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La philosophie chinoise
Vincent Citot
Dans Hors collection 2022, pages 349 à 424
Éditions Presses Universitaires de France
ISBN 9782130835899
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 13/05/2023 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 191.99.151.235)
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• Irréductibilité, continuité, cyclicité
La philosophie grecque provient de la fécondation de la culture
hellénique par la pensée égyptienne ; la philosophie romaine résulte
d’une importation de la pensée grecque à Rome ; la philosophie
en Islam découle de la rencontre du monde arabe et des cultures
byzantines, orientales et méditerranéennes ; la philosophie euro‑
péenne dérive de l’usage que les peuples germaniques font de l’Anti‑
quité gréco-chrétienne ; la philosophie russe est le bourgeonnement,
en terre slave, du byzantinisme teinté d’influences occidentales ; la
philosophie indienne est la fusion graduelle d’une culture indo-
européenne importée et d’une société indigène ; la philosophie
japonaise, enfin, est une greffe sur la pensée chinoise. Partout la
philosophie naît d’une recomposition culturelle et d’une importation
d’idées étrangères. Sauf en Chine. À moins de s’enfoncer dans les
millénaires obscurs de la préhistoire, on a l’impression que la culture
chinoise ne vient de nulle part ailleurs que de Chine. Aussi loin que
l’on remonte dans l’Antiquité, on ne trouve d’origine que chinoise
à la philosophie chinoise. Ne devoir rien, ou peu, aux influences
étrangères, est la première spécificité de celle-ci.
Deuxièmement, la pensée chinoise et la civilisation qui la sou‑
tient manifestent une remarquable continuité plurimillénaire. Ce
n’est pas le cas ailleurs, où règne la discontinuité et où la durée
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perse, grec, romain, byzantin ou arabe. À l’inverse, un philosophe
de Chine est toujours chinois, même quand il est sous domination
politique des Huns, des Turcs, des Mongols, des Mandchous ou des
Européens. De plus, à aucun moment de son histoire la philosophie
chinoise ne disparaît complètement, comme c’est le cas ailleurs à
la fin d’un cycle.
Pour autant, l’histoire de cette philosophie n’est pas un conti-
nuum amorphe ; pas plus que ne le sont les histoires politique,
sociale et économique de la Chine. Les cycles sont moins marqués,
mais ils existent. La philosophie connaît des phases de ralentisse‑
ment prolongé, durant lesquelles elle cesse d’être créative et renoue
tendanciellement avec la pensée religieuse. Ainsi en va-t-il lors des
grandes invasions barbares du ive siècle et des xiiie-xive siècles.
À l’inverse, les ive-iiie siècles av. J.-C., le xie siècle puis les xviie-
xviiie siècles sont particulièrement brillants. Or on ne passe pas
sans transition des époques fastes aux siècles obscurs ; il y a des
évolutions graduelles, des tendances et des inflexions, donc des
cycles. Leurs durées sont comparables à celles des autres cycles civi‑
lisationnels – de l’ordre du millénaire. Nous distinguerons ainsi un
cycle antique (~700 av. J.-C. à ~400 apr. J.-C.), un cycle médiéval
(~400 à 1368) et un cycle moderne (depuis 1368).
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xxe siècle, les Chinois ne découpent pas ainsi leur champ intellectuel.
De fait, les frontières religion-philosophie-science sont plus floues
qu’ailleurs. Les confessions chinoises échappent aux critères qui
permettent habituellement à un Occidental de repérer une religion :
pas de dieu, de théologie, de patriarche ni d’Église instituée. Pour
ajouter à la confusion, le nom des grands courants philosophiques
est le même que celui des traditions religieuses : confucianisme,
taoïsme et bouddhisme. Quant à la « science », elle est toujours
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pratiquée par des « lettrés », c’est-à-dire des hommes formés à la
culture confucéenne traditionnelle. En Chine, on est éduqué ou on
ne l’est pas ; et si on l’est, on l’est toujours d’une certaine manière
qui est indistinctement littéraire, philosophique, religieuse et savante.
Ces difficultés ne sont pas insurmontables, car il y a des diffé‑
rences évidentes entre un commentaire littéral de Kongzi (Confu‑
cius), le considérant comme un Saint éternel, et un discours critique
qui examine les présupposés de sa doctrine de la nature humaine.
Quelle que soit la façon dont on qualifie ces exercices intellectuels,
ils correspondent de fait à deux sortes de pensée. C’est à bon droit
que l’on peut distinguer un discours de type religieux d’un autre de
type philosophique, quoique religion et philosophie ne constituent
pas en Chine des spécialités institutionnellement distinctes. Le pro‑
blème de l’existence d’une « philosophie chinoise » est vite résolu
par la lecture des auteurs chinois – Zhu Xi, Dong Zhongshu, Mozi
et Wang Fuzhi philosophent comme Platon, Sénèque, Hobbes et
Diderot. La question de la « science » ne fait pas davantage pro‑
blème, car il est aisé de faire la différence entre des divinations
fondées sur une mythologie du Cosmos et une étude d’astronomie
mathématisée – même si celle-ci a pour objectif, in fine, d’établir le
calendrier qui doit servir aux pratiques rituelles. Pas plus que l’art-
pour-l’art n’est la définition de l’art en général, le savoir pur désinté‑
ressé n’est la définition de la science en général. La science chinoise
a, le plus souvent, des finalités religieuses, politiques ou utilitaires1.
1. Gernet, 1989 ; Lloyd, 1996 – les auteurs insistent sur le contraste avec la science
grecque.
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I. Cycle antique (~700 av. J.-C. à ~400 apr. J.-C.)
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(~700 à ~350 av. J.-C.)
1. Sur la nature et l’évolution de cette pensée archaïque, on peut lire Granet, 1922 ;
Granet, 1934 ; Maspero, 1927 (en particulier le livre II, 5) ; Maspero et Balazs, 1953,
partie I, 1 ; ou encore Cheng, 1997, chap. 1 (où l’auteur se réfère à L. Vandermeer‑
sch, Wangdao ou la Voie royale. Recherches sur l’esprit des institutions de la Chine
archaïque, Paris, EFEO, 1980).
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celle de chacun dans la société est définie par des règles d’harmonie
universelle. La production intellectuelle de l’époque est stimulée
par les bouleversements politiques : la royauté Zhou – représentant
l’ordre ancien et la religion ancestrale – décline irrémédiablement
devant la montée en puissance d’États vassaux périphériques, de plus
en plus indépendants politiquement et économiquement de l’ancien
centre. Cet affranchissement correspond à une prise de distance avec
les vieilles croyances archaïques. Les princes des États périphériques
rivalisent pour l’hégémonie et s’entourent de penseurs capables de
conseiller ou de justifier leurs luttes pour le pouvoir. C’est ainsi
qu’est rédigé le premier traité du gouvernement, le Quanzi (dont le
ministre de l’État Qi, Guanzi, aurait donné une première version vers
la première moitié du viie siècle). D’une façon générale, les rapports
de forces nouveaux entre des puissances nouvelles et conquérantes
stimulent l’apparition d’une pensée nouvelle.
e
Premiers philosophes au vi siècle
Le vie siècle est marqué par la différenciation des premières
écoles philosophiques – taoïsme, confucianisme, légisme – autour
de penseurs dont l’histoire a retenu les noms. Le champ intellectuel
se diversifie, des oppositions théoriques apparaissent à la fin du
siècle ; c’est le début de la confrontation philosophique – bien que
cette confrontation ne prenne pas encore la forme d’argumentations
1. « Petit traité qui passe communément pour le plus ancien essai de philosophie
chinoise », dit M. Granet (Granet, 1934, p. 139).
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extatique avec le Tao.
Confronté à la même situation, Kongzi/Confucius (c. 551‑479)
réclame au contraire un engagement politique, mais respectueux des
valeurs de la vieille aristocratie Zhou, dont il déplore la margina‑
lisation croissante1. Il recompose, édite et enseigne les Classiques ;
leur donne une dimension philosophique et laïcise leurs contenus2.
Il ne rejette pas la religion traditionnelle, mais l’épure de toutes
les superstitions pour ne considérer que « le Ciel » – principe de
providence abstrait plutôt que Dieu personnel3. Quant à ses idées
politiques, elles sont moins réactionnaires qu’il n’y paraît : il réaf‑
firme les valeurs de l’aristocratie traditionnelle, certes, mais dans un
esprit complètement nouveau, théorisant la participation de tous les
hommes à une nature humaine commune – donc les chargeant égale‑
ment d’un devoir de vertu4. À cette philosophie de la nature humaine
1. Aussi, « c’est sur les vieilles idées des anciennes Écoles des Scribes [auteurs du
Shu jing] et des Devins [auteurs du Yi jing] que […] Kongzi érigea son système de
morale et d’éthique politique » (Maspero, 1927, p. 375).
2. « Il entendait enseigner l’art de vivre, une sagesse fondée sur la tradition de
la noblesse, mais en refusant les préjugés de la haute aristocratie et en accentuant la
tendance laïcisante et humaniste » (Kaltenmark, 1972, p. 13).
3. À l’égard de la religion, « Kongzi semblerait, par certains de ses propos, avoir
été un sceptique et un agnostique. Il se refusait à traiter “des prodiges, de la destinée
et des esprits” » (ibid.). Étiemble interprète dans le même sens : « Tout ce qui n’est pas
ancré dans le réel, Kongzi n’en parle pas. Il se refuse à toute superstition : trop prudent,
trop consciencieux, pour s’intéresser aux choses douteuses » ; « De la religion, il ne
retient guère que le culte des ancêtres, quelques cérémonies, et deux ou trois notions,
Ciel, décret, tao, qu’il laïcise fortement » (Étiemble, 1956, p. 280 et 129).
4. « Étrange conservateur, étrange ami des féodaux, qui, non content de faire du
prince le serviteur du petit peuple, à maintes reprises laisse entendre que nobles ou
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Le vie siècle voit aussi la mise en place d’une pensée qui sera quali‑
fiée plus tard de légiste – troisième solution théorique et pratique aux
problèmes auxquels s’étaient confrontés Laozi et Kongzi. Le légisme
est issu de la réflexion des conseillers politiques et diplomatiques des
princes – aussi acteurs de la codification des lois, tel Zichan (m. 522)
pour l’État Zheng3. Pensée novatrice s’il en est, elle accompagne le
bouleversement des rapports politiques et sociaux de cette époque
dite Printemps et Automnes (couvrant les années 722‑476). Les
premiers traités sur L’Art de la guerre/Sunzi bingfa voient le jour
à la même époque, comme celui attribué au militaire Sun Zi/Sun
Tzu (544‑496) – qui inspire le célèbre traité du même nom, plus
tardif. Enfin, à l’opposé de cette pensée réaliste et pragmatique, le
philosophe, rhéteur et jurisconsulte Deng Xi (m. 501) annonce les
futurs développements de « l’École des Noms4 ».
vilains, tous les hommes, pour lui, ont même qualité d’homme » (Étiemble, 1956,
p. 98‑99). « Ces idées-là sont révolutionnaires, dit encore Étiemble […]. Avant Kongzi,
dans l’ordre des faits comme dans celui des valeurs, la naissance primait tout. Après
lui, dans l’ordre des valeurs, la naissance n’est rien où la vertu n’est pas » (p. 132).
