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REVUE BIBLIQUE
IiNTER>"ATIO>"ALE
Typographie Firmin-Didot et C''. — Paris.
XOUVELLE SERIE SEPTIEME ANNEE TOME VII

REYIE BIBLIQUE
I^'TER^ATIONALE

PUBLIEE PAR

L'ECOLE PRATIQUE DÉTUDES BIBLIQUES

ETAHLIE AU COLVENT DOMINICAIN SXINT-ÉTIENNE DE JÉRUSALEM

PARIS
LIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE
J. GABALDA ET G"-

RL'E BONAPARTE, 90
1910

OCT 1 7 1959
LE BIT DES PARABOLES D APRÈS L ÉVANGILE
SELON SAIM MARC

Ce qu'on a dit précédemment dans cette Revue sur la parabole en


dehors de l'Évangile 1 était destiné à fournir quelques éléments de
solution au sujet des paraboles évaugéliques. Les questions récem-
ment posées étaient résumées en ces termes 2 :

Jésus a-t-il exclu de ses paraboles toute allusion allégorique?


Est-il vraisemblable que Jésus ait employé la parabole pour exé-
cuter sur ses auditeurs un jugement de réprobation?
Il paraît superflu de revenir sur la première de ces questions. Après
ce qui a été dit de la parabole et de l'allégorie, du màchdl hébreu,
soit dans la Bible, soit chez les Rabbins, on serait étonné que Jésus
ait employé la parabole aristotélicienne pure plutôt que ce genre
moins dessiné qui permet le mélange de la comparaison et de la
métaphore. Il peut y avoir des problèmes d'exégèse très délicats à
résoudre, mais les principes ne sont pas en jeu.
D'ailleurs cette première question n'avait pas l'importance de la se-
conde. Toutes deux sont très graves, puisqu'elles touchent à la critique
littéraire des évangiles, mais cette autre touche à la personne morale
de Jésus. Elle est aussi beaucoup plus délicate, et nous demandons
aujourd'hui la permission de restreindre le champ des observations.
Le de cet article indique que nous nous en tiendrons à saint
titre

Marc. Prendre eà et là dans les trois synoptiques ne serait point d'une


bonne méthode. Chacun d'eux a son but, ses procédés, son style, et
surtout chacune de ces choses doit être appréciée selon l'ordre sou-
vent difTérent des situations historiques. Le meilleur moyen de péné-
trer dans la pensée des évangéhstes, c'est d'abord de bien les con-
naître séparément. On ne saurait nous reprocher d'avoir choisi Marc
pour échapper aux difficultés du sujet. C'est précisément Marc qui a
employé les expressions les plus fortes; on a même dit les plus dures

(1^ RB., 1909. 198-212; 342-367.


[2] RB., 1909, p. 202.
REVUE BIBLIOUt:

et les plus étranges (1), De plus, il est permis de croire qu'il était
connu de saint Luc et que notre saint Matthieu i;rec en dépend aussi.
C'est donc bien dans Marc que se trouve le nœud de tout le problème.

Première question : Jésus a-t-il choisi de -parti pris les paraboles


parce que leur obscurité lui j^ermettait de parler sans être compris de
la foule, pour la punir de son endurcissement?
déjà fait allusion, au début de ces études, à l'opinion qui pa-
J'ai

raitdominer aujourd'hui parmi les exégètes, catholiques et indépen-


dants. x\ux textes déjà cités on joindra ceux du P. Knal)enbauer.
auteur presque classique, dans son commentaire de Marc. D'après le
savant maître, Jésus, à un certain moment de sa carrière terrestre, a
parlé en paraboles pour punir la foule de ne l'avoir pas reçu comme
elle le devait : Cwn itaque Christi doctrinam non susceperint eo quo
oportuit modo in poenam ulterior eis inslitutio subtrahitur... Atque in
Tioenam Christus iilteriorem atque explicitam doctrinam iltis non

tradit; sed veritatem illis proponit quasi velamine obtectam. Praevi-


det illos non esse intellecturos : nihilominus eo modo docet. Quare illo-
rum hac iîi re caecitatem relie dicitur, quae simul est poena quam
meruerunt .Quand on a abusé des grâces. Dieu punit et retire sa
grâce. Et encore Quod autem Christus eo modo iam docet, poena
: est

eorum incredulitatis et obdurationis (2 .

C'était déjà l'opinion de Maldonat : Non dubito... ideo Christum hoc


quidem loco parabolis usum fuisse, non ut auditores melius intellige-
rent, sed, ut, qui credere nolebant diserte, aperteque loquenti, loquen-
tem per p)arabolas, et obscure, eti.oi si maxime vellent, intelligere
non passent.
y a cependant cette différence entre Maldonat et les modernes que
Il

le grand commentateur Jésuite avoue ingénument que son opinion


n'est pas la plus commune. Il s'attache, dit-il. à Clément d'Alexan-
drie, saint Ambroise, saint Jérôme, Bède, avec Euthymius plus dou-
teux. Mais il connaît une autre manière de voir Plerique hune putant :

(1) « Les évaugélistes ont donc trouvé les paraboles obscures, et ils ont pensé que Jésus
avait parlé en paraboles pour n'être pas com|)ris des Juifs : ce serait, d'après Marc, le but
unique, d'après Matthieu et Luc le but principal des paraboles » (Loisv, Les Évangiles
synoptiques, L p- 7i3 s.). La déclaration qui est dans Marc aurait choqué le sens moral (•

de Luc » (p. 743). « Matthieu est plus préoccupé, soit de l'endurcissement des Juifs et de
la prophétie qui l'annonce, soit du privilège des disciples, qui est celui du chrétien, que
de l'obscurité des paraboles et de leur efficacité aveuglante » (p. 748).

(2) Commenlo.rius... Evangeiium secundum S. Marcum, p. 117 et 116.


LE BUT DES PARABOLES D'APRÈS L'EVANGILE SELON SAINT MARC. 7

esse sensum, ut dicat evangelista Christum se ad auditorum imbe-


cillitatem accommodasse, ideoque parabolis et usum
similitudinibus
fuisse, ut homines ingenio tardi et non satis divinis rébus coynprehen-
dendis idonei facilius, quae diccbantur, inteUigercnl lia non solum .

maior pars recentiorum interpretum, sed ex illis magnis atquc a/tti-


quis Chrysostom. hom. in Matth. io et Theophylact. in huius loci
commentariis 1 )

Ce n'est point ici le lieu d'examiner à fond les opinions des


Pères (2,. Nous insisterons seulement sur saint Chrysostome, car il
est allégué par les j^artisans de l'obscurité voulue des paraboles, et
il est le seul qui ait traité la question sous ses divers aspects.
Au premier abord, on que saint Chrysostome a exprimé en
croirait
termes précis système de Maldonat et de Knabenbauer " Certes
le :

au début il ne s'entretenait pas avec eux de la sorte, mais avec beau-


coup de clarté. Mais parce qu'ils s'étaient détournés, il leur parle
désormais en paraboles ». Cela parait très clair, mais que l'on
veuille bien noter que l'orateur s'exprime ainsi à propos des enne-
mis de Jésus qui l'accusaient de chasser les démons par Beelzéboul!
Même dans ce cas, Chrysostome se garde bien d'admettre que Jésus
parle pour punir. Il ne voit dans ses paroles, en dépit de leur aspect
sévère, qu'une invitation au repentir, formulée comme une menace :

« Et ce qu'il en dit, c'est pour les entraîner et les provoquer, mon-

trant que, s'ils se convertissent, il les guérira, comme si quelqu'un


disait : Il n'a pas voulu me voir, et j'en suis bien aise, car s'il m'avait
fait l'honneur, j'aurais dû aussitôt céder... C'est dans ce sens qu'il
dit dans notre passage : de peur qu'ils ne se convertissent et que je

(1) Sur Marc iv. 33.

(2) On a quelque sujet de s'étonner de la manière dont certains Pères ont été cités en
faveur de l'obscurité voulue des paraboles. Saint Jean Chrysostome 'Migne, LVII, 471 s.;

est discuté ici même dans le texte; il est le seul à ma connaissance qui note un change-
ment d'attitude, mais vis-à-vis des Pharisiens: et on voit combien peu, dans l'ensemble,
il est favorable au système en faveur duquel il est allègue. Opus imperfeclum. in Mt. hom.
31 [Migne, LVI. 796 s.) est, d'après Bardenhewer {Patrologie, p. 319), d'un arien de la

fin du vi« siècle: quelle autorité parmi les Pères? Théophylacte {Migne.
peut-il avoir
CXXIII, 280 s,, 529 s., 800) a surtout été préoccupé, comme tant de Grecs, de maintenir le
libre arbitre. Il admet bien que Jésus a parlé d une manière obscure à ceux qui n'étaient
pas dignes, mais il a dit aussi que les paraboles avaient pour but d'enseigner la foule et
de provoquer ses questions. Dieu éclaire tout le monde, ce sont les hommes qui s'enténe-
brent. Saint Augustin, Qu. 17 in Mt.. n. 14 'Migne. XXXV. 1372 s.). Ce texte est du plus
haut intérêt. L'auteur, bloquant le texte de saint Jean et celui des Synoptiques, aboutit à
la formule de M, Loisy, les paraboles aveuglantes par obscurité quia per obscuritatem :

sermonis excaecoti, dicta Domini non intellexerunt. Mais cet ouvrage n'est pas de
saint Augustin, comme le déclare très nettement Bardenhewer {Patrologie, p. 459,
vnecht).
8 REVUE BIBLIQUE.

montrant que la conversion était possible et avait pour


les guérisse,
conséquence le salut, et qu'il ne fait rien pour se glorifier lui-même,
mais tout pour les sauver. Car s'il x'avait vas voulu qu'ils enten-
dissent ET soient sauvés, IL EUT DU SE TAIRE ET NE PAS PARLER EN
PARAROLES, TANDIS Qu'iL LES EXCITE PAR LE FAIT MEME Qu'iL DIT DES
PAROLES MELEES d'omBRES (1) ».

On peut trouver l'exégèse d'Isaïe un peu superficielle, mais celui


qui a tenu ce langage connaissait bien le Cœur de Jésus (2).
Chrysostome a indiqué très nettement le but des para-
Ailleurs,
boles, de piquer plus vivement l'attention et de conduire aux choses
(spirituelles) par des images sensibles « Comme il devait traiter de :

choses mystérieuses, il relève d'abord l'esprit des auditeurs par la


parabole. C'est pourquoi un autre évangéliste note qu'il leur reprocha
de ne pas comprendre, disant Comment n'avez- vous pas compris la :

parabole (Me. iv, 13 ? Mais ce n'est pas seulement pour cela qu'il
parle en paraboles; c'est pour que le discours soit plus clair, et se
grave mieux dans la mémoire, et mette les objets sous les yeux (3) ».
C'est bien, semble-t-il, de ce côté qu'incline saint Thomas, mais il
l'ait une part nécessaire à l'intention manifeste de Marc de distinguer

deux groupes auxquels la vérité n'est pas communiquée de la même


façon. Et ainsi le saint Docteur se tient dans un juste milieu. Dans l'o-
puscule LUI (ch. xiv) — qui d'ailleurs probablement pas authen-
n'est
tique — il reconnaît que la parabole a pour but l'instruction, surtout
des simples. Le Christ a enseigné en paraboles : /um quia conna-
turale est homini ut per scnsibilia deveniat in cognitio?iem intelligibi-
lium... tum etiam jjropter simplicitatem quonimdam audientium, ut
qui cœlestia capere non poterant, per similitudinem terrenmn audita
percipere jiotuissent. Il ajoute comme troisième raison :twn etiam ut
indignis divina mijsteria occultarentur, sans indiquer comment cette
troisième raison peut se Dans la
concilier avec les deux autres.
Somme théologique, la question est traitée dans toute son ampleur
Utnon Christus omnia publiée docere debuerit [IW pars;, quaest. xLii,

(1) E'. yàp jxvj èêo'j).£To aOto-j; ày.oùcrai y.al cw9y;va'., (jV(ft<sa.: îZt\, o\iy\ âv :Tapaoo),aï; XÉ^eiv"
i\j\ Si oLjita TOÛTw xtvEÏ aijTOÛç, T(o CTU(7X!a<7(iéva Xéye'.v (Migne, P. G., t. LVII, col. 472 et 473).
(2) On lit dans la vie de la B. Marguerite-Marie Aiacoque par ses contemporaines (p. 99) :

« Je le vis encore dans un cœur qui résistait à .son amour il avait les mains sur ses
:

<c oreilles sacrées, et les yeux fermés, disant : « Je n'écouterai point ce qu'il me dit ni ne
« regarderai point sa misère, afin que mon Cœur n'en soit pas touché, et qu'il soit insensible
pour lui, comme il l'est pour moi ». Le but de cette vision était naturellement d'inviter
la Bienheureuse à prier pour cette àme. Dans ce cas c'est Jésus et non le peuple qui se fait
sourd et aveugle-, l'image est retournée.
(3) P. G., LVII, col. 467.
LE BUT DES PARABOLES D'APRÈS L'ÉVANGILE SELON SALNT MAKC. 9

art. 4)? La réponse que la doctrine de quelqu'un peut être ca-


est
chée de trois manières uno modo quantum ad intentionem docen-
:

iis, qui intendit suam doctrinam non manifestarc multis, sed magis

occullare. Cela ne se rencontre pas dans le Clirist, e.rcuius persona


dicitur (Sap. vu, 13) : quam sine fictions didici, et sine invidia
communico, et honeslateni illius non abscondo. Saint Thomas n'ima-
gine donc pas le Christ parlant dans l'intention d'exécuter sur ses
auditeurs un jugement de réprobation. Il ne reconnaît pas non plus
de doctrine proprement ésotérique, puisque le Christ a toujours parlé
à Ja foule ou à ses disciples réunis. Tertio modo aliqua doctrina est in
occulto quantum ad modum docendi. Et sic Christus quaedam turbis
loquebatur in occulto, parabolis utensad annuntianda spiritualia mys-
teria, ad quae capienda non erant idonei, cet digni. Et tamen melius
erat eis cel sic, sub tegumento parabolarum, spiritualium doctrinam
audire^ quam omnino ea prirari. Harum tamen parabolarum apertam
et nudam veritatem Dominas discipulis exponebat, per quos deveni-

ret ad alios, qui essent idonei. Que Ton remarque la disjonctive, non
erant idonei, vel digni. Il est sûr que dans certains cas Jésus a refusé
de s'expliquer devant des adversaires obstinés et indignes saint Tho- ;

mas devait mentionner ce cas, mais il ne semble pas le viser de pré-


férence en parlant des paraboles, puis(|u'il ajoute que l'enseignement,
donné in occulto quoad modum, était encore un avantage pour ceux
qui le recevaient.il ne s'agit pas de l'enseignement ordinaire, mais
de cas particuliers, quaedcmi, c'est-à-dire des mystères spirituels.
Jésus fait connaître à la foule ce qu'elle en peut entendre. Même
quand il réserve à ses disciples un enseignement plus complet, il se
propose le salut de la foule, à laquelle les disciples transmettront
son enseignement, selon qu'ils seront capables de le recevoir, idonei,

sans ajouter digni. Dans la réponse ad tertium : dicendum quod tur-


bis Dotninus in parabolis loquebatur, sicut dictum est in corp. ,
quia
non erant digni, nec idonei xcdam veritatem accipere, quam discipu-
lis exponebat. Donc saint Thomas ne pense pas, comme le P. Knaben-

bauer, que les foules, se ipsas ineptas reddidissent ad veram de regno


Dei doctrinam capiendam (p. 117); il distingue seulement la vérité
exposée en termes propres et la vérité exposée moins ouvertement :

Jésus donnait à chacun ce qui lui convenait, avec l'intention de les


sauver, non de les punir.
On voudra bien nous permettre de préférer à l'opinion des mo-
dernes celle de saint Thomas d'Aquin, la plus commune, d'après
Maldonat, jusqu'au protestantisme, elles pages qui suivent ne seront
guère que le commentaire exégétique de la pensée du Maître.
10 REVUE BIBLIQUE.

Nous pensons qu'on ne voit dans Marc aucune trace d'un changement
dans l'attitude de la foule à F égard de Jésus, ni dans les procédés dp
Jésus à l'égard de la foule. On ne peut donc alléguer aucun juge-
ment de réprobation qui aurait été exécuté par Jésus.
Si nous en croyons les auteurs modernes, c'est sur les bords du lac
de Génésareth, au moment de prononcer les paraboles touchant le
règne de Dieu, que Jésus, en présence de l'obstination des Juifs à le
méconnaître, aurait adopté un genre d'enseignement obscur qu'ils ne
pouvaient pas comprendre. Et on spécifie qu'il ne s'agit pas seule-
ment des chefs de la nation, mais de la foule.
Or, il suffit de lire Marc pour se persuader que Jésus n'a pas com-
mencé alors à parler en paraboles; que, jusqu'à la passion, l'empres-
sement de la foule auprès de lui a toujours été le morne, et surtout,
oh surtout I jamais dû être mis en doute, que Jésus a
et cela n'aurait

toujours consacré ses paroles à faire du bien à cette foule. Le carac-


tère du Sauveur, son esprit, son cœur, assoiffé du salut des hommes,
le rôle même de tout prédicateur, qui prêche pour convertir, tout
s'oppose au dessein qu'on lui prête. Comment pouvait-il sincèrement
inviter ses auditeurs à prêter l'oreille et à pénétrer dans l'intelligence
de ses paroles, s'il avait choisi des images et des comparaisons,
incompréhensibles sans une explication qui leur était refusée? Cette
affectation n'aurait-elle pas quelque chose d'odieux? quel est le prédi-
cateur, quel est le galant homme auquel on pourrait, sans outrage,
imputer une pareille conduite?
D'ailleurs il suffit de lire les textes.
Les paraboles sur le règne de Dieu commencent dans Marc au cha-
pitre IV. Dès le chapitre m, 23, nous avons une parabole expressément
qualifiée comme telle, sans parler des paraboles véritables qui se
trouvent ii, 17. 19. -21. 22. Quand Jésus commence la série des paraboles
destinées à punir la foule de son endurcissement (!), elle s'empresse
autour de lui de telle sorte qu'il est obligé de monter sur une barque
pendant qu'elle demeure sur le bord, et il dit Ecoutez (iv, 1-3) Ce : !

n'est pas que Marc ait ignoré l'endurcissement des gens de Nazareth;
il le note avec soin, mais comme un cas particulier. Loin de leur pro-

poser la moindre parabole pour les punir, Jésus s'éloigne vi, 5). Cette
(

froideur contraste avec l'enthousiasme de la foule qui poursuit Jésus


jusqu'au delà du lac. On dira que c'était curiosité pure. Quant à
LE BUT DES PARABOLES D'APRÈS L'EVANi.ILK SELON SALM >L\RC. 11

Jésus, il eut pitié deux, pai'ce (|u"ils étaient coinuie un troupeau sans
pasteiu', et il les enseigna loneuement fvi, 3i;. Marc ne nous dit pas
que ce fut en paraboles, mais on sait que, d'après lui, ce mode était
ordinaire au Sauveur. En tout cas cette foule suit toujours Jésus, et
il a pitié d'elle et s'efforce de la sauver.
Après de sévères reproches aux Pharisiens. Jésus fait appel à la

foule; il lui dit Écoutez-moi tous, et comprenez » vu, 1* Puis


: >^ . il

dit une parabole. Qui croira que cet appel à rintellii:ence fut équi-
voque?
La foule est toujours si entraînée, ([ue de nouveau elle en oublie le
boire et le raanser. Jésus s'écrie « Jai pitié de la foule, voilà déjà
:

trois jours qu'ils s'attachent à moi. et ils n'ont pas de quoi man-
ger » (viii, 2^
Lorsque Jésus parle de cette génération qui cherche un signe, c'est
aux Pharisiens qu'il en a (viii, 12 et quand il nomme génération ,

incrédule tous ceux qui l'entourent, il indique assez que sa patience


n'est pas à bout, quand il ajoute : « jusqu'à quand vous supporterai-
je?» (IX. 19 , d'autant qu'il accorde le miracle qu'on lui demandait.
Après avoir instruit ses disciples du mystère de sa Passion et de sa
Résurrection, il invite encore le peuple à en termes énigma-
le suivre,

tiques. L'appel est évidemment sincère, quoique dès lors Jésus fasse
prévoir qu'il ne sera pas entendu, tant les conditions sont sévères.
C'est bien cette fois toute la génération qui est adultère ot pécheresse
viii, cependant Jésus ne cesse pas de l'inviter au salut. Au
38;, et
delà du Jourdain, les foules accourent de nouveau. »t il les mstruit
comme il avait coutume de le faire fx. 1). On sait que l'adhésion cha-
leureuse de la foule se manifesta encore au moment où Jésus entra
à Jérusalem xi, 8 ; les princes des prêtres le craignaient, parce que
tout le peuple était dans l'admiration de sa doctrine xi. 18/; si les
princes des prêtres n'ont pas voulu s'emparer de lui le jour de la
fête, c'est pour ne pas déchaîner une émeute xiv. 2,. Quand enfin
la foule — ou plutôt populace de Jérusalem
la préféra Barab])as —
à Jésus, ce fut sur l'instigation des grands prêtres.
Assurément les dispositions de ces foules n'étaient point celles qu»-
le Maîtreeût souhaitées. Impressionnées par ses miracles, entraînées
par ses bienfaits, curieuses de l'entendre, elles n'ont pas répondu à
son appel par une transformation complète de leur vie et par une
profession de foi généreuse en sa qualité de Messie. Mais elles se sont
toujours montrées les mêmes, et Jésus s'est toujours montré compa-
tissant pour elles. Leur bonne volonté, relative, si l'on veut, est en
contraste avec l'hostilité des Pharisiens et des grands prêtres. Cette
i2 REVLE BIBLIQUE.

opposition est constante dans Marc. Si quelqu'un a mérité d'être


privé de lumières, ce sont les chefs spirituels de la nation.
Or Jésus n'a-t-il pas essayé jusqu'au dernier moment d'attirer à
lui son peuple? X'est-ce pas pour cela qu'il avait été envoyé? Quoi
qu'il en soit des desseins éternels de Dieu sur les résultats de cet
appel —nous devrons revenir sur ce point de vue, —
n'était-il pas

convenable qu'il fût sincère jusqu'au moment où le peuple devait


consommer sa faute par le déicide? Et même alors, ne voyons-nous
pas saint Paul, aussi bien que les autres apôtres, faire tous ses efforts
pour convertir d'abord les Juifs? Nul plus que lui n'est pénétré de la
pensée de leur réprobation (Rom. xi) a-t-il cessé pour cela de s'a-
;

dresser à eux et de leur prodiguer la lumière? Et l'on veut que Jésus


ait répondu à cette foule qui avait soif de sa parole par des énigmes

qu'elle ne pouvait comprendre, afin de la punir de n'avoir pas com-


pris plus tôt, que cette foule ait été traitée comme une masse ré-
prouvée, indigne qu'on lui parle comme tous leshommes parlent à
d'autres hommes 1

Si c'était bien là ce qu'a voulu dire Marc, on serait contraint de


conclure avec M. Loisy qu'il n'a pas compris les intentions de Jésus.
Mais ce n'est pas cela qu'a voulu»dire Marc.

Deuxième question : Quelle est donc la pensée de Marc sur les

paraboles?
On peut que nous la connaissons déjà, puisque tous les faits
dire
sur lesquels nous nous sommes appuyé pour montrer le désir sin-
cère que Jésus avait d'instruire ont été empruntés au second évan-
gile. Nous les avons pris dans leur sens obvie, dans celui de l'au-
teur lui-même. Cependant il est nécessaire d'étudier de plus près ce
qu'il dit des paraboles, soit dans la trame de l'évangile, soit dans
les deux passages célèbres où il semble donner la théorie du but
des paraboles.
Il faut d'abord examiner les faits.

Marc emploie assez rarement le mot de parabole, et ne cite que


sept cas de paraboles. Cependant il a été jusqu'à dire que Jésus ne
parlait pas au peuple sans employer la parabole iiv, 3i). Il y a
donc là pour lui une question de principe. Jésus n'a pas seulement
employé la parabole à l'occasion, il a parlé en paraboles. Si on n'en
trouve pas un plus grand nombre dans le second évangile, c'est que
son but principal est moins d'exposer l'enseignement de Jésus que
LE BLl DES PARABOLES D'APRÈS L'ÉVANGILE SELON SALNT MARC. 13

de fournir, par le récit de ses miracles, la preuve qu'il était vrai-

ment Fils de Dieu.


Voyons d'abord les passages exprès. Sont d'abord nommées pa-
raboles (III, 23 les deux comparaisons de du la maison divisée et

fort lié dont ou pille la maison. Ces paraboles sont adressées aux
scribes: elles rentrent sans difficulté dans le premier genre d'Aris-
tote. Viennent ensuite les trois paraboles proposées à la foule au
bord du lac. Ce sont de petites fables, toutes trois empruntées aux
semailles et aux destinées du grain ch. iv); elles ont tout le carac-
tère des À:v;r, d'Aristote. Comme
premières sont plutôt argumen-
les

tatives, celles-ci sont destinées à donner une idée du règne de Dieu ;

elles sont purement illustratives. La parabole qui suit l'épisode de


la lotion des mains avant le repas vu, 17 est proposée comme une
énigme. Elle serait presque inintelligible en dehors des circons-
tances où elle a été posée.
La parabole des vignerons est presque une allégorie
Marc '
xii, 1 ss.).

annonce que Jésus commença à parler à quelques membres du Sanhé-


drin en paraboles, et il expose cette allégorie. Peut-être ce pluriel
marque-t-il que Marc mettait dans la même catégorie les paroles de
Jésus à ses adversaires au sujet de la pierre d'angle, du tribut dû
aux Romains ou de l'origine du Messie.
Citons encore un texte où la parabole (xiii, 28) précède immédiate-
ment la comparaison du figuier, suivie elle-même de celle des ser-
viteurs vigilants.
Ainsi donc simples comparaisons ou paraboles aristotéliciennes,
petites fables plus ou moins développées ou a;-;:'. d'Aristote, énigme,
allégorie, tout cela d'après Marc est parabole dans le sens large. C'est
dire que :^a notion de la parabole est celle du mâchdl biblique, et
vraiment, pouvait-il en être autrement? Devait-on s'attendre à ce qu'il
s'attachât à une théorie de rhétorique? Nous n'avons rencontré que
sept cas exprès de paraboles; mais Marc a dû regarder comme telles
plusieurs paroles de Jésus qui ont le même caractère. Ce sont en effet
de vraies paraboles qu'on rencontre avant que le mot ait été pro-
noncé : le médecin ii, 17 , le jeûne des fils de l'époux ii, 19), les
pièces des habits (ii, 21 . les outres et le vin (ii. 22"). Les interlocu-
teurs sont des Pharisiens.
Ce sont encore des Pharisiens qui reprochent aux disciples de
frotter des épis le jour du sabbat ii. 23 s. . Jésus répond par l'exemple
historique d'une situation analogue qui lui permet de tirer une
loi générale, ce qui rentre évidemment dans legenre de la para-
bole.
14 REVUE BIBLIQUE.

La comparaison de la lampe (iv, 21 s.) est une parabole suivie de


deux proverbes.
A la Syrophénicienne Jésus propose la comparaison des enfants
qui doivent être nourris avant les chiens; mais cette parabole, sévère
par un côté, pouvait être prise d'un autre biais et permettait une
application dont la pauvre mère s'est servie avec adresse. Jésus,
à cause de sa parole, à la fois humble et confiante, lui accorde
sa demande.
Avec ses disciples, Jésus compare les dispositions dHérode et des
Pharisiens à du levain ils ne comprennent pas, mais il les en re-
:

prend (VIII, 15 ss.i.

Il fallait rappeler ces faits qui ne peuvent être discutés, et qui


sont à la base de toute discussion ultérieure.
Nous pouvons maintenant aborder le problème.
Un premier
point nous parait très clair, quoiqu'il ait été si éner-
giquement révoqué en doute ces derniers temps.
Marc n'a pas considéré les paraboles de Jésus comme destinées uni-
quement à la foule ou à ses adversaires, puisqu'il s'en est servi avec
ses disciples en leur particulier.
Nous aurons à montrer comment cette proposition peut se conci-
lier avec un autre passage (iv, 11). Quelle que soit la difficulté de
l'accord, ce que nous avançons ici est prouvé par un fait très clair :

Jésus a parlé à ses disciples en paraboles, et cela en particulier et


pour des choses qui concernaient leur mission. On ne peut consi-
dérer autrement les versets 21 à 25 du chapitre iv. D'après le contexte
de Marc, ces paroles suivent l'explication donnée aux disciples de la
parabole du semeur. Elles précèdent d'autres paraboles adressées au
peuple, mais ce qui est décisif, c'est leur contenu :

-' Et il leur disait : La lampe vient-elle pour être mise sous le boisseau ou
sous le lit? n'est-ce pas pour être mise sur le chandelier? -- Car il n'y a rien de
caché qui ne le soit pour être découvert, et rien n'est demeuré secret si ce n'est

pour être produit au jour. -^ Si quelqu'un a des oreilles pour entendre, qu'il
entende.
-'*
Et il leur disait : Faites attention à ce que vous entendez ; on vous servira selon
votre mesure, et on vous donnera encore plus; '• car celui qui a, on lui donnera;

et celui qui n'a rien, on lui enlèvera même le peu qu'il a.

Jésus, qui a parlé à tous des destinées de la parole dans les âmes,
aborde ici les destinées de la parole elle-même. Elle est cachée
maintenant, puisqu'elle n'est communiquée clairement qu'aux seuls
LE BIT DES PARABOLES D'APRÈS L'EVANGILE SELON SALNT >L\RC. IH

disciples (iv, 11 , mais c'est pour être manifestée plus tard, et, en
attendant, les disciples doivent s'efforcer d'en percevoir le plus pos-
sible. Dans la pensée do Marc, il importait donc souverainement que
les disciples fussent attentifs aux paroles du Maître, pour mériter
de recevoir une lumière plus complète quils auraient à communiquer
à d'autres.
C'est donc bien au.v disciples que le discours s'adresse, et c'est bien
une parabole, surtout au début, une parabole sui^'ie de son explica-
tion et de deux proverbes qui rentraient probablement pour Marc
dans le genre parabolique.
Il n'y avait donc pas pour lui un*' «{uestion de principe à n'em-

ployer la paraJjole qu'avec ceux du dehors. Enfin personne ne peut


contester que. d'après Marc, la parabole du liguier et celle des ser-
viteurs vigilants xiir, 28 ss.) ne sont proposées qu'à quatre disciples.

On ne j^eut résoudi'e aussi facilement la question Je ^avoir si les

paraboles, d'après Marc, sont obscures ou si elles sont claires? Une


réponse absolue, dans un sens ou dans l'autre, risquerait fort d'être
inexacte.
Marc n'a pas de théorie sur la clarté des paraboles comme genre
littéraire, mais il les regarde comme propres à instruire, même la

foule.
Il faut avoir la patience de parcourir les cas particuliei*s. On peut
cependant les diviser en certaines catégories.
On peut distinguer tout d'abord les paraboles argumentatives et les

paraboles qui tendent plus directement à Finstruction.


Les premières, et, semble-t-il, les plus nombreuses, sont adressées

aux Pharisiens aux scribes, perpétuels adversaires de .Jésus.


et
Les scribes prétendent que Jésus chasse les démons par Beelzeboul.
Il répond par une double comparaison, ou p)lutùt en paraboles,
comme dit le texte.

montre que l'insinuation est contraire au bon sens Satan n'est


Il :

pas assez sot pour détruire son propre règne. Il ajoute que si l'on dé-
pouille Satan, c'est qu'il est déjà enchaîné. Le raisonnement est lim-
pide, et avec un peu de bonne volonté on devait conclure que .Jésus
lui-même est ce plus fort qui a lié le fort.
Or la réponse aux Pharisiens au sujet du jeûne est exactement dans
le même cas ii. 19-22 . Les amis de l'époux ne jeûnent pas pendant
sa présence; on ne met pas une pièce nouvelle à un vieil habit; on
16 REVUE BIBLIQUE.

ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres. Tout cela est d'une
clarté évidente mais l'application demeure dans un certain vague.
:

Tout était lumière pour ceux qui reconnaissaient en Jésus l'époux,


et qui pressentaient un nouvel ordre de choses, meilleur que l'an-
cien.
Mêmes réflexions pour la réponse de Jésus au scandale des scribes :

« Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin du méde-
cin, mais ceux qui vont mal » (n, 17). A merveille, mais qui est le
médecin?
Et à propos de l'exemple de David au temps d'Abiathar (ii, 25!, les
ennemis de Jésus pensaient sans doute Qui prétend-il être pour agir
:

comme David, et quel est ce fils de l'homme maître du sabbat?


Dans tous ces cas, la parabole, claire en elle-même, concluante
comme réfutation, n'introduisait pas directement dans l'intelligence
des choses surnaturelles. Et pourtant elle était pleine de lumière, même
dans ce sens, à ceux qui avaient reconnu en Jésus du moins un pro-
phète envoyé de Dieu
il ne faut pas ou])lier que l'enseig-nement de Jésus est toujours
Car
lié dans Marc à ses miracles; les miracles provoquaient l'étonnement
et l'admiration: quand on ouvrait les yeux à leur évidence, on était

préparé à comprendre la doctrine. Ceux qui ne cherchaient dans


les miracles qu'une occasion de chicane étaient évidemment mal
préparés à saisir dans les paraboles argumentatives ce qui y élait pour
ainsi dire caché.
Les paraboles que Ion peut appeler avec M. Bugge illustratives se
proposent plus directement renseignement.
Encore que. comme toute parabole, elles ne sont et ne peuvent
est-il

être claires que si l'on connaît l'objet quelles doivent éclairer. Chacun
conviendra aisément de l'évidence de la petite fable en elle-même.
Tant qu'on ne saura pas à quoi elle s'applique, c'est plutôt une
énigme. C'est le cas de trois paraboles, celle du semeur (iv, 3-8),
celle de la lampe iv, 21 celle de ce qui entre dans l'homme et qui en
i
,

sort (VII, li-15). Marc semble avoir eu parfaitement conscience que


ces comparaisons étaient inintelligibles tant qu'on en ignorait l'objet,,
car dans ces cas il a appelé l'attention des auditeurs d'une façon spé-
ciale : Écoutez... que celui qui a des oreilles pour entendre, entende
(iv, 3, 9); si quelqu'un a des oreilles pour entendre, quil entende
(iv, 1: écoutez-moi tous et comprenez (vu,
23 li). Celui qui appelle
ainsi l'attention sait très bien qu'il va proposer quelque chose de dif-
En pareil cas on s'engage implicitement
ficile. à satisfaire la curiosité
de ceux qui renoncent à deviner.
LE BUT DES PARABOLES D'APRÈS L'ÉVANGILE SELON SALNT MARC. 17

Ceux (|ai s'intéresseront assez à renseignement du Maitre pour


poursuivre la solution et qui auront riiumilité de la lui demander
s'ils ne la trouvent pas. ceux-là trouveront la comparaison parfaitement
claire aussitôt qu'elle aura été rapprochée de son objet.
D'autres paraboles méritent encore mieux que ces énigmes le nom
pour l'ins-
d'illustratives, ce sont celles qui sont adressées à la foule
truire selon sa capacité. Le thème est proposé dès le début ce sont :

les paraboles de la semence qui pousse d'elle-même et celle du grain


de sénevé iv. 20-3i destinées à donner une idée du règne de Dieu.
'
.

Elles sont donc plus claires mais, comme toutes les paraboles, elles
:

ne peuvent éclairer qu'un côté de la question que ne pouvait-on :

pas dire du règne de Dieu, même après ces deux admirables para-
boles 1

La parabole des vignerons homicides ne rentre dans aucune des


catégories précédentes. C'est une parabole de controverse, mais dune
controverse qui touche à sa fin. Désormais les positions sont prises.
Aussi est-elle comprise aussitôt xii, 12 C'était pourtant une allé- .

gorie I Mais les termes en étaient classicjues: la vigne ne pouvait être


qu'Israël. Si les Sanhédrites ne veulent pas reconnaître le Fils, du
moins ils savent bien c^u'il a pénétré leurs dispositions mauvaises. La
parabole éclaire, mais d'un jour sinistre, et cette lumière ne sera pas
mise à profit.
Ce rapide examen manifeste bien ce qu'on aurait pu savoir d'avance,
que Marc ne s'est pas demandé si la parabole était distincte de l'allé-

gorie, si l'allégorie était obscure et la parabole claire, ni même si la

parabole, comme genre littéraire, était claire ou obscure. Elle l'était


plus ou moins, selon les circonstances, et l'on peut dire sans offense
que saint Marc n'a pas rélléchi aux aenres littéraires qu'il mettait en
jeu.
Il semble bien que pour lui, comme pour tout le monde ^i\ , les para-
boles de Jésus étaient appropriées à leur Jjut qui était d'instruire au
moyen de comparaisons familières, tii'ées des choses les plus connues.
nous n'en sommes pas réduits à déduire la pensée de
D'ailleurs
Marc de raisonnements indirects; il l'a exposée assez clairement, du
moins en ce qui regarde les paraboles adressées à la foule iv. 83 :

1 '
Aux lestes déjà cités, ajoutons ces paroles de Sénèque Ad Lucil. VI. 7, éd. Hense.
p. 176) : illi qui simplici/er et demoustrundae
causa eloquebunlur. parabolis referti
rei
sunf, quas existimo necessarias, non ej: eadeni causa qua poetix, sed u( imbecillitutis
nostrae adminiculi sint, ut et dlcentem et oudientem in rem praesentem adducant.
Dan.s le Thésaurus graecae linguoe de Didot. on cite Eusthate, p. 861. d'après lequel la
parabole est 7.\ilr^muiz. i/ESYEiaî et <:%zryz\ï- ivîxEv.
REVUE RIBLIQCE 1910. — .\. S.. T. VU. 2
18 REVUE BIBLIQUE.

C'est par de nombreuses paraboles comme celle-là qu'il leur proposait la parole,

selon qu'ils étaient capables de [I'] entendre.

Dans cet endroit, les paraboles ont donc pour but de donner au
peuple l'enseignement dont il est capable. Il est dit expressément que
Jésus se conformait à la capacité de ses auditeurs, y.aOw; rjouvavTo
à7.cJ3'.v, ce qui n'indique nullement une mauvaise disposition morale.

C'est ainsi que Jésus disait aux Apôtres « Vous ne pouvez pas encore :

porter (cette doctrine) (Jo. xvi. 12) et saint Paul aux Corinthiens
-) :

« Vous ne pouvez pas encore » (I Cor. m, 2) (1). Tout cela est humain

et conforme à la nature de la parabole, aux exigences de l'enseigne-

ment. Or que devient ici le caractère aveuglant des paraboles?

Marc estimait donc que les paraboles avaient pour but d'instruire.
Mais nous répétons qu'il n'avait sans doute aucune opinion sur leur
nature abstraite. Il ne les a pas définies en rhéteur, comme Aristote
ou Sénèque, comme Cicéron ou Quintilien: il en parle d'une façon
très concrète, comme des paraboles proposées par Jésus. Et ces para-
boles ne sont point des paraboles ordinaires.
Les paraboles de Jt'-sus sont insuffisamment claires par rapport à leur
objet qui est naturellement mystérieux. Un premier caractère les —
distingue, c'est qu'elles ne sont pas destinées à instruire malgré tout.
Quand Aristote s'occupe de la parabole dans sa Tihétorique, il la re-
garde comme un argument. Il s'agit de faire ré\ddence. de réfuter un
adversaire, d'entraîner des esprits encore indécis. Jésus, lui aussi,
réfute et persuade, mais propose la vérité plutôt qu'il ne cherche à
il

l'imposer. Dans la plupart des cas que nous avons parcourus, même à
propos des paraboles argumentatives, il y a. comme au delà du sens
obvie, une échappée sur un autre horizon. On
que Jésus pro- dirait

portionne toujours la vérité à l'utilité Il ne leur de ses auditeurs.


donne que ce qui est nécessaire, mais il offre toujours plus. Trop de
lumière ne servirait de rien, si ses auditeurs ne savaient pas se l'as-
similer et en vivre. Les paraboles font de la clarté et en font entrevoir
encore davantage. Elles provoquent la curiosité, ou plutôt elles sont
un appel bonne volonté.
à la
Ce n'est point là une pure conjecture ou une impression subjective.
Marc a dit nettement, nous l'avons déjà vu « Faites attention à ce :

(1, Excellent commentaire deThéophylacte. quon range parmi les partisans de l'obscurité
lô'.wtr,: y.al à(xa6r,;, to-^tov îvexev |ji[xv/;Tai v.iy.-f.o^ ai.vir:E0K
voulue : ÈTcetSr, yàp oy/o; r,<7av

àno Twv o-jvTpd;tov xal (7-jvr,6wv a-jToTç èvO|i«Twv ôiôâSr, a-jio'j;


y.at yopTO--, xal anôçiO'j, ïva
œi£);jji.QV Tt {P. G., CXXXill.. col. 536).
LE BUT DES PARABOLES D'APRÈS L'ÉVANGILE SELON SAINT MARC. 19

que vous entendez: on vous servira selon votre mesure, et on vous


donnera encore plus; car celui qui a, on lui donnera; et celui f{ui n'a
rien, on lui enlèvera même le peu qu'il a » i\\ 2Ï s.-.
Ces paroles, dans le contexte de Marc, sont adressées aux disciples,
nous avons du moins essayé de le prouver en quelques mots. Mais
comment ne pas y voir une règle de l'enseignement de Jésus? Quoi
qu'il en soit du jn-ivilège incontestable des discipli'S. Jésus, lui, est
toujours le même, qu'il s'adresse aux disciples ou à la foule. Si sa
pensée domine de si haut celle des disciples, à plus forte raison,
pourrait-on dire, celle de la foule. 3Iarc la représenté non pas comme
l'orateur qui épuise tous ses moyens pour éclairer et persuader son
auditoire, mais comme un maître dont la doctrine est une source
profonde Il a par devers lui beaucoup plus qu'il ne
et inépuisable.

montre. donne plus qu'on ne peut entendre, mais encore veut -il
Il

que lenseisTnement soit tout de luême proportionné à l'effort, il faut


qu'on prête attention. Ce n'est pas son propre intérêt qui est en jeu
quand il prend la parole, c'est celui des autres, et c'est leur devoir d'y
prendre garde. On voit donc déjà que la lumière des paraboles n'est
pas complète, parce que ceux auxquels elles sont adressées ne méritent
pas davantage ou ne peuvent comprendre davantage, et d'ailleurs n'y
gagneraient rien.
Dans ce premier aspect des paraboles de Jésus nous avons déjà pu
soupçonner la raison décisive qui leur donne un caractère spécial.
Il va de soi pour Marc que Jésus n'a jamais entretenu ses auditeurs

que de Dieu et de son règne (i, li s.). Ses interlocuteurs eux-mêmes


ne l'interpellent pas pour autre chose. De sorte que les paraboles, si
familières quelles soient en elles-mêmes, sont toutes plus ou moins
relatives à la religion. La religion, c'est-à-dire les rapports de
l'homme avec Dieu et de Dieu avec l'homme, est, par définition, le
domaine du mystère, puisque nul ne peut se vanter de connaître Dieu
ni ses desseins, si ce n'est celui à qui il les a révélés. Encore admet-

tait-on généralement dans le judaïsme, que seul Moïse avait vu Dieu


face à face, de sorte que tout ce que les prophètes avaient communi-
qué de lui ne pouvait en donner qu'une idée imparfaite et en quel-
que sorte obscure.
Marc ne pouvait donc penser que la parabole fût nécessairement
claire ou même facilement intelligible, pour la raison fort simple que
la parabole évangélique —
et c'est ce qui la distingue essentielle-

ment de la parabole aristotélicienne et de toutes les fables profanes,


que cette parabole a pour objet des réalités surnaturelles, de leur
nature inaccessibles à l'esprit humain.
20 REVLE BIBLIQUE.

Il faut aussi tenii' compte de l'esprit de Marc. Ou savait déjà, avant


M. Wrede, qu'il est pénétré de l'idée du mystère. Ce savant a cepen-
dant contrilmé à montrer combien le secret messianique est un point
cardinal du second évangile 1 .

Jésus est le Fils de Dieu, et cela seul surpasse toute la pénétration


des hommes. Les démons savent quelque chose de ce secret, mais
loin de souhaiter que la foule le reconnaisse aussitôt pour tel, Jésus
leur ordonne sévèrement de ne rien dire. Le règne de Dieu doit se
réaliser d'une façon absolument paradoxale, par la mort de Jésus,
suivie de sa Résurrection, de sorte que si Jésus était reconnu comme
le Messie par les Juifs, le dessein de Dieu ne pourrait pas s'accomplir.

Quelles paraboles, quelles comparaisons pouvaient faire comprendre


ces mystères?
Quand il s'agissait d'un mystère comme celui du règne de Dieu, il

était sage de graduer l'enseignement. Les foules avaient des idées


très fausses sur ce règne de Dieu en tant qu'oeuvre du Messie. Les
heurter de front, c'était s'exposer à les exaspérer. Mieux valait pré-
parer le peuple à recevoir la parole avec docilité parabole du semeur»
et lui donner l'idée d'un règne de Dieu très grand se développant
par degrés les deux autres paraboles Les paraboles suffisaient aux
.

besoins du peuple en lui donnant une idée générale du règne et en


modérant son impatience. En réalité, le règne devait s'établir par
la Passion du Christ; aux Apùtres. et que Jésus
c'était le secret réservé

eut d'ailleurs assez de peine à leur inculquer. Marc ne dit pas qu'il
fût contenu dans les paraboles qui venaient d'être dites, mais il a à

cœur de distinguer les connaissances réservées aux Apôtres. Encore


cette réserve n'était-elle que temporaire, comme il est dit très expli-
citement « il n'y a rien eu de caché, si ce n'est dans le but qu'il soit
:

un jour révélé » (iv, 22).

Tous les textes que nous avons rencontrés jusqu'à présent découlent
dune même conception des paraboles. Nulle réflexion sur leur portée
comme genre littéraire, mais cette idée que Jésus, maître d'une sa-
gesse surnaturelle et insondable, l'a communiquée de la manière la
plus convenable à chacun, sans l'épuiser jamais: toujours disposé à
donner davantage, il se conformait à la capacité de ses auditeurs et

se tenait à la disposition de leurs bons désirs. Par ailleurs, la para-


bole, discours indirect, comparaison des choses les plus familières
avec les plus sublimes, ne pouvait tout éclairer. Jésus y suppléait par

(ly Wrede, Das Messiasgehciyiiniss in 'Jeu Evangelien. Zugleicli ein Beitrag zum Ver-
stiindnis des Markusevangeliuins.
I.E BUT DES PARABOLES D'APRÈS LEVANGILE SELON SALNÏ MARC. 21

des explications réservées aux disciples. La pratique courante attri-


buée à Jésus par Marc est d'accord avec sa théorie « C'est par de :

nombreuses paraboles comme celles-là qu'il leur proposait la parole,


selon quils étaient capables de l'entendre » [ix. 33 j. C'est la seconde
fois que je cite ce texte capital.

Jusqu'à présent, cependant, la difficulté principale n'a pas été


abordée. Elle est dans les semblent présenter les pa-
deux textes qui
raboles comme obscures, et comme obscures à dessein afin de procu-
rer l'endurcissement des Juifs. Ces deux textes ont été rapprochés par
Wellhausen, Loisy, etc., ce sont les versets 11 et 1*2 d'une part, et Si
du chapitre iv^ de saint Marc.
C'est le point d'appui itrincipal des exég'ètes catholiques qui admet-
tent l'obscurité voulue des paraboles. y a cependant entre eux et
Il

les critiques indépendants cette différence, qu'ils s'attachent à mon-


trer que si Jésus a ainsi traité les Juifs, c'est qu'ils étaient coupables.
Cette faute suppose que pendant quelque temps on leur a proposé
la vérité clairement; d'où l'hypothèse d'un chang-ement dans les pro-
cédés de Jésus à leur égard, hypothèse que, m^us l'avons vu, rien ne
justifie.

Si donc il fallait prendre les textes de Marc dans le sens que l'on
entend, il faudrait leur donner aussi toute l'ampleur qu'ils ont : sup-
poser que Jésus a toujours proposé la parole aux Juifs en parabo-
les obscures, pour amener leur réprobation. C'est bien ce qu'entend
M. Loisy lorsqu'il rend ainsi la pensée de la tradition que repré-
sentent les textes de Marc : « On
persuada que ce genre mysté-
se
rieux d'enseignement avait été choisi tout exprès par le Sauveur lui-

même pour procurer l'accomplissement des desseins de Dieu sur son


peuple le judaïsme ne s'est pas converti, parce qu'il ne devait pas
:

se convertir, et la vérité évangélique lui a été proposée en énigme,


pour qu'il ne pût pas la voir ni se sauver '1 ». 1

Si tel était en effet le sens de iv. 11 s. et 3i, il faudrait recon-


naître une réelle opposition entre cette théorie et ce que Marc nous
laisse entendre ou même nous dit du Imt prochain des paraboles
(iv, 33), et supposer ou que le texte n'est pas du même auteur, ou que

cet auteur a mis bout à iîout deux vues inconciliables.


La première supposition n est, que je sache, proposée par personne.

(1) Les Évangiles sijnoptiqxes. I, 740. De mèrne p. 742 : « Les paraboles n'en sont pas
moins essenliellenient obscures », etc.
22 REVUE BIBLIQUE.

M. Loisy, en particulier, ne semble insinuer nulle part que la vue


théologique sur le but des paraboles soit postérieure à la rédaction du
second évangile telleque nous la possédons sous le nom de Marc (1).
La supposition dune addition, sans aucun appui dans la tradition des
manuscrits ou des versions, serait une solution arbitraire et violente,
à laquelle on ne saurait avoir recours.
Ce qu'imagine M. Loisy, c'est un triple état de la tradition relative
à la parabole. Dans le premier moment de la rédaction (recueil de
discours), on récitait les paraboles sans autre explication, parce qu'on
n'y trouvait aucune obscurité; une seconde rédaction « où les dis-
ciples demandent et obtiennent linterprétation de la parabole du
Sauveur, fait soupçonner que l'on a commencé à trouver les para-
boles moins claires (2) ». Le troisième état est celui que nous con-
naissons déjà, enregistré par Marc, quoique contraire à la manière
de voir de la tradition primitive.
Cette hypothèse n'aurait rien de choquant s'il s'agissait d'un ou-

vrage comme commentaires de saint Jérôme où le saint Docteur


les
se plait parfois à proposer plusieurs opinions sans choisir.
Mais l'on tient à dire que Marc ne comprenait plus Je but primitif
des paraboles, et comme son texte le laisse entrevoir assez claire-
ment, il faut donc que Marc ne se soit pas compris lui-même.
Or, c'est là une extrémité qu'on ne saurait accepter. Les règles de
la critique suggèrent en pareil cas de mettre autant que possible un
auteur d'accord avec lui-même. Il demander si Ton ne s'est
faut se
pas mépris sur sa pensée, et, s'il y a absolument une confusion dans
son texte, se demander si elle n'est pas dans des mots employés abu-
sivement, plutôt que dans des concepts contradictoires.
C'est ce que nous allons essayer de faire, et, pour le dire dès à pré-
sent, nous semble qu'il y a bien une confusion dans les termes de
il

Marc qui, dans nos deux textes, ne prend pas le mot « parabole » au
même sens que dans les autres, et de plus une confusion chez les
exégètes qui ne distinguent pas assez l'ordre d'exécution de l'ordre
de prédestination. C'est ce qu'il faut maintenant expliquer.
D'après iv. 3V, « Jésus ne leur parlait pas sans parabole, mais en
particulier il explicjuait tout à ses propres disciples ». D'un côté la
foule des auditeurs de Jésus, de f'autre côté ses disciples. Aux pre-
miers Jésus ne parle qu'en parabole, aux seconds il révèle tout en

(1) C'est, il est vrai, ce que M. Mangenot semble avoir compris dans son article sur le
Paulinisme de Marc [Revue du clergé français, 1909, 15 cet., p. 137).
(2) Loc. laud., I, 740.
LE BUT DES PARABOLES D'APRES L'EVANGILE SELON SAINT MARC. 23

langage Dès le premier abord on sent qu'il y a là quelque


clair.

mystère. Qae Jésus n'ait jamais parlé au public qu'en paraboles, si

par là on entend des comparaisons ou des fables, c'est une immense


exagération. C'est en vain que M. Fiebig a cherché à l'adoucir en res-
treignant l'affirmation générale à la circonstance présente par un
appel aux généralisations outrancières de l'esprit sémitique (1). Si
Marc a voulu dire simplement que dans cette circonstance Jésus n'a
parlé qu'en paraboles, il a lui-même parlé pour ne rien dire.
Et cependant il est bien vrai qu'il y a ici une généralisation exces-
sive, et c'est très justement que M. Fiebig nous rappelle que les
Hébreux, ayant vivement devant les yeux les choses concrètes, en
généralisent l'expression sans se préoccuper d'indiquer les restric-
tions nécessaires. La généralisation ici porte sur le mot « para-
bole ». Si Marc a pu dire sans sourciller que Jésus ne parlait jamais
au public « sans parabole », c'est qu'il prenait ici parabole dans le

sens le plus étendu. Et ce sens n'est point impossible à deviner.


C'est plus que le indchdl hébreu" dans toute son extension, c'est une
figure quelconque, c'est tout enseignement qui n'est pas parfaitement
clair. .Marc, nous l'avons persuadé que l'enseignement de
dit, est très

Jésus aux foules était incomplet. La parabole lui a paru le type de


cet enseignement insuffisant utile, mais tellement inférieur aux tré-
:

sors de sagesse que Jésus eût pu répandre C'est dans ce sens qu'il
I

emploie maintenant le mot parabole.


Et ce n'est pas ici une pure conjecture. Nous avons dans Marc trois
cas de ces explications données en particulier aux disciples. C'est à
propos de la parabole du semeur iiv, 13 ss. de celle des aliments ,

(VII, 18 ss.), mais aussi dans un cas où il n'y a pas en apparence de

parabole. Jésus a montré aux Pharisiens cpie l'union du mariage est


indissoluble. Il ne l'a pas prouvé par une comparaison, mais par
l'autorité de Moïse lui-même, de Mo'ise que ses adversaires croyaient
favorable à la répudiation. Les disciples demandent une explica-
tion. Elle ne porte pas sur l'argumentation qui a précédé, mais elle
donne une solution plus complète du cas x, 10 ss. Marc a donc con-
>
.

sidéré l'argumentation elle-même comme une sorte de parabole, évi-


demment dans le sens le plus large, dans un sens o\x l'on peut dire
que toute l'Ecriture est une parabole. De la lettre de Mo'ise, Jésus a
tiré un sens caché que personne n'avait perçu avant lui. Il a, en

quelque façon, déjà expliqué une parabole aux Pharisiens, et il com-


plète l'explication pour ses disciples.

(1) Alfjudische Gleiclinisse..., p. 153.


2't REVLE BIBLIQUE.

En entendant iv. 3i dans ce sens très large, ce verset n'est point en


contradiction avec le verset précédent.
Loisy, qui a tant insisté sur l'opposition entre les deux versets,
tinit par concéder, d'assez mauvaise grâce, qu'on peut les concilier :

« L'observation finale... pourrait, à la rigueur,... signifier que le

peuple entendant les paraboles selon qu'il en était capable, les dis-
ciples recevaient à part tous les enseignements qu'ils pouvaient sou-
haiter (1) ».
Toutefois la conciliation n'est possible dans les idées qu'en sup-
posant une nuance notable dans les mots. On s'étonnera moins que
Marc dans le même contexte « paraboles » dans son sens
ait pris

ordinaire de comparaison, et « parabole au singulier) dans le >•

sens d'enseignement insuffisamment clair qui peut être complété,


si l'on note que. dans une même phrase, il a pris le royaume de Dieu

dans le sens d'un don, et dans le sens d'un lieu 2V '

Il est vraiment aussi critique de reconnaître ces fluctuations dans

l'expression que de prendre les termes toujoui*s dans le même sens


strict pour mettre l'auteur en contradiction avec lui-même. Géné-

ralisation exagérée, imprécision et manque de nuances sont des dé-


fauts du génie sémitique dont l'inspiration n'a pas préservé les au-
teurs sacrés.
Dans le second texte, qui est le vrai pivot de la discussion, il faut
encore entendre paraboles dans ce même sens très général, qui ne
préjuge rien du sens et du but des paraboles proprement dites.
Cette fois encore Marc entend par là le mode moins clair de la ré-
vélation proposée aux Juifs, mode dénommé paraboles à cause de la
fréquence des paraboles proposées par Jésus.
Il y aurait contradiction entre ce texte et les autres s'il voulait
dire que Jésus n'employait jamais la parabole avec ses disciples,
puis({ue nous avons vu que c'était le cas (iv, 21 ss. : xm, 28 ss.).

Mais il n'y a pas contradiction s'il entend simplement que les disciples
un enseignement plus clair que celui que Marc nomme paraboles,
recevaient et qui était, de sa nature, insuffisant. Or nous verrons, par
le texte même, que c'était bien sa pensée.
y11 évidemment quelque inconvénient à varier ainsi la nuance
a
des termes; cela engendre un peu de confusion, mais c'est un moin-
dre mal que de se contredire.

(1; Les Évangiles synoptiques, I. 775.


(2) « Celui qui ne recevra pas le royaume de Dieu comme un enfant nv entrera pas
(10, 15).
LE BUT DES PARABOLES D'APRÈS L'ÉVANGILE SELON SAINT MARC. 25

Mais il y a au sujet de ce texte une autre confusion, celle-là moins


imputable à Marc qu'à certains de ses exégètes.
Il y aurait contradiction entre iv, 10-12 et les autres textes, si

celui-là était pris du même point de vue que les autres, puisque,
d'après ce texte, les paraboles avaient pour but de ne pas éclairer les
Juifs, et, d'après les autres, de les instruire. Mais outre que les textes
n'entendent pas par paraboles lemême objet formel, ils n'envi-
sagent pas leurs objets sous le même angle. M. Loisy a dit très juste-
ment que que nous allons aborder est une vue théologique.
le texte

Qu'on l'interprète donc comme tel, et spécialement selon les lois


de la théologie sémitique ou biblique. On constatera alors qu il n'est
point en désaccord avec les autres.
Dans ce texte, Marc n'a plus en vue l'ordre ci'exrcution et pour
ainsi dire normal des choses, mais Vordre de 'prédestination dans
les desseins de Dieu : non plus le caractère propre des éléments em-

ployés, mais leur résultat ultime, et, selon l'usage biblique, il a at-
tribué aux desseins de Dieu toute efficacité, sa/ts se mettre en jjeine
de concilier en théologien cette efficacité avec le jeu des causes se-
condes et la responsabilité humaine.
Essayons de comprendre ce texte difficile.
Et d'abord il faut se demander si iv. 10-1-2 est bien à sa place et
à expliquer par On sait que les évangélistes n'ont
les circonstances.

pas toujours rangé dans l'ordre chronologique. Quelques-


les faits

unes des paraboles de ce chapitre ont été placées par Mt. et par Le.
dans d'autres contextes. Il se pourrait donc que cette théorie géné-
rale sur les paraboles ait été exposée par Jésus dans une autre cir-
constance, par exemple avant même que Jésus ait propose à la foule
la parabole du semeur, puisqu'il en avait déjà opposé sept ou huit
aux Pharisiens et aux scribes. Or M. Loisy a bien montré que notre
texte n'est pas placé dans son cadre réel (1'. Il y en a deux rai-
sons.
1) Jésus vient de proposer la parabole du semeur assis dans une
barque, s'adressant à ceux qui sont sur le rivage. Il dira les autres
paraboles dans la même situation. C'est le soir seulement qu'il passera
de l'autre côté du lac iv, 35). Les disciples l'interrogent pendant
qu'ils sont seuls avec lui, et il s'agit d'un groupe assez considérable
de personnes, qui ne pouvaient lui parler à l'oreille. D'ailleurs z-.t
marque bien une autre circonstance.
k-fvn-.z

2) De plus les disciples demandaient « les paraboles » or, sur le ;

(1) Évangiles synoptiques, 1, 73S.


26 REVUE BIBLIQUE.

bord du lac, Jésus n'en a encore prononcé qu'une. On s'attend à ce


que les disciples disent Expliquez-nous cette parabole? Et c'est bien
:

en effet à cette question que répond Jésus iv, 13 ss.). Marc a profité
de cette demande d'explication pour glisser une théorie générale,
ce qu'il ne pouvait faire sans mettre le pluriel.
L'hyjîothèse d'un déplacement est donc très probable, sinon cer-
taine. Et par conséquent nous sommes autorisé à interpréter le pas-
sage en lui-même, puisqu'il n'a qu'une attache assez artificielle aux
circonstances où il est placé.

*" Et quand il fut en son particulier, ses disciples avec les Douze lui deman-
daient les paraboles. "Et il leur disait : A vous le mystère du règne de Dieu a
été donné, mais à ceux-ci qui sont dehors, tout arrive en paraboles; '- afln
qu'ils regardent bien et ne voient pas,
qu'ils entendent et ne comprennent pas,
de peur qu'ils ne se convertissent et qu'il ne leur soit pardonné.

Au verset 10 on voit que le cercle des confidents n'est pas tellement


restreint. Ce ne sont pas seulement les Apôtres, mais ceux qui sui-
vaient Jésus ordinairement. Ils forment un groupe par opposition à

ceux qui se tiennent dehors Ceux que les Rabbins nom-


iv. 11).
maient « ceux du dehors ne partageaient ni la foi, ni
» (Ci-y-nn),
les espérances d'Israël. Jésus nomme ainsi ceux qui ne sont pas des
siens, qui ne montrent pour sa doctrine que de l'hostilité, de l'indif-
férence ou une curiosité toute profane. Ce ne sont pas ceux qui sont
sur le rivage, par opposition à ceux qui sont dans la barque, ré-
partition de pure circonstance, car il est ici question d'une répar-
tition de principes.
Ces deux catégories de personnes ne sont pas également favorisées
de Dieu. Aux disciples, à ceux qui entourent Jésus, le mystère du
règne de Dieu est donné. Les termes de Marc sont très énergiques
et se révèlent comme primitifs par rapport à Mt. et à Le. En ajou-
tant -'vwva-.. et en mettant le pluriel -j/jz-r^pix. ils ont affaibli l'éner-
gie de l'expression. Le règne de Dieu n'est pas une notion pure;
c'est un événement auquel on prend part; ce secret et la grâce de
le réaliser sont confiés aux disciples. Mjjty-siov n'est employé dans
les évangiles qu'ici et dans les passages parallèles (Mt. xiii, 11 ; Le.
VIII. 10. deux cas au pluriel Il ne se retrouve que dans
dans les .

saint Paul 21 fois» et dans l'Apocalypse i foisi. Il n'est jamais em-


ployé dans le N. T. au sens païen d'une cérémonie religieuse se-
crète; il signifie ou bien une chose secrète, ou un dessein de Dieu,
naturellement caché, parce que les voies de Dieu sont insondables
LE BUT DES PARABOLES D'APRÈS L'EVAMilLE SELON SALNT MARC. "27

l'cf. Dan. II. 28 ss.. et Sap. ii. 22 : ici c'est le iirand dessein qui est
la réalisation de son règne.
Cependant le terme de mystère retient quelque chose de son sens
primitif, puisc^ue les disciples sont en quelque manière traités comme
des initiés.

Autant que les modernes ont pu pénétrer ce que les anciens ont
eu à cœur de tenir caché, les mystères représentaient, outre les

légendes de la vie des dieux, des scènes où les initiés avaient un


intérêt plus immédiat, puisqu'elles figuraient leurs destinées d'ou-
tre-tombe. Encore fallait-il quelles fussent expliquées, qu'on leur
indiquât les mots de passe qui permettaient aux défunts d'échapper
aux dang-ers de passer des ténèbres à la lumière i^l A défaut de
et i.

ce secret, le spectacle n'était qu'une représentation plus ou moins


confuse dont on ne pouvait tirer profit. Le mystère n'était pas
donné.
Le parallèle avec les mystères du paganisme n'est qu'indirect. La
tradition rabbinique nous en offre un autre beaucoup plus précis
qui jette beaucoup de lumière sur la façon dont Marc entend ici

<cparaboles ». Moïse parlait avec Dieu face à face... Mais avec Ba-
laam. Dieu ne s'entretenait qu'en mâchais » i2i. Quand on connaît
quelqu'un de vue. on sait quel il est: à défaut de cette connaissance
directe, on demande à cjui ressemble-t-il? La distinction est la même
:

entre don du règne de Dieu, du mystère de Dieu, soit directement,


le

soit au moyen de comparaisons c[ui ne peuvent qu'en suggérer une


idée affaiblie. Les paraboles ne signifient pas ici les trois petites fa-

bles du chapitre iv. ni même


comparaisons à l'état concret, les
toutes les paraboles. Il s'agit d'un ordre entier d'enseignement réduit
qui est caractérisé par le mot de paraboles, comme le plus propre
à exprimer une connaissance indirecte et par comparaison 3 > C'est
tout ce qui est attribué à ceux du dehors. Mais ils ne peuvent pas
se plaindre, puisqu'il s'agit seulement de ne pas leur conférer un
pri\âlège.

(1) O'JTo; Èvo'jç T/;v •776?.r,v a'.jxoJaîvo: Ta lïçi irîoEiy.vjï toT; àu.*jr;TO'.: y.x; v.r.t t?, ;covr; tx
àitdppr,Ta (Lysias, vi. 30 .

{2] Ninn. rabha. 14, 223^' : ,";*~N"' "Z'J^Z Zl" ... Z'IZZ Z'IE "2" "Z''! ~"~ ~w**2

3} On peut voir la même distinction et même plus raisonnée, dans Clément d'.^^lexan-
drie. Cet esprit très cultivé savait très bien que la parabole, en elle-même, •
est un dis-
cours tiré de ce qui nest pas propre, mais semblable au propre, conduisant celui qui com-
prend a ce qui est véritable et propre, ou. selon dautres, un discours qui présente avec
énergie ce qui est propre au raoyea d'autres termes » Stromates, vi, 15: P. G.. IX, 349).
Les paraboles sont donc pour le Sauveur un moyen dattirer au monde intelligible. D*^au-
28 REVUE BIBLIQUE.

Dans cette première vue du plan divin, il n'est pas question d'exa-
miner les mérites et les démérites. Si cette considération entrait en
ligne, on serait tenté de dire que ceux du dehors sont seulement les
Pharisiens, les seuls qui jusqu'à présent ont mérité un jugement de
châtiment. Mais, si les foules ne sont pas spécialement visées, elles
sont comprises dans les termes très généraux du texte. Et comme il
ne s'agit pas de les punir, il nest point nécessaire qu'elles aient déjà
mérité un châtiment. Il est dit seulement que ce qui est donné aux

uns donné aux autres. Dieu est le maître de ses dons.


n'est pas
11 est clair que cette théorie très "haute, prise de la liberté des

dons divins, n'est pas contraire à l'explication donnée par Marc que
Jésus parlait aux foules selon qu'elles pouvaient comprendre, car le
verset 11 ne dit pas du tout que la connaissance en paraboles, pour
inférieure qu'elle soit, ait été inutile. Ce sont là des modalités d'exé-
cution dont on n'a pas à se préoccuper quand on marque seulement
les grandes lignes du plan divin. Or, que Marc se soit bien placé
dans cette perspective, c'est ce que prouve à l'évidence le verset 1-2.
Ce verset est une allusion libre, mais incontestable, à Isaïe (vi, 9,
10). Le prophète est chargé de dire au peuple « Vous entendrez, :

et vous ne comprendrez pas, vous regarderez et ne verrez pas... de


peur qu'ils ne voient de leurs yeux et qu'ils n'entendent de leurs
oreilles et qu'ils ne comprennent de leur cœur et qu'ils ne se con-
vertissent, et je les guérirai 1) ». L'emprunt est d'autant plus ma-
(

nifeste que pour le dernier mot Marc s'est rapproché du texte hébreu
pour la tournure impersonnelle, « et qu'on ne le guérisse (2) ».
Or 3Iarc a lié très étroitement le texte rédigé d'après Isaïe par
la particule -.va, qui marque ordinairement le but.
On a objecté que dans la langue vulgaire l-tx est souvent syno-
nyme de lattique c-wç, de fac.on que », ou même signifie sim-
<(

plement que » icf. m, 9). mais c'est surtout avec les verbes qui
((

signifient prier. A défaut d'un de ces verbes, hx ne peut indiquer


que le but.
On reconnaît que l'intention de citer étant évidente, -.'va est presque

tre part, les mystères des prophètes sont conservés dans des paraboles, les secrets de
Jésus sont confiés aux Apôtres en paraboles. C'est un voile des choses surnaturelles [P. G.,
Vlil, 753; IX, 97 1. Ce sont bien là, comme dans Marc, deux acceptions différentes du mot
parabole, selon qu'il s'agit de la parabole ordinaire ou de l'expression de vérités surnatu-
relles .

(1) 'Av.or, ày.oO(ï£tî zai où (if, <7'jv/;t£, y.al lÎAÉnovTî; p),î'i]/£Tî xai oO (iri 'lôriTî.... \Lr\ îîote
î&wffiv Toïi; ûf03>.[ioT; y.a; Taîç (jju'iv àxo-jffwciv, xai tv; y.apôîa ouvwij'.v y.a"i £7:tfftps'{/w(Tiv, y.ai

idtao|xat xOto-j;.

(2) Vl NSII.
\.E I5LT DES PARABOLES D'AI'RtS I.'EVANGIf.E SELO.N SAINT MARC. -29

l'équivalent de Iva -'/.r,pMhf,, « afia que s'accomplisse ». comme Ta


compris Mt. ea restituant la citation précédée de hx-K-r^zzj-x'. xjizX;, r,

T.pzçr,-:zix 'li^xlcj r, Xf';: J7a, « et lou voit s'accomplir en eux la prophé-

tie d'Isaïe, qui dit... ». Les rabbins citaient souvent l'Écriture sans

le dire (1 .

Cela est noté pour la précision, car je ne cherche pas du tout à


esquiver la force du texte. Que Jésus ait dit comme dans Mt. : La
prophétie d'Isaïe s'accomplit donc, ou, en accentuant la finalité et le

but, comme dans Me. : la disposition divine avait pour but... c'est au
fond la même chose '2), puisque la prophétie typique ne pouvait
être frustrée. En l'inspirant. Dieu se proposait un dessein qui devait
infailhblement se réaliser. C'est ce rapport entre le fait du verset 11

et le J)ut indiqué au v. 12 qu'il faut étudier de plus près.


Et d'abord la pensée de Marc est-elle exactement celle d'Isaïe? Nous
ne sommes pas oblig-é de le dire, puisqu'il n'en donne pas le com-
mentaire. Et il semble bien qu'il y a une nuance très sensible.

On par notre passage, par saint Jean Jo. xn. 37 par le récit
voit .

de la prédication de saint Paul dans les Actes xxviii. 25 que dans ,

les premiers temps chrétiens on a été frappé de la ressemblance de la


mission d'Isaïe avec celle de Jésus. Isaïe a été chargé par Dieu de prê-
cher la pénitence, mais il savait que ce serait sans succès. La niasse
de la nation serait entraînée dans un désastre effroyable seul un petit :

reste serait sauvé, qui serait le noyau d'un Israël renouvelé et plus
saint. N'était-ce pas ce qui commençait à se passer sous les yeux des
Apôtres?
Or si aux termes du texte isaïen, il mettait dans un re-
l'on s'en tient
lief singulier ré\'idence et presque l'excès de la lumière. C'est ce qu'a

très bien compris M. Duhm dans son Commentaire d'Isaïe :

« La religion, en elle-même un remède, devient un poison pour

qui la bafoue. Araos et Osée menacent du retrait de la religion;


d'après Isaïe le jugement consiste dans l'excès des révélations divines.
La conception d'Isaïe a prévalu avec raison dans l'eschatologie subsé-
quente: elle est la plus profonde. Le monde ne peut être disposé pour
la création nouvelle (jue par le complet anécintissement de son état
actuel, car l'anéantissement est rendu moralement nécessaire par
le paroxysme du péché le paroxysme du péché suppose la plus haute
:

manifestation du bien. »

Et il semble que c'est ainsi que saint Jean a compris l'analogie de

(1) On trouvera un exemple curieux dans Lvciiwr.E. Le Messianisitie p. 203.


(2) Il y a seulement dans Mt. une précaution en rue de ceux qui pensaient que la prédes-
tination gène la liberté.
30 REVUE BIBLIQUE.

la mission d'Isaïe avec celle de Jésus « Bien qu'il eût fait tant de
:

miracles en leur présence, ne croyaient pas en lui. C'était afin que


ils

s'accomplît la parole qu'avait dite le prophète Isaïe Seigneur, qui :

a cru à notre prédication, et le bras du Seigneur, à qui a-t-il été ré-

vélé? C'est pourquoi ne pouvaient pas croire, car Isaïe a dit en-
ils

core : Il a aveuglé leurs yeux et endurci leurs cœurs ». etc. (1).


C'est bien le cas de parler d'aveuglement, de celui qui résulte de
l'évidence des signes. C'est aussi la pensée de saint Irénée Dieu :

aveugle, comme le soleil, ceux qui ne peuvent supporter sa lumière


yeux (2
à cause de la faiblesse de leurs .

Personne ne contestera la profondeur admirable de cette pensée.


Mais ce n'est pas précisément par cet aspect que Marc envisage les
desseins de Dieu autrement il faudrait conclure qu'il a regardé les
;

paraboles comme évidentes !

On pouvait aussi se dire que si Dieu l'avait voulu, il aurait réussi


à éclairer son peuple sur S'il ne la pas fait, c'est
la mission de Jésus.
donc qu'il ne l'a pas voulu. Il était dans ses desseins de ne pas don-
ner à la masse assez de lumière pour cela et de réserver la plénitude
du mystère à des personnes choisies. N est-ce pas aussi la pensée de
saint Paul (3) :

« Nous prêchons une sagesse de Dieu mystérieuse et cachée, que

Dieu, avant les siècles, avait destinée pour notre glorification. Cette
sagesse, nul des princes de ce siècle ne l'a connue car, s'ils l'avaient ;

connue, ils n'auraient pas crucifié le Seigneur de la gloire ».


Que les princes ou même le peuple —aient été indignes ou inca- —
pables, que leur faute ait été plus ou moins grave, ce n'est pas la
question. Il s'agit du dessein de Dieu, qui était de sauver le monde
par la mort de son Fils, dessein qui ne se serait pas réalisé, si la na-
tion avait reconnu en lui le Messie. Il n'a pas plu à Dieu de faire la
pleine lumière, sauf à ne pas procurer une conversion qui ne pou-
vait être qu'un replâtrage, après tant de tentatives infructueuses.
Le dessein de Dieu a cependant pour terme une nouvelle effusion
de bienfaits (i), car il ne faut pas oublier que la dispensation dont il
est ici question n'est que temporaire. Les disciples avaient mission.

(1) Jo. XII, 37 ss., trad. Calmes.

(2) Advers. Iiar.. IV, 29, 1 : Unus et idem Deus his quidernqui non crednnt... infert cae-
citatem, quemadinodum sol in lus qui propter aliquum infirinilatem oculorum nonpos-
svnt contemplari lumen eius.
(3) I Cor. II, 8.

(4) Saint Jérôme sur Isaïe, ad h- l. : Er'/o non esl criulelitas Dei. sed misericordia
vnam perirc gentem, ut omnes salvae fiant.
LE BIT DES PARABOLES D'APRÈS L'ÉVANGILE SELOiN SAINT MARC. 31

au moment opportun, de prêcher la vérité ouvertement (iv, -21 ss.).


La lumière tempérée, par comparaisons, par paraboles, n'était pas
donnée pour aveugler, mais pour instruire ceux qui étaient dignes ou
capables de la recevoir. L'insuffisance de cette lumière expliquait
pourquoi la nation avait méconnu le Christ, dont renseignement
heurtait les préjugés. Le don du mystère à quelques-uns préparait
l'avenir dans l'intérêt de tous.
Et c'est peut-être parce que ces mes sur les desseins de Dieu avaient
quelque chose de troublant que Marc est redescendu ensuite sur la
manière dont les choses se sont passées dans l'ordre d'exécution. Il
n'avait pas à revenir sur la façon dont Jésus avait opposé aux Phari-
siens des paraboles négatives, mais il a indiqué (iv, 33, 3i) l'effet que
les paraboles pouvaient avoir sur les masses. Si Fendurcissement des
Juifs était voulu de Dieu —
comme occasion du salut définitif il ne —
s'ensuivait pas que Jésus lui-même ait procuré ou puni cet endurcis-
sement par des termes obscurs choisis à dessein pour que les foules
ne pussent pas comprendre. Il leur donnait moins de lumière
qu'aux disciples, mais cependant la lumière, celle qui était à leur
portée. Ils entendaient un langage qu'ils pouvaient comprendre, et
s'ils n'en demandaient pas davantage, c'était leur faute, faute qui

rentrait dans le plan de Dieu.


D'ailleurs, Marc n'a pas pris soin de nous expliquer davantage com-
ment la liberté humaine se concilie avec la prédestination. Comme
tous les auteurs sacrés, il deux choses pour certaines, sans
a tenu les
s'inquiéter de les concilier explicitement. L'opinion que nous avons
souvent combattue est un essai de conciliation entre la prédestination
et la liberté. Elle parait dure, et Ton s'étonne d'abord de la trouver

sous la plume de théologiens qui ont toujours eu un soin extrême


d'adoucir le scandale causé par une proclamation sans réticence de
l'universalité et de l'efficacité du gouvernement divin. L'étonnement
disparait, quand on y regarde de près. On voit percer la préoccupa-
tion de trouver une faute des masses qui justifie leur réprobation,
anticipée et ensuite, si les masses reçoivent moins de lumière, c'est
donc une punition de leur faute, une suite de leur réprobation. Marc a
simplement dit. au point de vue des desseins de Dieu, qu'il a donné
aux uns plus qu'aux autres nous pouvons bien supposer que d'après
;

lui ce plan divin ne changeait rien aux responsabilités particulières


mises en jeu, ni à la nature des paraboles qui est d'éclairer ou du moins
de préparer à une lumière plus complète.
HEVLE BIBLIQUE.

Reprenons une fois de plus la pensée de Marc sur les paraboles. Ce


sont des comparaisons tirées de la vie de tous les jours, et destinées à
faciliter l'intellig-ence de choses moins connues. Leur emploi est très
varié, soit que Jésus s'en serve pour écarter les insinuations de ses
adversaires, soit que la parabole invite le peuple à concevoir quelque
idée du règne de Dieu, soit même qu'elle prenne l'apparence d'une
énigme pour exciter sa curiosité. Les termes n'en sont jamais choisis
pour qu'on ne comprenne pas sans explication il arrive cependant
;

que l'objet de la comparaison n'est pas indiqué dans ce cas, ou il


;

faut le deviner, ou il faut le demander au Maître qui s'offre de bonne


grâce à en dire davantage en appelant l'attention.
.Jésus ayant ordinairement employé la parabole, elle est devenue

pour Marc comme le type de son enseignement public. D'autre part,


Marc constate que Jésus s'est communiqué beaucoup pkis intimement
à ses disciples. Quoique, dans ce cas même, il lui soit arrivé d'em-
ployer la parabole, à prendre les choses en gros, les paroles adressées
aux disciples étaient comme une explication plus approfondie de l'en-
seignement public. Prenant « paraboles » dans le sens d'enseigne-
ment par comparaisons ou hgures, en opposition avec l'intelligence
directe des doctrines, Marc a dû regarder les paraboles comme repré-
sentant cet enseignement imparfait. Jésus ne punissait pas ceux du
dehors en leur proposant des paraboles, il ne leur devait et ne leur
donnait rien de plus que des paraboles. Et cette distinction de deux
degrés dans la lumière avait pour but, dans les desseins de Dieu,

de préparer un nouvel ordre de choses dans lequel la lunuère serait


plus abondamment offerte à tous.

La solution que nous avons proposée paraîtra peut-être un peu


tlottante. Elle n'a pas la séduction des affirmations ou des négations
totales. Elle s'efforce de tenir compte des nuances de la pensée de
Marc. Lorsque les exégètes sont divisés, depuis si longtemps, sur une
question aussi grave, on peut bien supposer qu'il y a, dans le texte
même, des raisons d'opiner pour ou contre.
Les uns, comme M. Loisy, mettent Marc en contradiction avec lui-
même et avec la pratique de Jésus les autres, comme tant d'exégètes
;

depuis Maldonat, prenant trop à la lettre et dans un sens unique cer-


taines paroles de Marc, ont abouti à ce résultat qui parait bien dur, que
Jésus a choisi les paraboles parce qu'elles étaient obscures et qu'ainsi
les auditeurs ne pussent pas comprendre, même s'ils l'avaient très

fort voulu, etiani si maxime velloit.


LE BUT DES PARABOLES D'APRÈS L'ÉVANGILE SELON SALNT U\RC. 33

Pour échapper à ces deux extrémités, nous avons préféré recon-


naître dans Marc une terminolog-ie moins ferme, un ordre moins heu-
reux. En prenant >< paraboles » sous des modalités différentes; en
plaçant sa théorie sur les deux euseig-nements du Sauveur au moment
où il propose des paraboles à la foule, et peut-être en nommant « pa-
raboles )) l'enseignement incomplet précisément parce qu'il avait
placé en cet endroit sa théorie. Marc a donné l'occasion de croire qu'il
avait cru toutes les paraboles obscures et obscures à dessem. Il est
une autre confusion où il est encore moins responsable, c'est celle
qui ne distingue pas assez l'ordre de prédestination et l'ordre d'exé-
cution. Quand bien même les paraboles seraient destinées à l'endur-
cissement d'Israël, cela ne change rien à leur nature, et elles ne sont
pas responsables si Israël ne les a pas mieux comprises parce qu'il n'a
pas voulu.
C'est ce que Marc ne s'est pas soticié de dire ici en termes exprès,
mais qu'il a fort bien laissé entendre. L'endurcissement des Juifs
était bien leur fait.

Et il Tétait cependant selon deux degrés bien distincts, le péché


des chefs, et le péché du peuple. Le péché des chefs était d'avoir re-

fusé l'évidence des signes et d'avoir cherché querelle sur des points de
doctrine. Jésus s'était contenté de répondre avec une clarté décisive,
insinuant davantage à ceux qui voulaient entendre, La foule était cu-
rieuse de la doctrine, et Jésus lui avait donné, toujours en paraboles,
ce qu'elle pouvait comprendre. Les disciples étaient dociles. A eux
aussi, Jésus proposait des paraboles. Ils ne comprenaient guère mieux,
mais ils demandaient des explications. La parabole était bonne en
elle-même, mais il ne fallait pas s'y buter. X'est-ce pas aussi sur la
pierre d'angle de l'édifice que les Juifs se sont brisés?

Jusqu'ici nous n'avons parléque de la pensée de saint Marc, l'auteur


du second évangile. Cette méthode s'imposait, d'après les règles de la
critique, puisque enfin c'est lui qui a écrit les paroles dont il s'agit
d'expliquer le sens.
Mais nous sommes d'ailleurs bien persuadé que Marc a été ira
fidèle interprète de la pensée de Jésus.
Sur ce point, cela vasansdire. nous sommes pleinement d'accord avec
les exégètes catholiques. Ceux d'entre eux qui attribuaient à Jésus
d'avoir puni la foule par l'obscurité voulue des paraboles s'y croyaient
contraints par le texte sacré. Une exégèse un peu différente de ce
texte amène tout naturellement une conception différente des intentions
REVUE BIBLIQVE 1910. — N, s., T. VII. 3
34 REVUE BIBLIQUE.

du Sauveur; des deux parts on prend pour guide l'évangéliste, dont


on ne conteste pas l'autorité. Mais il reste une difficulté à débattre avec
ceux c[ui mettent le disciple en opposition avec son Maître.
M. Loisy, en particulier, qui a exagéré le caractère aveuglant des
paraboles dans Marc, a exagéré aussi leur limpidité primitive, de façon
à creuser un abime entre la pensée de Jésus et l'état de la tradition

reflétée par le rédacteur du second évangile.

Nous admettons avec M. Loisy que Jésus n'a jamais parlé que pour
éclairer ses auditeurs, avec une nuance cependant sur la lumière
plutôt négative de ses réponses aux Pharisiens. Et cet exemple prouve
déjà qu'il n'avait pas à éclairer tout le monde de la même façon.
Jésus ne pouvait se faire illusion sur l'instabilité de la foule, ni sur
lacharnement de ses ennemis; ne devait-il pas réserver à ses amis ses
secrets les plus intimes?
Il n'y a plus d'histoire évangéli^ue si l'on n'admet pas que Jésus a
confié à ses disciples le soin de continuer son œuvre. C'est ce qui
résulte déjà de la parabole de la lampe, qui figure les destinées de la
doctrine. M. Loisy poursuit d'une critique implacable toutes les
paroles qui conduisent à linstitution de l'Église par Jésus, mais il

faudrait supprimer tant de choses qu'il ne resterait plus rien.


Et n'est-ce pas un véritable défi à toutes les vraisemblances que
d'écrire : « Rien n'était moins mystérieux que l'objet des para-
boles » (1)?
Car. à propos du règne de Dieu, leur principal objet, on n'était
guère d'accord que sur un point, cest qu'il appartenait à la sphère du
mystère.
Nous ne pourrions insister sur ce point sans répéter ce que nous
avons dit ailleurs (2), et il serait hors de propos de reprendre, au
sujet des paraboles, toutes les raisons qui prouvent la fidélité de la
tradition.
On voit d'ailleurs très bien pourquoi M. Loisy juge autrement que
Marc l'enseignement de Jésus. Marc y reconnaissait les trésors inépui-
sables de la Sagesse du Fils de Dieu; on sait ce que M. Loisy opine
de du jeune rabbi de Nazareth.
la doctrine

MaisMarc reproduit fidèlement la pensée de Jésus, on peut ad-


si

mettre que, dans la forme, certains termes lui appartiennent en


propre. Dans le texte capital (iv, 11, 12 Jésus
1 a-t-il employé le mot
de mystère, qui ne se présente qu'une fois, celle-ci, dans les évan-

(1) Les Évangiles synoptiques, \, p. 189.


(2) Le Messianisme chez les Juifs.
LE BLT DES PARABOLES D'APRÈS L'ÉVANGILE SELON SAINT MARC. 3o

g'iles, etvingt et une fois dans saint Paul? L'emploi de ce terme se-
rait un indice du paulinisme de Marc, paulinisnie assez restreint. Un
autre terme, zzm. « ceux du dehors o, répondant au terme rabbi-
:-.

nique qui désigne les non-Juifs, parait indic|uer une communauté dont
les limites sont bien tracées, celle des premiers chrétiens, plutôt que

le groupement flottant des disciples de Jésus. D'ailleurs l'expression

ne se rencontre ni dans Luc ni dans Matthieu.


Ce sont là des manières de parler. Tout en restant tidèle à la
pensée qu'il veut rendre, un auteur est ordinairement sous l'influence
des façons employées autour de lui dans le lang-age. Et cependant
c est sur ces formes extérieures qu'on insiste pour refuser à Jésus
une pensée reproduite par les trois synoptiques Ij!

On serait tenté d'aller plus loin, et de se demander si la citation


d'Isaïe est sortie de la bouche de Jésus, ou si elle lui a été attribuée
par Marc pour caractériser la situation. Dans le sens du doute on al-
léguerait que saint Jean a argumenté disaïe Jo. xii. 37 ss.i sans
mettre ses paroles surles lèvres du Sauveur, que saint Matthieu a trans-

au long, tandis que saint Luc l'a rendue presque mé-


crit la citation tout

connaissable. On alléguerait encore que la mission d'Isaïe se rapporte


à son temps. Le prophète n'avait pas en vue un inconnu de l'avenir,
mais sa propre personne. Ses paroles ne pouvaient donc s'entendre
de la mission de Jésus qu'en tant que celle d'Isaïe en était le type ou
la figure, ce qui suppose une certaine réflexion après qu'on eut cons-

taté que lune et l'autre avaient eu le même résultat. L'examen pure-


ment critique inclinerait donc à voir dans le verset 1-2 une addition
de la tradition aux paroles du Sauveur.
Mais comme on sait par ailleurs qu'il aimait à faire allusion au
grand prophète, et que la citation complète bien la pensée, sans être
tout à fait indispensable à l'idée principale, on incline plutôt à la
lui attribuer.

Sur aucun point d'ailleurs on ne prétend avoir fourni des solutions


définitives et indiscutables. Le problème du but des paraboles est des
plus délicats; on a essayé de l'aborder diligentia rationis, non jjrae-
sumptionis audacia i2).

Jérusalem.
Fr. M.-J. Lagrange.

Ce n'est pas Jésus non plus qui a pu regarder comme un mvstèrc


l'I) « et présenter ^
royaume dont il annonçait l'avènement. 11 n'a pas davantage considéré ses auditeurs or di
naires comme étant gens « du dehors " Les Évangiles synoptiques. I,741J.
(L>) S. Auc, De civitaie Dei, xi, ^3.
LA CONQUETE DE JERICHO
(josuÉ vr, 1-20)

Les voyageurs qui sont descendus Tannée dernière à Jériclio n'ont


pas manqué daller tout au moins jeter un coup doeil de curieux sur
les fouilles exécutées à tell es-SouUàn, remplacement présumé de la
vieille citécananéenne. Les travaux dirigés par M. Sellin avec la col-
laboration de MM. Watzinger et Langenegger ont déjà donné de ma-
gnifiques résultats, et il y a lieu d'en espérer de plus beaux encore.
Tout un coin de la Jéricho juive a été mis à jour; on a déterminé tout
le périmètre de l'enceinte complètement dégagé, sur plusieurs
et

points, les murs de la villele plus beau spécimen d'anciennes


qui offrent
fortifications fourni jusqu'ici par les fouilles palestiniennes. En visitant
ces ruines, le souvenir de la fameuse conquête de Jéricho par les Israé-
lites revient tout naturellement à l'esprit et l'on a hâte de relire le
chapitre vi du livre de Josué, où le fait est raconté tout au long. Mais
ce récit offre, dans le texte original, certaines particularités un peu em-
barrassantes. Si, pour les éclaircir, on recourt aux différentes versions
anciennes, on est frappé des divergences, parfois notables, que ces ver-
sions présentent d'avec l'hébreu. 11 y a donc là un travail ardu de cri-
tique littéraire et de critique textuelle qui doit marcher de pair avec
du texte. Essayons de parcourir le récit
la lecture et l'interprétation

en question en tenant compte de ce double travail.


Afin de donner plus de clarté aux quelques remarques qui vont
suivre, nous juxtaposerons tout d'abord, sur trois colonnes, une tra-
duction du texte massorétique et des Septante avec le texte de la Vul-
gate.

TM. LXX (B). Vulgate.


1. Jéricho avait fermé [ses 1. Jéricho était fermée et 1.Jerichoautemclausaerat
portes") et était barricadée à forliiiée, personne n'en sortait atquemunita, timoré Jiliorum
l'approche des ûls d'Israël; et personne n'entrait. Israël, et nullus egrediaude-
personne ne sortait et per- bal aut ingredi.

sonne n'entrait.
2. Et lahvé dit à Josue : 2. Elle Seigneur dit à Jo- 2. Dixitque Doininus ad
LA CONOIETE DE JERICHO. 37

Voici que je livre dan> ta sué : Voici que je livre Jé- Josue : Ecce dedi in manu
main Jéricho et son roi, de richo dans ta main ainsi que tua Jéricho, et regem ejus,
vaillants guerriers". son roi ^des hommes] puis- omnesque fortes viros.
sants en force.
3. Vous contournerez la 3. Et toi, dispose autour o. Circuite urbem cuncti
ville, tous les hommes de d'elle les combattants, en bellatores semel per diem :

guerre, faisant une fois le cercle. sic facielis sex diebus.


tour de la ville; ainsi tu agiras

pendant six jours.


4. Sept prêtres porteront 4. et lorsque vous sonnerez 4. Septimo autem die sa-
devant l'arche sept trom- de la trompette, que tout le cerdotes tollant septem buc-
pettes faites de cornes de peuple pousse un cri en même cinas, quarum usus est in
béliers, et le septième jour temps; jubilœo, et procédant arcam
vous contournerez la ville fœderis : septiesque circui-
sept fois et les prêtres son- bilis civitatern, et sacerdotes
neront des trompettes: clangent buccinis.
5. et lorsqu'on fera retentir 3. Et, à leur cri. les murs 5. Cumque insonuerit vox

la corne de bélier, quand de la ville tomberont deux- tuba longior atque concisior,
vous entendrez la voix de la mémes et tout le peuple en- et in auribus vestris incre-
trompette, tout le peuple trera,chacun se précipitant puerit. conclamabit omnis
poussera un grand cri et le devant soi dans la ville. populus vociferatione maxi-
mur de la ville s'effondrera ma,et murifundituscorruent
et le peuple montera chacun civilatis.ingredienturquesin-
devant soi. guli per locum contra quem
steterinf.
6. Josué lils de Noun appela 6. Josué fils de Naué vint 6. Vocavitque ergo Josue
les prêtres et leur dit ; Prenez trouver les prêtres filius Nun sacerdotes, et dixit
que sf-pt
larclie d'alliance et ad eos artam fœde-
: Tollite
prêtres prennent sept trom- ris :septem alii sacerdo-
et
pettes de cornes de béliers tes tollant septem jubilœorum
en avant de l'arche de lahvé. bufcina>, et iiicedant ante
arcam Domini.
7. Et il 'dit' au peuple :
". etleurdit Ordonnez au 7. .\d populum quoque ait :

Passez et faites le tour de la peuple de s'avancer autour de Ite. et circuite civitatern, ar-

villeet que les guerriers la ville et de la cerner; que mati, praecedentes arcam Do-
marchent devant l'arche de les guerriers revêtus de leurs mini.
lahvé. armes passent devant le Sei-

gneur,
8. Comme Josué parlait au 8. et que sept prêtres por- 8. Cumque Josue verba
peuple, sept prêtres portant tant sept trompettes sacrées finisset, et septem sacerdotes
sept trompettes de cornes de défilent pareillement devant septem buccinis clangerent
béliers défilèrent devant lah- le Seigneur, donnent leet ante arcam fœderis Domini.
vé, sonnant des trompettes, signal avec vigueur, et que
et l'arche d'alliance de lahvé l'arche de l'alliance du Sei-
venait après eux. gneur suive.
9. Lesguerriers marchaient 9. Que les guerriers mar- 9. Omnisqu*^ prœcederet
en avant des prêtres qui chent en avant, et les prêtres arraatus exercitus, reliquum
sonnaient des trompettes, et ....] qui sont à l'arrière- vulgus arcam sequebatur, ac
l'arrière-garde suivait l'arche: garde, derrière l'arche de buccinis omnia concrepa-
on s'avançait au son des l'alliance du Seigneur, jouant bant.
trompettes. des trompettes.
Josué donna cet ordre
10. 10. Josué donna cet ordre 10. Praeceperat autem Josue
au peuple Ne criez point, et
: au peuple : Ne criez pas et populo, dicens : Non claraa-
ne faites point entendre votre que personne n'entende votre bitis, necaudieturvux vestra,
38 REVUE BIBLIQUE.

voix, et qu'il ne sorte pas VOIX jusqu au jour ou on vous neque ullus sermo ex ore ves-
de votre bouche une parole, ordonnera de crier alors vous ; tro egredietur donec venial :

jusqu'au jour où je vous di- crierez. dres in quo dicam vobis .

rai Criez alors vous crierez.


: ;
Clamate, et vociferamini.
11. On lit faire à l'arctie 11. Et l'arche de l'alliance 11. Circuivit ergo arca Do-
de lahvé le tour de la ville, du Seigneur ayant fait le tour mini civitatem semel per
que l'on contourna une fois, rentra aussitôt au camp et y diem. et reversa in castra,
et on rentra au camp et on passa la nuit. mansit ibi.

passa la nuit dans le camp.


12. Josué se leva de bon IJ. Le second jour. Josué 12. Jgitur Josue de nocte
matin et les prêtres prirent se leva de bon matin et les consurgente, tulerunt sacer-
l'arche de lahvé, prêtres prirent l'arche de dotes arcam Domini.
l'alliance du Seigneur,
13. et sept prêtres portant 13. et les sept prêtres por- 13. Et septem ex eis septem
sept trompettes de cornes de tant les sept trompettes mar- buccinas, quarum in jubilceo

bélier allaient devant l'arche chaient devant le Seigneur. usus est : praecedebanlque
de lahvé, sonnant des trom- .\près cela venaient les guer- arcam Domini ambulantes
pettes pendant la marche-, riers, et le reste de la foule atque clangentes : et arma tus
les guerriers marchaient de- derrière l'arche de l'alliance populus ibat ante eos. vulgus
vant eux et l'arrière-garde du Seigneur ; les prêtres son- autem reliquum sequebatur
venait derrière l'arche de nèrent des trompettes i^t tout arcam, et buccinis personabat.
lahvé ; on marchait au son le reste de la foule fit le tour
des trompettes. de la ville de près.
14. Le second jour on con- 14. Et de nouveau on rentra 14. Circuieruntque civita-
tourna la ville une fois et on au cainp; ainsi l'on fit pen- tem secundo die serael, et re-
rentra au camp; ainsi l'on fit dant six jours. versi sunt in castra. Sic fe-
pendant six jours. cerunt sex diebus.
Le septième jour, on se
15. Le septième jour on
15. se 15. Die autem seplimOjdilu-
leva comme l'aurore com- leva avec l'aurore et on fil culo consurgentes, circuie-
mençait à poindre et on fit six fois le tour de la ville: runt urbem, sicutdispositurn
le tour de la ville de celte erat, septies.
même manière sept fois-, seu-
lement ce jour-là on fit sept.
fois le tour de la ville.
16. \u septième tour, les ]<;. au septième tour, les 16. Cumque septimo cir-

prêtres sonnèrent des trom- prêtres sonnèrent de la trom- cuitu clangerent buccinis
pettes, et Josué dit au peu- pette et Josué dit aux fils sacerdotes, dixit Josue ad
ple : Criez, car lahvé vous a d'Israël : Criez! car le Sei- omnein Israël : Vociferamini :

livré la ville. gneur vous a livré la ville. tradidit enim vobis Dominus
civitatem :

La ville sera dévouée


17. 17. Et la ville sera dévouée 17. Sitque civitas hœc ana-
en anathème à lahvé. elle et en anathème au Seigneur des Iherna omnia quœ in ea
: et
tout ce qui s'y trouve ; seu- armées, elle et tout ce qui sunt. Domino sola Rahab :

lement Rahab la prostituée s'y trouve ; vous délivrerez merelrix vivat cum universis,
survivra, elle et tout ce qui seulement Rahab la prosti- qui cum ea in dorno sunt :

sera avec elle dans la maison, tuée, elle et tout ce qui sera abscondit enim nunlios quos
(car elle a caché les messagers dans sa maison. direxiinus.
que nous avions envoyés).
18. .Mais vous, gardez-vous 18. Mais vous, prenez bien 18. Vos autem cavete ne de
bien de l'anathème de peur garde à l'anathème, de peur his. quccpraeceptasunl, quip-
que 'poussés par la convoi- qu'il ne nous vienne à l'idée piam contingatis, et silis

tise' vous ne preniez quelque de prendre de ce qui est prœvaricationis rei, et omnia
chose de ce qui est anathème anathème et que vous ne castra Israël sub peccato sint
et que vous ne placiez ;_ainsij anathème le camp des
fassiez atque turbentur.
,

LA CONQUÊTE DE JÉRICHO. 39

tout le camp dlsraèl sous (ils d'Israël et que vous ne


l'anathème et que vous n'at- vous perdiez.
tiriez le malheur sur lui.
19 Tout l'argent et l'or, les 19. Tout l'argent el l'or, 19. Quidquid autem auri
ustensiles de bronze et de fer l'airain et le fer sont consa- et argenti fuerit et va.sorum
seront consacrés à lahvé. ils crés au Seigneur; ils seront œneorum ac ferri, Domino
iront dans le trésor de lahvé. versés dans le trésor du Sei- consecietur, reposiluin in
gneur. Ihesauris ejus.
20.Le peuple se mit à crier 20. Les prêtres sonnèrent 20. Igitur omni populo vo-
(et on sonna des trompettes, des trompettes, el lorsque le ciférante, et clangentibus tu-
et lorsque le peuple entendit peuple entendit les trom- his, postquam in aures mul-
la voix de la trompette, il pettes, tout le peuple poussa tiludinis vox sonitusque in-
poussa un cri formidable et en même temps un cri grand crepuit, mûri illico corrue-
le mur s'effondra, et le peu- et fort et tout le mur s'é- runt : et ascendit unusquis-
ple entra dans la ville, cha- croula tout autour el tout le que par locum, qui contra
cun devant soi, et s'empara peuple entra dans la ville. se erat : ceperuntque civita-
de la ville. tem.

V. 1. — Les mots Snic* 1:2 "lE^r que les LXX ne semblent pas avoir
lu dans leui' texte hébreu, pourraient bien être une glose; saint Jé-
rôme a traduit « timoré filiorum Israël », commentant le texte autant
qu'il le traduisait. Son explication est d'ailleurs excellente. Le passage
du Jourdain par les Bené-Israël avait jeté l'épouvante dans tout le
pays de Canaan, et Jéricho, la première localité qui allait entrer en
contact avec eux, prenait ses mesures de défense en proie à la plus
vive terreur. Les portes de la ville étaient soigneusement fermées;
personne n'osait plus s'aventurer hors des murs et Ton ne permettait
à personne d'entrer, de crainte d'introduire dans la place un ennemi
déguisé. L'auteur a peut-être encore voulu mettre en relief, dès le
début de son récit, la force de la cité cananéenne, afin de faire mieux
ressortir dans la suite l'intervention de lahvé. La glose du Targum de
Jonathan appuierait bien cette hypothèse : <( Jéricho était fermée avec
des portes de fer et barricadée avec des verrous d'airain... »

V. 2. — Dans l'état actuel du texte, la seconde partie du verset se


présente comme une apposition, mais cette construction est irrégu-
lière ;'i"'nn ir25 ne peut pas être mis en apposition avec "ns"! "in'^i^

hdSg. Il deux mots comme une glose, ou


faut donc retrancher ces
bien supposer qu il manque quelque chose, ne fût-ce qu'une copule.
La Vulgate a introduit cette liaison omnesque fortes viros , et le ,

syriaque a ajouté en outre un suffixe, ov^--- o^q^o, ce qui rend la phrase


encore plus coulante. Ces corrections ne sont naturellement que des
conjectures ou pour mieux dire de légères entorses faites au TM,
afin d'obtenir un sens clair et limpide. Le grec a traduit littérale-
ment la fin du verset il avait donc sur ce point le même texte que
;

nous. Par contre sa leçon 7,7.1 -bv 'iLy.iChiy. y.J-r^c, -bv èv aù-:?j, supposerait
40 REVUE BIBLIQUE.

qu'on lisait dans l'hébreu ~z irs n:^"2"rix'. La variante -o-j: àv ajTf,

o'jvaTCjç (F) sourirait mieux appuyée; en


beaucoup si elle était

ajoutant la copule au début elle suggérerait une lecture comme


"2 ("iwX'^ *?*"" iT2:(~r.s* mais n'est-ce pas trop facile, et ne doit-on
;

pas croire que cela a été composé tout exprès?


La formule « j ai donné dans ta main... » est généralement consi-
dérée comme appartenant au style du Deutéronome i^Deut. ii, 2i, m, 2);
on la retrouve encore plus loin Jos. viii, 1).
Quelques commentateurs, entre autres Gajetan, ont voulu voir dans
ce verset la suite de l'entretien de Josué avec le personnage mysté-
rieux du chapitre précédent, vv. 13-15, et par conséquent identifier
lahvé avec le prince de l'armée de lahvé. Cette interprétation nous
parait insoutenable. La formule « lahvé dit à Josué » est courante
dans le livre (i, 1; m, 7; iv, donner ici le
1. 15 etc. > et il faut lui
même sens que partout ailleurs. Il est très vraisemblable que primi-
tivement l'entretien de Josué avec le prince des armées de lahvé était
raconté plus au long. Il y était question sans doute des guerres à en-
treprendre, de la conquête du pays de Canaan, et en premier lieu de
la conquête de Jéricho. Peut-être même les recommandations qui

vont suivre en faisaient-elles partie; mais en tout cas, dans l'état ac-
tuel du texte, rien ne permet de le conclure.
On peut dire que le récit de l'apparition ne se terminait sûrement
pas au V. 15, mais il faut reconnaître aus^i que le texte a été tronqué,
car au début du chapitre vi on passe à tout autre chose. Le v. 1 cons-
titue une sorte d'introduction à un nouveau récit qu'il faudrait inti-
tuler Prise de Jéricho. Comme dans toutes les grandes circonstan-
:

ces (Jos. III, 7ss.; VIII, 1 ss., etc. lahvé parait en premier lieu, pour
,

encourager Josué et lui faire ses recommandations (v. 2-5); le héros


transmet ensuite les ordres aux prêtres et au peuple et l'action se
déroule.
Y. 3-5. —
Ici commencent de grandes divergences entre le

TM. et les LXX. Le grec ne possède que le début du v. 3 du T.M.


du v. i. Les versets i et 5 des LXX correspondent tant bien
et rien

que mal au v. 5 de l'hébreu. Dans le grec, le thème est tout à fait


simple : Josué fera cerner la place par les combattants; sur un signal
de la trompette, tout le peuple criera en même temps; à cette clameur

les murs de la ville s'écrouleront et tout le monde se précipitera à


l'intérieur. Dans l'hébreu, le fond du récit est le même, mais la mise
en scène est plus développée et plus grandiose. On fera le tour de la
ville pendant six jours; sept prêtres munis de trompettes précéderont
l'arche, introduite dans le cortège; le septième jour on contournera

œh|BRARY|1
LA CONQUETE DE JÉRICHO. 41

sept fois place: au septième tour, les prêtres sonneront de la trom-


la

peuple poussera un urand cri, les murs de la place s'ef-


pette, le
fondreront et le peuple entrera.
nous nous demandons quel est celui des deux textes auquel nous
Si
devons donner la préférence, de prime abord on sera porté à choi-
sir ceLii des LXX à cause de sa concision. Plus loin, il est vrai, on
trouve aussi dans le g-rec l'ensemble des détails du siège que nous
venons de signaler dans le TM.. mais c'est précisément parce que ces
détails figuraient plus loin, dans les ordres donnés par Josué ou dans
le récit des événements, qu'on aura été amené à les introduire aussi
dans le discours attribué à lativé afin d'établir une concordance plus
parfaite. Le texte, d'après le grec, semblait viser un simple investis-
sement de la place, lequel investissement se terminait par la prise
miraculeuse de Jéricho. Cela n'aurait pas suffi aux scribes, qui au-
raient voulu spécifier davantage, eu s'inspirant de la suite du récit.
Le motif de la surcharge du TM. s'expliquerait donc ainsi aisément
tandis qu'il serait peut-être plus difficile d'indiquer une raison plau-
sible qui eût pu engager les LXX ou les copistes postérieurs à sim-
plifier leur texte <];. Peut-être pourrait-on découvrir dans l'analyse
même du TM. lui-même quelques indices d'un remaniement; ainsi,

par exemple, au v. 3, le changement de sujet n'est pas du tout natu-


rel, le syriaque et la Vulgate ne se sont pas fait faute de rétablir
l'harmonie en mettant partout le pluriel.
V. 4. — Lesz*'2".~ r'T'ront été considéréespar saint Jérôme comme
les trompettes dont on se servait pour vraisem-
le jubilé; c'est aussi

blablement l'idée des LXX qui traduisent, au v. 8, par 7^X7:1772; -.scâr.


Il y a là un jeu de mots; "iv signifie « bélier », et les trompettes en

question étaient simplement des trompettes faites avec des cornes de


bélier ou de bouc au verset suivant on leur donnera d'ailleurs le nom
;

de « corne » "";:. Ce genre d'instrument est encore en usage dans la


liturgie israélite à Jérusalem. Chaque année pour les fêtes du w n^
.":m. on annonce, à travers les quartiers juifs de la ville sainte, le

renouvellement de l'année au son d'une trompette faite avec une


corne de bélier, '^'Z't; "^î'w".

" Le nombre de sept se remarque ici d'une manière recherchée,


si

qu'il est malaisé de se persuader qu'il y soit mis sans dessein et sans

(1) Notons cependant que le v. 4 du TM. ne concorde pas pleinement avec le récit qui va
suivre, sur l'usage à faire des trorn;iettes. Aux vv. 8, 9, 13, 14 on sonne de la trompette à
chaque tour durant la marche; ici il est dit qu'on en sonnera seulement après le sep'àeme
tour. Ce desaccord pourrait être invoqué comme un motif de suppression du v. 4 par les
LXX, mais n'est-ce pas là au contraire une preuve du remaniement subi par le TM.?
42 REVUE BIBLIQUE.

mystère, sept prêtres, sept trompettes, sept jours, sept tours». Cette
observation très judicieuse est faite par dom Galmet. L'auteur du ver-
set amanifestement voulu insister sur le nombre sacré de sept; mais
quand on songe que le verset ne se trouve pas dans les LXX, on est

bien tenté de croire, pour la raison donnée ci-dessus, à un arrange-


ment factice du à la plume d'un scribe postérieur à la traduction
grecque. Par conséquent il n'y aurait pas grand mystère à aller cher-
cher là-dessous. Dans ce verset, la Vulgate ne rend pas très fidèle-
ment riiébreu. Elle semble dire en effet que le septième jour seule-
ment les prêtres porteront les sept trompettes; or cette restriction ne
figure pas dans le TM. et est contraire à ce qu'on raconte un peu plus
loin, V. 6 ss. On remarquera que d'après les deux textes, hébreu et
latin, on doit sonner des trompettes seulement après le septième
tour, ce qui explique bien le verset suivant,
mais est en contradiction
avec le V. 8.

V. 5; LXX
vv. i-S. —
Les versions sont unanimes à affirmer dans
ce passage que c'est sur un signal de la trompette ou des trompet-
tes que le peuple poussera le grand cri suivi de la chute des murs
de la ville. La remarque est importante pour la critique littéraire
du chapitre. L'hébreu a-t-il voulu marquer une sonnerie spéciale par
remploi du verbe "wS? plusieurs critiques le soutiennent, et il sem-
ble nécessaire de l'admettre dans l'hypothèse d'unité de source ou
de récit.La Yulgate a même fortement accentué dans sa traduction ce
sens spécial de "îi*~, bien que l'assemblage des deux épithètes
longior atque concisior ne soit pas des plus heureux. Peut-être les
passages bibliques qu'on pourrait invoquer pour préciser le véritable
emploi de "j:n et de "i"»:"2 ne seraient-ils pas tous bien favorables à
une différence de signification aussi nettement tranchée que celle
qu'on voudrait leur attribuer dans ce verset. Cf. Num. x, 3 ss. Jud. ;

vil. 19, 2*2; Ex. xix, 13, etc.; mais noter surtout que plus loin, vv. 16 et

20, quand il est question de cette prétendue sonnerie spéciale qui doit
donner le signal du grand cri, on se sert chaque fois du verbe !?pn
et non plus de ~wG. i£' — m
S"p"nx aj"?2w'2 n'a pas de correspon-
dant chez les LXX; ce peut être une glose explicative passée dans le
texte, comme il est possible aussi que le grec ait négligé de traduire
ces mots qui n'ajoutaient rien au sens. Les LXX parlent simplement
de la trompette -y; 'ji.\r.\'(-;\, ce qui semblerait exclure encore de leur
texte hébreu le mot Ssvn; rendu par à\aa.
enfin nS'Ti nyiin est
V. 6-9 .
— Les variantes entre l'hébreu
et le grec vont presque en s'ac-
centuant, et elles nous montrent en tout cas de mieux en mieux qu'il y
a eu un remaniement intentionnel dans le texte. De simples inadver-
LA CONQUÊTE DE JÉRICHO. 43

tances de copistes, même répétées, n'auraient pas aliouti à de pareil-


les divergences. Du verset 6, les L.W ne possèdent que la moitié de la
première partie, et encore semblent-ils avoir lu au commencement un
verbe comme ni", ou mieux encore i'!p''l au lieu de répond
snpi*; 6''

mot pour mot, sauf une légère variante à la fin, à on a vu plus


V"';

haut que ce verset ne figurait pas dans le texte grec. Les deux pas-
sages sont nécessairement corrélatifs. Dans tout ce qui précède, les LXX
n'ont pas encore fait mention de l'arche.
V. 7. — La le(;on T"2N", au début du verset, ferait supposer que
les prêtres ont pris la parole à la place de Josué; mais le qerê nous
prévient qu'il faut lire '"2n'"\ lecture en efï'et plus raisonnable dans
lélat actuel du TM. Néanmoins le pluriel ne semble pas avoir été in-
troduit par une simple distraction de scribe ainsi que tendraient à
linsinuer les notes massorétiques. ou en tout cas il est fort ancien,
puisque les traducteurs qui ont fait la version grecque paraissent
l'avoir déjà connu. Dans leur texte, c'est bien Josué qui parle, mais
au lieu de s'adresser au peuple il continue d'entretenir les prêtres
qu'il charge de transmettre ses ordres à la foule, comme faisaient « les
officiers » (''Tcun) lors du départ de Sittim, i, 10 s. m. 2 s. La tra- ;

duction suppose une leçon originale comme ""tzx à l'impératif;


elle nécessite du moins un verbe au pluriel. Le kethih '^'?2n'"'i pourrait

donc témoigner en faveur des LXX et être un indice de manipula-


tions subies par l'hébreu, à moins de supposer que les LXX se sont
mépris sur le sens du passage par suite d'une faute qu'il y avait
dans leur texte hébreu. ySrin ne désigne pas nécessairement les seuls
Gadites et Rubénites nous y verrions plutôt l'élite des guerriers,
1 :

les mieux armés. Dans cette foule d'émigrants qu'étaient les Benê-

Israël, l'équipement général devait laisser un peu à désirer. Comme


dans une grande tribu bédouine, tout le monde n'était pas également
guerrier ni également pourvu d'armes. Afin de mieux en imposer aux
habitants de Jéricho, Josué fait placer au premier rang les combat-
tants les plus propres à inspirer la terreur par leur air martial. La
traduction grecque j.7.yyj.z<....
:•. ivoo-/.',7;j.£v:'. rend assez bien le mot

hébreu, et il n'est pas nécessaire d'imaginer un texte original diffé-


rent du TM. On pourrait en dire autant de l'expression àvavTisv Kjp(cj
qui vient immédiatement après et; dont le correspondant exact serait
ri'"' ":£': quoique ici cependant il y ait une forte présomption
contre l'authenticité du mot ""^n qu'on trouve en plus dans TM.
V. 8. —
Les quatre premiers mots ne se trouvent pas dans les LXX
il, A rencontre des passage» qu'on invoque, Jos. 4, 13; Dèul.3. 18 etc., on pourrait citei
I Chron. 12 ,23 II Chron. 17. 18 20, 21 etc.
; ;
44 REVUE BIBLIQUE.

où Josiié poursuit toujours son discours aux prêtres. Une fois ce dé-
but supprimé, il faudrait très peu de chose pour faire concorder les
deux textes grec et hébreu; il suffirait de retrancher l'article dans
-';-:- et de mettre le verbe "'2'j à Timparfait. D'après les règles

ordinaires de la grammaire Z'xr: devrait être précédé de l'article,


ou bien il faudrait alors le supprimer dans le mot précédent 'IV Cette
dernière correction ferait disparaître une des deux divergences si-

gnalées entre le TM. et lesen outre à penser que


LXX. Elle induirait
ces sept prêtres indéterminés n'avaient pas été mentionnés plus haut
et que par conséquent le v. i du TM. aurait été ajouté postérieure-
ment, ainsi que le feraient croire les LXX. r'T'-wi "ypn, et plus —
loin V. 9 r-'î-r.-ou bien r*-£"w2 T^r- -•'"'-, de même que
'^'-p.

les expressions identiques ou équivalentes du v. 13, sont considérées


par un certain nombre de critic^ues comme des gloses postérieures
attribuées au Code sacerdotal. D'après eux le récit primitif ne faisait
sonner les trompettes qu'après le septième tour pour donner le si-
gnal du grand cri de la foule; cela ressort clairement des vv. V et 5.

Nous avons noté nous-mème cette difficulté à propos du v. i, et il


semble bien en effet que si on attribue ce verset au premier rédac-
teur il faille renoncer à soutenir l'authenticité des quelques mots
que nous venons de signaler. Mais il s'agirait précisément de déter-
miner tout d'abord si ce verset i, absent du texte des LXX, faisait
partie du récit primitif. S'il y a des raisons de le croire authentique,
ily en a d'autres tout aussi sérieuses qui le rendent très suspect.
Le texte grec parle ici pour la première fois des sept prêtres, des
sept trompettes sacrées et de l'arche d'alliance. La traduction de ce
verset dans la Vulgate est tout à fait large; le sens général y est,
mais saint Jérôme ne s'est guère préoccupé de rendre très exacte-
ment tout ce qu'il lisait dans son texte original.
\\ 9, — La leçon du qeré, "J'ir au lieu de '"irr. s'impose, à moins
d'imaginer, avec de Hummelauer, que le mot z*:":.-- est tombé
le P.

devant le verbe. Xi les LXX ni la Vulg. ne font cas de cette seconde


partie du v. 9* qu'ils ont laissée sans traduction. Xe faudrait-il pas la
supprimer purement et simplement ? Ce serait en faveur de ceux qui
veulent supprimer partout la mention de la sonnerie des trompettes
durant la marche. — ^CN^n désigne le reste de l'armée placé à Far-
rière-garde; il ne faut pas y voir tout le reste du peuple « reli-

quum vulg us », mais seulement des hommes aptes à prendre part au

(1) Voir plus bas, v. 13', dans le TM. uq membre de phrase identique qui a peut-être
inspiré la leçon du v. 8.
LA CONQUÊTE DE JÉRICHO. 45

siège et au sac de la ville (v. 3). Le Targum de Jonathan interprète


=1DN'2n par « la tribu de la maison de Dan », se faisant en cela l'écho
d'une tradition rabbinique sans valeur Les trois derniers mots \i). —
ne se rapportent pas seulement à Tarrière-garde mais visent la mar-
che en général ainsi que l'a bien rendu la Vulgate dans sa traduction
un peu lâche. Nous avons dit que quelques-uns proposaient de les
retrancher comme une glose.
Le texte grec présente dans ce passage une difficulté que ne par-
viennent pas à éclaircir les variantes des manuscrits. Il fait avancer
les prêtres après l'arche, contrairement à ce qui a été dit au v. 8 et
à l'ordre de marche indiqué au La phrase parait d'ailleurs in-
v. 13.

complète; il semble qu'il manque quelque chose après c- •tpv.:. Quel-


ques manuscrits ont ajouté, en s'inspirant de l'hébreu, TaX-C^cvTsr
Taf; •/.spxTr'va'.r, d'autres ont fait précéder zi sjpaYCJvts; de la particule
Y.xi: mais on ne peut tabler sur aucune de ces corrections savantes,

qui donneraient lieu du reste à d'autres objections. La vraie cause du


trouble doit provenir de la fausse traduction des derniers mots du
verset rendus par a7.'/-.ïlzy-.s^ (B), ou bien par 7copcjc;j.£vc'. /.al aaÀTr-'ÇovTs?

TaCç -/.spaTivatç (Luc.) qu'on a rattachés à ol sjpayojvtcc;. Comme partout


ailleurs, dans du chapitre, ce sont les prêtres qui sonnent de
le reste

la trompette, on a été amené, soit le traducteur, soient les copistes, à


identifier oi '.tpv:: et zjpy.';:j'f-.i:, ne se doutant peut-être pas de la
;-.

difficulté d'un nouveau genre qu'une telle identification faisait naître.


— Les LXX n'ont pas
V. 10. Ces quelques mots
"i-~ zi'E^z Ni*"!-N"'".

n'ajoutant pas grand'chose au sens de phrase ont pu être négligés la


dans traduction. — On
la un peu surpris de cet ordre donné au
est
peuple par Josué pendant une procession au son des trompettes; il
semble qu'il aurait dû précéder au moins la mise en marche. La
Vulgate a tout arrangé en mettant prasceperat au lieu de prœcepit.
Le grecoffre une solution moins simpliste et qui pourrait avoir quel-
que chance d'être la vraie. Dans son texte, le discours de Josué, com-
mencé au V. 6, se poursuit toujours sans interruption. Les quatre
premiers versets ( vv. 6-9) rapportent les recommandations faites aux
prêtres; au v. 10, le discours se termine par une dernière recomman-
dation à l'adresse du peuple. Tout s'enchaîne donc admirablement

(1) Cf. Num. 10, 25 où dans la description de l'ordre de marche au désert, Dan compose
l'arrière-garde. Les rabbins ont voulu que la procession autour des murs de Jérictio se fît

dans le même ordre. !nDN*2n avec l'article ne figure que dans ce passage du livre de Josué;
ailleurs ï]Dnî2, participe pi'el, a le sens de « recueillir » ou de « ramasser ». Jud. 19,15,18;
Jer.9.22. Dans le passage précité du livre des Nombres et dans Is. 52, 12, il signifie ^( venir
après, fermer la marche », ce qui équivaut à « l'arrière-garde ».
46 REVUE BIBLIQUE.

et on serait assez porté à préférer cette ordonnance à celle du TM. (1).


Nous avons noté plus haut, v, i-5, que le peuple devait pousser un
grand cri sur un signal des trompettes; ici, il semble que ce sera sur
un ordre spécial donné par Josué. Les deux choses sont certainement
compatibles et le Rédacteur inspiré a bien jugé qu'elles pouvaient
aller ensemble; néanmoins il y a là une manière différente d'envisa-
ger et de raconter
événements, et l'on croit retrouver dans cette
les
petite divergence de vue et d'expression la trace d'un double récit
qui aurait existé séparément à l'origine. Plus loin, vv. 16 et 20, les
indices de cette double source utilisée par l'auteur du livre iront en
s'accentuant et ne permettront guère plus de douter de la réalité de
ce qui, au premier abord, apparaîtrait comme une hypothèse risquée.
V. 11. — 2D11, à la forme (^al, est attesté parles LXX, la Peschità et
la Vulgate; r///yj/i'// est préférable mais il faudrait alors probablement
mettre le pluriel ^2C'\ — ~~î< a"E ^pn manque dans les LXX; cela
présenterait assez l'aspect d'une glose encore développée par la Vul-
gate qui a ajouté per diem. On notera cependant que cette remarque
répond à la seconde partie du v. 3, fragment qui ne se trouve pas non
plus dans les LXX. Si Ton admet l'authenticité de la finale du v. 3, il
faudra renoncer à voir ici une glose. Dans M'', le grec et le latin ont
toujours le singulier et le sujet de la phrase reste l'arche du Seigneur
ou « l'arche de l'alliance de Dieu » (LXX).
Si, dans ce qui précède, le texte des LXX produit l'impression d'être

généralement mieux ordonné que le TM. i2) par contre, ici, il a tout ;

l'air d'être incomplet. Après les ordres détaillés donnés par Josué, on

s'attendait mamtenant à voir défiler le cortège avec toute la pompe


et la régularité annoncées. Au
lieu de cela, on mentionne simple-
ment le on ne dit rien du défilé des troupes, tl
passage de l'arche et

y a donc là une lacune. Cette lacune n'apparaît pas dans le TM., où


la marche a été décrite aux versets précédents, vv. 7 et 8. De ce chef
on serait tenté de préférer le texte hébreu au grec; mais comme le
premier oflre aussi ses difficultés on reste perplexe sur le choix à
faire. Il y a eu là des manipulations ou des méprises répétées qui ne

permettent plus de retrou v^er sûrement la leçon primitive. Néanmoins


il paraît résulter assez clairement de la comparaison des deux textes
qu'autrefois le début du récit était moins surchargé qu'aujourd'hui.
Le camp d'Israël était toujours à Gilgal puisqu'on n'a point men-

(1) On pourrait obtenir aussi dans le TM, un ordre de beaucoup préférable à celui qui
extste en transportant simplement le v. 10 après le v. 7.
(2) Ce n'est pas d'ailleurs nécessairement une preuve en faveur de son authenticité, car
cette organisation peut être aussi le produit d'un arrangement subséquent.
LA CONQUÊTE DE JÉRICHO. 47

tionné son déplacement et qu'on l'y retrouve encore après la prise de


Béthelet de 'Aï (ix, 6). Il y a trois bons quarts d'heure entre Djildjilieh,
l'ancienne Gilgal, et tell es-Soultan, site de la Jéricho cananéenne.
Certains commentateurs rapportent que chaque matin tout le peuple
partait de Gilgal pour venir exécuter sa procession autour de Jéricho
et rentrait ensuite au camp. Cela parait un peu puéril. Josué, ainsi

que le dit assez clairement le v. 3, avait dû faire cerner la ville par


les hommes en état de porter les armes, pendant que le reste d'Israël
demeurait tranijuillement sous sa tente. C'est simplement l'armée de
assiégeants qui prenait part aux démonstrations exécutées autour des
la place, quel que fût en ce moment le séjour de 1 arche, ce dont

ne se préoccupe pas l'auteur.


V. 12. — Le grec ajoute au commencement y.j}. -r, r/j.izx -f, zfj-ipx
et plus loin [12^) -f,: oiy.f)r,y:r,:. L'expression initiale dans TM. est une de
celles qu'on attribue communément à E. La mention du second jour
va mieux au début de ce petit épisode que plus bas, v. IV, où nous la
rencontrons dans le TM. et non point dans les LXX. Ce n'est pas là
un argument en faveur de l'authenticité du texte grec qu'on pourrait
accuser d'avoir arrangé les choses pour le mieux en s'inspirant du
V. 15. Nous allons constater du reste d'autres bouleversements plus
importants.
V. 13'li, — Dans l'hébreu, l'ordrede marche estidentique à celui qui
a été donné ci-dessus, v. 8-9. En tête défilent les guerriers suivis des
prêtres sonnant des trompettes, puis vient l'arche et enfin l'arrière-
garde. Le texte grec est moins conséquent; il ne concorde ni avec
l'hébreu ni avec lui-même. Nous avions noté plus haut une diver-
gence entre les vv. 8 et 9 ; le v. 13 ne fait qu'accentuer le désordre en
racontant encore les choses d'une troisième façon. Cette fois ce sont
les prêtres qui tiennent la tête du cortège et les combattants sont re-
légués avec la foule derrière l'arche. Les manuscrits offrent d'ailleurs
de telles variantes qu'il vaut de citer les principaux.
B V. 13 : y.xl z\ ÏT.-'y. '.spsîr ;'. -sézz^z-î: -y.; zi'/.-'.\'-;y.: -'x: ïr.-.y. -zztr.t-
ps'jcvT: ivavT'Isv K'jp(s'j. Kal \}.t-'y. ~uX)-y. zht-opfjZ'/'Z z'<. \j.yy<.\j.zi y.xl z '/,z<-z:

C'/Acç zr.itjhz Tvjç 7.'.2(i)-ou 'f,: zixf)qy:r,: K'jpizj' y,y'. z\ ''.-.^-J.t ïzxi-.'.zTt -y.\z

siXzr'H'. •/.:z', ; /w'.-'cr z'/'i.zz y-y.z r.tZ'.ty/jyjMzt Ty;v t.'z'kv) ï';^yjHv/ 1), y.x'.

àrrvjAÔsv zâXiv zlz -:r,v T.y.zv}.zz'i:'r;i.

A... yrj\ z\ Itpv.z ïaxK-izxi -xi: zx\r.r;zv/ y.xl z kzit.zz i'/j^zz xr.xz' y.xt
x-r'^ihz') T.xLv» £Îç -r^-) r.xpt\xiz\-çr y.xl \i.z-.x -x\>-x v.ztr.zzfjz^nz z\ \).x-/y^.zi

y.x'. z '/.zir.zz zyy.zz i-uOsv -r,z y.'.îojtij -f^: z'.xf}r,y.r,- Kj:icj.

(1) Daas l'édition de Tischendorf, 7îcpiey.vy.)u^£ Tr,v 7:ô>,iv é?âxt; èyiOôev.


48 REVUE BIBLIQUE.

Luc. V, 13 : y,al ol âiiTà îspsïç oî çspovTSç xà; è-ià ^yXiciy^faç -rà? ïspà;

è'vavTt T^ç xtêwTOu Kupi'ou TCposTCopsûovxo, y.at cl '.epsîç la-âXirtaav -aTç aiX-
-ivv;iv, y.al s XcTzoç c^Xoç a-jraç /.ai oî \).iyy^.oi s'.aeTzcpe'JsvTC [j.£Tà xauxa,
y.a'. 5 AC'.^bç ^'/Àoç c-tcrQsv -^c xiSwTCîi ty;ç Sta6r,7.-r)ç Kup(c'j -ircpe'JÔiJ.svî',

y.al jaATTuovTsç t^ù y.epaTivaiç. ^^ y.aî •^rspisy.jy.Awaav ":r,v tcaiv èv ty; r,iJ.épjC

-rfi csuTspa a-a^ syy'jQîv Y.oà y.T.f,'/Szv jrâX'.v s'.ç --^,7 -rrapsy.ccAr/;.

Il est difficile à la critique textuelle de rendre compte de toutes


ces variantes et d'expliquer le rapport qu'elles peuvent avoir avec
le TM., sans se lancer dans une foule de conjectures aussi vraisem-
blables ou invraisemblables les unes que les autres. En tout cas, la
leçon du TM. semble devoir être préférée dans ce passage aux leçons
des LXX, quoiqu'elle ne soit probablement pas exempte de toute re-
touche. Au milieu et à la fin du v. 13 il faut lire sans doute chaque
fois m"^E'w2 "*pn -'^i comme au v. 9. Ces trois mots ont bien lair
d'avoir été ajoutés; ils doivent se rapporter à l'ensemble du cortège

etnon pas seulement aux prêtres, ni surtout à farrière-garde ainsi


que l'interprète la Vulgate. —
=]Dxcn a été rendu ici par 5 Xc-bc HyXc;.
tandis que plus haut, v. 9, il semblait traduit beaucoup plus juste-
ment par ci cjpxYcIiVTe^.
V. 15. — î\^h':z d'après le géré et un grand nombre de manuscrits;
cf. I Sam. IX, 2G. Cette expression peut indiquer une heure un peu
"plus matinale que la tournure employée au néanmoins on a
v. 13;
trop insisté sur la nécessité de se lever ce jour-là de très bon matin
afin d'avoir le temps de mettre la ville à sac après l'avoir contournée
sept fois. L'enceinte de Jéricho comme
de toutes les places fortes celle
de l'époque était peu développée les sept tours, en supposant même ;

qu'on se tînt à une distance respectable des murs, pourraient équi-


valoir à un parcours d'une douzaine de kilomètres (1). ~"n "c^r^z^ —
ne se trouve pas dans les Septante. Toute la seconde partie du verset
manque aussi dans le texte grec et dans la Vulgate; c'est vraisem-
blablement une note marginale englobée assez tard dans le texte
où elle figure comme une sorte de parenthèse.
V. 16. —
Sauf de légères variantes auxquelles il n'y a pas lieu de
prêter attention, le TM. est ici d'accord avec les versions. Il est inté-

ressant de constater cette entente dans un passage qui n'est pas pré-
cisément en harmonie parfaite avec le reste du récit. On vient de
nous dire en effet que pendant tout le temps de la marche les prêtres
sonnaient de la trompette, vv. 8, 9, 13 etc. et voici que maintenant ;

(1) L'entier développement des murs de Jéricho est évalué à 778 mètres, d'après les
relevés exécutés par les architectes allemands qui ont présidé aux fouilles de tell es-
Soultan. Cf. RB., avril 1909, p. 271.
LA CONQUÊTE DE JÉRICHO. 49

on a lair de restreindre cette sonnerie au dernier tour comme plus haut,


V. +. La difficulté n'a échappé à personae. Pour la résoudre, les uns

supposent, assez gratuitement du reste, qu'il faut voir dans 16' la


mention d'une sonnerie particulière et que selon toute probabilité,
le texte primitif se servait du verbe "w*2 et non point de "'r Dill-

mann . Le P. de Hummelauer
une théorie spéciale IG"" veut dire
a :

simplement que durant le septième tour on sonna de la trompette


comme durant les six; premiers et 16'' doit s'entendre du signal an-
noncé au V. 5. Sensiis verbonim is est,septimu7n circuitum habitum
<.(

pi'imum esse eadem plane ratione atqne priores circiiitiis. agmïne in-
cedente lenie et sacerdotibus liibis brèves edenlibus sonos. Sed car,
interrogabis v. 16 non habetur mentio longiorum sonorum v~w"2}, de
quibus agebal v. 5? Exprimuntur iUi v. 16 voce dixit... cum v. 5

populo diserte explicasset Josue^ se locuturum esse per longiores illos


tubariun sonos. Ergo hi soni exprimuntur illa voce dixit, et apte
quidem ea voce exprimuntur ». C'est une subtilité de plus jointe à
une supposition gratuite. Mieux vaut prendre le texte tel qu'il est et
l'expliquer dans son sens obvie; on y retrouve alors le double signal
annoncé au v. 5 et au v. 10. et auquel correspondra précisément,
au v. -20. un double cri du peuple.
V. 17-19. —Dans tout ce passage il y a très peu de ditierence
entre le TM. et les LXX: les grandes divergences ont cessé au v. 15 et
nous ne retrouvons i^'uère plus que les variantes qui ont cours d'or-
dinaire entre les deuK textes. Le grec cependant paraît ne pas avoir
connu la finale du v. IT < car elle a caché... «.qui en etfet pour-
rait bien être une glose inspirée par le v. 25. Il faut lire proba-
blement dans les deux cas nx'znn •:. — Au v. 18. ' -""nr doit être
corrigé en "~*2r;p, d'après les LXX et le chapitre suivant v. 21.
Ces trois versets interrompent le til de la narration et coupent
même en deux une phrase. 16'' " Et Josué dit au peuple : Criez! car
lahvé vous a livré la ville, v. 20" et le peuple cria... » Le Rédac-
teur les a placés à cet endroit, car il fallait bien que les ordres qu'ils
renferment fussent donnés avant le sac de la xille. D'autre pari il

pouvait paraître assez naturel de donner ou de rappeler ces ordres


au moment où ils allaient être mis à exécution. Il n'en est pas moins
vrai cependant qu'ils ne sont pas à leur place et qu'ils ne figuraient
sûrement pas ici dans certaines sources auxquelles puisait l'auteur.
L'insistance que Josué met à recommander de bien observer l'ana-
thème une sorte d'introduction à l'histoire d'Akan. On devine
est
déjà ce quis'a se passer; quelqu'un se montrera infidèle et le mal-

heur fondra sur Israël. Même après la correction suggérée de


REVUE BIBLIQUE 1910. — N. S., T. TH. 4
50 REVUE BIBLIQUE.

rsnnn en l^Zôn, ranathème apparaît comme quelque chose de con-


tagieux, on devient anathème en prenant quelque chose de ce qui
est anathème. Phis tard cependant, lors de la punition dAkan,
VII, on insistera davantage sur la violation de l'alliance qu'on a
11,
transgressée en désobéissant aux ordres de lahvé.
V. 20. —
ûV" y** se rattache immédiatement, avons-nous dit, au
V. 16''. Les LXX ont supprimé ces deux mots, dilfîciles à expliquer
en effet, dans létat actuel du texte; si on isole le verset ils ne disent
plus rien, ou plutôt ils apparaissent comme un contresens, car le
peuple ne devait pas crier avant d'en avoir reçu l'ordre d'une ma-
nière ou d'une autre; 20'' à son tour fait suite à 16' « au septième :

tour les prêtres sonnèrent des trompettes, et lorsque le peuple en-


tendit la voix de la trompette, il poussa un grand cri... » : c'est la
réponse aru v. 5, répondent au v. 10. Une fois
tandis que 16^ et 20-''^

le fil du récit interrompu, il a fallu mentionner de nouveau la

sonnerie des trompettes donnant lieu au second cri; de là la néces-


sité de répéter au verset 20^^ niiET^rz '"pn""i qui avait été dit au
V. 16\ Ces deux mots ont dû être ajoutés par le Rédacteur qui a
introduit dans le récit la longue parenthèse des vv. 17-19. Il est très
instructif de voir comment la Vulgate a traduit, dans un tour de —
phrase arrondie et passant sous silence le second cri, le début de —
ce verset si embarrassé dans l'hébreu. Toute trace de doublet a ainsi
disparu et sinous n'avions que cette version, le texte ne présente-
rait pas la moindre difficulté sur ce point.
Le mot a"n qui reparait à plusieurs reprises dans ce verset ne
doit pas s'entendre de tout le peuple d'Israël, mais seulement des
combattants. Eux seuls ont dû prendre part au siège de Jéricho et
au pillage de présence du reste du peuple eût gêné
la ville (v, 3.; la
les opérations au lieu de rendre service, surtout au moment de pé-
nétrer dans la place.
Si la critique textuelle de ces vingt versets du livre de Josué pré-
sente des difficultés sans nombre, la critique littéraire en offre en-
core peut-être davantage. Dans l'édition coloriée de Paul Haupt, ce
chapitre ressemble à une véritable mosaïque polychrome et je ne
pense pas y en ait un plus morcelé dans tout le livre. Fré-
qu'il
quemment ce sont deux ou trois mots seulement qu'on a détachés
du reste pour les attribuer à tel ou tel auteur. Poussée à une pa-
reille minutie, cette distinction des sources devient quelque chose
d'obsédant, qui semble presque dépasser les limites du vraisembla-
ble. Aussi l'on reste un peu sceptique quand on vous dit que ces
deux mots sont de JE. ces deux autres de P, ces trois autres de E'
LA CONQUÊTE DE JÉRICHO. 51

ou bien de E-, etc. Néanmoins il faut avouer que cette page ainsi ba-
riolée rend bien sensilîle à l'œil le désordre et la confusion qui ré-
gnent dans le texte.
Un fait nous parait à peu près certain; c'est qu'il y a eu à l'origine
au moins deux récits de la prise de Jéricho, existant séparément, con-
nus et utilisés par le Rédacteur. Ces deux récits ont été naturellement
fondus, mais la fusion n'est pas si complète qu'une fois ou l'autre on
lie puisse percevoir des traces de la dualité primitive qui est au fond
du récit actuel. L'auteur, tout en disposant de ses documents avec une
certaine liberté, de manière à composer un livre à lui, les traitait
cependant avec respect semble avoir été soucieux de conserver
et il

autant que possible tous les renseignements qu'il y puisait. D'où la


présence de quelques détails qui ne cadrent pas très bien entre eux
et qu'un écrivain n'aurait pas groupés de la sorte s'il eût créé un
livre de son propre fonds. On peut citer comme exemple topique les
versets 5, 10, 16 et 20. Nous avons signalé, à propos de ces passages,
des doublets cjui ne sont pas une simple répétition de la même chose
sous une forme analogue, mais qui représentent deux manières dif-
férentes d'envisager et de raconter le même événement, ce qui ne peut
s'expliquer que par une double source ou par une double tradition
primitive. D'un côté, on prévient le peuple d'avoir à pousser un grand
cri quand il entendra le son des trompettes (v. 5) ; la trompette se
fait entendre (v. peuple pousse un cri formidable
16^) et à ce son le

(v. SO''). —
Dans l'autre document, Josué ordonne au peuple de ne
rien dire, de ne pas faire entendre sa voix jusqu'au jour où il lui
dira de crier (v. 10); à un moment donné il l'avertit de crier (v. iQ^)
et le peuple crie (v. 20*). Il y a manifestement la double annonce

de deux signaux différents et l'exécution de ces deux signaux accom-
pagnés chacun d'un grand cri poussé par la foule. Le même auteur
n'eût pas raconté ce fait à deux reprises et de deux manières aussi
divergentes.
On a essayé de poursuivre dans le reste du chapitre la distinction
de ce double document et de reconstituer chacun des deux récits pri-
mitifs. A la suite de Wellhausen, l'ensemble des critiques indépen-
dants semblerait assez porté à admettre que l'un des deux récits (J?)
auquel appartiendraient en tout ou en partie les versets 3, 7", 10, 11,
14-, 15'', 16'', i"-" aurait raconté que pendant sept jours consécutifs on
fit le tour de la ville une fois par jour. Les six premiers jours on
s'avança dans le plus grand silence, mais le septième, sur l'ordre de
Josué, le peuple poussa un grand cri, les murs de la ville tombèrent
et on s'empara de la place. D'après le second récit (E?) dont on re-
52 RENTE BIBLIQUE.

trouve les traces aux versets i, 5, 7^, 8, 9, 12, 13, 15, 16% 20^, on con-
tourna la ville sept fois le même jour; l'arche et les prêtres munis
de sept trompettes faisaient partie du cortège; au seplième tour, sur
un signal donné par les trompettes (1), le peuple fît entendre un cri

formidable suivi de la chute des murs et de ^a prise de Jéricho. Le


Rédacteur aurait conservé toutes les données fournies par ses docu-
ments, mais il les aurait bloquées, aboutissant de cette façon à un seul
récit dans lequel on contourne la ville une seule fois pendant six jours
et sept fois le septième jour.
Ces conclusions de la critique paraissent toutes simples et sont
assez suggestives; néanmoins
ne vont pas sans difficultés. Lors-
elles

qu'on entre dans le détail de l'analyse du texte, on s'aperçoit vite de


combien de suppositions il faut les étayer pour arriver à leur donner
ce brillant dehors. Les coupures auxquelles on se livre afin de re-
trouver la snife des deux récits seront jugées bien des fois arbi-
traires, et il faut avouer que souvent on manque de critérium pour
attribuer à l'un plutôt qu'à l'autre tel verset ou telle partie de verset.
De plus, le Rédacteur a pu puiser, et semble même avoir puisé, à
d'autres sources d'information que ces deux récits. Il y a surtout un
fait dont il faut tenir compte et auquel on n'a généralement pas

prêté assez d'attention, ce sont les nombreuses et importantes va-


riantes entre les LXX et le T.M. La répartition du chapitre en deux
récits, telle qu'elle vient d'être signalée, s'appuie uniquement sur

le TM. Or si dans queltjues cas celui-ci peut paraître meilleur que le

texte grec, on ne peut pas cependant, a priori, lui donner toujours


la préférence. Le sujet prêtait beaucoup à la glose; on n'en a pas trop
abusé, mais néanmoins le texte original semble avoir subi durant le
cours des siècles plus d'une retouche, et voilà pourquoi il est im-
portant de consulter les LXX qui peuvent représenter un état de texte
antérieur à celui du T.\L actuel.

Tenterons-nous à notre tour de proposer d'autres conclusions et une

nouvelle division? Ce serait peut-être un peu prétentieux; nous nous


contenterons de quelques remarques faites avec toute la réserve qu'im-
pose un sujet aussi délicat. Rien qu on ne puisse guère douter de
l'existence de deux récits primitifs, et qu'il soit relativement facile
de nous paraît impossible de reconstituer entièrement
les constater, il

ces deux récits, même avec les données de la critique textuelle qui,
dans le cas, complique plus le problème qu'elle n'en facilite la solu-

(1) On a vu, à propos du v. 8. comment on pouvait arriver, avec une certaine vraisem-
blance, à resU-eindre la sonnerie des trompettes après le septième tour.
.

LA CONQUETE DE JERICHO. o3

tion. On peut tracer quelques grandes lignes, mais il faut renoncer


à tout décomposer et à tout identifier si Ton ne veut s'exposer à des
méprises parfois considérables.
On a vu plus haut qu'à s'en tenir à la version des LXX, vv. 2-5, qui
dans ce passage offre au moins autant de garanties que le TM., il était
simplement question tout d'abord d'investir Jéricho: une fois l'armée
disposée autour de la place, sur un signal des trompettes, la foule
poussait un grand cri suivi de la chute des murs et de la prise de la
ville. Nous avons là sans doute le thème général d'un récit auquel il

faudra rattacher les parties des vv. 16 et 20 relatives au signal donné


par les trompettes et au cri qui l'accompagne, et très probablement
aussi les versets 6 et T des LXX où se poursuit l'idée annoncée aux
versets précédents. Dans ce qui vient après, vv. 8-15, l'investissement
se change en une procession de sept jours autour des murs, avec les
prêtres et l'arche. Rien dans la version grecque ne faisait prévoir
cette marche religieuse et il devient impossible de déterminer, sur-
tout à cause des variantes entre le T.\I. et les LXX, ce qu'il peut y
avoir ici de primitif ou d'ajouté et ce qui appartient au premier récit
ou à un second auquel on a affaire manifestement au v, 10. Ce dernier
se reconnaît encore aux vv. 16 et "20 TM.), mais c'est à peu près tout

ce qu'on peut lui assigner avec certitude. Il faut avoir recours aux
suppositions pour dire que l'un des deux récits parlait de faire
sept fois le tour de la ville en un seul jour et l'autre sept fois en
sept jours; une pareille distinction ne ressort nullement du TM., et
encore moins de la version grecque.
La majorité des critiques renonce à identifier l'auteur de chacun
des documents et se contente de faire précéder le passage du sigle
.JE, sans chercher à préciser davantage nous imiterons cette prudence
;

que justifient des difficultés de toute sorte. Notons seulement en ter-


minant que, si les deux narrations primitives ne racontaient pas l'é-
vénement d'une manière absolument identique, ce que ne feraient
pas du reste deux témoins oculaires rapportant le même fait, elles ne
différaient que dans des détails toat à fait secondaires et restaient
pleinement d'accord sur le fait principal, le seul en cause, qui est
l'intervention divine dans la conquête de Jéricho

Jérusalem.

Fr. M. Raphaël Savigxac.


LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYftlE

Grâce aux renseig-nements si précieux des lettres d'El-Âmarna,


nous avons pu nous rendre compte de la situation ethnique et poli-
tique de la Palestine au xiii'" siècle avant notre ère (l).Lieu de pas-
sage entre l'Egypte et les grands royaumes d'Asie Mineure (pays de
Hattou et du Mitanni), comme entre l'Egypte et l'Assyrie ou la Baby-
dAmourrou et de Canaan était de toutes parts ouverte
lonie, la terre
aux envahisseurs. Les Égyptiens avaient imposé leur tutelle aux prin-
cipicules du pays, qu'ils fussent hittites ou cananéens. Mais un mou-
vement national représenté par les Habbatu dans le nord, c'est-à-dire
en Amourrou (régions du Liban et de l'Antiliban) (2), et par les Ha-
biru dans le sud (contrée de Jérusalem, en Canaan) (3), chasse les
représentants de l'étranger et rend au pays une certaine indépen-
dance, grâce à l'appui des Hittites. Ceux-ci ont installé un de leurs
représentants au pays de kinza, qui a pour capitale Qadès sur l'O-
ronte (4). De là ils inquiètent les pays du Nouhasse et de Ni, qui
voudraient rester fidèles à l'Egypte (5). Ainsi la puissance égyptienne
cède à la fois devant la poussée des
Hittites, qui ont débordé de l'Asie
Mineure, et devant
soulèvement des hordes indigènes qui ont
le

trouvé un chef en la personne d'Azirou. Que deviennent ensuite les


nombreuses principautés, dont chaque ville dAmourrou et de Ca-
naan Il est probable que les dissensions intestines,
était la capitale?

dont écho nous est conservé par les lettres d'El-Amarna,


le fidèle

se perpétuèrent après la mort d'Azirou. C'est le moment où les Hé-


breux, qui ont profité de la faiblesse du gouvernement égyptien pour
émigrer vers Canaan, arrivent d'au delà du Jourdain. Sous la con-
duite de Josué et des Juges, ils vont cherchera se taiUer un royaume

(1) RB., 1909, p. 50 ss. Noire but, dans cette série d'études, est d'utiliser les textes cu-
néiformes et les données exlrabibliques d'après les plus récentes découvertes. On verra
que de nombreux faits nouveaux se sont ajoutés à ceux qu'on possédait il y a quelques
années.
(2) RB., 1908, p. 502 ss. ; 1909, p. 368 ss.
(3) Ibid., p. 510 s.; 1909, p. 380 ss.
(4) RB., 1909, p. 378.
(5) Ibid., p. 379.
LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. od

dans le sud, et ils combats de Canaan (1; ». Outre


combattront « les

les Cananéens, auront à lutter contre une peuplade non sémitique,


ils

qui occupe la côte au sud de JafTa, les Philistins (2). La côte du nord
est entre les mains des « Sidoniens », du nom de leur ville princi-
pale (3). L'auteur qui nous donne ces renseignements sait bien que les
Hittites (i) sont fixés au nord de TAntiliban jusqu'à l'entrée de Ha-
math.
La décadence de l'Eg-ypte (5) au xiii^ siècle avant notre ère était
parallèle à celle de la Babylonie. La dynastie kassite était trop vieille
pour tenir tête à l'effort des Assyriens, qui éprouvaient le besoin
de dépenser leur jeunesse belliqueuse. Des traités et des mariages
avaient tenté de cimenter l'union entre Babylone et Asour, à l'é-
poque d'Asour-ouballit (vers 11.18-1370) (6). Les successeurs de ce
roi, Enlil-nirari (vers 1370-1315), Arik-dên-ili (vers 134-5-1320), et
Adad-nirari I'"'" (vers 1320-1290), avaient eu à lutter contre les bandes
indisciplinées qui harcelaient leurs frontières, que ce fussent ces Ah-
lamû ou ces Sutù dont nous avons fait connaissance dans les lettres
d'El-Amarna 7), ou cesKas.su, ces Luliiir/u( et ces Qutû qui arrivaient
de l'est (8). Le fils d'Adad-nirari I", Salmanasar V' (vers 1290-1260)
refoule, lui aussi, ces perpétuels envahisseurs. Au fils de Salmana-
sar P'', Toukoulti-Xinib I" (vers 1260-12+0), il appartenait d'établir
la suprématie de l'Assyrie sur les contrées du Tigre et de l'Euphrate.
Sa tablette commémorative, publiée en 190i par M. King (9), dépeint
l'activité guerrière du roi. Dans lapremière année de son règne, il
conquiert les pays de l'est et du nord, qu'il groupe sous les noms de
Qutû et de Subaru (10). Il est A-ainqueur desquarante rois des pays de
Naïri, c'est-à-dire des contrées limitrophes du lac de Van. Il engage
alors la lutte contre Babylone et fait prisonnier son roi Kastilias (11).

(1) Jud., 3, I.

(2) Ibid., 8, 3.

(3) Ibid., 3, 3.
(4} Et non les Hévéens (cf. Lagrat^ge, Juges, 3, 3).

(5) M\SPER0, Histoire ancienne..., II, p. 561 ss.


(6) RB., 1909, p. 63.

(7) Ibid., p. 67 ss.

(8) Ces peuplades sont énuniérées dans l'inscription d'Adad-nirariI. C'est ce prince qui

nous renseigne sur de son père Ariii-dên-ili et de son grand-père Enlil-nirari.


les exploits
Cf. BuoGE et KivG, The annals of Ihe kings of Assyria, I, p. 4 ss.
(9) Records of t'ie reign of Tukutti-Xinib /", dans Studies in eastern history, vol. I.
(10) Pour la situation exacte de ces pays (et peuplades) de Qulù et de Subaru, les ta-
blettes astronomiques donnent de précieux renseignements, utilises par Winckler dans
Orienta'istische Litteraturzeitung, 1907, col. 294 ss.

(11) Lire ainsi le nom connu jusqu'à ces derniers temps sous la forme fliôeai";/ ou Biti-
'66 REVUE BIBLIQUE.

Comme trophée il avait rapporté le sceau de Sagarakti-Sourias, père


de Kastilias. Ce sceau, repris par les Babyloniens, devait être recouvré
plus tard par Sennachérib (1). D'après la « chronique babylonienne »

82-7-4, 38 (col. IV, 1. 7 ss.) (2), Toukoulti-Ninib V ne reste que sept ans
sur le trùne de Babylone. Une revente des grands de la Babylonie le
renverse. Le fils de Kastilias, Adad-souma-nasir (3) , renoue la lignée des
rois kassites, cependant que Toukoulti-Ninib I" est bloqué par son pro-
pre fils, Asour-nasir-apla I", dans sa ville de Kar-Toukoulti-Ninib, et
finalement passé au fil de l'épée. Les démêlés entre Asour et Babel se
prolongent durant le règne des successeurs de Toukoulti-Ninib I". Un
écho de ces luttes nous parvenu dans un passage, malheureuse-
est

ment très mutilé, de « Fhistoire synchronique (4) ». Le même docu-


ment relate les campagnes d'Asour-dân (vers 1182-1145), roi d'Asour,
contre Zamama-souma-iddin, roi de Babylone (vers 1181) le triomphe ;

d'Asour-rês-isi, roi d'Asour (vers 1135-1115), sur Nabuchodonosor P*",


roi de Babylone (vers 1152-1124).- Le fils d'Asour-rês-isi est Téglath-
phalasar P"" (vers 1115-1100) qui consolide définitivement la supréma-
tie d'Asour. Comme en fait foi l'histoire synchronique (5), il bat à

plusieurs reprises le roi de Babylone, iMardouk-nadin-ahê, si bien


que — comme son ancêtre Toukoulti-Ninib P"" — il peut prendre le
titre de « roi des quatre régions ». Ainsi consacre-t-il sa domination
sur le monde civilisé.

Les guerres contre l'empire babylonien ne furent qu'un épisode


dansla vie de ce conquérant. Nous n'avons pas à insister ici sur ses
campagnes dans les pays du nord (Naïi'i et Soubartoul et de l'ouest
(Commagène, Cappadoce, Phrygie, etc.). Il y avait là une foule de
petits peuples, la plupart apparentés aux Hittites ou aux Mitannites,
et qui renaissaient sans cesse de leurs ruines pour inquiéter la monar-
chie assyrienne. Refoulés par Téglath-phâlasar P'"", ces peuplades n'au-
raient eu qu'à se replier vers l'ouest oîi elles étaient sûres de trouver
un appui au pays de Hattou. Mais le vainqueur se résout à frapper le

liasu. On a, en toutes syllabes, Ka-as-ti-li-io-sxi dans le contrat auquel fait allusion Thu-
reau-Dangin, dans OLZ., 1908, col. 93.

(1) Sur la tablette K. 2673, Sennachérib fait reproduire l'empreinte du sceau de Saga-
rakti-Sourias et raconte les vicissiludes par où a passé ce trophée. Cf. King, Records of
the reign of Tukulti-Ninib I, p. 106 ss.

(2) KiNG, op. laud., p. 98 s.

(3) Lire nasir et non iisur.


(4) Sur ce passage, qui a trait au règne d'Enlil-kudur-usur (vers 1198-1192), cf. Winckler,
Allorientalische Forschungen, lll, p. 343 s&. elScasxBEL.Sludien zur bahylonisch-assy-
rischen Chronologie, p. 45 ss. {MDVG.., 1908, 1).
(5) KB., I, p. 198 s.
LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 57

grand coup. Il traverse le pays des Araméens (1), qui est occupé par

les Ahlamû que nous avons vus à l'œuvre à l'époque d'El-Amarna (2).
Alors il marche droit sur Gargamis, forteresse des Hittites sur l'Eu-
phrate, et s'empare de la ville. Poursuivant sa course vers la Médi-
terranée, il subjugue les pays de Musru (3) entre le Taurus et l'anti-
Taurus. Il peut s'écrier alors « En tout, quarante-deux pays, avec :

leurs rois, depuis les rives du Zab inférieur, contrée de montagnes


lointaines, jusqu'aux rives de l'Euphrate, jusqu'au pays de Hattou et
jusqu'à la mer supérieure, où se couche le soleil, du début de ma
royauté à ma cinquième année de règne, ma main avait conquis (4). »
Le pays d'Amourrou fut englobé dans la conquête, comme le sug-
gère l'obélisque brisé, dans un passage malheureusement mutilé, où
figure {mâtii^... mur-ri qu'on ne peut restituer autrement que 'mâtu)
[A]-7niir-ri « pays d'Amourrou » (5). D'ailleurs, nous savons que
Téglath-phalasar I" fut amené dans la Syrie du nord par ses aventu-
res de chasse. Au pied du mont Liban il tue quatre bul'fles '6). Il s'em-
barque même sur des vaisseaux phéniciens, qu'il appelle « vaisseaux
du pays d'Arwad (7) [Ar-7na{-= wa)-da-a-ia) », et tue un requin
dans la Méditerranée.
Ainsi avons-nous été ramenés sur la côte de Phénicie. L'Assyrie
étend son domaine sur ces peuples sémitiques du nord, qui jusque-là
avaient été sous la mouvance de l'Egypte ou des Hittites. La domina-
tion de Téglath-phalasar P'" sur une partie du pays d'Amourrou était
une conséquence fatale de son action au pays de Hattou. Les régions
du Xouhasse, de Ni, de Qatna (8) suivaient le sort des Hittites. La
partie nord du Liban et les villes septentrionales de la côte amor-
rhéenne i^9) dans la conquête. Mais la côte méridio-
étaient englobées
nale, à partir de Batroun et de Byblos, la région de Damas et celle de
la Cœlésyrie, enfin le pays de Canaan au sud, pouvaient échapper à
l'influence des vainqueurs. C'est l'époque où les royaumes araméens

(1) Cylinlre, v, 46 : aiia libbi Aklamê {mâtu) Armaia naknU [ilu) Asur béliia allik
« Je me rendis chez les Aklamù du pays d'Aram, ennemis de mon maître Asour ». Il faut
comparer le du monolithe de Kurh, où Asour-nasir-apla raconte comment il a
passage
emmené du pays d'Aram (Bcdge et King, The annals
captifs quinze cents guerriers /t/iZaHiW

of the kings of Assyria, I, p. 240}. Il s'agit de l'Aram du norJ ou Aram des deux lleuves :

(2) RB., 1909, p. 67.

(3) Cf. inf. ces pays de Musru, voisins de la Cilicie.

(4) Cylindre, vi, 39 ss.

(5j Obélisque brisé, iv, 39; il manque un seul signe dans la lacune.
(6) Cylindre, vi, 62 ss. et Obélisque brisé, iv, 4 s.
(7) Cf. RB., 1908, p. 508.
(8) Ibid., p. 502 ss.

(9) Ibid., p. 507.


58 REVUE BIBLIQUE.

de Sôbâ, de Damas et de Beth-Rehob, contre lesquels aura à lutter


la monarchie naissante d'Israël (1), profitent de l'affaiblissement des
Hittites pour consolider leur indépendance. La Phénicie du sud a
continué le mouv^ement national inauguré par les Habbatu^ pour
s'organiser en petits royaumes dont Tyr et Sidon se disputeront la
suprématie. Et pendant que les fils d'Israël, qui sont arrivés d'au delà
du Jourdain, disputent le pays aux roitelets de Canaan, d'autres en-
vahisseurs, qui n'appartiennent pas à la race des Sémites, se sont
jetés sur la côte au sud de Jatfa. Sont-ils venus de Crète, leur lieu
d'origine, ou étaient-ils descendus d'Asie Mineure? Ce que nous sa-
vons, c'est que les fils d'Israël auront plus à lutter contre ces étran-
gers que contre les indigènes. Les Philistins sont sans cesse aux aguets
pour inquiéter l'installation des Hébreux en Canaan et mettre des
entraves au groupement des tribus sous un seul chef.
Ni l'Egypte ni l'Assyrie ne pouvaient alors intervenir dans les af-
faires d'Amourrou et de Canaan. Les successeurs de Téglath-phala-
sar V\ ses deux fils Samsi-Adad et Asour-bêl-kala, ont laissé peu de
trace dans l'histoire. Du second nous savons qu'il chercha à se main-
tenir en bons termes avec la Babylonie. Il épousa même la fille
d'Adad-apla-iddin, qui régnait alors sur Babel (2). Les documents
font défaut pour l'époque qui suit Asour-bêl-kala. On a cru pouvoir in-
tercaler dans la liste des rois un certain Asour-irbi, qui aurait alors
placé sa statue sur la montagne Atalour dans l'Amanus, d'après les
inscriptions de Salmanasar II (3). Eu réalité il s'agit d'un roi du nom
de An-Jii-ir-bi (écrit aussi An-hir-bi), qui n'est pas roi d'Asour(i).
Par contre, c'est bien un roi d'Assyrie, et l'un des successeurs de
Téglath-phalasar I cet Asour-rabi, mentionné par Salmanasar II
'',

pour avoir laissé reprendre par les Araméens les villes de Pitru et de
Mutkinu, qu'avait conquises Téglath-phalasar P' (5). Cet épisode
illustre la situation de l'Assyrie durant cette période. Téglath-phala-
sar P' a poussé trop loin ses conquêtes et ses successeurs ne peuvent en
porter le fardeau. Les peuples de la périphérie, surtout ceux delà
Syrie, dont la soumission n'a jamais été complète, sont toujours prêts
à reprendre vers le nord leurs territoires perdus. Cependant l'Assyrie
se relève avec Adad-nirari II (vers 900-890), le grand-père d'Asour-
nasir-apla II. Il défait successivement les rois de Babylone Samas-
(1) Cf. notre commentaire de I Sam., 14, 47 et II Sam., 8, 3 ss.

(2) Dans {'Histoire synclu'onique, II, 41 ss. KB., I, p. 198 s.


(3) Monolithe, revers, 1. 55 ss. et inscri|ition des portes de Balawat, ii, 1. 3 : cf. Wincr-
LER, /f.4r.3, p. 38; BuDGE et KiNG, The annals of the hings of Assyria, I, p. lvi.

(4) Deutzsch, dans BA., VI, 1, p. 141.


(5) Monolithe de Salmanasar II, rev., 36 ss.
LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. d9

moudammiq et Nabou-souma-iskoun 1 . Son fils Toukouiti-Ninib II

est le père d"Asour-nasir-apla. dont le nom est Fun des plus glo-
rieux parmi ceux qu'a laissés Ihistoire d'Asour (2).

Asour-na^ir-apla résrna vingt-quatre ans 88i-860 . Ses inscriptions


nous sont parvenues en grand nombre et les fastes de son règne
très
sont connus année par année. Après avoir, comme son aïeul Téglath-
phalasar I", subjugué les peuplades du nord de l'Assyrie ainsi que
les contrées d'Asie Mineure voisines de l'Euphrate, il entreprend une
campagne au pays de Hattou. C'est une marche triomphale durant
laquelle les rois qui occupent les villes entre le Tigre et l'Euphrate
viennent apporter leur tribut. Le héros passe l'Euphrate et approche
de Gargami>. Aussitôt le roi des Hittites, Sangar 3 , apporte les pré-
sents les plus somptueux, trésors et bijoux, meubles et parures, à
celui qu'il reconnaît comme son suzerain. Les autres princes imitent
cet exemple : < Tous les rois de ces contrées vinrent à moi, embras-
sèrent mes pieds et je reçus d'eux des otages (4). » A>our-nasir-apla

ne s'arrête pas en Il se si bon chemin.


propose d'aller, lui aussi,
jusqu'au Liban. Son itinéraire minutieusement décrit dans les An-
est

nales 5 On part de la ville de Gargami>, on traverse le pays de Pa-


.

tin qui comprend la région arrosée par le Nahr-Afrin et par le cours


inférieur de l'Oronte. On
fait une halte après avoir passé le Nahr-

Afrin Ap-ri-e du pays de Patin. Loubarna, apporte aussitôt


. Le roi
son tribut et offre ses fantassins pour faire escorte au triomphateur.
On franchit ensuite l'Oronte A-ra-an-te \ puis le Sangura. Ce dernier
fleuve a été identifié à tort avec le Xahr el-Kebîr dont l'embouchure
est à Laodicée. M. Dussaud a très bien remarqué qu'il s'agit du
Sarûdj, affluent de l'Oronte, sur la rive gauche, un peu au-dessus de
Hamath 6). Avant d'arriver au Liban. Asour-na^ir-apla conquiert le

pays du Luhiiti. Ce j)ays qu'on ne savait précédemment où localiser


avec certitude est maintenant parfaitement connu. Le roi de Hamath
{r*2M , Zakir ressuscité par l'inscription récemment publiée par
M. Pognon T), est à la fois « roi de Hamath et de wV 8 ». M. Po-

Histoire synchronique, III, 1 ss. KB., I, p. 200 s.


1, .

Le consul de France à Mossoul vient de rapporter une inscription de ce Toukouiti-


;2)

Ninib IL Le contenu en a été déjà communiqué par le P. Scheil à l'académie des Inscrip-
tions et Belles- Lettres.
^3) Nous le retrouverons au temps de Salmanasar II.

(4) Annales, III. 65 ss.


(5} Col. III, 70 ss.
(6,Revue archéologique, 1908. I. p. 227.
(7;Dans ses Inscriplions sémitiques de la Stfrie. de la Mésopotamie et de la région
de Mossoul ^1907';. Nous revieudroas plus loin sur cette inscription.
(8) ttyySi non -jSc.
60 REVUE BIBLIQUE.

gnon proposait timidement d'identifier ce w'j") avec Homs ou Émèse.


M. Dussaud a mis dans le mille en reconnaissant dans ce U?"S, qu'il
faut lire Luhis, le Luhuli conquis par Asouf-nasir-apla (1). Au point
de vue phonétique les deux mots s'équivalent, puisque le " ouest-

sémitique est rendu par h dans les inscriptions cunéiformes (2) et le


w' des Araméens peut correspondre au tha arabe et être rendu par
t dans les inscriptions cunéiformes, kw point de vue géographique,
Lu\d est limitrophe de Hamath, exactement comme le Luhuti où
nous a amenés l'itinéraire d'Asour-nasir-apla. C'est le pays au-des-
sous de Hamath, sur la rive gauche de l'Oronte.
La marche du vainqueur se poursuit vers le Liban : « Alors je me
mis en route pour le district du Liban [Lab-na-na], je montai jus-
qu'à la grande mer du pays d'Amourrou (A-mur-ri) (3). » C'est bien
ce pays d'Amourrou que nous ont fait connaître, avec précision, les
lettres d'El-Amarna (4). Les petits royaumes phéniciens s'échelon-
nent sur cure de se liguer contre le grand monarque
la côte. Ils n'ont
d'Assyrie.Mieux vaut envoyer un tribut et baiser les pieds du suze-
rain que de s'exposer aux plus fâcheuses représailles. Avant d'énu-
mérer les présents qui lui sont adressés par les princes d'Amourrou,
Asour-nasir-apla exécute la fonction rituelle de l'ablution des armes :

(c Dans grande mer je lavai mes armes, je fis des sacrifices aux
la
dieux. » Sahnanasar H fera exactement la même cérémonie lorsqu'il
atteindra la mer Méditerranée ou la source du Tigre (5).
L'énumération d'Asour-nasir-apla commence par les villes du sud
pour remonter vers le nord « Le tribut des rois qui sont sur la côte
:

de la mer, à savoir ceux du pays des Tyriens iSur-ra-a-a), du pays


des Sidoniens Si-du-na-a-à), du pays des Byblites [Gu-hal-a-a., du
pays des Mahalla tiens iMa-hal-la-ta-a-a) du pays des Maisiens \Ma- ^

i-sa-a-a], du pays des Kaisiens [Ka-i-sa-a-a), du pays des Amor-


rhéens A-mur-i'a-a-a) et de la ville d'Arvvad {Ar-ma-da) qui se trouve
'

au milieu de la mer, de l'argent, de l'or, du plomb, du bronze, des


vases de bronze, des vêtements bariolés, des tuniques de lin, un
grand et un petit pagûtu (6), des bois à'usù et d urkatnnnu^ des
dents de requin (7), les produits de la mer, je reçus pour leur tribut

(1) Revue archéologique, 1908, I, p. 225 ss.


(2) RB., 1908, p. 206, n. 3.
(3) Annales, III, 84 ss.
(4) RB., 1908, p. 502 SS.

(5) Obélisque, 22 et 70.


(6; Nom d'animal exotique, qui figure aussi parmi les présents du roi de Patin (Annales,
III, 76).

(7j BuDGE et Ki.\G traduisent d de l'ivoire et un daupiiia » ; mais aa-hi-ri est au génitif
LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 61

et ils embrassèrent mes pieds lu » Les pays compris dans cette énii-
mération srmt désignés d'après les habitants de la ville principale.
Pour Arwad (|ui est une île et. par suite. n"a pas de campagne envi-
ronnante, on spécifie qu'il s'agit de la ville ». On voit qu'il devait
exister nne ville d'Amourrou un peu au sud d'Arvvad on va du sud
au nord). Dans la lettre du pharaon d'Egypte à Azirou qui a réussi
à prendre la suprématie en Amourrou, le destinataire est appelé
<•prince amêlii de la ville ahi d'Amourrou A-mu-ur-ra ^ ••.

Les localités de Kai::a, Mai«a et Mahallat sont inconnues par ailleurs.


On doit les situer approximativement du cùté de Tripoli de Sy-
rie.

Asour-na^ir-apla ne pousse pas sa conquête au delà du Liban. 11 a


respecté, dans sa marche, les pays à l'est de l'Oronte. il ne reçoit
pas de tribut des royaumes qui bordent lAutiliban. C'est que là.

dans la région de Damas, un royaume des plus puissants est en train


de s'établir. Un Syrien, du nom de Rezon, fils d'Éliada'. avait — au
siècle précédent — transporté à Damas la capitale du royaume ara-
méen et s'était constitué le rival du roi de Sôbà. Hadadézer (3 . Ce
Rezon avait donné du fil à retordre au roi Salomon. A la mort de
Salomon, Fempire des Hébreux avait été scindé en deux roy"aunies.
et l'Egypte, qui avait accueilli dans son sein Hadad, l'Edomite. au

temps de Salomon. avait nourri chez elle Jéroboam qui devait faire
pièce au fils de Salomon. Roboam, et séparer de Juda les tribus du
nord. Les Araméens de Damas profitaient de ces dissensions en Canaan
pour se fortifier de plus en plus et consacrer leur indépendance.
Lorsque le phara<m d'Egypte Sesonq "rr'w* fait sa campagne contre
le pays de Jada. il ne monte pas au delà de Megiddo et se contente
d'accepter la vassalité de Roboam (i . Le petit-fils de Roboam. Asa.
serré de près par le roi d'Israël. Ra'sa. ne trouve rien de mieux à
faire que d'appeler à son secours le roi de Damas 5 Celui-ci est Ren- .

Hadad ï", fils de Tab-Rimmon. fils de Hezion. Il n'hésite pas à rompre


le traité qu'il a conclu jadis avec Ra sa et vient ravager le territoire

d'Israël, dans la région septentrionale, autour du lac de Tibériade.


Ainsi l'Araméen s'étend vers le sud. Au temps d'Asour-na^ir-apla-le

d'où •<.
des dents de nahiru ». Le nahiru est l'animal uioQàlrueus que Té^lalh-phalasai I"
tue dans la Médilerranée.
1; Annales, IH, 85 ss.
(2) Edition Knudtzon, n- 162. 1. 1 : Cf. RB., 1908, p. 502.

(3) Cf. 1 Recj., 11, 23 ss.


ii) Cf. tbid., 14, 25 ss. et Maspero, Histoire ancienne des peuples de l'Orient cla^
sique, II, p. 772 ss.

^5' IReg., 15. 16 ss.


6-2 REVUE BIBLIQUE.

royaume de Damas est donc à son apogée et l'armée assyrienne ne


peut heurter de front un si puissant rival. Ce sera le rôle de Salma-
nasar II.

Le successeur de Basa, Èlà. ne fait que s'asseoir sur le trône d'Is-


raël. Il est renversé par un aventurier du nom de Zimri. Cest alors

que l'armée proclame pour roi un chef militaire, Omrî. qui trans-
porte résolument la capitale du royaume à Samarie et y fonde une
ville nouvelle. Il luttera ainsi contre les envahissements de Damas et

inquiétera Juda, l'éternel ennemi. Son règne est esquissé très rapide-
ment dans le livre des Rois 1), mais il fut un général très heureux
et un monarque célèbre. Il donna son nom à la lignée des rois de

Samarie. puisque, dans les annales de Salmanasar II, Jéhu, ce roi


d'Israël dont le rôle fut précisément de supprimer la dynastie des
Omrides, est appelé néanmoins Jéhu, enfant d'Omri », la-û-a ma?' ((

Hu-um-ri-i (2). Le i>ays de Samarie s'appellera, dans une inscription


de Téglath-phalasar III 715-727^, « pays de la maison d'Omri »,
1

{mdtu) Bi-it-Uu-wn-ri-a (3). L'activité du monarque s'était exercée


au delà du Jourdain. Il avait opprimé le pays de Moab : « Omrî, roi
d'Israël, fut l'oppres.seur de Moalj durant de longs jours », écrira Mésa,
le roi de Moab [ï).

Telle est donc la situation, au moment de la campagne d'Asour-


royaumes s'échelonnent en Palestine.
na^ir-apla en Phénicie. Trois
Le royaume araméen de Damas s'étend jusque dans la haute Galilée
et menace les frontières d'Israël. Israël, avec Samarie pour capitale,
fait des conquêtes dans la Transjordane et se fortifie au sud contre

Juda. Le royaume de Juda. avec sa ville sainte de Jérusalem, se met


sous la mouvance de l'Egypte ou de Damas, pour résister à son frère
ennemi, et entretient des relations commerciales avec les villes de la
Phénicie. Le jour où l'Assyrie voudra s'enfoncer au sud du Liban ou
s'attaquer à Damas, tous se coaliseront contre elle pour sauvegarder
leur autonomie. Pour le moment. Asour-na^ir-apla, content de son
expédition, remonte par les montagnes de l'Amanus {Ha-ma-ni, Ha-
ma-na) où une provision de bois de cèdres, pour ses construc-
il fait

de Kalhou.
tions dans sa ville
Salmanasar II 860-825 n'aura pas les hésitations de son père. Dès
sa première année de règne, il passe l'Euphrate, va jusqu'à la Médi-

(1) I Reg., 16, 23-28.

{2) Dans 1!I R. pi. 5, n° 6: cf. Dniizscu. Lesestiicke (4" éd.), p. .Si s. et KB., I,

p. 140, n. 1.

(3) Dans III R. pi. 10, 1. 17 el 26 (cf. KB., II, p. 30 ss. et A.-17".-, p. 265.
(4 Cf. Lacra.vge, L'inscription de Mésa, dans HB., 1901. p. 524 ss.
LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 63

terranée « la mer où se couche armes


le soleil », lave, lui aussi, ses
clans l'eau sacrée et offre des sacrifices aux dieux. Il fait une provision
de cèdres et de cyprès dans TAmanus Ha-ma-a-ni) et place sa statue
sur le mont Lallar ;1), C'est alors qu'il reçoit lestiibutsde Phénicie.
Les reliefs de bronze des portes de Balawat représentent la scène.
Les vaisseaux arrivent d'une île fortifiée et débarquent des individus,
qui apportent, sur les épaules ou sur la tête, les présents au roi (2;.
Une ligne de commentaire : « Je reçus le tribut des vaisseaux de la
ville des Tyriens Sur-ra-a-a) et de la ville des Sidoniens Si-du-na-
a-à). » Tyr et Sidon sont les deux villes rivales en Phénicie. Elles
cherchent à ménager le conquérant, comme elles ont fait pour Asour-
nasir-apla.
Les années 858-855 sont consacrées par Salmanasar à consolider son
autorité sur les pays du nordque sur les Xaïii et Ourarfou , ainsi
contrées de l'Euphrate et de lAsie Mineure. L'an 85i, a lieu sa grande
expédition aux pays syriens (3). Parti de Mnive, le quatorzième jour
du mois d'Ayar, il franchit le Tigre et marche directement à l'ouest
vers le Balih, affluent de l'Euphrate. Les villes de ce district sont
sous la domination d'un certain (n-atn-mu qui est assassiné par ses
sujets, à l'approche de Salmanasar. Course triomphale jusqu à l'Eu-
phrate qu'on franchit sur des outres gonflées. Le roi fait halte à
Asur-utir-a^bat, où il reçoit les tributs de ses vassaux de Gargamis, de
Commagène, de Patin et des autres pays au nord d'Alep. On arrive
à Alep [Hal-man = Halwan). Cette vénère Adad, le dieu syrien
ville
par excellence, et Salmanasar offre des sacrifices à « Adad d'Alep » i).

A>our-nasir-apla avait respecté le pays de Hamath. Salmanasar n'a pas


ces scrupules.Il s'empare des villes d'Adennou A-di-en-nu) et deBargà

[Bar-ga-d qui font partie du royaume de Hamath A-mat-a-a ainsi ' ,,

que de la capitale Arganâ [Av-ga-na-a). Le pays de Hamath a comme


roi un certain Ir-hu-li-e-ni qui ne consent pas de g^aieté de cœur à se
laisser envahir par l'Assyrien. Comme il y va non seulement de l'in-
dépendance de Hamath, mais encore de celle du royaume araméen de
Damas et des royauaies du sud, Irhoulêni appelle à son secours les
rois des pays limitrophes. Le plus fort est celui de Damas. C'est lui qui
prendra la tète, si bien que, dans l'obélisque de Salmanasar 1. 88 ,

on résume ainsi les éléments de la coalition : « Adad-idri, roi de Da-

(1) obélisque de Niniroud. face, 26 ss.

(21 Cf. Delitzsch et Billerbeck, Die Pala^tlore Salinanassars H von Balawat, p. 16


et pL II. c.

(3) Nous suivons le récit du monolitiie, II, 78 ss. III R, pi. 8 . Cf. KB., L p. 170 ss.

,4) Monolithe, II, 87.


64 REVUE BIBLIQUE.

mas, Irhoulina de Hamath, ainsi que les rois du pays de Hattou et de


la côte de la mer. » Nous lisons Adad-idri, car tous les efTorts tentés
pour transformer le nom en Bir-idri et l'identifier ainsi avec Ben-Hadad
se heurtent à une série d'inconséquences (1). L'inscription de Zakir
appelle nn—il le roi qui correspond à Tîn-p et légitime la lecture du
texte massorétique (2). Le nom d'Âdad-idri correspond exactement à
TFVnn et nous trouvons précisément "l'ynn comme nom d'un roi

d'Aram-Sôbà (3). Dans le monolithe de Sahnanasar on détaille les

noms et les forces des conjurés (i^i :

1.200 chars, 1.200 cavaliers, 20.000 soldats d'Adad-idri de Damas,


700 chars, 700 cavaliers, 10.000 soldats d'Irhoulêni de Hamath,
2.000 chars, 10.000 soldats d'Achab [A-ha-ab-bii] d'Israël {Sir-'i-
la-a-a),
500 soldats du pays de Gii-a-a,
1.000 soldats du pays de Musru,
10 chars, 10.000 soldats du pays d'Irqanat,
200 soldats de Matinou-ba'li de la ville d'Arwad,
200 soldats du pays à'Usanat,
30 chars, 10.000 soldats d'Adonou-ba'li du pays de Siana,
1.000 chameaux de Gindibii' d'Arabie [Ar-ba-a-a],
XX 1.000 soldats de Ba'sa, descendant de Ruliiib du pays d'Ammon
[A-ma-na-a-a).
On remarquera y a seulement onze rois énumérés, ce qui
qu'il
n'empêche pas le narrateur de les appeler « ces douze rois ». Le
nombre douze est stéréotypé pour les rois du pays de Hattou dans les
inscriptions de Salmanasar II.
Nous connaissons déjà les deux premiers rois, Adad-idri de Damas
et Irhoulêni de Hamath. Le roi suivant l'un des plus puissants d'a- —
près la place qu'il occupe et les secours qu'il envoie est Achab, le —
roi d'Israël.
En vertu d'une métathèse, le nom de pays est écrit Sir-i-la pour
Isril. Vient ensuite le pays de Gii-a-a qui n'envoie que 500 soldats.
Ce pays de Gw'i peut se lire Que (5i et correspondre ainsi au Qii'e,
Que, des textes historiques (6). Or, dans la coalition formée par le roi
d'Aram, Bar-Hadad (= Ben-Hadad), contre Zakir, figurera le roi de
(1) Cf. ZiMMr.RN, KâT:\ p. 446 et Delitzsch, BA., VI, 1 [Die Palasttore...), p. 155.
(2) L'hébreu l'z rend l'arainéen -<2.

(3) L'équivalence de idri et 1"?^ est un fait acquis : cf. KAT^., p. 446, u. 1. Pour le

nom de Tîynn, cf. noire commentaire de II Sam., 8, 3.

(4) L. 90 ss.

(5) Le signe correspondant à a-a prend les valeurs a/, e, e.

(6) Citations dans Pognon, Inacriptions sé)nitiques..., p. 162.


LES PAYS BIBLIQUbiS ET L" ASSYRIE. tio

mp qui est é\ideinmeQt le Que, Gue, des inscriptions cunéiformes. La


situation de ce pays de Que est facile à préciser, d'après les textes. Il

occupe Test de la Cilicie et fut plus tard englobé dans celle-ci. C'est

un de ces pays « de la côte de la mer » dont parlait l'obélisque. Nous


avons mentionné la région de Mus.ru, à propos de l'expédition de
Téglath-phalasar I" dans le Taurus. C'est le pays limitrophe de la
Cilicie vers le nord. Avec une rare sagacité, M. Winckler a retrouvé
les noms de Que et de Mu<ru dans I Reg., x, 28, qui est intraduisible
dans l'hébreu actuel. Il faut lire : u La provenance des chevaux de
Salomon était de Mu<ru et de Que Ij; '
les marchands du roi les ache-
taient de Que à prix d'argent (2. » Pas plus que pour les pays de
Que et de Mu^ru, Salmanasar ne donne le nom du roi d'Irqanat. Les
deux villes précédentes marchaient de pair. Irqanat doit être située du
côté d'Arwad. Or, dans Gen. x, 17, le gentilice "ÇTJ figure précisément ,

devant *~"'s. Nous avons reconnu la ville de .":"•; dans Irqat des lettres
d'El-Amarna, et, grâce aux indications des Grecs sur As/.r,, Apy.a, nous
avons pu la localiser à Tell-' Arqd entre l'Éleuthéros et Tripoli de
Syrie 3). On n'hésitera pas à identifier Irqanat et Irqat. La vraie pro-
nonciation était, sans doute, Irqant qui a donné naissance, à la fois,
à Irqat et à Irqanat. La ville dArwad Ar-ma-da-a-a est sous la do-
mination de yia-ti-nu-ha- -U Le . nom du roi a pour second élément le
dieu phénicien par excellence, "-'i. qui entre aussi dans la composi-
tion du nom du roi de Sian, A-du-nu-ba-'-li. On remarquera que
l'élément Matinu = ";r*2, d'après les noms propres hébreux ^r^.

n"î:r"2, ^n*:n"2! se retrouve dans l'hypocoristique 'Six-.rr,^: fvar. Metty;-

v:ç , nom d'un roi de Tyr, suivant Josèphe (i . Les deux villes qui sui-

vent Arwad sont écrites U-sa-na-ta-a-a et Si-a-na-a-a. La présence du


nom de ^"- dans A-du-nu-ha- -li '= ^"Z'iia nous invite à rester sur la
côte. Or. dans les annales de Téglath-phalasar III, deux villes Us-nu-u
et Si-an-nu sont mentionnées de pair après Simirra (= Su??mr) et

Arqà (= Irqat, Irqanat i


'5 . Ces deux villes équivalent à Usanat et

Siana de notre texte (6 . Elles font partie, d'après le texte de Téglath-


phalasar III, du district de la mer.

I; Cf. VuUj. : de Coa.


(2) La Cilicie était célèbre pour ses cheyaus. Hérodote fait remarquer que les Ciliciens
envoient — outre la redevance en argent commune aux peuples de l.^sie Mineure —
360 chevaux blancs au roi Darius , Histoire, III, 90).
(3) RB., 1908, p. 509.
(4 Contr. Apion., I, 123. Les variantes dans Tédit. Niese. vol. V, p. 23.

5> Cf. KB., II, p. 28. Pour Sumur et Arr/à, RB.. 1908, p. 507 et 509.
(6) D où impossibilité de lire Samsanut pour Usanat, comme propose AVinciiler Keilin-
schriftliches Te.ctbuch zum Alten Testament, 3' éd.. p. 20\
REVLE BIBLIOLE 1910. — >. S., T. VU 5
C6 REYLE BIBLIQUE.

L'énumération de Salmanasar a commencé par les trois srands


royaumes de Damas, de Hamath, d'Israël. Ensuite, les pays de la côte
méditerranéenne, Cilicie et Phénicie. Les deux derniers pays men-
tionnés sont ceux du sud et de l'est l'Arabie et le pays d'Ammon. :

On remarquera que le nom du roi des Ammonites est Basa qui cor-
respond exactement à Nii'vn, nom du second successeur de ,lérol)oam
snr le trône d'Israël. Ce de Buhub, de même que le roi
Basa est tils

de Sôbâ, Hadadézer, était fils de Re/job, dans II Sam.^ viii, 3. C'est ce


nom de Buhiib (= Rehob qui figure dans ::rii~n"'2, Tune des subdi-
visions du royaume araméen de Sôbà. Le roi des Ammonites possédait
donc probablement, dans le nord, la partie du royaume araméen
correspondant à 2rn~n''2 'în. C'est en cette qualité qu'il se ligue
avec r Araméen de Damas.
Ainsi nous nous sommes rendu compte des divers peuples qui
composent la coalition. Les rois de Tyr et de Sidon n'en font pas
partie. Cela n'est pas pour nous étonner, puisque les reliefs de Ba-
law at nous ont représenté les vaisseaux des Tyriens Sur-ra-a-a) et des
Sidoniens [Si-du-na-a-a] apportant leur tribut à Salmanasar IL Ces
commerçants, dont l'activité maritime est appelée à prendre les pro-
portions d'une véritable thalassocratie, ne se soucient pas de dispu-
ter à Salmanasar la suprématie sur les pays de l'intérieur. Ils devi-
nent que le potentat d'Asour n'est pas homme à abandonner la partie
et que les guerriers du Tigre auront toujours raison des milices d'A-
ram ou de Canaan. En réalité, Tyr et Sidon ménagent la chèvre et
le chou. La preuve en est que le roi d'Israël, Achab, est uni au roi

des Sidoniens, Ithobaal ('?V2n.Xj, dont il a épousé la fille Jézabel (S2^^x)


et dont il a adopté le culte (Ij; et pourtant, le beau-père ne figure
pas à côté de son gendre dans la coalition.
La bataille entre Salmanasar et la conjuration araméenne se livre
à Qarqar, près de l'Oronte, très probablement snr le site occupé plus
tard par Apamée. Les coalisés sont taillés en pièces « Avec la force :

sublime que m'a accordée le seigneur Asour; avec les armes fortes

(1} I Reg., 16, 31 Nous lisons Ithobaal pour "^y^nx, d'après Eiewga).oi:, lOoéaXoj, nom
d'un ancien roi de Tyr, selon Ménandre d'Éphèse, cité par Josèphe {Cont. Apion., I, 123 et
Ânl., VIII, 324). Lorsque Josèplie cite Ménandre, il se contente d'appeler EiôwêaXo; « roi des
Tyriens », mais, dans Ant., VIII, 317 ; L\, 138, il ajoute « et des Sidoniens », pour faire com-
cider avec la donnée biblique nv-y ~{^^. le meilleur texte est celui du Cont. Apion.,
I, 123 : E'.OwêaXo; ô t^ç 'AffiàpTr,; îepîj;, qui rappelle si bien le niT^C" ^"1-. <I"6 le « roi
des Sidoniens », Tabnit, se décerne comme titre, ainsi qu'à son père Esmounazar, dans son
inscription funéraire.
LES PAYS BIBLIQUES ET LASSYRIE. 07

que m"a octroyées Nergal, qui marche devant moi, je combattis contre
eux. Depuis la ville de Qarqar jusqu'à la ville de Gil-za-u je les défis.
Je renversai par les armes li.OOO guerriers de leur armée; comme
le dieu Adad, je fis pleuvoir un déluge sur eux; j'accumulai leurs
cadavres; je jonchai la surface de la plaine de leurs troupes nom-
breuses. Par les armes, je fis couler leur sang dans les creux (1) de
l'endroit. La plaine fut trop petite pour la chute de leurs cadavres,
le pour les enterrer; avec leurs corps je comblai
vaste sol ne suffît pas
rOronte comme pour un gué. Dans ce combat, je leur pris leurs
chars, leurs cavaliers, leurs chevaux, leurs harnais (2). »
Cette victoire de Qarqar devait rester célèbre dans les fastes de
l'histoire d'Assyrie. D'après le monolithe, Salmanasar avait tué 14.000
guerriers. Dans l'obélisque il y en a 20.500; dans une statue prove-
nant d'Asour, 20.800; sur l'inscription des taureaux de Nimroud,
le nombre en est porté à 25.000. Cette progression de la première
donnée numérique est tout à fait dans le goût de l'exagération
orientale. Elle indique avec quelle circonspection il faut accepter les
chiffres ronds dans l'évaluation des pertes de l'ennemi ou des forces
du vainqueur. Les portes de Balawat gardaient le souvenir de la ba-
taille. La légende portait simplement « Je conquis la ville de Qarqar, :

ville à' Ur-hi-le-e-ni i^3) de Hamath. »

Au lieu de poursuivre sa conquête et de marcher contre le pays de


Damas, Salmanasar va faire une promenade en mer « Je montai sur :

des navires, j'allai jusqu'en pleine mer (4). » Ou bien Salmanasar


n'avait pas été tellement supérieur à ses ennemis que nous le disent
les documents, ou bien il commettait une grave imprudence en ne
poursuivant pas les chefs de la coalition. Les états de Damas allaient
reprendre des forces pour une ligue nouvelle et cinq années ne s'é-
couleraient pas, que l'Assyrie n'eût à entreprendre une autre cam-
pagne.

(1) Lire nmr-pa-lu, pour muspalu.


(2) Monolithe, 1. 96 ss. Toute la fin a été mal comprise dans KB., I, p. 172 s.
(3) Cette lecture nous permettrait peut-être d'analyser le nom du roi. On connaît l'érjuiva-

lence de h et de •?. De là li^ivilx '^ lumière du Très-Haut », qu'il faut comparer avec

~!^''21X « lumière de Mélek » (cf. ass. U-ru-mil-hi dans le prisme de Sennacliérib, ii, 90) de
lahoumélek
l'inscription phénicienne de {CIS., I, 1). Rapprocher les noms bibliques à pre-
mier élément "nx. On remarquera que l'inscription de Balawat cherche à donner la pro-

nonciation exacte. On y trouve Ha-ma-ta (riDn) au lieu de /l?;i«<des autres inscriptions


de Salmanasar. Pour le nom de piS" à cette époque, cf. le nom de rT'JYaaXicov, roi de Tyr,
qui s'analyse en ]1lSy"n"î: (Winckler, KAT.^, p. 129).

(4) Inscription des taureaux, 1. 74, d'après la numérotation de Delitzsch dans BA., VI, 1,

p. 146.
68 REVUE BIBLIQUE.

Les années 853-851 furent consacrées par Salmanasar à des expé-


ditions dans le nord de l'Assyrie {aux sources du Tigre et autour du
lac de Van) deux campagnes en Babylonie. Babylone était alors
et à

en proie à la guerre civile. Le roi Nabou-apla-iddin (1), qui avait


été à la fois contemporain d'Asour-nasir-apla et de Salmanasar, avait
été remplacé sur le trône par son fils Mardouk-souma-iddin (2). Un
compétiteur s'élève, c'est Mardouk-bèl-ousâte, le propre frère de
Mardouk-souma-iddin. Salmanasar intervient deux fois (en 852 et en
Soi) en faveur de Mardouk-souma-iddin. Après avoir défait les re-
belles, il entre dans Babylone et dans les vieilles cités saintes :

« J'offris des sacrifices dans Babel, Borsippa et Koutha » !

L'an 850, Salmanasar franchit l'Euphrate « pour la huitième


fois ». Il arrive à Gargamis où il a pour adversaire le vieux roi

Sangar, qui s'était autrefois constitué le vasal d'Asour-nasir-apla.


Après avoir ravagé le territoire de Sangar, il dévaste un pays voi-
sin dont la capitale est Ai'-m-e et dont le roi est A-ra-me (3). Là
.s'arrête sa campagne. L inscription des taureaux place ici une ren-
contre avec la coalition de Damas et de Haraath. Gomme on peut le
voir aisément, en comparant avec le récit de la campagne suivante
dans la même inscription et dans celle de l'obélisque, il y a eu an-
ticipation. L'obélisque arrête la marche à Arnè.
C'est en 849 qu'a lieu la seconde expédition au pays de Hamath.
L'inscription qui accompagne les reliefs de la porte de Balawat
porte : « Je conquis la ville à\As-ta-7na-kii, ville royale àlr-hu-le-e-
l'A du pays de Hamath, avec quatre-vingt-six villes (4). » D'après les
représentations, semble que cette ville était défendue par une tri-
il

ple forteresse. Malheureusement nous en ignorons le site. La prise


de cette capitale de Hamath fut le fait important de la campagne.
L'obélisque raconte succinctement l'expédition (5) « En ma dixième :

année de règne, je franchis l'Euphrate pour la neuvième fois. Je


conquis des villes sans nombre. Je descendis aux villes du pays de
Hattou et du pays de Hamath. Je conquis quatre-vingt-neuf villes.
Adad-idri de Damas, et les douze rois du pays de Hattou se levèrent

(1) C'est l'auleur de la tablette cultuelle de Sippar (cf. notre Choix de texles...,
p. 3S2).
(2) Ces événements sonl racontés dans l'histoire synchronique, III, 22 ss. {KB., I, p. 200 s.).

La confirmation en est fournie par l'inscription des taureaux de Salmanasar, I. 78 ss. (De-
i.iTzscH. BA., VI, 1, p.
14" ss.), par celle de l'obélisque, 1. 73 ss. (KB., I, p. 134 s.), et
par celle du trône, 1. 14 ss. (BA., VI, 1, p. 152 s.).

(3) Le ro\aume d'Ararae s'étendait entre le Patin (cf. sup.) et l'Amanus.


(4) Cf. Delitzsch et Billerbeck, BA., VI, 1, p. 71.

(5) L. 87 SS.
LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 69

ensemble. Je les défis. » Le récit le plus détaillé se trouve dans l'ins-


cription des taureaux. On y distingue trois opérations. D'abord la dé-
vastation des territoires appartenant à Sangar et à Arame, puis celle
du pays de Hamath, enfin la défaite de la coalition. La bataille d'^.s-
tamakii a lieu durant la seconde opération. En ma onzième année <(

de règne, je partis de Ninive. Pour la neuvième fois, je traversai


l'Euphrate durant la crue. Je conquis quatre-vingt-dix-sept villes
appartenant à Sangar. Je conquis cent villes appartenant à Arame,
je les détruisis, les dévastai, les brûlai par le feu. Je me mis en
route le long de l'Amanus iHa-ma-ni), je franchis la montagne de
la-ra-qu, je descendis jusqu'aux villes du pays de Hamath. Je conquis
la ville à\\i<-ta-ma-ku avec quatre-vingt-dix-neuf villes. Je massa-
crai leurs habitants, je les pillai. Alors, Adad-idri de Damas, Irhou-
leni de Hamath, avec douze rois du rivage de la mer se confièrent à
leurs forces mutuelles, ils se levèrent contre moi pour faire la lutte
et le combat. Je luttai avec eux et les défis. Je renversai par les ar-
mes 10.000 hommes de leur armée. Je leur enlevai leurs chars, leurs
chevaux de troupe, leurs instruments de combat » (1). On voit que
les chiffres sont encore flottants. Les portes mentionnent quatre-

vingt-six villes avec Aétamaku au pays de Hamath, l'obélisque qua-


tre-vingt-neuf villes, y compris AUamaku^ les taureaux quatre-
vingt-dix-neuf villes et, en plus, AUamaku. 11 semble bien que
la victoire à^ Astamaku fut le seul fait marquant de l'expédition.
La coalition du roi de Hamath et de celui de Damas avec les
douze rois de la mer une répétition, en raccourci, de la grande
est
ligue qui avait précédemment arrêté Salmanasar à Qarqar. L'anna-
liste nous aurait gardé le souvenir de la défaite des conjurés, s'il
y
avait eu quelque grande bataille. L'absence d'indication précise, le
chiffre rond 10.000, les termes vagues du récit sont autant d'indices
qui permettent de regarder comme très peu saillant le succès de
l'envahisseur. Salmanasar jugea opportun de rebrousser chemin. Les
peuples de l'Oronte et de l'ACrin se relevaient. Le roi du pays d'Arnè,
Arame, cherchait à réparer les pertes que le conquérant lui avait
infligées à son passage. Salmanasar revient sur ses pas et conquiert
Ap-pa-ra-zu, la ville forte d'Arame. Aussitôt le roi du Patin, Qal-pa-
vu-un-di, apporte son tribut. On revient par l'Amanus où le roi fait
sa provision de cèdres.
Salmanasar attend deux années encore avant de reprendre la
route de la Syrie. Des campagnes insignifiantes occupent une partie

(1) Inscription des taureaux, 1. 00 ss.


70 REVUE BIBLIQUE.

de son activité. En 8V6, il mobilise 120.000 hommes, car il est résolu


à en finir avec la fameuse coalition des douze rois. Les chefs de cette
coalition sont, comme précédemment, Adad-idri de Damas et Irhou-
lèni de Hamath. Nous ne savons pas où eut lieu la rencontre. S'il faut
en croire Finscription des taureaux (1. 100 ss.), le désastre des coa-
lisés fut complet « Je les défis, j'exterminai leurs chars et leurs
:

cavaliers, je leur enlevai leurs instruments de combat. Ils s'enfuirent


pour sauver leur vie. » L'obélisque est plus laconique (1. 92) : « Je
luttai contre eux, je les défis. »
Les deux champions de la lutte contre Salmanasar disparaissent de
la scène. L'obélisque ne mentionnera plus Irhoulêni de Hamath, ni
Adad-idri de Damas. Même le pays de Hamath ne figurera phis dans
les inscriptions de Salmanasar. Il se relèvera plus tard, à l'époque de

Zakir, comme nous le verrons dans la suite de cette étude.


Si nous voulons mettre en parallèle l'histoire biblique et celle que
nous ont livrée les annales de Salmanasar jusqu'au moment où nous
sommes (8i6), la question qui se pose est celle de savoir avec qui il

faut identifier le roi de Damas, Adad-idri. Nous avons dit déjà que la

lecture Adad-idri, correspondante à t~"i""n, est la seule plausible. Ce


n'est que par un tour de passe-passe qu'on a lu Bur-idri ou Bir-idri,
afin ~"]n""|? (G. a-.b; Aosp) de la Bible. Si l'on songe
de l'identifier avec
qu'un ancien roi d'Aram-Sôbà portait précisément le nom de l'î^T^n

(IISam., viii), on n'aura pas de peine à admettre que le roi araméen


de Damas, à l'époque qui nous occupe, a pu porter ce nom. Nous
avons vu que cet Adad-idri était contemporain du roi d'Israël,
Achab, auprès duquel il combat à la bataille de Qarqar (854). Adad-
idri meurt avant 8i2, car, à cette époque, le roi de Damas sera déjà
Hazaël [Ha-za--ilu], comme nous aurons occasion de le constater
bientôt. L'inscription de la statue provenant d'Asour, que nous avons
citée à propos de la bataille de Qarqar, porte la mention suivante :

« Adad-idri mourut. Hazaël {Ha-za-'-ihi), homme de basse extrac-


tion (1), s'empara du trône (2). »
Donc, Adad-idri meurt de sa belle mort et un usurpateur, Hazaël,
prend sa place. C'est cet usurpateur qui poursuivra la lutte contre
Salnian£^«ar. Ce Hazaël est connu par l'inscription de Zakir, où il est
père de "iin"!!, et par la Bible, où il est père de "".Tp (II Reg., xiii,
24). L'équivalence de l'araméen "~n~"!2 avec nn~p est limpide. Ha-
zaël de l'inscription de Zakir est le même que le Hazaël biblique. Or,

(1) L'expression inâr la ma-ma-na signifie « fils de non quelqu'un ».

(2) Cf. WmcKLEi!, Keilinschriftliches Textbiich zum A. T., 3= éd., p. 25.


LES PAYS BIBLIOLES ET L'ASSYRIE. 71

nous savons, par II Reg.. viii. 7 ss., comment ce Hazaël est devenu
roi de Damas. Pendant que le roi de Damas qui. dans la Bible, porte
le même nom que le fils de Hazaël. """""jz, est malade à mort, un

homme de son entourag-e, notre Hazaël, reçoit du prophète Elisée la


promesse qu'il deviendra roi d'Israël. C'est bien un homme de basse
extraction puisque, quand le prophète lui révèle la chose, il s'écrie :

« Quest-ce donc que ton serviteur, le -chien, pour qu'il accomplisse

cette Le lendemain du jour où il a reçu l'an-


grande chose (1)? »

nonce de son élévation future au trône, Hazaël passe une couverture


mouillée sur la fleure de son roi malade et précipite ainsi son départ
pour l'autre monde. « Et Hazaël régna à sa place. >;

Il est de toute évidence que le récit biblique est pleinement d'ac-


cord avec la notice assyrienne sur l'avènement de Hazaël. La seule
différence est que le prédécesseur de Hazaël, celui dont la dynastie
est supprimée par l'usurpateur, s'appelle Adad-idri (l'ynn) dans le
texte de Salmanasar et Ben-Hadad '"""" i dans le récit biblique. Si
maintenant nous examinons les passages où le nom de Ben-Hadad se
rencontre dans les li^Tes des Rois, nous remarquons que. dans I Reg.,
XV. 18 ss., est signalé un premier Ben-Hadad qui appartient à la
lignée des rois de Damas et dont on connaît la généalogie. Ce Ben-
Hadad est allié du roi de Juda Asà contre le roi d'Israël Ba sa. Après
les règnes de Ba sa. Elà et Omri, nous rencontrons un autre Ben-
Hadad qui lutte contre Achab, le fils d'Omri. C'est dans une guerre
contre ce Ben-Hadad que le roi Achab trouve la mort ^cf. 1 Reg., xx
etxxji). Or. ce contemporain d'Achab est bien le même que le pré-
décesseur de Hazaël il est le roi de Damas qui lutta à Qarqar contre
;

Salmanasar. Son véritable nom était Hadadézer Adad-idri ^rù~~- :^\. ,

Comme il était roi de Damas, le récit biblique lui décerne aussi le


nom de ""~~'z. A sa mort, l'usurpateur Hazaël monte sur le trône et
crée une dynastie nouvelle. De même que l'usurpateur Omrî s'était
affirmé en Israël, au point de faire appeler le pays maison d'Omri -,
comme en font foi les documents assyriens •3';, de même l'usurpa-
teur Hazaël imposera son nom au pays de Damas que le prophète
Amos I. i appellera "nt" r"2.
Il faut donc reconstituer ainsi les dynasties de Damas :

Hezion (I Reg.. xv, 18 ,


peut-être identique à Rezon 1 Reg.. xi, aS),
le fondateur de la dynastie.

(i; II Reg., 8, 13.


(2) A la même époque, un roi de Tyr. liLs d'IthoLiaal, porle le aoin de ^VJ^'JZ. C'est ainsi
qu'il faut analyser le ^),e^oj?o; de Josèphe, Cont. Apion., I, 124.
S; Cf. sup. Bil-Humri.
72 REVUE BIBLIUUE.

Tab-Rimmon d Reg., xv, 18\


Ben-Hadad I. contemporain dWsà
et deBa'sa (I Reg., xv, 16 ss.\

Hadadézer innommé lui aussi Ben-Hadad), contemporain de Salma-


nasar et d'Achab, mort entre 8i5 et 8i2,
Hazael, l'usurpateur, contemporain de Salmanasar et des rois
d'Israël Joram et Jéhu,
Ben-Hadad II, fils de Hazaël (II Reg., xiii, 2i), le contemporain du
roi d'Israël, Joas, et du roi de Hamath, Zakir, qui le mentionne sous
son nom araméen """""•z.
Ainsi donc, avec Hadadézer disparaissait la première dynastie de
Damas. Salmanasar profita de la mort du héros pour entreprendre
une campagne contre son successeur Hazaël. Cette fois, le monarque
d'Assyrie ne laisse plus à la ligue le temps de se former. D'ailleurs,
les rois qui marchaient jadis sous la conduite de Hadadézer avaient
compris premières victimes des représailles, tandis
qu'ils étaient les
que le roi de Damas se retirait dans son royaume. Il est sur que le
pays de Hamath qui se trouvait sur le passage de l'armée assyrienne
devait payer pour tous. Quant au roi d'Israël, pouvait-il voir sans
inquiétude la puissance toujours grandissante du royaume araméen
à sa frontière? L'histoire biblique montre sans cesse aux prises les
rois de Damas et ceux du royaume d'Israël. Aehab, l'allié de Hadad-
ézer à Qarqar, était mort dans la lutte contre le même roi. L'aven-
turier Hazaël résolut de supporter seul le choc de l'Assyrien. Il de-
vait luien coûter gros.
L'inscription de la statue, après avoir mentionné l'avènement de
Hazaël, comme nous l'avons vu ci-dessus, raconte brièvement la
campagne " Hazaël convoqua ses troupes nombreuses, il vint à ma
:

rencontre pour faire la lutte et le combat. Je combattis avec lui, je


enlevai son camp retranché. Il s'enfuit pour sauver sa
le défis. Je lui

vie. Je lepoursuins jusqu'à Damas, sa ville royale (1^. » L'inscription


de l'obélisque est plus détaillée « Dans ma dix-huitième année de
:

règne (en 8i2), je franchis l'Euphrate pour la seizième fois. Hazaël


[Ha-za-'-ilu) de Damas se leva pour le combat. Je lui enlevai 1.121
de ses chars, iTO de ses chevaux de troupe, ainsi que son camp 2). » i

Sur les taureaux « Dans ma dix-huitième année de règne, je franchis


:

l'Euphrate pour la seizième fois. Hazaël [Ha-za-'-ilu) de Damas se


fia à la masse de ses troupes. Il convoqua ses troupes en grand nom-
bre. Il prit pour forteresse le mont Sanir [Sa-ni-nij, pic de montagne

(!) Cf. Wi.NCKLER, Keilinschriftliches Textbuch zum A. T., 3' éd., p. 23.

(2) Cf. KB., I, p. 140 s.


LES PAYS BIBLIOL'ES ET LASSYRIE. 73

qui se trouve en face du mont Liban [Lab-na-na). Je combattis contre


lui. Je le défis. Je renversai par les armes 16.000 soldats de son
armée. Je lui enlevai 1.131 de ses chars, 'i.70deses chevaux de troupe,
ainsi que son camp (1). » Le nombre des chevaux de troupe coïncide
avec celui de l'obélisque, tandis que le nombre des chars est un peu
supérieur. Par bonheur, nous possédons une relation plus complète
encore. L'original n'existe plus, mais Festampage, conservé au Brilisk
Muséum, a été reproduit plusieurs fois (2). C'est un fragment d'an-
nales : « Dans ma dix-huitième année de règne, je franchis l'Eu-
phrate pour la seizième fois. Ilazaël [Ha-za-'-ilu] de Damas se fia à

la masse de ses troupes et il convoqua ses troupes en grand nombre.


Il prit pour forteresse le mont Sanir [Sa-ni-ru), pic de montagne qui
se trouve en face du mont Liban [Lab-na-na). Je combattis contre
lui. Je le défis. Je renversai par les armes 16.000 soldats de son armée.
Je lui enlevai 1.121 de ses chars,470 de ses chevaux de troupe, ainsi
c[uo son camp. pour sauver sa vie. Je me mis à sa pour-
11 s'enfuit
suite. Je l'enfermai dans Damas, sa ville royale. J'abattis ses jardins.
J'allai jusqu'aux montagnes du llauran [Ha-â-ra-ni). Des villes sans

nombre, je les détruisis, les dévastai, les brûlai par le feu. Je pillai
leur butin sans nombre. Jusqu'aux montagnes de Ba-'-li-ra-'-si, qui
sont au-dessus de la mer, je me rendis. J'y érigeai ma statue royale.
Alors je reçus le tribut des Tyriens {Su)'-)'a-a-a), des Sidoniens (Si-
du-na-a-a) et de Jéhu \Ia-ù-a) descendant d'Oniri {Hu-um-7'i-i). »

Salmanasar marche donc directement contre le roi de Damas.


Celui-ci s'est fortifié sur le somnïet du Sanir, qui n'est autre que
le Tizù* biblique. Sur la foi de Deut., m, 9, on identifie généralement

ce mont Sanir avec l'Hermon. on ne voit pas ce que Hazaël irait


Or,
faire, avec son armée, sur grand Hermon, laissant ainsi à son
le

adversaire le passage libre au nord de Damas. En outre, le mont


Sanir est nettement distingué de l'Hermon, tant dans la tradition
juive [Cant., iv, 8 et 1 C/ir.,\, 23) que dans celle des géographes arabes,
pour qui le Djebel Sanh^ représente des montagnes au nord de Damas,
et plus spécialement aux environs de Baalbek (3). D'après Mas'ùdi,
pour qui Baalbek est dans le district de Sanîr, les Grecs prenaient leurs
pierres entre le Liban et le Sanir (i). Ces indications si précieuses
nous portent à considérer le Sanîr comme la partie nord de l'Antili-
ban, dont l'Hermon constitue la partie sud. Le mouvement de Hazaël

(1) Cf. BA., VI, l,p. 150 s.

(2) III R, 5, n" 6 et Delitzsch, Assyrische Lesestiicke, 4«éd., p. 51.


(3) Guï Le Stra.\ge, Palestine under the Moslems, p. 32, 78 et 79.
(4) IbUL, p. 295 s.
74 REVUE BIBLIQUE.

secomprend parfaitement. Il se fortifie sur l'un des pics qui com-


mandent l'entrée de la Cœlésyrie au nord, pour arrêter l'agresseur.
Chassé de ses positions, il se replie sur Damas, où Salmanasar ne
tarde pas à le cerner. Mais l'armée assyrienne ne prolonge pas un
siège difticile. Elle part pour les montagnes du Hauran vers le sud et
dévaste ces régions mal défendues. On revient alors vers la côte de
Phénicie, La montagne de Ba-'-li-i'a--si au nom bien phénicien
un promontoire (1). Il s'agit, sans doute, du promontoire
w*N"i~Sy2 est
à l'embouchure du Nahr el-Kelb entre Beyrouth et Byblos. C'est là
que précédemment Ramsès II avait fait graver son inscription. C'est
là que, plus tard, Nabuchodonosor II gravera la sienne. Avant de
remonter vers lAssyrie, Salmanasar reçoit le tribut de ses vassaux,
les Tyriens et les Sidoniens (2). Cette fois-ci, le roi d'Israël est parmi
les fidèles, car il se soucie peu de suivre la politique d'Achab. Ennemi
déclaré de Hazaël (3), il préfère se déclarer tributaire de Salmanasar
que de contribuer à l'élévation de son voisin. Son présent était une
action de grâces pour l'humiliation infligée à l'inquiétant roi de
Damas. L'obélisque noir énumère les envois de Jéhu [la-û-a), le

descendant d'Omri [Hu-iim-ri-i) : ce sont des objets d'or et d'argent,


ainsique des bois précieux.
Les deux années suivantes sont consacrées par Salmanasar à un
voyage dans l'Amanus et à une expédition en Gilicie. L'an 839, il
revient inquiéter Hazaël : « Dans ma vingt et unième année de règne,
je franchis l'Euphrate pour la vingt et unième fois. Je me rendis vers
les villes de Hazaël {Ha-za-'-ilu) de Damas. Je conquis quatre de ses
villes. Je reçus le tribut des Tyriens (Sur-ra-a-a), des Sidoniens
Si-dii-îia-a-a) et des Byblites (Gu-bal-a-a) (ï). » Au lieu de Jéhu, ce
sont les gens de Byblos [Gubal = ^ià) qui figurent comme tributaires
à côté des Tyriens et des Sidoniens. C'était Byblos qui figurait après
Tyr et Sidon parmi amorrhéens d'Asour-nasir-apla (5).
les tributaires
L'obélisque de Salmanasar ne mentionne plus d'expéditions en Syrie
durant les quatorze dernières années de son règne. C'est le moment où
le fils de Hazaël, Ben-Hadad IL succède à son père. Au lieu de profiter

'de la trêve que leur laisse l'Assyrie, pour s'unir et se fortifier mu-
tuellement, les royaumes de Damas et de Hamath, d'Israël et de Juda

(1) Le nom pliénicien 'CN*1~S"2 « possesseur de tête » correspond simplement à l'arabe


->!, " t^te » dnns le sens de « promontoire ». L'équivalent exact serait ^^\ «3.

(2) Cf. sup. la tactique des Tviiens et des Sidoniens vis-a-vis de l'Assyrie.
(3) II Reg.. 10, 32 ss.
(4) Obélisque, 1. 102 ssl

(5j Cf. sup., p. 60.


LES PAYS HIBLIQLES ET L'ASSYRIE. 75

vont s'entre-déchirer. Jusqu'ici l'envahisseur s'est arrêté sur la

frontière nord d'Israël. Le mouvement s'accentuera vers le sud,


jusqu'à ce qu'il aboutisse au sièg-e et à la prise de Samarie.

(.4 suirrp.)

Jérusalem, ce novembre 1009.

Fr. P. Dhorme.
MÉLANGES

UN SUPPOSTO FRAMENTO DI ORIGENE

A sag-gio dell' anonimo commento ai vangeli del cod. Vindob.


Suppl. gT. 4, ora 6 =: VV (1), Ad. Fr. Kollar (2) pubblicô, cu?n ex Ori-
genis, dice egli, nisi fallor, deperditis
esse videantur, il promta
seguente passo su Matt. 1,1, che correggo seconde A, l'Angelic. gr.
36 (B I, 5) del sec. xi (3), Vat. gr. 1618, del sec. xvi (4).eV =
èp;j/r;v£'jSTa'. vip '.r;7Cji; •/; zM-.r^^iy. -/.y). 'Ir,7cu^ iAAr,v',-/.wç, -/.a: -zXç, aù-ccT^ Yf^~
9£-ai a-cr/£toi^ y; Qià-TiÇilx y.aî s -/j'Aé-epo;; ^^ùxr^p 'Ir^o-ojç. XiVSTai cuv iv -:w

-piTW 6aA;j.c5 « Toîi -/.jp-lcj y; !j(i)--/;p(a », -/.a', y.tliixi -ap" 'E6paisiç èzi t^ç
« awTYjpîa? » Ta s-' tcj awi^pi; y;;j.wv (jTor/sTa. è oè 'E6pafoç èv tw 'Ajx6a-
•/.S'jfj. Ts Acv^l^-îvov « 'Eçï^XOs? £'.^ (7WTr,piav Xacu jcj -riîi a-wo-ai. tcù; '/piŒTOjç
72J )' £ç;a7-/.îv £v TO) 'EcpaïxîpTOjTCv éyv.y-o'/ Tpi-sV « 'lajaÔav r^scjè à;x[j,ay-
vr,7Cj£ £6y,£7'.â-/* » 'c-£p •/;p;rf,vsu7£v iuto);' « 'E;v;a6c? £•.; 7WT-/;p'!av Aa;îj 7cu
TO) I-(^3-oj TO) */p',7T0) 72'j ». àX// îva [xy; 'Ir,7:jv i:7.;J73:ç oià Tr,v :[j,a)vu[7.{av

-Xavr.ôïjç, è—r^yavev « 'Ir,{7C!u y^piG-o'J u-oS Aaoîs. » 5 yàp "^^y Naj^ 'Ir,ocuç cjy,

•fjV Tcu Aa6'3, àXX' STepa? çuX^ç J7:Y;p-/£v' èy.£tvoç [^.sTa to TsXeuTYjca'. tov

Mwdéa, sCiToç (j.£Tà tô -a'jaaiôa'. tov vÔij-ov* èy.£ivoç wç SvjiAaYWYÔç, cuto>; w>;
i'jX7'.X£'Jç. Tl'v5Ç Oè £V£y.£V « |3(6Xsç Y£V£7£0)Ç » JCJTr,V y.aXîT « 'Ir,70U Xp'.ffTOÎJ »

y.. T. X.

Non ostante il gran nome messo avanti dal Kollar e non ostante che
(1) Gregory Texlkrilik des \euen Testamentes I (1900) 152 Evv. 108; von Soden Die

Sckriften des Xeuen Testaments ecc. (1902) 253 .V^K


(2) Ad P. Lambecil commentariorum de aug. bibliotheca caes. Vindobonensi libros
VIII supplementoruvi liber I (1790) 13-14.
(3) Cfr P. Fraivchi de' Cavaueri ia Studi italiani di filologia ctassica IV (1896) 79 s.;
G. Karo-J. Lietzmann C atenarum graecamm catalogus (1902) 564.
(4) KARO-LlETZMANÎi ib.

!• tr;] T^ç W, unde xoiç eêpaiot; Kollar. — 3. o-wTïjp] om. A — xw] om. AW. — 4. Ttapa l^'-

— C. c^T)),6£v V. — 7. -roiî zêooLiv.Q'.z ^^ ('~- — taffaôàv. tjoo'js. A, laffaôâv r^a. V, làffaâav rjaous.
^^- — 8. £8[jL£'nà-/ -4, Èôfxao-iàx ^^i à9|Ji.£(ïtà7_ V. — epfirivîuexai F]V. — 9. azouffa; iy)(ïouv -4. —
0{iovu|xiav W (?). — 10. 7r).avr|9£i; ^4, 7rXavr,6Y) l'. — 10. vaut W. — -4 |xwu(T£a — 13.
I"2. ^"^V'. paat-
),£u; hucusque AV.
MELANGES. 77

ilpasso contenga translitterato in greco il testo ebraico di Abacuc 3.13


seconde che avevalo riferito ail' autore s 'Eépatcç, l'Ebreo suo maestro
o suo consulente, non pare che vi si sia fermata sopra Fattenzione dei
Jotti, e almeno il Field Origenis Hexapla II 1009 non conosce se non
la translitterazione parziale di s. Girolamo XXV, 1390
i. h. /. , P. L. :

« Sciendum antem... esse in hebraico LAJESVA ET H MESSIACH. »


Ma lasciando questo, il passo è veramente d'Origene?
Il principio e la fine certamente no, ricorrendo parola per parola,
benchè in altra successione di proposizioni, nel commentario perve-
nutoci per ampia tradizione diretta (1), su Matteo di s. Giovanni Cri-
sostomo, abenissinio dal copiar altri e dal ripeter se stesso (2). Leggesi
infatti in P. G. LVIl, 26-27 : Tb ';xp 'lr,7cjq -o\>-z cvc[;.a su/. k'cTiv éaay;-

vr/.bv, oc'/'ha ty) 'E6pa((i)v ç-wv?; cJTO) Vd^^z-xi... èxsîvc? \).fia -zo TcAsuf^cra',

Mwjo-Éa, oijTCç iJ.t-'x -h Ttaj^aTGai -bv v6;j.2v* ky.evK^ wg c-/j[JLaY(i)Y2ç, cOto; iùç
(ia(7',Acjç. Aaa' tva ;xy;' lr,7C~jy h:/.z\)zy.z oià Ty;v ;;j.a)vu;j.iav ^Àav/;6ïiç, £7:r,YaY£V
1. '/JP't U'-Cîi Aauio. èy.îïvcç ce cjy. '^v toy Aauio, kaa' âtipaç çuA^ç. Tivcç oè
£vr/.£v i3(^Acv aj-:Y;v 7373730); y.xÀs^ I. Xp. ; Senso e parole, corne si vede,
ne ha preso il compilatore, solo ha disposto le proposizioni, corne me-
gliogliparve,ritoccando,per connetterle, appena qualche parti cella.
Rimane il passo intermedio, che nel Crisostomo non c' è, e deve
venire altronde, da qualcuno degli esegeti non isdegnosi di consultare
rabbini. corne —a testimonianza di s. Girolamo contra Riif. I, 13,
P. L. XXIII, 426 — Origene, Clémente, Eusebio ed altri parecchi :

« Ipse Origenes et Glemens et Eusebiiis atque alii complures, quando


de Scripturis aliqua disputant et volunt approbare quod dicunt, sic

soient scribere Referebat mihi Hebraeus; et, Audîvi ab Hebraeo;


: et,

Hebraeorum ista sententia est. » Ora, che fra tanti, ad Eusebio di Ce-
sarea piuttostochè ad altri debbasi pensare, n' è ragione
testimonianza délia catena II di Karo=:Lietzmann su Matteo, la
1° la

quale almeno in due manoscritti parigini del sec. xi (3) e nei citati
codici romani A V attribuisce rettamente al Crisostomo la fine àX/.' î'va
p.-/; —
ibç ^aî'.Àcj;, e ad Eusebio di Cesarea (4) il passo Tb 'Ir^aso; ~m —
bf^aoy Tw '/ç>iz~m gz'j.

(1) Cfr CuR. BvuR, 0. S. B., S. Jean Chrysostome et ses œuvres dans l'histoire litté-
raire = Recueil de travaux publiés par les membres des conférences d'hist. et de
philol. ecc. fascic. 18 (Louvain ; 1907} 28 sqq.
(2) Ib. p. 87, not. 1.

(3) Corne risulta da H. Lietzman.n Catenen (1897) 81. Invece nel cit. C'atal. di Karo =
Lietzmana 563-564 il saggio è pur troppo accorciato.
(4) Qui perô ia A î. i r, sebliene sia cospicuo 1' inizio d' un nuovo estralto, manca il
nome; il che non è strano, parendo il detlo raanoscritto copia d' altro danneggiato nei mar-
gini, non finito ap'posta, giacchè in A « noinina (tnarg.) post fol. 20 desiderantur »
78 REVUE BIBLIQUE.

S'' ilcho Eusebio stesso nel commento al v. 9 del 3 salino,


fatto
citato nel nostro passo, osserva proprio qualche cosa di simile :

Tr,pr,-éoy oè w; àvTi lou « ffo)-r,p''a » r; kèpcci'/Sr, otovr, -o tcj 'lr,70j '6yo[j.x

zxpvXr—.xi. e vi fa sopra délia ôswpta (1) ;

3° e similmente in fine al 1. IV délia demonstratio evang.^ P. G.

XXII, 332-3; éd. Dindorf III 282 : jwtï-pisv Ossu v.q -y;v 'EXXàca oiùv-çi -z

:z~J r^7;j [xz-y.\r^oHv/ ï^)z\i.y. z'r^\j.y.bn\' lîcjà jj-sv ^xp zap E5pai2t^ stor^pîa,
•j'.bç se NajY; -apà toT; aÙTClç IcoTCjà :vc;j.â«£Ta'.' Io)7CJ£ ;£ £7tiv laoj jw:-^-

p(a, toOt' eaTi OîOli cwT^ipiov. er/.ÔTWç £1 tïO'j 9c2j jwri^p'.cv àv -rcîç EXa-/;v',7.cîç

àv-iYpâoctç wvsfjLaîTâi, cùB à'XXo t', y; tov I'/;7vUv y.x-rà rf^v EcpaCwv 5wvr;v

Ne osta che tre manoscritti délia catena (degli altri non si sa)
diano troppo ad Eusebio, attribuendog-li anche 1' inizio Tb vc^iz'jz —
Ki^;i-xi, giacchè le omissioni délie sigle nelle copie sono oltreniodo
facili e frequenti, donde poi la fusione degli estratti \dcini; e tanto
basta a spiegarel'inesattezza, senza dire che nondesterebbe meravi-
glia il trovare presso due scrittori indipeudenti un periodino cosi
semplice ed ovvio.
D' Eusebio quindi, anzichè d' Origene, parrebbe il fr. 'Ep;j.Y;vcJ£Tai

\'xp lT,7C'j\-lr,7z'j -M xp^^'w ':->: o che venga dal perduto commento di


s. Matteo cfr Harnack = Preitschex Geschichte der allchristl. Litera-
tur, I, 577) o anche da qualche altro scritto di lui, non leggendosi qui
nulla che si connetta proprio cou .Matteo 1,1, anzichè per es. con Luc.
1,31 o Act. i, 10.12 ecc. Forse scioglierà il non gravissimo dubbio chi
dovrà raccogliere e studiare gli altri estratti Eusebiani délia citata
catena, otto secondo Karo-Lietzmann p. 562.
Ora due parole su Abacuc 3,13.
Che gli amanuensi fossero per inciampare nelle poche parole
ebraiche, era da aspettarsi, e si vede il loro inbarazzo ail' ultima
parola, che è scritta in A sOy-sTiay (cfr S. Girolamo), in Eftij-aaiay, W
e in V a9;j.£7'.ay.

Ma oltre gli errori particolari, appaiono manifesti degli sbagl


risalenti ail' archetipo comune dei tre manoscritti : cosi la mala
divisione e la conseguente accentuazione délie parole e lo scambio di
A, o piuttosto di Al colla \icinissima lettera X, per cui da lACAOA

(Karo-L.), e prima ancora vi veggo erasa più volte la sigla d' Origene (8"^ ecc.) ed eraso
a f. 17" il nome d'Eusebio.
(1) P. G. XXIIl, 100 C. Il passo viene dalla miglior fonte per il torao I (Psalm. l-5o) del
commento d' Eusebio al Salterio, cioè dalla catena dei codici Vat. 1789, Monac. 3.59, Barocc.
235 in Karo-Lif,tzm\nv o. c. 30.
MÉLANGES. 79

AIHCOre AMMAX AIHCOre eO MGCIAX in scrittura continua è

venuto fuori lasaOav y;c70'jî 3:;j..u.a-/vr;7S'j£ ecc.


Il rimanente, benchè non conforme del tutto ail' uso — per altro
non costante o dai copisti non sempre rispettato — di Origene (1) e

d' Eusebio (2), piiù essere originale, e le lievi differenze derivare o


dalla peculiare pronuncia delF Ebreo o dalla percezione ed espres-
sione imperfetta di ciù cbe egli aveva detto a viva voce (à'îjajy.sv) e non
già scritto. Ad ogni modo, è proprio secondo V uso délie Esaple (3)
la pronuncia — ay del suffisse r^ — (aij.txay, [J-sciay) e la nessuua voca-
lizzazione del prefisso in "^''S o TC^^h (S. Girol. : « LAJESVA »).

Quanto alla traduzione in greco, se anche il ms. A non ci avesse


restituita la lezione Y;p;.».r,vsj7£v, era ovvio supporla dell' Ebreo mede-
simo, délia cui autorità Eusebio — sapesse allora leggere spiegare e

Ebraico o meno (V) — stimô opportuno commendare lettura la '-y;(7S'J£,

per lui cosi importante.


Ne osta che 1" interpretazione 'Eçy;a9£ç v.ç cnù-Tipixv Xasj go-j tw
^Ir^ao^j -(0 y^piG-M go-j pare d' un cristiano : perché o si tratta d" un con-
oppure
vertito, d' un ebreo che forse riferiva a Josue il versetto (5).
Insomma, è lo stesso caso délia versione sesta, la quale anche più
apertaraente e liberamente tradusse : 'E;?;a6£; loXt GodGxi -cbv A^iv
Gfj cià '1y;(jîîjv tcv yp'.G-'o-) jcu, O piuttosto cià '\•^^G0\) loXi ypiaTCu ao'J.

Cf. Field a. 1.

Rom a.
G. Mercat[.

(1) leaaya Ps. 17,36, [Aiia-/ Ps. 88,39.52; ma jie<Tiw e aiifia/ a Ps. 27,8.
(2) i(70-ja Deni. ev. l. c. — Nelle Esaple, Ps. 27,8 icto-jwO e Ps. 88,27 laTovaQi, (love pero
sta scritto nell' Ebraico riiîTIïT^ e ^r^Vw'^. Quanto ail' t per y-, si nota ad es. in tr.aouc

del LXX (tw(7ous Euseb.) etc.

(3) Cfr Fii:ld o. c. prolegom. p. lxxiv. Tardi esempi di poeli spagniioli ricorda il Nestlé
in Zeitschrift fur altlest. Wissenschufl XXVI (1906) 285.

(4) Cfr Nesles il). XXIX (1909) 57 sqq.


(5j Field ib. XLV : « Nisi quis interpretem nostrum per 'IyictoOv Josuara, qui Unctus
/caTa/pvîffTtxw; dici possit, voluisse, non sine quadarn veri specie contenderit. »
80 REVUE BIBLIQUE.

II

FRAGMENTS DE L'ÉVANGILE SELON


SAINT MATTHIEU

EN DIALECTE MOYEN -ÉGYPTIEN

Le volume de frag-ments coptes de la Bibliothèque Nationale de


Paris coté 1-29'' contient, au milieu de fragments sahidiques de saint

Matthieu, une partie malheureusement minime du même Évangile,


dans le dialecte moyeu-égyptien quon a pris l'habitude de nommer
fayoumique.
Le folio 166 de ce volume contient avec quelques lacunes Matth.
V, i6-vi, 18.
Le folio 96 contient Matth. xiv, 8-xv. V et le folio 155, Matth. xxvi,
13-15; 35-37.
Ces trois fragments sont, sans doute possible, d'un même manuscrit
de parchemin, mesurant 35"" X -9"" ^t écrit sur deux colonnes de
38 à iO lignes. Le caractère est assez petit, de forme allongée tendant
vers la cursive, assez régulier. Des rinceaux discrets, couleur de mi-
nium et vert olivâtre, marquent début des chapitres (-/.ssaXaia) des
le ;

lettres capitales rehaussées de rouge apparaissent dans la marge :

r I est fréquemment surmonté du tréma; le trait horizontal qui re-


présente la demi-voyelle est court.
Nos fragments proviennent du fameux Monastère Blanc ou Mo-
nastère de Schenute, à Sohag près d'Akhmîm. Le premier (v, 46-vi,

18) a été publié par M.Maspero dans le Recueil de Travaui- relatifs


à la Philologie et à l' Archéologie Egyptienne et Assyrienne , XI,
p. 116. Je le réédite néanmoins, bien qu'il soit en plus mauvais
état qu'au jour où M. Maspero l'a déchiffré, car la publication faite
dans le Recueil, outre, qu'elle n'a pas reproduit l'arrangement en
colonnes, contient quelques lacunes et quelques erreurs de lecture.
J'aurai d'ailleurs besoin d'utiliser l'édition de M. Maspero pour re-
constituer le texte aux endroits où il a trop souffert pour qu'on puisse
désormais l'étabUr avec certitude.
Le deuxième fragment est constitué par un feuillet presque entier
paginé .\e-(.\g), mais le troisième ne nous a conservé que le tiers
supérieur d'une colonne; encore peu de lignes sont-elles complètes.
MELANGES. 81

M. Chassinat publiait, il y a quelques années, plusieurs passages


de l'Ancien et du Nouveau Testament dans le dialecte fayoumique
{Bulletin de rinstiiut français d' Archéologie Orientale, II, p. 170-
206 . Entre autres il éditait -2 feuillets de l'Évangile selon saint

Matthieu paginés .\a-.\a ; le dernier se terminant au bas de la page

\A par ces mots :

HTAC Ati. ATecueo/ i~c Matth. xiv, 8).

Or ce mot interrompu s'achève à la première ligne du deuxième


fragment que je publie :

B(t) imn nnjxec xe

Si l'on remarque de plus que


la pagination se suit, de \a à i.\g',
et que paléographiques sont les mêmes, on ne pourra
les caractères
hésitera rattacher les fragments publiés par M. Chassinat, et qui se
trouvent à la Bibliothèque de l'Institut Français du Caire, au ma-
nuscrit duquel ont été arrachés les fraements de la Bibliothèque
Nationale.
Cette identification confirme l'hypothèse émise par M. Chassinat.
suivant laquelle les feuillets du Caire appartiendraient au même
manuscrit que fragments Borgia des Évangiles publiés sous \'^^-
les
pellation de ôfl'.9f7<;?îo?//'/ç'?/^.s par Zoega ''1 et Engelbreth (2 En eiïei .

j'ai pu constater que les fragments Borsia et ceux de la Bibliothèque

Nationale sont respectivement de la même main et du même manus-


crit.

Voici un tableau des fragments scripturaires existants en fayou-


mique; je l'emprunte à M. Chassinat [loc. laud. en le complétant par
les fragments signalés depuis sa publication.

\. p. A-B Isaïe. 1, 1-16 fr. Borgia. Bas. 1.

p. lA-IB — V, 8-2Ô _ _ _
p. gr-OH — rv, 21 V XXVII. 3 Instit. Fr. du Caire.

B. 1 fol. non pas. Matth., v. 46-vi, 19 Paris. B. N. Copte 129\ fol. 16G.

p. .\A-.\A — XIII, 12-xiv. 8 Inst. Fr. du Caire.

p. .\n-.vg — \iv, 8-xv, 4 Paris. B. N. Copte 129^ foi. 96.


1 frag. non pag. — xx\ i, 13-1.")-, .3.5-37 — — — fol. 1.5-5.

;i ) Catalogus, p. 149.
Fragmenta Basrnurico-Coplica Veteris et Novi Toslamenti quae
(2) in Miiseo Borgiano.
Velitris asservantur. Havniœ, 1811.
REVUE BIBLIQUE 1910. \. S., T. YII. — G
82 REVUE BIBLIQUE.

p. qï-qH Marc, viii, 24-i\, 12 Inst. Fr. du Caire.

1 fol. non pag. Jean, iv, 28-53 fr. Borgia. Bas. 2.

C p Iï,-IH Rom., XI, 17-xii, 18 Vienne. Coll. Rénier (1).

.VA-.\A I Cor., VI. 19 IX, 16 fr. Borgia. Bas. 3.


p

p. ur-UA II Cor., xiv, 33-xv, 35 — — —


ËA-^B " C^»-' ^"' ^-^"^' 13 Inst. Fr. du Caire.
p.
^ \ 1
{ Hébr., I, 1-14 )

4 fol. non pag. Hébr., v, 5-x, 22 fr. Borgia. Bas. 3.

Ephés., VI, 18-24


1 lo . non pag.
^ °
.

'
„, ...
Philip., I,
.
i-ii. 2
.,
i

— — —
I ;.

1 foi. non pag. Thessal., i, l-iii, l(j — — —


Il faut ajouter à cette série deux frag-ments biling-ues.

Matthieu, xiii, 10, 11 — (copte) \


Berlin : Koenigl. xMus. P. 9108
XIII, 20, 21 — (grec) / (2,.

Jean, m, Muséum. Or. 5707 (3).


5-iv, 49, grec et copte (British
D'accord avec M. que tous les fragments A, B
Chassinatje crois
et C ci-dessus, appartiennent respectivement aux mêmes manuscrits ;

je tendrais même à penser que tous réunis faisaient partie d'une


bible en plusieurs volumes, sinon de la même main, du moins de la
même école, et de la même époque (ix" ou x'" siècle).
Voici maintenant le texte de nos fragments, que suivront quelques
remarques de critique textuelle. Je traduis en grec les variantes de
quelque importance. .Mais je ne veux pas affirmer que ces équivalents
grecs ont tous existé dans tel ou tel manuscrit, laissant aux spécialis-
tes le soin de déterminer lesquelles, parmi ces variantes, proviennent
d'un original, et lesquelles procèdent simplement d'une liberté du
traducteur, ou d'une adaptation inévitable au génie de la langue
copte.
11 me reste à remercier ici le R. P. Balestri et surtout M. Hyvernat,
qui a bien voulu me faire profiter de ses connaissances approfondies

en philologie et en paléographie coptes, pour me permettre d'établir


ce texte avec quelque sûreté.

(1) Édité par K. Wessely : Sitiungsberiehte der Kais. .\kad. der Wissenschaften in Wien.
Baud 158, 1 Abhandiung (1908).

(2) Édile par Leipoldt : .Egyptische Urkunden aus dem Koenigl. Mus. zu Berlin. Kopti-
che Urkunden. I Band n" 168.

3) Édité par Crum et Kenyon : Journ. of th. Slitd., I, il5 (provient du Fayoïim).
MÉLANGES. 83

B. X. Copte 129^ fol. IGG, recto (1

[2AUHU f-:XCD] UUAC VI.

[u H Te II xejAvovo)
[evxi une vBeKH^
[IJTAK Ae GK iiei.vi II
[TeKUeTJllAHT u
Matth. V, 46 • • • • e^yo)^ [neATe (2)] TeKOA:\:e iiii

[m rap ATereii ^maii [xje ovii neTe TeKov


[uHi iiHeTjUHi un [ilueu lAi uuivq. 20
[tDTeii. ovu ne neT ntuc iiTeTeKueT

[eilBVKH- HllKeTeACO IIAHT i^CX)!!! 2U 11

[une eojovjAii ceiAi neT^nn. avoj


i7 LiiTeien]. avu3 e nenitoT ernev eu
^cjuni ATe'reii l^aiiJ nneTenn equeTcu
AGUAï^e nneTiicuH cuse iihk. avcu
OV OVAeTOOV OVII eOTAU eKlieitOBA?
II20VA neTeTeiiiAi uneAeA t2h iiiiiev
nuAq. UH iniieo noKpiTHC- xe ce
niKoc en ^aviai uni PAp en uicviia
i8 iiTeïen. :yajni rtorn u\i niAeKe
ovii GTeTeiiAi in[e] iiTe innAATiA ev
AlOC IIT^H lineTII 02I eAGTOV evTco
[i]ujT eT2ii unnovi ba?- eontoc nceo'/
VI, 1 ovTeAioG ne. ua oiiie esAA iiiiialu
eojHTii A e eTexeln eAunn i~:vto
ui.
[uAi eunJeAeic uuac iiHTen xe
[euneuTA un lAto avovlu ev:?k:i unev
[uieTpevnev 6aa Benn. utak Ae
[Teii. uuAii T6T11 e^iuni eKueTco
[beKH uuAV 2A BA? UAA>»i eeovii e
[tii iieTeintojT eT neKTAinon. ^Ten
[en unnovi; uuckaa eAcoK

^i) Le relieur ayant retourné ce feuillet, le recto réel est devenu le verso apparent.
'2) Sic Masp.; lisez :
uueATpe ^
84 REVUE BIBLIQUE.

B. N. Copte 129^ fol. 166, verso.

M, T u ne.ve.xATA ii^ye!
:xi[nT2H miieeui]
KOC [ll^ytVVUHOVl] ... .....
rap 3:e 2_u nevovATej
^exi ii^iyAvctoTu]
6AAV. un[eMiii oviij • . . 1

LIUAV. qC^AOVIl TAp] • •

11X6 neTGUI CJDT WJ


eTeTeii6\\[piA
Mil [h^javtaka gba.v] 16
uiJAV 2AT2H eu ii[6V2Al2mA iiceov]
HATeTIITAIiAeq GT 0)112 GBA.V ^LI RGUTAj
9 BHTOV. TCOBe inilAOJUI LeV6AIIHO
UTAT6II IITei2H XG TeVIlL eAUHIl f
neintoT eT2ii iiu xto uuac iiHTeii
nnovi. neK.veii xg avovco evxi une-.-
10 UA.VeqTVBBA. T6K B6Kli- IJTAK AG 17
iieTeppA UA.veci ne e^ytoni 6Kue6AiiHc

TeeiiHK eu rnii Teviii Ttoec iitgk

UAA6q>yconi eixeu arh avco itocoi u


12 HKeei- neiiAÏK neK2A eiiiA iir^ 18
IIAficf" UAÏq IIHII u T eUOVUJIie 6BAA U
nAQV. Kco iiiiRTe neuTA iiiiiacuui
AAil IIHII GBAA HT :^e KeAIJHCT6VIII
IH HTAHKtO 6BAA AAAA n6KKOT eT2U
iiiieTe ovAiJTHii e nneTenri eq . . .

13 AAV. Avco uneA . hhk. .

eiiTeii 620VII enni uneA [cAove iiHTeij] 19


pAcuoc AAAA uezueii ee^ovii iieeiiAeco]
2ABAA Unn6T2AV. *^t)[p 2I3l6U nK62il

:\:e TcoK Te tctaii un nui a [e^Ape tisaa

HGAV ^AeiieZ eAUHIl- Al [uH TeAAAI TAj


li e^toni TAp ATeTeii ka [gbaa iieuTq avco]
"JAIJKCU eBAA lllll H ! UA
MÉLANGES. 8S

B. N. Copte 129\ fol. 96, recto.


\6
Matth. XIV, 8 liu) iiiig- ne:veo ^h ^miom ii^un^pnovi
LIAI iiHi iiiieiue i:i iihov- iiTAq au ne IH
ovniiiecv iitahh ii Aeq iihov xe- iicee.\
ICOAHIIHG Il.\{3q+ \piA 611 e^H. UAI IIH
9 xujKeu. AVtju Aqe.v ov iiTATeii uaaovov
i.iiiKee II2HT ii3:e cjuu- iitav ag ne 17

nippA. eTBG IIIAIIH S6V XB- UUIITII

v^y Ae UN IIH eTAA uneiue geha e ii

TeB iieueq AqovAece? iiaik un tvbt b. ii 18


10 III GTeic iiHc. Aq^fAV TAq Ae nexeq se Aiieii
Avqi iiTAnH intuAii tov iihi eneiue- avoj 19

iJHC 211 ni^fiTeKA AqovA2Ge2iii hhov gt


11 AveiiTC ejseii ovni povAtoTGB g^cgh nciu
iigo'avthic htaaov Aq3:i uni g iiiiaik

ACGHI II MAC IJTGC UN HITVBT B AqCA


12 ueov- iiequABHTHc lig ee.vHi ernu- Aqc
Avqi uneqctouA av uov g.\av AqnA^^Jov

TAUCq AVOVtO IIIHC- AqTGITOV IIHGqiJA


13 IHC AG HTGAeqCtOTGU Aq eHTHG- HIUAOHTHG
OVCOT GBAA UUGV AG AVTGI IJIliUHHiyG
21 0/:^AI GVUe HGpH AVOVUJU THAOV. AVCI 20
UOG IIGA OVGA. AVOJ AVqi HHIAGKUI H
IIIUMN^ye AVCC13T TAVeA20VA. AVUe2
GU AVUAA^yi il IB IJKAT eTUG2- HH AG 11 21

Gtoq GAeTOV GBAA ?ll TAVOVCOIJ AVIie2


Ii HinOAIG- Aqi GBAA G II^A HAtOUI XCXJ

AVWJ GTGAqilGV IIOV piG ^HpiKOVI UIJ


IIAtrUUHH^yG Aq C2IUI- AVtO H TGV 22
iyAllA2THq 2AAAV Aq IIOV AG [AqAII ATKA
TGAfFA IIHGT^^COIII ï^lll IIIIGqUAeH
15 II2HTOV. GTGAOV [tHG GAAHJghXAI
21 AG ^^LUni A IIGqUA [eCtOK 2A2CtOq] GHA
0HTHG IIA2AGq GVXtO
I [gT :±JAIITGqKA] U
UUAG XG nUG OVIl UHH^G
6BAA AV tO 23
iiGpHuoc ne. Avuj n [gtg AqKA uunJHiyG
IIGV 2HAH AqGIIII KA [gBAA G2A Hl
UUHH^yG GBAA 2IIIA H ]

GGian Glll-fui IIC6 i GTG AOV2l] 2i

ab- gtbg me iiaik uij hitvbt b (1)

(1) Ce litre, dan-; la marge inf-irieure, est probabletneat de seconde maiii ; d- même le
titre qui se trouve dans la marge du haut, au verso.
86 REVUE BIBLIQUE.

B. N. Copte 1295, fol. 96, verso.

AT. 6TBe TCTIIJUAiyi 2I2C6II BA.VACCA

2i Ae iycjuni iiiiAqKH ovii AKe.veuTB. avoj 32


uuev «TAGTq. nxAi exe AqaAH enxAi uKto
Ae iiAqeeii TUH-f 11 agu avaa ii:xe iicthov
BAAACCA eq^:! uiiKee iih ac exeiiiixAi avov 33
iiTe Meeaiu. uuAAe to^^T uuAq evxcu
HTHOT TAp "feZOTH UUAC Xe 6UAU6I II
•25 62Aeq. 2ahi Ae en tak ne h^hai iA(\)i~

TiieeA iJcniJAAe? irre avco av^^iaaa eriAeT 34


Tov>yH At|i ^AAAv AVI eRKeei iireiiiiH
*

iJ3:e iHC equAA^i 21 r^Apee. Avcovcoiiq 35


26 3^611 eAAACCA. IJTAV H^^e ll6ACJtJIII URLie
Ae iJTeAOvueT eAAq eTeiiuev- avaav bbaa
equAA^i 213^611 BA eu TnepiA:«jpBC th
AACCA AV^yTAATeA AC CTeUUeV. AVIIII IJHq
e\^xuj UUAC xe ot iibvaii iiibi gtijak?
(JjAIITACIIA ne. AVUJ IIIIAVTOJBe UUAq 36

GBAA 211 TeA-f ATCUI^ 21Kl A llCejCtUe eUAAV

27 6BAA. iiKtuAeu AG uue't iiTe neq2Ai'f-


A iHC iyexi iieuHov eq Avto ovaij iiibi uiier
X(juUUAC xe Œeuo^AU : xoz eAAq AVBVxei
AiiAK ne uneAeA2A+ iore avi ^yAAAq e s^v, 1

28 Aqf2eABvcB uxe ne-r baa 2u Ti2ieu Hsce


pBC neseq kg- no'c 2eu(J)Apicceoc un iice2
e^3:e iitak ne bta2 gt^cju uiiac. :xe er
Ce2UI uni IJTAI ItiA. Be OVII IIGKUABHTUC
AAK 2IX6IJ iieuAv ceeAnApABeiiiii ut
29 ne:^eq A'e aiiov- uct nApAAocic iiuinpec
poc OVII Aqi e2AHi 2i n BVTepoc- ovrAp uce
3lAIAquA^y (sic!) 2i2C6ii iujuji iiuevo'ix eu
nu[AV ^A]iJT6qi ^^A erueBvcBU unevAiK
30 luc iiTCAcquev Ae iiTAq Ae AqeAovcB
enTuov LAqcAeA-fjAq nexeq iihov xe. ctbc
2ITOT [iJtOUc] Aq OTIl IITATeil 2tO
uj^[eBAA eqxujJuuAC Teii iireiieAnApA
3:e[na'c UATovj^cei bcuiu ureiiTOAH
31 A iHc u(\)f eTBe rereunA
pAAOCIC. <!>+ l'Ap Aq
s:oc 2^e iiA'iAie neiiicor-
un reKueov. avcb
iseTUA^e BV^ea^i eq.-.
MELANGES. 87

Paris, Bibl. Nat. Copte 129'\ fol. 155.


Recto. Verso.

Matth. XXVI. 13x61 eiq eove.vn rei2H ah avxac ii:xe 35


LIHOVI IIKeilAOHTHC THAOV
\ï iiHc TOT6 Aq^ye iiA(| TOTe Aqi M6IIHO'.' lixe 36

ii3^eovei GBA.v zu riiB ihc eovcrajii e^Aviio.f


ii^Avuov:h e.\Aq >k:e e.vAq >Le reeceuAiii. ne
lOVAAC niCKApiOTHC _^6q IJ lieqUASHTMC
^A iiApx'iepevc ne xe 2uaac^ uneiue iita
15 .xeq iiHov j^xe ovii ne] jjyn uuev e tcdb2. avco 3T
T62iiHTeii [eTeiq ijhi] ,Aqxi u nerpoc ueu6(|

AVtO AIIAK i~IIATGI(| llll H ^J H A I B Uï.e BeAGOC,


iiHTeii

Matth., v.i6. iiiKeTe.\a)iiHC etoov an cei.\i iit6I?h = /.y.':

tl TE/.wva'. £-:'. cJTwr ::; '.:j --.v . Cette même leçon est donnée par le

bohaïi'ique.
— i7. UH iiiJieeiJiKoc etc. suppose le grec: :>/ ;• i^v.-/.:-.
VI. 1. Dans l'état actuel du manuscrit il ne reste que quelques
lettres de chaque ligne. Je restitue d'après M. Maspero {Recueil de
travaux, xi, p. 116i (1 . iiuAUTeTii bgkh iiha'.- = :>/. iyy.-. \j.'.-Hz-)\

jjour rendre v. zï y.r,Y^ ^^i srec, il faudrait iiiicMi devant iiuAiiTeTii


BGKH. En eÔet. certains mss. bohaïriques ont : ulioij uuoiiTeTeii
Be\e.
— 2. Avovco evxi : t.sy; 7.-iyzjz\».

— 3. iiTGKueTllAHT : = i'Aîr,;ji,C7Jvr,v jcj.


— 5. 6KlieTCOBA2 uneAe.\T2H.= -pi-sj'/r, ;j.r,
f,;
wr...;^Teu
iineKAA 6AIOK : /j.-J.t -:r,v Ojpav -:j ï-i zi.
— 7. iineAGAATA ^e:vi. — Ne multipliez pas les paroles.

Cl) Il y a cependant deui lectures de M. Maspero que je ne peut accepter; rillustre mai-
Ire aura été influencé par le texte bohaïrique.
Il donne eriTeilTAlA eune.veiG. enTeUTAlA représente le grec owssàv

0[j.à)v, mais le suflfiie correspondant dans eun6.\6IC est féminin: on ne peut donc lire

le masculin rtaia- Je restitue GTGTGIIUAI selon le grec c./.ï'.070vr.v Culû/.


-M. Maspero lit aussi :
^ATAATq il riGTGlJ itOT, te qui donne une ligne beaucoup
trop longue. Je préfère
eATUneTGIlVoJT.
88 REVUE BIBLIQUE.

— 10. nercenHK eirniii iiAAoq^ycoiii ^i3:tiu nKe?i : =


Ce qui te plait dans le ciel soit fait sur la terre. Le sahidique a une
leçon qui semble un développement de celle-ci : Que ta volonté soit
faite : comme elle est dans le ciel, cjiielle soit aussi sur la terre. Le
bohaïrique : Ce qui te plait soit fait dans le ciel et sur la terre.
— Le fayoumique et le bohaïrique traduisent ap-ov kr.ioùijio')
11.
par pain de demain. Le sahidique, par le pain à venir. A la fin de
le

l'oraison dominicale le fayoumique et le sahidique ajoutent « Car à :

toi est la puissance et la gloire à jamais. Amen. « Cette interpolation


liturgique se rencontre dans certains manuscrits bohaïriques sous la
forme « Car à toi est le règne, la puissance et la gloire à jamais.
:

Amen » (1).
— 15 et 16. M. Maspero a pu lire et reconstituer le verset 15 et
le début du v. 16, maintenant illisibles; voici son texte : [e^cuni ag]

ATe[TeiiîyAiiT]ufrto eBA[A neWeiiiojT iieqij|^6crto]


iiii i.vcoui

IIHT6II GBA.v en [n II h] tgh R ApAn[Ta)u a] e^torii \G 6Te[TeN]


ueeANHCTeviH une.\6AT2H u[iiij2viioKpirKMc. (Suit immédiate-
ment ii^yAVTAKA eiiAA iiev2A.) On remarquera d'abord qu'il faut
:

lire sans doute 11116T611 nApAiiTtouA- Ensuite, à s'en tenir à ce


texte, il manque à cette version ce qui correspond au grec, a/.u6pw-ct
traduit en sahidique par e v oku < en bohaïrique par e ^ a \^ to k h u
u n oV2o .

— 18. M. Maspero restitue ainsi la fin de ce verset : ergu n-


neT2Hn 6qe"f-[^eiiKo]iiHK. — La leçon du fayoumique est défec-

tive : le membre de phrase répondant à : v.yX b r.y-r^^ joj z 'ftd-iiiv

àv Toj -/.suçaiÇ» est tombé j)ar suite de riiomoioteleuton. Le texte com-


plet aurait été : AAAA uJneKKUT 6T2II iiiieTeun [avco neixitOT
GTiiev 2U nnoTeiin] eqe-f ^yeBiaj iihk. Les mots avu)--..-
nneT2im disparaissant, le n de aaaa [u]iieuKOT devait dispa-
raître aussi.
— 19. M. Maspero restitue : t^:()ai un reooAi. Je préfère
t:xaaai un T2AAAI. Ccs formes en harmonie avec les caractéris-
tiques du dialecte, ont de plus l'avantage de mieux remplir les la-

cunes.
xiv, 8. Le bohaïrique et le fayoumique ont la même leçon. « Mais
mère l'instruisit, elle dit
elle, sa : » façon courte et naturelle quoi-
que peu ordinaire de rendre le passif en copte.

(1) CeUè formule pourrait être un écho d'un usage liturgique juif. Cf. la prière 'Alénou
(Lagkange, Le Messianisme chez les juifs, p. 154).
.

MELANGES. 89

— exeiG IIHC =
9. Ith-q-rx: Xj-t^-i xjty;.

— 10-11. A(|.\A'/ AV(|I etc. =£zîy,'!/£v" r,zy.i tt.v v.iz x'/.'r,'i

Io)âvv;j t'i ~^^ sj/. X7.r, rj v £ "/ 2v xjty; v t~'. ~viy.w.'.' izz'yri 7.'j~r^'t

Tw v.zzy.Z'.i-)' r,y t\'V.t'/ Xj-t,-i ~f, [j.r^-z: yj-r,z.


— 12. iiGC|MAOHTiic etc. =: ci \j.y.hr,-. 7.\ x'j-zj r,zy't -ï rw;j.a
xlfzzj îHx'ly.i' a j T : x~r,\'\' i '.
/> av t w \r^zz\>

— Aqi GBAA Avcc) eTG Aqii6v iioviiocr iiuHH^e AqjyA


li.

IIA2TMCJ == i'zi'i.hi 7.x\ ilzuri r.z'i.j-i zy'i.z't ïzr.'t.x v/v' r9r,


— 15. z\\\x ilctî^^^H (3HI + UI = vrj. y-tiMiZ'.-) £'.r Tar /.wy.ar.
— 16. II TAq Ae nexeq = zzt v.-i-i.

— 19. AV({) AqOVA2CG2MI IIHOV eTpOV.VtOTGB = /.a- £•/.£-

'/.tJz-.'t x-j-.zjz àva/, A'.f)?; va-.. Aq:^i unie iiijaik = {i.xzi-i -.z'jt

r.i'm xz-.z\tz. AqcAUc ee.XHi = Tiiz/.-jliy, dans nombre de


et ainsi,

cas, le participe est remplacé par le temps personnel correspondant.


— 20. AVqi lllll.\6KUi, etc. = r,zy:t -y. -/j.xz'yj.-.x ziz'.zziùz'nx iz'/.r-

zHr,zx'> Gwsîv.x v.zzhtzjz -'/:r,zt'.z.

— 21. iiTAVovcoij AVLie? e ii>yA = littéralement « ils rempli-


rent [le nombre de^ cinq mille ». Cette tournure as'^ez rare- se retrouve
dans le sahidique. Actes, vu, \\.
— 22. eiiAer ^ î'.r t: -izxi, — Mot nouveau qui se retrouve en
Matthieu, xiv, 3 + .

—• 23. Je ne me hasarde pas à insérer dans le texte une restitu-


tion des derniers mots de ce verset, manquant d'éléments pour la
justifier; voici à titre d'hypothèse ce qu'on peut y lire avoj TeTe :

AqKA uuH H^ye GBA.v Aq^Hjee.vHi enTAv ovAGTq (rrtOB2_.


— 2i. Chacune des trois versions coptes a sa leçon propre : le fayou-
mique d'accord avec le textus receptus et la Vuleate latine : " La
barque était au milieu de la mer ». Le sahidique « la barque : était
éloignée du rivage de beaucoup de stades ». Le bohaïrique : « la
barque était éloignée de la terre d'environ vingt-cinq stades ».
— 28. Aq+2e.\()V(ju signifie : éleva la voix. Le grec x-iv.z<.hvi de-
manderait Aqe.vovm.
— 29. eijxeii nuAV ^^Ajn-eqi. Cette ligne est mutilée au mi-
lieu; il semble bien qu'il y ait nreqi au lieu de iiTGqi. Mais la

confusion des deux lettres est facile, ^yAiiTGqi donne un sens très et
plausible. Il correspond à l'infinitif £/.6£{v du textus receptus, infini-
tif qu'on pourrait appeler « de destination, ou de direction » et que

la Vulgate traduit par ut veniret.


— 32. eTe AqA.XH = àvaîivT:; aj-rsij.
90 REVUE BIBLIQUE.

— 33. euALiei = àAY;6wç..., sahidique iiaug, bohaïrique tacJ)-


UHi- Peut-être faut-il lire eiiauei, transformé en euAuei par un
copiste.
XXVI, 36. La restitution que je propose des trois derniers mots
du V. 36, est hypothétique.

Il serait intéressant de comparer dans le détail les trois versions

coptes, pour tâcher de déterminer leurs relations réciproques. Les


fragments connus en moyen-égyptien ne sont sans doute pas encore
assez nombreux pour permettre une conclusion définitive. Je donnerai
cependant, à titre d'expérience provisoire, les résultats de cette compa-
raison pour les fragments de la Biblioth. Nationale. Je me réfère pour
le texte bohaïrique à l'édition de Horner et pour le sahidique à celles
de Woide et de Balestri.
La version moyen-égyptienne contient trente-sept mots transcrits
du grec, sans compte des particules aô et rap, fréquentes dans
tenir
les trois versions. Sur ce nombre trente et un mots se retrouvent dans
le sahidique, et vingt-quatre dans le bohaïrique. Le sahidique a au

total quarante-deux mots grecs, et le bohaïrique vingt-six. La plus


grande partie des mots transcrits du grec expriment des idées ou des
mots spécifiquement juifs ou chrétiens, tels que criiArtorH,
uHCTenii, rpauLiATevc, etc. Le fayoumique a une tendance à
préférer les équivalents coptes il met cez au lieu de rpAUUATevc,
:

.\et|'f3:ujK6u au lieu de barticthc Cette tendance est beaucoup


,

plus développée dans le bohaïrique, qui, en dehors d'adverbes et de


prépositions grecs passés dans l'usage courant, ne garde guère que
les mots grecs dont l'équivalent copte, ou bien n'existe pas, ou bien

n'est pas adéquat; evnoKpiTHC devient :yoBi h.vatia devient ;

^062 et ainsi de suite. Cett^ remarque ne doit pas d'ailleurs être


érigée en règle rigoureuse, et là où le sahidique a iioee, le bohaï-
rique a encore nApAnTcouA.
Le sahidique a plus de mots grecs que fayoumique lui-même
le ;

en revanche sa syntaxe est plus proprement copte, et les adverbes par


exemple, et les prépositions sur lesquelles tournent les phrases, ne
sont pas généralement grecs; eoricoc, et eiiiA, fréquents dans le

fayoumique et le bohaïrique, sont remplacés en sahidique par ^seKAC.


MELANGES. 91

Le fayoumique présente Qn cas où il a conservé la négation grecque


ovrAp iiceitocDi (Matth., xv, 2), mais sans avoir conscience de sa
valeur négative, puisqu'il la fait suivre de la négation copte ^seule
employée dans ce même passage en sahidique et en bohaïriquej.
Le vocabulaire copte n'est pas identique dans les trois versions, sans
parler bien entendu des différences dialectales qui modifient une
même racine. Nos fragments fayoumiques contiennent trente-cinq
mots qui ne se trouvent pas dans le texte sahidique correspondant, et
quarante et un qu'on ne lit pas dans le bohaïrique, La même idée est
souvent exprimée dans les trois versions par trois racines différentes.
L'allure de la phrase fayoumique est très simplifiée. Très peu d'in-
cidentes sont introduites par leprocédé ordinaire est la
participe ; le

juxtaposition de courtes phrases qui souvent même ne sont pas unies


par la conjonction un exemple frappant de cette ordonnance se
;

trouve aux versets 9-12 du chapitre xiv de saint Matthieu. La préoccu-


pation de distinguer les sujets des différents verbes est plutôt rare.
L'ordonnance du sahidique etdu bohaïrique est plus savante.
La comparaison du texte lui-même a porté sur cent cinquante-deux
cas.
Le fayoumique s'accorde trente une fois avec les deux autres ver-
et

sions; il se rapproche trente-septdu bohaïrique contre le sahidi-


fois

que. et vingt-six fois du sahidique contre le bohaïrique. Dans les


autres cas, soit cinquante-huit, le fayoumique est isolé.
De ce qui précède il semble bien résulter que les trois versions
coptes sont substantiellement indépendantes, et relèvent chacune
d'un original grec différent, sans préjudice des influences réciproques
qui ont dû se produire par la suite.
Du moins la versionHaute-Egypte ne dépend à aucun degré
de la

de la version dite de la Moyenne-Egypte. Que si l'on peut relever des


relations plus étroites entre la fayoumique et la bohaïrique, la pre-
mière jouera le rôle d'original par rapport à la seconde. Le traduc-
teur bohaïrique travaillait sans doute si.r un texte grec hésychien;

mais on peut croire qu'il avait sous les yeux d'anciennes versions
d'un caractère plus populaire, dont il s'in^^pirait parfois pour sa
traduction là où la fidélité à son texte le lui permettait. On s'expli-
que ainsi des rencontres de détail assez fréquentes, à côté de diver-
gences considérables, entre la bohaïrique et la fayoumique. Je crois
en effet que l'on a le droit de considérer cette dernière comme repré-
sentant mieux les versions coptes primitives qui n'étaient pas faites
pour l'usage ecclésiastique officiel. La sahidique et la bohaïrique au
contraire, ont eu successivement l'honneur d'être le texte officiel des
92 REVLE BIBLIQUE.

centres d'influence de l'Église monophysite. dans les monastères


d'Akhaiîm d'abord, puis de Nitrie après la conquête arabe.
Ces vues générales ne peuvent être développées dans les limites de
ces quelques notes; elles le seront, s'il plait à Dieu, dans un travail de
plus longue haleine.
Rome, 1909. j David,
Chapelain de Saint-Louis des Français.

