendant, qui a sa place très distincte dans les catalogues

anciens sous le titre de Lettre de Jérémie. La Vulgate a passablement


compromis son individualité en le joig'nant, sous forme d'appendice,
au livre que nous venons d'étudier.
Le document se présente comme la copie d'une lettre envoyée
par Jérémie aux captifs qui allaient être dirigés sur Babylone par
Xabuchodonosor. Dans le prologue (vers. 1-G), l'auteur, après leur
avoir déclaré que l'exil est le châtiment de leurs péchés, qu'il se pro-
longera longtemps, jusqu'à sept générations, veut les prémunir
contre la séduction des fêtes idolàtriques dont ils seront les témoins :

qu'ils se gardent de craindre les divinités étrangères, qu'ils restent


fidèles au culte du seul Seigneur. Ainsi se trouvent préparés les
longs développements qui constituent le corps même de l'épitre
(vers. 7-72). C'est une longue dissertation, parfois mordante et iro-
nique, sur la vanité des idoles. Les pensées sont groupées en des
sortes de strophes aboutissant, ainsi qu'à des refrains, à des conclu-
sions sur le néant des faux dieux (vers, 15, 22, 28, 39, ii, 51, 55,
()V, G8, 72). Il ne manque pas de traits communs entre ces dévelop-

pements et ceux de Sap., xiii-xix.


Dans les onze lignes (!) qu'il lui consacre, M. Steuernagel ne fait
guère autre chose que résumer les con/ilusions de M. Fritzsche (1). Le
petit document est pseudonyme, tout comnle le livre de Baruch.
L'auteur a pris à Jer., xxix l'idée d'une lettre écrite par le prophète
aux exilés de Babylone; pour la composer, il a développé le thème
de Jer., x, 1-16 sur la vanité des idoles. L'épitre a été composée en
grec, ainsi qu'en témoig-ne la grande pureté du style. Le lieu d'ori-
gine serait l'Egypte et il faudrait songer à un lettré alexandrin,
formé aux écoles philosophiques de la grande métropole. Il est dif-
ficile d'articuler une date, mais, d'après M. Fritzsche, il faudrait des-

cendre au moins jusqu'aux années tardives de l'époque maccha-

(1) Op. cit., p. 205 sv.


:M0 revue biblique

béenne. D'autres criti({aes vont jusqu'à parler, ici encore, de 70 après


.lésus- Christ.

Tout récemment, un auteur alleuiand, M. Weigand .Naumannil ,

s'est inscrit en faux conti-e cette tiièse. Il a d'abord cherché à préciser


le polythéisme que la Lritre combattait. H a passé en revue les don-
nées relatives aux statues des idoles, aux prêtres, au culte, à l'im-
puissance des dieux, à diverses autres particularités, ('e taisant, il a

déblayé le terrain en écartant l'opinion d'après laquelle, sous cou-


leur d'un avis aux Juifs de Chaldée, l'auteur aurait eu pour but de
signaler à ses. congénères ([ui Fentouraient en Egypte les dangers
([ue leur foi pouvait courir dans la vallée du Nil. D'une part, en
effet, il a constaté que les diverses censures visent les traits les plus

caractéristiques des cultes babyloniens ou encore les conceptions


qui s'expriment dans les hynmes en l'honneur des dieux. D'autre
part, aucun trait qui vise exactement l'idolâtrie égyptienne; rien en
particulier de la zoolatrie, thème pourtant excellent pour une cari-
cature du paganisme. M. NVeigand va plus loin. La manière dont
s'exprime l'auteur de prouve c|u'il connaît de visu tout ce
la lettre

<[u'il décrit. Il a donc vécu au moins un certain temps en Chaldée et


c'est bien aux Juifs séjournant en Babylonie qu'il adresse ses aver-
tissements. Mais à ces Juifs on ne pouvait parler en grec. Aussi notre
critique, après avoir établi que le pseudépigraphe s'est directement
reporté au texte lirbreuàc Jer. x(-2), procède à une étude minutieuse
,

du grec de l'épitre; c'est pour aboutir à cette constatation que le


style est loin d'égaler en pureté celui des livres qui ont été sûrement
rédigés en langue hellénique, qu'il se rapproche l)ien davantage de
celui, beaucoup plus imparfait, des traductions. .Vprès quoi il relève
des traces assez pi'écises de « sémitismes » pour qu'elles ne puissent

s'expliquer en dehors .de l'hypothèse d'un original hébreu. Toute-


fois M, Naumaun ne va pas juscpi'à traiter la lettre comme authen-
tique. Il cherche une date à laijuelle il pouvait être opp<u'tun de
prémunir les Juits de liabylonie contre la séduction de l'idobUrie. 11
s'arrête à répo([ue oi'i .Mexandre et ses successeurs s'eiroiv-iicnt de

l'émettre en honneur les anciens cultes des sanctuaires eupliratéens.


.Même à s'en tenir à ce retour à mi-chemin vers l'opinion que
favorise le titre <1<' la Lcllrc, on comprend qu il nous puiss<« être très

1 \V»'i;5,inil N\i MAN>, I nfirsuchuHrjen iibrr tlrn tipahryplint Jovemiaxbrief flrilttfle

zur /.ciLschrifl fur die altUstainentlir/ie \\ ixsenseliafl).


,'2) il insisle nolaininenl sur In comi-araisoii de l'idole à un »'{iiiiivan(ail en loritic d oiseau
(Lettre, vers. «19; Jer.. x, 5) ; ce trail ti;;iire dans le texte hclireu de .Icreinie. mais non

dans le^ SiMil.-inlr.


I/AMI-: JUIVE Ai; TEMPS DES l>ERSES. :{41

utile" (le oonsnltcr le ])ctit dociiincnt. Non seulement il consacre une


donnée tivulitionnelle relative aux dangers cjue la foi religieuse des
Juifs pouvait courii' en Chaldéc; mais, comme les cultes babyloniens
étaient sensiblement les mêmes au temps d'Alexandre quà l'époque
de Nabuchodonosor de ses successeurs, il nous fail^ connaître quels
et
étaient ces dangers; nous fournit comme un écho des développe-
il

ments que pouvaient revêtir les thèmes plus généraux fournis par les
oracles de Jérémic ou dis., xl-xlvi.

[A suivre.)
.1. TOUZARU.
DE L'INTERPRÉTA rrON HISTORIQUE
DES ÉVÉNEMENTS DE \A VIE FAMILIALE DU PROPHÈTE OSÉE
(I-III)

La lecture des trois premiers chapitres du livre d'Osée laisse l'Ame


sous l'empire k la fois de l'admiration et de la répugnance. Et,
suivant que l'on s'attache au sens spirituel de ce passage ou à son
sens littéral, chacun de ces deux sentiments domine tour à tour.
Si dans la femme de prophète on n'envisage
prostitutions et le

qu'Israël et lahvé, alors on est infiniment touché par la profondeur


immense et la constance (mfin victorieuse de l'amour do Dieu pour
son peuple. Cette impression est si forte que du même coup l'horreur
pour les crimes d'Israël s'atténue beaucoup. In tel phénomène psy-
chique se produit d'autant ])lus facilement qu'appliqués aux péchés
mots de prostitution
d'Israël les et d'adultère n'ont qu'une valeur
métaphorique.
Au contraire, si l'attention se porte surtout sur le sens littéral,
c'est un sentiment de profond dégoût qui s'empare de l'Ame. Et les
infidélités très g-raves et sans cesse renouvelées de (lomer ne sont
pas l'objet unique de cette horreur. On éprouve une répugnance
peut-être encore plus vive eu face de l'injoncliou faite par Dieu
à son prophète de poursuivre et de reprendre une épouse aussi per-
vertie.
En tout cas, le plus ancien et le plus illustre des e.végètes latins,
saint .léromc, a été violemment scandalise par cet ordre divin. Le
Prolog-tiede son commenl;iire du livre dOsèe le montre assez clai-
renicnl. Tout d';ibi)rd ce Père f.ut nu i^rid' au i»rcmier de. tous les
prophètes de u'aNoii' point opposé de i-i'-sistaure au commandement
que Moïse, .lérémie cl Ezéchicl avaient fait des diriicultés
<livin, alors

pour exécuter des mandats plus honnêtes et exempts de péché (1).

I " Quis fiiiin non .'-l.ilim in Ironie liliri scandalizcliir, «'1 «lical : (tscc |)riintis

ornniuin prophclarntn incrclriccin accipprc julinlnr lixorem, pI non roni radie il.' Non
sallciii nolli- ^.- simulai, ul rem turpein fncerc videalur inviluA; .scd exse(|uilur laîlus
INTERPRÉTATION IlISTORIQUK D'OSÉE, I-IIl. 343

Il prôteucl même
que racle de reprendre son épouse, qui était
devenue une véritable courtisane, aurait rendu Osée coupal)le de
luxure ce jugement, il le fonde sur le texte de saint Paul
: qui enim : ^<

adhan'ct moretrici, unum cuni ea corpus et'iîcitur » (I Cor. vi, 16).


Avant de résoudre ces objections, saint Jérôme commence par
confesser la difficulté pour l'exégète humain de comprendre les Écri-
tures. Il accumule ensuite des difficultés similaires qui résultent des
passages de TAncien et du Nouveau Testament, où une grande indul-
gence est manifestée envers les prostitués et les adultères. Enfin par
le recours au sens figuré, il apporte la solution de toutes ces énigmes.
En conséquence, pour le cas spécial des premiers chapitres d'Osée,
ce prophète n'a pas eu à exécuter un ordre purement fictif de lahvé.
La preuve du caractère purement conventionnel du mandat divin
réside dans son impossibilité morale. A son tour celle-ci résulte du
caractère tout à fait honteux de l'acte commandé, car Tordre divin
est impuissant à rendre honnête une action mauvaise par nature.
D'ailleurs saint Jérôme avait pris le soin de donner comme point de
départ à son argumentation le fait de l'existence dans la Bible d'un
ordre purement fictif, l'ordre donné à Jérémie d'aller cacher son
pagne près de l'Euphrate [Jer. xiii, 1-7) (1). « Si illud in tyj)o, quia
fieri non potuit erg-o et hoc in typo, quia se fiat, turpissimum est.
:

Sed respondebis, Deo jubente, nihil turpe est et nos dicimus, nihil:

Deus prsecipit nisi quod honestum est, nec jubendo turpia, facit

imperium, quasi optaverit, quasi multo lempore euin pudicitice vacasse pœniteat cum :

honestiora et absque peccalo sanctos viros renuisse. Domino jubente, legerimus. Moyses
mittitur ad Pharaonem, et dux Israelitici populi constituitur et tamen non imbellici-
:

tate, sed huinilitate respondet Provide aliuni quem mittas [Ex. iv, 13). Jeremias
:

puerum esse se dicit, ne peccanlem arguât Jérusalem [Jerem. i). Ezechiel de omni génère
leguminis ac sementis unum subcinerlum panein facere et coquere illura in huraano
stercore jubetur, et ait :Nequaquam, Domine, quia iiunquam immundum introirit in
os meum [EzecJi. iv, 14). Et Osée audiens a Domino Accipe tuorcm fornicariam
:

(Osée, I, 2), non frontem rugat, non mn-rorem pallore testatur, non verecundiam, mutato
genarum rubore, demonstrat sed pergit ad lupanar, et scortura ducit ad lectulum. Et non
initiât illam pudiciliœ matronaii; sed se luxuriosum ac nepotem probat. Qui enim
adhccret meretrici, unum cum ea corpus efficitur. H;cc igitur audientes quid possumus
respondere nisi illud propheticum Quis sapiens et, intelliget isla, intelligens et cogno-
:

scet ea (Osée, \i\, 10). Unde et nobis dicendum est cum David Rerela oculos meos, et
:

considerabo mirabilia de lege tua [Ps. cxviii, 18)... »


(1) Faisons remarquer dès maintenant que l'impossibilité matérielle, sur laquelle s'ap-

puie saint Jérôme, pour affirmer l'existence ici d'un ordre fictif repose sur une fausse
identification. Il semble évident en effet qu'il n'est nullement question de l'Euphrate.
mais simplement de louady Para actuel. En dehors de la similitude de nom, le voisinage
d'.\nathoth. la nature absolument rocheuse de la vallée, et la présence perpétuelle d'eau
à la source de ce torrent rendent cette identification à peu près certaine. Tel est le sen-
timent admis à l'École biblique de Jérusalem.
:i44 KEVUE BIBLIQUE.

honesta quiv turpia siiiit. Sed quia scimus nihil Deum velle nisi

quod hoiiestum est, hoc praicepit quod lionestum est ».


Cette interprétation alléi;orique, qui avait été enseignée en tout
premier lieu par Origène, a eu des partisans jusque dans les temp.s
modernes. Au nombre de ceux-ci. nous devons placer Keil, Heng-
stenberg, Trochon et van Hoonacker. A la différence de saint Jérôme,
le docte professeur de Louvain fonde son opinion principalement

sur la forme littéraire du récit. Pour ce motif, et aussi à cause de la


grande notoriété de son .mtour, ce sentiment devra être mentionné
dans notre étude.
Cependant |a majorité des exégètes anciens et modernes ne s'est
pas laissé convaincre par l'argumentation de saint Jérôme. Parmi
les Pères, l'interprétation historique a compté comme parti&ins :

saint Irénée, saint Éphrem, saint Augustin, Théodoret... (1). Kibeira,


Estius, Coroeille Lapierre l'ont adoptée. l>e nos jours nous pouvons
compter Vigouroux, Scholz, Knabenbauer, Touzard... dans le camp
catholique.Et parmi les critiques indépendants Nowack. Marti,
Harper...
Nous aussi nous nous rangeons résolument parmi les partisans de
l'interprétation historique de la première partie du livre d'Osée. Et

lefond de notre pensée sur ce sujet est qu'une telle opinion s'impose
presque nécessairement.
Tout d'abord le fondement sur lequel saint Jérôme a basé son
argumentation est tout à fait ruineux. Nous ne eom|)renons pas que
ce Père, qui a très justement remarqué l'impuissance de lin jonction
divine à transformer la nature d'un acte intrinsèquement mauvais,
.lit recouru à la fiction pour opérer un tel changement. N'est-il pas

de toute évidence que la sainteté de lahvé ne pouvait s'accommoder


d'une prescription comportant une exécution même purement ima-
ginaire d'un acte illicite ? Cette vérité est saisie aussi bien par les par-
tisans de rinterprétation allégoriste que par les exégètes iudépen-
(l;inls 2 iJiscnlitcr lalivé de tout oidre immoral est donc un devoir
.

(1) Nous empruntons ces ri^férences au P. Knaltcnliaiicr, Ctimnwnlainis in l'rophclas


^linores. pp. 22, 2.i.

Sailli IfL'rn'e dil : " Osi-c prophcla a<:fpj)it uvorcm forniralionis, |>pr oprralinnpin i>ro-

phctans. Adv. //..;•., IV, \k, !!>. M., Vil, 1042.


»

Saint Augustin pxaniinc brièvement la question du mariage dOsée dans le deaseia de


répondre à Faust « Uiuiii pniin adversuin cletncnti.i- vcrilalis si ineretrix. relirta for-
:

nirnlione, in rasturn ronjii^ium romnmletur Kl «|uid larn inconuruurn


' et alienuni a lide

Pr.>(.K(l;f, quain si non rri'dfn't oinnia prrrala impudic;o dimiasa rsse in inclius cominu-
talji l.iv. .\XII,<>ip. i.wx. M., XLII. p. i".4.

[2i Par exeini>lc .Nowack (ilr en I approuvant la parole du «omtnenlatcnr Siiiison : « Si


INTERPRÉTATION IIISn^RIQUE D'OSÉE, I-III. 34?;

(|ui s'impose à tout interprète, quel que soit le système adopté par
lui. Et cette tâche, on peut la remplir aisément par une bonne
exégèse du texte sacré.
De plus l'admission du sens historique [>ossède deux avantages
incontesta])les. Elle est plus conforme aux rèi;les d'une herméneu-
tique exacte. Elle confère à la prophétie une signification 1 >eaucoui)
plus prenante.
Nous placerons en tête de la présente étude le résumé des argu-
iiients que van Hoonacker fait valoir en faveur de l'interprétation

lictive. Puis nous mettrons en relief les considérations générales qui

militent en laveur de l'interprétation historique.

l. OPIMOX DU RÉCn' ITREMENT FICTIF d' APRÈS VAX nOONACKER.

Van Hoonacker commence par émettre des considérations préju-


dicielles (1).
La signification symljolique manifestene saurait être
d'O.s-. i-iii

invoquée contre leur véritable historicité. Isaïe eut réellement des


fils auxquels il donna des noms symboliques. Is. vu, 3; viii, 3.

Contre l'interprétation allégoriste, on ne peut faire état :

1') De la forme concrète. Car cette forme concrète se retrouve


dans
des narrations dont la valeur allégoriste est manifeste. Jer. \\u. 1 sq. ;

XXV, 15 sq. Ezech. iv; Zach. xi, i sq.

2) Du fait'que l'hypothèse allégoriste est moins conforme à l'esprit


de la littérature prophétique ancienne. Très incertain. Jer. xni.
3) De l'assertion d'après laquelle, sans des faits réels, le public
n'est pas impressionné (Schoiz). Van Hoonacker dit que l'on peut ré-
torquer l'argument et avancer que le peuple serait demeuré insen-

sible aux le(;ons qu'Osée aurait prétendu tirer, à l'adresse de ses


compatriotes, de ses malheurs domestiques, purement personnels et
accidentels.
« On devra tenir compte uniquement, pour tâcher de résoudre le

un tel ordre était inconciliable avec la sainteté de lahvé et


si son proiniit accomplissement

était du prophète, ces deux choses ne pouvaient pas être


inconciliable avec la moralité
plus licites dans lallégorie que dans la réalité. » Puis Nowack démontre que lacté com-
mandé par Dieu était permis, hleine Propheten, p. 29.
Marti dit de son côté Les protestalions. qui depuis saint Jérôme ont été souvent
: ><

ne servent à rien: car, si la conception liistorique est présentée comme directe-


('levées,
ment opposée à la morale et au respect dû à la divinité, on comprend encore moins com-
ment le prophète n'a pas craint de concevoir une allégorie avec une telle teneur. » Das
Dodekaprophclon, p. 14.
(1) Cf. van Hoonacker, Les douze petits prop/iHcs, pp. 38-50.
346 RKVUE BIBLIQUE.

problème, de la manière dont le récit est conçu au point de vue lit-


téraire. A cet égard, la lecture des cli. i et m suggère les remarques
suivantes » :

1, Le savant cxégète observe d'abord lincompatibilité entre les


faits rapportés dans les chap. ii et m. « Lorsque Osée écrivit les

chap. i-ii, la femme infidèle se trouvait-elle déjà reconstituée en son


pouvoir de la manière racontée au cbap. m? Comment une pareille
situation aurait-elle été compatible avec le langage du propbète au
cbap. II, vv. ï sq.? Notons encore que les conditions imposées à la
femme m, 3 sq. ont finalement pour but de représenter les conditions
qui seront faites à Israël.
... Il est clair que la narration duch. m a pour objet de reprendre,
pour les concrétiser en un symbole, les promesses touchant la récon-
ciliation future déjà énoncées ii, IG sq.
... Cela est-il de l'histoire? »

2. « De même que le chap. m


remplit, en regard du discours qui
précède la fonction d'une péroraison, ainsi le récit du chap. semble i

absolument composé en guise d'introduction littéraire. » Kt ce juge-


ment, van H. le base sur une triple constatation,
a) Le caracth'e 'purement syinholiquc des noins des enfanta de

Gomer. —
Ces noms sont imposés pour donner lieu aux explications.
Or celles-ci ne reposent pas sur des faits, ni sur des considérations
historiques, mais « sur des avertissements donnés pour la première
fois et d'une manière directe à Israël, au moment même où Osée
compose son discours ». La chose paraît particulièrement évidente
pour le nom du 3" enfant. « Pas-mon-peuple », v. î). « Sans aucune
transition, le discours, qui était censé s'adresser à Osée, se retourne
brusquement, à propos du nom de l'enfant, contre le peuple d'Is-
raël... Les enfants de Gomer s'identifient avec les enfants de la
nation. »

bjNature de V ordre donné —


Les partisans de l'interprétation his-
.

torique devront expliquer l'une de ces deux choses qui paraissent


également inconcevables :

l"Osée a reçu et exécuté l'ordre de se quideidans le choix de son


épouse, par la pensée qu'elle lui serait inlidèlc et qu'elle lui (mfanlr-
lait des bâtards.
2" Osée, après avoir été trompé par (ionier, aurait imagin*', apiès
coup, que son malheur aurait élé la conséquence d'un décret inéluc-
table de lahvé.
c ].e rôle de Gomer et de ses enfants dans le cli. i consiste erclusi'
ifiiirnt à représenter l'in/idèle nation d'Israël.
INTERPRÉTATION IIISTORÎOrE IVOSÉE, I-III. 3i7

a) C'est pour cela que nous concluons que Gomer se conduit mal
et qu'elle a des enfants adultérins, bien que le texte ne dise pas
qu'Osée n'est pas le père de ceux-ci.
^) Les noms des trois enfants s'enchaînent dans un ordre logique
tel que le second semblait attendu après le premier et le troisième
après le second.
v) « Osée no se donne pas la peine de raconter comment et dans
quelles conditions la séparation se serait produite entre lui et la
femme; il nous laisse le soin de deviner qu'au ch. m il s'agitde la
même personne qu'au ch. i; et pour établir cette identité, nous avons,
comme argument principal, à faire valoir l'exigence du rôle symbo-
femme dans la composition du discours. »
lique de la
Et van Hoonacker conclut : « Pour ces raisons, nous avouons, car
c'est un aveu à faire, vu l'état actuel des opinions, que l'interprétation
allégoriste a nos préférences,La question de savoir si l'allégorie fut
pour une part suggérée à Osée par son expérience personnelle ne
nous paraît susceptible d'aucune solution. »

II. — CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES MILITANT EN FAVEUR


DE l'interprétation HISTORIQUE.

Il nous paraît incontestable que l'interprétation historique


d'Osée i-ii est plus conforme aux lois de l'exégèse, et qu'elle accorde
une plus grande efficacité à la prophétie.
La saine exégèse veut que l'on prenne dans leur sens historique
tous les récits de la Bible, chaque fois que la chose n'est pas impossible.
La légitimité de cette règle d'herméneutique n'échappera à per-
sonne. Son rejet entraînerait tous les errements dont Origène et toute
l'école d'Alexandrie se sont faits autrefois les fauteurs et que Loisy
ressuscite actuellement. Sans doute l'allégorie fournit un moyen com-
mode de dissiper toutes les difficultés de la Bible. Mais à aucun prix
on ne saurait adopter ce système, qui porterait les plus graves
atteintes à l'historicité de la Bible, y compris celle de ses faits dogma-
tiques eux-mêmes.
Or il est impossible d'accorder une valeur historique à un récit
quelconque dans trois circonstances seulement. La première se pré-
sente quand l'auteur avertit que tel fait vraisemblable n'est pas histo-
rique, mais qu'il est simplement rapporté à titre d'allégorie ou de
parabole. On ne peut non plus considérer comme historique un fait
irréalisable, soit physiquement, soit moralement. Enfin la critique
interne peut découvrir un défaut d'historicité, à l'aide de certains
REVUE BIBLIQUE 1916. — N. S., T. XIII. 23
348 REVUE BIBLIQUE.

indices dont les plus communs sont les anachronisraes et la forme


littéraire.
Nous n'avons pas à insister sur le premier cas, dont la parabole de
Nathan, II Sa?n. xii et celles de N.-S. i'ournissent des exemples bien
clairs. Le prophète Osée no donne en effet aucun avis sur le caractère
parabolique de son récit.

On ne saurait non plus ajouter la première partie d'Osée à la liste

des actions matériellement impossibles dressée par saint Jérôme et


d'autres interprètes où fig'urent Jorem. xxv, 15 sq. ; Ezech. iv;
Zach. XI (4-17), et où nous retranchons Jor. xiii, 1-12, pour les rai-
sons déjà indiquées.
Doit-on invoquer l'impossibilité morale de l'ordre divin pour pro-
clamer le caractère purement fictif du récit des événements de la vie .

familiale du prophète Osée? D'après saint Jérôme et tous ses partisans,


le commandement divin est intrinsèquement mauvais, il est dur, il

foule aux pieds les sentiments les plus délicats et les plus légitimes.
Commençons par répondre que le système de la liction ne saurait
nullement dissiper l'objection de l'impossibilité morale. Le devoir de
disculper Dieu de tout ordre immoral incombe aussi bien aux partisans
de l'interprétation allégorique qu à ceux de l'exégèse historique. Il est
absolument impossible que Dieu donne un précepte même fictif rela-
tivement k l'accomplissement d'un acte illicite. De ce fait la sainteté
infinie de lahvé serait lésée soit dans son essence, soit dans ses effets.
Par ces derniers nous entendons les mauvaises pensées et les désirs
désordonnés que tout ordre illicite, même fictif, provoque naturel-
lement. Aussi tous les exégètes modernes, catholiques ou indépen-
dants, abandonnent l'échappatoire suggérée par saint Jérôme et dé-
montrent que l'ordre divin n'implique aucune immoralité. Nous
nous efforcerons nous-même, à notre tour, de nous acquitter de
cette tAche.
Sans doute la fiction est apte à dépouiller un ordre de tout carac-
tère de dureté et à supprimer toutes les atteintes à la délicatesse
des sentiments, l'n précepte, qui ne doit pas être exécuté, n'est pas
un |)récepte; ce n'est plus (pi'unc apparence de précepte. Et du
même coup ses aspects durs et répugnants perdent toute réalité. De
ce l'ait la Hibhi nous fournit un excellent exemple dans le sacrifice
d'Abraham iden. xxii).
Mais 1.1 dureté d'un ordre ne saurait constituer par elle-mêmo une
impossibilité morale Quand il se propose une lin supérieure et
(juand il fournit les secours nécessaires, le Seigneur jxnit très bien
ordonner et intimer d'exécuter une chose pénible. Dans ce cas, sa
INTRUPRKTATION HISTORIQUE D'OSÉE, I-IH. 349

lagesse et sa bonté soni parfaitement sauves. La rclitiion chrétienne


ibondc d'exemples d'une telle conduite. De par la volonté de son
*ère, Jésus s'est incarné et a enduré la Passion. Les supplices les plus
'tTrayants sont imposés aux martyrs. Tous les chrétiens sont assujettis
uix dures lois de la mortification. Pour le cas particulier d'Osée,
ahvé pouvait fort bien imposer un ordre pénible à son prophète, à
'effet d'annoncer au peuple d'Israël ses destinées, d'une façon saisis-
;ante et tangible. Pour s'acquitter d'une pareille mission, le Seigneur

ivait choisi un prophète, c'est-à-dire un homme vivant en com-


nerce avec la divinité qui l'avait choisi pour être le héraut de sa
parole. Cette j\me d'élite était déjà bien disposéepour comprendre
:a haute mission qui lui était échue. Mais de plus, des grâces abon-

iantes furent assurément accordées à Osée pour l'aider à donner son


îcquiescement à la volonté divine et pour le prévenir contre toute
iéfaillance.
Nous n'avons pas à envisager le cas où Osée, trompé par Gomer,
aurait imaginé après coup que son malheur aurait été le résultat d'un
décret inéluctable de lahvé. Car nous ne prêtons pas à ce prophète
un jugement aussi erroné ni une conduite aussi injuste.
Ainsi que le fait très justement remarquer van Hoonacker, c'est
sur la forme littéraire des trois premiers chapitres du livre d'Osée
que la critique interne pourrait s'appuyer pour rejeter l'historicité
[les événements de la vie familiale de ce prophète.

Il est incontestable que la forme littéraire de la première partie du

livre d'Osée s'écarte beaucoup de celle de l'histoire biblique.

Tout d'abord le ch. ii diffère beaucoup, pour le ton et pour le


fond, des deux chapitres qui l'encadrent. Le style de ce morceau est
celui d'une poésie bien supérieure. De fait aucun exégète ne doute
du caractère poétique de ce chapitre, tandis que certains critiques
pensent que les ch. i et m
sont écrits en prose. Il est certain que la
très grande majorité des pensées du ch, ii ne conviennent au sens

httéral qu'au peuple d'Israël. Bien au contraire les faits des ch. i et m
ne peuvent concerner, pour la plupart, que l'épouse d'Osée. Évidem-
ment le ch. II enjambe pour ainsi dire sur le ch. dès le v. 16 de m :

celui-là il est question de la réconciliation qui fait l'objet unique de


celui-ci. Tous les exégètes ont été frappés du défaut d'harmonie entre
le chapitre intermédiaire et les deux autres. Pour solutionner cette
Harper a transformé l'ordre traditionnel en réunissant les
difficulté,
ch. I et en les faisant suivre du ch. ii. D'autres ont pensé que
et III

la femme visée au ch. m


différait de Gomer. Ce sentiment a été sou-
tenu par saint Jérôme, Théodoret, Corneille Lapierre... De nos jours
350 REVUE RIBI.IQUE.

Sclîolz, Vig'ouroux, Knabcnbauer, Marti... le partagent. Ce dernier


critique va même jusqu à nier Fautlienticité du eh. m.
Puis, si nous envisageons les ch. i et ii eux-mêmes, nous y consta-
tons certains traits qui ne se retrouvent pas dans les histoires bibli-
ques ordinaires. Il est évident que le sens spirituel déborde de toutes
parts le sens littéral. D'abord l'histoire des rapports d'Osée avec
(lomer ne nous est pas racontée par le menu; nous n'en avons qu'une
rapide esquisse. L'histoire familiale de (iomer et d'Osée est consignée
uniquement pour dépeindre la conduite réciproque d'Israël et de
lahvé. De même les noms imposés aux enfants de la prostituée n'ont
été choisis que pour annoncer les diverses façons dont lahvé traitera
son peuple. Bien plus, l'ordre même de ces appellations est destiné
à symboliser les diverses phases des châtiments et des miséricordes
de Dieu. Enfin la finale du ch. m (4, 5) abandonne complètement l'his-

toire intime du prophète pour prédire les destinées de la nation


d'Israël.
Des particularités aussi caractéristiques et aussi indiscutables sont
néanmoins impuissantes à dépouiller de la note d'historicité les récits
de l'histoire familiale d'Osée-. Elles prouvent simplement que cette
narration appartient au genre littéraire biblique bien connu sous le
nom d'histoire prophétique ou de prophétie par les événements.
Dans les morceaux de ce genre, l'hagiographe a en vue deux faits,
dont l'un est la figure de l'autre, en attachant toutefois une plus grande
importance à l'antitype qu'au type. Quelquefois le prophète parle
successivement des deux événements. D'autres fois, il intercale un
discours relatif au second fait, entre des oracles se rapportant au
premier. Mais dans d'autres cas les paroles concernant les deux événe-
ments sont entremêlées. Dans ce dernier cas, l'attention de l'exégcte
doit s'exercer avec grand soin pour discerner le véritable objet de
tel passage ou même de telle phrase d'une prophétie.

Les deux événements peuvent être futurs, mais alors l'échéance de


l'un est beaucoup plus rapprochée que celle de l'autre. Souvent
aussi l'événement type appartient au domaine du passé. L'.Vncien
Testament abonde de prophéties de ce genre. Contentons-nous de
remémorer ici les nombreux psaumes où David et le psalmiste sont la
figure du Messie, le livre de l'Emmanuel où la délivrance de l'inva-
sion assyrienne est le type dos temps uiessianicjues, et la seconde
partie du prophète Isaïe où la libération de la captivité de Babylone
figure l'ère messianique. Dans le Nouveau Testament l'Apocalypse
synoptique {Matlh. xxv, V-3G; Marc, xiii, 5-37; Luc x\i, 8-36) et le
discours du pain de vie {Jean, vi, 26-59) appartiennent à ce genre.
INTERPHKTATION HISTORIQUE D'OSÉE, l-III. 351

Les trois évani;élistes synoptiques alternent les prophéties relatives à


la ruine de Jérusalem et celles qui regardeut la fin du monde. Saint
Jean au contraire par « pain de vie » entend successivement la foi
et l'Eucharistie.

Ces principes expliquent suffisamment, pensons-nous, toutes les


particularités que Ton remarque dans les trois premiers chapitres
d'Osée. Le défaut de liaison entre le chapitre ii et les chapitres qui
rencadrent provient de la différence des deux sujets envisagés. Ce
même fait permettra aussi de découvrir le véritable sens de chaque
passage des trois chapitres qui constituent la première partie d'Osée.
Si l'antitype domine le type, nous ne devons pas nous étonner que
l'histoire d'Osée et de Gomer soit racontée en fonction de l'histoire de
la conduite réciproque de lahvé et d'Israël. Voilà pourquoi le pro-
phète, loin de nous donner un récit détaillé de sa vie familiale, adapte
la narration de celle-ci à l'objet qu'elle doit signifier. Ne nous éton-
nons plus alors de la forme littéraire donnée à la première partie du
livre d'Osée.Ne nous plaignons plus de n'avoir qu'une esquisse des
du prophète avec Gomer. Ne trouvons plus étrange
diverses relations
que l'hagiographe ait accentué les incidents et Içs particularités de
sa vie familiale les plus propres à mettre en relief les diverses alter-
natives des rapports de lahvé et de son peuple. Ne soyons pas sur-
pris enfin que l'esprit du prophète passe perpétuellement du type à
l'antitype, ni qu'il ait même choisi de préférence les traits et les cou-
leurs les plus propres à dépeindre ce dernier. Toutes ces particula-
rités découlent de l'essence même de l'histoire prophétique et de la
prophétie par les événements.
A ces observations fondamentales, il est à peine utile de joindre
deux petites remarques. Il que le prophète n'a écrit le
est évident
récit de sa vie familiale qu'après les événements et, d'une façon pré-
cise, que plus ou moins longtemps après le retour définitif de Gomer.
Cette considération doit s'adjoindre à l'intelligence des caractères
de l'histoire prophétique, pour expliquer le laconisme et la sérénité
ivec lesquels Osée nous narre le drame de sa vie conjugale. Il est
évident de plus qu'on ne saurait s'autoriser de la signification nette-
ment symbolique des noms des enfants de Gomer pour leur refuser
toute existence réelle. Outre que la raison ne découvre aucune incom-
patibilité entre ces deux choses, personne ne conteste l'existence réelle
des deux fils d'Isaïe, auxquels furent imposés des noms tout à fait
prophétiques. Is. vu, 3; viii, 3.

Après ces considérations, il nous semble démontré que la critique


interne n'est pas autorisée à s'appuyer sur la forme littéraire des trois
3Fi2 REVUE BIBLIQUE.

premiers chapitres d'Osée pour refuser l'historicité aux incidents de


la vie familiale du prophète.
Il n'y a donc aucune impossibilité à considérer comme historiques
les faits première partie d'Osée, il est donc beau-
rapportés dans la

coup plus conforme aux lois de la saine exégèse d'admettre la réalité


des divers incidents de la vie conjugale du prophète.
L'interprétation historique des événements de la vie faniilialr
d'Osée confère une efficacité beaucoup plus grande à sa prophétie.
On lésait, le prophète biblique est essentiellement un prédicateur.
Sa mission par excellence consiste à instruire et à convertir. Il ne
prédit les diverses destinées politiques de sou pays qu'autant que
châtiments ou des récompenses mérités par sa con-
celles-ci sont des
duite. Quant à l'avenir messianique, il l'annonce parce que c'était
l'espérance suprême, le réconfort infaillible et la gloire incompa-
rable d'Israël.
Tout dOsée, notamment, justifie ces considérations. L'œuvre
le livre

entière de ce prophète est avant tout une prédication morale. La


conversion d'Israël, tel a été le but unique de ses efforts.
Pour obtenir ce résultat, Osée a recouru, dans la première par-
tie de son œuvre, au moyen qui de tout temps a été considéré

comme l'agent souverain des conversions. Ce prophète a voulu émou-


voir profondément les cœurs de ses auditeurs. A cet effet, il a d'abord
enseigné à ses compatriotes qu'entre eux et lahvé existait l'union la
plus étroite, un véritable mariage. Et pour dépeindre la conduite
réciproque des deux époux, il a composé les tableaux les plus im-
pressionnants, dans le sens de l'horreur d'une part, dans celui de
l'admiration de l'autre. Vis-à-vis de son Dieu, Israël s'est comporté en
adultère invétérée et incorrigible. A l'égard de son peuple si cou-
pable, lahvé a au contraire manifesté une fidélité profonde, inlas-
sable et enfin victorieuse.
Quelque grande que soit la puissance de la parole, les actes pos-
sèdent une force entraînante beaucoup plus considérable. La plupart
du temps les plus beaux discours ne parviennent qu'à toucher les
Cd'urs. Le plus souvent, au contraire, les exeinph^s déterminent les
volontés. Aussi pour ébrauhu' son peuple à la tète dure, le Seigneur
a recouru parfois aux actions symboli(juos. Et le texte d'Osée nous ap-
prend que tel l'ut lo cas pour les leçons de l'union matrimoniale exis-
tant entre lahvé rf Israël, de l'immensité des crimes de cette nation
et de la constance im-branlable de l'amour divin.
Les actions symboliques peuvent être réelles ou fictives. Il saute
aux yeux <|u'nn exemple réel pcjssède une eflicacité incomparable-
INTERPRÉTATION HISTORIQUE IVOSÉE, I-III. 3!i3

ment plus grande, soit pour attirer les attentions, soit pour toucher
les cœurs, soit pour mettre en activité les volontés. Aussi lahvé a-t-il

ordonné presque toujours à ses prophètes d'exécuter eflfectivement les


actions symholiques qu'il leur suggérait. 11 n'a agi autrement que
lorsque ses commandements étaient irréalisables. Et les cxégètes sont
unanimes à reconnaître que les cas de ce genre sont très limités. On
s'accorde à ne faire rentrer dans cette catégorie guère que l'ordre
donné à .lérémie de faire boire à toutes les nations la coupe du vin
de la colère de lahvé (xxv, 15-29), que certains des actes symbo-
liques imposés au prophète Ézcchiel (iv, 4-8, 12-17?), que la mission
confiée au prophète Zacharie d'être le pasteur de brebis qui parais-
sent douées de sentiment et d'intelligence (Zach. xi, '+-17). Gela revient
à dire que les herméneutes ont admis la réalité de toutes les actions
symboliques de la Bible, toutes les fois où elles étaient possibles.

Or une saine exégèse d'Os, i-in démontre la possibilité morale des


ordres donnés au prophète, ainsi que nous l'avons dit et que nous
espérons le montrer. Dès lors nous devons reconnaître la réalité de
l'action symbolique ordonnée au prophète, sous peine de spolier la

prédication de celui-ci d'une part, plus ou moins grande, de sa force


persuasive. Et pour le cas de la vie conjugale d'Osée, nous n'hésitons
pas à dire que le préjudice causé au ministère de ce prophète par
cette négation serait considérable. Ainsi qu'à d'autres exégètes, il
nous semble, en effet, qu'il s'agit ni plus ni moins d'enlever presque

toute sa vertu persuasive à la parole de l'homme de Dieu ou au con-


traire de lui reconnaître une aptitude à toucher et une force entraî-
nante incomparables.
Volontiers nous faisons nôtres les paroles de Knabenbauer et de
Novvack : « Quelle efficacité aurait eue la prédication du prophète s'il

s'était contenté de proposer parla parole de simples visions (1)? »

« Quelle impression aurait produite ce récit, si Osée avait mené une


heureuse vie de famille, s'il avait eu une épouse fidèle et s'il avait
parlé à ses contemporains de son épouse comme d'une femme de for-

nication? Plus profond aurait été le contraste du présent récit avec


la réalité, plus inintelligible, plus énigmatique aurait été la parole
du prophète, plus il se serait exposé à des mécomptes, lui et sa prédi-
cation (2). » En vérité, nous ne pouvons nous expliquer pourquoi Osée

(1) « Propheta autem hoc suo matrimonio et liberis in eo susceptis hebetes popularium
mentes ad divina consilia perpendenda elïicaciter provocare debuit; verum quœnara effica-
cia ad soporem illum excutiendum adfuisse censebitur, si propheta hsec a se visa esse
solum verbis proponeret? » Knabenbauer, Commentarius in Prophelas Minores, p. 23.
(2) Nowack, Kleine Propfieten, p. 30, 2.
354 REVUE BIBLIQUE.

aurait recouru à un acte symbolique fictif plutôt qu'à un sini[)le

discours.
Isaïe présente tout clairement lahvé comme l'époux de son
à fait

peuple (l, 1; Dans un langage tour à tour émouvant et


uv, 5-8).
énergique, Ézéchiel a recouru lui aussi à l'image du mariage, pour
exprimer l'amour et les bontés de lahvé pour Jérusalem, et à la com-
paraison des prostitutions et des adultères, pour dépeindre les crimes
de cette cité à l'égard de son Dieu (xvi) (1). Si Isaïe ne procède que
par brèves allusions, nous ne voyons pas ce que l'on pourrait sou-
haiter de plus clair, de plus saisissant et de plus poussé que le tableau
d'Ézéchiel. Aussi nous n'hésitons pas à dire qu'un discours de ce
genre possède au moins tous les avantages d'une action symbolique
fictive, sans en avoir les inconvénients. Autant que les témoins ima-
ginaires d'un acte purement idéal, les auditeurs d'une pareille pro-
phétie auraient été ébranlés, et ils n'auraient point été exposés à la
tentation d'accuser le prophète d'user d'artifice pur et simple. Et dans
le cas, ce reproche serait d'autant plus grave que la feinte porterait

sur les sentiments les plus sacrés du cœur humain poussés jusqu'à
leur paroxysme. Dans ces circonstances, nous ne voyons vraiment pas
pourquoi Osée n'aurait pas recouru au simple discours, ainsi que
devait le faire plus tard Ézéchiel.
Tout change si l'on admet la réalité de l'action symbolique. Des
débordements véritables et des poursuites authentiques étaient émi-
nemment de nature à exciter vivement les attentions et à émouvoir
profondément les cœurs. Si vraiment les contemporains d'Osée ont
été témoins des désordres multipliés de (iomer, ils ont dû être outrés
et remplis de dégoût. S'ils ont pu se rendre compte qu'effectivement
le prophète, foulant aux pieds toutes les amertumes et toutes les
hontes de l'amour trahi, usait de tous les moyens pour ramener sa
femme adultère, ces hommes ont dû être violemment frappés d'éton-
nement et d'admiration. Certainement les concitoyens de l'homme
de Dieu se sont demandé pourquoi celui-ci tenait une conduite, peut-
être si .supérieure, mais en tout cas si contraire aux lois de leur pays
et à celles de tous les peuples voisins. Kt l'on s'explique que cette
surprise ait disparu pour faire place (2) à une émotion extrême, quand
M) Voyez surtout les versets : 8, nii il est f|iinsti(>n (riiiic alliance, évidemment inatri-
rnonialf; \1-'H\, qui décrivent les itroslitutions de Jt-rusalcin; ;t9. oii il est dit expressément
qup. cette ville a été rtdu//è/r , SH-S'i, |iro!>li tu lions d Une uravilc extraordinaire; 38-42, de
fait on a|)i)lif(uera à Jérusalem la loi contre les mlulUrcs, la lapidation (l)eut. \xii. 211)

et la /oi (II- jalousie (yomh. \. li-3n); 4.'», nouvelle accusation d'adultère: .V.»-f>,J, l'alliance
(matrimoniale) sira rétablie entre Jérusalem et lahvé. et désormais elle sera élerncllc.
[2] On sail ([iir la loi deutéronomiquc punissait de mort les adullms, wn. :<.:>.. (juand le
INTERPRÉTATION HISTORIQUE D'OSÉE, l-lll. 355

le prophète a justifié sa dérogation aux lois humaines par la nécessité


d'obéir à l'ordre divin d'exprimer dans sa propre vie conjugale les
crimes d'Israël et les miséricordes de lahvé. Ou conçoit aisément
qu'une pareille leçon de choses ait été (1) beaucoup plus susceptible
que les meilleurs discours d'ouvrir les intelligences et d'attendrir les
sentiments du peuple à la tôte dure et au cœur sec. Étant donné la
foi qu'ils accordaient à la mission prophétique, les Israélites, par le

moyen de images vivantes, devaient comprendre et la grandeur


ces
do leurs crimes, et l'immensité de l'amour de lahvé. Le recours à une
action symbolique réelle apparaît donc pleinement justifié par la
nécessité de donner à la prophétie un surcroît d'efficacité.

m. EXPOSÉ ET RÉFLTATION DU SYSTÈME ADMETTANT l'iIISTORICITK


DES ÉVÉNEMENTS DE LA VIE FAMILIALE d'oSÉE AVEC LE SUBJECTIVISME
RÉTROSPECTIF DE l'oRDRE DIVIN ET DE SON SYMBOLISME.

A côté des deux systèmes d'interprétation de la première partie du


livre d'Osée dont nous venons de parler, il en est un troisième qui
prétend éviter leurs inconvénients. Les partisans de cette opinion
trouvent en effet que, si la seconde explication maintient à bon droit
l'historicité des faits, elle a pourtant le défaut d'imputer à lahvé
l'imposition d'un ordre très dur.
Nowack et Marti se sont faits, dans ces derniers temps, les fauteurs
de ce troisième système (2). Ils maintiennent l'historicité des faits
concernant la vie familiale d'Osée. Et à l'ordre objectif et formel de
lahvé, ils substituent un subjectivisme rétrospectif de l'ordre divin et
de son symbolisme. Il importe d'exposer ce mode d'exégèse, et de
montrer qu'il ne parvient à ses fins qu'en faisant des sacrifices inac-
ceptables.
Nous n'avons pas à rapporter les arguments qui incitent Nowack et
Marti à admettre l'historicité du récit de la vie familiale d'Osée. Ils

crime avait été commis avec une fiancée, on lapidait les auteurs, lorsque tous deux étaient
coupables, 23-24, et l'on tuait l'iiorame seul, quand la fiancée était innocente, 25-27. Pour le

soupçon d'adultère, on appliquait la loi de jalousie, Nomb. v, 14-30. Le code de Hammou-


rabi ordonne de noyer les coupables pris en Uagrant délit d'adultère (g 129), il condamne à
mort homme qui a été pris à coucher avec une fiancée (§ 130), et il recourt au jugement
1

de Dieu pour le soupçon fondé d'adultère (§§ 131, 132).


(1) Si l'on n'admettait pas notre explication, il faudrait dire qu'au temps d'Osée, ni la
loi d'adultère {Deiit. xxii, 22-26;, ni la loi de jalousie (Xomb. v, 14-30) n'avaient été
promulguées. Remarquer que le discours d'Ézéchiel, lui, fait allusion à ces deux lois, xvi,

40, 38, 42. C'est aussi de mort que devait être puni le prétendu adultère de Suzanne,
Dan. XI, 28, 46-48.
(2) Nowack, Kleine Propheten, pp. 29-31 et Marti, Das Dodekapropheton, pp. 14, 15.
3o6 REVUE BIBLIQUE.

ont été sensibles aux considérations que nous-même avons fait valoir.

Par sa nature l'ordre de laiivé ne parait pas immoral à Nowack.


Cet auteur fait en eflet sienne la remarque d'un de ses compatriotes :

« Épouser une prostituée et par là lui donner le moyen et l'occasion

d'un changement de vie, et même aussi supporter encore un certain


temjîs une femme, encore livrée à la prostitution dans le mariage,
dans l'espérance de l'amener par la bonté à la pénitence, et par la
correction à l'amélioration, cela suppose à la vérité une puissance de
renoncement de soi-même qui ne peut être demandée à tous, et une
plénitude d'amour qui n'est point donnée à tous, — mais cela n'est

pas immoral, indigne de Dieu, cela ne peut être, parce que lahvé
lui-même a accompli une telle chose dans son mariage avec Israël »
(Kur^z, p. 68) (1). Cette citation est excellente, et volontiers nous en
faisons nôtres toutes les pensées. Ce n'est donc pas pour un motif
d'impossibilité morale, que nos exégètes allemands nient l'objectivité

de l'ordre de lahvé. Ils agissent ainsi en obéissant à un préjugé phi-


losophique, qui domine toute la critique indépendante, c'est l'impos-

sibilité du miracle (2).


Marti ne pense pas qu'Osée lui-même ait possédé cette puissance
de renoncement et cette plénitude d'amour que Kurtz réclame avec
raison pour l'accomplissement des actes narrés aux ch. i-iii : « Il ré-

pugnerait au sentiment d'admettre, comme


on pensait y être forcé
par le contexte, qu'Osée, purement pour un but didactique, pour
rendre claire aux Israélites leur honteuse conduite vis-à-vis de lahvé,
ait dû épouser Gomer, bath Diblaïm, et se précipiter ainsi dans une

misère domestique sans nom (3). »

C'est donc,non seulement sans aucun ordre divin, mais encore


complètement à son insu, que le prophète a épousé une femme de
prostitutions « Hoséa a aimé et a épousé Gomer, bath Diblaïm, sans
:

savoir ce qu'elle était et quelle peine de cœur elle lui prépa-


rait (ï). »
Admettant l'historicité des événements de la vie familiale d'Osée,

(1) No«ack, Kloiiic l'rnphetfn. p. 14.


(2y Dans son inlroduclion a VÉrimgilo de Saint Marc, le V. La^-range, cxaininanl les
principes ins|iirateurs de la cnlique indi'pendante, dit exaMIemnicnl (|ue l'i-nlente enlre
les représentants de (ellc-(i dépend de l'admission d un préjugé philosophique « Le pré- :

jugt^ c'est l'impossibililt'^ «In miracle, «|ue Wrede prend ouverlem<nl pour rrili'rium de ce

qui peut èlre historique... M. Loi.sy est i)lus soucieux que persimne de mettre en avant
les raisons littéraires : au fond il ne peut pas échapper plus que les autres k l'étreinte de
la iojjique ». p. xi.ix.

(3j .Marti, Dodeliaprnplulon, p. \k,

[\) Marli, op. cit.. p. H.


INTKIU'KKTATION HISTORIQUE UOSKE, I-III. 357

nos cxégètes, pour être logiques, devraient admettre aussi la réalité


de Tordre divin et de son symbolisme. Mais leur préjuge philoso-
phique de l'inipossibililé du miracle les empoche de traiter de la
même la<;on les faits d'ordre naturel et ceux d'ordre surnaturel. Et
pour obéir à ce préjugé tout en demeurant fidèles, au moins dans
une certaine mesure, à leur méthode d'exégèse, ils ont inventé un
système spécial. Selon nous, celui-ci répond bien à la noie de subjec-
tivisme rétrospectif de r ordre divin et de son symbolisme.
Très clairement, Marti déclare que tel est son sentiment « c'est :

pourquoi on doit distinguer les faits de leur appréciation ultérieure...


Ce ne fut qu'après coup que lui survint l'intelligence de son épreuve,
lumière sous laquelle il la raconte (1). »
et qu'elle lui vînt sous la
Par ses développements, Novvack nous permet d'assister à la genèse
dans l'àme du prophète et de l'ordre divin, et de sa valeur symbo-
lique. Hoséa épouse Gomer bath Diblaïm, laquelle, en enfant authen-
((

tique de ce temps à la vie facile et sans mœurs, rompt son mariage.


Pendant que le prophète médite sa pénible destinée personnelle, il

lui devient évident qu'il n'accomplissait que la volonté de lahvé,


pendant qu'il prenait cette femme. Et au cours du temps il voit non
moins clairement que, si, malgré la déchéance de sa femme, il ne
peut cependant pas l'abandonner, et si, en vertu de l'amour vivant
en son cœur, il cherche à la mettre sous sa garde et à l'améliorer,
cela aussi ne fait que correspondre à la volonté de lahvé. Oui, il agit
sur l'ordre de lahvé ("2). »
Par le fait même de sa vocation. Osée ne pouvait pas concentrer
uniquement ses méditations sur sa vie familiale, quelque doulou-
reuses que fussent les épreuves de celle-ci.
Forcément la conduite et les destinées de son peuple devaient tenir
une grande place dans son esprit et dans son cœur.
C'est pourquoi ce prophète devait trouver au fond de son âme la
valeur symbolique aussi bien que la cause des incidents de sa vie
familiale. Mais laissons la parole à Nowack : « mais ces tristes expé-
riences de sa propre vie ne pouvaient cependant pas troubler le re-
gard du prophète sur les fautes et sur les crimes de son époque, son
chagrin relatif à sa propre souffrance ne diminuait pas sa douleur
pour les aberrations de sa race. Ainsi ému par sa propre souffrance
et par le chagrin causé par l'abaissement de son peuple, il en arrive
à la connaissance que lui a vécu comme prophète ce qu'il a vécu :

(1) Ibid., pp. 14, 15.


(2) Nowack, Ibid.. pp. 30, 31.
358 RKVUE BIBLIQUE.

son propre sort lui estimage de ce que lahvé a éprouvé


une faible
de la part d'Israël, et pareillement son amour pour la femme in-
fidèle lui est une image de l'amour de lahvé pour son peuple in-

fidèle (1). »

Tout en reconnaissant la très grande influence que devait avoir


dans la suite l'exposé du symbolisme des faits de la vie familiale
dOséc [Ezech. xvi; h, l, 1-3; nv, l-G; Cantique; H Co7\ xi, 2;
Ei)h. V, 27; Apoc. xix, 7 sq. ;
Matlh. xxv, 1 sq.), Marti et Nowack
font observer qu'Osée n'inventa pas cette conception du mariage
entre la divinité et son peuple. « Mais il faut observer que le pro-
phète n'a pas inventé cette conception du mariage, mais ([u'il l'a

empruntée à une conception populaire, qui regardait la divinité


comme l'époux (ba'al) du pays, qu'il fécondait, et le pays comme la
femme (be'ulâ) de la divinité (cf. Smith-Stûbe, Die Rel. der Semiten,
p. nouveau cependant qu'Osée « au moyen de cette re-
77). Il est
présentation exposa au pays toute la gravité de son offense vis-à-vis
de lahvé », qu'ainsi à l'intelligence naturaliste de cette idée popu-
laire, il ait substitué l'idée d'un rapport moral et religieux entre
Dieu et son peuple (2). » Il est clair que, d'après Marti, cet apport
nouveau fait par Osée, n'est nullement le fruit d'une révélation ob-
jective,mais seulement le résultat des méditations toutes subjectives
de ce prophète.
Nous n'aurons pas à insister longtemps pour déclarer que ce siib-
jectivisme rétrospectif de l'ordre divin et de son symbolisme est inad-
Nous devons rejeter ce système, parce que, en vertu même
jiiissible.

de sa nature toute subjective, il est la négation de l'intervention


divine. Or il faut maintenir la ])résenco du surnaturel dans la pre-
mière partie du livre d'Osée, sous peine et de sacrifier l'historicité de
ses récits et de dépouiller de toute efficacité la prédication du pro-
phète.

(1) Ibid.
(2) Marli, Dodckaprophplnn, p. l."i.

Autant que nos études nous ont permis de le constater, la conct'ption d'une divinité époux
de son peuple n'est guère fréquente chez les sémites. C est bien plutôt celle de paternité,
que Ion rencontre chez ces peuples. Ainsi dan* le code de Ilammourabi, aucune des nom-
breuses divinités que ce monaii|ue mentionne comme ses protectrices ou qu'il convie à
châtier les contempteurs di- son code, n'est jirésentée comme l'époux du pays. Toutes les
fois oij le mot lid est répété dans ce code, il a le sens de Seinneui et Mailre ; i, !. :t7

II, '.», 37; \xiv», -n, 25; xxv», :,h, .'•/; xxvi», 53; \xvip-, 'it.

Dans .ses i.liules sur les Hclùjions sémitU/uex, le P. La^^ranae rcconnail (|u<' le .sens pre-
mier de Ha'al est Sritjneur, mnilrr. Sa sinnitication d'époux (malin- de la leinine) n est
que secondaire. Kt le P. Lagrange ne cite pas d'cxem|de où la divinité est envisagée comme
l'époux du pa)s. Cf. p|i. 83-9y.
INTERPRÉTATION HISTORIQUE D'OSÉE, Mil. 359

Il est d'autant plus incompréhensible que Nowack et Marti rejettent

de l'origine divine de l'ordre et de son symbolisme, qu'ils


l'historicité
admettent celle des incidents do sa vie familiale. Vraiment ces deux
exégètes allemands sont pris en flagrant délit de faire deux poids et

deux mesures. Cette inconséquence énorme ne peut s'expliquer ([ue


par la malencontreuse influence du préjugé philosophique qui
domine la crititiue indépendante, à savoir l'impossibilité du miracle.
L'obéissance aveugle à ce préjugé pour Texégèse d'Osée i-iii éclate
d'une façon tout à fait lumineuse dans les réponses que Marti prétend
faire à deux objections.
Et d'abord cet exégète repousse l'objection, qui pourrait être faite
à son système de l'interprétation rétrospective, que la manière des
prophètes est de voir plus loin que les événements et de comprendre
le plan et les intentions de Dieu. A cette allégation, qui en fait
repose sur l'essence du prophétisme, Marti répond en concédant tout
ce qui, h l'extrême rigueur, pourrait s'expliquer sans intervention
divine, et en déniant catégoriquement ce qui nécessiterait celle-ci.
Mais il faut citer les termes étudiés de la concession : « Évidemment
ilssavaient expliquer beaucoup d'événements et la situation du monde
beaucoup mieux que leurs contemporains, par cela même qu'ils con-
naissaient la volonté de lahvé (1). » Si l'on demandait à Fauteur de
cette réponse la provenance de cette supériorité d'intelligence, il

répondrait en invoquant des causes toutes subjectives, telles que le


mysticisme, l'habitude de la réflexion, la sagacité politique... On
serait parfaitement en droit de demander jusqu'à quel point ces
sources d'information purement humaines sont susceptibles de pré-
visions infaillibles. En tout cas, elles sont absolument incapables de
permettre l'annonce certaine des événements secondaires ou des
détails des faits principaux. Cela, Marti le reconnaît volontiers. Et
cet aveu l'amène logiquement à refuser aux prophètes un champ de
prévision aussi étendu. On doit par conséquent attribuer à des inter-
polations postérieures toutes les prédictions d'ordre spécial ou précis
que les écrits bibliques mettent sur le compte des prophètes. « C'est
une époque postérieure qui, pour la première fois, a attribué aux pro-
phètes la prescience de tous les événements futurs c'est pourquoi on ;

trouve tant d'interpolations dans les écrits des prophètes et aussi


dans la Tora (2). » Nous venons d'entendre les paroles d'un de ses
représentants les plus autorisés, la critique indépendante spolie le

(1) Marti, Dodekapropheton, p. 15.

(2) Marti, op. cit., 15.


300 REVUE BIBLIQUE.

prophète biblique de toute révélation surnaturelle, elle ne lui laisse


que les lumières toutes subjectives de sa sagacité naturelle et de sa
méditation religieuse.,
La réponse à une seconde question nous permet de nous ancrer dans
la conviction que, malgré les mots, Marti méconnaît toute influence
surnaturelle dans le ministère prophétique. I/interrogation est
celle-ci : « Est-ce que Hoséa a acquis la conscience de sa vocation pro-
phétique, pour la première fois, quand il a compris la signification de

la destinée de sa vie?
La réponse de notre exégète est la suivante
» :

<( La relation est bien plutôt inverse. Ce n'est pas son malheur qui Ta
.fait prophète; mais c'est parce qu'il était prophète, qu'il a appris à

comprendre ce malheur et qu'il a pu le présenter aux Israélites


comme un miroir A
prendre en elle-même cette solu-
(1). » la

tion paraît excellente. Mais change si, sans se fier au sens tout
habituel et catholique du terme essentiel de cette explication, on
cherche la valeur exacte qui lui est. attachée dans cette phrase. Car

on découvre alors que ce représentant de la critique indépendante


n'accorde au prophète aucune lumière surnaturelle pour son intelli-
gence des desseins divins. C'est en vain que l'on chercherait un atome
d'intervention de lahvé, dans toutes les explications qui sont données
pour prouver l'antériorité du prophétisnie d'Osée à toutes ses manifes-
tations (2). Aussi faut-il reconnaître que la critique indépendante en
réalité ne retient le vocable de prophète qu'après l'avoir vidé de
toute sa signification essentielle (3).

(1) Ibid.
(2) Voici ces explications : « Il est déjà projilii'tc, lorsque lui est né son i)remipr (ils,

(ju'il nomme Jesreel, pour indiquer


imminent: mais il ne lui devint clair
le ju}>eiiienl
que plus tard comment ses incidents domestiques eux aussi étaient significatifs et com-
ment c'avait été déjà i)ar qu'il avait dû épouser Gomer. Quand
une disposition divine,
a-t-il acquis cette intelligence de
dépendance de ses incidents domestiques avec sa
la

vocation prophétique/ est-ce bientôt après la naissance de Jesreel ou après que ses trois
enfants furent nés? on ne peut le décider sûrement. Mais ]iuisque les noms Lo-Uuchama
et Lo-'ammi n'expriment que la même idée que Jesreel, il est vraiseinlilaltle que cette
intelligence lui vint aussilùt a()r('S la naissance des trois enfants, w Marti, ihid., p. 15.
Ayant eu occasion d étudier un t)pus(ulc d'un des principaux collaborateurs du llmid-
(.3)

liommenlar ziim altt'H Teslnmcnl. de Baenlscli, nous avons pu examiner la nature de la


source oii, selon cet auteur, le plus grand des prophètes. Moïse, a puisé ses connaissances
théologiques absolument transcendantes pour son époque. A la diflércnce de Marti, cet
exégète admet une influence tiivine. .Mais, en réalité, cette concession ne dégage aucune-
ment la théorie de Baenlsch de la doctrine subjectivisle. Ce contact avec la Divinité
ne comporte en aucun enseignement précis. J)e plus,
offel exprime toujours
le proiiliete

cet événement conlbrmémenl à ses propres conceptions.


« Car ni la science, ni les connaissances, fussent-elles les plus hautes, ne font le

fondateur de religion, mais pour cela il faut toujours un événement intérieur, un saisis-
sement intensif par la divinité, une heure sainte d'un contact très intime avec un monde
INTERPRÉTATION HISTORIQUE D'OSKE, Mil. 301

N'étant nullement imbu du préjueé philosophique qui inspire la


critique inih'peudante, uous no voyons nullement pourquoi il faudrait
faire deux parts, au point de vue de l'historicité, dans les récits de la
première partie du livre d'Osée. Nous admettons Thistoricité de l'or-
dre divin et de son symbolisme, aussi bien que celle des divers inci-
dents de la vie familiale du prophète.
Mais, de plus, la réalité de cette origine divine est réclamée par les
faits du récit biblique autant que par sa forme. Si l'on ne reconnaît

pas lahvé pour l'auteur de l'ordre donné à Osée et de son symbo-


lisme, on rend impossible raccomplissement de la mission du pro-
phète. La certitude est en effet nécessaire au prédicateur autant qu'à
ses auditeurs. Or sans intervention divine, c'est une folie que de vou-
loir mettre dans l'âme du prophète la conviction profonde qui le fera

parler catégoriquement en dépit de tous les obstacles. Sans manifes-


tation de lahvé, c'est une chimère que de prétendre accréditer suffi-
samment Osée auprès de ses auditeurs. Relativement aux desseins de
la Pro\âdence dans la conduite des hommes et dans la direction des
peuples, toutes les méditations les plus profondes et toutes les

réflexions les plus sérieuses, ne sont accompagnées de révéla-


si elles
tions surnaturelles, sont impuissantes à donner la certitude. Sur ces
questions, appartenant à des sphères qui les dépassent, toutes les
investigations les plus perspicaces ne peuvent arriver qu'à fournir
une certitude subjective, c'est-à-dire une opinion plus ou moins per-
sonnelle et plus ou moins probable. Or jamais nous n'imputerons à
Osée ni l'aberration d'avoir pris son propre sentiment pour le plan
divin, ni l'audace de l'avoir présenté comme tel à ses contempo-
Quant à ces derniers, jamais nous ne leur supposerons une
rains.
somme de crédulité suffisante pour avoir considéré le fruit d'une
seule méditation humaine comme l'écho des oracles divins.

Soit par voie de réfutations, soit par le moyen d'arguments positifs,

Iranscendant. durant lequel le divin s'approche personnellement d'un homme, et dans


lequel celui-ci devient conscient de prêcher le Dieu qu'il atteint intérieurement S'il

y a toujours l'événement intime, qui fait le fondateur de religion et le prophète, à la


vérité, la manière suivant laquelle le fondateur de religion exprime l'événement intime,
le manifeste par des paroles, dépendra toujours de l'idée de Dieu qu'il a reçue ou qu'il
a acquise lui-même par la voie de la réflexion. C'est la condition historique de toute
révélation. Nous pouvons supposer pour Mo'i'se une idée de Dieu supérieure, nous devons
aussi attendre que le revêtement intelligible de la vision intime ait un haut degré. »

Baentsch, AUorientalischcr und


israelitischer Monotheismus, pp. 82, 83. Voir aussi
notre article sur ce livre nouveau recul de la critique indépendante dans la
: l'n
question du Monothéisme d'Israël. Revue d'apologétique (Sept. 1908, 14", 71), pp. 831,
850.
362 REVUE BIBLIQUE.

nous pensons avoir raffermi l'opinion la plus communémenl admise


pour linterprétation des trois premiers chapitres d'Osée. Les événe-
ments de la vie familiale du prophète aussi bien que l'ordre divin et
son symbolisme doivent être pris au sens historique. Pour montrer
que les commandements faits à Osée sont en parfaite harmonie avec

pour dissiper maintes difficultés de détails, une


les attributs divins, et

exégèse spéciale de cette partie du te.\te prophétique est nécessaire.

P. Cruveilhier.
LE PREMIER CHAPITRE DES
PARALIPOMÈNES

Le récit proprement dit du Chroniqueur commence seulement à la


mort de Saiïl, ou pour mieux dire, à lavènoment de David (I Par. x).
Les périodes antérieures ne sont représentées dans son œuvre que par
une suite de tables généalogiques. La majeure partie de ces généalo-
gies (chapitres u-ix) concerne les douze tribus d'Israël et correspond,
dans l'ensemble, au long espace de temps qui s'ouvre à la naissance
des douze fils de Jacob et se clôt avec le règne de David. Le i" cha-
pitre enfinénumère les générations qui rattachent les fils de Jacob au
premier homme, mais en y joignant les branches collatérales et en
ajoutant même des documents d'un autre ordre s'il ne descend pas :

au-dessous de Jacob en ce qui concerne les ancêtres du peuple d'Israël,


il va bien au delà quand il donne, par exemple, la liste des rois

d'Édom.
Son contenu se ramène aux chefs suivants 1. Descendance d'Adam, :

en ligne directe, jusqu'aux fils de Noé (vv. 1-4). 2. Descendants —


de Japheth (vv. 5-7); de Cham (vv. 8-16); de Sem, branches collaté-
rales (vv. 17-23). — 3. Descendance de Sem, en ligne directe, jus-
qu'aux fils d'Abraham (vv. 2i-28). — 4. Fils d'Ismaël (vv. 29-31); des-
cendants de Cétura (vv. 32-33); fils d'Isaac (v. 3i). — 5. Descendants
d'Ésati (vv. 35-37) et de Séir (vv. 38-i2). — 6. Liste des rois (vv. 43-

50) et des chefs (vv. 51-54) d'Édom. — Le début du chapitre ii


(vv. 1-2) énumère les douze fils de Jacob.
Tout ce contenu est tiré de la Genèse (v, x, xi, xxv, xxxv, xxxvi).

Non seulement, en effet, la matière est identique dans les deux livres,
mais elle est présentée, de part et d'autre, dans le même ordre (1) et

(1) La seule exception à cette règle dans le i" chapitre des Chroniques est celle des
vv. 32-33, qui sont assez suspects, comme on verra. La liste des fils de Jacob, empruntée
à Gen. xxxv, 23-26, devait naturellement tigurer en tête des généalogies des douze tribus et,
pour ce motif, être reportée au chapitre ii (vv. 1-2), à la suite de la liste des (ils d'Ésaii et
autres documents tirés de Gen. xxxvi.
REVUE BIBLIQUE 1916. — N. S., T. XIII. 24
36i * REVUE BIBLIQUE.

d'après le même plan. C'est ainsi, par exemple, qu'à chaque échelon,
ladescendance des collatéraux, quand elle a été conservée, est énu-
mcrée, dans les Chroniques comme dans la Genèse, avant celle de la
souche principale. Les Chroniques n'ont cependant pas copié simple-
ment la Genèse. Le texte de celle-ci est d'abord abrégé. Des chapi-
tres V et XI, qui donnent la descendance directe d'Adam à Abraham,
il n'est entré dans les Chroniques qu'une liste de noms; pour les
autres chapitres, qui concernent les branches collatérales, les for-
mules généalogiques de la source sont reproduites, mais les données
et notices historiques qui surchargent sont laissées de côté, ou
les

encore, comme dans la généalogie des fils d'Ksaïi, les noms des fenmies
sont omis. D'autre part, la matière généalogique de la Genèse n'a pas
passé tout entière dans les Chroniques : la généalogie des Caïnites(iv).
celles d'Aran et de Nachor (xi, 27-29; xix, 37-38; xxii. 20-2i), les
noms des fils de Dadan (xxv, 3) ont été négligés. Par ailleurs, il est

assez naturel que Gen. xxxvi, 15-19, 29-30 n'aient pas été reproduits,
puisque ce sont des doublets des vv. 10-1 et 20-28 qui précèdent. 'i-

Le i" chapitre des Chroniques a été, dans les dernières années,


assez maltraité par les critiques. Leur regard aigu, à force de scru-
ter son texte, a découvert çà et là des indices d'interpolation. Les plus
pénétrants affirment sans hésiter f[ue sur cinquante-quatre versets,
une dizaine tout au plus constituent l'œuvre originale du Chroniqueur;
le reste proviendrait de surcharges successives. La question est d'im-
portance. Son intérêt dépasse même celui du texte au sujet duquel
elle se pose : ce li'est pas la première page seulement des C.hinniqucs
dont le sort est enjeu, car la solution qu'on adoptera touchant l'ori-

gine du i" chapitre du livre réagira forcément sur celles auxquelles


on s'arrêtera pour les suivants. M. Steuernagel (1) ne termine-t-il
pas la dissection qu'il opère de ces versets par cette réilexion « Ainsi :

le i"" chapitre nous faitdéjà soupçonner comment les généalogies


provoquaient l'addition de compléments, et il nous autorise par con-
séquent à présumer que dans les sections suivantes aussi, il y aura
beaucoup à mettre sur le compte des rédacteurs. » Il importe d(»nr
d'examiner avec sc»in le texte de ce chapitre. La vérité sur ses ori-

gines se dégagera peut-être d'une observation exacte des faits.

C'est l'absence, d.ins le coder Valicamts (H) des Septante, des


vv. 11-16 et \lb-'l\a, qui a ('veillé l'attention (hs critiques sur la pro-

(1) Lehrbuck (1er EinlciUnuj in fias Altc Testament, Tùbin^fn. l'.M:'. |>. :v.r.>..
I,E PRE.MIK15 CHAPITRE DES PARAI. IPOMENES. 365

venance d'un certain nombre de versets du chapitre i"'' des Paralipo-


mènes. Dans ce manuscrit en etlet, immédiatement après le v. 10, on
lit d'abord le v. 17 jusqu'au mot « Arphaxad » inclus, puis le v. 24 à

partir de « Salé », et les versets suivants. A. Klostermann (1) fait ob-


server que les versets qui manquent dans B et aussi dans les mss. 127
et 158, et qui dans le ms. 6i sont précédés de l'astérisque, constituent
dans les autres représentants des Septante, dans le codex Alexan-
drimis par exemple, une addition hexaplaire la Bible grecque ne :

les avait donc pas à l'origine. D'autre part, les vv. 18-23 ne seraient
pas dans la manière du Chroniqueur ; ils reproduisent le style de la
table généalogique des descendants de Sem dans Genèse, xi. Il en se-
rait de même
des vv. 11-16, qui correspondent à une section de la
table des peuples de Genèse, x. En conséquence, M. Klostermann
estime que le texte original du livre hébreu des Chroniques ne don-
nait, comme introduction aux tables généalogiques des douze tribus,
qu'une simple liste des ancêtres directs d'Israël. L'auteur aurait seu-
lement ajouté, aux vv. 4, 17, 28 et 34, les noms des autres fils de Noé,
de Sem, d'Abraham et d'Isaac. Ces noms, posés là comme des pierres
d'attente, fournirent l'occasion d'intercaler dans le texte les généalo-
gies des branches collatérales, telles qu'on était habitué à les lire dans
la Genèse.
La voie était ouverte. I. Benzinger (2) s'est empressé d'y entrer.
Partant du même
de critique textuelle, l'absence des vv. 11-23
fait

dans il attire encore l'attention sur les répéti-


les Septante primitifs,
tions que ces versets introduisent dans le texte ainsi, 17-19 font :

double emploi avec 24-25, et si ces derniers versets étaient la suite


naturelle de ceux qui les précèdent immédiatement, ils devraient
dire : « Phaleg engendra Réu » et ainsi de suite. Mais si l'on enlève
les vv. 11-23 comme interpolés, on constatera bien vite que le v. 24
se rattache mal au v. 10, que cependant il devait continuer. On s'at-
tendrait à y trouver, comme d'ailleurs les Septante ont eu soin de
corriger : « Les fils de Sem furent etc. ». Au contraire, le v. 24, étant
donné sa teneur, forme la suite naturelle et correcte du v, 4«. On
obtient ainsi une simple liste de noms {i-ka, 24-28), qui ne se com-
prend bien que si les lignes collatérales ne viennent pas s'y intercaler.
Tout au plus peut-on supposer que les trois noms des fils de Sem
étaient tellement unis dans la mémoire de l'auteur qu'ils ont échappé

(1) Realencyclopàdie filr protestantische Théologie und Kircfie, IV, p. 92 s.; Leipzig,
1898.
(2) Die Bilcher der Chronik, dans Kurzer Handkommentar, Tiibingen und Leipzig,
1901.
366 REVUE BIBLIQUE.

ensemble plume. Les vv, 32-34.a sont également suspects l'in-


k sa :

sertion, entre les fils d'Ismaël et ceux d'Isaac, des enfants que Cétura
donna à Abraham est inacceptable, surtout après le v. 28 qui, voulant
énumérer les fils du grand patriarche, nomme seulement Isaac et
Ismaël; par suite, le v. Ska est un doublet de 28 et s'explique seule-
ment par la nécessité où l'interpolateur s'est vu, après Fénumération
des de Cétura, de ramener l'attention sur la descendance d'A-
fils

braham par ïsaac avant de nommer les fils de celui-ci. Au reste,


l'expression miSin du v. 29 n'est jamais employée par le Chroniqueur
dans ces listes; il dit toujours : « Voici les fils de ... ». Après toutes
ces constatations,on ne peut hésiter à considérer les vv. 35-5i comme
des compléments tardifs. Si d'Adam à Isaac le Chroniqueur a négligé
tous les collatéraux, il n'est pas vraisemblable qu'il ait ensuite énu-
méré toute la descendance d'Ésaû, et encore moins qu'il ait introduit
une liste des rois d'Édom qui n'a vraiment rien à faire avec les généa-
logies des tribus israélites. Tout compte fait, il ne reste au Chroni-
queur, de ce i" chapitre, que les vv. 1-4, 2't-28 et 346.

R. Kittel(l) est moins radical. Il réduit les interpolations aux vv. 11-
23, auxquels on doit cependant joindre le v. 10. Les motifs qui le
décident sont, pour une part, ceux que M. Benzinger a invoqués la :

présence, dans le texte, de doux généalogies des fils de Sem, et l'ab-


sence, dans la Bible grecque, des vv. 11-23. iMais M. Kittol insiste sur
ce que ces mômes versets brisent le cadre de la généalogie tel qu'il
est tracé dans 1-9 et tel qu'il reparaît dans 24 ss. Dans 5, 8, 24 (où il

faudrait lire avec les Septante : « Fils de Sem »), 28,32,33, etc., la
formule est toujours : « Fils de... »; dans 10, 11, 13, etc., elle est au
contraire : « Et Chus engendra... et Mesraïm engendra... et Chanaan
engendra... ». .\ l'origine par conséquent, le v. 24 ne devait pas être
séparé du v. 9. Une première main a introduit dans le texte le v. 10,
une autre les vv. 11-23, tous empruntés au chapitre x de la Genèse.
A une variante près, M. Steuernagel (2) adopte l'opinion de M. Ben-
zinger il ne laisse au Chroniqueur (|ue les vv. 1-4, 17 a. 24 6-28,
:

34 b.

Un esprit beaucoup plus modéré inspire E. L. Curtis (3), pour


lequel le i*"" chapitre des Chroniques nous est parvenu à pfu près tel
qu'il sortit des mains d*^ 1 autcui'. Mais sa discussion esi courte et ne

(1) Die Bilchcr der Chrouih, dans Handlionimnntat zum Allen Testament, (lollin-
gen, VJ02.
{•>.) Loc. cit.
(3) .1 criticnl nnri e.rnjrhcnl Cotmiienfary ou t/ir /loolis of CliKinn h s. dans The
Inlcrnalional Crilical Commcnlary, Edinburj^li, r.Mo.
LE PREMIEU CHAPITRE DES PARALIPOMÈNES. 361

répond que d'une manière insuffisante aux arguments qui viennent


d'être rapportés.
Ces arguments ont on quelque chose d'assez spécieux. On ne
eil'et

peut nier qu'une méthode particulière soit appliquée dans les vv. 1-4-,
24-27. Le mode d'exposition dilTère donc, et notablement, suivant
qu'il s'agit de la ligne directe ou des branches collatérales: simple

énumération de noms pour la première, sans que le rapport qui existe


entre eux soit exprimé; pour les secondes, reproduction des formules
généalogiques de la Genèse, dégagées seulement des notices histo-
riques qui les surchargent. Ici on copie; là on fait preuve d'origina-
lité. Du changement de procédé il résulte d'ailleurs que les Chroniques

s'étendent longuement sur ce qui est l'accessoire, savoir les lignes


collatérales, et qu'elles abrègent au contraire au dernier degré quand
il s'agit des ancêtres mêmes d'Israël. N'est-ce point paradoxal, et une
différence de méthode si caractérisée et en même temps si anormale
ne trahit-elle pas une différence d'auteurs? — D'autre part, les
généalogies des branches collatérales ne sont pas complètes. Il y
manque notamment les descendants de Tharé par Aran (Gen. xi,xix)
et Nachor (Gen. xt,xxii). Quel que qu'on prête à l'au-
soit le dessein

teur, qu'il ait voulu marquer de parenté d'Israël avec les


les liens

peuples voisins ou seulement incorporer à son œuvre les données


généalogiques de la Genèse, il n'eût pas dû négliger Moab et Ammon,
Hus, Buz, etc. Un pareil manque de suite et de méthode ne s'explique
que si les lignes collatérales ont été introduites par des interpolateurs
divers : on comprend, dans ce cas, que l'œuvre des compléments soit
restée inachevée. — Et justement le texte de B se trouve à point
nommé pour représenter un état intermédiaire du texte, surchargé
déjà d'interpolations, mais auquel manquent encore, on le compare si

à l'hébreu massorétique, les descendances de Mesraïm et de Chanaan,


celle d'Aram et enfin celle d'Arphaxad par Jectan. Le codex Alexan-
drinus au contraire serait le témoin d'un état plus récent encore que
celui de la Bible hébraïque, puisqu'il a enrichi le v. 32 des noms des
filsde Dadan. L'hypothèse que suggérait l'examen critique se trouve
donc confirmée par une série de faits empruntés à l'histoire du texte.
L'hypothèse, on le voit, est facile à étayer; elle est même assez
séduisante si l'on n'en considère que les grandes lignes. Mais il faut
y regarder de plus près.

II

Que vaut l'argument tiré de l'état actuel de 5? Ce manuscrit, en ce


368 REVUE BIBLIQUE.

qui concerne romission des vv. l1-'-2o du 7 chapUrc^ est-il le témoin "

d'un état du texte plus ancien que celui qui se reflète dans la Massorc
et dans k-s autres manuscrits grecs? En d'autres termes, et c'est la
vraie question, la présence des versets 11-23 dans la Bible hébraiqu«^
est-elledue à une interpolation, ou bien, au contraire, Fabsence des
mêmes B ne serait-elle pas le résultat d'une mutilation
versets dans
accidentelle, que celle-ci ait été infligée aux Septante eux-mêmes ou

réalisée déjà dans le manuscrit hébreu qu'ils ont traduit? Le meilleur


moyen de le savoir est de regarder aux points de jonction des textes.
Si les vv. 11-23 sont interpolés, l'auteur des vv. 5-9 (que ces versets
soient du Chroni(]ueur [KittelJ ou d'un premier interpolateur jlîenzin-
ger]), après avoir énuméré les lils de Japheth et leur descendance,
puis les ([uatre fils de Cham : Chus, Mesraïm, Phut et Chanaan, et la
descendance de Chus, s'est arrêté devant celle de Mesraïm et de (Uia-
naan. Mais ce serait là une conduite assez singulière et dont le motif
n'apparaît pas bien, un fait anormal même et dont l'existence ne
saurait être admise que si les partisans de rinteri)olation en lournis-
sent une explication en montrent la vraisemblance, ce
satisfaisante,
qu'ils n'ont pas tenté de faire jusqu'à présent. L'auteur des vv. 5-0
copiait la Genèse; tout le monde en convient, t^ourquoi donc, après
en avoir extrait au chapitre x la descendance des fils de Japhetli
(vv. 2-4) et celledu premier des fils de Cham (vv. 6-8), a-t-il passé
par-dessus celle des deux autres (vv. 13-18), pour relever encore, un
peu plus loin v. 22), les noms des fils de Sem? Pourquoi énumérer
les uns et omettre les autres? Pourquoi surtout s'arrêter au milieu
même de la descendance des fils de Cham? Si une pareille anomalie
reste sans justification, si d'un acte aussi caractérisé aucun motif ne
peut être découvert, ne serait-ce pas que l'arrêt du texte de B à cet
endroit précis, étant sans rime ni raison, n'est en aucune façon le
l'ésullatd'un acte volontaire et intentionnel de la part d'un écrivain
(quelconque, mais Felfet dun accident aveugle et une cassure du texte ;

après le v. 10 ne parait-elle point dès lors beaucoup plus probable


que l'hypothèse d'une interpolation?
A l'autre point de jonction, nous trouvons dans M : « Fils de Sem :

Klam et Assur Arphaxad, Salé, lléber, etc. » N'est-il i)as étrange


rt

encore que l'auteui'. <|Mi annonce les fils de Sem, après avoir nommé
les trois piemiers ^ iMam et Assur et .VrphaxîKl », laisse de côté les
:

deux derniers Lud et Aram (cf. Gen. x, 22) et tout aussitôt éimmère
:

la descendance directe d'Arphaxad, passant ainsi, sans avcrti.ssement


préalable ni indication aucune, du rapport de fraternité à celui de
filiation? C est peut-être ici <•< (ju'il y a de plus illogiciue dans li, et
LE PREMIER CHAPITRE DES PARALIPOMENES. 369

c'est un indice à peine douteux du caractère de mutilation de ce ma-


nuscrit. Son texte ne s'explique que si les premiers mots « Fils de :

Sem Élam et Assur et Arpliaxad » sont un reste du v. 17, et « Salé »


:

un débris du v. 2'i., comme Tischendorif et Swetc l'ont indiqué dans


leurs éditions. Mais alors c'est qu'en un temps il a eu la section tout
entière, et que 11-16 et 17 b~1\ a ont disparu dans un accident de ma-
nuscrit. Aucune autre explication n'existe de la teneur illogique et
incohérente de ce texte. Certes, un rédacteur quelconque, dans l'hy-
pothèse des interpolations, aurait pu être amené, pour correspondre
aux vv, 5 et 8, à introduire les fils de Sem; mais après avoir nommé
Arphaxad, il aurait continué autrement. Ainsi, aux deux extrémités
de la lacune de B, la coupure du texte est opérée de telle façon
qu'elle révèle moins la main, d'un écrivain, même médiocrement
doué, que l'intervention d'un hasard aveugle et brutal.
Est-il d'ailleurs bien vraisemblable qu'après l'époque, tardive
déjà, où
Chroniques furent traduites en grec, l'hébreu ait encore
les
reçu de pareils compléments? Sans doute on peut se donner un peu
de champ en supposant que l'original hébreu qui servit de base à la
traduction aurait été gardé en dehors du courant de la tradition
textuelle etpour ce motif incomplètement tenu à jour. Mais le texte
de B
ne diffère pas assez de celui de la Massore sur d'autres points
pour qu'une pareille supposition soit bien autorisée, et il reste que
les additions que B a déjà, la liste des rois et des chefs d'Édom par
exemple, sont les dernières qui auraient dû entrer dans le texte, et

celles qui lui manquent sont les plus naturelles et ont dû, de tout
temps, paraître les plus urgentes. Mais ce sont là des considérations
secondaires. Les faits qui priment tout sont la teneur anormale du
v. 24 (ou plus exactement 17 dans B, et l'absence, inexpli-
«, 24 b)

cable dans le contexte, des descendants de Mesraïm et de Chanaan.


Les Interpol ateurs ne procèdent sans doute pas toujours à leur besogne
avec une rigoureuse logique. Ils ne prennent cependant pas pour
règle d'y déroger de parti pris, et les invraisemblances d'une hypo-
thèse n'ont jamais passé jusqu'ici pour une recommandation.
Les différences de style et de méthode et les répétitions qu'on a
relevées dans le i" chapitre des Chroniques ne doivent pas être
méconnues mais ; ne favorisent pas autant qu'il semble d'abord
elles
la théorie des interpolations. Tous ces faits s'expliquent aussi aisément
dans la théorie opposée. Il suffit de prendre garde, comme il est
certain, que le Chroniqueur a reproduit, en les abrégeant plus ou
moins, les généalogies de la Genèse. Son but paraît avoir été non pas
tant de rattacher Israël aux origines de l'humanité que d'incorporer
370 REVUE lilBLIQUE.

à son œuvre les données généalogiques que contient la (ienèse. Si,


selon les observations de Kittel, les cxi)ressions varient des vv 5, 8,
2'i, 28, 32, 33, etc., aux vv. 10, 11, 13, etc., c'est tout simplement
que les sources de la première série de textes emploient toutes la

même formule ; u Fils de... » (Gen. x, 2-7, 22; xxv, 13-15, V, etc.),

taudis que les sources de la seconde, pour exprimer le même rap-


port, se servent du verbe « engendrer » (Gen. x, 8, 13, 15, etc.). Les
formules de la Genèse passent régulièrement dans le premier chapitre
des Chronique?, et leur variété n'est à aucun degré lindice, pour
celui-ci, d'une dualité d'auteurs. 11 n'y a d'exception que pour le
V.32 qui ne reproduit pas la formule de Genèse xxv, 3; mais juste-
ment, comme on le verra par la suite, ce verset n'est pas du Chro-
niqueur. Si le mot imSin
est au v. 29, c'est qu'il se rencontre dans
(ien. xxv, 12-13, queChroniqueur ne transcrit pas littéralement
le

pour les premiers mots, mais dont il s'inspire évidemment. Tout au


])lus pourrait-on dire que la formule « fils d'Abraham », au verset

précédent, est de son cru et présente quelque originalité; mais encore


il la trouvait dans sa source (Gen. xxv, 11 et 12). Cette sorte de
servilité du Chroniqueur relativement à la Genèse est frappante.. Que
l'on observe, par exemple, l'enq^loi qu'il fait du signe de l'accusatif

r\N : si l'on excepte encore le v. 32, dont il sera question plus loin,
l'identité est parfaite, à cet égard, entre les deux textes. On dira que
les interpolateurs ont pu observer la même méthode. Il serait cepen-
dant plus surprenant de voir plusieurs hommes étroitement fidèles à
une méthode identique que de voir un auteur unique la maintenir
au cours d'un même chapitre.
Les répétitions qu'on peut constater dans le texte du Chroniqueur
s'expli(|ucnt de même par le fait qu'elles existaient dans sa source.
C'est le cas pour la descendance de Seni les vv. 17-23 reproduisent
:

Gen. X, 22-21), et les vv. 24-27 résument Gen. xi, 10 ss. La répéti-
tion n'est d'ailleurs pas inutile, comme on verra tout à l'heure, ni
absolue, puisque les premiers versets concernent une branche colla-
térale et les .seconds, la ligne directe. Le cas du v. 3'* (i se rattache à
la question des lils de Cétura, qui veut être traitée k part.
La dillércnce de méthcjde constatée entre les vv. 1-i, 2'*-27 et le

reste du davantage une différence d'auteur.


oiiapilio n'indique pas
One l'on prenne garde d'abord que si une méthode identique règne
dans deux groupes do versets si éloignés l'un de l'autre, c est que
dans leurs sources aussi le cadre de rex[)osition est le même; et si les
vv. 2V-27 sont la suite logique de 1-V, c'est que (ien. xi, 10 ss.,
source d'un groupe, c(jntinuo (exactement Gen. v, 3 ss., source de
LK PKEMIliR CIIAIMTIU-: DES PAUALIPOMÈNES. 371

l'autie. Il est vrai Chroniqueur, pour abréger et aussi parce


que le

que ses lecteurs n'ignoraient pas la généalogie de la branche directe,


au lieu de transcrire « Adam engendra Seth, Scth engendra
:

Knos, etc. », a préféré une simple énumération des générations


descendantes. Mais de ce faiton ne saurait tirer aucune difficulté
sérieuse contre l'authenticité du reste du chapitre. Tout ce qu'on peut
objecter, en efiet, c'est que nulle part ailleurs le chapitre n'emploie
la môme méthode et qu'elle n'est concevable dans 24 ss. que si ces
versets suivent immédiatement i-h. Mais ces objections sont sans
valeur. Si nulle part ailleurs notre chapitre n'emploie la voie de
simple énumération, impossible de s'en servir pour
c'est qu'il était

résumer la r.enèse hors des cas où, dans celle-ci, la ligne directe se

développe sur un assez grand nombre de générations successives sans


qu'aucune branche collatérale soit intercalée. Or, la Genèse ne suit
ainsi la ligne directe que dans les chapitres v, 3 ss.; xi, 10 ss., que
le Chroniqueur a, en effet, abrégés de la façon indiquée, et dans le

chapitre iv, 17 ss., qu'il a laissé de côté. Partout ailleurs, et notam-


ment dans Gen. x, xxv, xxxvi, que les Chroniques ont utilisés, l'in-
sertion des branches collatérales rendait impraticable, à qui voulait
résumer ces chapitres, l'emploi de la méthode à laquelle on veut, de
toute force, restreindre le Chroniqueur. Que les critiques essaient donc
de réduire la matière généalogique des vv. 5-23, 28-3'i. du i"" cha-
pitre des Paralipomènes à de simples listes qui soient seulement
intelligibles. — Mais
précisément on reproche aux vv. 24- ss. de ne
l'être pas, en raison des lignes collatérales qui les séparent de 1-i.

On pourrait répondre que la descendance directe de Sem à Abraham


était trop familière aux Juifs pour qu'ils pussent hésiter un instant
sur le rapport qui unissait les noms de cette liste. Mais il y a mieux.
C'est justement l'insertion, dans 17 ss., des branches collatérales, qui
prévient toute méprise. Ces versets ont, en effet, mis en évidence les

rapports qui existent entre Sem, Arphaxad, Salé, Héber, Phaleg, et


la reprise de ces noms au v. 24, loin d'être inutile, indique au lecteur
qu'il va se trouver, jusqu'à la fin de l'énumération, en face d'une
série de générations descendantes. Il ne pourra se fourvoyer, si
ignorant qu'on le suppose.
Il ne reste plus qu'une difficulté pourquoi le Chroniqueur, s'il avait
:

pour dessein de recueillir dans son livre les données généalogiques

contenues dans la Genèse, a-t-il laissé de côté la descendance de


Gain, celles d'Aran et deNachor? Peut-être est-il bon de faire obser-
ver que la dans l'hypothèse des compléments. Tout
difficulté subsiste

au plus peut-on dire qu'elle y est moindre on conroit, en effet, que


:
372 REVUE BIBLIQUE.

les méthode
interpolateurs n'aient pas poursuivi leur tâche avec une
riiioureuse et que quelques documents leur aient échappé. Mais, au
fait, ne pourrait-on en dire autant du Chroniqueur? il a voulu incor-

porer à son œuvre ce qui dans la Genèse faisait ligure de généalogie


et de document statistique; mais il se trouve justement que ni la
descendance d'Aran, ni celle de Nachor, ne sont données dans la
(ienèse (xi, 27, 29; xix, 30 ss. xxii, 20 ss.j sous la forme stricte de
;

tables généalogiques. La même remarque vaut dans une certaine


mesure pour la descendance de Gain (Gen. iv, 17 ss.), qui d'ailleurs
n'aboutit à la formation d'aucun peuple. En tout cas, l'anomalie de
ces omissions, dans la thèse de l'authenticité, n'est pas comparal)le à
celle qui, dans les théories de M. Kittel et de M. Benzinger, fait arrê-
ter l'auteur ou l'interpolateur sans raison aucune, et même contre
toute raison, au beau milieu de la généalogie des fils de Cham.

III

Dans la mesure donc où les seules ressources de la critique interne


autorisent à juger de l'origine des textes, il est permis de conclure
que le i" chapitre des Paralipomènes est, pour l'ensemijle, l'œuvre
du Chroniqueur lui-même. La seule exception qui paraisse devoir
être faite est celle des vv. 32-34 a. Les fils de Cétura et leurs descen-
dants y sont insérés tout à fait hors de propos entre les fils d'Ismarl
(29-31) et ceux d'Isaac [Vv b) leur place, s'ils devaient en avoir une,
;

était au v. 28, qui les fils d'Abraham (1). M. Benzinger a


énumère
raison, pour ces motifs, de suspecter ces versets. Mais la teneur du
V. 29 oblige absolument à les cvclure. Après avoir nommé Isaac et

Ismaël, ce verset ajoute « Voici leur descendance » (amSn


: la liste :

des fils d'Ismaël doit donc être immédiatement suivie de l'énuméra-


tion des fils d'Isaac. Or à la place de ceux-ci on voit apparaître dans
le texte actuel les fils d'Abraham et de Cétura avec leur descendance,

et comme, par suite de cette intrusion, les fils d'Isaac se trouvent

rejetés trop loin de leur point d'attache, savoir le v. 29 qui les


annonçait, l'interpolateur a été amené à insérer, au début du v. 3'i.

(1) La teneur du v. :>M ne permet d'ailleurs pasde soutenir que la liste des lils de
Cétura ail jamais fait partie de son contenu. Tout au plus pourrait-on prétendre qu'à
l'origine cette liste venait immédiatement à la suite du v. 27; omise par mé^arde et rc-
eueiilie en marge par un copiste, elle aurait été insi-rée là où elle est aujourd'hui par un
autre scribe, lequel aurait ajoutéle v. 34 a. Mais une pareille hypothèse ne senilde guère
probable. Dans Genèse '\x\]. la liste des fils de Cétura (vv. 1 ss.) n'occupe pas le c«»n-
la

lexte immédiat «le la descendance d'Ismaël (vv. 13 ss.) et d'fsaac (vv. 1!» ss.); pour ce
molil' et jiour d'autres le Cbronii|ueur l'aura laissée de cote.
I.K PREMIER CHAPITRE DES PARALIPOMÈNES. 3T:i

un doublet du v. 28, pour rappeler au lecteur rexistencc d'isaac et

rattacher la suite du texte à son interpolation. Seulement, le suffixe


pluriel de an-Sn, daos un contexte ainsi modifié, n'a plus de sens,
l/incohérence est même si sensijjle que les Septante ont pris le parti
de supprimer le pronom ; ils ont traduit : « Voici la descendance du
premier-né Ismaël semble d'ailleurs que les versets 32-33 aient
». Il

été transcrits de la Genèse (xxv, 1 ss.) avec une méthode moins


rigoureuse que le reste du i^'" chapitre des Paralipomènes. Le signe
riN, qui dans la source, conformément à la grammaire et à la logi-

que, précède chacun des noms des iîlsde Cétura, ne subsiste plus,
dans les Chroniques, que devant le premier; la formule u fils de... »
est substituée une fois au verbe « engendrer » ;
enfin Cétura reçoit
la qualification de Genèse ne lui inflige jamais.
« concubine », que la

Il est possible encore que le v. 10 soit l'œuvre d'un rédacteur; mais

aucune preuve n'établit le fait. Ce verset peut aussi bien avoir été
emprunté par le Chroniqueur lui-même à la Genèse puisque, dans le
texte de celle-ci, il se rattache immédiatement à la généalogie des
filsde Cham. La présence de la brève notice relative à Nemrod n'est
pas un indice suffisant d'interpolation. S'il est vrai que le Chroni-
queur allège ordinairement ses généalogies des surcharges de ce
genre, il ne le fait cependant pas toujours : n'a-t-il pas gardé, au
V. 19, la notice étymologique qui explique le nom de Phaleg?

TEXTK (1).

1 Adam, Seth. Enos, - Caïnan, Malaléel, Jared, ^ Enoch, Mathvsalé,


Lamech, ^ Noé "fils de Noé; Sem, Cham et Japheth. : ]

Fils de Japheth Gomer et Magog et Madaï et Javan et Thubal et


:

Mosoch et Thiras et fils de Gomer Ascenez et Ripath et Thogorma


;
''
:
'
;

-et fils de Javan Elisa et Tharsis', les Cétim et les Rodanim.


:

^Fils de Cham Chus et Mesraim, Phut et Chanaan ' et fils de Chus


: ; :

Saba et Hévila et Sabatha et Regnia et Sabathacha; et fils de Regma :

Saba et Dadan; et Chus engendra Nemrod


'^^
(c'est) lui qui) le pre- :

mier fut puissant sur la terre; ^^ et Mesraïm engendra les Ludim et

les Anamim et les Laobim et les Nephthuim '-et les Phétrusim et les
Cliasluim, d'où sont sortis les Philistins, et les Caphthorim; et Cha- ^'-^

naan engendra Sidon, son premier-né, et Heth '^et le Jébuséen et


l'Amorrhéen et le Gergéséen et IHévéen et l'Aracéen et le Sinéen • '

1''
et l'Aradien et le Samaréen et l'Hamathéen.

(1) Les formes usuelles, dérivées de la Vulgate. ont été inainlenues pour les noms
propres.
374 REVUE BIBLIQUE.

'^ Fils de Sem : Elam ot Assiir et Arphaxad et Lud et Aram ; et [lils


d'Aram :
] Us et Hiil et Géther et 'Mes'; ^^et Arphaxad engendra Salé,
et Salé engendra Héber, '^et à Héber il naquit deux flls le nom de :

l'un était Phaleg, parce que de son temps la terre fut partagée, et le
nom de son frère était Jeetan; -'^etJectan engendra Elmodad etSalepli
et Asàrmoth et Jaré 2' et Adoram et Huzal et Décla - et Hébal et Abi-

maël et Saba '' et Ophir et Hévila et Jobab tous ceux-là sont lils de :

Jeetan.
24 Sem, Arphaxad, Salé, 25 Héber, Phaleg, Réu, ^tiSérug, Nachor,
Tharé, '^Abram c[uiest x\braham.
^^ Fils d'Abraham : Isaac et Ismaël. 29 Voici leur descendance : pre-
mier-né d'Ismaël, Nebaioth, puis Cédar et Abdéel et Mabsam, '^^
Masma
et Duma, Massa, Hadad etThéma, ^^ Jéthur, Naphis et Cedma : ceux-là
sont fils d'Ismaël; '^-et /ils de Cêtura, concubine d'Abraham : elle

enfanta Zcmran et Jersan et Madan et Madian et Jesboc et Sué; et

fils de Jecsan : Saba et Dadan; ^^ et fils de Madian : Ep/ta et Ep/ter


et llénoch et Abida et Eldaa : fous ceux-là sont pis de Ce tara; et
'•'''*

Abraham eiv/endra Isaac; fils d'Isaac : j


Jacob et] Ésaû [ j.

'^Fils d'Ésaû : Eliphaz, Uahuel et Jéhus ek Ihélon et Coré; ^''fils

d'Eliphaz : Théman
et Omar, Sépho' et Gathan, Cenez et Thamna et
Amalec; de Rahuel Nabath, Zara, Samna et Mésa.
^' fils :

^^ Et lils de Séir Lotan et Sobal et Sébéon et Ana et Dison et Eser et


:

Disan; ^'Jet fils de Lotan Hori et Hcmam', et sœur de Lotan : :

Thamna; ^'^fils de Sobal Alvan' et Manahath et Ebal, Sepho' et :

Onam et fils de Sébéon Aïa et Ana; ^' lils d'Ana Dison; et fils de
; : :

Dison : Hamdan'
Eséban et Jéthran et Charan; ^2|ils d'Ezer Balan
et :

et Zavan [et] Jacan; fils de Disan Hus et Aran. :

^^Et voici les rois qui ont régné dans le pays dÉdom avant que ré-
gnât un roi des fils d'Israël Balé, fils de Béor, et le nom de sa ville :

était Denaba; ^''et Balé mourut et Jobab, fils de Zaré, de Bosra, régna
à sa place; et Jobab mourut et llusam, du pays des Thémanites,
''''

régna à sa place; ^''et Husarn mourut et Adad, lils de Badad, régna à


sa place (c'est) lui, (qui) frappa Madian dans la campagne de Moab,
:

et le nom de sa ville était Avith; 4" et Adad mourut et Senda, de


Masréca, régna à sa place; et Semla mourut, et Saiil, de Bohoboth ^'^

sur le fieuve, régna à sa place; ^^ et Satil mourut et Balanan, fils


d'Achobor, régna à sa place; ^'" et Balanan mourut et lladad régna à
sa place et le nom de sa ville était 'Phau' et le nom de sa femme,
Méétabel, fille de Matred, fille (?i de Mézaab; -''et Hadad mourut et
lurent chefs d'Édom le chef de Thanma, le chef d' Alva', le chef de
:

'Jelher', -le chef d'Oolibama, le chef d'Ela, le chef de Phinon, '•Ue


T.E PREMIER CHAPITRE DES PARAMPOMENES. 375

chef de Ccnez, le chef de Théiiian, le chef de Mabsar, "'^


le chef de
Magdiel, le chef de Hiram, [le chef de Sépho;] ceux-là sont les chefs
d'Édom.

NOTES SUR LE TEXTE.

Les variantes sont citées d'après Swete, Holmes et Parsons pour


les Chroniques, A.E. Brooke et N. Me Lean pour la Genèse. L V. de =
La(;arde, Librorum V. T. canonicorum Pars iwior graece, Gottingae,
1883; Barnes = W. E.
An Apparatus criticiis to Clironicles
Barnes,
in the Peshilta Cambridge, 1897; BH
version, Kittel, Biblia =
hebraica; S BOT =
Kittel, Chronicles dans The Sacred Books of the
Old Testament. Les citations du Pentateuque samaritain sont emprun-
tées à A. VON Gall, Der hebrdische Pentaleuch der Samarilaner, I,
Giessen, 1914.

1. Les noms énumérés dans les vv. i-4 sont extraits de Gen. v, 1-.32 dans l'ordre
de la source.
2. Ici, comme dans Gen. (v, 9-10, 12-14), 7Jip; mais G Kaivâv V Cainan, cf. P
^L^. La prononciation ancienne, qui faisait entendre la diphtongue, s'était donc
maintenue à l'époque et dans le milieu des traducteurs grecs. Voir dans Kittel
'SBOT et Com.) des notes détaillées sur ce cas.
Ici encore, comme dans Gen. (v, 12-13, 15-17), SxSSrîD, cf. P ^^^Siopô V (Gen.)
Malalehel (Chron.) Malaleel; mais G (Gen. Chron. et Luc, m, 37)MaX£X£rjX V (Luc)
Maalclehel. Sur la foi de G et de V (Luc), Kittel (.SBOT et BH) se prononce en
faveur de Sx^Sna: il ajoute dans Com. que cette foi'me dérive du participe iri'el

SSna, tandis que la vocalisation massorétique a l'inconvénient de ne fournir aucun


sens. — G. M. Redsiob {Commentatio de hominum-t/itl ante diluvium noachicum vixe-
rint tabula utro que lien. capp. iet 5 conspicua, Hamburg, 1847), E. Nestlé {Margi-
nalien und MateriaUen, Tùbingen, 1893, I, p. 7) et G. Buchanan Gray [Sludies in
llebrew Proper Names, London, 189G, p. 201 n.) s'en tenaient à SxSSna, composé

du participe lui-même : « celui qui loue Dieu ». —


Les interprètes qui respectent
la vocalisation massorétique du nom (Skinner, Curtis) en font ordinairement un com-
posé de S'inD (Prov. xxvii, 21), ce qui donnerait : « louange de Dieu »; mais ce
mot est hapax, et là aussi les versions (GPTV) ont lu le participe. — L'argument
étymologique invoqué par Kittel est sans valeur. 11 que la voca-
n'est pas nécessaire
lisation fournisse un sens : le nom peut être d'origine étrangère et avoir été seule-
ment plus ou moins hébraïsé, et en tout cas, comme d'autres de la même liste,

ne pas deviner sou étymologie réelle. La question est surtout de savoir lequel
laisser
des deu.v témoins, M
ou G, représente la tradition la plus ancienne et la plus sûre.
Le fait que G ramène le premier élément du nom à un participe, interprétation la
plus facile, n'est pas pour le recommander; néanmoins il est, surtout pour Gen.,
plus ancien que M, et pour ce motif la conclusion de Kittel semble plus probable.
4. Après Nof', G (à l'exception de L, qui s'est conformé à l'hébreu) intercale uîol
î\w£. Aucun commentateur ne pose la question de savoir si dans ce cas G ne repré-
376 REVUE BIBLIQUE.

sente pas, mieux que M, l'original hébreu.


Bertheau et Hummelauer loiit observer

que le Chroniqueur, sachant ses lecteurs très au courant de la généalogie des


rapport entre les trois noms
anciens patriarches, a jugé inutile de les avertir que le
qui suivent n'est pas le même qu'entre les précédents, qu'il ne s'agit plus de descen-

dance mais de fraternité. Mais le Chroniqueur est toujours fidèle par la suite, et
pour des personnages tout aussi connus, à spécifier les rapports (cf. vv. 28 et 3-1'. et
explicite sur ce point (Gen. v, :i2:
sa source, qu'il suit d'habitude exactement, était
\., 1
- d'autre part, l'omission s'explique aisément de la part d'un copiste. Il sem-

ble donc que INI a commis ici la même faute qu'au v. 17 (voir ci-dessous) et n*l3 iJl

serait à restituer dans son texte. Il n'est pourtant pas impossible que le Chroniqueur,
uniquement préoccupé de relever les noms propres de Ccn. v. ait continué selon
la même méthode jusqu'à la fin de la
généalogie.

D'après Benzinger, le contenu des vv. 1-4 était du domaine public et le Chr. n'a
pas eu à l'emprunter à la Genèse. Il est certainement des noms que le Chr. n'avait
pas besoin de lire dans un texte pour les écrire. Mais il suit si constamment l'ordre
de la Genèse et ses formules sont si régulièrement empruntées à cette source qu'il
n'y a pas de doute qu'il en ait utilisé le texte là même où il aurait pu s'en passer.
D'ailleurs la tradition orale qui lui transmettait ces noms, bien qu'elle fût anté-

rieure à la rédaction de la Genèse, s'appuyait depuis longtemps sur le texte écrit, si


bien qu'on pourrait toujours se demander si, à cette époque, elle s'en distinguait
comme une source réellement différente.
Les vv. 5-7 reproduisent littéralement Gen. x, 2-4.
5.