1. Zenker, 1926, p. 147.
2. Maspero, 1927, p. 386.
3. Voir Vandermeersch, 1995a, partie II.
4. Zenker, 1926, p. 210.
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nouvelle classe sociale1. Comme les chevaliers à Rome ou les Ksha‑
triya en Inde, la montée en puissance des Lettrés chinois renouvelle
la vie intellectuelle. Au ve siècle, une première réalisation de ces
scribes de cour est constituée par les célèbres annales de la princi‑
pauté de Lu : Printemps et Automnes/Chunqiu. Dans le domaine
plus spécialement philosophique, la rédaction de l’Appendice du Yi
jing – le Hizi – a plus d’importance. La métaphysique de la nature y
prend une forme plus claire et plus systématique2. De leur côté, les
disciples de Kongzi développent la doctrine du maître : on attribue
à Zengzi (505‑435) une première version du Classique de la piété
filiale/Xiao jing, et à Zisi (481‑402) le traité de l’Invariable Milieu
ou Zhong Yong – guide moral pour la recherche de l’équilibre
intérieur, qui est en fait plus récent. Gaozi (420‑350), un autre
confucéen, se distingue par sa doctrine de la nature humaine et sa
morale, qui consiste à forcer sa nature.
Mais le grand événement intellectuel du ve siècle ne vient ni
des métaphysiciens de la Nature, ni des humanistes confucéens.
Étranger même à la classe des lettrés, des scribes ou des devins
officiels, il est le fait d’un petit groupe de militaires indépendants,
dont le leader Mozi (c. 479-c. 390) élabore une philosophie qui
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Mozi lui-même est encore animé d’un esprit religieux et idéaliste.
Son utopie d’une société égalitaire et totalitaire ferait penser à
More ; sa démarche déductiviste et son radicalisme politique le
rapprocheraient plutôt de Hobbes2 ; mais il n’est en fait ni l’un ni
l’autre car il est avant tout un militant et un chef de secte3. Son
collaborateur le plus original pour la période qui nous occupe
semble être Lu Ban (507‑440) – ingénieur, inventeur, architecte
et auteur de divers traités.
Les penseurs pré-légistes du ve et de la première moitié du
e
iv siècle ont un esprit moins spéculatif que Mozi, mais leur pensée
est aussi moins universelle et davantage rivée aux conditions poli‑
tiques particulières. Parmi eux, on peut citer Li Kui (c. 455‑381
ou 395, ministre de l’État Wei et auteur d’un Livre de la Loi/Fa
jing) et Wu Qi (440‑381, homme politique de l’État Chu, auteur
d’un Art de la guerre).
1. « Le premier, il eut le souci de l’enchaînement logique des idées. Avant lui, les
livres étaient des suites de paragraphes sans lien […]. Au contraire, Mozi coordonne
ses idées en des sortes de leçons […] définissant les termes et faisant face à toutes les
objections. Il ne se contente pas d’affirmer, il veut prouver, et cela est quelque chose
d’absolument nouveau en Chine » (ibid., p. 389). Zenker le reconnaît également : « Mozi
a été le créateur de la logique et de la dialectique méthodique chinoises » (Zenker,
1926, p. 192).
2. Avec lequel Feng Youlan le compare explicitement (Feng Youlan, 1934, p. 76‑78).
3. « Secte d’allure religieuse dont les adeptes étaient armés et devaient ressembler
à des chevaliers redresseurs de torts plus qu’à des philosophes » (Kaltenmark, 1972,
p. 51‑52).
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pluralisme de cette période. L’esprit critique et inventif est à son
comble, dans un contexte de concurrence militaire, économique
et intellectuelle. Les puissants États rivaux font désormais peu de
cas des traditions religieuses et féodales de la vieille souveraineté
Zhou. L’administration remplace les seigneurs locaux, les lois imper‑
sonnelles tendent à se substituer au pouvoir personnel arbitraire,
le mérite et le talent sont de plus en plus valorisés par rapport à
la noblesse de naissance1. Le développement économique favorise
également l’évolution des mentalités et le renouveau intellectuel2.
Finalement, la raison (et avec elle la rhétorique, la dialectique et
la diplomatie) prend le pas sur la religion. La science n’est pas
encore née, mais déjà pointe l’esprit positif dans certains travaux
philosophiques3.
1. On reconnaît là des principes légistes, qui sont appliqués dès la période des
Royaumes Combattants (Pirazzoli-T’Serstevens, 1982, p. 12). « Les rois évincent les
grandes familles nobles en remplaçant le conseil des hauts dignitaires par un conseil
privé composé de spécialistes de la guerre, de la diplomatie et de la politique. Le pouvoir
politique s’affranchit ainsi du contexte familial et religieux. Les grandes familles nobles
perdent leurs charges héréditaires » (Bernard-Grouteau, 2011, p. 27).
2. « La société passe d’un fondement religieux à un fondement militaire, puis
économique » ; « les rois font appel à la classe des marchands et des premiers entre‑
preneurs qui s’occupent de l’extraction minière, de la production du sel, du commerce
de grains et qui développent la nouvelle industrie du fer […]. Les cités deviennent
alors de grands centres économiques » (Bernard-Grouteau, 2011, p. 27 et 28). Et
la mentalité de ces « grands marchands-entrepreneurs […] eut sans doute sur les
conceptions politiques de l’époque une influence considérable » (Gernet et Vernant,
1964, p. 311).
3. « Ce n’est plus de sages d’exception dont les chefs de royaumes ont besoin, mais
d’administrateurs et de spécialistes […] [S]’affirme alors en Chine un esprit qu’il n’y
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du pouvoir et les modes de gouvernement doivent s’adapter au
développement économique et industriel. Hommes d’action très
opposés aux spéculations désincarnées, les légistes n’en fondent pas
moins une école de philosophie. Ils rédigent des traités théoriques
et argumentent contre leurs rivaux confucéens et mohistes. Mais
comme leurs idées « étaient formées au contact des réalités écono‑
miques et sociales2 », elles expriment une vision de la société et de
l’histoire singulière par rapport aux autres écoles philosophiques,
attachées à dégager des principes moraux et comportementaux
atemporels3.
Le plus important légiste de la période est sans doute Shang
Yang (c. 390‑338), Premier ministre et grand réformateur de l’État
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Qin, auteur du Shang Jun Shu1. Shen Buhai (c. 385-c. 337), ministre
de l’État Han, écrit un Art du gouvernement des hommes, d’esprit
très machiavélien également. Sun Bin (c. 380‑316), à la fois stra‑
tège et penseur légiste, rédige un Art de la guerre. Enfin, Shen
Tao (c. 350-c. 275) marque l’influence croissante du taoïsme sur le
légisme, que l’on retrouvera chez Han Feizi. En affinité avec l’état
d’esprit légiste, le grand traité L’Art de la guerre, attribué à Sun
Zi, aurait en fait été rédigé au ive ou au iiie siècle. Il s’agit d’un
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des plus remarquables écrits des Royaumes Combattants, qui se
distingue par sa hauteur de vue et la perspicacité de ses développe‑
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sion comme leurs homologues grecs et indiens : leurs idées révolu‑
tionnaires ont été tournées en dérision, caricaturées et finalement
occultées par l’historiographie officielle (nonobstant le fait qu’elles
devaient se prêter facilement aux caricatures). En formulant des
paradoxes logiques et linguistiques, ces sophistes veulent-ils sim‑
plement s’amuser avec le langage pour dérouter et provoquer leurs
contemporains ? La dimension « sophistique » (au sens négatif du
terme) n’est pas exclue, mais leur travail est avant tout épistémolo‑
gique. Ils sont d’ailleurs très portés sur les savoirs disponibles à leur
époque : « Les sophistes chinois, eux aussi [comme les sophistes
grecs], sont des savants encyclopédiques2 ». « Hui Shi avait plus de
connaissances scientifiques que les gens de son temps […] il était
peut-être celui qui connaissait le plus de sciences parmi les philo‑
sophes du temps des Royaumes Combattants3 ». Quant à Gongsun
Long, dont les paradoxes ressemblent à des jeux de langage sté‑
riles, il serait en fait « le plus grand logicien de l’époque classique,
[ayant] entrepris des recherches épistémologiques et métaphysiques
qui sont l’aboutissement d’une longue élaboration de la logique
chinoise4 ».
1. Les paradoxes énoncés par le premier font penser à ceux de Zénon, tandis que le
relativisme du second évoquerait, selon E. V. Zenker, Protagoras (Zenker, 1926, p. 208).
2. Kou Pao-koh, 1953, p. 130.
3. Ibid., p. 103 (l’auteur s’appuie ici sur Kouo Mo-jo). Étiemble note également
qu’il « s’intéressait à la géographie, à l’astronomie, à tous les savoirs de son temps »
(Étiemble, 1968, partie I). En outre, il « est sans doute le premier penseur en Chine
qui brise radicalement avec toute la tradition » (Reding, 1985, p. 349).
4. Schipper, 1995a. Étant également diplomate, il « fut le premier à introduire l’art
de la logique dans les débats politiques » (Reding, 1985, p. 426).
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il y avait là « des embryons de sciences déductives », « qui auraient
pu donner naissance à un développement analogue à celui de la
science grecque »3. Quoi qu’il en soit, les mohistes de l’âge classique
prennent quelques distances avec l’enthousiasme spéculatif de Mozi,
au profit d’un esprit rationnel et positif.
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que littéraire, car nous avons affaire à l’un des plus grands écrivains
chinois. À la différence de Yang Zhu, la philosophie de Zhuangzi
est fortement teintée de mysticisme, puisqu’il s’agit pour lui de
s’extraire de la vie commune par une union extatique avec le Tao.
Mais cette tendance cohabite chez lui avec un esprit sceptique et
agnostique à toute épreuve. Qu’il s’interroge sur la possibilité de
la connaissance, sur les limites de la raison discursive ou sur la
capacité du langage à exprimer le réel, à chaque fois, le scepticisme
remporte la mise. La première exigence de la pensée est, selon lui,
de se critiquer elle-même. Sa philosophie comprend aussi une phi‑
losophie de la Nature, une morale et une politique – consistant à
rejeter toute action politique.
Après Zhuangzi, le mysticisme taoïste ne s’équilibre plus avec la
recherche argumentative : la volonté de démontrer s’efface devant
l’intuition, la croyance ou la simple sagesse. C’est manifeste à la
lecture du Tao te jing/Laozi – texte relevant au moins autant de la
religion que de la philosophie. La critique de la raison discursive y
prend la forme d’un pur et simple anti-intellectualisme. On le date
généralement du ive ou du début du iiie siècle, mais il est probable‑
ment plus tardif2 ; ce n’est déjà plus un ouvrage de l’âge classique.
1. Sur cette comparaison, voir Zenker, 1926, p. 180. Mais à la différence de l’Ec‑
clésiaste, sa pensée est étrangère à toute tendance religieuse : « fortement emprunt de
taoïsme, ce système s’écartait de celui de Laozi […] par l’absence de toute recherche
mystique » (Maspero, 1927, p. 426).
2. A. Cheng le situe au plus tôt en 250 av. J.-C. (Cheng, 1997, p. 188) et elle cite
à l’appui de cette thèse des études qui vont jusqu’à le dater de la fin du iiie siècle, voire
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authentique philosophie de la nature humaine et des devoirs qui
incombent à l’homme en société. Par rapport aux philosophes de
son temps, il peut passer pour un conservateur un peu idéaliste,
mais si on le compare aux confucéens qui le précèdent et à la pre‑
mière génération des mohistes, il manifeste au contraire un souci
inédit d’associer les exigences de la morale aux réalités sociales
(son moralisme l’oppose aux légistes et son pragmatisme aux pre‑
miers mohistes et aux anciens confucianistes). Zenker remarque
en ce sens qu’il a « une philosophie sociale et juridique d’allure
parfois tout à fait moderne. Il a, sur l’économie politique, des idées
très saines et très objectives. Il s’exprime avec compétence sur les
avantages et les désavantages des divers systèmes de contributions,
sur les impôts, les corvées, les douanes, et voit très clairement la
nécessité de la division du travail1 ». Mengzi veut rendre sa morale
praticable et montre que cela suppose des conditions convenables
d’existence matérielle2. Les hiérarchies sociales sont justifiées par les
besoins de la spécialisation et par les mérites individuels, non par
des privilèges héréditaires. Il relativise l’importance des catégories
même du début du iie siècle (Gu Jiegang et D. C. Lau, in M. Loewe, Early Chinese
Texts : A Bibliographical Guide, Berkeley, University of California, 1993, p. 270‑271).