III

UNE CROISIÈRE A LA MER MORTE


{Suite)

4 Janvier.

Toute la journée a été dépensée à l'étude de la péninsule blanche,


qui tranche vivement sur l'azur delà mer Morte, divisée par elle en deu.x
bassins d'iuégale grandeur. Il y aurait lieu de s'étonner qu'un acci-
dent de terrain rompant dune façon aussi marquée la ligne régulière
des bords de la mer Morte n'eût pointun nom particulier, et cependant
l'on n'obtient pas là-dessus l'assurance qu'on voudrait. Dans l'usage
courant, les voyageurs européens désignent cette péninsulesous le nom
dCel-Lisdn « la dénomination qui figure aujourd'hui dans les
langue »,

cartes et les manuels et qui date apparemment du voyage de M. deSaulcy


(1851 1 Avant cet explorateur, on ne paraît pas avoir soupçonné
.

Fexisience de ce nom. Seetzen ,1806), qui s'est enquis avec beaucoup


de soin de l'onomastique locale, écrit à propos de l'ouâdy Kérak ; « De-
vant son embouchure, s'étend dans la mer une grande presqu'île qui
s'appelle GôrelMesrâael Kârrak et quej'avais, auparavant, de la rive
ouest de la mer Morte, prise pour une lie (2 ». Ainsi, pour Seetzen, la
péninsule partage nom de la plaine continentale adjacente. Robinson
le

1838 ne lui connaît aucun nom spécial (3\ Est-ce à dire que de Saulcy
ait été induiten erreur, ou qu'il ait amené ses bédouins à prononcer un
nom dont il avait besoin pourétayer une théorie topogiaphique d'ail-
leurs contestable? Nulle raison sérieuse ne permet d'en arriver là. Que,
par sa forme, la péninsule justifie cette appellation, on l'accorde : « elle

ressemble, en efîet, dit M. de Luynes. à une langue tirée et relevée du

(1) Voyage autour de la mer Morte, I. pp. 289 ss.

(2) Reisen..., II, p. 350.

(3) Biblical Researches (éd. 1856), I, p. 518, The Peninsula.


Planche V

\ ^

ywi«iBliii«a I

I. — ijsAN. A la iL-clierclie d'un atlerii><ai;e.

LisAN. stralilications de la falaise.


(PhotosTsphies An P. SaTignac.)
Plan(Hk VI.

I. — Li^AN. Les .«édimeiits travailles par les intempéries

ïf^WBra^ï^r

i. — oiÀDY Ne.meira. Lue longue terrasse couverte d'arbustes


(Thotogiaphies du P. Savignac.)
MELANGES. 93

bout, et c'est bien la presqu'ile même que les gens du pays désignent
ainsi l) ». Le renseignement de M. de Saulcy se trouve de la sorte

confirmé, de même quil le sera en 18T0 par Palmer. Mais jusqu'à quel
point les notes de ces voyageurs sont-elles indépendantes les unes
des autres, c'est ce qu'il resterait à fixer. De nos jours encore, il est des
Arabes qui ignorent le nom de Lisàn et d'autres qui le connaissent. L'im-
portant serait de déterminer si ces derniers n'ont pas subi en cela Tin-
fluence des Européens. Un des Ghawàrneh nous a nommé Rds el-Lisân
le cap nord de la péninsule, tandis qu'en 1905, on avait présenté à M.
N. Schmidt la presqu'île sous le nom de Ghôr el-Mezrà'a et la baie méri-
dionale sous celui de Lisàn el-Bahr, ou « langue de mer » (2), A mer-
veille. Cette onomastique nous ramène tout droit au temps de Josué.
On disait en effet à cette époque que la limite sud de Juda partait de
l'extrémité de la mer salée, de Xql langue tournée vers le sud (3). Cette
langue est assurément le bassin méridional de la mer Morte opposé à la
lagime septentrionale qui servait de point de départ à la frontière nord
de la même tribu. Toute l'argiimeniation d'un de Saulcy ne saurait em-
pêcher que le texte biblique ne parle ici d'une langue de mer, d'une
baie et non dun promontoire. ^lais on aura beau faire, si heureuse que
soit la constatation de Schmidt et si peu fondée qu'on suppose la ver-

sion de M. de Saulcy, la péninsule s'appellera encore longtemps Lisân et


loin de nous y opposer, nous nous conformerons à Ihabitude générale.
Il n'était pas nécessaire d'avoir une forte dose de curiosité pour être

tenté de voir de près et d'explorer cette longue terrasse de marne dont


la vue nous obsédait depuis deux jours. Traverser le golfe de Mezra'a

du nord au sud, puis d'est en ouest fut un jeu pour les robustes
bateliers qui poussaient nosbarques avec émulation. Nous vîmes le
fond du golfe occupé par un fourré d'arbres où se cachait la source
saumâtre d' Ain Mehallah, ce que Palmer a nommé la dépression d'Aril.
Quant à la péninsule proprement dite, elle fut difficilement abordable
du côté de la mer parce que sa base, glissant sous les eaux suivant une
pente peu accentuée, arrêtait les embarcations k une distance assez
notable du bord pi. V, 1). On réussit enfin à trouver une falaise que
certaines cavités naturelles rendaient accessible et l'on parvint à se
hisser, par son moyen, sur les premières côtes. Après quelques pas péni-
bles dans le sable brillant, nous escaladâmes les trois étages du plateau
marneux jusqu'à la plate-forme merveilleusement unie qui couronne

1) Voijage d'exploration a la mer Marie, p. 90.


2) Journal of bibUcal literature, 1906, p. 95. Il est à regretter toutefois que cette no-
lice inléressanle ne soit précédée que d'un très vague 1 was tolcl thaï..
: .

X josué±5.2 : n2;: r>:t~ vc'^rr":^. Cf. yum. 34, 3 et ni;., 1909, p. 220.
94 REVUE BIBLIQUE.

l'ensemble. Évidemment, les couches sédimentaires delà Lisàn super-


posées avec une régularité si parfaite ne peuvent être que le résultat

d'une précipitation des matières alluviales aufond d'une grande masse


d'eau. Soumis à l'action chimique des eaux de la mer, les éléments
charriés par les torrents tributaires de la région se sont déposés en
marne, gypse, argile salifère mêlés parfois de soufre et d'asphalte
(pi. V, 2). Le même fait se poursuit d'ailleurs au fond de la mer Morte

actuelle dont les dépôts sont d'une nature semblable à celle de la


Lisân. Ceux-ci donc ne se sont créés qu'à une époque où le niveau delà
mer dépassait encore le niveau d'aujourd'hui. On s'accorde générale-
ment à assigner ce phénomène à la dernière phase pluvio-glaciaire (1).
Alors un refroidissement de l'atmosphère ayant succédé à la pé-
riode sèche et volcanique dont nous avons parlé plus haut occasionna
le retour de Ihumidité, et, de nouveau, le lac essaya de reprendre ses
anciennes positions. De là, les curieuses dunes de la partie basse de la
valléedu Jourdain, du Zôr; de là aussi les dépôts delà Lisàn et du nord
de r'Arabah. Enfin, quand peu à peu le lac se réduisit à ses propor-
tions actuelles, il laissa à sec ces sédiments auxquels les intempéries
sont venues communiquer par la suite les formes bizarres et tourmen-
tées qu'on leur connaît (pi. VI, 1). L'action du vent et de la pluie, en
effritant lescouches marneuses, a mis à nu des fragments de gypse,
d'albâtre, de soufre, dont nous avons ramassé quelques échantillons.
Le plateau de la Lisàn domine la mer d'une hauteur de iO mètres
d'où l'on distingue assez nettement les accidents de la côte occidentale
et surtout l'imposant rocher de Masada. D'un cap à l'autre, la longueur
de la presqu'île est de 13 kilomètres; d'est en ouest, elle s'avance dans
la mer sur 8 kilomètres. Elle délimite ainsi le bassin méridional du
lac Âsphaltite dans les eaux duquel nous devions aller mouiller, le soir.

En effet, vers 2 heures iO de l'après-midi, nous avions repris le

vapeur qui ne tarda pas à doubler le cap nord, celui que depuis Lynch
on appelle Costigan, du nom de ce savant anglais qui trouva dans la
mer Morte un nouveau Styx. Notre flotte avait été réduite d'une unité.
On avait laissé au port de Haditheh la barque neuve et deux hommes
de l'équipage chargés de ravitailler l'expédition. Ils devaient aller à
Kérak se nantir de diverses denrées nécessaires la farine menaçait —
de faire défaut et nous —
rejoindre le lendemain dans la partie sud de

la mer Morte. Hélas! nous n'allions voir revenir ni barque neuve, ni

(1) Cf. L.4RTET, Ejcploration géol. de la mer Morte, pp. 175 ss., sur les dépôts de l'époque
quaternaire: Blanckenhorn. Entstehung und Geschi'chle des Todlen Meeres, ZDPV., \L\.
p.43; De Lappare.nt, L'origine et l'histoire de la mer Morte, fiB., 1896, p. 573 ViNCE.->ir,
;

Canaan, pp. 368 s.


iMEL ANGES. 95

provisions, ni hommes, ni argent avant la fin du voyage. Les deux


gaillards ne reparurent que trois jours après l'achèvement total de
la croisière. Us dirent alors qu'au retour de leur course à Kérak, ils

avaient eu des vents contraires et que, n'ayant point aperçu le bateau,


ils avaient accosté au Ghôr Sâfieh pourboire de l'eau claire, que là les
Bédouins avaient consommé les provisions et dépouillé les marins jus-
qu'à la chemise exclusivement, qu'enfin, grâce à l'intervention de
quelques soldats, ils avaient récupéré leurs habits et leurs armes.
« Allah sait mieux la vérité », dirons-nous avec les conteurs arabes au
terme de leurs récits; c'est la seule réflexion que puissent suggérer
les invraisemblances et les contradictions qui furent relevées dans la
narration des deux victimes.
Pendant que no.tre intendance se faisait avec si peu de succès, le ba-

teau et son vieux canot en laisse suivaient la ligne des falaises qui bor-
dent la Lisân à l'occident. Murailles unies descendant à pic dans la mer,
éperons aigus de marne durcie, plissements à l'infini des gypses ravi-
nés telles sont les formes qu'aiment à revêtir ces falaises, aux endroits
:

où elles ont résisté à la vague qui vient les saper à toute heure (fig. 17).
En bien des points, des cavernes se sont creusées au ras de l'eau et des
pyramides d'argile ont croulé par la base. Ce lent travail de destruc-
tion de la Lisân élargit de plus en plus le détroit qui la sépare de la
plage de Masada. On s'imagine facilement quejadis la trouée, qui me-
sure aujourd'hui quatre kilomètres à l'endroit le plus resserré, et neuf
au point le plus large, était de beaucoup plus étroiteet que même, à une
époque reculée, elle n'existait pas du tout. La similitude frappante qui
existe entre les terrains qui composent la rive occidentale opposée à la
Lisàn et ceux de cette péninsule incline en effet à croire qu'ils ont fait

partie à une certaine époque d'un système unique de dunes fermant


complètement la mer Morte au sud et qui fut disloqué violemment par
la suite. Une marque de l'ancienne cohésion de la Lisàn et de la côte
ouest était encore visible dans un temps peu éloigné de nous, je veux
dire le gué qui se trouvait entre deux. Au xvji*^ siècle, on connaissait
un chemin par où l'on traversait la mer « n'ayant de l'eau qu'à demy
jambe, au moins en Esté » ce chemin était là où cette mer est comme
;

séparée en deux (1). Seetzen, en 1806, parle aussi de ce passage que


les gens de Kérak et les Bédouins de la contrée utilisaient pour se ren-

dre à Hébron et à Jérusalem, en s'évitantun grand détour par le nord


ou par le sud de la mer. A l'étiage, la seule saison où le gué fût prati-

(1) R. P. Nau, s. J., Voyage nouveau..., p. 381. Robinson a donc tort de dire que la pre-
mière notice d'un gué près de l'extrémité sud de la mer Morte est de Seetzen {Bibl. Hesear-
ches, I, p. 521).
96 REVUE BIBLIQUE.

cable, ils n'avaient de l'eau qu'à mi-jambe et en quelques endroits


jusqu'aux genoux. Cependanh ajoute l'explorateur allemand, depuis
quelques années ce gué n'est plus en usage, car l'eau a monté et sur-
tout parce que le fond est un sol rugueux qui blesse la plante des
pieds En 1812, Burckhardt prenait quelques renseignements sur ce
1 .

passage des Arabes lui dirent que la traversée du déti'oit demandait


:

trois heures et demie démarche et que, par endroits, l'eau du gué était

LisÀN. La falaise sculptée par les flols.

tout à fait chaude et le soi, de terre rouge [2,. Comme on aurait pu


s'égarer malencontreusement, on avait planté des piquets dans l'eau,
destinés à indiquer aux caravanes la route à suivre. Ce détail fut re-
levé en 1818 par deux voyageurs. Irby et Mangles. qui virent de leurs
yeux toute une caravane traverser la mer en cet endroit (3;. Ces po-

(1) Reiseit.... II. p. .158.

(2) Travels in Syriaand l/ie h oly Lan d {Londres, 1822), p. 394.


(3) D'après Robi.nson. Bibl. Bes., T, p. 522. Robinson, de son côlé, rapporte que le cheikh
des Djahâlîn, qui 1 accompagnait, avait, lui aussi, passé ce gué quelquesannées avant 1838. On
ne saurait dire si les Croisésont usé de ce passage, car les textes qui mentionnent leurs mar-
ches vers l'Arabie Pétrée ne sont pas assez exjiliciles. Guillaume de T\r dit. par exemple,
delà campagnede Bauilouin 1"(1115) : « convocads regni viribus, mare transit mortuum,
ef Iranscursa Arabia secundo, cuius metropolis est Pelra ad tertiam pervenit » (lib. .\I.

c. 26j. A propos de rexpédition de Baudouin le jeune, en 1144. pour délivrer le château


du Vaux Moyse {qui est véritablement Pétra, ouâdij Moùça], la version vulgaire de Guillaume
MÉLANGÉS. 07

teaux étaient d'autant plus nécessaires que la chaussée sous-marine par-


tant d'un monceau de pierres situé dans la partie sud de la Lisàn
{Roudjni Mfjuta) (1) n'allait pas directement à l'ouest mais s'inflé-
chissait au sud-ouest vers l'ouâdy Oumm Bagget] ou même vers
l'ouâdy Zoueirah. En 1838,1e g-ué était devenu impraticable, mais le
souvenir en est encore demeuré vivant dans les traditions de famille.
Un ancien marchand de Kérak, maintenant établi à Hébron, Taleb
Abou Soleimàn, a raconté au Père Jaussen, le 8 mai 1906, que lorsque
son père se rendait de Kérak à Hébron, au lieu de faire le détour du
Ghôres-Sâfieh, il coupait la mer Morte entre la Lisàn et Oumm Baggeq.
Des morceaux de bois indiquaient la route et l'eau n'arrivait pas
aux g-enoux. Un roudjm marquait l'entrée du passage du côté de
la presqu'île. Mais aujourd'hui, ajouta l'honorable négociant, le ni-
veau de la mer a subi une hausse, il n'y a plus de gué et même le
monceau de pierres du Mqata' commence à disparaître sous les flots.
De ces divers témoignages, il résulte que le détroit de la Lisàn, après
avoir été guéable par périodes, est devenu absolument impraticable
en raison de l'accroissement de la mer Morte, déjà signalé plusieurs
foisau cours de ce journal. Au temps où le duc de Luynes naviguait
dans ces parages sur le « Ségor » 1864), la sonde indiquait quatre
mètres de profondeur entre la pointe sud de la Lisàn et la terre d'en
face. Aujourd'hui on peut ajouter un mètre à ce chiffre,
A propos de cette pointe sud, autrement dite C«/y Molyneux, nous
avons été surpris de voir combien les cartes actuelles la reproduisent
mal. Le T prononcé, par lequel elles la terminent et qui parait pour
la première fois dans la carte de Lynch (18i8 n'existe plus du tout.1,

Et .sa disparition ne date pas d'aujourd'hui, de sorte que les géo-


graphes modernes sont sans excuse. En effet, le lieutenant Vignes,
en 1864, rendait le cap Molyneux comme une langue de terre effilée,
dépourvue de prolongement à droite et à gauche. Telle est la physio-
nomie actuelle de ce cap dont l'extrémité s'abaisse et s'affine de plus
en plus.
L'existence de la péninsule que nous venons de côtoyer et celle du
bassin ovale dans lequel nous pénétrons en ce moment sont demeurées
longtemps ignorées des géographes qui se sont occupés de cette région,

de Tyr porte ce texte « Ils passèrent le lai qui a nom la mer Morte et montèrent par les
:

montagnes de la seconde Arrabe » flib. XVI, c. vi).


(1) Ce roudjm est maintenant dansla mer où il s'enfonce de plus en plus. Nous l'avons aperçu

25 minutes avant de doubler le cap méridional de la Lisàn. Il n'y a pas à douter qu'il soit
identique au R. el-Mkéta delà carte de Musil. Sur le rôle de ce gm- dans l'histoire de la
tribu des 'Amer, cf. Dissaro, RB., 1905, p. 420.
KEVUE BIBI.IQLE 1910. — N. S., T. VII. 7
98 REVUE BIBLIQUE.

On a beau consulter soit les auteurs classiques, soit les cartes byzan-
tines ou médiévales, les uns
sont absolument muets là-
et les autres
dessus. Rien dans la carte de Mâdabâ, rien dans les croquis destinés
à agrémenter les anciens itinéraires, et, qui plus est, rien dans les
ouvrages à visée scientifique d'Adrichomius (1584} et de Re-
land (1708). Jusqu'à ce dernier la mer iMorte est représentée par une
nappe d'eau unique, ordinairement terminée en pointe, avec la
légende lingiia maris. Le premier qui, à ma connaissance, s'est
:

élevé contre cette inexactitude est le Père Nau, déjà nommé plusieurs
fois au cours de cette relation
dont la curiosité louable sut puiser
et
à bonne source. Ayant eu l'occasion de voir à Damas l'bigoumène de
Saint-Sabas, Daniel, il le questionna sur les bords mystérieux du sud
de la mer Morte où nul étranger n'osait s'aventurer. On sait que le
monastère de Saint-Sabas est comme la vedette avancée de la civilisa-
tion au sein du désert occidental du lac Asphaltite; son chef était donc
à même de fournir les renseignements demandés, d'autant plus qu'il
avait exploré la contrée en compagnie de quelques Arabes aux envi-
rons de l'an 1670. Au cours de cette inter\Tiew, qui serait à rapporter
en entier, on causa d'abord des pommiers de Sodome, puis on passa
à la configuration générale du lac. « Cet abbé, écrit le P. Nau, à qui

je montray la figure de la mer Morte dans une carte de géographie,


me dit qu'elle n'avait pas à l'extrémité cette pointe, que luy donnent
nos géographes, et cju'elle y faisait un grand rond qu'à cette extré- ;

une rivière considérable nommée.Sajo/a"«, qui viontdu dé-


mité, il y avait
sertsejeterdedans,etquiason cours, àpeuprès, dusud-est au nord; qu'à
ce bout de la mer Morte et beaucoup devant, il y a de vastes campa-
gnes et des montagnes de sel que cette mer vers sa fin est comme
:

séparée en deux, et qu'il y a un chemin, par où on la traverse, n'ayant


de l'eau qu'à demy-jambe, au moins en Esté; que là la terre s'élève,
et borne un autre petit lac de figure ronde un peu ovale, entouré de
plaines et des montagnes de sel, dont je viens de parler: que les cam-
pagnes des environs sont peuplées d'Arabes sans nombre, mais qui
s'entendent assez mal ensemble, et qui sont presque toujours aux
mains les uns contre les autres (1). -;

Un simple coup d'œil sur une carte récente de la Palestine suffit à


faire apprécier toute la justesse des paroles de l'higoumène. Les voya-
geurs postérieurs, comme Mariti, Volney, Chateaubriand, ont eu raison
de s'en rapporter à lui, à défaut de connaissance directe des lieux en
question. Enfin, une fois l'attention attirée sur ce point, on vit, au

(1) Ouvrage cité, p. 381.


MELANGES. 99

début du XIX siècle, apparaître sur les tracés géographiques des ex-
plorateurs un embryon depéninsule qui, après maints travaux, devait
atteindre sa forme définitive de « langue tirée et relevée du bout ».

Même en ce qui regarde les Arabes, les observations du moine Da-


niel n'ont rien perdu de leur valeur. Ils sont aussi brouillons, aussi
pillards, aussi dissimulés qu'autrefois. Le jour, vous croiriez absolu-
ment déserts les flancs de la montagne qui domine la mer au sud-est
comme les espaces marécageux du Ghor e>-Sàfieh. Mais attendez
le crépuscule : voici que des feux s'allument de toutes parts,
vifs et étincelants dans les montagne, intermittents
replis de la

et fumeux dans les halliers nous fut ainsi facile de


de la plaine. Il

nous convaincre, au soir de cette journée, que les nomades n'étaient


pas très éloignés de la presqu'île qui nous fermait l'horizon du côté
nord. Irait-on bivouaquer à terre ou passerait-on la nuit sur le bateau ?
La prudence invitait à mettre entre nous et des agresseurs possibles
une certaine étendue d'eau. Mais do deux maux dont l'un est présent
et l'autre simplement hypothétique, on préfère se garantir tout d'abord

du premier: ce fut le cas dans l'occurrence. Notre paquebot s'étant


mis, sous l'action d'une brise qui n'avait pourtant rien d'exagéré, à
exécuter quelques mouvements insolites, une panique s'empara de la
moitié des voyageurs. La crainte de voir se renouveler les angoisses
de la première nuit les poussa dans le canot qui les amena sur les
pentes sablonneuses de la Lisàn où au sommeil sans
ils se livrèrent
cauchemar. Satisfait de ce sacrifice, le génie de la tempête s'apaisa
et permit à la nuit de déployer tous ses charmes. Au bateau, désormais

immobile sur une eau morte, on était saisi d'une étrange sensation
d'isolement. L'n air vaporeux planant sur létenduede la mer donnait à la
clarté de la lune une apparence laiteuse qui noyait les contours desmon-
tagnes et reculait les longues collines de sel dans un lointain indé-

terminé. L'impression de paix et de silence se faisait encore plus forte


à la pensée que cette lagune inerte était le résultat d'un urand cata-
clysme que bien des clameurs avaient retenti
et le jour où la colère
divine l'avait déchaîné sur ce pays.

.5 janvier.

Depuis l'anse que forme le point d'attache de la péninsule et du


continent jusqu'à Fextrémité delà mer, la côte est praticable, bien
cpiaccidentée. De Saulcy en a décrit les moindres détails avec sa fa-
conde ordinaire. Plusieurs autres après lui ont sui-vi ce chemin du
Ghôr, le tariq es-Sàfie/t qui prend vers le Te// A7'a't's, la u colline des
.

100 REVUE BIBLIQUE.

tiancés ». Au large, nous nous rendions plus aisément compte de l'en-


semble de ce rivage et des montagnes auxquelles il sert de piédestal.
C'était d'abord la hauteur de Me:<etbeh, puis le haut sommet du Dje-
bel Bararéeh qui surplombe Youddy el-'Esnl, dont le delta est en-
combré d'acacias seyals et de roseaux. Une heure après notre départ,
nous arrêtâmes notre yacht un peu au-dessous de l'embouchure de
l'ouâdy Nemeira ou Nemeiry , crevasse assez considérable qui s'ou-
vre dans des grès rouges, mais d'une teinte plus claire que ceux qui
avoisinent l'Arnon. Les alluvions charriées par le torrent ont créé à
son issue une longue terrasse couverte d'arbustes et dont les abords
sont tellement marécageux qu'il nous fut impossible d'y accéder
même en barque (pi. VI, 2). Ce nom de Nemeira ou Nemeiry nous
remettait en mémoire une notice topographique de saint Jérôme,
inspirée d'Eusèbe (1). A l'époque de ces deux érudits, il y avait au nord
de Zoora ou Ségor une localité du nom de Bennamarim, qui s'élevait
sur les bords de la mer Morte, « aux eaux salées et stériles pour autant »
Les vestiges en sont connus sous le nom même d'en-Nemeiry. Ce se-
raient là les restes de cette Nimrim dont il est parlé dans Isaïe et Jéré-
mie, à propos de la grande débâcle de iMoab. La citadelle des Moabites,
Kérak, est ruinée les gens de Dibon pleurent sur les hauteurs sacrées;
;

partout des marques de deuil cheveux coupés, barbe rasée, sacs


:

revêtus en éperdue on se précipite vers


public. Puis, c'est la fuite :

Ségor. Dans ce bas-fond, derrière ces monts escarpés, on sera sans


doute à l'abri de l'envahisseur. La dernière étape est particuHère-
ment douloureuse; ce sont des pleurs à la montée de Louhit, des cris
de détresse sur la route d'Horonaïm, « car les eaux de Nimrim sont
taries; l'herbe a séché, le gazon disparu, plus de verdure » ^2) (hg. 18).
Il existe bien, à la hauteur de Jéricho, à deux heures à l'est du Jour-

dain, un tell Nimrin qu'arrosent des eaux abondantes mais il est ;

moins en situation que notre Nemeiry pour représenter la Nimrim des


prophètes, qui parait avoir été à proximité de Ségor.
Ah que nous aurions aimé suivre la caravane des émigrés à travers
!

les roseaux, les tamaris et les lauriers-roses qui fleurissent ces bords
et arriver avec eux à Zoar ! Mais le peu de profondeur de la mer et
l'absence de notre chaloupe neuve qui avait été précisément construite
en vue d'un débarquement au Ghôres-Sâfieh nous retint sur le bateau â

(1) Oaomust., p. 139 Nemerim, cuius meminit tsaias in visione contra Moab et Jere-
:

mias. Nunc autem est vicusnomine Bennamarim ad septentrionalem plagam Zoarae.


In Is. 16, 6 (PL.. 24, 1G9) Hoc oppidum super mare Murtniim est, saisis aquis, et
:

ob lioc ipsiiin s/eritibus.

(•2) Is., 15, C; Jerem. 48, 34.


ME[,.\NGES. 101

une petite distance des côtes. La Zoar biblique. Ségor pour les Grecs,
Zoora pour les Byzantins, la seule ville de la Pentapole qui échappa à
la catastrophe racontée au chapitre xix de la Genèse, était située à
l'extrémité sud-est de la mer Morte. C'est là qu'on la voyait encore au
premier siècle de notre ère, c'est là que les Croisés et les Arabes du

Fig. 18. — L'herbe a séché, le gazon disparu ".

Moyen Age la virent 1 La carte de Màdabâ (^fig. 19) représente le


.

bourg de Zoora au milieu d'un bouquet de palmiers, d'accord en cela


avec les dires des anciens topographes. Une température élevée, aidée
dune irrigation constante, y entretenait depuis des temps fort reculés
une végétation luxuriante. Le baumier. l'indigo, le dattier surtout y
croissaient comme par enchantement, à tel point que parmi les Francs
la ville en perdit son vrai nom pour recevoir celui de Palmer ou de

Paumiers (2). Foulcher de Chartres, qui suivit, dans ses expéditions, le


roi Baudouin en qualité de chapelain, raconte une halte que fit. en
1100, à Ségor, l'armée chrétienne au cours d'une promenade militaire

il; Josèphe la donne comme limite à la mer Morte, laquelle \>.iyo: Zoâpwv tt,; 'Açaoia?
ixTî'vsTa-. Bel. Jud.. IV. 8. 4^. Pour la localisation de Ségor chez les .\rabes, cf. Giv Le
Strange, Palestine under the Mosleias, p. 292.
2, Glillaime de Tyr, XXII, oO. Quand le roi de Jérusalem voulut, en 1183. taire lever à
Saladin le siège qu il avait mis devant Kérak. il « chevaucha jusqu'au leu qui est desus la
cité qui ot non Ségor anciennement, mes ele est ore apelée Paumiers »,
iOi REVUE BIBEIOLE.

qui avait l'Arabie pour objectif. Ayant tourné le lac au sud, dit-il,
((

nous trouvâmes un village au site fort agréable et abondant en ces


fruits de palmiers qu'on appelle dattes, dont nous nous finies un
régal toute la journée. Nous y trouvâmes, par contre, peu d'autres
ressources, car. avertis de notre arrivée par des colporteurs de nou-
velles, les Sarrasins de l'endroit s'étaient enfuis, sauf quelques-uns à
lapeau plus noire que la suie. Nous n'en eûmes pas autrement cure
que des algues de la mer (1). » Les Arabes, d'ailleurs, n'avaient pas

Fi^. l'i.

attendu les Croisés pour apprendre à estimer les dattes de Zoughar.


— C'est ainsi qu'ils appellent Ségor — . Au x^ siècle. Istakhri et Ibn
Haukal la célébraient comme remplie de bonnes choses, comme centre
d'un trafic impoi'tant et d'une grande culture d'indigo. Mais au-dessus
de tout, il y avait là une sorte de datte fraîche nommée al-Inhilâ
«•

dont on aurait été embarrassé de trouver la pareille dans l'Irak ou


ailleurs pour la douceur et le bel aspect » (2). Afin d'être à l'abri des
incursions, un lieu si riche en produits naturels eût dû posséder con-
tinuellement un bataillon sous les armes. Tant que l'empire d'Orient
s'était étendu jusque-là, Ségor avait pu se reposer sur une garnison du

(1) FoLLCHERui: CnAUTRES. Hislorio Hierosolymilann. cap. v (Rec. des Jiisl. des Croi-
sades: Occid.. III. 380).
(2) Guy Le Stkange, op. laud., p. 289. La datte al-Inkilà est celle que Theodosius nomme

Dactalum Nicoluum maiorem.


MELANGES. Ift3

soin de sa défense. L'ne troupe de cavaliers indig'ènes. munis darcs


et de flèches, veillait alors a ses portes '1 ,. L'invasion musulmane avait
mis fin à tout cola : aussi bien avons-nous vu avec quelle facilité 105^
franc s'était installé dans la ville.
Il faut avouer que la beauté do Ség-or devait beaucoup au coUi-
traste qu'elle faisait avec la région avoisinante. Si maigre, si chétive
que soit une oasis, elle devient facilement un paradis, du moment
qu'elle se trouve au milieu d'un affreux désert. Or les en\'irons du lieu
où fut Ziiai- sont particulièrement désolés fie. 20 : ici s'étend une

Fig. -20. — « Les environs du lieu ou fut Zoar sont particulièrement désolés •.

jungle marécageuse; là ce sont des espaces sablonneux jonchés de


roches primitives ou de grès bariolés. Cet état de choses est déjà ancien.
Les terrainsmouvants de Zoora jouèrent un vilain tour à saint Sabas.

En voulant atteindre un îlot qui lui paraissait apte à la retraite du


carême, le célèbre anachorète s'enfonça dans la vase et perdit, au
contact de certaines matières corrosives, la voix, pour cpielque temps,
et sa belle barbe pour le reste de sa vie ''2 Quant aux blocs de pierre
.

qui sèment le Ghôr en maint endroit, ils furent considérés par les

{V Onomasticon, p. il. Xotitio dignitatuin éd. Seeck), p. 75. L'importance de Zoora res-

sort aussi de divers autres textes administratifs tels que le Synecdemus d'Hiérodes, les listes

de Georges de Chypre, les catalogues épiscopau\ et le rescrit byzantin de Bersabée. Cf. RB.,
1909, pp. 99 ss.
'2) Cyrille de Scythopolis, Sabae Vita (Cotelier, III, p. 249,.
104 KEVLE BIBLIQUE.

premiers musulmans comme les instruments de la colère divine contre


les Sodomites. D'après le Coran, ils tombèrent sur les villes mau-

dites, chacun d'eux portant le nom de la personne qu'il devait écra-


ser (Ij. Même à l'époque de sa prospérité, Zoar ne laissa pas d'être
entamée par la désolation qui l'enserrait de toutes parts. Écoutons, au
sujet de cette localité, un hiérosolymite du x' siècle, habitué à l'eau
potable et à la brise des montagnes, l'Arabe Mouqaddasi : « Vrai-
ment, c'est un pays mortel à l'étranger, car son eau est exécrable.
Celui cjni trouverait l'ange de la mort trop lent à venir chez lui, qu'il
s'y rende je ne connais pas en
;
effet, dans tout l'Islam, d'endroit doué
d'un climat aussi pernicieux que celui-ci. Jai vu des pays affligés
par la peste, mais aucun ne l'est autant que cette région... Ses habi-
tants ont la peau noire et sont trapus. Ses eaux sont très chaudes
comme si la localité était située sur le feu de l'enfer (2). »

Il donc peu de chose pour qu'une ville, qui, placée dans


fallait

des conditions si défavorables, ne pouvait subsister qu'à force d'éner-


gie et de sacrifices, arrivât à une prompte décadence et finalement à
une ruine complète. Une épidémie, une invasion étaient suffisantes
pour en venir à bout. On ignore cependant de quoi Ségor mourut.
Le fait est qu'elle disparut si bien qu'il est malaisé d'en retrouver les
traces. Les retrouvera-t-on jamais? Avait-elle des monuments suscep-
tibles de laisser des ruines? Quelques-uns, peut-être; mais je me re-
présenterais plutôt ce bourg comme une agglomération de huttes de
roseaux revêtus d'argiU^ et de maisons bâties en briques séchées au
soleil, reliées entre elles par du bitume.
Tels sont, en dehors de la
tente, les abris encore en usage dans le Ghôr, où ils paraissent satis-
faire aux exigences du climat et de la nature du sol. Mais vienne un
écroulement ou un incendie, quels vestiges peuvent-ils léguer aux
siècles suivants? Les autres villes de la Pentapole devaient être dans
le même style aussi faudra-t-il laisser sur le compte des poètes et de
;

leur fantaisie
piliers aux larges fûts,

Chapiteaux évasés un groupe difforme


;
puis
D'éléphants de granit portant un dôme énorme ;

Des colosses debout, regardant autour d'eux


Ramper des monstres nés d'accouplements hideux 3 .

Depuis bien longtemps déjà l'on est à la recherche des villes mau-

(1) Sourate xi, 81, 82 (éd. de Leipzig 1721,.


(2) Guy Le Stranoe,
op. laud., pp. 289 s. Mouqaddasi reconnail pourtant l'iraportance
commerciale de Zoughar qu'il compare à celle de Bassorah.
(3) V. Hugo, Le feu du ciel (Les Orientales).
MELANGES. lOo

dites, Sodome, Gomorrhe.Zoar, Adamaet Séboïni. Quelques-uns les ont


vues au fond de la mer Morte; d'autres les ont mises au nord, d'autres
au sud de cette mer. Les ruines faisant défaut, force est de recourir à
l'onomastique ou à la tradition. Pour Zoar. on est autorisé à la placer

à l'embouchure de Touàdv el-Qerahy. l'ancien torrent de Zared.


Quant à Sodome, son nom a survécu attaché à la montasne de sel qui
court au sud-ouest du lac. le Djebel Ousdoum [l). La localisation des au-
embarrassante. M. Clermont-Ganneau a suggéré
tres villes est plus
pour Gomorrhe. Aïn Ghamr à une vingtaine de lieues au sud de l'extré-
mité méridionale de la mer Morte 2 . Il y a encore à situer la vallée
de Siddim qui servit aux rois de la Pentapole de point de ralliement contre
l'ennemi commun, cette vallée où s'ouvraient des puits de bitume et
qui maintenant « est la mer salée » (3 . D'après cette dernière indica-
tion du glossateur biblique, il semble que la mer Morte ait envahi, à
une époque historique, une portion notable de territoire. C'est l'impres-
sion que Ton a, d'ailleurs, quand on navigue comme nous le faisions
en cette journée, sur la lagune qui baigne la Lisàn au midi et dont les
eaux sont à peine bleues tellement sa profondeur est minime. Le
fond de la mer se trouve, en elfet, en cet endroit, à une distance de
la surface qui varie entre un demi-mètre et sept mètres.
du bassin méridional de la mer Morte par
Justifier la raison d'être
l'atFaissement des anciens dépôts qui continuaient au sud et à l'ouest
les terrasses inférieures de la péninsule est un système assez répandu
pour tenir du lieu commun. Piompue par des mouvements du sol, la
digue que formaient les couches diluviales entre la Lisàn et la côte
occidentale au-dessous de Sebbeh livra passage à l'eau du Ijassin «supé-
mer Morte. Les parties
rieur qui constituait d'abord à lui seul toute la
les plusdéprimées se couvrirent alors d'une hauteur d'eau peu con-
sidérable mais suffisante à miner peu à peu les basses terrasses d'allu-
vions environnantes. Toute une région qui pouvait être d'une fertilité
prodigieuse en raison d'une température tropicale et de la quantité
d'eau douce qui descendait des montagnes fut ainsi arrachée au tra-
vail de l'homme. Cet empiétement de l'eau salée sur les terres basses
n'avait pas eu pour cause unique quelque tremblement de terre il ;

avait dû être favorisé par la nature même du sol envahi. En effet.


fournir du bitume, c'est pour une terre un signe qu'elle est plus que
toute autre exposée aux phénomènes sismiques.

(I) M. Dalman [Palustinujahrbuch, 1908. p. 80) a adopte la fonne Sv.dum. Cbez les au-
teurs arabes, c'est Sadoum qui est usité.
\2j Rec.d'arch. orient., I, pp. 163 s.

V3, 6 en. 14, 3. 10. *


106 REVUE BIBL[QUE.

Que le lecteur me permette de le transporter un instant près d'une


mer qui offre plus d'une analogie avec le lac Asphaltite, je veux dire
la mer Caspienne. Il y a là, à l'extrémité orientale du Caucase, vers
Bakou, une presqu'île nommée l'Apchéron, où le naphte est en
pleine exploitation. Cette espèce de bitume liquide, très inflamma-
ble, est à tleur de sol, si bien qu'en approchant une lumière dun
trou qu'on aurait fait avec un bâton, (jn obtient immédiatement un
bec de gaz. Les Parsis avaient fait de Bakou leur ville sainte, parce
qu'on pouvait s'y livrer au culte du feu en grand et à peu de frais.
Parmi les détails curieux relevés par un explorateur de cette contrée,
M. Moynet, en voici qui touchent notre question de plus près « Le :

paysage, écrivait-il en 1858, conserva d'abord cette monotonie, cette


tristesse, qui est le caractère constant de tout le littoral de la mer
Caspienne. Pas de vég"étation, pas d'oiseaux, rien qui rappelle la
vie. Nous apercevions de temps en temps quelques puits de naphte
en exploitation. On sent que ce sol, sous lequel le feu travaille inces-

samment et où il suftit de creuser un trou de peu de profondeur

pour avoir un bec de gaz naturel, présente peu de sécurité et que


tous le fuient. Bakou seul, à cause de ses puits enflammés quiluiservent
en quelque sorte de soupapes de sûreté, peut espérer de restera sa place,
et encore y avons-nous vu toute une gigantesque construction ensevelie

dans mer jusqu'au sommet de ses tours, ce qui fait penser qu'on
la

n'y jouit pas dune parfaite quiétude. On montre, à près d'une verste
de la côte, un bas-fond qui était habité autrefois et communiquait avec
la terre par une chaussée dont on retrouve encore des traces. On
prétend qu'un soulèvement volcanique a submergé cet isthme qui se
prolongeait au loin dans la mer (Ij. »

Or il est certain que le fond et les bords de la mer Morte sont bitu-
mineux, en particulier dans la moitié sud de son lit. De l'examen des
abords du Djebel Ousdoum, les géologues ont conclu à l'existence de
gites assez considérables de bitume à l'est et à louest de cette mon-
tagne. Dans l'ouàdy Mouhawôt qui débouche au nord de cette mon-
tagne, on est frappé de la présence de cette substance à travers les
couches de calcaire dolomitique dont elle pénètre les moindres fis-
sures. On voit aussi au delta de ce torrent des conglomérats de cail-
loux et de silex cimentés avec du bitume.
Les récits des indigènes confirment, d'ailleurs, les conclusions de
la géologie. Us ont raconté à Robinson qu'à la suite du tremblement

(1) Voyage à la mer Caspienne et à la mer Xoire dans le Tour du Monde, 1860,
p. 306. Cf. Elisée Reclus, Nouvelle g éogitaphie universelle, VI, l'Asie Russe, p. 201.
.MtLANGKS. 107

de teire de 183'i-, une grande quantité d'asphalte fut recueilli sur le


rivaiie. dans la partie sud-ouest de la mer. Le P"' janvier 1837. une
nouvelle secousse du sol amena à la surface des eaux une masse de
])itume, semblable à une île flottante, qui vint s'échouer sur le rivage
au nord du Djebel Ousdoum. Les Arabes des environs le débitèrent eu
morceaux à coups de hache: ils en retirèrent un gros bénéfice tout en
le vendant à bas prix il).

Les anciens connaissaient ces émissions de bitume, de même que cette


façon de le récolter. — « Il est plein de bitume, dit Strabon du lac
Asphaltite. A des époques indéterminées, cette matière émane du
milieu de l'abîme avec des bulles pareilles à celles de l'eau bouillante ;

sa surface extérieure arrondie lui donne l'aspect d'une colline. Elle est

accompagnée d'une suie abondante et fumeuse, mais imperceptible à


la vue, qui rouille tout métal brillant, le cuivre, l'argent et jusqu'à l'or.
L'oxydation des ustensiles avertit les indigènes de l'imminence d'une
éruption de bitume; alors ils se disposent à le recueillir sur des ra-
deaux de roseaux (2i ». Tacite, après avoir rapporté quelques invrai-
semblances au sujet de l'asphalte, se reprend atni de suivre des
renseignements plus autorisés c'est ainsi quil informe le lecteur de son
:

temps que les masses flottantes de bitume étaient poussées ou tirées au


littoral avec la main et, une fois sèches, taillées en fragments comme

des madriers ou des rochers au moyen de coins et de cognées (3).


.losèphe. toujours en quête d'images frappantes, compare ces masses
bitumineuses à la forme et au volume d'un taureau décapité (i). Les
auteurs que nous venons de consulter ont emprunté plus d'un trait de
leur description à la Hihliotlu'quc de Diodore de Sicile, composée vers
l'an 30 avant Jésus-Christ. Deux chapitres de cet ouvrage sont consa-
crés au bitume de la mer Morte (ô). Cet historien nous y montre les
barbares des deux rives se disputant les armes à la main les masses
de bitume, lesquelles, suivant leurs dimensions, sont appelées veaux
ou taureaux. Coupés à la hache, les morceaux en sont chargés sur de
grandes claies de roseaux où sont montés des ouvriers. Les géogra-
phes arabes, à leur tour, savent que les eaux de la mer Morte rejettent
une substance appelée [loummar asphalte qui est employée dans
l'agriculture par les gens de Zoughar 6).
Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on a compris l'utilité du bitume
(1) Biblicnl Rescarches '1838 . I. p. 518.
(2) Geogr., XVI. 2. 'i2.

{3)Hist.. V, 6.

(4) Bel. Jud., IV, 8. 4.


(5y XIX, 88, 89.
(6) Guy Le Str4N(,e, op. land., i>ii. 64 ss.
lOS REVUE BIBLIQUE.

puisqu'on exploité aux environs de Sodome, avant la ruine de


le voit

cette ville Employé comme ciment dans la construction des


(1).

maisons ou comme enduit pour les embarcations, il entrait aussi pour


beaucoup dans la composition des baumes et des médicaments. Quatre
siècles avant notre ère; les Nabatéens s'étaient arrogé le monopole
du bitume de la mer Morte et s'en faisaient une bonne source de re-
venus en le vendant aux Égyptiens pour embaumer les cadavres.
Diodore prétend en effet que si on ne le mêle pas aux autres aromates,
les corps ne peuvent pas être conservés longtemps. Mais en 312 avant

Jésus-Christ, les Nabatéens se virent enlever quelque temps ce privi-


lège par Démétrius Poliorcète, pour le compte de son père Antigone,
alors en guerre avec son rival d'Egypte, Ptolémée. Antigone, tout
heureux d'avoir ainsi augmenté les ressources de son trésor, mit à la
tête de l'exploitation du lac Asphaltite, Hiéronyme de Cardia, avec
ordre de construire des bateaux et de rassembler le bitume en un seul
et même endroit. L'entreprise n'eut pas des suites heureuses, car un
jour les Arabes accoururent au nombre de six mille et, montés sur des
radeaux, criblèrent de traits les intrus installés dans leurs embarca-
tions (2).
Les différents services que le bitume de Judée fut appelé à rendre
à l'industrie et à la pharmaceutique ont été énumérés par Ibn el-

Beïthar, un fameux naturaliste arabe des premières années du xiii°

siècle, dans son Traité des simples (3). Il distingue d'abord, avec Et-
Temimy, le bitume que rejette le lac puant (i) les jours d'hiver, celui
qui est brillant et dont l'odeur de naphte est très prononcée. « Ce
bitume, dit-il, s'échappe du fond du lac à travers les fissures des rochers
qui en garnissent le fond, de la même manière que l'ambre sort de la
mer. » y a l'espèce appelée Abotanon qui se trouve sur le sol,
Puis il

mêlée à du sel, à des cailloux et à de la terre et dont la couleur est


terne. Les deux sortes sont également utilisables contre les inflamma-
tions, les' ulcères, les maux d'estomac, etc. Le bitume tue les vers des
arbres les habitants de Syrie en mettent à chaque cep de vigne pour
;

empêcher les insectes de les manger. C'est la même pratique, à n'en


pas douter, qu'en 1518, le bon bourgeois de Douai, Jacques le Saige,

(1) Gen. 14, 10. La vallée de Siddini étaitcouverte de puits de Itilume, dans lesquels les
rois de Sodome et de Gomorrhe tombent, en fuyant devant le roi d'Elam.
(2) Diodore de Sicile. \IX, 100. Cf. Dro^sen. Histoire de l'Hellénisme. II, p. 359.

(3) Notices et extraits des mss. de la Bibliothèque nationale, t. XXVl,


1" partie, au mol

qafr{y^).
(4) Al-buhairah al-tnunlinah, appellation fréquemment usitée chez les auteurs arabes
pour désigner la mer Morte.
MELANGES. 109

signale dans les termes suivants : « Et mesme ceulx du païs dalen-


tour y vont quérir en yver de l'escume du bord de leaue de ladite
mer morte, dont, on en frotent les corps et branches de leurs arbres
sans aller près ou sont les boutons. Après ce sont asseures sil y a fleur
sur lesdits arbres de avoir fruicts, car pour lifecteur dudit lieu ny
agrippe, honnine ne vermine i . »

La connexion qui existe entre le bitume de Judée et le soufre, deux


produits de l'activité volcanique, a été mise en relief par M. Blancken-
liorn, à la suite des travaux de M. Kayser 2 . Au lieu d'expliquer la
production de l'asphalte syrien par l'oxydation de Ihuile minérale et

de lui donner comme constituant exclusif les éléments de cette huile,


il faudrait reconnaître que c'est le soufre qui y entre comme élément
essentiel. M. Lartet avait exprimé une opinion commune en attribuant
la production des bitumes à l'action des eaux thermales et des exha-
laisons souterraines sur les dépôts organiques intercalés dans les sédi-
ments; ce qui paraitassez admissible. Il y aurait cependant à cela une
difficulté, à savoir que si le soufre de l'asphalte provenait de la décom-
position de l'albumine organique, ne devrait-on pas, se demande
M. Blauckenhorn, rencontrer dans l'asphalte une plus grande quantité
d'azote dont il ne
s'y rencontre en réalité que de faibles traces? Les
eaux du thermes qui fument sur ses bords, les couches de la
lac, les
Lisàn sont eux-mêmes très pauvres en éléments apparentés à l'azote,
tels que le salpêtre et rammoniacjue. Bref, au-dessus des grandes cre-

vasses maintenant dissimulées sous les couches diluviales du rivage et


du fond de la mer Morte, où se sont produites des émanations sulfureu-
ses à côté d'émanations d'hydrogène, c'est là que serait la véritable
partie du bitume sulfuré, c'est-à-dire de l'asphalte authentique. Peut-
être n'est-ce pas là le dernier mot de la science à ce sujet; reconnais-
sons toutefois qu'elle a fait de véritables progrès depuis le jour où
Strabon écrivait que l'asphalte était la glèbe de la terre liquéfiée par la
chaleur, exhalée et répandue, puis solidifiée en un corps compact,
grâce à l'eau froide, comme est celle du lac (3).
Il donc juste qu'en plus des diverses appellations de mer Salée,
était
de mer de T'Arabah, de mer Orientale, de mer de la Solitude, la mer

(1) de linfection dudit lieu il ne s attache ni clienilleni vermine.


C'est-à-dire, car à cause ;.

Voyoyede Jacques SaigeiDouâi, 1851), p. 1 26. Dp même leP. Roger, en 1632. ditqueceuide
le
la Terre Saincte broyant le bitume et y meslant un peu d'huile en font une glu. dont ils se

servent pour frotter les branches d'arbres et seps de vignes au printemps afin d'empêcher
qu'un petit vermisseau qui naist au pied des seps, ne monte, et ne mange les bourgeons
'La Terre Saincte. Paris, 1646. p. 188;.
>} ZDPV.. XIX, 1896, EntstehuiKj inid Geschicfile îles Todten Meeres, pp. 48-50.
3) Uéogr., .\V1, 2, 42.
110 REVUE BIBLIQUE.

Morte reçût le nom de lac Asphaltite (1). Les Palestiniens d'aujourd'hui,


dédaignant ces vocables tirés de la géographie ou de l'histoire natu-
relle, rappellentcouramment /)«//; Loût ou mer de Lot (2). Il est vrai que
le souvenir de Lot remplit tout le bassin de la mer Morte, de même que
la mémoire d'Abraham plane sur toute la montagne d'Hébron. Il y a là
deux cycles de traditions populaires, deux cycles limitrophes qui, néan-
moins, produisent des impressions bien différentes. L'histoire d'Abra-
ham respire la paix et la fraicheur de la montagne : c'est la vie pasto-

rale avec ses vertus simples et solides; celle de Lot se déroule dans un
miUeu malsain il y a partout la hâte, le trouble, la fièvre de la pas-
:

sion, on y étouffe dans une atmosphère chaude et empestée. Abraham,


c'est déjà Israël vivant en paix dans le haut pays de Canaan. Lot, c'est
déjà Moab et Ammon. On se sent une parenté éloignée, mais aussi
une haine vivace. Israël, c'est le fils légitime, le produit choisi de la

race Moab
;
et Ammon sont le fruit de l'inceste.

Quand il causait avec Abraham, entre Béthel et Aï, de leur sépara-


tion prochaine, Lot cherchait des yeux la région où il pourrait traîner
denomade(3). Finalement, au pays rocheux qu'il foulait
à l'aise sa vie
en ce moment, il préféra les oasis verdoyantes de la plaine du Jour-
dain. Cette contrée, — cg kikkar, comme on disait alois, — l'attirait:
elle était, jusqu à Zoar, irriguée comme le paradis et fortunée comme
l'Egypte. Il descendit donc vers lest, dans le bas-fond qu'arrose le Jour-
dain, tandisqu'Abraham cheminait vers le sud. jusqu'à Mambré. Lot
habita donc les villes du kikkar. H ne fut pas sédentaire pour autant;

ilallait de une à lautre, dressant sa tente jusqu'à Sodonie. Voilà le


l

neveu d'Abraham devenu un homme du Ghôr; lui et son clan étaient


des Ghawàrneh. avant la lettre. Le kikkar comme le (ihôr parait avoir
compris la basse vallée du Jourdain et le pourtour de la mer Morte(4).
Tout ce pays était fertile et agréable, c mais dans ce paradis, il y
avait un serpent, le peuple de Sodome(5) ».
Chez ce peuple s'épanouissait la fieur des vices cananéens(6). Aussi
Jahveh jura-t-il sa perte. Les ravages exercés dans le pays vers 2010

(1) Diodore de Sicile. Pline. .Josi'phe usenldecettc dénomination dans les chapitres si sou-
vent cités qui concernent la mer Morte.
(2) Le Persan Nàzir-i-Kliusrau appelle déjà en 1047 1a mer Morte. Bulioiroh Loùl (lac de
Lot). Les auteurs arabes emploient souvent aussi les termes de lac deSégor, de mer puante,
de mer submergeante-, cf. Gi \ Li: Strangi;. op. laud., pp. fi4 ss.

Gen.\3. 5 .ss.
(3)

(4) De même qu il va un kikkar particulier, celui du Jourdain, et un kikkar plus extensif.


il y a des ghors particuliers, le Ghôr es-Sesabàn à Soueimeh, le Ghôr Sàfieli au sud de la
mer Morte, etc., et un Ghor général qui les comprend tous.
(5) HoLziNGER, Gcnesis, p. 104.

(6) Gen. 10. 10. I,a limite des Cananéens englobait les villes du kikkar.
1

MELANGES. 1 1

par le roi d'Élam, Koudour-Lagamar et ses vassaux, au retour d'un


raid poussé jusqu'aux confins du Sinaï, furent comme le prélude de
cette malédiction (11. Lot, qui avaiteu à souffrir de cette incursion, s'é-

tait finalement fixé à Sodome. Mais il dut quitter cette ville devant
l'imminence des fléaux qui la menaçaient. A peine en était-il sorti que
Dion, dit la Genèse, fit pleuvoir du ciel sur Sodome et sur Gomorrhe
du soufre et du feu Abraham, du sommet des montagnes, put voir
;

alors monter du kikkar embrasé une fumée semblable à celle d'une


fournaise (2!. Enfin, dans les mêmes circonstances, la vallée de Siddim
arriva à faire partie de la mer salée. Il est donc permis d'expliquer
ainsi la catastrophe qui, vers l'an 2000, anéantit maintes localités du
Ghôr la terre trembla; le bitume vomi à la surface du sol s'en-
:

flamma au contact du feu du ciel les exhalaisons sulfureuses con- :

densées retombèrent comme une pluie; les villes de la plaine furent


consumées; la vallée de Siddim s'étant affaissée, la mer l'envahit.
Zoar échappa à la ruine commune. Lot, qui s'y était réfugié avec
ses filles, s'empressa de la quitter pour gagner la hauteur, car
le sol de la plaine n'offrait plus de sécurité. Le cycle de Lot se
termine par le récit de linceste dans la caverne, d'où naquirent les

héros éponymes des Ammonites et des Moabites i-S) Ce fait, que


Celse ne manqua pas de relever dans ses attaques contre le christia-

nisme, fut interprété diversement par les auteurs ecclésiastiques. Plu-


sieurs le blâmèrent, tout en excusant Lot; d'autres passèrent directe-
ment à la signification symbolique par là était figurée la fécondité ;

que Jésus-Christ donne à la Synagogue età l'Église (4). Dans une vieille
chronique qui se place entre 234 et 427 de notre ère, intitulée Origo
mundi, Ammon et Moab sont devenus des ancêtres du Christ. Voici de
quelle manière « D'Ammon est issue la fille de Pharaon, roi d'Egypte,
:

que Salomoneut comme épouse, d'où la génération arrive jusqu'à Jo-


seph, époux de la Vierge Marie. De Moab sortRuth, qui fut l'aïeule de
David, par qui on aboutit à sainte Marie (5). » D'autre part, depuis la
seconde épitre de saint Pierre de saint Clément, c'est, chez
et la lettre
les Pères, un concert unanime de louanges à l'adresse de la piété et de

l'hospitalité du neveu d'Abraham (6). Aussi a-t-il mérité d'échapper au

(Ij Gen. 14. Cf. P. Diioumic, Ilammourabi Amraphd: RB., 1908. pp. '211-225.

(2) Ibid. 19. 23 ss.

(3) Ibid. 19, 30 ss.

(4) Voir ces différentes interprétations dans Calmet, Gen.,p.i39. Pour l'opinion d'Origène
cf. Hom. V in Gen. {PG.. 12, 190), Contra Celsunu IV [PG., 11. 1101).
(5) Chronicfi minora (éd. Fricii) I, pp. 142 s.
(G) II Pelri 2, 7 ss. I démentis 11. On lit dans cette dernière : S:x cpOo-îvtav xaî vjni-
êeiav Aà)T è<yw6r) èy. i^o56[xwv xx)..
H2 REVUE BIBLIQUE.

Aw-) aurait eu un
désastre qui frappa la Pentapole. Ce juste (oixatoç
sanctuaire aux environs de Ségor que je n'en serais pas étonné le
moins du monde, et j'admettrais même volontiers que la grotte où l'on
pensait que Moab et Ammon avaient été conçus, fut pour les indigènes
un objet de vénération. Enfin, d'après une légende née vraisembla-
blement sur les lieux, la cadette des filles de Lot était l'éponyme de
Ségor. Elle s'appelait Zoughar (la petite) et fut enterrée, après sa mort,
près d'une source qui fut appelée dorénavant Aïn Zoughar, tandis que
son aînée Roubbah (la grande) fut ensevelie près de la source qui porte
le nom d'Ain Roubbah (11.

On se sentirait assez autorisé par tous ces motifs à regarder comme


un sanctuaire de Lot l'édifice dessiné dans la carte de Mâdabâ au-des-
sus de Zoora et qui porte l'indication malheureusement incomplète
de TO TOY Aflb A... c'est-à-dire la (chapelle) de saint L...
Pendant que nous parcourions notre Bible et les notes où étaient
consignés ces antiques souvenirs, le bateau nous amena à l'ombre de
la montagne de sel qui conserve encore le nom de Sodome, le Djebel

Ousdoum.
Fr. F. -M. Abel.

(1) Tradition empruntée par les Arabes à des sources juives. Cf. Ci.-Gxnneai. A'.-IO., 1,

p. 160. Guv Le STRAisGii, op. laiid.. p. •?91.

—«>C>0<0<3»—
CHRONIQUE

VISITE AUX FOUILLES DE SAMARIE.


A TRAVERS LES NÉCROPOLES DE LA MONTAGNE d'ÉPHRAÏM.

Vers la fin du mois d'août, un


groupe de professeurs et d'élè-
petit
ves de FÉcole Biblique profitaient des loisirs des vacancespour faire
une excursion aux fouilles de Sébastyeh. Malgré les dures chaleurs de
lété, les travaux étaient poussés avec ardeur; deux cent cinquante
ouvriers environ étaient répartis en trois chantiers simultanés. Les
Directeurs des fouilles, M. le professeur Reisner et M. l'architecte Fisher,
ont bien voulu nous en faire eux-mêmes les honneurs et nous mon-

trer les résultats de leurs labeurs. Nous sommes heureux de les re-
mercier publiquement de cette libéralité et de cette courtoisie.
On a achevé de déblayer les larges tranchées ouvertes l'année der-
nière (1 et l'on a entamé déjà profondément deux nouvelles sections
) :

lune à l'extrémité occidentale de la colonnade hérodienne et Tautre,


sur le tertre, à côté des premières tranchées. Partout on enlève les
décombres jusqu'au rocher dont on nettoie soigneusement la surface'
afin de ne rien laisser échapper. Nous ne croyons point manquer à la
discrétion en annonçant que de très l)elles découvertes ont récom-
pensé cette activité intelligente, et nous faisons des vœux pour que le
compte rendu complet, promis pour l'année prochaine, soit bientôt
livré au public. On peut être sûr cju'il sera bien accueilli de tous ceux
qui s'intéressent à l'histoire et à l'archéologie de la Palestine.

Au lieu de rentrer à .Jérusalem en suivant la grand'route, nous


avons pris à travers les montagnes de la Samarie par Qariet Djit,
Phar'ata, Hâris, etc. Tne journée entière a été consacrée à explorer,

(1) Cf. RB., 1909, p. 435 ss. Un ami très obligeant a eu la bonté de me signaler le dé-
plorable imbroglio de ma noie sur la superficie de Samarie c, 1909,
436, n. 3), où
[l. p.
le raisonnement sur l'étendue de archaïque s'enchevêtre dans une évalua-
la ville Israélite
lion erronée d'après le chiffre de stades fourni par Josèphe. « Vingt stades » de pourtour,
c'est en effet une superficie théorique de 80 hectares et non de 10 comme pourrait le donner
à entendre la note en question. Plutôt que de reprendre pour l'éclaircir ce raisonnement
par à peu prés, mieux vaut attendre la publication prochaine des documents précis. J'ai
tenu cependant à mettre en garde sans délai contre cette malencontreuse note. H. Vin- —
cent.]
REVtE BIELIyL'E 1910. — T. VII. S
H4 REVUE BIBLIQUE.

dans les environs de cette dernière localité, différents groupes de


tombes juives d'un caractère assez particulier.
Une des nécropoles les plus intéressantes de la rég-ion est celle du
khirbet el-Fakhôkh!r. D'après notre guide, un habitant de Hàris, le
nom de kh. el-Fakhàkhir s'appliquerait à deux ruines voisines Tune
de l'autre, situées à une heure et quart de bonne marche à l'ouest-
ouest-sud de Hâris, près du chemin qui descend dans la grande plaine
aux abords de Medjdel Yàbà. La ruine la plus occidentale occupe le
sommet dune colline qui domine ce sentier au sud. On y observe les
restes de plusieurs constructions non sans importance, datant tout au
plus des premiers siècles de notre ère. Les murs, encore en partie
debout, sont formés d'assises régulières de grosses pierres égalisées
avec de petits cailloux. A l'extrémité méridionale du khirbet, deux
colonnes debout et deux autres renversées à côté marquent peut-être
l'emplacement d'une chapelle qui aura été transformée plus tard, car
on ne distingue aucune trace dabside. Sur le flanc de la colline, au
nord-ouest, nous avons noté un bassin creusé dans le roc, un pres-
soir et Une de ces tombes,
plusieurs tombes. —
un sarcophage creusé
dans un grand bloc et surmonté d'un arcosolium, offre un détail —
original, déjà relevé par les officiers du Siirvey (1). Au centre de la
paroi du fond, entre le sarcophage et le sommet de l'arcosolium, on
a creusé un trou pour une lampe, et au-dessous on a sculpté, en léger
relief, un petit pilastre sur lequel était censée reposer la lampe.

La seconde ruine appelée kb. el-Fakhàkhir se trouve à l'est de la


précédente, sur un petit plateau, à un quart d'heure de marche. Elle
répond au kh. Kurkiish de la grande carte anglaise (2). Les débris de
construction dans le voisinage d'un ouély, ont paru aux officiers an-
glais les restes d'un village. Le point le plus remarquable à visiter
est la nécropole, située à quelques pas de là, sur le versant orien-
tal du plateau. Elle se confond avec une ancienne carrière, anté-

rieure peut-être à l'installation des sépultures, mais que rien n'em-


pêche cependant de supposer contemporaine. En débitant des blocs
d'appareil taillés sur place, cm dressait des parois de rocher plus ou
moins régulières qu'on utilisait ensuite pour y creuser une chambre
sépulcrale, ou un simple sarcophage, tantôt à ciel ouvert, tantôt sur-
monté d'un arcosolium. Tels sont, en effet, les trois principaux genres
de tombes qu'on trouve en ce lieu et qui tous sont représentés dans
la photographie d'ensemble (fig. 1). A droite du grand tombeau est

(1) Survey of western Palestine; Memoirs, II, p. 334.


(2) Voir la description dans le Survey, Memoirs, JI, p. 337. — Ces ruines ont été dési-
gnées aussi au P. Séjourné sous le nom de kli. el-Fakhàkhîr, liB., 1893, p. 615. Guérin ne
116 REVUE BIBLIQUE.

un sarcophage abrité sous un arcosoliuni il y en avait tout à côté ;

un autre identique dont il ne reste plus que le sommet de rarcosolium.


Entre les deux derniers tombeaux de droite, au point S, sont les dé-
bris d'un sarcophage à ciel ouvert, adhérant au rocher, dont tout le
devant a été emporté. A la
suite, on distingue facilement
les traces de blocs dégagés
un à un delà masse rocheuse
suivant la méthode employée
dans les carrières antiques.

Comme la plupart de ces


tombeaux dilfèrent des tom-
bes juives de Jérusalem, nous
avons cru quïl ne serait pas
superflu d'en étudier quel-
ques-uns dun peu près. Nous
avons donc choisi quatre ou
cinq types pour en fournir
des graphiques détaillés i).

Le premier dont nous nous


occuperons — tombe I — est
déjà connu des lecteurs de la
Revue. Le P. Séjourné adonné
jadis une excellente vue de la
façade et une courte descrip-
tion de l'hypogée, en propo-
sant d'y reconnaître le tom-
beau de Josué que les pèle-
rins juifs du moyen âge et du
xvi' siècle allaient vénérer
dans les environs de Kefil-
Ht\ris Nous laisserons de
2 .

côté cette question du tom-


beau de Josué pour décrire
ris. 2. Plan fie la Tombe l.
simplement le monument.
Ce tombeau pi. I et fig. -2) se compose d'une chambre à peu près
semble pas les avoir visitées et la description qu'il donne du kh. el-Fakhàkhir (Samarie,
II, p. 168) convient seulement à la première ruine dont nous avons parlé.
(t) On peut voir dans les Memoirs du Survey, II, p. 338 ss., six plans de ces tombeaux ;

mais comme ces plans sont à une très petite échelle, sans coupes, et quelques-uns même peu
exacts, ceux que nous donnons ici ne feront pas double emploi.
(•2) RB.. 1893, p. 613 ss.
CHRONIQUE. 11'

carrée, mesurant en moyenne 2"^. 70 de côté, et précédée duii atrium


taillé, comme elle, dans le roc. Sa situation au milieu d'autres tom-
))eaiix est bien marquée dans la figure 1. Dans le fond de la cham-
bre s'ouvrent trois sépultures à fours, larges en moyenne de 0'°,60 sur
l'°,75 de profondeur, et hautes respectivement, en allant de gauche à
droite (fig. CD de 0'",90, 1 mètre et 0™.95. L'ouverture de
2. coupe ,

encadrée d'une rainure fort irrégulière contre laquelle


ces fours était
venait s'appuyer la dalle de fermeture. Au fond du trou, un petit
rebord en manière de coussin était destiné à supporter la tète du dé-
funt.En avant des trois sépultures on a ménagé une banquette large
de 0™,50 et dont la hauteur actuelle est de 0".25: mais le sol est
couvert de décombres et
l'on ne peut voir s'il existe
un second étage comme
dans la tombe II cf. fig. 6).
Sur chaque côté de la
jyjjjjjjjjjjjjjjji
chambre, il y a un lit fu-
néraire surmonté d'un ar-
coso/ium (1 ). On remarque
toujours le coussinet pour
la tête, mais il est une fois à

l'est et l'autre fois à l'ouest,

preuve que la tête n'était

pas toujours tournée du


même côté. Le lit a un lé-

ger rebord d'un centimè-


tre cf. couf»e CD,.
La porte faisant commu- Fi?. 3. Tombe I. Moulures de l'encadrement
lie la porte.
niquer l'atrium avec la
chambre était précédée d'une marche. Cette entrée ne se fermait point
avec une pierre roulante comme dans la plupart des tombes voisines,
mais avec un vantail en pierre, ouvrante l'intérieur, et venant battre
contre un large cadre ménagé tout autour. Elle était décorée du côté
de l'atrium d'un ensemble de moulures inspiré de l'art grec, mais
dont l'agencement est bien juif 2. La vue d'ensemble pi. I et le
diagramme coté (fig. 3, en donneront suffisamment l'impression. Les

(Ij Le plan du Survejj, Memoirs,


II, p. 338, est fautif sur ce point; il ne signale qu'une
seule banquette Les deux banquettes ont été coupées par le milieu par les profa-
latérale.
nateurs du tombeau; nous n'avons point fait figurer ce détail dans notre plan.
2 Dans les Memoirs, II, p. 337, on a comparé ces moulures à celles qui décorent la
porte de certaines synagogues de la Galilée.
H8 REVUE BIBLIQUE.

chercheurs de trésors ont fouillé la paroi au-dessus de la porte pour


voir s'il n'y aurait point dans le haut quelque sépulture cachée («,
coupe BA, fîg'. 2).

L'atrium, qui n'est pas tout à fait d'équerre, mesure en moyenne


2™, 25 de profondeur sur 4™, 20 de large et de haut. On a de
2"', 60

chaque côté un arcosolium abritant, celui de droite un sarcophage


brisé, et celui de gauche, une banquette qu'on a sondée pour voir
si ne cacherait rien (cf. pi. 1).
elle
Le plafond de l'atrium reposait sur deux colonnes à chapiteaux
ioniques et faisant corps, selon toute vraisemblance, avec le rocher.
Les deux colonnes sont brisées et il ne reste plus que le haut des cha-
piteaux avec la trace des bases, mais on peut se faire une idée de ces
colonnes d'après celle qui subsiste encore dans la grande tombe étu-
diée plus loin. Deux pilastres, un à chaque angle, accompagnaient les
colonnes. Un coup d'œil sur le croquis des moulures qui décoraient

<- - -
CHRONIQUE. 119

tout aussi plausible, beaucoup plus vraisemblable même, si Inii tient

compte du contexte archéologique et Je l'époque tardive du inMiiu-


ment.
Ce motif central est encadré de deux couronnes en relief et légè-
rement dissemblables. Celle de droite mesure à l'intérieur 0'",25 et la
largeur du relief est de 0"\05; dans celle de gauche la largeur du
relief est de 0™,07 et le diamètre intérieur de 0™,-21. Ceux qui voient
dans le disque central une représentation solaire reculeraient sans
doute devant l'hypothèse que les ornements adjacents puissent repré-
senter quelque symbole lunaire.
D'après l'ensemble de la décoration, le monument nous parait re-
monter tout au plus à la fin de la période macchabéenne; il ne serait
pas impossible même qu'il datât seulement du premier siècle de notre
ère. On ne s'arrêtera pas à l'hypothèse que les éléments décoratifs
aient été ajoutés de seconde main : ils sont de même style et de même
exécution que le reste de l'ornementation, tout entière d'une seule
venue. Car on réserva dans le rocher les colonnes et leurs chapi-
teaux quand on creusa l'atrium, et l'atrium fut creusé en même temps
que la chambre funéraire. De même, l'encadrement de la porte inté-
rieure, qui se détache en relief sur la paroi, fut sculpté au moment où
on tailla en effet, quelque embellissement de
cette paroi; d'y voir,
seconde main impliquerait qu'^m --e fût imposé la tâche de ravaler
toute la piroi adjacente, voire même toutes les parois de l'atrium qui
sont travaillées de même
main : hypothèse à coup
sûr bien peu admissible.
Dans la paroi de rocher
qui revient à angle droit
sur la façade du monument
dont nous venons de par-
ler, on avait creusé un sar-
cophage que surmontait
un arcosolium voir fig. 2.
E et pi. \j. Aujourd'hui,
tout le devant est brisé. Sa
longueur était de 1™,90 :

quant à la largeur, elle


Fig. 3. — Sarcophage à ciel ouvert, adhérent au rocher.
différait de beaucoup clans
le haut et dans le bas, car la paroi longitudinale adliérenti' au ro-

cher n'est pas d'aplomb, mais s'évase par l'iiitérieur. de sorte que
le fond de la cuve atteint 0"',82 de large alors que sur les bords
420 REVUE BIBLIQUE.

elle avait seulement O'",o'r. Dans le plan cet écart est marqué en poin-

tillé.
dans la carrière, pré-
Les sarcophages à ciel ouvert, creusés çà et là
voici un. par exemple
sentent une grande analogie avec ce dernier. En
ifig. à quelques mètres en avant de la
5), situé
tombe III. Il est en
grande partie brisé, comme du reste tous les autres. Sa longueur
était de 1™,80 et sa profon-
deur de 0™,63 il avait dans
;

le haut 0'",5i de large et

dans le bas 0™,65. La face


dégagée n'était point ab-
solument unie, mais cou-
pée au milieu par un re-
fend, large de 0"', 10, et en-
tourée d'un cadre sembla-
ble, de manière à simuler
deux blocs à refend. Il se
pourrait qu'on n'ait là que
l'épannelage d'une orne-
mentation non exécutée.
Les bords delà cuve étaient
dégagés tout autour, et sur
les côtés attenants au rocher
courait une rigole, large
de 0'",li et profonde de
0"',18. On pensera diffici-

lement qu'elle ait été mé-


nagée pour le jeu du cou-
vercle du sarcophage elle ;

avait plutôt pour fonction


WSM7//M/m.
— d'écarter l'eau.
Fig. 6. Plan et coupes de la Toml)e n.
La tombe II est située à

quelques mètres au sud de la tombe I et la façade extérieure


est visible, à photographie d'ensemble (fig. 1). Le
gauche, dans la

plan et les coupes fig. 6) dispenseront dune longue description.


Un atrium, large de 2™, 15 et profond de r",75, dont le haut est en
plein cintre plus ou moins régulier, précède une chambre à double
étage. L'étage inférieur, large seulement de O^.Qô sur 1"',55 de
long, est envahi par des décombres qui permettent de voir néan-
moins une sépulture en forme de four sur chaque côté. L'étage supé-
rieur contient cinq fours identiques aux deux d'en bas. Tous ont cela
CHRONIOUE. 121

de particulier qu'à l'intérieur ils sont plus larges et plus hauts qu"à
rouverture. Devant les cinq du haut règne une hauquette, large en
moyenne, dans le fond de la chamhre, de 0'^,5i, et sur les côtés, de
0°,70. L'ouverture du four faisant face à la porte est précédée d'un
petit rebord haut de quatre centimètres, tandis que devant le four
il y a une petite rainure
voisin, à gauclie, (cf. fig. G, coupe sur AB .

Le plafond de la chambre est


peu élevé et cintré.

La porte de la chambre est

intéressante par son mode de


fermeture. La baie est précédée
dans le bas d'une rainure, large

de 0'",30 et profonde de 0'",20,


prolongée à droite. Dans cette
rainure était engagée la pierre
ronde en forme de meule qui
fermait le tombeau. Pour ou-
vrir, on faisait rouler la meule
à droite, et elle venait s'encas-
trer à moitié dans la paroi où
une entaille avait été pratiquée
à cet effet fig. G; voir le jeu
plus complet de cette meule
dans la figure 7, coupe EF).

La tombe III (fig. 1 et 7 res-


semble beaucoup à II surtout ,
C l-.Wkm^,c^i&:A//:k&iiiii/P^m^ D
pour l'atrium, en grande par-
tie envahi par la terre. A 0",12
au-dessus de la porte d'entrée,
un petit relief d'un centimètre,
sur la paroi (fig. 7, coupe EF ,

marque sans doute la limite de Fis. 7. Plau et coupes de la Tombe ni.

frottement de la pierre rou-


lante et ne saurait être pris pour l'ébauche duu cartouche. La cham-
bre, à un étage seulement selon toute vraisemblance (1). contien
quatre sépultures à fours. Dans la paroi de droite, en entrant, on
avait marqué la place où devait être creusée une cinquième. L'en-
trée de l'un des fours de la paroi de gauche est encadrée d une

;1) Le sol est couvert de lerre rapportée; on ne peut donc aflirnier qu'il a y ait pas d'au-
tres sépultures dans le bas.
122 REVUE BIBLIQUE.

feuillure laree de O^jOi, ravalée d'une profondeur égale. L'encadre-


ment de la tombe du fond est quadrangulaire, bien que l'ouverture
soit arrondie dans le haut. Le plafond est à peu près plat, quoiqu'un
peu cintré sur les bords. Le plafond d'une tombe voisine a la forme
d'une voûte en berceau très surbaissée, tenant le milieu entre celui-ci
et celui de tombe
la II.

De la tombe IV,
située à une trentaine de mètres au nord-est
des précédentes, nous reproduirons seulement la façade, originale à

Kig. 8. Fatade de la Tombe IV.

cause de l'appareil à refends simulé sur le roc et imitant les voussoirs


d'un arceau (fîg. 8). Curieux surtout est le pilastre faiblement dégagé,
à gauche, surmonté d'un chapiteau épannelé qui ne devait rien sup-
porter. Nous avons remarqué la même excentricité dans la façade
d'un autre tombeau situé à quelques pas de celui-ci. A droite, il n'y a
point de pilastre. On avait' commencé à dessiner sur les parois de
l'atrium un appareil de même style que sur la façade.
Dans cette nécropole, la majorité des tombes ont un atrium cintré,
comme tombes II et III.
celui des Ce n'est pas cependant une règle
générale etnous avons noté plusieurs atriums dont le plafond était
plat. Quelques tombeaux n'ont point d'atrium.
A une centaine de pas au sud de la tombe I, quatre grands bassins
CHRONIQUE. 123

ont été é-s-idés du roc lors de lexploitation de la carrière. On les a

créés intentionnellement sans doute, mais avec peu de soin, en déta-


chant des pierres d'appareil sur une surface déterminée. Â côté du
dernier de ces réservoirs, au sud-ouest, est un petit tombeau, V, sans
façade ni atrium. Il peut servir de type des tombes les plus simples
de tout cet ensemble. Il sultira d'en publier la vue extérieure (%. 9;.

car l'aménagement intérieur, du reste incomplet, rappelle assez,

quoique en plus petit, celui «le la tombe II. A l'étage supérieur, dnns

la paroi du fond, s'ouvrent


deux fours inachevés: à i
^ ^
-
\

l'étage inférieur, sur la


"*
paroi de gauche, y en a il

deux autres dont un à peine


commencé.

On donne le nom de
Dei?' ed-Derb à un joli tom-
beau situé à trois quarts
d'heure à l'ouest-ouest-
nord de Hâris, tout près du
village de Keraw a Ibn Has-
san. Il est intéressant à cause
Fig. 9. — Tombe V.
de la façade, qui rappelle
en divers détails quelques-unes des grandes tombes des environs de
Jérusalem. Il a été sommairement étudié par le Survey (l! à une
époque où il paraît avoir été mieux conservé qu'aujourd'hui; nous
avons cru devoir compléter cette étude et faire mieux connaître une
ornementation curieuse, en train de disparaître.
Le monument pi. II et fig, 10 comprend une cour, uu atrium et
trois chambres sépulcrales. La cour, convertie depuis longtemps en
parc à bestiaux, devait former une enceinte à peu près carrée de seize
à dix-sept mètres de côté. On ne voit plus jusqu'où elle s'étendait sur le

devant, ni par conséquent là manière dont elle était close de ce côté.


Elle est creusée engrande partie dans le roc qui s'élève à droite et à
gauche sur une hauteur moyenne de près de deux mètres. On y accé-
dait par un grand escalier, large de 2™, 30. ménagé dans le rocher à
l'angle sud-ouest. Six marches de cet escalier sont encore bien con-
servées; les autres ont été fortement ébréchées.
L'atrium n'est ni tout à fait d'équerre, ni régulier: il mesure 6 mè-

(1) Survey of icest. Palest.; Memoirs, W, p. 313.


124 REVUE BIBLIQUE.

très de large sur 3'",59 de profondeur d'un côté, et S-". 38 de l'autre ;

la hauteur actuelle est de 2"", On


a décoré les parois en simulant
50.
sur le rocher un appareil à refends qui ne manque pas de
régularité
malgré linégalité d'assises (%. 11, qui représente la paroi de gauche

Fig. 10. — Beir ed-Derh : plan du tombeau et de l'atrium avec amorce de la cour.

en entrant). Les deux premières assises, en commençant par le haut,


ont 55; la troisième 0'",48; la quatrième 0"",22 seulement; la cin-
()'",.

quième est masquée en partie par les décombres. La largeur des re-
fends varie entre 0'",10 et 0"',08. Ces faux blocs sont
encadrés d'un
CHRONIQUE. 12o

liséré lavé, large de 0'",02, que détermine une ligne en creux. Le


champ encadré par ce liséré offre une surface finement piquée, mais
sans saillie. L'appareillage alternativement par un grand et un petit
côté des blocs a été simulé avec assez de fidélité.
Cette décoration rappelle celle du grand tombeau d'Ouinin el-

*Amed (1,, situé auprès de Cha'fàt. au nord de Jérusalem. Il y a ce-

pendant entre ces deux imitations d'appareil des divergences que


rendrait sensibles la juxtaposition de deux photographies.

Fig. 11. — Deir ed-Derb. Une des parois de l'atrium.

A l"',-20 au-dessus de la porte d entrée on a éventré la paroi et


formé une sorte de fenêtre, haute de 0™,98, ouvrant sur la première
salle, immédiatement au-dessous du plafond. La paroi de droite, vers
le centre, est aussi fortement endommagée par suite d'un défaut du
rocher.
Le plafond de l'atrium reposait sur deux colonnes à chapiteaux io-
niques. L'une d'elles a été brisée assez récemment et on voit la trace
du coup de mine qui Ta fait sauter. L'autre est encore intacte; elle
mesure l'°,6i de circonférence. La figure 12 met sous les yeux le haut
de cette colonne qui fait corps avec son chapiteau ionique et avec

(1) Décrit par M. de Vogiié sous le nom A'El-Mexxaneh (Le Temple de Jcruaalem, p. 47).
126 REVUE BIBLIQUE.

lentablement. Aux an^eles, deux piliers d'antes ornés â leur sommet


d'un corps de moulures d'assez bon profd (fig-. 13 ô), faisaient face aux
colonnes. En façade, la saillie de ces pilastres n'est que de 0"\03; une
rosace à six pétales est sculptée au-dessous du chapiteau.
Un entablement peu classique complétait l'ornementation de cette
façade. pas seulement au-dessus de la colonnade du por-
Il n'existait
tique, mais se prolongeait, en manière de frise, sur toute la largeur
de la cour (fig. l'2 et le
diagramme coté avec le
p r o fi 1 des moulures,
fig. 14). Les triglyphes
sont d'une forme peu
commune ; les rosaces pla-
cées dans les métopes
o (front toutes un dessin
particulier. Les gouttes
sous les triglyphes dé-
bordent trop de chaque
côté ; elles n'ont d'ailleurs
pas été partout détachées,
ce qui semblerait prou-
ver que le travail était
inachevé.
La porte d'entrée me-
sure, du côté de l'atrium,
0"',70 de large sur 0'",90

de haut. On la fermait,
vers le milieu de la baie,
i- ig. 1-2. — Deif ed-Dcrb. Chapiteau et eiilalilcineiil. d'abord par une dalle qui
venait s'appuyer contre
une feuillure large de par une pierre roulante placée en
0"',12, puis
avant de la dalle. On voit dans le bas une rainure large de 0"',3-5
identique à celle que nous avons signalée dans les tombes II et III du
kli. el-Fakhàkhir. Afin d'introduire la meule dans cette rainure on
avait creusé, à droite de l'entrée, une ouverture large actuellement de
1"',06 (fig. 10, a) dont la paroi de gauche est détériorée ou inachevée.
La première chambre mesure 4'", 40 de large sur 4", 50 de prol'on-
deur et 3 mètres de hauteur. Le plafond est plat et très irrégulier (1).
Dans le fond de la salle s'ouvrent trois fours précédés d'une banquette

(1) La coupe de ce lombeau dans les Menioirs. U, 314, ie|jréseiite par eneui une voùle.
12-
CHRONIQUE.

large de 0™,51 et haute de 0",36 qui court aussi sur lesdeux côtés
latéraux. Au-dessus du four central, sous le plafond, on a sondé la
paroi pour voir s'il tombe cachée.
n'y aurait pas quelque
La seconde chambre à droite est envahie par les décombres et
inachevée. On l'a peut-être abandonnée à cause du mauvais état du
rocher vers Tangie nord-ouest. La chambre de gauche est au con-
traire en bon état et parfaitement aménagée; le plan (fig. 10) en rend

.
c^nlirTutrCJ

Fig. 13. — Deir ed-Derb. Entablement de la façade. —


a, Profil d'une corniche dans un
angle delà cour; 6. Chapiteau d'ante.

suffisamment compte. On remarquera surtout les colomiettes orne-


mentées, placées aux quatre angles de la partie inférieure de la cham-
bre, et qui donnent aux banquettes situées en avant des arcosolia
un faux de klinè, l'élégante couchette funéraire usuelle dans les
air
tombes hellénistiques indice nouveau à ajouter à tous ceux qui dé-
:

cèlent le caractère hybride de cette architecture funéraire des der-


niers temps juifs.

Jérusalem.
Fr. M. Raph. Savig.nac.

A PROPOS DES FOUILLES DE SAMARIE.

M. le professeur W. Kubitschek a bien voulu me signaler que

dans l'inscription romaine votive de Samarie 1) la 1. 2 est à lire

Mil ites) VEXIL larii) au lieu de Mil[ites) VIXIl = VI xii"" [cohortis]. Il

estime que « les hastes horizontales des lettres E


L sont courtes et
et

faibles >> et qu elles « auront trompé les interprètes ». Il ne me parait

(1) RB., juin. 1909, 1». 441. d'après la photogravure de M. Lyon.


128 REVUE BIBLIQUE.

pas douteux que la conjecture de M. K. ne soit la vraie: au lieu de


cette escouade dévote d'une cohorte Pannonienne, on a un détache-
ment (
Veorillatio) des cohortes de Pannonie et tout devient limpide.
J'aieu tort d'écarter tacitement naguère cette lecture que le P. La-
g-range me suggérait sur le vu d'une hâtive copie. Mon excuse est
peut-être tolérable si je note que la photogravure sur laquelle est
faite mon croquis paraît décidément bien porter VIXII, sans qu'il
soit facile de discerner la moindre trace de hastes d'un E et d'un
L. On attendrait aussi en ce cas le signe d'abréviation usité dans
tous les autres cas d'un mot incomplet. J'aurais dû pourtant me
souvenir que les lapicides ne sont pas exempts de négligences et je
me fais un plaisir de signaler la correction si normale de M. le prof.

Kubitschek.

UNE CONCESSION FUNÉRAIRE ARCHAÏQUE.

y a de belles années déjà M. Clermont-Ganneau publiait, parmi


Il

de nombreux textes épigraphiques relevés par M. Loeytwed, un frag-


ment grec de Bosr el-Hariry, dans le Hauràn. Le début de toutes les
lignes manquant, il était difficile d'aboutir à une lecture complète
du document. En 1905 les PP. Savignac et Abel publièrent un autre
fragment relevé au même lieu, sans se remettre en mémoire le texte
de M. Clermont-Ganneau. C'est à M. le prof. R. Brûnnow que revient
le mérite d'avoir acquis à l'étude un document total intéressant en

raccordant les deux pièces. Avec une obligeance aimable dont je suis
heureux de le remercier, il me signalait naguère ce raccord et la lec-
ture qui en résultait moyennant la restitution correcte de quelques
coquilles dans les copies (1) : 'A'/aB^ TJ-/y; ... x-rpior "Avcjvcj è; îciwv
o'.*/,o[o]ôtj.r,7c -b y.vr;;j.Tov. "EvGa 7.Ttî M. 1o'j[ai];ç s ajTSij ["J'-Tofi;] sv zp:-
TÉpw ;j.vr,[;.a[-:i] y.È 1'.z\jlù\z'. -zXz \uz\t/\o\zlz X'j-.z'j [t |r,v à[ç]c'j7'!av tcj f;j.]v/;-

[jJ.O'J [J.ivO'J •/.xl'X v](,')7wU.

.4 la bonne fortune l ... atrios d'Anounos a construit ce


(?) /i/s

monument à ses frais. Ci-gît M. loulios son fils, dans la salle anté-
rieure, et il concède à ses frères la jouissance de la chambre posté-
rieure seule.

Jérusalem, novembre 1909.


H. V.
(1) RB.. 1905, p. 604: Rec. arcfi. or., I, 11, n» 7.
RECENSIONS

Salomon Reinach, Orpheus. Histoire générale des religions. Septième


édition revue: in-12 de xxi-62ô pp.: Paris, Alcide Picard, 1909.

Le plan de cet ouvrage est simple. Les différentes religions païennes sont expé-
diées en six chapitres (p. 39-247); six autres chapitres sont consacrés à la religion
des Hébreux et au christianisme (p. 248-625). Chaque chapitre est suivi d'une biblio-
graphie utile, mais qui ne saurait remplacer une véritable indication des sources (1).

Quant à l'esprit du livre, il est tout entier dans la devise : Veniet felicior aetax
(Lucain, VII. 869). Il viendra un temps plus heureux, — où les religions, ayant
accompli leur œuvre, laisseront la place à la relig'on du devoir social (2). L'homme
sera alors guidé par les seules lumières de la raison les religions auront servi à le

guider — ou à l'entraver — pendant l'espace intermédiaire où il était déjà homme,


mais docile encore aux instincts irraisonnés de l'animal. On aurait pu arriver plus
tôt à cet âge heureux si l'on avait suivi la voie tracée par le rationalisme grec. Sub-
mergé par le débordement des cultes orientaux, le rationalisme a repris son œuvre
à la Renaissance et au xviii'' siècle. Une dernière vague l'a menacé après la Révo-
lution, mais désormais « les temps sont révolus » (p. x).
VOrpheus est destiné à frayer les voies à ces heureux temps de laïcisation.
M. Reinach entend bien libérer l'esprit humain (.3). tout en se préoccupant beaucoup
moins des âmes qui gémissent sous le joug sanguinaire des sorciers de l'Afrique que
des âmes chrétiennes, et beaucoup moins des protestants que des catholiques...
L'œuvre est destinée à la plus grande publicité; on prépare des éditions en anglais,
en allemand, en russe, en espagnol, en italien. C'est donc bien une machine de
guerre contre l'Eglise catholique; la neutralité scolaire a fait son temps (4).
Quand un livre se présente si ouvertement comme un manifeste de parti. la cri-
tique est embarrassée. M. Reinach revendique le droit de parler avec chaleur et de
qualider ses adversaires d'enragés (p. xi) nous ne pouvons non plus lire sans être;

blessés une attaque si passionnée contre ce que nous aimons, et on serait tenté de
répondre à un pamphlet par une recension irritée. Je tâcherai d'éviter cet écueil,

(1) I.e seul système vraiment satisfaisant


pour le lecteur instruit est celui qu'a suivi entre
autres M. Cumont dans sou Les religions orientales dans le paganisme romain. Chaque
livre sur
fliapitre doit être suivi d'une sériede notes qui lournissent la preuve des conclusions de l'au-
teur, ou indiquent du moins les références où il a puisé. M. Reinach a cependant une excuse;
il a traité dans ses ouvrages d'crudition un grand nombre des points résumés dans son aperçu
rapide.
(-2) Cf. p. 91.
(3) Cf. i>. 36.
j9I. Assurémentje réprouve autant que .M. Reinach ces esprits forts qui ne font cas de
(4) Cf. p.
la religion que pour s'assurer de bons domestiques. L'élite doit à la foule la vérité, toute la vérité.
Mais il est aussi un devoir impérieux qui s'impose à l'intelligence, c'est de ne pas toucher d'une

main téméraire a ce qu'on reconnaît être « l'élan le plus puissant qui ait transformé les âmes »,
• la plus haute manifestation de la conscience humaine cherchant le bonheur dans la justice •
ip. 3il,!. M. Reinach affirme qu'il a pesé la responsabilité morale de son acte (p. x). Nous vou-
lons l'en croire. Il est pourtant étonnant qu'il ait une confiance assez aveugle dans la sûreté
de sa méthode pour livrer des sentiments sacrés en pâture à un i)ublic trop souvent incapable
de contrôler ses dires.
REVUE BIBUQLE 1910. — N. S., T. VH. 9
130 REVUE BIBLIQUE.

mais je ne m'interdirai pas d'appeler les choses par leur nom. Sans méconnaître les
qualités de VOrpheus, je dois signaler ce que je regarde comme des hypothèses
hasardeuses et un réquisitoire trop virulent pour être équitable.

Il y aurait déjà beaucoup à dire du défaut de proportion entre les différentes


parties du livre. Des religions professées par des millions d'hommes comme celles
de l'Iode, de la Chine et du Japon, qui préoccupent vivement nos contemporains

comme le bouddhisme, n'occupent que quelques pages. Mais je ne saurais en vouloir


à M. Reinach d'avoir passé rapidement sur un terrain qu'il connaît mal, et où il

n'avait rien à nous dire de personnel. Je lui sais très bon gré d'avoir écrit que
tt rien n'autorise à admettre que le bouddhisme ait fait école en Palestine » (p. 85).
et d'avoir confessé que « les trois quarts et demi du Rig-Véda sont du galimatias »
(p. 78).

Il est déjà beaucoup plus grave de n'avoir pas laissé soupçonner les difficiles pro-

blèmes que pose le dualisme très probable des civilisations de la Chaldée et de


l'Egypte. La question sumérienne est ouverte depuis bien des années; et depuis
1896, date des publications de MM. de Morgan et Flinders Pétrie, on ne peut plus
ignorer l'Egypte préhistorique. Ce ne sont pas là des points d'érudition pure, puis-
qu'ils ont trait à l'iofluence d'un peuple envahissant sur la religion des indigènes
vaincus.
A lire M. Reinach, on ne soupçonnerait pas que rien soit venu troubler la lente
évolution qui aurait conduit les Égyptiens comme les Chaldéens du totémisme à leurs
cultes historiques. Rien de plus faux que cette manière de concevoir les faits.
L'évolution y est sans doute plus rigide, le dogmatisme à rebours plus décidé; mais

on méconnaît ainsi le rôle de certains groupements humaias supérieurs auxquels il

faudrait attribuer une influence décisive, et dès lors on devrait se demander si ces
groupes mieux doués ne sont pas arrivés, par exemple, au culte des astres sans passer
par tels stages inférieurs.
Toutefois que les lacunes ne fassent pas partie de la méthode, et ne
il se peut
découlent inconsciemment d'un déterminisme régulateur; et enfin c'est la
pas
méthode en elle-même, daus ses traits positifs, qui nous intéresse le plus.
Il y a deux manières de traiter l'histoire des religions, ou plutôt la science des

religions : la méthode historique et la méthode comparative. Si l'on distingue ici

histoire et science, c'est dans ce sens que l'histoire récite les faits, tandis que la
science en établit la connexion et en scrute l'évolution et les origines. Avec la
méthode historique on expose ce qu'on sait d'après les documents et les moniunents
relatifs à tel usage, à telle croyance, à tel rite. Et, si l'on ne s'occupait que d'histoire
des religions, on devrait assurément s'en tenir à la méthode historique. Mais qu'il
est difficile de ne pas raisonner sur les faits quand les documents sont muets, il
!

reste la ressource de comparer les faits entre eux. Aussitôt qu'il s'agit de science
des religions, cette méthode devient légitime. L'admiration que nous avons pour
les Grecs ne nous empêchera pas de comparer leurs pratiques à celles des Austra-

liens,s'il y a en effet des points de rapprochements.

Les hypothèses sont toujours permises. Elles sont même souvent utiles. Pour
prouver qu'elles sont fausses, on reprendra l'examen des points litigieux, on recueil-
lera de nouvelles informations, la vérité suivra sa marche. M. S. Reinach est un
fervent de la méthode comparative, nous ne songeons pas à le lui reprocher. Mais
RECENSIONS. 131

il faut tout d'abord constater que. lui faisant une large part dans Orpheus, il sort de

l'histoire générale pour entrer dans la science des religions.


C'est bien ce qu'il déclare en terminant : il a voulu contribuer à l'enseignement
d'une science absolument nécessaire à l'humanité pensante T. Mais alors on a le

droit de lui demander quelque risueur dans l'emploi de


méthode. Les théolo- la

giens, que M. Reinach estime peu, se font un point d'honneur déraisonner avec pré-
cision. De leur part, ce seront sans doute des subtilités. Écoutons donc un spécialiste,
aussi étranger que M. Reinach à notre foi « Le progrès d'une science, dit M. van :

Gennep. dépend de la précision de plus en plus grande des termes qu'elle em-
ploie » (2\ Et encore : a Tout ethnographe sait qu'avec un peu de chance il trou-
vera des parallèles demi-civilisés modernes à n'importe quelle coutume ou croyances
antiques. Ce qui importe, c'est que le parallèle soit emprunté à une forme de civili-
sation moderne réellement comparable à la civilisation ancienne dont le fait à éluci-
der est l'un des éléments » 3 .

Ce sont là des règles élémentaires de logique. Je suis désole de jouer le rôle d'un
magister qui rappelle aux principes un savant des plus qualifies, mais entin il faut
que la définition convienne au défini, et que les objets qu'on compare soient pris dans
leur contexte vital, en évitant la piperie des mots équivoques. Je crains bien que
l'application de ces deux règles ne porte quelque atteinte aux conclusions de VOr-
pheus.
Tout d'abord la définition de la religion. >L Reinach semble croire qu'une bonne
définition doit s'appliquer a toute l'extension qu'a prise un terme, même par abus.
Parce qu'on parle, abusivement. — la figure se nomme catachrèse en termes de rhé-
torique, — de la religion de l'honneur, cette religion doit être contenue dans la défi-

nition de la religion en général. Et on aboutit à cette définition de la religion : un


ensemble de scrupules qui font obstacle au libre exercice de nos facultés. On dirait

que c'est une gageure, car, avec ime candeur triomphante. M. Reinach note aus-
sitôt que sa définition élimine du concept fondamental de la religion — tout ce
qu'on entend généralement comme l'objet propre du sentiment religieux.
C'est dire que la définition est détestable. Sans doute les logiciens admettent
qu'un mot n'a que le sens qu'on lui prête, mais définir un terme reçu à rebours de
l'opinion générale, c'est un jeu puéril ou un attrape-nigaud. Si « scrupule » est pris

dans un bon sens, la définition convient assez à l'impression que produit dans l'esprit
la lecture du Code Pénal 4\ La religion se confondrait avec la crainte du gendarme.
Mais les scrupules, et des scrupules qui font obstacle au libre exercice de nos fa-
cultés, ne peuvent provenir que de l'ignorance. Nous voilà éclairés dès le début sur
la nature de la religion et sur l'obligation que nous avons de nous en affranchir. Et
pour que nul n'en ignore, ces scrupules sont aussitôt qualifiés de taôou..i.

Il est fâcheux que M. Reinach ne définisse pas le tabou, qui est l'une des deux
clefs de son livre. On
cependant qu'il entend par là une interdiction non
voit assez
motivée et un héritage transmis à l'homme par l'animal » (p. 8 Ce
instinctive, « ,

qu'il y a de juste dans cette vue, c'est que l'interdiction de faire telle chose, surtout

de toucher à tel objet, n'est pas niolivée par une raison plausible, tirée des consé-
quences naturelles de l'acte; mais le tabou n'e.xclut pas un exercice de la raison, à

:i) Cf. p. oft-2.

Bévue de l'histoire des rdigion.-i. t. LVIU 1908


v2. , p. 51.
(3) Loc. laud., p. 48. note 1.
(4) La comparaison est presque de M. Reinach « : le Décalogue est le remaniement d'un vieux
code de tabous • ip. w .
132 REVUE BIBLIQUE.

mal éclairée. Le sauvage respecte im tabou par une crainte superstitieuse,


la vérité

soit,mais parce qu'il juge prudent de ne pas s'exposer ù un danger surnaturel.


Peut-on comparer ce jugement à l'instinct des mammifères qui ne mangent pas leurs
petits et ne se mangent pas entre eux? Et cela est d'importance, car dès lors le

tabou n'est plus une institution primaire, une sorte d'impératif catégorique de la
nature humaine évoluant de l'animalité, mais un réseau de précautions qui suppo-
sent déjà la Le tabou indique à quels objets s'applique la
croyance à des e.>-prits.

notion de l'interdit; il moins pouvait-il donner ori-


n'a pas créé celte notion, encore
gine à la piété, puisque son caractère est purement restrictif. Sur ce point M. Rei-
nach aurait pu relire dans Robertson Smith, qu'il admire si fort, les pages sur cet
élément essentiel de la religion qui est l'afTection pour le dieu.
Sur l'animisme, nous n'avons pas grand'chose à dire, si ce n'est qu'on n'expliquera
jamais comment « l'animisme d'une part, les tabous de l'autre, tels sont les facteurs

essentiels des religions » ^p. 10). Et l'on s'étonne d'autant plus de cette affirmation
que plus loin l'auteur assigne deux autres facteurs moins primitifs », mais qui «

'i n'ont pas agi d'une façon moins générale totémisme et la magie. » p. 20), le

Et voici derechef" une définition tellement vague qu'elle est une source perpétuelle
de confusions. « Définir le totémisme est très difficile. On peut dire, quitte à préci-
ser ensuite, que c'est une sorte de culte rendu aux animaux et aux végétaux, consi-
dérés comme alliés et apparentés à l'homme » (p. 20). Cette définition est tellement
élastique qu'elle assimile presque le totémisme au culte des animaux et des végé-
taux; on y joint seulement une alliance qui ne fait jamais défaut en pareil cas, et
une parenté très vague. On se demande où M. Reinach a précisé ensuite cette no-
tion.^ Il ne l'a pas fait, et pour cause. S'il précisait, il lui serait impossible de prou-
ver que les cultes grecs sont d'origine totémique. Il ne pouvait raisonnablement
étendre le rayon d'influence du totémisme, dont il est très entiché, sans créer une
définition nouvelle.
Mais c'est précisément contre cette confusion qu'ont protesté les ethnographes.
M. van Gennep n'est pas le seul à se plaindre « du sans gène » avec lequel on a
transposé les faits et les théories ethnographiques dans certains ouvrages dont il re-
connaît d'ailleurs l'utilité générale. « Et précisément, alfirme-t-il, si le totémisme
se trouve en mauvaise posture, c'est aux savants trop « historiens » encore, comme
MM. levons, Renel. S. Reinach. Loret. Araélineau. qu'on le doit, car ce sont eux qui,
ayant découvert un beau jour Totémisme de Frazer et l'ethnographie, en ont agi
le

avec ces faits nouveaux pour eux comme


avec des « documents historiques »... Dans
l'intervalle, la documentation et
la théorie du totémisme ont évolué, très rapide-

ment même; et sans qu'ils s'en pussent douter, ces savants ont pris pour bases des
erreurs reconnues déjà pour telles par les ethnographes eu.x-mêmes (1) ».
Mais les ethnogra|)hes ont des scrupules qui n'arrêtent pas M. Reinach. Voici
toute l'origiue des religions par le totémisme. L'homme primitif croit que tous les
êtres sont animés comme lui-même : c'est Vanimisme; il a hérité de l'animal le tabou
du respect du sang dans son clan ; il adopte animaux et végétaux par une hypertro-
phie de Finstiuct social. — Je vois bien comment animaux et végétaux sont associés
au clan, mais pourquoi conclure au
et des végétaux to-
si vite culte des animaux
tems? Le divin ne paraît toujours pas. et, s'il est exclu de la définition de la religion,
on le trouve pourtant partout dans l'histoire des religions.
A vrai dire, le divin a peu de relief dans le totémisme, et c'est une des raisons
pour lesquelles il est si difficile de lui donner une place prépondérante dans l'origine
(1) Totémisme et méthode comparative, dans Revue de l'histoire^ des religions, t. LVIII, p. 41.
RECENSIONS. 133

des religions. Comme nous devons insister sur le totémisme, si cher à M. Reinaeh.
voici, d'après M. Vrin Genuep, quels en sont les principes :

a 1" Le totémisaie est caractérisé par la croyance en un lien de parente, qui lierait

un groupe humain d'apparentés (clan~ d'une part et de l'autre une espèce animale
ou végétale, ou une classe d'objets: 2 cette croyance s'exprime dans la vie reli-
gieuse par des rites positifs 'cérémonies d'agrégation au aroupe totémique anthropo-
animal, anthropo-végétal, etc.; et des rites négatifs (interdictions 'J]; 3° et au
point de vue social, par une réglementation matrimoniale déterminée ;exogamie li-

mitée; ;
4" le groupe totémique porte le nom de son totem [2) >j .

Oa aura remarqué que le savant ethnographe ne fait pas figurer expressément ici

l'interdiction de se nourrir du totem. C'est peut-être parce qu'on a découvert


chez les Aruntas d'Australie des traditions le contraire; par exemple qui supposent
le clan Kangourou, d'après les mythes, se nourrissaitnormalement du Kangourou;
ce qui est condamné par l'usage actuel. C'est peut-être aussi à cause du sacrement
totémique dont il est fait tant d'abus par M. Reinaeh à propos du sacrifice du dieu
et de l'Eucharistie.
Cette « communion » totémique, postulée plutôt que prouvée par W. Robertson
Smith, a enfin été découverte chez les Aruntas. Les hommes-kangourous, c'est-à-
dire le clan portant le nom du kangourou son totem, s'abstiennent ordinairement
de manger du kangourou. Ils le font cependant, dans les cérémonies de Yinti-
chiuma, non point, comme le veut M. Reinaeh. pour renouveler leur union avec le

dieu, pour fortifier en eux la vie divine, mais, d'après leurs idées à eux. pour dé-
gager les esprits de ces animaux et leur permettre ainsi de se multiplier. Le.s Arun-
tas sont répartis en groupes qui travaillent les uns pour les autres, par leurs abs-
tentions et leurs rites, à multiplier une espèce dans l'intérêt des autres clans. Les
hommes-graine, les hommes chien-sauvage rendent le même service. Ce sont, a dit
M. Frazer, approuvé par M. van Gennep, des « coopératives magiques 3) «.

Tout cela est plus utilitaire que vraiment religieux. On ferait bien, en pareille
matière, de ne pas parler de communion, encore moins de sacrement. A tout le
moins faut-il exclure le mot de sacrifice. C'est ce qu'ont très sagement noté MM. Hu-
bert et Mauss. Là où il n'y a pas oblation, attribution à des êtres sacrés, il n'y a
pas de sacrifice (4). Les mêmes auteurs font remarquer que ce rite de Vintichiuma,
isolé jusqu'à présent, n'est peut-être pas essentiel au totémisme. Ils ont réussi à dé-
couvrir un véritable sacrifice totémique. mais oflert à d'autres dieux. Dès lors on
sort du thème strict du totémisme,
on doit supposer vraisemblablement que le
et

sacrifice emprunté à des peuples voisins.


d'apparence totémique a été

Ces explications étaient nécessaires pour comprendre et pour apprécier la théorie


de M. Reinaeh sur "le sacrifice du dieu. Elle ne lui appartient en propre qu'en tant
qu'elle prouverait le totémisme des Grecs. Oa l'a poliment traitée d'iugénieuse.
Mais cette épiîhète est équivoque. M. Reinaeh n'en veut plus ou ses explications :

sont « d'effroyables inepties ». ou ce sont « des découvertes d'un certain prix u. A


Tépithète « ingénieuses », il préfère celle de « stupides », à la condition qu'on l'ap-
puie solidement (5).

^i; Ce sont les tabous que M. van Gennep met à leur place, comme dérivés d'une idée reli-
gieuse, non comme instinctifs et primordiaux.
(2) Loc. taud., p. oo ss.
(3) Van Gennep. Mythes et légendes d'Australie, p. 120 et ss.
(4) Introduction à l'analyse d" qv.elqxi.es phénomènes religieux {Revue de Vhistoire des reli-
gio)is, t. LVIII (1908 , p. 163 ss. .

(5) Phaéton, Revue de l'histoire des religions, l. LVIII ^1908;, p. 8,.


134 REVUE BIBLIQUE.

M. Reinach ne s'interdit pas les qualifications pénibles d'absurdes, d'enragés, d'é-


nergumènes, envers ceux qui pensent autrement que lui, mais personne ne songera
à dire que son hypothèse est stupide. Le sourire de MM. Hubert et Mauss n'est

guère moins désobligeant, tout en demeurant amical, quand ils citent 1' « explica-
tion totémistique des mythes grecs, dont M. Reinach a le secret (I ».
Puisque l'épithète d'ingénieuses déplaît à M. Reinach. je dirai seulement que ses
combinaisons supposent beaucoup d'érudition, il est ici sur son terrain, mais — —
que le raisonnement n'y est pas à la même hauteur (2).

Quand la précision fait défaut dans les idées, elle ne saurait se trouver dans les
termes. En atténuant certaines couleurs, en renforçant les autres, ou obtient une
teinte grise qui s'applique à toutes les religions. Donnons quelques exemples.
Avant de concéder que la Bible enseigne, dès ses premières lignes, la création ex
nihilo on discuterait sans doute sur la valeur des termes, mais on ne trouve aucun
inconvénient à dire que la voix du Thot d'Hermopolis « avait fait sortir le monde
du néant ». Et naturellement on se souvient du Verbe Créateur, de la « parole fé-
conde du Dieu de la Bible » (p. 48).
« Les dieux babyloniens forment des groupes de trois dits triades, comme la

Trinité chrétienne qui n'est pas une invention des chrétiens » (p. 50). Le second
point est, en effet, établi par nos apologistes; mais quel rapport y a-t-il entre les
triades babyloniennes, —
d'ailleurs pas si nombreuses, et la Trinité chrétienne? —
Cela se dit peut-être encore dans des pamphlets de bas étage, mais les savants qui
se respectent ont renoncé depuis longtemps à comparer les triades à la Trinité mé-
taphysique du dieu Un.
L'auteur ajoute : « Chaque dieu a pour épouse une déesse, qui préside à la terre
comme il préside au ciel » [p. 50). Je crois reconnaître le texte cunéiforme dont on
a tiré cette conclusion, mais c'est par une pure subtilité contraire aux grandes
lignes de la religion babylonienne.
La question du shabbatum babylonien qui divis* encore les spécialistes est tranchée
avec beaucoup d'assurance (p. 55). Aliatu est la déesse, non « le dieu des enfers » ;

c'est ce qu'indique déjà la forme féminine (p. 52).

On nous dit (p. 57 : « Ce transfert des puissances célestes dans le ciel eut deux
conséquences ». On ne voit pas très bien les puissances célestes, les planètes et le

soleil, transportées dans le ciel. Où donc étaient-elles auparavant? La pensée de


l'auteur est-elle que les Babyloniens passèrent du culte totémique au culte astral?
Quand ce point sera fixé, nous discuterons les conséquences.
P. 60. — « Les Grecs crurent à tort que Baal était un nom générique et adop-
tèrent un dieu Bélos, identifié à Zeus ». — Mais non. le Bélos des Grecs est simple-
ment le Bêlu des Babyloniens.
P. 63. « Les temples phéniciens étaient petits et construits dans le style égyp-
tien». Nous ne connaissons de phénicien, ce me semble, que le temple d'Echmoun
à Saïda, découvert récemment par Macridy-Bey; il est plutôt considérable, et nul-
lement dans le style égyptien (RB., 1902, p. 487 ss.^
P. 64. — A propos de Kemosch, dieu de Mésa : « C'est un dieu unique » ; les Is-

(1) Loc.
laud... p. "3, n. 1.
(2) On
a du, faute d'espace, supprimer une partie de cette trop longue recension; elle sera
tirée à part intégralement telle qu'elle avait été composée pour la Revue biblique.
RECENSIONS. 135

raélites ne sont donc pas les seuls à adorer un dieu unique! Quelques lignes plus
loin : « Une compagne ou épouse de ce Remosch est mentionnée dans le même
texte » (!!!).
P. 98. — Nous sommes chez
les Perses « Qunnd le terme approche, le prêtre fait
:

réciter aumoribond une confession de pénitence, il verse le haôma dans sa bouche et


dans ses oreilles 1^ c'est une véritable extrême-onction et peut-être la source même
;

de ce rite chrétien ». —
Non, car le haôma est un gage de vie et de résurrection.
Cette cérémonie ressemblerait donc plutôt au saint viatique. M. Homais répondrait
que viatique ou extrême-onction, cela lui est égal, puisqu'il n'en use pas. Mais
M. Reinach n'en est assurément pas là dans un livre scientifique.

On voit si l'extrè ne-onction des chrétiens peut être sortie de ce rite si différent,

pratiqué actuellement par les Parsis, mais dont l'ancienneté est inconnue. Ailleurs
M. Reinach n'hésite pas à attribuer à l'extrème-onction une autre origine : « Les
nialades et lesmourants étaient frottés d'huile sainte, dans le dessein d'éloigner les
mauvais esprits » p. 368).
Les analogies entre le mithraïsme et le christianisme « peuvent se résumer ainsi :

Milhra est le médiateur entre Dieu et l'homme; il assure le salut des hommes par
un sacrifice; son culte comporte le baptême, la communion, des jeiines; ses fidèles
s'appellent frères; dans le clergé mithriaque, il y a des hommes et des femmes
voués au célibat; sa morale est impérative et identique à celle du christianisme »
,'p. 102 . A cela on peut répondre
Passe pour les jeûnes et la fraternité, traits com-
:

muns à Tout le reste est inexact. Mithra n'est nommé médiateur


tant de religions.
que dans Plutarque, oii il est médiateur entre le dieu du bien et le dieu du mal (2);
on ne sait rien du rapport direct du sacrifice du taureau avec le salut, et ce n'est
toujours pas Mithra qui est sacrifié comme Jésus; le baptême mithriaque est une
ablution comme tant d'autres; la communion mithriaque n'est qu'une offrande de
pain et d'eau, dont on ne peut pis même dire qu'ils représentent Mithra: les fem-
mes ne faisaient pas partie ordinairement des mystères mithriaques et ne pouvaient
donc y être vouées au célibat (3) quant aux hommes, on ne sait rien là-dessus que
;

par un texte de Tertulliea qui a été mal couipris (4j; toute morale est plus ou moins
impérative, et si celle de Milhra était identique à celle du christianisme, pourquoi
l'empereur Julien, fervent mithriaque, a-t-il recommandé aux païens d'imiier la mo-
rale des chrétiens?
Nous devions cependant aboutir au rite totémique du sacrifice du dieu : c La
conclusion qui s'impose (!), c'est que le christianisme et le mithraïsme ont pour
source commune, endu moins, une ou plusieurs de ces vieilles religions asia-
partie
tiques dont nous ne connaissons que les formes relativement modernes et qui avaient
pour caractères essentiels le sacrifice du dieu et la CMiinuinion » (p. 103,. On serait
bien aise d'avoir l'avis de M. Cumont sur l'immolation de Mithra. Mais quoi?
Mithra immole un taureau. Il faut donc qu'il ait commencé par être taureau lui-
même. Ainsi l'exige la loi du dédoublement et la fatalité du totémisme...
P. 114. « Une chapelle du palais de Gnossos contenait une croix équilatérale
en marbre, preuve du caractère religieux de ce symbole plus de quinze siècles avant
Jésus-Christ ». —
Admettons ce caractère religieux [ô)\ que veut-on dire? Les deux

(1) Darmsteter ne parle pas des oreilles {Le Zend Avesta, II, 14",. Dans le Manuel de Chante-
pie de la Saussai/e, ou Ut dans la bauctie ou dans • l'oreille » (p. 471}.
(-2) De Is. OsirI, 46.
(3) On ne counail jusqu'u présent qu'une lionne inilliriaque.
(4) De praescr., 40; voir d'Alés, Revue pratique d'Apologétique (fév. 1907); lire memini Mithrae
(5) RB., 19U7, p. o03.
136 REVUE BIBLIQUE.

cultes ont-ils le même même objet formel, coname diraient


sens, et en définitive le

très bien les scolastiques? Non. sans doute. Alors qu'importe si les chrétiens, véné-
rant la croix où est mort le Christ, lui ont donné des formes déjà usitées, réductions
du soleil, ou stylisation d'un grand oiseau? Les objets peuvent se ressembler, le
svmbole n'est pas le même. Les personnes peu réfléchies concluront du te.xte de
YOrpheus que les chrétiens pratiquent un rite crétois.

P. 151, à propos des Italiens et des R^omains. « La victime était ainsi divinisée,

assimilée au dieu par le rite préliminaire: c'était donc en réalité le dieu que l'on
sacrifiait », etc. Les exemples de sacrifices du dieu ne sont pas rares et les recherches
de M. Reinach en ont augmenté nombre. Ce qui est controversé, c'est l'origine
le

du rite. L'explication que fournit ici l'auteur est probablement meilleure que celle
qu'il tire ordinairement des totems, car on ne peut nommer un sacrifice l'immolation

d'un dieu qui n'est offerte à personne. On comprend mieux qu'on ait essayé de don-
ner à la victime le caractère le plus sacré, même le caractère divin, en l'offrant au
dieu.
P. 163. Que les peintures des cavernes préhistoriques aient une origine magique,
cela est possible.Mais on n'oserait donner comme très probable que les animaux
représentés aient été les totems des différents clans.
P. 232. « L'Inca régnant incarnait l'astre du jour; c'était le pape du royaume so-
laire ». — Simple impertinence sans conséquence.
P. 249. Dans quel sens nouveau est-il parlé du « judéo-christianisme de saint
Paul », l'adversaire, comme on sait, de ceux que tout le monde nomme des judéo-
chrétiens? De même, p. 364, saint Etienne est un judéo-chrétien.
P. 252. « Les traducteurs grecs ont fait des contresens sur les passages difficiles
du texte hébreu et saint Jérôme en a fait bien plus encore dans la Vulgate, dont le
beau style ne rachète pas l'infidélité, mais qui fut déclarée « authentique » par le
concile de Trente ». —
M. Reinach sait-il bien dans quel sens la Vulgate a été dé-
clarée authentique?
Et les exégètes les plus indépendants sont aujourd'hui d'accord pour reconnaître la

fidélité de la Vulgate. Les traducteurs grecs n'avaient pas partout le même texte, il

faut leur en tenir compte, mais, y a beaucoup moins de contresens


malgré tout, il

dans les parties de la Vulgate traduites par saint .Térôme que dans les traductions
grecques. C'est un lieu commun de l'exégèse.
P. 256. La seule découverte des sources dans le Pentateuque suffit à écarter la
théorie de l'inspiration « divine » du texte biblique. —
Cette affirmation prouve seu-
lement que l'auteur se fait de l'inspiration une idée très étroite qui ne nous est heu-
reusement pas imposée par l'Église. C'est dans le même sens que nous lisions déjà
que si le code mosaïque avait été dicté par Dieu à Moïse, « Dieu a urait plagié Ham-
murabi » (p. 49}. Dieu aurait simplement inspiré à Moïse de codifier des lois dont
quelques-unes dataient en substance du temps d'Hammurabi.
P. 261. Il est très vrai que le nom sacré du Dieu des Israélites est devenu tabou;
il était interdit de le prononcer (1). Mais ce tabou est de basse époque et ne peut
donc être expliqué comme le tabou des peuples dits primitifs. Le plus étrange est
qu'il pèse encore sur M. Reinach qui emploie volontiers « l'Éternel », comme les

Bibles protestantes, au lieu du tétragramme sacré.

(1) C'est par erreur que M. Reinach lit • dans la législation religieuse des Hébreux , donc
dans la Bible, l'interdiction sous peine de mort, de prononcer le nom sacré de l'Éternel (p. o).
11 a du s'attacher, à propos de Lev. 24, ll-iu. à la tradition rabbinique qui fondait à tort sur
ce i)assase la défense de prononcer le nom divin.
RECENSIONS. 37

P. i>67. " L'idée même de ralliance d'Israël avec Jahveh » est donnée eomme
une trace de totémisme. C'est raide. —
P. 300. « Le livre d'Esther vers 1.5<V est un conte édifiant... l'esprit général en
est matérialiste et grossier ». — Sans commentaire.
P. 241. « La ^civilisation occidentale est la fille de la Renaissance du wi'^ siècle,

qui retrouva et remit en honneur la sagesse des Grecs ». Puis, p. 2-5.5 : « On peut
dire que toutes les grandes idées de la civilisation moderne y sont en germe » ;

dans rhellénisaie.^ Non. dans la Bible! et notez bien (}ue par Bible on entend ici

l'Ancien Testament: naturellement!


Arrivé à l'histoire de l'Eglise, je perds courage. Je renonce à relever la révolte
cachée de saint François contre l'Église — songez donc, il ne voulut pas être or-
donné prêtre (p. 413)! l'attribution à saint Grégoire (p. 3-52) d'un texte qui se
trouve dans la Vulgate (Job. 13. T». Pierre de Capoue (p. 415) pour Raymond de
Capoue. etc., etc.

J'ai tenu à honneur de discuter jusqu'ici de mon mieux les positions d'un savant
comme M. Reinach. et je pense que le dédain à son égard témoignerait de plus d'im-
pertinence que de compétence, mais je m'arrête, parce que, quaud il s'agit de l'Eglise
catholique, visiblement il n'est plus de sang-froid. Il lui reproche le mensonge, la

cruauté et la cupidité, dans des termes qui manquent absolument de mesure.


En examinant les livres sacrés de l'Eirlise. il a « presque partout rencontré des
faux » Vous entendez assez que le public prendra cela à la lettre, tandis
p. 3.57).

que les gens instruits savent toutes les nuances que comporte l'emploi delà pseudo-
épigraphie, d'ailleurs assez rare dans l'Écriture. Et Tintolérance de l'Eglise la

rend responsable... des atrocités de la Terreur. Cela se lit à propos de l'exécution


de Michel Servet par Calvin. M. Reinach sait et dit même à l'occasion que les pro-
testants n'ont pas été moins intolérants que les catholiques, mais cette mentalité est

due à l'Église contre laquelle ils étaient révoltés, : '< Ce crime genevois doit être
jugé comme ceux de la Terreur; ce fut un fruit de l'éducation intolérante donnée
par l'Eglise romaine à l'Europe » (p. 466). Et voilà pourquoi tant de prêtres ont
subi le martyre pendant la Révolution!
Mais il est une imputation plus odieuse encore : c'est la cupidité dont M. Reinach
fait le mobile secret de toute la conduite de l'Église, même de ses jugements doc-
trinaux. Si M. Reinach a flétri d'une main souvent brutale l'idéal qui soutient tant
d'âmes dans la lutte pour le bien, c'est qu'iln'admet pas volontiers chez les autres
l'ascendant de cet idéal. Il soupçonne aisément des motifs bas et vulgaires. Vous
admirez l'Église qui a su tenir le juste milieu entre le mysticisme et le rationalisme :

H ce bon sens de l'Église ne fut, en somme, que l'entente de ses intérêts temporels »

(^p. 426 s.). Cela est écrit au lendemain du jour où l'Église de France tout entière
a sacrifié tous ses biens à un principe.
Ainsi l'attachement au dogme, ou si l'on veut à l'idée, l'enthousiasme de tant
d'ascètes et de docteurs, ou si l'on veut de rêveurs, vivant pauvrement et u'aspi-
rant qu'à la vérité, ou si l'on veut à la chimère, tout cela n'était que le souci du
petit commerce! Mais pourquoi nous fâcher? Ce fut encore la cause de la mort de
Socrate. Les prêtres vivaient des sacrifices, les paysans de l'Attique de la vente de
leurs bestiaux aux temples. On craignit que l'incrédulité de Socrate n'arrêtât cette
138 REVUE BIBLIQUE.

industrie. « Socrate fut une victime des prêtres « d affaires m et de ceux qu'on appelle
aujourd'hui les arjrariens » (p. 134) (l).
Il est plaisant de représenter renseignement de Socrate coma^e si dangereux
pour l'idolâtrie. Les marchands de poulets durent se rassurer quand le philosophe
mourant offrit un coq à Esculape. L'étrange opinion de M. Reinach ne s'explique
que par l'obsession des « prêtres d'affaires ».

Qu'il soit permis de ie dire franchement : M. Reinach n'a pas compris l'ÉgUse ni

le catholicisme, à cause de son rationalisme, et peut-être aussi à cause de son ra-


tionalisme spécial.
A propos de ces Athéniens du v siècle qui ont attaqué la religion de front au
nom de la critique. M. Wendland écrivait « Dans tous les temps il y a eu
naguère :

des hommes chez lesquels la culture trop purement intellectuelle et l'esprit critique
ont étouffé la capacité du sentiment religieux; la religion leur apparaît comme un
produit si étrange et si superflu, qu'ils prennent ce qui leur manque pour une
situation originelle et normale, et ils croient devoir se représenter la genèse de la

religion comme une invention humaine, son développement et sa diffusion comme


une évolution mécanique » (2).

Le type de ces esprits dans le monde moderne, c'est Voltaire. Son tort, même
aux yeux de M. Reinach. a été de chercher dans son propre esprit, si fertile en
ressources, l'explication des faits religieux : la fourberie des prêtres y avait sa bonne
part. Évidemment iM. Reinach n'en est pas là. De nos jours, un travail considérable,

et poursuivi d'après des méthodes chaque jour plus rigoureuses, a prouvé à quel
point le sentiment religieux était universel et profond. On ne saurait plus lui assi-
gner des causes Cependant M. Reinach méconnaît gravement l'intensité
artificielles.

de ce sentiment lorsqu'il s'imagine le remplacer par les consolations de la pensée


émancipée. Le mysticisme lui est odieux, et il entend par là non seulement les éga-
rements d'un faux mysticisme, mais tout élan de l'âme pour s'uuir à Dieu. Qu'il le
veuille ou non, il reprend l'œuvre de Voltaire, tout en préférant au « rationalisme »
démodé la « raison laïque », et quoiqu'il affecte, pour sauver les apparences, de
nommer « laïcisation » ce que Guyau nommait plus franchement par son nom l'ir- :

réligion de l'avenir.
J'ai ajouté rationalisme de M. Reinach n'est pas un pur rationalisme. Il est
que le

moins moins bouffon


spirituel etétant mieux informé —
que celui de Voltaire, —
il n'a pas la sérénité de celui de Socrate, ni le charme de son Apologie, le bréviaire

des libres penseurs (3); et Socrate n'a-t-il pas compris la nécessité du sentiment
religieux qui reprend une place prépondérante dans la philosophie de Platon? Ce
n'est pas même seulement le rationalisme impétueux d'un Xéuophane, animé de
tout l'eutrain de la raison grecque naissante.
Je crains qu'il n'y entre de la rancune.
Il est très facile de s'apercevoir que, d'après M. Reinach. l'Église catholique est
un fléau pour le monde, et c'est pour cela qu'il la hait. Cette disposition n'exclut pas

(l) Je n'ai pas à justiûer ici les accusateurs de Socrate. On peut dire, à leur décharge, qu'ils
ont vu dans les innovations de Socrate la cause des mallieuis d'Aihènes et d'ailleurs le parti
démocratique gardait l'aucune a celui qui avait été l'ami d'Alcibiade et de Ciitias. Plus loin,
VOrpheiis déplore, a propos de la cause sacrée de Dreyfus, de lamentables faiblesses dans le
monde lettre « le Trissotin de la lin du siècle abdiquait sou droit de juger pour des truffes »
:

(p. oJJ). Trissotin saura sans doute se défendre...


(-2) Die liellenistiscli rômisclie Kultur, in iliren Beziehungen zu Judentum und Christentum, 1907

(p. 57 s.).

(3) Le mot est de M. Gomperz.


RECENSIONS. 139

la probité scientifique: Jésus disait que les persécuteurs de ses disciples s'imagine-
raient en cela rendre hommage à Dieu (1}. Mais elle suppose de la passion, et la
passion aveuijle.
Nous l'avons déjà constaté : M. Reinach a quelques mots louangeurs pour le chris-

tianisme, mais il est clair qu"il lui préfère la religion des Juifs. D'après lui, le rôle
personnel de Jésus est indiscernable: le dogme chrétieu n'est qu'une superfetation
irrationnelle de l'idée de l'uQité divine (2;; la morale de l'Evangile, a la]uelle les
adversaires de l'Église eux-mêmes rendent hommage, n'est que la morale juive
débarrassée de scolastique (3). — Il y a plus : c'est surtout après le triomphe du
christianisme qu'on a vu les calamités et les ravages produits dans le monde par
l'esckisivisme religieux (p. 256 .

L'intolérance dont se plaint M. Reinach n'est-elle pas celle dont les Juifs ont eu
à souflfrir. y compris M. Alfred Dreyfus dont les procès tiennent dans VOrpheus une
place si disproportionnée?
Et en effft, dans l'histoire de l'Église, M. Reinach n'a guère vu que l'intolérance,
qu'il n'a même pas cherché sérieusement à compreudre. Cela du moins est le de-
voir de l'historien. A cette intolérance, il oppose cùDstammeot la largeur d'idées du
paganisme, de sorte que le lecteur doit se demander, en présence de cette énigme,
quel mauvais démon s'est emparé de l'Église romaine pour la pousser dans les voies
que la sagesse antique avait évitées.
Il fallait dire, du moins, que si les religions païennes ont été généralement ac-
cueillantes les unes pour les autres, c'est qu'aucune d'elles n'était bien sûre de son
affaire. Les dieux des cités étaient intolérants aussitôt que leur domaine était incon-
testé. si les procès pour impiété ont été rares dans les cités antiques, c'est qu'au-
Et
cun citoyen ne prenait sur soi de leur refuser le culte. On pouvait eu parler libre-
ment, parce qu'on se rendait compte des absurdités du mythe, et on éprouvait quand
même une certaine crainte révérentielle des divinités des autres. Lorsque les cités
eurent fusionné dans l'Empire romain, les dieux aussi fusionnèrent: il n'y avait
aucune raison de refuser ses horamsges à Isis, quand il était constant qu'elle était
laDéméter des Égyptiens, sans parler de la possibilité toujours ouverte de nouvelles
révélations. Ceux qui croient à la multiplicité des dieux n'en sont pas à compter
pour quelques-uns de plus. Mais quand le paganisme s'est cru menacé tout entier
par le christianisme, il s'est défendu par la plus atroce intolérance. Quant à l'Église,
si elle s'est montrée sévère, quelquefois dure, dans la répression de l'hérésie, ce
n'est pas pour éviter la diminution de ses revenus, comme l'afûrme si gentiment
M. Reinach yi-j de l'Eglise du moyen âge, c'est parce qu'elle se croyait seule en pos-
session de la vérité, et de la vérité nécessaire au salut éternel de ses enfants.
Au lieu de ce fait très clair. M. Reinach n'a vu que la plus ignoble des intolé-
rances, celle qui suppose l'avarice et l'hypocrisie, qui conduit au meurtre juridique
pour avoir l'argent. Quand oa a achevé la lecture de ces pages, si on les a lues en
lecteur mal averti, on ferme le livre en s'écriant avec Lucrèce : Tanlum religio
potuit suadere malorum! [l, 101). La religion, la religion catholique, s'entend, et
l'Eglise, voilà la grande criminelle!
Nous po ;rrions discuter bien des faits, combattre des appréciations mal déduites ;

1, Jo. 16. -2.

Le grand titre d'honneur des Juifs est d'avoir « maintenu l'idée de l'unité divine et refusé
[-2}

d'admettre le Credo irrationnel de Nicée » [p. 303;.


(3) Y compris la polygamie et la répudiation?
(4; «Je délie qu'on irou\e uue seule opinion persécutée par l'Église du moyen âge, dont l'a-
doption n'aurait eu pour conséquence une diminution de ses revenus » CP- '418;.
140 REVUE BIBLIQUE.

à quoi bon? Et quand il connu quelques scandales de plus,


serait vrai que l'Église a

que des hommes montré plus de férocité ou de cupi-


qui se disaient chrétiens ont

dité, est-ce là une histoire de ce qu'a opéré la religion de Jésus, ou un réquisitoire


contre les hommes qui l'ont mal comprise et mal pratiquée? Il fallait tenir plus de
compte de tant d'actes de vertu et d'héroïsme, voir le secours donné à ceux qui es-
savent de réaliser en eux une vie plus honnête, plus pure, plus désintéressée, qui
luttent contre ces instincts du mal si puissants qu'on les a divinisés, éprouver une
sympathie fraternelle pour tant de nobles caractères qui ont puisé leurs inspirations
dans leur foi, et surtout comprendre cet effort généreux de charité qui a répondu dans
le monde à la charité de Dieu. Mais quand l'auteur rend hommages aux Filles de la

Charité, c'est encore pour décocher un trait à la tiare, et les saints ne sont ordinai-
rement que des images grotesques, saint François, un sournois, puisqu'il était en
la bienheureuse Marguerite- Marie, une « folle », sainte
révolte cachée contre l'Église,
Thérèse, une démente (1), au-dessous par conséquent des « imbéciles » de Bénarès.
Et c'est ainsi que toutes les religions sont naturelles, et, quoi qu'il en soit du
passé, également néfastes aujourd'hui, l'Église comme les autres, l'Église surtout.

Et c'est aussi en cela que consiste l'injustice essentielle du livre. Je ne repro-


cherai point à M. Reinach d'avoir passé sous silence les turpitudes du paganisme. Il

y a aujourd'hui assez de pornographie, pour l'émancipation de la pensée. C'est pré-


cisément l'honneur du christianisme qu'on ne puisse plus décrire ces choses, et l'on
s'étonne que M. Reinach songe à le faire « pour les mamans » (p. x). Oh! nos —
mères chrétiennes! — Pourtant si l'on prétend mettre en présence, en prenant le
public pour juge, les païens et les chrétiens dans une sorte de diptyque, il n'est point
juste de voiler les hontes des uns et d'accentuer les torts des autres. Encore de
cette façon, la question serait mal posée. Ce sont les religions qu'il faut comparer.
De l'histoire il résulte que les païens de l'Empire valaient pour la plupart mieux
que leurs religions, —
je ne crois pas que M. Reinach conteste ce point, tandis —
que le christianisme est une religion si haute qu'il ne peut que rarement entraîner
les hommes vers ses souimets. Si l'on peut lui faire un reproche, c'est de demander
trop de vertus, et le miracle est que, dans ces conditions, il ait triomphé de reli-

gions si indulgentes au vice, quand elles n'y provoquaient pas.


On pourrait ainsi comparer les religions en elles-mêmes et reconnaître dans l'his-
toire ce qui est vraiment le fruit des religions, non le résultat d'un esprit reli-
gieux dévoyé. On verrait l'Église parfois trop portée à s'appuyer sur un bras de
chair, trop docile à l'ascendant du droit romain, resté dur et devenu plus terrible
dans des mains barbares, souvent impuissante à réagir contre les passions, les
préjugés, la sauvagerie qui se réveille soudain au cœur de l'homme. Mais on la

verrait aussi rendre les mœurs plus douces, les lois plus humaines, diriger l'hu-
manité vers l'idéal de perfection que Jésus lui a montré, la perfection même du Père.
Au lieu de cela, nous ne trouvons comme conclusion de VOrpheus qu'une Eglise
catholique rétrogradée au niveau de l'animisme des sauvages (2). Décidément le

point ascendant des religions était bien le judaïsme. Tout cela peut être dit de
très bonne foi, mais cette antipathie doit avoir une cause comme cette tendresse.
M. Reinach fera sagement de se défier des survivances d'un passé déjà lointain
qui sommeillent en lui.
Pourtant je ne veux pas quitter VOrpheus sans en dire du bien. Cet hommage ne

(1) Cultes, etc., lU, p. 499.


(2) p. 34.
RECENSIONS. 141

sera pas la rançon de tant de critiques et une manière perfide de les accréditer. C'est
très sincèrement que je rends justice à l'accent humanitaire du livre; j'exècre
comme l'auteur les meurtres jiu'idiques des sorcières, et tant d'autres crimes, d'au-
tant plus odieux qu'ils étaient commis au nom d'une religiou de paix, mais je réserve
une partie de ma compassion pour les pauvres filles dont on a brisé le bonheur
innocent en les chassant de leurs cloîtres. Je note d'ailleurs que si l'Eglise a jugé à
propos de réduire certains hérétiques par la force, elle na jamais admis qu'on im-
posât la foi aux infidèles, comme l'ont fait régulièrement les Asmonéeus, qui ne
donnaient aux vaincus que le choix entre la circoncision et la mort.
L'intention de l'auteur était de parler du dogme catholique avec exactitude. La
polémique contre ce dogme est descendue si bas qu'il faut le louer d'avoir su ce que
c'est que l'immaculée Conception et aussi l'Infaillibilité du Pape, quoiqu'il ait conclu
à tort qu'Honorius l'avait ruinée d'avance. Il a moins bien compris l'objet formel du
culte du Sacré-Cœur.
11 y a dans le livre beaucoup de bonnes choses. Les pages sur l'islamisme sont
excellentes, et devront être citées aux demi-savants qui opposent encore les lumières
de ilslam aux ténèbres du moyen âge. Les religions de l'Inde sont jugées comme
il convient, sans que l'auteur ait été assez frappé de l'incapacité des bouddhistes et
des hindouistes à préserver leur religion d'une décadence dégradante.
Ce n'est pas seulement sur les religions que s'exerce la sévérité de l'auteur. Voltaire
lui-même est quelquefois repris, et la bibliographie est parfois conçue dans un esprit
très large. Quant à l'érudition, elle est. comme on sait, extraordinairemeut étendue.
Le chapitre sur la Gaule est peut-être, à ce point de vue, le plus neuf et le meilleur
du livre.
Citons aussi quelques formules bien frappées « Le sauvage libre de Rousseau
:

n'est pas un vrai sauvage; c'est un philosophe qui s'est mis tout nu » p. 31). De la
Grèce : « Après avoir prêté une pensée à tous les corps, elle prêta un corps à toutes

les pensées » (p. 118), etc.


On pourrait encore relever beaucoup de bons endroits; ni les éloges ni les cri-
tiques n'ont la prétention d'épuiser le sujet.
A tout prendre, si songe au talent de l'auteur, à ses connaissances, à son
l'on
autorité scientifique, à sa situation, on ne saurait dire que VOrpheus ajoute à sa
gloire, ni qu'il suit un service rendu au public. La méthode, qui est trop souvent l'a
peu près, a pour conséquence nécessaire la confusion. Insuffisamment scientifique
par l'abus des conjectures et des rapprochements hasardeux, VOrpheus a encore
moins le ton tranquille de la science. C'est une œuvre de combat. Si elle n'est pas

engendrée par vengeance, elle respire du moins le mépris des seules institutions qui
aient travaillé elficacement jusqu'ici à rendre l'humanité meilleure. Après la lecture
du livre, la haine et le mépris germeront dans les âmes. Est-ce dans un pareil ensei-
gnement qu'il faut chercher le salut de l'humanité pensante et les consolations du
règne de la raison, ou simplement un peu de cette paix dont la France a tant besoin î'

Jérusalem.
Fr. M. J. Lagh.^nge.
BULLETIN

Questions générales. — Le Dictionnaire apologétique de la foi catholique de


M. l'abbé Jaiiiiiey n'a pas été sans utilité. Mais il était plus aisé d'en faire un autre
que de le CDmpléter et de le corriger, et c'est bien ce qu'a compris M. d'Alès. La
différence entre la troisième édition et ce qu'on nomme la quatrième (1) fera éclater
aux yeux les plus prévenus le progrès incontestable des études ecclésiastiques depuis
trente ans. L'information est plus sûre, le ton plus serein; on a un sentiment plus
juste de ce qu'il Ce sont surtout les qualités de l'excellent article
faut défendre.
du R. P. Condamin sur Babylone et la Bible, qui constitue un véritable petit traité.
On lira encore, relativement à la Bible, Canon catholique des Saintes Écritures, par
M. Mangenot, et Cantique des Cantiques, par le R. P. Joiion.

Depuis qu'on a constaté en Allemagne l'intérêt d'éclairer les textes bibliques par
des parallèles empruntés aux littératures orientales et d'éclairer les textes eux-
mêmes par l'archéologie, les manuels se multiplient. Celui que M. le prof. H. Gress-
mann vient de publier sous titre Vieux textes et images d'Orient pour l'Ancien
le

Testament [2) a sur la plupart des autres un double avantage le dernier en date, :

il peut mettre à profil les informations acquises par les plus récentes recherches; à
la fois littéraire et archéologique, il réunit l'utilité des manuels séparés. Sa méthode
très judicieuse consiste à disposition des travailleurs une
placer simplement à la

documentation choisie, contrôlée avec diligence, en s'abstenant de toute déduc-


tion purs matériaux, mais matériaux de bon aloi, que chacun mettra en œuvre
:

à sa guise. Le volume de Textes vise exactement le même but que réalisait naguère
le Choix de textes du P. Dhorme; toutefois, aux documents assyro-babyloniens on

a joint des textes égyptiens et quelques textes nord-sémitiques (3). Les noms de
-M.Ungnad —
pour les textes cunéiformes et nord-sémitiques — et de M. H.
Ranke —
pour la littérature égyptienne — garantissent le soin apporté à la
collation des textes présentés. Le volume d'Lnages est l'œuvre spéciale de M. Gress-
manu qui a réuni là dedans 274 documents, en bonnes reproductions pour la

plupart, et accompagnés d'une brève description qui les rend plus facilement intel-
ligibles. Il les a choisis avec tact et classés fort méthodiquement. Quelques-uns ont
figuré mainte fois analogues; la plupart néanmoins sont
déjà en des collections
empruntés aux fécondes explorations contemporaines. On peut n'être guère enthou-

(1) Chez Beaucliesne, l'aris. Fascicules I et 11.


{^) zum Allen Teslament: xvi:2o3 et mi-J40 pp. gr. in-8°.
AUorienlalische Texte und Bilder
avec 274 Tubingue; Molir-Sielieck; 1909.
fig.

(3; Quelques-uns de ceux que le P. Lagrange a groupés à la On de ses Études sur les religions
sémitiques, ou de plus récemment trouvés comme les papyrus d'Eléplianiine et la sièle de
Zakir, tous documents connus de nos lecteurs.
BULLETIN. 143

siaste de ces compilations, dont le principal écueil est d'isoler chaque document du
contexte archéologique d'où dépend souvent sa vraie valeur, ou d'admettre d'emblée
dans une série bien déOnie —
lieux de culte, (njblcmes divins, ou quoi que ce soit
d'analogue — des pièces sujettes à controverse au poitt de vue du sens à leur

attribuer (i;, quand ce n>i-t pas la pièce elie-iiifme qui e^t d'autl.tniicité problé-
matique (2). 11 n'est que juste d'ajcuter que le répertoire de M. Gressœann. par la
richesse et l'élégance de sa documentaiior, la réserve et la précision dfs notes
descriptives, est actuellement le meilleur ouvrage du genre et sera un très utile
instrument de travail.

Nouveau Testament. — Voici venir d'Espagne un ouvrage considérable sur


l'Archéologie gréco-latine serva7it à expliquer l'Éiangile (3). L'auteur, RJ. le Cha-
noine D. Ramiro Fernàndez Valbuena, est déjà honorablement connu par son ou-
vrage Egiptû y Asiria resuscitados. Depuis de longues années il travaille à prému-
nir le jeune clergé espagnol contre des innovations téméraires, mais il y travaille de
la banne façon, en l'initiant à l'histoire. Dès la préface il rappelle que Léon XIII
approuva con entusiasrao y con el mâs vivo interés » la fondation de l'école
«

biblique de Jérusalem, et il s'autorise des paroles si encourageantes de Pie au X


regretté Ms'' le Camus pour inculquer à ses disciples la nécessité de la critique et
les conditions d'un véritable progrès (4\ Tout l'ouvrage respire, cela va sans dire, la
foi la plus ardente, mais aussi un sentiment averti des besoins présents. Le chanoine
Valbuena a beaucoup d'ouvrages hétérodoxes français, allemands et anglais. Il
lu
les analyse avec précision:il en expose les arguments avec droiture et les attaque

par des raisons, non par des uns de non-recevoir plus ou moins spirituelles.
11 est fâcheux que l'auteur n'ait pas dessiné lui-même son plan. Peut-être appa-

raîtra-t-il plus clairement quand l'ouvrage sera terminé. Pour le moment on ne

saisit pas très bien la liaison parties; on constate que le con-


entre les différentes

tenu dépasse beaucoup un sommaire général. Livre P''


le titre. Voici Prélimi- :

naires, comprenant trois chapitres, qui sont une véritable introduction aux Evan-
giles Raison de ce livre et état de la question, Origiue et formation du Canon
:

du X. T., Origine et formation des quatre évangiles question synoptique, évangile


de saint Jean). Livre II: L'Évangile en action, avec cinq chapitres. Idée générale des
catacombes. Testament dans les catacombes, Le Xouveau Testament
L'Ancien
(symboles, les le Canon du X. T.), Interprétation allégorique des
principaux thèmes,
Ecritures, Enseignement archéologique des catacombes. Livre III Archéologie du :

langage, quatre chapitres Importance de cette étude, Quel idiome parlèrent


:

Jésus et ses Apôtres, DilTéreuts modes de s'exprimer en grec et en hébreu, Le style


du X. T. démontre son authenticité. Livre IV : Archéologie des éf angiles^ sous deux

,1,1 Pourquoi, par exemple, avoir bloqué dans la rubrique initiale « pierres à cupules • les
cupules creusées sur un linteau de porte à kli. Marmlia. sur un rocher à Megiddo. sur la caverne
sacrée de Gézer. dans une niche à Pétra et sur le sol du Haram à Jérusalem'.' Tout cela n'a
qu'une médiocre analogie et se répartit sur une immense série de siècles depuis l'ère néoli-
thique Gézer; jusqu'aux derniers siècles avant notre ère (Pétra et Jérusalem sinon même ,

jus((u'aux temps chrétiens, comme on peut le croire pour ces cupules du Haram creusées après
les dernières coupures dans le roc à l'angle nord-ouest de l'esplanade.
2; Telle la galette de plâtre démesurée lig. :209 — —
au centi-e de laquelle s'étale l'empreinte
de ce laaieus sceau d'Elisaïu'a qui passait naguère pour une représentation de lahvé (cf. RB.,
1909, pp. 1-21 ss.\ Du moins M. G. a eu la prudence de ne pas souiller mot de ce lahvé de
contrebande. Il eût bien l'ait de mettre le sceau lui-même en quarantaine.
,3; La Arqueologia greco-latina ilustrando el evangelio, V'olumen I. ia-8° de x-610 pp.
Toledo, 19J9.
l'u Les paroles du Pape Xihil timendum esse divinis lib7-is vera progressione ariis criticae
: :

quin commodum ex hac subinde eis lumea mti posse, sont imprimées en petites capitales.
U4 REVUE BIBLIQUE.

chapitres : Coup d'œil général sur l'archéologie des évangiles, Le recensement de


Quirinius.
A des matières, on se demande si les sujets ne sont pas juxtaposés
lire cette table

plutôt quecombinés pour former un tout organique. Du moins les questions ne sont
pas abordées à la légère, puisque le seul recensement de Quirinius absorbe à lui seul
près de soixante pages. C'est beaucoup, mais on regrette encore davantage que
Tauteur en ait consacré neuf à prouver que Jésus n"a pas prêché en latin, et qu'il

se soit étendu si longuement sur le système de Resch, beaucoup moins répandu en


Allemagne qu'il ne paraît le supposer.
La position prise par M. Valbuena dans la question synoptique caractérise bien sa
méthode. Tout en faisant une part à l'hypothèse de la tradition orale, il la juge tout
à fait insuflisante pour expliquer la ressemblance des synoptiques entre eux. Des
évangiles canoniques tels que nous les possédons, "Marc est le plus ancien. L'évan-
gile de saint Matthieu, par rapport à sou prototype araméen, est plus qu'une simple
traduption. > c'est une composition d'ime allure libre par rapport à son original » (1);

11 dépend en partie de Marc. Luc beaucoup de ]\Iarc, et moins de saint


s'est servi

Matthieu. De plus, M. Valbuena, tranchant une question fort délicate, opine que
notre Marc n'admet pas. et avec raison, de Proto Marc) a pris ce qui lui a con-
i^il

venu dans l'évangile de Lévi, comme il nomme le prototype du Matthieu canonique.


On voit eu somme que l'auteur ne fait nulle difficulté d'embrasser un système
critique et de se séparer de ce qu'il nomme l'immense majorité des auteurs catho-
liques.
On peut dire qu'avec les ouvrages du chanoine Valbuena l'Kspagne fait son entrée
dans les études d'exégèse critique. On peut tout espérer de l'admirable sens théolo-
gique et de la lojauté du clergé espagnol, quand une fois il sera informé des faits.

M. Edwin A. .\bbott prépare un livre qui sera intitulé « r.,e Fils de l'homme » et

sera destiné au monde savant. Il le fait précéder d'un ouvrage adressé au grand
public : » le Message du Fils de l'Homme » (2), qui contient les conclusions du volume
attendu et les justifie d'une façon plus sommaire. Autant qu'on peut saisir dès main-
tenant la pensée de M. Abbott, entend réagir contre ceux qui entendent Fils de
il

l'homme comme un titre messianique emprunté à Daniel, Encore moins est-il dis-
posé à reconnaître rinfiuencedu livre d'Hénoch. Les exemples de l'Évangile oîi Jésus
prend ce titre sont bien plutôt en harmonie avec l'usage de l'A. T., de sorte qu'en
somme Fils de lliomme signifie « l'homme tel qu'il doit être par rapport à Dieu, et
la divinité de l'homme inséparable de l'humanité de Dieu » (p. xixj. Ou conviendra
que ce n'est pas très clair. Ailleurs on nous dit que le Christ a réuni dans sa per-
sonne l'humanité de Dieu et la divinité de l'homme. Même énigme. Aussi ne sait-on
que penser lorsqu'on lit que Jésus, Fils de l'homme, est aussi Fils de Dieu. Et quand
M. Abbott ajoute qu'en pratique nous devons aimer l'homme avant d'aimer Dieu,
entend-il que l'humanité de .Tésus doit nous conduire à l'amour du Père, ce qui
serait fort bien, ou quelque autre chose? Mais apparemment il serait superflu de
ramener à nos formules dogmatiques des concepts aussi flottants.

C'est au contraire en se plaçant complètement sur le terrain de la tradition catho-


lique que M. de Skibniewski a abordé la même question du Fils de l'homme, dans

(I) Termes empruntés àHB., 1896, p. 26 ei :27. approuvés par M. Valbuena, p. l~-2.
,2) The Message of the Son of Mun, l>v Eilwin A. .\blioU, in S" de xxii-ltW pp. Londres, Black,
1909.
BULLETIN. 143

un sens tout opposé à celui de M. Tillmann ;i). Ici même 2 on a fait des réserves
sur le caractère trop unilatéral de la tiiese de M. Tillmann, mais nous ne pouvons
admettre le procédé de M. de Skibniewski qui ramené tout à deux camps, catho-
liques et protestants, pour confondre plus sûrement son adversaire. La thèse prin-
cipale du petit opuscule est celle-ci Seosus hieralis proprius graecae designalionis :

Domini ô j'o; toj dv6pcj-oj » est, se esse verum et genuinum homioem nec natura
'

nec forma ab aliis distinctum, —


comme si, la nature divine du Christ étant déjà
reconnue, il ne lui restait plus qu'à affirmer sa nature humaine dacs ces termes
scolastiques !

Et d'une autre façon encore le R. P. Mariano Sardi, O. P.. reconnaît au titre a Fils

de l'homme » une signiScation très vague %. tantôt dans le sens de Messie, tantôt
pour dire « je ». tantôt pour marquer la nature humaine, et, plutôt que de choisir,
il préfère supposer que Jésus a laissé au mot toute son ampleur pom' lui donner
un sens différent selon les circonstances.

Nous signalions naguère i4, une étude très soignée de M. Max Meinertz catho-
lique) sur Jésus et l'apostolat des païens. M. Spitta protestant; vient de traiter le
même sujet '5 . et, rendant hommage à la façon dont M. Meinertz en a traité la
'( littérature '.-, il s'est dispensé de reproduire un travail si bien fait pour aborder la

question sans autre préambule. La position de M. Spitta paraîtra assez nouvelle.


Disons dès maintenant qu'il se refuse à penser que Jésus ait confiné son apostolat
dans l'étroit horizon d"I;raël, et ce résultat est d'autant plus étonnant qu'il opère
avec les textes beaucoup plus libremf-nt que M. Meinertz. Il commence en effet par
éliminer un grand nombre de traits qui prouvent l'universalité de la pensée de Jésus,
parce que ces traits auraient été ajoutés à l'Evangile comme rexpression d'idées
plus récentes. A vrai dire ce sont surtout les deux premiers synoptiques qui auraient
pris celte physionomie; le troisième a conservé une couleur plus ancienne.
Mais cette exécution qui tranche dans le vif laisse encore voir clairement la pra-
tique de Jésus avec les païens. C'est un point solide, sur lequel M. Spitta s'appuie
contre M. Harnack. Jésus a eu des rapports avec les pa'iens, il a pensé à eux, à
les faire entrer dans le royaume de Dieu, il y a travaillé lui-même. Quand on oppose
comme objection décisivt^ l'épisode de la Canméenne, on oublie que Texclusion des
Gentils n'y apparaît que dans le te.\te de Matthieu, moins près des faits que celui
de Marc.
Or voici le plus piquant. Tandis que M. Meinertz admet que Jésus n'a donné
qu'après sa résurrection l'ordre a ses disciples de prêcher à toutes les nations,
M. Spitta suppose que cet ordre est antérieur. On voit que le protestant est à la

fois moins conservateur comme critique et plus affirmatif que le catholique sur la

position prise par Jésus durant sa vie mortelle relativement à l'apostolat des Gen-
tils. L'amour du Cœur de Jésus pour les âmes des pauvres païens est le ressort
secret du zèle des missionnaires. Il peut être consolant pour eux de savoir qu'une
critique très indépendante constate comme indiscutable ce dont ils n'ont jamais
d'jute.

1 De Nw" '^1 Filio Hominis, dissertationem isagf^gicam scripsit Steplianus Léo de Skibniewski
Sacerdos. S. Theologiae et Ss. Catioaum doetor, in-lG de "6 pp., avec l'imprimatur de l'Ordinaire
devienne. Imprimerie des Méchilaristes.
(2) RB.. 1!!09, p. &46 s.

(3; Estrait de la Rivista Slorico-crilica delîe scienze teologiche, Fascicolo I. — Anno V (1909).
4; RB., 1909, p. aïO.
Jésus und die Heidenmissiûn, von Friedrich Spitta, in-8' de
(.5) viii liC pp. Alfred Tôpelmann,
Giessen, 1909.
ilEVlE BlBLIi^UE 1910. — >'. S.. T. VU. 10
146 REVIE BIBLIQUE.

M. l'abbé Ferré a eu l'heureuse idée de faire lire TÉvangile le plus possible tel qu'il
est, en mêlant cependant quelques commentaires (1;. Avant vécu en Terre sainte,
}•

il a pu jeter çà et là quelques traits qui mettent le lecteur en contact avec la nature,


les personnes et les lieux: mais il faut surtout le féliciter d'avoir rendu l'Évangile
intelligible à tous.

Faire revivre sous les yeux des ûdèles l'adorable figure de Jésus, nourrir les

âmes de la doctrine féconde du Divin Maître, n'est-ce point le besoin le plus urgent
de notre temps.' C'est la tâche entreprise par M. l'abbé Dard et en partie déjà réa-
lisée par deux charmants volumes : I, Jésus; lectures évangéliques pour l'Avent et le

temps de Noèl : Epiphanie: lectures évangéliques pour le temps de rÉpip'm7iie{2).


II.

Pour que l'Evangile soit lu avec goût et profit, il est nécessaire qu'il soit présenté
avec intérêt et rendu lucide par des explications bien informées. En homme familier
avec les études scripturaires, et aussi en homme averti, par un ministère actif, des
exigences des âmes, M. Dard fait une trame judicieuse des récits évangéliques, les
traduit avec une élégante précision et les commente avec sobriété, surtout avec une
doctrine solide et sûre. Une connaissance directe des sites évangéliques lui fournit
un heureux coloris dans l'esquisse qu'il trace de chaque scène. Personnellement au
courant des problèmes soulevés par la critique, il sacrifie à l'utilité pratique du
grand public auquel il s'adresse tout vain apparat d'érudition; mais parce que d'im-
prudentes publications ont vulgarisé des objections et des doutes néfastes, il les

relève discrètement aussi souvent qu'il y a lieu. Les fidèles sauront gré à M. Dard
d'avoir exclusivement consacré à leur être agréables et utiles les trésors de son zèle
servi par une science puisée aux bonnes sources.

L'Explication des épîtres catholiques par M. Van Steenkiste a rendu de bons et


loyaux services. Elle avait cependant besoin d'être mise à jour: c'est ce qu'a fait

M. Camerh'nck dès la quatrième édition. Mais il n'était pas moins urgent de la com-
pléter, et c'est ce que le même professeur au séminaire de Bruges vient de réaliser
avec un entier succès (3). L'ouvrage demeure proportionné à l'utilité des étudiants
en théologie auquel il faut un commentaire de la Vulgate clair et substantiel. INIais
il donne en même temps satisfaction à ceux qui désirent pénétrer plus avant dans
les questions, en fournissant les indications nécessaires. Certaines notes, toutes en
notations de passages, peuvent servir de matière à un travail de plusieurs heures.
Quelques traits marqueront les positions prises par l'auteur.
L'auteur de l'épître de saint Jacques est Jacques, dit le frère du Seigneur. Est-ce
le même que l'apôtre. Jacques, fils d'Alphée? Cela est plus probable sans être
certain. En XIV) ne tranche pas la question
tout cas le concile de Trente (Session
en disant « per Jacobum autem apostolum ac Domini fratrem », car le concile a
supposé l'identité sans la définir, selon l'usage de l'église latine (p. 15, note 2). Les
frères de Jésus ne sont pas ses frères utérins, cela est certain, non seulement d'après
la théologie, mais aussi d'après la critique. Mais on ne peut donner une explication
certainedu degré de parenté. L'épître a été écrite plus probablement vers l'an 47.
Loin que Jacques ait lu l'épître aux Romains, c'est plutôt Paul qui semble avoir lu
la lettre de Jacques (4).

(1) Le Rédempteur, iii-12 de 411 pp. Paris, librairie Saint- Joseph.


(2) II1-1-2 de s-2-0 et 11-260 pp. Paris: Gabalda; 1909.
(3) Commealarias in epistolas catholicas, editio quinta. deauo emendata et notahiliter
adaucta, opéra A. Cainerlynriv: in-8^ de -296 pp. Brugis. Beyaert. 1909.
^4) Assertion étrange et qui aurait dû être prouvée.
.

BULLETIN. 147

A propos de la //" Pctri, M. Camerlynck admet que la questioa d'authenticité


est librement disputée entre catholiques; l'authenticité ne peut être démontrée avec
certitude, mais elle est solidement probable, pourvu qu'on admette que saint Pierre
s'est servi d'un secrétaire. Probablement les pensées et leur ordre sont de lui : un
de ses disciples les aura rendues dans son style.
Cette épître dépend de l'épître de saint Jude. A propos de .Inde lui-même, vient la

question de la citation du d'Hénoch, que l'auteur ne songe pas à révoquer en


livre

doute, malgré les résistances du P. Cornely. Jude a donc cru le livre d'Hénoch
authentique? cela peut-il se concilier avec l'inspiration? Les réponses de M. Camer-
lynck sur ce point rappellent certaines plaidoiries où l'avocat emploie divers argu-
ments, espérant que chaque paquet parviendra à son adresse. Il exige d'abord
qu'on lui prouve qu'Hénoch. le septième depuis Adam, n'a pas fait cette prophétie.
La démonstration serait plus qu'ardue, mais le défi n'est sans doute pas très sérieux.
Aussi, après une seconde argutie, le professeur de Bruges se souvient qu'il est
docteur de Louvain et donne la bonne réponse Jude a suivi l'opinion de son temps. :

Il a pu croire que le livre d'Hénoch était authentique et le laisser voir, mais ce

n'est pas sur cela que porte son affirmation. Et cela est appuyé de l'autorité de
M. Van Noort « Flinc minime neccessarium fuit, hagiographos divinitus edoceri de
:

rébus profanis, physicis, historicis, literariis. quas aliqua ratione tangebant; potue-
runt de iis aeque imperfecte, imo false sentire ac ceteri ejusdera aetatis homines,
dummodo a formait judicio erroneo de iis in Scriptura proferendo praeserva-
rentur »

Le Comma Joanneum est d'origine espagnole; cette thèse est solidement probable:
il est moins sûr qu'il émane de Priscillien. M. Camerlynck réfute l'argument pour
l'authenticité tiré du concile de Trente (Session IV), et, sans se prononcer sur le
sens propre du décret du Saint-Office du 13 janvier 1897, il conclut contre l'au-
thenticité Joannine, tout en s'en remettant à l'autorité de l'Église pour un jugement
définitif.

L'auteur nie que le presbytre Jean de Papias soit un autre que l'apôtre Jean, et
il attribue à l'apôtre non seulement le quatrième évangile et la 1=^ Joannis, mais
encore la II'' et la III» Joannis.

Plusieurs indices facilitent l'usage de cet excellent commentaire.

M. Belser continue la série de ses commentaires. C'est maintenant le tour de VÉpl-


Ire de saint Jacques (1). L'ouvrage comporte une introduction, une traduction de
l'épître en allemand, un commentaire assez étendu, avec des discussions en petits
caractères. L'épître est attribuée à saint Jacques, Tévêque de Jérusalem, « le frère
du Seigneur ». M. Belser l'identifie avec beaucoup d'assurance, avec trop d'assurance,
avec Jacques, fils d'Alphée. La discussion est trop maigre pour produire la convic-
tion, ensemble donner l'identité de Clopas et d'Alphée comme toute naturelle. Et ce-
pendant ce n'est pas le même nom. Tout au plus peut-on suggérer qu'Alphée et
Clopas sont comme Simon et Siméon deux noms assez semblables pour qu'on put être
tenté de les donner à la même personne. L'épître aurait été écrite avant l'an 50.

M. Belser tient beaucoup à ce que saint Jacques n'ait fait aucune allusion à saint
Paul dans le célèbre passage 2, 14 ss. Ici encore il cède à son penchant pour les opi-
nions résolument tranchées. La majorité des exégètes catholiques est d'accord avec les
protestants pour reconnaître que ce n'est pas par hasard que saint Jacques traite le

(1) Die Epistel des heiligen Jakobus, ùbersetzt unu erlilârt vun Dr. J. Evang. Belser; iu-S" de vi-
213 pp. Freiburgr-im-Brisgau, Herder, 1909.
148 REVUE BIBLIQUE.

même thème que saint Paul. Il entendu le réfuter, mais est-


ne s'ensuit pas qu'il ait

ce prouver qu'il ne l'a pas connu que un point de vue différent? Il


d'établir qu'il a

faut reconnaître d'ailleurs que l'étude approfondie que M. Belser a faite de l'épître
lui donne le droit d'avoir ses opinions personnelles. II s'est appliqué avec beaucoup

de soin à retracer la suite des idées et à préciser la pensée par une analyse attentive
des mots. Il remarque très justement que saint Jacques blâme surtout la négligence
des premiers chrétiens à traduire leur foi par des œuvres. Ses exhortations sont donc
encore très utiles de notre temps. Après avoir étudié soigneusement l'ouvrage de
M. Belser, les ecclésiastiques allemands pourront tirer de son exégèse très solide
d'excellents renseignements pour la chaire chrétienne.

L'étude de M. Calvin KIopp Staudt sur lidée de la résurrection dans la période


antérieure au concile de Nicée (1) est plus scripturaire que le titre ne semblerait
l'indiquer. L'auteur distingue l'opinion de Jésus, n'allant qu'à la persistance de l'arae,
celle de saint Paul ou du corps spirituel, celle de saint f^uc et de saint Jean, de la

réanimation ou résurrection proprement dite. A quoi donc sert l'examen de la tradi-


tion jusqu'à Nicée? A constater que l'Église admit sans hésiter une résurrection véri-
table qui est qualifiée dans le symbole de résurrection de la chair. Ce point est bien
établi, et nous en conclurions simplement à la perpétuité du dogme. L'auteur y
envisage surtout une tradition puissante, antérieure à Jésus, et cela est encore
véritable, mais il ajoute que c'est cette tradition qui, altérant la pensée de Jésus et
de saint Paul, a amené le réalisme des récits de saint Luc et de saint Jean. On
reconnaît ici un système analogue à celui que M. Loisy a fait connaître en France;
on lui opposera les mêmes réponses qu'ont produites si solidement Mf Ladeuze.
M. Man^enot, etc. On peut très bien concéder par ailleurs que tel ou tel apologiste
a exagéré le caractère charnel de la résurrection en perdant de vue la notion pauli-
nienne. La discussion sera d'autant plus aisée avec M. Staudt que son traité est
conduit avec une parfaite clarté.

Le long et patient labeur qui a permis à M. Schwartz (2) de nous donner une
édition critique de l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe, vient d'aboutir, du même coup,
à la production d'un ouvrage bien précieux pour l'utilisation de cette histoire. Le
criblage de chacun des mots qui composent l'œuvre capitale d'Eusèbe a conduit le

savant éditeur à une classiQcation rigoureuse des manuscrits et à une exposition des
particularités orthographiques, qui peut avoir des services à rendre à la critique
textuelle de la Bible et à l'épigraphie. Le système chronologique de l'évêque de
Césarée est de même soumis à une étude approfondie. En véritable disciple de
maîtres alexandrins, Eusèbe est avant tout préoccupé de chronologie; c'est elle
qui fait la charpente de son œuvre. Elle lui sert à convaincre telle doctrine d'hérésie
par le laps de temps qui existe entre sa formation et l'enseignement apostolique.
Par contre, les listes épiscopales, grâce à leurs séries ininterrompues, marquent où
se trouve la véritable tradition apostolique. On ne saurait mettre en doute ce qu'une
pareille armature a de systématique mais elle demeure, dans l'ensemble, conforme
;

à la réalité. M. Schwartz, cependant, se croit obligé par nombre de difficultés de

(d) The idea of the résurrection in the Ante-nicene period, dans les Historical and linguistic
Sfudies in l.ilerature relaled to the New Testament de l'Université de Chicago; in-8°, de 90 pp.
Chicaso, 1909.
[-1) Eusebius Kirchengeschichte bearbeitet... von E. Schwautz. Die lateinische Uebersetzung des
Rufinus... von Tu. -AIommsen. 3 Teil Einleitungen, Uebersichten und Register, in-8° ccLXXii-21(j pp.
Leipzig, Hinrichs, 1909. (Fait partie des Ecrivains chréUens des trois premiers siècles de l'Aca-
démie de Berlin.)
\

BLLLETIN. 140

détail à prendre un parti trop radical vis-à-vis des sucressions épiscopales. A Rome,
par exemple, il n'y aurait pas eu d'épiscopat monarchique avant Soter; quant à la
liste des évéques judéo-chrétiens de Jérusalem, elle aurait tout simplement été
confectionnée sur modèle de celle des évéques d'Aelia, de Marcus à Narcisse. Il
le

faut encore signaler dans cet ouvrage l'argument analytique [die Oekonomic) de
l'histoire d'Eusèbe, où les titres des chapitres sont accompagnés de notes très utiles.

Enfin, on y trouve un registre contenant un index biblique, un index littéraire rela-


tif aux sources et aux ouvrages mentionnés par Eusèbe. un index de noms de per-

sonnes, de lieux, de peuples avec le passage entier qui renferme chacun de ces
noms, et un index des mots grecs, latins, hébreux, araméens et des particularités

de syntaxe. La traduction de RuQn, éditée par les soins de Th. Mommsen, a aussi
sa part dans cette parfaite table des matières.

Le dialogue de saint Justin avec Tryphon ( t;, par M. Georges Archambault, marque
un moment dans l'exécution des Textes et documents % publiés par MM. Hemmer
et Lejay. L'édition du texte est très soignée, et munie d'une introduction très solide
sur les manuscrits, les attestations du dialogue, son intégrité, sa composition. Les
notes sont nourries, quoique très concises. C'est un vrai service rendu que d'avoir
facilité la lecture d'un ouvrage aussi important, le seul qui nous fasse connaître les
opinions messianiques des Juifs au second siècle, et de plus l'opinion d'un philo-
sophe chrétien sur l'exégèse de l'Ancien Testament. M. Archambault dit plus géné-
ralement : « la signification que l'Église chrétienne orthodoxe attribua à l'Ancien

Testament » (p. xcvi). Mais peut-être dans cette formule n'a-t-il pas assez tenu

compte de la personnalité de Justin qui n'a pu se défendre de mêler à sa foi beau-


coup d'explications tirées de ses opinions philosophiques (.3

Ancien Testament. — Le livre comme on sait, de deux


de Daniel se compose,
M. Charles C. Torrey croit que
sections bien distinctes, quoique eu partie parallèles.
ce sont deux ouvra.;es différents (4;. Le premier (i-vi) est une série de récits com-
prenant des visions et des prophéties, dans le style des anciennes histoires, sans un
caractère apocalyptique tranché; le second (vii-xii) est une apocalypse. Et la
preuve qu'il y a deux auteurs, c'est, d'après M. Toney, que les deux parties n'ont
pas été composées dans le même temps. La seconde date, comme l'admettent tous
les critiques, du temps d'Antiochus Epiphane; mais la première partie ne reflète

point les mêmes circonstances. L'allusion à un mariage pour maintenir l'union des
deux grands empires grecs, celui des Ptolémées et celui des Séleucides, nous fait
descendre seulement jusqu'en 248 av. J.-C, quand Bérénice, la fille de Polémée
Philadelphe, épousa Antiochus II Theos, ou plutôt jusqu'au moment uù il fut cons-
taté que ce moyen avait été inutile, et où le fer, Ptolémée III, menaça de briser
l'argile, le royaume des Séleucides aux abois. A cette première partie, composée de

245 à 22-5 av. J.-C, en araméen, un autre auteur aurait ajouté l'Apocalypse qui
termine le livre. Pour donner plus d'unité au tout, il eut l'idée ingénieuse d'écrire
son premier chapitre en araméen (viij; mais comme il voulait écrire en hébreu, il
continua en hébreu et prit la précaution de traduire en hébreu le premier chapitre

(4) Tome
I, contenant la première partie du dialogue. [-lx\iv.

Librairie Picard, Paris.


1-2)

!3] La note de la page 40 donne des Indications plus précises.


'4 Noies on Ihe aramaic part of Daniel, Reprinled from Ihe transactions of the Connecticul

Academy ol arts and sciences, Vol. XV, July, 1909.


150 REVUE BIBLIQUE.

de tout le livre. Ce serait l'explication de l'emploi des deux langues. Vaut-elle mieux
que les précédentes?
Incidemment, M. Torrey se révèle encore plus radical à l'égard d'Ézéchiel que
jusqu'ici la critique avait respecté. Il fait de l'ouvrage qui porte ce nom un pseudé-
pii^raplie écrit en .ludée dans la dernière partie de la période grecque (pas avant
200 av. J.-C.)!
Ces considérations générales sont suivies de notes philologiques sur quelques
passages du texte araméen. M. Torrey s'y montre plus modéré. Il est très remar-
quable qu'il rejette nettement l'interprétation de Mane, Thécel, Phares, proposée
par M. Clermont-Ganneau et devenue courante mine, sicle et demi-mine. Et la :

raison, tout à fait décisive, est qu'on doit supposer que l'auteur savait ce qu'il disait.
Puisqu'il a lui-même expliqué l'énigme, c'est à sa solution qu'il faut s'arrêter.

On trouvera dans plus d'un autre cas beaucoup de profit à lire les gloses de
M. Torrey, quand bien même on ne se rallierait pas à ses vues sur l'origine du livre
de Daniel.

Signalons d'abord dans l'ouvrage de M. A. Hart (1) sur V Ecclésiastique une étude
très poussée du Prologue si intéressant et parfois si éuigmatique du traducteur. On
sait que, malgré le soin mis par ce dernier à nous donner la date de son travail^
cette date demeure discutée. Le traducteur de l'Ecclésiastique nous dit être arrivé

en Egypte Iv yàp '<^ oyôûw /.ai Tpta/.oGTw ï-v. iizi toù E'JcpYÉTou paafXsw;; littéralement,
dans la trente-huitième année sous le roi Évergéte. D'aucuns ont pensé que cette
trente-huitième année était l'âge du traducteur et que l'Évergète en question était

Ptolémée III (247-222), qui fut le premier à porter cette épithète. D'autres, s'ap-

puyant sur des constructions grammaticales similaires, ont traduit simplement : la


trente-huitième année du règne d'Évergète. Dans ce cas, il s'agirait non plus de
Ptolémée 111, nui ne régna que vingt-cinq ans, mais du second Evergéte, Ptolé-
mée VII, surnommé aussi Physcon (170-117), dont le règne dura cinquante-trois
années. Ainsi, l'arrivée du descendant de Ben Sirach en Egypte se placerait exacte-
ment en 132 avant J.-C. Mais M. Hart voit en tout cela des difQcultés qui le pous-
sent à chercher une autre solution. Eu particulier, ce que l'on sait par les historiens
des sentiments et de la conduite de Physcon est de nature à faire considérer son
époque comme défavorable à des travaux de traduction tels que celui du petit-fils

de Jésus. Il faudrait donc calculer la date donnée, d'après une ère. Or, chez les
Égyptiens, l'ère courante était celle qui partait de l'avènement de chaque roi pour
se terminer à sa mort. Ptolémée Philadelphe, regardé comme le promoteur de la
version des LXX, mourut la trente-huitième année de son règne (247). Mais,
comme on était encore dans la trente-huitième année de cette ère particulière quand
Evergéte I monta sur le trône, le petit-fils de Ben Sirach pouvait dire qu'il avait
abordé en Egypte, la trente-huitième année, sous le roi Évergéte, c'est-à-dire en
247. A cette époque, la traduction grecque de la Loi, des Prophètes et d'autres
livres sacrés étant terminée dans l'ensemble, on s'était mis à la traduction des
livres sapientiaux, et tandis que les anciennes parties de la Bible avaient été inter-
prétées avec quelque imperfection (oi [xi/.pàv s/st ota-^opav...). le petit-fils du Siracide
aurait trouvé une traduction fidèle d'ouvrage traitant d'une Sagesse relevée (sSp v

où ,aiy.pà; -atôefa; âœd;j.otov). Aussi se serait-il senti engagé par là à traduire l'œuvre

(1) Ecclesiasticui. The Greek text of Codex 218, edited loith a lexlual commenlary and prole-
goinena by i. H. A. Hart, M. A. In-8°, xvii-376 pp. Cambridge, University Press., l'jOO.
BULLETIN. loi

de son graad-père, laquelle rentrait dans cette dernière catégorie, celle des sapien-
tiaux.
On taxera sans doute ces conclusions de beaucoup trop subtiles : elles étaient à

signaler comme un effort tenté pour dissiper rohscurité de cette partie du Prologue.
L'objet principal de la publication de M. Hart est de mettre entre les mains des
exégètes le texte du Codex 248, provenant de la Vaticane et contenant une recen-
sion grecque de l'Ecclésiastique très importante. Signalée par Fritzsche, mise en
relief par Taylor, cette importance consiste en ce qu'elle présente plus d'une afûnité
avec le texte hébreu, dans les passades ou les autres témoins grecs sont divergents.
On s'était aperçu, à une époque déjà antérieure à Clément d'Alexandrie (car cet
auteur a connu les leçons particulières à ce codex 248j, que la traduction grecque
de la Sagesse de Sirach commençait à être altérée par les copistes et s'éloignait en
maint endroit de la première rédaction .1 . Quelqu'un prit donc à tâche de faire
disparaître ces défauts en corrigeant d'après l'hébreu le texte grec qu'il avait en
main. Le codex 248 représente le résultat de cet ancien travail. Aussi, pendant que,
uràce aux vénérables onciaux, xBC. on arrive à serrer de près l'état premier de la
traduction élaborée par le petit-Bis de Ben-Sirach, le codex 248 sert à la reconstitu-
tion de l'original hébreu.
Le texte éd'té par M. Hirt est suivi d'une collation de la version syro-hexaplaire
avec le Vaticanus commentaire textuel qui permet de constater les rap-
B) et d'un
ports du codex 248 avec les fragments hébreux découverts en 1896-1897 et avec la
Peschitto. qui a été faite sur un original hébreu. Ce travail rendra un grand service,
plus grand, en vérité, que la dissertation des Prolego/nena sur une soi-disant
recension pharisienne de la Sagesse de Ben Sirach. où Ton met en œuvre des argu-
ments peu convaincants.

On nous a demandé s'il faut prendre au sérieux les deux dissertations que M. H.
Schneider a trouvé moyen d'insérer dans la collection des Leipziger semitistische Stu-
dien, qni n'avait contenu jusqu'ici que des travaux de science et de bon goût 2 <
? L'auteur
a la prétention d'expliquer l'évolution de la religion de labou dans les tribus d'Israël et
de Juda, puis, passant en Babylonie, il va nous montrer le développement de l'épopée
de Gilgamès. Il s'excuse, dans l'introduction, de ne pas avoir appuyé ses raisonnements
d'un grand appareil d'érudition. Et, en effet, les notes sont sinsulièrement clairse-
mées, si clairsemées qu'on se demande pourquoi dans l'ouvrage. Il y a.
elles figurent

en tout, deux notes pour la dissertation sur Israël Encore la seconde dit-
p. 1-41).
elle simplement que le mot Habiri signifie « peut-être aussi ceux qui passent j. Xous
ne nous plaindrions pas de ce manque d'érudition si les conclusions de l'auteur
étaient le fruit d'études spéciales et approfondies dans le domaine de l'exégèse et de
la philologie orientale. Mais M. Schneider, docteur en tiiédecine et en philosophie,
traite aussi bien de la psychologie des anciens Égyptiens (3), que des naturphiloso-
phische LeUrjedanken de Goethe '4) ou des rapports entre la philosophie de Gassendi
et celle de Descartes (5). Ce n'est pas lui qu'on accusera de faire de laSpezialisieruiui

(1) cf. TOL'ZARD, L'Original hébreu de r Eccléêiastique ; Rapports du texte avec les versions.
RB., 1898, pp. 33 ss.
[i) Zwei Aufsâtze zur Religionsgeschichte Vorderasietu von Dr. Med. et Phil. Herjiaxx Schxei-
DEFw Die Entwicklung der lahureligion und der Mosesagen in Israël und Juda, Die Entwicklung
des Gilgameschepos. In-S» de 84 pp.. dans Leipziger Semitistische Studien, V. 1 (Leipzig. Hinrichs,
1909;.
(3) Kultur und Denken der allen Aegypter [chez Hinrichs).
(4) Gœthes naturphilosophische Leit'jedanken (ibid.).
(3) Die Stellung Gassendis zu Descartes (chez Dûrr. Leipzig .
152 KEVLE BIBLIQUE.

ûber Spezialisierwig '1). On ne s'étonnera donc pas si l'incompétence de l'auteur


transpire à chaque page. Commençons par l'histoire de la religion des Hébreux. Les
ori;iines de cette religion peuvent s'appeler le roman des quatre fétiches. Un premier

fétiche, Jacob-el, s'iustalle à Béthel et y reçoit un culte. Ce Jacob-el avait probable-

ment forme d'un taureau (cf. le taureau de Jacob). Un deuxième fétiche, Joseph-el,
la

s'installe près de Sichem, Un troisième, appelé Israël (chez les Égyptiens Isir-el), est

honoré non loin de Silo « Nous ne savons pas au jmte quelle était la forme du fé-
:

tiche Israël; peut-être était-ce une pierre; il peut être envisagé avec certitude comme
le prototvpe (Urbild] de l'arche d'aliiauce ». Voilà pourquoi les prêtres de Silo seront

fils de larche, c'est-à-dire o lîls d'Aaron ». Le mauvais jeu de mots entre hà'ârôn
« l'arche » et 'Aharôn, le frère de Moïse, peut satisfaire les hébraisants de la taille
de M. Schneider. Ce n'est pas tout ! Le quatrième fétiche entre en scène : tout le
monde devine qu'il s'appellera lahu. Ce sera le fétiche de .Tuda. car la tribu de

Juda s'appelle lahuda ou lahudi, le premier élément étant lahu et le second ne s'ex-
pliquant pas. Ce fétiche a la forme d'un serpent serpent d'airain). Et vous ne —
vous attendiez pas à cette conclusion — c'est pour cela que, dans la vision d'Isaïe,

les Séraphins se voilent c Les paires d'ailes, chez les êtres de sa


la tête et les pieds :

vision, cachent poétiquement du corps qui, dans la structure du serpent,


les parties

manquent ou sont trop dilférentes de celle de l'homme les pieds et le visage « :

(p. 21). Un peu plus bas « De même que les prêtres du dieu Israël ne s'appellent
:

pas fils d'Israël, mais, d'après la forme de leur fétiche, fils de l'arche, fils d'Aaron,
ainsi les prêtres de J«/i(/ ne s'appellent pas fils dt lahu, mais fils du serpent, Lévites».
Probablement encore un jeu de mots sur Lévi et Léviathan! Enfin, Saiil adressera
ses hommages à un dieu qui n'est ni le fétiche Israël de Silo, ni le fétiche lahu de
Juda c'est le dieu de Gilgal dans la tribu de Benjamin. Et ainsi de suite! Si David
:

transporte l'arche à Jérusalem (chose peu vraisemblable selon notre auteur), ce serait
tout au plus pour faire du fétiche de Silo l'humble serviteur du fétiche lahu, etc..
etc.. Nos lecteurs nous dispenseront d'msister. La dissertation de M. Schneider, tra-
duite en français, aurait un grand succès d'hilarité et. encore une fois, on ne saurait
trop déplorer que les professeurs Fischer et Zimmern, directeurs des Leipziger se-
tnitii^tische S Indien, aient accueilli ces élucubrations dans leur collection. Quant à la

thèse sur l'épopée de Gilgaraès, elle est un résumé, par un outsider, des travaux de
Jensen sur la matière, avec quelques vues personnelles de l'auteur. Le fameux sceau
de Sargon l'ancien où jusqu'ici on avait cru voir Gilgamès abreuvant un taureau, re-
présenterait le roi, sous les traits du taureau, en train de boire les eaux de la vie que
lui sert non pas le héros Gilgauiès, mais bien le dieu Gis. Ce dieu Gis est identifié,
sans façon, avec Mn-gis-zida. le dieu de (lù-de-a. M. Schneider n'hésite pas à décom-
poser l'épopée de Gilgamès en ses diverses rédactions, comme on ferait pour les
poèmes homériques. Voici sa conclusion : « Le plus récent remanieur (Bearbeiter)
de l'épopée de Gilgamès est, comme le plus ancien, un savant de haut rang, un bril-
lant représentant de la science de son temps; seulement il est plus savant, mais
moins poète et philosophe, que son vieux compagnon t. Il est possible que l'épo-
pée soit un conglomérat de rapsodies et que, par exemple, l'épisode du déluge ait été

intercalé dans la légende primitive. Mais n'y a-t-il pas quelque prétention de la part
de M. Schueider, qui n'a rien d'un assyriologue, à analyser les procédés Stila?'ten)
des auteurs respectifs? Ce docteur en médecine fera mieux de retourner à Goethe et à

(1, RB. 190S. p. i^te.


BULLETIN. lo3

Gassendi, sil ne veut pas que ses travaux d'érudition dans le domaine biblique ou
assyriologique deviennent justiciables d'un Molière.

Parallèlement à The Centnnj Bihle, qui comprend les divers livres de la Bible édi-
te's en petits commentaires de poche, la librairie Jack de Londres et d'Edimbourg
publie des manuels minuscules destinés à faire connaître au grand public les conclu-
sions de la science dans les domaines connexes de l'exégèse. L'un de ces manuels
traite de la dû à la plume de M. A. S. Peake (1). On ne s'at-
religion d'Israël et est
tend pas à trouver une énorme dépense d'érudition ni beaucoup d'informations neuves
dans une brochure à six pence. Toujours est-il que ceux qui ne sont pas au courant
de l'exégèse et de l'orientalisme ont ainsi sous la main les conclusions les plus objec-
tives des travaux modernes, dans un style agréable à lire et sous une forme très
accessible. A chaque page de M. Peake on reconnaît le spécialiste autorisé, qui n'a-
vance que les résultats les plus probables de la critique et de la science, en les dépouil-
lant de tout fatras d'érudition. « Cet ouvrage n'est pas une théologie de l'Ancien
Testament, mais une histoire de la religion d'Israël. » Aussi l'auteur suit-il pas à pas les
différentes étapes de la religion de lahvé. Il reconnaît que cette religion n'est pas née
tout d'un coup avec Moïse, mais a dû plonger ses racines dans un passé lointain. Il

cherche à mettre en lumière comment elle a subi le contre-coup des événements his-

toriques les plus importants, tels que l'installation en Canaan, la réforme deutérono-
mienne ou la captivité de Babylone. Ou encore comment les prophètes ou les voyants
ont imposé leur empreinte aux idées religieuses. « C'étaient des prêcheurs qui appor-
taient à la nation le message de Dieu. Leur but était de régénérer les conditions
sociales et de les harmoniser avec la volonté de Dieu, ce qui impliquait une attitude
vis-à-vis de la politique intérieure ou extérieure ). lin chapitre est consacré à la nais-
sance du judaïsme, un autre montre comment ce judaïsme fait contrepoids à l'esprit
des anciens prophètes. Enfin la litiérature des livres sapientiaux est également passée
en revue. Une brève esquisse bibliographique contient surtout les ouvrages de langue
anglaise. C'est aux lecteurs de langue anglaise que s'adresse spécialement la col-
lection.

Un élégant petit volume de la collection Religions, Ancient and modem, est con-
sacré par M. St. A. Cook à une monographie sur la religion de l'ancienne Palestine
au second millénaire avant notre ère (2). Un chapitre préliminaire indique le but
poursuivi par l'auteur et les compte mettre en œuvre pour le réaliser. A
moyens qu'il

l'aide des sources extra-bibliques il s'attachera à montrer quel degré de culture reli-

gieuse avaient atteint les habitants de Canaan avant l'invasion Israélite. Un simple
regard sur la table bibliographique indique assez que l'auteur est au courant des
dernières rcL-herches, tant en ce qui concerne les résultats des fouilles qu'en ce qui
concerne les sources égyptiennes ou assyro-babyloniennes. Le sanctuaire de Gézer
est pris comme type des anciens lieux de culte. M. Cook montre la persistance de ces
lieux de culte à travers l'histoire, même lorsque le titulaire primitif a été remplacé
par une autre figure religieuse, parfois par un saint du christianisme. Très rapide-
ment défilent sous nos yeux les objets sacrés (arbres, pierres, symboles), les rites
sacrés (sépulture, sacrifice), et les animaux sacrés. Quand il s'agit d'expliquer la
sainteté et l'impureté, l'auteur se laisse séduire par la théorie de W. R. Siuith qui

(l) The religion of Israël, by Prof. A. S. Peake, D. D. In-16 de 177


pp. dans The Century Bible
handbooks (Londres et Edimbourg, Jack, 1908;.
(2; The religion of ancient Palestine in the second millenium B. C. by St. A. Cook, M. A. In-16
de YiH + 1-22 pp. Londres, Constable, 1908.
134 REVUE BIBLIQUE.

identifie les deux concepts. Ce n'est pas ici le lieu de réfuter cette opinion (1). De
même la théorie de ranimisme, esquissée à la p. 60, ne tient pas assez compte des
faits ;2). Les dieux cananéens sont soigneusement passés en revue, surtout d'après les

noms propres des lettres d"El-Amarna. Nous ne pouvons nous résigner à retrouver
le nom de Jahvé dans iami de Alaiami, l'auteur d'une lettre de Ta'annak. La syl-
labe mi dans les lettres d'El-Amarna n'a pas la valeur wi, qui est réservée au signe pi.
Le travail de M. St. A. Cook qui est tout à fait up to date est destiné à rendre
service au grand public, en lui fournissant les résultats les plus marquants des fouilles

en Palestine et des divers travaux sur l'ancienne religion de Canaan. L'auteur est le

premier à reconnaître combien il doit au Canaan du P. Vincent.

M. le Prof. H. L. Strack a réédité le traité de la Michna relatif aux rapports des


Juifs avec les païens, 'Ahoda zara'' (3). C'est un des plus intéressants, car il reflète
une situation historique, et tranche des questions qui s'imposèrent aussi au chris-
tianisme naissant. L'opuscule de M. Strack contient une introduction, le texte
hébreu vocahsé avec des notes de critique textuelle, un vocabulaire, une traduc-
tion en allemand annotée. Nous nous sommes souvent plaint du peu de zèle des
savants Israélites pour rendre leur littérature abordable. On ne peut faire ce re-
proche à M. Strack; on doit même le remercier de rendre accessible à tout le monde
et la langue ^4) et les idées de la Michna. et souhaiter qu'il étende ses labeurs à
d'autres parties du recueil.

Peuples voisins. — On sait que l'écriture cunéiforme n'a pas servi seulement
à des peuples sémitiques comme les Babyloniens, les Assyriens, ou les Cananéens

du temps d'El-Araarna. Les Élamites utilisent cette écriture dans leurs plus an-
ciennes inscriptions et on la retrouve dans le néo-susien de l'inscription de Behis-
toun aussi bien que dans le persan de la même époque. Les populations de l'Asie
Mineure, Hittites du centre, habitants du Mitanni et de l'Arzawa ;oj, riverains du
lac de Van, emploient le même système et cherchent à l'adapter à leurs propres
langues. C'est dans la correspondance d'El-Amarna que figurent la longue missive
de Tousratta en langage du Mitanni et les deux lettres en langage du pays d'Arzawa.
Les textes hittites en cunéiformes ont été mis au jour par les fouilles de AVinckler
à Boghazkeuï 6 . Les textes qu'on peut appeler vanniques sont connus depuis
longtemps par travaux de Guyard et de Sayce. Toute une école, à la tête de
les

laquelle figure Heinrich Winckler, cherche à rattacher ces diverses langues d'Asie
Mineure, en y ajoutant l'élamiie, au rameau des langues du Caucase. Dans les
Mitteiiangen dev rorderastatischen Gesellschaft (1907. 5), M. Th. Ivluge aborde
résolument la question, en ouvrant une série d'études sur la philologie comparée
des langues caucasiques (7 . Sans sourciller, il compte parmi les langues mortes
de la branche caucasique : l'ibérien, le ligurien, le sicilien-elymaïte, l'étrusque,
l'inscription de Lemnos, le mycénien, l'ensemble des anciennes langues de l'Asie
Mineure (y compris le hittite, le langage du Mitanni et de l'Arzawa) (8), enfin

0) cf. L.IGRANGE, i'/ïS.'^, p. 150 SS.


(-2) Cf. ibid., p. C SS.
(3) Aboda Zara der Misnatraktat t Gôtzendienst ., in-S» de 20 et 31 pages. Leipzig, Hinrichs.
1909.
fi) Le grand nombre des mots grecs et même latins s'explique sans doute par le caractère spé-
cial du traité auquel ils donnent un intérêt de plus.
(3; Cf. RB.. -1909, p. 54 ss.
(6) RB., 1908, p. 312 ss.
(7) Studien zur vergleichenden Sprachwissenschaft der kaukasischen Sprache.
(8} Sur ces pays, cf. Revue biblique, 1009, p. S4 ss.
BULLETIN. loo

lourartéen, l'élamite, le cosséen et le sumérien. Avis aux amateurs de kaukasologie!


M. Kluge nous indiquera peut-être un jour comment il est arrivé à ses conclusions.
Sa première étude a la prétention de comparer la langue des inscriptions ourar-
téennes (connues jusqu'ici sous le nom de caldiques, vanniques ou proto-armé-
niennes) et les idiomes du Caucase. Parmi ces idiomes il s'attache de préférence
au hurkanien, l'un des dialectes du Dagestan. Pour ce qui est de l'ourartéen, il
adopte la plupart des conclusions de Sayce, Lehmann et Beick. La méthode con-
siste à juxtaposer les formes grammaticales de l'ourartéen et celles du hurkanien,
à négliger les différences et à insister sur les rapprochements les plus fortuits. Or,
le dernier mot est loin d'être dit sur les inscriptions ourartéennes ou caldiques,
comme ou en peut juger par la dissertation de Lehmann dans la Zeitschrift de?'

deutsclicn morgenldndischfn Wlssenschaft. t90-t, p. Sl-j ss. (1). On s'en aperçoit


dans toute la dissertation de Kluge qui, au lieu d'aller du connu à l'inconnu,
cherche à s'orienter dans l'inconnu. Ses rapprochements sont toujours sujets à

caution et l'auteur le sent lui-même. Cette première étude pourrait bien porter
préjudice à la thèse pancaucasique : qui trop embrasse mal étreint!

Beaucoup plus ferme le travail de M. Bork sur le langage du Mitanni (2). On


avait déjà une très bonne dissertation de M. Messerschraidt sur ce sujet (3) et
M. Bork n'a pas de peine à reconnaître combien il doit à son devancier. Le texte
de la lettre de Tousratta avait été l'objet d'une première collation par Knudtzon.
Les résultats de cette collation avaient paru dans les Beitràge zur Assyriologie
(vol. IV, p. 134 ss.). Le même assyriologue vient de publier, dans son magniflque
ouvrage sur les (4), une série de notes destinées à compléter
lettres d'El-Amarna
et à élucider sa collation primitive. Bork utilise le tout et cherche à fixer défini-
tivement le sens de la lettre, le mécanisme de la langue et le vocabulaire. Il est,
lui aussi, sous l'influence de l'hypothèse caucasique, ce qui ne paralyse pas trop

son interprétation. Son étude phonétique, très serrée, a réussi à déterminer des
valeurs spéciales pour certains signes cunéiformes auxquels on attribuait jusqu'ici
leur valeur assyrienne ou babylonienne dans le texte du Mitanni. En particulier, la
présence de la voyelle o, distincte de u, semble indubitable. Il a le bon goût de ne
pas insister sur des rapprochements de mots entre le raitannite et le caucasique,
car il y a près de trois mille ans entre les deux. Il reconnaît, d'ailleurs,
sait qu'il

que le mitannite n'appartient pas aux dialectes caucasiques du nord, ni à ceux du


sud, mais qu'il représente une langue de transition. Langue de transition dont on
ne voit ni le point de départ, ni le point d'arrivée! La comparaison avec l'élamite
n'aboutit guère à un meilleur résultat.

A propos de l'élamite, signalons la petite plaquette de Hùsing, Die Sprache


Elams (5). C'est un résumé rapide de la littérature élamite et un bref aperçu de la
phonétique, de la morphologie et de la syntaxe. Le tout pour aboutir à cette con-
clusion que l'élamite (ou anzanite) doit appartenir aux langues du Caucase. L'exposé
est trop succinct pour qu'on puisse se une opinion. Tant qu'on n'aura pas
faire
choisi parmi les nombreux idiomes du Caucase celui qui a le plus -de chances de

(1) Zwei uiiverôffentliclUc chaldàische Inschriflen.


(2) Die Mitannisprache, dans Mitteilungen der vorderasiatischea Gesellschaft, 1909, 1 et 2.
(3) Mitannistudien, dans la même collection, 18'i9, 4.
(4) Die El-Amarna Tafeln, dans Vorderasiatische Bibliotek, II.
(5) Sonderabdruck aus dem 86. lahresberichl der Schlesischen Gesellschaft fur vaterlàndische
Cullur, Breslau, 1908.
136 REVUE BIBLIQUE.

représenter le plus ancien état de la langue et qu'on n'aura pas mis en regard les

formes élamites correspondantes, n'est-il pas prématuré de ranger toutes les lan-
gues non sémitiques ou non aryennes de l'Élam ou de l'Asie Mineure sous la même
rubrique « langues caucasiques » ? On remarquera que Meyer. à propos des travaux
préparatoires de Hiising sur l'éianiite dans Orientalistische Litteratur-Zettung, leur
décerne le titre de 7)ieist phantastische Hypothesen (l).

Ce n'est pas seulement à l'époque des lettres d'El-Amarna que les gens du Mitanni
apparaissent dans l'histoire. Durant toute la dynastie kassite on trouve, dans les
contrats de INippour, des noms qui appartiennent certainement à la langue de ce
pavs (2). Maintenant voici des noms mitannites dès la première dynastie baby-
lonienne. L'excellente étude d'Ungnad sur les contrats de cette période, provenant
de Dilbat (3), met ce fait eu relief. Oq remarquera [ilu) Te-es-sû-up-'a-ri, dans
lequel le nom du dieu mitannite et hittite, Tesup, est écrit à peu près comme dans
la lettre de Tousralta, où nous avous (ilu) Te-es-sù-pa, (ilu) Te-e-es-sû-pa et
ih() Te-e-es-sû-up. Non siulement pour l'histoire du Mitanni. mais aussi pour celle

d'Élam, les textes de Dilbat apportent une nouvelle lumière. Le vizir d'Elam,
Kukka-\ilu) ISaser, connu sous le nom de Rukka-nasur par une brique de Suse (4),
est coniemporaiu (.VAmmi-zaduga, l'avant-dernier roi de la première dynastie

babylonienne (5). C'est un synchronisme des plus précieux pour la chronologie


élamite, si EuGn, ce qui intéressera surtout
incertaine encore sur bien des points.
les biblistes, c'est la présence du nom d'Abraham à l'époque dWmmi-zaduga. 11 est

écrit sous les formes A-ba-am-ra-ma, A-ba-m-ma, A-ba-am-ra-am (6).

[P. D.]

On aura lu dans les Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Let-

tres de 1909. plusieurs études importarites pour l'histoire des religions sémitiques.
En avril M. Eiisèbe V^assel étudie l'inscription de la prétresse Hanniba'al, prétresse
de Coreva (nom de lieu), femme de Bod-Melqart. flls de Qart-yaton, tils de Qart-
raasal. L'auteur s'applique à déterminer le caractère du dieu Qart, et établit comme
assez vraisemblable que ce Qart est abrégé de El-qart ou de Ba'al Qart, le dieu ou
le seigneur de la ville. Rien n'empêche de l'identifier avec le Génie de Carthage.
Dans le même cahier, M. Clermout-Gaaneau explique l'inscription trouvée à
Délos en août 1907.

Alt ojpi'jji xai AaTaoTr,'. IIaÀa'.'3Tivr,t

y-a: AspoÔ'.TYjt oupavtxi. Ose; £7:j;xooi;,

Aaatov ArjarjXpiou AaxaÀwv'.TriÇ


otuOst; alto rîtpaTwv,
£uyr,v.

Oj OciiiTOv Oî npoiaysiv

aiystov, 'juov, ooo; 6r;),E'.a;.

« A Zeus Ourios, à Astarté Palestinienne et à Aphrodite-Uranie, divinités exauçantes,

Damôu, tils de Démétrius, originaire d'Ascalon, ayant été sauvé des pirates, (a fait cet

(1) Geschichte des AUertums (2^ éd.), I, -2, p. 410.


(2) Orientalistische Litleralur-Zeitung, 1906, col. 588 ss.
(3) Dans les Beitrâge zur Assyriologie, VI, 5 (1909).
(4) SCHEiL, Textes éiaTiites sémitiques, III, p. 28.
(o) Sur cette première dynastie, cf. RB., 1908, p. 213 ss.
;6; Sur le nom d'Abratiam, cf. RB., 1908, p. 218 s.
BULLETIN. 157

ex-voto). Il n'est pas loisible d'offrir en sacrifice de la chèvre, du porc, de la vache. »

L'iuscription est rattachée au premier siècle avant notre ère ; elle est gravée sur
un autel cylindrique.
Xotre Ascalouite a probablement échappé aux pirates grâce à un vent favorable,
et c'est pourquoi il nomme en première ligne le Zeus du bon vent. Il est aussi très
naturel qu'il invoque .\pbroJite Uranie, la déesse d'Ascalon Hérodote, I, 108), et
Astarté de Palestine, la déesse de sou pays, c'est-à-dire probablement de la région
côiière connue plus spécialement sous le nom de Philistie. JI. Clermont-Ganneau
serait tenté de distribuer la triple défense d'immoler de la chèvre, du porc et de la
vache entre les trois divinités, de telle sorte que le culte de Zeus Ourios exclurait la
chèvre, celui d'Astarté le porc, et celui d"Aphrodite la vdche. Mais comme n'y a il

qu'un autel, il n'y avait probablement qu'un seul culte rendu eu commun aux trois
divinités.

Aphrodite est distingdée d'Astarté, mais il ny a plus à cette date qu'une Astarté
pour tout le pays. Damôn était peut-être d'origine sémitique.
Au bulletin de juin, M. Gauckler (1) fait l'exégèse d'une statuette, haute de
0™47, eu bronze doré, trouvée aux fouilles du Janicule (2). Eu voici la descriptiou :

« L'idole est engaiuée comme une momie. Un dragou à crête dentelée en fait
sept fois le tour, remontant en spirale de gauche à droite, la queue serrée contre
les talons en arrière, la tête appliquée contre le crâne, et dardant en avant au-
dessus du Iront de la déesse. Eatre les circonvoluti »ns du monstre, sept œufs de
poule avaient été déposés sur le corps, rangés en une ligue unique qui monte des
pieds jusqu'au cou. Eu pourrissant ils ont éclaté « (p. 427).
D'dprès l'explication de M. Gauckler, la game elle-même représente un œuf dont
la déesse est en train de sortir grâce à la pression du serpent qui lait peu à peu
éclater la coque : « Ovorum progenies dii Syri », dit Arnobe (I, 36), d'où le nom de
Nativité donné à l'article. Les sept œufs seraient le symbole de sept degrés d'ini-
tiation correspondant aux sept espaces planétaires. Quelques savants eut cru recon-
naître dans l'idoledu Janicule un Kronos mithriaque. M. Gauckler appuie fortement
son hypothèse sur l'autorité de Macrobe, et on ne peut que lui donner raison. Le
résultat des recherches entreprises au mê.ne lieu aux frais de M. Heuri Darier, de
Genève, a été exposé d'une façon très précise dans ime élégaute brochure par
M.\l. Georges Nicole et Gaston Darier. L'étrauge iJole y figure sur une planche en

couleurs.

Palestine. — PEFitnd Quart. Statem., cet. 1909. — M. P. J. Baldensperger,


L'immuable Orient i^suite) : cueillette des fruits; usages de la vie courante. —
M. W. E. Jenniugs-Bramley. Les bédouins de la péninsule du Sinaï (suite) : vie
quotidienne; réunious et danses à l'époque du vebVa ^« pâturage »= printemps) ; ali-
ments ;lég'slation —
constituée uniquement par l'usage; à noter le droit de posséder —
un palmier que l'on a planté soi-même sur le territoire d'uue autre tribu et d'atta-
cher son nom à toute eau découverte pour la première fois. — M. Macalister.
Extraits des comptes rendus de la « Jérusalem Literary Society » (suite) : raines
et fragments épigraphiques de Deir el-Qjla'a; de Tibériade à Safed; indications de
railliaires; traduction d'un talisman rabbiuique contre Lillith, le démon femelle
funeste aux nouveau-nés. — M. le col. Couder, Notes sur de récentes découvertes,
où revient, comme very interestiny discovery, le malencontreux pastiche du Josut

(1) La Xativité de la déesse syrienne « Atargatis ».

(2) Cf. RB., 1908, p. 311.


138 REVUE BIBLIQUE.

samaritain! — llév. C. Hauser, Notes sur la géographie de Palestine (suite) : une


douzaine d'ideatifications, la plupart inflaiment précaires, v. g. Maspha de Moab =
Matâba, Aroer =
Haddâdeh; Eben-Ezer =
Deir el-'Azar, ce nom est une erreur
pour Azhar, et que deviennent des spéculations risquées sur l'équivalence 'Azar-
Ezer? —
M. St. A. Cook. Le culte de Baal et d'Astarté en Angleterre : inscriptions
votives et dédicatoires découvertes en territoire anglais.
La perle de ce QS. est la monographie sur L'ancien alphabet hébreu et la tablette de
Gézer, par A. Cook (pp. 284-309). La tablette est envisagée exclusivement par le
M. St.

côté paléographique et, au terme d'une enquête très diligente, elle est attribuée
« environ à l'époque de l'Exii », juste la date proposée dans RB., 1909. p. 267 s.

M. Cook l'a coliationnée avec tous les documents de l'épigraphie nord-sémitique :

stèle de Mésa, inscriptions syriennes de Zakir, Sendjirli, Hassan-beyli, texte phéni-


cien du Baal-Lebanon. poids, iotailles et cachets, enfin l'inscription du tunnel de
Siloé. Il a eu lui-même l'impression que son étude —
plus importante pour l'histoire
de l'alphabet hébreu que pour le calendrier de Gézer en particulier eût gagné en —
précision par de bons fac-similés paléographiques; cette lacune n'est qu'imparfai-
tement comblée par le recours aux tables de M. le prof. Lidzbarski {Handbuch
d. nordsem. Epigr.). Les remarques générales sur les diverses catégories de docu-
ments, malgré un réel effort pour faire entrer en ligne de compte le point de vue
archéologique, demeurent trop confinées dans la perspective paléographique. II en
résulte que M. Cook persiste à tenter un classement chronologique d'après l'évolu-
tion de l'écriture dans des documents aussi disparates que la stèle de Mésa. l'inscr.
du tunnel de Siloé et la tablette de Gézer. Il se persuade que cette tablette repré-
sente une écriture de transition entre Mésa et Siloé. La date de Mésa est ferme; les
transformations graphiques saisissables dans la tablette sont considérées comme
l'aboutissant de l'évolution attestée par les textes de Zakir, Sendjirli, etc., au cours
des viiF-Yii'^ siècles. Il arrive de la sorte au yi*" siècle; et parce que Siloé lui paraît
plus cursif, il le supposerait volontiers encore plus moderne. Sans oser faire sienne
la fantaisie d'une date aussi basse que les temps hérodiens pour ce texte. M. Cook
prend soin de noter qu'on n'a pas réfuté par le menu cette théorie de M. Pilcher
et il estime pour son propre compte (p. 308, n. 2) que toute date, même approxima-
tive, est impossible à fixer. C'est l'écueil fatal et néfaste d'un examen trop unila-
téral.

Il faut, à coup sûr, se tenir en défiance contre tout rapprochement trop prompt
et tout artificiel entre un monument et des documents. Le simple bon sens suggère
aussi de ne jamais risquer sur la meilleure adaptation archéologique la confiance
absolue qu'on accorde aux équations mathématiques. Mais il demeure des cas où le

raisonnement archéologique aboutit à des conclusions qui ne peuvent être mises


rondement en échec par la première hypothèse venue. Les textes bibliques les plus

précis affirment l'exécution d'une canalisation souterraine dans le rocher au temps


du roi Ézéchias à Jérusalem. Une interprétation topographique bien fondée localise
la ville et une découverte inespérée fait lire un
ce travail sous la colline orientale de
beau jour, sur une paroi du tunnel, le récit d'une entreprise qui correspond à
souhait à celle d'Ézéchias. Rien de plus légitime que de conclure ici à l'accord des
documents et du monument et pour ruiner cet accord il faut de plus sérieux motifs
que les vagues répugnances inspirées par quelque a priori topographique, ou le
cercle passablement vicieux d'un diagnostic paléographique datant l'inscription du
tunnel d'une époque très basse à cause des formes estimées plus cursives que celles
d'autres textes, datés à leur tour un peu par comparaison avec celui de Siloé.
BLLLUTIN. 1o9

Il ne s'agit certes pas de méconnaître la valeur très positive de l'examen paléo-


grapliique: il ne représente pourtant qu'un aspect du problème. Pour enlever
presque toute son apparente rigueur scientifique à l'argumentation de M. Cook. ne
suffirait-il pas de rappeler quelle différence profonde de nature matérielle sépare l'un
de l'autre les trois documents caractéristiques de l'évolution telle qu'il la conçoit
dans l'écriture hébraïque Mésa, Gézer, Siloé? 11 faut insister là-dessus, puisque
:

ce principe très' banal demeure encore si négligé : on ne trace pas les lettres d'un
document royal à graver sur basalte comme peut les graver directement au stylet
un scribe de village écrivant sur un éclat de pierre : et. même entre deux documents
officiels, l'écriture poncive d'un calligraphe de petite cour provinciale, rendue un peu
plus anguleuse et un peu plus sèche encore par le ciseau d'un graveur luttant contre
une pierre exceptionnellement résistante, n'offrira pas le même tour de main que
celle du texte écrit dans une brillante capitale par un copiste royal fort exercé et

gravé dans le calcaire mou y a eu évolution des formes


par un sculpteur de choix. Il

graphiques, c'est bien entendu: mais pour en apprécier les phases correctement,
tenez compte autant que possible du miUeu où l'on écrit, de la matière sur laquelle
on écrit, du procédé enfin par lequel on écrit. Aux jours de Mésa, le scribe et le

graveur moabites ont mis toute leur virtuosité et toute leur conscience à fixer sur le

basalte des lettres rigides, tracées avec l'attention scrupuleuse de bons copistes
reproduisant un modèle donné. Au siècle suivant, le scribe d'Ezéchias écrivait d'une

main beaucoup plus indépendante et plus déliée les lettres que le graveur interpré-
terait sans peine au ciseau écriture encore lapidaire sans doute, comme celle de
:

Mésa, et non moins officielle, mais profondément influencée déjà par la pratique
familière du calame. Dans le cas de Gézer on a un produit de l'écriture courante et

cursive orchaïsée accidentellement parce que la tablette est une pierre et le calame
un poinçon. Combien il serait à souhaiter que tout paléographe soigneux eût tenté
l'expérience personnelle de ces diverses conditions d"écriturel Et naturellement,
dans la pénurie actuelle des documents datés avec la précision désirable et assez
analogues par leur nature matérielle pour être scientifiquement comparés, la paléo-

graphie ne saurait à elle seule fournir une date solide. N'en a-ton pas une nouvelle
et décisive preuve en ce fait que des paléographes aussi qualifiés que MM. les pro-
fesseurs Cook, Gray et Lidzbarski ont pu. de ce seul chef, faire osciller la date de la
tablette entre le vr et le ix", peut-être le x'' siècle? Il y a donc quelque surprise à
voir M. Cook se désintéresser apparemment tout à fait des arguments linguistiques
en particulier qui étaient, dans ce cas spécial, à tout le moins aussi positifs que les
données paléographiques. Au surplus, la Ren/e n'avait nullement fait abstraction de
ces données 'cf. 1909. p. 266 . tout en s'abstenant de produire des détails estimés
inutiles à moins de fac-similés multipliés et précis: et la considération simultanée
des indices archéologiques et linguistiques joints à ceux de la paléographie n'était
donc pas une méthode inexacte puisqu'elle aboutissait précisément au point ou la

paléographie seule a conduit M. le prof. S. A. Cook.

C'est aussi et surtout de la linguistique que s'inspire à son tour M. le pruf. K.


Marti dans son étude sur ce Yieux calendrier agricole palestinien \ZATW., 1909,
pp. 222 ss . Ce titre indique déjà que l'éminent aramaïste conçoit le document de

la même manière qu'il a été interprété dans RB. et il nous est flatteur de constater
que M. Marti apporte au déchitlrement proposé ici l'appui considérable de son
entière — quoique implicite — adhésion. La lecture, en effet, de la première à la der-
nière lettre, est celle de la Revue ; dans l'interprétation seulement des termes ^r.x et
160 REVUE BIBLIQUE.

"Cpl il cherche à introduire uue nuance : ici le sens de « semailles tardives » an lieu
de « végétation printaiiièrri », là celui de « transport des récoltes dans les maisons »

au lieu de « Ces nuances mêmes demeurent peut-être insuffl-


récoltes tardives ».

samraent fondées; plutôt néanmoins que de scruter ici ces vétilles sans portée, men-
tionnons plutôt que M. le prof. Marti reconnaît, lui aussi, en cet intéressant petit
texte, l'emploi des pluriels en vi. argument très solide d'une inûuence araméenne
saisissable également dans quelques livres bibliques et qui suggère une date plus ou
moins postérieure à 600 av. J.-C.

Zeitschrift des BPYereins. XXXII, 1909, n" .3. M. R. Horning, Répertoire des —
mosaïques de Mcsopotamie, Syrie, Palestine et Sinaï, très consciencieux travail.
dont on saura gré iuGniment à !M. H., à cause des excellentes références bibliogra-
phiques fournies pour chaque monument: à signnler surtout les deux appendices :

Bibliographie de la carte de Mddabd et Documentation littéraire du lY" au XW siè-


cle sur les inosaï'jues. — M. Le miel en Palestine, éclaire, par
le prof. S. Krauss.
des parallèles rahbino-talmudiques, l'expression biblique « terre où coulent le lait

et le miel »; il s'agirait simplement du suc de fruits tels que les olives, les figues,
les dattes. Quelques bonnes observations aux exégéles mythologistes trop prompts à

voir des faules tendancieuses en tout passage biblique où il est fait mention d'un
rayon de miel, par ex. Le. 24, 42.

Mittheilxingen... des DPVereins, 1909, n"^ 3 et 4. — M. le D'' P. Thomsen achève


son étude sur Les foudles anglaises en Palestine : les Tells de la Chépkélah. —
M. F. Lftrch, Les colonies allemandes des Templiers en Palestine, très exacte
esquisse hi.>torique. — M. le prof. Blanckenhorn, Réorganisation des stations
météorologiques palestiniennes. — M. le prof. Nestlé, Citoyen de Jérusalem, titre lu
sur un document du xiv^ siècle.

Ecole biblique de Jérusalem. — Conférences palestiniennes et orien-


tales, le mercredi à trois heures et demie du soir, 1909-1910. — 17 ?\ovembre :

Quelques traits de la vie antique d'après les papyrus grecs, par le R. P. Lagrange,
des Frères Prêcheurs. — Si Novembre : Les mesures de capacité chez les Hébreux
d'après des vases en pierre trouvés dans les fouilles de Saint-Pierre, par le R. P.

Germer-Durand, des Augustins de l'Assomption. — i'^'' Décembre : La conversion


de Pascal, par le R. P. Petitot, des Frères Prêcheurs. — 15 Décembre : Masada,
par le R. P. Abel, des Frères Prêcheurs. — 22 Décembre : Les origines babylo-
niennes, par le R. P. Dhorme, : Voyage en
des Frères Prêcheurs. — 5 Janvier
Arabie, royaume de Lihyan (avec projections), par le R. P. Jausseiv, des Frères
le

Prêcheurs. —H
Janvier : Voyage en Arabie, Teiraa, par le R. P. Savignac, des
Frères Prêcheurs. —
J9 Janvier : Au bord du lac de ïibériade. par dora Zéphyrin
Biever, missionnaire du Patriarcat latin.

Licence biblique. — Les épreuves de la licence biblique se sont terminées le


18 novembre. Quatre candidats y avaient pris part; ils ont été reçus tous quatre :

M. l'abbé Hitchcock, Anglais, avec mention spéciale; le R. P. Reilly, Dominicain ;

M. l'abbé Soher, Autrichien 5 M. l'abbé Garcia, Espagnol.

Le Gérant : J. Gabalda.

Typographie Firmija-Didot et C". — Paris


L'ANGE ET LE CHANDELIER
DE L'ÉGLISE D ÉPHÈSE

fi Repens-toi sinon, j'oterai ton


chandelier de sa place » (Apoc, 2, 5j.

Tout le monde connaît la parole de saint Jérôme : Apocalypsis


Joannis tôt habet sacramenta quoi verba (1). Il n'est pas de texte
apocalyptique qui justifie mieux, de prime abord, la réflexion du
grand bibliste de l'antiquité, que cette adjuration adressée par
le Christ à l'ange de l'Église d'Éphèse (ii, 1) : « Repens-toi... sinon
j'oterai ton chandelier de sa place » (ii, 5). Que vient faire ici ce
chandelier? D'où le Seigneur le veut-il ôter et où le veut-il mettre ?
Et qu'est-ce enfin que cet ange soumis à la pénitence, cet ange
requis de se repentir, sous peine de voir son chandelier déplacé?
Ne semble-t-il pas vraiment qu'il y a dans ce texte autant de mys-
tères que de mots ?
L'on aurait aimé voir l'esprit si averti et si pénétrant du célèbre
docteur s'exercer à percer le voile dont s'enveloppent ce texte et
d'autres semblables, qui constellent encore de points obscurs le

dernier de nos Livres Saints. Saint Jérôme s'était proposé en effet

d'écrire un commentaire de l'Apocalypse, mais il semble avoir


hésité toute sa vie devant la difficulté de l'entreprise et il

poussa la prudence jusqu'à n'oser pas même se prononcer sur le


caractère général du livre : Non dico quel ratione accipienda sit

Apocalypsis Joannis (2). Heureusement tous les auteurs ne se sont


pas crus tenus à tant de réserve et, précisément parce qu'il est le
plus mystérieux, le livre du voyant de Patmos est de tous les écrits
bibliques celui qui a été le plus souvent commenté et le plus diver-
sement apprécié. Il a tenté les plus humbles talents et les plus mo-
destes praticiens de la Bible, aussi bien que les plus grands génies
de l'exégèse et de la théologie, sans que soient encore éclaircies
toutes les énigmes qu'il renferme, ni clos tous les débats qu'il a fait

(1) ad Paulinum, 8.
Epist. LUI,
(2) Comment, in Isaiam, lib. XVIII, proœmium.
REVUE BIBLIQUE 1910. — N, S., T. VU. 11
162 REVUE BIBLIQUE.

naître, et c'est ce qui nous autorise à joindre aussi notre effort à


tous ceux qui se sont déjà produits pour rendre un peu plus acces-
sible ce livre prestigieux que Dieu a daigné inspirer, comme les
autres, pour notre édification.

y a en somme deux problèmes qui se posent au sujet du pas-


Il

sage que nous venons de dénoncer à l'attention du lecteur, le pro-


blème de l'ange tenu de faire pénitence et le problème du chande-
lier ùté de sa place.
Le premier ne nous retiendra pas aussi longtemps, car l'enquête à
laquelle il a donné lieu est assez complète, pour que du simple exa-
men des opinions déjà émises l'on puisse faire saillir une solution
pour ainsi dire toute faite. Parce qu'il a été à peine abordé par les
chercheurs et presque toujours de façon unilatérale, le second nous
demandera un plus long et plus difficile effort d'investigation et
fera le dernier et principal objet de cet essai d'exégèse.

L'Ange de auquel se réfèrent les paroles


l'Église d'Éphèse
de notre texte n'est pas le seul de son espèce. C'est à un person-
nage de même nom que s'adressent les six autres lettres de l'Apo-
calypse, qui portent toutes en suscription cet ordre du Seigneur à
son Prophète « Écris à l'ange de l'Église (1) », et c'est toujours à cet
:

ange que sont dites les paroles de ces lettres où le Maître distribue

l'éloge ou le blâme, les menaces ou


promesses que comporte la
les

situation de l'Église, comme si la personnalité de l'ange était liée


à celle de l'Église au point de se confondre, pour ainsi dire, avec
elle.

Qui sont donc ces anges qui répondent ainsi pour les Églises?
Pour commencer par où l'on a fini et suivre à rebours l'évolution
de l'exégèse, disons d'abord que ce ne sont pas des messagers
députés par le Seigneur ou délégués par les Églises et chargés de
porter à chacune d'entre elles la lettre écrite à son sujet. Cette exph-
cation, d'invention toute moderne (2), ne cadre pas bien avec le sym-
bolisme des étoiles qui représentent les anges dans la vision inaugu-
rale servant de préface aux lettres (i, 16, 20) et qui ne semblent point

(1) 1, 20; 2. 1. 8. 12, 18; 3, 1. 7, 14.

(2) Cf. BoussET, Die Offenbarung lo/iaanis. p. 200 et Swete, The Apocalypsis of
S' Jokn,^. 21.
L'ANGE ET LE CHANDELIER DE LÉGLISE D'ÉPHÈSE. 163

faites pour désigner


de simples commissionnaires. Elle s'inspire
d'ailleurs d'une conception superficielle et inexacte des lettres en
(juestion. Ces lettres ne sont pas de vraies missives destinées à être
envoyées et lues en autant d'Églises différentes. Elles ne sont pour

ainsi direque le développement de l'adresse initiale de l'Apocalypse (i,


4) et, sous la forme épistolaire qu'elle revêt, le premier de ces cycles
septennaires et symboliques dans lesquels aime à s'enfermer la pensée
de l'auteur. Elles font corps et sont à prendre toutes ensemble comme
partie intégrante du livre dont elles partagent la destination générale
aussi bien que la forme et l'esprit (1).
Dans cet état de choses, c'est en vain qu'on allègue (2) divers pas-
sages du Nouveau Testament, où un « avysAoc » est un simple mes-
sager (Luc, vu, 24.;ix, 52; Jac, ii,25)avec telautre (II Cor., viii, 23), où
des délégués ecclésiastiques sont qualifiés d'une expression équiva-
lente à celle d' « anges des Églises », d' « apôtres des Églises » (3). Ce
sont là des analogies purement verbales qui ne trouvent pas ici leur
application.

Il faut dire la même chose d'une autre explication d'origine mo-

(1) Ce caractère des nous parait être hors de doute. 11 est reconnu par les exé^ètes
lettres
contemporains généralement. —
P. Calmes, L'Apocalypse trad. et connu., p. 122 « La :

linale de chaque lettre est adressée non plus à l'ange de telle ou telle ÉgVue, mais aux Églises
ce qui prouve qu'en réalité les lettres comme tout le reste du livre ont une destination gé-
nérale et doivent être lues dans les différentes Églises d'Asie... Il y a dans les lettres des
choses qui ne sont intelligibles que pour celui qui a lu le livre jusqu'au bout. Ce qui prouve
encore une fois que la forme épistolaire adoptée au début de l'ouvrage est une pure fiction. »
Ramsay, The letters to the seven Churchs of Asia, p. 196-197, observe finement que de
même que les différents aspects sous lesquels apparaît l'auteur des lettres au début de celles-ci
forment exactement en se complétant l'un par l'autre l'équivalent de la description générale du

Christ dans la vision initiale, de même les sept différentes Églisesauxquelles s'adressent les let-
tres représentent l'Église complète et universelle. On peut ajouter à l'appui de cette observation
le caractère symbolique du nombre sept, ordinairement
employé pour désigner la totalité
et le caractère général, universel de certaines allégations qui adressentl'Apocalypse à toutes les
églises d'Asie sans distinction, voire même à l'Église en général (2,23; 22, 16; 2, 7, II, 17,29;

3, 6, 13, 22). Aussi, ajoute Ramsay « There are not true letters, but literary compositions
:

« or rather parts of one larger composition. Although for convenience we hâve called
« thera the Seven Letters, they were not to be sent separately to the seven Churches. The
« apocalypse book wich was never intended to be taken except as a whole, and the seven
is a
« Letters are a mère part of this book, and never had any existence except in the book.
« The seven churches stand to the author... for the entire Province (of Asia), and the Pro-

« vince stand to him for the entire Church of Christ though when he is writing toSmyrna
;

« or Thyatira, he sees and thinks of Srayrna or Thyatira alone. » Ramsay, op. cit., p. 198.

BoussET, op. cit., p. 200, n'est pas moins catégorique.


(2) SwETE, op. cit.. p. 21.

(3) En grec {iyvilo;, ànôizoloi) comme en araméen [\^^- l-^^^-^-*', ange et apôtre sont
étymologiquement synonymes et viennent toujours d'une racine qui veut dire envoyer.
164 REVUE BIBLIQUE.

derne (1) et qui croit retrouver dans Fange des Églises le Ti2ï niSr

des synagogues, c'est-à-dire celui qui était appelé à réciter la

prière au nom de l'assemblée tout entière encore là une


C'est
(^-2).

pure coïncidence verbale, à laquelle il n'est pas permis de s'ar-

rêter. L'ange destinataire des lettres aux Églises ne doit pas être
le simple porte-voix de la communauté dans la prière ou dans la
lecture publique, et, comme disent les Allemands, le « Vorbeter »

ou le « Vorleser » des réunions cultuelles. Rien dans les textes ne


suggère une pareille supposition et il parait plutôt exorbitant que
des serviteurs de l'assemblée, même employés à la lecture ou à la
prière publique, soient comparés aux étoiles du ciel, considérés comme
les lumières et les flambeaux des Églises et appelés à répondre d'elles

sur toute la ligne.

Une interprétation moins invraisemblable que les précédentes est

celle qui consiste à voir dans les anges des Églises les chefs spirituels

ou les évêques de ces mêmes Églises (3). N'est-il pas naturel en effet
que les titulaires de ces Églises soient aussi les titulaires des lettres
qui leur sont adressées? et à qui, mieux qu'à eux, convient-il de de-
mander compte de l'état des Églises et de la conduite des fidèles? El
quoi' d'étonnant à ce qu ils soient désignés sous les symboles des
anges et des étoiles? Le prophète Malachie (ii, 7) ne dit-il point du
prêtre chargé d'instruire le peuple dans la science de Dieu qu'il est
« l'ange de lahvé des armées » et Daniel (xii, 3) ne dit-il pas de ceux

qui auront ainsi travaillé à instruire et à édifier qu' « ils seront


comme des étoiles éternellement et toujours »? Aussi bien la pré-
sente interprétation n'est-elle rien moins qu'inédite ou périmée. Elle
n'a pas seulement derrière elle une longue tradition; elle peut
encore se réclamer des suffrages les plus nombreux et les plus divers
de l'exégèse contemporaine. La plupart de nos interprètes sont même
si assurés de la vérité de leur thèse qu'ils ne songent pas à la discuter
et s'inquiètent seulement d'établir lidentité de chacun des sept

BoussET, loc. cit.


(1) Cf.
ScHURER, Geschichte des Jûdischen Volkes/S» édition, II, 442.
(2)

(3) On peut lire dans le Dictionnaire biblique, à l'article Évêque, sous la signature de
M. ViGOUROUx, celte courte déclaration qui, tout en nous laissant voir le sentiment personnel de
l'auteur, reflète très exactement l'état de l'opinion dans la question qui nous occupe « Les :

àyyEXoi (des églises de l'Apocalypse), malgré les manières diverses dont ou a essayé d'expli-
quer ce titre, ne peuvent guère être que les évêques placés à leur tête, selon l'interpréta-

tion commune. » Col. 2124. Cette interprétation estnotamment celle du P. de Smedt,


dans son étude sur \' Organisation des Ér/lises chrétiennes jusqu'au IIP s. Cf. Revue des
questions historiques, t. XLIV, pp. 343, 381.
L'ANGE ET LE CHANDELIER DE L'ÉGLISE D'ÉPHÈSE. 165

évêques. Est-il besoin de dire qu'ils n'y parviennent pas? Les plus
sages l'avouent (1), mais d'autres sont plus confiants. Ils croient savoir
le nom au moins de trois ou quatre évêques, que les allusions du
texte voileraient à peine, Polycarpe (ii, 9), Zosime (m, 1), Antipas
(i, Timothée (ii, 4). Et il n'est pas jusqu'à la femme de l'un
13),
d'entre eux dont une critique avertie ne prétonde pouvoir restituer le
nom avec la physionomie. Nous voulons parler ici des fantaisies de
Th. Zahn et de Joh. Weiss, qui, tenant pour assurée (2j la lecture
« Y'jvar/.x cou » (il, 20), se croient ensuite tenus d'identifier la prophé-
tesse Jézabel avec la femme de l'évêque de Thyatire.
L'on aurait mauvaise grâce à jeter le discrédit sur l'opinion actuel-
lement en examen, à cause des outrances ou des fantaisies de quelques-
uns de ses défenseurs. Nous les citons seulement au contraire pour
dire qu'elles ne méritent d'entrer en ligne de compte ni pour ni
contre ce système d'interprétation.
Ce qui compte vraiment et ce qui donne tout son poids à la thèse
des anges évêques, c'est l'argument des vraisemblances et des ana-
logies soulignées un peu plus haut, c'est aussi l'autorité d'une tra-
que ses incessantes recrues et ses exagérations mêmes tendent
dition
à montrer toujours bien vivante et bien sûre d'elle-même.
Quelle est donc en définitive la portée de ces arguments? L'argu-
ment des vraisemblances nous fait trouver assez normal qu'un évêque
soit appelé à répondre de la conduite de ses ouailles et à leur délivrer

les messages qu'il plait à Dieu de leur adresser. L'argument des ana-
logies ajoute à cela qu'un évêque, investi d'une telle mission, peut
à bon droit être qualifié d' « ange de Dieu » et d' « étoile du ciel »,
puisque l'Écriture décerne ces mêmes titres aux simples prêtres et
plus généralement encore à tous ceux qui par leurs exemples ou par
leurs paroles tiennent en quelque sorte école de vertu et de religion
• Mal., 11, 7; Daniel, xii, 3). xMais, avec cela, la question reste tout en-
tière si ce qui est en effet dans l'ordre naturel des choses
de savoir
et dans l'analogie de quelques passages bibliques est aussi dans l'in-

(1) FiLLioN, La Sainte Bible, VIII, p. 800 ss. Alcasak, VestUjalio in Apocalypsi, p. 161».
(2) « Zweifellosecht », dit Zahn, qui olitient ea cela l'adhésion de J. Weiss. La vérité
est que la leçon chère à Zahn et à Weiss a quelques témoins dans l'antiquité, mais la
J.
lecture « ywaïy.v. >> mieux attestée, puisqu'elle a en sa faveur les meil-
est incontestablement
leurs et les plus nombreux manuscrits onciaux, C, N, P, presque tous les minuscules et presque
toutes les anciennes versions (Vulgate latine, copte, éthiopienne et arménienne). On ne
peut citer en faveur de la lecture « Yuvaïxâ som » qu'un oncial, du x^ siècle, quelques minus-
cules de moindre autorité, la version syrienne et des citations de saint Cyprien et de Pri-
masius. L'addition du sou en cet endroit s'explique facilement par la méprise d'un copiste
qui aura été machinalement entraîné à ajouter un nouveau cto-j à tous ceux qui précèdent
et qui se trouvent être si nombreux dans ce passage. Cf. Bousset, op. cit., p. 218-220.
166 REVUE BIBLIQUE.

tention de l'auteur et dans la teneur des textes, si ce qui est logique-


ment ou « bibliquement » plausible est aussi « jolianniquement » et

« apocalyptiquement « vrai. A défaut de déclaration formelle de l'au-


teur, on n'en peut juger que par induction, en examinant le livre en
g énéral et les lettres en particulier, pour voir si l'on y trouve quelque
indice favorable à la destination qu'on suppose à ces lettres et à la
signification qu'on donne à leurs titres. Or, qu'on tourne et retourne
le livre eu tous sens, on n'y rencontrera pas la plus petite mention d'un
évêque quelconque, on n'y relèvera pas un seul texte où le nom d'ange,
qui se retrouve jusqu'à plus de soixante fois en dehors des sept lettres,
ne doive être pris en son sens propre et naturel. Qu'on compulse en-
suite avec soin le texte des lettres et l'on ne tardera pas à s'apercevoir
que qui de prime abord parait être un individu se su-
le destinataire,

perposant à la communauté, est en réalité une collectivité qui se con-


fond avec elle, car l'on voit de temps en temps et sans la moindre
transition le singulier d'abord employé par l'auteur s'épanouir en in-
dividualités distinctes et se dédoubler même en catégories opposées.
Ainsi en est-il dans le passage suivant de la seconde lettre : « Écris
à l'ange de l'Eglise de Smyrne : ... Ne crains rien de ce que tu auras à
soufirir. Voici que le diable va jeter quelques-uns de vous en prison,
afin que vous soyez mis à l'épreuve et vous aurez une tribulation de
dix jours. Sois fidèle jusqu'à la mort et je te donnerai la couronne de
vie )) (u. 8, 10). Je cite encore, et cette fois en grec, ce qui est dit à
l'ange de l'Église de Thyatire : u Olli. ciu -x ïp-;x... -at. swjo) 6|j. îv

i'Aic-o) v.y-'x -x ïpyx Jixwv. 'VixTv $è aî^^m tcTç aoittoÏç tcîç èv 0ya-
-eipc: » (^11, 19, 23, 2i . A coup sûr. ce n'est donc pas l'évêque en
personne, l'évêque considéré dans son individualité concrète que le
Seigneur interpelle ainsi dans ses lettres. Mais ne pourrait-ce pas être
l'évêque en tant qu'il représente les fidèles qu'il dirige et les divers
groupes de sa communauté? Telle est en effet l'opinion de saint Au-
gustin, de Bossuet, de l'abbé Crampon [i]. Ainsi mitigée, l'opinion
des anges évêques n'a guère d'autre avantage que de conserver aux
sept lettres leur étiquette traditionnelle, jinisque l'on convient que ce
qui parait dit aux évêques s'adresse en réalité aux Églises et aux fidèles
de ces Églises (2). Encore est-il que l'identification des anges et des
évêques dans la titulature des lettres ne rencontre pas le moindre
appui dans les analogies du langage apocalyptique. On a beau inter-

(Ij Crampon, La Sainte Bible. VII, p. 44o.


(2) « Les reproches comme les éloges, si parfois ils semblent s'adresser au pasteur lui-

même (2, '*0: 3, 2. 4). atteignent donc généralement l'Église dont il est la tète, et d'ailleurs
c'est aux Eglises que s'adresse l'Esprit (2, 7 ss.) ». Crampon. Ivc. cit.
LANGE ET LE CHANDELIER DE LEGLISE D'ÉPHÈSE. 167

roger on n'en trouve pas un seul où le nom d'ange qui re-


les textes,

vient sans cesse, ne soit pris en son sens propre et naturel. A vouloir
le prendre autrement, on risque de tomber dans une exégèse arl^i-

traire. Autant qu'arbitraire, n'est-elle pas bien compliquée, cette


exégèse suivant laquelle un premier symbole, celui des étoiles, en
désignerait un second, celui des anges, lequel signifierait les évêques
ne guère à leur tour que les Églises. Ajoutez à cela
signifiant ce —
dernier argument vaut au moins pour les défenseurs de l'authenticité
johannique —
que la thèse des anges-évèques parait difficilement
conciliable avec la composition de l'Apocalypse par le disciple bien-
aimé. Car, si l'on ne peut concevoir que l'apôtre s'écrive à lui-même,
dans les termes de la lettre à l'ange d'Éphèse, on ne conçoit guère
non plus que de son vivant, un autre que lui porte le titre et la res-
ponsabilité de l'Église qu'il gouverne.
Il est bien vrai que l'interprétation que nous critiquons peut se
prévaloir de l'autorité d'un grand nombre d'interprètes anciens et
modernes. Mais la tradition qu'ils représentent n'a même pas eu le
suffrage des premiers Pères, comme elle n'apas encore celui de tous
les interprètes catholiques. Qu'il suffise de citer à ce sujet le témoi-
gnage si peu suspect du P. Calmes : « Les commentateurs discutent
pour savoir ce que représentent les anges des Églises. L'opinion la
plus probable est celle qui croit reconnaître dans cette désignation les
anges protecteurs des communautés chrétiennes 1 » '.

(1) Calmes, op. cit., p. 119. Dans son étude sur la Hiérarchie primitive M^"^ Batiffoi. ne
,

faitaucun état des textes de l'Apocalypse, et dans L'Église naissante, p. 145, en note-
« sur le point obscur de savoir si l'ange de chacune des sept Églises est son évêque », il
donne seulement des références qui sont plutôt favorables à l'opinion des anges pro-
tecteurs des Églises. A ceux qui. même après cela, pourraient être tentés de taxer de
singulière et de téméraire l'opinion qui consiste à substituer les anges aux évêques, nous
donnerons seulement à méditer la petite enquête faite à ce sujet, par le P. Ludovic ab Ai-
cASAR, un Jésuite du xvii^s., dont un protestant, M. Bousset, dit qu' « avec lui commence
l'exégèse scientifique de l'Apocalypse » (op. cit., p. 9 Le P. Alcasar vient d'exposer l'opi-
.

nion des anges évêques, et il ajoute :« Alii hos septem angelos de spiritibîts cœlestibus

exponuni. Qua interpretatio gravissimos hubet auclores, Origenem, Hom.20 inNum. —


Ambrosidm, lib. Il, in Lucam.cap.2 et epist. 21, —
Hieronvmim oi Malth. ISelMich. G, —
HiLARiiM in ps. 124. — Pro eadem citât Aretas Naxianzenum et mérita, quiaid expresse
asserit Xaz: Or. 32 coram 150 Episcopis.et ait sea Joanne doceri. —
EtXyvRExsvidetur
citare Epiphanium et Ire.veum. — ISeque solum hœc opinio antiques habet potronos, sed
eam etiam nostrîs temporibus, secuti suni Maldon\tls, Matth. 18, n. 10 et Arias Mon-
tants, Zach. 4, 2 ubi de septem lucernis: Stella', inqult, in dextera Christi constituia'
significant cœlestes spiritus... inministerium Ecclesix députâtes. » Le P. Alcasar dit ensuite
un peu plusloin, en confrontant les autorités favorables à l'une et à l'autre opinion aSiinier-
:

pretum solum auctoritatis ratio habereiur,licetpronobis Ambrosium Pseudo-Ambroise ,

Richardum, Glossam,Alberlum,Lyranum, Thomam {Pseudo-Thomas], Riberam, et com-


viunem sententiam habeamus. fateor tamen graviores auctores Origenis erpositinni
108 REVUE BIBLIQUE.

Telle est aussi notre opinion. Elle s'est d'abord offerte à notre
esprit comme une sorte de corollaire de rinvraisemblance ou de
l'inadmissibilité de toutes les autres. Elle s'est ensuite trouvée vérifiée

à l'examen par la simple application des règles ordinaires de lexé-


g-èse.

Suivant ces règles, plutôt que dans des constructions logiques et


plutôt même
que dans des analogies bibliques qui peuvent nous pa-
raître assez obvies, mais qui peuvent être étrangères au point de vue
réel de l'auteur, c'est dans sa propre manière de penser et d'écrire,
c'est dans l'examen du livre, c'est dans l'analyse du texte et du con-

texte qu'il faut chercher l'explication des termes ou des passages qui
font difficulté. Nous voulons savoir ce que le prophète de l'Apoca-
lypse entend par 1' ange des Églises >n Feuilletons d'abord les pages
<(

de son livre. Nous trouvons des anges partout, et partout de véri-


tables anges. Il y a entre autres les anges des vents (vu, 1), l'ange
de l'abîme (ix, 11), l'ange des eaux (xvi, 5). Est-il surprenant qu'il y
ait aussi les anges des Églises? Au lieu de commander aux vents,

Dieu commande aux anges des vents (vii, 1-3). Est-il étonnant
qu'ayant à parler aux Églises, il s'adresse pareillement à leurs anges?
— Passons maintenant à l'examen du texte et du contexte. Jusqu'à
sept fois, l'auteur réédite le texte qui fait mention de l'ange des
Églises, sans jamais rien ajouter qui puisse donner l'idée ou le
soupçon d'une acception particulière, exceptionnelle à donner à ce
mot. Il y a plus dans la préface des lettres, les anges des Églises
:

sont présentés collectivement au lecteur sous le symbole des sept


étoiles, tandis que les Églises elles-mêmes le sont sous celui de sept

lampes ou de sept chandeliers. C'est là une sorte de paralléHsme


à quatre membres, dont les trois termes connus fixent assez la
portée du quatrième qui est en discussion. « Des deux couples d'objets
mentionnés dans ce passage, le second, qui est composé des chande-
liers et des Églises, appartient visiblement à l'ordre des choses terres-
tres;quant au premier cpii est composé des anges et des étoiles,
puisque les étoiles appartiennent au ciel, les anges aussi doivent

adstipulari. r>^E\ Patris Lldovici ab Alcasak. Yestigatio arconi sensiis in Apocalypsi.


.

1618, p. 155. Le témoignage du P. Alcasar est ici d'autant plus remarquable, qu'ainsi quon
a pu s'en apercevoir, il ne partage pas lui-même l'opinion qui! juge si hautement autorisée.
Il faut dire qu'elle se trouve chez les auteurs qu'il cite, plutôt affirmée ou seulement supposée
que directement raisonnée et démontrée. C'est cette démonstration qui paraît encore man-
quer, que nous essayons de faire ici, heureux de pouvoir abriter notre modeste essai sous
l'autorité d'aussi grands noms.
L'ANGE ET LE CHANDELIER DE L'ÉGLISE D'ÉPHÉSE. 169

appartenir au ciel La correspondance des groupes et des mem-


(1). »

bres est ainsi parfaite il y a un groupe terrestre, fait des Églises et


:

des lampes qui les symbolisent, et il y a un groupe céleste concomi-


tant fait des anges et des étoiles qui les représentent. L'équilibre du
parallélisme est au contraire rompu, si l'on met des évêqaes à la place
des anges. Faut-il ajouter, en passant, que, tandis qu'on ne peut citer
dans la Bible aucun exemple topique de la désignation des évêques
sous le symbole des anges ou des étoiles, l'usage est constant chez les
Juifs, dans les Livres saints et dans les Apocalypses en particulier,

d'associer l'idée des esprits célestes et celle des étoiles (2) et de préposer
(les anges aux sociétés comme aux individus (3). Il se forme ainsi

autour de l'opinion que nous défendons comme un double cercle,


qui parait infrangible, d'arguments exégétiques empruntés à toute
la littérature du sujet.
Notre interprétation se heurte cependant à des difficultés d'appa-
rence aussi inéluctables que les raisons déjà mises en avant. Les
lettres, semble-t-il, ne peuvent s'adresser aux anges protecteurs des
Églises, car elles sont visiblement écrites pour des hommes faillibles,
susceptibles de péché et de repentir ou de châtiment ('*). Comprend-
on d'ailleurs des lettres envoyées à des anges? Les anges ont-ils besoin
qu'on leur écrive? —
Il est vrai que les lettres visent des êtres failli-

bles et coupables et renferment, en même temps que des louanges et


des promesses, des reproches, des menaces et des appels à la péni-
tence. Là-dessus les textes sont trop clairs pour pouvoir être récusés.

(1) Ramsay, op. cit., p. 62.


(2) P. Lagkange, Études sur les Beligions sémitiques, 2<^ éd. 1905. p. 129. 134, 137, 450.
J. TouzARD, Le livre d'Amos, 1909, p. lx «Dans les livres prophétiques, la formule lahweh
:

(les armées évoque surtout l'idée des années célestes, celles des astres dont les inouve-

inents si régulièrement ordonnés suggéraient l'idée de troupes conduites par un chef habile
et puissant, celles des esprits dont le séjour était placé dans les régions supérieures. » Cf.
Dt. 4, 19; 17, 3; II R. 21, 3, 5; Jér. 8, 2 19, 13; Soph. 1, 5. Le livre d'Hénoch traduit
;

par F. Martin, 1906, 18, 13-16 « Là, je vis sept étoiles... qui brûlaient
: L'ange me
dit ; C'est la prison des étoiles et des puissances du ciel. Les étoiles qui roulent sur le
feu sont celles qui ont transgressé le commandement du Seigneur, dès leur lever... Et il

s'est irrite contre elles et il les a enchaînées. » Note du traducteur, p. 52 : « Les étoiles sont
])ersonniriées comme dans l'animisme babylonien, qui attribuait un chacun des
esprit à
astres et finissait par le confondre avec lui ; cf. Apocalypse, 9, i, Hénoch, 19. 3-6, 10
2. » Cf. ;

86, 1-3 et 6, 2-3; 88, 1 et 10, 4; Apocal. 1, 20-, 3, 1 ; 4, 5; 8, 10; 9, i, 2, 11; 12, 4, 9.
(3) Dan. 10, 13, 20, 21 ; 12, 1 Mt. 18, 10; .\ct. 12,
; 15 ; Hénoch, op. cit., ch. 89 et 90 :

On raconte dans ces deux chapitres l'histoire des anges pasteurs d'Israël. Les anges ne sont
pas seulement préposés au gouvernement d'Israël. « Ils dirigent, ils guident tous les êtres
du monde, tous les corps et les éléments de la nature soleil, lune, étoiles, phénomènes :

atmosphériques, etc. » Introd., p. xxvii. Cf. Ascension d'Isaie, 3, 15; Apoc. 7, 1; 9, 11 ;

16,5.
(4) 2,4, 8; 3. 1, 3,16, 19.
170 REVUE BIBLIQUE.

Mais ils sont aussi clairs, les textes relatifs aux anges protecteurs. Or.
la clarté des uns ne supprime pas celle des autres et il faut toujours se
tenir en garde contre les incompatibilités hâtives qu'on peut être tenté
d'établir entre deux termes qui paraissent acquis. D'autre part, nous
ne pouvons pas dire avec quelques anciens commentateurs de l'Apo-
caly^îse que les anges préposés aux Églises, auxquels s'adressent les
lettres, ont pu manquer aux devoirs de leur charge et commettre des
fautes plus ou moins graves dont ils ont à rendre compte devant Dieu.
Car ce qui pouvait paraître admissible en un temps où l'opinion de
la faillibilité des anges était une opinion encore courante (1), est
devenu entièrement insoutenable depuis qu'a prévalu en théologie la
doctrine de l'immutabilité des anges dans le bien, à partir de l'é-
preuve initiale qui les a à jamais fixés dans l'amitié de Dieu. Nous
ne dirons même pas simplement, comme pourraient être tentés de le
faire certains commentateurs modernes, que, tout en réservant la
question de droit, on peut admettre qu'en fait et suivant la teneur des
textes, les anges protecteurs des Églises sont supposés doués d'une
liberté dont ils peuvent user pour le mal comme pour le bien. Car,
de deux choses l'une, ou l'on veut voir dans cette supposition une des
positions fermes de l'auteur, un enseignement formel du livre, en op-
position flagrante avec l'inerrance, et alors nous n'y pouvons souscrire,
car nous professons un égal respect pour tous les points fixes de la
doctrine catholique, pour ceux qui ont trait à la théologie de l'inspira-
tion comme pour ceux qui appartiennent à la théologie des anges ou ;

bien l'on veut voir dans cette supposition de l'auteur, soit une pure
hypothèse dans laquelle il se place, soit une simple donnée de l'angé-
lologie courante qu'il utilise sans entendre l'adopter ni la garantir, et
alors les textes protestent, car il est évident qu'ils dépassent la portée
d'un argument adhominem^ il esté^ddent que l'idée de la responsa-
bilitédes personnages mis en scène dans les lettres est une idée de
premier plan, une idée que l'auteur entend bien faire sienne et dési-
gner même spécialement à l'attention de ses lecteurs. Sommes-nous
donc obligés de prononcer le jugement d'incompatibilité devant le-
quel nous hésitions et pour faire droit aux exigences de la théologie
de faire violence aux témoignages de l'exégèse, en sacrifiant au sens
obvie des lettres le sens obvie de l'adresse et de la préface qui les
introduisent? Non, cette obligation n'est encore qu'apparente et il y a
un moyen de tout concilier, sans rien changer à la signification obvie

(1) « La faillibilité des anges a été une opinion courante pendant les quatre premiers

siècles. » Dictionnaire de Théologie Catholique, article Ange. col. 1283.


L'ANGE ET LE CHANDELIER DE LEGLISE D"£PHESE. 171

des textes quels qu'ils soient, en précisant seulement la relation de?


anges avec les Églises,
Suivant une conception courante dans le milieu et dans les écrits
des anciens prophètes d'Israël (1;, plutôt que dans ses individualités
multiples, le peuple élu de lahvé était envisagé dans sa collectivité.
Celle-ci formait comme une personne morale à la fois adéquate et su-

périeure aux individus dont elle était composée, servant d intermé-


diaire entre lahvé et les membres de la nation et portant devant lui la
responsabilité de leurs actes. Supprimez un instant par la pensée le
titre et la préface des lettres de l'Apocalypse et transportez-les dans
un alinéa d'Osée et, le fond des idées mis à part, vous trouverez que
le Christ parle à son Église de la même façon que lahvé parle à sa
nation d'Israël, comme à une personne à la fois une et multiple, qui
parait tantôt s'identifier avec la communauté, tantôt s'en distinguer et
planer dans une sphère supérieure d'où elle commande aux indi-
vidus et aux groupes. Toute la différence vient de ce que, dans l'Apo-
calypse, s'adresse à l'ange du Seigneur ce qui. dans les Prophètes,
s'adresse à l'épouse de lahvé : ainsi appelaient-ils volontiers la
communauté juive ,2 . Sans doute il y a aussi cette diflérence entre les
deux notions que celle-ci représente une personne idéale qui n'est en
somme que la nation personnifiée, tandis que celle-là constitue une
personne individuelle qui préposé à la garde de la
est l'esprit céleste
communauté chrétienne. Mais ne faut pas perdre de vue que, dans
il

l'occurrence, cet esprit bienheureux se dépouille pour ainsi dire de


son caractère incUviduel et concret pour n'avoir plus guère qu'une
valeur représentative et n'être le symbole
plus en quelque sorte que
et comme formule mystique de l'Église elle-
la raison sociale et la
même. La chose peut paraître artificielle et subtile; elle n'est pour-
tant pas sans exemple pas plus qu'elle n'est sans antécédents bibliques.
On voit par l'épisode des Actes relatif à saint Pierre 3 que l'on était
assez facilement porté dans les milieux judéo-chrétiens à étabUr une
sorte d'équivalence et d'identité —
le second pouvant passer pour le
sosie et le double du premier —
entre un homme et son ange gardien.
Pourquoi n'en serait-il pas de même des Églises et de leurs anges
gardiens? On voit par d'autres passages de l'Apocalypse que le Sei-
gneur peut parler aux anges préposés aux éléments, comme il parle-
rait s'il s'adressait directement à ces éléments. Pourquoi ne pourrait-il

(1) Van Hoonacker. Les Douze petits proph.,p. 13. J. Tolzard, Le livre d'Amos, 61-6.>.
;2) Oséel-3-, 15.49, 14-50,1: 54. 1-55; Jér. 2, 2 ss. ; 3, 12-14: Ez. 16.22 et en particu-
lier V. 22-49.

(3) Act. 12. 14, 15.


172 REVUE BIBLIQUE.

pas agir de même avec les anges des Églises et pourquoi ne leur
dirait-il pas tout ce qu'il a à dire à ces Églises ?

Mais, avancera-t-on, en est ainsi, si ce qui est dit aux anges dans
s'il

les sept lettres s'adresse en réalité aux Églises, les Anges ne figurent
là que pour la forme et ils ne sont en somme qu'un prétexte. Prétexte,
si l'on veut, mais qui cadre bien avec le symbolisme et le mysticisme

dont l'auteur aime à envelopper sa pensée prétexte qui répond bien


;

aussi à la déclaration de sa préface touchant le mystère des sept let-


tres (i, 20); prétexte qui entre bien dans la perspective grandiose de
l'Apocalypse, où la Christologie s'auréole volontiers d'angélologie, où
sous le nom d'un ange c'est souvent le Christ qui parle (xxii, 6-7,
10-12); prétexte enfin qui s'harmonise à plein avec le dogme chré-
tien dans
: langue habituelle du christianisme en effet et dans les
la
Épîtres de saint Paul en particulier, nous voyons que le nom de
l'Esprit-Saint remplace souvent celui du Christ et que l'Esprit est
donné en vérité aux hommes comme le substitut même du Christ :

à cela fait exactement pendant le fait de donner auprès de Dieu


des substituts aux hommes dans la personne des anges gardiens,
que peut faire figurer pour ceux qui leur sont confiés, sans
l'on
qu'il y ait du reste des un s aux autres l'identité de nature et d'opéra-
tions qu'il y a entre le Verbe et l'Esprit.
Ainsi disparait la prétendue antinomie du titre des lettres qui
désigne bien des anges et du contenu de ces mêmes lettres qui vise
bien des hommes, mais des hommes signifiés par les anges d'abord
mis en scène. Ainsi s'évanouissent les soi-disant contradictions de
la théologie qui ne peut entendre parlerd'anges faillibles et coupables,
etde l'exégèse qui n'en a d'ailleurs que faire et qui demande seule-
ment qu'on prenne les textes tels qu'ils sont, et que l'on voie des
anges là où il y a des anges, des hommes là où il y a des hommes,
sauf à faire ensuite le raccord de textes en apparences! dissemblables.
Ainsi tombe enfin une de ces incohérences de symboles trop faci-
lement imputées à l'Apocalypse et qui ne sont aussi trop souvent
qu'un asylum ignorantiœ . Telle est la relation des anges et des
Églises qu'il n'y a pas lieu de crier à l'incohérence parce qu'on voit ici

(i, 20) les Églises, là anges désignés par les lampes placées
(iv, 5) les
devant le trône de Dieu. Car si, du point de vue de l'auteur, les
Églises peuvent emprunter le nom des anges, ainsi que nous venons
de le voir et de l'expliquer, en vertu du même processus, les anges
peuvent facilement emprunter les symboles des Églises. Au surplus,
le simple parallélisme des membres dont nous avons déjà parlé,
n' indique-t-il pas assez qu'il y a entre les lampes et les étoiles la
LANGE ET LE CHANDELIER DE L'ÉGLISE D'ÉPHESE. 173

même correspondance qu'entre les Églises et les anges, une corres-


pondance qui fait que les étoiles sont la contrepartie céleste des
lampes, comme les anges sont la contrepartie céleste des Églises,
et réciproquement. C'est ce qu'a très bien aperçu et même exprimé
Ramsay (1;. lia seulement eu le tort de ne pas pousser sa pensée
jusqu'au bout, et de n'en pas assez bien faire l'application à l'exé-
gèse des lettres. Ramsay suppose en effet que le Seigneur s'adresse
alternativement à l'Eglise interpellée sous le nom de son ange et à
l'ange considéré en lui-même. Il admet que l'ange est plus ou moins
atteintet pour ainsi dire éclaboussé par les fautes de l'Église sans en être
véritablement coupable r2). En une cote mal
d'autres termes, il fait

donne une solution indécise et flottante. Il nous semble plus


taillée, il
logique et plus clair aussi bien que plus conforme à l'état des textes,
qui ne se laissent pas distribuer en deux catégories, ni facilement
expliquer en interprétations obliques ou en allusions floues d'admettre ,

qu'il s'agit partout d'une responsabilité intégrale,


d'une culpabilité et
réelle dont le sujet apparent est toujours l'ange, mais le sujet réel
toujours l'Église ou les membres de l'Église, sous la forme variable
du singulier ou du pluriel.
On comprendra maintenant ce qu'est l'ange de l'Église d'Éphèse.
tenu de faire pénitence : c'est, en un langage mystérieux, l'Église
d'Éphèse, les fidèles au moins de cette Église, que le Seigneur presse
de se convertir à de meilleurs sentiments sous peine d'encourir une
sanction pénale qu'il nous reste à définir.

II

Autant qu'on peut en juger par les aveux d'ignorance, d'incerti-


tude ou d'hésitation, aussi bien que par les divergences et les con-
tradictions des commentateurs (3), le problème du chandelier ôté de sa
(i; Op. cit.. p. 62-68.

(2) Op. cit., p. 69-71.

(3) P. Calmes, ojs.cii.. p. 121 «Les menaces par lesquelles se termine le v. ô sont assez
:

énigmatiques. Que signifient mois « je viens à toi »? .S7... Mais si... Les derniers mots
les

« je changerai ton chandelier de place » créent une difficulté (encore) plus grande. Les
chandeliers leprijsentent les Églises, ce qui fait penser... Sicette interprétation est valable- "
Le savant commentaire de .M. Boisset ne trahit pas un moindre embarras. La plupart des
interprètes, écrit-il, rapportent la menace, non pas directement au jugement final, mais
à un jugement préalable, par lequel Éphèse doit être effacée du nombre des Églises. Spitta
et Holtzmann allèguent encore pour l'expliquer Alt. 5, 14-16; Pliil. 2, 15 (l'Eglise doit cesser
d'être une lumière pour les païens d'alentour;. Cependant la simple référence au jugement
final n'est pas exclue « Doch ist die einfacfae Beziehung auf das endgiiltige Gericht nicht
:

ausgeschlossen. » CL p. 205. C'est tout. M. Bousset est visiblement perplexe. Il s'abstient


d'essayer même un commentaire personnel.
174 REVUE BIBLIQUE.

place présente encore plus dé difficultés que le problème de l'ange


requis de faire pénitence.
Un ne doit jamais être étudié à part du livre et du contexte
texte
dont partie, et, dans le livre comme dans le contexte, deux
il fait

choses sont àeavisager, le point de vue de l'auteur et la manière de

l'écrivain, les caractéristiques du fond et celles de la forme (1).

Le point de vue d'un auteur dans un livre, nul n'est mieux à même
de le définir que lui-même, quand il a eu la bonne pensée de le

faire. C'est ce qui est heureusement arrivé à l'auteur de l'Apocalypse,


dans le prologue et l'épilogue de son ouvrage.

On peut distinguer dans le prologue le titre (i, 1-3) et l'introduc-


tion (i, 4-8). Dans le titre, l'Apocalypse s'annonce comme une révélation
divine relative à la fin des temps réputée prochaine, suivant les lois
ordinaires de la perspective prophétique et suivant l'opinion com-
mune des premières générations chrétiennes : elle a été faite « pour
montrer ce qui doit arriver bientôt », « car le moment est proche ».
Destin.ée à la lecture publique dans les assemblées chrétiennes, elle
a pour but et elle doit avoir pour efTet d'assurer la persévérance des
fidèles et de leur procurer le bonheur suprême, celui dont l'idée ne
se sépare pas alors de l'idée de la venue prochaine du Seigneur.
« Heureux celui qui lit et ceux qui entendent les paroles de cette

prophétie, et qui gardent les choses qui y sont écrites, car le temps
est proche! » ([, 3).
On voit déjà bien se dessiner, dès ces premiers versets, le caractère
général de l'Apocalypse prophétique par son origine, parénétique
:

par son but, elle est par son contenu nettement eschatologique.
L'introduction revêt la forme d'une adresse épistolaire où l'on retrouve
tous les éléments ordinaires des suscriptions des lettres de saint Paul,
le nom de l'écrivaia, celui des correspondants, la formule chrétienne
de salut : « Grâce et paix de la part de Dieu et de Jésus-Christ »,

parfois, comme c'est ici le cas, accompagnée d'un développement et

(1) Cette étude prélimiaaire pourra paraître un peu longue. Elle ne saurait pourtant être
traitée dehors-d'ueuvre, destinée qu'elle est à nous fournir, je ne dirai pas les prémisses né-
cessaires à la démonstration de notre thèse, mais conducteur dont parle le
ce précieux fil

P. Alcasar dans son chapitre intitulé De egregio fructuexfilo apte deducto a principio
libriusque ad fiiiem, qui doit nous empêcher de nous égarer dans le dédale des explica-
tions contradictoires, et nous aidera découvrir le point lumineux que nous cherchons.
LA.V;E et le chandelier de LÉtiLISE D"ÉPHÈSE. 175

couronnée dune doxologie. Or, dans ce développement et cette


doxologie, qui se greffent sur le nom de Dieu et du Christ et qui
constituent la partie spéciale et caractéristique de l'adresse, la phy-
sionomie eschatologique du livre prend un relief, peut-être encore
plus accusé que dans le titre. Dieu y est défini du point de vue de
la durée et de la fin des temps en particulier. Il y est appelé h Celui
qui est, qui était et qui vient. : wv f.r. z };> /.y). : tzyyj.vtzz ». Cette
désignation de l'Etre divin s'inspire certainement du fameux passage
de l'Exode oii Dieu se définit .""-.s» -rs r;;~N (m, lij, delà traduction
qui en avait été faite parles Septante : « 'E70) v:v. z wv » et concorde
avec le commentaire qu'en donnaient les rabbins juifs : u Ego ille

qui est et qui fuit et qui erit (1 formule


. » C'est presque la même
que nous retrouvons ici. L'auteur de l'Apocalypse a seulement mis
« qui vient à la place de « qui sera » pour mettre son texte plus
>

clairement en relation avec l'idée du dernier avènement qui constitue


la donnée fondamentale du livre. C'est à la même idée que se rattache
certainement la mention des sept anges debout devant le trône de Dieu
et prêts à se faire les messagers de sa parole et les ministres de sa

justice pour
la préparation des grandes assises finales. Tel est en
effet le qu'on leur voit jouer dans toute la suite du livre. Le
rôle
Christ est conçu du même point de vue eschatologique. comme
le premier agent de la révélation qui s'achève et du royaume qui

arrive. On l'appelle le témoin fidèle^ ce qui évoque é\idemment ce


(»témoignage de Jésus » que le titre identifie avec « l'Apocalvpse >
des derniers temps. On salue en lui le Roi messianique des psaumes en
l'appelant le premier-né », le « prince des rois de la terre » Ps. lxxxix.
•(

Cf. Apoc, XVII. 11. XIX, 16 et, dans l'unité de la même perspective
;

eschatologique, à l'idée juive du Messie glorieux se joint, eu se


fondant pour ainsi dire avec elle, l'idée chrétienne de Jésus ressuscité,
le premier-né d'entre les morts, dont la Réssurrection est le gas'e

et le prélude de la nôtre, et l'idée concomitante de Jésus crucifié


dont l'amour et les souffrances aboutissent, en nous purifiant de
nos péchés, à faire de nous les héritiers de sa eioire et de son sacer-
doce dans le royaume de Dieu son Père ± .