Après Javan, G à l'exception de L) ajoute 'EX(£)taà, qu'il n'a pas tiré du v. 7


comme le prétend Kittel [SBOT, BH), mais de Gen. (x, 2) dans G la tendance du :

traducteur grec et surtout des copistes à conformer le texte des Chroniques à celui
de la Genèse des Septante est constante. Mais il est vrai que dans la Genèse le mot
a été pris de \, 4.
Au lieu de ~U7î2, GVP vocalisent Môio/ Mo.sor// ;Joo, ici et dans Gen. (x, 2),

d'accord avec Peniateuque samaritain (nombreux mss.) "tria; dans Éz. xxxviii,
le

2-3 et xxxTX. 1 le même mot devient dans G (B) Méao/ et dans G (A) Mdooy^ ,

(wwiii, 2; xxxix, r ou AIc.70/. (wxviir, 3i. Cf. l'assyrien Mus/m et Miisku et le


grec Moa/ot^
0. Au lieu denS"'n, liie avec 30 mss. environ flvennicott) GV et dans Gen. (x, 3)

M Samar. T n£"'m. En fait, on a, dans les Chroniques, G (B) "EpsiçiO (A) Ttifas

(L) 'Pt?iO et dans Gen. G (AL) Ti:pâO (D) 'EptçâO.


7. Au lieu de nuJiurim, lire avec GVP et dans Gen. (\, 3) M Samar. T ï;iurnn\
Le n est peut-être dû à l'inlluence de la finale de nu.^i'^N qui précède.
Maintenir ci:-"!! dans M, avec G (à l'exceptidu de L) 'l'6o:ot et pour (^«en. (\, 4)
quelques mss. hébreux (Ginsburg) Samar. G 'Piotoi, contre Chr. plusieurs mss.
hc'breux, G (L) \P (\\ alion, Barnes) et Gen. MVPT qui ont ou supposent D^J""!.
Les vv. «-I0 sont la reproduction fidèle de Gen. \, G-s.
H.

S)2in /"'i'wo et secundo (Ginsburg), contre Gen. \, 7 r!*2y"l primo et secundo;


!>.

de même Chr. xnz::. («en. nn2D simples divergences orthographiques, x s'intro-


:

diiisant sous l'influence de l'araméen.


Apres 112;, (i (à l'exception de 93 121) ajoute xjvr,Yo:, qui est pris de Gen.
10.
'x, 9)dans G. Il n'y a pas de raison de tenir ce mot pour original dans les Chr.,
vu que G ajoute souvent au texte d'après la Genèse des Septante, et (jue la locution
vYïç y.jvr,YÔ: était devenue l'épilhètc populaire de Xemrod.
11. Les vv. 11-16 transcrivent littéralement (i«n. \, 13-Ih (/.
I.E PRRMIEl! CIIAPITRK DES PAKAI.IPOMÈNES. 377

Les vv. ll-i>3 manquent dans G (B 127 158). et sont sons astérisque dans (1 '«M).

Voir V Introduction et le com. du v. '24.

Kiltcl (BH) préfère le krtliih '"'llS au qcrr et à Gen. (\. 13) D'^~^^, ens'appuyant
sur G (A) Aioou;',jL (L) Aojô'.ïfa. La transcription grecque donnerait en effet à penser
que le bonne leçon. Mais G (A) transcrit de même les noms du
kellnb représente la

V. 12, dont aucun n'a deux iod, et le pluriel indiqué supposerait un singulier '^l'h

dont il n'y a de trace nulle part (cf. Is. lx.vi, 19; Ez. xwn, 10; xxx, 5).
12. dTi'^D^ est devenu en grec dans Clir. G (AN) XaaXwv.^frj. (L) XaaXojEfii, et :

dans Gen. (\. 14 : G (AD XaiijLtoviEta fSUj) XaoX'oviEtji. (E) XaXosia.


L'incise d'où sont sortis les Philistins occupe ici la même place que dans Gen.
\, 14), et toutes les versions des deux textes sont d'accord. Cependant, d'après
Ames, IX, 7 (cf. Deut. ii, 23; Jér. XLVii, 4) il semble qu'elle devrait être rejetée
après aiinî^TiXl. On voit généralement dans cette proposition une glose marginale
qui aura été à un moment donné insérée dans le texte de Gen., mais dès lors
mal placée.
13. nriTlNl. G (A) /at TÔv XsTtarov (L) xa't rbv "EO; mais dans Gen. (x, 15: G
(AEL,^ xal TÔv XerTatov.
17. Les vv. 17-23 reproduisent sans aucune modification Gen. x, 22-29.
D1N 1:21 manque dans MG (L 19 44 52 04 93 108 119 121; VP, mais se lit dans
le ms. hébreu 175 de Rennicott et dans G (tous les autres niss.) d'accord avec Gen.
(X, 23;. Ces mots auront été omis par un copiste. Au lieu de yiyi, le Targum de
Chr. a iNi"'i*D''N'l, corruption sans doute de in'JTJ aiN", devant lequel ijn a dû
tomber (Curtis). Au lieu de yiyi, lire donc yi" n"iN 1J21 (Benzinger, Ivittel, Curtis).

MV répètent ici ~t,'"Cl du v. 5 par méprise; G répète aussi Môcjoy qu'il a d'ailleurs
déjà dans Gen. (x, 23). Mais lire avec Chr. 6 mss. hébreux (de Rossi) P et Gen.
M Samar. (xr*2l) VPT 'Cni (Benzinger, Kittel. Curtis) : -^itd plus connu et plus

familier aux copistes aura été substitué dans plusieurs exemplaires de la Genèse,
notamment dans celui que les Septante ont traduit et dans celui que le Chr. aura
copié (cf. Curtis). Pour ce qui est des témoins, P dans les Chr. a été souvent con-
formé aux sources : sa teneur ne serait donc guère probante à elle seule en faveur
d'un original w*^2". Il peut en être de même des mss. hébreux de Chr.

18.Après 'Âpçaçàô, G (ANL et la plupart des minuscules) ajoute tôv Kaivâv za't
Ka'.vàv lyÉvvrjcrîv. Le traducteur a puisé dans les Septante, Gen. x, 24 (cf. xi, 12 ss.

et Luc III, 36), qui comporte la même addition. Voir ci-dessous, au v. 24.

19. Au lieu du sing. ~Si on trouve le plur. dans G iyvrji^f}f]Goi.w VP comme

aussi dans Gen. (x, 25) M Samar. GPVT. —


C'est ici la seule notice étymologique

que le Chr. ait retenue dans le premier chapitre, sans doute parce qu'elle était plus
étroitement liée au cadre même de la généalogie. Mais ce détail indique qu'il ne faut
prêter à l'auteur ni un plan trop strict, ni une méthode trop rigoureuse.
20. rn^TNl manque dans G (A), mais se trouve dans G (L) xaî tôv 'laps et dans
Gen. (x. 26) G (A) x.a\ 'lapaô. — maisn G (A) 'A?a;j.i&6 (L) 'Ac73p;j.oi8, et dans Gen.
(X, 26) : G (A) 'AoapuLwO (L) 'Aaapa[xoj0.
21. St'N g (L) OùZiX P N^jàj V Huzal, mais G (A) A;?4v et dans Gen. (x, 27)

Samar. '^"In G (AL) AitrjX. Certains manuscrits de la Genèse à une date ancienne,
et en particulier ceux dont dépendent les Septante et le Pentateuque samaritain,
écrivaient donc un iod à la place du ivair, et la leçon de Chr. G (A), si elle ne dé-
pend pas de la Genèse des Septante, indiquerait la même hésitation dans les manus-
crits hébreux des Chroniques.
378 REVUE LilBLlQUE.

Sl^y dans MG (A) refiiav (L) 'H6iiX V Hebal, et Gen. (x, 28) dans Saraar. G
22.
(agjtvx) TeSiX(klmoc 2) VriSiX (L) TcciedX JosÈphe 'HSaXo; V Ebal. Mais Smv dans
Chr. 19 mss. hébreux et P, et dans Gen. G (c) 'louGdX PT Éthiopien (codex C de M
Dillmann) Vhdhl, Ce mot manquait à l'origine dans la Genèse des Septante, comme
en témoigne encore son absence dans G (AEM), et il a été introduit sous des formes
diverses dans les divers manuscrits (cf. Flashar, ZATW, XXVIII, 213). La forme
que les Chr. (MGV etc.) ont retenue paraît bien être la plus ancienne.
24. Les noms énumérés dans les vv. 24-27 sont tirés de Gen. xxv, 11-12 dans
l'ordre de la source. Benzinger fait sur les vv. 24-28 la même observation que sur
les vv. 1-4, et qui mérite la même réponse,
G (L) est seul ici à ajouter Katvâv après 'ApcpaÇdô.
Au début du v. on lit comme au v. 17, d'abord uîo\ S/îix (oeuf mss. uiol 6è Stjix)
dans AN et tous les minuscules cités par Holmes et Parsons, excepté les mss. lî)

1)3 108 (c'est-à-dire L), puis AîXàix /.al 'AaaoJo (deux mss. 'Aaoùp) x.ai 'ApçaÇdEB (SaXd
X. T. X.) A et les minuscules 52 74 120 144 158 243, dans les mss. 106 où
dans
manque primo et secundo et 107 où manque y.a.i secundo.
/.«(

Cette teneur du v. dans G (A etc.) utol StÎ[x AîXàjx xa\ 'Aajoup xoà 'ApçaÇaô, SaXdt, :

comparée à celle identique des vv. 17 et 24 dans G (B), démontre que les vv. 11-24,
à l'exception de 17 r^ et de 24 b, manquaient à l'origine dans G, comme en témoigne
encore le codex Vaticanus : on a complété VAlexandrinus et d'autres mss. en insé-
rant les vv. 11-23, mais en laissant tels quels les fragments 17 « et 24 b, qui dès
lors ont constitué dans ces mss. La mutilation de G doit être toute proche
le v. 24.
des origines et il est même à croire qu'elle est imputable au manuscrit hébreu dont

le traducteur se sera servi. Plusieurs leçons de B montrent que ce ins. était en assez
mauvais état.

27. Nin Dlix manque dans G (B), mais se retrouve dans G (VNL douze minus-
cules) 'Â6pà[x aÙT6;. Rittel (SBOT) et Benzinger le retranchent, y voyant l'œuvre
d'un copiste ou d'un rédacteur désireux d'harmoniser le texte de Chr. avec Gen.

XVII, 5. — Ces deux mots ne sont certainement pas primitifs dans G (cf. encore les
mss. 03 108 : 'A6paà;j. ajTÔ; 'A6paaa), et ce fait, vu la manière rapide dont le Chroni-

queur procède dans les vv. 1-4, 24-27, confère quelque vraisemblance à l'hypothèse
d'ime Interpolation. Néanmoins l'addition supposée est en soi peu naturelle : quel
besoin de rappeler le nom primitif du patriarche? Au contraire, l'insertion de xin
omSK' après m2X était tout indiquée et presque nécessaire si cette dernière forme
du nom avait été écrite d'abord. Or, c'est celle-ci que le Chronitjueur lisait dans s.i

source (Gen. xi, 26). S'il l'a transcrite, comme il est possible, il a dû ajouter les

deux mots suivants. Dans ce cas, B serait mutilé ici comme il lui arrive assez sou-
vent (cf. vv. 38, 3!), 50, 54) : la ressemblance des deux formes du nom facilitait

d'ailleurs la faute du copiste.


28. La donnée de ce v. a pu être empruntée à Gen. xxv, 11-12.
20. Sauf les deux premiers mots, qui sunt originaux, les vv. 20-31 sont empruntés
servilement à Gen. xxv, 13 /»-16 a.

Témoignent en f;iveur du suffixe de DmSn et fout de ^^^Z2 un qualificatif de

m^l3 : MG (L) PV; au contraire, G (BA et quinze minuscules) supprime le suffixe

et transporte la qualification de « premier-né >- sur i Ismnrl » régi dès lors par

m'^ln : oiyTai o£ ai Y'Vî'aeiç zpioTOTo/.oj 'I(i|j.a7ÎX. La leçon (le M paraît seule arcep-
tablf : 1 . On ne voit pas pour(|iioi le suffixe .lurail (-lé introduit par lui copiste ; on
comprend bien un contraire qu'il ait été supprimé, surtout après l'additidU des
vv. 32-33 s'ils sont interpolés. — 2. L;i leçon de INI »st celle (|ui .se conforme le
LE PREMIER CHAPITRE DES PARALIPOMÈNES. 370

mieux à la source (Geu. \vv, }3). — 3. Ou ne saurait objecter la dureté de la cons-


truction : « preulier-né d'Ismaél iVebaiotli et Cédar
Abdéel etc. », car et la cons-
truction est la même dans la Genèse. Le caractère embarrassé du texte est donc
sans conséquences pour Chr. ; il est d'ailleurs acceptable si on le compare à Gen.
\xxvi, 40; bien plus, il constitue une preuve d'autbenticité et établit une présomp-
tion contre G : le traducteur- grec n'a-t-il pas aplani aussi, bien que d'une manière
dilîérente, le texte de Gen. xxv, 13?
\S'2TN1, comme dans Gen, xxv, 13 (cf. Samar. S[n]2'7S*1), est corrompu dans
C;hr. G (B) NaôôatrjX (A) xa\ NaoSe^jX (cf. L xaî 'AoStrjX) et dans Gen. G :AL) xai
NaSSïîjX (D) xa\ Na6ôatr;X.

Dunai, comme dans Gen. xxv, 13, devient dans G Cbr. (B Mxaaâ (A) MaSaâv
(L) xatt MaoTaii. et Gen. (A) xa\ Maiiaix (D) Majav (E) Mxoii'x (L) xal Majjâv.
30. Nï;*2 (dans Gen. xxv, 14, N"C;D1) devient dans G Clir. (B) .Mavaaar; (A) MoL'jn-q
(L) xa\ Maaaa et Gen. (A) xa\ Maaai-f (D) AlavaaïTJ (L) xaî Majarj. Il est à croire qu'à
l'origine, contrairement aux simples de générations descendantes (vv. 1-4 a et
listes

24-27), les énumérations de frères comportaient généralement la copule devant tous


les noms, sauf le premier (cf. vv. 5-6, 9, 11-17, 20-23, 28-29, 32-34, 38-42 sauf un
cas au V. 40); là où elle manque, elle sera tombée par accident (cf. 30-31, 35, 40)
comme semble parfois l'indiquer la comparaison avec Gen. et avec les versions. Il
n'y a guère d'exception que pour les cas où les noms sont groupés deux par deux
(cL 7-8, 36) et pour celui où seul le dernier des noms énumérés est précédé du waw
(V. 4, 37).

""m (quelques mss. hébreux *nn) G (A) Xoooio (B) Xovôxv (N) XoXSaô (L) 'Xodo

V Hadad P ;joi; 15) ""n, mais Samar. (nombreux mss.) "nn, G (A)
dans Gen. (xxv,
XooSav (EML) Xo8Sà8 (D) XaXoa V Hadar. Il ne semble pas qu'il faille douter même
du heth bien qu'il ait contre lui vingt-trois manuscrits du Peutateuque samaritain.
KQTl, comme dans Gen. xxv, 15; G (ABL) 6ai[xav dans Chr. et dans Gen.
32. Dans 32 a, seuls les noms de Cétura et d'Abraham sont pris de Gen. xxv, 1.

Les vv. 32 6-33 reproduisent Gen. xxv, 2-4, mais en modifiant les formules généalo-
giques; en outre ils omettent les fils de Dadan.
'll~^ 'J2.'à G (B) AaiSàv xai Sa6at. G (AN et quatorze minuscules avec variantes de
détail) ajoute à M et à G (BL) P : xa\ uîo\ AaiSàv TayouriX xai Na88atT)X xai 'Aaaouptsla
Atrcovs-'v (Aotoaslv). V ajoute seulement
xal AaTOja'.s'ia xal filil autem Dadan Assurim :

et Latussim Laomim. Pour juger de l'original de Chr. il est utile de remonter au


et

texte de Gen. xxv, 3 M aV^xST 'JTûbl DIICX 1\-i ]-~ t:n "[IT riNl 'Jl'à nx
:

G -bv i]a6àv xcù rôv 0a'.[j.àv xal tov Aai8av uiol oè Aatôàv èysvovxo 'PayouriX xat ^'aoÔ£rJX
.

xal 'Adouptu. xxt Aaiouasslix xal Ao'ofiefjjL. Les mots xal tov 0at[jiav manquent dans les
mss. bmo et dans Josèphe, xaî manque dans le ms. d et la forme du nom varie
dans les mss. E acdfhilnr : ces mots constituent donc une addition postérieure
dans G. comme il appert d'ailleurs de leur absence dans Chr. d'après tous les
témoins. TaYouTjÀ xa\ NaôoEr.X xxl manque dans le ms. o et dans Josèphe, et diverses
variantes existent dans de nombreux témoins en particulier, le premier xat manque
:

dans les mss. dup. dernier dans les mss. dp. Ces quatre mots ont donc été
et le

ajoutés après coup dans G, bien qu'on les retrouve'dans l'arménien, le bohaïrique et
l'éthiopien.Par conséquent il faut s'en tenir d'abord, et tout au plus, au texte de
M, et il s'ensuit déjà pour les Chroniques que TaYOJïjX xal Na68atr|X xxl dans
G (AN) ont été empruntés à la Genèse des Septante... et ne sont pas originaux dans le
verset. Mais tout le surplus de ces deux mss. est dès lors plus que suspect, et la
divergence de V, dans laquelle l'addition a été évidemment et par principe confor-
REVUE BIBLIQUE 1916. — N. S., T. XIU. 25
380 rSEVUE BIBIJQUE.

mée au texte hébreu de la Genèse, achève, s'il en était besoin, de démontrer le

caractère adventice du texte. En fln de compte, il ne reste à l'actif de l'auteur du


verset que les noms retenus par les meilleurs témoins, M et G (B). Au reste, les
commentateurs de la Genèse (Gunkel et Skinner par exemple) considèrent volon-
tiers tout le surplus de xxv, 3 relativement à I Chr. i, 32 comme une addition

postérieure à l'auteur de ce verset des Chroniques ainsi s'expliquerait romission :

des fils de Dadan dans le verset.

Les deux noms Saba et Dadan se trouvent déjà au v. 9, mais parmi les descen-
dants de Chara, conformément à Gen. x, 7 (qui est de l'Écrit sacerdotal, tandis que
Gen. xxv, 3, source du présent verset des Chr., est de J).

Le V. 32 ne reproduit pas sa source avec la méthode habituelle du Chroniqueur.


Au lieu de « Jecsan engendra » (Gen.), on lit dans Chr. : « fils de .lecsau », et c'est le

seul cas, dans le chapitre, où la formuledu cadre généalogique de la Genèse soit


changée. La Genèse appelle toujours Cétura la « femme » d'Abraham; jamais elle ne
la qualifie, comme ce v. des Chr., de y;iSi2. Mais il n'est pas étonnant qu'au lieu de
l'imparfait consécutif nous lisions le parfait dans les Chroniques. Voir aussi Vlntro-
duction.
33. isyi ,121" G (BA) ra-jÈp (A Tatçàp) xat "Ooep, et dans Gen. xxv, 4 G (ADEL)
TE-jàp (DEL Taiçàp) -/.al "Açsp (L "A-fstp). Mais Chr. G (L) Taioà xa\ To^ép V Ephact
Epher et Gen. V Epha et Opher.
34. Le V. 34a est l'équivalent presque littéral de Gen. xxv, 196; la donnée du
V. 346 rappelle Gen. xxv, 25.
Au lieu de SnIU;"»! iiJ'J MLPV, on lit dans G (B) 'Iay.wo xa\ 'FTcraj (A) xaî 'Flaaù

xat 'Iaxâ)5 (N 44 56 fiO 64 71 106 119 etc.) 'Haau xaî 'la/.(I)o (cf. Gen. XXV, 25-26).
La leçon primitive de G est certainement gardée par B : la plupart des rass, ont
encore « .lacob » au anormal qui précède 'Hcrrj dans A
lieu d' « Israël », et le xaî

ne laisse aucun doute sur la place occupée à l'origine par ce nom. Cette leçon doit
être celle du Chroniqueur, de préférence à M (PV et G [L] d'ordinaire dépendent
si étroitement de M qu'ils nous renseignent sur son témoignage mais ne le multi-
plient pas). En raison même de son originalité, un copiste ne l'aurait pas imaginée.
D'ailleurs le même procédé est observé au v. 28 où Isaac, bien qu'il soit lui aussi
le second par la naissance, est nommé avant Ismaël, parce qu'il est l'héritier des
promesses (cf. Benzinger, Kittel).
La naissance d'Isaac, mentionnée une première fois au v. 2S, l'est de nouveau
ici, mais cette fois avec une formule analogue à celle de Gen. xxv, 19.
35. Les noms des descendants d'Esaû dans les vv. 35 37 sont extraits de Gen.
XXXVI, 10-14 ou 4-.5a, 11-13, mais la mention des femmes d'Esaii est omise et les

noms de ses fils sont groupés ensemble : le v. 35 est extrait, de cette façon, des
vv. 10 et 14 ou plutôt des vv. 4-5a. 11 y a en outre une divergence au sujet de
Thamna.
30. M ^Sï V Scfilti, mais environ 30 mss. hébreux, 3 mss. grecs (i^ayti) et Gen.
(xxxvi, 11) isi*. D'autre part, G (Chr. et Gen.) Swçap, sans doute ISÏ, tandis
que pour Chr. G (L) a i:£-50jî5 ("ilîi*?; et P ^6j. lEï et ^Eï sont les formes les

mieux garanties, la secitnde étant sans doute une corruption de la [)remière.

, Vj'Zm M (sauf que mot manque dans le ms. 495 de Kennicott) LVP; mais G
le

(B xa\ TTJî Ha|ivi (AN 52 55 56 etc. avec de légères variantes) Hafxvà o£


'AijiaX^jX : rj

ra'A'Aaxr, 'FilXt^iÇ htxiv aùif) (aùxô)) xbv 'AaaXrîx. Dans la source (Gen. \\\M, 12) OU

ht : « ... et Thamna hil une concubine «rKliphaz, fils d'Es.iii, et elle enfanta à
Elipli;i/, Amalec. » Thamna, qui dans Gen. est une concubine d'Eliphaz et la mère
I.E PREMIER CHAPITRE DES PARALIPOMENES. 381

d'Amalec, devient donc dans le texte hébreu des Chr. un fils d'Eliphaz. Ce texte
paraît bien, Les diverses leçons de G s'expliquent
néanmoins, garder l'original.

comme une série de tentatives plus ou moins développées pour accorder Chr. avec
Gen.; Ivenn. 495 est une solution radicale. Ces variantes ont un but commun et
témoignent indirectement en faveur de M et de sa dilOculté. Mais comment expli-
quer M? D'après Kittel, les généalogies ont en vue non pas des individus, mais des
tribus ou groupes de tribus, et il est possible qu'au temps du Chroniqueur Thamna
ait prisune place considérable, trop honorable pour qu'on pût dès lors la considérer
comme une femme de second ordre, c'est-à-dire comme un élément secondaire d'une
tribu. Bertheau avait déjà soutenu celte thèse, et Benzinger croit aussi que la di-
vergence des Chr. est intentionnelle. Curtis pense que le Chroniqueur a seulement
mal lu la Genèse, et qu'il a pris « Thimna » pour un nom masculin à joindre aux
noms précédents, lisant ensuite : « il y avait une concubine d'Eliphaz, le (ils d'Esaù,
et elle enfanta à Eliphaz Amalec ». Le même nom se retrouve d'ailleurs au v. 39
(cf. Gen. XXXVI, 22).
37. m" est, dans Gen. xxxvi, 13, précédé du waio et les noms des fils de Rahuel
sont dès lors groupés deux par deux.
38. Les vv. 38-42 reproduisent Gen. xxxvi, 20-28, mais en abrégeant l'introduction
et les formules qui annoncent les fils et en omettant les conclusions ou notices
contenues dans les vv. 21, 24 6c.

Le v. 21 de Gen. xxxvi, comparé au v. 8 du même ch., indique quel rapport la

descendance des fils de Séir peut avoir avec celle des fils d'Esau. Le Chroniqueur se
contente d'insérer le document.
La forme lU?i"T pour le nom du septième et dernier fils de Séir eist attestée dans
Chr. V. 38 par .MG (L) YP et dans Gen. xxxvi, 21 par M Samar. VPT, dans Chr.
V. 42 par MV et, au moins pour le dnleth, par G (B AL Aaiat&v), et dans Gen. xxxvi, 28
par M. Samar. VPT; la forme dans Chr. v. 38 G
"tiujii au contraire a pour elle

AN 52 56 60 64 71 119 121 1.58), et dans Gen. xxxvi, 21 et 28, G (y compris L). Quant
à G (B). représente les deux derniers noms duv. 38 des Chr. par 'Qvav, leçon basée,
il

comme au v. suivant, sur une mutilation de son texte hébreu. Gunkel se prononce
pour ViTi"! et Skinner pour V»rl"l ou 'rtt7tlà cause de ]i*ii/*i"T, nom du cinquième fils

de Séir (Gen. xxxvi, 21. 25 même avis dans SBOT,


s.); Kittel, qui avait adopté le
l'abandonne dans Com. Eu somme, -M différencie deux noms par la dernière les

voyelle, et G par la première consonne, sauf dans Chr. v. 42 où celui-ci maintient le


daleth. Il est bien à craindre que G ait été mû, comme les exégètes qu'on vient de
nommer, par le désir de donner aux deux fils de Séir des noms qui ne se puissent
confondre : en Tignorance de toute autre différenciation, il aura choisi, la difficulté

de lecture aidant, celle de la première consonne. Mais les présomptions sont plutôt
en faveur de M dont la tradition, appuyée comme elle est sur le Pentateuque
samaritain, paraît plus sûre.
39. Au lieu de D'2im (MVP, et dans Gen. xxxvi, 22 P), écrire D'^rt'l avec
Chr. G xa\ A'.aav (L) xal 'H;a.av et Gen. M Samar. T G (y compris L) y.al Aûxav V ei

Ileman.
Ktxi 'AîXàô xaî INa;j.va dans G (B) est une mutilation et une corruption
de yjan ]'i2iS mnxi
en yjQ JT2 s "t
NI.
40. Au lieu de ]^^h'J (MV) écrire yh'J avec de nombreux mss. hébreux, G (L)
"AXouav P (vçui.) et dans Gen. (xxxvi, 23) M Samar. G (A) TwÀtiv (DE) PwXcia VPT;
382 REVUE BIBLIQUE.

en outre, dans Chr., G (B) SwXd[x (A) 'IwU^ (N 52 55 56 60 64 71 119 158) TtoXi;/
(roXdta) et dans Gen.. G (L) TmH'x ont peut-être lu le waw, sauf à l'avoir déplacé.
S^iy est dans G (BN) T(xl^X, de même que, pour Gen. (xxxvi, 23). dans G (AL);

voir le com. du v. 2. D'autre part, Chr. G (A) rao6r;X (L) OuSaX P >\i,ij. et Gen. 1>

{idem) ont lu un waio à la place du iod.

Au lieu iMG (L) Sa7iï)£( V Srjjhi, lïi'd est attesté directement par Gen.
de "isu;

(xxxvi, 23) Samar. V Sepho ï, et peut-être indirectement par Chr. G (A 55 56


M
60 64 119) Swçâp P v4i et Gen. P {idem); on a en outre Chr. G (B) ^tôr: et Gen.
G (A) Swç (E) Swp (DL) Swçàv. Par analogie avec le cas du v. 36, isu? paraît plus
probable.
La Onale de n:,; dans G (B) llto^/i^ (A) 'Qvda (L) 'Avâv et Gen. (xxxvi, 23) G
'Qvav (L) Aîvav doit avoir été introduite sous l'influence de DjIn G (BA) 'Qvàv (L)
Oaviv et Gen. G (AL) 'Oaxv G (D) 'tiixip, qui précède.
41. "ji^Jn primo, nom du fils d'Ana, est appuyé par G AaiaoSv PV Dison et Gen.

(xxxvi, 25) M Samar. G Ar|iojv (L) Aatitôv VPT. L'addition y.x\ 'EXtÇaaà OuyaTTip 'Ava
dans G (AN L) est prise de Gen.
]yà^1 secundo, nom du cinquième fils de Séir, est confirmé ici par G (BA) Aatatôv

(L) Arjfftiv VP, au V. 38 et dans Gen. xxxvi, 21 par tous les témoins, et enfin dans
Gen. XXXVI, 26 par plusieurs mss. hébreux, Samar. G. (ADE L) V contre ]U?n dans
MT, qui est certainement fautif.
"jl^n est attesté par MV Hamram PG (B) T;a.epa)v contre "("iDn qui a pour lui de
nombreux mss. hébreux, G (AN) 'A;i.aSâ (L) Gen. (xxxvi, 26) M Samar.
'A[jLaoa;j. et

VT G (A) 'Aaaox (E) 'A8z(j.a (L) 'Â|xa5â. Curtis choisit le premier et Kittel {SBOT.

BII, Com.) le second, l'un et l'autre, en partie du moins, pour des raisons étymolo-

giques bien fragiles. On doit, pour la Genèse, s'en tenir à la seconde forme, puisque
les témoins (sauf P qu'on peut tenir pour peu si\r en pareil cas) sont unanimes.
Quanta Chr., ses meilleurs témoins, M et G (B), sont en faveur de la première:
les autres ont dû être influencés par la leçon de Gen. il est clair en particulier que :

G (A) mot dans la Genèse des Septante, et L l'a simplement retouché. Il


a pris le
est donc probable qu'un copiste aura de très bonne heure introduit l'erreur dans

Chr., à moins que le ms. de Gen. utilisé par lauteur ait été fautif ou mal lu.
42. Au lieu de m71 (MVP et Gen. xwvi, 27, MVPi), y^^l^ est attesté par Chr.
G (B) xa\ Zojxocp. (AN) /.ai 'Ai^ou/.av L xaî Zauiv et Gen. Samar. G (AL) xaî Zouxâa.
On s'étonne que "jpy (M), dernier nom d'une énuméralion, ne soit pas précédé
du vHiw. Il semble qu'il faille choisir entre ]'p'J\ qui est lu par environ 22 mss.
hébreux, G (AN) seconde leçon y.a\ O-jy-i'^ et dans Gen. (xxxvi, 27) par M Samar.

PVT, G (A) seconde leçon y.cà Ojxiv, — et ]p'^il lu par Chr. G lANy première leçon
/.a\ 'Icuaxâv (L) xa\ 'laaxa'v PV et Gen. G (A) première leçon xa\ I'.)jxdt;j. (L) xa\

Mouxdtx, cf. (D) xa\ 'l£orjxâ|ji. La leçon la plus ancienne de G dans Gen. est sans
aucun doute la première leçon de A. appuyée d'ailleurs par D et L; elle a inspiré
la première et la plus ancienne leçon de AN dans Chr., leçon dont on trouve
encore l'écho dans L. Il est à croire rju'il faut lire "(pyi, nom qui se retrouve d'ail-

leurs dans Nombr. xxxiii, 31 s.-, Deut. \, 6.

43. Les vv. 43-50 transcrivent fidèlement Gen. xxxvi, 31 3!» il maii(|ue seule- :

ment lesmots 17X2 -f ^''1 du v. 32 et iliiiy du v. 39. p


.\u lieu (le Voici les rois qui ont rcfjué dans le pays d'Édom avant que régnât
:

un roi des fils d Israël (Ml'), on lit seulement dans G (B) xal ourot oi 3air/.£î4 aùt'ôv,

à quoi G (AN; ajoute : ot jia^iXeûji/Ti; ^v 'Koo'ijx. zy) toj ^aaiXEjaai pajtXea -oiç ••J'.oTi
LE PREMIER CRAPITRE DES PARALIPOMÈNES. 383

'Icipar)X. G (L) est conforme à G (AN) sauf la suppression de aùiôiv et l'addition de


Y»i devant 'ESci;!. et de h devant rof? utotç. La teneur de G (B) et la présence du
pronom aj-ôJv dans G (\\ et la plupart des minuscules) prouve qu'à l'origine G était
tel qu'il se trouve encore dans B, c'est-à-dire sans la proposition relative. Cette
proposition a été ajoutée après coup dans G, par traduction directe sur le texte
hébreu de Clir. et non par emprunt à la Genèse des Septante : au lieu de iv 'laparJX

dans celle-ci (xxxvi, 31), lu par G (DE L) et confirmé par la version syro-hexa-
plaire, ou de èv 'IspouaaXrlijL lu par G (,\), nous avons en effet dans Chr. xoT; utoti;
'lapaTJX, conformément à M. Le fait qu'on lit h 'Eôwa dans Chr. G (A\) comme
dans Gen. G (AE et L) est sans conséquence. Mais par qui la teneur primitive de
l'hébreu est-elle conservée? Par M
ou par G (B)? Kittel (SBOT) et Benzinger se
prononcent en faveur de B; Kittel (Corn.) et Curtis, en faveur de M. Le Chroniqueur
a pu abréger le texte de Gen. comme le fait B; mais l'original hébreu de B a pu
aussi être en mauvais état par suite de mutilation, comme il lui arrive ailleurs
(cf. 11 ss., 17 6 ss., 29, 38. .3!)). Il est difficile de se prononcer avec fermeté. Cepen-
dant, comme, à partir de ce moment, le Chroniqueur reproduit sa source assez
complètement et sans en extraire une simple liste, les probabilités semblent être en

faveur de la Massore.
Avant que régnât etc. peut être tiré en deux sens. La Vulgate traduit (Chr.) :

antequam esset rex super fiUos Israël, et les Septante l'entendent de même dans
Gen. : -pb tou paaiXEuaai jîaatXia âv 'Icîpar(X ('IcsouaaXijfj.), et sans doute dans Chr.
Il ne peut être question d'abord de s'en tenir à la leçon bNTJ;''^, bien que ce soit
celle des Septante et de deux mss. hébreux dans la Genèse. Sn'TC,"' iJlS, qui est
moins attendu, a toutes les chances d'originalité, sans compter les témoignages
positifs qui l'appuient. Mais la traduction de V est acceptée par Driver dans Gen.
et par Bertheau, Oettli et Kittel dans Chr. Elle n'est pourtant pas heureuse. Le S
indique ici le génitif, lequel n'a pu être exprimé par l'état construit, le nom "j'^a
ayant dû rester indéterminé Gesenius-Kautzsch, 129 c). On peut alors entendre
(cf. :

« avant que régnât (sur Edom) un roi des fils d'Israël », ou bien « avant que régnât :

(absolument) un roi des fils d'Israël ». Dans le second cas, il est question de Saùl;
dans le premier, il s'agit de David qui conquit Edom et y substitua l'autorité des
rois Israélites à celle des rois iduméens (II Sam. viii, 14). Cette interprétation est
seule vraisemblable : la liste des rois d'Édom est naturellement close le jour où
Édom perd son indépendance (^Dillmann, Holzmann, Gunkel, Skinner, Curtis). —
Fidèle à sa méthode, P intercale avant l'énumération des rois les mots : « et régna
sur Edom », empruntés à Gen. xxxvi, 31.
]2 'jhl devient dans G (B) BâXax u'.b; BtMc. (A) Baiwp (L) Scjrçwp. Cette singu-
"liyn
lière leçon de L se retrouve dans la version arménienne du texte parallèle de Gen.
(xxxvi, 32) elle provient de Nombr. xxii, 4 où l'on trouve, dans les Septante, un
:

roi de Moab appelé BâXa/. uîb; Setocjo. —


On a voulu identifier Balé, fils de Béor,
avec "1V>2 72, C"S2 nommé au v. suivant des Nombres (par ex. ï. K. Cheyne, dans
Encijd. Bibl.,'dvi. Bete;. Ed. Meyer, Gcschichte des Altertums, I, Stuttgart, 1909,
deuxième édition, p. 376, tient les deux noms pour identiques à l'origine voir indica- ;

tions dans Gunkel et Skinner). En tout cas, co ne saurait tirer argument de ce que
le Targum remplace ici 'jhz par U'j^2 les traducteurs ont été influencés par les
:

noms similaires de Xombr. xxir, comme on l'a vu pour S^-swp.


45. Au lieu de w'in, on trouve dans Chr. et Gen. (xxxvi, 34 s.) G AadijL P^exuks.,
qui supposent Dirn; cf. Esdr. ii, 19; Néh. vu, 22.
46. MVP -"72; Chr. G (BAN) et Gen. (xxxvi, 35) G BapdS, mais Chr. G (L) BaSpocfi.
Ab-t REVUE BIBLIQUE.

lu lieu de riTty helhib, on a n"'"li? gcrc avec G (L) 'EuîO V Auith P t^.a^ et avec
Gen. 'xxxvi, 35) M Samar. VPÏ; mais Chr. G (BN) rsBOai'ix (A) TeOecifx, Gen.
G (ADEL; rseOat'a (— C^r'J?).

47. nSoiy MVP


dans Gen. (xxxvi, 37) MVP et G (L) SajjiXa; mais Chr. G (BAN)
et

Safiai (faute d'onciale; cf. L Sa6aà) et Gen. G (A) SaXapiâ (D) SafJiaXâ (E) SaXai,
Syro-hexa plaire \ya \cr>.

Dans G(B). les VV. 47 6-49 a, de xat àoaaîXeuaEV àv-' aÙTou i]a[Aai à zal (ÎTiéOavEv

iiaoûX, soit donc les règnes de Semla et de Saùl, ont été déplacés et transportés à la

suite du V. .51 après les mots : /al àjiéGavEv 'Aooi. En outre, les indications relatives
à Iladad difl'èrent dans B, comme il sera indiqué en son lieu. G (A) suit M pour l'en-
semble, mais à l'origine ne différait pas de B et a été mis dans son état actuel par
correction d'après l'hébreu « et Hadad mourut ». G (A; retient
: au v. 51 en effet, après
encore la mort de Semla (en double par conséquent
notice relative au règne et à la
puisqu'il a déjà cette notice aux vv. 47 6-48 « conformément à M). Eu outre, il lui
manque au v. 50 deux mots de M, comme il sera noté plus loin. De tout ceci il
résulte que B représente ici encore l'état original de G, dont il se confirme que la
traduction fut faite sur un manuscrit hébreu en assez mauvais état.
48. Au lieu de la leçon ordinaire de G t^; naoà TOTajio'v, on lit dans G (19 108
121 =: L) Toy 7:oTa[j.ûu.

50. A pn S>2, plusieurs mss. hébreux, G (BA) et dans Gen. (xxxvi, 39) MGT
(mais non Samar. P) ajoutent n2,DÎ? Ces deux mots auront été introduits dans la"p.-

version grecque des Chroniques à une date très rapprochée des origines et sans
doute par le traducteur lui-même, probablement sous l'influence de la Genèse des
Septante. Les copistes hébreux auront de même subi l'influence du texte massoré-
tique de la Genèse.
-Tn MG (BA) LrVP et Gen. (wxvi, 39) 40 mss. hébreux, Samar.; mais 'Mr\
Chr. plusieurs mss. hébreux et Gen. MTV, cf. G (D) 'Apao (A EL) 'Aoàô (pour
lin?). Gunkel, Skinner, Benzinger maintiennent la première forme; Kittel {SBOT,
Com.) adopte la seconde. Il peut y avoir eu plusieurs Hadad en Edom comme il
y eut plusieurs Ben-IIadad en Syrie (I R. w, 18 ss. xx, 1 ss. Il R. xiii, 24 s.), : ;

et I R. XI, 14 comparé à Chr. prouve qu'il en a été ainsi.


A G (B L) ajoute wi; Bapa^, qui se trouve aussi dans Gen. (xxxvi, 39)
'Aodtô,

G (OEL) Bapào. Il est surprenant que l'addition soit absente de Chr. G


(A) BapâO
(A), car sa présence dans G B) et par surcroît dans L, oii elle aura échappé au
reviseur, indique qu'elle remonte, ou à peu près, aux origines de la version. G (A)
l'aura perdue quand il a été conformé à M pour l'ordre des règnes. En tout cas elle

était empruntée, conune la précédente, à la Genèse des Septante.


Au lieu de "!"•: M, on a lyD dans plusieurs mss. hél)reux, dans G (L) *I>aoua V
l'haiiP et dans Gen. (xxxvf, 39) M Samar. \ PT, mais 'Kyiôp (lyE) dans Chr. G
(BA\) et dans Gen. G. Benzinger et Kittel (.SB07') se prononcent pour ce dernier
rcf. Nombr. xxiii, 28; Dent, m, 29): Curtis, pour VJB- La leçon de la Massore

dans Chr. est la moins attestée. D'autre part le traducteur grec a évidemment puisé

dans la Genèse des Septante, dont la leçon a toutes chances d'être une corruption
de "'JZ : il était tout naturel de r.micncr lui inun inconnu ou douteux à mi nom plus

connu. D'autre part, dit Gunkel, il est peu vraisemblable qu'Kdom se soit étendu
jusqu'à Beth Pe'or (F3eut. m, 29; IV, 46; xxxiv. «i; Jos. \in, 20). Voir aux vv. .36

et 40 des cas analogues.


L;i lin du verset à partir de TCx DUJI se lit coniplele dans iM G (L) V P, mais
dans P avec 71 à la place dv ri mcumlo; elle uiancjue totalement dans G (B), et
LE l'IŒMIEH CHAPITRE DES PAllALlPOMÉiNES. 38:i

dans G (AIN) elle s'arrête sur le mot IMxTpao. Geu. \v\vi, 39 est conforme au texte
massorétique de Clir. dans tous les témoins, sauf dans G (dont L ne diffère pas) et

P ([ui ont lu p au de n2 secundo. Pour Clir., l'absence de cette fin de verset


lieu
dans B et le caractère incomplet qu'elle revêt dans A indiquent bien qu'à l'origine
G ne la comportait pas. On peut soutenir sur la foi de B, et c'est l'opinion de Ben-
ziuger et de Kittel {SBOT\ qu'elle n'est pas primitive dans le texte hébreu lui-même;
le Chroniqueur, du reste, ne laisse-t-il pas volontiers de côté, dans les généalogies
(cf. vv. 35 ss.), ce qui concerne les femmes? Mais, d'autre part, il arrive a B d'avoir
un texte mutilé et dans cette liste de rois, le Chroniqueur ne paraît pas avoir eu
le souci d'abréger. II est donc difficile de se prononcer.
La leçon p. pour 7)2 secundo, est préférée par Skinner, conformément à Chr. P
et Gen. GP; mais ce critique croit plus plausible encore la correction de Marquart
[Fundamente Israël, und jîul. Gesddchle, Gôttingen, 189G, p. 10) en :a, car 2~~ "iD

« eau d'or » est un nom de lieu, et non pas de personne, et se retrouverait, cor-
rompu en nn7 f", dans Deut. i, 1. La correction est séduisante, et le moins que
l'on puisse dire est que la leçon de M est très douteuse.
Sauf les trois premiers mots, dont l'origine et la portée sont
•51. à examiner, les
vv. 51-54 reproduisent littéralement Gen. \xxvi, 40^- 43a.
La liste des chefs d'Édom est introduite, dans Gen. xxxvi, 40, par une formule
qui la laisse indépendante de la liste des rois les chefs peuvent avoir existé en
:

même temps que les rois ou postérieurement, et même ils pourraient être antérieurs
si les deux listes proviennent de sources différentes. Mais les Chroniques, avant de
résumer la formule d'introduction de la Genèse en ces mots « et les chefs d'Edom :

furent », ajoutent la mention de la mort du dernier roi « et Hadad mourut ». Les :

deux propositions juxtaposées (MGP) donnent à entendre que les chefs ont succédé
aux rois, si bien que V explique Adad autem mortuo duces pro regibus esse coe-
:

perunt, et T indique la même interprétation. Curtis explique la présence des deux


mots malencontreux par une bévue d'un copiste ou même du Chroniqueur, mais
celui-ci en écrivant ensuite D1~N lEI^N TTIil n'a peut-être pas voulu indiquer une

succession, il était seulement préoccupé d'abréger la longue formule d'introduction


de Gen. — Une clause qui revient jusqu'à sept fois dans les versets précédents et
termine régulièrement la notice de chacun des personnages nommés a pu facilement
se glisser encore dans celle d'Hadad. Il est possible aussi qu'un copiste soit respon-
sable de cette addition, mais l'accord de tous les témoins ne permet pas de l'affir-
mer. D'autre part, en faire porter la responsabilité au Chroniqueur, sous prétexte
qu'en l'occurrence il a été lui aussi, et surtout, un copiste, serait lui attribuer une
singulière maladresse.
A l'origine, nSx, d'où =iiSn* dérive, désigne le « clan », la tribu étant composée
de clans et le clan, de maisons (Jug. vi, 15; cf. Mich. v, 1); mais par la suite le mot

î^Sx prend un sens purement local et désigne surtout un territoire (B. Luther,
ZATW, 1901, p. 6). De fait, les noms énumérés dans les vv. 51 à 54 sont en partie
des noms de clans et en partie des noms de lieux (Driver). Ils désignent sans aucun
doute des subdivisions territoriales ou des tribus, peut-être les districts maintenus
par David après la conquête comme bases de son administration. On doit donc con-
sidérer i^'SN comme étant à l'état construit et traduire : « le chef de Thamna etc. »

(Gunkel, Driver, Oettli, Curtis), comme G (Chr. Gen.) semble l'avoir compris, et
non pas : « le chef Thamna, etc. » (Kittel, Kautzsch) comme font G (L) P dans Chr. ;

cette interprétation est d'ailleurs expressément indiquée par les formules d'intro-
386 REVUE BIBLIQUE.

ductiou et de conclusion contenues dans la Genèse (xx.x.vi, 40, 43). La liste des rois
était d'ordre chronologique; celle des chefs est d'ordre topographique.
W. Roliertson Smith (Journal of Philolog;/, 1880, IX. 90), R. Eckardt (ZATW,
1893, 85), C. Siegfried und B. Stade {Hcbr. Wurtcrbuch zum A. T., Leipzig. 1893).
Ed. Meyer {Die Israeliten und ihre Nachbarstammc, Halle a. S., 1906, p. 329 s.)

pensent que s^lSx est à corriger en rjSx, soit dans Gen. xxxvi, 40-43, soit dans
I Chr. I, 51-54. Mais Gunkel fait observer que Gen, xxv, 16, dans un contexte
semblable, parle de « princes » (CVS'bj) d'Ismaël. En fait, ies noms donnés sont bien
ceux des clans ou districts; mais il est assez naturel de désigner les administrateurs
de provinces ou de tribus en se servant du nom même des territoires aux destinées
desquels ils président. Or la tradition tout entière est en faveur deniSx depuis les

introducteurs des maires lectionis jusqu'aux traducteurs grecs et même jusqu'à l'au-

teur des Chroniques, qui a certainement entendu donner une liste de chefs et non
pas de .clans : le contexte antérieur \. 51) en témoigne assez. La question de la

substitution de î^'^x à ^iSx se pose donc tout au plus pour la Genèse; elle n'intéresse

pas directement l'interprète des Chroniques.


Dans la formule d'introduction, Chr. substitue « Edom » à « Esaii » de Gen.
XXXVI, 40.
'jyCTS est attesté par tous les témoins contre G (B) ôa'.aav.
Contre le kelhib "i"';;, le qerc mSy a pour lui de nombreux mss. hébreux, G (L)
'AXoua V Allia ï (cf. P lêtiî.) et dans Gen. (xxxvi, 40) M Samar. VPT. ToÀi dans
Chr. G (BAN) et
dans Gen. G (ADEL) peut provenir aussi de niS" par transposition
du waw; voir un cas analogue au v. 40.
Au lieu de ml MVPG (B; LOÉt (AN) 'hOéO et Gen. M Samar. VPT, ont lu irl
Chr G (L) 'UOÉp et Gen. G (A) 'hSâp (DEL) 'U6lp : cette forme est sans doute pri-
mitive (Gunkel, Skinner).
52. nciiS.-N MVP dans Chr. et Gen. (xxwi, 41), mais Chr. G (B) 'EX£t6a|jiî?

(A) 'EÀi6a[i5ç (L) 'E)a6«!t;j.a et Gen. G (ADE) 'EX(e)t6'e[jLà; (L) 'EXi6a|jLàç.


53. 12f2a G (A) MaStîdp est représenté dans Chr. G (B) et dans Gen. (xxxvi, 42)
G par Mal^ap; mais on lit dans Chr. G (L) Ba(j.aT5X.
54. G :B) !VhotY5X (A) '^H^m-/). ;L) MaYOEriX et Gen. (xxxvi, 4.3) G (A) MetoSitîX (E)
MaXeXiriX (L) 'S\%-^(iZ'.t\\ ^minusc.) Msyo'S'ii^X, IMeyeÔ'.t^X, MaY^oirlX. Cette dernière forme
représente une rorrection sur M Sx^T^Q, et INhYo^irjX, corrompu en ^lETootrjX par
faute d'onciale, est sans doute le plus ancien dans Gen. et, mutilé en MeoiifiX, dans Chr.
ai''y est représenté dans G (A et douze minusc. par 'IIpd[[jL et dans G (L) par
Aîpdtu., au lieu de quoi on trouve dans G (B) Za^wefv (>) Zaçtocfa et dans Gen.
xxxvi, 43) G (A; Zaywe; (DE) Za^oKt'v (L) Zaçro-v : les témoins de la Genèse des
Septante sont unanimes, sauf variantes insigni liantes sur la forme du mot. Il n'est
pas douteux que la leçon primitive de G dans Chr. comme dans Gen. soit Zex<pwE((v) :

les Septante auront donc lu ISÏ ^'T'X (cf. vv. 36 et 40). Il faut sans doule maintenir
à la fois les celle de M et celle de G, comme le fait sous la forme
deux leçons,
Ernm, Fazoin Chronique anonyme éditée par I'. de Lagarde (Sepluat/inta-
{Fazoïij la

Sludien, Gcittingen, 1892, H, p. 10 et 37. Voir F. Nisni n,,. cit.. I. p. 12 Kdom .

aurait ainsi compté douze tribus et douze chefs.


I.. i'iil)l.(.ll Mil).
QUET.QUES PROCÉDÉS LITTÉRAIRES
DE SAIi\T MATTHIEU

II

Le précédent article (1) faisait allusion à la composition particulière


des discours dans le premier évangile, et principalement des cinq
grandes instructions qui forment comme cinq chapitres de la doctrine
du Royaume de Dieu : L'espritdu nouveau royaume et sa justice
(ch. v-vii). Tapostolat de ce royaume (ix, 35-xi, 1), la description du
royaume lui-même dans ses origines, ses conditions et ses progrès
(ch. XIII les relations des membres du nouveau royaume (ch. xvni),
,

enfin la consommation du royaume et la fin de toutes choses (ch. xxiv-


xxv). Nous voudrions étudier particulièrement ces grands discours,
pour en montrer le procédé de composition.
Chacun de ces discours est placé par Févangéliste dans une situa-
tion déterminée le lieu, les auditeurs sont indiqués. Chacun aussi se
:

termine par une formule semblable :

Ch. VII, 28 Et il arriva, lorsqu'il eut achevé ces paroles, que les
:

foules étaient dans l'admiration de sa doctrine.


Ch. XI, 1 : Et il arriva, lorsqu'il eut achevé d'instruire ses disciples,
qu'il partit de là pour enseigner et prêcher dans leurs villes.

Ch. XIII, 53 : Et il arriva, lorsqu'il eut achevé ces paraboles, qu'il


partit de là.

Ch. XIX, 1 : Et il wriva, lorsqu'il eut achevé ces paroles, que Jésus
sortit de la Galilée.
Ch. XXVI, i : Et il arriva, lorsqu'il eut achevé toutes ces paroles,
que Jésus dit à ses disciples.
Il y a lieu de remarquer cette expression tout à fait hébraïque :

et il arriva lorsqu'il eut achevé, -/.xi b;vn-oo-e eTÉXsjsv. Chose curieuse,


elle ne se trouve que dans le premier évangile, et seulement à la fin
de ces cinq grands discours. On croit entendre une formule adoptée

(1) Voir Revue Biblique, janvier 1916, p. 5.


388 REVUE BIBLIQUE.

par les premiers prédicateurs de l'évangile à Jérusalem, pour terminer


les grandes instructions qui résumaient, à l'usage de la catéchèse
élémentaire, les principaux enseignements du Christ.
Quant à ces discours en eux-mêmes, ils sont tous construits suivant
le môme procédé à un fond principal, qui forme l'essentiel et se
:

rapporte à une situation déterminée, sont ajoutés d'autres éléments


tirés d'enseignements du Maître, donnés en des temps et des lieux
dili'érents, mais se laissant plus ou moins étroitement rattacher par

lanalogie des idées.


Sans doute plus d'un commentateur se refuse à admettre ce
caractère composite des grands discours dans le premier évangile.
Pour ces exégètes, saint Matthieu, en qualité de témoin, pouvait mieux
connaître ce qui avait été dit par le Christ dans ces diverses cir-

constances, et, s'il donne plus de choses que les autres synoptiques
quin'ont pas entendu le Christ, c'est qu'en réalité ces développements
particuliers, plus fidèlement retenus par lui, ont fait partie de ces dis-
cours mêmes. Observation peu démonstrative : car il n'est pas inter-
dit à un témoin de préférer un ordre logique, et, pour donner un
ensemble plus complet sur un point de doctrine, de réunir des paroles
prononcées en des temps divers. Du reste le contenu du premier
évangile ne se présente point en général comme le témoignage direct
et particulier d'un témoin;
il parait plutôt impersonnel, comme la
fixation par de la première prédication des apôtres à .lérusalem.
écrit
Ce n'est pas qu'on doive regarder ces cinq instructions du premier
évangile comme une sorte de marqueterie, une simple compilation, par
laquelle saint Matthieu de plusieurs paroles de Notre-Scigneur aurait
composé lui-même un discours. Non, le discours a été réellement
prononcé dans la circonstance indiquée, mais à son organisme
primitif, la catéchèse de Jérusalem ou l'évangélistc, alin de présenter
un ensemble plus complet, ont ajouté quelques compléments pro-
venant d'autres allocutions.
Tout le monde reconnaît que les miracles des ch. viii et ix ne sont
pas groupés selon l'ordre chronologique les écrits de saint Luc
:

prouvent que ces miracles doivent élic placés à des éi)oques diverses
de la vie de Jésus-Christ. Saint Matthieu a donc eu, en les groupant
ainsi, un dessein didactique, conforme à l'intention générale de son

évangile. S'il en est ainsi pour le groupement des faits, quelle


difliculté plus grande y aurait-il à reconnaître dans les discours
quelques additions introduites à titre de complément .'

Ces additions se reconnaissent en ce que le lien qui les r.iltachc


au discours principal est assez lâche et que nous trouvons dans
QUELQUES rUOCblDKS LITTÉRAïaiiS DE SAINT .MATTHIEU. 380

saint Luc ces mêmes frai;meiits placés, non pas dans les cinq grandes
instructions, que nous trouvons chez lui également, mais dans un
autre contexte, qui explique d'une manière beaucoup plus satisfai-
sante la portée des paroles et l'cmploj des images et des expressions.
Qu'on ne vienne pas dire que Notre-Seigneur a pu revenir plusieurs
fois sur les mêmes enseignements et les donner d'abord dans la
circonstance marquée par saint iMatthieuet ensuite de la manière que
rapporte S. Luc. Ilque certaines sentences ont dû revenir
est vrai
plus d'une fois dans la prédication du divin Maître l'expression de :

ces maximes ne comporte pas beaucoup de variété, et elles se pré-


sentent naturellement et intentionnellement sous la même forme, par
exemple Qui: se exaltât humiliabitur qui se liumiliat exaltahitur
et

(Luc, XII, 21; xviii, 14; Matth., xxiii, 12), ou encore cette locution
proverbiale : « On n'allume pas une lampe pour la mettre sous le

boisseau, mais on la met sur le candélabre, afin qu'elle éclaire tous


ceux qui sont dans la maison. » Sans doute aussi des enseignements
assez développés ont du être plus d'une fois repris car le divin Maî-:

tre savait bien que la répétition est une excellente méthode d'éduca-
tion. Mais il n'en était pas réduit à redire ces enseignements toujours
de la même façon, avec les mêmes images; il devait les reprendre
sous les formes les plus variées. Ce n'est pas d'une bonne e.xégèse de
lui faire répéter mot à mot une leçon ou de lui faire improviser plu-
sieurs fois, absolument de la même façon, le même discours. Il est

plus naturel de chercher la cause de ces répétitions dans les procé-


dés difféents des évangélistes, qui, suivent, celui-ci un dessein didac-
tique, celui-là un plan plus historique.
En étudiant ces cinq grandes instructions du premier évangile, nous
chercherons non pas à en faire un commentaire suivi, mais simple-
ment à montrer que les additions de saint Matthieu ne se rattachent
pas très étroitement au fond du discqyrs et qu'elles trouvent dans le
contexte de saint Luc une explication plus satisfaisante et plus
naturelle.
Le sermon sur la Montagne.
X." —
Quand on lit attentivement le ser-
mon sur la Montagne, donné par saint Matthieu (v-vii), et qu'on le com-
pare avec le discours parallèle du troisième évangile, on y remarque
trois éléments com.binés. Une partie des enseignements est présentée
en opposition avec les doctrines et les exemples des Pharisiens; mêlée
à cette partie s'en trouve une autre, indépendante de cette relation et
plus positive, sur la charité. Elle est conservée dans le discours de
que la première en est exclue. Au milieu de ces élé-
saint Luc, tandis
ments, qui répondent bien au plan et au but du discours dans saint
390 REVUE BIBLIQUE.

Matthieu, sont intercalés d'autres éléments, qui n'ont qu'un lien


assez lâche avec les premiers et que saint Luc place tous dans un
autre contexte.
En laissant de coté ces additions à l'organisme primitif du sermon,
le plan de ce discours apparaît nettement tracé. Les Béatitudes for-
ment l'exorde : c'est une invitation faite à ceux sur qui Jésus compte
principalement pour former le royaume de Dieu qu'il vient établir.
11 s'adresse à des gens d'humble condition, pauvres, vivant au jour le

jour de leur travail, souvent méprisés, affligés, et souffrant mille in-


justices de la part des puissants du monde, et d'autre part âmes avides
de l'entendre et de recevoir ses enseignements. Vous êtes, leur dit-il

dans ces béatitudes, vous êtes dans les meilleures conditions pour
entrer dans le royaume nouveau ; ilest fait pour vous (Matth., v, 3-12).
Après cet appel, le divin Maître, répondant en quelques mots à l'ob-
jection qu'avait dû faire déjà plus d'un pharisien, assure qu'il n'est
pas venu abroger la loi, mais l'accomplir, la conduire à sa perfection
(Matth., V, 17-19).
aborde alors son sujet qui se ramène à ces trois pensées, formu-
Il

lées en tête de chacun des points.


1° Je vous dis que si votre justice (conduite morale) n'est pas plus

excellente que celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas
dans le royaume des cieux (v, 20).
2" Gardez-vous de faire vos œuvres de justice devant les hommes

pour en être vus autrement vous n'aurez pas de récompense auprès


:

de votre Père qui est dans les cieux (vi, 1).


3" Ne jugez point, afin que vous ne soyez pas jugés vous-mêmes
(Matth., vil, Ij.
Au premier point, pour montrer comment ses disciples doivent
ôtre plus parfaits que les scribes et les pharisiens, Jésus choisit plu-
sieurs exemples tirés des commandements de
mosaïque 1" du la loi :

sixième précepte de l'Exode (xx) sur l'interdiction du meurtre (Matth.,


V, 21-23j; 2" du septième précepte sur l'interdiction de l'adultère
(v, 27-32); 3" du troisième commandement relatif à la défense de

prendre le nom de Dieu en vain (v, 33-37); de la loi du talion 'i."

(v, 38-i2); 5" de l'amour du prochain (v, i3-i7). Dans tous ces exem-
ples le divin Maître défend le mal non seulement dans l'acte exté-
rieur, mais justju au désir et à la pensée. 11 veut qu'on rende le bien
pour lemal et qu'on aime même ses ennemis. Ces développements se
terminent par une maxime qui sert de conclusion à cette partie : être
parfait comme le Père céleste.
Pour expliquer le second point, où il veut montrer qu il ne faut
QUEr.Ol'ES PROCEDES LITTÉRAIRES DE SAINT MATTHIEU. 391

pas agir pour être vu des hommes, comme font les pharisiens, il

prend trois manifestations principales de la justice pharisaïque : l'au-


mône (VI, 2-4 j; la prière (vi, 5-G); le jeûne (vi, lG-18).
Le 3' point, plus court, se borne à montrer qu'il ne faut pas, comme
les pharisiens, juger sévèrement le prochain et ne pas voir ses pro-

pres défauts (vu, 1-6), mais juger l'arbre à ses fruits (vu, 13-20).
La conclusion du discours (vu, 21-27) Il ne suffit pas d'entendre
:

ses paroles, mais il faut les mettre en pratique.


Leçon qui est ilius-'
trée par comparaison de la maison bâtie sur le sable ou sur le roc.
la
En rapprochant de ce sermon sur la iMontagne le discours parallèle
de saint Luc, on y trouve un exorde semblable et une même pérorai-
son. Quant au corps du discours, une faible partie, correspondant au
premier évangile, a été seulement conservée. Tout ce qui regarde l'op-
position entre le formalisme de l'ancienne justice et la spiritualité de
la nouvelle, ce qui marque l'antithèse entre la justice légale phari-
saïque et la justice intérieure que Jésus réclame essentiellement dans
le nouveau royaume, tout cela est exclu. C'est cependant ce qui a dû

surtout faire le fond du discours de Notre- Seigneur en cette circons-


tance, et c'est ce que
catéchèse de Jérusalem et saint Matthieu, s'a-
la

dressant à des Juifs, ont soigneusement conservé. xMais le but de saint


Luc était différent : il conserve la catéchèse prêchée dans les églises
de saint Paul. Ce qui convenait dans le milieu palestinien n'est plus à
propos dans ce nouveau milieu. On y parlait évidemment de l'esprit
de la nouvelle loi, mais on n'avait que faire de l'opposer à l'esprit
pharisien. C'est intentionnellement que la partie du discours de Notre-
Scigneur relative à cette antithèse est laisséede côté. On garde seu-
lement tout ce qui est positif, c'est-à-dire ce qui se rapporte à la cha-
rité, qui est la loi de la nouvelle vie.

Si nous prenons maintenant les éléments qui, n'ayant qu'un lien


indirect avec le fond du sujet traité, ne paraissent pas avoir fait
partie du discouis prononcé par Notre-Seigneur et ont été intercalés
par la catéchèse de Jérusalem et par le premier évangéliste dans un
but didactique, nous les retrouvons dans le troisième évangile, mais
en dehors de ce discours, dans des circonstances diverses, dans un
contexte beaucoup plus satisfaisant.
Voici ces passages mis en regard :

Matth., V, 13 =Luc.,xiv,3'i.-35. Mattli.,vi, 22-23 := Luc, x,3i-36.


— v, 14-15 =— XI, 33. — VI, 24 =— xvi, 13.
— V, 25-26=— XII, 58-59. — vi, 25-34 =— xii, 1.3-31.
— vi,T-15 = — XI, 1-4. — VII, 7-11 =— XI, 5-13.
— VI, 19-21 =— XII, 33-34.. — vu, 13-14=r_ xiu, 24.
302 REVUE BIBLIQUE.

Prenons quelques exemples qui nous feront voir combien le con-


texte de saint Luc est préférable, et son procédé conforme au dessein
plus historique de son Évangile.
Au chap. XI, l'évangéliste nous montre Notre-Seigneur en prière.
Les disciples s'approchent et lui demandent une formule de prière
comme celle que Jean-Baptiste, qui venait de mourir, a donnée à ses
disciples. Le divin Maître, faisant droit à leur demande, leur enseigne
le Pater. Puis les encourageant à prier, il leur montre ce que peut
obtenir la prière instante, dans la parabole de l'ami importun, qui au
milieu de la nuit va chez son ami chercher le pain dont il a besoin et

ne cesse de frapper à la porte et de demander, jusqu'à ce qu'il ait


obtenu l'objet de sa demande. Ainsi, conclut Notre-Seigneur Deman- :

dez et il vous sera donné, chercJiez et vous trouverez; frappez et on


vous ouvrira. A plus forte raison la prière instante cbtiendra-t-elle de
Dieu, qui est meilleur père que les pères de la terre (Luc, xi, 1-13).

Cet enseignement sur la prière forme un tout bien suivi. La demande


des apôtres amène la formule de prière c'est ainsi qu'il convient de :

prier; mais il faut demander avec instance leçon illustrée par une
:

parabole dont la conclusion pratique est exprimée dans une formule


tirée de la parabole elle-même.
Tout autre procédé de saint Matthieu. Cet enseignement sur
est le

la prière est coupé en deux fragments, rattachés à deux endroits dif-


férents de son sermon. Le premier fragment est rattaché à la seconde
partie, et le second est placé dans la troisième, sans aucun lien avec
ce qui précède.
Le second point du .sermon est dirigé dans cette intention ne point :

faire le bien pour être vu des hommes. Trois exemples sont choisis
parmi les manifestations les plus ordinaires de la piété pharisaïque :

l'aumône, la prière, ne faut pas prier comme les hypocrites


le jeûne. Il

qui ne cherchent qu'A se faire voir dans l'attitude de la prière, mais


prier plutôt dans le secret. On reconnaîtra sans peine que les versets
suivants (vi, 7-15) sur la multiplicité des paroles dans la prière A
l'exemple des païens, et sur la formule de prière enseignée par le
divin Maître, ne rentrent pas précisément dans l'objet traité en ce
point. D'autre part on ne s'expliquerait pas la demande faite par ses
disciples d'une formule de prière dans les circonstances que rapporte
saint Luc, si déjà lo Sauveur avait sur la Montagne enseigné le Pater.
Qu'on ne dise pas (]uo les disciples du récit de saint Luc sont dillércnts
des disciples qui ont entendu le sermon sur la Montagne cette échap- :

patoire est vaine. Ce sont des apôtres qui ont accompagné lo Snuveur
à .lérusaletn, (ra[)rès !<• récit «le s;iinl Luc <•! précr-ih-iiinicnl ils se
QUELQUES PROCÉDÉS LITTÉRAIRES DE SAINT MATTHIEU. 39:}

trouvaient tous sur la Montagne, pour enteiulre le discours qui a


suivi leur élection. Puis disciples comme apôtres, qui avaient tout
quitté pour suivre le divin Maître et vivaient en commun près de lui,

ils n'auraient pas, pendant six mois, tenu secrète à quelques-uns de


leurs compagnons une formule de prière, donnée, dans l'hypothèse,
également foule sur la Montagne.
à la
Quant au second fragment (vu, 7-12), il est inséré, non pas à la suite
du Pater, comme faisant suite aux enseignements sur la prière, mais
dans la troisième partie du sermon, sans aucun lien avec ce qui pré-
cède ni avec ce qui suit. Et l'évangéliste a omis la parabole qui expli-
querait les images de la conclusion pratique (vu, 7). Celle-ci étonne
par son irruption imprévue; on ne voit plus, comme dans saint Luc,
Fà-propos des images Cherchez et vous trouverez, frappez et il vous
:

sera ouvert.
Prenons un second exemple. L'exhortation au détachement des biens
de la terre et à la confiance en la Providence est présentée dans saint
Luc au chap. xii, 13-34. Un incident, la demande de juger une ques-
tion d'intérêt, amène Jésus à instruire la foule qui l'entoure sur la
valeur des biens de ce monde, en lui proposant la parabole du riche
insensé. Celui-ci ne songe qu'à s'enrichir, qu'à agrandir ses posses-
sions, à construire des greniers plus vastes pour amasser toujours
davantage et jouir en paix de ses richesses. Insensé qui ne fait rien

pour Dieu et qui, la nuit même où il forme ses projets cupides, voit la
mort ruiner ses rêves d'avenir (Luc, xii, 15-21). Après cette leçon, se
tournant vers ses disciples, Jésus les in^dte à chercher le royaume
de Dieu et sa justice et à se confier en la Providence pour le soin des
nécessités de la vie (xii, 22-34). Et il les exhorte au détachement
(33-34).
Ces enseignements sont transportés dans le sermon sur la Montagne,
mais morcelés et détachés des circonstances qui les ont provoqués;
et on n'y voit pas non plus la parabole, qui explique plusieurs des
expressions et des images employées par le Sauveur dans ses conseils
sur le détachement et la confiance.
Les conseils sur le détachement qui terminent, comme une conclu-
sion, les leçons du divin Maître dans saint Luc, sont placés par saint
Matthieu en tête du même enseignement (vi, 19-22). Son exhortation
à la confiance en la Providence (vi, 25-34;, pour les nécessités de la \âe,
reproduit les mêmes expressions que danssaint Luc; mais la parabole
omise n'est plus pour expliquer l'emploi des images et des expres-

sions du flivin Maître, par exemple « Les oiseaux du ciel ne sèment,
:

ni ne moissonnent ; ils n'amassent pas dans des greniers. »


394 REVUE BIBLIQUE.

Tous ces enseig-nements n'ont pu être donnés deux fois avec les
mêmes développements, les mêmes expressions, les mêmes images.
D'autre part, le contexte de saint Luc est évidemment préférable. Le
souci habituel qu'il a de placer les paroles dans leur cadre historique
nous est un garant que sa disposition des faits et des discours est 1(\

encore conforme à la réalité, tandis que le dessein de saint Matthieu se


reconnaît ici, comme à son ordinaire, avant tout didactique.
Dans le nombre des additions de ce sermon, il en est qui, réduites à

de brèves sentences, ont pu sans doute être répétées en plusieurs cir-


constances, comme celle-ci de saiut Matthieu, v, 15 «On n'allume pas :

une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le can-
délaljre afin qu'elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. » De fait,

on peut retrouver ce proverbe deux fois dans saint Luc, viii, 10 etxi, 33.
Maison voudra bien remarquer cependant que dans ce second passage
de saint Luc, elle est suivie, xi, 3i, de cette leçon pratique « L'œil :

est la lampe du corps. Lorsque ton œil est sain, tout ton corps est dans
la lumière; mais dès qu'il est malade, ton corps est dans les ténèbres.

Prends donc garde que la lumière qui est en toi ne soit ténèbres. Si

donc tout ton corps est dans la lumière, n'ayant aucune partie dans les
ténèbres, il sera lumineux tout entier comme lorsque la lampe l'illu-
mine de son éclat. » Ces deux sentences forment un tout. Or la se-
conde sentence, détachée de la première, est placée par saint Mat-
thieu à la suite de la seconde partie du sermon (vi, 22-23), tandis que
la première est restée en tête.

On voit par ces exemples que, si saint Luc a le souci de rattacher


les divers enseignements du Christ une circonstance déterminée,
<^

une préoccupation toute différente a présidé à la formation de la


catéchèse de Jérusalem, que nous donne saint Matthieu. Dans ce mi-
lieu, où tant (le personnes avaient été témoins des actions et des mi-
racles de .lésus, on s'attachait surtout à présenter la doctrine et à
grouper ensemble les enseignements pour combattre plus efficace-
ment les préjugés pharisiens de ce milieu et présenter la doctrine du
Maître ramassée en quelques tableaux plus amples et plus saisissants.
2^ Ij's Pfn-aholes. —
Dans son chapitre xui, saint Matthieu a groupé
sept paraboles : le semeur, l'ivraie, le grain de sénevé, le levain, le

trésor caché, la perle de scrand prix, le filcl. Elles forment un groupe


à part dans l'ensemble des paraboles évangéliques; sous une forme
énigmatique elles exposent les mystères du royaume de Dieu, c'est-à-
dire ce qui concerne l'origine, les conditions et la consommation du
royaume que le Christ venait étal)lir. La parabole de la semence
mar(pie la fondation du royaume; l'iviaie, le mode anorni;il de son
QUELQUES PUOCKDÉS LITTÉU AIRES DE SAINT MATTHIEU. 395

développement, le bien côtoyant le mal; le grain de sénevé et le

levain, sa puissance d'expansion (sous son double aspect, l'extension


et la transformation du milieu) ; le trésor et la perle, son prix incom-
parable; enfin le filet, sa consommation à la fin des temps.
Ce plan systématique n'est pas suivi par les deux autres synop-
tiques saint Marc ne donne que la parabole du semeur, celle de
:

la graine qui germe spontanément, et celle du grain de sénevé;

saint Luc se borne, en cet endroit parallèle (viii, 4), à la parabole du


semeur, il place celle du sénevé et du levain plus loin, dans son
ch. xiii. Les trois dernières paraboles sont propres à saint Matthieu.
Il n'est pas probable que le divin Maître ait groupé ainsi lui-même
ces sept paraboles : il n'eût pas été d'un bon pédagogue de proposer
ainsi d'un seul trait autant de paraboles énigmatiques. Probablement
les paraboles de la semence et de l'ivraie (et peut-être celle de l'épi)
ont seules été données en cette circonstance et elles reçoivent aussitôt
leur explication de Jésus lui-même. Les autres ne seraient venues qu'à
quelque temps de là, en d'autres occasions. C'est la pensée que sug-
gère le plan de saint Luc, qui place les deux paraboles du grain de
sénevé et du levain dans le voyage à Jérusalem pour la fête des Taber-
nacles de la seconde année. Sans doute saint Matthieu range ces deux
paraboles immédiatement après les deux premières et avant cette
remarque « Jésus dit toutes ces choses en paraboles à la foule et
:

il ne leur parlait pas sans paraboles ». Mais cela n'implique pas


nécessairement que toutes ces choses dites parle Christ l'ont été dans
le même et même l'observation de
jour que les deux premières;
lévangéliste ne leur parlait pas sans paraboles, suppose une
: et il

période de temps plus étendue que le moment où il inaugura ce mode


d'enseignement pour parler du nouveau royaume de façon à ne pas
heurter de front les préjugés des Juifs, mais à préparer peu à peu ses
auditeurs à un royaume spirituel. Il ne s'agit en effet ici que des
paraboles énigmatiques concernant la doctrine du vrai royaume.
Saint Matthieu ramasse en un tout les différentes paraboles de ce
genre, afin de montrer que, par cet enseignement en paraboles et en
énigmes, Jésus-Christ réalisait la prophétie du psalmiste (Ps. lxxvii, 2).
Le sage ,Eccli., xxxix, 1-3) ne doit-il pas entrer dans les mystères

des paraboles, pénétrer le secret des proverbes et se nourrir du sens


caché des paraboles?
La conclusion du verset 53 arriva, lorsqu'il eut achevé ces
: et il

paraboles, que Jésus s'éloigna de ne nous oblige pas plus que la là,

remarcpie du verset 3V, à croire que les sept paraboles ont été
prononcées dans la môme circonstance. Cette formule est la conclusion
REVUE BIBLIQUE 191G. — N. S., T. XIII. 26
39G RKVUE RIBLl^UE.

habituelle par laquelle la catéchèse primitive terminait les cinq


grandes instructions, composées des enseignements du Christ. Pas plus
ici que dans le sermon sur la Montagne et dans les autres instructions

de ce genre, cette formule n'oblige à croire qu'une intention chrono-


logique a uniquement présidé à ces compositions. Tout ce qui est
affirmé par Fapotre qui les prêchait, comme par l'évangéliste qui les
a consignées dans son témoin du Christ qui
évangile, c'est que le

parle ou qui écrit présente bien son enseignement.


On remarquera que saint Matthieu rejette ce grand discours en
paraboles (xiii) après la mission des apôtres (ix-x). Saint Marc et
saint Luc offrent un ordre différent et préférable. Pour la parabole du
semeur, première en ce genre, S. Marc la met au ch. iv, 1-25;
la

S. Luc, au ch.viii, ^i.-18. Tandis que la mission des Apôtres est

racontée, en S. Marc, au ch. vi, 7-13 et en S. Luc, au ch. ix, 1-6. Si


l'on en croit le troisième évangéliste, les paraboles du sénevé et du
levain, placées par lui un temps notable après la première (celle
du semeur), sont en effet contemporaines de cette mission. Saint Mat-
thieu, pour donner l'enseignement catéchétique qui les réunit toutes,
aurait-il attendu la date des dernières paraboles de son groupe?
2" L'aj)ostolat du nouveau royaume. —
Les instructions données aux
apôtres avant de les envoyer en mission, sont réunies par saint Matthieu
dans un grand discours (ix, 35 à xi, 1), où Ton distingue deux parties :

une première (ix, 35-x, 15) qui regarde le moment où il les envoie,
la seconde (x, 16-xii, l)qui se rapporte à une époque plus éloignée.
Dans la première partie, après avoir raconté l'état du peuple
d'Israël sans pasteur et le besoin d'ouvriers évangéliques pour la
moisson spirituelle, saint Matthieu énumère les noms des douze
apôtres. N'ayant pas, comme saint Luc et saint Marc, parlé de l'élection
des douze, à l'époque du sermon sur la Montagne, il se contente,
avant de raconter leur envoi en mission, de rappeler leurs noms. Il

expose alors les instructions que Jésus leur donne avant leur départ.
Cette première partie se retrouve, mais plus résumée, dans S. Marc
(vi, 7-13). Elle a conmie parallèle deux passages de saint Luc : le

premier, ix, 1-0, concernant la même mission des apôtres, et le


second à la nùssion des disciples. Ce second passage,
(x, 1-2), relatif
en reprenant une partie des idées du jn'emier, est plus développé. Il
rappelle plus étroitement que le premier, les instructions données aux
apôtres d'après S. Matthieu, lequel ne parle pas de la mission des dis-
ci[)les. Ce parallélisme entre les instructions adressées aux apôtres,

dans saint Luc et celles qui concernent les disciples dans le même
évangile, et d'autre pari, entre les instructions aux apôtres dans saint
QUEl.QrKS PROCÉnKS IJTTKRAIHKS [)E SAINT MATTHIEU. 397

Matthieu et los instructions aux disciples dans saint Luc, vient de ce

([ue les deux missions sont contemporaines c'est en même temps


:

que Notre-Seigneur a envoyé les uns et les autres en leur faisant ses
recommandations. Klles ne difTèrent que par le champ d'action,
les apôtres ayant été envoyés dans la Galilée, et les 72 disciples dans
la Décapote et la Pérée. Nous l'avons montré ailleurs [Revue pratique
d'Apologétique, 15 août, p. Gil et 1" oct., p. 5 et suiv,), et nous avons
en même temps pu fixer la date de ce voyage par le rapprochement
du ch. v de saint Jean avec les textes de saint Luc racontant la mission
des apôtres et des disciples. Après la mission des apôtres, Jésus quitte

la Galilée pour se rendre à Jérusalem à la fête des Tabernacles de


la seconde année de son ministère.
Pour la seconde partie du discours de saint Matthieu (x, 16-VO), elle
ne saurait évidemment concerner la première mission des apôtres. Ces
persécutions, ces comparutions devant les tribunaux, ces recom-
mandations sur le devoir de confesser sans crainte son nom, bien qu'il
en doive coûter pour lui être fidèle, tout cela ne peut convenir à cette
première mission en Galilée qui ne rencontra aucun de ces obstacles
et eut plein succès. Des exégètes reconnaissent là une prophétie et des

avis concernant les missions futures dans le monde. Même ainsi enten-
dues, ces instructions ne paraissent guère à propos dans le discours
qui procéda la mission de Galilée. Aussi saint Luc les renvoie-t-il à
une circonstance plus tardive (xii, 1-9 et 51-53), après les sévères
reproches adressés aux scribes et aux pharisiens, héritiers de l'esprit
de leurs pères qui ont maltraité et tué les prophètes envoyés par Dieu
à son peuple. Ce contexte introduit plus naturellement des avis sur la
façon dont les nouveaux envoyés divins devront se comporter, dans
l'avenir, en face de semblables traitements.
Au lieu d'insérer ces conseils à la suite des instructions du Sauveur
à ses apôtres sur leur première mission, comme saint Matthieu, le
second évangéliste les a "fait entrer dans le grand discours sur la
ruine de Jérusalem (xiii, 9-13). Nous verrons plus loin la raison de ce
procédé.
Ce discours de saint Matthieu se termine par la même formule que
les précédents : « Et il arriva, lorsqu'il eut achevé de donner ces pres-
criptions à ses douze disciples, que Jésus partit de là pour enseigner
et prêcher dans leurs villes. »

k" les relations des membres du nouveau royaume.


Discours sur
— Le ch. de saint Matthieu est comme un recueil d'enseigne-
xviii
ments variés, qui ne sont pas unis par un lien très étroit. C'est d'abord
une leçon sur le plus grand dans le royaume des cieux (xviii, 1-5).
398 REVUE BIBLIQUE.

Viennent ensuite des instructions sur le scandale (6-9), sur le prix


d'une Ame aux yeux de Dieu ou parabole de la brebis perdue et
recouvrée (10-14) sur la correction fraternelle (15-22); sur le pardon
;

des offenses (23-35). Ces instructions diverses se terminent par la for-


mule ordinaire de conclusion (xxx, 1) « Et il arriva, lorsque Jésus
:

eut aclievé ces discours, qu'il quitta la Galilée. »

La première leçon est placée également à la même époque par


saint Marc ix, 32-36 et par saint Luc ix, 46-48, c'est-à-dire vers la fin
du ministère galiléen. Mais les autres enseignements sont rejetés par
saint Luc dans un autre contexte ce qui concerne le scandale et le
:

pardon des offenses, au ch. xvii, 2-4, et la parabole de la brebis perdue


au ch. XV, 3-7.
5° Discours su?' la consommation du royaume. — Le discours sur
la ruine de Jérusalem et le second avènement du Christ est beaucoup
plus développé dans le premier évangile que dans les deux autres
synoptiques (Matth., xxiv et xxv; cf. Marc, xiii; Luc, xxi, 5-38). On
peut y distinguer trois parties le préambule indiquant l'occasion
:

de cette prophétie et la question posée par les Apôtres (xxiv, 1-5); la


réponse de Jésus qui forme le corps du discours (xxiv, 4-36) enfin ;

la conclusion qui estune exhortation à la vigilance (xxiv, 37 et xxv).


Les deux autres synoptiques ont à peu près les mômes éléments et
suivent la même division, seulement la troisième partie, ou conclu-
sion, est beaucoup moins développée que dans saint Matthieu. Comme
dans les grandes instructions précédentes, saint Matthieu ajoute au
véritable discours des éléments tirés d'autres circonstances.
Dans le préambule de saint Matthieu, la question des apôtres se
présente d'une façon très précise : « Dites-nous quand ces choses ar-
riveront, et quel signe il y aura de votre avènement et de la consom-
mation du siècle. » Il y a donc deux questions, la première sur le
temps, la seconde sur les signes et celle-ci est double et concerne :

1" la destruction du temple et l'avènement du Christ et 2" la con-

sommation des choses. La réponse de Jésus suit l'ordre inverse et


commence par les signes, pour finir par le temps.
Lu réponse sur les signes distingue entre la ruine de Jérusalem et
la catastrophe finale. Elle place en premier lieu les signes précurseurs
de la ruine de Jérusalem et la description de cette ruine (xxiv, 4-22).
Viennent ensuite les signes avant-coureurs de la catastrophe finale
(xxiv, 29-31).
Dans les deux autres synoptiques se trouve la même division et le
même ordre (Marc, xiii, 5-20 et 24-27; Luc, xxi, 8-24 et 25-28).

Entre ces deux descriptions concernant l'une Jérusalem, et l'autre la


QUELQUES PROCÉDÉS LITTÉRAIRES DE SAINT MATTHIEU. 399

fin des temps, saint Luc place le temps des nations. « Jérusalem sera
foulée aux pieds par les Genfils jus<prà ce que le temps des nations
soit accompli ^) (\xi, ^\). pendant de ce temps des nations,
Pour faire le
qui sépare les deux événements dans saint Luc, le premier évangéliste

(suivi par le second) intercale quelques versets empruntés à un autre

discours que saint Luc met à sa véritable place (xvu, 20-2i). Or


dans cet autre discours, comme dans les versets 23 à 28 de saint Mat-
thieu et les versets 20 à 23 de saint iMarc, il est question d'Israël aux
abois qui clierclie ici et là son Messie. Cette attente inquiète et désem-
parée d'Israël répond, pour le peuple juif, au temps des nations, indi-
qué par saint Luc. Saint Paul [Ép. aux Rom., ix-xi) s'est étendu lon-
guement sur ce temps temps des nations.
d'Israël et le
La description de de toutes choses achevée, le discours passe
la tin
à la réponse sur la question du temps. Cette réponse est double
comme celle des signes premièrement l'époque de la ruine de Jéru-
:

salem (xxiv, 32-35; cf. Marc, xiii, 28-31; Luc, xxi, 29-33); secon-
dement le jour de la catastrophe llnale (xxi, 36; cf. Marc, xiii, 32
et Luc, XXI, 34).
Jusqu'ici entre les trois synoptiques le parallélisme est assez cons-
tant, sauf, comme nous l'avons remarqué, pour le passage emprunté
par le premier et le second évangéliste à un autre discours et inter-

calé entre les deux descriptions des signes, en regard du temps des
nations de saint Luc De plus saint Marc a inséré aussi au milieu de la
description des signes relatifs à la ruine de Jérusalem un fragment
d'une autre instruction que saint Luc nous donne au chap. xii et que
saint Matthieu a fait entrer dans son troisième grand discours.
Mais quand il s'agit de tirer la conclusion de ce grand discours
eschatologique et d'exposer les conseils de vigilance donnés par le di-
vin Maître, on constate plus de divergences entre les synoptiques. Ces
conseils sont très courts dans saint Marc (xin, 33-37) et dans saint
Luc développe beaucoup plus longue-
(XXI, 3i-36). Saint Matthieu les
ment en empruntant à deux autres discours, contenus' dans le
les
chap. XVII, 26-3G et le chap. xii, 39-i6 de saint Luc.
A ces conseils de vigilance saint Matthieu ajoute deux paraboles qui
,

exhortent à se tenir toujours prêt pour le retour du Christ, et à faire,


en attendant, fructifier les dons reçus. Ce sont les deux paraboles des
vierges sages et des vierges folles (xxv, 1-13) et des talents (xxv, li-
30). Il de croire que ces diverses paraboles aient été pro-
est difficile
noncées, du moins toutes, en la circonstance présente. Et les deux
j)arabo] es ébauchées du père de famille qui veillerait s'il connaissait
à quelle heure les voleurs viendraient perfodi domum suam, et de Fin-
400 REVUE BIBLIQUE.

tendant fidèle ou infidèle, paraboles que la comparaison avec saint


Luc nous montre empruntées à un autre discours, laissent à entendre
qu'il pourrait bien en être de môme des deux autres, plus dévelop-
pées, des vierges et des talents.
Il en probablement de même de la description du jugement der-
est

nier (xxv, 31-16), qui ne parait pas venir comme règlement de compte
général, de toutes les bonnes et les mauvaises actions des hommes,
mais simplement comme conclusion d'un discours sur la charité.

L'examen des cinq grandes instructions du premier évangéliste


nous a révélé en chacune d'elles des additions, rattachées au fond de
ces discours, mais tirées de paroles que.I.-C. a prononcées en d'autres
circonstances. Or ces additions se retrouvent toutes dans les chapi-
tres X et xvii de saint Luc avec leur véritable contexte. Cette remar-
que nous amène à reconnaître, pour ce procédé de saint Matthieu
dans la composition de ces grands discours, une raison qui a échappé
jusqu'ici. C'est que, étant donné le plan du premier évangile, saint
Matthieu ne pouvait faire entrer ces enseignements complémentaires
qu'en les rattachant à des discours de la période galilcenne ou au
grand discours eschatologique de la dernière semaine. Toutes ces
additions proviennent, en effet, de discours qui n'ont pas été pronon-
cés en Galilée et qui sont antérieurs à la dernière semaine passée à
Jérusalem. Pour mieux comprendre la nécessité où se trouvait le
premier évangéliste d'employer ce procédé, il est nécessaire de dire
un mot du plan quadripartite de la catéchèse primitive, conservé
dans les synoptiques.
Quand on examine les synoptiques, on constate que la vie publique
de Jésus-Christ est divisée en quatre parties : le baptême, le séjour en

Galilée, le voyage à Jérusalem et la dernière semaine dans la Ville


Sainte. Cette division quadripartite était celle de la première caté-
chèse orale.
Nous ^vons eu l'occasion d'exposer les raisons, la nature et les
conséquences de cette division, adoptée par la catéchèse et par nos
évangiles syiiopti([ucs, dans plusieurs articles de la lieviie pralujue
d'apologétique, 15 juillet 1916 et suiv. Après avoir retracé en
quelques mots ce procédé de composition de nos évangiles, nous vou-
drions en faire rajjplication particulière aux cinq grands discours de
saint Matthieu.
Cette division sommaire de la vie du Christ formait le cadre le plus
naturel dans lequel des esprits simples pouvaient commodément ran-
ger les principaux faits de son ministère avec ses enseignements.
QUELQUES PROCÈDES LITTÉRAmES DE SAINT MATTHIEU. 401

Les disciples n'étaient ni des philosopiies cherchant ù se faire un


système de la doctrine de Jésus-Christ, ni des historiens curieux de
renchaînenient des faits et de précision dans les circonstances de
temps et de lieu. Ils étaient avant tout des témoins qui simplement
affirmaient ce que le Christ avait l'ait ou dit.

Dans la grande quantité de faits ou de miracles qu'ils avaient vus,


et de paroles qu'ils avaient entendues durant les trois années de leur
vie auprès du Christ, ils n'ont pas eu la prétention de tout noter;
mais ils ont choisi quelques faits, quelques miracles, un ou deux de
chaque espèce, et quelques-unes des paroles qui les avaient le plus
frappés, et ils les ont rangés dans ces quatre grandes divisions.
Ce plan quadripartite, commode pour la prédication populaire,
devint tellement consacré par l'usage que nos synoptiques l'ont reli-
gieusement conservé et jamais n'ont voulu le briser.
Il n'était cependant pas sans inconvénient au point de vue histo-

rique. Il semblait, en supprimant les divers voyages à Jérusalem,


donner à la vie publique du Christ l'apparence de s'être développée
daus une seule année commençant en Galilée pour aboutir à Jéru-
salem. Ce n'était qu'une apparence en réalité le récit synoptique
:

par certaines allusions suppose plusieurs années. Et le quatrième


évangile vient nous aider à lire les synoptiques et nous donner, par les

différentes fêtes et les voyages à Jérusalem, moyen le de corriger leur


première apparence et nous permettre de retrouver le vrai dévelop-
pement de la vie du Christ.
Dans ce plan quadripartite, suivi scrupuleusement par saint Matthieu,
la seconde section consacrée au ministère galiléen est un hortus con-
clusus qui ne permet pas de sortie au dehors jusqu'à ce que le minis-
tère soit arrivé à son terme, c'est-à-dire jusqu'au dernier voyage à
Jérusalem qui forme la troisième section du plan quadripartite. Ce
scrupule obligera le premier évangéliste de rejeter à la dernière sec-
tion, Jérusalem, l'épisode des vendeurs chassés du temple, qui en
réalité a première année du ministère de Jésus, l'évangéliste
eu lieu la

ne pouvant rencontrer Jérusalem que dans la quatrième partie de son


plan, et le temple ne pouvant se supposer ailleurs qu'à Jérusalem.
Mais comment s'y prendra-t-il pour parler des discours de Jésus qui
n'ont pas été prononcés en Galilée, mais soit à Jérusalem avant la
dernière semaine, soit durant un voyage avant le dernier qui l'amena
dans la Ville Sainte? Il laissera de côté les circonstances de ces
discours,les faits auxquels ils sont liés, pour ne garder que les

paroles qu'il rattachera à des discours prononcés en Galilée, ou bien


qu'il réunira aux entretiens de la dernière semaine.
402 REVUE BIBLIQUE.

Il n'a pas d'autre moyen de les conserver, s'il veut être fidèle à
respecter la division quadripartite, puisqu'il n'a pas eu recours au
procédé de saint Luc. Ce dernier, dans la troisième partie du plan
quadripartite, a donné avant le dernier voyage de Jésus à Jérusalem
doux autres voyages qui sont placés après la section Galilée, comme
s'ils en formaient la suite, mais qui en réalité ont leur point de suture
à divers moments du séjour galiléen. Si ces deux voyages, correspon-
dant, l'un à la première fête des tabernacles (Joan., v), l'autre à la
fête de la Dédicace (Joan., x), ont pu occuper cette place dans le plan
de saint Luc, c'est qu'ils ont été privés de toute désignation précise
de temps et de lieu. Au premier abord (et c'est ainsi qu'on les a trop
longtemps entendus), ils paraissent ne former qu'un grand voyage
qu'on pourrait prendre pour le dernier, mais en réalité cette section
comprend plusieurs départs de Galilée et plusieurs arrivées à Jéru-
salem (1). GrAce à ce procédé, saint Luc a pu ajouter à la catéchèse,
sans briser son plan, les faits et les discours des ch. x à xvii de son
évangile. Il a pu nous faire connaître les circonstances de nombreuses
paroles de Jésus prononcées en dehors de la Galilée et que le premier

évangéliste avait rattachées à des discours du ministère galiléen.


En il se montre, cotnme dans le reste de son évangile, plus
cela,
historien.De même' le caractère avant tout didactique de l'évangile de
saint Matthieu se montre plus clairement, ainsi que le procédé qui
a ])résidc à la composition des cinq grands discours.

E. Levesque.

Une explication sur le sens de cl oè èotjTxaav dans saint Matth.,


XXVIII, 16.

Le sens que nous avions donnô dans l'article de la Wcvue bililvpic, janvier inin :

Quelques procédés liltcrnires de saint Matthieu, a eu ses contradicteurs. Il a alliré


au secrétaire de cette licvue la protestation suivante :

Paris, l'i scpleinlirc V.fU».

Monsieur le Secrétaire,

.le ne puis laisser passer sans protestation les explications de M. Levesque d;ins
un article intitulé : (Jnclqitrs procédés littéraires de s/iint Muttlncu (licrur liibtiquc,
janvier -avril liilO, pages 17 1!), à partir de : « Ces trois constatations, etc. »).

(1) Cf. Uevuc prat. d' apologétique, 1" aortl rjiO, p. l>2%.
QUELQUES PROCÉDÉS LITTÉRAIRES DE SAINT MATTHIEU. 403

Je me contenterai des deux remarques suivantes :

1° Suivant M. L., la traduction de oî oé par quidam dans la Vulgate, serait fausse,


parce que ot Upas quelques-uns, mais ceux-ci. Il suffit de consulter
ne signifierait

Kùhner-Gertli {Auafùlniiche Grammnlik der Grirchiiicltca Sprache, § 527, remarque


l) pour s'assurer du contraire. La remarque de Kiiliner permet d'ailleurs d'ex-
pliquer correctement le oi oi de saint Matthieu.
2° Suivant IM. L.. par les mots oî oè èôb-caaav, saint iNIaltliieu ferait allusion à

« Pincrédulité des apôtres » rapportée dans les autres synoptiques.


Cela est impossible. D'abord omârav ne signifie pas ctre incràlnlc, mais douter,
hcsilcr. Puis il qu'un historien fasse allusion, sans rime ni raison,
est inadmissible

à un fait dont il n'a pas parlé et que son lecteur peut fort bien ignorer. Enfin
expliquer l'assertion d'un historien comme une allusion à un fait rapporté par
d'autres historiens me paraît être une méthode fâcheuse et fausse.

Je vous oiïre l'expression de mes sentiments respectueux et dévoués.

Abbé J. ViTEAU.
Voici ma réponse :

Paris, 2i seplenibre 1910.

Monsieur le Secrétaire,

Je vous remercie de m'a voir communiqué la lettre de M. l'abbé J. Viteau, dont

tout le monde connaît les études sur grec du Nouveau Testament. Malgré
le

l'autorité du contradicteur et ses affirmations catégoriques, je maintiens, sans


aucune hésitation, le sens que j'ai donné dans mon article. Les autorités invoquées
n'ont fait que me confirmer dans cette opinion et je ne doute pas que vous ne
soyez de mon avis.
1» Je n'ai point prétendu que ol ne pouvait jamais être l'équivalent de tivéç,
oi

quelques-uns. Ce que j'ai affirmé c'est qu'il n'avait pas ce sens dans le passage
de saint Matthieu ;
j'ajoute même qu'il ne peut pas l'avoir.

Sans chercher une grammaire aussi développée que celle de Kiihner-Gerth,


aller

j'avais bien remarqué cette acception de oî oi pour -tvé;, quelques-uns, dans plu-
sieurs grammaires ou dictionnaires du Nouveau Testament. Je savais même qu'un
scoliaste de Lucien s'était avisé de rapprocher une phrase du Timon, IV, de l'ex-

pression en question de saint Matthieu et d'y voir une construction semblable. Le


philosophe satirique s'adresse à Jupiter : « Je ne dis pas combien de fois les voleurs

ont pillé tes temples, oî 0= ils (ou quelques-uns) ont été jusqu'à porter les mains
sur toi à Olympie ». Que dans cette phrase de Lucien oî 81 soit l'équivalent de Ttvé;,
transcat. Mais vouloir justifier le sens de ce passage de Lucien en le rapprochant
du texte de saint Matthieu prétendre y voir l'application de
et la même règle de

syntaxe, c'est en quoi le brave scoliaste s'est un peu fourré le doigt dans l'oeil

(et il n'est pas le seul!]. Il n'y a pas du tout parité dans les deux textes.

Pour ne rien omettre, je suis allé consulter la grammaire de KQhner-Gerth, et


je n'ai pas trouvé autre chose que ce que m'avaient dit mes grammaires plus
anciennes. Il explique de même qu'il n'est pas nécessaire que oî U soit précédé de
cî [j.iv pour avoir le sens partitif. Mais tous les auteurs supposent certaines condi-
tions : dans une totalité, dans un ensemble, dont on vient de mentionner la plupart
des choses ou des personnes, oî oi peut êlre placé ensuite en opposition pour
désigner quelques-unes de ces choses ou de ces personnes. « In quibus locis, disait
404 REVUE BIBLIQUE.

Beelen, partitio quidem fit, sed talis ut ii qui dicantur oî o": coc;itandi sint numéro
raulto pauciores quam illi qui iiis opponuntur; quare et in sirailibus locis o'i oi red-
diderim non alii sed nomiulli ».

Mais ce n'est pas du tout le cas de saint Matthieu, xxviii, 16 : « Les onze dis-
ciples partirent en Galilée à la montagne que Jésus leur avait indiquée, xal îôovte;
Les onze disciples sont donc arrivés à la montagne
aÙTÔv zpoa£y.jvr,aav, oi o\ èofaiaTav. »
que Jésus leur avait précédemment indiquée; et eux, les onze, en le voyant,
l'adorèrent. Mais si les onze, c'est-à-dire la totalité des apôtres, l'adorent, que
reste-t-il pour que oî U ait un sens partitif et forme un groupe distinct? Il reste
zéro. Ot Ô£ ne peut être une partie de la totalité, onze, à laquelle on ferait faire
une chose particulière que ne feraient pas les onze, parce que, si les onze adorent,
c'est qu'ils croient, et, s'ils croient, ils ne peuvent être dans le doute. La logique

la plus élémentaire s'oppose donc à ce qu'en cet endroit o- U ait un sens partitif,

il ne peut désigner que ceux-ci, c'est-à-dire les onze, et par conséquent l'aoriste
èôt'araaav ayant le sens du plus-que-parfait, il faut traduire : ceu.\-ci, ou plutôt eux
qui nnùent été dans le doute.
Dans un autre passage de saint Matthieu (x.xvi, 67), o- U a ce sens de quelques-
uns ou plutôt d'autres. « Alors ils lui crachèrent au visage et lui donnèrent des
coups de poing, oi ?>l quelques-uns (ou d'autres) le souffletèrent ». Je préférerais
d'autres à quelques-uns, parce que, dans nos évangiles, en regard de 6 •J.é^^ on trouve
souvent aXXoç ou itepo? à la place de ô os.
2" Que oiardreiv signifie douter, hésiter, je suis tout à fait d'accord avec mon
contradicteur. Aussi daos mon article je n'ai pas traduit autrement ce verbe :

Voir p. 18, ligne i, 3, 6,20,21. Si quelquefois, en parlant des dilférentes apparitions


de Jérusalem auxquelles les apôtres refusent ou hésitent à croire, j'emploie le mot
incrédulité, c'est dans un sens très général, qui traduit kr.inxloi ou imo-iv^ employés
dans les récits de la résurrection avec des nuances très diverses. Depuis le moment
où ils entendirent le récit des saintes femmes, jusqu'au moment où le Christ lui-même
se présenta dans le cénacle et mangea avec eux, les apôtres passèrent par des senti-
ments variés, depuis l'incrédulité jusqu'au simple doute, ou à peine un reste d'hésita-
tion. D'abord ils ne croient point et traitent de rêveries les dires des femmes; puis le

récit des disciples d'Emmaùs les ébranlent, ils ne savent que croire. Enfin quand
le Christ lui-même se présente à eux, qu'ils l'ont devant les yeux, qu'ils l'entendent,
qu'ils le touchent, ils n'osent croire a cause même de la joie inespérée qu'ils ont de le
revoir (Luc, vxiv, 41). Ils ne peuvent croire à leur bonheur : ils croient à l'évi-
dence, mais d'autre part il? n'osent croire. Après la catastrophe qui avait anéanti
toutes leurs espérances, le retrouver, le revoir ainsi plein de vie, est-ce possible ?

c'est trop de bonheur! Ils doutaient, ou plutôt ils étaient comme hésitant encore, tant
leur joie était grande. Ce n'est pas du doute proprement dit que cette hésitation de
leur âme qui croit et n'ose croire, et l'évangéliste appelle cela à;:t<jrîa, incrédulité :

incrédulité qui ucst que l'hésitation d'une foi (|ui croit, mais n'ose s'arrêter à sou
objet, tant il renverse toutes les prévisions humaines. Je pouvais donc renfermer
tous ces sentiments sous le nom de doute ou d'incrédulité. Par cette simple rcuiar-

(|ue, eux qui avaient été dans le doute, « saint Matthieu, disais-je, ferait allusion aux
dilférentes apparitions de Jérusalem qui avaient eu pour but de réduire l'incrédulité
ou les hésitations des apôires ».
Mais, dit M. V. « Kxpli(|uer l'assertion d'im historien, comme une allusion à
:

un fait rapporté par d'autres historiens, me paraît être une méthode f.kheuse
et fausse ». J'ai le regret de liù f.iire (tbserver que s'il ne l'admet pas, il n'est pas
QUELQUES PROCÉDÉS IJTTÉRAIRES DE SAINT MATTHIEU. 405

capable de comprendre l'évaDgile de saint Jean, qui fait de perpétuelles allusions


aux synoptiques. Il en est de même des trois autres évangiles qui supposent connues
des fidèles beaucoup de choses, que la catéchèse apostolique leur avait rendues
familières et auxquelles le résumé synoptique se contente de faire allusion en
passant.
Il serait trop long et hors de propos d'en faire ici la preuve. Si les études de
philologie grecque des Septante et du Nouveau Testament laissent quelque loisir
à M, V., il pourrait lire les articles publiés dans la Revue pratique d^apologétique
à partir du 15 juillet 19(6. intitulés : Nos rjuatrc Évangiles, leur composition et leur
position y verra que nos évangélistes ne sont pas des historiens
respective. Il

composant, dans leur cabinet de travail, des récits d'après des archives secrètes ou
des documents inaccessibles à leurs lecteurs, avec la juste prétention de leur apprendre
du nouveau. Un historien de cette sorte ne peut sans rime ni raison faire allusion
à un fait dont il n'a pas parlr et que son lecteur peut fort bien ignorer. Mais nos
évangélistes ne font que recueillir les faits et paroles du Christ quotidiennement
prêches, que les fidèles connaissaient les avoir mainte fois
parfaitement pour
entendus; dont ils recueillaient dans leur mémoire les moindres parcelles pour en
faire la règle de leur conduite, pour en vivre et faire ainsi passer le Christ dans
leur vie, qu'il s'agisse de la catéchèse élémentaire conservée dans les synoptiques,
ou de l'enseignement plus élevé que donnaient aussi les apôtres et que saint Jean
nous a transmis par écrit d'après ses souvenirs personnels après l'avoir souvent
donné de vive voix. On comprend que dans de telles conditions, ce n'est pas
sans rime ni raison, qu'un évangéliste puisse faire une simple allusion à un fait
raconté dans la prédication quotidienne et qu'un autre évangéliste a jugé bon de
narrer. Cela se comprend aisément. Puis c'est un fait, qu'il est facile de constater
dans une étude comparative des évangiles. Il n'y a pas à raisonner contre les faits,
parce que, dit Euripide, ça ne leur fait rien, [xilu yàp aùxo^ oùosv.

E. L
POUR COMMENTER LES PARABOLES
ÉVANGÉLIQUES

De tout temps, les paraboles évang-éliques ont attiré l'attention


des commentateurs; mais elles ont été expliquées avec des méthodes
différentes.
On entend parfois reprocher aux anciens d'avoir négligé l'inter-
prétation littérale. La vérité est que les auteurs des premiers siècles,
s'adressant à des auditoires populaires, recherchaient surtout les
applications morales. Il serait cependant injuste de prétendre qu'ils
ont totalement omis l'exégèse historique.
Au reste, on rencontre, môme de nos jours, des commentateurs
qui ne se montrent guère plus avancés que les contemporains de
saint Chrysostome ou de saint Grégoire le Grand, et qui ont en
moins l'excuse dont pouvaient se prévaloir les auteurs du ou W
du VI'' siècle. On dirait que leur méthode consiste à n'en avoir
point. Ils passent en revue tous les mots de la parabole, disant à pro-
pos de chacun tout ce qu'ils savent, pêle-mêle, au petit bonheur,
sans idée générale, sans se préoccuper le moins du monde de l'ensei-
gnement parabolique, qui est cependant la chose principale.
l'n ouvrage représentatif de ce genre, c'est le commentaire de

Trench, Notes on the Parables of our Lord, qui a joui, chez nos
voisins d'outre-Manche, d'un domi-sièclc de vogue (1).
Vers la lin du xix' siècle, on a réalisé quelques progrès. Les com-
mentateurs^ commencent il faire de sérieux cH'orts pour être métho-
di(jues, mais sans y réussir encore suffisamment.
Je fais surtout allusion au commentaire de Bruce (2), excellent par
bien des côtés, mais (jui Intp souvent a le fort de substituer le pro-
cédé intuitif au procédé déductif. Il croit deviner trop vite ce que le

(1) .lt> w (lis rien de quanlilc d'autres cointnenlaires. O^crils surtout en franrais ou en
anglais.

(2) The pnrabolic Tcarliinj of Christ, qui sera rite da|»r(is la liuitit^inc édition, tS'jO.
POUR COMMENTER LES PARARO[.ES ÉVANCÉLIQUES. 407

Christ a dit, sans chercher assez ce qu'il a efTectivement voulu dire.


L'intuition est une (lualité très précieuse, mais dont il faut toujours
user avec ménagement; de plus, en exégèse, on ne saurait sans dan-
ger la pratiquer sur une vaste échelle.
La méthode de Julicher (1) et de Loisy (2) est infiniment plus
défectueuse que celle de Bruce. nous sommes en plein dans le
Ici

domaine de l'arbitraire. Ces critiques sont littéralement obsédés par


le souci de retrouver sous les paraboles des évangélistes, qu'ils
déclarent altérées, le texte authentique, tel qu'il aurait été proposé
par le di\in Maître. Je me suis suffisamment expliqué ailleurs (3) sur
l'inanité de leurs eflbrts.

En mettant à heureuses ou malheureuses,


profit les expériences,
réalisées par ces auteurs divers, on voudrait essayer de marquer ici
les règles principales qui semblent devoir présider au commentaire
méthodique des divines paraboles.