1. Zenker, 1926, p. 243. Étiemble force cette interprétation, au point d’affirmer
qu’il donne « un cours complet d’économie politique » et qu’il « eut le mérite et le
courage d’affirmer que les “superstructures” […] dépendent strictement de l’état des
“infrastructures” » (Étiemble, 1956, p. 160).
2. « Kongzi avait exalté la justice. Mengzi essaya de préciser quelle forme prendrait
une économie raisonnable » (Étiemble, 1956, p. 160). Ce qui fait conclure à l’auteur :
« Malgré son optimisme et son goût de l’utopie, je vois plutôt en lui [Mengzi] un esprit
positif » (p. 167).
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inédite : la nature humaine n’est pas bonne en soi ; c’est l’édu‑
cation, la société, l’étude, les rites, la discipline, qui élèvent les
individus. Ces considérations socio-anthropologiques sont asso‑
ciées à une vision-du-monde sécularisée : le Ciel « n’est plus qu’un
ensemble de forces de la nature, une entité sans qualité morale
et sans aucune espèce de personnalité ni de volonté. C’est pour‑
quoi les règles morales ont une origine purement humaine et il
n’existe pas de providence divine. Xunxi inaugurait ainsi au sein
du confucianisme une tendance plus rationaliste1 » – et même un
scepticisme prononcé2. En somme, il culturalise la morale en même
temps qu’il naturalise le Ciel et les vieux principes cosmologiques.
Nous avons affaire à un esprit universel, qui s’intéresse à tout
sans préjugé3. Tout en profitant de l’influence bénéfique des Cent
Écoles, il s’attache à les réfuter toutes (sauf celle de Kongzi) dans
des traités systématiques qui, fait nouveau, sont écrits directement
de sa main4.
366
La philosophie chinoise
Œuvres transitoires
À la fin de la période qui nous occupe s’annonce déjà la grande
tendance syncrétiste qui caractérise l’ère postclassique. Certains
ouvrages « encyclopédiques » le manifestent clairement, tel le Guanzi
– manuel de gouvernement amalgamant des éléments légistes,
taoïstes et confucéens. On le voit aussi dans la grande synthèse
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« naturaliste » de Zou Yan (305‑240 ou 340‑260) – systématisation
numérologique de la cosmologie traditionnelle (les Cinq Éléments,
les Cinq Phases cosmiques, les Quatre Saisons, etc.), qui constitue
la base des pratiques alchimiques et divinatoires ultérieures1. Cette
cosmologie métaphysique aura beaucoup d’influence en philosophie,
à une époque où l’astronomie ouvrira d’autres perspectives. Mais à
l’époque des Royaumes Combattants, les recherches savantes sont
encore indistinctes de la philosophie2.
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symbolisme universel, doctrine des correspondances microcosme-
macrocosme, etc.
En même temps qu’ils subissent les charmes de la religiosité, les
philosophes sont également séduits par ceux de la Tradition. L’enjeu
n’est plus d’apprendre ni de découvrir, car la vérité est déjà consi‑
gnée dans les vieux ouvrages élevés au rang de « Classiques ». Éditer
et commenter les auteurs du passé, telle est la tâche du philosophe.
En Chine comme en Islam, en Inde ou en Europe, la philosophie
postclassique devient donc une entreprise d’interprétation des Clas‑
siques. Les philosophes ne sont plus – comme aux ive-iiie siècles –
des penseurs indépendants et libres, circulant de cour en cour pour
vendre leurs services ; ils sont désormais fonctionnaires, agents de
l’État, formés par l’État, payés par l’État, encadrés par l’État. Aussi
se mettent-ils à penser comme l’État, c’est-à-dire à épouser la doc‑
trine officielle2. Au même moment apparaît un nouveau type de
discours : plus savant, plus spécialisé, avec des méthodes de travail
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La philosophie chinoise
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quelles que soient leurs formes ou leurs affiliations. Il s’agit à chaque
fois de concilier les idées-forces d’une tradition particulière (taoïste,
confucéenne ou légiste) avec les principes d’une philosophie de la
Nature qui remonte aux vie-ve siècles (systématisée par Zou Yan
durant la première moitié du iiie siècle). Les futurs Classiques confu‑
céens sont mis en forme (comme le Yi jing) ou rédigés (comme la
Grande Étude/Daxue, qui expose les principes du gouvernement
par la vertu). Surtout, on compile le Lüshi Chunqiu/les Annales
des Printemps et Automnes de Lu vers 241‑235. Il s’agit d’une
commande du ministre de l’État Qin Lu Buwei, où sont regroupés
tous les courants de pensée antérieurs. Du côté de l’école taoïste,
on complète le Zhuangzi d’un dernier chapitre qui tranche, par
son syncrétisme, avec le reste du texte. Par ailleurs, le Tao te jing
– dont nous avons vu qu’il datait probablement de cette période –
est rédigé ou mis en forme, ce qui renforce considérablement l’allure
mystique et religieuse de la philosophie taoïste.
Le plus grand penseur de la période est incontestablement le
légiste Han Feizi (c. 280-c. 234). On voit à ses tendances taoïsantes,
cosmologiques et syncrétiques (il cherche une synthèse de tous les
courants1) qu’il n’est déjà plus dans l’esprit classique. Nonobstant,
la qualité de son œuvre est évidente pour tous les historiens des
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Les idées légistes triomphent chez les réformateurs de l’État Qin,
avant de s’imposer comme idéologie officielle et autoritaire de l’em‑
pire unifié par Shi Huangdi (premier empereur de la dynastie Qin
de 221 à 207 ; équivalent d’Auguste pour la Chine). À l’aide de
son ministre Li Si (c. 280‑208) – également philosophe légiste – Shi
Huangdi mène une vaste politique répressive consistant à éliminer
toutes les doctrines dissidentes. Cette politique d’unification forcée
culmine dans l’autodafé de 213. Mais ce régime totalitaire suscite
de multiples rébellions, qui font chuter la dynastie en 206.
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La philosophie chinoise
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par ailleurs à l’établissement du système d’examen impérial et à la
formation des lettrés, de sorte que sa doctrine s’impose dorénavant
à tout intellectuel désirant faire carrière. Un véritable « monopole
intellectuel3 » est mis en place à partir de 124 av. J.-C.4. Ainsi
sont canonisés les Classiques confucéens, compris non comme des
œuvres philosophiques particulières, mais comme « la texture même
de l’univers. Ils représentent l’univers lui-même transcrit, mis en
signes5 ». La vérité éternelle étant contenue dans les Classiques, il
ne reste qu’à les réciter. L’orthodoxie tente d’étouffer toute pensée
novatrice.
Tandis que le confucianisme s’impose comme philosophie offi‑
cielle, le taoïsme ne cesse pas de gagner les esprits et d’influencer ce
même confucianisme. Peu avant 122 av. J.-C. est rédigé le Huainanzi
– équivalent de la doctrine syncrétique de Dong Zhongshu dans une
version plus particulièrement taoïste6. Le Liezi/Le Vrai Classique
du vide parfait, un autre grand classique taoïste rédigé sous les
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rédigé au ier siècle av. J.-C. L’auteur du Laozi, quant à lui, est
divinisé comme Saint cosmique et personnification du Tao, vers le
milieu du iie siècle apr. J.-C.1. Au-delà même de la religion taoïste,
c’est « l’esprit du temps [qui] était saturé de spéculations occultes,
de pratiques magiques2 ».
Dans ce contexte d’orthodoxie et de mysticisme, quelques auteurs
indépendants cherchent une philosophie plus authentique et pro‑
testent contre la mainmise de l’enseignement officiel sur les textes
classiques. Ces confucéens sont partisans des « Textes anciens »
contre les défenseurs des « Textes nouveaux » – c’est-à-dire les
tenants de l’orthodoxie depuis Dong Zhongshu. La protestation de
Yang Xiong (53 av. J.-C.-18 apr. J.-C.) est assez formelle puisque,
malgré son indépendance d’esprit, il est ramené à un système com‑
parable à celui de Dong Zhongshu. Son disciple Huan Tan (43
av. J.-C.-28 apr. J.-C.) met clairement à distance les spéculations
mystico-métaphysiques (c’est d’ailleurs un proche du grand astro‑
nome Liu Xin), mais il ne semble pas avoir produit une œuvre
philosophique originale. Le premier dissident majeur, faisant vérita‑
blement exception à l’âge postclassique, est Wang Chong (27-c. 100).
Cet esprit libre et sceptique conspue l’orthodoxie, le traditionalisme
et les superstitions de son temps – ce qui lui vaut d’être comparé
au Grec Lucien de Samosate. Son œuvre n’est pas que négative et
critique : il élabore une philosophie de la nature originale, dans
le souci de la stricte rationalité et des exigences de l’observation
1. Ibid., p. 56.
2. Pirazzoli-T’Serstevens, 1982, p. 129.
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La philosophie chinoise
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critique sévèrement l’attachement aveugle des lettrés aux Classiques,
qui les empêche de comprendre les enjeux politiques et sociaux de
l’époque3. À la toute fin des Han, Zhongchang Tong (180‑220)
renoue avec tout ce que la philosophie peut avoir de grandiose :
esprit d’indépendance, refus du traditionalisme et de l’orthodoxie,
dénonciation des privilèges sociopolitiques de la caste des lettrés,
esprit rationnel et positif dans la recherche de la vérité (singulière‑
ment en histoire)4.
Au total, ces auteurs témoignent du fait qu’il est toujours pos‑
sible de nager à contre-courant de l’orthodoxie et du mysticisme
dominants. Mais leur destin est d’être isolés5 et souvent dédaignés
par leurs contemporains.
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d’établir un calendrier exact pour les pratiques rituelles contraint la
Cour et les astronomes à faire des compromis avec ces livres sacrés
– lesquels ne permettent évidemment pas de faire des prévisions pré‑
cises. Ce dilemme se résout par l’abandon progressif, par les savants,
de la vision cosmologique de l’orthodoxie1. On pourrait dire, en
forçant le trait, que la science s’autonomise par rapport à la religion
et la philosophie, laissant celles-ci à leurs visions fantasmatiques de
l’Univers – mais il serait plus juste de dire que les savants ont simple‑
ment obtenu suffisamment d’indifférence de la part des orthodoxes
pour pouvoir mener leurs recherches2. À la fin de ce processus, « les
astronomes chinois, loin d’être serviles envers les caprices a priori de
la philosophie, ne leur accordent que bien peu d’attention3 ».