Et comme si tout cela n'était pas encore assez clair, comme .si le
titre et l'adresse ne suffisaient pas à nous renseigner sur l'esprit du

(1) Tarrjum de Jonathan. — Le Targum de Jérusalem dit à peu près la même chose.
L'on sait que la rédaction des Targums n'est pas antérieure au lu' siècle, mais l'on sait
aussi que leur contenu remonte souvent à beaucoup plus haut.
^2; Apoc. 20, « Heureux celui qui a part à la première résurrection
: Lasecondemort n'a !

point de pouvoir sur eux. IhieToniprêtre'; deDieu. et du Christ et ilsrégnerontaveclui. »


176 REVUE BIBLIQUE.

livre deux déclarations s'y surajoutent dont l'une est relative au


Christ et l'autre à Dieu le Père et où l'idée dominante de l'Apocalypse
se trouve encore reprise et accentuée avec énergie. Lisez plutôt :

« Le voici qui vient —


il s'agit du Christ le voici qui vient avec —
les nuées », le voici donc dans l'appareil de la parousie finale, le
voici qui vient dans la gloire, c'est-à-dire comme Juge et comme
Juge universel « Tout œil le verra et ceux qui l'ont percé et toutes
:

les tribus de la terre se lamenteront à cause de lui » (i, 7). La pré-


histoire de ce texte en confirme l'acception eschatologique que nous
Il dérive, au fond, d'un passage de Zacharie {xii, 10)
lui attribuons ici.
où prophète a voulu exprimer la douleur et la confusion des Juifs
le
à la vue de celui qu'ils ont mis à mort, prince ou prophète qui avait
péri par les mains de ses compatriotes. Mais notre auteur montre,
par la manière dont il cite, qu'il s'inspire de l'usage fait de ce même
texte par saint Matthieu (xxiv, 30), qui lui donne un sens nettement
eschatologique et lui fait signifier la douleur et la confusion des Juifs
et des Gentils à la vue du Christ crucifié revenant dans sa gloire
pour le jugement (1). Et comme si ce n'était pas encore assez de la
réédition de cette vision évangélique de la parousie, l'auteur y
ajoute pour finir le commentaire et le sceau d'un oracle solennel de
Dieu : « Je suis l'Alpha et l'Oméga, dit le Seigneur Dieu, Celui qui
est, Nous retrouvons là la formule à trois
qui était et qui vient. «

ternies dont nous avons déjà montré la portée eschatologique. Elle


est ici précédée d'une formule à deux termes à laquelle elle donne
pour ainsi dire la réplique. Dans sa teneur originale et complète

cette première formule serait exactement équivalente et parallèle à


la seconde, s'il est vrai, comme le suppose le P. Calmes (2), qu'elle
est empruntée à l'enseignement des rabbins pour qui les trois lettres

du mot i^'I^K (Vérité) devaient être considérées comme le sceau


de Dieu, c'est-à-dire le symbole de la Divinité, comme faites pour
représenter les trois phases de la durée, l'une figurant au commen-
cement, l'autre au milieu, la troisième à la fm de l'alphabet hébreu.
Quoi qu'il en soit de son origine, le sens de l'expression n'est pas dou-
teux ni sa raison d'être non plus. « Je suis l'Alpha et l'Oméga )>, cela
veut certainement dire, comme l'a entendu la Vulgate et comme
l'explique ailleurs (xxii, 13; i, 17; n, 8) l'auteur de l'Apocalypse (3) :

(1) C'est du rapprochement de ces deux passages (Mt. 24, 30; Apoc. 1, 7) que semble
provenir la croyance que le Christ apparaîtra avec sa croix au dernier jour.

(2) Op. cit., p. 115.

(3) On a émis des doutes sur l'authenticité des v. 7, 8 sous prétexte qu'ils rompent la

suite des idées (1, 6, 9). M. Bousset répond avec raison : « Esist kein Grund abzusehen,
,

L'ANGE ET LE CHANDELIER DE L'ÉGLISE D'ÉPHÈSE. 1"

<( premier et le dernier >>. Et pour-


Je suisle principe et la fin, je suis le
quoi Dieu le rappelle-t-il sinon pour faire entendre quil va présider
à la consommation des choses comme il a présidé à leur commence-
ment, reschatolog-ie étant d'ailleurs conçue comme une rénovation de
la Genèse et la fin du monde comme une sorte de nouvelle création
(xxi, 5ss.).

Rien ne ressemble tant au prologue de l'Apocalypse que l'épilogue


qui clùt le livre. On y retrouve en termes peut-être encore plus expli-

cites les mêmes indications sur le caractère de l'Apocalypse. On v


répète que l'Apocalypse est une révélation, faite « pour montrer
les choses qui doivent arriver bientôt » (xxii, 6 , un écrit prophétique
destiné à procurer la persévérance finale des fidèles et à les faire
du règne messianique tout près de commencer
entrer dans la félicité :

((Voici que je viens bientôt. Heureux qui garde les paroles de la


prophétie de ce livre » ,xxii. 7;. On ajoute (xxii, 10) que le livre une
fois écrit ne doit pas être scellé et serré comme le livre de Daniel
(Dan., VIII, 26: xii, i-9 qui était censé viser des événements lointains
et n'intéresser que les générations futures. Celui-ci par contre doit
rester ouvert, parce qu'il intéresse la génération présente, parce que
les événements sont sur le point de confirmer la révélation qu'il
contient. Le dernier jour est proche, si proche même qu' « il n'est
guère plus loisible aux hommes de changer d'état, de se sanctifier
ou de se pervertir le Souverain Juge, survenant comme un voleur,
:

va les surprendre tels qu'ils sont, sans qu'ils aient pour ainsi dire le
temps de se retourner (1) » (xxii, 1 1 Et par trois fois (xxii, T, 12, 20'
.

l'on proclame qu'il \-ient, qu'il va venir incessamment, Celui qui doit
procéder à ce jugement définitif, à cette liquidation morale de l'hu-
manité, Celui qui doit présider à la consommation des choses comme
il a présidé à leur commencement : « Voici que je viens bientôt et
ma rétribution est avec moi pour rendre à chacun selon son œuvre.
Je suis l'Alpha et l'Oméga, le premier et le dernier, le commencement
et la fin. »

Si cette venue du Souverain Juge est redoutable aux méchants qui


se lamenteront en le voyant apparaître (i, 6j et qui seront honteuse-

weihalb nicht der .^pokalypter sich hier unterbrochen habea konnte, uni in einern kurzen
Molto den l:ihalt seiner Scbrift za charakterisierea und auf den hohen Ernst und die Be-

deutung de.'? Geweissaglen hinzuweisen », p. 191. Au demeurant, on pr-ut trouver que la solu-
tion de continuité est plus apparente que réelle.
(DP. Calmer, op. cit., p. 235.

REVUE BICLIQCF. 1910. — .\. S., T. VII. 12


178 REVUE BIBLIQUE.

ment exclus de son royaume au contraire infini-


(xxii, 15), elle est

ment désirable aux fidèles qui trouveront en Lui et en son royaume


une source intarissable de vie et de joie (xxii, 14, 17, 19). Aussi doi-
vent-ils répondre à l'Esprit qui l'annonce et à l'Église qui lui fait
écho eji l'appelant de ses vœux, en unissant leur voix à la voix de
l'Esprit et de l'Épouse, en disant « Amen » à la prophétie de l'Esprit
et à la prière de l'Église. C'est ce que l'auteur dit pour son propre

compte avant de clore son livre « Amen Viens, Seigneur Jésus (1). »
: !

Et c'est ce que nous devons dire si nous avons bien compris la belle
et haute signification de l'Apocalypse. Rien ne répond mieux en effet

à la note dominante du livre que cette aspiration ardenle vers l'avè-


nement du Seigneur, vers « l'arbre de vie et la cité sainte qui sont
décrits dans ce livre » (xxii, 19). « L'Apocalypse, dit M. Jacquier,
est un Sursum corda adressé par l'Apôtre Jean aux chrétiens des
sept villes d'Asie et aux chrétiens de tous les temps. Cette vue
jette une lumière éclatante sur le contenu du livre » (xxii, 19) (2).
L'Apocalypse est un Sursum corda : il faut prendre ces mots à la
lettre et, si l'on veut comprendre quelque chose à ce livre mystérieux,
il faut tenir les yeux levés vers le Ciel et y voir sans cesse le Christ

dans le glorieux appareil de son dernier avènement aussi consolant


pour les bons qu'il sera terrible pour les méchants.
(A suivre.)

Albi, en la fête de sainte Cécile, 22 novembre 1909.


Augustin Fabre.

(1) Celte supplication n'est que la traduction grecque de la fonnule araïuéenne : « Mâranâ
tha ÎL (iv>o Notre-Seigneur, viens : » qui semble avoir été d'un usage commun dans la liturgie
chrétienne des premiers temps (I Cor. 16., 22. Didaclié, 10, 6). Nous suivons ici la lecture
proposée par Bickell et adoptée par la plupart des critiques actuels.
(2) Jacquier, Histoire des livres du N. T., III, p. 350.
LES PAYS BIBLIOT ES ET L'ASSYRIE
[Suite)

Lan 828 av. J.-C. Salmanasar II célébrait le trentième anniver-


saire de son avènement au trùne d'Assyrie, eu se faisant inscrire de
nouveau comme éponyme dans la liste des archontes T. Ses nom-
breuses conquêtes eussent pu lui faire espérer une heureuse vieil-
lesse. Ce fut au sein de sa propre famille que surgirent les difficultés.
Il avait deux iils : Samsi-Adad. Le premier, aspi-
Asour-danin-apli et

rant sans doute à prendre part au gouvernement, ou craignant de se


voir évincer par son frère, leva l'étendard de la révolte contre son
père (2). Non moins de vingt-sept villes, parmi lesquelles Xinive,
embrassèrent la cause d'Asoar-dauin-apli. Salmanasar II laissa à son
fils resté fidèle le soin de lutter contre le prétendant. Sarasi-Adad fut
victorieux mort de son père survenue en 825, i! sassit sur le
et. à la
trône 3 . Durant son règne (82V-812
il eut à lutter pour conserver

sous son autorité l'immense empire que lui avait léjgué Salmanasar IL
Son inscription en caractères archaïques relate trois campagnes dans
les pays du Xaïri, près du lac de Van. La quatrième campagne est

dirigée contre la Babylonie dont le roi, Mardouk-balatsou-iqbi, est


vaincu à Dour-Papsoukkal i . Une inscription, nouvellement décou-
verte à Asour et encore inédite (5), signale deux campagnes à la suite
des quatre précédentes. Toujours en haleine pour maintenir un peu
de cohésion entre les éléments disparates qui composent son royaume.
Samsi-Adad IV ne peut guère faire d'incursions vers les pays de

(1} Chaque année élait désignée, en Assyrie, par le nom d'un dignitaire qui était l'éponyme
de l'année. Cette période était le limmu du dignitaire. La première année d'un règne avait
pour éponyme le nouveau roi.

2)Comparer la révolte d'Absalom contre David.


'3) Ces événements sont racontés dans l'inscription en caractères archaïques gravée sur la

stèle de Samsi-Adad IV (celui qui nous occupe]. L'inscription dans I R, 29-31. Cf. Scheil.
Inscription assyrienne de Samû-Rammàn IV, Paris. 1889. En outre. Abel. In-
schrift Samsi-Ra7nmdn^s, dans KB., I, p. 174 ss.
(4) Dans le teste cité à la note précédente. De même dans l'histoire synchronique ^KB.,
I, p. 200 ss.]. La liste des éponymes avec notices distingue une campagne au pavs de Kaldou

et une à Babylone [KB., I, p. 208 s.).

{ô) Seulement mentionnée dans A>dk\e, Der Anu-Aclad-Tempel in'Assur, p. 78.


d80 REVLE BIBLIQUE.

l'ouest "oudu sud-ouest. Lorsqu'il trace les limites de l'Assyrie, il ne


dépasse pas, à l'occident, la ville de Kar-Sulmdmi-aéared (aujour-
d'hui Biredjik) près de Gargamu (aujourd'hui DjerdMs), ni le pays
de Souhi {''rà) le long- de l'Euphrate entre le Balih et le Habour (1).

peuples en deçà de l'Euphrate, y compris l'Asie Mineure et la


Les"
Phénieie. ne conservèrent pas le souvenir de ce Samsi-Adad IV. Par
contre, son épouse devait rester célèbre dans la légende soas le nom
de Sémiramis On connaissait jusqu'à ces derniers temps une cer-
(2 .

taine Sammouramat [Sa-am-mu-ra-mat qui figurait sur deux statues \

de Nébo de l'époque d'Adad-nirari III (811-783) et portait le titre do


« dame du palais (3) ». Il était impossible de savoir s'il s'agissait de
l'épouse ou de la mère du roi. En juin 1909, les fouilles allemandes
ont exhumé, à Asour, la propre stèle de cette reine (le nom est encore
écritSa-am-7nu-ra-mat qui se présente à nous comme « dame du pa-

lais de Samsi-Adad, roi du monde, roi du pays d'Asour; mère d'Adad-

nirari, roi du monde, roi du pays d'Asour; belle-fdle de Salmanasar,


roi des quatre régions (i). » On sait comment la mythologie s'est
emparée du personnage de Sémiramis et a voulu lui attribuer les
honneurs de la fondation de Babylone. Mais déjà les anciens, grâce
aux indications de Bérose et d'Abydène, protestaient contre cette lé-

gende et cherchaient à ramener Sémiramis aux proportions d'une


reine' historique (5). Sémiramis n'avait pré-
Selon Hérodote '^I. 18i ,

cédé que de cinq générations Nitocris, qui mère de Labynète était la

(1, 188), c'est-à-dire de Nabonide, le dernier roi de Babylone (555-539).


Il est donc très vraisemblable que la Sémiramis de l'histoire n'était

autre que cette Sammouramat, femme de Sam^iii-Adad IV. Le grand


rôle joué par la colombe dans toute la légende de Sémiramis (6)
pourrait bien provenir de ce que le premier élément isammid de

(1) Inscription archaïsanle, II, 7 ss Pour les identifications, Scheil. op. laud., p. 48 ss.,

et Delitzsch, Wo lag das Pûradies, p. 265 s., p. 298.

(2) L'histoire d'Alhalie dans le royaume de Juda avait montré, peu de temps avant l'épo-
que qui nous occupe, la haute influence que pouvait exercer une femme dans les aflfaires
des cours orientales. Un rôle analogue a été joué par Sammouramat (= Sémiramis) sous le
règne de Samsi-Adad lY. Nous verrons plus loin les femmes exerçant le pouvoir en Arabie.
(3) Ces statues sont au British Muséum, The Ximroud central saloon, n"" 69 et 70.
L'inscription dans I R. 35, n" 2: cf. A'B., I, p. 192 s, et notre ouvrage sur La religion
ossyro-bahiilonienne, pp. 27 et 111.
(4) DEUTZscn, dans Milteilungen der deulschcn Orienl-Geselhcliaff, n" 42 (décembre
1909), p. 38, note.
(5) Excellente dissertation sur ce sujet dans Bochart, Phaleg et Canaan (éd. de Leyde,
1707), col. 232. Bérose est invoqué dans Josèphe [Contr. Apion., I, 20) contre ceux qui at-
tribuent la fondation de Babylone à a l'Assyrienne Sémiramis ».
'6) Cf. surtout Diodore de Sicile (liv. II).
LES PAVS BIBLinUES ET LASSVRIE ISl

Sammouramat une forme voisine de summu dont le féminin


était

siimmatu représente la colombe » en assyrien l


« .

Ainsi le prestige de la civilisation assyrienne déborde les limites do


l'empire. Déjà le merveilleux va se greffer sur l'histoire réelle. Pen-
dant que Samsi-Adad IV et Sammouramat travaillent à consolider
leur puissance dans les pays du Tigre et de l'Euphrate, le royaume de
Damas cherche toujours à reprendre prépondérance parmi les
la

populations sémitiques de l'ouest. Hazaël le successeur de Hadad-


,

ézer 2), avait résolument ouvert les hostilités contre les rois d'Israël.

Il n'avait pas craint de se mesurer avec Joram,fils de cet Achab qui

s'était battu, à aux côtés de Hadad-


Qarqar, contre Salmanasar II,

ézer ^3). Le roi de Juda, Ochosias, ayant voulu porter secours au


roi d'Israël (i l'usurpateur Jéhu avait assassiné à la fois Joram
,

d'Israël et Ochosias de Juda (5). A peine assis sur le trône de Sa-


marie. il avait payé son tribut à Salmanasar II et. tranquille du côté
de l'Assyrie, avait concentré ses forces contre Hazaël de Damas. Celui-
ci faisait des incursions en Transjordane « En ces jours-là, lahvé :

commença à entamer Israël; Hazaël les battit sur toute la frontière


Israélite : depuis le Jourdain, à l'Orient, il battit) tout le pays de Ga-
laad, les gens de Gad, de Ruben, de Manassé, depuis Aroër qui est si-
tuée près du torrent de l'Arnon. ainsi que les territoires de Galaad et
de Basan 6i. » Sous le règne de Joachaz, fils de Jéhu, Hazaël s'avance
jusqu'à une ville de Gatli (7), qui pourrait bien être la Gath du mont
Carmel, connue par d'El-Amarna (8). Le roi de Juda, Joas,
les lettres
épouvanté par l'approche de r.\raméen. n'hésite pas à sacrifier les
trésors du temple de Jérusalem pour éloigner l'envahisseur 9 C'était .

une façon de reconnaître la suzeraineté de Damas. Quant au royaume


d'Israël, il est opprimé par Hazaël durant toute la vie de Joachaz (10 1.
Au lieu donc de former, comme par le passé, une ligue entre les
petits états d'Aram et de Canaan, le roi de Damas préfère étendre sa
domination vers le sud. Il profite des troubles qui ont inquiété la

(1) Hésychius interprète r:;j.îoaa'.; par r.i'.io-i'jx ôpe-.o:. L'élément râmat est ainsi con-
sidéré comme appartenant à la racine ^IT « être élevé ».

12) Cf. RB., 1910. p. 72.

(3) Il Reg., 8. 28 s.

f4] Ibid.
[h] II P.eg.. 9.
6) II Reg., 10, 32 s.

(7) II Rerj., 12, 17 s.

(8) RB.. 1908. p. 518.


(9) n Reg., 12, 17 s.

(10} II Reg., 13, 22.


182 REVUE BIBLIQUE.

vieillesse de Salmanasar II et des difficultés que rencontre Samsi-


Adad IV dans l'exercice de l'autorité, pour chercher à concentrer
entre ses propres mains la souveraineté sur la Syrie et la Palestine.
Mais pas plus que le fils de Salnianasar II n'avait réussi à 'sauvegar-
der l'héritage paternel, le fils de Hazaël, Ben-Hadad II 'li. ne sera
capable de maintenir la suprématie araméenne sur les peuples de
Palestine.
Il existait, la Syrie du Xord, un royaume rival de celui de
dans
Damas. Hamath, sur l'Oronte. Sans doute, le roi de Hamath,
C'était
Irhoulêni, avait combattu aux côtés de Hadadézer de Damas et d'Achab
d'Israël, à la bataille de Qarqar. Mais l'affaiblissement de l'Assyrie,
sous le règne de Samsi-Adad IV. avait permis aux successeurs d'Irhou-
lêni de travailler au relèvement de Hamath comme royaume indé-
pendant. Un usurpateur du nom de Zakir (2 avait réussi à grouper
sous sa main les états de Hamath et de Lou'ous, occupant ainsi un
territoire compris entre Hamat, Hoins et la mer (3). Grâce à la stèle
de ce monarque, nous savons que notre Ben-Hadad II, roi de Damas,
avait suscité une coalition contre Zakir « Bar-Hadad, fils de Ha- :

zaël, roi d'Aram, unit et rassembla contre moi dix +- x rois li). »
Par bonheur, six de ces rois sont mentionnés et nous pouvons
ainsi nous rendre compte du morcellement des principautés dans le
nord.de la Syrie. C'est toujours la situation que nous avons recon-
nue à l'époque des lettres d'El-Amarna (5); des roitelets en guerre
les uns contre les autres et reconnaissant la suprématie d'une grande
puissance. Seulement, au Keu d'avoir l'Egypte pour suzeraine, ils se

sont vu imposer le joug assyrien par les invasions de Salmanasar II.

Us ne comprennent pas que leurs dissensions intestines font le jeu de


leur redoutable voisin. Ils préfèrent rester tous au second rang, sous
la main de l'étranger, plutôt que de laisser émerger l'un des leurs.
Hazaël avait sans cesse harcelé le royaume d'Israël. Son fils Ben-
Hadad II s'attaque à Zakir. Il a parmi ses aUiés un certain Bar-Gas

(1) RB., 1910. p. 72.

(2) Nous lui laissons la vocalisation Zakir, postulée par M. Pognon, en vertu du nom de
Zakir qui se trouve dans les inscriptions cunéiformes. Mais le mot Zakir ou Zakiru est
assyrien. Nous préférerions une forme Zakar, qui serait hypocorislique de noms à second
élément divin, tels que rilii", irilTZ". Que Zakir ail été un usurpateur, c'est ce qui sem-

ble résulter des tenues mêmes de son inscription (cf. Savignac, RB., 1908, p. 597).

(3; Cf. DissALi), Le royaume de Uamat et de Lou'ouch, dans Revue archéologique,


1908. I, p. 224 ss. — RB., 1910, p. 59 s.

(4) PoG.NO.N, Inscriptions sémitiques.... p. 160. On a :


mx '^"'*2 Sn"" "12 """12. Sur
celle iascriptioa de Zakir, cf. encore Dussaud, loc. laud., et Savigxac, RB., 1908, p. 596 ss.

;5) HB., 1909. p. 56 ss.


LES PAYS BIBLIQUES ET LASSVRIE. 183

dont nous ignorons le pays, mais qui est certainement mi Âraméen, à


en juger par son nom "w;~"iz (cf. ~~~~"^2]. Les cinq autres confédérés
sont désignés, dans la stèle nom de leur principauté.
de Zakir, par le

C'est d'abord le roi de Que (mp), c'est-à-dire de la Cilicie (1). Ensuite,


le roi de p'zy. M. Pognon n'a pas eu de peine à reconnaître ce pays de
'Amq dans la région désignée actuellement sous ce nom, qu'elle porte
déjà dans Belâclhon et laqût (2). u C'est le territoire bas et maréca-
geux qui se trouve sur les bords du lac d'Antioche, entre le Kara-sou
et la rivière nommée Afrin (3) . » Polybe, en décrivant le cours de
rOronte, faisait remarquer que le fleuve, avant de gagner Antioche,
traversait Ts 7.xÀ2j;j.îvcv 'A;j,jy.v;ç zscbv (4). Winckler 5) identifiait cette
plaine de 'A;j.J7.-^ f=
pc>, ;^_^) avec le pays à'Ungi signalé dans les
inscriptions de Téglath-phalasar III ;6). La vraie prononciation serait
donc 'Umq ou 'Amuq. Déjà Bocliart postulait pour 'A;j.j/.r, de Polybe
une forme hébraïque "piî2" ou une forme araméenne sp^^" (7).
Les trois derniers rois de la coalition sont ceux de Gourgoum
:2;"i;j, de Sam "al (Sx^u?) et de Miliz ("S'Zy. M. Dussaud a fait observer

que ces trois pays (le second représentant un nom de ville se retrou- i

vent groupés dans les annales de Téglath-phalasar III (8,. Après


avoir mentionné les rois de la Commagène, de Damas, de Samarie, de
Tyr, de Byblos, de Cilicie. de Gargamis et de Hamath, le texte men-
tionne « Panammou de la ville de Sam'al iSa-am-a-la), Tarhoulara
du pays de Gourgoum [Gûr-gu-ma) (9j, Souloumal du pays de Melid
[Me-lid-da] ». Il s'agit donc de trois territoires limitrophes. Celui de
Gourgoum est mentionné encore dans l'inscription de Panammou (10).
M. Sachau l'a identifié très heureusement avec Djurdjùmeh, pays voi-
sin de Amq, d'après Belâdhorl (11). En combinant les divers rensei-
gnements sur ce pays, on arrive aux environs de Mar'as (12). Quant à
la ville de Sain al ou Sanial qui, d'après les inscriptions araméen-

1) /.7i., 190'J, p. 64 S.

(2) laqi'desi cité par Pognon {op. laud., p. 163', Belâdhorl (162. 1) par Noldeke (Z.I.,
XXI, p. 377).
(3j PoGNox, op. laud., p. 163.

(4) Histoire, V, 5a.

(5) Allorientalische Forschuarjen, I, p. 9.

(6) Annales, A, 45 : cf. KB., II, p. 28-29.

(7) Phale(j et Canaan iédit. 1707), col. 350, 1. 20 ss.

(8) KB., II, p. 30-31. Cf. inf.


:9j Lire gur et non gam, comme porte la transcription de K£. Le même signe a les va-
leurs gam et gur dans le syllabaire cunéiforme.
(10) A la 1. 15 :cf. Lagrange, ÉRS. (2= éd.), p. 495 s.

(11) Cf. Nôldeke, ZA., XXI, p. 377.

(12) DcssACD, Revue archéologique, 1908, I, p. 230.


184 REVUE BIBLIQUE.

nés 1), doit être la capitale du territoire de ladi, elle est très pro-

bablement à localiser à Sendjirli (2), entre Ântioche et Mar'as. Le


pays de ou Milid a été identifié par M. Dussaud avec la Mélitène
Miliz

des Grecs dont la capitale, aujourd'hui Malatia, est située bien au


nord-est de Mar'as, de l'autre côté du Taurus. Nous ne croyons pas
qu'on puisse reporter ainsi au delà de la Commag'ène un pays qui doit
être voisin de Gourgoum et de Sam "al.
Telle est la coalition que Ben-Hadad II conduit contre son rival de
Hamath et de Lou'ous. Les fédérés viennent mettre le siège devant la
ville de Hazrak v""'"'" qui correspond à ~i"n de Zach.^ ix, 1 et à
Hatarikka des inscriptions cunéiformes (3). Cette ville, dont le site
exact est encore inconnu, se trouvait dans la région qui s'étend au
sud du royaume de Hamath et au nord de celui de Damas i). Grâce i

à la protection de son dieu, qui n'est autre que Baal-samaïn « le sei-


gneur des cieux » (5), Zakir délivre la ville assiégée, ce qui lui four-
nit l'occasion d'élever sa stèle en témoignage de reconnaissance.
Ainsi l'Araméen Ben-Hadad II échoue misérablement dans ses dé-
mêlés avec le pays de Hamath. Le royaume d'Israël profite de cette
défaite pour reprendre les villes conquises par Hazaël. C'est .loas, le

filsde Joachaz, qui, après une triple victoire, chasse l'étranger de


son territoire 6). Nous sommes aux environs de l'an 800 avant Jésus-
!

Chrisf.
Cependant l'Assyrie, après la crise traversée sous Samsi-Adad IV, a
repris ses visées ambitieuses. Le fils de Samsi-x\dad IV, Adad-
nirari III, > que, dès son enfance, le dieu A.sour, roi des Igigis, a choisi
et aux mains duquel il a confié une royauté sans rivale (1) », va tra-
vailler à rendre à son empire Textension atteinte aux temps de Sal-
manasar IL II a hérité de sa mère Sémiramis les hautes ambitions et
la bravoure légendaire. Grâce à la liste des éponymes, accompagnée
de courtes notices (8), nous connaissons les campagnes entreprises

(1) Comparer les textes dits de Hadad. Panammou et Bar-Rekoiib : Lagrange, ÉRS.
(2= éd.), p. 499.
(2) C'est là qu'ont été découvertes les inscriptions des rois de iaw'ai ou du ladi.
[3] Cf. Delitzsch, Wo lag das Parodies, p. 279, pour l'identification de "JTîn et de

Hatarikka.
[i] DussALi», Heiite archéologique. 1908, I, p. 229.
(ô) Les mots ':*'2w*'7"2 sont écrits en un seul dans toute l'inscription. On ne les sépare
pas par le petit trait vertical qui sert à distinguer les mots, dans cette inscription. Sur ce
Baal des cieus, cf. Lagrange, ÉRS. 2« éd.\ p. 92 ss.

(6) II Reg., 13, 24 s.

(7) Cf. notre ouvrage sur La religion assijro-habylonienne, pp. 150 et 159.
(8) KR., l,p. 208-209.
LES PAYS BIBLIQUES ET LASSVRIE. 183

parce monarque durant son long règ-ne 811-783 avant Jésus-Chiist'i.

Entre les années 807 et 804 il franchit FEuphrate^du côté de Garga-


mis et soumet la ville de Hazaz (aujourd'hui 'Azaz au nord-ouest
lune des principales villes de ce pays de Patin qu'ar-
d'Alep'i. C'était

rosait le fleuve Aprie aujourd'hui Nahr-Afrin) (11. Il subjugue aussi


Arpad [Ar-pad-dà] aujourd'hui Tell-Erfâd un peu au sud de
,

'Azaz (2). Le successeur de l'infortuné Ben-ïladad II. un certain


Mari' (3), avait essayé de se relever dans Damas. Mal lui en prend.
Adad-nirari III vient le cerner dans sa ville et le forcer à déposer les
armes. Nous avons le récit de cette nouvelle campagne des Assyriens
contre Damas : « Certes, écrit Adad-nirari i), je suis allé contre le
pays de Damas. Le roi de Damas, Mari' (Ma-ri-'), je l'enfermai dans
Damas [Di-ma-as-qi) sa ville royale. La crainte de l'éclat d'Asour,
son (5) seigneur, le renversa embrassa mes pieds il se fit vassal.
et il :

Dans Damas sa ville royale, dans son palais, je reçus 2. 300 talents
d'argent, 20 talents d'or, 3.000 talents de bronze, 5.000 talents de fer,
des vêtements bariolés, des tunicpies de lin, un lit d'ivoire, un trône
d'ivoire massif, son trésor, sa richesse sans nombre. <> Cette expédi-
tion à Damas marquant du règne. Adad-nirari III la ra-
était le fait

conte avec plus de détails que sa campagne en Babylonie (Kal-du),


durant laquelle pourtant il avait pu, comme son grand-père Salma-
nasar II (6), offrir des sacrifices aux dieux de Babylone, de Borsippa
et de Koutha (7i.

Adad-nirari III rendait ainsi à l'Assyrie l'extension atteinte à l'é-

poque de Salmanasar II. Quand


énumérera ses possessions, il ne il

s'arrêtera plus à l'Euphrate, comme faisait Samsi-Adad IV. « Depuis


l'Euphrate jusqu'à la grande mer où se couche le soleil (la Méditerra-
née), je soumis à mes pieds le pays de Hatti (Hat-te) et le pays d'A-
mourrou [A-miir-ri) en sa totalité les pays de Tyr [Sur-ru]^ de Sidon :

[Si-du-nu), d'Omri {Hu-um-in-i) d'Édom [U-dii-mii), et de Philistie ^

[Pa-la-as-tu) Je leur imposai un pesant tribut. » La nomenclature va


.

du nord au sud. Le pays de Hattou juxtaposé au pays d'Amourrou

(Ij RB., 1910. p. 59.

(2) Cette ville A' Arpad correspond à ~2"'N tle la Bible.

'3j D'aucuns identifient ce Mari' avec Ben-Hadad II lui-même. Ce serait le titre ^•^^2

« seigneur ». En reconnaissant la justesse de l'étymologie, nous ne voyons pas la nécessité


de confondre les deux souverains. Les inscriptions cunéiformes cherchent toujours à ren-
dre le nom propre des personnages.
'4) Inscription des dalles de Kalhou, dans I R, 35. n' 1 ; cf. KB., I, p. 190 ss.

(5) Probablement erreur au lieu de l'expression ordinaire « mon seigneur ».

(6) RB.. 1910, p. 68.


'!) Dans l'inscription des dalles de Kalhou, I R, 35. n° t, 1. 22 ss.; KB., I, pp. 192-193.
186 REVUE BIBLIQUE.

correspond à peu de choses près au territoire occupé par les Hittites à


l'époque d'El-Amafna (1). Refoulés sans cesse de l'Asie iMineure vers la

Syrie septentrionale, ils ont fini par imposer leur nom à la région
comprise entre Gargamis, l'une de leurs capitales, et le royaume de
Hamath.
Cette désignation de pays de Hattou finira par s'étendre même au
pays d'Amourrou. Pour le moment, celui-ci représente encore la côte

septentrionale de la Pliénicie exactement comme dans les lettres d'El-


Amarna (2). Dans ces mêmes
nous avons vu comment Tyr et
lettres,

Sidon formaient le trait d'union entre les pays d'Amourrou et de


Canaan (3^. C'est pourquoi nous voyons figurer à la suite d'Amourrou
le territoire dont Tyr et Sidon sont les capitales. Mais, au lieu de Ca-

naan, c'est le pays d'Omrî qui est nommé au sud de la Pliénicie. Nous
avons vu déjà comment le royaume d'Israël avait fini par porter le
nom de « maison d'Omri » ou simplement, comme ici, « pays d'Oinri » (4).
Lors donc que Jéhu, au temps de Salmanasar II, était désigné comme
« l'enfant d'Omrî » (5), cette épithète pouvait le représenter simple-

ment comme appartenant au pays d'Omrî, c'est-à-dire au territoire de


Samarie.
On pays de Juda à la suite de celui d'Israël.
s'attendrait à trouver le
L'inscription d'Adad-nirari III n'eu fait pas mention. C'est que Juda,
vassal de Damas comme nous l'avons vu plus haut, partageait les
vicissitudes de cette ville. Le fils de Joas, Amasias, après une expédi-
tion heureuse contre les Édomites (6), avait été battu à plate couture
par Joas d'Israël qui avait démantelé Jérusalem et s'était; emparé des
richesses du templeLa guerre civile s'était ajoutée au fléau de
(7).

l'invasion et finalement Amasias lui-même, réfugié à Lakîs, avait été


mis à mort par des conspirateurs (8). Son fils Osias ne réussit pas à
relever la gloire de Juda. C'est pourquoi ce pays ne figure pas dans
le texte qui énumère les possessions d'Adad-nirari III.

Par contre, les Édomites commencent à former, au sud de Juda, une


puissance redoutable. C'est la première fois que leur nom figure dans
les textes assyriens, car jusqu'ici la suzeraineté de f Assyrie n'était pas
descendue au delà du royaume d'Israël. Au temps de Joram, fils de

(1) RB., 1908, p. 503.

i'i) RB., 1908, p. 507 SS., et 1909, p. 60.

(3) RB., 1908, p. 511.

(4) RB., 1910, p. 62.

(5) Ibid.
(6) II Rerj., 14. 7.

(7) II Reg., 14, 10 ss.


(8) URerj., 14, 19 ss.
LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 187

Josaphat, Édom avait secoué définitivement la tutelle de Juda (1).

Sans doute, comme nous venons de le voir, Amasias a essayé de le

faire rentrer sous le joug. Mais son échec dans sa lutte contre Israël a
permis aux Édomites de reprendre leur liberté. Désormais Juda est
serré comme dans un étau entre Israël et Édom. A l'ouest le pays des
Philistins qui, lui aussi, apparaît pour la première fois dans les textes
assyriens [Pa-la-as-lu =
n*ù?S3), n'a pas perdu son ancien renom.

C'était en assiégeant une de leurs villes que le général Omri avait été
proclamé roi d'Israël, après le coup d'état de Zimrî (2). Ézéchias aura
encore à lutter contre eux (3;.
Le royaume de Hamath n'est pas mentionné dans la liste d'Adad-
nirari III. Le monarque se serait-il arrêté dans sa marche vers l'Oronte,
après la soumission de Hazaz et d'Arpad? Ce n'est guère probable.
Zakir avait pu résister à la coalition commandée par l'Araméen Ben-
Iladad II, mais il avait certainement reconnu la suprématie de l'Assy-
rie. Dans éponymes avec notices (i), on voit que, vers
la liste des
l'an 800, une campagne est dirigée contre le pays de Lu-ii-si-a. Ce
pays ne serait-il pas le Lu'us de Zakir, l'ancien Lii-hu-ti d'Asour-
nasir-apla (5) ?

Adad-nirari III eut à conduire un certain nombre d'expéditions


contre une peuplade araméenne du nom de I-tu-'-a. Ces nomades re-
paraîtront fréquemment dans de l'époque des Sargonides,
les lettres

mais nous ne savons où Nous sommes à l'époque où


les localiser (6).

les Araméens commencent à se répandre dans les plaines de la Méso-

potamie et à devenir inquiétants pour l'Assyrie. Le successeur d'Adad-


nirari III, Salmanasar III (7) dont le règne va de 781 à 77*2, passe son
temps à lutter contre ces Itou a (8). En même temps, les peuples de
rOurartou (autour du lac de Van) se soulèvent contre l'Assyrie et né-
cessitent six expéditions successives. L'an 775, on se rend à la «mon-
tagne des cèdres » qui n'est autre que l'Amanus. Cependant Damas a
encore des velléités d'indépendaace. C'est contre cette ville {Di-mas-qa)

(1) II RpAj.. 8, 20 ss.


(2) I Reg., 16, 15 ss.

(3) H Reg., 18,8.


(4) KB.,\,\>. 208 s.

(5) RB., 1910, p. 5y S.

(6)Les textes coQcernaat ces I-tu-'-a sont groupés dans Streck, Keilinschriftliche Bei-
trûge zur Géographie Vorderasiens (MDVG., 1906, p. 228 s.).
(7) D'après les dernières découvertes d'Asour, il serait plus exact de l'appeler Salmanasar IV.
Nous conservons l'appellatioa ordinaire, afin de ne pas introduire de confusion dans notre
exposé, puisque nous avons laissé le nom de Salmanasar II au prédécesseur de Samsi-
Adad IV.
(8) Canon des éponymes avec notices (KB., I, p. 210-211).
188 REVUE BIBLIQUE.

qu'est dirigée la campagne de 773. L'année suivante, les troupes s'a-


vancent jusqu'à la ville forte de Hazrak [Ha-ta-ri-ka] qui, au temps
de Zakir, appartenait au royaume de Hamath.
Le successeur de Salmanasar III, Asour-dân II (771-75i), eut un
règne extrêmement malheureux. Après avoir combattu contre les
Mèdes (1) qui, depuis Adad-nirari III, inquiétaient la frontière de l'est,

il fit une expédition contre Hazrak [Ha-ta-ri-ka], en 765. Celte même


année, la peste se déclarait en Assyrie et empêchait d'entreprendre
quoi que ce soit en l'an 764. Surexcités par le fléau que, suivant les
idées courantes (2), ils considèrent comme un châtiment du ciel; con-
firmés dans ce préjugé par une éclipse de soleil qui a lieu au mois de
Siwan de l'année 763, les Assyriens se révoltent contre leur roi (3). La
capitale, Asour, donne le signal (763-762). Puis c'est le tour de la
ville d'Arpah, sur le Zâb supérieur. Enfin le territoire de Gouzan (]7ia)

près du fleuve Habour se révolte à son tour (759-758). Les années 758-
756 sont consacrées à réparer les maux causés par ces insurrections et
par une seconde peste qui s'était déclarée en 759. Aussitôt cette œuvre
d'apaisement achevée, Asour-dân II franchit de nouveau l'Euphrate et
mène une nouvelle expédition contre Hazrak [Ha-ta-ri-ka] en 755.
L'année suivanteil marche contre le pays d'Arpad.

campagnes successives des Assyriens contre les pays araméens


Ces
du nord de la Syrie permettaient aux royaumes limitrophes de se-
couer le joug de leurs puissants voisins. C'est ainsi que le roi d'Is-
raël,Jéroboam II (vers 785-745), affranchit son peuple de la tutelle
de Damas et de Hamath (4). Cependant le pays de ladi (aux environs
de Sendjirli) dont nous avons vu plus haut raffaiblissement à l'époque
du roi de Hamath, Zakir, s'est relevé, lui aussi, grâce à une dynas-
tienouvelle. Les chefs de la dynastie sont Qarl (5) et Panammou I,
dont les noms ne sont pas sémitiques mais appartiennent au vocabu-
laire carien (6). Ils travaillent à améliorer la condition des habitants

(1) Lire partout Mad-a-a au lieu de [mûlu] A-A, dans le canon des éponyines.
(2) Cf. notre ouvrage sur La religion assyro-babylonienne, p. 233.
(3) Ces faits sont connus par le canon des éponymes avec notices.
(4) II Rerj., 14, 24 ss.

(5) Nous ponctuons ainsi le ^yr, de l'inscription dite de Hadad, à cause du nom Karl
de la bilingue égypto-carienne signalée dans Kretschmer, Einleitung in die Geschichle
der griechischen Sprnche, pp. 379 et 398. On pourrait rapprocher aussi le nom de Kopu).a;,
porté par un satrape Pai)hlagonien dans Xénophon, Anab., V, 5 ss.

(B) Pour le nom de Qarl, cf. la note précédente. Le nom de Panammou se retrouve en
Carie sous la forme llavafjL-jr];. Que ce soit un nom carien, semble prouvé par la pré-
le fait

sence du premier élément dans IlavâoXriiii;, Ilaviadui-, et du second dans XïipafAijT); (Kret-
scHMERj op. laud., p. 357).
LES PAVS BIBLIQUES ET L'ASSYHIE. 189

du ladi, tout en conservant la relis-ion nationale, comme on le voit

par l'inscription dite de Hadad (1). Un de leurs successeurs. Bar-


Sour (2 porte un nom bien araméen. Il est assassiné par un usurpa-
,

teur. Ce sera l'intervention de l'Assyrie qui mettra fin à la révolte


et permettra au fils de Bar-Sour. Panammou II, de s'asseoir sur le

trône de son père.


Pour le moment, Asour-nirari IV (753-746j, fils d'un certain Adad-
nirari. cherche à réparer fondu sur Asour au
les calamités qui ont
temps d'Asour-dân II. Durant les quatre premières années de son
règne, il ne fait aucune campagne. Deux expéditions au pays de
Xarari (au delà du Zàb inférieur) occupent les années 7i9 et 748. En
7i6, la ville de Kalhou (aujourd'hui A7/?i/'ik/_, sur le Tigre, au sud de
.Mossoul) se soulève contre son roi. Asour-nirari IV est impuissant à
réprimer cette insurrection. Téglath-phalasar III, qui fut probable-
ment le frère d'Asour-nirari (3 luttera durant deux ans 7i5-74i^, ,

avant de pouvoir imposer définitivement son joug aux Assyriens ré-


voltés.
Le règne de Téglath-phalasar III (7i5-727) fut une résurrection
pour l'Assyrie. La chronique babylonienne (i) j"aconte que, dès la
première année de son règne, il descend au pays d'Akkad. contre le
roi de Babylone, Nabou-nasir (5), pille les localités de Rabbilou et de
Hamrân, et emporte les dieux de la ville de Sapazzou. L'année sui-
vante il guerroie au pays de Namri. Il dirige ensuite quatre cam-
pagnes contre la ville d'Arpad qui était comme le rempart des
Araméens au delà de l'Euphrate. Ceux-ci avaient profité de l'affai-
blissement de l'empire sous les prédécesseurs de Téglath-phalasar III
pour inonder, de leurs innombrables tribus, toute la Mésopotamie.
Dans sa tablette d'argile découverte à Nimrûd, le monarque énumère
trente-cinq de ces tribus qu'il classe sous la rubrique {amêlu A-ru-
mu « x\raméens (6) ». Et encore cette liste ne mentionne-t-elle pas
deux des plus importantes d'entre ces tribus, les Puqudu ("ips de la

i; Cf. Lagrange. ÉRS. (2^ éd.;, p. 492 ss.

(2) Connu par l'inscription dite de Panammou [ibid., p. 496 ss. . Le nom est écrit "'in^

qu'il faut lire "i*ji~'^2 « fils du Roc ».

% Cf. ScHNAEEL, OLZ.. 1909. col. 530.

'X Cf. KB.1 II, p. 274 s., Die babylonische. Chronik.


et Delitzsch,
,5) Ce Nabou-nasir génitif) du canon de Ptolémée. Le canon de Pto-
est le >'a6ova'7(7âpo-j
lémée lui assigne quatorze ans de règne, exactement coninip la chronique babylonienne. Ce
règne s'étend de 747 à 734.
1
6) Sur les listes de ces tribus dans les inscriptions de Téglath-phalasar
III, de Sargon et
de Sennachérib, cf. Streck, Keilinschriftliche Beitrûge zur Géographie Vorderaùens
[MDVG., 1906, p. 207 ss..
100 REVUE BIBLIQUE.

Bible) et les Gambulu[Vy.\j.iz'Skî:<)^) de Procope) (1). Téglath-plialasar III

avoue qu'il eut à combattre durant tout son règne contre ces Ara-
méens « qui étaient installés sur les rives du Tigre, de l'Euphrate,
du fleuve Sourappou, jusqu'au fleuve Uknû (la kerha actuelle) aux
bords de la mer inférieure (le golfe Persique) (2) ». Au premier rang
figurent les I-tu-a^ désignés tantôt comme pays tantôt comme tribu.

Nous avions vu leurs menées au temps d'Adad-nirari III et de son suc-


cesseur. Signalons encore les Hamrâmi dont le nom a probablement
survécu dans les monts Hamrîn (3) et les Nabatii, ancêtres des Naba-
téens. On comprend que le principal souci de Téglath-phalasar III ait
été de réduire ces nomades envahisseurs. Il se résout à porter les
grands coups au cœur même de la puissance araméenae. Quatre expé-
ditions successives sont lancées au delà de l'Euphrate contre cette
villed'Arpad, attaquée jadis par Adad-nirari III. L'an 738, on mar-
che contre la ville de Kullanî qui n'est autre que i;Sp mentionnée en
compagnie de Hamath, d'Arpad et de Damas, dans /s., x, 9, et nfiSp
signalée en même temps que Hamath dans Os., vr, -2. Cette ville de-
vait se trouver dans le pays de ladi. Le fragment des annales de Té-
glath-phalasar III qni raconte la campagne ne laisse pas de doute à
cet égard (i). Ou y voit comment les hostilités sont dirigées contre
un certain Azriiahou du pays de la-u-di. C'est par erreur qu'on a
longtemps identifié ce Azriiahou de la-u-di avec Azarias de Juda (5).
Le pays dont il s'agit est bien celui de ladi (plus exactement lôdi)
dont nous avons parlé précédemment ("'"s'' des inscriptions de Sen-
djirli). Nous avions vu comment le roi légitime Bar-Sour. père de Pa-

nammou II, avait été mis à mort par un usurpateur. C'est grâce à
l'intervention de Téglàth-phalasar roi d'Assyrie (iVû'X "Sa iDSsnS^n)
que, suivant l'inscription dite de Panammou (6), la révolte est répri-
mée. Pourquoi ne pas voir dans notre Azriiahou l'usurpateur en
question? C'est précisément après sa campagne contre Azriiahou que
Téglath-phalasar III recevra le tribut du roi de Sam'al (capitale du
Iadi\ et ce roi de Sam'al ne sera autre que Panammou II.

Azriiahou de ladi avait réussi à grouper autour de lui dix-neuf


petites principautés échelonnées dans les environs de Hamath jusqu'à

(1) Streck. loc. laxul.


(2) Inscription de la tablette d'argile de Nimroud, 1. 9 ss.

(3) Strecr, loc. laiid., p. 225 (= 23).

(4) Cf. RosT, Die Keilsclirifttexte Tkjlat-Pileser III.


(5) Les arguments de Winckler contre cette identification sont décisifs (Àltorientalische
Forschungen, 1, p. 1 ss.). Cf. Maspkro, Histoire ancienne..., HT, p. 150. n. .3.
(6) Cf. Lagrange, ÉRS.
(2' éd.), p. 495 ss.
LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 191

la côte (1). Ce sont d'abord les villes de Us-nu-u et de Si-an-nu. Elles


précèdent une le nom mutilé commençait par .S/... Il faut lire
ville dont
Si~?nir-ra comme
prouve un autre texte de Téglath-phalasar III (2).
le

Nous avons proposé déjà d'identifier Usîiû et Siannu avec Usanat et


Siana des inscriptions de Salmanasar II (3). Elles sont, sur la cote,
au nord de Sbnirra (= Sionin'] dont nous connaissons la situation
exacte (i). Les autres villes de la côte amorrhéenne jusqu'au Liban
[Lab-na-nà) ont embrassé le parti d'Azriiahou. Puis ce sont les terri-
toires situés au pied du Ba-'-li-sa-pu-na (correspondant comme pho-
nétique à un pEï~S7:2), de V Am-ma-na (n:î2x de Cant., iv, 8, dans
l'Antiliban), et d'une autre montagne appelée Sa-u. Viennent ensuite
les villes de Qar-Adad
de Hazrak [Ha-ta-rik-ka) et de Nu-qu-
(5),
di-na Une autre montagne porte le nom de Ha-su et nous la si-
(6i.

tuerions volontiers nu Djebel el-Hdss au sud d'Alep, tandis que la


\ille d'A-ra-a, mentionnée aussitôt après le mont Ha-sîi, se localise-

rait à Arra (li, ville de la province romaine de Syrie, sur la route


entre Apamée et Chalcis. Le mont Sa-ar-jni-ii-a, qui suit, se place
alors tout naturellement au HTaziov [Silpius mons), aujourd'hui //aô?6
en-Nedjdr, qui surplombe Antioche au sud. Une dernière montagne,
du nom de la-ra-qu (= pTi « mont vert »), se trouvait signalée dans
l'itinéraire d'Asour-nasir-apla dont nous avons déjà parlé (8). Elle est
située entre l'Oronte et le Saroudj, ce qui nous amène au Ca^ius
mons des Romains, aujourd'hui le Djebel el-Aqra' mont pelé » au ((

sud d'Antioche 9j. Entre le Sarpua et le laraqii sont mentionnées


deux villes, Ashan et ladab. A la suite du mont laraqu, la ville
d'El-li-ta-a)'-bi dont le nom a été transformé par les Romains en
Litarba, puis par les Arabes en al-Athârib (10). Cette ville se trouve
entre Antioche et Alep, mais plus près de cette dernière. Nous ne
pouvons situer Zitânu (= "jn"" « les oliviers ») qui est nommée après
El-li-ta-ar-bi. Quant à A-ti-in-ni, elle n'est autre, selon nous, que la

l Annales (éd. Rosi). 1. 126 ss. Cf. KB., II, p. 26 ss.; Winckler, KelliaschriflUches
Texibuch (3° éd.), p. 29 s.

(2j III R, 10, n" 2, 1. 2 s.

3 RB., 1910, p. 65.


4; HB., 1908, p. 507 s.

5) Peut-être pour TTH^'l'ip qui correspondrait à la ville bien araméenne de "i*p.

6) Forme plurielle de nuqud « pasteur » (cf. syr. }>{lpj).

7) Cf. la carte n" VIII de H. Kispert, Formss orbis antiqui.


;8) RB., 1910, p. 59.

(9) Sur ce dj. el-Agra\ cf. Guv Le Strx'Sge, Palestine under the moslems, p. SI.
(10) Tornkins a identifié le premier El-li-ta-ar-bi et al-Aihûrib (cf.Wi.xcKr.ER, AUorien-
talische forscliunijeu, I, p. 21).
192 REVUE BIBLIQUE.

ville à'A-di-en-nu, la première des cités du pays de Hamath que Sal-


manasar II rencontrait après Alep (1). Cette identification nous
amène à une ville d'Adana connue des Romains au nord d'Arra, entre
Apamée et Chalcis (2). Le dernier des districts mentionnés est celui
de la ville de Bu-ma-me dont nous ignorons le site. Téglath-phala-
sar III réduit les rebelles, transforme leurs territoires en provinces
assyriennes sur lesquelles il place ses lieutenants (3). Il déporte un
certain nombre d'habitants à U/-hi-ba et dans une ville dont le nom
est mutilé.
Cependant les Araméens de l'est, qui ne s'étaient pas encore soumis
aux Assyriens, profitent de l'éloignement de Téglath-phalasar III pour
recommencer leurs incursions. Le mouvement est conduit par les
Ahlami(, c'est-à-dire par ces bandes de pillards dont nous avons parlé
en étudiant l'époque d'El-Amarna (4). Si nous interprétons bien le ré-
cit, très mutilé, des annales, les Araméens plus sédentaires, à savoir
lesA-ru-7nu proprement dits, répriment la razzia et amènent les cou-
pables au roi qui se trouve encore dans le pays de Hatti. En même
temps arrivent les lieutenants du pays des Loulloumê (dans monts
les
Zagros) et ceux du pays du Naïri (autour du lac de Van). Ils amènent
les habitants et le butin des pays qu'ils ont conquis. Téglath-phala-
sar IIIn'imagine rien de mieux que d'installer ces vaincus dans les
villes qu'il vient de soumettre. A cette distance de la mère patrie, les
malheureux qui viennent d'au delà du Tigre ou des deux Zàb per-
dront toute attache avec leurs congénères et deviendront d'excellents
colons sous joug assyrien. Une grande partie est installée dans le
le

pays d'Un-qi, dont nous avons vu plus haut la localisation (p'2" sur
rOronte en amont d'Antioche). Les autres en plein Amourrou, à
Si-iuir-ra (5), à Ar-qa-a (6), à Us-nv-u et à Si-aji-nu [1) « qui sont au
bord de la mer ». Enfin un certain nombre à Til-kar-me (c'est-à-dire
leTil-garimme de Sargon, où se réfugiera le roi de Melid (8)j et à
Tn--im-me, résidence de la tribu araméenne des Tii--mu-na (9).
Après avoir ainsi réduit en province toute la Syrie du nord, Té-
glath-phalasar III donne la liste des princes qui lui apportent le tri-

(1) RB., 1910, p. 63.


(2) Cf. la carte n° VIII de H. Kiepeut, Fornix or bis antiqui.
(3) Annales, 1. 131 s.

(4) BB.. 1909, p. 67.

[ô) Sumur dans RB., 1908. p. .^07.


(G) Irqanat, Irqat, ri^zyj, aujourd'hui Tell-'Arqâ : cf. RB., 1908, p. .509; 1910, p. 65.
(7] Sur ces villes, voir ce que nous en avons dit plus haut et dans RB., 1910, p. 6.5.
(8) Sargon, annales. 1. 183 ss.

(9) Stbecr, Keilinschriftliche Beitruge zur Géographie Vorderasiens, p. 39.


LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 193

but. C'est d'abord un certain Ku-m-ta-ai-pi de la Commagène Ku-


iim-mu-ha-a-a). Le second est le fameux Rason le roi de Damas,
[Ra-sun-nu] transformé en mais lu Pajojv ou
'î"'jn par les massorètes,
Paa7c:<ov dans les Septante. Il représente devant Téglath-phalasar III

toute la Syrie du nord, car « Damas est la tête du pays d'Aram, et


Rason est la tête de Damas (1) ». A cette époque année 738-737) il
n'a pas encore entrepris ses menées contre Juda. Le royaume ara-
méen de Damas se relève seulement du triste état où l'a laissé le règ-ne
de Ben-Hadad IL II cherche à ménager ses voisins, en particulier le
royaume d'Israël. De même que le roi Achab figurait aussitôt après
Damas et Hamath dans l'énumération des forces coalisées contre Sal-
manasar II, à Qarqar, de même c'est le roi de Samarie (Sa-me-ri-
na-a-a) qui est mentionné à la suite du roi de Damas, Rason. Ce roi est
Menahem(Me-/^^-A^-me et Me-ni- hi-im-mé) Nous savons par le second .

livre des Rois en quoi a consisté le tribut de Menahem « Poul (2), :

roi d'Asour, vint dans le pays et Menahem donna à Poul mille talents
d'argent afin que son assistance(litt. ses bras) fût avec lui pour affer-

mir la royauté en ses mains (3 » Il s'agissait pour Menahem, qui avait ;.

mis à mort l'usurpateur Salloum, de trouver dans l'Assyrie un appui


pour sa propre autorité. Le souvenir de l'impôt extraordinaire qu'a-
vait dû prélever Menahem à cette occasion était resté inscrit dans les
aunales d'Israël [%). Les Phéniciens sont, comme toujours, des pre-
miers à se présenter i5 . Au temps de Salmanasar
II, c'était Tyr et

Sidon qui apportaient le tribut. Sidon n'est pas mentionnée par Té-
glath-phalasar III ;
les deux villes sont Tyr iSur-ra-a-a) et Byblos
iGu-ub-la-a-a). Les Byblites figuraient parmi les tributaires d'Asour-
nasir-apla et de Salmanasar II (6). Leur roi porte le nom de Si-bi-it-
ti-hi-'-li (Sy2-n2ï/*). tandis que le roi de Tyr est Hi-ru-um-mu Ce .

Hiram, qui ne peut être identique à Hiram I, le contemporain de Da-


vid et de Salomon, est très probablement le môme que celui qui est
mentionné dans l'une des plus anciennes inscriptions en langue phé-
nicienne, trouvée à Chypre (7). Cette inscription est ainsi conçue :

(^X. gouverneur (8i de Carthage (9), serviteur de Hiram (ain), roi

(1) Is., 7, 8.

(2) C'est le nom babylonien (Pu-lit) de Téglath-phalasar III. Cf. inf.

(.3) II Reg., 15, 19.


(4) II Reg., 15, 26.
(51 Cf. RB., 1910, p. 66.
(6) Ibid., p. 74.
(7) Dans CIS., I, .5.

;8) Le titre est po : cf. RB., 1909, p. 63.

9) Cette n\y~nmp « vlUe neuve » [= Carthage) est signalée, en Chypre, sous la forme
Qjrti-hadasli dans les inscriptions dAsaraddon et d'Asourbanipal.
REVUE BIBLIQUE 1910. N. — S., T. VII. 13
194 REVUE BIBLIQUE.

des Sidonieiis (ciTï;; a voué ceci à sou seigueur le Baal du Libau


(jisS h'ji). » Le titre de roi des Sidoniens attribué à uotre Hiram II
[Hi-ru-um-mu) prouve bien que Tyr et Sidon ne forment, au temps de
Téglatb-phalasar III, qu'une seule principauté, et c'est pour cela que

la ville de Sidon ne figure pas à côté de Tyr, tandis que Byblos est
restée indépendante de ses voisines. En remontant vers le nord, nous
rencontrons parmi les tributaires U-ri-ik-ki de Cilicie {Qu-ua-a) (1)
et Pi-si-ri-is de Gargamis ^DjerâbW). Leurs noms ne sont pas sémi-
tiques, tandis que le roi de Hamatli [Ha-am-ma-ta-a-a) qui figure
immédiatement après porte un nom sémitique E-ni-ili (Sn*:1" « œil de
dieu »), de même que son prédécesseur Zakir. Comme sur la stèle de
ce dernier, nous trouvons groupés maintenant les trois territoires de
Sam "al [Sa-am-'a-la]^ de Gourgoum [Gih'-git-ma-a-a] et de Melid
[Me-lid-da-a-a). Nous avons vu plus haut comment Sam 'al correspon-
dait au territoire de SendjirK et Gourgoum à celui de Djwdjûmeh au
sud d'Antioche. Le roi de Sam'al est Panammou II [Pa-na-am-mu-in
et nous savons déjà que son nom n'est pas sémitique. Le roi de Gour-
goum est Tar-hu-la-ra dont le nom a. depuis longtemps, été reconnu
comme nom hittite (2). Ce n'est pas non plus un Sémite que Su-
lu-ma-al de Mélid, tandis que le roi de la \ille de Kas-ka (en pays
hittite) semble être un Sémite, Da-di-i-lu (Sx''""). Au nord de la Cili-

cie et de la Mélitène habitent les populations du Ta-bal (,S2ln), du


Tu-na et du Tu-ha-na, de ÏU-tu-un-dn et du Hu-bi-is-na qui, elles
aussi, envoient leur tril3ut. La liste se clôt parla mention dune reine
de Saba, Za-bi-bi-e S), reine du pays d'Arabie (A-ri-bi). Nous avons
vu qu'un roi d'Arabie était présent à la bataille de Qarqar, une cen-
taine d'années plus tôt (4). Nous aurons à mentionner bientôt une
autre reine arabe. Il n'existe rien d'analogue à la loi salique chez les
anciens Arabes.
Rien n'arrête plus l'expansion assyrienne vers la Syrie et la Pales-

tine. La campagne contre Azriiahou avait fait trembler tous les peu-
ples de la côte depuis la Cilicie jusqu'au delà de la Phénicie. Les
royaumes de Damas et d'Israël s'étaient soumis et l'Arabie elle-même
envoyait ses présents (5). L'inscription solennelle sur la tablette d'ar-

0) Cf. RB.. 1910, p. 64 s.

'X' L'élément Tarhu, Tarhun (= Tas/.u-, Tapxov-, Tpoxo-, x. t. a.) estle nom du dieu

national des Hittites, Tarkun. On le trouve dans Tar-kum-dim-me, nom du roi hittite
sur le fameux sceau bilingue hittite-babylonien. Cf. Kretschmer. Einleitung in die Ge-
schichte der griechischea Sprache, p. 362 ss.

(3) Cf. le nom de femme Zubaibeh, chez les Arabes.


(4) RB., 1910, p. 64 s.

(5) Les derniers présents énuraérés sont des chameaux et des chamelles. Ce sont les pré-
LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 19o

g-ile de Nimroud pourra porter la phrase suivante (1) « Tous les :

Araméens, tant qu'il y en avait, je les ai fait rentrer dans la frontière


d'Asour et j'ai placé mes généraux comme gouverneurs sur eux. » Les
années 737 et 736 seront consacrées à affermir la puissance du mo-
narque dans l'est, chez les Mèdes (Mad-a-a) et au pied du mont
Nâl.
Le canon des éponymes avec notices signale, pour lan 73i, une
campagne en Philistie \Pi-lis-ta) (2). Il s'agit bien de la Philistie pro-
prement dite, la Palastu signalée à côté d'Édom par Adad-nirari III.
Après avoir soumis les villes de la côte amorrhéenne, Téglath-phala-
sar III envahit le pays d'Israël, appelé « maison d'Omri » [Btt-Hu-
lun-ri-a), et s'empare de la ville àW-bi-il-ak-ka (3). Il continue sa
route vers le sud, vers la Philistie. Le roi de Gaza, un certain IJa-a-
nii-u-nu ["y^-']^ qui s'est révolté contre le suzerain, abandonne sa ca-
pitale pour fuir en Egypte {Mtc-us-ri) et l'armée assyrienne pille la
ville.

Au de retourner directement en Assyrie, Téglath-phalasar III


lieu
va faire une nouvelle incursion enIsraël. Le roi de Juda, Achaz, serré
de près par Peqah d'Israël et Rason de Damas, n'avait rien eu de
plus pressé que d'envoyer des messagers au monarque assyrien et de
se déclarer son homme lige Téglath-phalasar re\'ient en Israël
(ii.

Bi-it-Hu-um-ri-a ,
dévaste le pays et emmène un grand nombre des
habitants en captivité. Furieux contre Peqah, dont l'ambition a causé
leur perte, les Samaritains conspirent contre lui et l'assassinent :

(( Ils frappèrent leur roi Pa-qa-ha. événement qui sera ra-


» C'est cet

conté dans 11 Reg.y xv, 30. L'Assyrien profite de l'occasion pour


placer sur le trône une créature de son choix. Ce sera précisément cet
Osée (appelé A-u-si-'), qui, d'après II Reg., xv, 30, avait été le chef
de la conspiration.
Damas était complice d'Israël,
et la Bible nous montre sans cesse

Rason marchant avec Peqah contre .luda. Les années 733 et 732 se-
ront consacrées à humilier l'Araméen. On dévaste non moins de seize
districts appartenant à Ra^^on (.5^. Une nouvelle reine des Arabes [A-

sents des Arabes qui venaient en dernier lieu i>arrni les peuples tributaires. Les chameaux
figuraient dans la cavalerie du roi des Arabes à Qarqar RR., 191o, p. 64 .

(1) Ligne 10.


(2) Nous suivrons pour le récit de cette campagne la petite inscription de Kl R, lo, n^ 2.
Cf. A.B., II, p. 30 ss. et WiNCKLER, Keilinsc/iriftliches Textbuch (3= éd. p. 34 s. i.

•3, 11 s'agit d'Ahel-beth-ma'acâ mentionnée parmi les villes prises par Téglath-phalasar,

dans II Rerj.. 15. 29. Aujourd'hui Abil, à l'ouest de Dan.


,4; II Reg., 16.
(5) Annales, 209.
196 REVUE BIBLIQUE.

ri-bi), qui porte le nom de Sa-am-si et pourrait bien avoir régné


sur le royaume de Palmyre, est troublée par le voisinage de Téglatb-
phalasar III. Elle qui s'appelle Samsî c'est-à-dire « celle du so- ,

serment du dieu So-


leil (1) », elle a, dit le texte assyrien, « violé le

leil ». Pour amène son tribut et nous y


réparer sa trahison, elle
retrouvons les chameaux et les chamelles. Non seulement les Arabes
du Nord viennent baiser les pieds de Téglath-phalasar III, mais du
lin fond de l'Arabie accourent les descendants de ces fameuses tribus
qui, vingt et un siècles avant notre ère, s'étaient jetées sur la Baby-
lonie et avaient placé l'un des leurs sur le trône de Soumer et d'Ak-
kad (2). Ce sont, dit Téglath-phalasar, « ceux qui sont à la limite des
pays de l'Occident, ceux dont l'habitat est éloigné (3) ». Il men-
tionne leurs principales villes. C'est d'abord Ma-as-a qui représente
la xu;a ou xii;n de Gen., x, 30, limite des enfants de loqtan. Déjà Bo-
chart identifiait ce Mêsà avec le port de Mcul^, entrepôt des parfums
de l'Arabie, d'après les anciens (4). Viennent ensuite les habitants
de Te-ma, dont la ville devait garder son nom (^îQ"'^1 dans la Bible,
KOTi dans l'inscription dite de Teima) jusqu'à nos jours. En troisième
Sabéens, désignés comme habitant une ville de Sa-ba-'a, la
lieu, les
xi^ biblique, dont la reine avait jadis rendu visite à Salomon (5).
Après eux, les représentants de la ville de Ha-a-a-ap-pa, dans la
contrée madianite de nstî; (Gen., xxv, 4), la Ghaifeh de laqout. Des
autres villes énumérées, à savoir Ba-da-na, Ha-at-ti et I-di-ba--il, la
dernière seule a été identifiée avec succès (6). C'est le nom de Sn2"îx
qui figure parmi les descendants d'Ismaël dans Gen., xxv, 13. Nous
ajouterons l'identification de Ba-da-na avec Badanatha (7), aujour-
d'hui Beden au pays de Madian.
(8),
Le tribut de toutes ces peuplades comprend de l'or et de l'argent,
des chameaux et des chamelles, finalement v toutes sortes de par-

(1) Comparer le nom nabatéen VC^w* (Jal'ssen et SAVIG^vc, Mission archéologique en


Arabie, p. 223).

(2) RB., 1908, p. 213 ss.

(3) Annales, 1. 221 s.

BocHART, Phaleg el Canaan (éd. 1707), col. 14i ss.


(4)
Le rôle des femmes dans le gouvernement des anciens Arabes est assez remarquable.
(5)

Cette reine de Saba doit s'ajouter à Zabibi et à Samsi. les contemporaines de Téglath-
phalasar m. C'est ce qui a donné à penser que le matriarcat avait pu exister comme forme
(le gouvernemeut, chez les tribus de l'Arabie à cette époque. Un nom de reine chez les

Minéens dans Jaussen et Swignac, Mission archéolorjique en Arabie, p. 255 s.


(6) Cf. Delitzsch, Wo lag das Paradies, p. 301.

(7) Pline, Nal. hist., VI, 14.

(8) RiippEL, Reisen in Nubien, p. 219.


LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. J97

fums ». L'Arabie est déjà la terre classique des aromates. Omnes de


Saba venient aurum et thus déférentes.
Vainqueur de Damas, suzerain des Arabes, Téglatb-phalasar 111
veut porter un dernier coup à Israël. Il semble, d'après le récit des
Annales (1 que les Israélites s'étaient révoltés contre Osée, la créature
,

de Tég'lath-phalasar III. « Comme un ouragan » le roi parcourt le


pays et met tout à feu et à sans Il déporte les habitants d'un certain
.

nombre de villes dont les noms sont malheureusement mutilés. La


ville de Hi-na-tu-na est encore lisible. C'est la IJinnatuni des lettres

d'El-Amarna (2), la ]in:n de Jos.y xix, li. Deux autres villes, ^-


ru-ma et Ma-ru-um, correspondent l'une à '"iç'i''»>' de Jud., ix, il
(aujourd'hui El-'Ormeh, à deux heures au sud de Xaplouseï (3) et
l'autre à Ma-ra-ma de la liste de Thoutmosis III, l'ancienne ali^
près du lac Hùleh (i).
Ces coups successifs épouvantèrent les pays limitrophes. A peine le

roi avait-il quitté Gaza, dans sa campagne précédente, que le roi

d'Ascalou [As-qa-lu-na] avait voulu se rendre indépendant. C'était un


certain Mi-ti-in-ti (r,;"~n'2) dont le nom
temps de Sen-
reparaîtra, au
nachérib, comme nom d'un roi d'Asdoud. En apprenant le sort de
Rason qui, d'après le récit biblique ;5,, avait été mis à mort, il aban-
donna les affaires entre les mains de son fils Ru-u-kib-tu. Celui-ci se
jeta aux pieds de l'Assyrien qui l'installa sur le trône, non sans lui
avoir enlevé une portion de son territoire.
De même que pour la Syrie du nord, Téglath-phalasar III installe
ses gouverneurs sur les pays conquis. A un certain I-di-bi-'i-lu
\TJ1"~' il confie le gouvernement de l'Arabie A-ru-bu), spéciale-
:

ment sur la frontière appelée Mu-us-ri. Les territoires enlevés à As-


calon lui sont adjugés. Ainsi le monarque ne se contente pas de
venir, de temps à autre, afficher son autorité sur les provinces vas-
sales. Il maintient cette autorité d'une façon permanente par l'entre-
mise de ses gouverneurs. En outre, la déportation érigée en système
de représailles permet aux divers éléments dont se compose l'empire
de se fondre dans une unité qui fait abstraction des différences de race

1 A partir de la L 227, Winckler interprèle les événements de l'histoire de Peqali. que


nous avons vue plus haut. Ce qui reste du texte prouve qu'il s'agit d'une nouvelle cam-
pagne de Téglath-phalasar III qui fait allusion à ses « campagnes précédentes m. La révolte
contre Peqah n'a pas attiré de représailles. Elle a permis à Téglath-phalasar d'asseoir sur
le trône une créature de son choix. Ce qu'il doit punir, c'est une révolte contre Osée.
;2) PB., 1908, p. 502 et 519.
(3) Cf. Lagrange, in loc.

(4) RB., 1908, p. 519.


(5) II fierj., 16, 9.
198 REVUE BIBLIQUE.

et de nationalité. Que si les princes aborigènes sont laissés sur le trône


paternel, ils doivent à jours fixes apporter leur tribut. L'inscription
de Nimroud (1) énumère complaisamment ces roitelets qui furent
vassaux de Téglath-phalasar III. A la suite des principautés mention-
nées dans les Annales, nous trouvons la ville phénicienne d'Arwad
Ar-7na-dà) avec son roi Ma-ta-an-bi-'-il (Sj/n—jna) , puis la tribu des
Ammonites {Bît-am-ma-na) avec son cheikh Sa-ni-bu, le pays de Moab
\Ma-'-ba) avec son roi Salomon [Sa-la-ma-mi], le pays d'Ascalon
[As-qa-lu-nci) avec son roi Mi-ti-in-ti que nous connaissons déjà. Le
roi d'Israël devait figurer dans la lacune qui se trouve entre Moab
et Ascalon. Vient ensuite le roi de Juda [la-u-da]^ cet Achaz (la-ii-ha-
zi) dont nous avons constaté l'empressement à baiser les pieds de
Téglath-phalasar pour se défendre contre Peqah d'Israël et Rason de
Damas. Le roi d'Édom [IJ-du-ma) est un certain Qa-us-ma-la-ka
(~'i72-'i?1p « Qos règne »), tandis que Gaza [Ha-za-at] est toujours gou-

vernée par Ha-a-nu-mi.


Désormais la puissance assyrienne n'a plus de rivale. En vain le
roi de Tabal, par exemple, voudra se soustraire à ce joug. Il est dé-
trôné et remplacé par le fils d'un inconnu, Hullî (2). Le successeur de
Hiram II sur le trône de Tyr, un personnage au nom bien phéni-
cien, Mi-e-te-en-na [yrsn, Matten, Mytton, etc.),
remet 150 talents d'or
à l'envoyé du
Araméens, Phéniciens, Cananéens, Israélites,
roi (3).
Arabes, tous ces Sémites d'au delà de l'Kuphrate, morcelés en une
multitude de petits royaumes, ne pouvaient pas n'être pas subjugués
par leurs frères do la Mésopotamie. Ce fut l'œuvre de Téglath-phala-
sar III d'étendre le cercle de la suprématie assyrienne bien au delà
des limites atteintes par ses prédécesseurs. Ce fut lui, en même
temps, qui donna à cette suprématie un caractère de stabilité et de
permanence qu'elle n'avait pas possédé jusque-là.
Pendant que le conquérant répandait ainsi le nom d'Asour à tra-
vers tout le monde sémitique, Babylone était en proie à la guerre
civile. Le successeur de Nabou-nasir (NaScvacrjapcj), son fils Nâdinu

(Na§(sj du canon de Ptolémée) n'avait régné que deux ans. En 732,


il est tué par l'usurpateur Suma-ukîn qui ne reste que quelques jours

sur le trône. A son tour, Suma-iikhi est frappé par un certain Ukhi-
zêr [Xv/Ç,ipz'j du canon de Ptolémée). Cet Ukin-zêr avait été roi de

(1) L. 57 ss. Cf. KD., H. p. JO s.; W inckler, KeiUnschriftliches Textbuch...,Z' éd.


p. 35 s.

(2) Tablette de Nimroud. 1. 64 s.

(3) Ibid., 1. 66.


LES PAYS BIBLIQUES ET L" ASSYRIE 109

Blt-Amukkani et il entendait bien conserver son autorité sur la capi-


tale de ce pays, la \\\\q de Sapî (l). A peine revenu de ses expéditions
en Aram et en Palestine, Téglath-phalasar III descend contre la ville
de Sapi{l^i). Enfin, en l'an 729, il marche résolument contre Ukîn-
zêr qu'il fait prisonnier. Il s'assied alore sur le trône de Babylone et
reçoit l'autorité légitime des mains du seul seigneur de la ville. Bél-
Mardouk « Il prit les mains de Bel (2) » En devenant roi de la cité
: !

sainte. Téglath-phalasar III prend un nom nouveau. C'est sous le nom


de Pu-lu qu'il figurera dans la liste dynastique des rois de Babylone.
Ce nom sera connu des Hébreux sous la forme T<^ et le canon de Pto-
lémée le transformera len lltopcj. Rejoignant le protocole des plus
anciens rois du pays, Téglath-phalasar III s'appellera « roi de Soumer
et d'Akkad, roi des quatre régions '3 Il ne conservera que deux
.

ans ce pouvoir suprême, car il meurt de sa telle mort au mois de ]

Tebet de Tan T2T.

iA suivre.)
Jérusalem, ce 12 février 1910.

Fr, P. Dhorme.

(11 Dans la Babylonie du sud. Cf. Streck. dans Klio. VI. p. 214.
(2) Cette cérémonie est une conséquence des idées qu'on avait sur l'origine divine du
pouvoir. Cf. notre ouvrage sur La -religion assyro-babj/lonienne, p. 158 ss.

(3, Inscription des dalles de Nimroud, 1. 1.


LES PRÉDICTIONS NOUVELLES
DU CHAPITRE XLVIII D'ISAÏE (1)

M. Van Hoonacker a étudié de très près, et admis en substance, la

solution proposée dans Le Livre d'isaïe (1905) et dans la Revue bibli-


que (avril 1908) pour accorder avec leur contexte les passages d Isaïe
où il est question du Serviteur de lahvé. Un savant de ce mérite fait

déjà beaucoup d'honneur à une théorie nouvelle en prenant la peine


de la discuter en détail; mais si, après l'avoir rigoureusement exa-
minée, donne son suffrage, l'auteur
il lui est-il besoin de le dire? —
— en éprouve une vive satisfaction, et attache à cette adhésion le
plus grand prix. C'est donc avec un sincère contentement que j'ai au
M. Van Hoonacker faire sienne cette conclusion capitale le premier :

passage sur le Serviteur (au moins xlii, 1-7) doit être transposé, et
rapproché des autres passages sur le même sujet. Un autre résultat
très important, accepté par Féminent professeur de Louvain, est
l'adjonction des chapitres l\-lxii à xl-lv, comme continuation im-
médiate du même cycle de poèmes [Revue biblique^ octobre 1909,
p. 498, 506-5071.
Cependant Van Hoonacker propose un plan un peu différent pour la
structure de ces poèmes. Il reconnaît bien deux grandes parties,

commençant l'une au chapitre xl, l'autre au chapitre xlix; mais il


n'admet pas que le chapitre xlviii constitue un poème central entre
les deux parties. « Ce chapitre, dit-il, appartient purement et simple-
ment à la première partie. » Il repousse donc, malgré ce qu'il « a de
séduisant », l'essai de reconstruction où les deux parties se font équi-
libre, étant formées chacune de quatre poèmes qui se répondent en
ordre parallèle [\o\v RB., 1908, p. 173-178). Avant de considérer les
vues du docte exégète sur la composition littéraire de ces prophéties,
il faut étudier très attentivement son interprétation du chapitre xlviii.

(1) Cet article est une réponse à celui de M. Van Hoonacker dans la Revue biblique,
cet. 1909, p. 497-528. La discussion se meut tout à fait en dehors de la question de savoir si
la seconde partie du livre d'Isaïe est du même auteur que la première. Voyez sur ce point la
note de M. Van Hoonacker, l. c, p. 506.
LES PRÉDICTIONS NOUVELLES. 201

EXEGESE.

Nous avons dans xlviii, 3-8 un contraste marqué, et reconnu de


tous, entre « les choses premières » ou « précédentes » (m:*wNnn),

annoncées (( autrefois » ou (( auparavant »; avant le temps présent


7s*:. V. 3, 5) et « des choses nouvelles
» r"U'~n annoncées « à partir ,

de maintenant >>que personne autrefois n'a jamais entendues,


^nrir^r ,

dont on n'a pas ouï parler avant ce jour. Sans rien jiréjuger de la
date de ces prédictions, mais uniquement pour exprimer le contraste,
appelons les premières « prédictions anciennes ". les secondes, « pré-
dictions nouvelles ». Au sentiment de Van Hoonacker, les « prédic-
tions anciennes » sont celles que lahvé fit par l'organe des prophètes
d'autrefois; elles ont pour objet les choses anciennes, accomplies déjà
depuis un certain temps; les « prédictions nouvelles » sont celles que
notre prophète fait entendre à partir du chapitre xl: elles se rappor-
tent au salut à procurer par Cyrus. « Ces u choses nouvelles », que
lahvé n'a pas voulu prédire longtemps à l'avance, ne peuvent être
que la mission et Tœuvre de Cyrus... » (p. bli). « Ici, remarque-t-il.
nous nous trouvons en conflit assez aigu avec Condamin, qui allègue
précisément le passage en question comme preuve qu'au chapitre xlviii
nous avons att'aire à un poème de transition » [p. 509 En efièt, 1. —
il me semble que les prédictions anciennes se rapportent à iœuvro

de Cyrus, objet des quatre poèmes précédents et les prophéties nou- :

velles, à l'œuvre du Serviteur de lahvé célébrée dans la seconde par-


tie, à partirdu chapitre xlix. Ainsi compris, le chapitre xlviii a le
caractère d'un poème de transition entre la première partie et la se-
conde; et, de fait, il occupe exactement le centre dans la série des
poèmes. D'ailleurs mon interprétation des versets 3-8 est loin d'être
nouvelle; un grand nombre d'exégètes et de critiques ont. formelle-
ment ou au moins en substance, entendu ce texte de la même façon.
Van Hoonacker se trouve donc en contlit assez aigu » avec eux,
>'

comme on le verra plus loin.


Très naturelle à première vue, l'explication adoptée par le savant
professeur a le grave inconvénient d'être en contradiction explicite
avec au moins deux passages, où le prophète déclare solennellement
que la mission de Cynis est prédite depuis longtemps, à savoir xli, 26
et XLV, 21. Qu'il me soit permis d'insister un peu sur ces passages, ma-

nifestement embarrassants pour la partie adverse, puisqu'ils ont été,


non point escamotés, mais, comme on dirait en anglais, « explained
202 REVUE BIBLIQUE.

away », expédiés, fort adroitement du reste, dans une petite note de


trois lignes (p. 511).
Le verset 25 du chapitre xli (cf. v. 2 et 3) désigne certainement
Cyrus tout le monde est d'accord là-dessus
;
:

Je l'ai suscité du Nord, il arrive,


'
appelé par son nom' du côté du Levant.
Comme de la boue 'il piétine' les princes;
comme le potier pétrit aux pieds l'argile ^^1).

Immédiatement après, le prophète demande « Qui l'a annoncé dès :

l'origine...? » — Ce
ne sont pas les dieux des païens; c'est lahvél
(v. 26-29). La seule traduction possible de rxia est « dès l'origine »,

« dès le commencement » ainsi le rendent presque tous les exé-


;

gètes (2) ou encore, vu l'indétermination du mot, « jadis »; « ab


;

initio, i. e. longo ante tempore » (Rosenmûller, in h. L), « olim »


(Doederlein), « jadis » (Reuss). Ce sens est confirmé par l'emploi de la
même expression dans les passages voisins, xl, 21, xli, 4, où elle

marque sûrement une époque antérieure; en xli, 'i- il s'agit de lahvé


qui « dès l'origine évoque les générations ».

Voici donc un premier raisonnement bien simple. Suivant xli, 26,


lahvé a prédit « en tout cas à une
dès l'origine » ou « autrefois »,

époque antérieure, la mission de Cyrus. Par conséquent on ne saurait


admettre que les « choses nouvelles », dont xlviïi, 6-8 proclame avec
emphase qu'elles sont ^ivéàiies à présent à partir de maintenant, pas ^

avant, se rapportent à cette mission de Cyrus.


Mais le second passage est encore plus fort. Après avoir nommé Cy-
rus (xLiv, 28 xlv, ; 1) et œuvre de
décrit sa mission, ses conquêtes, son
salut pour Jérusalem (xlv, 1-5, 13-17), le prophète porte un nou-
veau défi aux idoles (xlv, 20-21) qui (je le remarque en passant, —
sans y attacher trop d'importance) répond symétriquement au pre-
mier défi (xli, 21-23) d'une part, 63^-69^ vers à partir du début;
:

d'autre part, eS^-ôT* vers à partir du vers final de la première par-


tie, à condition de terminer celle-ci à la fin du chapitre xlvii :

Parlez, exposez, oui, consultez ensemble !

Qui jadis a publié cela ?


Qui autrefois en a parlé ?

« Cela », c'est évidemment ce qui vient d'être dit dans les strophes

(1) Pour les corrections du texte, voir Le Livre d'isaïe, p. 249.


(2) LXX Ta £$ àpyrj;; Vulg. ab exordio; de même Syr. et Targ., et les commentateurs

Lowth Koppe, Gesenius, Hitzig, Ewald, Knobel, Schegg, Seinecke, Diestel, Franz De-
et
litzsch, Segond,Knahenbauer, von Orelli, Andréa, Duhm, Ryssel, Cheyne, Ed. Kônig, Skin-
ner, O. C. Whitehouse (1908), Budde (1909), les dictionnaires de Gesenius-BubI, Gesenius-
Brown, etc.
LES PRÉDICTIONS NOUVELLES. ^0:5

2)récédentes. Encore ici il s'agit de l'œuvre de Gyrus, annoncée non

parles idoles, mais par lahvé « dont la parole est juste et sûre la pré-

diction » (v. 19). par lahvé « qui tient la parole de ses serviteurs )>, est-il
dit un peu plus haut, justement à propos de CyrusfxLiv, 26, cf. 28).

.le ne trouve aucun exégète qui donne ici à z~":*2 le simple sens de « d'a-

vance ». Ce mot est communément traduit et evphqué par 2-' xpyf,q.


abinitio, olim, longe antea; von Alters ou vor Alters^ in (ou von) der
Vorzeit, in der Urzeit, von Anfang ;froni the old time, froni ancient
time, long ago; dès le commencement jadis D'ailleurs, ce terme est
^ .

accompagné de 'X*2, « autrefois » ou « précédemment », dans le se-


cond membre du vers. Qu'on donne à 7N*2 le sens d'un passé plus ou
moins reculé, assez récent, si l'on veut, il sera toujours en opposition
avec ."in">"2, « à partir de maintenant ». L'opposition s'affirmera d'une
façon plus nette encore sous une forme contradictoire, si en face des
choses prédites tn'^, avant, on en place d'autres prédites 7x*2 n"^, pas
avant. Or, c'est justement là le contraste établi par le prophète, au
chapitre xlviii, entre les « prédictions anciennes » faites 's^, v. 3 et 5
et les « prédictions nouvelles », prononcées ~r>**2, 7n*2 x"', v. 6-8. Par
la cpialification 'n*2, qui leur est explicitement attribuée en xlv, 21. les
prophéties relatives à Cyrus sont rangées nécessairement dans la pre-
mière classe, parmi les « prédictions anciennes ». Il est difficile de
comprendre comment on pourrait, avec M. Van Hoonacker, les faire
entrer dans la seconde classe, dans celle des « prédictions nouvelles »,
auxquelles le prophète donne précisément, avec tant d'insistance et
de solennité, des attributs contradictoires.

Voilà sans doute pourquoi F. Hitzig (exégète très perspicace, dont


le commentaire de 1833 est, au dire de Driver, la source d'une grande
partie de ce que l'exégèse récente d'Isaïe a de meilleur fl' inter-
prète ainsi xlviii, 7 : « Les choses nouvelles qui doivent encore s'ac-
complir s'entendent bien de ce qui est prédit à partir du cha-
pitre XLIX •).

De même pour l'abbé Le Hir. les prophéties anciennes sont celles


qui concernent Cyrus ; les prophéties nouvelles « ont trait surtout à la
délivrance de l'Israël spirituel et à la conversion des peuples par le

Messie » (2..

A propos de xlviii. 3. W. Kay s'exprime ainsi « Vitringa et autres :

rapportent cela aux anciennes prophéties d Isaïe sur Sennachérih.

(1) An Introduction to the Literature of the Old Testament, S" éd. l'.»09. p. 204.
(2) Études bibliques, 1. 1, 1869, p. 103, 104.
204 REVUE BIBLIQUE.

D'après le contexte il s'agit plutôt de l'accomplissement des prophé-


Babylone; les « choses nouvelles » sont celles qui vont être
ties sur
annoncées dans les chapitres xlix-lv. » Et plus loin il fait remarquer
combien le prophète insiste sur cet ordre de choses entièrement nou-
veau (1).
George Rawlinson, dans son commentaire, se range à l'avis de.
Kay « En somme, les termes employés semblent s'accorder au mieux
:

avec l'opinion du D. Kay, que les « choses nouvelles » sont celles qui
vont être révélées dans la section suivante de la prophétie (ch. xlix-
Liii), celles qui se rapportent à la venue du Messie... » (2).

Sans admettre une distinction aussi logique et aussi tranchée (qui


donne pourtant, ce semble, le vrai sens de ce chapitre, comme j'es-
saierai de le montrer un peu plus loin, en répondant aux objections
de Van Hoonacker et en soulignant les difficultés de sa division),
d'autres exégètes. Driver (3), J. Ley (i), Skinner (5). Ed. Kônig (6),

Kautzsch (7', etc., estiment que les « prédictions anciennes » ont pour
objet au moins les premières conquêtes de Cyrus. « En quelques en-
droits, dit Skinner, il paraît clair que par « les premières choses » le

prophète entend l'accomplissement d'anciennes prédictions concer-


nant Cyrus, tandis que les « choses nouvelles », annoncées mainte-
nant pour la première fois, sont des événements comme le triomphe
de Cyrus, le salut d'Israël et la conversion du monde au culte de Jé-
hovah (8). »

Ce sont surtout les textes interprétés plus haut, xli, 26 et xlv, -21,

qui ont obligé ces derniers auteurs de comprendre parmi les « pré-
dictions anciennes » au moins une partie des conquêtes de Cyrus, les
premières victoires, tandis que la prise de Bahylone et le décret qui
met fin à l'exil appartiendraient aux « prédictions nouvelles ». Mais
cette distinction formelle de deux parts dans la carrière du conqué-

(1) The Hohj Bible icith an explanalory and critical Commentarij, vol. V, 1875,

p. 251.

(2) Commentaire d'isaïe dans The Pulpit Commentary, 1887, p. 215.

(3) Driver, Isaiah : his life and times, T éd., 1893. p. 140.

(4) Julius Ley, Historische Erhlarunrj des Zireiten Tcils des Jaaia, 1893, p. 57 et

Theologische Studiea und Kritiken, 1899, p. 1G8.


(5) Skinner, The Book of the Prophet Isaiah, ch. xl-i.xvi, 1898-1902.

(6) Ed. Kônig, The Exiles' Book of Consolation, 1899, p. 103-111.


(7) Kautzsch dans art. Religion of Israël, Hastings Victionanj ofthe Bible, Extra vol.
p. 706'' « Dans la prédiction exacte des événements merveilleux qui se passent (la mission
:

de Cyrus et la prochaine délivrance d'Israël) notre prophète voit une des preuves les plus
fortes de l'unité et de la toute-puissance du Dieu d'Israël »; et parmi les passages qui jus-
tifient cette assertion, xlviii, 3 suiv. est cité.

(8) Skinner, l. c, p. xxi.


LES PREDICTIONS NOCVELLES. 20o

rant, assignées coiiinie objet respectif des deux classes de prédictions


sinettement tranchées xlviii), i offre un double inconvénient. D'abord
elle ne paraît pas répondre à la réalité car on ne voit pas quelles
;

prophéties auraient annoncé les premières victoires de Cyrus tout à


fait isolément et sans marquer leur relation avec la délivrance des
exilés et le salut d'Israël. En second lieu, le poème qui proclame
l'œuvre de Cyrus objet des prédictions anciennes fxLV, 21) la définit
justement comme une œuvre de délivrance pour les exilés et de salut
pour Israël (xliv, 24.-28; xlv, l-19j. Gomment dès lors réserver ces
derniers traits pour les prophéties nouvelles?

Il temps de voir si l'exégèse si logique du chapitre xlviii, qui


est
distingue dans les prophéties anciennes la mission et l'œuvre de Cy-
rus, dans les prophéties nouvelles la mission et l'œuvre du Serviteur
de lahvé, se heurte vraiment à de sérieuses difficultés. Examinons,
Tune après l'autre, les objections de M. Van Hoonacker, en renvoyant
à la fin de cet article celles qui concernent plus spécialement la
structure poétique (cf. RB., oct. 1909, p. 510-513).
1. — En XLVIII, 6, « le prophète s'exprime au parfait : "Ty^rn :

je t'ai fait entendre des choses nouvelles... ». Impossible qu'il désigne


par là des choses dont il n'a rien dit enccrre, et qui ne seront annon-
cées qu'à partir du chapitre xlix.
A cela je réponds que le parfait peut s'employer fort bien pour
une action future, si cette action est fermement résolue. Pareil usage
est même fréquent, remarque Driver dans son Traité sur l'emploi des
temps en hébreu qui fait autorité « une résolution, une promesse,
:

un décret, surtout si Dieu en est l'auteur, est fréquemment annoncé


avec le parfait » (3^ éd. 1892, p. 17). Entre autres exemples le savant
hébraïsant cite la réponse d'Abraham Tn:, j'ai donné je suis dé- =
cidé à donner le prix du champ Cen. xxiii, 13: le prix est indiqué
au V. payé au v. 16). La même règle est formulée dans la
15, et
grammaire de Kautzsch (§ 106, m). Ailleurs, pour le passage qui
nous occupe, Driver repousse expressément l'explication reçue par
-M. Van Hoonacker il avertit « Au verset 6'' traduisez
;
« Dorénavant
: :

je te fais connaître (pas « je t'ai fait connaître »] les choses nou-


velles » (1). De même Reuss « Désormais je t'apprends... » Skinner
: ;
:

I shew thee fin the act of speaking) plutôt que [hâve shewed thee.

(1) Isaiah : his life and Urnes, p. 148. note.


206 REVUE BIBLIQUE.

•2. — D'après xlviii, li ss., la conquête imminente de Babylone par


Cyrus appartiendrait aux choses nouvelles. Voici ma traduction de ce
passage :

'* Assemblez-vous tous, et entendez!


Qui parmi eux a prédit ces choses :

Celui que lahvé aime accomplira sa volonté


sur Babylone 'et la race' des Chaldéens?
'''Moi, moi, j'ai parlé et je l'ai appelé;
je l'ai conduit et fait réussir dans sa voie.

« Nous ne savons, dit Van Hoonacker,


par la ponctuation qu'il si,

emploie, [deux points après « ces choses »] le P. Condamin veut don-


ner au V. li la portée d'une remémoration d'une prédiction « an-
cienne ». Cette interprétation serait purement artificielle. Le v. 14 est

à comprendre comme une prédiction catégorique. » Les deux —


points ont été mis de propos délibéré, dans le sens indiqué. Mais,
comme le pronom n'i.s, « ces choses », peut grammaticalement se
rapporter à ce qui suit, aussi bien qu'à ce qui précède (Reuss,
Dillmann, Marti le rapportent, comme moi, à ce qui suit), l'objection,
qui se contente de déclarer artificielle » cette interprétation, res-
<(

semble un peu à une pétition de principe (1).


3. —
M. Van Hoonacker objecte ensuite (jue, si l'on fait entrer la
conquête de Babylone, partie essentielle de l'œuvre de Cyrus, parmi
les prédictions anciennes, il faut, en vertu du v. 3, la regarder comme
accomplie à ce moment, ce qui est impossible. — Pourcjuoi impos-
sible? Au contraire, l'accomplissement « soudain » (DNns, xlviii , 3)
semble bien faire allusion à la chute « soudaine » de Babylone (ONDS,
XLVii, 11). Dans l'opinion traditionnelle qui attribue ces chapitres à
Isaïe, et qui distingue divers points de vue dans la vision du pro-
phète, cela n'offre aucune difficulté à l'abbé Le Hir, par exemple;
pour lui, les prédictions anciennes, relatives à Cyrus, sont aperçues
de loin comme accomplies ou en train de s'accomplir; les autres sont
c< envisagées comme nouvelles, parce qu'à l'époque de Cyrus, du pré-

(1) En note M. Van Hoonacker Qui donc en effet, en dehors de lahvé lui-
ajoute -. «

même, que lahvé aime accomplira sa volonté? »


pourrait avoir eu à prédire que «Celui —
Comme c'est en réalité lahvé qui envoie Cyrus, il est impossible d'exprimer autrement la
vraie mission de Cyrus: et il est clair, en eflet, que les païens ne pouvaient pas la prédire :

c'est ce que le prophète ne cesse de déclarer. Remarquons, de plus, que le discours, adressé
aux Israélites, comporte plus facilement cette expression qu'un défi porté directement aux
païens. Reuss met entre guillemets la fin du du v. 14, et remarque en note : « Ces trois

lignes résument la prédiction, que Jéhova seul a faite, et non les faux dieux. » Dillraann

interprèle de même « '"î^^* ces choses] est expliqué dans une phrase spéciale, à savoir :

Celui que lahvé aime... »


.

LES PRÉDICTIOXS NOUVELLES. 207

sent extatique d'Isaïe, elles n'étaient pas encore accomplies... (1) ».


Dans l'opinion des critiques, rien n'empêche de sujîposer un inter-
valle de temps entre la composition des quatre premiers poèmes et
celle du poème de transition et des quatre derniers.
V. —
« La pensée développée au chapitre xlviii ne s'accommode

i^uère de l'interprétation du P. Gondamin. » Toute l'explication —


qui suit cette phrase présuppose , comme acquis, le sens donné au
chapitre xlviii par iM. Van Hoonacker. Il n'y a donc pas d'argument
nouveau, et la réponse est facile : La pensée développée au cha-
pitre XLVIII, avec Vexégese de M. Van Hoonacker, ne s'accommode
euère..., sûrement, puisque c'est justement là que nous sommes en i'

conflit assez aigu ».

5. —
Après avoir cité xli, 22. 23, le savant professeur ajoute :
-

« Parmi ces choses à venir, opposées aux choses anciennes et que les
faux dieux sont incapables d'annoncer, se trouve la mission de Cy-
rus (25). » C'est catégorique: mais l'affirmation risque de paraître
gratuite.
Puis vient un argument tiré de xliii, 9 :

Qui parmi eux annonce ces clioses [le retour des exilés]
et en appelle aux prédictions anciennes?

M. Van Hoonacker interprète : Qui en appelle aux prédictions an-


ciennes accomplies autrefois, pour confirmer les prophéties nou-
velles? Et il Le retour des exilés est mis en
conclut naturellement : «

opposition avec h'S choses anciennes. » Réponse le parallélisme — :

du vers indique un autre sens plus plausible Qui en appelle aux :

prédictions anciennes faites sur ce sujet? Et ce sens est aussi mieux


en harmonie avec le passage précédent, xli, 26-28. Or, ainsi compris
très légitimement, ce vers classe le retour des exilés parmi les pro-
phéties anciennes
Quant à xliii, 18-19, Ed. Konig montre très bien, contre Sellin,
que ce passage n'a pas rapport au sujet qui nous occupe 2 .

F^nûn. xliv, 8 et xlvi, 9-10 ne prouvent, par eux-mêmes, ni dans


un sens ni dans l'autre.

Ainsi les difficultés exégétiques accumulées par M. Van Hoonacker,


pour rattacher le chapitre xlviii aux poèmes de la première partie,
sont loin d'être insurmontables. Tout au contraire, suivant l'interpré-
tation la plus logique de xlviii, 3-8, adoptée d'ailleurs par des exé-

,1; Études bibliques, t. I, 1869, p. 104.


(2, The Exiles' Book of Consolation^ p. 104.
208 REVUE BIBLIQUE.

gèles Hitzig-, Le Hir, Kay, George Rawlinson, la mission et


comme
l'œuvre de Cyrus sont l'objet des quatre premiers poèmes (xl-xlvii),
la mission et l'œuvre du Serviteur de lahvé sont l'objet des quatre
derniers; le chapitre xlviii est un poème central, qui marque très
expresséûient le passage des prophéties ancienne:^ aux prophéties
nouvelles.
On voit le sens de l'argument spécial, tiré de cet ordre, en faveur
de la transposition du premier passage sur le Serviteur de lahvé Si :

les prédictions nouvelles se rapportent au Serviteur de lahvé, et si en

XLVIII, 6-8 le prophète répète, avec tant d'insistance, que lahvé les
proclame à parti?' de maintenant, pas avant, il n'est pas admissible
que le premier passage sur le Serviteur soit à sa place primitive
dans la première partie, au début du chapitre xlii; il doit rejoindre
les trois autres passages dans la seconde partie qui commence au
chapitre xlix. (Voir Le Livre d'haie, p. 295, 310, et surtout RB.^
avrill908, p. 170-172.)

II. — POÉSIE.

En 1908, dans son commentaire des Douze Petits Prophètes, M. Van


Hoonacker se montrait encore bien sceptique sur les lois de la poé-
sie hébraïque non seulement il ne croyait pas
: pouvoir songer à
<(

disposer la version en forme de strophes » (p. xi), mais, sans essayer


même une division en vers d'après le parallélisme, il écrivait comme
de la prose les oracles d'Amos, d'Osée, d'Abdias, de Joël. Personne
donc ne s'étonnera qu'en s'exerçant tout d'abord sur les poèmes com-
pliqués de la seconde partie du livre d'Isaïe, son étude, attentive
pourtant et consciencieuse, ait méconnu divers traits caractéristiques
et négligé quelques faits d'une certaine importance.

Distinction des vers. — 1. Monastiques imaginaires. — Le savant


exégète introduit parfois dans la strophe un élément qui, malheu-
reusement, n'existe pas en réahté le monostiqiie (1). Pour xlvi,
:

6, 7, dans la division nouvelle qui est proposée, RB., 1909, p. 517,


on trouve deux vers consécutifs monostiques. Or, l'élément le mieux
établi de la poésie hébraïque est le vers à membres parallèles. Le
parallélisme est un principe fondamental, justement regardé par

M. Van Hoonacker [RB., 1909, p. 515, note 2) a cru trouver dans Le Livre d'Isaïe,
(1)

p. un exemple de monostique ; mais Is., xiii, 2 présente en réalité deux vers, chacun
100,
de deux membres, comme l'indiquent la majuscule, « Faites-leur », et la minuscule, « pour
qu'ils entrent ». (Voir la préface du livre.)
LES PREDICTIONS NOUVELLES. 200

Budde comme intangible. « Le vers, dit cet auteur, et non le stique,


doit être maintenu comme unité de mesure de la strophe (1 ». Mais 1

il ne peut y avoir de parallélisme sans que le premier stique soit

suivi d'un second stique parallèle. Un monostique est donc un vers


boiteux, ou, plutôt, une moitié de vers qui ne peut vivre sans l'autre
moitié. Mvard Schloegl a raison de formuler comme « certaine >-

la loi suivante : « Stropham minorem non sticbis, sed versibus zi7-i-

/y.z vel interdum -.z'.z-.iyy.z constitui, quia stichus seu membrum se-
cundum legem complemento eget; nam protasis
parallelismi semper
et apodosis totum quid constituunt '2 \ » On peut citer dans le même
sens Koester 1831 Hupfeld 18621, Ley (1875), Zenner 1896^, Bau-
,

dissin (1901), Duhm (1902 ,


Cornill (1905).
2. Tristiques. — une loi généralement reconnue, le
Ainsi, suivant
vers est composé ordinairement de deux stiques distique), quelque-
fois de trois ftristiquei. Le poète garde une certaine liberté dans l'em-

ploi de ces tristiques; —


et c'est arbitrairement que B. Duhm, dans

son commentaire d'Isaïe. corrige le texte en bien des endroits pour


ramener ces sortes de vers à des distiques: ailleurs (3) il admet en
théorie l'existence de tristiques ou vers à trois membres.
M. Van Hoonacker me reproche la façon de couper le verset 10 du
chapitre un « Au point de vue de la mesure des vers, dit-il, l'in-
:

convénient de l'hypothèse en question se montre très clairement dans


la version de Gondamin. Le chapitre lui tout entier est formé de

distiques réguliers, sauf en notre passage, où l'on voit s'aligner deux


tristiques! » (p. 527). —
Le prophète n'ayant aucune connaissance
de la division en chapitres, au lieu d'argumenter du « chapitre lui >',
il aurait fallu faire appel à la structure régulière de tout le poème
(et cette raison n'eût pas été décisive, car le poète reste libre dans
l'emploi des tristiques). Mais je comprends d'autant moins l'objection
de M. Van Hoonacker, qu'il admet lui-même, par sa division, deux
tristiques dans ce même poème ^
quelques lignes plus haut (voir
p. 5201.
Distinction des strophes. — i. La loi du sens. — Deux ou trois stiques
s'unissent pour constituer le vers; les vers, au nombre de deux ou
trois, forment des groupes: ces groupes à leur tour, le plus souvent

(1) Article Poetnj (hebreir) dans Uastiags Diclionanj of tlie Bible, vol. IV. p. 8''; cf.

p. 4' sur les éléments du vers.


(2) De re metrica Hcbraeorum Disputatio in Universitate Vindobonensi praemio Lacken-
bacheriano ornata, 1899, p. 41, g 53.
(3^ Dans l'article Poelical Literature de \ Encyclopaedia hiblica, col. 3803. Cet article
est de B. Dubni; il y a une erreur dans les initiales H. D. de la signature.
REVUE BIBLIQUE 1910. — N. S., T. VII. 14
210 REVUE BIBLIQUE.

au nombre de deux ou trois, se combinent en strophes; enfin l'ag-ence-

ment des strophes fait le poème. C'est toujours le sens qui pi'éside à
ces divers groupements.
Considérons maintenant la division en strophes élaborée par le
docte professeur de Louvain, pour le poème d'Is., lu, 13 lui, 12, —
sur les soufl'rances et ]a mort du Serviteur de lahvé. Voici le pas- :

sage à transposer, xlii, 1-7 (voir ci-dessus p. 208) est placé immé-
diatement avant lu, 13; et, pour obtenir avec cela une série rég-ulière
de strophes, lu, 13-15 devient strophe alternante; puis lui, 1-5

strophe; 6-10"", autistrophe (1); 10''-12, strophe alternante (p. 525-


526).
Dans cet arrangement, de la strophique.
la loi la plus essentielle
ne parait pas observée.
celle qui distingue les strophes d'après le sens,
En effet, en vertu du sens, nous avons une strophe complète dans
LUI, 1-3, et une autre dans lui, i-6; celle-ci est particulièrement
bien délimitée par le sujet Il a souffert pour nous : :

'-
Mais il a pris sur Lui nos souffrances,
et de nos doideiirs il s'est chargé;
Et il paraissait à nos yeux châtié,
frappé de Dieu et humilié.

^ Il a été transpercé pour nos péchés,


broyé pour nos iniquités ;

Le châtiment qui nous sauve a pesé sur Lui,


et par ses plaies nous sommes guéris.

(1) Contre toutes les versions anciennes, LXX, Syr.. Vulg., Sym. (le passage est para-

phrasé et rendu méconnaissable dans le Targoum), M. Van Hoonacker rattache "iSnn à 10'';

et. au lieu d'admettre pour le mot suivant la correction très simple de D*ittJn en D''w*''.

suggérée par la Vulgate. Si posueritpro peccato animam suai», il préfère corriger D'''t-."'ri en

C^tJNr et, de plus, supprimer le mol 't.'X, sans l'appui d'aucun témoignage ancien; cela
pour aboutir à une construction forcée (Ti*N3 sous-entendu devant DNi, qui exprime,
avec des termes un peu curieux, cette réflexion, bien prosaïque à la fin d'une si belle
strophe : [comme] si elle eut été coupable, son âme.
Il affligea,

Un changement détruit l'argument très fort, tiré de ce texte, pour montrer que
pareil
le Serviteur n'est pas un martyr du passé, comme Duhm le prétend, ni le peuple d'Israël
qui aurait déjà souftert, mais un personnage dont la mort est placée dans l'avenir : S'il
offre sa vie en sacrifice pour le péclié. Aussi Duhm. dans une note de plus de quatre-
vingts lignes, s'est livré à des conjectures héroïques pour se débarrasser de ce sens. Un
des plus judicieux commentateurs. Skinner, reconnaît que « la difficulté principale est le
caractère hypothétique de la phrase, dont on n'a donné aucune explication satisfaisante » ;
mais il se garde bien de transformer le texte à cause de cela. D'ailleurs le texte hébreu de

légèrement corrigé d'après la Vulgale, ou laissé tel quel, avec Dill.nann et beaucoup
lO*",

de commentateurs, offre un début tout à tait naturel pour l'antistrophe, et en parfaite


harmonie avec la suite des idées exprimées dans les versets suivants, surtout au v. 12 :

Je lui donnerai, pour sa part, des multitudes... parce qu'il s'est livré à la mort.
LES PREDICTIONS NOUVELLES. 211

•"'Tous nous élions f)Tants comme des brebis:


chacun smvait sa propre voie ;

Et lahvé a fait tomber sur Lui


r iniquité de nous tous!

Il est clair que l'on ne peut pas, avec M. Van Hoonacker. détacher
le verset 6, pour le joindre à la strophe suivante.
La division proposée dans Le Livre d'haie, pour ce poème, a quel-
que chance d'être objective et solidement fondée, vu sa coïncidence
avec celle de plusieurs auteurs consultés seulement après, dans la •

préparation de la quatrième partie de V Introduction, qui a pour objet


la poésie du livre d'Isaïe. Fr. B. Koester en 1831, dans Tarticle où
ilexpose ses découvertes sur la stropliique, en formulant déjà presque
toutes les lois reçues aujourd'hui (1), K. Schlottmann, dans un
mémoire lu au sixième Congrès des Orientalistes en 1883 (2),
Ch. A. Briggs '3 et Lucien (iautier (i) divisent lu, 13 — lui. 12
comme il suit :

LU, 13-15 I
LUI. 1-3 I
V-6 I
7-9 |
10-12.
La seule ditiérence avec ma division est le stiqae 10' (quatre mots")
rattaché dans celle-ci à la strophe 7-9.
2. Les répétitions de mots. Aux idées et aux mots qui se répon- —
dent d'une strophe à l'autre D. H. Miiller donne le nom de Respon- <'

sion )). Il appelle inclusion l'espèce de cadre formé dans une strophe
par des répétitions symétriques au commencement et à la fin. On
peut distinguer deux sortes de répétitions de mots elles sont, en :

effet, parallèles ou symétriques. La répétition parallèle a lieu à des

places parallèles, le plus souvent dans des strophes difierentes et


consécutives, par exemple, au commencement de la strophe et de
l'antistrophe ou à la fin de l'une et de l'autre. La répétition symé-
trique se fait à des places s\Tnétriques, soit, le plus souvent dans
la même strophe au commencement et à la fin c'est l'inclusion) ; soit
parfois dans des strophes successives, au commencement de la strophe
et à la fin de l'antistrophe. ou au milieu de l'une et de l'autre. Ces
répétitions se rencontrent, dune manière notable, dans la plupart
des poèmes; on peut conclure à une loi générale, mais dont ra]jpli-
cation n'est pas rigoureuse et indispensable.

1 Dans la Revue Theolo(/iscfie Studien itnd Kriti/cen, p. -ÎO-IU; pas en 1833, comme
porte le Dictionnaire de la Bible de Vigoureux, t. III, col. 1912; encore moins en 1813.
date donnée par W. R. Harper daus son commentaire d'Amos, p. clïiv (deux fois).
(2) Actes du C" Congrès international des Orientalistes tenu en 1883 à Leyde. II par-
tie, sect. 1, p. 484.
(3) General Introduction ta the stiubj of Holij Scripture, 18U9, p. .38.J.398.
(4) Introduction à l'Ancien Testarnenl, 1906,. I, p. 44.5. 446.
212 REVUE BIBLIQUE.

Van Hoonacker semble ne tenir aucun compte de ces faits. Tou-


M.
jours dans le même poème, lu, 13

lui, 12, la strophe et l'antistro-

phe du début ont chacune, exactement au milieu, ces mots caractéristi-

ques "iNn et nxT2, (lu, 14 et lui, 2). Le mot bouche se lit au premier
et au dernier vers de lavant-dernière strophe (un, 7 et 9). La distri-
bution proposée par Van Hoonacker, déjà convaincue de faire vio-
lence au sens, fait disparaître du même coup cette symétrie.
Ailleurs encore les strophes sont coupées en dépit du sens et des
répétitions symétriques.
Il est de toute évidence que, par le sens, par la symétrie du nom-
bre des vers et par la répétition d'un certain nombre de mots carac-
téristiques, Li, 17-'20 [Sion a bu la coupe de la colère de lahve) et li,
21-23 {Babijlone à son tour la boira) sont mis en contraste comme
strophe et antistrophe. Dans la division de Van Hoonacker (p. 523),
LI, 21-23 est devenu strophe alternante!
Autre exemple xlix, 8-10, et 11-13 font partie de la
:
même stro-

phe; la suite montre Sortez! (9); routes préparées (9 et


du sens le :

11); ils viennent (12); lahvé a pitié d'eux et les guide (10 et 13). Le
verset 14 commence un nouveau développement « Sion disait : :

lahvé m'a délaissée... —


Je ne t'oublierai pasi » qui continue manifes-
tement au v. 16 « Vois, sur mes mains je t'ai gravée; tes murs sont
:

toujours sous mes yeux! » M. Van Hoonacker a changé tout cela xlix, :

8-10 forme une strophe alternante; 11-15, une strophe; 16-19, une
anti strophe !

Distinction des poèmes. —


Van Hoonacker n'a-t-il pas
Ici encore iM.

négligé, ou même un certain nombre de faits


entièrement sacrifié,

assez importants? Ses coupes nouvelles, ses transpositions nombreu-


ses, ses corrections du texte, non seulement ne s'inquiètent pas de
respecter la distinction et la symétrie des poèmes, mais semblent
prendre à tâche de la détruire un peu partout. En conséquence,
quantité de faits relatifs à cet ordre, aussi faciles à constater que dif-
ficiles à contester, sont, inconsciemment sans doute, mais très réeHe-

ment attribués, comme cause, à des coïncidences de hasard. Ce


point, vu son intérêt considérable pour l'exégèse, mérite d'être étu-
dié avec quelque détail.
^inclusion, signalée par H, D. Millier pour les strophes, m'a paru
se rencontrer aussi pour des poèmes entiers, et même pour tout un
cycle de poèmes. Récemment, dans son beau commentaire des Livres
de Samuel, Dhorme a reconnu l'application de cette loi dans le Can-
tique d'Anne (v. p. 30-31). Voici d'autres exemples, à dessein de mon- j
LES PRÉDICTIONS NOUVELLES. 213

trer qu'il ne s'agit pas simplement de trois ou quatre cas particuliers,


où l'on pourrait alléguer une coïncidence fortuite. Pour rendre la
preuve irrécusable, je prends d'abord des poèmes alphabétiques,
dont le commencement et la fin sont marqués par les lettres de l'al-
phabet, et ensuite quelques autres assez clairement délimités :

1. — Psaume xxv : vers 5< — : : te:, n'ki'izx -"n, i2i1n, -'•p; mêmes
mots répétés dans les vers ^ —n ("'ri '^p répond à ~''i'p)-

2. — Psaume cxlv : V vers (n) : in*': dS"""^ ~'2r nx'^ZN'; dernier


vers (n) : -Ni nSry-i r^inp cr ... -p2"!i.

3. — Lamentations ch. i : Inclusion à plusieurs degrés, allant des


extrémités au centre :

( V. 1 N "TZ"^ dans le premier vers du premier groupe.


^ V. 22 n mil dans le dernier vers du dernier groupe.

S
V. 2 l2'21n'"^ .... an:"2 n^ jin.
r i2\\ ... iS nnz'c ^\\.
M 3^"lï*2~. dans le O'' vers à partir du début.
"I.
lï, dans le 9= vers à partir de la fin.

T M-znj, au 11^' vers.


": *;~;, au It"^ vers à partir de la un.
(Le mot "rn; ne se présente pas ailleurs dans ce chapitre.)
- "'Zt* "13 ">n ....-*ni
j; irjz IjS" .... mni
L'expression ''ZwZ "7" ne se lit pas ailleurs dans ce chapitre.)
i. — Lamentations ch. ii :

i V. 1 N 1SK DV2
( V. 22 n M*"'^ ^x n'^1
^ V. 2 2 "pN-^ .... "-^'zn nS
^ V. 21 u,' n'"^^2n nS ... yiisS
()
V. 3 ; rP2N
'{
V. 20 T n:''3NP Le verbe b^N n'est pas ailleurs dans ce chapitre.
Et au milieu :

^
V. 10 1 nSin2 ... "j*iii' n2
(y. 13 'z -[Vj: ri2 -Sin2
^ V. 11 z r^2--^2 ... TwV2 ... -£r:
? V. 12 -•
-£nw~2 ... ip*2m2 ... î2Z'ci'jr\-z

Pour le reste de ces chapitres, Lam. i et ii, et pour plus de détails,


voir The Journal of Theological Studies, octobre 1905, p. 137-140.
5. — Job xxviii, poème sur la sagesse, "^pn, scruter, qui n'est pas
dans ce poème, se trouve dans le dernier vers du premier
ailleurs
groupe et dans le premier vers du dernier groupe (voir RB., 1905,
p. 125-126).
6. — Dans le Psaume lxxxix, dont la structure strophique est si
parfaite, on lit dans les trois derniers vers, comme dans les trois pre-
214 REVUE BIBLIQUE.

miers, les mots ^mce^, ta fidélité, serviteur, lahvé, promettre 'par ser-
ment à David ; ceiie dernière expression est exactement au 3' vers à
partir du début et au y avant la fin.
7. —
Dans le poème sur Moab, Is. xv-xvi, le terme les hauts lieux
se présente au commencement de la première strophe et à la fin de la
dernière, et pas ailleurs.
8. —
Dans le poème sur Babylone,
Is. xiii, 2 xiv. 23, remarquez —
les mots Ssn, îmI, de la 2' strophe et au commencement
r""i à la fin

de l'avant -dernière (u"n n'est pas ailleurs dans ce poème).


9. —
Le poème du livre de Baruch, iv, 5 v.9, place le nom à' Israël —
au premier vers et au dernier [Etudes, 5 juillet 1906, p. 59 et 62).
On pourrait citer plusieurs exemples du livre de Jérémie mais il ;

faudrait établir au préalable la division des poèmes, et ce n'est pas le


lieu ici.

10. — Puisque M. Van Hoonacker admet l'adjonction d'/.s. lx-lxii h

Lv, rappelons l'inclusion remarquable pour l'ensemble des neuf


poèmes [RB., avril 1908, p. 175).
11 . —
Peut-être faut-il signaler dans le même sens le mot rare D^CV-
moût, vin doux (2 fois dans Joël et 3 autres fois dans la Bible) qui se
présente dans la prophétie de Joël au 13" stique à partir du début et au
13« stique à partir de la fin.

A ces exemples ajoutez les nombreuses répétitions symétriques


observées dans sept des poèmes à Is. xl suiv. Quatre d'entre eux (1, 3,

6, 9)ont même une inclusion à plusieurs degrés comme Lam. i et ii.


Dans le poème Is. lii-liii le mot d'^, répété deux fois dans la pre-
mière strophe et trois fois dans la dernière, est un mot de valeur le :

Serviteur de. lahvé recevra des multitudes qui peupleront la nouvelle


Jérusalem voyez la l""'' strophe du poème suivant . Van Hoonacker
détruit cet ordre en plaçant xlii, 1-7 avant lu, 13 dans le même
poème !
(p. 525).
Li, du ô"" poème, offre une répétition symétrique de ces
16, à la fin
mots du commencement de la strophe. « déployer les cieux et fonder
la terre » icf. v. 13 ; et, Je mets ma parole en
dans le même v. 16. u

ta bouche: à l'ombre de ma main je te protège », donne avec le


début du poème (xlix, 2 une inclusion très notable, vu que cette
expression, « l'ombre de la main » ne se trouve nulle part ailleurs
dans la Bible. (Voir Le Livre d'Isaïe, p. 236-237. M. Van Hoonacker i

fait disparaître l'une et l'autre, en transposant i.i. 16 après xlix. 3 et
en corrigeant le texte de xlix, 2 (p. 519 1 1.

D'ailleurs M. Van Hoonacker a essayé de joindre tous les poèmes


LES PRÉDICTIONS NOUVELLES. 215

par des strophes alternantes. Dans sa combinaison tout se suit, sans


tin et à perte dlialeine, sans autre coupe que celles des strophes

(sauf un trait après lu, 12, p. 525) ,1). L'auteur ne s'est pas aperçu,
semble-t-il, des divers inconvénients de ce système. Ainsi, le second
poème étant soudé au premier, par xlii, 8-9 comme strophe alter-
nante on ne comprend plus comment le prophète présente lahvé
i2i.

savançant pour prendre la parole et disant « Longtemps j'ai gardé :

le silence » \lii, 13. li puisque lahvé vient, au contraire, de parler


.

longtemps dans le passage précédent, xli. 25-20, 8-20 '3 .

Si tout se tient, s'il n'y a plus de distinction de poèmes, les nom-


breuses répétitions symétriques signalées dans Le Livre cTIsaïe,
p. 231-239, sont dues au hasard, malgré l'analogie des autres exem-
ples cités ci-dessus :
— le parallélisme des quatre premiers poèmes et

des quatre derniers, surtout le contraste du quatrième sur la ruine et


l'humiliation de Babylone et du neuvième sur la reconstruction et la
gloire de Jérusalem voyez les idées et les expressions parallèles indi-
quées dans RB., 1908, p. 176. 177);
oct.les dimensions égales de la —
première partie et de la seconde qui se font équilibre, car chaque
partie compte, à deux ou trois vers près, 325 vers RB., 1908, p. 174,
voir la note : tout cela est, daps ma division, le produit de coïnci-
dences fortuites!
Mais la ruine de la symétrie ^t du parallélisme harmonieux. c[ui

sont pourtant si conformes à 1 esprit de la poésie sémitique, est-elle


'compensée, dans ce nouvel essai, par des résultats de première im-
portance? Les transpositions, si librement opérées (4), sont-elles prou-
vées (5)? L'ordre ainsi obtenu est-il plus satisfaisant? Si le sentiment

1, Si l'on en juge par les strophes qui sont développées p. 519-526, et par la persistance
à intercaler des strophes alternantes entre les divers poèmes.
2; M. Van Hoonacker y tient beaucoup '^p. 508-509, 512, 514, 518;. Le lecteur jugera si
XLII, 8-9 doivent être détachés de 1-7, et vont mieux après xli. 20, où ils sont séparés du
passage sur les idoles par le long développement des versets 8-20 puisque M. Van Hoo-
nacker admet la transposition de xli, 21-29 avant 8-20. p. 514;.
(3; Sur la malheureuse transposition de xlvi, 1-2, pour faire une strophe alternante à la

fin de xLMi. voir la dernière note à la fin de cet article, et se rappeler que l'on a recours à

des monostiques pour combler la lacune produite par cette transposition.


(4; Voici l'ordre proposé par M. Van Hoonacker xlix, 1-3, u. 16. xlix. 4-7, l. 4-'.^,
:

XLix, 8-26, LI, 1-3, L, 10, li, 4-10. xlviu, 21, li, 12-15, 17-23, lu, 1-12. xlii. 1-7, lu. IS-
IS, LUI; etc., L. 1-3 est transporté avant xlii. 18, etc.
[h) lï me semble qu'en pareille matière, où l'on procède uniquement par conjecture, sans
l'appui des versions anciennes. « toute transposition doit être justifiée par des raisons soli-
du sens à l'endroit d'où le pas-
des. Elle parait l'être lorsqu'elle rétablit à la fois la suite
sage est enlevé et à l'endroit ou du même coup, elle donne de part et
il est mis, et que,
d'autre des strophes symétriques par le nombre de vers et les répétitions de mots » Liv. '

d'Isaie, préface, p. xii Le premier effet des transpositions de .M. Van Hoonacker est de
.

détruire la symétrie, nous l'avons vu plus haut. Quant à savoir si elles rétablissent la
216 REVUE BIBLIQUE.

esthétique n'y trouve pas son compte (J il est permis de regretter ce


/

qui manque de ce côté dans les reconstructions du savant professeur
de Louvain —
du moins la critique et rexégèse, dans la mesure où
l'on peut ici les séparer du sens de la poésie, en retirent-elles quelque
sérieux avantage? Pour en bien juger, quinze pages de remarques ne
suffisent pas, et il serait inutile d'insister sur des points de détail; une
étude personnelle et patiente du texte est indispensable ; elle se recom-
mande aux exégètes soucieux d'approfondir ces poèmes prophétiques
d'un intérêt inépuisable.
Albert Condamin, S. J.

suitedu sens, que l'on en juge : xlm, 1-2 est transporté au loin, à la (iu du ch. xlvii (bien
que dans tout ce poème du ch. xlyii, Babylone. soit apostrophée à la 2» personne, tandis que
dans xLvi. 1-2 il est parlé des Babyloniens à la 3' pers.,. Ces deux vers ne vont-ils pas beau-

coup mieux dans la strophe de xlvi, 3-7, où ils mettent les dieux de Babylone, portés par leu rs
clients, en contraste avec le Dieu d'Israël qui porte son peuple. De plus, M. Van Hoona-
cker n'a sans doute pas remarqué les mots typiques qui font l'inclusion de la strophe :

DOy, N*wJ, "ûS'Z, dans les versets 1 et 2, comme les versets 3 et 4; DCÎ?, rnot rare,
ne se trouve pas ailleurs dans Isaïe. Sur les inonostiques, appelés à combler le vide, voir
plus haut p. 208. On pourrait multiplier les exemples.
(1) M. H. Poincaré fait jouer un rôle assez important à la « sensibilité esthétique » en
mathématiques; à combien plus forte raison a-t-on le droit d'exiger qu'elle intervienne
quand il s'agit de poésie! (Voir Science et Méthode, 1909, p. 57-59.)
Planciik vu.

•2. Djf.del OiSDoiM. Le profil déchiqueté ilu promontoire de sel. l'Iiot. du P. Savignac.
MÉLANGES

UNE CROISIÈRE SUR LA MER MORTE


janvier [suite).

Vu de la pleine mer. le Djrbel Ousdoum a l'apparence d'un mons-


tre marin échoué sur la plage. Sa moitié nord, moins élevée et plus
régulière que le reste, en forme la queue la liane montante, puis
:

recourbée delà moitié sud en dessine la croupe. Cette colline originale


de 6 kilomètres de lona' est tout à fait isolée de la chaîne des monts
de Judée. Sa base, qui atteint 1 kilomètre de large, est faite d'une
couche de sel gemme dont l'épaisseur varie de 20 à 50 mètres. Cette
masse de sel eaux du grand lac
provient de la concentration des
intérieur, occasionnée par la phase sèche qui suivit la première pé-
riode pluvio-glaciaire. Faute d une compensation suffisante, les eaux,
en s'évaporant, abandonnèrent le sel dont elles étaient sursaturées.
Mais pourquoi cette concentration s'est-elle produite en cet endroit
plutôt qu'au nord de la mer Morte, par exemple? Cette question, qui
se présente d'elle-même à l'esprit du voyageur, en présence de la
montagne de sel, a donné lieu à des hypothèses dont voici les deux
plus acceptables. On pourrait supposer, d'abord, que, durant une
certaine époque, la partie sud de la mer Morte a été l'unique récep-
tacle des eaux de tout le bassin, tandis que la partie septentrionale
actuelle était occupée par un fond émergeant assez élevé, qui se
serait effondré seulement dans la suite. L'évaporation, s'exerçant sur
une eau donné naissance au Djebel Ousdoum.
ainsi localisée, aurait
11 cependant plus naturel d'imaginer qu'au temps de la forma-
est
tion des dépôts salins de cette montagne, la mer Morte était comme
divisée en deux bassins par une barre saillante, située vers la Lisàn,
sans avoir rien à faire avec la péninsule actuelle qui est de formation
plus récente. Un chenal mettait ces bassins en communication l'un
avec l'autre. Mais, la perte causée par l'évaporation dans le bassin
218 REWE BIBLIQUE.

méridional étant, comme aujourd'hui, du reste, supérieure à l'apport


des ruisseaux circonvoisins. Teau du bassin septentrional, alimenté
plus abondamment, se précipitait dans cette espèce de chaudière du
sud pour s y concentrer avec rapidité (1).
Cette seconde hypothèse nous sourit d'autant plus que la Caspienne
et son golfe de Kara-boghaz nous font saisir sur le vif ce qui a dû se

produire à la mer Morte, aux époques préhistoriques. Une levée de


sable sépare la Caspienne de ce golfe, si bien qu'il serait complète-
ment indépendant de cette mer sans le détroit resserré qui éta-
blitentre eux une communication constante. Nous allons voir,
grâce à la description précise enregistrée par Elisée Reclus, com-
ment le Kara-boghaz est la chaudière la plus active de la mer
Caspienne : « Ce bassin, géographe, est peu profond, de
écrit notre
4 à 12 mètres, en moyenne; parcourent danstous les sens,
les vents le
les chaleurs estivales s'y font sentir dans toute leur force, et par con-
séquent l'évaporation est considérable pendant l'été, un brouillard
:

s'élève continuellement au-dessus du lac. Amincie constamment pai


cette déperdition de vapeur, la nappe liquide ne peut réparer ses
pertes que grâce à des afflux d'eau continuels. Des recherches, très
faciles à chenal étroit et peu profond du Kara-boghaz.
étabUr dans le

n'ont pu faire constater l'existence d'un contre-courant sous-marin


ramenant à la Caspienne les flots plus salés du golfe. Le bassin inté-
rieur ne rend qu'à l'atmosphère l'eau apportée par le courant cas-
pien mais en diminuant par l'évaporation, l'immense marais gardi
;

le sel il le concentre, s'en sature chaque jour davantage.


: Déjà, dit-
on, aucun animal ne peut y suhsister; les poissons entraînés par !•
courant dans le lac deviendraient aveugles dans l'espace de cinq jours.
Les phoques, qui Wsitaient autrefois le Kara-boghaz, ne s'y montrent
plus aujourd'hui: les rivages mêmes sont dépourvus de toute végéta-
tion. Des couches de sel commencent à se déposer sur l'argile du fond,
et lasonde, à peine retirée de l'eau, se recouvre de cristaux saUns.
Baer a voulu calculer appro.ximativement la quantité de sel dont
s'appauvrit chaque jour la Caspienne au profit du « Puits Amer »...

En ne prenant que les nombres lesmoins élevés pour le degré de


salure des eaux caspiennes, la largeur et la profondeur du détroit,
la vitesse le savant auteur des Kaspische Studien a
du courant,
prouvé que Kara-boghaz reçoit chaque jour 350.000 tonnes de sel,
le
c'est-à-dire autant qu'on en consomme dans l'Empire russe pendant
six mois. Qu'à la suite de tempêtes ou par un lent dépôt d'alluvions,

(l^BLANCKE.NHOR?(,£n^5/e/<UJ'.3M?irf Gescliiclite des Todten Meeres: ZDPV., 1896. p. 35 s.


MELANGES. 210

la barre se ferme, et le Gouffre Noir diminuera promptement


(1)

d'étendue, ses bords se transformeront en immenses champs de sel,


et la nappe d'eau restant au centre du bassin ne sera plus qu'un peu
de boue, recouvrant une dalle saline 2), »

en vertu d'un phénomène analogue, la base saline de la


Ainsi,
montagne de Sodome serait le résidu d'un bassin particulier où l'eau
du lac intérieur était soumise à une évaporation plus active cjue par-
tout ailleurs. La configuration actuelle des lieux ne peut nous
donner qu'une idée assez vague de cet ancien état de choses, car,
depuis lors, d'autres révolutions géologiques se sont succédé, au cours
desquelles la couche de sel du bassin méridional de la mer Morte a été
rongée par les éléments et une fois réduite au gîte salin du Djebel
Ousdoum, un amas diluvial de gypse, d'argile bigarrée, de calcaire
crayeux est venu le recouvrir d'une couverture épaisse parfois de
130 mètres. Les sources alcalines du Ghôr Mezra'a, le sol rugueux du
gué de la Lisân, le terrain salifère de la Sebhah (3 qui devient im- ,

praticable dès que la saison


humide fait son apparition,
sont, en effet, un indice
que la dalle saline s'étend
bien delà du Djebel
au
Ousdoum. Quant aux dé-
pôts formant l'arête de
cette montagne , ils ont
l'âge des dépôts de la
Lisàn.
C'était pour nous rendre
compte de ces diverses par-
ticularités qu'au soir du Piiot. de M. Byrne.

ô janvier nous avions jeté


Fig. -IK. — Djebel Ocsdoim. La falaise plongeant dans
la mer.
l'ancre à proximité d'une
petiteplagecontiguealacollinedesel.il nous fallut un certain temps
pour débarquer, la vieille chaloupe touchant déjà le fond à dix mè-

(1] Telle est eaturkmène la sigtiitîcatioa de Kara-boghaz.


(2) Elisée Reçus, Nouvelle Ccorjrapliie universelle, VI, l'Asie Russe, pp. 424 s. Les bois
llottés que la mer Morte rejette au pied du Djebel Ousdoum sont tellement imprégnés de sel
que, tout en étant très secs, il est impossible d'y mettre le feu.
(3) La Sebhah est la steppe salée, de 10 kilomètres de long sur 6
de large, qui borde l'extré-
mité méridionale de la mer Morte. Elle est traversée par
une série de cours d'eau qui vont du
sud au nord, dont les principaux sont l'ou. el-Djeib et Fou. Fikreh. Le sol en est désolé et
sans végétation. De janvier à mars, il serait dangereux de la traverser: on courrait le ris-
que de s'y enlizer.
220 REVUE BIBLIQUE.

très environ delà terre ferme. Enfin, on descendit dans Teau et l'on
aborda. Cette difficulté n'était pas de nature à nous surprendre, car
nous savions que, jusqu'en 189i, il y avait eu tout le long du djéhel,
à l'orient, une plage spacieuse, fréquentée par les caravanes et les
explorateurs. Le Imnc de terre sur lequel nous venions de prendre
pied en était un simple vestige depuis quinze ans. le flot avait
:

monté et recouvrant en partie l'ancienne plage d'une couche liquide


peu profonde, il venait aujourd'hui mourir au bas des rigides falaises
de sel (fig. 21). A l'époque de son voyage (1851), de Saulcy note une
distance de 80, 100, 200 mètres et plus entre la mer et le pied delà
montagne. Kersten, en 187i, Gray Hill, en 1890, passèrent là sans
encombre, comme De Luynes et Robinson l'avaient fait avant eux (1^
En 1894, la submersion d'une longueur très notable de cette phige

Phot.du p. Jausaen.
Fig. -2-2. DjÉBEL OfSDOiM. L'entrée de la grotte de sel.

rendit le passage désormais impossible, sauf dans la partie nord où


le rivage forme une véritable chaussée (2).

Les instants qui nous séparaient de la nuit furent consacrés à l'es-

(1) De Sal'lcy, Voyiuje autour de la mer Morte, I, pp. 2i8-:î55. Kersten, Umwande-
ruiig des ToUen Meeres : ZDPV., 1879, p. 234. Gray Hill. T/ie DeadSea, QS., 1900,
p. 273. De Ll'ynes, Voyar/e d'exploration...., pp. 245 s. Robinson, Bihiical Researche.^, IT,

p. 110. Cf. Dalman, Palûsiinajahrhuch, 1908. p. 80. .

(2) En 1907. .M. Benziuger a pu chevauiher Irois quarts d'heure durant, le


long du ver-
sant oriental de Djebel Ousdouni, en allant du nord au sud. Mitteil. DPV., 1907, p. 42.
.mi;!.a.\(;ks. 221

calade de la iiionta,i:De et à la visite dune -i-otte voisine de notre at-


terrissai:e. L'escalade fut difficile et dangereuse. Arrivé sur la cour-
tine de sel couronnant le premier étape de la montasne pi. VII, 1 .

on dut s'arrêter devant une crevasse béante dont les parois, devenues
très lisses sous l'action de la pluie, brillaient d'un vif éclat. On re-
nonça alors à gravir les dépôts meubles qui recouvrent la masse sali-
fere et l'on regagna la plaie pour pénétrer dans la grotte de sel. Une
ouverture irrégulière, large et haute de cinq mètres environ tig -2-2 v .
,

donne accès. Des éboulis de sel hérissés d'aspérités, au milieu des-


quels se dessine le d'un torrent, en rendent l'entrée quelque peu
lit

pénible. L'intérieur de la caverne, qui peut avoir 150 mètres en pro-


fondeur, est très irrégulier. Des inégalités du plafond descendent de
Sur un point, l'afiaissement du sol donne lieu à une
belles stalactites.
salle inférieure très spacieuse. Des fissures s'ouvrant dans le haut de
la arotte font naître entre le fond et l'entrée un perpétuel courant
dair, ce qui a fait croire aux; Arabes
djebel était foré de part que le

en part Quelques-uns de nos voyageurs estiment avoir vu une


1 .

hyène se retirer subitement à notre approche, la trouvaille d'un os


déjà recouvert d'une gangue de sel permet de resarder ces parages
comme fréquentés par les fauves.
Cette grotte est une marque de la lente désagrégation de la mon-
tagne de sel. .le dis lente et très lente, parce que la formation de cette
cavité a dû demander de longs siècles, le sel g-emme présentant une
masse dure et compacte, les pluies étant rares et peu considérables
dans la région. Il y a cependant désagrégation : l'eau pluviale qui,
après s'être intiltrée par les crevasses, s'en va jusqu'à la mer par le lit
torrentueux de la caverne . emporte son contingent de matières sa-
lines. Mais cet apport ne saurait être considéré comme la raison du
haut degré de salure de la mer Morte, d'après la conception simpliste
des voyageurs du moyen âge et de quelques modernes 2 La véritable .

provenance du sel de cette mer. ce sont les terrains salifères crétacés de


.ludée et de Moab traversés parles eaux qui vont alimenter les sources,
puis le Jourdain qui rapporte au lac Asphaltite les dépôts salés de son
ancien lit, eniin le transfert atmosphérique par les nuages du sel de
la Méditerranée (3). On comprend que la concentration de cet ensemble

(1) Cette grotte était immanquablement l'objet d'une visite quand on pouvait encore cir-
culer tout le long de la plage. Voir les références précédentes.
2) FoccHER DE Chartres, /7(".s7. Jheros.. II. 5 Cette salure vient ex eo qiiod montifi sahu-
:

ginem concipiens lacus) glatit, quem nnda marginalis indesinenier lambit, et ex de-
cursione imbrium de monte ipso in lacum fluentium .. Cf. Lartet. Exploration...,
p. 287.
(3) Il faut ajouter avec de Lapparenl les émanations gazeuses qui accompagnent les mani-
222 REVUE BIBLIQUE.

de liquide amer s'effectuant depuis des milliers d'années a pu amener


la mer Morte à la densité de 1,2225 et occasionner, par suite de la sa-
turation, le dépôt de cristaux salins dans la vase du fond (1).

6 janvier.

Le départ est précipité, car on redoute le gros temps. Vers minuit,


une ondée a contraint la caravane à s'abriter sous la grotte de sel.
Aussi la température a-t-elle fraîchi à T heures, le thermomètre :

marque il'. Bientôt, nous perdons de vue l'entrée béante de la ca-


verne et le profil déchiqueté du promontoire de sel (pi. VII, 2) dont la
pointe nous a sauvés du grain de cette nuit. Nous côtoyons les grandes

Phot. SaTignac'
Fig. 23. — DjÉiii I
I, 51. il M. « Nous côtoyons les grandes plaques salines ».

plaques salines qui se pressent les unes contre les autres le long du
rivage (fig. 23), brillantes comme la glace, pour me servir de la com-
paraison déjà bien ancienne de Foucher de Chartres (2). Bientôt, le

festations volcaniques. Cf. la bibliographie sur la salure de la mer Morte dans Vincent, Ca-
naan, p. 368, note 1. De plus, W. Ackroyd, On a principal cause of the saltness ofthe
Dead Sea, QS., 1904, p. 64.

(1) LoRTET, La Syrie..., p. 438. Densité constante de leau à quelques brasses de pro-
fondeur, 1,2225.
(2) Ilist. Jheros., U, 5 Ju.rta quem lacum crstat similitev salsvs mons unus ingens et
:

cxcelsus : et idem sal quasi lapis nativus,no7i lamen lotus, sed localiter glaciei simil-
liimis.
.MÉL.A:sGES. 223

Djebel Ousdoum prend une autre apparence; les argiles ont coulé
sur le sel qui réapparaît d'ici et de là sous la forme d'aiiiuilles plus ou
moins effilées. Parmi
pyramides et des pavillons de
la multitude des
marne rangés sur les flancs de la colline, se dressent encore
salifère
quelques-uns de ces piliers de sel qui ont eu l'honneur d'être pris
pour la femme de Lot (1). L'un d'eux, en particulier, situé assez près
de la mer, offre, du large, une forme sculpturale singulière. C'est
bien, en effet, dans ces quartiers-là que l'on doit placer la stèle de sel
dont il mention au chapitre
est fait xix de la Genèse (2), Située envi-
ron à six milles de Ségor, elle fut visible jusqu'à la première pé-
riode byzantine. A cette époque, d'après un renseignement que Fau-
teur de la soi-disant Peregrinatio Silviae t enait de l'évêque même
de Ségor, l'eau de la mer la recouvrait (3). Cette première phase est
l'objet de toute une série d'attestations de provenances très diverses.
Monument encore debout d'une âme incrédule, d'après l'auteur de la
Sagesse (i), elle reçut des rabbins le nom d"Edith ou de « témoin » (5).
Ceux-ci recommandaient de rendre grâces à Dieu toutes les fois
qu'on la voyait, ce que tout bon Israélite devait également faire
lorsqu'il apercevait le lieu du passage de la mer Rouge ou du
passage du Jourdain, le chemin du ravin de l'Arûon, les pierres de
la descente de Bethorou et le mur de .léricho effondré (6). Josèphe,
pour qui la Sodomitide n'avait plus aucun secret, fît une visite à la
femme de A la longue, toutefois, cette permanence frappa
Lot (7).
les Comment une statue de sel exposée aux injures du
imaginations.
temps pouvait-elle ainsi subsister sans dommage? Pour trancher la
difficulté, on lui attribua une vie réelle et si réelle que la femme de

Lot souffrait « dans sa statue les incommodités ordinaires, qui sont


propres à son sexe » (8). Sans doute, elle était en butte au vanda-

(ij Cf. De LiYNES, Voyage d'explor., pp. 243 s. et Lïnch, Narrutice..., pp. 307 ss.,
avec la fantastique gravure qui prétend les illustrer.
(2) Ge>u'5e, 19, 26: rhO; Z'^'^z' (ttV)).-/; aXoç.

(3) Geyer, Kin. Hieros., p. 54 : episcopus loci ipsius, id est de Segor, dixit
)iobis quo-
niam iam aliquot anni essent, a quo non parerel columna
de Segor forsitan illa. Xam
sexto miliario ipse locus [est], uhl stetit columna illa, quod mine toluin cooperit aqua.
Cette colonne est le tilulus uxoris Loth. Cf. Jérôme, in ps. 15 (Anecd. MaredsoL, III,
3, p. 12) In talem titulum versa est et uxor Loth...
:

(4) Sap., 10, 7. Luc, 17, 32 n'implique pas nécessairement l'existence de la statue de sel
au i'"- siècle.

(5) D'après Grlenbalm, y'eue beitriUje zur semilischen Sagenliunde,-^. 134.


(6) Berakhoth, fol. 54\
(7) Antiq. Jud.. I, 11, 4 : IcTÔprjTa ô' a-JTr.v et-, yàp /.ai vùv oiafiEvet.
(8) C.4LMET, Comm.
sur la Gen., p. 433. Les passages auxquels fait allusion ce
littéral
commentateur sont Irénée, Hœr., IV. 31, 3 (statua salis semper manens., et per naturalia
ea qux sunl consuetudinis hominis, oslendens quoniam et ecclesia, quee est sal terrx.
224 REVUE BIBLIQUE.

lisme, on lui enlevait des parcelles, voire des membres, les animaux
venaient la lécher, mais toutes ces brèches se réparaient d'elles-
mêmes (1). Suivant l'archidiacre Théodose (530), sa diminution et sa
croissance répondaient aux phases de la lune (2). Cette stabilité et
en dépit de continuelles déperditions, amenèrent saint
cette vitalité,
Irénée à regarder la femme de Lot comme une image frappante de
l'Église (3).
Les musulmans se sont plus préoccupés de rechercher le motif du
châtiment de la femme de Lot que sa localistion précise. Le Coran pré-
tend que cette femme, nommée Wâ'ila (ïl^lj), avait trompé son mari,
pourtant juste et vertueux (V). Son infidélité consistait, suivant Djelâl

ed-Din, à dénoncer aux habitants de Sodome, ses compatriotes, les


hôtes qui descendaient chez Lot; elle leur faisait des signaux, la
nuit, avec du feu ; le jour, avec de la fumée (5). En somme, VVà'ila
a péché contre l'hospitalité ;
c'est le reproche que les talmudistes ont
fait à leur Edith (ntiiy). Le soir où les anges étaient venus chez Lot,
racontent-ils, la mégère s'empressa de courir chez ses voisines et de
leur dire, afin de faire savoir traîtreusement que son mari héber-

subrelicta est in confinio lerrx, patiens qux sunt humana; et dum sxpc auferuntur ab

ea membra Integra, persévérât statua salis, quod est Jirmamentxim fidei...). Cf. 33,9
(éd. Stieren, I); puis le Ps. Tertulliiîx, Sodoma(P. L.. II, 1161), bien plus réaliste dans
sa desçiiplion poétique.

(1) PRuniîNOK, Hamartigenia, 750 ss. :

Sed mit la ex fluido plenx dispendia formx


Sentit deliqiiio ; (/uantunique armenta saponnn
Atténuant saxum, lantum lambentibus humor
Suf/îcit, atlritatnqxe cuteni per damna reformat.
(P. L., LIX, 1064.)

L'anonyme de Plaisance (570) se récrie cependant : « Nam quod fallent hommes de uxore
Loth, eo quod minuatur ab animalibus linijendo, non est verum, sed statin ipso statu,
in quo fuit (Geyer, Itin. Hieros., pp. 16'J s.). Cette protestation n'empêchera pas les voya-
geurs du moyen âge de répéter presque dans les mêmes termes que S. Irénée le prodige des
membres amputés qui repoussent avec obstination: cf. RauwolfT en 1573, Q.S., juil. 1909 et
BB., 1909, p. 653.
(2) Ibid.,p. 146 : Quomodo crescit luna, crescit et ipsa, et quoinodo minuiturluna, di-
minuit et ipsa.
(3) Irénée, loc.laud. et 33. 9 ; ecclesia...sxpe debilitata,et statim augens membra, et
intégra fiens : quemadmodum typus eius, qux fuit illius Lot, salis fîgmentum. A la
et
rigueur, on pourrait se demander si cette particularité légendaire n'aurait pas une origine
juive, attendu qu'elle se retrouve dans Benjamin de Tudèle (vers 1170) les moutons, dit-il, :

le lèchent continuellement (le U'ilD S'i"), mais il The


regagne ensuite son état normal.
Jewish Quarterly Review, XVII, pp. 128 et 138. Vérone (1335)
L'augustln Jacques de
maintient cette particularité : et bestie lingunt cotidie eam,et non consumitur. ROL., III,
p. 213.

(4) Sourate 66, 10.


6) Dans Maraccio, Jiefutatio Alcorani (1698), p. 734.
'

MÉLANGES. -225

geait des étrang-ers Prêtez-moi un peu de sol. nous avons des hôtes
:

à la maison Pour Ptabbi Yossé, un simple regard jeté sur l'ang-e


1 .

exterminateur qui marchait derrière Lot avait suffi à pétrifier cette


femme indiscrète (i2 L'exés-èse chrétienne admet plutôt chez elle un
.

maD(jue de foi et de confiance ou un retour à la vie dissolue -i Des .

auteurs syriens n'ont donné à la statue de sel ({uune durée de 250 ans.
Fille du roi de Sodome, l'épouse de Lot aurait traité d'injustice les ri-

gueurs de Dieu envers sa patrie de là sa métamorphose qui prit fin :

îorscpie Ésaii. un jour, brisa le pilier de sel et en jeta les débris à la


mer i .

Le grief ([ue les (Jiienfaux ont surtout fait aux rens de la Penta-
pole est leur mépris de l'hospitalité. Aussi a-t-on rapproché (h:- c>^[

épisode de la Genèse la fable de Philémon et Baucis qui reçurr-nt


•lupiter et Mercure tandis que tous
les autres leur avaient fermé leur
porte. <in sait comment
deux \'ieillards furent préservés par les
les
dieux du cataclysme qui abuua toute la contrée. Arrivés sur un som-
met, ils aperçurent leur ville occupée par un lac et leur maison,
seule échappée au désastre ven.geur des droits de l'hospitalité 5j.
Dom Calmet rappelle encore à cette occasion la métamorphose de
Niobé en statue de pierre. " Ovide dit qu'elle fut transportée deThe-
bes en sa patrie, où on la voit sur le somuiet du mont Sypile. rhan-
gce en pierre et versant des larmes » :

In patriam rapta est, ihi fixa cacumine inontis


Liquitur. et lacnjmas etiam nunc marmora manant (6).

Pausanias vit un rocher de cette montagne assez semblable de


loin à une personne qui pleure 7 . Quant à la ville même de .Sipyle.

1) D'après Gru^nbalm, op. (oud.. p. 134. On trouve là les autres rariantes de ce récit
•>} Zohfir, I, 108 Irad. Pauly, il, p. 43j.

3, Clément Rom.. Cor., tl. Or.n.tNE, m C'en. hoiu.X.


4) Grlenbalm. op. taud.. ['. 141.
5) Onoc, Metam., 8, 610-725. L'épisode est ainsi annoncé et localisé :

Haud procul hinc stagnum ni, tellus habitahilis olim,


Sunc célèbres meryia fuliciique p<ilestribus ttndee.

6i Melfim., 6, ;ill s. Calmet, Comm... sur la Gen., p. 443. Rapprocher le dernier vers
de celui de Prudence sur la femme de Lot Hamart., 749^ : Liquitur illa qutdem saisis
sudoribus uda.
Toute la pléiade des poètes chrétiens qui ont mis la Genèse en rers araient l'intentioa
d'opposer aux fables païennes les récits merveilleux de la Bible. Cf. G.\MbEa, Le livre de
la Genèse dans In poésie latine au V'- siècle, pp. 49, 160 ss.
{") Pausa.xlvs. 'Att'.7.î, XXL 3 : zl li f- Tï5o?M"iooj -^tiv-o, ZiZrY.yj^rr^i ôoî£:; ôsi-- -tai

•AaTr,ç-/i if-jvaî-/.a.

IIEVLE EIBLIQtE 191 'J. — :<. 5.. T. TH. 15


226 REVUE BIBLIQUE.

un tremblement de terre la renversa et occasionna à sa place la

création d'un étang- [Ik


Au début de l'occupation franque en Palestine, tous les souvenirs
relatifs à Lot et à sa famille avaient déjà quitté les bords de la mer
Morte pour s'implanter aux environs d'Hébron, dans des lieux plus
accessibles aux voyageurs. En 1106, riiigoumène russe Daniel trouva
à 5 verstes d'Hébron le sépulcre de Lot et de ses deux filles. Ce lieu.
dit-il, se nomme Sigor. A une verste de là se dressait une colonne de

pierre appelée la femme de Lot ;-2 Le Sigor du moine russe n'est .

autre que Béni Xaim ou Kefr-Barik, village situé à 5 kilomètres en-


viron d'el-Kbalil, et où l'on montre encore le tombeau de Lot dans
une mosquée. Cette tradition est probablement d'origine musulmane
car on la trouve fermement attestée par les Arabes Ali d'Herat, en
1173. et Souyoùti. en IVTO, au moins pour ce qui regarde la sépul-
ture de Lot 3 Le Juif Benjamin de Tudèle 1170 n'a pas l'air très
. >

fixé sur la situation de la femme de Lot quand, à l'occasion du pano-


rama dont il jouit sur le moût des Oliviers, il rappelle que le pilier
de sel se trouve à deux parasanges. c'est-à-dire à deux heures de
distance de la mer de Sodome i AvecBurchard 1280 et Jacques de .

Vérone (1335 nous sommes ramenés aux bords de la mer, à cinq


heures au sud de Jéricho (5). Ces deux pèlerins doivent renoncer à
visiter la femme de
Lot sur les représentations de leurs guides cjui
par des histoires de serpents et de Bédouins. En 1395.
les effraient
le baron d'Anglure. moins embarrassé, Tapereoit entre Jérusalem et
Gaza « à la senestre main en montant une montaigne. Et est icelle
pierre asses semblant avoir esté ainsi muée (6> ».

Parla clarté et la minutie de ses descriptions, par sa connaissance


des sources bibliques, talmudiques et profanes, Fabri est digne de

(1) Pline, V. 31 : Sipi/lum... uhi nunc eil stat/iutm Sale.

(2) Itinéraires >usses (Irad. Khitrowo), p. i7.

(3) Gly le Strasge. Palestine under the Moslems,


p. 4C8. Les Croisés paraissent avoir
adopté cette localisation du tombeau de Lot. Quand ils se rendent d'Hébron au sud de la
mer Morte, ils laissent à gauche le sépulcre de Lot dimisso a Ixvn sepulcro Lolli. fra-
:

Iris Abraluv (Gesta Franconim..., c. 45, Bec. des historiens des Croisades. Occid.. III.

p. 522).
(4) Jew. (?/?., XVII, p. 128, 138.

(.5) Bl'rchardi Descriplio T. S. (éd. Laurent), p. 59. Le pilerinnf/e de Jachles di: VÉno.NE.
ROL., IIL p. 213.

(6) Le saint voyage de Jérusalem (Paris, 1858", pp. 111 s. Peut-être l'endroit indiqué
par le baron serait-il Beit-Na.sib, à l'est de Beit-Djibrin. Le renseignement de Thietmar
(1217) — la statue de la femme de Lot à un mille du lieu du baptême du Christ nest —
pas à prendre en considération. Il voulait amener avant tout cette citation de Théodule
sur la perlide épouse changée
/;i salis effigiem: lambuitt animalia caulem (éd. Laurent, p. .33;.
MÉLANGES. 227

représenter à lui seul la topographie palestinienne au xv° siècle. A


cette époque, les faits rattachés à la mer Morte étaient remontés vers
le nord de cette mer dont la partie méridionale restait depuis long-
temps fermée aux voyageurs. Tandis que certaines cartes rétrécis-
saient le lac Asphaltite au point de lui donner une forme carrée, les
pèlerins cherchaient Engaddi vers Néby Mousa et Ségor, dans le
voisinage du Cédron inférieur. La femme de Lot que l'on connais-
sait par ouï-dire était devenue une statue de marbre Jjlanc, recou-

verte par Teau de la mer, mais qui, jadis, se dressait sur le littoral,
attirant les troupeaux friands de sel. Fabri lui donne le nom de
Melaseda et avoue que sa métamorphose est un rude problème pour
les philosophes et les théologiens. A ce propos, il se met en devoir
de réciter les fables des rabbins et celles des poètes anciens comme
les légendes de Niobé, de Pygmalion et de Persée changeant en pierre
Atlas qui lui avait refusé l'hospitalité (1).
Au xvii" siècle, les Arabes offrirent au supérieur de Saint-Sabas,
Daniel, de lui montrer la femme de Lot mais l'éloigné ment du lieu
;

et le scepticisme de l'higoumène lui firent décliner cette invitation.


Comme cet abbé fit un voyage dans Moab, passant par Cafarobba
(Kafrabba;, Amorrheon (Kérak), Chamaïda les Hamaideh Goura ,

(el-Koùra), Megeb (le Môdjib), ce dut être la mart Lout du rivage

oriental que les Arabes eurent l'intention de lui faire voir -21. Enfin,
Lynch, nouveau Colomb, redécouvrit, en 18i8, le véritable habitat
de la femme de Lot, au sud-ouest de la mer Morte, mettant ainsi
un terme à tous ses déplacements (3). Telle est l'histoire d'un pilier
de sel du DjéJjel Ousdoum.
Vers 9 heures, nous doublâmes le Roudjm Mezoggel, monceau de
pierres que de Saulcy et Rey ont pris pour un débris de Sodome.
Je crois qu'il faut renoncer à retrouver cette ville et se contenter
de la localiser près de la montagne qui en garde nom, très heu-
le

reux encore de pouvoir constater la survivance de Sodome dans

'\) Evacjutorium, II. pp. 172 ss. Melaseda vient probablement de -sr k sel » et de
• —'-**'
« dame ».

(2) Nau, Voyage nouveau, pp. 382 s. Robinson {Biblic. Res., II, p. lio. note) soup-
çonne bien à tort l'exactitude du récit de Daniel que confirment, au contraire, pleinement
les traditions des .\rabes de Moab et lonomaslique actuelle des lieux. Il n'y a qu'une
chose à regretter, c'est que le P. ^'au n'ait pas jugé à propos d'interviewer plus longuement
un témoin aussi précis que Daniel.
et aussi éclairé
Lynch, Narrative..., pp. 307 ss. Ce voyageur ne prétend pourtant pas que la colonne
(3)
de sel dessinée par lui avec tant d'invraisemblance soit identique à celle de Josèplie. Pour
s'édifier davantage sur la femme de Lot, on pourra consulter la dissertation de Qaares-

mius [Elucidatio Terrx Sanctx, vi, 14).


228 UEVUE BIBIJQLE.

Ousdoura. Le nom de cette ville était déjà attaché à la montagne


de sel au second de notre ère. Galien parle en effet des pro-
siècle

priétés du sel sodoniien, qui tire son nom des collines appelées So-
dome et situées près du lac. Ce sel, ajoute l'illustre médecin, est
employé par les indigènes aux mêmes usages ({ue d'autres sels mais ;

ila une telle vertu qu'il dessèche les ^-iandes et fait digérer mieux
que tout autre parce qu'il est plus cuit l . En tout cas. le sel du

_,j&i^?S«i-
rUot. S:\v .mac.

Fig. H't. — l)j. Oi SDouM. l'uiiitc septentriunalc de la raontague.

Djebel Ousdoum renferme moins d'éléments hétérogènes que celui de

la mer xMorte : l'acide sulfurique, le calcium, la magnésie n'y entrent


qu'en proportions minimes '^-2). De nos jours encore, les Bédouins et
les paysans de la montagne d'IIébron exploitent le sel sodomien. La
mine principale, que nous avons visitée plus d'une fois au cours
d'expéditions antérieures, se trouve vers la pointe nord-ouest du
djebel. Mise à nu par les coups de pic. la masse saline, tantôt bleuâ-
tre, tantôt d'une blancheur étincelante, présente de grandes surfaces

(1) De simplicinm medicamenlorum facuUotibus, lib. IV : npoTXYOf'S^o'Jff'- o" aùxoù: (to-j;

â).£iç) -oSo(Jir|VO'j; «ttô tcSv Ttîoio/ôvTtov -rjv >.Î!i.vr,v ôpwv, â y.a/.îÏTa'. iôSoixa. D"a|>ri'S Rki.vnd.

Palnslina. p. 243.
(2) Pour 6.012 parties de chlorure de sodium, les substances dissoutes
dans leau de la
mer Morte en contiennent 16,319 de chlorure de magnésium, 0,963 de chlorure de potas-
sium. 1,0153 de chlorure de calcium. 0,504 de bromure de magnésium. 0.078 de sulfate de
chaux. Cf. LoRTET, La Syrie..., p. 438 et L\uti-t, Exploration.... p. 288.
•>-29
.mi:[.an(;es.

unies, des séries] d'escaliers ou de gigantesques colonnes aux formes


fantastiques.
Doit-on placer la vallée du sel, dont il est question dans les cam-
pagnes de David et d'Amasias contre Édom 1), à proximité du DjéJDel
Ousdoum, au sud de la Sebhali, par exemple? Ainsi faisaient les
commentateurs d'autrefois et quelques géographes modernes ('2).
Mais à présent que l'on connaît à l'est de Bersabée une vallée du sel

riioi. de M. Lyon.

Fig. -2-;. — C.ir.MEL. Une ancienne |>iscine toujours bien pourvue d'eau ».

(ouâdy Melh) qui passe au pied do Tell .Melli (la colline du sel. on
Edomites en cet endroit plutôt
n'hésite plus à localiser les défaites des
que dans le Ghôr et cette localisation est très satisfaisante.
Vers l'extrémité nord du Djebel Ousdoum fig. Si^^ aboutissent
Vouddij Mouhaudt, renommé par ses gites de bitume, et Vouàdy
Zoueira. Ce dernier ravin offre une passe commode pour descendre
des plateaux du Négeb dans les profondeurs du Ghor. Il est fréquenté
aujourd'hui par les caravanes qui vont de Kérak à Hébron et à Gaza
ou qui viennent exploiter le sel des bords de la mer Morte. Les prin-
cipaux chemins qui aboutissent à Zoueira sont ceux de Carmel par ïell

>\) II Sam.. 8, 13; I Citron.. 18. 12: II lieg., 14, 7; II CIiron..25, il. Pour la critique

textuelle, cf. Duorme. Les livres de Samuel, p. 339.

(2) Entre autres, Robinson, op. laud., p. 109; Vax de Velde, Reise durch Syrien...
(1851-52), p. 136.
•230 REVUE BIBLIQUE.

Ma 'in ou par Touwâneh, l'ouàcly Seyal et Touàdv Qadada,


et Qariatên
puis celui de Tell Melh. Nous connaissons deux de ces routes pour
les avoir suivies en 1903 et en 190T. Elles traversent^des lieux incultes
et sans eau (1). Cette situation nous fait comprendre pourquoi le
roi Amaury, afin de surveiller les agissements de Saladin en Trans-
jordane, établit son camp au village de Carmel. Avec l'avantage
d'être à proximité d'une ancienne piscine toujours bien pourvue
d'eau (fig. 25\ il avait celui de se trouver à peu de distance de l'en-
nemi de promptes nouvelles 2. Un ancien itiné-
et d'en recevoir
raire arabe donne comme étapes entre Hébron et Kérak Djanba :

(à G kilomètres au sud
de Carmel) . Zoueir
--^ Safié, el-Kha-
.. Ujj),
far (3).
Il est impossible do
ne pas reconnaître dans
Zoueir, la Zoueira mo-
derne. L'importance
stratégique du passage
de Zoueira et sa façon
de coupe-gorge néces-
sitèrent rinstallation

•JG. — L'estuaire d'Oumm Baggeq. d'ouvrages de défense


et de police. Aussi peut-
on voir encore au col supérieur de la passe, à Zoueira el-Fôqa,
des restes de constructions et en particulier les ruines d'un for-
tin romain. La partie inférieure du défilé, à une demi-heure de
la plage, est d'un pittoresque achevé. C'est une série de tourelles
de sable compact dont l'une, presque complètement isolée, est
couronnée d'un petit fort. A sa base s'étend une enceinte, des-

(1> On est très heureux au printemps d'en trouver un peu dans quelque creux de rocher.

La citerne de Zoueira el-Fùqa est peu considérable-, elle ne se trouve pas d'ailleurs sur le
chemin de Carmel. mais sur celui de Tell Mell.i.
(2) C'est Glillmme de Tïu lui-même (XX, 28. an. 1172) qui fait ressortir ces avantages
Hune ergo locum {Carmelum) sibi prudenter delecjit, propter aquarum commoditatem :
erat enim ibi velua et ingentis )nagniiudinis piscina. qua ad usum universi exercitiis
aquarum minislrabat copias. Sed et viciims erat ei regioni quic est trans Jordanem
locus pnidictus Ha ut sol a vallis illustris in quajacet mare Mortuum, média utram-
que disterminet regionem. Vacilius ergo et crebrius erat uostris de factishostinm audire
nova, et eorum statum cagnoscere.
(3) Description de l'empire des Mamelouks par Kbalil ben Dhàher, d'après Cl.-Ga\-
AEAL, RAO., I, p. 394. Je serais porté à lire comme nom de la dernière localité ^L-sr-M
(Djafar) au lieu de ^^' (Khafar;.
MÉLANGES. 231

tinée à mettre les caravanes au repos à l'abri d'un coup de main.


On V pénètre par une porte ogivale de môme caractère que la porte
de l'enceinte de Sebbeli. Le genre de maçonnerie (blocs sommaire-
ment équarris jointoyés avec un rang de petites pierres) est aussi à
rapprocher de l'appareil de l'église et d'un pan de mur encore de-
bout à Sebbeh. Ce rapprochement nous permet de dater de l'époque
byzantine l'installation militaire de Zoueira et-Tahta (1).
Le delta de l'ouàdy Zoueira est couvert d'acacias seyal et de kali
ou plantes à soude. Plus loin, vers le nord, la côte se présente sous
laforme de terres ravinées ([ui annoncent la coupure de VoiKuly Ne-
djed. Entre ce ravin et Voiiâdtj Oumm Bagyeq la plage est en pente

l-liol.. de M. L.JOC

Fig. -27. —^Oumra Baggeq. « Défilé rocailleux fort sauvage ».

(fig. 26).La vallée de Oumm-Baggeq, que nous doublons à 9 heures


4-0,mérite une mention spéciale. C'est une des rares aiguades de la
côte occidentale de la mer iMorte. Pour atteindre le ruisseau d'eau
vive, il faut quitter les buttes alluviales de l'embouchure et s'engager
quelques minutes dans un défilé rocailleux fort sauvage (fig. 27 j,

(l) L'identification de Ségor avec Zoueira est insoutenable entre el "i"y il n'y a
;
^ a •,

aucun rapport. En 1903, nous avons relevé le long de la merveilleuse descente de Zoueira,
les noms de ou. Djerafij, de Souk Tleimeh, d'où. Halroura, A'ou. Djarra. A Zoueira el

Tahta, les restes d'une piscine sont encore à signaler. Mais leau ne se trouve que dans les
creux d'un rocher, à peu de distance à l'ouest du fortin.
232 REVUE BIBLIQUE.

car Teaii disparait ordinairement avant d'arriver à l'onde amère.


Jadis, quand une certaine vie régnait sur ces bords, maintenant bien
désolés, on reconnut l'importance de ce point, qui est le seul endroit
au sud d'Engaddi où l'on est sur de rencontrer de l'eau potable.
On voit en efTet des ruines de chaque côté de la bouche de l'ouâdy
sur les deux terrasses qui l'enserrent. Vers le sud, ce sont deux
piscines dont l'une, longue de neuf mètres, est en bon état de con-
servation, avec revêtement de ciment et escalier intérieur. L'eau
du ruisseau y était amenée autrefois par un aqueduc dont les restes
sont encore visibles à l'intérieur du ravin. Vers le nord, se dresse un
fortin d'environ 2V mètres sur 18, de même structure que le Qala'at
Zoueira et les constructions byzantines de Masada. Au pied de ce
castel à demi ruiné la plage descend en pente douce vers la mer, puis
forme, en s'infléchissant, une anse propice au mouillage des bateaux.
Certainement Oumm-Baggeq fut une des principales relâches du
lac Asphaltite ; le poste militaire, l'eau potable, la baie qui protège
un sommet contre lequel vient se briser l'effort du notus en sont
autant de marques (1).
Tandis qu'au midi s'atténuait la fauve silhouette du Djebel Ous-

riiot. ce M. Byrn.
Fie. -28.

doum, le bateau poursuivait vers le nord sa marche qui devint plus

(1) Le 29 avril 1874, Kiiii^^rnN remarqua à 20 minutes au nord d'Oumm Baggeq une ligne
sombre dans la mer, à 80 pas environ du rivage. Il se demande si ce ne serait pas là l'an-
cien rivage bordé de blocs de {ZDPV.. 1879 p. 2-35). Je croirais plutôt que la
rochers.
Unie de Kersten est à assimiler à
diinkle notre ligne sombre du 28 décembre au soir et à
ladark Une de Maslerman {BB., 1909, pp. 224 s.), d'autant que c'est par un temps couvert
et pluvieux et sur une mer d'un gris de plomb que la ligne s'est montrée à Kersten, comme
à Masterman. Quant à nous, un orage était imminent quand nous l'avons aperçue. De ces
MELANGES. 233

pénible à mesure qu'il s'éloignait des bords hospitaliers d'Oumm


Bagg"eq. A partir de Voudchj Hatroura, surtout lorsque nous fûmes
entrés dans le chenal de la Lisân, notre embarcation se trouva for-
tement ballottée par les sautes capricieuses du vent. Refoulé sous
la bourrasque, le jet du pétrole vaporisé se répandait sur nous comme
une rosée scintillante. La mer se couvrait de larges plaques d'écume
que le mouvement violent des ilôts n'arrivait pas à dissiper. Bien que
la topographie se fit difficilement dans de pareilles conditions, nous
pûmes noter Vouàdy Oiimm-el-Bedoùn Vouady es-Semn , et la série
de dunes marneuses qui répondent aux falaises de la péninsule d'en
face. Peu après avoir doublé Vouâdy el-lfafdf^ nous nous hâtâmes
de débarquer sur la plae;e de Sebbeh ou Mavada.

X. B. — Comme la Revue Biblique contient déjà (1894, pp. 263-276) une description
de Masada et un itinéraire de ce point au iiaqh Ghoucir. nous arrêtons ici la publica-
tion de notre voyage. Le reste de notre croisière, de Masada à l'extrémité nord-
ouest de la nier Morte, uni aux précédents articles, fera l'objet d'un opuscule séparé
et muni d'une carte.

Jérusalem, le 20 janvier 1910.


Fr. F. -M. Abel.

II

LES SOURCES DE LA CHRONIQUE D'EUSÈBE

On depuis longtemps, reconnu la valeur historique des récits


a,
utiliséspar Eusèbedans son ypcvi/.iv. Pour ce qui est, en particulier,
de l'histoire babylonienne, les textes d'Alexandre Polyhistor (1) et
d'Abydène (2), qui dépendent de Bérose et qui sont de ce chef cités
par Eusèbe, ont reçu une éclatante confirmation par le déchiffrement
des inscriptions cunéiformes. Il semble que Bérose a consulté des

originaux et, jusqu'ici, la comparaison des cosmogonies babyloniennes


avec celles qu'il reproduit a prouvé combien ses traditions sont
dignes de foi (3;. L'une de ces traditions a trait au règne de Senna-
chérib. Elle figure en double dans la version arménienne de la Chro-

trois faits, il est donc permis d'induire une relation entre les perturbations atmosphériques
et l'origine de la ligne sombre.
(1) C. MiJLLER, Fragmenta historicorum (jrxcorum (édit. Didot), III, p. 206 ss.

(2) Ibid., IV, p. 279.


(3) Lagrange, ÉRS.~, p. 367 et 375.
234 REMJE BIBLIQUE.

nique d'Eusèbe, la première fois d'après Alexandre Polyhistor, la

seconde fois d'après Abydène. Il s'agit d'une expédition de Sennachérib


eu Cilicie. Nous donnons la traduction latine de Petermann adoptée
par Schœne dans son édition de la Chronique (1).
Texte de Bérose, cité par Polyhistor :

Quum ille (Sennachérib) faraa accepisset lones in Cilicum terram belli niovendi
causa pervenisse, eo contendebat, aciera contra aciem instruebat, ac raultis de suo
nionumentum iniaginem suam eo
exercitu cœsis hostes bello vincebat, atque victorise
in loco erectam relinquebat chaldalcisque litterissuam ad
fortitudinem ac virtntem
futurorum temporum memoriam incidi jubebat. Et Tarsum urbem, inquit, ille ad si-
militudinem Babelonis condidit, nomenque urbi imponebat Tharsin.

Texte d'Abydène :

Hoc tempore vicesimus


quintus utique Sinecherib tandem ex regibus inventus est,
qui Babelonem sub ditionem redigens subegit, et in maris litore terrio Cilicum classem
navali prœlio certantem navium gra^corum prodigans vicit; condiditque teraplum
Atheniensium, columnas jcreas erexit, litterisque sane, iuquit, fortia sua facinora
Tarsum ad liguram
insculpsit; et et similitudinem Babelonis tfdificavit, ita ut et per

mediam Tarsum Cydnus fluvius transiret, quomodo Arazanis per mediam Babe-
lonem.

Les deux récits s'accordent à relater l'expédition de Sennachérib en


Cilicie et la victoire semble qu'il
de ses troupes. Selon Polyhistor, il

s'agisse d'un combat sur terre selon Abydène, il s'agit d'un combat
;

naval. Pour le premier, le monument de la victoire est une statue du


roi avec son inscription; pour le second, c'est un temple avec une ins-
cription. La ville fondée par Sennachérib est Tarse. D'après Polyhistor,
elle est construite à l'image de Babylone; Abydène spécifie que cette
ressemblance consiste en ce que le fleuve Cydnus traverse Tarse, de
même que l'Euphrate Babylone.
Cette tradition de Bérose a été proliablenient connue de Josèphe
dont la citation est malheureusement mutilée (2 : "AXXà -/Si Br,p(oc7abç

OTt TÔv 'A(7ffup''o)v r,p7î y.y''. ô-i t.xtç^ ï-zz-^t.-.i'j'^t.-z -f^ X:;ix -/.y), -f^ X'."^-j--b}

\i-^iùV CJTO)Ç...

Le texte de Josèphe est interrompu et nous n'avons pas le passage


de Bérose. Mais le fait de mentionner Sennachérib guerroyant contre
toute l'Asie semble bien impliquer la connaissance de sa campagne

(1) Chronicorum liber prior (Berlin, 1875i, coi. 27 pour le texte de


SciioENE, Eusebi
Poljhistor; col. 35 pourle texte dWbydène. On a aussi le teste latin de l'édition Mai dans

C. Muller, Fragmenta hisloricoriiin gracorum (édil. Didot, II, p. 504 et IV, p. 28'2;
cf. aussi l'édition de la Chronique par les Mékitaristes de Venise (1818), vol. I. p. 43 et p. 53.

(2) Ant.. X, 1, 4.
MELANGES. 235

en Cilicie. lue allusion à cette campagne se trouvait aussi dans deux


ou trois textes cunéiformes (T .

On demandait où Bérose avait puisé les détails transmis par Po-


se
lyhistor et Abydène. Les annales de Sennachérib, connues surtout par
le fameux cylindre de Taylor, ne contenaient rien de semblable. Le
British Muséum vient d'acquérir un mag-nilique cylindre, dont le texte
plus long" que celui du cylindre de Taylor comble les lacunes des ins-
criptions concernant Sennachérib. Ce précieux document, catalogué
parmi les trésors du Musée britannique sous
103.000, raconte en le n'*

détail l'expédition en Cilicie. Les autres inscriptions ne la conte-


naient pas, car elles se bornent à relater les guerres où le roi a pris
une part personnelle et, pour la guerre de Cilicie. le roi s'est contenté
d'envoyer ses généraux. Nous donnons ci-dessous le texte transcrit et
traduit (2^

IV. •''
I-na li-mu Sùl-mii-bêl (amêlii) IV. '•'
Durant léponymie de Soul-
sa-ki'a (alu) Ri-mu-si '- Ki-ru-a (atnêlu) raoubél, gouverneur de la ville de Pvimousi,
liazâuu sa (alu) Il-lu-up-ri ^'-^
amélu) ardu '-Kiroua, préfet de la ville d'Illoupri.
da-gil pa-ni-ia sa iz-zi-bu-sù ilâni-su''' La '3 serviteur à mes ordres, ses dieux l'ayant
hu-la-te (alu' Hi-lak-ki ' us-bal-kit-ma abandonné, "-^^ souleva les guerriers de la
*•''
iq-.su-ra ta-ha-zi nisé a-si-bu-ut (alu) ville de Cilicie et ils se rangèrent en ba-
'•'
In-gi-ra-a u (alu ) Tar-zi i da-a->u is- taille.
''''
Les gens qui habitaient les villes

hu-ru-nia gir-ri (mâUi) Qu-e '•'*


is-ba-tu d'Ingirà et de Tarse '^^"-
se tournèrent
ip-ru-su a-lak-tu ^^ (amêlu) sâbê qasti na-si de son côté, s'emparèrent de la route du
tuk-si ù as-ma-ri-e "'•
(isu) narkabâte pays de Qoué et interceptèrent le pas-

sîsê ki-.sir sarru-ti-ia ' û-ma-'-ir si-ru-us- sage. *^3''i


J'envoyai contre eux les archers,
su-un "-sa ba-lui-la-te (aluj Hi-lak-ki "-'sa les.?, et les lanciers, les chars, les che-
i-da-a-su is-hu-ru '•i-na ki-rib sadi-i vaux, mon armée royale. '-'^Les guer-
mar-si is-ku-nu tah-ta-su-un'' (alu) lo-gi- riers de la ville de Cilicie, qui s'étaieat
'•'
ra a (alu) Ta-ar-zu ik-si'i-du-ma is-lu-lu tournés de son côté, ils les défirent dans
"'
sal-la-su-un sa-a-su ki-rib (alu) Il-lu- une montagne escarpée. • •
Ils prirent les
'^^
up-ri alu dan-nu-ti-su .sal-tum il-niu- villes d'Ingirâ et de Tarse, '''ils en pillè-
'•'
siï-ma is-ba-tu mu-.su-sû i-na qur-ru-ub rent le butin. '"-'^Quanta lui. ils Tassiégè-
sû-pi-e num-gal-li dûri ^" u kal-ban-na-te rent ik l'intérieur d'Illoupri sa ville forte
'^--'
mit-hu-su zu-uq sêpâ ^' tap-da-a-su is- et ils interceptèrent sa sortie. Grâce
ku-nu-ma is-ba-tu ala *- Ki-ru-a (amêlu) au choc des machines de guerre supû^
Ijazânu a-di sal-lat alâni-su ^^ ù nisê (alu) numgoUu et kalbannatu, grâce à l'assaut
Hi-lak-ki sa i-da-a-su '^''
is-hu-ru a-di de l'infanterie , ils lui infligèrent une dé-
----^
imêrê alpê ù si-e-ni '^^
a-na (alu i ^vi-na-a faite et prirent la ville. Ils amenèrent
a-di mah-ri-ia ub-lu-ni ^'^
sa Ivi-ru-a ma- devant moi. à Ninive, le préfet Kiroua

'1) Delitzsch, \Vo lacj dos Paradies, p. 245.

2j Le texte de tout le cylindre est publié dans le tome XXVI des Cuneifonn texts du
British Muséum; la partie que nous transcrivons, pi. 15. 1. 61 ss. de la col. IV. Une savante
introduction de M. King a attire l'attention sur les ressemblances entre le récit et celui de
la chronique d'Eusèbe. Le même auteur donne le passage du cylindre en transcription et en
traduction anglaise.
236 REVUE BIBLIQEE.

sak-su a-ku-us 8' ii-tir-ma 'alm Il-lu-up-ru avec le butin de ses villes, ainsi que les

a-na es-sii-te as-bat^'*'* nisê mâtâte ki-sit-ti gens de la ville de Cilicie qui s'étaient
qâtâ-ia i-na 3ib-bi û-se-sib ^^ (isu) kakku tournés de son côté, avec les ânes, les
(ilu) Asur béli-ia ki-rib-su l'i-sar-me bceuTs et le petit bétail. '^'"Quanta Kiroua,
^"
3^ (abnu,^ na-rû-a-a §a (abnu; parùtu i'i->.e- je récorchai. Je revins et je pris de nou-
pis-ma "" raa-har-su ul-zi-iz. veau la ville d'Illoupri, ^'^jV fis babiter
les gens des pays que mes mains avaient
conquis. ^'*'' J'y installai le trophée de mon
seigneur Asour, ^" je fis faire ma stèle en
marbre ^' et je la fis dresser devant lui.

Linterprétation stratégique de ce texte nofl'rc pas de difficultés. On


distingue la ville de Cilicie et le pays lui-même qui, comme on le sait

depuis un certain temps, portait le nom


de Qoué (mp) (1). La route
de la Cilicie n'est autre que le défilé connu des anciens sous le nom

de « portes ciliciennes » et qui permettait le passage entre la Syrie et


la Cilicie : -y.:h.'.'/.'.v.'.x:-j'/.y.:. v.y.h y.: zj-i-iz-y-y. v.y.'. y.zr/:-:y.-y: -y.zv^ i'.z':i

y.':
s'.ç rr.v Ki"/.'.v.(av -/.a- rr,v Zjciav "j-tciz/.T. (-2). C'est là que montent les
gens de Tarse et d'ingirà. qui représentent les Grecs signalés par Po-
lyhistor et Abydène. L'emplacement de Tarse est connu. Or, chez les
'

Grecs, la ville jumelle de Tarse est X-c/iôlkt, qui, selon une tradition
d'Aristobule reproduite par Arrien '^) et Strabon avait été fondée ( 'i- ,

en même temps que Tarse par Sardanapale. Cette ville d'Anchiale doit
se situer sur le bord de la mer cilicienne, à l'occident du Cydnus. >ul
doute que la ville d'Ingirà de Sennachérib no soit cette 'ÀY/iiAr,, trans-

formée en A7-/'.Aar,, In-gi-ra-a. La transformation de / en ;• n'est pas


plus étrang-e que celle qui a remplacé "^iin [Tabal] par T'.ôapvivia,

par B£/,',ap, Pulu par IImzz:.


'^""'"2

La restauration de la ville d'Illoupri par Sennachérib créa un double


courant dans la tradition hellénique. Comme nous l'avons vu plus
haut, Bérose, suivi par Polyhistor, Abydène et Eusèbe. attribua au
monarque assyrien la fondation de Tarse. Mais, le nom de Sardanapale
étant devenu le contre des traditions concernant Babylone, Aristobule,
suivi par Arrien et Strabon. remplaça le nom de Sennachérib par celui
de Sardanapale. C'est ainsi que Sardanapale devint le fondateur de
Tarse et d'Anchiale. Le trophée élevé par Sennachérib et accompagné
d'une inscription cunéiforme, était, selon Polyhistor, la statue de
Sennachérib. mais, selon Arrien et Strabon. c'était celle de Sardana-

(Ij RR., 1910, p. 6i S.

(2) Strabon, (:tograph..\\l. 2. 7.

(3) Anabase, II, 5, 2. I,e nom de la ville est écrit 'Ay/ia/o:

(4) Géograph., XI V, 5,9.


MELANGES. 237

pale. On prétendait même interpréter l'inscription (1) : « Sardanapale


enfant d'Anacyndarax a construit en un jour Anchiale
Manee, et Tarse.
bois, amuse-toi ne vaut même pas ceci (à savoir le geste de
: le reste

faire claquer les doigts qu'on attribuait à la statue) » C'est ce qui !

valut à Sardanapale sa réputation d'homme voluptueux et efféminé.


Un monument élevé à proximité de Tarse et qu'Abydène considérait
comme un temple, devint le fameux tombeau de Sardanapale. On le
montre non loin de la ville, au milieu d'un jardin '(1).

Jérusalem, le 31 décembre 190!>.


Fr. P. Dhorme.

III

COUTUMES DES ARABES


LE GÔZ 31USARR1B.

En causant avec les Bédouins, Tanuf-e dernière, j'ai entendu pro-


noncer pour la première fois les mots fjôz musarrib. Comme je n'en
connaissais ni l'usaae ni la signification, j'ai demandé des explica-
tions à mes interlocuteurs. Le résultat auquel m'a conduit cette en-
quête parait mériter d'être consigné par écrit en faveur de ceux qui
s'intéressent à la connaissance de l'Orient.
Chez nomades Fuqarà ^^3,, une femme qui |)crd son mari jouit
les

dune certaine liberté pour disposer de sa personne et ordonner sa vie.


Si elle n'a pas d'enfants, elle regagne la tente de son père pour

demeurer dans l'état de viduité ou bien plutôt pour attendre ou choi-


sir un nouveau mari; les biens laissés par le défunt passent à la

parenté de ce dernier. Mais dans le cas où elle a eu des enfants de


son premier mari, elle a le choix entre plusieurs })artis à prendre.
Si S(m mari a un frère, elle deviendra ordinairement son épouse :

elle aura ainsi un protecteur tout naturel et restera en quelque ma-


nière dans la même famille : ces sortes de mariage sont fréquents chez
les nomades. Cette union est -elle impossible? la veuve se retirera

(1] Arrien et Slrabon. loc. Uni fi.


(2) Cf. fANcaoïs. Voyage dans la Ciliciv el dans la montarjne du Taunis, dms, Le Tour
du Monde, 1862, p. 327 et 334.
(3; Les Fuqarà habitent entre al-I.Ieger et Teirnà.
238 REVUE BIBLIQUE.

dans la tente de son père en abandonnant à ses enfants les biens et la


demeure de son mari, dans le cas où ses enfants auraient atteint leur
majorité si ses enfants sont encore en bas âge, elle les prendra avec
;

elle, laissant un parent du défunt le soin d'administrer les biens et


à
de les garder jusqu'à la majorité du fils aine.
Il existe une autre solution qui mérite d'être mise en relief la :

femme se décide à rester dans la tente de son mari. Elle vit avec ses
enfants, surveille leur éducation, administre leurs biens et travaille
pour eux. Sa situation est pourtant anormale, car une bédouine doit
être mariée; ainsi le réclame l'usage, affirmant que la femme, pour
être heureuse, doit mourir sur le ftrM helàl, c'est-à-dire sur la
couche d'un époux. Comment la difficulté sera-t-elle résolue par la
veuve? Profitant de sa liberté, elle reçoit dans sa propre tente un ami,
sdhib, lequel ami, dans la circonstance, est connu sous le nom spé-
cial de gôz musarrib. Cet époux, yûz (1), n'est pas un amant quel-
conque; légalement, au point de vue arabe, il occupe le rang de mari
légitime. Dans quelles conditions, nous allons l'exposer. Le soir venu,
il se rend à la tente de cette femme, passe la nuit avec elle, et le
matin, il retourne à ses occupations, surveiller ses propres intérêts.
En aucune manière il n'a à s'occuper des biens de la personne qui le
reçoit. Seule, cette dernière est responsable de l'administration de ses
biens et de la direction de quoique
la maison. Il est vrai, elle s'est liée,

librement, avec un homme qui est réellement son mari, mais un mari
musarrib (â"). Elle peut, à un moment donné, refuser de le recevoir

(1) La forme liUéraire est ^j ; mais les Arabes avec lesquels nous sonirues en rapport

intervertissent les lettres et diseal 70: au lieu de z6<j [zatry en transcription liltéraiie).
* / ^
('J) Le mot ntnsarrib, v .
i-»->--, ma été expliqué par un bédouin comme désignant une

personne qui jouit d'une grande liberté pour ce qui regarde le mariage. Le bédouin est
philologue à sa manière. lîien qu'il n'ait point pâli sur les formes simples et dérivées de la
'Mammaire araiie, avec son esprit délié il saisit le sens des mots et leurs nuances. La con-
frontation de cette explication avec les renseignements fournis par les auteurs arabes nous

aidera peut-être à mieux déterminer le sens du mot. Le verbe ^_^ veut dire : aller li-

brement au pâturage, rester libre de ses mouvements; ^


^^•, le mirage; cette signilication

est solidement étalilie par les ouvrages anciens. Dans le Hamàsah, p. 3i7. on trouve le

vers suivant :

« Je vois toutes les tribus serrer fortement les entraves de leur étalon,
mais pour nous, nous lui enlevons ses entraves pour qu'il puisse paitre en liberté. »

Et le Kàmil al-Mubarrad, p. 91. confirme cette signilication par de multiples explications;


MELANGES. 239

SOUS sa tente. Et sa décision n'a pas besoin d'être appuyée sur un motif
bien grave : qu'il ne lui plaise pas, la raison est suffisante. Elle lui

dit de ne plus revenir et leyôz musarrib met fm à ses visites et au


commerce qu'il entretenait avec elle. Cependant il conserve sur elle
son droit d'époux; il la tient sous sa domination sans avoir la faculté
de la revoir contre son propre gré, à elle. Il lui réclamera les enfants

quelle aura eus de lui, et lui seul pourra lui rendre la liberté entière
en prononçant la formule de la répudiation. Alors seulement, la
femme sera libre de disposer à son gré de ses faveurs et d'admet-
tre sous sa tente un nouvel ami.
Cette pratique est courante cbez les Fuqarà et un de mes interlo-
cuteurs, Qoftàn, serait trop heureux d'être accepté comme gaz musar-
rib^ par une femme de sa tribu; mais jusqu'ici, aucune veuve n'a
consenti à le barbe est trop grise )>, dit-il
recevoir : « Maintenant, ma
d'un ton mélancolique. Il n'a pas aussi bien réussi que Mas'ad, frère
de Sahab. Ce jeune bédouin apprit que Hedeirah fille de Miswad
avait perdu son mari tué dans la dernière razzia contre les .Sammâr.
Il s'empressa de lui demander sa main. Hedeirah lui dit : « J'ai un fils

et une fille à élever; je ne veux plus me marier. » Mas'ad prit pa-


tience pendant quelque temps dans l'espoir de vaincre sa résistance,
mais Hedeirah persista dans son refus à cause de ses enfants. Elle
consentit cependant à recevoir Mas'ad comme gôz musarrib. Ce der-
nier se hâta d'emmener une brebis devant sa future épouse et l'im-
mola en disant Ceci est mon mariage avec Hedeirah.
: <' Aujour- ><

d'hui encore il est le ijàz inusarrib de la fille de Miswad.


Dans la tribu voisine, les Leida, l'usage est également très com-
mun. On nous cite un exemple récent dans la famille du grand

sarb veut dire chemin; halli sarbuhu, laisse-le suivre son chemin de manière à ce qu'il
aille là où il voudra-, à la deuxième forme. * '
a le sens d'envoyer au pâturage les cha-

meaux les uns après les autres. Nous ne sommes pas loin de l'interprétation donnée par le

bédouin. Dans le musarrib on reconnaîtra quelqu'un qui n'est pas enchaîné, mais qui agit
avec liberté. De plus, on comparera l'expression arabe :

i< Va-t'en ; je ne m'occupe pas de toi. « Cette sorte de dicton est employé d'une manière
générale chaque t'ois qu'on refuse de s'occuper des affaires de quelqu'un, c'est pour cela qu'il
est donné d'après Meïdàni. Magma' ul-Am[àl. Beyrout, 131'>
à la foime masculine. Mais
de l'hégire, I, formule aurait été primitivement au féminin et était prononcée
p. >2(j, la
par rhoiiiine qui répudiait son épouse au temps de la GdhiUyah. Par ces mots :

il la renvoyait, lui signiliant que désormais il ne s'occuperait plus ni de sa personne ni de


ses biens. On trouve quelque chose de toutes ces nuances dans notre mot musarrib.
240 REVUE BIBLIQLE.

cheikh. Farliàn. La mère de ce dernier, nommée Serbà. a perdu son


mari depuis quelques années. Peu de temps après sa mort, elle reçut
sous sa tente, à titre de f/ôz miisarrib, un Arabe appelé Hais qui
venait chaque nuit dormir avec elle. Ce dernier est mort, il y a quel-
ques mois; Serbà sera contente d'accorder ses faveurs, dans les mêmes
conditions, à un nouveau sâhib qui vraisemblablement ne tardera
pas à se présenter. Chez les deux tribus voisines, les Bély et les'
Guheïneh, l'usage existe aussi vivant que chez les Fuqarà et est sou- ,

mis aux mêmes conditions.


Parmi les Arabes du Belqà, le nom de i/ùz musarrib n'est pas in-
connu. Le cheikh des Beni-.Saher, l'illustre Talàl qui vient de mourir,
non content des femmes qu'il avait sous sa tente, était yôz- musarrib.
Son frère, Sahen. laissa en mourant plusieurs enfants à son épouse.
Celle-ci, nommée Mehayieh. voulut rester sous la tente de son mari
pour veiller à l'éducation de ses enfants. Elle refusa de se remarier,
mais elle accepta Talàl comme f/ôz musarrib sans lui reconnaître le
droit d'intervenir dans ses propres ati'aires. De cette union sont nés
deux enfants un lîls, Fahad, et une fille, llussat. Lorsque les enfants
:

qu'elle avait eus de Sahen ont eu atteint leur majorité, elle a été con-
trainte par leurs mauvais procédés de sortir de sa propre demeure
et de se réfugier sous la tente de Talàl. 1
Nous trouvons chez les Adwàn un exemple très caractéristique de
cette coutume des Nomades.
La renommée de 'Aly eben ed-Diàij, des Adwàn, est restée vivante
dans le Belqà. « C'était un vrai roi, me disait un Arabe; il gou-
verna sa tribu avec sagesse et dompta les Beni-Saher par le glaive. »

Il en mariage la belle Nourah, des Amàrah du C.ùr, dans l'ouàdy


prit
Fàré' près de Naplouse. Cette épouse lui donna deux tils, Mohammed
Aly et Yousef et une fille, nommée Hafidah.
,

Le cheikh Aly est mort depuis douze ans à peine, laissant ces trois
enfants à sa jeune épouse âgée de trente ans environ. Nourah avait
bénéficié de la renommée du cheikh, son mari. Elle était deve-
nue célèbre dans le Belqà. Les Arabes avaient admiré sa beauté et
apprécié sa générosité: ils étaient fiers de ses vertus. Aussi, à peine
son mari fut-il décédé, qu'elle vit arriver à sa tente un grand nom-
bre de prétendants, parmi les cheikhs des 'Ad\vàn, des Beni-Saher
et des autres tribus voisines: tous s'empressaient de lui demander sa
main. Elle refusa leurs ofi'ies. Un
certain Sa ad al-'Abbàs, très in-
fluentparmi les Adwàn. persista dans sa demande, et au bout de
deux ans, surmonta par ses instances les premières répugnances de
Nourah. Vaincue, cette dernière lui dit : « Je consens à te prendre,
MELANGES. 241

mais à condition que tu sois seulement pour moi un 70:; musarrib.


Je resterai sous ma tente, j'administrerai mes biens, j'élèverai mes
enfants : tu n'auras aucun droit de t'immiscer dans mes affaires : seu-
lement tu viendras passer la nuit sous ma tente et je serai ta
femme. Sa 'ad al-'Abbàs accepta
)> ces conditions. Mais après avoir
gagné les faveurs de Xourah, il lui resta encore à obtenir le consen-
tement des frères et des parents de la jeune veuve; il fut obligé de
leur payer le mahor de son épouse une somme d'argent de deux :

mille francs, une jument et un fusil. Le mariage fut célébré en


grande pompe, car il s'agissait de la feuime d'un cheikli; mais géné-
ralement ces sortes de mariages sont moins solennels.
Nourah, sous sa tente, se livrait à ses occupations journalières elle :

envoyait les bergers conduire les troupeaux aux pâturages, chargeait


ses domestiques nègres de faire valoir ses terres dans le Gôr et donnait
une large aux hôtes qui se présentaient. Vers le soir elle
hospitalité
voyait venir Sa ad al- Abbàs, qui de son cùté avait mis ordre à ses
affaires. Son (joz miisarrib prenait le repas qu'elle lui avait préparé,

et lui offrait ses cadeaux. Le jour du mariage, il lui avait donné de


riches vêtements, des colliers précieux, de brillantes parures; mainte-
nant, pour gagner ses bonnes grâces, il ne se présentait jamais les
mains vides devant elle; tantôt il lui apportait du sucre, du café, du
tabac; tantôt un mouton, ou un chevreau, ou quelque magnifique fou-
lard. Lorsqu'il était obligé de s'éloigner quelque temps pour faire un
voyage ou prendre part à une razzia, il ne manquait pas de signaler
.son retour par un présent plus considérable.

L'entente dura cordiale jusqu'au jour où Nourali tomba malade.


Assez gravement atteinte, elle fut obligée de consulter les médecins à
Jérusalem où elle passa près d'un an et demi. Pendant ce temps,
Sa'ad al- Abbàs se refroidit: il négligea de la visiter, et laissa croître
en son cœur un penchant très vif pour une jeune fille de sa tribu.
Cependant Nourah se rétablit complètement et regagna sa tente au
milieu de son peuple. Peu après son retour, elle aperçut Sa'ad al-
Abbàs, un soir, à la porte de sa demeure. Elle comprit l'objet de sa
visite et lui dit aussitôt " J'ai été malade et tu mas quittée, mainte-
:

nant que je suis guérie, tu reviens auprès de moi? Je ne te veux plus;


retourne chez toi. Elle le renvoya sur l'heure, et persista longtemps
)>

dans sa décision de ne plus le recevoir, malgré les nombreux messages


que lui envoyait Sa'ad. Celui-ci, après avoir épousé la jeune fille qui
lui plaisait, multiplia ses cadeaux et ses instances auprès de Xourah.
dont l'obstination fut enfin vaincue. Elle lui pardonna et continue à
le voir comme gôz miisarrib: elle lui a donné un fils et une fille.
REVUE EIBUft'.E 1910. — >". S., T. TH. 16
242 REVUE BIBLIQUE.

D'après ces récits que je rapporte tels que je les ai entendus de la


bouche des bédouins, on appréciera les conditions requises pour
qu'un homme soit gôz musarrib. Il me semble qu'on pourrait les
résumer dans les points suivants :

1° Le (jôz musarrib peut être ou nètre pas marié avec une autre^

femme. |
2° Il contracte un véritable mariage avec la personne qui Taccepte.
3° Il demeure dans sa maison ou sa tente à lui.
4° Il visite sa femme et se conduit avec elle comme avec une épouse

légitime. S'il n'est pas marié avec une autre personne, il vient la voir
chaque soir; s'il est marié, il partage ses nuits entre elle et ses autres
femmes.
5° Chaque fois qu'il vient, il ne se présente pas ordinairement les

mains vides; il apporte un cadeau.


6° Il n'a aucun droit sur les biens ni sur les enfants de son épouse.

Sans la volonté expresse de cette dernière, il ne peut rien prendre à


la tente, ni faire acte de propriété sur le moindre objet.
7" A la mort de cette épouse, il n'acquiert aucun droit à l'héritage.

Tous les biens, terres cultivables ou troupeaux, ainsi que les premiers
enfants, passeront entre les mains des parents du mari de la femme,
mais non entre celles du gaz musarrib. Naturellement, quand les en-
fants de cette femme ont atteint leur majorité, ils sont les maîtres du
bien de leur père.
8" Il a droit sur les enfants que lui donnera la personne qui le

reçoit.
Les conditions et les droits de la femme qui accepte un {jôz mu-
sarrib sont les suivants :

1" La femme doit être veuve; elle doit aussi avoir des enfants de
son mari décédé.
2° Elle reste sous la tente de son mari défunt, avec ses enfants.
Elle n'ira pas habiter dans la demeure du yôz musarrib. à moins
qu'elle ne soit chassée hors de chez elle par ses premiers enfants.
3° C'est librement qu'elle accepte un homme comme yôz musarrib;
mais cette acceptation constitue un vrai mariage, officiellement re-
connu; elle devient réellement l'épouse du musarrib.
4" Cependant, elle se réserve expressément l'administration de ses
biens pour les laisser ensuite entre les mains de ses enfants à l'exclu- |

sion du musarrib.
5" Elle a le droit de refuser la visite du mari, de lui interdire l'accès
de sa tente et le musarrib ne peut la contraindre.
6" Comme elle est enchaînée par les liens d'un vrai mariage, elle
MÉLANGES. 243

ne recouvre pas sa liberté en renvoyant son mari. Elle reste mariée;


ellene peut recevoir un autre homme sous sa tente avant d'avoir
obtenu une répudiation formelle du miisarrib, sous peine d'être
traitée comme adultère.
7" Les enfants qu'elle aura de son mari musarrib seront élevés par
elle; mais lorsqu'ils auront grandi, ils passeront dans sa famille à lui.

Les frais d'éducation sont à la charge du mari.


Le seul fait d'entretenir une femme en dehors de sa tente, dans un
village ou un campement éloigné, ne constitue pas, à lui seul, le
f/àz musarrib. Celui-ci se distingue complètement du mari ordinaire
({ui pour des motifs multiples laisse sa femme ou une de ses femmes

dans une habitation autre que la sienne, voire même dans un lieu
éloigné. Je cite un exemple dans la même tribu des Adwâu,
Le cheikh SuHân, au moment où je recevais l'hospitalité sous sa
tente, il y a quatre ans, avait avec lui une femme au campement des
Arabes, et en entretenait une autre dans la ville de Sait, à une journée
de distance. Obligé de fuir loin des siens après l'assassinat de ses
frères, il chercha un refuge à la localité voisine où il reçut l'hospitalité
chez un riche musulman, Mustapha Dawd. Celui-ci, désireux de gagner
les bonnes grâces d'un cheikh puissant, lui donna sa fdle en mariage,
mais il lui imposa certaines conditions.
Suhàn devait s'engager à laisser son épouse dans la maison de son
père, « car elle était trop délicate et trop civilisée pour vivre avec
les bédouines, sous la tente » ; mais il était obligé de venir la visiter
de temps en tem])s. De plus, il était stipulé que, s'il la répudiait, il

lui donnerait quatre mille francs d'indemnité.


Sultan signa ce contrat. De retour au milieu des Arabes, il n'a pas

oublié ses promesses. Fidèlement, il va voir son épouse du Sait qu'il


entretient avec une certaine magnificence dans la maison de son
père et au milieu de sa parenté.
De prime abord, on pourrait croire que Sultan est f/àz musarrib
})ar rapport à la femme qu'il laisse au Sait mais parmi les Arabes
;

personne ne lui donne ni ne lui reconnaît ce titre. « Il est comme tous


les autres, lié par un mariage ordinaire, me disait un bédouin; car
il a droit sur sa fenmie qui ne peut refuser de le recevoir et qui n'a

pas la liberté de disposer de ses biens. » Et en effet, si on veut com-


parer ce cas à celui qui est rapporté ci-dessus, on verra que Sultan
n'est pas dans la même situation que Sa 'ad al- Abbàs; on constatera
surtout que la fille de Mustapha Dawd ne se trouve pas dans les
mêmes circonstances sociales que Nonrah veuve de Aly ed-Diàb.
Nombreux sont les cas analogues à celui de Sultan, Les cheikhs des
244 REVUE BIBLIQUE.

tribus aiment à épouser des femmes urbaines ». Mais ces dernières


<(

éprouvent généralement une vive répugnance pour lu vie bédouine,


sous la tente, et elles insistent pour demeurer dans la maison pater-
nelle. Telle la Kérakienne demandée en mariage par Mulisin al-
Basâbsah. Elle accepta à la condition expresse qu'elle ne sortirait pas
de sa maison de pierre pour courir le désert sous une tente. Sur cette
base, le mariage fut conclu. Inutile d'insister sur une institution
bien connue. Il serait d'un intérêt plus piquant et plus utile de
savoir à quel système matrimonial usité chez les anciens Arabes on
pourrait rattacher le dùz musarrïh. Mais il ne saurait être question, de
reprendre ici par le détail une étude complète sur un sujet aussi
étendu que celui des relations matrimoniales en Arabie. Qu'il nous
suffise pour le moment de rappeler quelques notions connues de
tous et de nous borner à quelques rapprochements sommaires.
Deux principaux systèmes de mariage, chez les anciens Arabes, ont
été exposés et discutés par \V. R. Smith d mariage et le
i : le ha' al

heena mariage. Le premier, appelé aussi mariage de domination,


est, comme tout le monde le sait, celui qui a prévalu maintenant

dans toute l'Arabie. La femme entre dans le clan du mari, et devient


en quelque sorte sa propriété par contrat —
achat par le maher —
ou par capture (2); elle n'a pas le droit de renvoyer son mari, qui
est seul maître de la répudiation et qui réclame toujours pour lui les
enfants.
Dans le mariage beena, c'est le mari qui va habiter dans le clan de
la femme. Celle-ci reste chez elle, sous sa tente; elle choisit son mari
à volonté et le renvoie à sa guise ; les enfants appartiennent au clan
de l'épouse.
Le mariage sadîqah se ramène au mariage beena. La femme reçoit
de temps en temps chez elle un mdiq, ami, qui la visite dans sa pro-
pre demeure; elle est une sad/'qah, amie; elle reçoit des cadeaux,
siaddq (3), de celui qui vient la voir. Dans ce genre d'union, l'époux
et l'épouse paraissent être sur le môme pied d'égalité, pouvant se

Kinship and Marriage in early Arabia, T éd., London, 1903.


(1)
La chasse à la femme a été pendant longtemps le but des razzias et des expéditions
(2)
guerrières. Ce temps est heureusement passé. Cependant la vente et l'achat de la femme
ont subsisté jusqu'à nos jours. On lit dans la Revue du Monde inusubnan, octobre 1908,
p. 248 :Quelques riches Égyptiens étaient venus à Constantinople pour acheter des
«

esclaves; on leur proposait des jeunes (llles de six ans et au-dessus et des femmes de

trente ans, huit ou dix en tout. Mais la vente a élé interdite et on a fait observer à o ces
messieurs » que ce commerce est défendu par la loi religieuse. »
(31 Sur la valeur et l'emploi de ces trois termes, voir les observations de Noldeke dans

ZD3IG., XL, 154, et nos propres remarques dans Coutumes des Arabes, p. 49; Paris, 1908.
MELANGES. 24o

répudier l'un l'autre. Les enfants appartiennent au clan de la femme.


Tel cfu'il estmariage mdiqah se rapproche beaucoup du
décrit, ce
mariase mot' ah dans lequel l'union matrimoniale est stipulée pour
un temps déterminé seulement, moyeniiant une gratification donnée
par l'homme à la femme.

Auquel de ces types de mariage se rapporte celui du ijùz musar-


rib? La réponse est complexe. La liberté qui est laissée à la femme
de choisir et d'accepter son musarrib, de demeurer sons sa propre
tente, d'interdire à s"on époux: de s'immiscer dans ses affaires et de
refuser ses visites en lui défendant l'entrée de sa demeure, cette li-
berté semble bien rappeler celle du beena ou du sadiqah mariage
décrit par R. Smith. En voyant, par exemple, Nourah. au sortir de sa
maladie, renvoyer lièrement à sa maison Sa ad al- Abbàs. on pense
naturellement à une pratique ancienne rapportée par le Kitèîb el-
Agàny (1 ou Livre des chansons « Au temps de l'Ignorance, il y avait
:

des femmes qui répudiaient leurs maris, et le mode de répudiation se

pratiquait ainsi : cjuand elle habitait sous la maison de poil, la


femme tournait sa tente de manière à ce que la porte s'ouvrit vers
l'occident, si elle faisait face auparavant à l'orient, et cjnelle donnât
vers le nord, si auparavant elle était dirigée vers le sud. Lorsque le
mari voyait ce changement, il savait qu'il était répudié et il n'allait
plus vers la femme. » On s'abstiendra toutefois d'établir une équation
complète entre l'épouse du musarrib et les femmes qui pratiquaient
la répudiation par un simple changement dans l'orientation de leurs
tentes. Dans ce dernier cas, la femme est maîtresse absolue de sa des-
tinée par un seul acte elle dissout le mariage. Dans le cas du 7ni(-
:

sarrib, la femme, il est vrai, interdit l'entrée de sa tente et, comme au


temps de 1' « Ignorance », le mari n'enfreindra pas sa défense; mais
elle ne peut pas le répudier et dissoudre le mariage. C'est la pre-

mière grande différence que nous constatons, différence qui suffit à


écarter l'assimilation complète entre les deux cas. Et de ce chef, le
mariage musarrib s'identifie avec le mariage de domination, dans
lequel le mari seul possède le droit de rompre les liens matrimo-
niaux.
Une deuxième différence importante est à signaler. Dans ce système
de mariage, beena ou mdiqah, les enfants étaient la propriété de la
femme, ou tout au moins de son clan. Dans le cas du musarrib, le
mari, lui seul, est maître du fruit du mariage. Sans doute la mère
veille à l'éducation des enfants quand ils sont petits c'est la loi de :

(1) Kifâb el-.ltj., xvi, lofi.


246 REWE BIBLIQUE

nature, mais le mari supporte les frais et use toujours (lu droit absolu
que lui confère chez les Nomades son titre de père.
Eu fondant sur ces simples observations, qu'il serait facile de
se
multiplier et de développer, on ne saurait identifier simplement le
cas du musarrib à Tun ou l'autre types de mariage attribués à l'an-
cienne civilisation arabe, soit le mariage heena ou mdiqah. soit le
mariage de domination. Tel qu'il se pratique aujourd'hui, il possède
des propriétés qui paraissent caractéristiques chacun
et essentielles à

des types antiques: donc des deux et peut être, sous


il participe
certains rapports, comparé à tous les deux.
Pour le moment, nous nous bornons à formuler ces simples cons-
tatations. Ceux qui admettent que le mariage heena ou mdiqah re-
présente la première forme des relations matrimoniales dans l'Aralne
ancienne découvriront peut-être dans le musarrib des vestiges très
clairs des usages antiqnes. Ils mettront sans doute en relief la crâne
indépendance d'une Nourah qui rappelle d'une certaine façon la
complète autonomie des femmes dont parle le Livre des chansons;
ils diront aussi sans doute que la limitation de cette antique liberté

de la femme et la prédominance du pouvoir du mari sont le résultat


d'une évolution tardive et consacrée par l'Islamisme. La connaissance
des lois sociales qui régirent les premiers habitants de l'Arabie
ne nous parait pas encore assez scientifiquement établie pour auto-
riser une systématisation rigoureuse. Il semble également qu'il
serait sage de ne pas caser, d'une façon trop stricte, dans le cadre de
tel ou tel type, un fait emprunté à une civilisation voisine.

Il serait tentant de chercher si la Bible ne contient pas quelques

vestiges de l'union dont nous avons parlé. Par exemple, le mariage


de Samson [i\ avec une femme pliilistine de Timnah, généralement
appelé mariage mdiqah, pourrait bien avoir quelques rapports avec
le mariage musarrib. Si on lit attentivement le récit des Juges, on re-

marquera sans doute certaines ressemblances assez caractéristiques.


On n'insistera pas outre mesure sur ce que l'épouse de Samson de-
meure dans la maison de son père, au milieu de sa parenté; sur lo-
bligation imposée à Samson de visiter sa femme dans sa propre ha-
bitation, à elle; sur les exigences de ces visites qui ne se feront j^as
sans cadeaux; l'Écriture mentionne le chevreau 2) apporté par le

héros juif à son épouse comme


Arabes parlent des moutons que
les

Sa ad al-'Abbàs offrait à Nourah. Cette situation est commune au


mariage sadiqah, au mariage musarrib et au mariage de Sulfàn avec
fl) Jud., 14. .5 ss.

(2) Jud., 15, 1.


MÉL\îsGES. 247

la fille de Miisfapha Dawd, à Sait. En aucune façon, elle ne saurait


constituer un type spécial. A cet effet, il est nécessaire d'avoir des
marques caractéristiques s'appliquant uniquement à une seule caté-
gorie ; les trouvons-nous ici ?

Dans le mariage musca'rib, avons-nous dit, la femme doit être


veuve et avoir des enfants à élever. La future épouse de Samson réa-
lise-t-elle cette condition? On ne saurait l'affirmer absolument, mais
les vraisemblances ne sont pas contraires, au moins quant à la
première partie du postulat. Si Fauteur avait voulu dire explicite-
ment que Samson épousa une jeune tille vierge, il aurait employé
-•zS" (1), nS^n2 (2) ou rh.T^i rr-ji (3 . Si son but avait été d'expri-
mer cjn'il prit une épouse jeune, il se du terme "-^y: l'i), serait servi
qui signifie une personne jeune, vierge ou mariée G Mais le o) .

texte porte nrx, femme. Quoique ce substantif s'emploie en hébreu


dans un sens vague, pour signifier simplement une personne du sexe,
abstraction faite de son état de mariage, de virginité ou de vi-
duité cependant on ne saurait nier c[u"il signifie généralement une
(7),

personne mariée et qu'il est devenu en cpelque sorte un mot essentiel


pour désigner le mariage dans l'expression n'C'X npS ou "rxS np-"-
Il ne semble donc pas téméraire de dire que ~"C'N i8i, appliqué à
la personne prise par Samson, peut indiquer une femme déjà mariée.
Si, dans ce cas, on n'emploie pas le terme nrz'^x, c'est probablement
à cause de sa signification générale de veuve souffreteuse, abandon-
née (9) ce qui nest pas en situation dans l'histoire de Samson.
:

Une deuxième condition du mariage musarrib, c'est la liberté dans


le contrat de mariage accepté de plein gré par les deux intéressés.

Or, dans le récit des Juges, nous voyons le héros juif poursuivre lui-
même son but avec ténacité. En personne, il s'adresse directement à
la femme qu'il désire 10 1: c'est avec elle cju'il traite; c'est son con-

1 Gen., 24, 43; Ex., 2, 8.

,2; Gen., 24, 10; II Sam., 13. 2.

(3) Deut., 22. iS.

(4) Gen., 24, 57; 34, 3.

(5) I Reg., 1. 2, i.

^6; Jud., 19. 3 ss.

(7) Voir les renvois aux textes dans le dictionnaire de Gesenius-Buhl.

8,i Lhébreu nit7N. répond étymoiogiquement à larabe -:o!, désignant un être fémi-

nin. Pour l'usage, il serait l'équivalent de l'arabe i\y>.


9) Ex., 22, 21; Deut., 10. 18. Cf. Gen., 38. 11.
lu, En Israël, comme maintenant chez les- Arabes, la question du mariage se traitait
par l'intermédiaire des parents ou des amis. Samson se conforme d'abord à cet usage,
248 REVUE BIBLIQUE.

sentement personnel qu'il obtient; c'est pour lui l'essentiel ensuite ;

il s'arrangera avec les parents de la femme. Si le texte ne mentionne

pas expressément cette dernière clause, il permet au moins de la


soupçonner (l^i. On l'avouera sans peine, tout ce procédé de Sanison
concorde assez bien avec la manière d'agir de Sa'ad al-'Abbàs qui s'ef-

força d'abord d'obtenir le consentement de Nourali et satisfit ensuite


aisément aux exigences de sa parenté.
Une troisième remarque s'impose Samson ne reconnaît pas à sa :

femme le droit de le répudier: on le voit clairement 2!. Il est irrité

de la rupture du mariage 3 . rupture bien formelle puisque sa femme


a passé entre les mains dun
y avait eu un mariage
concurrent. S'il

sadiqah, Samson n'aurait aucune raison d'entrer en fureur, puisque


sa femme n'aurait fait qu'exercer un droit reconnu de tous, droit es-
sentiel à ce genre de mariage. De même que les dames arabes répu-
diaient leurs maris par un simple changement dans l'orientation de
leurs tentes, la dame de Timnali aurait, par une seule parole, répu-
dié son ^ad\q, Samson. Mais ce dernier est loin d'imiter les Arabes
qui acceptaient en silence cette solution: car il se sent injustement
lésé dans son droit d'époux. Il et déjà il
se fera justice lui-même
peut dire « Cette fois je ne serai que quitte avec les Philistins en leur
:

faisant du mal. » Cette conduite, qui ne s'explique nullement dans le


mariage ^adtqah, cadre parfaitement avec les exigences du mariage
miisarrib dans lequel le mari conserve tout son droit sur la femme,
même lorsque les relations sont interrompues, même lorsque, sur la
défense de la femme, il ne peut pénétrer dans sa demeure.

De l'ensemble de ces observations, que dans une étude complète


sur le sujet il serait facile d'augmenter et de développer, il nous parait
légitime de conclure que le mariage de Samson avec la femme de
Timnah est plutôt un mariage musarrib qu'un mariage mdîqah.
Le mariage de Gédéon avec sa concubine de Sicheni ii ne nous
semble pas non plus être un mariage sadiqah dans lequel les en- ,

fants appartiennent au clan de la femme. Nous trouvons en eifet dans


le texte une remarque fort claire qui nous autorise à penser que
l'enfant issu de ce mariage était la propriété non de la femme, mais
de Gédéon et de sa famille car c'est Gédéon qui lui donna son nom
:
:

Jud., 14, 2. Devant l'opposition dessiens, il passe outre, comptant bieo réussii;. Son espoir
n"était-il pas basé sur le genre spécial de mariai;e qu'il poursuivait ?

1) Jud., 14, 10; 15, 2-

(2) Jud., 15, •>.

(3) Le fait que c'est le père qui l'a donnée à un autre, n'exclut pas le consentement de
la femme assez libre de sa destinée, d'après 14, 7.
(4) Jud., 8, 31.
MELANGES. 249

« à Sichem lui donna, elle aussi, un fils,


Et sa concubine qu'il avait
et il luiimposa le nom
d'Abimélek (1). » Volontiers nous assimilerions
ce mariag'c avec celui du cheikh des Adwàn. SuUàn, qui entretieut
une femme à Sait (2).
Mais insister sur ces points n'est pas le but de ces lignes. C'est en
passant seukMnent que nous avons indiqué certaines ressemblances
avec des faits bibliques expliqués déjà par des usages arabes; as-

surément nous n'avons pas eu l'intention d'écrire une étude complète


sur le sujet ni de résoudre les nombreuses objections qu'on pourrait
soulever. Nous avons seulement voulu apporter une légère contribu-
tion à la connaissance des coutumes des Arabe?.

Jérusalem.
Fr. A. Jaussex.

IV
LA VERSION MOZARABE DE L'ÉPITRE
AUX LAODICÉENS
M. le baron Carra de Vaux a publié en 1890 dans la Revue Bi-
blique (3) une traduction arabe de Tépître apocryphe de saint Paul
aux Laodicéens. Le manuscrit de Paris (Bibliothèque Nationale, fonds
arabe, n. 80:, apporté de Constantino|ile dans le deuxième quart du
xvnf siècle (4), contient, entre une Vie de saint Paul et l'Apocalypse,

(1) Sur la signilicalion et l'importance de rimposition dn nom aux enfants chez les
Araites cf. Kinship and marriage, T édit., p. 124, et A. Lods, La croyance à la vie fu-
ture. Il, p. 9 ss.

(2) La dénomination de •^ji'l^S de Jud., 8, 31, n'empêche pas un vrai mariage; cf.

Jud.. 19, 3, ss.

(3^ RB., 1896, p. 221 sq. M. I. Guidi avait déjà signalé ce texte d'après le catalogue de
Paris dans sa dissertation La traduzione degli Evangelii in arabo e in eliopico, R. Ac-
cademia dei Lincei, Memorie, 1888, p. 29. Cf. les compléments apportés à la description
du catalogue de la Bibliolhètiue Nationale par M. Eduard Bratke d'après une lettre de
H. Zotenberg, Zeilschrift fdr Wissenschaftiiche Théologie, 1894, p. 137 sq. La publica-
tion de M. Carra de Vaux est mentionnée par A. Harnack, Geschichte der Altchristlichen
LUteralur, Chronologie, p. 701 et dans les Kleine Te.rte filr theologisclœ Vorlesungen
und Uebungen, de Lielzmann, Apocryp/ia, IV, p. 2 (le ms. de Paris est donné par erreur
comme du xir siècle). On s'étonne de ne trouver aucune mention du manuscrit ni de la
publication dans H. Goussen, Die christlicli-arabische Literatur der Mozaraber. Leip-
zig. 1909, l'auteur citant à plusieurs reprises le mémoire de M. Guidi.

(4 Le Calalogus codicum manuscriptorum Hibliothecae Ilegiae, t. I, Paris, 1739.


p. 117 (n" CXLIl), dit de notre manuscrit « Constantinopoli nuper in Bibliothecain regiam
:
250 REVUE BIBLIQUE.

la copie de cette épître faite au xvii" siècle d'après un manuscrit


maghrébin du 15 mars 1151. Il y a aussi à la Bibliothèque Vaticane
un manuscrit de cette traduction mozarabe, transcrit, comme celui de
Paris, sur l'exemplaire cité du 15 mars 1151. Le Borgiano arabo (il,
autrefois K. volume de 65 paees, mesurant 2-28 mm.
II. 2, est un petit
sur 161, d'écriture orientale; on y trouve, du f. 1' au f. 61\ les Actes
des Apôtres dans une version très différente de celle que Wallon a
insérée dans sa Polyglotte, tome V, p. 517 sq. Le livre des Actes y
est divisé en 377 sections, et, à. la suite de Act., xxviii, 31, le scribe a
indiqué en quelques mots ce quil savait sur la fin de saint Paul.
Au f. 62 commence l'épitre aux Laodicéens qui se termine au bas du
verso. Ce manuscrit a été copié à la fin du xvi' siècle, ou plutôt au
commencement du en plus du témoignage de l'écriture, on
xvii®;
peut invoquer le filigrane du papier c'est l'ancre entourée d'un :

cercle et surmontée d'une étoile à six branches, reproduite dans


G. Briquet, Les Filigranes, Paris, 1907, n" 56o. La marque T (ou F) C.
qui se lit au coin de la feuille, enregistrée au n° 518 du même recueil,
indique la Vénétie comme pays d'origine de ce papier; on pourrait
être tenté d'en conclure que ce texte a été copié à Rome, ce serait,
à mon sens, une conclusion imprudente, il importe de ne pas ou-
blier que les papiers occidentaux étaient un des principaux articles
d'exportation pour les Échelles du Levant 1).

Comme on doit s'y attendre pour deux manuscrits qui se réclament


d'une origine commune, leurs textes sont identiques (2), mais la
notice de Borgiano 67 complète et précise celle du manuscrit de Paris.
.M. Carra de Vaux, embarrassé par la construction incorrecte de la
phrase, lui a fait subir une légère rectification et traduit : « Épitre
de Paul l'apôtre aux gens de Laodicée, selon ce qui se trouve dans le

manuscrit des épitres que Yérounim (Hieronynms) a traduites (3) ^^^f


au lieu de '^^-^yj du latin en arabe [et transcrites^ en écriture maghré-

illatus )'. Or on sait que l'abbé Sevin rapporta d'un voyage au Levant qu'il fit en 1729-1730
un grand nombre de volumes. Pendant les annéas suivantes, ses correspondants de Tur-
quie expédièrent à Paris plusieurs lots de manuscrits. Cf. l'Avertissement de H. Zotenberg
au Catalogue des mss. arabes de la Bihliothrque Xalionale par M. de Slane, Paris,
1883-1895, p. II.

(1) Cf. la lettre du P. Jean-Baptiste de Saint-Aignan, capucin d'Alep, à Colbert, Pâques


1670, d'après Rabbalh, Documents inédits pour servir à l'histoire du Christianisme en
Orient, p. 308. Les papiers à l'ancre sont très nombreux dans le fonds Borgia, surtout
aux environs de l'an 1600, cf. par exemple Bonjiano arabo '>0, copié en Orient au mois
de safar 995 de l'bégire.

(2) Au V. 10, Borgiano 67 a JoW ^ au lieu de Jj^' ^', et au v. 16 il a correc-

tement 5i.^;jt^*« au lieu de ïa;Xt>^.,

(3j M. de Slane dans le Catalogue des inss. de la Bib. nat., p. 19, avait compris celte
MÉLANGES. 251

bine. Ce manuscrit est daté... » Voici maintenant la notice du ms. Bor-


gia, avec sa disposition propre :

^,l" jAI" .^= ja^ i:.^^,y J^L, i^-^ J jc^^ U 'jjf

^" ^
^Lnîj
(1) . i.<L .b

La formule ^.^^Jî J,' ^?^j-^' ^^ e/°


6st écrite à l'encre rouge

et manifestement distincte de la notice elle-même; en l'omettant, on


obtiendra la traduction Voici ce qui se trouve dans le manuscrit des
:

épitres de la version biéronymienne, en caractère occidental (ou magb-


rébin), daté du 1.5 mars 1151 après la naissance du Cbrist. A la suite
de l'épitre aux Colossiens (2j. Ce que j'ai transcrit Et ceci est Fé- :

pitre de l'Apôtre aux habitants de Laodicée...


Ainsi devient claire la position de Yérounim en face de la version
arabe de la lettre aux Laodicéens, il n'en est aucunement l'auteur. Le
scribe a voulu exprimer que cette traduction avait été faite sur la
Vulgate; il savait bien, étant oriental, que cette épitre nexistait ni
en grec, ni en syriaque, ni en copte, il ne pouvait mieux dire que
J^ji U^y> version biéronymienne. Il avait remarqué aussi que ce

manuscrit n'appartenait pas à l'écriture babituelle en Orient, il a


très justement qualifié cette sorte de caractère (3 mais alors, un doute 1 ;

lui est venu ne comprendrait-on pas qu'il avait extrait cette épitre
:

dun manuscrit latin, ayant fait lui-même la traduction? Précisément,


la date, exprimée suivant le calendrier julien, favoriserait cette hy-

plirase dans le même sens : « Ce ms. renfermait les épitres traduites du latin en arabe par
Jj p, nom qui, probaldement, est une transcription de Hieronymus (saint Jérôme). «

1) Ms. w«r,.w^û3; le copiste a oublié que v 4 q en écriture maghrébine. =


Sur li2 inss. latins qu'il a examinés, Samuel Berger en a trouvé 72 où l'épitre
{'>.)

aux Laodicéens suit celle aux Colossiens. cf. Histoire de la. Vulgaie, Nancy, 1893,
p. 341 sq. D'autre part, dans le ms. 4971 de la Bibliothèque de Madrid qui contient la
traduction mozarabe de plusieurs épitres de saint Paul, l'épitre aux Laodicéens est comprise
entre les lettres aux Thessaloniciens et celles à Timothée, cf. sur ce ms. de l'an 1542 Ro-
bles, Calalocjo de los mannscritos arabes e.rtstentes en la Biblioteca nacional de Ma-
drid, 1889, n° CCXX.WIII, p. 108 sq.
Le copiste de Borgiano 67 se montre sur ce point mieux renseigné que S. £. As-
3)
sémani qui qualifie de coufique toute écriture arabe qui n'est pas le neschki, cf. Catalogtis
Codicum Bibliolhecae f^alicanae urabicorum, ... edenl.e Angelo Maio, Romae, 1831i
p. ex. à propos du manuscrit n'^ 5, p. 5; et H. Goussen, loc. cit., p. 14.
2b2 REVUE BIBLIQUE.

nothèse, et la formule « traduction hiéronymienne en caractère occi-


dental «était équivoque. Pour écarter tout péril, il écri%dt dans la
marge cette glose un peu embarrassée « du latin franc en arabe ». :

Le copiste du manuscrit de Paris aura eu entre les mains cette copie


plutôt que le vénérable exemplaire maghrébin; il ne dit pas comme
l'auteur de Borgiano 67 : « Voici ce que j'ai copié » il reproduit ;

aussi impersonnellement que possible le renseig-nement donné avec


tant de précision « Épître... selon ce qui se trouve... » Inattentif aux
:

précautions de son minutieux devancier, il s'est rendu coupable


d'une faute trop fréquente pour que l'on song-e à s'en étonner; en
incorporant au texte la g-lose qui devait l'expliquer, il l'a rendu in-
compréliensilile.
Quant à l'expression *jj»j ^^-^y version hiéronymienne , on peut
chercher ce qui l'a inspirée au copiste de Borgiano 67, car ces mots
ne doivent pas être pour lui le fruit d'un examen critique. Peut-être
avait-il sous les yeux un recueil des épitres latin et arabe; il existait
en Espagne des manuscrits de ce genre, et nous savons une page des
épitres de saint Paul, reste précieux d'un bihngue du x»^ siècle. Ou
bien encore y avait-il au début du manuscrit, soit la mention de
saint Jérôme, soit plutôt les préfaces du même auteur si souvent re-
produites dans les Bibles du Moyen Age. Les traducteurs mozarabes
de l'Évangile n'avaient pas négligé de rendre accessibles aux fidèles
de leur langue ces petits chefs-d'œuvre du saint docteur, le ms.
Addit. 9061 du Musée Britannique fait précéder chaque évangile de
sa préface (1) et le ms. de Leyde 2371 commence par ces mots « Le :

prêtre Jérôme, le traducteur, a dit l'apôtre Matthieu est le pre- :

mier (2)... » Et au début du psautier Addit. 9060, on lit « Jérôme :

le traducteur... a dit (3)... >\ A la lumière de ces textes, l'expression

Jjy 'U^y retrouve sa signification de « Vulgate hiéronymienne (4) ».


Un autre détail du titre imprimé par M. Carra de Vaux demande

(t) Cf. Catalo(jxis Codicum orient, qui in Miiseo Britannica asxervanlur, Londres,
1838, p. 13 sq., n" XIII.

(2) ... J^iNll ^.^^ ^^ JJ _,> ^U^' b ^U^' ^.d' J,y JU


d'après I. Guidi, loc. cit., p. 2'.».

(8)... Jv^ JJ' ^, 4,W .,L'o.».J' (à lire *J«>»J,) J^ y- J'i. Cf. CatoL ...3/us.

Brit.. p. 7 et la reproduction phototypique de H. Goussen, loc. cit., p. 26.

(4) C'est encore de saint Jérôme et de la Vulgate qu'il est question dans re.\plicit du
manuscrit de la cathédrale de Léon, publié par F. X. Simonet, Historia de los Moza-
rabes de Espagiia. p. 753. Malheureusement, l'auteur a cru bon de faire au texte quelques
corrections sans indiquer la leçon du manuscrit où il y avait sans doute :

.^'s. J.L'' ^<c. ,.cw;^vJ' JjJ' w^i" J^cJ (et non pas i^<ow^j') i^so^^l"
MELANGES. 253

explication; la date y est représentée par les quatre lettres -— ï- et,


vraiment, dans aucun système de numération, elles n'expriment le
nombre 1151 que M. de Slane y avait justement reconnu. Pour éviter
toute méprise à l'avenir, il est peut-être opportun de noter la nature

de ces signes, ce sont les chiffres coptes cursifs, dérivés de la minus-


cule grecque (1). Si le copiste du ms. de Paris les a négligemment
tracés, il est facile de les confondre avec les lettres arabes que le
savant orientaliste imprimait à regret; dans le llorgiano 67, il n'y a
aucun doute sur leur lecture. Au commencement de ce manuscrit, le
copiste a écrit dans les marges et les interlignes beaucoup d'annota-
tions, surtout les transcriptionsdes noms propres, en caractères cop-
tes; en mêlant à une notice arabe ces chiÛ'res bizarres, il a suivi un
usage constant chez les scribes de sa nationalité. Cette ressemblance
entre le manuscrit de Paris et celui du fonds Borgia n'est-elle pas un
argument nouveau en faveur de leur très proche parenté?
Rome, 9 février 191ii.

Eugène Tisserant.

(I) Nous avoas remplacé, ci-dessus, par leurs équivalents grecs les signes numériques
coptes que nous ne pouvions reproduire typograpbiquement.
CHRONIQUE

UXE MOSAÏQUE BYZANTINE A BETTIR.

A une centaine de mètres au plein ouest de la station du chemin de


fer de Bettir, sur une petite esplanade dominant de cinq à six mètres
le confluent del'ouAdy Bettir et de l'on. el-Hanyeh, on vient de décou-
vrir les vestiges dune installation byzantine encore indéterminée.
La fouille, clandestine et maladroite, a été provoquée par quelques
arasements de maçonnerie revêtue d'un stuc épais et disposée comme
pour constituer une chambrette. En dégageant ces parois on a at-
teint, à la profondeur moyenne de 1"',50, un pavement en mosaï-
que historiée, d'une conservation parfaite, à en juger par les divers
points où nous avons pu le nettoyer.
Le déblaiement eût été assez simple et nous nous étions flattés,
en arrivant sur ce chantier, de le réaliser sans frais considérables.
Par malchance les compétitions jalouses et intéressées de plusieurs pro-
priétaires et le stupide entêtement du plus influent vinrent se mettre
à la traverse aussitôt que le dessin de la mosaïque commença d'appa-
raître sous le balai et la brosse, dès qu'on vit surtout tirer des crayons
et des couleurs. Il n'a tenu qu'à l'adroite intervention et à l'énergie
insinuante du P. Jaussen que nous ne soyons pas enfouis dans le
remblai ou jetés hors du chantier sans avoir pu dessiner un médaillon
ni copier une lettre. Deux heures et demie durant il a presque immo-
bilisé, par d'infatigables palabres, les cerbères obstinés à ensevelir

de nouveau le « trésor » tandis que nous faisions toute diligence pour


découvrir par petites sections, frotter, laver et copier (1) les espaces
accessibles entre les derniers amas de décombres et entre les encom-
brantes babouches qui venaient se figer avec une sotte opiniâtreté
au milieu du médaillon ou sur la ligne de texte dont le dessin était
entrepris. Ce jeu assez fatigant n'est rappelé que pour expliquer ce»

(1) Le P. Savignac a même pu réussir à utiliser un minuscule appareil photographique


sur quelques lambeaux mieux nettoyés. Ces fragments sont présentés (pi. Ii; à titre de
justification de nos croquis.
Planchk I.

Mosaïque de Beliir. D'uini'; une a()uarclle.


Plaxciif: m.

'•lM;aii|ur ne ijt.'tiir. I- la-'iiienls plioli.iiiiiiiuii.'^ [nn :r ['. ^a\i-:ii;i


CHROMQUE.

(ju'il y a d'incomplet clans notre relevé. Une fois épuisées les res-
sources parlementaires du P. Jaussen et la dernière lettre de Tins-
criptiou copiée, nous avions eu mains les éléments essentiels de toute
la mosaïque. Plutôt que de prolonger une séance qui tournait à
l'aigre, il a semblé préférable d'abandonner la place, dans l'espoir
que des circonstances meilleures permettent quelque jour à de plus
heureux que nous l'achèvement de ce travail.
La mosaïque. —
La chambre mesure i'".()5 de large sur une pro-
fondeur encore inconnue,
le déblaiement n'ayant
pas été poussé assez loin
au sud. Par ce côté elle

se rattachait peut-être à

d'autres pièces. En tout


cas la disposition de la
mosaïque exige un déve-
loppement minimum de
\ mètres, avec une entrée

probablement dans la pa-


roi occidentale.
Lue large bande de mo-
saïque blanche court le
long des parois, ornée seulement à intervalles symétriques des bou-
quets stylisés si familiers dans les mosaïques palestiniennes. Le dé-
corateur s'est ainsi délimité avec précision le champ exact requis pour
son splendide panneau, en même temps qu ilen faisait ressortir mieux,
par cet encadrement mat et banal en lui-même, le frais coloris et la com-
position savante. Dune complication propre à déconcerter à première
vue, surtoutquand on ne peut l'examiner que par lambeaux, le thème
ornemental est cependant assez simple un réseau de médaillons
:

unis par des entrelacs dans un cadie fajitaisiste. Les médaillons re-
produisent les figures essentielles de la géométrie : circonférence et
carré; les entrelacs unissent les deux formes fondamentales rectiligne
et curviligne de cet élément décoratif. C'est dans la fusion adroite
de ces deux éléments, dans l'heureux agencement des médaillons et
du treillis, dans le choix judicieux des motifs ornementaux à semer
dans les interstices duou à loger dans les médaillons, que le
treillis
mosaïste a fait preuve de goût et de talent, qu'il s'est montré en
vérité artiste et pas vulgaire ou capricieux traceur d'arabesques plus
ou moins sèchement géométriques.
Le centre manifeste de sa composition, ce qu'il a eu à cœur, ou ce
256 REVUE BIBLIQUE.

qu'une vanité assez intelligible de propriétaire lui a imposé de met-


tre en évidence, c'est l'inscription qui garderait pour la postérité des
noms fameux sans doute dans le i^out Bettir de cette époque, mais
que rien sans cette entreprise n'eût protégés contre l'oubli. A ces
noms l'artiste a joint le sien, tout en faisant de son mieux pour que
ce document se répartisse avec symétrie et en lettres ornées cpiasi
avec affectation dans les quatre panneaux carrés étalés au milieu du
pavement. Ceux-là situés, tous les autres médaillons se plaçaient
d'eux-mêmes en zones parallèles et à des intervalles rigoureusement
déterminés pour constituer une sorte de quinconce où ralternance
des figures flatte l'œil. Pour égayer son sujet, le mosaïste n'avait
maintenant qu'à faire appel à son imagination qui lui suggérerait
des motifs à inclure dans ces médaillons. Par une inspiration excel-
lente, que guidait peut-être la destination du monument, son choix
s'est porté sur des motifs zoologiques et végétaux mais là surtout ;

je déplore le mauvais vouloir néfaste qui a rendu impossible un re-


levé complet de ces motifs. Ce que nous en avons pu presque littérale-
ment conquérir suffit du moins à en donner quelque idée une frise ;

de poissons (1) qui évoluent en pleine eau dans les petits médaillons
rectangulaires en bordure du pavement, des fruits, des plantes, des
arbustes dans les médaillons ronds et les plus larges espaces du
treillis, enfin des bouquets stylisés et de petites combinaisons géomé-

triques dans les moindres cases des entrelacs. Tout le réseau a ses
attaches sur une bordure qu'un filet blanc constitué par deux rangées
continues de cubes isole du cadre proprement dit. Ce cadre ne trahit
pas moins que tout le reste la recherche un peu affectée. Il est
fait de deux tresses parallèles entre lesquelles on a posé des fleurs

trilobées comme emboîtées les unes dans les autres et prises en


une sorte de cadre triangulaire qui les agence dans les tresses (2).
On n'a employé que la pierre à teintes noire, rouge et bleutée
pour tout le réseau géométrique, mais en faisant appel à des teintes
jaunes et vertes pour la plupart des motifs ornementaux. On a mis
d'ailleurs une assez scrupuleuse fidélité dans l'emploi de nuances

(1) (pi. II, 4 et 6) montrent qu'ils sont au moins de deux espèces.


Les photographies
Un croquis commencé n'a pu être achevé, et cet élément n'a pas été
(2) Cf. pi. II, h.
inclus dans la reconstruction de la mosaïque, pi. I. On sait que ce motif, à peine nuancé,
a été employé dans la sculpture hellénistique (cf. la base moulurée du grand sarcophage
dit d'Alexandre au Musée impérial de Constantinople ou dans les planches de Hamuy Bey et
Th. Reinach, Vue nécropole royale). Il dérive au surplus de l'art grec classique et M. Chi-
piez l'a dessiné presque comme le mosa'iste byzantin dans ses belles planches composées
d'après des documents archéologiques sûrs pour illustrer la décoration polychrome des en-
tablements doriques primitifs (Perkot et Chipiez, Ilist.. VII, La Crèce archaïque ; le temple,
d1. VIII s.}.
CHRONIQUE. 207

dégradées pour les bandes sans fin des entrelacs alternativement


rouges et bleues: cet artifice augmente la variété et la fraîcheur
d'un coloris étoÔé davantage encore par les nuances ici vives et claires,
là chaudes somptueuses des médaillons
et tout cela très harmo- :

nieux, très gai sur le pâle fond blanc qui en accentue le relief; tout
cela aussi exécuté avec un soin matériel admirable et de tous poinls
en rapport avec l'élégance capricieuse et souple du dessin.
L'inscription. —
La lecture matérielle est sans aucune obscurité;
c'est à peine si à l'avant-dernière ligne du quatrième médaillon quel-
ques cubes disparus ont endommagé la haste dune lettre qui n'en
demeure pas moins certaine. Les abréviations sont toutes usuelles ou
transparentes. La gaucherie de quelques lettres en particulier le —
M du médaillon I, 1. 3, écrit comme un 00, le développement des —
apices, les A et les 00 fleuris, çà ou là une ligature voilà autant :

d'éléments désormais familiers dans un certain cycle des mosaïques


de la contrée. Nous respectons l'orthograph.e (cf. pi. II, 1 et 3) :

'

I. Yrràp ziii-r,z'.j.: -/.'A hr.ù/r^ ;j, -isojç -^k'jt.'.zj t:j zù.{z'/z'\'\z-yS\ {'/Sk)

T'iv ;iaç;cp(sv)':(j)v. — II. W~z'':r^z\'t Av:ojv:r Y-xi.z'[j. toj ïz'^'w/ -z~j~.z 'jr.ïz

c;w:r(p((aç) Fîtocv^jj. — III. 'Etti -z\t ^zijizù:r".7.-[zS) rswpvby -p(sï)cu-


':iz[z-j^ h'hr,':ii) ~7. woa. — H . ^Trcjov; 'E!:v)A'.7vv;j IT'.ST'.y.;^ v'/r^-n-.z y.Yjv'.

y[y.z-.''.zj \iz{v/-\w)zz) z.

I. Pour soulagement d'Alypius, l'a/ni du Christ, et


le salut et le

de ses proches. — IL Antoine


Galoga a fait ce travail pour le salut
de Georges. —
III. Sous le très pieux prêtre Georges ont été réalistes

ces choses-ci; —
IV. par les soins de .Julien Pistikos (1) [ceci] a été

fuit au mois de mars de l'indiction .5^


Je dois à l'obligeance du P. Abel quelques remarques sur la lec-
ture. « La formule initiale se retrouve, avec une orthographe défec-
tueuse, dans une inscription en mosaïque de Màdabà (2 et le P. Germer- >

Durand la devinée dans la mosaïque de Beit Cha'ar i^3). L'épenthèse


du ;j. dans àv-:i>.vj..y£(or n'est pas nécessairement l'indice d'une époque
très basse (i .
— 'l^ù..zyz\z-.zj. titre fréquent dans les textes juridiques
comme en épigraphie et atï'ectant aussi bien les dignitaires laïques
qu'ecclésiastiques. — O- z'.7.zizz'>-.i: au sens de propinqui est rare h .

(1) Peut-èlre simplement tiomme de confiance.


SÉJOiRNÉ, RB., 1892, p. 642:
(2) cf. MiCHOX. RB., 1896, pp. 26c! ss. et Cl.-Ga\nf.al.
^Recueil d'arch. or.. II, pp. .52 ss.
(3} Échos d'Orient, 1908, pp. 303 ss. ; cf. RB., 1909, p. 333.
(i] On la rencontre dans / Cor., 12, 28 daprès le Sinaidciis et l'Alejandrinus. donc
au iT*-\' s., et Tischendorf Oclava major, II, p. 53i) la préfère à àvT:/,r,'i!;.

(5) cependant employé déjà ainsi par Artémidore d'Éphèse


Il est (ii* s. ap. J.-C); cf.
Stephani Thésaurus.
REVLE BIBLIQLE 19Kl. — X. S., T. TII. 17
258 REVUE BIBLIQUE.

— 'RT.oir,Giv : cette équivalence de r, ^ z est intéressante à cons-

tater camme infraction à l'usage de plus en plus courant de l'ita-

cisme. Du reste les Syriens ont souvent transcrit ces deux lettres
grecques par les mêmes lettres syriaques / et o, indistinctement;
ils donnaient donc la prononciation é à Yéfa grec. Quant à la dif-
jerence entre omicron oméga, de bonne heure ils ne s'en sont plus
et

souciés, « Les manuscrits antérieurs au x" siècle ont tantôt l'une,


« tantôt l'autre de ces deux voyelles, sans aucune distinction (1). «

Non moins caractéristique du grec aramaïsant de Palestine est la


forme 'Avtwviç pour 'Avtwvioç. —
FaAoYa semble être un nom propre J
du même thème que MaXwya trouvé dans une inscription de SyrieJ
(Wadd., 2608); mais la racine demeure difficile à déterminer (2). A
défaut de tout signe d'abréviation on n'osera guère songer à quelque
déformation du grec y.aAÔY'llpsç) « moine, caloyer ». Gsosi/.sjtaTcr, —
épithète qui accompagne fréquemment les titres d'évêques, de prêtres
et d'économes dans les lois et les inscriptions. Ta woa, inscrit dans

ce pavement, ferait assez songer aux termes poétiques ojoôç et ouoaç


« chemin » et aussi « seuil, sol qu'on foule aux pieds » mais le moyen ;

d'imaginer que le lettré de Bettir, auteur du document, était assez


familier avec les épiques et les tragiques pour leur emprunter, en
les défigurant, d'aussi nobles expressions? La tentation serait forte de
voir là une simple transcription de l'arabe i-^j' « chambre », si l'on
pouvait assigner à la mosaïque une date assez postérieure à l'invasion
arabe pour que la langue des envahisseurs ait pénétré à ce point les
dialectes indigènes. Tout compte fait, le plus simple est sans doute
de prendre l'énigmatique o)5a pour une forme dialectale de wos
« ici ». —
On remarquera l'orthographe compliquée du nom 'Iîu-
a{:zvcç 3). —
ri'-î-r/.ôç. attesté comme nom propre (4), pourrait n'être

qu'un qualificatif. —
'Evcr/.TiÔJvc; est un exemple de plus à ajouter à

ceux qui marquent le peu de différence mise parles Palestiniens entre


les sons i et e (5). »

Le fac-similé de nos copies et un très opportun fragment photo-


graphique (pi, II, 3) montrent après le mot coca un sigle négligé
dans la transcription. Malgré sa similitude apparente avec un I, qui
d'ailleurs n'éclaircirait guère le mot précédent devenu woai, il nous

(1) RubensDovAL, Traité de cjram. syr., p. 73; cf. 46 s., 72.

(2) Peut-être songera-t-on à la racine syriaque ->^s^ « bavarder », ayant abouti à un nom*
propre par quelque longue dérivation.
(3) Cr. Codex Bezae : EitooGo).v[).x.
(4) Cf. J. MoscH, Pré spirituel, ch. 79; PG., LXXXVIls, col. 2936.
(5) Cf. NoELDEKE, Ueber den christl.-paluslin. Dialect; ZDMG., XXII, p. 451, 455.

A
CHRONIQUE. 2d9

a fait sur place l'impression d'un élément de remplissage, précédant


la palmette finale. La haste verticale n'est pas continue : la partie

supérieure, très légèrement évasée dans le haut, est formée de cubes


noirs; la base est au contraire rouge et un gros cube blanc isole avec

netteté les deux parties.


Pour apprécier correctement la rédaction un peu lourde de ce texte
où la grammaire reçoit de si fâcheuses entorses, on ne perdra pas de
vue la nécessité qui s'imposait de le loger en des médaillons symé-
triques et d'une dimension très définie. Quatre noms devaient être
commémorés cet Alypius à la mémoire duquel l'œuvre était consa-
:

crée, le prêtre Georges qui gouvernait probablement en ce temps-là


l'église du lieu, le Julien qui faisait les frais du travail, l'artiste enfin
qui en avait la charge un médaillon a été consacré à chaque men-
:

tion. Une exigence banale d'espace à remplir a fait répéter deux fois
la mention du prêtre Georges et le manque de place au contraire,

dans le médaillon final, a peut-être contraint d'amputer la date de


l'unique donnée qui nous importerait, à savoir l'année, sans laquelle
demeurent infiniment imprécis l'indiction et le mois.
Le monument et sa date. —
Avec les seuls éléments acquis à ce
jour, tout demeure passablement obscur dans la récente trouvaille
de Bettir. On n'ose pourtant espérer qu'une date plus précise puisse
être inscrite en du
quelque médaillon complémentaire dans la suite

pavement couverte encore. Par contre, un développement heureux


de la fouille pourrait éclairer sur la nature de l'édifice. Rien ne
suggère jusqu'ici une église, guère mieux au premier abord une
sépulture, quoique d'autres découvertes soient venues précédenmient
montrer combien peu d'harmonie intrinsèque pouvait exister, aux
bas-temps byzantins, entre les pavements de mosaïque historiés et le
monument qu ils décoraient au hasard de son caprice ou au gré du
:

client, l'ornemaniste pouvait choisir, parmi les poncifs de son réper-


toire, une scène de chasse pour décorer un tombeau ^^l:. un tableau
de vendanges, une allégorie des saisons, une théorie d'animaux pour
orner le sol d'une église -2'. Aussi se gardera-t-on d'écarter radicale-
ment Ihypothèse d'un hypogée familial pour l'Alypius inconnu et
ici

ses proches mentionnés au début du texte. La formule initiale se


concevrait même assez bien dans la perspective religieuse d'inter-
cession pour des morts. A se laisser guider néanmoins par une im-
pression plus générale, on songerait volontiers à quelque pieuse

(1) Cf. ftfi., 1908, pp. 406 ss.


(2) Màdabà en a fourni de nombreux exemples.
260 REVUE BIBLIQUE.

fondation monastique comme la mode en fut toujours si goûtée dans


la Palestine byzantine. Le site était fort propice à une petite installa-
tion de ce genre, comportant quelques cellules exiguës et un oratoire
à Tavenant (l).
A défaut d'indication chronologique positive on est réduit à tenter
une attribution par le style de la mosaïque, un peu aussi par la
paléographie du texte, si délicats que puissent être les indices à
déduire de là. Les analogies g-raphiques indéniables avec des textes
datés, dans la mosaïque de Qabr Iliram ou celles de Mâdabà en parti-
culier, suggèrent déjà que l'inscription de la mosaïque de Bettir n'a
pas été écrite avant la seconde moitié du vi^ siècle et qu'elle poiUTait
sans aucune invraisemblance ne l'avoir été qu'un siècle plus tard. Si
Fhypothèse timidement risquée tout à l'heure d'un arabisme là de-
dans était destinée à prendre corps moyennant l'appui de cas plus
sûrs ou plus clairs, c'est la langue elle-même du texte qui ajouterait
son témoignage à celui des formes graphiques pour impliquer une
date aussi basse que le déclin du vu'' siècle, c'est-à-dire une cinquan-
taine d'années environ après que la conquête arabe est venue modifier
de nouveau le parler indigène et l'imprégner insensiblement d'élé-
ments étrangers. L'analyse archéologique aboutit au même résultat
sur des bases plus fermes sans doute. Ce que la composition savante
et enchevêtrée de ce joli pavement évoque le plus spontanément en
l'esprit, c'est la caractéristique même de l'art arabe telle que la

définissait naguère un maître en l'espèce « Elégance et complexité :

par des involutions géométriques plus ou moins distinctes ou mêlées,


et construites avec symétrie 2i. » Les mosaïstes byzantins de la bonne

époque utilisèrent, certes, déjà avec succès l'entrelac et les figures


géométriques, héritage des plus beaux temps de la mosaïque grecque
et romaine; ne demandaient toutefois à ces ingénieuses et toujours
ils

froides combinaisons qu'un complément de ressources décoratives,


un cadre pour leurs compositions vivantes et animées. A mesure que
l'art allait s'appauvrissant, \e procédé décoratif se faisait plus subtil

comme pour suppléer au défaut d'imagination. Plus on avance dans


le vi'' et le vii° siècle, plus la composition en mosaïque se fige en des

motifs conventionnels sans parvenir à dissimuler le déclin de sa


vitalité sous un développement croissant de l'ornementation acces-
soire. L'envahissement de l'Islam, au milieu du vu" siècle, précipite

(1) Ce que l'installation de Beltîr me rappellerait le, plus est le petit luonument à'Oumm
tr-Rous avec les ruines contiguës de Malekatlia ; cf. RB., 1898, pp. Cil ss. ; 1899. pp. 452 ss.
et Macauster, QS., 1899, pp. 200 ss.
(2 J. BocRGoiN, Les éléments de l'ail arabe; avant-propos, p. 5 (1«79 .
CHRONIQUE. 261

encore cette dégénérescence en supprimant par des préjugés reli-

gieux la représentation animée, ressource fondamentale de la mo-


saïque artistique. Il ne restait dès lors qu'à se rabattre sur les jeux de
lignes et les enchevêtrements de figures tracées à la règle et au com-
pas, ou esquissées d'un tour de main adroit et fantaisiste : ce fut l'art
arabe dans son unique réelle originalité. Et comment ne pas voir que
la mosaïque de Bettir est marquée très nettement déjà de cette em-
preinte, que Tentrelac y a été dessiné avec amour et pour lui-même,
quitte à ne pas s'attacher partout aux médaillons qu'il est censé relier
et qui demeurent par endroits comme en surcharge? A ce panneau il
serait beaucoup plus facile de trouver des analogies, je suppose, dans
les belles planches où M. J. Bourgoin a groupé les innombrables
documents de son Précis de l'art arabe (1) que dans des recueils de
mosaïques de la période justinienne. Et pour qu'on ne s'effare point à
la pensée de faire descendre la mosaïque de Bettir jusque dans le
vin' siècle peut-être; il faut rappeler que la conquête arabe ne fut
nullement pour la Palestine, au moins dans les premiers siècles,
l'anéantissement radical qu'on a trop souvent imaginé. Avec la domi-
nation farouche des Fatimites, au x*" siècle, la dévastation et la mort
devaient en effet régner pour de longs jours sur la contrée. Mais
après les inévitables ravages causés par la vague impétueuse de "la
première invasion, le calme s'était assez vite rétabli pour que la vie,

même religieuse et artistique, pût renaître


et sedévelopper. Plus d'un monument chré-
tien doit être attribué à cette renaissance
momentanée. C'est à elle en tout cas que
je proposerais volontiers aujourd'hui d'at-
tribuer la mosaïque élégante de Bettir.

VARIA. TIMBRES ROMAINS.

M. le baron d'I'stinow vient de faire en-


trer dans sa collection diverses pièces qu'il
a bien voulu, avec son ordinaire obli-
geance, communiquer à la Revue. Un petit
fragment de bas -relief en marbre gris
brisé sur tous les côtés, — haut, actuelle :

0'",-20, — offre le haut d'une croix ornemen-

(l) Paris. 18S9-18'J'2; cf. spécialcinuiil les pl/iO ss., Pavemenls.


262 REVUE BIBLIQUE.

taie qui parait avoir été accostée d'animaux symboliques. On croit

reconnaître, dans le canton supérieur, à droite, une tète de bélier.


Dessus et dessous se lisent deux abréviations arméniennes pour les
mots « Dieu » et « Christ ». Sculpture un peu empâtée et de basse
époque médiévale. La mode semble avoir été fréquente, chez les

Arméniens, de ces petits reliefs à sujets religieux où la croix joue


un rôle prépondérant. On notera la colombe un peu gauche du dis-
que central. Elle rappelle le motif mystique souvent employé, sous
une forme presque identique, par les mosaïstes et les sculpteurs de
stèles funéraires aux temps byzantins.
Voici deux autres fragments de sculpture chrétienne plus ar-
chaïque. L'un, attribué à Siloé, est un disque épais en calcaire doux,
avec une croix grecque fleurie on croirait volontiers à un moule à
;

pains eucharistiques, malgré la forme peu maniable de la pièce, —


diamètre : 0",18, — qui est peut-être un simple fleuron arraché de
quelque décoration architecturale. L'autre, qui proviendrait d"Am-
màn (?), est un débris de cancel en marbre blanc commun, poli au
revers et orné, sur la face, d'un poisson à panache exécuté en
champlevé. Sa détermination dépasse mes notions ichtyologiques ;

mais comment ne lui pas trouver bonne grâce dans le mouvement


capricieux qui lui a été donné pour remplir Fécoinçon d'une dalle
quadrangulaire dont le centre était occupé par quelque large motif
inscrit dans un cercle qui a laissé sa trace sur ce fragment? Pour dé-
tacher mieux le sujet presque sans relief, le fond a été piqué avec une
pointe épaisse, par touches inégales, et le jeu de la lumière sur cette
surface rugueuse contraste plus avantageusement avec les parties
lisses que le croquis n'en a su faire juger.
Un tombeau de mais d'époque ancienne, a fourni un mo-
Siloé,
de connaître intégralement et de voir en
bilier qu'il eût été très utile
place. Parmi les pièces venues en la possession de M. d'Ustinow nous
signalerons V une petite main en os aux doigts crochus qui devait
:

être montée sur une tige métallique et qui a pu faire office de peigne ;

2" une figurine en terre cuite du type usuel de la femme se pressant


les seins, mais les jambes arquées dans une pose dont je n'ai à la mé-
moire aucun autre exemple palestinien et des exemples relativement
nombreux au contraire dans la glyptique orientale (1), sinon de tout à

(1) Où le personnage est quelquefois assez nettement masculin et semble exécuter une
danse orgiastique (cf. Menam, Catalogue... de la collect. De Clercq, t. I, pi. mi, 108;
Mil, 116 s.; XIV, 123, 125; xv, 131 ; xxiu, 231, etc., pour n'en pas emprunter à de plus
récentes publications), à en juger par le mouvement varié des bras. Au lieu d'une danse
on a ici l'impression d'une pose douloureuse (Figurine et main n'ont pas été dessinées).
I

à
CHRONIQUE. 263

VJi^i^

n:

- 'i V

çrand ra^^r
^,'d

Collection de M. le baron d'Uslinow.


•264 REVUE BIBLIQUE.

fait 3" un élégant petit


équivalents dans les représentations plastiques ;

ustensile enmarbre blanc très fin. à patine jaune soyeuse (1). Quel nom
donner à ce bibelot? La forme du creux et les arêtes vives excluent
ridée de support pas un coifretnon plus, car on attendrait la rainure
;

dun couvercle. Par les analogies à recueillir en d'autres mobiliers


funéraires, le plus vraisemblable est qu'il s'agit d'un brùle-parfums
exigu et qui, peut-être purement symbolique, convenait ainsi pour
l'ombre habitant le tombeau. On a l'impression de quelque sépulture
juive d'une orthodoxie assezpeu rigide à l'époque hellénistique.
Un hypogée romain du mont des Oliviers, dans ce terrain dit el-
Heloueh qui a déjà fourni de si nombreuses trouvailles analogues (2 .

contenait entre autres choses une jolie œnochoé en terre émaillée —


haut. : 0'",l-25 (voy. croquis^ — et des tuiles au timbre de la Leg[io
A" Fr(etensis). Deux de ces timbres malheureusement ébréchés valent
d'être présentés pour la nuance graphique dans l'un et le type un
peu particulier de la galère dans l'autre. Celui-ci comprenait proba-
blement aussi le sanglier sous la légende, si je ne suis pas trompé \

par les débris visibles au bord de la cassure 3 .

Il faut insister davantage sur une petite tablette de pierre ornée et


inscrite, dont M. d'I'stinow n'a pu faire préciser la provenance. Il
y
a pourtant lieu de croire à la trouvaille dans la région de Jérusalem.
C'est un timbre militaire romain, si l'on en juge par de multiples \

^ ,mm,,m^h

analogies i et par la valeur la plus commune du sigle initial :

centurio ou centuria. J'avoue n'avoir su résoudre la lecture de cette

j' Carré de 0",08 de côté facile à restaurer (dernier croquis en bas).


,2; Cf. RB.. l'.lOi, pp. 263 SS. : 1908. pp. 122 ss.
(3) Cf. les exemplaires déjà publiés dans ïiB., janv. l9i>o. p. loi et ss.

(4; Cf. par ex. fî^., 19i»2. p. 433 ss.. pour ne fournir qu'une analogie proinptement ac-
cessible.
CHRONIQUE. 26o

estampille d'une façon bien satisfaisante. A première vue le sig'le


emprunté à la milice est suivi d'un nom propre de bonne physiono-
mie Wïeliius (?) (1) s'il s'agit dun centurion, ou quelque dési-
:

gnation spécifique s'il s'agit d'une centurie. Mais que faire de la se-
conde ligne ? Entre le signe très empâté du début qui doit représenter —
assez sûrement un M —
et le groupe CVI de la fin, il y aurait place

pour une lettre et le fac-similé enregistre les linéaments ténus d'un


A. Tn examen réitéré de l'original n'a pu nie faire la conviction que
ces linéaments, en dépit d'une saisissante régularité, n'étaient pas
accidentels comme le trait, de nature identique, prolongeant la haste
de l'I à la ligne supérieure. Eu ce cas, il faudra choisir parmi les

valeurs de l'abréviation M ce qui pourrait être en situation ici et le


groupe final sera considéré comme le nombre 106 2i,
Ce chiffre à la fin en suggérera peut-être un autre au commence-
ment. On lirait alors centuria Fi", en observant que les lettres qui
suivent VI sont d'une gravure sensiblement plus fine. Tout compte
fait, la nuance des caractères est explicable plutôt par une usure iné-
gale de la pierre. Un romaniste professionnel saura sans doute fixer
plus exactement le sens de cette épigraphe.

-Y. B. — En signalant dans le numéro dernier [supra, p. 127 s.) l'élégante correc
tion de M. Kubitschek dans l'inscription romaine de Sébaste, j'aurais dû savoir qu'elle
avait été proposée déjà par le P. L. Jalabert à la séance du 15 septembre de la So-
cictè des Antiquaires. On lira avec fruit son étude du texte dans le Bulletin de la
Société, 1909, pp. -296-300.

Jérusalem, janvier r.iro.

II. Vincent, 0. P.

(1) La forme lunaire du C a la seconde ligne exclut peut-être l'hypothèse un peu osée
d'une lecture rétrograde complétant le nom propre de la 1. 1

'
Plut(M que comme abréviation de Cenlinnvir.
RECENSIONS

I. The Gospels as historical documents, part. II, The synoptic Gospels, by


Vincent Henry Stanton, D.D. In-8°, xii-376. Cambridge, University Press, 1909.
II. Horae synopticae, contributions to the stiidy of the synoptic problera, by tbe
Rev. Sir John C. Hawkins, second édition, revised and suppleniented. In-S° de
xvi-223 pp. Oxford, Clarendon Press, 1909.
I. — Au cours de son étude sur les évangiles comme documents historiques,
M. Stanton a rencontré la question des évangiles synoptiques, ou plutôt la question

de leur composition, dite, par excellence, question synoptique, et il lui a consacré


tout un volume. C'est le meilleur que nous ayons sur ce thème, et s'il ne réalise pas
tout à fait ce qu'un catholique exigerait, il est du moins solidement bâti. Je n'ai point

d'yeux, déclare M. Stanton, pour voir ce que découvre M. Loisy. Et en etïet ses rai-
sonnements qu'on peut contester, mais qui ont une base objective, reposent de ces
inductions dans le vide où Ton poursuit éperdument les intentions de chacun des
évangélistes.
M. Stanton estime que le problème avance vers la solution, et on ne peut plus nier
en effet la solidité de certaines positions critiques, qui n'ont d'ailleurs rien de con-
traire aux affirmations coordonnées de la tradition. La catéchèse orale ne peut expli-
quer les ressemblances entre les trois synoptiques, mais son rôle n'a pas été sans
importance. C'est elle qui a fixé les grandes lignes du recueil des discours de Jésus,
écrit en araméen, parce que les nouveaux chrétiens parlant araméen, c'est-à-dire les
convertis du judaïsme habitant la Palestine, avaient moins besoin qu'on leur racon-
tât la vie de Jésus, qu'ils n'ignoraient pas, que d'être encouragés et dirigés par ses

paroles et ses leçons. C'est elle qui. s'adressant aux Gentils, a du esquisser dans les

grandes lignes l'histoire du Maître, non point pour satisfaire la curiosité, mais pour
prouver qu'il était vraiment Messie et Fils de Dieu. Naturellement, cette catéchèse ne
pouvait aboutir à l'unité si elle n'était qu'un conglomérat de prédications différentes ;

il faut donc supposer deux foyers, saint Matthieu à Jérusalem, saint Pierre à Rome, et

nous voilà au cœur de la tradition. Supposer que s. Marc, héritier de la catéchèse de


Pierre, s'est servi pour son cadre chronologique de l'évangile araméen composé par
saint Matthieu, c'est renoncer à la tradition, très authentique, qui recommande le se-

cond évangile de l'autorité de Pierre. Puisque notre premier évangile ressemble trop
au second pour que les points de contact puissent s'expliquer sans une dépendance
de l'un à l'égard de l'autre —
dépendance dont saint Augustin a reconnu la convenance
théologique, —
on doit conclure que c'est le premier qui, dans son état ajctuel de
texte grec, dépend du second, puisque tant de raisons montrent que Marc a beaucoup
mieux conservé le cachet d'un document primitif. Et cela n'est pas contraire à la

tradition qui attribue à saint Matthieu le premier évangile, puisqu'elle le lui attribue
en une langue sémitique, et qu'elle n'a jamais dit dans quelle mesure le traducteur
avait dû se conformer à l'original.
RECENSIONS. 267

Mais je viens de dépasser la pensée de M. Stanton qui n'est pas aussi préoccupé
que nous le sommes de sauvegarder l'intégrité des évangiles, parce que je voulais

tout d'abord exprimer mon admiration pour une œuvre parfaitement conduite et où
il beaucoup à prendre. Sur saint Marc, par exemple, M. Stanton a des pages excel-
V a

lentes où il montre, contre certains critiques allemands, l'unité et le caractère pri-


mitif du second évangile. A ceux qui ont prétendu distinguer et réduire ce qui émane
de Pierre, parce que certains faits seulement sont dans le rayon personnel de l'a-
pôtre 1), il objecte avec humour que Pierre ne racontait pas en vieux soldat re-
mémorant ses propres aventures, mais en apôtre qui prêchait Jésus. Le but de IMarc
est de mettre en relief Faction de Jésus. Christ et Fils de Dieu. Or, dit très bien
M. Stanton : « Si la prédication des premiers disciples de Jésus n*a pas eu en substance
ce caractère, toute l'histoire des origines du christianisme est inintelligible » (p. 184).
Quoique l'auteur se soit abstenu, au point où il en est de son ouvrage, de tirer des
conclusions sur la valeur historique de Marc, on serait bien étonné, après ttDut ce
qu"il dit de sa manière d'écrire, qu'il ne le considérât pas comme un témoin très
grave des faits.

