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VII.

La philosophie chinoise
Vincent Citot
Dans Hors collection 2022, pages 349 à 424
Éditions Presses Universitaires de France
ISBN 9782130835899
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 13/05/2023 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 191.99.151.235)

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VII

La philosophie chinoise
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• Irréductibilité, continuité, cyclicité
La philosophie grecque provient de la fécondation de la culture
hellénique par la pensée égyptienne ; la philosophie romaine résulte
d’une importation de la pensée grecque à Rome ; la philosophie
en Islam découle de la rencontre du monde arabe et des cultures
byzantines, orientales et méditerranéennes ; la philosophie euro‑
péenne dérive de l’usage que les peuples germaniques font de l’Anti‑
quité gréco-chrétienne ; la philosophie russe est le bourgeonnement,
en terre slave, du byzantinisme teinté d’influences occidentales ; la
philosophie indienne est la fusion graduelle d’une culture indo-
européenne importée et d’une société indigène ; la philosophie
japonaise, enfin, est une greffe sur la pensée chinoise. Partout la
philosophie naît d’une recomposition culturelle et d’une importation
d’idées étrangères. Sauf en Chine. À moins de s’enfoncer dans les
millénaires obscurs de la préhistoire, on a l’impression que la culture
chinoise ne vient de nulle part ailleurs que de Chine. Aussi loin que
l’on remonte dans l’Antiquité, on ne trouve d’origine que chinoise
à la philosophie chinoise. Ne devoir rien, ou peu, aux influences
étrangères, est la première spécificité de celle-ci.
Deuxièmement, la pensée chinoise et la civilisation qui la sou‑
tient manifestent une remarquable continuité plurimillénaire. Ce
n’est pas le cas ailleurs, où règne la discontinuité et où la durée

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Histoire mondiale de la philosophie

d’une vie intellectuelle dépasse rarement mille ans. La Grèce, Rome,


l’Islam, l’Europe et la Russie ne forment pas une civilisation unique
comme la Chine. La civilisation indienne elle-même n’a pas l’unité
de la chinoise, car l’écart est plus grand entre les cultures aryano-
brahmanique et brahmano-hindouiste qu’entre les diverses époques
de la Chine. Aucune philosophie n’a la pérennité de la philoso‑
phie chinoise et aucune n’est aussi ancrée dans un territoire. Un
philosophe d’Alexandrie est, selon les siècles considérés, égyptien,
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perse, grec, romain, byzantin ou arabe. À l’inverse, un philosophe
de Chine est toujours chinois, même quand il est sous domination
politique des Huns, des Turcs, des Mongols, des Mandchous ou des
Européens. De plus, à aucun moment de son histoire la philosophie
chinoise ne disparaît complètement, comme c’est le cas ailleurs à
la fin d’un cycle.
Pour autant, l’histoire de cette philosophie n’est pas un conti-
nuum amorphe ; pas plus que ne le sont les histoires politique,
sociale et économique de la Chine. Les cycles sont moins marqués,
mais ils existent. La philosophie connaît des phases de ralentisse‑
ment prolongé, durant lesquelles elle cesse d’être créative et renoue
tendanciellement avec la pensée religieuse. Ainsi en va-t-il lors des
grandes invasions barbares du ive siècle et des xiiie-xive siècles.
À l’inverse, les ive-iiie siècles av. J.-C., le xie siècle puis les xviie-
xviiie siècles sont particulièrement brillants. Or on ne passe pas
sans transition des époques fastes aux siècles obscurs ; il y a des
évolutions graduelles, des tendances et des inflexions, donc des
cycles. Leurs durées sont comparables à celles des autres cycles civi‑
lisationnels – de l’ordre du millénaire. Nous distinguerons ainsi un
cycle antique (~700 av. J.-C. à ~400 apr. J.-C.), un cycle médiéval
(~400 à 1368) et un cycle moderne (depuis 1368).

• Religion, philosophie et science en Chine


Ces cycles sont ceux de la vie intellectuelle en général, où
pensée religieuse, pensée philosophique et pensée scientifique
émergent, divergent ou convergent. Or « religion », « philosophie »
et « science » sont des catégories importées. Jusqu’au début du

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xxe siècle, les Chinois ne découpent pas ainsi leur champ intellectuel.
De fait, les frontières religion-philosophie-science sont plus floues
qu’ailleurs. Les confessions chinoises échappent aux critères qui
permettent habituellement à un Occidental de repérer une religion :
pas de dieu, de théologie, de patriarche ni d’Église instituée. Pour
ajouter à la confusion, le nom des grands courants philosophiques
est le même que celui des traditions religieuses : confucianisme,
taoïsme et bouddhisme. Quant à la « science », elle est toujours
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pratiquée par des « lettrés », c’est-à-dire des hommes formés à la
culture confucéenne traditionnelle. En Chine, on est éduqué ou on
ne l’est pas ; et si on l’est, on l’est toujours d’une certaine manière
qui est indistinctement littéraire, philosophique, religieuse et savante.
Ces difficultés ne sont pas insurmontables, car il y a des diffé‑
rences évidentes entre un commentaire littéral de Kongzi (Confu‑
cius), le considérant comme un Saint éternel, et un discours critique
qui examine les présupposés de sa doctrine de la nature humaine.
Quelle que soit la façon dont on qualifie ces exercices intellectuels,
ils correspondent de fait à deux sortes de pensée. C’est à bon droit
que l’on peut distinguer un discours de type religieux d’un autre de
type philosophique, quoique religion et philosophie ne constituent
pas en Chine des spécialités institutionnellement distinctes. Le pro‑
blème de l’existence d’une « philosophie chinoise » est vite résolu
par la lecture des auteurs chinois – Zhu Xi, Dong Zhongshu, Mozi
et Wang Fuzhi philosophent comme Platon, Sénèque, Hobbes et
Diderot. La question de la « science » ne fait pas davantage pro‑
blème, car il est aisé de faire la différence entre des divinations
fondées sur une mythologie du Cosmos et une étude d’astronomie
mathématisée – même si celle-ci a pour objectif, in fine, d’établir le
calendrier qui doit servir aux pratiques rituelles. Pas plus que l’art-
pour-l’art n’est la définition de l’art en général, le savoir pur désinté‑
ressé n’est la définition de la science en général. La science chinoise
a, le plus souvent, des finalités religieuses, politiques ou utilitaires1.

1. Gernet, 1989 ; Lloyd, 1996 – les auteurs insistent sur le contraste avec la science
grecque.

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Cela ne la rend pas indiscernable de la religion ou de la politique.


Il existe bel et bien une science chinoise1. Le découpage religion-
philosophie-science, pour malaisé qu’il soit, n’est pas artificiel. Le
fait que la Chine elle-même adopte désormais les divisions univer‑
sitaires occidentales montre leur valeur hors de l’Occident.
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I. Cycle antique (~700 av. J.-C. à ~400 apr. J.-C.)

L’histoire politique et culturelle de la Chine est déjà longue


quand apparaissent les premiers schèmes philosophiques. L’époque
que l’on qualifie d’« archaïque » – qui voit la succession des
dynasties Xia (~2100 à ~1700), Shang (~1700 à ~1050) et celle
des Zhou occidentaux (~1050 à 771) – est riche de multiples
bouleversements sociaux, culturels et intellectuels, qui rendent
possible l’avènement d’une pensée philosophique sous les Zhou
orientaux (770‑256). Les croyances religieuses et théologiques
évoluent vers des représentations cosmologiques où l’idée de Dieu
s’efface progressivement au profit de conceptions impersonnelles
de l’Ordre universel. Peut-être cette évolution ne concerne-t-elle
qu’une petite élite, tandis que la plupart des hommes perpétuent
les anciennes croyances au « Souverain d’En-Haut », aux esprits
de la nature et des ancêtres. Toujours est-il que certains penseurs,
de plus en plus nombreux, adoptent une nouvelle vision-du-monde
dans laquelle la nature semble partiellement dépeuplée des dieux
et des mânes, et où ce sont désormais de grandes forces mythico-
métaphysiques qui règnent : le Yin, le Yang, et le Tao (qui n’est
autre que leur équilibre et le principe de leur ordonnancement).

1. J. Needham, le grand militant pour la reconnaissance d’une science chinoise,


certains sinologues et historiens des sciences reprochent de projeter des catégories occi‑
dentales sur la Chine. Il n’en demeure pas moins que la trentaine de volumes de sa
Science and Civilisation in China (Cambridge, Cambridge University Press, 1954‑1986)
atteste l’existence d’une science chinoise irréductible.

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Les pouvoirs cosmiques étant en correspondance avec les pou‑


voirs terrestres et humains, la religion du cosmos définit aussi
une politique et une éthique. Quand ces conceptions commencent
à se formuler sous une forme explicite, on peut dire que naît la
philosophie1.

1) Philosophie antique préclassique


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(~700 à ~350 av. J.-C.)

Premiers schèmes philosophiques


aux viiie et viie siècles
Quand la royauté Zhou, affaiblie, est contrainte de déplacer sa
capitale vers l’est en 770 (inaugurant l’époque des Zhou orientaux),
une nouvelle ère s’ouvre pour l’histoire intellectuelle. C’est en effet
vers le viiie siècle que commencent à être rédigés des recueils de
poésie, des documents administratifs divers et des ouvrages de divi‑
nation, dans lesquels apparaissent des éléments philosophiques. Ces
livres seront ensuite connus et vénérés sous les noms de Classique
des Documents/Shu jing (ancêtre des ouvrages d’histoire, conte‑
nant des spéculations cosmologiques, numérologiques, morales et
politiques), Classique des Poèmes/Shi jing (recueil de poèmes) et
Classique des Mutations/Yi jing (ouvrage de divination, incluant une
métaphysique de la nature). Le Shu jing et le Yi jing ne sont pas des
livres de philosophie, mais ils en contiennent à l’état de germe. Ils
sont les fossiles témoignant de l’origine religieuse de la philosophie
de la nature comme la philosophie morale et politique ; lesquelles
dérivent des croyances aux correspondances cosmologiques qu’ils
transcrivent.

1. Sur la nature et l’évolution de cette pensée archaïque, on peut lire Granet, 1922 ;
Granet, 1934 ; Maspero, 1927 (en particulier le livre II, 5) ; Maspero et Balazs, 1953,
partie I, 1 ; ou encore Cheng, 1997, chap. 1 (où l’auteur se réfère à L. Vandermeer‑
sch, Wangdao ou la Voie royale. Recherches sur l’esprit des institutions de la Chine
archaïque, Paris, EFEO, 1980).

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La rédaction du Hong Fan/La Grande Norme (vers le viie siècle)


systématise cette vision-du-monde1. On y voit la croyance devenir
une doctrine : la nature est composée de « Cinq Éléments » fonda‑
mentaux (eau, feu, bois, métal, terre) ; tout dans l’Univers est en
correspondance avec tout ; d’où la possibilité de repérer des signes
annonciateurs, de se prêter à la numérologie et de définir les prin‑
cipes d’un pouvoir politique légitime – un souverain terrestre doit
recevoir un « Mandat Céleste ». La place du roi sur terre comme
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celle de chacun dans la société est définie par des règles d’harmonie
universelle. La production intellectuelle de l’époque est stimulée
par les bouleversements politiques : la royauté Zhou – représentant
l’ordre ancien et la religion ancestrale – décline irrémédiablement
devant la montée en puissance d’États vassaux périphériques, de plus
en plus indépendants politiquement et économiquement de l’ancien
centre. Cet affranchissement correspond à une prise de distance avec
les vieilles croyances archaïques. Les princes des États périphériques
rivalisent pour l’hégémonie et s’entourent de penseurs capables de
conseiller ou de justifier leurs luttes pour le pouvoir. C’est ainsi
qu’est rédigé le premier traité du gouvernement, le Quanzi (dont le
ministre de l’État Qi, Guanzi, aurait donné une première version vers
la première moitié du viie siècle). D’une façon générale, les rapports
de forces nouveaux entre des puissances nouvelles et conquérantes
stimulent l’apparition d’une pensée nouvelle.

e
Premiers philosophes au vi siècle
Le vie siècle est marqué par la différenciation des premières
écoles philosophiques – taoïsme, confucianisme, légisme – autour
de penseurs dont l’histoire a retenu les noms. Le champ intellectuel
se diversifie, des oppositions théoriques apparaissent à la fin du
siècle ; c’est le début de la confrontation philosophique – bien que
cette confrontation ne prenne pas encore la forme d’argumentations

1. « Petit traité qui passe communément pour le plus ancien essai de philosophie
chinoise », dit M. Granet (Granet, 1934, p. 139).

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rationnelles. Laozi/Lao-tseu est un personnage plus ou moins légen‑


daire, mais il semble qu’on puisse faire remonter au vie siècle la
première ébauche de ce qui sera plus tard le Tao te jing/Le Livre de
la Voie et de la Vertu – dit encore Laozi. Y est reformulée, sous une
forme encore mystique, la métaphysique de la nature que contenait
le Yi jing : le Yin, le Yang, le Tao, l’ordre universel et la nécessité
morale de s’y conformer. Dans un contexte de guerre généralisée
pour l’hégémonie politique, Laozi prône le désengagement et l’union
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extatique avec le Tao.
Confronté à la même situation, Kongzi/Confucius (c. 551‑479)
réclame au contraire un engagement politique, mais respectueux des
valeurs de la vieille aristocratie Zhou, dont il déplore la margina‑
lisation croissante1. Il recompose, édite et enseigne les Classiques ;
leur donne une dimension philosophique et laïcise leurs contenus2.
Il ne rejette pas la religion traditionnelle, mais l’épure de toutes
les superstitions pour ne considérer que « le Ciel » – principe de
providence abstrait plutôt que Dieu personnel3. Quant à ses idées
politiques, elles sont moins réactionnaires qu’il n’y paraît : il réaf‑
firme les valeurs de l’aristocratie traditionnelle, certes, mais dans un
esprit complètement nouveau, théorisant la participation de tous les
hommes à une nature humaine commune – donc les chargeant égale‑
ment d’un devoir de vertu4. À cette philosophie de la nature humaine

1. Aussi, « c’est sur les vieilles idées des anciennes Écoles des Scribes [auteurs du
Shu jing] et des Devins [auteurs du Yi jing] que […] Kongzi érigea son système de
morale et d’éthique politique » (Maspero, 1927, p. 375).
2. « Il entendait enseigner l’art de vivre, une sagesse fondée sur la tradition de
la noblesse, mais en refusant les préjugés de la haute aristocratie et en accentuant la
tendance laïcisante et humaniste » (Kaltenmark, 1972, p. 13).
3. À l’égard de la religion, « Kongzi semblerait, par certains de ses propos, avoir
été un sceptique et un agnostique. Il se refusait à traiter “des prodiges, de la destinée
et des esprits” » (ibid.). Étiemble interprète dans le même sens : « Tout ce qui n’est pas
ancré dans le réel, Kongzi n’en parle pas. Il se refuse à toute superstition : trop prudent,
trop consciencieux, pour s’intéresser aux choses douteuses » ; « De la religion, il ne
retient guère que le culte des ancêtres, quelques cérémonies, et deux ou trois notions,
Ciel, décret, tao, qu’il laïcise fortement » (Étiemble, 1956, p. 280 et 129).
4. « Étrange conservateur, étrange ami des féodaux, qui, non content de faire du
prince le serviteur du petit peuple, à maintes reprises laisse entendre que nobles ou

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se joignent une réflexion sur la cohésion sociale (par les rites et la


« piété filiale ») et une doctrine du langage (la « rectification des
noms »). Ainsi, que l’on considère ses positions religieuses et méta‑
physiques, ou éthiques et politiques, « ce qu’il [Kongzi] enseignait
était véritablement nouveau, c’était quelque chose d’infiniment plus
élevé que ce qu’il avait trouvé1 » – quoiqu’il prétendait explicitement
ne faire que transmettre une tradition. « Avec lui, conclut Maspero,
la philosophie sort de l’enfance2 ».
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Le vie siècle voit aussi la mise en place d’une pensée qui sera quali‑
fiée plus tard de légiste – troisième solution théorique et pratique aux
problèmes auxquels s’étaient confrontés Laozi et Kongzi. Le légisme
est issu de la réflexion des conseillers politiques et diplomatiques des
princes – aussi acteurs de la codification des lois, tel Zichan (m. 522)
pour l’État Zheng3. Pensée novatrice s’il en est, elle accompagne le
bouleversement des rapports politiques et sociaux de cette époque
dite Printemps et Automnes (couvrant les années 722‑476). Les
premiers traités sur L’Art de la guerre/Sunzi bingfa voient le jour
à la même époque, comme celui attribué au militaire Sun Zi/Sun
Tzu (544‑496) – qui inspire le célèbre traité du même nom, plus
tardif. Enfin, à l’opposé de cette pensée réaliste et pragmatique, le
philosophe, rhéteur et jurisconsulte Deng Xi (m. 501) annonce les
futurs développements de « l’École des Noms4 ».

Débuts de l’époque des Royaumes Combattants


La période dite des Royaumes Combattants (475‑221 ou
403‑221) correspond à une accentuation des conflits entre les États

vilains, tous les hommes, pour lui, ont même qualité d’homme » (Étiemble, 1956,
p. 98‑99). « Ces idées-là sont révolutionnaires, dit encore Étiemble […]. Avant Kongzi,
dans l’ordre des faits comme dans celui des valeurs, la naissance primait tout. Après
lui, dans l’ordre des valeurs, la naissance n’est rien où la vertu n’est pas » (p. 132).
1. Zenker, 1926, p. 147.
2. Maspero, 1927, p. 386.
3. Voir Vandermeersch, 1995a, partie II.
4. Zenker, 1926, p. 210.

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anciennement vassaux du centre dynastique et religieux Zhou. Les


tendances précédentes se renforcent : affaiblissement de l’autorité
Zhou ainsi que du système féodal et aristocratique corrélé, étatisa‑
tion et militarisation des États périphériques, apparition d’une classe
marchande, d’une classe d’administrateurs et d’une classe d’intellec‑
tuels spécialisés dans la gestion de ces nouveaux États centralisés.
C’est au sein de ces élites qu’émergent les idées neuves ; comme
toujours, la pensée révolutionnaire a pour base la constitution d’une
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nouvelle classe sociale1. Comme les chevaliers à Rome ou les Ksha‑
triya en Inde, la montée en puissance des Lettrés chinois renouvelle
la vie intellectuelle. Au ve siècle, une première réalisation de ces
scribes de cour est constituée par les célèbres annales de la princi‑
pauté de Lu : Printemps et Automnes/Chunqiu. Dans le domaine
plus spécialement philosophique, la rédaction de l’Appendice du Yi
jing – le Hizi – a plus d’importance. La métaphysique de la nature y
prend une forme plus claire et plus systématique2. De leur côté, les
disciples de Kongzi développent la doctrine du maître : on attribue
à Zengzi (505‑435) une première version du Classique de la piété
filiale/Xiao jing, et à Zisi (481‑402) le traité de l’Invariable Milieu
ou Zhong Yong – guide moral pour la recherche de l’équilibre
intérieur, qui est en fait plus récent. Gaozi (420‑350), un autre
confucéen, se distingue par sa doctrine de la nature humaine et sa
morale, qui consiste à forcer sa nature.
Mais le grand événement intellectuel du ve siècle ne vient ni
des métaphysiciens de la Nature, ni des humanistes confucéens.
Étranger même à la classe des lettrés, des scribes ou des devins
officiels, il est le fait d’un petit groupe de militaires indépendants,
dont le leader Mozi (c. 479-c. 390) élabore une philosophie qui

1. H. Maspero insiste particulièrement sur l’importance de cette nouvelle classe de


scribes, cette « bourgeoisie lettrée [qui], dans son mécontentement chronique, fut un
des principaux agents de l’effondrement de la société antique » (Maspero et Balazs,
1953, p. 28).
2. « Les auteurs du Hizi réussirent à créer un ensemble métaphysique complet où
toutes les théories de techniques divinatoires aussi bien que les doctrines morales et
éthiques de leurs devanciers trouvaient leur place » (Maspero, 1927, p. 400).