Avant tout, il convient de rappeler une vérité incontestable, à


savoir que les paraboles constituent un genre littéraire à part ; elles
ont leurs règles et leurs méthodes, dont l'observation s'impose non
seulement à l'auteur, mais encore et surtout à l'interprète. On se
tromperait au même degré en les regardant comme une simple page
d'histoire ou comme de pures histoires. Les paraboles ne sont pas
de l'histoire ordinaire, et, par suite, les récits qu'elles contiennent ne
doivent pas babituellement être tenus pour historiques, pas plus
dans leur ensemble que dans leurs détails. Elles ne sont pas davan-
tage de pures histoires, c'est-à-dire des compositions fantaisistes,
rédigées uniquement pour récréer des auditeurs naïfs ; d'où il suit
qu'après avoir admiré la facture soignée de ces gracieuses composi-
tions ou après en avoir goûté le charme, il reste encore à les com-
prendre, c'est-à-dire à saisir les leçons qu'elles veulent nous inculquer.
Les paraboles sont un genre intermédiaire entre l'histoire et la
simple fiction. Leur but essentiel est d'instruire, et par là elles se
rattachent au genre didactique; mais, pour mieux instruire l'audi-
toire simple auquel elles s'adressent, elles se proposent d'abord de lui
plaire : de là les tableaux imagés qu'elles évoquent, ou les histoires

qu'elles racontent.

(1) Die Gleichnisreden Jesu, 2' éd., 1910.


(2) Études évangéliques, 1902, et Les Évangiles Synoptiques, 1907.
(3) Introduction aux Paraboles évangéliques, 1912.
408 REVUE «IBLIQUE.

Mais précisément parce que les paraboles constituent un genre


intermédiaire, il est assez difficile de marquer exactement les limites

qui le séparent des deux genres voisins. Comment discerner le point


précis où l'orateur se contente de plaire, et celui où il commence'
d'instruire? Sans doute, s'il s'agit de dégager la leçon principale, la

convergence de tous les détails contribue à la mettre en pleine


lumière, eii un peu de bonne volonté l'exégète attentif a
sorte qu'avec
chance de ne point s'y méprendre. Mais la difficulté devient plus déli-
cate dès qu'on veut interpréter tous les traits du récit, en donnant à
chacun sa véritable valeur. Cette ambition semblera peut-être de
minime importance à quelques esprits, habitués à ne juger des choses
qu'en gros et par les grands sommets. Il en va tout autrement si l'on
réfléchit que la mise en valeur des détails donne au tableau sa vraie
signification, en nous indiquant l'aspect sous lequel il doit être envi-
sagé, en plaçant les figures dans un
lumineux ou en les estom-
relief

pant dans la pénombre. D'ailleurs, l'ensemble n'étant que la résultante


des détails, il est manifeste que la juste interprétation de tout le récit
dépend, en majeure partie, de l'appréciation des traits particuliers.
Ces brèves indications sont de nature à faire comprendre la néces-
sité de bien établir les principes qui régissent l'explication des para-
boles.
On sait que, dans toute parabole, on distingue le récit et la con-
clusion qui s'en dégage, en d'autres termes la 'parabole et la leçon
'parabolique. Il faut commencer par saisir correctement l'histoire en
elle-même, pour se mettre ensuite en mesure d'en saisir les appli-

cations.

Interprétation littérale de la parabole.

On ne s'attardera pas ici h rappeler les règles qui président à


l'explication de l'histoire : ce sont les règles mêmes de toute exégèse
historique et littérale ; elles se ramènent à cet aphorisme : bien
sai.sir le sens des mots, le sens des phrases et le sens des para-
graphes. J'ajoute seulement que, les paraboles reproduisant maintes
fois des tableaux de la vie populaire au temps de Notre-Scignour,
il est d'une sagesse élémentaire, pour comprendre coutumes les

auxquelles il est fait allusion, de recourir à toutes données les

de l'histoire et de l'archéologie sacrées. Kt comme rien ne rem-


place la vision personnelle des choses et des lieux, il est à souhaiter
POUR COMMENTER I.KS PAR.\l{OLi:S ÉVAiNGlilJQUES. 400

que le commentaleiir des paraboles connaisse ù fond la Palestine.


Le ciel, la terre, les plaines, les collines, les ilenves, les sources, le
climat sont bien les mêmes qu'au temps du divin Maître; et, si les

Iiabitants ne sont plus les mêmes, si les bouleversements de la


politique, les compétitions des diverses religions, les multiples
influences de civilisations successives ont déjà profondément modifié
les habitudes des indigènes, néanmoins on éprouve souvent la
satisfaction de découvrir figé dans un trait de mœurs, dans une
expression de la langue, dans une tradition, un geste, une attitude,
le commentaire authentique et vivant de tel ou tel détail des para-
boles.
Lorsque ce premier travail d'exégèse est accompli et que l'on
croit bien saisir Fhistoireou le tableau contenus dans la parabole,
avant d'aller plus loin, il importe souverainement d'en dégage?'
l'idée pi'incipale en groupant autonr d'elle les détails accessoires.
On verra plus loin l'importance de cette recommandation. En atten-
dant, donnons au moins un exemple de la manière dont on peut
appliquer ce précepte. —
Soit la parabole de la Drachme perdue,
que le divin Maître présentait en ces termes une femme
: « Y a-t-il

qui, ayant perdu une drachme sur les dix qu'elle possède, n'allume
sa lampe, ne balaie sa maison et ne cherche soigneusement sa pièce,
jusqu'à ce qu'elle la trouve? Et lorsqu'elle l'a trouvée, ne convo-
que-t-elle pas ses amies et ses voisines, leur disant : Félicitez-moi
donc de ce que j'ai trouvé la perdue? » (Le,
drachme que j'avais
XV, 8-9). A quoi se réduisent les faits essentiels de ce charmant
tableau? A deux choses la femme cherche avec soin sa drachme,
:

et, l'ayant trouvée, court s'en féliciter auprès de ses amies. Les

autres détails sont manifestement secondaires : la lampe allumée,


la maison balayée, la convocation des amies et voisines, ainsi que la
spécification de ces deux groupes.
On trouvera d'autres exemples du même procédé dans les pages
qui suivent.

II

Comment dégager le principal enseignement parabolique?

sommes encore qu'au seuil, au péristyle de la para-


Mais nous ne
bole. nous faut maintenant pénétrer dans le sanctuaire, je veux
Il

dire qu'il nous faut dégager les leçons principales ou secondaires que
le paraboliste veut nous inculquer.
410 REVUE BIBLIQUE.

Pour discerner la leçon p)'incipalc d'une parabole, deux choses


viennent à notre secours : d'abord l'idée maîtresse, le fait saillant

du récit, ensuite les indications du contexte. L'idée principale du


récit nous découvre l'analogie matérielle dont le divin Maître veut
se servir pour éclairer une vérité plus haute; le contexte, à son tour,
nous indique cette vérité supérieure que l'analogie matérielle doit
illustrer. Dès qu'on juxtapose les deux faits que le Sauveur a inten-
tionnellement rapprochés, la vérité doit jaillir spontanément de
cette co7npai'aison.¥\\c en jaillit.

que j'emploie ce mot de comparaison, puisque la


C'est à dessein
parabole n'est, en somme, qu'une comjmraison développée. On peut
même s'étonner que les commentateurs n'aient pas davantage songe
à exploiter ce principe universellement admis. Il comporte en tout
cas les plus fécondes conséquences.
La plus importante est que toute parabole, pouvant se ramener à
une comparaison, doit en effet s'y ramener. Le premier terme en
sera constitué par l'analogie matérielle développée dans l'histoire
ou le tableau; le deuxième, par la vérité supérieure à illustrer.
De la sorte, on embrassera d'un coup d'oeil, comme sur les deux
panneaux d'un diptyque, la correspondance entre le symbole sensible
et l'enseignement surnaturel.
Mais ces notions abstraites gagneront sans doute à être éclairées
de quelques exemples.
Reprenons d'abord la parabole de tout à l'heure, celle de la

Drachme perdue. Le fait principal de cette histoire en action, avons-


nous soin que la femme met à chercher sa monnaie égarée.
dit, est le

C'est là une observation dont tout le monde perçoit la justesse.


C'est aussi l'analogie qui va nous servir pour éclairer une vérité
plus haute. De même, nous dit Notre-Scigneur, que la femme met
toute sa diligence à chercher sa drachme perdue, de même... Arrivé
à ce deuxième terme de la comparaison, l'auditeur attend avec
avidité qu'on lui signale le deuxième fait à quoi précisément nous
prépare le speclacle de l'activité de cette ménagère.
Or, ce deuxième fait doit être demandé au contexte. Il faut que,
soit dans la question qui a sollicité la parabole, soit dans la morale

qui la termine, soit enfin dans le récit lui-même, il y ait une indi-
cation quelconque, capable de diriger notre recherche et <lc satis-

faire notre attente. Hâtons-nous d'ajouter que cette attente est


toujours satisfaite de quelque manière. Dans le contexte de la Drachme
perdue, il est question des pécheurs venus à résipiscence et de la
joie qu'en éprouve le Père céleste. Il nous est dès lors loisible
POUR COMMENTER LES PARABOLES ÉV ANGELIQUES. 411

d'achever la comparaison demeurée incomplète : De même que


la femme met toute sa diligence à chercher sa drachme perdue,
ainsi le Père céleste emploie toutes les ressources de sa Providence
pour ramener pécheur égaré; et de même que, la drachme
le

retrouvée, la femme est tout en liesse, de même il y a grande joie


au ciel pour la conversion d'un seul pécheur.
Soit un autre exemple, la parabole des Vierges, bien connue du
lecteur. Dégageons d'abord le fait principal de cette description
orientale.
Dix jeunes filles s'étaient portées au-devant de l'époux, attendant
le cortège nuptial auquel elles devaient se joindre. L'époux tardant
à venir, l'attente des vierges se prolonge. Lorsque enfin, vers minuit,
le cortège arrive, les jeunes filles s'empressent de ranimer leurs
lampes. Mais voici que, sur le nombre, cinq étourdies n'ont pas
songé à se munir d'une provision d'huile, et celle qui remplissait
la cupule de leurs petites lampes s'est épuisée durant cette longue
veille. Que faire? Elles n'ont d'autre ressource que de courir chez
le marchand à cette heure indue. En leur absence, le cortège, auquel
se réunissent les cinq vierges sages, entre dans la demeure nup-
tiale; et, lorsque les étourdies se présentent enfin avec leur pro-
vision d'huile, la porte demeure obstinément close, et elles se voient
éconduites sans pitié.
L'idée maîtresse de cette histoire tient en cettepremière partie
d'une comparaison De même que, sur un groupe de jeunes filles,
:

les sages seules purent se joindre au cortège nuptial, dont les étour-

dies se trouvèrent exclues, de même...


Le deuxième terme de la comparaison nous est fourni par le con-
texte qui précède et par celui qui suit, où l'on nous annonce le
grand retour du Fils de l'Homme, à la fin des temps « C'est pour- :

quoi, veillez, car vous ne savez ni le jour ni l'heure », conclut la


parabole des dix Vierges (Mt., xxv, 13).
Dès lors, nous sommes en mesure de compléter la comparaison
commencée « Ainsi, pour être admis au cortège parousiaque et au
:

bonheur céleste, il faudra se trouver bien préparé au moment de la


parousie «.

On saisit maintenant ce procédé d'exégèse.


Faute de s'en être souvenu, plus d'un commentateur s'est exposé
à battre la campagne, en quête de leçons purement imaginaires. On
au début le nom de Bruce. Voici un exemple de sa manière.
citait

A propos du Mauvais riche et du pauvre Lazare, il écrit « Le :

premier point qui appelle une explication est le caractère de l'homme


RIÎVLE BlBLIQl.E 1916. — N. S., T. XIU. 27
412 REVUE BIBLIQUE.

riche. Notre interprétation de la parabole demande {our construction

of the parable requires) que le riche soit accusé d'inhumanité, im-


plicitement, sinon explicitement » (1).

Notre interprétation le demande... Mais si la parabole ne le de-


mande pas, elle?
De fait, qu'on essaie do i^amener objectivement cette histoire aux
deux termes d'une comparaison, on s'apercevra que la leçon qu'elle
comporte est bien différente.
« De même que le riche, après une vie de luxe et de bonne chère,

se trouva jeté dans les tourments de la géhenne, au point qu'il se


vit réduit à solliciter l'aumône de celui qui, sur terre, venait la lui
demander;
Et de même que le pauvre Lazare, après une vie de souffrances
et de misère, fut transporté dans le sein d'Abraham au comble du

bonheur, au point qu'il excitait l'envie de celui qui fut l'un des
heureux de ce monde;
Ainsi il arrive que la mort vient subitement renverser les condi-
tions des hommes, les riches échangeant leur luxe pour les tourments
de la géhenne, les pauvres leurs plaies et leurs haillons pour la
félicité du paradis. »
Morale ne pas se fier aux richesses, puisqu'elles sont, par elles-
:

mêmes, incapables de nous assurer le bonheur dans l'autre monde.


Mais d'inhumanité il n'est peut-être question que dans... les com-
mentaires.
La méthode déductive a donc l'avantage d'être plus objective;
par là, elle peut se promettre de serrer de plus près les divins ensei-
gnements des paraboles.
Elle possède une autre supériorité grâce à la comparaison concise
:

qu'elle préconise, elle permet d'apprécier sur-le-champ ({uellc est


l'idée principale d'une parabole, en sorte qu'on n'est plus tenté de
la confondre avec de simples détails secondaires.
Pour certaines paraboles, cette méthode sera une libération, car
la prédominance donnée aux détails secondaires a parfois engendré

une confusion que la routine prolonge indéfiniment au détriment


de la vérité.

On se rappelle la parabole des Ouvriers de la vigne. Aux premiers


ouvriers on promet un denier pour salaire. A ceux qui ne partent
qu'A des heures plus tardives on ne promet en général qu'une juste
rétribution. Le soir venu, le maître ordonne que l'on paye d'abord

(1) Op. cit.. p. 3sr,,


POVR COMMENTER LES PARABOLES ÉVANGÉLIQUES. 4t3

les derniers arrivés et qu'on leur remette un denier. A cette vue, les
premiers s'imag-inent que leur propre salaire va être augmenté; à
leur grand désappointement, ils ne touchent eux-mt'imes qu'un de-

nier, suivant la convention du matin. De là des plaintes, des mur-


mures, qui amènent le maître à revendiquer hautement sa liberté.
N'a-t-il pas le droit d'avantager qui bon lui semble, pourvu que les
droits de personne ne soient lésés? d'être libéral pour quelques-uns
tout en ne semontrant injuste pour personne? « Est-ce qu'il ne m'est
pas permis de faire ce qu'il me plait? Ou faut-il que ton œil soit
mauvais, parce que moi, je suis bon? » (Mt., xx, 15).
Réduite en comparaison, la parabole donne le résumé qui suit :

« De même qu'après une journée de travail, pendant laquelle les

ouvriers avaient fourni des sommes de travail très inégales, le


maître leur fit donner à tous le même salaire, se montrant juste pour
tous et libéral envers quelques-uns,
Ainsi, sans jamais manquer à la justice à l'égard de personne, le
Seigneur aime à prodiguer ses libéralités à qui il lui plaît (1), »
Cette leçon parait la seule objective, la seule vraie, dès qu'on
approfondit la parabole. Pourtant il n'est pas rare que les exégètes
s'y méprennent; parce qu'ils se laissent impressionner par
et cela,

un détail : les reproches que le maître de la vigne adresse aux ou-


vriers jaloux. Il y en a même qui vont jusqu'à ne retenir que cette
impression de tout le récit, se figurant qu'en punition de leurs mur-
mures ces récriminateurs furent privés de tout salaire.
A cette première erreur s'en ajoute une deuxième au sujet des
mots multi vocati et pauci electi qui, du reste, ne font pas partie du
texte authentique. On se persuade que, en toute hypothèse, l'élection
des uns implique le rejet des autres. Après quoi l'on traduit coura-
geusement : « De même que, parmi les ouvriers de la vigne, quel-
ques-uns furent privés de leur salaire, ainsi le plus grand nombre
des hommes se verront privés de la récompense céleste ». Autant
d'erreurs que de mots. Et j'ajoute : Heureusement pour la doctrine
du nombre des élus, qui n'a rien à voir avec de telles fantaisies exé-
gétiques.
Il est donc bien établi que, dans un récit parabolique, l'idée cen-

(1) Bruce pense que la clef de la parabole se trouve dans le proverbe : « Beaucoup seront
les derniers qui furent les premiers » (Mt., xix, 30), et il esliine cette fois que la leçon com-
porte un renversement des situations morales, ceux qui étaient les premiers dans le service
de Dieu devenant les derniers, dans l'estime divine, par l'orgueil, la vaine gloire et l'eslime
de soi {op. laud., p. 188; cf. p. 186). On voit l'écart de cette interprétation par rapport à
celle que suggère le schéma parabolique.
414 REVUE BIBLIQUE.

traie ne doit pas être confondue avec les idées secondaires et que
le fait principal doit être retenu pour éclairer, par sa correspondance
et son analogie, la vérité plus haute qu'il s'agit d'expliquer.

Ici intervient une autre remarque, dont très peu d'exégètes ont tenu
compte et qui cependant est de nature à rendre de précieux services.
une correspondance exacte entre les
Faut-il s'attendre à trouver
deux termes de la comparaison qui forment le fond de toute para-
bole? Si on formulait aujourd'hui les articles d'un code littéraire à
l'usage des auteurs modernes, on n'hésiterait pas à répondre par
l'affirmative. Notre besoin de logique, la rigueur de notre esprit de
déduction exigent qu'il en soit ainsi. Personne n'oserait, je pense,
reprendre à son compte les consolations que Rabbi Éléazar ben Arach
prodiguait à son maître Jochanan ben Zakkaï, à l'occasion de la mort
de son fils : « Quelqu'un avait reçu du roi un objet en dépôt et
(dans le sentiment de sa responsabilité) il gémissait tous les jours :

Si je pouvais heureusement délivré du souci de l'objet confié!


ôti-e

— Toi aussi, ô maître, tu avais un fils qui était versé dans toutes les
branches de la science et qui maintenant est dégagé des péchés de
ce monde. Ne devrais-tu pas t'ouvrir à la consolation, puisque tu as
heureusement rendu ce dont Dieu t'avait confié la garde » (1)? A —
le prendre strictement, le discours de ce rabbin revient à ceci c De :

même qu'un dépositaire, effrayé de la responsabilité de son dépôt,


désirait vivement en être délivré, ainsi toi, maître, bien que tu ne
fusses nullement accablé par la responsabilité de posséder un tel fils,
tu devrais cependant te réjouir de sa mort ». Étrange consolation,
en vérité 1

Ou bien, c'est nous qui sommes trop méticuleux. En commençant


l'étude des paraboles rabbiniques, j'avoue avoir été choqué bien des
fois par les gaucheries de ces petites compositions, qui semblaient
prouver tout le contraire de ce qu'elles prétendaient, ou qui le prou-
vaient de si bizarre manière. Peu à peu, à mesure que mes lectures
se multipliaient, j'ai constaté que ces prétendues gaucheries appar-
tenaient tout simplement au genre parabolique des Sémites. Ou
plutôt, ce qui, pour nous, serait maladresse ou paralogisme, ne l'était
pas pour eux. VA cela, encore une fois, parce f[ue la logique des
sages orientaux n'est pas exactement la nôtre, la leur étant sensible-
ment plus libre et nK>ins rigoureuse.
l'no application assez intéressante de cette constatation est que,

(1) Cf. uwn Introduction nu x l'aralioles évangéliqvcs. p. 150.


POUR COMMENTER LES PARABOLES ÉVANGÉLIQUES. 415

si deux membres dune comparaison ou d'une parabole doivent


les
bien correspondre de quelque manière, ils ne correspondent pas

toujours de la manière que nous souhaiterions. Pour les Sémites, la


comparaison est encore bonne, si les deux termes comparés ne se
rejoignent que dans une analogie spécifique, alors que nous exigeons
une analogie concrète et individuelle; pour eux, la parabole est
encore réussie, si la leron coïncide avec l'histoire par quelques côtés
seulement, voire par un argument ad hotninem, alors que nous
aimerions qu'il y eût correspondance directe et adéquate.
Or, l'interprète des paraboles évangéliques ne doit pas oublier que
le divin Maitre, étant Sémite et s'adressant à des Sémites, avait le
droit d'user de ces libertés orientales, de même que l'interprète de
saint Paul doit se souvenir que l'Apôtre, s'étant formé aux écoles
juives, s'est habitué à la dialectique des. rabbins et que l'inspiration
n'a pas détruit ce qu'il y avait de légitime dans cette manière de rai-
sonner.

Par on arrive à formuler cette autre règle d'interprétation para-



bolique. Dans une parabole, il peut se faire que l'analogie entre
les deux termes de la comparaison ne soit pas de prime abord très

sensible, qu'elle ne soit qu'indirecte et, pour ainsi dire, latérale.


Faut-il, dans ce cas, se hâter de conclure à la gaucherie de l'appli-
cation? Faut-il surtout, comme l'ont fait trop souvent Jiilicher et
Loisy, se hâter de conclure que la parabole n'est pas authentique,
Jésus ne pouvant pas avoir parlé si « gauchement », et que ces défauts
de composition sont attribuables à la rédaction inintelligente de
l'évangéliste ou de la tradition primitive? Ce serait méconnaître les
lois de la parabole orientale et la confondre avec la parabole aristo-
télicienne ou occidentale. Un commentateur avisé ne commettra pas
cette lourde méprise.
Soit la parabole du bon Samaritain. Un scribe ayant demandé au
Sauveur quel était son prochain, Jésus lui répondit : Un homme, très
malmené par des voleurs de g'rand chemin, vit passer près de lui,

sans en recevoir le moindre secours, d'abord un prêtre, ensuite un


lévite. Seul, un Samaritain s'approcha de lui et le soigna. Lequel de
ces trois passants, conclut le divin Maître, fut le prochain de ce
pauvre blessé? (Le, x, 30-36).
Le scribe demandait quel était son prochain, c'est-à-dire, en
somme, qui avait droit à son amour. Le Sauveur répond, en lui
désignant celui qu'il a le devoir de secourir. Question et réponse
roulent bien sur le même sujet, à savoir la détermination du pro-
416 REVUE BIBLIQUE.

cliaiii; mais le Sauveur envisage un aspect du problème que le scribe

n'avait sans doute pas envisagé. Ce déplacement de points de vue,


qui peut nous surprendre, n'avait rien d'étonnant ni pour le scribe ni

pour les auditeurs de la parabole.


Les arguments ad homincm pour lesquels certains exégètes res-
sentent encore une défiance mal justifiée n'étaient pas davantage une
surprise pour les Sémites.
On est d'autant plus porté à croire que le Sauveur en a fait usage
dans la parabole de l'Enfant prodigue, que toute autre explication
se heurte à des difficultés inextricables. Le résumé donne la compa-
raison suivante :

« De même que le fils aîné fut repris de sa jalousie à l'égard de son


frère cadet qui, après une période d'égarements, était reçu à la
maison paternelle non seulement avec cordialité, mais avec la plus
vive allégresse, ainsi les « justes » sont repris de leurs sentiments
d'emde à l'égard des pécheurs qui, venus à résipiscence, sont accueil-
lis par le Seigneur avec des transports de joie. »
L'argument ad homincm consiste en ce que le Sauveur donne aux
Pharisiens le titre de justes qu'ils s'arrogeaient et qu'il semble même
leur en concéder la réahté. Assez souvent, en d'autres circonstances,
ila exprimé sa véritable pensée, en sorte que personne ne peut rai-
sonnablement s'y méprendre. Mais, pour cette fois (Ij, il consent à
prendre ces hommes pour ce qu'ils se donnent, à discuter en par-
tant de leur point de départ, comme si réellement ils étaient les
enfants chéris de Dieu et n'avaient jamais quitté la maison paternelle.
« Vous vous àiiQ^ justes, et vous croyez l'être? Soit; mettons que vous
le soyez. Môme alors, il y a d'excellentes raisons pour préférer la
compagnie des pécheurs à la vôtre, ce qui, du reste, ne justifie nulle-
ment votre orgueilleuse jalousie (2). »

(1) Me, II, 17, il avait déjà dit, à l'adresse des Pharisiens : Je ne suis pas venu appeler
les justes, mais les pécheurs.
(2) Plusieurs commentateurs pensent que le (ils aine représente \es justes en général.

Mais ils oublient que la parabole vise en premier lieu les Pharisiens.
D'autres, tels que Trench, croient qu'il symbolise les justes médiocres, qui accom-
plissent la loi dans un esprit servile, mais se gardent des grandes fautes. Mais com- —
ment reconnaître dans ce portrait les Pharisiens de l'Évangile.'
Pour iJrureip. 2b'i], il représente les Pharisiens avec leurs bons et leurs mauvais rôles,
avec leur correction morale et leur orgueil. —
.Mais peut-on admettre que, par « leurs
bons côtés », ils soient assimilables aux enfants ciiéris de Dieu?
L'argument ad liominem coupe court à toutes ces dilhcultés.
POUR COMMENTER LES PARABOLES ÉVANGÉLIQUES. 417

III

Comment interpréter les détails des paraboles?

Quand ou a dégagé la lec.ou principale d'une parabole, il reste


encore à en interpréter correctement les détails, ou les traits secon-
daires.
Dans mon Introduction aux Paraboles, à la suite de Maldonat, je
divisais en deux catégories ces éléments secondaires : les détails para-
boliques ou emblématiques — ce dernier mot est de Maldonat — et les
détails allégoriques.
Aujourd'hui, après une étude plus approfondie de la matière, je
crois préférable de les répartir en trois catégories, que j'appellerais
respectivement :

1" détails littéraires,

â"* détails paraboliques,


3° détails allégoriques.

Cette division se foode sur la nature dé la parabole, qu'on a définie


une comparaison développée, et sur son but, qui est à la fois de plaire
et d'enseigner.
Puisque la parabole veut plaire, ne faudra pas s'étonner d'y
il

rencontrer certains éléments qui ne jouent que ce rôle puisqu'elle ;

veut enseigner, elle contiendra tels éléments qui viseront encore à


plaire en enseignant et tels autres qui chercheront surtout à en-
seigner.
Ce sont là précisément les trois catégories de détails : littéraires,
paraboliques et allégoriques.
Les détails littéraires ont pour office de former le cadre littéraire
de l'histoire, d'encadrer le tableau. Ils ne sont là que pour le décor,
pour donner au discours plus de vie et de naturel.
Par suite, on n'a pas ci en tenir compte dans V explication de la
parabole, attendu qu'ils n'intéressent en rien la leçon parabolique.
Ainsi, dans l'Enfant prodigue, lorsque le fils aîné appelle un ser-
viteur pour s'informer de ce qui se passe à la maison, question et
réponse ne sont que des détails littéraires, dépourvus de toute visée
doctrinale (Le, xv, 26-27). Puisque l'aîné était aux champs et qu'on
voulait nous le montrer s'arrètant à la porte du festin et refusant
d'entrer, il fallait bien qu'il s'instruisit de quelque manière des évé-
nements domestiques. Ces détails ont pour but de le renseigner, mais
au lecteur de la parabole ils n'apprennent rien.
418 REVUE BIBLIQUE.

Détail littéraire aussi, ce reproche que le fils adresse à son vieux


père : « Depuis tant d'années que je suis avec vous, vous ne m'avez
pas donné un chevreau pour me réjouir avec mes amis » (v. 29).
Dans la parabole des dix Vierg-es, cette catégorie s'enrichit encore
de plusieurs traits : le nombre dix, les clameurs annonçant l'arrivée
de l'époux, le dialogue entre les sages et les étourdies, surtout les
mots : De peur qu'il n'y ait pas assez d'huile pour vous et pour nous;
peut-être même ceux-ci : Allez trouver les marchands et achetez-
vous en, et enfin l'achat tardif que les étourdies sont censées con-
tracter.
Ces détails ne sont d'aucune importance pour la signification de la
parabole, qui resterait identique, alors même que ces détails secon-
daires varieraient.
Au fond, c'est là le meilleur critère pour discerner les détails lit-

téraires : ils sont tels, lorsqu'ils ?i'intéresse/tt pas la signification de


la parabole et que celle-ci ne serait pas modifiée du fait de leur va-
riation.

Les détails paraboliques et les détails allégoriques ont ceci de com-


mun qu'ils concourent à préparer la leçon de la parabole; ils dif-

fèrent en ce qu'ils n'y concourent pas également. Les traits allégo-


riques jouent le rôle de symbole ou de métaphore de là leur nom —
une série de métaphores coordon-
A' allégoriques, l'allégorie étant

nées, —
tandis que les traits paraboliques n'éclairent la réalité su-
périeure que par comparaison —
de là leur nom de paraboliques,
la parabole étant une comparaison développée.
Allégorique, un trait doit avoir avec la réalité correspondante une
analogie directe et étroite, puisqu'il en est la métaphore.
Parabolique, il qu'une analogie plus indi-
peut n'avoir avec elle

recte, puisqu'il que de comparaison.


ne s'agit
A chaque trait allégorique correspond un trait particulier de la
réalité supérieure, et l'exégète doit se préoccuper de le découvrir.
Au contraire, les traits paraboliques se groupent entre eux pour
former un tableau qui, seul, répondra à une réalité supérieure.
D'un mot, les traits allégoriques ont une correspondance particu-
lière; les traits paraboliques n'ont qu'une corres/jondance collcclivr.
Ces observations sont de nature à simplifier, en plus d'un cas, la

tâche de l'exégète. On aura intérêt à ne point les pcrdie de vue.


Mais, pour ne pas rester dans l'abstrait, donnons quelques exem-
ples de ces deux classes de détails.
Lorsque le divin Maître nous parle du .semeur sortant pour ré-
POUR COMMENTER LES PARABOLES ÉVANGÉLIQUES. 419

pandre sa semence, on devine d'instinct que le semeur représente le


Sauveur en personne, et la semence sa divine parole nous avons là :

des métaphores, des diHails allégoriques.


Au contraire, dans la parabole de la Drachme perdue, les actions
d'allumer la lampe et de balayer la maison lie sont évidemment que
des traits paraboliques. Leur rôle est de montrer dans le réel l'ac-
tivité de la ménagère. Mais c'est tout. Nul ne s'avisera, à moins d'être

allég'oriste à outrance, de chercher ce que peuvent représenter la

lampe ou le balai : ce ne sont donc pas des métaphores.


Gardons-nous cependant de croire qu'on peut les traiter comme
des quantités négligeables. Car s'ils sont, par eux-mêmes, tout autre
chose que des métaphores, ils entrent dans la composition d'un ta-
bleau qui, pris dans son ensemble, possède une valeur symbolique
et représentative.
A ne considérer ces traits que dans leur signification immédiate
et concrète,on ne voit pas ce qu'ils ont à faire avec la leçon de la
parabole. Mais si on regarde à leur signification générale et collective,

on constate qu'ils représentent les soins communément employés


pour retrouver un objet perdu. On peut dès lors les traduire comme
il suit :

« De même qu'une ménagère prend toutes les mesures pour re-


trouver sa drachme égarée,
Ainsi le Seigneur emploie toutes les ressources de sa Providence
pour convertir les pécheurs. »

Ces détails ont une signification collective : le zèle déployé par


Dieu.
Il en est de même dans la parabole des Vignerons homicides. Tous
les travaux exécutés par le maître de la vigne ne sont pas à retenir '

pour leur signification individuelle il bâtit une tour, creuse un pres-


:

soir, dresse un mur de clôture, épierre son terrain, y plante des ceps

choisis. Mais tous ces traits ont une signification plus générale ils :

représentent les soins apportés par le vigneron à la culture de son


verger. Et cette signification a pour correspondant les soins prodigués
par le Seigneur à Israël :

« De même que le vigneron fît tout ce qui était en son pouvoir pour

mettre en valeur sa vigne, ainsi le Seigneur n'a point ménagé ses


bienfaits pour assurer le plus grand rendement spirituel de son
peuple. »

Mais comment discerner si un trait appartient à la catégorie des


détails paraboliques ou à celle des détails allégoriques?
On a vu des exégètes qui s'efforçaient de donner une valeur allégo-
420 REVUE BIBLIQUE.

rique aux moindres éléments des paraboles. C'est une exagération,


car il est manifeste que certains détails ne supportent pas d'être
interprétés métaphoriquement. Dans la parabole des Vignerons, on
peut tolérer àla rigueur que la tour bâtie par le maître de la vigne

soit la métaphore de Jérusalem, peut-être aussi que le mur d'enclos


soit le rempart de la Ville Sainte. Mais on se discréditerait en cher-

chant à quoi répondent le pressoir, la haie, l'action de bêcher,


d'épierrer ou de planter les ceps... Un Philon seul ou un Origène
pouvaient se permettre ces audaces.
D'un autre côté, ce serait une erreur non moins dangereuse de
nier l'existence de la moindre métaphore dans les paraboles, témoin
les commentaires que le divin Maître a lui-même donnés du Semeur
et de l'Ivraie.
Entre ces deux excès il y a place pour une exégèse plus pondérée.
Sa méthode en ces deux principes 1'' Lorsqu'il existe une rai-
tient :

son suffisante de croire qu'un détail est métaphorique, on le regarde


comme une métaphore. 2° En dehors de là, tous les traits particu-
liers sont traités comme des éléments paraboliques.

De ces deux principes, le dernier est d'une application beaucoup


plus fréquente; et, par suite, la règle de beaucoup la plus générale
est qu'on n'interprète pas allcgoriquement les traits secondaires la :

présomption est pour leur caractère paraholiquc. On sait d'ailleurs


que le simple bon sens et la robuste sobriété qui sont l'une des pre-
mières qualités de l'exégèse historique, demandent qu'on se tienne
en garde contre le penchant allégorique. L'allégorie se prouve, la
parabole se suppose.
L'allégorie se prouve. On
cependant trop exigeant si l'on
serait
réclamait des preuves évidentes. Les preuves les plus ordinaires sont
d'ordre moral, on pourrait presque dire d'ordre subjectif; en tout
cas, elles sont d'une appréciation délicate, étant parfois afl'aire d'édu-
cation exégétique. Le plus souvent une métaphore se discerne au re-
lief que tel détail accapare dans le récit, à la volonté manifeste de
l'orateur, ou enfin à la correspondance aisée, naturelle, satisfaisante
de l'élément allégorique avec cet élément du récit. C'est ainsi que les
métaphores du semeur on de la semence, pour désigner le Sauveur
et sa divine parole, sont Justihées par la place centrale ({u'elles occu-
pent dans le récit, en même temps qu'elles nous satisfont pleinement.

On pourrait aisément élargir ces démonstrations. Mais ce qui pré-


cède suftit à bien préciser la position prise parmi toutes ces écoles
d'interprétation parabolique, il ne faut négliger aucun détail des ra-
POl'H COMMENTER LES PARABOLES ÉVANGÉLIQUES. 421

vissantes histoires ou des tableaux palestiniens de l'Évangile, à moins


qu'on n'ait affaire à des détails purement littéraires. Il est préférable
de se tenir en garde contre une exégèse systémati([uement allégo-
rique. Jusqu'à preuvedu contraire, la présomption est en faveur des
traits eux-mêmes doivent être utilisés
paraboliques. Mais ces traits
avec soin, sinon à cause de leur signification concrète et individuelle,
du moins en raison do leur signification générale et collective.

IV

Nombre des leçons paraboliques.

Il reste un mot à dire du nombre des leçons à tirer d'une parabole.


Comme toujours, on se gardera des deux excès opposés qui consistent
à en tirer trop ou trop peu. La seule règle générale qu'on puisse for-
muler est qu'il faut recueillir toutes les leçons
qu'une parabole con-
tient. Si l'histoire est riche, qu'on l'exploite sans crainte. Si, au con-
traire, elle ne veut attirer notre attention que sur une vérité, voire
sur un
seul aspect de cette vérité, qu'on se contente de cela.
Ily a des commentateurs qui ne sont satisfaits qu'à condition de
trouver tout dans tout. C'est une tendance dangereuse.
Ici encore, c'est le schème de comparaison qu'on a appris à déduire

de la parabole qui servira de guide.


Par exemple, les paraboles du Sénevé et du Levain n'insistent
guère que sur une vérité « De même qu'un tout petit grain de sé-
:

nevé devient un arbuste élancé, ainsi le Royaume de Dieu, si modeste


au début, est réservé à de grands accroissements. —
De même qu'une
poignée de levain est susceptible de faire lever toute la pâte, ainsi
le Royaume de Dieu possède une vertu latente capable de transformer

l'intérieur des âmes. »


D'autres paraboles sont beaucoup plus fécondes. C'est ainsi que la
parabole du Vanneur, dite par saint Jean-Baptiste à ses catéchumènes
du Jourdain, contient les plus riches enseignements sur les caractères
du Messie et la nature de son Royaume. Il résulte de ce tableau que
le Messieremplira vis-à-vis des hommes l'office de juge, de même
que vanneur a pour fonction de trier son grain. La séparation
le

opérée par le Messie entre les justes et les pécheurs sera équitable,
comme celle du vanneur séparant le froment de ses éléments impurs;
elle sera minutieuse aussi, comme celle du vanneur; et, comme elle
encore, elle sera définitive. — Quant au Royaume des cieux, nous
apprenons qu'il ne s'ouvrira qu'au vrai mérite, à la véritable sainteté,
422 REVUE BIBLIQUE.

que la société des bons y sera sans mélange, qu'on y jouira d'un
bonheur sans partage, en dehors duquel il n'y a d'autre perspective
que le malheur sans fm de la géhenne.
La même richesse se retrouve dans mainte parabole du divin Maitre :

citons seulement pour mémoire les paraboles de l'Econome infidèle


(Mt., xviii, 21-35), des dix Vierges (Mt., xxv, 1-13) et des Talents
(ib., xxv, li-30).

Le lecteur qui a bien voulu suivre cette revue de principes, peut


soupçonner déjà les difficultés de leur mise en pratique. Et c'est
pourquoi l'exégète peut être moralement sûr de posséder les vrais
principes qui régissent sa matière, sans pour cela pouvoir se flatter
qu'il aura la main heureuse dans son commentaire. Il est vrai que
l'exégète qui méconnaîtrait ces principes, ou qui, les connaissant, les
négligerait de parti pris, se mettrait dans une situation bien plus
défectueuse. De celui-là on peut prédire sûrement que ses etforts ne
seraient pas adéquats à sa tâche. Quant au premier, il a peut-être le
droit de tenterun essai.
Venu après tant d'autres, celui qui écrit ces lignes se propose à son
tour de l'entreprendre.

Fontarabie.
Denis Buzv S. C. J.
MÉLANGES

SAINT JÉRÔME ET LES PROPHÉTIES MESSIANIQUES

PRINCIPES.

Notre analyse littéraire du commentaire hiéronymien d'Isaïe paru


dans précédent de cette Revue (pp. 200-225) s'appliquant
le fascicule

à dessein à mettre en relief le procédé exégétique du commentateur,


les ressources qu'il sut tirer de ses connaissances en littérature et de
son expérience personnelle, la direction imprimée à son interpréta-
tion par le but de ses polémiques, a laissé de côté l'explication que
saint Jérôme donne des passages où les prophéties ont particulière-
ment en vue le Messie. Ce sera donc compléter cette analyse que d'in-
sister maintenant sur ce côté du travail du grand docteur, et pour

avoir une plus ample notion de la manière dont il envisage ces


fameux textes, nous avons poussé nos recherches au delà des bornes
d'Isaïe et mis à contribution le commentaire sur les autres pro-
phètes.
On a déjà remarqué par ce qui a été écrit précédemment que tout
le long de son interprétation saint Jérôme suit le double fil du sens
littéral et du sens spirituel, ce dernier se divisant parfois en allégo-
rique et en anagogique, c'est-à-dire concernant la fin ultime de
l'homme et du monde, l'éternelle gloire. Par là s'exercent à la fois la

du mystique, l'ardeur de l'as-


perspicacité de l'historien, la subtilité
cète porté aux élévations. Nous retrouvons ce programme aussi bien
dans l'exégèse des petits prophètes que dans celle d'Isaïe. Ainsi lisons-
nous au chap. d'Abdias « Dans l'interprétation prophétique nous
i :

devons suivre notre habitude de poser d'abord les fondements de


l'histoire, ensuite, si nous pouvons, d'élever de hautes tours et de
424 REVUE BIBLIQUE.

couronner La restriction si possumus laisse entrevoir que


les faîtes. »

tout ne va quelque difficulté. Évidemment lorsqu'on se


pas sans
contente de la première adaptation venue du texte sacré, comme il
arrive dans maint ouvrage dévot ou dans la prédication vulgaire, on
est loin de soupçonner les aspérités du labeur exégétique. Il est cepen-
dant pénible d'extraire un sens spirituel plausible, sans parler de
lérudition que doit posséder l'historien avisé pour établir convena-
blement le sens littéral. Au chapitre i de Nahum, Jérôme demande
au lecteur de lui pardonner sa prolixité, car il lui est impossible

d'être brefen menant de front l'histoire et la tropologie, et en étant


de plus torturé par la diversité des interprétations et par la nécessité
où il se trouve de suivre parfois contre sa conscience l'ordre de la ver-
sion vulgaire, c'est-à-dire le texte des Septante (1). Use compare un peu
plus loin au navigateur qui dirige son embarcation entre les récifs,

toujours sur le point de faire naufrage. Louvoyant entre l'histoire et


l'allégorie, il craint de tomber en Charybde pour éviter Scylla. Enfin
il laisse à ses amis le soin de juger s'il est rentré au port ou s'il lutte
encore contre les périls de la mer.
Pour ce qui est de l'interprétation allégorique ou édifiante, Jérôme
ne dédaigne pas les lumières de ses devanciers qui, s'ils étaient
rares pour Isaïe, se trouvent en plus grand nombre dès qu'il s'agit
des petits prophètes. Mais il sait faire un choix entre leurs opinions.
Il n'approuve même pas tous les passages qu'il cite. Seulement, il

désire imiter ce père de famille qui tire de son trésor du vieux et du


neuf. C'est pourquoi il mêle à l'histoire « la tropologie des nôtres ».
Il fait une si large part à ces emprunts d'allégorisants qu'on lui
reproche d'origéniser. « On prétend, dans son deuxième pro-
dit-il

logue sur Michée, que je compile les volumes d'Origène et qu'il ne


convient pas de contaminer les ouvrages des anciens. Ce reproche
véhément pour moi un titre de louange, car je veux imiter celui
est

qui, je n'en doute pas, vous plaît ainsi qu'à tous ceux qui ont de la
prudence. Si c'est un crime de traduire les belles œuvres des Grecs,
il faut condamner Ennius, Maro, Plante, Gaecilius, Térence, Tullius et
les autres personnages éloquents qui ont emjirunté, non seulement
quelques lignes, mais de nombreux ch;ipitres de longs écrits ainsi et

que des récits entiers. coupable de vol


Bien plus, notre Ililaire est
puisqu'il a rendu en latin près de quarante mille lignes dudit Origcne
sur les psaumes. Je préfère imiter la négligence de ceux-ci plutôt que

(1) Maxime cum et interpretationis variefaie torquear cl advcrsns coiiscienliam,


meam inlerdum vulgatx edilionis consequentiam lexere.
MÉLANGES. 42d

l'obscure diligence de mes accusateurs. » Une des caractéristiques do


rexégèsc oi'igcnienne est de découvrir les hérétiques sous tous les
textes qui ont trait aux tribus du Nord. Son petit commentaire sur
Osée, déclare saint Jérùtne, tend à démontrer que tout ce qui est dit
dEphraïm s'applique à la personne des hérétiques. Notre interprète a
certainement subi cette influence. Au début de Michée, il reconnaît
qu'il est question de la prise de Samarie, métropole d'Israël, et de
Jérusalem, capitale du royaume de .Juda. Mais quant au sens mysti-
que, quantum vero ad mysticos intellectus, Samarie figurant l'hérésie
et .lérusalem représentant TÉgiise, c'est à la cohéritière du Christ
que s'adresse la parole de Dieu à propos des dogmes pervers. Par là
on saisira l'idée maîtresse de l'explication de tout ce livre.
Notre interprète cependant hésite quelquefois à s'engager trop
avant dans cette voie. Il lui parait très difficile de confondre le Sau-
veur avec le prêtre Jésus, fils de Josédech du chapitre de Zacharie, m
tout en se résignant à faire aller de pair l'interprétation littérale et
l'application mystique. répugne davantage de voir dans Sédé-
Il lui
cias un type du Sauveur futur [Ézéchiel, xii). Sans aucun doute ce
chapitre indique la captivité de ce roi qui fut pris avec Jérusalem.
Mais il faut compter avec les allégorisants qui n'épargnent pas un
verset de l'Ecriture. Il en est qui regardent Sédécias comme la figure
du Christ, et sa captivité comme un signe de l'incarnation. « Je crois
bon, ajoute Jérôme, d'avertir le lecteur prudent et avisé que si nous
signalons cela c'est afin de ne pas le passer sous silence et non pour
l'approuver. Un roi impie ne peut pas précéder même en figure celui
qui est l'exemple de toute piété. » Après avoir exposé un peu plus
loin la théorie des tropologistes forcenés sur la suite du même sujet,
il nous fait encore cette réserve : « Ceci dit, nous laissons au lecteur
le soin d'en juger. Du reste, il est certainement périlleux de comparer
la captivité et la mort d'un roi impie au sacrement du Seigneur. »
Emportés par leur imagination, d'autres sont toujours prêts à reporter
à la fin du monde les malheurs prédits à Jérusalem, comme il arrive
pour Ézéchiel xxiv. Nous aimons à entendre le savant docteur décla-
rer au début du chap. vu d'Amos « La parole prophétique a pour
:

objet non seulement les faits qui doivent se produire après beaucoup
de siècles, mais aussi des faits rapprochés qui suivent immédiate-
ment l'oracle. Nous autres hommes, nous avons l'habitude de penser
plus à nous qu'à nos descendants. Ézéchias disait Que la paix se fasse :

de montemps. Ainsi ceux qui auront vu se réaliser des prédictions se


convertissent au culte de Dieu dont les prophètes ont le don de la
vraie divination. » Saint Jérôme avoue à Pammachius dans son pro-
426 REVUE BIBLIQUE.

logue sur Abdias qu'il avait jadis interprété ce prophète, mais que
cette œuvre de jeunesse était à refaire. Rempli d'une sainte ardeur
pour l'étude des Écritures, il avait commenté allégoriquement Abdias
dont il ignorait l'histoire. Son esprit brûlait alors de connaître les
choses mystiques, et, comme il avait lu que tout était possible aux

croyants, il ne soupçonnait pas la diversité des dons divins. Sa science


des lettres séculières lui permettrait, pensait-il, de déchiffrer un livre
scellé. C'était insensé, et pourtant il trouva un jeune homme pour
porter aux nues cette élucubration, tant il est vrai qu'un auteur
imparfait rencontre toujours un lecteur semblable à lui. Tandis que
celui-ci louait, Jérôme sentait la honte lui monter au front; il incli-

que son admirateur portait au ciel ses


nait la tête vers la terre tandis
aperçus mystiques. Le second commentaire profitera des progrès et
des connaissances, fruit de trente années de labeur. Mais cette science
ne fera pas germer la présomption, car l'auteur a du moins appris la
vérité de cette parole socratique Je sais que je ne sais rien.
:

Cette défiance est accrue par l'obscurité des livres prophétiques. La


finale d'Osée n'est pas très encourageante : « Qui est assez sage pour
comprendre ces paroles, assez intelligent pour les savoir? » montrant
l'obscurité de l'œuvre et la difficulté de l'expliquer. Si l'auteur
déclare lui-même que son écrit est ou impossible à saisir, que
difficile

pouvons-nous faire, nous autres dont


yeux affaiblis par le péché
les
sonl^ incapables de fixer l'éclat intense du soleil? Osée en effet ajoute :

« Les voies de Dieu sont droites et les justes y marcheront, mais les

méchants y trébucheront. » D'où, conclut saint Jérôme, qui peut sans


l'enseignement du Christ savoir ce que signifient Jesréel, sa sœur, son
troisième frère, le pacte avec les bêtes de la terre, qui est ce David
vers lequel reviendra le peuple, dont la résurrection aura lieu le
troisième jour, et dont la sortie est comjiarée à l'aurore, quelle est la
première pluie et la dernière, qui est celui qui doit venir, pour distri-
buer la justice, et qu'Israël sortant d'Egypte figure par avance? Ainsi
quiconque est saint et juste, connaîtra les voies droites du Seigneur,
et nous savons que ces voies ne sont autres que la lecture de l'Ancien
et du Nouveau Testament et l'intelligence des saintes Écritures. Le

voile placé devant nos yeux ne tombera que lorsque nous nous tour-
nerons vers le Seigneur. Alors le droit chemin s'étendra devant nos

pas et nous y trouverons le Christ, et nous constaterons que Juifs et


hérétiques s'égarent ou trébuchent conformément à ce qui a été
écrit : « Celui-ci a été placé pour la ruine et pour la résurrection
d'un grand nombre en Israël. » Ainsi c'est dans le Christ que les dif-
ficultés et les obscurités de la lettre sacrée trouveront une solution
MÉLANGES. 427

heureuse et véritable. Pascal ne compicndrapas Jiileremmeut : « Tout


auteur, écrit-il dans une de ses Pensées (n^GSi), a un sens auquel
tous les passages contraires s'accordent, ou il n'a point de sens du
tout. On ne peut pas dire cela de l'Écriture et des prophètes; ils

avaient assurément trop bon sens. donc en chercher un qui


Il faut
accorde toutes les contrariétés. Le véritable sens n'est donc pas celui
des Juifs; mais en Jésus-Christ toutes les contradictions sont accor-
dées. » S'il est parfois ardu de découvrir le Sauveur dans les oracles
de l'Ancien Testament, les auteurs du Nouveau et Jésus lui-même
offrent un précieux secours une voie sûre. Le Christ ne résout pas
et
seulement les obscurités par sa personne et par sa mission mais
encore par son autorité, étant à la fois une interprétation et un inter-
prète du texte sacré, l'objet d'une prédiction et l'exégète de cette
prédiction. Saint Jérôme faisait remarquer à l'évêque Chromatius
combien il était pénible [sudoris esse vel tna./iniï) de rapporter à
la personne du Sauveur tout ce qui de Jonas, sa fuite, son était dit
sommeil, son immersion, sa délivrance, son désespoir, et cependant
pour comprendre les grandes lignes de cette histoire, il n'existe pas
un meilleur œdipe de cette figure que celui qui inspira les prophètes
et dessina dans ses serviteurs l'esquisse de la vérité à venir. Puis
vient la citation de Matth., xii, il. C'est la même constatation qui
arrachait à Pascal ce cri d'admiration : « Combien doit-on donc esti-

mer ceux qui nous découvrent le chiffre et nous apprennent à con-


naître le sens caché et principalement quand les principes qu'ils en
prennent sont tout à fait naturels et clairs I C'est ce qu'a fait Jésus-
Christ, et les Apôtres. Ils ont levé le sceau, il a rompu le voile et
découvert l'esprit. » Pensées, 678.
Toutefois lorsqu'il n'existe pas de principe naturel et clair, il
y
aurait danger de fausser l'interprétation et de faire subir au texte
inspiré le supplice de Procruste. Le lecteur prudent, écrit Jérôme sur
le chapitre i" de Jonas, ne mettra pas au même niveau l'ordre
Agar et Sara
historicpie et l'ordre tropologique. Si l'Apôtre rapporte
aux deux Testaments, nous ne pouvons pas cependant interpréter allé-
goriquement tout ce que renferme cette histoire. De même pour ce
qu'il dit aux Éphésiens d'Adam et d'Eve « C'est pourquoi l'homme :

laissera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme et ils seront


deux dans une seule chair. C'est un grand mystère, je le dis du
moins dans le Christ et l'Église. » Pouvons-nous donc, ajoute l'exé-
gète, appliquer au Christ et à l'Église tout le début de la Genèse, la
création du monde et la condition des hommes, parce que l'Apôtre a
ainsi usé de ce témoignage? Ce cpi'il écrit aux Corinthiens au sujet
REVUE BIBLIQUE 1916. — N. S., T. XUI. 28
428 REVUE BIBLIQUE.

de la pierre spirituelle qui laissait échapper une source, laquelle


pierre était le Christ, ne nous oblige nullement à rapporter au Christ
tout le livre de l'Exode, et à soumettre toute cette histoire aux lois de
rallégorie. Mais plutôt chaque passage n'est-il pas susceptible de
recevoir une interprétation spirituelle diitérente suivant la diversité
du fait historique qu'il contient? Du fait que quelques textes ont reçu
des explications transcendantes il ne s'ensuit pas que le contexte
demande à devenir l'objet de la même allégorie. Ainsi en est-il de

Jonas. Ce qui est dit de ce prophète ne peut pas être rapporté en


totalité au Christ, sans i)éril pour l'exégète. La citation de l'Évangile :

« Cette génération mauvaise et adultère demande un signe; il ne lui


en sera pas donné d'autre que celui du prophète Jonas, etc. », ne
force pas à appliquer au Christ le reste du livre de Jonas, du moins
aussi directement.
Pourquoi Fexégète prendrait-il à tâche d'accroître par de préten-
dus éclaircissements l'obscurité des prophéties? « Il y a des figures
claires et démonstratives, mais il y en a d'autres qui semblent un
peu tirées par les cheveux et qui ne prouvent qu'à ceux qui sont
persuadés d'ailleurs. Celles-là sont semblables aux apocalyptiques,
mais 'la différence qu'il y a, est qu'ils n'en ont point d'indubita-
bles (1). » L'exégèse de Zacharie, précisément en raison du carac-
tère apocalyptique de ce livre, donne beaucoup de travail à Jérôme.
Le second prologue est loin de dissimuler les difficultés. Exupère,
lévèque de Toulouse, saura qu'au chapitre vu, l'on passe de l'obscu-
rité à une obscurité plus grande, et que l'on pénètre avec Moïse dans

la nuée et les ténèbres. On y affronte les dédales du labyrinthe, mais


le fil du Christ dirige les pas aveugles. Le début du chapitre x est

particulièrement obscur et douteux. L'interprète demande pardon à


son lecteur de procéder à tâtons dans ces passages ambigus. Avec la
formation qu'il s'est acquise au contact du texte inspiré, traduit par
lui, confronté dans les différentes versions, commenté en regard du

Nouveau Testament, saint .lérùme arrive à se garder de plus en plus


des extravagances d'Origène. Il ne craint pas dans son prologue sur
Malachie de rejeter les fantaisies de celui dont il se glorifiait aupa-
ravant d'être le plagiaire. « Origène, dit-il, a écrit sur ce livre trois
\ohimes, mais il s'est tout à fait gardé do toucher à l'histoire, pour
demeurer complètement suivant sa coutume dans l'interprétation
allégori<iue, ne faisant aucune mention d'Esdras, j)ensant plutôt
(juan sxu'j:c était l'auteur du livre, sch.n ce (jne nous lisons au sujet

;i; l'ensces, 650 (éd. Brunschvicn).


MÉLANGES. 429

de Jean Voici que j'envoie mon ange devant ta race. Quant à nous,
:

nous n'adnn^ttons absolument pas cela, pour ne pas être forcés de


recevoir du ciel la ruine des âmes. »

Les Juifs, moins que les autres, ne sauraient apporter quelque lu-
mière dans la compréhension des oracles divins. Pour eux tous les
prophètes sont un livre scellé, ce livre dont il est question dans Isaïc xi,
1 Le Nouveau Testament désigne sans ambages celui qui brisera les
1.

sceaux du mystérieux volume et notamment l'Apocalypse. C'est le lion


de la tribu de Juda, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Quant aux maîtres de
la Synagogue, il leur a été impossible jusqu'à présent d'ouvrir, de

lire, de saisir le sens des mystères et de l'exposer. Quant au peuple

illettré,qui est la proie de ses docteurs, il confesse son ignorance. Des


deux maux, celui d'avouer son incapacité est beaucoup plus léger
(}ue celui de se vanter de sa prudence sans savoir ce qui est écrit. S'ils
ont les livres, nous, nous avons le maître des livres; s'ils tiennent les
prophètes, nous possédons l'intelligence des prophètes la lettre les ;

tue, l'esprit nous vivifie. Chez eux le brigand Barrabbas est relâché,
chez nous le Christ, Fils de Dieu, est délié, nobis C/n-isius Fiiius Dei
solvitur{i). Nous allons voir précisément comment saint Jérôme s'y
prend pour dégager le Messie de la lettre des oracles inspirés.

Il

L OBIGINE UAVIDIQCE. L ENFAXCE.

Saint Jérôme tient pour messianique le passage de Jérémie xxx, 8,


qui débute et finit par l'attestation solennelle Oracle de Ja/ivé^ :

m1~''-l:n;. « Et il arrivera en ce jour, oracle do Jahvr des armées, que


je briserai son joug de dessus ton cou et que je romprai les fers; les
étrangers ne te domineront plus. Et ils serviront Jahve leur Dieu et
David leur roi que je susciterai jjoiir eux. Quant à toi, ne crains pas,
mon sei'viteur Jacob, j)arole de Jahvé. » Le commentateur reconnaît
la réalisation de cette promesse dans le cantique
par Luc, i, 70, 75 cité ;

le nouveau David est celui dont il nous donner de le


est dit qu'il doit

servir sans crainte une fois délivrés de nos ennemis. Le Sauveur


mérite cette dénomination parce que par l'intermédiaire de Marie il a
reçu tout ce qu'il pouvait tenir de la descendance de David. Nabucho-
donosor avec son joug et ses liens est ici la figure du démon. Comme
il est recommandé à Jérémie d'écrire ceci dans un livre et de le con-

^1) Prolog, in Jonam.


430 REVUE BIBLIQUE.

fier à sa mémoire, il est clair que la propliétic ne trouvera son


accomplissement que dans une époque reculée, quand Israël et Juda
reviendront dans leur pays pour confirmer la prédiction d'Kzé-
cbiel XXXVII, 24 Et mon serviteur David sera leur roi, et ils auront
:

un seul pasteur. Au lieu d'entendre par là avec quelques-uns le


retour des douze tribus sous Zorobabel, nous devons y voir leur salut
par la vocation évangclique. L'annonce messianique est destinée à
réjouir le peuple plongé dans la tristesse, semblable au rayon de
soleil dans la « Les événements tristes, écrit notre exégète,
tempête.
sont prédits en premier lieu, afin qu'à la grandeur des maux succè-

dent les événements joyeux. La santé en ell'et est plus agréable après
la maladie, et l'étendue de la douleur se mue en un océan de joie.
Le propbète prédit le temps de la misère afin d'amener l'époque de
l'allégresse. Lorsque les calamités, dit-il, en seront venues au point
d'être comparables aux douleurs de l'enfantement, alors le temps de
la tribulation de Jacob, c'est-à-dire du peuple de Dieu, se changera

en prospérité. »

Le caractère messianique de Jérémie xxxiii, 15, s'imposait à l'at-


tention de saint Jérôme plus fortement encore que le passage précé-
dent. Dieu promet de susciter à David un germe juste qui exercera
le jugement et fera régner la justice sur la terre et dont le nom sera
Jahvé notre justice ijpiï ûmi. Une fois les pasteurs de la Synagogue,
Scribes et Pharisiens mis de côté, apparaîtra le pasteur des pasteurs,
le roi des rois, à savoir le Christ notre Sauveur. Cette prérogative de
la justiceintimement liée au mystérieux descendant de David, Jérôme
la relève dans d'autres textes prophétiques et en particulier au
psaume lxxi en ses jours se lèvera la justice] de là le nom symbo-
:

lique sous lequel il sera désigné et qui résume l'oracle, comme Em-
manuel dans Isaïe. Le Christ réalise évidemment cette condition

puisque d'après k première aux Corinthiens, i, 30, Jésus-Christ s'est


fait pour nous justice, qui far lus est nohis sapicnlia a Deo et justitia.

Mais il n'échappe pas au commentateur que l'origine davidique du


Messie trouve une objection dans la menace adressée par Dion à
Jéchonias : personne de la race de ce roi ne montera ]dus sur le trône
de David et n'aura plus de pouvoir en Juda, paroles qui rendent
vaines celles que l'ange adressa à Marie [Luc, i, 32) Et Dieu lui
:

donnera le tronr de David son jii'rc, et il n'-gnera à jamais sur la


)iiaisoîi de ./«co^. Jérôme ])iésente deux solutions à cette difficulté :

Durant les jours de Ji'clionias, personne ne succédera A ce monarque,


et ce n'est que bien ]ilns tard (pi un <1(' ses descendants j)ren(ba le
sccpfio. Ou bien, nul liommc désormais ne montera sur sou liVuie,
MÉLANGES. 431

mais Diea seul dont règne n'est pas terrestre ni éphémère, mais
le

céleste et perpétuel, ainsi que le comporte le même passage de


saint Luc // l'égncra à jamais sur la maison de Jacob, et son ri^cjne
:

naura pas de fin. Le nom divin « Jahvé notre justice » ne semble-


t-il pas confirmer cette seconde solution? Dieu ne pouvait d'ailleurs
laisser périmer ce qu'il avait promis à Il annonce
la race davidiquc.
dans Amos ix, David gui
11, qu'il relèvera la lente de est tombée.
Fort de l'autorité des apôtres Pierre et Jacques que Paul appelle les
colonnes de l'Église, saint Jérôme admet sans hésitation la portée
messianique de cette parole. On sait qu'à l'assemblée de Jérusalem,
Jacques prenant la parole après Pierre cite ce passage d'Amos
[Act. XV, 16). Il faut donc, conclut le commentateur, se dispenser
d'essayer toute autre interprétation, et suivre ce qui est exposé par
de tels personnages. Il de remarquer quelle relation
est déjà aisé
étroite Jérôme Testament et le Nouveau et quelle
établit entre l'Ancien
lumière il tire de celui-ci pour éclairer celui-là. Nous pourrions à ce
propos rappeler cette pensée de Pascal « On n'entend les prophé-
:

ties que quand on voit les choses arrivées. »

Ainsi lesalut par le futur descendant de David est assuré.


ne laisse aucun doute à cet égard Et il sortira une tige
Isaïe XI, 1, :

de la souche de Jessc et une fleur s épanouira de sa racine. Toute cette


prophétie depuis ce début jusqu'à l'oracle sur Babylone (xni) con-
cerne le Christ. Les Juifs eux-mêmes la tiennent pour messianique,
considérant le Messie dans la tige et la fleur, la tige représentant la
puissance du souverain et la fleur sa beauté. Mais nous, nous compre-
nons par cette tige de Jessé la sainte Vierge Marie et par la fleur le
Sauveur. Certains traduisent neser par g-erme, comme pour montrer
que bien longtemps après la captivité de Babylone, aucun rejeton
davidique ne possédant plus la gloire de l'ancien règne, Marie sortit

de la souche, et le Christ de Marie. Telle était d'ailleurs l'interpré-


tation généralement admise dans l'Église, Toutefois, saint Jérôme
défend avec des arg-uments linguistiques de prendre ce texte isaïen
comme répondant à celui de saint Matthieu ii, 23 Quoniam Naza- :

rœus vocabitur. En de nazir, n'a rien de commun


effet Nxi^wpaîcç,

avec neser, la fleur. Le commentateur n'est pas en peine non plus de


rapprocher du verset 2 Et se reposera sur lui l'Esprit de Jahvé les
:

passages correspondants du N. T. et môme de l'Évangile des Hébreux.


Lenfanlement du rejeton de David doit avoir un caractère excep-
donnée comme un signe ijsaïe, vu, 14).
tionnel, car sa conception est
Une conception conforme aux lois ordinaires de la nature n'eût rien
présenté de nouveau et d'étonnant. Elle ne justifierait pas le solennel
432 UEVUE BIBLIQUE.

avertissement Ecoutez donc, ynaison de David. On connaît à ce


:

projios la discussion serréede Jérôme sur le sens du mot nijS", qu'il


traduit par virgo, et les LXX par -xpOsvcr. D'autres ont traduit par
r,

jeune- fd/e, tandis (ju'Aquila, s'appuyant sur rétyraologie. traduit


par caclu-e. Donc aima est non seulement jeune fille ou vierge,
«

mais avec irj-xav. désigne une vierge cachée et secrète qui n'a jamais
paru aux reg-ards des hommes et qui est jalousement gardée par ses
parents. » La langue punique qui a des affinités avec l'hébreu appelle
une vierge aima, et même le latin aima pour sancta peut bien
dériver du mot hébreu. Kn tout cas, notre savant a beau faire appel
à tous ses souvenirs, il n'a jamais trouvé qu'une femme mariée ait
jamais été ainsi dénommée, mais il a toujours vu ce nom appliqué à
une jeune fille vierge. Celle-ci donnera le jour à un tils et il &cra
appelé Emmanuel^ ou mieux d'après l'hébreu et la traduction authen-
tique de saint Jérôme Et tu V appelleras du nom d'Emmanuel. Cet
:

enfant donc qui naîtra d'une vierg-e, est appelé maintenant Emma-
nuel par la maison de David parce qu'elle prouvera de fait, en étant
délivrée de deux rois ennemis, qu'elle possède Dieu avec elle. Il serait
également permis de rendre nx"ip par elle appellera en prenant la
vierge pour sujet, Matth. i, 23 présente un certain nombre de diver-
gences, suivant le sens de la phrase plutôt que l'ordre des termes.
Dans cet enfant les Hébreux veulent voir Ézéchias, fils d'Achaz, sous
lequel se place la prise de Samarie, ce qui est malaisé à prouver; les
judaïsants reconnaissent en lui un fils d'isaïe. Pour saint Jérôme le
sens général est celui-ci « Maison de David, conviée par Dieu à invo-
:

quer dans le danger le nom d Emmanuel, ne t'étonne pas de l'étran-


geté de co fait' qu'une vierge enfante Dieu dont le pouvoir est tel (lue,
devant naître après un temi)s fort long, il te délivrera sur l'heure si
tu l'invoques. C'est celui que vit Abraham ot ([iii parla à Moïse, et,

chose plus admirable, de peur que tu no croies (ju'il ne naîtra qu'en


apparence, il usera de l'alimentation ordinaire des enfanis, le beurre
et le lait. » En somme l'exégète, pour faire ressortir rop[)ortunité (h'
au milieu historique dans
<et oracle ot lo rattacher plus étroitement
lequel il prononcé, ne trouve rien de mieux que do donncM- au
ost
verbe qarah, qu'au début il traduit par vocnrr, le sens détourné
d'invoquer. Le salut actuel de maison de David sera la consé-
la

(juonce de l'invocation du Sauveur à venir. Tout rempli de son sujet,


Jérôme continue î\ découvrir la prédiction de la conception viri:iuale
au chap. viii. Approche-loi de la prophétrsse devient pour lui une
marque de l'opération du Saint-Esprit (|U0 l'hébreu désigne par un
nom féminin. Aussi établit-il ini i-apporl entre ce vei-set et Luc i. .'l.') :
MÉLANGES. 433

L'Esprit-Saint viendra sur toi, etc. Ici la logique du raisonnement


nous échappo. D'autres regardent la Vierge Marie comme la prophé-
tesse en tjucstiou, opinion dont il donne les preuves et qu'il ne re-
pousse pas, probablement parce qu'il n'en était pas plus assuré que
de la sienne.
Au cours de son éclaircissement de la prophétie de l'Emmanuel,
Jérôme compare la Vierge à la porte orientale du Temple qui restait
close et par laquelle nul homme ne devait passer {Ezéch. xliv, 1).

Mais le commentaire du passage d'Ézéchiel qui fournit le terme de


cette comparaison ne présente cette exégèse ([ue comme une inter-
prétation secondaire adoptée par d'autres. « 11 est élégant de consi-
dérer avec quelques auteurs cette porte close par laquelle entrera le
Seigneur Dieu d'Israël et le chef à qui cette porte est réservée comme
Marie qui est restée vierge après et avant l'enfantement. » L'inter-
prète n'envisage donc pas ce texte comme spécifiquement messia-
nique, mais il lui plait den signaler un des sens allégoriques que
certains lui accordaient. Pour lui, il serait porté cependant à y re-
connaître l'indication du pouvoir réservé au Christ de révéler les
mystères de la Loi et des Prophètes jusque-là fermés au regard des
.luifs, rapprochant cette métaphore de celles du livre scellé ouvert

par lAgneau et du voile du Temple scindé en deux à la Passion.


Ce n'est point non plus une prophétie directement messianique,
mais une simple allégorie que le rapprochement de la Vierge portant
le corps conçu du Saint-Esprit avec la nuée légère que nul élément
lourd n'appesantit, évoquée par Isaïe xix, 1 Voici Jahié chevau- :

chant sur une nuée légère. Il en va tout autrement pour le fa-


meux texte de Jérémie xx.xi, 21, que saint Jérôme traduit quia crea- :

vit Dominus novum super terram, femina circumdabit virum, et qu'il


glose ainsi Reviens, fille d'Israël, reviens aux villes que tu as aban-
:

données, reviens de tes vagabondages et de tes erreui's. Fais atten-


tion à ce que je vais te dire et d'où va sortir une si grande béatitude.
Apprends quelque chose que tu ne connaissais pas auparavant, Dieu
a créé un fait nouveau sur la terre Sans le concours de la virilité
:

une femme contiendra un homme dans son sein. Il paraîtra sans doute
croître en âge et en sagesse après sa naissance, mais homme parfait
il restera enfermé le temps ordinaire dans le sein de la femme. Si

Aquila et Symmaque ont traduit comme lui, Jérôme n'ignore pas que
les LXX et Théodotion ont fait rendre à ce texte un tout autre sens :

in salute tua circuibunt homines. Au point de vue de la critique


textuelle, l'exégèse hiéronyraienne est donc déjà assez discutable.
Quant au contexte, il indique un retour des Juifs sur leure terres, ce
434 REVUE BIBLIQUE.

qui, de l'aveu mèuie du commentateur, s'est accompli sous Zoro-


bajjel et sous Esdras. Mais, ajoute-t-il, l'oracle n'a eu sa pleine réali-
sation qu'au premier et au second avènement du Christ. 11 ne serait
certes pas impossible d'expliquer la leçon des LXX et de lui trouver
un sens s'il n'était pas sacrilège de traiter les paroles divines avec
des vues humaines.
Saint Jérôme est non moins sévère à l'égard de la traduction
grecque à propos du texte si peu clair d'Isaïe ii, 22 Cessez {d'irriter) :

r homme dont le souffle est dans les riarines, parce qu'il est regardé
comme élevé. Il se demande pour quel motif les Septante se sont
al)stenus de rendre en grec une prophétie si évidente sur le Christ.
D'autres l'ont traduite d'une façon ambiguë, ou l'ont mal interprétée,
refusaut de dire quelque chose de glorieux à l'adresse du Sauveur.
A la suite d'Origène, notre cxégète rcvendi([ue ce pa:3sage en faveur
du Christ Très-Haut, rappelant pour légitimer ce titre Luc i, 76 :

Et toi, enfant, tu seras appelé le prophète du Très-Haut, c|ui a trait


à Jean-Baptiste, précurseur du Messie.
Le chapitre xlix d'Isaïe, Audite insuLv, doit être entendu tout
entier de la personne du Christ, sans avoir pour cela à violenter le

texte. Aux auditeurs du prophète une parole comme celle-ci Lorsque :

j'étais encore dans le sein de ma m,ère, le Seigneur s'est souvenu de


mon nom, pouvait paraître obscure. Mais elle est devenue claire aux
veux de toutes les nations quand Gabriel dit cà Joseph au sujet de
l'enfantement virginal : Tu rappelleras du nom de Jésus, car il sau-
vera son peuple [Mattlt. I, 21), Le nom de Jésus revient par doux fois

à l'occasion du canti(]ne d'IIabacuc. Le verset 13 est ainsi traduit :

Tu es sorti jjour. le salut de ton peuple, pour le salut avec ton Christ.
Théodotiou l'Ébionite et Symmaque
se font remarquer par la pau-
vreté de leur sens : Tu
pour sauver ton Christ. Chose in-
es sorti
croyable et pourtant vraie, tandis que ces dcmi-chrétions ont traduit
à la juive, le Juil' Aquila présente une iiiter[)rélation chrétienne! La

sixième édition, insérée dans les Ilexaples, livre clairement le mystère


en rendant ainsi l'hébreu Tu es sorti pour sauver ton peuple par
:

Jésus ton Christ. l".rY;AOî- -oX) gmgoh. tov Xaiv cou cti b/jusOv Xpu-iv aou,
version qui s'explique par la manière de ponctuer -jn"''w'a"nN yt'iS.
Hn sait aussi que notre Vulgate contient Ilabacuc m, 18 dans cette
teneur Ego auton in domino gaudebo et exultaho in Deo Jesu mro.
:

Les L\\ ont traduit ly^^i par -m qm~%z\. ;j.;j, 7non Sauveur, terme (jue
l'ange s'est chargé d'interpréter et il sera appelé Jésus, car il
:

sauvera son jteujde [Mntih. i, 21). Nous avons déjà ronianjur plus
h.iul 1.1 léscivf de saint Irrùme ;\ l'égard de linlerprétation cou-
MELANGES. 43^

raiite de Zacharie m, S : KeouU', grand prvlri' Jésus... Voici, j'amè-


nerai mon serviteur Orient. Si Jésus (fils de Josédech, d'après le con-

texte) est le Clu'ist, suivant ropiniou de nombreux commentateurs,


couunent Dieu lui promet-il de lauiener comme une tierce personne
à lui-même? Il est en elTet bien plus naturel de laisser ce Jésus dans
son plan historique. Le messianisme du passage n'en souffre pas, car
le Messie est suffisamment désigné par le nom symbolique à' Orient,

ici et au chapitre vi, 12, nom qui nous reporte sans eli'ort aux ora-

cles de Malachie iv, 6 et des Nombres xxiv, au cantique de


17, et

Luc I, 78 // nous visitera.


: Orient des hauteurs... pour diriger nos
pas dans la voie de la jjui.r.
Le rétablissement de la paix dans le monde a toujours été regardé
comme le préambule de Fère messianique. Parmi les qualificatifs
donnés par Isaïe (ix, G à l'enfant royal qui s'assiéra sur le trùne de
;

David en l'affermissant pour l'éternité, nous relevons celui de Prince


de la paix. Les Septante, probablement effrayés de la majesté de
tous ces noms, Admirable, Conseiller, Dieu fort. Père du siècle à
venir, Prince de la paix, se sont contentés du titre de Messager du
grand conseil, en ajoutant ceci : « J'amènerai la paix sur les princes
et son salut ; son grand règne et sa paix seront sans fin. » Le Nou-
veau Testament nous montre assez que le Prince de la paix ne doit
pas être cherché ailleurs qu'en celui qui a dit à ses apôtres : Je vous
donne ma paix, je vous laisse ma paix [Joh. xiv, 27), et que saint Paul
appelle notre paix {Éph. ii, li). Ce règne d'une paLx interminable
s'ouvrira naturellement par une période pacifique. « Une nation ne
lèvera plus le glaive contre l'autre et ne se livrera plus au combat »,

lisons-nous au tableau de l'ère messianique d'Isaïe (ii, i), quand toutes


les nations monteront vers la montagne du Temple et reconnaîtront
le vrai Dieu.

amène sous la plume de saint Jérôme, dont l'idée messia-


Ce texte
nique rarement eschatoiogique, le commentaire suivant
est Feuil- :

letons les anciennes histoires et nous trouverons que jusqu'à la vingt-


huitième année de César- Auguste, en la quarante et unième année
duquel le Christ est né en Judée, la discorde régna dans l'univers
et chaque peuple brûla de lardeur de combattre son voisin, de

façon à le frapper et à en recevoir des coups. A l'époque de la nais-


sance du Sauveur, quand sous le préfet de Syrie, Cyrinus, eut lieu
le premier recensement universel, et que la paix de l'Empire romain
eut préparé celle de la doctrine évangélique, alors toute guerre
cessa, et dans les villes et les villages on s'exerça non plus à la lutte
mais à la culture des champs, le soin de contenir les Barl)ares ayant
436 REVUE BIBLIQUE.

été réservé aux troupes régulières des lésions. Alors les anges
purent chanter à bon droit Gloire à Dieu dan^ les hauteurs, et,
:

sur la terre, pair aux liommes de bonne volonté.


La période pacifique disaïe, Jérôme la retrouve donc au moment
solennel où l'on ferma les portes du temple de Janus, et où le
Sauveur vint au monde. Il ne pouvait à plus forte raison ne pas
reconnaître les circonstances locales de cette naissance dans le

fameux passage de Michée v, 1 Et toi, Bethléem Éphrata, tu es petite


:

parmi les localités de Juda, de toi sortira un souverain pour Israël


et son origine est dès le commencement, depuis les jours de l'éter-

nité, d'autant moins que saint Mallhicu (ii, 0) avait cité lout au long-
ée témoignage. Bethléem est mentionnée, cela suffit. 11 importe
peu .que Ion signale des divergences entre le texte de l'évangile et
ceux des Septante et du texte raassorétiquc. Peut-être Tévangéliste
aurait-il eu l'intention de reprendre la négligence des scribes et des
prêtres interrogés par Hérode, en donnant le texte tel cjii'ils l'auraient
cité? L'exégète ne s'arrête pas à cette supposition qui lui traverse
l'esprit, étant donné que ce n'était pas un cas unique pour les cita-
tions de l'Ancien Testament qui se rencontrent dans le Nouveau. Ces
changements dans l'ordre des membres de phrases, dans les mots,
et parfois dans le sens est imputable à un défaut de mémoire, plutôt
qu'à une inadvertance dans la lecture (1). Jérôme s'en tiendra au
texte hébreu d'où il tire la naissance temporelle du Christ, fils de
David, clans l'humble bourgade de Bethléem, et la génération éter-
nelle du Verbe, créateur des temps, qui n'est point soumis à la mesure
du temps. Pour identifier Éphrata et Bethléem, il se sert de la glose
de la Ceiièse (xxxv, 10) « Rachel mourut et fut ensevelie sur le
:

chemin d'Ephritta, c'est Bethléem. » Il retrouve la môme glose dans


Josué, XV, d'après les LXX, texte absent de l'hébreu. Aussi soup-
(;onne-t-il les Juifs d'avoir fait disparaître cette particularité de leurs
vieux codices. (Jue Bethléem soit de la tribu de Juda, c'est ce qui
ressort des Juges (xix, 1), de l'histoire du lévite d'Kphraïm qui prend
femme à Bethléem de Juda, et par là cette localité est différenciée df
Bethléem de (ialilée en môme tenqis <|u'il est fait allusion aux raj)-
ports existant entre Éphraïm et Bethléem.
Bethléem revient à propos d'Ilabacuc m, .'{
: « hicu viendra du

Il Siint fintem r/iii nsscranl, m


omnihus perie frstimu/nts, rjuj' dr vcicri h-sltinictilo
sumu/ilur. isliiismodi e.i.sc errorcm, vf aut nrdo uiulvlur, nul rerba,cl inlcrdum seii-
SHS r/iio(iue ipse dirersv.i sit, vel Apostolis, cel l'.vancjeliatis non e.r libro rarpvntihns
tesliinonia, sed memnria rredenfibus, qux nunnuinjuom fallilnr. Cl. W/i., ''Jl."», p. i(t;
V.tU\. |>. 207.
MÉLAMiE?. 437

midi \^hébrcu : Tliémaii), ol le saint du mont Pharan. » .lérùmc l'in-


terprète de la clarté, de la connaissance de Dieu qui inonde de
lumière. Mais il a entendu un Hébreu lui donner une explication qui
ne paraît pas lui déplaire. Bethléem, patrie du Messie attendu, se
trouve au midi, de sorte que le sens du verset serait le Seigneur :

viendra de Bethléem et lui-même, ayant jadis donné la loi sur le

Sinaï, voisin de Pharan, est le saint qui viendra du mont Pharan. 11


se trouve ainsi être le dispensateur des biens passés, présents et
futurs. Éphrata reparaît dans l'explication d'Abdias i, 20, d'après le
grec, mais sans que l'exégète insiste, car Ihébreu présente un texte
tout différent. Il est évident que pour lui ces deux derniers passages
n'ont pas l'importance du texte de Michée exposé plus haut.
Jérôme ignore sans doute la légende du bœuf et de l'âne à la crèche,
car il n'en fait aucune mention en expliquant les deux passages qui
ont donné lieu à cette fiction populaire, isaie i, 3 : « Le bœuf connaît
son propriétaire et l'âne la crèche de son maître », et Habacuc m, 2 :

« Tu es reconnu au milieu de deux animaux ». suivant la leçon des


Septante. Lalégende n'était point encore créée à cette époque. L'esprit
du vulgaire reconnaissait alors dans le texte d'Habacuc le Sauveur
crucifié entre lesdeux larrons, ou bien les circoncis et les incirconcis,
ou encore les deux Testaments. L'hébreu étant tout autre in inedio :

annonim notiim faciès, Jérôme l'interprète de la vérité qui sera


reconnue lorsque le temps aura procuré la réalisation des promesses
divines. Le chapitre lx d'Isaïe, Surge, illuminare, Jérusalem, où l'on
voit les rois marcher à la lumière glorieuse de la ville sainte et les
présents aftluer de toutes parts, de Madian, d'Épha et de Saba, ne
lui suggère aucun rapprochement avec la venue des Mages. Il y
contemple plutôt la gloire de l'Église, la conversion des peuples et
de leurs princes à la religion du Christ.
Après l'usage que saint Matthieu, ii, 18, avait fait du texte de
Jérémie xxxi,15 In cri de lamentation s est fait entendre sur la hau-
:

teur (grec à Hama), les pleurs et les gémissements de Rachel pleurant


:

ses enfants,' elle a refusé d'être consolée sur ses fils parce qu'ils ne
sont plus, saint Jérôme ne pouvait ne pas l'entendre de la désolation
motivée par le massacre des Innocents. Une question se posait
pourtant, comme il le déclare ouvertement, à savoir comment l'évan-
géliste a pu appliquer au carnage des petits enfants un témoignage
où le prophète avait clairement en vue les dix tribus, dont la princi-
pale d'ailleurs est loin d'être Éphraïm ou Éphrata. L'apologiste se
borne à répondre que Bethléem, qui signifie maison de pain, et

Éphrata, qui signifie l'abondance, sont identiques. Or Rachel fut


438 REVUE BIBMQUE.

ensevelie à Éphrata et son tombeau se voit encore à Bethléem, où elle


pleure les enfants tues dans la région. Toute cette argumentation
repose donc sur la tradition qui place la sépulture de Rachel aux
abords de Bethléem. Jérôme naborde pas la localisation ancienne du
tombeau de Rachel au nord de Jérusalem. Deux systèmes de l'exégèse
juive lui semblent mériter une mention, car ils se rattachent à la
tradition de Bethléem-Ephrata. Par le chemin du midi qui va vers
(iaza et Alexandrie des milliers et des milhers de captifs furent dirigés
sur Rome à la suite de la prise de Jérusalem par Titus. C'est aussi dans
la môme région qu'Hadrien fit vendre au célèbre marché du Téré-

binthe un grand nombre de


Juifs réduits en esclavage. «Qu'ils disent
ce qu'ils veulent, nous dirons que l'évangéliste Matthieu a eu raison
d'appliquer ce témoignage au lieu de la sépulture de Rachel, de
façon qu'elle pleure les fils des villages voisins. » Il admet donc
fermement ce sens accommodaticc comme une prophétie directe.
L'évangéliste ne suit ici ni les Septante, ni le texte massorétique, mais
c'est bien à l'hébreu qu'il emprunte sa citation d'Osée xi, 1 : De
VÊgypte j'ai appelé mon fils [Mat/h. ii, 13). Les LXX portent en
effet : « De l'Egypte j'ai appelé ses fils (d'Israël). » Saint Jérôme en
profite pour mener sa campagne contre la version grecque. Que <(

ceux qui jettent le discrédit sur notre traduction, voient l'Écriture


d'où l'évangéliste a tiré ce témoignage et qu'il a interprété du Sauveur
ramené de l'Egypte dans la terre d'Israël, et comme il leur est
inq)ossible de la trouver, qu'ils cessent de plisser leur front, de
froncer les sourcils, de. tordre le nez, de claquer des doigts. »

Défendre l'authenticité du texte ne suffit pas, il faut encore légitimer


l'interprétation violemment prise à partie par Julien l'Apostat dans
s<m septième volume contre les chrétiens. L'empereur helléniste
prétendait (ju'en appliquant ce texte d'Osée au Christ, saint Matthieu
avait abusé de la simplicité des fidèles venus du paganisme. Jérôme
répond en (juchiues lignes « Matthieu a d'abord [)ublié son évangile
:

en héhreu, (|ui ne [)ouvait donc étie lu que par ceux (jui venaient du
judaïsme: ainsi il ne pouvait avoir l'intention de tromper les chrétiens
convertis de l'hellénisme. Vouloir en imposer aux Juifs était une folie
ou une maladresse folie de lancer un mensonge si évident, mala«
:

dresse de ne pas comprendre de qui il s'agissait ici. Son ouvrage


incn ordonné et composé avec prudence repousse le reproche de
sottise; la scienceprofonde dos Kcritures dont il fait preuve en tant
d'autres endroits témoigne (jue nous n'avons pas ail'airc à un
ignorant. » Mais l'apologistf; «!sf pressé d'en venir au l'ail, car <mlin
ne s'agil-il pas dans ce passage, au contexte si clair, du retour"
MEI.\NGES. 439

d'Israi'l do la terre d'Écypte? L'objecliou roljlip-c à nous dire sa


pensée sur les types ou fig-ures. Les laits qui ont la portée d'un type se
vérifient et se réalisent dans le Christ, comme nous l'apprend par
exemple l'application que l'Apôtre fait du Sinaï, de Sion, de Sara et
d'Agar. Le fait que saint Paul les a rapportés aux deux testaments
[Gai. iv) n'empêche pas ces montagnes d'être réelles et ces personnes
d'avoir existé. Ainsi donc le texie « Petit Israël, je l'ai aimé et j'ai
appelé mon fds de l'Ég-ypte » est dit certainement du peuple d'Israël,
appelé d'Éaypte, où il était tombé dans l'enfance et la puérilité de
mais il s'applique parfaitement au Christ. De même Isaac
l'idolâtrie:
portant de son sacrifice représentait le Sauveur; Lia avec ses
le bois
yeux chassieux, raveuglement de la Synagogue; la belle Rachel, la
beauté de lEgiise. Un personnage typique par un de ses actes ou par
une de ses attitudes n'est pas nécessairement « type » dans toutes les
actions de sa vie. C'est ce que Jérôme insinue aussi à propos de Jonas,
et, pour se prémunir contre des objections intempestives ou se dé-
gager de l'exégèse allégorique à outrance, il finit par déclarer qu'une
personne ou un objet n'est figure que partiellement et que leur
totalité appartient à la réalité historique. Bref, Israël figure en ce cas
particulier le Christ Jésus, mais demeure vrai que Dieu rappelle ici
il

à son peuple les bienfaits dont il l'a comblé et en particulier la déli-


vrance opérée par l'intermédiaire de Moïse et d'Aaron (l). Saint Jérôme
aurait pu avec autant de raison expliquer le Vox in Rama d'après ces
principes.
Le prophète Jérémie, en plusieurs circonstances, est envisagé comme
la figure du Christ. Aussi bien plus d'une de ses paroles conviennent
admirablement à celui-ci, Jérôme ne craint pas d'établir un parallé-
lisme entre Jérémie iv, 10: Malheur à moi, mamère! pourquoi
m'avez-vous engendré homme de contention et de discorde pour toute
la terre, et la prophétie du Siméon
vieillard « Celui-ci : est placé
pour la ruine et la résurrection d'un grand nombre en Israël
et comme
un signe auquel on contredira (2). Toutefois la parole de Jérémie peut
s'interpréter du prophète, moyennant une synecdoque, car il n'a
connu la contradiction que dans le pays de Judée. Elle convient
vraiment au Seigneur qui, suivant sa propre déclaration, est venu

(I)Exponilque bénéficia quae in ips7im conlulerit Deus. Dum, inquit, esset puer et
parvulus, et caplus in Aegypto teneretur, intanlum eum dilexi, ut milterem serinim
meum Moysen, et ex Aegypto vocaretn fitium meiim, de quo diri in alto loco Filius :

primogenitus meus Israël... Veteris recordatur historiae quod vocaverit quidem per
Moysen et Aaron, qui vocaverunt eos ut egrederentur de Aegypto.
(2 Luc, II, 34.
440 REVUE BIBLIQUE.

dans le monde pour ouvrir les yeux de ceux qui ne voient pas et
pour aveugler ceux qui voient.
Il ne laisse pas dctre surprenant que Jérôme ait tiré si peu de parti
de l'oracle d'Aegée touchant la venue du désiré des nations et do la
gloire du second Temple. Laissant la paraphrase littérale pour s'élever
à une compréhension plus suhlime, il s'étend avec complaisance sur
l'édifice spirituel qui est tantôt l'Ame, tantôt l'Église. Le seul passage
ou il serre le texte d'un peu près parait tout d'abord assez équivoque.
Après la venue du désiré des nations^ la demeure du Seigneur est
remplie de gloire. Autant le maître est distant de l'esclave, autant la
maison du maître est supérieure à celle de l'esclave. Le contexte
marque ici une opposition entre le Temple et l'Eglise qui est la vraie
maison du Dieu A'ivant, d'après 1 Tim. m, 15. Pourquoi le commen-
tateur n'a-t-il pas tenté un rapprochement entre Aggéc ii, 9 et la
venue de l'Enfant Jésus au temple? Craignait-il d'accorder trop d'im-
portance au sanctuaire des Juifs? Ou n'a-t-il pas jugé à propos de faire
une application que les évangiles ne s'étaient pas permise? Il est
difficile de répondre. Plus exactement, le Christ n'est venu que dans

le troisième, ou, si l'on veut, le quatrième Temple; la prophétie

d'Aggée n'en reste pas moins messianique. Beaucoup l'ont envisagée


sous ce jour, entre autres Pascal Le deuxième temple glorieux.
: <(

Jésus-Christ viendra (1 ). »
[A suivre.)

15 (iclitbie 1910.

Y. M. Abel.

Il

L'IIOMlCinE

nWPRES LE CODE DE HAMMOUKABI ET D'AI»RES LA KIBLE

On a Souvent déjà comparé la législation do Hammourahi rt celle


do la Bible. Mais on se contentait de mettre en ju'ésonco les décisions
h''gislatives. M. Jastrow junior a inauguré une nouvelle méthode. 11 a

ciicrché à distinguer dans le code babylonien des éléments anciens


et des éléments nouveaux (2). N'est-ce pas d'une portée considérable

(1, Poisécs, 715.


(2)nlder and Laler Lleiiii-nls in f/ie Code of noniiitmapi, dans le .lournal o/ Ihr
American Oifulal Socictij. vol. M\, Pari. Jiinc l'.Mii.
I,
MÉLANGES. 441

pour la question de rautlicnticité du Pcutatcuque? Cai* entin le texte


gravé sur un bloc de diorite noire, un des joyaux de notre musée du
Louvre, est le type du document authentique.
11 porte en tête le

portrait de Fauteur. Personne n'a soupçonné que plusieurs généra-


tions de scribes aieuf contribué à i;ra\er les caractères cunéiformes
sur la pierre. Cette législation a été promulguée tout entière le
même jour, et si elle n'est pas le produit d'une seule pensée, du
moins approuvée en même temps par le grand roi et par
elle a été

ses jurisconsultes. Et cependant un savant très qualifié y reconnaît


des éléments anciens et des éléments nouveaux. Les lois contenues
dans le Code n'appartiennent pas toutes au même état de la civilisa-
tion; la loi a évolué. Quelle admirable position pour la défense de
l'authenticité mosaïque du Pentateuque! Les critiques ont relevé la
trace de remaniements dans la législation; ils en ont conclu que
tout n'était pas l'œuvre de Moïse. Il suffira, pour les confondre, de les
renvoyer au code de Hammourabi. La comparaison est transportée sur
le terrain de la critique littéraire, et promet d'agréables résultats à

la critique la plus conservatrice.


Toutefois la question ne peut être résolue d'après des termes aussi
vagues.Il faut y regarder de plus près. Est-il besoin de rappeler,

avant de commencer cet examen, que la Commission Biblique, si


ferme sur l'authenticité mosaïque du Pentateuque, reconnaît aux
savants catholiques le droit de rechercher si telle ou telle disposition
législative n'est pointun complément plus réceut, dans l'esprit de
la législationancienne?
Qu'a donc prouvé M. Jastrow quant aux couches différentes de la
législation dans le grand code babylonien? Pour s'en rendre compte,
il faut rappeler des principes sur lesquels tout le monde est d'accord.
Il est dans la nature des choses qu'une législation évolue avec les
mœurs. Si le législateur est digne de donner à un peuple les for-
mules il n'ira pas chercher dans son
législatives qui lui conviennent,
imagination ou à l'étranger des dispositions nouvelles pour créer une
loi soi-disant rationnelle, sans tenir compte des coutumes; il rédigera
plutôt ces coutumes selon les formules traditionnelles. Si la coutume
a changé et ne répond plus à l'expression qui est demeurée dans les
mémoires, il a le choix entre deux partis. Ou bien il taillera hardi-
ment dans le neuf, et ce fut le procédé du Code Napoléon. Ou bien il
épargnera autant que possible les antiques formules, tout en rati-
fiant les décisions qui paraissent plus en harmonie avec ce qu'on
regarde comme le progrès, et ce fut le procédé des Romains. Il
s'imposait avec plus de force aux anciens Orientaux qui regardaient,
442 HEVUE BIBLIQUE.

plus encore que les Romains, la loi comme une révélation divine. Et
même lorsque Tesprit de nouveauté croit se donner libre carrière,
combien d'éléments anciens demeurent! Quelle ne fut pas l'influence

dos œuvres de Pothier sur la rédaction du Code Napoléon! De sorte


que, dans toute lé§"islation, on peut toujours distinguer des éléments
anciens et modernes, fût-elle rédigée en une seule fois, comme le

Code Napoléon, les Instiliitiones de .lustinien on. le Code de Hammou-


rabi. Tout ce qu'on peut concéder à l'esprit spéculatif des législa-
teurs, surtout dans l'ancien Orient, dont le génie, moins pratique que
celui des Romains, indiquait des solutions pour le plaisir de résoudre
des cas, c'est que certaines décisions aient quelque chose d'artificiel,
ou, comme Jastrow, d'académique.
dit xM.

que le judaïsme rabbinique, prenant pour jKjint de


C'est ainsi
départ la Thora mosaïque, puis la Michna, a abouti à cette masse
énorme de solutions que contient le Talmud. Dans ce recueil nous
assistons à l'éclosion de ces solutions, résultant des discussions des
Scribes entre eux. Mais, à défaut de renseignements positifs, peut-on
discerner ce qui est solution d'un cas imaginaire, ou décision d'un
tribunal forman^J jurisprudence? Ce sera le plus souvent impossible,
et importe assez peu pour la question qui nous occupe. Que la
il

décision à laquelle la volonté du législateur donne force de loi soit


hypothétique et prise d'avance pour régler le cas, s'il se présente,
ou que ce soit l'enregistrement d'une jurisprudence constante ré-
solvant des cas que la loi n'avait pas prévus, des deux façons on
est en présence d'un élément nouveau, qui va peut-être jusqu'à
tenir en échec les anciens principes, jamais abrogés. C'est ainsi que
la jurisprudence du préteur a miné lentement, mais sûrement,
le droit des Douze tables, jusqu'à contredire en fjiit lantique légis-
lation.
Le droit nouveau — qui p<ut devenir la loi — se constitue donc
soit cri résolvant les cas nouveaux selon les anciens principes, appli-
qués à des espèces nouvelles, et ce sont de simples compléments;
soit en modifiant l'ancien droit, sans s'écarter complètement de son
esprit. Nous ne parlons pas de l'esprit révolutionnaire [)ur, étranger
;\ rOrient ancien. Mais ici se pose la question de rédaction. Le législa-
teur peut, sans aucun inconvénient, insérer dans le nouveau Code les

anciens principes et les nouvelles solutions imposées par la jurispru-


dence et les mœurs, si ces nouvelles solutions sont bien dans l'esprit
des anciens principes et conciliables avec les anciennes ct)n(lusions
plus voisines des principes, c'est-A-dire plus générales. Mais on ne
concevrait pas aisément (jue le même code comprit et lanciennc
MÉLANGES. 443

décision et une décision nouvelle (|ui la modifie, ni qu'il traitât deux


ibis le même sujet.
M. Jastiow ne prétend pas cjue le code de Hammourabi se soit

répété, mais il croit trouver dans ce code certaines dispositions qui


en modifient (1) d'autres, de sorte qu'elles seraient difficilement
conciliahles. S'il en était ainsi, on aurait un exemple topique des
usages législatifs de l'Orient qu'on pourrait appliquer au Pentateu-
([ue, ne semble pas du tout que ce savant ait apporté la preuve
mais il

(le qu'il a prouvé, par un exemple précis, c'est une


son dire. Ce
modification de la législation babylonienne dans l'intervalle de deux
Codes, celui de Hammourabi et un code plus récent. Voici le cas. Un
homme veuf qui a eu des enfants de sa première femme se remarie
et a des enfants du second lit. A qui iront ses biens? Hammourabi
les partage également entre deux lits; le code subséquent donne
les

les deux tiers aux enfants du premier lit, le tiers à ceux du second (2).
Ces deux dispositions ne pourraient faire partie d'un même code.
Aussi rien de semblable n'est allég-ué par M. Jastrow à l'intérieur du
Code de Hammourabi. Je ne vois qu'un cas où il insinue un peu de
contrariété. D'après le § 158, le fils qui, après la mort de son père,
a un commerce illicite avec la femme principale de son père, mais
qui n'est pas sa mère, doit être déshérité. Ce serait une modifica-
tion du statut du 157 qui ordonne de brûler le fils qui a commis
i;

l'inceste avec sa mère. Mais on voit assez que l'espèce n'est pas du
tout la même.
Lors donc que M. Jastrow reconnaît dans le Code de Hammourabi
le terme d'un long développement du droit, on peut dire que sa
thèse est prouvée d'avance, car Hammourabi n'était point un Jacobin
légiférant pour l'homme en soi d'après des principes prétendus ration-
nels, mais il a pris soin que le respect des principes et des textes
anciens n'allât pas jusqu'à juxtaposer des solutions de détail peu
conciliables entre elles, quand elles seraient également issues des
mêmes principes. On dans son Code des époques dis-
voit se refléter
tinctes et l'application du droit à des espèces nouvelles, mais aucun
retour sur un même
sujet pour le compléter. En est-il tout à fait de
même pour
Pentateuqûe? c'est ce que nous voudrions examiner de
le

plus près à propos de l'homicide, en y comprenant le thème voisin


des coups et blessures.

(i; L. l., p. 32.

(2) Jastrow, /. /., p. 10.

REVUE BIBLIOUE 1916. — N. S.. T. XIII 29


444 REVUE BIBLIQUE.

Voici les textes du Code de Hamniourabi qui touchent de plus ou


moins près à l'homicide (1).

§ 133. Si l'épouse d'un homme, à cause d'uu autre homme, ;i fait tuer son mari,
on la placera sur le pal.
$ un enlant a frappé son père, on coupera ses mains.
19.J. Si

§ un homme a crevé l'œil d'un homme, ou crèvera son œil.


I9G. Si
§ 197. S'il a brisé un os d'un homme, on brisera son os.
§ 198. S'il a crevé l'œil d'un homme de basse condition, ou brisé l'os d'un homme
de basse condition, il paiera une mine d'ariçent.
§ 199. S'il a crevé l'œil de l'esclave d'un homme, ou s'il a brisé l'os de l'esclave
d'un homme, il paiera la moitié de son prix.
§ 200. Si un homme fait tomber les dents d'un homme, son égal, on fera tomber
ses dents.
§ 201. S'il fait tomber les dents d'un homme de basse condition, il paiera un tiers

de mine d'argent.
§ 202. Si im homme a frappé la joue d'un homme qui lui soit supérieur, il sera
frappé devant l'assemblée avec une courroie de bœuf soixante fois.

§ 203. Si le fils d'un homme a frappé la joue du fils d'un homme, son égal, il

paiera une mine d'argent.


§ 204. Si un homme de basse condition a frappé la joue d'un homme de basse
condition, il paiera dix sicles d'argent.
§ 20Ô. Si l'esclave d'un homme a frappé la joue du fils d'un homme, on coupera
son oreille.
§ 206. Si un homme a frappé un homme dans une rixe et lui a fiiit une blessure,
cet homme jurera : ' .le ne l'ai pas frappé sciemment ». et il paiera le médecin.
§ 207. Si, par suite de ses coups, il meurt, il jurera: et si (la victime i est le fils

d'un homme, il paiera une demi-mine d'argent.


§ 208. Si c'est le lils dua homm*" de basse condition, il paiera un tiers de mine
d'argent.
§ 209. Si un homme a frappé la fille dun homme et l'a fait avorter, il paiera dix
sicles d'argent en compensation pour cet objet.
^ 210. Si cette IVmme meurt, ou tuera sa Mlle.

$ 211. Si en frappant la fille dun homme de basse condition, il l.i l'.iil avorter, il

paiera cinq sicles d'argent.


§ 212. Si cette femme meurt, il paiera une demi-mine d'argent.
sN 213. S'il frappe l'esclave d'un homme et la fait avorter, il paiera deux sicles
d'argent.
<:; 214. Si cette femme esclave meuri, il paiera un tiers de mine d'argent.

(1) D'a[)res la traduction piimcps du I*. Sclieil, et celle, cucore inédite, que M. labbc
Cruvcilhier a rédigée pour un ouvrage en itréparation sur Code de llaminourabi el la le

voulu nie conununiquer 1res uliji^eanunenl.


législation civile des llélireux, et qu'il a bien
.le ne signale pas les quelques changeinenls que j'ai introduits; ils sont presque unique-

ment relatifs au muchUcnii. que je traduis bomnie de basse condition; je n'ajoute pas
<• libre » à « homme », quoique, par opposition a muchlicnu, le mot amelu désigne ici
une classe su|ifrieure.
MÉLANGES. 445

«J 218. Si im luftdeein a
fait à uu homiue une blessure grave avec le couteau de

bronze et mourir cet homme, ou bien s'il a opéré les yeux d'un homme avec
a fait
le couteau de bronze et a détruit l'oeil de cet homme, on coupera ses mains.
§ 219. Si le médecin a fait une blessure grave avec le couteau de bronze à l'esclave
d'un homme de basse condition,
et l'a fait mourir, il rendra esclave pour esclave.

§ 220. S'il lui a une opération aux yeux avec le couteau de bronze, et s'il a
l.iit

détruit son œil, il paiera en argent la moitié de sa valeur.

§ 229. Si un bAlisseur (entrepreneur ou architecte) a fait une maison pour uu


homme et ne Ta pas construite solidement, et si la maison qu'il a faite tombe et fait
mourir le propriétaire de la maison, ce bâtisseur sera tué.
§ 230. Si elle tait mourir le (ils du maître de la maison, le fils de ce bâtisseur
sera tué.
§ 231. Si elle fait mourir l'esclave du maitre de la maison, il donnera esclatve pour
esclave au maitre de la maison.
un bœuf dans sa marche sur la voie a frappé un homme et l'a fait mourir:
§ 2.50. Si
cette cause ne comporte pas de réclamation.
§ 251. Si le bœuf d'un homme frappait (de la corne), de sorte que sdn vice était
connu du propriétaire, et s'il ne lui a pas raccourci les cornes, n'a pas attaché son
bœuf, et si ce bœuf a frappé le fils d'un homme et l'a fait mourir, il lui donnera
une demi-mine d'argent.
§ 252. Si c'est l'esclave d'un homme, il donnera un tiers de mine d'argent.

Le procédé de M. Jastro\\- pour isoler les passages qui représentent


le droit le plus ancien est assez simple. Il part de ce principe que, à
l'origine, la loi du talion devait être absolue. Lorsque, au lieu de
frapper le coupable comme ila frappé, de lui enlever un œil s'il a
crevé celui d'un autre, on le condamne à payer une somme d'^argent,
la rudesse du droit primitif a cédé au progrès des mœurs qui s'adou-
cissent. De plus la loi primitive ne distinguait pas, dans l'application
du de la société. Les articles du Gode
talion, entre diverses classes
qui distingueut appartiennent donc à une législation plus récente.
Ces considérations sont justes, mais ne touchent pais l'unité de la
loi écrite; on en juge par cette simple observation que la Bible ne
flistingue pas entre l'homme de qualité et le plébéien. Et cependant
sa législation, comme législation écrite, est plus récente. Et quant
au premier principe, il ne peut servir à distinguer des parties plus
anciennes dans une loi qui est manifestement d'un seul jet. Le déve-
loppement des principes juridiques tel que nous le concevons avec
M. Jastrow peut en effet répondre à la nature des choses; mais la
composition pécuniaire a pu suivre de si près l'exercice du talion
que nul ne peut affirmer qu'il ait existé une loi écrite, reconnaissant
le principe du talion, avant que la composition ait été dans les
mœurs. Et alors pourquoi n'aiirait-on pas reconnu cette pratique
dans les textes?
Ce qu'il est plus intéressant de constater, et qui semble avoir
446 REVUE BIBLIQUE.

échappé à M. Jastrow, que certaines pénalités, qu'il croit desti-


c'est

-nées à adoucir le semblent au contraire une manière de


talion,
le sauvegarder plus complètement, en l'appropriant à un nouvel
ordre de choses.
Le Code de Hammourabi sanctionne en effet un progrès, si c'est
un progrès, en tout cas un état de centralisation beaucoup plus
avancé que celui des Hébreux d'après la Bible. Cette centralisation
n'est point cependant arrivée à ce point où la notion de l'État est
tellement prépondérante qu'elle place tous les citoyens à un niveau
presque égal, les droits de chacun étant fondus dans l'ordre social
commun à tous. Ce dernier point est celui de nos démocraties
modernes. Le Code de Hammourabi, comme les lois de l'Empire
romain, suppose une monarchie qui s'appuie encore sur une classe'
d'hommes privilégiés, distincte des humiliores, ces derniers encore
bien supérieurs aux esclaves. D'autre part cette monarchie n'admet
pas le droit de vengeance privée, trop contraire au bon ordre quand
le pouvoir sait assurer la répression. Nulle part nous ne voyons
figurer dans le Code les droits de la famille ni le vengeur du sang.
Dans une seule circonstance, très spéciale, le particulier peut faire
échec à l'exercice de la justice. C'est dans le cas d'adultère, qui est
une au mari avant de porter atteinte à l'intérêt public. Ln prin-
offense
cipe les deux coupables sont punissables de mort. Mais « si le mari
laisse en vie son épouse, le roi laissera en vie son serviteur » (§ 129).
On voit que, môme dans ce cas, c'est le roi qui intervient pour par-
donner en môme temps que le mari. La vengeance privée n'existant
pas, la composition pécuniaire facultative ne peut entrer en jeu. il
semble que le talion devra s'exercer dans sa plénitude, du moins
dans les cas oîi le principe est proclamé. Mais c'est ici que doit
fonctionner le principe de la distinction des classes. Les hommes
ont une valeur si différente ([ue l'offense change de caractère selon
la personne à laquelle elle s'adresse. Un homme investi de tous les
droits, un homme ou le fils d'un homme, c'est-à-dire le fils de quel-
qu'un, a crevé l'œil d'un homme du peuple. Si Ion crevait son œil
en retour, on excéderait l'égalité voulue par le talion (1). Alors au
lieu d'admettre une mutilation inférieure, la loi recourt aux dom-
mages-intérêts. H est très vraisemblable que cette solution découle
des anciennes compositions privées. On s'était habitué à régler ainsi
les différends. Lhomnic du peuple aimait mieux recevoir de l'ar-
gent que d'avoir en poche l'o'il ou la dent de son agresseur, et, à

(1) En sens conirairc l'enfant (|ui a Ua\>[)(' son pcre aura les mains (oupco ;<} i;)5i.
MÉLANGES. 447

plus forte raison, le riche était-il satisfait de conserver ses membres


à ce prix. L'habitude était prise, mais elle est réglée, imposée.
L'offensé ne peut plus, ni refuser l'argent, ni lixer la somme. On
peut mêmedemander si elle nest pas transformée, dans certains
se
cas, en une amende, payable au trésor public. Ainsi la flifPérence
des classes modère l'emploi du talion, mais sans rien changer au
principe de stricte réparation, si bien que, entre nobles, il s'exerce
avec une précision parfaitement contraire à la justice. Quand un
homme de qualité a frappé une femme enceinte et l'a tuée, on tuera
sa fille à lui. Il faut que le sexe soit le même, autrement ce ne serait
pas le talion. Dans ce cas, le talion est si absurde et si barbare que
M. Jastrow regarde ce texte comme un des plus anciens. On pourrait
aussi bien n'y voir que la manifestation d'un esprit perverti par le
scrupule de l'exactitude juridique, une conclusion purement acadé-
mique, et qui n'était pas appliquée.
Ce qui serait plus sûrement daté, et d'une époque plus récente,
c'est l'elfort apparent du Code pour restreindre le talion dans des
cas où son exercice paraissait le plus aisé. Chose étrange, on le
maintient s'il s'agit d'un œil, d'un os ou d'une dent. Mais pour un
soufflet, blessure matériellement légère, le talion n'est pas admis,
même entre personnes de la même condition (§§ 203, 20i). Probable-
ment le soufflet était dès lors une grave injure. Rendre celui qu'on
a reçu ne passe pas aujourd'hui pour une satisfaction suffisante. Le
législateur, soucieux de mettre un terme aux vengeances et d'em-
pêcher de pareils excès, exige une mine d'argent entre hommes de
qualité (1), dix sicles d'argent entre hommes du peuple. Mais l'esclave
qui frapperait la joue du fils d'un homme de qualité aurait une
oreille coupée (§ 205), et il en coûterait soixante coups de nerf de
bœuf reçus en public à l'homme de qualité qui aurait souffleté un
homme d'un plus haut rang (§ 202), Dans tous ces cas on dirait que
le législateur abroge la loi du talion. A y regarder de près, on voit

qu'il ne s'en écarte que pour rétablir l'égalité. C'est un dévelop-


pement de la même idée en négligeant son application matérielle.
Le Code de Hammourabi ne contient aucune sanction positive
touchant l'homicide volontaire, meurtre ou assassinat, c'est-à-dire
meurtre avec la circonstance aggravante de préméditation. Il était
sans doute puni de mort. Le Code a prévu l'homicide involontaire,
mais sans essayer de poser des principes. Il a seulement donné trois

cas connue exemples.