Le mérite de l'ouvrage ne consiste pas seulement dans l'exposé très séduisant des
vraisemblances sur la composition des évangiles synoptiques ; des tableaux et des notes
additionnelles précisent les faits et forment en réalité la base des raisonnements.
Je dois signaler cependant plusieurs argumentations qui ne me paraissent pas con-
vaincantes. Je choisis un exemple à propos de chacun des évangélistes. M. Stanton
admet que notre second évangile est bien tel en substance que l'a composé IMarc,
disciple de Pierre, avant l'an 70. Mais, s'il rejette l'hypothèse d'un Marc fait de pièces
et de morceaux, il admet d'abord la possibilité de quelques retouches, et même l'in-
sertion de plusieurs morceaux assez considérables. Le premier point ne peut faire de
difficulté pour personne, puisque la critique textuelle est impuissante à nous rendre
le texte de Marc tel quil est sorti de sa plume. Encore est-il que les exemples choisis
par M. Stanton me paraissent plutôt mal choisis. Marc n'aurait pas dit -o t\>xyyéX'.o'i

d'une façon absolue, ni parlé de l'onction des malades (vi, 13), ni renvoyé au lende-
main l'expulsion des vendeurs du temple, etc. Je crains bien que dans tous ces cas,
M. Stanton n'ait cédé trop vite à une impression subjective. Quel critique admettra
que i-t AÇ'.âOap iy/iioiwi Cil, 26; a été ajouté par un copiste mal informé? N'est-il pas
beaucoup plus vraisemblable que Luc et Matthieu ont omis cette mention qui gêne
encore les exégètes?
Mais il est encore plus grave de supposer que Luc, en suivant Marc, aurait omis
quelques épisodes parce qu'il ne les lisait pas dans le Marc primitif qu'il avait sous
les yeux. Sans doute, avec ce Proto-Marc imaginaire, on ne peut plus objecter quoi
que ce soit dépendance de Luc à l'égard de Marc. Mais M. Stanton refuse
contre la

de se porter Dans la très grande majorité des cas, il explique très


à ces extrémités.

bien le silence de Luc. Il reste un certain nombre de passages, tirés surtout de la


série omise par le troisième évaugéliste, vi, 4.5-o3 ila traversée du lac; vu, 1-23

(^dispute avec les pharisiens) : viir, 1-10 (la deuxième multiplication des pains) et
VIII, 14 et 16-21 (annexe de la deuxième multiplication La raison pour attribuer
i.

ces passages à un réviseur de Marc, c'est, outre leur absence dans Luc, une certaine
difficulté dans le contexte; il y aurait donc deux motifs au lieu d'un seul de suspecter

l'authenticité de ces passages. Mais quelques inégalités de style sont-elles une difû-

1; Yon Soden, regardant 1, ii-4, 3» comme plus pétrinien que 4, 33-5, 43: cf. le système de
J. NVeiss.
268 REVUE BIllLIQL'E.

culte pour un auteur comme Marc ? Et quant au silence de Luc, on peut dire que,
précisément dans ces cas, il n'est pas une raison de penser qu'il ne lisait pas ces
épisodes, parce qu'on croit deviner sans trop de peine les raisons qu'il avait de les
omettre. Ayant déjà une multiplication des pains, une tempête apaisée, peu soucieux
des questions de purification légale (cf. R.B., 1896, p. 22), Luc avait plus de raisons
de passer ces épisodes que celui de l'aveugle de Bethsaida (viii, 22-26), dont
M. Stanton admet l'authenticité dans Marc. Contre vu, 1-23, M. Stanton objecte que
les Pharisiens ne devaient passe trouver à Bethsaida mais aussi n'est-ce pas à l'orient ;

du lac que Marc les fait intervenir. Quand on voit ensuite M. Stanton enlever à Marc
le figuier desséché, qui aurait été inséré par un éditeur en deux endroits (xi, 11''-14
et 19-25), on se dit qu'il a vraiment oublié son critérium. L'épisode du figuier, coupé
en deux comme il l'est dans Marc, avec un jour d'intervalle entre la malédiction et
la constatation de son effet, avec l'intervention spéciale de Pierre, et la naïveté de la
réflexion, omise par Matthieu, « que ce n'était pas le temps des figues ». cet épisode
sans artifice offre tous les caractères d'un texte de Marc, résumé par Matthieu selon
le procède ordinaire. M. Stanton, pourquoi ne pas le dire? a cédé ici à un préjugé

auquel il ne reconnaît pas droit de cité en critique. La traversée du lac par Jésus
marchant sur les eaux et le figuier desséché sont deux miracles « qui ne sont pas
comme les autres », qui ne lui plaisent pas beaucoup, et c'est pour cela qu'il les exclut

du texte de Marc qu'il estime très fort. Est-ce une raison?


Passons au recueil de discours que j'appelle pour mon compte l'évangile araméeu
de saint Matthieu. M. Stanton en détermme le contenu d'après des règles fort sages,

et il est encore plus sage de ne pas essayer, comme M. Harnack, d'en reconstituer
le texte précis. Mais il tient beaucoup
peu prèsà ceun que ce contenu soit — à —
contenu maximum. Or que ce ne peut être qu'un contenu minimum.
il est assez clair

'Si nous tentions de retrouver Marc d'après Luc et Matthieu, nous aboutirions à un
Marc trop court. >'en est-il pas de même du recueil des discours? Ne peut-on sup
poser que certains passages où Matthieu est seul en faisaient partie ?

De plus M. Stanton estime que Luc nous est plus utile que Matthieu pour retrouver
la suite des discours. Et cependant il reconnaît que Matthieu en a mieux conservé le
texte. Pourquoi donc Luc qui se comporte plus librement à l'égard des mots, aurait-
il été plus respectueux de l'ordre, lui qui déclare vouloir s'appliquer à raconter avec
ordre (prologue), selon ses propres informations? — C'est, dit M. Stanton, qu'il a
fait comme deux sections des discours, montrant ainsi sou parti pi-is de ne pas s'é-
carter de leur ordre. — Mais je conclurais tout aussi bien le contraire. Si Luc n'a
troublé que le moins possible l'ordre de Marc, de façon à se contenter de deux grandes
insertions dans lesquelles il répartit les discours, c'est donc Marc dont il a voulu
surtout ménager l'ordre. Sur ce point on préfère l'opinion de M. Harnack (T, eu
ajoutant une raison qui n'a d'ailleurs pas touché le critique de Berlin, c'est que le

recueil des discours se rapprochera ainsi davantage du premier évangile que la tra-

dition regardait comme la traduction de l'évangile araméeu.


Quant aux sources propres à Luc, M. Stanton montre très bien que les deux pre-
miers chapitres contenaient déjà la conception miraculeuse, qui en est le centre. Il

me paraît moins heureux lorsqu'il entreprend de prouver que Luc a eu pour source
le recueil des discours augmenté de presque tout ce qu'il a en propre, par exemple
les paraboles. C'est un point qu'on ne peut regarder comme élucidé.
Si j'ai tenu à faire certaines réserves sur cet excellent ouvrage, c'est afin de pou-

1, aprûchc..., p. \-2~t.
RECENSIONS. 269

voir le recommander plus sûrement. L'exécution matérielle du livre est digne de


Cambridge.

II. —
La première édition des Uorae synoplicae date de 1899. I/ouvr.ige n"a pas
vieilli la bonne raison qu'il contenait très peu. presque point de théories, mais
pour
un grand nombre de faits, soigneusement groupés, qui serviront toujours de ba.^e à
la solution des problèmes. La seconde édition contient une quarantaine de pages de

plus, mais toujours dans la ligne des faits. On peut signaler un nouvel appendice de

listes subsidiaires des caractéristiques de saint Luc. et une note additionnelle à la

III' partie. Loin d'ajouter de nouvelles théories, l'auteur paraît plus préoccupé d'at-
ténuer ce que certaines conclusions avaient de trop absolu. Il ne dit plus les Logia,
mais la source Q (Quelle .,
et ne regarde plus comme aussi particulier à Marc l'emploi
du présent historique (à cause de la traduction grecque de I Regnorum], ni aussi par-
Luc l'emploi des verbes composés (à cause de Marc). Certaines considéra-
ticulier à
tions trop subtiles sur le rapport des caractéristiques de Luc et de Matthieu avec la

source Q n'ont pas été reproduites, et l'auteur ne veut pas dire si c'est Luc ou
Matthieu qui la suit de plus près. Pourtant il dit très nettement — comme M. Stanton
— que Marc n'a pas utilisé cette source, et il maintient pour Luc et Matthieu l'em-
ploi de Marc et du document Q d .

L'admirable patience anglaise a beaucoup pour l'étude de la question svnop-


fait

tique. et voici que M. Hawkins nous annonce un volume de Stiidie^ In the Synoptic
Prohieiii. Venant du R.ev. D'' Sanday, il sera certes le bienvenu.

.Jérusalem.
Fr. M.-J. Lagrange.

La valeur historique du quatrième évangile, par M. Li::ï>in. professeur au


grand séminaire de Lyon. Première partie. Les récits et les /l«//.s. in-12 de xi-G48 pp.
Deuxième partie. Les discours et les idées, 42(j pp. Paris, Letouzey et Ané, 1910.
Le nouvel ouvrage de M. Lepin est tout entier dirigé contre Le quatrième évangile
de M. Loisy. Il est donc particulièrement difficile d'en rendre compte, car ce
compte rendu devrait comprendre pour ainsi dire l'analyse des deux svstèmes. Or
on sait combien il est difficile de saisir la pensée de ^I. Loisy. La merveilleuse
souplesse de son talent l'empêche de s'attacher à une thèse précise et nette. A
peine a-t-il esquissé un trait, qu'il prévoit l'objection et y répond d'avance par un
second trait qui atténue l'effet du premier. Et rarement cet art des nuances s'est
déployé avec plus d'aisance que dans le commentaire de S. Jean. Vous crovez com-
prendre que Jean, ou plutôt l'auteur inconnu du quatrième évangile, a composé un
ouvrage allégorique, pour représenter sous forme de faits et de discours sa foi en le

Christ, vie, lumière et résurrection. Dès on sera autorisé à croire avec Renan
lors
que l'allégoriste a eu soin d'attirer l'attention sur les symboles qu'il propose. Point,
car cet allégoriste n'est pas un allégoriste à froid. « On dirait que la construction
allégorique a jailli spontanément par une puissante inspiration (2 ». Et on nous
parle d' « intuitions rapides, vives et profondes », d" éclosion de pensées, de scènes,
de visions symboliques » (3). Alors, dira-t-on, d'oii viennent ces détails précis, ces
circonstances de temps et de lieux ajoutées aux récits des synoptiques? Sont-ce des
souvenirs personnels, comme le prétend la tradition, ou l'auteur essayait-il d'en ira-

(1) De sorte que je ne sais du tout expliquer la ligne 16 de la page 217. à moins qu'il ne laille
lire First au lieu de Second.
(i) Loisv, op. laiid., p. 659.
3. Eod. loc.
270 REVUE BIBLIQUE.

poser? Le dilemme est assez seiTé, mais il était prévu. Ce n'est ni l'un ni l'autre.
Cette éelosion mystique de tableaux réclame « un travail secondaire de réflexion
qui s'y introduit et y complète l'équilibre nécessaire à toute œuvre de l'esprit pour
s'imposer à l'attention du public (1) ».
Mais enfin, puisque l'auteur était un peu plus de sang-froid en rédigeant et en
introduisant ces détails, y croyait-il ou n'y croyait-il pas? — Ces façons brutales de
poser les questions s'adressent mal, dira d'avance M. Loisy : « 11 est permis d'aller
plus loin encore et de se représenter leur auteur comme à demi, sinon tout à fait,

inconscient de la distance qui sépare les faits imaginés par lui des faits racontés par
ses devanciers... L'impossibilité d'interpréter les récits johanniques comme des allé-

gories pures vient justement de ce que l'auteur lui-même ne les a pas construits
allégoriqueraent par un procédé rationel et mécanique, mais les a perçus d'abord et
décrits comme des faits symboliques ('2) ».

On le voit,M. Loisy compose la figure de son auteur de telle sorte qu'il est inutile

de lui appliquer ou d'exiger de lui les procédés ordinaires. Tous les raisonnements
sont impuissants à saisir ce Protée. Le plus simple serait peut-être de lui demander
s'il a réellement existé. M. Loisy reconnaît « la singularité de l'œuvre, unique
exemple d'un genre inconnu dans les littératures classiques (3) » — il pourrait dire,
dans toutes les littératures. A tout le moins a-t-on le droit d'exiger qu'il fournisse des
preuves très solides de cette psychologie et de cette littérature d'exception.
Ce sont ces preuves que M. Lepin a résolu d'examiner de très près. La méthode
consiste à rechercher, à la suite de M. Loisy, soit dans les récits, soit dans les dis-
cours, des traces de symbolisme et d'allégorie. Si les allégories proposées ne rendent
pas compte des textes, on reconnaîtra que le quatrième évangile n'a pas le caractère
qu'on lui suppose, mais plutôt que « l'intention principale de l'auteur est, non pas
symbolique ou proprement dogmatique, mais bien apologétique » (I, 033).
Spécialement, pour ce qui regarde les faits, M. Lepin se place tout d'abord sur
le terrain des miracles reliés à des sentences symboliques. Si le symbolisme est facile

à déterminer, c'est bien lî, puisque les faits sont censés la représentation des pensées
qui les accompagnent. On commence par les récits de la multiplication des pains et
de la marche sur les eaux, oiî Jean se rencontre avec les synoptiques. Le champ
d'observation est parfaitement choisi {4) ; Jean a quelques traits qui lui sont particu-
liers. S'il est le symboliste déterminé qu'on dit, il aura ajouté ces traits pour com-
pléter le symbolisme. M. Lepin les passe en revue-, rien ne lui paraît significatif
dans ce sens Ce premier examen nous donne déjà une vue de la manière de l'au-
(-3).

teur et permet à iM. Lepin de serrer son dilemme (6) ou Jean a introduit ces dé- :

tails pour donner plus de relief à son récit par une apparence d'information, ou il a

retenu, comme témoin oculaire, des circonstances précises.


M. Lepin examine ensuite la guérison de l'aveugle-né et la résurrection de Lazare,
puis des miracles qui n'ont pas de liaison avec des sentences allégoriques, le miracle
de Cana, la guérison du fils de l'officier royal, la guérison du paralytique de Be-

(^) Loc. laud., p. 639.


(2) Loc. laud., p. 660.
(3) Op. laud., p. 76.
(i) C'est d'ailleurs ce qu'avait compris et appliqué M?' Batiffol dans son bel article de RD.A003,
p. 497 à 528. spécialement à partir de la page 512.
reviendra p. 167.
(o) Il
(6) Pour la multiplication des pains. M^' Batilîol avait vu une trace de symbolisme dans
l'in-

terrogation de Jésus à Philippe, lil léger qui relie les laits au discours qui les suit {loc. laud.,
p. Mo).
RECENSIONS. 271

thesda. Viennent ensuite les autres épisodes, cette fois dans Tordre des faits, depuis
les témoignages du Baptiste jusqu'à la résurrection.
Nul doute pour le recenseur que. dans l'ensemble, la réfutation de M. Lepin ne
soit parfaitement solide. Il a réussi, selon moi. à dissiper le mirage. Le mirage, dans

ce cas, c'étaient les grands traits qui dessinaient dans une gloire le Christ de la foi,

sorte de projection surnaturelle du Christ synoptique, sans lien propre avec l'histoire.

On avait soin de nous dire que, lui aussi, le Christ johannique, avait sa vérité propre,
et une certaine onction mystique ne faisait pas défaut. Le mirage du désert disparaît
ordinairement quand on s'approche. Le lecteur de l'introduction de M. Loisy était
soumis à une rude épreuve quand il lui fallait suivre les explications infiniment sub-
tiles de la pensée de Jean. Toute cette allégorie est si visiblement subjective ! Toute-
fois y avait bien peu de lecteurs qui vérifiassent si vraiment le Christ des synopti-
il

ques est si diDFérent du Christ johannique. M. Lepin aime à voir les choses de près.
Il a prouvé clairement qu'on avait très souvent exagéré les différences. On se plaît

à représenter le Christ de Jean comme impassible, et, quand il pleure et prie, on


l'accuse de jouer la comédie!
Le caprice des allégories est pris sur le fait, non sans des trouvailles assez amu-
santes. Jésus vient de Pérée en Judée. Là-dessus M. Loisy commente « La Judée, :

où doit s'accomplir l'œuvre de salut figurée par la résurrection de Lazare, s'oppose


à la Pérée, le pays d'au delà, figure du séjour céleste d'où vient le Fils de Dieu et

où il se retirera quand sa manifestation terrestre sera terminée d) ». A merveille,


note M. Lepin, mais tout à l'heure Jésus traversait dans le même sens le lac de Ti-
bériade : « Le miracle deeaux se trouvait tout à point pour mon-
la marche sur les
trer, dans ce retour de Jésus à son pays terrestre, le symbole de la rentrée du Fils

de l'homme dans sa gloire éternelle, et des conditions de son immortalité (2; ». Cela
s'appelle proprement faire son chemin par tous les vents, et cette Pérée » le pays
d'au delà » a une jolie saveur de xx^ siècle.
Il fallait avoir la patience de tout peser, de tout vérifier, de dissiper au besoin
même des allégories fort édifiantes. M. Lepin a eu le courage de le faire, et il l'a

bien fait. Trois points paraissent parfaitement établis. En présence des textes, il est
impossible de maintenir cette image flottante du visionnaire qui cependant se préoc-
cupe de « la construction régulière de son allégorie (3; » et même prend souci de la
« couleur locale (4^ ».

Il faut choisir entre des souvenirs objectifs ou des traits inventés.

Or la seconde hypothèse se concilie mal avec le but de l'auteur. M. Lepin a rai-

son de reconnaître dans les faits qu'il raconte des « signes » destinés à prouver la
divinité de Jésus, et M. Loisy ne peut refuser d'admettre cette intention apologé-
tique. Des signes inventés ne font rien ressortir du tout; l'apologie tournerait vite
à la mystification.
Enfin les traits du Christ johannique sont déjà ceux du Christ des synoptiques,
dont M. Loisy a singulièrement méconnu la grandeur.
On voit que si la thèse a tout d'abord une apparence négative, elle n'en aboutit
pas moins à des résultats positifs du tout premier ordre.
Cependant il demeure qu'un ouvrage qui est avant tout une réfutation ne peut

(1) Loisy, p. 63".


(2 Loisy, p. 43".
(3) Loisy, p. 685.
(4,1 Loisy, p. 8o.
272 REVUE BIBLIQUE.

faire directemeut la lumière sur tous les points, et M. Lepin voudra bien me permettre
de soumettre quelques difficultés.
lui

Tout d'abord il semble qu'il y a quelque inconvénient à combattre des conjectures


plus ou moins vraisemblables par des vraisemblances plus ou moins conjecturales.
Si Jean avait voulu faire du symbolisme, insinue assez souvent M. Lepin, il aurait
dû procéder de telle ou telle manière. De sorte que quand M. Loisy explique com-
ment Jean, d'après son plan, a dû omettre tel fait des synoptiques, M. Lepin prouve
aussitôt que ce même plan eût exigé la mention de ce fait, etc., etc. M. Lepin écrit

par exemple : « zVurait-il d'ailleurs songé à dessiner un type représentatif du geni e


humain en traits si nettement individuels » (p. 82). Quien sabe? diraient les Esp;i

«nols. " L'auteur ne précise pas là où un romancier aurait le plus sûrement précisé

(p. 160). Quel romancier? Qu'en savons-nous, qu'en savons-nous.? dirait M Loisy. -

Les synoptiques ont appliqué au Baptiste un oracle prophétique. Jean le met dans
la bouche du Baptiste lui-même. Assurément ou pourrait voir là un procédé de com-

position très légitime.M. Lepin nous apprend autre chose « Au contraire, la rela- :

tion de l'oracle au Baptiste ne secomprend bien de la part des trois premiers évan-
giles, que par une tradition inspirée de l'exemple même du Précurseur » (p. 26.)i.
— Vraiment?
De sorte que, si M. Lepin nous prouve bien que M. Loisy n'est pas aussi bien in-
formé qu'il paraît le croire des intentions de Jean, on est tenté de conclure qu'en
effet il n'est pas si facile de les pénétrer, — et cela à en juger par les raisons de con-

venances alléguées par M. Lepin lui-même. En d'autres termes, il serait prudent de


ne pas opposer trop souvent des raisons subjectives à des raisons subjectives (1).
Une autre difficulté contre la manière de M. Lepin est qu'il n'admet guère qu'une
fois (2) que Jean ait opéré des transpositions chronologiques. Qu'on maintienne sa
qualité de témoin oculaire, j'en tombe d'accord. Mais il avait, on le concède, un but
apologétique. Ce but n"a-t-il pu l'amener à des transpositions, lui, aussi bien que les
synoptiques? M. Lepin ne professe point un critérium trop étroit à propos de l'inspi-
ration. Il écrit de saint Luc « Le troisième évangéliste est assez accoutumé à pré-
:

senter sur un même plan des faits qui, en réalité, se sont trouvés séparés par des
événements considérables et un long temps » (p. 593). Cela est qualifié « un tel dé
faut de perspective au point de vue du temps ». Il n'est point de ces conservateurs
trop stricts qui admettent que Jésus a chassé deux fois les vendeurs du Temple (3).
Donc il est assez à l'aise, d'après ses propres principes. INIais en fait il paraît si dominé
par l'idée que Jean est proprement un historien, qu'il lui donne toujours raison
en cas de conflit chronologique avec les synoptiques. Il refuse d'admettre que la
confession messianique d'André dès le premier jour ait été éclairée par la conviction
future de l'apôtre il place tout au début le nom de Pierre donné à Simon et aussi
;

l'expulsion des vendeurs du Temple. Il est permis de penser que dans ces cas il n'est

pas assez tenu compte des synoptiques.


D'autres remarques seront mieux placées quand nous aurons parlé des discours de
saint Jean.
Ici encore nous sommes plus d'accord avec M. Lepin sur les principes que sur
l'appréciation des faits. Arrivé au terme de son œuvre, voici ce qu'il déclare : « Bien

(1) Autre exemple. Le Baptiste


ne parle pas de la voix du Père au Baptême: « Lue sem])lable
omission paraît inconcevable chez un écrivain qui exploiterait la tradition antérieure en vue de
faire valoir sa théologie ,1, '21)1 Mais M. Lepin suppose avec raison que Jean supplée les synop-
.

tiques: on ne peut l'obliger à les transcrire.


,-2) Ce cas sera indiqué
plus loin.
(3) P. 382, n°4.
RECE>'SIOXS. 273

'plus, Ton peut parfaitement penser qu'en relatant les entretiens du Christ, l'eerivaiu
lenr a plus d'uae fois fait subir une sorte de transposition ou d'interprétation, en

exprimant la pensée du Maître sons une forme qui se ressentait de Texperience


acquise et accusait le travail accompli dans ses pensées par l'effet de ses longues
méditations « ;p. 401 '.

I
Cette formule me donne pour ma part une entière satisfaction. Je ne demande rien

de plus.
Lorsque M. Lepin ajoute M^is nous sommes ici dans le simple domaine du pro-
: <i

bable. Il semble impossible de déterminer dans le détail avec quelque as>uranee ce


qui appartiendrait à l'évaugeliste, par conséquent de préciser dans quelle me.-ure il a
pu marquer de son empreinte et modiûer la pensée originale du Maître » (p. 401),
il ne fait que rejoindre M-' Batiffol qui avait déjà constaté cette impossibilité (1)!

Seulement ce n'est évidemment pas cette opinion qu'embrasse en fait M. L*^pin,


qui paraît constamment très soucieux de réduire le plus possible Tactivite person-
nelle de Jean. Et cependant, en bonne logique, c'est bit-n là qu'il faudrait en vt^nir

quand on a reconnu avec M. Lepin le caractère adventice de deux morceaux impor-


tants. Dans le premier volume, cela n'allait pas sans peine. A propos de 3, 31-36.
;on dit encore qu'il n'y a pas « une difficulté absolue contre l'historicité du discours
prêté au Baptiste » [1. 313". >"otez que ce discours est prêté au Baptiste! Cependant :

(( peut-être lerapport constaté avec l'enseiu'nemeut attribuéau Sauveur etavec la doc-


'
mieux, si l'on met la fin de notre discours sur
trine propre à l'évangéliste s'explique-l-il
compte du rédacteur. Ce serait comme un complément... une sorte de médituion
le

théologique ou mystique »... (I, 314). Dans le tome II, la concession paraît défini-
tive, en y joignant 2. 16-21 « Dans certains cas, il semble que l'évangéliste a en-
:

;richi un discours authentique d'un corn nentaire personnel; c'est le cas du dise )urs

final de Jean-Baptiste 3, 31-36, et du di-cours de Jésus à Mcodème. 2. 16-21...

.Cela s'explique par un procédé un peu semblable l'auteur ne prenJ pas la p-iue :

d'observer qu'il ajoute cela de son fond il doane tout d'un seul trait, comme si ses;
I

1réflexions propres étaient le prolongement naturel du souvenir rapporté » (p. 102,

I
note 1). X'est-ce pas assez clair? Voilà deux cas où l'on distinsue par le seul effort
de la critique interne. Donc. Jean, sans avertir, ajoute sa pensée à celle de celui
qu'il fait parler. Qui peut nous garantir que le même phénomène ne s'est pas pro-
duit dans d'autres cas où il n'est pas si aisé de distinguer.^ En tout cas nous saisis-
sons sur le vif le fait d'une addition.
Que la seconde addition par exemple soit dans le tlième de la doctrine du Sau-

j
veur, on ne le nie pas, et il en serait de même, à plus forte raison, s'il était impos-
j sible de discerner la part de Jean. Nous aurons donc bien vraiment et proprement
i des discours du Seigneur ;2 , mais nous serons moins préoccupés de mettre chaque
1 terme en harmonie aussi parfaite que possible avec les circonstances et avec les
'
termes des synoptiques.
Ce que M. Lepin paraît redouter surtout dans les remaniements dont il constate
l'existence, ce sont les additions. Et il a bien raison s'il s'agit d'additions à la pen>ée
'

et à la doctrine du Maître. Jean a du plus soigneusement se tenir en garde contre


l'inconvénient de prêter au Sauveur des pensées qui lui auraient été étrangères.

I, .\rticle cité p. ."jlS. Puisque M. Lepin a constaté mon adliésion aux. expressions de
RB.. 1903,
.M" Batitïoi, il pu aussi citer le jugement du R. P. de Graadmaison sur l'ouvrage du P. Cal-
aurait
mes, <le tous les ouvrages en français « celui qui concilie le mieux les données certaines de la
'
théologie avec les justes exigences de la critique » [RB., 1904, p. 439;.
I
(2) cr. la décision de la Commission biblique.

j
KEVLE BIBLIQLE 1910. N. S., T. VII. — 18
274 REVUE BIBLIQUE.

Mais il faudrait reconnaître que certaines omissions altèrent plus gravement une
pensée que certaines additions.
Les principes de M. Lepin sont excellents : « l'on sait que l'inspiration divine ne
modifie généralement pas, chez l'écrivain sacré, les conditions ordinaires de sa mé-
moire ni de ses autres facultés de connaissance » II, 401). Or quelle est la mémoire
qui ne pèche que par oubli? n'est-il pas d'expérience journalière, hélas! que la mé-
moire, d'accord si l'on veut avec l'imagination, ajoute et transforme presque autant
qu'elle omet? Ce qu'il faut maintenir ici, c'est donc une fidélité substantielle. Si la

transformation ne l'atteint pas, peu importe que ce soit par addition ou par diminu-
tion qu'elle opère.
Or nous venons de dire que, d'après M. Lepin, les divergences entre les évangé-
uniquement de leurs omissions il n'y a qu'à les compléter pour les
lisles résultent ;

mettre d"accord. A propos du reniement de saint Pierre, les récits « reproduisent


des souvenirs concordants dans l'ensemble, mais assez divergents dans les détails :

aucun n'a la prétention de représenter la réalité intégrale ils ne s'excluent pas, ;

mais doivent se compléter et se préciser les uns les autres » (I, 495). Ne dirait-on
pas d'un jeu dont il suffit de rapprocher les morceaux pour que toutes les lignes s'a-
justent?
Le plus étonnant est que M. Lepin se contente de ces données pour admettre une
certaine identité entre la confession de saint Pierre à Césarée de Philippe et l'épilogue
du discours sur le pain de vie (60-71) « Lon conçoit fort bien que la suite de la
:

réponse : « Et nous croyons et nous savons que tu es le saint de Dieu » , avec la ré-

flexion finale du Sauveur, puisse appartenir à l'incident de Césarée, et que l'union de


ces derniers traits aux simplement logique » (o. 40). Cette fois
détails antérieurs soit

la transposition est donc aucompte de Jean et pour des raisons logiques. Vous croi-
riez M. Lepinsur la voie d'un concordismeplus large. Il n'en est rien » De la même :

scène, beaucoup plus accidentée que ne le font supposer nos comptes rendus, la tra-
dition des premiers évangélistes et le quatrième évangéliste lui-même auront fait
valoir, selon leur point de vue, quelques traits, à la fois variés et ressemblants »

(p. 41).
C'est donc toujours l'harmonisation par l'addition des traits. Combien de
fois

Pierre a-t-il renié Jésus? demandait Cajetan. Sept fois! L'addition est juste; il a été
femmes et quatre fois par des hommes (1
interpellé trois fois par des .

Mais voici qui n'est guère moins grave au point de vue exégétique et même dog-
matique. M. Lepin, craignant qu'on n'abuse de la sublimité de saint Jean et de son
mysticisme pour attaquer son historicité » est tenté d'atténuer plus que de raison
i ,

ce sublime mysticisme.
L'opinion de beaucoup la plus commune, disons la plus conforme au texte, explique
la parole du Baptiste ot-. nowTo; aoj f.v (1, 30) comme la Vulgate : qnia prior me emt,
dans le sens de la préexistence de Jésus. M. Lepin préfère « parce qu'il était mon :

supérieur » (p. 283); mais le P. Knabenbauer remarquait déjà que dans ce cas il eut
fallu dire « est » et non « était ». On est surpris d'entendre dire que, en com-
garantir
paraison de saint Paul, «l'infériorité de son symbolisme (de Jean paraît bien en i

l'authenticité ». On sait que le principal argument des symbolistes c'est que


dans
perspective eschatologique de l'avènement du royaume est remplacée par
saint Jean la
la présence intérieure de Jésus parmi les siens. M. Lepin établit d'une
façon irréfu-

table que Jean na pas pour autant perdu de vue l'eschatologie définitive. Mais,

(1) J'ai déjà cité cet exemple topique. RB., 1896; p. 512.
RECELNSIONS. 275

entraîné parla réfutation, il a le tort de détourner certains textes de leur sens


nature], tel qu'il était compris par l'opinion commune des auteurs catholiques. A
tout moins convenait-il de dire qu'on s'écartait de cette exégèse très autorisée
le

en même temps que de M. Loisy. C'est le cas pour le sens de Jo. 14, 18-23. Quand
M. Loisy entend le v. 20 de la présence de Jésus parmi les siens « sans exclure la
manifestation linale de il s'exprime comme le R. P. Rnaben-
la parousie » ip. 754 ,

bauer (p. 437j qui admirait dans ce verset


mystère de l'unité ecclésiastique et une le

connaissance de Jésus qui sera naturellement beaucoup plus parfaite dans la vie
bienheureuse. A cela M. Lepin répond tout net « Il faut simplement renverser la :

proposition - (II, 2S7, n. ôi. Et le cas est tout à fait le même pourchapitre 17.
le
Knabenbauer aus:?i bien que Loisy avaient expliqué les vv. 2223 de l'union
et

présente, la transition à la vie future se faisant au v. 24. >'e pouvait-on mentionner


que pour une fois M. Loisy se trouvait en très bonne compagnie?
Le mysticisme de saint Jean se concilie très bien avec sa qualité de témoin sincère et
véridique, et il serait bien fâcheux d'en sacrifler la moindre parcelle par un souci
exagéré de son historicité 1 .

Enfin — sans raisonnement, plus ou moins rigmireux — quand


insister sur tel out cl

on parle de saint Jean, il faut tenir compte de l'impression qui se dégage de son livre.
de cet élément spirituel dont parlait déjà Clément d'Alexandrie, qui le distinaue,
quoi qu'on fasse, des trois évangiles synoptiques. M. Lepin pourra prouver correc-
tement que l'attitude du Christ johannique, dans la prière qui suit l'épisode de»
Hellènes (12. 27 ss. . ne contredit point celle qu'il tient dans la scène synoptique

de Gethsémani ,
qu'au contraire s'harmoniserait exactement avec elle »
elle I.

p. 464); le lecteur qui lira et méditera les deux scènes n'éprouvera pas les mêmes

sentiments, et il ne viendra en idée à personne de nommer la prière johannique une


Agonie. C'est cet élément impondérable dont M. Lepin de- il faut tenir compte.
mande Peut-on dire que cette humanité du Christ johannique. si nettement
enfin : a

accusée, se trouve néanmoins auréolt'e et transformée sous le reflet de la gloire du


Verbe, de telle sorte que, malgré tout, elle tranche sur la façon dont les Synoptiques
représentent leSauveur? » dl, 342;, et, quoique la réponse précise ne soit donnée
nulle part, il semble bien qu'elle est négative 2 .

Eh bien, qu'on laisse de côté si l'on veut la transformation sur laquelle on pour-
rait discuter, mais, de grâce, qu'on laisse l'auréole! Elle
brille certes autour du
front du Christ synoptique, mais d'un éclat incomparable dans l'évangile de saint
Jean (3 .

ne nous reste plus qu'à signaler quelques points de critique qui ne touchent pas
Il

au cenire même de la question johannine. Les principes sont toujours assez larges.
A propos de la péricope de la femme adultère. M. Lepin distingue très bien la cano-
nicité, tranchée pour tous les catholiques par le concile de Trente, et l'authenticité
johannique, question qui « se pose donc tout entière sur le terrain delà critique et de
l'exégèse » (il, 66, note 4 . Il conclut cependant que « tout semble donc) garantir que

(1) On peut s'étonner que M. Lepin abandonne si facilement le point capital qui démontre le
caractère historique de saint Jean, c'est-à-dire la mort de Jésus le li nisan. Il préfère interpréter
ses textes si clairs dans le sens des synoptitiues. Et cependant les synoptiques s'accordent avec
saint Jean pour ne pas faire du jour de la passion un jour férié.
« Il n'a point la préoccupation de glorilier plus que ses prédécesseurs l'Iinmanité
-2)
du Verbe
incarne • (II, 366).
Faut-il rappeler le texte si connu de saint
(3) Augustin que l'Église lit au jour octaval de saint
Jean : Nam
ceteri tresTlvangelislae, tanquam cum homine Domino
terra ambitlantes. de in
divinitate eiiis pauco. dixerunt. Istuni av.tem quasi pigv.erit in terra ambulare. etc.
276 REVUE BIBLIQUE.

npus avons affaire à un morceau authentique du quatrième évangile ». Ceux-là


mêmes qui jugeront ce verdict justifié auront plus de difficulté à reconnaître l'authen-
ticité du V. 5, 4. C'est à tort qu'on allègue la Vulgate de saint Jérôme (I, 235); le verset
fimre bien dans la Vulgate Clémentine, mais non dans l'édition de Wordsworth-
V\ hite. A.U contraire je m'associe pleinement pour ma part à l'appréciation sur le

codex syriaque sinaiticus: M. Lepin prouve très bien que c'est un texte fort libre-
ment arrangé (I, 487, note 2).
Je crains que cette trop longue recension ne paraisse incliner décidément dans
le sens des réserves. Ce n'est pas cependant le fait. Il faut répéter que l'ensemble
est très solide. La mais outre que le dessein de réfuter
réfutation est excellente ,

risque d'entraîner trop aucune réfutation ne remplace une interprétation


loin .

directe. J'ai signalé en détail des points qui ne sauraient préjudicier au mérite
de l'ensemble. L'auteur a d'ailleurs une qualité à laquelle je veux rendre hommage.
Il n'est pas de ceux qui font commencer l'hérésie juste au delà du point précis où ils

s'arrêtent. Très souvent nous l'avons vu prouver la liberté de ses opinions critiques
par le crédit qu'il accorde à des opinions qu'il ne partage pas. Cette sincérité et ces
égards ne méritent pas moins d'estime et de gratitude que le consciencieux et docte
travail que tous les biblistes voudront lire, et qu'ils liront avec profit.
'

Jérusalem.
Fr. JNL-J. Lagra>"GE.

Das lateinische neue Testament in Afrika zur Zeit Cyprians nach Bibel-
handschriften und Vâterzeugnissen, von Hans Freiherr von Soden. In-8», x-663.
Leipzig, Hinrlchs, 1909 (1).

C'est du travail dont son père, M. Hermann von Soden, l'avait chargé en vue de sa
grande édition critique du Nouveau Testament grec (2), que le présent ouvrage de
M. Hans von Soden est issu. Pour ne pas en laisser perdre les résultats qui dépas-
saient de beaucoup les besoins de l'édition entreprise, l'auteur les a consignés dans
cette publication spéciale.
La recherche historique de l'origine, encore enveloppée de tant d'obscurités, de la
Bible latine et de son évolution ne fait pas l'objet de ce livre-, il aurait fallu pour
cela posséder un texte critique de cette Bible. Or les manuscrits édités jusqu'ici ne
sont pas un texte. Reprendre le travail à pied d'oeuvre s'impose tant pour le texte
employé par saint Cyprien et ses contemporains d'Afrique que pour celui de saint
Jérôme (3). C'est une partie de cette tâche que M. von Soden a voulu assumer, en
se restreignant à l'étude de N. T. de saint Cyprien pour aboutir à une édition solide
de ce texte.
Le labeur préliminaire était de rétablir la véritable teneur des citations contenues
en grande quantité dans les ouvrages de l'évêquede Carthage. Frappé de l'arbitraire
qui a régi l'édition des œuvres de saint Cyprien d'Hartel {Corpus script, eccles. Latin.,

(I) Forme le S» volume île la 3" série des Texte und Untersxicli. publiés par Harnack el
Schmidt.
("2) Voir RB., 1904, pp. 504 ss.; 1907, pp. 28-2 ss.

(3) H. Yon Soden, tout en louant beaucoup le IS". T. hiéronymien publié sous la direction de
\Vordsworlli, trouve que l'appareil critique de cette édition, bien que très complet, n'est pas
apte à fournir l'image do l'histoire du teste de la Vulgate telle qu'on la souhaiterait d'après l'ou-
vrage de Berger. Il lui reproche de la confusion et du désordre.
Quant à la revision complète du texte de ia Vulgate souhaitée par lautcur, on sait qu'elle a
été confiée par ie Saint-Siège aux Bénédictins. Cf. RB., -1908, pp. 1(>2
RKCENSIO.NS. 277

III), M. Monceaux (1) avait attiré sur le point des citations bibliques l'attention des
futurs éditeurs de ce Père. Le cboix des leçons fait souvent sans discernement appe-
lait en effet un minutieux contrôle et de nombreuses corrections. Après ce travail ardu
mené avec vigueur par AI. von Soden. il devient évident que les citations de l'écrivain
carthaginois ont été tirées d'une version unique. En effet, des SS6 versets du N. T.
insérés dans ses œuvres, y en a 382 qui se trouvent répétés deux ou plusieurs fois,
il

et ceux-ci présentent seulement 162 variantes, la plupart si insignifiantes qu'elles ne


peuvent empêcher de reconnaître l'unité du texte dans lequel ce Père puisait ses
citatioQS. 11 est remarquable à quel point Cvprien a cité littéralement la Bible,
quoiqu'il le fît très souvent de tète. Le défaut de mémoire seul paraît responsable de
quelques légers changements concernant par exemple les pronoms personnels, ainsi

que de certaines transpositions de mots et du passage inconscient d'un synoptique à


l'autre. Aussi n'est-il pas étonnant que la langue de Cyprien n'ait pas en général dé-
teint sur son texte biblique. Les cas très caractérisés où il a cru devoir modifier sa
Bible s'expliquent par le souci de remplacer, au moyen d'une traduction plus correcte,
des termes qui sentaient par trop la grécité uu le provincialis r.e. Encore ne l'a-t-il fait

que très rarement. La méthode consistant à se référer à un texte biblique uniforme


met «ne profonde différence entre S. Cyprien et ïertullien. Le texte biblique de
Tertullien est insaisissable, étant donnée la liberté dont il fait preuve dans ses cita-

tions qu'il traduit directement du grec ou qu'il tire de quelque version latine in-

connue en marquant de l'empreinte de son vigoureux style. De ce fait, les citations


les

de Cyprien relativement à la connaissance du >'. T. africain l'emportent de beau-


coup sur celles de l'écrivain moutaniste, si bien que l'on devrait prendre le texte
cyprianique comme base, si l'on espérait fixer un des textes bibliques dont Tertullien
s'est servi.

Ces diverses conclusions appartenaient déjà au domaine de l'histoire littéraire de


l'Afrique chrétienne: le mérite de M. von Soden est de leur avoir donné plus de
relief et de nous les avoir fait toucher du doigt par des exemples très appi-opriés
dont sa critique vient d'allonger notablement la série.

Il en est de même pour les rapports unissant la Bible de Cyprien et les représen-
tants reconnus du texte africain, les manuscrits k, e, h, qui donnent lieu à des obser
vations très précises. On retrouve dans k [codex Bobbiensis, v^ ou vF s.), bien qu'il ne
renferme que des fragments de Matthieu et de Marc, 114 des citations bibliques de
saint Cyprien. Rangés en deux colonnes parallèles, les textes de ce Père et de /.-, d'un
côté, et celui de la Vulgate, de l'autre, apparaissent nettement comme deux types
très distincts de la Bible latine. 11 appert, en outre, de par la philologie, que les
citations de Cyprien et le codex A- supposent un texte grec identique et sans va-
riante.
Moins étroit, rapprochement entre Cyprien et le ms. e
quoique indéniable, est le

{codex Palatinus contenant les quatre évangiles, \*^ s.]. Parmi les divergences qui sépa-

rent le >'. T. de l'évèque de Carthage et ce manuscrit, il en est que l'on doit mettre sur
le compte de la répugnance d'un esprit cultivé pour des incorrections dues à un ser-

vilisme exagéré à l'endroit de l'original grec, servilisme souvent comparable à celui


d'Aquila pour son texte hébreu. Quand e traduit ;Luc, 20, 37) s-: -a.z 3aTo-> par
super rubum et (Joh., 10, 16) /'.a -o;u.vr-, par unn grex, on comprend queCyprien ait
de lui-même préféré in rubo et unxs yrex. Cependant, si cela peut se faire sans
offenser la grammaire, le texte de Cyprien. comparé à celui de e, serre de plus près

(i; Histoire littéraire de l'Afrique chrétienne, I, p. 120, iiute i.


278 REVUE BIBLIQUE.

la teneur du srec. Le mol simple répond au mot simple, le composé au composé,


par exemple :

Joh., 3, 5 : '[iT/rfir, Cvp. : natus fuerit e : renatus fuerif


Joh., 20, 23 : /oaTT.TE tenueritis <htinueritis
Mt.. 24, 20 : -poîcJ/sîOî adorate orate
Le, 24. Aô : oir,vo:ç£v adaperuit aperuit

De plus, le texte de C\ prien ne résout pas le participe grec en une construction


subordonnée (stsfAGov:'. Cvp. venlenti, e et cum venerit) et conserve le mot étranger.
Il évite les circonlocutions s/oTî^Or^as-rai Cvp. tenebrkabU e . in tenebris convertetur).

Qu'on juge encore de sa scrupuleuse fidélité par ces traductions : atwv, swcnhim ;

::Xr,a'.ov cou, proximum tibi; woivr;, parturitio où e, Itala et Vulgate ont mis dolor.
A lire cesexemples, accompagnés d'une foule d'autres dans le livre qui nous occupe,
on trouve tout naturel que le N. T. africain soit mis à contribution dans une édition
critique du N. T. grec.
Cettt^ application à rendre l'original et le paruilèle établi entre les variantes de la

traduction employée par Cyprien et celles du codex e, chez qui Tinfluence des textes
européens est manifeste, donnent à coup sur à Cyprien la priorité sur c et le placent
entre k et c, mais plus près, de celui-là que de celui-ci. De même, l'empreinte euro-
péenne reçue par c ressort évidemment de la comparaison que M. von Suden fait
entre et e à la lumière de la Vulgate et de l'Itala. L'explication des écarts de ces
/;

deux manuscrits par des variantes d'une plus ancienne version africaine ne tient
pas debout.
L'auteur procède ensuite à l'étude comparative du texte biblique de l'évêque de
Carthage et du palimpseste de Fleur;/ Çh) qui renferme des fragments des Actes des
Apôtres, des épitres catholiques et de l'Apocalypse. Pour ce dernier livre, on pos-
sède de plus le texte complet commenté par Primasius, évé
jue d'Hadrumète au
vi^ siècle. A peu de choses près, Primasius et nous ont conservé la version que /(

Cyprien a utilisée. La haute antiquité et l'origine africaine de Ii ont été déjà démon-
trées par Berger .et Buchanan qui mettent toutefois une différence d'âge entre la
traduction des épîtres catholiques et celle des Actes et de l'Apocalypse. M. voû
Soden ne voit aucun appui sérieux à cette diflférence.
Après ces diverses discussions, deux appendices sont consacrés à rechercher les
traces du texte biblique de Cyprien dans la littérature africaine contemporaine et
subséquente (les sentences de 87 évêques réunis au concile de Carthage en 2-56, les
œuvres pseudo-cyprianiques. Primasius, etc.), puis à établir l'orthographe du N.T.
africain. Les particularités orthographiques signalées par l'auteur sont utiles à par-
courir. La transcription de en /A a été la plus anciennement en vigueur: peu à peu
la transcription par t a pénétré et a prévalu. Ce fait déborde le domaine biblique.
Dans le De situ Terrai Sancl,t> de l'archidiacre ïhéodose (!'. à qui l'on soupçonne une
origine africaine, je remarque la même tendance que chez Primasius à supprimer
dans la transcription l'aspiration du 6, v. g. Tabita, Tecla, Terebintus. La transcrip-
tion primitive de •-; dans le >,'. T. d'Afrique semble avoir été /", v. g : Epafroditus,
Josafat. De même, chez Théodose, où cependant ph contrebalance /'comme dans le

codex e. Ainsi, Eufrates, Filadelphia, Feniee. Cyprien a un faible pour l'ortho-

(1) Geyer, Itinera HierosoL, pp. i;5T-loO. GiLDEMtiSTEr.. T/teodoshts. De situ Terrœ sanclœ,
Bonn, 1882.
RECENSIONS. 279

graphe Danihef, Gnbrihel, Israhcl. Théodose a pareillement SamuhH^ Danihel (dé-


clinablecomme chez Cyprien). L'orthographe de la Bible africaine pourrait de la
sorte servir à rétablir critiquement celle du De situ T. S. en présidant au choix de la

bonne leçon parmi les diverses variantes. Il n'est pas à croire toutefois que ces façons
d'écrire soient spécifiquement africaines, sinon, il y aurait lieu d"étre surpris de les
retrouver dans un ouvrage d'origine gauloise tel que l'Itinéraire d'Ethérie (I) où se
lisent Eufratcs, Fanuhel, Israhel et où se rencontrent même certaines formes fré-
quentes dans l'usage africain : de evangclio cata Johannem, in cata Matheo, Eleona,
bapiidioi-e, à comparer avec cata Matthasum^ cata Marcum, etc., du N. T. africain,
avec in EJeonem de /.et de Tertullien, avec baptidiator de k.

Grâce à la reconstitution du texte biblique de saint Cyprien, grâce à la preuve faite


de son étroite parenté avec A-, e, h et de sa survivance dans une partie de la littéra-
ture africaine, nous possédons un ancien texte latin homogène dont l'unité parfaite
éclate si on le rapproche des premiers représentants du texte européen. Le texte,
circonscrit de cette manière, offre aussi une base pour le rétablissement partiel de
l'original grec, car on a vu combien celui-ci était serré de près. Le lexique dressé par
M. von Soden, à la Qn de sa thèse, montre encore davantage la fidélité de la version
africaine, cf. ogapp, cata, crèmes, caragma, diaconus (serviteur profane); il fait saisir

de même, au premier coup d'ccil,les africanismes delà Bible de Cyprien. Disposé en


colonne entre les mots grecs et leurs équivalents dans les textes européens, le lexique
africain frappenon seulement par son accord avec le grec mais aussi par sa saveur
de terroir tinguere (baptiser), benemmliare (évan.aéliser), superrincere ''surpasser,
:

vaincre), comestnra (rouille), pignerarius (créancier», xinarim (ivrogne), palla (lin-


ceul), fe?ie6r/crt/-e (s'obscurcir), ftcta p^'onuntiatio 'hypocrisie', innuUare (mépriser).
potentari (avoir l'autorité), spina (reins), etc.
Tout ce labeur critique et philologique est couronné par l'édition du plus ancien
texte biblique africain qu'on puisse obtenir. Quoique nécessairement fragmentaire,
cette édition est assez étendue et suffisamment étayée pour que les commentateurs
du Nouveau Testament la consultent en toute confiance et avec profit.
Jérusalem.
Fr. F. -M. Abel.

Le Cantique des Cantiques. Commentaire philologique etexégétique par P. Joùox,


professeur à la faculté orientale. Université Saint- Joseph, Beyrouth. — In- 12 de
viii-33.5 pages. Paris, Beauchesne, 1909.

Dans son travail sur le Cantique des Cantiques, paru dans les Biblische Stitdien
(1908), le R. P. Hontheim, S. J., déclarait que l'auteur du livre inspiré avait eu en
vue l'allégorie de l'union de lahvé avec son peuple 2). Le R. P. Joùon nous dit, dans
son avant-propos : « La conclusion de mon étude est que le Cantique, au seris lit-
téral (3), chante Tamour mutuel de Jéhovah et d'Israël et retrace à grands traits
l'histoire religieuse de la nation élue, depuis la première alliance, lors de la sortie
d'Egypte, jusqu'à l'ère messianique. Sur cette donnée fondamentale, j'estime que
l'ancienne tradition juive est correcte.
» C'est à échafauder cette conclusion quest

consacrée volumineuse étude du P. Joiion. La traduction critique du Cantique oc-


la

cupe une douzaine de pages (111-123), tandis que 110 pages sont consacrées à l'intro

1) Geyer, op. !.. pp. 37101. C. Mkister. De ilinerario .Elherhv... {Rlu-inisrlics: .Miiseu7n, I.XIV,
pp. 368 ss.).
(-2) RB., 1909, p. i-3.

(3) C'est nous qui soulignons.


280 REMJE BIBLIQUE.
duction et 209 pages au commentaire. En ce qui concerne la question d'autlieuticité,
l'attitude de Tauteur e>t très nette : pas plus que la Sagesse ou l'Ecclésiaste, le Can-
tique n'a été rédigé par Salomon. Il y a eu fiction littéraire. Pour la date : ^ Il me
paraît probable que le poème a été composé ou à la fia de l'exil ou peu de temps
après le retour l'auteur a pu aussi bien l'écrire en Babylonie qu'en Palestine »
vp. 92).
:

Une bibliographie très détaillée montre que l'auteur est au courant des divers sys-
tèmes adoptés par les comuientateurs et des vicissitudes par où a passé l'interpréta-
tion du Cantique. C'e>t donc à bon escient qu'il a repris à son compte l'ancienne
tradition juive sur la nature de l'allégorie contenue dans le poème l'amour de laliveU :

et d'Israël. Il écarte le système naturaliste « qui considère le Cantique


comme un
poème purement profane » et les systèmes mixtes qui reconnaissent au Cantique uq
sens apparent et grammatical, eu
y juxtaposant un sens plus élevé ^spirituel ou ty- .<

pique) ». Le Cantique est, d'un bout à l'autre, une poésie allégorique et tout l'art du
commentaire sera de poursuivre cette allégorie dans les détails.
Le P. Joiion a déployé une solide érudition et une remarquable ingéniosité dans
l'accomplissement de sa tâche. Si sa thèse était vraiment solide elle devrait s'im-
poser à tout esprit non préveuu, car rarement une théorie a été étayée duu tel
appareil de preuves systématiques. Et pourtant, le R. P. Condamin fait des
réserves très justes non seulement sur le mode d'allégorie adopté par sou confrère,
mais sur le système d'interprétation allégorique en général « Cependant le système :

de l'allégorie, quel quil soit, n'échappera pas à cette objection : l'interprctalion n'est
pas suffisamment fondée sur le texte (1). » C'est le P. Condamin qui souligne et c'est,
an effet, l'obiection capitale qui ruinera la thèse du P. Joùon. Celui-ci a pu écrire au
sujet de Budde : « Budde a été, comme tant d'autres, victime du mirage oriental. Il

a établi toutson système sur quelques similitudes de détail, comme un esprit ingé-
nieux pourra toujours en trouver; mais on risque gros à faire reposer tout un système
sur des pointes d'aiguilles. » En changeant « mirage oriental » en « mirage rabbini-
que », ou pourra formuler la même critique a l'adresse du P. Joiion. Une sainte Thérèse
voyait dans le Canticjue le collojue entre l'âme et Jésus, tandis que Bossuet y recon-
naissait le
chant d'hyménée de l'Église et de son divin fondateur. Les offices liturgi-
ques en choisissent les passages les plus beaux pour les fêtes de la Mère de Dieu.
Toute la poésie est ainsi sauvegardée et les stropht-s les plus réalistes sont appliquées
aux sentiraeuts les plus sublimes et les plus surnaturels. L'exégèse juive, telle que
l'adopte, eu la poussant a ses dernières conséquences, le travail du P. Juiion, enlève
toute vie à ce langage si vil)rant pour n'y plus reconnaître qu'une allégorie froide et
artificielle. Quoi de plus per>onnel que le début du cantique :

Qu'ilme baise des baisers de sa bouche!


Car ton auiour est meilleur que le vin.
Tes parfums sont bons à respirer,
Ton nom est une huile qui coule,
C'est pourquoi les jeunes filles l'aiment!
Entraîne-moi! Nous courrons derrière toi ['
^2).

Nous exulterons et nous nous rejouirons grâce à toi!


Nous remémorerons Ion amour plus que le vin :

'
C'est à bon droit qu'on t'aime!
Sans appui dans les versions, le P. Joùon met les suflixes de la première personne
au pluriel :

(1) Revue praliijue d'apologétique, 15 avril 1909, j). 147.


(3) Le membre de plirase • le roi m'a introduite dans ses ai>|)arlements • rompt le conteste.
RECENSIONS. 281

Qu'il nous baise des baisers de sa bouciie.


Car lesamours sont meilleures que le vin, elc...

Il changements par des renaarques telles que celles-ci: « mp^'C*:^


croit consolider ces

des baisers; le comprend beaucoup mieux si la phrase est prononcée par


pluriel se
plusieurs une seule personne aurait employé le singulier » !;. A propos de « c'est
:

pourquoi les jeunes filles t'aiment » « dans l'explication naturaliste, cette déclaration
:

d'amour collective pour un seul homme a quelque chose de monstrueux du reste, ;

les choses ne se passent pas de cette façon dans les harems ». Il ne s'agit pas de dé-

claration d'amour collective; l'épouse constate que l'époux est digne de l'amour des
jeunes filles. Voici maintenant le sens de la strophe selon le P. Joiion( les mots sont pro-
noncés par les jeunes filles du chœur qui représentent les nations) Que Jéhovah nous : (

baise, ûousaussi, desbaisers desabouche (c'est-à-dire nous admette, nous aussi, à son
alliance), cartesamours (pour Jéhovah), ô Israël, sont meilleurs que le vin. Tes parfums,
ô Israël, sont doux à respirer; ton nom est une huile répandue; c'est pourquoi, nous,
nous les nations, t'aimons. Entraiue-nous à ta suite, ô Israël : nous courrons. Le
roi (= Jéhovah) nous introduit, comme toi, dans ses appartements, c'est-à-dire
nous admet nous aussi à son alliance. Tu seras, ô Israël, l'objet de nos chants joyeux
et de notre allégresse; nous célébrons tes amours (pour Jéhovah) bien plutôt que le
vin c'est avec délices que l'on t'aime. » Il y a dans cette paraphrase un de ces tours
:

de force auxquels peut se complaire l'esprit des rabbins, mais qui heurtent de front
notre conception de l'allégorie.
« Une allégorie, quand bien même elle aurait pour objet les choses divines, si elle

est perçue par son auteur, but qu'il poursuit, cette allégorie doit être in-
si elle est le

telligible, ou bien l'auteur inspiré a complètement manqué sou but » (l). Le P. Joiion

répondra peut-être que cette allégorie qui nous paraît obscure — oh! combien! —
ne l'était pas pour les Juifs auxquels s'adressait l'auteur inspiré « Le cantique étant :

une œuvre juive s'adressant à des Juifs, le meilleur moyen pour le comprendre n'est-il
pas de se faire une pensée juive, de chercher à sentir et à goûter ce que l'allégorie de
Jéhovah et d'Israël, si familière aux prophètes, pouvait dire à des âmes éprises d'un
grand amour pour leur Dieu et pour leur nation? » (p. 13). Se faire une peuséejuive!...
Tout le monde concède qu'il faut chercher le plus possible à comprendre la psycho-
logie d'un écrivain et le milieu auquel il destine son œuvre. Mais il y a pensée juive
et pensée juive. L'une, c'est la pensée rabbinique et talmudiste. C'est celle qui a dé-
naturé la Bible, en la passant au crible des idées les plus étroites et les plus ridicules,
pour y voir tout ce qu'on voulait y voir, sauf ce qui s'y trouvait réellement. L'autre,
c'est la pensée des historiens sacrés, des prophètes et des hagiographes, dont les in-
tentions et les idées sont toujours claires, dès qu'on retrouve le texte primitif, et qui
ne se servent de la parabole, de l'allégorie, parfois du proverbe ou de l'énigme, que
pour donner plus de relief et de pénétration à leur enseignement. Ceux-ci parlent
pour être compris non seulement de leurs contemporains, mais aussi de ceux qui
viendront après eux. Que si, par exemple, le symbolisme de l'amour conjugal inter-
vient dans tel ou tel prophète, pour exprimer l'amour de lahvé pour son peuple, le
sens du symbole est clair comme le jour. A lire le chapitre ii d'Osée ou le chapitre m
de Jérémie, on ne peut se mép^-endre sur ce que veut dire chaque prophète :

Mais, de même qu'uue femme a été intidele à sou époux.


Ainsi vous m'avez élé infidèles, ù maison d'Israël,
Oracle de lahvé.

[\) Lagkange, RB., 1901». p. 473.


282 REVUE BIBLIQUE.

Mais prendre cette métaphore, la poursuivre durant huit chapitres, voir de l'his-
toire dans des expressions d'une poésie toute simple et toute naturelle, sans qu'un
indice clair permette de saisir l'allégorie partout latente, c'est ce qui paraîtra difflci-
lement admissible, et plus les explications fournies paraîtront ingénieuses, plus nous
nous défierons du système proposé. La strophe si gracieuse de l'épouse Je suis noire, :

mais belle, etc., dont Calmet disait « Cet entretien est fort naïf et fort naturel;
:

lorsque des jeunes personnes sont ensemble, leurs discours ne roulent guère que sur
leur ajustement, leur parure, leur visage, leur teint », cette strophe devient l'image
du séjour en Egypte < L'Épouse (= Israël) a contracté le teint bruni des habitants
:

de l'Égvpte où elle a séjourné et où elle a été condamnée à de durs travaux. » Et,


pour expliquer l'hémistiche « les fils de ma mère m'ont combattue » « Israël est :

une des filles de la race humaine laquelle est imaginée, tout naturellement, comme
un personnage féminin les frères sont les hommes des autres nations. » Quant au
:

sachet de myrrhe entre les seins de l'épouse, il « pourrait désigner l'arche où Jéhovah
résidait et avec laquelle il était en quelque sorte identifié ». Les versets 6 et 7 du
chapitre ii paraphrasés par V. Hugo :

Elle dormait, sa lête appuyée à son bras:


Ne la réveillez pas avant qu'elle le veuille:

Par les fleurs, par le daim qui tremble sous la feuille,

Par les astres du ciel, ne la réveillez pas !

tout cela, c'est de la froide allégorie : « Nous croyons donc que les gazelles et les
biches sont allégoriques comme les filles de Jérusalem, et désignent les armées des
anges, on conçoit que Jéhovah adjure les nations par les anges, en particulier par
les anges des nations, mais non par des gazelles. » Voilà ce qui s'appelle « se faire

une pensée juive ». L'auteur sent bien que son interprétation allégorique, poussée à
ce point, détruit la poésie du Cantique. Lorsque, dans l'appel du bien-aimé (ii, 8-14),
il veut reconnaître la voix de lahvé appelant les Israélites hors de l'Egypte pour les
ramener en Palestine, il s'aperçoit que « ce tableau, le plus poétique peut-être du
Cantique, est en même temps fort peu allégorique dans le détail ». Comme nous au-
rions aimé à entendre user plus fréquemment de ce critérium! Laissons aux rabbins
leurs subtilités dépourvues d'esthétique et gardons à la poésie de l'Ancien Testament
toute sa force et tout son parfum.
Sans doute, il peut se trouver des cas où un auteur condensera toute une philoso-
phie dans une strophe qui devient alors comme un aide-mémoire. C'est ainsi que
saint Jean de la Croix réussit à résumer sa mystique si élevée en de petits poèmes

placés en tête de ses ouvrages. Mais précisément La Montée du Mont-Carmel, La nui!


obscure de l'âme et Iji vive flamme de l'amour expliquent longuement chaque vers du
poème, qui devient un moyen mnémotechnique pour conserver la doctrine de l'auteur.
Il n'en va pas de même pour le Cantique des Cantiques où, dans le système d'allégo-

rie continue, tout concourt à voiler la pensée sous une forme trompeuse. Sulfit-il que

çà et là telle expression paraisse une allusion ou que telle métaphore ait été employée
ailleurs pour exprimer une situation particulière ? Le char de Pharaon » évoque <

l'idée de l'Exode; le « pavillon » des époux est l'arche d'alliance; le « narcisse de


la plaine » est Israël au désert; « les fruits du pommier sont probablement une
allusion aux repas sacrificiels »; le figvier ei la vitjne indiquent clairement la Pa-
lestine » etc.. etc..
La recherche de l'époux ;iii, 1-5), pour laquelle on nous permettra de citer en-

core la paraphrase de V. Hugo :


RECENSIONS. 283

J'ai cherché dans ma chambre et ne l'ai pas trouvé,


Et j'ai toute la nuit couru sur le pavé,
Et la lune était froide et blême,
Et la ville était noire, et le vent était dur.
Et j'ai dit au soldat sinistre au haut du mur :

Avez-vous vu celui que j'aime?

Il s'agit du séjour de l'arche chez les Phih'stins! Vient ensuite le retour de l'ar-

che et son introduction dans la cité de David !

Nous nous dispenserons d'insister plus longtemps sur les combinaisons, très subtiles
sans doute, maisquinoussemblentabsolument étrangères au sens littéral du poème, que
le P. Joiion accumule pour soutenir sa thèse. A dire le vrai, cette interprétation n'a
pas rencontre beaucoup d'adhérents. On relèvera cette confession de Mayer Lambert
dans la Revue des études juives (l) : « Nous devons dire tout de suite que les argu-

ments invoqués par M. Joiion en faveur de la thèse allégorique ne nous ont pas en-
tièrement convaincu, si flatteuse que soit cette thèse pour l'e.xégèse juive. » Ce
qui a, semble-t-il, décidé le R. P. à se pronoucer nettement pour l'allégorie, c'est
l'acceptation du livre comme canonique par les Juifs. Il lui semble impossible d'ad-
mettre que le Cautique aurait été ainsi accueilli parmi les livres saints si l'on ne s'é-
tait accordé à y reconnaître une allégorie. « Nous connaissons assez, en effet, la

mentalité des Juifs pendant la période de la formation du canon pour pouvoir af-

lirraer qu'ils n'ont admis comme canoniques que des livres considérés comme saints »

(p. 4i. Cela prouve que le Cantique a été rédigé pour être interprété symbolique-
ment, et nous ne le contestons pas. Autre chose est de savoir si l'allégorie qu'y a

découverte l'exégèse rabbinique était contenue dans le texte et voulue par l'auteur.
A côté de l'allégorie, qui est constituée par une série de métaphores et dont tous
les détails doivent avoir leur signification particulière, il existe un genre tout diffé-
rent : c'est la parabole qui se rattache au mâsdl de l'Ancien Testament (2). Point
n'est besoin que chaque détail de la parabole ait sa valeur de symbole. L'enseigne-
ment est global , c'est la parabole tout entière qui porte coup et les descriptions ou
les enjolivements ne font que développer
thème général. Le rédacteur, quel qu'il
le

soit, qui a réuni les divers chants du Cantique des Cantiques, a pu très bien repré-

senter, dans une parabole implicite, l'amour de Jahvé pour Israël et d'Israël pour
Jahvé (3). Cet amour est dépeint sous les couleurs les plus vives et les plus réalistes.
Ce sont autant de paroles embrasées qui, toutes, s'attachent au même objet et le ren-
dent concret. Le chrétien n'aura rien à changer, pour transporter cette description
dans l'ordre de la grâce et reconnaître dans le Cantique les sublimes entretiens de
l'âme avec son Sauveur. Nous sommes loin de l'allégorie des rabbins qui cherchent
dans le détail le un
plus pittoresque ou dans le cri le plus spontané une allusion à
événement de la vie d'Israël ou une métaphore impénétrable. Ce point de vue a
échappé au P. Joiion et peut-être était-ce là qu'il aurait trouvé la solution la plus
satisfaisante du problème.

(i; T. LVIII. juillet 1!I0!), p. va.


(-2) Lagrange, RB., im'J. p. 3.j(i.
Cf.
(.3) Cette explication m'est suggéréerpar le P.Lagrange. Elle résulte des difiFôrences aujourd'hui
mieux connues entre la parahole et l'allégorie. Lorsque .M. Vigouroux alfirme que seule l'inter-
prctation allégorique a droit de cité dans l'Église, il semble conlondre allégorie et parabole.
L'Église, nous dit le savant maître. « ne voit dans le Cantique qu'une sorte de parabole » {Ma-
niifd biblique, II, éd., p. 4-ifi). Le P. Joiion a entendu l'allégorie au sens classique, d'où la né-
.J""

cessité de trouver un sens allégorique à cha(|ue trait. On prouvera aisément que les Pères sont
allés droit au sens surnaturel, mais non pas qu'ils se sont prononcés sur le genre littéraire
précis du Cantique.
284 REVUE BIBLIQUE.

C'est aussi celle qui rend le mieux compte des divergences dans la tradition sur le

sens surnaturel lui-même, Israël, l'Église, Marie. Ceux qui ne voient là que des sens
spirituels et qui, ensuite, concluent à un sens littéral naturaliste exclusif ont oublié un
des caractères de la parabole. Le P. Lagrange a fait remarquer que la clarté en est

« pour ainsi dire disponible. Tout dépend du rapprochement qui doit s'opérer »
[BB., 1909, p. 210'. Il en est ainsi du Cantique. Comme livre, c'est une description de
l'amour; nous enseigne que ce livre est sacré et que, par conséquent, Ta-
la tradition

mour profane ne que comme point de comparaison avec l'amour divin.


figure là
L'autre terme reste dans la pénombre. L'auteur devait songera Israël, mais les chré-
tiens n'ont pas eu tort de penser à l'Église ou à l'âme chrétienne.
Si l'on objecte que l'auteur n'aurait pas dû tant insister sur les détails, on oublie que
nous sommes en Orient où les descriptions sont longues et concrètes. Peut-être aussi
l'auteur a-t-il colligé des matériaux existants déjà. Toutes les délicatesses et tous les
transports de l'amour — et il fallait bien les énumérer — se retrouvent dans l'amour
de Dieu.
Les objections que nous nous sommes permises sur le fond de la thèse ne nous font
pas perdre de vue les excellentes choses contenues dans l'ouvrage du P. Joùon. Le
commentaire philologique est très nourri et les explications grammaticales sont sou-
tenues par une érudition de bon aloi. A propos du mot n*3^", si intéressant pour la
prophétie de l'Emmanuel, l'auteur déclare que ce mot « désigne une jeune fille nu-
bile et non mariée; le mot, comme le mot français je»«e fille, n'affirme pas la virgi-
nité, mais la suppose normalement. Inversement, ~'?'in2, vierge, affirme la virginité
et suppose normalement la jeunesse » (p. 130). Il est des cas où le souci de l'allégo-
rie nuit à l'interprétation littérale. On sait que le mot D'^'^T'à « Sunamite » de IReg.,
I, 3, 15 est représenté dans Cant., vu, 1, par JT'DSïir « Sulamite ». C'est un fait

philologique des plus intéressants, car la localité de D^TtT (I Scun., xx.viii, 4), Simama
dans les lettres (1], est actuellement Sùlam. L'écriture niQ'lTJ pour
d'El-Amarna
rTi^DIViU atteste changement de Sùnam en Sùlam était déjà effectué quand fut
que le

composé le Cantique. Pour le P. Joùon, c'est là réaliser un nom allégorique ». Le


><

nom de Sulamite « signifierait pacifique ou pacifiée, celle qui jouit de la paix ».


Xous avons dit déjà que la bibliographie était très complète. L'histoire de l'exégèse
du Cantique est traitée aussi avec ampleur. L'auteur porte des coups droits à une
exégèse trop naturaliste qui, comme celle de Haupt et de Siegfried, s'amuse à recher-
cher les interprétations obscènes (2). Mais son jugement est dur et même injuste à
l'égard du P. Zapletal pour qui « l'idée générale du Cantique » est allégorique. Per-
suadé qu'il faut « se faire une pensée juive » et étudier le Cantique « au grand soleil
de la Bible », le P. Joùon montre assez de dédain pour les comparaisons avec les lit-
tératures étrangères. Ce n'était pas l'attitude du bon Calmet, qui recherchait dans les
poètes grecs et latins des analogies d'expressions et d'images. Quant aux spécimens
d'interprétation que l'auteur place à la suite de son commentaire, ils permettront à
ceux qui s'éloignent de l'interprétation proposée d'y trouver parfois une explication
plus objective et plus naturelle. Ainsi le P. Joùon sait se rendre utile même à ceux
qui ne le suivront pas dans son allégorie à outrance.

Jérusalem, ce 17 octobre 1909.


Fr. P. Dhobme.

(4) RB., 1908, p. 518.


^2 Les Biblische Liebeslicder de P. Haupt ,1907 ne sont pas cités.
RECENSIONS. 283

I. Publications of the Princeton University Arch. Exped. to Syria. —


Divis. II Ancient Architecture; sect. B yorth. Syria: part. II Il-Anderin,
: : :

Kerrâlin,Ma'ràtâ: part. III Dj IMhâand Dj. Wasfaneh, par M. H. C. Butler.


: .

Gr. in-4S de la p. 46 à l-JS, Ciz. 41-107. pi. \ III-XMH. avec plusieurs plaus topo-
iiraphiques. —
Divis. III Greek and Latin Inscriptions; sect. B. II et III;
:

pp. 43-118, iuscr. n-' 909-1072. par M. \V. K. Prextice. Leyde : Brill ; 1909.

II. Karte des Ostjordanlandes levée et dessinée par M. l'insénieur D'" G.


Schumacher aux frais de la Société allemande pour l'exploration de la Palestine
et éditée par cette Société; Leipzig; R. Haupt; en cours de publication.

I. — La documentation très judicieusement choisie


et non moins élégamment pré-

sentée, la clarté, la précision et lacompétence technique du commentaire, le soin


irréprochable de l'exécution matérielle que la Reçue louait naguère 1908. pp. .592-0) .

dans les deux premiers fascicules de cette pul)lication. sont à louer dans les nouveaux.
Ils comprennent la fin de l'exploration du Dj. 'Alà et Fétude des centres les plus im-

portants du Dj. Rîhà. c'est à-dire en gros la zone incluse entre la rive occidentale de
rOronte et le désert syrien et traversée par la grand'route de Hamà à Alep. Et ce n'est
pas seulement nne distinction géographique un peu floue entre le 'Alâ oriental et le
Rîhâ vers l'ouest qui motive la division archéologique de MM. Butler et Prentice,
mais aussi la nature du sol dans les deux régions, parce qu'elle
profondément diffé- a

rencié un art contemporain, développé sous les mêmes influences, pour répondre aux
mêmes besoins. Tandis que les chaînes montagneuses qui encaissent l'Oronte, essen-
tiellement calcaires, fournissaient aux architectes et aux sculpteurs du Dj. Rîhà une
pierre fine, résistante, douce au ciseau, les collines du Alà aux confins du désert sont
de formation basaltique. Dans cette roche puissante constructeurs et ornemanistes
trouvaient sans doute une ressource pour certains travaux, mais ils expérimentaient
surtout une difficulté extrême d'adaptation artistique dont aucun calcul et aucune
virtuosité ne pouvaient complètement triompher. Au lieu du facile débit d'un banc
calcaire en blocs réguUers, en dalles longues et minces, en élégants supports qui se
prêtent aux sculptures les plus fouillées et aux profils des corps de moulures les plus
compliqués, le basalte ne se soumet iiuère qu'au dressane violent sous le marteau et
paraît réfractaire à la fine morsure du cisedu. C'est merveille de constater pourtant
l'heureux parti qu'en tirèrent les architectes et les artistes du Alà; si leurs édifices
n'ont point la grâce, l'harmonie de proportions, la somptuosité de décor des monu-
ments du Rîhà, ils ne leur cèdent en rien pour la science de construction, pour l'ex-
cellente ordonnance et peut-être ne leur étaient-ils pas inférieurs en beauté, quand des
stucs polychromes, dont les traces sont ici ou là saisissables, éclairaient des parois
nues et sombres, ou complétaient délicatement des modénatures et des ornements
désormais rigides et froids. Et que de jolies pièces de sculpture encore, ciselées dans
le plus dur basalte et sans aucun complément décoratif artificiel, témoin ces portes

à panneaux historiés 'fig. 67 s. et 116), ces linteaux ornés de monogrammes, d'en-


blèmes chrétiens ou de rinceaux et de compositions géométriques iv. g. fig. 59, 71, 84,
95 elles fac-similés d'inscriptions n =912, 915,944, '.J47, etc. . les curieux chapiteaux
(fig. 72. 94, fac-sim. inscr. 972, etc. ', les arcatures et entablements ;fig. 83, 86, 88 s. i, ou
des panneaux tels que celui du sarcophage oîi est gravée l'inscription 986. Les éléments
de construction que l'on ne pouvait extraire du basalte étaient fournis par des carreaux
d'argile séchés au soleil, rarement par des briques cuites importées probablement
d'ailleurs. Le fatal effritement de toutes ces fragiles superstructures en briques sèches
280 REVUE BIBLIQUE.

explique assez la ruine beaucoup plus radicale facile à observer dans les photographies

et les plans des monuments du Alâ.

Ce caractère une fois établi, ce qui frappe d'abord dans la riche synthèse qu'on a

sous les yeux, c'est l'unité artistique, le parallélisme du développement, la répercussion


aussi des conditions politiques sur cette architecture syrienne. Tout cela, M. Butler,
qui est manifestement écrivain de talent et historien informé ainsi qu'il est artiste
distingué, l'a indiqué en quelques pages d'introduction sobres et limpides, ou en des
remarques incidentes glissées dans l'analvse d'un monument. On voit cet art gréco-
svrien évohier au second et au troisième siècle des formes classiques introduites par la
domination romaine. Au cours du iv siècle le souffle chrétien donne à l'architecture
et aux arts connexes un essor nouveau. Dans la paix et la sécurité profondes en Syrie
centrale durant le iv« et le v' siècles le pays se couvre d'édifices variés qui trahissent
bien l'aisance universelle d'une bourneoisie citadine et d'une petite aristocratie rurale
également soucieuses de confort et d'élégance. Dans ces conditions l'art tend à se
vulgariser par le négligé d'exécution, par la surcharge d'ornements surtout et il faudra
la réaction énergique de la période justinienne pour que l'on constate, vers le milieu
du vi^ siècle,un retour marqué aux formes classiques. Mais presque aussitôt c'est le
déclin. Si l'on construit beaucoup encore à la fin du vr siècle, le souci devient ma-
nifeste de se mettre en défense contre des coups de main qu'on prévoit d'autant plus
fréquents qu'on est plus éloigné des centres administratifs. Au lieu des riantes villas
aux larges colonnades ouvertes sur des jardins ou les terrasses d'un vignoble, comme
à Kerratîn dans le Alà. à Serdjillà plus encore dans le Rîhà. au v^ siècle, au lieu des
caravansérails à belles vérandahs le long des grandes routes, au lieu des gracieux
oratoires qui frangent le pourtour des villages, on voit se multiplier les fortins et les
tours de garde, se grouper les demeures à l'abri d'un rempart et les églises même se
munir de quelque protection. On sent que l'impuissance des sou-
l'arrivée des Perses

verains bvzantins ne contient plus aux limites de l'empire. C'est par là que l'ouvrage de
M. Butler, réservé en apparence aux délices des gens d'architecture, intéresse tous
ceux que préoccupe la relation étroite entre l'art et les institutions ou les idées.
Tous les ordres d'architecture sont représentés par des monuments typiques et en
général d'une bonne conservation. Signalons, pour l'architecture militaire, le rempart
d'el-Anderiu (fig. 42 s.) et son camp fortifié pi. vin), le zâj-sov de StabI 'Antar (pi. ix),
— tous en appareil cubique lisse, avec murs à double parement et contreforts intérieurs
étroits et très saillants, — ou le fortin d'el-Habbàt avec sa chapelle centrale ifig. 119)
comme camp d'el-Anderhi, installation qui rappelle par exemple la for-
d'ailleurs le
teresse d'Abdeh au Xégeb et d'Oummer-Resàs en Moabitide, localité où se retrouve
aussi une tour analogue à celles qui ponctuent le 'Alâ cf. fig. 65, 82, 93, 120, 122),
moins fréquentes dans le Rîhâ voir pourtant fig. 160 une tour à trois étages avec
diverses particularités de structure. Pour l'architecture domestique les fig. 70, 73.
surtout les groupes importants de Kerràtin (fig. 85 ss.j, de Ma 'rata (fig. 99 ss.,\ de
Serdjillà ^fig. 139 ss. et Dallôzà ;fig. lôiss. ne laissent rien à désirer touchant l'ordon-
nance variée du plan et la décoration, quitte à heurter singulièrement parfois nos mo-
dernes concepts de symétrie -, cf. par exemple fig. 86 et s.) l'emploi de deux chapiteaux
tout différents sur deux colonnes contiguës dans un portique. L'architecture civile est
illustrée par des bains — Anderîn (fig. 61 , Serdjillà fig. 134 ss. . — un pont à dalles

plates posées sur des piles fig. 129 s. , un réservoir d'une structure originale fig. 63;, un
G café» ou n'importe quel établissement analogue contigu au bain de Serdjillà ^fig. 137 s.",

le caravansérail .fig. 103 ss. et pi. xin s. i, des colonnes couimémoratives ou bornes
RECENSIONS. 287

(flg. 64, 127 et 130). Des monuments funéraires tels que les belles tombes à pyramides
(Gg. 102-105, 108, lôO offrent de notables analogies avec des tombeaux de Jérusalem.
Mais c'est larcliitecture religieuse principalement dont Tliistoire s'éclaire avec fruit par
cette méthodique et savante enquête. Tous les types d'église se trouvent là, depuis le
minuscule oratoire rustique (fig. 111,, simple rectangle sans abside, jusqu'à la basilique
monumentale de Kerràtîn en passant par les types les plus variés, nef unique
(1),

(flg. 49 et 121) avec abside saillante ou dissimulée, plan carré avec coupole centrale et

abside saillante (fig. 50j, plan circulaire avec abside saillante fig. lis;, plan octogo-
nal avec abside en saillie flanquée de diaconlcon et prothèse (fig. 75), plan à trois nefs
avec abside ronde apparente entre les murs extérieurs du diaconicon et de la prothèse
(fig. 44, 94), même type avec abside dissimulée par l'extérieur (fig. 54, 57, 60, 98,
151, 165), à trois nefs avec abside polygonale saillante (fig. -îl , avec abside quadran-
gulaire et chapelle adjacente à la nef septentrionale (fig. 80), avec une sorte de tran-
sept (fig. 132), d'autres nuances encore (2 Ce serait une tâche intéressante de mettre
.

en parallèle avec ces églises syriennes des églises de Palestine, et d'examiner dans
quelle mesure l'évolution artistique esquissée déjà pour la Syrie pourrait caractériser
aussi l'art religieux palestinien. Ce sont même des villes entières comme el-'Aoudjeh,
llouheibeh, 'Abdeh, Sbaitâ surtout, à travers le Négeb, qu'il faudra quelque jour
confronter avec les cités désormaissi exactement relevées et décrites en Syrie. Alors

la documentation sera complète aux mains des historiens de l'art. Dans cette utile et
laborieuse tâche, nul, depuis M. de Vogiié, n'aura mieux mérité que M. Butler, et ses
beaux volumes, d'utilisation si attrayante et si commode (3,, partageront sans doute
la fortune si méritée de La Syrie centrale &t M. de Vogué.
Comme dans les séries épigraphiques antérieures le principal intérêt des 16o textes
que publie M. Prentice de préciser par un très grand nombre de dates l'évolu-
est

tion artistique syrienne entre la fin du second et le commencement du vii'^ siècle de


notre ère. On aurait tort toutefois de ne demander à ces documents que des repères
chronologiques, ou de parcourir distraitement cette de pieuses, parfois emphati-
file

ques, le plus souvent naïves invocations. Sans doute ou n'y entendra jamais l'aima-
ble ou spirituel bavardage des inscriptions helléniques et le compte sera vite fait des
textes contenant une information de quelque valeur pour l'histoire de la contrée. Il
y a pourtant plus d'un grain de mil à recueillir pour des chroniques locales; à l'oc-
casion même la pointe de verve ne fera pas défaut, à preuve l'inscription d'un bain à
Anderin (n- 918). ou le généreux Thomas fait suivre la mention de sa munificence de
cette petite morale : v- Comment s'appelle le bain? — Santé. — C'est en y entrant

(I; La plus grande des églises syriennes actuellement signalées, Oû^X^- voy. pi. x. Dans la des-

cription p. "3 s. il semble que cette église datée de o04-5de notre ère. soit sous le vocable du
lirotomartyr saint Etienne. L'inscription n" 988 dans la partie épigraphique donne la date 510-11
et laisse planer quelque doute sur le vocable.
•2 A
signaler surtout l'énigmatique partition terminée en hémicycle dans la nef centrale de
quelques églises lig. Tl et "" Schola cantoruinl
.

(3) Quelques inexactitudes dans les renvois aux textes épigraphiques, occasionnées sans doute
par un classement remanié, ont été corrigées par M. Prentice (Divis. III, p. 72, n. i) et je ne
vois à y ajouter que le n" !»8i» pour î>88. p. "3, n. 1. Des variations onomastiques telles que Dal-
l'izâ et Dellôzâ (p. 133 ss.). ou des formes comme proiiieiors (p. lOii), nctv.l state (p. -13"i,'. monl-
dings (p. 147) sont des raretés extrêmes i|u'on se reproche même d'avoir vues tant elles sont
insignifiantes. Pour la lecture des graphiques, je ne sais s'il y a place à un autre desideratum
qu'un indice de proportions dans les plans fig. 134 et 165. Quant à difterer de M. Builer dans
l'interprétation d'un monument, le cas où l'on s'y aventurerait le plus volontiers peut-être est
cette église d'el-Anderin tn" 6, fig. .>i ss., p. 58 ss.) avec édicule adjacent au nord, interprété
comme une • tombe '. Malgré certaines analogies avec d'autres chapelles funéraires, rien ici
n'implique un tombeau: on croirait plutiM à un baptistère par exemple et ainsi le concevait
d'ailleurs M. Prentice .cl. Divis. III, p. 'j3, n"!ilo;.
288 REVUE BIBLIQUE.

que le Christ nous a ouvert le bain du salut ». Tt Tbovo[j.a tou XojTpou; 'Vyia. Aià TauTr^;

stasXGwv ôXptaibç tjvIw^ev rjijit'v to Xoutpbv faasw;. Heureux temps où l'hygiène et l'apo-

logétique allaient ainsi de pair!Le caractère profondément religieux de ces popula-


tions se révèle presque en chacune des inscriptions. Ce ne sont pas seulement les for-
mules usuelles. Voici la porte du Seigneur..., Que le Seigneur garde ton enlisée....
Si le Seigneur est avec nous..., Le Christ est ma lumière.... Seigneur, viens au se-
cours... etc. qui reviennent à satiété sur des édifices de toute nature : remparts,
forteresses, habitations privées, monuments publics, tombeaux ; l'orthodoxie chris-
tologique et trinitaire s'affirme volontiers,comme aussi le culte de Marie, des anges
et des saints. On bâtit « avec le secours de Dieu » ou des bienheureux, quand ce n'est
pas à Dieu même qu'on attribue la construction-, la fondation est faite « pour le sa-
lut » des particuliers, «pour la rémission de leurs péchés » on compose des invoca- ;

tions pour écarter les mauvais esprits et de longs centons bibliques pour exprimer
sa confiance en Dieu; on édicté des pénalités contre les violateurs d'une concession
funéraire, ou on fixe les limites d'un territoire jouissant du droit d'asile (1). L'ono-
mastique a déjà par elle seule son intérêt, avec le mélange qui s'y rencontre de noms
syriens et grecs; enfin la langue courante alors se reflète avec fidélité dans ces hum-
bles documents, matériaux utiles pour l'histoire positive de la Syrie byzantine.
II. — Une heureuse nouvelle pour les topographes, historiens et exégètes bibli-
ques est la Carte de Transiordane éditée par la Société allemande
la publication de
pour l'exploration de la Palestine. Et à l'appui de cette annonce, voici déjà deux
feuilles prêtes pour l'étude deux feuilles splendides, joie des yeux avant même qu'on
:

ait eu à en expérimenter la commodité et la richesse. Pour en faire bien augurer à


beaucoup de nos lecteurs, il pourrait être assez d'avoir dit que cette carte a été dres-
sée par M. Schumacher et gravée dans les ateliers de Wagner et Debes à Leipzig ;

mais s'il en est qui ne soient point familiers encore avec les publications géographi-
ques de cette marque, je leur dois une information plus précise.
Tout le monde s'est lamenté sur l'insuffisance quand ce n'était pas sur le manque
radical des cartes de la Palestine orientale. Le Siirvey anglais exécuté il y a une
trentaine d'années en deçà du Jourdain n'avait pu être développé au delà du fleuve
que sur une superficie restreinte dans la région septentrionale du Belqâ. L'insécurité
très grande encore du pays, le mauvais vouloir quelquefois des autorités locales n'en-
travaient pas médiocrement l'exploration et si quelques reconnaissances hardies par
;

les hauts plateaux avaient fourni dès longtemps divers itinéraires un peu fermes et dé-

terminé vaguement la configuration générale du pays, à peu près tout restait à faii*e

dans les escarpements qui font face au Jourdain et sur l'étendue entière du Ghôr, peu
accessible l'hiver à cause des marécages, l'été à cause de la chaleur torride, malsain
le plus souvent et hanté toujours par des Arabes peu sociables. Pour qu'un topographe
osât affronter l'entreprise d'un levé systématique, il ne devait pas se sentir seule-
ment mesure de ce chaos
tout à fait sûr de son métier et conscient d'un courage à la
de ravins et de fondrières; une certaine accointance avec les mœurs et
il lui fallait

les usages du pays, surtout une connaissance familière de la langue. M. le D"" Schu-
macher réunissait excellemment les qualités requises et le Deutscher Palàstina Verein

(1) N" 106-2, à el-Bàrah. Ce texte, malheureusement en mauvais état, serait d'un très grand in-
térêt si la lecture de M. Prentice pouvait être garantie II interprète : "O]poi x/j; à[csuHoiz tt)?]
yric, Ka7ip[oêa](p)ri[v)(îiv. On a graud'peinu à suivre
(àY)îaç M[apta;] cette restitution sur le fac-
similé; mais une discussion de celte lecture et d'un certain nombre d'autres allongerait outre
mesure ce compte rendu. —
P. 104, lire Voussoirs au lieu de Voissoirs.
RECENSIONS. 289

eut la meilleure inspiration en lui contient naguère la difficile entreprise. Inaugurée,


voici tantôt vingt ans, par le relevé du Djôlàn, la tâche a été poursuivie avec persévé-
rance selon que les conditions du climat, la situation politique et les moyens maté-
riels l'ont permis. D'excellentes sections, depuis longtemps achevées, ont été publiées

dans la ZDPV.\ les feuilles qui comprennent le Djùlào et la Batanée méridionale


ZDPV., IX, XX et XXIL ont déjà rendu de précieux services. Poussé actuellement
jusqu'au Zerqâ (Jaboc), le levé topographique a atteint le fragment du Survey an-
glais et sera peut-être arrêté là; du moins est-ce la limite méridionale assignée à la

carte en cours de publication. On sait que M. Schumacher, ingénieur très expert,

est en même temps le meilleur dessinateur cartographe. Les premières sections pro-
visoires de sa carte avaient été dressées à l'échelle de 1 : 1.52.000" suffisante pour le

plateau central peu accidenté et relativement peu compliqué à traduire, mais qui en-
traînait de sérieuses difficultés quand il fallait rendre avec une satisfaisante ckirté le
relief des rampes tourmentées qui descendent vers le Ghôr et enregistrer une topo-
nymie assez touffue. Pour l'exécution définitive il a adopté une échelle presque triple,
1 6.3. 360^ Ce chiffre, dont la raison d'être n'apparaît pas d'abord, a sa parfaite jus-
:

tification en ce qu'il correspond, aussi exactement que possible dans la réduction des
mesures de systèmes différents, à l'échelle de la carte anglaise de Cisjordane :

1 pouce par mille. C'est aussi surSurcey que M. Schumacher


le a pris sa base et lié

son réseau de triangulation. La nouvelle carte se présente donc comme une exten-
sion de la carte anglaise; mais il faut ajouter extension perfectionnée.
Ellecomprendra 12 feuilles de -56 X
58 centimètres pour couvrir la zone incluse
entre l'Hermon et la campagne de Damas au N.. le Jourdain à l'O.. le Zerqà au S.,

le Dj. Drùz et le Ledjà à l'E. Les deux feuilles déjà parues sont celles de la région

méridionale moitié inférieure du Dj. 'Adjlnûn entre le Zerqà au S., l'on. lâbis au
:

>'., le Jourdain à l'O. et la steppe de Hamâd à l'E. Les terrains sont interprétés au

lavis en teinte bistre délicatement ombré pour marquer des escarpements plus sail-
lants. Ce procédé ne fournit pas la précision du relief exprimé en courbes de niveau,
ce qui eût exigé un nivellement plus complet et à peu près sans fruit il donne ce- ;

pendant une exacte notion du sol dès qu'on a pris la peine de se familiariser avec
cette très habile interprétation conventionnelle et .rien de plus aisé que d'acquérir
cette familiarité de lecture par l'examen comparé des cotes d'altitude assez multi-
pliées. Suivant leur nature, ravins, vallées et torrents sont exprimés en brun ou bleu.
Voies de communication, cultures, forêts, ruines, centres habités, sont représentés
en noir par les signes usuels. Une teinte rouge nuancée distingue les localités per-
manentes des sites occupés quelques mois seulement dans l'année. Une teinte verte
fournit les délimitations administratives. Toutes les écritures sont en noir et telle est
la netteté de ces écritures, si heureuse l'harmonie des corps adoptés, si soigneux l'a-
gencement des indications qu'il n'y a nulle part obscurité, ni surcharge, malgré la
richesse d'une documentation toponymique à utiliser en toute sécurité, car on sait
depuis longtemps la compétence toute spéciale de M. Schumacher en cette difficile
matière. Il est bien rare que son oreille très exercée ait été prise en défaut dans la
perception de ces articulations onomastiques arabes souvent peu nettes dans la pho-
nétique courante, toujours faciles a nuancer quand on les entend de bouches diffé-
rentes et plus encore dès qu'on cherche à contrôler, par la gramiuaire ou l'étymologie,
des vocables populaires maintes fois peu scientifiques. Le système des transcriptions
est celui des publications du Palàstina Ve/'ein, rationnel et pratique, appliqué d'ailleurs
avec de légères nuances {dj. au lieu de dsch: q pour /; et de rares autres) dans la
REVUE BIBLIQUE 1910. — >'. S.. T. VII. 19
290 REVUE BIBLIQUE.

lievve. On compte faire paraître deux feuilles par an. Quand la carte ainsi conçue et

commencée sera livrée tout entière, on aura sous la main le meilleur instrument de
travail pour une étude pratique et précise de la Palestine orientale. Dès maintenant
les biblistes seront heureux d'utiliser les sections prêtes et tous sauront en apprécier
grandement le caractère scientifique et la parfaite élégance.

Jérusalem.
H. VlXCEXT. O. P.

I. Der islamische Orient. Band II : Die arabische Frage mit eincm Ynsuchc
der Archdologie Yeinens. von iMartin Hartmàxx; in-8" de x-08.5 pp. Leipzig.
Hanpt, 1909.
II. Der Islam : Geschichte-Glaube-Recht. Ein Handbuch. von M. Hart-
MANX: petit in-8'^ de v-188 pp. Leipzig, Ilaupt. 1909.
m. Inschriften aus Syrien, Mesopotamien und Kleinasien gesammelt
im Jahre 1899 von Max Freiherrn. von Oppkxheim. — I, Arabische
Inschriften bearbeitet von Ma.r van Berchem, mit 26 Abbildungen und 7 Licht-
drucktafeln; gr. in-8° de 158 pp. Leipzig, Hinrichs, 1909.

I. —Après avoir donné au public un premier volume de recherches sur l'Orient


islamique, M. M. Hartmann consacre aujourd'hui un gros livre à l'étude de la
« question arabe » avec un essai d'archéologie du Yémen. L'ouvrage commence par
une vue rapide : Introduction, p. 1-3 ; l'Arabie ancienne, p. 4-61 : l'Arabie moyenne,
p. 62-7.5; l'Arabie nouvelle, p. 76-92. C'est une sorte de résumé du livre entier. Les
sources auxquelles a puisé l'auteur sont indiquées dans les développements, qui
occupent la majeure partie du volume, exactement 499 pages. D ms ces notes expli-
catives sont accumulés de précieux renseignements. Les pages -593-624 contiennent
lesadditionset les rectifications. Viennent ensuite trois indices: un index alphabétique
très détaillé, un index des auteurs et ouvrages cités, un index des inscriptions.
Deux circonstances ont déterminé M. Hartmann à reprendre un travail dont le
plan était conçu depuis longtemps : l'envoi de nouveaux documents de Sana'a par
M. H. Burchardt et la dernière révolution de Turquie. En deux mots, c'est tracer
tout un programme. La vieille Arabie, qui s'obstine aujourd'hui autant que Jamais à
fermer ses portes à l'investigation des savants, sera étudiée à la lumière des docu-
ments que de hardis voyageurs ont réussi à arracher à sou sol inhospitalier. Et
l'Arabie nouvelle, peut-être aussi inconnue du grand public et aussi mal jugée que
l'ancienne, sera en quelque sorte dévoilée appréciée daprès les observations direc-
et

tes de l'auteur, ses relations personnelles, les publications récentes ou les documents
officiels. L'auteur est parfaitement à même de conduire à bonne fin ce travail délicat.

Quiconque voudra se renseigner sur la « question arabe homme politique, ^' —


économiste, historien ou simple spectateur —
trouvera dans cet ouvrage d'excel- .

lentes données, des indications lucides et, la plupart du temps, une saine apprécia-
tion des faits et des hommes. A rédiger cette partie de son livre, l'auteur nous
avertit qu'il a mis un « amour particulier » ; nous ajouterions : et parfois une passion
excessive. Assurément il permettra à ses lecteurs de ne point partager toute sa
manière de voir siu* la politique de certaines nations européennes, en Orient. Trop
souvent ses appréciations de ce qui n'est pas allemand sont dures et ne répondent
pas aux faits de l'histoire. On fera aussi des réserves sur ses jugements touchant les
missionnaires et l'élément ecclésiastique indigène, p. 77, 81. 90, .5.52 s., etc. (I).

(1) Sur l'Orient actuel, on lira avec intérêt les beaux articles
récemment puljliés par M. L. Ber-

trand dans la Revue des Deux-Mondes et réunis en un volume Le mirage oriental. :


RECENSIONS. i9l

Quand il s'agit d'un idéal qui n'est pas le sien. ;M. Hartmann ferait sagement de ne
pas abuser de la tendance à la « 2;énéralisation et à la « mise en bloc dans le

même sac », tendance contre laquelle il est en garde ;i propos de l'antiquité. Mais
nous n'insistons pas sur cette partie de l'ouvra^ie ni sur celle qui est consacrée à
<(l'Arabie moyenne ». Hàtons-nous de passer brièvement en revue l'exposition des
faits et des institutions qui regardent l'ancienne Arabie : les biblistes autant que les
simples chercbeurs y trouveront à glaner.
La « question arabe » existe, affirme l'auteur, et elle naît de l'unité d'un peuple et
non de l'unité de la foi. L'Islam en tant que religion a réuni sous sa bannière des
nationalités fort différentes de mœurs et d'institutions: parmi elles la nationalité

arabe doit occuper une place marquée. Mais ce terme de « nationalité arabe » est-il

exact? M. Hartmann emploie avec raison l'expression de « peuples de langue


arabe », et il restreint son étude aux habitants de l'Arabie. Et même cette dernière
appellation « Arabie » répond à une systématisation des anciens auteurs, non à une
dénomination en usage parmi les indigènes. Les Arabes, dans les inscriptions an-
ciennes comme dans la langue actuelle, signifient les bédouins, les nomades, les

habitants de la steppe, ceux qui demeurent sous la « maison de poil », qui trans-
portent leurs domiciles à travers le pays suivant les saisons et la nécessité de nourrir
les hommes et les troupeaux. Par conséquent, les Arabes habitaient anciennement
comme de nos jours les régions du nord, du nord-ouest et de l'est du pays que

nous appelons l'Arabie; l'auteur désigne ces régions sous le nom d'Arabie du nord.
Trois groupes principaux de peuples auraient habité ce territoire relativement
étendu. Un groupe de caractère araméen est représenté surtout par la colonie de
Teimâ. Un second groupe est de caractère yéménite : les inscriptions minéennes trou-
vées à el-'Ela prouvent que l'influence de l'Arabie du Sud a pénétré dans l'Arabie
du nord y a marqué fortement son empreinte. Les .Minéens à el-'£la ont proba-
et

blement cédé la place aux Lihyànites qui ont laissé à llereibeh des traces de leur

civilisation Cl D'autres peuples, tels que les Ghassanides et les Lakhmides. sont
.

probablement d'origine yéménite ainsi que les Safatéens et les Tamoudéens.


Le troisième groupe, auquel l'auteur reconnaît le caractère arabe ou bédouin,
s'étend à des pays divers. A l'orient, c'est Palmyre qui après avoir fleuri un moment
disparaît comme un torrent dans Du côté de l'occident, les Xabatéens avec
le sable.

Ma 'an et Pétra ['2} attirent le commerce. A ce groupe se rattachaient les Ituréens


qui au temps des Piomains s'étaient fixés dans l'Anti-Liban.
L'auteur cite ces groupes sans les soumettre à un examen détaillé ce sont des :

Arabes plus ou moins nomades. L'Arabie du Sud au contraire était habitée par une
population sédentaire qui avait nom Minéens, Sabéens, Himyarites. M. Hartmann
:

a lentement déterminé son cadre: il entre maintenant dans l'étude approfondie de


ces peuplades en prenant pour règle de ses recherches ce principe incontestable :

là où il n'y a pas de documents, il n'y a pas d'histoire. L'exposition des faits sera en
quelque sorte le commentaire des inscriptions.
Tout d'abord, on rencontre des renseignements sur les difTérents états mentionnés
dans les documeats en première* ligne le royaume des Minéens avec Ma 'in pour
:

capitale. Les rois connus avec leurs généalogies sont nommés et combien inté- —
ressants ces noms composés avec le nom divin Ya(_a''il, Ili yafa', Waqahil, etc.! :

(Ij Voir à ce sujet l'article sur les Anliquitt-s religieuses de l'Arabie du Nord, dans RB.,
1909, p. 370 ss.
(2) .\ ces deux villes devra se joindre désormais al-lleger, maintenant mieux connue après la
Mission archéologique en Arabie parles PP. Jalsse.n et SAVicxiC, Paris, Leroux.
292 REVUE BIBLIQUE.

— La liste n'est pourtant pas complète, de sorte que l'historien se trouve dans l'im-
possibilité de marquer le commencement et la fia de ce royaume. L'auteur placerait
volontiers sa durée entre 700 et 250 avant Jésus-Clirist. On est déjà loin des quinze
siècles avant notre ère que certains savants lui accordaient généreusement. La dé-
couverte récente de l'inscription gréco-minéeniie de Délos (1) confirme les calculs
plus modérés déjà suggérés par M. David Heinrich Millier et le plus grand nombre
des orientalistes.
A côté de la puissance minéenne, se développait le royaume de Saba. Il semble
que les premiers titulaires portaient le nom de Makrab ou Mukarrib dont la signi-
fication n'est pas défiuitivement déterminée; ils prirent ensuite le nom de rois de
Saba et gardèrent le pouvoir jusqu'à l'arrivée des Hamdanides — vers le commence-
ment de notre ère? —
qui se firent appeler « Rois de Saba et seigneurs de Raidan ».
On compte plus de quarante personnages décorés de ces deux titres. Puis, vers 280
après Jésus-Christ, on trouve un certain Sarair Yuhar'is qui s'appelle « Roi de Saba,
seigneur de Raidan, de Hadramôt et de Yamanât », mais sa puissance ne put ré-
sister à l'invasion abyssine. En 378, le royaume paraît reconstitué et dure jusqu'en
525. Les inscriptions mentionnent aussi les rois de Qataban, de Hadramôt, de Ka-
minahû, de Haram et de sept ou huit autres petites localités. Voilà certes un bien
grand nombre de minuscules États, de principautés différentes qui sont loin de don-
ner à l'Arabie du Sud l'aspect de la cohésion et de l'unité. Connaître ces noms est
sans doute intéressant, mais on aimerait à pénétrer dans la constitution de ces grou-
pements humains et à saisir leur vie intime. C'est à la connaissance de cette orga-
nisation sociale que s'applique maintenant Hartmann. Comme les matériaux sont en
nombre (2) restreint, il reconnaît ne pouvoir donner une solution définitive aux mul-
tiples problèmes soulevés par une pareille étude, tout en essayant d'établir déjà
certaines conclusions assez assurées.
La première raison de cohésion dans la société, c'est l'unité d'origine, la partici-
pation au même sang. La communauté de langue, l'unité d'intérêts, les mêmes
conceptions des choses pourront engendrer un accord plus ou moins ferme; la vraie
société est bâtie sur le sang. Notons en passant cette conception de l'auteur qui se
vérifie surtout chez les Sémites.

A cettecommunauté du sang est naturellement liée la législation du mariage qui


est brièvement étudiée. La polygamie n'est affirmée par aucun texte: au contraire,
il semble que la monogamie, au moins pour les nobles, fut la règle ; ce qui n'aurait
pas empêché l'admission d'une concubine. Le droit serait donc assez semblable à
celui du code de Hammourabi et on serait loin de la licence effrénée attribuée aux
Arabes du Nord au temps de Mahomet. La femme est appelée n""^^ et pris*. En s'ap-
puyant sur un texte de Strabon (XVI, 4, 25), on a communément admis la polyan-
drie parmi les Sabéens. Grâce à l'appui qu'elle a reçu de célèbres orientalistes, cette
opinion est devenue assez commune pour qu'on ait pu écrire dans Kinship and
Marriage (nouv. édit., 1903, p. 316) Evidence for the existence of polyandry
:

(1) V. Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1908, p. 310-560 et RB.,
1909, p. 486.
De nouveaux documents ne larderont peut-être pas à être livrés à la curiosité légitime
(2)
des savants, si nous en croyons M. Otto Weber. Cet orientaliste distingue vient de donner à
la collection der alte Orient le deuxième cahier de l'année 1909, intitulé Eduard Glasers :

Forschungsreisen in Sàdarabien. Après avoir r;ippelé d'une manière fort intéressante les voya-
ges du liaidi explorateur, il mentionne l'inventaire dressé par M. le professeur Homniel des
inscriptions laissées par le défunt. Puissent ces trésors être bientôt mis à la portée des orien-
talistes.
RECENSIONS. 293

among the ancient arohinas hos been fûund hy Gloser and Winchler. Hartmann n'ac-
cepte nullement cette conclusion ainsi géQ'^ralisée qui lui paraît « antiscientiQque et
moustriieuse ». Pour lui, Straboa raconte une anecdote (i; étrange qu'il place dans
l'ArabieHeureuse; mais se servir de l'bistoire des quinze frères qui. tour à tour.
pour admettre la polyandrie dans TArabie. c'est ne tenir aucun
visitent leur sœur,
compte de la haute culture à laquelle étaient arrivés les habitants du Yémen au
temps de Strabon, et attribuer à l'Arabie du Sud des usages spéciaux qu'on ne re-
trouve pas chez les peuples sémites voisins. Il est vrai que les hiérodules semblent
n'avoir pas été inconnus, car une inscription, restituée par (2^, mentionne Hommel
une quinzaine de femnies consacrées à la divinité. Mais, en dehors de textes for-
mels, on ne peut reconnaître à cette institution l'ampleur qu'elle avait dans d'autres
pays, en Syrie par exemple. Et d'autre part, nous voyous que les fautes contre les
mœurs étaient soumises à des châtiments sévères: on en peut juger par les quatre
inscriptions ayant trait à la pureté, citées et traduites par l'auteur (3).
Le développement de la famille étend la parenté qui se maintient dans tous les

groupes sortis de la même souche: c'est le ahel arabe tel qu'il se trouve main-
tenant chez les nomades et les demi-nomades 4 . Il ne paraît pas que le sabéen
possède un terme spécifique pour signifier ce premier groupement, la parenté, (h'e

Sippe. Cette idée d'appartenance à un groupe est rendue par "z. i;2. " fils de >-.

ou par ï. ri"r, Tix. '^nx". ceux ". de... », " ceux appartenant à... ». L'auteur donne
une liste très détaillée de la paae 22.5 à la page 336; de ces Sippen, mentionnées
dans les inscriptions, y compris celles que nous a conservées la tradition arabe.
D'après le développement de la famille doit aboutir à un
procédé normal, le

groupement plus considérable, à une tribu, quelle que soit, du reste, la théorie
qu'on adopte sur l'origine vraie de la tribu (5). Pour rendre ce concept, le Sabéen
emploie le terme z'JZ' qui signifie peuple en tant que race et peuple ou troupe en
tant que soumis à un chef. Par conséquent, les noms qui sont précédés du mot z"'<L'
désignent les tribus: mais ces noms sont parfois des appellations de ville ou de ter-
ritoire. La plupart du temps, il sera impossible de déterminer lequel, du peuple ou

du pays, aura le premier porté ce nom et par suite comment il faudra l'inter-
préter. Par exemple, il est fort probable que 21"^" désigne toujours le peuple
Himyarite. tandis que le mot r,*'2"*î'ri s'applique à un territoire. L'auteur donne de
très amples renseignements sur les grandes tribus d'Himyar, de Ma in. d'Yatil, etc.

A propos de Ma 'in. il fait remarquer que la thèse qui le fait disparaître à l'arrivée
des Sabéens n'est nullement prouvée.
A la tête de ces Z'JX.' se trouve généralement un roi. un melek. D'après l'auteur,

la royauté a eu pour origine soit une oligarchie qui aurait mis à sa tète un de
ses membres pour maintenir l'ordre, soit l'état de brigandage qui ne pouvait être
ramené à la paix que par un chef puissant.
La première manifestation d'une société organisée, cest sa vie religieuse : c'est

aussi celle qui a pour nous le plus vif intérêt. Malheureusement, l'auteur, encombre
probablement par la richesse des matériaux, renvoie à une publication spéciale
t

l Mais c'est une anecdote qui n'a pas plus de valeur que le récit de certains explorateurs
lancés à la recherche d'un merveilleux qu'ils croient avoir trouvé, mais qui n'existe que dans
leur imagination.
^-2) Sûd-ar. Chrest., p. 117.

^3; Déjà signalées parleP.Lagrange dans RB.. 1901. p. 039 s. et dans ÉRS.-, p. 144s..-2oG, etc.
(4j Coutumes des Arabes, p. 11 ss.
{o} Ibid.. p. 107 ss.
294 REVUE BIBLIQUE.

les renseignements fournis par les inscriptions. A n'en pas douter, ce travail aidera
à comprendre le panthéon sud-arabique. Le dieu Altar a reçu un culte universel,

ainsi que déesse Sams; le premier est assimilé à l'étoile du matin et la seconde
la

au soleil. La lune aurait été honorée d'un culte plus resti-eint. Du reste, chaque
localité avait sa divinité Wadd, liawbas, 'Amm, JNakrah, Almaqah, Haul. Anbaï.
:

Ces divinités avaient des temples et les temples étaient desservis par des prêtres vrai-
semblablement constitués en hiérarchie. Pour les détails à donner sur ce sujet, l'au-
teur renvoie à sa publication future, et il passe aussitôt à des considérations sur la

vie économique.
L'Arabie du Sud ne ressemble en rien au territoire occupé au nord par les
nomades. Au lieu des steppes qui fournissent à grand'peine la nourriture des cha-
meaux, on renconti-e des champs fertiles et bien arrosés. La réglementation des
eaux est l'objet de soins minutieux souvent rappelés dans les inscriptions. Celles-ci
mentionnent avec un certain plaisir les puits creusés, les citernes cimentées, les ca-
naux restaurés. Les terres : champs de labour, palmeraies, vignes, sont mises sous
la protection spéciale des dieux qui veillent à leur fertilité. A côté de l'agriculture,
il est question de l'élevage du bétail avec une mention particulière pour le bœuf
et le chameau. Les inscriptions privées se terminent souvent par cette formule pour :

le salut de ses enfants et de son bétail.


Si la terre appartenait en grande partie aux nobles, elle était cultivée par les su-

jets. Plusieurs termes auraient été en usage pour désigner l'état de sujétion; par

exemple a~N signiGerait « une famille soumise au servage ». Cette catégorie aurait
été assez nombreuse puisqu'une inscription mentionne un Kebh^ ou chef préposé à
sa direction. On trouve r)2»X « servante », "2" « esclave ». On note que 'Abdse
rencontre devant un nom de roi Sxim~25/* « serviteur de Watar'il roi de Haram ».
:

Mais il ne paraît pas jusqu'ici que 'Ahd se trouve devant un autre nom que celui
d'un roi ou d'un dieu.
La condition de ces sujets nous est imparfaitement manifestée par les documents
sud-arabiques beaucoup moins nombreux et moius explicites que les documents
assyriens sur l'organisation de la société. Les serfs sous la domination des nobles
étaient attachés à la terre et n'avaient guère la liberté de se soustraire à ce joug,
même en établissant ailleurs leurs demeures, ce qui n'était pas laissé à leur libre
choix. 11 ne semble pas non plus, si on veut s'en rapporter à Pline (H. N., XII, 30},

que les habitants attachés à la terre eussent la liberté de se livrer à n'importe quelle
culture. Trois mille familles seulement avaient le droit de s'occuper de l'encens. La
meilleure myrrhe passait par l'Arable, mais n'y aurait pas été cultivée. Elle était un
article de commerce important avec l'encens et d'autres parfums. Ces marchandises
auraient eu une double origine. En partie, elles auraient été importées des pays
débarquées sur un des ports de la côte, à Kané ou à
voisins, des Indes surtout, et
Mûza' par exemple, d'où dirigées par voie de terre vers le bassin de
elles étaient
la Méditerranée. En partie aussi, et quelquefois les mêmes que les précédentes,
mais d'une qualité peut-être inférieure, elles étaient cueillies et préparées dans le
pays même et transportées ensuite vers l'occident. M. Hartmann rappelle à ce sujet
les divers renseignements fournis par les anciens auteurs, car les nouveaux documents
ne nous ont procuré jusqu'ici qu'une très faible lumière sur ces questions. On doit

noter cependant un détail typique, si l'interprétation d'une inscription d'Halévy


(120 et 231-2.34) (1) est définitivement acquise à la science. Après avoir déposé aux

(1) HOMMEi., Sii.d-ar. Chrest., 11".


RECENSIONS. 205

ports de la Méditerranée les produits de l'Orient, les caravanes chargeaient les


marchandises de l'Occident, et parmi ces dernières le bétail humain aurait occupé
une place assez notable. L'inscription dont il s'agit parle de quinze personnes dont
plusieurs de Gaza, consacrées à la divinité. Un texte de Joël 4, 8) recevrait de ces
lignes ua commentaire vivant. S'ad ressaut à Tyr, à Sidon et à toute la Philistie,
Jahvé dit " Je vendrai vos Ois et vos filles aux Juifs qui les vendront aux Sabéens.
:

nation lointaine ». L'inscription et le récit de Joël peuvent être contemporains.


Les inscriptions mentionnent de nombreuses localités, dont beaucoup sont précé-
dées du mot hfirjar « ville ». M. Hartmann promet d'en donner plus tard une liste
alphabétique. Chaque ville devait avoir un château, habitation du seigneur. La
construction de la demeure royale était l'objet d'un soin particulier. Ou veillait à

l'ornementation non moins qu'a la solidité. Une foule de termes d'arcbitecture se


rencontrent dans les inscriptions, termes dont la signification demem-era obscure
jusqu'au jour où une étude archéologique, entreprise et menée à bonne fin par un
homme du métier, nous aura fait connaître tous les détails des monuments actuelle-
ment existants.
A côté de la maison du roi ou du seigneur s'élevait généralement le temple dédié
à une ou à plusieurs divinités. Au temple, les fidèles apportaient leurs vœux et leurs
offrandes et dressaient leurs statues. Les dons sont mentionnés dans de nombreuses
inscriptions gravées sur la pierre et rédigées dans ime langue littéraire. Le rapport
de cette langue avec les autres langues sémitiques est incontestable: mais, pour Tau-
teur,,beaucoup de points demeurent dans une certaine pénombre. Sur les particu-
larités linguistiques,il s'abstient d'entrer dans des détails qui sans doute l'entraîne-
raient trop loin et dont les conclusions paraîtraient vraisemblablement prématurées.
Une des marques caractéristiques de la politique intérieure était la lutte perpé-
tuelle entre les seigneurs, jaloux de leur indépendance, et le roi. Chez ce dernier, la

tendance à l'absolutisme fut enrayée d'abord par l'établissement d'un conseil ou


sénat, misicad. D'autres institutions, ayant droit d'intervenir dans les affaires de
l'État, sont mentionnées en des termes Pour certaines lois, l'as-
difficiles à traduire.

sentiment du sénat était requis et parfois même


du peuple. Dans le rouage
celui
administratif, le Retirât jouait un rôle prépondérant. Cependant les fonctions et les
attributions du Keh i r noxxs sont imparfaitement connues. Il jouissait du privilège de
l'éponymat. On mentionne un premier et un second Rebir; on parle aussi d'un
Kchû' (iqiàn; mais tous ces termes restent encore dans une certaine obscurité, qui
empêche de suivre parfaitement le développement de la vie sociale. Ou est dans
une incertitude analogue sur tout ce qui regarde l'armée, sur son recrutement, son
organisation, son entretien et sa direction. M. Hartmann indique brièvement la dif-
férence entre l'état social du sud de l'Arabie et la forme du groupement, du haij, de
l'Arabie du Nord. D'après l'auteur. l'Arabie du Sud n'aurait pas subi l'influence de
l'Assyrie. Pourrait-on en dire autant de l'Arabie du Nord? L'influence araméenne est
assez nettement caractérisée. Elle pénétra en Arabie non par la violence mais dou-
cement et sans effort: en maint endroit elle imposa sa langue et en grande partie
ses conceptions religieuses. On en a^la preuve indéniable dans le culte dirigé à Teimâ
par Salm Sêzeb. L'appréciation sur le rôle commercial d'Egra par rapport à el-'Ela.
dernier entrepôt du Yémen dans le nord, paraît très juste. C'est vers l'an 2.5 avant
notre ère. sous le règne d'Obodas II, que les Nabatéens auraient accaparé le com-
mence du nord de l'Arabie. Leur désir était de faire passer par leurs mains toutes les
marchandises du Sud et c'est vraisemblablement pour atteindre ce résultat et con-
traindre l'Arabie du Sud à reconnaître ces prétentions que Syllaios se serait fait le
296 REVUE BIBLIQUE.

guide des troupes romaines dans rexpédition de Gallus. Mais les >'al)atéens, frappés
par celtemême puissance romaine, disparaissent comme royaume en 106. L'Arabie
du Sud doit se défendre contre ses déchirements intérieurs et l'iavasion des puissan-

ces étrangères : Rome, l'Abyssinie et la Perse. Si elle reconquiert son indépendance


après l'invasion abyssine, c'est pour succomber à l'âpreté des divisions intestines,
divisions dues, en très grande partie, d'après Hartmann, à l'introduction du chris-
tianisme et à l'adoption officielle du Judaïsme.
Les historiens aiment à délimiter le cadre dans lequel se meuvent les personnages
qui ont joué un rôle dans les destinées des peuples; M. Hartmann a très bien
réalisé ce programme. En quelques pages serrées, il dépeint la société sud-arabique
au commencement du un tableau des intrigues politiques, des
vii"^ siècle: il trace
différentes influences religieuses qui partageaient les cœurs et troublaient les esprits.
Il montre comment Mahomet sut comprendre les aspirations des peuples et eut

assez d'habileté pour faire converger vers son but tous ces puissants facteurs.

II. — L'Islamisme trouva le terrain préparé, et il réussit. Un second ouvrage de


M. Hartmann, Der Idam, le constate une fois de plus. La nouvelle édition de ce petit
livre destiné au grand public comprend treize chapitres. Les quatre premiers — l'A-
rabie, Mohammed, le Qoran et la tradition, le développement de la communauté
musulmane — rappellent les faits bien connus de l'histoire. On notera tel point parti-
culier mis en relief par l'auteur : les prostrations de la prière bien ordonnées à disci-
pliner une armée (p. 28 : le pèlerinage se renouant à une ancienne tradition. On
remarquera aussi le soin à rappeler certaines circonstances historiques pour motiver
telle parole du Qoran (p. 30 s.), méthode dont l'emploi était parfaitement inconnu
aux raccoleurs de traditions d'Abù Huraira, ne craignirent pas d'at-
qui, à l'exemple
tribuer à Mahomet les idées, les usages et les moeurs de leur temps. Le chapitre V
est consacré à l'enseignement du prophète, qui n'a pas été toujours conséquent avec
lui-même et a souvent modifié, daprès les circonstances, une première doctrine.
Le chapitre VI parle de la foi qui se résume dans la formule : Il n'y a pas d'autre
dieu qu'Allah, Mahomet est l'envoyé d'Allah. Le chapitre VU traite de la loi. On
lira avec le plus grand intérêt le chapitre VIII sur les obligations religieuses : la

pureté, la prière, le jeune. xMals les plus importants peut-être sont les chapitres IX
et X qui traitent du droit public et privé. On y trouve un excellent résumé, en
phrases très claires, des points réglés par la jurisprudence: il faudrait tout citer :

le droit des personnes libres, le droit des esclaves, le droit du mariage, le droit de
l'héritage. On sent que M. Hartmann possède la doctrine du Qoran et celle des
légistes. Le chapitre XI est consacré à l'association. On peut bien affirmer qu'un
seul lien existe entre tant de peuples divers : la religion. C'est le sentiment reli-

gieux qui les porte à soutTrir l'oppression la plus dure et la misère noire 1) ; ainsi

l'ordonnent Allah et son prophète! Le chapitre suivant, sur l'extension de l'Islam, est
fort suggestif. D'après les calculs de M. Hartmann, il faudrait compter 223.98-5.780
musulmans. Dans sa conclusion comme dans sa préface, l'auteur fait peu de fond
sur la foi musulmane pour la rénovation des peuples de l'Islam et l'élan à donner à
la nouvelle Arabie. On est encore loin de la solution du problème de l'adaptation :

du Qoran à la mentalité moderne, ou, pour s'exprimer plus correctement de l'in :

(1) En passant près du de '.\nata, au commeDcenient de novembre, je rencontrai un


village
fellah qui extrayait des pierres d'une carrière. Je m'arrêtai un instant. La conversation à peine
engagée, il me dit • Vous autres chrétiens, vous
: possédez maintenant le monde: vous avez
la richesse, la puissance, les plaisirs; nous, musulmans, nous soulïrons: mais les choses chan-
geront dans la vie future, bil 'âhirah : nous jouirons dans le paradis, et vous autres, pour tou-
jours, vous brûlerez dans le feu. »
RECENSIONS. 207

troduction de la civilisation moderne parmi les peuples musulmans. Un groupe de

pèlerins, composé des principaux musulmans de Damas, s'exprimait ainsi en ma


présence « Si. par liberté et civilisation, on entend les bonnes manières, la poli-
:

tesse, nous les acceptons; mais si. par là. on veut signifier la façon d'agir de l'Eu-
rope, surtout pour la liberté de conscience et l'émancipation de la femme, nous n'en
voulons pas. » Heureusement que tous ne comprennent pas ainsi la liberté.

III. — Les inscriptions arabes de MM. Oppenbeim et van Berchem apportent une
contribution remarquable à la connaissance de « l'Arabie moyenne ». On trouvera
dans ces nombreux documents des renseignements de première main sur des sul-
tans, des émirs et autres potentats qui ont administré des peuples arabes. Signa-
lons en passant le décret du sultan Qayt-bay, en 874 de l'hégire, sur la réduction
de l'impôt et l'interdiction faite aux employés, sous peine de déposition, de recevoir
une grotiflcation quelconque. Une inscription de llama rapporte qu'en 904 de l'hé-
gire, le sultan Oânsùh el-Gùry réduisit considérablement les impôts du village de
Kazu. Fort intéressante l'inscription de Iloms du sultan Baibars, en 666 de Thé-
gire le Sultan y est décoré du titre de « régulateur du serment de fidélité des deux
;

khalifats » et de celui de « destructeur des Francs ». Elle est suggestive, l'inscription


du tombeau de Halid -< glaive d'Allah et compagnon du prophète » ; ce tombeau est
un lieu pour dissiper les chagrins, on l'a constaté; c'est une citadelle imprenable
pour quiconque désire le salul . Le tombeau de Halid était sans doute consi-
déré comme un lieu de refuge. Ces multiples inscriptions se rapportent à des objets
fort divers : mosquées, forteresses, hôpitaux, écoles, tombeaux. Si le cadre de la

Revue ne une à une qu'il faudrait les étudier, sous


s'y opposait, c'est la direction
d'un maître aussi éminent que M. van Berchem. Son interprétation est toujours
lucide et très documentée. On regrette seulement de ne pas trouver à la un du
volume un index des mots arabes qui sont si doctement expliqués.
Jérusalem.
Fr. Antonin Jaussex.
BULLETIN

Questions générales. — L'éminent archevêque d'Albi a publié coup sur coup


Lettressio' les rtudes ecclrsci^tiques il), et L'Église et fa critique '2;. C'est le groupe-

ment de documents précédemment parus. Il les rassemble parce que " il est donc
permis à l'heure actuelle de reprendre avec sérénité et sécurité le travail interrompu
par une tempête passagère » [Lettres..., mi). Et il le fait avec d'autant plus de satis-
faction qu'il n'a rien eu à changer à un enseignement pastoral qui coïncidait « avec
les sages directions que FÉglise a tracées depuis à ses enfants >-. On connaît assez les
svmpathies de Mf Mignot pour le progrès des études, et son souci, d'une inspiration
si haute, de la dignité intellectuelle de TEiglise. Il n'est pas fâché de faire constater
aussi qu'il n'a pas été moins vigikmt à combattre Terreur moderniste dans ce qui
fut sa Somme auti-théologique, l'i-^çinsse d'une 2)hilosop]ne de la religion, d'après la
psychologie de l'histoire, par feu Auguste Sabatier. Les deux volumes seront d'autant
mieux vus du grand public qu'ils lui épargnent les discussions arides et les précisions

techniques; ils seront cependant utiles même aux spécialistes par la hauteur des
vues et le sentiment très ferme des relations à établir entre la tradition et la critique.
On sera particulièrement heureux de retrouver dans L'Eglise et la critique l'oraison
funèbre de M?^ Le Camus, portrait saisissant de vie et d'exactitude de cet infatigable
ouvrier dans le champ des études bibliques,

Mf Franz Egger a voulu soumettre à nu e.vamen dogmatique et critique une nou-


relle théorie, et il intitule son livre : Vérité ab.'^ohic ou relative de l'Écriture sainte? (3).

Le titre est d'autant plus étrange que, dans les prolégomènes, l'auteur s'explique
ainsi (p. 7) : « Par vérité uhsolue. nous entendons la vérité d'une proposition consi-
dérée en elle-même, telle qu'elle se présente objerticement: par vérité relative au
contraire, la vérité de la proposition dan.'i le sens-entendu par l'auteur. » Ion s'en
Si

tenait là, qui ne conclurait que la vérité de l'Écriture Sainte est relative? Car enfin
personne ne soutiendra qu'il faut isoler de son contexte l'affirmation de l'impie non :

est Deus. Aussi bien mon intention n'est-elle pas de discuter le livre tout entier. Je
tiens d"abord à remercier l'auteur d'avoir dit si nettement que les auteurs dont ils

parlent « se tiennent complèt^ment sur le terrain catholique » (p. vu) — et aussi à

tirer, comme on mon épingle du jeu, car je suis l'un des auteurs réfutés. La liste
dit,

comprend en leP.Lagrange je suis l'ordre de l'auteur', le P.de Hummelauer (4),


effet
le D^" Cari Holzhey, le D'' jNorbert Peters et le P. Zanecchia.

{I In 1-2 de svii-3-24 pi).. i.aijalda. Paris. 1908.


(-2) In-1-2 de xi-314 pp.. Gabalda. l'JlO.
3) Alisolute Oder relative Wfihrheit der heiligcn Schri/Ï? Dogniatisch-kritische iDtersuchun^
einei neutii Tlieoiie %on D"^ Kiaiiz Egcf.r, Weihbischof von Brixen, Geueralvikar in VorarlJierg,
de vni-39i pp. Brixen, Weger. 1909.
in-8"
est peu concluant d'opposer au docte et infatigable exegète ce
(4 11 qu'il a écrit en t87T. On
apprend quelque ciiose en une treniaine d'années.
BULLETIN. 299

Le docteur Holzhey répondu par une brodiure substantielle qui a traité de


a
soixante-dix points en quarante-huit pages ^l). 11 ne s'est pas seulement défendu lui-

m éme il a çà et là prêté un coup de main à ses co-accusés, et je l'en remercie. Sans


;

entrer à mon tour dans une polémique en l'ègle, je crois devoir faire remarquer que
bien des malentendus auraient été dissipés si M-'' Egger n'avait malheureusement in-
terprété très mal deux passages de ma Méthmle hisforiqnc. Il m'en coûte beaucoup
de dire le mot, mais enliu la vérité a ses droits, et peut-être aussi les personnes ; ce
sont deux contresens d'une grave conséquence. Qu'on en juge. Je suis pris à partie
un peu partout, — moins cependant que le P. de Humraelauer. à l'inverse de ce qui
se passe d'ordinaire — , mais surtout à propos de l'évolution du dogme et du concept
de l'inspiratioQ. Or, dans le premier cas. M?' Egger me fait dire, p. 84 : « Pendant

que les autres Sémites confondaient la divinité avec la nature, le dieu d'Israël n'était
pas tout à fait confondu avec un mot d'allemand, ou c'est le
elle. « Ou je ne sais plus
sens de cette phrase « Wâhrend namlich die iibrigen Semiten die Gottheit mit der
:

Natur konfundierten, \vurde der Gott Israels mit derselben nicht ganz vermengt ).
Naturellement Mt'"' Egger est très scandalisé de cette phrase. Il y revient plus d'une
fois (p. 85 et p. 220', toujours avec la même indignation, et naturellement il en tire cette

conclusion que j'admets une différence essentidle entre le dieu des patriarches et le
dieu transcendant et véritable, conclusion qu'il présente ensuite comme la simple
analyse évidente de ma pensée (p. 219). Je n'incrimine nullement la bonne foi de
>XPr Egger. Il a prétendu mettre entre parenthèses mon texte français « n'était du
tout confondu avec la nature » (p. 84). « N'était du tout », donc « pas totalement »,
donc « était en plus grande partie ». Mais il ne fallait pas omettre le petit mot pas.
Voici mon texte : « Ce dieu n'était pas du tout confondu avec la nature » (2), ce qui si-

gnifie « en aucune façon». Erreur ne fait pas compte; passons au second contresens.
C'est à propos de l'inspiration. J'ai écrit (3) que Dieu « n'imprimait rien de tout
fait dans l'esprit, pas même les pensées ». M^"" Egger semble avoir lu tout à fait .<

rien», car Gott ihm ganz und gar nichts in den Geist eindriickte. nicht
il traduit : «

einmal einen Gedanken » (p. 242 1. Les deux pensées diffèrent littéralement du tout
au tout. Faut-il expliquer ici que « rien de tout fait « entendait seulement exclure
•me conception mécanique de l'inspiration, comme si Dieu insérait dans l'esprit des
pensées toutes faites?
Il m'est arrivé souvent, au cours d'une carrière déjà longue, quand je demandais
à un de mes jeunes confrères de recenser un livre pour la Revue biblique, de lui

dire : « Si vous louez, lisez sérieusement: mais s'il s'agit d'une critique importante,
lisez trois fois (4) ». Combien de fois ne faut-il pas lire avant d'articuler des reproches
qui touchent à l'accusation d'hérésie?
Sans pouvoir alléguer un contresens aussi évident, j'estime que M?'' Egger n'a pas
compris non plus ma pensée à propos de l'évolution du dogme et du sens que pouvait
avoir pour un juif le mot de « Fils de Dieu » appliqué au Messie. Il me fait dire :

'< Le sens du dogme, tel qu'il existe en germe dans l'Ancien Testament, est un autre
que celui qui est fixé par l'Église au terme de son évolution o). » Cette phrase est

1) Fûnfundsiebzig zur Beantworlu.nf/ der Frage Ahsolute oder relative


Pi'iiLle : AValirlieit der
iil. Schritl? von D"^ C;irl Holzhey, in-8" de 48 pp. Miinchen, Lentner (Staht. 1909.
-2, La ittiHhode Ja'storiqne, p. G2.
3) Ibid., p. 80.
(4) Pouniuoi aussi m'altribuer sept conforeuces (p. 80) au lieu de six? Ce sont des vétilles, mais
<iui dénotent une certaine légèreté quand il s'agit des faits positifs.
(3,1 P. 219 Der Sinn des Dogmas, wie es im Alten Testamente keimartig vorliegt, ist ein anderer,
:

als wie er am Absclilusse seiner Entwickiung von der Kirche festgesetzt ist.
300 REVUE BIBLIQUE.

d'ailleurs un non-sens, car la comparaison du germe exclut une différence essentielle.

Je plaide non coupable. Voici le texte qui parait visé et contre lequel M^'"
Egger po-
lémise longuement à deux reprises Les prophètes lui annoncent (au Juif) un Mes-
: «

sie qui sera fils de Dieu. A supposer (Ui qu'on l'entendit alors d'une filiation adoptivo,

ce sens n'était nullement limitatif. I! serait au moins cela, et peut-être ce titre de Fils
de Dieu cachait-il autre chose (2). » A lire ces lignes sans préjugé, on reconnaîtra, je
pense, ce que j'ai voulu dire : les Juifs ne pouvaient comprendre toute la portée du
titre de Fils de Dieu, parce que l'enseignement de l'Écriture n'était pas alors suffi-
samment non point parce
clair, qu'elle enseignait clairement une filiation adoptive. ce
qui serait un dogme autre que celui que nous professons.
Jai dit que je me contenterai de quelques mots de défense personnelle sur des
points où ma pensée a été manifestement travestie parce que l'opposant ne sait pas
assez bien le français. Je me permets cependant d'appeler l'attention de M?'' Egger
sur un point. Il exprime quelque part une règle admirable : « On ne doit aussi
jamais lui demander (à l'historien consciencieux) plus que ce qu'il peut et veut fournir
d'après le matériel des sources qu'il a sous la main (3 . > Si l'auteur ne l'avait pas
perdue de vue, et s"il ne confondait pas ordinairement inspiration et révélation, il

n'y aurait plus aucune difficulté entre lui combat; il se serait


et les auteurs qu'il
en particulier dispensé d'arguer contre moi le reproche de blasphème (4;.
Le D"" Holzhey qui ne connaît pas seulement le français, mais qui en saisit l'es-
prit et les tournures, a bien voulu expliquer à Ms"" Egger le sens d'une phrase par-
faitement inoffensive. Je me suis permis d'écrire (5) « C'est un mérite de ne rien :

dire quand on ne sait rien v. En vérité, le beau mérite, s'écrie Ms"" Egger! —
Hélas! [L.'

Le Rev. Henry Barclay Swete, si honorablement connu pour son édition des Sep-
tante, sou introduction à cette Bible grecque, ses commentaires derApocalyp.se et de
saint Marc, s'est fait l'éditeur d'une série d'Essais sur l-'s questions bibliques actuelles,
par des membres de l'Université de Ce sont bien en effet toutes
Cambridge (6).
les principales, et les plus brûlantes questions, qui sont traitées rapidement dans
ces seize essais. En voici la liste Méthode historique dans l'A. T.. par M. Bevan;
:

l'influence (le la mythologie babijlonienne sur l'A T.. par M. Johns; la situation pré-
sente des recherches sur l'A. T., par M. Stanley Cook; l'histoire de l'église juive de
Nalmchodonosor à Alexandre le Grand, par M. Kennett; l'interprétation des psaumes,
par M. Barnes; ce qu'on peut tirer des écnts rabbiniques pour Vexégèse, par
M. Abrahams; l'idée eschatologique dans l'évangile, par M. Burkitt; l'usage qu'a
fait N.-S.de l'A T. par M. Me jSeile la théologie du quatrième évangile, par M. Inge
.
,
;
;

la valeur historique du quatrième évangile, par M. Brooke; Jésus et Paul, par


M. Anderson Scott: les discours de saint Paul dans les Actes, par M. Percy Gardner:
l'état actueldu problème synoptique, par M. Jackson; le grec du N. T. à la lumière
des découvertes modernes, par M. Moullon; Vhistoire et Vétat actuel de la critique
textuelle du A. T., par M. Valentine-Richards; la valeur religieuse de la Bible, par
M. Swete lui-même.

(1) Donc par pure hypothèse !

(2J La méthode historique, p. 48.


(3) P. U :MaQ darf aber voii ihni auch nie mehr verlaugen als das was er nacli dem vorhande-
nen Quelleamalerial bielen kanii und will.
(4) P. ot. note 1.
(3) La méttiode historique, p. -211.

(6) Essays on some biblical questions of the Day, by members of tlie University of Cambridge,
edited by Henry Barclay Swete, in-8» de xi-556 p. Macmillan, Loudon^ 1909.
BULLETLN, 301

Aucun essai ne pouvait se déployer assez pour constituer une monographie. En


général les auteurs se bornent à dessiner l'état actuel des questions d'après les vues
courantes à Cambridge. C'est ainsi que MM. Cook, Barnes, Jackson, Valentine-
Richards semblent plus particulièrement s'être contentés du rôle de rapporteurs.
Certaines personnalités percent davantage, M. Kennett en proposant des conjectures
nouvelles sur la composition du Pentateuque et sur la réforme de Néhémle, conjec-
tures plus hardies que solides, M. Moulton en montrant tout ce que le N. T. peut
gagner d'une étude plus attentive du grec vulgaire hellénistique que les inscriptions
et les papyrus ont fait connaître cet essai est vraiment le modèle du genre, expo-
:

sition brillante d'un fond très solide.


Il est superflu de constater, chez des savants aussi qualiûés, la dignité du ton,
l'étendue du savoir, la préoccupation constante du vrai.

Dans son ensemble, le volume ne représente pas seulement l'attitude des hommes
de Cambridge, il reflète les tendances de la critique anglicane actuelle, toujours res-
pectueuse des traditions, beaucoup plus ouverte aux nouveautés que la critique
catholique, mais sagement en garde contre les précisions outrancières qui surgissent
chaque jour en Allemagne. L'impression générale est cependant peu rassurante. On
a l'impression d'être dans le salon du bord où des hommes du meilleur monde, et

très bien informés, s'entretiennent de la route à suivre. Ils n'ont aucune confiance
dans les guides improvisés qui ont si souvent sombré sur des écueils où leur imagina-
tion plaçait des phares, et ils croiraient manquer à leur devoir en demeurant au port
par crainte du danger. Et cependant le vaisseau risque d'aller à la dérive... C'est
que, comme le sent si bien M. Burkitt, il ne s'agit pas seulement de critique textuelle
ou historique et d'archéologie, ni du problème synoptique ou johannique, il s'agit
de l'Évangile, c'est-à-dire de la croyance en Jésus-Christ et de l'espérance du royaume
de Dieu qu'il a prêché.Et M. Burkitt montre, dans des pages d'une inspiration très
élevée, que la morale même de l'Evangile n'est pas l'Évangile, sans cette espérance,
mais il ne nous dit pas comment elle sera satisfaite. Il est vrai que les dernières
pages, de l'éditeur, sur la valeur religieuse de la Bible, laissent le lecteur plus récon-
forté.
Ce recueil d'essai, en fixant l'état des questions, nous éclaire du même coup sur
l'état des esprits. C'en est assez pour lui donner une valeur tout à fait hors ligne,
comme élément d'information.

Nous mentionnons pour la dernière fois La Faculté de théologie de Paris et ses


docteurs les plus célèbres, par M. l'abbé P. Feret, qui est définitivement close par
le tome VII il). Les études exégétiques n'étaient pas très brillantes au xyiu*^ siècle
dans YAhna Mater. Cependant la fondation d'une chaire d'hébreu en Sorbonne
par duc d'Orléans (1752) était de nature à donner une impulsion
le nouvelle à ces
études. Mais on n'accordait au professeur que quinze jours ou un mois au plus
pour interroger et exercer ses élèves sur les principes de la langue hébraïque. Le
que le premier titulaire, J.-B. Ladvocat, se crut obligé de composer
résultat, c'est
une « grammaire hébraïque, à l'usaiie des élèves de Sorbonne, avec laquelle on peut
apprendre les principes de l'hébreu sans le secours d'aucun maître » (l'*^ éd. 175-5;
2® éd. 176o). L'école de Sorbonne eut maille à partir avec celle des Pères Capucins,
non pas précisément sur des points philologiques, mais sur des points de théologie
biblique. On voudrait bien connaître plus à fond le contenu des livres cités par ^I. Feret.
Du côté des Pères Capucins : Lettres de .1/. de *" (Guillaume de Villefroy} à ses

(1) ïome VI, 11" pp. Tome VII, \-o6-2 pp. Paris, Picard, 1910.
302 REVUE BIBLIQUE.

élèves pour servir d'inlroduction à l'intelligence des saintes Ecritures; et Principes


discutés pour faciliter l'intelligence des livres prophétiques et spécialement des Pseati-
mes, par de jeunes Pères Capucins. Du côté de la Sorbonne Besoigne, ïïêflexions :

*'*
fhéolor/iqucs sur les écrits de M. l'abbé de et de ses élèves, les jeunes pères Ca-

pucins; Ladvocat, Réflexions théologiques sur quelques Disserlaliojis données au


public par les jeunes pères Capucins dans le IV*^ volume des Principes discutés, etc.
M. Feret se contente de nous dire que selon Besoigne — « et il n'avait pas tout à fait

tort — y avait dans ces Lettres des considérations nouvelles, hardies, hasardées et
il

présentant parfois le caractère de paradoxes sur la loi ancienne et la loi nouvelle, sur
leur nature, leur efficacité, leur difTérence » (p. 279). Ne serait-ce pas, pour ceux
qui ont les grandes bibliothèques à leur portée, le sujet d'un article intéressant?
Le grand nom de BulTon rappelle la première escarmouche moderne entre les
théologiens et les savants naturalistes au sujet de la création du monde. La ma-
nière dont il avait expliqué la formation de la terre dans son Histoire naturelle

fut désnpprouvée par quelques théologiens. Craignant une censure de la Faculté, il


protesta de sa foi orthodoxe ; « Je n'ai eu aucune intention de contredire le texte
de l'Écriture; je crois très fermement tout ce qui est rapporté sur la création,
soit pour l'ordre du temps, soit pour les circonstances des faits-, et j'abandonne ce
qui, dans mon livre, regarde la formation de la terre, et en général tout ce qui
pourrait être contraire à la narration de Moyse » (Feret, VI, 205). M. Feret estime
que BufTon concilie des opinions scientifiques avec la première page de la Genèse

en voyant des époques dans les jours de la création. IMais il ne semble pas être
entré dans le détail de l'exégèse et il se contentait plutôt d'intervalles entre les

actes créateurs Tout concourt donc à prouver que


: « la matière ayant été créée
in principio, ce ne fut que dans des temps subséquens qu'il plut au souverain être
de lui donner la forme, et qu'au lieu de tout créer et de tout former dans le même
instant, comme il aurait pu faire, s'il eût voulu déployer toute l'étendue de sa puis-
sance, il n'a voulu, au contraire, qu'agir avec le temps, produire successivement et
mettre même des repos, des intervalles considérables entre chacun de ses ouvrages »

(Feret, VI, p. 209). C'est dans les Époques de la nature qu'il essayait cette con-
ciliation : « Au reste, je ne me suis permis cette interprétation des premiers versets
de la Genèse que dans la vue d'espérer un grand bien; ce serait de concilier à jamais
la science de la nature avec celle de la théologie » (Feret, VI, p. 211). BufTon ne
savait donc pas que sa tentative n'était pas la première, et il se doutait encore moins
qu'après lui tout serait à recommencer =— plus d'une fois — ,
jusqu'au jour où la

Commission biblique, tout en déclarant permise la théorie des jours époques, aurait
placé la Bible et la science sur leur vrai terrain par la décision du 30 juin 1909.
Aujourd'hui, personne ne chicanerait plus Bufl'on sur l'ordre du temps et les cir-
constances des faits.

J'avais fermé les Discours aux prêtres inc7\'dules de l'Église romaine (1), par
M. L. Mertens, avec la résolution de ne point parler dans la Revue de ce répugnant
ouvrage qui s'intitule en sous-titre Le renversement de la démonstration chrétienne.
:

Mais peut-on laisser passer, sans protester par un mot, les imputations de l'auteur,
quand il accuse si violemment des exégètes catholiques de compromettre le catholi-
cisme et de ruiner l'apologétique chrétienne? Oui, ce personnage, d'ailleurs inconnu,

(1) Grand in-S» de 799 pp. Paris. Giard et Briére, 1900. L'ouvrage est inachevé. Plus de 350 pa^es
sont consacrées au Pentateuque.
BULLETIN. 303

et qui jette à la face des prêtres catholiques l'accusation infamaute d'hypocrisie, après
avoir consacré des centaines de lourdes pages à détruire, comme il le pense, les preuves
de rexi>tence de Dieu et les preuves de l'authenticité stricte du Pentateuque, pris sou-
dain d'un zèle étrange, se retourne contre ceux qui estiment que la foi catholique
n'a rien à craindre de l'usage de la critique. Jamais conservateur intransigeant, non
pas même les plus hostiles à tout progrès, n'a montré une pareille susceptibilité en
matière de doctrine. La pensée de l'auteur est d'ailleurs très claire : il redoute le

bon effet produit sur tant d'esprits par une tentative loyale, et, osons le dire, bien
informée, de profiter de toutes les recherches modernes pour l'honneur des bonnes
études dans du catholicisme intégral. Il est tout à fait galant, pour ne pas dire
le sein

bouffon, qu'un athée se montre si chatouilleux sur le chapitre des convenances di-
vines. L'idée qu'il a de Dieu est d'ailleurs très rudimentaire. puisque d'après lui :

« L'action de Dieu comporte pour ainsi dire nécessairement une violence faite aux

lois de la nature » i^p. 774 C'est parce que M. .Mertens regarde l'Ecriture sainte et
.

les lois données par Dieu comme des actes violents qu'il ne peut absolument rien
comprendre aux explications fournies dans la Revue biblique et ailleurs sur la con-
descendance de Dieu dans ses rapports avec l'humanité: son action perfectionne les

qualités naturelles sans les violenter, même par l'inspiration et par la grâce. Au
lieu de s'acharner à détruire chez les autres la foi qu'il a perdue, M. Mertens devrait
s'appliquer à mieux comprendre ce qu'on lui a enseigné au séminaire.

Nouveau Testament. —
M. Gaspar René Gregory est arrivé au ternie de son
monumental ouvrage sur la critique textuelle du Nouveau Testament il). Ce dernier
volume comprend une petite introduction sur les différentes classes de textes, résumé
de l'exposé très vivant qui a paru dans le volume sur les manuscrits grecs icn 19 08 :

cf. RB.. 1909, p. 303 ss. , et quelques conseils sur le choix des variantes afin de se
rapprocher le plus possible du te.xte primitif. Le gros du volume est consacré à des
appendices considérables, et à des indices très utiles. Le tout est rédigé avec la dili-

gence et la précision dont M. Gregory est coutumier. On regrette vivement qu'il ne


se soit pas décidé à donner une édition du texte. De si longs travaux préliminaires
l'avaient admirablement préparé pour cette tâche. Sa conviction est que rien n'ébranlera
les résultats généraux acquis par Westcott et Hort; mais puisqu'il est convaincu que
le travail des savants anglais peut être amélioré sur quelques points, que ne se met-il
à une œuvre où il serait accompagné de tant de sympathies ?

M. C.Toussaint, professeur auarand séminaire de La Rochelle, publie la traduction


commentée des Épitres de saint Paul {'I. avec des introductions. Le sous-titre Leçons :

d' exégèse, marque l'intention de l'auteur d'étendre à d'autres que ses élèves le bénéfice

de son enseignement.il s'est exprimé lui-même sur le but qu'il poursuivait en situant
son œuvre « à égale distance du manuel qui groupe des conclusions sans fournir de
prémisses et du commentaire technique ouvert à quelques initiés » ip. xxii). Par-
faitement au courant des travaux récents, il sait tout ce qu'exigerait un Commentaire
plus complet. L'on a n'a le juger que sur ce qu'il a entendu faire, et l'on peut dire qu'il
l'a bien fait. La pensée de saint Paul est moins analysée en détail que reconstruite
dans une large synthèse (3i, à la lumière des idées et des faits de ce temps. Le pre-

{V) Texlkritikdes Xeuen Testaments. Dritter Baad, in-S", delà page yy.) à la page 1485. Hiuriclis.
Leipzig, l'JOO.

(2) Èpiti-es de saint Paul, I. in-8° de xxiii-5<jG pp. Paris. Beaucliesne. lî>lo.
(3) Bien souvent on regrette une discussion délaillée qui seule pourrait faire la lumière. A
.304 REVUE BIBLIQUE.

mier volume comprend une introduction sur le cadre général des Épîtres, et l'étude
de 1 et II Tliess.. Gai.. I et II Cor. La seconde aux Corinthiens na certes pas joui
d'un traitement de faveur. L'auteur était-il pressé d'achever son œuvre? Le commen-
taire y est réduit à sa plus simple expression. M. Toussaint est de ceux qui savent
douter. Il ne se prononce pas entre la Galaiiedu Nord et celle du Sud (1), il pense que
saint Jacques, frère du Seigneur, portait le nom d'apôtre sans être des Douze, etc., etc.
L'explication se tient d'ailleurs dans les lignes de la théologie catholique ,2), avec un
sentiment très vif du progrès que peut réaliser l'exégèse (3).

Il un homme aussi profondément versé que le D"" Swete dans les


n'appartient qu'à
textes du N. un livre comme rEsp7-it-Saùit (/ans le Nouveau Testament,
T. d'écrire
Étude sur l'enseif/nement chrétien jvimitlf (A). Tout indique un maître qui exprime
synthétiquement ses vues, sans discussion ni polémique. L'ouvrage est divisé en
trois parties, selon qu'il s'agit du récit des faits, depuis l'annonce de l'ange Gabriel à
Zacharie jusqu'à l'établissement de lÉglise, de l'enseignement des difTérents écrits du
N. T., et des conclusions qu'on peut tirer relativement à l'Esprit-Saint
lui-même. Quel-
ques appendices et des tables terminent le volume. Le
Swete appartient à cette
D''

fraction de l'église anglicane qui aime à se dire catholique. Son livre est presque con-
forme à la doctrine de l'Eglise catholique romaine sur l'Esprit-Saint. Cela est d'au-
tant plus remarquable qu'il s'est efforcé avant tout, comme il le déclare, d'étudier en
elles-mêmes les conceptions des premiers maîtres du christianisme. C'est ainsi qu'il
montre combien peu était fondée l'imagination arienne d'un Esprit-Saint créature, et
qu'il établit solidement sa divinité. Mais l'Espritn'est pas seulement - Dieu en action,

c'est Dieu en relation avec Dieu » (p. 113); si le N. T. ne prononce pas le mot d'hy-

postase ou de personne, il ne s'explique bien que si l'Esprit-Saint « possède ce qui


répond à la personnalité dans l'homme d'une façon plus haute et incompréhensible
pour nous » (p. 293). A la vérité, M. Swete refuse daller plus loin, du moins comme
exégète de l'enseignement précis du N. T. Il ne voit enseigné nulle part que l'Esprit-
Saint procède du Père, à la façon dont l'alûrme notre Credo, encore moins qu'il
procède du Père et du Fils. Le Christ gloriûé est une source de l'Esprit-Saint; c'est
par lui que le Père l'envoie, mais on ne peut décider, à s'en tenir aux seuls textes, si
cette sorte d'équivalence du Christ et de l'Esprit vient de la pénétration complète du
Christ par l'Esprit ou de leur unité dans la vie divine. Toutefois répétons que ce sont
là surtout des scrupules d'exégète, qu'on peut juger excessifs, surtout en ce qui con-
cerne la procession du Saint-Esprit. M. Swete est tout porté à conclure du N. T.
que le Fils unique est dans une relation éternelle avec l'Esprit divin, le reste devant
être développé et précisé par l'Église.

propos de II Cor.. 3, l" « Le Seigneur est l'Esprit »,


: on voudrait autre chose que cette glose :

• par conséquent, l'antithèse vivante de la lettre et de tous les esclavages » (p. 459. D'autant que
M. T. voit là « un des aperçus les plus profonds de la christologie paulinienne » (p. 4.»7, note -2'.
Profond assurément, mais difficile et dont le sens est très controversé.
(1) Peut-t'tre l'auteur aurait-il moins hésité à préférer la Galatie du Nord (ce que porte d'ail-
leurs la carte géographique annexée), s'il avait lu l'excellent travail de M. Steinmann, Der
Leserkrcis des Galaterbriefe».
(2) M. T. admet sans bien le prouver que les écrits de Paul relèvent plutôt du genre dialecti-
<>

que que du genre épistolaire proprement dit » [p. ix). Ou eût aimé à voir du moins citer ici
l'opinion de M. Deissmann.
(3) Avec un jugement fort sévère du passé « Trop souvent, en effet, on lisait les textes à la
:

hâte, sans préparation philologique suffisante, et avec des préoccupations étrangères, risquant
ainsi de lornier un texte imaginaire à la place du text' réel > (p. vni .

(4; The Hobj Spiril in t/ie Xcio Testament, a Study of primitive Christian teaching. by Henry
Barclay Swete, DD. In-S» de vni-4l7 pp. Londres, Jlacmillan, 1909.
BULLETIN. 305

Les relations de l'Esprit-Saint avec riuimanité de Jésus sont la partie la plus in-

téressante, mais aussi la plus délicate du livre. L'humanité de Jésus lui vient tout
entière de la Vierge- Mère; on ne peut donc dire que l'Esprit-Saint soit son père, si
ce n'est dans ce sens que la conception virginale était un acte divin, émanant de Dieu
opérant par son Esprit (p. 29), L'action propre de l'Esprit sur cette humanité très
pure a été de la sanctifier comme l'image incomparable de Dieu. Intervenant à ce
moment où l'humanité de Jésus s'est formée dans le sein de Marie, l'Esprit-Saint est
descendu aussi pour oindre le Christ au moment du baptême. M. Swete sup|)Ose
évidemment en Jésus un progrès de grâces qui ne serait pas approuvé par les théolo-
giens catholiques. On n'admettrait pas que Jésus comprît seulement alors en pléni-
tude qui il était et quelle était sa mission. Toutefois il semble bien que, d'après les
textes évangéliques, Jésus reçut alors de l'Esprit une impulsion et pourquoi pas —
des dons? —
en vue d'accomplir sa mission comme Christ. De même à propos de
la tentation, on ne voudrait pas dire que ce fut « une discipline personnelle néces-

saire au perfectionnement de sa propre humanité », mais ce fut certainement « le


premier pas dans l'accomplissement de son œuvre officielle » (p. 53); avant de
chasser du monde l'esprit du mal, il devait repousser les attaques dirigées contre lui-
même.
Chemin faisant, M. Swete déclare que la célèbre formule trinitaire de Mt., xxvm, 19
est sans l'ombre d'un doute authentique. On ne lui reprochera pas de dire que c'est
(' une vie plutôt qu'un credo, une nouvelle relation envers Dieu plutôt qu'une nou-
velle théologie » (p. 126), puisqu'il fait sienne dans une note l'admirable formule de
S. Basile : « il faut croire.... selon que nous sommes baptisés ».
M. Swete s'appuie sans hésiter sur les discours deN.-S. dans le IV" évangile, « car
ce sont les siens, du moins en substance. Assigner à l'évangéliste plus que le rôle
d'un interprète, c'est estimer trop haut son génie et son inspiration, et limiter à tort
le but de la mission du Christ comme un révélateur de la vérité religieuse « (p. 130).
Cela est d'ailleurs entendu assez largement, puisque, d'après l'auteur, quelques
versets (Jo., m, 31-36) sont probablement des remarques de l'évangéliste lui-
même, fondées soit sur des souvenirs empruntés soit au Baptiste, soit à l'enseignement
de N.-S.

iM.Lefèbvre reprend dans les.4 »nft/es cZ« Service des Antiquités (X, 1909, pp. 1 ss.j

la publication d'un texte copte que M. Clédat avait édité sans commentaire, en 1908.
dans le même une inscription peinte en noir sur le fond d'une ancienne
recueil. C'est
chapelle de montagne d'Assiout. iNous l'insérons à titre de document intéressant
la

l'histoire des évangiles, avec la traduction de M. Lefèbvre.

+ AOVKAC UN ovoAeiii HO Pow ce qui est de Luc, k médecin,


— il fut disciple des apôtres (1).
cVqepuAOHTiiC iiahocto- Puis, il suivit Paid.
[,\oc : Il vécut 84 ans.

uiiiiccuc Aqovcveq iica


[nAv.voc :

c\qep eueiie TAqre iipoune

(i) Restaurer miAnOCTOAOtr.


REVLE DIBLIQUE 1910. — N. S., T VII. 20
306 REVUE BIBLIQUE.

5 AgceAi uneievAiTAiMOii. •> Il (•crivil cet c'vangile se trouvant en


Achaïe : 28.
eqjyoon en iiCcV iitaxaia :

Ensuite il écrivit les Acles : S4.


[kh V évangile selon Matthieu : ê7.
« I H 1 c to c Aqc2 I 1 1 II 1
- C'est le premier des ècangiles
[pAgIC : KA
-F n KATA UABAIOC IIGTAP-
TAIAIOII : Kï
n^opn ne en uevAr-
[taimoii
1^0 HTAVCAeq eir iovAAiA iO II fut écrit en Judée.
I

Quant à .U«rc (1), ^7 fut écrit en Italie.


-f- LIApKOC etOOJB IITAVGA2C|
[en eiTAAiA :

Ce texte, comme dans cette chapelle, peut remonter au > F


les peintures relevées

ou au début du rapproche de Vargumentum evanqeld secun-


vii'^ siècle. L'éditeur le

dum Lucam du prologue monarchien (2) et de la notice d'Eusèbe (HE., III, 4, 61 sur
l'origine de Lucet ses relations avec Paul et les Apôtres. Le texte copte en ditpluslong
qu'Eusèbe, mais il résume les renseignements de Vargumentum avec lequel 11 offre
cependant des divergences. Des manuscrits du prologue monarchien, dix donnent
73 ans à la vie de saint Luc, dix autres, 74 et un seul. 84, d'accord en ceci avec
notre copte. M. Lefèbvre se demande si Eusèbe, Yanjumentum et le texte copte ne
proviendraient pas d'une source commune inconnue. On nous permettra d'ajouter à
ces quelques observations cette notice d'un manuscrit des Actes qui se trouve à
Athènes (a 202, von Soden, Die Schriften des N. T., I, pp. 327, 365) et dont la

transcription est due au patriarche Méthode (842-846 ?) : sattv o ayio; Aou/aç... laipoç

T/jV TEy^vrjv, tj.a9ri-ri; a;:oaTo).rov y^voixâvoç -/.at ujTîpov IlauX'o rotpaxoX/jOrjaaç etwv oyoorj-
xovTa Tscaapwv £-/.oi[j./]9r( £•< Hy-jêaiç.., Outo; npoi>7:ap/^ovTwv rfir] euayysXiiov xou (aev xaia
MaiOaiov £v tt) lojoata avaypacpsvToç, tou oe xaia ^lapxov sv t/) IraXia, outoç... £V zoiçr.toi.

Tr,v Ayaiav TO Tiav touto a'jvsypa'LaTO îuayyîXtov... Kxi or) 'J-îTcT^iizol eypa^I-cV o auTOç Aouxaç
repaie iç anoa-oXtov.

Si l'on met en regard de ce prowinioa grec le latin de\'arr/nrne7itiun, ou sera vite


convaincu que le premier serre de plus près que le second la teneur de l'inscription
copte d'Assiout. Quant à l'antiquité du renseignement que fournissent ces divers do-
cuments, il n'y a pas à en douter, surtout quand on le compare aux notices que ren-
ferment les manuscrits coptes du Moyen Age. D'après ces notices, Luc devient dis-
ciple de Pierre, chef des Apôtres ; il écrit son évangile à Alexandrie pour le roi Théo-
phile. Plus loin, il est disciple de Paul, et écrit pour (ou dans) la dispersion, etc. (Cf.

Thecoptic Version ofthe N. T., I, Ixxix s.}.

Ancien Testament. —
Le P. Evariste Mader, professeur d'exégèse au séminaire
de Tivoli, à Rome, a consacré deux fascicules des Biblische Stiidien (XIV, 5 et 6) à

(1) ?(iJ<Jl)B sans doule pour ^COUJCI = Marc lui-même.


(2) CoRssEK, Monarchian. Prolof/. TU., I, 1. Ce prologue est généralement assigné au début du
111= siècle. Voici les parties de Vargumentum se rapportant à notre texte Lucas... arte medi- :

eus... discipulus aposlolorum postea Paulum seculus... LXXIII annorum obiit in Bilhynia...
Qui, CAimjam descripta essent evangelia per Matlhaeum quidem in .Judxa, perMarcum auteni in
Italia,... in A chaise par tiOus hoc scripsit evangelium... Cui Lucœ non immerito etiam scriben-
dorum apostoUcorum actunmpotestas in minislerio datur,élc.
BULLETIN. 307

une monographie sur les sacrifices humains chez les Hébreux et les peuples voi-
sins 1). Il avait d'abord l'intention de se borner aux textes de l'Ancien Testament

qui font allusion à ces sortes de sacrifices chez les Hébreux et de chercher à en don-
ner l'interprétation au point de vue du culte légal de lahvé. S'apercevant que ces
rites sanguinaires pouvaient être d'importation étrangère,il en vint, d'étape en
étape, à rechercher les originesdu culte de Moloch à l'influence duquel on attribue
parfois la présence des sacrifices humains chez les anciens Israélites. Et ainsi, à
côté de Die Menschenopfer der (dten Hehraer s'est ajouté, dans le titre, vnd der
henachharten Ynlker.
En douze propositions plus ou moins concises le P. iMader a pris la peine de résu-
mer lui-même les principaux résultats de son enquête (2 Sa grande découverte est .

que les origines du culte sanguinaire de Moloch doivent être cherchées... en Égvpte!
Après avoir en deux longs paragraphes discuté les textes hiéroglyphiques ou les
affirmations des classiques qui se réfèrent, de près ou de loin, à l'existence de sa-
crifices humains chez les Egyptiens, cinq pages et demie vont prouver que c'est de
ces mêmes Égyptiens que dérive le culte hébraïque de Moloch. Les preuves sont
rangées en sept groupes. Premièrement, étant donné que les Egyptiens ont de tout
temps sacrifié des hommes, ils ont pu influencer les Hébreux, quelle que soit la date
de l'Exode, qu'on la place en 12.50, en 1320, en 1437 ou en 1.500. Deuxièmement,
nous ne connaissons pas de sacrifices humains chez les Hébreux avant leur contact
avec les Egyptiens. C'est l'argument Pont hoc, ergo propter hoc. Troisièmement,
dans Ezech., 23, 19-21. 27 et 20. 7, le prophète reproche aux Israélites de s'être
souillés par les idoles des Egyptiens. Cette idolâtrie, d'après Mader, n'est autre ^ plus
ou moins j> que le culte de Moloch. C'est précisément ce qu'il faudrait
démontrer!
Ezéchiel, dans le chapitre 23, reproche à Israël son idolâtrie en Egypte dans les
mêmes termes que son idolâtrie en Chaldée. Les véhémentes images du poêle (Sama-
rie et Juda se prostituant aux Assyriens, aux Chaldéens, aux Égyptiens) n'impliquent

aucune allusion au culte de Moloch, pas plus lorsqu'il s'agit des Égyptiens que lors-
qu'il s'agit des peuples de la Mésopotamie. Quatrième preuve, le passage du Lev.

18, 3, où il est dit Vous n'agirez pas suivant la pratique du pays d'Egypte où
: •

vous avez habité, ni suivant la pratique du pays de Canaan, où je vous conduis! »

Mader s'empresse de citer le v. 21 : « Tu ne livreras aucun de tes enfants pour le


vouer à Moloch, et tu ne profaneras pas le nom de ton Dieu je suis : lahvé! » On ne
voit pas comment ce v. 21 se réfère plus spécialement aux cultes égyptiens que
les vv. 6-20 contre Finceste. l'adultère, les contacts anormaux; qui sont classés
sous la même rubrique. Comment ne pas voir, par contre, que le v. 3 s'applique
aussi bien aux mœurs du pays de Canaan qu'à celles du pays d'Egypte? Et enfin,
que l'auteur veuille bien continuer son texte! Il lira, à la suite des vv. 22 et 23 :

'( Ne vous souillez pas par toutes ces choses, car par toutes ces choses se sout souil-
lées les nations que je cais chasser de devant vous! »

Voilà qui désigne bien plus clairement les Cananéens et leurs congénères que les
Égyptiens!
La cinquième preuve est plutôt la réfutation d'une objection il n'y a en :

Egypte aucun dieu du nom de Moloch ou Milk! Le P. Mader répond que 1^ ce


nom de ~^*2 n'est pas un nom spécifique de divinité, et que 2 on a offert des sa-

^1) Die Menschenopfer der ulten Hebrâer und der benachbarten Viilker, in-8 de xix -\- l.s8 pp.
Freiburg im Breisgau, Uerder, UtO'J.
;2) Ces propositions sont traduites en franrais par le P, Lemonnyer [Revue des sciences pliilo^
sophiqv.es et théologiques, 1910, p. ICI s.,.
308 REVUE BIBLIQUE.

crifices humains à d'autres qu'à Moloch. Pour ce qui est de la première partie de
cette réponse, « il est incontestable que le nom de mélek est à l'origine un nom
commun; il est devenu, plus
mais encore que baal, le nom d'un dieu particulier,
quoique la physionomie de ce dieu soit difûcile à saisir, sans doute parce qu'elle ne

fut pas partout la même (1) ». Il ne faut pas oublier qu'il existe, chez les Ammo-
nites, un dieu national. 22*^*2, qui n'est autre que ce dieu « Roi » auquel on offre
des victimes humaines et qui a sa personnalité très accusée. Qu'on ait offert de ces
victimes à d'autres qu'à Moloch, cela prouve simplement que ces rites sanguinaires
ne sont pas indissolublement liés au culte de ce dieu. En tout cas. cela n'a rien à
voir avec la question de l'origine égyptienne du culte de Moloch chez les Hébreux.
Quant à citer, comme fait l'auteur, des noms
que nrj""2 « Set est roi », tels

"iSd "!CN « Osiris est roi », pour insinuer que le nom de -p'2 lui-même aurait
quelque rapport avec l'Egypte, c'est montrer qu'on n'a pas compris comment un
nom de divinité étrangère vient s'accoupler, dans n'importe quelle langue, aux élé-
ments ordinaires de l'onomastique cf. le nom d'Isidore. :

La sixième preuve est tirée d'Am.. 5, 2-5 s. L'auteur y revient avec prédilection
(pp. 169-172). Il n'hésite pas à remplacer le
mot ^["2 du v. 26 par "jin et à l'inter-
préter, avec Hartung, par « Ra d'On (Héliopolis) ». Il s'agit du dieu s.tleil des Égyp-

tiens! ce qui réduit notre auteur à donner à 2212 le sens d'astre en général. Voici
l'argumentation « Que l'expression 2313
: =
« Étoile » ne convienne pas pour « So-

leil », c'est-à-dire le dieu-soleil, ou ne peut le prouver; 22^2 peut bien comme le

"rec àdtpov être traduit simplement par « Astre ». et c'est en ce sens que nous-
mêmes nous appelons le soleil « astre du jour »; comparer encore Num., 24. 17.
où d'après le paralléHsrae 22"i2 s'emploie au Oguré pour « Prince » et « Roi », signi-
fication qui convient parfaitement à notre endroit! » Ce qui revient à dire que, pour

les besoins de la cause, on enlèvera à 2212 son sens ordinaire d'« étoile » pour lui
donner un sens qui lui permette de convenir au soleil, alors que tout le monde sait

que, dans la Bible, « les étoiles » (a''22"13) sont le terme employé pour désigner
précisément les astres autres que le soleil et la lune (2). Et pour ce qui est de l'inter-

prétation elle-même du texte, il n'est plus possible d'hésiter. Les astres dont il s'agit,
à savoir m2D et r''2, sont à ponctuer nîl2D et "(V^, qu'il faut identifier aux dieux

astraux Sakkut et Kaiwànu des Babyloniens (3). Tout est babylonien dans les vv.

26 et 27; pas la moindre allusion à l'Egypte.


Aucun des arguments apportés par l'auteur ne prouve l'origine égyptienne du culte

sanglant de Moloch. Les réserves faites par M. Hehn, dans Onentalistlsche Littera-
tur-Zeitung, 1909, col. 535 ss., sont parfaitement justifiées. Pour le reste, on ne
contestera pas que l'auteur a déployé une grande érudition à faire l'histoire des sa-
crifices humains chez les peuples apparentés aux Israélites. Un chapitre est consa-
cré aux Babyloniens et aux Assyriens. A propos d'un texte bihngue. le P. Mader
conserve à la partie idéographique l'appellation surannée d'accadien. L'accadien

désigne précisément le babylonien, opposé au sumérien; c'est la vieille langue du


pays babylonien d'Akkad (4) opposée à celle du pays de Soumer. Les textes apportés

(1) Lagrange, ÉRS. 2, p. 99.


(-2)Cf. Gen., 1, 16; 37, !t; Jec, 31. 35, elc...
(3) Cf. Van HooNAr.KF.K, sur
Amos, 5. 2C. Au sujet de Sakkut et Kaiimnu. Klolep., Slernkiinde
imd Sterndienst in Babel, p. 2-22. Dans la deuxième tableUe surpu, on trouve dans une série
astrale les dieux Sak-kut et Kaiwânu à côté l'un de l'autre (1.
1"9 .

(4) A la p. 43, on nous parle de la bibliothèque de Sargon


à Aganê: Il faut lire Agadé et ne pas^
parler d'une bibliothèque de Sargon l'ancien.
BULLETIN. 309

pour prouver la présence de sacriBces humains chez les peuples du Tiiire et de l'Eu-
phrate ne sont guère concluants (1. Les chapitres sur les Arabes, les Moabites, les

Ammonites, les Cananéens, les Phéniciens et les Carthaginois sont plus solidement
nourris de faits et de bonnes remarques et les discussions contre ceux qui ont voulu
assimiler lalivé Moloch sont bien conduites. Tout un chapitre est consacré à la
;i

question de savoir si lahvé a ordonné ou prohibé les sacriûces humains. La solution

n'est pas douteuse. Le passage d'Eze'h., 20. 2.5. 26 est interprété par le P. Mader,
comme si Dieu avait donné aux Lsraélites la loi de lui olTrir leurs premiers-nés (Ex-.,
22, 28). Les Israélites auraient mal compris. Cette opinion est réfutée par le
P. Condamin 2'. qui voit dans le passage en question lahvé tolérant ces sortes de
sacrilices, ou plutôt abandonnant les Israélites à leur aveuglement. Le même e.\é-

gète ajoute « Dans les pages 141-146, l'auteur le P. Mader) s'en prend à la cri-
:

tique du Pentateuque, confondant sous cette dénomination générale la critique litté-


raire et la critique historique, les conclusions des critiques radicaux et celles des
critiques conservateurs ou modérés. En réalité pourtant, lorsqu'il parle de « falsi-

fication raffinée », ses attaques portent seulement contre les partisans extrêmes du
système de "Wellhausen. Oh! ne perpétuoiis pas les malentendus en des questions si

graves. » On ne peut que s'associer à ces sages réflexions et regretter que des ca-
tholiques s'acharnent à mettre en opposition l'érudition et la critique, comme si

l'une et Tautre ne devaient pas s'unir dans la recherche de la vérité.

Dans le domaine de Tégyptologie proprement dite, ces dernières années ont vu


peu de découvertes sensationnelles intéressant la Bible. On saura gré. cependant, à
M. Alt d'avoir réuni en une petite brochure ce que les sources égyptiennes nous
apprennent des relations entre les Israélites et les Pharaons à partir de l'institution
de la royauté en Israël (3). L'auteur remarque avec justesse qu'on a surtout insisté
jusqu'ici sur les points de contact entre les Hébreux et l'Egypte à l'époque des pa-
triarches (à cause de l'histoire d'Abraham et de Joseph^ ou bien à l'époque de
l'Exode (à cause de Ihistoire de Moïse Il restait à svnthétiser les données histori-
.

ques concernant les relations diplomatiques entre les deux peuples, alors qu'Israël a
acquis assez de cohésion et de force pour se poser en royaume indépendant ou rival
de l'empire du ]Nil. Après un chapitre consacré aux sources, M. Alt divise son étude
en trois parties l^e.-^onq et Salomon, les Assyriens et les Éthiopiens, iN'échao et Xa-
:

buchodonosor. Il nTiésite pas à considérer la fameuse liste de Sesonq comme un vé-


ritable document historique et proteste ainsi contre la théorie qui voudrait y voir une
simple reproduction de listes plus anciennes, comme c'est le cas pour les inscriptions
de Ramsès III qui s'inspirent trop clairement des textes de Ramsès II et de Thout-
mosis m. La liste de ï^esonq a de remarquables particularités très fréquemment :

l'addition de la finale d aux noms de lieux et l'analyse de ces noms. Très intéressantes,
à ce dernier point de vue, les localités transcrites. Pa-'ameq la vallée de), Pa- =
haqlw (= le champ de Pa-nagebw (= le JSégeb. etc.. Il est regrettable que
, ,

M. Alt ne nous donne pas toutes les identifications possibles de cette liste. Ce travail
eût complété celui que nous a fourni M. W. M. Millier pour la liste de Thout-
mosis III {MDYG., 1907, V >"ous avons montré ailleurs l'utilité de ces énuméra-
.

(1) notre ouvrage sur La religion assyro-babylonienae, p. :27j.


Cf.
(-2) pratique d'apologétique, 1910, p. "01.
B.e\iue
(3) Israël und .Egypten, Die pohlisc/itn Beziehungen der Kônige ton Israël und Juda zu den
Pharaonen nach den Quetlen untersucltt von Lie. Theol Aldrecht Alt, Privatdozent in Greifswald,
petit in-8 de 104 pp. Leipzig, Hinriclis, -1909. Dans les Beitrc'ige zur Wissenschaft vom Alten Tes-
tament de KiTTEL \6™' fascicule).
310 REVUE BIBLIQUE.

lions pour la géographie d'Araourrou et de Canaan V. Signalons dans Sesonq :

Gamt {T^.y, Riobwti {'n^Z',. Ta'nqâ {-\l"'P). Sonemâ (2:^1^1, etc.. Pour la question

de Musri. l'auteur tient le juste milieu. Il reconnaît que ce nom désigne l'Egypte,
excepté dans quelques cas. par exemple I Reg.. 10. 28 s. et peut-être II Reg.. 7, 6)

où il s'agit du pays de Mu^ri que nous connaissons près de la Cilicie (2}. Ou s'étonne
que M. Alt donne encore le nom
de Kallima-Sin au roi de Babylonie contemporain
d'Aménopliis III. Cette lecture doit être déflnitivement abandonnée, car le véritable
nom est Kadasman-Horbe (3\ Le chapitre sur les Assyriens et les Éthiopiens utilise

avec beaucoup de pénétration les sources cunéiformes et fait ressortir comment


rÉg\'pte ne pouvait maintenir sa suprématie sur les pays bibliques, devant le dé-
luge de l'invasioD assyrienne. Les rois de Syrie et de Palestine Hoiront par marcher
comme vassaux dans cette expédition qu'Asourbanipal mènera jusqu'à Thèbes et que
le prophète Xahum remémore dans son oracle contre Mnive (3. 8 ss.\ Pour la
campagne de Néchao contre la Palestine, le silence des hiéroglyphes est heureuse-
ment suppléé par Hérodote :II, 1-59;. Mais ce n'était pas aux Égyptiens qu'il appar-
tenait de porter le dernier coup à la puissance de luda, pas plus qu'il ne leur était

donné de la maintenir. Jérémie s'élève contre ceux qui cherchent leur a'ppui dans la
vallée du. Lorsque Nabuchodonosor met le siège devant Jérusalem 586 nulle
>'il. .

intervention ne se fait pressentir d'au delà du torrent d'Egypte. Tous ces faits sont

bien mis en relief dans la dernière partie du travail de ^I. Alt.

M. 01a f A. Toflfteen continue ses recherches dans le domaine de l'archéologie


biblique. Nous avons présenté son premier volume à nos lecteurs 4i. L'auteur y trai-
tait de la chronologie en général et nous avons fait nos réserves sur la façon dont il

comprenait la chronologie biblique. Le nouveau volume est consacré tout entier à la


question de l'Exode étudiée à la fois dans les textes bibliques et dans la trame de
l'histoire :5). La majeure partie de l'ouvrage reprend la discussion des sources de
IHexatenque. M. ToÛ'teen voudrait faire à la fois la part de la critique et celle de la
tradition, fortiûant celle-ci contre crlle-là avec toutes les ressources de l'histoire.
C'est pourquoi un appendice est réservé aux papyrus d'Éléphantine et un autre aux
nouveaux matériaux qui s'ajoutent à ceux utilisés par l'auteur dans sa « chronologie
biblique ». Les dates attribuées aux documents de l'Hexateuque sont plutôt tradition-
nelles. Aiusi P doit être placé à l'époque de Samuel, et D à celle de Josué. Mais il
faut prendre garde que M. TotTteeu, en examinant ces documents, arrive à la conclu-
sion que « l'Hexateuque ne contient pas quatre documents, mais au moins sept, et
qu'aucun d'eux, excepté le D original, n'est contenu complètement dans notre Hexa-
teuque ». 11 distingue deux courants de traditions relatives à l'Exode, l'un représenté
par le livre des générations Toledoth Booli] avec J. E, D, l'autre par P et les petits

fragments que l'auteur appelle J-, E-, D-. Le premier courant représente l'Exode du
pays de Gosen, la législation donnée sur l'Horeb et dans le pays deMoab; le second,
l'Exode de Ramsès et la législation au Sinaï. Il faut suivre pas à pas la théorie de
l'auteur pour voir où il veut en venir. Après avoir cru prouver que le pays de Gosen
n'est pas le pays de Ramsès, il se pose la question : « Y aurait-il eu deux exodes,
l'un de Ramsès, et l'autre de Gosen? »

(1) RB.. 1908, p. •>04 ss.

(2J RB., 1910, p. (vi.

(3) Cf. Weder, dans Kscdtzox. Die ElAmarna-Tafeln, p. loll.


(4) RB., 19J8, p. »i28 ss.
'S) The historié. Exodtis by Olaf A. Toffteen. Pli. D. C.hicaKO. The univcrsity ot" Chicago Press
1909. Un beau volume in-s de xxii -j- 339 pp.
BULLETIN. 311

Il insiste ensuite sur la soi-disant impossibilité de concilier l'itinéraire de Pet celui


de J, E. D. <r C'est une tâche désespérée de chercher à les identifier. .Nous navons
pas de garantie qu'ils décrivent la même route. Une telle hypothèse ne peut guère
être concédée, car quelques-uns des principaux noms peuvent aujourd'hui être iden-
tiflés et les routes sont très distantes l'une de l'autre. » Puis, après létude de la légis-
lation : « Eu égard à tous ces faits, nous osons présenter comme notre conclusion
que l'hypothèse d'un double exode, si fortement suggérée par ailleurs, acquiert une
forte {emphatœ confirmation de l'histoire du développement des sacerdoces. » Fina-
lement deux dates différentes, l'exode selon P ayant lieu en 1141 av. J.-C. l'exode
selon J, E, D. en 1447. 11 est intéressant de voir avec quelle précision M. Toffteen
détermine sa double chronologie. Les difficultés si sérieuses d'établir la chronologie
biblique en général ne sont pas pour l'arrêter (1). Il donne un double tableau com-
prenant l'installation en Egypte, le début de l'oppression, l'exode, le commencement
de la conquête, avec les dates assignables à chacun de ces événements suivant l'une
et l'autre tradition. Il faut voir avec quelle candeur sont résolues les objections contre
ce double exode! Par exemple, au sujet de la cause de la migration en Egypte :

« Pourquoi, en ces temps semi-nomades, jugerions-nous improbable (2) que


des bandes juives chassées par la faim ou par d'autres causes (2), descendirent en
Egypte et en revinrent, non seulement une fois, mais une demi -dou:ainp défais (2). >/

Voilà qui permettrait de tripler et de quadrupler les exodes! A propos de la simili-


tude des itinéraires « Si un homme désire prendre un train de dix-huit heures de
:

Chicago à JNew-York, il n'a le choix qu'entre deux routes. Que si un voyageur fait
deux voyages sur l'une de ces lignes, par exemple celle de Pennsylvania, devons-nous
admettre nécessairement qu'il n'y a pas réellement deux voyages, mais un seul ? »

Voilà qui est charmant! Ajoutons que, lorsqu'il y aura un train de Port-Sa'id à Jaffa,
il n'y aura plus pour le touriste qu'une seule route pour son exode d'Egypte eu Pales-
tine.Mais pourquoi M. Toffteen s'est-il servi des différences entre les deux itinéraires
pour conclure à un double exode? Si l'on objecte que chaque législation est donnée
sur une montagne « Parmi les anciens, la montagne était souvent regardée comme
:

étant particulièrement le séjour de la divinité, et c'est spécialement vrai des Sémites.


En outre Juhvé, le dieu hébreu, était regardé essentiellement comme un dieu-mon-
tagne. » On comprend que M. Toffteen, épris par la nouveauté de sa théorie, soit
satisfait de aux objections. Le lecteur se défiera de cette façon de tout
ses réponses
réfuter en six pages, que plus de deux cent soixante-dix ont été consacrées à
alors
échafauder le système. La thèse de M. Toffteen n'est pas viable. En apparence con-
servatrice, elle résout les difficultés exégétiques avec une audace que n'ont pas les
théories critiques les plus avancées. C'est ce que feront bien de remarquer ceux qui
voudront se servir de cette thèse comme d'une arme nouvelle contre la critique.

Dans une langue que nos lecteurs connaissent déjà (3., M. Wilhelm Caspari
donne le récit dramatique de la crise subie par le royaume Israélite à l'époque de
David (4). 11 est évident que l'auteur vise à l'effet et c'est pour cela qu'il a choisi
comme point principal de son étude la révolte d'Absalom {Absalomschen Aufstond].
Sa publication est le centre d'un triptyque \ô') dont l'un des côtés est formé par ses

(1) Cf. RB., 190». p. 0-28 s.


(-2) Nous soulignons.
(3, RB., 1908, p. 034.
(4) Aufkommen und Krise des israelitischen Kôniglums unter David, Ursachen, Teilnehmer
v.nd Verlauf des Absalomschen Aufstandes von Wilhelm Caspari, Lie. Theol., Dr. Phil.. Priv.-Doz.
D. Theol. Beilin, Trowitzsch et Sohn. 1909.
h) L'image est de l'auteur.
312 RE\UE BIBLIQUE.

études sur le narrateur biblique Abiathar (II Sam., 15-20) et l'autre par « l'arche

d'alliance sous David u paru dans les études théologiques dédiées à Zahn. Cette pein-
ture est vraiment vivante, à ce qu'en pense l'auteur, elle est figurenreich, ce qui veut
dire peut-être qu'il y a beaucoup de personnages engagés dans l'action. Afin de don-
ner à son œuvre la couleur du roman historique à la Stendhal ou à la AYalter Scott,
M. Caspari place en tête de chaque chapitre une pensée en exergue. Celle du premier
chapitre est empruntée à Hérodote, celle du second à la sixième sourate du Coran,
celle du troisième au code de Hammourabi, celle du cinquième au premier acte de

la Judith de Hebbel, celle du septième aux Mahkabâer de Ludwig, etc.. On voit

l'universalité des lectures de M. AViihelm Caspari. Le chapitre neuvième porte pour


titre Nemesis.' En exergue, une pensée de M. E. Kôn'ig dans Xeue lahrb. f. d. Klass.

Altert., 1908. p. 464. Le chapitre dixième est un Xaclispiel. En exergue, un extrait


de Fichte. dans son troisième discours à la nation allemande. Le but de M. Wilhelm
Caspari est d'interpréter philosophiquement les événements que tout le monde con-
naît. Il n'ajoute rien de nouveau à l'exégèse ou à l'explication historique des livres de
Samuel. En revanche, il ajoute comme toujours son stock de mots français au voca-
bulaire allemand : dicergieren, Opposition, projiziertcr Reflex, die Legalitàt, Fakto-
ren, die Differenzierung, kontaminiert, programmât isch, die Affàre (l'affaire!), die
Aktioii, die Bonitàt. etc.. etc.. Nous conseillerons à M. "Wilhelm Caspari d'écrire en
volapuk ou en espéranto.

M. G. Rothstein continue de publier petits manuels bibliques à l'usage des


ses
écoles normales protestantes. Voici un petit volume de morceaux choisis de l'Ancien
Testament 1). Les textes sont donnés d'après la traduction de Luther (édition re-
vi^é^). Ce sont des extraits des livres historiques Exode, Nombres, Deuteronome,

I et II Sam., I Reg.'^, de Job, des Psaumes et des Proverbes, des grands prophètes et

de quelques petits prophètes. Choix assez heureux et destiné à donner le goût de la


Bible aux instituteurs et aux institutrices d'Allemagne. La Genèse est supposée assez
connue, on n'en donne pas d'extraits. En revanche, quelques passages des poèmes
babyloniens de la Création et du Déluge d'après les traductions de Winekler et d'Un-
gnad. Bien inutiles dans cette anthologie de morceaux bibliques qui ne sont même
pas retraduits sur les textes originaux. En somme, vulgarisation par trop facile. [D.]

Pays voisins. — Avec une inlassable patience et une remarquable rapidité,


M. le Documents présar-
colonel Allotte de la Fuye continue la publication de ses «
goniques ». La Revue du premier fascicule de ce magniQque
a entretenu ses lecteurs
ouvrage (2^. La seconde partie qui vient de paraître comprend trente planches sur
lesquelles figurent soixante-seize nouveaux textes (3]. On sait que tous ces documents
sont inédits et. comme ils sont la propriété de l'auteur, on ne peut trop le remercier
de mettre ce trésor à la portée du public. Il ne faut pas oublier que ces textes cons-
tituent les plus anciens témoins de l'écriture cunéiforme. Tous antérieurs à Sargon
l'ancien et à la dynastie d'Akkad, ils ne peuvent être datés en deçà de trois mille
ans avant notre ère. Les signes, imprimés sur l'argile à l'aide d'un instrument, con-

servent les traits des idéogrammes primitifs. La langue est le sumérien archaïque
dont les formes survivront dans la littérature juridique de ISinive et de Babylone.
Lorsque M. Allotte aura publié toute sa collection de ces documents, il en donnera

(1) LescLuch zum UiiterficlU im Allen Testament, von Dr. G. Rothstein. Halle a.d. S., 1!)0"J. Pe-
tit jn-8de 114 pp.
(2) RB., 1909. p. 3-2-2 s.

(3) Documents présarijoniques, par le colonel Allotte de l.v Flve, fascicule I, deuxième partie
30 planches ^de XXVI à LV,. Paris, Leroux, 1909.
BULLETIN. 313

lui-même l'interprétation. En attendant, tons les assyriologues seront heurenx de


pouvoir déj>i les utiliser. Ceux qu'intéresse l'épigraphie cunéiforme seront surtout re-
connaissants à l'auteur de la minutie scrupuleuse avec laquelle il reproduit les for-
mes affectées par tel ou tel signe dans chaque texte. Ceux qui s'attachent à l'histoire
des idées religieuses en Chaldée trouveront dans les noms de temples ou d'individus
ample contribution à la connaissance du plus ancien état de cette religion. Les ju-
ristes surtout chercheront dans ces contrats les principaux traits d'un droit déjà
complet sur bien des points malgré sa haute antiquité.

Moins reculés dans la chronologie que les « documents présargoniques '>, les textes

de comptabilité des dynasties d'Our et d'Isin dont le nombre s'augmente de jour en


jour n'en offrent pas moins un grand intérêt pour l'histoire de la jurisprudence ba-
bvlonienne. M. Barton a entrepris d'éditer les tablettes de cette époque que contient
le musée de l'université Haverford. >'ous avons signalé déjà le tome premier de
cette collection (l). Le nouveau volume contient quatre-vingt-quatorze textes auto-
copiés. Une place de choix est réservée à ceux que l'auteur appelle 'MR^senger ta-
blets i2\ On y voit comment les rois de la dynastie d'Our avaient installe dans leur
empire un système de communications incessantes entre la capitale et les diverses

provinces. Il appartenait aux villes où se rendaient ces ini^si dominici de pourvoir à


leur subsistance. Les dates qui se rencontrent sur ces documents se réfèrent généra-
lement aux règnes de Doungi Pour-Sm, bien avant l'époque de Hamraourabi.
et de
Elles ont été cataloguées par Fr. Thureau-Dangin dans ses Inscriptions de Sn.mer et
dWkkad. Ces dates permettent de reconstituer les fnits d'armes et les événements reli-
gieux les plus importants de l'époque de ces rois d'Our qui n'ont guère laissé, par ail-

leurs, que des inscriptions votives. L'ne excellente dissertation de M. Barton sur les

valeurs numériques attribuables aux chiffres archaïques permet de reconnaître les plus
anciens multiples du kir (3.600t. On a la série 36.000, 72.000. 108.000 etc.. Le mé-
rite de M. Barton a été de reconnaître que plusieurs signes pouvaient s'employer
inditléremment pour le nombre 210.000. Ce nombre 216.000. qui n'est autre que le
cube de 60, si on le multiplie lui-même par 60, nous donne le chiffre 12. 960. 000 qui
servait de base à la numération babylonienne et n'est autre — comme Hilprecht l'a

signalé — que le fameux nombre de Platon '3;.

Tous les assyriologues savent que, depuis plus de quinze ans, M. Harper consacre
son activité scientifique à la publication des lettres assyriennes et babyloniennes de
la bibliothèque d'Asourbanipal aujourd'hui au British Muséum. Le neuvième volume
vient de paraître, édité avec le même luxe que les précédents i-l Le grand souci de
.

M. Harper est de rendre exactement les originaux, même si ceux-ci contiennent des
erreurs de graphie ou de style. Cette littérature epistolaire, échangée entre les parti-

culiers et les rois de rsiaive, fourmille de renseignements sur la façon dont les sujets

se comportaient avecleurs princes. Elle donne en


une idée très exacte même temps
de la langue vulgaire à l'époque des Sargonides. Il y aurait toute une grammaire à
recueillir dans ces précieuses missives. L'éditeur attend que son Coqjus soit achevé
pour fournir l'interprétation philologique de ces textes. Déjà ses notes dans The
american Journal of semitic hinguages and littératures ont apporté de nombreux

(1) RB.. 1906. p. (i.j6.

(-2) p. 10 ss.
(3) HiLPUECUT, Mathematical, metrological and chronological tablets. etc., p. ^) ss.
(4) Assyrian and babylonian letters belonging to the Kouyunjik collections of the Byitisk Mu-
séum, by Hubert Francis Harper, Pli. D., part IX. Tlie university of Chicago Press, Luzac an»l
0», London, 19J9.
314 REVUE BIBLIQUE.

matériaux à la reconstitution de la langue usitée par les correspondants. Parmi les


contenues dans le nouveau volume, signalons
lettres celle du roi d'Élam, Oumma-
naldaij, à Asourbanipal. Très intéressant aussi le texte qui figure en tête de l'ou-

vrage et qui contient un acte d'affrancliissement par lequel un nommé îsaboubêl-


sounou rend la liberté à cinq soldats « en présence de Bel, pour la vie de son
âme ».

M. Zimmern dont on connaît compétence exceptionnelle en tout ce qui con-


la

cerne la religion il y a deux ans, la collection des


assyro-babylouienne avait publié,
chants sumériens en l'honneur du dieu Tammouz (1). C'est maintenant une mono-
graphie détaillée sur ce dieu que le même savant livre au public (2). On remarquera
surtout le chapitre consacré à l'étude des noms divius de Tammouz dans la théologie
babylonienne. Il semble, d'après les épilhètes qu'on lui applique, que cette person-
nalité a fondu en une seule deux divinités, l'une masculiue et l'autre fémiQiue. C'est
le cas parallèle à celui d'Istar hermaphrodite. Les poèmes et mythes relatifs à
les

Tammouz insistent surtout sur sa descente aux enfers. La résurrection du dieu est
probablement un thème ajouté postérieurement, comme l'avait fait observer le P. La-
grange. Quant aux fêtes de Tammouz, caractérisées par les lamentations des femmes
et dont l'écho s'est perpétué par les solennités d'Adonis à Byblos, elles sont déjà
connues des plus anciens textes. Un nom de mois, à l'époque des dynasties d'Akkad
et d'Our, est le « mois de la fête de Tammouz ».

Dans la XXIII, décembre 1909), le même M. Zim-


Zeitschrift filr Assi/rioloyie {vol.
mern étudie ce qu'il appelle « un nouveau fragment de la Sagesse babylonienne ».
Ce morceau très court dont l'original est dans la bibliothèque d'.\sourbanipal du
British Muséum a été communiqué à l'auteur par une copie de M. Brùnnow. Les
vers les plus caractéristiques sont les suivants :

Ne prends pas une prostituée, dont les prostitutions (;i) sont...


Une hiérodule qui est vouée à un dieu,
Une courtisane dont les besoins sont nombreux :

Dans ta douleur elle ne te relèvera pas.


Dans tes luttes elle te diffamera :

La pudeur et la modestie ne sont pas avec elle.


Elle atteint la maison et tu l'introduis à l'intérieur.
Mais son oreille est tournée pour (entendre) le pas d'un autre.

Nous interprétons les deux derniers vers différemment de M. Zimmern qui avoue
lui-même que sa traduction est hypothétique. L'expression ajta kibsi ahî uzunsa tur-
rat ne peut signifier autre chose que « sou oreille est tournée vers le pas d'un autre >

Le sage insiste sur l'infidélité de la courtisane qui, même dans les bras de l'amant,
songe à un autre. Cette idée a été goûtée des anciens et, dans les tombes de Beit-
Djeb)in, l'inscription grecque relevée par MM. Peters et Thiersch (4) est un commen-
taire de notre texte. On y voit une femme abandonnant un instant son amant :

•/.xTazcijAa'. uleO' bfpou al aÉ-ja oiXoùaa, pour prêter l'oreille au bruit que fait un autre

qui n'est congédié que provisoirement.

(1) RB.. IftOS, p. (31.

(2) Der babylonisrhe Tamù.z von Heixuu.h Zimmebn, n» XX du XXVII'"'^ tome des dissertations
publiées par Société royale des sciences eu Saxe. ^-4" de 40 pp.; Leipzig. Teubner, 1909.
la
(3) Interprétation de beaucoup la meilleure du texte assyrien d'après la note 1 de la p. 3<i9.
(4) PETF.iis et Thiersch. Painled tombs in tlie Necropolis of Marissa, p. 59. Cf. aussi ^RoNEitTCt
WûNSCH. Das Lied von Marisa, dans Rlieiiiisclies Muséum fur Philologie, 1909, p. 433 ss.
BULLETIN. 3i:;

Les hymnes en l'honneur de Taramouz ont été étudiés de nouveau par M. St. Lang-
don dans ses Sumerian and babi/loniau psahns i Cet ouvraae est un véritable Cor- .

pus des hymnes bilingues ou simplement sumériens dont les textes étaient épars
dans diverses publi<";ition«.Les Sumerisch-l.'obi/lonische
IJ(//niien de Reisner et le quin-

zième volume des 'unelfonn texts du British Museion fournissent la majeure partie
des documents utilisés. L'auteur a groupé tous ces textes en séries liturgiques; il
transcrit et traduit chacune de ces séries. On peut dire que c'est un travail de pion-
nier, car, pour ce qui concerne en particulier les textes sumériens unilingues. peu
d'entre eux avaient été étudiés précédemment. L'introduction explique les divers
services de la liturgie babylonienne et montre bien comment on groupait les chants
sacrés d'après l'instrument de musique qui servait à les accompagner. Ce fait pour-
rait éclairer certains titres des psaumes hébraïques. Les neuf premiers morceaux

comprennent différentes rédactions de la lamentation à la parole du dieu Bel.


Les maux qu'endure telle ou telle cité sont produits par la parole de ce dieu. On
cherche à l'apaiser. Des strophes entières énumèrent les qualités de cette parole 2 .

Ce sont encore des lamentations que groupe la seconde série le taureau vers son <

sanctuaire ». La ville de Nippour y est le centre du culte. Les deux séries suivantes
comprennent des supplications à une déesse qui, dans le premier groupe, est « la
déesse de l'enfantement / et. dans le second groupe. « celle dont la cité est détruite ».
On voit que la majorité des morceaux liturgiques est dominée par les motifs de la
plainte et des larmes. Toute la religion assyro-babyloniennea été imprégnée du sen-
timent de la douleur et c'est aux heures difficiles de l'individu ou de la cité que Ja
prière jaillissait des lèvres. On retirera cette impression de la lecture de l'ouvrage
de M. Langdon. On regrettera seulement qu'un certain nombre d'inconséquences se
soient glissées dans l'exécution typographique. Même la transcription usitée par l'au-
teur n"est pas partout d'accord avec elle-même. On dirait que les morceaux ont été
étudiés pour être édités à part les uns des autres et que le groupement en a été un
peu factice. >'ous aurions aimé que l'auteur travaillât, sans se presser, à la refonte de
tout l'ouvrage et lui enlevât ainsi le caractère un peu hâtif qui apparaît dans bien
des pages.

Non seulement les études historiques et religieuses, mais aussi les études juridiques
ont de quoi glaner dans l'immense littérature cunéiforme. C'est ce qu'a très bien com-
pris M. E. Cuq. Après une série d'intéressantes vues d'ensemble sur les pierres-li-
mites (koudourrousi de l'époque de la dynastie kassite à Babylone, il a abordé, dans
la Nouvelle Revue historique du Droit français et étranger 1909i, une étude détaillée
^

du droit babylonien au temps de la première dynastie, c'est-à-dire avant le deuxième


millénaire qui précède notre ère. C'est un très remarquable travail. L'auteur qui a
approfondi, au point de vue juridique, les dispo>itions du code de Hammuurabi 3 ,

cherche dans la pratique courante du droit babylonien les applications de ces lois. Le
nombre énorme de documents que les fouilles ont ramenés au jour et dont une grande
partie a été traduite surtout en Allemagne, a permis à M. Cuq de reconnaître les
traits essentiels de cette praxit^ du vieux droit de Babylone. La note qu'il consacre à

indiquer sa bibliographie montre qu'il puise aux bonnes sources et qu'il a le plus
scrupuleux souci de l'exactitude et de l'ampleur des informations. Les principaux

(1) In-8» de xxvi + 549 pp. Paris. Geutliner. 1909.


2) Cf. La parole de Bêl-Mardouk dans notre Choix de textes, p. 34i ss.
(3) cf. par exemple son étude sur Le mariage à Babylone d'ajtrès les lois de Haminourobi
[RB.. 1903, p. .3.">0 ss.,.
316 REVUE BIBLIQUE.

sujets traités sont : l'héritage, l'adoption, le mariage, les servitudes et les titres de
propriété. Suit une magistrale étude sur les tribunaux, leur composition et leur fonc-

tionnement. « Ea règle générale la justice était rendue par des prêtres, quelquefois
par des prétresses... y avait aussi des juges civils. » Les prêtres jugent à la porte
Il

des temples. Dans certains cas, on invoque la loi de tel ou tel roi. Ainsi tel jugement
est rendu « conformément à la loi de Suumoulaïl », tel autre conformément à celle
de Rîm-Sin ou de Hammourabi. Il serait trop long d'indiquer même sommairement le
nombre de faits nouveaux que M. Cuq amasse dans ses notes si compétentes. Si l'his-
toire du droit en retire tant de profit, l'exégèse de la Bible pourrait bien, elle aussi,

V trouver ample matière à des aperçus nouveaux sur les lois contenues dans le Pen-
taleuque.

La belle collection publiée par la librairie Beauchesne sous le titre Études sur
l'histoire des religions s'est enrichie d'un volume sur l'Islam, dû à la plume du baron
Carra de Vaux(l). Les nombreux travaux déjà publiés par l'auteur sur la littérature
et les idéesmusulmanes le mettaient à même de donner, mieux que tout autre, «une
description de la religion musulmane orthodoxe, assez complète, sans minutie tou-
tefois, rédigée dans un esprit philosophique, accompagnée de quelques comparaisons
avec les autres religions et d'aperçus sur l'évolution de l'islam ». Ce dessein exprimé
dans l'avant-propos est pleinement réalisé. M. Carra de Vaux ne s'est pas borné, en
eflfet, à grouper sous des rubriques générales les enseignements religieux ou moraux
épars à travers les sourates du Coran. Ce travail matériel a été fait depuis longtemps.
Mais des comparaisons avec les autres religions, en particulier les religions juive et

chrétienne, sans oublier les anciennes religions sémitiques, éclairent la doctrine de


l'islam et permettent d'en constater les emprunts ou les originalités. En tête, le fa-
meux dogme du mahométisme sur le monothéisme le plus rigide. L'auteur s'élève
contre la théorie de Renan qui voulait voir dans l'affirmation de l'unité de Dieu par
les Sémites une tendance naturelle à la race. 11 n'a pas de peine à montrer combien
d'entorses cette théorie inflige aux faits historiques les mieux avérés. Babyloniens,
Assyriens, Phéniciens, Is'abatéens, Thamoudéens, Himyarites, autant de témoins qu'
montrent le polythéisme, parfois le plus exubérant, en plein épanouissement dans
les cervelles sémitiques. A propos des conceptions sur la vie future : « Au fond, et
malgré quelques images d'un cachet tout oriental, les musulmanes
représentations
de l'autre monde ne sont pas très éloignées de celles qui ont eu cours dans le moyen
âge chrétien. » Il faudrait multiplier mdéfiniment les citations si l'on voulait mettre
en relief le talent de M. Carra de Vaux à trouver les expressions typiques pour ca-
ractériser les idées théologiques propres à l'islam. Fatalisme, guerre sainte, pèleri-
nage, aumône, pédagogie, mystique, tous ces sujets sont traités avec une richesse
d'informations qui révèle le spécialiste consommé. Çà et là, des tirades de V. Hugo,
de Lamartine, de Vigny, accusent des influences orientales ou font toucher du doigt
combien sont humains et naturels certains sentiments dont le Coran a trouvé la for-
mule concise. Et puis, M. Carra de Vaux a vu l'islam en action. Il excelle à illustrer
la théorie par un regard jeté sur la vie pratique et ce qu'on pourrait appeler « la
couleur locale » de iislam. Par exemple, à propos de la prière, on voit surgir les mi-
narets. « Ces sveltes phares blancs, surmontés d'ordinaire d'un cône de plomb et
d'un croissant d'or, se marient et s'opposent aux flèches sombres des cyprès. » S'il
s'agit des ablutions, on nous dépeint les fontaines. « Dans aucune autre région les

(1) La doctr ine de l'Islam, {Kw le haron Ckv.wk de Vaux, in-Kide \s — 319 pp. Paris, Beauchesne,
1909.
BULLETIN. 317

fontaines ne sont plus charmantes. L'islam les multiplie, les orne de colonnettes,
de rinceaux et de paroles sculptées; leurs fenêtres par ou quelquefois est distribuée
l'eau, sont grillées et dorées; les toits plombés se courbent avec grâce et se prolon-
gent en auvents. » Minarets, cyprès, fontaines, ajoutons les coupoles, et nous avons
ces paysages tout musulmans qui charment l'oeil du voyageur sur les rives de la

Corne dOr aussi bien que dans le haram de Jérusalem. M. Carra de Vaux a été bien
inspiré en relevaut ainsi par des descriptions pittoresques l'exposé théologique de sou
livre; on lui sera reconnaissant de n'avoir pas dépouillé sa prose « de celte élégance

et de ces agréments auxquels tient, et avec juste raison, le grand public.

On peut écrire un livre sur La doctrine de l'Islam, il serait plus difficile d'en com-
poser un sur La doctrine du Bouddha, et M. de la Vallée Poussin intitule modeste-
ment Opinions sur l'histoire de la Dof/matiqiie le volume qu'il consacre au Boud-

dhisme dans la collection ci-dessus mentionnée (i « On voit du reste pourquoi ce .

volume est intitulé Opinions. Je veux me réserver pleinement le droit de reviser


:

les jugements que je crois pouvoir porter sur le Bouddhisme, tant le préhistorique

que l'historique. » Il ne faut pas croire que l'étude des théories religieuses du Boud-
dhisme soit sans intérêt pour l'exégèse biblique. On sait comment, dans certains
milieux soi-disant scientifiques, on a voulu « découvrir des phrases bouddhiques dans
saint Marc ou dans saint Jean ». M. de la Vallée Poussin a fait lui-même justice de
ces intolérables prétentions dans sa belle étude sur Le Bouddhisme et les Èvanrjiles
canoniques, parue dans cette Revue 2). 11 est étrange que M. Sylvain Lévi ait osé
écrire : « La morale bouddhique, propa>:ée ou insinuée par un apostolat anonyme,
pénètre jusqu'à l'Egypte et jusqu'aux régions méprisées où va surgir un enfant-dieu,
destiné à la conquête du monde 3 . « Phrase tendancieuse jusqu'à la naïveté et dont
on peut dire, avec M. de la "\'aliee Poussin : « Il y a de certaines non-impossibilités
qui ne séduisent que des esprits chimériques. » Un autre aspect des conceptions
bouddhiques plus intéressant au point de vue général, c'est que presque toutes les <

idées, presque toutes les aspirations dont la pensée et le cœur de l'homme sont sus-
ceptibles, leur ont été. on peut dire, familières -.
mais il n'est pas une seule de leurs
conceptions qu'ils n'aientpoussée jusqu'à l'absurde . Enfin, l'histoire du bouddhisme
offre des analogies avec l'histoire des églises chrétiennes, et des problèmes semblables
se posent des deux côtés. «Il y a là une très belle question d'histoire religieuse, bien
plus instructive que la controverse un peu niaise et anodine des emprunts des Évan-
giles canoniques ou apocryphes, ou que la comparaison forcéede lacharité chrétienne
et de la ma'itri ou bienveillance bouddhique. Apres avoir étudié, en les criti-

quant, les sources qui nous permettent de démêler l'enseignement bouddhique, l'au-
le Grand et
teur insiste sur les doctrines de Çaki/amuni. telles qu'on les connaît par
le du Bouddhisme. La métempsycose, la doc-
Petit Véhicule, écritures canoniques
trine de la rétribution, le nirvana et le chemin qui conduit à ce nirvana par la
suppression du désir, autant de points que M. de la Vallée Poussin développe avec la
plus parfaite clarté. Suivent alors les diverses métaphysiques du Bouddhisme, avec
leurs systèmes plus ou moins cohérents. On } voit comment des idées d'apparence
contradictoire se concilient dans des synthèses supérieures, n >"e renonçons pas au

(1) Bouddhisme, Opinions sur l'hisloire delà Dogmatique, leçons faites ii l'Institut catholique
de Paris en 1908, par L. de la Vallée Poissix, professeur à l'Lniversité de Gaud. In-16 de vu —
i-2f> pp. Paris, Beaucliesne, 1901».

v2; RB., 1906, p. Xi3 ss.


(3; cité à la p. 5, n. 1.
318 KEVUE BIBLIQUE.

petit jeu des contradictions, si indispensable à l'intelligence du Bouddhisme. » Le


livre de M. de la Vallée Poussin est un guide très sur à travers le fatras des produc-
tions bouddhiques. On y trouve résumées les différentes formes qu'a revêtues cette
théologie indienne à travers les âges, autant que l'état actuel de la science permet de
les dégager.

Parallèlement à la collection des Études sur l'histoire des Religions que publie la

librairie Beauchesne, une autre collection intitulée Bibliothèque d'histoire des reli-
ijions paraît chez Lethielleux et se présente comme « bibliothèque de \-uIgarisation »

C'est une preuve de lintérèt qui, en France, s'attache aux questions religieuses étu-
diées dans leur développement historique. Le dernier volume paru est consacré par
M. Louis, professeur au grand séminaire de Meaux, à létude des Doctrines reli-
gieuses des philofiophes grecs (1). Dans la lettre préface. M. Cl. Piat déclare que l'ou-
vrage « se recommande, et par des qualités de premier ordre, à toutes les personnes
qu'intéresse la question religieuse. Et celles-là sont nombreuses, beaucoup plus nom-
breuses qu'on ne le croit généralement. La religion est le centre de la bataille d'i-
dées qui se poursuit avec tant d'ardeur dans notre civilisation ». Cette bataille d'i- <

dées » est toute l'histoire des doctrines religieuses en conflit avec le rationalisme
hellénique. Dès avant Socrate. la raison critique les traditions religieuses. Les ori-
gines du monde et de l'homme, cette énigme que pose ironiquement la philoso-

phie sceptique, furent le premier terrain où se heurtèrent la raison et la foi. « Dès


ses premiers pas donc, la réflexion philosophique se mit en contradiction avec
les cosmogonies religieuses ou poétiques. Le conflit, une fois déclaré, alla s'aiguisant
davantage, non plus seulement sur la question de l'origine des choses, mais sur un
sujet autrement délicat la nature des dieux. « Xénophane s'élève déjà contre le
:

panthéon populaire, en attendant que Socrate, selon le mot de Cicéron, ramène la


philosophie du ciel sur la terre. Avec une très bonne pratique des sources et une bi-
bliographie complète, M. Louis étudie successivement le sort de la tradition religieuse
des Grecs entre les mains de Socrate, de Platon, d*Aristote et des autres écoles,
Épicuriens. Stoïciens. Alexandrins. Un chapitre entier est consacré aux idées de
Philon le Juif et au contact entre « les doctrines orientales et la pensée grecque ». A
propos des théophanies de lahvé, attribuées à des intermédiaires par la théologie
juive des temps postérieurs, l'auteur aurait eu profita consulter l'article du P. La-
grange sur « Fange de lahvé » ;2). L'ouvrage de M. Louis est plus qu'un manuel de
vulgarisation, c'est un très sérieux exposé des faits historiques d'après les travaux les
plus scientifiques. Même les hellénistes parcourront avec plaisir cette synthèse qui ne
fait pas double emploi avec le beau livre de P. Decharrae sur La critique des tradi-
tions religieuses chez les Grecs.
P. Dhobme.

Palestine. — La Palestine et sa civilisation pendant cinq mille ans est un fort

joli petit livre, présenté avec beaucoup de bonne grâce par M. le D"" P. Thomsen 3).

Pour un public cultivé désireux d'information scientifique dégagée d'appareil tech-


nique toujours aride, il a tente une synthèse des conquêtes sûres de l'exploration et
des fouilles palestiniennes : courageuse tâche dont il s'est tiré avec honneur. M. T.
a manifestement plus de contact avec les livTes qu'avec les tranchées de fouilles ou le

(i; Grand in IG de vu 4- 371 pp. Paris, LeUiielleux. 1909.


{») RB.. 1903. p. -212 ss.

(3) Paldsti7ia und seine Kultur in fùnf Jalirtav.seaden : -2<)0« vol. de la bihliothèqne de vulga-
risation scientifique .li(s natvr v.nd Geisteswell. 108 pp. in-iO et3oiU.; Leipzig; Teubner; 11*09.
BULLETIN. 31!)

matériel archéologique en nature; du moins il n'a négligé aucun elTort pour s'assi-

miler une documentation immense. >i'ul ne s'étonnera que sa critique, judicieuse dans
l'ensemble, ait au dépourvu par des assertions plus enthousiastes que
été prise
sérieusement contrôlées Le public lui saura gré au contraire du soin qu'il a mis
.1 .

à condenser tant d'informations dans un précis d'histoire et d'archéologie composé


avec goût et réalisé avec élégance.

Les mêmes volume tout différent celui de M. G.Baum-


qualités font le mérite d'un :

berger, « Sous le charme de nouveaux tableaux de Palestine,


trois reines; vieux et
Egypte et Turquie » i2;. Une de ces reines, c'est la Palestine, ou plutôt c'est Jérusa-
lem, et il faut féliciter M. B. de lui avoir si noblement fait sa cour après en avoir si
bien compris le caractère et pénétré le charme. Non content de bien voir, de peindre
avec beaucoup de coloris et de traduire avec chaleur ses impressions, il ajoute du
cachet à son ouvrage en y insérant d'assez longs extraits d'une relation inédite,
datée de 1606. l.e pieux chevalier suisse Wolfgang Stockmann y avait fixé ses sou-
venirs de pèlerin avec une précision de nature à intéresser les historiens des traditions.

Études en Galilée (3} est un titre modeste sous lequel M. le D'" E. AN G. Mas- .

terman offre le résultat d'observations enregistrées durant plusieurs années, d'inces-


santes courses à travers la contrée galiléenne. Il semble l'avoir choisi pour qu'on ne
cherche point dans son livre la composition systématique d'un explorateur ou d'un
historien professionnel: on ne constate pas moins avec plaisir, à la lecture attrayante
de ces pages, que M. Masterman a été un explorateur très attentif, en même temps
que bien informé de tout ce qu'il y avait d'essentiel dans les sources littéraires. Tels
chapitres sur la physionomie générale du pays ou sur les pêcheries de Galilée présen-
tent un particulier intérêt. Comme toute documentation de faits, ce petit livre dis-
tingué sera d'une utilité réelle pour une connaissance plus approfondie de la région
évangélique par excellence.

PEFund Quart. Statetn., janv. 1910. — M. Macalister, le savant et sympathique


représentant du Fund en Palestine pendant de longues années, vient d'être appelé à
une chaire d'archéologie à l'Université de Dublin. Il aura pour successeur M. le D''

Duncan Mackenzie, le collaborateur bien connu de M. Evans à Cnossos. Le site des


fouilles ultérieures n'est pas encore désigné. — M. le col. Sir C. M. Watson, La posi-
tion Temple de Jérusalem, veut prouver que l'autel
de l'autel des holocaustes dans le

était situé à l'orient de la —


base du Saint des Saints argu-
Roche. es-Sakhrah, — ;

mentation fondée sur des textes rabbiniques impuissants contre les données archéo-
logiques fixant l'autel sur la Sakhrah. —
M. A. W. Crawley-Boevey, Opinions récentes
sur le site du Calcaire, se sent une conscience hésitante entre les groupes rivaux
d'hommes « éminents >> qui ont patronné des Calvaires excentriques à Jérusalem. Si
ce digne fonctionnaire connaît vraiment quelqu'un qui croie au Calvaire traditionnel
par exercice de foi, il a raison de le poursuivre de son humour; mais il se montre peu
au fait de son sujet en estimant si bien démontré que le Calvaire d'Hélène était dans
le second rempart ». Et comment n'a-t-il pas eu connaissance d'un savant anglais non

Par exemple à propos de


'i; routes préliistoriques » (fig. .3 ou d'un pseudo-dolmen au mont
» ,

des Oliviers '\). iW. M. T. n'a pas su réagir contre i'évtiéinérisme exagéré qui fait du beau
brille-parfums de Ta'annalv (cf. Canaan, pi. IV et V) une vulgaire cliaufifereUe (p. T't), quitte à ac-
cueillir d'emblée toute la sacristie des divinités nabatéennes à Pétra.
(2) Ini Banne von drei Kôniginnen: alte und neue Bihler ans Palâstina.Aegypten und Tûrkei.
I, Palâstina. Petit in-8° de i7i pp. avec 1-2-2 excellentes figures et 3 plans. Benziger et C'=, dans
les deux Mondes; 1910.
(3) Studies in Galilée, ln-8' de xv-i:i4 pp., avec 31 illustr. Chicago; Iniversity Press; lOOî»,
320 REVUE BIBLIQUE.

moins éminent que tous ceux dont l'autorité l'impressionne, M. IMacalister, dont la
ferme et spirituelle critique a été si néfaste au Calvaire de Gordon à qui vont ses
sympathies? — M. le prof. R. A. St. Macalister, Extraits des co^irptes rendus de la

« Jerus. Lit emnj Society »; noter la communication sur une tombe à fresques des
environs de Sidon. —
M. E. J. Pilcher, Vécritnre à la main de la Tablette de Gézer,
explique par l'écriture directe au poinçon les formes originales du texte, attribué
« approximativement » au vi*^ s. (cf. RB., avr. 1909, p. 264 ss.); la lecture n'est d'ail-

leurs pas discutée à nouveau. Chemin faisant, M. P. abandonne avec à-propos son
ancienne hypothèse que le texte du tunnel de Siloé daterait d'Hérode. Rév. J. E. —
Hanauer et Rév. H. S. Cronin, Inscriptions grecques de Damas : fragment de dédi-
cace encastré dans l'enceinte du temple et épitaphe trouvée dans un faubourg :

copies; lectures incertaines fl). — M. le col. Conder, Récentes découvertes hittites,

groupement de textes disséminés en des publications variées. M. le prof. St. A. —


Cook, Les fouilles allemandes à Jéricho, paraît croire que l'esquisse déjà présentée
de l'évolution archéologique « est influencée par la conviction » qu'il faut un hiatus
dans le développement de la culture à Jéricho, conviction qui dériverait de la Bible

(p. 62). M. le prof. preuve qu'il connaît son métier assez à fond
\YatziQger a fait la

pour n'avoir pas besoin de consulter Josuc et les Rois quand il classe des séries
archéologiques très amples et bien caractérisées. Quant aux difflcultés que M. le prof.
Cook trouveentrel'hiatus indiqué par les explorateurset l'histoire biblique, voire même
l'ensemble des trouvailles, y aura lieu de les discuter après la publication définitive
il

de MM. Sellin et Watzinger. MM. R. Nassar et E. Bisht, Tableau des moyennes men-
suelles des observations inétéorologiques à Tibériade en J007-S. Rév. J. Jamal, L" —
quantité de pluie à Jaffa, moyennes comparées sommairement pour six ans.

Palàstinajahrbuch des dent, evang. Instituts... zu Jérusalem, V, 1909 (2). jNI. le —


prof. Dalman. I. Compte rendu de l'exercice 1908-9 intéressantes annotations géo- -.

graphiques (3 II. Le second Temple à Jérusalem, groupement et discussion fort


.

utiles desdonnées talmudiques, incidemment contrôlées par Josèphe. III. A propos


de Ps. 42, 7 s. a monte modico doit être cherché dans la région de THermon.
:

L'hébr. « montagne de IVÏ^Z » se retrouverait dans la colline de Za'ora, à quelques


kilom, au sud de Bdnyûs: le nom est estimé équivalant à Ihébr. "IVÏ par l'intermé-
diaire de l'araméen zâ'orâ « petit ». L'ingénieuse hypothèse serait fort satisfaisante

si l'on montrait mieux le passage du vocable hébreu au nom moderne. — M. le prof.

Proeksch. Le théâtre de l'histoire de David. d\me bonne information topographique.


— M. R. A. St. Macalister, Les fouilles à Grzer. M. G. Reymann, Gethscmani. —
— M. Siegesmund, Ps. 23 à la lumière palestinienne. M. Rotermund, A travers —
le pays des Juifs et des Philistins.

Puisque le nom propre laxspôw; est bien aUesté par ailleurs, pourquoi ne pas le lire dans
(1)
le texte 1, où la copie l'offre assez clairement? On lirait alors 'Est tûv ntçÀ Ilay.spow.Ta^ :

IspoTafAiôiv, ërou; (?)... le texte était manifestement plus long. Cf. Wadd.. n" 1879.
(2) In-8". iv-l38pp.. 1 esquisse de carte, 2 plans et 11 excellentes photograpliies. Berlin: Mittler
undSotm; 190!).

(3) Voir dans RD., 1909. pp. i'S-'4lil et pi., les inscr. de Djéracli auxquelles est faite une brève
allusion, p. -2i.

Le Gérant : J. Gabalda.

Typographie Firmin-Didot et C'". — Paris


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<-.
UNE FEUILLE ARABOLATINE
DE L'ÉPITRE AUX GALATES

Au mois de mars 1909, j'eus l'occasion d'examiner rapidement les

manuscrits conservés à la bibliothèque du Chapitre de Sigûenza. Ce


qui me frappa surtout, ce fut un vieux feuillet arabo-latin des lettres
de saint Paul que je trouvai collé à la reliure du manuscrit 150.
Voyant qu'on n'avait signalé aucun ms. de ce genre, j'en fis prendre
une photographie que je communiquai à M. l'abbé
Tisserant, de la
Bibliothèque Vaticane. que tout le fragment méritait d'être
Il crut
publié. Par l'intermédiaire de Son Excellence le Nonce de Madrid, nous
eûmes communication du ms., et le feuillet fut détaché de la reliure
à laquelle il était collé depuis le xiv° siècle, car c'est à cette époque
que semble remonter la note suivante écrite entre les colonnes Este :

Ubvo es de Garcia Fernando fijo de... A n'en pas douter, le manus-


crit bilingue n'a pas vécu longtemps, et, si les feuillets en furent si
vite dispersés, ce n'était pas que le volume fût usé, mais qu'on ne
voyait plus l'utilité d'un texte en deux langues.
Le feuillet est double; il comprend l'Épitre aux Galates, i, 1-15,
puis m, 6-2i. Avant l'Épitre se trouve Vargumentum habituel. Le ms.
mesurait -27 centimètres sur 20 environ, la feuille double est actuel-
lement de 27 centimètres sur 37; chaque page est de 21 lignes. On
voit qu'un double feuillet a disparu entre les deux parties.
Il y a quelque intérêt à déterminer l'âge du feuillet, et la paléo-

graphie latine offre à cet égard plus de ressources que la paléogra-


phie arabe. A Sigûenza, je le jugeai du x^ siècle, et M. le chanoine
Sardina, heureux d'apprendre que le Chapitre possédait des anti-
quités aussi vénérables, me fit écrire cette date au bas du feuillet. A
Rome, où je pouvais l'étudier plus à l'aise, je vis que je n'avais pas
trop mal jugé. C'est avec les planches XVIII, XIX et XX des Exempla
scriptiirae visigoticae (1) d'Ewald-Loewe que notre feuillet présente

{\) Exempla scripturae visigoticae XL tah^iUa expressa ediderunt Panlus Enald et


Gustavus Loeire, Heidelberg, 1883.
REVUE BlBLinuE 1910. — N. S., ï. VII. 21
322 REVUE BIBLIQUE.

le plus rie ressemblances. Or la planche XVIII appartient encore au


ix^ siècle, XIX est de Fan 902; pour XX b, Ewald-Loewe ne donnent
point de date. J'ai consulté M. le Prof. Loew qui prépare une inté-
ressante étude sur la paléographie visigothique, et il voulut bien
m'assurer qu'à son avis le feuillet était plutôt du ix^ siècle. Voici les
principales particularités de l'écriture // doux n'a pas ïi long la : ;

lettre m est remplacée par deux petits traits superposés, presque deux
points, non seulement à la fin mais encore à l'intérieur des mots n, ;

au contraire est remplacé par un trait unique qui sert également


,

pour les contractions. Il semble qu'on doive voir dans egles (i, 2) un
exemple d'abréviation par suspension; en tout cas cette forme mérite
d'être signalée aux paléographes.
C'est le texte surtout qui doit retenir un moment notre attention.
On ne peut nier qu'il ne soit très intéressant, non assurément par sa
pureté, mais plutôt par ses bizarreries, et je ne me flatte pas de
résoudre tous les problèmes qu'il pose. Nous sommes habitués à voir
dans Toletanus (ï) et le Cavensis (C) les deux représentants les
le

plus autorisés du texte espagnol. Il suffit de deux petits feuillets pour


montrer combien nos connaissances sont incomplètes, combien les
déductions généralement acceptées sont fausses. Je comparerai le

texte avec les principaux manuscrits utilisés par Corssen dans son
édition de la lettre aux Galates (1). Ceux qui nous intéressent sont
les manuscrits de la première classe, c'est-à-dire V Amiatiniis (A), le

Fuldensis (F), le Parisinus 11553 (P), le Reginensis 9 (R); enfin ceux


de la classe espagnole CT pour le Cavensis, j'ai, outre la collation
:

de Corssen, celle de D. Leone Cerasoli; pour le Toletanus, Corssen s'est


fié à la collation très défectueuse qui se trouve dans la Patr. lat. de

Migne, t. XXIX, j'ai moi-même examiné le manuscrit. Comme les mss.


CT représentent deux recensions un peu ditiërentes du texte espa-

gnol, je traite séparément l'accord avec C ou T seul.


1) en accord avec CT, en désaccord avec d'autres :

I, 7 subvertcre ; convertere reliqui


10 aut 1" =
AP; anYK.
m, 7 cognoscitis =z RP; cognoscite rel.
13 pependlt = F' ;
pendet rel. (C a pendit qui parait être une
faute ^owv pependit).
18 per pn'omissionem =
A^ P' per repromissioneni ;
rel.

2) en accord avec T contre C :

III, 13 maledictus ; maledictum C, rel.

(Ij Epistula ad Galatas ad ftdem oplimorum codicum Vulgatae recognovil... Petrus


Corssen. Berlin, 1885.
UNE FEUILLE ARABO-LATINE DE LEPITRE AUX CALATES. :î23

18 ex promissione : ex repromissione C, rel.

3 1 en accord avec C contre T :

I, 9 praedixi; praediximus T, rel. D'après Corssen, (^ aurait


également praediximus).
'*) en désaccord avec CT, en accord avec d'autres :

I, 3 nostro et duo = FR; dno nostro ÂP,


e/ rel.

6 transferemini = ÂF; transferimiiii rel.

8 praeter quod=^ R; praeter quam CT, praeter quam quod


rel.

5) en désaccord avec tous.


1, 1 deum et patrem; deum patrem rel.

3 deo om. pâtre; deo pâtre rel.


9 et iteriim; et mine iterum rel.
10 ]'jro; quaero rel.

11 facimus; facio ve\.


III, \\ ahraham\ abrahae rel.
16 seminibus eiiis; seminibus rel.

Cette dernière liste est la plus long-ue et la plus importante; sans


doute, plusieurs de ces singularités sont des distractions de copiste
et n'ont pas d'importance, mais d'autres sont dues à une recension
qu'il importerait de connaître ; celles qui se retrouvent en arabe
(p. ex. III, 16) méritent considération. la quatrième Ensemble avec
liste, montrent qu'au viii-ix^ siècle, il a existé en Espagne un
elles
texte qui différait notablement de celui qu'on croyait avoir joui d'une
faveur sans rivale.

Rome, 22 avril 1910.


Donatien de Brdyxe o. s. m.

II

Malgré son exiguïté , le fragment de manuscrit arabo-latin rap


porté de Sigiienza par le P. Donatien de Bruyne parait assez impor
tant pour l'histoire de la ou des versions mozarabes du Nouveau
Testament (1). Aucun manuscrit bilingue de ce genre n'avait, à ma
connaissance, été signalé jusqu'aujourd'hui (-2), et, de ce chef, la feuille

(1) Qu'il nie soit permis en publiant cette note d'adresser de très vifs remercieineuts au
P. Donatien de Bruyne, qui m'a gracieusement associé à l'étude de ce précieux fragment,
à iMs"^ Mercati et à M. I. Guidi qui m'ont aidé de leurs conseils, avec l'exquise bienveil-
lance que tous apprécient en eux.
(2) A propos de bilingues, on pourra noter les gloses arabes du Codex Toletaaxis (Ma-
drid . Université, n. 31} signalées par Philippe Berger dans son Histoire de la Vulgate.
r<aucy, 1893, p. 391, une, au moins, de ces notes contient la traduction d'un passage
324 REVUE BIBLIQUE.

de Sigiienza méritait déjà d'être connue. De plus, la présence d'une


colonne écrite en caractères latins permet d'assigner au manuscrit
une date à peu près certaine, ce qui serait impossible avec l'arabe
seul ; or, comme on l'a vu dans la note du P. de Bruyne, il a été copié
aux environs de l'an 900, à la fin du ix^ ou au commencement du
x° siècle, aucunms. mozarabe biblique ne se réclame dune si
haute antiquité.
Le latin et l'arabe sont contemporains, l'examen de la feuille ne
permet pas d'en douter, et plusieurs raisons invitent à penser que la
colonne arabe a été transcrite la première. Ainsi, les rubriques sont
en très bonne place dans le texte arabe, tandis qu'elles semblent
mises pour la colonne latine un peu au hasard de l'espace disponible :

c'est le cas du chiffre II au fol. 1% 1. 9, relégué en fin de ligne dans


la marge centrale. L'indication du chapitre cinquième est encore en
plus mauvaise posture, soit qu'elle ait été mise, écrasée par l'initiale,
au début de la ligne rognée depuis, soit qu'il faille la reconnaître
dans les traces d'encre rouge qui occupent un espace laissé blanc au
milieu du verset 19. Un autre fait plaide la priorité de l'arabe,
c'est le grand nombre des abréviations dans l'autre colonne; or, on

sait que l'arabe, comme le turc de Mohère, exprime beaucoup en


peu de mots; le scribe aurait pu dilater les lettres, il a préféré res-
serrer autant que possible le texte latin, n'est-ce pas qu'il voulait le
faire correspondre au texte arabe déjà écrit? En tout cas le manuscrit
est bien un dans sa composition.

Qu'on nous permette, puisque voici un nouveau document jeté au


débat, de reprendi*e en quelques pages la question des versions mo-
zarabes du Nouveau Testament. Plusieurs passages des chroniques
espagnoles attribuent à un évêque de Séville nommé Jean une inter-
prétation arabe des Livres Saints. Gildemeister (1 et après lui Paul )

de Lagarde (2) ont rapporté ces témoignages qui reposent tous sur
biblique, celle qui est écrite dans la marge au fol. 232^ de ce ms. fameux =
IV Esdras, v,
59-Yi. 6. M. Bruno Violet a publié ces quelques lignes dans sa récente publication, Die
Esra-Apokalijpse, erster Teil, die UeberUeferung, Leipzig, l'JlO. p. 443. M. Violet pour-
rait être plus affirmatif. p. xxxix, lorsqu'il soupçonne cette traduction d'avoir été faite sur

le latin, c'est chose infiniment probable. L'auteur était-il un chrétien mozarabe ou un mu-

sulman? 11 faudrait étudier toutes les notes marginales du ms. pour décider, mais la pre-
mière hypothèse n'est pas dépourvue de vraisemblances.
(1 De Evanrjeliix in arabicum e Simplici Syriuca t?-(inslatis commentatio, 1865, cité

d'aprèsDe Lagarde.
Die vier Evangelien arainsc/i ans der Wiener Ilandscluift herausgegeben von
2)

Paul de Lagarde, 18Gi, pp. xu-xvi.


UNE FEUILLE ARABO-LATINE DE LÉPITRE AUX CALATES. 325

un texte de Rodrigue Ximenez (1), archevêque de Tolède mort en 1237.


Voici ce texte d'après André Schott, Hispaiiiae illustratae, seu Reruin
urbiwnque Hispaiiiae Lusitaniae ... scriptores varii, Francfort, 1603,
t. II, p. 70, corrigé par M. Xavier Simonet (2), d'après les manuscrits

de Complute IV, de l'Escurial § 12 et de Tolède (caxén 26, nùm. 22) :

Eo et tempore, quo Urbanus in urhe regia praesidebat, Ovantius


Archidiaconus Toletamis , doctrina, sapientia, ... praecipuus habe-
batur, et Frodoarius Accitanae urbis Episcopus ... praedicabalnr in-
signis et usque ad tempora Almohadwn qui Imperatores Aldefonsi
tempore incepenmt, in pace instituta evangelica servaverunt. Et in
isto medio (3) fuit apud Hispalim gloriosus et sanctissimiis .foannes
Episcopus, qui ab Arabibus Çaeyt (Toletanus : Çayet) almatran {^^-^
.,Lka..'!) (i) vocabatur, et magna scientia in lingua arabica claniit,
multis miraculorum operationibus gloriosus effulsit, qui etiam sacras
scripturas catholicis expositionibus declaravit , quas in formationem
posterorum Arabice conscriptas reliquit. Fuit etiam ibi alius electus
nomine Clemens...
La chronique d'Alphonse le Sage Chronica gênerai de Espana, ,

part. III, ch. II, que je cite d'après M. Simonet (5), modifie un peu le
renseignement consigné par l'évêque Rodrigue d'après elle Jean ; ,

aurait composé en plus de commentaires une version des Saintes


, ,

Écritures : « En ce temps-là, il y avait aussi à Sé\dlle l'évêque Jean,


qui était aussi homme de Dieu, de bonne et sainte vie, et les Arabes
donnaient pour nom en arabe Çayed al
le louaient fort, et ils lui
motran; il était très savant en la langue arabe, et Dieu fit par lui
beaucoup de miracles; il traduisit les Saintes Écritures en arabe et en
fit des explications, comme il con^dent à la Sainte Écriture, et il les
laissa après sa mort pour ceux qui viendraient après lui (6). »

(1) D. Roderici Ximenez... rerum in Hispania gestaruin libri IX, lib. IV, cap. ii.
(2) Hisloria de los Mozarabes de Espana... por D. Francisco Juvier Simonet, Ma-
drid, 1897-1903, p. 320, note 4.
(3) In islo medio, c'est-à-dire entre la première invasion arabe et celle des Almohades
qui eut lieu vers 1150. Le sens de celte expression, fixé par le contexte, montre combien
est peu fondée la chronologie des écrivains postérieurs qui regardent Jean de Séville comme
contemporain de Frédoaire et d'Urbain, cf. Simonet. op. laud., p. 321, note 1. D'ailleurs,
l'évêque Clément nommé aussitôt après Jean était encore sur le siège de Séville lorsque les
armées almohades envahirent l'Espagne, il est clair que Rodrigue n'avait aucunement l'in-

tention en rapprochant ces divers noms de faire un exposé chronologique.


(4) ^^»-^ est la transcription de M. Simonet, M. Guidi pense que ---**' serait aussi justifié.
(5) Simonet, op. laud.. p. 321.
(6) E en aquiel tempo era otrosi en Sevilla el Obispo D. Juan, que era oirosi ome de
Dios é de buena ë santa vita, é loahanlo mucho los arabes, é llamabandolo por su-
nombre en arabigo Çayed Almatran é era muy sabioen la lengna arabiga, é fi,zo Dios
por el mucfios milagros é traslado las Santas Escripturas en arabigo, é fizo las es-
:
.
:J26 REVUE BIBLIQUE.

Le P. Mariana 1 dont le témoignage est plus connu, dépend des


.

deux premiers ettémoigne de l'opinion reçue à son époque; il a com-


pris comme la chronique d'Alphonse le Sage l'activité littéraire de
l'archevêque Jean : Urbaniis Toletanns
... His aequalis loannes His-

palends Pi^aesul div'mos libros lingua Arabica donabat utriiisque na-


tionis saluti consulen< : quoniam Arabicae linguae midtus usus erat
Christianis aeque atqiie Mauris Latina pas->i)n ignorabatur, eius in-
terpretationis exempla ad nostram aetatem conservata sunt, extantque
non iino loco in Hispania.
On a reconnu depuis longtemps que. dans la première partie du
passage cité, c'est-à-dire dans ce qu'il dit de Frédoaire et d'Urbain,
Rodrigue Ximenez se contente de reproduire un auteur ancien, l'a-
nonyme de Tolède, dont l'ouvrage était autrefois nommé Chronicon
hidori Pacensis Nous en citons les premières lignes d'après
(2j.
Mommsen (3) Per idem tempus (757 de l'ère espagnole
: 719 de =
notre ère) Fredoariiis Accitane sedis episcopus, Urbanus Toletane
sedis urbis régie katedralis veteranus melodicus atque eius:de?n sedis
Euantius
Gildemeister et De Lagarde. voyant datés d'une façon certaine Fré-
doaire de Cadix et Urbain de Tolède, et croyant avec Mariana que
Jean de Séville était leur contemporain, se sont révoltés à la pensée
qu'un évêque aurait pu composer au début du vm^ siècle une tra-
duction arabe des Livres Saints [%). Si peu de temps après la bataille

de Xérès, peut-on croire que les vaincus aient consenti à lire leur
Bible dans la langue abhorrée des vainqueurs? Persuadés par ce rai-
sonnement, ces deux excellents critiques ont sérieusement examiné
les textes et découvert, d'une part, que les listes épiscopales de Séville
ne mentionnaient à cette époque aucun pontife du nom de Jean, et,
d'autre part, que le texte de Rodrigue parlait d'explications de la
Bible, non de traductions. Ils en ont conclu que la version biblique
de Jean de Séville devait être reléguée dans le domaine de la fable;

posiciones de ellas, segun conviene a la Santa Escriptura, é asi las dcjo despues de su
niuerte para los que viniesen despues del.
(1) lo. Marianap-Hispani s. i. Historiae de rébus Bispaniae libriXX. lib. VII, cap. m,

apud Schott, op. laud., II, 401.


(2) L'auteur présumé de ceUe chronique aurait été évéque de Pax Julia, ou Beja en Portu-
gal, d'où le nom de Chronicon Pacense. On a reconnu depuis que l'auteur devait être un

membre du clergé de Tolède, cf. Simonel, op. laud., p. 231. Mommsen l'a réédité sous le
nom de Continuatio Isidoriana hispana.
(3; Chronica 7ninora saec. IV, V. VI, VII, t. II dans Monumenta Germaniae historica,

auctores antiquissimi, t. Il, Berlin, 1894, p. 358.


(4) De Lagarde, op. laud., p. xi : es wure nicht viel nachdenhen moglich geivesen, itm
dièse nachrichten Mariana's unglaublich zu finden. 2G jahre nach der schlachl bei
UNE FEUILLE ARABO-LATINE DE LÉPITRE AUX GAIATES. :V27

MM. Vollers et von Dobschûtz 1), et M. Goussen (ai ont accepté ce


verdict.
Loin de nous la pensée de vouloir réformer un jugement qui se
réclame de pareilles compétences! Il se peut, malgré la Chronique
d'Alphonse Sage et l'érudite histoire de Mariana. que Çayed alma-
le

Iran n'ait traduit aucun des Livres Saints. Il faut bien avouer que
ces auteurs ne sont pas infaillibles, et dans la question même qui
nous occupe, ils se montrent peu au fait de la chronologie. Ayant
trouvé, chez le bon Rodrigue Ximenez, Jean de Séville cité après
Urbain et Frédoaire, ils ont fait de ces personnages de véritables con-
temporains; en cela, ils se trompaient, car l'anonyme de Tolède a
poursuivi sa chronique jusqu'en l'année 754 de notre ère et n a pas
rencontré le nom de Çayed almalran. Il faut admettre, comme l'a
fait, après Florez et plusieurs autres, M. Xavier Simonet (3), que Jean

de Séville, auteur de commentaires arabes sur la Bible, a vécu au


milieu du ix" siècle, identique sans doute à cet archevêque du même
nom qui signa en 839 les actes d'un concile de Cordoue. Dès lors la
raison' qui avait si fort ému Gildemeister et De Lagarde n'existe plus;
la bataille de Xérès était assez loin pour que l'église mozarabe ait

senti le besoin d'une version en langue vulgaire, au moins des parties


les plus usitées de la Bible ,
psautier et Nouveau Testament. Nous
savons d'ailleurs qu'à la même date, la connaissance du latin était
tombée très bas dans la partie sarrasine de la péninsule; Alvaro de
Cordoue écrivait de ses contemporains (i) « : C'est à peine si, chez les
Chrétiens, y en a un entre mille qui
il soit capable d'envoyer à son
frère une lettre de salutation. »
Et maintenant, on peut discuter la teneur exacte des termes em-

Xerez soll eine durch religion und sitte von den Ubrigens nicht allzuzahlreichen ero-
bern getrennte bevollierung ihre cultus-oder gar muttersprache schoji so veit verges-
sen habe, dass sie passim die bibel nur in einer arabischen iibersetzung verstehen
lionnte : abgesehen davon das^ ein bischof des achten jahrhunderts schirerlich die
unlebendigen protestantischen aaschauungen iiber die bibel gehabt haben uird, welche
Mariann ihm unterschiebt. Bien qu'en ait pensé De Lagarde, on n'a pas attendu la
Réforme pour traduire la Sainte Écriture en un langage intelligible aux fidèles.
(1) Ein spaaisch-arabisckes Evangelienfragment, Zeitschrift der deutschen morgen-

lûndischen Gesellschaft, 1902, t. 56-, p. 633-648. yacfischrift, p. 6i8.


(2) Die christlich-arabiscke Literatur der Mozaraber von Heinricft Goussen, Leipzig,

1909, p. 17 sq.
Op. laud., p. 324 et note ô de la même page.
[3]-

Alvari Cordubensis Indiculus liiminosus, in fine, apud Florez. Espana sagrada.


f4:

Madrid, 1753, t. XI, p. 274 Eeu proh dolor! linguam siiam nesciunt Christiani, et lin-
:

guam propriam non advertunt latini, Ha ut ex omni Christi collegio vix inveniatur
unus in milleno hominum numéro, qui saliUatorias fratri possit rationabiliter diri-
gere literas.
328 REVUE BIBLIQUE.

ployés par Rodrigue Ximenez si, par les mots qui etiain sacras scrip-
;

turas catholicis expositionibus declaravit, il entend que Tévêque Jean


a écrit en arabe des commentaires, nous n'en resterons pas moins
persuadé que, dès lors, il y avait une version arabe de certaines par-
ties de la Bible; on n'explique guère dans une langue des ouvrages

qu'on n'aurait pas encore jugé bon d'y traduire. Et d'ailleurs, il est
rare que la tradition se trompe tout à fait : si elle a placé tarit de pré-
faces et d'arguments bibliques sous le nom deque saint Jérôme, c'est
le grand docteur était comiu pour avoir beaucoup écrit en ce genre;
ainsi pour Jean, serions-nous tenté de conclure. Nicolas Antonio
avait vu dans la Bibliothèque de l'Escurial un livre dont il écrit :

Liber Evangeiioruni versus in linguam arabicam a Joanne Episcopo


Hispalensi qui ab Arabibus appellatur Zaid Almatrud (= almatran)
tempore Régis Alphonsi -Catholici. Est-il impossible que ce volume
ait réellement existé et soit disparu maintenant? La disparition des

manuscrits n'est malheureusement pas chose si rare, et la Bibliothèque


de l'Escurial a été si endommagée par l'incendie de 1671 que, mal-
gré le silence de Gasiri, la note de Nicolas, jointe au témoignage for-
mel de Mariana, est intéressante à retenir, au moins comme un témoin
de ce qu'on croyait alors sur l'auteur de la traduction mozarabe du
Nouveau Testament (1),
Malheureusement pour cette donnée traditionnelle sur Jean de Sé-
ville, on a trouvé dans un manuscrit de Munich et un de Léon une no-

tice ainsi conçue (2) (ces évangiles) « ont été traduits par Isaac, fils de
:

Velasquez, de Cordoue, en l'année 946 ». Certes, je ne songe pas à


méconnaître l'autorité de ces documents, et ne revendiquerai pas
pour un évêque du ix' siècle la paternité d'une version qui s'affirme
composée au milieu du x®. Mais la feuille de Sigiienza et les raisons
apportées plus haut démontrent qu'il y avait avant Isaac de Cordoue
une version au moins partielle du Nouveau Testament. Le manuscrit
bilingue a peu vécu, sans doute parce que sa version a été détrônée
par une autre, et nous croyons pouvoir démontrer qu'il y eut plus d'une
traduction mozarabe (3). Ce n'est pourtant pas sur le texte de Gai. que

(1) M. Simoaet, op. laud., p. 323, estime difficile c(*ie le livre ait été vu par Nicolas Anto-
nio et qu'il ne soit signalé ni par Casiri, ni auparavant par Alonso de Castille.
(2) 1. Guidi, Le traduzione degli Evangelii in arabo e in etiopico, Alti délia R. Acca-

demia dei Lincei, série IV, vol. 4, 1888, p. 28 :


JoLc^^-j y^J,'j vJl^~. i.^ î^y
^hy~\ s,t>^Lli ^yi j^'^sr*-! ^Jo ^z. La notice est sensiblement identique dans
les deux mss., celui de Munich 238 et celui de la cathédrale de Léon.
(3) La pluralité constatée est d'autant plus remarquable que les ms. mozarabes nous
sont parvenus en très petit nombre.
Ui\E FEUILLE ARABO-LATINE DE L'ÉPITRE AUX CALATES. 329

nous nous appuierons pour établir cette proposition aucun manus- ;

criten dehors de celui-ci n'en a préservé le texte, et les épîtres de


Madrid 4917 paraissent de même style, elles présentent à tout le moins
quelques expressions identiques, par ex. l> ô assemblée
de mes frères, de très bon usage arabe, pour traduire fratres du latin.
Mais justement ce manuscrit de Madrid, qui est fort ancien et très
mutilé, n'a pas la notice sur Isaac de Cordoue et contient une version
absolument différente de celle qu'il a composée. Réduit pour en
juger aux fac-similés de l'étude publiée par M. Goussen, je transcris
ici le texte de quelques versets, Luc, xxii, 58-Gl, d'après le ms. de

Madrid d'une part, et d'autre part d'après celui de Munich 238, qui
contient, comme il a été dit plus haut, la notice sur Isaac de Cordoue :

Luc. 22,58, dixit : ms. de Madrid. Ms. de Munich Aumer 238.

o yhi JlïJ .
.^ JU3
XiL.,^ia>jj xj^^ Uj .vJl,^ (1

lïaw 'jj»« .îijU

^ ju. .ju-V ^u ^. j
^^sr^l J.3 .^J3 U ii! ^1
(1) ^,Lj!

>U .bixîf 3.-U! \-y' <^cIm ^^


••/^^^>^
(l)Ms. : 'w^jlj. (2) Ms. i (?).

Cette courte citation, remarquera qu'il y a fort peu de mots


où l'on
communs aux deux démontre suffisamment que ce ne sont pas
textes,
deux recensions d'une même version, mais bien deux traductions dis-
tinctes. Comme le manuscrit de Madrid est antique, nous tiendrons
qu'il représente avec la feuille de Sigûenza le Nouveau Testament
qu'on lisait dans les communautés de langue arabe, un siècle avant
Isaac de Cordoue. Le triste état du manuscrit de Madrid et l'isolement
de la feuille de Sigiienza se comprennent très bien dans cette hypo-
thèse on a cessé de respecter des volumes qui contenaient un texte
,

démodé (1).

(1) M. Guidi m'a fait remarquer le caractère très libre des plus anciennes versions bibli-
ques; c'est un fait constant qu'on a toujours cherché, dans les églises, à augmenter la litté-

ralité des traductions employées; la liberté de notre traduction plaide en faveur de son
antiquité.
330 REVLE BIBLIQUE.

Après cette longue digression, il nous reste à décrire les particu-


laritésdu manuscrit de Sigùenza. L'étude paléographique de la co-
lonne arabe est difficile, faute de spécimens de la même époque. Les
manuscrits reproduits par Goussen 1 paraissent notablement plus ré-
1 1

cents, même celui de Madrid partie ancienne i, d'allure plus cursive.


Les pages d'écritures occidentales datées dans la Paléographie de
Moritz (2) et les reproductions du catalogue de Berlin (3
appartien- 1

nent à un âge trop certainement postérieur pour qu'il y ait intérêt à


les confronter. Notre feuillet ne ferait pas trop mauvaise figure en face
de la planche 6 des « écritures orientales » présentées par la Paleo-
graphical Society et qui date de l'an 866; il rappelle aussi les plus an-
ciens manuscrits chrétiens écrits au couvent de Mar Saba, abstraction
faite des caractéristiques de l'écriture maghrébine. Il suffira de relever
ici la raideur du trait jointes à une grande sûreté de
et la simplicité

main, le scribe arrondit assez peu J ou ^, final. ^ final se prolonge


habituellement au-dessous de la ligne. Aucun signe diacritique ne
marque ^ ~ qui sont souvent distingués dans les écritures an-
>.r <>

ciennes de l'une ou l'autre manière. ^-- est ponctué à la manière or-


dinaire. La haste du ^ est verticale, tandis qu elle s'incline souvent à
droite dans les mss. maghrébins. Lorsque deux des lettres x ^ .. :i ..

se suivent, la première est généralement agrandie jusqu'à atteindre


ou dépasser demi-hauteur du lam. Le scribe a mis soigneusement
la

les points diacritiques et une bonne moitié des voyelles, mais il ne


parait pas s'être soucié d'indiquer de préférence les voyelles carac-
téristiques. Le damnm est écrit à peu près comme fatha, à peine
peut-on dire que le trait en soit généralement plus épais, quelquefois
il s'incurve vers le bas. Les titres sont en rouge, il n'y a comme signe
de ponctuation qu'un cercle traversé d'un trait oblique ou trois points
disposés en triangle.
Pour rendre plus manifeste le caractère do la version, nous don-
nons une traduction française, aussi littérale que possible, d'une moi-
tié du manuscrit, c'est-à-dire Gai. i, 1-15; nous la ferons suivre de
quelques observations, verset par verset,

(1) Op. laiid., p. 2i-31.

(2) B. Morilz, Arabie Polaeography, Le Caire, 1905, pi. 46-î9 fcorans) et IT.'j-lSS. Le Co-
ran de la pi. 46 ressemble passablement à la feuille de Sigùenza. mais il n'est pas daté, et

les écritures coraniques sont toujours asisez différentes de celles des autres mss. de même
époque.
(3) Verzeichniss der arabischen Handschriften der kûniglichen Bibliothek zu Berlin
von W. Ahhiardt. t. X.
UNE FEUH.l.E ARABO-LATINE DE L'ÉPITRE AUX GALATES. 331

L ARGUMENT.

Les Galates sont les Grecs; ils avaient d'abord reçu la parole de vé-
rité de l'Apôtre; mais, après son départ de chez eux, les prophètes
mensongers s'agitèrent autour d'eux afin de les détourner à s'impo-
ser la Loi et la circoncision. L'Apôtre les lit revenir à la religion de
vérité et leur écrivit cette lettre de la ville d'Éphèse.

l'épître alx habitants de la galatie.

1. De Paul l'apôtre, 'C|ui n'est pas apôtre des hommes, ni d'auprès


d'un homme, mais apôtre de Jésus le Christ et de Dieu le Père, qui
l'a fait 2. et de tous les frères qui sont avec
vivre d'entre les morts;
moi, à toutes les églises en Galatie 3. Que sur vous soient la grâce et
:

la paix de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus le Christ, V. qui s'est

livré à cause de nos péchés afin de nous sauver de ce monde mauvais


actuel, selon la volonté de Dieu notre Père, 5. à lui la gloire dans le
siècle des siècles. Amen. 6. Vraiment je m'étonne que. en hâte, vous
vous soyez écartés de celui qui vous a appelés à la grâce du Christ,
vers un autre évangile; T. certes, il n'y en a pas d'autre (jue lui.
mais certains hommes vous troublent et désirent ardemment faire
cesser l'Évangile du nous ou un ange du ciel vous
Christ. 8. Mais si

évangélisait contrairement à ce que nous vous avons annoncé, que sur


lui (soit) la malédiction! 9. Car, comme nous avons dit encore, ainsi

certes nous disons: Quiconque vous aura évangélisés contrairement à


ce que vous avez reçu de nous, que sur lui (soit) la malédiction!
10. Et moi, maintenant, qui est-ce que je veux satisfaire? crois-tu
que ce soit Dieu ou les hommes? ou est-ce que je cherche à plaire
aux hommes? Par Dieu, si je cherchais à plaire aux hommes, je ne
serais pas un serviteur du Christ.
Chapitre IL —il. Et moi, je vous apprends, mes frères (mot à
mot ô assemblée de mes frères), que la loi de l'Évangile que j'ai
:

promulguée ne tire pas son utilité des hommes, et je ne l'ai pas


apprise d'un mortel, ni je n'en ai pas été instruit par lui, mais par
une révélation de Jésus le Christ. 13. Or vous avez entendu ma con-
duite jadis dans le judaïsme, car j'étais le plus violent des hommes
dans la poursuite de l'église de Dieu, et j'étais son ennemi et je m'ir-
ritais contre elle, 14. et j'étais parmi les Juifs meilleur que beaucoup

de mes contemporains de ma famille, de ma condition, (désirant) plus


qu'eux garder soigneusement les prescriptions de mes pères et les
332 REVUE BIBLIQUE.

défendre. 15. Lorsqu'il voulut, celui qui m'a séparé du sein de


(le)

ma mère et qui m'a appelé par sa grâce afin que par moi fût révélé
son fils...

Argument. — .jjjblc Galates, formé de hy-t, transcription dans

laquelle on a tenu compte de la prononciation douce du latin Gala-


iki ; le traducteur n'a fait aucune attention à la forme Galatae du
gentilice. Les textes arabes orientaux ont JLL^i. Dès cette phrase
on sent procédé de traduction passablement libre que nous nous
le

abstiendrons ensuite de signaler les prophètes mensongers s agi-


:

tèrent afin de les détourner... Les verbes passifs du latin sont tra-
duits par des formules actives. Les présents revocat, scribit sont ren-
dus par des parfaits.
1. 1. iLj' ^=
per hominem, la préposition .^^ répond plutôt à

ex ou ab. Jésus et le Père sont avec le mot apôtre dans le même rap-
port que les hoinmes, tandis que dans le latin ils sont en parallèle
avec un homme. — Dieit le Père à l'encontre du texte latin, mais avec
toutes les autres autorités.
2. add. toutes.
3. a conservé pâtre omis par lat. seul. La leçon complète pâtre =
nostro et domino., comme FR, l'inversion finale ?i05/ro et domiîio ayant
seule persisté dans lat.

5. Le siècle des siècles est la formule habituelle à l'arabe, quel que


soit le mot employé pour traduire siècle .^*--'' »-, etc. :

6. La ligne 18 est à peu près illisible, on n'y distingue guère que


U' et un peu après un x surélevé qui doit précéder un -, soit une des
formes de v^_<sr^, par ex. ^^^sr*^; ensuite on lit peut-être p »*^ U^ et
un verbe qui doit commencer par ..xJ'j et se termine par ,^; l'im-

parfait arabe ne décide pas entre les leçons transferemini (AF et


lat.) ou transferimini.
7. i)!:! soutient la leçon des mss, espagnols 5wôve;'/ere.
9. La phrase est embrouillée par un déplacement de l'adverbe à
nouveau Ua:»! qui devrait se trouver à la fin. Les deux verbes sont
au pluriel, tandis que la plupart des mss. latins ont le premier
au pluriel et le second au singulier. Lat. et C ont obtenu l'uniformité
en mettant deux fois le singulier.
10. Verset rendu avec beaucoup d'énergie; le serment iii! J\

étonne sous une plume chrétienne, son addition montre combien le

traducteur se croyait libre.


11. L'arabe suppose facio contre lat. L'expression ù assemblée de
mes frères JjïJ iux^ 'o se retrouve dans le ms. de Madrid, par ex.
UNE FEUILLE ARABO-LATINE DE L'ÉPITRE AUX CALATES. 33.

dans passage de TÉpitre aux Corinthiens reproduit dans Goussen,


le

Au lieu de jouer sur les mots evan-


p. 25, c'est assez caractéristique.
geliinn et evangeiizatum, ce qui était facile en arabe, le traducteur a
rapproché les deux mots ixj ^:i,, qu'il a introduit dans son texte, et

1,3. ïj^ correspond à conversatio dans le vocabulaire latino-arabe


de Leyde (1) qui appartint jadis à Scaliger. Ayant constaté dans
Dozy (2) cette coïncidence assez notable, vu
peu de rapport du
le

verbe .,'5' et de l'idée contenue originellement dans conversatio, ] ai


cherché s'il y avait d'autres expressions communes à Gai. et au glos-
saire, accessible depuis la publication qu'en a faite M. Seybold en
1900 (3). J'enregistre seulement les traductions assez spéciales pour
suggérer une relation historique entre les deux documents :

suscito reputo
gratia providens
d r^
evangelium prenuntio
siibverto gens
Ir:.-

suadeo mais génies


u .U'
coetaneus! sperno
genus evaciio 11,.'

mais genus meum trangressio


segrego J>' mediator t- y^ ... T ^

iustitia concludo Lt
*^ Kj^3 L^r=*
Ces ressemblances ne laissent guère de doute, ou bien le vocabu-
laire de Leyde est issu du même milieu que notre feuillet, ou plutôt
son auteur avait devant les veux la traduction du Nouveau Testament

(1) Cf. Catalogus codicum arabicorum Bibliothecae academiae Liigduno-Batavae


éd. 2^ auctoribus M. J. de Goeje et M. Tli. Houtsnia, Leyde, 1888, p. 77 sq. et Dozy. Sup-
plément aux dictionnaires arabes, Leyde. 1881, p. vm sq.
(2) Dozy, op laud.,t. H, p. 502.
(3) Glossariiim latino-arabicum ex unico qui ejstat codice Leidensi undecimo sae-
culo in Hispania conscripto nunc primum edidit praefalione notisque instruxit tabu-
lam phototypicam adiecit Christianus Fredericus Seybold, dans Semitiscfie Studien
ErgOnzungshefte znr Zeitschrif't fur Assyriologie, Heft 15-17, Berlin, Felber, 1900. L'au-
teur estime, p. x, ([ue le ms. est du \V siècle parce que c'est seulement à cette date que
les Arabes ont introduit en Espagne l'usage du papier Librum igitur ipsum et codicem
:

nostrum ad saeculum undecimuin perfinere mihi probabilissimum esse videtur. Pour-


tant, à ne considérer que la paléographie de la colonne latine, la page reproduite en fron-
tispice parait appartenir à un ms. du x*' siècle. Peut-être faut-il admettre qu'avant le
\i^ siècle on a écrit sur papier dans de l'Espagne habitée par les Arabes leurs
la partie ;

congénères d'Egypte connaissaient le « bornbycin


" dès le viii% on admettra facilement
qu'ils
n'aient pas attendu 300 ans pour l'introduire jusqu'aux extrémités de leur empire.
334 REVUE BIBLIQUE.

à laquelle il appartient. L'auteur du vocabulaire connaissait bien le

N. T. on s'en rendra facilement compte à le feuilleter la présence de ;

certains mots, comme Bariona, paraît à cet égard absolument ty-


pique.
li. Les termes ^^j J^' ^^ vJ-.rr^
^^^^ ^"s à la manière du traduc-
teur, comme, à la fin du verset, ^ et ,
>ii qui expriment en l'analy-

sant l'idée contenue dans aemulator, désir de garder, exclusion de


quiconque n'est pas juif d'une participation aux bienfaits de la Loi.
On remarquera que geniis est justement traduit dans le vocabulaire
de Leyde par les deux mots i^î, et J-^J,

III, 7. cognoscite, contre lat. et CTRP.


8. L'arabe ajoute mais ne suppose pas nécessairement dixit
dit,

dans le latin. La parole que saint Paul emprunte à la Genèse est ame-
née au moyen de .,'; malgré le discours indirect le traducteur a
gardé le pronom de la deuxième personne, en toi; il est même plus
personnel que lat. ayant pris le verbe actif : en toi je bénirai toutes
les nations.
1-2. ex fide est singulièrement rendu par ^-^ .^- de dessus la foi,
la Loi ne repose pas sur la foi. m illis est traduit par le singulier
féminin qui se rapporte grammaticalement à Loi.
13. 'mnx:^ -j^-' i^ est peut-être à corriger en .ïj^J' i:*), en suppri-
mant le suffixe, ou bien il faut faire un verbe dei^, les Juifs ont
maudit le Christ; si on litX;*.', l'arabe supporte maledictum d'accord
avec la généralité des mss. et G contre lat. et T. D'autre part, pependit
avec CTF*. ligno est traduit par croix.
15. ô assemblée de mes frères, cf. supra.
16. seminibus ejus avec lat. qui est isolé.
17. Traduction fantaisiste : nous ne la détruirons pas sans que la
promesse...
Le traducteur ne serre pas lat. d'assez près pour qu'on puisse
18.
dire s'il a lu repromisslonem ou seulement promissionem comme lat.
et T; il a employé le même mot qu au v. 17 pour proinissioîiem. Dail-
leurs la seconde fois CÂ' F^ ont comme T. et lat. la leçon promissio-
nem, il semble donc probable que l'auteur de la version arabe a vu
partout le moi p>'07Jïissio.