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rivalise avec le confucianisme jusqu’à la fin du iiie siècle. Mozi


veut rendre la société plus juste et plus stable ; et pour cela, il
échafaude une sorte d’utopie politique qu’il voudrait imposer à
tous. Égalitarisme, utilitarisme et autoritarisme sont les ingrédients
principaux. Mozi se distingue d’emblée par un souci inédit d’ar‑
gumentation et de démonstration1. Cette exigence de rationalité
contraindra les écoles rivales à se mettre au niveau ; et c’est ainsi
que la philosophie chinoise s’épanouira durant la période suivante.
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Mozi lui-même est encore animé d’un esprit religieux et idéaliste.
Son utopie d’une société égalitaire et totalitaire ferait penser à
More ; sa démarche déductiviste et son radicalisme politique le
rapprocheraient plutôt de Hobbes2 ; mais il n’est en fait ni l’un ni
l’autre car il est avant tout un militant et un chef de secte3. Son
collaborateur le plus original pour la période qui nous occupe
semble être Lu Ban (507‑440) – ingénieur, inventeur, architecte
et auteur de divers traités.
Les penseurs pré-légistes du ve et de la première moitié du
e
iv siècle ont un esprit moins spéculatif que Mozi, mais leur pensée
est aussi moins universelle et davantage rivée aux conditions poli‑
tiques particulières. Parmi eux, on peut citer Li Kui (c. 455‑381
ou 395, ministre de l’État Wei et auteur d’un Livre de la Loi/Fa
jing) et Wu Qi (440‑381, homme politique de l’État Chu, auteur
d’un Art de la guerre).

1. « Le premier, il eut le souci de l’enchaînement logique des idées. Avant lui, les
livres étaient des suites de paragraphes sans lien […]. Au contraire, Mozi coordonne
ses idées en des sortes de leçons […] définissant les termes et faisant face à toutes les
objections. Il ne se contente pas d’affirmer, il veut prouver, et cela est quelque chose
d’absolument nouveau en Chine » (ibid., p. 389). Zenker le reconnaît également : « Mozi
a été le créateur de la logique et de la dialectique méthodique chinoises » (Zenker,
1926, p. 192).
2. Avec lequel Feng Youlan le compare explicitement (Feng Youlan, 1934, p. 76‑78).
3. « Secte d’allure religieuse dont les adeptes étaient armés et devaient ressembler
à des chevaliers redresseurs de torts plus qu’à des philosophes » (Kaltenmark, 1972,
p. 51‑52).

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La philosophie chinoise

2) Philosophie antique classique


(~350 à ~250 av. J.-C.)

Du milieu du ive au milieu du iiie siècle, la pensée philosophique


connaît en Chine un extraordinaire épanouissement. La diversité
et l’originalité des productions intellectuelles resteront inégalées
par la suite – on parle même des « Cent Écoles » pour désigner le
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pluralisme de cette période. L’esprit critique et inventif est à son
comble, dans un contexte de concurrence militaire, économique
et intellectuelle. Les puissants États rivaux font désormais peu de
cas des traditions religieuses et féodales de la vieille souveraineté
Zhou. L’administration remplace les seigneurs locaux, les lois imper‑
sonnelles tendent à se substituer au pouvoir personnel arbitraire,
le mérite et le talent sont de plus en plus valorisés par rapport à
la noblesse de naissance1. Le développement économique favorise
également l’évolution des mentalités et le renouveau intellectuel2.
Finalement, la raison (et avec elle la rhétorique, la dialectique et
la diplomatie) prend le pas sur la religion. La science n’est pas
encore née, mais déjà pointe l’esprit positif dans certains travaux
philosophiques3.

1. On reconnaît là des principes légistes, qui sont appliqués dès la période des
Royaumes Combattants (Pirazzoli-T’Serstevens, 1982, p. 12). « Les rois évincent les
grandes familles nobles en remplaçant le conseil des hauts dignitaires par un conseil
privé composé de spécialistes de la guerre, de la diplomatie et de la politique. Le pouvoir
politique s’affranchit ainsi du contexte familial et religieux. Les grandes familles nobles
perdent leurs charges héréditaires » (Bernard-Grouteau, 2011, p. 27).
2. « La société passe d’un fondement religieux à un fondement militaire, puis
économique » ; « les rois font appel à la classe des marchands et des premiers entre‑
preneurs qui s’occupent de l’extraction minière, de la production du sel, du commerce
de grains et qui développent la nouvelle industrie du fer […]. Les cités deviennent
alors de grands centres économiques » (Bernard-Grouteau, 2011, p. 27 et 28). Et
la mentalité de ces « grands marchands-entrepreneurs […] eut sans doute sur les
conceptions politiques de l’époque une influence considérable » (Gernet et Vernant,
1964, p. 311).
3. « Ce n’est plus de sages d’exception dont les chefs de royaumes ont besoin, mais
d’administrateurs et de spécialistes […] [S]’affirme alors en Chine un esprit qu’il n’y

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Histoire mondiale de la philosophie

Épanouissement de la pensée légiste


La laïcisation de la pensée est manifeste dans la philosophie
légiste, qui adopte alors une vision désenchantée et amorale (non
confucéenne) des affaires publiques1. Le légisme privilégie la loi
impersonnelle et universelle contre les rites et les vieux prin‑
cipes métaphysiques, religieux et moraux. En effet, la structure
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du pouvoir et les modes de gouvernement doivent s’adapter au
développement économique et industriel. Hommes d’action très
opposés aux spéculations désincarnées, les légistes n’en fondent pas
moins une école de philosophie. Ils rédigent des traités théoriques
et argumentent contre leurs rivaux confucéens et mohistes. Mais
comme leurs idées « étaient formées au contact des réalités écono‑
miques et sociales2 », elles expriment une vision de la société et de
l’histoire singulière par rapport aux autres écoles philosophiques,
attachées à dégager des principes moraux et comportementaux
atemporels3.
Le plus important légiste de la période est sans doute Shang
Yang (c. 390‑338), Premier ministre et grand réformateur de l’État

a pas abus à qualifier de positif et de rationnel » (Gernet et Vernant, 1964, p. 311) ;


« Les modes d’actions prennent un aspect plus positif et la pensée se laïcise » (p. 309).
1. Dans un contexte général « de tendances progressistes au réalisme politique, au
pragmatisme économique, au rationalisme critique, qu’il [le légisme] faisait cependant
dévier vers une sorte de machiavélisme » (Vandermeersch, 1995a, introduction). Ainsi,
« des représentants d’un esprit non conformiste de progrès parviennent à faire essayer
par certains princes, et avec grand succès, de nouvelles institutions, appuyées sur la loi
et caractérisées par une finalité politique débarrassée de toute trace de l’humanisme
traditionnel : la recherche de la puissance militaire et de l’enrichissement de l’État »
(Vandermeersch, 1995a, partie I, « Sens de la substitution de la loi aux rites »).
2. Vandier-Nicolas, 1969, p. 321.
3. « Les légistes étaient des administrateurs qui se heurtaient chaque jour aux faits,
des membres de familles régnantes qui connaissaient par expérience les pénibles exi‑
gences du pouvoir. Ils laissaient aux beaux diseurs le désir de briller, aux démagogues
l’ambition d’abuser des naïfs, aux idéologues la satisfaction de faire noble figure au
moindre coût » (ibid.). « Aucune règle n’est absolue ; les légistes n’en disconvenaient
pas et n’érigeaient pas leurs méthodes en principes immuables. Les sociétés évoluent et,
avec les conditions de vie, les principes doivent changer » (ibid., p. 322).

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La philosophie chinoise

Qin, auteur du Shang Jun Shu1. Shen Buhai (c. 385-c. 337), ministre
de l’État Han, écrit un Art du gouvernement des hommes, d’esprit
très machiavélien également. Sun Bin (c. 380‑316), à la fois stra‑
tège et penseur légiste, rédige un Art de la guerre. Enfin, Shen
Tao (c. 350-c. 275) marque l’influence croissante du taoïsme sur le
légisme, que l’on retrouvera chez Han Feizi. En affinité avec l’état
d’esprit légiste, le grand traité L’Art de la guerre, attribué à Sun
Zi, aurait en fait été rédigé au ive ou au iiie siècle. Il s’agit d’un
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des plus remarquables écrits des Royaumes Combattants, qui se
distingue par sa hauteur de vue et la perspicacité de ses développe‑
ments psychologiques.

Dialecticiens, sophistes et mohistes


La période 350‑250 est marquée par l’épanouissement de l’esprit
réaliste, nous venons de le voir, mais aussi par la grande vogue du
rationalisme. De toutes parts surgissent des raisonneurs, disputeurs,
logiciens et rhéteurs. Phénomène caractéristique des périodes où
la vie politique s’affranchit des contraintes aristocratiques tradi‑
tionnelles, déjà constaté dans la Grèce de la deuxième partie du
ve siècle, dans la Rome tardo-républicaine, ou encore dans l’Inde
de la fin du vie siècle. Toutes proportions gardées, les dialecticiens
et rhéteurs chinois font penser au mouvement sophistique grec2.
En Chine comme en Grèce et en Inde, la pensée se libère des carcans
en épousant le scepticisme, le relativisme, le logicisme et en déve‑
loppant un intérêt pour la philosophie du langage. L’« École des
Noms » et l’École mohiste sont les deux grandes représentantes de

1. « Un réaliste à la manière de Machiavel, sans la finesse, mais plus attentif aux


questions économiques » (Demiéville et Hervouet, 1995, partie III, « L’époque des
principautés en guerre »).
2. La comparaison est d’ailleurs systématique chez les historiens ayant étudié ce
courant intellectuel : Masson-Oursel, 1916 (l’auteur compare la sophistique grecque,
indienne et chinoise) ; Kou Pao-koh, 1953 (même comparaison dans la partie II, 2) ;
Pietra, 1985 (idem) ; Reding, 1985 (s’en tient à la Grèce et à la Chine, et conclut à
l’absence de « sophistique » chinoise si l’on entend par « sophistique » la rhétorique
stérile de fossoyeurs de la vérité).

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Histoire mondiale de la philosophie

ce mouvement (encore que les taoïstes et les confucéens s’intéressent


aussi à la philosophie du langage).
On parle d’École des Noms pour désigner ces penseurs spé‑
cialisés dans les paradoxes de la logique et du langage, tels
Hui Shi (c. 380-c. 310), Hui Yang (fin du iv e siècle), Yin
Wenzi (c. 360-c. 280), Hantan/Houen Touan (disciple de Hui Shi)
et Gongsun Long (325‑250) – Hui Shi et Gongsun Long sont les
plus connus1. Les sophistes chinois ont été victimes d’incompréhen‑
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sion comme leurs homologues grecs et indiens : leurs idées révolu‑
tionnaires ont été tournées en dérision, caricaturées et finalement
occultées par l’historiographie officielle (nonobstant le fait qu’elles
devaient se prêter facilement aux caricatures). En formulant des
paradoxes logiques et linguistiques, ces sophistes veulent-ils sim‑
plement s’amuser avec le langage pour dérouter et provoquer leurs
contemporains ? La dimension « sophistique » (au sens négatif du
terme) n’est pas exclue, mais leur travail est avant tout épistémolo‑
gique. Ils sont d’ailleurs très portés sur les savoirs disponibles à leur
époque : « Les sophistes chinois, eux aussi [comme les sophistes
grecs], sont des savants encyclopédiques2 ». « Hui Shi avait plus de
connaissances scientifiques que les gens de son temps […] il était
peut-être celui qui connaissait le plus de sciences parmi les philo‑
sophes du temps des Royaumes Combattants3 ». Quant à Gongsun
Long, dont les paradoxes ressemblent à des jeux de langage sté‑
riles, il serait en fait « le plus grand logicien de l’époque classique,
[ayant] entrepris des recherches épistémologiques et métaphysiques
qui sont l’aboutissement d’une longue élaboration de la logique
chinoise4 ».

1. Les paradoxes énoncés par le premier font penser à ceux de Zénon, tandis que le
relativisme du second évoquerait, selon E. V. Zenker, Protagoras (Zenker, 1926, p. 208).
2. Kou Pao-koh, 1953, p. 130.
3. Ibid., p. 103 (l’auteur s’appuie ici sur Kouo Mo-jo). Étiemble note également
qu’il « s’intéressait à la géographie, à l’astronomie, à tous les savoirs de son temps »
(Étiemble, 1968, partie I). En outre, il « est sans doute le premier penseur en Chine
qui brise radicalement avec toute la tradition » (Reding, 1985, p. 349).
4. Schipper, 1995a. Étant également diplomate, il « fut le premier à introduire l’art
de la logique dans les débats politiques » (Reding, 1985, p. 426).

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La philosophie chinoise

On trouve chez les mohistes (disciples de Mozi) de la première


moitié du iiie siècle un même esprit rationaliste et positif. C’est à
cette époque qu’ils composent le Mozi – ou Canon mohiste. Dans
le but de réfuter les écoles rivales, ils élaborent une logique, une
dialectique et ébauchent une théorie de la connaissance1. En plus de
codifier les procédés de discussion contradictoire, les mohistes s’inté‑
ressent à la géométrie, à l’astronomie, à la mécanique, à l’optique
et à la méthode d’acquisition des connaissances2. Selon Needham,
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il y avait là « des embryons de sciences déductives », « qui auraient
pu donner naissance à un développement analogue à celui de la
science grecque »3. Quoi qu’il en soit, les mohistes de l’âge classique
prennent quelques distances avec l’enthousiasme spéculatif de Mozi,
au profit d’un esprit rationnel et positif.

Évolution de la pensée taoïste


La pensée taoïste n’était jusque-là qu’une métaphysique de la
nature jointe à une morale du « non-agir » (c’est-à-dire du libre
cours donné à la spontanéité). Avec Yang Zhu (milieu ive siècle),
elle prend une allure tout à fait nouvelle. Il est habituel de classer
cet auteur parmi les taoïstes en raison de ses affinités intellectuelles,
mais en réalité nous avons affaire à un libre penseur sans affi‑
liation, revendiquant haut et fort son indépendance vis-à-vis de
toute autorité4. Hérissé contre les conventions morales et les faux
devoirs, « ce penseur est peut-être le seul en Chine qui ait compris
l’idée de la liberté de la façon dont on la conçoit en Occident5 ».
Il passe pour un fieffé égoïste, mais, en fait, sa morale individua‑
liste est la rançon de son pessimisme et de son fatalisme – dans

1. « Plus qu’aucune autre école de la Chine ancienne, ils s’efforcèrent de créer un


pur système d’épistémologie et de logique » (Feng Youlan, 1934, p. 143).
2. Needham, 1948‑1970, p. 93‑95.
3. Ibid., p. 95 et p. 94, respectivement.
4. « Individualisme aussi cru et obstiné que celui de Stirner », dit Masson-Oursel
(Masson-Oursel, 1938, p. 128).
5. A. C. Graham, cité par K. Schipper (Schipper, 1995c).

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Histoire mondiale de la philosophie

un monde complètement désenchanté, que nous reste-t-il sinon la


jouissance individuelle ? Pour Yang Zhu comme pour l’Ecclésiaste,
tout est vanité1. Ce champion de l’esprit critique n’a pas épargné
les idées béates des mohistes sur « l’Amour universel », pas plus que
la morale traditionaliste confucéenne ni l’attachement des légistes
à la politique.
La philosophie taoïste atteint son sommet avec Zhuangzi/
Tchouang-tseu (c. 370-c. 280) – apogée philosophique aussi bien
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que littéraire, car nous avons affaire à l’un des plus grands écrivains
chinois. À la différence de Yang Zhu, la philosophie de Zhuangzi
est fortement teintée de mysticisme, puisqu’il s’agit pour lui de
s’extraire de la vie commune par une union extatique avec le Tao.
Mais cette tendance cohabite chez lui avec un esprit sceptique et
agnostique à toute épreuve. Qu’il s’interroge sur la possibilité de
la connaissance, sur les limites de la raison discursive ou sur la
capacité du langage à exprimer le réel, à chaque fois, le scepticisme
remporte la mise. La première exigence de la pensée est, selon lui,
de se critiquer elle-même. Sa philosophie comprend aussi une phi‑
losophie de la Nature, une morale et une politique – consistant à
rejeter toute action politique.
Après Zhuangzi, le mysticisme taoïste ne s’équilibre plus avec la
recherche argumentative : la volonté de démontrer s’efface devant
l’intuition, la croyance ou la simple sagesse. C’est manifeste à la
lecture du Tao te jing/Laozi – texte relevant au moins autant de la
religion que de la philosophie. La critique de la raison discursive y
prend la forme d’un pur et simple anti-intellectualisme. On le date
généralement du ive ou du début du iiie siècle, mais il est probable‑
ment plus tardif2 ; ce n’est déjà plus un ouvrage de l’âge classique.

1. Sur cette comparaison, voir Zenker, 1926, p. 180. Mais à la différence de l’Ec‑
clésiaste, sa pensée est étrangère à toute tendance religieuse : « fortement emprunt de
taoïsme, ce système s’écartait de celui de Laozi […] par l’absence de toute recherche
mystique » (Maspero, 1927, p. 426).
2. A. Cheng le situe au plus tôt en 250 av. J.-C. (Cheng, 1997, p. 188) et elle cite
à l’appui de cette thèse des études qui vont jusqu’à le dater de la fin du iiie siècle, voire

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La philosophie chinoise

Évolution de la pensée confucianiste


Aiguillonné par la pression concurrentielle régnant durant
les Royaumes Combattants, le confucianisme évolue lui aussi.
Pour survivre, il doit désormais argumenter, réfuter, se présen‑
ter comme une doctrine cohérente. Telle est l’œuvre de Mengzi/
Mencius (c. 372‑289), qui transforme la pensée de Kongzi en une
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authentique philosophie de la nature humaine et des devoirs qui
incombent à l’homme en société. Par rapport aux philosophes de
son temps, il peut passer pour un conservateur un peu idéaliste,
mais si on le compare aux confucéens qui le précèdent et à la pre‑
mière génération des mohistes, il manifeste au contraire un souci
inédit d’associer les exigences de la morale aux réalités sociales
(son moralisme l’oppose aux légistes et son pragmatisme aux pre‑
miers mohistes et aux anciens confucianistes). Zenker remarque
en ce sens qu’il a « une philosophie sociale et juridique d’allure
parfois tout à fait moderne. Il a, sur l’économie politique, des idées
très saines et très objectives. Il s’exprime avec compétence sur les
avantages et les désavantages des divers systèmes de contributions,
sur les impôts, les corvées, les douanes, et voit très clairement la
nécessité de la division du travail1 ». Mengzi veut rendre sa morale
praticable et montre que cela suppose des conditions convenables
d’existence matérielle2. Les hiérarchies sociales sont justifiées par les
besoins de la spécialisation et par les mérites individuels, non par
des privilèges héréditaires. Il relativise l’importance des catégories

même du début du iie siècle (Gu Jiegang et D. C. Lau, in M. Loewe, Early Chinese
Texts : A Bibliographical Guide, Berkeley, University of California, 1993, p. 270‑271).
1. Zenker, 1926, p. 243. Étiemble force cette interprétation, au point d’affirmer
qu’il donne « un cours complet d’économie politique » et qu’il « eut le mérite et le
courage d’affirmer que les “superstructures” […] dépendent strictement de l’état des
“infrastructures” » (Étiemble, 1956, p. 160).
2. « Kongzi avait exalté la justice. Mengzi essaya de préciser quelle forme prendrait
une économie raisonnable » (Étiemble, 1956, p. 160). Ce qui fait conclure à l’auteur :
« Malgré son optimisme et son goût de l’utopie, je vois plutôt en lui [Mengzi] un esprit
positif » (p. 167).