Au début des Han, nous sommes encore loin de cette situation,
mais déjà paraissent des recherches spécialisées. On le voit avec
l’édition des premiers ouvrages classiques de mathématiques (le
Jiuzhang suanshu/Neuf chapitres sur l’art mathématique, le Clas-
sique mathématique du gnomon des Zhou – qui traite également
d’astronomie –, le Suan shu shu puis le Zhou Bi Suan Jing). Des
livres de médecine et d’histoire voient également le jour aux iie et
ier siècles av. J.-C. Le Shiji, en particulier, œuvre du grand historien
374
La philosophie chinoise
Sima Qian (145‑87). Un peu plus tard, l’astronome Liu Xin (c. 50
av. J.-C.-23 apr. J.-C.) se distingue par ses innovations et son indé‑
pendance à l’égard de l’orthodoxie1. Il marque un tournant dans
l’histoire intellectuelle, car « Contrairement aux auteurs qui pra‑
tiquaient l’astronomie en relation avec l’astrologie, Liu Xin et les
auteurs qui lui sont postérieurs les traiteront séparément2 ». Après
lui, il faut citer Zhang Heng (78‑139) : astronome, mathématicien,
ingénieur, géographe, cartographe et sismologue3. Les deux grands
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savants de la fin des Han sont les médecins Hua Tuo (c. 140‑208)
et surtout Zhang Zhongjing (150‑219) – souvent comparé à Hippo‑
crate. En philologie et lexicographie, autres recherches spécialisées,
mentionnons Xu Shen (c. 58-c. 147), auteur du premier dictionnaire
étymologique chinois (le Shuowen Jiezi). À l’époque suivante, l’acti‑
vité scientifique conserve un bon niveau avec les travaux du célèbre
mathématicien Liu Hui (seconde moitié du iiie siècle), du carto
graphe Pei Xiu (224‑271) et des astronomes du ive siècle Chen
Zhuo, He Chengtian et surtout Yu Hi (qui découvre la précession
des équinoxes)4.
e e
La philosophie aux iii et iv siècles
Avec le délitement de l’autorité Han disparaissent les systèmes
de recrutement administratif et de contrôle de la pensée. Les lettrés
se retrouvent livrés à eux-mêmes, hors du carcan bureaucratique.
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sens d’une accentuation du mysticisme.
L’École des Mystères/Xuanxue domine toute la production intel‑
lectuelle du iiie siècle avec des auteurs comme He Yan (c. 200-c. 250,
aussi homme politique influent), Xiang Xiu (221-c. 300, important
commentateur du Zhuangzi), Wang Bi (226‑249, le plus grand
métaphysicien de l’époque) ou encore Guo Xiang (c. 252‑312,
célèbre éditeur et interprète du Zhuangzi, dans un sens radicalement
nouveau). S’ils conservent Kongzi comme référence ultime, c’est le
taoïsme qui fait l’objet de leurs recherches. Un « néo-taoïsme »,
plutôt, car il est plus raisonneur que l’ancien et déjà très proche de
la métaphysique bouddhiste.
Depuis le ier siècle, en effet, le bouddhisme – venu d’Inde –
ne cesse d’accroître son influence. Après la chute des Han, il se
diffuse d’autant plus qu’il prend l’apparence du taoïsme – le Tao
et le « Faîte Suprême » comme Mystère ultime ne sont pas très
éloignés de l’Ainsité ou de la Bouddhéité du Mahâyâna. C’est mani‑
feste au ive siècle, quand le moine bouddhiste Zhi Dun (314‑366)
tente une synthèse philosophique du bouddhisme et du Xuanxue.
À cette époque, la philosophie tend à disparaître, noyée dans les
religions de Salut (immortalité taoïste et nirvâna bouddhique) et
dans l’attrait universel pour la magie. Le grand alchimiste taoïste
Ge Hong/Baopuzi (283‑343) est peut-être le seul penseur original
de ce siècle.
1. Holzman, 1956.
2. Sur l’esprit de cette période, voir Balazs, 1968, chap. 6 : « Entre révolte nihiliste et
évasion mystique. Les courants intellectuels en Chine au iiie siècle » (1948). Également :
Holzman, 1956 ; Vandermeersch, 1979‑1992, Conférence de 1986.
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La philosophie chinoise
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II. Cycle médiéval (~400 à 1368)
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Prépondérance du bouddhisme
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jusqu’au milieu du viiie siècle
La philosophie perd toute vitalité au ive siècle, tandis que la
religion bouddhiste accélère son implantation. Mais dès le ve siècle,
le bouddhisme se montre capable de stimuler la vie intellectuelle
par de nouveaux enjeux théoriques. Cette créativité précoce marque
le début d’une période de quatre siècles de reconstruction de la
philosophie chinoise. Le grand débat qui agite le ve et le début du
vie siècle est celui de la survie de l’esprit après la mort du corps.
Ses principaux acteurs sont le bouddhiste Zheng Xianzhi (363‑427,
qui écrit De l’indestructibilité de l’esprit), He Chengtian (370‑447,
confucéen versé dans l’astronomie et les mathématiques), Shen
Yue (441‑513, lettré de tendance syncrétiste, auteur de L’esprit est
indestructible) et Fan Zhen (c. 450-c. 515, confucéen auteur d’un De
la destructibilité de l’esprit). Les autres esprits de la période sont les
disciples du traducteur indien Kumârajîva : Daosheng (c. 360‑433)
et Sengzhao (c. 380‑414), qui introduisent la doctrine Mâdhyamika
de leur maître. Le fameux peintre Zong Bing (375‑443) écrit quant
à lui une très novatrice Introduction à la peinture de paysage. Si on
ajoute à ce tableau du ve siècle Zu Chongzhi (429‑500, mathéma‑
ticien et astronome), Zu Kengzhi (c. 450-c. 520, géomètre) et Fan
Ye (399‑445, historien), on voit à quel point la vie intellectuelle se
relève rapidement.
Ceci dit, l’effet stimulant du bouddhisme ne doit pas tromper sur
la nature de la production philosophique qui se met en place : il
s’agit d’une philosophie d’écoles, où chaque penseur est avant tout
un disciple travaillant dans la continuité de son maître. Une véritable
scolastique s’installe à partir du vie siècle : philosophie raisonneuse,
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La philosophie chinoise
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– enjeu plus religieux que philosophique. Au fond, l’évolution de la
philosophie bouddhiste en Chine se résume aux étapes suivantes :
transformation d’écoles indiennes en écoles proprement chinoises ;
prépondérance progressive de ces dernières ; épisodes divers mar‑
quant leurs rivalités ; triomphe de l’école Chan sur ses concur‑
rentes. Parmi les grands philosophes bouddhistes de la période, on
peut citer Zhiyi/Tche-kai (538‑597, Tiantai), Hongren (601-c. 674,
Chan), Xuanzang (602‑664, Yogâcâra), Shenxiu (606‑706, Chan),
Huineng (638‑713, Chan) et Fazang (643‑712, Huayan).
Parallèlement, les philosophies confucéenne et taoïste se
reconstituent en établissant un corpus de textes de référence –
« volonté d’orthodoxie » comparable à celle du bouddhisme. Kong
Yingda (574‑648) est ainsi chargé par le gouvernement confucéen
d’éditer les Classiques. Dans son livre La Signification authentique
des Cinq Classiques, il tente une interprétation conciliatrice au
moyen d’arguments techniques typiquement scolastiques. De son
côté, le taoïsme assimile le bouddhisme dans le Livre du sens de
la doctrine taoïste (Daojiao yi Shu, viie siècle). Plus tard, l’empe‑
reur Xuanzong (règne 712‑756) rédige un Commentaire au Tao te
jing dans le même esprit conciliateur3. Sur les plans sociopolitique
1. La formation d’une telle « tradition patriarcale » a été étudiée par B. Faure sous
le nom de « volonté d’orthodoxie dans le bouddhisme chinois » (Faure, 1988).
2. B. Faure montre comment la dualité du « subitisme » et du « gradualisme » est
en partie le produit de divers arrangements avec la vérité historique, pour les besoins
d’orthodoxie de la secte finalement dominante – le Chan.
3. Globalement, « l’époque Tang est pour le taoïsme une époque de consolidation
et de coordination » (Robinet, 1991, p. 188).
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médecin auteur du Qianjinfang), Yi Xing (683‑727, astronome,
mathématicien et ingénieur) et Liu Zhiji (661‑721, historien et his‑
toriographe, auteur des Généralités sur l’histoire/Shitong), dont les
innovations laissent soupçonner des esprits libres de toute attirance
traditionaliste ou scolastique.
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épuré des conceptions cosmologiques et providentialistes. Davan‑
tage précurseur d’une pensée matérialiste que du néoconfucianisme
stricto sensu, leur travail consiste à « ramen[er] systématiquement
les phénomènes cosmiques à des causes purement physiques, et [à]
renvers[er] la croyance aux prodiges de toute sorte1 ». Cela, dans
le cadre du confucianisme – raison pour laquelle on peut dire qu’ils
participent à la Renaissance de cette philosophie. Après eux, la
Chine s’enfonce dans l’anarchie, de telle sorte que la production
philosophique devient difficile. Le bouddhisme fait l’objet d’une
répression féroce en 845, qui met un terme à sa vitalité intellec‑
tuelle – même si l’école Chan survit quelques siècles. Les troubles
sociaux et politiques sont tels que la phase de reconstruction et
de progrès initiée au ve siècle s’interrompt jusqu’à l’avènement des
Song en 9602.
Une fois l’ordre rétabli, tout se passe comme si l’histoire de la
philosophie reprenait son cheminement là où elle l’avait suspendu
un siècle plus tôt. Avec toujours la double tendance : retour au
confucianisme antique par désir de fondement et de ressourcement
métaphysique, ou bien retour au confucianisme pour lutter contre
toutes les fantasmagories religieuses (qu’elles viennent du boudd‑
hisme, du taoïsme ou du confucianisme lui-même). L’œuvre de
Xing Bing (933‑1010) relève clairement de la deuxième tendance :
« retour au texte même des canons, décapé de ses commentaires sco‑
lastiques », « réfutation du providentialisme anthropomorphique »
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2) Philosophie médiévale classique (~1030 à 1071)
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effet, les penseurs les plus sceptiques n’ont guère l’esprit de système ;
leur méfiance vis-à-vis de la métaphysique inhibe souvent leur capa‑
cité à créer une philosophie positive. Le classicisme se définit par
l’orientation intellectuelle des auteurs et non par la forme qu’ils
donnent à leur pensée.
les années de l’ère Qingli (1041‑1048) » ; c’est la « prodigieuse éclosion du xie siècle »
(Billeter, 1979, p. 77 et 78).
1. Il « avait créé en 1044 des écoles d’État dans les provinces et recommandé comme
matière de concours, outre les Classiques et les historiens, un ensemble de connaissances
utiles » (Gernet, 1975‑1992, p. 124).
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réformes de Fan Zhongyan en 1043‑1044. Devenu directeur des
concours en 1056, il donne « un coup d’arrêt décisif à la vogue des
compositions de style formaliste3 ». Par-delà l’interprétation cosmo‑
logisante sclérosée, il cherche une nouvelle lecture des Classiques
dans un esprit « délibérément rationaliste4 ». « Sur le plan religieux,
Ouyang Xiu fut un franc iconoclaste […] s’opposant ardemment
à la notion métaphysique de Tao comme à la croyance en l’im‑
mortalité5 ». Cet homme d’État et homme de lettres est encore un
authentique historien par sa Nouvelle histoire des Tang, sa Nouvelle
histoire des Cinq Dynasties et surtout son recueil épigraphique (le
Jigulu)6. L’ensemble constitue des « réussites impressionnantes dans
les domaines de l’histoire et de la philologie7 ».
1. Ibid., p. 123.
2. Vandermeersch, 1979‑1992, Conférence de 1992, p. 80.
3. Ibid., p. 81.
4. I. Robinet, in Encyclopédie philosophique universelle, 1992, p. 4041.
5. Ibid.
6. Œuvre d’archéologue contenant « des notices et des remarques philologiques
d’une remarquable rigueur scientifique » (Holzman, 1995, partie II). Ses « principes
historiographiques » en font un historien plus rationnel et plus objectif que ses pré‑
décesseurs (ibid.).