19. Quels sont les avantages de la Loi aprèsavantages de la foi? les

glose dont le traducteur est seul responsable. La fin de la phrase est


modifiée : les choses arrangées par les anges, devant se idéaliser par la
tnaiîi du médiateur.
20. Glose : or le médiateur n'est pas d'u/i seul, mais ce gui est fntrr
UNE FEUILLE ARABO-LA.TINE DE L'ÉPITRE AUX CALATES. X\">

deux, on comprend mieux dès lors la réflexion '.pourtant Dieu est un.
21. La justice serait de l'acceptation de la Loi.
Gomme on l'a vu, le texte arabe du feuillet de Sigiienza n'est pas

absolument conforme au latin qui lui fait face; lorsqu'on a fait la


part de la liberté permise au traducteur, il reste plusieurs leçons dont
il n'est pas seul responsable. C'est donc que ce ms. bilingue n'est pas

l'original d'une traduction, mais qu'on y a réuni un texte latin et un


texte arabe indépendants l'un de l'autre. Que cette version arabe ait
pour auteur Jean de Séville ou un autre quelconque des courageux
prélats qui maintinrent en Espagne la foi catholique, peu nous
importe sans doute s'ils avaient connu ce nouveau témoin, Gildemeis-
;

ter et De Lagarde auraient été moins empressés à repousser les don-


nées de la tradition. Un fait est du moins certain, c'est qu'il y avait
avant 946, c'est-à-dire avant la traduction des Évangiles par Isaac
de Cordoue, un texte arabe espagnol du Nouveau Testament, la tra-
dition et le feuillet de Sigiienza sont d'accord pour l'affirmer. Enfin,
bien que dépourvue de valeur pour la critique du texte primitif de
l'épitre aux Galates, cette feuille isolée apporte quelques éléments,
peut-être troublants, mais non négligeables, à l'histoire de la tradi-
tion scripturaire espagnole.

Rome, 20 avril lOlo.


Eugène Tisserant.
336 REVUE BIBLIQUE.

<AD> (1) GALATÂS

(fol. 1) Argumentum
Galate sunt greci. hii uerJjum ueritatis
primum ab apostolo acceperunt sed post
discessiim eius temtati sunt a falsis apostolis
5 ut in lege et circumcisione uerterentur :

Hos apostolus reuocat ad fidem ueritatis


scribens eis ab epheso :

EPISTOLA AD (2) GALATAS

Paulus apostolus non ab ominibus neque


10 per hominem sed per ihm xpm et dm et patrem
qui suscitabit (3) eum a mortuis. et qui mecum
sunt omnes fratres egles galatie.

Gratia uobis et pax a do nostro et dno Ihu


xpo. qui dédit semedipsum pro peccatis
15 nostris ut (i) eriperet nos de presenli seculo

nequam secundum uolumtatem di et patris nostri


cui est gloria in secula seculorura. Amen.
Miror quod sic tam cito transferemini hab

60 qui uos uocabit in gratiam xpi in a


20 liud euangelium. quod non est aliud nisi

sunt aliqui qui uos conturbant et uolunt (5)

(fol. 1') Subuertere euangelium xpi Sed licet :

nos aut angeliis de celo euangelizet uobis


prêter quod euangelizabimus uobis anath
25 ema (6) sit. sicut predixi et iterum dico :

(1) On ne voit aucune liace du mol ad, mais il y a devant galaias un trou de ver, qui
a pu le faire disparaître.

(2) d sup. lin. *

[2) h = V orthographe habituelle du ms.


(4) Ms. et, u sup. lin. prima manu.
(5) lunt. sub lin.

(6) the sup. lin.


UNE FELILLE ARABO-LATINE DE L'ÉPITRE ALX G\LATES. 337

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REVUE niRLlQLE 1910. — >' >• T. TH.


338 REVUE BIBLIQUE.

5 Si] quis iiobis euangelizaberit prêter id

quocl accepistis anathema sit :

Modo enim hominibus suadeo aut do :

Au]t pro (1) hominibus placera. Si adhuc ho

minibus placerem xpi servus non essem : ji '2)

10 Xotumj enim uobis facimus fratres. euangelium quod euan


g[el]izatum est a me. quia non est secundum ho

mijnem neque enim ego ab homine accepi


iUudj neque didici. sed per reuelationem ihu spi

Ajudistis enim conuersationem meam aHquando


15 i[n ijudaismo quoniam supra modum persequebar

egles]iam di. et expugnabam illam. et pro

fîciebam in iudaismo. supra multos coe

taneos in génère meo : Habundantius emu


lator existens paternarum mearum traditionum
20 Cum autem placuit qui me segregabit

de utero matris mee. et uocabit per gratiam

(fol. 2] Sicut Abraam credidit do. et reputatum est ei ad


iustitiam. cognoscitis ergo quia qui ex fide

sunt hii sunt fîlii abrae : Profidéns autem scrip

tura quia ex fide iustificat gentes ds. pre

5 nuntiabit habrae quia benedicentur in te

omnes gentes : Igitur qui ex fide sunt benedicentur cum


fideli abraam : Quiquumque enim ex operibus legis sunt

sub maledicto sunt : Scriptum est enim


Maledictus omnis qui non permanserit in onmibus que

10 scripta sunt il hbro legis ut faciat ea.

(1) Faute de copiste pour quaero.


(2) Chapitre deuxième, suivant la division desrnss. espagnols.
UNE FEUILI.E ARABO-LATINE DE L'ÉPITRE
AUX (;ALATES. 330

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(1) rvi-' avec un fl/i/au lieu de alifmaqsur.


340 REVUE BIBLIQUE.

Quoniam autem in lege nemo iustificatur apiit

dm manifestum est quia iustus ex fide uibit

Lex autem non est ex fide scd qui fecerit ea uiljet

in illis : Xps nos redemit de maledicto legis

15 factus pro nobis maledictus. quia scriptum est

Maledictus omnis qui pependit in lig[nol ut in

gentibus benedictio abraam fîeret in xpo ihu ut

poUicitationem Spiritus accipiamus per fideni : IVatres

secundum hominem dico tamen liominis confirma

20 tum testamentum nemo spernit. aut super

ordinal : Abrae dicte sunt promissiones

(fol. 2"^) et semini eius : non dicit et seminibus eius

quasi in multis sed quasi in uno et semini

tuo qui est xps : Hoc autem dico testa

mentuni confirmatum a do que post cccc os et xx

5 annos facta est lex. non irritam facit

ad euacuandam promissionem. nam si ex

lege hereditas. iam non ex promissione :

Abrae autem per promissionem donabit ds.

Quid igitur lex propter transgressiones posita

10 est donec ueniret semen cui [rub.)

promiserat. oruinata per angelos in ma


nu [mjediatoris. Mediator autem unius
non est. ds autem unus est : Lex ergo ad

uersus promissa di. Absit. Si enim data

15 esset lex qui posset uiuificare. uere ex

lege esset iustitia : Sed conclusit


UNE FELILLE A RABO LATINE DE L'ÉPITRE AUX CALATES. 341

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(2) J-sU ^•^U- .^ J! ^1^3 .j.^L ^U^

Ji-, ^r^k]î ^LOt .,î


N|t ït Jt U .,.

(1) Ms. : Lo* corrigé dans la marge par .,Lo^!. — r) A lire J.^'.J.
342 REVUE BIBLIQUE.

scribtura omnia sub peccato. Ut promis


sio ex fide [ihu xpi daretur credentibus
|
:

Prius au[tem q]iiam iieniret fides sub lege eus


20 todiebamur conclusi in eam fidem que re
uelanda erat Itaque lex pedagogus
:
UNE FEUILLE ARABO-LATINE DE L'ÉPITRE AUX CALATES. 343
L'ANGE ET LE CHANDELIER
DE L'ÉGLISE D ÉPHÈSE
[Suite)

Nous l'avons déjà observé, les lettres font absolument corps avec
le restede Fouvrage. Elles doivent donc entrer dans la perspective
générale du livre, elles doivent être dominées par le même point
de vue eschatologique Il sufiit d'ailleurs d'en prendre un aperçu,
.

même très sommaire, pour voir cette induction se renforcer d'un


constat immédiat. Sans doute, l'idée du dernier avènement ne se
détache pas partout avec la même netteté. Sans doute, en même
temps qu'à l'avenir, la Révélation semble ici relative au présent et
au passé k Écris les choses que tu as vues, et celles qui sont et celles
:

qui doivent arriver ensuite » (i, 19), et c'est bien à ces trois aspects
des choses que semblent répondre les lettres, suivant qu'on les envisage
dans la suscription, le corps ou la conclusion. Mais, à y regarder
de près, l'on aperçoit clairement que les choses qui ont été vues sont
ordonnées aux choses qui sont et celles-ci aux choses qui doivent venir,
comme le symbole à la réalité et conmie la cause à l'effet. Elles sont
organisées, hiérarchisées de telle sorte que tout l'intérêt se porte vers
l'avenir et vers la iîn et que le point de vue est évidemment celui de
l'eschatologie. Aussi bien ne suffit-il pas de voir le Christ, qui parle
dans les lettres, apparaître avec tous les insignes du Souverain Juge,
se définir en fonction du Jugement et de la Résurrection et crier
aux Églises sur tous les tons :« A celui qui vaincra, je donnerai à

manger de 1 "arbre de vie, qui est dans le Paradis de mon Dieu »


(il, 7), pour apercevoir nettement que la vision de la fm domine les

lettres d'un bout à l'autre comme elle domine l'ensemble du livre


depuis la première ligne jusqu'à la dernière ?
L"ANGE ET LE CHANDELIER DE L'EGLISE D'EPHESE.

Telle est l'originalité de l'Apocalypse que les caractères de la forme


y sont peut-être encore plus marqués que les caractères du fond.
Après les particularités si tranchées de la langue et du style, après
le symbolisme et le réalisme hardi de ses descriptions, ce qui frappe
le plus dans cet écrit, c'est le parallélisme et la symétrie de ses

arrangements. « Le livre est dominé par le nombre sept, la réparti-


tion des matières est elle-même subordonnée à ce chiffre 1). » L'au-
teur dénonce lui-même quatre séries septennaires. les sept lettres, les
sept sceaux, les sept trompettes, et les sept coupes, et il semble en
avoir formé une cinquième au centre de son livre 2 Les anciens avaient .

bien remarqué ce procédé rédactionnel qui gouverne l'économie gé-


nérale de l'Apocalypse, et plusieurs d'entre eux. Ticonius et saint
Augustin par exemple, avaient cru voir dans la répétition des séries

septeniiaires la récapitulation des mêmes événements présentés sous


des formes différentes S .

Le même goût des répétitions variées et des arrangements symétri-


ques se retrouve à l'intérieur même de la première série, dans les sept
lettres inaugurales, où il se donne même plus libre jeu que partout
ailleurs.
La forme de ces lettres est si uniformément régulière qu'elle parait
stéréotypée. Dans toutes, on distingue nettement trois parties : la sus-
chacune de ces
cription, le corps de la lettre et la conclusion, et, dans
parties, on retrouve les mêmes procédés rédactionnels et. de façon gé-
nérale, à peu près les mêmes choses. La suscription renferme deux
articles très distincts qui commencent invariablement par la même
formule : <• Écris à lange de l'ÉgKse... » et « Voici ce que dit... Le >'.

premier terme fait connaître le destinataire, le second l'auteur de la

lettre premier désigne de façon mystérieuse l'une des sept Églises;


: le
le second caractérise de la même manière le Christ qui dicte les lettres.
C'est la vision inaugurale qui fournit le symbole de l'Église, lequel
est toujours un des sept anges déjà mis en scène, comme elle fournit
le symbole du Christ dans un des traits de sa figure déjà mise en relief
dans la préface. L'unité de forme se complète donc de l'unité d'ori-
gine et de signification dans les deux éléments de la suscriplion. >n ne (

saurait imaginer symétrie plus parfaite.

(1 P. Calmes. L'Apocalypse devant la tradition et la critique, p. 50.


•'2, Ckami'ON. La Sainte 303
Bible, VII, p. s.n.

3) « Les anciens auteurs qui ont inventé la théorie des récapitulations ont au fond très
bien compris la marche du livre » (B. Allô, Bévue bibl., ocf. 1909, p. 536).
346 REVUE BIBLIQUE.

Le corps de la lettre comprend toujours trois parties : un examen de


conscience quiporte sur la conduite passée delÉglise; une exhortation
qui lui marque son devoir présent; une prédiction qui lui donne la vi-
sion anticipée des sanctions divines et notamment de la récompense
que Dieu réserve à ses disciples fidèles. Ces trois parties sont par leur
objet même idéalement distinctes et connexes: elles sont en fait tantôt
présentées à part et par ordre et tantôt un peu plus mêlées, mais
toujours reconnaissables à l'analyse. L'examen débute toujours par la
même formule : « Je connais tes œuvres » : les reproches arrivent
après, invariablement introduits par la formule : « Mais j'ai contre
toi... » (II. i, li,20). Cette formule n'a pas lieu d'être employée chaque
fois que le maître des Églises n'a que des éloges S^-G" lettres) ou des
reproches lô'^-T'^ lettres) à leur faire. Cet élément de variété a sans doute
été occasionné par la situation des Églises en question. L'exhortation
prend, suivant forme d'un pressant appel au repentir ou celle
les cas, la
d'un ardent encouragement à la persévérance. L'annonce de la sanction
qui se grefie sur l'exhortation jusqu'à s'emmêler parfois avec elle, finit
toujours par s'en distinguer très nettement dans la conclusion où elle
s'exprime pour ainsi dire en seconde édition, sous une forme diffé-
rente, mais toujours parallèle à celle qu'elle revêt dans le corps de la
lettre.

La conclusion, qui s'articule ainsi assez étroitement avec le corps


de la lettre, ajoute toujours à cette réédition de la sanction un appel
solennel à l'attention des fidèles. Elle comprend donc deux arti-
cles, dont l'un est toujours formulé et l'autre toujours introduit dans
les mêmes termes : «. Que celui qui a des oreilles entende ce que
1 Esprit dit aux Églises! » « Celui qui vaincra... » L'ordre des deux
articles est seulement interverti, le premier des trois lettres devenant
le second des quatre dernières (1).

Ce qu'il y a de plus remarquable encore que cette symétrie et cette


correspondance extérieure des lettres entre elles, c'est la relation or-

(1) Ramsav. op. cit., p. 200-207. L'auteur, (]ui a remarqué cette diversité d'arrangement,
fait à cette occasion une très juste rétlesion qui trouve son entière vériflcation dans l'ana-
lyse que nous faisons des lettres : Altuost every Ulle variation and tnrnin thèse letters.
is carefidhj studied : and probably it is through deliberate intention, that Ihey are divided
by this variation in two classes: but \\\r.\{ is the reason for tbe division and the principb^
involved in it, is hard to say... The variation apparently conweys no différence in force or
nieanlnii, but purely literary and lormal. » 11 avait dit précédemmenl • It inust reniain :

doubtful whetber there is any spécial intention in this, beyond a certain tendency in the
vvriter towards employing variety as a literary device. »
L'ANGE ET LE CHANDELIER DE LÉGLISE D'ÉPHÈSE. .Ti?

ganique, c'est la correspondance intérieure des diverses parties dans


chacune des lettres et dans toutes également.
Suivant l'observation déjà faite en passant, la seconde forme de la
sanction, celle qui figure dans la conclusion, est si bien en rapport avec
la première, celle qui figure ordinairement dans la finale de la lettre,
qu'elle n'en est guère que la réplique sousune forme quelque peu
différente. Mais ce n'est pas seulement entre elles que les deux formes
de la sanction sont mises en relation, c'est encore avec le contenu et
avec le titre même de la lettre. Tout cela nous parait si évident, une

fois l'attention dirigée de ce côté, qu'il suffira sans doute de l'indiquer


brièvement, pour que chacun, à la réflexion, le voie se vérifier. Nous
laisserons seulement de côté, dans cette rapide revue, la lettre à l'Église
d'Éphèse dont l'explication doit être réservée pour la lin, puisqu'elle
renferme justement le terme du problème qu'il s'agit de résoudre.
Dans la seconde présente sous la forme du don
lettre, la sanction se
de la vie et sous laforme exactement équivalente de la préservation
de la mort; elle se rattache bien au contenu et spécialement à la
finale de la lettre où il est question de la mort endurée par le Christ;
elle s'harmonise également bien avec le titre de la lettre et la défini-

tion initiale du Christ qui a été donné comme « le premier et le der-


nier, celui qui était mort et qui a repris vie ».
Dans la troisième lettre, la sanction se définit de façon un peu voilée,
mais indubitable, sous la forme d'une parole de mort et sous la forme
exactement parallèle à' wm parole de vie (cf. infrai sortie de la bouche
du Christ au jour prochain de sa venue. Elle a ainsi un rapport bien
marqué avec le contenu de la lettre où il est question de chrétiens
qui se perdent ou qui se sauvent par la bouche, en acceptant ou en
refusant de manger les idolothytes, de prendre part aux banquets ido-
làtriques et immoraux auxquels les invite la parole des faux docteurs.
Le parallélisme est évident entre les viandes que les Xicolaïtes pré-
sentent à manger à leurs adhérents et la manne que Dieu donne à
manger à ses élus et il semble se poursuivre entre la pierre d'achoppe-
ment qu'est pour les fidèles la parole des faux docteurs en les induisant
à la manducation des viandes immolées et les pierres blanches qui
sont sans doute ces pierres précieuses dont la tradition juive faisait,
ainsi que de la manne, un des miraculeux effets de la parole de Dieu
au désert, et que l'auteur interprète certainement ici, conjointement à
la manne, en fonction du salut, soit qu'il y voie des symboles des élus,
soit qu'il y voie des billets d'entrée pour le ciel. Aussi bien qu'avec le
contenu de la lettre, la description finale de la sanction cadre à la

perfection avec la suscription initiale où Ton définit le Christ : " Celui


348 REVUE BIBLIQUE.

qui a le glaive aigu à deux tranchants. » Il est assez notoire que cette
« lame acérée qui sort de la bouche de Dieu » (i, 16) n'est en langage
biblique qu'une figure de la toute- puissance invincible de la parole
divine. Les deux tranchants du glaive sont, comme son extrême acuité,
une expression imagée et superlative de la souveraine efficacité de la
parole de Dieu. Cette efficacité est d'ailleurs à double effet, aussi ter-
rible aux méchants que bienfaisante aux bons. La parole de Dieu a une
efficacité meurtrière pour ceux qu'il veut perdre. A preuve, ce texte de
la Sag-esse qui semble bien avoir inspiré le texte parallèle de l'Apoca-
lypse : « Votre parole toute-puissante s'élance du haut du ciel... comme
un guerrier (ttsae'j.isty;;) impitoyable au milieu d'une terre vouée à
l'extermination, portant comme un glaive aigu votre irrévocable dé-
cret de mort » (Sagesse, xviii, 15, 16). Relisez à présentée texte de saint
Jean et dites-moi s'il ne parait pas calqué sur celui de la Sage^e :

« Repens-toi, sinon je viens à toi aussitôt et je leur (aux coupables)


ferai la guerre {r,oKz-^:r,7M) avec le glaive de ma bouche. » Nous retrou-
vons là la même venue du ciel de Celui qui est la parole toute-puis-
sante, le Verbe même de Dieu, la même guerre faite à ses ennemis, le
même coup de la mort signifié par le glaive aigu, symbole de la parole.
Au lieu qu'elle sera aux méchants, la parole de Dieu n'aura
si fatale
pour les bons que des effets salutaires. Car non moins qu'une effi-
cacité meurtrière, elle a une efficacité souverainement créatrice et sa-
lutaire. C'est par la parole de Dieu qu'a été produite la création toute

entière (Gen. i ; Sag-. ix, 1, « c T.zir,axq -x r.xw-xk^ ''^^vo) aou »). De là sans

doute l'expression biblique « tout ce qui sort de la bouche de Dieu »


(Dt. viii, 13) ou « toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt.

IV, k) pour signifier tout ce que Dieu, dans sa toute-puissance, jjeut

créer pour le service de l'homme c'est dansée sens qu'on peut parler
:

de la manne, à la suite du Deutéronome et de l'Évangile, comme


((d'une chose ou d'une parole qui sort de la bouche de Dieu. » On peut
évidemment dire la même chose des pierres précieuses que la tradi-
tion rabbinique associait à la chute de la manne parmi les moyens
miraculeux dont Dieu s'était servi pour conduire dans la Terre promise
son peuple d'élection. Si nous rappelous enfin que c'est « de la bou-
chede lahvé » qu'Isaïe fait sortir « le nom nouveau » qui est. ici comme
là, donné aux élus (Is. lxii. 2; lxv, 15), on finira bien sans doute par

avoir comme nous l'impression irrésistible que toutes ces métaphores


d'apparence si disparates dans lesquelles s'expriment les sanctions
éternelles (1), apportées par le Christ aux fidèles de Pergame, sont
(Ij Ilvasansdire, car ce n'est pas icile lieude ineUre raccent là-dessus(cF. supra), qu'il s'a^^it

dans ceUe JeUre comme dans toutes les autres de la rétribution finale. Il s'agit, pour les cou-
L'ANGE ET LE CHANDELIER DE LEGLISE D'ÉPHÉSE. 349

autant de symboles d'inspiration biblique et traditionnelle qui se rejoi-


gnent très bien dans l'idée mère de la parole de Dieu, qui s'affiche si
fortement dans le titre de la lettre et qui domine également sans qu'il
y paraisse d'abord autant, dans tous les éléments de la conclusion.
Le caractère, non moins réel, mais moins apparent, des harmonies
intrinsèques de cette troisième lettre, nous a obligé à sortir un peu,
dans notre exposé, des limites étroites que nous nous sommes tracées.
Nous pourrons mieux nous y tenir dans l'analyse des lettres suivantes.
Dans la quatrième lettre, la sanction apportée parle Christ appa-
raît sous la forme de l'infirmité dont il frappe les coupables, qu'il
jette sur un lit de douleur, qu'il accable sous h' poids d'une immense
tribulation ii, 2*2) et qu'il condamne à la mort, et sous la forme antithé-
tique de la force et de la puissance qui sont le partage des chrétiens
fidèlesauxquels le Christ ne se contente pas de ne pas vouloir imposer
de fardeau trop accablant (2.5), mais qu'il promet d'élever jusqu'à la
participation de sa propre puissance, décrite en termes magnifiques
dans le langage de la Bible et de la tradition 26-28) il). Cette sanction
est en rapport avec le contenu de la lettre, où on reproche à l'Église sa
faiblesse en face de Jézabel i20 et où l'on distiniiue deux catégories
,

de tidèles, les faibles qui se laissent séduire par cette femme impudique
et qui succombent à l'attrait des plaisirs charnels, les forts qui ré-
sistent et continuent à porter vaillamment le joug' de la chasteté et
de la mortification chrétienne.
Le raccord de la sanction dictée dans la lettre à l'Église de Thvatire
avec le titre de la lettre, se fait aisément par l'idée même de puis-

sance qui est longuement développée dans la conclusion et qui est


bien mise en vedette dans la suscription par le nom même de Fils de
Dieu, qui ne figure nulle part ailleurs dans l'Apocalypse et dont le
choix paraît avoir été inspiré ici par le passage célèbre du Ps. h, 8-9,
lequel fournit également le thème de la conclusion et où l'on voit le
Messie solennellement proclamé Fils de Dieu et en même temps investi
par son Père d'une puissance souveraine et universelle, si bien que
l'on a pu croire que la filiation divine du Messie y devait être inter-
prétée en fonction de la puissance divine qui lui est attribuée.
pables.de la rnort éternelle qui leur sera iniligée par le glaive de la parole de Dieu il s'agit, ;

pour les chrétiens fidèles, de la vie bienheureuse figurée par la luanne. les pierres précieuses,
le nom nouveau. On dit, de cette manne, que ce sera une manne cachée et.de ce nom écrit
sur les pierres blanches, que ce sera « un nom inconnu de (ous », excepté de celui qui le
portera, pour marquer le caractère mystérieux, tout à
surnaturel et surhumain de cette
fait

manne et de ce nom,
c'est-à-dire de cette vie nouvelle figurée par ce nom nouveau, et de
cette vie bienheureuse, figurée par son délicieux aliment, de cet aliment qu'il faut "oûter.
de cette vie dont il faut jouir pour en soupçonner tout le prix.
(1) RB., avril 1908, p. '227 ss.
330 REVUE BIBLIQUE.

En étudiant de près cettelettre, on remarque que Tidée de la rétri-

bution exactement proportionnée des œuvres y est plus particulièrement


accentuée. Le Christ s'y attache à faire bien voir qu'il est « Celui qui

sonde les reins et les cœurs » m, 23 il s'y fait fort « de rendre à ,

chacun selon ses œuvres » (ii, 23 et, de fait, on le voit affliser


:

d'une cruelle infirmité et d'angoisses mortelles ceux qui se sont


adonnés aux œuvres de Jézabel, œuvres de lâche égoïsme et de volupté
coupable. On le voit mettre en part de sa puissance, de la puissance
même qu'il a reçue desonPère, les chrétiens qui ont fait « ses œuvres »
II. 26\ œuvres de patience et d'amour généreux et agissant (ii, 19, 25,

26 Or, et c'est là que nous voulions en venir, cette idée et cette réa-
.

lisation d'une rétribution, plus expressément sinon plus spécialement


proportionnée aux responsabilités encourues et aux œuvres accom-
plies, se trouve elle aussi, sans doute possible, annoncée d'avance
dans l'adresse même de la lettre. Qu'est-ce en effet que « celui qui a
les yeux comme une flamme de feu, et dont les pieds sont semblables
à l'airain, à de l'airain qu'on aurait embrasé dans une fournaise »
(il, 18; i, 15), sinon le juste Juge dont les yeux de flamme « sondent

les reins et les cœurs » ii. *23), celui dont tous les pas qu'il fait avec
ses pieds de feu marquent assez qu'il vient pour passer le monde par
le feu, c'est-à-dire, selon la symbolique biblique, pour le juger avec
la dernière rigueur Daniel, vu, 9: IT Pétri, m. 12: I Cor., m. 13àl5\
L'analyse et l'interprétation que nous donnons de cette lettre sont
singulièrement confirmées par les analogies étroites qu'on lui découvre,
dans les idées et presque dans les expressions, avec la description qui
est plus loin (xix, 19 ss. faite du Christ dans le suprême exercice de
sa puissance judiciaire. Je cite' : « Ton nom est le Verbe de Dieu »,

autant dire le Fils de Dieu (Jean, i. 1, 13, li . « juge avec justice


Il :

ses veux sont comme une flamme ardente ». Voilà le pendant du titre
(cf. Il, ISetxix, Il à 13 . Ce Verbe de Dieu, ce juste Juge exercera sur
les nations la puissance même de Dieu il les gouvernera avec un
: v.

sceptre de fer », armé qu'il sera •


de l'ardente colère du Dieu tout-
puissant ». Et l'on ajoute pour compléter la description « Sur son :

vêtement et sur sa cuisse, il portait écrit ce nom Koi des rois et :

Seigneur des seigneurs... Les armées du ciel le suivaient. » Voilà le


pendant do la conclusion y compris le trait final de « l'Étoile du
matin ». qui, ainsi que nous l'avons montré dans un précédent
article 1 ), a son équivalent dans le titre de Roi des rois et de Prince
de la milice céleste, donné ici au Christ (cf. ii, 2G à 28 et xix. lia 16).

(1) L'Étoile ilu Matin dans /'Apocalypse. RB., avril 1908.


i;ANr.E ET LE CHANDELIER DE LÉC.LISE D'ÉPHÈSE. 3ol

Entre autres gestes de ce Roi tout-puissant et de ce juste Juge, entre


autres eOets de sa colère et de son jugement, on cite d'abord, avec une
particulière insistance, celui qui consiste à prendre la bête avec son
complice, le faux prophète qui a séduit les hommes, à les jeter vi-
vants dans l'étang de feu où ils seront tourmentés jour et nuit, aux
siècles des siècles, et à tuer le reste, c'est-à-dire toute la suite de la
bête et du faux prophète. La mort qu'on a en vue est sans doute la
seconde mort, celle qui est ensuite identifiée avec l'étang de feu
(XX, 6; XXI, 8. Cf. II, 11). Telle est, après l'identité delà mise en scène,
l'identité des gestes (1) et l'identité même des termes [-2
,
qu'il nous
parait assez indiqué d'établir encore une correspondance entre ces
derniers textes et le contenu de notre quatrième lettre, et d'inter-
préter les sanctions pénales de cette lettre à la lumière de celles-ci :

le lit de souffrances, la grande tribuiation où le Christ jette Jézabel


et ses compagnons, c'est l'étang de feu, le lieu de tourments éternels
où il jette la Bète et ses complices; et la mort dont il menace les
disciples de Jézabel, c'est la seconde mort, c'est la damnation éter-
nelle (3). Ainsi se fond dans l'harmonieuse unité
des perspectives
tînales cette sanction même
de la quatrième lettre qui ne laissait pas
de faire assez d'embarras aux partisans les plus résolus de l'inter-
prétation eschatologique (i).

dominante des sanctions édictées dans la cinquième lettre est


L'idée
celle de Y admission des fidèles dans la céleste Jérusalem, dans la
société du Christ et des anges, qui se complète et se précise dans
l'idée de la gloire qui leur est réservée. « Ils marcheront avec moi en
vêtements blancs, revêtus de vêtements blancs. » « Je n'effacerai
point leurnom du livre de vie (5) », c'est-à-dire de la liste desprédes-
tinés appelés à vivre dans la cité céleste (6). Je confesserai leur nom,

(1) De part et d'autre les séducteurs sont jetés vivants et pour ainsi dire couchés sur
un lit de souffrances, de suprême souffrance, tandis que leurs disciples sont voués à la
mort
(2) De part et d'autre, on trouve un faux propliéle dont le crime est de séduire fîrÀavdcw) et
dont la punition est d'être jeté sur un lit de souffrance (e!; x),îvt)v), ici sur un
pâ).),w), là

étang de feu (el; Tr,v ).5[i.vr,v), et de voir ses disciples frappés de mort (àTtoxTîjvw'.
io) 11 y a peut-être aussi quelque rapprochement à établir entre ce passage de notre lettre

et le passage de l'Évangile où l'on trouve la même association d'idées que nous avons ici
entre la femme adultère et les séductions de la chair d'une part et de l'autre la sanction qui
consiste à être jeté dans la géhenne où le feu ne s'éteint pas (Mt. 5. 27-30; Me. 9, 42-46\
[\) BocssET, op. cit.

[h) L'idée de ce livre, qui est comme l'état civil et le registre des habitants de la cité cé-
leste, « est tirée du registre de l'état civil Je la nouvelle Jérusalem, à l'époque de la restaura-
tion. Elle se rencontre déjà dans Malachie, 3. 16 et dans Daniel, 12. 1 avec un sens eschatolo-
gique ». Calmes, op. 20, 12. 15; 23. 8 21. 27.
cit., p. 131. Cf. .\poc. ;

(6) 17, li. Les élus sont, par définition, ceux qui accompagnent le Christ.
332 REVUE BIBLIQUE.

je les glorifierai devant mon Père et devant mes anges (m, i-ô).

Cette gloire du ciel sera la juste récompense de ceux qui, sur terre,
n'auront pas « souillé leurs vêtements
» (ii, i), qui, avec une constante

« vigilance » (m, 2 etauront gardé la pureté parfaite de


xvi, 15),

leur àme et qui, mieux que l'apparence, auront entretenu en eux la


réalité de la vie spirituelle (m, 1, 2, i). Quant à ceux qui manquent
de cette vigilance et de cette pureté d'âme et dont plusieurs n'ont de
la vie et de la sainteté chrétienne qu'une fausse apparence et qu'un
faux renom (m, 1), on leur laisse assez entendre qu'ils sont rayés du
livre dévie (m, 1], déjà exclus en principe delà céleste cité, ou qu'ils

sont sur le point d'en être rayés, de se voir honteusement confondus


par la venue soudaine du Christ et d'entendre prononcer contre eux
l'exclusion portée par lui contre les invigilants (Mt. xxiv, Vi, 51).
On vient de voir le lien des idées entre les divers énoncés de la
sanction et le contenu de la lettre. Il n'existe pas un lien moins étroit

entre la principale représentation qu'évoquent à l'esprit les diverses


formules de la sanction et la description c[ui est faite du Christ dans
l'adresse. Qu'est-ce en effet que Celui (|ui a les sept esprits de Dieu
«

dans la main (i, 16), sinon Celui qui préside à cette


et les sept étoiles »
céleste et glorieuse cité des anges et des élus, dans laquelle doivent
être admis, ou d'où doivent être exclus, suivant l'alternative posée
parleur propre conduite, les chrétiens de l'Église de Sardes.
L'idée mère des récompenses promises aux chrétiens de Philadel-
phie est encore l'idée de l'admission dans la céleste Jérusalem, qui
se précisedans l'idée de la sainteté et de la stabilité de cette cité cé-
leste etde ceux qui sont appelés à l'habiter. Le ciel qui ouvre ses
portes aux fidèles SI, le ciel qui les reçoit en son sein (12; est con-
sidéré comme un « Temple » 12) et les élus comme « les colonnes
de ce Temple » (12), le Temple de Dieu et de ses saints, marqués et

consacrés « à son nom ». Telle est la stabilité de cette sainte demeure,


qu'il n'y a pas de puissance au monde capable « d'en fermer les por-
tes à qui elles sont ouvertes » (8), ni d'en faire « sortir » ceux qui y
sont une fois admis 12). Ils y demeurent fixés comme des colonnes,
ils V sont à jamais attachés comme des choses saintes et consacrées
au nom de Dieu et de son Temple (12).
Cette assurance ferme qui est donnée aux chrétiens de Philadelphie
d'être admis dans le Temple de Dieu au sortir de la grande épreuve
finale 10) et d'y être authentiquement et éternellement sanctifiés,
consacrés à Dieu, est bien faite pour soutenir en même temps que
récompenser la stabilité des Philadelphiens dans le bien et leur méri-
toire patience que l'auteur ne se lasse pas de louer >8-10), bien faite
L'ANGE ET LE CHANDELIER DE L'ÉGLISE D'ÉPHÉSE. 3o'3

également pour les dédommager des injures des Juifs, qui doivent
enfia reconnaître qu'ils en ont menti et que ce ne sont pas eux les
vrais Juifs, les loués, les bénis, les élus, les saints de Dieu en un
mot, mais bien ces pauvres et faibles chrétiens pour lesquels ils n'a-
vaient pas assez de mépris et de violences (9).
Au demeurant, n'est-ce pas ce qu'on doit attendre de Celui qui est
« le Saint et le véritable » 7). qu'il confonde finalement la soi-disant
sainteté des Juifs, et qu'il proclame et consacre la vraie sainteté de
ses fidèles, qu'il réponde à la fidélité de la foi par la solidité des ré-

compenses, et, puisqu'il est eu même temps « la Clé de David, celui


qui ouvre et personne ne ferme, qui ferme et personne n'ouvre » (7),
qu'il ouvre à ses fidèles la porte des tabernacles éternels, sans que
rien au monde la leur puisse fermer, et qu'il les établisse dans les

célestes parvis, sans en puisse faire sortir? Qui osera


que personne les

dire aussi que ce programme n'est pas de tout point réalisé et que la
perspective de l'adresse ne se reflète pas avec toutes ses nuances dans
de la lettre ?
la suite et la fin
Les sanctions édictées dans la dernière lettre se synthétisent dans
l'idée de Vunion céleste avec Jésus. Cette union s'exprime sous la
double forme concrète d'un disciple admis à s'asseoir à côté dumaitre
dans son banquet et sur son trône (20-21). Cette enviable participa-
tion à la table et au trône du Christ est offerte en perspective à des
chrétiens qui ont particulièrement besoin d'être stimulés à l'amour et
à la recherche des biens spirituels (15-16), à des chrétiens dont les
jouissances et les honneurs procurés par les richesses terrestres sem-
blent avoir fait des satisfaits et des orgueilleux iXl], à des chrétiens
enfin que leur tiédeur et leur indigence vis-à-vis des biens spirituels,
qui sont les vrais biens, fait comparer à des aliments insipides (16)

que le que vomir, c'est-à-dire rejeter loin de lui au


Christ ne pourrait
dernier jour, s'ils ne s'amendaient en s'assaisonnant d'amour et de
zèle (15, 16, 10), à de pauvres hères qu'il ne pourrait évidemment
faire asseoir sur son trône, s'ils n'achetaient de lui, avec le remède à
leur illusion, la richesse et la parure qui leur manquent (17, 19j.
Qui ne voit que le parallélisme est parfait entre les deux aspects si

prenants de la sanction finale et les deux traits si fortement accusés de


la physionomie morale des Laodicéens?
On nevoit d'abord pas aussi bien le rapport qui existe entre l'a-
dresse et le reste de la lettre. La relation existe cependant, ici comme
ailleurs, et elle se laisse même assez bien reconnaître àl' examen réfléchi
des textes et à la lumière des passages parallèles. Le Christ se détinit
dans l'adresse « l'Amen, le Témoin fidèle et véritable, le Principe de
:

REVUE BIBLinCE 1910. — N, S., T. VII. 23


3o4 REVUE BIBLIQUE.

la création de Dieu » (14). N'est-ce passons ce double ou triple aspect


qu'il apparaît dans toute cette lettre, où il cherche à remédier à lin-
différence (15), à Tillusion, à l'extrême indigence (17-18) des chrétiens
de Laodicée; où il se présente à eux comme l'instigateur du zèle et des
saints désirs (^19), comme Tilluminateur dos consciences obscurcies (18),
comme l'auteur de tous les biens spirituels (18^). N'est-ce pas aussi
l'Amen, le Témoin lidèle et vrai, le Principe de la création de Dieu,
qui semet en scène dans la sanction finale, où l'on voit le Christ ré-
pondre enfin à la longue attente du fidèle vigilant en venant frapper
à sa porte iMarc, xiii, 29; Luc, xii, 36 ss.), réaliser la promesse solen-
nelle qu'il avait faite à ses disciples de les faire asseoir à sa table et
sur son trône dans son royaume (Luc, xxii, 29 ss. Mt., xix, 28 et ; ,

procéder enfin à linstitution de ce royaume que lApocalypse, à l'ins-


tar de l'Évangile, conçoit comme un renouvellement et comme une
nouvelle création, une création parfaite, celle-ci, une vraie « création
de Dieu », dont le banquet et le trône ne sont que les symboles des
joies et des honneurs qu'elle procurera aux disciples admis à régner
avec le Christ.
11 n'est pas sans intérêt de remarquer combien cet Amen, cette
Parole en somme, qui, avec un saint empressement, dit Amen à toutes
lespensées et à toutes les volontés de Dieu, cette Parole, source de
lumière et de vie, entre bien dans la tradition de pensée et de langage
du quatrième Évangile; il ne serait peut-être pas téméraire d'y voir
aussi, tant les textes apocalyptiques sont ordinairement prégnants de
réminiscences ])ibliques, un écho lointain de la Sagesse, que l'auteur
des Proverbes (1) en particulier nous montre au principe de la créa-
tion associée à la toute-puissance et à la souveraineté de Dieu sur le
monde, et en même temps faisant ses délices de frayer avec les en-
fants des hommes, qu'elle instruit de ses conseils et de ses repro-
ches et qu'elle convie à son festin.
Pour résumer en quelques mots cette analyse que nous eussions
voulue moins étendue et pour condenser en deux ou trois formules

ce que nous croyons pouvoir appeler les lois organiques des lettres
aux sept Églises, disons que les diverses sanctions auxquelles le Sei-
gneur fait appel à la fin de chaque lettre se donnent toujours la main
suivant les lois du parallélisme synonymique, cher au génie sémi-
tique, qu'elles se rattachent assez étroitement à la situation spéciale
où sont supposés les chrétiens de chaque Église, et qu'elles se réfè-
rent toujours à la définition du Christ qui figure en tête de l'écrit, de

(1) Prov. 8-9.


i;aN(;E et I.E CHANDELIEIi DE I.ÉGLISE D'ÉPHÉSE. X\^

telle sorte que la lin de la lettre rejoint toujours le commencement


pour encadier dans l'harmonieuse unité d'une même perspec-
le tout

tive eschatolog-ique 1 où l'on voit les fidèles venir finalement se


ranger auprès du maître pour participer à toutes ses prérogatives,
réalisant ainsi la belle parole de l'Évangile à la lettre « Je veux que :

là où je suis, mon disciple soit aussi » Jean, xii, 20..


Si elles sont bien fondées et objectives, les observations que nous
venons de faire touchant le point de vue et la structure extérieure de
l'Apocalypse en général et des lettres en particulier, il s'ensuit que
dans l'explication des textes difficiles qui peuvent se rencontrer dans
l'une quelconque de ces lettres, il faudra se placer au point de vue
eschatologique qui domine toute la composition et tenir exactement

compte de la symétrie et de la corrélation intime des parties, qui doit


être érigée en principe d'interprétation, comme elle est certainement
érigée en principe de composition.
Ce sont là comme deux règles spéciales dexé^ièse qui vont nous
pour le discernement de
servir de critères la véritable interprétation
à donner au texte que nous étudions.

La plupart des commentateurs pensent que. jiar cette parole « Re-


pens-toi. sinon j'ôterai ton chandelier de sa place >>. le Christ menace
rÉglise d'Ephèse. figurée par le chandelier, de l'eflacer du nombre
des chrétientés (2), « de transporter ailleurs le flambeau de la foi
qu'il y a allumé (3) ». C'est aussi l'interprétation courante, celle qu'on
porte volontiers dans la chaire, en s'inspirant du célèbre sermon sur
la vocation des Gentils, où Fénelon décrit en termes si éloquents les
sensationnels exodes de la foi dans les anciennes églises d'Asie et
d'Afrique.
Au lieu d'un décret ou tout au moins d'une menace de destruction
et de ruine totale, quelques interprètes voient dans ce texte la prédic-

1) D'après les deux exposés si concordants que nous venons de faire àts, principes et des

procédés de l'auteur des sept lettres, c'est toujours au point de rue eschatologique que se
trouvent conçues et que doivent être expliquées la conclusion aussi bien que l'introduction
de chaque lettre.
(2) FiLuo?i. la Sainte Bible commenice. VllI, 8U8. — Bolsset. op. (//.. p. 205 (cf. supra),
donner toute son adhésion, mais sans rien proposer
relate l'interprétation en faveur sans lui
non plus pour la remplacer. Sa perspicacité cependant et sa connaissance profonde de r.\po-
calvpse. l'inclinent, même à rencontre du sentiment commun, à supposer au texte une por-
tée directement et proprement eschatologique. C'est justement cette portée que nous nous
efforçons ici d'établir et de définir exactement.
;3) CuAMio.x, op. cit., p. 4il. SwETE, op. cit.. i>.
28.
356 REVUE BIBLIQUE.

tion d'une moindre gloire et d'une déchéance partielle, comme serait


un ébranlement de l'Église par le schisme ou la persécution (1), ou
bien plutôt une atteinte à sa dignité par le transfert de son siège
épiscopal ou métropolitain dans une autre ville (2).
Pour donner à ces interprétations l'appui qui leur manque dans le
texte, on a essayé d'en trouver la vérification dans les événements de
l'histoire. Des commentateurs grecs ont émis l'idée que la menace de

changement du chandelier d'Éphèse a eu son accomplissement dans


l'érection du siège épiscopal de Constantinople lequel a éclipsé la
gloire de l'ancienne Ég-lise d'Éphèse (3i. Swete, qui rapporte cette
opinion en la critiquant, ajoute pour son propre compte « La lignée :

des évêques d'Éphèse semble n'être éteinte que depuis le xi*" siècle et
la ville elle-même fut entièrement détruite en 1308 par les Turcs. Le
pauvre village d'Ayassalouk qui domine aujourd'hui les ruines de
l'antique cité est un éloquent témoignage du châtiment qui a enseveli
dans une même ruine l'Église et la ville d'Éphèse » (p. 28).
C'est là un flagrant délit de cette exégèse historique ^i de l'Apoca- >

lypse, qui ouvre si facilement la voie à toutes sortes d'applications


plus ou moins fantaisistes. Au lieu de nous laisser entrainer sur un
terrain aussi mouvant, nous ferons seulement remarquer le vice ra-
dical de toutes ces interprétations qui nous transportent tout à fait en
dehors du point de vue eschatologique de l'Apocalypse et des lettres,
en cherchant dans les perspectives changeantes de ce monde ce que
tout, dans le point de vue du livre, nous invite à chercher dans les
perspectives de l'au-delà et dans la sphère de la rétribution finale. Au
surplus, l'idée d'un transfert du flambeau de la foi ou du siège épis-
copal de la ville d'Éphèse dans une autre ville de l'Orient n'entre pas
du tout dans le cadre de la lettre ni dans l'harmonie de ses lignes,
attendu qu'elle se meut tout uniment à la surface de ce monde, tan-
dis que tout dans les lettres oriente notre pensée vers les hauteurs
célestes (cf. infra).
Si l'on suppose avec le P. Calmes (5j que, sous le nom du Christ,
c'est Jean qui parle et qui promet, si la situation se maintient,
d'allerlui-même rétablir le bon ordre dans la communauté en
« changeant le chandelier de sa place », c'est-à-dire, selon le même
auteur, « en transportant ailleurs son siège épiscopal », on ajoute

(1) André: Nicolas de Lyre; Alcasvr, op. cit.. p. 175:« ad pacis ecclesiaslicse perfur-

bationem pertinet » Crampon, op. cit., p. 441.


;

(2) Cf. Calmes, Commentaire, p. 121. — Ramsay, p. 243.


(3) Cf. SwETE, p. 27.

(4) Calme*, L'Apocalypse devant la tradition et derant la critique. i>. 28-29.

(5) L'Apocalypse, traduction et commentaire, p. 12i.


L'ANGE ET LE CHANDELIER DE L'ÉGLISE D'ÉPHÉSE. 3bT

encore à l'invraisemblance et à l'incohérence de cette interprétation.


Car, outre l'inconvénient de rompre absolument Iharmonie des lignes
et l'équilibre de tout le morceau,
et d'en méconnaître encore plus
gravement le caractère eschatologique, en substituant au point de
vue du jugement et de la rétribution finale le point de vue actuel de
la discipline ecclésiastique, outre cet inconvénient déjà bien considé-
rable, y a également celui de faire fi du caractère très décidément
il

prophétique et christologique de toute la Révélation apocalyptique


et des lettres en particulier, et d'interpréter comme parole de Jean
ce qui est expressément donné comme parole du Christ, alors que,
tout au contraire, l'auteur nous invite à entendre toujours le Christ

là même où c'est Jean ou un ange qui parle pour lui (i, 2: xxii. 18-

25; XIX, 9, 10 et xxii, 9) (1).

On peut objecter enfin à toutes ces interprétations, qui font passer


d'Éphèse dans une autre ville le bénéfice de la foi chrétienne ou du
siège épiscopal dont elle est présentement dotée, qu'elles ne rendent
pas très exactement la nuance de sens renfermée dans l'expression
grecque « 7.',vr,7w ty;v 'ur/yw.) zz'j ï/, tcj tô-cj y-j-f^z >-> « J'ôterai ton
chandelier de sa place ». Cela est si vrai que la plupart des auteurs
partisans de ces interprétations ou influencés par elles traduisent ou
citent le texte sous cette forme qui est plus qu'incom^jlète, qui est
inexacte et fautive : « déplace » (2).
Je changerai ton chandelier
Bien quelles ne répondent exactement ni au texte ni au contexte
ni à l'esprit du livre, les interprétations que nous venons de critiquer
et dont la seconde et la troisième ne sont en somme qu'une réplique
plus ou moins atténuée de la première, sont des interprétations cou-
rantes (3).

(1) RB.,&rvi\ iy08, p. 229.

(2) Calmes, «Je changerai ton chandelier de place. » Jacquier, op. cit.. p. 382 « Qu'il
p. 122. :

se repente, sinon il changera son chandelier de jilace. » Folard, Sainf Jean : « je changerai
Ion chandelier de place. » Par contre, notre Bihle française de Crampon traduit très exacte-
ment. On verra mieux un peu plus bas la portée de ces observations.
3) Nous croyons devoir citer seulement pour mémoire l'opinion d'un assez grand nombre
d'exégètes du moj-en âge.Haymon, Rupert. Richard de Saint-Victor, Denys le Chartreux qui
voyaient dans le chandelier d'or la dignité ou la fonction épiscopale et dans notre texte une
menace faite par le Christ à l'évêque d'Éphèse de lui ôter sa dignité : Cette interprétation
est subordonnée que nous avons rejetée. Au surplus, elle a
à la thèse des anges-évèques
le grave inconvénient de violenter le texte en donnant au mot chandelier un sens tout dif-

férent de celui qu'il a dans tout le contexte. C'est ce que remarque à bon droit le P. Alcasar :

<c Coactum est aliter accipere in prxsenti nonien candehibri quam in primo capite. Con-
tra hoc, illiid validum est argumentum, quod in his septem epistolis, semper ad vi-
sionem primi capitis habeatur resperlus. Prœsertim cum in liac epistola erpressa
inentio fiat septem candelabrorum primi capitis » {op. land., p. 174). Ces observations si
justes trouveront pleine satisfaction dans l'explication que nous donnerons. A l'ancienne opi-
3b8 REVUE BIBLIQUE.

En une quatrième qui Test moins, mais qui s'impose pour-


voici
tant à Tattention, ne serait-ce qu'à cause de l'éminente autorité
scientifique de celui qui l'a imaginée. Dans son livre sur les sept
lettres de l'Apocalypse, M. Ramsay propose d'entendre la menace du
Christ à l'Eglise d'Ephèse, non pas dune ruine religieuse, non pas
d'une déchéance ecclésiastique, mais d'un simple déplacement local,
d'une simple modification topographique dans l'assiette de la ^ille et
partant de l'Église d'Éphèse (1).
La punition peut paraître assez légère, surtout en la comparant
aux autres. Aussi bien Éphèse n'était pas très coupable, et l'auteur
s'ingénie à différencier le léger attiédissement des Éphésiens, qui ne
sont guère menacés que d'un petit déménagement, de la tiédeur
mortelle des Laodicéens, qui risquent d'encourir une entière ré-
probation. Il faut lire cette pénétrante analyse psychologique.
Autant que légère,
la punition peut paraître inattendue. Mais cela
tientseulement à l'ignorance où nous sommes de l'histoire topogra-
phique d'Éphèse. Et l'auteur explique avec force détails que la carac-
téristique de cette topographie est le changement (2). ^"en déplaise
à la science merveilleuse de M. Ramsay. la plus petite raison exégé-
tique, tirée de l'examen du contexte apocalyptique, ferait bien mieux
notre affaire que tout cet apparat d'érudition, qui nous fait tourner
autour de la question sans y pénétrer réellement.

Aussi bien n'est-ce pas du dehors, mais du dedans, qu'il faut aborder
le problème, en interrogeant curieusement le texte et le contexte,
en se mettant au point de vue de l'auteur, en lui arrachant le secret
de ses procédés littéraires et en n'accueillant les données historiques
ou littéraires venues du dehors qu'autant qu'elles se laissent har-
monieusement et exactement intégrer dans l'organisation interne de
ses idées ou de ses moyens d'expression, au lieu d'émerger comme
im bloc erratique à la surface de sa pensée.
« Je viens à toi. » Cette venue du Christ, c'est apparemment celle
dont il est question d'un bout à l'autre du livre, c'est-à-dire sa seconde
venue, celle qui sera suisse du jugement. Il en parle au présent,

nion que nous venons de criliquer, se rattache visiblement l'opinion nouvelle de M. Fouard,
qui. si elle échappe ou parait échapper à la seconde diûiculté, n'échappe pas à la première :

« Je t'enlèverai l'Église qui test confiée et je lui donnerai un autre pasteur )-. Folaru,
Saint Jean, p. 116.
(1) Ramsav, op. cit., p. 243-245.
(2) Op. cit., p. 245-246.
L'ANGE ET LE CHANDELIER DE L'ÉGLISE D'ÉPHÈSE. 3'i9

comme toujours, parce qu elle est réputée prochaine. Il ajoute ici à

l'annonce de sa venue ce que les philolosues appellent un dativus


incommodi. « Je viens à toi ». parce qu'il doit venir, dans l'hypo-
thèse, pour le malheur de l'Église impénitente, pour porter sur elle
un jugement de réprobation ii. 36). En quoi consistera cette
réprobation et cette sanction finale encourue par l'Église ? Il le dit
aussitôt : « J'ôterai ton chandelier de sa place. » « Je viens »,

« j'ôterai », littéralement, « je ferai mouvoir >. il s'agit d'un transfert,

etnon d'une destruction. « J'ôterai ton chandelier ) : c'est évidem-


ment un des sept chandeliers d'or qui symbolisent les Églises, celui
des sept qui représente l'Église d'Éphèse. Ce chandelier d'or qui est
le symbole de l'Église d'Éphèse, le « Seigneur » l'ôtera de sa place
H iy. Tcj Tî-cj aJTïjç ». Aussi singulier c[u"il nous paraisse, le possessif,

qui figure dans ce texte et fait relief, ne doit pas être escamoté dans
la traduction, sans quoi on s'expose à ne pas rendre la nuance de
l'original.Il ne faut donc pas lire, comme on est trop porté à le
faire, « jechangerai ton chandelier de place », mais bien a j'ôterai
ton chandelier de sa place ». Quelle est donc la place de ce chan-
delierpour que ce soit une telle punition de l'ôter de sa place? Per-
sonne ne peut mieux le savoir que l'auteur. Or, quelle place assigne-
t-il aux chandeliers d'or, à celui de l'Église d'Éphèse comme aux
autres? met avec
Il les les étoiles qui symbolisent les anges dans l'en-
tourage immédiat du Christ (i, 13; ii. 1). Il les met dans le Para-
dis devant le trône de Dieu (iv, 5). Il ne leur connaît pas d'autre
place que celle qu'ils occupent devant Dieu et devant le Christ, que

celle qu'ils occupent au Paradis que le Christ et Dieu portent avec


eux. Car c'est celle qu'il leur donne chaque fois qu'il les mentionne,
spécialement dans la préface des lettres et plus spécialement encore
dans la suscription de la lettre à l'Église d'Éphèse. Dès lors le lecteur
n'était-il pas assez averti et comment se fait-il que personne ne l'ait

encore remarqué (1 ? On n'avait qu'à partir de là pour voir aussitôt

(1) Nous avons compulsé un grand nombre de commentaires anciens et modernes, et dans

aucun nous n'avons trouvé l'idée ni même le soupçon de cette interprétation. Celui qui nous
a paru s'en rapprocher davantage, en demeure encore bien loin. Nous voulons parler du
p.seitdo-Ambroise qui glose ainsi la parole du Seigneur qu'il croit adressée à l'évèque d'É-
phèse: « .Vovebo caitdelabrum tuum de locosuo. » Per locion ridetur mihi mercesijuœ illi
pro pastorali cura debebalur, désigna ri, ut sit sensiis : Xlsi pœnitentiam egeris...mer'
cedem,qux Ubi pro pastorali cura debebatur, subtraham » (Migne. XVII, col. 778. Cf.
B«'de, id.). Il y a là, sans doute, l'idée bien authentique de la rétribution finale que l'on
ne retrouve pas ailleurs. Mais c'est sous un tout autre aspect qu'on nous la présente et
c'est par une tout autre voie qu'on y arrive, puisque
au lieu d'y parvenir en s'altachant
exactement, comme nous venons de au sens naturel des textes, on la rencontre pour
faire,
ainsi dire par hasard en s'écartant visiblement de ce sens, et en introduisant dans un passage
360 REVUE BIBLIQL'E.

une vive lumière se projeter sur notre texte. Car enfin « jôterai ton
chandelier de sa place », qu'est-ce à dire, sinon « j'ôterai le chande-
lier qui te symbolise de la place qu'il occupe normalement auprès
de moi dans le Paradis de mon Dieu, je f enlèverai cette place qui
t'est destinée, que je te réservais auprès de moi dans le Paradis, à
côté des anges et des saints symbolisés par les autres chandeliers >>.

Ce sens, qui paraît si bien répondre aux exig-ences du texte, répond-


ilaussi bien aux lois générales précédemment établies de l'exégèse
apocalyptique et de l'exégèse des lettres en particulier?
La conformité n'est pas douteuse en ce qui regarde le point de vue.
Par l'interprétation nettement eschatologique que nous donnons du
texte en litige,nous le faisons rentrer dans la trame du livre, nous
le réintégrons dans le système d'idées d'où on n'aurait jamais dû le

où une exégèse d'arbitraire et d'exception crée l'ap-


faire sortir, et là
parence d'un hiatus et d'une dissonance, nous rétablissons l'harmonie
et la continuité de la pensée.
Mais ce n'est pas seulement la signification caractéristique du livre
en général et des lettres en particulier, qui s'accommode bien de
notre explication. C'en est aussi la technique littéraire dont les lois
deviennent si constantes et les indications si précises quand il s'agit

des lettres. L'analyse nous l'a déjà montré, la facture de ces lettres
tient tout entière dans ce qu'on peut appeler la règle de la distri-
bution des parties et la règle de leurs relations réciproques. Or la
lettre à l'Église d'Éphèse distribue si bien ses parties suivant la forme
Aoulue qu il de croire qu'elle les organise et les coor-
y a tout lieu
donne (le même et qu'elle ne s'écarte pas plus en ceci qu'en cela
du schéma normal des lettres. Suivant ce schéma, il y a parallélisme
entre les sanctions annoncées par le Seigneur et subordination de
ces sanctions au contenu et au titre de la lettre.
Or toutes ces relations organiques, qu'on est si bien fondé à sup-
poser dans cette lettre non moins que dans les autres, au lieu qu'on

où il est question Je l'Égli.-e et de son chandelier, l'idée tout à fait hétérogène de la charge
épiscopale et de la récompense qui lui est due. — U se trouve aussi que \e j)seudo-Ambroise
met l'accent, comme nous, sur le possessif de loco suo (^ xuo pour lui. mais en le référant
toujours à une idée adventice étrangère au texte, à l'idée de l'évèque et de sa récompense,
au lieu de le référer à l'idée même du chandelier d'or, .symbole de l'Église, dont il est ques-

tion dans le texte et qui commande tout ce texte. N'avions-nous pas raison de juger plus
apparente que réelle, l'on voudrait pouvoir dire encore mieux avec les scolastiques, plus
matérielle que formelle, la relation et la ressemblance des deux interprétations"?
LANGE ET LE CHANDELIER DE L'EGLISE DEPHÉSE. 361

cherche vainement à les déconvrir avec les autres interprétations,


on les voit aussitôt apparaître, régulières et convergentes, avec l'in-

terprétation que nous proposons.


Le parallélisme des sanctions est évident. Dans lune comme dans
l'autre, il est question pour les chrétiens d'Éphèse de perdre ou de
gagner le bonheur du ciel, représenté par un symbole toujours localisé
dans ce séjour de gloire et de délices, là par Tarière de vie qui est

dans le Paradis de Dieu » (ii. 7; xxii, 2, li, 19' (1 ici parle .chan- >'

delier d'or qui a aussi s^yv/ftc^" dans le Paradis » \ii. ô I. 13; II. 1 IV, 5'i.
: :

L'interprétation qui rend si obvie le paralléhsme des sanctions


permet aussi d'apercevoir comment elles s'articulent au titre et au
contenu de la lettre.
La sanction est ici définie par la relation locale où peuvent se
trouver les chrétiens avec le Christ et avec Dieu, parce que, dans le
titre, le Christ se définit par la relation locale où il se trouve avec

les anges et les saints. De part et d'autre, nous avons une vision de

la céleste société, de la bienheureuse cohabitation du Christ et des


élus. Toute la diilerence vient de ce qu'on ne prend pas les choses
par le même bout. Dans la vision du commencement, on nous
montre le Roi du ciel, entouré de toute sa cour, le Christ à la tête
de ses anges, signifiés par les étoiles, le Christ au milieu des Églises
ou de ses fidèles glorifiés, signifiés par les chandeliers d'or. Dans la
vision de la fin. l'attention se porte directement sur un de ces anges,
sur une de ces Eglises de l'entourage du Christ, et, en des paroles
qni s'adressent à l'ange, mais qui en réalité visent l'Ég^lise, signifiée
par son chandelier d'or, on lui fait entendre qu'elle peut par sa
faute se voir ôtée de cette place qu'elle occupe auprès du Christ,
comme elle peut par sa fidélité mériter que le Christ l'associe eff'ec-
tivement à sa vie céleste et « lui donne à manger de l'arbre de
^'ie qui est dans le Paradis de son Dieu » I

En nous permettant de préciser le genre de faute et de mérite que


le Christ a ici en vue, la parénèse adressée par le Seigneur aux

Ephésiens nous permet aussi de voir comment le corps de la lettre


se relie au commencement et à la fin. Les Ephésiens ont vis-à-vis des
fauteurs de violence et d'erreur l'attitude qui confient ii, 2, 3, G .

Ils opposent aux persécuteurs une patience invincible, ils luttent


avec ardeur et avec force contre l'erreur et le mal, contre les men-
teurs et les méchants. Là où ils sont moins irréprochables, c'est dans
leur conduite à l'égard des frères, qui n'est plus ce qu'elle a été

(IJ Livre d Hinoch. ch. 24. 25.


362 REVUE BIBLIQUE

dans la ferveur des commencements, qui ne s'inspire plus assez du


grand précepte de l'amour. Ta as en ta faveur que tu hais les
(^

œuvres des Nicolaïtes, œuvres que moi aussi je hais... Mais j'ai contre
toi que tu t"es relâché de ton premier amour. Souviens-toi donc
d'où tu es tombé et reviens à tes premières œuvres. » Aux yeux du
C.hrist, les vertus de combat ne sauraient dispenser des œuvres de

Famour, ni dure nécessité de la lutte des douces exigences de la


la

charité (1). Aussi bien, à celte EgHse qui participe àsa haine » du mal <(

plus qu'à son amour des hommes, ne se montre-t-il pas armé du


fer et du feu et prêt à tirer vengeance de ses ennemis, comme il
fait quand il veut donner une leçon de courage et de force à des

Églises coupables de faiblesse ou de connivence avec l'erreur et le mal.


Il se présente ici dans l'aimable société des anges et des saints et dans

l'union la plus étroite avec eux, et il semble dire aux chrétiens en


désaccord ou aux disciples relâchés de leurs premiers liens de charité :

« Soyez en communion les uns avec les autres, si vous voulez être en

communion avec moi. Soyez unis à vos frères sur la terre, si vous
voulez leur être unis dans le ciel. » il .Tohan. i, 1). « Sans cela, j'ôterai
votre chandelier de sa place », je vous exclurai de la glorieuse société
que forment autour de moi les luenheureux habitants des cieux,
symbolisés par les étoiles et les chandeliers d'or et « je ne vous don-
nerai pas à mang-er de Varhre de vie qui est dans le Paradis de mon
Dieu et dans la cité des élus » n. 7; xxii. 2, 19). Et comment en
pourrait-il être autrement, comment ceux qui violent le grand pré-
cepte de l'amour fraternel pourraient-ils avoir part à la société du

(1) Tout cela est aux antipodes du tableau imaginaire que trace de l'Église et de l'Évêque
d'Éphèseun historien d'ordinaire mieux inspiré, M. Foiard, op. cit., p. 125 ss. « Mais c'est
:

l";phèse surtout, qui déchirait le ca»ur de l'A])ôtre. A la différence des autres pasteurs dont

le nom reste inconnu, nous savons qui gouvernait alors cette métropole de l'Asie. C'était

Timothée! Timothée, l'ami de saint Paul. On se rappelle quelles craintes avait données au
grand Apôtre le caractère de ce disciple... Il redoutait que la douceur, qui était le fond de
son naturel, ne dégénérât en méiUKiementx coupables, parfois même ne lui enlevât la
vigueur de main... nécessaire à l'cpiscopat. « Bieu ne notis a pas donné l'esprit de
crainte, mais le courage w, lui écrivait-il (II Tim. 1, 7; 4, 2). Qu'advint-il de ces tendres
instances, lapolre disparu? A quel point Timolhée suivit-il son humeur débonnaire? Le
témoignage de l'Apucahjpse ne permet pas de douter qu'il n'ait glissé, et trop loin et
trop bas. Il y eut là « un relichement de la première ferveur, une chute » Apoc. 2, 4), d'au-
tant plus dangereuse, que. la persécution se rallumant, il importait que tous, les chefs de
l'Église en tête, se tinssent debout, prêts au combat, à la mort. En de telles rencontres,
Jean valait l'apôtre des Gentils, car il avait été et il se retrouvait au péril, « Fils du Ton-
nerre ». Timothée... le sentit, quand, de Patmos, l'éclair jaillit, secouant sa torpeur. Le ré-
veil fut tel qu'on devait l'attendre... l'évêque protesta avec une telle vigueur... »
En vérité, ce serait à se demander si l'auteur de ce récit a lu avec attention la lettre à
l'Église d'Éphése. si l'on ne savait quelle iniluence peut avoir un préjugé sur la lecture des

textes.
L'ANGE ET LE CHANDELIER DE LÉGLISE D'ÉPHÈSE. 363

Christ, à la lumière et à la vie de son Paradis, pour qui sait bien,

comme doivent le savoir les tlisciples de Jean, que « celui qui hait
son frère est dans les ténèbres » ^I Joh. ii, 11) et que « celui qui
n'aime pas demeure dans la mort et ne saurait avoir la vie éternelle »
(I Joh. III, 14, 15). S'ils veulent demeurer dans le Christ et prendre

place à ses cotés dans la gloire et la vie de son Paradis, ils doivent
marcher comme il a marché lui-même I Joli, ii, » 6) et comme ils
le voient marcher parmi les siens l'ii, 1), dans la lumière et dans la
vie, c'est-à-dire dans l'amour. Car « celui qui aime son frère de-
meure dans la lumière » (I Joh. ii, 10) et nous « savons que nous
sommes passés de la mort à la vie, quand nous aimons nos frères »
(I Joh. m, li).

Quelle autre interprétation ferait rendre à la première des sept


lettres apocalyptiques un sens plus authentiquement johannique?
Quelle autre surtout permet d'aussi bien établir l'échelle des relations
intrinsèques qui caractérisent toutes les lettres de l'Apocalypse?

En plus de ces relations intérieures qui unissent entre eux les


éléments divers de chaque lettre, il y a aussi d'une lettre à l'autre,
et sans parler de cette distribution générale des parties plus ou
moins commune à toutes, des relations réciproques d'un caractère
plus particulier, qui se répartissent suivant un plan trop régulier
pour n'avoir pas combinées à bon escient dans l'es-
été voulues et
prit de l'auteur. Sont ainsi mises en plus étroite corrélation, vers le
centre du cycle septennaire, la troisième et la quatrième lettre, et,
à la périphérie, la première et la cinquième, la seconde et la sixième
dont quelques notes se répercutent enfin dans la septième. Nous
avons là un des plus curieux exemples de ce procédé de style qu'on
décrivait ici même tout récemment et qu'on croyait pouvoir définir
d'un mot discours en volutes, en spirales ou en ondes concen-
: « le

triques Pour ne pas reculer indéfiniment les limites de ce travail,


») 1).

nous n'entrerons pas dans le détail de ce mécanisme ni dans l'ana-


lyse de tous les accouplements (2) que nous venons de signaler,
mais nous ne pouvons nous priver du confirmatur assez inattendu
que fournit à notre thèse la symétrie intentionnelle de, la première
et de la cinquième lettre. L'esprit est d'abord mis en éveil par la

(1) B. Allô, Revue biblique, octobre 1909, p. 536, 540.


(2) Ramsay (op. cit.. p. 207) a aperçu la correspondance de certaines lettres, mais sans
parvenir à reconstituer comme nous venons de le faire, tout le schéma, tout le processus à
la fois si .simple et si raffiné de la composition des sept lettres.
364 REVUE BIBLIQUE.

ressemblance des deux titres. Cela l'amène à remarquer dans le corps


de la lettre de frappantes identités de facture littéraire. C'est partout
la même manière de rappeler en exhortation le souvenir de la pre-
mière ferveur « Souviens-toi donc... », partout la même manière de
:

mettre une sourdine aux reproches en clause finale « Pourtant tu :

as... L'on se trouve ainsi acheminé à rapprocher les sanctions de


>'

pareilles lettres rédigées sur le même patron, et le rapprochement


qui ne semblait auère avoir jusqu'ici qu'un intérêt de curiosité, fait
aussitôt l'effet d'une projection de lumière de l'une sur l'autre. Il
apparaît clairement que nous sommes en face de deux manières, dif-
férentes sans doute, mais analogues et parallèles, de représenter la
rétribution d'outre-tombe, là sous le symbole de l'arbre de vie qui
a sa place dans la cité céleste, ici sous le symbole du livre de vie qui
renferme le nom de ceux qui doivent trouver place dans cette céleste
cité,partout sous la forme de la participation à la vie céleste du
Christ; là sous le symbole des « vêtements blancs » qui sont l'insigne
des élus qui « marchent avec le Christ », ici sous le symbole du chan-
delier d'or qui a sa place auprès du Christ, partout sous forme d'une
glorieuse société avec le Christ dans la céleste Jérusalem. Est-il be-
soin de faire remarquer que le blanc des vêtements comme Vor des
chandeliers est un symbole de gloire et de lumière et que « le Christ
qui marche au milieu des chandeliers d'or » (ii, 1), c'est-à-dire des
élus des communautés chrétiennes, fait assez bien pendant aux chré-
tiens qui marchent avec le Christ, vêtus de blanc »? Le parallélisme
«

encore plus é^-ident des titres qui commandent toujours la conception


des sanctions, confirme celui que nous venons de reconnaître entre
les sanctions. Il n'empêche qu'il y a entre les représentations des

deux lettres des nuances diverses, corrélatives à la différence du


contenu et dont la principale est que, dans la vision céleste de la
première lettre,* on vise la sanction de la charité et la communion
des « saints » dans le Christ, tandis que. dans la seconde, on songe
à la sanction de la pureté et à la société des anges et des esprits dans
le Christ. C'est cequ'indique assez, entre autres choses, la mention
des vêtements souillés, celle des vêtements blancs, donnés en insigne
aux fidèles appelés à la société du Christ, des anges du ciel qui ap-
paraissent d'ordinaire aux hommes revêtus d'habits blancs (1), sym-
bole de sloire et d'innocence. Mais, loin de rien ôter à la vérité des
précédentes coïncidences, l'observation de ces divergences ne fait cjue

(1; Apoc. 15. 6. Dans le lirre d'Hénoch, « les sept anges » sont appelés les sept « hommes
blancs )-. 87-89; 90. 21-22.
L'ANGE ET LE CHANDELIER DE L'ÉGLISE DÉPHÈSE. 363

mieux ressortir rideniité de l'idée fondamentale de l'admission dans


la céleste Jérusalem et de la bienheureuse société avec le Christ, dont
la grâce ou le refus constituent au fond toute la sanction.

Le rapprochement que nous venons de faire confirme surtout l'au-


thenticité de l'idéeque nous voyons dans le déplacement ou dans
l'enlèvement du chandelier. En voici quelques autres qui, pour être
un peu plus lointains, n'en sont peut-être que plus précis et plus
curieux, parce qu'aussi Lien que la justesse et l'opportunité de l'i-
dée, ils tendent à faire voir l'origine et la convenance de l'image
par laquelle elle s'exprime.
Sous le symbole du chandelier d'or, parallèle à celui de l'étoile
et approprié à l'Église qu'on a réellement en vue, la menace de
notre lettre : « Repens-toi... sinon... » s'adresse enfait à un ange cou-
pable, symbolisé par une étoile, à l'ange tombé 5) d'Éphèse, (ii,

signifiépar l'une de ces sept étoiles qui auréolent le Christ dans le


titre de la lettre, si bien que, à vouloir poursuivre la métaphore et

observer exactement l'équilibre du discours, il faudrait que l'adju-


ration du Christ s'exprime ainsi : « Ange tombé d'Éphèse, ange dé-
chu de ton premier amour, repens-toi, relève-toi, sinon je vais ôter
ton étoile de sa place, c'est-à-dire, à parier sans figures, je vais
l'exclure, te faire disparaître de mon ciel. » Or cette conception
latente, ce langage implicite de notre lettre, dont l'étrangeté nous
étonne peut-être, se retrouvent ailleurs dans l'Apocalypse, avec une
clarté et une netteté d'expressions qui ne permettent pas d'en con-
tester le sens ou la portée. Il est souvent question dans l'Apocalypse
(vi, 13; VIII, 10: i\, 1, 2; xii, i; xii, 9) d'étoiles proprement dites,
d'étoiles-anges et d'anges tombés du ciel, précipités, rejetés du ciel

en terre, comme l'ange « tombé » d'Éphèse c[ue le Seigneur menace


de laisser tomber de sa main et de rejeter de son Paradis. De ces
étoiles ou de ces anges, on ne dit pas, il est vrai, comme de celui-
ci, qu'ils sont « ôtés de leur place », mais on dit bien du dragon

et de ses anges que « leur jilace ne se trouva ^in^daiis le ciel» (xii, 8).
Or nous voyons, par le rapprochement de plusieurs autres passages
de l'Apocalypse, que c'est là une expression exactement synonyme
de la précédente. On dit en effet des montagnes et des îles englou-
ties dans l'abime par un tremblement de terre, qu' « elles ont été

ôtées de leur place » (vi, iï) et on dit ensuite dans le même sens
qu'elles ont fui et qu'elles ne se trouvent plus (xxi, 20), comme on
306 REVUE BIBLIQUE.

dit de la terre et du ciel que Dieu fait disparaître devant lui qu' ils ((

ont fui devant sa face » et qu « on ne trouve plus leur place. » (xx,


11; XXI, Tout cela étant, comment se fait-il que. saint Jean
1) (1).
ait reculé devant une mise en scène et une manière de parler qui

était si bien dans le style de sa lettre et dans les analogies de son


livre, et qu'au lieu de menacer Fange d'Éphèse d'ôter son étoile de
sa place, il lui parle seulement de déplacer son chandelier, dont on

ne voit pas seulement bien comment il peut l'appeler son chande-


lier! Nous avons déjà répondu à cette question parce que, sous le :

nom et la figure de Fange, c'est en réalité à FÉglise et aux chré-


tiens d'Éphèse que s'adresse ici le message et la parole du Christ
et parce que, le chandelier étant avec l'Église dans le même rap-
port que l'étoile est avec Fange, le symbolisme du chandelier
convenait mieux que celui de l'étoile.

L'enlèvement du chandelier de sa place n'était d'ailleurs pas moins


apte que la chute de l'étoile à représenter l'éviction du Paradis, l'éloi-

gnement de Dieu de sa société, car si les étoiles évoquent


et l'exclusion

naturellement l'idée des anges et du ciel dans la littérature apocalyp-


tique, le chandelier d'or, dans toute la littérature biblique, n'évoque
pas moins naturellement l'idée de la présence de Dieu parmi son peu-
ple, puisque c'est toujours « devant Jahvé qu'on le place » (Exode,
XXVI, 65; XL, 4, 2-2; Lévit. xxiv, i; II R. vu, 49; II Chron. iv, 7;
Apocalypse, i, 12, 13, 20- u, 1, 5, 1-i), tantôt (Ancien Testament)
dans la demeure terrestre qu'il remplit de sa gloire, tantôt (Apoca-
lypse) dans la demeure céleste qu'il daigne abaisser un instant sur
la terre pour y recevoir ses élus et dont il est dit encore plus jus-
tement que de la première « Voici le tabernacle de Dieu avec les
:

hommes, U habitera avec eux et ils seront son peuple, et lui-même


il sera le Dieu avec eux, il sera leur Dieu » (xxi. 3), Peu importe
après cela qu'on puisse se demander si, dans la perspective des
lettres, la scène ne se passe pas plutôt sur la terre que dans le ciel,
à cause de la différence de plan et de sphère que semble dénoncer
le rapprochement des passages i, 9, 10 et iv, 1, 2. On ne saurait tirer
:

delà aucune objection contre l'interprétation que nous avons donnée


du symbolisme du chandelier et de la signification qui s'attache à
son déplacement, car ce n'est pas du ciel empyrée qu'il s'agit ici,

(1) C'est là un du livre dans la Bible de


idiotisme de l'Apocalypse dont les traducteurs
Crampon n'ont pas saisi à plein la portée. On aux llottements et aux inexac-
s'en aperçoit
titudes de la traduction (2,5; 6. 14; 12,, 8). Au cliap. 12,8, par exemple, ils y voient un o
fortiori, une afiirmation péjorative, alors que nous avons affaire à une simple affirmation
synonymique.
I;ANGE et I.E CHANDKI.IEU de LÉCLISE DÉPHÉSE. 307

mais de ce ciel mystique qui va et vient avec le Christ (1 et dont on


peut dire avec l'auteur de l'Imitation : Esse cum Jesu dulcis Para-
disiis; il s'agit au fond pour les chrétiens d'Éphèse d'avoir ou de
n'avoir pas leur place » ou « leur part » avec le Christ.
En représentant l'éviction du ciel, le « recedite a me » du Christ,
en un mot. la réprobation des chrétiens infidèles sous l'image de l'en-
lèvement de sa place du chandelier d'or, l'Apocalyptique pensait-il
à la ruine et à la dispersion des Juifs infidèles, concomitante à l'en-
lèvement du chandelier d'or, qui pouvait la symboliser à ses yeux?
Nous ne saurions le dire au juste l'allusion est possible, vraisem- :

Ijlable, si l'on veut, sans être nécessaire.

Parvenu enfin au terme de notre étude, nous croyons pouvoir re-


prendre en la complétant la citation de saint Jérôme, dont on
verra ndeux à présent toute la portée Apocalypsis Johannis tôt :

habet sacramentel quot verba. Paruni dixi pro inerito voliiminis.


Laus omnis inferior est. I/i verbis singulis niidtiplices latent intelli-
gentiœ (2 Nous adhérons à toutes ces réflexions du grand Bibliste.
.

y compris la dernière, à condition de chercher les multiplices intel-


ligentiœ, non pas à tous les points de l'horizon historique, religieux
ou littéraire, mais dans l'horizon propre de l'auteur, dans le cercle
de ses idées et de ses préoccupations, à condition de ne pas vouloir
assembler sous les mêmes mots des idées qui restent éparses
et disparates, mais seulement des idées qui s'appellent et se rejoi-
g-nent dans la ligne authentique de sa pensée et dans l'harmonieux
contour de ses procédés. C'est ce que nous nous sommes efforcé
de faire, pour notre part, sur l'un des textes les plus cités de ce
livre mystérieux.

Aibi, en la fête de sainte Cécile. 22 novembre 1909.

Augustin Fabre.

(1) Apoc. 21. 2, -i : < Et je tIs descendre du ciel la ville sainte... Et j'entendis une voix
forte qui disait : Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes... le pseudo-Ht- » D'autre part,
>'0(:h, dans une section de son livre, ciiap. 23. 24. 25. qui ofl're de bien curieux rapports
avec la première des sept lettres de saint Jean, parle du c trône du Seigneur, sur lequel
siégera le Saint et le grand Seigneur de gloire, le Roi éternel, lorsqu'il descendra visiter la
terre... lorsqu'il donnera aux justes l'arbre de vie plante dans le lieu saint, prés de la de-

meure du Seigneur ». Cf. np. cit.. p. 6G.


{2) MiGNE, P. L., t. XXII, Ep. ad PauUnum, col. 518-549.
LES PAYS BIBLIQUES ET UASSYBIE
iSifife]

Le successeur de Téglath-phalasar III fut son fils Salmaiiasar IV (1).


Son véritable nom éidi\iSulmânu-asarid « le dieu Sulmun (naS'i*) est le
premier », mais les Massorètes qui lisaient "^c^^'^2 t^'aT] pour Tukulti-
apil-êèar forgèrent sur le même tiième le nom de son successeur et l'ap-

pelèrent idnjgSu;. La forme du nom est mieux sauvegardée dans les

Septante (I!aAa[;.avacj(jap, Ilajj.avajuap, SaXtj-avajap), d'où la Vulgate a tiré

Salmanasar (2). Ce roi, qui ne régna que cinq ans (727-733 avant
Jésus-Christ), devait être le dernier de la fameuse dynastie de Ni-
nib-apil-êkur quatrième ancêtre de Téglath-phalasar P') qui,
(le

lui-même, se rattachait à Asour-ouballit (vers l'tl8-1370 avant Jé-


sus-Christ) (3). La liste des rois babyloniens qui désignait Téglath-
phalasar III sous son nom de Pulu (^^2, riwpcj) appela Salmanasar
U-lu-la-a-a, c'est-à-dire « celui du mois d'Éloul ('*), » et le canon de
Ptolémée en fit \XoSh7L\z-j (5). Tous s'accordent à lui assigner cinq ans
de règne. Ce règne est très peu connu, car le monarque n'a guère
laissé de documents. Un poids de cinq mines à inscription araméenne
(« cinq mines du pays » et « cinq mines du roi ») et à inscription as-

syrienne (« palais de Salmanasar »), c'est tout ce qui nous reste de


témoignage contemporain (6). Par bonheur, un texte très mutilé, ac-

(1) Plus exactement Salmanasar V. cf. RB., 1910, p. 187. n. 7. Qu'il fût le fils de son
prédécesseur, c'est ce que prouve le traité entre Asaraddon et Baal de Tyr : cf. Winckler,
Allorientalische Forschungen. II, p. 14 ss.
(2) Certains manuscrits de Josèphe Ant. JucL, IX, 277, éd. Niese = IX, 14, 1) ont
laXjiavaffapri; et laXajAavaaapr,; qui, à part le ; final, au lieu du ô doux, représentent assez
bienle nom assyrien. Le texte adopté par Niese possède Ia/,[j.avaa<rapr,; dans Ant. Jud., XI,
19 (= XI, 2, 1) et 85 (= XI, 4, 3). La citation de Ménandre dans Josèphe, Ant. Jud., IX,
284 (= IX, 14, 2) porte lE/.asxa/a;.
(3) Cf. ScKNVBEL, Die Généalogie der Assyrerkônige von 1400-722 v. Clir., dans OLZ.,
1909, col. 527 ss.
(4) Le mois d'Éloul UUilu en assyrien.
se dit
(5) Table synthétique de cesnoms dans Dklitzscu. Die babglonische Chronili, p. 36.
(6) Sur ce poids, sûrement de Salmanasar IV, cf. 'WEissB.iCH, dans ZDMC, 1907, p. 401,
n° 61.
LfciS PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 369

quis pour le British Muséum en 1883, nous donne un détail précieux

sur la situation de Salraanasar IV avant son avènement au trône '1).

Avec beaucoup de sagacité, M. Winckler a reconnu dans ces quelques


lignes l'intronisation par Téslath-phalasarIII de son fils Salma-

nasar IV comme gouverneur de la province de Phénicie. C'est à la


suite de sa fameuse campagne sur la côte méditerranéenne (738-737
avant Jésus-Christ-, dont nous avons parlé longuement (2), que Té-

giath-phalasar III avait confié à son futur successeur l'autorité sur


cette région. Aussi ne sommes-nous pas étonnés si le nom de Sal-
manasar IV était resté célèbre dans les Annales des Tyriens. Mé-
nandre, cité par Josèphe 3), signale un roi d'Assyrie, -t/rj.\}/l-j.:.

(jue la version latine appelle Salmanassis et qui, suivant Josèphe,

n'est autre que Salmanasar. Ce roi avait, dans une première cam-
pagne, pacifié toute la Phénicie. Il s'agit, sans aucun doute, du sé-
jour de Salmanasar en Phénicie durant le règne de Téglath-phala-
sar III (ii. Il semble vraisemblable d'admettre que l'insurrection de

Tyr contre Salmanasar IV fut concomitante du départ de ce roi


pour l'Assyrie où il devait s'asseoir sur le trône de son père (727
avant Jésus-Christ La « Ciironique Babylonienne », le seul docu-
.

ment cunéiforme qui nous donne une brève notice sur le règne de
Salmanasar IV, ne fait pas d'allusion à ces faits. Mais nous savons,
par le récit biblique de II Reg., xvii, 3, que Salmanasar fit une ex-
pédition en Palestine et reçut les hommages du roi d'Israël, Osée.
Cette expédition (qu'il faut soigneusement distinguer de celle où
sombra Samarie") était la suite naturelle d'une campagne en Phéni-
cie. Après avoir soumis Tyr révoltée et perçu le tribut des villes de

la côte, Salmanasar IV poussait tout naturellement une pointe vers


le sud, vers ce pays de Bit-Ihimrî où régnait Osée, le vassal de son

père (5,. Ce fut le seul contact de Salmanasar IV avec Israël. Dans


la tradition juive, il resta célèbre conquérant de Samarie. comme
Nous allons voir que ce mais à Sargon, que revient
n'est pas à lui.

l'honneur d'avoir abattu l'orgueil du royaume du nord et d'avoir réa-


lisé les anathèmes d'Isaïe.

On a beaucoup écrit sur le siège de Samarie par Salmanasar IV


et bien des solutions ont été proposées pour résoudre l'antinomie qui

parait exister entre les documents cunéiformes et le récit de II Reg.,

(1) Texte 83-1-18, 215, dans Winckler, Altorientalische Forschungen. II. p. 3 s.

(2) RB., 1910, p. 192 ss.


3) Ant. Jud., IX, 283 s. '= IX, 14, 2 Ce texte très compliqué a été interprété avec
.

beaucoup de sens historique par Winckler Altorienlalische Forschungen, II, p. 65 s. .

4) AVi?fCKLER, loc. luud.


(5) RB., 1910, p. 195.
REVUE EIBUOLE 1910. — .\. S., T. Vil. 24
STO RE\TJE BIBLIQUE.

xvii-xviii. Qu'on nous permette de renvoyer aux manuels pour This-


torique de ces discussions 1'. Les faits sont les suivants. Les textes

de Sargon, très explicites à cet égard comme nous le verrons plus


loin, lui attribuent la prise de Samarie. Dans II Reg., xvii-xviii, cet
exploit est relaté comme ayant été accompli par Salmanasar. En
outre, la « Chronique Babylonienne dit simplement de Salmana- )>

sar IV « Il a brisé la ville de Sa-ba[ovL ma)-ra-' i-in (2) ». On a,


:

malgré l'incertitude du signe ba ou ma, opté pour une lecture Sa-


ma-ra-'i-in et identifié cette ville avec Samarie. Ainsi le problème
serait résolu et la prétention de Sargon réduite à néant. Mais nous
connaissons la façon dont les Assyriens transcrivaient le nom de Sa-
marie. Téglath-phalasar III écrit Sa-me-ri-na (3) exactement comme
fera Sargon i La lecture Satnara'iii avec l'aspirée devant la ter-
.

minaison serait tout à fait anormale. Comme on peut lire tout aussi
bien Sabarain, il y a toute vraisemblance pour que cette ville re-
présente la C"*^ï:d biblique 5), identique à -'";-:^ d'Eiec/i., xlvii,
16. D'après le récit de II Reg., xvii-xviii, le siège de Samarie a duré
trois ans et a une première campagne de Salmanasar.
succédé à
Celui-ci n'ayant régné que cinq ans, tout son règne se serait passé
à guerroyer contre les Israélites. Et pourtant, il portait sur la tête
la couronne de Babylone et de Ninive, dont l'empire immense était
sans cesse inquiété par les populations insoumises des frontières.
N'y aurait-il pas moyen de concilier les données bibliques avec
l'affirmation des textes de Sargon et avec les exigences de l'his-
toire?
Le récit de II Reg.. xvii, 3 ss. est ainsi conçu : « Contre lui (Osée)
monta Salmanasar, roi d'Assyrie, et Osée devint son vassal et lui
rendit le tribut. un com-
Puis le roi d'Assyrie découvrit chez Osée
plot, à savoir qu'il avait envoyé des messagers au roi d'Egypte, Sô,
et cpi'il ne payait plus le tribut annuel au roi d'Assyrie. Alors le
roi d'Assyrie l'enferma et l'enchaina en prison. Puis le roi d'Assyrie
parcourut tout le pays et vint contre Samarie qu'il assiégea durant
trois ans. L'an neuf d'Osée, le roi d'Assyrie prit Samarie, etc.. •>

Dans II Reg., xviii, 9 ss., on lit k L'an quatre du roi Ézéchias, à sa-
:

voir l'an sept d'Osée, fils d'Èlà, roi d'Israël, Sabnanasar, roi d'As-

;i) Les diverses hypothèses, dans Vit;OLKoi.x, La Bible et les découvertes modernes
,5" éd.), IV, p. 143 dans Maspero, Histoire ancienne..., III. p. 212 ss.
ss. ;

(2) Cf. Delitzsch, Die babylnnische (kronik. p. 27.


(3) RB., 1910, p. 193.

(4) Cf. infra.

(5j IdenlUîcations de M. Halévy Maspero, Histoire ancienne..., III, p. 212, n. 2).


LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYBIE. :i71

syrie, monta contre Samarie et l'assiégea. Et il la prit (1) au bout


do Tan six d'Ézéchias, c'est-à-dire l'an neuf d'Osée, roi
trois ans;
d'Israël, Samarie fut prise. On voit que le second récit, qui syn-
•>

chronise la chronologie d'Israël avec celle de Juda, ne retient que le


siège de Samarie et la prise de la ville au bout de trois ans. C'est
un compendium de la narration totale qui décrit les relations entre
l'Assyrie et le royaume du nord [\\ Beg., xvir, 3 ss.). Or, cette nar-
ration comprend un premier épisode, à savoir la venue d'un roi
d'Assyrie dont on donne le nom (Salmanasar) contre Osée qui devient
son tributaire. Un second épisode est la défection d'Osée qui refuse
le tri])ut et s'allie avec l'Egypte. Le roi d'Assyrie, dont on ne donne
plus le nom, fait emprisonner le coupable
le pays en et parcourt
vainqueur. Après un siège de trois années, par s'emparer de il finit

la capitale. Le récit de II Reg., xviii, 9 ss. identifie le "'"wN "Sa de


la seconde campagne avec celui de la première, car, pour lui, toute
l'affaire se résume dans le siège de Samarie. De là l'attribution à

Salmanasar IV, et non à Sargon, de la prise de la ville. Le même


phénomène d'un nom de roi ainsi intercalé se trouve
précisément
au chap. xvi de II de ce chapitre raconte coniiuent non
Reg. Le v.

pas les Syriens (comme porte le texte actuel), mais i)ien les Édomites
("N au lieu de mx) ont fait rentrer la ville édomite d'Élath sous
leur joug. Par confusion du i avec le ~, les mots mN* "S^z « roi d'É-
dom " sont devenus "ix ~^*2 « roi d'Aram ». Comme le roi d'Aram,
très connu à cette époque, était ^''ï'?, le dernier copiste ne s'est pas
retenu de placer ^'ïl devant les mots D"i»x "jS^z. C'estexactement ce
qui s'est passé pour l'introduction de "'Dxi'zSw* devant '^iwx ""^'2 de
II Reg., XVIII, 9.

Ainsi donc, Salmanasar IV, le de Téglath-phalasar III, fit une


fils

campagne en probablement à la suite de sa marche contre


Israël ,

Tyr, signalée par Ménandre. Il n'eut pas à assiéger Samarie, puisque


le roi de cette ville, Osée, se soumit sans résistance. Une seconde cam-

pagne devint nécessaire, à cause des intrigues d'Osée avec l'Egypte.


C'est celle qui se terminera sous Sargon, par la prise de Samarie. La
chronique babylonienne relate que Salmanasar mourut au mois de
Tebet (72-2 av. .T.-C.) et que, le 12 du même mois, Sargon montait
sur le trône d'Assyrie. Il semble donc que Salmanasar IV mourut dans
sa capitale, puisque son successeur s'assied immédiatement sur le
trône. Le règne de Salmanasar avait été trop court pour contribuer
à l'extension assyrienne au delà des limites atteintes sous son père.

(1) Le singulier avec les Septante.


372 REVUE BIBLIQUE.

Le nouveau roi commencera l'ère la plus glorieuse de l'histoire d'As-


syrie, et ses successeurs n'auront quà continuer son œuvre pour
arriver à l'apogée de la puissance et de la civilisation mésopota-
miennes.
Sargon n'appartenait pas à la lignée des rois d'Assyrie. L'histoire
est muette sur la façon dont il usurpa le trône, mais tout porte à
croire que sa succession fut saluée par la faveur populaire puisqu'il fut
reconnu comme souverain quelques jours seulement après la mort
de son prédécesseur il'. Plus tard, à l'époque d'Asaraddon et d'A-
sourbanipal, on lui retrouva une généalogie qui le faisait remonter
à Bêl-bani, fils d'Adasi, tous deux rois d'Assyrie (2). Ces noms ne
figurent pas dans les listes des monarques assyriens, telles qu'on peut
les reconstituer pour le moment. Sargon inaugurait une dynastie nou-
velle. D'après la Chronique Babylonienne, nous voyons que du mois
de Tebet (décembre-janvier) de l'an 722 au mois de Nisan (mars-avril)
de l'an 721. c'est-à-dire durant près de trois mois, il régna à la fois
sur Ninive et Babylone, car la révolte de Mérodach-baladan II ne se
produisit qu'au mois de Nisan (3). C'est précisément durant cet inter-
valle que les armées assyriennes campées devant Samarie mirent fin
à un siège qui, d'après le récit biblique, durait depuis trois ans.
Nous avons vu déjà que les négociations d'Osée avec le roi d'Egypte,
Sô, avaient occasionné l'intervention de l'Assyrie. Ce xic, roi d'E-
gypte, est à lire sic et à identifier avec Sib'c, dont nous aurons à
parler plus tardi). Quant à en faire le même
(
personnage que le pha-
raon Sabaka, le premier représentant de la dynastie éthiopienne, il
faut décidément y renoncer, surtout à cause des difficultés chronolo-
giques que soulève cette ideutitication (5).

Nous connaissons, à biblique et par les inscrip-


la fois par le récit

tions de Sargon (6', quelles furent les représailles contre la capitale


d'Israël. Le récit des Annales de Sargon (L il ss.) est malheureuse-
ment mutilé, mais le texte des Fastes (7) est ainsi conçu Je cernai : <(

la ville de Samarie [Sa-meri-nd et je la conquis. J'emmenai en cap-

(1) Dans le texte K. 1349. Sargon déclare que SaJmanasar fut puni pour
son impiété
(WiNCRLER, Altorientalische Forschungen, I, p. 404 s.).
(2) WiNCKLER, Die KeilsclihfUejle Sargons, p. xiii, n. 1.

(3) Chronique babylonienne, éd. Delitzsch, I, 31 s.


(4) Il y a eu confusion entre le Pharaon et son général. Cf. inf.
(5) Cf. Alt, Israël und .Egypten, p. 57.

(6) Nous citons ces inscriptions daprès l'édition de Winckleu, Die Keilschriftlej'te
Sargons. Cf. aussi L\on, Keilschriftlexte Sargon''s dans AssyriologiscJie Bihliothek
(vol. V).

(7) Inscription des Fastes, 1. 23 s.


LES PAYS BIBLIQUES ET LASSYRIE. 373

tivité 27.290 personnes qui habitaient en elle, je m'emparai de


50 chars qui s'y trouvaient. Le reste (des habitants je leur laissai
reprendre leur part (1). J'établis mon général sur eux et je leur
imposai le même tribut que le roi précédent. » Dans les inscrip-
tions de la salle XIV et du pavé des portes -2 . au palais de Khor-
sabad, Sargon déclare qu'il a triomphé a de Samarie ' Sa-r/iir-i-?ia)

et de toutpays de B/f-Humria c'est-à-dire du royaume d'Israël) ».


le

Le système suivi est la déportation des vaincus et linstallation de


colons étrang'ers S>. Nous avons vu (i combien ce système avait '

été préconisé par Téglath-phalasar IIL La Bible est explicite à cet

égard. Les textes assyriens nous indiquaient le nombre des Israé-


lites emmenés captifs, le récit de
Beg., xvii. G et xviir. 11, énu-
II

mère les pays où on les déporte. C'est d'abord rrn qui correspond
au Halahha, Halahlii, Halahi, connu par les textes cunéiformes <o\.
Cette région étant située non loin de Ilarran ^6 les Israélites s'y ,

retrouvaient en pays de connaissance près de leurs frères, les Ara-


méens sédentaires. D'autres furent échelonnés le long du Habour (7)
dans une contrée que le texte biblique appelle *"*: et qui équivaut
à la rauçav'.T'.ç de Ptolémée de Guzana, du côté de
(8). Une ville
Nisibe, est mentionnée dans les documents assyriens (9 Pour un .

certain nombre des exilés, le pays d'Aram de Mésopotamie ne fut


qu'une étape. Do même que Téglath-phalasar III avait amené dans
la Syrie du Nord les vaincus des monts Zagros et du lac de Van 10
Sargon n'hésita pas à transporter jusqu'en Médie. à la frontière
orientale de son royaume, les Israélites de Samarie. Il les fît ha-
biter « dans les villes 11 des Mèdes ». Téglath-phalasar III avait eu
'

(1) Pour l'interprétation de i-nu-su-nu, cf. Dr.Lirzscn, AHW., jl 49 .

(2) Inscript, de la salle XIV, 1. 15; inscript, du pavé des portes, iv, 31 s.

3) Ce qui reste du te\;te des Annales l. 16 s. dit nettement que Sargon installe de
nouveaux habitants à Samarie.
^i] RB., 1910, pp. 192 et 197.

5) Forme Ha-lah-ha dans les textes cités par Wiuckler Altorientalisc/ie Forschungen
1, 292), Ha-lah-hi dans les lettres de l'époque des Sargonides Hakpek, Assyr. and babiil.
letters, n" 421, recto, 7: n" 480, recto, 7i, lla-la-hi dans le fragment publié par Scbeil,
OLZ., 1904, col. 217.
6 WiNCKLER, loc. laud. On remarquera que Harran est en rapport avec Gôzan dans II Ren
19, 12.

7i Sur ce fleuve et ses différents noms, cf. notre conférence sur Lex origines babylo-
niennes Conférences de Saint-Etienne, 1909-1910 p. 13 ss. .

s; Geograph., V, 18, 3. 4.

y Aux textes signales dans Delitzsc». \Vo lag das Paradies, p. 184 s., ajouter la
mention fréquente d'une ville de Gu-za-na dans les lettres de l'époque des Sargonides cf.
ToFFTEEN, Researchex in ass. and hab. geograplty, I, p. 45 .

;iO; RB., 1910. p.l'J2.

,11; Les Septante ont lu « dans les montagnes », "-n* au lieu de •'l"'!.
374 REVUE BIBLIQUE.

maille à partir avec ces Mèdes (1). En lïï, il avait emmené captifs
60.500 personnes des pays conquis Une nouvelle campagne, en
(i).

737, avait abouti à la déportation do 8.650 Mèdes (3). Les Israélites


remplacèrent une partie de cette population. On les installa dans
les cités que fondait Sargon pour consolider sa puissance sur la
frontière assyro-médique (ii. Leur présence ne contribua guère à
la pacification du pays, car une insurrection (survenue en
lan 714
av. J.-G.) nécessita bientôt une intervention de Sargon.
La ville de Samarie ne fut pas détruite. Sargon, fidèle à la méthode
de ses devanciers, n'hésita pas à envoyer dans le pays des colons
chargés d'y introduire les mœurs assyriennes et l'esprit de soumis-
sion à la métropole commune. La Bible a conservé le souvenir de cette
pénétration de l'élément étranger en terre d'Israël. Le contact des
cultes idolàtriques avec le culte national devait aboutir à cette reli-
gion samaritaine, qui fut un cauchemar pour les Juifs de Juda, sur-
tout après le retour de la captivité. Les diverses villes d'où sortirent
ces colons étrangers ont été juxtaposées dans le récit de II Reg., xvii.
Mais il faut observer que cette installation ne se fit pas en une seule
fois. Des énumérées, d'aucunes appartenaient à la Babylonie, et
cités

nous verrous bientôt que celle-ci était en état de révolte et de révolte —


heureuse —
contre l'Assyrie. Ce fut seulement plus tard, lorsque Sar-
gon châtia les révoltés (710-709 av. J.-C), qu'il amena en Samarie
les colons de Babylone, Afin, cependant, de ne pas mor-
de Koutha et

celer le texte nous allons examiner ici l'origine de ces nou-


du récit,

veaux habitants de la capitale Israélite. Les deux premières villes


mentionnées sont ''zz et ~n*r. Nous n'avons pas à insister sur Baby-
ou Bâb-iiâni (d'où BaojAwv) des inscriptions cunéi-
lone, la Bdb-ili
formes (5). On nous
dit que ses habitants s'empressèrent de faire

une idole de leur dieu qu'on appelle ri:2 niic (6). La vocalisation
massorétique a considéré ce mot comme signifiant « les tentes des
tilles » et peut-être y a-t-elle vu une allusion aux prostitutions sacrées

célèbres dans le culte de l'istar babylonienne. Dans les Septante on


a Vzy/hM-jL'.vi'Mv. (B) et ïcy.ytoOcsv/JE-. (A). Si l'on songe que dans Am.,

(1) RB., 1010, p. 195.

(2) Cf. Strec.k, ZA., XV (1900 s p. 31S.


(3) Ibid., p. 319.
(4) Une de ces villes nouvelles, à la fronlière, portiaii le nom de Kar-Sarni-u/an « for-

teresse de Sargon ». Cf. les Annales de Saigon, 1. 88 s.

(5) Sur les noms de Babylone et la localisation exacte, cf. Les origines babijloniennes
Conférences de Saint-Ktienne. 1909-1910 p. 44 ss, ,

II lieg. 17, 30.


LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 37;j

V, 26, un dieu astral nz'D est mentionné en Israël et que ce dieu cor-
respond au babylonien Sak-kut, nom de l'une des planètes (1), on n'hé-
sitera pas à ponctuer n^rc pour le premier élément du nom divin.
Cette planète Sakkut devait, à cette époque, être vouée au dieu des
Bal)yloniens, Mardouk. Plus tard, elle fut la planète du dieu Nin-il).
La compagne de Mardouk était Sarpanit que les étymologies popu-
laires analysaient en Zér-bdnît « qui crée la semence (2) ». C'est la se-
conde partie du nom, bnnît, qui se dissimule sous r*i:2 qu'on devrait
ponctuer n*:2 d'après 6a'.v3i0£i et 'iwhv. des Septante. L'élément zêr
a été —
comme nous le verrons —
transporté au v. 31 lire 1" nz:) et
c'est ici qu'il faut le restituer. Nous lirons donc n"':3l7. Ainsi nous

obtenons le nom du couple divin de Babylone Mardouk [Sak-kut) et


Sarpanit [Zêr-bànil).
La ville de nn^s est très connue dans l'histoire assyro-babylonienne.
Elle occupait l'emplacement actuel de Tell Ibrahim au nord de Baby-
lone, à l'est de l'Euphrate. De toute antiquité, elle fut célèbre par le

culte de Nergal, le dieu des enfers, celui même dont les Kouthéens
font une image à Samarie (II Reg., xvii, 30). Le nom de D'iii^ « Kou-
théens » de\'int plus tard un terme de mépris pour désigner les Sama-

ritains.
Les autres colons vinrent de la Syrie du Nord, en particulier de la
ville de Hamath (aujourd'hui Harna) qui était soumise aux Assyriens
à l'époque de Téglath-phalasar III i^3i, de ~rj dont l'identification est
inconnue, finalement de n''"'^?c, qui est la même que ^'^1D mise en
relation avec Hamath dans Ezech., xlvii, 16. Cette dernière, dont la
désinence est araméenne, n'est autre, sans doute, que la Sabara'in
mentionnée dans la « Chronique Babylonienne » à l'époque de Sal-
manasar IV (4). On comprend comment Sargon transporta au loin les
habitants d'un pays que venait de réduire son prédécesseur. Ce furent
les premiers colons de Samarie et on ne doit pas confondre leur ville

avec les Sippar babyloniennes qui auraient été mentionnées après Ba-
bylone et Koutha. Les dieux de Sépharwaïm sont i""2''"}< et "S^:;*. Le
culte rendu à ces dieux enfants passés par le feu explique la pré-
sence de l'élément Milk == Molocht dans ces deux noms (5;. L'élé-
ment TîN a fait penser à un dieu babylonien Adar qu'on n'a jamais

(1) Cf. BB.. 1910, p. 308.

(2) Cf. notre ouvrage sur la RelUjion assyro-babylonicane, p. 100.


(3; RB., 1910, p. 194.

(4) Cf. sup.

(5) LAflRANGi::, Ï^RS., p. 108.


376 REVUE BIBLIQUE.

trouvé dans les textes. En fait, si Ton suppose que l'auteur a utilisé

une source babylonienne, on comprend qu'il ait rendu par ~"x (d'où
mx) le nom du dieu syrien par excellence, Adad (1). Quant à "j", c'est
simplement le masculin de n:" qui apparaît comme déesse phéni-
cienne dans une inscription de Chypre (2) et comme divinité cana-
néenne dans le nom de ville n:y n'in (3). Les gens de Hamath fabri-
quent une idole du nom de N)21w\s qu'on n'a pas réussi à identifier.
Or, la déesse Asèrâ, commune aux Sémites de l'ouest, est rendue par
NiTx dans la stèle de Teima (V). Le changement du ^2 en i nous per-
mettrait d'obtenir la même forme dans notre texte. On s'est heurté
également au nom du dieu de Awwn qui apparaît sous la forme ,

"niJ ou inz:. Les Septante ont -:y;v FA'kxIzo, dans lequel le v initial est
tombé, à la suite de -:r,v- Cette orthographe permet de lire l'nz:
comme nom complet de la divinité en question. Mais la finale T», trans-
portée au V. 30, permet d'obtenir le nom si intéressant de niz^l". Si,
par ailleurs, on retourne niz en ]i~, on obtient le nom du dieu élamite
Htiban (^var. Humban) qui s'accouple parfaitement à pmn dont la dé-
sinence taq est tout à fait élamite. Les gens de twj seraient donc des
Élamites, ce qui n'est pas pour nous étonner, puisque Sargon eut
souvent maille à partir avecle roi d Élam, lloumbanigas.

La Bible insiste sur ce syncrétisme de Samarie. Quand nous étu-


dierons les événements de Tan 715, nous verrons que des tribus
arabes furent aussi transplantées par Sargon dans l'ancienne capitale
du royaume y apportèrent leurs dieux, comme avaient
d'Israël. Elles
fait les Babyloniens De la sorte un mélange de tous les
et les Syriens.
cultes sémitiques contamina à jamais la religion de lahvé et rendit
odieux aux Judéens tout rapport avec leurs congénères de Samarie-
La prise de Samarie ne porta pas bonheur à Sargon. Au mois de
Nisan de l'an 721 av. J.-C, Mérodach-baladan II s'assied sur le trône
de Babylone et scinde les deux empires qu'avait fondus Téglath-pha-
lasar III. Durant douze ans il régna sur Babylone et dans le canon de
Ptolémée il s'intercalera, sous la forme Mapo5/.£;j.-a3cu, entre IaouXocisj
(Salmanasar IV ; et Ap/.^av:•J (Sargon) (5). Il avait su gagner à lui le roi
d'Élam Uumhanigai, qui attaqua Sargon sur la frontière orientale

(1) Le ri de tth ne se rend pas en babylonien ni en assyrien. Jensen a déjà proposé Adad»
malik (cf. Zimmern, KAT.^, p. 408, n. 1).
(2) CIS., I, 95; cf. Lag RANGE, KRS., p. 482.
(3) Rapprocher de '^Nn''2 et ;i'^2w' T\*1.

(4) Cf. Lagrange, ers., pp. 122,' 502 s.


(5) Cf. Delitzsch, Die habijlonische Chronih, p. 3(j.
LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 377

d'Assyrie, dans la ville de Dêr (1), et triompha do son adversaire. La


« Chronique Babylonienne » relate cette défaite de Sarg-on i2), mais

les inscriptions officielles attribuèrent au roi les honneurs de la vic-


toire i3). Le maintien de Mérodacli-baladan U sur le trône de Baby-
lone est la preuve irrécusable de léchée essuyé par Sargon. Les tribus
araméennes, installées dans le sud et spécialement à Bît-Iakin, sur le
rivage du golfe Persique, soutenaient le nouveau roi de Babylone (i).
D'autres peuplades, comme les Tn'muna (5i, inquiétaient l'empire au
nord-ouest. Il fallut bien que Sargon se résignât, pour le moment,
à perdre la suprématie sur la Babylonie et la Chaldée.
Un ennend lointain, mais dont l'influence se faisait sentir à travers
toute la Palestine et la Syrie, avait réussi à liguer, comme au temps
de Salmanasar II, les populations de l'ouest contre l'Assyrie. C'était le

Pharaon que les textes officiels connaissent sous le nom générique


Pirif (= ~>*"^£) et désignent comme roi d'Egypte [Mii-m-ri) (6). Son
général en chef le turtànu, hébr, '(P^'p) était Sib'u, l'ancien instiga-
teur de la révolte d'Osée à Samarie. Ce Sib'u était resté célèbre en
Palestine et son nom, transformé en x*:^ (d'où x'd), avait été consi-
déré comme le nom du roi dÉg-ypte il]. C'est lui qui entretenait dans
le cœur des Israélites l'illusion d'échapper au joug de l'Assyrie, il-
lusion contre laquelle les prophètes protestaient énergiquement. Les
événements se répétèrent comme au temps de Salmanasar II. Une
première ligue fut formée par le roi de Hamath, lau-bi'di (8 Les .

royaumes de la Syrie du nord, à savoir Arpad [Ar-pad-da iOi, Simirra


(Si-mir-ra) (10), Damas \Di-mas-qa), s'étaient unis à lui. Or, Sargon
avait déporté à Samarie des gens de Hamath. comme nous l'avons vu
plus haut, et nous disions que ce fut l'un des premiers envois de co-

1 Lire Dvr et non Di'ir-ilu : cf. Deutzsch, loc. laud., p. 32.


(2) CLironique babylonienne, 1, 33 s.

(3) Inscriplion des Fastes, l. 23 et Inscription de Niniroud. l. 7.

Sur ces installations araméennes dans le pays de Kaldu (Chaldée cf. Streck, dans
(4) ,

Klio, VI, 2, p. 214 ss. La ville de Bit-Iakin s'idenlifie avec Ayiv.; d'Arrien (Indica, 42), à
l'embouchure du Tigre dans l'une des lagunes qui prolongeaient jadis le golfe Persique à
l'intérieur de la et qu'on appelait le nâru marratu « Fleuve salé ». Cf. l'article
Chaldée
Afjinis d'ANDREvs. dans l'encyclopédie de P\l'lv-"Wisso\v\. Nous verrons plus loin les chocs
terribles qui mirent aux prises Sargon et les nomades du golfe Persique.
5j Cf. I{B.. 1910, p. 192. Les Tu-^-mu-na-a-a sont mentionnés avant Mérodach-baladan II

dans les Annales de Sargon, 1. 20.


6} Annales, 1. 97; inscript, des Fastes, 1. 27. On a Mu-iis-ri au lieu deMusuri dans S.
2022, etc., I. 34.

(7;Dans II Berj., 17, 4.


(8)Sur cette ligue, Annales, 1. 23 ss.; inscript, des Fastes, 1. 33 .ss.

(9) Pour Arpad, RB., 1910, p. 185.

(10) Pour .Simirra, ibid., p. 191.


378 REVUE BIBLIQUE.

Ions, puisque les Babyloniens et les Kouthéens n'avaient pu être en-


voyés que plus tard. Rien d'étonnant à ce que cette population d'exilés
fit cause commune avec la mère patrie. C'est pourquoi nous trouvons

Samarie {Sa-me-ri-na) dans la coalition. Le choc eut lieu à Qarqar,


près de l'Oronte (1), et Sargon resta vainqueur. La ville fut brûlée,
lay-bi'difat écorché, 200 chars et 600 chevaux de guerre furent com-
pris dans le butin (2). Gomme pour Samarie, on voulut inoculer à
Hamath le sang assyrien « J'installai au pays de Hamath 6.300 Assy-
:

riens..., sur eux je plaçai mes généraux comme gouverneurs, je leur


imposai un tribut et un impôt (3). »

Cet échec ne découragea pas les menées égyptiennes. Le général


Sil/'u pritlui-même la tête des coalisés et s'adjoignit un ferme appui
en la personne du roi de Gaza (4). Celui-ci était encore Hanoun qui,
en 73i, s'était réfugié en Egypte et était devenu par la suite un tri-
butaire de Téglath-phalasar III (5). Sargon, décidé à mater ses adver-
saires, arrive de la Syrie et traverse la Palestine, probablement le
long de la côte comme fera plus tard Sennachérib (6). Le roi de Gaza
se replie sur Ra-pi-hi (aujourd'hui Tell Rifali), au sud de Gaza, à la
frontière entre l'Egypte et la Palestine (7). Sib'u l'y rejoint et tous
deux attendent les troupes assyriennes. La défaite des coalisés fut com-
plète. Sib'u, meilleur intrigant qu'habile général, s'enfuit « comme
un pasteur dont on a ra^d les brebis » (8). Quant à Hanoun, il est en-
chaîné et emmené en Assyrie. La ville de Rapih est incendiée et
9.033 habitants sont déportés.
Par cette double victoire de Qarqar et de Rapih, Sargon donnait à
son autorité sur la Syrie et la Palestine une sanction définitive. Les
royaumes araméens de Hamath et de Damas, les populations d'Israël
et de PhiUstie étaient placés sous le joug. Le pays de Juda, où régnait
Ézéchias, avait continué la politique d'Achaz (9), soutenue par Isaïe,
et avait fait sa soumission.

Alors, tranquille du côté de l'Ouest, le monarque se tourna contre


les populatioi^s du Nord (pays de Man et d'Ourartou), échelonnées

(1) Cf. HB., 1910, p. 6G.


(2) Inscripl. des Fastes, 1. 35 s. La stèle de Sargon (1, 57) compte 300 chars.
(3) Inscript, de la stèle, I, 1. 61 ss.
(4) Inscript, des Fastes, 1. 25 ss.
(5) RB., 1910, p. 195 et 198.

(6) Peut-être la campagne ne fut-3lle conduite que par le général de Sargon.


(7) Les documents égyptiens connaissent cette forme flph ville sous la : cf. BuRcnAUDT,
Lie altkanaanuischen Fremdworter und Eigennamen im jEgyptiscItcn, II, p. 32, n<' 617.
(8) Annales, 1. 29 ss.

(9) RB., 1910, pp. 195 et 198.


LES PAYS BIBLIQLES ET L'ASSVKIE. 379

Van et la mer d'Ourmiah 1). Les troisième et quatrit'me


entre le lac de
années de rèsne (719-718 lurent consacrées à réduire ces royaumes
toujours insoumis. Même les peuples de la mer Noire, les gens de
Tabal '^zr et de Miis/cit (Tj*»r"2i (2;, se coalisaient contre l'empire mé-
sopotamien. En 1 an 717, le roi de Gargamis, ce Pisiris qui, ^^ng•t ans
plus tôt, avait apporté son tribut à Téglath-phalasar III 3 noue des ,

relations avec le roi de Mn</iU. un certain Mit'/, qui comme la —


reconnu M. ^yinckle^ fi) — nest autre que le Midas. fils de Gordius le
Phrygien, célèbre dans la tradition classique. Nous retrouverons ce
Midas, quelques années plus tard, en train de conquérir la Cilicie.

Pour le moment, c'est Garganiis — ce trait d'union entre l'Asie


Mineure, la Syrie et les régions mésopotamiennes — qui subit les re-

présailles. L'inscription de Nimroud spécifie bien que son roi. Pisiris

(écrit Pi-si-ri , est roi du pays des Hittites [Eat-ti . L'infortuné est
jeté dans les fers, avec toute sa famille. Ses trésors sont pillés, et la

population des environs envoyée à Damas {Di-i/uis-qi On amène


est .

des Assyriens, qui sont chargés d'assyrianiser (iarsamis, exactement


comme on avait fait pour Hamatli. Non content de régner sur ces
peuples au delà de l'Euphrate, Sargon veut les absorber complète-
ment dans l'unité de la race. Les bassins du Tigre et de l'Euphrate,
fertiles en hommes aussi bien qu'en dattes ou en céréales, dévereent
leur trop-plein à la frontière. Ainsi est assurée l'expansion de la ci^'i-

lisation mésopotamienne et rien ne nous étonne si le renom de cette


civilisation se répand alors à travei^ les pays sémitiques de la Syrie
et les régions les plus lointaines de l'Asie Mineure.
Une nouvelle révolte du roi d'Ourartou. Rousas, et du roi de Mau.
OuUousoun, nécessite l'intervention de Sargon. Comme Oullousoun
s'est soumis, Rousas se tourne contre son ancien allié et lui suscite un
compétiteur dans personne de Daioukka 5 qui devait fonder une
la ,

dynastie et donner son nom au pays de Bît-Daioukki. Les sixième et


septième années de règne virent la pacification de ces contrées du
Nord. Une ville de Kdr-Sarru-ukin, forteresse de Sargon. fut fondée

(1) Sur ces populations et leurs princes respectifs, cf. Strkck. ZA.. \\\ 1899 ]>. 103 ss.-. ,

sur les éTénements, Maspeko, Histoire ancienne..., III, p. 237 ss. Nous n'insistons pas
puisqu'il ne s'agit pas de pays bibliques.
(2^ Les yioT/o: -/.ai T.ôapr.vo-. d'Hérodote III, 94 : Vil, 78 . Sur ces peuples et leur relation
ayec "^r et 'mU**!, Delitzsch, Wo lag dus Parudies. p. 250 s.

(3 UB., 1910, p. 194.

4) Altor. Forschungen. II, p. 13(j s.

5 Son nom Da-ai-uk-ka ^sinon sa personne pourrait Lien être le inèine que celui de De-
jocès, le grand-père de Cyaxare, au dire d'Hérodote. Nous sommes sur les confias de la M^-
die. Cf. Streck, ZA., XIV ,1899,, p. 147 ss.
380 REVUE BIBLIQUE.

comme boulevard contre les Mèdes. C'est dans ces régions qu'on dé-
porta un certain nombre des d'abord dans la région
Israélites installés
aramôenne de Harran 1 Sur la fin de la septième
1.année (715 av.
J.-C. Sargon eut de nouveau à
,
apaiser des troubles sur la frontière
occidentale. Les Ciliciens qui, depuis Téglath-phalasar III (2),
payaient le tribut, sont inquiétés par Midas de Mus/ai (3). Les villes,

prises par cet envahisseur, sont reconquises et saccagées par Sargon.


Cependant arrivent, par le désert syrien, ces caravanes de l'Arabie
qui étaient venues apporter leurs présents à Téglath-phalasar III. On
spécifie bien qu'ils viennent du pays des Arabes \Ar-ba-a-a). Ce sont
des tribus « lointaines, qui habitent le désert » (4). Quand le narra-
teur officiel ajoutait que « nul sage, nul scribe ne les connaît », il

n'avait pas relu les annales de Téglath-phalasar III où était racontée


l'ambassade des chameliers du Hedjaz ^5), et il avait tort de dire
qu'« ils n'avaient apporté leur tribut à aucun roi ». Les premiers arri-
vants sont les Tamoudéens (Ta-mu-di), qui habitaient aux environs
de Hégra et devaient rester célèbres dans la tradition musulmane (6).
Les I-ba-{a)-di-di sont inconnus (7); les Ha-ia-pa-a sont les Madia-
nites de "£*" [Ghaifeh> [S); les Mar-si-ma-nu ont été heureusement
identifiés avec les ^Mzija'.y.av^ir de Ptolémée 9i. Ils se présentent
comme des envahisseurs qui menacent la tranquillité de l'empire.
Battus par Sargon, on les parque dans la ville de Samarie [Sa-me-ri-
na) où ils auront à cohabiter avec les Syriens et les Babyloniens. En-
suite, les rois du sud, à savoir le Pharaon d'Egypte \Pir'u roi du pays
de Mmri) et le roi des Sabéens Sa-ba-'-a-a). Ce dernier porte le nom
de It-'a-am-ra qui est connu, sous la forme -i«2s yrr, dans les inscrip-
tions sabéennes (10 . Enfin, nous retrouvons la reine Samsi [Sa-amsi)
qui avait jadis envoyé son tribut à Téglath-phalasar III (11).

L'année 71i porta le coup fatal à l'Ourartou et aux royaumes limi-

(1) Cf. sup.


(2) RB., 1910, p. 194.
(3) Annales, 1. 94 ss.
(4) .\nnales, 1. 95 ss.

(5) RB., 1910, p. 196.


(6) Jalssen et Savignac, Miss, nrchcol. en Arabie, p. lOô. Pour les inscriptions tamou-
déennes, ibid., p. 271 ss.

(7) Rapprocher l'arabe J-O-^, forme parallèle à J-jI^. Halévy [Rev. des études
juives, 1884, p. 12, analyse par Ibdd IJed « serviteurs de Dad ».

(8) RB., 1910, p. 196.

(9) Delitzsch, Wo lag das Paradies, p. 304. Cf. Sprencer, Die alte Cxeographie Ara-
iiens, p. 205.
(10) MoRDTMANN el MiJLLER, Sab/iisclie Denkmaler, p. 108.
(11) RB., 1910, p. 196.
LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 381

trophes. Le roi Rousas. instigateur de toutes les révoltes dans le nord


etsur la frontière nn-dique. se vit perdu sans retour et se donna la
mort (1;. Une bonne partie de la Médie accepta le joue assyrien.
Une nouvelle coalition des rois de Tabal, de Mus/îk et de Cilicie né-
cessita, en 713, une répression énerg-iqiie, qui eut pour résultat
d'appesantir sur la Cilicie en particulier le joug" assyrien. Puis ce fut
le tour du pays de Kam-ma-nu dont la capitale était la ville de
(^-2

Me-iid-du (3). C'était un Hittite si nous en jugeons par son nom Tar-lni-
na-zi l'i). Sargon lui-même l'avait installé sur le trône, en remplace-

ment de Su-lu-ma-al, le trilmtaire de Téûlath-plialasar lil. Le révolté


fut jeté dans les fers; sa femme, ses enfants, et 5.000 de ses guerriers
furent emmenés à Asour. On rebâtit la ville de Til-garimme 5 et on v 1 1

installe des guerriers Sutû 6 Sargon profite du séjour de son armée


.

à la lisière des pays syriens pour faire venir les pierres et les métaux
précieux des montagnes qui bordent la côte amorrhéenne, principa-
lement du Ba-'-il-sa-pu-iia "£j:~"">2 comme au temps de Téglatb- ,

phalasar III T . Ces matériaux serviront à éditier la célèbre capitale


de Sargon, Dûr-Sarru-ukin Mur de Sargon ».
<-<

Dans le voisinage de Mélid se trouvaient les territoires de Gour-


goum et de Sam al, dont nous connaissons l'exacte localisation 8 .

Le roi de Gourgoum, le hittite Tar-hu-la-ra '9 venait d'être assas- .

siné par son fils, au nom hittite lui aussi, Mut-tal-lu 10 Sargon profita .

de sa présence au voisinage pour châtier le parricide, car Tarhoulara


avait été un fidèle sujet de l'Assyrie. On s'empara de Mar-ka-si =
Mar'asi, l'une des villes frontières entre le Gourgoum et le Sam "al 1 1 .

La contrée fut réduite en province.


Ce fut cette même année Tll av. .J.-C.j que l'armée de Sargon
poursuivant sa marche victorieuse, re\-int faire une incursion en Phi-
listie. Cette expédition, à laquelle fait allusion le chap. xx d'Isaïe. eut

un retentissement extraordinaire et oncomplut à y voir le prélude


se
d'un conflit entre l'Assyrie et l'Egypte. Nous avons, dans les docu-

1 Annales, 1. 137 ss.


2 On ne doit pas identifier Kam-ma-nu avec la Commagène. Celle-ci est rendue par
Kummuha, Kummuhi dans les inscriptions de Sargon.
3 Annales, 1. 178 ss. Sur Me-lid-du cf. RB., 1910, pp. 183 et lî»4.

4) Cf. Tar-hu-la-ra dans RB., 1910, p. 194.


.5) RB., 1910, p. 192.
6i Inscription des Fastes, 1. 82. Sur les Sutû, RB., 1909. p. 67 ss.

7i Annales, 1. 196 ss. Cf. RB.. 1910, p. 191. VAm-7na-na [ibid.] est \c\ Am-mu-un \. 202 .

RB., 1910, pp. 183 et 194.


8)

9 RB., 1910, p. 194.


10' Annales, 1. 209 ss.

;11, RB., 1910, p. 184.


382 REVUE BIBLIQUE.

meiits assyriens, un
de cette expédition 1). Les textes se
triple récit
complètent et s'éclairent l'un par l'autre.
Nous suivrons celui des Fastes qui parait le plus détaille « Azour
{A-zu-?'î) roi de la ville d'Asdoud {As-du-di) avait imaginé de ne

plus apporter le tribut et dépêché aux rois de ses environs des choses
haineuses contre FAssyrie, A cause du mal qu'il avait commis, je lui
retirai le pouvoir sur les gens de son pays et je mis à leur tête sou
frère propre, Ahimète [A-hi-mi-ti). Mais les gens du Hattou [Ha-
at-té)^ qui avaient de mauvais desseins, prirent sa domination en
haine et se donnèrent comme chef un certain la-ma-ni (var. la-at-
na), qui n'était pas destiné au trône, mais qui, comme eux, ne
connaissait pas la crainte du pouvoir. Dans la rage de mon cœur, je
ne pris pas le temps de rassembler le gros de mes troupes ni de pré-
parer mon campement je partis pour Asdoud [As-du-di avec mes
: j

preux qui ne font jamais défaut à mon côté, à l'endroit du danger.


De loin, la-ma-ni apprit ma marche en avant et il s'enfuit sur les
frontières d'Egypte [Mii-m-ri) qui sont à la lisière de l'Ethiopie
[Me-liih-ha] : on ne sut plus où il se trouvait. Je cernai les villes

d'Asdoud [As-du-du), de Gath [Gi-im-tu) et d'Asdoud de la mer


[As-du-di- i??î-?nu) je les conquis. Je comptai
,
comme butin ses dieux,
sa femme, ses fils, ses filles, les biens et les trésors de son palais,
ainsi que les gens de son pays. Je refis à neuf ces villes et ^2) j'y ins-
tallai des gens des pays que j'avais conquis. Je mis à leur tête mes

généraux comme gouverneurs et je les comptai au nombre des sujets


d'Assyrie ils traînèrent mon joug. » On voit, d'après ce récit, que
:

toute la côte méditerranéenne en Palestine porte le nom de HatUi. La


ville d'Ascalon ne s'était plus révoltée depuis la soumission de son roi
Mitinti à Téglath-phalasar III (3). Gaza avait été châtiée durement
pour larévolte de son roi, Uanoun, et son alliance avec l'Egypte. C'est
maintenant Asdoud qui doit être réduite. Son roi Aziiri (= "y^Tj) infidèle
à l'Assyrie vient d'être remplacé par son frère Aljiiniti (=r\1>2"irîN) (i).
Alors a lieu une révolte de la population, sous la conduite d'un aven-
turier du nom de la-ma-ni, dans lequel on a voulu voir un Grec
[Ja-ma-7ii =
la-wa-ni =r y^). Sans nous prononcer sur les origines
de ce personnage, nous pouvons du moins nous rendre compte de
ses agissements, grâce à une inscription très mutilée, dont, par

(1) Annales, 1. 215 ss.; Inscript. des Fastes, I. 90 ss. ; Inscript. S. 2022 etc., 1. 1 ss.

(2) Reprendre ici le texte des Annales. 1. 227 s.

(3) RB., 1910. p. 197 s.

(4; Le second élément mili (= riS, ass. mutu) se retrouve comme premier élément du

nom du roi d'Ascalon, Mi-ti-in-ti (cf. RB., 1910, p. 197).


LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 383

])onheur, le passage relatif à notre épisode est assez bien conservé (1).

L instigateur de la révolte est encore le Pharaon Pir'u. d'Ésrypte, qui


ne s'est pas résigné à déposer tout espoir de venger la défaite de son
général en chef, Sib'u, et de ses alliés, les gens de Gaza. L'inscription
spécifie ensuite quels sont les rois auxquels lamani a dépêché des
choses haineuses contre lAssyrie. Ce sont les rois de la Philistie
[Pi-lis-te], de Juda [la-u-di), d'Édom {U-du-mu) et de Moab iMa-a-bi).
Sargon sait bien que ce sont des « tributaires du dieu Asour » et nous
les avions vus apportant leurs présents à Téglath-phalasar III i2).

L'intention de lamani est de former une ligue colossale, sur les der-
rières de laquelle se trouvera le Pharaon. L'autonomie de chaque
petit royaume sera la récompense de l'effort collectif. Sargon sourit
de cette prétention de se tourner « du côté de Phara<)n, roi d'Egypte,
un prince incapable de les sauver ». C'est ce cjuavait compris à mer-
veille le prophète Isaïe, et il n'a pas assez de tous ses anathèmes
contre ceux qui « descendent chercher du secours dans la terre
d'Egypte ». Il sait (chap. xx) que l'Assyrien est le plus fort et il met
en garde ses compatriotes contre l'illusion qui va perdre Asdoud.
D'après le texte biblique, de beaucoup le plus vraisemblable, ce n'est
pas Sargon lui-même marcha contre les rebelles, mais Tartan,
(]ui

c'est-à-dire le tartànu ou turtônu u général en chef » du roi i3).


Comme avait fait jadis Hanoun de Gaza, lamani s'enfuit en Égvpte,
sur la frontière éthiopienne. L'armée assyrienne s'empare de Gath,
non loin de Beit-Djebi-in, et des deux Asdoud, celle de l'intérieur et
celle de la mer [As-du-di-im-mu =z n""^ -i-rN). D'après le récit de
l'inscription des Fastes 1. 109 ss. i, on voit que le roi d'Ethiopie,
par l'approche des Assyriens, n'hésite pas à livrer son client
terrifié

lamani qui, les fers aux mains et aux pieds, fut emmené en Assyrie.
Toutes les anciennes satrapies des Philistins étaient maintenant la
proie du vainqueur. Du haut Euphrate à la frontière d'Egypte, et jus-
qu'en Arabie, les nations sont sujettes ou vassales du grand roi. Sa
puissance estcomme « les eaux du Fleuve larges et puissantes » (4) :

Il franchira toutes ses digues.


il débordera sur toutes ses rives ;

Il se répandra sur Juda, l'envahira, l'inondera;


il montera jusques au cou;
Et alors, de ses bras étendus,
il couvrira toute ta terre, ô Emmanuel.

(1 Dans S. 2022 etc.. Cf. Winckler. Die Keihdtrift texte Sargons, I. p. 18e3 ss.
2 BB., 1910. p. 198.
3 >'ous avons vu que Sib'u était tnrtâau du Phar.aon.
4 Is.. 8, 7 ss. trad. Condamin .
384 REVUE BIBLIQUE.

Seul jusquici. .Iiida sauvegarde son indépendance. Tant que son


roi, Ézéchias, sera fidèle à la politique d'Âchaz et aux conseils d'Isaïe,
l'Assyrien n'interviendra pas dans ses affaires. Le jour — et ce jour
est proche — où Juda
donnera la main aux conspirateurs entretenus
par l'Egypte, les armées du grand roi viendront le rappeler à l'ordre.
Tranquille désormais du côté de l'Ouest, victorieux, depuis quelques
amiées, des royaumes du Nord et des principautés voisines de la Médie,
Sargon va entamer son duel avec le roi de Babylone, car, depuis
Téglath-phalasar III et Salmauasar IV, le roi d'Assyrie se considère
comme l'héritier de la couronne babylonienne. Mérodach-bahidan II
régnait, depuis quatorze ans, sur Babylone. Il représentait non pas
tant l'élément national que l'élément araméen qui, à cette époque,
s'était répandu dans toute la Babylonie du Sud. Les Kalclu et les

Arime (1) de la mer orientale (golfe Persique) sont bien des Ara-
méens (2). Ils se partagent en tribus qu'on appelle « maisons » (bîtdti),

dont les plus importantes sont la Btl-Dakuri et la BU-IaI,in (3). Cette


dernière avait été fondée, à l'époque de Salmauasar par un cheikh
II,

dont le nom Iakhm se retrouve chez les Hébreux sous la forme ]'^z'.
Les lagunes qui prolongeaient au nord le golfe Persique étaient l'ha-
bitat de cette tribu, si bien que les cheikhs pouvaient s'intituler pom-
peusement du pays de la Mer
« roi » (4). La capitale était Blt-Iakin
dont nous avons parlé plus haut. Une forteresse, du nom de Dih-Ia-
kin, permettait au monarque de se retrancher contre les attaques des
Babyloniens et des Assyriens (5). Nous avons vu comment à la mort —
de Salmauasar IV —
Le roi iMérodach-baladan II avait réussi, grâce à
l'appui de l'Élamite Humbanigai, à sortir « du pays de la Mer » et à
venir s'installer sur le trône de Babylone. Qu'il n'appartint pas à la
lignée des rois babyloniens, c'est ce que dit formellement le passage
des Annales de Sargon où Mérodach-baladan II est appelé « fils de la-
kin, roi du pays de Kaldou, qui est situé dans les retraites de la mer
orientale » (6). Outre son allié, le roi d'Élam, il avait avec lui ces
tribus d'Araméens qui peuplaient le pays de Kaldou. Nous y retrouAons

(1) Sargon, Annales. 1. 371.


(2) Cf. Streck. KUo, VI, '1, p. 207 ss. Remarquer que "riiT = Kasilu, Kaldu) est fils de

Nahor (Gen., 22. Il Il est probable que les tribus araméennes avaient adopté le nom
.

[Kaldu) du pays où elles s'étaient ré|iandues à profusion.


(3) Sur ces tribus et leur organisation, cf. les cvcellenles remarques de Streck, Klio.
VI, 2, p. 214 ss.

(4; Sur ce « pays de la Mer ». cf. Les origines babyloniennes (Conférences de Saint-
Etienne, 1909-1910;. p. 26. n. 3.

(5) Pour BU-Ialiin et Dùr-Iakin, cf. Delitzsch, Wo larj dos Paradies, p. 202.

(6) Annales. 1. 228.


LES PAYS BIBLIQURS ET L'ASSYRIE. 38.Ï

les Sutû, fils des nomades qui avaient inquiété les débuts de l'Assyrie,
s'étaientrendus redoutables aux Gananéeus à l'époque d'El-Amarna,
et dont une partie venait d'être déportée (en 713} dans la Syrie

du nord il). Avec eux figurent les Puqudii (lips de la Bible), la plus
célèbre des tribus araniéennes, sise à la frontière élamito-babylo-
nionno (2), le long- du tleuve Uknù (le Choas])e des classiques, la
AVrAa actuelle). En
Wù'a qui donnèrent probablement leur
outre, les
nom au pays de Rua sur la frontière de la Médie occidentale (3), et les
Il indai'u on Flindiru (\a,\\^ le nom dosijuels nous verrions \olonticrs l'an-

cien équivalent de /ilnzi)' {']'nr\) « sanglier ». Sargon raconte comment


ces peuplades avaient réussi à asseoir sur le trône de Soumer et d'Akkad
(Babylonie du nord et du sud) ce Mérodach-baladan II qui « durant
douze ans, contre le sentiment des dieux, avait régi Babylonc, la cité

du seigneur des dieux » (4). Sur l'ordre de Mardouk, le roi d'Assyrie


se met en campagne. Mérodach-baladan II réunit la tribu des Ga772-
bitlu (5) et les concentre dans leur capitale Dôr-abihar (6). Sargon est

vainqueur et dévaste la contrée, les huit cheikhs (7j des Garnbulu l'ont

leur soumission. Ils portent des noms bien araméons, comme IJa-za-
ilii (8) ('"^Sfn), IJa-a)n-da-7it( (]T2r\) e\ Za-f)i-du ("27, i-27). l-ne nou-
velle province est fondée, à laquelle sont annexées les diverses tribus
araniéennes. Le nom de Dâr-abihar est changé en celui de Dâr-NabiJt
« forteresse de Nébo ». Six territoires et quatre villes fortes, apparte-
nant à la tril)u des Garnbulu, sont incorporés au pays assyrien. Les
ilù'a, les li'indaru, les ïalbuiu, les Puqudu, ces auxiliaires de Méro-
dach-baladan II, se fortifient le long de la Kerha. Sargon les bloque,
par le moyen d'une digue et de deux forteresses. Leurs cheikhs se ren-
dent et sont placés sous la juridiction du gouverneur du Gambuli.
Puis le vain([ueur envahit les territoires baignés par la Kerha, met à
feu et à sang toutes les villes occupées par les bandes araméennes. Il
remonte jusqu'à la frontière élamite, force les garnisons qui s'y éche-

(1) Cf. sup., el nji., 1901», i>.


67 ss.
(2j Streck, h'eilinschrifllUhe Heilruga zur Géographie Vorderasiens [MDVG., 1906,
3), |>. 32 ss.
(3) lbid.,Y>. .38.

(4) Annales, \. 235 ss.

(5) Peut-êtro pour CamOnru (= "lisi), cuinnie on a Oa/julàle pour l'iin^. Cl'. MB.,
ItilO. \>. 190.
(f>j Lire ainsi au lieu de afljar (le signe al a la valeur idéograpliique abi). Le fondateur
lie la ville est encore un Ararnéen, Ahihar nn''2N). '-'* lerture AOiljfir pour Atliar est de
llommel (cf. Streck, Keilinschr. /ieilrinje. \>. 18. n. 5).
(7) Leur titre est nasik[ùte] qui correspond au "^02 de l'hébreu.

(8) Cf. l'ancien roi de Damas, SnT". IJa-(i"-ilu i/?//., 1910. p. 70 ss.).

REVUE BIBLIi;)UE 1910. — N. S., T. VU. 25


386 REVUE BIBLIQUE.

lonnent et oblige le roi d'Élam, Sutur-Nahlmnde, à prendre la fuite.


Mérodach-baladan II. épouvanté dans Babylone, veut se réfugier,
lui aussi, en Elani, et envoie des présents kSutur-NaIjIjundc. Ce dernier
lui refuse Feutrée du pays, si bien que l'usurpateur baljylonien se
retire tout tremblant chez les Araméens du làtburii, dans la ville
d'Iqbi-Bêl (1). Les mages et les prêtres de Babylone et de Borsippa (2)
apportent à Sargon les offrandes des dieux locaux (Mardouk et Sar-
panit pour Babel, Nabou et Tasmêt pour Borsippa). On lui ouvre les
portes de la ville. Alors Sargon fait son entrée solennelle à Babylone.
On était à la fin de l'an 710. Ce fut au début de l'an 709, au mois de
Nisan, que, suivant le récit des Annales confirmé par la Chronique ((

Babylonienne », Sargon prit les mains de Bel », c'est-à-dire reçut


(*

du dieu de Babylone, Bêl-Mardouk, l'investiture sur la ville sainte.


Exactement vingt -ans plus tôt, Téglath-phalasar III avait fait la même
cérémonie (3). Contrairement à l'usage de ses devanciers, Sargon
conserva son nom assyrien, même après son intronisation. Le canon
de Ptolémée est d'accord avec la liste des rois ba])yloniens pour attri-
buer à Ap/.sâvoj (= ^ap/.£av:j) un règne de cinq ans, à Babylone.
Au mois d'Aiar de cette même année 709, Sargon veut porter le
dernier coup à l'intraitable Mérodach-baladan II. Il force les retran-
chements de Dih'-Iaki/t (sur le bas Euphrate), mais ne réussit pas à
saisir son adversaire. On saccage le pays des Puqudu et des Sutù,
cependant que le roi détrôné erre en vagabond à travers les marais
et les lagunes du golfe Persique. Le^ gens de Sippar, de Nippour,
de Babylone, de Borsippa qui croupissaient dans les cachots de Dùr-
lakin, Sargon « leur fait voir la lumière (i) » et leur restitue les pro-
priétés qu'avaient accaparées les nomades. Ainsi les Siitù sont paci-
fiés et il est possible de pousser une pointe jusqu'en Élam. Fidèle au
système de la transplantation des sujets, le roi d'Assyrie fait venir du
pays de Hattou et spécialement de la Commagène iKum-mu-hi) les
vaincus des années précédentes et il les installe dans la basse Chaldée.
La frontière élamite est partagée en districts qui seront administrés
par les lieutenants de Sargon. La renommée des armées d'Assyrie
arrive jusqu'au roi de Dilmoun (iles Hahreiii) « qui, comme un
poisson, est situé à une distance de vingt doubles-heures au milieu
de la mer orientale (golfe Persique) (5) ». Il apporte son tribut. On

(1} Ces événements dans les Annales, 1. 289 ss.

(2) Borsippa, ville soeur de Babylone, occupait l'emplacement de Birs Nimrùd. Elle avait
pour dieu Nabou, le fils de Mardouk, dieu de Babylone.
(3) RB.. 1910, p. 199.

(4) Annales, 1. 360.

(5) Annales, 1. 369 s.


LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 38T

réinstalledans les cités de la Chaldéc les cultes des dieux locaux, en


sorte que Sargon se donne comme le restaurateur de l'antique reli-
gion, contaminée par les Araméens de Mérodach-baladan II.
Pendant que le roi lui-même rendait à l'Assyrie sa suprématie
sur toute la Chaldée et sur la frontière d'Élam. l'un de ses généraux,
qui gouvernait la Cilicie Qu-c frottait les oreilles d'àue du rui Midas,
,

qui régnait toujours sur le pays de Musku (1). Mille de ses preux
sont razziés et déportés jusqu'à la frontière d'Élam, où se trouvait
installé Sargon. On ravage tout le pays et on en détruit les forte-
resses. Le roi de Musku comprend qu'il ne peut lutter contre son
adversaire et il envoie ses messagers pour offrir le tribut. Le nom
de Sargon se répand à travers l'Asie Mineure et dépasse les côtes de
la Syrie. L'ile de Chypre elle-même, l'ancienne Alasia des lettres
d'El-Amarna i2 . éprouve le besoin de se concilier les faveurs du po-
tentat. A l'époque qui nous occupe, elle porte le nom de Tatnana ou
laiiina, qui pourrait bien représenter le plus ancien vocable pour
rionie (laicnu) 3). Ainsi les Grecs auraient eu une instaUation à
Chypre. Sept l'île envoient leur tribut. Sargon spécifie qu'on
rois de
ne mettait pas moins de sept jours pour aller de la cote jusqu'à
Chypre. Dans l'une de ses inscriptions i . il déclare qu'il a pris.

comme un poisson, le pays de Chypre au milieu de la mer. et qu'il a

pacifié la Cilicie et la ville de Tyr. Il semble, d'après ce texte, que


la ville de Tyr et l'ile de Chypre avaient fait cause commune avec la
Cilicie, dans la révolte de l'an 713. Pour bien sanctionner son autorité
sur l'ile, Sargon y fit édifier une stèle comméniorative de son triomphe
et cette stèle, aujourd'hui au musée de Berlin, est plus éloquente
que toutes pour redire l'énorme influence
les inscriptions officielles

exercée à cette époque par l'Assyrie (5 On y lit que sept rois du . ••

pays de la , eu Chypre, qui sont situés à une distance de sept jours au


milieu de la mer et dont 1 habitat est éloigné, eux qui avaient
échappé] à l'emprise du pays d'Assyrie, eux dont aucun des rois mes
pères, qui m'ont précédé, n'avait entendu le nom de leur pays, ils

apprirent ce que j'avais fait dans les pays du Kaldou du Hattou. ils
et
l'entendirent au loin, au milieu de la mer : leur cœur se déchira,
l'etiroi les atteignit; ils apportèrent en ma présence, dans Babylone.
de l'or, de l'argent, des meubles en bois à'usù et d' urkarinu. trésors

1) Annales, \. 37> ss.

(2) RB.. 1909, p. 34.


fSi Cf. WixcKLER, Die Keilscltriftte.i te saryonx, I, p. xl. Le fauteur de troubles à As-
doud, dont nous avons parlé plus haut, s'appelait la-ma-ni ou la-at-na.
'A WlNCKLER, op. luud.. I, p. \h.
5 Celte stèle est publiée de nouveau dans les Vorderasiatische Schriftdenhmaler du
388 REVUE BIBLIQUE.

de leur pays, et ils baisèrent mes pieds. Alors je fis faire une stèle

sur laquelle j'écrivis les hauts faits des grands dieux, mes seigneurs,
j'y fis dessiner ma royale image pour ma vie et je Térigeai en leur
présence. J'y fis écrire [le nom des peuples] que, de l'Orient à l'Occi-
dent, grâce à la protection des dieux Asour, Nabou et Mardouk, mes
dieux protecteurs, j'avais soumis au joug de ma domination (1). »

Les dieux de Babylone et de Ninive sont représentés au sommet de


la stèle par leurs symboles. On y reconnaît le disque ailé du soleil,
le croissant bouclé de la lune, la planète Vénus, la couronne à cornes

du dieu du ciel, Anou, la lance de Mardouk, le foudre d'Adad, les


sept cercles qui représentent « la totalité » des êtres divins. Le poly-
théisme astral des Babyloniens était ainsi colporté par tout l'Orient
civilisé. Pas plus que Samarie n'avait échappé à cette intrusion des
dieux d'Assyrie, les autres peuples ne pouvaient s'y soustraire. Seul,
le petit noyau de Juda sauvegardait un asile pour le culte du Dieu
unique, lahvé.
L'an 708 fut consacré à une expédition en Commagène [Ku-muh'
ha), où régnait un roi du nom de Muttallu, peut-être identique au
fils de l'ancien roi de Gourguum, Tar-hu-la-ra (2). Il refusa de
payer le tribut. Mal lui en prit. Le pays fut pillé et on y déporta les
récents vaincus de PAt-Iakin. Ainsi les Araméens se rapprochaient de
leurs frères de la Syrie du Nord. Pour prévenir toute tentative de
soulèvement, Sargon transforma la Commagène en pays d'empire.
Le général qui avait mené la campagne fut nommé gouverneur.
Toute une armée, composée de 150 chars de guerre, 1.500 chevaux,
20.000 archers et 10.000 porteurs de boucliers, fut mise à sa dis-
position. La Commagène devenait un centre d'opérations militaires
qui tenait en respect la partie orientale de l'Asie iMineure, la côte
Ln même temps, une expédition au
cilicienne et toute la haute Syrie.
pays d'Ellipi, sur la IVontière du Louristan actuel (3), permit à
Ispabâra, le protégé de Sargon, de triompher de son frère Nibé qui,
grâce à l'appui de l'Élam, s'était assis sur le trône.
L'année suivante (TOT) Sargon une tournée triomphale dans la
fit

Chaldée du sud et rendit aux localités du « pays de la Mer les dieux >

que les récents événements avaient exilés. Il put ensuite inaugurer

musée de Berlin, I, p. 65 ss. Les ligures qui y sont sculptées sont reproduites dans le Beihefl
de ce premier fascicule.
(1) Stèle du Musée de Berlin, dans Vorderaa. Schrifldrnlnniiler. I. p. 70, 1. 28 ss.

(WmcKLER, Die h'eiUchrif(texte Sarijons, 1, p. 180 ss.). Restitutions d'après les textes
parallèles et les expressions stéréotypées.

(2) Cf. su p.
(3) Streck, ZA., XV (1900J, p. 381.
LES PAYS BIBLIQl ES ET L'ASSYRIE. 389

sa masnifique résidence de Dûr-Sarru-ukîu « Forteresse de Sargon »

que les fouilles françaises de Khorsabad ont remise au jour 1). En


Van 706, on fit encore une campagne au pays de Tabal. Bientôt
après, avant le mois d'Ab de l'année 705, Sargon mourait de mort
violente et ne pouvait même pas être enterrr « dans sa demeure »,
c'est-à-dire dans son propre tombeau 2i. Le bruit de cette mort se
répandit à travers la Palestine et inspira au prophète Isaïe l'un de
ses plus beaux poèmes (chap. xiV', la satire contre le roi de Baby-
lone (xiv, \ ss.). Qu'on nous permette de citer les strophes les plus
caractéristiques (3) :

Est-ce là celui qui taisait trembler la terre,

et qui ébranlait les empires:


Oui changeait le monde eu désert,
dévastait les cités,
ne relâchait pas ses captifs?

Tous les rois des nations,


tous reposent avec honneur.
chacun dans sa demeure 4) ;

Et toi, tu es jeté loin de ton sépulcre.


comme un vil rameau !

Les constructions de Dùr-Sarru-uLin. pour lesquelles on avait


utilisé « les cèdres de FAmanus » et aussi, sans doute, ceux du Liban,
avaient ébloui le monde oriental.
Isaïe en tire parti, dans son poème :

Les cyprès mêmes se réjouissent de ta chute,


avec les cèdres du Liban :

Depuis que tu es sans mouvement,


nul ne monte plus pour nous abattre.

C'est encore le souvenir de Sargon et de son intervention en Phi-


listie (intervention qui sera continuée par son fils Sennachérib), qui
remplit les vv. '29-32 du même chapitre '5).

,1) Sur les conàtruclior.s de Sargon dans cette ville, cf. rélu<lc dtHaillée de MASPtr.o,
Histoire ancienne..., Ili, p. 260 ss.

(2) Comparer le texte du canon des éponynies, C* iDelitzsch, Die babylonische Cliro-
nik, p. 39; "^ i>"ckler, Textluch, p. 78) avec le texte K. 4730 de V»incki.ek, AUorienla-
lische Forschunrjen, I. p. 411 ss.
'3) Traduction du P. Condamin. Il va sans dire que rancienne complainte sur la mort de

Sargon a pu être recueillie dans un morceau plus récent.


(4) Nous soulignons. Le texte de K. i730 déclare que Sargon ina bitisu là qibru « n'est
pas enterré dans sa demeure ».
(5) Il faut alors retrancher la date du v. 28. D'aucuns ont interprété le texte de la mort
deXéglalli-phalasar III.
390 REVUE BIBLIQUE.

Ainsi disparaissait sous les sarcasmes de ses adversaires l'usurpa-


teur heureux qui avait mené si loin les destinées nouvelles de la
Mésopotamie. Son rêve avait été de faire du monde oriental une
immense province assyrienne, un organisme homogène dont le mou-
vement serait réglé par les volontés du roi de Ninive et de Babylone.
Jamais la race assyrienne ne se répandit à travers les contrées au
delà de l'Euphrate et du Tigre comme à cette époque de colonisation
à outrance. Jamais les nationalités secondaires ne risquèrent tant de
s'anéantir, épuisées par les déportations d'une extrémité à l'autre de
l'empire et par les massacres qui soulignaient le passage des armées
conquérantes. Mais les tribus sémitiques d'Âram et de Canaan, les
groupes hittites de l'Asie Mineure, les nations mélangées des bords
de la mer Noire, du lac de Van et de la mer d'Ourmiah, avaient trop
de vitalité pour se laisser totalement absorber par l'envahisseur
assyrien. Ses successeurs continueront de lutter pour maintenir un
peu de cohésion dans cet empire colossal et le porter à l'apogée de sa
puissance. Pour très peu de temps, d'ailleurs, car moins d'un siècle
après la mort de Sargon, Ninive tombera pour ne plus se relever.

{A suivre.)
Fr. P. DuoRME.
.^ér^^^

I. — Tomlicau ilu vMiciKIi tiMiiiiàm.

3. — Qtilir Ze'i'ilar cl les enceintes en pierres sèches.


MÉLANGES

COUTUMES DES ARABES


OUELQUES MANIFESTATIONS DU SENTIMENT RKLIGIELX AU DÉSERT DE JUDA.

Aboii Neseir, Fancètre éponyme de la tribu du même nom campée


entre Jéricho et el-'Awgâ, était allé en pèlerinage à La Mecque avec
son compagnon Abou Meta. Il arriva que sa chamelle, épuisée par
la longueur du voyage, succomba en plein désert. Très embarrassé
pour continuer sa route. Abou Neseir se tourna vers Allah et lui dit :

« C'est pour toi que je suis venu ici, et tu veux me faire mourir de

faim et de soif dans cette solitude! Sauve-moi. » Apercevant à


quelque distance un énorme bloc de rocher qui lui parut avoir

Fig. ^. — llagar Dabkùn , vue du Nord-Ouest.

quelque apparence de chameau, il eut l'idée, de par Allah, d'y


monter et il invita Abou Meta à prendre place derrière lui comme
rédif. D'un coup de son bâton recourbé {mihgan) il frappa sa nou-
392 REVUE BIBLIQUE.

velle monture et lui dit : « Marche, ù bénie! » A cette sommation,


la pierre vola quelque temps dans les airs, très lentement: puis elle
tomba et s'enfonça dans le sable. Alors Abou Meta, l'ancêtre des Da-

wâra, descendit an chameau et vint prendre place devant Abou Neseir.


A son tour, il frappa la pierre avec son bâton et lui dit - Marche, ô :

bénie d)! » Cette fois la monture s'enleva rapidement dans les airs

et vola jusqu'à Qurùn al-Haear, à Là elle l'occident de la mer Morte.


s'arrêta. On la voit aujourd'hui fichée en terre,
au sud de l'ouàdy
'Aliyah, sur une petite esplanade environnée de hauteurs dénudées
(fig-. 1 et 2). Elle est connue chez les Arabes sous le nom de pierre
Dabkân ou ^^.^ j^^ i2). Elle s'allonge du sud-ouest au nord-est.
Elle a une vingtaine de mètres de long sur trois à quatre de haut.
La partie qui représentait la fête du chameau est détachée du tronc,
car elle s'est brisée en tombant du ciel. Sur le sommet de la roche,
les Arabes ont déposé maintenant deux pierres arrondies semblables
à celles qui se trouvent sur les tombes des santons. « C'est pour
figurer le wély », nous disent les nomades Gahàlln, qui reconnais-
sent que le voyage aérien de ce bloc énorme est un merveilleux
prodige, mais Allah l'a voulu ainsi ». Son bon plaisir ne s'est
'<

pas arrêté en si bon chemin il a élevé ce bloc à la dignité de wély


:

— d'autres disent de wéliyeh, au féminin (3). Grâce à cet honneur


divin, le bloc de calcaire est devenu l'objet d'un culte suivi. Sur
la paroi N.-E. du rocher (fig. 2 les arabes Ta'àmreh, Gahàlin et
,

Rasàideh, sans compter les Abou Neseir, ont laissé les marques indu-
bitables de leur dévotion. J'y ai vu tous les différents objets que la
piété bédouine dépose auprès des wélys célèbres, en témoignage
de respect et comme preuve des visites faites. Ces dons sont fort mo-
destes, et ici l'intention du donateur doit seule être prise en consi-
dération. On y aperçoit, dans un amoncellement sans ordre des cou- :

teaux, des bracelets de verre, des fers à cheval, un mors, des cornes
de gazelle, plusieurs chapelets musulmans, un grand nombre de
perles, beaucoup de morceaux de chitrons. des tas de petites pierres

(1) D'après une aulre (radilion, ccst Abou Neseir lui-même qui aurait conduit la pierre
jusque l'endroit où elle git aujourd hui. On peut voir dans ces deux récils la compétition
des deux clans à la primauté ou à la priorité.
(2) J'ai entendu également prononcer Dabhû, et Dabkal. La racine dabhaL en arabe, si-

gnifie « réunir les troupeaux )^. f.a pierre Dabkân est mentionnée dans le Surieij of west.
Palest., III, p. 388.

(3) Wély ou wéliyeh, la confusion est complète dans 1 esprit des Bédouins. Une tradition
très forte le considérerait plutôt comme wély. puisque à un quart d'heure de marche vers
l'ouest elle a conservé le sûg sur lequel l'amie du wchj, sdhibafi. faisait son pain. Un
jour le wély se fâcha contre son amie et, dans sa colère, la maudit. Aussitôt son sàg qui
était de fer se changea en une dalle de pierre creuse.
MELANGES. 303

polies.Tous ces ex-voto étaient accumulés pêle-mêle dans un creux


de roche où l'on constate les traces du beurre répandu et de
la

Thuile brûlée dans des lampes d'argile. Ces indices dénotent la fré-
quence des visites pieuses au liafjar dahkân. Le bédouin, en effet,
éprouve en maintes circonstances la nécessité de recourir à la pro-
tection de ce wély. Dans le cas d'une indisposition ou d'une ma-
ladie, ou simplement loisque les hasards d'une marche errante à
travers les collines l'amènent en ces parag-es, l'habitant du désert

l'ig;. -2. — fla^ar Daljkùn, vue de l'iCsl.

se croit obligé de témoig-ner son respect au wély, de lui demander


son assistance ou tout au moins de le prier de ne pas lui nuire. Mais
d'après Abdallah Déràwy, un tà'amry, le motif le plus fréquent qui
attire les nomades à Dabkân est celui de solliciter la protection du
wély pour le bétail. Lorsqu'un Arabe voit une épidémie menacer sou
troupeau de. moutons ou de chameaux, dans son impuissance à lutter
contre le fléau par des moyens naturels, il a recours à un pouvoir
préternaturel. Il conduit son troupeau auprès de hagar Dabkân et
lui en fait faire le tour, trois fois. La première brebis qui monte sur
la roche est considérée comme ayant été choisie par le wély lui-
même. Le berger la saisit, la traine contre le rocher, du côté N.-E.,
au-dessous de l'endroit où sont réunis les ex-voto, et la sacrifie,
pour tout le troupeau, en l'honneur de Dabkân. Le sang de la vic-
time est répandu sur la roche et la viande, cuite sur place, est
394 REVUE BIBLIQUE.

mangée par le berger et les Arabes présents, (c Si Allah le veut,

ajoute mon interlocuteur, le mal sera écarté du troupeau qui désor-


mais ne manquera pas de prospérer. » Pour son compte, Abdallah
a fait deux sacrifices de cette espèce en l'espace de trois ans. pour
écarter la maladie qui portait le ravage parmi ses brebis, et aussitôt
après le sacrifice, il a constaté une amélioration dans son bétail (1).
Un peuple pasteur a besoin de protection pour ses troupeaux. Et
c'est le sentiment de cette nécessité qui amène les nomades auprès
d'un autre sanctuaire, le tombeau du cheikh Gannâm. Ce saint vint

de La Mecque monté sur sa chamelle. Arrivé sur les premières pentes


du gebel Muttala', à l'est de la ruine appelée Guhdum, il sentit sa
monture s'affaisser sous lui; il tomba et mourut en cet endroit même.
Comme il était un membre des Dawàra, uu clan des Abou Xeseir,
qui sont reconnus pour avoir des rapports intimes avec Allah, il fut
enseveli à la place même où il expira; son tombeau est devenu un
lieu de pèlerinage, un mazàr célèbre. Récemment les Ta amreh ont
amélioré la petite construction qui recouvre la tombe (pi.. n° 1) repré-
sentée par un cénotaphe couvert d'étoffes blanches et jaunes. Sur
le flanc nord de l'édicule, deux caveaux ont été creusés en terre :

un pour les hommes et l'autre pour les femmes. Les nomades dépo-
sent dans ces caveaux les défunts de la famille du cheikh, « les morts
illustres ». Le cadavre est enveloppé dans le kafan blanc avant d'être
descendu dans cette chambre sépulcrale. On ne le recouvre pas de
terre, mais on l'abandonne à la décomposition lente dans ce caveau
dont l'unique porte, à l'est, est fermée avec soin (2). Au bout de
quatre à cinq ans. le caveau peut être de nouveau ouvert, si l'on

veut y déposer un mort. Les ossements blanchis des premiers cada-


vres sont rassemblés dans ou prépare ainsi une place
un coin et

pour le défunt récent. « L'année dernière, me dit un bédouin, une


des épouses du cheikh est décédée on l'a descendue dans le caveau
;

qui est destiné aux femmes, non sans avoir auparavant lavé le
cadavre avec de l'eau chaude et du savon sur les dalles de pierre
disposées en avant du wély. » Tout auprès se trouvent d'autres
tombes. On me montre, un peu à droite, celle de Sâlem Soleimân
qui a été tué l'année dernière dans un champ de blé près de Màdabâ.
Ses parents, campés auMuttala', n'ont pas craint de faire deux jours
de marche pour aller chercher le cadavre et le rapporter sur un

(1) La vénération pour Hagar Dabkân est attestée par les petits rtigum, ou tas de
pierres élevés à quelques centaines de mètres à l'ouest, par les bergers et les bédouins de
passage.
(2) On aperçoit sur la photographie les pierres amoncelées devant celte porte, à côté
d'un personnage assis.
MÉLANGES. 395

chameau pour l'ensevelir auprès du cheikh Gannàiii. qu'ils ont en


grande vénération.
Cet endroit, en effet, n'est pas seulement le cimetière {ma(jann€h)
de la tribu; il est aussi un lieu de pèlerinage. C'est au mois d'avril,
au mois de hamis suivant le comput des nomades, que les Arabes
se réunissent auprès du cheikh Gannàm. Accomplir un vœu, de-
mander une faveur, implorer rintercession du saint tels sont les
:

motifs qui poussent les indigènes à faire ce hatig. En chacune de


ces circonstances, on immole une victime en l'honneur de Gan-
nàm.
D'après un usage ancien, c'est auprès de ce wély qu'a lieu lacircon-
cision des enfant?. Lorsqu'ils ont atteint l'âge de deux ou trois ans, on
les conduit au mazàr. Les assistants organisent une sorte de procession

autour du tombeau. Les enfants qu'on doit circoncire, montés sur des
juments ou portés par leurs parents, forment le centre de cette
marche solennelle qui se déroule lentement au son du tambourin,
parmi les acclamations joyeuses de la foule; les femmes, s'avançant
en groupes isolés, font entendre leurs cris stridents que répètent les
échos des vallées voisines. Lorsque cette procession a fait trois fois
le tour du tombeau du cheikh Gannàm, les enfants sont amenés der-

rière la petite construction. Un expert, mandé de Jérusalem, accom-


plit le rite do la circoncision.

Il serait fort étrange que le cheikh Gannàm — le berger — ne fût


pas invoqué pour la conservation des troupeaux. Les pratiques usi-
tées auprès de la pierre Dabkàn pour écarter le fléau qui menace le
bétail, sont ici fréquentes : conduite du troupeau autour du mazàr;
désignation, pour rimmolatiou, de la brebis qui entre dans le tom-
beau, car c'est elle qui est choisie et réclamée par le wély. Aussitôt
cette victime est saisie; devant la porte, on lui coupe les deux oreilles
qui sont immédiatement déposées sur la tombe : « C'est la part du

wély ». dit le propriétaire. Le sang qui s'échappe de la blessure est


recueilli dans un vase par un des assistants qui le verse tout chaud sur
le cénotaphe. Ensuite, la brebis est tirée un peu par côté, à droite de

la construction; elle est étendue sur une pierre plate ou sur le sol, la
tête dirigée vers La Mecque. Le propriétaire lui coupe le cou et dit en
s'adressant au wély : « Aie pour légitime ton sacrifice; Allah est

grand! Ceci est ta paye et ta récompense, ô cheikh Gannàm. » La


victime est ensuite préparée et mangée sur place, et le mal est écarté
du troupeau.
Les Ta àmreli ont d'autres manières de témoigner leur vénération
pour ce wély. J'ai vu une bédouine qui en revenant du marché, à
396 REVUE BIBLIQUE.

Jérusalem, s'arrêta auprès du tombeau, déposa son faix sur une pierre
pour adresser une prière au wély. Elle prit ensuite entre ses mains un
morceau d'étofl'e neuve et la fit glisser lentement sur le cénotaphe.
« Que signifie cette action? » lui demandai-je. Elle me répondit :

« Avec cette étoffe, je veux confectionner un habit pour mon fils mais ;

auparavant, j'ai voulu la déposer .sur le toudjcau du cheikh afin de


lui communiquer sa vertu; ce sera bon pour mon fils. »

Le cheikh Gannàm garde avec un soin jaloux les objets qui lui sont
confiés : pour l'eau, jarres. Malheur au témé-
tentes, piquets, outres
raire qui oserait étendre la main pour s'emparer de ce dépôt! Par la
vertu du wély irrité contre lui, il serait aussitôt frappé de cécité. Les
animaux eux-mêmes ne violent pas impunément ce sanctuaire! Ln
Arabe nommé Meidàn me rapporta qu'un chacal pénétra dans le mazâr
et saisit avec les dents TétoÔe qui recouvre le cénotaphe ;
il fut aussi-

tôt frappé de mort. « Le fait est certain, ajouta Meidàn; c'est moi-
même qui ai trouvé l'animal étendu tout raide auprès du tombeau et
qui l'ai enlevé par respect pour le wély. «
Surla photographie, on remarque quelques pierres dressées auprès
du tombeau; parmi elles, se trouve, en face de la porte, un chapiteau
apporté du kh. Guhdum. Ces pierres paraissent former une enceinte
autour du mazâr. Une enceinte analogue est visible près de la pierre
Dabkàn, devant l'endroit de la roche plus spécialement honoré. Serait-
ce une sorte de limite sacrée destinée à déterminer la partie du ter-
rain qui est directement sous la protection du wély? Cette interpré-
tation parait assez probable, bien que dans l'esprit des nomades il
ne semble pas nécessaire que le sol. pour être sacré, soit immédiate-

ment contigu au sanctuaire. Il suftit qu'il soit en vue du mazàr et

qu'il possède quelque marque particulière de consécration au wély.


C'est du moins l'impression qu'on éprouve en visitant le sanctuaire
de Ze'eitar situé à trois quarts d'heure vers le sud.
Ze'eitar est un des ancêtres des Dawâra. Il mourut en cet endroit,
sur le bord septentrional de l'ouàdy Ta';\mreh. Suivant l'usage du
temps, il fut enseveli au lieu même où il expira. Son tombeau (fig. 3;
devint l'objet d'un culte. Sur la photographie, prise du sud, on peut
distinguer un creux, situé presque en haut de la tombe, destiné à
recevoir les parfums que les Arabes font brûler en son honneur elles
lampes à huile qu'ils y allument. Ony remarque aussi différents objets
laissés en ex-voto à la suite d'une visite pieuse. Moins connu que le
cheikh Gannàm, il jouit cependant d'une bonne renommée locale et
on l'invoque, m'a-t-on dit, pour la conservation de la santé des en-
fants. Mais ce n'est pas là son titre principal de gloire aux yeux des
MÉLANGES. 397

nomades qui le considèrent spécialement comme un grand protecteur


de leur petit avoir.
On aux environs, et lorsque la moisson
cultive le froment et l'oi'gv
est terminée que le blé a été battu et vanné sur une aire voisine,
et

les pauvres Ta'àmreh emportent facilement le grain sous leurs tentes

ou dans leurs greniers, mais la paille devient une richesse encom-


brante Et cependant, les habitants de cette région ont besoin de la
!

ramasser pour la nourriture de leurs ânes et de leurs chameaux.


Pour la dérober au pillage et la mettre en sécurité, ils ont trouvé le

moyen très commode de la contîer à la garde de Ze eitar. Et à cet

Fis. 3. — Le tombeau de Ze'eitai'.

etfet, ils ont construit, aux environs du tombeau, de nombreuses pe-


tites enceintes en pierres sèches, dans lesquelles ils déposent leur
paille pi., n" 2). Sur la photographie, on aperçoit plusieurs de ces
enceintes, toutes destinées à cet usage.
A du tombeau blanchi à la chaux par la piété bédonine, se re-
droite
marque une autre tombe surmontée de morceaux de bois et parée de
quelquespiècesd'étotfe. .le croyais quec'était la sépulture d'nn bédouin
enterré ici par dévotion poiu- Ze eitar. Je demandais son nom « Nous :

n'enterrons pas nos défunts ici, reprirent deux Ta àmreh ce monu- ;


398 REVUE BIBLIQUE.

ment que tu nous montres est le résultat d'une erreur. Les Arabes l'ont
élevé aune époque où le véritable tombeau de Ze'eitar était en ruines,
alors qu'ils avaient perdu le souvenir de l'endroit précis de sa sépul-
ture. Mais le saint apparut une nuit à un bédouin et lui dit : Le lieu
de mon repos, le voici ; et il lui indiqua la place où se dresse le tom-
beau actuel, qui, d'après cette révélation, a été restauré avec soin; le
premier a été laissé comme témoignage de la bonne volonté des Ara-
bes, » Cette bistoire montre le prix attaché par ces bédouins à la con-
naissance de l'emplacement exact du tombeau elle manifeste aussi ;

le sentiment religieux du nomade et sa docilité scrupuleuse à se con-


former à toute indication qui lui paraît avoir son origine dans une
puissance préternaturelle.
Jérusalem.
Fr. A. Jaussex.

II

IN EPISODE DES DERNIERS JOURS DE NINIVE


NAHUM, II, 8)

On connaît et les difticuUés du texte de Xahum, ii, 8 i^nnS: ^ïro


nnS"n-, et les essais de solution qu'ont hasardés les commentateurs.
Considéré comme un verbe et lu avec la vocalisation massorétique,
le premier mot a été ramené à la racine 22:: l'Keil, Trochon), ou à

une racine 222: qui se retrouve dans l'arabe J^.^ (Gesenius). Avec
1,1première hypothèse, l'on traduit, Cen est /ai/, exclamation passa-
blement inutile en pareil contexte et bizarre dans son laconisme tout
à fait exceptionnel. Avec la seconde, on rattache le mot en litige
au vers, précédent, et, en supposant un développement analogue des
significations dans les deux verbes 221* et CD^Z (>?'-:• couler, fondre, se
fondre de peur), on parvient enfin à un sens satisfaisant /e[s gens :

du) palais chancellent et tremblent de peur. Avec l'une et l'autre


hypothèse enfin, il reste à chacun le soin d'entendre de son mieux les
deux parfaits asyndétiques qui tiennent compagnie au mot en litige.
De bonne heure on s'est engagé dans une autre voie, et, en ou-
vrant la phrase par un substantif, on en est arrivé aux solutions les
plus divergentes. Hitzig Le lézard (2i*n, Lé vit. xi, :>9j est découvert
:

et tiré en haut (!?;. —


Knabenbauer La splendeur '2ïn. nommascu-
:
MELANGES. 399

lin) e.s7 déïiucUe (verbe au féminin — ? nnS"n). Jadis Kimehi avait


pensé qu'en ce contexte il devait ètie question d'une reine, et estimait
que dans ce premier mot tronqué on pouvait lire nnïjn, terme qui
trouvait son explication , d'ailleurs bien nécessaire, dans Ps. xlv, 10
(Adstitit rei^//?» a dextris tuis). Sans se rallier à une explication aussi
rabbinisante ni oser prétendre pourtant que 2i*n fût un nom propre,
Wellhausen, après Ewald, s'arrêtait il n'y a pas si long-temps à cette
même conclusion : lirn désigne en quelque manière la reine d'As-
syrie. Du reste il fallait espérer que cette impuissance à la précision
ne serait pas indéliniment durable, et le dernier mot du critique était
un mot d'espoir : « Hier hilft vielleicht mit der Zeit die Assyrio-
logie(l) ».

C'est sur le terrain de l'assyriologie en effet qu'on a cherché bien-


tôt la clefdu mystère, et il faut avouer que les deux écrivains ([ui ont
plus récemment tourné leur attention de ce côté, ont pu proposer des
solutions ayant une certaine vraisemblance au point de vue critique
et satisfaisant l'esprit en quelque manière. Paul Ruben, dans \ Aca-
clemij du 7 mars 1896, laisse de côté le premier mot de la phrase qu'il
sera toujours loisible de rattacher à ce qui précède, suivant l'hypo-
thèse de Gesenius; puis il suppose dans ~n"i"n une mauvaise lecture
de n^n"n, transcription de l'assyrien etellitu, princesse, et traduit en
conséquence La princesse (de Ninive) a été ynise à nu ou déshonorée.
:

On rejoint dès lors le Targum qui témoigne dune lecture Nn^S'2


(? assyr. malkatu, princesse =
etellitu)^ et on obtient un sens en har-
monie avec le contexte. Pour séduisante que soit dès l'abord la leçon
de M. Ruben, elle semble pourtant prêter flanc à une ou deux cri-
tiques. Le pauvre terme 2ï~ est définitivement abandonné à son mal-
heureux sort; puis l'on reste à se demander de quelle princesse il
peut être question, car le mot etellitu ne désigne pas à proprement
parler la reine. D'ailleurs la description est infiniment naturelle et
d'un trait assez fin, qui montre dans une suite continue l'affolement
des gens du palais, la honte qui atteint la reine, et les gémissements
de ses suivantes effarouchées comme des colombes : la terreur serait
encore plus saisissante pourtant, si, par delà tout ce monde de harem,
elle atteignait les guerriers assyriens eux-mêmes et le roi qui ne
paraît ni dans ce contexte ni ailleurs (à moins toutefois qu'au vers,
(jon n'en fasse le sujet de l'incise énigmatique ''T'tn i-'î'', ce qui est
plus que douteux) (2).

(1) Vie Kleinen Prophe/en {SJiizze ti. Vorarb.. p. 158).

(2) CeUe solution de M. R. aurait vraiment pour elle quelques charmes, si l'on devait,
400 REVUE BIBLIQUE.

Dans son Commentaire sur Les pciits prophètes (p. 438), van Hoo-
nacker estime que l'énigmatique 2À*n voiJe moins la personnalité
d'une reine ninivite que celle de la grande déesse Istar, et il rappelle
fort à propos que Zib était un nom qui se donnait à son étoile, la pla-
nète Vénus du soir (cf. Jensen, Die Kosmologie der Babylonier, p. 101,
118, 133). Identifiant le nom de l'astre avec celui de la divinité (cf.

Amos, V, 26], Nahum pouvait donc dire : Zib (la déesse) est mise à de-
couvert (? dépouillée de ses ornements) et produite au grand jour
(hors de son sanctuaire). Le texte d'Amos auquel on nous renvoie
n'est pas absolument en ordre, mais du moins la série d'équations
qu'on nous propose (planète := divinité représentation de la divi- ^
nité) s'y entend d'elle-même Kiwan, de soi nom de planète, désigne
:

ici une idole, puisque le prophète en personne prend soin de nous

en avertir, dd^iSn, DDicSy. En Nahum, ii, 8, rien de pareil, et le con-


texte ne trahit pas d'indice qui fasse deviner la personnalité de cette
2Sn. De plus, l'identitication de [MUL] Zib avec Vénus, étoile du
soir, est-elle garantie? Dans le monde babylonien, on désignait l'astre
d'Istar sous le nom de Dil-bat : (MUL) Zib était le nom donné à la

constellation du Poisson (cf. Kugler, Slcnikunde..., I, p. 30), et ceci


ne nous avance en rien vers la solution du problème. Je n'insiste
pas sur la difficulté qu'éprouve M. van H. à bien entendre le mot
nnSi Ruben et d'autres commentateurs avant lui avaient éprouvé la
:

même gène en face de ce mot bref que le contexte n'interprète pas.


Avant d'essayer à notre tour quelque explication du passage obscur
de Nahum, nous croyons prudent d'interroger divers témoins du
texte. Les Septante ont lu cette incise, •/; j-ista^',; à-sy.aAuoôï; '/S<. x'j-r,

zvÉcaivEv. et la Vulgate traduit, Miles captivas abduclus est. Le mot


^ïn, considéré comme nom, correspond en conséquence à r, jr.bc:xai.q

et miles : le sens général des deux versions parait donc identique. Il

s'agit ici d'un groupe de soldats, grand'garde, poste militaire [\) :

le poste du palais (Sept. a étr drcoavrrt) et est emmené par les vain-
:

queurs. Le mot hébraïque original pouvait être dès lors iSfa (I Sam.
xiii, 23; XIV, 1, 4, G, 15), 2i'72 (Is. xxix, 3), nzsra (I Sam. xiv, 12), ou
^'ï: Sam. xin, 3; II Sam. viu,
(I 0, \\\ 1 Chron. \i, 16; xviii, 13).

V. Hoonacker suggère encore que le terme de rapprochement a pu

avec van Hoonacker enlendre des princes de JNinivc le inol D'^T'IN d*' <"'t^ verset. On
pourrait concevoir une certaine correspondance entre les princes, la princesse (? les prin-

cesses) et le personnel de service in'innCN) tout le palais est en désarroi.


:

(1) TirôoTaci; dans ce sens, I Sam. xiii, 23; xiv, 4 (2Ï/2, dans les deux endroits). Miles,
dans notre texte, peut s'entendre au sens collectif, les troupes (Rapprocher 2y itiiles de
l'assyr. M^y sa bu. soldat .
.MEL.\NGES. 401

être Niï,armée, et il est de fait que la Bible emploie parfois cette


dénomination générale dans le sens plus restreint de détachement mi-
litaire II Sam. III. 23: x, 7; Chron. xi\, 8 . De ces équivalents divers,
~ZT2 et N2y sont les seuls qui peuvent entrer en considération, étant
seuls noms féminins : en dernière analyse , eux-mêmes sont à écarter
définitivement, et de compagnie de soldats, car
il ne saurait s'agir ici

nous nous buterions à nouveau au suffixe féminin de "T.tzn et au


reste de la phrase qui demeurerait inexplicable. Le Targum pourtant
nous présente, lui aussi, une leçon Niy, mais elle n'est, sans doute,
que la traduction aramécnne de l'hébreu iï~. et tout le contexte ré-
vèle une interprétation plus ou moins hasardée qui se base sur le
sens de -ï en Num. vu, 3 et Is. lxvi, 20. r>pi:: n*"';! nzï xzri" Nri"'*^* :

/a reine est emmenée, et le palanquin qui la porte"» sort pour la cap-


tivité.

Peut-être dans ce témoignage si discordant des versions et du Tar-


iium, aura-t-on remarqué un point de rapprochement bien carac-
térisé : les vaincjueurs de Ninive ont emmené quelquun en captivité.
La lecture nn"?; des Massorètes est donc impossible, car """; n'a le sens

« emmener captif ». qu'aiLx formes Xiph,. Hiph. et Hoph. La personne


qu'emmènent les assiégeants est de plus une dame de qualité ou bien
une déesse, puisqu'il est fait mention de ses servantes. Sur ces données,
et sans sécarter du texte reçu, il me semble donc qu'on arrive très
facilement à une lecture ~l"r~ ~^'^'~- Celle que l'on appelle
'^'^"'i-

rr':z~ ne saurait être é^'idemment Xinive m, même (z*Er: r-yz. Nah.


i), qui n'a point peu vraisemblable que ce
de « servantes > ; il est
soit la reine assyrienne Targum), car le mot rr-jz aurait eu un dé-

terminatif cf. I Reg. xvii, 17 \ alors que le texte demeure imprécis.


Il s'agit donc de quelquun bien connu sous ce vocable seulement,

quelqu'un dont rcjz soit la désignation courante sinon le nom propre,


donc la déesse assyrienne Bêlit.
Bêlit est bien connue dans la littérature religieuse assyro-babylo-
uienne. Sur les derniers temps de l'empire, on l'identitiait avec Istar
ou bien l'on en faisait la parèdre du dieu national Asur : la distinc-
tion sur ce point parait avoir été plutôt fuyante Dans le temple 1 .

E-mas-mas qui lui était consacré à Xinive, Assurbanipal l'invoquait


sous le vocable de Bêlit et sous celui d'Istar (2). D'ailleure, et avant
qu'une confusion se fût glissée peut-être dans la mythologie assv-

(1) Cf. J\sTKow, Die Ueligion Babyloniens und Assyriens, I, 136 — Dhorme. Religion
ass. 'babylonienne 102.
(2 R\wL.. V, 10.
REVIE BIBLIQUE 1910. — N. S., T. VII. 26
402 REVUE BIBLIQUE.

rierme, Istar paraissait déjà comme la grande Dame du panthéon:


elle était la Bêlit du combat, et à l'heure de la détresse, c'était vers
elle que se tournait le roi; elle était la protectrice du roi et du peu-
ple (1). La force de la déesse avait fait en telle circonstance la victoire
des Assyriens; la misère de l'une devait coïncider avec la ruine des
autres : quel espoir resterait-il à l'Assyrie, si Istar, la déesse de la
guerre en personne, était vaincue dans la lutte? « On fit sortir Bêlit
pour la captivité » : l'auteur emploie le verbe nïi (comp. Targ-. npEi),
et c'est le terme même qu'usitaient les conquérants assyriens pour
désigner renlèvement du butin conquis à l'ennemi et de ses dieux
vaincus [usési, usesamma). La même rigueur qu'ils déployaient à l'é-

gard des captifs d'hier attend les vaincus d'aujourd'hui.


Et encore Bêlit ne s'en va point seule en captivité! La locution
n';~;*2 ~T-'2n a trouvé chez tous les commentateurs, à l'exception de
Happel, la même traduction, ses servantes poussent des gémisse-
ments : l'existence d'un verbe hébraïque ;-;, gémir (ici hap. legom.),
serait assurée, ou, du moins, rendue très probable par l'existence des
verbes arabe ^j et syriaque ^ou: Tassyrien connaît aussi un radical

ndqu, se lamenter, hurler (d'où tanùqâtu) (*2). Ily aurait lieu d'avouer
cependant que le verbe in:, pourchasser, si fréquent en hébreu, pré-
senterait ici le est. du reste, affirmé
sens le plus satisfaisant. Ce sens
par le grec aî nettement encore par l'ara-
$:jXai xj-r^z t-yovtc. et plus
méen, "j^^TNl pn-^ s.-rn'zxv Vraiment jusqu'à plus ample informé,
l'hébreu in;, soupirer, pourrait bien retourner dans les limbes. Eu
même temps que Bêlit, "par derrière elle (Targ.), les vainqueurs en-
traînent toute sa suite, ses servantes, prêtresses ou hiérodules du
temple de Ninive : celles qui avaient honoré au temps de sa gloire
Istar
participeront maintenant à sa détresse. Peuvent-elles faire autre chose
que pleurer et gémir? Avec le latin (minabantur gementes ut colum-
bae, murmurantes...) et l'araméen [y.^.^ Spi "i*2n:*2\ rétablir ici le
participe ni;n, soupirant (3). Toute cette théorie de femmes qu'acca-
blent ensemble la souffrance, les humiliations, l'anxiété, se lamentent
doucement comme des colombes l'image est non seulement biblique,
:

mais encore orientale. La littérature assyro-babylonienne mentionne


aussi les gémissements de la colombe (i), et la racine 0:20 d'où dérive

(1) Jastrow, I, '216. —


Dhoume, 87.
(2) Muss-Aknolt, Assyr. HWB., \>. 717.
(3) Dans le grec aussi, le mot ç8£YYÔjj.£va( suggère ce participe ri'ûn. L'omission de ce

terme dans TM. s'explique tout naturellement par la croyance à une dittograpbie dans la
scriplio continua fnli" miHj'Z).
(4,1 Cf. BiLLr.RBECK-JEREMiAà. Beitr. :. Assyr., III, 103.
MÉL\NGES. 403

le nom de l'oiseau sig-nifie être sombre, triste, se plaindre (ass. : sum-


malu, la plaintive := colombe^- ^\\.

Lintellieence de Xah. ii, 8 devient ainsi facile, et ce petit texte nous


révèle un épisode intéressant des derniers jours de Ninive. Oserais-je
ajouter que la restitution proposée , si elle modifie peu ou point la

teneur du texte biblique, lui donne cependant une rythmique d'une


grande régularité?

(2) yr.--: r-zr- V

Ansers.
Léon Grv

(0 Jager. DA. II. 287.


(2) Au lieu de riZlS iTM. ,
pluriel iousilé. Voir commentaires.
CHRONIQUE

LES FOUILLES ALLEMANDES A JERICHO.

Quand on visitait, vers la fin de mars 1909, les fouilles de la


Deutsche Orient-GesellscJia/t à Tell es-Soultài), on avait la joie d'y
expérimenter un accueil empreint de très aimable courtoisie et de par-
fait libéralisme de la part de MM. les professeurs Sellin et Watzinger.

On avait surtout la surprise d'une évocation, cette fois à peu près inié-
arale, de cité cananéo-israélite fameuse. Grâce à l'énergique effort de
deux mois et demi, avec une moyenne de 2.30 ouvriers, l'histoire de
Jéricho, brillamment esquissée par les campagnes antérieures, acqué-
rait désormais un relief saisissant.
Le dernier compte rendu provisoire (1 a été écrit en collaboration
1

par MM. Sellin, Watzinger et Nôldeke (2). On n'y trouvera point la


documentation détaillée nécessaire au contrôle des résultats, mais
l'état exact de l'exploration et une première justification d'ensemble

des conclusions historiques à en déduire.


Quand les travaux furent interrompus en 1908, il restait quelques
centaines de mètres à fouiller sur le côté oriental de la colline pour
avoir mis à jour le périmètre entier du rempart extérieur. Deux ou
trois arbres de rapport et les chétives plates-bandes d'un jardin au
nord-est de la source ont été d'insurmontal)les obstacles au prolonge-
ment continu de la tranchée parallèle au mur. Son existence et sa

ligne à peu près exacte à travers l'inviolable jardin ont été fournies
par la percée d'un canal d'irrigation etpar des sondages à l'orient
du bassin moderne (fia. 1, \i et xii): mais en avançant vers le sud

(1) Vorluu/ige Xac/irichlen iiher die Ausgrnbung in Jéricho im Friilijahr 1909. In-8
de 36 pp. avec 15 fig. el 2 plans. N" 41 fies Mittcil. cler Deiil. Orient-Ces.-, décembre 1909.
L'em|)iiinf d'un plan scliématiquo (i^. 1| el la publication de quelques photographies ont
été autorisés très obligeanimenl par M. le prof. Sellin, à qui j'en exprime mes meilleuns
remerciements. Cf. sur premiers travaux liB., 1909, pp. 270 ss.
les

'2j Le nouvel architecte adjoint à la mission, M. A. Noldeke, depuis longtemps rompu

aux relevés archéologiques dans le chantier allemand à Babylone, était secondé en outre par
M. l'ingénieur 0. Schultze.
Fig. i. - Reproduction autorisée par M. le professeur sellin. A et B, croquis personnels.
406 REVUE BIBLIQUE.

toute trace disparaissait, attestant une destruction systématique pour-


suivie du reste jusqu'à nos jours.
Vers la pointe sud-est de l'œuf, à l'endroit où le touche la route
d'Erihâ, une tour quadrangulaire en saillie prononcée fig-. 1, c) avait
fait conjecturer une porte dans cette enceinte qui n'offre la trace
d'aucune autre Par malheur ce quartier fut occupé à l'époque
(1).

byzantine et la suppression de la fortification cananéenne a été si


radicale que la plus attentive recherche a pu en relever tout au plus de
vagues indices, rien du dispositif de la porte, qui demeure cependant
très probable en ce point.
Le caractère déjà si puissant de l'antique place forte telle qu'on la
connaissait depuis le printemps dernier est rehaussé singulièrement
par la découverte du double rempart intérieur. Ces défenses complé-
mentaires déblayées sur le front nord du tertre avaient fait soup-
çonner une vaste acropole couvrant les mamelons septentrionaux (2).
L'acropole reste une hypothèse plausible, mais il est devenu certain
que le double mur qui l'aurait protégée au nord se développait sur le

circuit total de une marche à peu près strictement


la colline, suivant
parallèle au rempart extérieur, à 30 mètres de distance en moyenne.
Depuis le retour d'angle au nord-ouest ce second rempart a été mis
à nu sur le front occidental entier. Il épouse mollement au sud-ouest la
courbe du rempart extérieur et paraîtrait devoir se rattacher à celui-
ci au sud-est dans le voisinage de la porte présumée, si le boulever-

sement byzantin ne l'avait, lui aussi, ruiné jusqu'à la base une


vingtaine de mètres avant le point de jonction suggéré par l'axe des
deux murs. Le temps a manqué pour en dégager les parties sauves
sur le flanc oriental, où son existence est toutefois bien attestée et sa
ligne générale presque certaine (3), excepté à travers la grande brèche
à proximité de la source, peut-être aussi au point d'attache avec le
de l'angle nord-est. Sur un soubassement de moellons frus-
saillant
tes —
par un mortier d'argile et empilés en trois assises avec une
liés

hauteur de 0™,50 à 0",80 et une largeur de 4 mètres à la base —


s'élève la muraille de briques un peu moins large, décrite suffisam-
ment l'an dernier à propos de connue
la section alors (cf. fig. 2 et 3). Ce
que M., l'architecte Noldeke et M. le professeur Sellin accentuent dans
leur étude nouvelle, c'est l'unité de concept et d'exécution architec-
turale manifeste dans la double (4) ligne de fortification. Les nuances

(1) Cf. Josué, 2, 7 : on ferme la porte de la ville.

{•/) Cf. RB., 1909, p. 273 s.. d'après MDOG.. n" 39, p. 22 ss.

(.3) L'indication en hachures sur le plan (lîg. 1) n'est qu'une approximation.


(4) Il faudrait même dire la triple ligne, si la muraille intermédiaire, épaisse seulement de
CHROMOUE. 407

techniques, parfois assez saillantes, à relever sur de nombreux points,


s'expliquent d'elles-mêmes par la nécessité de réparations que maintes
causes devaient rendre inévitaljles clans une durée de plusieurs siè-
cles peut-ctrc. Il est tel endroit où l'on a par exemple la tentation de

croire à une brèche aveuglée en grande hâte sous la menace d'un


assaut. Le temps manquait pour laisser sécher ainsi qu'à l'ordinaire
les énormes carreaux d'argile et cette terre humide amoncelée a
constitué un conglomérat sans joints ni lits d'assises faciles à discerner.

L'angle N.-O. du rempart intérieur, vu du N.-E.: cf. fig. I.

Nulle part d'ailleurs, on s'en souvient, les briques cananéennes de


Jéricho ne sont appareillées en assises impeccables, ni ne révèlent
l'usage d'un module au moins approximatif 1). Une réparation aussi,
plutôt qu'une intention primordiale de bastion ou de contrefort,
explique probablement la protubérance arrondie à l'extérieur du

rempart au pied du mamelon nord-ouest (fig. i, b).

I'°,.j0 au maximutn, pouvait être considérée coinine autre ( hose qu'un parapet couvrant la
base du second rempart.
(1) M. ISôldeke signale des blocs d'argile qui ont jusqu'à 0"',54 de long sur une épaisseur

de 0" ,09-0", 10. M. Langenegger avait relevé l'an dernier dans une section de mur très ar-
chaïquedes carreaux encore beaucoup plusconsidérables de 0"',7O;<0"',40 avec des épaisseurs
(le U"',10-0"',iy {MDOC, 39. p. 26j. Ce vieux mur (lig. 1. aw') était demeuré lui-même énig-

niatique. Les travaux de cette année ont établi que c'est un débris de rempart primitif épais
de .5'°;60 et orienté un peu autrement que le rempart du xv'^ s. (MDOG.. 41, p. 12).
408 REVUE BIBLIQUE.

Pas une porte sur tout le circuit déblayé; il est donc vraisemblable,
ainsi que linipliquent les commodités de la défense et les indices
fournis par la toposTaphie et par les ruines, que l'entrée unique dans
la place forte était vers l'angle sud-est.
Deux tranchées transversales, à la pointe sud du tertre %. 1, xiii-

xin') et dans la moitié septentrionale (iii-nf), un réseau de sondages


isolés (Xiv-xxi), enfin les larges sections déblayéesau nord entre les
deux remparts et à Tintérieur du second mur xxii-xxiv), au contre
sur la colline de la source ont établi avec une constante uniformité la

Pliot Sarignac.
Fig. 3. — L'angle N.-O. du lemiiart intérieur, vu de rE. : cf. Dg. 1.

stratification archéologique, c'est-à-dire révolution de la vie : épi-


derme arabe, étages byzantin, judéo-hellénique, cananéen Israélite,

avec césure nette entre ces deux derniers; il faut ajouter maintenant
étage indigène et peut-être en reculer l'origine aux temps néolithi-
ques. Une des plus importantes constatations de la nouvelle campa-
gne est rimportance considérable des vestiges de culture antérieure
aux Cananéens à la base de la colline. Un forage vers le centre du
plateau, entre la coUine de la source et celle du nord-ouest (fig. 1, g),

atteignait la couche bien caractérisée de débris cananéens à une


très faible profondeur sous la surface. A la profondeur moyenne de
'1 mètres on dépassait les plus anciens vestiges cananéens et l'on
pénétrait dans un formidable amas de ruines plus archaïques. Deux
mètres plus bas toute poterie disparaissait pour ne laisser place qu'à
l'outillage de silex. A (3 mètres, le sondage interrompu à cause du
Mil
CHRONIQUE. 409

péril d'éboulement n'.ivait pas encore touché le roc, ni même atteint


le sol vierge on n'était pourtant plus, si je ne me trompe, «pi'à 7 à
;

8 mètres au-dessus du plan d'oau actuel de la source, soit 10 mètres


environ au-dessus du niveau général de la plaine.
Dans un mur de blocage lié à la boue, presque immédiatement
sous la couche cananéenne, trois blocs rectangulaires longs, relati-
vement minces, étaient dressés côte à côte (li. Il saute aux yeux que
leur situation primitive n'était pas au milieu de ces moellons entassés.
L'un deux surtout a été poli par frottement et présente sur sa face
maintenant verticale deux jolies cupides mises en communication
par un canal qui va se perdre ensuite au bord extérieur. Les cupules
sont d'une exécution fort soignée polies comme par un très long ,

usage et munies d'un petit rebord saillant qui fait involontairement


songer aux cupules des tables d'offrandes Cretoises. Mais avant de les
décrire plus complètement et de discuter leur nature [dolmen?], il
convient de laisser d'abord la parole aux explorateurs en leur sachant
gré d'avoir signalé tout de suite ce curieux document archéologique.
que des analogies céramiques fort jjrécises avec la VI''
Si l'on fait état

ville (2], par exemple, reportent vers 1500 avant notre ère la
de Troie
période florissante de la civilisation cananéenne à Jéricho, on accor-
dera volontiers sans doute à M. le prof. Sellin que le tertre a dû
être habité dès le début du m% sinon dès le iv" millénaire.
A cet élément nouveau et considérable dans l'histoire du Tell es-
Soulfân s'ajoutent d'autres informations précieuses, en particulier sur
le développement du Tell, sur l'aire assez différente des villes qui
s'y succédèrent, sur la physionomie que dut offrir chacune de ces

(1) Voir MDOG., 41, \>. 10 et lig. 4. qui met sous les yeux deux de ces pierres, en par-
ticulier celle à cupules. Un bloc moins régulier et plus épais, couclié en travers au premier
plan dans la photographie, montre une série de minuscules cavités parfaitement naturelles.
Souhaitons qu'elles ne donnent le change à aucun collectionneur trop empressé d'autels pri-
quelque milliaire romain
milifs, qui la mettra cote à côte avec l'autel néolithique découvert sur
ou sur un linteau de porlo byzantin tel cet encombrant linteau de Marmila, vénéré ré-
:

cemment à nouveau par M. le prof. R. Kittei.. Veber primitive Felsatàre in Patiistina.


dans Assyr. n. Arch. Studien llilpreclit (jewidmet 1909, p. 24i ss. avec toute sorte de , ,

plans et vues de ce caillou.


Cî\ Dans le compte rendu de I'J08 (MDOC, 39. j». 33), M. le prof. Watzinger semblait
dire la « ville VII ». Cette ville VII, depuis la classification (ixée par M. Doerpfeld {Troja
nnd llion, p. 31), est comprise entre looo et 700 comme dates extrêmes et sa céramique
{op. l.. pp. 296 ss.) ne semblait pas répondre très exactement aux séries qu'on visait à
.Jéricho. Je m'étais abstenu d'exprimer ce doute dans l'analyse du compte rendu, craignant
d'avoir mal saisi la pensée de M. Watzinger. Il n'y avait là en réalité qu'une coquille typo-

graphique et M. W., renvoyant cette année (MDO(J., 41, p. 25) à son étude antérieure,
classe bien cette même céramique à la période de « la ville VI de Troie », soit l.'iOO-lOOO
av. J.-C. Les séries gézérites fourniront aussi des comparaisons utiles, aboutissant à un'"
chronologie identique.
410 REVUE BIBLIQUE.

villes, cellesau moins qui nous intéressent le plus la Jéricho cana- :

néenne du xiif-xu'' s. et celle que restaurèrent les Israélites au ix"^ siè-


cle. Ce n'est plus en effet Fune ou l'autre maison seulement de la cité
israélitequ'on peut reconstituer avec les plus sûres garanties, mais
presque tout un quartier avec ses ruelles étroites et tortueuses, ses
impasses, ses maisons exiguës groupant des salles encore encombrées
de vases à provisions autour de la petite cour au sol d'argile battue
avec un banc de terre contre quelque paroi. M. Watzinger donne une
peinture bien expressive déjà du quartier Israélite qui dominait la
source et de celui qui s'accrochait à l'escarpement septentrional du
coteau, entre les deux remparts. Ce tableau, précisé par quelques
vues des ruines d'habitations (cf. fig. k et pi. Il), prendra tout son
relief quand on y joindra l'abondant et curieux mobilier retrouvé sou-
vent en place ou à peine bouleversé.
Sous les ruines juives de basse époque, à l'extrémité méridionale
du quartier de la source, ont été mis à jour les fondements d'un édi-

fice qui tranche à première vue par sa structure et ses proportions


sur les masures parasites dont il était obstrué. A travers les transfor-

mations profondes des ruines en cette partie de la ville, il faut se féli-


citer qu'au moins l'ensemble du plan de cet édifice demeure écrit
sur le sol (fig. 1, palais; cf. fig. 5 On distingue nettement deux sur-
.

faces rectangulaires parallèlement contiguës et délimitées par de larges


murs; une ceinture de pièces presque carrées les entoure au nord et
à l'ouest quelques amorces de murs suggèrent à l'est une extension
;

depuis longtemps ruinée; la façade était manifestement au sud, do-


minant à courte distance la porte de la ville et le chemin qui descen-
dait à la plaine. C'est, hélas! tout ce qui subsiste de l'édifice, et c'est
du moins assez pour en suggérer, grâce à de précieuses analogies,
une restauration schématique. Les architectes de la mission l'exécu-
teront certainement dans la publication ultérieure; déjà M. Wat-
zinger leur en a fourni le type le plus approché en comparant ce
monument à l'un des palais de Sendjirli. Il existe aussi çà et là des

analogies palestiniennes; aucune pourtant, publiée à ce jour, n'est


aussi précise que celle indiquée par le savant professeur avec d'au-
tant plus d'à-propos que l'époque des monuments comparés est plus

voisine, quoi qu'il en puisse être pour le quart d'heure des influences
artistiques prépondérantes en chaque milieu. Le nouveau palais de
Sendjirli a du être érigé dans la première moitié du vu" siècle av.
.l.-C, mais sur le plan syrien traditionnel, à peine modifié encore, du

Hillani ainsi que les Assyriens, depuis Sargon, désignaient ces palais
occidentaux dont la disposition et le caractère les avaient assez frap-
CHRONIQUE. 411

pés pour qu'ils les imitent chez eux. C'est donc le plan cl un palais
usuel en Syrie aux viii-ix' siècles que M. Watzinger rapproche si juste-
ment du palais de Jéricho. Palais est à coup sûr une expression bien
ambitieuse appliquée aux lamentables vestiges qu'on vient de voir;
elle s'offre pourtant avec spontanéité pour discerner ce groupe archi-
tectural important 18™ — X
25 en chiffres ronds des constructions —
sans apparence qui Fenvironnent. Or c'est précisément à cette même
date générale du ix" siècle que des indices archéolog-iques attentive-

ment recueillis suggèrent d'attribuer le palais en question. Comment

l-ig. 4. — Le quartier Israélite de la source, vu «le l'O. : cf. lig. i et pi. I. au centre.

dès lors ne pas avoir aussitôt en mémoire le restaurateur de Jéricho,


cet entreprenant Hiel qui refit de la vieille cité maudite une ville

murée? Simple conjecture, cela va de soi, mais fondée à tout le moins


sur un synchronisme solide, qu'on voudra bien ne pas estimer établi
pour l'hypothèse. La Jéricho nouvelle ne foisonnait évidemment pas
d'édifices aussi considérables et en eùt-il été autrement, la situa-
.

tion de celui-ci lui eût maintenu quand même la prédominance, un


titrepar conséquent à être lliabitation princière. Une heureuse re-
cherche ultérieure ne ferait-elle point découvrir dans les fondements
de quelque angle de lédifice les vestiges d'un sacrifice identique à
celui auquel il est fait allusion dans le récit biblique (1) à propos de
la restauration des remparts ?

(1) / Rois, 16, 34. On sait que la barbare pratique des sacrifices humains dans les fondalions
412 REVUE BIBLIQUE.

Ce rapide aperçu de la nouvelle campagne de fouilles à Jéricho


serait à compléter par Ténumération de découvertes de détail riches
et variées et le compte rendu préliminaire en signale déjà un certain
nombre. A défaut de documentation caractéristique, ce catalogue
archéologique n'éclairerait pas beaucoup l'intelligence des ruines.
Signalons seulement, à cause du problème historique et religieux
spécialement intéressant qui s'y rattache, que de nouvelles anses
d'amphores estampillées au chiffre divin -^ et in"! ont été recueillies,
comme toutes celles de l'an dernier, parmi les décombres d'époque
post-exil ienne, dans la zone septentrionale du Tell (1). Dans le nom-
bre il s'est trouvé deux estampilles profanes, lues nï'2 et -''tîv^ par

survécut 1res lard en Canaan (cf. Ccntaan..., p. 199, s.; RB.. 1908, p. 119). M. le prof.
H. Thiersch continue, il est vrai, à tenir rigueur à l'authenticité des exemples qui en ont été
produits (cf. Die neuer. Ausf/r. in Pal.: Arcli. Anzeiger, 1909, III. coi. 359 s., à propos de
Gazer); mais les cas choisis pour motiver son opposition ne sont pas les plus clairs. Il cite
en particulier ceux indiqués dans RB., 1908. p. 581 — d'après divers QS. — , insistant pour y
voir des attestations de cannibalisme cananéen et de dépècement rituel (
[j.a(7-/a),'.<T[jLÔ;), iden-
tique, par exemple, à ce que pratiquent certaines tribus sauvages. On ne saisi! pas l'analogie.
S'il y a eu repas sacré anthropophagique, pourquoi les convives prétendus sont-ils couchés

dans la même tombe que le débris de leur victime'? Quant au fragment de crâne adhérent à
un bol en terre cuite (cf. Canaan..., p. 273). il ne prouve probablement pas plus le canni-
balisme cananéen que les « crânes paléolithiques façonnés en coupes » dans les cavernes
françaises ne })rouvent le cannibalisme des populations quaternaires (voir la monographie de
MM. H. Hreuil et H. Oberinaier sur ce sujet dans L'AnlIiropolorjie, W, 1909, p. 523 ss.).
(1) M. Pilcher vient de rappeler que la même légende IHl se lit sur une monnaie « phéni-
cienne » de Gaza qu'il a commentée naguère [The Jewish 7-oj/al pottertj Stamps; Proceed.

Soc. Bibl. Arch., XX.XIl, 1910, p. 94; cf. ibid., XXX. 1908. p. i5 s. et pi. \, \ : A coin of
Gaza and the Vision of Etekiel. On se souvient que, sur cette monnaie, du milieu du
siècle environ. M. Ginsburg (Q^., 1881, p. 19) proposait de reconnaître le nom et l'effigie
IV'^

du roi Jéhu. M. k. Neubauer [Rev. des et. jiiiv., II. 1881, p. 290) n'avait pas eu de peine à
montrer que la pièce est de style grec, tout en maintenant l'hypothèse de quelque nom
mythologique pour un prince phénicien. Ce « prince phénicien est quelque Zeus fle/o/j//ore ;
mais il vaut probablement mieux ne pas mêler la légende phénicienne et 1 efligie hellénisante
de la monnaie de Gaza aux estampilles araméennes de Jéricho. Il est bien douteux aussi que
les estampilles 1"'' ne soient qu'une variété religieuse à peu près contemporaine des estam-
pilles militaires ['?] "î'^72'^, datées toulos du iv*' siècle environ, pendant les troubles de l'épo-
que perse (Pilcher, PSBA.. 1910. p. 148 s.). M. Lidzbarski [Eplicm. flir sem. Epifjr., III,
1909, p. 45) déclare que sur les estampilles de Jéricho le nom divin est « invraisemblable ».
L'unique preuve alléguée est qu'il faudrait lôi"^. Il serait enclin à Ihypothèse d'une « si-

gnilicatiou prophylactique — apotropuischc — » : le chiffre divin préserverait des mauvais


esprits le contenu des vases. A l'appui de l'interprétation comme nom divin, que M. le prof.
Sellia a liés bien proposée dès le premier moment (cf. RB.. 1909, p. 270). on peut rappeler
le procédé punique usuel d'estampiller des vases au chiffre divin. On en faisait déjà l'ob-
servation jadis dans le Corpus {CIS., I, p. 430, notes sur le n» 398). M. Ph. Berger vient de

la réitérer {Comptes rendus Acad. IBL.. 1909. p. 998) en étudiant un timbre céramique
de Carthage imprimé « sur une anse d'amphore dans un carré de 0'",025 de côté » et qui

portait la représentation SNiuboIique de la déesse Tanit accostée des initiales du « dieu Daal,
son parèdre » {op. l., p. lOOu). L'empreinte du nom divin sur des vases d'une destination
spéciale dans la Judée du iv-iir' s. avant notre ère n'aurait donc rien d'insolite.
CHRONIQUE. 413

iM. Lidzbarski sur le vu des originaux il). De périodes plus archaï-


ques et d'autres régions de la ville pro\'iennent des estampilles où
des représentations animées remplacent la légende hébréo-ara-
mcenne, (|uelc]ucs scarabées ou empreintes de scarabées moins indé-
chiffrables que précédemment (2), enfin trois exemplaires d'une
estampille offrant une épigraphe indéterminée sur des anses de très
grandes cruches (3). C'est à peu près tout le bilan épigraphique des

fouilles. Une fois de plus les philologues exclusivistes et les historiens


obstiués à ne lire que les écritures vont se répandre en doléances
sur l'insuccès des recherches si laborieusement pour.suivies. Et il est
bien vrai : pas une stèle grande ou petite n'est venue révéler en un
langage plus ou moins officiel et mensonger quelque événement de

la chronique locale; pas la moindre plaque commémorative ne dis-


tingue le palais de Hiel, ou la maison qui fut hospitalière aux espions
Israélites. Mais les laits archéologiques ont aussi leur langage; il est
même très vivement expressif quand on l'entend sur place. Je sou-
haiterais à tout le monde d'avoir pu s'arrêter un soir sur les collines
où s'adosse le Tell es-Soultàn après une après-midi de contact avec les
faits sous la conduite des savants et obligeants explorateurs. Tandis
ijuc le regard suit l'allongement de l'ombre des montagnes sur la
riante oasis et le déclin de la lumière sur la crête du haut-plateau
transjordanien, la pensée s'attarde sur chaque observation enregis-
trée dans les tranchées, elle les coordonne et en démêle la portée.
Et bientôt c'est comme une vision de la très longue histoire de Jéri-
cho. Sur monticule primitif, dominant de 10 mètres au plus la
le

plaine environnante (pi. voici se grouper les huttes d'une agglo-


1 ,

mération humaine attirée par le bénéfice de la splendide source,


aussi par la commodité et la sécurité du lieu. On ne sait guère que
son existence depuis une lointaine antiquité, dès avant le xxx' siècle

(1; Kpliem., 111, rJûS) . |). ii. On propose de voir en nï'2 une abréviaCion ilu nom île

ville benjaminite HÏ'Z", Jos.. 18, 2C.


(2) M. Sellin men lionne on parliculier (p. 27; le motif de la spirale qui a son importance
romme indication chronologique. On sait qu'en Egypte cette forme caractérise les scarabées
des Hj'ksos et des dynasties XllI-XVl par des nuances variées; cf. NEWBir.Rv, Scarab-
sluipcti Seuls, jiftssiin dans les planches et les numéros correspondants du catalogue. A
C.é/er, où les scarabées pullulent, la spirale semble revenir assez invariablement dans ce
i|ue M. Macalister désignait au début comme les strates III et IV, épotfues pré-israélite
(2000-1400) et Israélite archaïque vers 1000 av. J.-C; cf. QS., 1904, p. 13 et les classements
de scarabées QS.. 1904, p. 211 et pi. u; p. .310 etpl. iv; 1905. p. 20 et pl. in; p. 224 et pl.
VI: p. 327 etfig. 2; 190G. p. 188 et pl. i.

'3' Un seul exemplaire est publié (p. 27, fig. 13). Un leurre du petit fac-similé pliotogra-
phique fait qu'on a la tentalion de reconnaître des caractères nabatéens. M. le prof. Selbn
a eu l'obligeance de m'écrire c|ue telle avait été aussi sa |)remiére impression; il ajoutait des
obseï valions qui contraignent d abandonner cette voie.
414 REVUE BIBLIQUE.

probablement, aussi la simplicité rustique de cette existence où la


céramique la plus élémentaire fait encore défaut, où les métaux sont
inconnus, la pierre seule suffisant à tous les besoins. Est-ce à ce
premier stage de culture que doit être attribuée l'idole de pierre
« très primitive » découverte dans les premiers travaux en 1907 (1)?

On le croirait assez volontiers. Graduellement l'industrie évolue au


contact probable des milieux plus développés de la contrée occiden-
tale. On sait pétrir Fargile grasse du Ghôr en vases d'une utilisation

plus facile que les rudiments de vaisselle eu pierre.


A cette première phase succède l'ère sémitique dont nous ne pou-
vons exactement encore le début, mais qui modifie profondé-
chifi'rer

ment laphysionomie de la localité. Les nouveaux occupants cana-


néens sont en possession des métaux, du bronze à tout le moins; ils
savent modeler l'argile non seulement en briques pour les murailles
de leurs habitations, en vaisselle variée pour leur mobilier et les
usages domestiques, mais aussi en silhouettes animées et en idoles
féminines. Us s'adonnent à la culture les grandes jarres à grains,
:

à huile ou à vin plantées encore dans le sol des maisons échappées


à la ruine en témoignent avec évidence. Ils savent pourvoir à la sécu-
rité de leur ville et il s'est trouvé, dès le xx" siècle environ, un ingé-
nieur pour concevoir un très puissant rempart de briques et le

tracer sur la crête du coteau.


Il est douteux que la cité ainsi déve-

loppée se conquête égyptienne sous la XVIIP dy-


soit soustraite à la

nastie et rien ne peut mieux qu'un fait do izuerre expliquer la


transformation radicale à constater vers le xv"" siècle. La ville a telle-
ment souffert qu'on la reprend par la base. L'énorme rempart dé-
mantelé est arraché ou enfoui dans le remblai qui élargit la plate-
forme naturelle. Plutôt en effet que de réparer les ruines branlantes
des maisons, le parti a été adopté de tout raser et de précipiter les
décombres sur les tlancs du coteau. Tout à la base du nouvel escar-
pement on établit un nouveau et plus solide rempart, œuvre splen-
dide qui provoque aujourd'hui encore par les sections conservées
l'admiration raisonnée des hommes du métier; une autre enceinte
fortifiéecouronne l'esplanade surélevée, où se pressent maintenant
des habitations à peine plus confortables mais très denses, abritant
une population prospère et industrieuse. Dans l'outillage et la céra-
mique surtout on sent lintluence égyptienne quelques idoles, des ;

sépultures sous le sol des maisons semblent bien mettre les Cana-
néens de Jéricho à l'unisson moral de ce que nous connaissons d'au-

(1) Cf. RB.: 1908, p. 121: pièce encore inédite; site de trouvaille indéterminé.
CHRONIQUE. 41-5

très centres cananéens contemporains. Et si beaucoup de vicissitudes


sont à imaginer dans l'histoire de la ville au cours des siècles agités
qui suivent l'établissement de la suzeraineté égyptienne, on a cepen-
dant l'impression qu'à part les heures rares d'alertes qu'on pouvait
facilement défier derrière les beaux remparts, il faisait bon vivre ;"i

Jéricho et qu'on y vivait à l'aise. On y vivait apparemment aussi


avec une trop facile liberté et quand les émissaires de Josué veulent

s'introduire dans la place, ils ne paraissent éprouver aucun embarras


à y trouver une maison accueillante au premier passant venu (Josue,

Thot. S.ivijiiiac.

1-iy. b. — Les araseuieuls du - palais ;•. \U3 du s.-O.; cl. liy. 1.

II. 1 ss. I. On a toute la scène sous les yeux : l'émoi qui se produit
peu à peu lorsque, parmi les causeries du soir, on se communique
des rétlexions sur l'arrivée de ces étrangers, les allées et venues
chez le roi et chez Rahab. la cachette improvisée sur la terrasse, la

descente silencieuse par une corde accrochée à la fenêtre, — « car


la maison... était sur la muraille de la ville » (v. 15), — le facile refuge
dans la montagne toute voisine, tandis que l'astucieux mensonge de
la courtisane précipite les gens du roi dans la direction opposée, vers
les gués du Jourdain.
Maintenant tout Israël est en armes autour de la place dont les fiers
remparts semblent inexpugnables. Mais Dieu combat pour son peu-
ple il); déjà la muraille est découronnée, la population massacrée;

'\) Cf. Savicnac, RB., janvier 1910, pp. 36 ss. : La conquête de Jéricho.
4i6 REVUE BIBLIQUE.

la villeflambe après qu'on en a extrait les immenses richesses et


Josué maudit ce monceau de ruiues. Le silence et la mort semblent
avoir pris à tout jamais possession d'un site fait pour la vie et le
bonheur; c'est Gilgal qui demeurera longtemps le centre d'occupa-
tion israélite.
Le temps a passé. La conquête se poursuit laborieusement dans le
haut pays occidental et à l'entrée de l'oasis de Jéricho l'attraction est
toujours aussi séduisante. Le menu peuple échappé à la destruction,
ce j>euple indéracinable de sa terre, n'a pas tardé à reparaître; trop
humble et trop inoflensif pour inspirer la moindre défiance aux conqué-
rants, il est revenu chercher un abri parmi les décombres de son
opulente cité. Au flanc septentrional du coteau, où la ruine avait peut-

être été moins fondamentale, de nouvelles huttes s'élèvent sur les pans
de murs anciens; un peu d'activité renaît, comme un crépuscule de
civilisation cananéenne prolongé en pleine période de civilisation is-
raélite partout ailleurs. Quand la division est consommée entre le

rovaume du Nord de Juda, la situation privilégiée de Jéricho


et celui

ne tarde pas à provoquer une intelligente convoitise. L'épave do


population cananéenne ne pouvait qu'être facilement absorbée. Hiel
de Réthel choisit fort habilement Jéricho pour son fief, en restaure

les murs rend une nouvelle splendeur. Avec cette restauration


et lui

la ville entrait sous la mouvance du royaume d'Israël et, par le fait,


en contact plus direct qu'elle ne l'avait jamais encore été avec la
civilisation méditerranéenne. Chypre était alors un très important
fover artistique et son rayonnement devient sensible à Jéricho, dans
la céramique spécialement. Pendant trois siècles environ la prospérité
est grande dans la cité israélite sortie des cendres de la cité cana-
néenne. La captivité n'interrompt pas l'évolution régulière de la vie
quoique l'activité diminue, on dirait même qu'une région notable
de la ville méridionale n'est que peu ou point habitée à partir de
cette époque. La communauté juive post-exilienne est groupée sur-
tout aussi vers le nord-est; là du moins se retrouvent ses plus expli-
cites vestiges, notamment les anses estampillées au nom divin.
Ensuite c'est le déclin, aboutissant derechef à la mort dans la pé-
riode macchabée une. Cette fois c'est bien la mort sans résurrection,
car la reprise momentanée aux temps byzantins ne fut manifestement
que partielle,extrêmement néfaste par ailleurs aux vestiges des âges
précédents, bouleversés sans merci pour la construction de quelques
villas et l'installation probable de jardins, en attendant que les pierres
arrachées une à une aux murailles des villas aient été remployées à
quelques kilomètres au sud-est dans les gourbis d'Erîhâ et que des
CHRONIQUE. 417

tombes arabes s'empilent sur la lande où furent les jardins byzantins.


Jéricho a revécu un moment ailleurs dans cet intervalle. Un caprice
d'Hérode l'a créée de toutes pièces, brillante à quelque et fastueuse,
distance dans la plaine mais si radicale a été aussi
(cf. tig. 1, A) ;

la ruine de la jeune cité hérodienne, que ses traces sur le sol sont
presque plus effacées que celles de Jéricho cananéenne (1).
Est-il un document épigraphique capable de donner ainsi la sensa-

tion vive et émouvante de trente siècles d'histoire d'une ville fameuse?


Encore n'ai-je rappelé que les phases saillantes de cette histoire telle
que la racontent les débris grandioses ou mesquins en apparence
déjà mis à jour par les habiles travaux de la mission allemande à
Jéricho.

IN NOUVEAU CACHET ISRAKLITE.

Cornaline récemment entrée dans la collection de M. le baron d'Ustinow. Elle a


été acquise d'un Circassien qui prétendait l'avoir trouvée à 'Amman. Ellipsoïde
mesurant 1.5 mm. sur 11 mm. 8 suivant ses axes et une épaisseur maximum de
4 mm.; face inscrite plane, revers légèrement bombé,
perforation sur le petit axe. Deux lignes isolées par un
double trait et circonscrites par un trait simple plus
fin, selon une disposition fréquente dans les intailles et
sceaux hébraïques. Un très petit éclat, d'aspect déjà an-
cien, a emporté la première lettre (fig. 6 double gr.).

Fig. G.
a"!*2~; p "'N2";""'] A Nedabel fils de Gadmarôm.

Nedabel est le répondant le plus normal de n'2~:, / Chi',, m, 18.


La lecture du second nom ne va pas sans difficulté, par Je fait de la
similitude à peu près absolue entre - et i et d'imperceptibles
nuances graphiques entre les deux ^. La lecture préférée à diverses
combinaisons qu'il n'y a pas lieu de discuter ici peut se réclamer
d'analogies comme -iS*2T; et probablement mi; {i). Le caractère divin
Gad, attesté de même par la Bible (3), autorise assez l'attribution du
prédicat c"^*2, impliquant l'idée d'élévation ou de sublimité. C'est tou-

(1) C'est encore un fruit de la dernière campagne de M. Sellin d'avoir retrouvé quel-
ques vestiges intéressants de la ville hérodienne, le palais probablement, sur le tertre arti-
ficiel en bordure de la route carrossable presque à son débouché dans la plaine. Ce mon-
ticule, assez dédaigné depuis le sondage infructueux de M. \S arren et malgré la protestation
motivée de M. Bliss en 1894, réserve apparemment d'utiles surprises le jour où il sera «lé-
thodiquement fouillé; l'examen provisoire qu'en a fait la mission allemande autorise du moins
cette espérance (cf. MDOC, 41, i>p.
30 ss.).

[2) Intaille hébr. de Jérusalem dans de Vogué, Mél. d'arcli. or., p. 138, n' 40 et cachet
syrien publié par Cl.-G.a.>neal, Rec, III, 193 s.

(3 65, 11; cf. Lacraxge, Étud. relig. sém.-, p. 509; Zimuer.v, Die Keilinschr.
Is.,

und das AT.^, p. 479 s.; Cl.-Ganneau, Rec, III, 80 ss.


REVUE BIBLIQUE 1910. N. S., T. VU.— 27
418 REVUE BIBLIQUE.

jours une des x)remières qualités attribuées à la divinité et l'Hébreu


transjordanien —
un Gadite peut-être —
qui portait ce nom, u Gad est
élevé » ou « Gad est sublime ». évoquait une pensée analogue à celle
incluse dans les noms cong-énères "P"^*- ~*:2"i\ îiri"id\ nV2l (1), ou
dans le phén. n-^-'Z-ru' 2). L'écriture est de bonne forme archaïque
et pourrait indiquer le viii'-vii'' siècle.

VESTIGES HERODIEXS PRÈS l)K LA CITADELLE.

La construction d'une école, dans la mission anglaise installée à


l'orient de la citadelle, fit découvrir, au cours de l'été 1901, un beau
tronc^^onde muraille antique. Ce débris ne fut que brièvement signalé
alors, sur une obligeante indication de M. Hornstein, le distin°ué di-

recteur de l'établisse-
ment (3De récentes
.

trouvailles au même
lieu et surtout la com-
plaisance très sympa-
thique de M. Hornstein
m'ont fourni l'occasion
de fi.ïer sur un bout de
plan (ï) la position de ce
fragment fig. 7, abc).
i

Grâce aux indications


fort explicites de M.
Hornstein , cette situa-
tion demeurait relati-
vement facile à pré-
ciser, du moins pour
Fig. Le quartier oriental de la citadelle.
la section ab, stricte-

ment mur neuf et faiblement en sailKe à l'extérieur.


parallèle au
A l'occident du point a le mur ancien faisait un coude vers l'O.-
O.-X. Cet angle ne fut pas mesuré au moment de la fouille il a :

été tracé sur le point noté alors comme son axe exact l'angle S.-E. :

de la tour dite de David [b). Le mur atteint à une profondeur minime

(1) Les références bibliques seront facilement trouvées dans n'importe quel dictionnaire.
(2) Cf. L-VGR-^NGE, RB., 1902. p. 517 s.
(3) Cf. RB., 190L>. p. 109 s.

(4) Dressé avec le concours du P. Savignac.

(3) Phasael dans la désignation hérodienne. 11 va de soi qu'il peut y avoir là une erreur

de quelques degrés: mais sur une distance n'excédant pas 50 mètres l'observation pouvait
être assez exacte sans l'emploi d'aucun instrument de précision.
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I
CHRONIQUE. 410

se composait encore, par endroits, de plusieurs assises exactement


semblables, dit-on. pour les proportions et la taille, aux assises
archaïques de la tour de David. La tranchée de fondation n'ayant guère
que 1 mètre de largeur mettait seulement à jour le parement méri-
dional du vieux mur: sa largeur totale n'a été précisée nulle part,
mais à lui supposer une face septentrionale proportionnée, il devait
avoir environ 3 mètres. On s'est malhem^eusement contenté de bâtir
dessus, en sorte qu'on ignore aussi le niveau exact du rocher. Dans la
section ad du mur neuf on aurait atteint le roc à une profondeur
maximum de 10 mètres en chitire rond, en traversant plusieurs étages
de décombres. Le plus important de ces niveaux superposés est à
5 mètres environ sous la surface actuelle de la cour devant l'église.
A diverses reprises déjà on l'avait constaté; une construction nouvelle
de la mission anglaise l'a fait retrouver, l'été dernier, sur une ving-

taine de mètres de développement continu {ef}. Au lieu des décombres


très mêlés et des tronçons de mauvaise maçonnerie des couches su-
périeures, la tranchée coupait, à li ou 15 pieds de profondeur, des
arasements de solides murailles et atteignait bientôt une suite de
pavements en mosaïque élégante [ABC sur un même plan 1). Ces ,

mosaïques avaient malheureusement beaucoup souffert et le déblaie-


ment ne pouvait d'ailleurs avoir l'ampleur nécessaire pour éclairer
sur la surface totale et sur l'agencement des diverses pièces ainsi or-
nées. M. Hornstein a réussi à photographier en place les fragments les
mieux conservés [A et C;, et s'est efforcé de les enlever par sections
déposées aujourd'hui dans un petit musée attenant à l'école.
La difficulté est fameuse de dater les mosaïques par le seul examen
intrinsèque 2~ A considérer uniquement le panneau à décor géomé-
.

trique et floral (pi. III, i) , on songerait à un monument chrétien et d'au-


cuns seront tentés peut-être de relever en ce sens le motif très net de la

croix. On que ce motif


sait toutefois résulte de combinaisons acciden-
telles et se retrouve dans des mosaïques païennes par leur composition
et leur date (3;. L'encadrement de postes noires sur fond blanc, mais
isolées du liséré intérieur, a aussi beaucoup plus d'analogies avec les

il Une absence momentanée m'a empêché d'examiner la stratification et la nature des dé-
combres tandis que cette trancliée était ouverte.
(2/ Voy. Gaickler. Mxisivum opu'i dans le Diction, des antiq. gr. et rom., III. 2089 s.

(3) Aux exemples qu'on trouvera dans les figures publiées par M. Gauckler op. I.\ on peut
ajouter r. (j. le pavement de caldariinn du. Musée Alaoui {fatal, des Mas. d'Alg.), sup-
plém., IKOT, p. 27 et pi. xvm. 2. Les croisettes y reviennent avec fréquence dans les pan-
neaux qui séparent les médaillons à sujets mythologiques. Cf. ibid., n- 289, pi. \n: n" 292.
pi. XVI. 2 ; n' 299, pi. xvm, 2.
420 KEVUE BIBLIQUE.

encadrements des mosaïques hellénistiques de Délos tl) ou romaines


qu'avec ceux des mosaïques chrétiennes. Quant au
d'Italie et d'Afrique
joli fragment à représentations animées (pi. III, 2), s'il parait d'abord
comparable à certains pavements de chapelles funéraires à Jérusalem
et de basilique chrétienne à Mâdabâ, il s'en distingue néanmoins par
assez de nuances pour n'être pas nécessairement classé à la même
époque. Il serait chimérique de spéculer sur l'ensemble du sujet avec
l'unique panneau conservé. L'encadrement somptueux et d'un dessin
quelque peu original des médaillons n'a pas non plus de répondant
exact dans le cycle des mosaïques chrétiennes connues ici.
Sans être d'une recherche affectée, le mosaïquage est excellent et
l'harmonie parfaite des cinq couleurs employées noir, bleu, rouge, :

jaune et vert sur fond blanc. Le noir excepté, toutes ces couleurs com-
portent deux nuances bien tranchées et de cette gamme de tous le
mosaïste a tiré des effets d'un naturel charmant.
On a constaté au même niveau des traces de violent incendie. Deux
fûts de colonnes en granit gris diam. envir. 0'",50 —
et une base —
plus petite en calcaire, de ce profil attique assez spécial à la sculpture
romaine en Palestine aux premiers siècles, sont les plus remarquables
pièces d'architecture. En présence de ces débris et prenant en con-
sidération les indices ténus de la fouille, on a l'impression d'un monu-
ment pré-chrétien. On pourrait songer à quelque édifice romain
d'Aelia s'il ne s'agissait que des mosaïques et des fragments sculptés.
La section du grand mur en appareil à refends se trouve dans la
situation la plus indiquée pour entrer dans les lignes des remparts de
l'époque hérodienne : il y aura lieu quelque jour d'en essayer la dé-
monstration. De ce point de vue comment ne pas se rappeler la situa-
tion du palais d'Hérode précisément dans la région couverte en
partie aujourd'hui par les édifices de la mission anglaise? Il n'est
pas imprudent d'évoquer ce souvenir '-2', ainsi que l'a compris tout
de suite M. Hornstein. On ne sera que plus reconnaissant au distingué
directeur du soin qu'il a pris de sauver ces lambeaux artistiques inté-
ressants.

Jérusalem, mai 1910. .

IL Vincent, 0. P.

(1) Monum. Plot : XIV : Peinliir. mur. et inosaïq. de Délos, par M. Biilard, fig. 63 ss.,

pi. X ss.

(2) Cette mosaïque « hérodienne » aurait méine ici un répondant assez exact en certaine
mosaïque découverte naguère dans les ruines de Qasr Djàlowl. tour Pséphina.
RECENSIONS

Mission archéologique en Arabie ,mars-mai 1907 . — De Jérusalem auHedjaz.


Médâïn-Saleh, par les RR. PP. Jaussex et Savignag, professeurs à l'École bibli-
que de Saiat-EtieQue, Jérusalem Publications de la Société dca fo^nllfii archéo-
giques], Paris, E. Leroux. 1909. In-8>^ grande, x\ 1-507 p. con -Il tav. e 22S fi-
gure nel testo.

La missione areheologica i cul risultati sono esposti nel magnilico volume sopra
annuDziato. ha esplorato specialmente la regione di Hier o Madâin Sâlih. il grande
centre nabateo nell' Hegiaz, ma dà altresi notizie. ne poche ne senza iraportanza,
sopra altri luoghi da essa visitati. Ricorderô le riproduzioni di monumenti di Mà-
dabà, un più esatto studio dei monumenti megalitici di Mà'îa e nominatamente del
menhir di Mrèiiàt. ^
^.^^s^JuJ' >sr^^
'
^^^ quale anche gli Autori riconoscono una

délie « mas-:eboth » caratteristiche del culto cananeo; sono illustrati pure siaiili mo-
numenti di Mrèi^àt stesso. délia regione fra Ma>lùbiyva al sud e il monte .Nebo al
nord, le rovine di Umm
Suwayniyva ecc. completando quanto era stato detto nella
Provincia Arabia di Brùnnow e Domaszewski. Parecchie sono le notizie su Ma an
(Mu'àni: il testo di Ibn Ishàq su Farwa b. Mmr leggesi nella Sira di Ibn Ili-âm a
p. 9.58. È il solo luogo nel quale se ne parli, perché per errore, nell' indice délia
Sira, questo Farwa e confuse col Farwa b. 'Amr, ansàrî. ehe combatte a Badr. Del
resto le notizie degli autori arabi suUa conversione di Farwa e il suo supplizio,
derivano tutte dal passo citato di Ibn Ishàq; da esso le prende Ibn Athîr, II, 226.
mancandone Tabarî, e le riferisce ail' anno 10 Apr. 631 =
Marz. 632 e. v. anco — ;

Ibn Hisàm le fa seguire ai « wufùd » e quindi molto dopo la spedizione di Mu "ta.


E superflue notare che i biografi dei « Compagni » dipendono tutti, direttamente o
indirettaraente. da Ibn Ishâq, coma Ibn Abd al-Barr, Isti'àb. n" 2210. Ibn Athîr,
Jlsd al-G. IV. 178, Nawawi. Tahdltib, 501, Dhahabî, Tagrid, II, n^ôe (,da Ibn Manda
e Abu Nu'aym), Ibn Hai;ar, Uâha, n" 7014 ecc. ma nessuno ha alcun date cronolo-
gico; e quanto alla tradizione che farebbe capo a Zuhrî, in Ibn Hayar, si riferisce,
io credo, alla mula bianca donata a Maometto, cfr Tabarî. I, 1873. Ma non si puè

negare che. se le notizie che dà Ibn Ishàq sono esatte, quadrerebbero assai bene
al principio délia ceme suppongono gli Autori. piuttosto che
spedizione di Mu'ta.
air aune 10. La Hirbet al-hammâm sarebbe \Wx'j.x^'jw dell' editto impériale di Ber-
sabea; di Tabùk è data anco una piccola planta, e quanto gli autori arabi riferiscono
su queste località sarà certo rischiarato da tali notizie.

A questa che narra l'itinerario délia spedizione. segue la parte principale dell'
opéra, che in altrettanti capitoli. traita dell' epigrafia, dell' arte e délia etnografla.
>'el capitolo dedicato a quest' ultima p. 442) si narrano dapprima le lotte fra i Bani
Çahr e gli Arabi del Belqà. occasionate, come di consueto, dalla vendetta del san-
gue, che a ragione è stata detta l'unica legge dei Beduini; se non vi si facesse men-
zione dei colpi di fucile, parrebbe leggere qualche racconto di lotte fra tribu arabe
422 REVUE BIBLIQUE.

antiche. Copiose notizie sono date siigli abitanti di Ma'àa, sulla costituzione délia
famislia, nella quale Tautorità del padre è sconûnata. sugli usi agricoli e religiosi
ecc. >'elle parole arabe citate occorre appena qualche differenza, forse dialettale,

come ' Jjf' per ^' Jo^. y^S che sembra usato, come originariamente in persiano, per

cintura in générale e quale sinonimo di ..i;^. La parola « naqùli » (nuqùl , p. 468,

n. 1, non è pronuncia corrotta di JiJiJ. ma propriamente isJiJ. da iiïj.cheèap-


punto il danaro che si dà alla sposa. quando le si toglie il vélo, il cosi detto

jo^J' <^iiS 4^, ed occorre anche nelle 1001 Xotte. La « ijinn » Qarina pare
che abbia indole più spéciale che non altrove.
i monumenti sacri, no-
La parte archeologica riguarda, oltre il quadrante solare.
minatamente il Diwàn, ma iu parte assai maggiore i numéros! monumenti sepol-
craU. Perocchè è cosa verameute notevole che délia città stessa di Hiiir e di sue
rovine non rimanga la più piccola traccia. Sembrerebbe che essa fosse, innanzi
tulto, un centro commerciale e di culto, piuttosto che una vera città. Il nome stesso
di Higr (da ^sr=^, significato non estraneo alla rad. aramea) puô ben tradursi
« luogo sacro •>, una specie di ^',:;>., per gente che veniva da altri luoghi;

rlj cs-îs''' 1,^S7=^ del Corano s'interpréta appunto : ^j^"'


f^J^-
^^ colonia Minea

è nota, e parecchi dei sepolti in Hii;r erano Teimaniti, l'Hûr dell' iscr. CIS II

212 è ammesso nel sepolcro del fratello, se venga a morire quando sta in Hiur;
notevole è altresl la quantità di strateghi, eparchi. un chiliarca ecc. come aache
la menzione cosi fréquente del N*2^r; dei Salamii e Xabatei. Che la leggenda di
^àV\h abbia prima origine dall' essere stato invaso e saccheggiato dai Thamùd
la

questo luogo sacro di Higr? Del resto egli è certo che fin nei più antichi geografi
arabi, Hiûr non figura se non come una piccola borgata insignifîcante.
Gh Autori illustrano a lungo, dalpunto di vista archeologico. i monumenti di Hii-r,

ragionando délie varie specie di sepolcri colle fasce sovrastanti ail" architrave, mer-
late ovvero a gradini. Il fatto che questi monumenti hanno una data certa, permette
di tracciare con maggior sicurezza la storia dell' arte nabatea, e correggere in talune
parti le conclusioni del Domaszewski. Di una dramma di argento riportata da Ma-
dâin Sâlih si vale il Dussaud in un importante articolo pubblicato nel F/orilei/iam
De Vor/ùé.
Il seconde capitolo, e il più lungo. tratta délie iscrizioni. Per poco che si conosca
la storia dell' epigraûa nabatea, si sa quanto essa debba ail' esplorazioni del De
Vogué dapprima, e poi di Doughty, Huber e specialmente dell' Eutiug. A mio avviso,
i risultati epigraflci ottenuti dai PP. Jaussen e Savignac non sono in nulla inferiori,
per novità e importanza, a quelli ottenuti dai loro predeeessori, e segnano un grande
progresse negli studi nabatei. E questo dico non solo in riguardo di testi nuovi ed
inediti, ma anche per le correzioni di testi già noti, i quali ora soltanto prendono,
in gran parte, una forma definitiva, spesso non poco diversa da quella che avevano
nelle precedenti publicazioni, ed era, per dir cosi, consecrata nel Corpus. Nell' iscr.
CIS II 211 1. 2 (p. 159) è accertata la lettura i;T che dà buon senso; in luogo di
Waswal.i del Corpus, il nVi**" è ben letto AVesul.i: forse Wa-ùh, come aggettivo di
forma qalùl che è anco fem. o W'e?ô]i = Wi-àli ._ w^ (che pero in arabo è nome di

uomoj = i-sr^^:*, ciie dicesi appunto di ornamenti femminili. II ^n'C,* sarebbe


ugualmente dell' arameo occid. come dell' arabo, ma la lettura -~c sembra prefe-
RECENSIONS. 423

ribile. Il ^nia nell' iscr. GIS II 108 (p. 169) è ormai siciiro; non cos'i il suo signi-
ficato, noaostante quanto si afferma nel Floril. De Vogiu' p. 298, per qiiesta parola
e per "Cip (cfr., p. es., GIS II 209, 19 e Dalmaa,R'fra u. s. FehJmJigt. 52). L'iscr.
GIS II 20-3 (p. 1G2) è corretta in alcuni nomi e resa, quasi per iatero, compléta
nelle lacune che ha nel Corpus; la letlura Tadali o Tarali, alla 1. 9, pare assai plausi-
bile. Nella trascrizione del nome nT^av* è preferibile la forma 'Umayrat, trattandosi
di una donna, mentre nell' iscr. II 200, la trascrizione Amirat è iiiustissima, almeno
secondo l'arabo, trattandosi di un uomo. Anco l'iscr. II 210 (p. 14.5) ha avuto buone

correzioni; il pn"* délia lin. 6' sivede chiaramente sulla tavola dell' Euting: esso è
di puro aramaico occidentale e probabilraente nel senso di « non parente, non délia
t'araip;lia » corne il suo opposto 2''1p ha il senso di « parente, parente stretto ».

Nella Misnah, Sanhedr. III, 5 pn"ir: sta nel senso di « cessare di essere parente »

(cf. L. Strack Sanh.-Mckkotlt, 9, n. 19, Lipsia 1910). Dovrebbe quindi intendersi di


non seppellire nel detto sepolcro « alcuno non parente, ma '~^) solo eredi legittimi
e non i testamentari ». A proposito dell' iscr. GIS II 206, gli autori (p. 147) propen-

dono a vedere nel ni'' l'erede legittimo e nel pTSN' l'erede testamentario ma è ;

possibile l'inverso, analogamente al niusaico di Edessa edito dall' Euting nel Floril.
De Vor/ùé (p. 231), dove Balai dice che il sepolcro appartienne ..ly^vo . ^ , ^\r. ^\.
II n* corrisponderebbe al tTil testé menzionato; cosi al n" II 208 (p. 188y dove
si vuole escludere dal sepolcro. io credo, gli eredi testamentari, ed ammettere solo
i legittimi ricordati alla 1. 2; corne al n" II 21.5 (p. 195) dagli p~i*N sono distinti
quelli che producano un documento autentico che li ammetta alla sepoltura, sebben e
non eredi legittimi. Ntildeke ha notato il siriaco zâdhqâ = parente, e forse si po-
trebbe confrontare il n::~y del n° II 224, 8 (1).
?seir iscr. II 219 p. 148), corretta e decifrata in più punti incerti nel Corpus
Euting), alla linea 3 è confermata la lezione ^ 3"!"" ma, quanto al siriaco, è da dire
che \.L.^ per p^,.^ occorre nel lessico di Elia Xisiheno, perô il ms. vien corretto ^_^5.

(cf. Brockelmann s. v.). Del resto in questa iscrizione, corne altrove, lo « scrivere una
NZ.~;"'2 » mi pare che si debba intendere di un" obbligazione relativa (2) al sepolcro.

non che essa fosse scritta maierudmenlo sopm diesso: al n'^ II 204 (p. 188} un
simile atto di Donazione è iieJle mnnl deila moglie di Taymallâh; al n" II 223
p. 187) il NIEZ- IImIX 'Z'PZ^ non dovrebbe intendersi dello scrivere la locazioue

sid sepolcro. ma relativamente ad esso, cioè un contralto autentico-, il largo uso dei
quali risulta dalle stesse iscrizioni. Nel n" II 207, 6 (p. 1.5-5) aiT^z risponda allô
Atto autentico o ^ipr che era m'Ue moni délia persona iuteressata. Al n^' Il 206, 6
(p. 1791 dove la traduzione di Nr)ldeke mi par sempre preferibile, il senso corre
piano « chiunque scriva un atto di vendita, di pignoramento ecc. relativo al sepol-
cro, e che lo vincoli » : e del pari nel n° II 210 (p. 145). Chiaro poi è questo proce-
dimento e risulta anche dalla traduzione del Corpus nel n"^^' II 209 (p. 199) « a nes-
suno è lecito scrivere un contralto di donazione o altro a favore di chicchessia,

;i Nota Nohlelic Euting, p. '•^') che, in arabo. in luogo délia radii'e ïJ-^o sarebbe piii pro-

pria la radice cj.;^^. Kicordo su lai proposito un verso clie dice :

• jisi nel Lisùn {c Tàff) sotto — i.'',


ma cvvi un' altra lezione nell' Astis di ZaniaMisarf, sotto
424 REVUE BIBLIQUE.

salvo il caso che uno dei nominati scriva un n^p:. ma solo per raramissione nel
sepolcro, non per vendita o altro y. E su tal proposito mi permette esprimere il

dubbio che (p. 192, ecc.) nel ^S^ni. la radice « iJ' sia nel senso reciproco di ob-
bligarsi con contralto; la forma riflessivo-passiva corrisponderebbe bene.
Xeir importante iscr. n° II 200 p. ino) restano sempre forti lacune, ma la let-
tura di "jzr^Z. alla fine délia terza linea. dà, a mio avviso, un' idea di cio che eon-
teneva la parte non più decifrabile, vale a dire che se qualcuno délia discendenza di
Mun'at mancava agli obblighi col vendere o pignorare una parte del monumento,
questa sua parte ricadeva alla discendenza di Hàgir e cosi viceversa, e la multa di
500 dramme andava probabilmente a favore délie stesse persone che succedevano.
Era una disposizione che doveva necessariamente condurre ail' adempimento degli
obblighi imposti.
La lettura piana e chiara del grafûto 52 (p. 211, CIS II 275} contrasta con quella
errata del Corpus e dovuta all'imperfetto disegno di Huber; n-p y2 risponde
il

esattamente al CTp -^"2 del Targûm e precisamente avanti al nome di Dio. Al n^ 53


(p. 211) ci'^" è regolare anche nell' arameo occidentale. 11 lungo graffito 57 (p. 213,
CIS II 235) è interamente letto, salvo una piccolissima parte dell'ultima linea, nella
quale "iCK potrebbe essere imperativo o V persona, forse nel senso spéciale di
EÙÀoyiw, e cioè = « loda! invocal (ovvero : lodo,invoco) il Signore del Santuario! »

Quanto al N"' iniziale, lo credo équivalente al consuelo >lt N^n, N*^*: ); questo ni,
pel tono dalla voce, si poteva facilmente distinguere dal x"^ négative, mentre la forma
piena >!' era specialmente adatta per la lingua poetica dell' arabo anteislamico, a

cagione del métro (^J_ . Se si paragona il J-',


Jj coll' ebraico corrispondente
1^2, "'I con >-i^ ^, si puô ammettere anche per esso un'origine analoga, vale a
dire una negazione che, per il tono délia voce, prende forza di affermazione. Un
altro graffitoappena riconoscibile nel Corpus (Euting) è il 109 (p. 229, CIS II 298);
il ~2N délia 3^ linea credo che sia in pa'el, o, seppure in pe'al, col valore transitive,

che ha anco nell' arameo occidentale, di perdere, mandare in rovina. Il povero


Gauth El sembra laiiientarsi di esser disceso a Sarâ per guadagnare 15 dramme e?
invece, avervi perduto o mandate a maie il suo cammello che ne valeva 100. Nella
grande iscr. CIS II 209 (p. VJd) notano gli Autori che, alla 3^ lin., il ni'' di ni"»~ST
potrebbe leggersi DN, il che darebbe CX "Si = i figli délia madré di Sa'id, cioè
forse i fratelli di quest' ultime per parte di madré e non per parte di padre; questi
fratelli uterini sarebbero ammessi nel sepolcro, essi soii e non la loro discendenza,
come le figlie di Halaf. Anche la lettura del n^ II 199 ip. 141 viene qua e là corretta;
il N2^: délia 1-^ lin., in luogo dell' enimmatico n:*2. dà buen senso e risponde, in
certo modo, aile determinazioni di luogo sacre dell'epigrafia latina : in fronte... in
agro... Il N^3"in2 délie 1. 7 mi par essere nel senso di « in forza dell' inviolabilité... »
Ma non mené ricca è la messe d'iscrizioni inédite, e in una (n"* 2' l'esame del mo-
numento stesso précisa il senso di n"*;, che dovè essere non dissimile moite dai
corridoi minori délie nostre catacombe. Pare strane e difficilmente non intenzionale
che in luogo di Dusares o altra divinità, sia invocato « Quegli che sépara la notte dal
giorno ». Ni'?':i e N2*2i sono di pure arameo occidentale, cf. il targ. Gen. i, 5; nu"I2nS
N'''?'''^ yz^ NîD'Zi ^2. Il sepolcro di un ebreo è menzionato poco appresse (p. 149,
cf. anche p. 242-243} ne è improbabile che anche questo n'^' 2 sia devuto ad un
ebreo. Nell' altro testo inédite n" 5, la propesta degli Autori di leggere, alla 1. 5
sriDrn mi sembra doversi, senz' altro. approvare: gli errori di lapicidi, anco in
RECENSIONS. 425

bei testi. non sorprendono e iili Autori stessi ne lianuo rilevati; vale il luedesimo
in altri campi, corne p. es. Tepigralia araba, uella quale non maucano errori

anche in iscrizioni di grandi moniimenti. Del resto zrzT}P è regolarmente al fem.


accordandosi con ni.";"*2 che è fera. (st. abs.) tanto nell" arameo occidentale quanto
nel siriaco. II ""T.xz alla 1. 8. è, parmi. = a dopo di lui » ed è uotevole Tortogra-
fia ancora compléta ed etimologica, in luogo di Tl o ît^j. Quanto ai 1" alla fine
della 1. G', mi par corrispondere al "r. dellarameo biblico, col senso di « se >»,

onde la tradiiziooe letterale sarebbe < eccettuato il caso 1"""' se •") Hani' scriva.. »
Neir identico modo è usato dopo -y'z. nel n° CiS II 209, 6 (p. 200,. II nome '.'-"in;

del graffito 116 .p. 231 è usitato presso gli antichi Arabi. cf. Wiistenfeld Reg. 2,

28 Kit. Ag. xxi, 202, 13 Kinàna CJX.


L'importantissima iscrizione nabateo-araba che. secondo ogni verosimi- p. 172
iilianza, è del luglio con emendazioni della prima
del 267 d. Cr., viene riprodotta
lettura provvisoria data nella RB, e tenendo conto délie osservazioni del Clermont-
Ganneau, dello Chabot e del Lidzbarski. Alla 1. 2 gli Aiitori leggono u**""! PiaqiU
= , tJj ^ il che è lettura probabilissima. L'antichità del nome e conosciuta e la cor-

rispondenza di à e i assicurata da molti esempi come :


";*:">*. .Jj--, T'I'Z, î-^*

(Manawàt . Evidentemente cio risponde alla pronuncia dialettale di à AjJô nelT


Hegiaz, e si connette colia scrittura di taluue parole nel Corano. come : ï.^,^,

sJCiL-, 5«Ji., ï^-- ecc. cf. rs.'ildeke Gesch. d. Qor. 2-5-5). Per questa ragione sarebbe
più esatto mettere, in simili casi. un 6 invece diun û e trascrivere, p. es., 'Abdadnôn,
'Abbôd .)l-s . Absinôn _,'-U.- n '
1 17, p. 231 . Cosi anche ^"IN 'n'^ 1 75, p. 243 sarebbe

da trascrivere Akkôr, rispondendo ad ,'; '. ";".n. e crederei piuttosto nel senso di
« fossor » ïfS'' che iu quello di arator /: tanti esseudo i sepolcri scavati nelle

rupi è naturale trovare uu t'ossor, coQie nelle catacombe romane. Anche il tamudeno
e saf. {e palmir.^ "ï"', .^'_>:r, sarebbe propriamente Rudô.

Oltre la ricchissima messe di iscrizioni nabatee. si danno 2 iscr. minée: ia quella

già nota di 01a. alla 1. 4 il calco deuli Autori confernia la lettura "i contro -Millier e
Hommel. ^la lo stato di queste iscrizioni poco di sicuro permette di trarne. Alla
1. 3" della meuzionata iscrizione, gli Autori ricurdano l'arabo ,
JU in un senso mi-
litare (p. 257) ; taie senso miiitare converrebbe forse al x"i.*rs deir iscr. nabatea
CIS II 201 (p. 189 ma questo significato di , J'i manca nei grandi dizionari antichi
(manca anche nel Lisûn <
e par che pro\ enga da ."^ài;ànî, da fonte quindi non sempre
sicura. Anche per i graffiti lihvàniti e tamudeni le copie degli Autori servono di
confronto con quelle che si avevano. Fin nel 1'^ graffito tamudeno la lettura e diversa
da quella di Littmann {Entziff.) e la prima parola è letta .,

e messa in relazione

col sabeo: ma in questo il ; in luogo di .i pare strano, e si aspetterebbe piuttosto il

fem. dh'ït Anco la relazione Ira « raqô> nabateo e ï"^ sembra difficile. -

Chiudono il capitolo suU' epigraûa alcuni frammenti greci e delle iscrizioni arabe
e turche piu o men recenti e iu générale poco importante II n° 3 è propriamente
turco. iu arabo sono, come di solito. i soli titoli. Di qualche rilevanza è Tiscrizione
della Qal'a di Ahddr n" 4 p. 294 ma la fotografia del calco non basta in alcuni
punti per studiarne la lettura. L'emir Turbày Taràbàv; della 1. 3 è forse il mede-
simo émir menziouato nella storia di Egitto di Ibn lyàs {BadaV az-zuhùr III, 244,
Bùlàq 1312j col nome di'.::^*^3 .,j ^'jfJs; ma ivi vien detto séh dei beduiui di
Gebel Nâbulus; alla fine della stessa linea invece di ji'jJ' leggerei jblx." cf.
4-26 REVUE BIBLIQUE.

Qutb ad-Dîii Chron. dcr Stadt Mekka, III 284 . Il ^'«--^ del n" 5 è piuttoslo

appellalivo ^ commissario : alcuni versi turchi che si leggono sulla Oal'a di Mo'az-
zam soao copiati e tradotti. raa gli Autori ci avvertono clie copia e traduzione non
son dovute ad essi, ed infatti, specialmente la seconda lascia alquanto a desiderare.
La missione cosi bene compila e cosi dottamente descritta dai PP. Jaussen et Sa-
vignac, è un' altra, e sono molto nuraerose, délie grandi benemerenzedell' Ecole Bi-
blique, che tanto ha giovato e giova allô studio serio e scientiûco délia Bibbia. La
riconoscenza dei dotti è loro dovuta, ed altresl al Duca di Loubat e alla Société des
Fouilles Archéologiques che resero possibile il viaggio stesso e la pubblicazione di
questo splendido volume, ricco di bellissime tavole ed illustrazioni.
Roina.
I. GUIDI.

Les Livres de Samuel, par le P. Paul Dhorme. des Frères Prêcheurs,


in-8'5 de 448 pp.: Paris. Gabalda. 1910.

Le P. Dhorme, professeur d'assyrien et de.xégèse de l'Ancien Testament à l'École


biblique de Jérusalem, justement apprécié des orientalistes pour une active colla-
boration à des revues savantes, vient d'écrire pour un public moins restreint deux
ouvrages qui font également honneur à sa science et à son infatigable ardeur L" :

religion assi/ro-babylonienne Les livres de Samuel: c'est de ce second ouvrage


et

que j'ai à parler. Il fait partie de la collection du commentaire critique de la Bible


publiée sous la direction du P. Lagrange. et s'ajoute aux trois tomes déjà parus sur
les Juf/es, Isaie et les Petits Prophrtes. 11 applique la même méthode : rétablir dans
la mesure du possible le texte primitif, le traduire, l'expliquer, et essayer de décou-
vrir les diverses étapes de sa rédaction; — et il s'inspire du même esprit, qui em-
pêche l'auteur de perdre de vue « le caractère sacré du livre, même lorsqu'il traite
des questions d'ordre purement scientifique ou critique » (Avant-propos). Cette
méthode et cet esprit sont la méthode et l'esprit des collaborateurs et des amis de la

Revue, et il n'y aurait pas lieu de s'y appesantir davantage, si, à propos des vue>
défendues ici touchant le mode de composition des livres de Samuel, certaines per-
sonnes ne s'avisaient de confondre méthode et esprit, méthode critique et esprit
rationaliste. La méthode ne constitue qu'une discipline de travail: elle est d'elle-
même étrangère et indifférente à l'esprit croyant ou non de celui qui l'emploie.
Après un court avant-propos et les listes de la bibliographie ou des abréviations,
l'ouvrage renferme l'introduction d'usage •

pp. 1-15,, une traduction avec indication


des sources documentaires et des corrections textuelles admises par l'auteur à péné-
trer dans le texte, un commentaire où les versets sont successivement étudiés au
point de vue de leur texte et de leur contenu, enfin, à des intervalles inégaux, une
critique littéraire et, au besoin, une critique historique, très utile revue d'ensemble
de la péricope étudiée l()-448i. 11 n'y a point de tables, ni table des matières, ni
table analytique, ni table schématique de la distribution des sources; ce qui forme
une lacune regrettable.
L'introduction noms et division de l'ouvrage, le texte, la composition, l'histoire,
la tradition exégétique' résume, peut-être un peu trop succinctement parfois, les
renseignements généraux propres à diriger l'esprit du lecteur. Pour ce qui concerne
le texte, l'auteur indique les ressources fournies à la critique textuelle par les ver-
sions, surtout la version grecque. Parmi les diverses recensions de cette dernière,
le texte Vaticanus, B, « est la plus précieuse, parce qu'elle est moins liée au texte
RECENSIONS. 427

massorétique actuel » p. 2). C'eût étt^ l'occasion, puisque ce n'est pas fait plus bas,
d'exposer et de discuter les questions relatives au texte plus court de B sur les dé-
])uts de David (I Sam., xvii, xviiij, où, selon l'opinion un peu plus vraisemblable
qu'accepte le P. Dhorme, B ne représente qu'un abrègement intentionnel de l'bé-
breii. sacrifiant ainsi, semble-t-il, sa fidélité babituelle à des considérations harnio-
nistiques.
Pour la composition des livres de Sauuiel, l'auteur se déclare partisan de la théo-
rie de Budde. En voici les grands traits. Comme on ne peut faire fond sur quelques
opinions même anciennes qui attribuent ces livres à Samuel, Gad et Nathan, force
est bien de chercher dans les indications de la critique interne les éclaircissements
qu'elle peut fournir à ce sujet. On est dès l'abord frappé par le relief et la vivacité

d'un grand nombre, de la majorité même des chapitres des livres de Samuel. « Les
détails topiques y abondent et les traits de mœurs sont saisis sur le vif » p. H). Au
contraire de tant d'autres passages de la Bible, ceux-ci présentent l'enchaînement
naturel des faits. Yahwè dirige tous les événements, mais de loin, par le jeu des
agents naturels dont l'historien d'aujourd'hui cherche à découvrir et à retracer les
influences réciproques. Le« pragmatisme ». comme on dit outre-Rhin, n'y apparaît

que peu ou point. Preuves que ces récits, mémoires ou annales, remontent à une
date très ancienne, « et ont dû être écrits peu de temps après les événements »
(p. S}.Sur cette constatation, on est d'accord.
On moins lorsqu'il s'agit de se représenter la mise en œuvre de ces anciens
l'est

documents. Car on ne peut guère s'arrêter longtemps à l'idée qu'ils auraient été
purement et simplement incorporés par un rédacteur dans l'histoire de Saiil et de
David. Avant d'être fixés à tout jamais dans l'ouvrage inspiré qui nous est parvenu,
ils ont eu leur histoire et, si l'on peut dire, leur destinée littéraire. C'est qu'en effet,

l'existence de doublets, c'est-à-dire de récits qui, sans être identiques dans leur
teneur actuelle, semblent bien se rattacher à un même fait originaire relaté diffé-

remment quoique non transformé substantiellement par deux traditions divergentes,


l'existence de ces doublets, dis-je, semble bien un fait à peu près acquis à la cri-
tique. « C'est ainsi, à notre humble avis, écrit, non sans quelque excès de réserve,
le P. Dhorme, que nous trouvons un double récit de l'institution de la royauté, un

double récit du rejet de Saiil par Samuel, une double explication du proverbe « Saiil
est-il aussi parmi les prophètes? », une double présentation de David à Saiil » (p. ô .

Les divergences qui séparent ces divers récits sautent aux yeux, et tout le monde
connaît les explications tantôt vraisemblables, tantôt extrêmement fragiles, et, au
demeurant, toujours subtiles que nombre d'exégètes ont coutume d'en donner. A
cette exégèse. de conciliation, qui, peut-être ne l'oublie-t-on que trop, ne peut se
prévaloir que d'une valeur toute relative, il est loisible de préférer l'hypothèse très
plausible de la diversité des sources auxquelles l'auteur sacré a emprunté eu les
combinant ou en les complétant pour n'en rien perdre, les récits des faits anciens
qu'il voulait raconter. Cette hypothèse, et le P. Dhorme en souligne loyalement le

caractère conjectural, a compte d'une manière assez satisfai-


l'avantage de rendre
sante des phénomènes à expliquer; elle cadre au mieux avec ce que nous savons par
ailleurs des procédés historiographiques usités par les Sémites; elle répond bien à
ce que dut être la vie littéraire des deux royaumes d'Israël et de Juda où la sépa-
ration très marquée et l'hostilité parfois aiguë sur le terrain politique ne pouvait
pas ne pas affecter simultanément les souvenirs traditionnels et l'expression d'abord
orale puis bientôt écrite qui en perpétuait le souvenir.
Les sources diverses étant admises, il s'agit de les dissocier. C'est ce que le
428 KEVUE BIBLIQUE.

P. Lagrange a déjà fait pour Je livre des Juges et ce que le P. Dhorme vient de faire
pour les livres de Samuel. L'un et l'autre se rattachent, avec certains autres criti-

ques, à l'opinion de admettent l'existence de deux sources principales,


Budde, et

Jet E. sources qui sont respectivement apparentées aux documents de même nom
dans le Pentateuque, et qui représentent, non pas deux auteurs seulement, mais
deux écoles historiques de tendances plus ou moins différentes, parlant chacune une
langue chargée d'expressions caractéristiques, et ayant conservé soit le souvenir de
faits particuliers, soit des traditions issues d'un même fait mais diversiflées, à la

longue, par leur existence et leur transmission dans des miUeux différents.
En se mettant à l'école de Budde. le P. Dhorme a eu garde d'accepter servile-
ment tous ses dires. Il n'apporte pas simplement, en compilateur docile, une opinion
toute faite: mais son propre point de vue, le système de son prédéces-
il refait, à

seur. « Souvent, nous nous écarterons de Budde pour l'attribution de tel


écrit-il,

morceau à l'une ou l'autre de ces sources... Budde n'a pas sufQsamment insisté sur
ce fait que E emploie plus fréquemment le nom de 2\"!^N tandis que J recourt au
nom de "*"'. Extrêmement instructive à cet égard nous a paru l'étude de I Sam.
v-vi et II Sa/ii. Yi, dans lesquels l'alternance de l'arche de ïahv>- et de l'arche de
Dieu, alternance qu'il faut préciser par une ou deux corrections d'après G, nous a
permis de distinguer chaque fois des récits parallèles et formant chacun un tout

complet 7\ Après avoir vécu séparément leur existence peut-être séculaire,


B (p.

ces groupes de récits auraient été fusionnés pour constituer nos livres de Samuel.
Cette compilation se serait faite relativement tard; sa date « n'est, pas plus que pour
le livre des Juges, antérieure à la promulgation solennelle du Deutéronome en ii21 »

(p. 8).
Le paragraphe de l'introduction consacré à l'histoire groupe les principaux faits
renfermés dans les livres de Samuel pour les mettre en valeur. Ce tableau histo-

rique est sobre et solide. Il me semble pourtant que. touchant la question de l'ori-
gine de la royauté chez les Hébreux, le P. Dhorme s'est trop tenu au développe-
ment unilatéral qui est celui de la Bible, où fort souvent, comme l'on sait, nous
n'avons plus qu'une synthèse et une simplification de l'histoire, où nous ne devons et
jamais perdre de vue, si nous tentons des reconstitutions historiques, que les docu-
ments transmis sont toujours fragmentaires et souvent incomplets. Il paraît très
vraisemblable, en effet, que la tentative de Saùl en vue de fonder une royauté héré-
ditaire avait été précédée de tentatives analogues: Gédéon, Abhimélekh, Jephté,
et, sans doute, d'autres encore, avaient, déjà avant lui. essayé de rétablir à leur
profit quelqu'une de ces principautés cananéennes dont la constitution est clairement
dépeinte dans les tablettes d'El-Amarna, et auxquelles s'étaient heurtés les Hébreux
au moment de leur immigration dans la terre promise. Ce n'est qu'après des tâton-
nements plus ou moins nombreux, plus ou moins heureux aussi, qu'une institution
comme la royauté parvint à s'établir définitivement. Et encore le mérite en revient-
il bien plus à David qu'à Saùl. — .Te ne pense pas non plus que l'on puisse parler, sans
de sérieuses restrictions, de la prépondérance du sacerdoce qui aurait, au dire du
P. Dhorme, précédé l'institution de la royauté (p. 11 Eli, le prêtre décrépit de .