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Histoire mondiale de la philosophie

sociales en affirmant que la nature humaine est la même en tous,


donc que chacun peut devenir un sage s’il s’applique à développer
ses potentialités morales naturelles.
Les idées les plus novatrices de Mengzi paraissent toutefois
archaïques à la lecture de Xunxi (c. 298-c. 238). Tout en s’ins‑
crivant dans la lignée confucéenne, il révolutionne la philosophie
de la nature humaine et la conception de la morale, à la faveur
d’une philosophie de la culture et de l’éducation complètement
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inédite : la nature humaine n’est pas bonne en soi ; c’est l’édu‑
cation, la société, l’étude, les rites, la discipline, qui élèvent les
individus. Ces considérations socio-anthropologiques sont asso‑
ciées à une vision-du-monde sécularisée : le Ciel « n’est plus qu’un
ensemble de forces de la nature, une entité sans qualité morale
et sans aucune espèce de personnalité ni de volonté. C’est pour‑
quoi les règles morales ont une origine purement humaine et il
n’existe pas de providence divine. Xunxi inaugurait ainsi au sein
du confucianisme une tendance plus rationaliste1 » – et même un
scepticisme prononcé2. En somme, il culturalise la morale en même
temps qu’il naturalise le Ciel et les vieux principes cosmologiques.
Nous avons affaire à un esprit universel, qui s’intéresse à tout
sans préjugé3. Tout en profitant de l’influence bénéfique des Cent
Écoles, il s’attache à les réfuter toutes (sauf celle de Kongzi) dans
des traités systématiques qui, fait nouveau, sont écrits directement
de sa main4.

1. Kaltenmark, 1972, p. 24.


2. « L’agnosticisme […] trouve en Xunxi son plus ardent porte-parole » (Zenker,
1926, p. 253). R. Étiemble insiste aussi sur « son refus de tout au-delà, de toute
transcendance, bref : son agnosticisme » (Étiemble, 1956, p. 169). Dans la notice qu’il
rédige pour l’Encyclopaedia Universalis, K. Schipper le considère même comme un
« matérialiste ».
3. C’est pourquoi R. Étiemble conclut : « Si riche que soit la Chine en philosophie,
il y en a peu qui l’égalent : aussi doué pour la logique et l’épistémologie que pour
la réflexion morale et politique, aussi métaphysicien que sociologue, aussi précis que
virulent » (Étiemble, 1956, p. 169).
4. « Pour la première fois dans l’histoire du confucianisme, nous avons ici un
auteur qui expose lui-même ses propres idées » (Demiéville et Hervouet, 1995, partie III,
« L’époque des principautés en guerre »).

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La philosophie chinoise

Œuvres transitoires
À la fin de la période qui nous occupe s’annonce déjà la grande
tendance syncrétiste qui caractérise l’ère postclassique. Certains
ouvrages « encyclopédiques » le manifestent clairement, tel le Guanzi
– manuel de gouvernement amalgamant des éléments légistes,
taoïstes et confucéens. On le voit aussi dans la grande synthèse
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« naturaliste » de Zou Yan (305‑240 ou 340‑260) – systématisation
numérologique de la cosmologie traditionnelle (les Cinq Éléments,
les Cinq Phases cosmiques, les Quatre Saisons, etc.), qui constitue
la base des pratiques alchimiques et divinatoires ultérieures1. Cette
cosmologie métaphysique aura beaucoup d’influence en philosophie,
à une époque où l’astronomie ouvrira d’autres perspectives. Mais à
l’époque des Royaumes Combattants, les recherches savantes sont
encore indistinctes de la philosophie2.

3) Philosophie antique postclassique


(~250 av. J.-C. à ~400 apr. J.-C.)

Vers le milieu du iiie siècle, le peuple chinois et les intellec‑


tuels semblent lassés de la concurrence, du pluralisme et, plus
directement, des guerres continuelles qui ravagent la Chine. L’ère
du temps est à la synthèse, à la conciliation, à la paix. La Chine
se prépare à l’unification impériale et, parallèlement, au syncré‑
tisme philosophique. L’avènement de l’empire Qin puis Han est

1. Selon N. Vandier-Nicolas, Zou Yan manifeste néanmoins un authentique intérêt


pour « l’observation des phénomènes naturels » ; « Curieux de tout, il classa les mon‑
tagnes célèbres de la Chine, ses fleuves, sa faune et sa flore » (Vandier-Nicolas, 1969,
p. 343 et 346). De plus, il « était un esprit indépendant [dont les] vues, d’ailleurs
remarquables, étaient parfois hétérodoxes » (p. 348).
2. « Nous en sommes encore au premier stade du développement de la pensée
chinoise, avant la différenciation entre religion et science », dit J. Needham (Needham,
1976, p. 114). L’observation du ciel est le fait d’astrologues et de devins tels que Shi
Chen, Gan De et Wu Xian (voir Maspero, 1929).

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Histoire mondiale de la philosophie

en cela comparable à celui des empires hellénistique et romain1 : à


chaque fois, l’unification politique et les transformations sociales
qui en résultent se traduisent, sur le plan intellectuel, par un
amalgame de diverses tendances et un retour en force de visions
quasi religieuses de l’Univers. Le confucianisme et le taoïsme sous
les Han sont l’équivalent du stoïcisme ou du néopythagorisme
hellénistique et romain – réenchantement du monde par divers
moyens : hylozoïsme, vitalisme, anthropomorphisme, astrologie,
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symbolisme universel, doctrine des correspondances microcosme-
macrocosme, etc.
En même temps qu’ils subissent les charmes de la religiosité, les
philosophes sont également séduits par ceux de la Tradition. L’enjeu
n’est plus d’apprendre ni de découvrir, car la vérité est déjà consi‑
gnée dans les vieux ouvrages élevés au rang de « Classiques ». Éditer
et commenter les auteurs du passé, telle est la tâche du philosophe.
En Chine comme en Islam, en Inde ou en Europe, la philosophie
postclassique devient donc une entreprise d’interprétation des Clas‑
siques. Les philosophes ne sont plus – comme aux ive-iiie siècles –
des penseurs indépendants et libres, circulant de cour en cour pour
vendre leurs services ; ils sont désormais fonctionnaires, agents de
l’État, formés par l’État, payés par l’État, encadrés par l’État. Aussi
se mettent-ils à penser comme l’État, c’est-à-dire à épouser la doc‑
trine officielle2. Au même moment apparaît un nouveau type de
discours : plus savant, plus spécialisé, avec des méthodes de travail

1. « L’empire Han fut l’époque romaine de la Chine » (Pirazzoli-T’Serstevens,


1982, p. 8).
2. À quelques exceptions près, bien entendu. E. V. Zenker résume ainsi l’état de la
philosophie à la fin de « l’ère classique » : les philosophes « ont dispersé leurs forces
dans de puériles luttes d’écoles, rabaissé la dignité de la philosophie jusqu’à des joutes
dialectiques verbales, et sont passés peu à peu de la libre discussion des idées à un
répugnant espionnage de leurs adversaires et à une intolérance papiste. Cette très riche
floraison [de « l’ère classique »], bien certainement une des plus luxuriantes de l’esprit
humain, semblait ne devoir donner aucun fruit. On déplorait de plus en plus hautement
et vivement l’incohérence spirituelle et la stérilité de la philosophie d’école ; et le désir
d’une synthèse dans le domaine intellectuel se manifestait de plus en plus vivement »
(Zenker, 1926, p. 256 et 257).

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La philosophie chinoise

révolutionnaires et producteur de connaissances inédites. Les phi‑


losophes ne s’y intéressent pas.

Fin des Royaumes Combattants et débuts de l’Empire


(~250 à 206 av. J.-C.)
Les tendances syncrétistes de la fin des Royaumes Combattants
sont désormais manifestes dans toutes les productions intellectuelles,
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quelles que soient leurs formes ou leurs affiliations. Il s’agit à chaque
fois de concilier les idées-forces d’une tradition particulière (taoïste,
confucéenne ou légiste) avec les principes d’une philosophie de la
Nature qui remonte aux vie-ve siècles (systématisée par Zou Yan
durant la première moitié du iiie siècle). Les futurs Classiques confu‑
céens sont mis en forme (comme le Yi jing) ou rédigés (comme la
Grande Étude/Daxue, qui expose les principes du gouvernement
par la vertu). Surtout, on compile le Lüshi Chunqiu/les Annales
des Printemps et Automnes de Lu vers 241‑235. Il s’agit d’une
commande du ministre de l’État Qin Lu Buwei, où sont regroupés
tous les courants de pensée antérieurs. Du côté de l’école taoïste,
on complète le Zhuangzi d’un dernier chapitre qui tranche, par
son syncrétisme, avec le reste du texte. Par ailleurs, le Tao te jing
– dont nous avons vu qu’il datait probablement de cette période –
est rédigé ou mis en forme, ce qui renforce considérablement l’allure
mystique et religieuse de la philosophie taoïste.
Le plus grand penseur de la période est incontestablement le
légiste Han Feizi (c. 280-c. 234). On voit à ses tendances taoïsantes,
cosmologiques et syncrétiques (il cherche une synthèse de tous les
courants1) qu’il n’est déjà plus dans l’esprit classique. Nonobstant,
la qualité de son œuvre est évidente pour tous les historiens des

1. « C’était un éclectique qui mélangeait l’activisme de Kongzi avec le pacifisme


taoïste, et l’idéalisme de Laozi avec l’utilitarisme de Mozi ; ce qui, étant données les
contradictions qui existaient entre ces doctrines, ne pouvait se faire sans mutilations
et sans diminution des unes et des autres. Pourtant, ce syncrétisme correspondait pré‑
cisément à l’esprit et au goût de l’époque, qui tendait vers l’unité à tous les points de
vue » (ibid., p. 261).

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Histoire mondiale de la philosophie

idées et son Tao du Prince (appelé communément le Hanfeizi) est


l’un des plus importants livres de philosophie politique de l’his‑
toire chinoise1. Outre sa vision originale des rapports sociaux, des
rapports de pouvoir et de la « comédie humaine » en général, il
conçoit une sorte de philosophie de l’histoire non traditionaliste : les
problèmes nouveaux des époques nouvelles réclament des solutions
nouvelles et non pas l’application de vieilles recettes de gouvernance
ou de principes désincarnés2.
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Les idées légistes triomphent chez les réformateurs de l’État Qin,
avant de s’imposer comme idéologie officielle et autoritaire de l’em‑
pire unifié par Shi Huangdi (premier empereur de la dynastie Qin
de 221 à 207 ; équivalent d’Auguste pour la Chine). À l’aide de
son ministre Li Si (c. 280‑208) – également philosophe légiste – Shi
Huangdi mène une vaste politique répressive consistant à éliminer
toutes les doctrines dissidentes. Cette politique d’unification forcée
culmine dans l’autodafé de 213. Mais ce régime totalitaire suscite
de multiples rébellions, qui font chuter la dynastie en 206.

Évolution de la philosophie sous les Han


(206 av. J.-C. à 220 apr. J.-C.)
Après l’étouffement de la pensée sous les Qin, le début des Han
paraît comme une libération. On n’en revient pas pour autant à la
créativité intellectuelle des Royaumes Combattants ; le syncrétisme
ne cesse pas de gagner les esprits. Quoique adeptes du taoïsme, les
premiers empereurs comprennent qu’ils ont politiquement intérêt
à se rallier la classe des lettrés confucéens et à mettre en place
une doctrine d’État qui soit la contrepartie intellectuelle de l’unité
impériale.
Cette unification des esprits se fait sur la base de l’œuvre phi‑
losophique de Dong Zhongshu (c. 179-c. 104 ou 195‑115), qui

1. J. Levi le met au niveau de la République de Platon, du Léviathan de Hobbes,


du Prince de Machiavel et du Contrat social de Rousseau (Levi, 1999, p. 9).
2. Feng Youlan qualifie cette position de « révolutionnaire » (Feng Youlan, 1934,
p. 173). Voir aussi « Han Feizi et le sens de l’histoire » (Levi, 1999, partie V).

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La philosophie chinoise

s’attache à faire correspondre exactement l’ordre céleste et l’ordre


humain, selon un système de correspondances hautement spécula‑
tif. Sa doctrine présente une sorte de réinvention métaphysique du
réel : le monde entier est réglé selon des principes cosmologiques et
des polarités ontologiques inspirées du Yi jing1. Sur la base de ces
principes, Dong Zhongshu élabore une cosmo-histoire spéculative
(chaque dynastie correspond à un moment cosmique particulier) qui
ressemble à une Naturphilosophie hégélienne exacerbée2. Il participe
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par ailleurs à l’établissement du système d’examen impérial et à la
formation des lettrés, de sorte que sa doctrine s’impose dorénavant
à tout intellectuel désirant faire carrière. Un véritable « monopole
intellectuel3 » est mis en place à partir de 124 av. J.-C.4. Ainsi
sont canonisés les Classiques confucéens, compris non comme des
œuvres philosophiques particulières, mais comme « la texture même
de l’univers. Ils représentent l’univers lui-même transcrit, mis en
signes5 ». La vérité éternelle étant contenue dans les Classiques, il
ne reste qu’à les réciter. L’orthodoxie tente d’étouffer toute pensée
novatrice.
Tandis que le confucianisme s’impose comme philosophie offi‑
cielle, le taoïsme ne cesse pas de gagner les esprits et d’influencer ce
même confucianisme. Peu avant 122 av. J.-C. est rédigé le Huainanzi
– équivalent de la doctrine syncrétique de Dong Zhongshu dans une
version plus particulièrement taoïste6. Le Liezi/Le Vrai Classique
du vide parfait, un autre grand classique taoïste rédigé sous les

1. Il finit ainsi par « confondre la sagesse avec un enseignement livresque et une


morale de caste » (Granet, 1934, p. 467).
2. Voir à ce sujet Vandermeersch, 1979‑1992, Conférence de 1984, p. 126. Sur
l’avènement de la pensée des correspondances Ciel-Terre-Homme, voir Cheng, 1983.
3. Cheng, 1984, p. 21.
4. « le savoir classique en Chine se constitue ainsi d’emblée sous l’égide du pouvoir
politique, ce dernier dictant ce que tout un peuple doit savoir et penser » (ibid.).
5. Ibid., p. 25.
6. Le Huainanzi « représente assez bien les tentatives de syncrétisme qui ont marqué
cette époque, s’essayant à concilier les idéaux taoïstes et confucéens en les assortissant
de composantes empruntées au légisme » et à l’École du Yin-Yang et des Cinq Éléments
(Robinet, 1991, p. 53‑54).

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Histoire mondiale de la philosophie

Han, accentue les tendances anti-intellectualistes et quiétistes de ce


courant. En outre, un taoïsme religieux vient désormais compléter
le taoïsme philosophique. Populaire, mais gagnant aussi certains
milieux intellectuels, il vise, par diverses pratiques ésotériques et
« alchimiques », à prolonger la vie et gagner l’immortalité. Il est
aussi à l’origine de courants messianiques jouant un grand rôle dans
les troubles politiques de l’empire Han. Le Taiping jing/Livre de la
Grande Paix est l’un des livres sacrés de cette forme de taoïsme,
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rédigé au ier siècle av. J.-C. L’auteur du Laozi, quant à lui, est
divinisé comme Saint cosmique et personnification du Tao, vers le
milieu du iie siècle apr. J.-C.1. Au-delà même de la religion taoïste,
c’est « l’esprit du temps [qui] était saturé de spéculations occultes,
de pratiques magiques2 ».
Dans ce contexte d’orthodoxie et de mysticisme, quelques auteurs
indépendants cherchent une philosophie plus authentique et pro‑
testent contre la mainmise de l’enseignement officiel sur les textes
classiques. Ces confucéens sont partisans des « Textes anciens »
contre les défenseurs des « Textes nouveaux » – c’est-à-dire les
tenants de l’orthodoxie depuis Dong Zhongshu. La protestation de
Yang Xiong (53 av. J.-C.-18 apr. J.-C.) est assez formelle puisque,
malgré son indépendance d’esprit, il est ramené à un système com‑
parable à celui de Dong Zhongshu. Son disciple Huan Tan (43
av. J.-C.-28 apr. J.-C.) met clairement à distance les spéculations
mystico-métaphysiques (c’est d’ailleurs un proche du grand astro‑
nome Liu Xin), mais il ne semble pas avoir produit une œuvre
philosophique originale. Le premier dissident majeur, faisant vérita‑
blement exception à l’âge postclassique, est Wang Chong (27-c. 100).
Cet esprit libre et sceptique conspue l’orthodoxie, le traditionalisme
et les superstitions de son temps – ce qui lui vaut d’être comparé
au Grec Lucien de Samosate. Son œuvre n’est pas que négative et
critique : il élabore une philosophie de la nature originale, dans
le souci de la stricte rationalité et des exigences de l’observation

1. Ibid., p. 56.
2. Pirazzoli-T’Serstevens, 1982, p. 129.

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La philosophie chinoise

empirique – autant qu’il le pouvait1. Penseur trop élevé pour son


époque, il ne fait pas école.
Après lui, il faut encore mentionner Wang Fu (c. 90-c. 165),
confucéen proche de la pensée taoïste qui peste contre les supers‑
titions de ses contemporains, contre l’ergotage des lettrés, et qui
manifeste un intérêt pour les recherches positives (comme celles de
Zhang Heng)2. À la génération suivante, Cui Shi (c. 110-c. 170)
restaure la pensée légiste et le réalisme qui la caractérise. Lui aussi
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critique sévèrement l’attachement aveugle des lettrés aux Classiques,
qui les empêche de comprendre les enjeux politiques et sociaux de
l’époque3. À la toute fin des Han, Zhongchang Tong (180‑220)
renoue avec tout ce que la philosophie peut avoir de grandiose :
esprit d’indépendance, refus du traditionalisme et de l’orthodoxie,
dénonciation des privilèges sociopolitiques de la caste des lettrés,
esprit rationnel et positif dans la recherche de la vérité (singulière‑
ment en histoire)4.
Au total, ces auteurs témoignent du fait qu’il est toujours pos‑
sible de nager à contre-courant de l’orthodoxie et du mysticisme
dominants. Mais leur destin est d’être isolés5 et souvent dédaignés
par leurs contemporains.

La pensée savante, des Han à la fin de l’Antiquité


(iie siècle av. J.-C. au ive siècle apr. J.-C.)
Pendant que les philosophes interprètent les Classiques et spé‑
culent sur les rapports magiques immanents au Cosmos, un type

1. Voir Dars, 1995. Également : Zenker, 1926, p. 359‑369 ; et Vandermeersch,


1979‑1992, Conférence de 1985, p. 164‑167.
2. Balazs, 1968, chap. 5, « La crise sociale et la philosophie politique à la fin des
Han » (1948).
3. Ibid.
4. Vandermeersch, 1979‑1992, Conférence de 1985, p. 169‑170. Voir aussi Balazs,
1968, chap. 5.
5. Nous en avons mentionné six en l’espace de deux siècles. Même en considérant
que beaucoup ont été oubliés par l’histoire, cette densité est loin d’équivaloir celle de
l’époque classique.