7. Ibid., partie III.
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hisme et du taoïsme pour mieux les dominer et donner l’impression
que la Chine traditionnelle triomphe définitivement de ces hérésies.
Ainsi, le néoconfucianisme ne vainc le bouddhisme qu’en adoptant des
éléments idéalistes et le taoïsme qu’en s’ouvrant au magico-religieux,
à l’ésotérisme et la numérologie. Le système de Zhang Zai doit être
considéré à part, car à l’inverse de ses deux contemporains, il tient à
distance les influences bouddhiste et taoïste, et tente de penser l’en‑
semble des phénomènes naturels en termes de qi (d’énergie-matière).
Pour cette raison, il passera plus tard pour un « matérialiste ».
Le dernier grand représentant de l’esprit classique est l’homme
d’État Wang Anshi (1021‑1086)1, continuateur de l’œuvre réforma‑
trice de Fan Zhongyan et Ouyang Xiu. Nommé Premier ministre,
il se lance dans une série de réformes d’une ampleur exceptionnelle
touchant tous les aspects de la vie sociale, économique et poli‑
tique – de façon à rendre la société moins inégalitaire. Sa politique
éducative, qui nous intéresse plus particulièrement, vise à donner
aux lettrés le sens des réalités concrètes, au détriment de la simple
habileté littéraire ou de l’aptitude à la mémorisation – c’est-à-dire
au bachotage. Wang Anshi lui-même « montra un intérêt extrême
pour la science et les techniques ; il étudia la botanique, la médecine,
l’agriculture et le tissage2 » avant son arrivée au ministère. Il s’inté‑
resse également à l’économie. On lui connaît une œuvre de poète
et de prosateur, mais il n’écrit pas d’ouvrage philosophique. Peu
1. « Homme d’État au nombre des plus grands que compte l’histoire de la Chine »
(Vandermeersch, 1979‑1992, Conférence de 1992, p. 82).
2. Needham, 1976, p. 73.
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mathématicien), Liu Xisou (actif c. 1060, important astronome) et
Su Song (1020‑1101, astronome, cartographe, horloger, ingénieur,
pharmacologue, géologue, zoologue et botaniste). Les plus grandes
réalisations scientifiques sont toutefois postérieures à l’âge classique.
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La philosophie chinoise
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de Shao Yong et de Zhou Dunyi. Les deux frères rédigent leurs
systèmes dans un esprit proche, mais diffèrent sur un point, qui
fonde l’opposition théorique de l’École des Principes (Lixue) – sorte
d’idéalisme objectif, défendu par Cheng Yi – et l’École de l’Esprit
(Xinxue) – qui correspondrait plus à un idéalisme subjectif, dont
Cheng Hao est le premier représentant. La philosophie du Xinxue
est aussi dite École du Cœur, en raison de son insistance sur l’intui‑
tion subjective, par opposition au rationalisme plus froid du Lixue.
En dépit de leurs différences, ces constructions doivent être
considérées ensemble dans leur idéalisme commun. Cette sensi‑
bilité s’impose progressivement à toute la philosophie, occupée à
remplir le monde d’esprits, d’Esprit, de forces magiques et bientôt
de dieux. On considère souvent l’époque Song comme un apogée,
remarque J. T. C. Liu, alors qu’en fait seul le xie siècle brille par
son pluralisme intellectuel, tandis que le xiie siècle souffre « d’étroi‑
tesse, d’orthodoxie, d’insuffisante originalité, et autres limitations
de ce type. La production intellectuelle commença à décliner » dès
le tournant du siècle1. Menacée sur ses frontières par des barbares,
puis amputée en 1126 de toute sa partie nord suite à l’invasion
des Jürchens, la Chine n’a pas besoin d’intellectuels sceptiques qui
la fassent douter davantage de sa valeur : elle a soif de dogme, de
certitude et même de religion. Aussi s’empresse-t-elle de mettre en
place une orthodoxie néoconfucéenne. Cela passe par la canoni‑
sation des Quatre Livres, c’est-à-dire des ouvrages classiques que
sont le Zhong Yong (L’Invariable Milieu), le Lun yu (les Entretiens
1. Ibid., p. 31.
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Zhang Zai et Cheng Yi1. Son ontologie, sa morale et sa politique
ressemblent de façon frappante à celles de Platon2. Comme ce
dernier, Zhu Xi est un postclassique dont le système impose son
autorité sur des siècles de penseurs, commentateurs et écoliers.
On pourrait aussi le comparer à Hegel, pour les mêmes raisons.
Au xiie siècle, le champ intellectuel du confucianisme est divisé
en deux : l’École des Principes (dont Zhu Xi est le grand repré‑
sentant) et l’École de l’Esprit, incarnée par son ami et rival Lu
Jiuyuan (1139‑1192). La première triomphe assez rapidement de
la seconde, et devient, après seulement quelques dizaines d’années,
l’orthodoxie par excellence3. Dès lors, on se borne de plus en plus
à ressasser les commentaires de Zhu Xi sur les Classiques. La
victoire de son rationalisme sur l’intuitionnisme plus mystique de
Lu Jiuyuan n’est que de façade, car c’est finalement le mysticisme
et la sentimentalité religieuse qui triomphent4. J. T. C. Liu parle
1. « Il n’a apporté à la pensée de son époque aucune idée nouvelle, et s’est employé
à mettre en œuvre les notions que le xie siècle avait élaborées […]. Son mérite est d’avoir
érigé un monument » (Vandier-Nicolas, 1969, p. 392).
2. Beaucoup de commentateurs l’ont remarqué, et Feng Youlan l’a montré préci‑
sément dans le chapitre qu’il consacre à Zhu Xi (Feng Youlan, 1934, chap. 25 : « Le
néoconfucianisme : l’École des Idées platoniciennes »). On le compare plus souvent
encore à Thomas d’Aquin (mais ce dernier n’est pas un postclassique).
3. En 1227, précisément (Liu, 1988, p. 148). « C’est surtout après la mort de Zhu
Xi, avec les premières manifestations de tendances orthodoxes, que le déclin semble
avoir commencé » (Gernet, 1975‑1992, p. 131). Sur le rapport entre déclin intellectuel
et orthodoxie sclérosante en Chine, voir Hartner, 1956.
4. « On a mis alors l’accent sur les exercices de recueillement, les attitudes mentales
de “sincérité”, “révérence” et “juste harmonie”. Les tendances à l’introspection et au
mysticisme l’ont emporté sur la connaissance des réalités » (Gernet, 1975‑1992, p. 131).
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la pensée à des Canons, la recherche scientifique prend son envol.
Cet écart ne serait pas gênant s’il y avait division du travail intel‑
lectuel – les questions de morale aux philosophes ; la connaissance
du monde aux savants. Mais ce n’est pas le cas puisque le néo
confucianisme se présente comme une doctrine des principes et des
éléments de la Nature, une philosophie de l’Univers et une histoire
du Cosmos. Il y a donc chevauchement. Or bien loin que les phi‑
losophes cosmologistes profitassent du travail des astronomes, ils
spéculent en toute indépendance. Inversement, les savoirs positifs,
qui n’étaient d’abord que des spécialités au sein de la culture lettrée,
commencent à s’autonomiser. On observe un début de profession‑
nalisation.
W.-S. Horng prend l’exemple du grand mathématicien
Li Ye (1192‑1279), qui non seulement parvenait à vivre de son
travail scientifique, mais qui avait aussi une idée claire du statut
autonome de ses recherches2. Or, poursuit l’auteur, « Li Ye n’était pas
une exception en Chine du Nord pendant cette période Jin-Yuan3 »
(c’est-à-dire aux xiie-xiiie-xive siècles). Zhu Shijie (1270‑1330), un
des plus grands mathématiciens de l’histoire chinoise, se fait pro‑
fesseur de mathématique auprès de riches familles de marchands ;
« Il ne fut peut-être pas “professionnalisé” au sens strict, mais il
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Guo Shoujing (1231‑1316), l’exigence de précision scientifique vainc
les a priori métaphysiques avec lesquels il convenait de transiger
jusqu’alors3. La science calendaire (l’établissement scientifique du
calendrier astronomique) s’émancipe de la tutelle philosophique :
« Les calendriers chinois tardifs étaient marqués par une indifférence
envers la cosmologie – c’était l’indifférence du désenchantement4 ».
L’histoire aussi se renforce comme spécialité, sinon indépen‑
dante, du moins dotée d’exigences disciplinaires propres5. De plus
en plus éloignés de la culture littéraire des lettrés, « les historiens
du xiie siècle étaient conscients du fait que la discipline historique
devait utiliser les connaissances d’autres branches du savoir, telles
que la science militaire, la géographie historique, l’histoire de l’art,
les études sur l’architecture, les livres médicaux, etc.6 ». Comment se
fait-il, demande J. T. C. Liu, que l’histoire fasse tant de progrès alors
que les études classiques stagnent ? C’est parce que celles-ci sont
soumises au conformisme de l’orthodoxie, tandis que celle-là s’en
affranchit et progresse ainsi sous la forme d’un savoir cumulatif7.
Les grands historiens des xiie-xiiie siècles postérieurs à Sima Guang
sont Zheng Qiao (1104‑1162, également historiographe), Li Tao
1. Ibid.
2. Il faut dire aussi que, sous les Yuan, ces postes n’étaient plus accessibles aux
Chinois.
3. Sivin, 1969, p. 67. « L’astronomie chinoise avait atteint son apogée aux environs
de 1300, du temps du grand savant Guo Shoujing » (Zurndorfer, 1988, p. 80).
4. Sivin, 1969, p. 67 – nous soulignons.
5. Sa scientificité s’affermit après le xie siècle (Liu, 1988, p. 32‑33).
6. Ibid., p. 33.
7. Ibid., p. 35.
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faut encore mentionner Shen Gua (c. 1032-c. 1096 – « peut-être
le personnage le plus intéressant de toute l’histoire scientifique
chinoise2 »), Zhao Mingcheng (1081-c. 1151, auteur d’un ouvrage
d’épigraphie scientifique, le Jinshilu) et les mathématiciens Qin
Jiushao (1202‑1261) et Yang Hui (1238‑1298)3.
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Heng (1209‑1281), Liu Yin (1249‑1293) et Wu Cheng (1249‑1333).
La plupart des lettrés combinent les enseignements de Zhu Xi et
de Lu Jiuyuan ; souvent à la faveur de ce dernier, qui convenait
mieux au désir d’une voie plus personnelle, plus introspective et
plus sensible vers l’absolu. Cheng Shaokai (1212‑1280) représente
bien cette tendance3.
Le retour en force du bouddhisme et du taoïsme (souvent dans
leurs versions religieuses4) est le phénomène le plus marquant
de l’époque Yuan. La tolérance dont ils font l’objet facilite la
diffusion de leurs doctrines – et surtout de leurs cultes, car les
idées manquent5. Il devient difficile de distinguer les cultes boudd‑
histe, taoïste et confucéen, tant les « Trois enseignements » se
mélangent6. Bref, « la dynastie Yuan fut, dans l’histoire chinoise,
une grande période de syncrétisme7 ». Au xive siècle, la pensée
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À la fin des Yuan, les guerres se multiplient, et, à la faveur de
cette période trouble, les Chinois chassent les Mongols du pouvoir
et instaurent une nouvelle dynastie – les Ming (1368‑1644). Sur le
plan politique, cette restauration marque une rupture très nette : le
premier empereur met en place une politique autoritaire, redresse
l’économie et rétablit la société mandarinale. Sur le plan de l’his‑
toire intellectuelle, l’évolution est beaucoup plus progressive, car le
xve siècle est, dans la continuité du xive, très pauvre. Les lettrés sont
complètement soumis à l’orthodoxie néoconfucéenne dont se sert le
pouvoir pour asseoir son autorité. Ceux qui parviennent à y échap‑
per partiellement, en se retirant dans la sphère privée, pratiquent un
néoconfucianisme plus religieux encore1 – celui qui est issu de Lu
Jiuyuan : néoconfucianisme méditant, centré sur l’ascèse individuelle
et proche de la sensibilité bouddhiste. Wu Yubi (1391‑1469) et Chen
Xianzhang (1428‑1500) illustrent cette tendance. L’histoire de la
philosophie semble ne « redémarrer » véritablement qu’à partir du
début du xvie siècle.