(1) La somme est considérable, puisque la mort à la suite de blessures d'un homme de
qualité n'euiporte qu'une demi-mine d'indemnité (§ 207).
f^'^S REVUE BIBLIQUE.

Le premier est celui d'une rixe, avec blessure ne causant pas la


mort. Le coupable pourra se justifier en affirmant par serment qu'il
n'avait pas l'intention de frapper (^si fort), et paiera les frais du
médecin (§ 206). Si la blessure cause la mort, on admettra encore
le serment pour écarter le grief d'homicide volontaire, et le coupable

sera condamné à payer une demi-mine d'argent pour un homme de


qualité. La solution est assurément bénigne. La Bible ne l'a pas
formulée, ne réglant que le soin des blessures.
Le second cas est celui d'un homme qui frappe une femme enceinte.
Ici on ne dit pas expressément, comme dans la Bible, que c'est au

cours d'une querelle entre hommes. Mais il est très probable que
c'est la pensée du législateur, puisque cette espèce vient immédiate-

ment après l'autre. Pourquoi frapper une femme grosse? C'est sans-
doute qu'elle se sera jetée entre les combattants pour les séparer. La
brutalité de l'un d'eux n'a pas respecté cette généreuse tentative de
conciliation. Le fait est donc en partie volontaire, ce qui explique la
peine infligée, une somme d'argent s'il y a avortement sans plus, le
talion si la femme qui meurt était d'une condition supérieure. Les
deux solutions se retrouvent dans l'Kxode (xxi, 21 s.).
Eidin le troisième cas d'homicide plus ou moins involontaire est
celui du bœuf qui tue en frappant de la corne. Le maître du bœuf
est excusé si l'accident se produit sur la voie publique, et s'il ne

soupçonnait pas que l'animal fût vicieux. S'il était au courant de son
^'ice, il paiera une somme d'argent. Mêmes solutions dans la Bible,

si ce n'est que le châtiment pour le second cas est certainement

moindre que la mort, mais n'est pas déterminé.


Dans une autre section on retrouve des cas qui sont traités comme
l'homicide ou les blessures, afin d'établir la responsabilité de l'ar-
chitecte et du chirurgien. La faute de l'architecte était assez grave,
car on suppose qu'il y a eu malfaçon. Le chirurgien était bien
payé. On suppose sans doute qu'il a tenté des opérations qui ne pou-
vaient réussir. Néanmoins les solutions sont extrêmement sévères,
surtout en ce qui concerne le chii-urgien.
D'une façon générale, le législateur ne s'est pas préoccupé beaucoup
de l'intention. i>u moins il ne s'est pas donné la peine d'indiquer les
signes qui pou iraient la faire présumer. Probablement les juges
royaux étaient-ils investis d'un certain pouvoir discrétionnaire.

Km aboid.mt Its lois du l'entateuque. il faut d'abord tenir compte

de ce fait qu'elles ne sont pas [)aities du même code. Sans doute, poui'
MELANT, KS. 449

ou Tliora de Moïso formait une unité. Mais si l'on


les Hél)reiix. la Loi
consulte les textes eux-mêmes, il est bien clair que cette loi se com-

pose de corps distincts. Qu'on les nomme ou non des codes, ce sont
dos groupements d'ordonnances promulgués en des temps différents.
Cela est éclatant pour le Deutéronome, dont le nom grec indique
précisément une seconde loi, une nouvelle promulgation des précep-
tes. Mais cela est clair aussi pour cette série de lois que la critique

moderne nomme le code de Falliance (Ex. xx-xxin terme fondé sur ,

l'Écriture elle-même, puisqu'il contient les conditions de l'alliance


jurée entre Jahvé et son peuple (ch. xxiv). Les lois du Lévitique sont
datées du Sinaï (Lev. xx^^I, 'iï), mais d'une date postérieure, puisque
la teute du rendez-vous était déjà construite (Lev. i, 1). Les lois des

Nombres ont été portées dans le désert, pendant la marche des Israé-
lites allant du Sinaï aux plaines de Moab (Num. xxxvi, 13).

On pourrait donc reconnaître dans ces lois des répétitions et des


modifications, sans être obligé pour cela de renoncer à l'orig-ine
mosaïque. Le grand législateur a pu revenir sur des sujets pour les
traiter plus à fond, même dans des termes différents, et il a pu com-
pléter ses lois en indiquant des applications nouvelles. 11 faudra voir
cependant les choses de près, et la critique nous oblige à nous deman-
der si une autre hypothèse ne serait pas plus probable, celle d'une
retouche de la législation à une époque postérieure.
Donnons d'abord les textes.
Nous rappelons, pour mémoire, une loi générale qu'il ne peut être
question de dater de Moïse ; c'est l'antique précepte imposé par Dieu
à Noé et à ses fils, c'est-à-dire à l'humanité tout entière.
Gen. i\, 5 Je redemanderai votre sang, ie sang de vos vies, je le redemanderai
redemanderai la vie de IMiomme à l'homme, à chacun par
à tout être vivant; et je
rapport à son frère 6 Si quelqu'un répand le sang de l'homme, par l'homme son
:

sang sera répandu.

Les Hébreux n'avaient qu'à regarder autour d'eux pour voir cette
pratique en vigueur. Le sang versé appelait la vengeance et deman-
dait du sang. Aucune distinction n'est faite, c'est comme un principe
naturel dont le législateur devra régler l'application,

Ex. \XT. 12 Quiconque aura frappé un homme et l'aura tué, sera mis à mort.
13 S'il n'y a pas eu guet-apens (my N^) et que Dieu l'ait mis sous sa main
(ItS njx), je te fixerai un lieu où il pourra fuir. 14 Et si un homme se dresse
(TTi) contre son prochain pour le tuer avec perfidie (r;n"1"2), tu l'enlèveras de mon
autel pour Quiconque aura frappé son père ou sa mère sera mis à mort.
qu'il nieure. 15

21 Si un homme frappe son esclave, homme ou femme, avec un bâton et qu'il


meure sous sa main, il sera puni. 22 Mais s'il survit un jour ou deux, [le maître] ne
sera pas puni; car c'est son argent.
450 1{EVL'E HlBlJni'E.

18 Si des hommes se querellent, et que l'un d'eux frappe son prochain avec une
pierre ou avecie poing, sans causer la mort, mais en l'obligeant à se coucher, 19 s'il

se lève et qu'il puisse sortir appuyé sur un bâton, celui qui a frappé sera reconnu
non coupable, mais il indenmisera l'autre pour son chômage et devra pourvoir à sa
guérison.
22 Si des hommes se battent, et qu'ils heurtent une femme enceinte et qu'elle
accouche d'un enfant [mort], et qu'il n'y ait pas d'autre malheur, [le coupable]
paiera au mari de la femme selon ce qu'il lui imposera, et qui sera réglé par des
arbitres lDiS"'S2).
23 Et
s'il y a un malheur, tu donneras vie pour vie 24 œil pour œil, dent pour :

dent, main pour main, pied pour pied, 25 brûlure pour brûlure, blessure pour bles-
sure, plaie pour plaie.
26 Quiconque aura frappé l'oeil de son esclave ou l'oeil de sa servante, et l'aura crevé,
devra lui accorder la liberté en échange de son oeil : 27 et s'il fait tomber une dent à
son esclave ou à sa servante, il devra lui accorder la liberté en échange de sa dent.
28 Si un bœuf frappe de ses cornes un homme ou une femme et qu'il en meure,
le bœuf sera lapidé et l'on ne mangera pas de sa chair, et le maître du bœuf sera
déclaré non coupable.
si le bœuf avait coutume de frapper des cornes depuis quelque temps, et que
29 Et
le maître, averti, ait négligé de le surveiller, et qu'il ait tué un homme ou une

femme, le bœuf sera lapidé et son maître aussi sera rais à mort.
30 Si on lui impose une composition nSD), il donnera, pour racheter sa vie, tout ce
qui lui sera imposé.
31 Si (le bœuf] a frappé de la corne un liis ou une fille, on suivra la même règle.
32 Si le bœuf a frappé de la corne un esclave ou une servante, [le maître du
bœuf] donnera au maître de l'esclave trente sicles, et le bœuf sera lapidé.
XXII, Si un voleur est pris en flagrant délit d'elTraction, et qu'il soit frappé et
1

en meure, ce n'est point un cas de sang. 2 Si le soleil était levé, c'est un cas de sang...

Le Lévitiquo rappelle seulement la loi générale.

Lev. XXIV, 17 Quiconque aura tué un homme sera mis à mort.


18 Et quiconque aura tué une bête la remboursera, vie pour vie. 19 Et quiconque
aura blessé quelqu'un de son peuple, comme il a fait il lui sera fait :

20 Fracture pour fracture, œil pour dent pour dent; la blessure (ju'il aura
œil,
faite à un homme lui Quiconque aura frappé une bête la rem-
sera faite à lui. 21

boursera, et quiconque aura frappé un homme sera mis à mort. 22 Vous aurez la
même loi, l'étranger et l'indigène...

Nous passons au Deutéronoine, pour la clart('' «le la discussion. Il y


a deux cas différents, celui de l'homicide volontaire ou involontaire,
et celui d'un meurtre dont l'auteur est inconnu.

Dt. IV, Il Alors Moïse mit à part trois villes au delà du Jourdain, à l'Orient,
12 où pourrait fuir le meurtrier '1 qui aurait tué inAli) s«»n prochain sans dessein
iryr "iSlIZ, lltt. sans connaissance), alors qu'il n'avait pas auparavant de haine contre
lui; il pourrait donc fuir vers ime de ces villes, et sauver sa vie. (Suit la désignation
des villes).

(1) Le - riieiiiirier » <l<>til il est <|ucsUon esl i-vidcmiiicnl un hoinicide involontaire.


MKLAiNGES. 4;;i

\t\, 2 Tu mettras à part trois villes au milieu du pays dont Ialiv(', ton Dieu, te
donne la possession. 3 Tu te feras un clieniin, et tu formeras trois districts dans le
pays que laiivé ton Oieu te donnera en héritage, pour permettre au meurtrier de
fuir dans ces villes.

4 Voici la règle pour le meurtrier qui y fuira afin de sauver sa vie, celui qui a
frappé son prochain sans dessein, alors qu'il n'avait pas auparavant de haine contre
lui. .5 Tel un homme qui va avec un autre dans la forêt pour ahattre des arbres, il

brandit la hache pour couper im arbre, et le fer se détache du manche, frappe le

compagnon qui meurt. Le meurtrier fuira vers l'une de ces villes et sauvera sa vie.
fi Autrement vengeur du sang ("."! Sxa), dans la [première] chaleur de son cœur,
le

poursuivrait le meurtrier, l'atteindrait avant qu'il ait eu le temps de faire un long


chemin et le tuerait. Et cependant il n'avait pas mérité la mort, puisqu'il n'avait pas
auparavant de haine contre son prochain. 7 C'est pour cela que je t'ordonne de
mettre à part trois villes... 10 De façon que le sang d'un innocent ne soit pas
répandu sur le sol que lahvé ton Dieu te donne en héritage, et que le sang ne
retombe pas sur toi.
11 Mais si un homme a de la haine pour son prochain, et qu'il lui tende des
embûches (1*^ 2"1>\Y), et qu'il se dresse contre lui et le frappe d'un coup mortel, et
qu'il fuie vers l'une de ces villes, 12 les anciens de sa ville l'enverront tirer de là,

et le livreront au vengeur du sang, mourra. 13 Ton œil n'aura pas compassion


et il

de lui, et tu effaceras le sang de l'innocent qui pèserait sur Israël, et ce sera pour
toi un bien.
x\i, 1 Si, dans le pays que lahvé ton Dieu te donne en possession, on trouve
un homme un champ, sans qu'on sache qui l'a frappé. 2 les anciens
tué étendu sur
de la ville et mesureront les distances du cadavre aux villes
et les juges sortiront

des environs. 3 Les anciens de la ville la plus rapprochée du cadavre prendront une
génisse qui n'ait point été employée au travail et qui n'ait point porté le joug. 4 Et
les anciens de cette ville amèneront cette génisse vers une vallée oii l'eau coule

toujours, et qui n'ait été ni labourée ni ensemencée, et c'est là qu'ils égorgeront la


génisse dans la vallée.
5 Alors s'approcheront les prêtres fils de Lévi, car c'est eux que lahvé ton Dieu
a choisis pour son service de lahvé, et pour se prononcer sur
et pour bénir au nom
toute querelle et sur tous coups et blessures. 6 Et tous les anciens de cette ville,
proche du cadavre, laveront leurs mains sur la génisse égorgée dans la vallée, 7 et
ils prendront la parole et diront « IN'os mains n'ont pas répandu ce sang, et nos
:

yeux nont rien vu. 8 Accepte l'expiation de ton peuple Israël que tu as sauvé,
lahvé, et n'impute pas un sang innocent au milieu de ton peuple Israël! et le sang
sera expié par rapport à eux. » 9 Ainsi tu effaceras de ton sein le sang innocent...

Textes des Nombres.

Num. XXXV, 11 Vous désignerez des villes, qui vous soient des villes de refuge
(la'^pC), où puisse s'enfuir le meurtrier qui enlève la vie sans le vouloir (n^^Cl, litt.

par erreur). 12 Et ces villes vous serviront de refuge contre le vengeur pN';n), de
façon que le meurtrier ne soit pas mis à mort avant d'avoir comparu devant l'as-

semblée pour être jugé. 13 Des villes que vous donnerez [aux Lévites], six seront
pour vous des villes de refuge...
1-5 Les six villes serviront de villes de refuge pour les fils d'Israël et les étrangers
et ceux qui seront fixés parmi vous, afin que tous ceux qui auraient tué quelqu'un
sans le vouloir (ni^vTl) puissent y fuir.
4a2 REVUE BIBLIQUE.

16 S'il la (rappé avec un instrument de fer, c'est un meurtrier; le meurtrier sera


mis à mort.
17 frappé ayant à la main une pierre qui puisse tuer et que la mort ait
S'il l'a

suivi, c'est un meurtrier: le meurtrier sera mis à mort.


is Ou s'il l'a /rappé ayant à la main un instrument de bois qui puisse tuer et que
la mort ait suivi, c'est un meurtrier; le meurtrier sera mis à mort.
19 C'est le vengeur du sang qui fera mourir le meurtrier, quand il le trouvera il
le tuera.
20 Et s'il Ta poussé par haine, ou s'il a jeté [quelque chose] sur lui en embuscade
^~iT:n) et qu'il meure, 21 ou si par inimitié (nn'iN'l) il l'a frappé de la main et
qu'ilmeure, celui qui a frappé sera mis à mort, c'est un meurtrier-, le vengeur du
sang mettra à mort le meurtrier quand il le trouvera.
22 Mais s'il l'a poussé à l'improviste sans inimitié, ou s'il a jeté [quelque chose]
sur lui sans être en embuscade. 23 ou s'il a fait tomber sur lui une pierre qui puisse
tuer, mais sans le voir, et qu'il meure sans que l'autre ait été son ennemi et qu'il ait
cherché à lui nuire, 24 l'assemblée jugera entre celui qui a frappé et le vengeur
du sang d'après ces règles, 25 [à savoir] l'assemblée délivrera le meurtrier (1) des :

mains du vengeur du sang et le fera retourner à la ville de refuge où il aura fui,


et il y demeurera jusqu'à la mort du grand prêtre, oint de l'huile sainte. 26 Et si
le meurtrier franchit la limite de la ville de refuge où il a fui, 27 et (pie le vengeur
du sang le rencontre hors de la limite de la ville de refuge, si le vengeur du sang
se fait le meurtrier du meurtrier, il n'est pas responsable de ce sang (il n'y a pas

de sang pour lui). 28 Car demeurera dans la ville de refuge jusqu'à ce que meure
il

le grand prèlre, et après la mort du grand prêtre, le meurtrier retournera à l'en-


droit on il a son avoir...
31 Vous n'accepterez pas de composition "izz] pour la vie d'un meurtrier reconnu
avoir mérité la mort, mais il sera rais à mort. 32 Et vous n'accepterez pas de com-
position ("i£;) pour [le laisser] fuir vers sa ville de refuge, |ni] pour le laisser revenir
habiter son pays avant la mort du prêtre. 33 Vous ne souillerez point le pays oii

vous serez; car le sang souille le pays, et il n'est point d'expiation (lEZ'i N"^) pour le
pays du sang qui y a été versé que par le sang de celui qui l'a versé.

Aux textes législatifs il convient d'ajouter ceux du livre de .losiié

qui constatent l'exécution des mesures prises par Moïse.

Jos. XX, 1 lahvé dit à Josué : 2 Dis aux ûls d'Israël : établissez-vous des villes de
refuge, comme je vous l'ai dit par Moïse, 3 afin que le meurtrier qui enlève la vie

sans le vouloir ."i;;'w^2, litt. par erreur), sans dessein {T\"J~ *^n2, litl. sans connais-
sance), puisse y fuir, et elles vous serviront de refuge contre le vengeur du sang.
1 et il fuira vers l'une de ces villes et il se tiendra à l'entrée de la porte de la ville,

et il expliquera son cas aux anciens de cette ville, et ils le recevront auprès d'eux
dans cette ville, et lui assigneront ime demeure, et il habitera avec eux. fi Et si le

vengeur du sang le poursuit, ils ne lui livreront point le meurtrier, car c'est sans
dessein 'ri"~ f'iz^ qu'il a frappé son proeliain, et il n'avait pas auparavant de haine
NJw nS) contri; lui. 6 Et il habitera dans cette ville jusqu'à ce qu'il comparaisse
pour être jugé, (et, s'il est déclaré non coupable), jusqu'à la mort
(levant l'assemblée
du grand prêtre en fonction dans ce temps-là: alors le meurtrier retournera et ira

I l.iInli^'oncn de la langue f.l>lif;e le lr\lo nnmnicr meurtrier rh((mi<id<';i iiiV(il'>iii;iirc. après


qu'il ;> tentd- de donner une (Idinilion du meurtre ri du.nieiiriricr.
MliLANGES. 453

à sa ville et à sa maison, à in ville d'où il est parti pour fuir. 7 (Choix des villes,

même de celles d'au delà du Jourdain, d«^j;i déterminées par Moïse).


9 Telles furent les villes de convention (n->'m n") pour tous les fils d'Israël et
pour Télranger s(5journant au milieu d'eux, a(in que quiconque aurait enlevé la vie
sans dessein ^nar^b) piU y fuir et ne mourût pas de la main du vengeur du sang
avant d'avoir comparu devant l'assemblée.

La critique qui s'est efforcée de discerner dans le Pentateuque des


lois d'époques différentes devait naturellement s'occuper de ces textes.
Nous ne ferons pas ici la revue des systèmes proposés. Il suffira d'in-

diquer plus récent, développé dans une monographie spéciale, et


le

sans doute le traité le plus complet sur le sujet. Ce sont des leçons
lues devant le Dro/jsie Collège de Philadelphie par M. Mayer Sulz-
berger. L'ouvrage qui les reproduit a pour titre : IJ ancienne loi hé-
braïque sur l'homicide (1^.

L'auteur est manifestement bien disposé pour les Juifs; leur droit,
très supérieur à l'origine à celui des Cananéens, influencé ensuite
dans la pratique par les coutumes cananéennes, l'emporte enfin par
une série de réformes, dont la dernière, celle de .Tosaphat, serait le
couronnement. Le Pentateuque offrirait le reflet de ces transforma-
tions. C'est l'apologie de la nation, sans beaucoup de souci de la
tradition, ni des interprétations reçues.
M. Sulzberger croit savoir que, lorsque les Hébreux pénétrèrent en
Canaan, la loi du talion y régnait, plutôt empirée qu améliorée par la
composition pécuniaire qui permettait au meurtrier d'échapper au
châtiment en versant une somme d'argent à la famille de sa victime.
La loi cananéenne ne distinguait pas entre le meurtre avec prémédi-
tation — que nous nommons assassinat — meurtre passionnel et le

ou le simple homicide par imprudence. Dans tous les cas la composi-


tion était admise, et par conséquent la justice désarmée. Ou plutôt
l'idée de la vindicte publique n'existait pas, le meurtre n'était qu'un
dommage privé que les particuliers avaient le droit de venger, s'ils

ne préféraient pas en bénéficier en acceptant de l'argent.


Le droit de l'Exode au contraire distingue l'assassinat et les autres
homicides, mais il admet le droit d'asile, sauf en cas d'assassinat, et
restreint l'usage de la composition.
Cependant la loi des Hébreux se trouvait impuissante parce qu'elle
n'avait prévu ni les tribunaux compétents ni le mode d'exécution.
Les mœurs cananéennes tendaient à prévaloir. Le meurtrier réfugié
dans un des sanctuaires du pays s'entendait avec les anciens et les
prêtres pour arranger une composition avec les parents de la victime.

(1) The ancient Hebreir Law of homicide, Philadelphie, 1915.


454 UEVUE BIBLIQUE.

Salomon al)rogea cet usage, et la Irgislation du Deutéroiiomc. que


l'auteur semble placer vers cette époque, marqua un pas important.
L'État, c'est-à-dire le pouvoir fédéral ou central, assuma seul la juri-

diction sur tous les cas d'homicide. Le sang répandu


une tache est

qui souille toute la nation. Ce n'est donc plus à la famille de venger


le sang. L'ancien vengeur ou go'el est remplacé par un fonctionnaire

qui porte le même nom sous la forme plus complète de vengeur du


sang, go'el ha-dam. Il ne sera plus question d'asile dans les sanc-
tuaires, et les prêtres n'auront plus à se mêler de louches accords
pécuniaires. Il est créé trois districts judiciaires; dans chacun d'eux
une cité ser%dra de lieu de refuge à l'hojnicide excusable, ou plutôt
lui servira de prison Cependant, des abus demeuraient possibles. Le
.

vengeur du sang, malgré son caractère officiel, pouvait s'entendre avec


un véritable meurtrier. Ceux qui appréciaient le cas étaient des anciens,
encore imbus des vieilles coutumes cananéennes. On précisa que les
villes de refuge ou plutôt d'internement seraient des villes lévitiques,

placées plus directement sous l'influence du pouvoir central, et l'on


donna compétence pour juger au tribunal central, sous le nom d'as-
semblée {'edah). C'est la législation des Nombres. Mais il restait que le
tribunal qui informait le premier de l'affaire, celui des anciens, ne
donnait pas toutes les garanties. Aussi Josaphat institua dans chaque
ville, pour représenter le pouvoir central, des juges et des officiers

ministériels étrangers aux usages traditionnels des clans, et de plus


une cour d'appel à Jérusalem (II Chr. xix, 5 ss. 8 ss.i. Cette fois ;

le droit des Hébreux était en possession de tous les moyens qui lui

permettaient de prévaloir sur l'antique législation asiatique que les


Cananéens avaient héritée de Babylone et du Code de Ilammourabi.
il y a assurément des propositions exactes dans l'exposé de M. Sulz-

berger, mais l'évolution qu'il a conçue est en grande partie artifi-


cielle et contraire aux te\les.
Du Cananéens nous ne savons absolument rien,
droit des et c'est

une méthode peu sûre de le reconnaître dans les usages que la liible

réprouve-le plus lortcment sans dire pourquoi. Pour prouver que les
prêtres se mclaienl indûment de comj)ositions illicites dans des cas
de Samuel « De qui ai-je
d'assassinat, l'auteur allègue la justification :

reçu un ho fer, pour m'en voiler les yeux (1)? « C'était donc l'usager
de prêlres moins scrupuleux. Mais si kofer est bien le terme qui dé-
signe la somme versée pour expier le crime, la com|)Osilinn ou nrhr-
yr'/r/, dans ce cas particuliei' ce mot a le sens cle pot-dc-vin donné au

(1) I Sam. \ir. .-?.


MÉLANGES. 4bo

magistrat pour ([ivil ferme les yeux sur lamauvaise cause d'un plaideur.
Samuel ajoutait : u Et je vous le rendrai. » Il pouvait rendre un pot-

de-vin, il ne pouvait pas rendre la composition versée à la famille de


la victime. Dans Amos v, 12, alléi^ué par M. Sulzberger, kofer a
encore le sens de pot-de-vin; il s'agit des grands qui prennent un
liofer pour opprimer le juste.

Établir la législation cananéenne sur d'aussi légers indices, c'est


cependant moins grave que de détourner le sens d'une institution
biblique parfaitement claire. iM. Sulzberger se rend deux fois cou-
pable de ce délit. Il invente de toutes, pièces un vengeur du sang
chargé d'un ministère public, tandis que la Bible ne connaît que le
vengeur de la famille. Que le verbe go^el signifie moins précisément
venger que le verbe naqam, c'est ce que notent tous les dictionnaires;
on en conclura que le go'el est tout d'abord chargé de défendre les
intérêts de la famille, de revendiquer ses droits mais le principal ;

droit d'un clan ou d'une famille, c'est la vie et l'intégrité des mem-
bres de tous ceux qui font partie du clan. Le go'el devra poursuivre
le sang, d'où son nom de go'el ha-dam. D'après M. Sulzberger, ce

nom signifie « celui qui efface la trace du sang, qui délivre le pays
de la souillure qui pèse sur lui ». Que de choses dans ce peu de mots!
Non, le go'el est bien le vengeur du sang. Et la preuve c'est qu'on
prévoit son emportement. Blessé dans ses affections, plus encore
dans l'honneur de sa famille, emporté de colère, il va se jeter sur
l'homicide. C'est pour cela que la loi demande qu'on fasse une route,
pour que l'homicide involontaire ait le temps de lui échapper (1).
j\ous voyons le go'el lia-dam à l'œuvre dans la petite histoire que
la rusée femme de Thecué raconte à David (2). Il importe peu qu'elle
invente son conte n'atteindrait pas le but s'il ne reflétait les mœurs
;

du temps. Un de ses fils a été tué par son frère; la parenté veut punir
le coupable, avec l'intention évidente de s'emparer de l'héritage.
Mais si cette visée est coupable, le droit de vengeance familiale est
limpide, ei\e go'el ha-dani est l'agent de la parenté. Les arguties de
M. Sulzberger ne peuvent rien contre des textes aussi clairs.
Autre innovation non moins téméraire. Elle consiste à transformer
les villes de refuge en véritables prisons. Le meurtrier doit s'y ren-
dre, et s'il refuse, il doit être mis à mort par le vengeur du sang,
devenu un bourreau d'État. Il a un temps raisonnable pour fuir; s'il

tarde, il paie sa négligence de sa vie, et cela même en cas d'homi-


cide involontaire. Vraiment, si c'était la loi, elle ne serait pas en pro-

(1) Textes cités du Deuléronome, surtout xix, fi.

(2j II Sam. XIV, 1-20.


456 REVUE BIBLIQUE.

grès. Il résulte au contraire des textes que ne voulant pas supprimer


le droitde vengeance privée, l'État institue des villes qui sont vrai-
ment des lieux de refuge pour les homicides involontaires.
On voit ce quïl faut penser des prétendues transformations de la
législation telles que les aimaginées M. Sulzberger. Tout son système
est vicié par Texégèse la plus capricieuse, destinée à rapprocher la loi
des Hébreux des principes qui ont prévalu dans les sociétés modernes.
Essayons de reprendre rapidement les lois du Pentateuque pour
en préciser le sens et pour déterminer dans quelle mesure elles sup-
posent une évolution.
Laissant de côté les règles spéciales aux esclaves, nous avons à
examiner les points suivants assassinat, meurtre, homicide par :

imprudence, droit de la famille, l'asile, le tribunal compétent, la


composition, le talion. Les trois législations en présence sont celles de
l'Exode, du Deutéronome et des Nombres, car les textes du Lévitique
ne font que proclamer des principes généraux toujours en vigueur,
et ceux de Josué ne visent qu'un point particulier.
Les conditions pour qu'un homicide soit imputable sont difficiles
à déterminer, et (juolques notions qui nous sont familières ne seront
point inutiles pour lixer le point où en est la législation des Hébreux.
Notre Code pénal met pour ainsi dire au centre le meurtre pro-
prement dit. Il est défini « l'homicide commis volontairement » il,.
:

J>eux faits le constituent, la mort donnée à un homme, et l'intention

de la donner.
L'assassinat n'est autre chose qu'un meurtre, mais avec des cir-
constances aggravantes qui affectent l'acte lui-même. Le Code pénal
les nomme la préméditation (2) et le guet-apens (3), qui n'est en
somme que le cas où la préméditation est le plus manifeste
Au conti-aire l'homicide sans intention de donner la mort n'est

point un meurtre, quand bien même la mort résulterait de coups et

blessures donnés volontairement.


Ces points déhnis, notre législation admet des excuses légalement
prévues, comme la provocation, et en particuher cette provocation
qui est le flagrant délit d'adultère. En cas (l'excuses légales, la peine
due au nirurlre peut être mitigée ou nn-mo déclarée non îipplicable.

(1, < nile pénal, arl. 2'.>5.

[:>) Arl. y.'.n -.


La |iréiné(li(alion ainsisle dans le dessein rornif avant I action d atlinln
a la l'crsonne d'un individu di-lerininé, ou inônic dr' ou rencontre, etc..
cilui i|ui sera trouve
(:?) Art. 2'.i8 Le s'"'îl-a|'cns
: consiste à attendre jdus ou moins de teiii|is, dans un ou
divers lieiiv, un individu, soit |iour lui donner la mort, soit pour exercer sur lui des actes
de violence.
MEL.VNGES. 4o7

iMifin les jurés charg-és de prononcer sur le fait peuvent dans cer-
tains cas y reconnaître des circonstances personnelles à l'accusé qui
atténuent sa responsabilité, et conduisent à la mitigation de la
peine : ce sont les circonstances atténuantes.
Les Codes mosaïques ne connaissent pas les circonstances atté-
nuantes, mais ils ont prévu toutes les autres espèces, sans arriver,
cela se comprend sans peine, à des notions abstraites très claires et
à une spécification très complète.
Une seule excuse léi;ale est mentionnée; nous la citons pour n'y
plus revenir. C'est le cas du voleur de nuit avec effraction. On peut
le tuer sans encourir la tache de sang, c'est-à-dire que le meurtre
n'est pas imputable. Cette loi se trouve dans l'Exode. Il est étonnant
que Code de Hammourabi ne la contienne pas elle faisait sûre-
le ;

ment partie du vieux droit le plus antique; elle ligurait dans la loi
des Douze tables (1 1.

La langue hébraïque manque de termes abstraits, elle est même


pauvre en termes concrets. Elle n'a qu'un mot pour désigner l'assas-
sin, le meurtrier, l'homicide involontaire. Néanmoins les codes sont
unanimes dans leur effort pour distinguer l'homicide involontaire de
l'homicide volontaire. Mais, comme il fallait s'y attendre, on a d'abord
insisté sur les caractères les plus évidents de l'intention, qui sont la
préméditation et le guet-apens. De même, pour excuser l'homicide
du crime de meurtre, on a indiqué des cas où il y a à peine homi-
cide par imprudence.
L'Exode procède d'abord négativement. Les termes n~i' n*S indi-
quent un cas où il n'y a pas guet-apens. C'est supposer le cas où au
contraire un ennemi se met en embuscade; il guette sa victime
comme le chasseur attend le gibier (Ex. xxi, 13). D'une façon positive
on suppose une action audacieuse, résolue, telle que les engendre
l'orgueil conscient de sa force (~7''\ un attentat, et, en même temps,
une ruse perfide qui trompe la victime sur les intentions de l'agres-
seur. C'est bien le meurtre prémédité, avec le guet-apens, du moins
au sens large.
U n'est pas étonnant que le Deutéronome ait en vue le même crime ;

mais il est étrange, étant donnée la fixité des formules juridiques,


qu'il se serve de termes entièrement différents. Le simple homicide
n'a pas (n"~ "^^"i-, la claire vue de son acte, ce qui équivaut à dire
qu'il ne l'avait pas voulu et on en donne ce signe qu il n'avait pas
;

de hame contre la victime. Donc le vrai meurtrier est celui qui sait ce

(1) Table VIII, 12 : Si nox f'urtum faclum sit, si im occisit, iure caesus eslo.
458 REVUE BIBLIQUE.

qu'il fait;il est, comme disaient les Romains, sciens et prudens. Le

Deutéronome serre de plus près que l'Exode le point de l'intention,


mais en fait il y joint la circonstance du gnet-apens.
Enfin les Nombres définissent aussi d'abord le meurtre par \o\v
négative en lui opposant l'homicide par erreur njju^z). Le meurtre
est donc l'homicide perpétré avec intention. Mais, de phis, ce code
note les présomptions qui permettront de conclure à la culpabilité.
Elles sont tirées des circonstances morales, à savoir de la psychologie
du meurtrier, et aussi des circonstances extérieures, à savoir du mode
du crime de l'instrument qui a servi le guet-apens n'est plus le
et ;

type unique du meurtre, mais la préméditation est toujours supposée.


L'homicide est donc présumé être un meurtrier s'il a agi par haine
(s:ir); c'est le même motque dans le Deutéronome, expliqué par
celui d'inimitié (n2iN2). La haine peut être soudaine, ou du moins
secrète; mais l'inimitié est une situation pour ainsi dire ofticielle. On
pense à deux familles entre lesquelles se sont succédé les procès, les
rivalités, peut-être les meurtres. La vendetta sera facilement en
cause, surtout s'il y a embuscade (rinj:!), mot qui rappelle l'Exode.

Il faudra voir aussi si l'homicide s'est servi d'un instrument de fer,


destiné par nature à donner la mort, ou du moins qui puisse la
donner facilement. Il en serait de même si l'instrument est de bois,
ou si c'est une pierre. Pourquoi l'homicide se trouvait-il avoir en
main une arme aussi dangereuse, s'il ne se proposait pas de tuer?
Dans ce cas, la mauvaise intention est présumée. Mais on pourrait
faire la preuve contraire, du moins pour une pierre qui a pu être
lancée par mégarde, tandis que le texte ne prévoit pas d'excuse pour
un fer tranchant. ou une massue. Le législateur n'a donc en vue que
des solutions.pratiques, résultat de l'expérience, sans établir une théo-
rie sur les présomptions simples et les présomptions y'/o-f^ et de jure.
Si l'on compare cette législation à celle de l'Exode et du Deutéro-
nome, on constate qu'elle est plus développée. Le Deutéronome
ajoutait à l'Exode la présomption résultant de la haine cette addi- ;

tion avait sa raison d'être. Mais, si on les place après les Nombres,
les dispDsitions du Deutéronome n'ajoutent ricm et ne sont pas non

[»lus un résumé; elles supposent celles de l'Exode, et ce sont les deux

lois de l'Exode et du Deutéronome qui servent de point de départ

aux applications des Nombres et à la spécification des cas.


l*arfaitement ferme quant à l'assassinat, la législation bibli([ne est
beaucoup moins nette sur le cas du meurtre qui termine soudaine-
ment une querelle ou un échange de coups. On est tenté de qualifier
de meurtre plus ou moins excusable l'homicide non accompagné des
MELANGES. 4ti9

circonstances requises pour l'assassinat. C'est l'argument a contrario,


qui parait légitime. Mais il est tenu en échec par les explications des
textes pour caractériser ce qui ne s'appli-
n'est pas assassinat, et qui
quent qu'il ne semble pas qu'ils aient
riiomicide involontaire. Il

prévu le crime passionnel. Assez loin de l'assassinat, nous plaçons


aujourd'hui l'homicide qui donne la mort, avec intention de la
donner, quoique sans préméditation, dans l'ardeur d'une querelle
ou dans l'excès de l'indignation et de la jalousie. Vient ensuite la
mort résultant de coups et blessures sans intention de la donner.
Enfin l'homicide tout à fait involontaire, véritable accident, quoiqu'il
ne soit pas toujours exempt d'imprudence.
La Bible connaît la mort résultant de coups et blessures volontaires,
mais seulement dans le cas de l'esclave battu par son maître; elle est
censée voulue ou involontaire. Mais est-elle prévue entre hommes
libres comme excusable? 11 faut pour s'en rendre compte parcourir
les circonstances qui font naître l'excuse.
Dans l'Exode le droit d'asile est reconnu si Dieu a mis (njx) l'ad-
versaire sous la main du meurtrier. Le sens de n:N est assez difficile
à préciser. Mais en tout cas on ne peut dire avec M. Sulzberger qu'il
contient l'idée d'une querelle fomentée par Dieu. Ce savant cite

Jud. XIV, 4 et 11 Reg. v, 7. Mais dans le passage des Juges, ce n'est


point Dieu qui est le sujet, c'est Samson : « Car (Samson) cherchait
un prétexte de querelle (nJNn) contre les Philistins. » Dans les Rois,

le roi d'Israël croit de Syrie lui cherche querelle (n:Nn^).


que le roi
Ces modifications du sens de n:»s n'empêchent pas sa valeur primitive
de « livrer, remettre ». Dieu figure ici comme la cause première qui
parait plus en évidence quand les causes secondes ne produisent pas
leur effet naturel. Ce concours de deux causes dont le heurt produit
un effet que nous nommons le cas fortuit, les Sémites
inattendu et
le désignaient comme
l'œuvre de Dieu (1).
Or les coups qui donnent la mort, même sans intention de la
donner, ne sont pas précisément un cas fortuit. Si l'on veut déter-
miner par a contrario les circonstances qui excusent, il faut tenir
compte aussi de l'opposition de l'homicide par rapport aux simples
blessures qui ne donnent pas la mort. Dans ce cas (Ex. xxi, 18), une
indemnité suffit. N'est-ce pas insinuer que dans le cas de mort
les droits du vengeur du sang peuvent aller jusqu'à exiger la mort?
De même, les hommes qui se querellent et qui blessent une femme

(1) Cf. Code de Hammourabi, § 249 : « si Dieu l'a frappé », pour désigner un accident,
une mort fortuite.
REVUE BIBLIQUE 1916. — N. S., T. XIII, 30
460 REVUE BIBLIQUE.

enceinte — cas tout à


semblable à celui du code de Hammourabi
fait

— même si la mort de la femme s'ensuit, ne sont pas censés avoir


voulu sa mort. Il y a tout au plus homicide par imprudence, quoique
l'imprudence soit ici une grave inattention.
Et cependant il y a tache de sang, et Thomicide doit donner vie
pour On ne voit même pas qu'il ait la ressource de l'asile.
vie.
L'homme qui, averti, aura négligé de surveiller son bœuf sera
responsable de la mort qui s'ensuivrait. On l'admet à composition.
Mais il n'y a là en effet qu'un homicide par imprudence, et encore
très indirectement.
Les textes de l'Exode ne semblent donc pas prévoir le crime pas-
sionnel. S'ils ont eu en vue la mort résultant de coups et blessures

dans une querelle, ce n'est pas pour l'excuser. Auraient-ils excusé la


mort donnée dans un moment de colère?
Le Deutéronome laisse la même impression. Accorde-t-il le droit
d'asile à celui qui a donné la mort sans ce dessein prémédité, dont
une haine antécédente serait l'indice?
On serait tenté de le conclure par opposition avec l'assassinat. Mais
quand le texte cite un exemple pour faire comprendre sa pensée,
il s'agit d'un homicide où il n'y a même pas d'imprudence caracté-
risée, ni de négligence coupable. C'est le cas de la hache sortie du
manche du bûcheron et qui frappe son compagnon. La hache aurait

pu êtremieux fixée, mais encore?


Dans Nombres, on excusera celui qui a agi par erreur. Cette
les
définition ne convient guère au crime passionnel. Le texte donne des
exemples juoins pittoresques que celui du Deutéronome, mais plus
nombreux. Un homme en pousse un autre à l'improviste sans lui
vouloir du mal. Il est même étrange qu'il le tue de cette sorte. Il
faut supposer qu'on passe près d'un précipice ou d'un fleuve. C'est
sûrement un cas fortuit; homicide par imprudence. De même si l'on
jette quelque chose sans être en embuscade, c'est-à-dire sans se
douter «{u'il passe quelqu'un. De même si l'on fait tomber une pierre
sur quelqu'un sans le voir. Ce dernier cas, plus clair que les deux
précédents, les caractérise comme des homicides par imprudence.
Donc les trois codes sont parfaitement d'accord pour éviter de
résoudre en termes exprès le cas du crime passionnel. Est-ce qu'il
n'était pas prévu? Peut-être, en effet, était-il beaucoup moins fréquent
que de nos jours. En tuant sa femme adultère, le mari faisait justice.
La fojnme outragée ne pouvait songer à tuer son mari. i>.es querelles
des Orientaux sont exlrômement bruyantes, mais rarement l'on en
vient aux coups, et plus rarement ces coups sont-ils mortels, préci-
MÉLANGES. 461

sèment pour éviter les vengeances. Les Hébreux, comme les autres

Sémites et comme les Orientaux d'aujourd'hui, savaient se contenir


sur le moment, mais longuement une vengeance. Il
aussi préparer
fallait déployer toute la sévérité de la loi contre l'assassinat, et, pour

éviter la série infinie des vendette, excuser l'homicide par impru-


dence. Quant à la mort donnée avec intention, mais sans haine anté-
rieure ni préméditation, la Loi n'a rien précisé. Et cela n'avait pas
autant d'inconvénient qu'on penserait, dans une législation qui sup-
pose la vengeance privée. La loi ne veut pas, dans ce cas, toucher au
droit du vengeur y a du sang versé volontairement. Mais elle
: il

n'insiste pas sur la" nécessité de punir de mort le coupable. Elle laisse
donc le champ libre aux négociations entre les familles. Elle n'a pas
voulu se montrer trop indulgente pour le meurtre; elle a évité aussi
trop de sévérité, sévérité qui n'est point toujours au profit de la
répression; on voit aujourd'hui des jurys acquitter des coupables
plutôt que de leur laisser infliger une peine trop dure. Et enfin il

faut tenir compte de l'imperfection de toute législation ancienne dans


la voie de la spécification des crimes et délits. Ce que nous constatons
de nouveau, c'est que nos trois Codes expriment les mêmes principes
en termes différents. Cette fois encore les Nombres sont plus précis et

s'expliquent comme une rédaction plus élaborée, tandis que le Deu-


téronome, tout entier à l'institution des villes où l'on pourra fuir,

n'ajoute guère à l'Exode qu'un exemple destiné à faire saisir la loi.


Les points que nous venons de parcourir ne causeraient aucun
étonnement à un jurisconsulte moderne. La législation est rudimen-
taire dans sa forme, mais la distinction entre l'homicide volontaire et
involontaire est encore à la base de notre Code Pénal.
Mais l'impression est toute diflerente lorsqu'on aborde la question
de la personne chargée de la répression. Chez nous le ministère
public est seul qualifié pour poursuivre un crime le juge d'instruction
;

interroge le prévenu; il comparait devant un tribunal composé de


magistrats qui appliquent la loi et de jurés qui se prononcent sur le
fait. L'autorité publique est chargée de l'exécution, s'il y a lieu. Le

droit de la famille de la victime se borne à demander au tribunal des


dommages-intérêts.
Tout autre est l'esprit de la législation mosaïque. Elle en est encore
au point où le droit de punir appartient à la parenté de la victime,
sauf que la loi exige absolument la mort du coupable dans le cas
d'assassinat. Et nous avons déjà dit, à propos du système esquissé par
M. Sulzberger, que nqus ne voyons aucune divergence sur ce point
entre les différents textes du Pentateuque. Il est vrai que l'Exode ne
462 REVUE BIBLIQUE.

mentionne même pas ce droit de justice privée; mais c'est qu'il

n'avait pas besoin d'être inscrit dans une loi. Il est prévu tacitement
lorsque le législateur promet de désigner un lieu où l'homicide, s'il
n'est pas un assassin, pourra fuir. Aucune loi ne met un coupable à
l'abri de la vindicte publique. Celle-ci suppose donc une vengeance
qui peut être excessive; c'est celle de la parenté.
Le Deutéronome est plus clair, puisqu'il nomme le vengeur du
sang. Le vengeur du sang prend sur lui d'exécuter celui qui a versé le
sang. Le fait tel quel lui suffît; il n'a pas à examiner les circonstances
ni les intentions. Même si une sorte de tribunal intervient et reconnaît
l'homicide coupable d'assassinat, c'est au vengeur du sang qu'il le
livre pour être mis à mort (Dt. xix, 12).
Nombres ne changent rien à cette législation ils la complètent
Les ;

cependant. Les droits du vengeur ne sont que suspendus par le droit


d'asile; si l'homicide quitte la ville de refuge avant la mort du grand
prêtre, le vengeur aura le droit de le tuer. C'est seulement après la
mort du grand prêtre que la société intervient pour mettre définiti-
vement à l'abri un homme depuis longtemps peut-être reconnu
innocent d'un crime capital, et laissé enfin libre de retourner chez lui.
Cette fois encore, les Nombres mettent le dernier trait à la
législation. Cela se voit encore mieux si l'on envisage la question, non
du point de vue du vengeur, mais du point de vue du droit d'asile.
L'Exode se contentait de prévoir la désignation du « lieu » où il
pourrait s'exercer. Rien de plus vague. Comme le mot inaq<hn est
souvent employé en parlant de hauts lieux ou de sanctuaires, M. Sulz-
berger a pensé qu'ici maqùm était synonyme de sanctuaire ou d'au-
tel. Mais l'assassin doit être arraché de l'autel, ce qui dans le contexte
(Ex. XXI, IV) signifie « même de l'autel ». L'autel ne peut être un
lieu normal d'asile. Le lieu ou maqôm n'est pas encore déterminé;
il le un
sera plus tard. Cette disposition est une pierre d'attente, et
indice certain que la loi sera définitivement appliquée ailleurs que
dans le désert où elle est promulguée.
Une désignation plus nette se trouve dans le Deutéronome, d'abord
lorsque Moïse choisit trois villes au delà du Jourdain (Dt. iv, 41 s.),
puis lorsqu'il ordonne aux Israélites d'en faire autant plus tard sur
la rive occidentale (xix, 2 ss.). Le progrès de la législation est évident;
il est dans la nature des choses; la première loi, trop vague, néces-
sitait, et même annonr-ait la seconde. Mais cette loi du Deutéronome,
si naturelle après celh; de l'Exode, avait-elle sa raison d'être après
celle des Nombres?
il semble bien plutôt que celle des Nombres soit un complément,
MÉLANGES. 463

une explication. Les villçs du Deutéronome étaient des villes où l'on

pourrait fuir. Elles ne portaient pas un nom spécial. Dans les Nom-
bres, on relève que ce sont des villes lévitiques, et elles sont nom-
mées des de refuge. Nous ne saurions y voir avec M. Sulzberger
cités
des villes d'internement, quelque chose comme des camps de concen-
tration, et le terme ^Spr: n'oblige point d'adopter ce sens. Quoi qu'il
en soit du sens du verbe — et l'on ne saurait le déterminer, — l'ho-
micide « fuit » vers ces villes parce qu'il y trouvera un refu.ee. On ne
fuit pas vers une prison. Les Nombres ajoutent (jue ces villes assurent

au d'un jugement. Leurs textes sont surtout plus


fugitif le bénéfice
complets en organisant le tribunal qui aura à se prononcer.
L'Exode prévoit manifestement un tribunal investi de l'autorité
publique, puisque seul un juge ou une cour peuvent trancher les
questions de fait d'après les principes posés. Seule l'autorité publique
peut arracher un criminel à l'autel, déclarer qu'il y a assassinat ou
qu'il y a excuse. Mais rien n'indique commentée tribunal est composé.
Les pelilim (xxi, 22) qui apprécient la somme à payer en cas d'avor-
tement jouent le rôle d'arbitres, plutôt que de juges. Leur rôle se
borne à metire une limite aux exigences du mari.
Le Deutéronome met en scène les anciens, dans le cas présumé du
meurtre involontaire; mais ce ne sont point les anciens de la ville où
l'on peut fuir; ce sont ceux de la ville où habitait le prévenu. On
suppose qu'ils ont fait une enquête, qu'ils ont acquis la conviction que
le prévenu est bien coupable d'assassinat, quoiqu'il ait dissimulé la
vérité en prenant la fuite. Les anciens l'envoient chercher et le

remettent au vengeur du sang, qui fera justice. D'ailleurs le Deuté-


ronome parle des anciens des villes comme juges des contestations au
criminel (Dt. xxi, 20; xxii, 18).
Il est vrai que le même livre semble connaître des juges en dehors
des anciens et attribuer un certain rôle aux prêtres, fils de Lévi,

précisément en cas d'homicide. C'est lorsque l'auteur est inconnu.


Mais si Ton regarde tout l'ensemble de la procédure, on s'aperçoit
qu'elle n'est confiée qu'aux anciens. Les anciens choisissent la génisse
d'expiation, l'amènent vers une vallée et l'immolent. Puis ils trempent
leurs mains dans son sang et prononcent la formule déprécatoire d'ex-
piation. Si vraiment les prêtres, de Lévi, avaient figuré dans le
fils

premier état du texte, n'auraient-ils pas été chargés de l'immolation?


Mais ils sont seulement témoins, comme pour veiller à ce que tout se
fasse selon les règles. Les juges nommés après les
anciens (xxi, 1)
ne reparaissent plus. Ce doit être une glose explicative du rôle des
anciens. Si la mention des prêtres, fils de Lévi, est bien de l'auteur du
464 REVUE BIBLIQUE.

Deutéroiiome, il aura évité de rien changer à une très antique céré-


monie d'expiation, parfaitement en harmonie avec le le principe que
sang versé souille le pays.
La législation des Nombres est plus compliquée. L'institution des
villes de refuge a pour but d'assurer à tout prévenu le bénéfice

d'être jugé par un tribunal dont l'impartialité est garantie par sa


situation môme : c'est le tribunal central et souverain d'Israël.
Comme la législation est donnée dans le désert, ce tribunal porte le

nom de 'edah, l'assemblée des fils d'Israël. Mais comme elle est don-
née pour l'avenir, elle laisse entendre que cette assemblée se tiendra
dans un lieu autre que la ville de refuge, puisque le prévenu reconnu

innocent du crime d'assassinat doit être renvoyé dans cette ville. Il


faut sans doute sous-entendre un premier jugement, du moins une
constatation que la cité de refuge a été atteinte par le fugitif, cons-
tatation qui devait naturellement émaner des anciens de cette ville.
Et c'est ce que dit formellement le livre de Josué (Jos. xx, k). Le
vengeur du sang s'inscrit contre cet arrêt, que les termes ne per-
mettent pas de regarder comme un vrai jugement en première ins-
tance, et le vrai débat se poursuit devant l'assemblée. Il no parait
donc pas possible de regarder l'assemblée comme une cour d'appel.
Elle détient tout le pouvoir judiciaire.
Quand royauté fut instituée, les pouvoirs de l'assemblée furent
la

transférés à la personne du roi qui délégua plus ou moins l'office


judiciaire à ses ministres. Sous Josaphat, les tribunaux de première
instance et la cour d'appel de Jérusalem furent institués (II Ghr. xix,

5.8), selon les indications du Deutéronome (xvi, 18; xviii, 8 ss.).


Mais le texte des Nombres n'a point en vue ce perfectionnement. Il ne
suppose qu'un jugement qu'il attribue à l'assemblée groupée autour
de Moïse, et le livre de Josué ne change rien à ces termes.
Toute cette législation se présente comme une transaction, un
essai de mettre en harmonie le devoir et les droits du pouvoir avec
les droits et ce qu'on regardait comme le devoir de la famille. Elle
estdominée par le principe que le sang ne doit pas être versé, môme
pour venger le sang, s'il n'y a pas eu de crime, mais que le crime
d'assassinat doit être puni de mort. D'une part la loi modère la soif
de vengeance privée, d'autre part elle ne permet pas à la vengeance
privée de se refroidir et de trahir son devoir en laissant échapper le
coupable.
C'est d'après ces principes qu'il fallait régler la question de la com-
position. Le caractère rcdigieux de la loi, son souci de ne point attirer
la malédiction de Dieu sur une terre souillée par le sang, la nécessité
MELANGES. 465

d'une expiation, se retrouvent dans le nom qui est donné à la com-


position pécuniaire nommée kofcr, c'est-à-dire expiation.
Il en peu question dans la Bible. M. Sulzberger prétend que
est
l'évolution de la législationdu l*entateu({ue, qu'il déclare considé-
rable, a consisté à supprimer le droit de vengeance privée et par
conséquent la composition, qui étant la renonciation à ce droit pour
de l'argent, suppose que ce droit n'est pas douteux.
Mais nous avons vu que la Bible, si elle n'affirme pas le droit fami-
lial en principe, en reconnaît constamment l'application, sauf à le

limiter. Il doit en être de même de la composition pécuniaire, qui a


dû cependant être encore plus limitée, car elle est moins conforme à
l'esprit de justice rigoureuse qui est celui des codes mosaïques. Le
vengeur excéderait son droit en frappant un homicide involontaire,
mais ce serait un abus particulier qui ne pourrait avoir de consé-
quences très étendues, ayant toujours pour prétexte un homicide
réel. Mais si l'auteur d'un assassinat sait qu'il pourra se racheter à
prix d'argent, c'est la porte ouverte à l'oppression et à la violence des
puissants. C'est pourquoi, en cas d'assassinat, la Bible insiste si éner-
giquement sur la formule : il sera mis à mort (sans faute), tu l'arra-
cheras même à mon autel. C'est le droit de l'Exode (xxi, 14), auquel
fait écho celui des Nombres qui exclut expressément la composition,
même pour permettre à l'assassin de gagner une ville de refuge
(Num. XXXV, 31 s.).
L'Exode parle d'une sorte de composition au cas d'avortement. Elle
est alors imposée au mari de la femme blessée, en même temps qu'à
l'auteur de l'accident. Ce ne sont guère que des dommages-intérêts.
La composition ou expiation est nommée à propos du bœuf qui
frappe de la corne, et cette fois c'est bien la composition en échange
du sang. Nous sommes dans l'hypothèse où le maître du bœuf a été
averti. Sa négligence est jugée assez grave pour qu'il puisse être mis
à mort. Et cependant « on », c'est-à-dire la famille de la victime,
pourra lui imposer une composition dont elle sera libre de fixer le
chitl're. Si la victime est un esclave, la composition est imposée et

fixée à trente sicles.


La composition était donc légale dans un cas qui n'était point
mais qui entraînait la peine de mort. Combien plus était-
l'assassinat,
elle légitime dans le cas du pur homicide involontaire !

Tout porte donc à croire que la composition était pratiquée dans


ce cas. La loi organisait un
pour qu'on pût échapper à la pre-
asile

mière irritation du vengeur du sang. Mais si lui-même se relâchait de


son droit et acceptait une composition, le but de la loi était atteint plus
466 RKVUE BIBLIQUE.

simplement; on n'imposait pas à mi liomme déclaré innocent l'obli-


gation de demeurer longtemps loin des siens, au risque d'être égorgé
par le vengeur du sang s'il sortait de la ville de refuge. Sans compo-
sition le droit du vengeur demeurait intact, quoique la loi souhaitât
vivement qu'il ne fût pas exercé, puisque cela équivalait à répandre
un sang innocent. La loi devait donc souhaiter qu'une bonne compo-
sition, favorable aux deux parties, vienne mettre un terme à cette
situation bizarre.
D'après M. Sulzberger, les Nombres sont absolument contraires à
cette manière de voir. Il faudrait donc, ou y renoncer, ou supposer
une modification radicale dans la législation. Mais nous ne saurions
accepter sa traduction. Après l'interdiction absolue de la composition
dans le cas d'assassinat, M. Sulzberger Kt « Ne prenez pas de com-
:

position de celui qui a fui à sa ville de refuge pour lui permettre de


retourner dans son pays avant la mort du prêtre » (p. 27). Il en con-
clut à l'interdiction de la composition dans le cas de simple meurtre
comme dans le cas d'assassinat (p. 7i). Mais ce n'est point ce que dit
le texte. Il s'agit toujours de l'assassin. On ne doit point accepter de

composition de lui pour lui permettre de fuir dans sa ville de refuge,


ce qui lui permettrait ensuite de rentrer tranquillement chez lui à
la mort du grand prêtre. Assurément les villes de refuge n'étaient
point faites pour les assassins. Mais l'assassin prenait la fuite et se
vengeur du sang composait avec
déclarait homicide involontaire. Si le
lui au lieu de le poursuivre, y chance que les anciens ferme-
il avait
raient les yeux, personne ne prétendant montrer plus de zèle que les
parents. Les mots entendus selon leur sens naturel, rien n'empêche
d'admettre la composition en cas d'homicide involontaire, d'autant
que la loi de l'Exode conservait toute sa valeur et continuait à régler
une situation qui n'avait été modifiée par aucune autre loi.
La méthode synthétique aurait exigé qu'on mit en tête de cette dis-
cussion le principe général qui domine toute la question des coups et
blessures, celui du talion. Mais il était nécessaire d'apprécier les déro-
gations qui lui ont été imposées pour comprendre dans quelle mesure
il était proclamé comme une loi encore vivante.

M. Sulzberger (1) atténue beaucoup trop les faits, donnant A enten-


dre ([ue la loi du talion était une vieille maxime cananéenne, ccmtraire
à l'esprit du droit hébreu et à sa pratique, et donfil faudrait expliquer
l'insertion dans la loi mosaïque comme une trace fAcheuse des in-
fluences momentanées dont elle avait triomphé. C'est une gageure; la
loi du talion s'imposait certainement à la conscience juive, c'est le

(1) Op. laud., p. 124 s.


MELANGES. 467

Christ qui a, le premier, prononce l'abrogation des antiques paroles


(Mt. V, 38) pour les remplacer par l'application, môme dans le cas
d'une offense, de la d'amour envers le prochain. C'était abolir en
loi

même temps la vengeance privée.


Mais tant que la vengeance privée subsistait, elle s'appuyait sur le
droit qu'avait l'oll'ensé de punir l'agresseur. Ce talion, qui parait si

cruel, fut sans doute à l'origine une borne au désir furieux de la


vengeance. Sous le coup de la douleur ou de la honte, l'offensé
voyait rouge et rêvait de tuer. En cas de meurtre, le vengeur du sang
eût volontiers exterminé la famille de l'ennemi. Le talion rétablit une
proportion entre l'offense et le châtiment. L'ancienne formule est
conservée comme une menace contre les attentats, comme une modé-
ration de la vengeance. Elle est sûrement plus ancienne que Moïse et
plus ancienne que le Code de Hammourabi. Si ce code ne l'énonce pas
avec la même précision, il en contient les éléments pour ce qui re-
garde l'œil [§ 196), l'os brisé (§ 197), ou la dent (§200). Ce sont à
peu près les termes du Lévitique, « fracture pour fracture, œil pour
œil, dent pour dent » (Lev. xxiv, 20). M. Jastrow en conclut que le
texte du Lévitique se rapproche de l'antique formule dont l'Exode
contiendrait le développement « vie pour vie, œil pour œil, dent
:

pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure,
blessure pour blessure, plaie pour plaie » (Ex. xxi, 23 ss.).
Or le code est, d'après la critique, comme d'après la tradition, an-
térieur à celui du Lévitique. Nous avons donc qu'un code plus récent
peut contenir une formule plus ancienne. Mais dansMt. v, 38 la for-
mule est encore plus courte, « œil pour œil, dent pour dent », quoi-
que la rédaction soit plus récente. Il ne faut donc pas regarder le texte
de l'Exode comme un texte glosé, mais comme un développement
législatif. Le Deutéronome reproduit seulement la première partie

de l'Exode (1) « œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied
:

pour pied » (Dt. xix, 21).


Était- il donc ordonné aux magistrats d'appliquer strictement et
dans tous les cas la loi du talion? Non, puisque les textes que
nous avons parcourus indiquent comment ce principe pouvait être
modéré. En somme le magistrat, que ce soit le tribunal des anciens,
ou un juge royal, ou la cour de Jérusalem, n'était tenu à appliquer
d'office cette loi que dans le cas d'assassinat. Alors on exig-eait vie
pour vie. Dans les autres cas on avait pris des précautions et admis
des compositions sur lesquelles nous n'avons pas à revenir. En

(1) Sauf le début, « vie pour vie » qui d'ailleurs se rattache à ce qui précède : la for-
mule traditioanelle, rappelée à propos du cas vie pour vie, commence à « œil pour œil ».
468 REVUE BIBLIQUE.

matière de coups et de blessures, œil crevé, dent cassée, etc., il ne


semble pas que le magistrat soit intervenu d'office. L'Exode et le Lévi-
tique récitent la loi du talion à propos d'homicide, le Deutéronome à
propos du faux témoin. Ce dernier n'a attenté contre son prochain
que par la langue; il n'est point question de la lui couper. Très pro-
bablement c'est la vie de l'accusé qui est compromise par le faux
témoignage. La loi déclare que le talion s'applique même dans ce cas,
et reproduit l'ancienne formule, sans nommer ce qui parait le plus en
situation, « vie pour vie ». C'était donc seulement un principe général
dont il fallait s'inspirer, non une loi qu'on ne pût se dispenser d'exé-
cuter selon la rigueur des termes. Le principe constituait cependant
un droit pour le particulier lésé, et le magistrat ne pouvait pas sans
doute l'empêcher d'en poursuivre l'exécution, s'il préférait la ven-
geance à la composition pécuniaire.
Nous avons terminé, non point le commentaire détaillé des textes
bibliques, mais un examen rapide qui permette de les classer selon
leur développement interne ou leurs analogies historiques.
Deux points attirent presque également l'attention ; il n'y a aucun
changement dans les principes, aucune modification proprement dite,
à plus forte raison aucune disposition qui en abroge une autre. Et
cependant il y a des retouches pour fixer l'application des principes
et pour compléter les institutions.

Les principes sont les mômes. C'est la loi du talion qui domine le sujet.

L'homicide, les coups et blessures font naître au profit de l'offensé


et de sa famille un droit de vengeance; le châtiment doit être exac-
tement proportionné à l'offense. En matière d'assassinat, la peine de
mort doit être nécessairement infligée. Dans les autres cas, la famille
peut rehlcher de son droit par une composition pécuniaire. Les autres
cas ne pouvaient être prévus en détail, et la loi hébraïque n'a pas
atteint du premier coup à des formules qui embrassent les diverses
catégories. Dans l'Exode il y a des échantillons. Dès le début, le
législateur impose à l'assassinat la sanction exigée par le salut du
peuple, car un pareil crime souillerait le pays aux yeux de Dieu. Mais
jusqu'à la fin il maintient le droit du vengeur du sang, regardé
comme investi du droit de punir, tout en le modérant en cas d'homi-
cide involontaire, car dans ce cas aussi on risquerait de verser le
sang innocent, ce qui serait contraire à la justice et condanmable aux
yeux de Dieu. Il n'y a donc pas progrès dans le sens d'une trans-
formation de la vengeance privée en vindicte publi([uc.
En quoi donc consisie le changement, ou plutôt sur (pioi portent
les retouches?
MÉLANGES. 4G9

L'Exode avait annoncé qu'on déterminerait le lieu de l'asile, et,

prévoyant ainsi le meurtre distinct de l'assassinat, il n'avait pas indi-


qué les cas d'homicide purement involontaire. C'est sur ces points
qu'ont insisté le Dcutéronome et les Nombres : les Nombres pré-
cisent la nature des villes de refuge, leur donnent ce nom, détail-
lent les présomptions d'assassinat ou de meurtre involontaire, per-
mettent le retour de l'homicide involontaire chez lui après un délai
donné, de telle sorte que la législation du Deutéronome ne se conçoit
guère que comme un premier état de celle des Nombres qui l'a com-
plétée.
Dans ces conditions, si le premier état de la législation est mosaï-
que, le dernier l'est aussi, dans le sens le plus plein et le plus vrai.
La tradition atfirrae que remonte à Moïse. La critique
la législation
interne constate que, à la ditférence du Code de Hammourabi, c'est
une législation adaptée à des nomades ou semi-nomades, assez sem-
blable aux coutumes qui régnent encore chez les Bédouins au delà
du Jourdain. Mais, plus que le Code babylonien, elle est dominée par
le principe de la justice de Dieu qui se confond avec l'intérêt public;

elle n'est pas seulement censée révélée par Dieu, comme ce code
prétend l'être; elle est vraiment inspirée par la conception d'un
Dieu juste, plus soucieux de punir le criminel et de sauvegarder l'inno-
cent que de préserver son autel même. C'est bien la loi d'un grand
chef religieux comme Moïse. Depuis la découverte du Code de Ham-
mourabi, on ne voit vraiment pas pourquoi les lois de l'Exode
seraient plus récentes que Moïse. Elles se rattachent à des prin-
cipes plus anciens que lui, et souvent même elles coïncident presque
textuellement avec un droit plus vieux de plusieurs siècles.
Mais on prétend que c'est dans le pays de Canaan que les Hébreux
ont appris à connaître le Code de Hammourabi. Cela reviendrait à
dire qu'ils ont renoncé à leurs coutumes pour embrasser celles des
Cananéens. Or cela est peu croyable, particulièrement en matière
pénale, et cela est, en
contraire à toutes les vraisemblances. Le
fait,

Code de Hammourabi, avons-nous dit, suppose un développement


considérable du pouvoir royal, l'exercice du ministère public au lieu
de la vengeance privée, la substitution de l'amende ou des dom-
mages-intérêts à la composition pécuniaire. Rien n'empêchait les
cités cananéennes, villes de culture, d'adopter ce droit tel quel. Les
Hébreux, s'ils avaient fait des emprunts aux Cananéens, comme on
le suppose, auraient suivi la même voie, étant eux aussi devenus
sédentaires. Tout autre, avons-nous vu, est l'aspect de leur législation
pénale, qui suppose la distinction marquée des clans, le droit de la
470 REVUE BIBLIQUE.

famille, l'intervention du pouvoir bornée à la répression de l'assas-

sinat et à la: protection de T homicide involontaire.


D'autre part la présence dans les deux codes des trois cas relatifs :

aux blessures n'entraînant pas la mort, à la femme enceinte, au


bœuf qui frappe de la corne, créent entre eux une ressemblance qui
ne peut être fortuite. Le premier était assez courant, mais les deux
autres sont tout à fait caractéristiques, pouvant comporter des solu-
tions beaucoup plus divergentes que celles qui sont données par
Ilammourabi et par Moïse. Si l'on y ajoute la formule presque sem-
blable de la loi du talion, on conclut nécessairement à un emprunt
ou à une origine commune. Si l'emprunt a eu lieu, ce fut sans doute
quand les tribus hébraïques étaient en contact avec la civiHsation
babylonienne. N'étant point encore sédentaires, leurs emprunts
étaient naturellement conditionnés par cette situation ; elles avaient
encore trop de clan pour adopter les dispositions ur-
le caractère
baines du Code'. Mais le plus simple est sans doute d'admettre un
ancien état du droit, commun, en matière pénale, aux tribus sémi-
tiques de l'Asie occidentale. On a remarqué le lien entre les anciennes
lois dites sumériennes Code de Ilammourabi. Telle formule
et le
sumérienne se retrouve dans le Code. Il y avait donc un droit formé
avant qu'il n'eût pris dans la civilisation babylonienne une forme
spéciale. C'est ce droit, approprié à des clans semi-nomades, que
reflète en partie la législation de TExode. Mais elle est aussi animée
d'un esprit nouveau. Nous connaissons mal les Cananéens, mais il

est clair que la Bible a en horreur leurs usages, et que les Hébreux
n'ont pu les combattre qu'en leur opposant leur propre droit, qu'ils
disaient avoir été promulgué par Moïse.
Il y a, nous l'avons noté, dans l'Exode môme, un mot qui fait allu-

sion h la situation provisoire du désert, c'est la détermination de


l'asile renvoyée à l'avenir. Or il n'y a rien, dans le Code de l'Exode,
d'une phraséologie destinée à donner aux lois l'empreinte artificielle
de répo(|ue mosaïque. Conroit-on, après la con({ucte, cette réserve
sur la désignation future de l'asile? En revanche on s'étonne de la

présence des bœufs dans nous avons insisté depuis


le désert. Mais
longtemps sur les habitudes des Hébreux, semi-nomades voisins des
agriculteurs, et non point de purs nomades comme les Bédouins. Et
ce bd'uf ne doit plus étonner personne, puisqu'il est tiansmis avec
les autres articles depuis l'époque oubliée où les Hébreux ont peut-
être cultivé le sol dans les chamj)S d'Oui- on de Kliarran.
Aussitôt que la concpiète est commencée, les villes 'd asile sont tlési-

gnécs. Le Deuléronome attribue cette désignation à Moïse pour les


MELANGES. 471

pays d'outre-Jourdain le livre de Josué semble la reporter après la


;

conquête par une mesure d'ensemble. Cette variation n'a pas d'impor-
tance; les deux textes regardent l'institution des villes d'asile comme
l'exécution do la loi de iMoïse. Entre la du Deu-
loi de l'Exode et celle

téronome, il n'y a aucun autre progrès qui permette de conclure que


les circonstances historiques aient beaucoup changé. Notre sujet n'of-
fre donc aucune lumière spéciale sur la rédaction du Deutéronome.
Entre le Deutéronome et les Nombres, il y a progrès. Les anciens
de la ville, qui sont seuls dans le Deutéronome en relation avec le
prévenu d'homicide, se retrouvent encore dans les Nombres. Mais il
est dit de plus expressément que le prévenu doit être jugé par l'as-
semblée, qui siège en dehors de la ville de refuge. Cette assemblée ne
peut être cour d'appel créée par Josaphat, car ce n'est point une
la
cour d'appel, elle juge en première instance. Le texte des Nom-
bres est donc antérieur à Josaphat, dont le chroniqueur expose les
réformes (II Chr. xix, 8 peut être plus ancien. Fut-il rédigé
ss.). Mais il

par Moïse? Ce serait en tout cas après le Deutéronome. Or la tradition


ne place point les livres dans cet ordre. Une série de dispositions
complémentaires peut avoir été ajoutée. Si nous avons de bonnes
raisons de placer ces dispositions après celles du Deutéronome, nous
nous écartons de la tradition, ce qui parait certainement légitime en
ce cas, mais il faut comprendre la portée de ce fait il équivaut à :

regarder le texte des Nombres comme une addition postérieure.


de l'admettre en présence des textes de Josué (xx, 1 ss.)
Est-il licite

racontant l'institution des villes de refuge en des termes qui rappel-


lent les expressions des Nombres, nuancées par celles du Deutéro-
nome? Cela semble tout à fait légitime, car l'auteur du livre de Josué
est inconnu. Fùt-il très ancien, il contient de nombreux passages assez
modernes, parmi lesquels on peut ranger l'institution des villes de
refuge.
Écrivant après l'auteur de l'addition des Nombres, il devait natu-
rellement lui emprunter sa terminologie pour raconter le choix des
villes de refuge qu'on ne pouvait envisager que sous l'aspect définitif

qu'elles avaient dans la Loi.


Ainsi nous serions porté à conclure que la législation sur l'homi-
cide, dont les lignes définitives ont été posées par Moïse, a été com-
plétée au cours des âges selon le même esprit, et même sans de sensi-
bles modiQcations, pour préciser ce que la législation donnée dans
le désert avait d'incomplet.
Fr. M.-J. Lagrange.
472 REVUE BIBLIQUE.

III

LA RÉVÉLATION D'APRÈS LES CONCEPTIONS JUIVES


AU TEMPS DE JÉSUS-CHRIST

Dieu ne s'était pas contenté de créer le monde et de le soumettre

à une providence purement naturelle (1). Il avait voulu contracter


avec les hommes des liens d'un ordre spécial, en leur dévoilant ses
perfections plus directement que par le miroir des créatures et
en les appelant à entrer avec lui dans des relations de véritable
amitié.
Les premières pages de la Bible offraient, dans la description du
Paradis terrestre, une image touchante des rapports que Dieu désirait
entretenir avec Thumanité.
Ces rapports, qui dépassent les exigences de tout être créé et que
nous appellerons surnaturels, —
quoique ni l'A. T. ni le Judaïsme
n'aient jamais exposé et défini la notion du surnaturel, étaient —
fondés sur la révélation, c'est-à-dire sur la parole de Dieu.
Chez les païens, le souvenir des communications de Dieu avec
l'humanité s'était vite altéré et se trouvait odieusement travesti dans
une mythologie qui avilissait l'homme et déshonorait la divinité.
Ce fut la grandeur d'Israël d'avoir été choisi par Dieu pour porter
à travers les siècles le flambeau de la révélation et pour être, au
milieu des nations, le foyer lumineux d'où la vérité devait rayonner.
Nous nous proposons d'étudier, dans les pages qui vont suivre,
l'idée que le Judaïsme contemp<jrain de Jésus-Christ se faisait de la
révélation et des points de doctrine qui s'y rattachent.

Comme il fallait s'y attendre, les Juifs insistent en tout premier


lieu sur les prérogatives dont Dieu les a honorés. Avec complaisante
ils proclament que le Seigneur a placé Israël au-dessus de toutes les

(1) Voir <( Dieu et le inonde d'après les conceptions juives au temps de Jésus-
Christ )), dans le dernier fascicule de la fUl., p. 33-GO.
MÉLANGES. 473

nations : il l'a élu d'entre tous les peuples, il l'a constitué le gardien
de la vraie religion et le dépositaire des promesses divines. Cette
élection est la raison d'être de tous les rapports particuliers de Dieu
avec Israël Sans doute, un pacte avait déjà été conclu avec Noé
(1). :

Dieu promettait de ne plus envoyer de déluge mais ce pacte ne ;

créait aucune situation spéciale, car l'humanité entière devait béné-


ficier de la stipulation. C'est avec Abraham — les Jubilés ont soin
de le rappeler — que Dieu scella Falliance qui donne à Israël une
place à part dans l'humanité : « J'établirai mon alliance entre moi
et toi et ta postérité, pacte éternel, afin que je sois ton Dieu, cà toi et
à tes descendants Renouvelée avec Isaac et Jacob (3), l'alliance
» (*2),

fut enfin sanctionnée solennellement au Sinaï (4). La circoncision en


est le signe et le « mémorial pour toujours » (5).

En toute occasion et de toutes manières, les Juifs mettent en relief


le lien spécial qui les rattache à Dieu. A certains moments, on a

presque l'impression qu'ils voudraient confisquer Dieu à leur profit


exclusif. Le Seigneur est « le Dieu des patriarches », le « Dieu des
pères » (6), le Dieu d'Israël (7). Il a fait choix d'Israël (8), l'a séparé
de toutes les nations (9), l'a sanctifié et en a fait sa propriété (10), afin
qu'il soit « un royaume sacerdotal et un peuple saint (11) ». Israël

est son peuple (12), le peuple élu (13), le peuple chéri (14), un peuple
saint (15), le peuple qui est appelé du nom du Seigneur (16), qui est
son héritage, c'est-à-dire le lot qu'entre tous les groupements
humains Jahvé se réserva pour lui-même (17). Les Juifs sont « les fils

(1) Jub. 6, 4-10: 44, 17 s.


cf. Eccli.

(2) Jub. 15,9; 44. 19-21.


cf. Eccli.

(3) Eccli. 44, 22 s.; H Mach. 1, 2; Ass. Mos. 4, 2. 5; 11, 17.

(4) Jub. 6. 11 Ass. Mos. 1, 14.


;

(5) Jub. 15, 11-13.


(6) II Mach. 1, 25; III Mach. 6, 3; 7, 16; IV Mach. 12, 18; 13, 19; Test. Rub. 4, 10,
Sim. 2. 8; Jud. 19, 3; Gad 2, 5; etc.
(7) Sal. 4, 1 9, 16 [8]
Ps. ;16, 3 etc. ;

(8) II Mach. 1, 25; Jub. 2, 20. 31; 15, 30; 33, 11; Ps. Sal. 9, 17 [9].

(9) Jub. 2, 19; cf. 15, 31.

(10) II Mach. 1, 25; 2, 17 Jub. 2, 19 ss. 15, 30 s.; 33, 11.


; ;

(11) Jub. 16, 18; cf. 33, 20.

(12) II Mach. 1, 29; Sap. 9, 12; Ps. Sal. 9, Ifi [8] etc.

(13) Ass. Mos. 4, 2: cf. Eccli. 46, 1; Hén. 56, (J; 62, 11; 93, 8.
(14) Ps. Sal. 9, 16 [8].

(15) III Mach. 2, 6; Sap. 10, 15; 17, 2; Jub. 22, 12; 33, 20.
(16) Eccli. 36, 17; cf. II Mach. 8, 15; Ps. Sal. 9, 17 [9].
(17) II Mach. 1, 26; 14. 15; Ps. Sal. 14, 3 [5]; Jub. 22, 10. 29; 33, 20; III Mach. 6,
3. — Celle conception se rencontre fréquemment dans la littérature biblique; cf. L. Gio,
Les Paraboles d'Hénoch, Paris, 1910, p. 17, note 2.
474 REVUE BIBLIQUE.

de ralliance » (1) ; Dieu les gouverne (2), les béait, les garde et les
protège (3); il les sauve de tous les dangers (4), les favorise de
mille façons (5), leur donne secours contre leurs ennemis (6), combat
pour eux (7), et finalement leur donne la victoire (8). Il leur envoie
sans doute des châtiments ; mais il ne les délaisse pas et surtoutne
les abandonne pas pour toujours aux nations (9), car il entend leurs
cris de détresse et exauce leurs prières (10),
Si Dieu est, en vertu de la création, le roi du monde, le roi de tous
les hommes, il est à un titre plus spécial le roi du peuple juif (H) :

« seul il est leur souverain » (Jub. 15, ^3), et son gouvernement est
une source de bienfaits pour Israël (Ps. Sal. 5, 18 [21]). Tandis que
sa royauté sur les nations s'affirme par des châtiments, il agit à
l'égard de son peuple avec la plus grande miséricorde (Ps. Sal, 17, 3
[3-4-]). La dynastie davidique avait été choisie pour le gouverner
en son nom (Ps. Sal. 17, 5 [4]), et quand des usurpateurs s'em-
parèrent de la couronne, Dieu les jugea par sa puissante interven-
tion (Ps. Sal. 17, 6-12 [5-10]).
Toutefois, le règne de Dieu sur Israël se manifestera surtout à
l'époque messianique (Ps. Sal. 17, 23-51 [21-45]).
Mieux encore que roi, Dieu est le père d'Israël. Cette dénomination
se rencontrait déjà dans le Pentateuque et dans les prophètes : Dieu
est le père du peuple Israélite (12), et celui-ci est son fils (13), son
premier-né (14). Cette dernière expression doit s'entendre au sens de
« fils bien-aimé », bien plus, de « fils unique », et n'implique aucu-

(1) Jub. 15, 26; Ps. Sal. 17, 17 [15].

(2) Jub. 15, 32.


(3) H
Mach. 13, 17: Jub. 27, 15. 24; 45, 5; Ps. Sal. 13, 1; 111 Esdr. 6, 5 8, 61. ;

Mach. 1, 11. 25; III Mach. 2, 12; 6, 36; Eccli. 51, 8; Ps. Sal. 13, 2. 4.
(4) Il
Dieu —
est souvent appelé « sauveur » crwirip Eccli. 51, 1; I Mach. 4, 30; Ps. Sal. 3, 7 [G];
:

8, 39 [33]; 16, 4; 17, 3; Sap. 16, 7; 111 Mach. 6, 29. 32; 7, 16. Sur la signification du
mot « sauveur » dans le monde gréco-romain, cf. P. Wicndlmsd, Iwxrip, dans la Zeitsclirift
fiir die neuteslumenll. Wissemchaft, 1904, p. 335-353; A. Deissmann, Licht vom Oslcn,

1908, p. 265 s.

(5)Mach. 4, 55; III Mach. 7, 2.


I

(6) I Mach. 3, 53; 4. 10; II Mach. 1, 12; 8, 15. 24. 27 etc.

(7) II Mach. 8, 36; 14, 34; III Mach. 7, 6.

(8) I .Mach. 3, 19; II Mach. 15, 21.

(9) Eccli. 2, 10, 17, 8: Sap. 12, 21; II Mach. 1, :>; 5, 17 .ss. 6, 12 ss. 7, 16; ; ;

Jub. 27, 15; Ass. Mo». 12, 12; III Esdr. 8, 79.
(10)11 Mach. 1, 5, 8; 10, 25 ss. III Mach. 2, 10. 21 5, 25. 35; 6, 17 ss.
;
Ps. Sal. 6,6 5].
; ;
1

(11) Roi d'Israël Eccli. 51, 1; Ps. Sal. 5, 21 s. [18 s.]; 17, 1. 38.51 [1. 34. 46];
:

Jub. 1, 28, cf. SchemunO-Esrê, liée, bab., demandes 5 cl 6.


(12) Dcul. 32, 6; Is. 63, 16; 64, 8; Jér. 31, 9; 3, 4. 19; Mal. 1, 6; 2, 10 s.; cf.
Tob. 13, 4.

(13) Os. 11, 1; Jér. 31, 20; 3, 19; cf. Judith 9, 4. 13 (Sept.).

(14) Ex. 4, 22; Jér. 31, 9.


MELANGES. 47;i

nement que Dieu soit aussi le père d'autres peuples; semblable

pensée a toujours été étrangère à l'esprit des Hébreux. « La Paternité


de Dieu, d'après rensenil)le des témoignages, est réservée à Israël, à
l'exclusion des nations. Dieu constitue, avec le peuple qu'il s'est
choisi entre tous les autres, une vraie famille. Israël, son fils, peut
l'invoquer comme père, sûr qu'une providence aimante et attentive
veille sur lui... Ces deux termes coj'rélatifs de père et de lils dési-
gnent donc la relation très spéciale d'intimité et de tendresse que
Dieu a voulu établir entre lui et son peuple » (1 Non seulement la .

nation dans son ensemble, mais encore les Israëlites considérés indi-
viduellement, en tant que membres du peuple élu, étaient « fds de
Dieu» (2). Enfin, en raison de leur situation spéciale, David (Ps. 89,
27 s.), Salomon (II Sam. 7, l'O, le Messie (Ps. 2, 7) et les anges (3)
reçurent la même appellation.
A l'époque si troublée et si angoissante que les Juifs traversent aux
approches de l'ère chrétienne, ils éprouvent le besoin de rappeler

fréquemment à Dieu quel amour il leur a témoigné dans le passé, et


quelles promesses il leur a faites pour l'avenir. L'exclamation « ô
père » leur semble résumer au mieux ces sentiments : sur leurs lèvres
un cri de détresse (4), aussi bien que l'expression d'un confiant
c'est

abandon en la bonté de I^ieu (5). Comme autrefois, Israël est le fils

(1) V. Rose, Études sur les Évangiles, Paris, 1902, p. 133. Cf. aussi Lagrange, La
Paternité de Dieu dans l'Ancien Testament, dans la Revue Biblique, 1908 [p. 481-497],
p. 485. —
Par une conséquence naturelle, le (ils hérite des biens de son père « En procla- :

mant Israël son premier-né, Dieu veut dire que ce peuple jouera dans le monde le rôle du
premier-né dans la famille, et qu'il en fait son « héritier » universel. C'est à litre « d'héri-
tage » qu'Israël tient de lahvé la Palestine, et
que l'hégémonie du monde entier lui est
promise dans un avenir Dans l'antique civilisation égyptienne, le premier-né
lointain...
était seigneur [neb =
Kuptoç) dans la famille; image vivante du père, les lois l'associaient,
même du vivant de celui-ci, à l'exercice de ses droits « (A. Dirand, Le Christ « Premier-
né », dans les Recherches de Science religieuse, 1910 [p. 56-66], p. 59. L'idée d'héri- —
tier, et par conséquent de seigneur, se rattache étroitement à celle de fils premier-né
mais ne s'identifie pas avec elle. Voir les remarques du P. Prat, La Théologie de saint
Paul, vol. II, p. 197.
(2) Deut. 14, 32,
5; Is. 1, 2. 4; 30, 1. 9; 43, 6; 45, 11; Jér. 3, 14. 22; Os. 2, 1.
1;

(3) René Elohim


Gen. 6, 2. 4 (d'après l'interprétation des Septante et des Juifs qui
:

acceptèrent la légende de l'union des anges avec les filles des hommes]; Job 1, 6; 2 1-
38, 7; cf. Sap. 5, 5; comparer aussi Dan. aram. 3, 25 avec 3, 28 (Sept. : 3, 92 avec
3, 49. 95).
Be7ié Elim : Ps. 89, 7. —
Par contre, dans le Ps. 29, 1 (2) il semble bien s'agir de
«jeunes béliers >; cf. Falluaber, Psalm 29 {28), ein Gerichtspsalm, dans la Biblische
Zeitschrifl. 1904. p. 262.
Benê : Ps. 82, 6 {'!}.
'Elion
(4) III Mach. 5, 7; 6, 3.
(5j Eccli. 23, 1. 4; II[ Mach. 6, 8; Sap. 14, 3.

REVLE BIBLIQUE 1916. —


N. S., T. \III. 31
476 REVUE BIBLIQUE.

«le Dieu (1), le fils premier-né (2) et unique (3), et les membres de la

nation partagent ces titres glorieux (4).


Mais une sélection a commencé à se produire parmi les Juifs; de
nombreuses défections ont contristé le peuple aux temps d'Antio-
chus Épiphane, et sans doute déjà auparavant. On n'ose plus traiter
indistinctement tous les Israélites de « fils de Dieu ». Il y a des
enfants d'Abraham vraiment dignes de ce nom, et d'autres qui ne
le sont pas. Les Psaumes de Salomon, le livre d'Hénoch, les Jubilés
et les livres des Machabées reflètent fidèlement cet état d'âme. Le
titre d'enfant d'Israël ne suffit plus pour être fils de Dieu : il faut
encore être juste. La filiation divine devient ainsi un rapport tout
intime entre l'individu et son Dieu, rapport qui est basé sur la
sainteté de l'homme et non plus seulement sur sa qualité de Juif.
« Traquons le juste, disent les impies dans le livre de la Sagesse
2, 12-18), opprimons-le, puisqu'il nous reproche de violer la loi. Il
proclame heureuse la fin des justes, et se vante d'avoir Dieu pour
père. Voyons donc si ses discours sont vrais, et examinons ce qui
lui arrivera au sortir de cette vie, car si le juste est fils de Dieu,
Dieu prendra sa défense ». Les Jubilés aussi présupposent la —
sainteté individuelle au titre de fils de Dieu : les Israélites « se

convertiront à moi en toute sincérité, dit le Seigneur, et ils obser-


veront mes commandements, et je leur serai un père et ils seront
tous appelés enfants du Dieu vivant et tous les anges sauront...
qu'ils sont mes enfants » (1, 23-25; cf. 28) (5).

Cl) Sap. 18, 13.


Jub. 2, 20: cf. 19,
(2) 2<J. Ps. Sal. 18, 4; Eccli. 36. 17 (14); 44, 23 (d'après une
variante du texte hébreu) : « il lui conféra la dignité de preraier-né et lui donna son
hérita},'e (= la Palestine) )>.

(3) pensée des Juifs ne laisse place à aucun doute; Ps. Sal. 18, 4
Sur ce point la « ta :

rorreclion vient sur nous comme sur un lils premier-né, unique » (w; uîôv TrpwTÔ-oxov
(Aovoyev^); IV Esdr. 6, r>8 « Nos autem, populus tuus, quem vocasti primof^enilum,
:

uni^enilum pour qu'on sache bien à quoi s'en tenir sur le compte des nations,
», et
Iauteur déclare « C'est à cause de nous que tu as créé ce monde: quant aux autres
:

pcujilcs nés d'Adam, tu as dit qu'ils ne sont rien et qu'ils sont semblables à la salive el
leur importance pareille a la j^outle iiui tombe d'un vase (trop jdein) », 6, .it'>.

Cl) Sap. 12, 21; 16, 20; 18, 4; Sib. III 702: Ass. Mos. 10. 3; l'irqé Aboth 3, 22.
1!l.

Dans d'autres passages, les Juifs sont appelés Tratos; ôeoC .Sap. 2. 13:12, 7-20: 19.(1; :

Ps. Sal. 12, -[(;]; 17, 23 \2\\.


(:>) Voir aussi le Testament de Juda 24, 3 : . Dieu déversera l'esprit de grAce sur vous,
et vous serez (alors) ses véritables lils n; Test. 1-evi 4, 2: 18. 8: III .Mach. 6, 2.s ;

Iléu. 62, 11; Ps. Sal. 17, 2".»


[27J ; Eccli. 4, 10: 23, l.'i;51, 1 hébr.); 51, lo (li). Dans
ce dernier passage, le texte des Seplante et de la Vulgale : <' J ai invoqué le Seigneur,
le pi-re de mon Seigneur », ne répond ni au sjTia(|ue : « des hauteurs, j'ai invoqué mo7i
père (en disant) : Seigneur fort et sauveur », ni k l'hébreu : « J'ai élevé (la voix en
disant) : Jahvé, tu es mon père, tu es le héros de mon salut >',
MÉLANGES. 477

Ainsi se préparait lentement la doctrine néo-testamentaire sur


la paternité universelle de Dieu et sur la filiation qui a pour unique
rondement justice intérieure.
la Les écrits juifs n'en sont pas —
encore on ne voit pas que Dieu y soit jamais appelé le père
là :

de non-Israélites. Chez Philon où les expressions père de toutes <(

choses », « père du monde », se rencontrent si souvent, il n'est


point question dune
au sens religieux du mot; ces sortes
iiliation
de titres que le philosophe donne à Dieu, ne dépassent pas le point
de vue de Platon dans le Timée (28' tsv ;/àv cjv T.oKr^-r^^) y.y). T.y.-izy. :

-z\izt T3j itavriç, « auteur et père de l'univers ») (1). La juxta-


position si ~y:r{ir^z montre bien que dans
fréquente de t.x-.t^^ avec
la pensée du Juif alexandrin deux mots étaient synonymes. On les
ne peut rien conclure non plus d'un passage où il nomme Dieu
" mari et père » de l'âme ascétique (2) [De somn. II 27.'}, M. I 695);

il s'agit des veuves et des orphelins, auxquels Dieu tient lieu de


ce qu'ils ont perdu. La paternité universelle de
Dieu, admise par
Philon, a donc une portée purement philosophique Dieu est le ;

père de toutes choses, parce que toutes il les a appelées à l'exis-


tence.

Du moment que Dieu était le roi et le père d'Israël, on trouvait


tout naturel qu'il intervint en sa faveur, fût-ce même par des
miracles. Les miracles formaient pour ainsi dire la trame de l'histoire
juive, et Dieu ne pouvait être moins généreux dans l'avenir qu'il ne
lavait été dans le passé : aux yeux des Juifs, lun engageait l'autre.
Ilsévoquent avec complaisance le souvenir des merveilles que Dieu
avait opérées à la sortie d'Egypte et pendant les pérégrinations
à travers le désert (3) ; les miracles qu'il avait accomplis par l'in-
termédiaire de Josué (4), d'Élie (5), d'Elisée (6), d'Isaïe (7); la
délivrance inopinée de Jérusalem sous Ézéchias (8) ; son interven-

(1) Qu'on se rappelle aussi la formule des prières grecques et romaines Dens deorum :

hominumque pater, et l'hymne de Cléantue « Zeus tout-puissant..., nous sommes :

de ta race (=•/. aoO yà? yévo; ïrj<^iv, cf. Act. 17, 28); délivre les hommes de leur funeste
ignorance et chasse-la de leurs âmes, opère ».
•2) De Somn. II 273, M. I 095. Voir aussi De conf. lincj. 144 s., M. I 426 (sva Trotr.TV'

/.aî TraxÉpa Ttôv &),(.)v). — Dans le même sons, Joskphe, Antt. Prooem. j? 4 : TrdvTwv waT^o
i£ y.iy). oîijTîÔtïj; 6 0ïô;.
3) I Mach. 4, 9; III Mach. 2, ti s.; 6, 4; Eccli. 45, 3. ."i. 19; Sap. 10. 16 ss. : 16-19;
Pirqé Aboth 5, 5 : cf. Judith 5. 12 ss.

.4) II Mach, 12, 15; Eccli. 46, 4 ss.

(5) Eccli. 48, 2 ss.


i6) Eccli. 48, 12 ss.
(7) Eccli. 48. 23.
(8j I Mach. 7, 41 ; II Mach. 8, 19: 15. 22; III Mach. 6, 5; Eccli. 48, 21.
478 REVUE BIBLIQUE.

tioii en faveur de Jonas (1), de Daniel (2), et des trois enfants dans
la fournaise (3). Le souvenir de tous ces faits s'était profondément
gravé dans l'esprit des Juifs. Des miracles continuaient d'ailleurs
à se produire sous leurs yeux (4), et leur rendaient confiance dans
l'avenir (5).

Il faudrait se garder de croire qu'ils aient ramené ces faits extraor-


dinaires aux conditions des événements liistoriques naturels. Malgré
leur fréquence, les miracles conservaient, même pour les Juifs, leur
aspect divin et surnaturel ils sont l'œuvre « du bras » de Dieu (0),
:

l'effet de sa volonté toute-puissante. Dieu seul reçoit le titre de

Tsoa-rcTCotôç (7) ; les hommes ne peuvent être que de simples instru-


ments de ces merveilles. — Les termes de iiinSe: ou de Oauj^-aaia

(choses étonnantes, extraordinaires) par lesquels le miracle est

souvent désigné (8), montrent qu'on y voyait une dérogation aux


lois communes de la nature. iMéme dans la Diaspora, personne ne
songeait à contester la possibilité de ces faits. D'après l'auteur de
la Sagesse, toute la création est soumise à Dieu, et le Créateur peut
utiliser ces énergies comme il l'entend (9). Au service du Dieu
thaumaturge, la nature subit une profonde transformation; les
éléments échangent leurs propriétés, le feu redouble de force dans
l'eau, et l'eau oublie qu'elle est faite pour éteindre. Dans le miracle,
Dieu opère pour ainsi dire une nouvelle création (10).
Philon, lui aussi, croit fermement au miracle, bien que sa théorie
sur Dieu âme du monde, poussée jus(ju'aux dernières conséquences,
eût dû le conduire à des conclusions tout opposées. Sous l'écorce du
philosophe, toujours le Juif croyant se montre. Il célèbre les mer-
veilles queaccomplies en faveur de son peuple; ce sont des
Difeu a

prodiges grandioses (11), des faits qui dépassent toute attente (12),

(1) m Macl). 6, 8.

(2) I Mach. 2, 5!» s.; III Mach. 6. 7.


(3) 111 Mach. 6, 6.

'A) II Mach. 1, 19 ss.; 3, 2.Î (= IV Mach. 4, 8 ss.); 10, 28 ss. 15, 12 ss. III Mach. 2. ; ;

21 SS.; 5, 12. 20. 27. :{0 Pirqé Aholli 5, 8.


; 6, 17 .SS. ;

(.») L'avènement (lu Messie devait (Hre inaniuc des miracles les plus signalés; IV Esdr.
7, 27; 13, ;ji»; Apoc. syr. IJar. 29, G; cf. Ml. 11, 'i-C; Le. 7, 22. s. Jo. 7. 31. ;

((•>] Eccli. 33 '36i, >\- l\ Macli. 15, 24; Sap. 16, Kl; Ilén. 36, 4.

(7; IlMach. 15, 21 111 Macii. 6. :?2.


;

(8) 42, 17; 48, l'i; cf. 18. C> (.'.); 33 36), G; Dan. 3. 'i3 Test. Sim. 6, 7; cf.
Eccli. :

Doc. Sad. 5, 5; 16, 1.


(•I) Sap. 16, 24-2'J.

:iO) Sa|>. 19, 6. 18-21; cf. 16, 21.

Ai) De Vila Mosis II 2r>7. .M. 11 174 TàTEpâaTtaè/.Eïva \t.zya.).o\»^^^r,\i.a'ca. vS. il». 2r.G, M. II "G
: ; 1 :

To TepâiTTiov I 217, M. Il 115


;
TcpaTwÔ£<TTaT6v ti : Quacsl. in (Icn. ? : ii)ira opéra ». .'il : <

(12) De Viln Mos. II 253, M. II


17'» iXEi^ova iriar,; £)iTiSo;; ih. I 212, M. Il ll'i
: 7rapâ5oÇa :
MÉLANGES. 479

([ui sortent du cours ordinaire et naturel des choses (1), qui parais-
sent plus incroyables que des fables (2), (jui sont considérés comme
impossibles par les esprits habitués à ce qui est renfermé dans le

domaine de la vraisemblance et de ki probabilité (3) ;


leur pro-
duction peut être comparée à la création, car ils nécessitent une
transformation des éléments ('i-j. Aussi les miracles sont-ils l'œuvre
d'un thaumaturge (5), l'œuvre des conseils divins (6), de la puis-
sance divine (7), à laquelle rien ne résiste, car tout est possible à
Dieu, et à lui seul ^^8,. Celui qui refuse de croire aux miracles de
la Bible, a ignore Dieu et ne l'a jamais cherché » ; sinon il compren-
drait que la réalisation de ces œuvres extraordinaires etincom-
préhensibles '.-jLZ7.zz\y. -/S'. -xzi\z-{x) est un jeu d'enfant (zar^via)

pour Celui qui a fait l'univers entier et toutes les choses merveilleuses
(ju'il contient (9). — Cependant malgré
conformes des déclarations si

à la pensée juive, Philon n'hésitera pas à traiter avec beaucoup de


désinvolture certains récits bibliques dont le sens littéral ne lui
agréait pas (voir plus loin, p. 506 s.) (10).

Les miracles ont pour but, tantôt de châtier les impies, tantôt de

xac iiapâ),oya; ib. I 203, M. Il 113 : Ttapiôolov to liyov... 7:apaoo;oTipoi;; Qu. in Ex. II, § '76

« sine convenientibus exspectatisque mediis ».

(1) De Mos. 1 196, M. II 112 ex toù Trapa^ôyo-^... napà xo -/.aesoTÔ; ieoç; ib. II 266
Vita :

M. II Qu.in Gen. IV, §51


276; « mira opéra, non quae constans fert consueludo annua... »
:

(2) De Vita Mos. II 253, M. II 174 [jlÛÔwv àu'.ff-totcpa. :

(3) De Vita Mos. II 261, M. II 175 îipô; [lïv Ta; -rnOavà; xai eOXôvou; çavratria; àôvvaT:
:

7:paxô?,vat; cf. ib. I 174. 196, M. II 108. 112.

(4) De Vita Mus. II 267, M. II 176 (ieTaga),à)v ta cj-ot/.£îa; Qu. in Gen. IV g 51


: « vi :

quadam praepotenti atque arbitraria tommutans eleraenta ». Cf. de Vita Mos. I 211,
M. II 114.
(5) 'E6auu.xTo-jpyïïTo, de Vita Mos. I 203, M. Il 113; De decalogo 44, M. II 187.

(6) De Vita Mos. II 261, M. II 175 : èniçpoaûvai; ôsiaiç.


(7) Quaesi. in Gen. III g 18 : » Qu. in Gen. IV g 51 : Vi quadam
« divinae virtulis opus ;
.<

praepotenli de Vita Mos. II 253, M. II 174.


». Cf.

(8) De Vita Mos. I 174, M. II 108; Quaest. in Gen. III g 56.

(9) De Vita Mos. I 212, M. II 11 i.

(10) L'historien Josépue se montre sceptique à l'égard des miracles. Après avoir décrit
le passage de la mer Rouge, il continue « Quant à moi, j'ai narré toutes ces choses :

comme je les trouvais dans les Saints Livres. Que personne n'estime étrange et contraire
à la raison qu'à une époque reculée, des hommes vertueux aient pu être sauvés en passant
à travers la mer, soit par la volonté divine soit par l'effet du hasard ». Puis il relate un
fait semblable qui seraif arrivé à l'armée d'.\lesandre. Il termine en disant « D'ailleurs, :

chacun peut penser au sujet de ces choses comme bon lui semble » [Antt. II, xvi, 5). Il
donne des explications rationalistes de certains miracles Antt. III, i, 2 (cf. Bell. Jud. IV, :

VIII, 3); III, I, 5. 6; IX, m, 2, ou s'excuse de les raconter « Que chacun apprécie ces :

choses comme il l'entend, dit-il en parlant des miracles du Sinaï; pour moi, je suis bien
obligé de les relater comme ils se trouvent décrits dans les Saints Livres », A^itt. III,
v, 2 cf. III, XV, 3; IX, x, 2: .X, X, 6.
;

Josèphe tient évidemment à ménager ses lecteurs
grecs et romains.
480 REVUE BIBLIQUE.

faire »''clater la lionté divine à l'égard dos justes (1). Ils sont aussi
des jYjy.sta (2), c'est-à-dire des signes- des perfections de Dieu, et
avant tout de la véracité de sa parole (3).

xMais le don le plus précieux que Dieu eût fait au peuple élu,
c'était celui de la révélation. Non. content de veiller sur Israël et

d'intervenir en sa faveur par des miracles, Dieu avait encore voulu


l'instruire et lui confier un ensemble de doctrines morales et dogma-
tiques. La conviction que Dieu avait parlé aux ancêtres, à Moïse et
aux prophètes, et par eux à toute la nation, était à la base de toutes
les croyances. La foi à la révélation pénétrait la vie entière des Juifs;
elle conditionnait leur conduite pratique, dominait leurs certitudes
intellectuelles, constituait le fondement de toute leur religion.
La révélation avait coulé, comme un tleuve majestueux, à travers
du peuple juif, depuis les origines jusqu'au dernier des
toute l'histoire
prophètes. Mais tout à coup le courant avait paru s'arrêter. Le Sira-
cide présente « les douze prophètes » comme une catégorie close
(49, 10) et son petit-fils en fait de pour la série entière (Frol. même :

SI •irpoç-^-rai, a- Trpîorj-sîat,). L'auteur du premier livre des Machabées

note avec douleur qu'il n'y avait plus de prophète en Israël (i).
Du moins il n'y en avait pas qui fût pleinement reconnu comme tel.
Simon Macliabée est proclamé chef temporel et spirituel de la nation,
en attendant que « paraisse un prophète digne de foi » (^5), et .losèphe
constate la même incertitude dans la succession des prophètes à
partir du règne d'Artaxerxès (a. 4.64-Ji-24) (6).

(1) Sap. 16-19.


(2) Eccli. 33 (36), G (liébr. nix) ; Sap. 8. S; 10, 16: Test. Sira. 6, 5 (.^); Philon, De
Vita Mos. I 210, M. II 114; ib. II 264, M. II li:>; JosfePHE, Àntt. XX, vm. 6 : TÉpaTa xai
ayi(xeïa; des CDi = sif^nes, Pirqé Abolli V. 5. 8 al. V'. 5'i. — III Sib. 66 appelle cr.iiaTa

les faux miracles de Béliar.


Sap. 18, 13.
(3) Cf.
Mach. 9, :>'
(4) I « Et il y eut une f^rantie trihulaliou en Israi'l, lelle (|u il n'y t-n
avait pas eu de jiareille depuis le jour oii il ne parut plus de prophète parmi eux »
1= JosioPHK, Anlt. Mil, I, 1 « depuis leur retour do Hai)ylono >-). Cf. la Prière d'Aza-
:

rins 15 (= Dan. 3, 38) « Maintenant il ny a plus ni prince, ni prophète, ni chef, ni


:

holocauste, ni sacrifice, ni obiation, ni encens » l's. 74 (73), 9 « Il n'y a plus de ;


:

prophète »; F Mach. 4. 'i6 on prit les pierres de l'autel des holocaustes, et on les plaça
:

dans un lieu convenable, k en nftcndani qve vint vti prophète |>our donner une df'rision
à leur sujet ».

'.-.)Mach. 14, il.


I

><] Conirn Ap. F, 8. Le sens di- la phrase n'est pas très clair les Juifs n'accordent pas :

la tncme créance aux libres ccrits depuis le rè^ne d'Artaxerxès, qu'aux préc<^dents. 5ià to

;iT, Yev£<ïOa'. Tr,v twv îr(io^r,TiT> ày.pti^Ti ôia8o/y;v. On pfuirrait traduire


/ " parce que la .succes- :

lion di'8 parce que les prophètes ne se succé-


prophètes n'était pas bien établie ", on : «

daient pas exactement». D'après «elle dernière traduction, les prophètes ne manquaient
MÉLANGES. 481

parole divine ne semble pas avoir entièrement cessé


iNéaiiiuoiiis la

de aux Juifs. Au dii'e de .losèphe, Dieu aniion(,'ait les


s'ailresseï-

victoires de son peuple au moyen des douze pierres précieuses que


le grand -prêtre portait attachées à son vêtement; mais ces oracles
s'étaient arrêtés, à cause des péchés d'Israël, deu.Y cents ans avant
que l'historien ne composât son écrit (1), c'est-à-dire à la mort du roi

Hyrcan. S'il faut en croire encore Josèphe, ce prince avait re<;u de


Dieu le don de prédire l'avenir (2) et entendu un jour, au Temple,
une voix qui lui apprit une victoire remportée par ses iils (3).
Mais combien ces communications clairsemées et restreintes à l'an-
nonce de quelque événement, ressemblent-elles peu aux grandioses
manifestations de l'époque des vrais prophètes ! Les Juifs eux-mêmes
sentaient cruellement la différence (4). Le ciel s'est pour ainsi dire

fermé. Dieu daigne encore parler, il le fait par brèves


s'est tu, et s'il

sentences; le plus souvent on croit entendre une voix qui retentit


à l'improviste. Le Judaïsme rabbiuique appellera cette voix Batli
Qol (5). Les auteurs des apocalypses prétendent, il est vrai, continuer
la glorieuse lignée des hérauts de la révélation. Mais ils comprennent
si bien l'inanité de leurs prétentions, qu'ils s'abritent sous le voile
des grands hommes du passé.

pas, il se produisait seulement des interruptions dans leur succession cf. G. Aicheh, Das

Alte Testament in der Mischna, Freiburg, 1906, p. 12). La première traduction laisse
ouverte la question de savoir s il était venu de vrais prophètes après Artaxerxès c'est :

possible, mais on n'est pas au clair sur ce point. Nous préférons cette manière de tra-
duire, parce répond mieux aux autres témoignages que nous avons énumérés,
qu'elle
ainsi qu'à la pensée de Josèphe (cf. p. 480, note 4). On ne voit pas pourquoi l'historien
exigerait une série de prophètes un seul, vraiment authentique et reconnu comme tel, eût
;

suffi à accréditer tous les livres écrits avant lui.