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Histoire mondiale de la philosophie

nouveau de recherche voit le jour, plus rationnel et plus soucieux de


validation empirique. Il n’est pas abusif de qualifier ces travaux de
scientifiques même si, comme on l’a dit, ils demeurent attachés à des
exigences utilitaires, pratiques ou administratives. Ce savoir ne peut
être reconnu officiellement dans sa spécificité, puisque, la vérité étant
une et les bureaucrates n’admettant que celle des Classiques, c’est
aux savants de montrer la compatibilité de leurs recherches avec les
vérités archaïques du Yi jing et autres Canons. Pourtant, la nécessité
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d’établir un calendrier exact pour les pratiques rituelles contraint la
Cour et les astronomes à faire des compromis avec ces livres sacrés
– lesquels ne permettent évidemment pas de faire des prévisions pré‑
cises. Ce dilemme se résout par l’abandon progressif, par les savants,
de la vision cosmologique de l’orthodoxie1. On pourrait dire, en
forçant le trait, que la science s’autonomise par rapport à la religion
et la philosophie, laissant celles-ci à leurs visions fantasmatiques de
l’Univers – mais il serait plus juste de dire que les savants ont simple‑
ment obtenu suffisamment d’indifférence de la part des orthodoxes
pour pouvoir mener leurs recherches2. À la fin de ce processus, « les
astronomes chinois, loin d’être serviles envers les caprices a priori de
la philosophie, ne leur accordent que bien peu d’attention3 ».
Au début des Han, nous sommes encore loin de cette situation,
mais déjà paraissent des recherches spécialisées. On le voit avec
l’édition des premiers ouvrages classiques de mathématiques (le
Jiuzhang suanshu/Neuf chapitres sur l’art mathématique, le Clas-
sique mathématique du gnomon des Zhou – qui traite également
d’astronomie –, le Suan shu shu puis le Zhou Bi Suan Jing). Des
livres de médecine et d’histoire voient également le jour aux iie et
ier siècles av. J.-C. Le Shiji, en particulier, œuvre du grand historien

1. Sur ce dilemme et sa résolution, voir Sivin, 1969.


2. Et réciproquement : « Le dilemme [de l’autorité intellectuelle de la cosmologie
classique, d’une part, et de l’exigence d’exactitude dans les prévisions astronomiques,
d’autre part] fut résolu, non par la substitution de nouvelles hypothèses [métaphysiques]
plus conformes à la complexité des phénomènes par les astronomes, mais par le fait que
ceux-ci sont devenus indifférents envers la cosmologie [philosophique] » (ibid., p. 1).
3. Ibid., p. 4.

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La philosophie chinoise

Sima Qian (145‑87). Un peu plus tard, l’astronome Liu Xin (c. 50
av. J.-C.-23 apr. J.-C.) se distingue par ses innovations et son indé‑
pendance à l’égard de l’orthodoxie1. Il marque un tournant dans
l’histoire intellectuelle, car « Contrairement aux auteurs qui pra‑
tiquaient l’astronomie en relation avec l’astrologie, Liu Xin et les
auteurs qui lui sont postérieurs les traiteront séparément2 ». Après
lui, il faut citer Zhang Heng (78‑139) : astronome, mathématicien,
ingénieur, géographe, cartographe et sismologue3. Les deux grands
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savants de la fin des Han sont les médecins Hua Tuo (c. 140‑208)
et surtout Zhang Zhongjing (150‑219) – souvent comparé à Hippo‑
crate. En philologie et lexicographie, autres recherches spécialisées,
mentionnons Xu Shen (c. 58-c. 147), auteur du premier dictionnaire
étymologique chinois (le Shuowen Jiezi). À l’époque suivante, l’acti‑
vité scientifique conserve un bon niveau avec les travaux du célèbre
mathématicien Liu Hui (seconde moitié du iiie siècle), du carto­
graphe Pei Xiu (224‑271) et des astronomes du ive siècle Chen
Zhuo, He Chengtian et surtout Yu Hi (qui découvre la précession
des équinoxes)4.

e e
La philosophie aux iii et iv siècles
Avec le délitement de l’autorité Han disparaissent les systèmes
de recrutement administratif et de contrôle de la pensée. Les lettrés
se retrouvent livrés à eux-mêmes, hors du carcan bureaucratique.

1. Quand il a recours à des explications numérologiques fondées sur le Yi jing, c’est


pour justifier a posteriori, auprès des autorités, ses propres calculs (voir M. Teboul, Les
Premières Théories planétaires chinoises, Paris, Collège de France, 1983 ; et le compte
rendu de K. Chemla : Chemla, 1989).
2. Chemla, 1989, p. 416.
3. H. Maspero insiste particulièrement sur l’importance de sa sphère armillaire
– instrument par excellence de l’astronomie chinoise (Maspero, 1932, p. 31). Son
étude, qui porte plus sur les instruments scientifiques et les techniques d’observation
astronomique que sur les théories, montre que la science chinoise prend son essor vers
le ier siècle apr. J.-C.
4. Sur la science de cette époque, outre les références déjà citées, on peut se reporter
à Yabuuti, 1974 ; et Martzloff, 1985.

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Histoire mondiale de la philosophie

Ils se font poètes, philosophes, libertins, anarchistes, nihilistes ou


provocateurs divers ; refont le monde à l’occasion de « Causeries
pures » et se regroupent dans des cénacles de penseurs tel celui des
Sept Sages de la forêt de bambous1. Les transformations politiques
et sociales expliquent le renouvellement, au iiie siècle, des idées
philosophiques2. Mais selon quelle orientation ? Ce n’est pas la
connaissance positive qui attire la jeune génération, mais le Mystère
Suprême, le Tao, l’Indicible… La philosophie se renouvelle dans le
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sens d’une accentuation du mysticisme.
L’École des Mystères/Xuanxue domine toute la production intel‑
lectuelle du iiie siècle avec des auteurs comme He Yan (c. 200-c. 250,
aussi homme politique influent), Xiang Xiu (221-c. 300, important
commentateur du Zhuangzi), Wang Bi (226‑249, le plus grand
métaphysicien de l’époque) ou encore Guo Xiang (c. 252‑312,
célèbre éditeur et interprète du Zhuangzi, dans un sens radicalement
nouveau). S’ils conservent Kongzi comme référence ultime, c’est le
taoïsme qui fait l’objet de leurs recherches. Un « néo-taoïsme »,
plutôt, car il est plus raisonneur que l’ancien et déjà très proche de
la métaphysique bouddhiste.
Depuis le ier siècle, en effet, le bouddhisme – venu d’Inde –
ne cesse d’accroître son influence. Après la chute des Han, il se
diffuse d’autant plus qu’il prend l’apparence du taoïsme – le Tao
et le « Faîte Suprême » comme Mystère ultime ne sont pas très
éloignés de l’Ainsité ou de la Bouddhéité du Mahâyâna. C’est mani‑
feste au ive siècle, quand le moine bouddhiste Zhi Dun (314‑366)
tente une synthèse philosophique du bouddhisme et du Xuanxue.
À cette époque, la philosophie tend à disparaître, noyée dans les
religions de Salut (immortalité taoïste et nirvâna bouddhique) et
dans l’attrait universel pour la magie. Le grand alchimiste taoïste
Ge Hong/Baopuzi (283‑343) est peut-être le seul penseur original
de ce siècle.

1. Holzman, 1956.
2. Sur l’esprit de cette période, voir Balazs, 1968, chap. 6 : « Entre révolte nihiliste et
évasion mystique. Les courants intellectuels en Chine au iiie siècle » (1948). Également :
Holzman, 1956 ; Vandermeersch, 1979‑1992, Conférence de 1986.

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La philosophie chinoise

La société se reféodalise, des hordes barbares envahissent la


Chine par le nord et s’y font la guerre. La grande invasion des
Huns en 317 ressemble à celle qui s’abat sur le monde romain,
un siècle plus tard. La fin de l’empire Han est comparable à celle
de l’Empire romain, aux plans politique et intellectuel1. Le cycle
antique est achevé.
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II. Cycle médiéval (~400 à 1368)

Des grandes invasions barbares du début du ive siècle à la réunifi‑


cation Sui de la fin du vie siècle, la Chine traverse la période la plus
sombre de son histoire – occupée par des peuples étrangers, divisée
en de multiples royaumes, féodalisée2. Pendant ces âges obscurs, la
culture traditionnelle ne disparaît pas mais, affaiblie et effritée, elle
se laisse pénétrer par une culture d’importation – le bouddhisme.
« Au cours de ces siècles tempétueux, le bouddhisme prend un essor
extraordinaire3 » parce que la Chine est sans défense, prête à se
vouer à n’importe quel dieu qui puisse soulager ses souffrances.
C’est même le bouddhisme qui pourrait sembler le plus étranger à
la pensée chinoise traditionnelle, le Mahâyâna, qui s’impose. Les
philosophes chinois n’ont jamais imaginé que le monde, la nature,
le Cosmos, la société, les hommes, les ancêtres, que tout cela pût
être une vaste illusion, simples phénomènes évanescents. Il faut un
trouble profond dans les esprits pour que l’idéalisme du Grand Véhi‑
cule – même taoïsé comme il l’est d’abord – se montre séduisant.
Plus tard, quand la Chine se relèvera, elle chassera cette doctrine

1. Le taoïsme religieux et le bouddhisme jouant le rôle du néopythagorisme et du


christianisme dans l’Empire romain ; et, dans les deux civilisations déclinantes, le même
attrait croissant pour la magie et l’astrologie.
2. Le système seigneurial et l’aristocratie héréditaire réapparaissent. Sur ce point
d’histoire, voir par exemple Maspero et Balazs, 1953, partie III.
3. Vandermeersch, 1979‑1992, Conférence de 1987, p. 93.

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Histoire mondiale de la philosophie

« moyenâgeuse » pour accomplir une Renaissance comparable à


celle de l’Occident.

1) Philosophie médiévale préclassique (~400 à ~1030)

Prépondérance du bouddhisme
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jusqu’au milieu du viiie siècle
La philosophie perd toute vitalité au ive siècle, tandis que la
religion bouddhiste accélère son implantation. Mais dès le ve siècle,
le bouddhisme se montre capable de stimuler la vie intellectuelle
par de nouveaux enjeux théoriques. Cette créativité précoce marque
le début d’une période de quatre siècles de reconstruction de la
philosophie chinoise. Le grand débat qui agite le ve et le début du
vie siècle est celui de la survie de l’esprit après la mort du corps.
Ses principaux acteurs sont le bouddhiste Zheng Xianzhi (363‑427,
qui écrit De l’indestructibilité de l’esprit), He Chengtian (370‑447,
confucéen versé dans l’astronomie et les mathématiques), Shen
Yue (441‑513, lettré de tendance syncrétiste, auteur de L’esprit est
indestructible) et Fan Zhen (c. 450-c. 515, confucéen auteur d’un De
la destructibilité de l’esprit). Les autres esprits de la période sont les
disciples du traducteur indien Kumârajîva : Daosheng (c. 360‑433)
et Sengzhao (c. 380‑414), qui introduisent la doctrine Mâdhyamika
de leur maître. Le fameux peintre Zong Bing (375‑443) écrit quant
à lui une très novatrice Introduction à la peinture de paysage. Si on
ajoute à ce tableau du ve siècle Zu Chongzhi (429‑500, mathéma‑
ticien et astronome), Zu Kengzhi (c. 450-c. 520, géomètre) et Fan
Ye (399‑445, historien), on voit à quel point la vie intellectuelle se
relève rapidement.
Ceci dit, l’effet stimulant du bouddhisme ne doit pas tromper sur
la nature de la production philosophique qui se met en place : il
s’agit d’une philosophie d’écoles, où chaque penseur est avant tout
un disciple travaillant dans la continuité de son maître. Une véritable
scolastique s’installe à partir du vie siècle : philosophie raisonneuse,

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La philosophie chinoise

sans doute, mais surtout querelleuse avec les doctrines concurrentes


et toujours à partir d’un cadre établi a priori. Chaque école a son
patriarche, vénère une généalogie (parfois bricolée) de patriarches1
et se démarque des autres écoles par cette filiation – ainsi que par
quelques spécificités théoriques ou confessionnelles, son implan‑
tation géographique et ses traditions. Les débats ne concernent
plus les rapports corps-esprit, mais plutôt la question de savoir
si l’illumination bouddhique se fait graduellement ou subitement2
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– enjeu plus religieux que philosophique. Au fond, l’évolution de la
philosophie bouddhiste en Chine se résume aux étapes suivantes :
transformation d’écoles indiennes en écoles proprement chinoises ;
prépondérance progressive de ces dernières ; épisodes divers mar‑
quant leurs rivalités ; triomphe de l’école Chan sur ses concur‑
rentes. Parmi les grands philosophes bouddhistes de la période, on
peut citer Zhiyi/Tche-kai (538‑597, Tiantai), Hongren (601-c. 674,
Chan), Xuanzang (602‑664, Yogâcâra), Shenxiu (606‑706, Chan),
Huineng (638‑713, Chan) et Fazang (643‑712, Huayan).
Parallèlement, les philosophies confucéenne et taoïste se
reconstituent en établissant un corpus de textes de référence –
« volonté d’orthodoxie » comparable à celle du bouddhisme. Kong
Yingda (574‑648) est ainsi chargé par le gouvernement confucéen
d’éditer les Classiques. Dans son livre La Signification authentique
des Cinq Classiques, il tente une interprétation conciliatrice au
moyen d’arguments techniques typiquement scolastiques. De son
côté, le taoïsme assimile le bouddhisme dans le Livre du sens de
la doctrine taoïste (Daojiao yi Shu, viie siècle). Plus tard, l’empe‑
reur Xuanzong (règne 712‑756) rédige un Commentaire au Tao te
jing dans le même esprit conciliateur3. Sur les plans ­sociopolitique

1. La formation d’une telle « tradition patriarcale » a été étudiée par B. Faure sous
le nom de « volonté d’orthodoxie dans le bouddhisme chinois » (Faure, 1988).
2. B. Faure montre comment la dualité du « subitisme » et du « gradualisme » est
en partie le produit de divers arrangements avec la vérité historique, pour les besoins
d’orthodoxie de la secte finalement dominante – le Chan.
3. Globalement, « l’époque Tang est pour le taoïsme une époque de consolidation
et de coordination » (Robinet, 1991, p. 188).

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et philosophique, l’époque Tang (surtout de 618 au milieu du


viiie siècle) est celle d’une reconstruction : l’État établit des fron‑
tières (puis envahit ses voisins), reconstitue son administration et
son système de recrutement par examens, tandis que la philoso‑
phie se cherche des fondations solides dans le passé ou dans des
orthodoxies instituées.
Cette mentalité tranche avec celle d’auteurs comme Wang
Xiatong (580‑640, mathématicien et astronome), Sun Simo (c. 601‑682,
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médecin auteur du Qianjinfang), Yi Xing (683‑727, astronome,
mathématicien et ingénieur) et Liu Zhiji (661‑721, historien et his‑
toriographe, auteur des Généralités sur l’histoire/Shitong), dont les
innovations laissent soupçonner des esprits libres de toute attirance
traditionaliste ou scolastique.

L’ère des troubles et la petite Renaissance confucéenne


(~750 à ~1030)
À partir de 755, la dynastie Tang entre dans une période de
troubles dont elle ne se remettra pas (révoltes intérieures, anarchie,
brigandage, menaces aux frontières). Sur le plan philosophique,
deux tendances se font jour, l’une et l’autre inscrites dans le cadre
d’une renaissance confucéenne. La première prolonge la volonté
d’orthodoxie et la recherche de fondation qui caractérisent l’époque
précédente. La nouveauté vient du changement de rapport de force
entre les « Trois enseignements » : le confucianisme commence à
s’imposer face au taoïsme et au bouddhisme. Ces derniers sont
accusés d’avoir corrompu la culture chinoise – qu’il convient donc
de restaurer. Ce « courant de néoconfucianisme intégriste [est]
éminemment représenté par [le lettré] Han Yu1 » (768‑824). Mais
la deuxième tendance (réformiste, anti-traditionaliste, sceptique
et naturaliste) est déjà visible chez cet auteur, resté célèbre pour
avoir critiqué le nihilisme bouddhiste et moqué ses penchants ido‑
lâtres. Son audace le mène jusqu’à faire des remontrances écrites

1. Vandermeersch, 1979‑1992, Conférence de 1989, p. 128.

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La philosophie chinoise

à l’empereur quand celui-ci accueille dans son Palais une relique


de Bouddha en 819. Son disciple Li Ao (772-c. 836) prolonge son
œuvre de restauration du confucianisme et développe la théorie de
la nature humaine qu’il avait esquissée.
La tendance la plus novatrice vient plutôt du courant réformateur
impulsé par l’homme politique Wang Shuwen (735‑806). Dans son
sillage, Liu Zongyuan (773‑819) et Liu Yuxi (772‑842) sont deux
grands philosophes de la fin des Tang promouvant un confucianisme
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épuré des conceptions cosmologiques et providentialistes. Davan‑
tage précurseur d’une pensée matérialiste que du néoconfucianisme
stricto sensu, leur travail consiste à « ramen[er] systématiquement
les phénomènes cosmiques à des causes purement physiques, et [à]
renvers[er] la croyance aux prodiges de toute sorte1 ». Cela, dans
le cadre du confucianisme – raison pour laquelle on peut dire qu’ils
participent à la Renaissance de cette philosophie. Après eux, la
Chine s’enfonce dans l’anarchie, de telle sorte que la production
philosophique devient difficile. Le bouddhisme fait l’objet d’une
répression féroce en 845, qui met un terme à sa vitalité intellec‑
tuelle – même si l’école Chan survit quelques siècles. Les troubles
sociaux et politiques sont tels que la phase de reconstruction et
de progrès initiée au ve siècle s’interrompt jusqu’à l’avènement des
Song en 9602.
Une fois l’ordre rétabli, tout se passe comme si l’histoire de la
philosophie reprenait son cheminement là où elle l’avait suspendu
un siècle plus tôt. Avec toujours la double tendance : retour au
confucianisme antique par désir de fondement et de ressourcement
métaphysique, ou bien retour au confucianisme pour lutter contre
toutes les fantasmagories religieuses (qu’elles viennent du boudd‑
hisme, du taoïsme ou du confucianisme lui-même). L’œuvre de
Xing Bing (933‑1010) relève clairement de la deuxième tendance :
« retour au texte même des canons, décapé de ses commentaires sco‑
lastiques », « réfutation du providentialisme anthropomorphique »

1. Ibid., Conférence de 1990, p. 86.


2. Sur la transition des Tang aux Song, voir Bol, 1992.

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et « rejet de la croyance au destin »1. Sun Shi (962‑1033), peut-être


dans un esprit proche, conteste vigoureusement les miracles2. Zhang
Jing (970‑1018), enfin, produit une interprétation libre et nova‑
trice du Hongfan3. Malgré l’interruption qui frappe l’histoire de la
philosophie à la fin des Tang, une certaine progression se dégage
à travers les siècles : on passe d’une scolastique bouddhiste à un
renouveau de la pensée confucéenne, de plus en plus dégagée des
tendances traditionalistes et providentialistes.
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2) Philosophie médiévale classique (~1030 à 1071)

Au xie siècle, la dynastie Song vit une époque particulièrement


brillante. Les rigidités féodales et la vieille aristocratie sont mises à
mal par le développement du commerce, la prospérité de l’écono‑
mie et la mise en place d’un système d’examen d’ampleur inédite,
garantissant une certaine circulation des élites au sein d’une admi‑
nistration fonctionnarisée. De plus, jusqu’au début du xiie siècle,
les barbares du Nord ne se font pas trop menaçants.
Cette ère de prospérité économique et politique coïncide avec
une impressionnante fécondité philosophique4. Après la petite

1. Vandermeersch, 1979‑1992, Conférence de 1991, p. 98.


2. Ibid.
3. Ibid., p. 99.
4. « La dynastie Song […] est l’époque d’apogée philosophique. Elle vit éclore,
dans les deuxième et quatrième décades du xie siècle, une profusion d’esprits origi‑
naux » (Masson-Oursel, 1938, p. 140) ; « L’ère des Song fut, dans sa première moitié
(960‑1123), l’une des plus heureuses et des meilleures de l’histoire de la Chine » (Zenker,
1926, p. 423) ; sous les Song du Nord (960‑1126), « la Chine connut l’une de ses
périodes les plus créatives » (Fairbank, 1991, p. 140) ; « ce moment privilégié des
Song », à partir du début du xie siècle, est « un moment dont la portée a été équivalente
à celle des Lumières » (Cheng, 2015b, p. 90). A. Cheng ne limite pas son propos au
xie siècle, mais tout ce qu’elle dit lui convient particulièrement : « esprit d’initiative
inédit », « démocratisation de la culture savante » (Cheng, 2015a, p. 8), « véritable
réaction contre cette dimension religieuse [du bouddhisme] » et « modes d’investigation
intellectuelle inédit » (Cheng, 2015b, p. 91 et 94). J.-F. Billeter cerne avec plus de pré‑
cision l’apogée intellectuel : « La période la plus brillante de l’histoire des idées sous les
Song se situe sous le règne de l’empereur Renzong (1023‑1063), et en particulier dans

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La philosophie chinoise

­ enaissance confucéenne (première moitié du ixe siècle) vient la


R
grande, également traversée par deux tendances contradictoires :
cosmologisme métaphysique et réalisme sceptique. L’orientation réa‑
liste résiste à l’autre pendant une quarantaine d’années ; après quoi,
elle est définitivement balayée jusqu’à l’ère moderne. Nous trouvons
en Chine – comme dans la Grèce des sophistes, l’Islam des zindîq
et plus tard l’Europe des Lumières – le paradoxe d’un classicisme
philosophique sans système philosophique solidement maçonné. En
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effet, les penseurs les plus sceptiques n’ont guère l’esprit de système ;
leur méfiance vis-à-vis de la métaphysique inhibe souvent leur capa‑
cité à créer une philosophie positive. Le classicisme se définit par
l’orientation intellectuelle des auteurs et non par la forme qu’ils
donnent à leur pensée.