393
e
Philosophie et sentimentalité religieuse au xvi siècle :
École de l’Esprit et École de Taizhou
Au xvie siècle, le néoconfucianisme officiel reste fidèle à lui-même
en tant que récitation scolastique de l’enseignement de Zhu Xi1. La
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nouveauté vient du mouvement de rejet que suscite cette orthodoxie,
et de la multiplication des académies privées où est enseignée une
philosophie alternative – celle de Lu Jiuyuan et de l’École de l’Esprit.
Transgressif du point de vue politique, cet enseignement n’est en
fait que la perpétuation de la sensibilité philosophico-religieuse issue
de l’époque Yuan. L’idéalisme néoconfucéen de l’École de l’Esprit
se joint à la sagesse bouddhiste pour servir une recherche spiri‑
tuelle ouvertement irrationaliste. Comment cette sensibilité évolue-
t-elle ? On passe d’une philosophie religieuse sans originalité (au
xve siècle) à la constitution d’un puissant système avec Wang Yang‑
ming (1472‑1529), puis à la formation d’un mouvement (l’École de
Taizhou) qui oriente le message de Wang Yangming dans un sens
de plus en plus original (avec He Xinyin et Li Zhi), et finalement,
le subjectivisme de l’École de l’Esprit est lui-même mis en question
au siècle suivant.
Wang Yangming est le philosophe le plus influent depuis Zhu
Xi. Comme Lu Jiuyuan en son temps, il oppose un idéalisme sub‑
jectif à l’idéalisme objectif de celui-là. Quoiqu’il ne réduise pas le
monde à une pure illusion comme fait le Mahâyâna, au fond, son
ontologie n’est qu’une sinisation de l’idéalisme bouddhiste, « une
continuation du Chan2 ». Il dit d’ailleurs avoir eu la révélation
1. « La littérature Ming […], il y règne une verbosité terne qui respire l’ennui
[…] un pédantisme scolaire dont les effets se font sentir dans toute la production
littéraire. L’exégèse des classiques ne fait que rabâcher sous une forme affadie et
platement moralisante la doctrine néoconfucéenne de Zhu Xi » (Demiéville et Her‑
vouet, 1995, p. 568).
2. Feng Youlan, 1934, p. 323.
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d’académies privées. À certains égards, cette quête spirituelle per‑
sonnalisée opposée à l’orthodoxie d’État peut rappeler celle de la
Réforme protestante dans sa lutte contre le catholicisme officiel2.
Wang Yangming serait alors le Luther chinois3, et les partisans de
l’École de Taizhou des Réformés.
Fondée par Wang Gen (1483‑1541), l’École de Taizhou est assez
hétéroclite, rassemblant aussi bien des lettrés dissidents que des
militants politiques, des réformateurs, des mystiques et des illu‑
minés. Nous ne pouvons nous intéresser ici qu’à ses représentants
les plus singuliers, tel He Xinyin (1517‑1579), qui manifeste un
esprit critique à toute épreuve. Résolument anti-traditionaliste et
anti-orthodoxie, il milite pour la liberté, la spontanéité, l’égalité,
l’instruction pour tous ; et imagine une société utopique alterna‑
tive où les rapports sociaux de domination et la propriété privée
seraient abolis. Comme il ne se contente pas de la concevoir, mais
tente aussi de la réaliser, il est arrêté et exécuté. Li Zhi (1527‑1602)
reprend alors le flambeau de l’esprit critique dans des ouvrages
audacieux aux titres évocateurs – le Livre à brûler (1590) et le Livre
à cacher (1599). Ces hommes brillants et courageux représentent un
affront insupportable à l’ordre mandarinal. Sur le plan strictement
philosophique, il faut néanmoins souligner qu’ils avaient conservé
quelque chose de l’idéalisme de leurs contemporains ; qu’ils soient
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Évolution intellectuelle
e
durant la première moitié du xvii siècle
L’état d’esprit change au tournant du siècle : on se lasse de l’idéa‑
lisme bouddhisant et on commence à partir à la conquête du monde
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– à l’image des grands voyageurs comme Chen Di (1541‑1617)
et surtout Xu Xiake (1587‑1641). Les penseurs sortent de leurs
méditations introspectives ; l’intérêt pour la science renaît en même
temps que le goût des connaissances pratiques2. Précurseur de cet
état d’esprit au siècle précédent, le poète et écrivain Wang Tin‑
gxiang (1474‑1544) critique le ressassement introspectif autant que
l’académisme livresque, et se passionne pour toutes les connais‑
sances positives disponibles3. Le nouvel état d’esprit est stimulé
par l’arrivée en Chine de la science européenne à partir de 1600,
via les missionnaires jésuites (Ricci et ses disciples)4. Le savant Li
Zhizao (1565‑1630) assimile les mathématiques de ses confrères occi‑
dentaux, et Xu Guangqi (1562‑1633) engage un grand programme
de traduction de livres venus d’Europe. L’ouverture au monde est
aussi une ouverture à l’Occident. Les hommes du xviie siècle5 ne
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philosophes originaux de la période, on peut encore citer Yang
Dongming (1548‑1624) et Liu Zongzhou2 (c. 1576‑1645). À partir
de 1634, des troubles sociaux mettent la dynastie Ming à rude
épreuve, ce qui facilite l’invasion mandchoue et le changement
dynastique de 1644. Loin d’affecter négativement la production
intellectuelle, l’avènement des Qing ne fait que renforcer « le goût
des réalités concrètes, le rejet de la philosophie intuitionniste du
xvie siècle [et] le souci des connaissances scientifiques3 ».
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le classicisme philosophique. Que la philosophie chinoise atteigne
un apogée durant cette période est l’avis de nombreux historiens
et commentateurs, multipliant les comparaisons avec le « siècle des
Lumières » européen2.
Les tendances qui émergent durant la première moitié du
xviie siècle deviennent dominantes entre 1650 et 1765 : défiance
vis-à-vis de la philosophie instituée, indépendance d’esprit, revendi‑
cation de liberté contre le despotisme étatique, rejet de la mentalité
religieuse et intérêt pour les recherches savantes3. Cet état d’esprit
n’est pas propice à la constitution de systèmes, comme aiment en
construire les partisans des correspondances cosmologiques. Cela
n’empêche pas de philosopher ni d’avoir une œuvre philosophique,
même si c’est souvent à l’occasion de recherches philologiques. En
effet, pour échapper à la métaphysique du Cosmos et par goût de
l’exactitude, beaucoup de philosophes se spécialisent en philolo‑
gie et en histoire4 – compromis convenable pour ceux qui n’ont
pas l’audace de rompre avec la tradition confucéenne. Nous divi‑
sons la période en deux (1650‑1700 et 1700‑1765), en raison du
changement de contexte politique au début du xviiie siècle, et
1. Parmi les multiples ouvrages sur le sujet, le Chaussende, 2013, présente une
belle synthèse.
2. Sur ce sujet, voir Wu Genyu, 2015.
3. Le monde intellectuel « rejetait la superstition, la tradition légendaire et les
révélations suprasensibles […]. Le monde érudit de l’époque s’intéressait vivement aux
mathématiques et aux sciences naturelles. Il est significatif que presque tous les grands
philosophes et historiens s’occupaient de ces disciplines » (Balazs, 1968, p. 225).
4. C’est pourquoi B. A. Elman titre From Philosophy to Philology (Elman, 1984).
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La philosophie chinoise
Philosophes et intellectuels
de la seconde moitié du xviie siècle
Le premier philosophe que nous rencontrons, Fang Yizhi
(1611‑1671), tient une position encore ambiguë. Porté sur les
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recherches savantes, linguiste, importateur des idées médicales euro‑
péennes, il conserve néanmoins un attachement au néoconfucianisme
traditionnel1. Huang Zongxi (1610‑1692) se distingue par l’origi‑
nalité de sa philosophie politique, dans laquelle il développe une
théorie du droit naturel. Son Traité de la monarchie est une sévère
critique du despotisme et de l’absolutisme. Il est aussi le premier
historiographe de la philosophie chinoise.
On atteint un premier sommet avec Gu Yanwu (1613‑1682)
– père de la philologie scientifique (fondateur de « l’École de cri‑
tique textuelle »), phonologiste, historien, géographe, ouvert à toutes
les sciences de son temps et philosophe, enfin, par sa volonté de
restaurer le confucianisme antique (décapé des interprétations cos‑
mologiques). Il critique les spéculations religieuses (bouddhistes,
taoïstes, néotaoïstes) aussi bien que l’absolutisme impérial. On
le compare parfois à Voltaire et aux Lumières européennes, qui,
comme lui, associent critique politique et fondation de futures
sciences humaines2.
Tous ces caractères se retrouvent chez Wang Fuzhi (1619‑1692)
à un degré encore supérieur. Penseur de la psychologie des peuples,
des mœurs, des mécanismes sociologiques, de l’évolution des ins‑
titutions et de l’histoire, il dégage de ses travaux une philosophie
de l’histoire, une philosophie politique et une philosophie morale
épurées de toute sentimentalité religieuse. Son œuvre comprend
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tions livresques atteint un tel degré qu’elle semble tourner à l’anti-
intellectualisme. Il s’intéresse néanmoins à la tradition philosophique
(pour la critiquer), à la médecine, aux mathématiques, à la botanique
ainsi qu’à une multitude de disciplines pratiques. Pour appliquer sa
conception de l’éducation, il fonde une école où il enseigne notam‑
ment la mécanique, les mathématiques, l’astronomie et l’histoire. La
démarche de Liu Xianting3 (1648‑1695) est comparable par son refus
de la culture livresque des lettrés et son intérêt pour les études posi‑
tives. Curieux de tout, libre de préjugés, il est proche du Mouvement
Donglin, comme la plupart des grands esprits de l’époque. Il est aussi
ami des savants Gu Zuyu et Mei Wending – les réseaux intellectuels
ne sont pas encore séparés. La seconde moitié du xviie siècle voit
aussi s’épanouir la réflexion esthétique avec les Propos sur la pein-
ture du célèbre peintre Shitao/Daoji (c. 1641-c. 1718)4.
1. J.-F. Billeter penche pour le premier ; J. Gernet pour le second (son « matéria‑
lisme » semble en faire le Diderot chinois). Gernet, 2005, est l’ouvrage le plus complet
sur Wang Fuzhi. Voir aussi Gernet, 1975‑1992 ; Billeter, 2006.
2. Gernet, 1975‑1992, p. 19‑22.
3. Sur cet auteur moins connu que les autres, voir Gernet, 1975‑1992, chap. 2.
4. « Expression suprême de la pensée esthétique chinoise » (Ryckmans, 1995,
partie II). L’état d’esprit de Shitao correspond à la mentalité de l’époque : « Ce Moi
créateur [la singularité de l’artiste] dont il entendait substituer la radicale autonomie
à l’enseignement des écoles et au respect des traditions, se voulait véritablement uni‑
versel » (ibid.).