(1) Antt. III, vui, y.

(2) Antt. XIII, X, 7 ; cf. Bell. Jud. I, n, 8.

(3) Antt. XIH, X, 3; cf. Test. Levi 18, G et le commentaire de Charles in h. 1., p. 64.
Le même récit se trouve dans le Talmud, Sola jér. 24'', bab. 33% et dans le Midrasch
Rabba sur le Cantique des Cant. 8, 7. — Josf:PHE rapporte aussi que parmi les Esséniens
plusieurs se faisaient fort de prévoir l'avenir à force de s'exercer par l'étude des Livres
«

Saints, les purifications variées et les paroles des prophètes », et il ajoute qu ils se
trompaient rarement dans leurs prédictions [Bell. Jud. II, vm, 12). 11 cite trois exemples
de prédictions esséniennes réalisées Antt. XIII, xii (= Bell. Jud. I, m, 5); Antt. XV,
:

X, 5 ib. XVII, XIII. 3 (= Bell. Jud. II, vn, 3).


;

Josèphe lui-même prétend avoir été
prophète à certains moments de sa vie, Bell. Jud. III, vm, 9.
(4) Aussi les faux Messies ont-ils soin de se présenter comme prophètes. Theudas Trpo- :

yTJTT,; Y^fp ÉÀcyîv EÎvat [Antt. XX, v, 1); l'Égyptien Tipocpritri; sivai )iywv [Antt. XX, vm, 6).
:

(5) Pirqé Abolh 6, 2 ':''lp~r\2. Des voix célestes sont mentionnées


:
Jub. 17, 15; Hén.

65, 4; Test. Levi 18, 6; T. Juda 24, 2; Apoc. syr. Har. 13. 1; 22, 1. Une baraitha
déclare, Sota 48'^ « Depuis la mort d'Aggée, de Zacharie et de Malachie, le saint Fsprit
:

fut enlevé aux Israélites, et à sa place vint la Balh Qol ». Ce furent donc là les derniers
prophètes. —
Sur la Balh Qol, cf. F. "Weber, Judisclie Théologie, 2" éd., Leipzig 1897,
p. 194 s.; G. Dalm.vn, Die Worte Jesu, 1898, p. 167 s.
482 REVUK BIBLIQUE.

Dieu ayant cessé de s'entretenir avec les Juifs, ceux-ci s'attachèrent


avec d'autant plus d'ardeur à la révélation déjà faite. Pour Israël,
la Loi écrite était la seule source qui contînt la parole révélée (1).
Mais il était inévitable que les décisions des docteurs de la Loi ne
vinssent tôt ou tard se placer à coté de l'Écriture. Eu comparant les
prescriptions des Jubilés et des Testaments avec celles du Penta-
teuque. il est facile de voir combien l'enseignement oral avait déjà
précisé et développé la Thora, et combien on attachait d'importance
à ces additions. A l'époque de J.-C, la loi orale se juxtapose ouver-
tement à la Loi écrite. « Combien avez-vous de lois? » demanda un
païen à Schammai. « Deux, répondit le docteur, la loi écrite et la loi
orale ". k répliqua l'étranger, j'y croirai, mais non à
La loi écrite,
la loi orale ». A
mots Schammai le renvoya. Le païen se présenta
ces
à Hillcl, qui le reçut conmie prosélyte. Toutefois, en lui montrant
qu'il ne pouvait même pas apprendre l'alphabet sans la tradition, le
rabbi le détermina à accepter aussi la loi orale (b. Scliabbath, 31 ').
— Hillel lui-même dut le commencement de sa réputation à une déci-
sion importante, qu'il fit admettre en recourant à l'autorité de la
tradition. Il s'agissait de savoir s'il était permis d'immoler l'agneau
pascal le sabbat, quand la jiarasceve tombait en ce jour de la
semaine. La question troublait les écoles et divisait les docteurs. Hillel
ne parvint à faire prévaloir son opinion qu'après avoir pu invoquer
en sa faveur les grands noms de Schemaya et d'Abtalion (2).
On ne se contenta pas d'appuyer ces traditions sur l'autorité du
texte inspiré, on voulut encore les rattacher directement au Sinaï. Le
premier chapitre des Pirqc Aboth, qui -remonte vraisemblablement
au i'' siècle de notre ère, débute par ces paroles solennelles « Moïse :

reçut la Loi du- Sinaï (= de Dieu) et il la transmit (n"^u72 = par


tradition orale) à Josué, celui-ci aux Anciens, les Anciens aux
prophètes, les prophètes la transmirent aux hommes de la grande
(1) On pourrait être tenté de rapprocher le Judaïsme de l'Église calliolique et croire que
le premier possédait, comme la seconde, une Iradilion dogmatique. — .Mais, ce faisant,
on oublierait cpui le .ludaïsme ne constituait point une Kglise : il n'y avait pas d'aulorilé
qui pût intervenir pour iiii|toser de tous. Les rabbins le
des décisions à l'acceptation
senlaieni si bien que leur grande préoccupation élail de rattacher à la Loi ccrile. par un
(il |dus ou moins arlilic ici, les nouvelles coutumes et les nouveaux enseignements. Il
n'existait même pas d'evjinssion technique |)(>ur caractériser la Tradition par opposition
A l'Écriture. « Tous les termes employés pour désigner la Iradilion, se réfèrent à la Loi.
I.e nom de michnn signifie répétition de la Loi; celui de Tnimnd vient de renseignement
du livre; celui de agada fait allusion à ce que l'Kcrilure suggère; midrach signifie la

recherche exégétique elle-même > (La»;iia>(;e, I.v Messianisme chez les Juifs, p. lil).
{'.l) R. Prsnchim 66". — Piiii.on. après avoir énurnéré certaines prescriptions de la Tiiora,

ajoute : [lypîa ôè àX>.a âni toûtoi;, ciaa xat ÈTtî àypâçwv àOwv xai voiii'tJiwv (M. Il <•''': fragm.
ap. Ki.>Kii., Praep. ev. VIII, vu, 6; cf. Leg. ad Caj. 115, M. Il 562).
MÉLANGES. 483

synagogue », et l'énumération continue ainsi jusqu'à Rabban Simon


ben Gamaliel (1). Les décisions des docteurs sont donc revêtues de
l'autorité même de Dieu. Ilion d'étonnant qu'on leur ait donné une
force obligatoire aussi grande qu'à
(2), qu'on les mit la Loi écrite
même au-dessus d'elle [S). Jésus dut souvent combattre ces inter-
prétations étroites, qui menaçaient d'étouffer l'esprit de la Loi sous
un formalisme mesquin (Mt. 15, 2-6; 3Ic. 7, 3-13). Toutefois, ces
soi-disant traditions n'étaient pas acceptées de tous les Juifs; tandis
que les Pharisiens s'en constituaient les ardents défenseurs, les Sad-
ducéens les rejetaient et s'en tenaient uniquement à l'Écriture (4)..
Malgré l'importance de jour en jour croissante de l'enseignement
oral, c'est autour de la Loi écrite que gravitait le Judaïsme contem-
porain de J.-C. : c'est d'elle qu'il s'enorgueillissait et qu'il tirait
toutes ses croyances religieuses, c'est elle qui était la base de toutes
les discussions. La religion des Juifs de cette époque peut être quali-
fiée dans toute la force du terme de nomisme. Quand ils parlent de la

Loi, ils ne trouvent point d'expression assez forte pour en dépeindre


les qualités. Elle est « la Loi » par excellence (5), la Loi du Sei-
g-neur (G), la Loi de Dieu i"), la Loi du Très-Haut (8). Elle tire son

(1} Cf. aussi dans la Mischna, Pea II, 6; Eduj. VIII, 7; Jad. JV, 3 une halakha : <(

donnée à Moïse au Sinaï ».


(2) Quelques exemples sufllront à le montrer. La loi mosaïque interdisait le travail le
jour du sabbat. Ce repos sabbatique devint l'objet dune minutieuse réglementation au :

début de l'insurrection des Macbabées, les Juifs préférèrent se laisser massacrer plutôt que
de tirer l'épée (I Mach. 2, 34-38); les Romains se virent linalement obligés de renvoyer
de leurs armées les contingents juifs (Josi;pnE, Antt. XIV, x, 11-19), qui avaient cependant
autrefois glorieusement servi sous les étendards de l'Egypte et de Rome. Il était défendu
de s'éloigner, le jour du sabbat, de plus de "i.OOO coudées de sa demeure (cf. Act. 1, 12).
11 était pareillement interdit d'arracher quelques épis (Philon, De vita Mos. Il 22, M. Il

137; cf. Mt. 12. 1 s.), car c'était là une sorte de moisson. On avait même prohibé d'ac-
corder aux malades les secours de la médecine (cf Luc 6, G-10; 13, 10-17; 14, t-6 etc.).
(3) Cette tendance s'accentua particulièrement à partir du i" siècle (cf. WcnER, op. cit.,
p. 106-108).
(4) JoikviiE, Antt. XIII, x, 6 : Jean Hyrcan « abrogea los coutumes imposées au peuple par
les Pharisiens et punit ceux qui les observaient. Les Pharisiens avaient enseigné au peuple
beaucoup de pratiques qu'ils tenaient de la tradition deJ pères (vôixiixâ iiva na.piooaa.w xû
oiQfxio 0'. <l>apicraîoi èx îiaTspwv o:aoo'/rj:), mais qui n'étaient pas inscrites dans les lois de Moïse,
et que, |>our ce motif, les Sadducéens rejetaient disant qu'il ne fallait considérer comme lois

que ce qui élail écrit et qu'on ne devait point observer ce qui venait de la tradition des pères
(âxEÏva Stïv rjycïcOa'. vojiijxa rà yzYÇiH\L\}.i'jyi, xà S' iv. Trapaoôaswç Tôiv TiaTiptov [ir, TTipeïvJ ».

Cf. XIII, XVI, 2 : xaxà Tr,v ita-pwav Tiapciôoatv ; X, IV, 1 : r) xwv jrpssê-jTspwv Trapâoocii;.

(.5) I Mach. 1. 49. 52. 56 S. ; III Esdr. 5, 51; 9, 40-46; Test. Levi 13, 4; 14, 4; 16, 2;
Nepht. 8. 7 ; Aser 2, 6.

Y.) III E^dr. 8, 7-12. 90; 9,48; Test. Levi 9, 6; 13, 3; 19, 1 s. ;Rub.6, 8; .Tud. 26, 1, etc.
Mach. 6,
(7) II 1 ; III Mach. 7, 10. 12; III Esdr. 8, 21-24 ; Test. Levi 13, 2; Rub. 3, 8;
Jud. 18, 3, etc.
(8j Sib. III, 719; III Esdr. 8, 19; Tisl. Gad 3, 1.
484 REVUE BIBLIQUE.

origioe du ciel, car Dieu lui-m(''nie la donna à Moïse sur le Sinai (1 .

Elle est UQC révélation si parfaite de l'intelligence divine, et de-


vient pour l'homme la source de tant de biens, que l'auteur de
rEcclêsiastique l'identifie avec la Sagesse. Après avoir montré la
Sagesse « sortant de la bouche du Très-Haut » et décrit ses merveil-
leux; bienfaits, il ajoute :

Tout ceki. c'est le livre de l'alliance du Dieu Très-Haut,


La Loi que Moïse légua en hiM'itage aux assemblées de Jacob.
Elle déborde, comme le Phison, de sagesse,
Et comme le Tigre, à l'époque des fruits nouveaux-,
Elle répand l'intelligence à flots, comme l'Euphrate,
Et comme le Jourdain, au temps de la moisson ;

Elle déverse, comme le \i\. riiistruction,

Et comme le Gibon, aux jours de la vendange (Eccli. 24, 23-27).

Elle est un principe de vie, car « celui qui garde la Loi, con-
serve sa vie >• (Eccli. hébr. 32
36 2i cf. 45;'">; 17, 9); et Hillel , ;

disait « Beaucoup de chair, beaucoup de vers; beaucoup de tré-


:

sors, beaucoup de soucis; mais beaucoup de thora, beaucoup de vie;


si tu as fait l'acquisition des paroles de la thora, tu t'es acquis la vie
du monde à venir » (2). La Loi s'oppose aux œuvres de Béliar, comme
la lumière aux ténèbres (Test. Levi 19, J cf. Nepht. 2, Oj, et il n'y a
;

rien de comparable à « la lumière de la Loi, qui a été donnée pour


éclairer les hommes » (Test. Levi 14, 't; cf. Sap. 18, V). Venant
de Dieu (3), elle est sainte {'*), divine (5), pleine de sagesse et sans
défaut (Arist. 31), digne de vénération (Arist. 31, 313). Elle était
déjà écrite sur les « tablettes célestes » (G), avant qu'elle fût remise
au législateur d'Israël; ses paroles sont les])aroles mêmes de Dieu (7),
et elle demeurera éternellement (8).

Elle est la source inépuisable de toute science et de toute sagesse.

(1) Sib. III, 252-260; cf. Eccli. 45, 17; Arist. 15.— Elle est appelée f.oi de Moisr :

III Esdr. 8, .3; 9, -W; Test. Zab. 3, 4; - Livre de Moïse : 111 Esdr. 7, fi. 9; 5, 4;»; cf.

Tob. 1, 8; 6, 13; 7, 12 s.; Ass. .Mos. 1, Ifi s.; 10, 11 ; 11, 1.

(2) Pirqé Aboth II 7; cf. aussi le bel élo^e de la Loi, lait par Nicolas de Damas, l'historio-
graphe dllérodf (.losKi'iii;, Antt. .\V1, ii, •4).
(3)11 Mach. 6, 23; Arist. .'M.S; IV Mach. 5, 2.-..

(4) II Macb. 6, 23; Arist. 45. 171 III Sib. : 27fi. 284. fiOO. 7(18.

'5) Arist. .31; IV Mach. 5, 18; 6, 21 ; 11, 27; 17, 10.


9, 15;
f); Jub. 3, 10. 31; 4, :>. .i2; 5, 13; 6, 29. 35: 16, 9, etc. : lien. 93. • 106, l'.i;

Test. Levi 5, 4; Aser 2, 10; 7, 5 (quelques manuscrits).


(7) Arist. 177: Te»l. Jos. 4. 4: Ilén. 104. 9: cf. Ass. Mos. 1, 10 s.; Josèi'iii:. C. \p.
I, 8, Oeoj «îoyixara.
(8) Sap. 18, 4 ; Ilén. 99, 2.
MELANGES. 485

C'est d'elle ([u'émaiient les moilleiircs doctrines des philosophes et


des portes païens. .V (1 1, les plus grands hommes
entendre Aristobule
de la Grèce, Pythagore, Socrate, Platon, Orphée, Hésiode et Homère
lui-même, lurent les tributaires, ou pour mieux dire, les plagiaires
de Moïse. Artapan fait de Moïse le père de la civilisation égyptienne (2;.
Philou marche dans la même voie Socrate est le disciple de Moïse (3), :

Heraclite lui emprunte ses doctrines (4-), même certaines parties de


la morale stoïcienne en dérivent (5), et des législateurs grecs, en fixant
les devoirs des juges, ont a transcrit les très saintes tables de Moïse » (6 .

Dans ces conditions, les Juifs hellénistes avaient beau jeu avec la
philosophie grecque. En s'appropriant ce qu'elle contenait de meil-
leur, les apologistes d'Israël ne faisaient que rentrer dans leur bien,
et il leur était ainsi facile de montrer l'incomparable supériorité du
Judaïsme.
Ces prétentions exorbitantes se heurtaient pourtant aune redoutable
objection. Si tous les grands génies de la Grèce ont puisé leur science
dans la Thora, pourquoi aucun d'eux ne l'a-t-il citée d'une manière
explicite? — L'auteur de la Lettre d'.Vristée se préoccupe de résoudre
le problème. On s'est abstenu de citer la Loi, par respect pour
dit-il,

ces paroles sacrées et vénérables; quelques-uns, comme Théopompe


et Théodecte (auteurs grecs du iv" siècle av. J.-C. ), voulurent le faire,
mais cette sorte de profanation fut providentiellement empêchée
(Arist. 31. 312-316 .

(1) Ap. Elseb., Praep. ev. XIII, xu. — On ne sait ce qu'il faut penser au juste d'un
témoignage de Cléarqle de Sou, philosophe grec du rv"m" siècle av. J.-C, d'après
et
le([uel Aristole se serait rencontré avec un Juif qui communiqua une partie de sa
lui

sagesse (Josèphe, C. Ap. I 22, ct\JI 16; Reinacit, Textes d'auteurs grecs et romains relatifs
au Judaïsme. Paris, 1895, p. 10 ss.). — Herjuppe Callimaque de Smyrne, philosophe péri-
patélicien du m' siècle av. J.-C, aurait aussi allirmé que « la philosophie introduite en

Grèc€ par Pythagore, fut empruntée par lui aux Juifs » (cf. Reinacii, p. 40; Joséphe,
C. Ap. I, 22: cf. Il, 41 et Antf. IV, viii, 49). — On est bien enclin à croire qu'il s'agit
dans les deux cas d'interpolations juives.

(2) Ap. ErsER., Praep. ev. II, xxvii.

^3) Quaest. in Gen. II g 6 : « Socrates... a Moysc cdoclus... »

(4) Lpg. ail. I 108, M. I 65. Cf. Quaest. in (ien. III i^ 5 : « Heraclitus libros ronscripsit
de nalura, a thcologo nostro mutuatus senlentias de contrariis ». Quis rer. div. liaer. 214.
M. I 503 : « N'est-ce pas là la doctrine dont se glorifie, comme d'une trouvaille, le grand et

célèlire Heraclite et qu'il plaça à la base de sa philosophie'? Or, c'est une véritable décou-
verte de Moïse... » Quaest. in Gen. IV g 152 : « Heraclitus, furlim a Moyse dempla lege et

sentenlia, dixit... »
(5) Quaest. in Gen. IV g 167 : « Nonnulli juniorum novissimorumque ab ipso Moyse
tamquam a fonte acceptantes sententiam... » Quod omnis probus liber 57, M. II 454
;
:

« Zenon semble avoir puisé cette doctrine, comme à sa source, à la législation des Juifs ».
Cf. De mutât, nom. 167 s., M. I 603.
(6) De spec. leg. IV 61, M. II 345,
486 REVUK BIBLIQUE.

Ce qui vient d'être dit sur la Loi écrite, s'applique en général seu-
lement au Pentateuque, la partie la plus sainte et la plus considérée
de la Bible. On aurait tort d'en conclure que d'autres livres n'aient
point été pareillement regardés comme divins.
Le livre de Y Ecclésiastique suit de très près les anciens écrits
bibliques, dans l'éloge qu'il consacre aux ancêtres d'Israël (c. 44-49).
il fait allusion Thora (44-45), à Josué (46, 1-10), aux Juges
à la

(46, 11-12), aux livres de Samuel (46. 13-47, 11 aux livres des Rois 1,

(47, 12-^9, Tj,aux Paralipomènes (47, 8-iO), aux psaumes de David


(47, 8, 10), très probablement au Cantique des Cantiques et aux Pro-
verbes (44, 5; 47, 17), peut-être aussi à l'Ecclésiaste (47, 17) au — ,

Livre d'Isaïe, spécialement à la dernière partie 48, 22-25), à Jérémie i

(49, 7; — 49, 6 = les Lamentations?;, à Ézéchiel (49, 8), à Job


aux douze
i49, 9 hébr.), et petits prophètes (^49, 10). Enfin 49, ll-l;i
semblent présupposer les li<Tes d'Esdras et de Néhémie; toutefois
Nébémie seul est nommé. — L'auteur de l'Ecclésiastique connaît donc
la Loi, les prophètes et la plupart des hagiographes protocanoniques;
tous ces livres lui étaient familiers, comme le montrent les nom-
breuses réminiscences qu on a relevées dans son œuvre Il ne (1).
faitmention ni de Daniel ni d'Estlier, et il n'y a aucune allusion
certaine aux deutérocanoniques (2).
Le petit-fils du Siracide nous apprend, dans son prologue, que « la

(1) Andr. Ehekiiaktek, Der Kanon des Allen Teslamenls zur Zeil des Ben Sira, auf

Grund der Bezieliungen des Sirachbuclies zu den Schriflen des A. T. darcjeslelll -

(= Allteslamenll. Abh., herausg. von ISikel, 111 Bd. 3 Heft), Munster, 1911, conclut son
enqu«He par ces mots : « Le Siracide n'élail pas seulement familiarisé avec la lillérature de
l'A. T., mais dans la composition de son livre il a utilisé abondamment les écrits de ses
prédécesseurs. On ne peut douter qu'il n'ait utilisé les cinq livres de Moïse, les Prophètes
antérieurs [— Josué, Jufjes, les deux livres' de Samuel, les deux livres des Ilois), les Pro-
phètes postéiieurs : Isa'ie, Jérémie, Ézéchiel, et les Hagiographes : lesPsaumes, les Pro-
verbes, Job. les Lamentations, l'Ecclésiaste, Esdras, Néhémie et les deux livres des Para-
lipomènes... L'utilisation des douze Petits Prophètes peut être dillicilemenl contestée... Il

est j)lus malaisé de répondre a la question si le Siracide a pareillement connu et utilisé le

Cantique, Esthcr et Daniel... Il n'y a aucune référence au livre de Ruih... Pour ce qui
regarde les deulérocanonifjues, le Siracide a pu avoir sous les yeux Tobie et la Sagesse,
[>eut-ètre aussi Itaruch >>
(p. Wi s.; cf. aussi p. 77).
(2j On appelle livres protocanoniques de l'A. T. les livres qui
otil toujours tu un carac-

tère sacré aux yeux des Juifs.Ce sont ceux (|ui figurent dans nos lUbles hébraïques.
Les deutérocanoniques .sont ceux dont le caractère sacré ne fut déliuilivement admis
i|ue par une fraction du juilaïsme et ne se lisent que dans les Septante. Ce sont Tobie,
Judith, la Sagesse, l'Ecclésiastiiiuc, Bariich avec l'Epitre de Jérémie, les deux livres des
Machabées, et les fragments deutérocanoni(|ucs, c'est-à-dire les additions au livre d'Eslher
(10, 'é-16, 2i), la prière d'.\/arias et le canlic|uc des trois enfants dans la fournaise

(Daniel 3, 24-'J()J, ainsi que de Susanne (Dan. 13) et l'histoire de Bel et du


l'histoire
Dragon Dan. 14 . — C'est Sixte de Sienne qui semble s'être servi le premier des mots
protocfiiionu/Hes et deulérocnnoniqurs.
MELANGES. 487

Loi, les prophètes, et les autres livres » avaient déjà été traduils en
grec à sou époque. Mais il est impossible de connaître l'étendue de
ces « autres livres » (1).
Le second Machabrcs 2, 13-15) fournit d'autres indica-
livre des
tions : fonda une bibliothèque où il réunit les livres
« Néhéniie, dit-il,

concernant les rois et les prophètes et les écrits de David, et les lettres
des rois au sujet des dons sacrés » de môme Judas Machabée « recueil- ;

lit tout ce qui avait été égaré pendant la guerre ». Dans ce passage,

il est à tout le moins question des livres des Rois (« Prophètes anté-

rieurs »), des « Prophètes postérieurs » et des Psaumes de David. Mais


ces archives nationales contenaient aussi des documents profanes-, car
il est impossible de voir dans « les lettres des rois au sujet des offran-
des au Temple
» faites (èTuiaxoXàç jSaaiXswv r.tçii àva6s;xaTa)v) l'équivalent
d'Esdras-Néhémie (2). — D'après le même auteur, Judas encouragea
les siens au combat <( en citant la loi et les prophètes » (II Mach. 15,
9; cf. IV Mach. 18, 10; Test. Levi 16, 2). Jonathas, frère de Judas,
parle en général des « saints livres » [-y. gioXia y.-;ix] qui sont aux -.y.

mains des Juifs et qui sont leur meilleure consolation (l Mach. 12, 9;
cf. II Mach. 8, 23 Izzy. {ùiiXoz). On les groupait donc sous une dési-
r^

gnation commune (3 .

La division la plus habituellement mentionnée dans le Nouveau


Testament est « la Loi et les Prophètes » i). La prédominance de
cette formule s'explique si l'on songe que les réunions synagogales
commençaient par la lecture de la Loi et se terminaient, du moins à
l'époque de J.-C, par .une autre, tirée des Prophètes (cf. Le. 4, 17;
Act. 13, 15) (5). On ne sait si, en dehors des Psaumes et du livre
d'Esther dont on faisait la lecture à la fête des Purim, quelque autre
hagiographe était alors lu aux offices de la synagogue (6). — Une

(1) L'appellation par laquelle cette troisième catégorie de livres est désignée, est très
vague : 6 v6[j.oi; xal o\ :rpo9f|Xat xai Ta âW.a ta xar' a-jxo'j; ï)xo)vOu6yixÔTa, —ô vô(jio; xai ol
TipocpriTai xal là aX/.a Tri-pia ptoXia, — tûv ptSXi'wv.
6 v6(jlo: y.al aï Tipoç-ziTsTat xai xà ),&i7ià

(2) La correction proposée par Riessler [l'eber Nehemias und Esdras, dans la Bihlische
Zeitsclirift, 1904, p. 27,, d'ai)rès laquelle il faudrait lire « livres du roi Salomon » au lieu
de « lettres des rois au sujet des dons sacrés » ("îiSw "I^D "ilSD, au lieu de "i^SD
D^D'^UT "iD^D) est une conjecture sans fondement.
(3) Ailleurs on trouve les expressions ti fi{6Xo; (Arist. 31G), pi6Xoç ôia6r,xr); (Eccli. 24,
:
23),
PiêXîov ôta6/,x-/i; (I Mach. 1, 57), xà piêXi'a xoO vô[xo'j 'I Mach. 1, 56), r, ypaçr, (= l'Écriture,
Arist. 168); mais dans tous ces passages il n'est question que du Pentateuque.

(4) Mt. 5, 17; 7, 12: 11, 13; 22. 40; Le. 16, 16. 29. 31; 24, 27; Jo. 1, 46; Act. 13,
15. 27; 24, 14: 28, 23; Rom. 3, 21.
(5) Il semble bien d'ailleurs que par cette expression on ait désigné parfois toute l'Écri-
ture. Cf. Mt. 11, 13.

(6) Cf. ScHiiRER, GeschicMe des jiidisc/ien Volkes, vol. II, p. 534, n. 127.
488 REVUE BIBLIQUE.

seule fois, on trouve dans le N. T. l'expression « Moïse, les prophètes


elles psaumes » (Le. 24, i'i.). L'adjonction des psaumes à la formule
habituelle est naturelle dans ce passage où il s'agit des prophéties
relatives à N.-S.
Le Nouveau Testament cite tous les livres de la Bible hébraïque, à
l'exception d'Esther, de rEcclésiaste. du Cantique, d'Esdras-Néhémie,
d'Abdias et de Nahum (1). Il n'y a aucune citation expresse des deu-
térocanoniques. On peut cei)endant relever des allusions à lEcclésias-
tique, à la Sagesse, au deuxième livre des Machabées, et peut-être
aussi à Judith. — Du
fait cfue certains écrits ne sont pas mentionnés,

on ne saurait évidemment pas conclure qu'on ne les considérait pas


comme canoniques. Les Apôtres se servaient couramment de la
Jîible des Septante, et l'on peut voir dans ce fait une preuve sufli-

sante de l'autorité accordée même aux livres qu'ils n'ont pas eu l'oc-

casion de citer.

Philon utilise surtout le Pentateuque. Il nefait aucun emprunt aux

deutérocanoniques, ni même à un certain nombre de livres protoca-


noniques, comme les cinq Meghilloth (Cantique des cantiques, Uuth,
Lamentations, Ecclésiaste, Esther), Ézéchiel, Daniel. En décrivant la
vie des Thérapeutes d'Egypte, il mentionne « les lois, les oracles
rendus par les prophètes, les hymnes et d'autres écrits utiles à la
science et à la piété ". Ces livres étaient le seul ornement du petit
sanctuaire que chaque ascète possédait, et formaient de leur part
d'une étude attentive [De vita contemplativa 25, M. Il 4.75).
l'objet
Le quatrième livre des Machabi'rs (18, 10-19) nous permet de voir
quels étaient les livres le plus fréquemment lus par le peuple.
(' Tandis qu'il était encore avec nous, dit la mère des sept martyrs
en parlant de son époux, il avait l'habitude de nous enseigner la
loi et les prophètes. Il aimait à nous lire le meurtre d'Abel par
Caïn, le sacrifice d'Isaac et (Thistoire de) .loscph en prison. Il nous
parlait du zèle de Phinéès et nous instruisait au sujet d'Ananie,
d'Azarie et de iMisacl dans la fournaise, il louait et glorifiait Daniel
dans la fosse aux lions. Il nous incuhjuait le passage (ty;v -/pat/iv) d'I-

saïe qui dit : " Lallamme ne t'embiasern point ))(*2); il nous faisait

(1; Quelques iiiiteurs (p. e\. Aiciii-it. o/>. ni., \\. '.». ii. :>., après IliiiiN, Die mrssianischen
Weissafiungcn, Freiburg i. 15.. 1H9"J, II, p. '278) ajoutent encore à cette liste : Josué. les
.listes, le 11" I. des Rois. Jonas, Sopfionie. lUilh, les Lamentations, les deux livres des
l'aralipoincnes. Mais tout dépend du concept plus ou moins ('Iroil (|u'on se fait de la
(i citation •. Cf. NN . Dittmau. Trsiami'iilvm in .\ovo
Vrtus Pie nllteslnmcndic/ien —
Parritleli-n dis A'. T. im Worllnut dcr l'rtcxle und der ScptuiujinUt zusatnmenge-
Ktellt, tli.llinKcn, lOOJ. p. 28b-My>..
(2, Isaïe 43, '2.
MELANGES. 480

entendre le chant de Thymnographe Daniel qui déclare : « Nom-


breuses sont les tribulations des justes » (,l);il nous citait ce pro-
verbe de Salomon : « Us possèdent l'arbre de vie ceux qui accom-
plissent sa volonté » (2); il expliquait ce texte d'Ézécbiel : « Ces
ossements desséchés pourront-il revivre? -*
(3), car il n'ignorait pas
l'enseignement que Moïse donne dans son cantique : <• C'est moi qui
ferai mourir, et c'est moi qui ferai vivre » (4).
La première énumération expresse des livres canoniques se trouve
dans Josèphe (C. Ap. I, 8). Chez nous, dit l'historien, il existe seule-
ment vingt-deux livres qui méritent à juste titre notre confiance. Il y
en a cinq de Moïse. Après la mort de Moïse jusqu'au règne d'Ar-
taxerxès, les prophètes racontèrent en treize livres les faits qui se
passèrent de leur temps. Les quatre autres livres contiennent des
hymnes en l'honneur de Dieu, et des préceptes très utiles pour la
conduite de l'homme ». En dehors de ces vingt-deux, il y en a encore
d'autres, mais « ils ne jouissent pas de la même considération, parce
que la succession des prophètes n'était point clairement établie ». —
On est généralement d'accord à répartir ainsi les vingt-deux livres :

a) les cinq livres de Moïse.


h) les treize livres des prophètes =
Josué; Juges-Ruth; I, II Sam. ;

I, II Reg". I, II Chron.; Esdras-Néhémie


; les douze petits prophètes: ;

Isaïe; Jérémie-Lamentations; Ézéchiel; Daniel: .lob; Esther.

c) les quatre hagiographes =


Psaumes; Proverbes; Ecclésiaste;
Cantique
De cette manière, on obtient t<uis les livres protocanoniques. Il est
inutile de faire remarquer que pareille classification est purement
artificielle on voulait avoir un nombre de livres saints égal à ce-
:

lui des lettres de l'alphabet hébfeu (5). Le quatrième livre d'Es-

(i; Psaume 34 (33), 20.


(2) Proverbes 3, 1<S.

(3) Ézéchiel 37, 3.

(4) Deut. 32, 39: 30. 20.


(5) Le groupement en 22 livres « d après le nombre des leUres de l'alphabet hébreu »,
se trouvait, d'après Charles, déjà dans le livre des Jubilés (2, 23). — 11 est explicite-
ment aCBrrné par S. Athvnase [Ep. fest. 39: P. G. 26, 1176, cf. I'i36), S. Épipha.xe qui
note qu'en réalité ces livres sont au nombre de 27 [De mens,
P. G. 43, et pond. 4,

244 s.: ib. 22 s.; Adv. haer. 8, «, P. G. 41, 213: ib. 76 Aetii c. 5, P. G.
43, 277 s.;

42, 560), S. HiLAiRE {Prol. in libr. Psalm., P. L. 9, 241), S. Gré(;oike de Nazianze


[Carm. I, xu, 5 ss., P. G. 37, 473), S. .Jérôme [Prol. Gai., P. L. 28, 550 s.). S. Isidore
DE SÉviLLE {Etyniol. XVI, xvvi, 10, P. L. 82, 5ift), —
11 est présupposé par les auteurs qui

énumèrent les 22 livres du canon hébreu Méliton de Sardes (ap. Eiseb. B. E. IV,
:

xxM, 14, P. G. 20, 3960; la liste actuelle n'en contient cependant que 21, Esther étant
omis), ORiGiiNE [EJLpos. in Psalm. 1. P. G. 12, 1084; ap. EusEit. //. E. VI, xxv, 2, P.
G. 20, 580 s.), S. Cyrille de Jérls.alem (Catcch. IV, 33, P. G. 33, 496-500), les Canons
490 REVUE BIBLIQUE.

dras (14, Va syr., arab. Evv, et fragin. syroarab.) donne comme


total le chitfre de vingt-quatre (1). — Les « autres écrits » auxquels
Josèpbe fait allusion, on les
sont évidemment les deutérocanoniques :

a en grande estime, mais on n'ose pas leur reconnaître une origine


divine (2).
Ce dernier point soulève la discussion relative au « canon palesti-
nien » et au « canon alexandrin ». Il faudrait de longues pages pour
discuter la question en détail. Nous nous l^ornerons cà un certain nombre
de constatations.
On ne voit pas qu'une décision officielle de la part de l'autorité
juive soit intervenue pour déclarer close la série des livres inspirés,

DE Laodicée (can. 60, P. L. 56, 721), S. Amchilo^ue Ad Seleuc, ap. Gkeg. Naz., Carm.
II, 7, P. G. 37, 1593), Rui'iN {Comment, in symb. 36, P. L. 21, 373).

(\) chiffre de "H (les .Juges et Ruth, Jérémie et les Lamentations sont regardés
Le
comme des livres distincts) semble avoir été plus commun parmi les .Tuifs. Dans son
Prolof/us Galeatus, S. .Jérôme dit qu' « un certain nombre de personnes » comptent 24
livres de l'Ancien Testament [P. L. 28, .554). Dans sa Préface à Daniel il déclare sans
restriction que chez les .Juifs l'I-'criture se divise en trois parties la Loi qui comprend :

cin(/ livres, les Prophètes qui en forment huit, et les Mafiiographes qui sont au nombre
de onze {P. L. 28, 1294). Total vingl-quatre. —
C'est le cbiilre qu'on rericonire liabituel-

lement dans la littérature rabbini(iue b. Baba Balhra 14''-15'': 0. Taaiiitli 8^; Sche-
:

rnoth rab.iii; Midrasch Ko/ieletfi in Koh. 12, 11 et 12. Le Canon Mommsenianus —


compte pareillement 24 livres de l'A. T. Mais pour arriver à ce chiffre il a recours à des
l)rocédés très spéciaux. Voir aussi S. Hilaire, loc. cit. : «Quibusdam aulem vision est
additis Tobia et Judith 2^ libres sccundum numerum Graecarum litterarum connu-
mer are. »

(2)Sur le canon de Josèphe on peut consulter W. Fei.l, Der Bibclhanon des Flavius
Jo.sr/j//, dans la Biblische Zeitschrift, 1909, p. 1-16. 113-122. 235-244. Sur le canon —
des .Juifs en général J. FiiRsi, Der Kanon des A. T. nach den Ucberliefcrungen in
:

Talmud und Midrasch, Leipzig, 1868. —


R. Coknely, Introductio in U. T. libros
sacros, vol. 1, Paris, 1885, p. 39-58. —
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arliclrs sur le Canon de lA. T. dans les Diclionnaires de Vigouroux, ("heyne, liaslings,
de la Je«ish Encyclopaedia, cl toutes les Introduelinns générales à l'A. T.
MÉLANGES. 491

soit en Palcstiae, soit dans la diaspora. Aucun décret de la synagogue


n'exclut les livres deutérocanoniques du nombre des rouleaux sacrés,
aucun ne les déclara divins. A leur égard on était dans le doute, car
la succession des prophètes à mandat ofticiel paraissait interrompue,
et les chefs du peuple ne se sentaient évidemment pas l'autorité suffi
santé pour trancher la question. Cependant on ne les confondait pas
avec les livres profanes.
Il n'y a aucune trace de discussion, entre les communautés pales-
tiniennes et celles de la diaspora, au sujet du nombre des écrits ins-
pirés. Les colonies juives de l'empire étaient en rapports fréquents et
amicaux avec la métropole. A Jérusalem même existaient des syna-
g'ogues hellénistiques (Act. 6, >.

Les Juifs de Palestine avaient coutume de lire les livres saints dans
la lang-ue nationale. Les Pharisiens étaient gens à conceptions étroites
et mesquines ils étaient surtout fort attachés aux traditions anciennes.
;

Ils n'avaient guère de sympathie pour la dynastie asmonéenne et


pour les productions de cette époque. Il ne faut donc pas s'étonner
que les Palestiniens aient été instinctivement portés à n'accorder
d'autorité pleine et entière qu'aux livres anciens, composés en hébreu,
tout à fait conformes pour leurs tendances à la Thora, norme su-
prême. Les choses allèrent si loin qu'un instant on se demandait
même s'il ne fallait pas « cacher », c'est-à-dire bannir de l'usage
officiel, un certain nombre de livres protocanoniques. sous les pré-

textes les plus futiles. Les écrits rabbiniques ont conservé le souvenir
de discussions fort anciennes sur la canonicité des Proverbes (1), du
Cantique (2), de l'Ecclésiaste (3), d'Esther (i) et d'Ézéchiel (5). L'auto-
rité du Cantique et de l'Ecclésiaste
était pfirticulièrement menacée.
— Si donc on en Palestine à révoquer en doute le
n'hésitait pas
caractère sacré de livres depuis longtemps admis aux honneurs de la
lecture publique, personne ne trouvera étrange que les rabbins ne
se soient point empressés de reconnaître une autorité canonique à
des livres de date relativement récente, qui ne prenaient point garde
à leur casuistique subtile et formaliste, et dont plusieurs étaient

(1) Aboth de R. Nathan, c.Schabbath 30''.


1 ;

(2) Aboth, ib.; Jadaim 111,Schabbath 30*.


5;
(3) Schabbath
30"'': Meghilla 1^-. Vayikra rab.
28; cf. Edujoth V, 3 et Jadaim IV, 6.
Rabbi José, un contemporain de l'empereur Adrien, conteste encore la canonicité de
Kotiéletli.

(4) Meghilla 7"; Sanhédrin 100'.


(5) Menachoth ib"": Hagiga 13*; Scbabbath 13''. — Il faut donc accepter cïtm grano
salis ce que ditJoséphe du respect des Juifs pour les livres saints : « personne n'a osé
ni ajouter ni retrancher ni clianger quoi que ce soit » à ces livres (C. Ap. 1, 8).
REVUE BIBLIOIE 1916. — N. S., T. XIII. 32
492 REVUE BIBLIQUE.

rédicés en grec. —
Néanmoins on ne semble pas les avoir positive-
ment exclus du nombre des livres sacrés. Us jouissaient d'un certain
crédil ainsi, l'Ecclésiastique est plusieurs l'ois cité dans le Talmud
;

avec la formule d'introduction employée pour les seuls livres cano-


niques (1). Il existait des recensions araméennes de Tobie et de
Judith (2) ; Josèphe se sert, dans son ouvrage sur les Antiquités juives,
(le recension grecqne d'Esther [Antl. XI, vi) et du premier livre
la

des Machabées [Antl. XII, vi-XlII, vu): il semble ignorer complète-


ment les deux Sagesses, Judith et Tobie il avait pourtant protesté, :

à maintes reprises, ne vouloir utiliser pour cette histoire que les


« livres saints » des Juifs (3).
D'autre part, les Juifs d'Alexandrie parlaient grec et ne lisaient

la Bible que dans la traduction des Septante. Par suite de leur


contact avec la civilisation et la philosophie helléniques, ils avaient
l'esprit plus ouvert que leurs coreligionnaires de Palestine; ils

n'éprouvaient point le besoin de se figer dans un attachement stérile


et exclusif à des traditions méticuleuses. Ils n'avaient aucune répu-
gnance à admettre que la liste des prophètes put encore s'allon-
ger : la Bible grecque plaçait les prophètes après bon nond)re d'ha-
giographes et semblait ainsi ell'accr toute distinction essentielle
entre les uns et les autres. Pour les Alexandrins, en effet, tout auteur
inspiré est prophète (cf. plus loin p. 495 ss.), et Tinspiralion n'est
point uniquement un privilège du passé : la Sagesse continue à
se répandre « dans toutes les âmes saintes » et peut encore susciter

« des prophètes » {Sap. 7, 27; cf.prologue de rEcclésiastique).


le

La wSibylle juive et Philon se croient inspirés (i), Philon accorde


même don de prophétie à tout homme bon et sage (.5).
le On se —
montrait donc plus accueillant pour les nouvelles productions, et
on ne faisait point de difficulté de leur assigner une place h. côté
des livres sacrés. Aucun texte, il est vrai, n'afflrme explicitement

(1). Cf. Zu.Nz, Die fjollesdienatlichen Vortnuje der Judcn, Berlin, 1832, ]>. 100-105:
SciiiJREn, op. cil., vol. II, p. ;56".), noie 14; Box and Oestkiu.e^, dans CnAiti.ES, Apocryplia,
vol. I, [•. ?.97 s.

(2) Pour Tobie, cf. Simpson, dans Ciiaiii.es, op. cil,., \n\. I, |>. 17G-1H0. 1!I8. Tour Judidi,
cf. Cowt.EY, ib., p. 2i3-2'É7.

.i) Anlt.. Prooeiii. 3; .\, .\, fi; X.\, xi, 2; cf. C. Ap. I, 1. 10.— On ne saurail, il est vrai,

tirer de conclusion ferme de ces faits. .losèphe, qui n'a aucune réfi'rence ;\ .lob. au\
Proverbes, au Cantique, à IKcclésiasle, utilise .sans scrupule aucun le IIP livre d'Ksdras
tXl, m, 3), la lettre du Pseudo- Arislée (XII, ii), des niidrascliiiii juifs parliculiiToinenl
l>our lliistoire îles patriarches cl de .Moïse; voir aussi le roniau d'Alexandre, .M, viii] et

de noinbreu>es sources profanes.


Ci) Sib. m 162-160.295-302. W.>-i'.n ; Philon, De niii/r. Mir. .(4 s., .M. I i'it cf De c/ienib.
27, M. I 143.

(5) Quis rcr. div. haer. 258 ss., M. I 510; cf. Sib. IIl 582.
MÉLANGES. 493

qu'on Iciii' une valeur et une sainteté égales aux autres


ait attribué

écrits, Mais leur insertion au milieu do livres d'une cauonicité incon-


testée n'en est pas moins signilicative.
En résumé, au i''" siècle de notre ère, tous les livres protocano-
niques, malgré des objections soulevées contre quelques-uns, sont
considérés comme divins, en Palestine et dans la diaspora. Quant —
aux deutérocaiioniqucs, il parait bien qu à Alexandrie ou les ait
assimilés aux protocanoniques. En Palestine, par suite de principes
tout arbitraires, on se montre plus réservé; on hésite à leur recon-
naître une origine divine, parce qu'on ne croit pas avoir pour cela
les garanties suffisantes : depuis Malachie, la succession des pro-
phètes n'est pas clairement établie. On préfère donc laisser ces livres
hors du nombre des rouleaux sacrés. On les cite cependant et on
leur accorde une certaine estime. — Mais ni en Palestine ni à Alexan-
drie,il ne semiîle y avoir eu de canon officiellement fixé et défi-

nitivement arrêté soit par une tradition ferme, soit par une autorité
compétente (l).

L'Église chrétienne adopta, à l'exemple des apôtres (2), la Bible


grecque, sans y introduire aucune distinction de dignité, et par le
l'ait se prononça en faveur de la cauonicité des deutérocanoniques.

Quelles qu'aient été les opinions des Juifs sur le nombre de leurs
livres saints, une chose était certaine à leurs yeux c'est que ces :

écrits avaient une origine surnaturelle. Ce sont les « saints livres » (3),
les <c sajntes écritures » (4), les « oracles » (5), les « oracles di-

(1) A. EiîERHAKTER, op. cit., p. 5i-77, s'est efforcé de prouver que dans l'Ancien Tes-
tament aussi, et jusqu'à l'avènement de Notre-Seigneur, il existait un organe ollicielle-
ment chargé par Dieu de veiller au maintien de la doctrine révélée, en particulier
de se prononcer sur l'inspiration et la canonicité d'un livre. Cet organe ne serait autre
que le sacerdoce. —
Mais cette théorie ne peut s'appuyer sur aucun fait historique
et elle se heurte au témoignage positif de Josèphe [C. Ap. I, 8), qui, prêtre lui-même,
devait connaître les prérogatives du sacerdoce. Enfin, à l'époque que nous étudions,
le haut sacerdoce était gagné aux doctrines des Sadducéens qui niaient l'existence
des anges, l'immortalité de l'àme, la résurrection des corps, rejetaient la tradition
orale et considéraientThora comme seule loi obligatoire. Comment, dès lors, lui
la

reconnaître les attributions que lui décerne Eberh\rter?


(2) Saint Augustin, Epist. 82, ad Hieronymum, n.
-iô; P. L. 33, 291 « Quae etiam :

ab Apostolis approbata est >>.


II Mach. 8, 23: Test. Benj. 11, i: Philon, De decal.
(3) Saints livres : I Mach. 12, 9:
1, M. II 180; De vita Mos. II 188, M. H 163; —
Josèphe, Anlt., Prooem. 4; II, xvi, 5;
XX, XII, 1; C. Ap. I, 1; Vita 75.
(4) là kpà Yîiâ:JiJ.3i-a Philon, fragm., M. II 656 s. Josèphe, Anit., Prooem. 3; XX, xiî, 1
: ; ;

C. Ap. I, 10. —
al Upai YP«?«i Philon, De Abr. 61, M. Il 10.
=

(5) yj?riii).o-. Philon, De fuga 56. 58, M. I 554; De vita Mos. II 188, M. I 163 cf. De
: ;

praem. et poen. 2, M. II 408.


494 REVUE BIBLIQUE.

vins » (1); ils contiennent la sainte (2) et divine parole (3). « Il y a


autant d'oracles, dit Philon. que de choses écrites dans les saints
livres » {De vita Mos. II, 188, M. II 163). En touchant les rouleaux de
l'Écriture, on contracte une impureté légale : ils « souillent » les

mains.
La vérité est l'apanage obligé des paroles de Dieu. Les paroles de
l'Écriture sont des « paroles de vérité » (4), qu'il n'est pas permis
d'accuser de mensonge (5). Le vrai j)rophète ne peut dire que des
choses conformes à la réalité, tandis que la caractéristique des faux
prophètes est d'être des « prophètes de mensonge » (6).
Les auteurs sacrés sont en effet des prophètes, et parlent au nom de
Dieu. — Les Juifs palestiniens ne se sont guère souciés de creuser
cette idée : il leur suffisait de savoir que la Loi écrite n'est que la
copie des « tablettes célestes >> (cf. plus haut p. 38'i', note G) ;
que, « par
la bouche des prophètes », c'est le Seigneur qui a parlé (Hén. 108, 6)",
et que toutes leurs prédictions doivent se réaliser (ib.; cf. Test.
Benj. 3, 8; Josèphc, Antt. X, x, 4; X, ii, 2; X, xi, 7). Ils croient
que les prophètes sont en rapports étroits avec le Saint-Esprit (Asc.
Is. 3, 14), et que leurs paroles viennent « du ciel » (Test. Benj. 3, 8).
Mais ils n'ont pas approfondi la notion de l'inspiration. Ils intro- —
duisent les citations scripturaires par des formules variées :

« Il {= Dieu) a dit » -i»2s, Doc. Sad. 7, 1; 9, (« il a dit par : H


Ézéchiel »); 10, 2; 20, 4, 11. Cf. dans le x^. T. Jo. 12, 38 : etc.

« Selon ce qu'il a dit » i^zx "iutnd, Doc. Sad. 9, 1. 5. : 6. 40. Cf.


dans le N. T. : Jo. 1, 23; 7, 38; Ilebr. 4, 3 s. etc. — Dans la Mischna,

on trouve le plus souvent la formule « il a été dit » : lax:, ou « se-

lon ce qui a été dit » : i»2n:w. Cf. dans le N. T. Le. 2, 2V ; Act. 2, IG;

13, 40; Uom. 4, 18.


« Il est écrit » : ^éypa-Tar., Test. Zab. 3, \ (« dans la loi de Moïse »).

alns, Doc. Sad. 7, 4; 9, 2 (A et B) ; 10, 3; 14. 1. Cf. clans le N. T.

(1) ol ôsïoi xP^i'^t"^' • Pliilon, De mut. nom. 7, M. I ôT'J: Hcoû Xôyi» : Aristée 177; 6e6-

XpY)<7Ta >ÔYia : Philon, l.cg. ad Cajum 210, M. II 577.

(2) i Upo; Xôyo; : Philon, De .wmn. I 191. M. I fJ'iO : De ebrict. 143, M. I 379.

lz)tsjYA Osto; : Philon, De migr. Abr. 130, M. I 4.")G; plus haut, p. 384, note 7.
cf.

Test. Gad. 3, 1; llén. 99, 2; 104, 9 s.; cC. plus haut p. 384 la Loi, source de vie
:
(4)
et de lumière.
(5) Ilén. 104, 9. On considère comme un
la Loi, de réduire à crime -< de rendre vaine
néant les paroles pour ainsi dire, par une conduite
des prophites » et de « chanjçer »

désordonnée, ce qui doit être immuahlement vrai (Test. Leyi 16, 2 Ncpht. 3, 2 Ilén. 99, ; :

2; 104, 9 s.). A plus forte raison, mérilerait-il des malédictions celui qui oserait allentcr
à leur inté{;;rité par des additions, par des suppressions, ou par quelque modification que
ce soit (Aristee 311).
(Gj Asc. Is. 2. 12. 15; 3, 1 : cf. Sih. III 808-8;>8.
MELANGES. 495

Mt. 4, V. 6. 7. 10 etc. — Dans la Mischna : Ifalla IV, 10; Pes.


VI. 2, etc.
« Selon ce qui est écrit » : mriD irsD, Doc. Sad. 9, 8; cf. 8, 21
(B^. — Cf. dans le N. T. Me. 1, 2; Le. 2, 23, etc. Dans la Mischna :

Thaan. III, 3; Joma III, 8.


Les Juifs de la diaspora se préoccupent, plus que leurs frères de
Palestine, de mettre en relief la manière spéciale dont l'influx divin
s'exerce sur les hommes inspirés.
La Sibylle décrit ainsi son état « La parole du Dieu irrand vint :

dans ma poitrine et m'ordonna do prophétiser... et Dieu me mit


dans l'esprit » les oracles que je devais prononcer. « Or, tandis que
mon esprit cessa le chant inspiré (svOeov) et que je suppliai le grand
Auteur de ne plus me faire violence, la parole du grand Dieu vint
de nouveau dans ma poitrine et m'ordonna de prophétiser... »
(III, 162-165. 295-300. i89-i91). La Sibylle est dans un état violent,
extatique; ses paroles sont celles que Dieu met dans son esprit (1).
Hénoch slave (22, 12-23, 6) semble concevoir l'inspiration comme
une dictée : un ange prend les « tablettes célestes » et les lit, tandis
qu'Hénoch écrit.

11 ne sera pas sans intérêt d'étudier plus à fond la notion d'ins-


piration chez Philon. — Dans cette question, comme dans beaucoup
d'autres, le philosophe alexandrin est sons la dépendance de Pla-
ton (2, et il faut le regretter, car à l'exemple de son maître il réduit
l'homme inspiré à l'état d'instrument inconscient, de simple canal,
par où passent les paroles divines sans qu'aucune coopération intel-
ligente de la part de l'homme n'intervienne. Pour employer une
image moderne, l'homme joue purement le rôle de phonographe.
Philon distingue plusieurs sortes d'inspirations, en particulier
r « interprétation » (èpir^vsta) et la « prophétie « (^poç-^Tsta). Voici
comment il s'exprime : « .le n'ignore pas que tout ce qui est écrit

(1) La conception du Vf' 1. d'Esdras se rapproche de celle de la Sibylle. Avant de


reconstituer les Écritures, Ps.-Esdras prend une boisson céleste qui lui est ofl'erte : il

tombe en extase, sans cependant perdre conscience, et il dicte à cinq secrétaires des
choses qu'ils ne comprennent pas. En quarante jours, non seulement les vingt-quatre livres
sacrés, mais encore soixante-dix livres à doctrine ésotérique, sont composés (IV Esdr. 14,
37-44).
(2) 71 c; Jon 534 a-c; Ménon 99 c.
Timée —
Le concept platonicien de la mantique
répandu à ré|ioque de J.-C. Cf. Cicéron [De divinationel, 66 s.) « Deus inclusus
était fort :

corpore hiimano, non jam Cassandra loquitur ».


LucAiN [Pharsale 5, 166 ss.) :

Arlus
Phoebados irrupit Paean, mentemque priorem
Expulit atque hominem toto sibi cederejussit
Pectore, bacchatur démens aliéna per aniruni.
496 REVUE BIBLIQUE.

dans les saints livres (il s'agit do la Thora) a la dii^nité d'oracles »;•

parmi ces oracles, quelques-uns émanent directement de Dieu, et le


« prophète divin » est simple « interprète » « d'autres sont rendus ;

par demande et par réponse », et alors il y a « un mélange des


paroles du prophète qui interroge et de la divinité qui répond » ;

d'autres enfin proviennent de Moïse lui-même « auquel Dieu com-


munique la faculté de prédire l'avenir » et qui se trouve ainsi placé
dans un état a d'inspiration et de ravissement » (èztôsidcaavTiç y.yX â;
ajTcu y.y.-,oLcyzUv'ozy De vita Mos. II 188-191, M. I 163 s.). L' « inter-
prétation est donc supérieure à la prophétie », parce qu'elle ne
»

s'étend qu'aux oracles prononcés immédiatement par Dieu. Toute-


fois, l'auteur inspiré est toujours « prophète », quelle que soit l'ori-

gine des paroles; d'autre part, le « prophète « est nécessairement


« interprète » sous un certain rapport, puisqu'il ne parle pas en
son propre nom, mais au nom d'im autre. Aussi Philon néglige-t-il
généralement ces distinctions « les prophètes sont des inlerprèles,
:

car Dieu se sert de leurs organes pour manifester ses pensées » {De
spec. leg. I 65, M. Il 222).
Que donc entendre par prophétie? Le philosophe explique
faut-il

sa pensée par une comparaison très suggestive (1) « Le soleil, dit-il, :

est le symbole de notre intelligence; car ce qu'est en nous le rai-


sonnement, le soleil l'est au monde chacun répand de la lumière, :

celui-ci en envoyant des rayons visibles sur l'univers, celui-là en


nous illuminant de rayons intelligibles. Aussi longtemps que notre
esprit répand sa clarté et accomplit son évolution, versant une splen-
deur pareille à celle du midi dans toute notre Ame, nous demeurons
en nous-mêmes et ne sommes point transportés; mais lorsqu'il com-
mence à disparaître, tout naturellement l'extase et la possession di-
vine nous transportent (y; â'vGscç /.aTs/.or/r, te /.ai [xxvîa). Quand la lumière
divine brille, l'humaine s'en va, et quand celle-là disparaît, celle-ci
se lève. Ainsi de la prophétie. A la venue de l'esprit divin,
en est- il

notre intelligence émigré, mais elle réintègre domicile qunnd il est


parti. Car ce qui est mortel ne peut habiter avec ce (jui est immortel.
C'est pourquoi la disparition du raisonnement et les ténèbres qui
s'ensuivont ont produit l'extase et l'enthousiasme divin... Quand
bien même le prophète sendjlerait parler, en réalité il se repose;
car un autre se sert des organes de sa voix, de la bouche et de la

(1) L'occasion lui en csl fournie un texte des Seplanle, (icn. 15. 12
|>ar ('dinnie If : <

soleil recouchait, une extase tomba sur Abraham «. Il se peut que l'expression czataoi;
(= élal (le celui qui est hors de lui-même; ait contribué à lui faire accepter la théorie
platonicienne.
MELANGES. 497

langue, pour exprimer tout ce qu'il veut : les frappant par un art
invisible et harmonieux, il en tire des sons d'une eurythmie et d'une
symphonie parfaites » [Qiiis rer. div. haer. 2()3-2G6, ]\1. I 511). —
I.'élôment divin chasse donc Télément humain, la conscience per-
sonnelle s'en va, toute réflexion est supprimée. « Le prophète ne
profère absolument rien de lui-même, mais il est interprète : un
autre lui suggère tout ce qu'il énonce, aussi longtemps qu'il est
transporté et sans conscience (àvOsucd -/sycvwç èv àYvcix);car le rai-
sonnement l'a quitté et a abandonné la citadelle de l'àme, tandis que
l'esprit diviny établit sa demeure et lui fait prononcer les oracles
qu'il veut, mettant en mouvement tout l'organisme de la voix »
[De spec. II 343). La personnalité du prophète dispa-
leg. lY 49, M.
rait : transforme pour ainsi dire en instrument de musique
il se
auquel l'artiste fait rendre les sons qu'il veut. Ce qu'il dit ne pro-
vient pas de son propre fonds, mais de l'esprit divin qui a pris pos-
session de lui (i). Bien qu'il soit « l'interprète de Dieu (2) », il ne
comprend pas les paroles qu'il émet (3), il ne sait même plus ce qui
se passe autour de lui (4), il est, pour ainsi dire, dans un état
d'aliénation mentale : « abscessus mentis extra se exeuntis » [Qu.
in Gen. III § 9). — En résume
« Propheta putatur aliquid dicere, :

proprium tamen non dat edictum, sed interpres est alterius, qui
mittit aliqua in ejus mentem; proindeque quidquid personat ac pro-
fert verbis, totum verum est ac divinum » {Qu. in Gen. III § 10).
Il est l'organe passif et purement matériel de la divinité.

Philon ne restreint pas cette théorie à la prophétie orale « tout ce :

qui est écrit dans les saints livres, dit-il, a la dignité à' oracles » [De
vita Mos. II 188, M. II 163 s.); Moïse a composé « les saintes Écritures
sous l'inspiration de Dieu » (ajvsvpa'isv jçrjY-^aaij.Évcu Beoj; De vita
Mos. II, 11, M. II 136); les écrits des Nebiini ne sont autre chose que
« des oracles rendus par les prophètes » [De vita contemplât. 25, M. II

475); « celui qui a écrit les Psaumes » n'est pas « un homme quel-
conque, mais un prophète » [De agricult. 50, M. l 308). Il se mon-
tre si peu avare du don de prophétie qu'il l'accorde généreusement à
tous les hommes justes dont parle l'Écriture {Quis rer. div. haer.
259 s., M. I 510). — Philon ne voyait aucune raison de distinguer

(1)-Qmw rer. div. haer. 259 s., M. I 510; De vita Mos. I 281, M. II 125.
(2)De spec. leg. 1 65, M. II 222; De praem et poen. 55, M. II 417; de spec. leg. IV 49,
M. II 343.

(3) De vita Mos. I 274, M. II 12i; De spec. leg. I 65, M. Il 222; cf. Josèphe, Antt. IV,
VI, 5.

(4) De migr. Abr. 35, M. I, 441.


498 REVUE BIBLIQUE.

entre l'inspiralion donnée pour parler et l'inspiration accordée pour


écrire dans son esprit, toutes les deux s'identifiaient avec la notion
;

de prophétie. Aussi n'hésite-t-il pas à mettre parfois sur le compte du


Logos opOi; les textes scripturaires qu'il cite {De S07nn. I 135, M. I
676).
Comme tout le contenu des saints livres constitue des oracles dont
Dieu est l'auteur principal on peut bien dire unique Philon ne — — ,

se soucie pas de citer d'après le nom des hommes auxquels la com-


position des écrits est attribuée. Voici quelques-unes des formules
par lesquelles il introduit les passages scripturaires; elles sont sug-
gestives à plus d'un titre :

Josué = « un oracle du Dieu miséricordieux... est ainsi rendu »

{De conf. ling. 166, M. I 430).


Rois = « comme dit le texte sacré » [De ehr. 143, M. ï 379); « les

oracles des livres des rois » [De conf. linq. 149, M. I 4*27).

Psaumes = « un des principaux disciples de Moïse dit dans les


hymnes » [De planf. 39, M. I 335) ; « un des compagnons de Moïse »

[De somn. II, 245, M. I 691); « quelqu'un des familiers de Moïse »


[De conf. ling. 39, M. I 410); « l'homme inspiré rend témoignage
en disant dans les hymnes » [De plant. 29, M. I 334); « non un
homme quelconque mais un prophète, celui qui a écrit les hymnes,
dit ainsi » [De agric. 50, M. I 308); cf. « David, qui célèbre Dieu en
des hymnes » [De conf. ling. 149, M. I 427).
Proverbes =
« il est dit dans les Proverbes » [De ehr. 84, M. I 369) ;

<( quelqu'un des disciples de Moïse dit » [De congr. erud. gr. 177,
M. I 544); « quelqu'un d'entre le chœur divin » [De ebr. 31,
M. I 362).
Isaïe = « quelqu'un des anciens prophètes rend témoignage » [De
somn. II 172, M. I 681; De exsecrationibus 158, M. II 434).
cf.

.Jérémie = « un disciple du chœur prophétique, inspiré et trans-


porté, a dit » [De conf. ling. 44, M. I 411); « le père de l'univers a
parlé de cela, en rendant des oracles par la bouche des prophètes,
car il a dit qiiel([iie part... » (1) [De fuga 197, M. I 575).

Osre =
" on trouve cet oracle dans quelqu'un des prophètes »

[De plant. 138, M. I 350).


Zachar/e = « un des compagnons de Moïse a [)r(>noncé cet oracle »
{De conf. ling. 02, M. ! 414).

(I) Celle formule imprécise se rencontre assez souvent « Il (Jacoli) dit quelque part » :

{De plant. 00, M. 342); de faron encore plus indélerininée


I « quelqu'un dit quelque :

pari [De ebr. Gi, M. I 365, pour un texte de la Genèse;


II cf. Hébr. 2, 0; 4. h). —
MÉLANGES. 499

On le voit, Moïse dépasse dans la ponséc de Philon tous les autres


écrivains sacrés; ces derniers sont seulement des commentateurs de
la Loi, ils sont les disciples du chef illustre, ses compagnons, ses

familiers (1). Moïse est i;Tand à tout point de vue (/)^ spec. leg. II

51, M. II 280; De vita Mos. I 1, M. II 80), il est le [dus parfait des

rois, des législateurs, des grands-prêtres, mais surtout le plus grand


des prophètes [De vita Mos. II 187, M. II 163; cf. ib. I 158, M. II

106). C'est auprès de cet ami de Dieu que Philon s'est fait initier aux
grands mystères, bien qu'il n'ait pas dédaigne d'aller aussi à l'école
du prophète Jérémie, qui est « non seulement initié, mais encore
initiateur », et qui dans ses transports divins a prononcé de nom-
breux oracles {De cherub. i9, M. I liS). Le Pentateuque doit se
placer sur un rang à part Philon ne veut même pas qu'un autre
;

que Moïse ait écrit le dernier chapitre sur le point d'être enlevé au :

ciel, le grand législateur, inspiré et ravi en extase, décrivit sa

propre mort [De vita Mos. II 291, M. II 179; cf. .losèphe, Antt. IV,
VIII, 48).

L'Écriture est si bien inspirée qu'elle exige pareillement un certain


degré d'inspiration chez celui qui veut l'interpréter. L'intelligence
des livres saints dépasse les forces naturelles de l'homme. Ici encore
on doit appliquer le principe cher à Philon « Il ne se peut que ce :

qui est mortel habite avec ce qui est immortel » [Quis rer. div. haer.
265, M. I impossible à l'écrivain sacré d'exprimer les
511). S'il était

oracles sans secours spécial de Dieu, une intervention semblable


un
sera encore nécessaire pour les comprendre. Philon s'attribue sans
détour cette illumination souvent, dit-il, il lui est arrivé de ne
:

comprendre des passages plus difficiles de l'Écriture qu'à la suite


d'un transport divin dont il a été favorisé {De somn. II 252, M. I

692 ; De ??2/^r. Abr. 3i s., M. I iil; De cherub. 27, M. I liS); il se

sait initié aux grands mystères [De cherub. 49, M. I 147). — D'ail-

leurs, les Esséniens aussi considéraient comme impossible de com-


prendre les livres saints sans une inspiration divine [Quod onmis pro-
bus liber 80, M. II 458).
Dans sa vénération pour la Bible, Philon allait jusqu'à croire ins-
pirée la version des Septante qu'il avait entre les mains. Il est assez
curieux de suivre les progrès de la légende sur ce point. Elle —
semble avoir son point de départ dans la Lettre d'Aristée : le Juif
alexandrin qui composa cet écrit, raconte que la version grecque de

(1) D'après une Iradilion juive, les prophètes devaient s~e rattacher au Sinaï par une
succession ininterrompue et clairement établie. Josèphe (C. Ap. I, 8) semble y faire allu-
sion.
oOO REVUE BIBLIQUE.

la Loi fut faite sur lademande de Ptolémée Philadclphe, par soixante-


douze Juifs, six de chaque tribu, réunis dans Vile de IMmros. Par la
comparaison de leurs traductions, ils arrivèrent à établir un texte
unique. Ce travail fut terminé eu soixante-douze jours, et défense
fut faite d'y changer désormais quoi que ce soit.
Philon est mieux informé les auteurs de la version étaient inspirés,
:

si bien que lorsqu'ils voulurent comparer leurs traductions, il se trou-

vait qu'elles étaient toutes, mot pour mot, identiques. S'étant « retirés
dans un témoin que la nature, la terre,
lieu solitaire, dit-il, sans autre
l'eau, l'air, le ciel, dont ils allaient révéler la genèse mystérieuse —
car la création du monde est le commencement de la Loi, ils pro- —
phétisaient, comme transportés par la divinité, sans divergence au-
cune tous s'accordèrent dans les mêmes mots et dans les mêmes
:

termes, comme si un souffleur invisible leur avait tout dicté ». Leur


traduction est le décalque parfait de l'original, de telle sorte que le
texte hébreu et la version sont « sœurs », ou plutôt, c'est un seul et
même texte. Aussi ne faut-il pas appeler ces hommes « traducteurs,
mais hiérophantes et prophètes ». Le souvenir de cette traduction
miraculeuse est célébré chaque année par des fêtes dans l'Ile de Pha-
ros {Devita Mos. Il, 25-42, M. II 138-141) (1).

(1) Josèphe {Anlt. XII, ii, 2-14; C. Ap. II, 4) se contente de rt-suiner la lettre d'Aristée.
L'auteur de la Cohorlalio ad Graecos (c. 13), attribuée faussement à S. Justin [P. G.
6, 265 s.), orne la légende de détails nouveaux, sans doute d'apros des récits juifs.
ne Il

s'agit plus seulement du Pentateu(|ue, mais encore de beaucoup d'autres livres de la


Bible; les 70 traducteurs furent enfermés en 70 cellules, avec défense de communi(|uer
entre eux. Malgré ces mesures, ils tombèrent d'accord jusqu'aux moindres expressions.
Trompé par sa conOance dans les ciccroni d'Alexandrie, l's. -Justin crut voir encore
les ruines des cellules, lors d'une visite t|u il lit dans celte ville. — L'bisloire des cellules
se trouve aussi dans le ïalmud {b. Mi'cjhilLa 9"), chez saint Ikénke [Contra liaer. III, xxi,

3 s.; P. G. 7, 947-949) et chez Clémi-nt d'Alexandrie [Strom. I, 2J; P. G. 8, 889-893).


L'inspiration des Septante fut admise par Ps.- Justin [Cohort. ad Grâce. 13; P. G.
6. 265 8.), saint Ikénée (loc. cit.), Clément d'Alexandrie (loc. cit.), Tektlli.ien (Apologrt.
18; P. L. 1, 378-381), saint Cyrille de Jérusalem [Cat. IV, 34; P. G. 33. 'i97), saint
Kpipuane (De mens. <d pond. 3. 6. 9-11. 17; P. G. 43, 241. 24f). 2i9-25(l. 265), l'auteur
du Dialogue de Timot/iéc. et d'Aquila [Anecdota Oxon., class. ser. VIII, Oxford, 1898,
p. '.») s.), saint Augustin De Civil. Dei XVIII, 42 s.; /'. A. 41, «02-6o4
( Jùiarr. in Ps. ;

L.W.Wir, 10; P. L. 37, 1115 s.), TnÉonoiiET {in Psahn. praef. /'. G. 80, 8G4), ;

saint l'Mri.ASTiiE de Brcscia {/farr. 142; /'. /.. 12, 1277 s.), saint Isiiioke de Séville
'i:iym. VI, IV, 1-2; P. L. 82, 2.36; De Kccl. O/f. I, \ii, 4 s.; P. L. 83, 747 s.), saint
Jli.ien de Tolfde {De comprob. ael. sertae III, 16-18; /'. L. 96, .".7<i-57<s), le Ciironicon
Pascmale (/'. G. 92, 42.'.), Ceoiices i.i: S^ncei.i.e {Chronogr., éd. Dindorf, p. .Mr.-518):
ViMKNT de IJeauvais {Spi-c. iloclr. I. XVII, c. xl), Denys le Chartreux (in (;enrsim
fiifirrfitio 1-3; Opc.ra oinnia, Montreuil, 1896, t. I, p. 5-12), Sixte de Sienne l/iibtiolfi.

Sacra, 1. VIII, haer. xiii), Am.ki.o Uoc.ca [Opéra, t. i, y. 276; t. II, |». 8), I'ieiihe .Mokin
(l'réf. à l'édilion romaine de l.'.H7).

Saint Jkiiome s'élève contre ces légendes avec sa vigueur habituelle [l'rol. in Gcn.:
MELANGES. 501

Plîiloii se croit donc dispensé de recourir au texte original. Il se


sert excliisivemont du texte grec, qu'il considère comme inspiré
Jusque dans les moindres détails. Il n'hésite pas à tirer des conclu-
sions très graves de nuances d'expression absolument insignifiantes,
particulières à sa version. Tout lui parait également important, puis-
que tout provient de la môme source divine. Il insiste sur la différence
entre hy/.c.Kix (Lév. 1, 9) et y.zùSx (Lév. 9, i\), alors que le texte

hébreu a les deux fois 2"ip (1). Il fait dériver de profonds enseigne-
ments de passages qui en réalité constituent des erreurs de traduc-
tion [Qiiis rer. div. haor. SSIt 5s., M. I 514 : -rpaosj; au lieu de Taç^sJç).

La présence ou l'absence de l'article, la faeon dont les mots sont


juxtaposés, l'usage des particules, qu'un mot est mis au sin-
le fait

gulier ou au pluriel, lui fournissent occasion à de longues considéra-


tions. Pour lui, chaque lettre cache de profonds mystères.

La croyance à l'inspiration de l'Écriture ressort encore de la manière


dont on l'interprétait. En Palestine, Hillel avait établi sept règles
exégétiques (2).

Elles peuvent se formuler ainsi :

1° Possibilité de conclure dun sujet à un autre par un argument

a minori ad majus, et inversement.


2° Conclusion par analogie, c'est-à-dire, lorsque dans deux textes

de la loi se rencontrent des mots identiques pour l'expression ou pour


le sens, les deux textes, malgré les différences qui peut-être les carac-
térisent, reçoivent les mêmes précisions et les mêmes applications.
3" Lorsque plusieurs textes sont apparentés par leur contenu, on
peut étendre à tous une disposition qui n'affecte que l'un d'entre eiLx.
4° On peut en agir de même, quand deux de ces textes contiennent

une disposition semblable.


5° Le principe général est expliqué par le cas particulier, et le cas
particulier par le principe général.
6° Explication d'un texte par un passage similaire.
7° Explication d'un texte par le contexte.
Les trois dernières règles, sainement comprises, peuvent être

p. L. 28, 150 s.). Il montre :


1° que dans les premiers récits il ne s'agit que de la Loi;
2° qu'il n'y est pas question de cellules; 3' qu'on commet une confusion regreltabJe, en
considérant des traducteurs comme des prophètes. — La version des Septante tomba
d'ailleurs, chez les Juifs, en discrédit, après la ruine de Jérusalem.
(1) Leg. ail. III 144. M. I 115.
(2) Tosephta Sanhedr. VII fin; Aboth de R. Nathan c. 37; à la fin de l'introduction à
Sifrâ.
o02 RKVUE BIBLIQUE.

acceptées sans difficulté. Les autres, au contraire, ouvrent la voie à


des interprétations assez arbitraires, et l'on voit, dans la Mischna,
quelles conclusions inattendues les Docteurs de la Loi tiraient parfois
des textes de TlCcriture. Ajoutons cependant que les rabbins ne pré-
tendaient nullement donner leurs subtiles déductions comme des
sens bibliques; ils se préoccupaient moins d'approfondir le vrai sens
des textes que de chercher dans la parole écrite un appui à leurs
traditions. Comme Judaïsme ne connaissait officiellement d'autre
le
autorité doctrinale que celle du Livre, il leur fallait bien y retrouver,
bon gré mal gré, ce qu'ils enseignaient au peuple.
Ces principes d'herméneutique montrent du moins qu'à leurs yeux
tous les livres saints ont le même auteur, —
car on peut expliquer un
passage par un autre, pris dans un livre différent, et que l'inspiration —
s'étend à toutes les parties des livres, puisque même les détails de
minime importance contiennent de précieux enseignements. A la —
fin du i^"" siècle, les sept règles d'Hillel furent élargies en treize par

R. Isniaêl. On y trouve énoncé le principe suivant « Quand deux :

passages semblent se contredire, il faut attendre jusqu'à ce qu'on


trouve un troisième qui les accorde ». C'était affirmer implicitement
qu'il ne peut y avoir aucune erreur dans la Bible.
Une lecture attentive des écrits rabbiniques montre comment les
docteurs juifs entendaient pratiquement l'exégèse; bien que leurs pro-
ductions soient pour la plupart postérieures à l'époque de Jésus-Christ,
l'esprit qui les anime est assurément plus ancien.
Il apparaît clairement, à la manière dont les rabbins ont expliqué

la Bible, qu'ils lui reconnaissent, en raison de son origine divine, un


sens plus profond que le sens littéral. Us donnent une portée messia-
nique à un grand nombre de faits et de paroles de l'Écriture (1), et,
d'une manière générale, ils accordent à tous les textes le privilège de
significations multiples. La Bible ne contient aucun mot superfiu ou
inutile; les répétitions mêmes ne sont qu'apparentes, car on peut
en déduire des enseignements différents. Aussi les docteurs don-
nent-ils libre carrière à leur génie subtil sans se soucier du caractère
;

particulier de la langue hébraï([ue ni des conditions historiques


dans lesquelles les livres furent composés,, ils scrutent le texte, pèsent
les mots, comptent h'S lettres. Tout est mis sur le même plan, ce qui
est principal et ce qui est accessoire, le contexte logique et gramma-

(1) Cf. A. EiiF.nsiiEiM, The Life, nnd Times of Jésus the Messinh. 12' éd.. r.ondon, Iflor..
vol. Il, a|/|)pndi\ IX : List of OUI Testament passarjes messianically applied in anrient
rabbinic writings, p. 710-741.
MELANGES. Îi03

tical est négligé, des analogies lointaines deviennent des bases d'argu-
mentation serrée, des métaphores sont interprétées au sens propre (1).
C'est le triomphe de la lettre; l'écorce de la parole divine est dissé-
quée, mais le noyau leur échappe : les magniliques doctrines de la
Loi et des Prophètes sur la grandeur de Dieu et ses exigences morales,
les sublimes exemples de vertus oii'erts par les personnages de l'An-
cien Testament, en un mot, la valeur proprement religieuse de la
Bible, tout cela disparait sous un fatras d'explications juridiques et
de légendes puériles.
Suivant que les Docteurs de la Loi cherchaient dans le texte sacré
une réponse aux questions d'ordre pratique que posait la vie quo-
tidienne ou une matière à exhortations édifiantes et développe-
ments légendaires, leur commentaire est rangé dans Vhalacha
(nz"^- = voie, usage) ou dans Y liaggada [T\~z,r\ récit). =
L'haggada était volontiers cultivée par les Juifs. C'est ainsi que
l'histoire de la création, Adam et Eve, Hénoch, Abraham, Jacob et
ses fils. Moïse, Isaïe, etc. devinrent le centre d'une foule de légendes
dont il nous reste quelques spécimens dans les Jubilés, la Vie
d'Adam et d'Eve, les livres à' Enoch, V Apocalypse d' Abraham, les
Testaments des Douze Patriarches, Y Assomption de Moïse, Y Apoca-
lypse d'Élie, le Martyre et F Ascension d'Isaïe, les apocalypses
d'Esdras et de Baruch. L'haggada ne resta d'ailleurs pas circons-
crite à la Palestine; dans les écrits des Juifs hellénistes, chez Dénié-
trius, Eupolémus, Artapan, Philon et Josèphe, elle occupe aussi
une place importante. Ne permettait-elle pas de glorifier, en face
du monde gréco-romain, si méprisant pour leur race, les grands
hommes du peuple hébreu, et de mettre en circulation des doctrines
à la propagande desquelles on tenait particulièrement?
Cette manière d'exposer l'histoire sainte n'allait pas sans quelques
inconvénients. Les libertés qu'on prenait avec le récit inspiré étaient
grandes. Non seulement on l'ornait d'additions qui, le plus souvent,
ne trouvaient qu'un point d'attache artificiel dans le texte, mais
on n'hésitait pas à supprimer ce qui pouvait gêner, on modifiait
le texte et parfois on allait jusqu'à dire exactement le contraire,
malgré tout le respect que, théoriquement, on professait à son
égard. Les Jubilés font disparaître ce que massacre des Siché-
le

mites de la part de Siméon et de Lévi avait d'odieux, en passant sous


silence l'exécrable ruse à laquelle les deux fils de Jacob eurent
recours (30, 2-6; cf. Gen, 34), L'historien Josèphe en fait de même

(1) Cf. G. AicuEH, Bas alte Testament in der Miscfina, p. 67-140.


504 REVUE BIBLIQUE.

iAntt. 1, XXI, 1). Et bien que la Bible désapprouve de la manière la

plus formelle leur conduite (cf. la malédiction prononcée contre eux


par leur père, Gen. 49, 5-7), les Jubilés [30, il), les Testaments des
Douze Patriarches {Sun. 5, 6; Levi 5-6) et Philon [Demigr. Abr. 234-,
M. 1 472) exaltent leur acte comme un des hauts faits de l'histoire
d'Israël (1).
lu autre procédé exégétique, qui était destiné à avoir une grande
vogue et à exercer une influence profonde sur l'exégèse des siècles
postérieurs, fut le recours à l'allégorie. Chez les Juifs de Palestine,
les interprétations allégoriques du texte sacré ne se rencontrent que
sporadiquement; chez les Juifs de la Diaspora, le procédé fut élevé à
la hauteur d'une méthode.
La préoccupation d'éliminer de l'Écriture toute erreur ou tout ce
qui pouvait paraître indigne de la majesté de Dieu, et d'autre part,
le désirde montrer dans la Bible la source de toute sagesse même
profane, voilà les raisons qui firent adopter aux Juifs hellénistes
la méthode allégorique.
La méthode allégorique était depuis longtemps en usage dans
les milieux grecs. Par leurs explications naturalistes du monde, les
philosophes s'étaient de plus en plus éloignés de la religion popu-
laire. Il leur était impossible d'accepter la mythologie souvent
grossière dans laquelle se délectaient les foules; Platon ne son-
geait à rien moins qu'à bannir de sa République idéale Homère et
tous les poètes, parce que leurs fables déshonoraient la divinité et
corrompaient les mœurs de la jeunesse. Mais c'était là une mesure
irréalisable : Homère était le poète favori des Grecs, et le peuple
trouvait dans les aventures des dieux une excuse à tous ses désordres.
L'allégorie fut le pont jeté entre la philosophie et la mythologie.
« Homère serait évidemment impie, disait-on, s'il n'avait voulu allé-
goriser » {A//rg. Hom. d'Héradide, 1). L'allégorie fut cultivée avec
un soin particulier dans l'école stoïcienne, (iràce à clic, Zeus devient
le feu artiste, Héra l'air, Poséidon l'eau, etc. ; les combats des dieux
signifient la lutte éternelle entre les vertus et les vices; leurs unions
souvent scandaleuses ne sont qu'un symbole du mélange des élé-
ments. En un mot, l'interprétation littérale cède la place aux expli-
cations cosmologiques ot morales. Les j)hilosophes retrouvèrent ainsi
dans Homère tous leurs systèmes; il leur devint facile de ji-stifier
la mythologie devant la raison et de repousser les attaques des adver-
saires. —
L'allégorisme fut encore favorisé par l'existence des rays-

(Ij Noir II;. Mmiiin, Ix Livre des Julnlés, ilans Kli., l'-Hl, p. .>r.)-:{4n.
MELANGES. 505

tères et par les rites symboliques auxquels donnait lieu l'initiation.


Les Juifs hellénistes s'empressèrent d'appliquer ces méthodes à
l'interprétation de la liible. On leur reprochait d'être un peuple
ignorant, qui n'avait rien fait pour la civilisation; leur religion,
déclaraient les beaux esprits, n'était qu'une superstition barbare,
leurs livres saints foisonnaient d'invraisendjlances et de prescriptions
puériles (li. — L'allégorisme leur permettait de se défendre et de
concilier leurs croyances avec la philosophie grecque ; loin d'être
étrangères au'^: spéculations philosophiques, leurs Écritures c<mlien-
nent lessystèmes de Platon et des plus grands penseurs de la Grèce,
elles sont même la source où ces derniers sont venus puiser leur
sagesse.
Ps.-Aristée donne une explication allégorique des prescriptions
légales sur les aliments. Moïse ne s'est pas soucié de donner des
lois « au sujet de souris et de belettes » ses préceptes ont un « sens ;

plus profond » « ils ont pour but d'éveiller de bonnes pensées et


:

de former le caractère » (li3 s.). Les souris détruisent tout et sont


très nuisibles en défendant de les manger, Moïse a voulu signifier
;

qu'il ne faut nuire à personne (16i-168). Il a pareillement prohibé


l'usage des oiseaux de proie, pour nous apprendre à être doux et
paisibles à l'égard des autres (liS-iiO).
Aristobule (Eusèbe, Praep. ev. VIII, 10; XIII, 12) s'applique sur-
tout à rendre raison des anthropomorphismes du texte sacré. Ce
serait faire preuve de peu d'esprit, dit-il, que de s'attacher à l'écorce

de la lettre écrite.
Les ThérapeiUcs d'Egypte (Philon, De vila contempl. 28. G5. 78,
M. II i75. iSl. i83 s.) ainsi que les Esséniens (Philon, Quod omnis
probus lih. 82, 51. II 458) étaient des partisans résolus de l'allégo-
risme.
Le système atteint son apogée avec Philon. Nous nous contenterons
de résumer en peu de mots ses principes exégétiques. De même —
que l'homme se compose de corps et d'àme, ainsi l'Écriture possède
un sens littéral et un sens spirituel (2).
1" Philon défend avec énergie, contre certains allégoristes exa-
gérés, le sens littéral de la législation mosaïque et des lignes princi-
pales de l'histoire primitive (3).

(1) CicÉROx, Pro Flacco 28-67; Tacite, Hist. V, 8; Maa'éthon (Mïiller, Ilist. Graec.
Fragmenta, vol. II, fragm. 42. 50. 52); Posido.mus d'Apamée (Millier, vol. III, fragm. 14);
Apollonius Moi.on (Joséphe, C. Ap., II, 14. 33. 3G).

(2) De migr. Abr. 93, M. I 450.


(3) De exsecrat. 154, M. II 434; De migr. Abr. 88-94, M. I 450 s. ; cf. De Abrahamo,
De JosephOj De Vita Mosis.
506 REVUE BIBLIQUE.

2° U soutient, avec la même fermeté, Texistence d'un sens supé-


rieur (1), contre ceux qui ne voulaient admettre qu'un sens littéral.
Le sens allégorique, dit-il, est au sens littéral, ce que le corps est à
son ombre (2) ; « presque toutes les prescriptions légales, ou du moins
la majeure partie, sont dites par allégorie » (3). D'ailleurs, un —
sens ne nuit pas à l'antre tout en considérant les patriarches comme
:

des hommes historiques, il les prend allégoriquement pour des états

d'âme (i). C'est à un petit nombre seulement que le sens allégorique

est destiné (5).


3° il faut abandonner le sens littéral d'un passage, quand il con-
tient des choses indignes de Dieu. — Il est impossible .que Dieu ait

interrogé Adam et Gain, car on n'interroge que lorsqu'on ignore (6).

De môme, il que Dieu a planté le paradis (Gen.


serait puéril de croire

2, 8) n'est-ce
: pas lui faire injure que de penser qu'il ait planté des
arbres et cultivé la terre? Ou aurait-il besoin d'un jardin pour se
délasser (7)? Dans tous ces textes, l'interprétation allégorique est

seule admissible.
4.° Le sens littéral est encore à abandonner quand il contient des
difficultés insolubles, des contradictions ou des invraisemblances.

Dieu n'a pas créé Eve d'une cote d'Adam. Gomment croire qu'un os

aitpu former un organisme humain? Aucune côte ne hianque d'ail-


leurs àl'homme, son corps est parfaitement symétrique (8). Il est —
déraisonnable de penser que Gain ait construit une ville (Gen. 4, 17)
pour sa famille, qui ne se composait que de trois personnes, alors
qu'une caverne leur suffisait (0). On ne peut admettre le sens —
littéral de Gen. 2, 17 (« le jour où tu mangeras du fruit de cet arbre,

tu mourras »), puisque loin de mourir, Adam et Kve donnèrent la vie


à d'autres (10). —
Il faut aussi écarter ce sens de Gen, 3, 10 (« j'ai eu

peur, car je suis nu »), puisque les deux coupables s'étaient fait des

ceintures (11). — Philon considère comme historique le fait de la


création, mais non l'œuvre des six jours. U rejette enfin les récits du

(1) De cherui). 42, M. 146; De somn. I1 102, M. I 63(;.

(2) De conf. linrj. VM. M. 434. 1

(3) De Josepho 28, M. Il '16; cf. De spec. leg. III 17H, M. II 321».

(4) De Ahrafiamo 52, M. II 9.


(5) De Abr. Vil, M. II :>:.>..

(G) Leg. ail. III 51 8S., iM. I î)7 ;


Quod del. pot. ins. 57. M. I 202.

(7) Leg. ail. I M. I 52.


43 s.,

(8) Leg. ail. II 19 s.,


M. I 70.
(9) De poslerit.
Caini 'i9 s., M. I 234.

(10) Leg. ail. I 105, M. I (>i.


(11) Leg. ail. III 55, M. 108.
MÉLANGES. 507

paradis cl de ses arbres, du serpent et de l'expulsion du jardin : tout


cela n'est qu'un revêtement symbolique de vérités supérieures.
5° Il ressort de toute l'exégèse de Philon, qu'en dehors du sens
historique il admettait encore pour le même passage des interpréta-
tions multiples, également justifiées (1).
6° Puisque l'Écriture est la parole de Dieu, elle ne peut pas con-
tenir des vérités vulgaires; quand elle semble proposer une vérité
de ce genre, nous invite à chercher un sens plus profond (-2).
elle

T L'Écriture est si bien la parole de Dieu, que l'écrivain n'avait


môme pas le choix des expressions. Il en résulte que chaque tour-
nure, chaque mot, chaque lettre a sa portée spéciale. « Aucun mot
n'est superflu Même les omissions ont de pro-
», déclare-t-il (3).
fondes significations
(4). L'emploi d'un mot déterminé au lieu d'un
autre, un changement dans l'expression, le singulier au lieu du
pluriel, et vice versa, la répétition de choses déjà dites, tout est
intentionnel de la part de Dieu et comporte des enseignements par-
ticuliers (5).
S'' Chaque mot peut être interprété selon toute l'étendue de ses
significations possibles (6), du contexte (7).môme abstraction faite
9° On peut recourir à des étymologies vraies ou apparentes,

attacher toute une symbolique aux nombres et à certains objets, pour


découvrir les sens allégoriques du texte sacré (8),
Il n'est point nécessaire de faire remarquer combien une pareille

exégèse est arbitraire. Les intentions de Philon étaient sans doute


très louables loin de vouloir 'amoindrir l'autorité des saints livres,
:

il cherchait à en éliminer tout ce qui semblait porter atteinte à leur


dignité, il s'efforçait de les hausser au rang d'écrits philosophiques ;

même le soin méticuleux et parfois puéril avec lequel il s'ingénie à

(i) Cf. Leg. ail. III 51-54, M. I 97 s.

(2) Cf. Leg. ail. II 89, M. I 82; Quod det. pot. ins. 13 s., M. I 194.

(3) De fu(ja 54, M. I 554; cf. Leg. ail. III 40 s., M. I 95.

(4) De somn. 301, M. I


I 698; Leg. ail. III 69. 71, M. I 100.
(5) Leg. ail. IlM. I 85; De agric. 65, M. I 310; De mut. nom. 145, M. I 600;
102 s.,

De congr. erud. gr. 73, M. 1 529. —


ôsôç avec l'article, signifie le véritable Dieu sans :

l'article, il se rapporte au dieu improprement dit, au Logos De somn. I 228-230, M. I :

655; cf. aussi De fuga 71 s., M. I 556. —


Sur la valeur des moindres parties d'un mot,
cf. Quis rer. div. haer. 161, M. I 495 De migr. Abr. 70, M, 1 447. ;

(6) Leg. ail. II 21 s., M. I 70 s.


'

(7) De somn. l 61-89, M. I 630-634.

(8) Grâce à cette méthode, Philon put retrouver dans le Pentateuque les théories plato-
niciennes des Idées, la création du monde par l'intermédiaire des Puissances, les doctrines
pythagoriciennes sur Ips nombres, le système stoïcien du Logos, en particulier du Logos
diviseur, et une foule d'autres doctrines grecques.
REVUE BIBLIQUE 1916. N. S., T, xm. — 33
508 REVUE BIBLIQUE.

arracher tous ses secrets au texte sacré, est un indice de la haute


idée qu'il s'en fait. —
Mais tout en rendant hommage à sa foi pro-
fonde et à la sincérité de ses convictions, on ne peut s'empêcher de
trouver ses théories périlleuses, La méthode allégorique permettait
de suhstituer des interprétations fantaisistes au sens naturel des
textes, et d'accréditer des opinions purement personnelles par l'au-
torité de l'Écriture. Elle fournissait aussi le moyen de volatiliser le
contenu historique des livres saints et de se débarrasser avec élé-
gance des difficultés que l'exégèse littérale pouvait soulever. Les
efforts des Juifs de la Diaspora pour concilier la Bible avec les systè-
mes philosophiques en vogue, les amenaient insensiblement à intro-
duire un certain rationalisme dans leur manière de comprendre
l'Écriture.
A vrai dire, les Juifs palestiniens, avec leurs étroitesses, leur for-
malisme et leur attachement servile à la lettre, n'étaient guère en
meilleure posture. La parole révélée n'était plus pour eux qu'une
matière à disputes d'école, au lieu d'être « la sagesse qui conduit au
salut » (II Tim. 3, 15).

Il nous est maintenant facile de synthétiser en peu de mots les


résultats de notre enquête.
A l'époque de Jésus-Christ, tous les Juifs croient que Dieu a noué
avec l'humanité des rapports d'ordre surnaturel et qu'au milieu des
nations Israël occupe une place unique. Ils sont si infatués de leurs
privilèges, qu'Us affichent en général un mépris profond pour le reste
des hommes. Ils sont les filsde Dieu et, bien que devant les dures
leçons de la réalitéconcept de la fdiation divine tende à s'adjoin-
le

dre des cléments moraux, ils sont pour la plupart convaincus que
leur qualité d'enfants d'Abraham suffit à leur donner droit à toutes
les faveurs divines.
Ils maintiennent la notion traditionnelle du miracle, (|ui constitue
une dérogation au cours naturel des événements il atteste la toute- :

puissance de Dieu et témoigne de la véracité de sa parole.


La révélation est en effet à la base de tout l'ordre surnaturel. Klle
est contenue principalement dans la Tliora qu'ils exaltent dans les
termes les plus magnifiques. Quoique les écoles rabbiniques attri-
buent à la tradition orale une importance de jour en jour grandis-
sante, la Loi écrite est la seule autorité officielle en matière de
doctrine. Aucun prophète ne s'est plus levé depuis longtcMups, cl, des
MELANGES. 509

lors, il no reste eu Israël d'autre magistère que celui do Ja lettre


morte. Aussi est-elle impuissante à se défendre contre les interpréta-
tions arbitraires des Docteurs de la Loi et à imposer silence aux néga-
tions, par lesquelles les Sadducéens se mettent en opposition avec
elle.

Le crédit tout spécial que les Juifs accordent aux cinq livres de Moïse
ne les empêche pas de reconnaître une origine divine à un grand
nombre d'autres. Mais ici s'accuse une divergence très nette entre le
Judaïsme palestinien et celui de la diaspora le second n'hésite pas :

à ranger au nombre des rouleaux sacrés plusieurs écrits, vis-à-vis des-


quels le premier semble se tenir sur une prudente réserve. Cette
diversité a donné origine à la distinction entre les livres protocano-
niques et les livres deutérocanouiques.
Pour tous les Juifs, d'ailleurs, l'inspiration de l'Écriture est un prin-
cipe incontesté ; elle s'étend à toutes les parties du livre et en garantit
l'absolue vérité.
Sur la nature même de l'inspiration prévalent, surtout parmi les
Juifs de la diaspora, les notions les plus inexactes; influencés par
Platon et par les idées courantes dans le monde gréco-romain, ils

réduisent le rôle de l'auteur inspiré à celui d'un instrument mécani-


que : Dieu s'empare
bien des facultés de l'homme, que toute acti-
si

de ce dernier est supprimée.


vité intelligente de la part Philon va —
jusqu'à admettre l'inspiration de la version grecque des Septante, et
cette opinion sera partagée par un grand nombre de Pères et d'écri-
vains ecclésiastiques.
Il n'est pas étonnant que ces concepts erronés aient entraîné des

conséquences très graves dans l'interprétation des livres saints. En


effet, si l'homme n'a point concouru à leur composition, pourquoi
tiendrait-on compte du facteur humain dans l'exégèse? On expliquera
donc les égard au milieu historique où ils ont
textes bibliques sans
pris naissance, sans aucun souci des règles ordinaires auxquelles doit
se conformer le langage humain. Tandis qu'en Palestine les rabbins
cherchent dans la Bible un appui à leur casuistique raffinée ou l'or-
nent de développements légendaires, les Juifs d'Alexandrie, dési-
reux de montrer la supériorité intellectuelle de leur race sur les
Gentils, y découvrent, à l'aide de la méthode allégorique, les systèmes
philosophiques les plus divers et sacrifient, au gré de leur fantaisie,
le sens historique du texte sacré.

Les uns et les autres « scrutaient les Écritures », mais n'y trou-
vaient point « la vie éternelle » (Jo. 5, 39) ; ils étaient trop préoccupés
d'en tirer ce qui flattait leur orgueil de Juifs ou leur amour-propre
510 REVUE BIBLIQUE.

de commentateurs de la Loi. « Velamen positum super cor eorum »

(H Cor. 3, 15). Leur refus obstiné de reconnaître en Jésus le Messie


annoncé par Moïse et les prophètes, fut la conséquence lamentable
de cette attitude à l'égard de la parole de Dieu.

Rome, Séminaire Français.


J.-B. Frky.

IV

CHÎ SIA L'AUTORE DELLA NUOVA VERSIONE DALL' EBRAICO

DEL CODICE VENETO GRECO VII (1).

Quel traduttore di parte del Vecchio Testamento dall'ebraico in


greco, che dall'unico superstite manoscritto dell'opera sua, il Mar-
ciano greco Vil, chiameremo il « Greco- Veneto »,rimane pur sempre
un enigma, e la questione su lui è ancora al puuto medesimo nel
quale la lasciarono 0. von (iebhardt, Fr. Delitzsch e P. F. Frankl
l'an. 1875, quando fu publicato integralmente per la prima e, senza
dubbio, ultima volta. Corne è noto, il (iebhardt (2) restô sospeso
ed incerto; il Delitzsch pensô ad un Israelita, e precisamente a
quell'Eliseo Giudeo, che fu maestro di Giorgio Gemisto Pletone e
fiori in corte di Murad
mentre il Frankl ritenne impossibile che
I (3);

ad un Giudeo per quanto poco istruito sfuggissero certi strafalcioni


commessi daU'ignoto traduttore, e quindi lo crcdette piultosto un
qualche cristiano, un qualche « monaco dotto e pédante » di quel
tempo (i). Inutile riferire che cosa dicono i critici venuti dopo essi :

(1) Le présent article forme le premier chapitre du 30° volume de la coileclion des Studi e
Tesd, publiée par la Bibliotlieque Vaticane : G. Mercati Se la versione del codice Veneto
greco VII sia di Simone Atumano, Arcivescovo di Tebe, Rirerca storica con notizie e
documenli siilla vila dell'Atuuinno, Rome, l'JKl. Nous remercions vivement l'auteur de
nous avoir communiqué les bonnes feuilles de ce travail en nous autorisant à les repro-

duire. N. D. !.. R.
'2) Crnecus Vendus. Pentateuchi Proverbiornin Hutli Canlici Ecclesiaslac Threno-
rum Danielis versio graccn. E.r unico bibliothecac S. Marci Venetae codice, etc.
(Lipsiac IS?.*)), i.xv-lxix.
(3j Nella prefazion«> al (iraecus Ven., \i sg.
{^) Mnnalsschrifl fur Gesrhichte iind Wis.ien.ichnfï des Judcnthunis XXIV (iS't,)

fclfi s;,-;;. Non (! vcro (lie opli ne riténua autctre Scmarja da Negropontc, <ome ^;li fa dire
qualcuno, ad c^. il Vigoureux.
MELANGES. SU

non hanno aggiunto nulla, e quale semplicemente segiie il Delitzsch,


quale il FrankI, c quale se ne sta riservato ed incorto (1).

Ne pote va essere altrimenti. Le congetture ciel génère, per quanto


ingegnose e seducenti, se non hanno davvero appoggio nel testo
medesimo o nelle circostanze délia trasmissione o in qualche testi-
monianza attcndibile, liniscono, dopo un bagliore più o incno fugace,
a cadere, o restano c quasi si sentouo di più le ténèbre, quando anche
non ne sopravvenga un sentimento di sconforto e di disperazione
délia verità, corne se questa, dopo i tentativi di critici cotanto valo-
rosi, dovesse ritenersi irraglungibile.
Ora, non sembrandomi ancor disperato il riconoscimento del tra-
duttore greco-veneto, perché si presentano coll'opera sua diversi
indizii non indifferenti ad una migliore conoscenza délia condizione
e destinazione di essa, i quali suggeriscono di ricercaré l'autore in
una direzione singolarissima e in un angolo quanto mai ristretto,

e perché inoltre ci sovviene una testimonianza esplicita cootempo-


ranea circa un uomo che lavorù proprio in quella direzione; credo
bene di proporre queste varie osservazioni, le quali spero varranno
a provocare almeno un tentativo nuovo in taie senso, anche se per
avventura non piacesse l'identificazione mia.
Del resto, in tutto il medio evo, imprese come quelle dello sco-
nosciuto nostro e dell'uomo che diremo essende state rarità somme,
anzi vere singolarità délie quali sarebbe meraviglia incomparabil-
mente maggiore, una seconda allô stesso tempo; c'è
si fosse data
meno a temere di proporre, suiraccenno di un contemporaneo bene
informât©, una identificazione per quanto inattesa. La presunzione é
per ridentità non é facile che due Origeni {si parva licet componere
:

magnis) si diano allô stesso tempo.

1 . — La versione greco-veneta è parte d'un V. T.

a dîie, for se tre lingue : ebraica, greca e latina.

Cominciamo dal richiamare alla memoria un punto capitale messo


bene in luce dal Gebhardt a pp. xxvii-xxxv il codice Marciano :

gr. Vil é autografo dal foglio i ail' lxxxi'. Onde non é luogo a dub-

(1) Cf., ad Nestlé in RealencyklopUdie fur prot. Théologie utid Kirche ' III, 24;
es., E.

H. A. Redpath Hastings A Diclionary of the Bible IV 866; R. Gottheil in The


in J. A.
Jewish Encyclopedia III 188, V 136 Vigouroux Dictionnaire de la Bible 111 291
;
;

ËHRHÀRD in Krumbacher Geschichte der byz. Litteratur- 12.3, 125: Swete An iniroduc-
tion to the 0. T. «i Greek ^ 56 sg.
512 REVUE BIBLIQUE.

bio suir età del traduttore, che è l'età stessa del codice, e cioè la
seconda meta del secolo xiv o, al più basso, il primo principio del
secolo XV. II Bessarione medesimo (1395-1.V72), già possessore del
ms., se bene s'appose nel chiamare « nuova » la versions, tuttavia ci
ritiene dall'avvicinarla troppo ai giorni di lui,, perché non conobbe
nulla aflfatto deU'autore (1); si direbbe che egli se ne sia procurato il

codice, non che dircttamcnte da esso, nemmeno cosi da vicino, e non


abbia, egli cosi avido di sapera, potuto ottenerne notizie.
Ora in quei fogli autografi, e in quelli soltanto, colpisee una par-
ticolarità piccola ma qui notevole : al somnio d'ogni pagina è scritto,
secondo 1' uso de' nostri pii antenati, in lettere latine di quel lempo :

Ave M{aria). La lettura del Naumann, accolta dal Delitzsch, è sicura;


eziandio in qualche altro codice greco, ad es. nel Vaticano 261, del
sec. XIV, scritto in Orienteda un Latino, credo, o da un Greco edu-
cato da Latini (e nel Vat. 2297 ai ff. 2-9, foœe di un' altra mano)
vedesi la stessa salutazione al sommo délie carte 8-113, mentre i
copisti greci o non ponevano nulla, o più tosto e più spesso vi pinge-
vano una croce, o scrivevano talvolta un' invocazione diversa, come
XpiaTS Tupo'^Y^^ '^'^'^ £,u.wv r^0T^^\}.'X1^ù^^. Ayioi, Tpiàç jSov^Gîi [xoi. 'Ivjaou jâû-^ôet,

ecc.
Il Delitzsch ad escludere come un'assurdità che l'autorc
si afl'rettô

abbia potuto scrivere quelle Ave Maria, e mise innanzi il pensiero


che un Latino informato délia morte anzi tempo dell'autore abbia
aggiunto qucUa « intercessione per ranima» di lui '2). Lasciamo di
chiedere come mai un Latino abbia potuto sapere délia morte, se non
era un vicino o un amico, e di osservare che, ncU'ipotesi, ci sarebbe
da attendere invece un Requiem aeternam! Piuttosto, come mai
quel taie non continué oltre il f. lxxxi, l'ultimo scritto dallautore, e
si fermô proprio li? come mai il Gebhardt non vi notô nell'inchiostro
e nclla maniera e inclinazione délie lettere alcuna diCTeronza dalla
scrittura délie pagine sottostanti?E che piacere, che commodità, che
ragione di scrivere a quel posto, in un codice già compiuto e cucito,
ben 162 volte quelle due paroline sole! mentre tutto ciô si capisce
bcnissimo se fu proprio lo scrivcnte a mettervelc, durante il lavoro,
a principio di ciascuna pagina. Taie era la consuetudinc, di'molti

f\) GF.nnARDT, p. XXIV sg., « cf. p. XVII n. 1 : « réveai; v.aX â)).a tt,; 7ta),atâc ypa^?,;. v£a
Tivi; ép(iïiv£'a. àpjrETai àiro toO Tf),ou; toû (îiQ.îou xatà 'louôaîou; iiOva Iranslatio iii

Graecuin. inripiens a (inc lihri modo luilaico. B. Car. Tusculani ».

(2) « Hanc precalionern ab au<;lore vcrsionis profectarn ossn in coKitalioncni cadorc non
potesl. Suspicor esse inlercessinnetn pro anima aucloris a Latino quopiam adscriplain,
qui quarn malura morle abreplus sit, compcrliiin habehal ». Prcfa/.. <il., p. mii s^.
MELANGES. 5i:i

almeno ; d'un lavoro sacro cosl grave e


e nel caso nostro, aU'autorc
di sforzo continiio, clie corresse conpena minuziosa quelle pagine tor-
mentate, il pcnsiero di salutarc Maria per aiuto ad ogni svulta doveva
venire corne un grato soUievo e un novello eccitamento, nonchè
semlîrare un provvido mozzo di oltener lena e di santificar megiio il
pi'oprio lavoro. Chi è cattolico, mintende.
Pertanto io non dubito guari, che quelle Ave Maria délie pagine
autografe sono délia mano delF autore stesso, il quale sapeva scri-
vere latino, non meno corrcntemente, se non anche megiio del
greco (1), e seguiva un uso prevalentemente, per non dire pretta-
mente latino.

Fissianioci ora sovra tre singolarità esteriori : il formato del


manoscritto, l'ordine délia scrittura e la divisione délie linee.
1° Il formato è strano (« prorsus insolita atque inusitata »,

Gebh., p. xxiv) : il ms. misura 28 su 10 cm.! Si direbbe piuttosto


una « vacchetta », un antico registro di negoziante (2). — 2" L'ordine
deifogli è per noi retrogrado : la scrittura comincia « modo iudaico »,
notava il Bessarione, dalla pagina per i Greci e péri Latini ultima,
perô non dal fine délie riglie. 3° Le linee sono disugualissime —
tra loro quale è oltremodo piena, quale cortissima, anche dove
:

la proposizione continua nella linea successiva e non appare alcuna


ragione del vuoto, come sarebbe per la distinzione o interpunzione,
per una nuova sezione. Inoltre le parole non sono mai tronche ma
finiscono col finire délia linea, a costo anche di farla troppo lunga e
di moltiplicare le abbreviazioni (3).

Ora come sispiegano questi tre fenomeni affatto singolari, special-


mente nel loro assieme?
A quanto pare, si dà una sola spiegazione che basti la versione :

greco-veneta, che è una versione dall'ebraico, doveva stare accanto


e del pari a un testo ebraico, in modo da corrispondergli pagina per
pagina e linea per linea. Di qui l'ordine semitico délie pagine, la

(1) Non ardisco aggiungere che la sua scrittura greca, tuttochè d'un aspetto singolare
(« rarum ne dicam unicuin praebeat aspectum » Gebhardt, p. xxvii), e le « inusitate »
:

abbreviazioni rivelino una niano straniera, avvezzalasi di poi aU'aHabeto greco la stra- :

nezza mi senibra più grande all'apparenza cbe in realtà.