Shilô. dont l'autorité effacée n'était quun très pâle reflet du rayonnement tout reli-
gieux de l'arche, ne nous est nulle part présenté comme ayant exercé le moindre
pouvoir politique; il est à peine considéré du peuple, et. quand il s'agit de tenter
un dernier effort contre les Philistins, ce n'est pas lui qui prend l'initiative d'envoyer
l'arche sur le champ de bataille. Quant à Samuel, je doute qu'on soit autorisé à
voir en lui un représentant du sacerdoce. Au sanctuaire de Shilô, il n'était qu'un
RECENSiO.NS. 429

employé subalterne, et plutôt même destine à effacer, par la faveur des manifesta-
tions de Yahwe qui s'adressaient à lui de préférence aux prêtres, le sacerdoce alors
passablement décrie. Sans doute, le nous parle d'un autel élevé par lui à
texte
Ràmà, mais, alors, c'était là une pratique non réservée aux prêtres, et Josué,
Gedéon ou Manoah en avaient fait autant sans avoir été revêtus du caractère sacer-
dotal. — Enfin, il est inexact, me semble-t-il, tout au moins dans l'expression, de dire
qu'avec l'institution de la royauté, « le sacrifice devenait le fait du roi « (p. ii\ En

fait, à cette époque ancienne, le sacrifice n'apparaît pas comme la fonction sacer-
dotale par excellence ; le chef de famille sacrifie et, de même, le chef de clan. Le
roi a simplement perpétue plus longtemps en lui l'exercice d'un droit que le sacer-
doce après de longues années, par se réserver exclusivement: sa dignité et le
finit,

caractère sacré dont elle le revêtait lui maintenaient, à titre de privilège, ce qui
originairement avait été le droit de tous. — Pour la chronologie de cette lointaine pé-
riode, le P. Dhorme donne les dates les plus vraiseml)lables. celles qui tablent sur
l'année 932 ou les années voisines, comme marquaut l'année de la sécession d'Israël
et de Juda.
La traduction des livres de Samuel se laisse lire avec intérêt. Sans rien sacrifier
de la simplicité propre à la narration hébraïque, l'auteur a su la rendre en bon
français. C'est dire qu'il s'est abstenu de commencer la majeure partie de ses phrases
par cet inévitable « et » auquel beaucoup trouvent, sans savoir pourquoi, un cachet
vraiment biblique et qu'ils jugent indispensable à la couleur locale. On oublie ou

Ton ignore tout simplement que la conjonction hébraïque wàiv revêt des acceptions
variées, et. dans l'esprit du Sémite, lie aussi bien ses phrases que le font, pour notre
langue, nos conjonctions plus nombreuses. Voici, par contre, quelques expressions
qui m'ont paru moins heureuses ou moins exactes. Les « vieillards » de Jabe<
(p. 91) laissent planer quelque amphibologie sur le mot pT qui marque plutôt un
rang dans une tribu ou une cité que l'âge avancé de ceux qui le portent: c anciens »
vaudrait peut-être mieux. —
Le peuple ne « délivra » pas seulement Jonathan
ip. 125,\ mais il » par une victime de substitution, comme l'indique
le « racheta
plutôt le verbe ~T2. —
Le mot « paye » (p. 150 n'est peut-être qu'une conjecture
de Symmaque pour traduire ~z'". A la page 1.57. il manque, par homœote- —
leuton sans doute — ce qui ne surprendra point le P. Dhorme qui fait souvent inter-
venir cette cause d'erreur dans ses discussions textuelles, et à bon droit la fin —
.du verset 52. — Le mot donne au mot "•; (p. 267; une nuance qu'il n'a
« réfugié »

pas; «client » ou même


métèque » reni mieux le terme. Il est un peu trop —
ecclésiastique de dire que David entonna « une élégie ip. 269 >< Je ne sais s'il . —
est suffisamment justifié de traduire .""'w hébreu comme l'assyrien sadû p. 271). —
Le terme de « gambadant » appliqué aux démonstrations religieuses de David devant
l'arche (p. 323 . ne laisse guère entendre qu'il s'agit dune danse sacrée. — « l'^n

endroit que je planterai » (p. 327} est pour le moins obscur. — Puisque nous en
sommes à ce chapitre des termes, signalons des expressions comme « ajoute ».

« quantité troublante » ou « quantité perturbatrice ». bloquer », qu'il serait au


moins inutile de voir surcharger définitivement la langue de la critique.
Les corrections au texte sont marquées dans la traduction par des apos-
faites
trophes, indiquées, sous la traduction, avec leur appui te.xtuel lorsqu'il y en a un,
et discutées dans les notes. Un bon nombre de ces corrections sont acquises par la
critique et on les retrouve en particulier dans la Biblia hebmica de R. Kittel. Et
à ce propos je regrette vivement que le P Dhorme n'ait pas adopté le mode de no-

tation employé pour les corrections dans ce dernier ouvrage; elles y sont précédées
t30 REVUE BIBLIQUE.

de si'^les qui iudiquent, selon les cas. si elles sont sûres, probables, possibles, in-

certaines. Ces nuances, le P. Dhorme dans ses notes. Mais


les signale d'ordinaire

quelques notations brèves auraient tout de suite renseigné le lecteur sur la valeur
d'une correction: bien mieux en s'astreignant à ce dosage minutieux, Fauteur
,

aurait sûrement renoncé à introduire dans le texte avec autant d'assurance certaines
corrections qui ne sont tout au plus que d'ingénieuses conjectures Voici quelques
exemples de corrections au sujet desquelles des réserves s'imposeraient. I Sam., iv,
3, ";\"l''N"ûp:. en parlant de l'arche, revêt un sens d'un matérialisme religieux au-
quel ne serait peut-être pas facile de trouver des pendants-, du reste le grec n'ap-
il

puie pas cette forte correction. Ih., iv. 4 —


dire que les mots Diziir" 2^*1 « ont été
;

ajoutés après coup », c'est oublier quïl suffit que le passage ait été rédigé après la
construction du temple par Salomon pour que ces mots aient été couramment em-
ployés. — Ib., VII. 11, "îliriTli^ pour "|D~n''Z qui est inconnu ne s'impose pas,
même d'après G. — Supprimer '':nn dans ib., xvii, 4, 23, est un peu trop radical.
— Même observation pour la suppression de la finale de ib., xviii, 8. — L'addi-
tion de ib., 19, "Tî-nx xTril .""^nS d'après G (Lag.) est assez jolie, mais bien un
peu étrange. — Comme la lecture Naioîth n'élucide pas la question de l'énigma-
tique nii;, elle ne mérite pas d'être préférée à la lecture traditionnelle. — L'inver-
sion dans ~V' "'" D'J x*m, ib., xxiii, 6, paraît gauche. — "n1 •"'^ qui est pour
NinS qui est pour *iS, ib., xxv, 6, est tiré de loin. Pourquoi vouloir ramener —
i~ia, ib.,xxvii. 8, à un nom plus connu? —
Dans ib., xxx. 20, ne serait-il pas
préférable de garder n',","! ~:p2n "îI^S en l'entendant du troupeau de petit bétail,
au lieu du I'iieS de la Vulgate qui, apparemment, abrège? Lire aussi 1p2n~nKl. —
II Sam.. III, 5, porte TT; rrx ~S:" qui est obscur. La correction de Smith, niilNN
est à juste titre rejetée, comme n'ayant « pas d'appui dans les versions >. Le
P. Dhorme propose nu.'NTT';". qui. je le crains, n'est pas mieux soutenu par les
versions, et que son caractère de pure possibilité n'aurait pas dû laisser passer des
notes au texte —
""wK" de ib., vi, 7, est dans le même cas.

Ces quelques corrections sont, à mon avis, de simples conjectures trop peu ap-
puyées. Et si je les cite, ce n'est pas pour laisser entendre que toutes en sont là,
car plusieurs autres sont indubitablement justifiées; mais rien ni personne ne nous
obligent à restituer un texte sans avoir en main les éléments nécessaires à cette
opération délicate.
Les documents sont marqués dans le corps de la traduction par leurs sigles ac-
coutumés pour faciliter les recherches, les sigles auraient pu être répétés en haut
;

de chaque page.
Le commentaire très compact qui forme la partie principale de l'ouvrage, se pré-
sente comme un travail très sérieux. Les nombreux renseignements qui s'y trouvent
accumulés, peuvent se répartir en deux catégories, l'une ayant trait aux questions
d'ordre philologique relatives à l'établissement du texte et à sa traduction, l'autre
regardant l'explication ou exégèse proprement dite.
Pour ce qui concerne la philologie, le présent ouvrage soutient la comparaison
avec les ouvrages qui, chez nous et à l'étranger, l'ont précédé. C'est sans contredit
un ouvrage de première valeur. De l'œuvre de ses devanciers, le P. Dhorme n'a
rien laissé perâre de ce qui fût à retenir, et, aux résultats acquis, il en a ajouté
d'autres qui sont le fruit de son effort personnel. Outre de nombreuses améliora-
tions de critique textuelle et de critique documentaire, je signalerai particulière-
ment ses observations sur les noms propres et ses rapprochements de mots ou d'ex-
pressions avec l'assyrien, rapprochements qui permettent de mieux saisir le sens et
RECENSIONS. 431

la portée d"im texte. L'observation attentive de tous ces inflniment petits ne peut
pas ne pas être aride; mais il faut reconnaître le mérite qu'a eu le P. Dhornie à

la rendre claire, rapide et substantielle. II a su. en outre, dans sa critique d'autrui.


garder l'indépendance et la niesure. Ce sont là tout autant de qualités auxquelles on
reconnaît la véritable maîtrise. Je me permettrai deux observations. D'abord, l'au-
teur aurait pu sans inconvénient omettre, ici ou là. dans l'exposé des corrections
proposées avant lui. certaines d'entre elles, qui servent assurément d'exemples de
qui dépare souvent cette espèce de recherches, mais qui n'avaient au-
la fantaisie

cune valeur pour aider à élucider la question étudiée. Il y a là tout un travail d'é-
limination qu'un auteur français doit laisser dans les substructions cachées de son
œuvre. J'ajouterai —
et je crois l'avoir déjà dit en termes équivalents — que le

P. Dhorrae me semble posséder un certain penchant à la décision prompte et carrée.

Sans doute, soit dans sou Avant-propos, soit dans son Introduction, il a eu à cœur
de souliiiner tout ce qu'il entrait de conjectural et d'incertain dans les travaux cri-
tiques. Mais j'aurais voulu qu'il dispersât un peu de cette réserve initiale à travers
tout son ouvrage. Même après un travail aussi approfondi que le sien, je ne pense
pas qu'il ne puisse rester, dans les cinquante-cinq chapitres des livres de Samuel,
qu'un si petit nombre de points obscurs. Budde lui-même est souvent moins tran-
chant.
C'est aussi l'intérêt du lecteur français qui me fait regretter que la portion exégé-
tique du commentaire n'ait pas reçu plus habituellement un développement propor-
tionné à celui de la partie philologique. A coup sûr, rien d'important n'est omis,

et la grandement à l'intelligence des livres de


lecture de cet ouvrage contribuera
Samuel. Il y a. du reste, de nombreuses pages où l'on ne saurait rien désirer de
plus, comme, par exemple. les premiers chapitres du second livre. Alais. abstrac-
tion faite de ces passages plus étoffés, on a souvent l'impression, surtout si on le
compare à Budde, que l'auteur aurait pu sétendre davantage. Dans certains cas, il
lui a peut-être répugné de s'arrêter à des explications trop hypothétiques: dans
d'autres, il semble avoir été quelque peu gêné par certains problèmes délicats,
comme celui de dire à laquelle des traditions divergentes l'historien a le droit de
s'attacher de préférence; pour la question des origines de la royauté, il s'est montré

plus catégorique: mais, pour celle des débuts de David, pour la coutume du par-
tage des dépouilles dont l'origine remonterait à David d'après nos livres, à Moïse
d'après les Nombres, il le paraît beaucoup moins. En outre, il faut parfois savoir
chercher dans des perspectives qui peuvent paraître fort lointaines un fond sur
lequel se disposera harmonieusement la multiplicité des détails infimes. Cet art
des lointains qui, seul, fait les livres suggestifs et éducateurs, permet au lecteur,
dans un commentaire, de comprendre déjà à moitié le texte rien qu'à avoir entrevu
le milieu historique et religieux où se déroulent les événements racontés. Oserai-je
ajouter que je n'ai pas autant de noùt que le P. Dhorme — ni même que le P. La-
grange — pour les nombreuses citations de Calraet dont il a émaillé son commen-
taire. Ce n'est pas qu'il n'y ait dans Calmet des observations sensées. Mais il n'est
pas douteux que le P. Dhorme aurait pu les formuler aussi bien que lui, avec beau-
coup moins de cette naïveté vieillotte qui ne laisse pas de résonner étrangement
après d'arides discussions philologiques. Et puis, par exemple, pourquoi avoir été
déranger Dom Calmet pour nous parler de la sieste que font les Orientaux, et en-
core avec une citation latine? (p. 302'.
Telles sont les observations d'ensemble que m'a suggérées la lecture de cet ex-
cellent ouvrage. Comme « l'auteur est le premier à constater combien il est resté eu
432 REVUE BIBLIQUE.

deçà de Tidéal dont il clierehait à se rapprocher » {Avant-propog), je n"ai pu moins


faire que de me représenter son idéal et de chercher sur quels points et dans quelle
mesure il s'en écartait encore. Cette façon de juger par comparaison aver une perfec-
tion insaisissable donne parfois à la critique un air d'austérité. Mais c'est peut-être

le meilleur éloge qu'on puisse faire de pareils livres que de signaler ce qui leur man-
que pour approcher du parfait. Et ce commentaire des livres de Samuel témoigne
d'une science et d'un talent d'exposition assez remarquables pour que notre meilleur
souhait, en finissant, soit de voir le P. Dhorme publier un commentaire du livre des
Rois où sa connaissance peu commune des choses assyriennes le mettra à même de
réaliser l'idéal qu'il a le courage de viser.
Toulouse.
Louis Desnoyers.

Karl Meister. — De itinerario Aetheriae abbatissae perperam nomini


S. Silvae addicto. Reinisches .Muséum lùr Philologie. >'eue Folge. LXIV, 3.

1909. s. 337-392.

Cet itinéraire fut publié pour la première fois, il n'y a pas vingt-cinq ans. Son pre-
mier éditeur, Fr. Gamurrini. lui avait donné le titre de Sanctae SUviae Aquitanae
peregrinatio ad loca sancta et il de la fin du quatrième siècle.
le datait

sœur de Rutin préfet dOrient sous Théodose P',


L'attribution à Silvie d'Aquitaine,
n'avait pas d'autre fondement que la date présumée de l'itinéraire. En 1903, Dom
Ferotin proposa de lui substituer la vierge Éthérie. dont un moine espagnol du vii« siè-
cle. Valerius. donnait en exemple à ses disciples les rudes entreprises. L'identification

était des plus raisonnables et fut généralement acceptée.


M. Meister reussira-t-il aussi bien à abaisser jusqu'au vi*= siècle la date de ce docu-
ment? C'est la thèse la plus saillante de sa dissertation dont voici les divisions. J. De
Aetheriae abbatissae nomine et dignltate: II. Lie a-^tate Aetheriae: III. Be Aetheriae
patria: IV. De Aetheriae sermone. La deuxième partie surtout intéressera les archéo-
logues et les liturgistes et nous l'étudierons exclusivement dans ce compte rendu.
Il y a deux dates extrêmes qui sont en dehors de toute discussion. En l'an 363,

Jovien abandonne aux Perses la ville de >"isibe, qui ne cessa plus d'appartenir à ces
derniers que pour passer, au milieu du vu'' siècle, sous le joug musulman. Quand
Éthérie parvint à ces confins de l'empire. Xisibe n'appartenait plus aux Romains \67,
23. page et ligne de l'édition Geyer D'autre part, il est certain qu'au cours de ses
.

voyages à travers l'Orient, elle n'est pas arrivée au mont Sinai à une époque posté-
rieure à celle de Justinien; elle n'y a pas vu le monastère enclos par de hauts murs
et l'église soutenue par douze colonnes que cet empereur y fit élever sur la demande
des solitaires. —
Bien plus, elle se trouve à Carrhes le neuf des calendes de mai (65,
25): au retour de ces régions frontières, elle demeure une semaine à Antioche pour
s'y reposer et s'y munir des choses nécessaires à d'autres excursions or. au printemps :

de 540, le roi des Perses, Chosroès. s'empara de cette ville après un siège meurtrier, la
détruisit de fond en comble, et emmena les habitants en captivité (Procope, Be bello
Persico, II, 8. 9.. Ainsi, le séjour à Antioche doit être placé au plus tard en l'année
539.
Selon M. Meister. l'itinéraire devrait recevoir une date la plus voisine possible de
ce dernier terme, de 534 à 0^9. Nous exposerons et discuterons successivement les
arguments principaux qui favorisent sa thèse, les difficultés qu'il a soulevées contre
la date communément reçue jusqu'ici, et enfin les considérations positives qui nous
décident à nous en tenir encore à celle-ci.
RECENSIONS. 433

Éthérie signale qu'à Jérusalem, le jeûue du carême se prolonge durant huit se-
maines. M. Meister croit que cette situation ne peut être que postérieure à l'année 533.
pour laquelle le patriarche Pierre promulgue encore un carême de sept semaines (1).

Cette conclusion est eu dépendance d'un système historique dont voici les principaux
traits.

L'idée d'imiter le Christ jeûnant durant quarante jours serait étrangère aux der-
nières années du hf
aux premières du iV?. A son éclosion, c'est-à-dire
siècle et
au cours du iv<' serait imposée que sous la formule d'un jeûue
siècle, elle ne se
de six ou sept semaines. Le temps de huit semaines aurait été une habitude dis-
tinctive des origénistes et monophysites, dont
le succès aurait été parallèle aux pro-

grès de l'influence hérétique.La mort de saint Sabas (.5 décembre 532) marqua un
recul de l'orthodoxie à Jérusalem. La violence qui contraignit le patriarche Pierre à
rayer des diptyques le nom d'Ephrem. évêque d'Antioche, qui avait condamné Origène,
l'aurait décidé à promulguer le carême de huit semaines. Dans l'ensenible de l'Église

grecque, cette habitude n'aurait été adoptée que sur la fin du viii'^ et au ix" siècle.
Cette théorie n'est exacte ni dans sa perspective, ni dans sa conclusion.
Si les choses se sont passées ainsi, il est inévitable qu'Éthérie. demeurant plusieurs
années aux Lieux Saints, ait assisté au changement. Or, de cette réforme qui aurait
été brutale, il n'y a point de trace dans son récit. Au contraire, elle indique elle-même
les raisons de la manière hiérosolymitaine dans des habitudes qui remontent aux ori-
gines du christianisme, la célébration du dimanche et du samedi comme de jours de
fête. Insistant dans le détail sur la liberté laissée à chacun de régler ses exercices de
pénitence, elle use plusieurs fois du mot consuetudo : Jejunium enim consuetudo hic
talis est in quadrarjei irais (80, 20)... Talis est enim hic consuetudo ,'81. 8). — Et
M. Meister aurait dû nous expliquer comment les hérétiques qui inspiraient aux évê-
ques. par les procédés violents, de promulguer le carême de huit semaines, laissaient
aux fidèles le choix de manger tous les jours, ou tous les deux jours, ou les samedis,
dimanches et jeudis, ou le dimanche et samedi seulement.
La Tca^acaxo3Tir) s'affirme dès le début du iv<= siècle comme une institution établie, ca-
ractérisée surtout par des jeûnes prolongés (2). Le nom et la chose disent suffisamment

(1) Migne. P. G., t. XCV, col. 73. —


Cf. Meister. loc. cit., p. 353.
(2) Le concile de Nicée en parle sans explication, can. v vers ; Macaire d'Alexandrie visite
3;tô

les moinesde S. Pacôiiie... 7tap£).96vroi; Sa yj^mo\) oAiyou iiziaxr^ ;n Tîccapaxoa'f/i.y.a'. vZzu


suactov
Siaç)6pou;TtoXiT£{a;à'j7.C/ûvTai:, TÔv[j.èv iaôîciVTaédTtépaç, tôv ôàoià ôûo,tôv oà ô'.àTTÉVTE (i/Zs/.LaMS.,
édit. BuUer, p. îî-2).

Le 1'. mars 1910, p. 63-72) veut prouver que le Concile usant du mot
Salaville (Échos d'Orient,
ne parle pasdu Carême, mais de IWscension. le quarantième jour après Pâques. Le
rEa<7a{;a7.offTr|
rapprochement avec le canon kx« du concile d'Antioche in //îcoe/iii's est sans doute très intéres-
sant. Mais tout l'effort de la thèse est inspiré par une difficulté qui n'est pas réelle. Le R. P. sem-
ble croire que le carême n'est qu'un exercice limité d'abord aux six jours de la semaine pascale,
gonllé petit à petit jusqu'aux quarante jours. En 3i3, l'institution n'est i)as arrivée à ces limites;
donc le Concile u'apu y l'aire allusion.— En réalité, il y eut à un moment donné c|uelque chose
de nouveau qui s'introduisit brusquement et fut juxtaposé à la pratique ancienne: c'est le désir
d'imiter le jeûne du Christ, c'est le principe de l'institution. Or, on peut très bien dire que ce prin-
cipe, sidiversement appliqué qu'il soit, est généralement accepté au début du iv^ siècle. Le texte
de Pallade que nous venons de citer a sa valeur. En 34-1, de Rome même, saint Athanase écrit à
un de ses sulïragants Scripsiautem singuUs fore ut tu quadragesimam indiceres fratribus, eis-
:

que jejunium suaderes, ne dutn universus orbis jejimat, nos Aegyptii risui essenius quia non
jejunemus (Lettres festales, P. G., t. XXVI, col. 1413). TcUffapay.offriQ emplojé dans le sens voulu
par le P. Salaville serait un cas unique dans la langue grecque. Et dans les textes latins où qua-
dragesima le signifierait, cela n'est que grâce aux mots qui l'entourent diem Pentecostes qua- :

dragesimam, die aulem quadragesimarurnpost Pascha: festivitate quadragesimae Ascensionis.


Par contre, Ascensjo est utilisé couramment par les Latins; cf. les nombreux sermons de saint Au-
gustin surcette fête, P. L.,t. XXXVII. —Et puis le R. P. s'est-il rappelé que nous n'avions pas jus-
qu'ici d'indice de cette fête avant la moitié du iv sié'cle?
REVUE BIBLIQUE 1910. — N. S.. T. VU. 28
434 REVUE BIBLIQUE.

qu'on voulut imiter l'exemple de Moïse et d'Élie rapportés dans l'Ancieu Testament,
celuidu Christ rapporté dans le >'ouveau. Mais à mesure que l'idée s'en répandait,
lesmanières de la réaliser se faisaient plus diverses.
Le jeûne lui-même n'était pas compris de la même façon par tout le monde les uns :

entendaient ne manger qu'une fois par jour les autres ne considéraient avoir satisfait
:

que s'ils s'étaient complètement abstenus de nourriture. Et quand les chefs des églises
ordonnaient un jeûne de longue durée, ils devaient l'organiser différemment selon
de l'une ou l'autre manière. On peut exiger quarante jours déjeune
qu'ils s'inspiraient

selon la première-, il était impossible de pousser plus loin que cinq ou six jours de
suite la pratique de la seconde. En fait, les évêques paraissent bien n'avoir jamais
ordonné le jeûne absolu, mais ils out dû tenir compte des aspirations de ceux qui en-
tendaient le pratiquer et réserver dans leur intérêt des jours de relâche.
Ces jours de relâche, quels pouvaient -ils être? Le dimanche, d'un côté le dimanche ;

et le samedi, ailleurs; et ceci encore créait des différences. Ces jours s'imposaient —
en raison des limites des forces humaines, et aussi parce qu'il eût été indécent de pour-
suivre la pénitence dans des jours consacrés à fêter le Seigneur. Jusque dans cette
réserve, il y avait des nuances. Les ascètes d'Egypte et d'Orient qui se reposaient le

samedi dimanche de leurs mortifications, même alors ne mangeaient qu'une seule


et le

fois. Saint Épiphane trouve qu'il est absurde de jeûner le dimanche, et puisqu'il en
parle à propos des ordonnances ecclésiastiques, il paraît bien qu'il écarte de ce jour le

jeûne moins strict {Exposit. fulei, XXII, Migne, P. G., t. XIJI. col. 828). Saint Atha-
le

nase, s'il faut en croire M. Achelis, exige la continuité du carême le samedi et le di-
manche (V. à l'exception du dimanche des Rameaux.
Enfin, il y avait encore pour diversifier les pratiques des églises, le fait que le ca-
rême n'était pas la première institution établie en vue de préparer les fidèles au jour
de Pâques; auparavant, l'exercice communément reçu était le jeûne commencé le
lundi dela Grande Semaine et poursuivi jusqu'au samedi soir; celui-ci est de tradition

apostolique (EPIPH.,Hae/e^., LXXV, 7, Migne. P. (i., t.XLII col. 511); le Carême est

une habitude ecclésiastique qui ne le remplace pas mais lui est surajouté. Tf,v Ik

T£33aûay.oaTr,v xfjV -co twv ï~~k f,aEpôJv tou iylo'j WxT/a. toaa'jiioç s'jXâiTstv îrtoOsv tj airr)

'Lz)c/,r3ta Iv vrjaTaîa'.ç ô'.zTîAou^a (El'IPH., Exposit. Fidci. XXII, loc. cil. t. Saint Jean
Chrvsostome et les Constitutions apostoliques affirment aussi nettement la séparation
et la succession des deux périodes (cf. Duchesae, Oriijine du Culte, 3"^ édit., p. 243).

Dans les ordonnances de saint Athanase, la distinction persiste, mais elle n'est plus
que théorique. Le jeûne de la Semaine Sainte est absorbé dans celui du Carême, c'est-
à-dire que les quarante jours ne sont atteints que par l'addition des temps de l'une et
l'autre période. Enju quadmgesimale jcjunium incipiemus die XllI Phamenoth : ^ancta
vero Paschatis hebdomada ordietur die XVIIl Phavmut/ii. Finiemus demum jejunia Sab
bato, die XXIII. Denique magna Domiuica erit die JXI Vejusdem ?nensis Pharmuthi (2)

(année 391).
Autant que les principes de l'organisation, il est possible de reconnaître que les si-

tuations de fait ou l'autre église. Saint Athanase avait eu


étaient différentes dans l'une
quelques difficultés à introduire le carême parmi ses fidèles (lettre à l'évêque Sérapion,
loc. cit., col. 1412); il semble avoir tout réduit au strict minimum il ne songe pas à :

ceux qui voudraient pratiquer le jeûne absolu; le temps de la Semaine Sainte est

(I) Hauck. voI.V, p. 775, renvoie aux. lettres festales d'AUianase, trad. allem. (Larsow, 94). Je
K. E.
n'ai à madisposition que la traduction de Mai, Migne, P. G., loc. cit., et n'y reconnais pas cette réfé-
rence ; est \T3.i que cette dernière traduction ayant passé du syriaque au latin par l'intermé-
il

diaire de l'italien (cf. préf.) a chance d'être défectueuse.


[i] Lettres festales. loc, cit.. col. 1418; cf. les conclusions des autres lettres.
REGENSIOxNS. 43o

confondu dans celui du Carême ; les ordonnances indiquent six semaines de péni-
tence.
Saint Épiphane, s'il est logique avec ses principes — distinction réelle des deux ins-

titutions, relâche du jeûne le dimanche — doit avoir ordonné en une période totale fait

de huit semaines. C'est sans doute ce que veut dire M. Achelis quand il afflrme que

le Carême d'Épiphane commençait à la Sexagésime {loc. cit.).


A Antioche, le fameux carême de 387 qui suivit la révolte de la population contre
les édits fiscaux de ïhéodose l" et le renversement des statues, et que prêcha saint

Jean Ciirysostorae, doit avoir eu huit semaines. Le Nain de Tillemont arrive par son
propre calcul à exiger même plus
que huit semaines; puis, pour se ranger au texte de
Sozomène, que nous citerons plus il rogne désespérément son addition (1)-, ce n'est
loin,

vraiment pas nécessaire! Peut-être y avait-on abouti par la même façon que saint
Épiphane, ou bien par une autre voie Antioche se trouve au cœur d'un pays peuplé
:

de moines, qui précisément sont intervenus durant cette crise de 387, d'ascètes qui
par vocation s'adonnent aux pratiques les plus rigoureuses. Chez eux, le samedi est
célébré à l'égal du dimanche (2); pour obtenir les quarante jours de jeûne absolu, il

faut compter huit semaines, même abstraction faite de la semaine pascale. Cette
organisation avait l'avantage de donner satisfaction et à ceux qui voulaient imiter à
la lettre le jeune du Sauveur, et aux autres, plus faibles, qui devaient s'en tenir à la

diminution de leurs repas quotidiens.


M. Meister cite deux textes d'auteurs du v« siècle (3). S'ils témoignent de quelque
chose, c'est bien de la liberté des églises qui continuent à organiser leur carême
comme elles l'entendent. Toutefois la pratique des huit semaines n'est jamais expres-
sément signalée; même on peut souligner que la Palestine est comprise par Sozomène

(1) Histoire des empereurs, t. V, note -2»" sur l'empereur Théodose I". La 18-= homélie ad popu-
lum antiochenum commence par ces mots : tioXXoù; siSov -/aipovTaç, xal Tipb; àXXrjXo^J? XÉyovxaî'
ÈvixYjiaLLïv, ÈxpaT;^G-o:[A£v, £Ôanavr|6r) T?iç v/]ijT£ta!; xo ri;j.i(7U. Migne, P. G., t. XLIX, col. l79e.Nous
sommes donc au milieu du carême. Sur la hn du discours, il leur reproch'î leur inconséquence
en ces termes : ri xeyaXr) xî); txôXsw; ev xw oîffu.wxr,p{w, xà \i.i\-t\ fi[j.wv Iv è^opia, àôyiXo; «epl ;?)

xo'jxwv '{'"'/?o?) ''-al (TÙ xopEUci?, cItxî (xoi. xat Ttaiî^ïi; y.al -(i\SL^; o\i-ikç ç£po[X£vxr,v àXoya-£av, ç-/]<j(v.

'O XY); àva'.ffy.ûvxou yv^jA/iÇ, w xr;; pava-jaoy -/.ai ôiEçOocpiAÉvo;" 7t($ffoi yîyôva'nv, sîixi [xot, [Ay^vs; -,

èviayxoî; o'jtîw e'i'/ioff'.v r,[jiî'pa; éy_£t; xwv potXavEÛov à7to-/.X£iff6£Î;. Sans aucun doute, si l'o-
7î6(70t
rateur avait pu dire quinze jours, II n'eût pas manqué de dire quinze jours. Non, il n'y apas en-
core vingt jours, dit-il, que vos bains sont fermés Or, cet ordre de fermer les bains n'a pu arriver
I

à .\ntioclieque bien tard, au cours du Carême. Tillemont croit que ce fu^ au plus toi, le lundi de
la troisième semaine.
(-2) Butler, iiist. Laus., II, 198, a recueilli les références des textes qui rapportent cet usage et sont

relatifs;! l'Égyjjte. Pour les autres pays, il renvoie à celles qui sont réunies dans Funii Die Apo- :

stolischenhonstilutione7i, 93, et à l'article Sabbalh dans Dict. Christ. Antiq. Pour la Syrie, Cons-
t i t. Apost.,\UÏ, 3-2: IpyaîléffOwffav ol ùovloi, néwiB 'q\xéç'Xi, <jà6êaxov &È -/al -/.ypiaxYjv (jyoXaî^Éiwaav

ev x-^ £-/-/.X-riaîa ôià xïiv ôiôaaxaXîav x-/j; EÙffeêeiaç- xbfJièvyàp aàêêaxov ûi:o[j.vi û-c,(xioup(i'a;X6yov
E/Eiv, xi)'/ oï -/yp'.ax-/iv àvaaxdccrsoj;.
L'Histoire Laus iaque nous rapporte qu'un ascète, Elpidius, vivant dans une grotte des alentours
deJéricho,nese relâchait de ses exercices quelesamedietle dimanche (Butler, 142, 18] :xà; -/uptaxà;
lAîxaXàjj.Sav£ (/.dvov --cal xô aâoêaxov, xà; vûxta; Éffxw; xal 4'*W.wv. Elle nous dit aussi qu'à Jéru-
salem, durant le carême, le moine Adolius ne mangeait que tous les cinq jours èv x-?, x£iTcrapaxoax-/i :

f^aQu otà ixî'vxî. Sans aucune hésitation, il faut rapproclier de ce texte celui d'Éthérie Jejunio- :

rum cnim consueludo hictalis est in quadrayesimis ut alii quemadmodum manducaverint


dominica die post missa, id est hora quinta aut sexta, jam non manducant per Iota septimana
nisi sabbalo venicnte post tnissa Atiastasis, lu qui faciunt hebdomadas i,80, 20). Adolius ne man-
geait que ledimanche et le samedi, c'est ce que signifie ôià txévte. —Le parallèle entre les apu-
tactitae d'Éthérie et Adolius se poursuit très bien sur d'autres points. Tôv ôà âXXov 6Xov xaipàv
[L'.a.-/ ixapà jxtav...
;3) Sozomène, H. E., VII, c. xix, Migne, P. G., t. LXVlI,col. 1477. Cassien, Contât. ,\\L 24, éd. Pet-
schenig. Corp. scr. eccl. lat., XIII, p. 599.
436 REVUE BIBLIQUE.

parmi les pays où l'on jeûne en général six semaines, tandis que la Phénicie est parmi
ceux où l'on jeûnerait sept semaines. Il ne faut pas exclure l'hypothèse d'un change-
ment de pratique dans une même église; là où il y a diversité, il y a variabilité; et
en faveur de cette suggestion, il y aurait ce fait que Cassien, dans la Conlatio XXI,
26-28. exprime une conception nouvelle et originale de ce temps de pénitence. Il y est
remarqué que par ni l'un ni l'autre des deux systèmes les plus en faveur, ceux des
six et sept semaines, on n'arrive au chiffre de quarante jours de jeûne qu'exigerait le
mot Quadragesima: la solution qu'il propose à celte difficulté est celle-ci au plus long :

appartiennent ceux qui ne jeûnent pas le samedi, au plus court ceux qui ne se repo-
sent que le dimanche; de part et d'autre, on s'entend pour pratiquer trente-six jours
de pénitence, c'est-à-dire pour se mortifier durant le dixième de l'année. Le carême,
dîme du temps qui est offerte à Dieu.
c'est la

S'il Jérusalem ce que Sozomène affirme des Palestiniens,


faut entendre de c'est

par un nouveau changement que l'on a prolongé le carême en cette ville de six à

sept semaines. Il est croyable que ces dernières limites furent fixées en 532 par le

patriarche Pierre, dans la mesure où il faut faire crédit à uff méchant florilège du
viii^ siècle, constitué pour la défense des sept semaines, et où son ordonnance est
citée à côté d'un témoignage du saint martyr Ignace et d'un texte tronqué de saint
Basile [loc. cit., col. 71 et 74, note f). Que la pratique des huit semaines ait été au

\r siècle un trait distinctif des hérétiques, je n'en connais pas la preuve. Au contraire,

à la fin de ce Dorothée, archimandrite des moines de Palestine, qui toute sa


siècle,

vie, semble* être resté à l'écart des querelles, dit nettement que les Apôtres ont ins-

titué les sept semaines, et les Pères la huitième o'Jtw yàp àawpiaav ijrrà iÇôoadtoa; (oî :

Svioi (î-o0xo).oi). XX'kk ol ~a.-ioiç tw "/.p<^''w o-jvstoov -poaTîOEÎ'va'. a-j-at; v.tÀ aXXr^v [xîav

£65ou.dôa, à'txa ijièv ôià to -poY'jiivctî^saGat. yoù o?ov -poo[J.xXîu£!30a'. to'jç [j.£X)>ovTa? ïÎcteXôeÎ'v

£?ç Tov xdîûov Twv vr^arsiûv, oÉaa 8è xal-tiiwvTSç Ta; vrjCTtît'açTwàpiOiUWT^ àYÎaîTcijapaxoaTr);.
f|V ivTjîTTSjaîv ô /.ûptoç f.piwv (Migne, P. G. A. LXXXVIII, col. 1788c). La diversité des

systèmes se maintint jusqu'au viii'^ siècle, et à cette époque seulement, il y eut des

esprits chagrins pour s'en scandaliser et lui trouver une saveur d'hérésie. Saint Jean
Damascène a vu la querelle s'éveiller: après s'être efforcé de l'apaiser par d'excellents
conseils distribués autour de lui, il fut pratiquement obligé de prendre parti pour les

huit semaines; à ce moment, il se décida à écrire pour éclairer l'opinion publique


après s'être informé lui-même par l'étude des Pères et de la tradition orale. Une de
ses premières affirmations est que la théorie proposée par Cassien est inadmissible :

a; os -ou Èv.auToy oi/.iZt;, où TE33acâxov:a ; il n'est pas non plus facile, d'après lui, de
concilier les opinions des anciens auteurs, notre Père Basile et Grégoire le théologien;
les uns parlent de six semaines; d'autres iraient jusqu'à exiger huit et neuf semaines.
Le meilleur moyen de satisfaire à toutes les prescriptions traditionnelles, est le système
de la sainte église de la Résurrection (JérusalenV qui au cours de huit semaines au
moins conduit graduellement les fidèles de la simple abstinence au jeûne le plus
absolu De sacris jejiiniis, Migne. P. G., t. XCV. c. 61 et suiv.;.
L'indication d'Éthérie sur la durée du Carême à Jérusalem n'est pas un indice qui
puisse nous fixer sur la date de son voyage. Si l'on veut bien ne pas arrêter quelles
étaient les conditions du iv siècle à l'aide des textes du v^^, et celles du vr avec un
écrit érislique du virr , la Perer/rinatio trouvera aussi aisément sa place dans les pre-
mières années des limites qui nous sont fixées que dans les dernières.

Éthérie poussa son pèlerinage jusqu'à Édcsse pour y vénérer le corps de saint
Thomas. L'évêque de la ville se montra très obligeant vis-à-vis d'elle et s'offrit à la
guider lui même. M. Meister, d'accord en cela avec Rubens Duval [Histoire d'Édesse,
REGENSION'S. 437

Paris, 1902) et M. Clermont-Ganneau, juge que la description d'Édesse, telle qu'elle


nous est donnée par la pèlerine, conviendrait assez bien aux travaux que Jnstinien y
fit entreprendre pour réparer les ravages de l'inondation de 525.

Il me paraît, tout au contraire, que notre récit ne peut être postérieur à ces tra-
vaux, surtout qu'il ne peut l'être immédiatement, comme ce serait nécessaire d'après
les limites déjà indiquées. Cette opposition absolue m'oblige à des citations un peu
longues qu'on voudra bien excuser.
Sur l'inondation et les travaux subséquents, Procope nous renseigne très bien dans
son livre De Aedificiis (éd. Dindorf., III, p. 228). J'emprunte la traduction du passage
à Rubens Duval (op. «Y., p. 9). « Édesse est traversée par un fleuve peu important,
nommé Sxtpio; (sauteur), qui porte au milieu de la ville ses eaux rassemblées de
divers endroits. Sortant de la ville, il continue sa marche, après avoir pourvu aux
besoins de celle-ci. A son entrée et à sa sortie, un passage a été ménagé dans la mu-
raille par les anciens habitants. Un jour ce fleuve, gonflé par des pluies tombées eu
abondance, monta à une grande hauteur et menaça de détruire la ville. Pxenversant
le premier rempart et ensuite le mur d'enceinte, il inonda la ville presque tout entière
et Il jeta à terre d'un seul coup les plus beaux édifices
causa des pertes irrémédiables.
et fit L'empereur Justinien, non seulement s'empressa de
périr le tiers des habitants.
reconstruire les monuments endommagés, parmi lesquels étaient l'église des chré-
tiens et le bâtiment appelé Antiphore ('AvTbocoç), mais il travailla avec une grande
sollicitude à ce que ce malheur ne se renouvelât plus. U sut par un art habile impri-
mer au un autre cours devant le rempart. A droite du fleuve, le pays était
fleuve
plat et de niveau; mais à gauche une montagne à pic ne permettait pas au courant
de dévier ni de prendre une direction autre que celle qu'il suivait; de toute nécessité,
il devait passer par la ville. A droite en eff'et, il ne rencontrait aucun obstacle qui

l'empêchât de se porter directement sur la ville. Justinien coupa la montagne dans


toute son épaisseur et fit à la gauche du fleuve un passage au moyen d'uu fossé
creusé et taillé dans le roc. Sur la droite, il éleva un mur très haut, formé de blocs

énormes. De sorte que, si le fleuve coulait d'une manière normale et ordinaire, la


ville ne fût l'utilité qu'elle en retirait; et que, si accidentellement il
pas privée de
s'élevait au-dessusde son niveau et débordait, la ville reçut encore son contingent
ordinaire, l'excédent étant déversé dans le canal de Justinien. Ce canal, qui avait
triomphé de la nature par un art admirable et une science au-dessus de tout éloge,
contournait le mur derrière l'hippodrome. A l'intérieur, le fleuve fut contraint de
couler dans son lit, sans en pouvoir sortir, au moyen de parapets élevés de chaque
côté. De cette manière la ville conserva les avantages que lui procurait le fleuve et

elle fut débarrassée de la crainte des inondations. »

Il n'est pas facile à la lecture de se représenter ces travaux dans tous leurs détails,

mais on ne peut nier l'ampleur des mesures prises, qui règlent encore aujourd'hui le
cours du fleuve (R. Duval, o^. cit., p. 8). Or, il parut à Éthérie qu'Édesse n'était
alimentée en eaux que par des sources qui jaillissent à l'intérieur de la ville et créent
un étang entouré époques de légendes et de vénération. Sans doute arrivâ-
à toutes les
t-elle en cette ville, peu importe que ce soit au printemps, à un moment de séche-

resse où les vingt-cinq cours d'eau dont parle la chronique d'Édesse (Biblioth. Orient.
d'Assémani, I, 392) n'étaient plus indiqués que par de longues traînées de cailloux.
Il que le témoignage de la pèlerine « est démenti de la façon
n'y a pas lieu de s'écrier
la plus catégoriquepar tout ce que nous savons des terribles inondations du Daican
(le SxtpTdç) », au contraire ces données d'origines diverses se complètent le plus
naturellement du monde et décrivent le régime capricieux de ces torrents.
438 REVUE BIBLIQUE.

En réponse aux questions d'Ethérie, son interlocuteur, 1 evêque de la ville, ne


trouva qu'une légende à proposer, qui en réalité ne donne raison de rien. 11 parle
bien d'un canal de dérivation, mais dont le résultat aurait été nul. Auparavant,
dit-il, la ville recevait les eaux qui coulent d'une colline voisine {nom monticulum
istum quemvides, filia, super civitaie hac, in illo tempore^ ipse huic civitati aquam
ministrabat). Mais au cours d'un siège dont ils voulaient hâter l'issue, les Perses les
détournèrent vers leur propre camp, à la fois pour en recueillir le bénéQce et assoif-

fer les habitants.Dieu intervint en faveur des Édessiens par des prodiges successifs :

jamais le canal ne reçut une goutte d'eau (... ut nec ipsi haberent vel unadie quod
biberent, qui obsedebant civitatem. sicut lamen et usque in hodie apparet), et au
centre de la ville, jaillirent miraculeusement les sources que la pèlerine admirait
(p. 62, 63).
Aucun des objets visuels dont témoigne cette description n'est irréel ;
ni les fon-

taines intérieures avec leurs gros poissons, ni les lits desséchés de ruisseaux, ni
même ce canal inutile dont l'évêque fait remonter l'origine à l'époque lointaine où
les sources sacrées auraient jailli : qu'il ait été entrepris par des bienfaiteurs ou des
ennemis de la ville, l'une ou l'autre h\'pothèse est admissible; la ville a subi assez de
sièges pour avoir vu ce genre d'attaque, et d'autre part des travaux de cette sorte
sont en projet après chaque inondation et la chronique d'Edesse enregistre des
catastrophes semblables en 201, 403. 413 comme en 525 : quelquefois ils sont entre-
pris et souvent ils échouent.
Mais qu'un évêque qui avait pu suivre avec autant d'étonnement que de joie l'en-
treprise de Justinien , recoure à l'explication qu'entendit Éthérie, cela paraît inad-
missible. Parlant ainsi, il ne pouvait indiquer le canal décrit par Procope, dont pas
un mot d'ailleurs ne fait soupçonner l'échec; et expliquant le régime des eaux, il

est inconcevable qu'il ait pu n'en rien dire à une dame qui ne manquait ni de vue ni
d'inteUigence.
L'évêque d'Edesse à qui parlait Éthérie était en possession de ce siège
avant 525.
Des nombreuses objections que M. Meister a soulevées contre la date communé-
ment attribuée à la Peregrinatio, toutes n'ont pas la même importance. Nous relè-
verons les principales et les éclaircirons le plus brièvement possible.
Il ne comprendrait pas qu'à cette époque, Éthérie puisse représenter comme elle

le fait l'organisation et l'expansion du monachisme.


En réalité, à la fin du iv® siècle, les ascètes égyptiens ont trouvé des imitateurs
partout, en Arabie, en Syrie, en Asie, en Gaule, en Espagne (li. Il suffit pour s'en
convaincre de parcourir la chronologie de V Histoire Luusiaque telle que l'a établie D.
Butler {Hist. Laus., II, p. c.-cii). Si Éthérie a voyagé en Orienta cette époque, elle
pouvait et devait en témoigner pour l'Orient et pour son propre pays. A côté du
texte de saint Nil (début du v« siècle) (2) relatif au Sinaï (uarr. III, p. 37, édit.

(1) en raison de l'incrùtlulité de M. Meister. CI'. Butler, Hist- Laus.,U,


J'insiste sur l'Espagne
p. CI, et je phrase de cet auteur au. 380. C. of Saragossa forbids clerics to hecome
cite cette :

monk-shows thés pread of the institute in Spain.


(2) M. Meister cite aussi le témoignage de Postuniien rapporté i)ar Sulpice SéA'ère ipremières
années du V s.) « llubrum mare vidi
: jugum Sina montis ascendi, cujus summum cacumeu
:

cœlo pêne contiguum nequaquam adiri potcst • (Dialog. 1. \vn, Migne, P. L., t. XX, cet» 194) et
veut qu'il soit conlirnié par celui de saint Nil mais non, les deux témoignages se contredisent
:

l'un l'autre, si Postumien ne se contredit pas lui-même. Peut-être n'a-t-il vu que le Serbal qui
est en effet beaucoup moins accessible que le Sinaï Entre les deux, c'est celui de saint Nil I

qu'il faut suivre, puisqu'il nous informe directement et a demeuré lui-même au Sinaï.
M. Meister n'utilise pas le texte d'Ammonius « Ammonii monachi relatio de sanctis patribus bar-
:
RECENSIONS. 439

Possin) : JTOtouat 51 (les moines) -càç oh.r^'j-ii où ;:)vrja(ov àXXnîXwv àXX' îxavwç à-o6cV
otiaTaaÉva; êlV.oat 7:ou xat ttXsro aXXoç àXXou arao(o'j; à-iyovxsç... Tatç oè Kupiazal'i; Et:

i/.î(X7)o(av [aÎxv cpoiTwai cuvaYOfJLEVot xat àXXrjXot; ôt' ÉCooaâooi; auvsaôjXEVot Tuvépyov-at, ïva
;j.f, ::aXtv ô navtîXTiç y^wptai/.bç tSj ypôvw ôia/.6'^T) r/i; ôtxovofa; rbv (rJVOEay.ov... xoivwvouat
Tî oùv Twv Gefwv [xucTTTipfwv -/al laTiôjutv àXXir]'Xou; yjiv/x'^ix twv xaOrjxo'vTwv Xo-{loi't — il

n'y a aucune difficulté à naettre en parallèle sa description à elle (p. 37 et suiv.). Le


Sinaï se compose d'un sommet central entouré de montagnes d'une élévation infé-
rieure; sur le sommet il n'y a qu'une église, « non grandia », personne n'y habite,
« nom cum ipse mons sanctus Syna totus petrinus sit, ita ut nec frutlcem habeat, tamen

deorsum prope radicem montium ipsorum, id est seu circa illim qui medianus est,
seu circa illorum, qui per giro sunt, modica terrola est ; ftatim sancti monachi pro
dilif/entia sua arbusculns ponunt et pomariola insfituunt vel orationcs et juxta sibi

monasteria ». A l'occasion de son arrivée plusieurs des moines ont gravi les pentes
abruptes pour participer avec elle aux saints mystères. Le prêtre qui dessert l'église
a quitté aussi son monastère et la reçoit, « scnex integer et monachvs a prima
vitn ». Faut-il s'étonner de ce détail? A supposer que le voyage ait eu lieu en 390,
donnons à ce vieux moine soixante-quinze ans d'âge et soixante ans de vie religieuse :

on est reporté pour le début de sa retraite à l'année 330 où est l'invraisemblance? :

Et encore une fois, n'y a-t-il pas conformité absolue entre ce qu'ont vu et décrit saint
Nil et Éthérie?
Mais, à son tour, M. Meister ne se serait-il pas abusé sur le sens du mot /no/iasfe/'«<m?

Pourtant dans l'index de Geyer (édit. cit., p. 366), on explique déjà ce mot de la sorte :

« Silviam cellula significat; ifaque plerumque numéro phirali adhibetur ». Et


rtpiid

ce ne serait pas une des moindres dilficultés, s'il fallait adopter la datation nouvelle,
que ce fait que jamais Ethérie au cours de ses voyages dans toutes les directions, ne
se soit trouvée devant un monastère au sens plus récent du mot, dans la manière
que saint Basile a réglée et promue dans tout l'Orient.
L'objection ne gagne pas en valeur si l'on rappelle les attaques des bédouins
contre les moines du Sinaï. L'histoire en enregistre quelques-unes à la fin du
iv« et au début du mais cet obstacle à un voyage ou à un séjour dans le
v° siècle,

désert est de toutes les époques et de tous les déserts, du vr siècle aussi bien que
du iv, de la Transjordane comme du Sinaï, et il n'a jamais empêché les moines
de s'y installer. Quand les solitaires demandaient à Justinien qu'il leur bâtisse un
monastère fortifié, c'était bien une protection qu'ils sollicitaient. L'exemple de saint
Nil est des plus significatifs ; il devait savoir, autant qu'Ethérie, que vers 373, sous
l'empereur Valens, y avait eu par les Arabes un massacre général des pieux habi-
il

tants de la montagne sainte (cf. Tillemont, dissert. cit.). Le danger ne datait pas
d'alors; les incursions de plus en plus audacieuses des Sarrasins jusque sur le terri-
toire de l'empire avaient rendu nécessaire, au iii° siècle déjà, le déplacement vers le

sud de la X" Légion Fretensis, de Jérusalem à Alla, et provoqué tout un remaniement


administratif des provinces frontières (cf. Brùnnow u. Domaszewski, Die Provincia
Arabia, Strassburg, 1909, p. 275-276). Saint JXil au Sinaï, et avec son
s'est retiré

jeune tils; il en a pâti; d'autres ont recommencé. Et moines s'y trouvant, les pèle-
les

rins les visitaient. D'ailleurs Éthérie se fit accompagner par des soldats (49, 25).

barorum incursione monte Sina et Ralthu perempUs


in je ne l'ai pas moi-même en ce moment
'
;

sous la main. me
permette cependant de lui signaler le parti que Couret en a tiré yLa Pales-
Qu'il
tine sous les empereurs grecs, Grenoble, i86'J, p. 47) pour décrire les origines du monachisme au
mont Sinaï, surtout l'excellente analyse qu'en a faite Le Nain de Tillemont « Les saints anaco- :

rètes, Paul, Isaie, Sabbas et les autres tuez par les barbares dans les solitudes de Sinaï et de
Raïtte. » Mém.2your servir à l'hist. ecclés.. VII, 573-o80.
440 REVUE BIBLIQUE.

M. Meister veut que la correspondance échangée entre le Christ et le roi Abgar


n'ait été connue en Occident que grâce à Rufin, et ne s'explique pas qu'Éthérie en
ait possédé des copies avant même son voyage. Pourquoi ? La pèlerine en a reçu
àÉdesse des copies pUis complètes ; d'autres avant elle et comme elle ont pu en ob-
tenir; et une fois en circulation, ces documents ont le vol rapide!
La naissance du Sauveur est célébrée à Jérusalem le jour de l'Epiphanie. M. Meis-
ter s'en étonne M?'' Duchesne a indiqué que Noël n'était pas une fête célébrée à
;

Jérusalem au iv° siècle, non seulement sur la foi de la Peregrinatio Aetheriae, mais
aussi d'un discours de saint Jérôme, prononcé en cette ville dans une des premières
années du v siècle (Origines du Culte, 3" édit., p. 2.59, n" 3).

Il n'y a pas à se préoccuper davantage des difOcultés soulevées à propos de la fête


de la Présentation de Jésus au temple, appelée maintenant fête de la PuriBcation de
la Vierge. On veut rattacher son institution au développement du culte de Marie.
Dans la Peregrinatio, il n'est pas question de la sainte Vierge, mais de la présen-
tation de Jésus (77, 24).
La formule « jussu imperatoris romani » est employée une fois; M. Meister en
conclut que tout l'empire romain se trouvait sous l'autorité d'un seul empereur, et
par suite que le récit ne peut avoir été écrit qu'après 476. S'il fallait considérer
cet argument comme décisif, c'en serait un autre, mais en faveur de la thèse adverse,

que la pèlerine n'accorde jamais à l'évêque de Jérusalem le titre d'archevêque ou de


patriarche.
Ainsi, M. Meister n'a pas réussi à déplacer la date de la Peregrinatio Aetheriae,
ni même à restreindre les limites extrêmes de temps entre lesquelles il faudrait, pour
l'utilisation pratique du document, lui trouver un point d'attache mieux déterminé.
Peut-être le seul résultat auquel il ait abouti est-il d'avoir ébranlé l'argumentation
de Gamurrini. Il nous reste, avant de clore cette discussion, à examiner s'il n'y a

rien à dire pour la consolider.


Entre 363 et 525, il y a plus d'un siècle et demi d'écart et l'Église de Jérusalem et
la Palestine ont eu le temps de passer par des phases très diverses. Durant la pre-
mière moitié de cette période, il y eut des discussions très vives entre partisans de doc-
trines diverses, |des mesures de persécution prises par des empereurs, de gros mots
échangés entre saint Jérôme et ses ennemis, çà et là des scènes de violence. Un
étranger pouvait ignorer ces incidents épars s'il se laissait aller à l'enthousiasme

d'une ville qui se renouvelait, au culte des Lieux saints qui était la préoccupation
universelle, à l'édification des moines qui étaient pauvres, humbles et austères. Juvé-

ual obtient en 451 le titre de patriarche, et on dirait que c'est le point d'arrêt d'un
progrès continu. Presque en même temps, les menées de l'impératrice Eudocie susci-
tent des forces anarchiques que plus personne ne réprimera jusqu'à la chute du
christianisme en ces régions. C'est elle qui crée le schisme entre l'autorité épiscopale
et la puissance que représentaient des milliers de moines elle mit le bâton entre :

les mains de ces derniers et ils ne le déposèrent plus jamais. Aucune des querelles
byzantines ne fut épargnée à ce pays eutychiens, orthodoxes, acéphales, origé-
:

nistes se succédèrent, et peu importait la logique des arguments, mais bien le nombre
de partisans armés que pouvaient recruter un ïhéodose, un Sévère, un Sabas, un
Nonnus. Si les monastères sont surmontés d'une tour et se bâtissent comme des
citadelles, c'est bien contre les Sarrasins dont les incursions deviennent de plus eu
plus audacieuses; mais la résistance des murailles ne sera pas non plus inutile contre

les adversaires théologiques qui n'hésitent pas à entreprendre un siège et à raser le

refuge de ceux qui n'adoptent pas leur opinion. Un jour, saint Sabas réunit dix mille
RECENSIONS. 441

moines autour de la basilique de Saint-Etienne pour affirmer en face du gouverneur


de la province que les quatre conciles doivent être reçus comme les quatre évan-
'(

giles ». Une autre fois les Origénistes sont vainqueurs des Orthodoxes, après un
combat sanglant livré dans les rues de Jérusalem, et mènent derrière eux une pour-
suite vigoureuse dans la vallée du Cédron (1).
Sans doute l'itinéraire de Theodosius 'an. 520-530) (2) ne rend pas un écho de
tout ce tumulte: mais autant celui-ci est impersonnel, autant celui qui nous occupe
est pénétré des impressions de celle qui l'écrit. Et il est à remarquer qu'à l'époque
du premier l'autorité de Sabas a produit une accalmie relative, que ce saint mourut
en lan 532 et que sa disparition fut le signal d'une recrudescence d'hérésies et de
désordres (3). Est-il possible que la nonne Ethérie ait passé plusieurs années dans ce
milieu troublé, elle qui n'a rien vu que des motifs de louer Dieu de lavoir con-
duite en ces lieux.^ Le fait est que ni dans les pages qui nous sont parvenues, ni dans
ce que nous pouvons deviner du reste par la lettre du moine espagnol Valérius, il n'y
a, à propos de cette situation lamentable,
la moindre plainte de sou âme pieuse.

Sans remarques qui sont, je le reconnais, des suggestions plutôt


insister sur ces
que des arguments, relevons aussi que le récit de notre pèlerine est relativement
pauvre en souvenirs localisés, surtout en souvenirs de Nouveau Testament. Quel-
qu'un s'est demandé si le pèlerin de Bordeaux (an. 333) n'était pas un chrétien
judaïàant; Ethérie en est proche parente et ne mérite pas davantage ce qualificatif.
J'éprouve bien que sur ce point nous risquons de nous laisser tromper par l'absence
d'une description de Jérusalem et de la Palestine. Mais franchissons avec elle le

Jourdain pour aller par la ville de Livias jusqu'au haut du mont Nebô ^p. 50 et suiv.).
Comme tous ses autres pèlerinages, elle n'a entrepris celui-ci que sur l'ordre de
Dieu; cette fois, il paraît qu'on s'est organisé en véritable caravane; elle s'est fait
accompagner par un prêtre, des diacres et des moines de Jérusalem. On passe par
Jéricho aucun détail ne nous est donné; sans doute avait-elle déjà visité cette ville
:

et livré ses impressions dans la partie de l'Itinéraire qui ne nous est pas parvenue
cf. lettre de Valérius n° 2: Férotin, Rev. des Quest. hist., F"- cet. 1903, p. 385-386).
Dès que !e fleuve est atteint, les souvenirs s'éveillent et sont enregistrés sur près de
quatre pages. Tous sont relatifs à Moïse et au passage du Jourdain par les -Israélites.
— Theodosius (520 à 530), qui n'est allé qu'à Livias, nous ouvre en quelques lignes
bien d'autres aperçus à côté des souvenirs de Moïse, il y a ceux d'Elie
: il a vu la :

petite montagne d'où le prophète fut enlevé: et aussi le tombeau d'Elisée honoré
d'une petite église. Surtout y vénère l'emplacement oij Jésus-Christ fut baptisé ;
il

l'empereur Anastase y a élevé une église dédiée à saint Jean-Baptiste, et l'endroit


précis de la scène évangélique est marqué par une colonne de marbre surmontée
d'une croix de fer (Geyer, p. 145). Même quand il s'agit de Moïse, les dires du pèlerin
du vi« siècle ne sont pas toujours conciliables avec ceux d'Éthérie; celle-ci. désirant
boire à la source que le libérateur d'Israël fit jaillirpour désaltérer son peuple, fut
conduite par les moines du pays à environ six milles de Livias, et n'j arriva qu'après
une marche assez pénible. Theodosius nous dit ipsa Leviada Moyses lapidem : m
de virga fercitssit et fluxerunt aquae. Si nous faisions le voyage avec Antonin de
Plaisance (an. 570, édlt. Geyer, p. 165), le récit d'Éthérie paraîtrait encore plus pau-
vre; et ce qui est corrélatif, là où elle a vu un grand nombre d'ermites {monachi
aulem plurimi commanent ibi vere sancti et quos his ascites vocant, p. 52, 1. 20), lui

1, La Palestine sous les empereurs Grecs, par .ilph. Couret. -2= partie, p. 117-202.
,2j Éd. Geyer, Itinera lerosolymitana.
(-3, Couret; op. cit.: P- 1^8 et suiv.
442 REVUE BIBLIQUE.

en a rencontré une multitude (p. 165), plus un très grand monastère de Saint-Jean-
Baptiste avec deux hospices peut décrire une
fête de la Théophanie qui s'\- célèbre
; il

chaque année en grande pompe. Parmi les souvenirs multipliés, je signale simple-
ment qu'il reconnaît dans les environs la vallée de Corra (I Rois, xvii. 2-6) où le
prophète Élie fut nourri par un corbeau, tandis qu'Éthérie la trouvait au nord de
Thisbé (actuellement Mar-Elyas), c'est-à-dire bien plus en amont de la vallée du
Jourdain (p. 59, 1. 8).

Ces considérations aident à discerner dans la Peregrinatio d'Éthérie un air d'anti-


quité à vrai dire, elles ne sont pas décisives parce qu'elles sont d'ordre trop géné-
:

ral; les écrivains les plus habiles ne reflètent jamais exactement et intégralement

leur milieu, et les auteurs d'itinéraires ne sont pas à classer parmi ceux-là. Cepen-
dant, elles ont peut-être soutenu la thèse de Gamurrini autant que ses arguments
eux-mêmes, et si M. Meister a cru devoir multiplier les siens, n'est-ce pas qu'il ait
voulu se défendre contre ces impressions d'une simple lecture?
M. Meister ne fait pas à un argument de Gamurrini l'honneur qu'il mérite. Quand
la pèlerine est arrivée à Carrhes, aux limites de la Mésopotamie, elle s'informe au-
près de l'évêque de la situation de Ur, la patrie d'Abraham, et l'évêque de lui ré-
pondre (67, 19) : « Locus ille, filia, qitem requiris, décima mansione est liinc intus
in Persida. Nam
hinc usque ad iSisibin inansiones sunt quinque et Inde usque adHur
quae fuit Chaldaeonim. aliae mansiones sunt quinque; sed modo ibi accessus
civitas
Romanorum non est totum enim illud Persac tenent.
:

Nous avons déjà dit que Msibe fut abandonnée par les Romains en 363, et par ses
expressions, l'évêque indique qu'il a conservé de ce recul de l'empire un souvenir
très présent (1). Gamurrini jugeait qu'il fallait tenir compte de cette manière de
parler et ne pas reculer outre mesure la date du pèlerinage. Ce n'est pas l'avis de
M. Meister qui comprendrait encore le regret de l'évêque à deux cents ans de dis-
tance : modo ne signifierait pas « depuis peu », mais « actuellement ».

Je n'exclurais pas aussi décidément le pèlerin de


le premier sens ; voici comment
Bordeaux, qui vient à Jérusalem en 333, signale la basilique du Saint-Sépulcre :

Ibidem modo jussii Constantini imperatoris basilica facta est (Geyer. 23. 1).
Mais même à accueillir la seconde interprétation, et à considérer les textes qui
sont apportés à son appui, — tous deux tirés de la Peregrinatio elle-même, l'un
(64, 31) : Necesse me fuit accedere usque ad Charris, quia modo sic dicitur. JSam in
scripturis sanctis dicta est Charra...; — l'autre (48, 3) : Heroum autem civitas
quae fuit illo tempore, id est iibi occurrit Joseph patri suo Jacob venienti sicut scrip-
tum est in libro Genesis, nunc est corne, sed grandis quod 7ios dicimus viens, —
ilne s'ensuit pas que l'argument soit dirimé.
Par l'emploi de ces adverbes, on veut suggérer une comparaison entre des situations
ou des appellations actuelles et d'autres, antérieures. Dans les textes qui soutiennent
l'objection de M. Meister, la pèlerine se réfère à des souvenirs bibliques, des histoires
lointaines sans doute, mais qui lui sont chères et familières; et encore prend-elle le

soin, pour éclairer le lecteur, de renvoyer aux livres sacrés-, la perte de Nisibe est,
relativement à nos personnages, d'ordre bien inférieur, et ni l'évêque dans la conver-
sation ni la pèlerine dans son récit n'explique cette allusion. Et pourtant ce modo,
fût-il un nunc, appelle une explication; ainsi en est-il deux pages plus haut (62, 22) :

1. Que ces expressions soient relatives à >'isibe. il n'y a pas de doute. M. Meister voudrait

qu'il s'agisse de Ur; mais Ur, ou le pays arec lequel Ur est identifié par l'évêque, n'a jamais
appartenu à l'empire. Nisibe, à l'époque où elle appartenait à l'empire, en était l'extrême Irou-
.tière.
RECENSIONS. 443

ipsa civitas [Edessa) aliam aquam penitns non hahef nunc nisi eam quae de palatio
exit : suit immédiatement le récit nous apprenons
de l'évêque, cité plus haut, où
qu'autrefois il n'en était pas ainsi, et comment les choses ont changé. Si pour INi-
sibe il ne nous en est pas donné, on peut conclure qu'elle est supposée dans l'es-
prit de tous, et que modo, qui après tout n'est pas un nunc. s'oppose à un temps
peu éloigné ( l >.

Je me trouve confirmé dans cette idée par une considération qui n'est pas sans
importance. La pèlerine accorde un intérêt particulier aux circonscriptions adminis-
tratives qu'elle traverse et s'apphque à en parler avec précision.
Le récit de son voyage se termine par l'itinéraire de Tarse à Co^stantinople. Elle
le donne en quelques mots « Et Inde, alla die, subieiis montem Taunim et faciens
:

iter jam notum pcr sin^idas provincifs quas eundo trnnsiverum, kl est Cappadociam,

Galatiam el Bithininm, perveni Chalcedona » (70, 16). De là. par une courte traversée
elle arrive à Constantinople. Quelle que soit l'époque du récit, l'énumération est
complète et exacte. Ce sont bien ces trois provinces qui se trouvent successivement
sur la route qui rejoint les deux points extrêmes de son voyage. Leur territoire fut
partagé sous Dioclétien ou au cours du iv^ siècle en un grand nombre de subdivi-
sions. Même chemin d'Éthérie ne traverse que celles des
après ces remaniements, le

nouvelles provinces qui ont conservé ces trois noms, les autres, c'est-à-dire le Ponius,
le Pontiis Polemianus, les deux Arménies, la Lycaonie (ancienne Cappadoce). la

Paplilagonie et la Pisidie (anc. Galatie), celle de Honorias (anc. Bithynie), n'étant


point touchées par elle (2).

Quand elle parle de la Thébaïde, il ne s'agit pas seulement d'une région sainte,
chère aux pèlerins, mais d'une province bien délimitée dont la situation précise lui

permet de une ligne géographique (50, 1).


délinir
En cet ordre de choses, elle insiste et se répète, et c'était sans doute pour per-
mettre à ses sœurs de suivre plus clairement le cours de ses pérégrinations : Itaque
ergo in nomine Christi Dei nostri profecta sum de Antiocha ad Mesopotamiam hahens
iter per manaiones seu civitates aliquot provinciae Siriae-Celen quae est AntiocMae,
et inde régressa- fities provinciae Augustofratensis, perveni ad civitatem Gerapolirn.
quae est metropolis ipsius provinciae, id est Augustofratensis (60, 29).
Elle aime en particulier à indiquer à quel point elle a franchi les limites des deux
provinces, ou d'une province et d'un pays limitrophe (47, 1; 48, 48, 9: 50, 21; 1 ;

56, .3; 59, 13). Plusieurs fois au cours d'une longue route cette pieuse femme, dont
ni l'imagination n'était très éveillée, ni le vocabulaire très riche, ne se préoccupe pas
de nous donner d'autres renseignements.
Il semble qu'on puisse tirer parti de ces indications et j'essaierai de le faire pour
le diocèse d'Orient qu'elle a parcouru à peu près dans tous les sens (3).

Voici la liste des provinces qu'on pourrait dresser avec son secours pour cette

,1) M. Clermont-Ganneau a déjà remarqué Recueil d'nrcfi. or.. III, p. 1-29, qu'Antoain use de ce
mot modo pour désigner particulièrement les églises bâties par Eudocie ou Juslinien, tandis
qu'ilne l'emploie pas pour les édifices plus anciens.
Marquardt. Organisation de l'empire rotnain, 1S9-2, II, p. .301,287, 275.
(-2) Cf. Kiepert, Formy —
orbis antiqui, VIII. Asia minor imperatoris Traiani. L'énumération des villes de chaque pro-
vince, donnée par Marquardt, permet de reconnaître quelles furent les limites des subdivisions
postérieures à Trajan.
(3) .l'exclus l'Egypte qui dans la seconde moitié du iv^ siècle est constituée en diocèse distinct,
cr. Laterculus Poleniii SUvii ^liste de l'état des provinces de l'empire, datée de 385 à 399, édil.
Sedck. p. 25!»;. —
Pour le contrôle de l'argument que je développe, je signalerai le livre récent
de MM. Briinnow et Domaszewski, Die provincin Arabia, Strassburg, 1909, où se trouvent réunis
tous les textes qui nous intéressent, p. 2W et suiv. Ueberblick iiber die Geschichte der Provinz
:

Arabia.
444 REVUE BIBLIQUE.

partie de l'empire : Hisatcria (p. 69), Cilicia (p. 69), Mesopotamia (p. 60), Augusto-
fratensis (p. 61), Coele-Syria (p; 60), Fenice (p. 59), Palaestina (p. 50), Arabia
(p. 50, 56).

Les renseignements sur le nombre des provinces et leur multiplication au cours


du iv^ siècle ne nous font pas défaut. Des dernières années du iii^, nous avons la
liste de Vérone qui pour la même région donne l'énumération suivante (1) :

Arabia item Arabia augusta Libanensis paîestina fenicen syriae cohele augusta
eufratensis cilicia isaiiria mesopotamia Osroena. On a déjà émis et accepté l'hypothèse
que les second et troisième mots sont le résultat d'une interpolation ('2) Augusta ;

Libanensis désigne une province constituée par Dioclétien et qui disparut peu après
lui (3).

Si l'on veut présenter l'état des provinces dans la seconde moitié du iv'^ siècle, il

faut ajouter la Palaestina Salutaris que l'on considère avoir été formée vers 358 (4),

et la Sophanene dont il est fait mention dans le laterculus de Polemius Silvius (5);

et la liste en serait la suivante : Isauria, Cilicia, Osroena, Sophanene, Mesopotamia,


Augusta euphratensis, Coele Syria, Phenice, Palaestina Palaestina , salutaris, Arabia.

Éthérie n'est pas allée en Sophanene, elle n'avait pas à l'indiquer; de même pour
la Palaestina salutaris, puisque son voyage de Péluse à Jérusalem s'est poursuivi par
les villes de la côte qui ont toujours appartenu à la Palestine proprement dite. Elle
a commis une seule erreur, plaçant Édesse en Mésopotamie, alors que cette ville était
la capitale de rOsroène.
Au début du v<^ siècle, le système du morcellement des provinces a beaucoup pro-
gressé y a, à côté d'une Cilicia prima, une Cilicia secunda; d'une Sy7'ia prima,
: il

une Syria secunda ou salutaris; la Phénicie est partagée en Phœnice maritima et


Phœnice Libanensis, la Palestine en Palaestina prima et Palaestina secundo, tandis
que la Palaestina salutaris devient la tertia. Ces résultats sont acquis dès l'année 400
et pour longtemps (6).

semble qu'il y a là une bonne raison pour placer la Peregrinatio Etheriae à la


Il

findu iv^ siècle plutôt qu'après, de la croire plus proche de l'année 385, date pro-
bable du laterculus de Polemius Silvius, plutôt que de la limite extrême de ce siècle.
S'il en est ainsi, on s'explique qu'Éthérie introduise dans son récit les évêques

d'Édesse, de Batna (Batanis) et de Harran (Carrhes) avec le titre de confesseurs


(61, 20; 62, 4; 65, 8). Sans nous révéler leur nom, elle nous indique par ce mot
qu'elle a vénéré en eux des hommes qui ont souffert pour la foi. M. Meister veut
entendre cet éloge des évêques du pays qui ont défendu l'orthodoxie sous l'empe-
reur Anastase. Nous connaissons la liste des évêques d'Édesse (cf. Rubens Duval,
op. cit., p. 197); nous ne voyons pas qu'aucun de ceux qui ont détenu ce siège dans
la première moitié du vi^ siècle ait subi quelque dommage en raison de ses croyances
orthodoxes. Mais il est bien certain qu'en 387, Eulogius se trouvait encore sur le

trône épiscopal de cette ville, et de lui on pouvait dire qu'il avait « confessé » sa
foi : sous l'empereur Valens, alors qu'il était simple prêtre et son évêque exilé, il

Édit. Seeck, p. 247.


(1)
BOKMANN, De Syriœ provincise romanee partibus capita nonnulla. Berlin, 18G5, p. 30;
(2)
hypothèse acceptée par Jillian, De la réforme provinciale à Dioclétien, Revue historique, XIX.
p. 331. Brùnnow et Doniaszewsky, loc. cit., p. 271-272.
(3) Ammien Marcellin ne la connaît pas (ann. 353).
(i) Cette province est nommée pour la première fois par saint Jérôme, Quiestiones in Genesim,

p. X, 30, édit. Lagarde, p. .33; mais à bien entendre certaines afiirmations de Libanius,
elle doit avoir été constituée vers 358. Cf. Brïmnow et Domaszewsky, loc. cit., p. 277.
(S) Édit. cit., p. 2o9
'6) Notitia dignitatum, éd. Seeck, p. 5 et suiv.
RECENSIONS. 445

n'avait pas permis que les fldèles entrassent dans la communion des persécuteurs, et
lui-même à son tour fut relégué à une autre extrémité de l'empire. La fortune ne
fut pas moins juste vis-à-vis d'un second prêtre d'Edesse. Protogène, qui avait été

le compagnon d'exil d'Eulogius; quand la paix religieuse fut rétablie, il fut désigné

pour occuper le siège de Harran (1 }. Nous reconnaissons en eux deux des trois con-
fesseurs qu'Ethérie eut la joie de rencontrer.
Encore à Edesse, en 394. sous l'évêque Cyrus. eut lieu la translation des reliques
de saint Thomas dans une église qui lui avait été dédiée (2). Pour les deux raisons
que je viens de développer, j'incline à croire que le voyage d'Éthérie est antérieur à
cette cérémonie (3; . Mais le vaste sanctuaire qui recevra plus tard la châsse du saint
est déjà construitou restauré [valde pulchra et nova dispositione. Éthérie, 61, 29) et
s'ouvre aux pèlerins qui de plus en plus nombreux viennent honorer le corps de l'apô-
tre 4). L'ancien martyrium est tout proche et j'entends ainsi la phrase d'Éthérie per-
rfximus ad ecclesiam et ad inartyr'tum sancti Thoinae. Il n'y avait pas lieu sans doute
de faire, comme le voulait Gamurrini. de cette expression un argument, mais il faut
avouer que dans les circonstances où nous la plaçons, elle devient très intelligible.
Il en est de même de toute la Perer^rinatio. Après une étude détaillée de la thèse
de M. Meister, nous ne comprenons bien cet itinéraire que si nous persistons à le

dater de la fin du iv"^ siècle.

Jérusaleai.
Joseph Decomxck.
Scripta Minoa, the icritten documents of minoan Crète with spécial référence to
the archives of Knossos, by Arthur J. Eva>'s. Vol. I The hieroglyphic and pri-
:

mitive linear classes ivith an account of the discovery of the pre-phoenician scripts,
their place in minoan story and their mediterranean relations, icith plates, tables
and figures in the text. Gr. in-4'' de x-302 pp. Oxford, Clarendon Press. 1909.

M. Arthur Evans a découvert la Crète ancienne parce qu'il l'a devinée, et cela
est vrai même de l'écriture Cretoise préhistorique. Les fouilles de Knossos n'étaient
pas encore commencées que déjà l'illustre savant avait reconnu sur les sceaux qu'il
recueillaitun peu partout un système de pictographie conventionnelle, c'est-à-dire
une écriture, qu'il attribuait au pays de Minos. La découverte des archives du palais
de Knossos n'a été qu'une juste récompense de sa perspicacité. Aussi lui est-il donné
aujourd'hui de reprendre avec ampleur et de traiter eu maître le sujet qu'il avait
esquissé dès 189-5 dans ses Primitive pictographs and Prae-Phoenician Script in
Crète and the Péloponnèse.
Jusqu'à présent, l'écriture Cretoise a gardé son secret, mais elle ne le révélera
sans doute qu'aux efforts persévérants de l'intelligence, et, sans entreprendre un

;i; Théodore!, Hist. eccl., IV, 13 : nspî toô èv 'EÔÉT5 vEvofiivo'J ôttoyaoû -/.ai nepi E-iXo^iou -/.a-

nccùTOfévo-j; ÈoîTr.vwv TrpECTouîépMv. Migne, P. G., t. LXXXU, col. llè>4 EJXoviov oà... xat IIpu-
Toyévvj; è&îcr.vûv Tzps'îov-ïptov.
col. 1157 : EJXÔY'.ov 6à... xat IIpo)TOv£vr,'j =1; 'Avtivù -zry 0r,oa£'i)v cçsjîîji'I/îv.

col. 1159 : èîtî'.of, 6è zr,-/ èvE^xo-jcav xaréXaêov 6 |Jiàv 6îTo; Eù/ÔY'-o;, 3àp(70'j -ov u.îyâ).o-j [xe-a-
CTavTo; îl; tov ï):jtzo\ ^îov, tî;; 'ju' Iy.v.-iO'j /.joîpvuu.Évr,: 'ExxXr.Tia; ï7:'.(j-îv6r, "ov; o'.a/.a;' 6 ôî
à?'.âva(7To; IIpwTOvÉvri; ystooYîtv Tzooctz-xyjir, Ta; Kàpaç.
[il Chron. Edess.. éd. Assemani, ad ann. Graec. "05.
'3 \ rencontre de Baumstark, Abendlàndische Palâstinapilger des ersten Jahrtausends u»d
ihre Berichte, Kôln. 1906, p. (3.

Rien n'indique qu'il s'agisse de l'église principale de la ville, qui en possède plusieurs
(4)
dès le iv« siècle (cf. Baumstark, Oriens Christianus, 1904 Vorjustianische Kirchliche Bauten in :

Edessa. p. 169 et suiv.). Dès lors, il est inutile de parler de la cathédrale qu aurait rebâtie Jus-
tinien.
446 REVLE BIBLIQUE.

déchiffrement prématuré, la tâche a encore son prix de cataloguer les documents,


de les décrire, de les analyser, de retrouver leurs points d'attache dans le bassin de
la Méditerranée. Il appartenait à M. Evans de faire au public les honneurs de sa dé-
couverte et d'en raconter tout d'abord les péripéties.

Les lecteurs de la Revue connaissent déjà les deux catégories principales de l'écri-

ture minoenne (RB., 1907, p. 193 ss.}. la pictographie conventionnelle que M. Evans
regarde comme une véritable écriture dans le genre des hiéroglyphes, et l'écriture

linéaire comprenant les deux classes A et B. Mais de nombreux échantillons ne se


rattachent à aucun de ces systèmes. En apparence, nous trouvons là encore des re-
productions pictographiques et des caractères linéaires qui se rapprochent des alpha-
bets. C'est peut-être la partie la plus neuve et la plus géniale de l'œuvre d'avoir re-
connu, dans ces cas, des tâtonnements qui n'ont pas abouti. L'artiste n'était point
encore assez sûr de sa main pour reproduire exactement les objets, la forme linéaire
naissait pour ainsi dire d'elle-même, à cause de cette incapacité, mais ces reproduc-
tions étaient trop vagues, leur signification trop peu précise, pour qu'on ait pu
aboutir par cette voie à une entente générale. Il fallait à l'humanité un effort plus
sérieux et plus conscient pour arriver à l'écriture; tantae mvlis erat...
On est donc revenu à une étude plus attentive des objets naturels. Et quand les

bases eurent été solidement établies, quand des signes conventionnels clairs et reçus
de tous se furent imposés à l'usage, ils furent à leur tour réduits en lignes, dont les
contours étaient assez précis pour être facilement reconnus.
Entre ces deux systèmes, pictographie grossière et caractères linéaires sans signi-
fication précise, d'un côté, pictographie artistique et conventionnelle transformée en
lignes, de l'autre, la démarcation dans les cas concrets,
n'est pas toujours précise
mais la distinction paraît assurée, et elle permet de classer à leur vraie place ces
caractères linéaires anciens, soit en Egypte, soit en Crète, où M. Flinders Pétrie
voyait une écriture datant de cinq à six mille ans avant l'ère chrétienne, et qu'on
pourrait même dire plus ancienne puisqu'elle se retrouve sur les parois des grottes
magdaléniennes... si c'était une écriture!
Ces premières tentatives étant contemporaines eu Crète de la IV*^ à la VL' dynastie
égyptiennes {d'environ 2840 à 2.500 d'après la chronologie d'Ed. Meyer), M. Evans
place les premiers signes pictographiques conventionnels, ou hiéroglyphes, vers le
début du ilinoen moyen, contemporain de la XP dynastie égyptienne. C'est vers le

milieu de celte époque qu'ils atteignirent leur perfection.


De ces hiéroglyphes est sortie la classe linéaire A, très répandue vers l'an 1600
avant Jésus-Christ, au moment de la ruine de l'ancien palais ; on la trouve dans la

Crète centrale et orientale. La classe linéaire B ne se trouve qu'à Knossos, au xv^ et


au xiv« siècle, au moment où régnait le style du palais. Cette classe B n'est pas
une simple évolution de la classe A.; elle contient des caractères différents, dont
quelques-uns ont une forme plus primitive. A ce moment une nouvelle dynastie
occupait l'ancien palais, décoré à nouveau: une nouvelle calligraphie prit naissance.
Les espaces entre les mots et entre les paragraphes distincts, le corps plus ou moins
gros des lettres selon l'importance du texte, montrent un effort vers la clarté et la

méthode qui est absent des inscriptions grecques classiques.


Puis la grande catastrophe du xiv^ siècle mit un terme pour jamais à la vie artis-

tique et intellectuelle dans le palais de Minos.


Arrivé à ce point, M. Evans aurait pu procéder aussitôt à l'examen du matériel, et
c'est peut-être ce qu'eût exigé une méthode plus sévère. Mais, ayant commencé
l'histoire de l'écriture minoenne, il la poursuit jusqu'au bout, dans ses survivances et
RECENSIONS. 447

dans l'influence qu'elle aurait exercée, soit en Grèce (en Béotie et dans le Pélopon-
nèse), soit en Asie Mineure, soit en Cliypre, soit en Egypte, en Italie ou en Espagne,
soit surtout en Palestine et en Phénicie.
Ce dernier point intéresse particulièrement la Bévue, puisqu'il s'agit de savoir si

l'alphabet phénicien, source de tous les autres, ne doit pas son origine à l'écriture
Cretoise.
M. Evans n'hésite pas à l'affirmer.

y a d'abord une coïncidence de temps. L'écriture cunéiforme régnait encore en


Il

Syrie jusque vers 1100 (1); c'est donc que l'alphabet phénicien, beaucoup plus sim-
ple, n'était pas inventé. Or c'est précisément vers ce temps (1220 ?) que les Philis-
tins, venus de Crète (2;, se sont installés dans le pays qui a pris leur nom.
Il faut, dès à présent, faire des réserves sur cette date de 1100 qui semble beau-
coup trop basse. L'alphabet apparaît sous la forme grecque, dérivée de l'alphabet
phénicien, dès le ix"^ siècle avant Jésus-Christ. L'inscription phénicienne d'Hiram
est probablement du x^ siècle, et bientôt après apparaissent celles de Mésa et de
Hadad. De plus M. Evans n'admet pas que l'alphabet de l'Arabie du sud soit issu du
phénicien, tel que nous le possédons. Il faut donc supposer un prototype. Pour
que le prototype ait pu donner naissance à ces formes diverses, il faut supposer un
temps assez long: ce n'est pas à ses débuts, c'est plutôt longtemps après son appari-
tion que l'alphabet s'est altéré rapidement.
Mais cette difficulté chronologique n'a qu'une portée restreinte, et elle ne pou-
vait empêcher M. Evans de comparer l'alphabet phénicien aux écritures Cretoises,

antérieures au xiV siècle. Et cette comparaison est assurément très frappante.


L'auteur s'attaque d'abord aux sept lettres dont le nom n'a pas été expliqué comme
un nom d'objet dans une langue sémitique, f/himel, zaïn, teth, lamed, samech, qof,
sadé, et il leur trouve des équivalents dans les écritures Cretoises, hiéroglyphique
ou linéaires. Même résultat pour treize 3; autres lettres, dont les noms représentent
des objets, avec cette circonstance absolument satisfaisante que les objets postulés
par les noms, comme aleph, « tête de bœuf ». loaw x piquet », etc., sont bien ceux
que l'écriture Cretoise a voulu représenter (4). La théorie de l'origine égyptienne avait,
elle aussi, trouvé des rapprochements entre les caractères phéniciens et les carac-
tères hiératiques qui constituent comme un alphabet non isolé au sein des formes
égyptiennes; mais la nature des objets ne concordait pas. Le A- égyptien était le cro-
quis d'une calebasse coupée h phénicien ou kaph supposait à
en deux, tandis que le

l'origine une main ouverte, encore reconnaissable dans l'écriture, et c'est bien une
main ouverte que représentait un caractère crétois semblable au kaph.
Au premier abord on est ébloui, et il est bien difficile de refuser une adhésion
enthousiaste à ce qui parait être une admirable découverte. Sans avoir la prétention

(1) Ce point est admis sans autre preuve sur l'autorité de Mai yiùller {Mitleihingen der vor-
derasiatischen Gesellschaft, III 1898 p. 40. Il ne me paraît pas suffisamment établi.
.

i-2) M. Evans donne à celte tlièse sa pleine adhésion il trouve un rapprochement assez piquant
;

entre les offrandes que les Philistins offrirent à lahvé et les offrandes votives de Pétsofà. où
l'on a rencontré, outre des animaux malfaisants comme le hérisson (?., la lieletle. des têtes, des
bras, des jambes, et des corps coupés en deux, probablement pour mieux montrer la partie
malade (cf. .1. L. Myrks, Brilish Sc/iool annual, IX, p. 356 ss.). Cela est bien du même peuple
qui a offert en ex-voto les rats et les tumeurs (I Sam. vi, 5). On s'est beaucoup étonné aussi
que les Philistins soient sortis de l'Egypte (Gen. x, W. M. Evans {p. 93) admet des colonies Cre-
toises en Egypte, et peut-être les Philistins représentent-ils en partie le mouvement de ces élé-
ments vers l'est.
(3) est regardé comme différencié du ".
n
(4) Le nun est rapporté non à un poisson, mais à un serpent; nalias est le nom de cette
lettre dans l'alphabet éthiopien.
448 REVUE BIBLIQUE.

que mon avis pèse un millionième de gramme, je demande cependant à soumettre


à M. Evans quelques observations.
D'abord il me semble avoir augmenté un peu trop le nombre des caractères dont le
nom ne signifie rien en sémitique. Ghimel m'a toujours de désigner une tête et
l'air

un cou de chameau (1), lamed un aiguillon, mem (qui n'a aucun répondant en Crète)
de l'eau qui court. M. Lidzbarski (2) a proposé de prononcer zaith, d'après le grec
zêta, le signe zaïn qui représentait une branche d'olivier (la forme la plus ancienne
est dans l'inscription de Hiram, CIS., I, -5).

Après cela, il faudrait faire la part des lettres différenciées. M. Evans reconnaît le

hé différencié du het/i. Ne faut-il pas ajouter le sconech, différencié du zaïn primitif


par l'addition d'une barre; le teth, qui est un taw placé dans un rond; le sadé, qui
est le sin avec une barre à gauche ? Est-il vraisemblable que ces nuances de pronon-
ciation, si essentiellement sémitiques, les dernières surtout, existaient dans la langue
Cretoise? Ne vaut-il pas mieux supposer qu'elles ont été rendues par la modification
de lettres déjà existantes?
Autre difficulté. M. Evans croit que c'est encore l'alphabet crétois qui a fourni à
l'alphabet ibérique certaines variantes aux formes phéniciennes, pour les lettres hc,
loaiv, hetlu kaph. mem, sade, qof, rech. Si ces lettres ibériennes se rattachaient dans les
écritures Cretoises aux mêmes objets naturels que les lettres phéniciennes correspon-

dantes, M. Evans aurait prouvé d'un même coup les deux thèses, mais ce n'est pas
le cas. Seul le rech ibérique se rattache à son objet naturel, une tête, mais sous la
forme du qof. N'est-il pas une rencontre de hasard ? Par ail-
probable que c'est là

leurs le he ibérique est comparé au même


que le samech phénicien,
signe crétois
et de même pour le?nem ibérique et le zaï?i phénicien. Faut-il donc supposera l'écri-
ture Cretoise une polyphonie qui pouvait se résoudre de deux manières? L'exemple
de l'assyrien ne prouve que trop que cela est possible. Mais il faudra encore suppo-
ser que le même son pouvait se rendre de deux manières, puisque les autres valeurs
ibériques ne répondent pas aux valeurs phéniciennes.
Enfin, en cherchant des analogies à vingt et une lettres phéniciennes (le mem étant
excepté), M. Evans ne les a pas toujours trouvées dans les trois écritures Cretoises,
hiéroglyphique et linéaire A et B. Parfois ce sont les hiéroglyphes seuls qui four-
nissent le point de comparaison. La sélection aurait donc été assez capricieuse.'* Peut-
être les lacunes sont-elles dues à l'insuffisance du matériel crétois, cependant celui-ci
est déjà bien considérable.
Je suis aussi le premier à reconnaître que toutes les objections qui précèdent ont
peu de force si l'on parlait seulement d'une influence quelconque et éloignée. A
choisir entre l'infiuence égyptienne, assyrienne ou Cretoise, je me prononcerais déli-
bérément pour la dernière. Mais M. Evans a peut-être trop insisté sur le rôle spé-
cial des PhiUstins.
Il suppose que ce sont eux, qui, en se sémitisant, ont traduit les noms de leurs ca-
ractères ou du moins des objets qu'ils représentaient. Il n'y avait plus qu'à faire une
sélection parmi ces caractères, ce qui fut fait. Aussi les lettres sémitiques repré-
sentent-elles en grande partie e une sélection d'un système d'écriture provincial des

derniers temps minoens » (p. 93).


Or les Philistins ne paraissent pas bien désignés pour ce rôle. Sans parler de la

date de leur installation en Palestine qui ne peut guère être reportée avant l'an 1220,

(1) Il semble bien que le n° 76 est une tête de chameau, surtout tel qu'il est dessiné vp. 17-2
d'après l'original, .avec sa petite oreille très caractéristique.
;2) Ephemeris.... II. p. 12o-139. Die yamen der Alphabetbuchstaben.
RECENSIONS. 449

— ce qui ne sufût probablement pas pour les origines de l'alphabet proto-phénicien,


il me semble que l'argument n'est guère confirmé par le disque de Phaestos. Ce

disque, en argile, découvert et publié par M. Pernier. membre de la mission ita-


lienne, est étudié de nouveau par M. Evans. D'accord avec M. Mackenzie qui n'y
reconnaît pas l'argile de Crète, il lui attribue une origine anatolienne. Sur quarante-
cinq signes distincts 2-11 en tout, répartis en 61 groupes , dix seulement représen-
tent les mêmes objets que les écritures minoennes. et ces objets sont figurés d'une
autre façon. A qui faut-il donc attribuer cette écriture? 11 semble, dit M. Evans,
qu'elle appartient, vers l'an 1600. à cette liaue maritime qui plus tard se précipita
sur le Delta 1)... Or parmi ces derniers figuraient les Puras'iti ou Philistins, et les
casques à crêtes, les boucliers ronds du disque pourraient avoir appartenu à leurs

ancêtres. Dès lors, puisque M. Evans admet que les Philistins sont venus de Crète, on ne
voit pas bien pourquoi le disque n'aurait pas appartenu à une de leurs colonies éta-
blies dans ce pays, à moins que la matière première oblige à supposer qu'il a été
apporté tout fait dans l'île. Quoi qu'il en soit, si quelque chose peut nous donner une
idée de cette graphie minoenne provinciale qu'on pourrait nommer anatolienne (2),
et par déduction philistine, c'est bien le disque de Phaestos. Or aucun de ses qua-
rante-cinq signes ne se rapproche de l'alphabet phénicien.
Si donc il fallait relever dans les origines de cet alphabet une influence Cretoise,
j'aimerais mieux la chercher dans ces colonies, d'ancienne souche Cretoise, dont
parle .M. Evans, établies en Egypte dès le temps d'Aménophis III, et qui, s'étant
glissées peu à peu vers l'est, sont, si l'on veut, des proto-Phihstins.
Cette question passionnante des origines de l'alphabet nous a retenus trop long-
temps. Et cependant c'est seulement après ces préliminaires qu'est abordé l'objet
propre du premier volume, l'étude des figures et des signes linéaires anciens, puis
surtout de la picto^raphie conventionnelle, sous la forme de sceaux et de prismes
d'argile. Chaque caractère est analysé séparément '3 formant le total de cent
,

trente-cinq hiéroglyphes, auxquels il faut en ajouter quatre, mal conservés. D'après


l'auteur, peut-être tous ces signes avaient-ils une valeur idéographique, et quelques-
uns n'avaient probablement que celle-là. Mais la valeur phonétique existait, et on le

prouve soit par le nombre relativement très restreint des signes, soit parce qu'ils
forment des combinaisons qui ne s'expliquent pas par l'association des idées. Quand
cette association existe, on doit conclure à l'idéographie et dans certains groupe-
ments M. Evans reconnaît des titres d'officiers du palais.
Peut-être cette belle écriture nous éclaire-t-elle encore indirectement sur les in-
fluences qui peuvent s'exercer dans cet ordre de choses. Il n'est pas douteux qu'elle
ait été originale, le fruit propre du génie minoen. Les objets ont été vus en eux-

mêmes et dessines d'après nature. Cependant M. Evans reconnaît sans hésiter ce que
la Crète doit à l'Egypte. C'est une sorte d'émulation qui a poussé les artistes Cretois
à oréer des types qui puissent rivaliser avec ceux des Egyptiens. Il y a plus, il y a eu

emprunt formel. Onze signes sont des hiéroglyphes égyptiens, et de ceux qui inté-

1, Le rapprocliement avec l'art lyciea îles cuuslruclious est t'iut à lait heureux. Le sii;ne u' 7

me parait plutôt un bonnet Peruien qu'une mamelle ETans,. il est souvent joint au signe 45 que
M. Pernier interprète comme de l'eau, et qui pourrait bien être un bâton de commandement
L'alliance des deux signes serait très naturelle.
2 Miss Bell croit avoir trouvé de la poterie « Late MLnoan • en Lvcaonie The thousand and one
iJxurches. p. 10,.
•3; Page l»l, le signe 28 que M. Evans croit être une harpe, et qu'il avait rapproché du signe où
il voyait une quenouille dista/T, est bien plutôt, comme le P. Vincent l'avait dit dans son tableau
\plicalif du plan de Knossos (n" îm» un instrument de métal autour «luquel les maçons enroulent
.

.eurs cordeaux; cf. I^al. Expl. Fund, Quarterbj Stat., 1803, p. -201.
UEVLE BIBLIQLE 1910. — ?î. S., T. VU. 29
4o0 REVUE BIBLIQUE.

ressent la civilisation : le signe de la vie, du palais, de l'abeille comme titre royal.


Aussi bien la Crète paraît avoir été beaucoup moins préoccupée que l'Egypte d'in-
troduire dans l'écriturenombre de signes empruntés aux idées religieuses.
M. Evans soupçonne aussi une parenté très ancienne avec une écriture syro-aua-
tolienne qui aurait donné naissance à l'écriture hétéenne.
Nous voudrions avoir donné une idée de l'incomparable richesse des Scripta Mmoa.
Tout y est traité de main douvrier, avec cette maîtrise de celui qui a trouvé, et
pour lequel les choses vivent de la vie qu'il leur a donnée. Il serait superflu de dire
avec que! soin sont faites les reproductions, avec quelle diligence les moindres dé-
tails sont relevés et mis en valeur, avec quelle sagacité M. Ewans a pénétré dans le
mystère aussi loin qu'on peut aller...

L'exécution typographique est vraiment splendide.

Jérusalem. Vr. M.-J. Lagrange.

The thousand and one Churches, par Sir W. M. Ramsay et Miss Gertrude
Lowthian Bell, ln-8" de xvi-580 pp. et 386 fig. Hodder et Stoughton-, Londres,
1909.
« Les mille et une églises », en turc, c'est comme on dirait < quarante églises »,

pour faire entendre qu'il y en a beaucoup; en pratique ici une trentaine. Il en a été
question déjà quand on a signalé (RB.. 1904, p. 126-9) le manifeste de M. Strzygowski
sur l'Asie Mineure, berceau de l'art chrétien. 31. S. disposait d'une documentation
lacuneuse ; M"'^ Bell produit un relevé total, fondé sur plusieurs voyages et précisé
par quelques fouilles. Ce ne sera pas un des moindres mérites de son entreprise d'avoir
décidé M. Ramsay à lui prêter son concours. Les 40 pages d'introduction descriptive
et le chapitre final (p. 505 ss.), consacré surtout à l'épigraphie. sont l'œuvre del'émi-
nent maître et n'ont rien laissé échapper de ce qui pouvait éclairer l'archéologie
compliquée et l'histoire à faire de cette cité Lycaonienne au nom oublié, Barata
peut-être, dans la toponymie romano-byzantine, quoi qu'il en ait pu être du nom
primordial hittite et anatolien.
Le livre est mieux (lue ne le définit son titre pittoresque. Ceux qui ont lu les mo-
nographies de la savante exploratrice en de récentes années de la linur archrologique
s'attendent bien à trouver une abondante et soigneuse documentation de faits nou-
veaux pour l'histoire de l'art chrétien ; ils pourraient cependant imaginer que l'ouvrage
se restreint à la localité d'ordre bien secondaire dite Bin Bir KUlssé. En réalité c'est
l'évolution artistique de la Lycaonie qui est esquissée en celte étude ; et à propos de
ce centre perdu dans le massif volcanique du Kara Bagh. isolé vers l'extrémité sud-
est du haut plateau et presque aux confins du Taurus, on passe en revue toute la
province. De l'enquête extrêmement diligente et de la mise en œuvre tout à fait ju-
dicieuse résulte un tableau de la vie en cette province peu privilégiée par la nature
et assez loin du rivage méditerranéen pour ne bénéficier plus guère de sa féconde
influence. Miss Bell n'est pas simplement en elîet une hardie voyageuse, que ne sem-
blent inquiéter ni les difficultés naturelles ni les inconvénients plus désagréables d'un
milieu passablement barbare: elle est même mieux encore qu'une savante trop éprise
de science technique et exposée à voir ce qui aurait dû être plutôt que ce qui fut. Elle
cultive l'archéologie avec méthode et précision, surtout avec goût, avec une vue
pénétrante et un sens délié qui lui font saisir vivement et exprimer avec tact la
portée d'un détail d'architecture ou d'ornement, le caractère d'un édifice, la physio-
nomie d'un site et l'intime relation entre la nature, le peuple et ses monuments. Et
combien de bonne grâce dans l'exposé de ses vues personnelles Car elle entend !
RECENSIONS. 451

bien, malgré son évidente religion pour quelques théories artistiques chères ;i

M. Strzygowski. —
à qui le livre est dédié, —
ne pas suivre à l'aveuglette le sillon
ouvert.
Elle eût pu croire sa tâche remplie par le relevé et la description scientifique (Ij
de monuments pré'cieux malgré leur pauvre apparence et condamnés désormais à une
ruine accélérée (2) par une reprise de la vie en ce milieu si longtemps désert. Aucun
plan possible encore à établir n'a été négligé. De très nombreuses photographies,
presque toutes excellentes et expressives, ont sauvé pour l'étude ce qui offrait encore
quelque valeur. Des profils et des diagrammes enregistrent les détails de modénature
et d'ornementation que la photographie neùt pas suffisamment rendus (3),
Avec ces matériaux Miss Bell a construit une synthèse attrayante pour le lecteur
le moins spécialisé, utile du reste à ceux mêmes qui le sont. L'intérêt du groupe de
monuments présentés consiste en plusieurs faits : nombre et variété de ces monu-
ments, nouveauté de beaucoup de détails, et, plus que tout, continuité d'évolution
sans bouleversements depuis le déclin du iv^^' siècle jusqu'à la fin du xi". L'invasion
arabe n'est parvenue là qu'assez tard et n'y a nullement interrompu la vie et le dé-

veloppement chrétien, quoiqu'elle ait contribué sans doute à rendre pires des con-
ditions naturellement défavorables. L'architecture Lycaonienne est une architecture
de pierre; le bois ne faisant pourtant point si radicalement défaut que dans le
Haurdn, par exemple, on a pu l'utiliser souvent pour les toitures, cloisons, portes,
ancres de liaison dans les noyaux de maçonnerie en blocage (4) entre deux parements
appareillés. Rien, ou à peu près, ne subsiste des constructions antérieures au chris-
tianisme; tout au plus a-t-on relevé les vestiges de quelques mausolées d'époque ro-
maine (5); le reste a dû passer dans les édifices chrétiens. Avec la religion nouvelle
s'introduisit dans la contrée un art nouveau, en ce sens que le principe même de

(1) 11 est dommage que dans cette description n'aient pas trouvé place, le cas échéant, les
références précises à l'ouvrage de Strzygowski.
(-2) Les cas ne sont pas"rares déjà ou quelque édiûce qui faisait belle figure au siècle dernier

et jusque vers 188-2 -- date de la i)reuiière visite de M. Ramsay —


n'est plus aujourd'hui qu'une
« melonniére » (cf. p. 8).
(.{) Les hommes du métier ne vont pas manquer de noter les quelques photographies peu
utilisables parce qu'un accident les a rendues Houes, parce que la lumière était défavorable,
|)arce que l'échelle de la reproduction est un peu petite pour le détail à étudier (Gg. 6", 7!>. 83,
!Mi, d3'2, 158, 101, 231. -293 s., 302, 304, 343 s., 364). Même celles-là gardent toutefois un intérêt docu-

mentaire et nul de ceux qui ont l'expérience des difficultés imposées à la photographie par les
hasards de l'exploration ne s'étonnera de tels accidents. Les techniciens sévères regretteront
qu'à côté des plans. Miss Bell n'ait pas présenté excepté fig. 19-2) des coupes, souvent très utiles
l)our l'intelligence rapide et exacte de particularités architectoniques imparfaitement traduites
par des photographies. La moindre coupe, fût-elle schématique, eût prévenu la difficulté à
laquelle on se heurte en voulant, je suppose, saisir avec exactitude le rapport de certaine
« chambre voûtée, probablement une citerne ». et d'une église (fig. -2:i't ou même accorder ce ,

plan avec la photographie ;fig. 2.j5). On est surpris aussi que les plans munis d'une indication
d'orientement soient l'exception et que les cotes de proportion ne soient pas indiquées eu des
profils dépourvus d'échelle il y a même ici et là un plan (Qg. 18", 233, 239*=) dans le même cas. Par
:

(;ontre on ne saurait trop louer M"'= Bell d'a\oir toujours dessiné une échelle métrique propor-
tionnelle à l'èclielle en pieds anglais et fait usage du système métrique dans sa description.
('; Exemples cités, p. 403. Nous avons constaté la môme particularité en des édifices byzan-

tins du Négeb (RB., 1904, p. 41C; et l'on sait qu'elle est fréquente depuis des temps fort reculés
en Orient et en Occident; cf. Koiil, Kasr Firaun in Petra (1908), p. 10. C'est un de ces nombreux
détails utilitaires d'une invention trop spontanée pour qu'ils impliquent imitation ou emprunt
d'une civilisation à l'autre. La brique n'a été employée, en Ljcaonie, qu'en de rares exemples et
presque exclusivement pour la décoration (p. 303 et 440 ss.).
1.3) P. 239 ss. La forteresse du Ras Dagh p. 280 ss., fig. 239b, 241-3, 243 ss.) que M. Saladin in-
clinerait, paraît-il, à dater d'une épo(|ue pré-chrétienne par défaut d'analogies dans l'Afrique
byzantine (p. 500), semble fort comparable à celle d''Abdeh comme procédé de construction, ou
à d'autres du Négeb byzantin, "^Aoudjeh par exemple. La double enceinte en moellons épannelés
p. 49.'> et fig- 308), comparée à un monument que M. Ilamsay estime « pré-hellénique », aurait
d'excellents répondants en quelques fortins de Transjordane, byzantins sinon arabes.
452 REVUE BIBLIQUE.

l'é"lise et des monuments connexes dut du dehors; mais ce sont de très


venir

humbles artistes indigènes qui allaient modifier pour l'accommoder à


le traiter, le

leurs vieilles habitudes et aux ressources matérielles que le pays mettait à leur dis-
position. Quatre types sont représentés et font l'objet de très solides monographies :

la basilique, l'église à nef simple, à plan cruciforme et octogonal,* — il eût été appa-
lemment plus juste d'employer le terme « polygonal » moins défini et mieux adapté
aux exemples de Bin Bir Kilissé. ]M"« B. se montre admirablement au courant de
l'état présent de la discussion sur chacun des problèmes représentés toujours par

Torigine, la relation et le développement des types en cause (H, et après avoir passé
en revue les opinions autorisées elle prend d'ordinaire un
nuancé et parti finement

raisonné avec précision. Un seul peut-être de ses principes fondamentaux


pourra
soulever objection. La variété des édifices et la liberté du traitement de chaque type
lui suggèrent que n'importe quel petit centre avait son école indépendante ce défaut ;

d'homogénéité impliquerait, lui semble-t-il,- un art autochtone sur le plateau central


anatolien.Ce manque d'homogénéité est-il vraiment intrinsèque et aussi profond
d'abord ? Décompte fait de minimes particularités qui relèvent de la
qu'il paraît

nature des matériaux, d'exigences locales et surtout du niveau très médiocre de


culture artistique dans la Lycaonie byzantine, on a l'impression que bien peu de
chose V demeure original. Il est regrettable que la décoration intérieure ait à peu

près radicalement disparu ; les bribes de stucs peints, les vestiges de pavements en
mosaïques et les lambeaux de sculpture que le livre nous fait connaître, trouveraient

sans grande recherche leur exact équivalent dans des monuments byzantins de Pa-
lestine. Il en irait de même pour les édifices et tel détail de construction, d'élévation

ou de plan, présenté comme anatolien parce qu'on ne lui a pas découvert d'analogies
dans les meilleurs recueils en circulation, se retrouve cependant ailleurs, en des mi-
lieux sans doute indépendants de l'Asie Mineure et probablement aussi à une date
antérieure à celle de leur exécution en Lycaonie /2).

(t) Parfois cependant un recours direct aux sources littéraires et à la documentation archéo-

logique l'eût préservée de méprises causées par quelque « autorité » mal choisie. Exemples du
premier genre l'argumentation qu'on prétend tirer de la Peregrinatio .Elherise (p. 307} pour
prouver l'originalité du type basilical constantinien au Saint-Sépulcre, ou de Marc diacre (p. 429)
à propos du Marncion de Gaza en traitant du plan octogonal. Exemple caractéristique du second
'^enre 1*. 316 on déclare que le livre de M. Heisenherg (cf. RB., 1900, p. 329 s.\ « la plus récente
:

autorité sur le sujet, a prononcé que l'église de Constantin était une basilique •. P. 4-27 le même
auteur est allégué comme ayant /))'0»0M»ced thc opinion de l'inlUieiice artistique exercée par
Constantinople sur tout l'empire à partir de .lustinien. Ces très vieilles découvertes n'ont pas grand
inconvénient sans doute; mais p. 429 on revient à la même autorité pour affirmer que l'Anastasis
doit être réduite à de « très modestes dimensions «. et. p. 430, n. 1, que le Saint-Sépulcre de Mo-
deste n'avait « plus aucune ressemblance avec quoi que ce soit de l'édifice constantinien.
Ailleurs encore reparaissent, sous formes d'axiomes, d'autres hypothèses hasardeuses puisées à
la même source. Nul n'admire plus sincèrement que moi le mérite de M. H. en matière philolo-
gique, encore que la philologie pure ait pu le guider mal pour l'interprétation de quelques
termes un peu spéciaux dans la description d'Eusèbe. Toutefois son archéologie a manqué de
méthode positive et l'a conduit à des résultats faux qui induisent Miss Bell en erreur. Le « der-
nier cri » n'est pas nécessairement une « autorité », ou du moins pas la meilleure. Une observa-
tion analogue peut être présentée à M. Ramsay. 1'. 20 il admet d'emblée la « vraie date » assignée
à la Pcregrinatio par M. Meister {Rheiniches Muséum, 1909) à peu prés 53."; au lieu du ci-devant
:

385. Là-dessus est échafaudé un développement chronologique du monachisme au Sinaï vie :

érémitique au w" siècle, monastères dans le cours du V, églises sur les plus hauts sommets au
vi« et plus tard (p. 22); on prend ensuite cela comme base pour tracer une évolution identique
sur le Kara Dagh. Je n'apprécie les faits Lycaoniens qu'à travers Sir W. M. Ramsay et Miss Bell et
on n'attend pas que je discute ici la thèse de Meister sur la date de la Percgrinatio, quoique je
l'estime difficilement conciliable avec les faits archéologiques au Sinaï. Des centres comme Feirân
et le Djebel Mousa (cf. Lagrange. RB.,iH96, p. 630 ss.; 1897, p. 118 ss.), très bien dépeints dans la
Pcregrinatio, eussent dii entrer en compte au moins autant que les combinaisons de textes —
parfois précaires et pas toutes neuves —
sur lesquelles M. Meister a opéré. Miss B. a esquissé de
son côté (p. 4j8 ss.) quelques vues plus justes en général sur le développement monastique.
(2) Miss Bell, fermement attachée par exemple à l'opinion de M. Str/ygovvski sur l'origine
orien-
RECENSIONS. 433

Quand Miss B. ne peut plus dire résolument type ou motif « anatolien », comme
elle le fait par exemple pour le plan en forme de T (1), elle se réfugie dans la for-
mule plus vague dérivé d'un prototype asiatique. On a parfois quelque peine à
:

adopter cette dérivation asiatique, faute d'exemples décisifs, c'est-à-dire assez ar-
chaïques pour être eux-mêmes indemnes d'influences hellénistiques tels les porches :

latéraux dans les basiliques ^p. 324), les absides en trèfle (p. 347i, le plan rond (2)

ou les colonnes engagées sans rôle organique dans l'édifice (3). Oa est probablement
sur un terrain plus solide en rattachant le plan octogonal aux traditions orientales,

taie du plan cruciforme, en tlé|)it des exemples typiques fournis par Rome impériale (cf. Mili.f.t,
Rev. arch.. l'JOo. r, n'ignore pas non plus qu'il a une attestation romano-syrienne du milieu
du H'- siècle le prétoire de Mousmieh (de Vogïé, Syrie centrale, I, 45 s., lig. Il et pi. 7). Mais elle
:

suppose que le type de Mousmieh « ne l'ut pas reproduit en Syrie durant la période chrétienne •
(p. 399}. Et il est vrai qu'en élévation au moins on ne lui voit pas de répondant syrien bien exact;
mais en plan ils ne sont pas rares, ainsi que le montrait naguère M. Bctleiï, The Tychaion al
is-San<iinên and Ihe vlan of early churches in Syria; Rei:. arch.. 1900. II, p. 413 ss. Nous avons
un très vague ai)er(u de ce que pouvait être l'église en croix grecque sur le puits de la Samari-
taine à Naplouse d'après le schéma d'Arculphe (Geyer, Itinera, p. -211, que Miss B. connaît

p. 34o - par un répertoire archéologitiue) et d'après l'état actuel des ruines; nous ignorons
au contraire ce qu'était au juste 1' « église en croix • signalée par Theodosius dans la première
moitié du vi" siècle sur l'emplacement du Temple à Jérusalem (éd. Tomi-eii-Moiisiei;, Itinera,
p. 6o, i\ la recension publiée par Geyer omet ce détail;: pourquoi cependant ne pourrait-ce pas
:

être un exemple de ce plan cross-in-sqiiare dont on cherche les plus anciens exemples en Ar-
ménie (p. 399)? L'attestation de Theodosius prouve du moins que dans l'état actuel de l'explora-
tion nous devons être prudents en affirmant l'existence ou l'absence de tel type en telle province.
(1) P. 399; cf. 3'*i ss. In type très net de ce plan cruciforme « anatolien », avec abside en
tréûe.
est cette chapelle n" 9 (p.' "9 s.. Cg. 30, 41-5; cf. SrazvGOwsKi, Kleinasien, p. -26 s.}, ou il semble
bien qu'on ait raison de ne pas chercher un baptistère (p. 348), mais (jui n'est pas nécessairement
un « mausolée » ainsi que l'intitule M' « S. Il n'est pas facile d'en déterminer la date approxima-
tive et l'hypothèse du v" siècle » proposée par M. Kamsay ;p. o3o) sur quelques déductions ono-
•<

mastiques et épigraphiques est certainement la plus haute époque possible de par l'aspect archéo-
logique. Or en face de ce monument soi-disant anatolien je placerais volontiers l'église de la
Parthénikô à M;idabà (cf. RB., 1892, p. G39 —
document de misère qui ne me permet pas d'insister
en ce moment,, qui parait bien dater du v siècle aussi, peut-être même de la lin du iv«. Ce plan
avait-il été importé d'Anatolie à Màdabà '/

-2) P. 429. (»n ajoute que l'usage de ce plan dans l'architecture greciiue est « conGné à un petit
groupe de divinités... profondément intluencées par les cultes asiatiques étrangers »; preuves
alléguées le Philippéion d'Olympie et la tholos d'Kpidaure ;p. 430). Ce second exemple n'est
:

peut-être pas très probant, car on sait la discussion sur sa nature (Defuasse et Lecii^t, BuU.corr.
hell.. 1890, p. 631 ss., et la controverse avec Chipiez, dans la fi'i-. arch.. 189<J, I, 3"! ss.). Mais la
tholos de Phylacos, à Delphes, bien antérieure aux exemples Iburnis ;v« siècle d'après M. Poulsek,
Recherch. sur la top. de Delphes; Bullet. Acad. Dancm.. 1908, p. 376), ne prouve-t-elle pas à elle
seule que le plan rond n'était pas monopolisé au profit des dieux, et à une époque où les in-
lluences orientales étaient encore peu accentuées dans l'art grec classique? A l'inverse peut-être
de M"" B. on estimera le plan rond assez étranger à l'antique Orient, où le triangle et le carré pa-
raissent avoir été les figures génératrices de prédilection parmi les architectes. Même eu Perse,
où la figure ronde prend le plus il'lmportance surtout dans l'architecture funéraire de basse époque,
le carré garde ses privilèges spéculatifs (cf. G.iyet, L'art persan, p. lio s.}. C'est bien plutôt l'Occi-
dent, la Grèce archaifjue d'abord, mais Rome surtout, qui ont saisi l'heureux parti à tirer de cette
figure voy. Maktha, Manuel d'archéol. étrnsq. et rom.. p. 129 s.). Et peut-être aux raisons d'ordre
pratique d'où le plan rond était issu à l'origine, sajouta-t-il tardivement des considérations phi-
losophi(|ues analogues à la doctrine du carré magique oriental. Tout le monde a en mémoire le
curieux passage de S. Jérôme (In. Ez.. 40: Mir.M.. PL., XXV, .599) Rotundum... quae figura inter
:

omnia (j-/r,[xaTa a philosophis quoqite hujus saeculi pulchrior approbatur, etc. Il semble bien
que M. Rivoira [Le origini délia architett. lombarda, II, 27, 32 ss.) ait exagéré en faisant du prin-
cipe même de la rotonde une invention des architectes romains; il demeure vrai qu'ils en ont
fait le plus fréquent et le meilleur emploi.

(3) P.449. A propos de l'église de Tchangli Klissè (décrite p. 404 ss.. Gg. 331) dont on compare
un de structure avec celle du palais de Firouz-Abâd. P. -450, n. 3, M"" B. se range d'ailleurs
détail
très judicieusement à l'avis de M. W. Andrae qui lui a suggéré de voir plutôt en ces deux cas une
réminiscence déformée de l'architecture classique. Elle est plus heureuse en rattachant les pi-
lastres appareillés qui découpent en saillie le parement d'un mur au procédé très archaïque mé-

sopotamien.Auxexemples qu'ellecite presque les mêmes choisisnaguère par.M. Jéquier en quête
de parallèles • contemporains du tombeau royal de Négadah (dans de Morgan. Recherches... orig.
>.

Egypte, II, 1897, p. 234 s., fig. 853 SS.) —


elle eût pu ajouter des exemples égvptiens. Négadah en
premier lieu et ceux allégués par Pirp.ot et Chipiez, Hist., I, 508 ss., fig. 289 "ss.; cf. II. 257 ss.
454 REVUE BIBLIQUE.

suivant en cela M. StrzygowsUi (Kleinasien., p. 101). A l'appui de cette dérivation


orientale, on s'étonne de ne voir pas tirer profit de la cella qui termine sur un côté
le téménos des dieux orientaux sur le Janicide (1). Avec son abside saillante, ce
polygone est singulièrement voisin des églises du type octogonal dont Saint-Georges
d'Ezra' (de VociiÉ, Syrie ccntr., p. 61 s. et pi. 21) est l'exemple syrien inévitable-
ment cité, mais qui comporte des variations notables (2). En décrivant l'aire d'exten-
sion géographique de l'église octogonale, pourquoi omettre (comme déjà Strzygowski,
cf. RB., 1904, p. 129) la très remarquable église du Garizim, qui a bien des chances
d'être du 68 et pi.)? Le chapitre qui traite de la voûte
vi« siècle {Quart. St., 1873, p.
et de la coupole (p. 435 ss. malgré d'excellentes informations documentaires et
,

beaucoup de vues très justes, prête le flanc à d'assez sérieuses critiques. La voûte
est d'origine orientale, c'est aujourd'hui bien entendu. S'il s'agit de la fausse voûte,

dite à encorbellement, le principe en est si simple qu'elle a été inventée à peu près
partout dès les origines de la construction surtout funéraire. S'il est question de la
vraie voûte appareillée, ce n'est pas seulement la VF dynastie égyptienne qui l'employait
déjà (p. 435), mais au moins la IV*? (voir par exemple de Morgan, Fouilles à Dah-
i:houi\ I, p. 14, fig. 14) et d'une année à l'autre les fouilles pratiquées en Orient
nous en montrent l'emploi aux périodes les plus archaïques. Nous voilà loin par con-
séquent des jours où la découverte d'une voûte en berceau faisait diagnostiquer une
origine romaine quand on ne disait pas « étrusque » (3), par où d'ailleurs on reve-
nait, inconsciemmentalors, aux sources orientales.
Pour que problème de dérivation progresse, il faut nécessairement aujourd'hui
le

se livrer à une étude minutieuse des tracés, des procédés de montage et d'appareil-
lage, car il ne peut plus suffire de présenter un arc brisé pour conclure à une ogive
occidentale (4) par exemple. A ce point de vue quelques graphiques eussent com-

(1) Et dont les plans paraissent avoir été publiés clés 1008 dans les Midanges d'arch. et d'hist. de
l'École franc, de Rome, t. XXIX. Voir maintenant le tirage à part de MM. Nicole et Darieu, Le
sanctuaire des dieux orientaux au Janicule, 1909, p. 31 ss., pi. xii-xiv et la restauration de
M. l'architecte Mazet, pi. xv; Gauckler, ComjH. rend. Acad. IBL., 1909, p. tU7 ss. et plan; P.vsyui.
Noti:,ic dtfjli Scai-i, 1909, p. 393 et plan.Un autre tvpe saisissant du plan ()Ctogonal oriental mais —
que M"= ne pouvait encore connaître
B. —
est ce temple de Khuraiyib,Si\x sud de Bosra, que
M. Butler vient de publier {Princeton Univ. Arch. Exj/ed., Il, A, -2 Ane. Architecture,
: South.
Haurdn, p. 105 s., lig. 83) et qu'il suppose antérieur aux inlluences romaines. Par sa conception
même ce plan se ramène assez bien aux formes fondamentales de l'arcliitecture d'Orient; on se
souvient en eflet que M. l'architecte Mauss prouvait admirablement naguère comment ce ])lan pro-
cède du carré {Note sur la méthode employée pour tracer le plan de la mosquée d'Omar; extr. de
la RcK. archéoL. 1888\
(•2) Aux exemples syriens qu'on a rappelés pouvait s'ajouter ce curieux type de Moudjeleia (di.

VoGiiÉ, Syr. centr., pi. (53 s. et p. loi). Mais le parallèle à peu prés identique àla cellaoclogonale
du Janicule au iv« s. de notre ère est cette église ôe Mir'dyeh publiée aussi par Butler, op. ?.,1I
B, -i, p. 09 s., fig. 75. Les savants qui onttraitédu téménos oriental du Janicule dans son ensemble
ne paraissent pas avoir mis en relief sa curieuse analogie avec le téménos constantinien du
Saint-Sépulcre. Déjà cependant M. Gauckler a insisté à diverses reprises sur le rapprocliement
entre la chapelle octogonale « voûtée en coupole » —
détail incertain et les —
premiers baptis-
«

tères chrétiens » {Compt. rend. Acad. IBL., 1909. p. 42(i; cf. 118); et en parlant de « baptistères ».
il esl évident que M. Gauckler avait en vue des monuments plus ou moins imités du baptistère
octogonal duLatran —
iv^s.— etgénéralementen relation avec une basilique(cr. Corroyei!, L'archi-
tecture romane, p.;J3etl(iGss.. fig. 92 ss.; Gwxvlt, Étude sur les ruines romainesdcTigzirt, p. 88
ss. — exemple choisi à dessein, parce qu'il ne peut qu'être agréable à MissB.; la basilique et le
baptistère ont été érigés « vers le milieu du v^ siècle sur l'emplacement même d'un sanctuaire
de Saturne... Baal-Hammon latinisé » (Gav.vclt, l. L). donc cet octogone encore a des accointances
avec l'Orient. Il est vrai que, par contre, on trouverait diflicilement en Orient un prototype aussi
I>arfait de l'église à la fois cruciforme et polygonale, n» 8 (fig. 5"i! que la Domus augustana du Pa-
latin (cf. BivoniA, Le origine..., II, 002, fig. 599) et Jliss B. n'est pas très claire à ce sujet (p. 432;.
(3) Cf. l'observation de Perrot et Chipiez, Hist., I, p. 530; Martiia, L'art étrusque, p. 151 s.

(4) PERRiiret Cnu'iEz, op. ?., p. 113, ont déjà noté l'emploi de l'ogive en Egypte. L'arc de cloître
a été réalisé spontanément partout oii un architecte a eu l'idée de croiser deux berceaux.
RECENSIONS. 455

piété avec fruit les bonnes descriptions fouruies sur les voûtes des églises à Bin Bir
Kilissé (1). Au sujet de la coupole, M"-^ B. semble s'être laissé beaucoup entraîner
par l'enthousiaste rappel de M. Strzygowski vers l'Orient, la Perse en particulier.
Toutes les fois qu'elle veut signaler des précurseurs aux audacieuses coupoles by-
zantines et au dôme romain déjà si hardi et d'un effet, on est à peu près
si puissant
sûr de la voir aboutir à la Pei"se, pour ne pas dire à une série presque invariable de
monuments : les fameux palais deFirouz-Abàdet de Sarvistân.llnest pastrèsfacile.
à la vérité, de savoir quelle période exacte vise par là Miss Bell dans lévolutien de
l'art persan; un seul point est clair : elle estime produire des exemples « continuant
les traditions de l'antique école chaldéenne » r2]. Rien n'est plus facile à exagérer,
par conséquent à déformer, qu'une idée juste. Quand d'illustres maîtres ont indiqué
l'Orient comme la patrie féconde en principes et en inspirations d'art, ils avaient
conscience d'ouvrir une voie heureuse, mais ne songeaient certainement pas à révé-
ler une manière de cachette ignorée d'où l'on tirerait du premier au dernier tous
les éléments de l'art chrétien. Comme la vie et les institutions, les formes évo-
luent. Si tributaire que soit le culte chrétien des monuments antiques, pourquoi son
développement n'aurait -il pas inspiré çà et là quelque création dès les premiers temps
byzantins ainsi qu'il en inspira de splendides à la fin de l'époque romane en Occident ?
Il n'y a donc pas lieu de ruser avec les monuments et les dates pour découvrir en des

édifices orientaux exactement ce que réalisèrent, dans d'autres temps et pour ré-
pondre à d'autres besoins, les architectes de Pvome impériale ou de Byzance chré-
tienne.
Et c'est sans doute encore l'exagération d'une idée correcte qu'on pourrait voir
dans l'insistance que le beau livre met à présenter les nombreux vestiges chrétiens

sur le Kara Dagh comme une preuve que la montagne elle-même était estimée sainte
et que les églises, monastères, oratoires, mausolées continuaient la tradition des
vieux cultes issus du sol (3\ Mais, au lieu de continuer a marquer des points faibles

1^ Il eût aussi été prudent de se défier de certaines comparaisons. P. .'ÎIO par exemple, on cite

(^^omme type de voûtes mésopotamiennes, les voûtes en berceau du • palais parthe de Hatra ».
D'après le principe émis naguère par M. VaTclùtecle yiAuss {La piscine de Bet/iesda, append. A :

La crypte bijzantine... et le systi-me de routes..., p. "3 ss.; ces voûtes, continues, parallèles à l'axe
de la galerie à couvrir, relèveraient d'un procédé romain. Le principe soulèverait peut-être quel-
[ue objection: mais ce qui n'en soulèvera aucune. c"est que ce prétendu palais partlie (traité
encore comme tel en 1890 par Perrot et Chipiez, Hist., V La Perse, p. o.So est un produit syncré-
:

tiste où dominent les influences hellénistiques voir G-kizt. L'art persan, p. 7" ss. et !».>: jACorr.-
REL, Les ruines de Hatra :Re>\ arch.. 189". II. p. .347, 349. etc., et surtout maintenant la grande pu-
blication de la mission allemande dont la première partie a déjà paru, fournissant une excellente
documentation photographique- Die Pa'inea von ffa/?Yi, description générale par M. Andrae. 1908).
•2. P. 311. citant à l'appui Pekuot et Cbipiez, Hist., II. :!*). Citation et opinion semblent dériver

en droite ligne de ?;iv^z\Qi>\iSK\,Kleinasien. p. .39. Quoi qu'il en soit, iî est singulier que ni M. S.
ni M"« B., en se référant à l'opinion vaguement exprimée par M. Perrot en 1884. à propos de La
Chaldée. et sans distinction facile entre arts parthe et sassanide. n'aient apparemment eu l'idée
de consulter la même source dans le volumespécial consacré à l'art persan ;Perumt-Chipiez, Hist..
v, 18!-K) où une longue monographie consacrée pp. .'><il-o88) précisément à ces édifices conclut eii
les attribuant aux derniers Arsacides » ou aux < premiers Sassanides > p. 587 Nous voici re- .

jiortés dans la première moitié du ni'= s. de notre rre, c'est-à-dire 500 ans plus tard que lépoque
des derniers .Achéménides qui fut si en faveur jadis cf. Gayet, L'art persan, p, <)4 ss., et surtout
.). DE MiiROAN, Miss, scient, en Perse : IV. Rech. archéoL, II, 1897, p. .304, .330 ss. pour l'attribution
définitive de ces palais aux Sassanides,. Les découvertes de ces récentes années à l'extrémité
orientale du limes syrien, en particulier la série de châteaux explorés par M. Mrsit. Arabia Pe-
traea.l, passirn,\e chi\ieB.\xà.'al-Okhaider SUT \e Urnes mésopotamien publié par M. Massigsox.
Corupt. rend. Acad. IBL.. 19ijî>. p. -20-2 ss., fournissent de nouvelles et précieuses analogies. Or
on sait que • l'art à la période des Sassanides n'était pas un art spécial et indigène, né du génie
du peuple perse de Morgan, op.l., p. 3i)9 s.;, mais un art tout imprégné des formes hellénis-
-i

tiques. Ni Sarvistàn. ni Firouz-Abàd ne valent doue plus pour prouver l'origine perse du dôme:
c'était cependant les « meilleurs exemples connus • [p. 440).
3; Cf. par exemple p. -loG, 349. C'est surtout M. Piamsay —
dont la tendance à s'exagérer la ré-
456 REVUE BIBLIQUE.

dansla splendide monographie de Bin Bir Kilissé, il faudrait avoir l'espace de signa-
ler tout cequ'elle verse à l'étude d'informations excellentes, précises, pleines d'in-

térêtpour l'archéologie chrétienne, sans parler de la précieuse documentation acces-


physionomie de la contrée et l'histoire de
soire sur les monastères, les forteresses, la
la Lycaonie (1). On s'attarde volontiers en des livres d'une telle valeur (2). Ce serait
un rêve de voir étudier ainsi une à une les plus obscures provinces chrétiennes du
plateau central anatolien par Sir W. M. Ramsay et Miss Bell.

Jérusalem, 16 avril 1010.


H. V IKCEXT, 0. P.

percussion de la mystique païenne sur le cliristianisme a déjà été notée /JB.. 1!K)5, p. -lis qui—
accentue ces prétendues survivances des vieux rites et des naïl's concepts dus à l'inspiration de
la « grande Mère » —
Terre (pp. (». 19 ss., i2"ss.). Dételles pages, écrites avec brio, sur les méfaits
deraccaparementdomanial, sur le péril de lacongrégation,sur la néfaste ignorance du clergé, etc.,
manquent de base solide. Il est vrai le grec abominable » (,p. 533, n" iJOi de la plupart des
«

tex^tes colligés avec un admirable soin témoigne de fort peu de lettres; un sera néanmoins pru-
dent à généraliser pour toute la Lycaonie, à insister aussi sur le cas de l'évoque phrygien qui ne
sait pas écrire son nom (p. 20;. Quant à la redoutable main-morte (p. 30) et à la piquante imagina-
tion d'une ville exclusivement composée « de moines et de fonctionnaires ecclésiastiques » (p.3l ;

cf.470. riiypotliése de M"'' B. sur un « ordre militaire > lycaonien...), sur quoi peut-on les fonder?
Les quelques douzaines d'édifices de physionomie religieuse/ On ne voit pas l'exacte étendue
de la ville en question et le plan, p. 1, n'a pas d'échelle; on a pourtant l'impression qu'elle est
assez considérable et si les monuments religieux ont mieux résisté, c'est qu'en effet ils étaient
|)lus solidement bâtis que le reste. Dans une surface assez restreinte la ville de Màdabà —
où il
n'y avaitpasqueduclergé —
présente déjà 13 ou 14 églises. Je suppose qu'une catastrophe détruise
soudainement les quartiers juifs et musulmans de .lérusalem où grouille une population très
dense. Il ne faudra pas dix siècles pour en anéantir les masures, laissant à nu les vestiges en
pierre de taille d'une bonne douzaine d'églises et de chapelles médiévales ou byzantines qui
sont aujourd'hui des magasins ou des écuries. Entin, puisqu'on croyait devoir documenter par à
peu prés ip. 340) ces saints successeurs des dieux, il n'eût pas été indifférent de rappeler aussi
combien de lois déjà on a mis en garde contre ces trop faciles mirages, tant par des ouvrages
spéciaux ,v. g. Les légendes hagioor.: VI, Ri-miniscences et survivances /jrtieHnes, pp. 168-240, du
HoUandisie Delehayei que par des monographies de revues scientifiques (v. g. M. Hamilton,
The pagan élément in the names of Saints: ASiXiS Annual Brit. School nt Athcns, XIII, 1907,
pp. 348 ss.).
^1 Mentionnons du moins les bassins à ablutions (p. 72i, l'abside à gradins et siège presbytèral
(p. 118 et fig. 81), les cancels sculptés enfermant l'autel (p. 15.j , les grandes jarres en relation mal
déterminée avec des églises (p. l'a et surtout 112 —où ces vases à provisions paraissentêtre dans
le sanctuaire: j'avoue avec candeur ne savoir pas en découvrir la situation sur le plan (Gg. <>3) ou
l'on affirme l'avoir indiquée, l'eut-on songer à un rapprociiement avec les jarres alignées sous le
sanctuaire oriental du .lanicule? simple magasin pour les provisions d'huile et autres à l'usage de
l'église? i'exo-nartliex p. 234 et fig. 198). le dessous d'autel (p. 207 et lig. 224
.

dont M"« B. sem-
ble n'avoir pas bien saisi la vraie forme;.
,2) N'ai-je pas dit encore l'irréprochable et élégante correction du livre? Si nous n'écrivons pas

arc en cloilre p. 440), ou encirnie (p. 495 et 500). il se peut qu'on ait trouvé ces formes ailleurs
(ju'en français.— P. 303, n. l,a-t-on voulu écrire c/im-chin...ou church o/... ÎP.398, n. 4, Jahrschaft
est pour Jahreshefte. f.aillarot ;p. 230 Diarkekr ip. 99),Saritcli (carte, p. 294) ne sont-ils pas pour
,

Gaillardot, Diarbekr, Sarintch? —


P. 345, n.2, au lieude « vol. 111, p. 219» lire « vol. I, p. 172 . pour
la référence à Qnsr-en-Nouèdjis, dans le Survcy of East. Palestine.
BULLETIN

COMMISSIO DE RE BIBLK'A

DE AUCTORIBUS
ET DE TEMPORE COMPOSITIONIS PSALMORUM
I. —Utnmi appellationes J'snlmi Doviil, Hijmni David, Liber pmlinorum D'iviil.
Pmlterium Davidicum, in antiquis collectionibus et in Conciliis ipsis usurpata' ad
designandum Veteris Testaraenti librum cl psalmorum, sicut etiam plurium Patnim
et Doctorum sententia. qui tenuenint omnes prorsus Psalterii psalraos uni David

esse adscribendos, tantam vim liabeant, ut Psalterii totius unicus auctor David haberi
debeat?
Resp. — Neijative.
II. — Utrum ex concordantia textus hebraici cum givTCO textu alexandrino aliisque
vetustis versionibus argui jure possit. titulos psalmorum bebraico textui praeOxos
anliquiores esse versione sic dicta LXX virorum :ac proinde si non directe ab aucto-
ribus ipsis psalmorum, a vetusta saltem judaica traditione dérivasse?
Resp. — A/'/irnifitirc
III. — Utrum prccdicti psalmorum tituli, judaica^ traditionis testes, quando nulla
ratio gravis est contra eorum genuinitatem. prudenter possint in dubiuni revocari.'
Resp. — Négative.
IV. — Utrum, si cousiderentur Sacra^ ScripturcC haud infrequentia testimonia
circa naturalem Davidis peritiam Spiritus Sancti cbarismate illustratam in compo-
nendis carminibus religiosis, institutiones ab ipso condita^ de cantu psalmorum litur-
gico, attributiones psalmorum ipsi facta? tum in Veteri Testamento, tum in Novo.
tum in ipsis inscriptionibus. quœ psalmis ab antique praîGxae sunt; insuper consensus
Judœorum, Patrum et Doctorum Ecclesiae, prudenter denegari possit pr8ecipuum
Psalterii carminum Davidem esse auctorem, vel contra affirmari pauca dumtaxat
eidem regio Psalti carmina esse tribuenda ?
Resp. — yi^i/titivc ad iitramqiie jiartem.
y. — Utrum in specie denegari possit davidica origo eorum psalmorum, qui in
Veteri vel >'ovo Testamento diserte sub Davidis nomine citantur, inter quos prse
ceteris recensendi veniunt psalmus ii Quare fremuevimt fjentef<; ps. xv Conserva
me. Domine; ps. xvii Dili(jam te. Domine, fortitudo mea ;
ps. xxxi Beati quorum
rcmissœ siott iniqnitates: ps. LXVlli Salvum me fnc. Dev.s; ps. cix Bixit Dominus
Domino mco?
Resp. —
Sfijaiire.
438 REVUE BIBLIQUE.

VI. — Utrum sententia eorum admitti possit qui tenent inter psalterii psalmos
nonnuUos esse sive Davidis sive alioruQi auctorum, qui propter rationes liturgicas et
musicales, oscitantiam amanuensium aliasve iucompertas causas in plures fuerint
divisi vel in unum coDJuncti; itemque alios esse psalmos. nti Miserere me i, Deus, qui
ut melius aptarentur circumstautiis historicis vel solemnitatibus populi judaici, levi-
ter fuerint retractati vel modificati, subtractione aut additioue unius alteriusve ver-
siculi, salva tamen totius textus sa cri inspiratione?
Resp. — Af/irmatiie ad ramquc partent.
ut

VII. — Utrum sententia eorum inter recentiores scriptorum, qui indiciis dumtaxat
internis innixi vel minus recta sacri textus interpretatione demonstrare conati sunt
non paucos esse psalmos post tempora Esdra> et Nehemia\ quinimo œvo ]Macha-
baeorum. composites, probabiliter sustineri possit?
Resp. — Négative.
VIII. — Utrum ex multiplici sacrorum Librorum Isovï Testamenti testimonio et

iinanimi Patrum consensu. fatentibus etiam judaic.T gentis scriptoribus. plures agno-
scendi sintpsalmi prophetici et messianici. qui futuri Liberatoris adventum, regnum.
sacerdotium. passionem, mortem et resurrectionem vaticinati sunt: ac proinde reji-

cienda prorsus eorum sententia psalmorum propheticam ac messia-


sit, qui indolem
nicam pervertentes. eadem de Christo oracula ad futuram tantum sortem populi
electi praenuntiandam coarctanl?
Resp. —
Affirmative ad vtramque partem.
Die autem 1 maii 1910, in audientia utrique Rmo Consultori ab actis bénigne
concessa, Sanctissimus pr;odicta responsa rata habuit ac publici juris fieri mandavit.

Romae, 1 maii 1910.


FuiXRANis Vk.ouboux, P. S. s.
Laurentius Jansseas. O. s. B.
CoHfinlfores al) actis

Questions générales. — Le volume VIP de la collection des OxijrhynchusPu-


pijri 1) contieut plusieurs fragments de textes canoniques. C'est d'abord un fragment
de la traduction de la Genèse dite des Septante iGen. 2, 7-9; 2, 16-18; 2. 23-3. 1 :

3. 0-7;, soit 35 lignes ordinairement incomplètes. M. Hunt — qui, cette fois, est seul
éditeur du volume — attribue ce texte à la fln du m siècle. Ce serait donc le plus
ancien ms. connu de cette partie de la Bible. Le nom divin, au lieu d'être traduit
-/.jptoç, est représenté par deux iod ayant la forme Z c'est-à-dire la forme qu'avait
cette lettre au ii'^ s, av. J.-C), barrés par un trait transversal qui coupe à la fois les
deux un équivalent assez exact de la forme rabbinique Vi. qu'on ren-
lettres. C'est

contre au X' siècle. On peut donc se demander, ajoute AI. Hunt. si l'opinion d'Ori-
gène que le nom sacré est écrit en caractères hébreux dans les meilleurs exemplaires
ne doit pas s'appliquer aux Septante aussi bien qu'à Aquila. Et en effet le texte
d'Origène est tout à fait général, et il parle des caractères hébreux anciens, ce qui
est bien le fait du papyrus (2). Peut-être aurait-on perçu plus tôt le sens d'Origène.
sans le préjugé qui veut que les mss. anciens ont été copiés très exactement. Il faut
bien plutôt reconnaître qu'à une certaine époque le mot Kjv.o; a remplacé dans les
exemplaires grecs le nom divin simplement transcrit ou abrégé. Le papyrus fournit

(1) Londres. Egypt Exploration Fund. 1910. Numéros 1007 à 107-2, avec six i'l;>n(hes et les in
dices accoutumes.
(2 Kat b/ ToT: ày-piêecTÉpo'.; oï Tôiv àvTiYpàrwv 'E6pa:ot: /apay.TT'.prri /.£:-».'. to ôvoixa 'Eêpalxoï;
Ciï oO Toï; vùv. à/).àTo;; àp/aioTiTo;: Migne, XII, llOi).
*^'^
BULLETIN.

une nouvelle preuve que nos plus anciens ouciaux ont été retouchés pour se rappro-

cher du texte massorétique. Au v. 2, 24, il n'a aùxou ni après r.a-zipx (connrae Mt. 19.

-5: Me. 10, 7, d'après D: Eph. 5. 31), ni après ;j.ïîxÉpa (comme Mt. 19,5: Me. 10,7:
Eph. 5, 31), et au v. 3, 0, il omet /.at devant tôj àvooi'. L'appui que le papyrus reçoit
dans le premier cas du N. T. (et de Philon) prouve que c'est lui qui reproduit le mieux
les LXX primitifs. Dans les deux cas, le papyrus rejoint certains cursifs; c'est une
nouvelle preuve de la nécessité qu'il y a de tenir compte des mss. récents pour une
édition critique. Noter, avec M. Hunt, la forme i-fiyoaav (au lieu de Bayov, 3, 6), d'a-
près la forme en — axv pour — v signalée par M. Mayser dans le grec hellénistique
(Grcnnmatik der grlechischen Papyri, 322 DittexÊergeb, Si/lhge, 3, 234).
s.; cf.

Le second fragment biblique contient I Cor. 7, lS-8, 4. Le papyrus est daté de la


seconde moitié du ponctuation est indiquée par des espaces blancs plus
iv siècle. La
ou moins considérables. Le texte concorde en général avec BnA. Au même manuscrit
appartient un autre petit débris, Philip. 3, 9-17:4, 2-8. Après ces textes canoniques
il faut relever l'importante découverte de quelques lignes contenant, en grec. IV Esdras
16, .57-:j9. Les chapitres 15 et 16 de IV Esdras. qu'on est convenu d'appeler le
sixième livre d'Esdras, n'existaient qu'en latin. On soupçonnait ce latin d'être traduit
du grec ; la preuve est faite aujourd'hui. On ne savait pas si cette petite apocalypse

avait jamais eu une existence indépendante; cela semble résulter de la disposition du


papyrus d'Oxyrhynchus. C'était bien ce qu'avait insinué notre collaborateur M. La-
bourt (1), contre l'opinion commune.
Nous n'avons pas à insister ici sur les autres découvertes d'Oxyrhynchus contenues
dans ce volume. De longs fragments inconnus de Callimaque exerceront la sa-
VII'^

gacité des hellénistes et des mythologues. Dans l'ordre des idées du monde païen au
début des origines chrétiennes, il faut signaler la proclamation de l'avènement de
Néron. Claude, dont l'apothéose romaine avait excité la verve de Sénèque, est qua-
lifié sans difficulté de sù^avf,: ôîé;. Néron, espéré et attendu, est le bon génie de la terre

entière et le principe de tous les biens; il faut donc porter des couronnes et faire des
sacrifices à tous les dieux (n» 1021, p. 148 ss.). —
Un certain Héphestion déclare
(q" 106.5, p. 219 s , iir s, ap. J.-C.) que si les dieux ne l'épargnent pas, il ne les

épargnera pas non plus. —


Aurelius Demareus est plus révérencieux. Il a toujours
beaucoup prié pour sa femme, leur enfant, son beau-frère et ses beaux-parents, mais
se trouvant dans le grand Sérapeum, il a redoublé de prières auprès du dieu pour
eux, soit pour la conservation de leur vie, soit en vue des belles espérances admises
parmi les hommes : tÔv tj-Éyav Osbv SapàTi'.v -apazaXG!) ;iEp( -c iTii Çw^ç jijiôjv y.cà xwv fijj.Civ

-âv[T]ojv /.où tôjv yprjCTwv iXjzîowv twv iv àvôoti-o'.Tt vsvofjLiaijLÉvtuv (2) (n'^ 1070, p. 227). Les
espérances d'une autre vie sont ici rattachées au culte de Sérapis. ce qui avait déjà
été reconnu; mais awTr.pîx « le salut « s'entend toujours de la vie présente. — Est-il

besoin de dire que ce ne sont là que de très insuffisants échantillons des nouvelles

richesses fournies par Oxyrhynchus et mises en œuvre par M. Hunt avec sa maîtrise
accoutumée ?

Aussi les papyrus sont-ils de plus en plus à la mode. Il est à prévoir que sous peu
nous serons inondés de chrestomathies plus ou moins réussies. Il importe donc que
le terrain soit occupé par un ouvrage bien fait. C'est le cas du choix que nous offre

M. G. MiUigan (3). Les papyrus dits littéraires étaient naturellement exclus. Cin-

(1) RB., i'.mi p. 41-2 : « Un autre petit apocryphe indépendant ».

(2 Écrit v£(7vo(ii(7(j.£vwv mais corrigé par l'éditeur.


i3) Sélections /'roia the yreek papyri, edited witli translations and notes, ijy George Milliga:^.
D. D., in-lG de xxxii-132 pp. Cambridge, University Press, 1910.
460 REVUE BIBLIQUE.

quante-cinq morceaux, surtout des lettres, offrent un tableau suffisamment complet


de la vie égyptienne, depuis l"an 311 av. J.-C. jusqu'au vr siècle de notre ère. Les

textes sont publiés avec l'indication des corrections, conjectures, etc., traduits en an-
glais et annotés. Une courte introduction esquisse le sujet. Il y aurait beaucoup à
gagner pour la connaissance du grec hellénistique et par conséquent pour l'étude du
X. T. si ce petit livre devenait classique.

Et voici que l'Egypte a fourni une contribution même à l'histoire de la version


gothique ! La bibliothèque de l'Université de Giessen est entrée en possession d'une
double feuille de parchemin formant le début et la fin d un quaternio, provenant
des environs d'Antinoé. Sur la feuille 1 et 15, un texte latin contient en commen-
cement de lignes Le. 23, 2-6 et 24. 5-9; sur la feuille 2 et 16 un texte gothique con-
tient des mots en fin de hgne de Le. 23, 11-14 et 24, 13-17. Cette découverte in-
téressante est communiquée au public pour la partie latine par M. Glane, pour la
partie gothique par M. Helm (1 Les déductions ingénieuses de M. Glane lui per-
.

mettent d'avancer que ce texte inédit pour la partie gothique — est un frag- —
ment, copié au début du v siècle, d'un codex latinogothicus contenant l'édition
critique des prêtres Sunja et Frithila, les correspondants de saint Jérôme. On soup-
çonnait déjà que le Codex Brixianvs était le texte latin isolé, le Codex Argenteus le

texte gothique isolé de cette édition. L'étonnante découverte confirme ces induc-
tions. La partie gothique contient le verset indiquant la distance d'Emmaûs à Jéru-
salem : une lacune ne permet de connaître le chill're que par conjecture. M. Helm
n'hésite pas à restaurer 60, qui est le chififre du Codex Brixianus et de la recension
antiochienne que suivait la version gothique.

Voici déjà le second volume de VEncycIopaedia of Religion and Ethics, éditée par
M. J. Hastings avec l'assistance de M. J. A. Selbie (2).
Il va de Arthur li Buni/an. Cette fois les choses relatives à l'art et à l'architec-

ture ne sont plus représentées. L'inconvénient de traiter de la religion chrétienne au


même titre que des autres est peut-être encore plus sensible que dans le premier vo-
lume, car il est impossible d'être aussi complet qu'il conviendrait. Voici par exemple
deux articles sur la Bible : Bible, par M. Sanday Bible ; in the Church, par M. vonDob
schùtz. Ces messieurs sont des savants de premier mérite et des protestants croyants.
Leurs articles offrent un grand intérêt, mais ils ne disent pas ce que les catholique?
pensent de la Bible. C'est encore pire avec ^I. Warfield qui nous apprend que nous
devons à saint Augustin la Réforme protestante, avec [SI. Me Intyre qui voit dans
Giordano Bruno un martyre de la science, enfin avec M. Zockler. Ce dernier paraît
avoir exagéré quelque peu l'influence de la Compagnie de Jésus; elle a, nous assure-
t-il, conquis sa propre église à défaut du protestantisme
(à propos de l'ascétisme, p. 79}!

Nous devions indiquer nous nous garderions d'en imputer toute la respon-
ces faits :

sabilité à l'éditeur, car nous croyons savoir qu'il a adressé un appel très large aux sa-
vants catholiques.
Revenant aux religions autres que la Religion — et c'est toujours pour nous le prin-
cipal intérêt de cette encyclopédie — . nous constatons le même soin de demandera
des spécialistes les notions les plus précises. Par exemple l'article .Ascei«c/s/H est dû à
la collaboration d'une douzaine de savants. Pour que l'unité des vues ne soit pas trop

(1) Das gotisch-latinische Bibelfragment dcr Groxsherzoglichen l'niversitàtsbibliothel: Gies-


sen, dans la Zeitschrifl fur die neutestamentliche Wissenschaft.... litlO, 1-38.
(2) Grand 8° de xxii-901 pages à deux colonnes: cf. Rfi., p.â9<j s.
BULLETIN. 461

compromise, la religion babylonienne et assyrienne est traitée par M. Zimmern. la re-

ligionaryenne par M. O. Schrader, et personne ne s'en plaindra! On trouve aussi


dans rencyclopédie des articles de philosophie et de morale. Anntomic theory, Being.
Biology. etc.Ce ne sont là que des indications; chacun choisira dans cette masse de
matériaux parfaitement disposés ce qui l'intéresse le plus. Nulle part on ne trouvera
plus aisément ce qui concerne l'histoire des religions et de petites monographies très
curieuses sur des sujets fort peu connus.

M. L. H. Jordan a écrit un livre sur létude de la religion dans les universités ita-
liennes X . S'il s'en était tenu aux termes précis de ce titre, c'eût été bientôt dit. puisque
les facultés théologiques ont été supprimées en 1873, et que des deux chaires qui avaient
subsisté, l'une à Rome, l'autre ù Naples, il ne reste qu'une chaire d'histoire du chris-
tianisme, occupée à Rome par M. le professeur Baldassare Labanca. Mais ^l. Jordan

a tenu à chercher les causes de l'état actuel, à pronostiquer sur l'avenir. Des dix cha-
pitres qui composent son livre, les chapp. iv-mii ne sont que la traduction d'un
opuscule du professeur Labanca. Lif/icoUa ontiche e nuove degli studi religiosi in
Ilada, paru en 1890. On peut se demander si cette réédition était opportune, tant
les choses ont changé en Italie ! Aussi M. Jordan reprend la plume aux chapitres sui-
vants pour esquisser l'histoire du modernisme italien '2\ Les ancêtres, sans parler
de Marsile de Padoue. seraient Rosmini et Gioberti. Gioberti, soit. Il faudrait certes
le citer s'il s'agissait d"esquisser un existe-t-il un
modernisme italien. Mais
modernisme d'origine italienne? On peut en douter. Que certains modernistes
italiens aient aimé à citer Rosmini et Gioberti pour s'autoriser de leurs noms,
comme les Anglais et les Français ont cité Newman, et qu'ils aient relevé dans ces
auteurs quelques tendances qu'ils pouvaient exploiter, parfois en les dénaturant, il se
peut. Mais M. Jordan lui-même voit bien plus juste en assignant au modernisme une
cause beaucoup plus générale. Cette cause est, croyons-nous, l'inquiétude sou-
levée dans certains esprits par une étude trop hâtive et sans formation suflisaute des
religions comparées et de l'exégèse radicale destructrice. La tendance, qui domine de
plus en plus le protestantisme, à renoncer à toute foi dogmatique, a pénétré dans les mi-
lieux catholiques et parmi le clergé italien par la voie des livres et des revues de l'étran-
ger. M. Jordan tient à soulianer l'hostilité des modernistes pour le protestantisme.
Nés dans l'Église, honores quelquefois du sacerdoce, les modernistes ne pouvaient
d'abord songer sans horreur à changer de religion, et il répugnait à leur concept d'évo-
lution de se souder à une forme religieuse ancienne et périmée ;3 >. Mais M. Jordan lui-

même avoue que leurs aspirations vont encore plus loin que l'ancien protestantisme :

« Le luthéranisme demandait la liberté de croire : le modernisme demande la liberté


de penser » ip. 16). Quelques-uns ont cru que la foi chrétienne, devenue un pur sen-
timent, ne serait pas gênée par une société fraternelle de personnes religieuses et cha-
ritables: ils se sont heurtés à l'Eghse hiérarchisée, gardienne du dogme, et ils en sont
venus à confesser que leur seule religion est la foi en un idéal tel quel. Si M. Jordan, qui
paraît soucieux de décrire objectivement les phénomènes, avait écrit seulement six mois
plus tard, il aurait pu constater combien s'accélère le discernement des éléments con-

1 The study of religion in the italian uni i-eraities. by Louis Henry Jordan, iu collaboration
^ith Baldassare Labanca, in-12 de sxviii-3ii pp. Oxford, Froide. 1909.
2] Le chapitre ix est reproduit cquivalemment dans une brochure séparée •.3/ode>/a,s>/i inllaly.
ils origin, ils incentive, ils leaders and ils aimg. S" de 48 pp.. même éditeur. Le même auteur a
publié depuis Comparative religion, a «urvey of its récent literature (190G-1909,\ 8° de 7-2 pp.
:

Edioburgli, Scliulze, 1910.


i 11 y a des exceptions bien connues.
462 REVUE BIBLIUUE.

tenus dans ce qu'il appelle le modernisme, et. voulant citer quatre leaders, il n'aurait
pas mis dans la même vignette, même en insistant sur les divergences, M. Murri,
M. Minocchi. M. Fogazzaro et le P. Semeria.
Cela soit dit pour contenter l'auteur qui a paru tenir à ce que la Becue mention-
nât son livre. Nous sommes, à Jérusalem, trop peu au courant de ce qui se passe en
Italie pour insister. On peut voir dans la Civiltà cnttolica avec quelle audacieuse au-

dace se poursuit, sous le nom de modernisme, une propagande d'attaque contre le


dogme chrétien et la morale. Il serait triste que le mysticisme ardent et généreux de
certains des premiers leaders n'ait abouti qu'à un réveil du paganisme, toujours som-
meillant dans les mauvais replis de l'âme italienne. Aussi plusieurs n'ont-ils jamais cessé
de croire, ou ont-ils reconnu, que le dogme chrétien, loin d'être un obstacle, est la

source des énergies spirituelles sur lesquelles ils comptent pour l'amélioration du sen-
timent religieux dans leur patrie. Et il serait sans doute mieux avisé de tendre la main
à ceux-là. que d'affecter de les confondre avec les autres.

Nouveau Testament. — Le - Cotte Alexandrinus est. comme on sait, l'un des


plus précieux trésors du British Muséum. Avec la reproduction eu fac-similé (de 1881-
1883), le manuscrit était préservé des chances de destruction et mis à la portée des
savants de tous pays. Les Trustées du musée ont voulu faire davantage, le mettre à
la portée d'un plus grand nombre de bourses en publiant une édition d'un volume
moindre il . Avec les progrès de la photographie, le texte demeure suffisamment
net, et les caractères assez gros. La partie de chaque page qui représente le parche-
min a 19 centimètres 6 sur 16 centimètres, les lettres ont en moyenne un milli-
mètre et demi (2 La troisième partie du ms., contenant le Nouveau Testament
.

(depuis Mt, 25, 6) et les deux épltres dites de Clément, a paru, par les soins de

M. F. G. Kenyon.
L'émiuent paléographe donne dans une courte introduction l'histoire du ms., sans
entrer dans l'examen de son caractère et de ses premières origines. Il fournit des
renseignements fort utiles sur les différentes mains et les correcteurs qu'on peut
distinguer. On espère que l'Ancien Testament suivra bientôt. Évidemment il n'y a

pas à s'étendre à propos d'une pareille publication, sinon en remerciements chaleu-


reux pour une initiative si sainement démocratique, au moment où tant de livres
utiles sont hors de prix.

Le problème synoptique préoccupe toutes les personnes instruites. A vrai dire

on ne peut le traiter sérieusement que d'après les textes originaux.Cependant


M. J. M. Thomson a tenté d'en mettre les éléments entre les mains de ceux qui
parlent anglais a imprimé successivement, d'après la Revised rersion, tout
(3). Il

saint Marc, sur une colonne, mettant en face dans d'autres colonnes les passages
parallèles de saint Matthieu et de saint Luc, ou diverses autres références. Dans une
seconde partie, saint Matthieu passe le premier, avec tous les passages qui nont

pas encore été imprimés, accompagné des passages parallèles de saint Luc. Dans
la troisième partie, c'est saint Luc qui paraît, accompagné des passages parallèles

de saint Matthieu, (.e qui ne se trouve que dans un évangéliste est imprimé en ita-

(11 The Codex Alexandrinus Ro>al MS. 1 D v-viii in reduced photographie Facsimile, New
Testament aiul Clemenline Epistles. Londres. British Muséum, I!H»o.
2) La proportion avec le nis. est de 3 5 pour la longueur des lignes, de
: o pour la super--2 :

ficie.
(3) The synoptic Gospels, arranged ini pavallel columns, by j. M. Thouson, Impérial 8" de xwiii-
184 pp. Oxford, Clarendon Press, 1910.
BULLETkN. 463

liques. Des tables, n'indiquant que les péricopes. sont placées dans le même ordre.
Travail très diligent et qui sera utile au public studieux.

M. le Prof. D. II. Miiller avait pressenti depuis longtemps que sa théorie sur la

strophique pourrait s'appliquer à l'Évangile. Il s'est décidé à tenter cette démonstra-


tion, surtout à propos du sermon sur la montagne de saint Matthieu 'i). Il est incon-
testable qu'on y retrouve plusieurs des éléments du discours rythmé. Dans Mt. 6, 1-
18 en particulier, la distinction en strophes est très nette, avec le parallélisme
d'une strophe à l'autre {RpsjKmsio], et le refrain Inclusio]. II ne faudrait pas en
conclure que ce sont là des compositions poétiques. Arrangement strophique ne signi-
lie le mode d'enseignement adopté par les prophètes
pas fiction. C'est bien plutôt
d'Israël, et M. expressément que Jésus lui-même a pu donner, a
Millier reconnaît
vraisemblablement donné, cette forme à ses discours. Il est probable qu'on tirerait
de ce fait des conclusions intéressantes relativement à la transmission de la catéchèse
et à la composition des évangiles. On sait combien les paroles rythmées se conservent
plus fidèlement dans mémoire. Quoique M. Millier déclare être étranger à l'exé-
la

gèse évangélique et s'abstenir de tout système personnel, il lui arrive, précisément


en s'appuyant sur ses constatations, de discuter les vues de .M. Wellhausen. Pour
faciliter les rapprochements, le petit volume offre à la fin la traduction de plusieurs

passages en hébreu d'après Delitzsch, et des morceaux choisis des prophètes, des
livres sapientiaux et même de la poésie babylonienne et du Coran.

Le traité De Verbo incantato de M. C. Van Crombrugghe (2) est mis au point,


c'est-à-dire qu'il contient la doctrine traditionnelle sans ignorer les objections ré-
centes qu'il est plus nécessaire aujourd'hui de réfuter que celles des anciens héréti-
ques. Comme ces objections se sont produites surtout à coup de textes bibliques,
l'auteur a eu à cœur de n'aborder la théologie que muni de solides connaissances
exégétiques (3^ Voici quelques-unes de ses solutions. Le texte de Mt. 10,23 lui
paraît placé par Tévangéliste en dehors de son contexte primitif: il ferait allusion

à l'évangélisation des Juifs dans les derniers temps. Et le fait est qu'il en reste
assez à convertir ! Le te.xte de Me. 9, 1 est expliqué comme il l'a été dans cette
Revue (1906, au discours eschatologique Me. 13 coïncide
p. .563i, et le sens assigné 1

aussi avec l'interprétationdonnée au même endroit (p. 382 ss.). Quant au texte de
Me. 13, 32 de die nutem iUo et hora nemo scit, neqne angell, nenue Filins, nisi
:

Pater, M. Van Crombrugghe hasarde une solution nouvelle la casn. sensus est : :

iiemo cognoscit diem judicii ex signi<; Pater i. e. I)ens Imnc diem et liljere déter-
minât et cognoscit. Ce serait à merveille si ce sens pouvait s'appuyer sur le con-
texte. A ce propos, l'auteur paraît ranger le P. Lagrauge parmi ceux qui concèdent
^impliciter que le Christ a ignoré le jour du jugement. En réalité le texte cité en

preuve est très nettement conditionnel Matthieu 24. 36) affirme claire-
: « Si saint

ment... " On tenait à marquera M. Gore, dans cette recension, que les catholiques
n'entendaient pas reculer devant les conclusions d'une exégèse nécessaire. En réalité,
dans le passage parallèle de Me. et de Mt., il semble bien que le Fils ne désigne pas
la nature humaine du Christ, mais plutôt le Fils de Dieu lui-même. Dès lors il ne

(1) Biblische Siudien, V. DieBergpredigt in Liclite der Strophentlieorie, von Dav. Heinr. Mlelij:!-..
In-8° de 04 pp. Vienne, Uoelder, 1908.
(-2) In-S» de :218 pp. Gand, Huysliauwer. 190'J.
(3) C'est ce que prouvait déjà un ouArage antérieur : De soteriologlae chrislianae primis fon-
li'jv.s, 190o.
464 REVUE BIBLIQUE.

peut plus être question d'ignorance en aucun sens, et il faut dire seulement qu'il

n'est pas de la mission du Fils de révéler ce secret (1).


Venant à spécifler dans quel rapport sont avec la fol les différentes sciences du
Christ, AI. Van Crombrugghe s'exprime ainsi : a. Philosophice shmil ac theologice
certum est Christum habuissc scienliam naturalitcr acquisilam. b. Heputant theologi
conununiter, pflî<c/s cotdradicentlbus, absque temcritate negari non passe eum et

habuissc scientiam visionis bentae... Coinpetere ipsl et scientiam per se infitsam,


(juantum opinamitr, esttantuiii sententia inter theologos comiuunior et solida gaudens
probabilitate (p. 129 s.).

Jésus, d'après les critiques radicaux, n'est plus qu'un prophète, et un prophète,
cela s'entend, n'est qu'un sage né en Orient. Pourquoi les Juifs ne le reconnaî-
traient-ils paspour l'un des leurs? Déjà M. ^'athaniel Schmidt considérait comme
un heureux signe des temps qu' « Israël, dispersé parmi les nations, commence à ap-
précier le plus grand des prophètes qu'il ait donnés à la race humaine » (cf. R5.,
1907, p. 29G ss.;. Et en effet, le christianisme purement unitaire et le judaïsme li-

béral ne devraient guère être qu'une seule religion. Pourtant, jusqu'à présent, le
judaïsme n'a pas modifié son attitude envers le Nouveau Testament et surtout envers
l'Évangile. Il affecte de les ignorer, et préfère ne s'en occuper pas 2;. Il se défie, et
sans doute avec raison, de l'attrait que pourraient exercer les paroles, les actes, la
personne de Jésus. Qui commence finir par l'adorer. Ce n'est
à l'aimer pourrait bien
point l'avis de M. Judaïsme aurait intérêt à con-
C. G. Montefiore. Il estime que le

naître Jésus, et que les paroles de TÉvangile ne seraient pas inutiles aux Juifs de
notre temps. —
A quoi bon? disent les fervents du Juda'isme rabbinique. Qu'on
fasse des extraits des maximes de Jésus. On reconnaîtra bien vite qu'une partie de
sa doctrine est tirée de l'Ancien Testament, qu'une autre part se trouve équivalem-
ment dans le Talmud. que le reste est impraticable. — Non, dit M. Montefiore, ni

ces extraits ne vous permettent de connaître l'esprit de Jésus, ni vous n'avez assez
mesuré ce qu'il a de grand, de stimulant, d'héroïque. C'est le rabbinisme, masse touf-
fue, qui devrait être réduit en un abrégé, et encore cet abrégé, règle de la morale
niovenne, aurait besoin d'être relevé par un enseignement plus sublime, inspiré par
l'idéal et prêchant le sacrifice.

Et. pour la première fois peut-être, un savant juif a essayé de commenter les

évangiles synoptiques (3).

L'ouvrage est assez considérable. Il contient, outre une introduction, la traduction


des évangiles selon S. Marc, S. Matthieu et S. Luc, reprise ensuite et accompagnée
d'un commentaire. L'auteur s'adresse aux Juifs. Il ne s'est donc pas appliqué à la
critique textuelle, ni à l'interprétation philologique ou historique. La critique litté-

raire — celle qui cherche à ruiner la valeur du témoignage des évangélistes — lui

était nécessaire. Car enfin, le Jésus qu'on peut proposer à l'admiration des Juifs

(i; lil P.. q. \. a. i, ad


C"est ce t|ue dit aussi saint Tliomas. ". saint Tiiomas parle ici «lu \erl)e.
I

et ne couclut pour nature humaine »)ue d'une raison donnée par saint Chrysostome. C'est ce
la
•lue n'a pas assez distingué M. Chii|uot, dans sa thèse : La vision bvaUfiqve dans l'âme de Jcsus-
Clirist. Les atûrmations de cette thèse auraient sans doute été moins sommaires et mieux ap-
puyées si le jeune auteur avait étudié des livres comme celui de M. Van Crombrugghe.
2) Les écrivains juifs, dit M. Muntefiore dans un style lapidaire, ont surtout cherché à dépré-
cier, soit en assignant des parallèles ailleurs, soit en signalant les défauts Jeivish writers hâve :

either looked for paralfels or for defecls {op. inox lan.d., p. xvn\
['i) The synoptic gospels edited with a Introduction and a Comnientary by C. G. Montefiore ,
together wltli a séries of additional notes by i. Abrahams. In three volumes. Les deux premiers
vol. 8° de cvin-ill8 pages. London. Macmillan, l;t09. Le premier volume contient l'introduction
et S. Marc; le deuxième volume S. Matthieu et S. Luc. Une seule pagination.
BULLETIN. 465

comme le dernier des prophètes n'est pas celui des évangélibtes, qui s'est cru Messie
et Fils de Dieu au sens propre. Celui-là serait toujours le blasphémateur, justement
condamné par les chefs de la nation. M. Monteliore
donc assez étroitement s'attache
aux conclusions de M. Loisy, en les atténuant toutefois, et il faut lui savoir gré —
en le comparant au savant français —
d'avoir admis que le récit de la sépulture de
Jésus est historique en substance. On comprendra d'autant mieux que nous n'insis-
tions pas sur les détails, que M. Montefiore. avec beaucoup de modestie, proteste
plus d'une fois qu'il n'a pas la prétention de rien dire de nouveau dans l'ordre scien-
tifique, et qu'il écrit surtout pour ses coreligionnaires. Pour eux le nouveau com-

mentaire n'est évidemment pas à YIndex. Il ne peut être fâcheux que les Juifs s'in-
téressent à l'Évangile. Ceux qui sont aussi sincères que M. xMontefiore paraît l'être
voudront sans doute lire quelques autres ouvrages sur la question.
Quant aux chrétiens, ils liront peut-être encore avec plus d'intérêt les notes addi-
tionnelles de M. 1. Abrohams qui formeront un troisième volume, et qui fourniront
les renseignements rabbiniques jugés opportuns.

M. le Professeur Emile Scbiirer est mort le 30 avril. Sa destinée scientifique a été


vraiment digne d'envie. Son nom est indissolublement hé à son œuvre principale,
l'Histoire du peuple juif au temps de Jtsus-Christ. Dès la première édition, son
cadre était assez solidement bâti pour contenir, sans se briser, le tableau de plus
en plus complet des faits et de donc plus qu'à suivre
la littérature. Il ne lui restait

le mouvement des découvertes pour en enrichir un ouvrage de plus en plus découra-

geant pour ceux qui voudraient traiter le même thème, de plus en plus utile à ceux
qui le consultent assidûment. D'ailleurs M. Schiirer savait se corriger, sans même at-
tendre le démenti des faits nouveaux, lorsque des études nouvelles suggéraient d'au-
tres conclusions. Le volume III quivient de paraître termine laquatrième édition (1;:
iln'y manque plus qu'une nouvelle table. Au lieu de -562 pages, ce volume en
compte 719. Les additions les plus considérables ont trait, comme il fallait s'y atten-
dre, à la riche moisson des papyrus, soit araméens d'Kléphantine 2), soit grecs d'o-
rigine juive. Ailleurs encore, des inscriptions récemment exhumées font mieux ap-
précier l'étendue et l'importance de la diaspora. La question d'Ahikar est exposée
avec détails i3 . On est surpris que M. Schiirer ait dû emprunter à diverses notes de
M. rsau ce qu'il sait des inscriptions encore inédites de Berlin (4;. Qu'attend-on
donc pour faire cesser ce mystère? Le livre des Jubilés est maintenant reconnu an-
térieur au règne d'Hérode. Les vues sur le livre d'Hénoch sont quelque peu modi-
fiées, mais sans aucun examen des interpolations chrétiennes qu'on a signalées dans

le livre des Paraboles (Hénoch, 37-71). 11 faut le redire, l'admirable ouvrage de


M. Schiirer, si soigneusement mis à jour, est l'équivalent d'une bibliothèque bien
ordonnée, qu'on aurait tout entière sous la main. L'exécution matérielle est toujours
excellente.

L'ouvrage de M. Henri Regnault : Une province procuratorienne au début de l'empire


romain: le proccs de Jcw.s-Christ (.5) est quelque chose comme une thèse de doctorat
en droit. L'idée est très heureuse d'étudier les textes de Josèphe et des évangiles au

(l) Das Judentum in der Zerstreuung und die Jûdische LiteiTtur. Leipzig. Hinrlclis. 1909.

i)N'^ImN est un autel: ^i" marque le service militaire actif.


.3- Plutôt que d'admettre un emprunt de Démocrite à Ahikar M. Schùrer admet très justement
un pseudo-Démocrite.
(4 11 ne parait pas d'ailleurs aussi convaincu que M. Nau que le roman d'Ahikar soit l'écho
d'une histoire vraie.
(5, m-S'^ de lit pp.. Paris, Picard, 1909.

REVUE BIBLIQUE 1910. — N. S., T. VII. 30


466 REVUE BIBLIQUE.

pur point de vue du droit romain. On pourra relever quelques confusions qu'un exé-
gète de profession n'eut pas commises (1), mais le respect des textes que l'on con-
tracte au contact des jurisconsultes a mis en garde M. Regnault contre les outrances
les plus signalées de M. Loisy (2). Et c'est un plaisir de voir qu'en somme les récits

de la Passion, envisagés du dehors, se concilient fort bien avec les principes du droit
administratif romain. La première partie de la thèse expose la situation de la Judée,
surtout comme province gouvernée par un procurateur (3). La deuxième partie, qui
ressortit plus directement à nos études, agite surtout la question de la juridiction
compétente dans le procès de Jésus. On dit assez généralement mais pas aussi —
souvent qu'il semble à Fauteur —
que les Juifs ont condamné Jésus à mort, qu'ils
en avaient le droit, et qu'ils n'ont demandé à Pilate qu'une conûrmation ou un
exequaiur. M. Regnault au contraire prouve très bien que le procès a été repris par
Pilate, que ce fut même un
nouveau procès, un procès politique substitué par les
Juifs au procès religieux il se garde bien d'en conclure que le Sanhédrin
(4). Mais
n'a point déclaré Jésus digne de mort. Si nous jugeons l'ensemble de l'argumentation
excellent, nous aurions cependant à faire certaines réserves. En voici une. A la
page 76, on lit « Ainsi non seulement le Sanhédrin peut poursuivre un délit prévu
:

par la loi juive, mais encore ayant donné un ordre purement arbitraire, il lui est

possible, s'il est enfreint, de faire arrêter les coupables par des gens à son service et
d'infliger une peinelui-même exécuter. » Cela est très bien vu, mais on lit
qu'il fait

ensuite (p. 94) comme il nous semble, les seules autorités juives
: « 3Iais alors, si.

ont procédé à l'arrestation de Jésus, il est certain qu'il y eut là usurpation de fonc-
tions et illégalité au premier chef. » C'est bien là une contradiction. Il est vrai que
dans le premier cas la peine prononcée est relativement légère et que la seconde
arrestation doit aboutir à une sentence capitale. Mais existait-il alors un mandat
d'amener sous une inculpation précise? Les Sanhédrites font arrêter Jésus, espérant
le conduire à la mort. Pilate n'aura rien à leur reprocher s'ils ont soin d'amener
l'accusé à son tribunal avant d'exécuter aucune peine.
La question du droit de grâce est particulièrement délicate. M. Regnault discute
les modaUtés du droit. Au ton tranchant de certains exégètes on opposera la sage

réserve du jeune jurisconsulte « Et peut-être, pour en revenir à Pilate, serait-il


:

possible de concevoir dans sa personne une délégation du droit de grâce de l'empe-


reur, délégation ne portant pas sur une institution précise du droit, abolitio ou in-
dulgent ta, mais permettant, par son vague même, d'abandonner au peuple celui
qu'il réclamerait, avant, pendant ou après le procès et de lui montrer ainsi, durant

ses jours de fête, qu'en dépit de la conquête, le vainqueur n'était pas étranger aux

;i} D'une façon générale, l'auteur prendbeaucoup trop au sérieux la jurisprudence de la


Michna entre ce recueil et ceux du droit romain il y a un abime, surtout pour le sens liistoriquc
:

du passé. A la page 20. note 3, la dilférence entre Gen. 12, 1 et Act. 7, 4, n'est pas bien indiquée :

elle porte en réalité sur le lieu de l'appel divin. A la p. jO, note 1. le cas de saint Mattiiieu, situé
en Galilée, ne conclut pas pour la province romaine. La note de la p. 87 est à coté de la (|uestion.
Les témoignages du Nouveau Testament sont tous d'accord que Jésus a été crucifié un vendredi.
La question est de savoir si ce vendredi était le 14 ou le Vi nisau. L'agneau pascal devait être
mangé le 14, non le ib. selon notre manière de compter les jours qui est aussi celle de fauteur.
H) Voir la note de la p. 88, assez modérée pour un auteur protestant.
(3; A la page 30 il est question d'une décision des sénateurs en réalité la décision ne fut prise,
;

et par Auguste, que plus tard. Aussi bien la citation de Josèphe est incomplète. A la p. 57 l'auteur
admet une traduction impossible de Josèphe Pilate venant à Jérusalem « en vue d'abroger les
:

ois des Juifs -. Il est obligé de prouver que cela est invraisemblable, et d'enfoncer une porte ou-
verte pendant quatre pages.
(4) M=' Le Camus, La Vie de X.S. Jésus-Christ, t. III, p. 3-23 • Il s'agissait de montrer un délit
:

politique dans le crime religieux >, etc.


BULLETIN. 407

choses du vaincu » p. 134}. M. Regnault n'est pas des nôtres, il nous permettra ce-
pendant de le féliciter du tact avec lequel il a traité son sujet.

Jamais sans doute les origines du christianisme n'ont été l'objet d'études aussi
nombreuses que de nos jours. On dirait que la lutte engagée contre la vie actuelle de
l'Église dans les cercles scientifiques s'est relâchée pour se porter autour de son
berceau. C'est là aussi que toute une pléiade de savants catholiques se sont rendus
pour soutenir l'effort de la partie adverse. Le public éclairé désireux de se mêler à la
controverse ou d'en suivre les péripéties jusqu'au détail y sera puissamment aidé par
les textes et documents pour l'étude historique du christianisme publiés sous la di-

rection de ^I.M. Hemmer et Lejay. Cette collection s'est enrichie récemment de plu-
sieurs volumes : Philo h, Commentairt' (ilh'gorique des saintes /o/* traduit par E. Bré-
hier, déjà préparé à cette besogne par son ouvrage sur les idées philosophiques et
religieuses de Philon d'Alexandrie; la V et la 11^ Ckmentis^aT Hemmer; les lettres
de saint Ignace d' Antioche et île saint Polycarpe publiées et traduites par A. Le-
long-, Justin. Dialogue avec Trijphon, II, par G. Archambault 1 . Outre les tra-
ductions qui mettent à la portée de tous des textes parfois très difficiles, il faut si-

gnaler dans ces publications des introductions où l'histoire de la littérature ancienne


ne peut que gagner. Les biblistes de leur côté trouveront agréable de voir l'histoire
de l'exégèse ainsi facilitée par la publication de ces anciens textes ou la sainte Écriture
a une part si considérable.

Le troisième volume des œuvres de Clément d'Alexandrie de la collection patris-

tique de Berlin vient d'être édité par les soins de 0. Stahlin 2 . Il comprend les
livres VIII (fragmentaire, des Stromatts. les Edicerpta ex Theodoto, les Edogx
VII et
prophetieœ, le Quis dives sahetur, les débris des Hypotyposes recueillis de côté et
d'autre, des fragments dont le IIcp'i -ou nâa/a. L'ouvrage se présente dans les mêmes
excellentes conditions que les précédents; il est accompagné de trois pages de ma-
nuscrits en phototypie.

IN'ous ne prétendons pas donner la Reconstitution de la synthèse scientifique dOri-


gène [S par _M-' Kyrillos II, ancien patriarche catholique d'Alexandrie, comme une
nouveauté de Ce qui demeure nouveau, c'est le ton chaud et smipathique
librairie.

du plaidoyer de l'auteur en faveur du grand Alexandrin et l'ardeur qu'il met à pour-


fendre ses ennemis fussent-ils saints ou auteurs de vie de saints. La liberté de juge-
ment qu'il manifeste à l'égard de certains hagiographes n'est point pour déplaire il :

a su faire la part de ce que ces derniers devaient à l'éducation première et à l'esprit


de parti. Mais s'est-il mis lui-même assez en garde contre ce dernier écueil? Si tant
est qu'Origène n'ait rien eu à voir dans les querelles origénistes, l'origénisme
autour
duquel on grand bruit au début du v siècle n'est-ii qu' « un immense
a fait un si

chantage »? Toutefois l'étude que M^'^ Macaire fait du système d'Origène montre
combien l'Egypte actuelle tient à cœur de réparer les torts que l'Egypte d'autrefois
eut à l'endroit du plus illustre de ses enfants.

Ancien Testament. — S'il est un homme qui a bien mérité de la Massore. c'est
sans contredit _M. C. D. Ginsburg. ^'ul n'était mieux autorisé que lui à donner enfin
une édition modèle du texte hébreu de l'Ancien Testament avec toutes les notes et
variantes qui présentent quelque intérêt. C'est sous les auspices de la Brifish and f'o-

(1 Paris. Picard. VMr.K 1910. in-1-2: \xx\iii-3îO; Lxxiv-20i: lxxx-IST; 39<j.


(2 8^ s.:--230iti>., .3 pi. Leipzig. Hinrichs, VM).
3, -2 volumes in-8', I9)t, i03pp. .Uexaudrie, Mourès, 190", 1900.
468 REVUE BIBLIQUE.

rcif/n Bible Society qu'il entreprend cette publication. Le livre d'Isaïe vient de pa-
raître (l). les Petits Prophètes sont sous presse, le reste de la Bible ne tardera pas.
Ce qui frappe à première vue, dans cette nouvelle édition, c'est l'élégance et la clarté
du texte. Les caractères typographiques ont été choisis avec toute la diligence pos-
sible. Pouréviter les surcharges, on a laissé sans voyelles les mots qui présentent un

qerë et un kethib:en note sont ponctués séparément le kethib et le qerê. Les manus-
crits utilisés sont au nombre de 73 leurs variantes sont citées sous le chiffre hé-
;

braïque correspondant au numéro de la liste par laquelle s'ouvre le volume. Les édi-
tions imprimées, depuis celle du Pentateuque à Bologne en 1482 jusqu'à celle de la
seconde édition Bomberg (Venise 1-j24-1ô2ôi, sont aussi mises à profit. Cette der-
nière (qui.comme on le sait, imprime la recension de Jacob-Ben-Chayim) sert de
base à l'édition actuelle. On ne se dispense pas d'indiquer çà et là les variantes, sup-
posées par les targumsou les versions. Parfois même M. Ginsburg suggère une cor-
rection probable. Les traducteurs et les exégètes ne pourront se passer de cette édi-
tion qui dépasse les précédentes par le grand nombre des matériaux et par la

bonne ordonnance du texte et des notes. L'infatigable activité de M. Ginsburg nous


permet d'espérer que les autres livres de l'Ancien Testament ne tarderont pas à
paraître.

La critique du texte des Septante n'a pas moins d'utilité que celle du texte masso-
rétique. Elle est, d'ailleurs, beaucouiD plus compliquée, et c'est ce qui explique le
grand nombre des travaux qu'elle fait naître. Dans ce domaine, comme en d'autres,
de Lagarde fut un initiateur ses Septitagintastudien et son édition de la recension dite
:

de Lucien restent d'une inappréciable valeur. La Société royale des sciences de Got-
tingen donne un bel exemple aux sociétés savantes de l'Europe, en entreprenant une
série de publications qui, sous le titre de Mitteihmgen des Scptuaginla-Untcrnchmens,
seront destinées à rechercher, autant que faire se peut, le texte original de la version
grecque. Le premier fascicule, par M. E. Hautsch, s'occupe du texte de Lucien (2).
Avec beaucoup de patience l'auteur s'attache à rechercher le rapport qui existe, pour
rOctateuque, entre les manuscrits considérés comme représentant le texte de Lucien
et les citations des Pères d'Antioche (Diodore, Théodore de Mopsueste, Théodoret,
saint Jean Chrysostome). Les manuscrits utilisés spécialement par de Lagarde pour
rOctateuque (3) sont le manuscrit 1 9 (noté b dans l'édition Brooke-M'= Lean) et le ma-
nuscrit 108. Il faut ajouter comme témoin de la recension de Lucien le manuscrit w
de l'éditionBrooke-M" Lean. Pour la Genèse, la confrontation de ces manuscrits avec
les citations des Pères dAntioche prouve que le texte de Lucien suivi par les Pères

n'est pas celui des manuscrits 19, 108, w. Ce résultat négatif est celui auquel conduit
aussi l'étude des autres livres du Pentateuque et de Josué. Pour le livre des Juges, il

semble que, même dans l'école d'Antioche, la recension d'Hésychius, représentée pro-

bablement par le Vaticanus, a influencé celle de Lucien. Dans le livre de Ruth, les
divergences entre les citations de Théodoret et le texte des manuscrits 19 et 108 sont
au nombre de cinq, tandis que l'accord se réduit à un seul passage. Il semble donc
que la recension de Lucien devra se trouver dans d'autres manuscrits. Déjà M. Hautsch
indique un groupe (à savoir les manuscrits 54, 59 et 75) comme ayant le plus de
chances de représenter cette recension pour l'Octateuque.

(1) haias,diligenler révisas juxta Massorah atr/tte editiones principes cum variis lectionibus
e mss. atque antiquis versionibus coUectis a C. D. Ginsbuisg, LI/. D. Londres, 1!>0!>.
(2) Der Lukiantext des Oktateuch von Ernst Hautsch, in-8 de 28 pp. Berlin, Weidmann, 1916.
(3) Les numéros désignent les manuscrits suivant la notation de Holmes et Parsons. Une autre
notation est adoptée dans l'édition Brooke->P Lean,
BULLETIN. 460

L'étude de M. Procksch sur Ihisloire de la version des Septante (1) est plus volu-

mineuse et, partant, plus détaillée que celle de M. Hautsch. L'auteur s'attache au
texte des Prophètes, en excluant Daniel qui représente la reeension de Théodotion. Le
but de ses recherches est de retrouver, parmi les minuscules, les différentes familles
auxquelles appartiennent les manuscrits et d'en tirer des conclusions concernant
l'histoire de la version grecque avant Origène. Les minuscules sont répartis en trois
iîroupes : le groupe hexaplaire, le groupe pré-hexaplaire, le groupe de la reeension
de Lucien. Toutes les variantes sont soigneusement mises en regard, puis un chapitre
est destiné à montrer les rapports de ces manuscrits entre eux et leur relation avec
les grands onciaux. Le plus ancien texte des Septante, pour les Prophètes, est repré-

senté par les leçons commîmes aux codices Vaticanus, Sinaïticus, Alexaodrinus, ^lar-
chalianus, ainsi qu'à deux groupes de minuscules que M. Procksch désigne par les
chiffres romains I et H. Mais cette reeension dont la base est un texte pré-hexaplaire
se partage à son tour en deux types bien définis, dont l'un est représeuté par le Va-
ticanus, le Sinaïticus et le groupe I des minuscules, tandis que le second se retrouve
dans l'Alexandrinus,le Marchalianus et le groupe II des minuscules. Naturellement,

chacun de ces manuscrits ou groupes de manuscrits a ses destinées spéciales. Dans


le Vaticanus se fait sentir l'influence hésychienne; dans le Sinaïticus et les minuscules
du groupe I la forme pré-hexaplaire
se reconnaît la retouche hexaplaire. Par contre,
est moins contaminée dans la famille formée par l'Alexandrinus, le Marchalianus et
le groupe II des minuscules. Cependant l'influence hexaplaire est encore sensible spé-

cialement pour le livre d'Ézéchiel. En outre, une nouvelle reeension du texte, due à
la main de Lucien, exerce son action sur cette classe de manuscrits. A la suite de ces

études de détail, M. Procksch esquisse une histoire du texte et détermine par quels
procédés on pourra reconstituer ce texte dans son état primitif. « L'histoire des Sep-
tante est ainsi un mouvement d'un maximum à un minimum de distance de leur texte
au texte massorétique. » On sait comment les Juifs ont contribué à ce mouvement
par leurs protestations contre les traductions trop larges ou inexactes. Le travail de
la critique est de rechercher les deux types primitifs de la version elle-même, puis
de par lesquelles chacun de ces types a dû passer sous les influences
fixer les étapes

d'Origène, de Lucien et d'Hésychius. L'étude de M. Procksch. conduite avec beau-


coup d'acribie et de patience, figure dignement à coté de celles de Lagarde et de son
élève Rahlfs sur le même sujet.

Deux nouveaux fascicules des Bibllsche Zcitfra'jen (11 et 12. sont consacrés à des
questions relatives à l'Ancien Testament. Celui de M. Hehn traite du sabbat chez les

Hébreux (2). L'auteur avoue qu'il ne fait que mettre à la portée du grand public les

conclusions exposées par lui dans son travail Slebenzahl uiid*Sabhat bel den Babylo-
n'wrii und im A. T., paru en 1907 dans les Leipzi;/er semiti.<tischc Stiidicn (II, 5)
Nous avons donné une critique détaillée de cette brochure. On nous permettra d'y
renvoyer le lecteur ^3). M. Hehn n'a rien changé de ses positions. Il continue de rat-
tacher le nombre « sept », sibittu en assyrien, à la racine 'seba « être rassasié )>, mal-
gré l'invraisemblance de cette dérivation 4;. Il s'élève avec raison contre la théorie

r Studien ;i(r GescliiclUe der Heptnaginta, Die Propliclen von D-^ G. Procksch, Prol'esor der
rhéologie in Greifswald. In-8 de 134 pp. Septième fascicule des Beitrâge zur Wissenchafl vom
Allen Testament de KiUel. Leipzig. Hinrichs, 1910.
(-2) Der israelitische Sabbath von Dr. .Jou.ls.nes Heun, ord. Pf'jf. a. d. Inivers. Wiirzburg. In-8'^
de ;«> pp. Munster, Aschendorff, 1<>09.
{7>) RB.. 1908, p. 462 ss.

(4) Cf. ibid.. p. ^Gi.


470 REVUE BIBLIQUE.

qui voudrait rattacher aux sept planètes (les cinq planètes connues des anciens, plus
du caractère sacré attribué au nombre sept, car ce carac-
le soleil et la lune; l'origine
tère sacré apparaît dès la plus haute antiquité tandis que
groupement des sept le

astres en un tout est d'époque récente. Les phases de le mois la lune qui divisent
lunaire en périodes de sept suffisent à rendre compte de la grande importance que
les anciens ont donnée à ce chiffre. A propos du sabbat biblique qui, selon M. Hehn.
considère lahvé comme le maître absolu du temps, nous lisons « Le sabbat selon la :

conception de TAncien Testament n'est pas quelque chose d'arbitraire, mais l'ordre
divin ne fait que renforcer la loi de la nature. Gratta supponit naturam. »

Le travail de M. Euringer sur la chronologie de l'histoire biblique primitive (l) est

destiné à éclaircir les généalogies de Gen. v et xi. La théorie de l'auteur est que
le rédacteur final de la Genèse « ne garantit pas » les âges attribués aux patriarches
dans les généalogies de Gen. xi et que. dans la liste des Séthites (Gen. v), il s'agit

d'une citatio explicita. Le code sacerdotal a bien la prétention de donner une chro-
nologie et la donne, mais le rédacteur final cite cette chronologie sans la garantir.
Selon M. Euringer, cette explication ne dépasse pas les limites fixées par la commis-
sion biblique dans sou décret du 13 février 1905. On voit avec quel esprit de conci-
liation il a mené son enquête.

C'est un ouvrage de vulgarisation que nous donne le Dr. G. Rothstein dans


son guide pratique pour l'étude de l'Ancien Testament (2), sorte de manuel bibli-
que à l'usage des protestants conservateurs. LTne petite introduction traite de la
Bible, de l'inspiration et du contenu de l'Ancien Testament. L'auteur partage ensuite
l'histoire biblique en grandes périodes, depuis les temps qui précèdent Moise jusqu'à
l'époque hellénique. Il essaie de situer dans leurs cadres respectifs les différents écri-
vains sacrés. Il reconnaît que le fondement (Crnaidlai/c) de la Tora est mosaïque et
que cette loi unit, par des liens étroits, la religion et la moralité, en étabhssant la
moralité sur la religion, en envisageant la religion sous la forme de l'adoration d'un
seul Dieu et la moralité sous la forme de la pureté de la conscience. Naturellement,
étant données l'exiguïté de l'ouvrage et l'amphtude des sujets traités, les questions ne
sont qu'effleurées. Mais l'auteur accepte les conclusions de la critique avec une cir-
conspection de bon aloi et il les résume avec clarté pour les normaliens et norma-
liennes auxquels il s'adresse. On trouvera cependant que deux pages pour la géogra-
phie de la Palestine, c'est bien maigre, et que M. Rothstein eût mieux fait d'adjoindre
une petite carte à son manuel.

Langues. — Les grammaires bibliques modernes nous font oublier les anciennes.
Ce qui serait en tout cas fort injuste, ce serait de ne pas conserver la mémoire des
hébraïsants illustres qui ont frayé la voie. Dom Paul Denis, bénédictin de Solesmes,
a eu l'heureuse idée de publier quelques lettres inédites 3 qui nous font connaître
leurs hésitations, leurs convictions et parfois même leurs querelles au sujet de la
ponctuation massorétique. Le chanoine Masclef n'en voulait pas, et dom Pierre Gua-
rin, bénédictin de Saint-Maur, entendait avec raison la conserver. On voit encore
apparaître dans cette galerie les noms justement célèbres de dom Bouquet et de dom

;i) Die Chronologie d'c bihlischen Urgesc/n'c/ile (Gen. 5 und 11) von Dr. Seuastun Ei uiNCEii.
I.yzealprofessor ia Dillingen a. d. Donau. In-8 de 35 pp. Munster, AscliendorfT, 1901).
-2 Lcitfaôen zuiii L'7iterricht im Alten Testament fur reiferc Schûler und Schûlerinnen hohc-
rer Lehranstalten, von Dr. G. Rothstein. ln-8 de vi —
83 pp. Ilalle a. d. S., 4909 .

(3i Dom Pierre Guarinet lecJiaaoine Masclef. deux grammaires hél)raïques au commencement
du XVIII» siècle, in-S" de 8t pp. (Extra ae la • Revue Mal)illon ",. mai-août lOOS).
BULLETIN, 471

de la Rue, toute une académie groupée autour du grand Bernard de Montfaucon.


On se prend à regretter que les ordres religieux aient perdu la maîtrise des langues
orientales que les Papes leur avaient tant recoramaudées, et Ton sait bon gré à dom
Denis d'avoir rappelé la bulle de Paul V, datée du 31 juillet 1(510: omnibus cl dngu-
lis Regidanuin Supcrioribus sii(> indigna ti unis aoslrae 'poeivi, eadciii auctoritate
tenore praesentiiim praccipimus et mandamus, ut omni cura et soUiciludine quanto-
cius provideant, ut scholae linguarum hujusmodi quamprimum instituantur (l'hébreu,
le grec et le latin, et en outre l'arabe dans un certain nombre d'écoles supérieures)

ac doctores praedicti deputentur, earumdemque linguarum lectionibus scholares


(issignentur, qui iflis sedulam et assiduam operam navent. D'ailleurs n'est-ce pas
aussi l'intention de Pie X? Parmi les lettres publiées par dom Denis, il en est une de
dom Calmet;, où il se montre « un adversaire résolu de la ponctuation massoré-
tique ». Comme la lettre est un remerciement pour l'envoi de la grammaire de Masclef,
on peut y faire la part de la civilité et honnêteté dont témoignent toutes ces lettres.
I3u reste, dom Cal met n'est point un grammairien, c'est un exégète; il refusait
comme tel d'être lié à la tradition raassorétique, en quoi il a montré plus de clair-
voyance que les exégètes protestants jusqu'à la fin du xix'' siècle.

M. Arno Kropatfournit une excellente contribution à l'histoire de la grammaire


hébraïque par comparaison entre la syntaxe de l'auteur des Chroniques et celle
la

de ses sources (1). Un simple coup d'œil sur le Stellenierzeichnis de la fia montre
avec quelle richesse d'informations cette étude a été conduite. M. Kropat ne se
borne pas aux deux livres des Chroniques, mais il
y joint Esdras et Néhémie dont la
langue est la même. Le traité se divise en trois parties la phrase toute simple,
:

la phrase simple avec des éléments adventices, la phrase composée. La méthode est
purement empirique : placer les textes l'un en face de l'autre et en faire ressortir
la différence. Ainsi l'œil est frappé des modifications de la langue, sans même
(jue le raisonnement doive intervenir. Ces particularités sont groupées dans les

pp. 72-75. Les unes sont toujours constatables. les autres seulement dans la plu-
part des cas. D'aucunes sont dues à l'iuflueuce araméenue. Pour nous ea tenir
aux principales, on remarquera le double emploi d'un même mot avec le sens
du latin quivis, l'usage de l'infinitif avec la préposition S au lieu d'un imparfait ou
d'un participe, la construction du collectif avec le pluriel au lieu du singuUer, les
sens nouveaux donnés aux particules SzN, T]N. DN "13. Depuis longtemps on avait
observé que le nom précède le nombre, alors qu'il le suivait dans la syntaxe an-
cienne. Le chroniqueur affecte aussi de remplacer le suffixe féminin par le suffixe
masculin pour la deuxième et la troisième personnes du pluriel. Comme aramaïsmes
caractéristiques, l'usage de 'i devant l'accusatif personnel, la désignation de la di-

rection par S" et du but par S, l'emploi de nïp^Z au lieu de Vd- Toutes ces parti-

cularités doivent être soigneusement notées quand il s'agit de dater tel passage in-
terpolé ou telle glose probable, dans les livres historiques antérieurs aux Chroni-
ques. L'ouvrage de M. Ivropat servira ainsi non seulement à la grammaire, mais
encore à la critique des écrits bibliques.

La méthode suivie par M. Bôhl dans son travail sur la langue des lettres d'El-

Die Syntax des Autors der Chronik verglichen mit der seiner QueUen von Arno Kropat.
!l)

in-8°de 94 pp. Giessen, T^pelaiann. lOOît. XVI Beiheft zur Zeitschrifl filr die alttcstamenUiche
Wissenschaft.
472 REVUE BIBLIQUE.

Aniama (l) est la même que celle de M. Rropat : accumulation de faits groupés
sous des rubriques grammaticales. Ou ne peut désirer plus de précision, mais on
serait heureux d'avoir une synthèse plus originale. Il semble qu'on pourrait mainte-
nant faire une véritable grammaire d"£l-Àmarna. Les hébraïsants seraient les pre-
miers à en profiter dans l'étude du développement de la langue sacrée. Ou sait que
le babylonien des lettres d'El-Amarna est tout pénétré de tournures et de formes

cananéennes. En outre, des gloses cananéennes sont destinées ça et là à ti'aduire tel.

mot babylonien qui risquerait d'être mal compris. Ce sont les plus précieux docii-"

ments pour la connaissance de l'ancien idiome qu'ont adopté les Hébreux. Grâce à
la récente publication de ivnudtzon 2), ils peuvent être désormais utilisés avec
toutes les garanties désirables. C'est à cette publication que se rapportent les réfé-

rences de M. Bohl, mais il a eu soin de donner une concordance des numéros de


Knudtzon avec ceux du travail de Winckler paru autrefois dans la KeiUnschriftliche

Bibliothek de Schrader. Ceux-là mêmes qui n'ont à leur disposition que ce dernier
ouvrage pourront ainsi profiter de l'étude de M. Bohl.
Au point de vue de la phonétique, l'une des plus intéressantes constatations est

celle de l'usage du h [^^ assvrien pour rendre non seulement ^ mais encore l'aspi-

ration N. C'est ainsi que le mot 2\\' « ennemi » est transcrit ka-ia-bi, et "N'2 est

rendu par mahdu. Ce même h rendra quelquefois le simple ri. Par exemple « la
montagne », in, a pour équivalent Arovi. Le > (?>)& le même équivalent dans
hinaia {yj), bahla (S"r,}, :uruh (yll"), etc.. On voit que les scribes ne trouvaient

pas chez les Babyloniens le stock de gutturales nécessaires à l'expression de l'idiome


cananéen. Si l'écriture cananéenne (ou phénicienne) avait existé à cette époque
(jusque vers'TSôO' a^Tint notre ère', elle eût été d'un secours" btETîfiîïïs" considérable
pmir rendre la phonétique. On objectera que, cette correspondance étànt'Tiïtërna-
tionale, le babylonien pouvait être considéré comme langue diplomatique. Mais alors,
poui'quoi l'employait-on même entre les roitelets de Canaan? L'usage du son g au
lieude q n'a rien pour nous étonner, puisqu'on le trouve chez les anciens Babylo-
niens et chez les Bédouins de nos jours. Plus caractéristique l'usage de g au lieu de
k. par exemple dans milga « conseiller »
("i'^*2),
alaga « aller » ("jSn), igahï Ozn),
dàga ("il"), etc. : de t au lieu de d dans ite (""''), lubette (XT"), lamateka
"7*2"?;, etc.: de p au lieu de h dans \q->a'i (~n2). panai (ri:2), ipallit {'zhz), etc.
Oa pourrait se demander si l'influence des prononciations forte et aspirée
(n£3~52)
n'est pas déjà perceptible dans ces permutations. Les Cananéens possèdent à cette
époque le son ô que le syllabaire assyrien doit rendre par u. Ainsi isix « je » est

La morphologie offre, elle aussi, des parti-


représenté par anuki, tl'Nl par riw», etc.
cularités qui intéressent la grammaire hébraïque. Le suffixe nominal de la pre-
mière personne du pluriel est généralement nu (comme en hébreu) au lieu du ni
babylonien, les suffixes verbaux sont -anni (première personne, -akku deuxième
personne), asûu (troisième personne) pour le datif, mais ni, ka, .sa pour l'accu-
satif. Le relatif ~iu,'N' au lieu de UT (sa) n'existe pas encore. Les désinences casuel-
les, dans les formes nominales, sont négligées. Le langage vulgaire supprimait déjà
les voyelles finales qui différencient les cas. exactement comme fera l'hébreu.

Dir Sprache der Amarûa-Briefc mit besonderer Berûcksifhtitjuitg dcr Kanaanismcn von
(Il

Dr. Phil. Fkasz m. Tu. Bohl. In-8'> de iv -f 96 pp. Leipzig, Hinriclis, l'JO'J. Cahier V, 2 des Leipziger
semilistische Studien.
(2) Cf. RB., 1908, p. 300.
BULLETIN. 473

Comme pluriels remarquables on trouve mêma « eaux » (a^^i et samém « cieux »

(D'iOt?/. Le pluriel en ùtu (ni) s'emploie parfois pour des masculins, par exemple

dans abûti (niSN). A propos de ces pluriels, M. Biihl insiste avec raison sur l'usage
du pluriel ilàni « dieux » avec le sens de « Dieu » par excellence (1). C'est un équi-
valent de l'hébreu n\"î''X. Dans la lettre î)G, envoyée par Rib-Addi de Byblos, on a

ilânu (mSx) employé avec un verbe au singulier (irai. De même dans la lettre

189 (rev. 14 j, on a ilàiin-ka, parallèle à samSu-ka « ton soleil


», sujet de cllak,

verbe au singulier (""^n). L'étude de M. Bohl sur remarquable par le


le verbe est

grand nombre des citations. On nous permettra de reproduire sa conjugaison de


l'imparfait cananéen, comparé à l'assyrien et à l'hébreu. Le verbe choisi est sajnïru
« envover » :

Assyrien

Sing.
474 REVUE BIBLIQUE.

qui, dans le domaine de l'assyriologie, sont venues jeter tant de clarté sur l'iiistoire

de l'Ancien Testament. L'introduction à la troisième édition est remarquable. Avec


une maîtrise qu'on ne s'étonne pas de rencontrer chez un spécialiste aussi autorisé
que M. Winckler, les points de contact entre les pays d'Amourrou ou de Canaan avec
les peuples du Tigre et de l'Euphrate sont mis en relief et éclairés de toutes les lu-
mières de l'histoire orientale. C'est un admirable tableau de ces interventions inces-
santes delà Babylonie et de l'Assyrie dans les affaires d'Asie Mineure ou de Palestine.
Tableau en raccourci, il est vrai, étant donné le caractère de vulgarisation de l'ou-
vrage, mais parfaitement mis au point des dernières découvertes. Les biblistes se-
ront reconnaissants à M. Winckler d'avoir ainsi mis à leur disposition tant de maté-
riaux en un si petit volume. A propos du roi de Damas contemporain de Salmanasar II
et d'Achab, l'auteur Jera bien d'abandonner définitivement sa lecture Bir-idri pour
celle beaucoup plus probable de Adad-idrl (iVJlin) (i).

Palestine. — M. le prof. M. Lidzbarski a donné (2) l'édition ne varletur de ses


études sur le Calendrier de Gézer parues dans le Quart. Stat. (janv. 1909, l''^ ma-
nière; juin. 1909, T manière
d. RB., 1909, p. 243 et 654), Par comparaisou paléo-
;

graphique avec l'inscription de Siloé. il se persuade que ce petit texte est difficile-
ment plus tardif que le ix'= s. av. J.-C. (p. 38 C'est un passe-temps de rustre, .

fier d'exercer son savoir calligraphique. Le distingué maître se demande, sans


vouloir s'attarder à s'en enquérir, si les conditions agronomiques dans la région ne
comporteraient pas une division de Tannée en huil phases agricoles. Le sigle liti-

gieux est déclaré un irmi.' : cela entraîne « une inconséquence rédactionnelle passée >

au compte de r« écrivain inexpérimenté » Cp. 39). « Le P. Vincent cherche, dans son


article —
dont le verbiage et le ton présomptueux contrastent fort avec la nullité

des résultats — à donner au sigle douteux la valeur 7ioun et il lit "jni'' comme duel
ou pluriel. Cette lecture est absolument exclue » (p. 39). Aménité pleine de délica-
tesse et concision tout à fait digne d'envie... [H. V.]

En une trentaine de pages limpides et nourries, M. le prof. Thierschrésume


l'évolution de la culture antique à Gézer d'après les vingt et un comptes rendus si
soignés de M. Macalister (3). On signalerait difficilement un détail notable échappé
à son enquête ou situé hors de sa vraie place. Le cas unique d'un commentaire est
justifié par rexceptionnelle importance du haut-lieu. Cette fois en effet le caractère
religieux du monument est admis, quoique avec des nuances discutables. Si M. T.
croyait vraiment que tout le monde considère la rangée de stèles comme un aligne-
ment de dieux, il serait mal informé à l'encontre de son habitude —
Mais quand, — .

pour prouver sa thèse de stèles votives, il cite pêle-mêle des textes bibliques, les
stèles de Sarabît el-Khâdim (cf. RB., 1907, p. 140), les stèles funéraires pharao-
niques, les menhirs d'Europe et d'Asie, la stèle de Mésa, les piliers de Dousara à
Pétra, les stèles royales assyriennes, ne fige-t-il point dans une formule trop étroite
le sens de monuments empruntés à des civilisations très disparates et échelonnés
sur 15 à 20 siècles d'intervalle? En lisant cet exposé d'une aussi admirable tenue
archéologique, on est frappé de le voir se ddcumenter ;i peu près pour toutes les

questions d'histoire religieuse, en un tract populaire pas toujours assez informé, ni


surtout assez critique (4). A quoi sert, en vérité, que les concepts fondamentaux des

(1) RB., 1910, pp. G4 et 70.


(2) Ephemeris filr semil. Eptgr., III, i, p. 36 ss.; nov. 1009.
(3) Die neueren Ausgrab. in PaUistina ; vcn, Gezer, dans Arcli. Anzeiger, i90'J, col. 347-iOO;
(1. 573 ss. et RD., 1909, p. 331 s.
(i)Celui de M. Gkessmaxx, Les fouilles en Palestine et l'A. T.: cf. RB., 1909, p. 150.
BULLETIN. 475

religions sémitiques aient été si bien rais en lumière par les Zimmern. les Smend,
les Baethgen, les de Baudissin pour ne citer que des maîtres allemands? Mais à cette

réserve près, on ne saurait trop louer chez M. T. la pénétration, la délicatesse de


nuances que révèlent son information classique et sa méthode archéologique '1).

PEFund Quart. Stat., avr. 1910. — M. le proL Macalister, Av/ Khaldij, près de
Beyrouth, vestiges surtout funéraires. — M. le D^ Schumacher, Le ijr and passage

hydraulique de kh. Bel'ameh, plan et description de ce tunnel dans le roc faisant


communiquer apparemment la ruine de Bel'ameh ybelma, Bz/.xu'iv. etc. de Judith)
avec la source de Sindjar au pied du coteau
Ce magnifique souterrain n'avait (2).

pas échappé à la diligente exploration de M. Guérin (3 qui avait pu s'y avancer ,

d'une dizaine de mètres seulement. M. S. a poussé jusqu'à 30 m. l'exploration de ce


tunnel qui lui rappelle celui de Gézer 3'" de large sur 4=^^20 de haut, avec traces
:

d'escalier sur toute la largeur. Le passage est actuellement bloqué. L^ne fouille
apparemment facile y serait bien souhaitable et fournirait peut-être quelque indice
plus précis pour attribuer cette installation hydraulique aux mêmes âges lointains
que celles de Gézer. de Gabaon, d" 'Amman et de Jérusalem. — M. A. Forder,
l'n passage à travers la mer Morte et un menhir moabite : vieilles nouvelles (cf.

Abel. RB., 1910, p. 95 ss. et MusiL, Arab. Petr., I, 27, fig. 1,. M. le prof. —
yid.(tdl\%\.QX, Extraits des comptes rendus de la « Jerus. Liter. Society» 'suite) : explo-
ration du Bir Ayoub en mai 18-50, description du théâtre de Beisân, mention d'un
souterrain mal défini à Sànour, inscription à Medjdel cf. RB., 1893. p. 211 .

Rév. G. Hauser. Mizpeh et Mizpah. —
M. A. Mansur. Le puits de Jacob, localisé
dans un quartier de IVaplouse moderne. —
M. Tenz, Position de l'autel d^s holo -
caustes..., très correctement, sur la Roche. —
M. Jennings-Bramley, Les bédouins...
du Sinaï : la route de Suez à Cadés. —
M. A. Datzi. Observations météorologiques à
Jf/'usalem en 1909.

La Revue des études juives a trouvé dans le R. P. Paul Berto, S. J.. un collabo-
rateur zélé pour tout ce qui concerne Jérusalem. L'an dernier il résumait la topo-
graphie RB., 1909, p. 328): cette année il détaille le Temple
;'cL 4i. On nous
annonce que l'examen du sujet ne peut « avoir d'objectivité vraie 5) qu'en tant
que basé sur une interprétation exacte de documents sérieux » p. 14 . Et ces docu-
ments ne sont pas légion : « Josèphe et la Mischna... les deux seuls ». Xulle res-
source archéologique : tout au plus quelques sections de l'enceinte du Haram,
mais ce que Tun estim'e hérodien est déclaré salomonien par l'autre: on n'en
parlera plus ,6). Les textes au contraire n'ont pas dit « tout leur secret »: le R. P.

1. Est-il historiquement très exact de dire les Gaz = Hébreux au sens large » c. ;i51. ?
<< cf. —
Dhurme. RB., 1909. p. 6" ss. —
Peut-on prouver que les « Amorréens apparaissent en Syrie tout
un millénaire avant les Cananéens > c. 33o ? Des ortbog:raplies telles que Abdikiba 3.SI =
Abdihiliai. Kyan (400 =
Khyan). bazani ,390 =
liazani) gênent la lecture: cf. les noms propres
-ilcher et Wilkinson ;3x9 et 402 pour Pilclier et Wilkinson. A la citation « Qu. St. 96 ss. »
'•. 391il faut ajouter l'année « 1909 >. Au lieu d« Is. 40 lire « Ezech. 43 » ;î56. n. 14 , etc.
'2 'Ain Sindjar, appelée tout aussi couramment bir S., est un bon exemple de l'évolution ou
'les mutations phonétiques populaires. M. Guérin avait entendu bir es-Sendjem, le Survey. h. es-
<injib: au village de Djenin, tout proche, on dit Sendjal ou Sindjil et M. Schumacher semble
avoir pu constater que la vraie forme locale est Sindjar.
3 Samarie. I, 339 s. Il avait même eu l'impression très juste d'un antique passage secret
jiour descendre de la ville à la fontaine.
4. Le Temple de Jérusalem: RÉ.J., LIX, 1910, pp. 14-33: 161-187, à suivre.

o Je souligne. Y a-t-il une objectivité fausse?


ii) Je me rétracte tout de suite une note. p. 21. discute làge de l'arclie de Kobinson et
:

inclut qu'elle est postérieure aux travaux hérodiens. Tout le monde avait compris jusqu'ici,
|X)ur des motifs archéologiques très positifs, qu'elle en était un de> plus intéressants vestiges...
476 REVUE BIBLIQUE.

a « crusurprendre plus d'une inexactitude dans les interprétations » (/. /.)• De là


vient sans doute que« depuis le R. P. Pailloux.... jusqu'à Schick. on ne nous a

donné que des temples plus ou moins imaginaires » (p. 180). « Entre l'historien
[Josèphe] et la Miclma >1. Mischna]... l'accord parfait est irréalisable » (p. 167);
cependant, grâce à de brillantes combinaisons mathématiques, à un choix — dont
il n'importe évidemment que les principes nous échappent — entre les détails
fournis par chaque document, on aboutit à « reproduire d'une façon satisfaisante le
plan architectural du temple d'Hérode » (p. 179). Hélas! dans l'édition de la Revue
arrivée à Jérusalem les planches sur lesquelles roule toute Fargumentation des
deux articles déjà publiés ne figurent nulle part et cette lacune ne contribue pas
peu à diminuer l'agrément de cette étude si distinguée. Mais attendons la fin...

Cette difficulté de lecture n'existe pas et tout est imprévu, il faudrait presque
dire tout est gaîté, dans ce un des derniers-nés de M. le chanoine
joli petit livre,

Mommert (1), qu'on a bien voulu reprocher à la Revue de n'avoir pas encore
signalé. C'est ma faute... et la très grande faute de l'éditeur: car ce livre a, dit-on,
une valeur définitive dans la question (2). y a quelque temps un préhistorien
Il

austère s'alarmait que la préhistoire fût envahie par le roman. On aurait tort de
s'effrayer pour l'archéologie; c'est tant pis si les grammairiens et les lexicographes
éprouvent quelque stupeur devant des passes avec du grec ou de l'hébreu (3), ou
si les gens d'archéologie commune s'affectent de voir paraître le vaudeville après
la prestidigitation. Dans le lointain avenir la phase archéologique actuelle s'appellera
probablement 1' « ère des bains » : expression très propre, on en a mis partout.
Hier un ijropuigeum d' « affranchies » et un autre d' « esclaves mâles » (cf. RB.,
1903. p. 572) dans un baptistère chrétien et une nef basilicale; aujourd'hui des
bains royaux dans
grande piscine de Siloé la passe encore! et dans le — —
dépotoir de la fontaine Oumm
ed-Daràdj. On ne doit d'ailleurs pas dire « fontaine »,
mais installation thermale (p. 96). Et que cet antre incommode, obscur, pour n'en —
pas médire davantage, —
soit bien le propre bain de Salomon. ni plus ni moins,

c'est d'abord prouvé par le fait que Josèphe l'appelle de ce nom [C.Q.F.D.]: ensuite

par cet autre que les anciens aimaient ces bains dans des cavernes, témoin les eaux
de Baies '?] et encore par cet autre qu'aujourd'hui même les fellahines de Siloé
:

barbotent volontiers là dedans. Entre ces deux bains illustres que faire du malen-
contreux tunnel qui les relie par-dessous la colline? Voilà, découvre M. le chanoine

[i; Siloal(, Brunnen, Kanal.zu Jérusalem, par M. le D' en lliéol. C. Mommert. rlievalior
Teiclt.
- auj. commandeur —
de l'ordre du S. -Sépulcre, pasteur éuiérile de Sclnveiiniz, à Jérusalem.
Gr. 8" de 06 p.. pi. et 9 fi^'. dans le texte: Leipzig: Haberland, 1908
1 une bibliothèque en :

raccourci. Ce ne sont pas seulement les Doubdan, les Pipinus, les Troilo et consorts, que l'in-
lassable érudition de M. Mommert évoque du fond de leur cendre séculaire; mais de nomlireux
modernes sont copieusement mis à contribution. Ine seule citation du R. P. Meistermann
couvre les \)\). 23-33: une de BIlss. les pp. 4.j-o4. Ai-je noté les plus longues? Des ortbograpiies
telles que Johve p. 28), xo).ujj.êr,5pa pp. t s. l'ocoickc i-2 Abdillali 'i ss.i ne font pas tort a
. ,

l'ouvrage: ni non plus les néologismes Cartouche • et • Kartusclie= (juxtaposés p. oS), ou


Felsbarriere i— f/cH. Felsen barrière, quelquefois indéclinable pp. "1, ~i. ~8), ou encore da» I —
Inlermitlieren (88 Le fran(,ais « Eh bien » se traduit en ail. « bravo » i,26i.
.

\i) Bleibende Werl (G. Holscuer, ZDPF., 1910, p. 55). .\cceptons-en l'augure.
(3) "Etîi avec l'accus. ne signifie pas sur, mais vers (p. 7): Siloah est une traduction de
Gihon ip. 3 xo).-j(xêri6oa ne veut iias dire « piscine » et dérive de v.q):j\>.ozvi p. 8; ^^'ji rî213?D
: ;

ne veut pas dire " à l'occident de la ville »; ce sens est « scientifiquement exclus » [I];
comprenez: « à l'occident, à la ville », ou encore (à votre choix) • de i'occident • mê'àrabah ;

p. 33 est-ce assez limpide? Quant au mot n^;2" introduit dans cette même citation de
If Par. 32. 30. ce doit ëU-e quelque autre correction tacite de M. Mommert, peut-être influencée

iiar l'idée de son haramâm?...


BULLETIN. 477

Morumert, « un badinage qui révèle bien sa sagesse » de Salomon], car c'est lui

qui s'est donné le jeu de trouer ainsi la montagne. « En effet, grâce à ce tunnel
dans le roc il pouvait, eu sauvegard^ant la bienséance extérieure (1). se baigner en
son particulier etséparé des dames du barem, dans son bassin privé. Mais il pouvait
aussi, à tout moment, quand la fantaisie lui en prenait et que ces dames se bai-
gnaient dans la piscine de Siloé, sans que personne s'aperçoive de son passage,
surgir tout à coup au milieu d'elles — ce qui causait probablement un plaisir tout
particulier au sage roi épris de belles femmes — sans avoir besoin de léser en
public (2) les convenances » (p. 36).

Varia. — La Revue est beureuse de souhaiter la bienvenue à un nouveau recueil,


les ' Piedierches de science religieuse . paraissant tous les deux mois i3 . L'esprit
des rédacteurs est « un esprit d'entière soumission aux enseignements autorisés de
l'Eglise catholique, et, en même temps, d'exacte fidélité aux bonnes méthodes
scientifiques ». Le cadre est plus large que le nôtre, mais une très large place est
faiteaux études bibliques. Nos lecteurs y retrouveront les noms de MM. de Grand-
maison. Albert Condamin. Alfred Durand, qui ont naguère honoré la Revue biblique
de leur collaboration. Les études de M. Joseph Huby sur saint ^larc supposent qu'il
regarde comme démontré le système des deux sources ; il se demande seulement si

Marc, source de Matthieu et de Luc, a exploité comme eux le recueil des discours
O', et il conclut à la négative, du moins en ce qui concerne Me. 4. 21-25 (4).
Encore une Revue biblique ne peut que se réjouir de voir entrer en scène
fois, la

un bulletin qui servira si bien, sinon toujours de la même façon que nous, du moins
d'après des méthodes qui nous sont chères ^5 , « la cause des sciences religieuses,
et celle de l'Eglise du Christ ».

Thèse de doctorat en Écriture sainte. — Le R. P. Jean-Baptiste Frey, prêtre


de Congrégation du Saint-Esprit, directeur au séminaire français de Rome, reçu
la

licencié en Ecriture sainte, le 14 juin 1907, avec mention très spéciale, a passé les
examens de doctorat en Écriture sainte, au Vatican, les 10 et 11 mai 1910. et a été
reçu avec mention spéciale.
Le 10 mai, il a passé, avant midi, pendant trois heures environ, un examen pu-
blic : r sur la langue syriaque, pour laquelle il a présenté l'Apocalypse de Baruch
et le quatrième Évangile; 2' sur l'exégèse du texte hébreu des douze petits prophè-
tes; 3 sur l'exégèse du texte grec de l'Epître aux Romains; 4 sur les écoles exégé-
tiques d'Alexandrie et d'Antioche :
5' sur des questions de critique textuelle.
Dans l'après-midi, le R. P. Frey a donné une leçon publique sur un sujet pour
lequel il lui a été accordé une heure de préparation. Le sujet traité a été l'explication
des bouleversements cosmiques qui accompagnent le jour de lahvé dans les pro-
phètes, eu égard à l'interprétation des écrivains du N. T.
Le 11 mai a eu lieu la soutenance publique de la thèse : La théologie Juive au

,1 C'estmoi qui souligne. Tant pis pour la conscience de Salomon.


\-2' Un vélum sur la piscine, pour couvrir ces privautés de liarem contre les indiscrétions du
haut de grande colline ? [H. V.].
la
(3; C'est une sorte de supplément scientifique des Études, 50, rue de Babylone.

4; • Dans cette péricope, cette étude est facilitée par ce fait que nous y rencontrons plu-
sieurs exemples de doublets, c'est-à-dire de sentences rapportées deux fois par Matthieu et
par Luc, une première fois d'après Marc, une seconde fois ATaisemblablement d'après le
recueil des Discours ', On sait que cette position a été beaucoup reprochée par un censeur
à la Synopse de MM. Camerlynck et Coppieters.
•i) La Revue biblique inscrivait dans son progrramme en \89-2 p. Il' « La Revue sera traitée :

dans un esprit catholique et dans un esprit scientiOque ».


478 REVUE BIBLIQUE.

tem'psi dcN.-S.J.-C, comparée avec la théologie néo-testamentaire, sous la présidence


de Son Éminence le Cardinal Rampolia.

Examens pour la licence en Écriture'sainte. — La onzième session d'exa-


mens pour la licence en Écriture sainte s'est tenue au Vatican les 13. 14, 17, 18 et
20 juin 1910.
Ont été proposés pour l'examen les sujets suivants :

I. Examen d'exégèse.

1" Exégèse de la vision de Zacharie dans le temple, Luc, i, 5-26.


2° Exégèse du commencement de la prédication de Jean-Baptiste, Matth., m, Ml:
Marc, I, 1-6; Luc, in, 1-15.
3'^ Exégèse du discours sur le pain de vie, Joa., vi, 35-48. Cn des trois sujets au
choix des candidats.
II. Examen d'histoire.

Histoire du règne de Roboam d'après la Bible et les docuDients profanes.

III. Examen sur l' introduction.

Introduction spéciale à l'Epître aux Romains.


Dix-huit candidats ont subi avec succès l'épreuve écrite et l'épreuve orale :

1. Le R. P. Roœlandts, S. J. :
— 2. M. l'abbé Pruvot, du séminaire français; —
o.leR. P. Rowan, 0. P., de l'École biblique Saint-Etienne de Jérusalem; 4. M. l'abbé —
Fonteny, du séminaire français. —
5. M. l'abbé Simon, du séminaire français. —
Tous cinq avec mention.
G. M. l'abbé Liénard, de la procure Saint-Sulpice 7. ex œqno, MM. les abbés ;

Pena, du collège espagnol et Rivière, du séminaire français; ^9. le R. P. Richard —
O. P., de l'École biblique Saint-Etienne de Jérusalem;— 10. M. l'abbé Thomas, de
la procure Saint-Sulpice — M. l'abbé Zoccali; —
: 11. M. l'abbé Loth, de 12.
l'Ecole biblique Saint-Étienne de Jérusalem; — 13. LeR. P. Bertrand, Augustin de
l'Assomption; — 14. ex œquo. MM. abbés Priero Royet, delesprocure Saint- et la

Sulpice; — 16. ex œquo. MM. les abbés Beaulieu, du séminaire canadien et Jasmin,
du séminaire canadien ;
— 18. M. l'abbé Tricot, de la procure Saint-Sulpice.

Le Gérant : J. Gabalda.

Typographie Firmia-Didot et C'^. — Paris


ÉCOLE PRATIQUE D ÉTUDES BIBLIQUES
ET FACULTÉ DE THÉOLOGIE
AU COUVENT DOMINICAIN DE SAINT-ÉTIENNE. A JÉRUSALEM

PROGRAMME DE L'ANNEE SCOLAIRE 1910-1911 octobre i


à juillel).

Theologia dogmatica. — De incartudionc, de HacramcntlK in i/citerc. Feria 11%


IV» et VI'', hora S=' a. m.
R. P. Hyacinthus Petitot.

Theologia moralis. — J)e jidc. spe et cJiaritatc. De poenUeitlia. Feria III*,


V'^ et sabbato, hora 8^ a. ni.

R. P. Firminus Lambert.

Exégèse du N. T. — L'''pilre aux Romains. Mardi et jeudi, à 10 h. m.

R. P. Marie- Joseph Lagrange.

Exégèse de l'A. T. — Le livre de Joh. Samedi, à 10 h. m.

R. P. Paul Dhobme.

Géographie de la Terre Sainte. — Sinaï et Palestine méridionale. Lundi, à


10 h. m.
R. P. Raphaël Sayignac.

Topographie de Jérusalem. — Jérusalent dans le X. T. Vendredi, à 10 h. m.


R. P. Marie Abef,.

Archéologie biblique et orientale. — Le<jislation et usages relativement au


iiiariafje. Vendredi, à 9 h. m.

R. P. Antonin Jalssen.

Épigraphie sabéenne. — Mercredi, à 9 h. m.

R. P. A. Jaussen.

Langue hébraïque. — Lundi et vendredi, à 3 h. 1/4 s.

R. P. Bertrand Carbière.
Langue arabe. — Mercredi et samedi, à 3 h. 1/4 s.

R. P. A. Jaussen.

Langue araméenne. — Grammaire et inscriptions. Mercredi et samedi, à


4 h. 3/4 s.
R. P. R. Savigxac.

( Cours supérieur. Mercredi, à 10 h. m.


( Cours élémentaire. Vendredi, à 4 h. 3/4 s.

R. P. P. Dhorme.

Langue copte. — Lundi, à 4 h. 3/4 s.

R. P. M. Abel.

Langue grecque. — Grammaire du N. T. et des papyrus. Mercredi, à 10 ii. m.


R. P. M. Abel.

Histoire ecclésiastique. — Mercredi et samedi, à 5 II. 3/4 s.

R. P. R. Carriebe.

Promenade archéologique, le mardi soir de chaque semaine.


Excursion de la journée entière, une fois par mois.

Voyages :

I. Du 12 octobre au 18. — ïïébron, Rersabée. Gaza, Ascalon, Beit-Djébrin, Reit-


Chémés, le pays de Samson, Jérusalem.
II. Voyage au Sinaï. —
Suez, ouâdy Feirân, Djebel Serbal, Djebel Mousa, couvent de
Sainte-Catherine (3 jours), 'Aqabah, Ma'ân, Pétra 3 jours), Chôbak, Kérak, Mâdabâ,
.léricho, Jérusalem.
On partira de Suez le 20 février 1911. Le voyage durera de 40 à 45 jours: il

n'aura pas lieu si douze inscriptions ne sont pas définitivement arrêtées le l"^"" dé-
cembre 1910.
Pour plus amples renseignements, s'adresser au directeur de l'École biblique, à
Jérusalem.
DE lUREIURAXDO
GONCEPTIS VERBIS AB IIS DANDO
QUI DOGTORES L\ SACRA SCRIPTURA
SUNT RENUXÏIAXDI

Plus pp. X
]MOTXT FROFRIO
lUibatae custodiendae Religionis Xostrae doctrinae animum inten-
(lentes, plura superioribus annis providenda ac sancienda curavimus
quorum virtute, Decessoris Nostri fel. rec. exempla secuti. tum de-
bitum responsis Sacri Consilii de Re Biblica obsequium firmavimus,
tum proprium huiusraodi colendis studiis, aetate hac nostra quam
quac maxime eravibus, Institutum condidimus. Qiioniam vero non
id tantummodo Cordi Nobis est alumnos, ad magisterium conten-
dentes, praesidiis disciplinae consentaneis ita instruere ut scientiam
de Re Biblica perfecte calleant et progressionem finitimarum doe-
trinarum in Sacros libros defendendos apte dérivent, sed etiam ut,
magisterium assequuti, haustam disciplinam lideliter tradant. scien-
tiamque in discipulorum mentibus sine ulla de\'ii sensus suspicione
insérant, idcirco formulam praeterea iuris iurandi praescribendam
putavimus, quam candidati ad lauream, antequam Docloris titulo
in Sacra Scriptura donentur, recitare atque emittere teneantur.
Itaque, tum doctrinae Sacrae, tum Magistrorum aliimnorumque, tum
denique Ecclesiae ipsius securiori bono prospecturi, motu proprio
atque ex certa scientia et matura délibérations deque Apostolicae
Nostrae potestatis plenitudine, praesenlium vi, perpetuumque in
modum, decernimus, volumus, praecipimus. ut, qui in Sacra Scrip-
tura Doctores sint renuntiandi, iuramenti formulam in hune, qui
sequitur. modum emittant :


Ego N. X. omni qua par est reverentia me subiicio et sincero
animo adhaereo omnibus decisionibus, declarationibiis et praescrip-
tionibus Apostolicae Sedis seu Rotyianorum Pontificum de Sacris
REVUE BIBLIQUE 1910. — >". S., T. VII. 31
482 MOTU PROPRIO

Scripturis deque recta earumdem explanandarum ratione, "praesertim.


vero Leonis XIII Litteris encyclicis Providcntissimus Deus die XVIII
Novembris anno MDCCCXCIII datis, nec non Pu X Motu proprio
Praestantia Scripturae Sacrae dato die XVIII Novembris anno
MDCCCCVII, eiiisque Apostolicis Litteris \meaie electae, datis die VII
Maii anno MDCCCCIX, quibus omnes conscien-
edicitiir « universos
Re Biblica, ad
tiae obstringi officio sententiis Pontificalis Consilii de
doctrinam pertinentibiis, sive qiiae adhuc siint emissac, sive quae
posthac edentur, perinde ac decretis Sacrai^um Congregationum a
Pontifice probatis, se subiiciendi ; nec posse notam tum detrectatae
obedientiae tum lemeritatis devitare aut culpa propterea vacare gravi
quotquot verbis scriptisque senteniias has taies impugnent »; quare
spondeo me « principia et décréta per Sedem Apostolicam et ponti-
ficiam Biblicam Commissionem édita val edenda » iiti « supremam
studiorum normam et regulam » fideliter, intègre sincereque serva-

tiirum et inviolabiliter ciistoditurum, nec unquam me sive in docendo


sive quomodolibet verbis scriptisque eadem esse impugnaturum. Sic
spondeo, sic iuro, sic me Deus adiuvet et haec sancta Dei Evan-
gelia.
Quod vero,documento hoc Nostro, Motu Proprio edito, statutum
est, id ratum firmumque esse iubemus, contrarlis quibiiscumque
minime obstantibus.
Datum Romae apud S. Petrum, die XXIX Jimii >ICMX Pontificatus
Nostri Anno septimo.

Plus PP. X.
LES ODES DE SALOMON

Les lecteurs de la Revue biblique sont au courant de l'heureuse dé-


couverte qui a enrichi. Tannée dernière, la littérature biblique apo-
cryphe. Dans un lot de papiers syriaques provenant « des contrées

voisines du Tigre ». M. Rendel Harris a trouvé des cahiers couverts


d'une écriture nestorienne appliquée mais grossière, vocalises à la
manière orientale, avec, en surcharge, une vocalisation jacobite. Les
dernières pages reproduisaient un texte bien connu : les Psaumes dits

de Salomon. Mais le texte contenu dans les premiers cahiers ne pouvait


être facilement identifié, le titre et les pages du début faisant défaut.
La sagacité de l'éminent érudit de Cambridge lui permit de recon-
naître les « Odes de Salomon » (1) que signalaient des catalogues et
desstichométries. Lactance en cite un passage, etle curieuxécrit gnos-
tique connu sous le nom de Pistis Sophia'if siècle' en a conservé des
fragments plus importants encore, que l'on peut utilement confronter
avec la version syriaque.
La publication de M, Rendel Harris a au plus hant point Tin-
excité
térêt des théologiens et des exégètes. Les « Odes » sont-elles un écrit
judéo-chrétien? ou un apocryphe juif interpolé par des mains chré-
tiennes? Cette questionfondamentale a été résolue en sens opposés par
le premier éditeur et par M. Harnack, qui, avec le concours de M. J.

Flemmin£r(2. a donné récemment une édition allemande des Odes.


La discussion se poursuit encore dans les revues spéciales. On a pensé
fâcheux de tarder davantage à rendre accessible au public
qu'il serait
françaisun texte aussi capital pour l'étude des origines chrétiennes.
Nous donnerons d'abord la traduction des Odes. Puis nous étudie-
rons successivementles problèmes philologiques, historiques et exégé-
tiques qui se posent à leur sujet 3). On ne trouvera dans les notes qui
accompagnent le présent article que les éclaircissements indispen-

(1) Rendel Harris, the Odes and Psalins of Solouinn, Cambridge, 1909.
(2) Ad. Harnack et J. Flemming, Ein Jiidisch-christliches Psatmbuch aus dem eri-
tenJahrhunderf. Leipzig '1910'. Texte und Untersuchungen, XXXV. 4.
{3] La traduction et l'annotation philologique seront de M. Labourt. L'introduction et le

commentaire historiques seront de M^ Baliffol.


i

48 REVUE BIBLIQUE.

sables pour justifier le sens que le traducteur a cru devoir adopter.


Sa tâche était singulièrement allégée par des précurseurs tels que
MM. Rendel Harris et Flemming (1). Il espère pourtant apporter une
contribution personnelle appréciable Tintelligence des « Odes ».à
Quoi qu'on paru en
ait penser, notre version syriaque n'est pas en
excellent état. Il n'était pas superflu de l'examiner à fond une fois de
plus, et de présenter quelques restitutions ou conjectures nou-
velles.
Les « Odes de Salomon » se distinguent des écrits similaires par
une fraîcheur d'inspiration une ferveur religieuse tout exception-
et
nelles. Ces qualités ajoutent un attrait puissant au texte récemment
découvert. Il mérite vraiment de franchir le cercle si restreint des
exégètes et des philologues ;
quelle qu'en soit l'origine, c'est un do-
cument religieux de très haute valeur.

P. Batiffol, J. Labodrt.

;i] Nous désignerons ces deux éditions par les initiales R. H. et F.

i^Gonservée au ch. 59 de la Pistis Sophia\

ma tète comme une couronne, et je ne serai


'Le Seigneur est sur
pas sans -Une vraie couronne a été tressée pour moi, et il a fait
lui.

germer en moi tes rameaux, 'car il ne ressemble pas à une couronne


desséchée qui ne germe pas. Mais tu vis sur ma tète ses fruits sont :

pleins et parfaits, remplis de ton salut...

II

[Ma/ique)

V. l.Tr. Schmidt dans Texte und Untersuchungcu^ VIT, 37, 38. Cette ode n'existe pas

eu syriaque. Dans le copte, elle porte le n^ 19. M. R. H. a conjecturé avec raison


qu'elle est la première delà collection des Odes, puisque les dix-huit « Psaumes de
Salomon « la précédaient.
V. 2. C.-à-d. jene m'écarterai pas de lui.

v. 3. Dans la version syriaque les pronoms de diverses personnes sont souvent con-
fondus, ainsi que les personnes et le nombre des formes verbales. Il n'y a pas de rai-

son pour que la version copte ait été mieux préservée. Son état actuel n'est pas satis-
LES ODES DE SALOMON. 485

III

je revêts; -et ses membres sont auprès de lui ;


j'adhère à eux. Il

m'aime 'je n'aurais pas su aimer le Seigneur, si lui-mt'me ne mavait


;

aimé [le premiers ^Qui peut en effet comprendre l'amour, si ce nest


celui qui aime? J'aime l'aimé et mon âme l'aime. ''Où est son repos,
-^

là aussi je suis, "et je ne serai pas un étranger. Car il n'y a pas de


haine auprès du Seigneur Très-Haut et miséricordieux. '^Je suis mêlé
[à luij, car l'Amant a trouvé celui qu'il aime; -'parce que je l'aime
lui, le Fils, je deviendrai Fils. '"Oui, qui adhère à celui qui ne meurt

pas, seraluiaussi immortel. ^^Et Celui qui se complaît en la Vie, sera


vivant. ^-Tel est l'esprit du Seigneur, sans mensonge, qui instruit les
hommes à connaître ses voies. ''Soyez sages, comprenez et veillez.
Alléluia!

IV

'
Nul ne transférera ton lieu saint, union Dieu ;
- nul ne le transfé-

rera et ne le placera dans un autre emplacement, car il n'en a pas


le pouvoir. '^
Ton sanctuaire, tu l'avais désigné, avant de faire les
autres emplacements. * Le plus ancien lieu] ne sera pas transformé
par ceux qui sont plus jeunes que lui.

faisant. 1 le Seigneur est sujet. Au v. 2 intervient un verbe au phiriel


Dans le v. ils :

ont tressé pour moi une couronne de vérité. Quel peut bien être le sujet de ce verbe?
et pourquoi ensuite il a fait germer en moi tes rameaux au lieu de se^ rameaux? Ce
:

changement ne s'explique pas suffisamment parle fait que la possession de la couronne


et la possession de Dieu sont identifiées. Je propose de restituer ainsi le v. 2 « Il a été :

tressé pour moi comme une vraie couronne (litt. une couronne de vérité et il a fait:

germer en moi ses rameaux. » On ne saurait confondre l'altération que je propose


de corriger avec le cliangemeot normal qui se produit au milieu du v. '^. Le copte a
conservé de cette ode les mots grecs à).r,9:îar, x/.âoo-jç, ilXi. xxs-o:'.

III

Le commencement de cette ode manque.


V. 2. On serait bien tenté de traduire j'adhère à lui. en lisant ou au lieu de yoov^.
.

V. ô. Au lieu de mon àrae l'aime, répétition qui fausse le parallélisme, on pourrait


:

lire : mon âme est aimée de lui ^aeu^J au lieu de (.io-j.


:

V. 6. Au lieu de ov-^ son repos, on pourrait peut-être lire ouuu son étendard.
V, 8. mêlé, c.-à-d. uni intimement.
V. 11. R. H. change p:- vie en )— vivant. La leçon du ms. est aussi satisfaisante.

IV

V. 4. Transformé : c.-à-d. ne sera pas changé au bénéfice des emplacements


moins anciens.
486 REVUE BIBLIQUE.

5 Tu as donné ton cœur, ô Seigneur, à tes fidèles; tu ne seras pas

du tout oisif et tu ne seras pas sans fruits. Oui une heure de ta foi •*
:

est plus précieuse que tous les jours et [toutes] les heures. " Qui revê-
tira ta grâce et se montrera ingrat? s Car ton sceau est connu et tes
créatures lui sont connues; tes armées le possèdent, et les archanges
élus l'ont revêtu. ^Tu nous as donné ta communion. Non pas que tu
eusses besoin de nous; c'est nous qui avions besoin de toi. lo Asperge-
nous de ta rosée, et ouvre tes sources opulentes qui nous font couler
le lait et le miel, l'car il n'y a pas en
de repentance, en sorte que toi
tu te repentes de ce que tu as promis. La fin t'était révélée, et tout ^~

ce que tu as donné, tu l'as gracieusement donné; ne les arrache pas


et ne les reprends pas. ^^ Car tout, en qualité de Dieu, t'était révélé,
et était établi dès le principe devant toi; et c'est toi, Seigneur, qui as
tout créé. Alléluia !

'Je te rends grâces, ô Seigneur, parce que je t'aime. ^ Très-Haut,


ne m'abandonne pas, car tu es mon espoir. ^ j'ai reçu gracieuse-
ment ta grâce; j'en vivrai. ^ Les persécuteurs viendront, et ils ne me
verront pas. ^ Un nuage d'obscurité tombera sur leurs yeux, et un air
de ténèbres les obscurcira'', et il n'y aura pas pour eux de lumière
pour voir, en sorte qu'ils ne me saisiront pas. '
Que leur pensée de-

V. 6. de ta foi = de la loi en toi.

V. 7. ingrat = infldèle à la grâce.


V. 8. Le texte porte : tes créatures lui sont connues. R. H. propose de lire : tes
créatures le connaissent (le sceau). Cette conjecture est séduisante : elle n'est peut-
être pas nécessaire, car le « sceau » dont il est question est, en dernière analyse, une
personne.
V. 9. Ta communion = la communion avec toi.
V. 12. Il faut transposer lecommencement de ce v. : la Fin t'était révélée, de-
vant le V. 14. On obtient ainsi, et ainsi seulement, un sens satisfaisant.

Cette ode est citée en partie dans la Pistis Sophia (p. 10-117). La version copte
offre quelques divergences notables.
V. 1. car je t'aime; copte : car tu es mon Dieu; cette leçon ne paraît pas origi-
nale, elle n'offre pas de parallélisme satisfaisant avec le v. 2.
V. 2. Très-Haut; copte : ô Seigneur.
V. 3. ta grâce; copte : ton jugement ou ton droit.
Par elle; copte par toi. — :

Vivre, ici comme dans beaucoup de passages analogues, inclut le sens d'être sauve.
V. 4. Copte : que mes persécuteurs tombent sur moi.
V. 7. tumeur. La métaphore est trop audacieuse. Il faut sans doute traduire :

bêtise, dans le sens du mot no^^zLi. qui dérive de la même racine que jju^oi. (R. H.
hick darkness. F. : Sturapfsinn). Le copte traduit : sans force.
LES ODES DE SALOMON. 487

vienne une tumeur (?), et que ce qu'ils ont machiné se tourne contre
leurs têtes. ^ Us ont médité une pensée et elle s'est évanouie pour
eux; ils ont conc-u méchamment des projets, qui se sont trouvés an-
dans le Seigneur est mon espoir: je ne crains pas; et
nihilés, -'car
parce que le Seigneur est mon sauveur je ne crains pas; et il est
^'^'

comme une couronne sur ma tête, je ne serai pas ébranlé. Quand


même l'univers serait ébranlé, je resterais debout*', et si périssait
tout ce qui est visible, moi je ne mourrais pas, parce que le Seigneur
est avec moi, et moi avec lui. Alléluia!

VI

* Comme la main se promène sur la cithare et les cordes parlent,


^ ainsi parle en mes membres l'esprit du Seigneur; et je parle par son
amour ;
'
il anéantit tout ce qui est étranger et tout Car il CvSt

le Seigneur, ''
comme ill'était en effet dès le commencement, et le sera]
jusqu'à la fin ; rien ne s'opposera à lui, et rien ne se dressera contre
lui.

Le Seigneur a multiplié sa connaissance, et il s'emploie avec zèle à


5

ce que soient connues les choses qui nous ont été données par sa
grâce. Il nous a donné la louange pour son nom, '^nos esprits louent
son Esprit saint.
'
Car un ruisseau est sorti, et il est devenu un torrent grand et
large, ^11 a inondé et brisé l'univers, et l'a emporté vers le Temple,

V. 8. Au milieu du v. le copte porte : « et ils sont vaincus, bien qu'ils soient puis-
sants » ; la fin est ainsi rédigée : « et ce qu'ils ont méchamment (/.axw:) préparé est
retombé sur eux ».

V. 9. parce que le Seigneur est mon sauveur; copte : parce que tu es mon Dieu,
mon sauveur. — Le second : « je ne crains pas » manque dans le copte. Il n'appar-
tient probablement pas au texte primitif.

VI

V. 3. La seconde partie du v. se traduirait ainsi littéralement : et tout est du Sei-


gneur. R. H. propose de changer p^^ en |;-po : tout ce qui est amer. Je crois le texte
lacuneux après
^ ,v>\-» C'est une autre phrase qui commence ensuite : Il est le Sei-
gneur, etc..
v. 5. C'est-à-dire : Le Seigneur s'est fait connaître davantage; il s'efforce que les

mystères de son salut soient plus généralement connus; il place sur nos lèvres une
hymne à son nom.
V. 7. Depuis ce verset jusqu'à la fin, la Pistis Sophia (pp. 131-135) offre des cita

tions parallèles. Ruisseau; grec : i-àopoux, mot conservé dans le copte.


v. 8. Ce n'est pas l'eau que le torrent a emportée vers le temple, comme le croit
488 KEVUE BIBLIQUE.

^ et les obstacles [dressés] par les hommes iront pas pu l'arrêter, et pas
même les artifices de ceux qui endiguent Feau lo car il est venu sur ;

toute la surface de la terre et a tout rempli, et ils ont bu, tous les as-
soiffés qui sont sur la terre; '^ et la soif a été détruite et éteinte, car

c'estpar le Très-Haut qu'est donnée la boisson.


Heureux donc les ministres de cette boisson, ceux à qui a été
^~

confiée son eau ils ont calmé les lèvres desséchées, et redressé la
;

volonté paralysée; les âmes qui étaient prêtes à quitter [la vie],
^''

ils les ont arrachées à la mort; ^' les membres tombés, ils les ont forti-
fiés et redressés; ils ont donné la force à leur démarche, et la lu-
mière à leurs yeux, ^^ car tout homme les a connus dans le Seigneur et
ils vivent par les eaux vivantes pour l'éternité. Alléluia !

VII

^Telle l'impétuosité de la colère contre l'iniquité, telle l'impétuosité


de la joie vers l'objet aimé; il fait monter de ses fruits sans entraves.

R. H., mais bien tout, c.-à-d. l'Univers, le genre humain tout entier, et non pas
seulement le judaïsme comme le pense F.
V. 10. Targum copte : biberunt versantes in arena arida. Texte : biberunl qui habi-
tabant in arena arida.
V. 12. son eau; copte : l'eau du Seigneur. Le copte a conservé le grec : ota/ovoi.
V. 13. Copte : Ceux qui étaient débilités ont reçu la joie du cœur. Targum copte :

ceux qui étaient débilités ont reçu en moi la vigueur.


V. l4. Copte : Ils ont créé les âmes, tandis qu'elles émettaient les derniers sou-
pirs.
V. 15. fortifiés et redressés. D'après le copte, il n'y aurait eu dans le texte origi-
nal qu'un seul mot pour ces deux expressions. F. note avec raison que le syriaque
traduit souvent un seul mot grec par deux.
V. 16. Le texte est ici corrompu. Le syriaque porte à leur venue (c.-à-d. peut- :

être à leur démarche). R. H. conjecture que le grec avait ;:apouafa. Le copte a con-
servé le mot Tîaporiai'a. Il se pourrait que le véritable texte fût -apsaei «ùtwv ou
:iapaXûaEt aùrôiv : ils ont donné la force à leur faiblesse (ou paralysie) et la lumière à
leurs yeux.
V. 17. Copte: ils se sont tous reconnus dans le Seigoeur (obscur). — Tout homme les
a connus. Le pronom supplée ici les ministres de l'eau, c.-à-d. les prédicateurs. Chan-
gement de sujet dans la seconde partie du v. Pour l'éternité doit s'appliquer à vi- :

vantes, et non au verbe. Us vivent répond au coptej: ils sont sauvés. R. H. restitue
le texte grec : èawOrjaav ou saw^ovco otà Toij uSaio; ttj; Ç'orjç. Ajoutons atiDvîou OU :

eîç aÎGiva.

VII

V. 1 . La fin de ce verset n'est pas claire. Ses fruits se rapporte à : joie. Peut-être
y a-t-il une interpolation, ou mieux encore nous n'aurions ici que le second terme
d'un parallélisme dont le premier membre serait perdu.
LES ODES DE SALOMON. 489

-Ma joie c'est le Seig-oeur et mon élan est vers lui : c'est ma belle route
vers le Seigneur, •
pour moi une aide.
car il est

Il s'est fait connaître lui-même à moi libéralement ^ dans sa sim-

plicité, car sa bonté a rapetissé sa grandeur."^ Il devenu comme


est

moi pour c[ue je le reçoive;'^ par l'aspect il a été réputé semblable à


moi. pour que je le revête," Et je n'ai pas été eflVayé en le voyant,
car il est ma miséricorde. devenu comme ma nature pour que
"^
Il est

je le comprenne, et comme ma flgure, pour que je ne me détourne


pas de lui. '-
Le père de la science est le verbe de la science. ^'>
Lui qui
a créé la sagesse, est plus sage que ses créatures ;
^^ lui qui m'a créé,
avant que je ne fusse, il savait ce que je ferais quand j'existerais.
A cause de cela, il a eu pitié de moi dans sa grande miséricorde, et il
'

m'a accordé que je le prie et je reçoive de son sacrifice, '^ parce cfuil
est incorruptible.
Plérôme des mondes et leur Père lui a accordé d'apparaître
'^Le
à ceux qui sont à lui pour qu'ils connaissent celui qui les a faits,
'•'

et pour qu'ils ne s'imaginent pas qu'ils proviennent deux-mêmes;


1''
car il a dirigé sa route vers la science, il l'a élargie, prolongée
et conduite à toute sa perfection;'' il a posé sur elle les empreintes

de sa lumière, et j'ai marcbé du principe jusqu'au terme, car elle ^"^

fut faite par lui; et il s'est complu dans le Fils, et à cause de son salut
il exercera la toute-puissance.'^' Et le Très-Haut sera connu dans ses

V. 3. LiU. : il est pour moi une aide vers le Seigaeur. Cette assimilation d'une rmite
à une aide est peu satisfaisante, d'autant que i-;o| est féminin et pî^^oc masculin. Il suf-

firait de transporter u;ioi. à la On du v. 2.

V. 4. C.-à-d. : sa bouté a fait paraître plus petite sa grandeur. Le texte est obscur:
je pense qu'il faut lire oinyi m-.^ au lieu de
. o)iov>.m->. F. propose d'elTacer le -
final de -i-v>-)/; la traduction de R. H. « la grandeur de sa bonté m"a humilié », est
insoutenable.
V. 7. Mot à mot : mon avoir pitié. Conjecture plausible de F. :
-^^'-^[i : celui qui a
eu pitié de moi.
V. 8. que je comprenne: litt. : que je l'apprenne.
V. 10. créatures. F. : serviteurs.
V. 12. sacrifice. ?sestle propose de traduire : essence, en supposant que ^rjz'.u. est
une faute de lecture pour ojsîa.
V. 17. j'ai marché, sous-entendu : sur cette route de la science. R. H. : et elle

marche '^la route peu plausible. :

V. 18. Le sujet de Joo, >..^\ 9 n'est pas bien apparent. Peut-être y avait-il dans le grec :

T,v 7:c-paYji£vo? ajTù), dont le sujet serait '>


le Fils ».
A cause de son salut il exercera la toute-puissance := parce qu'il a sauvé le monde.
ou : pour sauver le monde, le Fils aura tout pouvoir.
V. 19 porter l'heureux message; en syriaque un seul mot qui traduit le grec
490 REVUE BIBLIQUE.

saints, pour porter l'heureux message à ceux qui ont des cantiques
[en l'honneur] de la venue du Seigneur, '" afin qu'ils aillent à sa ren-
contre et lui chantent dans la joie et sur la cithare aux nombreuses
cordes. -^ Que les voyants sortent au-devant de lui, et qu'ils ap-
paraissent devant lui, - et qu'ils louent le Seigneur en son amour,
parce qu'il est proche et qu'il voit! 23 Et la haine sera ôtée de la terre
et elle sera submergée avec l'envie -^ car l'ignorance a disparu, car ;

elle est venue, la science du Seigneur. -^ Ils psalmodieront, les psal-


mistes, la grâce du Seigneur Très-Haut, et ils offriront leurs can- -^'

tiques; leur cœur sera comme le jour, et comme la grandeur delà


beauté du Seigneur [seront] leurs doux cantiques, 2' et il n'y aura au-
cune âme, ni ignorante ni muette,-*^ car il a donné une bouche à ses
créatures, pour ouvrir la voix de la bouche vers lui, afin de le louer.
-' Publiez sa puissance et montrez sa bonté ! Alléluia !

Mil
1 Ouvrez, ouvrez vos cœurs à la joie du Seigneur, ^ et qu'afflue votre
amour du cœur à vos lèvres ^ pour produire des fruits pour le Seigneur :

une vie sainte, et pour diminuer la sauvagerie à sa lumière.* Levez-


vous, redressez -vous, vous qui autrefois avez été humiliés! ^'
vous qui
étiez dans le silence, parlez, car votre bouche a été ouverte! ^ vous qui
'
étiez méprisés, exaltez- vous donc, car votre justice Car
a été exaltée.
la droite du Seigneur est avec vous, et il pour vous une aide '^il
est ;

vous a gratifiés de la paix, avant môme que ne se livrât votre combat.


^Ecoutez la parole de vérité, et recevez la science du Très-Haut.
^" Votre chair ne savait pas ce que j'avais à vous dire, et vos cœurs non
plus [ne savaient pas] ce que j'avais à leur montrer. Gardez mon
^^

secret, ô vous qui êtes gardés par lui! ^- Gardez ma foi, vous qui êtes
gardés par elle !
^^ Connaissez ma science, vous qui me connaissez dans
la vérité!*'* Aimez-moi d'amour, vous qui aimez!

V. 20. cordes; litt. : voix, sons.


V. 26. la grandeur de la beauté: gr. : [j.ifa.lor.^ir.zi<x comme Ps. lxvii (lxviii),
34 (R. H.).
VIII

V. 3. une vie sainte; R. H. : ;des fruits) vivants (des fruits) saints; traduction
difficilement défendable, mais le reste : « and to talk with watchfulness in his light »
est certainement erroné. La sauvagerie, c.-à-d. faridité spirituelle.
V. 10. Au lieu : de vos cœurs ^Q.3L<ia.\, le ms. porte ^<a.i*cia.\ votre habit. La
correction deR. H. s'impose.
V. 14. On pourrait lire au lieu de .^-.^0-.;. vous qui aimez, v^ieu^» vous qui êtes
aimés : le parallélisme serait meilleur; mais la correction n'est pas indispensable.
LtS ODES DE SALOMO.N. 491

'•'Car je ne détourne pas mon visage de ceux qui sont à moi, parce '*J

que je les connais, et avant qu'ils ne fussent je les ai connus; j'ai


mis mon sceau sur leur visage, '' c'est moi qui ai disposé leurs mem-
bres; je les ai gratifiés de mes mamelles pour qu'ils boivent mon
lait saint et qu'ils en vivent. '^ Je me complais en eux, et je ne rougis pas

d'eux, '"car ils sont mon œuvre à moi, et la force de mes pensées.
-'^
Qui donc se dressera contre mon œuvre ou leur sera désobéissant?
•' C'est moi qui ai voulu et créé la conscience et le cœur; ils sont à moi.
A ma droite j'ai placé les élus, n'est pas devant eux... - et si ma justice
et ne seront pas privés de mon nom, parce qu'il est avec eux.
ils

Priez beaucoup et demeurez dans l'amour du Seigneur,-^ aimés dans


••^

le bien-aimé, préservés dans le vivant, sauvés dans celui qui a

été racheté, -^ et vous serez trouvés incorruptibles dans tous les siècles

au nom de votre Père. Alléluia !

IX

'Ouvrez vos oreilles, et je vous parlerai; donnez-moi votre âme


pour que moi aussi je vous donne mon âme;~ la parole du Seigneur,
et ses volontés, la pensée sainte qu'il a pensée à propos de son
Christ. ^ Car c'est par la volonté du Seigneur qu'existe votre \'ie ; sa
pensée est la vie éternelle, et l'incorruptibilité est votre perfection.
^Soyez riches en Dieu le Père, et recevez la pensée du Très-Haut. ''
For-
tifiez-vous et soyez sauvés par sa grâce, '^
car je vous annonce la paix
'
à vous, ses saints. Tous ceux qui entendent [ce message] ne succom-
beront pas dans le combat et ceux qui ^lej connaissent ne périront pas,

et ceux qui , le reçoivent ne seront pas confondus. ^ C'est une couronne

éternelle que la vérité : heureux ceux qui la posent sur leurs têtes;

V. 16. F. préfère traduire : je les ai connus ainsi que leur visage ;


je l'ai scellé, etc..
V. 19. la force, peut-être : le miracle, comme le grec ôjva;j.'.ç.

V. 20. « mon œuvre » est ici un collectif. Plus simplement peut-être, il suffirait
d'ajouter au ms. le signe du pluriel et de traduire : « mes créatures >- ou même :

'< mes serviteurs ».


V. 22. Lacune évidente.
V. 23. Le texte porte : priez et occupez-vous : a^j^^co/. Il semble altéré. R. H. réta-
blit «a^^œ; multipliez; c.-à-d. multipliez vos prières, priez avec instance.
V. 2.5. celui qui a été racheté ; on attendrait plutôt : le rédempteur.

IX
V. 3. On peut traduire : votre perfection est incorruptible ; perfection a ici le sens
de consommation, fin dernière. La restitution du texte proposée par R. H. est : Iv
àsSap^ia -b -i'/.z; jjjlojv : je préférerais : àoOapata.
492 REVLE BIBLIQUE.

une pierre précieuse. Des combats étaient [engagés^ pour cette


'^elle est

couronne, '^ mais la justice l'a prise et vous l'a donnée.^* Posez la cou-
ronne dans son testament, la vérité du Seigneur; '- tous ceux qui
vainquent seront écrits sur son livre, car leur livre est la victoire qui '-^

est à vous; elle vous voit devant elle, et elle veut que vous soyez
sauvés. Alléluia !

X
Le Seigneur a dirigé ma bouche par sa parole et ouvert mon
^

cœur par sa lumière. Il a fait habiter on moi sa vie immortelle, - et


m'a donné de raconter le fruit de sa paix, pour convertir les âmes de '

ceux qui veulent venir vers pour captiver d'une heureuse capti-
lui et

vité [qui conduit] à la liberté. devenu fort et robuste, et j'ai ^ Je suis


fait captif le monde cela est arrivé par moi pour la gloire du Très-
;
'^

Haut et de Dieu mon Père. Us ont été rassemblés en un seul groupe,


'^

les peuples qui étaient dispersés, et j'ai été sans souillure dans mon '

amour, pendant qu'on me louait dans les hauteurs des empreintes ;

de lumières ont été placées sur leur cœur;^ ils ont marché dans ma
vie, et ont été sauvés; ils sont avec moi pour l'éternité.

XI

'Mon cœur a été coupé, et sa fleur est apparue, grâce y a germé,


et la

et il a porté des fruits pour le Seigneur. ' Car le Très-Haut m'a coupé
par son Esprit saint; pour lui, et il m'a
il a découvert mes reins
rempli de son amour, ^et sa coupure est devenue pour moi le salut;
j'ai couru sur la route dans sa pais, sur la route de la vérité ^ du

principe jusqu'à la fin. J'ai reçu sa science, ' etje me suis tenu ferme

V. 11. Le Testament consiste dons la vérité du Seigneur.


V. 13. Le dernier verset est peu intelligible, il doit être altéré.

X
V. 2. paix = salut.

V. 3. Il laut lire )touu au lieu de -coLaj.


V. 6. Les « peuples » dont il est est question sont les Gentils.
V. 7. Cette glorification sur les hauts lieux n'est guère intelligible. Lest empreintes
de lumière » = peut-être les rayons de lumière (F.).

V. 8. avec moi. Ou peut aussi traduire : mon peuple.

XI

V. l. coupé = peut-être circoncis. De même v. 2 et 3 où coupure = peut-être


circoncision.
V. 5. découvert mes reins = recherché mon alTection.
LKS ODES DE SALOMON. 493

sur le roc de la vérité où il m'avait placé; une eau parlante s'est ''

approchée de mes lèvres, [venantj de la source du Seigneur, libérale-


ment; et j'ai bu. et j'ai été enivré de l'eau vivante qui ne meurt pas.
''

et mon ivresse ne fut pas sans science, mais j'abandonnai


*^ ma
vanité et je me tournai vers le Très-Haut mon Dieu ^'je devins ri- ;

che par son don; j'abandonnai la folie qui est répandue sur la
terre ;
je la dépouillai et la rejetai loin de moi, "^ Le Seigneur me
renouvela par son vêtement et me posséda par sa lumière, et d'en
liant me donna un repos incorruptible; *' je devins comme une
terre qui germe et qui fleurit et qui porte des fruits. Le Seigneur, '"-

comme le soleil sur la face de la terre, '


'a illuminé mes yeux; et mon
visage a reçu la rosée, et mon haleine s'est réjouie à la brise agréable
du Seigneur: ^*il m'a transporté dans son Paradis où est la richesse

de la suavité du Seigneur. '' J'adorai le Seianeur à cause de sa gloire


et je dis : Heureux, Seigneur, ceux qui sont plantés dans ta terre, et
ceux pour lesquels y une place dans ton paradis,
il a qui poussent ^'^

dans la germination de tes arbres, et qui émigrent des ténèbres à la


lumière. ^''
Voici tous tes travailleurs excellents, qui accomplissent de
bonnes œuvres et se détournent de l'iniquité pour [goûter] ta sua-
vité ;
'* ils ont rejeté loin d'eux l'amertume des arbres, quand ils

eurent été plantés dans la terre. ''El tout l'univers devint comme une
relique de toi. et un souvenir t'ternel de tes œuvres fidèles. ^'^Il est
grand, l'emplacement de ton paradis, et il n'y a rien d'inutile, -^mais
tout est plein de fruits. Gloire à toi, ù Dieu, délices du Paradis pour
toujours. Alléluia 1

XII

' 11 m'a rempli des paroles de vérité, pour que je puisse l'exprimer;

V. 4. La coupure de la phrase n'est pas celle du ms. Elle est plus naturelle.
V. G. R. H. rappelle le texte de saint Ignace ad Rom. 7) : jowp ^wv xa; XaÀoûv. Ici

comme en plusieurs autres pas^nges ^^. p. répond au gr. àç;6v/oj: libéralement, co-

pieusement.
V. 10. le vêtement de Dieu = sa lumière {Ps. civ,2).
V. 11. Litt. dans ses fruits.
V. 18. Les arbres amers du mal sont opposés aux arbres suaves du Paradis.
V. ou partie, pour indiquer que toutes choses seront résumées en Dieu.
19. relique

V. 21. Le texte se traduirait Je suis d'ailleurs rempli de fruits R. H.


: ou mieux , :

Je remplis tout de fruits {F.\ La pensée est peu intelligible, et le changement de


personne admissible. Il faut lire, au lieu de M moi. P! mais.

XII
V. 1. l'exprimer; litt. : la parler ,1a vérité .
494 REVUE BIBLIQUE.

^comme un courant d'eau la vérité coule de ma bouche, et mes lèvres


montrent ses fruits; ^ il a fait abonder en moi sa science.
Car la bouche du Seigneur est le Verbe véritable, et la porte de sa
lumière, ^ Et le Très-Haut l'a donné à ses Mondes, [qui sont]
les interprètes de sa beauté, les narrateurs de sa gloire, et les hérauts
de sa majesté, les notiticateurs de son plan, évangéUstes de sa
les

pensée, et ceux qui gardent pures ses œuvres. '


La subtilité du Verbe
est au-dessus de toute expression, et comme son expression, ainsi est
sa subtilité et sa promptitude :
"^
et sans fin est sa marche; il ne tombe
jamais, mais il se tient ferme; il ne connaît ni sa descente ni sa route.
'Telle est son œuvre, telle est aussi sa fin. Car il est la lumière et

le rayonnement de la pensée.^ En lui les mondes se parlent l'un à


Tautre, et ils ont existé par le Verbe ceux qui étaient silencieux ;

'Me lui vinrent l'amour et l'harmonie, et ils dirent l'un à l'autre ce


qu'ils avaient et ils furent pénétrés (?) par le Verbe ;
*^'
ils connurent
celui qui les avait faits, c'est pourquoi ils furent en harmonie. Car la
bouche du Très-Haut leur a parlé et son explication courut par le
moyen du Verbe], ^' car la résidence du Verbe est l'homme, et sa
vérité est Amour. Heureux ceux qui par ce moyen ont compris
l'univers et connaissent le Seigneur dans sa vérité. Alléluia!

xin
'Voici que notre miroir est le Seigneur ouvrez les yeux et regardez- :

les en lui, et apprenez comment sont vos visages; -glorifiez haute-

V. 4. L'a donné : le Verbe. Ses œuvres: ou : ses serviteurs.


V. .5. La seconde partie du v. 5 est peu intelligible, d'autant que « son expression » se

rapporte à légèreté et non à Verbe. Il y aurait dittographie (ov*joi) à l'origine de cette


altération, et on pourrait lire tout simplement o,iaa..-^{o ^/ i-i-ao, OTLa'i..:^^ ^|o. Le sens
:

du v. serait : « La subtilité du Verbe est au-dessus de toute expression pareille à sa ;

subtilité est sa promptitude ». etc..