L’esprit de la première génération :


réformisme et réalisme
L’impulsion est donnée par l’action réformatrice de Fan Zhong‑
yan (989‑1052). Ce lettré, quoique formé aux Classiques, regrette
que le système éducatif ne soit fondé que sur la culture littéraire.
Aussi réforme-t-il les examens dès son arrivée à la chancelle‑
rie1. L’histoire et la politique prennent le pas sur la littérature
et la poésie au niveau du Doctorat ; et pour garantir un recrute‑
ment au mérite, il impose que les copies soient anonymées. Ces
réformes, qui heurtent trop frontalement l’intérêt des conserva‑
teurs, ne sont pas appliquées. Fan Zhongyan est accompagné
de Hu Yan (993‑1059) qui, dans le même esprit, réclame une
éducation moins livresque : enseignement de l’art militaire, de
l’irrigation, des mathématiques et des sciences calendaires, car
« l’expérience directe du monde dans sa diversité est nécessaire

les années de l’ère Qingli (1041‑1048) » ; c’est la « prodigieuse éclosion du xie siècle »
(Billeter, 1979, p. 77 et 78).
1. Il « avait créé en 1044 des écoles d’État dans les provinces et recommandé comme
matière de concours, outre les Classiques et les historiens, un ensemble de connaissances
utiles » (Gernet, 1975‑1992, p. 124).

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[selon lui] à la formation de l’homme1 ». Dans les cours qu’il


dispense sur le Yi jing, il évite toute considération numérologique
et cosmologique2. Sun Fu (992‑1057) et Shi Jie (première moitié
du xie siècle) participent au même mouvement réformateur. De
même encore Li Gou (1009‑1059), commentateur des Classiques,
lié à Fan Zhongyan.
Mais l’intellectuel le plus emblématique de ce mouvement est
Ouyang Xiu (1007‑1072), qui avait participé activement aux
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réformes de Fan Zhongyan en 1043‑1044. Devenu directeur des
concours en 1056, il donne « un coup d’arrêt décisif à la vogue des
compositions de style formaliste3 ». Par-delà l’interprétation cosmo‑
logisante sclérosée, il cherche une nouvelle lecture des Classiques
dans un esprit « délibérément rationaliste4 ». « Sur le plan religieux,
Ouyang Xiu fut un franc iconoclaste […] s’opposant ardemment
à la notion métaphysique de Tao comme à la croyance en l’im‑
mortalité5 ». Cet homme d’État et homme de lettres est encore un
authentique historien par sa Nouvelle histoire des Tang, sa Nouvelle
histoire des Cinq Dynasties et surtout son recueil épigraphique (le
Jigulu)6. L’ensemble constitue des « réussites impressionnantes dans
les domaines de l’histoire et de la philologie7 ».

Ambiguïtés et hétérogénéité de la seconde génération


Shao Yong (1011‑1077), Zhou Dunyi (1017‑1073) et Zhang
Zai (1020‑1077) représentent la seconde tendance de la Renaissance
confucéenne – celle qui est issue de Li Ao et qui considère les Classiques

1. Ibid., p. 123.
2. Vandermeersch, 1979‑1992, Conférence de 1992, p. 80.
3. Ibid., p. 81.
4. I. Robinet, in Encyclopédie philosophique universelle, 1992, p. 4041.
5. Ibid.
6. Œuvre d’archéologue contenant « des notices et des remarques philologiques
d’une remarquable rigueur scientifique » (Holzman, 1995, partie II). Ses « principes
historiographiques » en font un historien plus rationnel et plus objectif que ses pré‑
décesseurs (ibid.).
7. Ibid., partie III.

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La philosophie chinoise

moins comme des documents historiques à étudier en philologue que


des supports à spéculation métaphysique. Cette interprétation cosmo‑
logisante du confucianisme constitue le néoconfucianisme proprement
dit, qui triomphera au postclassique. Shao Yong, Zhou Dunyi et
Zhang Zai sont donc les fondateurs de ce renouveau théorique du
confucianisme, qui transforme celui-ci en une philosophie complète
et cohérente intégrant la philosophie morale et politique dans une
philosophie de la Nature. Ils assimilent certains aspects du boudd‑
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hisme et du taoïsme pour mieux les dominer et donner l’impression
que la Chine traditionnelle triomphe définitivement de ces hérésies.
Ainsi, le néoconfucianisme ne vainc le bouddhisme qu’en adoptant des
éléments idéalistes et le taoïsme qu’en s’ouvrant au magico-religieux,
à l’ésotérisme et la numérologie. Le système de Zhang Zai doit être
considéré à part, car à l’inverse de ses deux contemporains, il tient à
distance les influences bouddhiste et taoïste, et tente de penser l’en‑
semble des phénomènes naturels en termes de qi (d’énergie-matière).
Pour cette raison, il passera plus tard pour un « matérialiste ».
Le dernier grand représentant de l’esprit classique est l’homme
d’État Wang Anshi (1021‑1086)1, continuateur de l’œuvre réforma‑
trice de Fan Zhongyan et Ouyang Xiu. Nommé Premier ministre,
il se lance dans une série de réformes d’une ampleur exceptionnelle
touchant tous les aspects de la vie sociale, économique et poli‑
tique – de façon à rendre la société moins inégalitaire. Sa politique
éducative, qui nous intéresse plus particulièrement, vise à donner
aux lettrés le sens des réalités concrètes, au détriment de la simple
habileté littéraire ou de l’aptitude à la mémorisation – c’est-à-dire
au bachotage. Wang Anshi lui-même « montra un intérêt extrême
pour la science et les techniques ; il étudia la botanique, la médecine,
l’agriculture et le tissage2 » avant son arrivée au ministère. Il s’inté‑
resse également à l’économie. On lui connaît une œuvre de poète
et de prosateur, mais il n’écrit pas d’ouvrage philosophique. Peu

1. « Homme d’État au nombre des plus grands que compte l’histoire de la Chine »
(Vandermeersch, 1979‑1992, Conférence de 1992, p. 82).
2. Needham, 1976, p. 73.

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Histoire mondiale de la philosophie

après 1071, date de sa réforme des examens, il tombe en disgrâce


et le parti conservateur prend le dessus.
Le leader de ce parti n’est autre que le grand historien Sima
Guang (1019‑1086). On aurait pu imaginer qu’il saluât chez
Wang Anshi une disposition favorable aux recherches positives,
mais l’homme politique qu’il est représente avant tout les intérêts
d’une classe, sans égard pour les affinités intellectuelles particulières.
Les autres savants de la période sont Jia Xian (c. 1010-c. 1070,
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mathématicien), Liu Xisou (actif c. 1060, important astronome) et
Su Song (1020‑1101, astronome, cartographe, horloger, ingénieur,
pharmacologue, géologue, zoologue et botaniste). Les plus grandes
réalisations scientifiques sont toutefois postérieures à l’âge classique.

3) Philosophie médiévale postclassique (1071 à 1368)

Si la période classique était traversée par des tensions et


oppositions, la situation commence à se simplifier au cours des
années 1070 : conservateurs (au plan politique) et cosmologistes
(au plan philosophique) s’imposent de plus en plus. Wang Anshi et
d’autres réformistes sont rappelés au pouvoir (jusqu’à l’invasion des
Jürchens en 1125), mais n’ont ni l’autorité ni la majorité nécessaire.
Nous retenons 1071 comme date charnière : année de la réforme
éducative de Wang Anshi et de son échec programmé, qui coïncide
avec la maturité intellectuelle des frères Cheng – c’est-à-dire avec le
triomphe définitif du cosmologisme. La philosophie chinoise renonce
progressivement au pluralisme, se voue à l’orthodoxie étatique, se
coupe définitivement des savoirs positifs, se replie sur elle-même1.

1. « China Turning Inward », pour reprendre l’expression de J. T. C. Liu, qui


désigne par là le basculement de la fin du xie siècle (Liu, 1988).

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La philosophie chinoise

Mise en place de l’orthodoxie néoconfucéenne


(1071 à 1271)
Cheng Hao (1032‑1085) et Cheng Yi (1033‑1108) représentent la
nouvelle génération destinée à s’imposer dans le paysage intellectuel.
Aussi bien opposés aux réformes politiques de Wang Anshi qu’à sa
tournure d’esprit réaliste, ils s’inscrivent résolument dans le sillage
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de Shao Yong et de Zhou Dunyi. Les deux frères rédigent leurs
systèmes dans un esprit proche, mais diffèrent sur un point, qui
fonde l’opposition théorique de l’École des Principes (Lixue) – sorte
d’idéalisme objectif, défendu par Cheng Yi – et l’École de l’Esprit
(Xinxue) – qui correspondrait plus à un idéalisme subjectif, dont
Cheng Hao est le premier représentant. La philosophie du Xinxue
est aussi dite École du Cœur, en raison de son insistance sur l’intui‑
tion subjective, par opposition au rationalisme plus froid du Lixue.
En dépit de leurs différences, ces constructions doivent être
considérées ensemble dans leur idéalisme commun. Cette sensi‑
bilité s’impose progressivement à toute la philosophie, occupée à
remplir le monde d’esprits, d’Esprit, de forces magiques et bientôt
de dieux. On considère souvent l’époque Song comme un apogée,
remarque J. T. C. Liu, alors qu’en fait seul le xie siècle brille par
son pluralisme intellectuel, tandis que le xiie siècle souffre « d’étroi‑
tesse, d’orthodoxie, d’insuffisante originalité, et autres limitations
de ce type. La production intellectuelle commença à décliner » dès
le tournant du siècle1. Menacée sur ses frontières par des barbares,
puis amputée en 1126 de toute sa partie nord suite à l’invasion
des Jürchens, la Chine n’a pas besoin d’intellectuels sceptiques qui
la fassent douter davantage de sa valeur : elle a soif de dogme, de
certitude et même de religion. Aussi s’empresse-t-elle de mettre en
place une orthodoxie néoconfucéenne. Cela passe par la canoni‑
sation des Quatre Livres, c’est-à-dire des ouvrages classiques que
sont le Zhong Yong (L’Invariable Milieu), le Lun yu (les Entretiens

1. Ibid., p. 31.

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Histoire mondiale de la philosophie

de Kongzi), le Mengzi et le Daxue (la Grande Étude). Le célèbre


philosophe Zhu Xi (1130‑1200) est chargé de les compiler et de
les éditer. Sa propre philosophie et ces Quatre Livres deviennent la
base du savoir lettré jusqu’en 1905.
Zhu Xi est l’auteur d’un impressionnant système, sans idée
véritablement nouvelle, mais capable d’embrasser tous les apports
théoriques de ses prédécesseurs, depuis les grands textes de l’An‑
tiquité jusqu’aux systèmes de Li Ao, Shao Yong, Zhou Dunyi,
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Zhang Zai et Cheng Yi1. Son ontologie, sa morale et sa politique
ressemblent de façon frappante à celles de Platon2. Comme ce
dernier, Zhu Xi est un postclassique dont le système impose son
autorité sur des siècles de penseurs, commentateurs et écoliers.
On pourrait aussi le comparer à Hegel, pour les mêmes raisons.
Au xiie siècle, le champ intellectuel du confucianisme est divisé
en deux : l’École des Principes (dont Zhu Xi est le grand repré‑
sentant) et l’École de l’Esprit, incarnée par son ami et rival Lu
Jiuyuan (1139‑1192). La première triomphe assez rapidement de
la seconde, et devient, après seulement quelques dizaines d’années,
l’orthodoxie par excellence3. Dès lors, on se borne de plus en plus
à ressasser les commentaires de Zhu Xi sur les Classiques. La
victoire de son rationalisme sur l’intuitionnisme plus mystique de
Lu Jiuyuan n’est que de façade, car c’est finalement le mysticisme
et la sentimentalité religieuse qui triomphent4. J. T. C. Liu parle

1. « Il n’a apporté à la pensée de son époque aucune idée nouvelle, et s’est employé
à mettre en œuvre les notions que le xie siècle avait élaborées […]. Son mérite est d’avoir
érigé un monument » (Vandier-Nicolas, 1969, p. 392).
2. Beaucoup de commentateurs l’ont remarqué, et Feng Youlan l’a montré préci‑
sément dans le chapitre qu’il consacre à Zhu Xi (Feng Youlan, 1934, chap. 25 : « Le
néoconfucianisme : l’École des Idées platoniciennes »). On le compare plus souvent
encore à Thomas d’Aquin (mais ce dernier n’est pas un postclassique).
3. En 1227, précisément (Liu, 1988, p. 148). « C’est surtout après la mort de Zhu
Xi, avec les premières manifestations de tendances orthodoxes, que le déclin semble
avoir commencé » (Gernet, 1975‑1992, p. 131). Sur le rapport entre déclin intellectuel
et orthodoxie sclérosante en Chine, voir Hartner, 1956.
4. « On a mis alors l’accent sur les exercices de recueillement, les attitudes mentales
de “sincérité”, “révérence” et “juste harmonie”. Les tendances à l’introspection et au
mysticisme l’ont emporté sur la connaissance des réalités » (Gernet, 1975‑1992, p. 131).

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La philosophie chinoise

de « victoire à la Pyrrhus1 » car, dans les faits, ce n’est pas une


philosophie qui se diffuse, mais plutôt une idéologie sclérosante, un
traditionalisme étouffant, une doxa servile par rapport à laquelle
le système de Zhu Xi paraît flamboyant d’audaces.

Divergence de la philosophie et de la science


Pendant que les philosophes réenchantent le monde et rivent
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la pensée à des Canons, la recherche scientifique prend son envol.
Cet écart ne serait pas gênant s’il y avait division du travail intel‑
lectuel – les questions de morale aux philosophes ; la connaissance
du monde aux savants. Mais ce n’est pas le cas puisque le néo­
confucianisme se présente comme une doctrine des principes et des
éléments de la Nature, une philosophie de l’Univers et une histoire
du Cosmos. Il y a donc chevauchement. Or bien loin que les phi‑
losophes cosmologistes profitassent du travail des astronomes, ils
spéculent en toute indépendance. Inversement, les savoirs positifs,
qui n’étaient d’abord que des spécialités au sein de la culture lettrée,
commencent à s’autonomiser. On observe un début de profession‑
nalisation.
W.-S. Horng prend l’exemple du grand mathématicien
Li Ye (1192‑1279), qui non seulement parvenait à vivre de son
travail scientifique, mais qui avait aussi une idée claire du statut
autonome de ses recherches2. Or, poursuit l’auteur, « Li Ye n’était pas
une exception en Chine du Nord pendant cette période Jin-Yuan3 »
(c’est-à-dire aux xiie-xiiie-xive siècles). Zhu Shijie (1270‑1330), un
des plus grands mathématiciens de l’histoire chinoise, se fait pro‑
fesseur de mathématique auprès de riches familles de marchands ;
« Il ne fut peut-être pas “professionnalisé” au sens strict, mais il

1. Liu, 1988, titre de la partie III.


2. Horng, 1993, p. 193. L’application pratique (et bureaucratique) de ses travaux
n’était plus son affaire : « comme le montre l’œuvre de Li Ye, il vint un moment où
apparurent des mathématiques plus sophistiquées, loin de toute application pratique »
(Yabuuti, 1974, p. 110).
3. Horng, 1993, p. 193.

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Histoire mondiale de la philosophie

fut probablement le premier lettré connu de Chine ancienne à ne


vivre que de mathématique1 ». Autrement dit, à s’être affranchi des
postes administratifs dévolus aux lettrés2. L’enseignement est, pour
les savants, une façon de se rendre indépendant du fonctionnariat
et de la culture littéraire associée. Dans son étude sur les relations
entre pensée cosmologique et pensée savante, N. Sivin situe éga‑
lement vers le xiiie siècle la « disparition du Cosmos » chez les
astronomes. Il note qu’avec l’astronome, mathématicien et ingénieur
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Guo Shoujing (1231‑1316), l’exigence de précision scientifique vainc
les a priori métaphysiques avec lesquels il convenait de transiger
jusqu’alors3. La science calendaire (l’établissement scientifique du
calendrier astronomique) s’émancipe de la tutelle philosophique :
« Les calendriers chinois tardifs étaient marqués par une indifférence
envers la cosmologie – c’était l’indifférence du désenchantement4 ».
L’histoire aussi se renforce comme spécialité, sinon indépen‑
dante, du moins dotée d’exigences disciplinaires propres5. De plus
en plus éloignés de la culture littéraire des lettrés, « les historiens
du xiie siècle étaient conscients du fait que la discipline historique
devait utiliser les connaissances d’autres branches du savoir, telles
que la science militaire, la géographie historique, l’histoire de l’art,
les études sur l’architecture, les livres médicaux, etc.6 ». Comment se
fait-il, demande J. T. C. Liu, que l’histoire fasse tant de progrès alors
que les études classiques stagnent ? C’est parce que celles-ci sont
soumises au conformisme de l’orthodoxie, tandis que celle-là s’en
affranchit et progresse ainsi sous la forme d’un savoir cumulatif7.
Les grands historiens des xiie-xiiie siècles postérieurs à Sima Guang
sont Zheng Qiao (1104‑1162, également historiographe), Li Tao

1. Ibid.
2. Il faut dire aussi que, sous les Yuan, ces postes n’étaient plus accessibles aux
Chinois.
3. Sivin, 1969, p. 67. « L’astronomie chinoise avait atteint son apogée aux environs
de 1300, du temps du grand savant Guo Shoujing » (Zurndorfer, 1988, p. 80).
4. Sivin, 1969, p. 67 – nous soulignons.
5. Sa scientificité s’affermit après le xie siècle (Liu, 1988, p. 32‑33).
6. Ibid., p. 33.
7. Ibid., p. 35.

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La philosophie chinoise

(1115‑1184), Yuan Shu (c. 1135‑1205), Li Xinchuan (1166‑1243)


et Ma Duanlin (1254-c. 1324). Ce dernier, quoique baigné dans
la culture néoconfucéenne, repousse les vues cosmologiques de ses
contemporains. Il travaille ainsi à l’autonomisation de l’histoire
en « historien scientifique », si l’on entend par là « interprétation
objective, rationnelle et systématique des documents historiques1 ».
Parmi les savants les plus novateurs des époques Song et Yuan
(outre Li Ye, Zhu Shijie, Guo Shoujing et les historiens cités), il
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faut encore mentionner Shen Gua (c. 1032-c. 1096 – « peut-être
le personnage le plus intéressant de toute l’histoire scientifique
chinoise2 »), Zhao Mingcheng (1081-c. 1151, auteur d’un ouvrage
d’épigraphie scientifique, le Jinshilu) et les mathématiciens Qin
Jiushao (1202‑1261) et Yang Hui (1238‑1298)3.