(2) Un formato simile l'ho talora osservato, ad es., in qualche lessico ms. e nell'Omero
Vat. gr. 25. Nei lessici l'avere ad ogni linea un nuovo vocabolo conferiva sopratutto alla
perspicuità e alla comodità nella consultazioiie; nell'Omero, credo, per risparmio délia
carta, si voile tenere le linee lunghe quanto la média tiegli esametri, e non più.
(3)Mi fondo su due facsimili aggiunti alla edizlone. Quanto aile partizioni dei libri

V. Gebhardt, ib. p. xlii sgg.


Î1I4 REVUE BIBLIQUE.

disuguaglknza délie linee dipendenti dal contenuto délie righe


ebraiche (1) e la integrità délie parole alla fine di esse; e di qui
anche lo strano formato, che diventerà normale solo che si raddoppi
la larghezza dei fogli per aggiungervd il testo originale.
Ma l'ebraico fu poi da vero copiato accanto al greco?
A
detta del Vigoiiroux, qualcimo avrebbe congetturalo che la ver-
sione fosse scritta nel margine interno d'un codice ebraico, a oui più
tardi fu tagliata via la parte ebraica (2). Ma un margine interiore di
almeno 10 cm. è un'enormità. Inoltre, poichè nella facciata prima il
greco sarebbe stato copiato primo e secondo l'ebraico, anche nelle
facciate seguenti avrebbe dovuto, naturalmente (3), accàdere altret-
tanto, e cosi vcnire a tergo délia colonna grcca una colonna ebraica e
viceversa; onde nel taglio si sarebbero di nécessita recise e salvate
alternativamente ora la parte ebraica e ora la greca ciô che non è :

vero. Da ultimo ÏAve Maria avrebbe, nelF ipotesi, dovuto cadere a


seconda del solito circa il mezzo délia pagina e non délia colonna
greca, quindi sopra il vano esistente fra l'ebraico e il greco, anzi
piuttosto sovra l'ebraico, se la versione era stata aggiunta nel mar-
gine.
In conseguenza io ritcngo col Gebhardt, p. xxv, che i fogii del
codice sono interi, non dimezzati e nemmeno ridotti a un terzo délia
larghezza primitiva, e che per ciô l'ebraico non v'era stato copiato
prima non ve lo fu dipoi. Invece penso che l'autore nel comporre
e
la version —
enon volendo sciupare (se pure potea trovarlo o farselo
copiare) un codice ebraico con tanto vuoto ai lati délie pagine da

(1) Nei codici a due e più lingue (v. indicati alcuni a p. 13, n. 2) si osserva semprc una
laie disuguaglianza nelle linee dei testi derivali o secoudarii, quanle voile i copisli voUero
farle corrispondpre a quelle del leslo principale.

(2) Dictionn. de la Bible, III 291. Il Gebhardt, p. lxvii, n. 2 é i)iù cauto, e dicesem-
plicemente : « Grediderismcinbranain qtiartanariarn ab eo disectam el ila dimidiatam esse,
ul unius columnae latitudo rolinquerelur. Forlasse hoc modo a forma codicis llebraici,
quem ante se babebat, duas Tel plurcs columnas in singulis paginis exbibento, idcirco dis-
cessil, ne qui hiinc codiœin Ilebraeo more disposiluin legorent, coliunnarnm in eadem
pagina duplicalione confiindennlur ».

(3] " naluralmenlc », per la tendenza che lulli hanno a faïc allô slcsso modo ne'casi
Dico
uguali. E coMf fallu ne' codici biiingui con due tesli paralleli in colonne parallèle (non
al margine) Barber, gr. :y'i\, Palat. gr. 232, Valt. grecl 69.5 e lOTit, Criplense Av II, lulti
:

greco-lalini, e Val. lat. 81 e gr. 113fi, Olloh. gr. 208, che sono lalino-greci. iNel Salterio
penlagiotlo Val. Barber, or. 2. che dcv'esseri' compilazione ordinala da un Copto, si inir6
invece alla corrispondenza |)crfclla ddle facciate del libro aperlo. ossia délie facciaU* di
Ironie, e menire nel f.' si pose V l'anneno, 2" arabo, 3" il coplo, V il siriaco, 5" l'elio-
I

feco inversamenic, di modo che al lergo dell'armeno c'è sempre l'arrneno e


picfi, nel f.' si

cosi di seguilo. V. fuori del nostro proposilo l'Ottob. gr. 258 che ha il lalino aggiunlo
alla meglio nel margine esteriore; in esso la nécessita non permise di lare diversamenle.
MÉLANGES. îilK

capirvi la vei'sione in corrispondenza perfetta aile righe dell'origi-


nale, e non volendo ncmmeno pcrdere il tempo a trascrivere nella
brutta copia il testo ebreo —
da saggio edesperto si appigliasse al
partito di stendere dapprima a parte, per correggerla liberamente,
la traduzione, manteneudo inessa con precisioiie b' colonne e le linee

del suo testo cbraico, coirintenzionc di trascrivcrla (se vuolsi) nel

supposto marginoso ms. ebreo, o piuttosto di ricopiare o fare rico-


piarc poi insieme Funo c l'altra tali c qiiali nell'esemplare défi-
nitive.
La brutta copia délia versione, in parte autografa e riveduta dili-
gentissimamente e per il resto maie scritta da un terzo e punto rive-
duta, è g-iunta a noi nel codice Marciano, che sarebbe divenuto poi
una délie colonne deiresemplare definitivo : l'altra colonna, quella
deU'originale, chi sa che non rimanga anch'essa luttera! Giacchè
nessuno cercô mai fra i codici ebraici superstiti il ms. usato dal tra-
duttorc, ms. che dai termini délie colonne e délie righe, se non
anche dal numéro e dall'ordine dci libri sacri (1), non dovrebbe
dssere difficile ricenescere, ove resti.

Pertanto, se l'impressa fosse andata al fine, ne sarebbe uscito, forse


intero, un Vecchio Testamento ebraico-greco, perè (si noti) non dei
seliti poligletti con le versieni correnti, ma eon traduzione afFatto
nue va, letterale sino allô sforzo del lessico e delFindole délia lingua
greca, pur cosi sovranamente conosciuta e usata daU'interprete (2), e

somma, sia pure pedantesca e


ciô per a more (credo) d'una fedeltà
menoprovvida, che non potè non avero un più alto scopo, e non per
una virtuosità o fantasia qualunque.
Ora, poichè Fautore di tanta irapresa o fu un Latine peritissimo
d^l grece eppure un Grèce state cesi in contatto col latine e coi Latin i

da scrivere correntemente e bene nelFalfabeto lero e da seguirne

(1) L'ordine : Proverbi, Rut, Gant., Eccl., Treni, si Irova nel codice di Pietrograd
dell'an. 1009. ein-quelli delMuseo Britannico: Harleian. 5710-11 dell'an. 1230 c, Add. 15251
dell'an 1448, Orient. 2201 dell'an. 1246, ed è indicato coine quello giustoe secondo la tra-
dizione Palestinense nel trattalo Adath Deborim dell'an. 1207. Cf. Ginsbirg Introduction
to Ihe Massoretico-critical édition of t/ie Hebrew Bible (1897) 2, 6, 7. L'ordine Rut, :

Gant., Eccl., Treni, è nei codici 7 c 8 di Ginsburg, ib. 4. Più voile poi ne' mss., come neile

stampe, vennero per l'uso liturgico riuniti al Pentateuco i cinque Megilloth Cant., Rut, —
Treni, Eccl., Ester—, tanto in bibbie complète quanto a parte (ib. 3); ma ail' uo|io noslro
sarebbe bene trovare proprio codici, ne' quali gli Agiografi del Greco-Veneto, cosi ordinati
coi Proverbî in testa, vengano subito dopo la Legge, quantunque sia possibile che il tra-
duttore abbia avuto un codice per la Legge e un altro per gli Agiografi, e questi non sia
riuscito a terminare. La ricerca rai tirerebbe troppo fuori di strada nemmeno la tenfo.
(2) V. Gebhardt, p. xLvn sgg.
:il6 REVUE BIBLIQUE.

con Ave Maria le testate délie pagine, saià egli


l'uso pio d'infiorare
una pazza temerità l'imniaginare che forsc medito anche di aggiun-
gcre unacolonna latina, o con la versione Volgata o con una propria
nuova fedelissima dallebraico o, dove la tenesse, con quella di
S. Girolamo, formando cosi un V. T. triglotto utilissimo ai Franchi
d'Orienté e d'Occidente e... agli altri, sia nello studio délie Scritture
santé, sia in quello allora rinascente délie lingue, sia anche nella con-
troversia cogli Ebrei?
GoDfesso che da prima (sotto Tinflusso délia ipotesi nienzionata dal
Vig-ouroux) m'cra sembrato di trovare in questo la spiegazione del
primo posto assegnato al greco nel codice Veneto per ragione di :

dignità e d'una maggiore comodità nello studio l'ebraico sarebbe


stato posto nel mezzo, la versione greca a destra e la latina a sinistra.
Ma perché allora nelle facciate posteriori il latino avrebbe dovuto tro-
varsi al di dentro e salvarsi, e anche per la postura dell'/li'e Maria,
mi sono convinto che alla prima supposizione mia non v'è qucll'ap-
poggio nel manoscritto,
Perô vi è qualche cosa di meglio e di più sicuro che non quella, se
mai, incertissima traccja consta positivamente che proprio nella
:

seconda meta del secolo XIV un tenlativo del génère, anzi il tentativo
ancora più grande di un'intera Bibbia ebraico-greco-latina, con una
versione nuova del N. T. in ebraico, fu in parte compiuto da un
monaco basiliano del monastero di Studio in Costantinopoli, di fcde
Romana, stato vescovo nellltalia méridionale e poi in Grecia, legato
del papa in Oriente per la riunione délie Chiese, che dimorù e mori
in Roma Simone Atumano.
:

Srirà una coincidenza puramente casuale, che proprio nella dirc-


zione in certo modo indicataci dal codice Greco- Veneto c'incontriamo
in taie lavoro singolare e in taie uomo?

2. — La Bibbia triglolta di Simone Atumano.


1. — Il Vecclii" Teslamento.

Kaoïd de Rivo, il célèbre decano di Tongrcs (y \WX) (1), che im-


parù da Simone in Uoma verso il 13S1 « quidquid... de (irammati-
corum erroribus » egli poi ne' suoi libri corresse coll'aiuto del

fl) Su lui V. C. MoiiMiEm; O. S. \\. Hmhdph de Iliro der leiztc Vertrefer dcr allrfi-
misclicn Liturgie \ lî)M = Hccueil de travaux piitiliés par les membres des confé-
rences d'histoire et de philolorjie dell' Universilà di I.ovanio. Fasc. 29. Il II voluiiic coi
testi. u>rilo nel 1915 (? v. Theolotj. Iterue 1915 col. 96), non ho ancora vedulo.
MÉLANGES. 517

greco (1), in uno scritto finora non ritrovato (2), ma veduto ncl
secolo XVI dairagostiniano J. Latomus (lô2'i.-1578) (3) e nel scguente
dal doinenicaiio M. Harney (f 170 V), lasciù questa testimonianza, che
l'Harney ricopiù (i) nel codice Vindobon. Suppl. gr. 52, il Treschow
stampô nel 1773 (5) e Kollar di nuovo nel 1790 (6) con qiialche dif-

fercnza.

Recolendae memoriae Simon Archiepiscopus ïhebarum Baeotiae, ortus de Con-


«

in triura linguarum peritia llieronyrao comparandus, qui pervenit et


stantiiiopoli,
permansit Romaeanno 1380 (7) quidquid in librismeis de Grararaaticorum errori-

Treschow, Kollau e Moiiliîekg I 36 scrivono « emendavi, ex graeco edocuit », a


(1) :

inio parère, malamcnte meglio il Moiilberg ib. 22 « ... ex graeco, edocuit ». Ne riferirei
:

col.Mohlb.il passoa précèdent! scritti grammaticali di Radolfo stesso. quasi ne avesse


lalto una « edizione migliorata », un « rimaneggiamenlo » (p. 36) dielro gl' insegnamenti
di Simone ma intendo piutlosto che egli, solo in grazia di qucsti, poté ne' suoi libri
:

sia poi di proposito in opère grammalicali, sia occasionabnenle in altrc opère — correg-

gere errori di scrilti o di insegnamenti grammaticali altrui.


(2) Moiilbkik; I 20. Lo scritto era forse posteriore al 1396 (v. p. 17, n. 2), certo al 1386,
acrennandovisi alla morte di Simone, accaduta verso questo anno.
(3) Corsendonca (Antuerpiae 1644) 11 sg. « ... etiam linguis instructus : : audiveral
enim Romae graecas tradentem Simonem Constantinopolitanura, Thebarum archie-
lilteras
piscopum. (jucm Romae lloruisse percei'imus sub annum 1383 ». Non trovai il libro in
Roma, e oltenni copia di alcuni passi per mezzo dell'abbé A. Guillaume di Parigi, che qui
ringrazio.

(4) Nel 1704, dice MouLBEur. 1. c, ma credo per equivoco coll'anno di morte del P. Har-

ney. Questi com[irô il codice nel 1666, e non deve aver tardato tanto a studiarlo e ad
aggiungere varie notizie nei fogli di guardia. — Che Harney non Irascriveva dalla Corsen-
donca del Latomus è manifeste -.
in questa il passo non ce, non c'é nemmeno una citazione
esplicita; e c'é discordia nell'anno.

(5) Tentamen descriptionis codd. veit. aliquot graecorum N. F. mss. 86 sg. Stampa :

« A. D. McccLXXx, ... opus in très paginas tribus linguis dislinctas », e con una virgola
avanti « totum » fa morire prima il papa e ritenere l'opéra da Simone! Mi attengo al Kol-
lar e al Denis bibliotecari in Vienna.
(6) Ad P. Lambecii comment, de aug. biblioth. eues. Vindob. libros VIll Supple-
mentorum Mohlb. ha riprodotto la nota in pezzi staccati, a pp. 20.
liber 1 [éd. Denis] 22.
21. 22. — Sul ms. cf. Gregory Textliritih des .Y. T. 128 e v. Soden Die Schriften- I

des N. T. I 107, i quali troppo separano per tempo mentre non è da distinguere aflatto)
ilpossesso dellHarney da quello dei Domenicaci di Bruxelles, e trascurano la notizia del
Latomis, che il ms. fu portato da Roma, e quella dell'editore Hoyberg (cf. Moiilb. I 25 sg.)
che esso « anno 1633 per praedecessorem nostrum Matlhiam Bakelium annuente conventu
donatnm fuit loanni Woverio aerariiregii Belgicicommissarioseu assessori, quiidemin His-
panias ad ducem comitem Olivarium, regiae Maieatatis supremum consiliarium transmisil ».

lo dubito perô di questo invio, forse pensato ma non eseguito : perché altrimenti lllarney
non avrebbe ritrovato il codice nel 1666 proprio all'auzione vanden Wouwere. L'Oli-

vares, clie « spogliô del meglio parecchie biblioteche del regno » (Graux), non credo
avrebbe rimandato mai il ms.
(7) Latomus éd. ha « 1383 ». Chi dei due lesse meglio? oppure ce errore di stampa in
qualcuno? Raoul lu di certo a Roma nellinverno 1381-1382 (v. Mohlberc I 19 seg.', men-
tre Simone si trovava in Tebe al tempo dell'espugnazione fattane dai Navarrini avanti
laprile 1380 e alla flne del maggio 1383 stava per intraprendere un viaggio in Oriente délia
durata possibile d'un anno.
518 REVUE BIBLIQUE.

bus emendavi ex graeco edocuit. Qui Vêtus Testamentum ex Hebraeo in Graecum


et Latiniim transferens opus (1) tres*i)aginas in tribus linguis distinctas Papae prae-
sentavit; sed cuni morte praeoccuparetur, Papa totum sibi retinuit ».

Se non tutto è chiaro in questo passo, alnieno vi è manifeste :

1° che Simone non a ricopiare version! esistenti, ma a farne


si era dato
egii medesimo proprio daU'ebraico, e a farle non solo in greco ma
anche in latino; 2" che egli présenté al papa di allora (IJrbano VI) il
lavoro e che in esso i testi délie tre lingue erano tenuti distinti in
altrettante « pagine » 3" che per la morte di Simone il lavoro rimase
;

presse il papa.
Notizie, corne ognun vede, particolareggiate, précise, che Radolfo
avrà forse potuto ricevere in parte — circa il piano e l'inizio del
lavoro — da Simone stesso nel primo soggiorno romano del 1381
circa, ma péril resto avrà saputo, dopo la morte avvenuta nel 1386
c, sia per informazioni trasmessegli da amici. sia piutosto per ricerche
fatte da lui medesimo durante il secondo soggiorno in Roma alla fine
del 1396 c nella prima mctà del 1397 (2).
Ci sono tuttavia due punti oscuri. Quanto del lavoro Simone aveva
realmente compiuto? tutto il Vecchio Testamento? una buona parte?
o... solo le tre pagine che avrebbe presentato al papa, secondo la
interpunzione del Kollar? Inoltre come mai nel primo e nel secondo
caso i tre testi paralleli poterono essere distribuiti in tre pagine
diverse? salvo un incomodo perpetuo e per l'autore e per i lettori,
incomodo di cui persino Fuomo più inipratico si sarebbe accorto
subito nel primo foglio e avrebbe cercato liberarsi.
Ora io tanta impraticità non posso credere cosl facilmente (3), e
molto mcno che Simone abbia prcsentate tre pagine sole al papa, :

che poi per queste sole tre pagine di saggio Radolfo abbia scritto e
« papa totum retinuit ». Per questi motivi e anche per rispetto del

latino non so indurmi a costruire, come fece il Kollar « in graecum :

et latinum transferens opus », ne a staccare « opus » da (( pracsenta-


vit », per quanto il complemento « très paginas in tribus linguis dis-
tinctas » venga in tal modo ad esser campato in aria senza avère

1) Koi.LAR (lopo <( opiis » rnetle virgola, a torto. penso; MoiiLiiEiir. I 21 la tralascia, ma
inlonde ui^iialiDcnle clie Simonin abhia presenlato al papa saggi dcU'opera u Proben dieser
Arbeit >/), non l'opéra, e non lascia Irapelare d'aver senlilo diflTuoIlà vcruna nel passo.
'2j Cf. MoiiLBEiu; I 40. l'er queslo in<:lino a credere che Io scrillo sniarrillo fosse degli
ulliiiii anni (i:}y7-1403) di Hadolfo.
i3> I lellori non s'impazientiiiu :e prima e qui c poi .sono dovuto scendcre a quisquilie,
a scioccliexze, délie quali mi vergogaerei, se non avessero, contro l'altesa, qualche
ulilità.
MELANGES. 510

parola che lo legga, c piuttosto riteng'o che o lllarney o il Kollar


abbiano maie oppiire dimenticato qualche parola.
letto
Qiiale fosse codesta parola, non asserirô con una franchezza, che
sarebbe meno prudente invece ho il sentimento abbastanza siciiro,
:

che Uadolfo voile indicare che Topera ave va « le pagine », ossia cias-
cuna pagina, distinta, divisa in tre lingue, insomma in tre parti, puta
a tre colonne, una per lingua, appunto comc erano nel Nuovo Tcsta-
mento triglotto del nostro Simone, secondo la descrizione apertissima
di Sisto da Siena, che trascriviamo qui appresso (1). E percio, noncre-
dento facilmente ammissibile per il tempo di Radolfo l'uso délia
parola « pagina » per « colonna » [cûJ.:; =
pagina), che permet-
terebbe di salvare « très », inciino a sospettare in « très » una cattiva
lettura del compendio all'apparenza abbastanza vicino di « iiabens »
(hés) e a restituire provvisoriamente « opus habens paginas in tri-
:

bus linguis distinctas » sebbene la descrizione non riesca tanto


;

chiara — forse anche per la troppa concisione —


quanto quella che
riferiremo di Sisto, e non faccia conoscere l'ordine preciso, nel quale
erano disposti, Tuno accanto aU'altro, i tre testi.
Comunque, mi pare abJmstanza legittimo ricavare dal passo di
Radolfo, che Simone non présenté al papa una meschina prova di tre
pagine, una per lingua, ma un' « opéra », !'« opéra » in copia più o
meno definitiva, coi tre testi in ogni pagina, e che, morto l'autore,
« totum » fu ritenuto dal papa. Se il ms. andô perduto, come è da

temere per le tempestose vicende subite da Urbano e dalla sua corte,


o se fini nella biblioteca pontificia e compaia in qualche inventario
del tempo avanti Nicolô V, ce lo insegnerà lo storico délia Biblioteca
Apostolica, al quale è sacra questa dissertazione; presentemente,
almeno per quanto si sa, non
rimane più, e per questo non è pos-
vi

sibile dimostrare all'evidenza che la nuova versione greca in esso


contenuta era proprio quella del ms. Marciano e che il Greco-Vencto

(l)Per ispiegairni in qualche modo il « très paginas « senza toccarlo, avevo pensalo che
Simone, o per economia di tempo e di spese, o per la diflitoltà di trascrivere l'ebraico e
cli farvi benc corrispondere linea per linea le due versioni, non avesse composte la Tri-
glolta in un codice solo, a tre colonne per pagina (o per le due pagine di frontej ma in
tre codici, l'uno ebraico, già scritlo da altri, l'altro greco, come il Veneto, e il terzo la-
tino. e questi con le stesse divisioni di testo, di pagine e di linee come nell'ebraico, e cosi
présentasse tre pagine distinte in tre lingue, una per ciascuna. Ma questa spiegazione,
mentre non corrisponde di più aile parole, non ripara alla mancanza délia costruzione. E
poi, se all'autore un taie processo di lavoro poté fornare d'un certo comodo nel tradarre.
punto comodo sarebbe riuscita l'opéra ai lettori nell'uso. Inoltre egli non fece cosi nel
Nuovo Testamento, e non è versimile che egli abbia nelle due parti seguilo un processo e
una forma esteriormente tanto di\ ersa per non dire che si avrebbero ottenuli
; tre codici
diversi, uno ebraico, uno greco, uno latino, e non un'opera trilingue.
520 REVUE BIBLIQUE.

è opéra di Simone. Nondimeno, poichè non è molto verisimile (corne


diccvano) che a quel tempo istesso siano state fatte duc nuove ver-
sioni greche dall'ebraico, e tutte e due lo vedremo subito délia — —
più tenace letteralità, e tutte e due da persone del pari conoscenti c
scriventi latino; voglio sperare di non essere io solo a credere più che
probabile l'identità délia versione Grcco-Veneta cou quella di Simone
arcivescovo di Tebe, e perciô a ritenere (fuori dell'aspettazione del
Gebhardt p. xxxvii) che, oltre la brutta — ne so se compléta —
copia venuta in mano del Bessarione, ce ne fu per lo meno un'altra,
prpsumibilmente posteriore e migliorata, nel Vecchio Testamento
ebraicogreco-latino presentato da Simone a Urbano VI e da questi
ritenuto.

2. — Il Nuovo Testamento.

Più tarde, ma molto più particolari e précise sono le informazioni


sul Nuovo Testamento di Simone corne quelle che vengono da due
compétent!, dei quali l'uno, il famoso orientalista Âgostino Giu-
stiniani,vescovo di JNebbio in Corsica (f 1536), adottô un buon terzo
dell'opera, e l'altro, Sislo da Siena (f 1569), la vide e l'ammirô.
Cominciamo dalla notizia brève ma piena e viva di Sisto, nella
quale, ail' infuori délia data, forse congetturale e approssimativa,
troppo bassa « liOO » e délie scritture meno buone « latumaeus » e

u Gyratii », non c'è nulla da toccare.

« Simon latumaeus, episcopus primum Gyratii, et mox Thebaruin archiepiscopus,


patria Constantinopolitanus, graece, latine, et hebraice doclus, et in divinis scrip-
turis continua lectione exercitatus, totius novi instrumenti seriem ex emaculatis-
simis graecorum codicibus suprema diligentia in uiium redegit, subinde vero et

in hebraeum et in latinum vertit sermonem, verbum de verbo fideiis-


sime interpretatus. Demum bas très editiones in tribus per singulas
paginas columnis tanta industria disposait, ut linea lineae, et dictio
diclioni sibi e regione oppositae tam sensu quam verbo aptissime res-
ponderet. Claruit anno domini 1100 » (1).

Sisto non dice di aver veduto, ma pure colla sua stessa ammira-
zione e vivezza di scrivere ben dimostra di avère maneggiato l'opcra
di Simone, nella qnale loda la corettezza del tcsto grcco, la fedeltà

somma délie versioni in ebraico e in latino {era buon giudice) c la

comodissima perspicua distribuzione dei tre testi nelle singole pagine,

(1) liihliotheca snnrta, libro IV, alla parola « Simon lai. ». éd. Vcnet. 1560, p. iR9,

dondc A. Porsevinls Apparahis sncrr III (lOOfi) :>'n coH'crrorc » lacuinaeus w.


MÉLANGES. 321

si che perfcttamentc corrisponrlevcinsi non solo per il senso, ma


anche nelle parole (1).

non sembranii da persona che parli di scienza altrui;


Tutto questo
perô, se anche ciô fo>se (2\ ben eccellcnte dovettc essere l'autorità
seguita da Sisto e in queste notizie e nelle altre verissime suUa patria,
sul cognome e sulle sedi di Simone, che non avrà certo désunie,
corne noi, dai Regesti papali, ma o dai titoli o dalla prefazione o da
qualche biiona testimonianza,
eccetto quella di Radolfo, da cui
avrebbe saputo, e invece rig-nora,il consimile lavoro di Simone per
il Vecchio Testa mento.

Ah se Sisto ci avesse qui precisamcnte indicato il luogo del codice


e, per le notizie più peregrine, le fonti sue, e non solamente in gé-
nère assicuratici sul principio (p. 305), di averle ricavate, ed è vero
« ex variis Italiae, Galliae, Hispaniae et Graeciae bibliothecis; quas
partira per amicos, partira per nos ipsos, raultis per Italiara et Gal-
liam susceptis peregrinationibus, non sine magno labore perlustra-
vimus » !

Assai più brève (forse perché non completo) ma molto preziose è il

passo del Giustiniani sulla tradnzioiie ebraica del Nuovo Testamento


fatta dall'Aturaeo. Eg-li l'ave va adottata nel suo Nuovo Testaraento
octaplo (coraposto avanti il 1516 e non raai uscito alla luce in conse-
g-uenza del poco successo coramerciale del Salterio octaplo starapato
in detto anno (3),) e lo dichiarô ai lettori nel la prefazione scritta in
latino e in ebraico, prevenendoli insierae che non si raeravigliassero se
la versione era dura e le costruziord più conformi alla lingua greca
che all'ebraica, perché il traduttore erasi attenuto di proposito alla
lettera, affinché non gli si potesse rinfacciare daver alterato una pa-
rola qualsiasi.

(1) Cf. la sua descrizione della Poliglolta del Giustiniani, ib. 327 : « in unuin corpus,
OcTAPLA inscriptum, redegit, tanto artificio, ut in singulis pa'ginis octo columnas dispo-
neret; in quibus omnes praedictae linguae, propriis characteribus expressae, totidem
lineis totidemqiie verbis sibi correspondentes, uno eodeinque aspectu cernerentur... ».

(2) Non oso escluderlo aflatto, perche Sisto uso il volume I del N. T. del Giustiniani e
noi abbiarao solo frammenti della prefazione di questi, e rimane sempre possibile, benchè
non sia forse molto probabile, che egli vi desse altre notizie sul nostro .\tumeo oltre
quella conservata.
(3) Cf. Della Bibbia polUjlolla di A. Gvaslmiani vescovo di Nebbio. Rafjionaniento di
un Accademico Labronico. Bologna 1818, pp. 20; Della... Racjion. del P. G. B. Si-o-
TORNO. Genova 1820, pp. 24. Due scritti di eguale titolo e di uno stesso'autore, ma di
redazione affalto diversa, che ho potuto leggere per favore del 0. Premoii barna-
ch.""" P.
bita. Citerô solo l'ultimo dei due, clie riproduce con miglioramenti tutta la sostan/a del
primo.
f)22 REVUE RIBLfQL'i:.

Ecco il passo in latino, quale sta con altri pezzi délia prefazione
nella BibliotJieca univei^salis di Corrado (lesner, secondo una copia che
se n'era fatta in Roma nel 1517 il francescano, poi protestante rifor-
mato Corrado Kûrsner, latinamente Pellicano, suU'esemplare forni-
togii dal Giustiniani (1). Se l'errore nel nome di Simone probabil- —
mente nato da uno scambio délia S con la vicina figura / o dalla
sigla
seguente sillaba la iniziale del cognome (2) —
risalga all'originale, o
piuttosto (come inclino a credere) alla copia del Pellicano o ad una
mala lettura del Gesner, non lio il mezzo di decidere ;
perô non puô
esser diibbio che si tratta dello stesso « latomaeus » di Sisto da Siena
e délia stessa traduzione ebraica, ossia del nostro Simone Atumano
arcivescovo di Tebe.

Il Giustiniani nella prefazione, dice il Gesner, « Deinde novo initio Hebraeos lec-
tures alloquitur.
Hebraei fratres quicumque hune legitis librum, ne gravemini quaeso sermonis incu-
ria enim euni e Graeco sernione in Hebraeum traduxit lacobus latomeus trans-
: qui
ferre singiilatim verba, non etiam sententias, voluit, ne corruptum ab eo
aliquid ab ullo posset praetendi. Eo pacto effectum est ut structus verbo-
rura duriusculi cvaserint et conformiores Graecae quam Hebraicae ac Lati-
nae linguae, etc. » (3).

Non è cgli proprio questo sforzo scrupoloso che si osserva nel


Greco Veneto? E la ragione, che se ne dà quale era da aspettarsi, non
soddisfa più che quella di uno spirito meschino di pura pédan-
te ria(^i-)?
Adunque la versione ebraica del Nuovo Testamento fatta da
Simone si conosceva e si conservava ancora verso il 1516; se anche da
se c separata, o solamente nel N. Testamento triglotto dcscritto da
Sisto, non risulta dalle parole che rimangono del Giustiniani. E si
salvô, pcr merito di questi, almeno tanto quanto durù il su<> N. T.

(1) Il Pnllicano si ricopi6 intera,' i»are, la prefazione, di oui Gesner riferisce solo passi
trasrelti, poi alcuni versetli del c. I di S. Malleo e due lellero al Card. Sauli (soli estratti
ne (là il Gesner), nelle quali il Giustiniani i'avverliva di aver (inito il Nuovo e coniincialo
il Veccbio Testamento e lo pre^ava di fare in modo clie l'opéra si slampasse.
(2) Se l'errore risalisse al Giustiniani stesso, avrebbesi (ma chi lo puo sapere?) una
prova sicura, clie Sisto, lutlocli»; conoscenle degli Kvangeli polif^lolli di lui, non dipesc
totaltnentc da esso nella noiizia su Simone.
(.3) Ed. 154.">, f. 105.'. L'" etc. » •• del Gesner. Chi sa clie non sonuisse qualclie accenno,
sia pure lievissimo ma Simone!
ini|iortnnte per noi, alla vita o ai lavuri di
li) T. XantmoI'OI LOS Échos d'Orient V (r.»02) 32.5
in «On voit diflirilemenl utilité
: I

pratique d'une (l'uvre de ce f^etire; mais elle révèle un helléniste de première force, un
admirateur de lanticiuilé classique ipii, >ans doute, par pur dilellanlisme, consentit ù
s'atteler a cellr rude besogne. >-
MELANGES. 523

octaplo, in due voliiiui (l), che cgli lascio cogli altri suoi scritti e libri
alla patria Gcnova, purtroppo meno diligente custode del nobile e
glorioso leg-ato. Sisto da Siena ne vide ancora un volume, i quattro
evangeli (2) : poi nessuno.
Non mi sotl'ermo a chiedere, se per avventura il Giustiniani, il quale
ag"giunse ovunqne aile lingue esotiche una traduzione letterale, fece
sua anco la versione latina di Simone dal greco, e se mai ne abbia
conosciuto il Vecchio Testamento trig-lotto e voluto adottare in qualchc
parte la versione latina dallebraico. Dopo la perdita délie opère, nella
mancanza di ogni testimonianza, chi osa affermare o negare? Solo
per il Salterio — se pure Simone lo tradusse mai — ardirei negarlo,
dichiarando il Giustiniani nella dedica a Leone X, che la sua fatica
principale, fu nel tradurlo, dall'ebreo e dal cadeo (3).
Per la stcssa ragione e per non avventurarmi in ricerclie che non
sono da me, accenno soltanto alla possibilità, che in taluni de più
recenti codici greco-latini del N. T. sec. xiv-xvi — quelli, ad es., coi

tre testimoni celesti nel g-reco — si celi una parte del lavoro di
Simone, la parte di utilità più comune, giacchè l'ebraico tentava
pochissimi. Naturalmente, bisognerà cominciare dall'esame del testo

(1) Egli stesso nel 1. V degli Annali délia repubblica di Genova (coraposti verso i

fine délia vita) all'an. 1470, éd. 1537, f. ccxxmr; éd. 1854, t. II, p. 464 : « Ho compilato
tutto il novo testamento in greco, latino, hebreo et arabico, scritto per una gran parte

di mia raano, si corne già compilai il stampato Psalterio, la quale opéra del novo testa-
mento che è in doi volumi, cosa non mai più cosi compitamente da alcuno attentata, si
coraprende ne i libri che ho donato alla città; et o posto mano anchora a compilare il
vecchio testamento in simile forma... ». Le ultime parole mi fanno dubitarè che egli non
abbia linito, e forse nemmeno condotto innanzi molto il V. T., sebbene nella seconda
letteraal Gard. Sauli annunciasse che presto l'avrebbe finito, e sebbene già nel 1516
lamico suo Leandro Alberti de viris illuslribus Ord. Praedicalorum (1516) f. 128
sembri darlo per fatto e compiuto. —
.Vnche lo Spotorno p. 7 sg. sostiene altrettanlo,
riferendosi ai passi del Salterio in cui sono citati gli scolii al Peatateuco, ai Proteti e al
N. T., intendendo 1' « extremam manum imponere » d'una semplice trascrizione
e
dell'opera già « formata ». Ma « compilare » non è solo a trascrivere »; e, del resto, chi
puô credere che i testi vari délia Poliglotta, de' quali aveva i codici, se li trascrivesse
egli una prima voUa a colonne, ecc, per trascriverli una seconda, con doppio spreco di
fatica e di tempo? Gli scolii, non ne dubito, li avrà composti a se durante gli studi pre-
paratorii, e potè Agostino benissimo cilarli cosi, anche prima di coraporre insieme i testi
e le versioni.
(2) Libro cit., alla parola « Huius tam praeclari
Augustinus Nebiensis », p. 327 sg. : «

operis ego duo tantum volumina videre merui « et ex novo testa-


», il Salterio stampato
mento, in universa quatuor evangelia, Octaplum, ipsa auctoris manu alramento minioque
descriptum cuius initium est, Fructum salutiferum, magnumque utililatis incremen-
:

tum^K —
Lo Spotorno, genovese, a p. 16 dice « per la maggior parte, e forse per sempre,
perduta » la fatica, cioé fuori del Salterio.
(3) « Accesserunt (qui fuit praecipuus labor) novae ex Hebraeo et Chaldaeo inter-
pretaliones ».

REVUE BIBLIQUE 1916. — N. S., T. XIU. 34


524 REVUK BIBLIQUE.

latino; il quale ove fosse di una nuova versione letterale e non délia
Volgata, cimporrebbe da se la questione.

3. — La scrittura di Simone Alumano.


Da qualche tempo era finita la présente dissertazione, ma non

ardivo consegnarla aile stampe prima d'avere cogli occhi miei osser-
vato la scrittura di alcune notizie autobiografichc, che un vescovo
di Gerace eletto precisamente nel giugno 13V8, e qumdi Simone
l'Atumano, si era segnate al principio dell'esimio codice Lauren-
ziano 32, 2 (1), stato certamente suo, e che già il Bandini nel cata-
logo dei codici greci Laurenziani e recentemente il Lo Parco hanno
pubblicate (2). Possedendo nell'edizione del Gebhardt un facsimile
qualunque délia parte autografa del Veneto, volevo almeno assicu-
rarmi che essa non diffetisse dalla scrittura délie notizie autobiogra-
fichc cosi grandemente da cscludere afl'atto l'identità délia mano;
perché, sebbene i vari indizi da me raccolti facevano credermi di
essere davvero suUe tracce del traduttore, a me stesso non sembra-
vano tali da rendere improbabile ogni altra origine. Invece, una
prova materialmente visibile a chiunque délia identità délia scrit-
tura, la speravo meno, bon sapendo per esperienza quanto le impres-
sioni in proposito siano varie a seconda degli osservatori e raramente
sicurissime.
'Ottenuto qui in Roma il ms. per liberalità dei chiarmi direttori
délie biblioteche Laurenziana c Casanatense G. Biagi e I. Giorgi, ai
quali debbo e rendo moite grazie, al solo vederlo ebbi il piacere di
constatare che la scrittura délie notizie autobiografichc, non che
irriducibilmente diversa da qucUa dei fï. I-Lxxxr^ del codice Veneto VII,
era simile ad essa neU'aspetto générale : nervosa, serrata, arrull'ata e
piena di abbreviazioni, quale di chi scrive per se anzichc per allri e

(1) Di questo inanoscritto, cbe è di un prej'io unico per diverse tragédie di Euripide
(cf. I'ALi,Y-WissovvA VI
DiETERicii in 124'J sg. vou CuRisT-ScuMiD GcschicMc der
;

griech. Lilteratur I 387), molli si sono occupati e G. Vitelli Inlorno ad alcuni luoghi
delta Ifigenia in Aulide {\811 fra le Pubblicnzioni del R. Istiluto di sludi superiori
;

di Firenze) ne ha dalo selle facsiinili in fotolitonrafia, e N. Wecklein uno, al fine dei


lieilrdf/e zur Kritik des Euripides (V., nei Sitznngsberichle dellaccademia di Mùnchcn,
an. 1899, II 342) e deila odizione di Euripide, t. 111 (1902). Perô una descrizione piena con
una storia del codice non mi é riusrilo di Irovarla; la meno di^iuna che ho vislo è di
U. DE Wii.AMo\\iT/-MoEi,LKNi)ORn Analccta lluripiilca (1875) 4-6, che maie fa « Calahrpse »

Simone c dice délie poslille di lui (senza affermare di averle lelle) « cum alibi lum ia :

Helena notulas margini adspersil, quales ab oliosis lecloribus prolundi soient nam ;

dislorlam et diinuentem eius manum facile adgDOScis, cum agnosli, spernis ».

(2) V. avanli, p. 27 sg. e Appendice, doc. I.


MÉLANGES. 525

non dubita di potersi leg-g-ere sempre; similmente tortuosa e incos-


tante o libéra in certe forme di lettere, ora ampie e piuttosto larghe
chc alte, ora appena accoiinate. E mi confermai nella stessa impres-
sione osservandovi altre scritture che mi paiono anch'esse délia mano
di Simone anzitutto l'indice dei libri canonici del Vecchio e del
:

nuovo Testamento (1), che sta nella pagina racdesima délie notizie e
fu scritto avanti quella almeno del 7 dicembrc t3i8, e poi gli argo-
menti dellAlace (f. 1') e dell'Elettra (f. 11'') e non poche postille,
alcune lungho, altre brevissime, nei margini délie tragédie di Sofo-
cle e di Euripide. Tutte queste scritture sono parimenti libère, tor-
taose, arruffate, zeppe di compendi e difficili a leggere, benchè diil'e-

riscano alquanto per l'inchiostro e per le proporzioni e talvolta per


l'inclinazione potevamo aspettarci. Perché chi
délie lettere, corne
postilla nervosamente per suo proprio usoa diversitempi, con diverse
disposizioni di animo e di mano, e debba adattarsi talvolta aile
angustie del margine disponible, non puô non variare, e notevol-
mente, salvo che non sia un paziente e comodo calligrafo, oppure
tenga la mano calma, fermissima, interamente servo e sollecito délia
massima eguaglianza. lo non intendo dilungarmi, perché, essendomi
stato concesso di riprodurre alcuni tratti da me scelti del codice Lau-
renziano — cosi possedessi fotografie del Veneto (2) e avendoli ! —
raccolti in una tavola insieme col facsimile del f. 68" di questo, i let-
tori possono vedere coi loro propri occhi e giudicare da se per
quanto puô giudicare.
si

Solo stimo non inutile ricordare :

1° che fra il 1348 e la scrittura del codice Veneto scorsero moite

(1) L'ordine è il seguente : Ottateuco, Re, Paralipomeni, 1 Esdra, Neernia, 2 Esdra,


Tob., Giuditta, Ester, Giobbe, napaêoXaî, Ecci., Gant., Sap., Sir., Is., Ger., Bar., Ezech.,
Daniele, Prol'eti rninori Amos, ecc), 1-2 Maccabei, Vangeli, lettere di
(Osea, loele,
S. Paolo, Atti, lettere cattoliche, Apoc. Sono oinessi i Salini e la lettera a Filemone
(credo) per diraenticanza, e non nominati i Treni. Si badi 7capa6oXac in cambio di Trapoifxt'at.
Quel titolo è anche nel Greco Veneto; perô, siccome gli altri titoli non corrispondono a
quelli singolari del Veneto (ad es., èv.y.lfiTiinzçn'x, PouÔri, AavteXoç), penso piuttosto che
esso venga dalla Volgata, nella quale scrivevasi insieme e proverbia e parabolae. E ci
pense perché l'ordine dei libri è insomnia quello délia Volgata ne' secoli xiii-xvi :

cf. S. Berger, Histoire de la Vulgate 335 n° 93; codd. Vatt. lat. 1 e 17 sgg. Non sorpren-

derebbe che Simone, ne' primi tempi délia sua venuta in Occidente, si sia voluto render
conto délia Bibbia che vi circolava, e allora ne abbia ricavato per propria nieinoria l'ordine
dei libri sacri e scrittane la lista nel suo prezioso codice dei tragici greci. Con se non,
avrà poi avuto lanti codici allora...

(2) Fino dal principio délia guerra i codici Marciani furono niessi al sicuro in altra
città remota dai confini, « e finchè le cose non tornano al loro vecchio stato... è... impos-
sibile servirsene », come mi scriveva il ch. Dr. A. Segarizzi, bibliotecario délia fondazione
Querini Stainpalia.
526 REVUE BIBLIQUE.

probabilmente parechi lustri, non che anni, e che, mentre le notizie

autobiografiche furono vergate nel vigore dell'età, la versione fu


composta verso la veccbiaia;
2" che la redazione di ricordi personali freschi, stesi anzi di mano
in mano e non destinati ad altri (1), era senza preoccupazioni e diffi-

coltà di sorta (benchè nemmeoo manchino le corrczioni!) e,


in essi

al contrario, l'abbozzo e il ripulimento di una versione greca sforza-


tamente fedele ad un originale ebraico difficile e in lingua di genio
affatto diverso non poterono non essere di somma pena. Conseguen-
tcmente, come dovettero nei ricordi trasparire la disinvoltura dello
spirito e la franchezza e rapidità délia mano cosi nella seconda riflet-

tersi le lentezze e le esitazioni dell'interprete, e anche la fatica stessa

dell'occhio costretto a seguire parola per parola l'ebraico da tradurre


e insieme a passare al greco che frattanto componeva e si scriveva;
si

onde interruzioni perpétue e disagio pur anco délia mano. In tanta


diversità e di anni e di condizioni d'animo e di organi, è molto se si
mantenga il tipo per dir cosi — —
fondamentale délia scrittura e le
abitudini di compendiare.
8° Finalmente ad un bastevole confronto sarebbe occorso scegliere

dalle pagine autografe del codice Veneto —


che non saranno tutte ne
in tutto uguali — parecchi saggi in corrispondenza aile postille lau-
renziane, e queste stesse sceglierle meglio col Veneto sott'occhio, e
non già disporre unicamente d'una pagina scelta da altri a caso o
per altro scopo, e d'una pagina in vecchio facsimile litografico (forse
ricavato da un facsimile a mano), che pare meno buono. Ma spero si

rimedierà a questo inconveniente, allorquando il manoscritto sia


ritornato, colla pace, alla sua sede.
G. Mercati.

(Ij E ciù é tanto vero, clie Simone non ha pensato nemanco a scriver\i il proprio nome.
MELANGES. 527

LA REPRESENTATION DES DIVINITÉS SOLAIRES


EN BABYLONIE

L'extrême morcellement politique du bassin du Tigre et de l'Eu-


phrate eut pour conséquence la multiplication des divinités locales;
chaque cité, chaque agglomération honora son dieu particulier.
Lorsque des monarchies plus puissantes se fondèrent, ces dieux
demeurèrent, protecteurs des nouveaux états; comme chacun d'eux
avait été doté par ses adorateurs d'attributs à peu près identiques,
avec le temps telle ou telle de ses qualités prévalut, de façon à
lui assurer une physionomie bien distincte. Ce fut l'oeuvre des éco-
les de théologie d'établir des hiérarchies et des tiliations divines, et
de mettre un peu d'ordre dans cette multitude de créations sponta-
nées.
Il était naturel que le soleil, source de tant de bienfaits, devînt^ en
même temps, l'objet de l'adoration de plusieurs cités : certains de ces
dieux solaires, par suite de l'obscurité des villes qui les honoraient,
ont à peine laissé un nom dans l'histoire religieuse; les autres ont dû
s'effacer devenu célèbre à cause de la pri-
devant l'un d'entre .eux,
mauté politique de sa cité d'origine. Us ne se sont maintenus qu'en se
différenciant, et en laissant passer au premier plan quelques-unes de
leurs qualités accessoires leur caractère solaire est peu à peu tombé
;

dans l'oubli (1).


Les monuments qui reflètent le mieux cette évolution sont les cylin-
dres et les kudurrus; en raison des orientations nouvelles imprimées
à babylonien, par chacun des grands bouleversements
l'art religieux
politiques, on peut considérer ces monuments à trois périodes :

1° l'époque archaïque ;
'2"de la dynastie d'Ur et de la monarchie
celle
d'Hammurabi; 3° celle des Kassites et de leurs successeurs.

il) Par cette expression de « dieux solaires », je ne prétends pas prendre parti dans la

question de savoir si les divinités de la Babytonie ont ou n'ont pas une origine astrale;
je désigne ainsi ceux que le consensus général croit avoir été considérés comme dieux du
soleil à un moment de leur histoire.
528 REVUE BIBLIQUE.

PKRIODE ARCHAÏQUE.

Samas. — Lorsque apparaissent les monuQicnts figurés (1), la sé-


lection est déjà laite, en Babylonie, parmi les dieux solaires; c'est
Samas, le Babbar sumérien, qui occupe la première place; il la con-
servera. En plus de sa nature, à laquelle feront allusion les cylin-
dres, il faudra que l'artiste objective les qualités que lui attribuent
avant tout ses fidèles; c'est un combattant, un héros, « quradu » (-2);
c'est un dieu de la justice. Dès l'époque de Gudea, le soleil passe pour
fouler aux pieds l'iniquité (3). Hammurabi se déclare investi par lui
du sentiment de l'équité (4), Samas est le juge des cieux et de la
terre (5) et, dès les temps les plus reculés, son culte fleurit à Sip-
par (0), et à Larsa où son temple est lÉ-babbar, à Babylone où on le
nomme l'É-di-kud-kalama.
Ces deux aspects de Samas seront rendus dans la glyptique de
l'époque archaïque : tantôt il apparaîtra debout, l'arme à la main,
dans l'attitude de l'action et de l'olfrc du combat;
tantôt il sera représenté assis, comme dieu-juge.
Dans le premier Samas
coiffé de la
cas, est barbu,
longue tunique fendue qui lui
tiare à cornes, vêtu de la

laisse la liberté de ses mouvements. Sa nature solaire


est indiquée par des traits ondulés, qui partent de ses
épaules et encadrent sa tète comme d'un éventail, ce
sont les rayons flamboyants de l'astre. Sa force nous est
affirmée par les armes qu'il tient à la main, une masse d'armes
((i. 29), ou une sorte de sabre court dentelé, dans lequel Ward voit

un souvenir des armes de l'Age de pierre (7; (i. 20^ BN. 72). L'émi-

(1) Nous nous reporterons aux publications suivantes Catalogue des Cylindres orien-
:

taux de la Colleclio» De Clcrq, Paris, 188.") (De G.). —


L. Delaporte, Catalogue des
C>ilindres orientaur du Musée Guimet, Pans, 1900 (G.). —
Id., Catalogue des Cijlindres

orientaux de la IHbliothùque Nationale, Paris, 1910 (BN.) —


L. Legrain, Catalogve des
Cylindres orientaux de la collection !.. Cugnin, Paris, 1911 (Cuf^niii). — V. Scheil,
Ci/lindres et légendes inédits; /{fvuc d.issijriologie. XIII, 1, 1916 (Sclieil). — W. Hayes
WanI, Seal cylinders of Western Asio, Washington, l'.ilO (WarJ), ouvrage dans lequel
l'auteur a reproduit plus d'un millier de cylindrt'S, de loutes |irovenance8.
(2) Bibliographie dan» Muss-Arnolt, Dictionnaire, p. 931.
(3) Gudea. Cyl. B, XVIII, 11.
(4) Code, verso, XXV, 95.
(5) Ketlinsc/iriftliclie /Ubliotlie/;,U\, 12; IV, 58-.'.9.

(6) Ziniinern, Beitrage zur hrnnlnis der babijlonisclicn Religion, p. 89.

(7) Ward, p. 88.


MELANGES. t;29

nence sur laquelle il pose le pied est la montagne de TOrieiit,


derrièro laquelle le soleil parait à son lever (G. 27, 29; BN. 8V, 85)
(figure I, G. 27). D'ailleurs Sauias est avant tout le soleil de
l'Orient (1). Pour que la représentation soit plus parfaite et s'adapte
mieux au mythe qui veut que Samas s'élance le matin dans le ciel par
la porte de l'Orient, les vantaux de cette
porte sont souvent figurés ouverts par
les tenants de Samas (De G. 85; G. 27;
BN. 71; Gugnin 15) (figure II, G. 27);
dans un cas (cylindre du British Mu-
séum reproduit par Ward, n° 2i4), un
petit lion surmonte chaque vantail. C'est
l'association naturelle de l'animal re-
doutable et vaillant, par excellence, avec celui qu'on qualifie de
« quradu ».

Lorsque Samas est dieu-juge, il est assis (Ward 270 et suiv.) ; il con-
serve aux épaules ces rayons qui le font recon-
naître (BN. 72; Heuzey, Découvertes en Chaldée,
pi. 30, n" IV). Il tient parfois la masse, plus sou-
vent le sabre dentelé (figure III, BN. 72).
Nergal? — Il est un autre dieu, à rayons de
flamme issus de ses épaules, dont les représen-
tations ont été isolées par Ward (chap. ix,
n"^ ISO-liO). Ce dieu, debout, attaquant un en-
nemi qu'il terrasse, possède certains attributs qu'il
partage avec Samas
les rayons de flamme, :

notamment. Souvent aussi ils lui font défaut, et


le personnage brandit, soit le casse-tête, soit un large

couteau triangulaire (ce qui en ferait une création


postérieure à celle du dieu au poignard dentelé, si la
sug-g-estion de Ward, sur la nature lithique de cette
arme, est exacte). Dans cette divinité, Ward voit avec
raison un dieu solaire il l'assimile à Nergal (figure IV,
;

De G. 18P' j.
C'est qu'en effet Nergal, s'il est le dieu des enfers,
le seigneur des batailles et de la peste qui pourvoient
son domaine, est aussi un dieu solaire; ce caractère
n'est pas tout à fait tombé dans l'oubli, mais c'est le côté terrible
du soleil qui tient ici la première place. Nergal est le soleil de midi,

(1) D. Babbar-ra = L't-ta-e (= ë]-ne = si-it i. Sarnas, Cf. XVI, 44, 86; 100.
530 REVUE BIBLIQUE.

dont la chaleur accable, celui qui dessèche, brûle, et tue par son
ardeur meurtrière. C'est pour tel que le reconnaît Salmanasar H sur
les portes de Balawat (V, 5). L'identification de Ward, si elle n'est
pas prouvée, est plausible; nous avons, en tout cas, dans cette re-
présentation, le personnage d'un dieu solaire.
Le dieu aux flots. — Ward a. également pensé attribuer à Samas
les figures d'un dieu assis, des épaules duquel partent non plus des
rayons de flamme, mais des rubans ondulés tombant à terre qui re-
présentent des flots, comme on le voit par comparaison avec les

flots qui découlent du vase aux eaux jaillissantes (Ward, n*"* 283-
300''). Quelquefois des poissons semblent remonter ces flots, jus-
qu'au dieu, ou bien ils sont figurés à côté de cette bande ondulée.
Le dieu accueille les suppliants, ou parait juger un homme-oiseau
que l'on conduit captif devant lui. Dans ces
représentations, le dieu n'a pas, d'ordinaire,
les caractères de Samas, ni le poignard
dentelé, ni surtout les rayons aux épaules,
qui sont, à l'époque archaïque, la caracté-
ristique du dieu solaire (figure V, Ward
285). J'hésite donc à attribuer cette repré-
sentation à Samas; elle me paraîtrait plutôt
convenir à Ea, dont il n'y a pas lieu de
fixer ici les caractères (De C. 83'"^). 11 faudrait ne reconnaître Sa-
mas dans ce rôle, illustrant évidemment un mythe qui nous échappe,
que lorsque ses caractéristiques : rayons, poignard dentelé, l'identi-
fient (BN. n° 72, où les flots manquent et où des poissons semblent
remonter vers le dieu).

Les emblèmes ne sont pas très nombreux à l'époque archaïque; ils

figurent comme accessoires des divinités, plus souvent qu'ils ne sont


employés pour rappeler un personnage divin.
L'hiéroglyphe de Samas. — Un emblème fréquent dans les
scènes ayant incontestablement trait à Samas, est une étoile à huit
branches, supportée par une tige perpendiculaire qui finit, à son
extrémité inférieure, par une sorte de fer de lance en losange ou en
triangle (figure VI, BN. 10). La tige perpendiculaire peut être coupée
de deux petites barres transversales (De C. liO, 150; BN. 10, IG, 18,
41, 01;Cugnin 7j. Cet emblème est considéré par Ward (1) comme
un symbole hiéroglyphique composé des deux signes cunéiformes

(1) The rising Sun; American Journal of Anhxologij, 1887, i>l. V-VI. tig. 1, 5, 10
MÉLANGES. 531

qui entrent dans la composition du nom de Samas. Heuzey (1) cons-


tate qu'il se retrouve dans « des scènes empruntées au cycle solaire ».

Des exemplaires où on le rencontre, on peut conclure, quelle


qu'en soit la nature exacte, que ce symbole appartient à Sa-
mas.
La masse —
La masse d'armes que nous
d'armes.
avons vue ligurer dans les mains de Samas, se retrouve, iso-
lée, dans certains cylindres (G. 29), comme attribut du dieu.
L'aigle. —
L'aigle aux ailes éployces, à tête naturelle, ou
léontocéphale, se rencontre sur les cylindres et sur les mo-
numents de Tello de l'époque des premiers patésis
(figure VII, BN. 15). Heuzey y a vu de véritables ar-
moiries de Lagas Thureau-Dangin, dans la Revue
(2) ;

crAssijriologie (3), suggère que c'est là l'emblème de


Ningirsu, dieu de Lagas, équivalent sumérien de Ni-
nib. Or ce dernier, fils d'Enlil, dieu élémentaire lui aussi, à l'ori-
gine, a hérité de son père le caractère solaire. Assur-nasir-pal et
Samsi-Adad y font allusion En outre, c'est, comme Nergal, un
(i).

dieu de la chasse, et comme lui un destructeur, mais redoutable


surtout par les armes, car il préside aux batailles. Ningirsu, au
temps de Gudea, est « le roi de l'arme (5) »; il est pourvu de
deux armes le éàr-ur et le sàr-gaz (6) qu'il porte l'une à sa
:

droite, l'autre à sa gauche (7); à l'origine, c'est le dieu solaire


de Nippur (8). Ceci permet une explicafion d'un cylindre de la
Collection Cugnin (n" 3), qui représente un aigle, les ailes étendues,
s'élevant entre deux ondulations quadrillées, qui, d'après la tech-
nique conventionnelle de l'époque, représentent des montagnes ne ;

serait-ce pas un équivalent du Samas, soleil levant? Ce cylindre


offre tous les caractères de la glyptique Elamite; laigle est, d'ail-

leurs, un motif courant de l'art archaïque de l'Elam (9).

L'arbre. — L'arbre, enfin, est un attribut nettement en rapport


avec les dieux à caractère solaire ; il est traité de deux façons diffé-

(1) Découvertes, p. 295-296.

(2) Découvertes, p. 202 et suiv.

(3) T. VIII, p. 94.


(4) Annales d' Assur-nasir-pal, I, 8.

(5) Gudea, B, VIII, 49.


(6) Gudea, A, IX, 84.
(7) Hrozny, Mijthcn vom dem Gott Xinrag, p. 15, 1. 12.

(8) Jastrow, The religion of Babijlonians, p. 106.


(9) M. Pezard, Étude sur les Intailles Susiennes; Mémoires de la Délégation en Perse,
t. XII, 1911, p. 138.
532 REVUE BIBLIQUE.

rentes : oii bien c'est une sorte de palme dressée, telle qu'on en
voit le prototype dans les monuments de l'Elam (figure Vllï, De C.
181"''), ou bien c'est un arbre véritable de la forme du cyprès, mais
moins élancé (figure IX, Sceaux inédits des Rois
d' Âgadé, Revue d'Assijriohgie, VI, 1). Ces arbres

sont reproduits dans nombre de cylindres dont


les uns ne figurent aucun dieu à caractère so-

laire, mais dont les autres sont nettement asso-


ciés au culte de Samas.
Uuelles sont l'origine et la signification de cet
emblème? L'arbre en forme de rameau figure sur la poterie et la
glyptique de l'Elam; M. Pezard a noté qu'il est fréquemment as-
socié à un capridé et à une étoile formée de simples traits s'entre-
coupant, sans doute la figuration schématique du soleil à cette épo-
que (1).
M. lleuzey a déjà signalé la possibilité d'arbres sacrés en Chaldée (2).
Le disque solaire. —
Puisqu'il s'agit de divinités solaires, il
semble que j'aurais dû parler dès le début du disque du soleil. A
l'époque archaïque, il s'en, faut qu'il soit l'attribut obligé du soleil. A
cette période, le disque du soleil n'existe pas avec la forme qu'on
lui donnera plus tarxl ; il semble, comme je l'ai dit plus haut,
que son équivalent soit l'étoile composée de plusieurs traits entre-
croisés.
C'est ainsi que sur le cylindre 14, pi. 30 des Découvertes en Chal-
dée, où Samas est assis, recevant l'hommage de trois divinités (Samas
est identifié par le symbole en forme de tige, et par les flammes qui
l'entourent j, une étoile semblable à celle du symbole est placée
auprès du dieu à l'endroit où, toujours, par la suite, se mettra le
symbole astral de la divinité principale.
iMais si cette étoile, remplaçante du disque, se trouve sur des cylin-
dres où, sans aucun doute, Samas est représenté, dans nombre de
cas où Samas est identifié, le disque du soleil ne s'y trouve pas
(De C. 84, 85; BN. 72), et dans nombre do cas où elle est gravée,
rien ne permet de penser qu'il s'agisse dun dieu à caractères solaires
(BN. 62, 78).

(1) Ktude sur les intaillcx sxtsiennes : Mémoires de la iJélryiilion en Perse, t. XII,
1911, p. 97.
(2) Sceaux inédits des Kois d Ayadé; Hevue d'Assyriolofjie, IV, 1, 1897.
MÉLANGES. 533

D^'N'ASTIE I) l R ET MONARCIIIK D JIAMMURABI.

A il se produit dans l'iconographie


cette période, religieuse de
profonds changements; les scènes usitées à l'époque précédente
tombent en désuétude; presque tous les cylindres reproduisent des
((présentations ». Un dieu principal reçoit l'hommage d'un adorant
pour lequel intercède une divinité secondaire. Ce dieu principal,
debout ou assis, est représenté de plusieurs façons différentes les ;

emblèmes qui commencent à parsemer le champ du cylindre aideront


en outre à le faire reconnaître. Si nous y joignons la présence de
légendes où le possesseur du cachet, au lieu de graver son propre
nom, inscrit ceux des dieux auxquels il voue son sceau, nous devrons
pouvoir identifier les divinités.
Cette transformation des scènes envogue trouve son principe dès
la période archaïque, où certains cylindres sont déjà de vraies pré-
sentations. Le bouleversement politique en Chaldée semble ainsi la
consécration d'une lente infiltration d'éléments étrangers dont l'in-
fluence est progressive et continue.
En somme, en même temps qu'il y a évolution artistique, il y a
évolution dans le point de vue qui inspire la composition des cylin-
dres. Auparavant, le graveur situait plutôt le dieu dans un des
épisodes de son histoire de feuilleter les publications sur
; il suffit

les cylindres pour être frappé de la vie, de la diversité, qui animent


les scènes représentées maintenant, l'artiste considère le dieu dans
;

ses rapports avec l'humanité; il le détache de son milieu, tel quel,


avec ses traits caractéristiques pour l'offrir à la vénération des fidèles.
Passons en revue les cylindres dédiés à Samas, ou à Samas et à sa
parèdre Aia; classons dans un tableau les éléments qui composent ces
scènes, en donnant aux attributs les noms sous lesquels ils sont d'or-
dinaire désignés ; nous arriverons aux résultats suivants :
o34 REVUE BIBLIQUE.

CYLINDRES DÉDIÉS A SAMÂS


DIEU PRINCIPAL ATTRIBUTS

De C. 96 Dieu assis tenant Croissant Trois boules.


un vase.
117 Id. Disque dans Cercopithèque Un lion derrière
le crois- le dieu prin-
sant. cipal.
128 Id. Id. Id.
1-29 Id. Id. Id. Uàton de mesure. Id.

130 Id. Croissant. Raton courbe.


172 D. debout, le pied Disque dans Id.

sur un esca- le crois-


l)eau. sant.
1301" D. assis. Id. Id. Id. Un lion deirif're
le dieu prin-
cipal.

G. 37 Id. Croissant. Bâton courbe.


un Id. Id.
[>. assis tenant Id.
vase.
Personnage à la
masse d'armes
et Adad tenant
les foudres.
BN. 87 D. assis. Id.
106 D. assis tenant un Disque dans
vase. le crois-
sant.
116 Id. Id. Un lion derrière
le dieu prin-
cipal.
117 Id. Id. Taureau portant
les foudres.
148 D. debout, un pied Croissant.
sur un monti-
cule.
149 Id. Etoile.
160 Id. Un lion dressé.
163 0. debout, court Arme courbe à
vêtu, coiffé du tête de ser-
lurban. .
pent.
173 D. debout, un pied Croissant. Trois boules.
sur un monti-
cule.
20? Personnage à la Bâton courbe.
masse d'armes.
-20i, Id. Tige à deux ar-
mes courbes,
à tètes de ser-
pent.
214 Id. Une lance.
217 Id. Disque dans
le crois-
sant.
221 Id. Croissant. Id. Raton courbe.
281 I). long vêtu, de BAlon courbe sur
bout. un animal as-
sis.
Tige à deux ar-
mes courbes,
à télés de ser-
pent.
MELANGES. o35

Samas. —
Dans le dieu debout, barbu, long vêtu, coiffé de la
tiare à cornes, une jambe portée en avant et appuyée sur un monti-
cule, nous retrouvons le type du Samas en soleil levant de la période
archaïque le dieu tient encore le poignard dont les dentelures sont
;

souvent perceptibles, mais les rayons des épaules


font défaut (figure X, De G. 172), et par suite de la ré-
pétition continue du motif, le monticule figurant la
montagne se simplifie parfois au point de devenir un
escabeau.
Le dieu assis est le même que le èamas assis de
l'époque précédente; sa coiffure diffère souvent : c'est

alors le turban qui alterne avec la tiare à cornes; comme pour


Samas debout, les rayons des épaules ont disparu;
cependant le Samas du Code d'Hammurabi suit la tra-
dition archaïque, à cet égard (figure XI, De G. 129).
Martu. — Dans ces cylindres, nous relevons la pré-
sence d'une di\ânité qu'on appelait autrefois le sacri-
ficateur; du turban, vêtu d'une tunique
ce dieu, coiffé
demi-longue qui laisse la liberté des mouvements, tient
une masse d'armes de la main qu'il ramène à sa ceinture; il porte
en arrière l'autre bras, dans un geste de menace (figure XII, De
G. 201). G'est Martu (Amurru), le dieu de l'Ouest, variété
de l'Adad Syrien. G'est le « seigneur des montagnes (1) ».
Nous arrivons à cette constatation que, dans ces cylindres
dédiés à Samas, le dieu soleil est figuré dix-huit fois sous
sa représentation assise ou debout, et six fois par celle de
Martu; cette contradiction n'est qu'apparente.
Sous la dynastie d'Ur et pendant la monarchie d'Ham-
murabi, la Babylonie est le théâtre d'une pénétration plus ou moins
pacifique d'éléments étrangers, de l'ouest et du nord-ouest (c'est
même de là que viendra le coup de grâce pour la dynastie d'Ham-
murabi, lorsque les Hittites saccageront Babylone). De nouveaux dieux
ont accompagné ces éléments ethniques; c'est ainsi que le dieu d'A-
murru, peu différent d'Adad, puisqu'il commande comme lui aux
éléments, acquiert, avec sa parèdre Sala, droit de cité en Babylonie.
Mais Martu n'est pas seulement le dieu de l'orage; c'est aussi,
comme Adad, le dieu de l'éclair, et à ce titre il participe au carac-

(1) T. G. Pinches, Babylonian and Assyrian Religion, p. 48 et 80. — P. Dhorrae, La


Religion assyro-babijlotiienne, p. 262. — A. Clay, Amurru, the home of tlie Northern
Sémites, 1909, p. 96. —
Ward, p. 133-136.
536 REVUE BIBLIQUE.

tère solaire de SamaS; c'est un dieu terrible, mais aussi bienfaisant,


car il produit la pluie et l'inondation, sources de richesses pour la
Chaldée; le caractère solaire de ce dieu semble avoir fait impression
particulièrement dans l'ouest; or nous arrive au
c'est de là qu'il
temps d'Hammurabi. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que l'image
de Ramman-Martu soit employée pour désigner le dieu principal
dans des cylindres voués à àamàs. La position debout de ce dieu, son
allure de combattant, l'apparentent plutôt au Samas g-uerrier qu'au
Samas assis.

Sala. — Sa parèdre Sala est représentée vêtue de kaunakcs, les


deux mains levées; c'est d'ailleurs une compa.sne toute
désignée d'un dieu solaire ; elle est la dame des mon-
tagnes (figure XIII, BN. 118).
Medimsa. — Parfois, au lieu de cette figure, il

se trouve une représentation de la déesse guerrière,


celle habituelle à Istar; un cylindre, publié par le
P. Scheil (1), nous offre un aspect de Sala auquel
cette déesse guerrière répondrait assez bien; c'est

celui de Medimsa, maîtresse de l'univers {sa kul-


lati, Br. 104.47); il ne faut pas, en effet, considérer
uniquement Istar dans la déesse guerrière; cette
figure, comme celles que nous étudions, peut en-
glober plusieurs divinités (figure XIV, BN. 22'i.).
Le lion. —
Les emblèmes de ces cylindres achè-
vent de fixer la physionomie du dieu qui y est re- -

présenté. Cinq fois un lion « passant » est gravé derrière le trône


du dieu principal; une fois, il figure dressé dans le
^^^^^,_3 champ du cylindre (figure XV, De C. 29). Ce que nous
^j^^^22l_
^^^^^ ^^^ pl"s haut du lion de Samas dispense d'insis-
ter; c'est un attribut du soleil. A l'époque archaïque,
il s'est trouvé en rapport avec Samas « quradu », Samas-guerrier; ici,

c'est un attribut du Samas-juge. Il supplée à ce qu'a de pacifique


l'attitude du dieu, et empêche d'oublier qu'en même temps que
dieu-juge, c'est un guerrier et un vaillant.
Le bâton de mesure. — Sur dix cylindres, figure cet emblème
de mesure, et dont la nature n'est pas encore
qu'(jn a appelé le bâton
bien définie. Il se compose d'une
tige; en son milieu, se trouve une
sorte de protubérance qui affecte dans certains cas la forme d'un
anneau (figure XVI, IJe C. 12G). Beaucoup d'opinions ont été émises

(1) Cylindres et légendes inédits; Revue d'Assyriologie, XIII, 1, 1916, n" 14.
MÉLANGES. 537

sur cet attribut, qu'on trouvera résumées par Pinches (1). Je crois,
ainsi que Ward, que c'est tout simplement une altération de l'anneau
et du i)àton que tiennent les divinités (notamment le Samas de la
tablette d'Abu-Habba). C'est, en tout cas, un attribut des dieux
solaires qui rappelle leur qualité de dieux-juges.
Le vase. — Onze fois, un petit vase figure dans le champ du
cylindre, et neuf fois, le dieu assis l'élève devant lui (fi-

gure XVI, De C. 126). Pour caractériser Ea, à l'époque d'Ur,


on emploie aussi un vase, mais celui aux eaux jaillissan-
tes (2). Le vase, ici, a une autre signification; il rappelle
une troisième qualité de Samas, celle de prince de la divination,
que ses prêtres pratiquaient soit par l'eau, soit par l'huile, dans le
temple de Sippar (3).
Le cercopithèque. — Nous relevons aussi dix représentations
dune sorte de singe accroupi, que l'on a appelé le cer-
copithèque (figure XVII, BN. 113, Ward 305). A quelle
conception répond-il, je ne saurais le définir, mais il figure
comme un des attributs du dieu soleil. Sans faire d'assi-
milation (si toutefois il s'agit bien d'un singe), on peut

remarquer qu'en Egypte, lecynocéphale de Thot est représenté sa-


luant le soleil levant (4). Il chante pour le soleil, et brise pour lui les
portes du ciel, dit un hymne (5).

Adad. — Ramman-Martu est, nous l'avons vu, un dieu solaire,


mais ce n'est qu'une variété de Ramman-Adad, solaire
lui aussi Addu est une divinité solaire syrienne Ramman
; ;

se nomme « barku », l'éclairant. La ressemblance de Ram-


man avec Samas est d'ailleurs précisée par un hymne du
temps d'Hammurabi (6). Ramman y est mentionné en
même temps que Samas, comme divinités en rapport étroit. Lui aussi
préside aux présages; avec Samas, ce sont les « bêle biri », les sei-
gneurs de la divination.

(1) Three Cylinder-Seals ; Proceedincjs of the Societi/ of Biblical Archxology, 1911,


p. 133.
(2) Heuzey, Le Sceau de Gudea; Revue d'Assyriologîe, V, 1902.
(3) Hunger, Becherwahrsagung bei den Babijloniern nach Zwei KeUschrifttexten aus
der Hammurabi-Zeit
(4) Stèle du musée de Guizeh, dans Maspero, Hist. anc. des Peuples de l'Orient, t. I,

p. 103.
(5) Lepsius, Denkm., VI, pi. CXVII.
(6) Jastrow, The religion ofBabylonia and Assyria, 1898, p. 157.
;38 REVUE BIBLIQUE.

dans un premier tableau les cylindres dédiés à Adad


Je réunis
(rendu par le signe L>I), et dans un deuxième ceux dédiés au dieu
d'Amurru (MAR-TU); la dédicace, dans nombre de cas, mentionne
aussi Sala leur parèdre.

CYLINDRES DÉDIÉS A RAMMAN-ADAD


DIEi: PRINCIPAL ATXniBUTS

De C. !)0 Dieu assis. Croissant.


124 D. assis, lenantun Disque dans
vase, et Martu. le crois-
sant.
153 D. tenant les fou- Id.
dres, un pied
sur un taureau
couché.
169 D.deboul,un pied Croissant. Raton de mesure Taureau sur-
sur un tnonti- monté des fou-
cule. dres.
188 iMarlu.
204 Id. Disque dans
le crois-
sant.
D.debout, unpied
sur un monti-
cule.
2H Martu et lo dieu
aux foudres.
217 Id.
233 Id.
249 Deux dieux, de-
bout.
217''" Martu.
73
G. Id.
79 Id. 1(1.

BN. 118 D. assis tenant un Id. Arme courbe à


vase. tête de ser-
pent.
144 D. debout, le pied
sur un monti-
cule.
147 D. debout, tenant Cercopithèque Id.
un vase.
195 Martu.
207 Id. Id. Id.
208 Id. Koudres.
-iu; Id.
2.i0 D. tenant les fou- Id.
dres, deijoutsur
un taureau.
%'i:, D. debout, court Taureau sur-
vêtu. monté des fou-
dres.
MÉLANGES. 539

CYLlNDllIiS DKDIKS A HAMMAN-MAIiTi:


DIEl PRINC.ll'AI. ATTIUIU ÏS

3 C. 1 II
540 *
REVUE BIBLIQUE.

constater pour les foudres, un simple durcissement des lignes du


motif. Sans prétendre retrouver dans les foudres l'origine de la tor-
sade, il est bon de rappeler ([ii'enElam, on a relevé sur des vases du
premier style des exemples de la

torsade dressée sur un autel (1 1. De


la deuxième période (qui corres-
pond à celle des patésis en Chal-
dée), datent quelques exemples de
la torsade sur des vases (2), ainsi

que des blocs en matière bitumineuse, sur lesquels se dresse une


torsade analogue à celle des peintures (3). On peut hésiter à voir
dans cette représentation celle des foudres, aussi bien que celle
de serpents enlacés.
Les foudres peuvent, dans certains cas, se réduire à un véritable
croissant surmontant une tige; c'est ainsi qu'au 180 BN. cet emblème
se trouve devant Martu; au 51 G. il est seul dans le champ. Au 33 G.
cet attribut, dressé sur un taureau, prouve qu'il s'agit bien des
foudres; un peu modifié en trident.il figure aussi sur un taureau
couché (G. 79), et dans la main de Uamman-Adad sur le taureau
(HN. 2V6) (figure XIX).
Parfois aussi, dans cet attribut déformé, il est loisible de voir le

croissant lunaire, bien qu'on en comprenne peu la signification, soit

dans BN. SiS, dédié à Ea et Damkina, et dans Cugnin VI.


Parfois encore, c'est la simplification de l'arme d'Istar (Scheil 19);
la déesse guerrière tient cet emblème à la main.
Le bâton courbe. — Martu n'a point pour armes les foudres,
mais un bâton courbe; ce bâton, (jui rappelle linsigne des person-
nages hittites, peut figurer sur le taureau, puisque Martu

n'estqu'un aspect d'Adad (De C. 201). Néanmoins dans un


cvlindre, le graveur lui a donné la tète de serpent d'un at-
tribut que nous étudierons plus loin (figure XX, BN. 203).
De même que Martu a pu figurer le soleil dans les cylindres dédiés
A Samas, les types de Samas assis et de!)out peu\ ont ligurer Adad et
Martu, dans Ic^ cylindres qui leur sont dédiés. Ceci, joint à la pré-
sence des emblèmes qui sont attributs de Samas i huit fois le cercopi-
thèque, six fois le vase, cinq fois le bAton de mesure), aflirmc encore
leur caractère de dieux solaires.

(1j Eil. Pollier, Éludcsur les rases peint!, de t'Arropo/c de susc : Mvmoircx de In Délé-

r/alinn oi J'rrse, t. XIII, lig. 125.

(2) Id.. |.l. XXVIII, n° 3.

Ci Id.. |.l. WXVI. n" 3.


MKLANGES. b41

Le disque solaire. — il nous reste à e.v.iiiiiiier la valeur des sym-


])(»les astraux. Dans tous ces cylindres dédiés soit à Samas, soit à Adad,
soit à Martu, on ne rencontre que deux fois l'étoile; partout ailleurs,
ou bien il n'y a pas d'emblème astral (29 fois), ou c'est le croissant

yi'i fois), OU c'est le disque dans le croissant (;20 fois). Il faut donc
conclure, cet emblème étant gravé à la tête du dieu, à une pince où
il doit le délinir, qu'à l'époque d Tr et au temps de la monarcbie

d'IIammurabi. la signification de tel ou tel symbole astral est simple-


ment d'ordre général quand ;
manque ou quand c'est le disque, il
il

n'y a point de difficulté; mais quand c'est le croissant, il faut admet-


tre qu'il n'a d'autre intention que celle de rappeler qu'on a affaire à
un dieu astral, et pas davantage. Le disqueet le croissant, symboles

habituels de Samas de Sin, sont considérés avant tout en tant


et

qu'astres, et indifféremment applicables aux dieux astraux que sont


les dieux solaires,
Nergal. — Xergal et Xinib sont naturellement moins honorés à
cette époque, comme dieux solaires, qu'à la période archaïque; il s'en

faut cependant que les graveurs aient perdu de vue ce caractère.

CYLINDRES DÉDIÉS A NERGAL


oi2 HEWE BIFÎLIQUE.

sort du Mèslam », tomple qui lui était consacré à Kutha (1), et le dési-
gne comme dieu de la région infernale. Dans ce cas, il réunit les
attributs des dieux juges : le vase et le bâton de mesure. La présence
du cercopithèque et l'emploi indifférent du dis(]ue ou du croissant
assurent son caractère solnire.
L'im;ige d'une déesse guerrière à ses côtés, sur deux exemplaires
(BN. 227, 228), a-t-elle rapport au mythe de la descente d'Istar aux
enfers, ou bien est-ce une représentation d'Ereskigal, sa parèdre?
Peut-être l'artiste a-t-il voulu rendre les deux aspects d'Ereskigal,
représentée une fois p^r la p;irèdre habituelle de Martu (Sala)?
Reine des enfers, c'est Ereskiual qui s'adjoint Nergal pour les régen-
ter, et qui l'aide à pourvoir son royaume.

CVLLNDUES DÉDIÉS A NINIB


MÉFANGIiS. ôi.i

l)0usser les céréales et la verdure (1). Enfin, le nom d'Asar-ri qu'il


porte, dès (Uidca, fait de lui un véritable Osiris babylonien (2), et
létymologie même de sou nom [amar tidug évoque un dieu solaire
sans aucun doute (3). D'ailleurs un hymne le compare à Sanias, et le
cylindre de lapis lazuli que nous examinerons plus loin, le prouve
également {\)\ mais son caractère solaire s"c.st trouvé un peu obscurci
par ses multiples autres qualités (5).
Malgré la célébrité de Marduk, peu de cylindres lui sont dédiés;
certains même, qui portent son nom, sont en même temps consacrés à
une autre divinité (De C. *233); des dédicaces, où l'adorant a composé
son nom avec celui de Marduk, vont à d'autres dieux (De C. 192, 197).
C'est que le culte de Marduk, qui ne prend toute son ampleur qu'à
l'époque d'Hammurabi, est, à l'origine, un culte officiel. La caste

sacerdotale ne consacre pas en lui un dieu auijuel allaient déjà les


hommages populaires; elle l'installe comme dieu d'état, et, parles
sanctuaires, les cérémonies, les textes religieux qui le célèbrent,
invite le peuple à s'adresser à lui; il faut un certain temps pour créer
l'accoutumance, aussi les représentations de Marduk seront-elles
plus fréquentes à la période Kassite.
Néanmoins le type de Marduk se constitue déjà, avec ses attributs
(figure XXI, BN. 300). Le dieu, barbu, long vêtu de kau-
na-kès, coiffé du turban ou, semble-t-il, tête nue, est d'or-
dinaire dans la station debout, immobile; le plus souvent
il est reconnaissable à son arme en forme de cimeterre,
auquel les Grecs donneront le nom de y.p-T,^ et qui était,
selon Ward, un serpent, à l'origine (6) (De C. 219, 2il;
G. 78; BX. 2i7) (7).
Quelquefois, son attitude rappelle celle de Martu; ce
n'est pas étonnant, car il parait dans l'art à peu près au
même moment que le dieu d'Amurru, dont il est proche par certains
côtés (Ward, n"* iil, i'tSi; d'autres fois, il apparaît debout sur un
dragon (Ward, u" i38), ou du moins un pied appuyé sur le dragon
,id. i39i, accusant ainsi l'influence de l'ouest.

(1) p. Dliorme, CItoi'r de. textes religieux assyro-babyloniens, p. 69.


(2) Gudea, Cyl. B, iV, 1 ; P. Dhorme, C/ioii de textes, p. 69; Id., Religion assy ro-babij
Ionienne, p. 96.

(3) T. G. Pioches, Babylonian and Assyrian Religion, p. 60. — Jastrow, Aspect o/' reli-

gions belief and pratice in Babylonia and Assyria, New-York, 1911, p. 92.
(4) Id., p. 92.

(5) Id., The religion o/Bab y lonians and Assyrians, Boston, 1898, p. 106.

(6) Ward, p. 163.


(7) Cf. le cimeterre d'AdadNirari, Maspeio, Hist. anc, l. Il, p. 6o7.
544 REVUE BIHI.IQUE.

La lance. —
Son attribut est la lance, dressée la pointe en l'air
nous verrons plus loin, à propos des laidurrus, cpi'une ins-
(BN. 173 ) ;

cription identifie, sans conteste, cet cml)lème. Depuis quand cette


arme est-elle devenue celle de Marduk? Il est impossible de raffirmer,
mais le prototype du symbole existe depuis la plus haute antiquité;
en Elam, sur les vases de la première période, on relève déjà des
représentations de la lance dressée sur un autel [l).

Les symboles des dieux solaires peuvent être attribués à Marduk :

cercopithèque (Ward 438), vase, bâton de mesure id. 1p3î)), le soleil


I'i.38, 4y9j où il est gravé en étoile à la façon archaïque; de même la
lance de Marduk, dieu solaire, peut figurer au nombre des attributs
du dieu-soleil (BN. 21 V, dédié à Samas et à Aia).

Zarpanit. Je signale en passant — la parèdre de Marduk, Zarpa-


nit, qui est parfois représentée sous les traits de la déesse
nue (De C. ;219) (fig-ure XXII, De C. 219); j'ai traité cette

question dans un précédent mémoire '2).


Nous rencontrons les différents types et les symboles,
déjà passés en revue, pour caractériser d'autres dieux
moins renommés que nous savons être des dieux solaires,
nous pouvons conclure au caractère solaire de certaines
et
divinités, sur lesquelles nous sommes peu renseignés, lorsqu'elles se
présentent avec ces attributs.
Isum. — Isum, dieu du feu (3), et parfois dieu du Tigre (i),

participe comme Nusku à la puissance des dieux solaires; le feu sert,


d'après certains textes, à fournir les décisions à Samas dieu-juge (5).
Aussi dans deux cylindres (BN. 189 et 191' qui lui sont dédiés, ainsi
qu'à sa parèdre Nin-Mug, remarquons-nous : le dieu-soleil, l'arme à
la main, le pied sur l'escabeau-raontagne, et le dieu Martu; une
déesse parèdre, sous les traits de Sala, évoque probablement Nin-Mug.
Dans le champ du cylindre l'étoile, le vase, : et le b.Uon de mesure;
dans un cas (BN. 191), la grenouille (?)
Lugal-banda. — Lugal-banda fils d'Kulil semble assimilable à
Nergal(6;;sa parèdre est Nin-siin. D.ins deux cylindres (De C. 18(5'''-

et 252), la gravure représente une lois Martu et Sala il86'"''), l'autre

(1) Ed. Pollier, Cérttmiqiic pcinle de Susc; Mémoires de lu Délcfjation, l. .Mil, l'.M'J,

pi. XVII, 1, 4: \LI, 2; XLII, 2; i\g. l.'3l.

(2) La déesse nur bnhiilonieiine, Paris, 191 i, y. 117.


CJ) l'inchfs, fkihi/L and Assi/r. Itiliyion, [>. 'Xii. — Dlionno, He/ù/ion assyro-habn-
lonienne, p. 52.
i) Iloiiitnel, Crunririss.... \>. 2'8, Craif!,, Religions terls, l,hS, 11.
r.) Cl. XVI, pi. 43, c. 7.-).

<r,) l'inclies, /Saln/I. and Assi/r. ftelif/ioii. p. !>i.


MliLVNGES. r;4:i

fois, ou Ire trois personnages long- vêtus, le croissant et un lion (?)


assis, du front (lu(|uel s'élève une tige qui parait se terminer comme
l'arme courbe de Martu : tout ceci caractérise logiquement un tel

(lieu. Si les textes sont peu d'accord pour l'identifier (les uns le rap-
prochent de Samasl), les autres de Ninib)(-i). ce n'en est pas moins
un dieu à caractère solaire.
Nin-subur. —
On invoque fréquemment Nin-subur (lu jadis :

Nin-sali), quelquefois même avec Martu (BX. 180) et iVergal-Mes-


lamtaê (De C. 125), ce qui crée peut-être une légère présomption en
faveur de son caractère solaire. Il est considéré par Pinches(3) comme
un dieu de la guerre identifiable à Ninib et Papsukal. Dans les diffé-
rents cylindres où je l'ai rencontré (De C. 110, 125, lOV, 205, 20(5,

223, 2VV, BN. 185; Gugnin 32; Scbeil 18 rien ne vient


2'i.7, 24-8; ,

à rencontre de l'hypothèse d'un dieu solaire; les représentations


sont celles du dieu assis (De C. 110, 125; Gugnin 2i), de Martu
(De C. 19i, 205, 206, 223; BN. 185), d'un personnage debout sans
caractéristique, comme l'usage s'en établit à la fin de la période
de la monarchie d'Hammnrabi, transition naturelle avec les dieux
des cylindres Kassites (De C. 2i'i., 217, 2V8). Les symboles sont le
croissant, le disque dans le croissant, le vase, le bâton de mesure, le
cercopithèque, le lion couché; à signaler, en outre, Gilgames aux
eaux jaillissantes et la mouche.
Ninsianna. — Une autre divinité : Ninsianna, admet des ortho-
graphes différentes; ce sont Ninsianna (si dar) (G. 57; BN, 113,
: =
168), Ninsianna (De G. 190; B^\ 179, 218), Nesianna (De G. 120) et
Nin-Nisiinna (De G. 98). Quelle est cette divinité? Nous constatons
d'abord que rien, dans sa représentation, ne nous invite à en faire
une divinité féminine; aucun des cylindres qui lui sont dédiés ne
porte l'image d'une déesse; il parait difficile qu'elle soit la même
que la divinité au nom très proche, de l'inscription d'Arad-Sin (4),
où Nininsina est « la grande dame, la mère du pays, etc. ». Je rap-
pelle également Nindara, mère de Lagas (5), et Innina, dame
d'Isin (6). Voici la description des cylindres où parait son nom :

(1) D. LiKjal-banda = i. Samas, Radau, 1, c. 418.


(2) D. En-banda [da) — d. Nin-lb sa-bit purussû il/, II R. .57, 23 c, d.

(3) Babijl. and Assyr. Religion, p. 95.


(4) Inscriptions de Sunier et d'Akhad, p. 302-303.

(5) Gudea, Statue, li, VIII, 53; F. I, 1.

(6) Inscrip. Sumer et Alikad, p. 290. — IdentiKée avec Gula, Beitrdge zur Assyriologie,
V, 644, 1 ; Br. 11033. Ninsianna = Istar, Br. 11028.
:;46 REVUE BIBLIQUE
MELANGES. :iiT

aux cylindres : Uo C. 109, 20(1. -220. 225; BX. 113, 13(1, 108, 170,
210, 21V, 251, 257, 20(). Doux sont dédiés à Ninsianna, deux à Sa-
inas, un à Martu, un à Ninsuhur, et les autres sont des représenta-
tions de dieux solaires,ou en portent les attril)uts (cercojntlièque,
foudres, vase, Làton de mesure). La mouche fait donc partie des
attributs des dieux solaires; si nous acceptons que Ninsianna soit
un des aspects de Nergal, la mouche peut être attribuée à Nergal;
c'est d'autant plus vraisemblable qu'un cylindre Kassite (voir plus
loin), corrobore cette hypothèse.
La tête de profil. — Dans nombre de cylindres qui représentent
des dieux solaires XXIV, BX. 100), on remarque, parmi les
(fii^ure

attributs, une tète lOV, 217, 230; BX. 100,


de profil lUe C. ^
102. 106, 106, 169, 170, 235, etc.). Cette tête se retrouve dans '^%^

deux cylindres dédiés à Ninsianna (BN. 113, 169); il semble ^


qu'on doive l'attribuer au cycle de Nergal. On la rencontre au-
près des dieux solaires (Samas le pied sur la montagne, le plus
souvent) ; elle est mouche, et dans deux
fréquemment associée à la
cas, elle paraît l'emblème d'un dieu demi-long vêtu, armé du cime-
terre (^BX. 168, 109) dans ce dernier cylindre, on distingue deux
;

serpents se dressant derrière les épaules de ce dieu.


L'arme à tête de serpent. —
On attribue d'ordinaire à Xergal
un symbole constitué par une tige verticale terminée en tête de ser-
pent; à environ moitié de sa longueur, la tige esquisse >,

une courbe, dont la convexité est dirigée du côté de la (V ^^


tête (figure XXV; BX. 118, 121 . S'agit-il là d'une arme p
ou simplement de la représentation d'un serpent? Sur
|

les cylindres, les serpents sont figurés, en général, au


naturel (G. 51; BX. 99, 119, 156, i36, etc.). Ici, c'est une arme en

forme de serpent; c est, en somme, le cimeterre que nous voyons aux


mains de Marduk; mais ce qui prouve que cette arme s'efforce de
reproduire l'aspect du serpent, ce sont tous les détails qu'on y re-
marque : la tige se termine souvent à son extrémité inférieure en
pointe queue du serpent; la tète est ornée d'une sorte
eftilée, telle la

de corne qui rappelle celle de certains ophidiens sur plusieurs ;

exemplaires, une crinière est nettement indiquée; la gueule est lar-


gement ouverte, si largement, même, qu'on peut parfois se de-
mander s'il ne s'agit pas d'une tète de lion (BX. 103); mais un
examen attentif des traits, moins exagérés du 176 BX. prouve
qu'il s'agit bien d'une tète de serpent ou de dragon. Il y a eu inten-
tion, de la part du graveur, de reproduire les têtes de dragon à
cornes que nous retrouvons sur les grands monuments. Dans plu-
548 REVUE BIBLIQUE.

sieurs des ces armes, le tranchant est nettement indiqué, à la place


où se gonfle lecou de l'animal (De C. 171, 230, etc.).
De quel dieu cette arme est-elle le symbole?
On donne d'ordinaire à la déesse Kadi, dont le culte était florissant
à Dêr, le serpent Siru.. Sur les kudurrus, il sera lové au sommet de
la pierre, et parfois nommé dans le texte. Mais, sur les kudurrus, il
est représenté au naturel, comme sur les cylinrlres; il faut donc que
l'arme que nous venons de voir soit autre chose. Rien n'autorise à en
faire, avec certitude, l'arme de Nergal; elle ne figure même pas dans

les cylindres dédiés à Nergal que nous avons relevés; cependant les
représentations au milieu desquelles elle se rencontre, ne contredi-
On voit ce symbole dans les cylinrlres sui-
sent pas cette attribution.
vants De C. 131, 171, 230; G. i2, ii. 76; BN. 9V, 100, 118, 121,
;

127; Cugnin 33; Scheil 23. Deux sont dédiés à Samas, un à Martu, un
à Adad; trois représentent le dieii debout, le pied sur un monticule,
donc un dieu solaire, et tous les symboles de ces cylindres (cercopi-
thèque, bâton courbe) sont en faveur d'un dieu solaire; c'est l'attri-

but d'un dieu solaire, plutôt destructeur Nergal est plausible. ;

Le caducée. — Voici un autre emblème très voisin de celui que je

viens de décrire : d'une tige autour de laquelle .s'enroule un lien, par-

tent à droite et à gauche deux courbes analogues à celle de l'arme


précédente; mêmes têtes de serpent, môme figuration du tranchant
des armes; surmontant la tige centrale, et encadré par les deux
coubures, c'est tantôt un vase , tantôt le pommeau d'une
masse d'armes (figure XXVI, BN. 125).

^ Il parait bien que ce lien enroulé autour de la tige cen-
trale est le corps des serpents ; c'est le prototype du caducée
qui a passé chez les (irecs; cette arme est la caractéristi<|uc
de la déesse guerrière, telle qu'Istar, par exemple; on la rencontre
aux mains de iMedimsa, quand elle est considérée en tant que -Sala,
maîtresse du monde (Scheil l^i).

Nous retrouvons cette arme sur les cylindres suivants : De C. 68.

107, 132, 160, 170,232'" ; BN. 100, 100, 12:>, 128, I6.">, 19'i, 206, 281.
Trois sont dédiés à Samas, un à Ninib, deux représentent Samas le

pied sur la montagne, un : Martu, et les attributs épars : cercopithè-


que, bâton de mesure, foudres, vase, certifient le caractère solaire
des dieux représentés; il parait donc que dans ces cas, l'arme fasse
partie de la scène, et (ju'elle soit là, comme la précédente, pour rap-
peler le caractère guerrier du dieu principal, plus (pie pour symbo-
liser Istar absente.
Gilgames et Eabani. — Ceitains cylindres (l..iiii;nil la représen-
MÉ[ ANGES. o49

tatioii (le (lieux solaires, reproduisent en nit'^me temps la lutte de Gil-


games et d'Kabani, avant leur amitié (figure XXVII, B.\. ITOi. A ({uel

titre cette repr(}sentation est-elle là? Je ne puis l'ex-

pliquer que par la conception (pii fait de Gilgames le

reflet de Sanias (1), et par un souvenir de l'époque


précédente, alors que le mythe de (iilg'amcs était en
grande faveur. Ainsi, nous retrouvons cette scène
aux «N. 170, 189, 210, -211, 251, où le dieu prin-
:

cipal est Samas en soleil levant, Martu, Adad au tau-


reau, et les attributs disque dans le croissant, mouche, tête de profil,
:

vase, bâton de mesure (un de ces cylindres est dédié à Isum). Dans
ces divers cas, Gilgames et Eabani forment un groupe symétrique,
selon les lois de Tépoque archaïque. Deux fois (BN. 170, 210). une
sorte de tortue accompagne ce groupe; sans en comprendre la
signification, il est é\ident qu'elle rappelle l'épisode
du cylindre reproduit par Lajard (2 , où Ion voit
(iilgames revenant de la pêche, et portant une tortue
suspendue à un bâton.
Enfin Gilgames et Eabani sont considérés comme
'
« tenants » des dieux; ils maintiennent les piliers

de la demeure d'Ea (De C. 58^'% 8S^'") (3), et supportent le caducée


(Ward i81), ou le disc^ue solaire monté sur tige (figure XXVIII,
B\. Ji3).

EPOQUE KASSITE.

L'époque Kassite marque une étape dans l'iconographie religieuse


babylonienne en plus des cylindres, nous avons une précieuse source
;

d'informations dans les kudurrus ; la tendance à simplifier les scènes,


qu'on remarquait dès la lin de l'époque précédente, s'est accentuée,
et maintenant, un ou deux personnages, au plus, figurent dans le
champ du cylindre; par contre, la dédicace est devenue inv(3cation, et
occupe toute la place désertée par les emblèmes. Ceux-ci sont moins
variés et quelques-uns appartiennent à un nouveau répertoire. A
vrai dire, ces deux grandes modifications de la glyptique : sobriété des
représentations figurées, et importance croissante de la dédicace, se
faisaient j^ressentir dès la fin de la monarchie d'Hammurabi. L'inno-

(1) Dhorme, Relig. assyro-babyl., p. 82.

(2) Mithra, i>l. XXXV, 7.

(3) Heuzey, Le sceau de Gudea; Revue d'Assyriologie, tome V, 4, 1902.


;i:iO REVUE 151BLIQUE.

vation consiste dans des attributs, des ornciueiits, et dans riavocatiôn


ù des divinités nouvelles.
Les kudurrus non plus, dans leurs principaux éléments, ne sont pas
une chose inconnue; c'est la stèle, sur laquelle est écrit un contrat,
avec malédictions pour qui ne l'observerait pas ou altérerait la tablette.
Le Code d'iianmiui'abi, Tobélisque de Manistnsu, la Stèle des Vau-
iours. elle-même, par certains côtés les annoncent; et pourtant, les
kudurrus sont des monuments qui portent vraiment l'empreinte
Kassite; leur forme en iiros galet, la nature des faits dont ils traitent,
les figures emblématiques qui couvrent leur partie supérieure, en
font une série inédite.
Tandis que les cylindres continuent à représeuter la figure d'un
dieu dont un ou deux emblèmes précisent l'identité, les kudurrus
abandonnent la représentation de la divinité (à part l'image de la
déesse Gulai ; c'est un des attributs du dieu qui remplacera le dieu
lui-même; l'emblème est devenu syndjole. Les kudurrus doivent
donc nous aider à interpréter les cylindres, mais ils constituent à eux
seuls une classe de monuments à expliquer.

CYLLNDRES DÉDIÉS A MAUDUK


DIi:U l'RINClPAI. ATTKIBITS

De C.
MKI. ANGES.

CVLINDUES DEOIES A NERCAL


ne C. 261 D. debout, coiffé de la liare.
Ward :i-23 l). dans l'attilude de Marduk. La mourtie.
Id.

Marduk, Samas, Nergal. — Les renseignements qu<' nous four-


nissant les cylindres, sur les dieuv solaires, sont les suivants :

Des cylindres de Tépoque Ka^site, et c'est le cas pour certains de


ceux-ci, ne portent qu'un seul personnage assis, ou debout; lorsqu'il
est assis, le doute n'est pas possible; c'est une représentation du dieu
invoqué; lorsqu'il est debout, s'agit-il du dieu, ou de l'a-
dorant prononçant sa prière? C'est, sans conteste, un dieu,
quand un accessoire de son costume, la tiare à cornes, par
exemple, ou (juand des attributs nous avertissent de le
considérer comme tel; il est fort possible que ce soit l'a-
dorant quand rien ne le qualitie, surtout lorsqu'il lève une
main à hauteur de la bouche, dans l'attitude que nous
avons vue adoptée pour la divinité chargée de l'intercession, à l'é-

poque d'Ur (fig. XXIX, BN. 292 .

De l'examen des précédents cylindres, il résulte que Marduk,


Samas et Xergal, sont, comme auparavant, représentés assis, tenant
le ou de préférence, debout; mais ce n'est plus le type du
vase,
Samaé soleil levant qui a maintenant la faveur; c'est celui cjue nous
avons vu attribué à Marduk, ou même ce personnage imprécis qu'on
peut confondre avec l'adorant.
La croix. — Une seule fois, le disque solaire figure à côté de la
divinité; le plus souvent, c'est la croix ajourée; celle-ci, d'origine
Elamite (elle se retrouve sur la céramique susienne de la première
période (1), paraît l'équivalent du disque solaire (Ward, p. 39'i.).
D'ailleurs, un cylindre de De C, n°392, reproduit nettement une croix
ajourée, au centre d'un disque solaire, en place des rayons.
Quelques autres attributs, nouveaux pour cette catégorie de divi-
nités, demandent une explication les bouquetins dres- :

sés, l'arbre et le chien assis.

Le bouquetin. — Le bouquetin dressé et l'arbre


(nous avons vu ce dernier comme attribut des dieux
solaires) figurent sur les cylindres BN. 79, Ward 377,
qui représentent sans aucun doute le dieu de la végétation, vraisem-
blablement Ningiszida, le « seigneur légitime de l'arbre » (2) ; ce

(1, Ed. Poltier, Les vases peints de l'Acropole de Suse.


(2) Dhorme, Rel. ass.-babijL, p. 106.
o52 ni;\i !: lUiîi.inuK.

sont ]os attributs de ce dieu (fia. XXX. BN. 297 n Or Marduk. parmi
les multiples dii^nités qui lui ont été conférées, détient celle de dieu
de la végétation, d'où l'adjonction de ces symboles à ceux qu'il pos-
sédait déjà comme dieu solaire. Le capridé est d'ailleurs un type ha-
bituel de la glyptique de l'Elam (1). .

Le chien. —
Le chien paraît un rappel des chiens de Marduk :

Ukkumu, Akkulu, Iksudu, Utebu, dont nous connaissons


lexistence par la mythologie babylonienne (fig. XXXI, Ii\.
•297 .

La mouche. — In des cylindres dédiés à iNergal, repro-

duit encore la mouche comme attribut du dieu. Il faut en rapprocher


un cylindre publié ])ar le P. Scheil 2), dont la dédicace est à Lam et
à Samas; ce cylindre leprésente un dieu assis, coilfé de la haute tiare,
et tenant un vase; c'est l'image normale d'un dieu solaire; la mouche
lui est adjointe comme emblème, ce qui nous invite à voir dans le

dieu Lam, un des nombreux aspects de Nergal.

On rencontre encore, isolément, des cylindres dédiés à Ner De C.

257), Nin-subur (De C. 255 , Lugal-banda (\Vard 517 . dont rien, dans
le dieu et ses attributs, n'ajoute ni ne retranche au type du dieu
solaire à l'époque Kassite.
Lorsque des cylindres sont dédiés à Belit, parédre de Marduk
(Ward 531, 535), la représentation est celle de Marduk debout, ou
d'un dieu assis ayant à son côté le bâton de mesure, et devant lui,
sur un trépied, un objet dans lequel Ward reconnaît la lance de Mar-
duk. Dans une dédicace à Adad et Belit Ward 5281, la tigure de
Martu représente le dieu: la grenouille lui sert d'attribut.
Marduk —
Deux de ces cylindres donnent lion à
et Tiamat.
d'intéressantes observations. L'un -Ward 526, British Muséum;, dédié
à Marduk, oilre l'image du dieu tel que les A.ssyriens le figureront :

c'est, à peu do chose près, le type de Samas soleil levant, mais il

tient le cimeterre; il porte une jambe en avant, mais le pied, au lieu

de reposer sur le monticule habituel, s'appuie sur un gros oiseau. Cet


oiseau est devenu, surtout au nord de l'Assyrie (cylindre de ['rzana,
roi de Muzaziri, l'équivalent de Tiamat. Dans le chanq>, le bouquetin,
deux losanges et la croix ajourée.
Le taureau à tête humaine. — L autre (Ward 'i37', J. I'. M-h-
f:aii , même dédicace, représente un dieu assis tenant un vase; le

tronc de ce dieu repose sur deux taureaux à trie humaine, agcnonil-

(1) M. Pi'zaril. ÏAudc sur les iittailles siisirnnes, ['.issiin.

(2) N' 26. Itev. d.issyr., XIII, 1, 1916.


MELANGES. o53

lés. Ce type, dont nous avons un exemple dans le taureau à tète


humaiue du Musée du Louvre (1), se retrouve sous le trône d'une
divinité tenant le poignard dentelé, et que la dédicace affirme être
Sanias (Ward 3-20); il n'y a rien d'étonnant à ce qu'il soit associé au
dieu Maiduk.
solaii-e

Nous avons, dans ces deux intailles, deux produits de l'époque


Kassite; entic elles, cependant, quelles dissemblances! l/une reflète

les conee})lions assyriennes, l'autre celles de lîabylone; de même


faut-il tt-nir compte d'un écart de plusieurs siècles, peut-être, entre

les deux.

, Sur les kudurrus. les altiibuts des divinités, devenus syml)oles de


ces divinités elles-mêmes, ornent le sommet de la pierre, et le nom-
bre des dieux cités dans le texte ne correspond pas, le plus souvent,
à celui des emblèmes. Il a donc fallu en déterminer la valeur par dé-
ductions, sauf le cas, assez rare, où une inscription sravée sur le

symbole nous fournit, sans discussion possible, le nom du dieu. Cette


bonne fortune nous est échue pour quelques dieux solaires.
La lance de Marduk. —
C'est ainsi qu'un kudurru de Suse 2)
porte l;t représentation d'une lance dressée verticalement;
sur le Ter est écrit « ilu Marduk » (fig. XXXII). Le fragment
de kudurru de Suse n° XIX représente un fer de lance
dressé sur une sorte d'autel l^es « subat ilani » que men-
tionnent les textes); devant cette base, et la cachant en par-
tie, s'allonge le corps d'un dragon couché, sans tête, mais

qu'on peut facilement reconstituer, grâce aux autres exem-


plaires; c'est un des deux dragons sacrés de Babylone (l'autre
est celui d.^ Nébo), ainsi que l'a montré M. Heuzey (3). Ce dragon est une
déformation d'un type dont nous avons un exemple
très net au temps de Gudea, dans la glyptique (le

sceau de Gudea, dans le même article que ci-dessus),


et dont la coiffure primitive était la tiare à cornes
et à plumes. A côté de cette représentation se lit :

ilu Marduk, ilu rabu (fîg. XXXIII). Ces deux façons

de représenter Marduk se retrouvent sur presque


tous les kudurrus, en raison de la faveur dont jouit le culte du dieu.
Nous avons, d'ailleurs, de l'époque post-Kassite, puisqu'il s'agit d'un
cylindre de lapis consacré cà Marduk, par le roi Marduk -nadin-sum

(1) HeiiZ' y. Catalof/ue des antiquilés c/ialdécnnes du Musée dti Louvre, n" 126.
(2) N" 1. Mémoires de la délégaiion en Perse, t. I, 1900, article Kudurrus.
s.

(3) Les 'leur dragons sacrés de Babyloiw ; Revue d'Assyrioiogie, t. VI, 3, 190i5.
554 lŒVUt; BIBMOUE.

(ix^s.),une représentation du dieu en grand costume, robe semée de


disques solaires ou ornementaux, haute tiare. D'une main, il tient le
bAton de mesure réduit; de l'autre, son cimeterre habituel; à ses
pieds est couché le dragon (Ward 127i).
Les foudres d'Adad. —
Adad, le dieu de Téclair, est représenté
par les loudres figurés comme une fourche dont les deux
Jents sont plus ou moins ondulées, soit isolés figure XXXI V,
K. Xllï, de Suse Mémoires, t. VII), soit dressés sur le dos
;

d'un taureau couché (figure XXXV, K. de Mélisipak), rien


de nouveau dans cette représentation; elle est encore assu-
rée par un fragment de kudurru do Suse publié par le
P. Scheil (1), où les foudres sont accompagnés de la légende ilu :

Adad.
Dans deux cas, Ramman-Adad « léclairant » est représenté selon
la mode de l'Ouest. Sur le fragment .')
b de Suse 2), le

dieu, vêtu de kaunakcs, de la haute tiare, les


coifl'é

foudres à la main, se debout sur un taureau


tient
qui fonce. On le retrouve dans la même altitude, sur
la stèle dAssarhaddon, de Zendjirli (Ward 1279).
L'expédition allemande de Babylone a découvert
une stèle avec inscription de Samas-res-usur. vice-roi
de Subi et Maer (le pays de Subi, sans doute sur le Moyeu-Euphrate,
vers l'embouchure du llabour). Adad y est représenté debout, les
foudres dans les mains, et l'inscription nous conlirme son nom (Ward
1273).
De même, sur un fragment venant de Babylone, Adad debout,
coiffé de la haute tiare, la robe constellée de disques planétaires,
tient les foudres; à ses pieds sont un lion ailé, et, sans doute, un tau-
reau (Ward 1275).
La dynastie Kassite est orientale, Martu essentiellement occidental;
sans doute est-ce une des raisons, en plus du double emploi qu'il
constituait dans le panthéon babylonien, qui fait de lui un oublié;
nous lavons trouvé une fuis sur un cylindre Kassite; rien ne semble
le rappeler parmi les eud)lèmes des kudurrus.

Nous arrivons aux représentations dos trois grands dioux solaires :

Samas, Ninib ot Nergal.


Le disque de Samas. — Samas est ropi-ésenté par lo disque
solaire (figure XXXVi, K. do Melisipak); de ses nombreux attributs

{\ Mémoires de la Dvlrrjniwn en Perse, i. X.