V. 6. La fin du verset n'a guère de sens : sa route, c.-à-d. la route vers la
descente, comme le veut R. II.? on peut conjecturer au lieu de ov-;o/ : ©vj r^oi et il

ne s'est pas attardé dans sa route : éloge de la promptitude du Verbe.


V. 18. les mondes, probablement en gr. : atoivc;, les éons.
V. 9. harmo7iie =
unité; de même au v. 10. — Us ont été pénétrés = litt. : blessés.
Je goiite peu l'insertioQ dans le texte de ce mot ajouté en marge. Si on le supprime,
on obtient un sens excellent : « ils dirent l'un à l'autre ce qu'ils tenaient du Verbe ».

Est-il téméraire de conjecturer que o \.û.)/ est une observation marginale qui se rap-
portait primitivement à l'état du ms.?
V. 10. courut = se répandit rapidement.

XIII
V. 1. Au lieu de : regardez-les. on attendrait : regardez-vous.
V. 2. glorifiez: ou « publiez des hymnes » là la louange de) son Esprit.

É.
LES ODES DE SALOMOiN. 49o

ment son Esprit; essuyez la crasse de vos visages; aimez sa sainteté


et revêtez- vous-en ;
^ et soyez sans tache en tout temps auprès de lui.

Alléluia !

XIV

'Comme les yeux du fils vers son père, ainsi mes yeux, ô Seigneur,
sont sans cesse [dirigés] vers toi ; -car auprès de toi sont mes délices et
mon bonheur. ^N'éloigne pas de moi ta miséricorde, ô Seigneur, ne
retire pas de moi ta bonté. *Tends-moi, ô Seigneur, en tout temps ta
main droite, et sois mon guide jusqu'à la fin, suivant ta volonté, ''Puissé-
je me plaire devant toi à cause de ta gloire, et à cause de ton nom
^être sauvé du méchant. Que ta douceur, o Seigneur, demeure près
de moi, ainsi que les fruits de ton amour. "Enseigne-moi les cantiques
de ta vérité, et que par toi je porte des fruits. ^Ouvre-moi la cithare
de ton Esprit Saint, pour que je puisse te louer dans tous les modes,
" et selon l'abondance de ta miséricorde accorde-moi et hâte-toi ;

d'exaucer nos prières, car tu peux tout ce qui nous est utile. Alléluia!

XV
'Comme le de ceux qui recherchent son jour,
soleil est la joie
ainsi ma joie c est leil est mon soleil; ses rayons m'ont
Seigneur, car
ressuscité, et sa lumière a dissipé toutes ténèbres devant mon visage.
Grâce à lui j'ai acquis des yeux et j'ai vu son jour saint, ^ j'ai eu des
•^

oreilles et j'ai entendu sa vérité,^ j'ai eu la réflexion de la science


et je me Par son moyen, ^ j'ai abandonné la route de
suis réjoui.
l'erreur; je suis allé vers lui, et j'en ai reçu généreusement le salut.
'Selon son don il ma donné, et selon sa munificence il m'a traité.
'^J'ai revêtu l'incorruptibilité grâce à son nom, ''
et j'ai abandonné la
corruption par sa grâce ;
•'
la mortalité a disparu de devant mon visage,

XIV

V. 2. délices; liu. : mamelles. Comp. Odes 4, 8, 19, 3-5.

V. 7. Il s'agit ici comme plus haut du « fruit des lèvres » : la louange.


V. 9. Au lieu de nj/q : et toi, lire : nj/» car tu.

XV
V. t. jour = le lever du jour.
V. 3. Grâce à lui, ou : ea lui.

V. 5. réflexion, ou : pensée. — Je rattache o,^\.a au membre de phrase suivant.


V. 7. Litt. : la grandeur de sa beauté; gr. : j.t^y.lo-oizzix := muniûcence.
V. 9. mortalité; gr. : -h ôvtjtov.
496 REVLE BIBLIQUE.

le schéol a été anéanti par ma parole, "' une vie immortelle est mon-
tée dans la terre du Seigneur; *' elle a été révélée à ses croyants, et

elle a été départie sans réserve à tous ceux qui se coniient en lui.
Alléluia !

XVI

Comme l'œuvre du paysan "est de tirer la charrue, et l'œuvre


*

du pilote de manœuvrer] le màt, - ainsi mon œuvre estle chant du Sei-


gneur dans ses louanges, mon industrie et ma tâche [consistent^ dans
ses louanges. car son amour a nourri mon œuvre et il a poussé ses
'^

fruits jusqu'à mes lèvres.^ Or mon amour, c'est le Seigneur; c'est


pourquoi je le chanterai, car je suis fort par sa louange, et j'ai foi
"'

en lui. " J'ouvrirai ma houche, et son esprit racontera par moi " la
gloire du Seigneur et sa beauté, l'œuvre de ses mains et le travail
(lèses doigts,^ pour la multiplication de sa miséricorde et l'affermis-
sement de son verbe. Car le Verbe du Seigneur scrute ce qui est in-
-^

visible, et ce qui est visible] manifeste son dessein


I
l'œil en effet voit ;
^^^

ses œuvres, et loreille entend sa pensée. *' C'est lui qui a dilaté la terre
et fait réï.ider l'eau dans la mer il a étendu les cieux et fixé les ;
^'-

étoiles; il a ordonné la création et l'a exécutée. ' Puis il s'est reposé


de ses œuvres '^ les créatures courent suivant leur course et font
;

leur œuvre; elles ne connaissent pas l'arrêt ni l'oisiveté, les armées


'-^

obéissent à sa parole. Le trésor de la lumière, c'est le soleil, le tré-


^''

sor des ténèbres, c'est la nuit; '^ il a fait le soleil pour le jour, en sorte
qu'il fût lumineux, la nuit amène ensuite l'ombre sur la face de la
terre; '^ l'alternance de l'un et de l'autre prêche labeautéde Dieu ''Ml
n'y arien en dehors du Seigneur; car il était avant que rien ne fût,

V. 10. est montée. La vie éternelle est comparée à l'arbre de vie planté dans le

jardin du Seigneur ^^ Paradis).

XVI
1. )ir^ est peu compréhensible. F. propose de traduire : la traction du vaisseau. Il

observe que le halage n'est pas l'œuvre propre du pilote et entend xjÇ£pvr|Tr,ç dans le

sens impossible de simple matelot. Toutes ces difOcultés sont aplanies si au lieu de
);;^' on lit ijvi. màt. Le parallélisme est alors excellent.

9. Le texte est difflcilement traduisible. R. H. : Le Verbe du Seigneur scrute toutes


choses, à la fois les invisibles et ce qui révèle sa pensée (?) ;

en note ou tout, ce : :

qui est invisible et ce qui est révélé, esf» sa pensée. F. : Le Verbe du Seigneur scruie
les deux ordres de choses, ce qui est invisible et ce qui est révélé. — Plus simplement
lire : ji,^^ ())-.too ;o etc.. Le second ))-.i!oo n'a pas été copié par distraction. Le
membre de phrase ainsi complété introduit bien les vv. suivants.
V. 17. Au lieu de ^-^N ^ao.^ remplissent, complètent, R. H. lit avec raison ^ « w ^a y» .
LES ODES DE SALOMOX. 497

~"et les mondes ont existé par sa parole et parle dessein de son cœur.
Gloire et honneur à son nom. Alléluia 1

Wll

J'ai couronné par mon Dieu il est ma couronne vivante)
été
-et j'ai été justifiépar mon Seigneur; or mon salut est incorruptible.
•'J'ai été délivré de la vanité, et je ne suis pas un condamné. Mes liens ''

ont été tranchés par ses mains; j'ai pris un visage et l'apparence d'un
personnage nouveau; j'y suis entré [dans ce personnage] et j'ai été
sauvé.
^La pensée de la vérité ma conduit, et je suis allé derrière elle et
je n'ai pas erré. ''
Tous ceux f[ui m'ont vu ont été étonnés, et je leur
suis apparu comme un étranger; et celui qui '
me connaissait et
le Seigneur m'a éduqué en toute sa perfection : m'a honoré, dans
il

sa suavité, et il a élevé ma conscience jusqu'à la hauteur de sa vérité.


* A partir de ce point il m'a donné la route de ses préceptes j'ai ouvert ;

des portes qui étaient fermées '^


et j'ai brisé les verrous de fer (or le fer
estdevenu rouge et s'est liquéfié devant moi; '" et plus rien ne m'est ;

apparu fermé, parce quej'étais la porte pourtoutcschoses. ^' Jesuis sorti


vers tous mes prisonniers pour les délivrer, pour n'abandonner per-
sonne qui fut lié et qui liât; ^- j'ai donné libéralement ma science et
ma prière dans mon amour. ^'U'ai semé mes fruits dans les cœurs et
XVII

V. 2. Plutôt que : il est mon salut incorruptible (R. H.).


V. 3. vanité ^ néant.
V. 4. Lire ©(-^ au lieu de <iuy:^.

V. 7. R. H. et F. traduisent : celui qui me connaissait et m'a élevé. Mais « con-


naissait » n'a pas de régime exprimé dans le texte : il est impossible qu'un sufûxe
sufiîse pour deux verbes; cette traduction est donc inadmissible, à moins d'ajouter ^a
après loo, o,^. Mais je prél'érerais admettre une lacune de quelques mots. On pourrait
aussi admettre une interversion dans le texte et restituer : « mais celui qui me con-
naissait, c'est le Très-Haut; il m'a éduqué etc.. » — Sa vérité; litt. : la vérité.
.Ajouter le suffixe de la 3® pers. m. s.

V. 9. le fer; litt. : mon fer. F. observe avec raison que cette expression n'a pas de
sens, et il propose de lire simplement le fer. Or la possession n'est pas exprimée par
un simple suffixe, mais bien pas wC^-» qu'on ne peut supprimer si aisément. Je conjec-
ture une lacune entre v; (^t ^^iX-; peut-être « à mes yeux » ou ;
« devant mon visage »,
le substantif ayant été omis, et le possessif subsistant seul.

V. 11. mes prisonniers = les prisonniers auxquels je m'intéressais. — Et qui liât,

litt. : et celui qui lie. Aucun sens, moins qu'on n'admette une lacune. Par exemple
à :

et celui qui liait « a été lié », par similitude avec des expressions comme o mors :

ero mors tua, ou : captivam duxil cajitioilctem.


KEVUE BIBLIQUE 1910. — N. S., T. VII. 32
498 REVUE BffiLIQUE.

je les ai changés en moi; ils ont reçu ma bénédiction et ils vivent;

i^ils se sont rassemblés vers moi et ils sont sauvés, parce qu'ils sont

pour moi des membres et je suis leur tète. Gloire à toi, ô notre tête,
Seigneur Christ. Alléluia!

XVIII

iMon cœur a été élevé par Famour du Très-Haut, et il a été enrichi


pour que je le loue par mon nom.'- Mes membres ont été fortifiés en
sorte qu'ils ne défaillent pas de sa force les maladies se sont éloignées :
•'

de mon corps, et il s'est levé pour le Seigneur par sa volonté. Car son
royaume est véritable. '0 Seigneur, à cause des indigents ne me retire
pas ta parole; à cause de leurs œuvres ne me refuse pas ta per-
'

fection, " Que la lumière ne soit pas vaincue par les ténèbres, et que la
vérité ne fuie pas devant le mensonge ^ Victorieusement, sa droite ac- !

complira notre salut; tu accueilleras [les hommes] de partout,^ et


tu garderas tous ceux qui sont emprisonnés dans les iniquités. Tu es '

mon Dieu le mensonge et la mort ne sont pas dans ta bouche, mais


;
^'^

la perfection est ta volonté, et tu ne connais pas la vanité, ^^ parce


quelle ne te connaît pas non plus. '- Tu ne connais pas l'erreur, ^^ niais
parce qu'elle non plus ne te connaît pas. '^ L'ignorance est apparue
comme une cécité et comme l'écume de la mer; ^-^
or ils avaient
pensé à son sujet, la nulle, qu'elle était grande. "^ Ils vinrent eux aussi
à lui ressembler et furent réduits au néant, mais ils comprirent.

XVIII

V. 1. par mon nom : incompréhensible. R. H. siigi;ère une correction : par son nom,
qui n'est guère plus satisfaisante. Le sens exigerait : par mon esprit: peut-être le
traducteur a-t-il lu par mégarde dans son texte o/ôuxtù; ;j.oj au lieu de çpovr,-

(j.ax6ç [jLou.

V. 2. F. : vor seiner Kraft. Mais il n'est pas probable que la « force du seigneur »

fasse défaillir les membres; le sens est plutôt : qu'ils ne défaillent pas en perdant la

force que Dieu leur a donnée.


V. 3. F. suggère : « Je me suis levé »; suggestion peu utile. — Ton royaume
(royauté) est véritable stable, fidèle). Réflexion dont on ne saisit pas le rapport avec
ce qui précède et ce qui suit. Interpolation?
V. 4. les indigents ou plutôt les déficients les méchants. =
V. 7. Passage difficile et probablement altéré. R. H. « Tu me placeras pour : la

victoire; notre salut est dans ta main droite » en note ou: « que pour la victoire
; : ta
main droite place notre salut ". F. : « Pour la victoire, ta main droite opérera notre
salut )).

V. 8. tu garderas = protégeras.
V. 14. R. H. : « and ignorance appearediike a blind man » (ou avec un faible chan-
gement : «and I appearediike a blind man Avithout kno^ledge ». F. : « Und wie ein
Blinder erschien die Unw issenheit ». Le sens d'aveugle pour \>a^ est bien douteux.
LES ODES DE SALOMON. 490

ceux qui comprenaient ils réfléchirent,'^ et ils ne furent pas souil-


;

lés dans leurs pensées, parce qu'ils étaient dans la pensée du Très-
Haut '^ ils tournèrent en dérision ceux qui marchaient dans l'erreur
;
;

^9 pour eux, ils dirent la vérité grâce à l'inspiration que leur inspi-
rait le Très-Haut. Gloire et grande beauté à son nom. Alléluia!

XIX

'Une coupe de lait m'a été apportée, et je l'ai bue dans la douceur
de la suavité du Seigneur. ^ Le Fils est cette coupe, et celui qui a été
trait, c'est le Père,-^ et celui qui l'a trait, c'est l'Esprit Saint, parce
que ses mamelles étaient pleines et il voulait que son lait fût ré-
pandu largement.^ L'Esprit Saint a ouvert son sein; il a mêlé le lait
des deux mamelles du Père et a donné le mélange au monde, à son
insu, ^ et ceux qui [le] reçoivent dans sa plénitude sont ceux qui sont
à droite. ^'
L'Esprit étendit ses ailes sur le sein de la Vierge, et elle

Il vaut mieux traduire : cécité, ou plutôt ce qui rend aveugle, un fétu de paille.

La suite du verset est traduite par R. H. : like the foam of the ^ea, par F : Mie der
iible Geruch des Sumpfes. Mais ilq-;^. = pourriture et non écume; d'autre part P<^
ne veut pas dire marais : il faudrait lire icoo..

XIX

V. 3. En adoptant la correction de R. H. L'identiQcation de ts^\^,.^^ avec N. |^a^


est autorisée par les lexiques. Le sens adopté par F. « il ne lui parut pas bon que :

son répandu inutilement » ne se rattache pas bien au coutexte.


lait fût

V. 6. A partir du v. 6, le texte est en mauvais état. Nous avons pour ce verset la

traduction de Lactance » Infirraatus est utérus virginis et accepit fetum et gravata


:

est et facta est in multa miseratione mater virgo » {Inst. div., IV, cli. 12). R. H. tra-
duit: « (L'Esprit) ouvrit le sein, » etc.. F. constate l'impossibilité de cette traduction et
écrit : « Erumarmte (?}denLeib », etc.. La difficulté provient du mot Na^. Le Thé-
saurus de Payne-Smithne donne pasàce verbe desens qui convienneau contexte. Aussi
F. se référant au passage de Lactance, a-t-il cherché dans le Targum le piel ^'£^
= umarmen. Le lexique de Brun contient cependant le verbe .a^ avec la signiflca-

tion alas produxit. Suivant sa méthode, ce lexique ne donne pas de références. Mais
il n'y a pas lieu de douter que l'auteur ait rencontre le mot avec le sens qu'il lui

donne. Deux points restent obscurs : 1° n^l^ est construit avec l'accusatif, au lieu
que le régime soit introduit par ^^. — 2" Quel rapport y a-t-il entre notre sens et
r « infîrmatus est » de Lactance? Peut-être le grec permet-il de résoudre cette difflculté.
Supposons i-ir.-f] ou kz:i-.-z~o qui gouvernent tous deux l'accusatif, avec le sens de
voler au-dessus de: on conçoit : t) que le traducteur syriaque ait servilement traduit
le verbe, puis son régime sans prendre soin de l'introduire par une préposition. —
2) L'auteur de la version latine que lisait Lactance a pris l'aoriste à'i-i-i-oikT.: pour
une forme quelconque de t-J.-^m. De pareilles bévues ne sont pas rares chez les vieux
500 RE\UE BIBLIQUE.

conçut et enfanta, et elle devint Mère-Vierge avec beaucoup de misé-


ricorde"; elle devint grosse et enfanta un fils sans douleur ;
^ et afin

qu'il n'arrivât rien d'inutile, ^ elle ne demanda pas de sage-femme pour


l'assister; comme un homme elle enfanta volontairement -'elle [l ]en- ;

fanta en exemple, elle (le] posséda en grande puissance, ^^ et [rjaima


en salut, et [le] garda dans la suavité, et ^lej montra dans la grandeur.
Alléluia!
XX
Ue suis prêtre duSeigneur; il est celui pour qui j'exerce mon sacer-
doce, et je lui sacrifie le sacrifice de sa pensée.- Car ^sa pensée] n'est
pas comme lCcUc du monde, sa pensée n'est pas non plus comme [celle j

de la chair, ni comme [celle de] ceux qui opèrent charnellement. ^ Le sa-


crifice duSeigneur, c'est la justice; ainsi que la pureté du cœur et des

lèvres, ^ que tes entrailles n'oppriment


Offre tes reins sans reproche;
pas les entrailles d'autrui que ton âme n'opprime aucune âme!
et

^N'acquiers pas l'étranger au prix de ton âme, ne cherche pas à dé-


vorer ton prochain, et ne lui vole pas'' la couverture de sa nudité.
"Revêts donc la grâce du Seigneur abondamment; viens au Paradis,
et fais-toi une couronne de son arbre ^ et pose-la sur ta tète et sois
heureux, et couche-toi sur sa suavité. Et la gloire marchera devant
toi, et tu recevras de sa douceur et de sa grâce; et tu tengraisseras

dans la vérité, par la louange de sa sainteté. Gloire et honneur à son


nom. Alléluia!

(raducteurs latins. — Elle devini Mère-Vierge; on peut ausii traduire: et elle de-
vint mère, la Vierge.

V. 8. R. H. : « Because she was not sufûciently prepared » peut-être : « and because


ihere was not (pain) she was sulBcient ». F. : « Und weil es nicht ans Unbedacht-
sanikeit geschehen war dass sie keine Geburt^llelferiQ gesucht batte (eu changeant
p.o en p.,). — Je préfère donner à too) un sens neutre comme F. : et pour le début de
plirase v. Xoeldeke, Syrische Grammatik, § 308. D'autre part, j^^^^oo a le sens de
<ro consilio ut.
Assister =: accoucher. F. croit à ua verbe nominal formé de \b.^, sage-femme.
V. 9. elle enfanta en exemple. Sens bien médiocre; au lieu de je^a^t^, je lirais

i!!o^^Q-is^ dans la joie, hilariter.


V. 10. Au lieu de : elle l'aima en salut, R. H. traduit : dans les langes, en lisant
cojoaj» au lieu de ij^jaao. F. juge cette correction inutile.

XX. — V. 5. F. corrige p^»^ en ^^^^j^^. — R. H. propose de lire : au prix de sou


argent. Cette correction, plausible peut-être, nous semble trop hardie pour être
acceptée résolument.

[A suivre.)
J. Labourt.
LES PAYS BIBLIOLES ET L'ASSYRIE
[Sui/e)

La mort violente de Sargon causa un ébranlement dans tout Tem-


pire. Il ne fallut pas moins que toute l'énergie et toute la force de
répression de son fils Sennacliérib 705-681 avant Jésus-Christ ])Our
maintenir sous le joug- les populations vassales de toute race et de
toute lancue. A côté des nombreux documents cunéiformes cpii nous
renseignent sur son règne il), les textes bibliques 2] et les récits des
Grecs (3i ont conservé le souvenir de ce potentat. Son nom a été
transcrit Sennacherib par la Yulgate qui, en combinant 1*"^;:^ de la

Massore et Zsv(viayr,2E'.;x des Septante, sest rapprochée singulière-


ment du nom assyrien Sin-ahê-rib (i Ce monarque fut, comme son .

père, un grand guerrier et un grand bâtisseur. Comme lui il eut


maille à partir avec les pays bibliques et avec les tribus araméennes
du sud de la Chaldée. Ce furent celles-ci qui donnèrent le branle au
soulèvement général. Lorsque, le 12 du mois d"Ab juillet-août) de
l'an 705. Sennacherib était monté sur le trùne d'Assyrie, Babylone.
qui ne s'était soumise qu'à contre-cœur au joug de Sargon, avait
levé de nouveau l'étendard de la révolte. Sans doute, la liste des rois
babyloniens considère Sennacherib comme ayant régné sur Babylone
durant les deux premières années de son règne, mais le canon de
Ptolémée signale cette épocjue comme un interrègne Xiy.zù.iJ-zj : '

'\) Les principale» inscriptions sont le cylindre de Bellino et le cylindre de Taylor, aux-
quels il faut ajouter celui du Brilish Muséum [a' 103000), nousellement publié cf. K/l.,
1910, p. 235). Pour le catalogue des inscriptions, cf. Bezold. Inschriften SanhsrlO's, dans
KB., 80, u. 1; M^SPERO, Histoire ancienne..., III, p. 273, n. 1; Kixc. Cnneiform
Il, p.

te.rfs,XXVI, p. 8 ss.
(2) Dans II Reg., xvui-xix: Is., xxxvi-xxxvii; Il C/ir., xxxii; Eccli., XLvni, 20.

(.3) Dans Polyhistor et Abydène, qui dépendent de Bérose; dans Hérodote ^11, 141.
(4) La transcription adoptée jusqu'ici, Sin-aljc-er-ba, est défectueuse. Le signe transcrit
er doit se transcrire ri, comme je lavais montré dans OLZ., 1907, col. 230. M. L'ngnad.
dans ZDMG., 1908, p. 721 ss., applique cette valeur ri au signe qui figure dans le nom du
monarque. Il faut donc lire Sin-ahê-rl-ba. c'est-à-dire Sin-ahê-rîb « 6 Sin, augmente les
frères » Le verbe « augmenter » est rObu et non eréhu, comme on le supposait.
1
o02 REVUE BIBLIQUE.

r.pôi-zj. En réalité, le pays était en éJiullition. On n'attendit pas qne


Mérodach-baladan II sortit des marais où il s'était réfugié le long du
golfe Persique pour choisir un roi. Un certain Mardouk-zakir-souma,
qui n'appartenait pas à la souche royale de Babylone, n'hésita pas à
s'asseoir sur le trùne vers le début de l'an TOi. Il n'y resta qu'un
mois. L'inlassable chef des Kaldou et des Aramou arrivait à la tète
de ses bandes. De nouveau on l'acclama comme le restaurateur de
l'indépendance nationale. Durant neuf mois, il régna sur la ville
sainte, et la liste des rois babyloniens inscrivit denouveau Mardouk-
apla-iddin Mérodach-baladan à la suite de Mardouk-zakir-souma.
Avant tout, Sennachérib devait mettre fin à cette insurrection. Il
ne pouvait accepter que, dès le début de son règne. Babylone, prise
et reprise par ses pères, se reconstituât en principauté rivale. Suivant
la tactique déjà suivie précédemment, Babylone avait noué des al-
liances avec les Elamites. qui, depuis l'an 717, étaient gouvernés par
Istar-ljuiidu le Sutur-Xaijunte des inscriptions elamites Les alliés .

s'étaient concentrés dans les environs de la ville de Kis il), à environ


treize kilomètres à l'est de Babylone. Mérodach-baladan II ne put
tenir contre le choc de l'armée assyrienne : « Il laissa son campement
et s'enfuit tout seul pour sauver
Le vainqueur fit une en-
sa vie 2' ».

trée triomphale à Babylone. Afin d'asseoir définitivement son autorité


sur la Chaldée tout entière, Sennachérib consacra l'année 703 à une
razzia formidable. D'après sa relation, il n'aurait pas conquis et dé-
vasté moins de 75 forteresses et i20 petites villes du pays. Partout il
rencontrait sur sa route les tribus araméennes des Kaldu et des
Aramu (3), dont nous avons étudié les agissements à l'époque de
Sargon. Ce qu'il y a de très intéressant, c'est qu'à ces nomades ara-
méens se sont joints des Arabes, car il est impossible de ne pas les
reconnaître dans ces Lr-bi [^
,pi qui sont juxtaposés aux Kal-du et
aux A-ra-mu i). Déjà ils occupent toute la lisière méridionale de la
Mésopotamie ceux des Araméens, pour
et ils unissent leurs efforts à
se tailler un dans ce qui sera plus tard « la côte des Arabes »
territoire
Iraq el-'Arab). Strabon les signalera sur la frontière euphratéenne
sous le nom d'Arabes zv:r;)'-y.<. p On ne s'étonne pas de les voir
.

(1) Probablemeat correspondant à la ville actuelle d'El-Olieimir (cf. Les origines baby-
loniennes, dans les Conférences de Saint-Élienne, 1909-1910, p. 31^.
(2) Cylindre de Taylor, I, 19 ss.

(3; Ibid., I, 37.

(4) Delitzsch [Wo lag das Paradies, p. 305 a déjà identifié ces Ur-bi avec des Arabes.
Les variantes du nom sont parallèles à celles des Aramu. Ils figurent, sous leur nom de
Ur-bi. parmi les défenseurs de Jérusalem, en TOI (cf. inf.).

l5j Geograph., XVl, 3, 1.


LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYBIE. 503

refuser le tribut qu'ils avaient payé sous les rois précédents et cher-
cher à sauvegarder leur indépendance ou luttant contre l'envahis-
sement de l'empire assyrien. Ils virent, comuic les Araméens, un li-
bérateur dans ce Mérodach-ljaladan II. dont toute l'activité se dépensa
à rendre l'autonomie à la Chaldée. Pour ce faire, il n'avait pas hésité
à ouvrir aux Arabes aux Araméens l'accès des plus anciennes villes
et

de Soumer et d'Akkad. Sennachérib les trouve à Érech aujourd'hui


Warka), à Xippour aujourd'hui Xuffar . à Kis \El-Oheimir) et à
Harsag"-kalama 1 , à Koutha Tell- Ibrahim et à Sippar Abii-
Habba) 2;. Ils s'étaient mclés, comme des soldats d'aventure, à ceux
que Sennachérib appelle « les enfants de la ville ». On les chargea à
fond et la plupart furent emmenés en captivité.
Le plus étrange est que Sennachérib ne ceignit pas le diadème de
Babylone. Eut-il l'idée de réagir contre la politique de son père qui
montré Babylonien fervent et s'était complu à saisir les mains
s'était

de Mardouk? Voulut-il définitivement mettre Babylone au second


plan et lui refuser le droit de se considérer comme l'égale de -Ninive?
Toujours est-il qu'il infligea à la \i\\e l'humiliation de se courber
sous le joug d'un de ses nobles, un certain Bèl-ibni qui, d'origine
babylonienne, « avait grandi dans mon palais comme un petit
chien (3) ». Ce « petit chien » s'intercala dans la liste des rois ba-
byloniens, et le canon de Ptolémée le désigna sous le nom de ;îr,A',-

zz-j. ne
Ilrégna que trois ans 703-700 avant Jésus-Christ), car, à la
suite d'une défection, il fut emmené captif à Ninive.
Tranquille du côté de Babylone, Sennachéril) ne voulut pas rentrer
à Xinive avant d'avoir enlevé aux peuplades araniéennes qui infes-
taient la Mésopotamie l'envie de se soustraire à l'autorité assyrienne.
Il ne compte pas moins de dix-sept tribus qu'il appelle « les Ara-

méens insoumis (ij ». Ils forment une coalition formidable et sont


décidés à lutter jusqu'à la mort. Mais leurs bandes indisciplinées sont
forcées par les troupes organisées des Assyriens. Un énorme Ijutin
suivra Sennachérib jusqu'à Xinive. Plus de 200.000 captifs (jeunes
et ^-ieux, hommes et femmes) sont déportés en Assyrie. Les forte-

resses de IJirimmu et de Hararat qui défendent le pays de Kardounias

(1) Ville sœur de Kis cf. Zeiinpfi.vd, BaOïjlonien in seinen uichtigsten RuinenstOtten
:

[Der Alte Orient, \l, 3-4,, p. 13.


[2] Cf. sur toutes ces villes, Les Oritjines babyloniennes [Conférences de Saint-Élienne,

1909-1910;, p. 29 ss.
(3) Dans le cylindre de Bellino, I. 13 : cf. BEzot.D, KB., II. p. 114 s. et \Vi\cklek, KAT.^,
p. 79, n. ?..

;4) Parmi ces noms, relevons les Puqudu et les Gambulu [RB., 1910, p. 1S9 s. et p. 385)^
les IJamrânu et les.Ya6«/« {RB., 1910, p. 190).
b04 REVUE BIBLIQUE.

(Babylonie) (1) font leur soumission, la première de force, la seconde


de gré. Tout le pays était pacifié en l'an 702. Sennachérib en pro-
fite pour faire une expédition à Test chez les Cosséens. Il déniche de

leurs hauteurs ces montagnards intrépides et les soumet à l'un de


ses généraux qui gouverne la ville d'Arrapha, sur le Zàl) supé-
rieur (2). D'autres coups de main contre les peuplades de la fron-
tière médiqiie font trembler les Mèdes eux-mêmes qui envoient un
pesant tribut au vainqueur.
En c[uatre ans, Sennachérib avait assuré la tranquillité de l'Assy-
rie sur la frontière méridionale et orientale. Comme ses devanciers,
il allait pouvoir guerroyer en occident. Les grands royaumes syriens
de Hamath et de Damas ne l'inquiétaient plus. A la suite de la ba-

taille de Qarqar (720 av. J.-G.j, Sargon avait fait de Hamath une
colonie assyrienne (3), et Damas ne comptait plus depuis les terribles
représailles que kii avait fait subir Téglath-phalasar III, eu 732(4).
Israël avait perdu sa nationalité depuis la fameuse expédition et le
siège de 721. Mais Juda existait encore. L'exemple d'Israël et les aver-
tissements des prophètes auraient dû lui faire sentir qu'on ne s'ap-
puyait pas avec bonheur sur " ce roseau brisé » qu'était l'Égypto.
Celle-ci était gouvernée alors par le roi Sabataka [^igi-/mc de Mané-
thon), fils de Sabakou (ïacx/.eov de Manéthon). le fondateur de la
dynastie éthiopienne (vingt-cinquième dynastie de Manéthon). De
même que précédemment, l'Egypte entretenait des émissaires en Pa-
lestine, car elle ne renonçait pas à son antique suprématie sur les
pays de Canaan et d'Amourrou. La mort de Sargon et les démêlés que
Sennachérib avait eus avec Mérodach-baladan II et les populations de
l'est avaient tourné les espoirs du côté du Nil. De la Philistie, toute

proche de l'Egypte, la rébellion avait gagné Juda et s'était étendue


jusqu'au nord de la Phénicie. C'était toujours la ville de ïyr qui avait
la prééminence sur la côte phénicienne. A contre-cœur son roi Matten
s'était soumis autrefois à Téglath-phalasar III (5). Sargon l'avait pa-

cifiée pour cjuelque temps, mais il avait blessé l'orgueil national en

s'adjugeant l'Ile de Chypre et en y faisant placer un monument de sa


victoire (6). La stèle de Larnaka était comme une borne qui arrêtait

(1) Nous identifions IJararali de Sennacliérib avec IJarutu qui, dans les annales
d'Asournasir-apla (UI, 12 i), ligure, à côté de IJirimu, comme forteresse babylonienne.
(2) La ville d'Arrapha a donné son nom à la région que Plolémée (Geograph., Yl, 1, 2)
désigne par 'Apparca/tTi;.
(3J JiB., 1910, p. 378.
(4) RB., 1910, p. 195.
(5)i?Zf., 1910, p. 198.
(6) RB., 1910, p. 387.
,

I.tS PAYS BIBLIQUES ET LASSVRIE. oO:i

la thalassocratie des Phéniciens. On Tavait érigée précisément à Cit-


tinni I
11 qui, selon toute vraisemlilance, n'était autre que la « ville
neuve », la Carthage nw*~rir*^":\ dont le gouverneur se disait autre-
fois serviteur du roi des Sidoniens, Hiram II, et vénérait le baal du
Liban La défection des rois de Chypre qui s'étaient portés au-
('2 .

devant du monarque d'Assyrie, avait été une cruelle épreuve pour les
rois tyriens. Le successeur de Matten, que Ménandre d'Éphèse con-
naît sous le nom
'E>.:j/.2T:r 3 et que Sennachérib appellera
de .

de plus pressé que de reprendre Cittium. C'est


Lu-li-i, n'eut rien
du moins ce que nous apprend Ménandre li), cité par Josèplie,
car Sennachérib ne donne pas la cause de sa troisième campagne:
mais, comme le roi d'Assyrie se porte directement contre Lu-li-i
! "E"/.cj>.3:î:çi, tout est en faveur de la tradition conservée par Ménandre.
Le chef de la révolte dans le sud est un certain Sédécias Si-id-qa-a),
roi d'Ascalon Is-qa-al-lu-na, U-qa-lu-na . lia réussi à grouper sous
son hégémonie Jaffa la-ap-pu-u. la-pu-u; et les villes de son district,

à savoir Beth-Dagon Blt-Da-gan-na, "';~~r*2 . aujourd'hui Beit-


Didja7i enire JafFa et Lydda. puis Benê-Baraq [Ba-na-a-a-bar-qa,
p"'2~'':2'!, aujourd'hui Ibn-Jhrùq à l'est de Jaffa, enfin une ville d'.4-

zu-ru qui n'est autre que Idzùr (5 entre Jaffa et Bait-Didjan i6 . Un


autre centre de résistance était la ville d'Akkaron Arn-qar-ru-na
cf. 'Ay.y.acwv dans les Septante, au lieu de "'''TV du texte massorétique .

aujourd'hui ' Aq>r entre (Jézer et lamnia. Son roi. Pa-di-i, aurait
voulu demeurer fidèle à l'Assyrie. Mais peuple s'insur- les princes et le

gèrent contre lui, poussés par le roi de Juda, Ézéchias, que Senna-
chérib appelle Ha-za-qi-ia-u, Ha-za-qi~a-u, Ha-za-qi-ia-a-u Celui-ci .

reçut Pa-di-i des mains des révoltés et le retint en prison. La preuve


que l'Egypte était derrière ce mouvement d'insurrection, c'est que,
lorsque Sennachérib apparaîtra en Palestine, les rebelles d'Akkaron

;i; Larnaka occupe l'emplacemenl de lanciennr- Cillium.


(2) RB., 1910, p. 193.

(3) Dans Josepbe, Aut. Jud., IX. 14. 2 éd. Niese. I.\. 283 s.).

i làid. Les faits ont été bloiiués à l'époque de Salmanasar par Josèplie. Le récit a été
parfailemenl reconstitué dans ses éléments primitifs par Landau et Wincklt-r cf. Winckler.
Allorientalisehe Forschungen, II, p. 65 ss.).

5) On peut faire venir lâzdr de Azur. Dans le langage vulgaire on a. en arabe, iasir
pour asir « prisonnier ».

ffi] Ces données et celles qui suivent sont déduites du récit que font les annales de
Sennachérib de la troisième campagne. Dans le cylindre de Taylor, les événements en Phé-
nicie sont racontés dans la col. II. 3i ss.: pour la révolte d'.\scalon et de Jaffa, ibid.,
58 ss. et 65 ss.; pour celle d'.\kkaroii et de Juda, ibid., 69 ss. Les variantes des autres
prismes ou cylindres sont données par Bezold dans ses Inschriften Sanherib's KB., II,
p. 80 ss.;.
306 REVUE BIBLIQUE.

appelleront à leur aide « les rois d'Egypte (Mii-m-i'i) » et « le roi

d'Ethiopie [Me-luh-hi, Me-luh-ha) ».


On voit comment les pays d'Amourrou et de Canaan voulaient
secouer définitivement la tutelle assyrienne. La domination, plus no-
minale que réelle, de l'Egypte, telle qu'ils l'avaient supportée à l'é-
poque d'El-Amarna, leur paraissait plus tolérable. Sennachérib ne
l'entendit pas de la sorte. Vainqueur de Mérodach-baladan et des
Landes araméennes, tranquille sur la frontière orientale, il organise
la formidable armée qui lui permettra de parcourir en vainqueur tout
le pays au sud de l'Oronte et de la Syrie. Nous sommes en l'an 701.

Le passage à travers la région de Hamath, devenue colonie assy-


rienne, est un jeu. On fond directement sur la Phénicie méridionale
qui est considérée, avec le reste de la côte, comme
faisant partie du
pays de Hattou (Ha-at-ti). Éloulaios que Sennachérib dési-
{Lit-ll-i),

gne comme roi de Sidon »


'( suivant l'usage oriental, mais que' Mé-
nandre appelle « roi de Tyr » suivant l'usage grec, n'attend pas la
venue de son rival. Il s'enfuit « au loin, au milieu de la mer »,
c'est-à-dire jusqu'à Tile de Chypre (1) où il avait réinstallé le^ comp-
toirs phéniciens. C'est là qu'il trouve la mort (2). Sennachérib par-
court la Phénicie en vainqueur. Il soumet successivement les deux
Bidons qu'il appelle m Sidon la grande » et « Sidon la petite » On sait .

que les Sidoniens distinguaient entre une Sidon maritime (ai "jiï), qui
était « la grande Sidon », et une Sidon continentale (3). Puis c'est le
tour d'une ville entre Sidon et Sarepta, Blt-zitti, dont le nom, tout à
fait cananéen, doit s'interpréter pamn-n^z « maison de l'olivier » (4).

Elle occupait l'emplacement de Zaitd au sud-est de Sidon. Viennent


ensuite Sa-ri-ip-tu (nrîii*. aujourd'hui Sarafend, près de la côte),
Ma-hal-li-ba (iSna, qu'il faut lire au lieu de sSnx et de nnSn dans
Jud., I, 31 et au lieu de hin'i dans /o.s\, \ix, 29) (5), U-m-u {U-zu
(1) L'inscription des taureaux dit formellement que Lu-ll-i sest enfui de Tyr au pays de
Chypre [la-at-na-nà] A7J., II, p. 90, n. 12.
:

(2) La locution du Prisme de Taylor (I, 38) mûti-su


e-niid est généralement interprétée
par « je soumis son pays». En comparant avec le cylindre d'Asourbanipal (Rassam, JI, 81),
où l'on a e-me-du mâtt-su, Winckler a postulé —
d'après le contexte le sens de « mou-—
rir » {Altorientalische Forscliungen, I, p. 105) que Delitzsch admet {Lesestiicke, i" éd.,

p. 170), sans le justifier suffisamment. Selon nous, il y a un jeu de mots sur màtu qui veut

dire « pays », mais qui représente l'infinitif de nlD « mourir ». D'où màti-su c-mid «- il

rencontra sa mort. »

(3) Clermont-Ganneal, cf. RB., 1903, p. 413. Rapprocher les deux Asdoud, Asdoud con-
tinentale et Asdoud de la mer {RB., 1910, p. 382).
(i) C'est le même nom que celui qui a abouti à |îyi6i:ai9a (d'où p/;f)î(j5a:, etc..) pour l'un

des coteaux au nord de Jérusalem cf. Laguange et Vincent, Bézélha dans le Florilegium
:

dédié au M'' de Vogué.


(5) Delitzsch, Wo lag das Parodies, p. 284 et Lagrange, Juges, i, 31.
LES PAYS BIBLIQUES ET LASSVHIE. 307

(rEl-Amarna . sur Iraiplacement de Paketyros, aujûiudliui Rds fl-

'Ain) {i)j Ak-zi-ùi y2"T;N de la Bible, \]/.z:--y. des Grecs, aiijouid"liiii


Ez-zî/) sur \r càic , A/i-/:u-u '-'j. Ptolémaïs, Acre, Saint-Jean-d'Acre).
Toutes ces villes que Sennachérib englobe sous Ja rubrique de « vil-

les fortes, forteresses, endroits de ravitaillement pour la nourriture et


la boisson, lieux de aarnison », se soumettent. Mais il faut remarquer
que Tyr ne ligure pas dans lénumération. C'est f{ue d'après le té- —
moignage de Ménandre 2 —
la ville ne s'est pas soumise, malgré la
défection de Sidon, d'Arka Ap/.r,. aujourd'hui Tell-'Arqd) (3 de Pa- ,

laetyros y; de beaucoup d'autres Nilles, qui se livrè-


r.yj-y.'. TJp:ç) " et

rent au roi des Assyriens ». Le silence de Sennachérib sur la prise de


Tyr, la coïncidence entre sa liste de villes soumises et celle de Ménan-
dre, autant d'arguments en faveur de l'historicité de ce dernier. Ce
furent les citoyens de Tyr qui. privés de leur roi. eurent l'audace de
s"(jpposer à l'invasion assyrienne, comme ils s'opposeront à la marche
d'Alexandre. Sennachérib choisit un roi pour la Phénicie, c'est un
certain Tu-ba-'a-Iu ""yzrx, 10w6aA:r, E'.9oj6a/.:c ,
qui porte le même
nom beau-père d'Achab (i) et qui, comme lui, devait apparte-
que le

nir à la lignée des rois de Sidon. Ainsi est consacrée définitivement


l'hégémonie de Sidon sur les villes maritimes de Phénicie, tandis que
Tyr s'isole de plus en plus et forme un royaume indépendant. Un tri-
but annuel est imposé au nouveau roi de Sidon.
La présence de l'armée assyrienne en Phénicie ne tarde pas à pro-
duire son effet. Les rois de la côte et ceux de l'intérieur, qui sont
groupés par le chroniqueur assyrien sous le nom de « rois du pays
d'Amourrou écrit idéographiquement MAR-TU », apportent leurs
présents. Le premier mentionné est un certain Menahem Mi-in-hi-
iin-mu, Mi-ni-hi-im-nm , Mi-nu-hi-im-mu , etc.. roi de la ville de
Samsimunma 5 D'après les divers contextes où ligure cette ville,
: .

elle devait être située dans la Phénicie septentrionale, au nord d'Ar-


wad 6). Que ce fût bien une ville phénicienne, c'est ce que prouve
le nom de son roi, Abi-baal , qui sera contemporain d'Asaraddon

;ijEB., 1908, p. .:il s.


(2)Les événements sont du temps de Sennachérib, malgré le témoignage de Josèphe qui,
dans Ant. Jud., IX. 14. 2 (éd. Niese, L\, 283 ss. voudrait tout attribuer à Salmanasar.
,

Cf. WiNCKLER, Allorientalische Forschungen, II, p. 65 ss.

(3) RB., 1908. p. 509.


RB.. 1910, p. 66.
(4)

h] Sam [Sam] du premier signe, au lieu de «, rendue certaine par la variante


Lecture
Sa-am dans une inscription d'Asourbanipal (Delitzsch, Wo lag das Paradies. p. 286,\
(6y Ici, rénumération va du nord au sud. Dans les textes d'.\saraddon et d'Asourbanipal,

cil rénumération va du sud au nord, Samsimiiruna clrit la série des villes phéniciennes.
.

o08 REVUE BIBLIQUE.

et d'Asourbanipal. L'élément imiruna est le même que celui qui


figure dans la ville cananéenne de "jiia pICw" [Jos., xii, 20). Vient
ensuite le nouveau roi de Sidon, Tu-ba-'a-lu: puis celui d'Arwad
(A-ru-da) au nom bien ]ihémcien Aô-di-ii-'-ti, nxS'TZ"; celui de By-
blos [Gu-ub-la) dont le nom r-ru-mU-Jà (écrit "Sdin)
reparaîtra
comme grand-père de lehaiv-Milk. Le culte de Milk-Moloch était déjà
en honneur à Byblos au temps d'El-Amarna Parmi les villes de (1).
la Philistie, seule Asdoud [As-du-dd) Son roi, Mi-ti- est restée fidèle.
iii-ti, peut-être identique à l'ancien roi d'Ascalon contemporain de

Téglath-phalasar III (2), figure parmi les tributaires. Les pays du


sud et de l'est sont mentionnés comme au temps de Téglath-pha-
lasar III (3). La tribu des Ammonites dont la capitale est ^^K'im-
ma-na [k] « Maison d'Ammon » a pour roi Bu-dii-ilu (Sx""2) le pays ;

de Moab [Ma-a-ba] est gouverné par Kam-mu-su-na-ad-bi, c'est-à-


dire i^-^rns « Kamos est mon prince (5) » ; enfin le roi d'Édom
[U-dii-wn-ma] dans le nom duquel, Malik-ram-mu (m —jSc), reparaît
le dieu Moloch.
Après avoir reçu les présents et les hommages de ses vassaux
palestiniens, Sennachérib reprend sa marche vers le sud. Nous avons
vu que le centre delà résistance était Ascalon, avec son roi Sédécias.
« Ce Sédécias, roi d'Ascalon, qui ne s'était pas soumis à mon joug,
j'enlevai les dieux de sa maison paternelle, lui-même, sa femme, ses
fils et ses filles, son frère, la postérité de sa maison paternelle et je

l'emmenai au pays d'Asour (6). » Au temps de Téglath-phalasar III,


le gouvernement d'Ascalon avait été laissé par Mi-ti-in-ti. entre les

mains de son fils Rukibtu qui s'était montré fidèle vassal de l'Assy-
rie (7). Sennachérib retrouve le fils de Ru-kib-ti qui porte un nom
assyrien, Sarni-hi-da-ri « Le Roi certes est éternel »; il le replace
sur le trône et lui impose un tribut. On pille ensuite les villes com-
pHces de Sédécias, à savoir Beth-Dagan [Bît-da-gan-na], Jatfa [la-
ap-pu-u,Ia-pii-ii]^ Benê-Baraq [Ba-na-a-a-bar-qd]^ Azour [A-zu-rii] {^)
En môme temps qu'Ascalon, les habitants d'Akkaron s'étaient ré-
voltés. Nous avons dit plus haut comment Ézéchias s'était fait leur

(1) Lagrangk, ÉRS.'-, p. 102.


(2) BB., 1910, p. 197.
(3) RB., 1910, p. 198.
(4) Aujourd'hui "^Amniân.
(5) Kous retrouvons ainsi le dieu de Mésa, roi de Moab.
(6) Cylindre de Taylor, II, .58 ss.

(7) BB., 1910, p. 197.

(8) Cf. sup. la localisation de ces villes.


LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 509

partisan emprisonné leur roi Fa-di-i. Tous comptaient sur


et avait
l'appui de l'Egypte. A cette époque '701-700} la suprématie sur les
terres du Nil revenait au roi d'Ethiopie, tandis que le delta était
partagé en un certain nombre de royautés indépendantes. Sennaché-
rib spécifie bien que les gens d'Akkaron ont appelé à leur aiJe les <<

rois d'Egypte (Mu-su-ri) » et les troupes archers, chars et chevaux i

de guerre) « du roi d'Ethiopie [Me-luh-hi, Me-luh-ha) (Ij <>. Les ren-


forts arrivent et l'armée coalisée se cantonne à Al-ta-qu-u, c'est-à-
dire NTr^N ou ""T'N, ville lévitique de la tribu de Dan. Dans la suite

du récit, cette Al-ta-qu-u est mise en relation avec Ta-am-na-a qui


est la ville danite de ~:'27, aujourd'hui Tibneh au sud-ouest de W'in-
Sems (Beth-Sémés). C'est dans la grande plaine qui s'étend au sud
d'Akkaron iWqir) et à l'ouest de Timnà {Tibneh) qu'il faut localiser
Elteqeh, le champ de bataille où vont se heurter de front les deux
armées. L'issue n'est pas douteuse. « Grâce à la protection de mon
seigneur A.sour, je combattis avec eu\ et je les défis. Au milieu du
combat, mes mains prirent vivants le chef des chars et les enfants
d'un roi des Égyptiens, ainsi que le chef des chars du roi d'Ethio-
pie. J'assiégeai Elteqeh et Tamnà, je les pris et j'emmenai leur bu-
tin (2i. »

Débarrassé de ses ennemis, Sennachérib marche contre Alvkaron.


Il y entre sans coup férir, met à mort les instisrateurs de la révolte
et suspend leurs cadavres aux; murailles de la ville. L'ne partie de la
population est emmenée en captivité. Ceux des habitants qui n'a-
vaient pas pris part au soulèvement sont amnistiés. Le roi de Juda,
Ézéchias, s'empresse de relâcher son prisonnier, Pa-di-i, qui est ré-
tabli sur le trône comme vassal et tributaire d'Asour. Mais le roi
d'Assyrie veut infliger à Ézéchias un châtiment exemplaire. Il ravage
le pays de Juda, s'empare de quarante-six ailles fortes, sans compter
les bourgades cjui s'abritent autour de ces villes. Non moins de
-200.150 personnes sont à la merci du vaincfueur. avec leurs bètes
de somme et leurs troupeaux. On monte contre Jérusalem :

11 s'avance du côté de Riraraon,


il est arrivé à Aiath ;

11 a passé par Magron,


à Michaïas il laisse ses bagages;
Ils ont franchi le défllé,

ils ont campé la nuit à Géba.

(1) C.Nlindre de Taylor. II, 73 s.

(2) Ibid., II, 78 s.


1
REVUE BIBLIQUE-

Rama est dans répoiivante,


Gabaa de Saùl en fuite.

Pousse des cris, fille de Gallim;


écoute, Laïsa ;
réponds-lui. Anatoth !

Madména s'est enfuie:

les habitants de Gabim se sont sauvés.


Encore aujourd'hui il s'arrête à Nob;
il agite la main contre la montagne de Sien,

contre la colline de Jérusalem (1).

Ces strophes disaïe rendent bien l'impression que causa dans îa


ville sainte la nouvelle de la marche de Sennachérib. Le prophète
concrétise la rapidité de cette marche, en imaginant un itinéraire di-
rect du nord au sud et en faisant passer les troupes ennemies à tra-
vers des casse-cou comme ceux qui se trouvent enire .Michmas et

Géba. En fait, où monta Sennachérib. Il n'attei-


nous ne savons pai^

gnit Jérusalem qu'après avoir mis le pays à feu et à sang. Comme il


venait d'Akkaron ou de Timnà, il semble bien qu'il suivit la route
de l'ouest. Voici comment il raconte le siège de la ville « Lui-même :

(Ézéchias) je l'enfermai dans Jérusalem [Ur-sa-li-im-mu , Vr-sa-li-


im-ma) sa ville royale, comme un oiseau en cage. Je bâtis contre lui
des tours et quiconque sortait par la grand'porte de sa ^ille, je le
châtiais !2). » Ce qu'il y a de clair, c'est que l'assiégeant na put
s'emparer de la ville. Ézécbias, non content d'avoir rendu Pa-di-i,
s'engagea à payer de nouveau le tribut annuel et réussit à éloigner
le vainqueur. « Ses Ailles (d'Ézéchias) que j'avais razziées, je les
séparai de son pays, je les donnai à Mi-ti-in-ti roi d'Asdoud [As-du-
di à Pa-di-i roi d'Akkaron {Am-qar-ru-na) et à h-mi-cji (3) roi de
,

Gaza Ha-zi-ti, Ha-zi-it-ti) je diminuai son pays. » On voit que le


:

territoire enlevé à Juda doit se trouver à Touest et au sud-ouest de


Jérusalem. C'est par là que s'était faite l'invasion du pays. Jérusalem
est épouvantée. La garnison, dans laquelle figurent des Arabes,
Ur-bi (i fait défection (5). Ézécbias se résigne à payer le tribut
,
:

(1) /.«., X. 27'-32, traduction Condamin.


(2} Cyl. de Taylor, III, 20 ss.
(3) Nous lisons Is-mi-en au lieu de la lecture idéographique Sil-Bél généralement adop-
tée. Le signe final EN du détertninalif des noms de dieux. Il ne s'agit
n'est pas précédé
donc pas du Bel babylonien. S'il s'agissait du Baal cananéen, on aurait eu fia- 'a-ii comme
dans les autres cas. Le mot Is-mi-en a pour équivalence 'ï^ÇN ^'de :Cw*), forme paral-
lèle à celle du dieuEsmoun ''T'Cw'N).

(4; Sur les Arabes qui se sont unis aux Kaldu et aux Aramu .\rarnéen> dans la lutte

contre lassyrien en Chaldée, cf. siip.

[h] Lire ir-sil-û bat-la-a-ti « ils prirent congé » dans le cyl de Taylor, llf, 33.
LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. bll

(( Avec 30 talents dor. 800 talents d'argent, des pierres précieuses,


des collyres (l~i, de la pierre dag-gas-si^ de grands morceaux de por-

phyre, des lits divoire, des trônes de parade en ivoire, de la peau


d'éléphant, des dents d'éléphant, du bois à' usa et du bois à'urka-
rinnu, des vêtements bariolés, des tuniques de pourpre violette et
de pourpre roupe. des objets de cuivre, de fer, de bronze, de
jjlomb, des chars, des boucliers, des lances, des cuirasses, des poi-
gnards de fer, des ceintures, des arcs et des flèches, des armes de
guerre sans nombre, avec ses filles, ses femmes du palais, les chan-
teurs, les chanteuses, je les emmenai derrière moi à Ninive, ma ville
seigneuriale et il envoya ses messagers pour donner le tribut et
rendre hommage (2). »

Telle est la lin du récit assyrien. Ézéchias. assiégé mais non forcé
dans sa capitale, consent à payer un tribut, dont la partie la plus
onéreuse consiste en trente talents d'or et huit cents talents d'argent.
Qu'on veuille bien maintenant mettre en regard le récit de II Reg.,
xviii, 13-16 « L'an quatorze du roi Ézéchias, le roi d'Asour, Senna-
:

chérib, monta contre toutes les villes fortes de Juda et il les prit.
Alors Ézéchias, roi de Juda, envoya dire au roi d'Asour, à Lachis :

J'ai péché, retire-toi de contre moi : ce que tu m'imposeras, je le sup-


porterai. Et le roi d'Asour imposa à Ézéchias. roi de Juda, trois
cents talents d'argent et trente talents d'or. Ézéchias donna tout
l'argent qui se trouvait dans le temple de lahvé et dans les trésors
du palais. En ce temps-là. Ézéchias brisa les portes du temple de
lahvé ainsi c[ue les montants que le roi de Juda, Ézéchias. avait
recouverts |^de métal précieux] et il les donna au roi d'Asour. »> Cette
narration, conçue exactement comme celle de II Reg., xv. 19-20 in-
vasion de Poul forme un tout complet. Elle concorde de point en
,

point avec le récit assyrien de la campagne de TOI. On commence


par dire que Sennachérib a pris les villes fortes de Juda; ce sont
les quarante-six villes fortes du récit assyrien. Jérusalem n'est pas
prise, mais le roi accepte de payer le tribut au vainqueur. Ce triljut
comprend trente talents d'or et trois cents talents d'argent dans le
récit biblique, trente talents d'or et huit cents talents d'argent dans
le récit assyrien. La différence entre l'évaluation des talents d'argent
peut provenir de la divergence qui existait entre le système pondéral
babylonien et celui des Hébreux. En tout cas, la narration de II Reg.,

1) Lire ga-uh-U -= "Ti-, .


J..^^-
1 Compléter le récit du cyl. de Taylor 111, 34 ss.) par le teste des cylindres iiaralleles
classe B . Cf. Delitzsch, Lesestuche [y éd. , p. 60, n. 1 et Bezold, KB., Il, p. 96,
n. 3.
312 REVUE BIBLICJUE.

xviii, 13-16 donne un résumé de la campagne, tandis que les cylin-


dres de Sennachérib détaillent les faits par le menu.
Un point sur lequel on n'a pas suffisamment insisté, c'est que dans
le récit assyrien, dont l'énumération géographique est
complète
jusqu'à la minutie, pas dit un mot de Lachis. La bataille
il n'est
décisive a lieu à Elteqeh, les centres d'opération sont Akkaron et
Timnâ. Le silence est d'autant plus remarquable que, sur l'un des
reliefs provenant du palais de Ninive et aujourd'hui au Bntish Mu-
séum (1), on voit Sennachérib siégeant sur son trône et recevant les
dépouilles de Lachis. L'inscription gravée dans la partie supérieure
du relief ne laisse aucun doute sur la scène « Sennachérib, roi du :

monde, roi d'Asour, s'assit sur le trône de parade et le butin de


Lachis (La-ki-su) vint devant lui. » D'autre part, dans tout le récit
de II Beg.^ xvni, 17-xix, 8, le roi d'Assyrie est censé demeurer
devant Lachis, tandis que, dans II Reg.^ xviii, 13-16, il est venu

contre toutes les villes de Juda. On ne comprend pas pourquoi, dans


Il Beg., \\u\, H. les envoyés d'Ézéchias devraient se rendre à Lachis.
Tout porte à croire que le "w'-iS du texte hébreu, placé entre deux
paseq, a été introduit d'après le long récit qui commence au v. 17.
Si ce nC:S disparaît, toute la narration assyrienne de la campagne
de 701 concorde, d'une façon absolue, avec le récit biblique. Par
contre, le relief du palais de Ninive, avec son inscription, et le récit
de II Beg., xviii, 17 ss. sont en parfait accord. Sennachérib reste à
Lachis, c'est de là qu'il enverra ses officiers à Jérusalem. Lui-même
ne montera pas contre les villes de Juda. Il ira directement de Lachis
à Libnà, où il doit se mesurer (non plus à Elteqeh !) contre les troupes
égyptiennes. Son adversaire est le roi d'Ethiopie, Tirhâqà, qui n'a
pas régné avant l'an 693 et qui ne pouvait intervenir, dans la cam-
pagne de 701. Il nous semble donc que les épisodes de II Beg., xvui,
17-xix, 1 ss. font allusion non plus à campagne de 701 racontée
la

dans II Beg., xviu, 13-16 , mais à une campagne postérieure, dirigée


spécialement contre l'Arabieet l'Egypte (2). Outre le récit biblique

de Ninive, nous aurons à utiliser un fragment de texte


et le relief
cunéiforme (3) et un passage d'Asaraddon (V), sans compter le récit
(1) Assyrian saloon, n» 28; reproduit dans le Guide, pi. XV (p. 32-33); L.wauu, The
monu)iienls of Aineveli, II. pi. XXll; Maspeuo, llisloire ancienne..., III, p. 290.
(2) Les diverses opinions concernant la campagne de Sennachérib dans CoNDAiim, Bubij-

lone et la Bible (Dictionnaire d'A. d'AtÈs), col. 356. L'hypothèse d'une double campagne
est due à Winckler. Les plus récents travaux sur la question sont hostiles, sans raisons
cogentes, à celte hypothèse : Cf. Bremu, Ezechias und Senaclierib; N.\gel, I)er Ziig des
Sanherib gegen Jérusalem.
(3) WiNCKLKR, Keilinschriftliches Textbuch, p. 47.

(4) Prismes A et C, II, 55 ss.; cf. KD., II, p. 130-131.


LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. oi:i

d'Hérodote (U, lil dont l'accord avec le récit biblique de II Reg.,


xviii, 17-xix, 1 ss. est très frappant. Nous terminons donc la cam-
pagne de 701 sur le tribut envoyé par Ézéchias à Sennachérib et
le retour triomphal des armées assyriennes. L'heure du désastre
n'est pas encore venue.
A
peine de retour à Ninive, Sennachérib eut à organiser une nou-
velle expédition au pays d'Akkad. Retranché dans les marais du golfe
Persique, Mérodach-baladan II n'avait pas perdu tout espoir. Il pré-
parait un soulèvement général et peut-être est-ce à cette époque
qu'il envoyait jusqu'à Jérusalem son ambassade, trop bien reçue par
Ézéchias au gré du prophète Isaïe ill Reg., xx, 12_ss. et Is.y xxxix).
Le roi de Babylone, Bèl-ibni, avait été grisé par sa grandeur inatten-
due et avait trahi les intérêts d'Asour. Un autre aventurier, le Chal-
déen Sii-zii-bu, que nous retrouverons plus tard (Ij, errait aussi dans
les jonchères du sud (2;. Il avait pris pour centre d'opérations la
ville de Bittùtu dans On l'en délogea et il disparut
la basse Chaldée.
momentanément de L'armée repart ensuite pour le pays de
la scène.
Bit-Iakin où se retranchaient les bandes araméennes de Mérodach-
baladan II. Celui-ci n'eut que le temps de prendre ses Pénates et de
s'embarquer sur des vaisseaux qui le conduisirent à Nagiti-raqqi (3j,
sur la cote élamite. Sa famille et ses compatriotes qu'il n'a pu emme-
ner avec lui sont faits prisonniers et viennent, avec Bêl-ibni de Baby-
lone li;, triomphe du roi d'Asour. Sennachérib n'hésite pas
orner le

à placer son propre fils Asour-nadin-souma sur le trône de Babylone.


Nous sommes à la fin de Tan TOO.
L'année 699 est consacrée à réduire les populations toujours re-
muantes du Kurdistan \h On franchit les montagnes au nord de
.

Diarbekir et les principales villes du mont Nipoiu" (6) sont mises à


feu et à sang. De là incursion contre le pays de Daie, à l'ouest du lac
de Van, et prise de la capitale Ukkii quelque part du côté de Bitlis (7).

L'inscription de Sennachérib, actuellement à Constantinople. men-


tionne à la suite à'Ukku les pays de Hi-lak-kii et la ville de Til-ga-
rim-mu «. qui se trouve à la frontière du pays de Ta-ba-li » 8 . On

(1) Le « Chaldéen >« Su-zu-bu est le même que Ma-^èzib-Mardul; tandis que le >< Baby-
lonien » Su-zu-bu est lemême que Xergal-usézib, Cf. inf.
(2) Cylindre de Taylor, III, 42 ss.

(3) Delitzsch, Wo larj dus Parodies, p. 323 s.

(4) Cbronique babylonienne, II. 26 ss.

(5) Cylindre de Taylor, III, 66 ss.

(6) Sur ces villes et ces montagnes au nord de Diarbekir, Strece, Z.I.. XIII. p. 98 ss.

(7) Ibid., XIIL p. 107 s.


(8) Cf. Delitzsch, Wo lag das Paradies, p. 245 s. et Streck, ZA., XIV, p.- 170.
BETCE BIBLIQUE 1910. —
N. S., T. VII. 33
514 REVUE BIBLIQUE.

sait actuellement à quoi se réfère cette double allusion. Le nouveau


cylindre du British Muséum (n° 103000) raconte ces campagnes en
détail (1). Elles ne figurent pas dans les autres inscriptions, parce que
ce ne fut pas le roi lui-même qui marcha à la tête des troupes. L'expé-
dition contre la Cilicie eut lieu sous l'éponymie de Sulmu-Bêl, c'est-
à-dire en l'an 698, Le gouverneur de la ville d'Illoupri, en Cilicie,
soulève les gens de la capitale, Hi-lah-ki (= Cilicie). Tarse [Tar-zi) et

Ancliialé [In-gi-ra-a] s'associent au soulèvement (2). Une armée expé-


diée par Sennachérib reprend les villes insoumises. L'instigateur de la
révolte, un certain Kiroua, est amené à Ninive et écorché vif. Une
stèle consacre, dans la ville d'Illoupri, la conquête assyrienne. Nous
avons vu ailleurs (3) comment les historiens x\bydène et Polyhistor
avaient, d'après Bérose, transmis la tradition d'un conflit entre Senna-
chérib et les Ciliciens. La fondation de Tarse, selon ces historiens, était
attribuée à Sennachérib (4).
Les documents sont muets sur les années 697 et 696. En 695 a lieu
l'expédition au pays de Tabal (5). A l'époque de Sargon, les pays de
Tabal (Si^n) et de Mouskou t'^^''^), qui s'étendaient à travers la Cappa-
doce jusqu'à la mer Noire, s'étaient révoltés à plusieurs reprises (6).
Les gens du Mouskou avaient été réduits par le gouverneur de Cili-
cie (7) en l'an 709, mais ceux de Tabal avaient profité de la révolte de
Cilicie pour se soulever à leur tour. Sennachérib envoie ses troupes
contre la ville de Til-garimme (8), l'une des frontières du pays de
Tabal. Le pays est saccagé. Les dépouilles consistent spécialement en
armes, car les Tibaréniens (c'est le nom que les classiques donnent aux
habitants du Tabal-Toubal) sont les frères des Chalybes, ces fameux
forgerons de la Noire, qu'on considérait comme les inventeurs de
mer
la métallurgie et de la fonte de l'airain (9).
Ainsi étaient pacifiées les frontières de louest et du nord-ouest.
Sennachérib n'avait pas quitté Ninive. Il savait que Mérodach-baladan II
pouvait reparaître d'un moment à l'autre et revendiquer l'empire babyr
Ionien. Réfugié, en l'an 700, sur la côte élamite du golfe Persique,

(1) RB., 1910, p. 235 ss.

(2) Ibid.
(3) RB., 1910, p. 233 s.

(4) Ibid., p. 234.


(51 Dans n" 103000, V, 1 ss.; Cuneiform texls..., XXVI, pi. 17.

(6) RB., 1910, pp. 379 et 387.


(7) Ibid., p. 387.

(8) Ibid., p. 192 et p. 381.


(9) Excellente dlsserlation sur les Tibaréniens, Moschiens, Chalybes, dans Bochart, Plia-
leg et Canaan (éd. 1707), col. 179 ss.
LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 515

l'usurpateur se préparait à tenter de nouveau la fortune. L'Elam à


'est, la Chaldée au sud , telles étaient les préoccupations les plus
graves de Sennachérib et il pouvait se contenter d'envoyer ses géné-
raux au loin, prêt à marcher lui-même contre les ennemis les plus
redoutables. Il avait résolu d'envahir par mer le territoire où s'était
réfugié Mérodach-baladan IL Les prisonniers ramenés de Phénicie
(pays de Hattouj, Ty riens [Sur-ra-a-a), Sidoniens {Sî-du-na-a-a) et
Chypriotes {Ia-[at-nd\-na-a-a), furent chargés de la construction des
vaisseaux (1). Les deux grands chantiers furent Til-Barsip (2) (même
villeque Kar-^ulmànu-aiarid , aujourd'hui Biredjik) et Ninive. Les
vaisseaux de Ninive descendent le long du Tigre jusqu'à Opis, d'où on
les charrie sur des traîneaux vers le canal Arahlii, par lequel ils attei-

gnent l'Euphrate (3i. Les autres vaisseaux viennent directement le


long de l'Euphrate depuis Biredjik. On descend jusqu'à Bdb-salimeti,
qui est seulement à quatre heures du golfe Persique. La tempête arrête
la flotte durant cinq jours et cinq nuits. Après un sacrifice, le roi jette
dans le golfe Persique un petit vaisseau dor, un poisson d'or, un
alluttu (sorte de monstre marin) d'or (4). On arrive enfin à l'embou-
chure de l'Eulaeus, en plein territoire élamite (5). Les Araméens de
Mérodach-baladan II et leurs alliés d'Élam sont taillés en pièce. On
ramène les captifs sur les vaisseaux (6). Puis, au lieu de se reposer, le
roi marche contre le Babylonien Su-zu-bii, qui n'est autre que le Ner-
gal-usêzib de la chronique babylonienne. Ce personnage avait profité
des troubles en Chaldée et de l'appui de l'Elam pour usurper « la do-
mination de Soumer et d'Akkad » (7). Le propre fils de Sennachérib,
Asour-nadin-souma, avait été emmené en captivité au pays d'Élam.
L'armée assyrienne met la Babylonie à feu et à sang. L'usurpateur,
Nergal-iiûêzib, est fait prisonnier et emmené en Assyrie. Ces événe-
ments n'avaient pas pris plus de deux ans (694-693). Sur la fin de l'an
693, Sennachérib marche de nouveau contre l'Élam, reprend les villes
frontières de Blt-hairi et de Rasa, s'empare de trente-quatre villes

(1) Le récit de ces préparatifs dans III R., 12, Slab 2, \. 13 ss. Cf. Smith, History of Seri"
)mcherib, p. 89 ss.

(2) RB., 1910, p. 180 et Delitzsch, Wolag dus Parodies, p. 263 s.


(3) Cf. la traduction de Scheil, dans de Morgax, Mémoires de la Délégation en Perse,
I, p. 18 s.La flotte est représentée sur les reliefs de Ninive, aujourd'hui au Brilish Muséum,
Cf. Maspero, Histoire ancienne..., IIl, p. 301.
(4) Sur le sens de alluttu, cf. Meissner, MDYG., 1905, p. 247 et Frank, ZA., XXII,

p. 108.

(5) Sur celte marche à travers l'ancien lit du golfe Persique, cf. de Morgan, Mémoires
de la Délégation en Perse, I, p. 20 ss.
(6) Cylindre de Taylor, IV, 26 ss.

(7) Ibid., \. 35 ss. Chronique babylonienne. II, 36 ss.


516 REVUE BIBLIQUE.

fortes, mais, au début de Tan 692, est obligé de revenir sur ses pas à
cause des pluies et des neiges. Un ancien usurpateur, que les textes
assyriens appellent encore Sii-zii-bu [i), mais en spécifiant qu'il s'agit

de Su-zu-bîi le Chaldéen [Kal-cla-a-a) et non plus du Babylonien Ner-


,

gal-uUziby s'était assis sur le trône de Soumer et d'Âkkad. Une formi-


dable coalition entre les provinces élamites et l'empire babylonien
menace l'Assyrie. En691, les coalisés atteignent la ville de Haloulê (2).
L'armée assyrienne vient à leur rencontre. La chronique babylonienne
attribue la victoire aux Babyloniens, le récit de Sennachérib aux Assy-
riens (3).
Les inscriptions officielles s'arrêtent sur cette campagne de 691. La
chronique babylonienne mentionne ensuite la prise de Babylone qui
n'eut lieu qu'en 689. Par bonheur, un fragment d'inscription, récem-
ment signalé par le P. Scheil (i), nous renseigne sur le fait qui se
place chronologiquement après la bataille de Haloulê. C'est la cam-
pagne en Arabie! On en avait un écho dans les inscriptions d'Asarad-
don, où il était dit (5) « La ville ^ A-du-mu, ville forte d'Arabie
:

{A-ri-hi\^ que Sennachérib, roi d'Asour, le père qui m'a engendré,


avait conquise, je... et j'emmenai ses dieux au pays d'Asour. » Le
texte nouvellement découvert porte (6) « ... nu, reine des Arabes
:

{^A-ra-hï), à l'intérieur du désert... je lui enlevai ses chameaux; elle


avec Hazaël [Ha-za-ilu), [la crainte de l'éclat de mes armes] les abat-
tit; ils quittèrent leur tente, ils...; dans la ville à'A-du-um-ma-te,

pour (sauver) leur vie, ils s'enfuirent... dans A-du-um-ma-tii qui est
;

située au milieu du désert, ... endroit de soif, où il n'y a ni nourri-


ture, ni boisson ... » Il ne faut pas hésiter à identifier Adummat avec
la nai" biblique, qui correspond à Dùmat el-Djendel^ aujourd'hui

El-Djôf, à l'entrée du Nefoud (7). C'est bien le pays de la soif et des

(1) D'âpres les récits parallèles des documents assyriens et de la chronique babylonienne,
on Toit que le Chaldéen Suzubu correspond à Musézib-Marduk qui est M£crr,f7i[iopoaxoy du
canon de Ptolémée. Le Babylonien Suzubu est yergal-usézib, c'est-à-dire PriysgriXou du
canon de Ptolémée. Nous avions vu Suzubu le Chaldéen à l'œuvre dans les événements de
Tan 700.
(2) Sur le Tigre, non loin de Bagdad Delitzscu. Wo lay das Parodies, p. 207.
:

(3) Chronique babylonienne, III, 13 ss.; Cylindi'e de Taylor. V, 48 ss. Sur la bataille de
Haloulê et la bibliographie qui s'y rapporte, Maspeiîo, Histoire ancienne..., III, p. 307 ss.
"
(4) OLZ., 1904, col. 69 s.
(5) Prismes A et C, II, 55 ss.

(6) ScflEiL, Zû»d.; WmcKLER, Keilinschriftliches Textbuch, p. 47; Weber, Sanhe-


loc.
rib [Der aile Orient, VI, 3), p. 21. Le texte lui-même dans Vorderasiatische Schriftdenk'
maler du musée de Berlin, I, p. 75 (fin du n" 77), 1. 22 ss.
(7) Le nom de Adummat doit se rapprocher de rîDTN « la rouge «. On sait que la carac-

téristique des sables du Nefoud est leur couleur rouge. « La chose qui frappe d'abord dans
LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 517

chameaux. On n'est pas étonné d'y rencontrer une reine 1 . Quant à


Hazaël, il reparaîtra à l'époque d'Asaraddon. Par sa victoire contre
les Arabes, Sennachérib apparaissait non plus seulement comme roi
des Assyriens, mais encore comme roi d'Arabie. Or, précisément,
dans le récit d'Hérodote (II, lilj auquel nous avons déjà fait allusion,

le roi ^y:rj.y7.z'.iz: est « roi des Arabes et des Assyriens ». Il est très
vraisemblable que le grand monarque enrôla des Arabes dans son
armée 2i. Au lieu de retourner directement en Assyrie, il longe (3)
la lisière du désert, contourne le sud de la ' Arabah et vient manifes-
ter quelque part sur remonte jusqu'à
la frontière d'Egypte. Puis il

Lachis où il son camp. C'est de là qu'il envoie ses messagers


installe
à Jérusalem, vers Ézéchias. Le souvenir s'en était conservé dans une
double tradition II Reg., xviii, 17-xix. 8 et xix. 9-35). On savait les
titres des officiers envoyés par Sennachérib. C'étaient le "r""."^ turtâ-

nu, tartdnu) que nous connaissons déjà i , le c'":::-^'^ « chef des


eunuques », correspondant à l'assyrien rab-sariè (5j, et le "pï/''^"]

« grand officier », correspondant à l'assyi^len rah-iâqê (6;. Pendant

que Sennachérib faisait adresser ses insolences à Ézéchias, le roi


d'Ethiopie, Tirhàqâ 7), qui, depuis 693, avait pris la suprématie en
Egypte, arrivait par le sud. Pour l'arrêter, l'armée assyrienne vint
camper à Libnà. D'après Hérodote, i! serait venu jusqu'à la branche
pélusiaque du Nil 8 Le même historien prétend qu'une nuée de rats
.

se répandit dans le camp assyrien et que, pour cette raison, la statue


du pharaon ég\q3tien était représentée dans le temple, avec un rat sur
la main. Si l'on songe aux ex-voto que les Pliilistins envoyèrent avec
l'arche, en souvenir de leur peste bul)onneuse ('9), on reconnaîtra dans
ces rats les colporteurs de l'épidémie qui envahit le camp de Senna-

le Nefoud, c'est, répétons-le, sa couleur. Il n'est pas blanc comme les dunes de sable que
nous avons vues hier, ni jaune comme le sable de quelques parties du désert d'Egypte; il
est d'un rouge éclatant, presque cramoisi le matin sous l'humidité de la rosée » (Axna
Blo't. Pèlerinage an yedjed, dans Le tour du monde, 1882, I, p. 28».
(1) RB., 1910, p. 196, n. 5.
(2) Hérodote spéclfle qu'il s'agit de l'armée des Arabes.
'3) C'est ainsi que nous concilierons le récit d'Hérodote avec le fragment assyrien et*les
récits bibliques.

(4; RB., 1910. p. 377.


(5) Mtss-.\RN0LT, AHW., p. 947.

(6) Ibid., p. 1099.

(7) Son nom égsptien est Tarhuq; dans Manéthon, Tapaxo;. Sur la date de son aTène-
ment, Maspero, Hisl.oire ancienne.... III, p. 361.
18} Par une erreur de chronologie, le père de l'histoire place les événements au temps du
prêtre de Vulcain, Séthon.
(9j Cf. notre commentaire de I Sam., vi. 4.
518 REVUE BIBLIQUE.

chérib et à laquelle fait allusion le récit biblique (II Reg., xix, 35),
Les privations de l'armée durant son passage en Arabie, les eaux
malsaines dont elle avait dû se contenter, autant de causes qui
facilitaient la contagion.
A de cette catastrophe Sennachérib ne s'attarda pas en Pa-
la suite
de Ninive et y rentra au début de l'an 689.
lestine. Il reprit la route
La Ghaldée s'agitait de nouveau et l'usurpateur MuUzib-Marduk avait
relevé la tète, depuis la bataille indécise de Haloulê. Ce fut l'occasion
d'une seconde campagne à Babylone dont nous possédons le récit sur
l'inscription des rochers de Bavian il). La ville fut investie, le roi
fait prisonnier, les trésors saccagés. On alla même jusqu'à briser les
statues des dieux vaincus. « La ville et les maisons, de son fondement
à son sommet, je dévastai, je détruisis, je consumai par le feu. Le
mur et le rempart, les temples des dieux, les tours à étages en maçon-
nerie et enterre, tant qu'il y en avait, je les démolis et je les jetai
dans le canal Arahtou, En cette ville je creusai des canaux; leur terre
je la fis disparaître sous les eaux, j'anéantis le gros œuvre de ses fon-
dations, je les traitai pire qu'après un déluge. Afin que, dans l'avenir,
on ne trouve plus le sol de cette ville et des temples des dieux, je le
détruisis parTeau et je le rendis semblable à un marécage. >> Cette
destruction systématique de la ville sainte avait laissé une impres-
sion profonde chez les Babyloniens. La chronique babylonienne écrit
sans commentaire Le premier du mois de Kesleu, la Ville est
: «

prise. Mmêzib-Mardiik est pris et emmené en Assyrie (2). »


Ici s'arrêtent les documents officiels. Le sort de Babylone avait im-

pressionné tous les peuples limitrophes de l'Assyrie et les dernières


années de Sennachérib sécoulèrent sans guerres nouvelles. « Babylone
détruite, l'histoire de son vainqueur s'arrête un moment et, avec elle,
celle de l'Assyrie. Il semble qu'après un effort aussi puissant, Ninive
se sentît essoufflée et voulût reprendre haleine, avant de repartir
pour des conquêtes nouvelles; il semble aussi que les peuples, confon-
dus par l'immensité de la catastrophe, aient désespéré dès lors de leur
propre sécurité, et n'aient plus songé qu'à éviter tout ce qui pourrait
provoquer contre eux l'inimitié du maître de l'heure L'empire for- ,

mait au milieu d'eux comme un bloc compact et dur, que nulle force
humaine ne paraissait être capable d'entamer (3). » La chronique
babylonienne mentionne simplement que, la huitième année du

(1) Pour ce récit, cf. maintenant King, Records ofthe reirjn of Tukulti-Ninibl, p. ll-i ss,

(2) Chronique babylonienne, m, 22 ss.


(3) Maspero, Histoire ancienne..., III, p. 318.
LES PAYS BIBLIQUES LT LASSYRIE. 319

règne de Sennachérib à Babylone, c'est-à-dire en 681, au mois de


Tammouz, on ramena dans la ville d'Érech (f^>?//.,- aujourd'hui Warka >

les dieux qui en avaient été enlevés précédemment. I.a même année,

le 20 du mois de Tebet, une révolte éclate et Sennachérib est assas-

siné par son propre tils li. La Bible a conservé le souvenir de cette
mort : " Il arriva que tandis qu'il était prosterné dans le temple de
son dieu Nisrok, Adrammélek et Saréser le frappèrent du glaive,
puis ils s'enfuirent au pays d'Ararat.
Son fils Asaraddon régna à sa
place (2). » Comme
renseignements sont donnés après la mention
ces
du séjour de Sennachérib à Ninive (3 on a cru que l'assassinat avait ,

été perpétré dans cette ville. Mais un passage des Annales d'Asour-
banipal indique nettement que le meurtre eut lieu à Babylone. Il
s'agit de la conquête de Babylone en l'an 6i8. Voici comment s'ex-
prime le petit-fils de Sennachérib (i) « Le reste des gens, eux vi- :

vants, entre le sêdu et le lamassu (5!, où ils avaient massacré mon


grand-père Sennachérib, là même je massacrai alors ces gens comme
offrande funéraire pour lui, « Ce récit concorde avec le récit bibli-
que, en ce que tous deux signalent que Sennachérib a été assassiné
dans un temple. Comme la remarqué M. Winckler, ce temple doit
être celui de Mardouk à Babylone 6 Si l'on songe à la facilité avec .

laquelle le et le ~ ont permuté, on n'aura pas de peine à lire ~^r;


"i

au lieu du ~~3; biblique. A%'ec une rare perspicacité, M. Winckler a


reconnu que, par exemple dans *:: "2". on avait remplacé intention-
nellement la lettre z du nom du dieu païen "z: i^Nabû par la lettre
qui suit dans l'ordre alphabétique. Appliquant le même procédé aux
deux premières lettres du nom de ~"n"2 [Mardiik], on obtient ""w:,
d'où ~~r; et facilement "'--. Le fait que la chronique babylonienne
mentionne la mort de Sennachérib au 20 Tebet et ajoute que du
20 Tebet au 2 Adar l'Assyrie fut en état de guerre civile ne doit pas
être invoqué pour soutenir la théorie que Sennachérib est mort en
Assyrie 7, et spécialement à Ninive. Les assassins de Sennaché-
rib avaient dû fuir de Babylone mais avaient immédiatement soulevé
l'Assyrie. Lorsque le fils resté fidèle, Asaraddon, veut venger son
père, il marche, à étapes forcées, jusqu'à Xinive '8] et continue jus-
[Ij Chronique babylonienne, III, 34 ss.

(2) II Reg., xix, 37.


(3) II Reg., \ix, 36.
(4) Cylindre de Raàsani, IV, 70 ss.

(5) Les taureaux ailés à l'entrée du temple.


(6) KàT^., p. 85.

(7) Comme fait Delitzsch, Die Babylonische Ckronik, p, 34.


(8) Dans 111 R., 15: Delitzsch, LS.^, p. Ungnad, dans Gressîlvnn, Altor. Texte
70. Cf.
und Bilder, I, p. 122.
o20 REVUE BIBLIQUE.

qu'au pays de Hanigalhat, dans la Mésopotamie du Nord (c'est ce que


la Bible appelle Ara^-at). Selon nous, Asaraddon se trouvait à Baby-
lone avec son père. Les meurtriers quittent la ville après leur coup et
viennent en Assyrie. L'arrivée d'Asaraddon les oblige à quitter Ni-
nive et ils se replient vers le nord. Dans le texte de II Reg., xix, 37,
les deux assassins sont Adrammélek et Saréser; dans/?., xxxvii, 38,
on spécifie qu'ils sont « les fils » de Sennachérib dans la clironique ;

babylonienne on dit que Sennachérib est assassiné par son fils dans ;

Bérose (1) un seul fils dont le nom est Ardimmzane. Or, l'éponyme
de l'année 68*2-681 est un certain Nabù-sar-usw\ Tout porte à croire
que le nom nsTNiri du texte biblique est un succédané de "lïN'Ityiz:.
L'élément 12: est tombé, par haplograpliie, après 1J3 qui, dans le
texte primitif (cf. \'^ii dans Is., xxxvii, 38), suivait "jSa-nx (2). Le texte
complet était iïNnt'i2:i 1:2 "Samx. Le nom de -Sdttn doit se lire
jSaTIN (cf. Ardumuzane de Bérose). M. Johns a fait remarquer que,
depuis l'an 694, le prince héritier était Arad-Bêlit (3). En assyrien
on interchange les appellations de Bêlit « Souveraine » et de Malkat
« Reine », si bien que le nom du fils de Sennachérib a pu être lu

Arad-Malkat. Les chefs de la rébellion, les assassins de Sennachérib,


ont été son fils aîné, Arad-Bèlit ou Arad-Malkat ("S^ITn), et l'un des
principaux officiers, l'éponyme de l'an 682-681, Nabû-sar-usur
(lïNIkL*). Comme son père Sargon, le grand conquérant périssait de
mort violente. Le parricide ne jouit pas de son forfait, car l'un de ses
frères, Asur-aha-iddin (Asaraddon) allait venger son père et ceindre
le diadème de Babel et d'Asour.

[A suivre) [k).

P. Dhorme.

(1) Cité dans la Chronique d'Eusèbe (texte armén.). Le passage dans Muller, Fragm.
hist. graec, II, p. 504.
(2) Conjecture très heureuse de Rost, citée dans KAT.'\ p, 84, n. 3.
(3) Johns, Assyrian deeds..., I, p. xiv.

(4) Le prochain article sera accompagné d'un schéma géographique qui permettra de
suivre plus facilement les campagnes des rois d'Assyrie.
MÉLANGES
I

NOUVELLE INSCRIPTION MINÉENNE D'EL- ELA.


DE DAN

Au printemps dernier, la Société Française des Fouilles archéolo-


g-iques voulait bien nous confier une troisième Mission en Arabie,
dans le but d'achever l'étude des ruines de Hereibeh (1) et d'explorer
méthodiquement le village del-'Ela. Grâce au très bienveillant ap-
pui du gouvernement français et du gouvernement de Constanti-
nople, que nous nous faisons un devoir de remercier ici, nous avons
pu réaliser notre projet et pénétrer enfin dans l'oasis d'el-'Ela dont
l'accès nous avait été interdit jusqu'à ce jour. Nous avons rapporté
de ce voyage nombre d'inscriptions minéennes et lihyânites qui se-
ront publiées ultérieurement. En attendant, la Société Française des
Fouilles archéologiques veut bien nous autoriser à communiquer aux
lecteurs de la Revue un texte minéen de nature à les intéresser plus
spécialement à cause de sa relation avec la Bible. >'ous exprimons
toute notre reconnaissance à ceux qui nous ont ainsi obligés.
Le texte en question (fig. 1 et 2) appartient à un débris de stèle fu-
néraire actuellement encastré dans le mur dune maison, auprès de la
citadelle dite Umm bonne fortune excessivement rare
Xaser. Par une
en pareil cas, l'inscription est complète et dans un état de conserva-
tion très satisfaisant. Les lettres, un peu négligées comnie forme,
mesurent en moyenne 0'°,0i de haut. Quelques-unes ont un peu souf-
fert, mais toutes sont parfaitement reconnaissables, de sorte qu'il n'y a
aucune difficulté de lecture et qu'on peut considérer comme assurée
la transcription suivante :

•Sn ]
^r I
SsriN I
irz: .1

-2 I
ïr.rz-y I
]V£n I
2- .2

î I
n£:-ûï I
nniii [ p .3

1"- an^N 1
ri"!23 .4
i

-^
IP
Nous proposons de traduire :

(1) Voir RB., 1909, p. 576 ss.


522 REVUE BIBLIQUE.

/. Stèle de Wus'elfilsde 'El-ica-


3. hah de Yafaan qui est mort à
S. Bedan, au mois de Tanafat, sous
4. le kabir Wijtam de Wra-

5. qan.

L. 1. — irE; en minéen semble avoir la même signification que

Fig. 1. — El-'Ela. Inscription niinéenne. Phot. de l'estampage.

le nefes nabatéen. C'est le cippe dressé sur un tombeau et destiné à

rappeler le souvenir du défunt. Le mot ir^j se trouve aussi dans les


inscriptions lihyânites de Hereibeh, — SNilf*N', nom propre formé de

"tI v^ > ®n I ^ ci

1
\V>nh
- - - 0'"^^

Fig. 2. — El-'Ela. Inscription minéenne. Fac-similé de l'estampage.


MELANGES. 523;

deux éléments bien connus de cix répondant à l'arabe : \.^', « don,


présent », et de ^n, « Dieu ». in"bx, « 'El a donné », — nom propre
dont la signitication est la même que celle du nom propre précédent.
On trouve aussi et même plus souvent bain"] (1) qui se rencontre si
fréquemment en nabatéen sous la forme "inSNim.
L. 2. — 'i"î:"~:
le" si fréquent dans les inscriptions et les graffites
d'el-'Ela, parait exprimer la plupart du temps une simple relation
d'origine, bien qu'il soit susceptible aussi d'autres sens. Cette parti-
cule reparait jusqu'à cinq fois dans ce petit texte et avec différentes
acceptions intéressantes à noter. Notre inscription nous avertit que
'El-wahab est de Yafa'an. Ce dernier mot apparaît souvent dans les
anciens textes de la région que nous étudions. Il se trouve aussi
dans d'autres textes provenant de l'Arabie du Sud Halévy, 477, 2 et :

520, 2 (2); malgré tout, il reste dans l'indétermination. Mordtmann


[Beitrdye..., p. 29 s.) a montré que yjZ'' ne pouvait être qu'un nom
propre de lieu. La racine arabe ;^> signifie être élevé et 7Jl> veut dire
colline. Est-ce que ">£'' serait à l'origine une région montagneuse? La
Bible (Jos. xiii, 18) connaît une ville de t\'JZ^^ qui n'a rien à faire avec
notre "j"î:% mais dans les deux cas on remarquera la même racine sé-
mitique "S''. —n '21 ; est ici un
Le verbe V 7 a conservé la relatif.

scriptio plena, ce qui peut paraître un peu surprenant. Néanmoins,


étant donné qu'il s'agit d'un nefes, il ne semble pas possible d'inter-

préter ici autrement le mot n**2 que par un parfait de la f® forme


du verbe v._:^s mourir. —
piz. On ne pouvait nous donner un ren-
seignement plus précis 'Aws'el, originaire de 1^2% est mort à Dedan,
:

où on dut l'enterrer et où nous avons retrouvé la stèle qui fut érigée


sur son tombeau. La nécropole de Hereibeh semble être en grande
partie l'œuvre des Lihyànites il serait cependant téméraire d'affirmer
;

que les Minéens n'ont pas employé le même genre de sépulture, des
chambres ou des foprs creusés dans le flanc de la montagne (3).
Parmi ces tombes vides dont nous apercevons aujourd'hui les ouver-
tures béantes au nord-est de l'oasis d'el-'Ela, plusieurs pouvaient
bien appartenir aux Minéens. Une inscription gravée entre deux
sortes de sphinx au-dessus d'une de ces sépultures est en minéen et

parle de tombeau. La tombe de 'Aus'el pouvait être comme cette der-


nière un simple four creusé dans la paroi du roc. L'inscription eût

(1) MùLLER, Epigraph. Denlnnnler, v 6, xvui 3, xlvii.


(2) Le Yafa'an de ClU., 256, 4, qui est un château ou une maison de la ville de "tyj^
paraît être distinct du Yafa'an qui nous occupe.
(3) RB., 1909, p. 577.
o24 REVUE BIBLIQUE.

été gravée sur une dalle fermant l'entrée du four ou sur une pierre
encastrée dans la maçonnerie, si l'ouverture de ce trou était bouchée

par un mur. On pourrait croire aussi que les Minéens pratiquaient la

sépulture en terre et dressaient sur la tombe une stèle portant l'ins-


cription funéraire. — On rapprocherade la cette épitaphe de celle
mère de Ka'abu, morte au Heger i Lorsque quelqu'un mourait dans .

un lieu qui n'était pas son pays d'origine, on mentionnait cette par-
ticularité dans Imscription gravée sur sa tombe.

L. 3. — r£:'j:~; à notre connaissance, ce nom de mois n'a pas encore


été trouvé dans les inscriptions minéennes. Si on voulait rapprocher
ce mot de l'arabe ii'jJs, « abstinence », on aurait peut-être le nom
d'un mois pendant lequel il eût été interdit de prendre part à une
expédition guerrière. On connaît la pratique des anciens Arabes qui
regardaient comme
toute prise d'armes pendant certains mois,
illicite

durant mois de 7'adjab surtout. On pourrait supposer encore qu'il


le

est fait allusion à un mois spécialement consacré au jeune, dans le


genre du ramadan actuel, que Mahomet n'aurait pas entièrement in-
venté. Ici, comme dans beaucoup d'autres cas, le prophète n'aurait
fait que conserver ou modifier une pratique religieuse bien anté-

rieure à l'Islam.
L. +. — 2P*N I
rrzz~: ce kabîr'Aytam n'est pas mentionné ailleure. La
formule ordinaire des dates renferme, à côté du nom du kabir. le
nom du roi de Ma in. Ici on a cru de mentionner sim-
qu'il suffisait
plement 'Aytam qui était peut-être le gouverneur de cette région.
L. 5. — "7^"~ Araqan parait être un nom de lieu on pourrait songer
; :

aussi à un nom de clan ou de famille. En Arabie, on connaît plusieurs


localités appelées ^j=- \aqct, Mustariq, ad verbwn, et Mîi^ga?n, III.

G50). D'après Hamdany [Djaziret, p. 51, 1), l'arabe yj<j='^ désigne

tout terrain qui se trouve à proximité de l'eau douce ou de la mer;


p"'" indiquerait donc des terres basses par opposition aux plateaux
élevés, neyed, ou aux montagnes, gibdl. Cette distinction est men-
tionnée dans une inscription sabéenne [CIH., 67, 18), où nous
voyons un certain Halfan demander à son dieu protecteur, Hagar, de
luiaccorder, à luiet à sa famille, a des fruits excellents dans leurs

terres basses et dans leurs terres hautes w'^rrin"":*" |


"znp"'" |
l*2~ï"!N | Sa.

Peut-être serait-il téméraire d'établir un rapprochement formel entre


notre p-'V et le du Corpus, de même qu'entre
;:-'•;'
yjz" et rh": mais il

est bon cependant de signaler cette coïncidence.


(1) Jacsscn et Savignac, Mission arch. en Arabie, I, p. 172 ss.
MELANGES. 523'

Bien que l'explication et la détermination de quelques noms restent


incertaines, ce petit texte est néanmoins d'une réelle importance pour
ridentification de l'antique Dedan. Si la stèle n'est pas in situ, elle

n'a pas été apportée de bien loin à la place qu'elle occupe aujour-
d'hui. Selon toute vraisemblance, elle provient des ruines de He-
reibeh comme la plupart des autres matériaux employés cà la cons-
truction du village actuel d"el-'Ela. Il n'est donc pas téméraire,
croyons-nous, d'alfirmer que c'est à Hereibeh, ou du moins dans les
environs immédiats d'el-'Ela, qu'il convient de rechercher l'empla-
cement de Dedan. De même que nous avons retrouvé au Heuer la
tombe de Raqûs « morte au Heger », de même, semble-t-il, c'est à
Dedan que dut être enseveli 'Aws'el « mort à Dedan ». Du reste l'ins-
cription qu'on vient de lire ne constitue pas le seul argument épi-
graphique à faire valoir en faveur de l'identitication proposée.
Parmi les inscriptions rapportées d'el-'Ela par Euting et interpré-
tées par Miiller, il en est une qui fait mention d'un « temple de Wadd
à Dedan ». Ce texte étant très mutilé, on pouvait hésiter pour savoir
si ledit temple de Wadd était bien là où on avait découvert ce frag-

ment de dédicace. Millier se demandait même s'il ne fallait pas in-


terpréter les mots '""2 T nn'in par « dans le temple de Wadd-
1 I

Baddan », c'est-à-dire « dans le temple de Wadd de Baddan ". La


nouvelle épitaphe de 'Aws'el montre assez clairement qu'il s'agit du
temple de Wadd érigé à Dedan et de plus que c'est bien à Dedan que
l'inscription a été trouvée.
Le nom de ]" se lit encore dans plusieurs autres inscriptions mi-
néennes ou lihyànites que nous avons estampées dans la même ré-
gion. Une de ces dernières donne même le nom d'un roi de Dedan :

I
]" -j'rz I
-NyP'Z ]z 1
"-N^z:.

Dès maintenant, il parait donc assez légitime de conclure que d a-


près l'épigraphie. l'oasis d'el-'Ela a porté autrefois le nom de Dedan.
Mais quel était ce Dedan? Faut-il le rapprocher de celui ou de ceux
dont parle la Bible?
Les listes généalogiques des peuples primitifs données par la Genèse
et le premier livre des Chroniques font mention de deux tribus de

Dedan, ou tout au moins renferment une double tradition relative à


lorigine de ce peuple. D'après Genèse x, 7 et I Chron. i, 9, Dedan est
un Cusite fils de Ra'emah, frère de Sebà (lu Le chapitre xxv de la
Genèse, daccord avec I Chron. i, 32, le range au contraire parmi les

'1) Gen. 10, 6 s. et I Chron. 1. 8 s. « Les fils deCham furent : Cus, Misraim,Put et Ca-
naan. Les filsdeCus, SebiL Havilah, Sabtah, Ra'emah et Sabtecà; et les fils de Ra'emah,
Sebà et Dedan... »
S26 REVUE BIBLIQUE.

descendants de Sem (1) c'est un fils de loqsan, l'un des six enfants que
;

donna à Abraham Qeturah. Néanmoins, dans ces deux derûiers pas-


sages comme dans les deux premiers, Dedan est toujours accouplé
avecSebâet ceci porterait à croire, au premier abord, qu'on a affaire
dans les deux cas au même individu ou à un même peuple sur l'ori-
gine duquel la tradition aurait varié avec le temps.
Le nom
de Dedan reparait seulement dans les livres prophéti-
ques : Isaïe, Jérémie et Ézéchiel. Nous le trouvons mis en rap-
dans
port, tantôt avec Édom et Teiman, d'autres fois, enfin, avec certains
peuples qui semblent appartenir plus spécialement à l'Arabie du Sud.
Jérémie, dans son oracle contre Édom, s'exprime ainsi (2) « N'y :

a-t-il donc plus de sagesse dans Teiman?... Fuyez, tournez le dos,


faites-vous des creux pour y habiter, habitants de Dedan; car j'a-
mène Ésaû à nu, je dévoilerai ses
la calamité surÉsaii... Je mettrai
retraites cachées et ne pourra plus se dérober à la vue. Us ont péri
il

ses descendants, ses frères et ses voisins et ils ne sont plus. » Quel-
ques versets plus loin le prophète ajoute « Écoutez le décret de :

Jahvé qu'il a décrété contre Édom et les desseins qu'il a médités contre
les habitants de Teiman... Au bruit de leur chute la terre" est ébranlée
et leurs clameurs sont entendues au bord de la mer Rouge. »
On peut rapprocher ce passage de Jérémie de la prophétie d'Ézé-
chiel contre les Édomites (3) : « Ainsi parle Jahvé : J'étendrai ma
main contre Édom et j'en détruirai les hommes et les bêtes; je ferai
une ruine depuis Teiman jusqu'à Dedan; ils périront parle glaive. »
Ces dernières menaces, quoique moins poétiques et moins détaillées
que les précédentes, ne sont guère pour cela moins explicites, et les
deux prophètes, on le voit, s'accordent pour représenter les malheurs
d'Édom comme devant être communs à Teiman et à Dedan.
Maintenant, c'est en relation avec Teimà qu'Isaie parle de Dedan :

« Dans la brousse, le soir (i), vous camperez pour la nuit, caravanes

des gens de Dedan. Portez de l'eau au-devant de celui qui a soif, ha-
bitants de Teimâ; accourez (5) avec du pain à la rencontre du fugi-

(1) Gén. 25, 2 s. «Et (Qeturah) lui enfanta Ziniran, loqsan, Medan, Midian, Isbaq et
:

Suah, Et loqsan engendra Sebàet Dedan. » —


IChron. 1, 32 :« Les fils qu'enfanta Qeturah
concubine d'Abraham furent Zimran. loqsan, Medan, Midian, Isbaq
: et Suah. Et les flls
de loqsan furent Sebâ et Dedan. »
'2) Jér. 49, 7 ss.

(3) Ézéch. 25, 13 ss.

(4J Nous suivons la leçon des versions, 2"""2 « au soir », de préférence à celle du TM.
yi'JI « en Arabie ».

(5) 10"p au lieu de ^^Tp


MELANGES. 527

tif. Car ils fuient devant les. glaives... Ainsi m'a parlé Adonaï :

Encore une année comme les années du mercenaire et elle a disparu


toute la gloire de Qédar » (Is. xxi, 13 ss. Que cet oracle soit di-
.

rigé contre l'Arabie ou contre Edom ainsi que semblent lavoir


compris les Septante (1), les caravanes de Dedan nous apparaissent
comme s'enfuyant à travers le désert et plus ou moins dans la direc-
tion de Teimà. Les broussailles ou les bois dans lesquels elles se blot-
tissent pour passer la nuit sont sans doute ces fourrés de talhas et
d'autres arbustes qu'on rencontre parfois au fond de certaines vallées
mieux arrosées et qui servent assez souvent de cachette aux Ara-
bes (2). L'invitation faite aux gens de Teimâ de porter de l'eau et du
pain aux fugitifs répond à ce qui se pratiquait encore naguère sur de
nombreux points du derb el-IIadj ou du chemin suivi par les pèlerins
de Syrie se rendant à la Mecque. C'est ainsi, par exemple, que lors du
passage de la grande caravane, les habitants d'el-'Ela se transpor-
taient au-devant des hadji, à Médàïn-Sàleh, pour leur vendre des dat-
tes et des fruits (3), tandis que les gens de Teimà, de leur côté, allaient
les attendre, avec les bédouins des environs, à Mo'azzam, au Hesem
Sana' ou à Dàr el-Hamrà.
Jérémie, énumérant les nations auxquelles il doit présenter à boire
la coupe de la colère de Jahvé, signale entre autres Dedan, Teimâ et
Buz » (Jérém. xxv, 23).
Dedan reparait encore plusieurs fois dans Ézéchiel. C'est d'abord
à propos des peuples qui trafiquaient avec Tyr [ï). Javan, Tubal et
Me-sek, nous dit le prophète, fournissaient à cette grande ville des
esclaves et des vases d'airain. De Bet-Togarmah on amenait sur ses
marchés des chevaux, des cavaliers et des mulets. Les Benè-Dedan
étaient ses trafiquants des iles nombreuses faisaient le commerce
;

avec elle et payaient avec de l'ivoire et de l'ébène. Le pays d'Aram,


de Juda et d'Israël, Damas, etc., lui apportaient chacun leur produit.
La mention de Dedan en compagnie des iles, entre Bet-Togarmah,
identifié avec l'Arménie, et le pays d'Aram, a fait supposer qu'il fal-
lait lire au v. 15, avec les Septante, ]"1 •:2 au lieu de ]~~ 'zz et voir

là des Rhodiens, et non des Dedanites. Cette correction, fort sugges-

(1) Les LXX n'ont pas les deux mots par lesquels débute le v. 13 dans T.M., 2"l"2X*w«.
Ils rattachent ce verset à l'oracle précédent dirigé contre Édom, d'après le grec, contre
Dùmah, d'après l'hébreu. La leçon du TXI. i"î:2TT N*ù?î2 parait préférable à celle des LXX ;

Tô La confusion du nom propre est facile à expliquer. Dùmah


ôpou.ar/i; 'Ioo'ju.a;cx;. = l'oasis
du Djôf, située à sept ou huit jours de marche au N. de Teimà.
(2) Jaissen et Savicnac, Mission arch. en Arabie, p. 91.

(3) HuBER, Joio'nal d'un voyage en Arabie, p. 406.


(i) Ézéch. 27, 15.
528 REVUE BIBLIQUE.

tive (l),se heurte néanmoins à une difficulté sérieuse; c'est que l'i-
voire et Tébène, donnés comme un produit des iles auxquelles le
texte fait allusion, n'ont jamais été apportés à Tyr de Rhodes ni des
îles de l'Archipel. On tirait ces marchandises de l'Inde ou de FÉthio-
pie et il est impossible de croire qu'elles prissent le chemin de la mer
Egée pour arriver en Phénicie. Les caravanes d'Arabie étaient plus à
même que les vaisseaux rhodiens d'apporter sur les marchés de Tyr
de l'ébène ou de l'ivoire, qui abondaient sans doute dans les ports de
la mer Rouge. Mais si on conserve le texte tel quel, il faudra supposer
alors, semble-t-il, que Tordre géographique dans lequel on énumère
ces peuples commerçants n'est pas très rigoureux. Il ne servira pas à
grand'chose de remplacer din* au v. 16 par mx afin d'avoir un peuple
voisin de Dedan, car celui-ci restera toujours dans le voisinage de
Be't-Togarmah et des iles.

Quoiqu'il en soit de ces modifications du texte, il parait assez évi-


dent que dans ce chapitre xxvii d'Ézéchiel, les Benè-Dedan du v. 15
sont distincts du Dedan mentionné au v. 20 : « Dedan faisait avec toi
le trafic des housses de chevaux. L'Arabie et tous les princes de Qédar
faisaient avec toi le commerce des agneaux... Les marchands de Sebà
et de Ra'ema trafiquaient avec toi. » Ici le cadre géographique dif-
fère de celui qu'on avait quelques lignes plus haut, mais par contre il
répond assez bien à celui dans lequel on voit figurer ailleurs Dedan.
Citons un dernier passage emprunté encore à Ézéchiel. C'est à pro-
pos de la prophétie contre Magog (2). « Sebâ, Dedan, et les mar-
chands de Tarsis et tous leurs lionceaux (3) lui diront Est-ce pour :

piller que tu es venu, est-ce pour razzier que tu as rassemblé ta


troupe? » Une fois de plus on trouve mentionnés ensemble Sebà et
Dedan.
D'après ces renseignements fournis par la Bible, qu'était au juste
Dedan le nom d'une localité ou d'un peuple? Y en avait-il plusieurs
:

et où peut-on les placer?


Comme Teimà, dont l'identification et le site ne font plus de doute
pour personne, Dedap parait avoir été un point central en Arabie,
une ville ou une oasis plutôt qu'une simple tribu dispersée à travers le
désert. Du reste l'un n'exclut pas absolument l'autre. Les Dedanites

(1) On pourrait invoquer principalement en faveur de celte correction, Gen. 10, 4 et


I Chron. 1, 7, où il faut sûrement lire dans les deux cas niJTi ainsi que l'ont fait les
Septante. Du reste dans le TM. lui-même, 'iJTT de Gen. 10, 4 est devenu ''J"") dans
I Chron. 1, 7.

(2) Ézéch. 38, 13.

(3 Nous traduisons le TM. tel quel, mais la lecture n''1''2:: ne paraît pas soutenable.
MÉLANGES. o29

pouvaient très bien n'être pas tous concentrés dans un môme lieu
mais rayonner sur une assez vaste étendue autour de ce qu'on pour-
rait appeler leur capitale. Il semble même qu'il y ait eu plusieurs
capitales ou mieux plusieurs localités du nom de Dedan. Pour nous,
le Dedan de Jérémie xlix, 8 et d'Ézécliiel xxv, 13, étroitement lié
au pays d'Édom, doit appartenir à cette région et non point à l'Arabie
proprement dite. Ce serait une simple ville édomite comme Teiman
et Bosrà, mais moins importante que ces dernières. Que l'on rappro-
che, par exemple, le v. 8 de Jér. xlix, où on exhorte Dedan à se
retirer dans des cavernes, du verset 10, dans lequel on nous parle des
retraites cachées d'Ésaii, ou du verset 16 qui fait habiter Édom dans
les creux des rochers (1) et sur les sommets des collines, et l'on verra
qu'il s'agit partout de la même contrée montagneuse dont les anfrac-
tuosités de rochers constituaient aux jours de danger un asile sur
pour les habitants.
Ce Dedan édomite serait à chercher vers une des extrémités du pays,
à l'opposé de Teiman, ainsi que cela parait ressortir du texte d'Ézé-
cliiel rapporté plus haut (Ézéch. xxv, 13). Le site de l'antique Tei-
man échappé jusqu'ici à toutes les investigations (2i, mais on est ce-
a
pendant assez généralement d'accord pour placer cette localité dans
la partie nord du territoire d'Ésaii 3). Elle était identique selon toute
vraisemblance à la Themam de l'Onomasticon située dans la Gébalène,
à quinze milles de Pétra (i^. Dedan devrait donc se trouver alors,
semble-t-il, dans le sud d'Édom, du côté
Cependant l'Onomas- d'Aïla.
ticon croyait pouvoir le placer à quatre milles au nord des mines
de Faeno, aujourd'hui Khirbet Fénàn au N.-O. de Sôbak, et par con-
séquent à une distance assez considérable au nord de Teiman. Il
faut avouer que cette identification d'Eusèbe et de saint Jérôme ne
parait guère s'accorder avec les données bibliques, mais jusqu'ici on
n'a encore rien trouvé de mieux.

(1) L'expression y^DH ''"lini caractérise bien les abords de Pétra. l'antique Séla'. et il

nest guère douteux que l'auteur ne fasse allusion à ces sites pittoresques, véritables repai-

res de brigands. Néanmoins le parallélisme porte à voir ici dans "'icn un nom commun
plutôt qu'un nom propre.
(2) Le P. Lagrange a proposé autrefois d'identifier Teiman avec Chôbak, RB., t897. p. 217.
(3) Lorsque Jérémie dit (49. 20. 21' qu'on entendra jusqu'à la mer Rouge les cris des
gens de Teiman, ceci ne fait nullement supposer que Teiman était du côté de la mer. Ce se-
rait plutôt le contraire. Le prophète, pour marquer la grande désolation et le carnage qu
régnera ce jour-là dans Teiman, dit qu'on entendra les cris jusqu'à la mer Rouge ou jusqu'à
l'autre extrémité du pays. Ce texte peut être rais en parallèle avec celui d'Ézéchiel. 25, 13.
annonçant qu'Édom ne sera plus qu'un désert de Teiman à Dedan.
(4) S. Jérôme donne seulement le chiffre de 5 milles, Oaomastica sacra, éd. Lagarde,
156. 1, 3.

REVtE BlBLinuE 1910. — N. S., T. VII. 3i


530 REVUE BIBLIQUE.

En d'Édom portant le nom de Dedan, il devait y


plus de la ville
avoir. avons-nous dit, dans l'intérieur de l'Arabie, un autre Dedan qui
a été sans nul doute beaucoup plus important que le précédent. Il
est clair, en effet, pour tout le monde que l'ensemble des textes pré-
cités ne peut pas s'appliquer à l'ancien territoire d'Ésaû mais nous
conduit plus avant au sud ou à l'est, à travers la grande péninsule ara-
bique. En s'appuyant surisaïe xxi, 13, on est porté à aller cbercher ce
second Dedan du côté de Teimâ, au delà sans doute, en venant du nord.
Jérémie, xxv, 23, favorise aussi cette hypothèse, rendue encore fort
vraisemblable par la mention de Qédar à côté de Dedan (1 ). On sait

que Benê-Qédar, étroitement unis aux Nabatéens, habitaient dans


les
le voisinage de ces derniers et devaient errer par conséquent à l'est
d'Édom. Leur territoire pouvait correspondre plus ou moins à celui
de la grande tribu des Saràrât de nos jours, campés d'ordinaire entre
louàdy Sirhàn et el-Fedjer au N.-O. de Teimà.
Un autre peuple avec lequel Dedan est fréquemment mis en rap-

port, c'est Sebà son frère. nentre pas dans le cadre de cette note de
11

traiter la question de Sebà et de Sebà (n'2d et N2îr) et de déterminer


s'il y a eu un ou plusieurs peuples de Sebà. Néanmoins il est néces-

saire de faire quelques remarques en passant. Communément les


commentateurs admettent que le Sebà de la Bible est à placer dans
l'Arabie méridionale et répond au royaume sabéen, bien connu de
nos jours, grâce aux nombreuses inscriptions rapportées du Yémen.
L'identification est très vraisemblable pour ne pas dire sûre, du
moins dans certains cas; mais nous croyons qu'il a dû exister aussi,
beaucoup plus au nord, un autre Sebà, peut-être une colonie du
premier. Les Sabéens qui razzièrent les bœufs et les ânesses de
Job .lob, I, 15), ne venaient sans doute pas du sud de l'Arabie: on
pourrait en dire autant des voyageurs de Sebà mentionnés à côté
des caravanes de Teimà. Job, vi, 13. Glaser nous parait avoir été
bien inspiré en cherchant le souvenir d'un .Sebà dans le nom de
l'ouàdy es-Sabà (LUI), ouàdy situé, d'après Békri, sur le territoire de
Médine (2). Mais alors il devient tout naturel de rapprocher de ce
Sebà Dedan cité à côté de Qédar et de Teimà et de localiser par consé-
quent ce Dedan entre Teimâ et Médine. C'est ce qu'avait fait Glaser
qui considérait les Dedanites comme une tribu établie dans les envi-
rons de Khaybar, el-'Ela et el-Heger, s'étendant peut-être jusqu'à

(1) Is. 21. 16: Êzéch. 27, 21.

(2) Glvsei;, Sliizze der Geschichte und Géographie Arabicns, II, p. 300.
MEL\AGES. 53 1

Teimà (1). La nouvelle inscription minéenne, donnée ci-dessus, per-


met de préciser davantage en localisant Dedan à el-'Ela même, ou du
moins dans l'oasis d'el-'Ela (2j. Du même coup cette inscription fortifie
aussi considérablement l'opinion d'un Sebà dans la partie septentrio-
nale du Hedjaz.
Personne, croyons-nous, ne fera difficulté pour reconnaitre que cer-
tainspassages bibliques comme Isaie xxi, 13, Jérémie x\v. 23, con~
viennent admirablement bien à l'identification de Dedan avec el-'Ela.
On peut en Chroniques i, 32; un
dire autant de Genèse xxv, 3 et de I

frère de Madian en
est très quelques jours de
l)ien placé, effet, à

marche de la côte nord-est de la mer Rouge, Mais difficilement on


localiserait dans la même région les peuples mentionnés dans Ge-
nèse X, 7 et I Chroniques i, 9. Quoique les rapports constants entre le
rivage oriental et le rivage occidental de la mer Rouge puissent expli-
quer jusqu'à un certain point l'existence de tribus cusites dans le nord
du Hedjaz, on sait cependant que c'est surtout dans l'Arabie du sud
qu'avaient lieu les migrations d'une côte à l'autre.
Quelque soit l'auteur du passage de la Genèse en question, le Dedan
cusite fils de Ra'emah et frère de Sebà ne peut pas se trouver dans les
environs de Teimà; il était, pensons-nous, plus au sud et cette fois
Sebà doit répondre au royaume sabéen du Yémen. Mais où faudrait-il
localiser alors ce Dedan
dans quels rapports était-il avec Dedan
(3)?
filsde Qeturah? Peut-être nous sera-t-il donné de traiter un jour la
question. Pour le moment nous ne la jugeons pas assez mûre et les
documents que l'on possède nous paraissent insuffisants. Espérons que
l'épigraphie sabéenne ou minéenne apportera bientôt là-dessus quel-
que nouvelle lumière 'V).

Jérusalem, juillet.

A. Jaussex et R. Savigxac.

fl) Op. lavdalo. p. 397. — Hartman.n, Die arub. Frarje. p. 381, suogère déjà l'identifica-
tion Dadan = el-'Ela.
i2 Quelle est cette ruine de Daïdan dont parle à plusieurs reprises le Dictionnaire bi-
hlique de Vigouroux (I, col. 861 ; 11, col. 1204 et qu'il localise d'une manière si imprécise
« dans le Hedjaz septentrional, à l'est de Teimà et au sud-est d'Aïla »? On a oublié de
taire figurer ce nom dans la carte qui accompagne l'article Arabie. 11 en eût valu cepen-
dant la peine.

(3 Legendre, dans le Dictionnaire biblique de Vigoureux, le localise, après plusieurs au-


tres, sur le golfe Persique, du côté des îles Bahreïn. —
Spkenger, Die aile (jeogr. Arab..
p. 113 s., cherche aussi Dedan dans la même région.
'4^ Dedan figure
déjà dans nombre d'inscriptions de l'Arabie du Sud comme nom de pays
ou nom de lieu. Cf. Glaser. S/nzze..., II, p. 397. 'Voir surtout l'inscription minéenne resti-
tuée par Homniel [SUd-arab. dirent., p. 117 qui parle de personnes amenées de Gaza, de
,

-Misr, de Yathrib et de Dedan. Dans ce texte Dedan doit être el-'Ela.


,32 REVUE BIBLIQUE.

II

EXPLORATION DE LA VALLÉE DU JOURDAIN

I. — GÉNÉRALITÉS. — LES DIFFÉRENTS NOMS DE LA VALLÉE.

Une croisière autour de la mer Morte appelait comme suite natu-


relle une expédition dans la vallée du Jourdain, sur les deux rives
du fleuve. Cette mer et cette vallée sont tellement unies par leurs
origines géologiques, leur situation géographique et leur rôle dans
l'histoire que la visite de l'une exige pour complément Texploration
de lautre. Il n'est pas difficile de constater, même de loin, que le
lit du Jourdain et le lac Asphaltite appartiennent à la même région,
qu'ils occupent l'un et l'autre une partie de la gigantesque tranchée
connue sous les différents noms de « vallée ». de « steppe », de
« cercle ». de < coupure », de « grande plaine », de « couloir », de
« crevasse ». A passer en revue ces diverses appellations, on s'aper-
çoit vite que les anciens ont été frappés autant que les modernes de
l'identité du bassin jordanien et du bassin asphaltite.
'Émeq ou vallée tout court se trouve appliqué dans la Bible au
creux de la mer Morte comme à la plaine du Jourdain (1). Si caracté-

ristique est par endroits la désolation de cette vallée qu'elle lui a valu
le nom à'Wrabah, c'est-à-dire de steppe. Une série de données scrip-
turaires très précises nous invitent à considérer comme parties inté-
grantes de T'Arabah le bassin inférieur du Jourdain, le lac de So-
dome et la dépression comprise entre le sud de ce lac et le nord de
la mer Rouge, dépression à laquelle, de nos jours, les indigènes ré-
servent le nom d"Arabah -2).

Le Kikkar ou cercle de territoire, dont l'étendue était plus restreinte

(1) p^y — Jos., 13, 19. Il s'agit de villes de Ruben situées sur la chaîne orientale du

bassin asphaltite; 27 localise Beth-Harani, Beth-Nimra, Soukkolh dans la vallée. /i^rf., 18,
28; 7, 1, 8, 12 indiquent des ramiticalions spéciales de la grande vallée.
(2) nzlV — Jos., 11, 16; 12, 1 ; 8, 14 désignent vaguement le Ghôr. II Sam., 4, 7 : les

meurtriers d'Isba'al venant de Galaad traversent l'Arabah pour se rendre à Hébron, c'est-
à-dire le pays plat depuis les abords du Jabboq jusqu'à la mer Morte. II Rcg.. 25, 4 ap-
pellechemin de l'Arabahile chemin de Jérusalem à Jéricho. Ezech., 47, 8 : le torrent
mystique qui sort du temple se dirige vers U'Arabah pour se jeter dans le lac salé. Deitt.,
Fi-;. 1- — Les dunes iiccidentales du Zur encaissant le lit du Jourdain.

Phot. JaiiSiun.

Fig. 2. — l.e CMurs inférieur 'iu /.eri|.i. dans le Gliôr.


MÉLANGES. 533

que celle de 1' Arabah, embrassait quand même les plaines du bas
Jourdain, le pourtour de la mer Morte et le pays envahi par elle. De-
puis Soukkoth jusqu'à Sodome et Sésor on se trouvait dans le Kikkar
du Jourdain ou le Kikkar sans autre détermination (1 ).
L'usage de désigner la vaste coupure jordanienne sous le nom de
Biqe'ah est le fait d'une basse époque (2). A la « grande Biqe'ah »
du Talmud correspond la « grande plaine » des Juifs hellénisants.
Nommé en passant par le premier livre des Macchabées (3, ce \}.i';x
-EOiiv est dans Josèphe l'objet d'une description qui fournit une in-
troduction excelîente à l'étude détaillée du Ghôr. Il dit de Jéricho
qu'elle est « dominée par une très longue montagne dénudée et stérile
qui s'étend, vers le nord, jusqu'au territoire de Scythopolis et au
sud jusqu'à la région de Sodome et aux extrémités du lac Asphaltite.
D'un profil tourmenté, cette montagne est sans habitant parce qu'im-
jîroductive >'. Vis-à-\"is de cette chaîne, l'historien en place une autre
dune direction parallèle débutant, au nord, à Julias et courant, au
midi, jusqu'à Somora qui confine à Pétra d'Arabie. A cette chaîne, <<

poursuit Josèphe, appartient le mont de Fer qui s'étend jusqu'à la

Moabitide. La région située entre les deux montagnes s'appelle la


grande plaine, allant du bourg de Ginnabris jusqu'au lac Asphaltite.
Sa longueur est de 1.200 stades et sa largeur de 120. Le Jourdain la

coupe au milieu; elle renferme deux lacs de nature toute différente :

r Asphaltite et celui de Tibériade. l'un salé et sans vie. l'autre doux


et fécond. En été, la plaine est ardeurs du soleil:
dévorée par les
aussi l'excès de la température y entretient-il une atmosphère mal-
saine. Toute la contrée est privée d'eau sauf les rives du Jourdain;
c'est pourcjnoi. sur ses bords, les palmeraies sont plus florissantes et

4. 49; Jos., 3, 16 nomment la mer Morte mer de l'Arabali. Dei'J., 1. 1; 2. 8 s'appliquent

à r\\rabah actuelle située au sud de la mer Morte ^''^" On trouve aussi les expressions

in''""' T^'Z^'J Jos., 5, 10: II Berj., 25. o et 2Ni'2 T'Z^'J Dent., 34. 1. 8: Xuvi., 22. I

désignant des parties de T'Arabah du nord au lac Asphaltite.


(1: -«^Z — Gen.. 13. 10, 11 : Lot ayant vu les villes du Kikkar y descend. Il habite dans

ces villes, dressant sa tente jusqu'à Sodome. 19, 28 : des environs d'Hébron, Abraham voit
la fumée s'élever du Kikkar lors de la catastrophe de la Pentapole. Dent.. 34. 3 : du
Pisga, Moïse aperçoit le Kikkar qu'une glose explique par « la vallée de Jéricho « n"p2
iriT'. n Sam., 18, 23 appelle chemin du Kikkar le chemin qui descend de Galaad au Ghôr.

I Reg.. 7, 46 : Salomoa fait fondre les ustensiles du Temple au Kikkar du Jourdain, entre
Soukkoth et Sarthan.

2] A la glose de Deitt.. 34. 3 il faut ajouter le Talmud de Babylone. Baba Bathra. Gl b.


~^"~;, ~y~i.
^3, I Mac. 5, 52 : Kai o-.iôr,^^/ tov 'lopoâvir.v î-.ç t"o -îoîov tô 'J-i"7- y.T-'x -pôiwTTOv ^aiO^iv.
?53i REVUE BIBLIQUE.

plus productives; celles qui en sont éloignées le sont moins (1). »


Malgré sa précision, plutôt apparente que réelle, ce texte ne saurait
se passer decommentaire. La longue montagne inculte étendue der-
rière Jéricho désigne la chaîne qui horde immédiatement le Ghôr
depuis leOusdoum jusqu'à l'extrémité méridionale de la
Djéhel
On verra plus loin que les épithètes désavantageuses
plaine de Beisàn.
données par Josèphe à cette montagne ne sont que trop justifiées.
Quant à la chaîne orientale, elle allait de Julias, ville située au
nord du lac de ïihériade, jusqu'à Somora qui faisait la limite de Pétra
d'Ârahie [•!' Au point de vue onomastique, Somora trouve une par-
.

faite équivalence dans le Djéhel Samra qui se dresse au sud-est de

la mer Morte entre Touàdv Nmeira et l'ouâdv Qerahy, on face précisé-

ment du Djéhel Ousdoum regardé par Ihistorien juif comme le terme


de la chaîne occidentale. Une telle identitîcation, cependant, ne se
soutient qu'à la condition de tenir l'expression « Pétra d'Arahie »

pour synonyme d'Arahie Pétrée, ce qui ne une grosse dif- souffre pas
ficulté. Lorsqu'il vise à la précision, le royaume Josèphe distingue dans
nahatéen la Moahitide de l'Arahie il paraît bien indiquer ici Somora ;

comme une horne entre ces deux provinces que le Qerahy sépare
d'une façon si marquée. Ptolémée, de son côté, concevait la limite
septentrionale de l'Arabie Pétrée comme une ligne passant à la pointe
sud de la mer Morte et d'équerre avec l'axe de celle-ci (3). D'ailleurs,

(1) Bel. Jud., IV, 8, 2 (éd. Niese) : Il (iétti oï twv oûo àpéwv X'»>p«
'^^
l'-h"^ tteôîov xa),£ï-
tai, iiZQ -/(ôpLnç rivvaêp.îv ôtr.xov (léxpi T»;; 'A(7ça).TÎT'.5o;. 'EuTt oï aôtoC [).f,y.o: [lev lîTaottov
yiXtwv StaxoctMV, c-jpo; S' sixost xai ÉxaTÔv, xa- (Xc'ffov Otcô toO 'lopoâvoy Tsu.vETa'. /î(iva; tî lyti

'.r^-i iz 'A<7oa>,TÎTiv xai ttIv Tioeptiwv sOff-.v ivavtia;. L'édition Didol a adopté le chiflre niani-
festetnent troj) faible de rpiiv-ov-a xai o'.axoGÎ'jùv présenté par un ins. greciL) et deux traduc-
tions latines.

(2) Bel. Jud., IV, 8, 2 : ... Jtaça-îïvov oè î:; (jLEoiriaépiav Ëw; Sojxoptov {al. lG(i6ppwv, .Vo-
bara, Sobaros) vÎTrep ôpîÇsi tr.v rié-pav if,; 'Apaêîa;. 'Ev toOtw ô' zaïX xai to li5r,poCv xa-
),oûiiîvov opo; [jLr,xyv6[jL£vov ur/pt tt;; MwaéÎTiSo;- La leeon latine Sohtira ferait penser à
l'ouàdy Sabra situé à une heure et demie au sud de Pétra. Mais ceci nous emmène à plus
de 90 kilomètres au sud de la mer Morte et il s'agit de la description d'un hassin qui se
termine à l'extrémité méridionale de cette mer.
(3) Ptolkmée, 5, 16 : "H netpaia 'Apaoîa TiEp'.opîÇîTai... àTtô 8è âpxîtov t?, te llaXaiaTivr) r^

'lo'joaîa xai tw lypîa; xatà xà; o'.wpiTjiéva; aÙTÔiv Ypaixfxàî. On se rendra compte
u.=p£i if^;

du tracé de ces frontières par la carte 35 de l'atlas de Ptolémée dressé par Mueller (Paris,
Didot, 1901). Rapprochée de ce texte, la phrase de Josèphe citée ci-dessus admettrait fort
bien la leçon lojxôpwv ri 7tEptopt!;Ei -r.v IlEtpav de 2 mss., rejetée par Niese. BJ., III, 3, 3 — :

La Pérée se terminant à Machéronte a pour limite sud la Moabitide. et à l'orient, l'Arabie.


En réalité, par conséquent, l'Arabie proprement dite courait au midi du pays de Moab
d'ouest en est, puis faisant un angle droit longeait ce même pays ainsi que la Pérée jusqu'en
Syrie du côté de l'orient. La locution relevée par H. MéiLLER dans l'art. Arabia de la Real-
eue. de Pally-Wissowv ô 'Apaêia ev IlÉTpa [Dioscoridej indique suf/isamment qlie Pétra
/j

peut être pris dans un sens général sappliquant à une contrée plutôt qu'a une ville.
MELANINES. o3:i

le nombre de stades que l'historien juif accorde à la dépression qu'il


entend décrire ne permet pas de descendre beaucoup au-dessous d»'
cette mer.
Donc, de Somora à rArnou, ou si l'on veut, jusqu'à Machéronte, la
chaîne surplombant le lac Asphaltite formait les monts de Moabitide
proprement dits 1 Au-dessus de l'Arnon. vers Mnchéronte, on ren-
.

contrait la montagne de Fer dont l'étendue reste indéterminée. Cette


montagne a beaucoup fait parler d'elle dans la littérature juive de
basse époque. Ses palmiers sauvages fournissaient aux .Juifs les ra-
meaux qu'il était d'usage de porter au temple ou à la synagogue pen-
dant la fête des tabernacles. Ces rameaux unis à des branches de
saule et de myrte et ornés d'un cédrat formaient le loulab, faisceau
que l'on agitait en signe de joie. A .Jérusalem, on se servait de bran-
ches de saule coupées à Mùsa ou Colonia Colonieh village situé à .

sept kilomètres de la ville sainte. Pour les palmes, elles provenaient


en grande partie de la montagne de Fer; la Mischna. le Talmud de
Babylone et celui de Jérusalem sont unanimes à les déclarer propres
à la confection du loulab. Cette décision liturg-ique, un doute sur la
légitimité de leur provenance devait l'avoir nécessitée 2'. La mon-
tagne de Fer se trouvant aux bouches de la géhenne, comment les
palmiers qui y croissaient n'étaient-ils pas impurs? Rassurer à ce sujet
les consciences timorées s'imposait aux casuistes. « Les palmiers de

la montagne de Fer peuvent servir à la fête des Soukkoth ). tel fut le

décret de la Mischna. C'est à ce propos que le Talmud de Babylone


parle des deux palmiers de la vallée de Hinnom entre lesquels s'é-
lève une épaisse fumée et cet endroit lui paraît être la porte de la
géhenne. Le motif de cette translation de la géhenne des environs de
Jérusalem au delà du lac Asphaltite n'est autre que la présence des
sources thermales où l'esprit populaire se plaisait cà Aoir des émana-
tions de l'enfer.
Eaux chaudes et montagnes métallifères se trouvent aussi en con-
nexion avec la vallée des tourments dans la partie du livre d'Hénoch
connue sous le titre de livre des Paraboles, dont la composition doit
être fixée vers la fin du règne d'Hérode le Grand, au moins quant aux
chapitres noachiques. Noé apprend par révélation que les anges pré-
varicateurs seront enfermés dans une vallée brûlante « auprès des

(1)Ant. Jud.. IV, 5. 1.


'T Mischna, Soukka, 3, 1. Talmud de Babylone. Soukha, 32 b. Talmud de Jérusa-
lem, Soukka, p. 23 (éd.de Petrokow; 1890;. La halakha se présente en ces termes *in "^^i* :

r"'P''ï.''I "'"''Zri. Sr.HWAB, Le Talmud de Jérus., VI, 20, 21. Cf. Neibvler. La géographie
du Talmud, pp. 36, 37.
336 REMIE BIBLIQUE.

montagnes d'or, d'argent, de fer, de métal fondu et d'étain ». 11 voit


ensuite cette vallée rouler des eaux agitées et du métal en ignition
d'où s'exhale une odeur de soufre. Au-dessous, un feu intérieur tour-
mente les esprits rebelles. Tandis que. rassemblées en nappes souter-
raines bouillantes, elles sont un instrument de torture, ces eaux,
attiédies à leur sortie dans
la vallée, offrent aux mortels un soulage-
ment pour le corps, mais qui les empêche mal-
qu'ils savent estimer
heureusement de penser aux supplices qu'elles sont capables d'infli-
ger. Ces eaux serviront en ces jours aux rois, et aux puissants et aux
('

grands, et à ceux qui habitent sur l'aride, pour la guérison de la


chair et pour le châtiment de l'esprit (1). » Ailleurs, l'auteur apo-
calyptique s'imagine c|ue certains métaux sont produits par des
sources i;2~.

On aura reconnu sans peine dans ces émanations infernales les


sources thermales du Zerqà Ma in et de Zârah jadis fréquentées par
les grands de la terre palestinienne, et dans la montagne de Fer, les
massifs de grès et de basalte au pied desquels elles se font jour (3).
De Zârah, la montagne de Fer peut être prolongée jusqu'à l'ouâdy
Ghoueir. En effet, sur toute cette longueur elle porte encore des bou-
quets de palmiers sauvages. Et qu'on admire une fois de plus l'immu-
tabilité de l'Orient. Aujourd'hui comme autrefois, les palmiers de
la montagne qui s'étend entre Soueimeh et le Zerqà Ma 'in sont exploi-
tés pour le loulab de la fête des Soukkoth. Un Arabe de Jérusalem,
grec de religion, s'est fait octroyer le monopole des palmes sauvages
de cette région 4 i
1. Le palmier étant chose rare en Judée, ces rameaux
sont vendus à un prix assez élevé. Naturellement, par suite dune

Ij Livre d'Hénoch traduit par Fr. Martin, c. 67. Quel est donc le prince qui fré-
quentait les bains chauds de Baarou et de Callirhoé sinon le vieil Hérode ?
(2 Op. L, c. 65.

3 Le Turgum du Pseudo-Jonathan, Mon. 34, situe la montagne de Fer entre


3, 4,

le sud de la nier .Morte et Pétra. faisant partir la limite sud de Canaan de l'extrémité du
lac salé et l'amenant au sud de la montée d' 'Aqrabim, puis aux palmiers rabougris de la
montagne de Fer N^T-Î "1"".2 "l'y. Ce résultat qui est obtenu par la substitution méca-
nique de 'i^ï (palmiers qui poussent dans les roches^ au massorétique le désert de
'J''î*

Sin ne saurait être d'aucun poids en géographie. Pas plus que ''-'•j,*
n'est l'équivalent de
]''À*, la montagne de Fer n'est susceptible d'être identifiée avec le désert de Sin. Fondée sur
un simple jeu de mot, la traduction du Targum n'a aucune prétention ici à proposer une
identification géographique. Au v 11, le désert des palmiers maigres de la montagne de Fer
revient en compagnie de l'Arnon dans un contexte inextricable. L'utilité de ce passage pour
la géographie de Palestine escomptée par Derexbourg [Revue des études juives. VIII.
pp. 275 s.; se réduit donc à bien peu de chose : la mention des palmiers du mont de Fer
empruntée à la Mischna.
4 Le musée des Pères Blancs à Sainte-.4.nne de Jérusalem possède un fragment de
minerai de cuivre provenant des environs de l'ouâdy Ghoueir.
MÉLANGES. o3 7

taille inintelligente, dirigée par la seule aviditr, les arbres de la


montagne de Fer se font de plus en plus clairsemés il n'en reste ;

guère d'intacts quauprès du Hammam Zerqà MA in et sur la déclivité


du bassin de la mer Morte, c'est-à-dire aux endroits dangereux ou
inaccessibles (1).
Les mesures données à la grande plaine par l'iiistorien juif mon-
trent clairement qu'il ne la borne pas à l'extrémité nord du lac As-
phaltite et à la pointe sud du lac de Tibériade, quoi qu'on puisse
inférer d'une phrase de sa description ; il létend bel et bien au delà
de ces deux lacs. En etiet, tandis qu'en réalité la distance entre le
littoral nord du lac de Génésareth et l'extrémité méridionale de la
mer Morte est de 200 kilomètres. Josèphe évalue à 1.200 stades, soit
222 kilomètres, la longueur de ce qu'il appelle la grande plaine. Il y
comprend donc largement les deux lacs, comme il le déclare explici-
tement après avoir donné ses chiffres. Les 120 stades, à savoir 22 ki-
lomètres, accordés à la largeur de la dépression se vérifient en trois
endroits : vers Beisàn. en tenant compte de la trouée du Djaloùd.
puis à la hauteur d'el- Audjah. enfin entre Jéricho et la sortie de
l'ouàdv Ilesbàn. Pour le reste de la vallée, la largeur varie entre
18 et G kilomètres.
Les renseignements concernant la culture des palmiers et le régime
des eaux par lesquels l'historien clùt sa notice sont inacceptables,
ainsi qu'on le verradans la suite.
Eusèbe que nous trouvons décrit pour la première fois
C'est dans
dans toute son ampleur le long fossé que les révolutions géologiques
ont creusé entre la Palestine et l'Arabie. Sa description est occasion-
née par le terme Ajaojv dont les Septante se sont servis au premier
verset du Deutéronome. « Une grande plaine allongée, lit-on dans
YOnomasticon, est encore de nos jours appelée 6 Aùawv. Des deux
côtés elle est bordée de montagnes qui du Liban et même de plus
haut encore se prolongent jusqu'au désert de Pharan. Dans cette
vallée se trouvent des villes célèbres, Tibériade avec son lac, Scy-
thopolis, Jéricho avec la mer Morte et les régions avoisinantes au
milieu desquelles coule le Jourdain qui nait aux sources de Panéas
et se perd dans la mer Morte (2). » Aulôn est un mot de la meilleure

1; Cf. RB., 1909. p. 231.


(2) Onom., éd. Klosterm., pp. 14, 16 : Ilcôtàç [izyiy.r^ £7ïi[ir,y.r,; ô AJ)wv lU s"'- va' ''"J' "/.aXi?-

Ta'.. A'jtri ôï Tiep'.c'/ETa'. ôpsciv i-/.a-£p<ij9îv. irapaTîivoviff'.v £•/. tî to-j Ai6àvoy 7.ai l~'. àvuôîv èni
~r,-j ïpr,\s.o^i <ï>apâv. E'.alv oè zn\ toO AùXwvo; ttô),îi; £îtÎ(tt5u.oi (T'.o£pià;J "/.ai v; irpà; a'JTfj ),:ixvrj.

IxuOoTio).'.:. lEpt/_à) y.7.\ r, vcxpà OâXacraa %'! xe "Spi aOià; yjâçii:, tov [léio^ (6) 'lopSâvr,; sî'pîTai.
3;'.à)v ix£v iizô twv y.aîà Ilavîâoa TrriYwv, si; oï xriv vsxpàv ôâXaffsav àsavtïôjJ-âvo;.
538 REVUE BIBLIQUE.

grécité (1).Il désigne à proprement parler une vallée resserrée entre

deux montagnes, une sorte de couloir naturel; aussi s'applique-t-il


à merveille à la contrée basse qui va du Liban à la mer Kouge. Saint
Jérôme prétend que c'est un mot bébreu et non grec, mais il n'a pas
jugé à propos de nous communiquer le radical dont lui ou les rabbins,
qui l'inspiraient en cela, le faisaient dériver (2). Cette opinion de-
meure sans appui. Assurément, en appelant aùXtov la vallée du Jour-
dain ou tout au moins la portion de cette vallée où croissait le bau-
mier, Diodore de Sicile était loin de penser qu'il usait d'un terme
sémitique; il croyait, au contraire et avec raison, employer un mot de
sa langue et un mot très approprié (3).
Les Arabes ont été aussi très heureux dans le choix du terme de
Ghôr ,_**-'', pour désigner la dépression jordanienne. Mieux que tout
autre géographe arabe, Istakhri repris par Ibn-Haukal (x" siècle) a
su dire ce qu'étaitle Ghôr, sa signification, sa situation, son étendue :

« Le Ghôr, a-t-il écrit, est le pays des gens de Lot et du lac puant.
Tout le reste de la Palestine est plus élevé que cette partie qui en
Ghôr commence au lac de Tibériade et allant par
reçoit les eaux. Le
Beisân, il Zoughar et de Rihâ jusqu'au sud de la
s'étend au delà de
mer Morte. Le mot Ghôr signifie une crevasse entre les montagnes,
fendant profondément la terre. Sur toute son étendue, il y a des
palmiers, des prairies, des sources et des cours d'eau. Jamais la neige
qui tombe n'y demeure. Jusqu'à Beisân, le Ghôr appartient à la
province du Jourdain, mais au-dessous, il fait partie de la Palestine.
La même vallée profonde se prolonge encore plus au sud et finit par
atteindre Aïlah (i). » Il est évident que la région jordanienne et le

lac Asphaltite sont intimement liéspour les Arabes comme pour les
Juifs et les Grecs. Idrisi disait xii' siècle « Le Ghôr com- encore au :

prend pays des gens de Lot et la mer puante, en son mie toute la
le
contrée de Zoughar à Beisân et à Tibériade (5). »
Les Croisés appliquaient l'expression Valiis illusiris ;i la vallée du

(1) Stephani Thésaurus : AùXwvj; : ex sunt \ ailes seu Convalles; referunl enim et
ipsœ sua figura aJ),ov (luyau, canal, etc.) utpote qux siut arctiores ceteris campis et
oblongiores, non niinium tamen arctx, sed mediocri latitudiue patentes.
(2) Ononiast., p. 15 Anlon non Grxcum, ut quidam putont, sed Hebrxuni vocabu-
:

lum est.

(3) Biblioth., II, 48 : rivetat 5è Ttept xoùç tôitou; toutou; (les abords de la inei' Morte) èv

aù),â)v{ Tivi xal TÔ y.aXo-jpiEvov piXcra[Jov.


(4) D'après Le Strange, Palestine undcr the Moslems, p. 31. Bien que Zougliar (Ségor;
soit citée avant Rihà (Jéricho, il est certain que les mêmes géographes, dans d'autres pas-
sages, situent celte ville-là au sud de la mer Morte.
(5) Ibid.
MELANGES. 5:30

Jourdain aussi bien qu'au bassin asphaitite (1). Conformément à la


Vulgate [Genèse, xiv, 3), ils réservaient cependant à la mer Salée le

nom de Vallis vaus sau vases 2) ». Les campestria Jor-


st/ivestris, « li

flanis de Burchard il283i vont d'abord jusqu'à la mer des Salines,


puis toujours bordés de montagnes élevées, ils se poursuivent jus([ii'à
la mer Rouge (3 .

Communauté d'origine, conformité dans les lignes générales, rien


de cela n'empêche la vallée du Jourdain et le bassin asphaitite d'of-
frir mer Morte on jouit d'une
des aspects très différents. Alors qu'à la
variété de spectacles peu ordinaire, leGhôr engendre presque l'ennui,
décompte fait de la vue splendide que vous réservent certains som-
mets dominant la vallée. Bien que tour à tour steppe aride, champ
d'arbustes salifères. plaine caillouteuse, campagne cultivée, le (Uiôr
ne laisse pas que d'être fort monotone. Le fleuve, qui serait susceptible
de lui procurer quelque agrément, est encaissé entre deux lignes de

dunes abruptes assez profondes pour dissimuler les arbres des deux
rives. La vallée ne profite pas du tout de ses eaux.
On pourra cependant faire valoir la douce température hivernale
de cette région, les fourrés du Jourdain à la faune et à la flore exoti-
ques, où la feuille ne prend des teintes d'automne qu'en jan^der pour
se renouveler immédiatement après, les eaux douces autrement ap-
préciables que l'onde épaisse du lac Asphaitite. Tout cela a bien des
charmes, assurément, mais la mer Morte rend difficile. Pour faire
oublier les grès colorés, les roches sauvages, et toute la fantasma-
gorie coutumière aux pièces d'eau où vient se jouer la lumière de
l'Orient, un paysage devrait réunir une multitude de conditions dont
la vallée du Jourdain est dépourvue. Quant au fleuve, tout fameux
qu'il est, il n'a rien d'agréable, c'est un torrent boueux courant à
travers le fond d'une mer qui s'est retirée. Un voyageur qui a su voir
et qui (chose plus difficile; a su dire ce qu'il avait vu, Chateaubriand,
a laissé du Jourdain une pochade Tout à coup les
très réussie : -

Bethléémites s'arrêtèrent et me montrèrent de


main, au fond d'une la
ravine, quelciue chose que je n'avais pas aperçu. Sans pouvoir dire
ce que c'était, j'entrevoyais comme une espèce de sable en mouve-
ment sur l'immobilité du sol. Je m'approchai de ce singulier objet,

(1) Guii.LACMt DE TvR, 9, 15: 13. 18; 20, 28. Dans la Vulgate, convallis illustris rem-
place le chêne de More près Sicheni. A l'imitation des Targums, Jérôme a traduit VOH par
vallée. On avait dû lui persuader fjue l'hébreu "Î'^N était identique au grec aO.ojv et l'ori-
gine même de ce dernier rnot.

(2) Glill. de Tvr., 8, 22, 14.1 ;

(3; BtRCHARDi DE MoNTE Sios Descrlplio Terne Saaclx éd. Laurent . 7. 33.
540 REVUE BIBLIQUE.

Fig. i. — Croquis de l'itinéraire.


MELANGES. 341

et je visun fleuve jaune que j'avais peine à distinguer de l arène de


ses rives. Il était profondément encaissé ^cf. pi., lïg. 1]. et roulait
deux
avec lenteur une onde épaissie c'était le Jourdain. » Dès ma première
:

lecture de l'Itinéraire de Paris à Jérusaleni cette « espèce de sable


en mouvement » m'avait beaucoup frappé et c'est bien cela.
Mais l'attrait que la nature refuse à un site, Fhistoire est capable
de le lui donner par compensation. La vallée du Jourdain a été long-
temps le chemin des migTations de peuples et des conquérants, une
frontière aussi entre des civilisations diverses; ses conditions climaté-
riques et hydrographiques lui ont donné une physionomie et un rôle
à part dans l'histoire palestinienne elle a dû par conséquent laisser
:

quelques traces dans les récits d'autrefois et conserver quelques ruines


au bord de ses ruisseaux.

II. — DE TELL MMRÎN Al ZERQA. — SOUKKOTU.

Partie de Jérusalem le 30 janvier 1910, notre caravane descendait (1)


au Ghôr par Néby Mousa, traversait le Jourdain au pont de bois du
Ghôranieh pour arriver à Tell Nimrîn le jour suivant vers midi. Des
raisons spéciales nous avaient oblig-és de laisser à des temps à venir
Texploration des arahôth Moab, de ces plaines du nord-est de la mer
'

Morte qui furent le théâtre de la prévarication d'Israël.


Mamelon en marge de la chaîne ammonitique, Tell Nimrhi se dresse
à la sortie de Youôdy Sa'ib qui amène du Sait des eaux perpétuelles.
Canalisées par les Bédouins de la tribu des Adouàn, ces eaux servent
à l'irrigation des champs de blé et d'orge situés sur la lisière de la
plaine. grande plaque de verdure qui fait tache sur la
De là cette
steppe jaunie du Ghôr méridional, attirant de fort loin le regard du
voyageur. Sa'ib est le nom donné par les Arabes au beau-père de
Moïse; son souvenir, d'après notre guide, serait encore attaché à une
pierre levée {hadjar mamoub)
à l'intérieur du ravin. C'est une rami-
fication de la mémoire du législateur des Hébreux qui domine tous
les environs du Xébo. L'nefois dans la plaine, l'ouàdy change son

nom de Sa'ib contre celui de Nimrîn. Généralement privé d'eau par


suite de l'irrigation, il n'est plus qu'une combe pierreuse garnie de
lauriers roses et de pommiers de Sodome. qui finit au Jourdain par un
delta large et embroussaillé appelé Médes e?i-Ximrh( ou Medes ez-
Zàr, entre le pont du Ghôranieh et l'ancien gué de Mendasa (2^. Du
fl « Descendre » est tout à fait ici en situation, vu qu'il existe entre l'altitude de Jéru-

salem et le niveau du lit du Jourdain 1.165 mètres de différence.


2 C'est dans ce delta, sur un tertre recouvert de restes de constructions, nommé Tell
;42 REVUE BIBLIQUE.

Jourdain, un bon chemin conduit à Tell Nimrin. traversant le bas-


fond du Zôv sur une longueur d.\m kilomètre, courant ensuite sur
huit kilomètres dans une direction parallèle à louàdy Nimrin, au sud
de ce torrent. A partir du tell, le chemin s'engage dans la montagne
par Touâdv desséché du Djeriah pour se bifurquer à deux heures de
là vers Sait et vers 'Amman. Tell Nimrin est donc une position qui
se recommande à plus d'un égard. Aujourd'hui ce n'est plus qu'un
monticule recouvert de pierres écroulées et de sépultures bédouines,
d'où l'œil peut mesurer les champs de Siftim, ancien domaine do

Phot. Byrne.

Fig. En route à travers le Zùr.

Ba'al Pe'or. et la surface plombée de la mer Morte jusqu'à la crête du


Djebel Ousdoum. On eût dit au temps jadis mer de F'Arabah et
:

'arabùth Moab. Aujourd'hui, ce sont d'après les Arabes Bahr Lout et


Ghôr es-Seisabàn. Dans ce Ghôr particulier, deux points seraient digues
d'une étude approfondie Tell el-Kefrein et Tell er-Ràmeh.
:

On tient d'ordinaire Tell Kefrein pour l'emplacement d'Abel-Sittim


el-Médes. que le R. P. Fédeiiin place Béthanie au delà du Jourdain où saint Jean baplisait.

Sa découverte est publiée dans une élégante plaquette imprimée à Paris chez Féron-Vrau :

BcUianie au delà du Jourdain. Tous les noms de cette région nous ont été redits par
un jeune bédouin de la tribu des Beni-Sakher qui faisait paitre ses chameaux dans le Zor.
Le Zôr est la partie médian? du Ghôr, la dépression qui sert de lit au Jourdain et contient
les fourrés des deux rives. .\ux embouchures des ouàdys tributaires du Jourdain le Zor est
plus étendu qu'ailleurs.
MÉLANGES. 543

près duquel les Israélites campèrent avant de passer le Jourdain.


Nommé Abila à lépoquc romaine, ce bourg possédait une palmeraie
célèbre.Son histoire est liée à celle de Livias sa voisine 1).
er-Rameh conserve essentiellement le nom d'une bourgade si-
Tell
gnalée par la Bible dans les mêmes parages, Beth-Haram ou Beth-
Haran qui devint Beth-Bamtha aux temps où l'araméen fut la langue
de la Palestine. Ce nom demeura en ^^gueur parmi les indigènes
même lorsqu'elle eut reçu lesnoms de Julias et de Livias en l'honneur
, de Livie femme d'Auguste 2). Ramtha a donné lieu naturellement à
la forme arabe RdmeJi comme Saphitha est devenue Saphieh; Modi-
tha, Medieh; Salamtha, Salameh.
Mais c'est à Ximrin, où nous sommes actuellement, qu'il faut réser-
ver notre attention. Outre les éboulis informes qui revêtent les flancs
du y aà remarquer dans le large estuaire, formé par l'ouàdy à
tell, il

son entrée dans la plaine, les restes d'un mouUn et d'un aqueduc
bien construits; plus haut, se voient les ruines d'une arche qui fran-
du Djeriah. Les fourrés du ruisseau recèlent quelques
chissait le ravin
fragments sculptés. En retrait dans la gorge de l'ouàdy Sa Ib s'élève
le Tell Bileibîl qui pourrait recouvrir lui aussi quelques anciennes
constructions. Un
moderne représente aujourd'hui l'in-
seul édilice
dustrie humaine parmi ces débris de la culture d'antan, c'est un gre-
nier à céréales situé au nord du torrent et dont le propriétaire est un
habitant de Sait. Cette bicoque porte le nom de Qa^r Ps-Soultan. Quand
elle s'appelait Xinira ou Beth-Nimra 3), notre localité offrait assez de
ressources pour retenir les fils de Cad à l'est du .lourdain. La richesse
relative de ses pâturages jointe à la fertilité d'autres régions moa-
hites fut un des arguments mis en avant par les Cadites pour obtenir

fl; 2Ki^ nzij'Z D'''i2*C"n ^ZH) Xutn.. 33, 49. Mise en relation avec Beth-Iesimolh

cf. RB., 1909, p. 230). Antiq. Jud., !V, 8, 1 : otto-j vjv î:ô"/,'.; ïn-v> 'AoiXr,, 50'.vi7.63-..T0v

5' ÈcTt TÔ -/wp'.ov. V, 1, 1 : pour franchir le Jourdain Josué part àTtô r?;; '\6;>.ti; £7:1 tôv 'I&p-
oâvr,v ilrfi'. cr-aot'oy; £;r;xovTa. Bel. Jud., II, 13, 2 : iNéron remet au roi Agiippa 'AêO.a (xàv

y.al 'loyÀ'.ioa xaià ttiv autem locus juxta Livia-


Thoatav. Saint Jérôme, in Joël, 3, 18 : Est.

dem Irans mare Morluum, sexto ab eo distans miliario, ubi quoadam ciim Madiani-
tis fornicatus est Israël Thomsex, Loca sancta, p. 13; PL., XXV, 987}.

^2; On ne trouvera nulle part une documentation plus abondante sur Livias que dans

ScHLERER, GJV., II S pp. 213-216. Pour les ruines de Tell er-Rameh voir ZDPV., II, p. 2,
pi. 1. Sur le changement de nom de cette localité, cf. Ant. Jud., XVIII, 2, 1 B/iOaoaîxj^à :

Ô£, T£Î7_£'. KEpO.aêwv 1o-j).iâoa ànzà Be-


tov ay-oxpiToso; îkpooayopsyei -f.c, y-jva'.xô; (latin

tharamt/ia). Onom., Betliaram civitas tribu Gad iuxta Jordanem, qux a Sijris
p. 49 :

dicitur Bethramtha et ab Herode in honorem Augusti Livias cognominata est. Livie


fut introduite dans la Gens Julia par le testament d'Auguste, de là ses deux noms de Livia
et de Julia.
(3 Xum.. 32. 3 :
ni'Z;, B Naij.pà. Targum du Pseudo-Jonathan : '\'\^i2 n'2.
5i4 REVUE BIBLIQUE.

de Moïse la permission de demeurer


en deçà du fleuve sans aller
tenter l'aventure en Canaan. Ils réussirent en effet à faire de Beth-
Nimra un de leurs principaux centres (Ij. Dans le cours des âges
Beth-Nimra s'est changée en Beth-Nimrin comme en témoignent le
Talmud de Jérusalem et le Targum du Pseudo-Jonathan et nous
atteignons ainsi l'origine du vocahle actuel conservé par les Arabes,
Tell Mmrin Par un phénomène contraire, la Nimrim d'Isaïe et
(2).

de Jérémie, voisine de Ségor, est devenue Nemeira (3 En vertu de .

l'équivalence des labiales, Beth-Nimrin apparaît chez les auteurs sous


la forme hellénistique de Betliennabris et Betenabaris, ou d'après la
régie de l'épenthèse du 6 à la suite d'une labiale nasale, sous la
forme Bethnambris.
C'est l'une de ces dénominations altérées qu'un épisode de la guerre
juive a rendue célèbre. Gadara s'étant livrée à Yespasien grâce à
l'humeur accommodante des principaux citoyens de la cité, la mi-
norité turbulente des séditieux avait dû prendre la fuite à l'approche
des Bomains. Poursuivis par la cavalerie de Placidus, lieutenant du
légat impérial, les fuyards entrèrent dans un bourg nommé Bethen-
nabris. Là, comme dans mainte ville palestinienne, il y avait un parti
de la guerre et un parti de la paix. De gré ou de force, cependant,
les jeunes gens furent contraints par les révoltés de Gadara de sortir
en armes au-devant de l'ennemi. Placidus les attendit de pied ferme
à une bonne distance de la place afin de se donner le loisir de leur
couper la retraite. Eu effet, par une tactique enveloppante, les
séditieux furent cernés et écrasés en grand nombre. Les plus agiles
seulement réussirent à regagner les murs de la ville. Décidés à
liquider complètement cette affaire, les Romains emportèrent d'assaut
la muraille et mirent le feu aux maisons. A la nouvelle de ce désastre
semée par les Juifs échappés au massacre, une violente panique
s'empara des gens de la campagne et l'on vit alors des foules se
diriger en hâte vers les gués du Jourdain poussant devant elles ânes,
chameaux, moutons et bœufs. Les pauvres vaincus pensaient trouver
quelque sécurité à Jéricho, mais ils comptaient sans la crue du

(1; Dans les énuinérations géoiiraphiques, celle bourgade esl accompagnée de Belh-Haram.
*">-
.\um., 32. 36 :
r,*2~nN" ~"^"2; ïl'^ZTNn, B xai Tr^v >'aix|;àa xal T7;v Baieapiv. Ps.-

Jonalhan : '^r^Z". T\'"2.1 ':"1~ P''! P^T Jome, 13, 27 : r^^y2Z P-ZI Cn n*2 u'Z"^'!.

B Paivôavaêpâ.
(2) ïalmud de Jérusalem, Schebi^ith, l.\, 2 : nnCI niZ CI" n''2 VT^I r*2 ~^^.
Iciencore Belb-Nirarin est en compagnie de Belh Raintha. L'édition du Talmud de Pelrokow
porte ^11^; n^S et aiir! r'^ qui sont évidemment fautifs.

(3) 7s., 15, 6; Jerem.,iS, 34.; cf. RB., 1910, \\ 100.


MÉLANGES. 545

fleuve. Le .ïourdaÎD n'était pas g-uéablc el pour comble de malheur


les troupes (le Placidus arrivaient derrière eux (1 ). Nous avons raconté

la fin de cette lauienta])le déroute à propos de Beth-Icsimoth (2).


Beth-Nimra finit par renaître de ses cendres. Sa situation était de

nature à lui attirer de nouveaux habitants. Aussi la trouvons-nous


mentionnée par Eusèbe comme un bourg existant encore de son
temps sous le nom de Bethnambris, à cinq milles au nord de Livias (3).
Cette distance est exacte, attendu qu'il y a environ sept kilomètres et
demi entre Tell Nimrin et Tell er-Râmeh.
La légion monastique qui peuplait la vallée du Jourdain, à lépoque
byzantine, étendit jusque-là son domaine. Les rochers à cavernes
avoisinant l'ouàdy Sa'ib, l'eau claire du torrent, un terrain moins
dénudé que de la mer Morte, un air un peu plus frais y
la steppe
devaient nécessairement attirer ceux qui sentaient au-dessus de leurs
forces un séjour prolongé sur les bords immédiats du fleuve sacré.
C'est là que le vénérable évoque démissionnaire Sisinnios avait fixé

son ermitage et qu'il mourut sous le règne de Tibère II (574-582) (4).

Les auteurs arabes connaissent une Nimrin dans le district de


Belqà et dont l'eau retenue dans une piscine était renommée pour sa
douceur. Jusque-là s'étendait la frontière du Haurân et de la Ba-

tanée (5). Ce dernier détail rend douteuse l'identité de cette localité


avec Tell Nimrîn.
Mais Ximrin nous est déjà connue: nous l'avons traversée plusieurs

(1) Bel. Jud., IV, 7, 4 : eï; Tivac Y.(â\ir,v.... Br,8-.vvagpiv 7:po(7aYOpeuo[jiÉvriv. C'est aux gués
de Mendasa et du Ghôranieh (celui-ci un peu au-dessous du pont de bois actuel que les
fuyards durent se presser. Le fait se passant au mois de mars [681, on comprend que les
pluies aient eaux du Jourdain de manière à le rendre infranchissable. Après
pu grossir les
cet exploit, Placidus s'empara des places voisines de Bethennabris. Abila, Julias et Besi-
moth. Nous sommes ainsi toujours dans la région des 'orabôUi Moab : il n'y a donc pas
à chercher Bethennabris dans les environs de Gadara. Entre la nouvelle de l'approche de
Vespasien et larrivée de Placidus devant Bethennabris, les séditieux ont eu tout le temps
d'atteindre ce dernier bourg en suivant la vallée du Jourdain.
(2) RB., 1909, p. 230.
(3) Onomast., p. 44 : Br,6vaapâv, Ilspàv toû 'lopôâvo-j, r,v wxooô[j.r,c£v çu).-/; Fào. Kai ïaz'.

vûv VMiir, pr,0va!x6pt; w; «ttô (Tr,[jLc'!wv e' Aiêiâooç iv [iopsiotç. P. 48 : BeOvL|xpâ. Ilc'pav toù 'lop-
ôdcvou, u6Xi; 3u).f,; Fio. T.l-^aio-j AtêtàSoç. La première notice est à propos de \u)n., 32,
36; la seconde à propos de Jos., 13, 27.
(4) MoscH, Pré spirit., 9.3: PG., LXXXVIL 2952 (Xtffîw.o;) iÀÔwv 7;Xr,'7Îov xûiJir,; ètt'.Xeyo- :

IxÉvT];BsTavaêâpew: (à?É5Tr,y.sv ôè toO àytoy 'lopSâvou w: OYiiiEiot; 'il), !\(rjyiZw). Le latin a


traduit bien à tort Betanabris par Belhabara. On aura remarqué que la dislance de six
milles entre le Jourdain et cette bourgade est assez satisfaisante.
(5j Le Stranck, Palestine, nnder tlie Moslems, p. .33. Celte Nimrin des Arabes répon-
drait parfaitement au contraire à la Nemra que V Onomasticon (p. 139) a trouvée dans le
livre des Juges : Nemra clvitas tribu Rithen, in terra Galaad. Est usqne ad prœsens
viens grandis Xarnara in regione Batanxa.
REVUE BIBLIQUE 1910. — N, S., T. VII. 35
o46 REVUE BIBLIQUE.

fois pour gagner -Araq el-Émir et 'Amman vers l'est. Comme il nous
tarde de pénétrer dans des régions à nous inconnues, c'est vers le

nord que nous entraînons notre guide pris chez les 'Adouân du pays.
Au delà du torrent, nous longeons quelques instants le pied de la
montagne qui se trouve d'abord percée de quelques grottes nommées
^Ai'âq en-Nimrm. Un souvenir à l'abbé Sisinnios et nous courons à
travers le lit desséché de Youâdy Metaharr. C'est là q j'au temps de
piâb, cheikh des 'Adouàn, on faisait la fantasia à l'occasion de la
circoncision des enfants. Le massif de Galaad finit ici à la plaine par
une série de collines basses, sèches, sans caractère, désignées sous
le nom de Teloiîl el-Bid. Après avoir coupé la chaussée d'une ancienne

voie très ravagée et un misérable cimetière bédouin, nous atteignons


un vaste espace de terre durcie où la balle du blé et de l'orge
vannés aux étés précédents fait encore de longues traînées grisâtres.
Ce sont les aires des champs de Nimrin; de là le nom de Mehatta
el-Bayâder (1) que porte l'endroit. On ne peut se garder en y passant
de se remémorer certaines paroles prononcées à quelque distance
de là par saint Jean-Baptiste prêchant sur les bords du Jourdain. Le
Christ venant une pelle à la main nettoyer son aire, séparer le grain
de la paille pour brûler celle-ci dans un feu inextinguible et recueillir
celui-là dans son grenier (2) cette image n'était-elle point évoquée
:

dans l'esprit du Précurseur par une scène champêtre quïl avait


eue récemment sous les yeux? D'autre part, le grenier évangélique
(à7::0r//.r,) nous est assez bien représenté par ces dépôts de céréales

qui s'échelonnent à de grands intervalles le long du Ghôr depuis le


sud de la mer Morte jusqu'au lac de Tibériade. Maçonneries cubiques
en pierres liées avec de l'argile, n'ayant, d'ordinaire, d'autre
ouverture qu'une porte basse, ils sont désignés chez les Arabes sous
le terme commun de éouneli. Ainsi Qasr es-SouUàn à l'ouâdy Sa'ib
est une simple souneh.
Le chemin direct du pont de bois au Sait par Youâdy Heseiniât
borde du coté nord. Bien qu'il soit plus court que tout
les aires

autre, ce chemin n'est pas à recommander, surtout aux voyageurs


qui craignent la soif. Un méchant trou au fond duquel croupit une
eau remplie de frelons noyés et qu'ombrage un figuier malade, c'est
tout ce que la route offre de réconfort. Mais laissons dans la montagne
cette chétive source afin de poursuivre notre marche dans le désert
pierreux qui succède aux aires dés 'Adouàn. Après avoir franchi les

(1) C'est-à-dire « la station des aires ».

(2) MaWi., 3,. 12.


.

MELANGES. 547

divers sillons que a tracés dans la plaine et un


Vouâdy Aousedj
grand nombre de vraisemblablement par les cher-
fosses creusées
cheurs clandestins d'antiquités qui infestent le Ghôr, la caravane
s'arrête au campement dressé près de la source de Bmmt H^làf
Sous le nom de basm les Arabes comprennent un terrain humide
qui entretient une certaine végétation (1). La source de Bassat Helâf
est très modeste elle sort d'une petite dépression s'ouvrant dans les
;

terrains salifères de la plaine, au milieu de touffes de salsolacées


en arbustes ou en buissons telles que hameid et qataf; elle se répand
ensuite du côté du Jourdain, formant un petit marécage. Malgré son
faible débit et la mauvaise qualité de son eau, cette source prend
de l'importance du fait de la sécheresse qui désole tout le pays

environnant. Entre Nimrin et le Zerqà, c'est le seul endroit où l'on


est sur de trouver de l'eau. Aussi est-on autorisé à la regarder
comme une halte importante du chemin de la Pérée qui passe à peu
de distance de là, à l'orient.
Le premier février au matin, nous reprenons notre marche vers
le nord par la route actuelle des caravanes, route qui, à coup sûr,

ne s'est pas formée d'aujourd'hui. L'espace que nous traversons


d'abord et dont la susdite source occupe l'extrémité sud-ouest s'ap-
pelle Meiddn, nom qui s'applique à tout espace libre propre aux
évolutions de la cavalerie. Un petit lit de torrent à proximité a
reçu la même appellation. On entre ensuite sur le territoire d'une
tribu cantonnée d'ordinaire sur le massif desmontagnes du Sait,
les 'Abbàd; de là naturellement la dénomination de Ai^d el-'Ahhâd
donnée par notre guide à la steppe dure où nos chevaux marchent
à ravir. A notre droite vient de commencer
tourmentée des la ligne
collines dites Hamraieh de leur forment une
teinte brunâtre. Elles
chaîne interrompue seulement par les racines, bordant presque
jusqu'au Zerqà la base des hautes montagnes de Galaad qui dressent
au-dessus leur front azuré. Les deux ravines rencontrées d'abord
sont Vouddy el-Meleh et Youddy Retem; ce dernier comprend plu-
sieurs branches semées de gros galets dont certains sont de grès

(1) Entre le Zerqà-Mà'in et Zàrah, on nous a signalé une crevasse où des suintements
entretiennent des palmiers sauvages appelée Bassat ymi'u'ah. Le P. Féderlin {^Béthanie,
p. 8) mentionne près du Ghôranleh, Bassat el-Kefrein, sol marécageux où des sources
sulfureuses et salées baignent des touffes de roseaux et de vigoureux tamaris. Notre guide
donna de même le nom de Bassat el-Irâqah à un groupe d'arbres verts situés près du
Jourdain, vis-à-vis de la sortie de l'ouûdy Heseiniât: cf. SociN, Liste arabischer Orisap-

pellativa, À^, p. 27.


548 REVUE BIBLIQUE.

rouge et plantées d'espace en espace de genêts ou 7'etem desquels il


tire son nom (1).
Vingt minutes plus loin, c'est Youddi/ pl-Ahiat] sinueux et dune
profondeur notable. Il se fraie un passage à travers des monti-
cules blancs (d'où son nom) que revêt par endi^oits un rare gazon.
Des troupeaux de moutons y cherchent leur vie; accroupi sur une
butte,un chacal nous regarde passer avec étonnement, puis décampe
bientôt, suivi de sa longuequeue fourrée. A dix minutes au nord
nous atteignons des ruines nommées Abou Toiirra, sur lesquelles il
est nécessaire d'insister. Elles consistent en des arasements de longs
murs, en pierres détaille éparses, en quelques tronçons de colomies.
Sur un bloc se trouvent deux caractères gravés qui ne sont proba-
blement que des ouâsem ou marques de tribus. La cHsposition des
fondements et leurs dimensions supposent une installation assez
considérable et bien ordonnée. Un tertre se dressant à peu de dis-
tance à l'orient est couvert de ruines plus informes. Les alentours
d'Abou Tourra sont un peu plus verts et plus gais que tout le terri-
toire parcouru depuis Nimrin. Malgré la dureté du sol qui provient
autant du manque de culture que de la sécheresse, une herbe très
fine y croit en hiver; le chemin y est large et facile, aucune pierre
ne jonche la plaine.
Nous avons quitté depuis une demi-heure les ruines d'Abou Tourra
quand nous rencontrons des alignements artificiels de pierres aptes à
faire naître plus duno supposition. Camp romain, parcs à troupeaux,
clôtures de plantations, rien ne permet de se prononcer pour l'une
de ces hypothèses plutôt que pour l'autre. Au delà, le sol devient
sensiblement pierreux et le chemin se transforme en un réseau de
sentiers parallèles tracés entre les cailloux. Les collines rougeâtres
se poursuivent à notre droite toujours dominées par la haute chaîne
nomment
bleue. Tout ce quartier stérile au sol durci, les Bédouins le
Ard Kabed (prononcez Tsabed) et racontent à son sujet une charmante
anecdote Aux temps anciens la région était plantureuse au delà
:

de ce qu'on peut dire: pommes, oranges, grenades, pastèques, on y


trouvait de tout en quantité. Un vieux cheikh aveugle qui dans son
jeune âge avait connu ce paradis y revint un jour sous la conduite
de son fils. —
« Quel est le nom de la terre que nous traversons? »

demanda le vieillard à son fils. —


« Kabed. papa. » A cette réplique

(1) En hébreu Qni. A. propos du re/em sous lequel le prophète Éiie se coucha déses-

péré, saintJérôme [Oiiom., p. 147; a Rathem, pro quo Aquila


écrit cette notice : iiiter-

pretatur aû/.ïu6ov, id est iuniperum, Symmachu^ umbiaculiim.


MELANGES. 549

laveugle se hâta de retirer son keffieh (voile qui sert de coiffure aux
Bédouins) et de le Pourquoi te décoiffer
fourrer dans son ciron. — <<

ainsi, père? » jeune homme.


sexclama « Mais, mon enfant, de
le —
peur que je n'accroche mon keftieh aux Jjranches des arhres. » —
« Pas de danger, cher vieillard, la terre est complètement rase, il n'y

a pkis une pousse. » —


« Retournons, dit l'aveugle, puisque la déso-

lation s'est ahattue sur ce jjeau pays de Kahed. » Et ils partirent (1 1.


La route du Sait à Xaplouse accompagnée de sa ligne télégra-
phique traverse le (ihôr en diai:onale à une heure au nord d'Ahou
Tourra, coupant le Jourdain au gué de D'imieh où pendant la crue
un bac fait le passage. A douze minutes au nord de ce chemin on
rencontre le lit desséché de \'ouàd>/ Sidreh semé de galets et de gra-

viers jaunâtres le grès domine. Près de la route un seder étend ses
rameaux épineux pour donner et conserver au torrent sans
: il est là

eau le nom de Sidreh. Des fragments de grès rouge reparaissent


l'ientôt dans la plaine où de nombreux troupeaux tondent l'herbe
tine. Les collines déchiquetées qui courent à notre droite et dont
nous nous rapprochons peu à peu portent le nom de Djebel Rhaia. Le
terrain est quelque temps de marne durcie qui sonne sous le pas
des chevaux; quoique déjà embroussaillé, il porte les traces des
sillons creusés aux années antérieures et laisse voir des canaux de terre
.1demi comblés. Quand il a plu beaucoup, la région doit être quelque
temps irriguée par des eaux venant de la montagne. Sur les collines
du bord de la plaine on remarque des roches usées par une cascade
à présent tarie. Autre preuve évidente que ce coin du (ihôr peut
recevoir de l'eau le moulin et l'aqueduc en ruines où nous arrivons
:

trois heures après avoir quitté le campement de la nuit passée.


Il est vrai que pour voyager dans ce Ghôr, où l'on a à redouter les
torrents grossis et les marais où l'on s'enlize, nous avons profité d'un
hiver exceptionnellement sec, aussi pas une goutte d'eau près de
ces ruines de Tawdlun es-Soukkar. Au-dessus du moulin la hauteur
rocheuse qui forme la base du massif de la Belqâ s'élève comme
par étages.
Afin d'occuper les quelques minutes hxées pour la première halte
de la matinée, nous nous dirigeons vers une ouverture béante mar-
quant d'un gros point noir un banc de roc nu. C'est la porte d'un
sépulcre vide dont les proportions restreintes nous étonnent. Deux
anfractuosités pratiquées dans le fond de cette alcôve à gauche et à
droite permettent d'y étendre un corps de taille normale sinon à

(1) Voir dans RB., 19u6, p. 209, n. 2, le mt-me trait de folklore.


5o0 REVLK BIBLIQUE.

l'aise, du moins sans nécessiter de contraction. Seulement on se de-


mande à quelles manipulations devait être soumis le cadavre pour
gagner sa position définitive, étant donnée l'exiguïté de louverture
autant que du reste de la chambrette. D'autres fours funéraires à
proximité de celui-ci paraissent encore plus surprenants l'un d'eux, :

creusé dans un bloc éboulé, mesure à peine un mètre de côté, mais


un étroit couloir d'un mètre et demi y donne accès un autre n'a que
;

52 centimètres de profondeur; d'autres enfin ne sont qu'ébauchés.


A mesure que nous gravissons la montagne, nous nous sentons dans
une nécropole d'une fiante antiquité. Ce sont d'abord, près des ca-
veaux qu'on vient de mentionner, des sortes de cages malheureuse-
ment endommagées, composées de dalles assez minces. Grâce aux
éléments qui en restent, on se les imagine aisément comme des sar-
cophages rudimentaires faits de cinq dalles ajustées ensemble avec
plus ou moins de rigueur.
Celui qui se trouve dans le
meilleur état a pour dimen-
sions extérieures 2 mètres
de long sur 0"',82 de large
et 0°',92 de haut ifig. 3, B).

Un second de même longueur


ne mesure que 0"',35 de large.
Dolmens de Tawâlûn es-Soukkar. En relevant ces sépultures
nous ne pouvons
singulières,
nous défendre de l'idée de dolmens en miniature. C'est en effet cela;
notre idée deviendra une conviction lorsque nous aurons atteint les
étages supériems de la colline rocheuse.
Nous y grimpons coup, de tous les points de l'horizon, de
et tout à

vigoureuses silhouettes de dolmens mégalithiques se détachent sur


l'azur du ciel. D'autres, soit intacts, soit écroulés, semblent se dresser
sur nos pas, qui dans un replis de terrain, qui sur le flanc des rami-
fications de la montagne, qui sur un tertre pierreux. Des mégalithes
fermés de trois côtés et recouverts d'une large pierre brute nous
rappellent ceux des environs d'el-Hosn, au territoire d'Adjloun. Un
spécimen des plus remarquables de cette catégorie est celui dont le
plan se voit ci-dessus (fig. 3, A; cf. fig. 7). C'est un véritable monu-
ment avec ses montants parallèles longs de 3 mètres et plus et sa
table de 3°", 20 sur 2", 70, épaisse de 20 centimètres et portant une
cupule au centre de sa face extérieure. Ces proportions arrivent à
créer un caveau de l™,5o de large sur 2™, 80 de long et 0"',70 de
haut.
MELANGES. 551

Mais il prolonger la halte, car voici qu'à proximité


est nécessaire de
rie tombeaux taillés dans
roc sur des dimensions plus considérables
le

que celles des tombeaux aperçus en premier lieu, se dressent des


dolmens dont la table est sup})ortée
par quatre dalles formant un locidus
clos sur les quatre côtés verticaux. Dans
la pierre qui sert de façade est percée
avec assez de soin et quelquefois bor-
dée d'une feuillure une petite porte
comparable à l'ouverture des sépul-
cres voisins pratiqués dans la roche
vive. Évidemment, dolmens et tom-
beaux mêlés confusément font partie J-
^.
Fig. 4.
_
.

de la même nécropole. Le premier


dolmen à porte qui nous tombe sous les yeux (fig. 4) a sa face anté-
rieure brisée à moitié, vandalisme à mettre sur le compte de quelque
Arabe chercheur de trésor. Cette fracture a l'avantage de nous dé-
voiler l'intérieur de la cavité sépulcrale dont la hauteur est de 0'",85.
Son ouverture dirigée vers l'ouest n'a que 0™,37 de haut. Plus loin,
se montrent ouverts au nord-ouest deux autres mégalithes du même
genre, absolument intacts (fig. 5 et 6). Ils sont fermés avec un soin tout
particulier les jours que laissent d'ordinaire les blocs non équarris
:

qui font l'armature du dolmen sont comblés ici par des matériaux
plus petits appareillés ensemble, et en ceci nos dolmens participent
des nawâmis. Us tiennent aussi du tombeau par leur façade faite
dune dalle épannelée, creusée d'une ouverture régulière qui dans
l'un de ces monuments me-
sure 0'",51 de hauteur sur
O^jiô de large. Nous avons
maintenant à signaler un
roc évidé en chambrette fu-
néraire munie d'une porte,
mais qui serait à ciel ouvert
siTon n'avait placé au-des-
sus une grosse table de pier-
re. Cette façon d'obtenir
d'une seule pièce les quatre
montants verticaux du dol-
men coupait court aux interstices inévitables dans les autres mégalithes.
De la comparaison de tous les éléments dont se compose la nécro-
pole de Tawàhîn es-Soukkar il ressort un ordre logique, une pro-
5o2 REVUE BIBLIQL'E.

gression commandée par le souci toujours croissant de mettre les


morts à Tabri des atteintes de l'extérieur. Entre le demi-dolmen,
simple table de pierre sur deux sup-
tombeau taillé entière-
ports et le
ment dans le roc, on peut constater
ici le mégalithe fermé sur trois
faces indépendamment de la table,
puis le mégalithe clos sur quatre
ou sans obturation des
côtés avec
en troisième lieu, le
interstices;
dolmen à base monolithe recou-
vert d'une table, enfin le tombeau
proprement dit nayant à lorigine que les dimensions restreintes
d'un caveau de dolmen avant d'aboutir à l'ampleur de l'hypogée (1).
Parmi toutes ces sépultures, une meule de pierre de 2'", 70 de dia-
mètre et de 0™,70 de tranche attire aussi notre attention. Encore
adhérente au rocher, elle est naturellement de la matière même de
la montagne, c'est-à-dire d'un calcaire brun, métamorphisé par des
éléments ferrugineux, d'un grain grossier, poreux parfois comme du
mâchefer. A vingt-cinq minutes de là. à l'ouest-nord- ouest il existe, iso-
lée au milieu de la plaine, une seconde meule semblable à celle-ci, de
2"°, 18 de diamètre sur 0'°,80 d'épaisseur. De même matière que la

première, il est évident qu'elle est aussi d'une provenance identique.


Partagée en plusieurs fragments demeurés en place, elle a reçu pour
ce motif des Arabes le nom de hadjar maflouq c pierre fendue ».

La proximité d'un ancien moulin à sucre nous invite à regarder ces


deux gros cylindres comme des meules destinées à broyer les cannes.
L'une d'elles n'a pas été détachée du lit de carrière pour une raison

quelconque. En tout cas, leurs tranches rugueuses étaient tout à fait


propres à donner les résultats que les industriels d'aujourd'hui de-
mandent à des cylindres de fer cannelés ou striés (2).
Une allusion de Yakoùt aux plantations de cannes à sucre situées

(1) GeUe nécropole à laquelle il donne le nom d'Ala-Saphai. a été visitée très rapide-
ment par DE LuYAEs qui a publié quelques croquis de dolmens dans son Voijarje d'explo-
ration à la mer Morte, p. 135. A en juger par ses dessins, il semble que l'explorateur et
ses compagnons soient tombés sur une partie de la nécropole où les dolmens sont moins
bien conservés que dans la région explorée par nous. Sur les dolmens palestiniens et leur
signification on devra consulter Vincent, Canaan, pp. 417 ss.

(2) LuDOLPHE DE SuDHEiM (1348). De itinere Terre Sancte [Archives de l'Orient latin, II,

p. 366), décrit avec soin la fabrication du sucre à son époque Czucarus exlraliitur e.r
:

canna mellis, que spatio alteriiis anni iuxta aquam plantatur et est quoddam genus
arundinis quod annuatim secafur et m mou molituk, et succus quidam de mola eutra-
hitur et hic colatur donec punis fiât.
MÉLANGES. 553

à Qarâwâ (1), localité qui se trouvait à une heure à louest du gué de


Dâmieh, me ferait croire que hadjar maflouq était une meule destinée
aux raffineries de cette localité. Durant son transport vers la cisjor-
dane elle se serait brisée. Les Tawàhin es-Soukkar ou moulins à
sucre maintenant en ruines sont fréquents dans le (ihôr. Sans parler
de ceux où nous sommes présentement arrêtés, on en voit encore au
sud de la mer Morte, dans la plaine attenante à la Lisàn et d'autres
dans l'ouâdy Far 'a et aux environs do Jéricho (2). La culture de la
canne à sucre importée de la Perse en Syrie grâce aux Arabes, fut au
moyen Age très florissante dans les parties chaudes de la Palestine,
notamment dans le Ghôr et sur le littoral phénicien (3). Tripoli et Tyr
avaient acquis un véritable renom par leurs plantations et leur
fabricationdu sucre (i Jéricho pouvait rivaliser avec elles 5). Quant
;

aux jardins de cannes à sucre de la rive gauche du Jourdain qui sont


pour nous d'un intérêt plus immédiat, leur prospérité se maintenait
encore en plein xiv" siècle (6). De nos jours, tout cela est ruiné et
abandonné. Pour remettre sur pied cette culture. Ton devrait rétablir
(ij Le Strange, Palestine under Ihe Moslenis, p. 480.
(2) Rev, Les colonies flanques de Syrie, p. -386. Clermont-Ganneau, Recueil d'arch.
orient., I, p. 162.
(3) Dioscoride et Galien décrivent le sucre comme provenant d'un roseau de l'Inde et de
l'Arabie, d'apn-s Ibn el-Beithar [XoUces et ejtrails..., XXV% p. 264;. La Perse parait avoir
été la station intermédiaire entre ces pays et la Palestine.

(4) Les plantations de Tripoli de Syrie sont déjà signalées au x' siècle par Istakhri. Or
la ville était habitée par des Persans que le calife Moàwiah y avait transplantés à la fin
du VII*' (Glv le Stuvnge, op. laitd., pp. 348 ss.). Nommée par les Arabes qasah es-
siècle
souliliar, la canne à sucre était appelée rannamella par les Occidentaux, mot auquel ils
donnaient une orthographe très variable. Pour la région de Tyr nous avons le témoignage
de Guillaume de T^n, Hisl., 13, 3 [liegio illa nulrit) et cananiellas, unde preliosissinia
:

usibus elmortalium necessaria madime, conficitur zacJiara : utide per institores


saluli
ad ultimas orbis partes deportatur. Foucuer de Chartres, Hist., 1,33, passant en haute
Syrie, le long de la côte Tune autern erant in ipsis agris cullis, per quos euntes
:

transibamus. tnesses qnasdam. quas vulgus vocal cannamelles, harundinibus fere


similes. A canna et nielle nomen coinposilutn, unde et mel silvestre, ut puto, dicitur,
quod de fiis snpienter conficitur. C'était en 1099, les Francs n'avaient pas encore pris
possession de cette partie de la côte syrienne.
(5) Blrchard (1283, éd. L virent, Peregrin. medii aevi quatuor, p. 58), 7, 36 Subter :

Quarentenam.... fons Helisei.... impellit magna molendina, et postea divisus in rivas


plures rigat calamellas et ortos cl jardinas usqne in Jéricho et infra, el influit in
Jordanem. Sur la production de la canne à sucre en Terre Sainte et la fabrication du sucre,
voir 12, 2 Iste canne collecte inciduntur ad longitudinem palme dimidie, et sic
:

e.ipri)nun(ur in prelo. Aqua inde ej pressa coquitur in caldariis eneis, et inpissata


colligitur in cophinis de subtilibus viininibus contextis. Ricoldo (1294', 4, 43 Laurent,
p. 109) Est enitn diclus ynons [te atalionis) super fluenta Jordanis et planiciem Jéricho,
:

que habet rivos, fontes et ortos magnos, sicut paradisus, et campos canamelle, unde
faciunt zucliarum.
(6) Jacques de Vérone (1335), ROL.. 1895, p. 212 Ultra istum fluvium {Jordanem),
:

sunt pulcre ville et cassalia et orti et jardini, et nascuntur ibi canamelle ad faciendum
554 REVUE BIBLIQUE.

en maçonnerie, refaire les moulins et surtout assurer au


les canaii-v
pays une entière sécurité.
On aimerait à prolonger la halte sur la hauteur de Tawàhin es-
Soukkar où l'on jouit d'une brise fraîche et d'une vue értendue sur

Phnt, Schumpp.

Fig. 7. — Les tlolmeas (fig. 3 A et fig. 4 .

le confluent du Jabboq et du Jourdain, sur les fertiles campagnes de


l'ouâdy Far a et la pointe du Sartabeh; mais il faut atteindre avant
la nuit le campement qui doit être dressé à 'Ammatâ. A 40 minutes
au nord de la montagne aux dolmens commencent de véritables cul-

tures; ce sont des céréales d'assez bonne venue. Un quart d'heure


plus loin, nous descendons dans la large dépression que forme la vallée
du Bordée par des dunes blanches et compactes, elle est
J.erqû.
tapissée de verdure et agrémentée par des pommiers de Sodome.
Bientôt des canaux amenant l'eau du Zerqà dans les champs dé-
trempent le sol et nous forcent de prendre un chemin plus rapproché
de la montag'ne. Alors nous passons sur une série de tells artificiels
recouvrant certainement des ruines. Sur le sommet de l'un d'entre
eux, Tell ed-Doldmj, gît un socle mouluré de pierre rouge. Enfin nous
voici au Jabboq même dont les eaux descendent impétueusement entre
deux lignes de lauriers roses. Quoique dans une période de sécheresse,
il élève encore son niveau presque jusqu'au poitrail de nos montures.
Immédiatement après les pluies, il eût été infranchissable. Au nord,
le cours d'eau est dominé par un tertre artificiel semé de fragments

cucarum et sunt ibi loca amena, longe tamen a fluvio. Le même pèlerin (p. 21) signale
aussi les plantations de cannes à sucre dans la plaine de Jéricho.
MÉLANGES. 555

de poteries, Mintah, au pied duquel nous prenons le repas de


le Tell

midi sous un Le Tell Deir 'Alla se dresse à 35 minutes


soleil ardenl.

au nord-est; nous y verrons dans la soirée quelques colonnes, les


restes d'un moulin et un ruisseau, simple dérivation du Zerqâ. De là
apparaissent les grès de la « porte du Zerqà », c'est-à-dire de sa sortie
de la montagne; ces grès sont d'un rouge plus pâle que ceux de
TArnon.
Nous sommes ici en pleine terre biblique, car on sait que le Zerqà
n'est autre que le Jabboq, célèbre dans l'histoire de Jacob, et qu'au-
tour du lit inférieur de cette rivière (planche, fig. 2) se sont déroulés
plusieurs épisodes familiers à ceux qui lisent la Bible.
D'abord, un peu au-dessous de l'embouchure du Jabboq se trouve
le gué du Jourdain connu sous le nom de Dàmieh, en amont duquel
se voit un pont ruiné complètement, laissé aujourd'hui en dehors du
lit actuel du fleuve. On dit généralement ce pont romain. 11 faut
plutôt l'attribuer au sultan Beibars qui en ordonna la construction
en 1266 (1). Tell ed-Dàmieh est situé à un kilomètre et demi à l'orient
du susdit passage. Il en
question dans le livre de Josué sous le
est
nom de Adam. Lorsque les Hébreux passèrent le Jourdain à pieds
secs, c'est là que le narrateur sacré fait suspendre le cours du fleuve :

« Les eaux descendant d'en haut s'arrêtèrent et s'élevèrent en un


monceau grande distance, près de la ville d'Adam qui est
à une très
à côté de Sarthan (2). » Sarthan revient dans le I'"^ livre des Rois.
C'est entre cette localité et Soukkoth que Salomon fit fondre les
colonnes et les ustensiles du temple (3). Suivant une conjecture ingé-
nieuse, le point précis de la fonte de ces objets serait au gué de
Adam, au Dàmieh (4). Soukkoth est évidemment dans la même région.
D'après le récit de la poursuite des Madianites par Gédéon, cette ag-
glomération serait à situer au nord du Jabboq puisque ce juge l'at-
teignit avant Penouel dont la tour commandait un des gués de la

il) RoEHKir.iiT, Eludes sur les Royaume de Jérusalem f Archives de


derniers temps dv
l'Orient latin, II, p.un renseignement emprunté à Nowairi. Lv^^.H, Xarralive
382). d'après
ofthe United States' Expédition ta tlie River Jordan..., p. 249 a Roman bridge spanning
:

a dry lied. Dans le résumé de quelques observations de Cl.-Ganneau sur le passage en


question de Nowairi, Watson {QS., 1895, 253 ss.) fait peu de difficulté pour assigner à Bei-
bars la construction du pont de Dàmieh. On trouvera dans le même article le texte et la
traduction du passage de Nowairi.
(2) Josue, 3, 16.
(3) I Reg., 7, 46. Au lieu de "imï, H Cliron., 4, 17 a nnilï. Cet endroit n'est pas
encore localisé; car l'identification avec le Qarn Sartabeh (Talmud :
X2'i2""'Dj ne s'appuie
guère que sur des apparences. Voir Cl.-Gaî«neal, Archxol. Research, II, p. 43.

(4) Moore : D-ix rniyc^ a" l'eu de n*2~S*n n2"*22, d'après Lagraxce, Le livre des
Juges, p. 139.
556 REVUE BIBLIQUE.

rivière (li. Il n'y a pas à douter qu'elle ne tut dans la plaine du


Jourdain ri). Le Talmud l'identifie avec Tar'ala dans laquelle il est

aisé de reconnaître le Deir 'Alla actuel (3). Saint JérO)me affirme


cependant que le nom de Soukkoth demeure encore de. son temps
attaché à une localité de la Transjordane dans la résion de Scytho-
polis (i). Or à 1.300 mètres à 1" ouest de Deir Alla se trouve un tel
dont le nom arabe est le correspondant strict de l'hébreu Soukkoth
(n'sc), c'est le Tell Aljsa:^. Pluriel de hot(:<s, aàsàs désigne les huttes
de branchages recouvertes de roseaux ou de palmes qui sont encore
en usage sur quelques points du Ghôr (5). Deir Alla n'a probablement
d'autre origine que l'exteDsion de la Soukkoth primitive qui, suivant
les antiques traditions des Hébreux, remontait aux cabanes établies
par Jacob, à son retour de Mésopotamie. Pour franchir le Jourdain,
les Bédouins de ces quartiers n'ont nullement besoin de se rendre au
Dàmieh, ce qui exigerait le passage du Zerqà parfois impossible. Ils
ont, directement à l'occident de Tell Ahsàs, l'excellent gué appelé
Mahadet Oumrn Sidreh qui leur permet de traverser le Ghôr en ligne
droite. Détail à noter la carte de Mâdabà place deux bacs sur le Jour-
:

dain, l'un vis-à-vis de la plaine de Jéricho, l'autre en amont du


confluent du Jabboq. mais elle omet de marquer le passage du
Dâmieh. Cette omission ne s'expliquerait pas s'il y avait eu en cet
endroit un pont romain.
On n'a pas réussi jusqu'ici à donner à Penouel une localisation
définitive (6). Gédéon y passa en allant de Soukkoth à logbeha qui
est située à proximité de Sait. Après avoir lutté avec Dieu, Jacob la
traversa. Aussi, serait-on porté à la mettre au sud du Jabboq (7i. Dans
ces conditions, il est nécessaire de faire passer de nouveau la rivière
à Jacob si nous voulons le voir arriver à Soukkoth:^ Deir Alla.

Jérusalem, le 10 mai 1901.


Fr. F. -M. Abel.

(1) Jud., 8, 4 ss.


(2'; Jos., 13. 27; I Beg., 7, 46.
(3) Talmud de Jérusalem, Schebi'ilh, 9, 2 n"^yir r1-C. :

(4) Quaest. in Gen., 38, 17 nos iabernacxila liabemus, in Hebraeo legitur


: T'bi

Sochoth. Est aulem usque fiodie civitas trans Jordanem-hoc vocabulo in parle Scytho-
poleos. A l'époque île saint .lérùme Scvthopolis el Jéricho se partagent la vallée du Jourdain.
Le Zerqà parait faire la limite entre les deux régions.
(5) Notre guide nous a donné de lui-même cette appellation qui conlirrne 1 indication Tell
Echsds relevée dans la carte de Schumacher.
(G'i Gen., 32, 33: Jud.. 8, 8.

(7y Tell ed-Dolàny répondrait assez bien à la situation de Penouel.


MELANGES.

m
QUESTIONS DE CRITIQUE LITTÉHMRE
ET D'EXÉGÈSE TOUCHANT LES CHAPITRES XL SS. D'ISAÏK

Dans la Revue biblique doctobro 1909 jai publié une étude sur 1'^-

bed-Jahvr et la composition littéraire des chapitres XL ss. d'Isaie[\).


Les deux dernières sections de cet article viennent de faire l'objet
de la part du P. Condamin d'un examen critique intitulé Les prédic-
tions nouvelles du chapitre XLVIJI d'Isa'ie, dans le numéro d'avril
1910 de la même Revue (2i. Mon étude y est envisagée d'abord au
point de vue de V exégèse (commentaire du cbap. xlviii d'Isaïe), puis
à celui de la poésie (stropbique etc.). Je me propose de reprendre
ces deu.v points de vue, en commençant par le dernier.

I
§

La reconstruction que j'ai proposée du texte, manifestement bou-


leversé en plusieurs endroits, des chapitres xl ss. à'Isaie, a été re-
poussée par Condamin, non seulement en ce qui regarde la dis-
le P.

position strophique, mais aussi pour l'ordre où j'ai cru que les textes
devaient être rétablis d'après l'exigence du sens. A en croire le
savant auteur de la traduction critique du Livre d'Isaie, je me serais
permis à cet égard des libertés que rien ne justifie. La question de
l'enchainement des textes au point de vue du sens étant fondamen-
tale, c'est par celle-là qu'il faut commencer. J'en parlerai donc sous

la lettre A: puis, sous la lettre R, il sera question des strophes.

1" Le point de départ de mon étude m'a été fourni par l'idée qu'a
eue Condamin lui-même de transposer le passage xlïf. 1 ss., de
le P.

la première partie, commençant au chapitre xl, dans la second»' par-

tie, commençant au chapitre XLix, du recueil formé par les chapitres

(1) A citer dans la suite, comme RB.. 1909.

(2) A citer dans la suite, comme RB., 1910.


oo8 REVUE BIBLIQUE.

XL-LV +
Lx-Lxii d'haie. Cette transposition du passage xlh, 1 ss., re-
latif au Serviteur individuel de Jahvé, de la première partie dans
la seconde, répond à la distinction nettement caractérisée qui les
sépare au point de vue de leur objet li. La question est de savoir <

où il convient de placer, dans la seconde partie, le morceau à trans-


poser? Dans les chapitres xlix ss. les principaux passages relatifs au
Serviteur individuel sont xlix, 1 ss. l, i-9 lu, 13-15 lui. Les deux
:
; ; ;

premiers (xlix, 1 ss. et l, 4-9) mettent en scène le Serviteur portant


lui-même la parole; dans le troisième, très court (lu, 13-15), c'est
Jahvé qui parler •présentant le Serviteur et faisant son éloge: dans
le quatrième (lui), qui fait écho au précédent, le prophète prononce

à la première personne, en son nom et au nom du peuple, le panégy-


rique du Serviteur. Or, dans xlii, 1 ss., c'est Jahvé qui parle, présen-
tant le Serviteur et faisant son éloge. Le P. Condamin insère ce mor-
ceau à la suite de xlix, 7. Je propose au contraire de le lire
immédiatement avant les trois versets lu. 13-15, de manière à former
avec ceux-ci un même discours de Jahvé, où règne une parfaite
unité et dont lu, 13-15 forment la conclusion i2). Ma proposition
témoigne-t-elle d'une liberté excessive?
2° Cependant le P. Condamin n'a pas eu tort de signaler, après xlix,
7. une lacune, que j'ai cru devoir combler autrement que lui, savoir
au moyen de l, i-9. Il reconnaît lui-même que l, 1-3 n'est pas « en
très bonne harmonie avec ce qui précède et ce qui suit » (3). Il faut

en dire autant, à plus forte raison, de l. 11 (i). Cheyne remarque


que les v\\ 10-11 ne se rattachent pas au contexte; Duhm et Marti
prétendent que les vv. 10-11 sont une addition d'une main plus
récente. Mais la cause du v. 10 n'est pas la même que celle du v. 11;
s'il est vrai que celui-ci respire un tout autre esprit que les textes

environnants, le ton du v. 10, qui annonce un discours du Serviteur,


est tout à fait conforme à la note dominante et ce verset peut être
conservé comme introduction àLi, 4 ss. (5). En constatant que le cha-
pitre L (1-11) n'est qu'un conglomérat de textes détachés, je n'ai donc
pas exprimé une opinion nouvelle. Les vv. V-9 en particulier sont un

(1) RB., 1909, p. 506 s.

(2) RB.. 1909, p. 525.


(3, Livre d'Isaie, p. 31 1. — Ce passage est. en revanche, parfaitement à sa place avant
XLII, 18 ss. Comp. RB., 1909, p. 513 s.. 515 s.

(4j Je profite de cette occasion pour corriger une erreur qui s'est glissée par méprise dans
la rédaction de mon article RB., 1909, p. 518. Lisez, à la ligne 18 s. : le v. 11, par son
objet et sa tournure, rappelle les chapitres lxv s., où il ferait bonne figure p. ex. après
Lxv, 12, ou après lxvi, 16 ou 17.
(5) v. RB., 1909, p. 517 s., 522.
MELANGES. îin9

fragment, dépourvu d'exordc, d'un discours du Serviteur : ce sont


ces versets qui m'ont paru devoir combler la lacune dans le discours
du Serviteur xlix, 1 ss., à la suite du v. 7. J'ai fait remarquer expres-
sément le lien qui rattache les vv. l, 7-9 à xlix. 8 (1). Cette propo-
sition témoigne-t-elle d'une liberté excessive eu regard de celles du
P. Condamin ?

3" Pour montrer l'extrême liljcité avec laquelle jai traitr le texte,

le P. Condamin insiste notamment sur


malheureuse transposi- « la

tion de XLVi, 1-2... à la fin de xlvii »; il ne doute pas un instant que


ces deux vers n'aillent beaucoup mieux à la suite de xlvi, 7 où il se
permet lui-même de les transposer (2). Mais l'insertion des vv. xlvi,
1-2 entre les vv. 7 et 8 du môme chapitre est une opération arbi-
traire et violente arbitraire, parce que les motifs allégués, s'ils
:

avaient ([uelque valeur (3), plaideraient simplement pour le maintien


des vv. 1-2 à leur place actuelle; violente, parce que l'imprécation
contre les dieux Bel et iNébo, insérée après le v. 7, rompt l'enchaî-
nement du discours vv. 3 ss. Ce discours est un rappel à la fidélité
adressé à Israël Jahvé s'est montré toujours plein de sollicitude
:

pour son peuple (vv. 3-4) ; les Israélites idolâtres, qui adressent leurs
hommages à des dieux d'or et d'argent, sont des insensés, leurs
idoles ne peuvent rien pour eux (5-7); puissent-ils comprendre cela,

(1) liB., 1909. p. 520.

(2) RB., 1910, p. 215, 216; Livre d'Isaie, [i. 280.

(3) Ces motifs sont 1°) la présence des mots qO" et xi:?: [porter et 'd^fz sauver) tant
aux vv. qu'aux vv. 3-4. Cette considération ne tend en aucun cas à justifier la trans-
1-2

position des vv. 1-2 à la suite du v. 7. D'autre part elle est loin d'établir d'une manière
décisive que les vv. 1-2 et 3-4 appartiennent au même contexte, pour qui a égard à la dis-
parité des idées exprimées de part et d'autre (voir plus loin;, et à la circonstance que
Jahvé, accumulant, au v. 4, les verbes qui signifient l'action de porter, se charger ("^3,0,

a^M, D'OV), répète avec emphase précisément le v. S^d qui ne se présente pas au v. 2.
On allègue 2°) que les vv. 1-2 « mettent les dieux de Babylone portés par leurs clients en
contraste avec le Dieu d'Israël qui porte son peuple » (vv. 3-4). Encore une fois il ne s'en-

suivrait rien pour la transposition de 1-2 après Je remarque ensuite qu'il y a contraste,
7.

peut-être, entre Jahvé qui dans son amour porte et soutient son peuple (3-4) elles Israé-
lites rebellesqui chargent leurs dieux d'or et d'argent sur leurs épaules pour les honorer
(v. 7); mais le contraste prétendu, noté aussi par d'autres commentaires, entre les dieux

de Babylone et le Dieu d'Israël, n'existe pas a) il n'est pas question des « clients » de Bel
:

et de Nébo qui porteraient ces dieux Bel et Nébo sont chargés sur les « bêtes de somme »
;

pour partir en exil, b Ce qui est mis en relief par l'image de Jahvé portant son peuple,
c'est uniquement son amour et sa longanimité, nullement sa gloire, ni la gloire de son
peuple; ce qui est mis en relief par l'image des dieux de Babylone emportés en exil, c'est
uniquement leur honte; les ordres d'idées auxquels se rapportent respectivement les deux
images .sont parfaitement disparates, c) Enfin il est clair que c'est le blâme à l'adresse des
Israélites idolâtres qui est l'objet du discours vv. 3 ss. or le rapprochement entre Jahvé
;

portant son peuple et Bel et Nébo emportés en exil, n'aurait eu avec ce blâme qu'un rap-
port tout au plus très indirect et très vague.
560 REVUE BIBLIQUE.

les rebelles, et compte que Jahvé n'a point d'égal


se rendre
(vv. 8 ss.)... Il est de toute évidence que le v. 8 se rattache étroite-
ment au V, 7; que Ton compare, s'il en est besoin, comment, dans
un contexte parallèle, le v. 21, au cbap. xuv, se rattache au v. 20.
— La seule raison plausible d'ôter les vv. 1-2 de leur place, c'est
que par leur objet et leur ton ils sont étrangers aux discours des
chapitres xlv et xlvi au milieu desquels ils se trouvent. Contre leur
transposition à la fin du chapitre xlvii Condamin trouve à objecter que
dans tout le poème de ce chapitre Babylone est apostrophée à la
deuxième personne, tandis que xlvi, 1-2 il est question des dieux de
Babylone à la troisième Mais c'est Jahcé au chapitre xlvii qui inter-
!

pelle Babylone à la seconde personne (vv. 3 et 6), eile pi^ophète fai-


sant écho aux menaces divines, ne pouvait, dans Tépilogue renfermé
aux vv. XLVI, 1-2, mieux parler de Bel et de Nébo qu'à la troisième.
Voyez comment, à la suite de la satire contre le roi de Babel, où
celui-ci est apostrophé à la deuxième personne par le peuple de Jahvé
[Is. XIV, 4-20''), il est question de lui et de Babylone elle-même à la

troisième personne dans l'épilogue (xiv, 20' -23). Il y a d'ailleurs un


rapprochement à signaler entre la fin du chapitre xlvii et xlvi,
2 (1). Enfin la transposition de xlvi, 1-2 n'a jamais eu pour moi
que la valeur d'une conjecture (2).
4° Le P. Condamin me fait un grave reproche (3) d'avoir transposé
le V. Li, 16 et d'avoir ainsi ruiné « la très notable inclusion » que ce
verset, à la fin du « poème », forme avec le début de ce même
6''

poème XLix, 2. Nous parlerons un peu plus loin des harmonies du


« 6" poème ». En attendant voici le v. li, 16 :

•Te mets ma parole en ta bouche


et à l'ombre de ma main je te protège,

(1) BB., 1909, p. 517. J'ai suggéré à ce propos pour le mot NiTlZ. dans xi.vi, 2, une lec-

ture s'écartant de celle des Massorètes. D'après la lecture traditiounelle le sens serait :

« ... ils (Bel et Nébo) ne peuvent sauver ce fardeau... » ; or le texte poursuit : « ... et

eux-mêmes s'en vont en exil ». Bel et Nébo s'en allaient en exil précisément en tant qu'ils
s'identifiaient avec leurs statues (— le fardeau). On ne comprend donc guère la gradation
exprimée dans les deux membres. N'y aurait-il pas lieu de lire K-i:,"î2 (= X''"C'D) au lieu

de NÙTD? Le sens serait : « ils n'ont pu sauver les porteurs (lilt. le cliargenr), et eux-

mêmes s'en vont en exil » : ils n'ont pas pu sauver ceux qui maintenant en sont réduits à
les charger sur des bêtes de somme (v. 1), etc.

(2) C'est ce que j'ai laissé 1. c, p. 513


entendre assez clairement« 7/ semble bien que :

XLVI 1-2, décrivant la chute de Bel de Nébo, ne saurait être maintenu à sa place ac-
et
tuelle... XLVI, 1-2 doit appartenir, croyons-nous, au discours du chapitre xlvii sur la défaite
de Babylone, et en formait sans doute la conclusion ».

(3) RB., 1910, p. 214 (au bas).


MELANGES. 561

Pour déployer des cieux et foader une terre,


et pour dire à Sion : mon peuple c'est toi !

Quoi qu'il en soit de l'inclusion du 6''


poème :

Ce verset n'est pas à sa place en cet endroit et je ne suis certes


a)
pas le premier à en faire la remarque. Il est évident que le discours
vv. 12-15 sadresse au peuple, plus spécialement à Sion elle-même \\)
tandis que le v. 16 renferme une parole adressée à un sujet distinct du
peuple, qui reçoit la mission de dire à Sion : « Mon peuple, c'est toi! ».

D'après une observation faite par le P. Condamin sur le second


membre du v. [Le livre d'Isaïe, p. 3iiu le sens devrait être « je mets :

ma parole en ta bouche, ô Israël, pour dire moi-même à Sion :

mon peuple, c'est toi! » Ce qui n'est pas admissible. C'est le sujet
apostrophé qui reçoit la mission de dire à Sion, au nom de Jahvé,
dont la parole est mise en sa bouche : mon peuple, c'est toi!
b) Le sujet apostrophé li, 16 est le Serviteur de Jahvé. Cela se recon-
naît aussitôt à la nature même de la mission qui lui est attribuée et
qui est la même dont le Serviteur apparaît chargé dans tous les au-
tres endroits où il est mis en scène, savoir celle d'accomplir, comme
ministre de .lahvé, la double œuvre du salut d'Israël et de la rénova-
tion religieuse du monde.
Cl Le V. LI, 16 est donc un fragment d'un passage exposant la mis-
sion dont Jahvé, au discours direct, investit son Serviteur. Ce pas-
sage peut-il être retrouvé dans notre recueil à'Is. xl, ss.? Le P. Con-
damin constate la relation étroite qui rattache li, 16 à xlix, 2. En
cela il a raison. Seulement les deux passages sont reliés entre eux, non
pas comme formant l'inclusion du « 6" poème ». mais comme faisant

(1) Au V. 12" le sujet auquel le discours s'adresse est désigné au pluriel dans le TM. : ego
consolabor vos. Mais LXX a le singulier :... 6 jtapxy.aXwv ers. qui est selon toute probabilité à
rétablir conforwément au contexte suivant. Dans 12'' le sujet interpellé est conçu au fém.
singul. c'est SiO/i, tant d'après .Mass. que d'après LX.X. Au t. 13 le discours tourne brus-
:

quement au masc. singul. .\ la rigueur ce changement pourrait se justifier par la considé-


ration que Sion et le peuple sont logiquement identiques. Cependant il convient de remar-
quer 1° qu'aux vv. 13-15 la forme masc. n'est en somme marquée que par la ponctuation
inassorétique ; les verbes -nîn" ... n-t'r" pourraient se lire ... nSCr^T :
2> d'ailleurs dans

le premier verbe au v. 13 le "i final du fém. pourrait avoir été omis par haplographie, le

nom suivant (ûTî'^) commençant par ^ : et une fois cette faute commise il était naturel que
la lecture s'en ressentîtdans la suite du texte. 3" Dans les chap. xlix ss. c'est généralement
Sion ou Jérusalem, pas Israël ou Jacob ou le Peuple^ qui est apostrophée au singulier-
Dans le contexte même de notre passage Sion venait précisément d'être nommée v. il;
comp. v. 3) et c'est Sion ou Jérusalem qui continue d'être le sujet adressé (vv. 17 ss. ui. ;

1 ss...). Il semble donc que le féminin employé v. 12'' doive être rétabli aussi aux vv. 13-14.
C'est là d'ailleurs un point sans importance pour la question qui nous occupe en ce moment.
REVUE BIBLIOUE 1910. — X. S., T. Vil. 36
REVLE BIBLIOLE.

partie dun même contexte, li, 16 est à lire, du moins selon toute pro-
babilité, à la suite de xlix, 3. C'est le Serviteur qui parle :

i9, 3 Et il [Jahié] m'a dit : < Tu es mon Serviteur,


par toi je me glorifierai !

oi, 16 Je mets ma parole en ta bouche


et à Tombre de ma main je te protège,
Pour déployer descieux... >
(1).

Cette proposition se justifie :

a. — Négativement, par l'impossibilité de rattacher le v. li, 1G à


aucun des autres passages relatifs au Serviteur, alors qu'il n'est mani-
festement qu'un fragment de l'un ou l'antre texte de cette catégorie.
,3. —
Par le contexte immédiat. Il était en effet naturel que Jahvé
eût ajouté de quelle manière il allait se gloi^ifier par le Serviteur.
Le v. LI, 16 offre dans tous les cas un développement parfaitement
approprié de la parole xlix, 3 (2).

-;. — Par le rapport dans lequel li, !(> se trouve avec xlix, 2. Les
termes sont en partie répétés de l'un à l'autre verset. Et de plus le
voisinage immédiat de li, 16 aide à mieux rendre raison de la modi-
fication que le texte a subie xlix, 2.
Mais ici le P. Condamin nous arrèle. Il me fait un grief, appuyé du
même point d'exclamation que le précédent, d'avoir aussi, par une
correction téméraire, violé au commencement du « 6" poème » l'inclu-

sion qui le distingue.


Dans sa teneur actuelle le texte en question porte :

(1 Le que ce passage ait pu s'égarer si loin de sou contexte primitif, ne sera pas plus
fait

(liliicile que le cas p. ex. de \u, 6-7 à reporter après \l, 19 et bien d'autres cas
à expliquer
analogues. Voir RB., 1909. p. 507. Il est très possible que la ressemblance matérielle de
LI. 16 avec u, 13'. ait été pour beaucoup dans le désordre que l'on couslale en cet endroit.

LI. 16 peut avoir été écrit à coté de li. 13 d'abord comrue glose, par manière de rappro-

chement ou de référence. Puis, entré ici dans le texte, il aura été supprimé après xlix. 3 pour
éviter le double emploi. Le P. Condamin n'ignore pas que le texte a été sujet à des manipu-
lations de ce genre; comp. p. ex. la note sur li. 11 [Le livre d'Isaie, p. 308| etc.
2) Notons en passant que les interversions opérées par le P. Condamin dans les vv. xlix

1-4 Le livre d'Isaie. p. 296) sont arbitraires. Il n'est pas conforme au contexte de suppo-

ser que la plainte du Serviteur au v. 4 est directement motivée par ce qui est dit au v. i
(mis en réserve, je me croyais mis de côté, abandonné]. Car 1" les mots il a fait de ma :

bouche un glaive tranchant, il a fait de moi une flèche aiguë, signifient au contraire la cons-
cience qu'a le Serviteur de sa glorieuse destinée; 2° aussi ces mots sont-ils le développement
immédiat du v. l*" « Jahvé m'appela dés ma naissance... »; 3" le Serviteur ajoute
:

V. !' « dès le sein de ma mère il a nommé mon nom »


: le v. 3 qui indique ce nom donné ;

au Serviteur dès sa naissance (cf. v. 5 se rattache étroitement au v. 2 comme suite immé-


diate au V. 1 et ne peut pas être logé à la suite du v. 3 où ce nom est déjà supposé donné!
MÊL-\.NGES. -.m

iO, 2 : Il de ma bouche un glaive tranchant,


a fait
m'a caché dans l'ombre de sa mnin (TTi);
il

Il a fait de moi une flèche aiguë,

il m'a mis en réserve dans son carquois


;

3 Et il m"a dit « Tu es mon Serviteur.., » etc.


:

Comprend-onla fig"ure consistant à représenter le glaire tranchant


comme caché dans Fomljre de la main? VA se Texplique-t-on mieuv
quand on considère c[u'au vers suivant l'auteur reste fidèle à l'image
en disant de la flèche aiguë quelle est mise en réserve dans le car-
quois? On attend dans le premier vers, en vertu du parallélisme, la
mention d'un objet qui soit au glaive ce que le carquois est à la flèche,
c'est-à-dire lamention du fourreau. Le mot "J": fourreau ressemble ma-
tériellement très Jnen à sa main, et déjà de ce chef la correction
';"''

de 1"* en \~: n'a rien que de très plausible. .Pajoute que la corruption
du texte aura été favorisée par li, 16 où il était question de Jahvé pro-
tégeant son Ser\'iteur à l'ombre de sa main: si l'on admet que les deux
passages appartenaient au même contexte, on s'expliquera aisément
que « Tombre de la main » se soit étendue de li, 16 à xlix, 2. Lisons
donc hardiment en cet endroit :

Il a fait de ma bouche un glaive tranchant,


il m'a caché dans l'ombre du fourreau.

Le lecteur peut juger si les libertés que me reproche le P. Condamin

ont été excessives. Pour être complet il aurait dû rappeler qu'en plus
dune occasion je me suis attaché à défendre contre lui, soit l'authen-
ticitéde tel passage qu'il rejetait sans raison ji. soit le maintien d'un
passage à l'endroit qu'il occupe \1), soit l'intégrité de tel autre pas-
sage qu'il augmentait gratuitement d'un stique 3), soit aussi simple-
ment une « localisation » différente de tel texte, reconnu par lui-même
comme égaré hors de son contexte primitif, mais qu'il rapportait à
un endroit auquel on ne pouvait le rattacher qu'en faisant violence
au sens [\). C'est qu'il m'a semblé c[u'en cette matière, où l'on pro-

fl) Par ex. xui, que Condamin commence par traduire « ... on les a tous enchaînés
22'' :

dans des trous... rejette ensuite comme une glose de forme prosaïque. Le sens
». et qu'il

est : « ... Ils furent capturés dans les cavernes, tous, —


et dans les prisons ils furent,

cachés ». Cf. RB., 1909. p. 515, 516.


'2) P. ex. xLvni. 20 que le P. C. transporte à la suite m, 10. introduisant ainsi leServileur
Jacob dans la seconde partie du recueil, non seulement sans raison, mais contrairement au
plan général de l'œuvre. Cf. BB., 1909, p. 509.
3; Xu ch. LU. V. 14, dans un morceau relatif au Serviteur de Jahvé {Le livre d'Isaie.
p. 318), cf. RB., 1909. p. 525.
4 P. ex. \Lvni. M qui parle du passé, et malgré cela transposé par C. avant iai, 11 où il

ne peut être entendu qu'au futur {Livre d'Isaie, p. 316 ; comp. RB., 1909, p. 522).
564 REVUE BIBLIQUE.

cède uniquement par conjecture, sans l'appui des versions anciennes,


« toute transposition doit être justifiée par des raisons solides » (Con-

damin, Livre d'haïe, préface, p. xi)..

J'avoue que je suis assez embarrassé de l'altitude à prendre en pré-


sence de la condamnation de mes strophes par le P. Condamin. Le
sort de ces strophes, au fond, ne m'intéresse pas outre mesure et la ;

preuve qu'elles ne seraient qu'un jeu de l'iuiaeination m'aurait sans


doute moins étonné que la « trouvaille « que je crus en faire. D'autre
part, dans la critique dont elles ont été honorées, plusieurs faits im-
portants ont été perdus de vue. Peut-être y aura-t-il quelcpe utilité,
à un point de vue plus général, à les signaler à l'attention.
1Dans son article Poetry ii, Budde a foj-mulé à ])on droit cette
"

règle « En aucun cas la recherche des strophes ne peut faire aban-


:

donner Vunité de mesure établie avec certitude le vers à membres :

parallèles... Jamais la fin d'une strophe ne peut séparer les éléments


d'un vers; c'est le vers, non le stique, qui doit demeurer la mesure
à appliquer à la strophe. » Lorsque Condamin trouve là la condam-
nation absolue du vers monostique, il se méprend sur le sens de
cette règle (2). J'ai moi-même pris le principe formulé par Budde
comme règle invariable; c'est le vers complet, non le stique, que j'ai
pris comme unité de mesure jamais à la fin d'une strophe je n'ai :

laissé un vers inachevé. Comme l'écrit encore Budde, au même en-


droit (p. k:"), « dans la poésie hébraïque il est de règle que plusieurs
stiques, deux dans la grande majorité des cas, sont combinés pour
former un vers >. La question est de savoir ce qu'il faudra faire
éventuellement d'un membre de phrase, d'un stique isolé, ne présen-
tant en fait aucun parallélisme ni avec celui qui précède ni avec ce-
lui qui suit? Budde ne nie point que le fait, reconnu par des juges
autorisés et qui relève d'ailleurs de l'obserA ation directe, puisse se
présenter: il attire lui-même l'attention sur la liberté plus grande
propre notamment à ces compositions poétiques des prophètes qui
développement oratoire d'un oracle divin (1. c., p. \1^) (3).
ofl'rent le

Pour contester d'une manière absolue et a priori la possibilité d'un

(1) Ap. Haslings, Dictionary of the Bible, vol. iV, p. S^.

(2) RB-, 1910, pp. 208, 215, 216. On voit que le P. Condamin y tient.

(3) J'ai considéré Is. xlvi, fi" et 7", comme des vers complets monostiques précisément
parce qu'en fait ils ne font parallèle ni entre eux ni avec les stiques environnants (HB., 1909,
p. 517). Le P. Condamin me fait remarquer que j'ai eu tort de trouver dans Le Livre
d'Isaïe, p. 100, un exemple d'un vers monostique c'est une faute d'impression qui ma
:
MÉLANGES. ni)n

vers complet monostique. il faut oul)lier le sage avertissement donné


par le même auteur, à la fin du chapitre sur la strophique : « somme
toute, en cette matière... le doute est plus prudent que ravougle con-
fiance » 1. c, p. 9' .

D'ailleurs les deux monostiques qu'on me
reproche auraient pu servir à former des distiques comparables à
certains autres, soit en construisant simplement :

46, 6'^ Ils se prosternent :


— oui, l'adorent ils !

7=» Ils le soulèvent; — sur leurs épaules ils le chargent (1)!

soit en supposant quelque « lacune » (-2 .

2' Le chapitre lui à'Isaïe est formé tout entier de distiques réguliers,

sauf, dans la traduction du P. Coudamin. au v. 10. un passage très


obscur, oîi Ton voit s'aligner deux tristiqiies.
Sur l'observation que j'en ai faite, le P. Condamin me lance cette

induit en erreur. Soit. Mais le typographe n'était pas trop mal inspiré. Car dans la phrase
ainsi partagée :

/.v, -2 Sur une niontague nue levez uu étendai'd,


poussez un cri vers eus,
Faites-leur signe de la main,
pour qu'ils entrent par les portes des prini^es :

les trois premiers membres sont parallèles et devraient donc former un Iristique, de ma-
nière à laisser le quatrième comme un vers monostique. Au reste voyez encore p. ex.

p. .")'j du même ouvrage, les deux vers 9,


0'=''
:

Pour l'affermir et le consolider.


dans le droit et dans la justice,
dés maintenant et à jamais.
Le zélé de Jahvé des Armées fera cela.

Ici il n'y a pas de faute d'impression? Il arrive aussi que la forme des distiques ne res-
pecte guère le parallélisme des membres; p. ex. :

'(2, 7 Pour ouvrir les yeux des aveugles,


pour tirer de prison les captifs
Et du fond du cachot xSx r^2*2
ceux qui iiabitent les ténélires ~j\^'n ''2U*1

où le parallélisme demanderait (comp. Duhm :

Pour ouvrir les yeux des aveugles,


Pour tirer de prison les captifs.
du fond du cacliot ceux qui lial)itent les ténèbres.

(1) Duhm p. ex. dans Is. xm, 3 compte comme un stique le mot "'UJTp'rZ^. 0" trouve
aussi chez Condamin des distiques à membres parallèles comme le suivant :

Is. :>, 3 Jugez, je vous en prie, | {^^"VCSîù*


entre moi et ma vigne,

où le premier stique ne compte en réalité qu'un mot en hébreu.


2; Ces « lacunes » seraient assez fréquentes, d'après le P. Condamin. Sur U. xu, 8
p. ex. il dit en note : •(un membre parallèle parait manquer ». Et si en réalité il ne

manquait pas, comme il parait à beaucoup d'autres?


:i66 RE\UE BIBLIQUE.

riposte Le prophète n'ayant eu aucune connaissance de la di-


: «

vision en d'argumenter du « chapitre lui » il


chapitres, au lieu
aurait fallu faire appel à la structure régulière de tout le poème
(et cette raison n'eût pas été décisive, car le poète reste libre dans

l'emploi des tristiques)... a) je n'aurais pu en aucun cas argu-


» Mais
menter de «»; puisque
tout le poème
« tout le poème », quant à

ses limites précises, n'est pour moi, comme sans doute pour tout le
monde, qu'une simple hypothèse. J'ai argumenté du chapitre lui,
parce que dans tous les cas le chapitre lui se compose exclusivement
d'un morceau marqué d'un caractère spécial en regard des strophes
qui précèdent. Le chapitre lui est un hymne où le prophète élève la
voix à la première personne pour exalter en son nom propre et au
nom du peuple les souffrances et la mort expiatoires du Serviteur.
b) Je n'ai pas cherché dans les deux tristiques du P. Condamin de
raison décisive ;\e n'ai parlé que d'un (* inconvénient » et d'une « forte
présomption » qui en résultaient dès l'abord contre la construction
adoptée par lui. Il y a vraiment bien d'autres difficultés que celle-là
auxquelles la traduction du P. Condamin se heurte. Le problème
porte tout d'abord sur le point de savoir si '''?nrî au v. 10 doit être
rattaché à ce qui précède ou à ce qui suit. Et il valait la peine de
noter que dans le second cas on obtient des distiques conformes au
rythme qui règne dans tout le morceau; tandis que dans le premier
on aboutit à des tristiques qui, en ce seul endroit troublé, s'écarte-
raient du rythme général (1).
3" Dans la division des strophes que j'ai proposée pour Is. xlii,
1-7 -\- lu, 13-15 -h LUI, j'ai, dit-on, violé la loi du sens, « la plus
essentielle de la strophique » {RB., 1910, p. 210).

(1) Il est vrai que les Massorètes et les anciennes versions s'accordent à soutenir l'hy-
pothèse qui relie "iSrin aux mots qui précèdent, sans être d'accord toutefois à attribuer à
"iinn la même fonction dans la phrase. Mais les Massorètes et les anciennes versions n'ont
connu que notre texte déjà corrompu; que signifie dès lors le soutien dont on se prévaut?
Sans doute la Vulgate traduit .si posuerit... Mais il est,
: critiquement, tout à fait invrai-
semblable que saint Jérôme ait lu "'il""' au lieu de DlÙTl sa version représente une adap- ;

tation du texte à l'idée qu'il croyait y découvrir, de même que les LXX ont éprouvé le be-
soin d'en faire une adaptation en un sens différent : èàv Swte (a''iL*n) ^^ep' à\ia^i!.a.i, ?,

<!iruyri 0[ià)v..., d'où l'on ne conclura pas qu'ils aient lu au lieu de ICEù- De même
^•CEJ
en présence du grec -rri; 7:).Y)Y?iç, ou n'a pas le droit de conclure de la Vulgate in infirmi-:

tate, que saint Jérôme ait lu avec la préposition i-TîZ. L'interprétation du chap. lui dans
le sens des souffrances expiatoires du Messie n'a aucun besoin de la phrase conditionnelle :

s'il oD're sa vie en sacrifice... Je ne sais si Skinner a raison de dire que la dilficullé prin-
cipale de l'hypothèse suivie par Condamin réside dans la forme conditionnelle de cette
phrase; il a en tout cas raison d'ajouter qu'aucune explication satisfaisante n'en a été don-
née. L'examen du contexte, autant que des éléments de notre texte certainement corrompu
MÉLANGES. o6T

Preuve : « La strophe lui, 4-6 » est « particulièrement bien déli-


mitée par le sujet : Il a soutîert pour nous... Il est clair que l'on ne
peut pas... détacher le v. 6 pour le joindre à la strophe suivante ».

Réponse dans la stro])he suivante il ne s'agit pas autrement de


: Si

ce même sujet, soit. Mais au cas contraire? On ne peut perdre de


vue que dans la strophe suivante il est toujours question du serviteur
qui a soufl'ert pour nous, savoir au v. 8 u et pour le péché de mon :

peuple mis à mort ». Était-il nécessaire que ce trait demeurât isolé


dans la strophe en question? [RB., 1909, p. 126 .

\" Il est à Condamin (7?/)., 1910, p. 211 m'ait pas


regretter que le P.
jugé convenable de contrôler mes strophes au point do vue de ce
que D. H. Mftller appelle Xinrlus'ion, la Responsion et la Concate-
tiatio, cest-à-dirc des correspondances d'idées ou des répétitions de
mots qui à lintérieur d'une même strophe servent à on marquer les
limites [inclusion), ou qui relient les ditférentes strophes entre elles
Responsion et Concatenatio) (1 .

Prenons comme exemple le poème xlii, 1-T -+- lu, 13-15 -4- lui
RB., 1909, p. 525 s.). La première partie, xlii, 1-7 lu, 13-15, est un +
discours de Jahvé en trois strophes, auquel répond comme seconde
partie du poème, l'hymne du prophète, au chapitre lui, ég^alement en
trois strophes. Or. dans cet hyume le nom de Jahvé se lit en tout quatre
fois : LUI, 1, 6, 10'. 10''; et il se fait que trois fois 1. 0, 10'') il arrive
comme « Responsion » entête des trois strophes consécutives, tandis que
la quatrième fois (10") il forme inclusion, à la lin de lantistrophe, avec
6 {RB., 1909. p. 526). Est-ce par hasard? De plus, le commencement de
m'a conduit à la restitution, ({ue je n'ai proposée que comme une conjecture ax l^n" :

"U*EZ StaJxn liit- : il affligea, comme si elle eut été coupable, son àme [RB. 1909, p. 527 s.).
Je me demande aujouriibui s'il ne vaudrait pas mieux lire i"*"."! [;^^ ^T]''^X\T\ le parf. aug-

menté du suffixe), ce qui donnerait :

Mais il plul à .lalivé de le broyer,


il le frappa comme s'il eût été coupable lui-même!

savoir comme les malfaiteurs et les impies parmi lesquels il reçut la sépulture (v. 9] ou,
peut-être mieux, comme ceux pour qui il était frappé (vv. 5, 6, 8).

(1) A la « Responsion « verbale, MùUer insiste beaucoup sur la « Responsion


coté de )>

lies mentionnée d'ailleurs aussi par Condamin (v. Mùller, Die Propheten in ihrer
idées,
urspr. Form, 1896, I, pp. 195, 196, 203 etc.; Strophenhau und Responsion. 1898, p. 23 etc.;
Komposition und Strophenhau, 1907, pp. 8 ss., 97...). Muller appelle Concatenatio » le «^

procédé par lequel deux strophes sont reliées entre elles moyennant la reprise au commen-
cement de l'une du trait linal de la précédente. C'est la Responsion. d'après Millier, qui
remplit le généralement observée. D'après lui, .Michée
rôle le i)lus important et est le plus
et Jérémie, p. ex., n'ont pas Concatenatio « proprement dites (Prophelen,
Vinclusion et la «

p. 203 s.): de même « dans Deutéro-Isaïe, dit-il, il se présente relativement peu de cas de
( oncatenatio et d'inclusion » (p. 205). Rappelons encore que le parallélisme et la symétrie
dans « la Responsion » et l'inclusion sont loin d'être toujours d'une rigueur absolue. U est
inutile de le prouver par des exemples.
368 REVUE BIBLIQUE.

l'antistrophe un cas de « Concatenatio » avec la strophe


(v. 6) offre

précédente en formant inclusion avec y. 8'' et 10' (voir


(v. 5^ tout
plus haut, 2" note et 3°). D'autre part, dans la première partie du
même poème [RB., 1909, p. 525), la « Responsion » se trouve observée
entre I (xlii, 1 ) et III [LU, 13) fis ; entre I (xlii, 1"), II (xlu, 6") et III

LTi, iô^) : et pour l'analogie des idées entre II (xlii, 7) et III (lu, 15").
— Les autres strophes reproduites dans mon article donnent lieu à
des remarques analogues i2\
5* La reconstruction strophique proposée dans mon article détruit
la symétrie et le parallélisme harmonieux des poèmes reconnus par le

(1) Noter des cas de « Responsiou » entre la « strophe inlerinédiaire » (III) et une strophe
(I) précédente, ou une antistrophe (II) suivante, ap. Condarain, Le livre d'Isaïe, p. 250 s..

251 s.

(2) Voici quelques autres exemples de l'observation de ces lois dans les strophes en ques-
tion. Les strophes que j'avais en commun avec le P. Condamin ne sont pas prises en consi-
dération. Je cite d'après la pagination de la MB.. 1909 :

Responsion :

P. 515 I [50, 1) — II (i2, 22) : le peuple livré à ses ennemis.


— I (50, 2) — II (-42, 18, 20) : le peuple sourJ.
— II (42, 18) —m (-42, 2.3) : Sourds, entendez! — Qui de vous prêtera
l'oreille?

5t9 I (49, 1'} — II (49, 5) : leServiteur appelé, formé dès sa naissance.


519 s. II (51. 16) — II (49, 6) : double mission du Serviteur.
520 II (49, 6) — III (49, 7"*] : l'œuvre du Serviteur à l'égard des nations.
— III (49, 7") — I (.50, 6, : le Serviteur mallraite.
— II [50, 7) —m (49, 8) : le Serviteur secouru par Jahvé.
521 I (49, 11-12}— n (49, 17) : retour des exiles.
— I (49, 13) — II (49, 18) : exaltation de Sion.
522 I {5i, 4) — II (5/, 7) : invitation à écouter.
— I (ôi, 5) — II [51, 8) : justice, salut.
523 I (57, IS*") — II [51, 19) : épreuves infligées au peuple.
— II (.5/, 17') — III [51, 22'') coupe du vertige.
: la

523 s. I [52, 1) — II (.52, 7) : Sion dans le 1" groupe de vers. )

524 1 [52, 2) — II (52, 8) : Sion dans le 2 groupe de vers. )

— I [52, 3) — II (.52. 9) : Jahvé rachète son peuple ("rNi). — Etc.


Concatenatio.
P. 515 I (.50, 3) — II (42. 18) voir l'annotation HB.. 19o9. p. 516.
521 I (49, 15) — II (4.9, 16 .

— III [49, 10' — I (49, 11).


523 II (.5/, 20') — III (5i, 21). — Etc.
Inclusion :

P. 519 strophe I : 49, 2 — 51, 16 (la bouche du Serviteur, l'ombre).


519 s. strophe II : 4.'/, 4 — 49, 5 — 49, 6 (moi je disais; — Jahvé m'a dit; — et il

dil\
522 strophe II : 51, 6'" — 51, 8" (comme un vêtement...).
523 strophe I : 51. 12 — 51, 15 (...^ZIN, — ''-iN";).
— strophe II : 51, 17'' — 51, 20** (la coupe de la colère... : ivres de la colère...'.
524 strophe 11 : 52, 7'" — .52, lO*" (le salut, ton Dieu; — le salut de notre Dieu .

Etc.
MÉLANGES. .169

P. Condamin et auxquels il attache la plus grande importance [HB.,


1910, p. 212 ss.).

a) le chapitre un dont il vient d'être question


Tout d'abord pour
sous le 4°, on me
reproche d'avoir méconnu la belle ordonnance du
« poème LU, 13 —
lui », où la strophe lu, 13-15 par laquelle on le
fait commencer, répondait si bien à l'antistrophe lui, 10''-15, par la-

quelle on le termine {RB., 1910, p. 21V;. Mais d'après la disposition


des strophes dans mon article mêmes strophes
{RB., 1909, p. 525), ces
se répondent, l'une formant la conclusion du discours de Jahvé, l'au-
tre la conclusion de l'hymne du prophète, comme deux strophes al-
ternantes parallèles, et le mot il"' y garde toute la valeur qu'on vou-

dra lui attribuer (1).

b) C'est surtout le premier poème de la deuxième partie du recueil,


celui qui commence xlix, 1, que j'ai maltraité. C'est le « sixième poème »
du P. Condamin (2). Le poème correspondant, d'après ma reconstruc-
tion, est reproduit en entier. RB., 1909, p. ol9-52V s.
Le plan du sixième poème, tel que le conçoit le P. Condamin, est

exposé dans le Livre d'haie, p. 236. Ce qui frappe ici tout d'abord l'œil
du lecteur, c'est que les huit premières strophes du poème et les huit
dernières comprennent de part et d'autre exactement 52 vers. Cela
du hasard? Avec la meilleure volonté, je ne puis
pourrait-il être l'effet
y voir, au mieux, qu'un effet du hasard. Notons que le poème, d'après

le P. Condamin, comprend en tout vingt strophes. Or la correspon-


dance entre les strophes supposées symétriques existerait seulement,
quant au total que l'on obtient en additionnant le nomlîre de vers, pour
les huit premières prises en bloc, en regard des huit dernières prises
en bloc; et cela malgré que la 9^ strophe se rattache à la S^ aussi
étroitement que possible, no?i seulement parce que pour le sens elle
ne fait que poursuivre, sans aucune interruption, le développement
des promesses adressées à Sion, mais parce que les termes ynêmes de
la fin de la 8" sont reprisau début de la 9" 3 Dans ces conditions ' i
!

il que l'on ne saurait considérer la correspondance signa-


est évident
lée au point de vue du nombre des vers, comme voulue par l'auteur.
Examinons à présent les répétitions de formules ou d'idées qui

Je rappelle encore une fois à ce propos que le caractère propre de l'hymne du chap. lui
(1)

est mieux respecté dans l'arrangement qui y reconnaît une série complète de trois strophes;
V. plus haut i" et BB., 1909, p. 526. not. 1. —
On ne perdra pas de vue d'autre part que
chez le P. Condamin aussi il arrive souvent que la strophe alternante termine un poème (cf.
RB.. 1909, p. 51 i) à la p. 200 du Livre d'Isaie on trouvera par contre un poème qui s'ouvre
:

par la strophe alternante.


(2) Livre d'isaie. p. 296 ss.
(3) Condamin, Livre d'Isale, p. 301 (la strophe III est la neuvième du poème}.
o70 REVUE BIBLIQUE.

doivent étabKr la disposition symétrique des strophes d'après le sys-


tème du P. Condamin.
Tout (l'abord les quatre strophes du milieu ne sont pas utilisables
(Le livre (flsate,]^. 311).
La S'''<(rophe (xlix, li-19 offre comme note caractéristique commune
avec la iS" (l, i-6) l'appellation Mon Seigneur qui y est appliquée
(le part et d'autre à Jahvé. Mais cette note n'a rien de caractéristique
pour les strophes en question, vu : x. la fréquence de cette appella-
tion; 3. la différence qui s'o]>serve entre l'emploi qui en est fait aux
endroits indiqués, xlix. li offrant les deux noms "nx et n"~i sépa-
rément, et L, i les joignant en une seule formule: 7. le contexte eu
.~!*~"
ce dernier passage où la formule ""ITX est répétée plusieurs fois
de suite jusque dans la strophe suivante (l, 1). L'auteur ne voulait
donc pas en faire une note caractéristique de la 13" strophe.
La 6'' strophe (xlh, 8-9) répond à la 15^ (l, 10-11 par le fait que i

dans la première on lit C'est moi Jahvé : c'est ynon nom; dans l'au-
:

tre qu'il se confie au nom de Jahvé. Il n'y a entre ces deux phrases
:

pas d'autre point de rapprochement que la simple mention du nom de


Jahvé. Or encore une fois cette mention est trop fréquente pour que
l'on soit autorisé à voir dans le rapprochement en question autre
chose qu'une simple coïncidence. Ce qui, comme fait littéraire de ce
genre, serait beaucoup plus digne d'attention, c'est que dans le poème
tel que je l'ai reconstruit, la quatrième strophe à partir du commen-

cement se trouverait reliée à la quatrième en remontant de la fin,


par la mention du « dos » dans l'une et dans l'autre (l, 6; li, —
23; RB., 1909, p. 520, 523), le mot *; ne se trouvant employé nulle
part ailleurs dans tout le poème, ni dans tout le recueil de poèmes
d'/v. XL-LV -h LX-LXII.
La 5" strophe du P. Condamin xlu, ô-T) renferme cette parole
adressée au Serviteur : « Je t'ai appelé dans ma justice »; c'est ce
qui doit prouver sa corrélation avec la 16^ (li, 1-3) se rapportant à
Abraham et à Sara et dans laquelle se trouvent les expressions :

« Rapprochement que je ne puis m'em-


justice » et «je lai aj>pelé ».
pècher de considérer comme purement illusoire; car a. dans cette
16*^ strophe les deux expressions ne se trouvent dans aucune espèce

de rapport entre elles; ,3. le moi Justice s'y présente en un contexte


où il est répété plusieurs fois Jusque dans les strophes suivantes [U,
1. 5 [deux fois], 6, 7, 8); y la parole :
Je l'ai appelé appartient, sui-
vant l'avis motivé que j'ai exposé RB.;, 1909, p. 521 s., à un glose.
La 3" strophe (xlix, 7) comparée à la 18'' [L\. 7-8i offre avec celle-ci
une certaine analogie au point de vue de l'idée ; mais l'analogie est
MÉLANGES. o71

très lointaine, li, "7-8 est une exhortation à la patience, adressée au


penple : les oppresseurs périront ; \li\, 7 prédit la uioire du Serviteur
devant qui les rois se prosterneront. Le poème reproduit dans mon
article présentait, comme inclusion, nne analoaie beaucoup plus
étroite entre la 1'" strophe (xlix, 1 ss.) et la dernière (lu, 11-12) : le

salut du peuple accompli par Jahvê.


La i^'' strophe (vlix, 5, 3, 6) présente ceci de commun avec la //?"

LI, 9-11) que, bien qu'en des contextes disparates, « aucune strophe
sauf la seconde et l'aN ant-dernière ne présente le mot force ~") ».

Cela est remarqualile et bien propre à charmer « la sensibilité esthé-


tique ». Mais je rappelle tout d'abord la coïncidence tout aussi
probante signalée tout à l'heure pour le mot U, figurant dans deux
strophes (v du poème tel que je l'avais reconstruit,
symétriques »

.l'ajouterai que dans ce même poème, d'après ma reconstruction,


aucune strophe, sauf lu seconde et l' avant-dernière, ne présente
l'emploi du verbe irc xlix, 5, 6, et l[i, 8; RB., 1909, p. 519 s. et
524). Et cela est d'autant plus remarquable dans mon cas 1° que ce
verbe 2V*:' se présente deux fois dans la seconde strophe; 2" que ce
verbe est employé dans les deux strophes par rapport au même objet,
savoir la restauration d'Israël 3" que la seconde et l'avant-dernière
;

strophes sont en outre rattachées l'une à l'autre par ce trait caracté-


ristique qu'elles proclament toutes les deux la future extension du
salut de Jahvé à toute la terre (xlix, 6 : dernier vers et lu, 10 :

dernier vers)\ V que le poème du P. Condamin ne compte que


vingt strophes; tandis que dans le mien « tout se suit, sans fin et à
perte d'haleine » pendant vingt et une strophes.

Ily aurait moyen d'établir bien d'autres rapprocliements de ce


genre entre les strophes du poème reproduit dans mon article mais ;

le lecteur comprendra que je n'aie nulle envie de pousser plus loin


cet exercice.
Nous avons passé en revue toutes les « répétitions » pouvant servir
d' arguments en faveur de la « symétrie » des strophes dans le
« 6" poème » du P. Condamin. Les autres points de contact relevés

par lui entre telles et telles strophes soi-disant symétriques, se trou-


vent en quoique d'une autre manière,
effet justifiés tout aussi bien,
dans ma reconstruction du poème soit que les formules caractéristi-
;

ques s'y présentent en un même contexte comme formant inclusion


d'une strophe (1), soit qu'elles y fassent office de u Responsion » entre

(1) Pourles formules qui sont censées établir chez le P. Condamin la correspondance en-
tre la première stroplie et la vingtième, voir dans ma restitution du poème la première
strophe [liB., 1909, p. 519} et comp. les observations exposées plus haut suh A, 4".
372 REVUE BIBLIQUE.

strophes consécutives (1). Pour prouver que le rôle qu'il fait remplir
à ces formules est le vrai, de préférence à celui qu'elles remplissent
dans ma reconstruction, le P. Condamin devrait avant tout pouvoir
en appeler aux cas que nous venons d'examiner. Or le lecteur a pu
constater que, même comme ensemble, les coïncidences que nous lui
avons mises sous les yeux sont dépourvues de toute valeur.

[A suivre.)

Louvai D, 22 mai 1910.


A. Vax Hggx.acker.

(1) Pour les formules qui sont censées établir la corrrespondance entre la 7= strophe et la
14% voir nies deux strophes consécutires II etill. BB., 1. c.,p. 520 et comp. les observations
rappelées plus haut sub A. 2" et B, 4°; — pour les formules censées établir la correspon-
dance entre la 4- strophe et la 17*. voir mes strophes consécutives 1, II. 111, RB. 1. c, p. 525,
et comp. les observations rappelées plus haut siib A, 1" et B, 4°.
.

CHROMQUE
L EGLISE DK L KLEOXA

Parmi les lieux saints chers à la piété chrétienne durant les siècles
qui suivirent le triomphe de FÉglise, il n'en fut guère de plus célèbre
que cette basilique du mont des Oliviers érigée « en mémoire de
l'Ascension du Sauveur » et < sur la grotte même où la tradition véri-
dique atteste quil initia ses disciples aux ineffables mystères » 1 .

Avec les édifices du Saint-Sépulcre et du lieu de la Nativité, cette


église avait en commun Fauréole d'une origine constantinienne.
Comme deux autres grands sanctuaires celui-ci avait bénéficié de
les

la piété de sainte Hélène et de la munificence impériale. Par le carac-


tère auguste des souvenirs qu'il consacrait et la splendeur qu'on v
avait prodiguée, le monument ravissait les pieux visiteurs et provo-
quait les effusions de leur religieux enthousiasme.
Là comme en bien d'autres lieux le temps, secondé par les hom-
mes, devait accomplir son œuvre sinistre, effaçant jusqu'aux vestiges
de toute cette gloire passée. Gomme s'il eût en^dé à ce lieu saint la
majesté austère qui demeure empreinte sur des ruines, il s'était
acharné à l'émiettement et à la dispersion de ses ruines. Rien ne
subsistait plus à la surface du sol que le souvenir du site invincible-
ment gardé par ce "/.;-;:; x/.r,hr,:. cette ^ tradition fidèle » dont parlait
déjà Eusèbe et qu'enregistrent avec précision les guides officiels con-
temporains.
Quelques lambeaux de documentation archéologique, patiemment
recueillis par le meilleur historien (2) de ce sanctuaire, autorisaient
sans doute l'espoir de confirmer quelque jour par des faits matériels
ferme de la tradition historique. Cette timide espé-
l'attestation si
rance ne pouvait être réalisée que par des fouilles considérables, très
désirées mais jamais entreprises, car on ne peut décorer du titre de
fouilles archéologiques les sondages et les terrassements nécessités

(I Elsèbk, Vie de Constantin. III. 43; PG., XX. 1104.


;2) R. P. L. Cké,La crypte du Credo; comment on vient de retrouver le grand sanc-
tunire chrétien du mont des Oliviers au ir« siècle (cf. RB., 1901, p. 491).
374 REVUE BIBLIQUE.

naguère par lérection des édifices du Carmel et du Pater, ou la restau-


ration de la crypte du Credo (IV Au commencement du mois de juin
dernier une observation accidentelle a été le point de départ des pre-
mières recherches systématiques. Avec le bienveillant agrément de
M. Guayraud, consul général de France, les Pères Blancs (2) ont
généreusement assumé la tâche et les frais d'une exploration labo-
rieuse du sanctuaire dévasté. Par un libéralisme qui les honore,
ils ne se sont pas contentés de laisser à tout venant le plus libre accès

au chantier ils se prêtent avec une inlassable obligeauce au moin-


;

dre désir d'observation et de relevés archéologiques, dussent les tra-


vaux en être mainte fois retardés ou dérangés (3). Si profonde qu'ait
été la ruine, la recherche habile qui est pratiquée a déjà rendu pres-
que tous les éléments essentiels et comme le squelette de la basilique
constantinienne. 11 eût pu figurer dans cette note provisoire, s'il n'é-
tait évidemment préférable d'attendre la lin prochaine des travaux

pour en communiquer des résultats d'ensemble plus complets et plus


clairs, avec la documentation graphique suffisante.

UXE ÉPITAPHE DE LA NÉCROPOLE .IlIVE DE JAFFA.

Les constructions nouvelles ont presque achevé de couvrir le site


de l'antique nécropole juive que M. Clermoiit-Ganneau avait si heu-
reusement découverte à Jatfa. Aussi les trouvailles épigraphiques de-
viennent-elles tout à fait rares en cet endroit.Tne curieuse épitaphe
ayant fait marché, il y a quelques mois, en
son apparition sur le

dépit d'un très faux indice de provenance, M. le baron d'Ustinow y a


reconnu un document de Jaffa. La pièce fait maintenant partie de sa
splendide série de textes funéraires judéo-grecs et une prudente en-
quête lui a fourni la preuve qu'il ne s'était pas trompé sur sa pro-
venance réelle. La plaquette exiguë est en marbre blanc des iles
grecques. A part l'encoche profonde dans un angle inférieur et
quelques éraflures modernes, on ne peut saisir trace de retouche,
malgré lirrégularité du fragment. On dirait d'une retaille, ou de.
quelque rebut de marbre utilisé tel quel par le vieux graveur juif

(1) Quelques bomies indications sur ces travaux, sont fournies par M. A. MoMjni\, Car-
mel sanctuaire du Pater-Xoster à Jérusalem, 2' éd., 1885, p. 81 ss.
et

(2) On se souvient que les RR. PP. Blancs, de M-' Lavigerie, gardiens de la basilique

nationale de Sainte-Anne à Jérusalem, sont aussi les gardiens du Credo, devenu propriété
française en 1872, grâce à la libéralité de M""= la princesse de La Tour d'Auvergne.
(3) J'ai conscience de mainte indiscrétion personnelle en ce sens, durant les nombreuses
après-midi passées déjà dans les fouilles. Le T. R. P. Féderlin et le R. V. Cré voudront
bien trouver ici l'expression de mes plus sincères remercîmenls.
CHROMOUE.

pour lépitaphe au rabais dont il avait accepté la commande. La face


inscrite a été sommairement que la
polio ; le revers fruste atteste
petite dalle était encastrée dans la maçonnerie de Ihumble tombeau,
draviire épaisse et sans art: on notera la forme du icaic dans le z'^w
final.
B£v.aa'ç Benjamin
j'.oz Ibi-jTiz fih lie Joseph
y.zi \-j.î'yx7.p^ et Ahhomon.
""""w Paix '.

La forme hellénisée Bv^'.xj.i; n'est plus pour surprendre dans ces


documents. Le compagnon de sépulture de Benjamin a. lui aussi,

d'excellents répondants sous les


formes "Ac6:;j.a:': et 'Acc:y.acr;r

dans la même nécropole 1 .

car il n'est pas douteux qu'il


faille reconnaître ce même vo-
cable judéo-araméen sous l'or-
thographe maladroite "Ay.cw-
J.7.Zf,.

C.\ HVPOGf-E UELI EMSTIQUE


A GAZA.

Depuis tantôt un an les bruits :


^."^T=A^f^^^
les plus fabuleux circulaient sur
une prétendue trouvaille de tombe merveilleuse aux environs de Gaza.
On parlait d'une momie de reine, de sarcophage féeriquemont dé-
coré, de trésors incalculables et d'une infinité d'objets d'art, devenus
la proie des fortunés fouilleurs improvisés. Il résulte d'une tr^s
adroite enquête, menée sur les lieux par un ami aussi éclairé qu'obli-
geant, que la trouvaille mirifique se réduit à de plus humbles pro-
portions. Elle n'en est pasmoins d'un haut intérêt. Il s'agirait d'un
caveau revêtu de maçonnerie fort soignée. L'unique chambre acci-
dentellement ouverte au cours de quelques travaux de culture dans
un jardin au voisinage assez immédiat de Gaza, vers l'ouest, conte-
nait un maguitique sarcophage anthropoïde en marbre blanc très tin
et dune conservation parfaite. Notre complaisant ami voit dans ce

sarcophage le pendant aussi exact que possible d'un sarcophage de


Sidon 2 et ce détail seul suffit à classer la sépulture. Du corps de

\ Voir Cl-Gan>'e\i, Arch. Res.. II, Ul s.

Le n" III de Ihypogée A.


2] rei'roduit dans la |>1. \u de MM. II\>ii.ï-Btv et Th. REiNvon,
Une nécropole royale.
70 REVUE BIBLIOLE.

femme vu à l'ouverture du sarcophage il ne reste plus qu'un peu de


poussière où se mêlaient, parait-il, quelques fragments de vases, mais
d'où les bijoux avaient été
soigneusement extraits par
les rapaces chercheurs. Il

n'a pas été possible d'obte-


nir d'informations précises
sur la nature des objets dis-
parus.
Je croirais assez volontiers
toutefois que bon nombre
de vases, figurines, objets de
toilette,mis tout à coup sur
le marché comme provenant
de région de Gaza » sont
la «
de cette tombe. Parmi
sortis
ceux que M. baron d'Ustinow a fait
le entrer dans sa belle collection.
une élégante jardinière en bronze, haute
de 0",15 environ, et une curieuse œnochoé
en terre cuite peinte di, modelée en figure
féminine, sont des documents nouveaux
pour moi dans les séries hellénistiques pa-
lestiniennes.
Le sarcophage de Gaza, saisi à temps par
la police, doit prendre, ou avoir pris déjà,
la route des musées impériaux à Constan-
tinople.

LE PILLAGE DES TOMBES UAXS LA VALLÉE


m: .JOURDAIX.

Malgré les louables efforts de la police


régionale pour prévenir les méfaits des
fouilleurs clandestins, les nécropoles de
toute époque, depuis la plus haute antiquité
jusqu'aux bas temps byzantins, sont mises
en coupe réglée. Ce sont surtout celles,
très richesabsolument intactes, de la
et

vallée du Jourdain qui attirent pour le moment la convoitise. Le

(1) Haut. 0'"A2ô; argile rouge pâle. Les lobes et les prunelles des yeux sont uniquement
peints dun trait de couleur ocre très foncée, presque noirâtre, autant que la détériora-
tion par ILumidiléle laisse discerner encore. Facture générale uu peu gauche.
CHRONIQUE. 577

mal, désormais sans remède, eût été moindre si rincroyable quan-


tité d'objets disséminés dans les collections publiques
et privées
des deux hémisphères présentait à peu près une fois sur dix une
étiquette correcte de provenance et une fois sur cent l'indication au
moins sommaire du contexte archéologique autorisant un diagnos-
tic de destination et de date. Le brocanteur qui a vendu à M. d'Usti-

now le joli petit manche de miroir dont on a le croquis sous les yeux
prétendait l'avoir recueilli dans une tombe de Taycbeh. Informations
prises, on n'a découvert aucune tombe et pratiqué aucune fouille de-

Q ma(a.chiU ^ pii rou^ /incc

puis longtemps à Tayebeh, tandis que notre homme opérait avec une
bande très active, quelques semaines avant la vente à Jérusalem, sur
les tombeaux de Phasaélis dans le Ghôr. Il y a chance que la pièce

soit sortie de là.

Ce bronze (1) est manifestement la poignée de quelque objet de


luxe et l'on songe de suite à un miroir plutôt qu'à tout autre instru-
ment. Le tenon esta la fois trop court et trop faible pour avoir pu

fournir l'emmanchement solide qu'eût exigé une arme ou un objet


lourd et on n'y remarque aucune perforation ni trace de rivet; tan-
dis que ce tenon à section quadrangulaire offrait toute la solidité re-
quise pour la manipulation d'un petit disque de métal poli. Les in-
crustations en pierres fines ou en pâtes coloriées, les pendeloques, la
dorure étendue sur toutes les surfaces de bronze et que l'oxydation
n'apu achever de faire tomber, la forme enfin suggèrent que la pièce
irait assezmal en main comme instrument de travail, je suppose. On
la voit trèsbien au contraire dans une main féminine, ou parmi le
mobilier funéraire d'une dame qui n'a pas voulu être privée dans sa
tombe d'un élément indispensable à sa toilette.
Des sarcophages en plomb, trop volumineux pour qu'on les puisse
secrètement transporter, ont été découpés en menus morceaux, ven-
dus à bon prix quand ils offraient des reliefs à personnages, le plus
souvent fondus pour faire des balles.
Aux abords de Beisàn il semble bien que l'exploitation ait depuis
(Ij Longueur actuelle, environ 0™,18.
UEVUE BIBLIQUE 1910. — N. S., T. VU. 37
b78 REVUE BIBLIQUE.

quelque temps atteint la nécropole de Scythopolis chrétienne ou quel-


qu'une des grandes installations monastiques byzantines. Un amateur
étranger a eu récemment l'obligeance de nous montrer un très re-
marquable lot de bronzes et terres cuites acquis à Beisân même. Deux
pièces surtout eussent mérité quelque étude un encensoir de bronze :

fort élégant et une lampe en


du type rond dérivé des lampes
terre
romaines. Une inscription gravée sur cette lampe était malheureuse-
ment fort difficile à déchiffrer sous une espèce de vitrification que je
n'avais pas la faculté de faire disparaître. Je crois avoir lu assez clai-
rement EjXcvia -f,; 6£iT:y.:j ;j.e9" y;;j.wv. mais je regrette de n'avoir pu
saisir les premières lettres d'une seconde ligne terminée par -cj y.-(izj

guère douteux que ces mots ne se rapportent au sanc-


'Iwâvvoj. Il n'est
tuaire célèbre de saint .lean à Scythopolis (1 .

UNE NOUVELLE ESTAMPILLE JUDÉO-ARAMÉENXE.


M. le baron d'Ustinow a découvert ces jours derniers, dans le bric-
à-brac d'un antiquaire de Jérusalem, un tesson qui n'avait pas trouvé
prenant à la dernière saison de touristes. Il s'est empressé de l'acqué-
riren mettant son soin habituel à en fixer
la provenance. Le brocanteur n"a pu four-
nir aucun nom, mais se souvient parfaite-
ment avoir acquis lui-même ce débris d'anse
parmi un lot de fragments céramiques por-
tant des timbres plus usuels ou des marques
quelconques, en particulier quelques estam-
pilles de la légion X. Le tout avait été apporté
par un gamin de Jérusalem qui ramasse de
vieux tessons aux environs de la ville et les vend aux broyeurs pour
la préparation du hamrâ; quand il remarque des fragments ins- '(

crits », il a coutume de les présenter à ce magasin et reçoit quelques


sous en échange. Lui-même à ce jour serait incapable de préciser sur
quel coteau ou dans quelle vallée aux abords de Jérusalem il a recueilli
cette pièce. Ainsi que la très bien vu tout de suite M. le baron d'Usti-
now, méprisée malgré la remarquable conservation
cette estampille,
de l'empreinte, est un splendide exemplaire des fameuses
et la netteté
estampilles judéo-aramécnnes au chiffre divin du type abrégé n\
trouvées en grand nombre à Jéricho surtout (2). Il a paru intéressant
de verser au débat un document nouveau et de provenance différente.
Jérusalem. \" seplembic lOlo.
II. VjXCliM.
(1) Docmnentalion résumée dans Tiiomses. Lova soncla, I. 107.

(2) Cf. Rfi., l'Jlo, p. 41'J.


RECENSIONS

I. Chriscologies ancient and modem, by William Sandav. I11-8'' de vii-


244 pp. Oxford, at the Clarendoii Press. 1910.
II. Théologie des neuen Testaments, vou D. Dr. Paul Feine. in-S" de \i-
Ti>l pp. Leipzig,!. C. Iliiiriclis'sche Buclihandluu;:. 1910.
III. Les origines du dogme de la Trinité, par Jules Lebreton. la-8 de wvi-
.569 pp. Paris. Beauchesne, 1910.
IV. Ein judisch-christliches Psalmbuch aus dem ersten Jahrhundert
The odes... of Solomoii, iioiv /irst published from t/te ./. Rendd
syriac version hy
Harris. 1909] aus dem syrischen iibersetzt von Johannes Flemming bearbeitet
und herausgegeben von Adolf Harxack. In-8° de vi-l34 pp. Leipzig, Hinrichs.
1910.

L —
Tous les travaux de M. William Sanday convergent vers une Vie du Cilirist.
Son dernier volume la Vie du Christ d'apnjs les recherches récentes (1\ n'indiquait
:

pas assez clairement sa propre pensée. Voici donc un nouveau travail d'approche,
C/iristoloyies ancienni's et modernes.
Héritier de l'esprit des savants les plus distingués de l'église anglicane, M. Sandav
lait une large part à la tradition et ne veut pas consentir à s'en détacher. Aussi prend-
il pour point de départ la Christologie ancienne, non pour exposer toute son histoire,
mais pour en discerner les grandes lignes. C'est moins une enquête historique (ju'uue
enquête morale, l'examen de conscience d'un moderne en présence des formules
dogmatiques. L'exposé n'en est pas moins tracé avec beaucoup de précision et de
vigueur. AL Sanday reconnaît beaucoup plus nettement qu'on ne le fait d'ordinaire
dans cette école le rôle joué par l'Église romaine dans la chute de l'Arianisme. Il n'a

pas été inutile à s. Athanase lui-même de séjourner eu Occident: les formules qui
ont prévalu sont plus occidentiles qu'orientales. Quant aux controverses plus préci-
sément christologiques du v siècle, personne n'a jamais douté que la décision soit

venue de Rome. La doctrine de s. Léon, adoptée à Chalcédoine. fut seulement dé-


veloppée par Léonce de Byzance. C'est cette doctrine qui ne paraît pas à M. Sandav
répondre à la mentalité moderne. Il lui paraît, semble-t-il, difficile d'accepter que
Jésus, homme véritable, n'ait eu de personnalité que par le Verbe. Il a quelque peine
à se représenter le Verbe disposant pour ainsi dire de deu.x natures, et agissant
tantôt avec l'une, tantôt avec l'autre une combinaison un peu arti-
'2,. Il y aurait là

ficielle et comme une lacune dans la doctrine. Avec tout le respect dû à des formules

qui seules pouvaient résoudre les difficultés soulevées dans ces temps déjà lointains,
le savant anglican ne serait pas fâché, sinon de les rejeter, du moins de les expli-
quer d'une façon qui s'accordât mieux avec la psychologie telle que les modernes la
comprennent.

,1) The L'fe of Christ in Récent Research, 0\{ot6, l!K>7: cf. RB., pp. 1908, -289-293.
(2) Ilsemble biea que M. Saaday attribue celle conception à s. Léon, p. 9-j.
580 REVUE BIBLIQUE.

Alors il cherche, et il découvre deux christologies. L'une est plus conservatrice,


elle tient à ne pas briser avec le passé, à ne pas rompre ses liens avec l'Église uni-

verselle : c'est celle qui se maintient en Angleterre comme le point capital d'im chris-
tianisme plein (fiiU Christianity); l'autre est plus résolue à n'accepter que le résultat
d'une étude purement scientifique, elle place chacun en face des textes et se soucie
peu de ce qu'on a pensé avant elle : c'est la christologie d'un christianisme réduit
{reduced christianity), celle qu'a créée le libéralisme des Universités allemandes.
Et l'Église romaine, dira-t-on? — M. Sanday n'en parle pas. 11 n'a jamais un mot
amer pour notre Eglise, il a même une phrase sur le relèvement des études parmi
nous, mais enfin il estime sans doute que les exégètes et les théologiens catholiques
romains conservent les formules dans des boîtes, contents de s'assurer de temps en

temps qu'elles n'ont pas disparu.