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triner en diffusant un confucianisme moralisateur. C’est dans ce
contexte que se situe le retentissant procès de Dai Mingshi/Dai
Mingcheng (1653‑1713) – exécuté en 1713 pour avoir critiqué le
pouvoir Qing dans son Nanshan ji2. La politique des Qing pourrait
paraître incohérente : d’un côté elle affronte les lettrés à travers un
procès retentissant, de l’autre elle les emploie dans de gigantesques
entreprises éditoriales et philologiques3. En fait, ce patronage permet
aux empereurs de les contrôler et de les rappeler à leur tradition lit‑
téraire : tant qu’ils ont l’esprit absorbé par les travaux philologiques,
ils ne l’ont pas à autre chose qui pourrait être menaçant pour le
Trône. Les travaux commandés par Kangxi au xviie siècle l’étaient
peut-être dans un esprit de pur amour du savoir ; mais à partir
de 1700, la finalité des commandes publiques est plus complexe.
1. Certes, soixante-dix lettrés hostiles aux Mandchous sont exécutés en 1663, mais
cette purge est sans suite au xviie siècle. « La tolérance et le patronage libéral qui
avaient marqué la plus grande partie du règne de Kangxi [empereur de 1662 à 1722]
font alors place à la suspicion et à un contrôle beaucoup plus étroit des milieux lettrés »
(Gernet, 1981, p. 472).
2. Or « juger Dai Mingshi et ses amis n’était pas simplement faire le procès d’un
esprit fort ; c’était mettre en émoi de vastes cercles de l’élite et la kyrielle de fonction‑
naires, lettrés et autres personnages qui gravitaient à leur périphérie » – car l’auteur
du Nanshan ji était au centre des réseaux intellectuels (Durand, 1988, p. 68). Cette
condamnation est donc le message explicite que le Pouvoir envoie aux lettrés pour leur
signifier la fin de sa libéralité.
3. Tels le Dictionnaire de caractères Kangxi/Kangxi zidian (achevé en 1716), l’His-
toire des Ming/Mingshi (achevée en 1739), l’encyclopédie mathématique Yu Zhi Shu
Li Jing Yun (1723), la Collection de livres et d’illustrations du passé et du présent/
Gujin tushu jicheng (achevée en 1728) et surtout la Collection complète en quatre
magasins/Siku quanshu, qui monopolise le travail de 300 lettrés et de 15 000 copistes
de 1772 à 1782.
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Parmi les auteurs de cette seconde génération, il faut mentionner
(outre Dai Mingshi, remarquable par son absence de déférence vis-
à-vis du pouvoir) le pragmatique et réaliste Li Gong (1659‑1733)
– disciple de Yan Yuan, penseur politique réformateur et par‑
tisan du retour à un confucianisme sans cosmologisme. Jiang
Yong (1681‑1762), autre militant de l’École de critique textuelle,
est plus savant que philosophe. Dans un esprit proche, le phi‑
lologue Hui Dong (1697‑1758) s’oppose ouvertement au néo‑
confucianisme officiel au nom d’une exégèse plus savante de la
tradition ; il est l’un des pères fondateurs du Kaozhengxue/l’École
de la recherche-de-preuve2 en philologie. Il est également versé
en astronomie. Zhuang Cunyu (1719‑1788), secrétaire de l’empe‑
reur Qianlong qui embrasse la cosmologie de Dong Zhongshu
(c’est-à-dire « l’École des Textes nouveaux »), est plus traditio‑
naliste. Mais il participe jusqu’à un certain point au Mouvement
Donglin et a étudié l’astronomie, la médecine, la géographie, le
droit et les mathématiques. Également proche du pouvoir impé‑
rial, Ji Yun (1724‑1805) est chargé de diriger la fameuse Collec-
tion complète en quatre magasins/Siku quanshu. L’œuvre de cet
immense érudit embrasse tous les domaines – histoire, philosophie,
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aussi l’auteur d’une œuvre philosophique complète, sans conteste la
plus importante du xviiie siècle. Il y repense à nouveaux frais les
rapports du Li (le principe d’ordre du réel) et du Qi (la matière-
énergie), faisant de celui-là un principe immanent à celui-ci – c’est-
à-dire que l’ordre naturel ne requiert pas de transcendance. Formé à
l’astronomie et aux mathématiques, il écrit aussi sur la phonétique
historique, les mathématiques et l’histoire des mathématiques. Ses
travaux sont marqués par un souci d’exactitude et d’objectivité ;
ou, s’agissant de philosophie, par un effort de ressourcement à la
tradition antique dans sa vérité originelle. Cet attachement à la
tradition le fait d’ailleurs se méprendre sur l’origine et la valeur
des sciences occidentales.
À côté des philologues et philosophes, les écrivains participent
pleinement à l’esprit du temps. C’est manifeste avec le romancier
satirique Wu Jingzi (1701‑1754), qui raille la morale officielle et le
ritualisme prétentieux. Le Rêve du pavillon rouge/Hong lou meng
de Cao Xueqin (1715‑1763) est considéré unanimement comme
l’apogée du roman, notamment pour la richesse des éléments socio‑
logiques et psychologiques qu’il contient. Le polygraphe Yuan
Mei (1716‑1798) se distingue par son indépendance d’esprit vis-
à-vis de toute tradition et orthodoxie, et par son hédonisme libertin.
Dans ses travaux de philologue, cet esprit fort manifeste la même
liberté que dans son œuvre littéraire.
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correctement en astronomie, en géographie, en histoire ou en phi‑
lologie tout en faisant allégeance à la doxa officielle des lettrés.
Ainsi s’amorce « la libération des sciences de la métaphysique1 ».
Le traditionalisme de la culture humaniste entre en tension avec
le progrès des savoirs et de plus en plus de savants reconnaissent
que « la science des Modernes [est] nécessairement supérieure à
celle des Anciens2 ». L’évidence des valeurs « modernes » apparaît
au cours du xviiie siècle, en même temps que deux autres phéno‑
mènes : la spécialisation et la professionnalisation des disciplines
savantes.
L’initiateur de ce mouvement est le grand mathématicien du
xviie siècle, Mei Wending (1632‑1721), qui « dissocie ce qui est du
ressort des Sages, le domaine social et politique, de ce qui relève des
astronomes, domaine dans lequel l’intervention des non-spécialistes
est récusée3 ». Mais, en homme du xviie siècle, il reste dans le
compromis entre tradition et modernité4. La professionnalisation
des savants ne commence qu’au xviiie siècle, en particulier dans
1. Henderson, 1984, p. 150. « Les lettrés du début et du milieu des Qing libérèrent
effectivement la science astronomique, ainsi que nombre d’autres branches spécialisées
du savoir, de l’emprise de la métaphysique morale néo-confucéenne » (J. Henderson,
cité in Zurndorfer, 1988, p. 84).
2. Henderson, 1984, p. 167.
3. Jami, 2004, p. 721. En étudiant Mei Wending, C. Jami cherche à « comprendre
dans quelle mesure, comment et pourquoi, dans la seconde moitié du xviie siècle, il
était possible pour un lettré de devenir un “professionnel” des mathématiques et de
l’astronomie » (ibid., p. 703).
4. Ibid., p. 727. Même compromis chez Wang Xishan (1628‑1682, astronome)
et Yan Ruoju (1636‑1704, historien, philologue, astronome) (Elman, 1984, chap. 6).
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pas encore clairement.
Parmi les savants de l’époque, citons Hui Shiqi (1671‑1741,
astronome3), Jiang Yong (1681‑1762, bon connaisseur des mathéma‑
tiques européennes sur la base desquelles il réévalue l’œuvre de Mei
Wending ; également auteur de traités d’astronomie et de phonolo‑
gie), Ming Antu (c. 1692‑1763, astronome, mathématicien et topo‑
graphe très au fait des sciences occidentales) et Dai Zhen (déjà cité
– fin connaisseur des mathématiques occidentales). Peu après, c’est
la grande génération des historiens : Wang Mingsheng (1722‑1798),
Zhao Yi (1727‑1814), Qian Daxin4 (1728‑1804), Zhang Xuecheng
(déjà cité comme philosophe) et Cui Shu5 (1740‑1816). Comme à
toutes les époques classiques, la réalité humaine est un objet de
préoccupation essentiel.
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engendrent les guerres civiles et les grands soulèvements populaires
de 1850‑1875. Le traumatisme de la défaite contre le Japon en
1894 et l’installation des puissances occidentales à la fin du siècle
complètent ce triste tableau.
Deux solutions s’offrent aux philosophes : le repli sur la tradition
comme moyen affectif et intellectuel de trouver un repère stable dans
un monde bouleversé ; l’ouverture à la Modernité occidentale pour
utiliser les armes de l’adversaire. L’histoire de la philosophie aux
xixe et xxe siècles est le récit des hésitations entre ces deux perspec‑
tives. La plupart des auteurs tâchent de concilier la tradition chinoise
avec la modernité telle qu’ils la comprennent, ce qui engendre un
syncrétisme bigarré où les vieilles idées néoconfucéennes font alliance
avec une philosophie occidentale mal dégrossie. Le confucianisme
bouddhisant à la sauce du pragmatisme américain a quelque chose
de la soupe chinoise au ketchup1. Comme on attribue à la science
occidentale l’écrasement de la Chine par l’Europe au xixe siècle,
on cherche à emprunter à celle-ci ses méthodes et ses concepts. La
science est adaptée, imitée, singée à la faveur de pseudosciences
philosophiques – philosophie de l’évolution pseudo-darwinienne,
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avec ses méthodes, ses institutions et ses hiérarchies. En consé‑
quence de quoi, la philosophie n’est pas seulement isolée du monde
savant, mais aussi du monde tout court. Elle est administrée comme
une science sans être une science ; elle a une vocation morale mais
s’identifie à une technique discursive ; elle voudrait être un art de
vivre mais se retire du monde ; enfin, elle prétend à la légitimité
du savoir universitaire alors qu’elle manifeste un attrait croissant
pour la religion. Telle est la philosophie postclassique : syncrétique,
scolastique, pseudo-savante et teintée de religiosité.
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de traducteur (de Rousseau, Montesquieu, Smith, Mill, Spencer
et Huxley) aura des conséquences énormes sur la génération sui‑
vante. Mais, à la fin du xixe siècle, c’est toujours l’École des Textes
nouveaux qui domine et imprègne la recherche du grand philo‑
sophe Kang Youwei (1858‑1927). Il est le premier auteur à greffer
l’Occident sur la Chine, pour ainsi dire, à la faveur d’une œuvre
traditionnello-moderniste pour le moins originale. Avant tout uto‑
piste et métaphysicien, il prophétise la venue de l’Amour sur terre. Sa
philosophie de l’histoire – une pseudo-histoire philosophique – est la
version chinoise des Trois Âges de Comte : âge du Désordre, âge de
l’Ordre et, finalement, avènement de la Paix universelle – c’est-à-dire
du Grand Tao. Comme l’Occident a le christianisme, la Chine doit
elle aussi avoir sa religion ; ce qui pousse Kang Youwei à faire de
Kongzi un Jésus ou un Bouddha chinois.
Son disciple et compagnon Tan Sitong (1865‑1898) – avec lequel
il élabore l’ambitieuse réforme des « Cent Jours » – théorise une
« Science de l’amour » (titre de son ouvrage de 1895) inspirée des
confucianisme, bouddhisme, taoïsme et christianisme. Il utilise le
vocabulaire scientifique occidental pour donner un aspect savant
à sa métaphysique de l’Amour, entendu comme substance cosmo‑
logique, origine et fin de l’Univers1. L’usage de la Modernité est,
chez Kang Youwei et Tan Sitong, au service du vieux cosmologisme
religieux2.