Orthodoxie et syncrétisme religieux


sous la domination mongole (1215 à 1368)
Depuis le début du xiiie siècle, les Mongols multiplient les inva‑
sions. En 1215, ils s’emparent de Tatu/Pékin, où ils établissent leur
capitale. À cette date commence leur tutelle sur les courants intel‑
lectuels de Chine, même si la dynastie mongole elle-même n’est
pas encore officiellement fondée (dynastie Yuan, c. 1271‑1368).
En ce qui concerne la philosophie, l’époque mongole présente trois
caractéristiques : constitution des doctrines de Zhu Xi et Cheng
Yi en orthodoxie officielle ; tolérance vis-à-vis du bouddhisme, du
taoïsme et de toutes les hybridations imaginables entre les « Trois
enseignements » ; accentuation religieuse de toutes les tendances

1. Chan Hok-lam, in Chan Hok-lam et Bary, 1978, p. 71 et 72.


2. Needham, 1976, p. 72. Shen Gua s’intéresse à toutes les sciences et les pratique
toutes à quelque degré : astronomie, mathématique, géologie, cartographie, météoro‑
logie, agronomie, ethnographie, zoologie, botanique, hydraulique, pharmacologie, etc.
– en praticien plus qu’en théoricien (Brenier, Diény, Martzloff et Wieclawik, 1989).
3. Beaucoup d’autres auteurs et travaux devraient être évoqués – ainsi, en cartogra‑
phie quantitative, la Carte des traces de Yu le Grand (1137). Pour plus d’exhaustivité,
voir l’encyclopédie de J. Needham, Science and Civilisation in China, 1954‑1986. Pour
une vue plus synthétique : Needham, 1976, chap. 11 et 12 ; et Yabuuti, 1974, chap. 4.

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Histoire mondiale de la philosophie

philosophiques. Orthodoxie, syncrétisme et religiosité ; tels sont les


traits dominants de l’époque. Ce qui était philosophie devient pra‑
tique religieuse chez nombre de confucéens orthodoxes. En effet, les
textes de Zhu Xi sont sacralisés et l’adoption du néoconfucianisme
est conçue comme une conversion fidéiste répondant à une mission
supérieure1. « Cette insistance sur l’aspect moral et religieux de l’édi‑
fication personnelle [self-cultivation] était une tendance générale2 »,
qui touchait des lettrés comme Chao Fu (c. 1206-c. 1299), Hsu
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Heng (1209‑1281), Liu Yin (1249‑1293) et Wu Cheng (1249‑1333).
La plupart des lettrés combinent les enseignements de Zhu Xi et
de Lu Jiuyuan ; souvent à la faveur de ce dernier, qui convenait
mieux au désir d’une voie plus personnelle, plus introspective et
plus sensible vers l’absolu. Cheng Shaokai (1212‑1280) représente
bien cette tendance3.
Le retour en force du bouddhisme et du taoïsme (souvent dans
leurs versions religieuses4) est le phénomène le plus marquant
de l’époque Yuan. La tolérance dont ils font l’objet facilite la
diffusion de leurs doctrines – et surtout de leurs cultes, car les
idées manquent5. Il devient difficile de distinguer les cultes boudd‑
histe, taoïste et confucéen, tant les « Trois enseignements » se
mélangent6. Bref, « la dynastie Yuan fut, dans l’histoire chinoise,
une grande période de syncrétisme7 ». Au xive siècle, la pensée

1. « Ce sens profond d’être missionné apparaît comme une caractéristique des


convertis au néoconfucianisme au xiiie siècle, à propos desquels nous avons beau‑
coup de mentions d’expérience de conversion à la façon “nouvelle naissance” […]
[Q]uand les travaux de Zhu Xi devinrent accessibles, ce fut pour eux comme une
révélation ou un nouveau Testament » (W. T. Bary, in Chan Hok-lam et Bary,
1978, p. 11).
2. Ibid., p. 12.
3. Voir D. Gadalecia, in Chan Hok-lam et Bary, 1978.
4. Sur la floraison du taoïsme religieux sous les Song et les Yuan, voir Robinet,
1991, chap. 8.
5. Le clergé est désormais partiellement illettré (W. T. Bary, in Chan Hok-lam et
Bary, 1978, p. 17).
6. Voir Liu Tsun-yan et J. Berling, in Chan Hok-lam et Bary, 1978.
7. Ibid., p. 502. Retour de la philosophie à la religion et syncrétisme vont de pair :
« dès qu’on abandonne la raison, l’esprit critique, on est mûr pour le syncrétisme,

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La philosophie chinoise

religieuse a absorbé la pensée philosophique ; le cycle médiéval


est achevé.

III. Cycle moderne (depuis 1368)


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À la fin des Yuan, les guerres se multiplient, et, à la faveur de
cette période trouble, les Chinois chassent les Mongols du pouvoir
et instaurent une nouvelle dynastie – les Ming (1368‑1644). Sur le
plan politique, cette restauration marque une rupture très nette : le
premier empereur met en place une politique autoritaire, redresse
l’économie et rétablit la société mandarinale. Sur le plan de l’his‑
toire intellectuelle, l’évolution est beaucoup plus progressive, car le
xve siècle est, dans la continuité du xive, très pauvre. Les lettrés sont
complètement soumis à l’orthodoxie néoconfucéenne dont se sert le
pouvoir pour asseoir son autorité. Ceux qui parviennent à y échap‑
per partiellement, en se retirant dans la sphère privée, pratiquent un
néoconfucianisme plus religieux encore1 – celui qui est issu de Lu
Jiuyuan : néoconfucianisme méditant, centré sur l’ascèse individuelle
et proche de la sensibilité bouddhiste. Wu Yubi (1391‑1469) et Chen
Xianzhang (1428‑1500) illustrent cette tendance. L’histoire de la
philosophie semble ne « redémarrer » véritablement qu’à partir du
début du xvie siècle.

l’analogisme, l’œcuménisme : la confusion mentale » (Étiemble, 1968, partie III, « Vers


le Mandarinat »).
1. « Cette philosophie du début des Ming [est] fortement empreinte de sentiments
religieux » (Billeter, 1979, p. 94).

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Histoire mondiale de la philosophie

1) Philosophie moderne préclassique (1368 à ~1650)

e
Philosophie et sentimentalité religieuse au xvi siècle :
École de l’Esprit et École de Taizhou
Au xvie siècle, le néoconfucianisme officiel reste fidèle à lui-même
en tant que récitation scolastique de l’enseignement de Zhu Xi1. La
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nouveauté vient du mouvement de rejet que suscite cette orthodoxie,
et de la multiplication des académies privées où est enseignée une
philosophie alternative – celle de Lu Jiuyuan et de l’École de l’Esprit.
Transgressif du point de vue politique, cet enseignement n’est en
fait que la perpétuation de la sensibilité philosophico-religieuse issue
de l’époque Yuan. L’idéalisme néoconfucéen de l’École de l’Esprit
se joint à la sagesse bouddhiste pour servir une recherche spiri‑
tuelle ouvertement irrationaliste. Comment cette sensibilité évolue-
t-elle ? On passe d’une philosophie religieuse sans originalité (au
xve siècle) à la constitution d’un puissant système avec Wang Yang‑
ming (1472‑1529), puis à la formation d’un mouvement (l’École de
Taizhou) qui oriente le message de Wang Yangming dans un sens
de plus en plus original (avec He Xinyin et Li Zhi), et finalement,
le subjectivisme de l’École de l’Esprit est lui-même mis en question
au siècle suivant.
Wang Yangming est le philosophe le plus influent depuis Zhu
Xi. Comme Lu Jiuyuan en son temps, il oppose un idéalisme sub‑
jectif à l’idéalisme objectif de celui-là. Quoiqu’il ne réduise pas le
monde à une pure illusion comme fait le Mahâyâna, au fond, son
ontologie n’est qu’une sinisation de l’idéalisme bouddhiste, « une
continuation du Chan2 ». Il dit d’ailleurs avoir eu la révélation

1. « La littérature Ming […], il y règne une verbosité terne qui respire l’ennui
[…] un pédantisme scolaire dont les effets se font sentir dans toute la production
littéraire. L’exégèse des classiques ne fait que rabâcher sous une forme affadie et
platement moralisante la doctrine néoconfucéenne de Zhu Xi » (Demiéville et Her‑
vouet, 1995, p. 568).
2. Feng Youlan, 1934, p. 323.

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La philosophie chinoise

brutale que la vérité se trouve en soi-même plutôt que dans le


monde – illumination qui n’est pas sans rappeler celle qui est théo‑
risée par le Chan1. Sous son impulsion, le néoconfucianisme se
scinde en deux : néoconfucianisme autoritaire de l’État (fondé sur
l’enseignement de Zhu Xi) et néoconfucianisme privé cherchant
la sagesse personnelle (fondé sur l’enseignement de Wang Yang‑
ming). Avec son ami Zhan Ruoshui (1466‑1560) – philosophe de
la même sensibilité –, il est à l’origine de la création de centaines
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d’académies privées. À certains égards, cette quête spirituelle per‑
sonnalisée opposée à l’orthodoxie d’État peut rappeler celle de la
Réforme protestante dans sa lutte contre le catholicisme officiel2.
Wang Yangming serait alors le Luther chinois3, et les partisans de
l’École de Taizhou des Réformés.
Fondée par Wang Gen (1483‑1541), l’École de Taizhou est assez
hétéroclite, rassemblant aussi bien des lettrés dissidents que des
militants politiques, des réformateurs, des mystiques et des illu‑
minés. Nous ne pouvons nous intéresser ici qu’à ses représentants
les plus singuliers, tel He Xinyin (1517‑1579), qui manifeste un
esprit critique à toute épreuve. Résolument anti-traditionaliste et
anti-orthodoxie, il milite pour la liberté, la spontanéité, l’égalité,
l’instruction pour tous ; et imagine une société utopique alterna‑
tive où les rapports sociaux de domination et la propriété privée
seraient abolis. Comme il ne se contente pas de la concevoir, mais
tente aussi de la réaliser, il est arrêté et exécuté. Li Zhi (1527‑1602)
reprend alors le flambeau de l’esprit critique dans des ouvrages
audacieux aux titres évocateurs – le Livre à brûler (1590) et le Livre
à cacher (1599). Ces hommes brillants et courageux représentent un
affront insupportable à l’ordre mandarinal. Sur le plan strictement
philosophique, il faut néanmoins souligner qu’ils avaient conservé
quelque chose de l’idéalisme de leurs contemporains ; qu’ils soient

1. Même quand il critique cette philosophie étrangère, il « utilis[e] la méthode Chan


d’argumentation pour critiquer le bouddhisme » (ibid., p. 326).
2. Billeter, 1979, p. 97.
3. « Wang Yangming occupe en Chine une place analogue à son contemporain
Luther en Europe » (Gernet, 1975‑1992, p. 99).

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Histoire mondiale de la philosophie

utopistes comme He Xinyin ou imprégnés de sensibilité bouddhiste


comme Li Zhi1.

Évolution intellectuelle
e
durant la première moitié du xvii siècle
L’état d’esprit change au tournant du siècle : on se lasse de l’idéa‑
lisme bouddhisant et on commence à partir à la conquête du monde
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– à l’image des grands voyageurs comme Chen Di (1541‑1617)
et surtout Xu Xiake (1587‑1641). Les penseurs sortent de leurs
méditations introspectives ; l’intérêt pour la science renaît en même
temps que le goût des connaissances pratiques2. Précurseur de cet
état d’esprit au siècle précédent, le poète et écrivain Wang Tin‑
gxiang (1474‑1544) critique le ressassement introspectif autant que
l’académisme livresque, et se passionne pour toutes les connais‑
sances positives disponibles3. Le nouvel état d’esprit est stimulé
par l’arrivée en Chine de la science européenne à partir de 1600,
via les missionnaires jésuites (Ricci et ses disciples)4. Le savant Li
Zhizao (1565‑1630) assimile les mathématiques de ses confrères occi‑
dentaux, et Xu Guangqi (1562‑1633) engage un grand programme
de traduction de livres venus d’Europe. L’ouverture au monde est
aussi une ouverture à l’Occident. Les hommes du xviie siècle5 ne

1. Ce dernier cherche une « synthèse entre tradition bouddhique et confucéenne […].


[Ses] textes révèlent un esprit profondément religieux » (Gernet, 1975‑1992, p. 167).
Il finit d’ailleurs ses jours dans un monastère, après s’être fait moine (Billeter, 1979,
chap. 10).
2. « À un xvie siècle introverti s’oppose un xviie siècle extraverti » (Gernet,
1975‑1992, p. 198). En effet, le xviie siècle rompt avec « les tendances au quiétisme,
au subjectivisme et la thèse classique de l’innéité des vertus morales qui l’emportent
au xvie siècle » (p. 196).
3. Gernet, 1975‑1992, p. 11‑15. Il critique également le cosmologisme métaphysique
(Henderson, 1984, p. 227), mais ses notes de travail ne constituent pas exactement
une œuvre philosophique.
4. Sur l’aventure des jésuites en Chine, voir Gernet, 1982. Sur l’aspect plus spécia‑
lement scientifique, voir Yabuuti, 1974, chap. 6 et 7 ; et Elman, 2005.
5. Li Zhizao (1565‑1630) en mathématique, Wu Yuxin (1582‑1652) en méde‑
cine, Xu Xiake (1587‑1641) en géographie/géologie et le grand encyclopédiste Song

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La philosophie chinoise

donnent qu’un avant-goût de la vraie renaissance de la science sous


les Qing (1644‑1911), mais, déjà, « ces génies du domaine pratique
ont plus ou moins sorti les Ming des purs discours1 ».
En philosophie, l’opposition au néoconfucianisme (au néocon‑
fucianisme officiel et à celui des disciples de Wang Yangming)
se structure autour de l’Académie Donglin – restaurée en 1604.
Les grands représentants du « Mouvement Donglin » sont Gu
Xianzheng (1550‑1612) et Gao Panlong (1562‑1626). Parmi les
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philosophes originaux de la période, on peut encore citer Yang
Dongming (1548‑1624) et Liu Zongzhou2 (c. 1576‑1645). À partir
de 1634, des troubles sociaux mettent la dynastie Ming à rude
épreuve, ce qui facilite l’invasion mandchoue et le changement
dynastique de 1644. Loin d’affecter négativement la production
intellectuelle, l’avènement des Qing ne fait que renforcer « le goût
des réalités concrètes, le rejet de la philosophie intuitionniste du
xvie siècle [et] le souci des connaissances scientifiques3 ».

2) Philosophie moderne classique (~1650 à ~1765)

La période qui court de l’avènement des Qing au dernier quart


du xviiie siècle correspond à l’apogée de la puissance chinoise aux
plans politique, géopolitique et socio-économique – stabilité dynas‑
tique, extension territoriale maximale, prospérité économique et

Yingxing (1587‑1666). En refusant d’expliquer les épidémies par la métaphysique des


Cinq Éléments et des Cycles cosmiques, Wu Yuxin amorce le divorce science-philosophie
(Henderson, 1984, p. 164). Ces auteurs sont précédés par le médecin, botaniste et
pharmacologue du xvie siècle Li Shizhen (1518‑1593).
1. Zhao Lin, 2015, p. 66. L’auteur fait plus particulièrement référence à Xu
Guangqi, Li Zhizao, Xu Xiake et Song Yingxing.
2. « L’un des plus importants représentants du courant “matérialiste” dans la pre‑
mière moitié du xviie siècle » (Gernet, 1975‑1992, p. 11). Par « matérialisme », Gernet
entend un cosmologisme dégagé des concepts de Xin (Esprit) et de Li (Principe) au
profit du Qi (l’énergie-matière).
3. Gernet, 1981, p. 472. Sur les implications intellectuelles de la transition des
Ming aux Qing, voir aussi Peterson, 1977, p. 1‑2.

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Histoire mondiale de la philosophie

commerciale1. La tutelle étrangère n’est pas un obstacle, puisque


nous avons affaire à des Mandchous sinisés s’inscrivant explici‑
tement dans la continuité des dynasties chinoises. Entre l’instabi‑
lité des Ming (menaces aux frontières, insurrections intérieures,
crises financières, économiques et commerciales périodiques) et la
dégradation irrémédiable de la fin du xviiie siècle, le gros siècle
dont nous allons traiter représente un âge d’or. Comme pour les
cycles antique et médiéval, ce sommet civilisationnel coïncide avec
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le classicisme philosophique. Que la philosophie chinoise atteigne
un apogée durant cette période est l’avis de nombreux historiens
et commentateurs, multipliant les comparaisons avec le « siècle des
Lumières » européen2.
Les tendances qui émergent durant la première moitié du
xviie siècle deviennent dominantes entre 1650 et 1765 : défiance
vis-à-vis de la philosophie instituée, indépendance d’esprit, revendi‑
cation de liberté contre le despotisme étatique, rejet de la mentalité
religieuse et intérêt pour les recherches savantes3. Cet état d’esprit
n’est pas propice à la constitution de systèmes, comme aiment en
construire les partisans des correspondances cosmologiques. Cela
n’empêche pas de philosopher ni d’avoir une œuvre philosophique,
même si c’est souvent à l’occasion de recherches philologiques. En
effet, pour échapper à la métaphysique du Cosmos et par goût de
l’exactitude, beaucoup de philosophes se spécialisent en philolo‑
gie et en histoire4 – compromis convenable pour ceux qui n’ont
pas l’audace de rompre avec la tradition confucéenne. Nous divi‑
sons la période en deux (1650‑1700 et 1700‑1765), en raison du
changement de contexte politique au début du xviiie siècle, et

1. Parmi les multiples ouvrages sur le sujet, le Chaussende, 2013, présente une
belle synthèse.
2. Sur ce sujet, voir Wu Genyu, 2015.
3. Le monde intellectuel « rejetait la superstition, la tradition légendaire et les
révélations suprasensibles […]. Le monde érudit de l’époque s’intéressait vivement aux
mathématiques et aux sciences naturelles. Il est significatif que presque tous les grands
philosophes et historiens s’occupaient de ces disciplines » (Balazs, 1968, p. 225).
4. C’est pourquoi B. A. Elman titre From Philosophy to Philology (Elman, 1984).

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La philosophie chinoise

aussi parce que c’est surtout à partir de ce moment que la science


s’autonomise.

Philosophes et intellectuels
de la seconde moitié du xviie siècle
Le premier philosophe que nous rencontrons, Fang Yizhi
(1611‑1671), tient une position encore ambiguë. Porté sur les
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recherches savantes, linguiste, importateur des idées médicales euro‑
péennes, il conserve néanmoins un attachement au néoconfucianisme
traditionnel1. Huang Zongxi (1610‑1692) se distingue par l’origi‑
nalité de sa philosophie politique, dans laquelle il développe une
théorie du droit naturel. Son Traité de la monarchie est une sévère
critique du despotisme et de l’absolutisme. Il est aussi le premier
historiographe de la philosophie chinoise.
On atteint un premier sommet avec Gu Yanwu (1613‑1682)
– père de la philologie scientifique (fondateur de « l’École de cri‑
tique textuelle »), phonologiste, historien, géographe, ouvert à toutes
les sciences de son temps et philosophe, enfin, par sa volonté de
restaurer le confucianisme antique (décapé des interprétations cos‑
mologiques). Il critique les spéculations religieuses (bouddhistes,
taoïstes, néotaoïstes) aussi bien que l’absolutisme impérial. On
le compare parfois à Voltaire et aux Lumières européennes, qui,
comme lui, associent critique politique et fondation de futures
sciences humaines2.
Tous ces caractères se retrouvent chez Wang Fuzhi (1619‑1692)
à un degré encore supérieur. Penseur de la psychologie des peuples,
des mœurs, des mécanismes sociologiques, de l’évolution des ins‑
titutions et de l’histoire, il dégage de ses travaux une philosophie
de l’histoire, une philosophie politique et une philosophie morale
épurées de toute sentimentalité religieuse. Son œuvre comprend

1. Et même à la religion, puisqu’il se fait moine bouddhiste en 1650 (Peterson,


1977).
2. Voir l’article de J.-P. Diény, in Encyclopédie philosophique universelle, 1992,
p. 4016.

