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controverse postcoloniale
Anne-Claire Collier
Dans Lumières 2019/2 (N° 34), pages 9 à 23
Éditions Presses universitaires de Bordeaux
ISSN 1762-4630
ISBN 9791030005738
DOI 10.3917/lumi.034.0009
© Presses universitaires de Bordeaux | Téléchargé le 18/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 47.60.40.175)
Anne-Claire Collier
Conservatoire National des Arts et Métiers/Sophiapol, Paris Nanterre
Résumé. À travers l’étude d’un corpus de Abstract. Through the study of selected texts
textes et de trajectoires sociales, et en prenant and social trajectories of intellectual figures, this
comme prisme le lien entre universalisme article deals with the link between universalism
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5. Pour une analyse du vote de la loi n° 2005-158 voir Romain Bertrand, Mémoires d’empire.
La controverse autour du « fait colonial », Paris, Le Croquant, 2006.
6. L’année 2005 a été émaillée par un ensemble de pétitions d’historiens notamment les
pétitions : « Colonisation : non à l’enseignement d’une histoire officielle », Le Monde,
24 mars 2005 ; « Liberté pour l’histoire », Libération, 13 décembre 2005.
7. Michel Dobry, Sociologie des crises politiques, 3e édition, Paris, Les Presses de Science Po,
2009.
8. Fabrice Dhume-Sonzogni, Liberté, égalité, communauté ? : L’État français contre le
communautarisme, Paris, Homnisphères, 2007 et Stéphane Dufoix, « Nommer l’autre.
L’émergence du terme communautarisme dans le débat français », Socio, 7, 2016, p. 163-
186.
9. Joan Stavo-Debauge, « Prendre position contre l’usage de catégories “ethniques” dans la
statistique publique. Le sens commun constructiviste, une manière de se figurer un danger
politique », in : Pascale Laborier et Danny Trom (dir.), Historicités de l’action publique, Paris,
Presses Universitaires de France, 2003, p. 293-328.
10. Sébastien Ledoux, Le devoir de mémoire : une formule et son histoire, Paris, CNRS Édition,
2016.
11. Boris Gobille, « L’événement Mai 68 », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2, 2008, p. 321-
349.
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essence colonialiste, aussi bien dans ses racines que dans sa continuité
aujourd’hui. La « figure de l’indigène » continuerait à « hanter l’action
politique ». L’étude systématique des différents numéros de la revue
Va t’faire intégrer et de l’ouvrage publié par Houria Bouteldja et Sadri
Khiari, Nous sommes les indigènes de la République, permet de revenir sur
cette notion de « chauvinisme de l’universel » empruntée au sociologue
Sayad19. À travers ce terme, ils dénoncent l’occultation des inégalités et
le fait que l’immigration doit avant tout être analysée à travers le prisme
d’un rapport de domination sociale mais également raciale20.
Dans la controverse postcoloniale, le refus de cette grille de lecture
est alors interprété comme une lutte pour le maintien des formes de
domination, ce qu’Houria Bouteldja illustre dans un article intitulé « la
frontière BBF », chacune des initiales renvoyant à un chercheur français :
Esther Benbassa, Pascal Blanchard et Didier et Eric Fassin21. Elle dénonce
la réappropriation du vocable postcolonial par ces auteurs et surtout la
mise en place d’une frontière au-delà de laquelle se trouverait « l’extré-
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19. Abdelmalek Sayad reprend ce terme de Pierre Bourdieu qu’il applique à la question
migratoire : « Cette célébration d’une œuvre extrêmement flatteuse pour l’amour-propre
national s’accompagne d’une véritable opération de transmutation qui consiste à généraliser
le particulier et à universaliser le local, à passer du particulier au général, du local ou du
localisé à l’universel, à faire en sorte que cette œuvre particulière et toute locale atteigne
aux dimensions de l’œuvre universelle (ou universalisable). C’est à un point tel que, par
un penchant très ethnocentrique, on incline tout naturellement, sans s’en rendre compte,
à penser qu’être pleinement homme ne peut être qu’à la manière française et aussi qu’être
français est tendanciellement la bonne manière », Laacher Smaïn et Sayad Abdelmalek,
« Chapitre XIII. Insertion, intégration, immigration : la définition des mots est toujours un
enjeu dans les luttes sociales », in Bernard Charlot (dir.), Les jeunes, l’insertion, l’emploi, Paris,
Presses Universitaires de France, 1999, p. 166-185.
20. Houria Bouteldja et Sadri Khiari, Nous sommes les Indigènes de la République, Paris,
Amsterdam, 2012.
21. Houria Bouteldia, « Au-delà de la frontière BBF (Benbassa-Blanchard-Fassin(s)) », in Houria
Bouteldja et Sadri Khiari, Nous sommes les Indigènes de la République, op. cit., p. 343-347.