(2) Mévioires, t. I, p. 176.


MELANGES. 555

d'autan, c'est un des moins constants qui a pris la première place.


Outre que tous kudurrus l'associent au croissant de Sin
les

nous avons de lui la représentation de la


et à l'étoile d'Istar,
tablette de Sippara, du British Muséum, trop connue pour
que j'y insiste. Le dieu, assis, en dieu-juge, tient à la main
l'anneau et le bAton. Devant lui, sur un trône, le disque, son arme
parlante, est exposé à la vénération des fidèles.
L'aigle de Zamama. —
De Nergal et Ninib, nous connaissons à
cette époque deux aspects particulièrement vénérés; de
Ninib Zamama, autrefois célèbre à Kis; déjà honoré par
:

Ilammurabi, il jouit de la faveur des monarques Kassites,


comme « arme des grands dieux (1) », et comme grand
guerrier, « fils aîné de l'E-kur (2). C'est le « roi de la ba-
taille », le « puissant parmi les dieux » [kaskas i/ani); pour

lui, non plus, il n'y a point de doute; nous avons au ku-

durru 1 de Suse sa représentation assurée par une ins-


cription. Une massue terminée par une tête d'animal que
les autres kudurrus permettent de reconnaître pour une tête d'aigle,
portele nom de Zamàmà (figure XXXVII).

La massue de Suqamuna. — De Nergal, nous avons un doublet,


kassite, Suqamuna, Sumalia comme « dieux du roi »
cité avec t )

[ilani sa sarri), et dieux de la guerre [ilani qabli tamii). 1, ^ .


!

Agum-kakrime se dit son rejeton (3). Le kudurru n" 1 de


Suse, sur une sorte de masse d'armes, composée d'une tige
surmontée d'un cube, inscrit le nom de Suqamuna (fi-
gure XXXVIII).
Le lion de Nergal? Les têtes de lion de Ninib? —
iMais Nergal et Ninib? L'inscription de Sennachérib à Bavian a servi

de point de départ, à leur sujet, à une discussion qui n'est


pas encore close. Cette inscription relate autant de divinités
qu'il y a d'emblèmes gravés sur la pierre; tous sont iden-
sauf celui qui se compose d'une masse terminée par
tifiés

deux têtes de lion s'agit-il de Ninib ou de Nergal? Pour


;

Hinke et \Vard, la masse terminée par une tête de lion qui


figure sur le kudurru 1 de Suse est le symbole de Nergal
(figure XXXIX), à ce qu'il résulte de son inscription, que
M. de Morgan n'avait pu déchiffrer. Ceci invite à voir le
symbole complet de Nergal dans le lion ailé qu'on rencontre aussi

(1) Craig, Assyrian and Ikibijlonian Religions Texis, I, pi. 58, 8.

(2) Code, verso, LVUI, 4, 81 et suiv.


(3) K.B. m, 1, p. 134, 135.
REVUE BIBLIQUE 1910. —
N. S., T. XIII. 3G
556 REVUE BIBLIQUE.

sur les kuduiTus, et, par suite, la masse à double tête de lion de

Havian ne peut être que Ninib (figure XL), ainsi que le


griffon ailé qui, sur le kudurru de iMélisipak, se trouve
au pied de cette masse (figure XLI). A ce propos, Ward
rappelle l'aigle enserrant deux têtes de lions, que tient
en main le dieu de la stèle des Vautours, ce qui cons-
titue à cette double tête une lointaine origine. Si ces

attributions sont exactes, il serait possible d'en voir


les prototypes dans l'arme à tête de serpent et le ca-

ducée de la période précédente, que certains gra-


veurs étaient déjà enclins à traiter de façon à amener
la confusion entre la tête de serpent et celle de lion.
Par contre, il faut citer les réserves de Thureau-
Dangin (1). Au lieu de<:/. Gir sur le kudurru 1 de Suse,
il songe à une lecture d. Umunqar !?), et an lieu de l'image d'un
lion, il voit plutôt celle d'un grifibn.
L'oiseau de Ninib. —
b. W. King (2) rapporte aussi une

inscription de Sennachérib accompagnée d'emblèmes et d'une


liste de divinités qui correspondent; le symbole de Ninib est

un oiseau sur un socle (figure XLIIi. Ce nouvel emblème


correspondrait à la graphie « Un Ixir » celui du Judi-Uagli, ;

et lamasse aux têtes de lion, conviendrait à « ilu nin-ib il a semblé >»


;

d'ailleurs à King qu'on pouvail lire sur le kudurru de Suse la lin du


nom de Xinib.
La lampe de Nusku. — Nusku, si étroitement lié aux dieux solaires
dont il est le ministre, est représenté par une lampe en forme
de sabot (figure XbllI, K. de Marduk-nadin-ahe); son sym- ^—
])ole est rarement oublié par le graveur, car « sans
lui, Samas, le dieu-juge, ne peut rendre 'de jugement (3) ».
L'oiseau de Papsukal. — Pap-sukal, dont un des
aspects serait i\in-sal)ur V), et qui est un dieu solaire
i

déchu de sa splendeur au point de n'être, comme Nusku,


qu'un messager divin et un dieu des décisions, a été iden-
tifié par le fragment de kudurru publié par le P. Scheil
(5).
Sous un oiseau, assez fruste, mais qu'on reconnaît pour
celui ({ui figure d'ordinaire perché sur une hampe dont le sommet
Ij Hoc/,- inscriptions un Hic Judi Darjli ; l'roveediiigs <tf (hc Society of lUblical
Arc/incotogif, 191.3.
(2) Hcvuc d'Assi/rio/ogie, VIII, 1-2, p. il.'j.

^3) Dliorino. Art Hcligian asxyro-balnjlnnieinic, \). hl.


'/i] T. il. Pinclies. /kiln/loninn mid A.ssi/rian Helif/ion, ]>. i»0.

(b) Mémoires de la Délégation, t. X, ]•!. Mil. 'i.


MELANGES. 3:j7

est entaillé d'une encoche, on lit le nom de Papsukal (fîiiure XLIV).

Les symboles néo-babyloniens. — Lenipii'e néo-babylonien,


héritier des traditions antérieures, ne change rien à la
représentation des dieux solaires. Les symboles des ku-
durrus gardent toute leur valeur, et ont passé dans la
glyptique. Ils reposent ordinairement sur les sièges des
même sur un support de la forme
dieux, et parfois
d'un corps de violon, dans lequel on reconnaît,
d'ordinaire, une stylisation des hautes coiffures
des dieux des époques précédentes. L'adorant adresse ses
prières à ces rejH'ésentations de la (Uvinité.
C'est ainsi que le disque représente Samas( ligure XLV, \Vard550);
les foudres Adad (figure XLVL Ward 550"); une
:

masse que termine une tête d'animal rappelant celle


de Zamama, est peut-être l'équivalent de Nergal
(figure XLVII, Ward, 5i7 mais le symbole de beau-
1
;

coup en faveur est la lance (presque toujours


le plus
associée, à cette époque, au coin de Nebo qui représente Marduk ,

(figure XLVIIl, Ward 553).

CONCLUSIONS.

Les données que j'ai exposées ci-dessus sont d'ordre général; elles
ne prétendent pas tout expliquer et souffrent de nombreuses excep-
tions.
du cylindre peut n'avoir aucun rapport apparent avec
L'inscription
la scène représentée Ainsi, le De C. 95, dédié à Enki, offre l'image
:

d'un dieu assis avec, pour attribut, le croissant; le De C. 9G, dédié à


Samas et Aia, offre le même dieu, le même attribut, avec, en plus, les
3 boules qu'on prête à Sin ; le G. 56, dédié à Enki et Damgalnunna,
reproduit le type de Samas soleil levant; les BX. 111 et 226, dédiés
à Istar et Bau, ne présentent aucune image de ces déesses, etc.
Des attributs qui ne sont pas le propre des dieux solaires, ou qu'il
faut renoncer à expliquer, peuvent figurer sur des cylindres où tout,
scène et dédicace, est rapporté à ces dieux.
Les raisons en sont, je crois, multiples : l'exubérancedu pan-
théon babylonien est telle, que la personnalité de chaque dieu n'est
jamais très rigoureusement définie. La plupart d'entre eux, autrefois
patrons de cités, ont dû subir une transformation véritable pour
entrer dans la hiérarchie religieuse étabhe par les écoles de théolo-
gie. L'artiste a pu faire allusion à des mythes qui, pour n'être pas
558 REVUE BIBLIQUE.

ceux que nous connaissons, n'en avaient pas moins leur importance.
Il convient enfin de tenir compte du lieu d'origine des cylindres.

Les conceptions religieuses et les lois de l'iconographie ont dilléré


dans les diverses parties de l'empire, agrégat de peuplades et de
races diverses; les cylindres ont reflété le milieu qui les a produits.
Le souci du graveur, très net à lépoque d'Ur, de créer des types
commerciaux, répondant à la généralité des demandes, peut, lui
aussi, expliquer certaines de ces anomalies.
Enfin, l'examen des textes concernant les dieux solaires prouve
que cette qualité de dieu du soleil ne semble pas, chez eux, primitive;
elle ne constitue qu'une de leurs multiples qualités (ce qui viendrait
à rencontre de l'hypothèse qui voit dans le panthéon babylonien des
dieux originairement astraux).

Ces quelques réserves établies, on constate que l'iconographie des


dieux solaires, comme toute l'iconographie religieuse babylonienne,
se transforme insensiblement; mais les périodes caractéristiques de
cette évolution correspondent naturellement aux grandes époques
historiques.
A In première période, Samas le dieu solaire par excellence, et déjà
promu la première place, est représenté sous des traits particuliers;
;i

c'est le soleil levant, guerrier gravissant la montagne; c'est le soleil


juge, assis; des rayons de flamme issus de ses épaules, un sabre
dentelé, en fout une ligure bien distincte.
L'attribut, alors, n'est qu'accessoire; c'est la physionomie propre
du dieu qui le fait reconnaître.

A deuxième période, les types des divinités restent différenciés ;


la

ce sont Samas debout ou assis des acquisitions nouvelles de l'époque


;

d'Ur et même de la monarchie d'Hammurabi, telles que Uamman-


Martu, l»amman-Adad, Marduk; comme le nombre des divinités s'ac-
de les distinguer par les dédicaces
croit sans cesse, l'artiste s'eli'orce
et les attributs. Le graveur connaît plusieurs divinités solaires, dont
les représentations sont pour lui équivalentes, et peuvent être inter-
changeables.
Jusqu'à l'époque Kassite, le disque solaire n'est pas un attribut
obligé du soleil; si l'absence du disque perd de sa valeur, lorsqu'il
s'agit de divinités comme Nergal et Ninib dont le caractère solaire est
mis en doute par certains (1), les cylindres représentant Samas à l'é-
poque archaïque et ceux qui lui sont dédiés à la deuxième période

(1) Deimtl, l'anlhvoii Babyloniacum, Rome, 1914, arl. Nergal. MniO.


MÉLANGES. 5o9

en sont la preuve il). Le disque, le plus souvent, parait avoir la


valeur d'astre, en général; les dieux solaires portent en même temps
les titres de grand juge, roi du de la terre, roi de la tota-
ciel et

lité, etc. un astre, le disque en l'espèce, serait là pour indiquer que


;

les astres font partie de ce tout qu'ils régentent.


Lorsqu'un autre astre que le disque est auprès du dieu soleil, on peut
admettre cependant une signification différente; ou bien il rappellerait
la liliation du dieu; c'est peut-être la raison pour laquelle on voit par-
fois le croissant auprès de Samas; ou bien il ferait souvenir de la divi-

nité dont il est l'attribut, lorsque le dieu principal est déjà déterminé
par ailleurs (ainsi le Ward i68, du Metropolitan Muséum, dédié à
Adad et à Sala; en plus des deux divinités, sont gravés : le taureau
porteur des foudres, le croissant, l'étoile) ; le fait est rare et ne se cons-
tate que sur des cylindres datant du déclin de la deuxième période.
Les autres attributs ont également plus pour fonction de reporter
sur le dieu solaire honoré dans le cylindre, les qualités dont sont
parés les autres dieux, que de rappeler ceux dont ils sont les qualifi-
catifs habituels. Ce sont surtout des attributs convenant aux grands
dieux, tous plus ou moins dieux de vaillance et dieux de justice; les
dieux solaires rentrent essentiellement dans cette catégorie, il est
naturel qu'ils soient pourvus de ces attributs.
A la troisième période, le dieu, hiératisé, a perdu beaucoup de ses
caractéristiques; quelques emblèmes et surtout la dédicace l'iden-
tifient. Pendant ce temps, les kudurrus procèdent résolument par
symboles l'attribut indiquant la qualité d'un dieu devient le dieu
;

lui-même. C'est une façon de rajeunir le cycle des représentations


divines, sans doute pour économiser la place, et, par suite de l'im-
possibilité où l'on est de créer assez de types de dieux, pour éviter
la monotonie des défilés des dieux hittites sur des animaux.
Si donc le kudurru trouve son principe dans des monuments
antérieurs, la substitution du symbole à l'attribut constitue un fait
nouveau, d'autant que certains de ces symboles paraissent pour la
première fois.
Plus tard, enfin, la glyptique reprend pour elle-même la tradition
des kudurrus; l'adorant adresse ses hommages aux symboles des
dieux solaires qu'ils ont accoutumé de reproduire.

Kn somme, l'évolution de l'image des dieux solaires accuse, pour


la Babylonie, une tradition puissante qui s'affirme par la création de
types bien différenciés (l'" et 2^ période). Lorsqu'il faudra, pour satis-

(1) Cf. le tableau des cylindres dédiés à Samas, p. 550. ,


500 REVUE iniilJOUE.

faire aux oxigenccs dun panthéon toujours plus riche, grouper plu-
sieurs divinités sous la mémo effigie, les dédicaces et les attributs
s'efforceront de guider les fidèles (2^ période).
Au moment où la confusion, conséquence de cette pratique, risque
de devenir ioextricable période), le souci des règles iconographi-
(.'5'

ques se traduit par l'adoption des symboles, en place des attributs.

Ci. Contexau.

VI
MATTHIEU VU, i-27, D'APRÈS UN PAPYRUS DE LA BIBLIOTHÈQUE
NATIONALE

Le Département des Manuscrits à la Bibliothèque Nationale de


Paris possède un feuillet de papyrus (1 ) opistographe qui a fait partie
d'un manuscrit de saint Matthieu et fut recueilli en Egypte, au début
du XIX'" siècle, par le minéralogiste nantais Frédéric Cailliaud.
Le gouvernement français ayant confié à Jomard, qui dirigeait la
publication de la Description de rÉg7jptc, le soin de publier les
notes archéologiques de Cailliaud et les documents qu'il avait rap-
portés au Cabinet des Médailles, ce feuillet de papyrus fut reproduit
en fac-similé aux planches XXXI et XXXII du Vuijage à l'Oasif, de
Thèbes 2 la légende constatait que le texte était en dialecte thébain
\ 1
;

(= sahidique), mais il ne semble pas qu'on ait reconnu sa nature.


Classé sous le n** 1903 dans le Catalogue de Ledrain (3), il a échappé
à l'attention des coptisants, n'a pas été signalé par Hyveruat dans
son Élude sur les versions coptes de la Bible [\) et n'est pas mentionné
dans l'édition du Nouveau Testament sahidique par le Rev. Horner (5).
Pour l'étude paléographique les i»lanches de Jomard sont suffi

(1) Inventaire Copte 144. Cf. L. I)ela|)orte, Calaloyue sommaire des manuscrits
:

copies de la Bibliolfièque nationale, n" 144 [Hevue de l'Orient chrétien, 1913, p. 390).

Le leuillol numéroté iK (16) au recto, mesure 33 cm x 23 cm ."•. Le texte est écrit sur
2 colonnes de .35 ou 3i lignes.
(2) Voi/ar/f il l'Oasis de Tlièhcs et dans les déserfs situés o lorient el ii l'occident
de la Tliébnide, fait pendant 1rs annérs ISlô, IS 10. isn et islspnr M. Irvdéric Cail-
liaud (de IS'antes): rédifjé et publié par M. Joinanl. Paris, 1821.
(3) E. Ledrain, Départi ment des Médailles. Inventaire de la rotleclion éyijpticnne
(manuscrit) 1903. H. 0.32. Larj;. ii,2:{
: Papyrus copte. Dialecte Ihéhain. Écrit de chaque
.

coté sur deux colonnes. (Publié dans le VoyaRc à l'Oasis de Thèbes de Cailliaud, pi. .\XXI.)
(4) Hevue tiihlù/ne, juillet IsyG-janvier 1K97.
f5j Tlie coptir version ofthc .\eir Testament in Un- soulhrrn diatect, olheririse ratlrd
MKLANC.KS. 06 1

santés, bien que la copie soit mainte fois erronée ou incomplète dans
les passages moins lisibles sur l'original. Il a donc paru utile de

donner une nouvelle transcription accompagnée des variantes que


Ton relève dans l'édition de llorner, môme quand il s'agit de simples
dillerencos orthographiques. nupK|ues lettres sont surmontées d'un
trait horizontal; parfois il couvre la lettre tout entière, le plus sou-
vent il s'étend sur la partie de droite et déborde vers la lettre sui-
vante. Ailleurs le trait se courbe en arc de cercle ou en accent cir-

conflexe, par exemple sur l'ii de inn au verset 13; ailleurs encore
c'est une sorte d'accent grave, sur la première 11 de coikvo'.'coii
au verset 8, iia(j au verset suivant. Dans le texte imprimé
sur l'ji de
nous sommes d'employer partout le trait horizontal. Les
obligé
lettres restituées sont placées entre crochets celle dont il subsiste [ J
;

une partie sur le papyrus sont mises entre crochets brisés [ j.

\Il,4 IIHA' II.MI (îBO.Veil KIIAIIAV liliO.V tiiiejv


(r°. !< col. i

neKBA.v. AV(() Hio nxii oBo.ven iiiia.v

2HHTe ncoi ?u iioK 6 iin(7K(U)ii. iinp+


5 liA.x. iievnoKpi iiueTeuneTov
Tiic ii()v:xe ii^opri AAr.(2) eiieveoop.ovAo
uncoi 6BOA'eii iiGK unepiiovAG (3) eue
BA.\. Avto (1) TOTe Teiuoueuue (4) 2a

sa/iidic ayicl thebaic, with apparatus literal, english translation, register of fragments
and estimate of tlie rersion. Oxford, 3 vol., 1911. La liste des fragments sur papyrus con-
nus de l'auteur se trouve auv pages 344 et 34."» du 3" volume.

(1) AVtO et, omis dans tous les manuscrits utilisés par Horner-

(2) lllieTeuneTOVAAB vos choses saintes, en écriture défective (llueTline-

TOVAAb) dans le manuscrit 108: les autres portent LineTOVAAB ce qui est saint.

(3) unepiiovAG, iiii6T6M^Hpe, nexeHeicoT, eTeTeiiovA^yov,


^ell, eBo.veeii, eTeeii, Aiiep, iieTep2(OB, uneqee, exeii
formes pleines auxquelles correspondent dans le texte de llorner les formes défectives

unpiiovAe, iiiieTiiiyHpe, neTiieitoT, eieTiiovA^ov, eu,


<;Bt>.\2ii, ereii, AJip, iieTpetoB, un(|2e, eAii ; mais iipcjTtopn,

iiTAqKtOT, iiqeipe, au lieu des formes pleines iipeqTtopn, euTAqKtOT.


(3iit|eipe-

(4) 6lieT6HtOlieuUe, au lieu de lllieTlieil6UIJ6.


262 REVUE BIBLIQUE.

ptoov fiiieti,"jAV (5). 11 (3,"J:^(î lITtOTII Cr(: OIITC;


imnoTti nG(:2ouov TU 2(;llll()lllip()C . T(;

iinevovepiiTe THcoovii n-f (9) u?(;ii-f-

iiceKOTOv Mcenee eilAIIOVOV illIGTOIJ


7 XHTTII. (-Tel (0) TApO'i" ^Hpe (3). IIOCU) IIAAAO
ir IIHTH- ^MIIK; iieTeiieitoT (3) gt^ii ii

TJ^pj^TcrnicriiH] (7) iiHve tiiiA-h iieuiiArA

[TCOeu] TApOVOTtO eoii eneT6TOi (10)


8 iiHTU- lOVjO^ii r]Ap uuoq
iiïu exeTei (6) cjiia 12 eiDB cre mu (iTeTeii
2lï- avco neT^yine OTA^yoT (3). X6KAC epG
C|MACrïll6 (8) AVU) IIGT liptOUG IIAAV(11)UUTII

Tto2u ceiiAovcpii UTaJTII 2CJUTTUVTII

9 iiA(|. H NUI II peu ApiCOV IIAV UT6l2e[.]


Me GBOA lieUTTHV HAI PAp ll(: IIIIOUOC
TU neTepn iiciq AT(o iienp()(l)UTiio.
ynipe iiAAiT(;i u 13 "jBtoK eeovii eiTu tiiv
UOq MOVOtilK. UH AU [oJTcrHV XG arroge.
eqHA-f iiat| iiov Il[<r]i TIIVAU AVCO
10 coiie : il iiLC|\\iTei GOVeCTtOU HOM TGeiU
UUOC| IIOv[TjliT UN GTXIUOGIT G20-III G
r",2«col.) eqHA^" IIAq H()V2()CJ. n[TA]KO. AVCO 2A2 ll(:T

(5) GIIGIJ^AV, avec le manuscrit 12(5; les autres portent IIIIG*'iA'/.

(6) C;T(;I, étacisme pour AIT(;I, coinine dans le nianuscrit 118. De même, au verset

suivant, (ÎTGTGI pour GTAIT(;I-

(7) TApGTGTIlcrilK;, avec les manuscrits 71, 108, 12C,. Les autres portent

TAp(;TII<rill(;.

(8; (|llA(rïllG ra trouver, comme dann le manustril 126. Dans les autres on lit

qilA^G GOVOII trouvera (/uelf/ve chose.

. (9) Gi", avec les manuscrits 118 «'t 12(j, au lieu de II"!".

(\0) GIIGTGIGI, au lieu de lllif-TAI TGI.

(\\) UAAV, comme le manuscrit l'ii;. pi)ur IIAAA'.".


MÉLANGES. 563

iMii e;iiAiic)V(|(14) ii^yAci

1^ OTC (ll2)(;()'HV IMVI II IV TAVG (15) KApilOG (;BOA


AH AVtO G2GA2«).V Gt|2()

HCr[l] T[fî]2IM GTAIIU) ()V(1<)) ||,"JHII AG GOOOV


(e]l[T H^eoVIl (3il[uj||j2 ."iAqTA'/(; KApilOG GB()A
AVtO ^(;IIK()v[l llJtiT 18 GBOOV (17). UlliH

lÔ ||A2fi (-poc; . feiHTIl crou (18) iiov


GpttJTii niiC;npo())it i^HII GIIAII()V(| GTAVG
THC IIHOVA" MAI (iT KApnOG GBOA GqeoOV-
IIHV ^•JAp^OTII 2611 (3) ovAG ov^ymi (itjeoov
2eil2BGtO Mecoov GTAVG KApriOG GBOA
lieveovil AO 2CillOV GIIA
(v,!*' col.) colleyim iipqTcopri (3) 11) iiovq. i^Hii CFG mil
16 GBOAeOM (3) IIGVKApnOG GTGIiqilATAVG KAp
GTGTHACOVtOllOV. UH [no]c
Tl ^AVAGGAG GAOOAG G GBOA (19) AH GHAIIOVq
BOA2GII (3) ^OUTG. H CG
^•yAV HAKOOpGq HCGHOAq
KGT(| KIITG GBOA2GII (3) 20 GTCATG ApA GBOA?IJ
17 ApOOTG . TAI TG OG HGVKApHOC GTGTHAC
ii.^y^(13) 21 OVtOHOV. OVOII IIIU

(12) Dans les manuscrits utilisés par Horner le verset 14 commence par la particule

AG ; plusieurs manuscrits ajoutent aussi AG après go'HV.

(13) II^HH au lieu de ^Hil.

(14) GIIAIIOVt| se trouve dans les manuscrits 71, 116 et f. Les autres ont 6THA-
Hovq.
(15) IliaAqTAVG, au lieu de ^yAC|TAVG.
(16) GqîOOV mauvais, lapsus calami pour GHAHOVq bon.

(17) GOOOV avec le manuscrit 55: les autres portent Gq^OO'.'-

(18) UH^O'OH, pour HUH;yO'OU.


(19) GBOA raan(|ue dans le texte de Horner.
r;64 nEVUE biblique.

AU «TAtO IIIIOC MAI -'l OVOII OMJ IIIU (ÎTCd)


.\C3 (20) ii:^()(Hc iiaook; tu ouA^Axe gtg
UGT UAi ue oqeipo uuo
UAïuoK (;^()vu trnui ov eqiiA6ui(; iiov

Tppo(21)|UJriUV(;.A.\.\A pU)U(; UCAliC IIAI

u(iTUA(;ïpfî ne iiuov UTA(|K(t)T (3) uneq


(()."l IUIA(;I(()T (;T?(;U ('î) ||| ^pAI 211 (22) l" 1 1 (:T p A
9) uuuv(;. o/u 2A2 PAp 25 A(|(;i enecuT iioi
IIAAOOC UAI 2U UC-20 U^tOOV. AV(il HOI [ui]
ov (;TUUAV .\H ii.xonic. (iptoov [avuicjo uoi;

uA'oeio MU epAi AU uTuv l^Av]2iovo oeov


eu IIGKpAU AUlipO 2U ^n]HI (iTUUAAV
Yo,2ocol c|)UTeve un epAI AU AV(() Un6(|2G(3). Xli

2u uoKpAu AU ueqTA2k:puv i-Ap(23)e2


iinrv AAuiouioii pai o^oii (3) TiinrpA.

(3IH).\. UU ?pAI AU 2(> AV(0 OVOII UIU (3T

Zn U(;KpAU AUCip (3) CtOTU OUA^A^:(3 <:T(3

23 2Ae UCrOU. TOTO fuA IJAI IKi. u(|(;ipn (3) u


eOUOAOl-GI UAV Xfl [UOOV a]u CqUAGlUG
UU(iin()VUTUVTU jjJojTpiouo UCOO"
^'*KyZ- CA^C-TU'/TII haï [g]uTA(|K(OT U
GIIOA UUOI ur;T(;p un(|ui eiAu l2^j) |IX'j[(Ju]

2((Ui (3) GTAUOIUA 27 A{|(;l (MIOCUT UOI

L. DKi.APOini:.

(20, Le A inajusciilo noxiste pas dans ce caraclère.

(M) (ITUU'I'ppo, comme dans le manuscrit V2i\. Les autres portent (;'I*U U'r(;|)()-

{'il, ;epAI eu au lieu de (î^pAI GAU.


(!:{, Apres |-A|> les rnanuscrils utilisés par Ilonier ajoulenl le verhe auxiliaire llG.

('• VI AU. avee les manuscrits 55 et 71, an lieu de (:\||.


CHRONIOUE

rXK VISITE A L ILE DE KOIAD.

J'ai prolité d'un petit séjoar qu'il m'a ét<'' donné de faire dans
l'ile de Rouad pour rechercher les quelques débris de monuments
anciens échappés au ravage des temps et surtout à la destruction
des hommes. Ce travail archéologique m^a été facilité à tous les
points de vue par le lieutenant de vaisseau M. Albert Trabaud, qui
depuis le débarquement des troupes françaises à Rouad (l*^"^ sept.
1915) occupe le poste de confiance de gouverneur de l'Ile et le
remplit avec autant d'intelligence que de dévouement.
En mettant le pied sur ce coin de terre phénicienne, M. Trabaud,
fidèle à fran(;aise déjà séculaire, a eu à cœur de con-
une tradition
naître de recueillir tout ce qui pouvait rester des différentes
et
cultures qui se sont succédé à Rouad. Il a formé ainsi de ses propres
deniers un petit musée fort intéressant auquel il m'a invité à puiser
à volonté. Lui-même m'a prêté le concours de son crayon et de
son hal)ile pinceau pour la reproduction d'un grand nombre de
pièces et, à maintes reprises, il s'est fait mon guide à travers les rues
tortueuses de la cité ou des roches aiguës de l'ile. Aussi, je prie
M. Tralmud de vouloir bien agréer ici, une fois de plus, mes sincères
remerciements pour tous ses bons ofiices.

L'ile de Rouad fait partie d'une ligne de récifs qui court parallèle-
ment à la côte, à la distance de deux à trois kilomètres depuis Tripoli
jusqu'à la hauteur de Tortose. Cette digue naturelle, interrompue
oà et là par de larges passes, et cachée généralement sous l'eau à
des profondeurs variables, émerge aussi par endroits et forme une
série dilots tels que Ramkin auprès de Tripoli, el-Qeneis, Abou Ali,
cl-Hebeiseh ou ei-Abbas et, tout à fait au nord, Rouad.
La petite lie de Rouad, dont le pourtour est d'environ deux kilo-
mètres, fut habitée dès la plus haute antiquité citée dans la nomen- :
166 REVUE BIBLIQUE.

clature cthno-géographiquc du chapitre x de la Genèse (1), où Tyr


n'est pas nommée, Arvad fut pendant plusieurs siècles une des villes
importantes de la Phénicie (2).
Son nom apparaît maintes fois dans les annales des monarques
assyriens, dès l'époque de Téglathphalasar I (3), sous diverses formes :

A-ni-a-di, Ar-ii-a-da, Ar-va-da. Avant le milieu du ix" siècle av.


.f.-C, Asour-nasir-apla se vante d'avoir reçu le tribut des roitelets
du littoral méditerranéen, du roi de Tyr, du roi de Sidon, du roi
d'Arvad, « qui est au milieu de la iner »... ('i-j. Peu après, les princes
de Syrie se soulevèrent contre la domination assyrienne aux côtés ;

des princes de Hama, d'Ammon, et d'Achab, roi d'Israël, le roi


d'Arvad se battit à Qarqar en 854 contre l'armée assyrienne et
partagea la défaite de la coalition (5). Sennachéribparmi ses cite

vassaux Abdi-li'ti, roi d'Arvad (6), et Asarhaddon mentionne un de


ses successeurs Matan-baal (7). Asourbanipal reçoit éf:alement l'hom-
mage du roi d'Arvad, qui s'appelle alors Iakinlou (8), puis, à la
mort de ce prince, il voit venir à lui ses dix fils, place sur le trône
l'un d'entre eux Azibaal, et remet à ses frères des robes de couleur
et des anneaux dor (9).
Les habitants d'Arvad étaient marins, comme aujourd'hui, déjà
célèbres par la qualité de leurs vaisseaux à l'époque de Téglathpha-
lasar I, puisque ce monarque se vante de s'être embarqué avec ses
soldats sur des vaisseaux d'Arvad (10). A l'époque d'Ezéchiel, Arvad
Tyr des marins, mais
fournissait à aussi des soldats, <]ui veillaient
aux murs de la métropole phénicienne (11). Au temps de la domina-

(1) Vers. 18 = I Par., 1, IG.


(2) On peut consulter sur Arvad l'art. Aradus de Philippe Beiigeh dans la Grande Kn-
ojclopédie, III, .')20, qui est fait surtout d'après He.nw, Mission de Phénicie. Paris, 1864,
p. 19 à 42. L'article de Benzim;er sur Arados, dans Pally-Wissova, Healencijclopddie
des lilassischcn Altertumsuissensc/iaft, II (18'.»6), p. 371 s., contient un répertoire des
passages des auteurs classifjues dans lesquels il est (|uestion d'Arvad. Voir aussi sur l'his-
toire d'Aradus, à partir de 400 av. J.-C, l'introduction de Babelon, Catalogue des mon-
naies grecf/ues de la Hibliollièq%Le nationale. Les Perses Achéménides etc.. p. r.i.iv-cLxii.

(3) NB., 1910, p. 57 (cf. 1908, p. .'.08).

(4i Annales, III, 86; f<B.. 1910, |i. 60.

5) Salmanasar. monolithe, II, 93; HH.. l'.MO, p. 6'i s. Le contingent d'Arvad, 200 hommes
seulement, est un des moins considérahles : les Arvadiens étaient marins plutôt (|uc soldats.
(6) Prisme de Taylor, II, 49; Ji/l., 1910, p. 508.

(7) Prisme B, V. 17; RB., 1911. p. 211.


(8) Cylindre de Rassam II, 03-67; RIi., 1911, p. 346.

(9) Jbid.. H. 81-94: R/i., 1911, p. 351.


(10) RB., l'.iin, p. .-,7.

11) Ézéchiel, 27, 8 et 11.


CHRONIQUE. o67

tion perse, Arvad formait avec Tyr et Sidon la ligue des trois villes
phéniciennes ; sous les Séleiicides, les « filles » d'Arvad florissaient
sur le littoral, elles s'appelaient l*altos, Balanée, Karné, Enydra,
Marathos, Simyra (1); bientôt elles furent éclipsées par Antaradus
(Tortose), qui devint la rivale d'Arvad.
Lorsque Arabes envahirent la Syrie, Arvad fut rasée par
les
Moaviah, lieutenant d'Omar. Depuis longtemps d'ailleurs, Arvad
avait cessé de compter dans l'histoire; elle n'a plus été à la suite de
cette ruine qu'une misérable bourgade de pécheurs.
La colonie phénicienne qui jeta son dévolu sur ce récif, pour y
construire une ville, y fut invitée par la nature même des lieu.\. L'îlot
est orienté du nord au sud, ou plus exactement, du nord-ouest au

sud-est. Ce n'est guère qu'un rocher affleurant à peine à la surface


des eaux sur la plus grande partie de son pourtour {fig-. 1). A l'ouest,

l-i'^. I. — Rouad vue du large.

cependant, il dominait la mer de plusieurs mètres; le sommet qui


se trouve de ce côté est couronné actuellement par un grand château,
tout entier de construction sarrasine, mais qui a dû remplacer une
forteresse plus ancienne. L'endroit en effet est trop bien choisi pour
qu'il n'y ait pas eu de tout temps sur ce point un château fort.
A l'est, en face de la côte distante environ de deux kilomètres,
deux échancrures naturelles forment deux havres bien abrités
(fig". 2 et 3) et suffisamment profonds pour des felouques et des
goélettes de moyen tonnage comme étaient les vaisseaux phéniciens
et grecs.

(1) Strabon, xvi, 753 s.


o68 KEVUE BIBLIQUE.

L'anse méridionale, un peu moins développée que celle du nord,


est par contre plus enfoncée et mieux protégée, surtout contre les
vents du nord et nord-ouest. Une
digue naturelle, large tout au plus
d'une dizaine de mètres et longue
de plus de soixante, séparait les
deux ports et brisait à nouveau
les vagues soulevées par les vonts
du nord, du nord-ouest et du
Comme cette digue n'était
sud-est.
guère qu'à fleur d'eau, on l'avait
exhaussée par une assise d'énor-
mes blocs dont la hauteur moyenne
est de 2 mètres, lépaisscur de
r'',50 et la longueur de ô à G mè-
tres placés en travers, ils consti-
:

tuent une jetée superbe, d'une


solidité à toute épreuve, le long
Fig. i. — Plan (le lîoiin<l. ^ ^ '
^

de laquelle les bateaux pouvaient


venir s'amarrer pour décharger leurs marchandises.
La plupart des blocs présentent vers le milieu une entaille profonde

1 ig. ;i. — l,i' |i()ii lie Koua<l.

de 0"',3ô, <l même davantage j)arfois, se [)roloiigeaiit sur toute la


Planche î.

Fig. 4. - Digue exliaiissce par une assise de gros blocs entre les deux havres de Uouad.

Pig. .1. I ragiiiiMil lie l'ciiciiMli' a la |Miiiilc iiurd-oursi ilr l'ili


r.HUONlQUK. aO'.)

lai'geui' du l)loc coninie si on avait voulu les couper en deux (fig. 4-).

Et c'est pi'ol)al)lemeut, eu eit'et, la meilleure explication de cette rai-


nure. Lors de la construction du clulteau voisin, on a dû exploiter la
digue comme une carrière. Un certain nombre de grosses pierres ont
été cassées et l'on se proposait d'en faire autant pour celles qui restent.
A la pointe de la jetée se trouvent deux tronçons de colonnes,
debout, juxtaposés, de 2'", 50 de diamètre sur \"\'îô de haut. Ce ne
peut être que les restes d'un petit monument décoratif ou religieux.
On mer, non loin de là, un beau fragment de marbre
a repêché de la
sculpté ayant appartenu à un entablement giec.
Sur le pourtour intérieur des deux ports on ne remarque rieu
d'extraordinaire. Si jadis il y a eu des quais ou un système de forti-
fication quelconque, tout a disparu. Dans le port septentrional, au
nord de la tour arabe minée portant le n° 1, un chenal met la mer
en communication avec une lagune qui constituait peut-être jadis
un petit bassin intérieur.
En visitant Rouad, on est frappé du peu de vestiges d'anciens
monuments qui existent encore. Les principales ruines sont celles
d'un mur d'enceinte destiné à protéger lile contre les incursions
ennemies et peut-être plus encore contre la fureur des flots pendand
les grandes tempêtes de l'hiver.
Ce mur commence à la pointe nord-est de l'ile sur laquelle il a
dû y avoir autrefois un édifice assez important, aujourd'hui complè-
tement bouleversé. De gros blocs gisent çà et là, renversés selon
toute vraisemblance par un grand tremblement déterre.
Au point A (fig. 2) se trouve un beau fragment de l'enceinte.
Quatre assises sont encore en place, atteignant environ 8 mètres de
haut (fig. ô). Les pierres d'appareil ont en moyenne 3 mètres de long
sur '2 mètres de haut et l'",50 de large; il n'en manque pas de beau-
coup plus grandes. La largeur du mur est de 5 à 6 mètres. Il pré-
sente une grande analogie de construction avec la jetée centrale qui
sépare les deux ports et les deux ouvrages doivent dater de la même
époque. Les blocs, bien taillés, étaient placés les uns sur les autres
sans mortier; mais lorsque le sol destiné à recevoir la première
assise était inégal, on formait un lit avec des moellons noyés dans
un ciment excellent. L'un des derniers blocs de ce pan de mur, au
sud, présente sur un côté une feuillure verticale qui le fait ressembler
étrangement à un montant de porte. Cependant comme d'autres
blocs ont sur la face intérieure des feuillures analogues, l'hypothèse
d'une porte nous paraît devoir être écartée.
En arrière de A, à l'est et au sud, s'étend une petite place de 50 à
570 REVUE BIBLIQUE.

60 mètres de côté, dont Ja surface généralement rocheuse, élevée de


moins d'un mètre au-dessus de la mer, a été presque partout égalisée.
On distingue sur le sol de nombreuses assises de pierres taillées.
Les dernières maisons, au nord, reposent sur une sorte d'escarpe
rocheuse, haute de 2 à 3 mètres, le long de laquelle on remarque
des éventrées et des chambres creusées dans le roc,
citernes
défoncées ou coupées en deux. Une de ces chambres (n° 2 dans le
plan), assez grossièrement taillée, fut certainement un tombeau. Le
long des parois latérales, on reconnaît, en effet, deux grandes auges
destinées à recevoir les corps des défunts.
A partir de A, l'enceinte, obliquant sensiblement vers le sud,
passait devant un îlot long de 25 à 30 mètres et large d'une quin-
zaine, qui ne porte aucune trace d'habitation. Ensuite, sur une lon-
gueur d^une cinquantaine de pas, le mur est très ruiné et, par
endroits, il n'en subsiste même plus rien. Le rocher se relevait peu
à peu en avançant vers le sud, mais on l'a nivelé à peu près partout
entre l'enceinte et les maisons actuelles formant un passage de
15 à 20 mètres de large semblable à un fossé creusé dans le roc
(fig. 6). Ce sont là les carrières de l'Ile; elles se poursuivent jusqu'à
l'angle sud-ouest des habitations actuelles. Certains blocs n'ont pas
encore été complètement détachés.
Le plus beau fragment de l'enceinte dont nous suivons le tracé se
trouve au point B(1). Ce pan de mur (fig. C et 7), haut dune dizaine
de mètres, est formé de quatre assises de grosses pierres reposant
sur un soubassement en roc de 2 mètres de haut. Tandis qu'à côté, et
généralement partout, la muraille mesure à sa base 5 à (> mètres de
large, ici, au-dessus du roc, elle en a seulement trois. Tous les blocs
traversent d'un côté à l'autre. La face extérieure du côté de la mer
est bien unie, tandis que par derrière il y a des blocs (jui dépassent
un peu plus les uns que les autres. On aura remarqué dans la photo-
graphie (fig. 7) un bloc particulièrement long et semblable à un
linteau, placé au-dessus de trois ou quatre blocs mal liés ayant l'air

d'avoir élé placés là après coup pour l)oucher une large baie. Ce
dispositif est-il fortuit? je l'ignore, mais je ne crois pas en tout cas à
l'existence d'une porte en pareil endroit. n peu plus bas, à gauche,
(

une ouverture large de 0",î)0, [)ercéo à travers le roc et a(*<ueliement


obstruée sur une partie de sa hauteur, marque l'aboutissant d'un
grand canal ou d'un égout ancien facile à suivre à l'intérieur de l'île.
Au delà de B, toujours en continuant vers le sud, le mur <renceinte
(1) Ce fragment du mur d'enccinlp est représenté d'après des dessins de L. Lockro) dans

Renan, Mission de Phvnicie, planclies 2 cl 3.


Pi.vNcm: 11.

Fis. 6. — Passage entre l'enceinte et les maisons.

hii;. ;. — iiagiiieiit (le l'enceinte a l'ouesi de 1 île.


(.HRONIQUE. r>-i

a disparu à peu près coniplètomcnt sur une longueur de plusieurs


centaines de mètres. Ainsi qu'on l'a noté un peu plus haut, les car-
rières de l'île se trouvaient à cet endroit et il est assez naturel que le

mur lui-même ait été exploité comme une carrière et les gros blocs
débités pour les constructions postérieures. L'escarpe n'a pas toujours
été respectée non plus et le rocher se trouve taillé un peu dans tous
les sens.D'une façon générale, cependant, il existe du côté de la mer
une sorte de fossé large mais peu profond, précédant une muraille de
roc aux parois tourmentées, haute de deux à trois mètres et large de
deux mètres environ, qui marque vraisemblablement le tracé de la fa-
meuse enceinte. En arrière de cette muraille, du côté de la ville il y a
toujours un passage dont la largeur varie entre dix et vingt mètres.
Dans la contrescarpe intérieure, au-dessous et en avant des maisons
abondent de plus en plus les vieilles citernes et les vieilles
actuelles,
maisons défoncées (1) (tig. 8). La plupart des citernes affectent la
forme d'une poire (fig. 9).

lia. <j. -- cliaiulires el riicrnes creusées dans le rcc

A hauteur de la tour sud-ouest du grand château, une chambre


la
creusée dans le roc et surmontée d'une maison reposant sur un arc

en plein cintre, rappelle certains sanctuaires nabatéens de Pétra.


;i) Cf.. Renan, Mission de Phénicie, p. 40 et pi. 3.

REVUE BIBLIQUE 1916. —


>. S., T. XlII. 37
572 REVUE BIBLIQUE.

Cette petite salle mesure en moyenne 4 mètres de profondeur sur


3'", 75de largeur. Dans la paroi du fond, à 3 mètres du sol, est
creusée une niche cornée de 0"',30 de côté environ, avec un trou en
dessous. A une moindre hauteur, sur les parois latérales, il y a
comme une rangée de stèles dont le sommet n'aurait pas été dégagé.
Mais précisément à cause de cette dernière particularité, il est douteux
que ce soient là des stèles ; les rainures qui les séparent pourraient
avoir été faites simplement dans un but utilitaire quelconque. En
avant de la salle s'ouvre une cour taillée dans le roc, d'une dou-
zaine de mètres de côté.
Au sud-ouest de cette cour, à une quarantaine de mètres, une ouver-
ture pratiquée dans la muraille de roches qui longe la mer rappelle
celle que nous avons signalée dans B. L'idée d'une seconde bouche
dégoût vient naturellement à l'esprit; cependant ici l'ouverture est
bien haut et il faut supposer que le niveau du sol a été beaucoup
abaissé sur ce point pourvoir dans celte sorte de fenêtre l'aboutisse-
nient d'un canal d'évacuation.
En continuant à marcher encore quelques pas, on arrive devant
une marque gravée droite sur le rocher et affectant la forme d'une
<\

crosse (fig. 10) . Elle a été tracée grossièrement à coups de pic ;


sa hau-
teur totale est de 0'",80 et sa largeur, vers le centre de l'anneau, de
O^jSâ. Quelques-uns ont voulu reconnaître tout de suite dans ce signe
un symbole d'Ichtar, voire même
une repré.sentation de cette divinité;
mon guide me dit que c'est tout simplement un point do repère tracé
^.^ par des Francs qui sont venus autrefois étudier l'île. Précisé-
{ > j ment, à cet endroit, passe une grande fente dans le roc qui
se poursuit assez loin à l'intérieur de l'île dans la direction du
sud-est. J'ai remarqué plus au nord une fente analogue. Ces
figures sont ducs vraisemblablement à quelque cataclysme,
à un grand tremblement de terre qui aura renversé en même
temps les fortifications et les édifices de Kouad. On ne s'ex-
plique guère d'une autre façon le déplacement de ces blocs
.Marque éuormps auxqucls leur simple poids devait garantir une sta-
sur le
jjiiit^ éternelle une fois (lu'tju
A
les avait bien assis.
roc.
La contrescarpe, sous les nmrs des maisons, ne tarde pas ji
faire un angle rentrant que suivent naturellement les constructions
modernes. Le rocher s'all'aisse de nouveau peu à peu et vient s'a-
planir A cinquante mètres plus loin. Le long de la mer, les gros
blocs reprennent et se poursuivent jusqu'à l'angle sud-ouest de
l'ilc où il y a encore deux assises en place ftig. 11).

Sur le front méridional de Tile, le tracé du mur d'enceinte est non


Planciik III.

Fiq. 8. — Chambres et citernes creusées dans le roc.

11:4. Il- - lrai;nient de l'enceinte au sud-nuesl de I île.


CHRONIQUE. 573

seulement reconnaissable, mais il existe encore partout une ou plu-


sieurs assises des fameux blocs qui le composaient. En un point, il a
quatre à cinq mètres de haut et les blocs mesurent en moyenne 5 à
(> mètres de long, 2
nièti'es de large et 2 mètres de haut. De ce côte

ilforme une ligne droite interrompue seulement aux deux tiers de la


longueur par un angle rentrant.
Vers l'angle sud-est, l'état de conservation est le même qu'au sud.
A une quarantaine de mètres de cet angle, en remontant vers le
nord, le mur rentre d'une dizaine de mètres et au fouddeFencognure
s'ouvre une baie de 6 mètres de large environ qui parait être une
ancienne porte donnant sur la mer. Il y avait d(îvant la porte près
de deux mètres d'eau et l'on pouvait y aborder facilement avec une
grosse barque avant ({ue le fond fût obstrué parles débris de l'enceinte.
Dans la section du mur qui reste encore avant d'atteindre le port,
on remarque une série de cinq blocs juxtaposés présentant vers le
sommet, sur la face extérieure, une sorte d'encadrement formé par
une rainure large de quinze à vingt centimètres et profonde d'une
dizaine. J'ai relevé sur d'autres blocs autour de File la même parti-
cularité, dont j'ignore la raison d'être.
Au-dessus de plusieurs grosses pierres de l'enceinte, et quelquefois
aussi à la surface du roc, j'ai noté de gros trous ronds de 0"',50 à.

0'",60 de diamètre, profonds de 0™,75 à 0^,80, avec une large feuil-


lure tout autour dans laquelle s'engageait la dalle ou le bloc destinés
à recouvrir le trou. Ainsi que nous aurons l'occasion de le voir plus
loin, il est possible que ce soient là des tombes destinées à recevoir une
urne funéraire.
Comme au nord et à l'ouest, il y a aussi au sud, le long du mur
d'enceinte, un espace libre dont le sol a été aplani (fig. 12). Sur une
largeur moyenne de vingt-cinq à trente mètres, le niveau actuel n'est
guère qu'à 0'",iO au-dessus de la mer. Le rocher est visible en maints
endroits, mais dans beaucoup d'autres on ne voit à la surface du sol
que des débris de pierres et de briques noyés dans du mortier ou
bien de belles pierres de taille soigneusement alignées qui donnent
l'impression d'un dallage. Il semble que, de ce côté principalement, on
ait disputé le terrain à la mer et élargi le plus possible la superficie

de File en comblant les vides qui existaient entre les rochers.


Au delà de l'espace en question, le sol se relève subitement d'un
à deux mètres. Il parait formé principalement de décombres au bord

desquels les Rouadais ont construit toute une ligne de moulins à


vent (fig. 12). Ce terrain vague et rapporté sert de cimetière aux
Arabes.
574 |{EVUE BIHLIQUE.

La petite ville de Rouad, composée de six à sept cents maisons,


occupe la plus grande superlicie de l'île il ne reste pour ainsi dire
;

l'ig. l'J. — Ksplaiiade au sud de l'ile.

qu'un chemin de ronde avec un coin de terre pour ensevelir les morts.
Les maisons bâties toutes en pierre accusent une certaine aisance; les
rues sont très étroites, mais généralement à l'intérieur de chaque
demeure il y a une petite cour avec un arbre et quelques tleurs.
Les Rouadais sont à peu près tous naviiiateurs et pécheurs d'épon-
gés. Avant la guerre, ils faisaient sur les côtes de Caramanie et de
Syrie un cabotage lucratif. Ils entreprenaient de fré((ueiits voyages
;Y Chypre et en Kgypte et leurs plus grandes goélettes s'en allaient jus-
qu'il Malte et en Italie. Actuellement cette flottille chôme et plus de

deux cents embarcations sont ancrées dans les ports ou halées au sec.
Les monuments anciens, nous l'avons dit eu commentant, sont
rares à Rouad. Les deux châteaux sont purement arabes et mémo
d'assez basse épocjue. L'inscription gravée au-dessus de la porte du
grand chAteau est complètement détériorée. Celle du petit château
donne la date de l'édifice.

On est étonné de ne pas trouver à Rouad plus de traces du passage


dos Croisés qui ont certainement occupé l'ilo et qui ont laissé on face,
fi Tortose, un des plus beaux chefs-d'ci;uvre de leur architecture rcii-
CHRONIQUE. r.7:i

gieuse. Jon'ai vu ffu'un petit chapiteau en marbre blanc qui pût leur
rire certainement attribué.
Il serait intéressant de retrouver et de fouiller le vieux cimetière

de nie. On ignore sur quel point les Phéniciens ensevelissaient leurs


morts. Peut-être était-ce sur la partie haute, aux environs du grand
chrttcau, où le rocher était assez élevé pour y creuser des puits funé-
raires sans crainte de les voir envahir par l'eau de mer. Mais nulle
part on ne signale do tombes de ce genre. Rares en somme sont les
chambres sépulcrales éventrées qu'on rencontre à Fouest de ille.
Près du cimetière actuel, au sud et au sud-ouest, il y a eu certaine-
ment un cimetière. iMalheureusement tontes les tombes ont été plus
ou moins bouleversées par les chercheurs d'antiquités et de trésor.
AI. Trabaud a essayé de retrouver et de faire fouiller quelques-unes

de ces tombes et j'ai eu l'occasion de prendre part à des travaux de


ce genre. Le fruit de nos recherches a été plutôt maigre.Quelques
monnaies grecques, deux ou fragments de verres
trois scarabées, des
irisés, des poteries en masse mais toutes brisées, dont trois ou

quatre avec des estampilles grecques, deux gros os de chameau (?)


travaillés, l'un portant un scarabée; c'est à peu près tout ce que ces
fouilles ont donné.
Quant à la tombe elle-même, elle est des plus simples. Un rec-
tangle assez irrégulier de l",iO sur 0"',75, très difficile à distinguer,
ou bien encore un trou plus ou moins rond ayant en moyenne
0'",60 de diamètre sur 0°',ôO de profondeur. Les parois sont formées de

petites pierres disposées n'importe comment. Après avoir donné quel-


ques coups de pioche, on trouve une boue noire et gluante avec des
traces de charbon, dans laquelle sont cachés diflerents objets qui
paraissent avoir été enfermés dans une grande jarre. Peu ou point
d'ossements humains, ce qui ferait croire à l'incinération. Souvent,
du pour recevoir un corps. Peut-être
reste, la fosse serait trop petite
pourrait-on rapprocher de ces petites fosses rondes les trous de
dimensions analogues qu'on voit sur certains gros blocs de l'enceinte
et qui ont été signalés plus haut. Leur destination funéraire ne
aucun doute.
ferait plus dès lors
Dans une des plus grandes tombes fouillées qui mesure r",i0x0™,80
nous avons trouvé les débris de deux grandes jarres à très large
ouverture avec un rebord de cinq à six centimètres portant une belle
estampille au nom KACCANOY ou KACCIANOY distribuée en deux
lignes (1).

(1) Sur la première estampille nous avions lu sans hésiter KACCANOY; la seconde,
laite avec le même sceau, porterait plutôt KACCIANOY. ^ " est pas facile de déterrai-
o76 REVUE BIhLTQUn.

A peine est-on parvenu dans ces fouilles à 0"','pO de profondcui- que


l'eau jaillit sons la pioche de Touvrier et qu'il faut continuer à cher-
cher dans une mare. On s'explique dès lors que les objets trouvés
soient en mauvais état et que la plupart s'cfl'ritent dès qu'ils ont été
pendant quelque temps à l'air. D'après ces différents objets, les
tombes explorées paraissent devoir appartenir à la période grecque
et ptolémaïque qui a suivi la mort d'Alexandre.

Passons maintenant en revue quelques-unes des pièces archéolog-i-


ques notées à travers l'ile de Rouad ou bien entrées dans la collec-
tion privée du gouverneur, M. Trabaud.
i, — Collection privée de M. Trabaud, Inscription gréco-phéni-
cienne (fig. 13) gravée sur le devant d'un bloc de marbre gris bien
travaillé, épais de 0'",23, large sur les côtés de O^jiS et long de
0"\50. On avait commencé à creuser au-dessus du bloc un petit trou
rectangulaire de 0™,09 de profondeur resté inachevé et ({ui était des-
tiné probablement à fixer un objet (une statue?) sur cette sorte de
socle. —
Le pierre a été achetée chez un habitant de l'ile qui la dé-
tenait depuis un certain temps et qui n'a pas pu en indiquer la pro-
venance exacte.
Le texte grec comprend trois lignes en petits caractères, réguliers et
hauts de l'^'",5. L'état de conservation laisse fort à désirer et la lecture
do la première ligne parait désespérée. Les deuxième et troisième
lignes donnent ispo-cicj 7'j[;.vx7'.ap7ov:o(ç) eka \
t-cç ep\).zi r,pocy.Ke>.. Il s'agit
sans doute de la dédicace d'un monument à Hermès et Hercule. Le
nom du pieux personnage, auteur de la dédicace, fait défaut; il est
intéressant de noter que son titre de gymnasiarque se trouve dans
une inscription grecque copiée par Kenan à Balanée, une des « filles »
d'Arvad, sous la forme 7j;r;:z7'.ap-/r,7avToc (1).
Les trois lettres qui viennent ensuite cXa, suivies du mot t-::, indi-
quent l'Age de l'inscription elles doivent être lues dans l'ordre in-
:

verse aXs' =
235, comme il arrive souvent dans les inscriptions de
Phénicie (2).
L'inscription phénicienne se compose de deux lignes d'un déchif-

ner si la barre prise pour un I, à la lin de la li^ne 1. est réellement une lettre ou bien un

fragment du cadre de l'estampille. Voir dans Rknan, Mission de Pliénicir, y. 38 sq., la


mention dune anse d'am|il)orc avec le {génitif seul (i^oxpatEu; pour loxpatow;) sans la prt'-
|iositiou inc.
(Ij Rknan, Mission de Phénicie, p. 108.
[Tj Plusieurs cas dans les inscriptions publiées par Itcnan, par ex. Mission (te l'Iiénicie.

p. 138, 2'i6, 24;». De même sur les nionnaies pbénicicnnes, passiui.


Planciii: IV

.'*J*1,T-... j-

-r-i^rSiT'^
:;*'ii> -^-^

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- •i'--,/v^ .:.• ?J^. : -'^C•^-"^.*

, .-^
niRONiouE. ;n7

IVenicnt difficile , que l'on croit pouvoir transcrire de la façon sui-


vante :

**
? ?

r\:2)2 lAE ru2 mpS'zSi.. mx^ y;Tp n.. rr^nui;

/" //y/iP : r'nrinry. La première lettre est mal formée et anor-


malement grosse, mais il ne semble pas que la lecture en soit dou-
teuse : au lieu d'être complètement ronde, elle est aplatie à droite et
le trait prolonge au-dessous de la boucle de manière à former une
se
liaste comme dans un -. Les autres fois que la lettre 'j apparaît dans
riuscrij)tion, soit dans "iS", ~2V et au début de la deuxième ligne,
ou constate la même déformation qui donne à la lettre la forme d'un
triangle isocèle arrondi au sommet et dont le petit côté serait à
droite. La composition du nom peut paraîti'e étrange les noms eu :

mriw" ont généralement le verbe au masculin on peut prendre ici :

le deuxième élément, soit pour une forme verbale dérivée du verbe

xin, NI" « vivre ^), soit pour un nom divin accolé à nin'kTy (1).
Là première lettre qui suit est douteuse on dirait un n mal formé, :

et surtout dun galbe dillercnt de tous ceux qui ligurent dans l'ins-
cription et qui sont uniformes.
La deuxième lettre que nous transcrivons -c ?j pourrait faire penser à
un K nabatéen. mais le grand trait oblique qui la coupe devrait dans
ce cas être orienté à droite; ce trait doit être étranger A l'inscription
et la lettre serait un ta. Le signe qu'on voit ensuite se trouve de nou-
veau à la sixième avant-dernière place de la ligne, c'est peut-être
un 2, mais, dans les inscriptions phéniciennes écrites avec un alpha-
bet analogue, nous n'avons pas trouvé de cas où la haste du 3 soit
si franchement recourbée à gauche. On distingue ensuite un a, et
après un signe abîmé, un 'i.

Après deux ou trois lettres complètement effacées, un groupe de


trois lettres se lit franchement ''S", puis après deux ou trois lettres on

croit distinguer ï"'N, suivi de p. On aurait donc dans la première


partie de la ligne un nom propre suivi probablement d'un titre, dont
les derniers mots pourraient être 'ynx" "' h'j.

Après p vient un nom propre commençant, suivant un usage très


fréquent en phénicien, par "2". Le nom divin nous échappe il est :

possible que ce soit mpSc, toutefois la lettre qui précède le n res-


semble plus à un X qu'à un 1.

(1) Voir l'inscriiJlion carlhaginoise étudiée sous le n° 18 dans le Répertoire d Épigraphie


sémitique, l. I, p. 20.
578 REVUE niBIJQUE.

A la fin de la ligne, on distingue très clairement le mot ]2, mais


les lettres qui précèdent sont d'une identification difficile. La pre-
mière lettre après le nom propre est, soit un G, soit un td, elle est
suivie du signe que nous avons proposé plus haut de considérer
comme un 2. Le sigiie qui vient ensuite ne correspond à aucun des
caractères de l'alphabet phénicien, à moins que ce ne soit un a
dans lequel le trait médian rejoindrait la haste de droite fortement
recourbée d'une façon analogue à celle du 3 hypothétique. On pren-
drait volontiers pour un E le signe suivant, qui serait lui-mômc suivi
de ï et n.
Il de noter que ce groupe de 6 lettres,
n'est peut-être pas inutile
suivant un nom propre, ressemble passablement au groupe qui suit
le nom du début de la ligne mnmnc"; on aurait de part et d'autre :

. . îSaDT2(n) et nï£C3T2

:?° ligne : le premier mot est semblable A, celui de la première,

certainement dans son premier élément et peut-être aussi dans le


second. Le premier signe qui suit mnry semble impossible à distin-
guer, mais la haste qu'on devine ensuite correspondrait assez bien à un
1 et ne laisse guère place qu'à deux suppositions i ou x- On aurait donc

la généalogie ir.nmnry fils de mp'^a-iî; (?), fils de iTnninry, le pctit-

iils grand-père portant le même nom, suivant un usage fréquent.


et le

u~p est le verbe qui donne à l'inscription sa signification Un tel, :

fils d'un tel, petit-fils d'un tel a consacré k ... L'objet consacré n'est

pas nommé, comme l'inscription était placée au-dessous de l'objet,


cela n'était aucunement nécessaire.
Viennent ensuite les divinités en faveur de qui a été faite la dédi-
cace, nous savons parle grec qu'elles sont Epi^y;;; et 'Ilpay.Xr;;. Dans
le phénicien, le premier nom est assez mal conservé; on lit, seinblc-
t-il, ..GixS, la finale étant effacée. C'est une transcription assez inat-

tendue de 'Ep[j.r,ç dont l'esprit rude serait mieux rendu par un n que
par un La deuxième divinité est Melqart mpSaSi.
x. :

Knfin vient la date, annoncée par l'expression nU7a que suivcMit les
tiois lettres grecques employées dans l'inscription grecque, mais en

ordie inverso lAE ou -235. L'ère doit être exprimée par les leltirs
(jui terminent l'inscription : on lit d'abord r:2a, qui se traduirait
« depuis la construction ». Los lettres qui suivent, —
il y en a peut-

être trois, — sont indéchiffrables.


Ain.si ce monument a beau ôtro daté, sa date nous échai»po : lo

formulaire habituel aux inscriptions sémitiquos ferait supposer,


cnKOiMuUfc:. 'j-;9

apivs le nombre des années, rcxprcssion ... u'j^ on pourrait '.


(Hrc
tenté de lire au lieu du 2 un et de retrouver l'expression ... n:i
'i
nyS,
cela n'avancerait pas la question. faut en tout cas renoncer à lire
Il

n"'^ au lieu de n:a. comme


nous en était venue au cours du
l'idée
déchitlrement on ne connaît pas d'ère de Beyrouth et la lecture de
;

la lettre : ne peut être mise en doute.

II. —
Inscription grecque gravée sur un bloc de basalte employé dans
la construction du grand château (fig. li). La pierre, longue de 0'°,60 et

NÂYTHKÀITHN
,;lNCn OPUjKâI
^-YTOlCkAG^EHI
/lAEYCENonANTtuNENAPrECTA
'M $ A « N Al O'E K P N Y

Fig. li. — Inscription grecque du château.

épaisse de 0'^,'ik, est encastrée dans le montant de la cheminée d'une


chambre située à l'angle sud-ouest de la petite cour. L'endroit est
très obscur et l'on a besoin d'une bougie pour distinguer l'écriture.
L'inscription a cinq lignes. Dans les trois premières, les lettres régu-
lières et bien dessinées ont en moyenne 0'",03 de haut, A la ligne 4,
les caractères deviennent plus petits et moins soignés; ils sont encore
moins bien soignés et de plus en plus petits à la ligne 5. Ces deux der-
nières ont en outre un peu souffert. — Estampage.
Le début de toutes les lignes manque, mais vraisemblablement
l'inscription est complète sur les trois autres côtés. La lecture maté-
rielle de ce qui reste est assez sûre, sauf celle d'un mot à la dernière
ligne.
A la fin de la ligne 1, la pierre a une échancrure de 0,05 qui
paraît antérieure à l'inscription.
L. 4. — La lecture AlOC KPONOY ne peut faire de difficulté,
quoique les deux dernières lettres du premier mot soient un peu en-
dommagées. — Il n'y avait plus rien à cette ligne après KPONOY-
Ce Jupiter Kronos doit être identique à Ba'al Kronos qui figure dans
l'inscription grecque d'Abila publiée par la JIB., 1912, p. 53.3-540.
C'était le grand dieu phénicien mangeur d'enfants auquel tant de
pauvres victimes humaines furent immolées. A noter à la ligne 2 la
KSO REVUE BIBLIQUE.

mention d'un bois sacré su-c^, exactement comme dans la dédicace


d'Abila.
L. 5. — Après XAPICTIAC il doit y avoir lettres dont la dernière
est assez clairement un N précédé peut-être d'un E et d'un K.
Peut-être pourrait-on poursuivre encore le rapprochement qu'il
convient de faire entre ce texte et celui d'Abila et comparer, par
exemple, les caractères des deux inscriptions. La date de celle d'Abila
ne fait pas de difficulté; l'inscription de Ilouad pourrait être à peu
près contemporaine.
III. — Gros cube de marbre blanc mesurant sur un côté 0'",G0 et

sur l'autre 0"',67, cassé un peu dans tous les sens et portant sur une
face quelques grandes lettres latines au milieu desquelles on a gravé
des ouàsems 15). Hauteur moyenne des lettres 0,08. Les petites
(fig.

croix qui accompagnent certaines lettres semblent postérieures, de


même que les barres verticales. A l'intérieur du C, ligne 2, on croi-
rait distinguer quelques petits caractères; au-dessous, il y a aussi
des traces de signes, dont un - grec (1). Immédiatement après ces
signes venait une moulure très détériorée reproduite, semble-t-il, au
sommet du bloc ([ui au-
rait tout à fait l'air

d'une base de statue.


Cette pierre se trouve
dans le cimetière arabe,
vers l'angle nord-est,
contre les maisons, à
une (juinzaine de pas
au sud-ouest des ruines
Kig. l.'i. — Bldc (le marine avec lettres gravées. d'un monument voûté
en grands blocs ap-
pareillés qui pourrait avoir été une tombe romaine. Un peu plus
loin, au sud-ouest, à l'entrée d'un ouély ou d'une tombe musulmane
couverte d'une coupole, il y a un second bloc de marbre identique
.ui précédent lu.iis anépigraphe. Le bas est cassé; sa hauteur ac-

tuelle est seulement de 0"','r2. Nous donnons, fig. 15 a, une coupe


de la moulure qui couronne le sommet.
IV. — Collection privée de M. Trabaud. Fragment de stèle s<'ulpiée,
en pierre de l'île (lig. ICn. Petit bloc cassé dans le haut et dans le

(1, Iti'nan a déjà pulilif un riioiiiMiicnl de <c i^eiirc. oi' li^urenl dos Icllrcs isolées de
dale indi'IcriiiiiitM' en mhnc lenijis que la inonlion des années \iV.V> cl 10:t3, inserilcs,
scinlde-l-ii, jiar di's marins français de passafje h Rouad, ( f. Mis^ioti de l'hcnirie, \>. 33.
A noter s|iécial(iiitnl les j;roupes 1. (' el T M (jui 8e suivent comme ici I. C et F M.
CHRONIQUE. :iRi

bas, mais proba!)lom(Mît intact sur les cotés. Margeur ()"',V7, hauteur
0"',35, épaisseur 0"',13. Sur le devant, dans un cadre en creux pro-
fond de trois millimètics, large de 0"',U et haut de 0"',22, sont
sculptés en relief trois petits personnages debout. Le premier, en
allant de gauche à droite, porte la barbe; il est vêtu d'une tunique

Fig. IG. — Fragment de stèle ou de sarcophage.

descendant jusqu'aux genoux et d'un manteau jeté sur l'épaule


gauche. Dans la main droite, tendue en avant, il tient une couronne;
la main gauche n'est pas visible, elle aura été cassée, à moins qu'elle
ne disparaisse sous les plis du manteau. Les pieds ont été emportés
par une cassure.
Le deuxième personnage est complet; il a aussi la barbe et s'avance
dans lamême attitude que le précédent, une couronne à la main
droite. Dans la main gauche relevée à la hauteur de la ceinture, il
tient une palme appuyée sur l'épaule.
Le buste du troisième personnage a disparu dans une cassure ainsi
que le bas de la jambe gauche. Lui aussi avait une couronne à la
main et était revêtu toujours de la même tunique.
Entre les deux têtes on lit le mot CETNAC (fig. 17). Au-dessous du
personnage central, sur le bord extérieur du cadre, il y avait aussi
un autre nom dont la lecture est difficile à cause du mauvais état
des lettres ^fig. 17 a). Vers le même endroit, mais un peu en dessous,
:j82 revue biblique.

on croit distinguer dans un nouveau cadre le sommet de deux tètes

avec quelques fragments de lettres entre. y avait donc encore dans Il

le bas un second tableau avec des personnages dans le genre de celui

C(5rNA ITi^.ANUOT
C
Fig. 17. Via. r' a.

que nous possédons. Il devait môme y en avoir un troisième dans


le haut ainsi que permet de le conclure la présence d'un pied au-
dessus de la première tête. Nous avons donc là, vraisemblablement,
le centre d'une stèle funéraire ou un fragment de sarcophage dans

le genre des sarcophages palmyréniens sur lesquels étaient repré-

sentés les défunts avec leur nom gravé à côté.


Cette pierre, achetée chez un particulier, provient certainement de
l'île, mais on ignore l'endroit précis où elle a été trouvée.
IV. — Dans le jardin du gouverneur. Gros bloc de marbre blanc
qui donne l'impression d'un reste de chapiteau immense (fig. 18).

jé-r -

m. |s. _ iraHnioril de chaiiiicau .1 ii|>r<seiil:itii>ii liiiMiainc

llaiilcur actuelle O'",^."), grand diamètre au sommet 1'",-25. Kn guise


de cornes et chapiteau aurait été constitué par quatre
de feuillage, le

bustes adossés, plus gi-ands <\uo nature, séparés les uns des auti-es
par de gr;i;irl<s leuilles d'acanthe. Deux J)ustes ont complètement
CIIUONIQIIK. ;x3

disparu, détachés intentionnclleracnt par un collectionneur ou par un


marchand à'antiquc^. On distingue encore la trace des entailles pra-
tiquées à cet eiiet.

Les deux autres bustes n'ont plus de tète; l'une a dû être enlevée
peu avant l'occupation de l'ile, car la cassure est encore relative-
ment fraîche. J)c la quatrième tête il reste l'extrémité de la barbe; les
poils ne sont nullement détaillés et le travail paraîtrait assez grossier.
Ceci contraste singulièrement avec l'ensemble du buste dont le torse
nu et les bras sont parfaitement modelés.

Fig. i\). — Chapiteau à tète humaine.

Au lieu d'un simple chapiteau avec quatre bustes, on pourrait


penser aussi à un grand pilier, avec quatre personnages entiers,
sculptés en haut relief, un sur chaque face du pilier. Cependant à la
584 REVUE BIBLIQUE.

base de la feuille qui sépare les deux personnages encore existants,


ily a un rebord de cinq à six centimètres qui doit marquer non seule-
ment le point de départ de la feuille, mais aussi la l)ase du cha-
piteau.
L'ensemble devait constituer un beau travail, d'un type excessive-
ment rare. L'attitude des corps avec l'avant-bras relevé et tendu,
appuyé contre les cotes, fait supposer que les mains se détachaient en
avant de la poitrine et supportaient peut-être quelque chose. Inutile
de dire que le tout a disparu depuis longtemps.
V. —
Chapiteau à tète humaine, déposé dans la cour de la maison
du gouverneur (fig. 19). Ce chapiteau, destiné à couronner un pilastre,
paraît avoir été sculpté dans un tronçon de colonne de marbre. Le
bloc, aplati sur les côtés, est en effetrond par derrière. Au sommet
se trouve un petit trou carré pour scellement. Hauteur totale 0™,43,
largeur 0"',38, hauteur de la tête seule 0™,29. La figure est dété-
riorée, mais ce ne fut jamais qu'une sculpture assez grossière. Les
cheveux, ramassés sur le front, sont tressés en manière de corde ou
pris dans une sorte de résille. La tète était coiffée du calathos.
Dans la même cour sont disposés plusieurs autres chapiteaux en
marbre, bien conservés, rappelant nombre de chapiteaux vus en
Palestine et ayant appartenu à des églises byzantines. Deux fragments
de colonnettes dont on a le profil, fig. 20, proviennent sans doute du

Fii;. -H). — Fragments de coloniietles. Fij,'- '21. — Iragiiiciil (le luiict'l.

môme monument que ces chapiteaux. Là aussi se trouve le petit

chapiteau médiéval;! feuilles enroulées, signalé ailleurs.


Notons encore un fragment de balustrade ou de cancel en marhrc
sculpté sur les deux faces. D'un côté étaient représentées des sortes
de palmes; de l'autre il y avait une série de triangles avec un sujet
à riiilérieur de chacun (fig. 21). On distingue une pnlmcttc, un
CHRONIQUE. o85

dauphin, une pomme do pin et deux rosaces. A droite, la dalle


s'engageait dans un montant.
V[. — Collection privée de M. Trabaud. Autre petit morceau de
dalle en marbre blanc épais de O'^jOO; ce doit être un fragment d'un
revêtement quelconque plutôt qu'un fragment de sarcophage (lig. 22).

A gauche, une main, gian-


deur naturelle, tient entre le »•
^

pouce et l'index un objet in- E <^ ^ v^


:î\

déterminé, peut-être la queue \ ^}


d'un serpent. En face, à
|
/'
/ ^^
droite, partie antérieure d'un
serpent. Le bas-relief était

assez soigné. Il est possible


que nous avons là les débris '
'vi ,-r^_^i
d une représentation isiaque.
YII. — Collection privée
de M. Trabaud. Bol rela- —
tivement bien conservé, dé-
--• " '' ""'«• ""'^='"'"^ ''''-'''''''•
couvert par M. gouverneur
le

vers l'angle sud-ouest de


l'île, tout près de l'enceinte en arrière du u" (fîg. 2). Il était muré 4-

dans une anfractuosité du rocher d'où on n'a réussi à l'extraire


qu'avec peine. L'intérieur est encore rempli d'un ciment très dur qu'on
ne peut pas enlever sans compromettre la solidité et même l'existence
de la poterie déjà fendue en plusieurs endroits.
Le diamètre du bol, à l'extérieur, est de 0™,128, l'épaisseur du
rebord de deux millimètres environ. Il est fait avec une pâte gri-
sâtre et était probablement peint en noir à l'extérieur. Dans le haut
(fig. 23), bande lisse de 0°',015 de large, suivie d'un petit ruban de

cinq millimètres et d'une seconde bande de O'^jOlô occupée toute


entière par une série de spirales doubles, en relief, séparées les unes
des autres (1). Au-dessous, petit trait en relief, d'un millimètre de
largeur. Vient ensuite le sujet principal, quatre scènes d'amour, fort
libres, un relief assez prononcé et exécutées avec un
dessinées en
certain art. Le pied du bord est orné d'une rangée de demifeuilles
ressemblant de loin à des rais de cœur. Le fond du vase mesure à
l'extérieur 0'",05; vers le centre, il y a un dessin en relief, afléctant

la forme d'un fer à cheval, et portant une petite inscription grecque

(1) La bande de spirales fait le tour du bol; il en est de même des feuilles qui décorent
le pied. Le dessinateur s'est contenté d'indiquer l'une et lautre de ces décorations sans
les reproduire en entier.
CHUONIQUE. iS7

assez mal conservée. Ce doit être la signature de l'artiste qui a exécuté


le travail.Ou distingue assez nettement les lettres KGCIA. En avant
du K, peut-ctre un Y; il y aurait place à la rigueur pour une autre
lettre, mais on n'en voit aucune trace. Après le A, on dirait un A suivi

de OC Cette finale est très douteuse.'


Les spécialistes détermineront ïàge et l'origine de cette curieuse

Kig. 24. — Fragment d'un phit avec figures en relier.

pièce. Peut-être pourrait-on lui appliquer l'épithète de crétoise. Un


dessin à spirales doubles, identique à celui qu'on a ici, figure sur les
rebords d'une table à offrandes publiée par M. Dussaud (1).
VIII. — Collection privée de M. Trabaud. Fragments d'un beau plat
(1) DussALD, Les civilisations préhelléniqucs dans le bassin de la Mer Egée..., fie.
259, p. 353, 2* édition.
REVUE BIBLinUE l'JlG. — N. S., T. XIII.
'

38
588 REVUE BIBLIQUE.

en poterie rouge, bien cuite, à l'intérieur duquel étaient représentés


en un léger relief de petits personnages vêtus d'une courte tunique,
serrée à la taille par une ceinture (fig. 24). Les personnages ont été
faits au moule avec une matrice. Ces fragments proviennent de

fouilles pratiquées au sud-ouest de l'Ile où la poterie de cette nature


est assez commune.
IX. — Collectionprivée de M. Trabaud. Trois anses estampillées,
de grosses urnes rhodiennes. Deux sont anépigraphes et portent
seulement la fleur de grenadier. Sur la troisième, en guise de fleurs
il y a au centre de l'estampille une tête avec des rayons (fig. 25).

Par suite de l'usure on ne distingue plus la sil-


houette du visage, mais, par derrière, les rayons
•^ sont assez visibles, surtout ceux du bas, en des-
\ sous desquels apparaît, sur le cou, un bout de
chignon et peut-être même une boucle d'oreille.
'•

/ Une inscription grecque, placée en exergue, existe


encore en partie. On retrouve sans trop de diffi-
culté une dizaine de lettres PATOYAPTAM...
:

Esiampiiio Avant le P, apparaissent les restes dun signe


sur anse d'urne rhodienne. qu'on Serait tenté de lire K; cependant les débris

seraient plutôt ceux d'un C précédé peut-être d'un


O et d'une autre lettre, mais lo tout est très détérioré. Après le M,
dont la haste de gauche manque en partie, venaient au moins trois
lettres à peu près méconnaissables. Si l'inscription faisait le tour de
la tête, tout le reste a disparu.
X. — Collection privée de M. Trabaud. Quatre poids en plomb, de
difl'érentes forme et a) Le plus grand
grandeur, trouvés dans l'ile. —
de tous, très détérioré, ébréché sur deux côtés, parait avoir été rond ;

diamètre 0'",80, épaisseur 0'",01. Le bord supérieur est en biseau;


vers le centre, il y avait une petite excroissance semblable à une
demi-boule.
b) Poids carré avec, sur un côté, une saillie ronde derrière laquelle
on croit distinguer un A en relief (fig. 20''). Il semble qu'il y ait eu

aussi quelques lettres vers le milieu du carré, mais l'estampage n'a


rien donné. Sur la partie postérieure, palmette en relief. Ce petit
bloc de métal pèse 106 grammes. Il ne serait peut-être pas téméraire
d'y reconnaître un quart de mine, en supposant que A indique le

dénominateur de la traction, comme dans le télarfon d'Ascalon,


publié naguère par le P. iJeclocdt (1).

(1 un., 1914, p. 552


CHRONIQUE. 589

Toutefois il de déterminer si ce poids appartient à la


est difficile

série faible, ou à la série forte de poids double les mines les plus :

lourdes de la série faible publiées jusqu'à présent sont celle de :

l'agoranome Ptoléniée (de Tripoli de Syrie) qui, étant légèrement


écornée, ne pèse que la mine d'Antiochus X Philopator qui
SSS*-"",

pèse 6U"',V0, et celle de l'agoranome Philodamos (de Laodicée) qui


pèse 64-3^' (1^. Or la mine, dont le poids de Kouad serait le quart,
aurait un poids de G6V"', excédant de 21*" celui de la mine de Phi-
lodamos, tandis que la mine de laquelle dérive le télarton d'Ascalon
ne pèse que 312^', la différence dépasse celle du double au simple.
c> Dans le genre

du précédent mais /" ^\


//\
plus petit (fig. 26 c). , f j y-, ( , ,V "f

Épaisseur 0'",00V; ^ ^ '

poids 56 grammes ;

il manque un assez
0,0 ifS
gros fragment. On
distingue vers le cen-
....0,03
tre quelc[ues débris
de lettres illisibles.

d) Le plus petit et o,o;;â

le mieux conservé de
tous; à peu près in-
tact (fig. 26 d) ;
poids d
21 grammes. Dans le Poids en plomb.

carré du milieu il y
a un signe difficile à déterminer. On dirait un H grec, dont la se-
conde haste serait un peu empâtée.
Le musée de M. Trabaud renferme encore nombre de menus objets
trouvés à Rouad, intéressants à connaître et qui, il faut l'espérer,
seront publiés un jour. Signalons en passant une petite tête :

chypriote 27), débris


(fig. d'un magot en terre cuite; une autre tête
en émail bleu, mal cuite, de style égyptien, et représentant probable-
ment le dieu Dès (fig. 28) un petit mascjue en terre cuite, très bien
;

modelé; deux petites têtes grecques en marbre blanc, hautes de


0,05, d'un très beau travail mais détériorées; une petite grenouille
(fig. 29) en pierre rouge dure, ayant servi de talisman on voit encore :

entre les pattes de devant et par derrière un bout du fil en cuivre


par lequel on la suspendait.

(1) RB., 1914, p. 549-551.


590 REVUE BIBLIQUE.

Un petit obélisque votif, haut de 0'°,15 et large à la base de 0,037,


mérite aussi une mention spéciale. Il est en pierre l)lanche tendre

T\OUfAlD

..fxï%.

Fig. 27. — Tête en terre cuile. Fia. '2». — Tête en émail bleu.

et est écrit sur les quatre faces. Les caractères hiéroglyphiques ont
un peu souffert; néanmoins on
pourrait encore les déchiffrer en
grande partie.
La collection de M. Trabaud
contient au^i plusieurs pièces
intéressantes au point de vue
numismatique il y a en par-
:

ticulier sept ou huit monnaies


à légende phénicienne et quatre
monnaies d'Arad à légende*
grecque.
Ktv A
Ces dernières sont de deux
types : sur les unes on voit an
Fig. 2'». — Grenouille. demi nue,
revers une Tyché, à
jambes drapées dans son pé-
les

plos, assise à gauche sur un gouvernail, et saisissant de la main


droite le manche du gouvernail. Le l)ras gauche est ramené en ar-
riére, la main tenant une corne d'al)ondance. Sous les pieds de la
Tychè, on lit l'inscription APAAIGON; au-dessus du bras droit les
CHRONIQUE. 591

lettres AKP iuiliquent la date \li de l'ère d'Aradus = 137-138 av.


J.-C. Sous le bras un signe qui n'est pas complètement distinct doit
être un n phénicien.
Les monnaies d'Aradus au type Tychè sont bien connues; M. Ba-
belon en décrit plusieurs dans son catalogue de la collection nu-
mismatique de la Bibliothèque Nationale (1), mais, dit-il, les plus
anciens tétradrachmes du type Tychè ou Victoire remontent à 123
de l'ère aradienne (2). L'exemplaire possédé par M. Trabaud serait
plus ancien de deux ans. Sur l'autre face de notre monnaie, sont
figurées deux tètes aft'rontées, dont l'une couronnée de lauriers;
c'est une composition qui ne figure sur aucune des monnaies décri-
tes par M. Babelon, mais on trouve souvent les têtes accolées de
Zeus lauré et de Héra diadémée, il faut sans doute reconnaître le
même Zeus lauré dans une des effigies portées par notre mon-
naie.
L'autre type de monnaies aradiennes à légende grecque représenté
dans de M. Trabaud a sur une face la tète de Tychè
la collection
à droite, devant laquelle une tête plus petite également tournée à
droite est l'effigie de l'empereur Trajan. Au revers, zèbre bondissant.
Entre les pattes on lit le mot APAAIGON, et au-dessus du dos la date
EZT = 385, soit 127 de l'ère chrétienne. Sous le museau du zèbre,
un signe qu'on pourrait prendre pour un A, mais qui est en réalité
un ^ phénicien. La Bibliothèque Nationale possède une monnaie de
même type et de même date (3).
Une grosse monnaie de bronze, vraisemblablement une monnaie
aehéménide, ^orte d'un côté deux têtes affrontées avec quelques
caractères au-dessus. Au revers, on distingue un petit personnage
debout faisant face à un cavalier; entre les deux, six oiseaux (?) accou-
plés avec deux autres superposés.
Avec les monnaies, il y a aussi- plusieurs sceaux. Nous nous conten-
terons d'en signaler un gravé sur une pierre dure noirâtre, de qua-
tre centimètres de diamètre environ, et épaisse de quatre à cinq mil-
limètres. D'un côté sont représentés deux personnages debout,
affrontés, une main tendue l'un vers l'autre à la hauteur de l'épaule
et séparés par une sorte de longue lance vers le milieu de laquelle

(1) Babei.on, Catalogue des moiuiaies grecques de la Bibliothèque Nationale. Les


Perses Achéménides, les satrapes et les dynasties tributaires de leur empire, Cypre
et Phénicie, Paris, 1893, p. 158, a" 1128; cf. pi. XXIV, n"' 13 et 19.

(2) Ibid., p. CLXi.


(3) Ibid., p. IGl, n" 1146. Les deux faces de cette monnaie sont représentées sur la planche
XXIV, n° 17.
592 REVUE BIBL[QUE.

paraît enroulé un serpent placé dans un encadrement ovale. Au


revers, une gazelle ou un bouquetin, avec un rond au-dessus du dos,
marche sur un animal renversé, peut-être un bœuf.
R. Savignac (1).

(1) Les notes du Père Savignac ont été revues par iM. Tisserant, auquel appartient en
particulier l'interprétation de l'inscription gréco-phénicienne. Au nom du R. P. Savignac
nous lui exprimons tous nos remerciements. — (N. D. L. R.)
RECENSIONS

Hebrew and Babylonian traditions, the Haskell Lectures, delivered at


Oberlin collège in 1913, and since revised and enlarged, by Morris Jastrow, Jr.,

Ph. D. professor of semitic languages in the University of Pennsylvania, in-8° de


xv-376 pp. T. Fisher Un^in, 1914.

Le titre que M. Jastrow junior a donné à son ouvrage : Traditions hébraïques et

babyloniennes, pourrait donner à entendre la comparaison nainutieuse des textes baby-


loniens et hébreux relatifs aux origines. En realité son volume est une série de con-
férences, genre qui appelait une exposition plus générale, de sorte que les idées sont
en rapport plus que les textes. Les concepts religieux et moraux passent au premier
plan. Les textes incontestablement les plus semblables, ceux du Déluge, sont ren-
voyés en appendice; le texte de M. Langdon sur le Paradis, le Déluge et la Chute
(cf. RB., 1916, p. 262 ss.) n'a pu être utilisé.
• A. mesure que les documents babyloniens étaient communiqués au public, on

s'étonnait de plus en plus des ressemblances avec la Bible. M. Jastrow a pensé qu il

fallait aussi tenir compte des diCFérences ; il ne dissimule nullement son dessein de
montrer la supériorité religieuse et morale des conceptions bibliques. Son ouvrage
est donc, dans un sens, une apologie. Mais cette apologie ne conclut pas au secours
divin que nous nommons révélation. Ce mot n'est pas prononcé, ni aucun autre qui
suggérerait une intervention bienveillante de Dieu dans l'œuvre de Moïse et des
Prophètes qui a son point culminant en Jésus de Nazareth. S'il y a apologie, c'est
celle du peuple juif, auquel revient toute gloire, à prendre à la lettre ce que dit l'auteur

(p. 4} : « ce qui donne à l'histoire des Hébreux sa valeur propre depuis une certaine
période, c'est l'introduction d'un élément qui, comme expression du génie particulier
du peuple, change graduellement toute la physionomie de leur attitude au sujet de la
vie ». Les Hébreux ont d'abord eu la même religion que les autres Sémites, et ce
niveau est très bas, puisque l'on avait un culte pour les arbres, les sources et les pier-
res, la pierre sacrée étant celle « où la divinité est censée demeurer ou qui est la divinité
elle-même » (p. 26). —
Que la divinité soit censée demeurer dans la pierre d'après les
Sémites, on le reconnaît, mais que la pierre soit la divinité, c'est une erreur telle-
ment grossière que M. Jastrow serait peut-être embarrassé de la noter chez aucun
peuple. Et il est parfaitement invraisemblable qu'à une époque quelconque les
Hébreux aient immolé à leur dieu tous leurs premiers-nés, comme cela est admis
(p. 29 s.). Quoi qu'il en soit, le peuple hébreu s'élève peu à peu, nous dit-on, au
monothéisme moral, c'est-à-dire à « une vue du gouvernement divin fondée sur une
interprétation spirituelle et morale de l'idée de Dieu » (p. viii). Pourquoi cette —
réussite? en quoi le peuple hébreu était-il supérieur à Babylone? Était-ce parce que.
594 REVUE BIBLIQUE.

nomade à l'origine, il avait conservé une idée plus pure de Dieu et du devoir moral?
Mais celte opinion irait contre la base historique de M. Jastrow; au début tous se
valent. Et il ne dissimule pas les résistances opposées par le peuple à Moïse et aux
Prophètes. D'où est donc venue l'inspiration de ces grands hommes ? Les penseurs
grecs sont très manifestement l'expression la plus haute des qualités du peuple grec.
Ils ont l'empreinte de son génie, ils sont portés par l'opinion, encouragés par elle,
ils reçoivent beaucoup avant de donner. I^a mort de Socrate n'est qu'un épisode
presque isolé, où la politique joua un grand rôle. Tout autre est dans Israël le carac-
tère des hommes de Dieu, qui parlent au nom de Dieu, qui se disent envoyés de
Dieu. Est-ce à des illuminés, ou à des imposteurs, qu'est dû le splendide progrès
auquel la superbe Babylone demeura étrangère? Ce n'est certes pas la pensée de
M. Jastrow et peut-être a-t-il voulu laisser à ses lecteurs le soin de s'écrier : le doigt
de Dieu est là. Voici en eflet une civilisation arrivée à son apogée, dans une cité
dont le prestige domine l'Asie. Elle est reine dans les arts, reine dans les sciences.
Et le seul souvenir qu'elle ait laissé est celui d'une religion qui a dégénéré en magie.
Les Chaldéens sont dans le monde gréco-romain les trafiquants d'un art occulte,
le type de la superstition vénale, des pratiques louches. Eu même temps venait de
la Judée la religion qui devait peu à peu s'imposer au monde civilisé. Le contraste
est violent. N'a-t-il d'autre cause que le génie d'un petit peuple, appartenant à la

même race, imbu d'abord des mêmes idées, adonné aux mêmes pratiques? Digitus
Dei est hic.

II fallait indiquer d'abord le thème général de M. Jastrow, l'avantage qu'on peut


tirer de sa démonstration, son refus tacite de reconnaître chez les Hébreux un

secours spécial accordé par Dieu à sa créature. Nous le suivons maintenant dans ses
cinq conférences : les relations entre les Hébreux et les Babyloniens, les récits de la
Création, le Sabbat, les fins dernières, la morale.
I. Le point de départ est l'hypothèse fait une assez
sumérienne. Pourtant l'auteur
large place aux Sémites. Même ils du nord-est ou du
seraient venus les premiers, et
nord-ouest, c'est-à-dire du pays d'Amourroa ou des Amorrhéens, plutôt que de
l'Arabie, comme on le soutient généralement. Voilà donc les Sémites installés dans
la vallée de l'Euphrate, et aussi bas que INippour, cultivateurs, possédant une cer-

taine civilisation, quand les Sumériens conquirent le pays et imposèrent leur écri-
ture, développée cependant avec la coopération des Sémites. La langue la plus
anciennne des inscriptions est le sumérien. Les Sumériens avaient leurs dieux (|ui se
fondirent plus ou moins avec ceux des Sémites; parfois le dieu conqiu'rant devint le
père du dieu vaincu. Les Sumériens baissent au milieu du Z'^ millénaire, au temps
de Sargon d'Agadé; puis il se produit une réaction sumérienne, et enfin, vers l'an
2000 av. J.-C, les Sémites dominent définitivement avec Hammourapi.
Sur quoi on peut se demander si les traditions dont il s'agit sont sumériennes ou
sémiti(|ues? Pour ceux qui n'ont d'autre critère que l'écriture et ce (|ii"ils croient
être une langue spéciale, il ne saurait plus être question de traditions sémitiques,
puisqu'on découvre maintenant presque toutes ces traditions en sumérien. Et en
effet, comment
les Sémites auraient-ils imposé leurs traitions aux conquérants, qui
les ontcomplètement dominés par ailleurs? Il hiudra donc <|ue M. Jastrow modifie
si

sa terminologie, s'il veut rester fidèle a la thèse sumériemu^ et de fait on verra


plus loin qu'il essaie maintenant de distinguer, à propos de la Création, le thème des
Sémites et celui des Sumériens. Nous croyons d'ailleurs avec lui que la teinte l)aby-
lonlenne qu'ont les traditions chez Hébreux n'est point un emprunt du temps de
les

l'exil, ni même du séjour au pays de Canaan où les influences babyloniennes étaient


RECENSIONS. SO:;

demeurées puissantes. Abraham a|)partcnait à ce mouvement du temps de Ham-


mourapi qui poussa vers l'ouest certaines tribus; dès cette époque les Hébreux, peu-
plades mêlées de Babyloniens et d'Arabes, possédaient des idées et des traditions
apparentées à celles (|ue nous ont révélées les documents cunéiformes.
C'est à cette époque, et même plus tard, que M. .lastrow assimile complètement
les Hébreux à leurs conj^énères sémiti(|ues. Les Patriarches n'auraient eu aucune
supériorité religieuse sur leurs contemporains. L'ascension vers le monothéisme
moral ne commencerait qu'avec Moïse. C'est un système inacceptable, parce qu'il
rompt la chaîne de la tradition. Assurément il y eut dans les pratiques attribuées
par la tradition aux patriarches des points qui choquèrent une religion plus scrupu-
leuse, disons même trop scrupuleuse, comme celle des Rabbins. Et nous ne nions
pas le progrès, reconnu si nettement par s. Cyrille d'Alexandrie. Mais la tradition
hébraïque qui a reproduit si naïvement les pensées des Pères les a marqués du
caractère ineffaçable de chefs religieux, conduits par leur Dieu, obéissant à ses
ordres, quittant pour lui complaire leur pays et leur parenté. Le Dieu est le même
que celui de Moïse, malgré tout ce que comporte de connaissances nouvelles la révé-
lation du nom divin de lahvé. Nier le rôle de Moïse est un scepticisme auquel
M. Jastrow ne consent pas; mais c'est encore du scepticisme de nier le rôle reli-
gieux des patriarches, et un esprit aussi libre que Winckler l'avait bien compris,
d'après les seuls critères de la tradition orientale. Quant à Moïse, M. Jastrow tient
beaucoup à mettre sa religion à un niveau inférieur à celui des prophètes du
viii« siècle, mais sans en donner des raisons claires. Car il maintient avec la tradi-
tion que Moïse est l'auteur du Décalogue. Son Dieu est donc un Dieu qui a des exi-
gences morales; il ne doit pas être flguré par des images, sans doute parce qu'il n'a

rien de matériel. On ne voit pas ce qui manque à cette religion pour être le mono-
théisme moral. Son infériorité serait le nationalisme. lahvé serait le Dieu d'Israël,
comme Camos le dieu de Moab. Mais M. Jastrow, qui s'exprime d'abord de la
sorte (p. 36), a soin plus loin de marquer les différences (p. 282). Et s'il était vrai de
dire que : « Le favoritisme ou le rapport spécial à un peuple particulier est en lui-
même une limitation aux qualités morales d'un tel pouvoir » (p. 36), cette limitation
ne cessa jamais dans Israël, car on ne voit pas que la faveur accordée par Dieu aux
Israélites soit moins soulignée par les Prophètes et dans le Talmud lui-même que
dans l'œuvre de Moïse. L'idée d'un Dieu absolument transcendant n'est pas incom-
patible avec l'idée d'un choix et d'une faveur; ce qu'il exclut, c'est la partialité, le
parti pris de soutenir son peuple malgré ses fautes; mais cela ne paraît pas plus au
temps de Moïse, qu'au temps d'Amos. Parmi les diverses formules de M. Jastrow, je
donne la préférence à celle-ci « Ils ^les prophètes) n'avaient pas conscience de pro-
:

duire un nouveau point de vue; ils tiraient simplement des corollaires d'une vue du
gouvernement divin esquissée par Moïse lui-même, et suggérée par l'expérience
nationale » (p. 283). C'est-à-dire que leur oeuvre lut moins la proclamation du mono-

théisme moral que la prédication courageuse de ce qu'il contenait le dessein arrêté :

de Dieu de châtier son peuple s'il s'obstinait dans le mal. La position privilégiée
d'Israël n'était pas sans inconvénient dans l'ordre temporel. Les prophètes durent
faire comprendre aux Israélites que s'ils étaient punis plus durement, étant d'ail-

leurs moins coupables, c'était à cause de leur mission qui exigeait d'eux plus de cor-
respondance à l'amour divin.
De sorte que ce prétendu favoritisme, loin de limiter le caractère moral de Dieu,
mettait au contraire dans tout son jour sa sainteté et sa justice, comme il est dit si
souvent au peuple élu soyez saints, parce que je suis saint. Loin que le génie du
:
596 REVUE BIBLIQUE.

peuple hébreu ait été le principe d'un progrès indéfini, ce fut son nationalisme étroit
qui risqua de nouveau de compromettre les attributs divins en promettant aux cir-
concis un traitement privilégié dans le dernier jugement lui-même. Mais cette dé-
viation n'empêchait pas tout à fait qu'on conservât une haute idée de Dieu. C'est un
exemple du mélange d'éléments plus ou moins purs dans les sentiments religieux,
mélange dont il faut toujours tenir compte. Les habitants actuels de Palestine ont
une sorte de culte pour les arbres, et cependant ils sont musulmans. Pourquoi donc
mettre les patriarches au-dessous des fétichistes parce qu'ils ont cru certains lieux,
certains arbres et peut-être certaines pierres, stèles ou autels, spécialement consacrés
à Dieu et honorés de sa présence ?

A la fin de son premier chapitre, M. Jastrow indique une application de cette force
qui transforme chez les Hébreux une vue purement ph\sique du gouvernement de
l'univers enune conception morale de la Providence, et c'est le mythe d'Adapa qui
serait devenu le récit de la chute du premier homme. A proprement parler, il entre
ainsi dans l'examen détaillé des traditions, mais nous n'entendons pas chicaner l'au-
teur sur ce léger défaut de composition. Ce qui est plus grave, c'est que cet exemple
typique ne fournit pas la preuve demandée.
Le mythe d'Adapa serait composé de deux légendes, l'une symbolisant le change-
ment des saisons, l'autre destinée à expliquer la présence de la mort dans le monde.
Ce dernier point est le seul qui Or il est assez clair que le mythe
nous intéresse ici.

n'explique pas la présence de monde, puisqu'il la suppose déjà


la mort dans le

inévitable, sauf exceptions. Le chapitre m" de la Genèse, supposant l'homme créé


immortel, explique bien, lui, comment la mort est entrée dans le monde, mais pour
Adapa il s'agit de savoir s'il deviendra immortel. D'après l'opinion commune, il
manque l'immortalité. J'ai indiqué plus d'une fois (cf. RB., 191G, p. 266 s.) des
raisons pour l'opinion contraire. Mais, quoi qu'il en soit, le mythe raconte une his-

toire exceptionnelle; Adapa n'est pas le premier homme, son cas ne regarde que lui.

Il est inutile après cela de suivre M. ,histro\v dans l'analyse littéraire qui dissèque
le récit de la c'est le mythe de M. Langdon {RB., eod. loc.) qui
Genèse. Désormais
en sera rapproché, parce que du moins il y a up arbre et un fruit, élément carac-

téristique qui manque au mythe d'Adapa.


II. Le ch. II est consacré aux récits de la Création. C'est l'opinion de M. Jastrow

que les mythes babyloniens sont à l'origine la victoire de l'été sur l'hiver, plutôt que
de vraies tentatives d'expliquer comment s'est fait le monde. La raison en serait que
la Création babylonienne est le triomphe des dieux de la lumière, de la chaleur, de

la stabilité, sur des forces aveugles déchaînées comme la tempête. El assurément les

Babyloniens ne se sont point élevés à la notion de la création de la matière, de sorte


qu'ils racontent l'organisation du monde plutôt que sa création au sens philoso-
phique. Et par consé(iucnt cette organisation devait ressembler à l'état de la nature
après les tourmentes de l'hiver. Mais leur intention était bien de raconter l'origine
des choses, comment ledevenu ce qu'il est, et la preuve c'est que le mythe
monde est
de M. Poebel (cf. déjà connu de l'auteur, n'isole pas la création
RB., 1916, p. 259 ss.),

de la suite de l'histoire. C'est le commencement de tout. Et rien ne prouve, rien


même n'insinue, que ces mythes aient existé d'abord sous une autre forme pour
raconter le triomphe de l'été sur l'hiver.

M. .lastrow a très bien mis en relief le caractère matérialiste de ces mythes. Peut-
être même se montre-t-il un peu sévère pour la religion babylonienne; c'est à peine
s'il y trouve une note religieuse un peu profonde (p. 88). On peut faire crédit à ces

âmes desentiments élevés; nul ne sait où s'arrête l'action de la grâce qui éclaire les
RECENSIONS. ;'97

hommes. Mais eufin il faut reconnaître que les poèmes reliiziieux sur la création
mettent en scène des forces naturelles luttant contre d'autres forces naturelles. Les
vainqueurs sont plus forts, plus nobles, dune essence plus pure, mais ils ont en
somme la même origine dans les (lancs de la même nature.
Il était facile de mettre ea contraste la création de t(»ut par la parole d'un pouvoir
spirituel et moral, et M. .lastrow n'y a pas manqué. Mais il veut que ce concept su-
périeur se soit dégagé des vieux mythes qui auraient été communs aux Hébreux et
aux Babyloniens, et que Ton reconnaîtrait encore sous la forme déûnitive que leur a
donnée le génie hébraïque. 11 distingue cependant plusieurs séries. Chose assez
étrange, le deuxième récit biblique (Gen. 2, 4-24) est regardé comme plus rationa-
liste que le premier (Gen. 1-2, 3). On y constate une absence totale d'éléments my-

thiques: c'est plutôt un exposé philosophique et religieux d'après la science du jour


qu'un reflet de traditions populaires (1). Dans le premier récit, le mythe est mini-
misé, il est pratiquement exclu, mais on aperçoit le même fond babylonien dans les
expressions du début, le Tohii ivabohu terre vide et en désordre) et l'abîme, tehom,
qui est Tiamal des Babyloniens, ce monstre dont le corps inmiense servit à Mar-
la

douk pour façonner le monde. J'insiste sur le dessein bien marqué de M. .lastrow de
mettre en bonne lumière la beauté religieuse du récit de la Genèse. Ce qu'il appelle
l'élément mythique, il prend soin de le réduire à une sorte de figure sensible, iné-
vitable quand l'homme veut s'exprimer sur des sujets aussi relevés. Quand la Bible
dit que l'Esprit de Dieu planait sur la surface de l'abîme, il n'y a qu'à admirer

cette splendide image sans chercher à la réduire à une réalité matérielle.


Et c'est le même respect pour toute la série des textes de Job, d'Isaïe, des
Psaumes où il est encore question de la création : « Des figures comme Rahab et Lé-

viathan décrites comme d'énormes serpents sont le reflet, sous la forme de métaphores
poétiques, de la personnification originaledu chaos primitif, comme d'une période
où monstrueux avaient la domination » (p. 107).
les êtres

Aussi peut-on penser que, du point de vue catholique, on ne reprochera pas à


M. Jastrow d'avoir confondu les récits bibliques avec des mythes, ni même d'avoir
prétendu que ces récits n'étaient point assez expurgés des mythes primitifs. Mais,
à supposer donc qu'il ait pleinement apprécié la supériorité et la valeur religieuse
des textes sacrés où les mythes ne sont plus que des métaphores poétiques, est-on
disposée admettre le système de l'épuration? Lorsqu'il fut proposé par François
Lenormant, on s'en émut beaucoup. Depuis la mort de ce remarquable savant catho-
lique, la ressemblance des récits hébreux avec les mythes babyloniens est-elle
devenue si étroite qu'il s'impose aujourd'hui? Est-ce même une question qu'on
puisse trancher en bloc, en choisissant l'une de ces deux hypothèses conservation :

intégrale de récits exacts sur les origines jusqu'à Moïse, ou acceptation des mêmes
mythes avec leurs concepts religieux par les Babyloniens et les Hébreux, épurés
chez ces derniers avec les progrès du monothéisme moral ?