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Histoire mondiale de la philosophie

encore une philosophie de la nature (inspirée du « matérialisme »


de Zhang Zai), une philosophie de la perception et une théorie de
la connaissance. Son génie, unanimement reconnu, lui vaut d’être
comparé à Montesquieu ou Diderot1.
Tang Zhen2 (1630‑1704), penseur marginal, totalement indépen‑
dant d’esprit, cherche les conditions d’une justice sociale et d’une
politique équilibrée (dans son Qianshu/« Livre d’un homme qui
vit caché »). Chez Yan Yuan (1635‑1704), la critique des abstrac‑
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tions livresques atteint un tel degré qu’elle semble tourner à l’anti-
intellectualisme. Il s’intéresse néanmoins à la tradition philosophique
(pour la critiquer), à la médecine, aux mathématiques, à la botanique
ainsi qu’à une multitude de disciplines pratiques. Pour appliquer sa
conception de l’éducation, il fonde une école où il enseigne notam‑
ment la mécanique, les mathématiques, l’astronomie et l’histoire. La
démarche de Liu Xianting3 (1648‑1695) est comparable par son refus
de la culture livresque des lettrés et son intérêt pour les études posi‑
tives. Curieux de tout, libre de préjugés, il est proche du Mouvement
Donglin, comme la plupart des grands esprits de l’époque. Il est aussi
ami des savants Gu Zuyu et Mei Wending – les réseaux intellectuels
ne sont pas encore séparés. La seconde moitié du xviie siècle voit
aussi s’épanouir la réflexion esthétique avec les Propos sur la pein-
ture du célèbre peintre Shitao/Daoji (c. 1641-c. 1718)4.

1. J.-F. Billeter penche pour le premier ; J. Gernet pour le second (son « matéria‑
lisme » semble en faire le Diderot chinois). Gernet, 2005, est l’ouvrage le plus complet
sur Wang Fuzhi. Voir aussi Gernet, 1975‑1992 ; Billeter, 2006.
2. Gernet, 1975‑1992, p. 19‑22.
3. Sur cet auteur moins connu que les autres, voir Gernet, 1975‑1992, chap. 2.
4. « Expression suprême de la pensée esthétique chinoise » (Ryckmans, 1995,
partie II). L’état d’esprit de Shitao correspond à la mentalité de l’époque : « Ce Moi
créateur [la singularité de l’artiste] dont il entendait substituer la radicale autonomie
à l’enseignement des écoles et au respect des traditions, se voulait véritablement uni‑
versel » (ibid.).

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La philosophie chinoise

Nouveau contexte politique et production


philosophique de 1700 à 1765
À partir de 1700, le patronage bienveillant des savants par les
empereurs se transforme progressivement en tutelle, puis en inquisi‑
tion littéraire. L’esprit libéral de la première génération n’est plus1.
Tout en surveillant les lettrés, le pouvoir impérial tâche de les endoc‑
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triner en diffusant un confucianisme moralisateur. C’est dans ce
contexte que se situe le retentissant procès de Dai Mingshi/Dai
Mingcheng (1653‑1713) – exécuté en 1713 pour avoir critiqué le
pouvoir Qing dans son Nanshan ji2. La politique des Qing pourrait
paraître incohérente : d’un côté elle affronte les lettrés à travers un
procès retentissant, de l’autre elle les emploie dans de gigantesques
entreprises éditoriales et philologiques3. En fait, ce patronage permet
aux empereurs de les contrôler et de les rappeler à leur tradition lit‑
téraire : tant qu’ils ont l’esprit absorbé par les travaux philologiques,
ils ne l’ont pas à autre chose qui pourrait être menaçant pour le
Trône. Les travaux commandés par Kangxi au xviie siècle l’étaient
peut-être dans un esprit de pur amour du savoir ; mais à partir
de 1700, la finalité des commandes publiques est plus complexe.

1. Certes, soixante-dix lettrés hostiles aux Mandchous sont exécutés en 1663, mais
cette purge est sans suite au xviie siècle. « La tolérance et le patronage libéral qui
avaient marqué la plus grande partie du règne de Kangxi [empereur de 1662 à 1722]
font alors place à la suspicion et à un contrôle beaucoup plus étroit des milieux lettrés »
(Gernet, 1981, p. 472).
2. Or « juger Dai Mingshi et ses amis n’était pas simplement faire le procès d’un
esprit fort ; c’était mettre en émoi de vastes cercles de l’élite et la kyrielle de fonction‑
naires, lettrés et autres personnages qui gravitaient à leur périphérie » – car l’auteur
du Nanshan ji était au centre des réseaux intellectuels (Durand, 1988, p. 68). Cette
condamnation est donc le message explicite que le Pouvoir envoie aux lettrés pour leur
signifier la fin de sa libéralité.
3. Tels le Dictionnaire de caractères Kangxi/Kangxi zidian (achevé en 1716), l’His-
toire des Ming/Mingshi (achevée en 1739), l’encyclopédie mathématique Yu Zhi Shu
Li Jing Yun (1723), la Collection de livres et d’illustrations du passé et du présent/
Gujin tushu jicheng (achevée en 1728) et surtout la Collection complète en quatre
magasins/Siku quanshu, qui monopolise le travail de 300 lettrés et de 15 000 copistes
de 1772 à 1782.

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Histoire mondiale de la philosophie

Au même moment, l’attitude impériale vis-à-vis des jésuites connaît


un revirement – l’empereur Yongzheng (règne 1723‑1735) interdit
leur activité. Parallèlement à l’érosion du libéralisme, la densité des
grands auteurs décline1 et la séparation des réseaux philosophique
et scientifique s’amorce. Tout indique que nous entrons dans une
phase postclassique de l’histoire intellectuelle. La rupture n’étant
pas nette, nous pouvons toutefois considérer qu’il s’agit seulement
d’une inflexion du classicisme.
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Parmi les auteurs de cette seconde génération, il faut mentionner
(outre Dai Mingshi, remarquable par son absence de déférence vis-
à-vis du pouvoir) le pragmatique et réaliste Li Gong (1659‑1733)
– disciple de Yan Yuan, penseur politique réformateur et par‑
tisan du retour à un confucianisme sans cosmologisme. Jiang
Yong (1681‑1762), autre militant de l’École de critique textuelle,
est plus savant que philosophe. Dans un esprit proche, le phi‑
lologue Hui Dong (1697‑1758) s’oppose ouvertement au néo‑
confucianisme officiel au nom d’une exégèse plus savante de la
tradition ; il est l’un des pères fondateurs du Kaozhengxue/l’École
de la recherche-de-preuve2 en philologie. Il est également versé
en astronomie. Zhuang Cunyu (1719‑1788), secrétaire de l’empe‑
reur Qianlong qui embrasse la cosmologie de Dong Zhongshu
(c’est-à-dire « l’École des Textes nouveaux »), est plus traditio‑
naliste. Mais il participe jusqu’à un certain point au Mouvement
Donglin et a étudié l’astronomie, la médecine, la géographie, le
droit et les mathématiques. Également proche du pouvoir impé‑
rial, Ji Yun (1724‑1805) est chargé de diriger la fameuse Collec-
tion complète en quatre magasins/Siku quanshu. L’œuvre de cet
immense érudit embrasse tous les domaines – histoire, philosophie,

1. À part Dai Zhen, on ne trouve plus au xviiie siècle de philosophe du niveau


d’un Wang Fuzhi ou d’un Gu Yanwu. Il semble que la philologie attire à elle tous les
cerveaux.
2. Au xviiie siècle, toute une tradition philologique se reconnaît dans ce courant,
qui « impliquait ce qu’il faut bien appeler des “méthodes scientifiques”, au départ en
philologie (phonologie, étymologie et paléographie), et plus tard en mathématiques, en
astronomie et en géographie » (Zurndorfer, 1988, p. 64).

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La philosophie chinoise

politique, économie, géographie et sciences naturelles. Il s’intéresse


véritablement à tout1. Zhang Xuecheng (1738‑1801), totalement
irrévérencieux vis-à-vis de ce qu’il appelle les « soi-disant Clas‑
siques2 », est l’auteur d’une philosophie de l’histoire originale – en
plus de son œuvre d’historien.
Mais celui qui domine le siècle par l’ampleur de son œuvre est
Dai Zhen (1723‑1777) ; le plus grand érudit et le plus grand phi‑
lologue de l’histoire chinoise. Chose rare chez les philologues, il est
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aussi l’auteur d’une œuvre philosophique complète, sans conteste la
plus importante du xviiie siècle. Il y repense à nouveaux frais les
rapports du Li (le principe d’ordre du réel) et du Qi (la matière-
énergie), faisant de celui-là un principe immanent à celui-ci – c’est-
à-dire que l’ordre naturel ne requiert pas de transcendance. Formé à
l’astronomie et aux mathématiques, il écrit aussi sur la phonétique
historique, les mathématiques et l’histoire des mathématiques. Ses
travaux sont marqués par un souci d’exactitude et d’objectivité ;
ou, s’agissant de philosophie, par un effort de ressourcement à la
tradition antique dans sa vérité originelle. Cet attachement à la
tradition le fait d’ailleurs se méprendre sur l’origine et la valeur
des sciences occidentales.
À côté des philologues et philosophes, les écrivains participent
pleinement à l’esprit du temps. C’est manifeste avec le romancier
satirique Wu Jingzi (1701‑1754), qui raille la morale officielle et le
ritualisme prétentieux. Le Rêve du pavillon rouge/Hong lou meng
de Cao Xueqin (1715‑1763) est considéré unanimement comme
l’apogée du roman, notamment pour la richesse des éléments socio‑
logiques et psychologiques qu’il contient. Le polygraphe Yuan
Mei (1716‑1798) se distingue par son indépendance d’esprit vis-
à-vis de toute tradition et orthodoxie, et par son hédonisme libertin.
Dans ses travaux de philologue, cet esprit fort manifeste la même
liberté que dans son œuvre littéraire.

1. Chaussende, 2013, p. 152.


2. Richter, 1987, p. 64‑65.

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Histoire mondiale de la philosophie

Processus de spécialisation disciplinaire


à partir du début du xviiie siècle
La critique philosophique et philologique du cosmologisme
Song durant la seconde moitié du xviie siècle permet à la recherche
savante d’affirmer sa spécificité. La métaphysique apparaît désor‑
mais comme un obstacle à la recherche : on ne peut plus travailler
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correctement en astronomie, en géographie, en histoire ou en phi‑
lologie tout en faisant allégeance à la doxa officielle des lettrés.
Ainsi s’amorce « la libération des sciences de la métaphysique1 ».
Le traditionalisme de la culture humaniste entre en tension avec
le progrès des savoirs et de plus en plus de savants reconnaissent
que « la science des Modernes [est] nécessairement supérieure à
celle des Anciens2 ». L’évidence des valeurs « modernes » apparaît
au cours du xviiie siècle, en même temps que deux autres phéno‑
mènes : la spécialisation et la professionnalisation des disciplines
savantes.
L’initiateur de ce mouvement est le grand mathématicien du
xviie siècle, Mei Wending (1632‑1721), qui « dissocie ce qui est du
ressort des Sages, le domaine social et politique, de ce qui relève des
astronomes, domaine dans lequel l’intervention des non-spécialistes
est récusée3 ». Mais, en homme du xviie siècle, il reste dans le
compromis entre tradition et modernité4. La professionnalisation
des savants ne commence qu’au xviiie siècle, en particulier dans

1. Henderson, 1984, p. 150. « Les lettrés du début et du milieu des Qing libérèrent
effectivement la science astronomique, ainsi que nombre d’autres branches spécialisées
du savoir, de l’emprise de la métaphysique morale néo-confucéenne » (J. Henderson,
cité in Zurndorfer, 1988, p. 84).
2. Henderson, 1984, p. 167.
3. Jami, 2004, p. 721. En étudiant Mei Wending, C. Jami cherche à « comprendre
dans quelle mesure, comment et pourquoi, dans la seconde moitié du xviie siècle, il
était possible pour un lettré de devenir un “professionnel” des mathématiques et de
l’astronomie » (ibid., p. 703).
4. Ibid., p. 727. Même compromis chez Wang Xishan (1628‑1682, astronome)
et Yan Ruoju (1636‑1704, historien, philologue, astronome) (Elman, 1984, chap. 6).

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La philosophie chinoise

les Académies privées et semi-privées du Bas Yangzi1. Toutefois,


l’autonomisation des sciences reste très relative, car la profession‑
nalisation n’est qu’amorcée, et, surtout, la tradition antique reste
l’horizon des savants2. À l’âge classique, la spécialisation des savoirs
est encore interne à l’univers des lettrés. Le choix entre « les deux
cultures » – l’humanisme littéraire, la numérologie, les Cinq Élé‑
ments, les correspondances cosmiques et la vérité des Classiques,
ou bien les mathématiques et l’astronomie modernes – ne se fait
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pas encore clairement.
Parmi les savants de l’époque, citons Hui Shiqi (1671‑1741,
astronome3), Jiang Yong (1681‑1762, bon connaisseur des mathéma‑
tiques européennes sur la base desquelles il réévalue l’œuvre de Mei
Wending ; également auteur de traités d’astronomie et de phonolo‑
gie), Ming Antu (c. 1692‑1763, astronome, mathématicien et topo‑
graphe très au fait des sciences occidentales) et Dai Zhen (déjà cité
– fin connaisseur des mathématiques occidentales). Peu après, c’est
la grande génération des historiens : Wang Mingsheng (1722‑1798),
Zhao Yi (1727‑1814), Qian Daxin4 (1728‑1804), Zhang Xuecheng
(déjà cité comme philosophe) et Cui Shu5 (1740‑1816). Comme à
toutes les époques classiques, la réalité humaine est un objet de
préoccupation essentiel.

1. On voit l’« émergence d’une communauté intellectuelle spécialisée dans le Jian‑


gnan […] durant le xviiie siècle » (Elman, 1984, p. 168) ; « L’émergence de savants
[scholars] professionnels – qui soutenaient rarement des positions officielles – était
étroitement liée aux académies établies après 1733 » (ibid., p. 170). J. Porter, qui situe
la rupture dès la fin du xviie siècle, fait le même constat d’une « autonomie culturelle
croissante de la science chinoise » : « Avec la différenciation des connaissances scienti‑
fiques des humanités, les praticiens des sciences mathématiques percevaient de plus en
plus celles-là en tant qu’activité distincte et autonome, basée sur un critère indépendant
et objectif de validité » (Porter, 1982, p. 536 et 542).
2. Même de ceux qui s’intéressent à la science européenne (Zurndorfer, 1988,
p. 80‑90).
3. Son observation des éclipses est une première application de la « recherche-de-
preuve » (kaozheng) aux sciences de la nature (ibid., p. 83).
4. Également linguiste, épigraphiste, géographe et astronome très au fait des sciences
européennes. Il se rend complètement indépendant de l’administration à partir de 1776.
5. Grand érudit plaidant pour l’objectivité des recherches historiques (Richter, 1987,
p. 65‑66).

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Histoire mondiale de la philosophie

3) Philosophie moderne postclassique (depuis ~1765)

Durant le dernier tiers du xviiie siècle, l’administration res‑


serre son contrôle sur la pensée, les philosophes se font rares et la
situation politico-sociale se dégrade. Les insurrections de la fin du
siècle sont suivies d’une grande récession économique au début du
xixe siècle ; puis les guerres de l’opium (1839‑1842 et 1856‑1860)
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engendrent les guerres civiles et les grands soulèvements populaires
de 1850‑1875. Le traumatisme de la défaite contre le Japon en
1894 et l’installation des puissances occidentales à la fin du siècle
complètent ce triste tableau.
Deux solutions s’offrent aux philosophes : le repli sur la tradition
comme moyen affectif et intellectuel de trouver un repère stable dans
un monde bouleversé ; l’ouverture à la Modernité occidentale pour
utiliser les armes de l’adversaire. L’histoire de la philosophie aux
xixe et xxe siècles est le récit des hésitations entre ces deux perspec‑
tives. La plupart des auteurs tâchent de concilier la tradition chinoise
avec la modernité telle qu’ils la comprennent, ce qui engendre un
syncrétisme bigarré où les vieilles idées néoconfucéennes font alliance
avec une philosophie occidentale mal dégrossie. Le confucianisme
bouddhisant à la sauce du pragmatisme américain a quelque chose
de la soupe chinoise au ketchup1. Comme on attribue à la science
occidentale l’écrasement de la Chine par l’Europe au xixe siècle,
on cherche à emprunter à celle-ci ses méthodes et ses concepts. La
science est adaptée, imitée, singée à la faveur de pseudosciences
philosophiques – philosophie de l’évolution pseudo-darwinienne,

1. Autant l’importation de méthodes et de théories scientifiques étrangères fait


immédiatement progresser les sciences locales, autant l’importation d’idées philoso‑
phiques produit des résultats qui laissent souvent dubitatif – car la philosophie est moins
isolable que la science du contexte socioculturel qui la voit naître. Quand la science
égyptienne passe en Grèce, la science grecque en Islam, ou la science européenne en
Chine, cela produit tout de suite d’excellents résultats. Mais la philosophie analytique
emmanchée sur le confucianisme laisse pantois, comme le bouddhisme d’exportation,
adapté aux besoins de la consommation occidentale de « spiritualités ». Collaboration
fructueuse dans un cas, syncrétisme stérile dans l’autre.

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La philosophie chinoise

pseudo-histoire hégéliano-confucéenne, pseudo-sociologie marxi‑


sante. Or, dans le même temps, l’écart de la philosophie aux savoirs
positifs ne cesse de se creuser. La philosophie postclassique se carac‑
térise donc par un syncrétisme sino-occidental d’une part, et un
rapport d’extériorité mal assumé aux sciences d’autre part.
De plus, l’adoption du système éducatif occidental transforme les
lettrés en universitaires. Philosopher devient donc un métier. Ainsi
professionnalisée, la philosophie est une spécialité parmi d’autres,
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avec ses méthodes, ses institutions et ses hiérarchies. En consé‑
quence de quoi, la philosophie n’est pas seulement isolée du monde
savant, mais aussi du monde tout court. Elle est administrée comme
une science sans être une science ; elle a une vocation morale mais
s’identifie à une technique discursive ; elle voudrait être un art de
vivre mais se retire du monde ; enfin, elle prétend à la légitimité
du savoir universitaire alors qu’elle manifeste un attrait croissant
pour la religion. Telle est la philosophie postclassique : syncrétique,
scolastique, pseudo-savante et teintée de religiosité.

Traditionalisme et usage traditionaliste


de la Modernité (1765 à 1900)
L’inquisition littéraire du pouvoir impérial redouble durant les
années 1774‑1789 (durant lesquelles sont détruits 2 300 livres « ten‑
dancieux »). L’ordre jésuite est interdit en 1773, de nombreuses
écoles privées doivent fermer et l’État impose un ordre moral tra‑
ditionaliste. Réprimés ou démoralisés, les philosophes sont moins
nombreux et la production intellectuelle chute drastiquement. On
trouve encore de grands érudits – comme Ruan Yuan (1764‑1849),
qui édite des Classiques, patronne les mathématiciens de son temps
et écrit des Notices [biographiques] sur les mathématiciens et astro-
nomes –, mais l’esprit n’est plus du tout celui de l’âge classique
– Ruan Yuan est un traditionaliste résolu. L’École des Textes nou‑
veaux (inspirée par le cosmologisme de Dong Zhongshu) accroît
son influence. Fang Dongshu (1772‑1851) critique Dai Zhen et le
courant réaliste qu’il représente ; Liao Ping (1852‑1932, École des

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Histoire mondiale de la philosophie

Textes nouveaux) renoue franchement avec la cosmologie tradi‑


tionnelle ; Yang Wenhui (1837‑1910) ambitionne de remettre le
bouddhisme au goût du jour – il édite des textes bouddhistes et
fonde un monastère. Tous représentent la tendance traditionaliste.
L’autre tendance – celle qui cherche à assimiler la modernité
occidentale – se fait jour avec Yan Fu (1853‑1921), qui importe
en Chine l’idée de progrès (politique, scientifique et technique) et
prône l’ouverture aux valeurs de liberté et de démocratie. Son œuvre
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de traducteur (de Rousseau, Montesquieu, Smith, Mill, Spencer
et Huxley) aura des conséquences énormes sur la génération sui‑
vante. Mais, à la fin du xixe siècle, c’est toujours l’École des Textes
nouveaux qui domine et imprègne la recherche du grand philo‑
sophe Kang Youwei (1858‑1927). Il est le premier auteur à greffer
l’Occident sur la Chine, pour ainsi dire, à la faveur d’une œuvre
traditionnello-moderniste pour le moins originale. Avant tout uto‑
piste et métaphysicien, il prophétise la venue de l’Amour sur terre. Sa
philosophie de l’histoire – une pseudo-histoire philosophique – est la
version chinoise des Trois Âges de Comte : âge du Désordre, âge de
l’Ordre et, finalement, avènement de la Paix universelle – c’est-à-dire
du Grand Tao. Comme l’Occident a le christianisme, la Chine doit
elle aussi avoir sa religion ; ce qui pousse Kang Youwei à faire de
Kongzi un Jésus ou un Bouddha chinois.
Son disciple et compagnon Tan Sitong (1865‑1898) – avec lequel
il élabore l’ambitieuse réforme des « Cent Jours » – théorise une
« Science de l’amour » (titre de son ouvrage de 1895) inspirée des
confucianisme, bouddhisme, taoïsme et christianisme. Il utilise le
vocabulaire scientifique occidental pour donner un aspect savant
à sa métaphysique de l’Amour, entendu comme substance cosmo‑
logique, origine et fin de l’Univers1. L’usage de la Modernité est,
chez Kang Youwei et Tan Sitong, au service du vieux cosmologisme
religieux2.