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22. Pour une analyse des trajectoires de ces deux auteurs voir Laurence de Cock, « L’ACHAC
et la transmission du passé colonial : stratégies entrepreneuriales et culturalisation de la
question immigrée dans la mémoire nationale », Cultures & Conflits, 107, 2017, p. 105-121.
23. Les treize ouvrages publiés entre 1993 et 2004 permettent de rassembler 184 contributeurs.
24. Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, « De l’indigène à l’immigré, retour du colonial », Hommes
& Migrations, 1207, 1997, p. 100-113.
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28. Pascal Blanchard, Dominic Thomas, Nicolas Bancel, Vers la guerre des identités ? De la
fracture coloniale à la révolution ultranationale, Paris, La Découverte, 2016.
29. Marie-Claude Smouts, « Le postcolonial : pour quoi faire ? », Marie-Claude Smouts (dir.),
La situation postcoloniale. Les Postcolonial Studies dans le débat français, Paris, Les Presses de
Science Po, 2007, p. 27.
30. Nacira Guénif-Souilamas, « L’altérité de l’intérieur », in Marie-Claude Smouts (dir.), La
situation postcoloniale, op. cit., p. 344-351.
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mal à ingérer une altérité qui est en elle depuis très longtemps, et qu’elle
n’arrive pas à voir31 ».
Ce positionnement de la richesse de la différence est repris également
par le sociologue Michel Wieviorka dans son positionnement en
faveur du terme diversité qui permet de renouveler les réflexions sur les
représentations de l’autre pour mieux comprendre les formes de discri-
minations et de racisme32.
Pour ces penseurs, le recours au vocable postcolonial constitue un
moyen de signifier l’entrée de la France dans une société cosmopolite et
multiculturelle.
Ce positionnement se retrouve dans la reprise des débats sur les statis-
tiques ethniques. La trajectoire du démographe Patrick Simon en ce sens
est intéressante. Il soutient sa thèse de doctorat sous la direction d’Hervé
Lebras en 1994 et rejoint l’institut d’études démographiques. Il participe à
l’enquête MGIS dirigée par Michel Tribalat et prend position en faveur de
la mise en place des statistiques ethniques. Il dirige un nombre important
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33. Jim Cohen, Elsa Dorlin, Dimitri Nicolaïdis et al., « Dossier : Le tournant postcolonial à la
française », Mouvements, 51, 2007, p. 7-12.
34. L’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch s’inscrit dans la même ligne lorsqu’elle écrit :
« l’universalisme à la française est hostile à la différence et, par extension, aussi bien à la
figure d’Autrui qu’au métissage. L’universel finit par s’incarner dans une figure représentant
le groupe dominant : “le neutre est un homme blanc des classes moyennes et supérieures” »,
Catherine Coquery-Vidrovitch, « Échange avec Giulia Fabbiano, Arnaud Zohou et
Catherine Coquery-Vidrovitch », De(s)générations, 5, 2012, p. 23-29, p. 29.
35. Patrick Simon, « “Race”, ethnicisation et discriminations : une répétition de l’histoire ou une
singularité postcoloniale ? », in Nicolas Bancel, Florence Bernault, Pascal Blanchard et al.
(dir.), Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française, Paris, La Découverte,
2010, p. 354-368.
36. Sur le retour de la controverse sur les statistiques ethniques après 2006 voir Clarisse Fordant,
« Une controverse française sur les statistiques ethno-raciales », in Yves Gingras (dir.),
Controverses. Accords et désaccords en sciences humaines et sociales, Paris, CNRS Éditions,
2014, p. 211-244.
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37. Pour aller plus loin sur l’imbrication entre espace savant et espace militant voir notamment
Bernard Lahire, À quoi sert la sociologie ? Paris, La Découverte, 2004.
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38. Jean-Loup Amselle, L’ethnicisation de la France, Paris, Nouvelles éditions Lignes, 2011.
39. Id., L’Occident décroché. Enquête sur les postcolonialismes, Paris, Stock, 2008, p. 268.
40. Jean-Loup Amselle, « La société française piégée par la guerre des identités », Le Monde,
15 septembre 2011.
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Anne-Claire Collier
Anne-Claire Collier est actuellement ATER au CNAM et est rattachée au laboratoire Sophiapol.
Elle a soutenu une thèse intitulée « Le moment français du postcolonial. Pour une sociologie
historique d’un débat intellectuel » à l’Université Paris Nanterre. Ses recherches s’inscrivent
au sein de la démarche de l’histoire sociale des idées politiques et portent sur la circulation de
pensées critiques, la sociologie des intellectuels ainsi que la sociologie de l’immigration et du
républicanisme.
Anne-Claire Collier is currently employed as an ATER at CNAM. She is a member of the research
team Sophiapol. She wrote a PhD thesis entitled “The French period of postcolonialism. For an
historical sociology of an intellectual debate” at Paris Nanterre University. She conducts research with
a focus on social history of political ideas, sociology of intellectuals as well as sociology of immigration
and republicanism.
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