1. La façon dont Kang Youwei et Tan Sitong détournent et imitent la science a été
soulignée par B. A. Elman (Elman, 2005, p. 402).
2. Ainsi, la comparaison proposée par J. B. Henderson semble-t-elle judicieuse :
« Le retour d’une forme de pensée corrélative [de pensée des corrélations cosmiques]
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tuelle1. Le savoir se conçoit de plus en plus comme un progrès, selon
une histoire cumulative ; ce qui empêche le passé de faire autorité
comme c’est le cas en philosophie2. Parmi les mathématiciens et/ou
astronomes importants du début du Postclassique, mentionnons Wang
Lai (1768‑1813), Li Rui (1769‑1817), Xiang Mingda (1789‑1850)
et celui qui les surpasse tous, Li Shanlan (1811‑1882). Ils assimilent
la science occidentale comme un moyen, devenu évident, de faire
progresser leurs disciplines de recherche.
L’autonomie idéologique, professionnelle et institutionnelle des
savants s’approfondit à mesure que les contacts avec l’Occident
se multiplient et par l’importation du modèle universitaire euro‑
péen. D’une façon générale, la science européenne tend à rempla‑
cer la science chinoise traditionnelle (sauf en médecine)3. Pour les
dans la haute tradition intellectuelle de la fin des Qing […] pourrait être comparé
à des mouvements similaires dans l’histoire culturelle et intellectuelle occidentale »,
telle la philosophie de la Nature des romantiques de la première moitié du xixe siècle
(Henderson, 1984, p. 201).
1. W.-S. Horng, qui étudie l’autonomisation des mathématiques et de l’astronomie au
xviiie siècle, conclut que, vers 1800, « l’astronomie (incluant les mathématiques) fut séparée
de la philosophie » (Horng, 1993, p. 195 – l’auteur analyse en particulier les travaux
du lettré Sun Xingyan). Mathématiques et astronomie se professionnalisent (p. 193).
2. « En 1800, la recherche-de-preuve [kaozheng] avait montré de façon spectacu‑
laire qu’elle était un champ du discours en développement cumulatif. La victoire des
modernes, bien que pas encore totalement explicitée, était devenue évidente » (Elman,
1984, p. 37). « Les scientifiques Qing étaient parfaitement conscients […] qu’ils se
tenaient sur les épaules de leurs prédécesseurs – que leur travail était intrinsèquement
cumulatif » (Porter, 1982, p. 542). Même affirmation in Elman, 1984, p. 242 et 266.
3. En outre, peu après l’importation du modèle astronomique copernicien – que
s’étaient bien gardés d’enseigner les jésuites –, les Chinois abandonnent l’idée (inventée
par Mei Wending) d’une origine chinoise de la science européenne.
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des années 1650‑1700, ils assimilent le savoir occidental par un
travail volontaire, et non parce que ce savoir serait invasif. Quand
la science occidentale est jugée supérieure, ils l’adoptent1.
Cette conversion, massive à la fin du xixe siècle2, ne va pas sans
une violente acculturation – à laquelle résistent les politiques, les
lettrés et les philosophes. Au cours du xxe siècle, la science chinoise
intègre la communauté savante internationale ; on ne peut plus véri‑
tablement parler de science chinoise.
Acculturation, néo-traditionalisme
et syncrétisme (1900 à 1949)
Après 1900, la Chine se jette dans la Modernité : abolition des
examens mandarinaux en 1905, fin de l’Empire et avènement de la
République en 1911, fièvre moderniste d’une jeunesse voulant détruire
toute tradition – mouvement de la Nouvelle Culture (1915‑1921)
et mouvement du 4 Mai (1919). Le système universitaire occidental
remplace le mandarinat depuis la fondation de l’Université de Pékin
en 1912. Grâce à un système de bourses, les philosophes font une
partie de leurs études en Europe, aux États-Unis ou au Japon. Ils
en reviennent avec des idées neuves, qu’ils accommodent souvent
avec les vieilles valeurs confucéennes. Qu’ils soient « nouveaux
confucéens » ou modernistes, les philosophes conjuguent toujours
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tache à la tradition confucéenne ou bouddhiste. Pas d’ambiguïté en
revanche chez Chen Duxiu (1879‑1942), Li Dazhao (1888‑1927)
et Li Da (1890‑1966), introducteurs de la philosophie marxiste
en Chine. Ces représentants du mouvement du 4 Mai font leur
le slogan « Science et Démocratie ». Magnifique formule, qui se
dégradera malheureusement en « dialectique marxiste et pouvoir
autoritaire ». Le marxisme chinois est en effet aussi ambivalent que
le marxisme européen : il exalte la science, mais n’en admet qu’une
seule, définitive, consignée dans les œuvres de Marx, d’Engels et de
Lénine. La « dialectique » qu’il adopte est le genre de pseudo-science
typique des philosophies postclassiques. Dans le camp libéral, Hu
Shi (1891‑1962) tient une position clairement anti-traditionaliste,
favorable à l’occidentalisation et à la modernité scientifique. En
véritable universitaire à l’américaine, il épouse la philosophie prag‑
matiste de son maître Dewey, qu’il mêle à la philosophie analy‑
tique et au darwinisme. Il écrit aussi une histoire de la philosophie
chinoise qui se veut scientifique1. L’acculturation semble être tout
aussi radicale chez Hong Qian (1909‑1992, philosophe-logicien de
l’école du Cercle de Vienne) et Jin Yuelin (1895‑1984, philosophe-
logicien disciple de Russell).
En réaction au radicalisme du 4 Mai se constitue une philoso‑
phie qui cherche à tempérer les ardeurs révolutionnaires par un
retour au confucianisme, tout en s’inscrivant dans la perspective
démocrate et libérale. C’est le « néoconfucianisme contemporain »,
dit aussi « nouveau confucianisme ». Xiong Shili (1885‑1968) est
1. Hu Shih, 1967.
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et de kantisme. Zhang Dongsun (1886‑1973) marie plutôt Kongzi
à Kant et à Russell (qui s’était fait connaître en Chine par un
cycle de conférences en 1920). D’abord démocrate anti-marxiste,
il devient marxiste à partir de 1945. Feng Youlan (1895‑1990)
connaît une évolution comparable. Avant d’embrasser le marxisme,
il est le grand représentant du nouveau confucianisme de l’École
des Principes, qu’il associe à la philosophie analytique américaine1.
On lui doit en outre une Histoire de la philosophie chinoise. Liang
Shuming (1893‑1988) représente au contraire l’École de l’Esprit.
Nettement plus réactionnaire dans son projet intellectuel et poli‑
tique, il veut revivifier la cosmologie traditionnelle pour lutter contre
la modernité déshumanisante. L’impression d’ensemble qui domine
cette période est celle d’un tâtonnement intellectuel : « les idées
philosophiques semblent tourbillonner aussi confusément que les
idées politiques et sociales2 ».
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se convertissent à l’issue d’une pathétique autocritique, à l’image
de Feng Youlan. Parmi les philosophes marxistes, il faut citer Yang
Xianzhen (1896‑1992, théoricien de la « dialectique »), Wu Liang‑
ping (1908‑1986, notamment traducteur d’Engels), Chen Guiru (né
en 1907, spécialiste de « philosophie de la nature » marxiste) et Ai
Siqi (1910‑1966, auteur de La Philosophie pour les masses et de
Matérialisme historique et matérialisme dialectique). Dans la pure
tradition pseudo-scientifique, Feng Ding (1902‑1983), professeur à
l’Université de Pékin, tâche de montrer les fondements physiques,
physiologiques et linguistiques du marxisme.
Pendant toute cette période, la plupart des néoconfucianistes
s’exilent à Taïwan ou Hong Kong. Ils organisent une opposition
intellectuelle du dehors et rédigent en 1958 un Manifeste en faveur
de la culture chinoise. C’est la grande époque du métissage germano-
confucéen : les philosophies de Kant et de Hegel deviennent des
références majeures. De sorte que, au total, on peut dire qu’« à partir
des années cinquante, la philosophie chinoise passa sous l’emprise
complète de courants de la philosophie allemande : en Chine conti‑
nentale, ce fut le marxisme, tandis qu’à Taïwan et Hong Kong,
Mou Zongsan et Tang Junyi s’inspirèrent respectivement de Kant
et de Hegel1 ». Or « en privilégiant le système, l’esprit général de la
philosophie chinoise moderne fut de chercher à imiter la philosophie
occidentale des xviiie et xixe siècles2 ». D’où l’inquiétude de voir
temps, elle retrouve grâce à lui une philosophie orthodoxe qui, comme le confucianisme
d’antan, embrasse tous les domaines de la pensée et de la vie » (Huang, 1974, p. 1212).
1. Jiadong Zheng, 2005, p. 131.
2. Ibid.
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sophes associent tradition chinoise et influences occidentales – ainsi
font les « nouveaux confucéens ». Influencé par Hegel, Bergson
et Whitehead, Fang Dongmei (1899‑1977) propose une synthèse
de confucianisme, de taoïsme, de bouddhisme et de philosophie
occidentale. Tang Junyi (1909‑1978) associe ses influences kan‑
tiennes et hégéliennes au néoconfucianisme de l’École de l’Esprit,
comme son maître Xiong Shili. Autre élève de Xiong Shili, Xu
Fuguan (1902‑1982) s’inspire plutôt de la phénoménologie pour
sa morale et son esthétique anti-intellectualistes, qui cherchent
une nouvelle alliance avec les énergies cosmiques. Enfin, Mou
Zongsan (1909‑1995) mixe Kant avec le néoconfucianisme de
l’École de l’Esprit. Formé à l’école de Russell, Whitehead et Witt
genstein, il utilise Kant comme moyen de rehausser la philosophie
chinoise traditionnelle. Après une période bouddhiste, il en revient
à la tradition du cosmologisme, c’est-à-dire à une philosophie de
la Nature aux accents romantiques4.
À la fin des années 1970, la Chine se déverrouille et les exilés
reviennent sur le continent. Comme au début du siècle avec la chute
1. Ibid., p. 132.
2. « La plupart des universitaires chinois contemporains connaissent mieux Heideg‑
ger et Derrida que Confucius et Xunxi ! » (A. Cheng, Conférence du 13 janvier 2003,
à l’Université de tous les savoirs). « La pensée se trouve ainsi amputée de ses racines »
(Pietra, 2008, p. 105).
3. Thoraval, 1992, p. 45 ; Billioud et Thoraval, 2014, p. 12. Voir aussi Thoraval,
2007 – l’auteur insiste sur les faiblesses d’une pensée néoconfucéenne « automutilée en
s’enfermant dans la clôture d’un système philosophique » « à l’occidentale », c’est-à-dire
prenant l’aspect d’une philosophie universitaire mondialisée (p. 62).
4. Ce qui lui vaut d’être comparé par J. Thoraval à Schelling (Thoraval, 2005).
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nalisme. Or la pensée nationaliste s’accompagne irrésistiblement
d’un questionnement sur l’identité traditionnelle, qui touche tout le
monde. Ce ne sont pas seulement le bouddhisme et le confucianisme
philosophiques qui sont alors réactivés, mais aussi leurs versions
religieuses ; on assiste à un retour massif de la pensée religieuse,
chez les philosophes et les élites politiques comme dans le peuple3.
Quand ils ne sont pas « nouveaux confucéens », les philo‑
sophes universitaires sont souvent trop occupés à des travaux de
commentateurs et d’interprètes pour produire une œuvre origi‑
nale. L’application à la philosophie du modèle de spécialisation
scientifique a pour effet – comme en Occident – la comparti‑
mentation des recherches à l’excès ; on trouve des spécialistes de
tout mais guère de penseurs capables d’embrasser le réel dans
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