1. La façon dont Kang Youwei et Tan Sitong détournent et imitent la science a été
soulignée par B. A. Elman (Elman, 2005, p. 402).
2. Ainsi, la comparaison proposée par J. B. Henderson semble-t-elle judicieuse :
« Le retour d’une forme de pensée corrélative [de pensée des corrélations cosmiques]

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La philosophie chinoise

Autonomisation et essor des sciences


Tandis que la philosophie décline (par le nombre de ses repré‑
sentants) et s’attache à la Tradition, la science triomphe et s’ouvre
à toutes les nouveautés. Leurs chemins se séparent irrémédiablement
au début du postclassique. L’autonomisation des sciences, seulement
amorcée à l’époque précédente, devient une réalité de la vie intellec‑
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tuelle1. Le savoir se conçoit de plus en plus comme un progrès, selon
une histoire cumulative ; ce qui empêche le passé de faire autorité
comme c’est le cas en philosophie2. Parmi les mathématiciens et/ou
astronomes importants du début du Postclassique, mentionnons Wang
Lai (1768‑1813), Li Rui (1769‑1817), Xiang Mingda (1789‑1850)
et celui qui les surpasse tous, Li Shanlan (1811‑1882). Ils assimilent
la science occidentale comme un moyen, devenu évident, de faire
progresser leurs disciplines de recherche.
L’autonomie idéologique, professionnelle et institutionnelle des
savants s’approfondit à mesure que les contacts avec l’Occident
se multiplient et par l’importation du modèle universitaire euro‑
péen. D’une façon générale, la science européenne tend à rempla‑
cer la science chinoise traditionnelle (sauf en médecine)3. Pour les

dans la haute tradition intellectuelle de la fin des Qing […] pourrait être comparé
à des mouvements similaires dans l’histoire culturelle et intellectuelle occidentale »,
telle la philosophie de la Nature des romantiques de la première moitié du xixe siècle
(Henderson, 1984, p. 201).
1. W.-S. Horng, qui étudie l’autonomisation des mathématiques et de l’astronomie au
xviiie siècle, conclut que, vers 1800, « l’astronomie (incluant les mathématiques) fut séparée
de la philosophie » (Horng, 1993, p. 195 – l’auteur analyse en particulier les travaux
du lettré Sun Xingyan). Mathématiques et astronomie se professionnalisent (p. 193).
2. « En 1800, la recherche-de-preuve [kaozheng] avait montré de façon spectacu‑
laire qu’elle était un champ du discours en développement cumulatif. La victoire des
modernes, bien que pas encore totalement explicitée, était devenue évidente » (Elman,
1984, p. 37). « Les scientifiques Qing étaient parfaitement conscients […] qu’ils se
tenaient sur les épaules de leurs prédécesseurs – que leur travail était intrinsèquement
cumulatif » (Porter, 1982, p. 542). Même affirmation in Elman, 1984, p. 242 et 266.
3. En outre, peu après l’importation du modèle astronomique copernicien – que
s’étaient bien gardés d’enseigner les jésuites –, les Chinois abandonnent l’idée (inventée
par Mei Wending) d’une origine chinoise de la science européenne.

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Histoire mondiale de la philosophie

s­cientifiques, rompre avec la culture lettrée signifie identiquement


délaisser la tradition chinoise et s’ouvrir à l’Europe. La Chine n’est
pas submergée passivement par la science européenne : elle s’y
intéresse activement parce qu’elle engage elle-même un processus
de spécialisation et d’accumulation. L’attitude des savants chinois
vis-à-vis des missionnaires jésuites puis protestants (puis des uni‑
versitaires japonais et américains) est significative à cet égard :
poursuivant les efforts engagés par les philosophes et philologues
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des années 1650‑1700, ils assimilent le savoir occidental par un
travail volontaire, et non parce que ce savoir serait invasif. Quand
la science occidentale est jugée supérieure, ils l’adoptent1.
Cette conversion, massive à la fin du xixe siècle2, ne va pas sans
une violente acculturation – à laquelle résistent les politiques, les
lettrés et les philosophes. Au cours du xxe siècle, la science chinoise
intègre la communauté savante internationale ; on ne peut plus véri‑
tablement parler de science chinoise.

Acculturation, néo-traditionalisme
et syncrétisme (1900 à 1949)
Après 1900, la Chine se jette dans la Modernité : abolition des
examens mandarinaux en 1905, fin de l’Empire et avènement de la
République en 1911, fièvre moderniste d’une jeunesse voulant détruire
toute tradition – mouvement de la Nouvelle Culture (1915‑1921)
et mouvement du 4 Mai (1919). Le système universitaire occidental
remplace le mandarinat depuis la fondation de l’Université de Pékin
en 1912. Grâce à un système de bourses, les philosophes font une
partie de leurs études en Europe, aux États-Unis ou au Japon. Ils
en reviennent avec des idées neuves, qu’ils accommodent souvent
avec les vieilles valeurs confucéennes. Qu’ils soient « nouveaux
confucéens » ou modernistes, les philosophes conjuguent toujours

1. L’impression laissée par la puissance militaire occidentale au xixe siècle a été, il


est vrai, un puissant stimulant.
2. Elman, 2005, chap. 11 ; Chesneaux, 1961 ; Chesneaux, 1964.

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La philosophie chinoise

tradition et modernité. De leur côté, les libéraux et les marxistes


s’entendent pour faire table rase du passé. Ces excès engendrent
une réaction conservatrice, si bien que les intellectuels se divisent
en trois groupes : libéraux, marxistes, conservateurs – auxquels on
peut ajouter les conciliateurs.
Liang Qichao (1873‑1929) est assez inclassable ; il conserve de
son maître Kang Youwei la double attirance pour la modernité
réformiste (à travers Rousseau) et pour un idéal moral qui le rat‑
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tache à la tradition confucéenne ou bouddhiste. Pas d’ambiguïté en
revanche chez Chen Duxiu (1879‑1942), Li Dazhao (1888‑1927)
et Li Da (1890‑1966), introducteurs de la philosophie marxiste
en Chine. Ces représentants du mouvement du 4 Mai font leur
le slogan « Science et Démocratie ». Magnifique formule, qui se
dégradera malheureusement en « dialectique marxiste et pouvoir
autoritaire ». Le marxisme chinois est en effet aussi ambivalent que
le marxisme européen : il exalte la science, mais n’en admet qu’une
seule, définitive, consignée dans les œuvres de Marx, d’Engels et de
Lénine. La « dialectique » qu’il adopte est le genre de pseudo-science
typique des philosophies postclassiques. Dans le camp libéral, Hu
Shi (1891‑1962) tient une position clairement anti-traditionaliste,
favorable à l’occidentalisation et à la modernité scientifique. En
véritable universitaire à l’américaine, il épouse la philosophie prag‑
matiste de son maître Dewey, qu’il mêle à la philosophie analy‑
tique et au darwinisme. Il écrit aussi une histoire de la philosophie
chinoise qui se veut scientifique1. L’acculturation semble être tout
aussi radicale chez Hong Qian (1909‑1992, philosophe-logicien de
l’école du Cercle de Vienne) et Jin Yuelin (1895‑1984, philosophe-
logicien disciple de Russell).
En réaction au radicalisme du 4 Mai se constitue une philoso‑
phie qui cherche à tempérer les ardeurs révolutionnaires par un
retour au confucianisme, tout en s’inscrivant dans la perspective
démocrate et libérale. C’est le « néoconfucianisme contemporain »,
dit aussi « nouveau confucianisme ». Xiong Shili (1885‑1968) est

1. Hu Shih, 1967.

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Histoire mondiale de la philosophie

le premier à revendiquer un retour explicite à la cosmologie néo‑


confucianiste. Il construit un vaste système qui mêle la tradition
du Yi jing au bouddhisme Yogâcâra et à l’École de l’Esprit. À la
vision scientifique du monde, qui menace l’humanité, il oppose
un Cosmos harmonieux régi par le Tao. Ma Yifu (1883‑1967)
et Zhang Junmai (1886‑1969) tentent également de puiser dans
le passé néoconfucéen des ressources pour le présent – le second
cherchant une synthèse audacieuse de confucianisme, de socialisme
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et de kantisme. Zhang Dongsun (1886‑1973) marie plutôt Kongzi
à Kant et à Russell (qui s’était fait connaître en Chine par un
cycle de conférences en 1920). D’abord démocrate anti-marxiste,
il devient marxiste à partir de 1945. Feng Youlan (1895‑1990)
connaît une évolution comparable. Avant d’embrasser le marxisme,
il est le grand représentant du nouveau confucianisme de l’École
des Principes, qu’il associe à la philosophie analytique américaine1.
On lui doit en outre une Histoire de la philosophie chinoise. Liang
Shuming (1893‑1988) représente au contraire l’École de l’Esprit.
Nettement plus réactionnaire dans son projet intellectuel et poli‑
tique, il veut revivifier la cosmologie traditionnelle pour lutter contre
la modernité déshumanisante. L’impression d’ensemble qui domine
cette période est celle d’un tâtonnement intellectuel : « les idées
philosophiques semblent tourbillonner aussi confusément que les
idées politiques et sociales2 ».

Parenthèse marxiste et triomphe


du « néoconfucianisme contemporain » (depuis 1949)
De 1949 à 1978, la Chine retrouve la vieille tradition de l’ortho‑
doxie d’État, sous la forme du marxisme3. Comme le néoconfucia‑
nisme, celui-ci est à la fois une idéologie politique et une philosophie

1. « Le néoconfucianisme au crible de la philosophie analytique », pour reprendre


le titre de l’étude de L. Vandermeersch (Vandermeersch, 2007).
2. Zenker, 1926, p. 516.
3. « Paradoxalement, grâce au marxisme, la Chine de Mao Zedong s’occidentalise
tout en s’opposant à cet Occident qui l’a humiliée pendant plus d’un siècle, et en même

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La philosophie chinoise

– la nouveauté venant de ce qu’il se présente comme une science.


Auteur de De la pratique (1937), De la contradiction (1937) et
De la nouvelle démocratie (1940), Mao Zedong (1893‑1976) doit
être compté au nombre des philosophes. Sa philosophie est princi‑
palement d’importation : il passe son temps à citer Marx, Engels,
Lénine et Staline, dont il se sert comme d’un marteau pour détruire
le confucianisme. Le marxisme étant la seule philosophie tolérée
durant son règne, les marxistes abondent à partir de 1949. Certains
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se convertissent à l’issue d’une pathétique autocritique, à l’image
de Feng Youlan. Parmi les philosophes marxistes, il faut citer Yang
Xianzhen (1896‑1992, théoricien de la « dialectique »), Wu Liang‑
ping (1908‑1986, notamment traducteur d’Engels), Chen Guiru (né
en 1907, spécialiste de « philosophie de la nature » marxiste) et Ai
Siqi (1910‑1966, auteur de La Philosophie pour les masses et de
Matérialisme historique et matérialisme dialectique). Dans la pure
tradition pseudo-scientifique, Feng Ding (1902‑1983), professeur à
l’Université de Pékin, tâche de montrer les fondements physiques,
physiologiques et linguistiques du marxisme.
Pendant toute cette période, la plupart des néoconfucianistes
s’exilent à Taïwan ou Hong Kong. Ils organisent une opposition
intellectuelle du dehors et rédigent en 1958 un Manifeste en faveur
de la culture chinoise. C’est la grande époque du métissage germano-
confucéen : les philosophies de Kant et de Hegel deviennent des
références majeures. De sorte que, au total, on peut dire qu’« à partir
des années cinquante, la philosophie chinoise passa sous l’emprise
complète de courants de la philosophie allemande : en Chine conti‑
nentale, ce fut le marxisme, tandis qu’à Taïwan et Hong Kong,
Mou Zongsan et Tang Junyi s’inspirèrent respectivement de Kant
et de Hegel1 ». Or « en privilégiant le système, l’esprit général de la
philosophie chinoise moderne fut de chercher à imiter la philosophie
occidentale des xviiie et xixe siècles2 ». D’où l’inquiétude de voir

temps, elle retrouve grâce à lui une philosophie orthodoxe qui, comme le confucianisme
d’antan, embrasse tous les domaines de la pensée et de la vie » (Huang, 1974, p. 1212).
1. Jiadong Zheng, 2005, p. 131.
2. Ibid.

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Histoire mondiale de la philosophie

la philosophie chinoise se réduire à « une simple illustration et un


complément, inférieur cependant, de la philosophie occidentale1 ».
Outre le danger de devenir une philosophie parasitaire, elle court
celui de perdre le lien vivant à son histoire et sa culture ; en un
mot, de perdre son âme2. Associée au « devenir-universitaire du phi‑
losophe lettré », l’occidentalisation de la pensée chinoise risque de
produire des « âmes errantes » à la pensée artificielle ou vagabonde3.
Pour conserver à la fois leur âme et leur originalité, les philo‑
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sophes associent tradition chinoise et influences occidentales – ainsi
font les « nouveaux confucéens ». Influencé par Hegel, Bergson
et Whitehead, Fang Dongmei (1899‑1977) propose une synthèse
de confucianisme, de taoïsme, de bouddhisme et de philosophie
occidentale. Tang Junyi (1909‑1978) associe ses influences kan‑
tiennes et hégéliennes au néoconfucianisme de l’École de l’Esprit,
comme son maître Xiong Shili. Autre élève de Xiong Shili, Xu
Fuguan (1902‑1982) s’inspire plutôt de la phénoménologie pour
sa morale et son esthétique anti-intellectualistes, qui cherchent
une nouvelle alliance avec les énergies cosmiques. Enfin, Mou
Zongsan (1909‑1995) mixe Kant avec le néoconfucianisme de
l’École de l’Esprit. Formé à l’école de Russell, Whitehead et Witt­
genstein, il utilise Kant comme moyen de rehausser la philosophie
chinoise traditionnelle. Après une période bouddhiste, il en revient
à la tradition du cosmologisme, c’est-à-dire à une philosophie de
la Nature aux accents romantiques4.
À la fin des années 1970, la Chine se déverrouille et les exilés
reviennent sur le continent. Comme au début du siècle avec la chute

1. Ibid., p. 132.
2. « La plupart des universitaires chinois contemporains connaissent mieux Heideg‑
ger et Derrida que Confucius et Xunxi ! » (A. Cheng, Conférence du 13 janvier 2003,
à l’Université de tous les savoirs). « La pensée se trouve ainsi amputée de ses racines »
(Pietra, 2008, p. 105).
3. Thoraval, 1992, p. 45 ; Billioud et Thoraval, 2014, p. 12. Voir aussi Thoraval,
2007 – l’auteur insiste sur les faiblesses d’une pensée néoconfucéenne « automutilée en
s’enfermant dans la clôture d’un système philosophique » « à l’occidentale », c’est-à-dire
prenant l’aspect d’une philosophie universitaire mondialisée (p. 62).
4. Ce qui lui vaut d’être comparé par J. Thoraval à Schelling (Thoraval, 2005).

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La philosophie chinoise

des Qing, cette soudaine ouverture suscite un enthousiasme libéral1.


Mais c’est surtout une pensée néoconfucianiste qui pousse sur les
cendres du marxisme : plus la Chine se modernise, plus la tradition
séduit les esprits2. Les travers du monde industrialisé et urbanisé
rendent le bouddhisme et le confucianisme d’antan très attrayants.
En outre, après les grandes humiliations des xixe et xxe siècles – qui
ont vu la Chine soumise à l’Occident de multiples manières –, le
retour en force de l’Empire du Milieu prend la forme du natio‑
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nalisme. Or la pensée nationaliste s’accompagne irrésistiblement
d’un questionnement sur l’identité traditionnelle, qui touche tout le
monde. Ce ne sont pas seulement le bouddhisme et le confucianisme
philosophiques qui sont alors réactivés, mais aussi leurs versions
religieuses ; on assiste à un retour massif de la pensée religieuse,
chez les philosophes et les élites politiques comme dans le peuple3.
Quand ils ne sont pas « nouveaux confucéens », les philo‑
sophes universitaires sont souvent trop occupés à des travaux de
commentateurs et d’interprètes pour produire une œuvre origi‑
nale. L’application à la philosophie du modèle de spécialisation
scientifique a pour effet – comme en Occident – la comparti‑
mentation des recherches à l’excès ; on trouve des spécialistes de
tout mais guère de penseurs capables d’embrasser le réel dans

1. On parle de « Nouvelles Lumières », en référence aux « Lumières » des années 1920.


2. On le voit avec des philosophes tels que Liu Shuxian (1934‑2016, voulant soigner
le malaise du monde moderne par un retour à la sagesse archaïque), Du Weiming (1940 –,
propagandiste et apologiste du confucianisme), Gan Yang (1952 –, libéral représentant
de la « new gauche », mais dont l’évolution intellectuelle traduit un attrait croissant pour
la tradition, comme chez Zhang Xianglong), Jiang Qing (1953 –, parfait représentant
de la réaction traditionaliste), Liu Xiaofeng (1956 –, critique de la modernité libérale au
profit d’une sorte de théologie sino-chrétienne) et Zhao Tingyang (1961 –, qui cherche
à penser les relations internationales à l’aide d’une cosmologie utopiste). Ces quelques
indications – nécessairement sommaires – sont puisées dans les études de S. Billioud,
Jiang Dandan, Lian Zhou, R. Pietra et J. Thoraval, référencées en bibliographie.
3. Billioud, 2007 ; Billioud et Thoraval, 2007 ; V. Goossaert in Cheng, 2007 ; Bil‑
lioud et Thoraval, 2009 ; Billioud et Thoraval, 2014. Comme le montrent ces études, le
mouvement de renouveau confucéen de tendance religieuse s’amplifie quand on passe des
années 1980 aux années 1990 puis 2000. Ce « profond retour du passé » (Billioud, 2007,
p. 68) laisse même craindre « le développement possible dans la Chine actuelle d’une
forme particulière de “fondamentalisme confucéen” » (Billioud et Thoraval, 2007, p. 17).

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Histoire mondiale de la philosophie

une vue synthétique qui ne soit pas un réemploi du néoconfu‑


cianisme1. La philosophie contemporaine n’invente guère d’alter‑
native à ses deux tendances principales : retour à la tradition
métaphysico-confucéenne et effacement du philosophe derrière
le commentateur-technicien. Autrement dit, elle penche tantôt
vers la religion, tantôt vers la science (la science mimée, et non
la science elle-même).
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Bibliographie

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