C'est en Allemagne qu'est le mouvement des idées, la vie; iM. Sanday dirait vo-
lontiers le progrès, du moins si l'on prend comme point de départ le rationalisme et
la christologie du Christ-Idée issue de la philosophie de Hegel. A cet intellectua-

lisme sans frein, l'influence de Schleiermacher a opposé l'importance des expériences


religieuses, mais il était réservé à Albert Ritschl d'instituer une christologie biblique
sur ces bases.
La Bible et l'expérience religieuse moderne, cela ne se concilie pas très aisément,
aussi M. Sanday reconnaît-il que Ritschl a traité les textes avec quelque désinvol-
ture. Pourtant on est étonné de constater les avances qu'il fait à cette théologie peu
sincère, qui ne garde la divinité du Christ que comme une enseigne. En Allemagne
même on ne paraît pas disposé à s'en tenir à cette cote mal taillée, trop peu con-
forme aux réalités de l'histoire. Elle peut être utile à ceux qui ne croient pas, en
leur inspirant quelque respect pour la personne de Jésus, mais elle ne lui confère
une gloire humaine que pour lui enlever l'auréole divine.
Aussi bien M. Sanday ne consent-il à se rapprocher des ritschliens que pour les
idire monter plus haut, pour les amener à confesser que le Christ est vraiment Dieu.
Car enfin les textes sont là, et c'est le tort des libéraux allemands d'interroger ce
qu'ils prétendent être la conscience du Christ, sans tenir compte de la foi de ceux
qui ont reçu l'impression de sa présence. Par ailleurs un système intermédiaire,
inauguré lui aussi en Allemagne (Thomasius), mais répandu surtout en Angleterre
[Gore, Fairhairii, Masou. Ottley), celui de la Kenosis ou rétrécissement volontaire
de la divinité, ne lui paraît pas appelé à beaucoup d'avenir*.
Quel est donc le moyen, non seulement de trouver Dieu en s'unissant à Jésus,
comme le prétendent mais encore de reconnaître véritablement avec
les ritschliens,
les textes la divinité de Jésus? M. Sanday propose, avec beaucoup de réserve et de
modestie, de pénétrer dans ces régions mystérieuses que les modernes appellent la

sub-conscience ou la conscience subliminale. C'est là que se produit chez nous l'action


de l'Esprit Saint, avant d'apparaître plus clairement dans les œuvres délibérées de
notre conscience, c'est donc que nous avons un germe de divinité. En nous tous

le siège propre ou le lieu de l'habitation divine ou de l'action divine sur lame hu-
maine est la conscience subliminale: de même, la conscience subliminale est le siège
propre ou le lieu de du Christ incarné. Dans le Christ on ne tirera donc
la Divinité

pas une ligne verticale entre les deux natures, mais une ligne horizontale entre le
champ de l'action et les profondeurs où résidait le divin. Ce divin n'entrait en exer-
cice, comme chez nous, que par l'intermédiaire de la conscience, il ne s'exprimait

donc que pour autant qu'il pouvait être exprimé dans les formes de l'humanité.
Il fallait s'attendre à mie solution de ce genre. Elle correspond à la tendance assez
RECENSIONS. 5«I

générale de nos jours à transporter la notion de personnalité des réalités métaphy-


siques aux phénomènes de la psychologie.
M. Sanday s'attend sans doute à ce que les catholiques romains goûtent peu sa
solution nouvelle.
Il y aurait d'abord à débattre une question préjudicielle relative à cette sub-cons-
cienoe dont les modernes s'attribuent la découverte, et déjà analysée avec une ex-
trême perspicacité dans les ilorii'/as de sainte Thérèse. Ensuite on pourrait se de-
mander si la sub-conscience — à supposer qu'on s'entende pour fixer le sens de ce
terme — est compatible avec la science que la tbénjngie reconnaît au Christ, dans
quelle mesure elle fait nécessairement partie de la n iture humaine, et si on ne pour-
rait pas admettre qu'elle s'est développée en lui dans le sens de la science acquise?
Mais ce sont là des questions de pure théologie. A s'en tenir au point principal,
biblique et traditionnel, on pourrait déjà s'étonner que M. Sanday n'ait pas essavé
de justifier sa théorie par des textes bibliques. — Il n"y pouvait songer, dira-t-on,
puisqu'il s'agit d'une découverte récente. — Mais alors comment a-t-il pu rejeter le
système de la Kenosls pour n'être ni biblique, ni historique? N'est-ce point parce
qu'il tenait à ne point rompre la chaîne traditionnelle"? Comment y soude-t-il sa
nouvelle opinion?
Et enfin de quelle nature est l'union de Dieu avec le Christ? Si l'union que nous
avons nous-mêmes avec l'Esprit nous aide comprendre cette union
à inetiable. n'est-ce
pas qu'il n'y a entre nous et Jésus que du plus et du moins?
Pour tout ^ car
dire, on ne peut éviter dans cette question l'emploi des mots
consacrés, — l'union de Dieu avec Jésus est-elle essentielle ou accidentelle? Que
M. Sanday ne nous reproche pas de le ramener maigre lui à une terminologie dont
il entend sortir-, lui-même nous disait, il y a à peine trois ans. que le Christ était
cssentieUt'ment plus qu'un homme 1 Il ajoutait que la communication sans nuages
.

de l'esprit du Fils à celui du Père était l'essence de cet être '2 Il n'était point alors .

question des obscurités de la sub-conscience. Et il serait certes seulement puéril de


reprocher à M. Sanday d'avoir développé et enrichi sa pensée, même en la trans-
formant ; mais il ne s'agit point ici de le mettre en contradiction avec lui-même ; on
lui demande seulement, avec tout le respect dû à une conscience si haute, s'il en-
tend toujours que le Christ est essentiellement plus qu'un homme. Si oui, il faudra
donc — puisque M. Sanday ne songe pas à en faire un demi-dieu qu'il possède —
essentiellement la nature divine, et, puisque les deux natures doivent demeurer
distinctes, il ne suffira pas d'assigner le lieu de l'union, il faudra en préciser le
caractère. L'ancienne Église, l'Eglise d'aujourd'hui, emploie pour cela le mot d'hy-
postase ou de personne. Sans doute il ne nous donne pas beaucoup de clarté, et

combien de gré à M. Sanday d'avoir rappelé l'admirable parole de saint Au-


je sais
gustin à propos de la Trinité Tainen cum qweritiii- quid très, magito. prorsus iiiopia
:

huriKinum laborat eloquium. Dictiim est tamen, très personne, non ut illud diceretur,
sed ne tnceretur {oKMais encore aurait-il pu trouver dans les théologiens catholiques
dont il néglige évidemment la lecture, des explications telles quelles, qui, parfois,
rappellent ses propres métaphores. Ces grands hommes ne regardaient pas seule-
nifut la personnalité ou la subsistence comme une perfection réelle de la nature
individuelle, ils y voyaient aussi comme un sceau nu un terme qui empêche urdinai-

,1) The Life of Christ in Récent Research, p. 141 He was yel essentially more than man. :

(2i unclouded openness of ihe mind oftheSon ta the mind of the Father that iras the
It is the
essence of Ihis being (/. mo.r l. .

3) De Trin., V, 9, 10.
582 REVUE BIBLIQUE.

rement une nature concrète d'être communiquée à une autre, et c'est parce que le

Christ n'avait pas de personnalité humaine qu'il a pu, en quelque sorte, se prolonger
à l'infini dans la divinité. A Texplication du subliminal combien je préférerais
quelques simples lignes de M. Sanday. Après avoir affirmé très énergiquement —
saint Léon Va fait aussi — la vie humaine du Christ, il ajoute : Mais d'un autre
«

côté, nous ne refusons pas moins fortement à rejeter, ou à ignorer, ou à expédier


{explain aivay) l'évidence que les évangiles et le reste du Nouveau Testament appor-
tent que cette vie humaine, dans ses racines les plus profondes, se continuait avec
la vie de Dieu lui-même (1) ». Ces racines profondes, nous les nommons avec l'Église
le Verbe subsistant en deux natures. Cette formule a du moins l'avantage de carac-
tériser l'union comme autre chose qu'un simple accident ou un état seulement supé-
rieur à celui d'un homme uni à Dieu par la grâce.
J'oserais ajouter que M. Sanday a reculé devant un fantôme, lorsqu'il rejette cette
étrange conception du Logos se servant à son choix, et selon les circonstances, de la
nature divine et de la nature humaine. Je ne crois pas que cette conception soit ni
biblique, ni traditionnelle au sens strict. On en trouve l'expression dans certaines
hymnes ou dans certains répons (2) et cela a l'avantage de marquer très fortement la
divinité de Jésus-Christ. Mais ce n'est point ainsi que exprimé saint Léon, si
s'est
préoccupé de préserver, même après l'union, la distinction des deux natures. Il a sans
doute maintenu avec les deux natures la distinction de leurs opérations: c'est parce
qu'il est Dieu que Jésus fait des miracles, c'est parce qu'il est homme qu'il peut souf-
frir. Mais il n'imagine pas que les actions soient complètement distinctes .1^/(7 etiim :

utraque forma cuM altebius commumone quod proprium est. Les mots cum
alterius communione sont certainement voulus. Les théologiens enseignent que toutes
les actions ad extra sont communes aux trois personnes divines celui qui agit en ;

créant n'est ni le Père, ni le Fils, ni le Saint-Esprit, mais Dieu, quoique la création


soit appropriée au Père. Même après l'incarnation. Dieu continue d'agir, et on

n'attribue pas à Jésus-Christ la conservation du monde, etc. Par conséquent les ac-
tions purement divines ne sont pas attribuées à la personne du Logos, et encore
moius au Logos incarné. Si au contraire c'est Jésus qui agit, même si c'est en vertu
de sa nature divine, comme par exemple lorsqu'il remet les péchés, on ne peut pas
dire qu'il se sert seulement de sa nature divine, car il profère la sentence comme
homme, '•(///( alterius commvniune. On peut donc très légitimement reconnaître que
toutes les actions de Jésus dans l'Evangile sont vraiment humaines, quoiqu'elles ne
soient pas purement humaines, et il semble que cette distinction nous débarrasse
du scrupule très légitime de M. Sanday, car on ne trouve vraiment rien dans le
Nouveau Testament qui montre le Verbe Incarné n'agissant que par sa vertu divine.
Bien plutôt, du moins selon la théologie thomiste, toute action du Christ est stricte-
ment une par son rapport à son sujet qui est un, quoique cette action contienne deux
opérations qui se réfèrent chacune à l'une des deux natures du Christ. Lorsque saint
Léon nous dit que le Verbe brille par les miracles, coruscat miraculis, il n'oublie
certainement pas que ces miracles sortaient aussi des lèvres et de la volonté humaine
de Jésus. Une seule personne en deux natures, une seule action en deux opérations.
L'union in operando n'est pas plus aisée à concevoir que l'union in esscndo. Nous

(11 p. Ui" « But. on tlie otlier haud. we no


: less empliatically refuse to rule out or i^jnore or
e\plain away tlie évidence wicli tlie Gosyiels and the rest nf Ihe Ne\v Testament afford thaï tliis
liuman life was, in ils deepest rouis, directly continuons with the life of God Himself ».
(-2) Par exemple à la fêle de la Purilicallon Senex puerum portabat, puer autem senem végé-
:

tal, etc.
RECENSIONS. 583

sommes d'accord avec M. Sanday pour confesser le mystère et pour en respecter


l'inaccessible profondeur. Mais lorsqu'il est question de s'éloigner d'une formule, il

ne faut pas du moins lui attribuer des cunclusions qu'elle ne contient pas. Nous
disons donc volontiers avec M. ^^ estcott (1, : « Il est contraire à l'Écriture de re-
garder le Seigneur durant sa vie historique, comme agissant tantôt avec sa nature
humaine seule et tantôt avec sa nature divine seule. » Mais cette constatation im-
posée par l'exégèse, et à laquelle M. Thompson est revenu à propos de s. Marc (2^,

n'est point contraire au dogme traditionnel. Il faut plutôt admirer que l'exégèse
donne pleinement raison aux déductions des théologiens scolastiques.
Nous aurions aimé à être plus entièrement d'accord avec M. Sanday. Ce serait le
cas si nous nous en tenions à cette phrase au sujet de l'ancienne formule dogmatique :

" Aujourd'hui encore, je ne sache pas que nous ayons une meilleure formule à mettre

à sa place » (3 .

— Nous connaissons
II. fort peu en France — et il en est peut-être de même en
Angleterre — exégètes les et les théologiens du luthéranisme, ou, comme ils pré-
fèrent se nommer, de l'église évangélique. Et cela s'explique assez naturellement.
Les critiques radicaux prétendent n'être que des critiques, ne chercher que la vérité,
sans préjugé d'aucune sorte. Nous nous imaginons volontiers que, ne s'occupant que
des réalités historiques, ils nous fourniront d'utiles renseignements. Moins ils feroi t

de théologie, plus nous aurons chance de pouvoir nous entendre avec eux. Des théo-
logiens luthériens nous soupçonnons aisément qu'ils ont les préjugés de leur église,
et que ces préjugés ne contribuent pas à donner à leur œuvre une allure purement
scientifique.De sorte que nous les lisons peu et que nous estimons probablement
trop peu leur valeur et leur influence. Et puis, ils nous le rendent si bien! Ils affec-
tent tant de dédain à l'égard de la théologie catholique, quand ils lui font déjà l'hon-
neur de s'apercevoir de son existence! Un Schùrer ne laissait passer inaperçue au-
cune inscription publiée dans la Revue biblujue. En peut-on dire autant des théologiens
protestants conservateurs?
Pourtant il y aurait un très grave inconvénient à ne pas tenir compte de cette
opinion, qui ne paraît pas du tout s'aflfaiblir en Allemagne. Ceux qui n'avaient à la

bouche que Harnack, ou Wiede, ou Brandt. avaient leurs raisons. C'était une manière
de dire que tout l'effort scientilique du temps va aux négations radicales. M. Sanday
lui-même n'a-t-il pas exagéré la domination de l'école libérale chez les Allemands ?
Quoi qu'il en soit, voici un livre considérable, qui représente certainement l'opinion
d'un grand nombre de protestants instruits c'est la Théolofjie du iV. T. de M. Feine, :

déjà honorablement connu pour ses travaux antérieurs, entre autres son Jésus-
Christ et Paul ;4). L'ouvrage très massif ô qu'il donne aujourd'hui au public est

divisé en trois parties : l'enseignement de Jésus d'après les synoptiques, l'enseigne-


ment du christianisme primitif représenté surtout par saint Paul, l'enseignement des
écrits attribués à saint Jean.
L'auteur se place résolument entre deux écoles, l'une de philosophie, l'autre d'his-
toire comparée. La première, dont M. Troltsch est ici le porte-parole, part de la

négation du surnaturel, ne reconnaît comme historiques que les faits qui rentrent

1) cité, p. Ml. en oiaettant cette incise : « quoi(|ue ce point soit appu\é par une forie autorité
patristique •.

;2; Jésus accordiiiij ta St Mark, p. -2" s.

(3) P. 10.-;.

(4) RD., 190'.. 117: cf. 1901, 14-S.


,oi Et cependant bon marcIié, ce qui devient tics rare; G martis 2o un volume de 721 pages,
grand in-S».
584 REVUE BIBLIQUE.

dans l'analogie du cours des choses, surtout de nos jours, n'accorde que peu d'im-
portance aux grandes personnalités, qu'elle déclare noyées dans l'ambiance des ac-
tions et des réactions de leur temps. M. Feine ne consent pas à admirer dans ce
programme une véritable liberté d'esprit ; il affirme que le sentiment et l'expérience
des choses divines et chrétiennes sont au contraire une condition nécessaire pour les
entendre clairement. Et il faut approuver sans réserve cette courageuse déclaration.
D'autre part, la méthode comparative prétend expliquer le christianisme comme le

résultat nécessaire de révolution religieuse de l'humanité au point où en étaient les


choses au premier siècle de notre ère. Et M. Feine répond par la divine originalité
du christianisme en la personne de Jésus. Et cela encore est très bien, mais il s'en
faut que le problème soit serré de près. Est-il possible aujourd'hui de parler de la
parousie sans expliquer l'origine profane de ce terme ? du Fils de Dieu sans aucune
allusion au culte des souverains ? en un mot d'écrire une théologie du N. T. sans
aborder directement les problèmes soulevés par exemple par M. Deissmann? Or, sauf
la discussion classique du Logos philonien et une allusion rapide aux mystères et
aux banquets avec le dieu à propos de la Cène, M. Feine a poursuivi l'examen des
questions bibliques intra muros, s'il est permis d'employer cette comparaison. C'est
là probablement la plus grave lacune de son livre.
Il ne contient presque aucune discussion approfondie des textes. Cela peut se jus-
tifier. I^a théologie du N. T. suppose l'exégèse. Cependant les étudiants sont d'ordi-

naire très friands de ces analyses plus techniques. Peut-être l'ouvrage de M. Feine
est-il destiné surtout aux pasteurs. Ceux-ci ne sont pas fâchés de savoir où en sont
les questions qu'on traitait de leur temps à l'Université. !VI. Feine les reprend toutes,
sous l'angle des discussions récentes, les expose clairement, et leur donne, nous
l'avons déjà dit, une solution solidement conservatrice, naturellement au point de vue
spécial de son église, mais dans des termes qu'assez fréquemment nous pouvons ac-
cepter.
L'esprit traditionnel paraît déjà dans l'examen des sources. C'est ainsi que M. Feine
ne s'oppose pas absolument à ce que l'Apocalypse aussi bien que le quatrième évan-
gile soient l'œuvre de Jean l'Apôtre. En tout cas l'évangile est l'œuvre d'un témoin

oculaire. Non que ce témoin se préoccupe beaucoup des faits dans leur réalité histo-
rique ; son but était avant tout de montrer Dieu dans le Christ, mais en cela il s'ap-
puyait sur l'autorité de Jésus lui-même.
Nous touchons ici au cœur de la méthode de M. Feine. Son conservatisme n'est

point te) qu'il méconnaisse l'évolution des doctrines. Saint Paul développe les idées
de lacommunauté primitive, et influe à son tour sur saint Jean. Mais du moins l'évo-
lution a un point de départ réel, et ce point de départ est bien Jésus.
Que Jésus se soit dit le Messie, si M. Wrede l'a nié, M. Loisy l'a admis. C'est
une sorte de minimum en théologie biblique, même radicale.
Aussi M. Feine admet-il encore que Jésus, presque dès le début, s'est dit le Fils de
l'homme, expression messianique empruntéeà Daniel, combinée avec la conception du
serviteur souffrant d'Isaïe. Le règne de Dieu que Jésus prêchait appartenait à l'avenir,
mais il était déjà commencé, se résumant pour ainsi dire dans l'action du Sauveur ;

plusieurs paraboles suggèrent qu'il se développera lentement, avant la fin du monde.


C'est du Sauveur lui-même que vient l'idée de sa mort expiatrice, non à la manière
de saint Anselme, dans le sens d'une satisfaction juridique destinée à réparer l'hon-
neur du Roi du Ciel, mais dans le sens d'un sacrifice offert pour le péché, à un Dieu
très bon qui voulait pardonner, et à un Dieu très saint qui ne pouvait affecter d'i-
gnorer l'offense.
RECENSIONS. 385

Enfin M. Feine se prononce, aussi nettement qu'on peut l'attendre des habitudes
de la théologie évangélique moderne, pour la divinité de Jésus, fondée sur une dé-
claration de Jésus lui-même. Il n'était pas seulement le héraut de Dieu, complétant
et surpassant le message des Prophètes, il ne nous a pas seulement appris à connaître
le Père, et comment on sauve son âme en pratiquant une morale très pure, il n'est
pas seulement le modèle de la miséricorde, c'est vraiment en sa Personne qu'on trouve
Dieu.
On a reconnu la formule ritschlienne, mais deux manières de trouver Dieu
il y a

en Jésus : parce qu'il le possède comme mieux qu'eux, ou parce qu'il


les justes et
est Dieu lui-même. Dans le premier sens, Jésus appartient au passé, et. si graude que
soit sa personnalité, si elle est au sommet de l'histoire, elle ne descend pas des ré-
gions de l'éternité. Dans le second sens... mais comment le définir? M. Feine cepen-
dant reconnaît l'authenticité des célèbres paroles de Jésus : Confiteor tibi Puter...
(Mt. 11, 27 et Le. 10, 22). Jésus s'y place avec Dieu dans une sphère distincte de
l'humanité '1;. Il est le Fils essentiel de Dieu. En sa Personne Dieu lui-même vient
à nous i2\ Ce ne sont point les formules dogmatiques, mais cette déclaration n'en a
pas moins une grande importance comme Teffort d'un exégète cousciencieux pour
dégager la pensée de Jésus sur sa propre Personne. En tout cas nous voilà loin du
plat rationalisme et même
du mysticisme par trop humain de M. Harnack. M. Feine
ne polémise jamais contre les doctrines catholiques, et ce n'est sans doute pas par
mépris, puisqu'il signale quelques-uns des nôtres dans ses notices bibliographiques.

III. — M. Lebreton a entrepris d'écrire ['Histoire du dofjmc de la Tvinitc, des ori-


gines à saint Augustin. Nous avons déjà un premier volume Les origines du dogme :

de la Trinité. C'est un beau livre, un très beau livre. Venant après M^?"" Batiffol '3'>
M. Lebreton ne pouvait prétendre inaugurer la méthode historique parmi nous mais il -,

a fait une si large part à la méthode comparative qu'il prend rang parmi les initiateurs.
Notez la division de son livre. Le recenseur n'est que trop porté à négliger cette ana-
lyse; mais ici la table des matières est un programme. Voici un premier livre sur le
milieu hellénique, un second sur la préparation juive, comprenant, avec l'Ancien
Testament, le judaisme palestinien et le judaïsme alexandrin. C'est après cela seule-

ment que se poursuit l'étude de la révélation chrétienne, dans les évangiles synopti-
ques, dans l'Eglise naissante, dans saint Paul, dans l'epître aux Hébreux, dans l'A-
pocalypse, dans l'évangile de saint Jean. Et, pour le dire en passant, le livre est su-
périeurement composé. Nulle part l'auteur n'a cédé à la tentation de sortir du sujet:
ce qui est relatif au Dieu unique est traité sobrement, surtout au point de vue de la

paternité divine, et rythme trinitaire amène, à côté du Père, le Fils et


partout le

l'Esprit-Saint. Pour que l'exposition demeure claire, les points les plus délicats sont
traités en appendices.
Donc M. Lebreton entend faire œuvre d'historien : ^ Le dessein qu'il s'est pro-

posé a commandé sa méthode ; ce qu'il a cherché dans les livres inspirés des deux
Testaments, ce n'est point la règle de notre foi. c'est l'expression de la foi de leurs
auteurs » p. i . « On a pris soin de signaler les différences d'aspect, les nuances indi-

viduelles qui distinguent l'enseignement des différents auteurs sacrés, de saint Paul,
par exemple, ou de saint Jean; elles peuvent légitimement être négligées par un théo-
logien, soucieux avant tout d'atteindre, dans la révélation, la vérité divine; elles ont

(1 p. 47 : In ihrem Wesen unterscbeiden sicli r.ott und Jésus von der gesamten Menscheit.
-2; I'. 189: Jésus, der «esenliafte Solin Gottes... Luc Personne in der Golt selbst tins entgcgen-
triu.
(3; Qu'on regrette de ne voir cité (|u'une fois et toul à fait en passant.
586 REVUE BIBLIQUE.

aux yeux de riiistorien une grande importance, parce qu'elles lui font saisir dans leur
diversité les échos multiples que cette révélation a éveillés dans les âmes humaines,
la foi et la vie qu'elle y a provoquées » (p. ii).
Il faut espérer que ces principes sont désormais acquis à la critique catholique.
M. Lehreton ne s'est pas contenté de les énoncer, il les a appliqués, du moins quant
à l'objet précis de son étude. Il n'avait pas en effet à décrire le progrès du dogme
dans l'Ancien Testament. Ce n'était qu'une préparation : au moment où elle est ache-
vée, les textes forment un faisceau ; si les derniers venus sont plus souvent cités, c'est
que la lumière a grandi. Enfin Jésus paraît. Ce n'est pas dans sa conscience que M. Le-
hreton cherchera le progrès de la lumière. Il a noté le ton ironique des critiques les
plus récents envers ceux qui avaient prétendu discerner dans son âme ce progrès :

quand il s'était senti Fils de Dieu et quand il s'était reconnu Messie ! Mais il n'était
pas dans les desseins de Dieu que son Fils répandît, durant sa carrière mortelle, la

pleine lumière qu'il possédait, quoique, en réalité, toute la lumière accordée aux Apô-
tres ait découlé en quelque façon de la manifestation de sa Personne. On sait, en par-
ticulier, combien d'obscurités recouvraient encore la personnalité du Saint-Esprit,
avant saint Paul, et même avant saint Jean. C'est, à ce qu'il me semble, sur ce point
que M. Lebreton a écrit les pages les plus pénétrantes, dignes de l'historien qu'il

entend être du théologien qu'il est je parle de cette théologie qui unit la mystique
et :

à la spéculation. Qu'on l'écoute nous expliquer « Comment la théologie apostolique :

est parvenue à saisir plus distinctement la personnalité du Saint-Esprit ce n'est pas :

sous l'inlluence de la conception judaïque ou hellénique des êtres intermédiaires,


mais c'est dans la lumière du Christ » (p. 339). Voilà l'affirmation; voici la preuve en
quelques lignes « Dans les textes dont nous disposons, ces relations du Fils et de
:

l'Esprit ne se manifestent à nous que dans la sanctification des chrétiens, mais elles
apparaissent là assez distinctes ; le Christ est esprit -, les chrétiens ne peuvent lui être

unis ni être transformés en lui que dans l'Esprit et par l'Esprit. Tous les privilèges
du Christ, sa gloire, sa puissance, sa vie, sa sainteté, et avant tout sa filiation divine,
principe de tous les autres, lui appartiennent selon sa nature divine, ou, pour parler
comme saint Paul, selon l'esprit, en tant qu'il est esprit; si les chrétiens doivent
participer à tous ces privilèges, être glorifiés, fortifiés, vivifiés, sanctifiés, et surtout
adoptés par Dieu, ils ne peuvent l'être qu'en participant à l'Esprit » (p. 340 s.).

L'auteur sait très bien que cette voie mystique qui conduit à la connaissance de
l'Esprit-Saint par la vie dans le Christ n'a pas la clarté rationnelle de l'enseigne-
ment spéculatif. Aussi le reconnaît-il ingénument : « par suite du point de vue choisi
par l'Apôtre, l'action de l'Esprit apparaît beaucoup plus nettement que sa personne...
la personnalité du Saint-Esprit reste dans l'ombre (1); elle ne nous est point apparue
dans une incarnation, et les mystères de sa procession et de sa vie éternelle ne sont
encore qu'indirectement éclairés, par les reflets de son action ici-bas : sa mission par
le Père nous fait assez entendre sa dépendance vis-à-vis de lui, mais sans déterminer
avec précision les relations intimes qui les unissent. Entre le Fils et l'Esprit on saisit

une relation extrêmement étroite, et, par delà l'action sanctificatrice où on l'aperçoit
directement, on pressent des mystères d'une intimité infinie, mais ce sont encore des
secrets divins : saint Jean les révélera bientôt; les paroles du Christ, qu'il rapportera,
aideront aussi à mieux entendre les paroles mêmes de saint Paul v (p. 34J). Si je ne

(1) Aussi n'est-ce pa M. Lei)reton qui adoptera l'interprétation du 11. P. U. Holzmeister: cf. RB.,
1909, p. 312 s.
RECENSIONS. o87

mp trompe, ces pages sont parmi les plus belles et les plus utiles qui aient été dites
siii- cette question (1).
On voit que de s. Paul à s. Jean, il y a progrès. M. Lebreton parle raênie d'une
révélation dont s. Jean a été lurgane. C'est en effet une vieille tbèse de tliéologie
que la révélation s'est continuée jusqu'au dernier des apôtres. On omet généralement
d'en conclure que la révélation accordée à Jean se retrouve aussi dans les discours
du quatrième évangile; et cependant que serait l'enseignement de cet évangile, si l'on
faisait abstraction des discours de Jésus?
On attendait sur ce point délicat l'opinion de M. Lebreton-, il l'a exprimée sans
ambages.
« Parvenu à ce point (2). le dogme chrétien n'avait-il pas atteint son achèvement,
autant du moins qu'il en était ici-bas susceptible.' On pouvait le croire, et en ellet

nulle révélation ne devait porter plus haut le Christ Jésus. Et cependant Dieu réser-
vait encore de nouvelles lumières, qui allaient transformer (3 toute la foi » 'p. 37ô .

T^es lumières cependant proviennent toujours du foyer, qui est la vie de Jésus. Et
-M. Lebreton n'entend pas expliquer la doctrine de s. Jean d'une « combinaison de la

tradition évangélique avec la doctrine paulinienne » (p. 37-3). L'iniluence de s. Paul


n'est pas exclue tout à fait : « Sans doute, les récits traditionnels devaient s'éclairer
des clartés croissantes de la révélation »... Mais dans le quatrième évangile, « il
y
a plus que ces influences, il y a des souvenirs personnels et des révélations intimes »

p. 376).

Et c'est bien ce mélange qui constitue l'énigme de l'évangile selon s. Jean. Voici
des formules ingénieuses et nouvelles. Les récits de s. Jean « présentent une inter-
prétation plus profonde de faits jadis imparfaitement saisis; tout ce passé date sans
doute de soixante ans au moins; mais le temps, loin d'effacer ces souvenirs lointtiins.,

I(^s a pex à peu révélés. JS'est-ce pas ainsi que les événements (Iccisifs de la vie se gra-
vent dans Came qui s'en nourrit? » 'p. 3791. J'ai plaisir à souligner cette fine psy-
chologie; elle ne laissera pas d'inquiéter celui qui ne cherche que l'histoire. M. Le-
breton le sent bien, et se garde d'insister sur les modalités précises dans les discours
de Jésus.
>'ous citons encore, puisque nous ne saurions mieux dire : <' Il est. pensons-nous,
superflu et peut-être impossible de distinguer, dans l'analyse théologique du livre,
les discours de Jésus et les réflexions de l'évangéliste. Assurément les deux sources
sont distinctes, mais elles ont tellement mêlé leurs eaux, qu'il faudrait un œil bien
exercé pour les discerner; la révélation vient authentiquementde Jésus, mais ce n'est
qu'à travers l'âme de saint Jean qu'on la peut aujourd'hui percevoir : c'est l'apôtre

qui, en vue du but qu'il s'était fixé, a choisi les paroles de son maître, c'est lui qui les

développe, les interprète et qui, dès le seuil de son évangile, nous donne, dans son
prologue, la clef du mystère (4; » (p. 379 1.
Il est si pénible et si malaisé de critiquer une si belle œuvre, que je suis allé d'ins-
tinct à l'endroit où M. Lebreton me paraît avoir pratiqué le plus sûrement la mé-
thode historique. Si l'on revenait en arrière jusqu'aux synoptiques, il y aurait lieu à
faire quelques réserves, non pour mettre en doute la justesse des vues, mais pour
exprimer le regret que la discussion n'ait pas été plus approfondie. L'auteur sait

(1 Quelque muclernisaut ne se hasanleia-t-il pas à traduire que saint Paul a été éclaire par son
expérience religieuse?
(2) Avanll'apparition du IV° évangile.
(3 II est bien évident par tout le contexte qu'il ne s'agit pasd'uue transiormation substantielle.

(', On aura remarqué que sur cette question M. Lebreton se rapproche plus de M-' Batilïol que
de M. l.epin.
rj88 REATJE BIBLIQUE.

très bien que, d'après de nombreux critiques, s. Jean n'est pas le premier qui ait

introduit dans son évangile quelque chose de sa foi. Entre s. Marc et s. Matthieu,
par exemple, il relève des différences assez sensibles, et, dans la situation actuelle
des études, tout roule sur la fidélité du portrait que s. Marc a laissé de Jésus. Cepen-
dant il n'a pas cru devoir entrer dans ce détail. Il est vrai qu'aucun de nous ne
saurait tout faire, et que, sur ce terrain, M. Lebreton ne pouvait recourir à aucun
travail catholique, sauf quelques articles de .M. Mangenot. Il a donc tablé sur la fidélité

des synoptiques et les a traités comme un bloc, en justifiant d'ailleurs par quelques
remarques décisives la légitimité de ce procédé. Peut-être lui sera-t-il donné plus
tard de pénétrer plus complètement dans les modalités que suggèrent s. Matthieu (1),
s. Marc et s. Luc. On voit que dès y est attentif par le soin de discuter
à présent il

les textes sous leur forme la plus ancienne, d'après saint Marc. Peut-être faut-il noter
aussi que dans le livre premier {le milieu hellénique) la chronologie n'est point assez
fixée. On y dit très souvent : « la période que nous étudions » ,2), mais on croirait
au début qu'il s'agit de l'époque antérieure au Christ ou contemporaine de la prédi-
cation évangélique (.3' , et l'on s'aperçoit ensuite qu'elle s'étend jusqu'au in« siècle.
Et dans tout ce développement je ne sais trouver aucune mention du fait si énergique-
ment mis en relief par Gaston Boissier, de la transformation qui fit passer le monde
des intellectuels du scepticisme à la foi religieuse la plus crédule. Sans doute ce
mouvement n'intéresse pas directement le dogme de la Trinité, mais aussi le premier
chapitre est-il assez général, et pouvait-on en faire abstraction en parlant de la philo-
sophie religieuse de ce temps?
Ajoutons que tout vague disparaît aussitôtque l'auteur aborde la question du
logos. Il Éludes: mais cette fois le tableau est tracé d'une
l'avait déjà traitée dans les
main plus sûre. Ceux qui ne peuvent s'informer auprès des Allemands ne liront
nulle part une analyse aussi soignée des concepts du Logos dans Heraclite, chez les
Sto'iciens, dans Plutarque et dans Marc-Aurèle. Les moins satisfaits ne seront pas

ceux qui l'avaient cherché dans Platon et ne l'y avaient pas trouvé, parce qu'il n'y
est pas. C'est encore la méthode historique qui permet à M. Lebreton d'expliquer
comment des exégètes peu diligents attribuaient au Maître de l'Académie les doc-
trines que ses disciples avaient prises un peu partout.
Avec
le Logos, nous abordons à la méthode comparative. La notion de Fils de

Dieu est le point central du christianisme, c'est par l'idée du Logos qu'on peut le rat-
tacher au monde grec. Le développement de la doctrine est un point, mais les ori-
gines en sont un autre, et beaucoup plus grave. On veut savoir si Dieu s'est fait con-
naître par son Fils, ou si l'humanité, après tant de siècles d'une gestation embarrassée,
a donné naissance au plus admirable des systèmes religieux. Ou, si la question est
posée plus modestement, si le succès de Jésus-Christ dans le monde gréco-romain ne
fut pas du au goût que ce monde professait pour les apothéoses, et à la haute idée qu'il
se faisait du Logos auquel s. Jean a assimilé le Sauveur. Il y a longtemps déjà que

(1^ Êcril Matliieu, pp. -230, ùi», mais Matthieu, p. -239. Cela n'a pas grande importance. En re-
\anclie on eût aimé à voir discutée la confession de s. Pierre dans Mt. 16. i3-l7. 11 ne sullit pas
de dire que le mot Christ des autres synoptiques est élevé au niveau supcrieur du terme Fils
de Dieu, puisque Jésus reproche à Pierre aussitôt après de n'avoir pas compris le rôle du Messie.
On lira avec plus de profit la dissertation spéciale de M^' BatifTol dans son Église naissante.
.liiicline à penser que le seul moyen critique de défendre l'auUiénticité du texte de s. Matthieu.
i|ue je tiens pour certaine, est de supposer que Mt., suivant Me. pour l'ordre, a bloqué deux
déclarations de s. Pierre dont la seconde devait être historiquement postérieure à la transfigu-
ration.
(2) Pages 2: 7; 35; 36.
(3) c Au ]'' siècle » (p. 2; ; cf. p. 7.
RECENSIONS. o89

ces questions sont discutées, la seconde surtout, mais personne n'avait encore étaMi
aussi nettement les termes, en mettant en présence, non point des textes épars, mais
des constructions religieuses que l'on peut visiter séparément. A Jérusalem nous
sommes si persuadés que c'est la bonne mélliode que nous en sommes encore aux
travaux d'approche U : M. Lebreton a su mettre en parallèle tous les éléments quil
fallaitcomparer ce sont les doctrines pnilosophico-religieuses des païens, l'Ancien
:

Testament, le judaïsme palestinien et le judaïsme alexandrin.


Il est superflu de dire que l'auteur n'aborde pas ces sujets comme problèmes. On

ne nous croirait pas si nous posions sérieusement la question de savoir s'il existe une
révélation. Si nous sommes catholiques, c'est que nous sommes fixés sur ce point. On
ne peut exiger que notre sentiment religieux soit une tnlile ruse, mais on a le droit
d'exiger que nous abordions en toute sincérité et en toute liberté d'esprit le thème des
lufluences qui ont pu concourir à la forme qu'a prise la révélation.
M. Lebreton ne manque pas à ce devoir. Par exemple, à propos des termes ho-
norifiques décernés par les païens à leurs dieux ou à leurs rois divinisés : « Ces
rapprochements seraient à discuter, mais nous ne voyons aucun motif de les récuser
tous à priori; de même
que saint .Tean a emprunté au vocabulaire hellénique le
terme àoyoç pour donner une nouvelle valeur, de même saint Paul a pu choisir
lui

de préférence des termes familiers à ses lecteurs comme a^y'? ^'-^^ O" ^'-^^'- '^^' .

-io-.y\o [2). » Même largeur de vues lorsqu'il s'agit de l'emploi par les auteurs du
Nouveau Testament de textes empruntés à l'Ancien : a Ces citations, et les autres
semblables qu'on y peut ajouter, ne sont pour la plupart que des allusions, et non
par des interprétations définitives: ce serait donc en forcer la portée que de vou-
loir déterminer par elles la signification des textes prophétiques (3; » ip. 276}.
Cependant les conclusions générales sont dans l'ensemble très fortifiantes, parce
que l'auteur établit sur des preuves solides l'originalité divine du christianisme et
de son do^rae principal.
Relativement à l'Ancien Testament , cette originalité est nécessairement relative.
Ici la filiation est réelle sans nuire au progrès essentiel. M. Lebreton range avec
fermeté le dogme de la Trinité parmi ceux « que les Juifs n'ont pas connus, bien
que, à leur insu, ils aient été préparés par Dieu à la révélation que le Christ en devait
faire » }p. 89 . Sur cette préparation, je pense comme me permet
l'auteur, ce qui ne
pas de le louer, et il en est de même pour ce qui regarde le judaïsme palestinien.
Malheureusement, il est plus vite fait d'exprimer sur des chapitres entiers une ad-
miration très sincère que de discuter une vue qu'on ne partage pas; aussi j'appré-
hende de glisser sur l'éloge pour m'arrêter à une difficulté particulière, si je demande
à M. Lebreton quelques explications sur sa théorie du Logos philonien, théorie qu'il
a évidemment traitée avec beaucoup de soin, et '"// uinorr. Mon objection, j'ai

hâte de le dire, ne porte pas sur le point capital. Le terme de Logos n'aurait vrai-

semblablement pas été employé par saint Jean, s'il n'avait été courant dans la spé-
culation alexandrine. D'autre part, saint Jean n'a point transporté dans son évangile

(1) Éludes sur les religions sémititiues, Canaan el l'exploration récente. Choix de textes assyro-
babyloniens, Coutumes des Arabes, Le Messianisme, sont dans notre pensée des prolégomènes à
l'étude de la Bible.
(2) P. -282, note. Cependant la conclusion de fait est plutôt négative.
(3) Cette vue rendra bien service aux candidats que l'on interroge sur les preuves de la divi-
nité de Jésus d'après l'epitre aiiv Hébreux. C'est spécialement à ce propos <|ue M. Lebreton dit
encore ' Ce qu'il faut voir dans ces citations, ce n'est pas tel ou tel dclail de texte que l'auteur
:

de Icpitre a transcrit sans lui attacher de valeur, c'est la signification générale de ces passages
telle qu'elle ajiparait d'elle-même, telle surtout qu'elle est interprétée par l'auteur » 'p. 350 s.V
,

o9U REVUE BIBLIQUE.

une notion toute faite. Le même terme a. dans Philon et dans saint Jean, des sens
bien différents. Je serais même porté à accentuer davantage le caractère d'une
opposition dans la pensée de saint Jean , et je conjecture que , s'il a employé ce
terme, ce n'est pas tant parce qu'il était « familier aux lecteurs de l'évangile »
(p. 516). que parce que l'évangéliste a voulu couper court à des spéculations dange-
reuses en l'employant hardiment dans un sens nouveau et transcendant. C'est dès
ces temps très reculés que je placerais le conflit entre une certaine gnose et le der-
nier des Apôtres, ce conflit dont M. Lebreton a si bien dit qu'il ne mit pas aux
prises deux théoloi^ies issues l'une et l'autre du christianisme, mais la révélation

chrétienne et la spéculation judéo-hellénique (p. 431).


Mais enfin si, pour les premiers chrétiens, cette spéculation était « une tentation
dangereuse » ;'p. -431), encore faut-il que le Logos de Philon ait eu des traits qui

prétassent à une assimilation avec le Christ historique, et ce sont ces traits que
M. Lebreton a peut-être trop réduits.
Et d'abord, le Logos de Philon a-t-il la personnalité? Vieille controverse qui pa-
raissait apaisée, car on s'était mis d'accord pour ne point trop accentuer le sens du
mot personne. M. Bréhier (1) a très bien dit « c'était... un concept courant à une :

époque d'interprétation allégorique des mythes que celle de ces êtres mi-abstraits
mi-concrets, qui. comme le Zeus des Stoïciens dans l'Hymne de (2) Cléanthe,
gardaient dans la notion physique ou morale qu'ils représentaient symboliquement,
un peu de leur individualité mythique ». M. Lebreton, qui cite ce texte, a parfai-
tement raison de ne pas retrouver dans Philon la trace de ces attributs mytholo-
giques (3), mais je crois que dans Philon ils sont remplacés par des assimilations qui
augmenteraient plutôt le caractère personnel du Logos. Je dirai donc avec M. Le-
breton « que les dieux du panthéon hellénique gardaient, même dans l'école
:

stoïcienne, des vestiges bien apparents du caractère personnel que les légendes
séculaires leur avaient imprimé >
(p. 204i, mais, au lieu d'ajouter : « tandis que,
chez Philon, les puissances et le logos restaient encore engagés dans le monde des
abstractions où ils étaient nés » (p. 204 s.), je dirais : tandis que. chez Philon, le ca-

ractère personnel ou mi-concret résulte pour le logos (4) de son assimilation avec
l'entité scripturaire de l'Ange du Seigneur.
JMa phrase est longue, mais il m'était difficile d'indiquer plus clairement ma posi-
tion par rapport à celle de M. Lebreton. Pour l'éiablir. je n'ai point à citer d'autres
textes que ceux qu'il connaît si bien, et dans lesquels le Logos est identique avec
l'-Vngedu Seigneur, auxquels il faut ajouter ceux où le Logos est qualifié de dieu, ou
de second dieu. Ici encore, M. Lebreton a sans doute raison de ne pas prendre les

choses trop à la lettre. Philon n'adorait qu'un seul Dieu, et quand il parle d'un
autre, c'est, comme il le dit. par catachrèse. Toutefois, la portée de cette remarque
est bien atténuée puisque Philon ajoute aussitôt, ce que M. Lebreton a omis de nous
dire, qu'aucun nom ne convient proprement à Dieu (5).

(I) Les idées pliilosopliinues cl religieuses de Philon d'Alexandrie, p. 107.


{2] C'estévidemmenl par suite d'une faute d'impression que le texte de M. Lebiclon porte = à
Cleanllie '.

(3) Br.ÉuiKi;, op. laud., p. 110 Lorsque, par exemple, chez Philon, le loi,'<>s comme flls aine de
:

Dieu est dislinsué du monde, le jeune lils de Dieu, ces expressions nous mettent sur le cliemiu
du mytlie. Il faut le chercher, semhle-t-il, dans la distinction des deux Horos, lils du dieu su-
l>rcmê Osiris dont l'aine symbolise le monde intelligible, et le plus jeune le monde sensible >•.

or, dansPlularque. De Is. el Osir., ;>'<, le logos est Uermcs. non Huros selon la doctrine commune,
et Horos l'aillé, né estropié et dans les ténèbres, n'est qu'une première es(|uisse imparfaite :

/.ai lîpîTo-jtspov 'lipov y.a>oOciv o'j yàp r,v 7.00(10;,


à/)' slôwÀov Tt xai y.on[io\j sàvia'jiAa (j.ï/.àovto;.

i) .le laisse de côte les puissances, mais le même raisonnement leur est ap|>licable.
(o) De soinniis, 1. 23U (.M. 1, Ooi') -/.a/.tt ôè Ôsôv xov upeiêitaTOv a'Jxoûvjvi Xclyciv, oO Ô£ia'.ôai(AOv<i)v
:
RECENSIONS. b9l

Sa pensée paraît être que le Logos pourra servir de Dieu aux imparfaits; il rem-
placera pour eux les entités mythologiques. C'est du moins ainsi que j'interprète
l'intention secrète de Phiion. toujours assuré que la doctrine naturelle ou encyclo-
pédique ne contient rien qu'on ne trouve à un état supérieur et plus vrai dans la

doctrine des Saintes Lettres.


Aussi bien, M. Lebreton a pris soin de nous dire pourquoi il se refuse à prendre
tels qu'ils sont les textes de Phiion : « Le nom de eso: n'est donné par Phiion au
Logos que dans trois passages, et il ne le fait qu'à contre-cœur et sous la pression
des textes qu'il expose » (p. .50.>, n. 1 . Et encore : « Souvent cette personniûcdtion
est imposée à Phiion par le texte même
commente » (p. 199 qu'il .

Mais alors, de quoi s'agit-il? Se demande-ton si la personnalité du Logos découle


des principes stiâciens? Si c'est la question, il faut évidemment répondre par la
négative. Mais la question n'est-elle pas plutôt de savoir si Phiion, parce qu'il était
un philosophe exégète, parce qu'il voulait trouver à une idée philosophique un ré-
pondant dans la Bible, a été amené par son parti pris de conciliation à admettre la
personnalité du Logos? Si c'est là la question, elle est résolue par les textes. On
pourra seulement dire que Phiion s'est contredit et que, comme philosophe . il

n'admettait pas la personnalité du Logos. Ea pareil cas, son opinion comme philo-
sophe importait moins que son opinion comme exégète, et c'est bien le Lo^os per-
sonnel, entrevu dans l'Ecriture, qui devait attirer les regards des premiers chrétiens.
Phiion avait incontestablement ses idées comme philosophe, et, sans cela, il n'eût
certes pas tiré des Ecritures toutes les belles choses qu'il y voit: mais une fois les
explications allégoriques établies, le détail de sa pensée se modiQe certainement
d'après le texte biblique, qu'il prend fort au sérieux. Et comme il prend très au
sérieux ses allégories elles-mêmes, il y va de bon cœur, dût sa pensée aboutir à un
mélange d'idées disparates que l'exégèse la plus indulgente ne saurait concilier.
Et ce qui devait suggestionner encore beaucoup plus dos premiers philosophes
chrétiens que cette personnalité un peu fuyante du Logos, c'était son caractère de
Fils aîné de Dieu. Déjà enlisant les études préliminaires si distinguées de M. Lebre-
ton, j'avais été frappé du quasi-silence gardé sur ce point. Aujourd'hui encore,
soucieux comme il faire le départ de ce que Phiion doit à la Bible et à la
est de
philosophie, il n'a pas une ligne sur l'origine de cette idée. Et cependant qu'on
imagine d'un chrétien, déjà tenté d'assimiler le Christ au Logos comme
l'état d'esprit

lange de l'Ancien Testament, lisant encore dans Phiion que le Logos est Fils de
Dieu (I)! La question se poserait déjà à propos de l'Évangile selon saint Jean, car si
le Christ est le Logos dans le prologue, il y est en même temps le Fils unique, et

dans tout le reste de l'évangile il n'est plus que le Fils. Mais, à propos de l'Épîire

TZiçl tr.v ^ïdtv îôiv à/.).' h


ôvoiiaTtov, tÎao; — pOTï5î'.u.Évo; -oaYtiaTO'Ovr.Tai, /.t.: vap iv i-:;oci'.;
,

TZ&liâfXîvo;, £'. ToO ô/To; ôvotia, «rapà); ivvw oti xôpiov tiiv o-joév [Exod., 6,
î'sTt ~'.
ô o' âv tl-r '-i
,

T'.;, y.a-axpMfJ-ïvo; âpst. La pensée de Phiion est donc que peu imitorte le terme pourvu qu'on

exprime la chose. Le Logos n'est pas le seul et unique Dieu, mais il est improprement Dieu. Puis-
que les Septante ont assimilé les dieux des gentils aux démons, pourquoi Phiion n'auraitil pas
assimilé les dieux des philosophes aux anges? Et c'est bien ce qu'il a lait.
(1; Le texte le plus curieux est bien De a;jricuU., ol 'M. I, 338; 6 itoifir,-; xa; ^a^'./îv; 6eo; :

i^c'. xa-à o:-/.r,v xal vôaov, TTpoTrr.TiiiE/o; tov ôp66v aC'TO'j Xôyo^i xai Trpwrovovov yiôv, ô; rr,v
£7it[i£)îiav Tf); ispâ; Ta-JTT,; àYsÀr,: olâ Tt; (j.ïyâ),ou [iaa'.XÉw; û;rap-/o; ôiaôÉ;cTa',. Ka; yàp £Ïpr,rai
-ou- 'looj £YM i'.\i:. àTzoaiû'/ui âyyz/ov lio-j il- Tipôsw-ôv nvj toO ?v).à;a'. <?£ èv t^ 6o<7)
Exod.. 23. -20;. C'est cet envoyé de Dieu, ce pasteur délégué, fils premier-né. que les premiers
chrétiens ont du rapprocher du Christ, non le Logos purement philosophique, principe d'unité
et de détermination, etc. 11 ne s'agit point d'ailleurs dans le texte de Philou des origines du
monde, mais de son gouvernement.
592 REVUE BIBLIQUE.

aux Hébreux-, il fallait bien aborder le rapprochement. M. Lebreton le trouve « peu


probant ». D'un côté une conception cosniologique, d'un autre côté une conception

messianique. « La théologie chrétienne dépasse ces deux conceptions, et les unit dans
une synthèse supérieure, mais où le messianisme juif occupe plus de place que la
cosmologie alexandrine »
(p. 497). Alors ne serait-ce pas tout de même que la cos-
mologie alexandrine a fourni quelque chose de la synthèse?
Au surplus, quand il s"agit de rapprochements et d'uiUuences, une alliance de
mots hardie, une expression imagée, parfois même un heureux contre-sens, ont
souvent plus d'action que l'analyse des concepts. Personne ne suppose que c'est la
philosophie de Philon toute crue qui a été transportée dans le christianisme, et
puisqu'elle se présentait sous sa forme propre, ou dans les grandes lignes du ju-
daïsme alexandrin, comme « une tentation » aux disciples de Jésus-Christ, c'est cette
« tentation » qu'on eut aimé à voir esquissée avec les grandeurs en apparence incom-
parables qu'elle s'oflrait à déposer sur le front de Jésus de Nazareth, couronné Lo-
gos, Fils premier-né, chef des anges, exemplaire du monde, par qui il a été créé,
grand prêtre, suppliant, qui pouvait facilement devenir un intercesseur, intermé-
diaire, qui pouvait facilement devenir un médiateur. Il ne sert de rien d'objecter que

chez les Alexandrins le Verbe n'avait aucune relation avec le Messie. La tentation
— ce qui paraissait un trait de génie ^ était précisément d'opérer ce raccord. Et
pourtant tout ce sublime philosophique cachait un piège, puisque le Logos n'était en
somme qu'un dieu du second rang, et que, par conséquent, il n'était pas Dieu lui-

même. Et l'on ne serait que plus frappé de voir ces séductions dangereuses pénétrées
par le regard d'aigle de saint Jean. Oui, Jésus est le Logos, mais Logos qui était en
Dieu, Logos qui était Dieu (1).
Mais peut-être que M. Lebreton nous réserve ce tableau pour un des volumes à
venir (2), car la tentation fut si forte qu'un Origène n'y résista pas toujours. Et pour
revenir à Philon, je me demande si M. Lebreton qui a si admirablement tracé ses
attaches avec la philosophie grecque s'est préoccupé au même degré de mesurer
rinduence de la Bible sur ses concepts (3\ Car il ne faut pas oublier que cet allégo-
riste déterminé est doublé d'un rabbin accompli, insistant sur les étymologies,
rapprochant les textes éloignés, voyant des intentions dans les particularités les plus
fortuites, avec la même subtilité, la même fantaisie, le même caprice qu'un disciple
d'Aqiba.
J'ai fini (4), et j'éprouve quelque confusion d'avoir formulé si vivement mes desi-

(1) L'auleur de l'Épître auxHél)repx, qui d'ailleurs ne donne jins au Fils le nom de Logos, a pris
équivalemmcnl les mêmes [irécautions.
("2) Je trouve dans une note do l'auteur la distinction dont je viens de parler : « Ces objections
(celles de M. Lebreton lui-même, contre les rappri>cliemenls\ ne sont décisives que si l'on con-
sidère le philonisme da-ns son intégrité el comme un système. Si, au contraire, on envisage iso-
lément les conceptions cl les tendances qui ont pris corps dans le philonisme, on reconnaîtra
sans peine que plusieurs de ces éléments, par exemple l'excmplarisme ou l'allégorisme. étaient
diflus alors dans tout le judaïsme liellénistiqne, et ont agi aussi sur la théologie paulinienne »
(p..-iOij). C'est précisément le second point de vue qu'on eût souhaite voir développer; la première

question est résolue.


(3) Par exemple le Logos est le lieu des idées, « et c'est pourquoi, lorsqu'il est question de lui

dans l'Écriture, l'hilon interprète volontiers tôttoç par )ôyo; » (p. 191). C'est bien |>lutôt parce
que lieu »
» (mpD)
était pour les rabbins un nom de Dieu.
(1) Il faudrait cependant signaler les notes de la lin, si pleines de sens et de renseignements,
l'aimerais à voir discuter par un théologien celle qui est relative à la science du Christ. Le fait
de tradition est admirabicnient exposé, si>it en ce qui regarde l'autorité des Pères, soit en ce qui
regarde la condamnation des agnoèles. On pourra du moins retenir, comme ayant reconnu une
«

ignorance réelle dans l'humanité du Christ, saint Irénée, saint Eustalhe d'Anlioche, saint Alha-
nase {au moins dans la lettre à Sérapion), saint Grégoire de Nysse, saint Cyrille d'Alexandrie.
Théodoret, saint Anibroise (dans le De Incarn. sacram.), saint Fulgence » (p. 436). M. Lebreton
RECENSIONS. ".93

derat'i, à propos d'un ouvrage où la sérénité du ton est au niveau de la hauteur des
vues. M. Lebreton cite volontiers d'illustres théologiens anglicans, Lightfûot. San-
day. Swete, Westcott, dont il n'est cependant pas le disciple. Serait-ce qu'il a goûté
chez ces parfaits gentlemen cette dignité de ton, ces matières courtoises, ce calme
en présence de l'erreur, qui est la meilleure manière de gagner les esprits.' Je le
croirais, s'il n'était plus simple de penser qu'il a puisé au contact du ^Maître la gra-
vité, le sérieux et la douceur.
IV. — Voici, dit _M. Harnack. dans le domaine des origines du christianisme, la
découverte la plus intéressante qui ait été mise au jour depuis la publication de la
Didaché; le fragment de l'évangile de Pierre et l'apocalypse de Pierre eux-mêmes le
cèdent en importance. Il s'agit des Odrs df Safomo/i. publiées en svriaque par
M. Rendel Harris. Le manuscrit, trouvé « dans le voisinage du Tigre », ne daterait
que de trois ou quatre cents ans. 11 contient à la psaumes de Salomon, sauf le
lin les

dernier, à cause d'une lacune. Au


début une lacune, puis quarante odes ou psaumes.
La numérotation 42 prouve qu'il ne manque au début que deux pièces, plus les
premiers versets de la troisième. Dans ces quarante-deux morceaux, M. Rendel
Harris a reconnu les Odes de Salomon. connues de Lactance. enregistrées par la
Synopse du pseudo-Athanase. la Stichométrie de Nicéphore et la Pi>^tis Sophia (1).
La Pisti< S ophia en contenait cinq en copte, et l'une des cinq paraît bien être la pre-
mière de tout le recueil. Il ne manque donc plus que la seconde. M. Harnack re-
connaît que le manuscrit Harris contient en effet les Odes de Salomon. mais ildififère
de l'éditeur quant au caractère des morceaux. AI. Harris y voit des odes chrétiennes,
ou plutôt judéo-chrétiennes. M. Harnack qui avait d'abord attribué aux odes de la
Pistis Sophia un caractère légèrement gnostique. mieux éclairé par l'ensemble du
recueil, reconnaît lesOdes de Salomon pour une publication chrétienne de la grande
église.Mais il ajoute que dans ces odes le cachet chrétien est adventice. La huitième
partie seulement consisterait en interpolations chrétiennes, insérées vers l'an 100.
Tout le fond serait d'origine juive, et c'est ici que M. Harnack escompte la sensation
profonde produite par un pareil ouvrage. Car l'auteur ou les auteurs, mais on —
peut traiter les odes comme une certaine unité. —
c'est du « Jean » avant la lettre.

L'interpolateur chrétien a très probablement connu le quatrième évangile, mais


l'auteurjuif a fourni la carrière d'oùsaint Jean a tiré ses blocs. >'ous apprenons parles
odes qu'il existait chez les juifs une école religieuse dont l'individualisme mvstique
préparait le christianisme, où l'on ne parlait ni de Moïse, ni de David, ni d'Israël, ni
de la Loi, ni des sacrifices, mais de lumière, de charité, de connaissance, de repos
en Dieu et d'immortalité. On y trouvait même la prédestination, et ce qui est plus
fort, ce qui est trop fort, une nouvelle naissance et jusqu'aux formules qui passaient
pour propres à Jean et à Paul (2) !

peuse que la connaissance intuitive du Clirist n'était toujours en acte que relativeraent à sa di-
vinité elle serait liatiiluelle pour le reste, et le Kils de Dieu n'aurait pas voulu, pour nous ressem-
:

bler davantage, dissiper toute ignorance de son esprit. Malgré l'autorité de Scot. j'ai quelque
peine à coocevoir une connaissance intuitive habituelle: j'aimerais mieux admettre que la vue
de Dieu ne comporte pas nécessairement la pénétration d'un fait futur dépendant de sa seule
volonté. Xa demeurant, il me parait difficile que le terme de Fils dans saint Marc puisse s'entendre
seulement de la nature humaine. M. Lebreton juge déconcertant que A. Réville ait invoqué ce
texte pour prouver l'ignorance du Christ, sauf à le récuser comme donnant au titre de Fils une
valeur métaphysique p. 44S'. N'est-ce pas un peu le même procédé d'entendre Fils au mot ab-
solu, comme exprimant un rapport uni(|ue. sauf à rejeter l'ignorance sur la nature humaine/
De Sorte que je ne vois qu'une solution, celle de saint .\ugustin et de saint Thomas, dans les
termes fixés par Maldonat.
(I Koptisch-gnosticlic Srhriften, Ersier Bd. Die Pistis Sophia, etc., parC.Schmidt. Leipzig. 1905.
(•2 P. 118: wir lemen aus den oden. dass die Conceptionen von... Prâdestination und neuer

REVCE BIBUOLE 1910. — N. s., T. VII. .38


;j94 REVUE BIBLIQUE.

Et tout cela dans un judaïsme qui ne contenait aucune trace de messianisme.


On conclura, et M. Harnack suggère assez clairement, que lorsque Jean a attribué
toutes ces idées au Christ historique comme à leur source, il ne faisait en réalité
qu'un raccord assez artiQciel. M. Harnack lui concède, il est vrai, l'originalité d'un
raccord fait de génie, où les éléments sont fondus dans une unité admirable, tandis
que les Odes se sont contentées d'une juxtaposition. Il nous offre même comme com-
pensation un Jésus synoptique plus historique et plus original qu'on ne voulait Tad-
mettre, puisqu'il n'a rien emprunté à cette mystique juive de la dernière heure, et qu'il
a compris avec beaucoup plus d'ampleur la charité envers le prochain. Il n'en est pas
moins vrai que l'originalité du christianisme total en serait diminuée, et il faut voir
dans les aperçus du savant berlinois une nouvelle tentative de détacher de Jésus la

tradition théologique du quatrième évangile, non plus pour la rattacher — sauf le

prologue — au judaïsme alexandrin, mais pour en faire la transformation dans le

sens chrétien d'une mystique qui ne devait rien à Jésus.


Voilà un aperçu de la thèse, et l'on comprend l'enthousiasme de M. Harnack qui
se croit désormais en possession d'un anneau qui lui manquait pour rattacher
« Jean » au judaïsme de Palestine évolué. On regrette aussique M. Lebreton n'ait
pas pu soupçonner ce « fait nouveau », ni par conséquent mettre les choses au point.
Ce n'est pas le moment de le faire.

Je tiens cependant à indiquer, dès maintenant, quelques réserves sur l'argumen-


tation de M. Harnack. A la première lecture son système parait très plausible, et on
le suit volontiers lorsqu'il reconnaît le caractère chrétien de certains passages. Mais
sont-ce bien des interpolations? Dans nombre peut-être,
certains cas, le plus grand
M. Harnack ne réussit pas à le prouver. Et si ce sont des interpolations, n'ont-elles
pu être ajoutées à un texte chrétien, pour mettre davantage les points sur les /;'
M. Harnack le nie deux odes sont certainement juives, puisqu'elles parlent du
:

Temple. Si ces deux odes sont juives, il est vraisemblable que le reste du fond inter-
polé l'était aussi. Un psalmiste qui ne parle ni de Jésus, ni de sa Croix, ni de sa
Passion, ni de sa parole, ni du péché, ni de la pénitence, ni du baptême, ni du
pardon, n'était point un chrétien.
Maison peut répondre qu'il parle de tout cela dans certains passages qu'on juge, il

est vrai, interpolés, et que, quand il s'agit d'un recueil publié par un chrétien, celui
qui lui attribue une autre origine doit faire la preuve.

Est-il vrai d'ailleurs qu'il ne soit pas question du baptême, quand on célèbre avec
emphase l'eau vivifiante? Le psalmiste se dit prêtre, et cela doit être pris au sens
figuré, de même les sacrifices, le miel doivent être pris au sens figuré... pourquoi pas
aussi bien l'eau? Quel est donc le grand changement survenu dans la Palestine quia
répandu partout la connaissance de Dieu, qui a rendu l'auteur la grâce, qui l'assi- l\

mile tellement au Christ que l'interpolateur a pu mettre dans la bouche du Christ


ce que le psalmiste disait d'abord de lui-même.' Et si le lait des mamelles du Père
exprimé par le Saint-Esprit dans la coupe, qui est le Fils, est d'origine chrétienne dans
l'ode 19, comment le lait de Dieu .8. 17 est-il dorigine juive? Il semble donc qu'on
pourrait à tout le moins étendre beaucoup les morceaux d'origine chrétienne. Si
quelques odes n'ont vraiment aucun caractère chrétien, faut-il s'étonner que des
chrétiens, composant des psaumes, les aient écrits en imitant ceux de l'Ancien Testa-
ment? Cela n'est-il pas plus vraisemblable que l'existence d'un recueil juif qui ne laisse

(ieburt liis zu Formulierungen liin, die als Eigentuiii des « Jolinnnes », l)/\\. aucli des Apostels
l'aulus geiten und dalier als Erzeugnisse des Geistcs Cliristi ersclieinem. niclit « cliiistlicli soii-
dern bereits vorchristlicli sind.
RECENSIONS. oOo

percer nulle part une allusion au judaïsme, ni la moindre otincelle de la passion


juive? M. Harnack regarde comme plus probable d'un degré qu'un ouvrage neutre
sur les points caractéristiques émane d'un juif plutôt que dun ciirétien. La conclu-
sion estun peu téméraire, car nous connaissons des psaumes juifs, très juifs, les

psaumes de Salomon. et nous ne connaissions pas encore de très anciennes odes


clirétiennes. Et, si Ton admet
symbolisme chrétien de feau, de la couronne, des le

vêtements nouveaux, de la transformation eu une autre personne, les traits caracté-


ristiques chrétiens confirment l'impression déjà décisive que produit le sentiment
chrétien.
Est-il sûr d'ailleurs que les odes 4 et 6 soient juives? La seule raison de le penser,
c'est l'allusion au Temple.
Ode 4 : « '
Personne ne clianjie ta plac».' sainte, mon Dieu. - et il n'est personne <jui
réchange et la place en un autre endroit, parce qu il na pas la puissance. Car tuas désigné •'

ton sanctuaire avant de faire les endroits: ' (lendroit) le plus ancien ne doit pas être changé
avec ceux qui sont plus jeunes que lui ».

Et aussitôt après :

u '
Tu
donné ton cœur, o Seigneur, à tes fidèles, tu ne seras jamais oisif et tu ne seras
as
pas sans fruit; "car une heure de foi en toi vaut mieux que tous les jours et heures ».

11 faut renoncer à trouver le rapport de ces lignes aux précédentes, à moins que le

verset 6 nous indique que le Temple doit être pris au sens spirituel. Le psalmiste
avait dit : « t'n jour dans tes parvis vaut mieux que mille » (Ps. 84. 11). L'ode
remplace les parvis par la foi. Ou il faut reconnaître qu'un passage juif a été pris
comme thème à une opposition marquée, ou il doit être entendu de la grande église
à laquelle il ne faut point préférer des conventicules.
En supposant le passage juif, il détonne absolument sur tout le recueil. Est-il
vraisemblable qu'un juif indifférent aux destinées d'Israël, à la Loi, au.\ sacrifices,
ait soutenu une polémique si voilée en faveur du Temple de Jérusalem contre ceux de
Léontopolis ou de Samarie?
Dans l'ode G. le sens juif est encore plus douteux. H s'agit d'un ruisseau, devenu
un torrent considérable, qui déborde et arrache tout et porte ces débris au Temple,
et on ne peut l'arrêter ni l'endiguer jusqu'à ce qu'il ait envahi toute la terre et rassa-
sié la soif de tous. D'après M. Harnack le but est donc de conduire les hommes au
Temple.
Mais en réalité le Temple se trouve sur le passage du torrent dont le but est de
calmer la soif des hommes dans le monde entier. Si bien que la version copte a lu
non pas « au Temple u, mais « contre le Temple » J).
Si le Temple n'est pas renversé au passage, du moins il est dépassé. Et l'auteur
continue :

« '-Heureux sont les ministres o'-iy-ovon de cette boisson, auxquels est confiée leau du Sei-
gneur!
« 1" ...Ils ont donné de laforce à leur faiblesse, et de la lumière à leurs yeux. '" Car cha-
cun les a reconnus dans le Seigneur, et ils ont été sauvés par leau vive, qui (conserve)
éternellement ».

S'il n'est point ici question du baptême chrétien, il faut donc que l'auteur parle
du baptême juif des prosélytes. C'est toujours la même objection : toute la collection
respire le sentiment d'une grande transformation du monde par la foi et par la grâce,

(I) Pisfis Sojjhio. 1. !.. p. 80: « und wandle sich gegen den Tempel ». H est vrai que la gnose
gnostique expliquait : und liihrte er iiber den Tempel. Ce qui n'est pas /um Tempel.
•o96 REVUE BIBLIQUE.

en même temps qu'un ardent prosélytisme. A quel moment du judaïsme pourrait ré-
pondre cette situation ?
Ce n'est pas que tout soit clair dans ces odes {l). Le syriaque est une traduction du
grec qui n'était peut-être pas la langue originale. Mais il est bien permis de juger.
dès maintenant, que M. Harnack s'est trop hâté de bâtir une théorie sur un fonde-
ment très léger (2).
*
Jérusalem, G août 1910.
Fr. M.-J. Lagrange.

L Les civilisations préhelléniques dans le bassin de la mer Egée; Études


de protohistoire orientale, par M. R. Dussald. Iu-8 de viii-314 pp., avec "

2 pi. et 207 fig. Geuthner 1910.


; Paris. ;

II. Kasr Firaun in Petra, par M. H. Kohl. Gr. in-4o de 43 pp., avec 12 pi. et

39 flg. ;
13'' vol. des publications scientifiques de la Deut. Orient-Gesellschaft.
Leipzig, Hinrichs-, 1910.
III. Publications of the Princeton Arch. Exped. to Syria. — Divis. II : A7ic.
Architecture; sect. B : ?\07'th. Syria; part IV : Djebel Bârtshâ. par M. H. G.
BuTLEB. Gr. ia-4'^; de la p. 149 à la p. 210, fig. 168 à 217, pi. XIX, 1 carte et
2 plans topographiques. — Sect. correspond, de la Divis. III : Gr. and lat.
Inscr., par M. W. K. Premice; de la p. 119 à 133; inscr. n"* 1073 à 1102.
Leyde, Brill; 1910.

IV. Nazareth et ses deux églises de rAnnonciation et de Saint-Joseph^


d'après les fouilles récentes pratiquées sous la direction du R. P. Prosper Viaud,
0. F. M. Gr. in-S" de xiii-200 pp., avec 94 fig., 27 fac-sim. de marques de tâche-
rons (pi. A -F =
pp. 75-80) et une série de fragments sculpturaux (pi. G =p. 16.5).
Paris, Picard; 1910.

1. — Le titre circonspect adopté par M. Dussaud est déjà un indice de sa méthode r

scruter les faits et sedéûer desrubriques. D'aucuns eussent dit civilisations égéennes,
ou créto-mycénienncfi . et ces termes, d'autres à l'avenant, eussent été inexacts par
quelque côté. Avec mémorables de Schliemannà Mycènes surtout na-
les trouvailles

quit, dans le dernier quart du siècle passé, un problème difficile, résolu d'abord en
apparence par l'adoption du nom civihsation mi/cénienne, et bientôt remis en cause
par la rapide extension des découvertes dans tout le bassin égéen. Les révélations
Cretoises, depuis tantôt dix ans, un aspect nouveau et reculent
donnent à la question

considérablement l'horizon « mycénien », puisque le mycénien n'apparaît plus que


« comme le prolongement, quelques-uns disent la décadence, de la civilisation mi-

noenne », suivant l'expression juste de M. D. (p. 121 s.). Le terme de civilisations


préhelléniques dans la région déterminée par la suite du titre a l'avantage d'être clair
et de ne préjuger aucune des questions d'origine et d'ethnographie insolubles encore.
Études de protohistoire orientale achève de définir l'œuvre réalisée par le très dis-

tingué savant.
Quelles que soient dès maintenant l'abondance et la variété des informations, le
mystère de ces civilisations ne saurait être pleinement éclairci jusqu'au jour où une
divination géniale donnera la clef de leurs écritures et de leur langue. On n'estcepen-

(l)La défense catholique pourrait bien rétorquer largunient et faire état de textes comme ce-
lui-ci « lu as voulu que ton rocher fût le fondement pour tout, et lu as bâti sur lui ton royaume •
:

(22, 11).
(2) M. Harnack reconnaît comme ciirétiennes les odes 19 et 27, et la plus graade partie de
41 et 42.
RECENSIONS. oTi

dant plus réduit à leur sujet aux humbles indices qui guident les préhistoriens à la
découverte des civilisations primordiales. Les personnages couchés dans les célèbres
tombes de Mycènes, les princes qui fortitièrent les acropolesde Tiryntheet de Troie,
la cour qui évolua dans le confort et la splendeur du palais de Cnossos ont laissé as-

sez de traces de leur énergie industrieuse et de leur génie pour qu'une archéologie
méthodique puisse lixer les premiers linéaments de leur histoire.
La difficulté consistait à s'assimiler d'abord la documentation de faits au point de
n'en ignorer rien d'essentiel. 11 fallait dominer ensuite cette poussière d'histoire de
manière à opérer d'une main sûre et d'un jugement net le triage des données carac-
téristiques, classer ces éléments de valeur à l'aide d'observations techniques patientes,
les dater par des synchronismes souvent laborieux, essayer enfln d'en dégager le
sens. En l'espèce on avait à étudier de la sorte la Crète, les Cyclades, Troie, Mycènes-
Tirynthe. Chypre, pour aboutir à un aperçu motivé touchant les populations
égéennes ainsi que leurs cultes et mythes. L'énoncé de cette tâche est précisément le

sommaire des six chapitres du livre: c'est eu marquer l'intérêt. Pour en faire appré-

cier le mérite sans analyser cette limpide synthèse, on notera qu'elle réunit les qua-
lités d'érudition, de jugement et de goût qui ont fait le légitime succès des travaux
antérieurs de l'éminent orientaliste, spécialement de ses monographies préliminaires
sur l'archéologie créto-mycénienne. A suivre cet attrayant exposé, le lecteur le moins
spécialiste aura une idée claire du caractère, du développement et des relations des
civilisations préhelléniques depuis le lointain état néolithique jusqu'à la période où
les tribus helléniques,en possession désormais de tous le^ métaux, ont succédé par-
tout aux peuples égéens. Ce sera un des principaux mérites de M. D. d'avoir proposé
un synchronisme entre les civilisations du bassin égéen aux âges du cuivre et du
bronze. Pour la Crète, il parait incliner vers la chronologie courte, qui fixerait vers
2000 à peu près les débuts de la culture (1); dans les Cyclades et les grands centres
« mycéniens » les périodes artistiques sont synchronisées avec les divisions reçues de
minoenne, tandis que pour Chypre est mise en avant la date plus haute
la civilisation

de 2500 environ pour les débuts de l'âge du cuivre et 1100 comme fin de l'âge du
bronze proprement dit p. t36j. C'est d'ailleurs Chypre qui a été l'objet des plus gran-
des précisions (2) les biblistes l'apprécieront d'autant plus que cette culture chypriote
;

a des attaches plus immédiates avec celle de Palestine (3). D'autre part, tandis que
l'archéologie crétoise et la mycénienne ont fait déjà le thème de bonnes synthèses,
celle de Chypre, viciée presque à ses débuts par la fantaisie et les indélicatesses de
M. L. di Cesnola, était utilisée avec défiance par tous ceux qui n'en possèdent pas la

documentation de première main. L'information et la critique de M. D. donnent aux


6.5 pages de ce chapitre la valeur du meilleur manuel.
Au contact prolongé de cette culture admirable le savant auteur ne pouvait que
s'enthousiasmer pour les populations préhelléniques du bassin égéen. Nul autre mi-
lieu dans un aussi un développement plus éblouissant de
court intervalle n'offre
culture artistique et de féconde activité. nous reste de l'art et de la pensée grecs
S'il

des monuments plus immortels, on ne doit pas perdre de vue qu'ils sont l'épanouis-
sement heureux de ces civilisations antérieures dont le génie hellénique a recueilli

(1) p. 4j. Il avait précédemment établi (p. 33 s.) « que les grandes divisions instituées par
M. Evans sous les noms tout conventiDnnels de Minoen ancien, moyen et récent, peuvent être
définies respectivement comme âge du cuivre, premier âge du l)ronze et second âge du bronze •.
(-2) M. D. étudie le sujet depuis longtemps; cf. RB., 190", p. ti3-2.

(3) Une très fine hypothèse de M. D. explique par une influence architecturale égcenne et spé-
cifiquement chypriote un des noms bibliques du chapiteau kaphlor. « Les Hébreux auraient dit
:

un kaphtor, comme nous disons une grecque, une arabesque » (p. \'J-2].
o98 REVUE BIBLIQUE.

Sur roriginedecesraceségéo-minoennesM. D. n'ose se prononcer avec déci-


l'héritage.
sion ; il estime néanmoins qu'elles ne
« participaient pas primitivement au groupe
indo-européen » et les dernières lignes du livre sont un coup droit porté à la « théorie
de l'hégémonie aryenne, chère à maint historien » (p. 300). A Dieu ne plaise que je
risque une théorie absolutiste de la prépondérance des Aryens, ou quelque déterrai-
nation plus nette des races préhelléniques (1)! Tout au plus me hasarderais-je, si
c'était le lieu, à revendiquer un concours plus large peut-être d'influences extérieu-
res,y compris des influences indo-européennes, dans cette évolution de la culture
égéenne —
sit venia verbo ! —
Ces influences ne sont, certes, pas méconnues
mais dans le détail s'accuse une tendance à les atténuer jusqu'à les effacer
(cf. p. 300);

en des cas où elles semblent bien réelles (2). Il est vrai qu'une certaine rigidité des
formules est fatalement inhérente à toute synthèse. Aussi n'est-ce pas une critique
adressée au beau livre que de signaler la possibilité de nuances en certaines inter-
prétations. C'est surtout dans l'exégèse du « matériel cultuel », des pratiques reli-

gieuses, moindre variation de perspective peut


des légendes et des mythes que la

motiver une intelligence difTérente. Nulle part du reste l'ouvrage ne décèle plus de
judicieuse réserve et plus de tact. Malgré la discrétion des formes, c'est bel et bien
une condamnation autorisée qui est passée sur les prétendues survivances totémistes
dans les cultes préhelléniques du monde égéen (p. 253 s.); un tel verdict est aujour-
d'hui encore très méritoire, puisque, malgré toute sa raison d'être, il expose M. D.
aux sévérités d'un Index vigilant et énergique. Les spécialistes pourront prendre à
tâche de trouver le livre eji défaut sur tel ou tel point de menu détail (3) : à eux-

(i) On a pu voir dans Lackaxgf, La Crète.... ch. m Les origines, p. 113 ss.,
: quel point le pro- ;i

blème est délicat. Cet exposé me paraît encore plus précis et plus nuancé que celui du nouveau
livre, surtout en ce qui concerne la langue en particulier. A propos de l'alphabet^ M. I). se
réfère seulement à son étude antérieure sur laquelle on peut consulter RB., 1907, j). W".
(2) P. 126 par exemple, on trouve tout à lait « problématiques.... les rapports entre la céra-
mique élamile et la cérami(iue mycénienne » signalés naguère par M. J.de Morgan {Observations
sur les orig. des arts céramiques dans le bassin méditerranéen ; Rev. école antlirop., XVII, 190",
1>. 401 ss.). .l'avoue avoir été fortement impressionné par l'argumentation si documentée de
M. de Morgan. Katurellement influence n'exclut pas originalité et génie projire; je ne saisis donc
pas bien l'objection de M. D. « Celte hypothèse supprime le long développement qu'ont révélé
:

les fouilles de Crète et [ '?] qui nous font assister aux transformations locales d'où est sortie la
poterie mycénienne » (p. 127;. On ne peut d'ailleurs qu'assentir aux principes de M. D. quand il
fait justice (v. g. p. 49 et 233) des conclusions hâtives tirées de rapprochements graphiques su
perficiels. ,

(3) Sans me hausser à la prétention d'une critique compétente en pareil domaine, voici seule-
ment quelques remarques de lecture. En traitant de l'architecture M. D. insiste naturellement à
son tour sur Gnossos pour la Crète et sur Phylakopi jiour les Cyclades, mais la documentation est
à peu près nulle pour Troie. Mvcènes et Tirynthe et le lecteur devra recourir à d'autres recueils
s'il veut suivre ip. ll;i ss."^ la • comparaison des architectures niinoenne et mycénienne ». Dans
la bibliographie de ce sujet (p. 115, n. 4), aux articles cités de M. Mackenzie doivent être ajoutées
les deux suites paruesdans le même recueil, BSA., xlli,etXIV. —
P. 118 est acceptée l'hypothèse
de Noack dérivant le plan « des belles demeures Cretoises » d'une» maison à plan ovale décou-
verte... à Chamaizi » mais pourquoi paraître ignorer que M. Mackenzie a soutenu
;
victorieuse- —
ment je crois —
juste le contraire deM. Noack à propos de Chamaizi (BSA., XIV, 1907-8, p. 41iss.)?
De même, au sujet des vases multiples accolés sur un pied unique et désignés sous le nom de
kcrnoi, puisqu'on cite (p. 89, n. 2) l'étude ancienne de M. Bosanquet [B8A., III), pourquoi pas
celle beaucoup plus récente de M. Xantiioi dides, Cretan Kernoi; BSA., XII, 1905-6, p. 9-23? d'au-
tant que l'interprétation de ces vases proposée par M. D. était déjà presque exactement celle de
jl. X. —
P. 131, à propos des vases palestiniens du type chypriote • que les explorateurs esti-
<

ment des imitations locales et non des importations directes, M. D. écrit « Ce point mériterait :

d'être contrôlé. » 11 y a longtemps qu'on s'est préoccupé de ce contrôle et l'opinion émise repose
sur une différence d'argile, une dilférence de tons dans la décoration peinte, une différence de
galbe des vases autant de nuances que les descriptions générales ou les diagrammes ne peu-
:

vent pas toujours rendre. Par où d'ailleurs il ne s'agit pas d'exclure toute importation. Quant à
la figurine de Ta'annak déclarée « identique » aux maquettes chypriotes (p. 228;. les détails de
technique pour lesquels je la crois seulement « analogue » et que j'ai eu tort de ne pas énuraérer
dans Canaan..., p. l(i"i, sont 1° les formes très anguleuses du modelage à l'aide d'un grossier
:
RECENSIONS. 590

mêmes ce bilan de l'archéologie préhellénique est de nature à rendre de réels ser-


vices. Mais le service est surtout précieux pour les hommes d"étude plus générale à qui
importe la connaissance de tout ce qui com-erne le développement de la culture an-
tique; de ce nombre sont les biblistes. Et quel choix judicieux de documents graphi-
ques rehausse encore la valeur de cette élégante anthologie préhellénique! On ose à
peine plaider le scrupule de minutieuse exactitude en l'une ou l'autre de ces flgures, à
peu près toutes si artistiquement et si fidèlement dessinées 1 . Dans l'intérêt de la

L'bauchoir; -2» re\a.?ération de la tète et l'escessive atiénuation de la poitrine; 3' la complf-'e


inintelligence anatomique du coroplaste palestinien; 4' la maladresse avec laquelle il a imité
les incisions qui traduisent dans son prototype chypriote, les plis du vêtement [pour api)rêcier
quelque peu ces nuances il sera bon de se reporter à la fis. 113 de Sellin, Tell Ta'au., sur la-
quelle a étédessinéelropéléjtammentla ligure ni de M. D. ]. Sellin signalait un type semblable
parmi les trouvailles de Sendjirii. mais sans rélérence précise: Dussaud il. l.) fournit la même
indication sans plus de documentation. —
P. 107. il n'eut pas été inopportun d'indiquer où l'on
peut se documenter avec plus de détail sur le téménos en plein air découvert en lîtOO « au som-
met du mont louktas •, quand ce ne serait que pour rectiQer ce qui a été dit dans RB.. 1907.
p. 329. n. 1. —
P. 211. n. 1, on attribue au P. I.agrange l'opinion d'une • inQuence phénicienne •
sur les cultes bétyliques en pays égéen: le terme phénicienne est inexact, car le P. L. parle
B.B., 1907. p. o'js =
La Crète..., p. ttO de « l'influence orientale assyro-pliénicienue . Même —
nuance d'expression serait nécessaire p. loi, n. 4 = dans Excavation» in Palestine, p. 85. il est
:

(\\l par erreur que les vases de la classe « imitant le cuir » ne se rencontrent... etc. trouve-t-on ;
cette étiquette céramique quel(|ue part à^ws Excavations...? —
P. 21i>. n. I.M. D. ne veut pas que
l'autel figuré dans Lagr., La Crète, fig. 0-2 =
RB.. 1907, p. 501, ait été trouvé dans le « trésor de la
déesseaus serpents '. Il y revient avec insistance, p. -233, n.i. et cite • Evans. B.S.A.. \TI. p. 28 •
pour prouver qu'il a été Iro'uvé • dans la région est du palais ». Il n'y a pas la moindre allusion à
cet autel dans la citation produite. Sans chercher ailleurs, ni discuter la thèse de M.D., je me
hâte de confesser que. s'il y a erreur, c'est moi qui suis coupable : l'autel en question était inédit,
si je ne me trompe, en 1907: l'ayant dessiné dans une vilrine du musée de Candie qui portait

l'étiquette • sanctuaire de la déesse auK serpents minoen moyen III • et ne trouvant aucun in-
:

dice plus déterminé de provenance, j'ai écrit celui-ci. qui aura trompé ensuite mon maître uti-
lisant ce croquis. M. D. tient beaucoup à écarter l'hypotliose des Temple repositones à Cuossos.
et celle d'un caractère quelque peu sacré pour « tout le quartier sud-ouest du palais • :p. 233 s.) :

il élimine ce qu'on a pris pour des symboles religieux et dans le signe de la double hache pro-
digué sur les deux fameux piliers il ne voit que des = marques de tailleurs de pierre » ^233: cf. 12
et 213); voir, dans un sens tout autre, non la théorie trop absolue de M. Evaxis sur ces prétendus
piliers sacrés, mais la théorie très nuancée de Lagrange. RB.. 1907, p. lt>9ss. Pourquoi d'ailleurs
aucune allusion à l'autel monumental découvert précisément dans ce quartier sud-ouest du pa-
lais?— P. 234 on demande « en quoi la statuette dite ' déesse aux serpents » est... plus déesse
que les figurines similaires qualifiées d'acolytes et en note « l.e P. Lagrange, La
• : Crète anc
p. 73 et suiv... n'a pas répondu a cette objection '. Il me semble que si [op.c, p. 74= RB.. 1907,
p. 492 en faisant observer des analogies avec les figurines de la chapelle du palais et surtout en
.

accentuant la distinction entre « la pénétration de la divinité dans la forme humaine » et « le


simple maniement du symbole religieux. M. D. parait bloquer trop facilement des figurines pas-
sablementdistinctes pour conclure d'emblée à des représentations de prêtresses, par exemple en
mettant certaine statuette du musée de Berlin cf. LAcr;.. RB.. 1907, p. 49o. n. l La Crète.... =
77. n. 1) sur le même pied que la « déesse > aux serpents. Le classement délicat ci'mporte beau-
coup plus de minutie. Sur la bague bien connue de Myecnes. oîi il ne voyait naguère «lu'une
prêtresse • [Les fouilles récentes..., p. 125, en 1906;, Si. D. admettrait cependant aujourd'hui
l'hypothèse d'une « déesse » (p. 246 . —
P. 235 n'e?t-on pas trop radical en niant . (jne les Cretois
aient connu un culte de la croix ? Lne distinction eût été peut-être plus prudente: cf. Lagk..
>

RB., 1907. p. 503 5. —


P. 272 on attribue « à l'huile de Crète une qualité supérieure à celle des
autres régions orientales > au fait qu'eu Crète on bat < l'olivier avec des gaules - quand l'olive
est à point, tandis qu'ailleurs on attend que l'olive « trop mûre • tombe d'elle-même. De là une
interprétation du vase dit « des moissonneurs » ou « des guerriers • RB., 1907. p. 200 et pi. VI,
1. face p. 399) comme représentant une procession au < départ pour la cueillette des olives »...
Je crains que cette interprétation ne trouve pas grande faveur. Quoi qu'il en soit, le battage
des olives n'est pas une particularité Cretoise, mais un usage commun à tous les pays syro-pales-
tiniens: l'excellence de l'huile crétoise ne vient donc pas de ce procédé de cueillette. P. 288. —
est-il vraiment indispensable d'admettre « un prototype égéen » d'où auraient été tirés les noms
sémitique, grec et latin du vin?— Le rapprochement institué par M. Evans entre certain signe du
disque de Phaeslos avec les tombes lycienues n'est-il pas plus solide que ne l'admet M. D. p. 293 ';

on l'estimera aussi heureux atout le moins que celui des navires figurés sur le disque avec les
représentations gravées sur des vases de Syra(p. 275 s. d'où M. D. conclut (p. 294, que le^ texte
peut provenir des iles voisines ».
1 II ne peut qu'être agréable à la Revue de constater que, dans le plan du palais de Cuossos
600 REVUE BIBLIQUE.

recherche personnelle, les sources de cette documentation eussent été utilement si-

gnalées et les indications de cette nature sont malheureusement trop rares. L'exécu-
tion matérielle du livre est tout à fait soignée et d'un goût bien français (1).

II. — La monographie splendide que M. Kohi consacre au Qasr FircVoun —


l'unique construction encore debout dans la cité nabatéenne de Pétra — unit à l'in-
térêt de relevés élégants et précis le charme d'une information historique et d'un
sens artistique remarquables. La découverte de M. K. car c'en est une —
est —
d'avoir ressaisi, grâce à des vestiges encore en place et au réseau des trous de scel-
lement, toute la décoration stuquée sous laquelle disparaissait jadis cette massive
construction appareillée. Bien servi par sa connaissance directe fort étendue des
monuments orientaux, M. R. montre les liens de parenté entre ce temple in antis
avec pronaos très développé, cella plus large que profonde, adyton à trois cham-
bres indépendantes et ce qu'il appelle le type du temple arabe ou nabatéen (p. 26) —
le terme plus général temple sémitique serait apparemment préférable. — Mais
surtout il rend évidente la relation entre cette fragile décoration architecturale en
trompe-l'œil et celle que les architectes romains ont exécutée en pierre taillée, à
Baalbek par exemple, à Palrayre et dans mainte cité palestinienne. Il retrouve le

principe de cette décoration non dans une combinaison telle quelle des thèmes de
l'architecture antique, mais dans l'imitation de la décoration peinte si caractéristique
des artistes de Pompéi, principalement à partir de ce qu'on appelle le « second
style » pompéien, vers la fin de la République. Et voici par où l'intéressante décou-
verte du savant architecte devient féconde : les fameuses façades des hypogées naba-
téens dont on a tant discuté l'origine et le caractère relèvent de la même inspiration.
Non seulement dans les compositions soi-disant « baroques Khazneh, ed-Deir,
», le

etc., mais jusqu'en ces façades d'abord étranges, le Tourkmanîyeh par exemple, où
des rangées de pilastres nains apparaissent au-dessus d'un prenùer entablement,
M. K. fait voir la tentative d'un sculpteur de projeter sur une paroi de roc la perspec-
tive architecturale peinte par le décorateur pompéien. Photographies et dessins ne
laissent guère de doute sur l'exactitude de cette interprétation dont on pressent aus-
sitôt la portée pour l'histoire de l'art nabatéen. Les maîtres avaient donc vu juste dès

la découverte des ruines de Pétra Hittorf en signalant les rapprochements décom-


:

position décorative avec Pompéi, de Vogué en insistant sur divers procédés techniques,
l'ébauche d'un chapiteau grec par exemple dans ce qu'on nomme le chapiteau nabatéen.
Il faut louer cordialement M. l'architecte Kohi des précisions considérables qu'il
apporte à cette heureuse théorie et de la démonstration si élégante qu'il en fournit.

III. — Avec M. Butler c'est d'architecture encore que l'on s'occupe, mais si judi-
cieusement mise au service d'art chrétien en général et d'histoire syrienne en parti-
culier, que l'austérité des éléments spéciaux demeure à peine perceptible. Telle est
toujours l'excellence des graphiques et la limpidité de l'analyse descriptive que tout

publié en frontispice par M. D., son artiste dessinateur a interprété certains détails ditticiles
dans les grapliiques de l'architecte anglais d'une manière qui confirme pleinement et fort à
propos l'interprétation adoptée dans le plan de la Revue (1907, face p. -2U0). M. D. insiste aussi
(p. 10, n. 1) sur l'utilité d'adopter la numérotation préconisée par le P. Lagrange, pour les
repères sur ce plan.
^1) Noté quelques lapsus typographiques P. -21, I. G, e b., N.-W. jjotir N.-O.
: P. 30, n. 1 —
1. 8, Potterie pour Pottery. —
P. 63,1. 8, dasn;jOMr dans. —
P. 89, manque un rappel à la n. 2. —
P. 158, n. 2, RB. 1905 pour RB. 1909.— P. 187, 1. 2 e. b., quoiqu'il en poiu- quoi qu'il en... —
P. 197,1. .je.b., (2) pour (.3). —P. 2-28, n. 3, Qart. S/««.pour Quart. Stat.— P. 230, n. 3,1. 5, Quelque
soit pour quel que soit. —
P. 252, u. l, flg. 16 pour tig. 7 6. —
P. 297, 1. \ ss., une phrase que je saisis
mal :« L'invention... de l'alphabet était impossible; il fallait, dans une écriture syllabique,
dégager peu à peu les sons simples, puis négliger les premiers (?] et ne conserver que les der-
niers • [?1.
RECENSIONS. 601

lecteur, sans se découvrir une compétence d'homme du bâtiment, acquiert une notion
exacte des monuments et du milieu étudiés. Le dj. Bàrisà. distant de cinquante
kilomètres environà l'orient d'Autioche, avait livré naguéreà M. de Vogué une série

trèsimportante de documents archéologiques. Les riches découvertes de l'Expédition


américaine de Princeton University y ajoutent très notablement encore, surtout en
des centres tels que Bùbisqd et Ddr Qitd. Par ses caractères généraux l'architecture
de ce massif montagneux a beaucoup plus d'affinités avec celle du dj. Ahi qu'avec
celle du dj. Riltd cf. RB.. 1908, p. 592 ss. 1910. p. "JS-j ss. La proportion y est : .

plus grande peut-être de vestiges d'art pré-chrétien, moindre pour les ei:lises du
iv« s., plus grande au contraire pour les derniers édiQces religieux au moment ou la

vague musulmane déferle presque de toute part. L'architecture civile offre des types
remarquables il., tandis que l'architecture funéraire fait presque totalement dé-
faut 2). Dans la on notera la fréquence des absides
variété des plans d'églises
quadrangulaires, ou dissimulées dans un prépondérance des entrées mur droit, la
latérales et quelques exemples de narthex à colonnade. La multiplicité des baptistères
en relation plus ou moins immédiate avec les églises ne peut manquer non plus de
fixer l'attention; il faut signaler en particulier celui de l'église Saint-Paul-Saiitt-
Moise, du vi^ s., à Dàr Qîtâ (p. 182 ss., fig. 190i, avec sa piscine exiguë dans le sol
de l'absidiole. Il résulte des observations de M. B. que l'immersion totale y était
impossible et que le ministre devait répandre l'eau sur la tète du catéchumène. La
décoration sculpturale affecte une réelle originalité avec tendance à la surcharge
et un certain dédain de nos principes de symétrie.
Les inscriptions, éditées par M. Prentice avec la concision et le soin habituels, da-
tent les monuments et spécifient, le cas échéant, leurs transformations. Pour le reste,

on n'y lit à l'ordinaire que des invocations religieuses, au Dieu unique, à la Trinité,
à quelque saint. Les noms des fondateurs ou des donateurs avec leurs titres font
rarement défaut, parfois s'ajoute celui de l'architecte. On remarquera u'^ 107.3 la
formule "O^xHyi:. xa\ sol xà ô-.-Xî. n" 1099 Texpression il '=^i) rsÔToiu pour indi- "i

quer « la façade » et (n' lior l'intervention d'un « grand comte y, aiya/.o-çEnîîTaToç


xotAr,;, dont la mention en assez pauvre grec est juxtaposée à un texte syriaque.
IV. — En forme élégante et précise, le résultat de ses habiles
publiant, sous une
fouilles à Nazareth, le T. R. P. Prosper Viaud était bien assuré de s'acquérir la plus
vive gratitude des pèlerins et des archéologues. Avec un sens juste des exigences du
temps et de la piété éclairée, il estime que •
c'est l'heure des fouilles et des recher-
ches de toutes sortes » p. vi s.), que devant la critique « l'iiistoire du passé... trouve
un de ses appuis les plus sûrs dans la science archéolosique » p. vu . enfia qu'en
visitant un sanctuaire « le vrai pèlerin.... ses prières achevées », a bien le droit » d'exa-
miner où il se trouve » p. vu). Vingt années de persévérantes observations, des
fouilles laborieuses conduites avec énergie et méthode ont porté leurs fruits. Dans
l'enchevêtrement des édiûces modernes et sous l'amas de décombres la basilique du
xn'' siècle, celle qu'lionora la visite célèbre de saint Louis, a été retrouvée dans tous
ses éléments essentiels, Ce n'est plus seulement son plan général ^3', mais le détail
presque entier de son ordonnance, une partie de son élévation, son agencement sur-
tout avec le lieu saint de l'Annonciation qui peuvent être lus en d'excellents graphi-

.1 .\ussi bien pour les installati-'iu privées que pour les édiOces puMics : magasins, bazars,
bains, etc.
[i) L'unique tombe digne d'intérêt se voit à Bàbuii/} : porche dorique devant un caveau à trois
arcosolia dans le roc (p. 194 s., lîg. 200 .

(3, Cf. le diagramme de RB.. 1901, p. i90.


G02 REVUE BIBLIQUE.

ques et dans une description soignée (1). La découverte de cinq chapiteaux historiés,

d'une extraordinaire beauté et d'une conservation merveilleuse, classés au « troisième


quart du xii*^ siècle » par un aussi fin connaisseur que M. de Lasteyrie (p. 167), jette
une « lumière inattendue sur la richesse d'ornementation de l'église médiévale » (2)
(p. 163). A ces trouvailles d'un si grand intérêt pour l'histoire du sanctuaire s'ajou-
tent de très précieuses indications archéologiques sur une basilique primitive de la
haute époque byzantine, attribuée au iv<= siècle par l'éminent auteur moyennant une
sériede déductions littéraires et de comparaisons archéologiques sur lesquelles un
compte rendu ne permet guère de s'étendre avec le détail nécessaire. Il faut glisser
de même sur les chapitres préUminaires (i et ii, p. 1-30) et le ch. y (p. 109-116 où
sont examinées les traditions de Nazareth, leur documentation littéraire — très en
raccourci — et la concordance entre les faits archéologiques et les textes. Sur tous
ces points il peut y avoir lieu de revenir quelque jour; ils ne sont que secondaires
dans le beau livre destiné avant tout à donner « simplement les résultats obtenus »

(p. viii). Et la Santa Casa, et Lorette? demandera-t-on. Il va de soi que le savant


fouilleur n'en pouvait faire abstraction; il estime même sa découverte d'une an-
cienne habitation dans le rocher, tout proche du sanctuaire mais sans relation avec
lui, apte à résoudre certaine difficulté grave concernant le raccord entre les monu-
ments de Lorette et de Nazareth, en ce qu'elle éclaire « la disposition du sanctuaire
et l'état primitif [?] de la chapelle de l'Ange et de la grotte de l'Annonciation »

(p. 61: cf. p. -x et 128). Les argumenta leurs trop empressés ne vont pas manquer
d'exploiter cette phrase et telle autre analogue. Dans leur zèle imprudent ils ne
verront aucune des difficultés nouvelles que font surgir les données archéologiques
acquises ;
peut-être même oublieront-ils de noter la déclaration si nette et si loyale
du savant religieux, vers la fin de sa préface : « une étude plus complète... ne pourra
se faire, en ce qui touche le sanctuaire, qu'en détruisant tout ce qui le recouvre
actuellement» (p. x). Il demeure «impossible actuellement de
une idée exacte se faire
de la disposition ancienne des lieux » ^p. xi On arrive à pied d'œuvre à Nazareth .

et l'œuvre est en bonnes mains si ces mains demeurent libres d'achever la tâche. Sur

un point cependant on différera sans doute d'avis avec le T. R. P. Pr. Viaud ce :

n'est pas « à Nazareth que se trouvera la solution définitive » (p. xi) même du seul
problème archéologique. Elle requiert que ceux qui en ont les moyens réalisent sur
l'édilice de Lorette un examen technique aussi attentif et désintéressé que lui-même

l'a pratiqué à Nazareth et que les résultats en soient soumis à contrôle par une pu-

blication aussi documentée et aussi sincère que l'est JSdzareth et ses deux églises.
Les récentes fouilles ont en effet remis à jour, outre les ruines déjà indiquées, celles
d'une seconde église médiévale et peut-être byzantine du vi'= siècle [?] sur l'empla-
cement présumé de la maison de saint Joseph. Ajoutons enfin une intéressante docu-
mentation sur Séphoris, son antique église et sa mosa'ique à inscription hébra'ique,
pour avoir au moins énuméré tout ce que contient le magnifique volume.
H. Vincent, O. P.
Les gens du inulier regretteront que le plan d'ensemble (Ug. i, p. 35) et les ct>upes prises
(1)
sur ce plan n'aient pas d'échelle, et qu'en général les cotes de itroportions soient un peu rares
([uand il s'agit de fragments arcliitecturaux. L'analyse des chiffres incidemment fournis et la
comparaison avec le plan réduit ^fîg. l,p. 33) et la section très détaillée (fig. 3G, p. 81) pcrmeUent
d'attribuer à ce plan important une échelle approximative deO'",01<i pour 10 m.
(-2) On en aura déjà quelque idée par les similis à échelle un peu petite qui accompagnent
l'analyse très pénétrante de ces monuments par le U. P. Viaud d'abord, ensuite par M. de Lasteyrie
<|ui s'est aidé d'observations de M. E. Mâle. Les scènes sculptées sur ces chapiteaux sont em-
pruntées à l'Évangile et à la légende de divers apôtres. Au sentiment de M. Mâle, le style de ces
sculptures se rattacherait peut-être mieux à quelque école allemande qu'a l'une on à l'autre de
nos écoles romanes françaises ;p. 171).
BULLETIN

Questions générales. —
En souhaitant boa succès à la sixième édition du grand
manuel allemand d'histoire biblique (1), nous ne nous doutions pas que déjà la sep-
tième édition était en préparation. Et cependant il faut reconnaître qu'elle est fort en
progrès. Au lieu de 1026 pages, le premier volume, consacré à l'A. T., en compte
1134. Si le nombre des illustrations a diminué, c'est qu'on a éliminé des clichés pit-

toresques sans grande valeur (2) ; mais on a introduit de bons documents archéolo-
giques. Le second volume (\. T.; a 920 pages au lieu de 788. On a reproché à l'au-
teur d'avoir trop insisté sur la Jérusalem moderne. Ce n'est pas nous qui nous asso-
cierons à ce grief.
Les auteurs ont compris tout ce que lëtude de la Bible pouvait gagner à la connais-
sance de l'Orient, histoire, géographie, archéologie. C'est, pour l'A. T., comme si

l'on fondait — en les mettant à jour — les différents ouvrages de M. Vigouroux


sur la Bible et les découvertes modernes, les Livres saints et la critique rationaliste,

le Manuel biblique. Il est vrai que dans les deux cas, en Allemagne comme en
France, y a juxtaposition de l'Orient et de
il la Bible, sans qu'on tire les conclusions
qui devraient découler pour l'intelligence de la Bible d'une étude plus attentive de
l'Orient. Mais beaucoup de pénétrer peu à peu dans ce vieux monde qui ne
c'est déjà
livre pas ses secrets en un seul jour. La bibliographie du manuel allemand a été dé-

veloppée. Nous ne pouvons que le répéter l'ouvrage des deux professeurs de Mayence
:

est un excellent répertoire des explications et solutions conservatrices. M. Schiifer


parait cependant plus incliné vers les solutions critiques, comme lorsqu'il cite l'opi-
nion de M. Belser. que saint Marc n'a pas seulement servi de source à saint Luc, mais
aussi au traducteur en grec du premier évangile araméen (p. 33;.

M. Joyce a remarqué que parmi ceux qui se sont préoccupés récemment de psy-
chologie religieuse, l'attention s'est portée plutôt sur la conversion que sur l'inspira-
tion. C'est le dernier sujet qu'il a choisi, et qu'il étudie dans ses ditïérentes manifes-
tations bibliques, depuis les anciens Hébreux jusqu'à saint Paul '3j. 11 serait très
malaisé de discuter ce livre de très près, d'autant que la terminologie ne ressemble
guère à la nôtre. Ici inspiration et révélation paraissent synonymes. M. Joyce croit à
la Révélation, mais il paraît assez soucieux, de restreindre l'autorité des prophètes et
même des Livres saints. A l'inverse des anciens protestants, il met l'autorité de

(1) Handbucli zur biblischen Geschichte... mit 215 Bildern und 5 Karten, 2 Bande, gr. iu-8" (xliv,
iO.54 pp.) Herder, 1010. Le prix de -23 marks pour ces deux énormes volumes ne paraîtra pas trop
élevé. L'Ancien Testament par M. Sei.ust. le Nouveau par M. Schafer, tous deux professeurs au sé-
minaire épiscopal de Mayence.
(2,1 Desideratum exprimé par la RB. (1009, p. 144 s.). On demande encore le sacriûce de la vue
de l'église S. -Marc, à Venise, à propos du second évangile. La plirase critiquée ])ar la RB.
p. tl.'i du t. I du manuel a été retouchée, p. 109, dans un sens moins absolu.
(3 Ttie inspiration of prophecy, an essay in tlie psycliologyof révélation, by M. C.Joyce, D. 1).-
\n-H'' de 195 pp. Oxlord, Frowde, ItUO.
604 REVUE BIBLIQUE.

r« Église », le « home y de l'Esprit saint, au-dessus de toute prophétie. « Aucun


homme, pour inspiré qu'il soit, n'est infaillible par lui-même et ipso facto » (p. 195;.

C'est à l'Église à discerner dans sa doctrine ce qui a une valeur éternelle et ce qui te-

nait de l'imperfection du prophète. Le don de Dieu se manifeste donc par le discerne-


ment des esprits aussi bien que par la prophétie elle-même.
L'enquête de M. Joyce est respectueuse et croyante. Sa position est moins hostile
à l'Église que celle des novateurs du xv!"^ siècle, mais elle paraît en revanche
influencée par le naturalisme de notre temps. Il est piquant que l'Eglise catholique
soit obligée de défendre l'autorité propre à l'Ecriture, tout en maintenant son droit
exclusif de l'interpréter.

Nouveau Testament. — Il est devenu impossible de renfermer dans un petit


volume toute une inl roduclion nuX T. Désirant exposer les systèmes critiques ré-
cents, M. Peake a pris le parti de laisser de côtelés questions les plus connues, comme
les analyses, critique textuelle, canonicité, circonstances historiques et archéolo-
gie (1). Le manuel parait destiné au grand public, car il n'aborde aucun détail tech-
nique. La position de l'auteur est, semble-t-il, sensiblement à droite par rapport
à M. Il n'admet pas le Proto-Marc, n'est pas hostile à l'authenticité aposto-
Jiilicher.

lique du quatrième évangile, estime que son Logos n'a guère de commun que le nom
avec celui de Philon, etc.. ; d'autre part les épîtres pastorales, tout en contenant beau-
coup de choses pauliniennes, ne seraient pas sorties de la main de saint Paul, etc.

L'évangélîaire de Saint-Gatien de Tours (aujourd'hui à la Bibliothèque nationale à


Paris} n'avait pas encore été publié. M. M. Heer s'est consacré à cette tâche utile,
J.

en notant un certain nombre de variantes (2). Des prolégomènes renseignent sur

l'histoire, l'état du ms., son écriture, son orthographe, sa grammaire, la disposition


des péricopes. M. Heer devait aussi se demander à quelle famille appartient ce texte
et comment il s'est constitué. qu'il fasse corps avec les mss.
Il n'est pas douteux
ne contienne un texte hiéronymien. Cependant l'éditeur opine que
irlandais, et qu'il
cette apparence voile une longue histoire. L'origine du texte serait africaine, car il
a conservé des leçons de k et de e, apparentées aux textes des anciens Pères afri-

cains. Il aurait ensuite été corrigé d'après des mss. itahens avant de recevoir enûn
la forme hiéronymienne. Je ne sais si M. Heer estime à sa valeur la revision de
saint Jérôme. Sans doute ménagé les habitudes, et il n'a mis aucun amour-propre
il a
à faire une traduction qui portât la marque de sa propre latinité, mais il n'a pas hé-
sité à trancher dans le vif quand cela en valait la peine. Les cas d'africanisme re-

levés par M. Heer ne sont point insignifiants au point de vue de la pure critique
textuelle, parce que, en pareil cas, plus une expression est anodine, plus elle est si-
gnificative; cependant ils ne touchent point aux grandes divergences des textes
orientaux et occidentaux.
M. Heer, qui n'est point seulement un maître dans les études bibliques latines,
mais qui sait étendre son horizon, s'est demandé gatianum
quel appui le codex
pourrait apporter à la solution du grand problème des leçons syro-latines. Aussi a-t-il
colligé un certain nombre de cas où le codex, insuffisamment corrigé, témoigne

(1) A critical introduction to the New Teslamcttt, by Arthur S. Peake, M. A., D. D., professer of
biblical exegesis in Uie university of Manchester, très petit in-S" de xii-2i2 pi). Londres,
Duckworth.lOOO.
(-2) Evangelium Galianum. Quattuor evangelia latine translata ex codice monasterii S. Gatiani

turonensis (Paris, Uibl. nat., n. acqu. nr. do87) primuni edidit variis aliorum codicum lectionibus
inlustravit, de vera indole disseruit Josepli Michael Heer. Cuni tabula autotypica. ln-8° de lxiv-
187 pp. Fribourg (Bade), Herder, 1910.
.

BULLETIN. 605

d'un état du texte où les verbes étaient joints par la copule au lieu d'être groupés
comme participe et verbe à un temps défini. Le premier mode est celui des versions
africaines et syriaques, le second celui des textes grecs et de la Vulgate hiérony-
mienne. Mais la question n'est qu'amorcée. Le volume se termine par un index vêr-
horum quitus codex gat a Yulgata Sixtino-Clementiaa discrepat 1). Je n'v trouve
ni conparabula (Me. 4. 30) ni discipuU (Me. 3, 21).
Cbemin faisant, M. Heer exprime des vues un peu différentes de celle de dom
Chapmau. Il estime aussi que les leçons du Codex d'Epternach n'ont pas été re-
produites avec assez de soin dans Tt-dition de la Vulgate de ^Vordsworth-AVhite. Très
diligent et très consciencieux, _M. Heer note à la fin les points qui lui avaient échappé
quand 11 travaillait d'après des épreuves photographiques et quTl a reconnus dans sa
re vision sur l'original

fort à propos quuu pur romaniste, comme Dessau, ait donné son avis sur
11 est

changement de nom de Saul en Paul (2) (Actes 13, ih. A rencontre de


ff

MM. Deissmanu. Ramsay, Mommsen. il semble à M. Dessau que c'est bien en Chv.
pre. au moment où il a rencontré le proconsul Sergius Paulus. que saint Paul a
pris le
nom romain de Paulus. L'auteur n'ignore pas que s'il était fréquent qu'un affranchi
prît le prœnomen et surtout le QentUkhim de son patron, il eut paru du plus

mauvais goût qu'un nouveau citoyen romain s'emparât du cognomen d'une grande
famille. Mais précisément en Chypre le fait s'est passé. Un personnage du pavs a
porté le nom Ummidius Ouadratus, l'un des derniers prédécesseurs de
entier de C.
Sergius Paulus. donc possible
Il est —
et c'est ce que su£:gèrent les Actes que —
Saul, soit qu'il ait pris déjà ou non un genfUicluni romain, ait changé en Chvpre son
nom de Saul, devenu son cognomen. en un autre cognomen avec ou sans l'agrément
du proconsul.

M. von Soden est arrivé au terme de ses travaux préparatoires à la nouvelle édi-
tion du N. T. (3). Le volume qui vient de paraître, ou plutôt la du volume des
fin
prolégomènes, de la page 1649 page 2203,
à la est la continuation de la seconde
partie, regardant les différentes formes du texte (4 . Ici, il s'agit des Actes, des épi-
très catholiques, des épitres paulines. y compris l'épître aux Hébreux, enfin de l'A-
pocalypse.
Partout, sauf dans l'Apocalypse (5}, M. von Soden reconnaît l'existence des trois

recensions H ou hésychienne, I ou palestinienne, K ou de Lucien. C'est naturelle-


ment à propos des Actes que l'intérêt est passionnant, surtout depuis que M. Blass a
prétendu faire du texte dit occidental, représenté principalement par le Codex Be-
zo.e D , un premier jet rédactionnel, œuvre de S. Luc lui-même. M. von Soden
n'admet pas qu'un texte plus soigné quant à la forme et plus riche quant au fond ait
été mis de côté par son auteur. Il lui semble bien plutôt reconnaître d'abord dans D
un collectionneur d'additions empruntées aux versions latines, africaine et italique, et
à l'ancienne version syriaque, et. comme il faut en définitive remonter à la source de
ces additions, il indique comme auteur responsable Tatien. dont le Diatessaron a
déjà causé tant de brouillamini dans la tradition textuelle des évangiles. Eusèbe a

(1 Rédigé par M. Léo Wohleb.


2)Der Xame des Aposteh Paulus, dans Hermès, t. io. p. 34T-3G8. Le tirage ;i [>art a été envoyé
aimablement par l'auteur.
;3 Cl. RB., 1904. 594: 1907, 282; 1908, 299.
(4 Plus une conclusion, cfuelques correclioas et additions et des tables.
(5) On y trouve encore K et H mais I est remplacé par une recension représentée par le Com-
mentaire d'André de Cesarée (commencement du vi' s. .
,

i\08 REVUE BIBLIQUE.

entendu dire que Tatien avait retouclié l'apôtre : toj a-oa-oÀou tivoç iiEzoL-^poizxi :ia)vx;

w; Î7:iôioo8ojii.£vov ajTwv Tr,v -r;; 'jçaasw; auvTaÇ-.v. Comme le texte de S. Paul n'a subi
aucune retouche intentionnelle, la phrase d'Eusèbe ne doit-elle pas s'appliquer aux
Actes? Ce n'est dans la pensée de M. von Soden qu'une hypothèse. Il est sûr en
tout cas que s. Jérôme a cru avoir de bonnes raisons de suspecter ces additions,
puisque lui, qui d'habitude changeait le moins possible les textes latins qu'il revisait,
n'en a admis aucune.
Il est d'un bon augure que M. von Soden témoigne désormais plus d'estime pour le

Codex B et la recension H qu'il représente si bien. Ce n'est plus I qui est pour les

Actes la recension la meilleure, c'est H, et on se demande maintenant (p. IfiSI^ si II

ne serait pas la fixation du texte courant en Egypte au iii« siècle. L'action du re-
censeur se serait donc bornée à très peu de choses, entre la version sahidique, assez
libre d'allures, et la version bohaïrique qui s'attache de près à la recension H.
Son premier labeur achevé, M. von Soden le défend contre les critiques, surtout

contre celles de MM. Nestlé et Lake. Toutes n'ont pas été aussi courtoises, et il est

étrange qu'on juge d'avance sévèrement une œuvre colossale, avant qu'elle soh
si

achevée. Les fautes d'impression sont très fâcheuses, mais l'auteur les reconnaît de
bonne grâce, et l'on peut espérer que l'édition du texte en sera moins saupoudrée.
Il expose donc de nouveau comment il a distingué tout d'abord le texte commun et

celui des grands onciaux >\BCA. C'était partir d'un point déjà acquis. Tout le reste
paraissait chaos. L'unité s'est faite sur des leçons étrangères à ces deux textes. On
eut pu croire à des textes locaux ayant conservé des leçons antérieures à toute ré-
vision (Lake), mais ils sont unis dans certaines leçons secondaires qui attestent une

intention donc ils constituent eux-mêmes une révision I (lecoTOÀup.a).


:

L'examen des Actes a prouvé de nouveau rinfluencedu latin sur D, un des meilleurs
témoins de I, ou plutôt de Tatien sur tous deux. Le lectionnaire dit palestinien, à sup-
poser qu'il soit originaire d'Antioche, est un témoin de la recension 1, et prouve
qu'elle était répandue en Syrie.
Quant à dire avec M. Lake que K est formé d'après H et I, cela ne se peut, car il a
des lectures anciennes où les aurait-il prises ?
-,

On sait que x et B étaient regardés par AVestcott et Hort comme nevtra] et M. Gre-
gory comme M. Lake et sans doute beaucoup d'autres le tiennent encore. M. von
Soden maintient pour les deux illustres mss. —
dépendant d'ailleurs d'un seul type
— le caractère d'une recension, à cause de quelques leçons secondaires, ce qui n'est
peut-être pas une raison décisive.
Les recensions déterminées, il faut s'en servir pour trouver le texte non révisé, I-
H-K. Ce texte sera normalement le plus ancien qu'on puisse atteindre, celui qui était
courant au iir siècle, qui a été utilisé par s. Jérôme et même par Tatien. Il est cepen-
dant possible qu'il ait déjà perdu quelques leçons primitives quon aurait chance de
rencontrer ailleurs. La difficulté est toujours d'expliquer les leçons dites occiden-
tales, s'est servi d'un texte I-H-R au lieu de trouver à Rome
de prouver que Tatien
un autre du premier, déjà pourvu des leçons dites occidentales. En attri-
texte, rival
buant résolument ces leçons à l'influence de Tatien, M. von Soden rentre à larges
voiles, du moins pratiquement, dans la manière de Westcott et Hort, peut-être même
plus indulgents que lui à ces leçons latines ou syro-latines. Aussi sent-il très bien
qu'il est difficile d'admettre que Tatien ait eu tant d'influence en Occident, d'autant
que Tertullien en Afrique, comme Origène en Orient, marqueraient déjà la réaction
contre le tatianisme...
Quoi qu'il en soit de ce point qui est toujours le foyer de toutes les difficultés tex-
BULLETIN. 607

tuelles, il faut reconnaître qu'en cherchant à isoler des recensions, à les purger de
leurs leçons particulières, de tout ce qui sent le parallélisnie et même la réminis-
cence, en n'excluant pas d'ailleurs comme élément décisit la valeur intrinsèque des

leçons, M. von Soden a suivi la bonne méthode. Il ne sera pas hors de propos de faire
remarquer qu'il est extrêmement conservateur. Par ce terme on n'entend pas ici l'at-
tachement routinier au texte d'Érasme, si justement mis de côté par la critique, on
entend une conception des origines textuelles qui donne au texte sacré un maximum
de garanties. Tandis que d'après M. Blass. M. Lake et même M. Gregory, c'est à
peine s'il y a une limite entre le rédacteur-auteur et les premiers scribes, ces derniers
pendant cinquante ou cent ans se croyant autorisés à retoucher le texte fort libre-
ment, M von Soden estime que l'œuvre des auteurs a été plus respectée. Si leurs
ouvrages n'étaient pas encore canoniques au plein sens du mot. ils émanaient du moins
de personnalités littéraires, ils étaient publics, personne n'avait le droit d'v rien
changer. Où le savant critique touche au paradoxe, c'est lorsqu'il prétend qu'on ne
corrigeait pas les écrits du N. T., précisément parce qu'on ne les tenait pas pour sa-
crés, comme le comme des œuvres personnelles. C'est parce que
bien de tous, mais
Marcion ne regardait plus l'évaniiile comme une œuvre individuelle qu'il l'aurait
traité si librement. Mais Marcion fut un hérétique on lui reprocha aussitôt ses alté-
;

rations. L'assurance avec laquelle la grande église accusa les hérétiques du 11*= siècle
d'avoir falsifié les Écritures prouve assez qu'elle avait conscience de les avoir ména-
gées. Ici nous rejoignons M. von Soden. On voit que sa théorie serait beaucoup plus
homogène s'il ne tenait à dire que pendant un certain temps les écrits du N. T. n'ont
pas été regardés comme sacrés quant au mot canonique, il suppose évidemment une
;

certaine réflexion.
Désormais, il ne nous reste plus à attendre que le texte lui-même que l'on nous fait

espérer pour le début de 1911.

M. Caspar René Gregory est d'avis que les exégètes ne prennent pas assez contact
avec la vie (1). De l'école à l'université, ils ne se sont occupés que des livres. Ne se-

rait-ce pas par suite de cette excessive préoccupation du livre composé selon certaines
règles que M. Wellhausen a regardé le quatrième évangile comme fort interpolé?
En examinant les objections du célèbre maître. M. Gregory opine qu'elles ne sont
pas justiflées et que l'habitude de traiter avec les ouvrages en mosaïques de l'An-
cien Testament l'a empêché de reconnaître le parfait naturel de l'évangile de sain':
Jean. Car c'est bien à ,Tean, fils de Zébédée, que M. Gregory attribue la composition
intégrale du quatrième évangile. On est heureux de souscrire à ce jugement ou plu-
tôt de constater que l'excellent critique qu'est M. Gregory souscrit à la tradition.

La sixième édition du commentaire des Actes des Apôtres par M. van Steenkiste
est devenue l'œuvre de .M. A.. Camerlynck, tant elle a été complétée et vraiment
améliorée (2). Les prolégomènes, assez étendus, contiennent une description fort
utile de la situation politique et religieuse du monde romain en Palestine 3\ L'au- '

teur estime que le livre des Actes a été écrit par saint Luc en 63-G4 (4 une seule ,

(1) Wellhauson und Joliannes, 8" de iv-iiS p|). Leipzig. Hinrichs, li)IO.
(-2) Commentarius in Actus Apo>itolorum. editio sexla denuo emendata et notabiliter aucta,
opéra de 4.jfi pp. Bruges, Beyaert, liilO.
A. CAMEiii.YM;K, in-S"
(;{) Il n'est pas exact, croyons-nous, de dire <[ue le procurateur romain laissait le ?anliédrin
juger lui-même, avec cette restriction que la peine de mort devait être approuvée jiar le procu-
rateur. Même d'après les évangélistes qui n'ont certes pas diminue la responsabilité des Juifs, on
vciitbien que Pilate a pris en main la cause et a prononcé en son nom propre un jugement de
Condamnation.
(4) Celte date ne s'appuie-t-elle pas trop exclusivement sur un argument négatif, sur ce qu'on
608 REVUE BIBLIQUE.

fois, et non en deux éditions. C'est dire qu'il rejette l'iiypothèse de Blass, donnant
d'ailleurs le plus souvent la préférence à la reeension orientale, qu'il vaudrait mieux-
dès lors qualifier de neutre ou de relativement primitive. Plaçant la mort du Sauveur
le 3 avril de l'an 33, il s'attache, pour la suite de la chronologie, à Zahn plutôt qu'à
Harnack, le martyre de saint Pierre étant fixé à l'an 64, celui de saint Paul à l'an 67.
11 tient, avec M. Ramsay, pour la Galatie du sud. Le commentaire est sobre, très
judicieux, avec de nombreuses allusions au texte grec.

Il faut féliciter ^I. Mangenot d'avoir édité en un volume distinct plusieurs articles
qui avaient paru dans la Revue pratique d'apologétique au cours des années 1908
et 1909, sur I'( Rcsio-redion de Jésus (1 Le plan apparaît ainsi plus clairement,
.

comportant l'examen successif de l'enseignement de saint Paul et des récits évangé-


liques. C'est bien Tordre qui répond le mieux aux exigences d'une discussion critique.
M. Mangenot expose avec sa sincérité habituelle les objections du jour, et leur op-
pose des réponses solides. C'est le même système qu'a déjà suivi M''' Ladeuze, cher-
chant l'accord daos les grandes lignes et non dans les détails. Pas plus que le
Recteur de Louvaia, le professeur de Paris n'a reculé devant l'énoncé de ces prin-
cipes plus larges d'harmonisation déjà proclamés par M?"" Le Camus au sujet des
Évangiles : « Rédigés par des auteurs différents, à des époques variées et dans des
milieux éloignés les uns des autres, destinés à édifier, confirmer et répandre la foi

en Jésus, Messie et Fils de Dieu, ils reproduisent bien le même fond de la vie et de
l'enseignement du Sauveur, transmis par la tradition orale et peut-être déjà consigné
dans des écrits qui ont servi de sources aux évangélistes; mais ce fond identique
s'était propagé avec des variantes multiples, s'était développé dans des sens diffé-

rents et avait formé des catéchèses apostoliques prêchées en des communautés diffé-

rentes... >îous ne parlerons donc, nous le répétons, que des essais de concilier les
récits évangéliques de la résurrection dans les grandes lignes » ip. 263-265). On sait
que la principale difficulté de la critique moderne ne consiste plus à coordonner
les apparitions dans un même récit, mais à expliquer comment saint Matthieu et
saint Marc n"ont fait allusion qu'aux apparitions en Galilée, semblant ainsi ignorer
les apparitions judéennes. M. Mangenot pense que cette exclusion n'est pas histo-
rique et objective, mais purement littéraire. Il ajoute « Si, comme le pensent les :

critiques, saint Matthieu, dans son récit parallèle, dépend de saint Marc pour l'or-
donnance des on s'explique tout naturellement son omission des apparitions
faits,

de Jésus aux apôtres à Jérusalem » (p. 271). L'hypothèse de la dépendance de saint

Matthieu par rapport à saint Marc n'a donc rien de choquant pour un exégète aussi
conservateur que M. Mangenot. Il opine qu' « on peut soutenir encore l'authenticité
de la finale contestée » 2) de saint Marc Me. 16, 9-20), mais il ne refuse pas de i

se placer dans l'hypothèse où elle n'appartiendrait pas au texte primitif


(p. 255 s.).

Le volume deux appendices. Dans le premier, M. Mangenot prouve


est suivi de
contre M. Reinach la réalité de la Crucifixion du Sauveur, dans le second il expose
sa manière de voir au sujet de l'Ascension. Ce dernier point est. comme on sait,
beaucoup plus délicat que le premier. Si je comprends bien la pensée de M. Mangenot,

ne trouve pas clans les .\ctes. sans tenir assez compte des arguments positifs tirés du troisième
évangile .'

^^) La Ptisurrectiùii de Jésus, sui\ie de deux Appendices sur la Crucifixion et l'.Vscension. in-l(i
de 404 pp. Paris, Beaucliesne. 1910.
(2) A la p. i33. on dit que le Ms. arménien de 98!) attribue la finale à « Aristion le presbytre ».
C'est Arislon qu'il faut lire, quoique, en effet, le personnage visé soit bien .\ristion. plutôt que
Ariston de Pella.
nULLETlX. 609

il soutient que l'Ascension sensible de N.-S. Jésus-Christ, telle qu'elle est racontée
par les Actes, n'est point du tout un simple symbole. Ce fut un événement histo-
rique, très réel, non sans une certaine valeur d'action symbolique. " Pour signilier
que désormais sa présence sensible leur d i
serait soustraite, qu'il demeurerait tou-
jours auprès de son Père pour être invisibleuient désormais avec eux, il a pris un
moyen, à la fois approprié à leur mode de connaissance sensible et aux qualités de
son corps ressuscité... Le sens du dogme est que Jésus a quitté la terre pour aller
au séjour de Dieu, son Père, pour y habiter déflnitivement dans la gloire » (p. 399 ss.).

Le champ des études relatives au N. T. est devenu si vaste, on y a reconnu tant


de points intéressants à explorer, qu'il est étonnant qu'un débutant choisisse pour
thèse la synthèse de toute la Christologie primitive (2\ Un pareil sujet ne peut être
traité d'une façon personnelle que par un vétéran. Aussi M. John Cowper Granbery
n'a-t-il réussi qu'a esquisser une théorie toute faite d'avance dans les travaux de cer-

tains exégètes radicaux. Le système est assez connu. On retrace dans les grandes
lignes le messianisme juif. Jésus, dont il faudrait surtout connaître la pensée, est
passé sous silence, parce que la critique des évangiles n'est pas assez assurée (3) !

Puis nous avons une sorte de Christologie judéo-chrétienne, méconnaissant le carac-


tère divin du Sauveur, que S. Paul transforme, on ne sait pourquoi, en un culte du
Fils éternel de Dieu. Désormais Jésus pourra être adoré comme Dieu par les Gen-
tils, etc. Mais il faut toujours le demander puisqu'on paraît toujours l'oublier Paul :

n'était-il pas Juif, lui aussi N'a-t-il pas reconnu qu'il prêchait le même évangile que
.^

les autres? Il est inutile dïnsister.


L'auteur n'a pas même cru devoir donner à ses déductions quelque actualité en
s'occupant du milieu historique. Ainsi le nom de M. Deissmann ne figure même pas
dans la liste bibliographique. Il est étonnant qu'à Chicago on attache tant d'impor-
tance à cette scolastique à rebours quand les faits nouveaux se pressent et sollici-

tent l'activité. D'ailleurs, pour être juste, il faut reconnaître que M. Granbery a com-
pris le système le plus courant de la critique radicale et qu'il l'a exposé clairement.

Gaston Boissier termine sa «Religion romaine d'Auguste aux Antonins » par cette
réflexion assez favorable à l'action religieuse du paganisme « On peut dire qu'au :

1' " siècle le monde entier s'était levé sous l'impulsion de l'esprit religieux et de la

philosophie; il était debout, en mouvement, et, sans connaître le Christ, il s'était

déjà mis de lui-même sur le chemin du Christianisme ». Le P. AUo, dans son récent
ouvrage, VÈvangile en face du syncrétisme païen (4), ne semble pas partager l'opti-
misme de cette vue. Pour lui, le monde polythéiste du r"" siècle est « un paralytique
qui gémit et se retourne sur son lit de douleur », absolument incapable de se lever
et qui serait toujours demeuré en cet état « si quelqu'un de bien réel, un médecin
dont le malade avait pu reconnaître, non postuler, l'existence n'était venu lui dire :

« Lève-toi et marche », en lui donnant la force d'obéir à l'ordre miséricordieux »

{p. 37). Au fond, cependant, la divergence des vues entre ces deux auteurs n'est pas

il) Aux Apôtres.


Outliite of Xeiv Testament Cliristology, a study of genelic relationships loiUiin the chris-
(2
lology of llie New Testament Period, 8» de 1:27 pp. Chicago, 1009.
yS) Aussi l'auteur prend-il des libertés assez étranges. C'est à partir de Césarée de Philippe

que Jésus prend le titre de Kils de l'homme et proclame la parousie. Cela d'après le second
évangile (p. ûG)'. Et quand on lit dans Me. 6, 3 « N'est-ce pas le Dis de Marie? » l'auteur pro-
:

nonce qu'il n'est pas invraisemblable que l'exemplaire original ajoutait comme Le. 4, 22, « le
fils de .loseph » Et où a-t-il vu que cTtsïoa est le latin spira ip. 5i, note)?
(p. 6-j .

(4) ln-12, xxi-201 pp. Bloud, Paris, 1910. Appartient à la collection de philosophie et de critique
religieuse.
REVUE BIBLIQUE 1910. — N. S., T. VII. 39
610 REVUE BIBLIQUE.

aussi considérable qu'on pourrait le croire. Bien plus, le livre du P. Al!o est le déve-

loppement de cette pensée de l'illustre romaniste : « Il n'est pas juste de prétendre


que le Christianisme n'a fait que continuer l'œuvre des religions anciennes et de

laisser croire que, s'il ne les avait pas interrompues, elles seraient parvenues toutes
seules où il est lui-même arrivé ». L'effort du P, Allô s'est porté surtout à mettre en
un vigoureux relief l'opposition existant entre le christianisme primitif et le syncré-
tisme dont les écrivains ecclésiastiques ont toujours parlé avec horreur, ce qui n'em-
pêche pas une certaine école qui veut bien se laisser prendre aux apparences, d'assi-
gner aux deux systèmes une commune origine. Avec des raisons pleines de bon sens,
exposées dans un style original, et établies sur une sérieuse connaissance des sources
païennes et du Nouveau Testament, l'auteur repousse avec succès cette prétention.
Son livre s'adresse <c à tous les lettrés qui ont une moyenne culture classique, y com-
pris les libres penseurs, pourvu qu'ils ne soient pas engagés dans l'armée d'une croi-

sade irréligieuse ou pseudo-rehgieuse » (p. vu;.

Le recueil de sentences dont Rufln donna une traduction sous le titre d'Anneau dv
pape Xyste est trop connu des esprits versés dans la littérature ancienne pour qu'on
ait à ledécrire avec insistance. On le possède en grec, en latin et en syriaque quel- ;

ques pensées en ont été conservées dans la version arménienne des œuvres d'Évagre
de Pont. M. Conybeare vient de le mettre à la portée du grand public anglais dans
un élégant petit volume L'armée du salut y trouverait le texte de plus d'une
(1).

pancarte édifiante, bien que Jérôme ait recommandé au lecteur de rejeter ce


saint

livre néfaste ou du moins de le lire comme un livre de philosophie et non comme un


ouvrage ecclésiastique. VAnneau de Xyste ayant été traduit et divulgué par RuUn,
on comprendra la rigueur de Jérôme qui, d'autre part, attribue le recueil au pytha-
goricien Sextus. Harnack, Bardenhewer et d'autres critiques se sont ralliés au parti
de Jérôme; mais M. Conybeare croit avoir de bonnes raisons pour se ranger du côté
de Rufln et de tenir pour le pape Xyste, ou au moins pour un auteur chrétien. Con-
vaincra-t-illes spécialistes? Il est permis d'en douter, car ceux-ci mettront toujours au
compte d'un interpolateur chrétien les pensées morales qui n'entreront pas dans le

cadre des systèmes stoïcien et pythagoricien.

Le iv^ siècle est la période qui offre le plus de difflcultés aux historiens du canon
de l'Ancien Testament. Mesurer l'intensité de l'influence juive à cette époque, établir
les rapports d'une église à l'autre en cette matière, déterminer la pierre de touche de

la canonicité, sont autant de points délicats sur lesquels il n'est jamais inutile de re-

venir. Les catalogues d'Athauase et de Cyrille de Jérusalem qui représentent évidem-


ment le canon juif ont-ils été modelés par ces écrivains eux-mêmes sur ce canon, ou
ne sont-ils que l'expression d'une tradition chrétienne remontant aux premiers fidèles
de Judée et d'Egypte convertis au judaïsme? Les expressions de ces pères ne permet-
tent pas de repousser la seconde alternative. Bien plus, de leur temps, l'inlluence de
la synagogue n'est pas telle qu'elle aboutisse au rejet pur et simple des deutéroca-
noniques et à la dénégation de leur inspiration. Reçus par les chrétiens seulement,
les deutérocanoniques n'obtiennent ni le degré de faveur, ni le degré d'autorité

des 22 livres reconnus à la fois par les chrétiens et les Juifs. Voilà tout.
Cela étant admis, il reste à savoir si la position d'Athanase et de Cyrille vis-à-vis
du canon de l'Ancien Testament était celle de toute l'église orientale contemporaine
et si rinfluence juive s'exerçait avec la même intensité dans tout le monde grec. On

(Il The ring of pope Xystns logellter wiUi titc prologue of Rufinus, in-Ui, 13" pp. Williams ami
Norgate, Londres, )!»10. Cette traduction est faite sur le texte grec du Vatican "i-2.
BULLETIN. 011

est généralement porté à Je croire, surtout en se fondant sur la similitude existant

entre les catalogues bibliques d'Eusèbe. d'Lpiphane, de Grégoire de Nazianze et ceux


des deux pères préc-ités. Mais on ne prend pas garde, ce faisant, que toutes ce>
listes relèvent soit de la tradition palestiuierine. soit de lu tradition alexandrine
de
même que certains catalogues d'écrivains occidentaux invoqués comme confir-
matur.
En fait, si Ton consulte l'usage de l'église d'Antioche qui a toujours su garder en
face des autres églises une attitude indépendante, sinon hostile,
ou constate chez
elleune conduite ditîérente de celle de l'Orient grec. Son canon plus accueillant
admet sur le même pied protocanoniques et deuterocanoniques, v compris le
III- livre des Maccabées et le III'^ d'Esdras. C'est à établir cette conclusion que M. L.

Dennefeld a consacré un opuscule des Biblische Sludien [\). Un travail approfondi


était d'autant plus nécessaire sur ce point que nous ne possédons pas de catalogue

du canon de l'école d'Antioche. C'est donc en passant en revue les travaux d'édition
et d'exégèse des Lucien, des Chrysostome, des Théodore! et de beaucoup d'autres

encore, en étudiant la manière dont leurs citations bibliques sont présentées, que
l'auteur a pu établir le canon d'Antioche. A part Théodore de Mopsueste, dont l'ex-
clusivisme outrancier est le fait de son humeur personnelle, les représentants de
l'école d'Antioche se sont libérés des lisières de la synagogue avant les églises de
Jérusalem et d'Alexandrie et ont contribué pour une bonne part à l'amplilic-ation du

canon des Écriture. L'étude de Dennefeld est un sérieux appoint à l'histoire du


canon c'est un chapitre nouveau que jusqu'ici on s'était contenté d'esquisser.
;

Le tome IV des Gesta Mf/rtyrum de M. Dut'ourcq 2 loin d'être étranger au


,

domaine biblique, comme on pourrait l'induire du titre même de l'ouvrage, se rattache,


au contraire, étroitement à la question du canon biblique en Occident. C'est le tableau
détaillé de la lutte entre catholiques et néo-manichéens sur le terrain scripturaire.
Les bibliothèques manichéennes, saccagées au temps de saint Léon et à l'époque
ostrogothique. étaient riches surtout en éditions de la Bible et en apocrvphes. Les

livres canoniques, pour être adaptés à l'hérésie, avaient été nécessairement falsifiés
et tronqués. Héritiers de la répugaance des gnostiques et des premiers disciples de
Manès pour le Dieu de l'Ancien Testament, pour la création de la matière par un
être bon, pour la résurrection des corps, les néo-manichéens possédaient
un canon
restreint dont on ne peut cependant fixer les limites avec certitude. Il v a la même
difficulté à détermiuer les modifications que ces hérétiques ont apportées aux légen-

des de Jésus et des apôtres forgées par des imaginations encratites et dualistes
du 11'^ siècle et dont la vogue était grande parmi eux. En tout cas, M. Dufourcq
n'a pas donné dans la théorie de Cari Schmidt jadis combattue ici RB., 1904, p. 305 ,

suivant laquelle les Actes apocryphes des Apôtres attribués à Leucius seraient le
produit, non pas de la gnose, mais bien de la grande Église. L'auteur, cependant,
eût gagné à consulter la docte dissertation de Schmidt sur Leucius Charinus.
Pour opposer une digue à l'envahissement de toute cette littérature de mauvais aloi,
les cathoUques eurent recours à divers procédés sur lesquels M. D. s'est longuement

étendu. Outre des autodafés où furent anéantis nombre de cot/Zce.s manichéens, il faut
signaler des livres autorisés et des livres prohibés et à ce propos notre auteur consacre

1 XIV Band, 4 Helt. Der nlttestamentliche lùutO/t der antiocheiischen S:/i«/e, 8\ \i-93 pp.
^
Fribourg-en-B. Herder. l'J!)9.
(i) Etudes sii.r les Gfsta Marlyrinn romai/ts. Tome P'. Le néo-manichéisme et la légende chré-
tienne, î^^ xii-MW pp. Paris, Leroux, lîUO.
612 REVUE BIBLIQUE.

deux savants chapitres au concile pseudo-daraasien, laissant au pape Damase la pater-


nitédu fameux décret De recipienclis et non 7-ecipiemlis libris dont il est publié une
reproduction photographique intégrale et partiellement inédite. En outre, pour en-
rayer le succès des apocryphes manichéens, les catholiques se mirent à rédiger des
apocryphes de doctrine orthodoxe où les légendes relatives à l'enfance de Jésus et de
Marie, à la mort de Jésus et de Marie, aux gestes des apôtres étaient opposées aux
fables manichéennes sur les mêmes sujets. Cette lutte, cette concurrence littéraire,
aurait eu pour résultat, suivant M. Dufourcq, d'intéresser le peuple chrétien à son
histoire et de faire éclore la littérature spéciale des martyrologes. Telle est en effet

la conclusion qui nous a valu cette solide discussion des textes canoniques et apo-
cryphes des V® et vi^ siècles.

Il faudrait être bien difficile pour désirer quelque chose de plus élégant et de plus
pratique que le Manuel épigraphique du professeur O. Marucchi. Sa clarté d'expo-

sition, sa belle ordonnance, ses nombreuses illustrations sont faites pour donner aux
jeunes gens le goût des inscriptions. Restreinte aux antiques inscriptions chrétiennes
et principalement à celles de Rome, VEpigrafia crisliana (1) du célèbre archéologue
traite successivement des généralités épigraphiques (symboles, textes métriques, etc.),

des différentes classes d'inscriptions (dogmatiques, hiérarchiques), des diverses chro-


nologies (fastes consulaires, calendrier), des inscriptions damasiennes et des grafOtes.
Il serait à souhaiter qu'on eût quelque chose d'analogue pour les inscriptions chré-
tiennes de l'Orient grec.

Les traductions française et italienne dont le livre de Rauschen sur VEucharistie et la

Pénitence durant les six premiers sièeles de l'Église ("2) vient d'être l'objet prouvent qu'il
dénué ni de valeur scientifique, ni de commodité pour le travail. C^est en effet
n'est
un bon répertoire qui permet de se mettre rapidement au courant des différentes
parties des questions traitées. Au côté sacramentel l'auteur a ajouté les circonstances

liturgiques qui y touchent de plus près, canon, épiclèse. Ce manuel n'est pas, cepen-
dant, de nature à faire oublier les bons ouvrages que nous possédons en français soit
sur l'Eucharistie, soit sur la Pénitence. Il a dû souvent être mis au point par les tra-
ducteurs, Decker, Ricard, Bonaccorsi.

Judaïca. — M. W. Brandt a réuni dans une monographie tout ce qui regarde les

ablutions religieuses des Juifs, y compris celles des sectes juives et aussi le baptême de
saint Jean-Baptiste (3). Chacun des sujets avait été traité, mais non l'ensemble, surtout
sous l'angle spécial où se place l'auteur. Après quelques mots sur les usages anté-
rieurs à l'exil, il analyse les prescriptions rituelles de la Loi, puis du rabbinisme,
pour en venir au baptême des prosélytes, dont l'origine lui paraît contemporaine du
baptême chrétien, sinon plus ancienne. Après avoir suivi cette évolution normale
au sein du judaïsme orthodoxe, M. Brandt aborde les baptêmes ayant une signifi-
cation particulière, ceux des Esséniens, de l'ermite Bannous, le maître de Josèphe.
de saint Jean-Baptiste, puis ceux de lasibyllejuive (liv. IV, l6o ss.), des ébionites. des
Elchéséens, et d'autres sectes secondaires. L'ouvrage se termine par une vingtaine

(1) IQ-IO, viii-453 pp., aOplanclies. Milan, Hoepli, i9I0.


Traduction française par Deckf.u et Kicakd. iii-1-2. xi-:2i5 pp., Paris. Gabakla, 1010. Traduction
(-2)

italienne parBoNAccuRsi, in-8", xi, '250 pp. Florence, I.iljreria Kditrice Fiurentina. l'JO'J.
(3) Die jûdischen BaiUmnen. nder das relisiose AVasclien und liaden im Judentum mit Ein-
scliluss des Judenchristentutns \i>n \villielm Bbasdi, iu-S» de iv-lW pp. « Beiliefte zur Zeitschrilt
lui- die altleslamenliclie ^vissenscllal't ', XVHI, C.iessen, Tiipelmann, loio.
BULLETIN. 613

de notes sur quelques points spéciaux qui n'avaient pu être élucidés dans la discus-
sion générale.
On sait assez que M. Brandt appartient à un groupe de critiques qu'on peut nom-
mer radicaux. Pour ce qui regarde l'Ancien Testament, il table purement et simple-

ment sur les résultats de la critique graûenne; quand il s'agit du i\. T., il n'accorde
qu'assez peu de crédit au témoignage des évangélistes.
La thèse vers laquelle tout converge, du moins lorsqu'il est question des sectes
juives, c'est qu'il a existéun baptême pour la rémission des péc liés, qui a été celui
de Jean, de la sibylle juive et des ébionites, que c'est là que la grande église a em-

prunté baptême chrétien; de plus, que les premiers chrétiens étaient les ébionites.
le

n'admettant que le sacrement de l'eau, et contre lesquels saint Jean polémise en insis-
tant sur le sacrement du sang. En laissant de côté ce dernier point de vue qui vient
un peu ex machina., la thèse de M. Brandt vaudrait uu peu mieux que celle qui
supposerait un emprunt du baptême aux rites païens. Mais il y a le moyen terme
traditionnel, que le baptême de Jean a préparé et en quelque manière inauguré le
baptême chrétien par le baptême du Christ. Le baptême chrétien eHace les péchés;
celui de Jean est donné en vue de la rémission des péchés.
Je suis bien persuadé avec M. Brandt que le baptême de la sibylle n'est pas le bap-
tême des prosélytes 1). Si ce n'est pas le baptême chrétien, c'est à tout le moins le
baptême de Jean. Mais il faut, en pareille matière, raisonner avec précision. Quand
on voit Josèphe rejeter le baptême qui remet les péchés, on peut juger que ce n'est
pas sans raison que la Sibylle distingue si nettement le baptême, la prière qui l'ac-
compagne pour demander à Dieu la rémission des péchés, et le pardon accordé par
Dieu. Il est possible que nous ayons là un commentaire et des plus intéressants—
— du baptême de Jean. Le baptême chrétien est un baptême dans l'Esprit qui sanc-
tifie par lui-même —
pourvu que le néophyte n'y mette pas obstacle. Quelle était
sur ce point la conviction des ébionites, c'est ce qui n'est pas assez clair pour auto-
riser M. Brandt à en faire les représentants autorisés du vrai christianisme, du
christianisme pré-paulinien. On
étonné que dans un ouvrage de cette
est aussi très
envergure, qui aborde le sujet par tant d'aspects, il ne soit rien dit des usages
religieux de l'eau chez les peuples de même race, Assyriens. Sabéens, etc. Et si
M. Brandt voulait se borner aux Juifs, comment n'a-t-il pas dit un mot du loyion
relatif à la pureté nécessaire pour pénétrer dans le Temple (2) ?
Comme palestiniens d'adoption nous ferions quelques réserves sur des points que
M. Brandt tient pour assurés. En dépit des apparences, les citernes ne laissent pas de
fournir toute l'eau suffisante pour faire de fréquentes ablutions, il faut cependant
soupçonner avec l'auteur que les rabbins, écrivant en l'air, ont exagéré leurs exigen-
ces en ce qui concerne l'eau « non puisée ». L'auteur imagine que les Orientaux ne se
baignent pas volontiers, que le bain du Jourdain en hiver pouvait être une vraie pé-
nitence, que ses eaux jaunes ne suggèrent pas l'idée de la propreté, etc. Mais le B.hône,
avec les boues glaciaires qui lui teinte grise, n'en est-il pas moins une eau
donnent sa
relativement très pure? Combien plus Jourdain qui, depuis sa sortie du lac de Ti-
le

bériade, coule dans le désert, loin des villes et de leurs immondices Même Ihiver, en !

janvier et eu février, rien de plus délicieux qu'un bain dans cette eau modérément
fraîche, et, quant aux goûts des Orientaux, il sulût de les avoir vus, aux moindres
bassins naturels formés par les sources, se dépouiller de leurs manteaux et faire sauter
leurs chemises pour barboter joyeusement.

(1) Le Messianisme, p. 64, note 5.


(2) RB., 1908, .^38 SS.
614 REVUE BIBIJQUE.

Voici un petit livre fort utile, même après les ouvrages de Laible, de Sam. Krauss,
de Herford. M. Hermann L. Strack a groupé les témoignages a?iciens des Juifs sur
Jésus, les hérétiques et les chrétiens (1), soit d'après les auteurs chrétiens, grecs et latins,
soit d'après les textes juifs eux-mêmes, M<c/(«ff, Tosefta, les deux Talmuds et quelques
7nidrachim. Les textes juifs seuls sont traduits, mais tous sont annotés. L'auteur s'est
dispensé de les commenter longuement, mais ses notes sur les textes juifs sont très
nourries de renseignements. Ben Stada. assimilé à Jésus par l'opinion juive, qui a
même glosé les textes dans ce sens, ne serait pas originairement un surnom de Jésus
lui-même. Ben Panthera ne serait pas un sobriquet. Il est certain en effet que Pan-
thère était un nom propre usité; mais il est impossible d'admettre que les Juifs
aient eu quelque raison positive de l'attribuer à saint Joseph (2). Quoiqu'il en
soit du sens donné au mot, l'intention était blessante dès le début (3). M. Strack,
lorsqu'il renvoie (p. 21, note 1) au texte d'Eusèbe, oublie ce texte lui-même pour ne
songer qu'à l'explication émoUiente qu'il en a donnée d'après M. Zahn.
Les minim sont des hérétiques juifs avant et après le Christ, et des judéo-chrétiens.
Tandis qu'un paragraphe est consacré aux minim qui ne sont certainement pas chré-
tiens, il n'y en a point sur ceux qui sont chrétiens: à la place on trouve des contro-
verses sur l'unité de Dieu et sur le dimanche. Les textes juifs sont reproduits d'après
les premières éditions de Venise, mais de nombreux manuscrits ont été consultés et
fournissent des variantes. A la vérité cela ne nous permet pas de remonter aux éditions
antérieures à la censuYe que les chrétiens ont imposée ou que les Juifs ont exercée
eux-mêmes.

Le traité Sanhédrin de la Michna est un de ceux que les exégètes chrétiens consultent
le plus volontiers pour y chercher les règles de procédure usitées par les Juifs dans
les procès criminels. On a même dressé la liste des dérogations à ses propres usages
qu'aurait commises le Sanhédrin de Jérusalem en condamnant Jésus! Personne
n'ignore que ce droit était surtout théorique, conçu comme un idéal qu'on devrait
appliquer quand les circonstances le permettraient.
Néanmoins l'intérêt du traité demeure considérable. M. Strack l'a édité (4), en
s'aidant des meilleurs manuscrits, de façon à aboutir à un texte éclectique, traduit et
commenté ou plutôt glosé.
Aux onze chapitres du traité Sanhrdrin, il a joint les trois chapitres du traité Mak-
koih, ou des coups, c'est-à-dire des châtiments à infliger aux coupables. Un petit
lexique des mots qui ne sont point courants en hébreu facilite la lecture.
Cette publication, comme la précédente, émane de VInsiitutum ./wlaiciim de Berlin.

Voici un petit livre (5) qui sera très utile non seulement à ceux qui étudieront le
Talmud, ce mar^ magnum, mais encore à ceux qui cherchent à pénétrer les tournures

(1) Jésus (lieHàretiker und die Chris ten,iiaiC\i denaltesten jiidisclien Angaben, Texte Uebersetzung
und Eiiauterungeu von Prof. D. Dr. Hermann L. Strack, in-S" de 40-88* pp. Leipzig, Hinriclis, 1910.
(2) Strack, p. :2I*, note : • il est vraisemblable que Ji>seph, le jtère nourricier de Jésus, portait
ce surnom t.
(3) Le texte d'Origène résumant Celse n'est que trop clair. L'intention ('-tait non seulement d'at-
taquer la naissance légitime de Jésus, mais encore de mettre en doute sa nationalité, en le disant
fils d'un soldat (donc) romain.

(4) Sanliedrin-Makkoth Die misnatraktate ïiber Strafrecht und Gerichtsverfahren, nacli Hand-

scliriften und alten Drucken tierausgegeben iibersetzt und erlâutcrt von Prol. D. Dr. Hermann L.
Strack, in-S^de 56*-G0 pp. Leipzig, Hinrichs, lîHO.
(5) Lehrbuch der aramuischea Sprache des babylonisclien Tai/HMf/.s, Grammatik Ctirestomalliie
und Worterbucli von D"^ Max L. Marcolis, professor am Dropsie Collège, Philadelphia, Pa. in-lii
de xvi-99-184* pp. Miinchen, Beck, 1910.
BULLETIN. 61a

sémitiques voilées daus le grec du ]\. T. Sous un très mince volume, en supposant il

est vrai des connaissances générales de philologie sémitique, M. Margolis a su faire


tenir une grammaire (morphologie et synta.xe , une chrestomathie et un lexique de
l'araméen du Talmud de Babylone. Encore a-t-il pris soin de distinguer les formes
plus anciennes, qui touchent à lararaéen biblique, et les formes plus récentes qui
touchent au mandaïte. Un système très ingénieux de tableaux a permis de gagner
beaucoup de place dans la i;rammaire. La chrestomathie est assez abondante et per-
mettra d'autant mieux de s'assimiler les formes qu'une première partie se compose
précisément de formes ou de phrases très courtes. Les récits extraits du Talmud
comprennent quelques morceaux de langue plus ancienne mis à part. Le lexique est
en allemand et en anglais. M. Margolis n'a vocalisé les mots ni dans la grammaire
ni dans la chrestomathie. II afflrme dans l'Introduction (p. i\. que l'étudiant s'en
tirera facilement, sauf à reconnaître ip, 8' qu'il reste bien des cas douteux. Cette
seconde raison est la meilleure-, d'ailleurs le lexique indique la vocalisation.
On sait que les textes eux-mêmes sont loin d'être fixés; tel manuscrit a cru devoir
rajeunir toutes les formes. Pour donner à son travail une base aussi solide que pos-
sible. M. Margolis a eu recours aux manuscrits de Munich, Florence, Giittingen, etc.

Apocryphes. — Le 16 juin liJOS, M. l'abbé Léon Gry soutenait sa thèse de doc-


torat biblique — la première — sur les paraboles d'Hénoch et leur me^isianisme.
L'ouvrage fut publié en articles par le Muséon,
de chapitres que et c'est cette série
AI. Gry donne maintenant au public 1 . Le
un chapitre prélimi- terrain est fixé par
naire sur le messianisme dans quelques apocryphes antérieurs au christianisme. Une
autre étude —
très soignée —
conclut que le livre des Paraboles se compose à tout
le moins de deux documents principaux. Le point central est naturellement le mes-

sianisme des paraboles. Après quoi M. Gry fixe la composition du livre ou du moins
de ses principaux documents au début du v
siècle av. J.-C. Le messianisme des pa-
raboles est ensuite comparé à la théologie juive contemporaine.
Dans le couraut de son ouvrage. M. Gry insiste avec beaucoup de force sur le ca-
ractère juif des paraboles. C'est après l'examen des passages où il paraissait le plus
naturel de reconnaître à tout le moins des interpolations chrétiennes (p. 137 s. qu'il
demande « qui garantit que Jésus et la première génération chrétienne n'ont pas
:

cru pouvoir adopter, parce qu'ils l'estimaient déjà révélée de Dieu, donc indiscu-
table, telle ou telle conception de l'Apocalyptique antérieure, n'ont pas cru pouvoir se
servir de formules, user de représentations, qui avaient leur exactitude, et qui
étaient habituelles dans le monde plus ou moins restreint des lecteurs d'Apoca-
lypses .3 » (p. 139).
Il semble bien qu'aujourd'hui, en écrivant son introduction, M. Gry serait plus
disposé à admettre des interpolations chrétiennes, et spécialement le titre de fils de
l'homme, sous la forme icalda 'egualu 'emmahcj'ur, qui reproduit servilement la

locution évangélique, à partir du chapitre 62. lui inspirerait à présent moins de con-
fiance. Mais il maintient qu'Hénoch n'a pas été oint Messie, mais seulement pré-
destiné (2).

Personne d'ailleurs ne sait mieux que l'auteur combien il est difficile de tirer des
conclusions fermes d'un ouvrage éthiopien, traduit du grec, le grec étant lui-même

(r Les paraboles d'Hénoch et leur messianisme, par Léon Gry, docteur en théologie et en
Écriture sainte, professeur à la Faculté de the<>l>'cie (l'An;;ers. in-H" de \v(-i89 pp. Paris, Picard.
1910.
[l Cl. Le Messianisme..., p. 8" ss.
616 REVUE BIBLIQUE.

traduit de l'hébreu ou plutôt de l'araméea.Tout ce qu'on pouvait exiger de lui, c'est


qu'il traitât ce sujet obscur avec un tact philologique assuré et un sentiment délicat
des modalités doctrinales. C'est fait.

On ne voit pas très bien à quel titre l'Apocalypse d'Escb'as (1) (IV Esdras) flgure
parmi les ouvrages édités par la Commission des Pères de l'Église de Berlin, mais
on ne peut que se féliciter d'un parti qui nous procurera une édition bien supérieure à
ce que nous possédions. L'édition de Bensly pour le latin ne laissait pas grand'chose
à désirer, mais le Messias Jmhicorum d'Hilgenfeld ne contenait qu'une traduction
arabe au lieu de deux qui sont maintenant connues.
M. Violet, chargé de cette difficile publication, n'en donne aujourd'hui que la pre-
mière partie. Il a placé sur six colonnes la traduction latine, la traduction alle-
mande du syriaque, de l'éthiopien, de la version arabe éditée par Ewald. de la ver-
sion arabe éditée par Gildemeister, et la traduction latine de la version arménienne
(traduction de Petermann dans Messias Judaeorum). De plus les fragments sahidi-
ques découverts par M. Leipoldt figurent à leur place, en traduction allemande
(13, 29-46), avec l'indication des mots grecs conservés en copte. Toutes ces ver-
sions, sauf peut-être l'arménienne, qui serait issue du syriaque, ne sont que des tra-
ductions du grec, traduit lui-même de l'hébreu. Dans un second volume, M. Violet
donnera, sans doute en traduction allemande, une restauration approximative du
texte primitif.Les notes du volume déjà publié ne sont relatives qu'au texte de
chaque version ne permettent pas de deviner quelle leçon adoptera l'éditeur. Il
et
indique cependant ses préférences pour le latin, selon l'opinion commune.
Les prolégomènes contiennent des détails sur chacune de ces versions.
Depuis Bensly, notre collaborateur D. Donatien de Bruyne a découvert à
Bruxelles un nouveau manuscrit latin complet, dont il est fait état, et des fragments
qui ne seront utilisés que dans le second volume. La tradition
en latine se divise
deux recensions, que M. Violet a parfois transcrites intégralement. L'éditeur actuel
ne partage pas l'opinion de Gunkel, que les deux versions arabes pourraient bien
représenter deux traductions grecques. La seconde version Gildemeister) est trop
infidèle pour qu'on attache de l'importance à ses écarts, et elle a la même grande
lacune que l'autre. Parmi les ouvrages qui ont pu s'inspirer de l'apocalypse d'Es-
dras, M. Violet range l'apocalypse syriaque de Baruch. C'est bien l'ordre qui avait
paru le meilleur au P. Lagrange, qui s'est prononcé très nettement dans ce sens
contre Schùrer(2), etc. Cependant, comme la question est très disputée, M. Violet ne
fera la preuve de son opinion que dans le second volume.
Enfin, il faut une innovation considérable. Toute l'ancienne partition
signaler
est mise de côté. Il n'y aura plus désormais de chapitres, mais sept visions divisées
en paragraphes, subdivisés en versets. L'ancienne partition est indiquée, de façon
que les recherches ne seront point gênées.
L'Apocalypse d'Esdras est d'ailleurs réduite à ce qu'elle était primitivement. Les
anciens chapitres 1-2. et 15-16, dénommés aujourdTiui V Esdras et VI Esdras, sont
complètement laissés de côté.

Parallèlement aux Documents pour servir à l'étude de la Bible, publiés sous la di-
rection de .M. François Martin, la maison Letouzey entreprend des Documents pour
servir à Vétudc des origines chrétiennes, sous la direction de MM. J. Bousquet et

(1) Die Esra-ApoUalypse (IV Esra) Ersler Teil tlie Ueberlieferuug... von Lie. Dr. Bruno Vioi.f.t.
Pfarrer an der Taborkirclie in Berlin, in-8" de i.xi\ i4r. pp. Leipzig, Hinrichs, 1910.
(3) Le Messianisme..., p. 10!i.
BL'LLETIX. 617

E. Amann. Il semble qu'il s'agit surtout ou du moins tout d'abord des Apocryphes,
de sorte que la nouvelle collection ne coïncide pas avec les Textes et documents pour
l'étude historique du christianisme, de MM. Hemmer et Lejay. Le premier volume,
édité par M. Amann, comprend le texte grec du Protnnngile de Jacques (1), d'a-
près le texte grec deTischendorf, l'évangile latin du Pseudo-Matthieu et \edeNativi-
tate Maris:, sans revision d'après les mss.. mais avec l'indication des variantes prin-
cipales. Tous ces textes sont traduits en français et commentés dans des notes assez
développées. Une introduction donne successivement l'analyse des textes, l'examen
des doctrines et l'histoire du livre. C'est naturellement le Protévangile qui tient
partout la place principale.
M. Amann estime qu'il date des environs de l'an 1.50 ou 180. Il ne dépend pas des
passages chrétiens de l'Ascension d'Isaïe, comme l'a pensé M. Tisserant, c'est plutôt
le contraire qui serait vrai. Le pseudo-Matthieu n'aurait pas été rédigé directement
d'après le Protévangile, mais serait plutôt une revision catholique, à la fin du \v siè-

cle, du Liber de infantia Salva loris et de Maria velobstetrice, combiné avec le Liber
de infantia Salvatoris et les Evangelia nomine Thomse quitus Manichnei utuntur, tous
trois proscrits par le décret de Gélase. Le Liber de nativitate Marix daterait du
temps de Charlemagne.
M. Amann a examiné avec un esprit critique très sûr et exprimé avec beaucoup de
tact les conclusions qui se sont dégagées peu à peu de l'étude du célèbre apocryphe.
Il a réduit à sa juste valeur son importance comme document historique; elle est
nulle si l'on excepte peut-être les noms des parents de Marie et la naissance de Jésus
dans une grotte, que l'auteur a pu connaître par tradition. Je ne vois pas que
M. x\mann ait exprimé son opinion sur le lieu d'origine de l'apocryphe. Je serais
étonné qu'il soit né en Egypte, surtout à cause de la retraite de Joachim au désert. Le
désert en Egypte n'est point le lieu où l'on mène paître les troupeaux. Il n'en est pas
de même dans montagne de Judée. M. Amann a cru devoir solliciter son texte en
la

écrivant « Le désert, ce n'est point une région aride, c'est la plaine herbeuse, où
:

l'on mène au loin paître les troupeaux » (p. 184 Ces plaines herbeuses n'existent.

guère en Palestine et ne seraient point nommées le désert. Au contraire, tout le dé-


sert de Juda — un vrai désert, ni habité, ni cultivé, — se couvre au printemps d'une
végétation légère, et on voit alors ses collines couvertes de troupeaux. Il n'eût pas été
sans intérêt de dire que la tradition de Jérusalem place au monastère de Chouziva
l'annonciation de l'ange à saint Joachim, et montre à Aïn-Karim le rocher qui se re-
ferma sur sainte Elisabeth. Puisque nous sommes sur le terrain du folk-lore Peut-
être aussi M. Amann s'applique-t-il avec trop de zèle à défendre l'orthodoxie de l'au-
teur. Il appartenait à la grande église, soit, mais il suivait assez librement sa
fantaisie. Sans doute aussi faut-il faire la part des différentes sources de l'ouvrage.
Sur ce point très M. Amann pense que la légende de Zacharie a été ajoutée
délicat,
plus tard, fin ou commencement du v".
du iv" s.

De plus l'auteur s'est servi de deux sources, ÏApornjphum Marix et VApocri/phum


Josephi, mais il s'en est servi assez librement pour qu'on le regarde comme un véri-
table auteur, non comme le rédacteur de deux documents juxtaposés.
Evidemment la nouvelle collection ne vise pas à reprendre par la base l'établisse-
ment des textes, ce qui est tout de même regrettable cependant un ouvrage comme ;

(1) Le Protévan'jile de Jacques et ses remaniements latins. Introduction, textes, traduction


et commentaire par Emile Amann, docteur en tiiéologie, licencié es lettres, aumônier au collège
Stanislas, in-8° de ix-3T8 pp. Paris, Letouzey, l'Jio.
618 REVUE BIBLIQUE.

celui-ci rendra les plus grands services en faisant connaître au public français l'état
des questions et en présentant des solutions très diligemment étudiées.

Ancien Testament. — Chaque année voit éclore un certain nombre d'études sur
le Pentateuque, les unes destinées à synthétiser les résultats de la critique, les autres à
modifier ou même à contredire ces résultats. A la dernière catégorie appartiennent les
« essais » que vient de publier M. Harold M. Wiener (1). C'est la réunion en volume
d'une série d'articles parus dans la Bibliothcca Sacra et qui. paraît-il, ont eu un
certain retentissement. M. "Wiener s'étonne que M. Driver n'y fasse point allusion
dans ses additions et corrections à la septième édition de son Book of Genesis. La
méthode de l'auteur consiste —
on nous passera l'expression à « pousser des —
colles » aux critiques et à montrer que leurs théories ne rendent pas compte de tous
les faits. Un chapitre s'attaque au due de l'hypothèse documentaire, c'est-à-dire à
la distinction des noms divins, distinction qui a servi de
point de départ à Astruc
pour échafauder son système. Selon M. Wiener, il faut souvent corriger le texte
massorétique par les Septante pour aboutir à un texte dans lequel disparait cette
distinction. 11 donne (pp. 24 et 25) les critériums qui l'ont guidé dans cet usage des
Septante et en particulier de la recension he\a plaire. Selon lui (critérium 4), c là
où Lucien seul a « Dieu
pour l'hébreu « Seigneur », ou « Seigneur » pour l'hébreu
»

« Dieu », son texte représente une vai-iante hébraïque originale, quoique non pas
nécessairement le texte original des Septante ». Les critiques répondront que l'hé-
breu, suivi par Lucien //; rasu, a simplement harmonisé et qu'il faut adopter la leçon
divergente, car on change pour harmoniser et non certes pour obtenir une leçon
différente. La distinction des documents s'appuie sur des divergences concomitantes.,
c'est-à-dire que l'usage de tel nom divin doit coïncider avec d'autres particularités
du style et du point de vue. Au lieu de créer une harmonie factice, les Septante
contribuent, plus souvent que ne le pense M. AViener, à rendre visibles les différences
entre les narrations parallèles. C'est ainsi pour sortir du Pentateuque —
que nous —
pouvions écrire (2). au sujet de l'emploi des mots Élohim et lahvé dans les livres de
Samuel « Extrêmement instructive à cet égard nous a paru l'étude de / Sam.
:

v-vi et ïl Sam vi dans lesquels l'alternance de Varche de lahvc et de Varche de


Dieu, alternance qu'il faut préciser par une ou deux corrections d'après G (= Sep-
tante), nous a permis de distinguer chaque fois des récits parallèles et formant cha-
cun un tout complet. » Les statistiques dressées par l'auteur pour accumuler les
cas où le grec diffère de l'hébreu dans le choix du nom divin prouvent que maintes
fois le manuscrit suivi par le grec a cherché à harmoniser. Cette tendance à ne
pas utiliser tantôt l'un tantôt l'autre des noms divins se fait jour dans le second
chapitre de la Genèse où l'on a accolé Élohim à lahvé afin de ne pas avoir un nom
différent de celui qui est employé dans le premier récit de la création. M. Wiener
s'est laissé prendre à ce procédé dont la constatation est un des principes les plus
élémentaires de la critique. Il faut voir comment il triomphe de ceux qui se servent
de l'onomastique pour distinguer les divers récits. C'est surtout —
on ne sait trop
pourquoi —
contre M. Carpenter qu'il dirige ses coups. Celui-ci (comme tout le

monde I
voit deux narrations dans l'histoire de Moise et il se sert (comme tout le
monde) de la divergence entre les noms du beau-père de .Moïse pour séparer les deux
sources, l'une disant « Jéthro » et l'autre « le prêtre de Madian ». Dans Ex. m, 1,

;i) Essays in pentateuchal crilicism. by Haruld M. Wif.xf.i; M. . A. LI.. B. of Lincoln's inn, Bar-
rister at-law. London, Stock. litlO. m-S» de xiv-239 pp.
[i) Les livres de Samuel p. 7 ,
BULLETIN. 1. 19

la recension de Luciea omet « Jéthro », car elle u"i-nore pas que jusqu'ici (£a. u.
18 le prêtre de Madian s'est appelé Re'ouël. Précisément on prend les Septante en
flagrant délit d'harmonisation à propos de ce nom du beau-père de Moïse, dans
./«'/. I. 16, où G (B) a mis loôop au lieu de Iojôa6 et IwaS (qui supposent ~~ de
yum. X, 29 et Juif, iv . 11 . autre nom du hotlifri pour ne pas dire « beau-père »]

de Moïse M. Wiener applique sa méthode


I). avec un succès qui en montre le ca- —
ractère factice —
à tous les arguments dont se servent les critiques pour appuyer la
distinction des récits dans le Pentateuque. « Comme c'est un fait indubitable que le
Pentateuque contient des éléments post-mosaïques, l'étendue possible de ces éléments
sera reconnue comme beaucoup plus restreinte qu'on ne le suppose actuellement,
tandis que les théories fantasques \irilil qui ont cours à présent, telles que documents,
écoles d'écrivains, faussaires de lois, révélation par fraude littéraire, etc..., seront
reconnues comme simplement absurdes. » M. Wiener oublie que des auteurs très
catholiques et très conservateurs emploient les résultats de la critique littéraire pour
distinguer les secrétaires de Moïse. Les quelques exemples que nous avons fournis
sufûsent à montrer comment, en mettant la critique textuelle au service des solutions
harmonisantes, on risque de fermer les yeux aux données de la critique littéraire la

plus modérée. Les deux critiques ont leurs droits acquis et leurs méthodes, il faut
les faire marcher de pair au lieu de les opposer et ne pas oublier qu'elles ne sont
que les auxiliaires de la critique historique dont elles fournissent les matériaux.

M. Eerdmans s'est fait, en Hollande, le champion d'une réaction contre la critique


du Pentateuque. Les conservateurs qui voudraient le compter dans leurs rangs com-
mettraient une grosse bévue, car M. Eerdm.ms représente un radicalisme plus absolu
que celui des critiques les plus hardis 2 . Sa nouvelle série d'études est limitée à
l'Exode 3. Son point de départ est que la critique régnante ne rend pas compte de
toutes les diflicultés qui se rencontrent dans l'étude de la composition littéraire du
Pentateuque. >'ul ne conteste la chose. La question est de savoir s'il faut pour cela
rejeter tous les résultats par-dessus bord et s'il n'est pas plus sage d'accepter ce qui
est scientifiquement acquis, en faisant plus ou moins grande la part d'incertitude
sur tel composé de deux parties distinctes.
point de détail. Persuadé que l'Exode est
M. Eerdmans partage son exposé en deux points
l'une historique, l'autre législative,
principaux. Selon lui, le lien est extrêmement ténu entre les deux parties. Qu'on
nous permette de citer ses conclusions on verra si elles sont aussi conservatrices
:

qu'on voudrait le croire. Un premier récit comprend les onze chapitres du début de
l'Exode. Dans ce récit sont intercalées des narrations sur les miracles en Egypte et
à ces le chapitre xii. Ce chapitre xii ignorait la relation
narrations se rattache
que Pàque avait avec l'exode. Après l'exil on introduit ditférents chapitres dans
la

la narration du Sinaï, entre autres le contenu des tables delà loi. Plus tard on ajoute

le Décalogue afin d'harmoniser avec la tradition deutéronomienne. Dans Ex. xii et


XXIX on fait allusion à des usages post-exiliens, et des petites parties législatives
sont intercalées. Oa voit que la théorie de M. Eerdmans se ramené facilement a l'hy-
pothèse des « compléments», déjà préconisée par Ewald. Mais notre auteur est beau-
coup plus absolu, car il n'hésite pas à écrire que n les lois provenant de la période
mosaïque n'étaient apparemment pas liées primitivement avec les narrations et furent

1 Cf. Lagramîf., t/i loc.


{i- Cf. RB., 1969, p. 156 s.
Alttest'jiiienlUche >itiidien, von B. D. Eerdmans. ordentlicher
(3 Professer der Tlieologie in
Leiden, III, Das Buc/i E.cûdus, in-8' de 147 pp. Giesseu, rripelmann. 1910.
620 REVLE BIBLIQLE.

de différente manière rattachées par les liistoriens de l'époque royale, aux tra di-
tions populaires recueillies par eux Le radicalisme de M. Eerdnaans lui fait oublier
».

que l'épisode du Sinai ne se comprend pas si l'on fait abstraction d'une révélati on
législative II admet, d'ailleurs, que la littérature pré-exilienne a connu différentes
traditions concernant la législation de l'époque mosaïque. Pourquoi l'une de ces tra-
ditions n'aurait-elle pas combiné la législation avec la révélation sinaïtique? L'hypo-
thèse des sources cherche à rattacher entre elles les différentes narrations qui se juxta-
posent dans l'Exode. "Vf. Eerdmans prend plaisir à les morceler et il se laisse faci-
lement tromper par la distinction arbitraire qui sépare l'un de l'autre les cinq livres
du Pentateuque. Il eût dû, puisqu'il ne donne pas un commentaire, traiter le Lévi-
Nombres en même temps que l'Exode. Peut-être se serait-il vu forcé
tique et les
de mettre un terme au grand nombre de couches dont il admet la superposition
dans ces livres. Il semble invraisemblable que le rédacteur final ait pris plaisir à intro-

duire dans la narration qu'il transmet des morceaux choisis à droite et à gauche dans
une foule d'autres narrations. Son souci a été bien plutôt de sauvegarder, aussi
complètement que possible, les différents récits qu'il avait sous la main en les enga-
geant dans la trame de sa narration et de les ramener ainsi à une apparente unité.

A propos de la découverte du Deutéronome dans


le temple de Jérusalem. M. Mas-

pero écrivait en 1899 Les Orientaux ne se firent jamais faute d'affirmer que tel
: «

ou tel ouvrage pour lequel ils professaient une estime particulière avait été rencon-
tré dans le temple d'un dieu les prêtres égyptiens s'imaginaient, nous le savons,
:

devoir à une révélation de ce genre les chapitres les plus efficaces de leur Livre des
Morts et les traités les plus importants de leur littérature scientifique ,1). C'est à
insister sur ce rapprochement entre le texte de // Rei}.. 22 s. et la coutume
égyptienne que M. >'aville a consacré tout un mémoire qui fut lu à l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres et suscita plus dune discussion. Ce travail vient de pa-
raître dans le t. XXXVIII iS*^ partie) des Mémoires de l'Académie (2). L'auteur est
d'avis que l'influence de l'Egypte sur la Palestine, influence attestée par les fouilles

de Gézer. Mégiddo, TaannaU, doit être prise en sérieuse considération, quand il

s'agit d'interpréter les récits bibliques. L'archéologie égyptienne pourrait bien révo-
lutionner les conclusions de la critique. « Nous avons à cet égard un précédent fort
instructif : la question homérique, qui a changé de face depuis Schliemann, et qui, à
la suite des fouilles toutes récentes, va peut-être subir encore de grandes transfor-
mations. » Pour le moment. M. Xaville entreprend d'expliquer l'histoire de la décou-
verte de la Loi sous Josias. Un chapitre du « Livre des Morts » des Égyptiens porte
la rubrique suivante : «Ce chapitre fut trouvé àKhmoun (Hermopolis; sur une brique
d'albâtre, sous les pieds de la Majesté de ce dieu vénérable (Thoth de l'écriture du
dieu lui-même, au temps de la Majesté du roi de la Haute et de la Basse Egypte,
Mycérinus. Le fils royal Hordudef le trouva quand il voyageait pour inspecter les
temples de l'Egypte (3). » Une autre rubrique, plus intéressante encore, est la sui-

vante Ce chapitre fut trouvé dans les fondations d'Ami Hounnou par le chef des
: «

constructeurs d'un mur, du temps du roi Ousaphaïs; c'étaient des figures mysté-
rieuses que personne n'avait vues ou considérées. » M. Naville cite. encore des textes
de Dendérab. qui datent de l'époque ptolémaïque et qui mentionnent la trouvaille,
dans un mur du temple, dune peau de chèvre sur laquelle était écrite, en carac- •

Histoire ancienne..., III, p. 50" s.


(1)
(2: La découverte de la loi sou!< le roi Josias. Une interprétation égyptienne d'un te rie bibli-
que, par M. ÉDoL'AiiD Naville. membre dellnslitut.
(3) Ce texte est déjà cité dans Maspeuo. Histoire ancienne..., ï, (1895), p. 22i
BULLETIN. 621

tères du temps des suivants d'Horus, la grande règle. la conturae de Dendérah ». En


regard de ces faits il cite le récit de II n>",i., 22, pour aboutir à cette conclusion :

« L'analogie avec l'Egypte me paraît si forte, que je ne puis m'empècher de donner


au texte l'interprétation égyptienne le livre de la loi était dans un mur de fonda-
:

tion; ce dépôt devait donc remonter à la fondation du temple, c'est-à-dire à l'époque


de Salomon. » On voit ainsi pourquoi le Mémoire porte en sous-titre U7ie inter- :

prétation égyptienne d'un texte hi/jlique. Après avoir résolu de la sorte le problème
que soulève la découverte du Deutéronome sous Josias, M. Xaville réfute les bypo-
thèses des critiques et défend* sa propre théorie contre les attaques qui lui ont été
adressées. La principale objection est le fait que, dans le long récit de la construction
et de la dédicace du temple par Salomon, il n'est pas fait la moindre allusion à un
dépôt quelconque d'une copie de la loi dans les fondations ou dans les murailles.
Comment supposer, en outre, que le monarque ait codifié des lois antérieures (c'est
l'opinion de M. .\aville sur l'origine première du Deutéronome! de façon à ce que les
lois fussent enfouies à jamais et que Josias put s'écrier en toute vérité : <( JNos pères
n'ont point obéi aux paroles de ce livre et n'ont point mis en pratique tout ce qui v
est prescrit » ? Poussant plus loin encore son interprétation égyptienne du texte bi-

blique, l'auteur insiste sur le fait que, dans le récit des Chroniques, on déclare qu'il
s'agit « du livre de la loi de lah\é ixir la main de Moise. » Tout le monde sait que
l'expression r;*w*2 Vl à la suite de la Torah de lahvé signifie « par l'intermédiaire
de Moïse ». M. .Xaville reprenant une interprétation assez discréditée voudrait, dans
Je passage en question, lui faire signifier Httéralenient « par la main de Moïse »,
c'est-à-dire « comme l'aurait écrit Moïse « ou « comme l'on écrivait de son temps ».
D'où une longue dissertation pour savoir comment on écrivait et du temps de Moïse
la conclusion « ]Nous croyons que Moïse a écrit en babylonien cunéiforme ceux des
:

livres qui lui sont attribués et dont il peut être l'auteur. » Dans son exposé, M. >'a-
ville confond, quoiqu'il proteste là-contre, la langue parlée et la langue écrite. Ainsi,
à propos des lettres d'El-Amarna, il ne voit dans les gloses cananéennes qui y sont
intercalées qu' une langue populaire parlée qui différait eu quelque mesure de la
«

précédente: mais n'est-ce pas le cas dans tous les pays du monde? » Tous les assv-
riologues répondront que, loin d'être une déformation du babylonien, ces gloses
sont des mots cananéens du meilleur type, dont la vocalisation et la structure cor-
respondent à l'ancien hébreu. Même la syntaxe du babylonien de ces lettres est con-
taminée par la syntaxe cananéenne. M. Bôhl qui a consacré un très beau travail aux
lettres d'El-Amarna d'après l'édition de Knudtzon (1), pouvait écrire {2) : « L'assy-
rien de nos lettres n'est souvent qu'une mince enveloppe, qui dissimule la* langue
maternelle des correspondants. Que si nous enlevons celte enveloppe, nous rencon-
trons le langage de ceux qui habitaient la terre Promise avant les Israélites, le lan-
gage que parla Israël quand il fut introduit dans la terre de la promesse. » M. >'a-
ville a tort également de rejeter l'argument tiré des noms propres du Pentateuque

pour prouver l'existence d'une langue cananéenne même avant Moïse. On n'explique
pas toute une onomastique en disant « Les noms cananéens sont de l'hébreu pur
:

parce qu'ils ont été transcrits en hébreu. Un nom propre passant dans une langue
étrangère, surtout dans le langage populaire, reçoit une forme qui le rend aussi sem-
blable que possible à la langue nouvelle dans laquelle il sera cité. » Comme s'il tenait
une gageure, l'auteur ne craint pas d'écrire à propos du cantique de Débora :

« L'hymne de la prophélesse, que beaucoup d'hébraïsants considèrent comme le

^1) Cf. RB., 1910. p. 471 ss.


(2j Die Sprache der Aniarnabi^'efe, p. ni s.
622 REVUE BIBLIQUE.

morceau le composé dans cette langue, ne prouve nullement qu'alors


plus ancien
que Débora il y eût une
le pronouça.
langue littéraire hébraïque-, ce pouvait fort
bien être le patois du temps et l'hymne a passé de bouche en bouche. » Le patois
de Débora! Le terme est dur pour cet admirable morceau lyrique. Il suffit d'un
contact superficiel avec les textes cunéiformes et bibliques pour comprendre ce qu'il
y a de risqué dans la suggestion suivante « C'est aux traducteurs du code de Ham~ :

mourabi, des tablettes de Tell el-Araarna, des correspondances entre les Amorrhéens
et IcsHéthéens, à nous enseigner ce qui dans le Pentateuque, par exemple, est une
traduction d'un vieux document cunéiforme, ou ce *qui est une addition due à la
plume dun rédacteur écrivant en hébreu. » L'autorité de M. Sayce, l'un des plus
aventureux parmi les assyriologues, ne fait que rendre la thèse plus suspecte.
M. IXaviile reconnaît d'ailleurs lui-même que sa conclusion est « peut-être un peu
téméraire ». Pour en revenir à la découverte du Deutéronome, il déclare que le
livre trouvé était rédigé en cunéiformes. Le grand prêtre, Helcias, ne sait pas le ba-
bylonien, et voilà pourquoi c'est le secrétaire, Saphan. qui le lit devant le roi! Ce qu'il

y a de plus curieux, c'est que Helcias, qui ne sait pas lire, dit lui-même au secrétaire:
« J'ai trouvé le livre dans la maison de lahvé! » Jf Rey., 22, 8}. D'autre
de la loi

part, Josias réunit tout le peuple pour lui donner connaissance de la loi. « Or, puis-
qu'il voulait en faire une lecture publique, avant de procéder à la grande réforme
qui devait résulter de la trouvaille, force était bien de mettre le livre dans le lan-
gage du temps, que tout le monde pouvait comprendre; ce langage, c'est celui du
prophète d'alors, de Jérémie. Ainsi donc, pendant que le prêtre Helcias et l'assy-
riologue Saphan se rendent auprès de Houlda la prophétesse, un traducteur des
plus habiles a eu le temps de prendre le livre (il faudrait dire la collection de tablet-
tes) cunéiforme et de le mettre en style de Jérémie. M. ^Naville ne se doute pas de la

difficulté qu'il y avait, même pour un Israélite, à traduire ainsi un certain nombre de
chapitres rédigés en babylonien. Il oublie que, dès le temps d'Ézéchias, la langue des
lettrés d'Israël, celle qu'ils emploient pour se faire entendre des Assyriens sans être
compris du vulgaire, c'est l'araméen [Il Reij.. 18, 26 . L'assyriologue Saphan ne
se serait attardé jusque sous Josias que pour les besoins de la cause, et rien dans le
récit biblique n'autorise à admettre qu'on eût eu besoin d'un traducteur pour lire le

Deutéronome. Si Saphan le lit, c'est simplement parce qu'il est ^.zb. c'est-à-dire

« scribe ». En somme, M. Naville a insisté sur le rapprochement, déjà signalé par


M. Maspero, entre les textes égyptiens et le récit de la découverte du Deutéronome.
Séduit par sa thèse, il a poussé beaucoup trop avant les conséquences que peut avoir
a constatation de ce fait quand il s'agit d'expliquer la composition des livres de la

Bible. Les conservateurs tentés d'accepter avec entrain la solution en apparence


conservatrice de l'illustre savant genevois feront bien d'y prendre garde : les textes

égyptiens pourraient bien être interprétés comme le fait M. Maspero, d'une simple
fiction sacerdotale.
[P. D]

La plus grande partie des Ezra stndiex de M. Torrey, le distingué professeur de


l'université de Yale, est consacrée à l'apocryphe que les versions grecques appellent
« Premier Esdras » et que nous connaissons sous le nom de « Troisième livre d'Es-
dras» Il . Un seul chapitre est inédit, c'est celui qui est consacré à l'histoire de la
captivité de Babylone et du retour des Israélites à Jérusalem. Le reste a paru dans

(1) Ezrn slitdies, by Chaules C. ïup.uey, Professor olseniilic languases in Vale university. Cliicago,
Tlie University ot Chicago press, 10.
BULLtriN. 623

VAiiuTican Jouj'nal of sciultic lanyuages et dans les Sliidics in memory of W. R.


Harpcr. L'auteur se plaint, dans la préface, du trop peu d'attention qu'on a accorde
à sa brochure sur The composition and historicif value of Ezra-Nchemiah publiée
en 1896. Comme M. Kosters, il déclare le récit biblique de la restauration après
l'exil simplement unirastworthy. Avec une complaisance un peu emphatique, il éuu-

raère les services qu'il a rendus à la science deTAncien Testament par ses études
sur ce Premier Esdras '>. Son triomphe est d'avoir établi définitivement
« il le —
croit ainsi —
que ce livre n'est pas un apocryphe, mais l'ancienne version grecque
d'un ouvrage comprenant les Chroniques, Esdras et Néhémie. C'est la thèse de
M. Howorth, à qui le volume est dédié. Les critiques l'ont considérée à peu près
unanimement comme un paradoxe. Avec une précision qui semblera d'une hardiesse
trop ingénue, M. ïorrey dresse l'arbre généalogique du « Premier Esdras « et des
deux livres canoniques « Esdras et Néhémie ». Comme tcrminns; a qim il prend l'an
2ô0 avant Jésus-Christ, comme tmiiiiuix ad qucm le début du second siècle d<: noirr
t'-rc pour l'Esdras et le Néhémie canoniques, la première moitié du second siècle '/"/,//

notre èrr pour le « Premier Esdras ». L'histoire des trois jeunes gardes du corps
(III Esdr., iii-ivj avait été intercalée dans l'histoire du chroniqueur, puis retranchée
par ce que M. ïorrey appelle l'édition A. c'est-à-dire Esdras-Néhémie. Elle resta
dans ce que M. Torrey appelle l'édition B, c'est-à-dire celle dont nous possédons la
traduction grecque dans l'apocryphe « Premier Esdras ». Il est plaisant de voir se
dérouler les vicissitudes de l'original hébreu-araméen. Les causes accidentelles ou
volontaires sont mises en jeu pour que d'un noyau commun on aboutisse aux deux
recensions actuelles. L'histoire des gardes du corps, écrite en araméen, est inter-
calée dans le texte du chroniqueur, puis retranchée par l'édition A (sous l'influence
des rabbins juifs) et conservée dans lëdition B. Ceux qui liront le ciiapitre dans
lequel l'auteur cherche à prouver que l'histoire des trois gardes a été écrite en ara-
méen constateront que les arguments se réduisent à très peu de chose. Telle parti-
cularité minime s'explique tout aussi bien si le texte n'est que le récit en grec
d'une haijijadah quelconque. Puisque M. Torrey considère le récit comme inter-
polé, pourquoi ne pas conclure que le « Premier Esdras » est une compilation.^ Ainsi
ont généralement conclu les exégètes qui ont mis en parallèle l'apocryphe et les livres
canoniques. La thèse de M. Torrey eût été viable s'il avait considéré l'épisode des
gardes du corps, qui est la seule partie spéciale au « Premier Esdras », comme for-
mant un tout avec le reste de la narration. Les autres éléments se retrouvant dans
les Chroniques, dans Esdras et dans Néhémie, il est facile de voir que l'unité du
« Premier Esdras » est factice. Les preuves apportées pour insinuer que l'Esdras ca-
nonique a dû retrancher l'histoire des gardes du corps ne sont rien moins que con-
vaincantes.M. Torrey prétend que cette histoire ne s'accorde pas avec le contexte.
Rien n'était plus aisé, puisqu'il y a eu interpolation (et M. Torrey signale les addi-
tions faites par l'interpolateur), de faire celte adaptation. A tout prendre, les argu-
ments de M. Torrey sont plus spécieux que solides. Ses notes critiques sur le texte
du « Premier Esdras » sont bien plus appréciables. Quant au chapitre sur l'exil et la
restauration, on y reconnaît l'esprit paradoxal de M. Torrey. 11 débute par celte dé-
claration de principe : " L'exil babylonien des Hébreux de Judée, qui fut en réalité
une petite affaire, et relativement insignifiante, a été, en partie par erreur et en partie
sous l'intluence d'une théorie, appelé à jouer un rôle très important dans l'histoire
de l'Ancien Testament. » L'école conservatrice, qui s'attache à l'historicité du récit
biblique, aussi bien que la haute critique, qui fait de la restauration post-exilienne le
point de départ d'une grande activité littéraire, sont successivement prises à parti.
624 REVUE BIBLIQUE.

« Les termescxilicn,p)r-cxilicit, post-exilicn doivent être à jamais bannis de l'usage,


car ils sont simplement trompeurs et ne correspondent à rien de réel dans la littéra-
ture et la vie des Hébreux, a La grande catastrophe n'était pas l'exil, mais la disper-
sion des Juifs à travers le monde! M. Torrey en appelle aux prophètes et aux
psaumes. Il eût mieux fait de relire le Siqjer /Jumhui Babylonis et les oracles d'Ézé-
chiel.

La thèse de doctorat présentée par M. Peckham à l'université de Chicago est une


introduction à létude du prophète Abdias (1). L'auteur divise la prophétie en trois
groupes A (vv. l-7c, 10, 11, 14a, lôb, B (vv. 12, 13ac, 14b), C (vv. 15a, 17a, 18,
:

17b. 19-21). Il reconnaît deux interpolations : 16. Le trait com-


les vv. 7d-9 et le v.

mun aux trois oracles est d'être proférés contre Édom. Chaque portion est traitée à
part avec beaucoup de pénétration. Les conclusions littéraires sont cependant sujettes
à caution. Nous renvoyons pour le détail à l'étude de notre collaborateur Van Hoo-
nacker, dans Les douze petits pro])hétes. On s'étonne de ne pas voir figurer cet ou-
vrage dans la bibliographie, par ailleurs assez copieuse, de M. Peckham.

Dans Tlie international critical commentan/, les livres des Chroniques viennent
d'être commentés par M. Curtis, aidé de M. Madsen (2). On connaît le plan de la
collection. Un premier texte, en caractères ordinaires, fournit l'exégèse du passage
biblique, puis un second texte, en caractères plus petits, fournit les notes d'ordre
purement technique. Il y aurait des réserves à faire sur cette disposition qui oblige
le plus souvent à faire la navette entre les deux séries de remarques, le verset étant

parfois commenté dans le gros texte et non dans le petit, ou vice versa. Le tra-
vail de MM. Curtis et Madsen est un modèle de concision. D'aucuns trouveront cette

concision exagérée, car le plus souvent les auteurs s'abstiennent de toute discussion.
Ils citent les diverses opinions, en se contentant d'une référence bibliographique,
sans indiquer en détail le pour et le contre. De la sorte, le lecteur sera le plus
souvent contraint de rechercher, dans les ouvrages cités, la discussion sur le sujet.
Au lieu d'être un commentaire proprement dit, le livre de MxM. Curtis et Madsen de-
vient plutôt un aide-mémoire qui facilite l'accès des commentaires plus complets et
des traités spéciaux sur les divers points d'érudition historique ou philologique. L'in-
troduction est phis détaillée. Le paragraphe consacré aux particularités de la diction,
dans les Chroniques, Esdras et >~éhémie, contient une Uste de 116 termes employés
spécialement par le chroniqueur, ainsi que d'un certain nombre des tournures gram-
maticales usitées de préférence dans ces ouvrages. On complétera ce catalogue par les

études plus approfondies de M. Kropatsurle même sujet (3). Les conclusions relatives
à la composition des Chroniques et au caractère tendancieux de l'histoire qu'elles con-
tiennent, sont celles communément admises par
les critiques. « Par ces écrits le passé

était idéalisé et glorifié comme


une règle pour l'activité présente et le développement
futur. Rien ne pouvait mieux que l'autorité du passé contribuer en ces jours-là à
rendre plus intense le loyalisme et la ferveur de l'ancien Juif... Il ne faut jamais ou-
blier que c'est sous le patronage d'hommes pareils au chroniqueur que furent nourris
les Macchabées et que fut inauguré l'âge héroïque du Judaïsme
'p. 17 On lira avec .

beaucoup de profit le paragraphe concernant les sources utilisées par le chroniqueur.

(1} An introduction ta Ihe study of Obadiah, by George A. Pkckiiam, in-8" de 2' pp. Chicago,
1910.
(-2) A critical and e.vegetical commentary on The Bocks of Chronicles, by Edwaud Lewis Cit.tis,

and Aluert ALONZd Madsen. In-8" de xxii-o3'» pp. Edinbiirj;h, Clark, 1010.
1,3) Cf. RB., VMO, p. ni.
BULLETIN. C2S

Les auteurs y déterniinent avec précision la part plus ou moins grande de probabilité
qui revient aux diverses théories concernant la nature de ces sources. Pas plus que
dans le commentaire, ils ne cherchent à formuler un système nouveau.

Pays voisins. — Sous le titremodeste de Uestitution ma((^rielle de la Stèle des


Vaulours, MM. Heuzey et Fr. Thureau-Dangin louruisseut une excellente contribu-
tion à l'étude de l'art et de l'histoire des anciens Chaldéens ;1). Ou sait qne la « stèle

des vautours », aujourd'hui au Louvre, est une sorte de borne-limite entre les terri-
toires de Lagas et d'Ourama (dans le pays sumérien de la Basse-Chaldée), dont le

relief et le texte sont dus à E-an-na-lùin, petit-Gls du plus ancien monarque de Lagas
dont nous possédions les monuments, Ur-JSinà (2). M. Heuzey avait déjà consacré
plusieurs ouvrages à l'étude archéologique de la M. Thureau-Dangin avait
stèle.

donné la traduction du texte dans l'édition française et allemande de sou Corpus, Lex
i)}f:criptions de Sumer et d'Akkad. L'acquisition parle Bfitish Muséum d'un morcean
delà stèle, dérobé aux fouilles françaises de Tello, a permis à M. Heuzey de faire une
restitution complète du monument. On éprouve un certain malaise à lire les pourpar-
lers engagés entre le musée du Louvre et celui de Londres, les échanges proposés par
M. Heuzey sans résultat. Le fragment restera à Londres, où il ne signifie rien, tandis
que le Louvre se contentera d'un moulage pour le raccord de ce fragment avec le
reste de la stèle. Grâce à ce moulage, M. Heuzey a pu donner une héliogravure de
la stèle restaurée. Son étude archéologique sur l'art des Sumériens et des Sémites est

conduite avec le soin auquel il nous a accoutumés de longue date. Ses conclusions
sont marquées au coin d'une réserve vraiment scientifique « Il faut en prendre son :

parti la question des races dans l'ancienne Chaldée reste surtout une question de
:

linguistique... Aux veux du géographe, à ceux de l'historien, la nature spéciale de la


région chaldéenne, la situation de cet admirable champ de culture créé par le double
bassin des fleuves jumeaux, mais isolé sur son flanc par l'immensité du désert, explique
parfaitement la juxtaposition très ancienne de deux races, différentes d'origine, de
caractère et de vie, et devenues cependantindispensables l'une à l'autre, s'amalgamant
d'abord par endroits pour se pénétrer ensuite profondément. »
Avec la patience qu'on lui connaît, M. Thureau-Dangin est revenu encore sur le
texte de la stèle et en a extrait de nouveaux renseignements. La partie la plus inté-
ressante de sa nouvelle traduction comprend les col. IV et V de la face antérieure,
où nous voyons comment la déesse Innaua prend Èan-na-tum dans ses bras, lui
donne un nom, le place sur les genoux de la déesse Mn-harsag, qui est chargée de
l'allaiter de sa mamelle sacrée » (oi. Puis le dieu de Lagas, yin-yir-su, forme la
taille du souverain et lui donne une longueur de « cinq pieds, un empan ». La par-

tie historique relate les combats et le traité entre le souverain de Laga.^ et celui

d'Oumma. Tout le monde rendra hommage à la pénétration avec laquelle M. Thureau-


Dangin a su dégager le contenu de l'inscription. Les notes au bas des pages sont le
meilleur garant de la probité scientifique avec laquelle il traite ces vieux textes uni-
lingues. De longtemps on ne dépassera pas son interprétation.

M. l'abbé Fr. Martin, qui avaitdéjà consacré quelques études aux lettres ass) liennes,

(Il Restitulidti tnalériclle de la sli'lodea Vaulours : Uestitution arcJirohiijique par Lion Hii/kv.
membre de rinsliUit, diiecteiir hunoraire des musées nationau\; Restitution épiyrap/iique pSiV
y. Tm -DAN(;iN,eiinservateiir adjoint des musées nationaux (antiquités orientales;, (jrand in-l"
iiF.Ai

de t.4 pp.; 2 héliogravures et -2 pi. é|)igrapliiques. Paris, J.eroux, l!)09.


i,2> cr.La religion assyro-babylonienne, p. G s.
(3) Sur ce rite. cf. La reliyion assyro-babylonienne, p. 168.
REVUE BIBLIQUE 1910. — N. S., T. VU. 40
626 REVUE BIBLIQUE.
publie un travail sur les Lettres néo-babyloniennes (1). Ces lettres sont éditées dans le
tome XXII des Cuneiforiii texts... du BritishMuseum. L'éditeur, M. Thompson, en avait
lui-même fourni l'interprélation dans Late babijlonian letten^ (Londres, 1906 Mais, .

écrit M. Martin, « sans méconnaître le njéritc du premier traducteur, je me suis con-


vaincu au cours de cette étude qu'il était possible de corriger sur un certain nombre
de points l'interprétation de Ihompson, de proposer sur d'autres des hypothèses au
moins aussi plausibles, et qu'il y avait donc place pour un nouveau travail. » Peut-

être ce « nouveau travail » eût-il pu tenir dans une recension détaillée et M. Martin
eût fait une œuvre plus originale, enétudiantnoa seulement les lettres du tome XXII,
mais encore celles qui sont éparses dans les divers tomes des Cuneiform te.Lls... et qui
appartiennent aussi à l'époque néo-babylonienne. Les assyriologues liront avec inté-
rêt les trois pages de l'introduction consacrées à la langue et ils utiliseront le lexique
dressé avec le plus grand soin par l'auteur. L'étude des formules épistolaires, surtout
des invocations du début, est un secours précieux pour la connaissance du sentiment
religieux : « A regarder de près ces invocations, on en dégage des indications intéres-
santes sur les goiUs. les préférences et les conceptions populaires en matière reli-

gieuse. Les termes de politesse usités entre correspondants sont ramenés à leur
))

signification exacte par M. Martin. Ainsi « Frà-t; est l'équivalent de collègue ou d'ami»,
le mot Maître ou Seigneur dans la formule « mon maître » est souvent un simple
équivalent de Monsieur, tandis que « Père est le titre réservé aux supérieurs par l'âge
ou le rang ». Quant au contenu, l'intérêt des lettres dilïère beaucoup d'un numéro à
l'autre. Le n» 1 contient un ordre du roi- ^probablement Asourbanipal; pour qu'on

lui envoie des tablettes religieuses et magiques. Ces tablettes se trouvent chez des
prêtres de Borsippa. Les [amdii) U7nmânu çiue xM^Màrlin appelle les « artistes » sont
une catégorie de prêtres, « les Sages », qui exerçaient des fonctions dans la liturgie
sacrée. A part cette lettre royale, la plupart des missives sont « des lettres de fonc-
tionnaires, relatives surtout à l'administration du temple du dieu Samas, à Sippar,
et de ses biens La psychologie qui se dégage de leurs préoccupations et de leurs
j>.

formules n'est pas à l'honneur du sacerdoce. « Le grand prêtre de Sippar fait assez
piètre ligure dans la correspondance qu'il a fait collectionner avec tant de soin ». Ce
n'est pas ici le lieu de critiquer l'interprétation philologique des textes. Xous nous
contenterons de renvoyer au travail de Landersdorfer dans Orientali^tische Litcrn-
turzeitung, 1910, n° 6, col. 2G0 ss. M. Martin a le souci de l'exactitude et de la pré-
cision. Sesnotes sont concises et ne portent que sur les points qui olTrent des aperçus
nouveaux. Il suppose chez son lecteur la connaissance des travaux déjà parus sur la

matière et n'encombre pas son exposé d'une bibliographie trop souvent inutile.

A l'occasion du cinquantième anniversaire de M. Hilprecht et des noces d'argent


de son doctorat, un comité, composé des collègues, amis et admirateurs du savant
professeur, lui a dédié un annirersary volume 2% JXon seulement les assyriologues,
mais encore les archéologues des diverses universités ont collaboré à cet ouvrage.
PourrAutriche-Hoogrie(3), Mahler, Prâsek, Schorr ;
pour l'Angleterre, Bail, Daiches,
Pinches, Sayce ;
pour la France, Delaporte, f ossey, Allotte de la Fuye, de Genouil-
lac, Martin, Scheil, Thureau-Dangin ;
pour l'Allemagne, Frank, Hommel, Huber,

H) Lettres H('0-ôa6(/io;)/eH;tes, Introduction, transcriplimi et traduction, par Fn. Mai'.tis, élf-ve


diplôme de école des Hauies-Études. In-S" de 19j pp. Paris, Cliampion, 1909. Fasc. 179 de la
1 « isi-

bliollieque de l'école des Hautes-Études •.


[i] Asxyrioloyische uiid arcliaeloyische Studien Hermann V. Eu.PRZcin gewidmet. MagniOque in-S"
de XIV -|- Vi" pp. et 30 -f- xv pi. Leipzig. Hinriclis, 1909.
^a) Les mémoires sont groupés par pays, les jiays par ordre alpbaliéliquc.
BULLETIN. 627

Jeremias, Kittel, Lehmann-Haiipt, Weber. Weisbach, Zehnpfund, Zimmein; pour la

Hollande, Kiigler : pour l'Italie, Milani ; pour la Suède, Myhrman pour ;


la Suisse, Bois-
sier; pour la Turquie. Dhorme,Edhein; pourles États-Unis, Radau. Unseulnom pour
l'Amérique. C'est le résultat des longues controverses qui se sont engagées à propos
de M. Hilprecht, professeur à l'université de Pennsylvania. Le public américain,
surtout celui des journaux et des revues, a été mis au courant de ces controverses
qui portaient invariablement sur le même sujet : la découverte de la bibliothèque du
temple de Mppour. M. H., qui dirige les fouilles de Nippour (aujourd'hui ^'uffar) en
Babylonie, a rais au jour une énorme quantité de tablettes littéraires, juridiques, re-
ligieuses, qui lui ont permis de conclure à l'existence, dans ce qu'il appelle Tublet
Hill. d'un véritable dépôt de textes, analogue à celui trouvé par les Anglais à
Koyoundjik. A ceux qui, sans aucun parti pris, voudront se faire une idée objective
de la question il sulGra de lire le gros mémoire de M. Radau »! intitulé Miscella-
neous sumerian tcxts from ihe Temple libra) 1/ of jSippui\ pour reconnaître que ces
hymnes et prières, ces textes épiques ou mythologiques, groupés en collections sé-
rieusement cataloguées, ont dû faire partie d'un dépôt ofQciel et figurer parmi les ar-
chives du temple. On peut même distinguer, avec MM. Hilprecht et Radau, la
ijoanger et la older Temple Hbrar>j, la première comprenant des textes datés de
l'époque kassite (plus spécialement 1450-1309 av. J.-C.}, la seconde comprenant les

textes antérieurs à la première dynastie babylonienne (vers 2200 av. J.-C). C'est à
la seconde catégorie qu'appartiennent les hymnes publiés par M. Radau. Ces hymnes,
rédigés en sumérien sans traduction sémitique, sont d'une interprétation très diffi-

M. Radau a apporté
cile. à ce travail un soin et une érudition qui lui font le plus
grand honneur.
Il faut lire la traduction de l'hymne jubilaire qu'on chantjit à Nippour, vers 2400
av. J.-C, à l'occasion de la fête du nouvel an où avait lieu le mariage entre Istar et
ïammouz :
^T^ -— -.

Je veu.v sanctifier le sanctuairede la Sainte, je veux lui chanter les cantiques de louange;
JJe crème, de dattes, de lait, de pâtisserie et de sept poissons.
Je veux emplir la table, « Héraut du pays ».
Je répandrai pour elle le vin noir,
Je répandrai pour elle le vin blanc,
Le vin noir et la bière ! etc..

Les autres hymnes aux divers dieux de Nippour, surtout à Enlii, ne sont pas moins
intéressants. M. Radau fait venir l'eau à la bouche dis assyriologues, quand il an-
nonce, pour paraître prochainement, trois volumes de textes (série A de la Babylo-
nian expédition de l'université de Pennsylvania) contenant les hymnes et prières à

Enlil, à >'inib, à Tammouz. La primeur de ces textes nous est déjà fournie par le
même auteur, dans sa brochure Ninib the déterminer of fates (2). Il y traite une série
de tablettes qui faisaient partie de la grande épopée consacrée aux exploits du dieu
-Ninib, le dieu sumérien par excellence. Chaque portion de l'épopée est mise sous le
patronage d'une pierre précieuse qui sert au dieu pour la fixation du destin. Le plan

du morceau est simple. Ninib s'approche de la pierre, dont on donne le nom. Il l'in-
terpelle, donne les raisons pour lesquelles elle doit représenter tel destin, puis fixe le
destin. Malheureusement on ne peut identifier toutes les pierres qui sont simplement
rendues idéographiquement. Mais il y aurait lieu de mettre en parallèle cette façon

de déterminer les destins avec les ourim et les toummim des Hébreux. Un certain

'1; P. 374 ss. du volume.


(-2) Kasc. 2 du \ol. V (le la série D, dans TIi,e babylouian expédition.
628 REVUE BIBLIQUE.

nombre des passages étudiés par M. Radau avaient été recopiés pour la bibliothèque
d'Asourbanipal à Ninive. Ces copies, étudiées et en partie éditées par M. Hrozny (1)
eu 1903, ont facilité l'iiilerprétation des textes de Nippour. On ne sait qu'admirer le

plus de l'activité ou de l'érudition de M. Radau. Le seul regret à exprimer, c'est la


tendance qu'il manifeste à se laisser aller aux discussions théologifjues les plus bizarres,
qui ne peuvent que nuire à son renom scientifique.

On a fait beaucoup de bruit, dans les milieux bibliques, au sujet de la publication


de M. Hilprecht sur la du déluge (2). Il s'agit d'un
plus ancienne version babylonienne
fragment qui, selon M. Hilprecht, daterait des environs de 2100 av. J.-C. A peine
14 lignes de ce fragment, toutes mutilées, sont encore utilisables. En voici la traduc-
tion d'après M. Hilprecht, avec les restitutions suggérées par lui :

...je vais décliainer [les confins du ciel et de la terre],

...je ferai un déluge el] il balayera tous les hommes ensemble,


...[quant à toi, recherche la vie] avant qu'arrive le déluge,
...[car sur tous les vivants], tant qu'il y en a, j'amènerai la ruine, la destruction, l'anéan-
tissement.
...construis un ijrand vaisseau et

...de hauteur totale sera sa structure.


...ce sera un vaisseau qui portera tout ce qui sera sauvé de la vie,

...couvre-le d'un pont solide.


...Le vaisseau que tu auras fait.

...lu y introduiras] les bêles des champs, les oiseaux du ciel,


...[les reptiles, deux de tout cela] au lieu de beaucouji(3),

...el la famille...

...et...

On voit que le passage fait allusion aux préparatifs du déluge. Il est parallèle au
Imlogue entre Èa et Xisouthros [-1) et aux 11. l'ii ss. du grand récit du déluge, conservé
dans la bibliothèque de ISinive (-5). Comme l'a reconnu M. Hilprecht, il existait au
moins quatre versions babyloniennes du déluge. Un fragment de l'une d'entre elles (6},
publié jadis par le P. Scheil, est daté de l'époque d'Ammi-Zadouga (vers 1900 av.
J.-C). jM. Hilprecht qui revendique, d'après des considérations épigraphiques, une
plus haute antiquité pour le fragment de Xippour, est d'avis que cette recension a
pu être connue d'Abraham et être apportée par lui en Canaan. Il va plus loin encore,
et déclare que le récit de P, dans la Genèse, puise à la source la plus ancienne. Il se
fonde sur ce fait que le mot "ji^ caractéristique de P, se trouve dans le fragment de
iNippour. La ligne en question estainsi conçue -....ku-itm mini, d'où
M. Hilprecht tire :

« [...les deux de tout cela], au lieu de beaucoup ». Il traduit ha-iunmi-ni par


reptiles,
instead of a inember {i. e., imtead of mamj et ajoute que le mot hébreu ^^2 ne si-
)

gniûe pas « genre, espèce », mais équivaut à l'assyrien minii « nombre ». Si le mot
ji^ n'apparaissait que dans le récit du déluge, on pourrait admettre l'explication
proposée. Dans le récit de la création {Gen., \), le mot semble bien ne pouvoir s'inter-

préter autrement que par « genre, espèce »; de même dans ï)eut., xrv, 13, 15. En

(1)Sumerixclt-ljdbylonisclie Mytlicn von dem Gotic Xtnrag (Ninib) dans MDVG., litO,'}, îi.
(i)The earl l'est ccrsiûn of the babylonian déluge slonj and the temple library of Xippur, by
H. V. HiLFRF.cHT. Iu-8" de X -f- tj.j pp. -\-i pi. Fasc. 1, vol. v de la série D, dans The babylonian
expédition de l'unlversilé de Pemisylvania. Hliiladeli)liie, 1!»10.
^3) >ous ii'adinelt'ins pas l'interiirclatioii decette ligne. Cf. iulra.
[ij Dans nolie CItoix de le.ites..., p. l:>o s.
(.o, Ibid.,\K\0:is.
fi, ibid., 11. 1-20 ss.
BULLETIN. 620

kuurn mini par « au lieu d'un nombre ». pour signilier


outre, l'interprétatioa de
« au lieu de beaucoupun peu subtile, d'autant plus que le mot m'niu ne se ren-
>, est
contre guère en dehors de l'expression /'/ mini « sans nombre >. Nous verrions plus
volontiers dans mi-ni l'impératif de manu « compter », parallèle à la forme ordi-
naire mu-ni(. On trouve, en effet, imni à côté de imnu pour le parfait (1 Le dieu .

commande à son protégé de côtnpter-les animaux qi» entrent dans l'arche. Les syMa-
bes liu-um « vers toi » appartiendraient à un verbe « qui viendront vers toi ou plu- :

tôt « que je t'enverrai », ...[a-.sap-p(f-ra/;]-/ai-iiiii. Après la mention des animaux, on

a précisément a-sap-p]ii-ruk-Jium-niii dans le Dialogue entre En et Xisouthros (2,. I^e

Noé babylonien comptera les animaux, de même que, dans Gen.. vi, 19, lahvé or-
donne au Noé biblique de ne prendre que deux animaux de chaque espèce. Pour in-
téressant qu'il soit, le fragment du déluge n'est pas la partie qui aura le plus d'attrait
pour les assyriologues dans la publication de M. Hiiprecht. L'autre tablette akka-
dienne (sémitique), qu'il étudie dans le mtme ouvrage et qui date de l'époque de
Sargon d'Agadé (vers 3000 av.J.-C.;, fournit de précieux renseignements sur les vicis-

situdes parlesquelles a passé l'hégémoniedeSoumer et d'Akkadavant de se concentrer


entre les mains des rois de Babylone. La tablette a été rédigée par un roi du <ii(fii(m
(contrée à l'est du Zab inférieur), du nom de Erridu-pizir. Vainqueur de >iippour,ce
roi prend le titre, destiné à devenir classique, de « roi des quatre régions » o). 11

s'empare de toute la Babylonie,ce qui donne lieu à la composition des lamentations


archaïques en sumérien, dont un certain nombre d'échantillons sontparvenus jusqu'à
nous. Après avoir exposé l'histoire de cette période, M. Ililprecht traite de la déiflca-
lion des rois babyloniens (4). Selon lui, la possession de Xippour, ville d'Enlil, le sei-
gneur et le père des dieux, autorisait les rois à placer le signe divin devant leur nom.
On sera plus sceptique sur le rapprochement entre les Gutiet lesGoths. M. Ililprecht
a dû sourire lui-méaie quand il se demande ip. :{2. n. 4 si le nom d'un des plus an-
ciens rois du Gutiiun, Sarlak, ne se retrouverait pas dans nom propre
le anglais,
Sherlock. Du plus haut intérêt les pp. 5-19, consacrées à inventorier succinctement
la bibliothèque de Nippour. On ne saurait être trop reconnaissant à l'auteur de la pa-
tience et du zèle qu'il déploie dans la confection du catalogue complet de ces trésors.

[P. D.]

Langues. — Les égyptologues eux-mêmes sont en désaccord sur la façon de trans-


crire l'égyptien. Un des facteurs trop négligés dans les discussions sur ce sujet est le

procédé par lequel les Egyptiens ont rendu les mots étrangers. A ce point de vue l'étude
de M. Max Burchardt (->) sur les mots cananéens dans la langue hiéroglyphique
sera appréciée des égyptologues. Les orientalistes et les biblistes seront très heu-
reux d'avoir sous la main un lexique
complet que possible, dans l'état ac- aussi
tuel de la science, des termes de l'ancien idiome cananéen (y compris les noms
propres) qui nous ont été conservés dans les documents égyptiens. C'est la mise au
point de l'ouvrage de Bondi qui, paru il y a plus de vingt ans, avait besoin d'être

( I ; Remarquer <(ue,dans le récit du déluge, on trouve ùi-ni et bi-nu comme impératifs debanû
« construire » cf. notre Choix de textes..., p. 10-2, 1.-24 .

;-2i Ibid., p. 12(;, 1. 10.


(.'î;' ."«ur ce litre, cf. Les origines babyloniennes, p. 'lO ss. dans Conférences de Saint-Etienne.
190!l-l!>10.
''») cf. Les dieux et les rois dans notre ouvrage sur La religion assyro-babylonienne. surtout
p. 109 ss.
[ii) Die altkanaanuischen Fremdworte uAd Eir/ennamen im jEgyptischen von Max BcuciurtDT.
Grand in-4'', autocopié. Première partie (60 pp.), et deuxii'-me partie \9n pp.i. Leipzig, Hinrichs,
1909 et 1910,
630 REVUE BIBLIQUE.

revisé. La première partie est coasacrée à analyser et à expliquer les transcriptions


ésvptiennes. Avec un soin minutieux, l'auteur examine les diverses lettres de l'al-
phabet dans leur traitement hiéroglyphique, et il détermine la prononciation exacte
des hiéroglyphes isolés ou en groupes. La liste du paragraphe 107 place eu regard
de l'alphabet cananéen les consonnes égyptiennes correspondantes et renvoie aux
paragraphes précédents pour les signes qui rendent ces consonnes. La seconde par-
tie, de beaucoup la plus pratique, comprend d'abord la liste ^par lettre alphabétique)
des mots égyptiens d'origine étrangère, puis celle des mots cananéens qui figurent
dansla première liste. La seconde liste sera la plus utile aux exégètes. elle est d'un

maniement extrêmement commode. Par exemple au mot 212N on nous renvoie au


n" 694 de la première liste, où nous trouvons avec la référence) le nom de lieu

hqr-abrm (12N'""'pn); au mot m


on nous renvoie au n" 751 de la première liste
et nous Y voyons les différentes façons dont les Egyptiens ont rendu le pays des
Hittites. M. i^I. Burchardt utilise également les docunîents cunéiformes pour corro-
borer ses équivalences égypto-cananéennes. Une liste des mots connus par ces do-
cuments, ainsi que des termes de l'ancien persan ou du copte cités dans ce travail,
sera aussi du plus grand secours.

M. Bonaccorsi croit « avoir fait une bonne chose en traduisant en italien la >

grammaire du INouveau Testament du professeur américain Robertson (1). Ce qui


l'a conduit à ce travail, ce n'est pas la clarté, l'heureuse disposition de la matière,
la classification rigoureuse dont cette grammaire 'est le plus souvent dépourvue. Il

est aisé de s'apercevoir, en effet, qu'elle est plutôt une causerie à propos de la

langue du Nouveau Testament qu'un traité grammatical. Le traducteur a été séduit


par le tour original de l'exposition, par une brièveté qui, selon lui, ne nuit eu rien
à l'étendue, enfin par l'utilisation des découvertes récentes de la philologie dans le

domaine de la langue alexandrine. Il faut reconnaître, en vérité, que cet ouvrage est
capable d'initier les étudiants à certauies particularités du grec néo-testamentaire et
d'éveiller leur attention sur des cas qui dérouteraient un esprit habitué à la seule

langue classique. Mais pourquoi tant de sanscrit dans une grammaire visant à. être

succincte? Pourquoi remonter à des principes de langues comparées que les manuels
perfectionnés de grec classique n'abordent même pas? Fruits d'un défaut de mé-
thode, ces digressions sont d'autant plus regrettables qu'elles se font aux dépens
d'une comparaison dont l'auteur a certainement compris l'importance, comme il le

déclare, mais dont il n'a pas assez tiré parti : nous voulons dire la comparaison qui
a pour termes le grec néo testamentaire, la langue des papyrus et le grec moderne.
LTne série plus développée de rapprochements entre ces divers états du parler
hellénique aurait avantageusement remplacé tel aperçu sur l'anglo-saxon, le gothique
et le zend. Robertson sait très bien aussi que le grec de la 7.ovn\ a des racines quel-
quefois assez profondes pour atteindre les couches des anciens dialectes. Homère est

souvent mis à contribution. C'est bien, mais Hérodote n'est pas à négliger pour
autant. Une constatation intéressante, par exemple, est la coïncidence d'Hérodote
et du Nouveau Testament pour l'omission de l'augment syllabique dans des verbes
qui primitivement commençaient par un F (à>9sto, wv£0|j.ai). Aussi devons-nous louer
l'édition italienne de s'être enrichie de quelques notes destinées à combler les lacunes

de l'original. Nous eussions préféré, cependant, que M. Bonaccorsi fût sorti plus
souvent de son rôle de traducteur pour remplir carrément celui d'auteur.

(I) Robertson e Bosaccorsi, Brève grammatica del Nuovo Testamento greco. Florence. Libreria
éditrice Fioreiitiua, liHO.
BULLETIN. 631

On a déjà écrit im certain nombre d'ouvrages sur l'arabe de Palestine : M. Dal-


man se plaît à le constater dans la préface élogieuse qu'il a placée en tête du livre
de M. Bauer (1). Il cite sou propre « Paliistinischer Diwan », les poésies populaires
recueillies par E. Littmann, le' vulgararabische Dialekt von Jérusalem » du D'' Luhr,

le « Manual of palestinian arable » de MM. Spoer et Iladdad. La nomenclature pour-


rait comprendra d'autres ouvrages par exemple, l'étude sur le Dialecte de la
:

Galilée moyenne, par W. Christie dans ZDPV., XXIV, 1901, p. 69 ss., et aussi le
« Praktiscbes Handbucb der neu-arabischen Sprache » de A. Wabrmund qui, pour
n'être pas spécialement consacré au dialecte palestinien, ne reste pas moins le manuel
classique de ces études (2). M. Bauer donne son travail comme étant le résultat de
ses propres observations. Il traitede deux dialectes de celui de Jérusalem: celui —
de la classe moyenne de la population — et de celui des paysans ou fellahs qui
habitent aux environs de la Vaille Sainte; il fait en passant quelques remarques sur

le langage des Bédouins. Le plan d'une pareille étude est tracé d'avance : on donne
les lois qui régissent la phonétique, la morphologie et la sjntaxe. Et hàtons-nous de
dire que le cadre a été rempli par l'auteur avec beaucoup de précision. Les remar-
ques sur la valeur des consonnes sont justes, et exprimées d'une façon très nette-, on
trouvera peut-être qu'il y a une tendance à exagérer la prononciation ts du simple
kaf. Les observations sur la prononciation forte et atténuée des voyelles dénotent
aussi une grande sagacité; on se gardera cependant d'accepter à l'aveugle toutes les
transcriptions: par exemple, on croira difficilement que les Bédouins disent ti'ib au
lieu du courant et normal té'éb, p. 208. Le verbe et le nom sont traités avec
ampleur. On trouvera d'excellentes remarques sur la syntaxe. Cela aurait suffi pour
donner un aperçu sur le dialecte de Jérusalem. Mais l'auteur ajoute à la grammaire
proprement dite deux autres parties. Dans l'une (p. 127 à 1.59). il a réuni une série
de bous exercices en mettant sur une page l'arabe transcrit et en face la traduction
allemande. L'autre partie, la troisième du livre (p. 161 à 25.5), contient une chres-
tomathie disposée avec goijt, renfermant des morceaux variés en prose et en vers.

M. Bauer n'a pas eu, je crois, l'intention de noter, jusque dans les moindres dé-
tails, les infinies extrêmement mobile, et l'on ne
fluctuations d'une prononciation
saurait l'en blâmer, étant donné le Car pour exprimer
but pratique qu'il poursuit.

les raille nuances du langage parlé, il aurait fallu multiplier les caractères, un peu
factices d'ailleurs, au moyen desquels les sons devraient être rendus. M. Barthé-
lémy le faisait remarquer dans le Journal asiatique (1906, p. 197 ss.}, dans sa re-
cension de l'ouvrage du D"" Lohr. Mais ces multiples détails, nécessaires à une
œuvre complète, ne sauraient trouver place dans une grammaire, ou alors il faudrait
se résigner à noter les différentes prononciations non pas d'une région entière mais
d'une localité seulement. Et ce travail paraîtrait fort difficile à Jérusalem, où l'on
entend toutes les prononciations. Pour les villages environnants, peut-être ne serait-il
pas inutile de constater que chaque localité possède son accent propre ou son jargon.
Pour acquérir une première idée sur ces différences, il suffira de comparer la pro-
nonciation des gens de Ain Kàrim avec celle des habitants de Mâlha ou de Tayebeh.
L'oreille d'un fraitdj}/ aura quelque peine à percevoir toutes ces nuances, mais un
Arabe ne s"y trompera pas. Il y a quelques mois seulement, je me trouvais dansl'in-

(I) Das palastinische Arabisrh : Die Dialekle des Stiidlers und des Kellaclien, von L. Baiei-., i-vi,
l.-2."iG pp. Ilimichs. I.cipziif, lOIO.
Simplement a tilre de eonslatation qu'on veuille bien comparer les renseignements donnés
(-2)

par M. Bauer sur la voyelle a, en quatre petits paragraphes et les explications l'ournies, par A.
Wahrmund, p. 20 el l\ de son « Praktisches Handbuch », Giessen, 1898. Cette même comparai-
son pourra s'étendre à toute la phonétique, sans tourner du reste au désavantage de M. Bauer.
'

632 REVUE BIBLIQUE.

térieiir de TArabie avec deux dnmesli'|iies. Un de ces serviteurs, malgré son dégui-
sement, fut reconnu à son seul liingage pour être originaire de Ramallah par un
habitant du village d'el-Bireh qui satisfaisait en ce moment aux obligations du ser-
vice militaire dans le Hedjaz. Or
deux villages eu question, situés au nord de
les

Jérusalem, sont à une dislance d'une demi-heure à peine l'un de l'autre. Si l'on
voulait tenir compte de toutes ces nuances, il ne serait guère possible de composer
une grammaire sur le dialecte du ciladin et du pai/mn mais ou peut se contenter :

des caractères les plus généraux du langage, noter la prononciation communément


usitée, et sur ces bases élever un ouvrage solide comme celui de M. L. Bauer.

Palestine. — Or/eniow Borne.' interrogeait naguère M. Strzygowski, discutant avec


l'entrain qu'on sait les origines de l'art chrétien. M. le D'" A. Baumstark n'hésite pas à
demander quelquefois : Rome ou Jénisalem? (1) et S3S vastes connaissances philo-
logiques, littéraires et artistiques le mettent en mesure de prouver que, sur certains
points, c'est Jérusalem en particulier qui ouvre la marche. Par ses seuls moyens

l'archéologie monumentale ne peut diriraer le difûcile problème des influences

réciproques; il y faut l'appoint des institutions et des textes. Histoire, ethnographie,


liturgies, rites, culture scientiflque réagissent naturellement sur l'évolution artis-
tique et personne n'est convaincu mieux que M. B. de la nécessité d'éclairer l'un
par l'autre ces divers aspects, en même temps que bien peu sont outillés comme
il l'est pour faire progresser la discussion. Durant un séjour relativement peu pro-
longé en Orient, il en a très Qnemeut pénétré le caractère; il a surtout pris un
contact suffisant avec les monuments et les trésors manuscrits des principales biblio-
thèques pour avoir depuis des années sous la main une réserve inépuisable de docu-
ments. Deux de ses plus récentes publications sont à signaler en ce bulletin. L'une
traite des vestiges de peintures murales archaïques dans l'église Sainte-Croix ,'2) —
rattachées à un cycle oriental qui remonter au milieu du \i- siècle; paraît —
l'autre rend accessible une description palestinienne arabe, certainement pas plus
basse que le xvi^ siècle et peut-être notablement antérieure (3). C'est du moins l'im-
pression retirée d'un premier et rapide aperçu de cette nomenclature de sanctuaires
et de souvenirs, agrémentée çà et là de pittoresques observations. Quand la recension
grecque aura été publiée, il y aura intérêt à collationner cette relation avec un
groupe de -ooT/.j^/r-iy.x échelonnés du xir au xvii' s. : Épiphane, Phocas, Arse-
nics, etc., qui enregistrent le folk-lore religieux par le point de vue orthodoxe et

quelque peu oriental (4}.

(1) Rom
Oder Jérusalem? Eine Revision der Frage nach der HerhuafI des Lichtmeszfesles;
dans Théologie und Glaube, I, 1909, p. 89 ss. Celle monographie est prise au hasard
la rçviie
enire vingt aulres insérées en diverses revues, surlout Oriens chrislianus et Romische Quar-
talschrift. en ces dernières années.
;2) Die Wandgemiilde in der Kirche des Krruzesklosters bei Jérusalem: ein orientierender
Ueberhlick : dans Monalsheflen fur Kunstuissenschaft. I, 771 ss., bien illustré.
(.?' FAne arabische P'th'istinabeschreihung spiileslens ilis /'.'. Jahrhunderts. Tiré à part de
VOrieiis chrislianus agonisant 1900: 63 pp. gr. 8"; inlrod.. texte aralie et Irad. latine. Il existe
de ce texte une recension parallèle en grec, sans qu'on ait pu préciser encore leur généalogie.
Ce problème ne rèsisteia certainement pas à la sagacité de M. B. quand le Ms. grec lui sera
venu sous les yeux. Le même Ms. arabe contient la description du Sinaï publiée naguère par
M. GuiDi, RD., 1906, p. 4:^ ss.
(4; P. 34. 11. 3 el 9. Au lieu de '
yl^^'^^S ^Jvj L;^ y^ , traduit :
à7r6ppo-.a litae xo) u^ér.Opa

appellalur, ponctuer VJb^^! Ibroub.iiiky. iranscriplion embarrassée du grec 7tpoga-:ty.>i.

^
.

P. 36, 1. 4, l'église Saint-Georges ^ t


i,U.. ,1 se traduirait in vico plutôt que in platea

Judaeorum. Ce petit couvent existe encore sur celle même rue hdret el-Yehoud : jv Trj 'loyoaïx^
BULLETIN. 633

A. l'occasioa de la consécration du sanctuaire de la Dorniitioii, les PP. Bé.iédictins


ont publié un intéressant petit ouvrage 1) où sont réunis documents oriicieis
les

relatifs à la restauration du culte chrétien en ce lieu saint avec une description du


monument érigé par l'Allemagne catholique à la gloire de la Très Sainte V'ierge.
Le volume est plus encore qu'un élégant mémorial. Deux monographies très scien-
tifiques, l'une sur h « Dormition de Marie au point de vue dogmatique », l'autre

sur la « Dormition de Marie dans l'art », seront lues avec autant de charme que de
profit.

Il faut mentionner aussi le splendide « Panorama de la tour de la Dormition » (2


publié dans la même circonstance. Par la netteté de la phototypie, la judicieuse
insertion des repères et des légendes, il se classe au premier rang de tout ce qui a
été tenté d'analogue, aussi bien pour la commodité de l'étude que par son cachet
artistique.

M. le prof. Nath. Schmidt et M. B. Charles (3'i ajoutent 21 niunéros à la série drs


humbles épitaphes de la nécropole byzantine de Rouheibeh \ Les dates relevées sonl .

du M" et du VM" sièc'es et l'onomastique a une forte empreinte sémitique, pour


ne pas dire spécialement arabe : v. g. 'Tlvvr);, ïlaouo. A noter (n" 4) l'emploi de
KaXavoov comme désignation du le mois. Les textes ne sont donnés qu'en trans-
cription. La série est complétée par des inscriptions de Bersabée : deux fragments
sans importance et un joli texte publié en fac-similé (p. 66) :

'OçOaÀao;. -•. tô Oaû;j.a: -6t' ÈvOâos /.oaao; ÈTÛ/Or,;


T'.; BpoTOç Tff-iox -Q y.i'/Jjjt '()
ij.r] — âpo; i'j~t~oc, aîojv;

AvitTzaTpo; xâô' "£-'j;î xai Oùoavov t'ÀaOi oeI^sv,


'Hv;a yÉpaiv "s'/'ov 'Aprjf^iXtov 'jTpaTia'i)V.

[Quatre traductions sont proposées. D'après M. Charles, Aniipaterest un héros déi-


fié qui a montré le chemin du
M. Nathaniel Schmidt traduit les deux dernières
ciel.

lignes : « montré comment Uranus puisse-t-il être propice!)


Antipater la fait, et a '

tient dans ses mains les rênes des armées chères à Mars. » L'explication de M. Fouler
est comme une combinaison des deux précédentes. Dans toutes les trois, ïXaOi « sois

propice » interrompt brusquement la phrase et suppose une invocation à une déité


païenne, M. Sch. suppose de plus qu' £'/f)v est pour 'f/ovxa, ce qui serait une faute bien
grossière. Les deux inconvénients ne se rencontrent pas dans la traduction de
M. Sterrett qui nous paraît beaucoup plus voisine de la vérité. Il traduit les deux der-
niers vers « Antipater, qui tient dans ses mains la direction des armées beUiqueuses,
:

— c'est Antipater qui a composé ceci et dessiné en un groupe la voûte du ciel. » Il

lit donc l'XaOi, ce qu'il nomme locatif de tXrj. En adoptant celte conjecture (comme
dans Homère /.ripôOt, « au fond du cœur »), je traduirais plus littéralement : en pe-

(T'jvof/.ia ainsi que dit le Ttpoffy.-jv/jTâpiov olficiel de Joannidès, éd. de 187", p. -iiO. On ne volt

pas bien où est localisé • Saint-Mirhel qui est dans le couvent de bL». ,U , i.fk,J' ».

p. 30, !. 7; mais M. B. a raison de suspecter la correction , yln' que lui a suggérée M. le

D""Coin. Un couvent de Saint-Michel voisine aujourd'hui avec Saint-Sauveur dans la rue Dcir
el-Frandj.
H) Das Heiliglum Maria-Heiinfiang auf dem Berge Sion. Fcsischrift zur Kirchineihe ain
m april 1910. ln-8'^ de xcvni pp. avec Ki excellentes phototypies représentant le monument
neuf et un choix de documents artistiques. Prague, 1910.
("2) Huit phot. -21 X
30 assemblées en reproduction pliutotypique dans un album.
!;3; Greek inscr. f'rom the Negeb; dans Americ. Joura. of Arcli., XIV, loio, p. GO ss
(4) Inaugurée dans Complet rendus Ac. IBL., lilOi. p. 298 ss. et RB.. lOO:;, p.
-iriG.
63i REVLE BIBLIQUE.

lotons, à la file. Quant au dernier vers, il signifie poétiquement (?^ quWntLpatros


était stratèize, ou gouverneur de Bersabée.
Je traduis donc :

yeux, quel est ce prodige? quel monde est ici figuré ? Quel mortel a trouvé cette belle chose,
inconnue depuis l'origine des temps? C'est Antipatros qui a tiguré cela: il a montré le ciel rangé
en ordre, lui qui tient dans ses mains les rênes des armées chères à Mars.

Le poète pose deux questions quel est le sujet représenté, et quel est l'artiste. Il
:

s'agit donc moins d'inviter à admirer un chef-d'oeuvre de peinture ou de sculpture,


que de donner la clef d'une représentation mystérieuse.
Cet objet c'est le ciel représenté comme une troupe, c'est-à-dire au moyen de ses
constellations, figurées elles-mêmes par des animaux symboliques. Cet ouvrage devait
étonner les gens de Bersabée, qui n'avaient jamais rien vu de semblable. Ce pouvait
être une réduction ou une imitation de la célèbre horloge de Gaza, décrite par Cho-
rikios dont M. Schmidt rappelle à propos le nom. Il serait étrange qu'un général
d'armée ftît en même temps un sculpteur ou un peintre mais il est très naturel ;

qu'on fasse honneur au stratège du pays d'avoir fait dresser une représentation du
zodiaque qui avait peut-être un but d'utilité.
Il est difficile de fixer exactement la date suggérée par l'écriture. A. coup sûr rien

n'oblige à remonter plus haut que le iv siècle. Le rapprochement avec Xonnus, sug-
géré par M. Elderkin, indiquerait plutôt le v^. [\j.] —
L'étude du regretté P. Schwalm O. P. sur la Vie privée du peuple Juif à l'époque
de Je'sus-Christ comprend quatre livres oîi l'on traite successivement du type so-
(1)

cial du paysan juif, de l'industrie et des artisans, du commerce et de l'argent, du dé-

veloppement et de la crise de la propriété. Dans la pensée de son auteur, ce livre


était comme une introduction a la vie sociale de Jésus Christ et de l'Église naissante,
le fond destiné à faire ressortir « le grand fait nouveau et original de la société
groupée autour du Christ » p. xiii). Social dans son point de vue, cet ouvrage est
conçu suivant la méthode fort en honneur chez les sociologues, analyse et synthèse,
nomenclature et répercussions. Ces procédés, ébauchés par Le Play et précisés par
Henri de Tourville et Edmond Demolins, amènent souvent l'auteur à instituer des
comparaisons entre le peuple juif et d'autres groupements sociaux placés dans des
situations analogues, en un mot, à vérifier en lui des lois de sociologie. L'histoire
d'Israël présentée sous ce jour apparaîtra à beaucoup comme quelque chose de nou-
veau et d'inédit. L'n autre mérite de ce volume est de condenser ime multitude de no-
tions emmagasinées dans des ouvrages de compilations et dans des encyclopédies
de façon à en faire un corps vivant et organique, un ensemble bien ordonné, bien
informé, clair et facile à lire. Aussi bien, pour arriver à tracer im milieu so-
cial, réel, vivant, le P. Schwalm avait compris la nécessité pour le sociologue biblique
de se mettre en contact avec les résultats de la critique : « Un sociologue, dit-il,

aborderait mal des études comme celles de la constitution Israélite sous les Juges et
les Rois, de la législation agraire dans le Pentateuque, de la prédication sociale et
politique des Prophètes, demeurait étranger aux résultats sérieux de la critique
s'il

textuelle, littéraire, historique « (p. \iv De son côté, l'exégète trouverait beaucoup
.

d'avantages à s'initier « aux éléments de fait et aux répercussions de causalité qui


conslituent les sociétés » ip. xiv).

1) In-12, xx-oOO pp. Gabalda, Paris, 1910.


BULLETIN. 63.H

Esprit enjoué, plume


M. Landrieux est en mêuie temps un .imoureux de la
alerte,
Terre Sainte. du pèlerin dégoûté ou du touriste ennuyé et déru, encore
Il n'a rien
moins de l'esthète bavard qui pond un ouvrage sur Jérusalem, sur la Palestine, ou
sur l'Orient en général, après une visite entre deux trains ou entre deux bateaux.
Sou volume Aux pays du Christ (1) est le fruit de plusieurs voyages en Egypte et en
Palestine. L'auteur a fait la Samarie; il a poussé une pointe à Hôbron. De là une
ample moisson photographi<|ue qui nous change un peu des immuables cartes postales
dont se parent d'ordinaire les ouvrages de ce genre. .Noter enlln que M. Landrieux a
l'œil ouvert sur les traditions et les questions topographiques.

Zeitschrift des DPVercins, XXXIL 1909, n" 4.— M. le D"" l\. Hartmann, Histoire
de la mosquée el-Aqs<l, veut prouver (|ue la mos(|uée a succédé à l'église de la Pré-
sentation de Justinien et perd beaucoup d'érudition à cette ingrate tâche (2». —
-M. le D' H. Spoer, La fête de Xéby Mousa : survivance populaire d'une vieille tête

du printemps; bonn« description du rituel ordinaire et détails du lolk-lore qui


très

se rattache à la mosquée. —
M. le prof. G. Dalman, Quc/quex insrriptions de Djé-
rach .trois textes dont le n° 2 est le gratiîte publié par M. Littmann {Princet. Un.
Arch. Eccp. to Syria, A, I, m, p. 20, en 1907) sous la forme "HXto; aoiÇx. M. D. a
vérifié la lecture ^tôra;. Les deux autres textes sont ceux du P. Abel (RB., juill.

1909, p. 448-451). M. D. note au début de son article « L'éditeur de cette revue :

me l'ait remarquer que les plus grandes inscriptions publiées ici viennent de paraî-
tre dans la RH.. 1909, p. 448 ss. Je ne vois aucun motif de retirer ma lecture de
ces textes puisqu'ils avaient été vus et copiés plus tôt par moi » ce qui est très —
exact les copies de ftL D. sont datées du 15 avril, et les relevés du P. Abel du
:

18 avril. Le premier texte comprend les deux fragments nouveaux de la grande dé-
dicace. Les transcriptions typographiques de M. D. coïncident de tous points avec
le fac-similé du P. A. Dans la lecture de la ligne 3 fragm. 4., M. D. propose
de substituer à "bl'.ooç xaî vsojTspa: la leçon "'l7;'.ôo; /.at [-]t wT£pâojv (3). Le troisième
texte de M. D. est l'autel funéraire de Claudianos. Un simple coup d'oeil aux simi-
ligravures d'après les estampages du P. A. lui eût épargné de mettre sur le marché
une lecture sur laquelle AL le prof. K. Budde. ^L le prof. R. Briinnow et M. le
prof. D. lui-même ont dû revenir dans des n**^ suivants delà Zeitschrift pour abou-
tir enfin de tous points à la lecture du P. Abel (4). M. le D"" en médecine A. —
Sand[er, Bibliographie niédicalepour la Syrie, la Palestine et Chypre.

XXXIII, 1910. n°s 1-3. — M. le D"" P. Thomsen, Bétails archéologiques de Trans-


jordane : nécropole et lieu de culte (?) à 'Ain Djenneh et tombeaux à Beit Rus. —
M. R. E. Funcke, Une sépulture de Vou. en-Màr avec fra(jinertts de peinture : plan
et description très soignés d'un hypogée juif remarquable par ses vastes proportions;
les vestiges de peinture sont manifestement de basse époque chrétienne. —M. le
D'' G. Holscher. Remarques sur la topograpliie de Palestine : la vallée du Jourdain

H) Grand in-8'' de .NS5 pj). avec de nombreuses illustrations. Paris. Bonne Presse.
,•2) M. H. parait dévelupper seulement l'idée émise par M. le prof. Dalman, Palâslinajatirbucfi,
II, 1906. p. 21, n. 2. Il ne faudrait pas mêler en quelques phrases vagues les substrnctions hé-

rodienneset byzantines à la coustruclion tardive de la mosquée remaniée par les Croisés qui.
eux, en liront une église. Quelques faciles observations eussent dû épargner à M. H. de parler
de constructeurs byzantins travaillant pour des maîtres arabes, et d'autres choses à l'avenant.
(3 Expression qu'il parait entendre comme é(|uivalente à êTJpwv. M. le prof. BrfinnovN observe
MaXDPy., 1910, p. -27) qiie « de tels barbarismes sont cependant inconcevables dans une
dédicace officielle '. A tout le moins ne les doit-on pas introduire gratuitement.
y'i) Une très heureuse nuance de traduction a été donnée par M. le prof. Budde qui a rendu
à vaTav iiEd^ràiAîvov son sens précis « descendre dans la terre tombeau ». —
636 REVLE B[BLTQL'E.

au S. de Beisdn, et Sichem et les environs : monographies extrêmement métho-


diques et d'un grand intérêt, même si Ton diffère d'avis sur quelques identifications
bibliques. — M. le D"" S. Klein, A propos de In topographie de la Palestine antir/iie :

supplément à Loca Sancfa de M. le D' P. Thomsen ce savant lui-même ajoute ;

quelques documents nouveaux à sa très utile bibliographie des Lieux Saints. —


M. le prof. D. Simonsen, Lait et miel, accuse M. le prof. Krauss (cf. HB., 1910,
p. 160) de s'être mépris sur les données rabbiniques. M. le prof. L. Kiihler, —
Une question concernant V expression Erez Israël » son extension et son antiquité
<f :

dans l'usage rabbiuique. —


M. le D'' H. W. Trusen. Histoire de (icthsèinani, pense
que les problèmes des Lieux Sai)tts ne peuvent être abordés que par " une science
libre, animée de l'esprit évaugélique » et indifférente à toute considération de piété
pratique. Il semble en avoir beaucoup à la pifuse imagination de toute sorte de
gens et à la gànzlich unkritischen Méthode de Vogïjé's (p. 82, d. 1 : cf. 72, n. 2).
Voilà de fermes paroles! D'autre part, on peut lire l'étude de M. T. sans trouver, je
pense, une allusion par exemple aux belles ruines signalées il y a quelque quinze
ans au S.-E. du jardin de Gethsémani et correspondant fort bien à Vccclcsia elegnns

de\a Peregrinatio Etheriae où placer. L'étude e>t d'ailleurs fort érudite,


qu'il ne sait

si elle n'est pas toujours critique autant que pourraient le faire entendre les décla-

rations initiales. —
M. le D'" F. JNI. Exner, Sur le climat de Palestine : la plus par-
faitemonographie technique d'après les observations tout à fait scientifiques dans les
stations météorologiques du comité allemand, depuis 1894 tables et cartes très :

commodes.

Il ait un faible pour les gros mots et quon soit prompt aux bruyantes
semble qu'on
colères dans un certain genre de littérature italienne. Tel ce grand « quotidien poli-
tique catholique » de Xaples, La Libéria, consacrant un jour le 3 juillet 19(0 son — —
article de tête à fulminer contre // modernismo nei Luoghi Santi di Palestina avec
un luxe d'injures dépourvues de toute sérénité. Vous y apprenez le spirito cli diabolica
superbia e di fanciullesca lcgr/erez:a. le spirito infernale des impertinenli et des
spirUi superhi, la legc/erezza piii che da raf/azzide cette gente nata ieri, e renuta oggi
in Terra Santa, qui, sotto prêt esta di nuori e piii perfetfi studi biblici a mis en
doute quasi tutti i santuari. A qui en a-t-on? Quels sont les « sanctuaires de notre
Pvédemption » ébranlés par un capriccio qui « compromet l'autorité ecclésiastique »

et affole la Libertù? E cosa che fa inorridire! clame-t-elle. — Oui, vraiment... les


aménités de langage de la feuille napolitaine!... Prenons congé d'elle et oublions-en

de tout aussi intempérantes et tout aussi mal informées. L'archéologie et l'histoire

d(S Lieux saints n'ont que faire de ce tintamarre.

La Rci lie a bien reçu les récentes brochures contradictoires de M. le chanoine


J. Marta et de ^L Gabriélovich (1 . Rien qu'aux titres on sent des œuvres de
parti pris plutôt que de discussion sereine. Aussi ne les examinerons-nous pas ici
plus en détail. M. Marta a qualifié sa propre critique et sa méthode historique en

découvrant que Tillemont mû par « ses sentiments hostiles contre l'Assomption

(p. 33), <' a fait jouer tous ses ressorts [je rappelle que la brochure est en français...]
pour révoquer en doute » ce mystère p. 32). Donc, " il ne s'est pas contenté de
fausser le sens des textes et d'en forger de nouveaux, nuis il est arrive même à

(1) Xi Èphése, ni Panaghia Capouli, mais .Jérusalem. Étude critique cl historique sur te lieu
de la mort de la sainte VierQe. par Jean RUrta, mission, apost. et chan. du Saint-Sépulcre. 70 pp.
in-S". Jérusalem. l'.UO. —
-V< Sion, ni Gettisémani. Adieu! Jérusalem, E. P. G-ibriélovicii. o3 pp.

in-S". Conslantinople, 1910.


BULLETIN 037

inventer des Pères, des Conciles, des traditions et des histoires u (p. 32;. Cet outrage
gratuit au bon sen>. qui reparaît dix fois le long de la brochure, est justiciable de la
satire de M. Gabriélovich. Mais combien la réponse elle même est loiu du calme, du
désintéressement, du labeur patieut et ingrat qu'exigent de telles recherches pour
être des i-twles critiques et historiques sur un souvenir chrétien Le P. Lagrange et le 1

P. Vincent s'étant abstenus jusqu'ici d'écrire quoi que ce soit sur le caractère archéo
logique et la date des ruines de Panaghia-Capouli seraient reconnaissants à M. G.
de ne point leur prêter (p. 39 des déterminations chruuoloiiques discordantes pour
en déduire blanc ou noir. — [H. V.]

La monographie sur Le Temijle de JérKSalcin par le R. P. Paul Berto de la C"^ de


Jésus dans la Revue des Éludes juicex est conclue t. LX, juil. 1910, p. 1-23). Ou
ptissède enfin les « planches » : une douzaine de tracés schématiques un peu négli-
gés. Hélas! me demeure impossible de saisir, même
il avec ce secours, ce que cette
élude « a pu réaliser comme progrès dans la question si intéressante de la restaura-
lion archéologique du temple... » [p. 13). Pour des rabbins ces combinaisons éclecti-
qut>s de chitlres ont peut-être beaucoup plus de portée.

Dans ce même n" de la REJ.. p. 106 s., une intéressante note de ^I. S. Klein,
R. Jusuè à Einmaiis, prouve par des citations de sources juives l'existence à 'Amwàs
d'une école rabbinique contemporaine de celle de Yàhneh. Cette donnée vient confir-
mer avec une heureuse opportunité l'hypothèse d'une colonie juive à ^icopolis-
'Ainicàs vers le ir-iii' siècle de notre ère, émise en 1908 par la Ktrue ip. 393 s.i à
propos d'une amulette judéo-araméenne découverte en cette localité.

On demande souvent s'il est admissible qu'une tradition fausse puisse naître et
s'accréditer au point de constituer un centre nouveau de vénération publique dans
des milieux éclairés. Des exemples précis ont été fournis déjà ici même en des cercles
musulmans RB.. 1904, p. -425 ss. >
et surtout à Jérusalem, en plein milieu chrétien
et en dépit de la plus radicale opposition archéologique {RB., 1907, p. 113 ss.,

()07 ss. ; 1908, p. 152, n. 2. 635). Un savant anglais, M. A. J. B. Waceil), en signale


un admirable cas nouveau, en Grèce. En 1896 une vieille femme ri-re qu'on doit
découvrir en un certain endroit de saintes icônes. Oq fouille sur son indication, sans
succès d'abord, puis l'année suivante encore et quatre images miraculeuses sont
enfin déterrées. Diffusion rapide du prodige. ollVandes pieuses, érection d'une église
et institution soudaine d'un pèlerinage sous le titre de Ilava-cta 'EÀaijTçtx, avec con-
cours annuel extraordinaire à la date du 3(=16) avril. Or les quatre icônes miracu-
leuses sont : 1° un petit crucifix en os très usé; 2^' un petit relief en os représentant
la Vierge et TEnfant Jésus; — ces pièces sont de style occidental, peut-être italien,

et du xviii'^ siècle environ-, — 3^ une figurine grotesque hellénistique du iii^-ir'

siècle ;
— 4'^ un poids de bronze à peu près de même période avec l'inscription
àp-poT, -çioL. M. Wace, témoin de la ferveur des pèlerins au jour même de la fête du
« sanctuaire ». conclut sa description par ces mots mélancoliques : « religions enthu-
siasm aided by ignorance can accomplish much p. 25 .

Il n'est pas dans le cadre de la Reçue d'analyser un Manuel d'art byzantin. L'ar-
chéologie chrétienne de Palestine a cependant trop d'attaches avec cet art pour que
nous ne soyons pas heureux de signaler l'apparition d'un manuel éminemment com-
pétent sur ce difficile sujet. Il a pour auteur M. Ch. Diehl, qui joint à une connais-
sance exceptionnelle des monuments et des textes un soùt artistique très fin et un
,1' A modem gieel; festival al Koroni in Measeniu; dans AniHils of Arcltacot. and Anlhrojj. of
Liverpool, 111, l'Jlo, p. a ss., illustre.
638 REWE BIBLIQUE.

talent d'écrivain fort apprécié dans ses nombreuses monographies antérieures. Le


livre (1) fait partie de la collection de Manuels d'art entreprise par la librairie Picard
et si renommée déjà poiir sou caractère strictement scientifique, sa parfaite élégance
matérielle et la richesse de sa documentation graphique. Ce que ^I. D. a réalisé est

beaucoup mieux encore qu'un manuel fatalement quelque peu austère, morcelé, aride :

c'est une histoire de l'art byzantin et de son évolution totale jusqu'à la renaissance

momentanée, du mii«^ au xyi"^ siècle, anéantie par la dernière vague musulmane.


En chaque période les diverses branches artistiques sont étudiées à part et caracté-
risées parun choix très soigné de monuments. Et quel guide éclairé et sûr que
M. D. à travers le brouhaha des discussions pendantes, par exemple sur les origines

et les éléments constitutifs de l'art byzantin, sur le développement de l'iconographie


chrétienne, ou sur les influences byzantines en Occident ! Il sait d'ailleurs se résigner
à douter devant un problème encore insoluble; mais jusqu'en de tels cas le lecteur

pourra être confiant qu'on lui a présenté tous les éléments du problème et suggéré la

position la plus raisonnable à ce jour.

Revue de VOrient latin. XII, 1 et 2, 1909. — Ch. Kohler. Description de la Terre


Sainte par un FnincUcain anonyme. 1403 : narration composée au « retour en Eu-
rope » (p. 1) avec les ouvrages courants, en particulier celui de « Burchard du Mont-
Sion, qu'il copie sans le nommer » (p. 3). Le texte latin est enrichi par le savant
éditeur de notes très utiles et d'une table commode. — H.
Hagenmeyer, Chro-
nologie de l'histoire du royaume de Jérusalem; réijne de Baudouin I^^ (1101-1118),
suite : classe les événements de février 1103 à mars 1104. Ch. Kohler, Quel est —
l'auteur du >< Directorium ad pa-'isagiarn fncienduni »? conclut que ce doit être le
« dominicain Guillaume Adam, archevêque de Sultanieh » (p. 108) dans la première
moitié du xiv siècle. — E. Blochet, Relation du voyage en Orient de Cartier de
Pinon, 1^)19 : introduction, texte français annoté. — Chronique et Bibliographie.

PEFund Quart. Stat.., juil. 19i0. — S. Minocchi, La Palestine inconnue : Texplo-


ration contemporaine à vol d'oiseau pour la revue italienne Nuova Antologia de
févr. 1909. A quoi bon mettre cela en anglais dans le 05.? —
Sir C. Watson, Les
sites traditionnels sur le Sion : 23 pages, pour traiter une bonne demi-douzaine de
problèmes fort compliqués : le Cénacle, — que M. W. estime avoir été d'abord
au mont des Oliviers, — Sainte-Marie, Sainte-Sophie ou le Prétoire, Saint-Pierre, la
Maison de saint Jean, etc. Le principe fondamental de M. W. est qu'on ne sait rien

d'aucun de ces sanctuaires, avant Constantin. — M. St. A. Cook, Notes sur le site de
Beth Séniés et ses environs, retrace l'histoire de cette localité où le comité anglais
vient de faire commencer une campagne de fouilles. — F. W. Read, Les affinités
perses et cyyptiennes des estainpillts royales juives : traces de syncrétisme artistique
égypto-persan pour appuyer l'hypothèse de M. Pilcher que les estampilles datent de
l'époque perse eu Palestine. — Note de M. Lidzbarski sur le Calendrier de Gézer pour
maintenir sa lecture et son interprétation antérieures.

;.!) 111-8° de xi-837 pp. H 'rH\ fig. faris, Picard, l'JlO.

Le Gérant : J. Gabald.\.

Typographie Firmiu-Didot et C'". — Paris


TABLE DES MATIERES

ANNÉE 1910

N" 1. — Janvier.
Pag«.

I. LE BUT DES PARABOLES


D'APRES L'EVANGILE SELON
SAIINT — R. P. Lagrange
MARC. .'.

'

IL LA CONQUÊTE DE JÉRICHO Jos. vi, 1 20 — R. P. Savignac. . :îG

III. LES PAYS BIBLIQUES ET LASSYRIE. — R. P. Dhorme 54


IV. "MÉLANGES. —
P Un supposto frammento di Origene, M-"^ G. Mer-
cati. — 2° Fragments de l'Évangile selon saint Matthieu en dialecte
moyen-égyptien, M. J. David. — 3-' L"ne croisière sur la mer Morte,
R. P. Abel 76
V. CHRONIQUE. — Visite aux fouilles de Samarie. — A travers les né-
cropoles de la montagne d'Éphraïm. R. P. M. Savignac 113
M. RECENSION. — Salomon Reinach. 0)-pheus. Histoire g' rirrah des reli-

i^iûiis R. P. Lagrange^ 129


VIL BL'LLETIN. —
Questions générales. — Nouveau Testament. — Ancien
Testament. — Peuples voisins. — Palestine 1 42

N» 2. — Avril.

L L'ANGE ET LE CHANDELIER DE L'ÉGLISE D'ÉPHÈSE. - M. A.


Fabre 161
IL LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE (suite). — R. P. Dhorme. . . 179
III. LES PRÉDICTIONS NOUVELLES DU CHAPITRE XLVIII D'ISAIE.
— R. P. Condamin 200
IV. MÉLANGES. — 1' Une croisière sur la mer Morte {suite), R. P.
AbeL — 2'" Les sources de la Chronique d'Eusèbe. R. P. Dhorme.
— 3° Coutumes des Arabes Le gôz musarrib, R. P. A. Jaussen.
:

4° La version mozarabe de aux Laodicéens, Eug. Tisserant.
l'épître 217
V. CHRONIQUE. — Une mosaïque byzantine à Bettir. — Timbres ro
mains, R. P. H. Vincent 2.j4

VI. RECENSIONS. — V. H. Stanlon, The Gospels tts historical dociunents.


part. II, The synoptic Gospels. —
J. C. Hawkins, Horae Synopticae

;R. P. Lagrange. —
M. Lepin, La valeur historique du quatrième
Émnrjile R. P. Lagrange). —
H. F. von Soden. Das lateinische
neue Testament in Afrika ;ur zeit Cyprians (R. P. AbeU. R. P. —
Joûon, Le Cantique des Cantiques ^R. P. Dhorme M. W. R. i. —
Prentice, Publications of t/ie Princeton Unirersitij Arch. Evped. ta
Syria. —Divis, II Ancient Architecture.
: Divis. III Greck and — :

Latin loscriptions. —
D' G. Schumacher, Kart des Ûstjordunta/u/es
640 TABLE DES MATIÈRES.
Pages.
(R. P. H. Vincent). — M. Harlmaan, Der Islamisrite Orient. — Ber
hhim : Geschic/ite-Glaube-Becht. Ein llandhuch. — Oppenlieim. In-
schiften ans Si/rien. Mesopotamien inid Kleiitasicn f/e^mniinplt in Jahre
iS<J9 von Max Freiherrn (R. P. A. Jaussen) 266
Vil. BULLETIN. — Questions générales. — Nouveau Testament. —Ancien
Testament. — Pays voisins. — Palestine 298

W 3. — Juillet.
I. UNE FEUILLE ARABO LATINE DE L'ÉPITRE AUX GALATES.
— R. De Bruyne et M. Eug. Tisserant
P. 321
II. L'ANGE ET LE CHANDELIER DE L'ÉGLISE D'ÉPHÈSE {suite). -
M. A Fabre .
344
III. LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE {suite). — R. P. Dhorme.. 36S
IV. MELANGES. — 1 Coutumes des Arabes, R. P. A. Jaussen. — 2" Un
'

épisode des derniers jours de Ninive, M. L. Gry 391


V. CHRONIQUE. — Les fouilles allemandes à Jéricho. — Varia, R. P. H.
Vincent 404
VI. RECENSIONS. — RR. PP. Jaussen et Savignac, Mission arcJtéologigue
en Arabie t J. Guidi). —
R. P. Dhorme, Les Livres de Samuel L.
Desnoyers .
— Karl Meister, De itinerario Aetheriae abbatissae
perperam nomini S. Silvae addicto J. Deconinck). J. Evans, —
Scripla Minoa (R. P. Lagrange). W. M. Ramsay et Miss G. L. —
Bell, The thousand and one Churches (R. P. H. Vincenti 421
VII. Bt^LLETIN. —
Commissio de re hibliea. Questions générales. — Nou- —
veau Testament. - Ancien Testament. Langues. — Palestine. — —
Varia. — Thèse de doctorat en Écriture sainte. — Examens pour la

licence en Écriture sainte 4-57

N" 4. — Octobre.
DE JUREJURANDO CONCEPTIS VERRIS AB IIS DANDO QUI
DOCTORES IN SACR V SCRIPTURA SUNT RENUNTIANDI 482
I. OU EN EST LA QUESTION DU RECENSEMENT DE QUIRIMUS?
— R. P. Lagrange 179
IL LES PA^ S BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. R. P. Dhorme ."iOS

m. MÉL\NGES. — 1° Nouvelle inscription minéenned'El-'Ela. Dedan, RR.


PP. A. Jaussen et R. Savignac. 2 Exploration de la vallée — '

du Jourdain, R. P. AbeL —
3" Questions de critique littéraire et

d'exégèse touchant les chapites XL ss. d'I-aiV, M. A. Van Hoo-


nacker [>lil

IV. — CHRONIQUE. — Varia, R. P. H. Vincent.


V. RECE>vSIONS. — W. Sanday, Chrislotogics ancient and modem. —
D"" P. Peine, Théologie des neuen Testaments. — J. Lebreton, Les ori-
gines du dogme de la Trinité. — J. Flemming, A. Uarnack, Ein Ju-

disch-Christliches Psalmhuch aus dcm ersien Jahrhnndert (R. P. La-


grange .'i79

VI. — BULLETIN. — Questions générales. — Nouveau Testament. — Ju-


daïca. — Apocryphes. — Ancien Testament. — Pays voisins. —
Langues. — Palestine (i03
.

SOUSCRIPTION
EN FAVEUR DE

l'École biblique et archéologique de Saini-Étienne de Jérusalem

Quatrième liste.

Fr.

Sa Grandeur >!&"• Dizien. évêque d'Amiens 100


Son Excellence Ms"" Granello. archevêque de Séleucie, commissaire général du
S.-Office 1 00
Le Père Feuillette 300
M. Cléret, professeur à Técole théologique de Beauvais 50
Anonyme 50
M^'^ Le Grand 20
M. l'abbé Joseph Abel 20
Ms"" Bellet, protonotaire apostolique .50

M. Louis Malha, curé maronite à Alexandrie 50


M. l'abbé Tisserant, professeur à l'Apollinaire, Rome 25
Anonyme de Belgique 200
^{me veuve Noaiily, Paris 500
M. l'abbé Marchai 20
Les professeurs de l'école de théologie d'Amiens 50
Le Père Calmes, Valparaiso 50
M™« D ; 10
Par le Père Séjourné 1 00
Un curé de campagne. (5
M™« la comtesse de Flavigny 100
M"e de Ganay 50
M. J. Boiteux, Versailles . 50
M. le chanoine de Brouter, curé-doyen d'Ypres 40
M. E. Jordan, chargé de cours à l'Université de Pvennes. ...... 50
M. E. Pottier, vicaire à Sainte-Marie-des-Batignolles 20
M™« Georges Morel d'Arleux 10
M. l'abbé G. Brunhes, profesicur à l'école de théologie de Dijon 20
Miss Pringle 50
Les Pères Dominicains d'Ubei'aba (Brésil) .jO

Le Père Garciu 100


Anonyme 15
Le Père Tapie 250
M. Mannier, missionnaire apostolique, An Ninh (Annam). . 10
Un vicaire du diocèse de Tarbes 5
Le Secrétaire de la Revue pratique d' Apologétique 10
SOUSCRIPTION
EN FAVF.rn DE

l'École biblique et archéologique de Saint-Étienne de Jérusalem

Cinquième et dernière liste.


Fr.

M. le Marquis de Vogiié 100


L'abhé Fal)re, professeur d'Écriture Sainte au Grand Séminaire d'iVIbi '20

M. Dard, curé de S.- Vndré^ Grenoble 20


M. Edgard de Knevelt, 18, rue Le Titien, Bruxelles 10
M. ïouzard 50
M. Oudin, professeur au Grand Séminaire de Besançon 25
Les Pères Dominicains de Tralee (Irlande) 1 25
M. Léon Gry, docteur en Écriture Sainte, prolessein- à l'Institut catholique
d'Angers 40
Le Père Tapie 50
Anonymes par M. Cléret 150
L'abbé Randier, aumônier des Soeurs de S. -Charles, Caïfla 20
M. l'abbé Loth 20
M. Laforgue. 5
M. Coppieters, professeur à l'L'niversité de Louvain 50
M. W. S. Beilly, professeur au Séminaire de Boston 50
Anonyme de Lyon 350
M. l'abbé Louis Foucher, Bourges 5
Sedlacek, Vienne (Autriche) '
25
M. Dumaine, Grenoble 50
AL Dannecker, curé d'Aichstettey, Alsace 5
M. Podecliard, professeur à la faculté de théologie, Lyon 20
M. Marie, professeur au Grand Séminaire, Bayeux 25
Sa grandeur M'-'"' Béguinot, évêque de INîmes 100
En remerciement des conférences données par le P. Séjourné au Grand Sémi-
naire de Nîmes 50
UâriJi:^/^ ccu.c /uf pr /. C
,J-

RE\rUE Biblique,
1910.

V. 19

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