La première hypothèse, qu'on peut nommer ultra-conservatrice, était celle des


auteurs anciens qui tenaient l'hébreu pour la langue primitive. En effet, cette con-
dition est essentielle. Quand Eve est nommée Eve (Khawah), parce qu'elle est la
mère de tous les vivants (Khay:, le récit est manifestement composé en hébreu,
pour des personnes qui comprennent l'hébreu. Or, l'hébreu n'est point la langue
primitive, et il est inutile d'insister sur l'invraisemblance de la transmission orale

(1 On verra au Bulletin une nouvelle manière de voir de l'auteur qui semble modifier tout
cela.
098 REVUE BIBLIQUE.

précise des récits à travers les siècles. Les strates adamique, noachique, etc., du
R. P. de Hummelauer, qui depuis... personne ne les a pris au sérieux. La Com-
mission biblique a autorisé à relever dans les trois premiers chapitres de la Genèse
des traits allégoriques. Rien n'empêche, en soi, que ces allégories ou ces méta-
phores aient été empruntées à des traditions babyloniennes. Ce qui ne leur a pas
étéemprunté, c'est le fait même de la Création totale par un pouvoir spirituel, fait
dont elles n'ont pas le moindre soupçon. Ceci nest
n'est pas sorti de cela, car ceci

pas contenu même en germe dans cela. du génie


D'après M. Jastrow, c'est l'effort

hébreu qui a produit cette abstractioii. D'après l'Église, cet enseignement unique et
sublime est dil à la Révélation. Mais elle n'a pas déterminé quel était le contenu de
toute la Révélation primitive, ni aflirmé qu'il s'était conservé tel quel à travers les
âges et qu'il n'avait pas été réitéré, pour être défendu contre l'erreur, à des hommes
choisis par Dieu, comme Abraham ou Moïse. Dans ce cas, pour faire comprendre à
un peuple grossier, comme disait saint Thomas, des vérités surnaturelles, les chefs
religieux des Hébreux ont pu se servir d'expressions courantes et de traditions po-

pulaires empruntées aux Babyloniens. Encore est-il que, pour le premier chapitre
de la Genèse, les ressemblances se réduisent à presque rien. Ce qu'il y a de commun,
ou pour mieux dire l'état de désordre, qui fut primitif à Ba-
c'est l'origine liquide,
byloDC, et suivit chez les Hébreux l'acte créateur. Ce chaos est représenté chez les
Babyloniens par Apsu et Mmmnu, deux personnifications de l'Océan, chez les Hébreux
par deux expressions (tolai ivabolm) dépourvues de mystère, et employées dans
d'autres cas à propos de circonstances historiques. L'abime liquide des Babyloniens
devient Tiamat, le monstre qui lutte contre le dieu organisateur. C'est bien le
même mot que le tehom hébreu, mais tiamat signifie aussi la mer, et c'est le sens
constant de tehom. Il est vrai que la Bible connaît des monstres qui ont lutté contre
Dieu. Mais elle les nomme Rahab et Lévialhan, qu'on ne trouve pas dans la littéra-

ture assyro-babylonienne. D'après M. Jastrow, ce ne sont pour Job, pour Isaïe, pour
les psalmistes, que des métaphores poétiques. Mais n'estompe-t-il pas un peu trop
ces ligures saisissantes? Ce sont bien, pour ies écrivains sacrés, des êtres réels et
redoutables. Ils ont lutté contre Dieu à l'origine; c'est une première esquisse de la

lutte des auges réprouvés (1). Mais, encore une fois, on ne voit pas qu'ils aient une
origine babylonienne.
Au surplus, les Livres Saints reprochent constamment aux Hébreux leurs aposta-
sies. Il serait bien étrange qu'adonnés au culte des dieux étrangers, ils aient fermé
la porte aux mythes qui les glorifiaient. Nous ne prétendons pas que ces mythes
n'aient jam;iis pris pied en Israël, encore moins chez les ancêtres d'Abraham.
Mais, en fait, nous n'en voyons guère de traces à propos de la Création. Il en serait
autrement à propos de la tradition du déluge, mais M. Jastrow ne l'a point traitée
dans le corps de son livre, et son importance doctrinale est incontestablement
moins grande.
IH. Le chap. m s'occupe du sabbat. Depuis longtemps on le cherche à Babylone. On
crut l'y avoir découvert, iors(ju'on lut sur un texte lexicographicpu' connue deux
termes équivalents : le jour du repos du creur, et clifibaltuin, lermc i|ui paraissait
identique au sabbat des Hébreux, le jour de repos par excellence. Mais une autre
tablette du même genre, publiée en 1904 par M. Pinches, a expliqué avec plus de
précision que le chaballum est le quinzième jour du mois, c'est-à-dire sans doute le

jour de la pleine lune. Or le sabbat est, comme on sait, indépendant du cours de la

(1) ilalialj est sans doulc en connexion avec la mer Job, 9, 13; 26, 1-213; Is. 51, '.»; l's. 89,
11), mais c'e^^t un inonslrc distinct.
RECENSIONS. 599

lune. Pourtant M. Jastrow ne renonce pas à le rapprocher du chabnttam babylonien


en le rattachant aux phases de la lune. Il est certain que le chiffre de sept donne à
penser, mais en défniitive il ne concorde pas avec les piiascs de la lune, et c'est pro-
bablement pour une autre raison qu'il est devenu sacré pour les Sémites. Les
Hébreu.\ ont toujours mis à part le jour de la nouvelle lune, et, comme jour sacré,
on pouvait l'associer au sabbat (1), mais ce n'est point une preuve, ni même une
indication que le sabbat ait été à l'origine le jour de la pleine lune. Le Lévitique
(23. 1.5) désigne sous le nom de sabbat le jour de Pàque qui est, de fait, le jour de
la pleine lune, mais ce n'est point une raison pour conclure que tout sabbat fut
d'abord un jour de pleine lune. I.e jour de Pàque est un sabbat parce que c'est un
jour de repos, et de même le premier jour, le dixième, le quinzième du septième
mois, ainsi que le jour octaval de cette fête (Lev. 23, 23. 32. 39). Tout ce que dit
M. Jastrow des époques de transition, afin de donner de l'importance au jour de la

pleine lune, est cherché de si loin que c'est assurément un des points les plus faibles

de son livre. Le jour de l'expiation est rapproché des jours tristes et néfastes où
les Babyloniens interdisaient certaines actions, surtout à certaines personnes. Mais
le jour de l'expiation est le dixième du mois, et son caractère de tristesse regarde les
péchés passés et non point les conséquences d'un acte posé en un mauvais jour.
L'observance du sabbat avait quelque chose de triste et d'austère, mais surtout
avec les surcharges de l'esprit rabbinique naissant. M. Jastrow reconnaît qu'à
l'origine ce fut un jour de repos. C'est à ce titre que le christianisme l'a adopté en
le plaçant au jour de la résurrection du Seigneur. Or il se trouve (jue cette institu-

tion, totalement ignorée de toute l'antiquité, apparaît au monde moderne, malgré la

complication et les nécessités comme nécessaire au bon ordre social.


de l'industrie,
Pourquoi refuser d'y voir une institution divine, comme l'ont affirmé ceux qui ont
inauguré et promu cette pratique au nom de Dieu? Elle aurait pu se greffer sur
l'usage existant de chômer le quinzième jour du mois; mais on ne peut prouver
l'existence de ce chômage, ni chez les anciens Hébreux, ni même chez les

Babyloniens.
IV. Il en est l'objet du ch. iv,, qui a pour objet la vie après la
autrement de
mort. Sur ce point Hébreux ont eu pendant longtemps sinon toutes les idées des
les

Babyloniens, du moins des idées semblables sur la situation des âmes après la
mort, rassemblées dans une sorte de royaume souterrain. Il y avait naturellement
cette différence essentielle que les Babyloniens, polythéistes, donnaient à ce
royaume pour roi et pour reine des divinités spéciales, tandis que le Chéol hébreu
n'avait point d'autre maître que lahvé, qui d'ailleurs n'y recevait pas le culte que
lui rendaient les vivants. Les Babyloniens en sont restés là. Comment les Hébreux

en sont-ils venus à promettre un sort différent aux pécheurs et aux justes? ce fut,
d'après une opinion assez commune à laquelle se rallie l'auteur, en tirant une con-
clusion contenue dans le dogme de la justice de Dieu et qui se dégagea peu à peu
dans Israël. Puis, au temps des Macchabées, le dogme de, la résurrection apparut
comme la manifestation suprême de cette justice. Les espérances individuelles du
salut de chacun après la mort se développèrent en même temps que l'espérance
messianique collective. En tout cela M. Jastrow n'accorde aucune influence à des
doctrines étrangères, car l'individualisme spiritualiste des Grecs aurait plutôt con-
duit à l'immortalité de l'âme seule. On est cependant étonné que les Égyptiens et
les Grecs aient eu des conceptions assez arrêtées sur les rétributions après la mort

(4) II neg. 4, -23; Am. 8, 5; 5; Is. 1, 13. etc.


600 REVUE BIBLIQUE.

si longtemps avant les Hébreux. On voudrait supposer qu'ils ont eu la même


croyance. Mais les textes sacrés, ou se taisent, ou sont même
peu conformes à cette
opinion. Il faut donc dire, avec Bossuet, que Dieu avait réservé aux temps de Jésus-
Christ plus de lumières sur ce point. Les écrivains sacrés, comme l'auteur de Joh,
par exemple, avaient conscience de n'être point éclairés sur la destinée d'outre-
tombe. Mais il concluait avec force qu'il fallait s'en rapporter à Dieu. C'est aussi la

pensée du Qohéleth, quoiqu'il exprime plus nettement encore l'angoisse où le plonge


ce fait constaté que la Justice de Dieu ne s'exerce pas ici-bas. Et il y avait certes
dans cette fondement d'un sentiment religieux très profond. Jésus-Christ a
foi le

levé le voile, et nous comprenons par l'enseignement de saint Paul que l'espérance
de la béatitude réservée aux saints ne pouvait s'appuyer que sur sa promesse, et sur
la mort et la résurrection du Christ lui-même. La rétribution des Grecs était, si l'on

peut dire, une rétribution plus que pélagienne, où l'homme entrait de plain-pied
aux champs Elysées. L'Égyptien ne pénétrait aux champs d'Valou que grâce à des
formules magiques. Dieu exigea des Hébreux qu'ils s'en rapportassent à lui jusqu'au
jour où il révéla que la vie éternelle est une grâce en même temps qu'elle est
méritée. M. Jastrow insinue (p. 2.31) que depuis la Réforme on est en réaction contre
le système paulinien. C'est confesser que le Protestantisme actuel est diamétralement

opposé à l'intention de Luther qui se croyait l'apôtre de la grâce, un nouvel apôtre


de Jésus-Christ.
V. Le thème de
la morale qui remplit le v^ chapitre est peut-être le plus difficile

à traiter, parce que le plus complexe, parce que les livres sont moins sûrs garants
de la pratique que des croyances. Peut-être M. Jastrow a-t-il été un peu sévère pour
la morale babylonienne, car la raison peut beaucoup sur ce domaine, comme le

prouve l'exemple des Grecs et surtout d'Aristote. Mais il a raison de dire qu'elle
était dominée par un principe matérialiste, tandis que la morale des Hébreux avait
pour ressort la spiritualité et la perfection de Dieu. Le Rabbinisme ne lui paraît pas
avoir fait échec à ce dévelopîïement c'est méconnaître l'étroit nationalisme, l'im-
;

portance dominante du fait extérieur, le scrupule de l'observance accomplie, la

minutie multipliant à l'infini l'observance, plus de crainte servile que d'amour, qui
donnent au Talmud une physionomie si ingrate. Jésus n'est point le Maître le plus
accompli de cette école; il a promulgué une loi vraiment nouvelle par l'esprit, et
cet esprit sut vivifier les catégories rationnelles d'Aristote, tandis que la raison tour-
nait le dos au labyrinthe des solutions bizarres où se complaisait la subtilité des
Rabbins. Évidemment M. Jastrow a voulu être impartial, mais les Hébreux n'ont
jamais à se plaindre de ses jugements. On trouverait des vues plus dégagées de
nationalisme dans le petit et substantiel ouvrage du P. Dhorme sur la religion
assyro- babylonienne.

Roybon (Isrre).

Fr. M.-J. Laorangk.

Au Sinaï et dans l'Arabie Pétrée, par Léon Cakt, Professeur à l'Univer-


sité de Neuciiàtel, dans le Itulfelin de la SocicW neuchateloise de Gêofjraphie,
tome XXHI, 1911 et 1915, .>21 pp. avec de nombreuses illustrations et des cartes.

M. le Pasteur Cart n'a survécu que (pielqucs mois à la publicatidu de son voyage

au Sinaï et à Pétrn, Mous aurions aimé à le remercier «lu bon souvenir qu'il a gardé
de ses guides. Il nous reste le devoir de présenter son œuvre ,iu public de la Revue.
RECENSIONS. 601

Cet ouvrage comprend un récit (p. 1-35Ô) et un appendice considérable sur la géo-
graphie de l'Exode (p. 35y-.j21\
Le récit commente l'itinéraire suivi en 1!)0() par la caravane de l'École biblique,
dirigée d'abord par le Père Savignac, puis, à partir de Nakhel, par le Père Jaussen.
La nouveauté de ce parcours consista à passer de 'Ain Qedeis à Pétra par l'intermi-
nable ou. Djeràfeh. Le cberain de Suez au Sioaï par l'ou. Feiràn, du Sinaïà Xakhel
et de Nakhel à 'Ain Qedeis avait été suivi par les caravanes précédentes. M. Cart a
su présenter ses impressions et ses observations d'une façon très personnelle et fort
intéressante. Dans le cours du récit sont déjà amorcées certaines discussions qui
nomenclature ancienne; c'était déblayer le terrain
fixent le rapport des sites avec la
en vue des conclusions de l'appendice. Par exemple M. Cart soutient comme on l'a
fait ici que l'ancien habitat d'Édom, le pays de Séir, se trouvait au sud de la
(1)
Palestine, aux environs du dj. Maqra, et qu'il n'a été transporté à l'est de T'Araba
au dj. Chéra actuel, que par suite de l'envahissement d'Édom sur les plateaux orien-
taux. Nous n'insistons pas sur l'itinéraire, illustré de photographies fort bien venues,
quelques-unes empruntées au P. Savignac, comme aussi le diagramme de l'itinéraire
de 'Ain Qedeis à Pétra. M. Cart, nous l'avons dit, se montre très aimable envers ses

compagnons de voyage donc il lui arrive de montrer peu d'intelligence de la vie


; si

monastique (2), c'est qu'il est décidément bien difficile de vaincre le préjugé pro-
testant. On s'étonne davantage qu'étant Suisse, et par conséquent familier avec la
haute montagne, il ait tant peiné à l'ascension du Serbal. Les hauts blocs de granit
rose, escalier pour des géants, sont encore très accessibles aux simples mortels, mais
à la condition de ne point porter sur le dos un gros appareil photographique. Le

splendide panorama qu'on aperçoit du sommet était ce jour-là brouillé par le


sirocco. M. Cart en fut contrarié, mais pas au point sans doute de regretter le brouil-

lard absolument opaque dans les Alpes à certains levers de soleil théoriques.
La discussion de la géographie de l'Exode nous retiendra plus longtemps.
M. Cart ne se croit nullement obligé de soutenir la véracité des écrits bibliques,
et le mot de mythes revient souvent sous sa plume. Pourtant il est soucieux de
ne, point suivre en disciple aveugle les systèmes fantaisistes d'une critique débridée.
Il accepte dans ses grandes lignes l'analyse littéraire du Pentateuque, telle qu'elle
est reçue dans l'école de Wellhausen, et il s'efforce, comme nous l'avons fait
dans cette Revue, de dégager de la Rédaction définitive les itinéraires de l'écrivain
jahviste, de l'élohiste, du Deutéronome, de la source nommée Code Sacerdotal,
du catalogue des stations qui se trouve dans les Nombres. Mais tandis que nous
avons reconnu les mêmes grandes voies, avec des jalons portant des noms dif-
férents, M. Cart croit pouvoir distinguer deux traditions différentes sur le lieu du
Sinai.
Mais d'abord le point de départ. C'est, comnae on sait, le pays de Gochen,
dont l'emplacement à l'ou. Toumilât ne souffre plus de contestations, encore qu'on
puisse hésiter sur les limites précises. M. Cart, très réservé et très défiant des
précisions impossibles, est cependant assez convaincu que le passage de la mer

RB., 1899, p. 370.


(1)
Sur les vois des anciens moines du Sinai « voix qui sont des prières quand, dans l'extase
(•2) :

et le ravissement de la foi, ils trouvaient une compensation suffisante à leur existence solitaire
et amoindrie mais voix qui sont des gémissements, des plaintes et des cris de révolte, quand
;

la chair parlait haut, quand le doute étreignait les cœurs, les plongeant dans le désespoir d'un
martyre inutile et dérisoire » (p. 1G3). Toute vie chrétienne, digne de ce nom. n'est-elle pas un
martjTC dérisoire pour ceux qui doutent, et la prière, l'esprit de sacrifice, loin détre les tares
d'une vie amoindrie, ne sont-ils pas, pour un croyant, les meilleurs remèdes contre le doute?
602 REVUE BllîLIQUE.

Rouge, ou plutôt, comme s'exprime le texte, de la mer des Roseaux {^=^^D a''), eut lieu
au lac Timsah, mnis il tient encore plus fermement que ce lac était alors un lac
d'eau douce, comme le prouve le nom même de mer des Roseaux, car les roseaux
ne croissent pas dans Teau salée. En effet, au temps de l'Exode, la mer n'aurait
pas eu ses limites plus au nord qu'aujourd'hui.
Laissons de côté ce dernier point. M. Cart admet cependant qu'au temps de la
XVIII'^ dynastie un canal joignait le Nil à la mer Rouge. Ce canal, traversant la
dépression des lacs Amers, la remplissait naturellement d'eau, et cette eau était
salée, comme le prouve le nom de lacs Amers qui se trouve dans Strabon (wii,
24-25) lorsqu'il parle du canal. Si la mer Morte venait à s'évaporer d'un seul coup,
le Jourdain la remplirait de nouveau d'eau douce qui serait bientôt aussi salée que
celle d'aujourd'hui. était-il pas de même au lac
Alors pourquoi n'en Timsah?
La nature du donc si différente? Et si l'eau qu'ont passée les Hébreux
sol est-elle
n'était pas salée, assurément ils auraient pu la nommer une mer, n'ayant pas de mot

spécial pour un lac d'eau douce, mais ils n'auraient pas donné le nom de mer
des Roseaux en même temps à ce lac et à la mer Rouge au golfe élanitique
(Ex. 23, 31; Num. 14, 25; 21, 4). Le nom a pu se déplacer, c'est-à-dire gagner
en étendue, mais non pas sauter d'un lac d'eau douce fermé à la mer Rouge.
Du moins cela serait peu naturel. Quant au nom de mer des Roseaux, il s'explique-
rait très bien par le mélange des eaux du canal du \il et des bassins salés. Quand

on aborde la mer ^Forle aux immenses champs de roseaux d"Aïn Fechka, source
qui sourd dans la mer îMorte, on pourrait la nommer la mer des roseaux. Et pour-
tant c'est le mare salsissimum. L'existence du canal allant de Pithom aux environs
de Suez prouve bien que la mer ne s'étendait pas jusqu'à Pithom où Iléroopolis
(Tell el-Maskhouta), couvrant entièrement le Sérapéum et le seuil de Chalouf. Mais
il y avait des bassins d'eaux salées jusqu'auprès de Pithom, et cela suffisait pour
qu'on pût nommer, coiïjiiie on le faisait, le golfe de Suez sinus heroopoUticus à une
époijue de petite navigation. C'est dans le même sens que les Hébreux ont pu
nommer mer des Roseaux les lacs Amers et peut-être le lac Timsah aussi bien que
le golfe d'Aqaba.Quant à prétendre que le passage de cette mer eut lieu plutôt
au Timsah qu'aux lacs Amers, c'est s'avancer beaucoup sans preuves.
lac
D'ailleurs M. Cart a tout à fait raison de soutenir contre M. Naville que le mil-
liaire Ab JJro in Cltisma M. VUll signifle qu'on est au neuvième mille sur la route

d'Héroopolis à Clysma, et non pas que la distance entre ces villes est de neuf milles.
On l'approuve surtout de ne pas transporter le séjour des Hébreux loin de
l'Egypte, sous prétexte que Munir ou Musri dans les inscriptions cunéiformes dé-
signe parfois un autre pays qua la vallée du INil (I). Le ??m.sr/ cilicien est peut-être
un nom semblable phonétiquement, ayant une origine propre. Mais si l'on concède
que le nom de mu^ri s'est étendu à toute la péninsule sinaïtique et même jusqu'à
l'est de r'Araba, ce n'est point une raison pour situer à la périphérie des événements

(|uc lii nible place à la limite intérieure de l'Egypte proprement dite. D'ailleurs si

^1. Cart se montre ici très ferme partisan de la tradition, nous verrons que sa thèse

ne s'applique en réalité qu'à une partie d'Israël.


Voilà donc les Israélites en route pour le Sinaï. Mais, depuis Wellhausen, cette
proposition n'a plus de sens. Les Israélites sont allés d'Egypte à Qadès. Le pèleri-
nage au Sinaï a été introduit plus tard dans un itinéraire fort court, qui ne compor-
tait que trois jours de marche. La preuve principale, c'est que le Sinaï était au pays

<i) ItD., VM-2, p. -250 BS.


RECENSIONS. 60:5

de Madian, c'est-à-dire de l'autre coté du i;olfe d'Aqaba. Que serait-on allé faire si

loiu Qadès? Stade, von Gall, d'autres encore, ont adhéré


pour revenir à à ce
système. Tout récemment, comme nos lecteurs l'ont noté en son temps, M. le D'"

Musil, prêtre catholique autrichien, sans adhérer au système de ces savants, leur
aurait cependant fourni une base topograpliiquo, s'il était vrai qu'il eût découvert le

Sinaï dans les terrains volcaniques du Harrat el-Aouêrez. et spécialement au dj. Hala
el-l>fdr. Comme il fallait s'y attendre, le système de Wellhausen a été poussé à
l'extrême. D'après M. R. Weill, Qadès est tout, le Sinaï c'est l'au-delà, l'inacces-
sible, un concept mythologique.
M. Cart proteste contre ce radicalisme. Il ne lui paraît pas démontré que le Sinaï
ait été un volcan, ni qu'il ait été au pays de Madian. ni que le pays de Madian ait

été seulement au delà du golfe d'Aqaba ou élanitique. Ces conclusions sont 1res
solides, mais peut-être l'auteur les a-l-il mal étayées, et non sans quelque apparence
de contradiction. Cette contradiction consiste à placer Madian au sud de la Palestine
(p. 382), auquel cas le Sinaï pourrait fort bien être en Madian, sauf à dire plus loin
qu'Hobab, partant du Sinaï, retourne à son pays de Madian, qui dès lors ne serait
pas au sud de la Palestine (p. 430). M. Cart croit pouvoir soutenir pour Madian la
même thèse que pour Séir. Madian, désignant à l'origine un pays au sud de la
Palestine, aurait été transporté plus à l'est avec la migration des tribus. Or c'est
plutôt le contraire qui a eu lieu, si l'on défère à l'autorité des géographes anciens,
très fermes sur le site de Madian, marqué par une ville. Mais rien n'empêche
d'admettre que la sphère d'influence de Madian et surtout les migrations des Madia-
nites se soient étendues à l'est de la péninsule. De cette façon tout s'explique
aisément sans recourir à cette exagération de placer le cœur de Madian dans la

péninsule sinaïtique.
Wellhausen n'était pas autorisé à rayer le Sinaï de l'itinéraire des Israélites sous
prétexte qu'il était au pays de Madian. Mais donné une autre raison, non plus il a
topographique mais littéraire. Il serait question de Qadès dans Ex. 17 et dans Num.
20; de la manne dans Ex. 16 et Num. 11; du choix des Anciens dans Ex. 18 et
Xum. il. Entre ces récits doubles du même événement se trouve la législation
sinaïtique. Wellhausen et après lui Meyer en concluent que le Sinaï a été intercalé
dans une tradition où il ne figurait pas d'abord. Qu'on l'enlève et les épisodes
racontés deux fois se soudent et reviennent à l'unité. M. Cart se refuse à admettre
une solution aussi violente. La difficulté serait sérieuse si eu efTet les textes faisaient
aller les Israélites de Qadès au Sinaï et du Sinaï à Qadès. Mais Ex. 17 ne parle pas
ouvertement de Qadès ; il y est question de Massa et Meriba. Le recenseur (1) avait
pensé que Meriba, qui est bien Qadès, avait été ajouté à Massa par un glossateur.
M. Cart va plus loin et pense que Ex. 17. 1-7 doit être placé après les récits sinaï-
tiques. avoue ne pouvoir rendre compte des raisons de ce déplacement. Il
Mais il

est cependant très aisé de faire une hypothèse satisfaisante, hypothèse que nous ne
proposons que comme solution ad hominem dans l'hypothèse plus générale des
documents. Un exemple analogue fera comprendre ma pensée. Marc parle d'un
aveugle guéri par Jésus au sortir de Jéricho (Me. 10, 46-.52}. Luc place un miracle
semblable à l'entrée de Jéricho (Le. 18, 35-43). L'auteur d'une synopse aurait
naturellement mis deux miracles, l'un avant d'entrer à Jéricho, l'autre après, en
reproduisant intégralement les textes. Un critique, lisant la synopse, eût été porté à
n'admettre qu'un miracle. Mais oserait-il, pour souder les deux miracles en un, nier

cl; RB., 1899, p. 384.


KEVUE BIBLIQUE 1916. — S. S., T. XUI. 39
604 REVUE BIBLIQUE.

le passage par Jéricho? Que les


critiques raisonnent donc de même dans l'hypothèse

des sources. Le Rédacteur avait dans ses documents deux récits de miracles de la.
source à Qadès, deux mentions de la manne et des anciens. Il désirait conserver
le plus possihie les textes anciens. Rien de
plus aisé en plaçant une série de récits

avant, raiilre après le Sinaï. Mais cela même suppose que le Sinaï figurait comme
le point central de la tradition. Donc niême en admettant que Ex. 17 soit une
allusion à Qadès, il est beaucoup plus simple de supposer une interversion chronolo-
"ique que de rayer le Sinaï dont le nom est attaché à la mission de Moïse.
Quoi qu'il en soit de ces modalités dans l'argumentation, nous constatons donc
avec M. Cart l'accord des documents sur la suite des lieux : Egypte, Sinaï, Qadès.
Mais, d'après lui, l'accord cesse lorsqu'il s'agit de déterminer la situation de la

sainte montagne. Elle est toujours située au sud de la Palestine, mais la tradition

primitive, représentée la plaçait tout près de Qadès, au


par l'écrivain jahviste,
mont Séir. C'est une époque plus récente que la tradition l'a reculée
seulement à

vers le sud. L'élohiste met trois jours de marche et trois stations entre l'Horeb et
Qadès, l'Horeb étant situé vaguement au sud de la péninsule. Il en est à peu près de
même de la tradition du Code Sacerdotal (P) et du Deutéronome. D'ailleurs M. Cart
n'essaie aucune identiflcation précise avec les lieux que nous connaissons; le Sinaï
du jahviste est un sommet voisin d"Aïn Qedeis; le Sinaï du Sud est encore moins
clairement désigné par la tradition biblique postérieure; celle des moines n'est
qu'une conjecture sans valeur.
Il nous semble que le scepticisme de M.
Cart sur ce dernier point est excessif. Il
n'est même pas tout à fait en harmonie avec cette déclaration « Ce n'est donc pas :

une absurdité, comme le prétend Weill, que d'essayer des localisations; l'absurdité
consiste à croire^ju'un palestinien n'ait rien su de la presqu'île et que, dans cette

ignorance totale, il ait inscrit à la Ole des noms géographiques qui ne correspondent

à rien » (p. 447). Les auteurs bibliques ont évidemment voulu informer leurs lec-
teurs; M. Cart les suppose bien informés; il serait assez naturel qu'on pilt aboutir,
bonne probabilité. Mais c'est se priver d'utiles rensei-
d'après leurs données, à une
gnements que d'exclure Raphidim de l'itinéraire de E (p. 439), et de ne point faire
état du désert de Sin. Ce désert est, d'après Ex. 16, t, entre Elim et le Sinaï.
M. Cart ne veut pas y voir le désert de Ramleh parce qu'il ne se termine pas au
dj. Moûsa. Mais la désignation est beaucoup plus vague. Il faut l'entendre d'un
désert entre la région d'Élim et la région des montagnes où se trouve le Sinaï. C'est
ce que le même verset suggère expressément en plaçant une station intermédiaire.
Serait-ce que l'écrivain sacré ne savait rien de ce désert?
Mais nous n'insistons pas sur l'application au sol des données de la tradition.

Cette tradition, d'après M. Cart, s'est gravement transformée chez les Hébreux au
cours des siècles. Il s'agirait d'un désaccord entre les documents, beaucoup pUis
important que la détermination des lieux.
Dans ce système, le Sinaï primitif au fond c'est Qadès. Aussi les arguments pour

le m(-ttre à proximité d'Aïn Qt^deis sont ceux de Wellhausen pour placer en ce lieu

les manifestations de Dieu à Moïse et l'origine de la législation.

Le principal de ces arguments c'est (|ue le rendez-vous de Dieu avec Moïse et son
peuple était à trois jours de marche de l'Egypte. Cela exclut le sud de la péninsule

et coïncide suffisamment avec 'Aïn Qedeis où l'on reconnaît Qadès. Faut-il répéter
<ine cette distance de trois jours ne (igure que dans la requête que Moïse doit
adresser et adresse au Phanion (Kx. 3, 1«; 5, :] : 8, 23;? Moïse n'av.iil pas à dire
an IMi;uaon où il prétendait aller. Il indique une distance assez courte, qui laisse
IlECENSIONS. 60:i

croire au Pharaon que les Israélites se proposent de revenir. Mais ce qui paraît décisif
à M. Cart, c'est que le jahviste conduit en ellet les Israélites au Sinaï en trois jours
(Ex. 15, 22). —
Oui, à la condition de supposer que ces trois jours sont de J, et
qu'ils s'entendent de l'Egypte au Sinaï, ce qui est absolument indémontrable et tout
à fait contraire au contexte actuel.
Les autres preuves sont-elles plus solides? C'est d'abord le cantique de Débora
(Jud. 5, 4-5), où le Sinaï est en parallèle avec Séir et le champ d'Édom. Mais
JM. Cart reconnaît que dans le texte actuel : « à savoir le Sinaï u, ne peut être qu'une
glose. Elle est venue naturellement sous le calame d'un lecteur auquel les beaux
vers du Cantique ont rappelé la théophanie du Sinaï. La reconstitution de Winckler :

« le Sinaï trembla » n'est qu'une conjecture. Elle n'est pas même très heureuse, car
si lahvé est sorti du Sinaï, cette montagne n'a pas tremblé devant lui ; les montagnes
qui ont tremblé sont celles de la Palestine méridionale qui se trouvaient sur le pas-
sage de lahvé. Elles sont seules dans la perspective de la poétesse qui voit l'effet

produit par l'arrivée de lahvé sans préciser son itinéraire autrement que par la

frontière sud de la terre d'Israël. Dans Deut. 33, 2, c'est bien le Sinaï qui est le

point de départ. Le poète met sur le même plan Séir, Paran, et, d'après une correc-
tion nécessaire d'Ewald, Meribath-Qadès. Mais on ne peut pourtant pas assimiler
Séir eV Paran, ni Paran et Qadès. Il y a donc un groupement de lieux distincts.
Paran est au sud de Séir et de Qadès. Pourquoi le Sinaï ne serait-il pas au sud de
Paran? Et pourquoi un auteur qui aurait écrit, d'après M. Cart, vers le temps de
la réforme de Josias (621), se serait-il écarié de la tradition dominante depuis l'élo-

histe pour s'inspirer d'une ancienne tradition qui eût placé le Sinaï en plein pays
d'Édom?
Certes on ne songe pas à nier les translations topographiques au cours des âges.
Mais encore faut-il avoir des indices sérieux pour les découvrir. Une tradition hé-
braïque très ferme et contenue dans plusieurs documents place le Sinaï fort loin,
au sud de la péninsule. Il faudrait d'autres raisons que celles qu'allègue M. Cart
pour n'y voir que l'altération d'une tradition plus ancienne. D'autant que les noms
changent moins que les combinaisons qui s'y rattachent, et que le nom du Sinaï
offrait à la tradition un solide point d'appui.
Les théoriciens qui s'affranchissent de tout respect pour la tradition jugeront sans
doute que iVI. Cart est bien timide. Mais la fin de l'itinéraire leur offre une agréable

surprise. On eût pu croire que c'était tout le peuple d'Israël qui avait suivi Moïse
de l'Egypte au Sinaï, puis à Qadès l'est. Mais
et au pays de Canaan envahi par
nous apprenons enfin qu'il faut distinguer entre les tribus judéennes et les tribus
israélites. Les tribus judéennes, Juda, Siméon, Lévi, avec les clans apparentés de

Caleb, des Qénites, des lérakhmélites, ont en effet pénétré en Egypte. Sorties du
pays de Gochen, ces tribus judéennes ont été initiées par Moïse à la religion de lahvé,
à Qadès et au Sinaï qui ne forment qu'un seul lieu. Comment Moïse lui-même avait-il

été amené à adorer le Dieu du Sinaï? C'est un fait accidentel, « un phénomène d'ordre
psychologique ». L'expression ne nous déplairait pas si elle contenait le concept
de la révélation. L'auteur l'insinue peut-être quand il dit que « Moïse est entré en
contact avec le Dieu du Sinaï » (p. 508). Du moins Moïse n'aurait pas simplement
adopté la religion des Madianites ou des Qébites, comme on l'a dit si souvent sans
fondement. Les tribus judéennes, solidement organisées par Moïse à Qadès, devenues
elles aussi les adeptes de lahvé, se lancent à la conquête de la Palestine par le
sud. Elles réussissent à Khorma (Num. 21, 1-3) et poursuivent dans ce nouveau
pays le cours de la conquête.
G06 REVUE BIBLIQUE.

Or. il y avait à l'orient du Jourdain, continue iM. Cari, d'autres clans faisant partie
du grand groupe des 'Ibrim qui sont les Khabiru d'el-Amarna. Ces clans ou ces
tribus sont les fils d'Israël, et l'auteur ne dit nulle part qu'ils aient eu une accoin-
tance spéciale avec les tribus judéennes, qu'il ne range même pas parmi les 'Ibrim.
Ces tribus Israélites ont attaqué d'abord les Amorrhéens qui occupaient la rive
gauche du Jourdain, puis envahi peu à peu et conquis le pays qui fut depuis le centre
de leur puissance, la montagne d'Éphraïm. Elles ne connaissaient pas lahvé. Plus
tard elles fusionnèrent avec les tribus judéennes et adoptèrent leur dieu.
Ce système n'est pas nouveau-, il est presque devenu classique dans une certaine
école.Sa base est le dualisme incontestable des royaumes de Juda et d'Israël. Il faut
cependant avouer que la tradition représente ce dualisme comme un schisme, c'est-à-
dire comme la rupture d'une unité antérieure, et personne ne peut nier que l'unité
ait existé au temps de David et de Salomon. De plus la tradition laisse voir ouverte-
ment un antagonisme encore antérieur, mais elle prétend que cet antagonisme fut,

comme après Roboam, un relâchement des liens primitifs. Le système que nous
avons en vue prétend, lui, qu'Israël et Juda —
pour employer deux expressions rac-
courcies —
se rencontrèrent en Palestine, et que l'unité primitive d'Israël n'est qu'un

mythe. Historiquement on connaît des peuples qui ont fusionné, mais cite-t-on des
cas où la tradition Jeur ait prêté une existence antérieure commune? En tout cas il
faudra montrer comment une pareille erreur a pu naître, et surtout comment
limité s'est formée, comment un peuple a imposé à l'autre sa religion et ses cou-

tumes. L'histoire ne connaît que la guerre et la conquête pour amalgamer ce ciment.


VVinckler était donc du moins logique en soutenant que David avait positivement
fait la co^^uête d'Israël.
M. Cart n'est pas si radical, et ne se résout pas à effacer le nom de lahvé du
cantique de Débora. Comment explique-t-il alors que lahvé est devenu le dieu
d'Israël? Son originalité, — sauf erreur, — consiste à dire que ce fut précisément

lors de la grande victoire chantée par le cantique. Cette victoire fut due à Jaèl,

femme Qénite dont le dieu était lahvé. L'exploit triomphant de Jaël était celui de
son dieu. On s'imagina que lahvé était venu du Sinaï pour sauver Israël qui l'adopta

pour son compte. Heureusement la tradition ne nous présente pas de faits ni d'ex-

plications aussi invraisemblables. C'est donc parce qu'une femme Qénite a i-oupé la
têtede Sisara que tout Israël —
celui du nord, le seul véritable Israël a répudié —
son dieu pour adopter celui d'une étrangère! Et en vertu de quel principe ce dieu
étranger se serait-il intéressée Israël? Combien plus naturelle la tradition qui nous
dit qu'il est venu du Sinaï pour sauver son peuple ! Sans doute il résidait au milieu
des siens par l'intermédiaire de Tarche, mais il n'avait pas pour cela quitté le Sinaï,
et Débora pouvait distinguer comme JNIoïse une assistance par l'ange de la Face et
une assistance personnelle. Klie, le prophète d'Israël, n'alla-t-il pas encore à l'IIoreb
plusieurs siècles après pour se trouver dans un contact plus immédiat avec lahvé ?
L'exemple dÉlie est une réponse décisive à ce que dit M. Cart a on est surpris :

que, si lahvé est le dieu reconnu par ces tribus, il n'iiabite pas la Palestine, au
milieu de ses (idëles, mais soit Cftnsidéré connue résidant encore au Sinaï » (p. .>11).
Les critiques ont été vivement émus des indices si fréquents d'hostilité entre
Juda Cl Israël. INIais l'étonnant est (|ue cette hostilité n'ait jamais empêché le sen-
timent d'une unité profonde. Si le règne de David avait été une conquête, il n'edt
laissé (jue des souvenirs amers dans Israël, et la réaction aurait été jus(pr;ï l'apos-
tasie crimplète. On sait que ce ne fut pas le cas, et que Juda, même lorsqu'il vit

dans la destruction de Samarie le chAtimcnt d'un schisme, ne cessa de désirer pas-


RECENSIONS. 007

siounément le rassemblement d'Israël. Comment se fait-il, dans l'hypothèse critique,


que ce soit l'élohiste, qu'on regarde comme un Israélite du nord, écrivant après la

séparation, qui ail raconté comment toutes les tribus réunies avaient suivi Moïse
depuis l'Egypte jusqu'en Canaan, en passant par le Jourdain et Jéricho?
Le sentiment de fraternité explique seul ces tendances profondes à l'unité. Il

n'exclut pas, on le sait assez, les haines. Dans l'histoire primitive d'Israël, les tribus

du nord jouent le premier rôle; elles ont toujours été, jusqu'à la ruine de Samarie,
les plus riches et les plus fortes. On s'explique tout naturellement l'eiïacement
de Juda dans ses montagnes arides. Mais Juda prend l'essor avec David, et Salomon
fixe à Jérusalem le centre de la religion. N'est-ce pas assez pour qu'Ephraïra et

son groupe aient éprouvé une violente rancune et essayé de s'affranchir? Mais tel
était l'empire d'une tradition reconnue de tous, que ni Éphraim ne renonça à lahvé,

ni Juda ne taxa veau de Béthel d'innovation sacrilège; on y vit une rechute


le

dans l'idolâtrie Sinaï. quand Israël ne formait qu'un peuple


commise au pied du !

En revanche, Juda ne regarda jamais comme aussi franchement de son sang


certains de ces clans du sud qui, d'après M. Cart, le touchaient de beaucoup plus près.
L'auteur voit une preuve décisive de l'invasion des Judéens par le sud dans le
texte de Num. 21, 1-3, qui raconte la conquête de Khorma. Il est certain que
la prise de la ville Juges (1, 17) d'une façon toute
est racontée ensuite dans les

différente. Rien n'empêche d'admettre que Juda ait mieux réussi par le nord ce
qu'il avait manqué par le sud. Mais supposons un instant que les deux traditions
soient inconciliables. D'après M. Cart, deux cas. De quel
il s'agit de Juda dans les

droit préfère-t-il la première tradition à la seconde? N'est-il pas très naturel que
Juda, uni à ses voisins, déjà installé sur son territoire, se soit étendu du côté
du JSegeb? L'expédition a en elle-même sa raison d'être. Mais suffisait-il de prendre
Khorma en partant de Qadès pour conquérir Hébron et les environs de Jérusalem?
Le texte est muet sur cette conquête, il regarde en somme la prise de Khorma
comme un épisode sans résultats, une victoire sans lendemain. Et de plus il l'attri-

bue à Israël tout entier.

Il est vrai que l'itinéraire qui va de Qadès en Palestine par Edom. par Moab
et les pays d'outre-Jourdain est assez étrange. Il le serait tout à fait, si la tradition

n'avait soin de nous dire qu'on a essayé l'itinéraire direct, mais qu'on a échoué.

Les Cananéens du sud étaient trop La difficulté de les vaincre s'augmentait


forts.

de la nature du sol, les plus hautes montagnes du pays. Qui a parcouru ces
collines enchevêtrées, séparées par des vallées profondes, qui sont de vrais préci-
pices, doit comprendre qu'on ait désespéré de monter dans ce pays.
Un détour par un pays plus accessible, avec des pâturages, n'était pas pour
étonner des nomades. On croyait pouvoir compter sur la complaisance d'Édom
et de Moab pour atteindre les vastes plaines du désert oriental. L'itinéraire, dans
l'ensemble, se retrouve très bien sur le sol. Les royaumes amorrhéens furent une
proie facile. Israël exercé aux combats put enfin se mesurer avec les Cananéens,
non sans l'aide de son Dieu. La conquête se fit sous la direction de Josué, ce héros
d'Ephraïra. Qu'il reste bien des points obscurs dans cette histoire, on en convient
volontiers, mais qu'on ne nous demande pas de croire que l'orgueilleux Ephraïra,
si sûr de sa supériorité, récemment converti au lahvisme, ait sacrifié toutes ses
traditions nationales pour mettre son héros et l'arche de son dieu à la remorque
de Moïse, l'initiateur des Judéens au culte de lahvé.
Il faut être bien hardi pour corriger, soi-disant dans le sens des vraisemblances
orientales antiques, une tradition qui est l'expression sincère de ce temps et de ce
608 REVUE BIBLIQUE.

milieu.Par là nous n'entendons pas, est-il nécessaire de le dire, soutenir les chiffres
énormes qui font circuler dans le désert des millions d'Israélites. Si l'on fait

abstraction de ces additions très postérieures, véritables gloses ajoutées au texte,


ou transcription par des copistes de textes mal compris, l'itinéraire de tout Israël,
de l'on. Toumilât aux rives du Jourdain en passant par le dj. Mousa, n'ollre rien
dont puisse se choquer une critique saine et prudente.

Fr. M.-J. Lagrange.

Het Slot van Het Marcus-Evangelie. — Studièn, 1916, p. 283-296.

Le R. P. van Kasteren- revient dans De Siiidim, revue des Pères jésuites hollan-
:

dais, sur la fioale de s. Marc (xvi, 9-20). Ici même (1) il a déjà traité cette question
et a cru prouver l'authenticité de ces 12 versets par leur ressemblance avec Héb.
i-ii, 4. Dans sa nouvelle étude l'auteur croit pouvoir indiquer la source de la finale.
Voici d'abord en quelques mots l'état de la question.
La finale du 2^ Évangile se présente à nous sous une triple forme : 1. finale ion-
grue ou canonique; 2. finale brève; 3. finale canonique complétée par le logion de
Freer.
Ce logion, découvert en 1906, connu en partie par s. Jérôme, se lit dans le

ms. Freer entre les vv. 14 et 15. et y supprime un hiatus manifeste. Ou trouvera le

texte dans le comni. des. Marc du P. Lagrange, p. 487-438.


La finale brève n'a pas de titres sérieux à l'authenticité. Reste donc la finale lon-

gue avec ou sans le logion Freer.


L'immeiiSe majorité des témoins, manuscrits et pères, rapporte notre finale cano-
nique. Elle manque cependant dans les deux plus anciens onciaux x et B... et le
doute s'accentue par la présence de la finale brève dans quelques manuscrits, sans
parler des difficultés de critique interne, qui nous semblent les plus sérieuses (2).
Avec la Commission Biblique nous concluons que ces raisons ne drmontrent pas
que la finale n'est pas de s. Marc.
Mais les difficultés restent : absence de la finale dans queUpies manuscrits-, diffé-
rences de style entre la finale et le reste de l'Evangile; solution de continuité entre
le verset 8 et la finale qui a l'air d'un résumé.
— Voici comment le R. P. van Kasteren croit pouvoir résoudre ces difficultés.
En 1902, le R. P. prouva donc l'authenticité de la finale par sa ressemblance avec
Iléb. i-ii, 4. — Cette ressemblance a été reconnue par Dom Chapman (3), qui en
conclut non à l'authenticité de la finale, mais à la communauté d'origine de la finale
et de l'Ép. aux Hébreux. Aristion serait l'auteur de l'une et de l'autre.
Quoi (ju'il en soit, admettons maintenant avec le P. van Kasteren que l'Lp. aux
Hébreux, écrite vers 64 à la demande de Paul par Barnabe, cousin de Miirc — c'est

l'opinion du même exégète (4); — admettons que l'Epitre aux Hébreux dépende de la
finale du 2'' flvangile, et que cette finale soit de la même main que le reste de l'E-
vangile. Dans la RB. 1902) le R. P. avait considéré comme authentiques entre les
vv. 14-15, les paroles rapportées par s. Jérôme : ces paroles, disait-il, rappellent,
par le style , la finale canonique, et suppriment l'hiatus entre les versets 14 et 15(5).

(1) ftfi., 1902, p. 24(l-2.Vi.


•21 I.Af;iusr,K, .S. Marc, p. /.^i sq.; Illi., p. i;3C-);n.
!) Revue liéiiédicline, l!t0.'i. p. .'iO-tiV.
'
4) Studiin, R!». p. -i-7.';.
(r,) un., l'rthj, p. -y,-!.
RECENSIONS. 609

Dans sa nouvelle étude l'auteur rejette cette hypothèse. Et, en effet, depuis la

découverte du logion de Freer il faudrait admettre coninae authentique tout ce nou-


veau morceau, el surtout expliquer sa disparition; — c'est l'objection principale de
Zalm contre l'aullienticité du logion.
iMais alors l'hiatus entre 14 et 15 subsiste, et de plus, puisque le logion rappelle la
finale canonique, — d'après v. Kasteren, — le rejet du logion entraînera l'expulsion
de la finale. Le danger est grand pour le R. P., comme pour la flnale canonique.
Mais ici surgit la solution qui doit résoudre toutes les difficultés.
Quel est h- rapport entre le logion Freer et la Onale canonique? Le P. van Kaste-
ren croit que l'un et l'autre viennent de la même source, cette source est un ouvrage
supposé d'Aristion (1).
Et comment expliquer le sort différent du logion presque oublié, et de la flnale
canonique universellement attestée? Comment expUquer que la finale ait droit à
l'authenticité, et non le logion Freer?
S. Marc, dit le P. van Kasteren, aura puisé sa finale dans Aristion, le ms. d'Edsch-
niiazin le dit expressément. Seulement Marc n'a pas transcrit d'une manière servile,
il a adapté Aristion à l'esprit général de son Évangile.
Cette hypothèse, continue le R. P., jette quelque lumière sur l'histoire du texte.
Un copiste, qui connaissait le contenu de cette finale par l'écrit original, aura cru
que l'Evangile de Marc se terminait avec le v. 8, — d'où l'omission des douze der-
niers versets dans quelques manuscrits.
Voilà pour la finale canonique et son omission accidentelle.
Voici maintenant l'histoire du Logion Freer.
Ce logion vient aussi de la source Aristion, nous le savons déjà. Quelque lecteur de
la finale canonique frappé par l'hiatus manifeste eatre v. 14 et 15, aura été tenté de
le supprimer; il un beau passage d'Aristion pouvant servir à cet effet, et
connaissait
de la tentation il en vint au fait, il intercala ou ajouta en marge les lignes du logion
Freer. La nouvelle hypothèse du P. van Kasteren se place donc à côté de celles de
Conybeare, attribuant la finale canonique au « prêtre Ariston », et de Chapman pour
qui la finale du second Évangile et l'Epître aux Hébreux viennent du même auteur
Aristion.
Mais le P. van Kasteren veut sauver l'authenticité de la finale canonique, il dira
donc qu'Aristion est, non pas l'auteur d*i la finale, mais la source que Marc a utilisée
dans la composition de la finale et c'est de la même source que provient le logion
;

Freer, intercalé cependant entre les v. 14 et 15 par une main autre que celle de
Marc.
Cet Aristion, dont nous ne savons vraiment que le nom par Eusèbe et par un seul
ms. des Évangiles de l'an 986 qui porte ce nom en tête de la finale de iMarc, — cet
Aristion nous semble un dens ex machina dans la nouvelle hypothèse du P. van
Kasteren. Aristion doit être la source de la finale canonique et du logion Freer. Mais

est-ce que Aristion a composé des ouvrages, déjà avant Marc, pouvant servir de
source à celui-ci? Nous n'en savons absolument rien (2).

Ensuite Aristion doit donner raison et de la présence universelle de la finale cano-


nique, et de Yomission du logion Freer. Si un lecteur postérieur a observé l'hiatus

Eusèbe, qui parle d'Aristion (H. E., III,


(1) ", 14), ne dit pas que Papias ail puisé dans un
'»,

écrit d'Aristion (comme le veut le P. van Kasteren pour s. Marc et l'auteur du logion Freer). Il
s'agit là plus probablement, sinon sûrement, de discours ou traditions orales d'Aristion (4, 7).
2) Si le témoignage du ms. d'Edschmiazin mérite foi, il faudra le prendre tel qu'il est, et dire
que la finale n'est pas de Marc, mais d'Aristion. Ici le P. van Kasteren n'est pas très conséquent.
r.lO REVUE BIBLIQUE.

entre 14 et 15, et y a si facilement remédié par source — Aristion-, — pourquoi


Marc n'a-t-il pas pu le faire ou ne l'a-t-il pas fait, lui qui, comme auteur, connaissait
mieux son texte, et qui utilisait la même source?
L'opinion de Conybeare et de Chapman — qui attribuent la finale purement et
simplement à Aristion — n'a pas de fondement assez solide dans l'histoire du texte;
l'opinion de van Rasteren double cette hypothèse peu probable d'une nouvelle
iiypothèse encore moins probable, à savoir l'utilisation d'Aristion par Marc... hypo-
thèse compliquée encore par la question du logion Freer. — Le lecteur jugera lui-
même de la solidité de la construction.
Adhuc sub judice lis est!
Faut-il mettre à la place ou à côté de ces variations sur Aristion une autre hypo-
thèse plus heureuse? On en a déjà imaginé beaucoup, et aucune n'a réussi à rendre
compte de l'omission de la finale dans des manuscrits d'aussi grande autorité que le

Sinaiticus et \e Vaticanus aucune n'a expliqué la cause des dillérences manifestes


;

(quoi qu'en dise le R. P. van Kasteren) entre ces douze derniers versets du chap. xvi
et le restede l'Évangile.
Après examen objectif de la tradition diplomatique et patristique (1), personne ne
peut nier que la finale du deuxième Évangile se trouve dans des conditions aussi
favorables que n'importe quel écrit du N. T. considéré comme inspiré et canonique.
Or la reconnaissance, par les plus anciens témoins, de la canonicité de cette finale

nous donne une très forte présomption en faveur de son authenticité.


Contre cette tradition ancienne et universelle les difficultés de critique interne, que
nous ne nions pas, nous font cependant peu d'impression... Tant de causes absolu-
ment fortuites, qu'il serait vraiment oiseux et impossible de deviner, pourront expli-
quer pourquoi s. Marc, arrivé à la fin de sou Evangile, ait dû condenser en quel-
ques phrases mal cousues ensemble, ce que en des circonstances normales — — il

aurait raconté plus en détail dans son beau style si expressif. En critique aussi il

faut se rappeler l'axiome : malnm ex (juocurnque dcfeciu.

Rome.
F. J. VOSTK.

Corps expéditionnaire d'Orient. Fouilles archéologiques sur rempla-


cement de la nécropole d'Éléonte de Thrace (juillet-décembre 1915).
Extrait du Bulletin de correspondance hellénique, XXKIX (1915). ln-8" de
106 pages avec de nombreuses illustrations, et XII planches. Athènes, Sakellarios,
1916.

La Revue a déjà parlé de ces fouilles. d';ibord dirigées par l'un des nôtres, le

P. Dhorme (2), du 8 juillet au 22 août. Du 23 août au 25 septembre, M. Chamonard


les a continuées avec Dhorme. Du 26 au 30 septembre, la di-
la collaboration du P.
rection des travaux a été confiée au sergent Courby.
Le lieutenant Leone a dirigé les
dernières recherches, beaucoup moins fructueuses, d'octobre à décembre. Le colonel
Girodon, chef d'Etat-Major du corps expéditionnaire d'Orient, avait eu l'initiative de
ces fouilles. Au moment où nous rédigeons ce compte rendu, on apprend sa mort
glorieuse sur la Somme comme général. Regretté de toute l'armée, il le sera surtout
de ceux qui avaient su apprécier sa haute culture et son noble caractère.

(r Cf. I.Af.iiAXr.K, /. rit.


'i) Alors \o scrRcni Dhormr. aujourd'hui officier Interprète.
RECENSIONS. r,ll

Le rapport a été confir à M. Cluimouard, qui semble avoir pris soin de garder la

réserve l.i plus modeste, mais qui a dû laisser voir sa parfaite compétence dans l'anti-

quité grecque. Dans les circonstances si périlleuses où les fouilles ont été poursui-
vies, avec le concours d'obus qui ont rais à jour une tombe, mais aussi blessé un
travailleur, on pu découvrir qu'une partie d'une nécropole grecque. Il n'est pas
n'a
douteux que ce de la ville d'Eléonte ('EXa'.où;), colonisée par les Athéniens,
soit celle

Adèle à Athènes, et qui existait encore sous Justinien. Alexandre en partit pour aller
conquérir lAsie. Le rapport rappelle l'histoire de la cité, les tentatives d'identilica-

tion demeurées incertaines jusqu'à la guerre, et fait l'historique des découvertes,


commencées par le hasard qui lit éventrer des tombes de pierre pendant qu'on creu-
sait des tranchées sur le plateau d'Eski-Hissarlik. Vient ensuite la description de la

nécropole et le monuments découverts. Le


catalogue des mobilier funéraire se répar-
tit du vr' siècle au commencement du ii'= avant J.-C.
Une description de ce mobilier sortirait du cadre de cette Revtic. Peut-être u'est-il
pas sans intérêt pour l'histoire des idées religieuses dans l'antiquité, et spécialement
sur les destinées d'outre-tombe, de signaler une statuette en terre cuite de Déméter
assise, qui est de style égyptisant. Voici du catalogue (p. 91) « Sur un
la description :

troue, taillé à grands plans, sans accoudoir et sans autre ornement qu'une languette
arrondie aux deux angles du dossier, est assise une déesse dans une pose hiératique
qui rappelle celle des statuettes égyptiennes. La forme schématisée est réduite aux
contours, aux saillies des seins et des jambes. Le vêtement, dont on voit le bord
supérieur arrondi, s'étale sur le corps qu'il enveloppe étroitement, sans un pli. La
tête porte une Stéphane surhaussée. La chevelure encadre le front de trois rangs de
frisons. Le visage, avec ses yeux proéminents, son nez fort, ses lèvres épaisses et
un aspect morose.
closes, présente — l""^ moitié du v° siècle ». De la même époque
une Déméter du beau style classique. Si la statuette égyptisante est vraiment une
Déméter, n'y a-t-il pas là un indice important sur les origines du culte d'Eleusis,
dans le sens qu'a soutenu M. Foucart.^ L.)
BULLETIN

Nouveau Testament. — On connaît les excès de l'école eschatologique. L'école


libérale avait méconnu le côté surnaturel de la prédication de Jésus, et ce royaume
Par une exagération en sens opposé, les
céleste des élus qui en est le dernier terme.
eschatologistes lui prêtent une condamnation sans appel du temps présent, qu'il est
inutile d'améliorer puisqu'il est condamné à périr bientôt. Parmi les preuves que
Jésus s'est préoccupé au contraire de réformer les idées, de guérir les plaies, de
poser les principes d'une morale meilleure, M. Stepben Liberty place les relations du
Christ avec les. pouvoirs politiques du temps (1). Le Sauveur a opposé à leurs concep-
tions fausses du règne de Dieu des solutions qui doivent encore servir de règles à
l'Église. S'il ne s'est point directement occupé de politique, du moins ses paroles
peuvent régir l'attitude du cbristianisme envers les sociétés. L'idée est parfaitement
juste, et non moins fécond est ce principe que plus on est convaincu de la pleine
divinité du Chnst, plus on est disposé à mettre sa doctrine en œuvre pour le bien du
monde. C'est sans doute pour cela qu'on parle volontiers dans l'Eglise catholique du
règne social de Jésus-Christ, sans méconnaître la distinction essentielle du pouvoir

civil et de l'iiutoiité religieuse. Le texte capital sur ce thème est la décision sur le

tribut dû à César (Me. 12, 13-17 et parallèles). M. Liberty n'a eu garde de l'omet-
tre et l'a commenté judicieusement. Mais il était naturel qu'ayant choisi ce sujet, il
s'efforçât d'y ramener tout ce qui pouvait y avoir trait d'une façon quelconque. Il
fallait d'abord exposer l'idée que se faisaient les Romains de leurs droits et de leurs
devoirs comme maîtres du monde civilisé, et, en regard, les tendances qui avaient
prévalu chez les Juifs. Les Sadducéens sont représentés comme une aristocratie
égoïste, amie du plaisir, exerçant sans scrupule sa domination, soucieuse de ména-
ger les Romains puisqu'il le fallait, mais plus hostiles au fond que les Pharisiens au
joug politique étranger. Ces traits sont justes. Il est un peu forcé de les dépeindre
comme des brigands afin de leur appliquer plus directement l'apostrophe de Jésus
aux vendeurs du Temple. Les Pharisiens sont plus sincèrement disposés à laisser
agir Rome dans l'ordre politique, parce qu'ils attendent de Dieu le triomphe de leur
nationalisme étroit. Les Hérodiens estiment que le judaïsme doit s'entendre avec
l'empire, afin d'obtenir des Césars un traitement de faveur qui sauvegarde ses inté-
rêts vitaux.

Dans tout cela rien qui ne soit décrit d'un trait sobre et précis. Mais voici la nou-
veauté de l'ouvrage et, semblc-t-il, une originalité ()ui ne va point sans une illusion
subjective. M. Liberty est persuadé que le récit «le la tentation de Jésus au désert est

(I) The polit irai relations of ChriM'a mxnislry, witli a uew study ol llic Teniplalion ancJ au
appenilix on • the powers of Ihe Sanhédrin », hy Slcphen LinERTV. M. A., etc., in-»" de xxiv-
i;i7 p|i. numplircy Milford. Oxford, elc, i'A\i.
BULLETIN. 613

pleinement symbolique, et que les tentations, ou plutôt les réponses aux tentations,
marquent l'attitude de Jésus en face des trois tendances politiques du judaïsme, et
sont par là même une indication pour la pratique de l'Eglise avec les pouvoirs du
monde. Jésus y figure moins pour sa personne, opposant sa conception du messia-
nisme à celle que lui suggère Satan, (|ue comme renouvelant l'ancienne expérience
d'Israël, tenté dans le désert, étant ici comme le type du peuple nouveau. Pour en
venir au détail, vouloir se nourrir de pain sans attendre l'ordre de Dieu, c'est la
politique sadducéenne qui cherche ses satisfactions sans se soucier de la grande pro-

messe de Dieu; se jeter du pinacle du Temple, provoquer l'intervention divine


c'est

par des entreprises hardies contre les Gentils à la façon des Pharisiens; adorer
Satan pour posséder l'empire du monde, c'est le propre de la faction hérodienne.
Cette .exégèse est assurément subtile, mais combien faut-il y mettre du sien pour
trouver ensuite dans le simple évangile ces allusions aux intrigues politiques du
temps! Sans compter que les Pharisiens sont ici confondus avec les Zélotes, qui

n'étaient que leur extrême droite, ou plutôt formaient un parti à part, d'après
Josèphe. De sorte que le commentaire de M. Liberty n'est sans doute qu'une brillante
amplification dont un prédicateur pourrait très bien tirer parti; ce n'est pas l'expli-
cation naturelle du texte.
Autre opinion de justifier. Le gouvernement de Rome n'empê-
qu'il est difficile
chait pas leSanhédrin de mettre à mort. Si donc les Juifs ont tout fait pour que
Pilate prenne la responsabilité de la condamnation de Jésus, c'est qu'ils pensaient
que le crucifiement, avec ses hontes, était le supplice le plus propre à ruiner sa
cause. La question cette fois n'est pas nouvelle, et M. Liberty n'apporte pas d'argu-
ment nouveau pour son système. Les textes évangélistes y résistent. D'ailleurs si le

Sanhédrin avait le pouvoir de faire lapider le Sauveur, n'était-ce pas le meilleur


moyen de ruiner son influence pour jamais? Car enfin, condamné par le gouverneur
romain pour ses prétentions messianiques, il laissait le souvenir d'une victime de la
cause nationale; lapidé comme blasphémateur par les chefs de son peuple, sa mé-
moire était exécrée. Les ennemis de Jésus ne firent donc pas le raisonnement que
leur prête M. Liberty. Dans son hypothèse, on dirait plutôt que le Sanhédrin, crai-
gnant la sympathie du peuple pour Jésus, s'est assuré le concours de la force armée
romaine. Mais alors il lui suffisait de faire approuver sa propre sentence. De sorte
qu'en somme la solution qui ressort des textes est aussi la plus vraisemblable. On
peut seulement dire, pour expliquer la lapidation de s. Etienne et les autres cas, que
la présence et même la personnalité du gouverneur étaient des éléments notables,
et que la jurisprudence n'était point absolument fixée pour tous les cas imaginables.
Aveuglés par leur haine, les Sanhédrites ont fait du zèle, ils ont manqué de dignité,
eux les défenseurs d'un nationalisme méprisant, pendant que Pilate, trop insouciant
de la justice, « a sacrifié le plus véritable ami de l'humanité à la haine anti-sociale
d'un nationalisme étroit » (p. 129).
M. Liberty a certainement l'esprit très ingénieux, mais il a trop d'esprit. Il n'est
jamais permis de solliciter les textes, même pour le bon motif.

La guerre a vu paraître plusieurs livres de consolation.


Le R. P. d'Alès a pensé que le livre de la consolation par excellence était l'Écri-
ture Sainte ut per... consolationem Scripturarum, spem habeamus, et il a fait de
:

la moelle de son enseignement un charmant ouvrage, plein d'onction, qu'il intitule

Lumen vitae, Vespérance du salut au début de l'ère chrétienne (1). Comme pro-
(1) Petit in-8° de 282 pp. Paris. Beauchesne, 1916.
614 KEVUE BIBLIQUE.

logue, la paix romaine, ou le champ qui recevra la lumière, le mysticisme oriental,


ou le désir des âmes mal satisfait, mais toujours actif. L'aurore, c'est lespérauce
d'Israël, bu les prophéties messianiques, réalisées par la bonne nouvelle du royaume
des cieux dans les synoptiques, par la lumière et la vie dans la synthèse de
s. Jean. Le Christ en saint Paul, c'est la clarté se répandant sur les communautés
qui croient en .lésus; puis remonte au ciel elle par l'Apocalypse de saint .lean. Avec
un érudit comme marche en assurance; tout est puisé aux bonnes
le P. d'Alès, on
sources, et l'agrément ne cache aucun piège. Il semble regarder le mysticisme
oriental comme une préparation positive au christianisme, s'il faut prendre à la
lettre cette conclusion « En affirmant l'immortalité de la personne humaine et la
:

réalité du bonheur réservé dans un autre monde à la vertu, l'Orient a déplacé


l'axe de la vie, inspiré la préoccupation des choses d'en haut. Vienne le divin
Semeur, il trouvera le champ déjà labouré » (p. 73). D'ailleurs il n'ignore pas les
mauvaises herbes qui faisaient obstacle même au labour, et peut-être la formule
de conclusion aurait-elle dû les rappeler. Citons encore, sur la parousie, ces
termes mesurés autant qu'élégants : « Si, d'aventure, nous les (les apôtres) surpre-
nons à mettre dans leurs sommations quelque chose de particulièrement pressant
et à dépeindre la venue du Souverain Juge comme imminente, nous inclinerons à

croire que leur parole reflète l'émoi de leur zèle, plutôt qu'une conviction formée,
sur des points ou les disciples n'en devaient pas savoir plus que le Maître n'en avait
voulu savoir » (p. 235 s.).

Ancien Testament. — Parmi les manuscrits que comprend la collection Freer


si justement célèbre se trouve un psautier fragmentaire qui se date approximative-
ment entre le V
et le vin^ siècle (1). Écrit en dialecte sahidique. il provient très
probablement du Fayoum, en dépit des racontars qui courent sur la découverte des
fragments appartenant à cette collection. Ce psautier, que son éditeur, M. William
Worrel, désigne par la lettre F, ne présente pas de nouveautés textuelles bien
remarquables. Comparé avec le psautier L-, du vi" siècle, publié par Budge et qui est
complet, il n'olîre guère que des divergences orthographiques et, plus rarement, des
différences dialectales. Le manuscrit a été reproduit par l'éditeur autant que possible
ligne à ligne. Le texte de L a servi à combler les lacunes provenant du mauvais
état du parcliemin. Un fragment de Job (xxiv à xxvii) collationné avec l'édi-

tion de Ciasca termine cette publication qu'accompagnent six planches de photogra-


vures. L'ensemble forme un volume des mieux soignés.

Langue hébraïque. — La monographie de M.. Cari Gaenssie sur la particule


hébraïque arhrr (2) met fin selon nous à de longues discussions et aux incertitudes
de la grammaire Gesenius-Kautzsch. L'ancienne opinion — Ewald, Bccttcher,
Sperling, etc. — regardait luJN et "é comme ayant la même origine. Il restait à
expliquer comment l'une des deux particules relatives était sortie de l'autre, ou
d'une racine commune. C'était la question d'étytnologie. Elle se nouait à une autre
question plus importante. Le mot "iw'N est-il originairement un démonstratif qui
n'est devenu relatif qu'en conservant son sens démonstratif antérieur? C'était
lopinion de M. Baumann. — M. Gaenssie adopte résolument la manière de voir de

(1} ^VlI,I.|A»^ WoiiriF.i.. Thr coplic ï'saUer in llie Frrer collection, iii-4" ilc xxvi-llj pp., (! pl:in-
ches. New-York, The Macmillan Company, 1910.
(•2 The Hi'hrew Partirle "1U?N, b) Cari Gaenssi.f., thèse de doctorat en pliilos<)(iliie à II iiiver
site de Chicago, in-8" «le 142 pp. Mars VJVi.
BULLETIN. 615

Fleischer, Fried. Delitzsch, Homrael, etc.. qui distingue complètement xj et I^N.


I^a particule IwX était originairement un substantif,
que l'assyrien asaric le même
qui tournait lui aussi au relatif. En hébreu révolution fut beaucoup plus complète,
si bien que les Hébreux avaient perdu de vue le sens primitif de « lieu », « place ».

Il demeura seulement un emploi adverbial, emploi qu'aucun dialecte sémitique ne


pratique avec un démonstratif. Il est vrai qu'en revanche les autres dialectes se sont
servis de démonstratifs pour exprimer la relation; mais l'usage hébreu n'est pas sans
analogie dans d'autres langues. La démonstration se poursuit en montrant les
inconvénients de la syntaxe telle que l'entend M. Baumann. Il est obligé, prenant
1U\X comme étant à l'origine un démonstratif, de résoudre la phrase relative en
deux phrases moins liées, et même à admettre deux démonstratifs successifs pour le
même antécédent. L'appui qu'il a cherché dans la grammaire telle que l'entendent
les Arabes ^^syntaxe du 'Aid) ne saurait lui donner raison. Substantif à l'origine,

employé presque comme adverbe, puis comme nota relatlonis, l'an et ses composés
s'emploient aussi comme conjonction. Dans certains cas i*kL*x marque la cause, mais
M. Gaenssie s'étonne qu'on n'ait pas encore distingué la clause simplement causale,
et la clause causale qui est en même temps relative. Or lui-même ne détruit-il pas sa
distinction? Car, du moins dans la traduction, il faut choisir, et nous pouvons
adopter cette règle de l'auteur que quand lUN a un antécédent auquel il peut aisé-
ment se rapporter, la construction relative doit être préférée à la conjonction.
JN 'est-ce pas avouer que nous ne sommes plus dans la clause causale? Par exemple
II Sam. 2, 5 : Soyez bénis de lahvé [n'H "TOnn Dniuy "1U;n] : si l'on traduit avec
la Version révisée that ye, •parce que vous avez fait cette charité, la proposition est
causale; mais si l'on traduit avec la Vulgate : Qui fecistis misericordiam hanc, la
construction est relative. L'idée de cause n'apparaît plus formellement, quoiqu'elle
soit naturellement contenue dans le sens général. Mais, quoi qu'il en soit de ce
point, l'analyse de M. Gaenssie est claire, la discussion des exemples judicieuse. Il
y
a toujours profit à traiter à fond des siyets restreints lorsque l'auteur est à même
de les rattacher aux grandes lignes de la grammaire.

Pays voisins. —
La Revue a donné cette année même (p. 262 ss.) une analyse
du document « sumérien » que M. Langdon a publié sous ce titre alléchant :

« Épopée sumérienne du Paradis, du déluge et de la chute de l'homme. » Qu'en ont

pensé les assyriologues allemands? On ne saurait le dire. Mais en Amérique même


M. Dyneley Prince, appuyé par d'autfes spécialistes, a proposé un sens tout diffé-
rent (1). Que ce soit moins une épopée qu'une incantation, nous l'avions déjà fait
remarquer, en notant les répétitions, attestant que la récitation avait une certaine
efficacité. Mais ce qui est plus grave, c'est que M. Dyneley Prince lise une inon-

dation bienfaisante, là où M. Langdon avait vu un déluge destructeur. En effet il


regarde comme un pa3's ruiné par la sécheresse ce Dilmoun. terre bienheureuse et
Éden de M. Langdon. Celte différence ou plutôt cette contrariété tient à peu de
choses. Il suffit de lire « le lion ne tuait plus », au lieu de « le lion ne tuait pas »,
:

et d'expliquer cette mansuétude du lion parce qu'il n'y avait plus rien à dévorer.

Au lieu de voir au neuvième mois la cessation du déluge, M. Prince y voit le point


culminant des eaux. Ce serait le phénomène de l'inondation du Tigre et de l'Eu-
phrate. La présence du bateau est un indice assez clair du déluge. Pourtant
M. Prince a fort habilement détourné le coup. Nous avions déjà noté contre

'1) Journal of Un: American Oriental Soctely, vol. M, Part I, Juiu l'JUi. -. The So-called Epie
of Paradise », p. 90-114.
616 REVUE BIBLIQUE.

M, Langdon que « mon roi » u'est pas le jardinier Tagtoug (ou, comme prononce
M. Priuce, Tagkii ou Taggou). « Mon roi » serait Ea lui-même, monté sur un
bateau pour diriger l'inondation. Et eu effet « mon roi » est bien Ea, qui permet

à Tagkou de manger des du jardin, sans doute à l'exception de la cassia,


fruits

puisque le héros est maudit pour avoir mangé de ce fruit. L'expression de cette
malédiction était fort obscure dans l'anglais de M. Langdon. iM. Prince traduit :

« Il ne verra pas la face de la vie au moment où il mourra », The face of life, at the

Urne ichen lie dies, hc sliall not behold. Comme il ne peut être question d'ajouter ce
vers aux couplets de M. de la Palice, il faut entendre que Tagkou ne sera pas
immortel, et il semble, par ce qui suit, qu'il est assimilé aux autres hommes pour la

tête, le pied (?) et les yeux. Dans le texte Langdon, on pouvait croire que cela était
dit des deux créatures données à la déesse par Éa pour la dédommager du malheur
de son favori. Mais ces deux créatures deviennent deux sanctuaires.
Nous étions d'avance d'accord avec M. Prince, qui ne voit aucune liaison histori-
que entre l'épilogue et le récit qui précède. « Dans Rev. III, on semble faire allu-
sion à un conseil des dieux qui décide le traitement qui convient à chaque maladie.

Suit une de formules d'adoration (en réalité des rubriques d'incantation) à


série
certaines divinités qui président à divers maux « de l'humanité u (p. 93).
" Le compilateur, dit M. Prince, s'est servi de la sécheresse annuelle et de l'inon-
dation annuelle qui y met un terme comme d'un staffage pour y construire
l'adoration spéciale d'Éa, avec la leçon contenue dans l'hymne (car c'était réelle-
ment un hymne) que l'arrosage doit être sous la direction d'un jardinier qui appa-
raît ici une personne spéciale, peut-être un demi-dieu, agissant sous la
comfflie

direction deNintou. la mère du pays, mais toujours avec l'assentiment d'Éa »(p. 94).

M. IMorris Jastrow junior, assurément très compétent pour tout ce qui regarde la
religion assyro-babylonienne, propose une autre interprétation très dillV'rente (1).

D'après ce savant, notre texte est une vue sumérienne sur l'origine des choses.

Nous sommes dans un pays où il n'y a encore ni bêtes, ni gens, quoiqu'il y ait une

cité où Enki (Ea) habite seul avec Ninella, sa fille et son épouse. Si le lion ne dévo-
rait pas. si l'on n'avait pas mal à la tête, ce n'est pas qu'on fût heureux ou en proie
à la sécheresse, c'est qu'on n'existait pas, faute d'eau. La déesse demande ces eaux,
et elles vont en effet couler, mais à la suite d'un rite de fécondation. L'union du
dieu et de la déesse serait racontée avec le réalisme le plus cru. Après cela vient
l'inondation, qui dure à peu près neuf mois, comme la gestation. Il ne saurait évi-
demment être question d'un déluge destructeur : Ea monte dans son vaisseau divin.
Takkou est un dieu comme un
il n'a donc pas éehappé au déluge, et il ne
autre-,

figure plus dans l'histoire des arbres.Son rôle est épisodique et peu clair.
TS'ous voyons ensuite Ousmou, messager d'Enki, instruire quelqu'un, probablement

le premier homme ou l'humanité, de l'usage des plantes et des arbres. Mais il n'en

interdit aucun; si l'homme doit mourir, ce n'est pas qu'il ait désobéi; c'est sa desti-
née. Ce que nous avons nommé l'épilogue est l'énumération des dieux créés pour
remédier aux fléaux qui atleiiiiient les troupeaux et les hommes; tout se termine
par une invocation à ces dieux.
En prenant les choses de la sorte, M. .lastrow devait comparer le nouveau texte à
deux documents assyro-babyloniens déjà connus (2). L'un est la grande épopée de
l'organisation du monde par Mardouk, vainqueur des monstres et en |»artieulier de

(1) Mi-nic Ucviie, mcmc numéro : The Sumerinn Vieu) of Bcijitiuinun, |>. IW-l.l.'i.
ii) Us snni imblii's. Ira<liiils et dons Choix de textes religieux assyio-liahylo-
(((iiitiiciili-s

nient, par le I'. Dhorme.


BULLETIN. 617

Tiamat; l'autre, en « sumérien » et en assyrien, suppose le monde déjà existant,


mais sans véi^étatioD, sans animaux, sans hommes, quoiqu'il possédât déjà des cités
où les dieux vivaient sans adorateurs. Naturellement c'est de ce second texte que se
rapproche le poème sumérien de Langdon, el M. .lastrow en conclut à deux vues
sur l'origine des choses, l'une accadienne ou sémitique, l'autre sumérienne. On sait
que ces deux récits ont été comparés aux deux récits de
Genèse (1-2, 4, et la

2, 5 ss.). Si l'on voyait une chute de l'homme à propos de l'arbre dans le texte
Langdon, la comparaison proposée par M. Jastrow serait beaucoup plus frappante.
Mais il se refuse à l'y trouver. Les analogies seraient donc relatives seulement à la
fertilité donnée au sol par l'eau, et à la production des hommes. Il faudrait aussi

noter, si M. Jastrow a bien compris le texte où il voit l'union d'Éa et de la déesse,


combien ce procédé de magie sympathique est grossier, tandis que le Dieu de la
Genèse, si condescendant et si familier, demeure le Créateur qui domine absolument
l'œuvre de ses mains.
Mais que penser de l'interprétation du texte « sumérien » ? Nous n'avons pas la pré-
tention de pénétrer dans les arcanes de la philologie sumérienne, et les circonstances
nous empêchent de recourir au P. Dhorme, dont nos lecteurs ont apprécié la com-
pétence.Nous devons cependant les informer, et, pour ainsi dire, marquer les coups,
en attendant que les sumérologues se soient mis d'accord.
Il semble d'abord assez assuré qu'il faut renoncer au déluge. Ce n'est pas pour
l'argument de convenance avancé par i\I. Jastrow. D'après lui, le récit de M. Poebel,

(/?/}., 1916, p. 259 ss.). absolument parallèle pour la forme extérieure aux tablettes
de Langdon, traitant manifestement du déluge dont le héros a un nom différent de
Tagkou, le texte Langdon doit traiter d'autre chose. I^'argument, disons-nous, n'est
pas concluant, parce que le texte Poebel commence par la création, et il n'y a rien
d'impossible à ce que le héros du déluge ait eu différents noms, selon les traditions,
même en sumérien, d'autant que le nom du héros de Poebel n'est pas celui du
héros dans le poème de Gilgarnès. Mais nous avions déjà noté combien le déluge est
invraisemblable de la part d'Ea, le dieu sauveur, et après constatation que le pays
avait besoin d'eau. La solution proposée par nous n'était qu'une échappatoire, si

le déluge était certain comme il fallait le croire sur l'autorité de M. Langdon, mais
il n'en est rien. La preuve du déluge, c'était l'existence du bateau, monté par un
homme destiné à y échapper. Mais nous avions encore noté que « mon roi », qui
monte dans le bateau, n'était pas Tagkou; d'après M. Prince, M. Jastrow et de l'aveu
de M. Langdon lui-même, c'est le dieu Éa, dont parle son messager. Alors le dieu
monte dans sa barque pour diriger l'inondation qui amène la fertilité dans le pays,
etil n'y a pas de déluge.

Ce point admis, que penser du début? L'hypothèse d'une sécheresse, proposée par
M. Prince, ne repose sur rien; elle est peu en harmonie avec le texte, car une séche-
resse ne fait pas périr tout le monde. Et il eût été plus à propos de la décrire direc-
tement que de constater que les bêtes de proie ne dévoraient plus parce qu'elles
n'avaient plus rien à dévorer, ou que le mal de tête et les ophtalmies avaient disparu
parce qu'il n'y avait plus personne. Mais ne peut-on pas faire la même objection au
système de M. Jastrow? Il était si simple de dire : il n'y avait encore ni bêtes ni
gens. D'autant que la cité existe. D'autre part on ne peut trop insister sur ce point.
Comme le prouve le texte parallèle, les cités ont été créées avant les hommes. Et
dans deux vers du Recto, 7 et 10, il est dit expressément que Éa et la déesse y
habitaient seuls. Il se pourrait donc que le poète ait désigné l'absence des êtres en
constatant qu'ils n'exerçaient pas leur activité ordinaire.
618 REVUE BIBLIQUE.

D'après cette interprétation, il est difficile de ne pas voir un liomme dans Tagkou,
quoiqu'il soit qualifié de dieu, ce qui serait naturel s'il était le fils d'Éa et de la
déesse. Il semble, quoique le texte soit lacuneux, que c'est le même auquel le dieu
transmet ses instructions sur les arbres dont il pourra manger. Quoique la prohibi-
tion de la cassia ne se trouve pas actuellement dans le texte, du moins tel qu'on
l'interprète, la malédiction qui suit s'explique au mieux si l'homme a mangé d'un
fruit défendu. M. Jastrow objecte (ju'on n'eût pas regardé comme interdit l'usage
d'une plante considérée comme un remède utile. Mais il fallait précisément que
l'obéissance portât sur un objet de valeur. Il eiU été trop simple d'interdire un
poison.
L'homme ayant mangé de la cassia est déclaré mortel et assimilé aux autres
hommes. Ce n'était donc pas le premier homme, et il n'y a jusqu'à présent aucun
indice que les Babyloniens — ou les Sumériens — aient connu un premier homme,
père de tous les autres. D'après eux les hommes sont créés, non le premier homme.
L'idée d'un péché orginel ne résulte donc pas de notre poème. L'auteur ne lui

avait sans doute pas donné une unité très stricte, et nous maintenons, avec
MM. Prince et Jastrow, que l'épilogue n'est nullement une suite de l'histoire.
Pourtant on ne peut négliger l'idée qui circule à travers toute cette liturgie. Au
début il n'y a pas de maux,une recette divine pour connaître
et l'épilogue est

les dieux qui préservent de certains maux. Dans le corps du morceau, on voit le
favori d'une déesse, peut-être son fils, perdre l'immortalité et devenir semblable
aux autres hommes, parce qu'il a mangé d'un fruit défendu. Ce n'est point un récit
de la chut*,du premier homme, fatale à toute Sa descendance, mais c'est une leçon
pour tous les hommes, car, si un homme instruit par les dieux a manqué l'immor-
talité, et s'est trouvé exposé aux maux qui amènent la mort, que tous apprennent
à demander aux dieux, et ils savent désormais auxquels, le remède de leurs maux,
et qu'ils ne s'y exposent pas par désobéissance.
M. Jastrow a promis une étude détaillée d'un texte aussi important. Il faut
attendre ses explications, et sans doute d'autres encore, avant d'en posséder le

sens définitif.

Il y a toujours dans la Revue d' Jssyriologie et (VArch/'ologie orientale des docu-


ments inédits de prehiier ordre (1). A propos d'une inscription datée du règne de
Narâm-Sin, M. Thureau-Dangin indique un mode de notation chronologique assez
naturel en soi, mais assez étrange dans sa forme. Il était naturel de dater des évé-
nements à partir de l'année précédente. Par exemple pour Narâm-Sin, la première
année après qu'il avait vaincu neuf armées et fait prisonniers trois rois. Mais ce qui
est étrange, c'est la notation abrégée « année où (tel événement s'est produit) »

pour signifier « première année depuin que tel événement s'est produit
: ». De

sorte que « l'année d'un roi » désigne l'année pleine qui a suivi son avènement.
Cet usage ne paraît pas douteux, car dans (certains cas un événement important
devrait, sans ce recul, s'être passé dans le premier mois de l'année, date de la
tablette. Peut-être pourmit-on usage de cette clef dans la question si difficile
faire

de la chronologie biblique. On que dans le cas d'Amos la date indiquée est au


sait

contraire « deux ans avant le tremblement de terre » (Ara. 1, 1).


Le même savant publie une inscription sémitique de Kudur mab lU « qui installa
successivement sur le trône de Larsa ses deux fils Arad-Sin et lUm Sin » (p. nij.
M. Thureau-Dangin pense (\w ces deux ncims désignent bien deux personnes, ce (|ui

{\) Oiuicmi' voluuif, 11 cl III, l!Mi.


BL'LLKTIN. 619

est a noter pour la question de l'ArioR de la (lenèse (14, t). Kudur-mahuk lni-

mt-me ne portail pas le nom de roi, mais celui de père du pays d'Euuitbal. Il parle
du clair outendfim'ut (|uc Dieu lui a donné ». Itu aurait ici un sens collectif, « le

dieu » pour « les dieux » ; mais ce serait en tout cas une manière d'exprimer que
les dieux forment un groupe qui est « la divinité ». On sait que les (Irecs s'expri-

maient de la même façon, parlant de Dieu, sans rejeter pour cela le polythéisme.
Sous les Séleucides on copiait encore des textes « bilingues ». L'un d'eux vient
d'entrer au Louvre. M. Thureau-Dangin qui l'a interprété avec sa maîtrise ordinaire
lui donne le nom d'exaltation d'Ichtar. Ce serait « en quelque manière la contre-
partie du célèbre récit de la descente d'Ichtar aux enfers » (p. 141).
Le dieu suprême, Anu, a lui demandent de la prendre
possédé Ichtar. Les dieux
pour femme légitime, de donner la royauté du ciel. Anu y consent, et Ichtar
lui

devient Antum. Voici les paroles d'Anu sur l'ordre qui règne dans les cieux :

Dans les éternels fondements du ciel et de la terre, dans les immuables ligures des
<•

Au commencement, Anu, EUil et Éa ont fait des parts [dieux, :

Pour les deux dieux, les veilleurs du ciel et de la terre, qui ouvrent la porte d'Anu,
Pour Sin et Samas il y eut deu\ parts égales, le jour et la nuit;
De la base au sommet du ciel ils ont fait connaître leurs mesures du temj)s.
Comme des épis se presse la niasse des étoiles du ciel. »

On que Sin et Charaach sont la lime et le soleil. Leur rôle est le même que
sait

celui Genèse leur assigne (Gen. 1,14 ss.}, mais dans la Bible ce sont de
que la

simples créatures, créées pour leur ofûce ici les constellations sont les immuables :

figures des dieux. Le lune parmi les étoiles, serrées comme des épis, n'est-ce
pas déjà :

Cette faucille d'or dans le champ des étoiles?

Le succès si mérité de Chrlstus n'a point ébloui le R. P. Huby qui en a conçu et


dirigé l'exécution; le dixième mille représente une édition « considérablement
augmentée (1) ». Nous ne pouvons indiquer ces améliorations. A propos de la rehgion
des Perses, on eût dii mentionner l'article du P. Dhorme sur la religion des
Achéménides (2). L'auteur n'est point spécialiste des choses de l'Iran, mais il a
traité d'une façon vraiment originale la comparaison d'Hérodote avec les textes des
Achéménides, en s'éclairant de tout ce que les inscriptions babyloniennes nous
apprennent de Cyrus. L'idée principale de l'article, qu'Hérodote a en vue la religion
des Mages, qui était plutôt celle des Mèdes, tandis que les Achéménides sont des
Perses purs, méritait d'être discutée par M. Carnoy dans son étude sur la Religion
des Perses. D'ailleurs nous aimons à rappeler que l'opinion de M. Carnoy n'est point
éloignée de celle qui a été soutenue dans cette Revuf; (3), à la condition cependant
de ne pas identifier la nôtre avec celle de Darmesteter. Darmesteter admettait
l'influence de Philon sur l'Avesta. Nous avons proposé de remonter au temps de
Mithridate le Grand, 150 av. J.-C. (4). D'ailleurs ce qui importe le plus, ce n'est pas
la question de date, c'est de caractériser la religion de Zoroastre. Il ne faut pas
oublier que nous avons commencé la campagne au moment où prévalait l'opinion
d'un savant aussi dominateur qu'Edouard Meyer, d'après lequel « chaque mot des

(1) Christus, Manuel d'histoire des religions, par J. Huby, in-8" de xx-l3l8 pp. Paris, Beau-
chesne, 1916.
(•2) RB., 1W3, p. 1.-; ss.
(3) 1904, p. 27-5o; 188--21-2.
WRB., 1904, p. 45.
REVUE BIBLIQUE' 1916. — N. S., T. XIII. 40
620 REVUE BIBLIQUE.

inscriptions de Darius nous montre en


un zoroastrien (t) ». Nous sommes heu-
lui

reux de voir au contraire M. Carnoy opiner « que ia réibrrae de Zoroastre ne

paraît, somme toute, avoir été admise dans toute sa pureté que par un petit nombre
d'adhérents (2) ». On pourrait se demander si l'insistance vraiment étrange des
Achéménides à glorifier Ahuramazda, sans d'ailleurs rejeter les autres dieux, ne
s'expliquerait pas mieux par le parti pris d'écarter un rival, qui serait le génie du
mal, que par un sentiment plus ou moins monothéiste. Zoroastre, lui, est un apôtre
convaincu du dualisme, et c'est l'importance suprême de sa doctrine. La réforme
de Zoroastre mérite donc beaucoup moins que celle des Achéménides le nom de
religion Mazdéenne que lui donne M. Carnoy. Ou plutôt la religion des Achéménides
est la religion Ahuramazdéenne. La séparation des mots ou le renversement de
Ahura et de Mazdâh qui se trouve dans l'Avesta, loin d'être une preuve d'antiquité,
indique la réflexion théologique; on ne trouve chez les Grecs que la l'orme des
Achéménides.
On pourrait encore recommander Christus même aux personnes qui n'ont aucun
goût pour rhistoire des religions, ne fut-ce que pour l'esquisse d'un si beau trait qui
dessine la vie de l'Eglise chrétienne. Le nom du R. P. Rousselot se retrouve dans
toule cette partie, avec celui de MM. Huby, Brou, et de Grandmaison. Le charme
de ces pages, où l'érudition, la pensée théologique et mystique, se fondent dans un
sentiment si ardent de la beauté intellectuelle et morale du christianisme, sont,
hélas! en ce qui regarde le P. Rousselot, des novisswia verba. Ces derniers fruits
d'un talent déjà mûr inspirent les plus amers regrets à ceux qui ont connu ce reli-
gieux si sympathique, tombé bravement au champ d'honneur. Nous voudrions ne pas
lui attribuer une note assez embrouillée, destinée, à ce qu'il semble, à atténuer cette

affirmation trop absolue du texte « On est stupéfait de voir combien rapidement,


:

depuis la mort de saint Thomas d'Aquin, s'est perdue l'intelligence des grandes idées
scolastiques » (p. 11-51). Il fallait bien rappeler que l'école dominicaine était de-
meurée fidèle au thomisme et en conservait la tradition. IMais on insinue qu'elle n'a
pas échappé au danger d'en perdre l'esprit en en gardant la lettre, et qu'elle n'a pas
osé « réformer pour conserver ». Et, en effet, les thomistes n'ont jamais eu l'intention
de réformer saint Thomas. A-t-on été plus heureux quand on a voulu en tirer sinon
le molioisme, du moins le congruisme.?

Palestine. — Il faut féliciter le comité du Quarterly Stalemeni du Palestine


Exploration Fund d'avoir continué sa publication malgré tout. Les fouilles ne sont
plus possibles en Palestine, et le Ministère de la guerre lui a même demandé
qu'il ne publiât ni sa carte du Sinaï, la seule qui fût digne de ce nom, et qui venait

d'être achevée, ni même la réédition mise à jour de l'ancienne carte de Palestine


en six feuilles. Mais le Fund étant installé à Londres depuis sa fondation possède
encore des matériaux à publier.
Janvier 1!)16. Notes de circonstance sur lea habitants modernes de la Palestine, par
MM. Masterman et Macalister. C'est la légende du Sultan Badr, dont le sanctuaire
est au village de Deir ech-Cheikh, à droite de la voie ferrée de Jaffa à Jérusalem.
— Suite de VOrient immuable, de M. Philippe Baldensperger ; toujours habits et

modes. - Les Juifs bâtisseurs, conférence de M. Archibald C. Dickie, à la Société


Égyptienne et Orientale de Manchester. Les vues de M. Dickie, associé i^omme

(i) Geschichle des Alterlfiums, 3 vol., 1901.


(i) C/iristus, p. .'ti7.
BULLETIN. 621

architecte aux fouilles de INI. Bliss, ont naturellement le plus grand intérêt. Les
premiers rudiments pour l'ori^anisation de rhal)itat humain sont les grottes, dont les

plus heaux types onl été relevés par M. Macalister à Gézer. C'était l'installation des
races néolithiques, vers 3000 av. J.-C. Les Sémites supplantent ces troglodytes vers
2Ô00. Tout leur elfort se porte vers les lortifications, et ils réussissent à élever de
fortes murailles autour de hauts lieux très restreints. — Nos lecteurs ont présent à
la mémoire le groupement comparatif de ces enceintes dans le Canaan, du P. Vir-

cent. — Les Hébreux vainciueurs de ces Cananéens ne firent guère qu'améliorer la


disposition intérieure des villes. M. Diekie attache une importance particulière au
parapet, prescrit par la loi, qui entourait les terrasses plates; il le retrouve, donnant
une physionomie particulière à l'art juif, même lorsqu'il fut presque complètement
sous l'influence des Grecs. Les premiers Hébreux, comme leurs prédécesseurs les
Cananéens, pratiquaient humains de fondation. Dans les temps posté-
les sacriflces

rieurs, la victime était remplacée par une lampe entre deux vases, symbole du sacri-
fice. Que pense M. Diekie des constructions saloraonieunes.? Il a vainement cherché

l'appareil du Temple, quoiqu'il attribue certaines pierres des murs actuels à cette
époque, with some cevtainli/ (p. 32). Mais le Temple fut construit par des architectes
phéniciens, bien supérieurs aux Juifs, et n'eut pas grande influence sur le dévelop-
pement normal de l'art juif. Lorsque Hérode rebâtit l'enceinte dont nous admirons
encore certaines parties, ce fut une œuvre du génie romain mis au service du judaïsme.
— Notes sur Damas, par M. F-. G. Newton. —
1. Arche romaine^ au nord de la

porte Nord, dans le mur d'enceinte du Temple. — 2. Ruines à la maison d'Ananie.


Les touristes sceptiques, ne voyant rien que de moderne dans la maison d'Ananie où
l'on conduit les pèlerins, sont tentés de la prendre pour un sanctuaire de création
moderne. Pourtant M. Poster, il y a soixante ans, y avait déjà noté des fragments
de murs anciens, sur lesquels M. Ilanauer a de nouveau appelé l'attention. D'après
M. Newton il y eut là probablement une église byzantine nommée « église de la

croix » et remplacée par une mosquée. L'église moderne, selon toute apparence,
était la crypte de l'église byzantine. Cette découverte est incontestablement favorable
à l'authenticité, car on sait le goût des Byzantins pour ces sanctuaires commémoratifs.
— Notes archéologiques, par M. Joseph OfTord. VI. Une inscription récemment décou-
verte concernant la guerre juive d'Hadrien. Cette inscription est latine, elle a été
découverte à Gérasa, et publiée dans le Journal of Roman studies. Elle émane des

équités singiilai'es garde équestre d'Hadrien, qui ont hiverné à Gérasa


ou de la

nommée alors Antioche sur le Chrysorhoas. M. C. L. Chessman, tué depuis aux


Dardanelles, l'a commentée et en conclut qu'elle date du temps de la guerre juive;
ce serait un indice nouveau de la présence de l'empereur à la guerre. VII. Une
inscription araméenne de Taxila. Ce texte, d'environ le iv" siècle av. J.-C, est le
premier qu'aient fourni les Indes. VIII. Culte d'Isis, ou plutôt absence du culte
d'Isis dans le pays occupé par les Juifs. C'est une conclusion négative tirée du

papyrus dont il a été question ici même (fiB. de cette année, p. 291). IX. Notes juives,
spécialement sur les documents égyptiens qu'on peut rapprocher de l'Exode. —
Recensioîis et Bonnes paroles sur le passé et l'avenir de l'École biblique
notices.
et de cette Revue, dont on est touché et reconnaissant.
Avril 1916. —
Notice sur M. le Colonel sir Charles Moore Watson, président du
Comité, décédé le 1.5 mars 1916. L'École biblique française se range parmi ceux qui
ont ressenti le plus vivement cette perte. — Notes de circonstance sur les habitants
modernes de la Palestine, par MM. Masterman et Macalister (suite). Toujours le

sultan Badr. — Suite de l'Orient immuable de M. Baldensperger, Toilette. — Poids


622 REVUE BIBLIQUE.

hébreux dans le livre de Samuel, par M. E. J. Pilclier. Il s'agit encore du passage


I Sam. 13, 19-22, jusqu'à présent inintelligible (cf. Q. St. 1914, p. 99; 1915, p. 40j.
Suivant les suggestions de iMM. Segal et Rafaelli, M. Pilcher prend le mot payam

(es) dans le sens d'une unité de poids qui s'est rencontrée sur deux ou trois échan-
tillons récemment découverts. Un poids est naturellement l'expression d'imc valeur.

Le sens serait « Et tout Israël descendait vers les Philistins pour faire forger chacun
:

son soc de charrue ou son eth (hoyau?), et sa hache et son aiguillon; et l'imposition
était un payam pour les socs de charrue et pour les cthim, et trois q'dlechùn pour

les haches et pour mettre une pointe à l'aiguillon ». D'après M. Pilcher, un imynm

équivaudrait à un shelling et demi, soit, pour un Hébreu du temps de Samuel, à


vingt-quatre journées de travail. INIais le qillcchôn, assimilé au karacha des papyrus
d'Eléphantine, vaudrait une livre, quatorze shellings, G d. c'est-à-dire un an et demi
de travail. Ce rapport des deux sommes imposées est manifestement impossible.
Mettre une pointe à un aiguillon ne peut coûter vingt fois plus cher que de faire
forger un soc de charrue. S'il est ici question de prix, il faudrait suivre les Septante
qui ont lu trois sicles, et peut-être s'éloigner d'eux en traduisant non pas « faire
forger » mais « faire » réparer un instrument déjà existant. — iSoms théophorcs baby-
loniens et hébreux, par M. Joseph OlTord, dans le but de montrer l'analogie très
étroite des idées sur les rapports de l'homme avec la divinité. ISotes archéolo- —
(jiques, par le même. Le mot fils, dans la terminologie cunéiforme, peut signiQer

seulement successeur-, c'est donc bien Jéhu qui est qualifié fils d'Omri sur l'obélisque
de Salraanasar II, quoiqu'il n'ait été que son quatrième successeur. — Sur Bel-
chazz^c, fils de Nabonide. — Un
araméen sur les côtés d'une tablette baby-
texte
lonienne prouve définitivement qu'un paras équivaut à une demi-mine. C'est à noter
pour le commentaire de Daniel 5, 25. —
D" H. Clay TrumbuU and Kadenh-Bornea,
I\I. le Professeur Camden M. Cobern s'en prend vivement à M. Lawrence qui s'était per-

mis de trouver trop lyrique la description de 'Ain Qedeis par M. Trumbull. Et sans doute
M. Lawrence n'entendait pas rabaisser les mérites de M. Trumbull. Or M. Cobern
écrit :
/)• Trumbull, like most of as Amcricans, enjoyed using a rather tropical and

Oriental rhetoric. Nous nous serions contentés de suh-tropical ! Notes et questions. —


Juillet 1916. — La Société anglaise de Palestine devait un' hommage à la mémoire

de Lord Kitchener (I8.>0-1916}, enlevé dans la tragique catastrophe du 5 juin. Car


ce brillant soldat, cet organisateur éminent avait débuté en Palestine, où il fut em-
ployé à dresser la première carte, de 1871 à 1878. Ce fut peut-être même le principe
de sa fortune, car sa connaissance de l'arabe contribua à lui assurer un poste dis-
tingué dans la cavalerie anglaise durant les troubles de l'Egypte. En 1883 il s'occupa
encore de géographie dans la péninsule sinaïtique. Le reste de sa carrière appartient

à la grande histoire. Le portrait qu'on nous donne de lui au moment de son activité
palestinienne fait entrevoir l'indomptable fermeté de ce Chef. — M. Watson est
remplacé par M. Léonard W. King, assyriologue distingué du British Museiuii. —
Miss Estelle Blyth, (jui connaît si bien Jérusalem où elle a vécu jusqu'à la guerre,
est secrétaire assistante intérimaire en l'absence de M. G. Ovenden, (jui sert dans
l'armée.
— Le Q. SlatemenI donne quelques détails sur ce qui se passe à Jérusalem. Nous
nous en sommes abstenus, soit parce que la Hevae a toujours ignoré les événements
politiques, soit à cause de la diflicidté de savoir au juste ce (|u'il en est. ^'a-^-on pas
lu dans les journaux les plus graves que les 'lurcs avaient transformé le (lolgotha
en champ de tir.' Or il est fort douteux qu'on ait tiré à la cible même au Pseudo-
Calvaire de Gordon qui est enclos dans un cimetière musulnaan, terrain sacre.
BULLETIN. C23

— Notes de circonstance etc. Légendes sur divers Cheikhs. — Notes arch<'ologi<jiirs


sur des antiquités juives, par M. Josepii OITord. XH. Abel et le cunéiforme Ibila.
XIL L'oiseau Gozal et le babylonien Guzalil, où suppose que Rabelais a em-
l'on

prunté l'oiseau Gozal au babylonien! oh! fort indirectement! mais pourquoi pas à la
Bible? XIV. Les Habiri des tablettes de Tell el-.\marna et les Hébreux. Renvoi à la

Revue d'Âssi/riolofjie montre que ces Habiri, si souvent identifiés


où le P. Scheil
avec les Hébreux et avec tant d'assurance, étaient une sorte de milice employée par
les rois de Babylone. C'est précisément ce qu'on a soutenu dans cette Hevue. XV.

Propagation de fléaux par les insectes et les rongeurs dans l'A. T. et sur les mo-
numents. XVL Le Chéol et le pays babylonien des ombres. XVIL Inscriptions
juives de Rome. X^ HI. Un nouveau manuscrit de Paris concernant l'astronomie
hébraïque. Ou date en passant, d'après Mrs. \\ alter Maunder, le livre de Jubilés
du viu« s. ap. J.-C. ! XIX. Belchazzar et Gobryas le Mède. — Table des poids an-
ciens que possède le Musée du Fund. — Recension et notes. — Notes et questions.

Correspondance. — Nous avons reçu les lettres suivantes de M. Ch. Bruston


juin 1916).

« Monsieur le Directeur,

« Je lis dans votre instructive Revue (1) que l'auteur d'un ouvrage tout récent,
M. Vandervorst, professeur au Grand Séminaire de Malines, « pense que l'oracle

d'Isaïe14, 4-21 doit s'entendre de Sargon », qui fut, à la fin de son règne, roi de

Babylone aussi bien que d'Assyrie.


« Auriez vous l'obligeance de faire savoir à vos lecteurs que c'est par la même
raison que, depuis 40 ans, je soutiens l'authenticité des deux oracles du même
prophète dirigés contre Babylone : celui des chapitres 13 et 14 et celui du
chap. 21? J'ai exposé cette opinion et les preuves à l'appui dans mon Histoire cri-
tique de la littérature prophétique des Hébreux, etc., 1881, et ailleurs. Au reste,

ce n'est pas Sargon seulement qui fut à la fois roi d'Assyrie et de Babylone. Ses
deux prédécesseurs et son successeur furent aussi plus ou moins longtemps dans le

même cas. Il n'y a donc rien de surprenant à ce que l'un ou l'autre de ces mo-
narques ait été appelé par le prophète hébreu leur contemporain : 7'oi de Babel, aussi
bien que roi d'As$ou?\
« Agréez », etc.

« Monsieur le Directeur,

« Je ne regrette pas beaucoup que votre collaborateur M. Coppieters n'ait pas pu


se procurer mon article de la Revue de théologie de Montauban sur .Tacq. 4, S (2),

parce qu'il ne correspond plus qu'imparfaitement à mon opinion actuelle.


« Ce qui rend ce texte obscur, pour ne pas dire inintelligible, c'est qu'on a toujours
admis que Jtpoç oOovov doit être entendu de la jalousie ou envie humaine. Et c'est

ce qui fait aussi qu'il est impossible de trouver dans l'A. T. le ou les textes auxquels
l'auteur sacré fait allusion. La chose serait peut-être diirérente s'il était question là

de la jalousie divine.

(^) 1914, p. 287.


(2) RB., 1915, p. 37.
624 REVUE BIBLIQUE.

« Or cette citation biblique est destinée à celui qui veut être ami du prouver que «

inonde se constitue ennemi de Dieu donc exprimer l'idée que


» (v. 4). Elle doit
' l'esprit que Dieu a fait babiter en nous », s'il convoite (les choses du monde), est

soit hostile à Dieu, soit l'objet de l'inimitié de Dieu, ennemi de Dieu pouvant avoir

cette double signification. Et c'est en effet ce qu'elle dit assez clairement si l'on
traduit : « C'est pour la Jalousie (divine) que convoite l'esprit qu'il a fait habiter en
nous «, c'est-à-dire que par la convoitise il s'expose à la jalousie et par conséquent
au courroux divin.
« il habite est donc bien ennemi de Dieu; il l'est même doublement
Celui en qui ou
dans deux sens de cette locution, puisqu'il se révolte contre Dieu, qui a mis en
les

lui son esprit, et puisqu'il est en conséquence l'objet de sa jalousie ou de sa colère.

« Quant à l'origine de cette citation, c'est tout simplement le Décalogue, et aussi le

récit jéhoviste de la création de l'homme (Gen. 2, 7. Cf. 6, 3 : to -v£u[j.a (xoj). En


effet, en racontant que Dieu Jaloux a défendu la convoitise (Ex. 20) et qu'il a mis
le

en l'homme son souffle ou esprit, l'Écriture sainte dit (implicitement) que (s'il con-
voitel. cet esprit, « c'est pour (s'exposer à) la jalousie s non qu'il en ait l'intention, ;

naturellement, mais tel est le réxnltat inévitable de la convoitise. Cf. pécher -po;
OavaTov Jean 5, 16; II Pier. 3, 16 etc.
I

« Je reconnais que partout ailleurs dans le N.T. çOovo; désigne la jalousie humaine.
Mais le synonyme rr,Ào; se disant de Dieu aussi bien que des hommes, pourquoi n'en
serait-il pas de même de oOovoçi'Et opy/j, O'jao;, exoix/jatç, notions analogues, dési-
i^nant souvent (sans article) la colère ou la vengeance divine, pourquoi ce substantif
n'aurait-iP^as pu s'employer de la même manière dans le même sens (1)? En tout
cas, le mot hébreu correspondant est quelquefois employé ainsi. Cf. Éz. 8, 3 et .5 :

limage de jalousie, excitant la jalousie (de Dieu, 59, 17. évidemment) ; Is.
« Il est vrai aussi que la jalousie de Dieu est généralement rendue en grec par s^ao;.

Mais rpo; rr//.ov eût été amphibologique, parce que ce terme désigne souvent
l'amour ardent de Dieu pour ses fidèles. Saint Jacques a préféré le synonyme, comme
il a substitué immédiatement après £;:i;:o0£t à £7:t0u(X£t, et ailleurs roXuarXay/vo; à
-OKMlKlOC, (5, 11).

<> Al. Coppieters a fort bien expliqué ce qui suit : « iVIais il donne une grâce plus
grande », c'est-à-dire y>i/».s forte (non que la tendance à l'envie, mais) que la concupis-
cence, naturelle à l'esprit humain. Je l'avais expliqué de même dans l'article en
question. Le reste du passage est assez clair.
(( Qu'il me soit permis de faire observer en terminant qu'avec l'interprétation que je
vienb d'exposer brièvement, il est aisé de comprendre pourquoi la citation débute
par rpo; çOovov (c'est l'idée capitale de la phrase,, tandis que cela est inexplicable
dans la supposition, généralement adoptée, qu'il s'agit de la jalousie humaine.
n Dans l'espoir que vous voudrez bien communiquer ces quelques remarques à
vos lecteurs, je vous prie d'agréer », etc.

(1) Cf. aussi r, ôOvaiAi;, la l'uissaiice (divine). Maith. 26. Ci, oie. Nous (lisons de iiièmc lu l'rovi-
clcn<'c.

<^ j '
-jumr
TABLE DES MATIÈRES

ANNEE 1916

N"' 1 et 2. — Janvier et Avril.


Pages.

I. QUELQUES PROCÉDÉS LITTÉRAIRES DE SAINT MATTHIEU. —


E Le vesque
. .5

II. UNE PRÉTENDUE ANAPHORE APOSTOLIQUE. - Mg-^ Batiffol. 23

III. DIEU ET LE MONDE D'APRÈS LES CONCEPTIONS JUIVES AU


TEMPS DE JÉSUS-CHRIST. — R. P. J.-B. Frey 33

IV. LE TEXTE DU PSAUTIER DE SAINT HILAIRE DE POITIERS.


— H. Jeannette 61

V. LE COxMMENTAIRE DE LUTHER SUR L'ÉPITRE AUX RO-


MAINS (fin). — R. P. Lagrange 90
VI. MÉLANGES. — F Rebords de bassins chrétiens ornés de reliefs (^«),
Etienne Michon. — 2'^ A proposito di semitismi nel N. T., G. Bo-
naccorsi. — 3^ Oracula hellenica, — 4° Le com-
M?'' Batiffol.
mentaire de Saint Jérôme sm- Isaïe, R. P. Abel. — 5" La Vulgate
latine de i'Épître aux Romains et le texte grec, R. P. Lagrange.
— 6° Le Nouveau Testament et les découvertes modernes, E. Jac-
quier 121

VII. RECENSIONS. — Alfred Lolsy, UÉpltre aux Galates. — University of


Pennsylvania. The University Muséum. Publications of the babylo-
nian section, vol. IV, n° 1. Arno Poebel, Historical texts, A new

création and delug text. Vol. X, n» 1. Stephen Langdon, Sumerian


epic of Paradise, the flood and the fall of Man. C. Léonard —
Woolley and T. E. Lawrence, The Wilderness of Zin (R. P. La-
grange) 2;>0

VIII. RULLETIN. — — Nouveau Testament. —


Généralités. Ancien Testa-
ment. — Peuples voisins. — Palestine 273

N"^ 3 et 4. — Juillet et Octobre.

I. L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. — J. Touzard 299

II. DE L'INTERPRÉTATION HISTORIQUE DES ÉVÉNEMENTS DE


LA VIE FAMILIALE DU PROPHÈTE OSÉE (Mil). — P. Cru-
veilhier 342
626 TABLE DES MATIÈRES.
P»pes,

III. LE PREMIER CHAPITRE DES PARALIPOMÈNES. — E. Pode-


chard 30:5

IV. QUELQUES PROCÉDÉS LITTÉRAIRES DE SAINT MATTHIEU


(fin). — Réponse à une objection j'elative au précédent article. —
E Levesque
. 387

V. POUR COMMENTER LES PARABOLES ÉVANGÉLIQUES. —


Buzy
R. P. D. 40G
VI. MÉLANGES. — 1° Saint Jérôme et les prophéties messianiques,
R. P. Abel. — -2" L'iiomicide d'après le code de llammourabi et
d'après la Bible, R. P. Lagrange. — 3" La révélation d'après les
conceptions juives au temps de Jésus-Christ, R. P. J.-B. Frey.
— 4" Chi sia l'autore délia nuova versione dall'ebrai del codice
veneto greco VII, G. Mercati. —
ô° La représentation des divinités
solaires en Babylonie, D'^ G. Contenau. —
6'^ Matthieu vu. 4-27,

d'après un papyrus de la Bibliothèque nationale, L. Delaporte. . . . 423


VII. CHRONIQUE. — Une visite à l'île de Rouad, R. P. R. Savignac. ôG5

VIII. RECENSIONS. — Morris Jastrow, Hebrew and Babylonian Traditions.


— Léon Cart, Au Sinài dans l'Arabie Pétrée (R. P. Lagrange).
et
— Studiëo, 1916. Van Kasteren, Het Slot von Marcus-Evangetie Ilet

(R. P. J. Vosté). — Corps expéditionnaire d'Orient. Fouilles ar-


^léologiqucs sur V emplacement de la nécropole d'Éléonle de Thrace.. 593

IX. BULLETIN. — Nouveau Testament. — Ancien Testament, — Pales-


tine. — Correspondance (il 2

Le Gérant : J. Gaiulda.

Typographie Firmin-Diflol el C". — Paris.


.

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